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FhAl.'ldQ^
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\
REVUE D'ALSACE.
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COLMAR • Imprimerio et Littiogrtphie de CAMaLB Dbgksi».
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REVUE D'ALSACE.
DIX-SEPTIÈME ANNÉE.
TBOISltHE SiRII.
TOME DEUXIÈME.
GOLHAR,
AU BUREAU , RUB DES MARCHANDS. IC H.
1866.
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^
^T^^^-^r^
Han^ard Colleî^^e l.ibrary
V. APR 18 1908
Hohenzol!crn CV»llcction
Gift of A. i:. Cv.'.Kiîre
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aUElQUES HOTS
SUR LES COURS COLONGÈRKS D'ALSACE
DES LIVRES DE M. HANAUER SUR CETTE MATIÈRE K
— Suite •. —
De la question d'origine légale , du titre Romain ou Germanique de
la Colonge , passons à Tétude de Tinstitution en elle-même , de ses
conditions essentielles, de ses destinées et de sa disparition.
Ici encore y tout en continuant à rendre justice à retendue des re«
cherches , à la remarquable sagacité d'un grand nombre de ses commen-
taires , à la richesse de ses développements , nous regrettons d'avoir à
reprocher à l'auteur un vice radical , qui consiste dans l'absence de
toute méthode et de tout ordre rationnel dans la distribution des maté-
riaux qu'il a entassés en quelque sorte au hasard et pèle-méle.
Pourtant , nous l'avons déjà fait remarquer , une institution quelle
qu'elle soit, subit fatalement la loi du milieu social dans lequel elle natt
et se développe. Le premier devoir de l'historien est donc de suivre
attentivement , en remontant le cours des siècles , la succession des faits
sociaux qui ont dû imprimer à l'institution son caractère originel et
dominer toutes les phases de son évolution, c Nous avons pensé , dit un
savant qui jouit d'une légitime autorité , < que si rien n'était plus com-
c mode que d'isoler l'histoire des institutions de l'histoire des faits , rien
f n'est plus compromettant ni plus dan-
c gereux pour la vérité *. ^
* Voir la livraison de décembre 1865, page 529.
* i^ Les Payeam de l'Alsace au moyen^ge. i vol. S^,
2^ Les constitutions des campagnes de l'Alsace au moyen-âge, 1 vol. 8*.
* LehuSrcd, Hist. des institutions earoUng. Paris 1843. Avant-Propos, p. xin.
Une école allemande, celle pour laquelle M. Hanauer doit avoir le plus de sym-
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6 REVUE D* ALSACE.
Une histoire de' la colonge se plie fort biei) à la division faile par
Schœpflin en périodes Francique , Germanique et Française ; c'est aussi
celle qui a été adoptée par M. Véron-Réville dans son excellent Traité
sur nos juridictions alsaciennes. En fait de méthode il ne faut pas légè-
rement être ambitieux ou novateur. Les classifications les plus usitées ,
sont incontestablement les plus avantageuses tant qu'elles ne sont pas
devenues incomplètes ou insuffisantes. En adoptant cet ordre qui a pour
lui la consécration de l'usage , H. Hanauer eut trouvé moyen de classer
chronologiquement les rotules déjà connus , et ceux qu'il a lui-même
ramassés dans les archives. Ensuite son eiïort eut dû porter à assigner à
chacune de leurs dispositions , celles surtout concernant la juridiction
et le droit d'asile , leur date d'origine au moins présomptive.
Au lieu d'une interprétation tirée des faits historiques ambiants,
notre auteur au contraire ne s'attache qu'au texte de ses vieux titres ;
il accepte le sens littéral de chacun de leurs termes sans se préoccuper
de savoir si ce sens est bien réellement celui que leur attribuait le
temps od ils ont été écrits. Tel rotule, nous dit-il , contient telle ou telle
stipulation ; donc cette stipulation a vécu ; et non seulement elle a vécu
une heure , un siècle , mais elle a conservé pleine force et vigueur pendant
tout le moyen-âge, malgré les bouleversements répétés et profonds qui
ont agité cette époque de formation , malgré le changement incessant
du milieu dans lequel Tinstitution a dû naître et .se maintenir ! Avec un
pareil systènie de servilité littérale, je ne vois pas pourquoi, en France,
nous ne daterions pas les principes de 1789 de Tan de gr^e 1315 , et
pourquoi nous ne chercherions pas Tavénemcnt des droits de l'homme
et du citoyen dans les fameuses lettres de Louis-le-Hutin , déclarant que
dans le royaume des Francs , tous , sans distinction , doivent être Francs
et libres ^
Et puis , il importait peu , ce nous semble , d'enrichir le domaine de
la science du texte de quelques rotules de plus ; il eût été intéressant au
contraire de chercher dans nos archives départementales et spéciales ce
pathie , s'est appropriée cette maxime : Tf\eht$ Ut bequemer aU die Geichichu
d$r Beehisinstitutê von der Gêschichte der Thatsachen xu trennen; aber nichts
Ut xugUieh gêftikrlicher far dU Warheii. — GfrÔBER. Zur Gescfiichte dêotscher
Volkirechten im àÊUtelalter , i, p. 2.
* De Lalriêre , Ordannancet de* RoU de France , i , p. 385.
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QUELQUES MOTS SUA LES COURS COLONGÈRES D'alSACE. 7
qu'elles peuvent contenir sur la mise en pratique de ces textes ; de dé-
couvrir notamment ce qu'elles peuvent cacher de renseignements utiles
sur les juridictions , la pratique du droit d*èmigration , le maintien ou la
conversion des prestations, etc. M. Hanauer est forcé de convenir, en plus
d*un endroit , que dans beaucoup de cas , ces dernières surtout se sont
trouvé modifiées par le cours du temps et le changement des habitudes
sociales. Ainsi , d'après lui-même , le droit de gtte ou d'hébergé se serait
converti, dans certaines contrées , en prestations pécuniaires ou taille K
Voilà des symptômes qu'il aurait été utile de suivre et d'approfondir, parce
que d'une part ils nous auraient appris comment les colongers qu'on pré-
tend autonomes seraient devenus taillables, et d'un autre côté l'on serait
arrivé ainsi à la démons^tration de cette vérité , évidente d'ailleurs par elle-
même , que le Dinghof^ comme toutes les autres institutions anciennes,
a successivement subi Tinfluence des mutations qui s'opéraient dans le
milieu historique qui Tenveloppait. M. Hanauer du reste finit par en
faire l'aveu ^, en reconnaissant que la constitution des colonges t subit
dans le cours des siècles des changements assez considérables. > C'était
une raison , ce nous semble , de dessiner ce cours des siècles dans la
division même de sa dissertation.
L'ordre que nous indiquions tout-à-l'heure correspond du reste d'une
manière précise aux grandes révolutions qui ont précédé , chez nous ,
la formation de la société moderne.
La période Francique commence à l'établissement définitif des inva-
sions germaniques sur les territoires soumis jusqu^alors à la domination
Romaine; elle se clôt au moment où le régime féodal a remplacé celui
des Bénéfices. Plusieurs grands traits la signalent. A son début l'occu-
pation du territoire conquis, par des hordes, des bandes ou des tribus
qui s'asseoient et s'établissent (Ansiedelung) dani des cantons d'une
étendue variable (Gauen) ; chacune de ces aggrégations obéissait à un
chef auquel un ordre hiérarchique rattachait les hommes ou les Leudes
qui la composaient. En temps de paix au moins aucune autorité com-
mune ne dominait les tribus diverses , ni leurs chefs. .Les hommes qui
composaient chacune de ces aggrégations se classaient en états diffé-
rents (Stânde) : les nobles , les libres, les nonAibres {AdeUhe y Freye,
* Constitutions f p. 17t.
• Paysans, p. 287.
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8 REVUE D' ALSACE.
Hârigen) ^ L'esclave (Knecht) qui n'était considéré, chez les Germains
ainsi que chez les Romains , que comme une chose , n'avait par consé-
quent pas d'état personnel , et ne formait pas une classe. — C'est cette
distinction dans l'état des personnes qu'il faut toujours avoir présente à
l'esprit , dans l'étude de toute institution , qui reporte son origine à ces
temps reculés ; elle s'est perpétuée en s'accentuant diversement pendant
tout le moyen-âge, et pourtant ce fait capital nous semble n'avoir pas
obtenu de M. Hanauer , toute l'attention qu'il mérite. — Les intérêts
communs de la Gaue» de la tribu ou du clan se traitaient dans des
assemblées , Mallus , qui se composaient primitivement de tous les
hommes libres du district , sous la présidence du chef ou de ses repré-
sentants. Dans ces assemblées le Lite , le non tibre {Hùrige) pouvait se
présenter comme plaignant ou comme défendeur, mais seulement pour
autant qu'il s'agissait de la poursuite d*un droit privé le concernant ^.
Ce droit de juridiction des hommes libres , cette indépendance des
j'iaids , (Mallus), a attaché à cette époque la dénomination d'époque de
Vautonomie primitive, sous laquelle elle est désignée par presque tous
les auteurs — Il n'y avait alors d'autre source du droit que la tradition
(das alte Herkommen) que le Mallus était censé chercher et proclamer
{das Rechl suchen). C'est à ce point de vue qu'on a pu aller jusqu'à pré-
tendre que \ejury (Geschwomen-Gerïcht) aurait été alors de droit com-
mun, si Ton admet qu'on puisse appliquer cette dénomination moderne
à l'assemblée des Gauen ^ et à l'aptitude inhérente à l'homme libre d'être
juge ^. Mais ce régime de liberté absolue des Mallus et du pladta ne tarda
pas à se modifier, au fur et à mesure que la conquête se consolida et que
se constitua au«dessus des chefs des Gauen une autorité commune ,
centrale comme nous dirions de nos jours , le pouvoir royal. Déjà en
574 , un édit de Chilpéric ' restreint le cercle illimité de la juridiction
* lAberti. ingenui. nobilei. Tac Germ, c. 25, c. 42. - Nithard, iv, cap. 2.—
WaITZ, Deuttch. Verfaiiungê^Gêêehichte ^ i, 171.
* Lex Salie, ,1,1. — Cap. Sax. de 797 , c. 5. — Pbrtz , Lsges. , l , 76. —
Gemeiner , Cenimen , 63. — Waitz , q. sup. 177.
' V. entre autres Gfrôrer • Zur GeichichU der detUiehê Volksrêehten im
Miltelaltwr. Je cite cet auteur de préférence parce que son autorité ne saurait
être suspecte à l*école à laquelle appartient M. Hanauer.
' Y. sur ce point les développements dans Savigny , Geschiehte des ràmiichen
Rechti im Mittelalter , u , p. 151.
* V. Pertz , Leges. 1. — et encore Gfrôrer , q. s. p. 156.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÂRES D* ALSACE. 9
libre , en faisant de la Bonitas , le titre distinctif du Rachimburgus
idoneus. Un capitulaire de Pépin , de 760, et plusieurs autres émanés
de Charlemagne , régularisèrent la tenue des Mallus et restreignirent
les fonctions de juge à un certain nombre d*hommes libres qui dès-
lors formèrent une classe, à part. — En Alsace entre autres des comtes
représentèrent le pouvoir royal, duquel dérivait toute juridiction >. La
charte de Louis-le-Débonnaire de 823 \ par laquelle il confirme les
droits de l'abbaye de Hassevaux , démontre que Vidonéiié était devenue
une condition essentielle pour la juridiction des Mallus, et que la jus-
lice s'y exerçait au nom du Souverain , sous la présidence de son délégué :
Jpse advocaius cui nos vel successores nostri bannum super Abbadam
Leaniem dabimus illius Ecclesiœ lods bénigne provideat et scmel in auno
^^ publicum placitum apud villam quaa vocatur Gœwenheim , ubi sedes
est judiciaria totius abbati» teneat cumillis tamen , qui quodjustum est
sciant et diligant , et ibi omnibus injuriam passis secundum idaneos
ejusdem populi judices ceterorumque consensum jt^fictam faàat, nec
aliquis de tota familia dives seu pauper terra sua aut jure suo privetur,
nisi in prsdicto loco et communi cunctorum sapientiutn judicio ; et in
ipsà die pubiici placiti ad ipsum quidem locum ubi congregatio
est , propter inquietationi {sic) evitandam , caussà placitandi non veniat
nisi par abbatissam vocetur. — Ce document célèbre révèle trois faits
d*une égale importance : l'émanation du droit de justice de la puissance
impériale ou royale ; l'institution par cette même autorité de l'advocatie
(Vt^tey) même dans les possessions ecclésiastiques; enfin la restriction
du droit de concourir activement au plaid ou au Mallus, à une catégorie
particulière de personnes {sapientes y idonei judices , qui quodjustum
est sciant et diligant). Il prouve que dès les premiers temps qui succé-
dèrent à la formation d'un pouvoir central , la liberté primitive de Ras-
semblée populaire subit des atteintes au détriment même de la classe
des Freyen , atteintes qui s'aggravèrent de plus en plus , et qui finirent
par faire disparaître , par la désuétude , l'ancienne institution nationale '•
' In Sll$atià comiUatui duo, V. le partage de 870 , ap. Trocillat , q. sup.
' ScHOSPPLiN f Aliatia dipL , i , 70. Ce diplôme a été publié également par
Laguille, Preuves de l'histoire éT Alsace, p. 15, et par Dom Bouquet , SeripL
rer. Frane. , vi, p. 8^. Comparez la curiease traduclloa qa*en donne M.'Ha-
nauer , Paysans , p. 79.
* Elle s'est conservée dans quelques parties reculées de la Suisse (la vaUée de
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10 REVUE D'ALSACE.
La coulume même (dos alte Herkommen) fut desliluée de son empire
absolu , el subordonnée à Tautorité de la loi >, dans les matières réglées
par celle-ci , autre circonstance qui explique les efforts que le pouvoir
central mettait à créer une classe déjuges idoines.
Rappelons encore que c'est durant cette même période /rafictgti^ que
se constituèrent les vastes possessions que TËglise obtint des Mérovin-
giens el des Carlovingiens ; possessions qui , pour la majeure partie ,
étaient des démembrements du Fiscxis Regius. C'est durant cette époque
égalemanl q\ie se maintinrent ou se formèrent les territoires dynastiques
des Ducs , des Comtes et des nobles ^ soit qu'ils leur soient échus comme
sortes au moment de la conquête , soit qu'ils les aient conservés, comme
on en souleva la prétention pour quelques uns , à titres antérieurs ^.
C'est dans cette période aussi , qu'à côté des concessions en pleine
propriété faites par les Rois , on rencontre des investitures précaires et
viagères sous le titre de Bénéfices. Une grande partie de ces grands terri-
toires ecclésiastiques ou laïques formèrent ce qu'on appelait les Immunités^
comme nous l'avons déjà fait remarquer plus haut. C'est à ces divisions
territoriales qu'il faut également reporter la distinction qui se révèle déjà
dans cette période , entre le bannus dominicus site régis et le bannie
allodii ou bannus generalis. Ce dernier indiquait le domaine de la
propriété patrimoniale et seigneuriale (eigenthumsherrliche Bann) en
regard des droits éminents de la souveraineté royale (Kœnigs Bann) ^.
La seconde période s'ouvre par la conversion des Bénéfices , qui n'é-
taient que viagers , en fiefs héréditaires. A partir de cette grande révo-
lution , opérée par Conrad il , le régime féodal s'installe et se développe
avec une constante progression. En Alsace les prérogatives des comtes,
Davos), jusque vers le milieu du xvii* siècle. M. It^ professeur OsenbrUà'gen a
«tooné le lableau piuoresque et intt^ressaiit (i*uii de ces Mallus des temps pri-
mitifs dans ses Culturhistoriiche Bilder ans der Schweiz, Leipzig , 1863 , p. 163.
Qu'il nous soit permis d*exprimer ici le regret que M. Véron-Réville D*aii pas
continué réiégantc et fidèle traductioo qn*il avait commencée de ce livre , traduc-
tion dont il a publié quelques fragments dans cette Revue,
' Caroi. m. Cap, Gen a- 785. Placuit inserere ubi lex erit prœcellere con-
sueludini et nuUa contuetudo tuperponalur Legi,
* Léo. Die Tertitorien, tom. i. Elsass, — Land\ii. Die Territorien , 324. —
RofH , Beneficialwesen . p. 64.
' Z/GPFL , ÀUerlhum, i , p. 37. — P. Ruth, Gesch. des Beneficialwesens von
den altesten Zeiten bii Mum X Jahrh, , p. i43 et i45.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS C0L0N6ÉRCS DALSACE. M
el en partie celles mêmes du pouvoir impérial , se disséminent entre
les mains d'une multitude de seigneurs ; à mesure que le nouveau
régime s'étend et se consolide , les prétentions seigneuriales grandissent.
Chaque feudataire aiBrme être dans son fief ce que FEmpereur est dans
TËmpire >. Toute justice y émane de lui; à lui seul appartient le droit
d'établir des juridictions el d'instituer des juges. Lors de la Réformation
religieuse , les nobles qui l'embrassèrent allèrent même jusqu'à se dé-
clarer investis de la puissance papale sur la conscience de leurs sujets *.
— L'introduction du droit Romain dans les tribunaux de l^Ëmpire accéléra
la décadence ou du moins l'altération des institutions germaniques, qui
avaient été déjà ébranlées dans l'âge précédent. Enfin l'érection des villes
libres et impériales, la formation des grandes communes , qui conquirent
bientôt le rang & Etais du Sainl- Empire y exercèrent aussi une inOuence
considérable sur la constitution des classes en Allemagne. — Tous
les rotules colongers, qu'on retrouve dans les archives^ appartiennent,
par leur rédaction , à cette seconde période ; si quelques uns contienm nt
quelques réminiscences des temps antérieurs , des documents positifs
établissent la désuétude dans laquelle tombèrent successivement les
attributs qui en formaient l'originalité , désuétude qui aboutit insensi-
blement à l'assimilation presque complète de la colonge avec les autres
locations perpétuelles.
A partir de l'année 1648, qui ouvre la troisième époque, le caractère
de cette institution s'efface de plus en plus , aux yeux des paysans eux-
mêmes , comme aux yeux des juridictions que la France installait en
Alsace. Dans beaucoup de cas , le colonger montre sa préférence pour
le droit commun de la locatairie perpétuelle , qui assurait au preneur la
possession perpétuelle de la terre qu'il cultivait , l'invariable uniformité
du canon et le débarrassait ainsi du landeme , du mortuaire et d'une
multitude de cérémonies coûteuses ou gAnantes , qui étaient devenues
des formalités stériles. Aussi les anciens Hueber de l'Alsace ne furent-ils
pas ceux qui saluèrent avec le moins d'empressement la Révolution ,
lorsqu'elle vint leur offrir , moyennant le rachat , l'affranchissement
définitif de leur propriété , affranchissement préparé d'avance par la
jurisprudence du Conseil souverain.
' Corulit. Frédéric ii. dejuribut Princip. — RÉULLE , q, êuprà, , p. 37.
* £r wàre in «einem land PabU und Kayter, Slikgk , de jure Papali prttieipwm
JSvang. , l , il.
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a REVUE D'ALSACE.
Telle est en substance la division historique , qu'on ne doit pas perdre
de vue un instant , sous peine de s'égarer dans l'étude des institutions
colongëres. C'est à la lumière de ces faits généraux de Thisloire qu'il faut
en suivre attentivement le développement. En dédaignant celte lumière,
on peut bien , à Taide de quelques textes ambigus et d'une interpréta-
tion hardie, créer une colonge idéale , à la place de la colonge terrestre
et réelle qu'ont connue les temps antérieurs. Mais quelle est l'institution
ancienne dont il ne soit pas facile de forcer le caractère et d'exagérer
l'importance , en l'isolant , par une opération mentale , des faits et du
droit contemporains ? — Fixés sur la méthode à suivre entrons donc dans
l'examen de la nouvelle théorie qu'est venu proposer M. Hanauer.
Quel est le caractère spécifique de la colonge ? — Il nous répond :
c'est la juridiction , la juridiction qui suppose le Ztoing und Bann ,
la Souveraineté y et qui aurait fait des Hueber de véritables coseigneurs.
— Dans notre opinion au contraire il y a déjà ici , relativement à cette
juridiction prise en elle-même et sans encore discuter son étendue ,
une distinction capitale à faire. Elle établissait , en fait, si l'on veut,
une différence entre la colonge et les autres formes de la locatairie per-
pétuelle , telles que YEmphytéose ^ VErblehn , le Schauffelrecht , etc. ,
qui n'engendraient pas une juridiction propre. Mais en droit cet attribut
est si peu caractéristique , que la loi générale , le Codex feudalis *
autorisait de semblables juridictions, intérieures et spéciales, pour
toutes espèces de bcations même non colongëres. Il exigeait seulement
que le nombre de preneurs fut de plus de douze ; et en effet, pratique-
ment, il est facile de comprendre, qu'une juridiction eut été de luxe
pour une corporation de preneurs , d'un nombre inférieur. — Le contrat
colonger au contraire se formait toujours entre le propriétaire et un
nombre plus ou moins considérable de preneurs ; la condition de plu-
ralité s'y rencontrait donc nécessairement , ce qui n'avait pas lieu dans
les baux purement individuels. — Ajoutons qu'en Alsace . comme on le
verra tout-à-l'heure , il existait un grand nombre d'institutions qui
* Bdel und Rêchtê Lehnhueh , cap. 125. Si dominus muUis , intelUgê duodeeim
vel pluribuê emphyteusin c<mc9dit , et inter ipsum et Ulos , aut inter ipsos lis
oriiur , ip$e eitare potei emphyteulas etjudieare sieut de feudo recto. — Od sait
que le terme lalin EmphyteutU exprimait , cd général , le bail perpétuel ; en
allemand le mot est Zinslehn , qui est également générique. Schuter , Cod.
jur. AUm. , p. 68.
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0T7ELQUES VOTS ST7R LES COURS COLONGËRES d'àLSAGE. <S
jouissaient d'une juridiction propre y quoiqu'elles n'eussent aucun trait
de comoiun avec la colonge. Il est donc impossible de reconnaître, dans
l'existence d'une juridiction , un caractère absolu et distinctif.
Ensuite il ne faut pas non plus perdre de vue que la colonge par
elle-mènie n'était pas attributive de la liberté aux Hueber , qui en for-
maient la population. Les plus anciens documents démontrent, au
contraire, que dans les domaines ecclésiastiques comme dans les autres,
les Hueber étaient eigene Leute et comme tels sujets au cens et au mor-
tuaire Parmi les Huoben même il y en avait de libres, dHngénmles^
de serviles ^ Or s'il est incontestable , que même pendant la première
période, dans toute la sève de l'indépendance que les peuplades conqué-
rantes doivent avoir apportée des forêts de la Germanie , le droit d'être
juge était l'attribut du seul homme libre (Freye) , comment pourrait-on
accepter la proposition de notre auteur qui soutient que le Dinghof
exerçait même la hatUe juridiciion et que tous les Hueber y étaient
juges de droit? — Si ce dernier fait était établi, c'est-à-dire , s'il était
justiGé que tous les détenteurs , les serviles y compris , participaient au
Dinggericht la conclusion forcée serait que cette cour n'exerçait pas la
haute juridiction , mais que sa compétence se réduisait , comme nous
le démontrerons et comme l'indique d'ailleurs le Lehnbuch cité tout-à-
rheure , aux seuls cas colongers. Si au contraire les ingénuités et les
serviles étaient exclus du Ding , une juridiction composée exclusive-
ment des hommes libres eut été dans les conditions générales de la
législation du temps , et ne se baserait pas absolument sur une préro-
gative spéciale.
D'ailleurs comment confondre le modeste Ding colonger , l'assemblée
en quelque sorte intime de quelques colons appelés à discuter les intérêts
procédant d'un bail commun , avec le Mallfis ou le plaid germain ,
comme l'appelle M. Hanauer ^, la grande réunion solennelle à laquelle,
sous la présidence du comte ou de son délégué , concouraient tous les
hommes libres d'une ou de plusieurs Gauen ?
La colonge donnait si peu la liberté , que le seigneur en vendant la
propriété y vendait les hommes , la justice et le ban : cum banno ,
judiciOy hominibus mansis et curià ^. Aussi a-t-on été généralement d'ac-
< Zeoss, Trad. Wieeb. , p. 273-275.
* Paysant, p. 186.
' V. là eurieiise note de Kœnigshofen , ooncernant les droits da chapitre de S^
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H KEVDE D'ALSàCK.
cord jusqu'ici pour reconnattre > que la justice colongëre se bornait aux
seules causes nées de Texécution du pacte colonger , n'embrassant ainsi
que les droits de la colonge proprement dite , c'est-à-dire les rapports
des Hmber entre eux , et vis-à-vis du propriétaire de la terre. Ainsi
restreinte, cette juridiction n'a rien qui sorte des principes qui régissaient
la condition si différente des personnes au moyen-àge; elle n'a même
rien qui dépasse ce que le droit commun d'alors admettait comme légi-
time , dans cet ordre de fonctions sociales. En effet il y a de nombreux
exemples de juridictions ainsi restreintes à des rapports spéciaux , dans
d'autres établissements qui n'ont rien de commun avec la colonge.
Ainsi les Oberheimgeraïde qui formaient , dans la partie septentrionale
de l'Alsace , une confédération d'usagers , (confédération dont l'origine
traditionnelle remonte à Dagobert II) , avaient leur Geraïde-Sluhl ,
composé de douze assesseurs {Zwœlffer) et d'un président (SchuUheiss)
désignés par tous les membres de la confédération , d'après un mode
d'élection déterminé *. Ainsi encore la confédération forestière du
Hochwald et de YUngersberg , qui se compose encore aujourd'hui de
27 communes , avait sa juridiction propre pour statuer sur tous les cas
intéressant la confédération ^. Le vaste territoire de 1*^411^ , entre Blotz-
beim , Huningue et Bartenheim , n'a-t-il pas soutenu, jusqu'à ces der-
niers temps , la prétention d'appartenir à une confédération purement
personnelle de Sassen ou de bourgeois , élisant tous les trois ans un
chef appelé Augrafei s' arrogeant droit de juridiction sur tous les rap-
ports des confédérés entre eux , et contre les tiers prétendant à une
participation ^. Je pourrais rappeler encore une foule d'autres juridic-
tions qui , à raison de leur restriction même, n'exigeaient pas de la part
de ceux qui les exerçaient la condition d'hommes libres ; la Kessler-
Eynung qui avait juridiction sur les métiers circulants , les élameurs ,
les chaudronniers roulants y les charlatans , devins , etc. {incanlorea ,
Tbomas, sur la colnngc de Niederbau8l)ergen , écrite en 1580 , et publiée par M. le
professeur Schmidt , Histoire du chapitre de Saint'Thomas de Strasbourg, Pièces
justificatives 49 », p. 531.
* Voy. entre«aulre8 Bdrckhardt, p. 20, — Réville, Essai , p. 126.
* SCHATTENMANN , q. SUp, , p. 2i.
' Die Hochwald Eynung und Ordnung, Imp. ^ Strasbourg , 1725.
*• Voy. les derniers docMm^otSi.ap» Morrer , Dict, d' Alsace , a^us pièces.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÈRES D'ALSAGE. <5
pkitMes , cauculatores , tempeslariiy etc.) ^ le Kohlenherger-Gerichi *,
juridiction des FreyheiUknaben de Bàle , etc. , etc. Je conclus de ces
observations que la juridiction ne spécifie pas la colonge d'une ma-
nière absolue , parce que cette institution partage cet attribut avec une
multitude d'autres institutions complètement dissemblables. Il ne devient
distinctif qu*à un point de vue relatif, en ce sens qu'il fait de la colonge
une variété dans la série des contrats translatifs du domaine utile.
Encore ne doit-elle ce caractère qu'à la seule circonstance que le bail
colonger, qui répartissait un corps de bien appartenant au même maître
(mansumarius) entre un nombre plus au moins considérable de pre-
neurs y créait ainsi une aggrégation ou une pluralité d'intéressés , tirant
leurs droits d'un titre commun. Or nous avons déjà fait remarquer que le
Lehnbuch autorise le seigneur ou propriétaire à organiser une juridiction
spéciale semblable, pour toute location perpétuelle quelle qu'elle soit,
pour tout Zinslehn ^ pourvu que le nombre des preneurs soit de douze ou
au-delà. Nous considérons donc comme entièrement exacte la définition
qu'a donnée de la colonge le savant auteur du Traité sur la nature des
biens ruraux en Alsace , dans les termes suivants :
c La colonge en allemand Dinghoff. — Bail le plus ancien et très-
« fréquent dans la ci-devant province d'Alsace. C'est un contrat par
f lequel un propriétaire répartissait entre plusieurs preneurs un corps
< de bien considérable , en se réservant un canon annuel modique ,
c avec la faculté de faire juger les différends qui s'élevaient entre eux
« â raison de ces fonds par le bailleur , comme président , assisté des
c preneurs comme assesseurs. >
Mais M. Hanauer est bien loin de se contenter de ce rôle de simples
assesseurs pour ses Hueber; il veut absolument faire des colongers de
véritables souverains ^, exerçant même les droits Régaliens ^ ! Il prétend
en un mot que le pouvoir législatif et judiciaire a résidé dans l'aggréga-
tion colongère , qu'il appelle une communauté.
L'œuvre tout entière n'est que le développement de cette thèse ; c'est
cette exagération qui constitue toute son originalité, et rien à notre avis
ne démontre plus sensiblement le danger de la méthode d'abstraction
* Krafft von Reding , Zur Gesehichte des Gaunerlhumt. — Berlkr , Tatch.,
3LII , 33. — Voy. do reste Paytant . 1 i2.
* OsKNBRUGCEN , Deutsch. Beehts ÂUerîhiimerata der Schttêix , t - 10.
' Constitutioni ^ p. J70 — ^ Paysans, vi , eipassim.
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16 REVUE D'ALSACE.
suivie par l'auteur. Quoi de plus périlleux en effet que d'inventer de
nouvelles hypothèses dans une matière laborieusement explorée par la
science, lorsque d'ailleurs aucune donnée nouvelle n'y a été introduite?
On aboutit inévitablement à l'utopie ou tout au moins au paradoxe',
quand on se sépare volontairement de renseignement traditionnel, et
de l'évidence des faits généraux.
Cherchons donc d'abord où aurait résidé la souveraineté de la colonge ?
La colonge n'est essentiellement qu'un bail on me location : or, dans
tout bail il y a un propriétaire et des preneurs; c'est-à-dire, d'un
c6té un droit principal permanent , supérieur , foncier ; de l'autre un
droit dérivé , secondaire , précaire , et ne portant que sur les fruits. Dans
ce rapport nécessaire la suprématie appartient incontestablement à la
propriété, c'est-à-dire au droit le plus ample et le plus absolu. Ceci est
dans la nature même des choses , et par conséquent est nécessairement
vrai , partout et toujours.
Avant la féodalité , la propriété libre et souveraine , le latifundium ,
Valody ValleUy était la terre saii^tt^^ leSeelgut, la terra $alica ou sala^^
ritia , la terra dominica ou dominicata *. Je n'ai pas à m'étendre ici
sur l'origine de la terre salique : cela serait tout-à-fait superflu. Ne repré-
sente-t-elle , comme le veut M. Hanauer , que la terre échue au Franc ,
par suite du partage après la conquête ^ ? ou bien doit-on y voir le 6ene-
ficium , concédé à perpétuité , par antithèse avec le beneficium simple-
ment révocable et viager? A l'appui de cette dernière interprétation l'on
relève , avec quelque raison , que la terre salique , dans toutes les lois
dites Barbares , et dans certains capitulaires , est toujours qualifiée de
terra hereditaria^ de terra aviatica; que le terme Sale ou Salung y
exprime la légitima traditio , en opposition avec la gewere (vestiturà) ^.
Mais cette recherche sortirait du cadre de notre question spéciale ; il
suffit , pour sa solution , de reconnaître ce qui est universellement ad-
mis que la terra salica . sous la première et seconde race , était une
propriété libre , héréditaire , perpétuelle. — Cette propriété , le maitre
« V. GuÉRARD , Polypiique d'irminon , ii , p. 6 , 2i, 35 , 52 , 76. — Zeuss ,
Trad Vicêburgensu. ^ Gancuni. Leq, barb. i, 114. — Landau. Salgut. i,
p. 73 et 80.
* Paysans , p. 38.
' RoTH , g. tup. p. 65. — BiUNTSCHLî , DeuUehês Privât R^cht , i , 290. >-
Waltbr, I, p. 56.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGËRES D* ALSACE. il
Texploitait par lui-même, ou moyennant des locations temporaires ^
ou bien il en faisait cultiver , moyennant des baux perpétuels , par des
Hôrigen (non-libres) , une partie divisée en Hueben ou ManH serviles.
A côté de la curia ou curtis du JWnj^fto/' s'élevait le Herrhof, la Sala ,
et subsistait la terra salica ou Saalgut que le propriétaire de la terre
cultivait par lui-même , et qui formait ainsi contraste avec les biens de
Hueb qui étaient livrés aux colons.
Il faut rappeler ici un principe juridique sur lequel a reposé tout le
système de la propriété au moyen-âge, et qui pourtant n'a pas été
aperçu clairement une seule fois par H. Hanauer. Toute location per-
pétuelle opérait au profit du preneur la transmission perpétuelle du
domame utile ; mais le propriétaire conservait le domaine direct , ou
{a directe , c'est-à-dire la propriété substantielle du fonds , et par
conséquent la suprématie. Aussi lorsque le preneur même perpétiiel
venait à manquer au pacte , soit en négligeant de payer son canon ,
soit en vendant sa tenure sans faire de déclaration préalable , il
perdait le domaine utiles qui retournait ainsi à la directe. Les
rotules contiennent à cet égard une expression qui ne permet aucune
équivoque et qui détermine bien clairement ce qu'était la terre
saliquey relativement aux teoures même à titre perpétuel. L'art. 44 du
livre salique de Hobenburg, entre autres , dispose que lorsque rbéritier
ou l'acquéreur d'un bien colonger néglige de s'en faire investir dans les
30 jours ^ , le bien peut être retiré , et redevient ainsi Salgut : Bas
mag myn Frowe (l'abbesse de Hohenbourg) wol mit Recht ziehen und
IST DENNE SEL GUOT. Remarquons en passant que H. Hanauer a mal com-
pris et par conséquent inexactement traduit cette clause. Elle se réfère
à la mutation par décès ou par aliénation d'une Hueb ou tenure colon-
gëre ; en ce cas le seigneur avait un double droit à exercer : le landème
et la prélation , si le nouvel acquéreur ne lui convenait pas. C'est pour
mettre le seigneur à même d'utiliser l'une et l'autre de ces prérogatives
que le nouveau preneur était obligé de se faire agréer dans un délai de
trente jours ; sinon , le seigneur exerçait , en vertu de la directe , le
retrait du bien concédé. 11 ne saisissait pas ce bien^ comme le porte
la traduction ; ziehen n'a jamais signifié samr : il \e retirait , et ce bien
* Mamui indominicati, V. Mone , ZnUehHft fur GetehichU de* Ober-Rheinê ,
V , p. 35. — V. BURCKHARDT , q, sup. p. 13.
' dmstituiioni , p. 265.
l«Séri«.— 17* Aané*. ^
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i8 RE7UE D'ALSACE.
ainsi retiré , par conséquent affranchi du lien de la location perpétuelle,
faisait retour au Saalgut: und ist denne Seelguot. Le seigneurn*en
fait pas un biefi saligue, comme le porte encore la traduction. Un retour
n'est pas une création , ce n'est que la restitution à un élat de chose
antérieur. — Un autre exemple (et nous n'en citerons pas davantage)
se rencontre dans le rotule d'Andolsheim dont notre auteur n'a décou-
vert qu'une traduction K L'art. 19 s'occupe du cas Où une tenure colon-
gère aurait été abandonnée ou négligée dans sa culture par le preneur.
Le seigneur exerce le retrait ; puis la clause ajoute : c Si l'année se passe
c sans que le colon se soit accommodé , le Maire joindra sa Hueb aux
« biens du Seel ou Seelgut (terre salique) et elle ne fera plus partie de la
€ cokmge ^. » Il est impossible d'exprimer plus clairement le rapport
entre la tene libre (Salgut) et la terre concédée à titre de colonge
(Hofgut); ni de déterminer plus positivement le droit prépondérant du
propriétaire vis-à-vis du preneur ou du colon.
Cette suprématie à la fois personnelle et foncière , permet-elle de
voir dans la colonge prise collectivement, une communauté souveraine ,
comme le prétend M. Hanauer , communauté où le preneur aurait été
l'égal du maître, où le colon, même servile, aurait eu, au même degré
que celui-ci , droit et pouvoir de juridiction ?
On a peine à croire qu'une pareille question ait pu sérieusement se
poser devant un esprit versé dans l'étude de ces matières. — S'il est un
point qui semble incontestable en histoire , c'est ce fait que , dans les
premiers temps du moyen-âge , la juridiction , c'est-à-dire le droit de
constituer des juges et de rendre justice était un attribut de la propriété
souveraine. Le droit de juridiction était tellement inhérent au droit de
propriété qu'il s'étendait à tout ce qui faisait partie de la propriété , les
choses et les personnes que le maître avait souîi sa puissance (mundium)
un , tributarii , coloni , et même sur tous ceux qui se trouvaient mo-
mentanément dans les limites de son autorité et sous sa protection
* ConstUutioni , p. 19S.
' Ce texte traduit se réfère évidemment au rotule imprimé dans la collection
de Grimm (Stoffel) WeisthUmer, iv, p. 264, sous le titre Dinghofxu Leberaeh»
La clause allemande est plus nette encore que la traduction : So daz Jahr u%
komet, dax er nut gutegetinget hat so sol sie der JUmer xiehm xuo dem Seel-
guotê und sol des Hovês Udie sin.
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QUELQUES VOTS SUR LES COURS C0L0NGÈRE3 d' ALSACE. i9
(palrodnium) K Le droit de justice était une conséquence nécessaire
du droit de propriété , si bien que lorsque le Roi donnait un domaine
il donnait en même temps la justice sur ce domaine ^. Et cela n*était
pas particulier aux concessions royales ; ce privilège appartenait à tous
les propriétaires sans distinction ^. Enfin dès les premiers siècles qui
suivirent Tinvasion , ces justices étaient déjà territoriales sans cesser
d'être personnelles ^. — Il ne faut ensuite pas confondre Tidonéité , la
capacité d'être juge avec le pouvoir de justice ; pouvoir qui consiste
non seulement à constituer des tribunaux , mais encore à pourvoir à
Fexécution de leurs sentences. La distinction que hasarde sur ce point
notre auteur entre le pouvoir législatif et judiciaire et le pouvoir exé-
^il7^ est un véritable anachronisme. Le moyen*àge ne connaissait
pas cette distinction moderne. Sous son régime , toute juridiction
connaît de droit de l'exécution de ses sentences. — Suivons la colonge
dans les (rois périodes : où voyons-nous que le simple colon , le Hueber
aurait jamais exercé , contre le gré, ou sans le concours de son maitre
et seigneur , un acte quelconque de juridiction proprement dite ? —
S'il est incontestable que pendant la première période , celle qui pré-
cède la formation de la féodalité proprement dite , tout homme libre
avait l'idonéiié du juge , on ne peut pas en conclure qu'il ail été investi
par cela même du pouvoir de juridiction dans le sens le plus étendu de
ce mot. Ce pouvoir résidait dans le seigneur , le propriétaire de la terre
salique , le supérieur territorial ou foncier. Les textes mêmes rapportés
par M. Hanauer combattent la confusion dans laquelle il est tombé. Le
rotule de Sundhofen ^ , par exemple, qu'il produit comme un des plus
anciens , explique clairement la constitution hiérarchique de la colonge.
Elle appartenait au comte de Horbourg , qui avait son franc avoué
(FreyeU'Vogt) ; de plus , au-dessous de ce premier officier qui repré-
sentait le seigneur pour le comté , il y avait le Schultheiss (le prévôt ,
' Lex salie, , 28. — Lex Rip^ , ii , 62. — Cap, Carhm. — ludov. II. eonv.
Tiein, a. 855. — Pertz , ii. — SckUtzrtcht Uber BOrigen, — Daniels, i , 332.
• Marculf , Form. , cap. xxvi , i . 17.
' Leg. Lotharii IL Pertz.
* Marculf, ifi, 11. Aut de ingenuisaut de servientibui ^ cœteris que nationibus
quœ fun< infrà agros vel fines seu supra terras..., commanentes. — V. Leduërou,
q. sup. , p. 218-245.
* Paysans , p. vi .
• Paysans , p. 16.
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20 REVUE D* ALSACE.
autre officier seigneurial). Lors donc que le rotule débute par dire que
dans le Dinghof il y a juridiction , haute justice pour les vols et les
délits y il n'exprime autre chose si ce n*est que dans le territoire, la
juridiction appartient au souverain ou au seigneur; mais non aux
simples colongersy ou à une communauté embrassant à la fois les
colongers et le seigneur. — La suite le démontre à Tévidence. Un voleur
est saisi , il est conduit à la prison de la cour (Stock). L'appariteur doit
convoquer une espèce d'assemblée , en s'adressant aux hommes établis
dans le voisinage (Vmhbesassen) ^ et les inviter à se rendre à la justice.
Mais que ceux-ci viennent ou non (Die kommen oder nichtjy le prévôt,
avec l'assistance du franc avoué de Horbourg ou de son représentant ,
doit siéger en justice et juger le voleur. — La clarté de ce texte a-t-elle
besoin de commentaire ? ne rend-il pas évident que ces Umhbesassen
convoqués étaient tout au plus des assesseurs du Schullheiss et du
franc avoué ; je dis tout au plus des assesseurs , puisqu'on cas de non
comparution de leur part , le jugement n'en suivait pas moins son
cours ? Ce n'étaient donc que des assistants. Cet appel à l'assislance des
habitants était tout à la fois dans les prérogatives du seigneur et dans la
tradition germanique qui exigeait des témoins et même des cojurateurs
pour tous les actes importants. Mais la faculté laissée aux appelés de ne
pas se présenter, sans que leur absence préjudiciàt à l'action de la
justico y prouve qu'ils ne participaient pas au pouvoir de juridiction en
lui-même. — Si l'on compare cet appareil de la haute justice s'exer-
çant au SalAo/"^ avec ou sans la présence des Umbbesassen, sous la
présidence du haut-avoué et du prévôt avec ce que l'auteur appelle le
plaid du Dinghof f on sera frappé de certaines différences qui ne per-
mettent plus de confondre la haute justice avec les réunions périodiques
des colongers , dans le but de régler les différends nés entre eux, ou de
prendre des mesures dans l'intérêt commun. Le Dinghof à Sundhoffen
doit se tenir sous un hangar (Schoppf) , qui doit être établi à cet effet ;
ailleurs il se tenait sous un tilleul ou dans le jardin seigneurial , etc.
Ces réunions sont en général convoquées et présidées par le Maire
( Villicus) * , également officier du seigneur , mais officier purement
rural en quelque sorte , et exclusivement préposé à l'exploitation du
fonds. Le colonger n'était pas libre d'assister ou de ne pas assister à
ces réunions domestiques ; il était puni d'une amende plus ou moins
* Grimii , 1 , 695. — Stoffel, p. 53 et 76. — Paytant , i , p. 187.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÉRES d'aLSACE. 21
considérable , en cas d'absence non justifiée * , preuve évidente que dans
ces Dingstag , il s'agissait des affaires des coiongers eux-mêmes < et
non plus de haute-iustice.
Nous oe quitterons pas le rotule de Sundhofen sans y relever une
allusion curieuse à la dépendance dans laquelle , à celte époque encore,
se trouvaient, en matière de grand criminel {Blutgericht) , les hautes
juridictions locales relativement au landgraviat. Lorsque le voleur est
condamné par le prévôt et le fVanc avoué , la sentence ne peut être
mise à exécution avant que le landgrave d'Ensisheim n*ait été prévenu ,
et n'ait été invité à venir prendre le voleur. Si avant midi du jour sui-
vant le landgrave défère à Finvitation , le voleur lui sera remis ; si au
contraire il ne se présente pas^ le prévôt seigneurial fait lui-même
procéder à l'exécution : und soll darumb niemnnd vôrchlen ; « et pour
cela il ne doit craindre personne * Cette immunité , stipulée pour le
prévôt , et la réserve rassurante qui la suit , indiquent que l'origine de
ce document sinon sa rédaction , remonte à l'époque de transition pen-
dant laquelle les justices patrimoniales , se convertissaient en justices
seigneuriales , et où celles-ci se préparaient peu à peu à l'indépendance
presque absolue à laquelle elles arrivèrent surtout à l'époque du grand
interrègne (de 1254 à 1273). Ce moment de Thistoire e3t excessivement
curieux , et d'une importance prépondérante surtout dans le dévelop-
pement progressif des institutions judiciaires ^. Il a du reste été signalé
par tous les historiens et par tous les publicistes ; nous nous garderons
donc de le développer davantage.
Le passage de Yaleu , de la terre saliqtie , de la grande propriété patri-
moniale , au fief, s'est opéré en Alsace, moyennant un fait considérable,
dont on s'étonnera à juste titre de ne pas rencontrer la moindre trace dani
les deux volumes de M. Hanauer. Ce fait est cependant indispensable
pour se rendre compte de la concentration progressive du pouvoir juridic-
tionnel. La terre franche et libre devenait Iief par Voblation^ c'est-à-
dire, par l'ollre qu'en faisait le propriétaire à un suzerain plus puissant.
' V. textes cités. — Pay$ant , p. 193 et pastim.
* V. sor la formatioD du Hofreeht (jus curiœ) le résumé si exact et si vrai quVn
donne M. Véron-Réville , q. sup. , p. li.
* V. Z^PFL , Deutthe Staatt und Recht Guchichu , n , p. 2 , § 55. — Yéron-
IUVU.LE , 9. »up, , p. 29.
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22 REVUE D'ALSACE.
afin de s'assurer sa protection par le lien vassalitique. Il est peu de
provinces de l'ancien Empire d'Allemagne qui présentent , autant que
l'Alsace, d'exemples de ces inféodations volontaires ; le plus mémorable
de tous est l'acte par lequel les comtes de Ferrette ont déclaré en 4271
vouloir relever de l'évèché de Bâle ^ pour les terres de leur vaste comté.
L'oblation à l'Empire ^, comme la tradition directe faite par l'Empereur
au nom de l'Empire , et conformément aux capitulations, procurait au
fief Vimmédiateté , avec tous ses privilèges. L'oblation à un suzerain
autre que l'Empereur, n'assurait au dynaste que la médialeté. Relative-
ment au fief et à son gouvernement , l'immédiateté conservait l'ensemble
des droits définis par les feudistes sous le titre de Supériorité terri-
toriale. Elle embrassait les prérogatives qualifiées de régaliennes, le ban,
la juridiction haute et basse, le droit de créer des impôts, de constituer
des juges , en un mot la souveraineté. Le noble immédiat jouissait dans
son territoire de la même autorité que l'Empereur d'tns l'Empire. Il
était souverain dans la plus large étendue de ce mot. Le noble médiat
était dans son fief également seigneur et maître ; mais il restait sous la
mouvance de son suzerain , qui lui-même , directement ou indirectement,
relevait de l'Empire.
A ce point je me borne à demander à M. Hanauer , uû il a pu réussir
à découvrir une coton^^ , qui à quelque époque que ce soit aurait été
immédiate et souveraine ? une colonge qui aurait été investie , comme
telle , de droits Régaliens ! Qu'était-ce d'abord que ces droits régaliens ?
— On appelait ainsi les droits de la souveraine puissance , royale ou
impériale. Leur définition a occupé pendant le moyen-âge le sacerdoce
et l'Kmpire ; on les voit mentionnés d'abord dans le Concordat calixlin de
1122 ; puis énumérés dans les propositions du pape Paschal II, à l'em-
pereur Henri V , à propos de l'investiture des évoques 3. A la fameuse
Diète tenue h Roncale, l'Empereur les fit déterminer ^. Frédéric II en 1220
* ScHoi.rFLiN , Àlsat. illust, , iv , p. 74. — Hebrgott , Dipl. — Trouillat ,
H, p. 2^7.
' Je me permetlrai de renvoyer pour le développement de ce qui concerne ce
point historique à la disserlalion Des domaines engagés , publiée en 1830, par
M. Chauûour Vt\né, M. Hanauer ne m'en voudm pas do lui opposer Tautorité d*un
des deux légistes aiixiiuets il daigne reconnaître quelque connaissance de la matière.
[Constitutions^ P- 9).
» Pertx , Leges. il , p. 6î) , 70 , 76.
* Pertz , Leges. u , p. 176.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÈRES d' ALSACE. 23
et en 1236 spécifia , par des constitutions, ceux de ces droits qui
compétaient en Âllemague aux souverains ecclésiastiques , Etats d'Em-
pire (geistliche Stândé) et aux immédiats laïques K L'énuméralion de
ces prérogatives suprêmes qui comprennent , entre autres , la juridic-
tion à tous les degré , le pouvoir de constituer des juges {pof estas
comtituendorum magistratuum) , de lever des impôts , de s'attribuer
les vacants et les confiscations , etc. , etc. , cette énumération , disons-
nous , qui est longue , se trouve partout ; comme partout aussi on trouve
cette doctrine que ces droits étaient Tattribut de la souveraineté directe
ou déléguée. Regalia esse jus personœ principis vel superiorem non
recognoscentis vel quibus illi dederinl cohœrens >.
Sans prolonger inutilement ces développements préalables , que tous
ceux qui s'occupent d'histoire doivent trouver surabondants, examinons
un peu les colonges souveraines découvertes par nt*tre auteur 3.
La première est , d'après lui y celle de l'abbaye de Honau , qui faisait
remonter son origine jusqu'aux temps de Clovis V"^ (506). Or le prélude
même qu'il place en tète du texte du rotule , prouve que la souveraineté
appartenait à l'abbaye qui formait un véritable Etat indépendant, — Le
rotule commence en effet par ces mots : « Haec sunt jura Honaug, Ecc'e-
siœ qu»rttô/tci jurata praîposito fîdelilate, reàiaverunt. — Voici les droits
de l'église de Honau ^ que les paysans , après avoir fait serment de fidélité
à l'abbé , ont confessés ou récités. » — M. Hanauer , lui , trouve parfai-
tement exacte la version suivante de cette phrase latine si simple :
« Telle est depuis un temps immémorial la colonge de Honau ; tels
a sont les droits de Messieurs de Rhinau et du village. > Avec une pa-
reille liberté de traduction il n'est pas difficile , convenons-en^ de créer
des souverains et d'enrichir l'érudtion de nouveautés inaperçues I
Le titre latin continue en disposant que l'église de Honau , par pri-
vilège et par la dignité de sa fondation , doit avoir un aviué , homme
de condition libre , et non autre. Cet avoué doit siéger en plaid trois fois
par an , pour gouverner la famille de l'église ( ad regendam familiam
ecclesiœ)\ il prend une part des amendes, les deux autres appartiennent
à l'abbé. — A l'abbé tous les colons {mstici) demeurant dans File
' Pertz , Uges , i , p. 286 el 291.
' Prockmann. Traci. de RegaL i54i, cap ii, § 1.— Saehsenspiegel , i , p. 35,
édit. Homayer. — Schwabenspiegel ^ édit. Lassberg , p. 97.
' Constitutions, p. 170 ài 237.
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24 REVUE D' ALSACE.
doivent prêter serment de fidélité , soit parce qu'ils fcmt partie de la
famille * de Véglm , soit parce qu'ils possèdent une tenure du fonds
de réglise. c Car le fonds de toute Ttle est propriété de l'église. Funâus
enim totius imtUœ proprius est Ecclesiœ.
Qui est donc ici le souverain ? — Le paysan ou l'abbaje 1
Après la souveraineté rustique de Honau , l'auteur nous produit avec
la sémillante minauderie d'un antiquaire ravi d'une trouvaille, une
espèce de déclaration , sans aucune indication d'origine ni de date , et
qu'il qualifie de rotule souverain de Hofen et Buren. — Nous voyons par
ce document que le SchultheisSy officier seigneurial, doit convoquer un
plaid (traduction de M. Hanauer) , où doivent s'asseoir à côté de lui les
représentants des Sieurs d'Ochsenstein et de Fleckenstein , S'ILS LE
VEULENT , pour entendre quels sont les droits de ces seigneurs (was
Rechten die Herren do habent) et ce qu'ils devraient encore faire {wider
umb tun sullent) pour les pauvres gens {arme Lûte) du village. Voici
certainement un bien singulier ton pour des souverains qui se qualifient
d'arme Lûte , de pauvres gens ! — Le terme arme Lûte est traduit
par Scherlz , Subditi , homines proprii , censuales. Jusqu'à présent
cette définition a été en quelque sorte usuelle , non seulement en Alsace,
mais dans toute l'Allemagne ^. Mais notre docte novateur n*est pas
homme à se soumettre à l'autorité de Schertz. < Il pourrait , nous dit-il,
« citer des centaines de mots qui manquent dans son recueil , des cen-
« taims d'autres dont il n'indique qu'en partie les diverses acceptions ^. »
Que M. Hanauer y prenne garde! il assume une lourde tâche; en
affirmant ainsi l'insuffisance de notre glossaire alsacien , il prend
virtuellement l'engagement de nous en donner un autre; et au fij|it
s'il continue , comme il l'a si bien commencé , de bouleverser
* M. Hanauer fjil, à plusieurs reprises, uu singulier abus de ce mol de familia
auquel 11 ailribue le sens doux et bienveillant du groupe formé par la parenté.
Les formules de Marculf ainsi que les capilulalres ont pourtant donné à ce terme ,
relativement aux institutions rurales , une signification bien précise. « Bac voce
indigitantur servi , coloni , in prœdiis rusticis eommanenies ^ dominis prœdiorum
famulatum et servitium exhibentet. — Ducange , Gloe, Med. œvi, Edit. Didot ,
m , p. 200.
* C*est celle de Schilter , Ghss h. v, — de Haltaus , Glost. Germ, Med,
Aivi. p. 52. — de Wackernagel , Alldeutsehet Wœrterbuch. — de Ziemann,
Mittelhochdeutschet Wœrterbuch , p. 12 , etc.
' Constitutions , p, 180.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÈRES d' ALSACE. 25
Tantique signification des choses , il faudra bien qu'il se décide
sérieusement à nous révéler le secret de sa langue. — Mais revenons
à notre rotule. J'aimerais bien savoir ce que le sire d'Ochsenstein
avait à faire au plaid de Buren. Je vois, par les observations
préliminaires que M. Hanauer a empruntées à Schœpflin (sans
toutefois lui faire Thonneur de le nommer), que ce petit territoire aurait
été concédé , à titre d'engagement , par Frédéric Blochhollz , prieur de
Saint-Pierre-le-Jeune à Strasbourg , à Wyrich de Hohenbourg et à Jean
de Fleckenstein en 1450. Schœpflin m'apprend en outre qu'en 1470 ,
Schweigard de Sickingen l'enleva à Jean de Fleckenstein. Nulle part il
n'est question d'un Ochsenstein. Comment donc a-t-il pu ùgurer comme
co-seignettr dans la pièce calleuse que H. Hanauer édite , et dont il pré-
tend , sans expliquer clairement pourquoi , placer la date entre les années
1354 et 1450 ? J'avoue que ces embarras me rendent Tauthenticilé de la
pièce extrêmement suspecte ; en définitive si les paysans devaient con-
naître quelque chose y c'était certainement les vrais noms de leurs sei-
gneurs.*- Au surplus Hofen et Buren ont toujours été considérés comme
de simples villages féodaux '. Â en croire même le document produit ,
ils contenaient un certain nombre d'hommes de l'Empire (fiichslûlé), qui
comme tels éfaienl affranchis des impôts seigneuriaux — Ce qui en res-
sort nettement aussi c'est que le jour du plaid se passait pour les paysans
(arme LiUe) en paiement d'impôts. (Un denier qui doit être apporté
par tout détenteur d'immeubles dans le ban de Hofen ; une poule et
trois deniers pour chaque maison des deux villages ; un boisseau et
demi d'avoine pour chacune des 13 tenures {Uûphôfo). Le Schultheiss,
après avoir ainsi reçu de chaque redevable l'importance de cet impôt ,
doit en faire le partage entre les deux seigneurs. Le titre ajoute que
pour les délits commis depuis la veille jusqu'à la fin de ce jour (de minuit
à minuit) les amendes appartiendront pour ^3 <^^^ ^^^^^ seigneurs
et Va Ott prévôt de Saint-Pierre, La semence devra être rendue par le
tribunal du prévôt ^ Mais pour les affaires qui sont jugées les autres
' SGHOEPFLI.N , AU. ilL , § 405.
' ConslUnliont , p. 181.
* Le titre iM)rie Probtiti-Gmchu. - On conuaissaii aussi vd Alsace le Probsi-
ding , forum 9eu judicium prœpotiturœ. Les Probsldinglwte étaient si peu des
souverains , qu'on les assimilait aux servi , et en tous cas , ils étaient homines
proprii (Uitrigen). >- ScuERTZ, Gloss. , k ces mois.
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i& REVUE d'ALSACE.
jours de l*année « Tamende appartiendra au prévôt du chapitre seul ,
sans partage avec les seigneurs , ses concessionnaires. — Mais où donc
trouver ici la moindre trace d'une participation des paysans en général
et des colongers en particulier à Texercice de la justice seigneuriale ?
comment y découvrir surtout la moindre justiflcation d'une souveraineté
quelconque qu'auraient exercée ces pauvres gens , qu'on ne voit figurer
dans tous ces détails , que comme débiteurs de cens , venant au jour
donné recevoir leur quittance ou payer leurs amendes, sans même être
admis au plaisir d'assister au partage que leurs maîtres s'en faisaient entre
eux? On leur procure, il est vrai, celui deproclamer (traduction Hanauer)
ou de déclarer les droits , c'est-à-dire la consistance des redevances qu'ils
doivent à leurs seigneurs y et celui qui manquerait de venir faire cette
déclaration au jour fixé par le prévôt devrait payer 5 solsd'aqfiende I — De
pareils textes n'ont pas besoin de commentaires pour justifier Fétonne-
ment qu'on éprouve à les rencontrer sous le titre : Exemples de colonges
souveraines. Aussi notre auteur s'efforce-t-il de* relever son assertion ,
en faisant ressortir avec une gracieuse insistance , qu'à défaut d'autre
liberté , ses colongers de Buren et de Hofen avaient au moins celle de
manger du poisson et du lièvre , régal dont il suppose privés , comme
de raison , les paysans d'aujourd'hui. Mais je crains bien que cette
clause même n'ait pas encore tout-à-fait cette signification dont H. Ha-
nauer , fidèle à son système » fait honneur à la bénignité connue du
moyen-âge. En effet après avoir exprimé que tout homme domicilié
dans la seigneurie , peut prendre des poissons ou un lièvre * , mais à
condition de les manger dans sa maison , et sans pouvoir les vendre ,
sous peine d*amende ; la clause ajoute : « il ne doit y avoir ni pêcheur
ni chasseur ici y > ce qui rend assez difficile, ce semble, la pratique de
celte prétendue liberté. Il est ajouté au surplus c que cela a été décidé
« ainsi à Hofen, devant l'église , le lendemain de la Saint-Michel 1354,
€ contre le sire Ottmann d'Ochsenstein ^ qui s'était permis d'enlever
' Einm Hasen : M. Hanauer iraduil des lièvres ; le pluriel esl ici de trop.
* 11 est difficile de deviner sur quelle cause a pu s'élablir, en 1354, nn débat
entre un Otlmann d*Ochsenstein et le Chapitre de Saint-Pierre. Schœpflln nomme
plusieurs seigneurs de ce nom , dont l'un aurait même été momentanément land-
grave d'Alsace et du Spiregau. La contestation se fondait peut-être sur la pré-
tention de faire de Buren et de Hofen des villages impériaux , ce que pouvait
rendre vraisemblable rexIsteDce de gens de l'Empire dans leur sein,
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGËRES d'ALSACE. 27
« une partie de ses droits à Nicolas de Kageneck , prévôt du chapitre
€ de Saint-Pierre-le-Jeune. » De quels droits peut-il s'agir ici? —
Evidemment des droits de chasse et de pêche qui appartenaient exclusi-
vement au chapitre , comme seigneur foncier.
Il est impossible que M. Hanauer persiste dans l'illusion de fonder
sur un semblable document des colonges souveraines ; tout y révèle la
condition infime, plus que subalterne, des pauvres gens de Buren et de
Hofen , y compris les possesseurs des treize tenures colongères , qui n'y
sont même jamais distingués du surplus de la population. Il ne faut
pas un grand effort d'attention, pour se fixer sur le véritable sens et le
vrai caractère de ce prétendu rottde ; ce n'est pas autre chose qu'une
espèce de supplique formée par les paysans dans le but de se procurer
certains avantages, et d'obtenir une limitation un peu fixe de leurs
charges ; et ce qu'il y a de remarquable dans cet écrit, c'est d'une part
les précautions qu'on y prend de rendre la prière touchante, en
accentuant tout ce qui peut apitoyer sur la misère de ceux qui la pré-
sentaient , et d'autre part , le silence absolu qui y est gardé sur un bail
colonger quelconque. Rien d'ailleurs ne révèle la présence à cet acte, ni
par conséquent Tasseotiment du seigneur suzerain ou de ses vassaux tem-
poraires. Ce document unilatéral et équivoque , je n'hésite pas à le dire,
ne méritait pas l'honneur d'une publication. En tous cas il est bien loin
de justifier le titre fantastique sous lequel notre auteur l'a produit.
Je laisse de côté la traduction de la colonge d'Andolsheim sur la-
quelle j'ai déjà fait mes observations , et je passe à la quatrième colonge
prétendue souveraine , celle d'Ëschau. — Ici je demanderai d'abord à
l'auteur, pourquoi il qualifie les constitutions d'Eschau de rotules
colongert ? Nous venons de voir déjà tout-à-l'heure qu'à Hofen et à Buren,
la colonge, composée de treize tenures seulement , ne formait qu'une
faible partie de la population et n'embrassait qu'une petite portion des
possession^ du chapitre A côté des colons , il y avait d'autres habitants,
locataires de terre et propriétaires de maison ; il y avait même des gens
de l'Empire , francs de toute redevance seigneuriale. Pourquoi donc n'y
voir que la colonge , et commettre ainsi cette erreur de prendre la
partie pour le tout? — Pourquoi ? — Parce que l'esprit de système a
un entraînement fatal. L'auteur fait de la colonge le point de départ de
toute l'organisation rurale du moyen-Âge ; il fallait donc bien que la
colonge fut tout et partout. — Le même procédé se reproduit pour
Eschau , et pourtant il ne faut que lire, avec un peu d'atleniion , les deux
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28 REVUE D* ALSACE.
titres qui s'y réfèrent , pour se couvaiocre que l'exploitation colongère
n'embrassait qu'une faible partie des vastes domaines du couvent ; tout le
surplus était entre les mains de fermiers , d'emphytéotes , de locataires
temporaires ou perpétuels. Mais ici encore, il fallait une colonge pour
en faire un souverain , et notre auteur , pas plus qu'ailleurs , n'a
reculé devant les exigeances de son programme. — Le premier litre
concernant Eschau est la sentence arbitrale de 1272 , rendue sur les
prétentions respectives de l'abbesse Mechthilde , et de Philippe de
Kathsamhausen , l'avoué héréditaire du couvent. M. Hanauer n'a pas
pu se dissimuler combien l'institution de ces advocaties i , pour les
possessions ecclésiastiques surtout, institution qui remonte jusqu'aux
Carolingiens , contrariait le système de liberté absolue , et de souve-
raineté qu'il a imaginé non seulement pour les colons, mais pour
la classe rurale en général. Sans doute, la fonction d'avoué dans le
principe n'était pas liérédiiaire : elle avait cela de commun , comme
nous l'avons déjà fait remarquer , avec la majeure partie des bénéfices ,
qui, temporaires ou viagers, ont profité de la révolution opérée par
Conrad-le-Salique. La meilleure preuve que Tavocatie n'était plus
révocable en 1272 , se trouve dans le titre même dont nous nous occu-'
pons. Le couvent , pour se prémunir des usurpations dont il se plai-
gnait , se serait borné à destituer son avoué. Au surplus je n'ai pas à
m'engager davantage dans cette question , l'auteur lui-même se sou-
mettant sur ce point , bien qu'à contre-cœur , à cette certitude démon-
trée, des empiétements des avoués, empiétements qu'il attribue d ce
courant centralisateur (sic) contre lequel la résistance des monastères
était vne œuvre libérale l Je ne sais pas si le mouvement féodal mérite
bien cette qualification de courant centralisateur , et quant à la résis-
tance des monastères , je n'y vois autre chose que l'attitude d'un pro-
priétaire qui défend ses intérêts et ses droits , attitude qui , pour être fort
légitime, ne me sembla pourtant point justifier l'épithèle de libérale. On
est libéral quand on défend le droit de tout le monde ; on n'est que légal,
quand on fait valoir le sien. — D'ailleurs Tadvocatie portait en elle-
même le germe de tous ses développements ultérieurs. L'avoué était le
protecteur armé des habitants du territoire ; il faisait mouvoir la force
militaire, nécessaire à l'accomplissement de sa fonction. Cette fonction
ne se limitait pas à la colonge ; tout grand domaine avait son avoué.
' Paysans , p. 74 et 93.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLONGÉRES D'aLSACE 29
Lorsqu'il apparaît dans les rotules colongers spécialement, on le voit
chargé de défendre contre» toute violence les intérêts du Manzeler ^ fman-
surnariui) , du propriétaire des manses et de la terre colongëre , ainsi
que ceux des tenanciers mêmes. Plusieurs titres expriment avec une
précision pittoresque l'empressement que l'avoué devait mettre à porter
secours , en cas de besoin. Si un Bueber fait appel à son assistance ,
pour une affaire colongère y une attaque , une incursion par exemple ,
l'avoué ne fut-il chaussé que d'une botte , devait , l'autre botte à la
main , voler au secours du tenancier ^. Il est facile de comprendre la pré-
pondérance que dût bientôt acquérir un officier chaîné d'une semblable
fonction, un officier appartenant d'ailleurs à la classe des Freijen , et comme
tel investi du droit de porter les armes et de commander à une force armée
au milieu d'une population de Hôrige , de non libres et de serfs à la-
quelle le Wehrdiensi ne pouvait être demandé ^. — L'histoire du moyen-
âge est remplie des faits et gestes de ces Vôgte impériaux , seigneuriaux
ou simplement patrimoniaux. L'arbitrage auquel a été contraint de
recourir le couvent d'Eschau en 1272 n'a rien de particulier ; il prouve,
comme beaucoup d'autres documents de la même origine et de la même
espèce , que la détermination précise des droits du propriétaire ou sei-
gneur, et des prérogatives de l'advocatie, était quelquefois rendue
nécessaire par Taccroissement progressif de celle-ci. Mais il est difficile
de comprendre en quoi ce document doit venir en aide à la thèse des
colonges souveraines , et faire ressortir la prétendue autonomie de la
classe rurale. Ce titre débute par Gxer la taille due à l'avoué par chaque
tenure dépendante de la cour de Fegenheim ^ ; cette détermination se
fait sur la déclaration par serment de trois minisieriales (Ambnchumann)
de l'abbaye^. On r^le ensuite le nombre et l'époque des Dmgs annuels,
' Mantzeler , Mansi possêssor. Schbrtz. — Voy. aussi Sciimui , Histoire du
Chapitre de Saint-Thomas , p. 65.
' BUBCKHARDT , Ç. SUp, . p. 31 .
' Bdrckhardt , q. sup. , p. 26.
* Voici encore une cour qui ne forme qu'une enclave dans un domaine plus con-
sidérable , ce qui contrarie le système de la eolonge souveraine. On ne voit en effet
nulle part que cette cour de Fegersheim ait eu , comme eolonge organisée, une
prépondérance quelconque dans le gouvernement du patrimoine du couvent
d'Eschau.
* Les monastères et tons les propriétaires de domaines avaient leurs ministe^
riaux (Àmbaehtslitte) , parmi lesquels on voit figurer entre autres le Stadeler ,
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30 REVUE D' ALSACE.
ainsi que Théberge à laquelle Tavoué avait droit en cette occasion. Les
*colongers , Butber , interviennent plusieurs fois, mais seulement comme
témoins , pour attester que Tabbesse seule a le droit de pécher dans
PIll , avec rets et filets , que ses ministenauxy au nombre de neuf, sont
francs (lidic) de gtte , de services , de taille et de toute contribution
envers le Vogi (avoué) , etc. Enfin les arbitres insèrent dans leur Spruch
que VAUmend d'Eschau , comme tout le sol et tout le ban du domaine
appartiennent en propriété au monastère < que nul n'a le droit de vendre
ni prés , ni bois, ni forêts , ni allmend», ni gaules , ni foin , (traduction
de M. Hanauer? noch Wiede, noch Uouwe) sans le consentement de
Fabbesse et de l'avoué ; que tout membre de la Geburschaft i peut en*
voyer sur VAUmend ses bêtes , mais non des bêtes étrangères ; que
l'avoué seul, sur la réquisition de l'abbesse, doit, toute affaire cessante,
opérer le retrait d*un corps de bien loué par elle; enfin que pour ses cens
et créances à Eschau , Wibolsheim , Fegersheim , Ohnenheim et Willer,
l'abbesse peut porter ses actions oit elle veut , devant toute juuicf ecclé*
siastique ou laïque y et qu'elle peut punir ou destituer ses ministeriaux
à son gré. -— Telle est en substance la teneur de la sentence arbitrale.
Avec la meilleure volonté du monde est-il possible d^y voir autre chose
qu'un règlement de prérogatives entre le Vogt et le monastère , et d'y
découvrir la moindre trace d'une participation quelconque de la colonge
au gouvernement ou à la juridiction ? — Passons maintenant à la charte
colongère elle-même que M. Hanauer reproduit aussi en son entier.
Il la date de 4341. Elle débute par ces mots : c Voici les droits de la
c colonge (des DinghovesJ ou couvent d'Eschau. > Donc la colonge
était la propriété du couvent , et ne formait pas cette espèce de petite
République , de communauté indépendante imaginée par notre auteur. —
Voyons maintenant comment cette colonge a pu lui apparaître comme
une souveraine. — Le Vogt doit tenir trois plaids par an dans la cour ; de
qui se composent-ils? de l'avoué, qui aura de chaque cêté six Scheffeler;
euitos euriœ 'dominicaUs , stabuli dominici. — V. Trans. de Marqnard » abbé de
Munster, du 4 février 1339. Schcepflin , Dipl , n, 163.~ Grandidier , u, p. 8i.
— Mais ces fonctioos de ministeriales ne relevaient pas ceux qui en étaient in-
vestis de la classe des Hôrigen. — V. les textes ap. Waltrr , Reehtsg. , ii , p. 9.
' M. Hanauer traduit Geburschaft par communauté, ce qui est un peu large.
Ce raot exprime non pas une sooiété mais Pensemble ou la généralité des habi-
tants d*UDe contrée. — Rustici et eives omnes pagi alieujus. - Schertz, G. v.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLONGÈRES d'ALSAGE. 31
l'fi ne peut les trouver parmi les colongers , il les prendra parmi d'ho*
norables fermiers , auxquels on doit se fier à la place des colongers *.
Il résulte de cette clause que la capacité d'assister au Ding comme
assesseur du Vogt y n'était pas inhérente à la seule qualité de Uueber
ou de colonger. — Quel était l'objet de ces plaids, qui dans la traduction
un peu libre de M. Hanauer, deviennent maintenant des assises ? — Tout
le personnel étant réuni , le Vogt doit demander aux minisieriaux du cou-
vent, c'est-à-dire au Siadeler , au bouvier et au meunier (lequel n'est
pas Uueber mais emphytéote) si, à leur sçu^ le couvent a souffert quelque
dommage , et ceux-ci , en présence du maire de Tabbesse qui doit siéger
à côté du Vogi, déclareront par leur serment tous les torts éprouvés par
le monastère , en cens , en usurpations , en empiétements fubtrgri/fenj
sur les eaux , les prés et les champs du ban. — Qui n'entrevoit ici que
la fonction de ces Dings colongers était essentiellement protectrice des
droits patrimoniaux et fonciers du Manxeler , du propriétaire ? Dans
ces temps reculés où l'usage de l'écriture était à peu près inconnu , la
conservation des droits d'un domaine , la fixation de ses limites , la
détermination des redevances qu'il devait produire , étaient en quelque
sorte confiées à la mémoire des hommes , et n'avaient d'autre preuve'
que le témoignage sous serment. La procédure de cette époque est abso-
lument testimoniale , et sans entrer à cet égard dans des développements
superflus^ on se bornera à rappeler les formalités bizarres qui accompa-
gnaient en Alsace la reconnaissance périodique des limites d'une banlieue
ou d'un domaine. Une commission , formée de sept enfants et de sept
vieillards , suivie d'un grand nombre d'habitants du territoire ou de la
commune , se transportait processionnellement sur la ligne de démarca-
tion. A l'emplacement de chaque borne^ les vieux affirmaient par serment
qu'elle était à son ancien lieu, et les enfants, pour que le fait se gravât
bien dans leur mémoire , subissaient des opérations mnémotechniques
qui variaient selon les localités. Le tout se terminait , d'ordinaire y
comme presque toutes les solennités du moyen-àge , par un grand
repas ^. Les Dtags des cours colongères n'ont vraisemblablement pas
' Den fnan wol gelobm sol an der Hueher ttat. — M. Hanauer traduit aiosi ce
nembre de pbrase : « qui puissent rendre la justice à la place des colenges. »
€eloben n'a jamais signifié rendre la justice, mais bien Crgdere, Spondere, fidem
dure. — V. Scbertz , ff. v.
' Ces tournées de ban se sont dites périodiquement à Colmar jusqu'en 1726.
Elles se faisaient avec la pins grande solennité ; le magistrat , le conseil , les
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32 REVUE D ALSACE,
dû leur origine à un autre but que de conserver , dans Tintérèt du
propriétaire et aussi dans cetui des usufruitiers , la tradition invariable
de rétendue du domaine, de la consistance de chaque ffueb ou manse,
du taux des ^prestations et des conditions générales de Texploitation.
Ce n'est pas là une juridiction dans le sens propre du mot ; c'est tout
au plus une fonction de notoriété. Cela est si vrai , que même lorsqu'il
ne s*agilque du retrait a exercer sur une Hueb , le Vogt seul a le droit
de statuer * , et il peut le faire hors du temps des trois plaids annaux.
Cependant cette question du retrait peut intéresser , au moins comme
précédent, toute la corporation des Htieber , et sa solution est aban-
donnée au seul avoué ! — A lui seul aussi appartient la haute justice ,
ce qui est exclusif du droit de souveraineté que M. Hanauer veut attri-
buer au corps des Hneber , pris collectivement. Les habitants du terri^
toire du monastère dénoncent fruogenij les vols et les délits. Lorsqu'un
voleur est pris , il est gardé dans la prison de l'abbesse , qui a même
un mimstenal attaché à cette fonction. Il est remis le lendemain
à l'avoué qui statue sur son sort. L'abbesse a d'ailleurs expressémeut
le droit de haute justice et le Siog (la prison) ; elle est souveraine de
tout le ban Wun, Weide und Wasser. — De plus, elle n'est assujettie
k aucune juridiction iniérkure pour ses cens et ses créance$ ; elle peut
porter ses actions devant tout tribunal ecclésiastique ou laïque.
L'analyse détaillée que nous venons de faire de ces deux titres d'Ës-
chau , nous permet de signaler d'une manière saillante la confusion
sur laquelle H. Hanauer a bâti son système des colonga iouvera'mes.
Le Dinghoff jpoMt lui est une espèce d'être collectif, composé de tous
les Bveber , s'administrant par lui-même ; bien plus , exerçant par lui-
même une espèce de puissance souveraine. Il résulte, au contraire, des
textes que nous venons de parcourir que le Dinghoff , la curia domim-
notables dos iribus et leurs enfants y allaient à cbeval ; on s'arrêtait à chaque
borne, on en faisait le tour , et un bangard debout sur la pierre donnait aux enfants
un soufflet pour quMls s'en souvinssent. On faisait ensuite une grande halte. Cela
durait trois ou quatre jours. {Statuts mss. de Colmar), L'auteur auquel j'emprunte
cette citation ajoute une observation qui , j'en suis sûr, fera plaisir à M. Hanau<'r
et que je transcris à ce dessein. Il se plaint amèrement de Tabolition de ces
tournées : « On s'en repentira peut-être ! ajoute-t^il : un seul procès sur les
u limites coûtera plus que ne coûteraient quatre renouvellements par siècle. » '
Et c'était cependant un légiste qui regrettait ainsi le bon ^ieux temps I
* Si l'abbesse avait besoin de lui pour retirer un bien , ce que lai seul doit faire.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLONGÈRCS D* ALSACE. 33
calis , est une création du propriétaire de la (erre y fondée sur un bail
perpétuel d'une portion de son domaine , divisée en lots d'un nombre
et d'une contenance déterminés fBnebJ, La propriétaire conserve sur
les tfueber toutes ses prérogatives : le Dinghoff est à lui; hi haute justice
est à lui ; c'est lui qui détermine le nombre des plaids , leur tenue ,
et ces assemblées ont pour but principal la conservation du domaine et
la régularité dans le se/vice des prestations.
Nous croyons pouvoir nous borner à passer rapidement en revue les
autres chartes que notre auteur a accumulées sous le titre de Exemplei
de colonges souveraines. Elles ne contiennent ni plus ni moins que
celles qui viennent d'être étudiées en détail. Ainsi dans le rotule de
Kintzheim dont l'auteur ne nous donne qu'une traduction fort
moderne , il est stipulé que l'abbesse d'AndIau n ta justice terri"
loriule (Zwing und BannJ dans loul le village. Elle a un avoué et en
outre un Schultheiss qui doit lui juger tout ce qu'elle a à juger (sic) ^
— A Detlwiller les colongers confessent eux-mêmes qu'aux deux plaids
annaux , ils doivent apporter leur cens , sous peine d* amende , même
du retrait du bkii. L^s amendes se partagent des deux tiers au tiers entre
le seigneur et Pavoué ( Vogt). Le seigneur confisque les biens des con-
damnés. L'avoué peut aussi désigner quatorze aborneurs jurés fMarq-
leuien) qui doivent placer à sa demande des pierres-bornes là où il le
juge nécessaire. — Le rotu!e d'Entzheim qui suit, contient une clause
qui précise encore très-clairement le but des assemblées colongères.
Après avoir constaté que la puissance publique est représentée dans la
cour par nn Vogt , l'art. 8 porte que , tous les ans , le troisième jour
après la Saint-Martin, l'avoué y viendra, zu geding , au plaid (traduc-
tion Hanauer); il siégera pour entendre les colongers faire la déclaration
des droits et franchises de la cour , appartenant au grand hôpital de
Strasbourg ; chaque tenancier doit être présent de sa personne pour
déclarer les biens qu*il possède dans le ban , et qui appartiennent à la
cour: Dem Bof sein Recht sprechen von seinem gueth, als dus
gewœhnlich und recht ist. C'est évidemment d'une simple déclaration
d'urbaire ou de renouvellement qu'il s'agit ici! mais notre auteur qui
poursuit à outrance son idée de faire des colongers des juges souverains
traduit ce membre de phrase , par ces mots : En particulier ceux qui
possèdent dans le ban quelque bien dépendant de la colonge {Bof) se
* Constitutions, p. 219.
8^SM«. — il- Année. 3
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34 REVUE D*ÀLSACE.
c présenteront à la cour . pour y r£!<dre justice , a cause de ses biens ,
« comme d*habilude et de droU il >
Voilà pourtant comme on fait des colonges souveraines ! Voilà les dé-
monstrations.à la suite desquelles on écrit superbement : c Aucun de
« ces documents n*a le caractère d'un octroi seigneurial , d'une charte
< d'affranchissement /.... la colonge était donc une innitution politique.
< Elle l'était toujours quand son noyau formait une terre salique. Une
€ histoire qui ne tiendra compte de ces institutions si nombreuses et si
( remarquables ne comprendra rien à la vie des campagnes du moyen-
< âge , A l'organisation de ces souverainetés villageoises d'ou
€ sortirent les états modernes >. »
Je n'ajouterai plus à la critique que je viens de faire des documents
produits par H. Hanauer lui-même à l'appui de cette thèse... énorme ,
que quelques textes qui achèveront de prouver que nos Dinghofe alsa-
ciens ne peuvent pas accepter cette prétention d'être les Pères des Etats
modernes , prétention que jusqu'à présent personne n'a osé soulever
pour leur humilité. — Dans les rotules publiés par feu M. Burckhardt
de Bâle^ ce qu'on appelle juridiction colongère est aussi parfaitement
distinct de la vraie juridiction (haute justice) que dans les chartes
que nous venons de parcourir. Ainsi dans le rotule de Bielbenken ^ »
deux articles précisent et séparent l'objet de l'une et de l'autre. L'art.
ii, intitulé Recht des Vogtes , exprime qu'à lui seul appartient la jus-
tice sur les crimes et les délits; l'art. 13, relatif aux atsembléfs
colcngères , indique qu'à ces assemblées doit se faire la déclaration des
biens possédés par chacun des tenanciers , des aliénations ou mutations
qui peuvent être survenues ainsi que le paiement des cens et canons.
L'art. 15, intitulé Bofgerichtsbat keii , veut que tous les différends, à
cause des biens colongers, soient portés d'abord devant l'assemblée
colongère ; puis s'ils ne s'y terminent pas, ils sont dévolus au prévôt du
chapitre et à V avoué CVogtJ, — Le rotule de Bubendorf porte les mêmes
dispositions ^. Une récente publication ^ nous met en possession d'un
document qui concorde d'ailleurs avec le seul titre du même genre ,
que M. Hanauer soit parvenu à rencontrer dans ses recherches. C'est
' Constitutions, p. 24i.
' Burckhabdt , p, S9.
' Id. ib. , p. 43.
^ Eechtsqusllen von Basst-Stadt und Land , \u — Voy. aussi Paysans^ p. 345.
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QUELQUKS MOTS SUR LES COCBS C0LON6ÈRES D'ALSACE. 35
ane espèce de protocole ou de registre des audiences de ces D'mg-
gerichte , document d'une valeur considérable pour déterminer la com-
pétence et l'utilité de ces prétendues juridictions. Les extraits publiés
▼ont pour Bubendorf et Bielbenken de 1486 à 1536. Chaque séance est
consacrée à la lecture des statuts colongers par le représentant du
Chapitre , au serment des colongers, à des délibérations sur le dommage
apporté à certains biens , A des défenses de couper des bois sans l'au-
torisation du prévôt, etc.... en un mot, toute l'activité de ces assem-
blées plutôt administratives que judiciaires se restreint exclusivement
aux questions que devait nécessairement faire nattre une jouissance
exercée par une pluralité sur un fonds appartenant à un même mattre.
Résumons donc (il en est temps) ce qui nous semble ressortir avec
évidence des documents mêmes sur lesquels M. Hanauer fonde ce qui
constitue son système personnel , la vnde nouveauté de sa théorie.
Dans aucune des pièces que nous venons d'analyser, on n'oublie
de déclarer que la terre colongère est la propriété de tel ou tel
maftre , ce qui exclut déjà la singulière supposition que pour chaque
tenure le bail se serait formé par la volonté des locataires et non par
celle des propriétaires. Cette idée d'une charte non octroyée est véri-
tablement d'une originalité extrême lors qu'en définitive au fonds il
s'agit d'un bail ou d'une location : dans tous les temps , dans tous
les lieux , le bail est l'œuvre du propriétaire ; c'est lui qui Yoctroye;
et la reconnaissance seule du titre précaire de preneur est l'affir-
mation la plus virtuelle, la plus énergique du droit de propriété
compétant au seigneur ou au maître de la terre. — Partout la co-
longe a conservé cette forme substantielle d'une location constituée au
profit de plusieurs. — Partout la condition des Bueber est subalterne ,
dans le sens du rapport du preneur avec le propriétaire. La colonge
ne formait donc un être collectif qu'au point de vue du titre commun
ei uniforme sur lequel se basaient la division des tenures et leur consis-
tance invariable — Elle formait si peu une imtitution politique qu'elle
pouvait exister même dans la seigneurie, c'est-à-dire dans la souve-
raineté d'autrui >. Ce n'était qu'une institution patrimoniale, une forme
particulière de la location perpétuelle, qui relevait directement du maître
* Rebm , de Cur. Dominie. ap. Schilter. p. iup. — Schwdt , Bistatre du
Chapitre de Saênî-Tlumuu , p. 66, et les pièces qu'il cite. — Spach , Bulletin
de la Soeiétéi du monuments historiques , iv, p. 173.
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36 REVUE D' ALSACE.
en tant que propriétaire foncier de la terre {Mamurnariui) et en outre
en tant que seigneur de ses Hôrigev, — L'organisation des Dings au sein
de ces agglomérations ne sort pas des conditions normales sous les-
quelles l'histoire a toujours reconnu la juridiction domeitique des
Germains, le droit patrimonial des justices privées auquel il est fait
directement allusion dans la plupart des Leges Barbarorum, et encore
dans les capitulaires V < Ce droit de juridiction , ajoute avec raison un
« de nos meilleurs historiens , était tellement inhérent au droit de
<i propriété que chaque propriétaire pouvait toujours suspendre les
« inimitiés particulières ^... en proclamant son ban, c'est-à-dire en
« étendant sa paix sur tous ceux qui se trouvaient par occasion dans
< les limites de son autorité seigneuriale. » Je rappellerai seulement
encore ici que la Paix {Frieden) était le but auquel, pendant toute la
durée du moyen-âge , tendaient toutes les institutions générales ou lo-
cales ^ , et ce besoin justifie et explique le rôle de toutes ces juri-
dictions contentieuses , arbitrales ^ ou de simple conciliation , qui se
développent sous les formes les plus variées pendant cette période.
Mais, à côté de ce fait, n'en subsistait pas moins la distinction des
classes , ce trait capital qui se mainlient jusqu'à l'aurore des temps
modernes : le nori'Ubre est resté appartenanl (Hôrige) comme il l'était
déjà du temps de Tacite. Il ne changeait pas de condition lors même
que son maître relevait au rang de ministérial (miniêttriatii) K Ces pré-
tendues souverainetés villageoises , fondées sur de prétendues chartes
* Car. Magn. Cap. Langob. an, 803. — Garol. Calv. Ediet. Dist. an. 864. 8.
— Lud. Imp, Cap. ad Theod, VUlam. q. 821.
* Sur les bans domestiques Y. Lehuërou , Hist. des Institut, carolingiennes ,
I , p. 232.
' Vrideliches Leben hat unser Berre gar liep, tcan er cham selber vom Him"
melreirh auf Ertrich durch anders nit , wan durch den Rechten Vride, —
Srhwabenspiegel. — Philipps , p. 53, — Z^cppl, n, p. 2-16. — Walter , p. iH.
— Gengler , p. 359. — Daniels , i , 313.
* Ce mot HOrigen (c'est un point sur lequel il y unanimité) avait pour syno-
nymes une multitude de dénominations , entre autres , pour rester dans notre
sujet , celles de Mamianarii , Lati, Lassen^ Laten, Erblaten , Hofleute , Hof-
hifrigeleute , Hausgenossen , Bobs und Klobsleute , Bueber , Gotteshausleute ,
Bomines Eccltsiastici , t-lc. Walter, I , p. 53.
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QUELQUES MOTS SUR LES COUUS GOLONGËRES D*ALSACE. 37
cortttUutionnellei >, nous paraissent donc des conceptions arbitraires qui
peuvent tout au plus plaire à Timagination , mais qui ne sauraient se
faire accepter par la science. — Il n'y manquait que le couronnement.
Nous avons eu des généalogistes qui se sont mis l'esprit à la torture
pour faire entrer quelques gouttes du sang d'Etichon dans les veines
des fannilles de Bourbon et de Habsbourg. Afin qu'aucune célébrité ne
fit défaut à notre Alsace , il fallait encore donner aux Etats moderves
pour souche commune , nos modestes court colongères I La filiation ne
s'entrevoit pas clairement , et je craindrais d'embarrasser notre auteur
si je le pressais de nommer un des Etats modernei qui serait sorti
de Tune ou de l'autre de nos cours rustiques. Mais il ne faut pas trop
insister sur une exagération qui n'est qu'une preuve de plus du
danger de l'esprit de système. M. Hanauer, en persistant à faire
de la colonge alsacienne une espèce de République villageoise ^ où
le paysan se serait trouvé en quelque sorte l'égal du maître , nous
semble avoir méconnu les faits les plus certains. Ce qui frappe
au contraire dans cette institution rurale, c'est le contraste visible
de la supériorité du propriétaire et de la subalternilé des Hueher.
Aussi le savant professeur Zaepfl , loin d*y découvrir la moindre
trace de cette souvemincté populaire, imaginée par notre auteur,
considère- t-il , au contraire, l'organisation colongère comme le point
rie départ de la seigneurie territoriale et comme le berceau du régime
féodal ^. Tout concourt à démontrer la justesse de ce point de vue : la
patrimonialité de la justice , l'institution de Tadvocatie , et jusqu'à
cette immunité dont (nous avons le regret de le dire) notre auteur n'a
pas saisi exactement le sens. Le Dinglwff, et en général le bien
talique, constituait une unité territoriale : comme telle il jouissait
de cette espèce d'impénétrabilité qui était l'attribut de toute pro-
priété libre. Le libre seul (Freye) pouvait posséder la terre /i6re 3; et
il trouvait aussi , dans son droit de propriété , le titre et la base de
son droit de juridiction. Delà la première immunité, le bannus aUodii,
qui traçait autour de la terre libre un cercle infranchissable pour toute
juridiction extérieure, souvent même pour celle du comte ; de là aussi
' Paysans , p. 3.
* Die Dinghâfe als Atugangspunkt der Landesherrlichkeit und die Wiege des
deuisckm Berrenstandes.
■ Waitz , Deutsch. Verfassungsgeschichte , i , p 173.
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38 REVUE D* ALSACE.
cette immunité secondaire qui procurait un asile au délinquant fugitif.
Ce droit d'asile , au sujet duquel M. Hanauer a jugé ii propos de dé-
cocher quelques traits d'une philanthropie équivoque contre les
traités d'extradition , poursuivis par les hommes de progrès > , ce
droit d'asile, disons-nous, n'était pas un effet de l'esprit de miséricorde
des hommes du moyen-âge. Il était le résultai logique de deux prin-
cipes : le crime appartenait à la juridiction du territoire où il avait été
commis ; il n'était considéré que comme une infraction à la paix lo-
cale , et il n'ouvrait droit à la Fehde , c'est-à-dire à la poursuite qu'au
lésé ou à sa famille. D'un autre côté , le domaine dans lequel le délin-
quant s'était réfugié, était clos à cette poursuite ; de là la Freyung , la
franchise ; le maître du lieu du refuge dont la paix n'avait pas été en-
freinte , n'ayant aucun droit ni aucun intérêt à participer à la Fehde
encourue ailleurs '. Cette immunité, sur laquelle nous n'avons pas à
nous étendre davantage , achève d'accentuer la condition de la terre
colongère et conGrme tout ce que nous avons dit sur les préroga-
tives de la propriété libre et patrimoniale: cette franchise est en
effet attachée à la terre , et ne forme sous aucun rapport un privilège
de la population de Uueber, que le maître a pu y établir. Cette immu-
nité n'est donc qu'un attribut de la souveraineté du mattre (dominus)
et nullement une liberté ou une franchise attachée aux manses. Ici
encore toutes les recherches de M. Hanauer n'ont abouti qu'à lui faire
prendre le change entre le seigneur et ses sujets.
Terminons cette longue analyse des rotules, en fixant les traits fon-
damentaux sous lesquels s'est toujours, et dès les temps les plus
reculés , manifestée la' colonge. — Le fonds tout entier est la propriété
d'un maître et seigneur : il a le plein domaine ; il a la souveraineté ;
il a la juridiction ; il a la*contrainte {Zwing. Jus disiringendi). Il est
libre (freye), sa terre est libre, franche de tribut et de cens ^. Il divise
sa terre en parts exploitables , en Hueb ou mansus d'un nombre va-
riable. Chaque Hueb est censitique^ et de plus le Bueber est sujet à la
* Paysans, p. 64.
* Il y aurait ici encore bien des consi'Jérations à relever , entre autres sur le
système pénal des anciens Allemands ; mais cela nous entraînerait trop loin du
sujet spécial de notre étude.
* Montesquieu , Esprit d$s lois , xxx» i5. Que ce qu'on appelait eensus ne se
levait que sur les serfs et non pas sur les hommes libres — Waitz, q. luji. 177.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÈRES D* ALSACE. 30
corrée et au mortuaire, par conséquent non libre (Hônga). LsiBuebon
la manse reste si bien partie intégrante du domaine que la commise ou
le retrait Ty font rentrer, affranchie du lien centitique et usufructaire. —
Le caractère exclusivement rural de cette institution se manifeste par
la désignation minutieuse des fonctions dévolues aux ministmaleB ; un
ViUicu» (Meyer)^ préposé à la surveillance, un Siadeler, chaîné tantôt
de la direction des écuries , tantôt de la distribution des eaux sur les
prairies réservées au seigneur, etc. Dans celte colonie , la chaire de
Tentretien des animaux reproducteurs incombe également au seigneur.
Les rotules spécifient avec une exactitude parcimonieuse qui donne
à elle seule la mesure de Topulence relative de ces établissements , la
consistance du repas que le ViUicui doit offrir aux colongers le jour
où ils viennent s'acquitter de leurs cens et canons , le nombre de
visites, avec droit de gite et d'hébergé permises à l'avoué , la spécifi-
cation du nombre de chevaux > que ce chef de la force armée peut
amener avec lui, et jusqu'au détail des setiers d'avoine qui devront
être fournis à chaque chevauchée , tantôt dans les écuries du seigneur
tantôt dans celle des colongers. En dehors des terres vouées à la cul-
ture, une portion du territoire, pâturage ou bois, reste ouverte à l'usage
commun des habitants de la colonge {Àllmend) ; mais cette portion
n'est pas pour cela exclue de la loi générale du territoire qui appartient
en toute propriété au maître et seigneur. — Tous ces faits , qu'on
* A propos de ces cbevaux , M. Haoaaer nous donne an petit exemple , trop
égayant pour ne pas le recueillir en passant , du vif besoin qn*!! éprouve de se
mettre en contradiction avec ceux de ses rares devanciers qu*il a jugé à propos de
connaître. Dans plusieurs rotules, il esi question de Balbrosse, (Rotule d*EI>ers-
tieim et Gresswiller). M. ZsepD , d*accord avec Schcrtz , traduit ce mot par equus
coMfraiuêf un ehêval hongre, en opposition avec le Bengst (Ventier). Notre
docte abbé veut au contraire que le Halbross ne soit qa^ane mule , et il consacre
une petite dissertation en trois points (Cùmt, p. 300, note) k discuter ce détail de
philologie vétérinaire. Nous nous permettrons seulement de faire remarquer qu*^
si Ton conçoit à la rigueur que Tabbesse d'Erstcin se soit servie de mules pour
foire son entrée annuelle sans sa cour de Gressweiler , il est diflScile de supposer
que le sire de Ratbtambausen, accompagné de ses retires, so soit contenté d'une
monture ausbi monasiique, lorsqu*il venait à Escbau exercer ses fonctions de haut-
avoué. M. Zsepfl d*aillcurs (p. \45) fait remarquer avec raison qu*il ne fuul pas
attacher an sens trop rigoareax à ce terme de Halbroes^ qui a élé employé par-ci
par-là , on peu au hasard.
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40 RETUE D'ALSACE.
trouve répétés , avec plus ou moins de prolixité , dans tous les rotules
précédemment connus^ ainsi que dans ceux que M. Hanauer s'est
donné la peine de colliger , ne laissent aucun doute sur la
constitution du Dlnghof, qui n'était autre chose qu'une colonie
agricole dont le fonds appartenait à un maître , lequel puisait
dans son droit de propriété un droit de souveraineté sur le terri-
toire et sur les personnes qui l'exploitaient , droit de souveraineté qui
deviendra , plus tard , la seigneurie proprement dite telle que l'a con-
stituée la féodalité. — L*utopie qui consiste à déplacer celte souve-
raineté , à la faire descendre de la tète du mansurnarms sur celles de
ses colons ; pour ériger ceux-ci en une véritable république autonome^
nous semble en contradiction manifeste avec les documents mêmes
qui l'ont si gratuitement inspirée.
I. Chauffour.
{La fin à la prochaine livraison).
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MÉMOIRE
SUR L'ALIÉNATION ET LE DÉFRICHEMENT DE LA FORÊT
ET SUR LES IRRIGATIONS
DU TERRITOIRE DE L4 HARTH.
L'opinion publique s*est vivement émue de la présentation , pendant
la dernière session , d*un projet de loi demandant l'aliénation des
forêts domaniales pour subvenir aux dépenses de travaux publics extraor-
dinaires. De nombreuses manifestations contraires se sont produites
soit de la part de corps, constitués , soit de la part de simples citoyens ,
par voie de pétitions. Au Corps lé|^slatif même, nul projet de loi ,
depuis quinze ans , n'avait été aussi mal accueilli. Il n'est point arrivé
à l'état de rapport.
Dans le département du Haut-Rhin les deux forêts domaniales , le
Kastenwald et la Harlh , les seuks forêts domamales existantes encore
en plaine, étaient comprises parmi celles à vendre dans un avenir plus
ou moins prochain
En ce qui concerne la forêt de la Harth , la question se compliquait
d'une demande antérieure de concession de deux mille hectares de
forêt à convertir en prairies irrigables par les eaux du Rhin.
La vente et le défrichement de la forêt de la Harth se présentaient
ainsi comme une mesure favorable à l'agriculture du pays. — Pour
ceux qui ^ au contraire , considèrent le défrichement de la forêt comme
un malheur public , et la création de prairies irrigables comme possible
xans concession de forêi de VEtat , pour ceux-ci , disons-nous , le
danger est d'autant plus difficile à conjurer que la mesure en question
est proposée et défendue par des hommes éminents par leur position.
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M REVUE D'ALSACE.
Aussi grâce à ce haut patronage et à d'autres circonstances qu'il est
inutile de dire ici , le projet de vente peut être repris et dès lors , pour
toue les hommes compétents , c'est faire acte de bon citoyen que de
combattre cette mesure désastreuse. Si nous osons descendre dans
l'arène, à la suite de tant de notabilités de la science et de la publi-
cité, ce n'est assurémrat pas que nous ayons la moindre prétention
d'apporter de nouvelles lumières dans la discussion générale, mais c'est
parce que nous avons des notions particulières sur l'état de la Harth ,
sur les besoins des communes et sur les irrigations.
La question pendante peut être envisagée sous différents points de
vue: i^ au point de vue historique. Situation et étendue des bois.
Droits et jouissances du peuple ; ^ au point de vue économique et
climatologique : ressources et avantages pour le pays; défense du
territoire ; revenus ; influences bienfaisantes des forêts ; 3° au point de
vue agricole. Nature du sol ; revenu comparé ; culture actuelle et
future , déboisement et reboisement ; production et consommation ;
irrigation.
Le mot teutonique Haardt désigne une forêt. Il s'applique ou s'ajoute
à une contrée boisée ou à une localité qui l'était autrefois. Ainsi nous
trouvons les dénominations de Haardt , Speshart , Reinhart , Heiterer-
hart, Rueschen-hart et puis encore Reichenweyer-hart^ Hunaweyer-
hart, Golmarer-hart >.
La Harth de l'Alsace occupait une étendue de 22 lieues entre Bàle et
iVarkoUheim (ingens silvarum traetaêj '. Le Rhin formait comme un
magnifique Waldstrom entre les forêts des Vosges et celle de l'Oden-
wald. La voie romaine depuis Augusta rauracorum , Gambes, Brissia-
cum , Argentoratum et au-delà , passait entre deux grandes forêts ,
d*un cAté la Haardt , de l'autre les îles du Rhin couvertes de chênes ,
d*aunes , de frênes , d'ormes et de charmes ^. Malgré de vastes défri-
«SCHOBPFLiN. AUat, illuiL T. I, m , p. 8. — Billing, Geschiehle und Be-
tehreikung des Elsasses , etc. Basel , 1783.
* L'abbesae (d'Erslein) a un bois appelé Hardt dans le ban de Kuenheim (village
entre Brisach et Markolsheim) et les Forster Hûrst, et parce que les gens du ban et
les colongers jouissenr des pâturages et des bois , tous ceux qui ont des botes de
trait doivent trois labours par an sur la terre Salique... (Les paysans de V Alsace
au moyen-âge , par M. l'abbé Hanaocr 1865.)
' A. Maurt. Les foréls de la France, 1856.
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MÉMOIRE SUR L*ALIÉ1IATI0N KT LI DÉFRICHEMENT , ETC. 43
chements successifs depuis les guerres de Jules César, les bois ombra-
geaient encore d'immenses terrains dans les plaines d'Alsace. Au
oniième siècle la forêt de la Hart couvrait tout le territoire situé entre
le Rhin et TUl, sur 8 lieues de long et 2 lieues de large» depuis Bêle
jusqu'à Blodelsheim et Ruocheim (Rueschen-hart ou un village détruit ?)
c Oclo ieucoê in langum ,_ duos in lalum et qîùdem EUum inter Rhenum
que ie extendiu » L'an 1004, Henri II fit donation à TEglise de BAle de
ce f SaUus in àUatàa > allant c de BasHea cwitaie deonum venum «
secum Bhenum,,. tenu» flumen UyUa (lil) usquè Ruocheim , et de
Ruocheim usquè ad Rubenlewa (Hotbleible?) La donation de cette forêt
• rilvam Sundgowiœ Haardi t se fit avec le eomentem^nt de tout le
peuple de ce domaine foresté qui jusqu'à présent en a l'usage , c oJKti-
liente omni populo ejusdem saltus hactenus usum habente, i Le peuple
donna son consentement à la transmission de propriété , il ne renonça
point à ses droits.
Dans l'origine la terre abandonnée i elle-même se couvrit de bois;
il n'en fut distrait que les terrains nécessaires à la culture. L'idée de
propriété se basa sur la mise en culture , en d'autres termes se confondit
avec la jouissance. Les forêts furent toutes bien communal , propriété
commune t. Dans le cours des siècles les communaux perdirent ce
caractère primitif, il devinrent propriété seigneuriale; les communautés
n'en eurent que la jouissance qui , pour elles, équivalait presque à la
propriété et qui leur était concédée, tantôt i titre gratuit, tantôt
moyennant une légère redevance. Dans mainte localité cependant les
restrictions s'aggravèrent , les redevances de toute espèce se multi-
plièrent et s'alourdirent y l'oppression devint générale. Les accapa-
rements des droits et jouissances dans les bois furent une des causes
des révoltes des paysans qui désolèrent nos provinces au xvi« siècle *.
Le renchérissement du bois est un des motifs de l'émigration allemande
vers l'Amérique.
* Die NMianal'^Economie, , mn /. Graff von Soden, Leipiig.
* Dans leur manifeste (15S5) on lit entr'autres : « Nous avons des griefs au suget
« des bois , car nos Seugneureries ont usurpé les forêts pour elles seules , et
• quand le pauvre homme a besoin de quelque chose , il est forcé de Tacheter pour
• deux pièces d'argent (umb ftwey gelt)* Notre opinion est que tous les bois qui
• sont «entré les mains d'ecclésiastiques ou de laïcs , et qui n'ont pas été acquis
< par achat , doivent retourner i toute la communanté. Wider an heim faUen, >
M. Haradex , loc. dt.
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U REVUE D'ALSACE.
Quant à la forêt de la Harth, les communautés usagères y jouissaient
des droits de pâturage , de glandée , de marnage (de prendre les bois
pour construction des habitations) de mort-bois et de bois mort. Des
cantonnements étaient même établis pour la livraison des bois d'échalas
des vignes. Tous ces droits furent maintenus sous les empereurs d'Alle-
magne, comme sous les archiducs d'Autriche (Habsbourg, seigneurie
de Landser)« La conquête de TAIsace la fit passer dans le domaine
royal de France. L'établissement de la maîtrise d'Ensisheim et l'or-
donnance de 1669 furent destinés à en régulariser la propriété ^ mais
en même temps à supprimer la plupart des droits usagers. Une or-
donnance subséquente du 14 septembre 1728 confirma le droit de
pâturage, elle fut rendue en suite des instances des communautés qui
représentèrent â Sa Majesté que c sans ces droits et ces concessions
« elles ne se seraient point établies aux rives de cette forêt ; que sans ces
c concessions elles cesseraient de subsister , n'ayant aucun bois en
c propriété. »
D'un autre coté les limites de la forêt reculaient peu à peu. Moyennant
une légère redevance les habitants obtenaient des seigneurs la permission
de défricher. La forêt fut attaquée de tout coté. La jouissance des terres
ainsi acquises sur le territoire forestier fut le plus souvent convertie en
droit de propriété par les transmissions successives.
Néanmoins l'inspection de la carte de Spœckiin de 1576 montre qu'à
cette époque il y avait encore une grande étendue de forêts sur le terri-
toire du Sundgau On y aperçoit aussi un grand nombre de cours d'eau ,
entr'autres les sept ruisseaux qui sortant des collines à l'Ouest, venaient
se jeter et se perdre dans la Harth. « Seplem rivuli anonymi versus
ortttm decurrentes , ad silvam hanc decurrunt, et in eâdem se perdunt ^ i
Aujourd'hui ces sept ruisseaux sont presque toujours à sec, mais
aussi les bois qui alimentaient leurs sources ont disparu.
Enfin les empiétements vis-à-vis la forêt domaniale devinrent si
grands que pour y mettre un terme, le roi (Louis XV) en son Conseil ,
ordonna en 1768 c la délimitation de la Hart, contenant environ 31000
« arpents , qui dans toute sa longueur n'est éloignée qu'à un quart de
f lieue du Rhin , qui est un des plus précieux domaines de la Cou-
t ronne , tant par rapport au prodnit annuel que relativement aux
<c ressources qu'elle seule peut fournir, soit pour l'approvisionnement
* SCBCEPFLIN , toc. cit.
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MÉMOIRE SUR L' ALIÉNATION ET LE DÉFRICHEMENT , ETC. 45
c de quantité de places fortes qui en sont à portée , soit pour les
c besoins des années en temps de guerre. >
Par cette délimitation la forêt a conservé son intégrité , du moins
jusqu'à ces derniers temps (1861). Mais sur le territoire situé au nord
de la forêt , dans la plaine située entre la forêt et Neuf-Brisach , appelée
également la Hart y la Hart aride^ {nufdtr Huri^ die dûrre Uari) les défri-
chements ont continué d'une manière déplorable. Des pai'ticuliers et
des communes ont fait disparaitre leurs bois. L'Etat lui-même a vendu
avec faculté de dèfricliery de 1831 à 1864 , ddiûs celte plaine de la Hart ,
les bois suivants :
lo La forêt de pins de Fessenheim, contenance de 118 hect. 25 ares.
â^" Le Niderwald à Rueschenhart 107 %
:^« La Hart de Heiteren 332 ji
i"" Enfin en 1861 , au coté opposé , Sud de la forêt
les l'« et 2«o séries de la Hart 391 75
Ensemble . . . 839 hectares.
Aujourd'hui la contenance de la forêt de la Hart est réduite
à 14164 hectares , savoir pour le cantonnement de Habsheim 6006 hect.
pour le cantonnement de Mulhouse 8158 hect.
Ensemble . . . 14164 hect.
La forêt de la Harth constitue un grand massif, d'un seul tenant;
elle a une longueur d'environ 32 kilomètres et une largeur qui varie
de 2 à 12 kilomètres. Elle est traversée à peu près dans la moitié de sa
longueur par le canal du Rhône-au-Rhin (branche d'Huningue) qui
après l'avoir longée vers l'est , la parcourt dans sa partie occidentale.
Elle confine dans son pourtour aux banlieues de 23 communes dont
la partie avoisinant la forêt porte le nom de Hartfeld. Elle suit presque
parallèlement la ligne du Rhin dont elle n'est distante que de 1 à 4 ki-
lomètres. Les essences dominantes sont le chêne et le charme. Autrefois
(dès 1701) < les coupes et ventes ordinaires y avaient été réglées à la
c quantité de 600 arpents demi-futaie, de l'âge de 52 ans de recrû ,
« pour chacun an. n Actuellement l'aménagement est de 35 ans seule-
ment. Aussi la demi-futaie disparaitra-t-elle bientôt pour faire place
au taillis pur à moins que l'administration ne modifie le mode d'amé-
nagement^ et d'exploitation. .Des éludes sont faites dans ce sens.
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M REVUE 11* ALSACE.
Nonobstant la diminution croissante du produit brut , le revenu net
delà forêt augmente continuellement, par suite du renchérissement du
bois. Chaque année l'administration marque et met en vente approxi-
mativement le même nombre d'hectares. De» calculs succincts em-
brassant les dix dernières années, établissent un revenu moyen annuel
de 500,000 fr. soit 35 fr. 71 c. par hectare. Il est de 40 à 41 fr. pour
les 5 dernières années , et pour l'exercice 1864 il est de 46 fr. 58 c.
par hectare. Voici les chiffres pour 1864 .
404 hect. 36 a. ont été vendus aux prix principal de 612,380 f.
A ce prix principal il faut ajouter :
M VsP*/oetrenregistremenl, 87,372 04
Î9 pour les harts nécessaires à l'exploitation des
coupes « 3,856 78
3o Indemnités pour réserves brisées , amendes , etc. . 140 40
Et puis encore pour compléter le revenu annuel :
4<» Exploitations accidentelles , chablis , brins secs
etbrisés 17,773 44
5* Location de la chasse , 18,401
Ensemble . . . 679,423 66
Dont à déduire:
1« pour la surveillance ' . . 14,494
2<» pour les cantonniers . . . 5,700
20,194 20,194
Reste net . . . 659,729 66
Ce qui pour 14,164 hectares fait un revenu net de 46 fr. 58 c. par
hectare , encaissé par l'Etat.
Mais à cela ne se borne pas le produit de la forêt , car à coté du
revenu encaissé par le domaine , il y a divers rendements qui sont des
ressources presque indispensables pour les communes limitrophes.
* Lef covpes sont vendues sur pied. S'il est reconnu que les adjudicataires ne
peuvent trouver une quantité suffisante de harts dans les coupes qui leur ont été
vendues , l'agent forestier chef de service peut les autoriser à en prendre dans le
restant des bois environnants, moyennant un prix à payer au domaine et fixé dans
le procès-verbal de coroptase.
' Cet article et le suivant forment le traitement et le salaire des gardes forestiers
et des gardes terrassiers ou cantonniers.
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MÉMOIRE SUR L'aLIÉNATION RT LE DÉFRICHEMERT , ETC. 47
Nous trouvons en premier lieu le bois sec, les ëpines ou autres
mort-bois que les habitants pauvres vont chercher dans la forêt. C'est
une tolérance admise puisque rautorité a elle* même fixé des jours de
bois. Il y en a deux par semaine , conséquemment 404 dans Tannée
et Ton peut compter que chaque ménage pauvre rapporte 4 charges
par }<iur de bois^ soit 400 charges pour un ménsge. C'est un avantage
immense pour la classe nécessiteuse, vu le haut prix du combustible *.
En usant de cette tolérance , qui lui est propre , Tadministration s'est
assurément souvenue des anciens droits des communautés , et peut-être
aussi des paroles de nos ancêtres , les pétitionnaires de 1728 qui avaient
déclaré à Sa Majesté que c sans ces concessions elles cesseraient de
c subsister , n'ayant aucun bois en propriété. » Quiconque a vu combien
de charges de bois sortent de la forêt par un hiver rigoureux ou sus
époques de crise manufacturière (même par des habitants de la ville
de Mulhouse) ne trouvera nulle exagération dans ces paroles. Ajoutons
aussi que parmi une vingtaine de communes , il en est effectivement
à peine 2 ou 3 qui possèdent des bois communaux d'une faible con-
tenance. Quant aux bois des lies du Rhin , ils sont employés au service
du fleuve *.
Une ressource non moins précieuse est la faculté qui leur est accordée
d'extraire de la forêt des herbes et de la litière en retour de certaines
prestations , de travaux de réemplantation , de sarclage , etc. , etc. Il
serait certainement ditBcile d'évaluer la qnantité ou la valeur de ces
produits forestiers , mais la quantité de mousse et d'herbes est consi-
dérable , l'humidité de la forêt favorisant leur croissance , et elle vient
.grandemeut en aide aux pauvres gens pour nourrir leur bétail , surtout
pendant les années de sécheresse. L'Etat lui-même y trouve son profit,
puisque par ces travaux s'efiectue le reboisement des places vides et en
effet les innombrables clairières qui y existpient sont maintenant presque
toutes couvertes de jeunes plantations.
Un troisième avantage que procure la forêt à la population riveraine,
c'est le salaire ou le prix qu'elle retire pour la coupe, le façonnage et
le transport des bois.
' Qu'on veuiUe bien se rappeler que l'élévation du prix du bois est une dea
causes de l'émigration allemande.
* Us sont aussi employés pour la vannerie et ne sont que des taillis peu
propres aux usages du ménage.
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48 REVUE d' ALSACE.
Le produit annuel moyen des coupes de la Harth , calculé sur une
dizaine d*années peut élre évalué à 8,000 stères de bois de chauffage ,
à 18,000 stères de bois de service et d'industrie , à 1,500,000 fagots
de toutes qualités. Le prix moyen de la coupe et façon est de 4 fr. du
cent de fagots et de 4 stères de bois, ce qui fait un total annuel de 80,000 fr.
perçu chaque année par les bûcherons. Le transport des bois se fait
dans les villes de Mulhouse , de Colmar , dans les environs , dans le
vignoble. En portant une moyenne de 10 fr. pour le 100 de fagots , les
4 stères de bois à brûler ou d'industrie, nous arrivons à un chiffre
de 200,000 fr. Voici donc du fait de la forêt une recette annuelle de
près de 300,000 fr. pour les bûcherons et les voituriers de la contrée.
Dans le produit de la forêt nous venons de poser 12,000 stères de
bois d'industrie pa an. En effet la Harth ne fournit pas seulement du
bois de chauffage. Pour la vente des coupes , l'administration forestière
marque le nombre de chênes ou d'arbres de futaie i abattre et en
évalue le cub\ Nous trouvons, par exemple:
1* pour l'exercice 1862 — 4,606 mètres cubes ;
2» id. 1863 — 3,835 id.
30 id. 1864 ^ 3,535 id.
Dans ce nombre ne sont point compris les jeunes chênes et brins qui
s'emploient, avec une partie des arbres chênes, pour échalas des
vignes. De ces arbres et de ces brins , sortis de !a Harth , on façonne
bien annuellement 800,000 échalas achetés par le vignoble du Haut-Rhin.
L'autre partie des arbres en grume , ou des susdits mètres cubes , sert
comme bois de construction, de charronage, de traverses de chemins
de fer , et de merrains qui s'expédient dans le midi de la France.
Sous ces différents rapports, non seulement l'État perçoit un excellent
revenu de la forêt de la Harth . mais toute la contrée en retire de
grands avantages.
De plus , elle est d'une importance majeure au point de vue straté-
gique.
On a vu plus haut combien sous Louis XV même , on appréciait la
Hart, ce très-ffécieux domaine de la Coutonne, par rapport aux
ressources qu'elle seule peut fournir. Le génie militaire actuel parait
être du même avis ; elle est comprise dans la zone militaire. Aux yeux
des hommes compétens , le centre, le noyau de ce grand massif doit
donc être religieusement conservé , d'abord pour servir de point d'appui
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MÉMOIRE SUR L*AL1ÉNATI0N ET LE DÉFRICHEMENT , ETC. 49
et de défense en cas dMovasion , ensuite pour approvisionner au besoin
les places fortes de bois de chauffage , de bois de construction , de
palissades, fraises , chevaux de frise, etc. etc. Nous avons nnalheureu-
sement des exemples de pareils approvisionnements à citer: En 1813
et 1815, des quantités considérables de bois des forêts de ^tat ont été
livrées dans les places de Huningue et de Neuf-Brisach. A une époque
plus rapprochée , vers la fin de la guerre d'Italie , si nos souvenirs
sont fidèles , il a été question de pareille mesure; Villafranca Ta rendue
inutile.
La forêt de la Harth tombe aussi sous la restriction de Tarticle 136
du Code forestier. Sur plusieurs points elle est située à moins de 5 kilo-
mètres des bords du Rhin . et ses bois peuvent êtr^ destinés, requis
et employés pour le service des travaux de ce fleuve, Presque toujours ,
il est vrai, les bois des îles y suffisent; cependant des bois de fascinage y
ont été coupés à diverses époques, notamment en 1831 et 1852 soit
par pénurie d'autres bois , soit que les parties boisées du côté du Rhin
eussent été submergées. Cette espèce de réserve dans la Harlh peut ainsi
être précieuse à certains moments.
Nous dirons maintenant quelques roots pour faire ressortir Tinfluence
des forêts sous le rapport du climat, du régime des eaux et consé-
quemment de la culture.
Les forêts sont le chevelu , le vêtement de la terre ^ elles sont les
agents intermédiaires entre la terre et Tatmosphère. Elles abritent
contre le froid et la chaleur , contre les vents et la tempête ; elles donnent
la fraîcheur et Thumidité , elles augmentent les rosées bienfaisantes, elles
fixent un sol mouvant ; elles élèvent et assainissent une localité maré-
cageuse , insalubre; elles alimentent les sources, régularisent les cours
d'eau; elles fertilisent à la longue un terrain maigre, ingrat, et lui
font comme une provision lente de terre végétale. L's délrichemenis ,
iurlout quand ils tont pomsés trop loin , produisent des effets diamétra-
lement contraires.
Il existe une corrélation entre les forêts et le climat. Sous la même
latitude , et même à égale altitude, le climat difl'ère selon le plus ou le
moins d'étendue des forêts. La Gaule couverte aux deux tiers de forêts
vierges avait des hivers longs et rudes, un ciel âpre et triste. Dix années
de guerres sous Jules César, puis la civilisation romaine venue à la
suite de la conquête en firent disparaître d'immenses portions. Les
!• Série. — n- Année. ^
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50 REVUE D*ALSACE.
débris des forêts avaient fertilisé le sol ; le ciel était plus ioun et des
euUures diverses se répandaient du midi au nord et amenaient la pros-
périté. Cet état de choses fut interrompu par une épouvantable cata-
strophe^ par l'invasion des barbares du nord. Le christianisme parvint
à jeter va^ sorte de pont à travers ce chaos et à lier les civilisations
ancienne et moderne.
Peu-à-peu les dévastations cessèrent , les cultures se ranimèrent et
le climat s'améliora. Les corporations religieuses alors se donnèrent
la double mission , noble et sainte , d'humaniser les barbares , d'instruire
la jeunesse et en même temps de cultiver les terres.
C'est aux moines de cette époque que l'on doit la restauration de l'agri-
culture. Leurs travaux étaient conduits avec intelligence , et assortis à
Tétat du sol , à la position des lieux , à la nature du climat. Ici ils
desséchaient des marais , là ils défrichaient des bois | ailleurs ils
respectaient et entretenaient même la forêt ; ils fertilisaient des terrains
incultes, dévastés, méphitiques. En un mot ils furent, principalement
les Bénédictins , pendant plusieurs siècles , les instituteurs et les nour-
riciers du genre humain. Le climat se ressentit de ces progrès de la
culture ; la vigne , l'olivier s'avancèrent graduellement du midi au nord.
La vigne prospéra en Picardie , en Normandie , jusqu'en Flandre. Il
$'élaH établi un juste léqvilibre entre l'étendue de» forêts et de» terres
cultivée»^ une harmonique infiutttce récipoque entre le climat el les
euUures.
Cependant les croisades vinrent dépeupler les campagnes ; chez les
moines commença à régner un tout autre esprit ; des guerres intestines
et étrangères continuelles bouleversèrent la France ; le mépris de tout
droit , de toute justice , consomma sa ruine matérielle et morale. Les
dévastations des forêts allèrent leur train , malgré les défenses réitérées
de nos rois. On ne défricha plus le trop plein des forêts pour faire de
la culture intelligente et suivie. On détruisit les bois pour en tirer de
bonnes récoltes pendant quelques années, pour les laisser ensuite à l'état
inculte et passer à d'autres et ainsi de suite. A mesure que disparurent
les bois t commencèrent à s*éiendre démesurément les terres vaines et les
landes. Les intempéries, les tempêtes se succédèrent plus rapidement;
le climat se détériora; la vigne, l'olivier rétrogradèrent du nord au
midi. Cette marche séculaire ascendante et descendante de notre climat,
se produisant simultanément avec la situation delà culture, la destruction
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MËHOniE SUR l'aliénation et le DÉFmCHEMENT , ETC. 5i
des foréls et l'extension des terres vaines, atteste leur connexion étroite *.
Semblable rapport existe entre les forêts et le régime des eaux et
conséqueroment la culture en général. Les récits des voyageurs abondent
en preuves à cet égard Des contrées jadis florissantes , des nations
prospères sont devenues stériles et pauvres , parce qu'on a inconsi-
dérément détruit leurs forêts ; destruction qui a tari leurs sources et
leurs cours d*eau , qui a stérilisé leurs plaines.
Ce que disait Thuan à VAuemblcc nationale est encore vrai aujour-
d'hui , et nous ne pouvons résister au plaisir d'insérer une citation de
cette page éloquente qui résume admirablement le sujet actuel : < Les
« arbres , par leurs racines et leur cîme , établissent une circulation
« perpétuelle du fluide électrique de l'atmosphère à la terre et récipro-
V quement. Ils attirent les nuages et sont des paratonnerres naturels,
t Bagnères , Plombières entourés de forêts avaient leur saison plu-
« vieuse régulière. On les a coupées et maintenant on n'y connaît plus
c que des ondées. L'homme qui a le pouvoir de conduire la foudre ,
« peut aussi diriger la pluie ; qu'il plante des arbres. Leurs cimes
« sont pour la vapeur ce que la pointe métallique est pour la matière
« électrique. Toutes deux rendent à la terre , celles-là l'eau , celle-ci
« l'électricité. Si Ton n'arrête pas bientôt cette dévastation des forêts ,
4 cette France si fière de sa fertilité et de sa population deviendra un
< désert. Cet anathème a de quoi surprendre ? Mais la Phénicie et cent
c autres provinces de l'Asie et de l'Afrique , jadis les greniers d'abon-
« dance de i'iLurope inculte , ne sont-elles pas aujourd'hui de vastes
c déserts ? Ces cent lieues carrées de sable brûlant , dans lesquelles
< le voyageur ne trouve pas uue goutte d'eau , étaient , il y a mille ans,
c arrosées par des ruisseaux et des rivières fertilisantes. Ghoisieul-
c Goufier cherchait en vain le Scamandre dans le dirritoire de Troye
€ Depuis longtemps son lit se trouvait desséché^ mais aussi depuis long.
« temps les forêts du mont Ida , d'où il sortait , étaient-elles abattues^
« Ce n'est que l'abondance des eaux et des forêts qui met la Chine efi
< état de nourrir trois cent millions d'habitants. >
L exposition d'une contrée fait presque partie de son climat. On dii
d'une localité qu'elle est exposée au nord , au midi , etc. et selon
ces diverses exposition il y aura une différence de température , de vents
* Voyei des changements dans le climat de la France |>arleD' FusTEft. *—
Paris 1846.
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5â REVUE d' ALSACE.
régnants , de végétation , de salubrité. Après les montagnes ce sont les
forêts qui conditionnent les expositions , en pays de montagnes princi-
palement, mais aussi en pays de plaine. Pourrait-on nier, par exemple,
que la ville de Mulhouse et ses alentours ne soient pas protégés par la
forêt de la Harth , contre les vents du Nord-Est qui régnent si souvent?
El quel bon abri ne donneraient pas à la plaine de la Hart et même
à toute celle de la vallée du Rhin des zones de forêts placées de distance
en distance ? Et tout en abritant contre les vents desséchants ou gla-
çants, les forêts répandent encore autour d'elles la chaleur et l'humi-
dité y deux éléments de toute végétation. La forêt s'oppose au trop
prompt effritement de la roche et du sol , elle empêche la dénudation
des pentes ; elle ralentit le passage d une température à une autre et
la fonte des neiges ; elle favorise l'infiltration lente des eaux dans le sol
et le rend plus perméable ; elle soutire continuellement l'humidité de
l'atmosphère et retarde l'évaporation de celle de la terre. De cette
manière elle alimente les sources , régularise les cours d'ean , au-
gmente le volume d'eau des rivières et devient un réservoir d'humi-
dité qui pénètre peu-à-peu dans le sol , même à de grandes distances
et selon les pentes, et forme cette nappe d'eau souterraine qui alimente
nos fontaines et nos puits et qui arrive même vaporisée ou non aux
racines des végétaux.
On sait que la plante respire^ mais que contrairement à l'animal elle
absorbe généralement l'acide carbonique et exhale l'oxigène ; elle se
nourrit ainsi par ses racines et par ses feuilles ou ses parties vertes.
Par ces organes il se fait un double mouvement , l'un d'absorption et
d'assimilation de matières fluides et aériformes , l'autre d'évaporation
de gaz et d'eau. Chacun de ces actes opère un changement de tempéra-
ture , celui-là d'élévation , celui-ci d'abaissement. Il est produit par le
passage de l'état gazeux ou fluide à l'état solide — carbone — et de
l'état solide ou fluide à l'état gazeux ou de vapeur. Par ce dernier la
plante est capable de résister à sa chaleur propre et surtout à la cha-
leur extérieure. Quand les rayons du soleil de juillet dardent à midi
sur une planche , elle devient chaude, brûlante. Les feuilles de la
plante périraient bientôt par une telle température. Hais elles restent
fraîches , parce qu'avec l'élévation de la température s'accroît aussi
l'acte d'évaporation qui refroidit. Des expériences — de Haies
entr'autres — ont démontré qu'un arbre nain évapore en 40 heures
15 livres (7 7i kil ) d'eau. L'évaporation d'eau sur une surface de 25
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MÉMOIBE SUR l' ALIÉNATION ET LE DÉFRIOREMENT , ETC. 53
ares , n*est pàs moindre , suivant des calculs approximatifs, de 2 mil-
lions de kiiog. d*eau en 12 joui*s pour une plantation de houblons , et
de 2 V2 millions de kilog. d'eau y pendant un été , pour une plantation
d'arbres fruitiers. L'é-aporalion de 25 ares de forêt, pendant 120 jours
d'été, représente ou dépense une force égale au travail de 1460 che-
vaux durant le même laps de temps. Le travail d*évaporation de 25
ares de futaie , pendant un an , a été assimilé à celui obtenu par une
quantité de chaleur capable de porter au point d'ébullition 11 millions
de kilogrammes d'eau glacée *.
De toutes les plantes , ce sont les arbres qui offrent le plus de sur-
face par leurs feuilles, et il n'est pas surprenant que, comme le prouve
d'ailleurs l'observation journalière, elles attirent, retiennent et répandent
autour d'elles une masse énorme d'eau et de vapeur qui forment une
des conditions premières de la végétation environnante , même à une
grande distance. Les forêts, comme en général toutes les plantes, sont
surtout destinées à extraire le carbone de l'immense réservoir de
l'atmosphère pour en doter les générations présentes et futures. Possé-
derions-nous la houille sans la végétation luxuriante des âges anté-
rieurs ?
L'assainissement des terrains marécageux par le reboisement esl un
fait universellement reconnu. Les effluves délétères des eaux sta-
gnantes sont absorbées et échangées en air vital par la végétation. Les
bois en éloignent les fièvres paludéennes. Un grand nombre de faits
prouve également que dans les territoires secs , non marécageux , la
présence des forêts influe sur la salubrité Elles arrêtent ou circon-
scrivent les épidémies ; les arbres semblent tamiser l'air infecté en lui
enlevant les miasmes pestilentiels. Dans les marais Pontius, par
exemple , un bois interposé sur le passage d'un courant d'air humide
chargé de ces miasmes préserve tout ce qui est derrière lui, tandis que
les parties découvertes demeurent exposées aux maladies. De nos
jours , des établissements de santé , dits bains d'air, ont pris beaucoup
d*extension La Suisse, ce pays fortuné entre tous, en fourmille. En
Alsace, il en a surgi deux; le Hochwald et les Trois-Epis ; ce ne seront
pas les derniers. On y va prendre, non des bains d'eaux minérales,
mais des bains d'air. On va y jouir d'un climat doux, d'un sile magni-
fique, d'une position délicieuse et d'un air pur. Eh bien, c'est aux forêts
* NiEeELi. Dit Bewegung im Pflamenreiche. 1860.
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54 REVUE D* ALSACE.
avoisinantes que Ton est redevable de tout cela. Ce sont elles qui
abritent contre Texcès de vent et de soleil , ce sont elles qui procurent
Tair pur et les émanations balsamiques.
Conçoit-on un paysage sans forêt? Les rivières, les lacs ne veulent-
ils pas être protégés par une ceinture de forêts? Ne sont-ce pas les
bois qui viennent interrompre heureusement un océan de sable ou de
neige?
Les forêts offrent un asile à ces innombrables hôfes des bois de tout
genre , de loute espèce , dont la plupart sont d'une utilité incontestable
et qui tous ont leur raison d'être.
Les forets enfin procurent particulièrement le plaisir et les produits
de la masse.
- Ce» nombreuses influences bienfaisantes sont communes aux forêts
de montagnes et à celles de la plaine, quoique les premières les
possèdent à un plus haut degré.
De ce qui précède on peut certainement conclure que la forêt de la
Hartb réunit tous les caractères que M. le Ministre reconnait appartenir
aux grands bois domaniaux.
c Dans son exposé des motifs (projet de loi sur Taliénation des
« forêts) , Son Excellence , après avoir dit que les forêts domaniales
< (en général, sans doute) n*ont qu'un produit minime, et peu en rap-
€ port avec leur valeur vénale en conclut que l'Etat pourrait trouver un
c bénéfice considérable à les aliéner. Mais Elle s'empresse d'ajouter
€ que l'Etat n'est pas un simple particulier, et qu'il ne lui est pas per-
f mis de raisonner et d'agir comme un particulier pourrait le faire.
« Lui seul , précisément à cause du temps (|ue demande la création de
« ces grands bois , à cause des sacrifices qu'ils imposent , lui seul , à
« part quelques rares exceptions est en mesure de les posséder et de
« les maintenir. > Son Excellence ajoute encore : c Or, les grands bois
« servent à l'ornement du pays , qui en est fier ; à la défense du terri-
« toire, s'il était envahi; à la salubrité des populations par leurs
«. influences atmosphériques ; au régime régulier des eaux , dont ilg
< tempèrent la violence ; aux constructions civiles ; à celles si essen-
( tielles de la marine militaire ; enfin ils ofl'rent dans un besoin urgtni
< une ressource financière sur laquelle l'Etat peut compter, mais à
4 laquelle il ne doit jamais recourir dans les temps calmes et prospères.
« Si l'Etat possède aujourd'hui 1,100,000 hectares de bois diversement
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MÉMOIRE SUR l'ALIÉNATION ET LE DÉFRICHEMENT , ETC. 55
c répartis sar toute la surface de la France , dans ce chiffre considé-
c rable se trovveat, soit ces grandes maisei de f&reu qui sont eonsa-
« crées par le temps et par le respect des popalations , soit anssi les
c parties de bois qui peuvent être utiles à la défense du territoire. Il
€ ne saurait être question de les aliéner, et quelle que soit leur valeur
« vénale comparée è leur produit annuel , elles sont respectables pour
c tout le monde, t
Or, tout ceci se rapporte parfaitement à la forêt de la Harth. Elle
constitue une grande masse de bois , consacrée par le temps , et par le
respect des populations ^ elle est également utile à la défense du terri-
toire. De plus, son produit annuel est considérable et tend à s*ac-
crollre '.
L'exposé des motifs s'occupe ensuite c des petits bois qui détachés
« du reste de la culture forestière, d'une garde difficile, d*un produit à
t peu près nul, quelquefois même onéreux, ne présentent aucun inté-
1 ret pour leur conservation... qui ont le tort d'étouffer les populations
tf qu'ils entourent, et de ne pas leur laisser la liberté nécessaire pour
t ie développement de leur industrie et de leur agriculture. >
Rien de tout cela ne peut s'appliquer à la forêt de la Harth. Il n'y a
point de portions isolées ; sa garde est très-facile ; son rendement est
loin d'être nul; elle n'étouffe point les populations environnantes qui
ont toute liberté» de développer leur industrie et leur agriculture.
L'étendue des terrains cultivables est au contraire très-forte compara-
tivement à la population.
Evidemment , la forêt de la Harth se trouve dans la catégorie des
grands bois domaniaux, que, suivant M. le Ministre lui-même, le goU'
vernement doit et veut conserver.
En cet état de cause, la Harth étant un grand bois, utile à la défense
du territoire et même d'un bon rapport, comment se fait-il qu'elle ait
été comprise parmi les forêts aliénables ?
Serait-ce que le gouvernement se fût laissé entraîner par des offres
brillantes , bien supérieures à la valeur ou au capital que représente le
revenu actuel ?
A cet égard , nous trouvons une donnée dans la réponse faite par
' On verra plas loin qu'au contraire le produit et la valeur des terrains défri-
chés de l'ancienne forêt sont fiiibles , comparativement, et qu'ils vont toujours en
décroissant.
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56 REVUE d' ALSACE.
HM. Dollfus , Schlumberger et Amédée Rieder à la lettre ministérielle
du 23 février 1864, réponse qui a été rendue publique par M. Dollfus ^
On y lit: c Ses bois à couper peuvent être estimés en moyenne, dans
« leur état actuel, à 6 ou 700 fr. au moins par hectare, et les terrains,
< une fois les bois coupés, à 400 fr. l'hectare, soit une valeur totale de
« 1,000 à 1,100 fr. La vente de ces forêts produirait donc àTEtat une
« somme d'environ 46 millions, par conséquent un revenu par hectare
« de plus de 50 fr. Or, le revenu atteint à peine aujourd'hui 15 fr. et
< produira moins encore >
Au taux parfaitement admissible de 4 p. O/q, les 16 millions donne-
raient , il est vrai , un revenu annuel de 640,000 fr. et les 15 fr. par
hectare pour 14000 hectares (chiffre rond au lieu de 14164) , ne don-
neraient que 210,000 fr., différence ou perte annuelle pour l'Etat
430,000 fr. S'il en était ainsi et à ne considérer que le côté financier^ le
gouvernement aurait un intérêt manifeste à vendre la forêt. Mais toute
cette argumentation repose sur une erreur , car nous avons établi plus
haut, par des chiffres nuihcntique^ , officieU , que le revenu annuel net
de la forêt était 1® pour les 10 dernières années de 500,000 fr., 2» pour
les 5 dernières années de 560,000 fr., et 3« pour l'exercice 1864 de
659,729 fr. Soit par hectare de 40, 4t à 46 fr. 58 c. Ce revenu , on le
voit, progresse constamment, loin a de produire moins encore, j» En
calculant toujours d'après une valeur vénale de 16*millions y l'année
1864 aurait .produit au-delà de 4 p. O/q, et les 5 années antérieures,
3 Va P" O/O' Ce revenu n'est-il pas superbe pour des immeubles, et un
particulier qui le toucherait , se déciderait-il jamais à vendre sa pro-
priété? On ne saurait donc se persuader que c'est par un calcul d'in-
térêt que l'Etat a compris la Harth parmi les forêts aliénables , lui qui
« n'est pas un simple particulier, lui , à qui il n'est pas permis de rai-
c sonner et d'agir comme un particulier pourrait le faire, » et M. le
Ministre (des finances) qui a écrit ^ c que le rendement de ces forêts
« ne parait pas devoir être iniërieur, dans un avenir prochain , à 50 fr.
ce par hectare , et que dans ces circonstances l'aliénation demandée
c (^000 hectares seulement) semble inopportune , j> M. le Ministre
trouvera certainement illogique et anti-Onancière l'opération de vendre,
* Voyez le Journal Le Tempi. N« du 7 juin 1865.
' Lettre précitée du 23 février 1864.
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MÉMOIIIE SUR l'aliénation ET LE I»ÉFiUCHENENT , E,TC. 57
non plus une portion, mais toute la forêty une forêt entière qui bientôt
versera un revenu de passé 4 Vi P ^/O ^^^^ ^^^ caisses de l'Etat.
Serait-ce la nécessité qui porte le gouvernement à recourir à c cette
c ressource, financière à laquelle il ne doit jamais recourir dans les
c temps cahnes et prospères? i Cela n*est pas admissible, car qui
pourrait soutenir que nous ne nous trouvions pas dans des temps
calmes et prospères ? Au dehors, rien dUnquiétant ; au dedans , l'ordre
et la marche régulière des affaires. On projette , il est vrai , de grands
travaux publics, et pour cela faire, on irait mettre la main sur les pro-
priétés nationales. Hais les travaux publics, quelqu'utiles qu'ils fussent,
exécutés moyennant les seize millions, prix de vente de la Uarth »
seraient loin d'atteindre ou d'égaler l'utilité de la forêt dans le présent
et dans l'avenir. Ces travaux ne sont pas tellement indispensables , ils
n'ont pas le caractère d'une nécessité immédiate et absolue telle qu'ils
ne puissent être ajournés et ne s'exécuter qu'au fur et à mesure des
ressources disponibles. Que dirait-on d'un père de famille qui entame-
rait le capital dont il doit compte à ses enfants, qui prendrait sur ce
capital et non sur son revenu , sur ses économies > pour faire des
embellissements et même des travaux qui peuvent être utiles, mais qui
ne sont point nécessaires ? Où irons-nou^, grand Dieu ! avec cette fièvre
de construction? Ah! s'il y avait € un besoin urgent, » si la patrie
était en danger, oh ! alors oui , il serait permis de recourir à cette
ressource extrême ; et encore , nous en avons la patriotique conviction,
la France bien consultée, préférerait verser son dernier écu, plutôt que
de subir la destruction de propriétés nationales, qu'en droit strict, elle
doit léguer intactes aux générations futures.
Heureusement la sagesse et la force du Gouvernement éloignent de
nous de pareils dangers, de tels € besoins urgents. >
Les principes conservateurs des forêts ont été , jusqu'à ces derniers
temps , ceux du Gouvernement français. Nous en avons une preuve
dans la résistance qu'il avait opposée à la demande de concession d'une
partie seulement , (2,000 hectares) de la forêt de la Harth.
Il existe autour et surtout au nord de cette forêt , une plaine immense
iippelée du môme nom , jadis couverte de bois, aujourd'hui presqu'en-
tièrement défrichée. Ces défrichements opérés fréquemment à la suite
de la construction de Neuf-Brisach pour motif militaire et poussés trop
loin depuis , ont eu pour résultat de rendre cette plaine éminemment
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58 REVUE D'ALSACE.
sècfae, aride, quasi stérile. En i861 un projet fut dressé pour établir
un canal à Teffet d*y amener les eaux du Rhin , pris au Capuzinerkopf
près d*Ottmarsheira. Ces eaux devaient servir en partie comme moteurs
hydrauliques et surtout à la création de prairies dans cette plaine ^ et
par conséquent à Tamélioralion de cette grande étendue de mauvaises
terres, par l'augmentation des fourrages, du bétail , des engrais , etc.
Jusque là c'était fort bien ; même les communes exclues demandèrent
l'extension à leur profit, de cette mesure bienfaisante^ moyennant la
prise d*eau à Kembs , par pétition du 21 avril 1861 K
Une Société financière s'était formée à Mulhouse ayant à sa tête des
hommes très-considérables tels que MM. Dollfus, Schlumberger , etc.
Cette compagnie refusa d'admettre la modification demandée , (prise
d'eau à Kembs) ; de plus , elle reconnut bientôt , à tort ou à raison des
difficultés dans l'exécution des travaux et dans Tcrganisation d'un
syndicat , qui pourtant ne fut pas essayé.
On songea alors à Tacquisition d'une portion de la forêt de la Harth
pour la convertir en prairies et pour établir une espèce de ferme-madèle.
Ln Société formula une demande en concession , à prix réduit , de 2,000
hectares, comme l'équivalent d'une subvention. En acquérant ce do-
maine elle eût enlevé aux communes et aux particuliers le bénéfice
de la forêt, elle se serait débarrassée de leur intervention , elle aurait
commencé par s*emparer de toute l'eau disponible et n'aurait cédé ,
à prix iVargeni , aux propriétaires de la plaine de la Harth , que celle
dont elle n'aurait eu nul besoin^. Celte modification avait ainsi le grand
tort d'enlever au projet son caractère primilif d'utilité publique, pour
en faire une entreprise particulière ; elle créait en outre un funeste
antécédent, en entrebâillant la porte par où devait disparaître la
forêt entière.
Onimus ,
ancien membre du Conseil (énér^l du Haut-Rhin ,
maire de BantEcnheim.
[Im fin a la ftruciiuine UvratsoH.j
' Délibéraliot) , session de mai 1861 , et démarche personnelle auprès de M. le
Préfet Paul Odent par quelques maires et M. de Janeigny alors sous- préfet à Mulhouse.
' Il sera prouté plus loin qu'après Tirrigalion des 2,000 hectares il ne resterait
môme plus une goutte d*eau pour les propriétaires de la plaine de la Harth. U n'y
en aura peut-âtre pas assez car rexpérience démoatre que les terres traitées comme
à Homhourg absorbent tgute Teau qu'on peut leur donner.
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NOTE
SUR LE LIEU DE NAISSANCE
De
JBAN GfclLER dit DE KA1SBRSBER6.
Plusieurs liiléraleurs, entre autres Reimann * . Chr.-M. Engelhardt*,
\V. Wackernagel 3, et , tout récemment , H. Kurz ♦ , désignent comme
lieu de naissance de Jean Geiler l'ancienne ville libre impériale de
KaisersberQy aujourd'hui chef-lieu du canton du même nom.
Cette erreur provient d'abord de ce que Fillustre prédicateur de la
cathédrale de Strasbourg signait d'ordinaire ses lettres « Doctor KaUen-
berger ou Keysersperger • , et que le peuple l'appelait également de ce
nom ; — elle provient ensuite des deux premiers vers de l'épidécion
composé par Sébastien Brant en Thonneur de son fidèle ami et protec-
teur y et qui sont ainsi conçus :
o Quem merito d$fUt urbt Argeniina : Joantm
Geyler , monte quidem Ca$ari$ egemtuê. »
Mais le nom de Kaisersberger ou Cœiaremonianus , comme l'ont
traduit quelques auteurs , prouve au:si peu en faveur de Kaisersberg ,
comme lieu de naissance de Geiler , que celui de Hhenanut , Bïid von
Rheïnau , prouve en faveur de celte dernière localité^ comme ayant été
le berceau du célèbre humoriste alsacien qui a découvert le manuscrit
de Velléius Paterculus. En effet , Beatus ou Bild naquit (1485) non à
Rtiinau , mais à Schlestadt ; il ajouta à son nom celui de Rhenanus ,
c'est-à-dire: de Rhinau, village situé, à cette époque, sur la rive gauche
du Rhin , où son père était né. De même Geiler se nommait volontiers
Docior Kahcrsbcrger , du lieu de naissance de son grand-père et par
' RLIMAN.XCS , introd. ad histor, lUterar. , m , 6.
• Wandemngen durch dU Vogesen , 7i .
* Deutsehâ iMteraturgeseh, 340 , note 75.
' J. fVickram's Rollwagenbiiehlein , Leips. 1865 , 211.
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60 REVUE D*ALSACE.
reconnaissance pour ce dernier ; car cet excellent homme , dont Geiler
ne parlait jamais qu'avec la plus grande vénération, avait reçu chez lui,
en 1448 , le jeune orphelin , âgé alors de trois ans y après que son père
eut été (ué par un ours qui ravageait les vignes d'Ammerschwihr.
Quant aux deux vers de Sébastien Brant , ils ne sauraient a -oir Tau-
torité d'un extrait de naissance. D'abord , le passage c monie quidem
Cœ%nrU egenhug » , ne signifie pas rigoureusement que Geiler lui-même
soit né à Kaisersberg ; il peut s'interpréter par c issu d'une famille de
Kaisersberg » ; puis , Brant appuie si peu sur cette circonstance , que ,
dans la rédaction allemande de son épidécion , il la néglige complète-
ment et se contente de dire :
» Johannes Geiler lobes rich ,
Den Doctor Kaisersperg man nant. »
Jean Geiler n'est pas né à Kaisersberg.
Il vint au monde le 16 mars 1445, à Scha/fliouae , soumise, à cette
époque , ainsi que toute TAIsace supérieure • à la domination autri-
chienne. Cette dernière circonstance explique pourquoi le père de
Geiler, bien qu'Alsacien, pouvait être revêtu, à Schaffhouse ^ , des
fonctions de c nrihce ejus oppidi minisier a manu , » fonctions qu'il
échangea en 1446 contre celles de notaire d'Ammerschwihr. C'est ce
que déclare , en termes formels , Beatus Rhenanus , le jeune et dévoué
disciple de Geiler , qui , tout en nommant ce dernier c Cœsaremon^
lanus \ ) dit au commencement de sa notice biographique : < Ortus est
« Joannes Geilerus ira urbe Schafhusin , antequam ab inclyto Austriae
c ducatu descivisset, anno gratiae HCCCGXLV décima sexta Hartii die,
€ pâtre Jeanne Geilero , matre autem Anna Zuber »
Beatus Rhenanus n'a été contredit , sur ce point , par aucun des
auteurs de son époque ; il n'aurait pas dû l'être par ceux que nous
avons cités au commencement de cette note. Son assertion est d'ailleurs
admise par la majorité des littérateurs qui ont traité de Geiler ; elle l'a
été, entre autres, par J. W. Hertzog', l'auteur de l'ouvrage c Aihenœ
* Un autre AUacien , Jean-Ad?lphus Mulichius oa M olingus , l*éditear de plu-
sieurs sermons de Geiler , après avoir étudié la médecine ^ Strasbourg , sa ville
natale , devint Stadtphytieue , médecin de la ville , de Schaflfbouse.
* « J. GeiUri Ccuaremontani , primi eoneionatorie in œde eaerm majorii
« eeeUs. Àrgentor. vila per Beatum Rhenanum SeUetatinum, Sehtttid. IdibuM
H maitf. 1510. »
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I
NOTE SUR LE LIEU DE NAISSANCE DE JEAN GEILER , ETC. 61
Ravricœ > ou Catalogue des professeurs de l'université de BAle ^ En
parlant des efforts que Tammeistre Pierre Scholt fit pour engager Geiler
à accepter la place de prédicateur à la cathédrale de Strasbourg ,
Hertzog dit : € (Geilerus) a Petro Schotto Argentoratensi senatore , viro
c tam gravi quam prudent! , rogatus est enixe admodum , ut si uspiaro
< dominici verbi enarrandi provinciam vellet, Argentorati id ageret,
c se daturum operam , ne digna laborura mercede careret ; adseveravit-
c que porro Schottus, cum patriae secundum parentes omniadebeamus,
€ eo illud maxime faciendum esse loco , qui Alsatiœ sit caput ; ut enim
K Keisersberga , ubi educatus, ita et Scaphu$ium, ubi natut erai Gey'^
c lenu , tum ad Alsatiam pertinebat. >
AuG Stœbea ,
profBSieur «u Collège de Ifulbouie , oflDder d'Acadéoiie.
*Ba$iUi$ UDCCLXXVni, p. 4.
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Histoire d'un homme heureux , par Adolphe Schœffer, — Paris , 4865,
chez Michel Lévy. 1 toI. in-lâ.
Un homme heureux ! je n'en connais pas de complètement heureux
dans ce bas monde , et celui , que H. Schiffer nous présente comme
tel , ne réalise pas du tout l'idée que je me fais , ou que je me ferais du
bonheur sur cette terre, s'il était permis d'être complètement franc
sur ce sujet. La vie , de quelque façon qu'on l'envisage , même au point
de vue religieux , demeure une terrible et indéchiffrable énigme ;
M, Schseffer, quelqu'effort qu'il fasse pour nous donner son homme à
titre de modèle , d'un enfant chéri de Dieu , et conduit par la voie
providentielle vers la seule source de toute félicité, H. Schseffer, je le
crains bien , n'a point réussi à convertir tous ses lecteurs à sa manière
de concevoir cette félicité.
Ce petit volume est vivement écrit , et suffisamment coloré ; Tinven-
tion est quelquefois ingénieuse; mais le grand tort de c l'homme
heureux > , c'est de n'être ni un roman complet , ni un traité complet
de religion ou de morale.
Le roman soi-disant religieux présente, à mon gré , des écueils iné-
vitables; car^ de deux choses l'une, ou l'intérêt passionné fait tort à la
doctrine que l'écrivain moraliste veut propager , ou l'étendue donnée
aux développements moraux , fait l'effet d'une lande immense , au sein
de laquelle se perdent , inaperçues , les fleurs de poésie que l'auteur
essaye d'y acclimater.
Je crois , pour ma part , que chaque chose a son temps et son lieu
propice ; qu'il y a , en littérature , des cases consacrées , en-dehors
desquelles l'auteur ne se place qu'à ses risques et périls Le sermon à
l'église , le traité en chaire, devant un auditoire résigné , et le roman
au cabinet de lecture et dans le boudoir ou dans l'antichambre. Ces
réserves faites , il me serait facile de trouver dans l'œuvre d'imagina-
tion, à fond didactique, de 11. Schœffer, bien des motifs d'éloge; car
son intention est droite et bonne , et au service de son intention il met
un cœur sympathique à la souffrance physique et morale des classes
inférieures , un esprit cultivé , observateur , et une expérience
évidemment acquise dans une carrière pratique. M. Schœffer «
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BULLETIN BïBLIOGRAPHIQrE. 63
comme médecin de l'âme , a dû se trouver au milieu de familles ,
éprouvées à Tinstar de celle de Paul Lepelit^ en face d'individualités
pareilles à celles du petit bossu dévoué , et en face d'égoïstes tels que
M. le marquis, H Lenoir, M. Vilargeot, etc. AlapIacedeH. Schseffer,
j'aurais été à la recherche de quelques noms patronymiques , qui
eussent donné moins de prise au calembour.
Le caractère le plus aimable , le plus attachant de cette composition ,
est sans doute celui de Marie, la femme de Paul Lepetit ; c'est un ange
de douceur , de résignation , de patience ; il me semble mAme que dans
la réalité , elle a dû mettre beaucoup moins de temps que l'auteur ,
dans sa libéralité y lui en accorde y pour amener à ses fins Paul Lepetit ,
un peu libre penseur dans l'origine , et chrétien convaincu à la fin de
sa laborieuse et triste carrière. Marie , si elle était telle que M. Schœfler
nous la montre , rayonnante de pureté , ayant autour de sa belle tète
déjeune fille Fauréolede la foi évangélique, Marie a dû convertir, sans
préambule , un être de la trempe de Paul Lepetit ; je vais pl«s loin ,
elle ne l'aurait point épousé, si dès le moment des fiançailles, et certes
avant le mariage , il n'avait partagé sur le monde présent et à venir ,
sur la grâce et le salut, toute la manière de sentir et de penser de sa
future compagne. Il n'y a , dans cette sphère d'idées , point de com-
promis possible ; dans la situation donnée , le bonheur n'est admissible
qu'au prix d'une concordance parfaite , d'une harmonie complète entre
les deux conjoints. La jeune femme, qui a le bonheur de posséder la
foi évangélique , ne peut donner son cœur et sa main qu'à un homme
gagné aux mêmes doctrines ; elle sera tout aussi exclusive que le prêtre
qui prononce le mot terrible et sans appel : € Hors de l'Eglise point
de salut ! »
Marie, dans le roman religieux de M. Schaeffer, est donc un peu
inconséquente ; un rigoriste pourrait rattacher à ce premier manquement
les malheurs qui viennent fondre, postérieurement, sur la famille de
cet excellent barbier ; car , ne vous en déplaiée , l'auteur , pour mettre
en relief sa thèse , que le bonheur , le vrai bonheur , ne tient pas à la
position plus ou moins élevée que l'homme occupe , mais à la paix du
cœur et à la réconciliation de l'âme avec Dieu et le Sauveur , l'auteur a
placé son c homme heureux » dans la boutique d'un barbier. — Et je
ne vois pas de quel droit nous lui ferions une querelle d'Allemand à ce
sujet. Le barbier d'Agen était un poète distingué ; il a été admis en pré-
sence de têtes couronnées; et le barbier de Séville est allé à Timmor-
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64 REVUE D*ALS4GE.
talité, sans qu'une éclaboussure de ridicule se soit attachée à sa chau-
mière espagnole.
Si je ne puis admettre que sous bénéfice d'inventaire certaines parties
du roman ou du traité de H. Schaeffer , j'accorderais plus aisément
droit de bourgeoisie, dans le domaine romanesque , à d'autres chapitres
de son c homme heureux. »
La pauvre Marie, trop rudement éprouvée, tombe dans un état
mental désespérant, et la peinture de cet état m'a semblé bien exécutée ;
ce sont des scènes d'une vérité poignante, telles que la vie actuelle n'en
présente que trop souvent ; car les asiles d'aliénés se peuplent de plus
en plus , et la statistique des maladies de l'âme de notre époque , ne
parle ni en faveur du bonheur général , ni en faveur de la thèse prêchée
par M. Schœffer ; car , nous voici certes en face d'un malheur non
mérité , et qui tombe sur la tête d'une pauvre victime qui semblait
pourtant bien abritée derrière le rempart de la foi.
Le pauvre Paul Lepetit meurt aussi misérablement , quoique soutenu
par le bon petit bossu , et par sa foi inébranlable. — Mais c'est préci-
sément pour faire éclater les miracles de la foi et le bonheur d'une mort
paisible , au milieu d'une aussi cruelle épreuve , que M. Scha^fTer a cru
devoir accumuler sur la tête de son héros ces malheurs , qui auraient
poussé au désespoir tout autre que Paul Lepetit. Oh ! quant à l'intention
de l'auteur, elle n'est point douteuse pour moi ; je suis convaincu que
plus d'une âme sincèrement pieuse et chrétienne , livrée aux mêmes
tortures physiques et morales , y échapperait grâce aux mêmes secours
spirituels. Mais tous les lecteurs seront-ils gagnés par l'argumentation
de M. Schœffer à la cause de l'Evangile , et à l'image du bonheur qu'il
présente dans la personne de son barbier?... Il est permis d'en douter.
Les cris plaintifs de Job sur son fumier trouveront plus d'écho dans les
âmes douloureusement éprouvées de notre époque sceptique que les
essais de conversion tentés par des écrivains , auxquels je me plais à
rendre justice , Forsqu'il ne s'agit que de priser leur sincérité et leur
ardeur naïve. Ah ! leur dirai-je , ne recourez pas â la voie du roman ,
pour ramener à vous les âmes flottantes laissez faire l'expérience de
la vie , de la souffrance et du malheur.... laissez faire la mort ! attendez
ce moment terrible du passage vers un autre monde.... alors les âmes
seront avides de tremper leurs lèvres desséchées dans la coupe d'espé*
rance que vous leur présenterez , sans phrase , avec simple accompa-
gnement de quelques mots de l'Evangile. Louis Spagh ,
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QUELQUES MOTS
SUR LES COURS COLONGÈRKS D'ALSACE
4 PROfHM
t>ES LIVRES DE M. HANAUER SUR CETTE MVTIÉRE '.
— SuUê et fin *. ~
Si M Hanauer se montrait moins constamment afBrmatif, moins
ferroemeni disposé à formuler des oracles là où la science la plus sûre
d'elle-même oserait à peine hasarder des conjectures , on se sentirait
porté à croire que parfois il a éprouvé quelque doute intime sur la soli-
dité de ses conceptions théoriques, et un peu d'hésitation à leur main-
tenir la forme absolue sous laquelle elles s'étaient d'abord présentées à
son esprit. En effet , après avoir expressément indiqué la cour colon-
gère comme la souche unique ou du moins normale d'où seraient
sortis nos villages ; après avoir insisté sur cette proposition jusque dans
cette partie de l'œuvre (la Préface) dans laquelle les auteurs résument
et concentrent d'habitude les idées générales qui les ont dominés; après
avoir surtout affirmé celte théorie par l'explication qu'il donne de
l'exagération de ses intitulés , on dirait qu'au fur et à mesure que se
développait son étude , il s'est senti gêné par l'exiguité du cadre qu'il
s'était choisi et qu'il a éprouvé le besoin de donner un peu plus d'am-
pleur aux frêles institutions desquelles il voudrait faire sortir les Etats
modernes. L'ouvrier s'est visiblement effrayé de la disproportion de
sa propre œuvre : une cour colongère en effet si rustique , si modeste
dans son organisation , ne peut évidemment pas prétendre à une pareille
lignée , et s'il faut croire avec Pascal que de petites causes peuvent
produire de grands effets, encore n'est-ce qu'à la condition d*une coré-
' i^ Lef Paysam de VAUace au moyen-àge. 1 vol. 8".
2® Les constilutiont les campagnee de l' Alsace au nioyen^ge» i vol. 8».
^ Voir les iivRiisoii« de décembre 1865 , page 529, et Janvier 1866, («ge 5.
9'Séri0. — 41 Année. 5
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66 REVUE D'ALSACE.
lalion démontrée, soit rationneliemenl, soit expérimentalement. Or
cette démonstration où la chercher et comment Télablir ? Aussi voit-on
notre auteur secrètement en peine de trouver pour ses créations un
peu plus d'air , une atmosphère plus large , et c'est dans l'ancienne
mnrck ou marche qu'il essaye de chercher un théâtre plus digne de
porter ses nouveraîneiés villageoises ! Il y revient à deux reprises , dans
son premier et dans son second volume ; et il nous révèle ici d'une
manière palpable la cause des imperfections de son œuvre , qui semble
s'être créée par intervalle, par pièces et morceaux , au jour le jour, et
a par conséquent les allures flottantes et Tincohésion d'une conception
qui ne s'est pas d^abord bien fixée sur son point de départ et son but.
Dans le premier volume ^ sous le titre peu approprié de Biens commu^
nattx , il nous peint , pour nous donner l'idée d'une Marrk , un petit
tableau champêtre c de vergers et de jardins , au milieu desquels
c se groupent quelques chalets rustiques. Autour de ces demeures
oc s'étendaient les prés et les champs ; plus loin l'œil se reposait
<i sur un immense tapis de verdure. Au loin s'élevaient des forêts de
« chênes et de pins qui encadraient la villa de leur sombre feuil-
« lage , etc. , etc. Ces forêts et ces pâturages formaient le bien com-
€ munal , appelé en général Allmend , lorsque l^usage en était réservé
< à une seule villa , et marck lorsqu'il appartenait d'une manière indivise
« à une ou plusieurs communes. » Tout cela n'est-il pas d'une saisissante
clarté? et ne faudrait-il pas avoir l'esprit bien obtus, pour ne pas en-
trevoir, à la lumière de cette définition , une grande imtiiuihn poli'
ligue à travers l'exubérante verdure de ce riche paysage ! Acceptons
pourtant encore cette peinture comme une réhabilitation de notre
chère et belle Alsace où les Mérovingiens ne voyaient que des déserts à
Aéiricher (eremus ex(olcndus) et dans les plus riches contrées de la-
quelle, en plein xvi]« siècle, dom Ruinart signalait à'horribles soUiudcs ^,
mais
Abn saiis est ptdchra esse poëmata : dulcia sunlo.
Ne discutons pas la poésie! respectons ses caprices, d'autant que
notre auteur constate lui-même l'insuffisance de ce premier essai -^ et
que, dans son second volume, il se décide, sur la prière Ae quelques per-
' Paysans » p. 44.
• Horr endos soliiudines. La vallée de Munsier. — V. littéraire en Alsace. —
Mattkk, p. il5.
* Paysans, p. xni.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÈRES D^ALSACE. 67
ionnei \ à reprendre ab ovo Thistoire des Marches « pour réfuter Vopinion
t de gens qui n'en connaissent d'autres que celles qui se trouvaient
> sur les frontières. > Cette complaisance, à laquelle se mêlait bien aussi
le plaisir de satisfaire une humeur un peu militante , nous a valu un
chapitre composé de quatre sections , dans lequel , à propos de la
Marck, c il entre dans quelques détails historiques appuyés par
ff drs documentt nationaux, > Les personnes qui nous ont valu ce cha-
pitre supplémentaire (qu'il nous soit permis de le dire) auraient trouvé
partout l'histoire de la Marche , appuyée partout aussi des mêmes docu-
ments nationaux que notre docte abbé juge à propos de rééditer ; je ne
puis donc que lui reprocher d'avoir mis un trop grand empressement à
déférer à leur prière. En effet , cette hàlene lui a laissé le temps que de
produire un résume fort confus de la doctrine de. M. de Haurer , en lui
faisant oublier en revanche des exemples notables de Marches , qui se
sont élevées successivement à l'état de communes , Tune même à la
dignité de ville libre et impériale , entre autres la décapole de la vallée
de Saint-Grégoire , et la confédération du val de Massevaux.
Pour en revenir au mol Marck (marca; , il est certain qu*i! a eu ,
comme presque toutes les dénominations de ces temps reculés , plu-
sieurs significations diverses. D'après M. de Haurer lui-même , ce terme,
dans beaucoup de cas , signifiait frontière '. Pour un savant membre
de l'Institut de France , i) avait le sens de cité 3. En Alsace , dès le ix*
siècle , le mot lit\nn , quoiqu'il n'exprime en général que la souverai-
neté sur un territoire , est fréquemment employé dans le même sens
que 9/larck ^. Pour M. Hanauer, la Hiarck n'est plus qu'un Allmend ,
avec la traduction de bien communal.
Voyons rapidement ce que cette intrusion de la âfarck peut apporter
de lumières à la question restreinte des cours colongères.
Je me garderai bien de remonter aux « révolutions que la société
c germanique a subies comme le globe terrestre » ^ : une ascension aussi
pompeuse m'effrayerait. Je me bornerai à demander humblement en
quoi consistait cette prétendue société germanique avant et au moment
* Constitutions , p. 94.
* Bfarkgenossensehaft , p. 40-481.
* Pn. Lebas , HUt. d'Allemagne > i » p. 5*29.
* ScHCEPPiJN , DipL , I , p. 60 , 1 17 , 224. — L^mdad , Territorien , p. 1 13.
* Constitutions^ p. 95.
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68 REM'E D'ALSACE.
de i'invasioD. Si M. Hanauer le sait f xacteroenl, qu'il le dise ! il rendra
â la science un service éminent; car tous les érudîts, qui se sonl évertués
à celle étude » reconnaissent avec candeur que ces temps primiiifs sont
couverts de telles ténèbres qu'on peut tout au plus essayer de les péné-
Irer par la conjecture ou la divination *. Il est en tous cas fort douteux
que les Germains, comme l'affirme cependant notre auteur , aient jamais
formé un peuple exe-utivement nomaU et pasioral. Ce que Tacite
raconte de leur colonat , semble prouver, tout au contraire , que l'agri-
culture était pratiquée, sinon par ce peuple tout entier, au moins par un
certain nombre des races dont il se composait. H. Hanauer paraissait à cet
égard tellement disposé à admettre Topinion du grand historien romain,
qu'ainsi qu'on se le rappelle , il a formellement concédé l'existence du
colonat germanique ; d'ailleurs M de Haurer, auquel il accorde une
foi si reconnaissante et si exclusive, admets comme hort de doute, que,
bien avant tout contact avec les Romains , la Germanie présentait des
traces incontestables d'une agriculture permanente et étendue *. Mais
il me semble qu'il s'agit moins ici de conjecturer ce que pouvaient faire
les Germains lorsqu'ils étaient encore contenus chez eux , par la Umiie
romaine , que de préciser, autant que possible , ce qu'ils ont dû faire
après que leurs hordes eurent fait irruption dans les territoires occupés
d'ancienneté par l'Empire. Il est évident que ces conquérants se trou-
vèrent tout-à-coup transportés dans un milieu nouveau. En Alsace « ils
rencontrèrent des surfaces cultivées , à côté de terrains encore vierges
et incultos ; les premières ont dû , autant qu'on peut se laisser guider
par la vraisemblance , servir principalement d'assiette à ces établisse-
ments agricoles , curies, vHlœ, parmi lesquels se classent , comme une
espèce dans un genre , les cours colongères. Il n'est pas admissible , en
effet , quelque barbares qu'on puisse supposer ces rudes conquérants ,
qu'ils aient, contre leur propre intérêt , détruit les cultures de la Terre
i , tmite sur laquelle ils se ruaient , dispersé toutes ces populations
agricoles d'une condition trop infime pour les inquiéter, au travail et à
l'industrie desquelles Rome avait dû l'alimentation de ses armées , et la
possibilité même de son occupation prolongée — Les terrains incultes,
au contraire , les grands massifs de forêts ou de pâturages formaient
chez les Romains des dépendances du fisc , comme Res publicï jurls ou
* Daniels , i , p. 3i3, el le résumé des autorités.
* Eine uralte nicht Rlhnischê LandescuUur, V. Maorer , Einleitung, p 1.
DigitizQd by VjOOQIC
QUELQUES MOTS SUR LES COUPS COLONGÈRES D' ALSACE. 69
publ'tcœ. — A la suite de rinvasion , les conquérants s'asseoient par
groupes, par tribus, par clans; ces groupes, en général, se forment
par familles (ffnusgenosscnnchafften), par races (génies ei cognaiwneà)^
par relations de voisinage (propinquiiaies) >. Ces groupes obéissaient
chacun à un chef, et chacun d'eux formait une unité, qui avait sa paix
propre. La marck était un district de territoire , compris entre des limites
déterminées * sur lequel ces divers groupes s'assirent , soit simulta-
nément , soit successivement et se fixèrent pur des établissements en
général isolés ^ (Einzelhôfe), ou par quelques habitations agglomérées
(Hr»). Une ma'ck pouvait donc contenir des possessions de nature
différentes , privées ou collectives; des villa • des cours {Meyerhëfeu)^
des habitations individuelles , le tout entouré d'une lande de terres
vaines et vagues , de pâturages et de forêts auxquelles la culture n'avaij
pas encore touché. — M. Hanauer croit nécessaire de prouver , ce
qui n'a été contesté par personne , que la propriété privée existait déjà
ou plutôt encore au viir siècle ^. Mais qui a jamais songé à affirmer que
les conquérants Barbares auraient effacé jusqu'au dernier vestige les
établissements antérieurs , exterminé tous les habitauts , et violemment
occupé toutes leurs habitations et toutes leurs terres? Les lois Aléman-
nique, Ripuaire, Salique, etc. , au contraire , ne révèlent-elles pas un
partage eotre les vainqueurs et les vaincus (Long Sorg)^ par conséquent
le maintien de la population sédentaire, pour laquelle le tarif des
' Voy. sur toas ces détails qu'il m'est impossible de ilévcloppcr davantage ici les
opinions unanimes des publicistes anciens cl modernes. — Philipps , § 55. —
ZiCPFL, n, § 5, 7, — Walter , § lô. — Gengler , p. 33i. — Daniels , i, 313.
— V. SïBEL , GesehUchte Verfatsung. — Schhidt , Zeitêchrift , m , p. 593. —
Maorer , Einleitung , p. 4 - 69.
* .M. Mone soutient que les délimitations dos Marek furent celles qui avaient élé
établies par les Romains ; la direction des eaux en précisait les couâns. [Diver-
gium aquœ, Wasserseigi , Sne/lUts, -^ V. Uber die Allmenden vom {^ bis \6.
Jahrhundert, Zeitschrift , i, p. 345. Nous avons en Alsace plusieurs exemples qui
conflrmenl cette observation. La First ^ entre autres, SchnéeechmeU , Si*rvail
lie limite aux propriétés de Hurbacb entre les deux vallées de Goebwiller et de
Saint-Amarin et les pays d'outre- Vosges.
* Colunt diêcreti et diverei, ut fons ut campus ut nemus plaeuil. Vicos loeant
non in nostrum morem , connexis et cohœrentibut œdifidis ; suam quisque
domum epatio cireumdat. Tac 16. — V. Maurer , Einleitung, p. 5.
* Paysans , p. 340.
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70 REVUE D* ALSACE.
compositions stipulait d'une manière expresse? La répartition de cette
population sur le sol, la corélation entre la propriété privée et cette
espèce de domaine public /7of/a?(/, les conditions même de cette pro-
priété privée , sont encore aujourd'hui des problèmes qui sont loin d*ètre
éclaircis. Mais (et ceci rentre directement dans le sujet dont je m'oc-
cupe en ce moment) la propriété privée et aliodiale pouvait exister dans
la àfarck même. Une formule de la fin du ix« siècle décrit ainsi une
cour donnée en dot : curtim stpe ^hwiam in pago qui dicitur ita in villa
vocata ita vel ita , et in eadem marcha de arvea terra juchos C, de
pratii juchos totidem,. ,, de silvâ puoprii mei jvms juchos CL. y coni-
munem pnscuum communesqiie siLVARUM uses mancipia LX *.
Ce texte remarquable établit nettement l'existence d'une propriété libre
et privée dans l'intérieur de la marck : il qualifie en même temps , par
une antithèse sensible , le litre auquel le fonds privé jouissait des forêts
et des pâturages Allmcnd; c'est à titre d'usage , {usus)^ titre distinct du
droit sur la forêt propre annexée à la cour (xilva proprii jurif) , et ce
droit d'usage se présente déjà non pas comme un droit principal mais
comme une simple nnni xe réelle de l'immeuble ou du fonds auquel il est
attaché. Je note aussi en passant cette qualification de mancipia * ,
(esclaves) , donnée à la population de la cour. — Plusieurs formules
analogues se trouvent dans les Tradiiiunes Vizcnburgenses ; elles men-
tionnent des corps de biens y propriétés privées , situées dans des
Mat(k^. Il faut donc conclure de ces développements que la J/ai; Âc
était, comme l'enseignent du reste tous les auteurs, y compris celui
auquel M. Hanauer accorde une préférence trop marquée * , un terri-
* Atmanniêche Formeln und Briefe aus Jem IX Jahrhund. F. de Wysse ,
Zurich, p. 36.
* Mancipia , tervi homines sed non fjusdem ordinis atque conditionis — Du-
f.ANCE , b. V.
•Zelss, p. 80 82,96, iJ9, tic.
* Il rappelle le Savant dont toute V Allemagne reconnait Vautorité [Const.
p. 96.) Les travaux de ce jurisconsidte raéiitciil a rlaînemenl uue baule et légitime
considération; mais je n'oserais conlrt»sîj;i)er le diplôme un peu trop absolu que
M. Hanauer prend sur lui de lui décerner. !l suffit de suivre avec quelque assiduité
les travaux qui se succèdent d'année en année chez nos doctt s voisins sur les
Institutions du premier moyen^âge pour èlre convaincu que celle science relative
n*y est pas encore arrivée h ce point que toutes les obscurités soient considérées
comme dissi(ée5. Les affirmations catégoriques si ramili6rcs à notre savant abbé
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QUELQUES MOTS SUR LES COIRS COLO.VGÈRES D'aLSACE. 71
toire non pas indistinctement commun à toute la population qui s'était
fixée sur sa surface , mais qu il était au contraire divisé en autant de
petits territoires spéciaux qu*il y avait de villœ , de curies, d'établisse-
ments collectifs ou privés. Enfin un autre caractère du régime des
Marck , est que le droit de s'y fixer et de s'y établir , procédait exclusi-
vement de Vincolat , c'est-à-dire , de Vinsiallalion à titre permanent
sur son territoire. Cet incolat lui-même ne s'acquérait que par Vindigénal
ou parle contentement de ta population déjà établie, ou par une espèce de
prescription , équivalant à consentement tacite. Plusieurs lois font
allusion à cet ordre de faits, entre autres le chapitre 45 de la loi Salique
{de migrantibus). Il suppose un errant qui veut venir s'établir dans une
vilLi ; si les individus attachés à celle villa , et formant par conséquent
un groupe établi , veulent le recevoir , il peut être agrégé ; si un seul
contredit , il n'en aura pas le droit. Le texte règle ensuite la procédure
par mannition , c'est-à-dire par interpellation trois fois répétée à suivre
contre l'intrus récalcitrant. Si à la troisième sommation il ne se retire
pas , le cas est déféré au comte (gia/ia) qui est prié de venir sur place
et de l'expulser. Mais si l'intrus a séjourné 12 mois , le droit de rési-
dence lui est acquis au même titre qu'aux autres habitants {securus ,
siiut et aUi vicini maneat K Voilà donc la formation primitive des
groupes bien expliquée, ainsi que les conditions d'inhabitation qui
donnaient droit de résidence dans la Mank — Mais ici comme ailleurs
M. Hanauer a encore négligé de se préoccuper de deux questions prin-
cipales : à qui appartenait la propriété et la souveraineté de ces Marck ?
— Quelle était la condition des personnes formant leur population ? —
Presque toutes les Marck , connues en Alsace , procèdent soit d'an-
ciennes possessions dynastiques , soit de l'ancien fisc romain , devenu
plus tard le fucus regius des Mérovingiens ou des Carlovingiens. La
marche de Marmoutier {Marca oqitileiensix) a été donnée à celte
abbaye en pleine souveraineté, comme terre à défricher, leira de
vremo cxcolendn , par le roi Childebert , donation confirmée par le roi
Thierry IV *. La marche de Munster était un démembrement du ^scus
n'out pas encore acquis droit de cité chez ses collègues d*outre-Rhia , et M. de
Mauror, j'en suis couvaincu , sourirait à s*enteudre citer comme une espèce de
Pape scieoliûquc, dominant par son autorité les Savigny, les Moser , les Eichhorn
les Zaepfli les Mone, etc. , etc.
* Waitz, da* alte Reeht der salisehen Franken , p. 253.
* SCIICEPFLLN , DipL
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72 REîTUE D'aLSACE.
regîux Colomharîvs, Le flatgau était dès Forigine et est resté partie
intégrante du domaine royal ou impérial ; la Voginf y était un fief m-
pêrfal , porté successivement par les nobles de Lichtemberg , de Hanau
et de Darmstadt '. Wffrkth ^ aussi loin qu'on peut remonter dans
l'histoire, est sous la souveraineté des Fleckenslein ^. La Gemelnmark
de Guémar, qui formait d'ailleurs plutôt un simple pâturage ouvert à la
jouissance de plusieurs communes , qu'une véritable marck ou marche
dans le sens historique du mot , était sous la seigneurie et la juridiction
des Rappolstein. Quant à la popui tion de ces territoires , elle était évi-
demment soumise , sous le rapport de la distinction des classes , à la règle
commune de ces temps reculés. Nous venons de voir déjà que les curies
et les villœ des marck avaient leurs mancipiay leurs villani . que ces curies
et villœ appartinssent à des dynastes , ou à des souverains , ou même
allodialement à de simples propriétaires libres (freye). Les chartes qui
constatent que la population des vUlœ se vendait ou se donnait avec ces
corps d'exploitation^ abondent. M. de Rozière dans .«on précieux Recueil
général des formules , nous en a conservé plusieurs qui se rapportent
à l'Alsace ou aux pays limitrophes. Je les cite de préférence à tous
autres documents pour ne pas faire double emploi avec les textes iden-
tiques qu'on rencontre dans Schœpflin , dans Wurdtwein , dans Zeuss ,
dans Trouillat , dans Mone et même dans Maurer. La vente totale ou
môme seulement partielle d'une vHia comprend toujours la formule
cum mancipi'iB desuper commanentibus et ad eosdem mansus adspicien-
ùbus ; cum hominibus publias et tributariis in eàdem villa manetuibus 3.
La condition servile des groupes dans lesquels se rèpartissait la popu-
lation est donc incontestable. — L'exercice du droit d'usage commun
sur le fonds laissé en-dehors de la culture, forêt, pâlurage , terres
vaines et vagues , créait un intérêt commun entre les didérents centres
d'habitations qui y participaient ; de là les Marckgenossenschafien ,
dont toute l'activité et la fonction se réduisaient à régulariser , avec le
concours du seigneur, l'usage commun, à prévenir les abus, et à
veiller à ce que le fonds servant commun (Gemeinmark) ne soit pas
diminué par l'un ou l'autre des groupes participants ^. Ce qui est sur-
' SCHGEPFLIN , Âlê, ili, , i 214.
' Hànauer , Const, , p. 1 36.
* V. DE RoziÈRE, I, p. 140, 245 ei pass,
* Voy. sur lous ces détails ëichuorn , DevUseh, BeehtsgeêetUche , i, p. 14. -
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLONGÈRES D' ALSACE. 73
tout à remarquer c'est que ces Genossenschaften dans la généralité des
cas au moins, ainsi que l'indique du reste Tétymologie même * , n'ont
jamais prétendu à la propriété et encore moins à la souveraineté sur les
territoires assujettis à leur jouissance Les règlements de ['Oberheim-
geraîde, plus tard ceux des Gerdide de Landau, enfin ceux de VUffrieth
et de la grande WaUlgenossenschufi du Hohwaid et de YUngersherg
prouvent à l'évidence que ces associations n'étaient (\}i'u$agèrei *. —
Mais je dois ici terminer cette trop longue digression , et revenir à nos
cours colangères qui sont et doivent rester l'objet exclusif de notre
recherche. Tout lecteur un peu exercé se sera demandé plus d'une
fois : qu'est-ce que les villœ , les curies, les marck ont de commun avec
l'individualité si marquée des Dinghôfe ? Je n'en sais rien , et quand je
m'adresse à M. Hanauer pour avoir l'explication de cette excursion qu'il
exécute sur ce terrain complètement étranger , je ne reçois , à titre
d'éclaircissement, que des propositions comme celles-ci :
« Cette société (germanique) fut d*ubord nomade et pastorale. Ici
Q point de demeure fixe et partant point de propriété stable , point de
n culture suivie *.
f  ce premier âge succède celui des Marches. Les populations se
< (ixent par groupes ; la propriété est d*abofd commune ; la culture du
d sol se développe et fonde peu à peu la propriété particulière , à côté
i mi aux dépem de h propriété communale, i Une propriété communale
quand il n'y a pas encore de commune est assez difficile à comprendre !
Mais poursuivons :
t La troisième période est celle des cours colongères. Les grandes
« ifillas se forment par des acquisitions (de qui?) ou par des défriche-
< nents ( sur quoi ? ) ET me rendent ensuite leur territoire a la
Z.CPFL, II , p. 195. — Locw, Markgenossenschaftm. — V. Maurbr , Gesefi. der
Markverfassung in DeutscMandf p. 44 , 197 et i98. — Daniels, i . 517.
' Genou à niessm uti , firui. Schertz « Glo. h. verb.
* L'autorité de M. RéYille que M. Hanauer se borue à invoquer, dans le passage
unique qu'il consacre aux Garai'd^, est toul-à-faii conforme ^ l'opinion que nous
soutenons. — V. Réville , p. 146 , et Hanauer , Constitutions , p. 103.
' Const. , p. 95. J'ai déjà prouvé ta lausseté de cette opinion de M. Hanauer
qui est ici en contradiction manifeste avec son guide habituel M. de Uaurer. Le
climat de la Germanie ne permet pas de lui supposer , à aucune époque , une
population exclusivement nomade.
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74 REVUE u'alsace.
« CIRCULATION QU'AVEC LA HÉSERVE DU DOMAINE DIRECT. > — Je défie
(oui homme, ayant (|uelque notion de chronologie el de droit, de
trouver ou de donner un sens acceptable à ces étranges propositions !
D* abord que iM. Hanauer nous explique comment il peut , sans contre-
dire les affirmations de son premier volume , placer les cours colon-
gères , chronologiciuement , après les marches et les vHla ? n'en avait-il
pas fait la souche de toutes nos communes villageoises ? — Ensuite
existe-t-il un seul document qui permette , non pas d'assurer , mais
seulement de supposer que de semblables cour^ n'aient pas existé en
même temps que les mnrchv» ? Sur quel fondement d'ailleurs Tauteur
peut-il s'appuyer, pour faire de la villa une espèce de développement
de la COUR colo^gére? — Ces deux genres d'établissements ont tou-
jours été ortjan'uinemeni distincts. Lduoloncje avec sa division en mairsus
ou en hutb a toujours été diiférente de la lillu qui ne comportait pas
nécessairement cette divison. Pour se convaincre du défaut d'identité
enire ces deux genres d'agglomérations , il suffit de se reporter au capi-
tulaire de Charlemagne de viUis et au fameux Hè^!ement de l^abbé
Meynhart de Marmoulier ^1144) ', lequel , comme le fait observer avec
raison M. Hanauer , est cité dans tous les ouvrages qui ont traité de ces
matières. Commtnt d'ailleurs n'être pas frappé de ce contraste que
l'annexion à la mmck par la vilLi , procédait du seul fait de Yincolai ,
tandis que la cour colongère formait une aiigloméraîion dosa à tout ce
qui n'était pas hiu h, r (prt* neur) et que par conséquent l'aggrégation à
une semblable cour exigeait la lovnùon ilirecie , ou la iransmisshn
héréditaire du lien locaiif ! — Au surplus les documents historiques
démontrent pour les villas une antiquité au moins aussi reculée que
pour les Miuvk et les Dinyhôf*' , et nous sommes étonnés d'avoir à le
démontrer contre M. Hanauer , dont tout le premier tome , préface
y compris, contient le thème de VuLiquiié immémoriale de la colonge.
Nous venons de voir les villa mentionnées déjà dans la loi talique ; et
je n'ai trouvé dans les deux voluniei^ de notre auteur aucun texte , au-
cune autorité sur lesquels il puisse appuyer la priorité chronologique
qu'il attribue maintenant aux marck , lesquelles conleiiaienl des villa ,
sur les cuuts coloi'gèies qui, nous le répétons , nont rien de commun
avec ces élablissements d'une nature délcruiinée. — Ici d'ailleurs se
• SciiccpFLiN , Dipl. , I , p. 2^^. — Voy. sur l'organisation Ue la villa Réville,
q. s, p. 225.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLONGÉRES D*ALSACE. 75
redresse le vrai problème. — Ces vHla , comme le veut M. Hanauer ,
auraient-elles été la propriété coileciive des personnes qui en formaient
la population ? — Cette population formait-elle une commune , corn*
posée d'habitants et d'habitations , fundus prœdiis et personis coUtctiiM^
dont l'ensemble eût constitué dès-lors un corps moral ^ comme nous
disons nous autres légistes , un être juridique^ capab'e de possMer ? En
d'autres termes , faut-il voir dans toutes ces villa de la période fran-
cique , les Dorffgemifiude , les communautrs viUncfeoises avec le sens
que les siècles postérieurs ont altribi.é à ces dénominations ? — Ici
nous nous heurtons de nouveau à Tobjection que j'ai déjà si souvent
signalée au savant auteur ; Tobjection fondée sur la condition des
personnes. S'il parvenait à prouver que la population des marck , des
villa , des Dinghôfe était exclusivement composée d'hommes libres, je me
rangerais immédiatement à la théorie de l'indépendance originelle, du
self gouvernemeht primitif et absolu , que , comme un Paradis perdu ,
il place au seuil de la nouvelle société européenne. Mais cette preuve
est-elle possible , en présence des innombrables documents qui éta-
blissent que , dans les marck comme dans les villa , s'étaient main-
tenus la distinction des classes et avec elle l'esclavage à divers degrés ,
les maueipia , les hommes proprii , publici » tribulniii , villttni ,
hœrigen l Si cela est incontestable , comment donc attribuer à ces popu-
lations auxquelles leur état légal inféiieur interdisait jusqu'à l'accès de
la propriété libre , la propriété collective de ces marck et de ces villa !
M. tle Maurer lui-même , sur les ailes duquel M. Hanauer s'est laissé
entraîner à l'enthousiasme pour cette haute liberté des temps primitifs^
a été conduit à confesser, dans le dernier ouvrage qu'il vient de publier \
que sa théorie de villages prop^ iéiairts de leurs fonds, ne pourrait recevoir
d'application que dans le cas où le Oor/f^ la villa auraient été exclusive-
ment composés de /î6/t 5 (FreyenJ. Il appelle ce genre parliculier lesvtllœ
frunt (Bou ril'œ ingemhv. Il prétend, il est vrai aust^i, (|u*elles auraient été
irès-rèpamlues dans le principe ; peut-être même, ajoute-t-il , formaient-
elles la règle. (Je note le peut-être) « Mais, ajoute-t-ii, par la suite et les
* malheurs du temps , les propriétaires libres de ces villos libres se virot
^ forcés de se dvnve> à des églises, à da couveuis ou à d'auii t s pi otccteurs
< et reprenant tmuite. leurs biens par des traditions fti adilionesj ils oit
i( ainsi perdu leur qualité de pi opriétaires libres et de membres d'une
* Gesehichie der Dorfverfassung in Deutschland, Nuvenibre 1865, i , p. 6 et 59.
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76 REVUE D'ALSACE
f communauté libre (Freije DorffmarhgenossenJ . * On ne peut être
que frappé de ce qu'il y a d'ingénieux dans ce moyen de sauver un
système tout en le désertant. Sur le fonds obscur de Textréme moyen-
âge , on fait apparaître, mais pour un moment seulement , la figure à
peine accentuée d'une villa composée exclusivement d'hommei libres ;
puis , avant qu'on ait eu le temps de la constater , l'apparition s'éva-
nouit devant l'implacable dureté des temps ! — Est-ce là une certi-
tude que puisse accueillir la sérieuse histoire, et peut-on fonder une
théorie sur des données aussi fragiles et aussi fugitives ? — M. de
Maurer du reste , dans ses nouissima vetba , reconnaît qu'à côté de ses
villas, composées de libres, il y en avait qui étaient exclusivement
composées de Hôriyen i, ce qui suffit pour enlever au mot Gemeinde le
sens d'une commune indépendante , libre et souveraine que M. Hanauer
lui donne d'une manière absolue et sans tenir aucun compte de
la diversité des époques. Voilà pourtant tout ce que la science
la plus entreprenante est parvenue , jusqu'à nos jours , à tirer
des ténèbres de ces premiers âges de la civilisation moderne ;
cela est bien loin y on en conviendra , du large milieu de liberté
absolue, de propriété plantureuse, de sécurité presque patriarcbale
dont M. Hanauer a pris sur lui de nous exposer l'attrayant mais
fantastique tableau. — Je reviens donc à lui; je ne lui demanderai
plus de prouver que ses villa, sans distinction^ aient été et aient
pu être propriétaires et souveraines. Je voudrais seulement qu'il pût
me donner le sens de sa prodigieuse phrase : « L^s grandes villa
c ne rendent ensuite leur territoire à la circulation qu'av* c la réserve du
€ domaine direct, > J'y ai mis , je le jure, tous mes efforts , toute ma
bonne volonté ; et j'atteste en toute humilité que pour moi ce rare et
'de Maurek , Dorfverfattung , § 4 au § 6 , p. H. Cet auteur complète Taveu
que lui arrache l*évideDce des faits en ajoutant que les marches viltageoises «et-
gneuriales {Grundherrliche Dorfmarken) ont existé en lrès-^r:iud nombre dans
les provinces conquises sur les Romains ; il les qualllic de coloniœ ou de colonicm.
Il ajoute : a Les Rois , les Ducs et les Comtes possédaient également , en Aile-
n mugne , dès la plus haute antiquité (schon frùlie) , des marches vitlageoisn
M (Dorfmarken) exclusivement peuplées de sujets non-libres (Hàrijen), desquellrs
a ces souverains pouvaient disposer arbitrairement ('t desquelles ils disposèrent
« en effet ainsi » — M. Mone avait du roste d^jà démontié cette vérité incon-
testable. — Zeitschrift , vil , p. 160.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGËRES d' ALSACE. 77
malheureux emprunt que M. Hanauer a fait à la langue du droit
n'aboutit qu'à une assertion qui m'est absolument inintelligible. Le
domaine direct (dominium dtrecium) , nous l'avons déjà fait remarquer,
est ce que nous appelons le domaine tréfoncier, ou plus simplement
la directe: ce mot exprime tous les droits de maîtrise, de supé-
riorité que renferme le droit de propriété. En opposition à cette directe
et à un rang tout-à-fait subalterne , vient le domaine utile, c'est-à-dire le
simple usufruit , le simple droit aux fruits , la substance du fonds res-
tant sauve. — Fixé sur le sens universel de ces termes, chaque lecteur
se demandera : que peuvent donc être ces villa de la première
période , rendant leur territoire à la cirailation , sous la réserve du
domaine direct ? Quelle est la situation historique ou légale qui puisse
se prêter à un^si bizarre énonciation ? qu'est-ce d'abord que cette circu-
lation à laquelle le territoire serait rendu ? — La circulation en matière
d'immeubles ne peut guère s'entendre que de l'aliénation sous toutes
les formes, ventes, donations , échanges, etc Les villa que d'un
trait de plume M. Hanauer a déj:^ rendues libres, propriétaires , souve-
raines , deviendraient-elles ainsi , en outre , marchandes d^immeubles ?
Et puis cette réserve de la directe, (ce qui suppose des aliéna-
tions par censive, à titre de rente foncière , ou d'empbytéose), où notre
savant abbé en a-l-il donc rencontré la moindre trace , même dans
ces villa de Freyen dont M. de Haurer n'a pu faire qu'une espèce de
fantôme ? Commencer par vouloir faire des villa de vraies communes
libres y puis ériger les Marches en véritables biens communaux {Bona
vniversitatis) pour aboutir à une circulntion qui aurait converti la pro-
priété collective en une simple créance, c'est, il faut le dire , se donner
beaucoup de peine pour édifier un non sens qui ne peut se faire accepter
par aucun historien , qu'il soit jurisconsulte ou même simplement
amateur.
Le tort de M. Hanauer (tort très-excusable , je me hâte de le dire ,
puisqu'il a sa source dans une noble ambition) a été de ne pas avoir
été assez frappé de l'obscurité qui couvre et qui couvrira probablement
à jamais , au moins en partie , cet âge en quelque sorte rudimentaire
des premiers établissements germaniques. Toute nuit est féconde en
illusions , et c'est contre ces illusions qu'il ne s'est pas prémuni avec
assez de circonspection : il a voulu faire pénétrer courageusement la
lumière dans les ténèbres , sans s'apercevoir que son flambeau ne lui
rendait qu'une image illusoire et trompeuse. C'est une vértiable étude
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78* REVUE D'ALSACE.
embryogénique qu'il a entreprise ; mais il n'a pas assez saisi les linéa-
ments de la formation qu'il entendait observer. Dans cette masse con-
fuse , il a cru apercevoir tous les organes d'une liberté avancée , d'une
véritable souveraineté populaire , s'exerçant dans des assemblées natio-
nales ; et il n'a pas pénétré un seul instant du regard , ces deux grands
traits de la condition des personnes , divisées en classes , et de la sou-
veraineté territoriale des chefs de tribu ou des dynastes. Ces traits vont
s'accentuer dans l'âge suivant , et c'est la preuve nécessaire de leur pré-
pondérance fondan>entale dans l'âge antérieur. L'humanité pas plus que
l'homme ne se développe par saut ou par bond ; elle subit, au contraire
comme lui , une loi de formation sériaire et graduelle ; son passé se
reflète dans son présent et dans son futur , comme l'homn^e^ en croissant,
conserve en les développant les puissances organiques cachées dans son
germe. Dans le système de M. Hanauer, l'avènement du régime féodal
reste complètement inexplicable ; comment toutes ces. populations , de
races diverses, établies depuis près de cinq siècles sur un sol qui aurait été
leur propriété , jouissant de l'indépendance la plus large , s'assemblant
librement dans leurs mallux , auraient-elles du jour au lendemain subi
cette transformation inouie qui aurait violemment destitué Phomme
libre de sa liberté pour le réduire à un état de demi-servage , arraché
la propriété au possesseur pour Tattribuét* à un maître , et couvert le
pays tout entier d'un réseau de dominations sans limites comme sans
frein? L'avènement de la féodalité aurait donc été plus radicalement nova-
teur que la conquête ? la conquête pourtant était la victoire sur une domi-
nation étrangère , et ici au contraire l'asservissement des personnes, l'a-
néantissement de toute propriété , de toute liberté auraient été imposés,
tyranniquement , par des nationaux à leurs concitoyens! Une thèse , qui
conduit à de pareilles conséquences , ne se condamne-t-elle pas d'elle-
même? et la féodalité peut-elle être considérée autrement que comme
une phase du développement intime de la société Germanique , telle
qu'elle était constituée au moment de la conquête et telle qu'elle s'était
maintenue jusqu'au x« et au xi« siècle? Ce régime repose exclu-
sivement sur les deux grandes bases que lui ont préparées et conservées
les temps antérieurs ; la condition différente des personnes, (la person-
nalité du droit), un des grands traits du premier moyen-âge , et la sou-
veraineté territoriale , procédant de la propriété libre , qui va se subor-
donner elle-même dans une certaine mesure à la souveraineté supérieure
de l'Empereur et de l'Empire.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÊRES D' ALSACE. 19^
Je considère donc , coninie peu exacte , la forme dans laquelle
U. Hanauer, dans sa courte récnpitulalion chronologique, annonce
ravènempnt du régime féodal. < Enfin, dit-il ^ , arrive le triomphe de
« la souveraineté seigneuriale , ou des ciU's républicaines, La vie poli-
f tique , la puissance judiciaire sont concentrées entre les mains de
4 quelques seigneurs ou de quelques villcx, » La souveraineté seigneu-
riale , nous venons de le rappeler , résidait avant Torganisation féodale
dans la propriété Itbre ei allndinlc , ol quant aux cités républicaines
notre auteur se hasarde un peu en les rendant en quelque sorte congé-
n<?reir des seigneuries ^ auxquelles elles ont servi de contrepoids , à la
suite de luttes prolongées dont nos annales alsaciennes contiennent le
récit. L'histoire de la formation de nos grandes communes , libres et
impériales , est trop connue , pour que nous songions à allonger inuti-
lement cette étude , en suivant M. Hananer dans les développements ,
quelquefois erronnés , qu*il a jugé à propos de consacrer à ce sujet ,
entièrement étranger à cehii que , d'après Tamendement apporté par
lui-même à ses titres , il entendait traiter exclusivement. Laissant donc
de côté rhistoire des villes , je me bornerai à étudier Tinfluence du
régime féodal sur les établissements , objets directs de cette étude.
Je me suis sincèrement appliqué , en lisant Tœuvre de M. llanauer,
à découvrir les principes généraux qui doivent dominer ses convictions
historiques , et je le dis à regret , je ne suis pas parvenu à m'en faire
un résumé exact et concordant. Entièrement disposé à reconnaître avec
lui qu'il ne faut pas apporter , dans l'étude du passé , les idées ou si
l'on veut les préjugés propres à une époque postérieure , je le trouve
au seuil du régime féodal , enclin à considérer cette structure sociale
comme une véritable usurpation , dont il aurait bonne envie encore de
rejeter tout l'odieux sur les jurisconsultes et les légistes. A nos yeux , au
contraire , la féodalité a été le développement inévitable d'un mouvement
politique et social , qui a commencé dès l'invasion; elle était dans le
sens de ce mouvement , dans le courant des mœurs et des institutions
d'alors ; et , fidèle jusqu'au bout à cet esprit d'équité pour les temps an-
térieurs auquel notre auteur a fait lui-même appel , je n'hésite pas à
croire qu'à son début ce régime n'a pas été , pour les contem-
porains , ce qu'il nous paraît aujourd'hui , à nouS; enfants d'une civili-
sation plus avancée. On s'exagère souvent les souffrances du passé, parce
* Constitutions , p. 95.
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80 REVUE D* ALSACE.
que Ton se représente ce qu'on souffrirait soi-même dans de pareilles
conditions. — On peut aussi arriver, à Tinverse, à se faire de ce passée une
image séduisante et digne de regrets , en isolant certains détails pour
les mettre en opposition avec les sentiments et les habitudes du temps
où Ton vit ; méthode fausse, dans Tune et l'autre direction, et qui
conduit à condamner ou à glorifier le passé , en vertu d'idées , d'aspi-
rations , de principes que ce passé n'a pas eus et n'a pas pu avoir.
Au surplus la féodalité n'a pas eu besoin de légistes pour arriver à la
vie, et, pour rendre justice à qui elle est due, reconnaissons que, de toutes
les puissances qui ont concouru à tirer une organisation du chaos des in-
vasions, aucune n'a déployé plus d'énergique activité que l'Eglise. Est-il
besoin de rappeler ici le zèle qu'elle mit à inoculer à ces conquérants bar-
bares, en même temps que la foi religieuse , le latinisme des formes poli-
tiques ; son ardeur à susciter des dominateurs et à constituer une autorité
au milieu de ces secousses désordonnées ! qui peut avoir oublié l'influence
sacerdotale qui s'agita autour des premiers rois de Bourgogne , les plus
débonnaires des Germains conquérants ? N'est-ce pas l'Eglise qui fit
apporter, par les anges, la Sainte- Ampoule , pour oindre le front encore
si barbare de Clovis ? n'est-ce pas elle qui couronna et sacra Pépin-le-
Bref ; qui exhuma , pour en ceindre la tête glorieuse de Charlemagne ,
cette couronne de l'empire d'Occident , que, quelques siècles plus tard ,
le pieux mais avisé Rodolphe de Habsbourg refusait d'aller chercher
à Rome , en récitant à ses preux la fable de l'antre du lion ^ ? En échange
de cette influence d'une force, alors irrésistible, qu'ils mettaient au ser-
vice de la civilisation se dégageant péniblement du sein d'un cata-
clysme , le clergé et les ordres monastiques conquirent un rang pré-
pondérant dans l'ordre social nouveau , et des domaines immenses dans
le partage des débris de l'ancien Empire romain. Ce serait perdre son
temps et abuser de la patience du lecteur que de rappeler ici , ne fût-ce
que sommairement, les vastes concessions Mérovingiennes et Carlovin-
giennes dont furent successivement dotés les évèchés et les ordres mo-
nastiques de l'Alsace. Il faudrait vouloir fermer obstinément les yeux à
l'évidence pour se refuser à reconnaître l'influence dominante qu'a
exercée l'Eglise dans la constitution des pouvoirs nouveaux , qui , après
l'invasion , se substituèrent soit aux anciens chefs nationaux , soit aux
' KcLMGSBOVEN, EUott, ChronUk. Ed. Schelt. p. il 9.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLOMGÈIiES D'aLSACE. 81
gouYerneurs Romains. Ce sérail même s'exposer à se montrer ingrat
envers les services signalés qu'elle a rendus à Thumanité dans ces temps
si profondément troublés. Aussi les historiens de toutes les écoles ,
orthodoxes et hétérodoxes , sont-ils aujourd'hui unanimes à lui rendre
cette justice , qu'à elle principalement la civilisation moderne doit ses ori-
gines et sa culture. Sa puissante impulsion, sa savante initiation, sa persé-
vérance , ont peu à peu dominé et transformé la Barbarie envahissante ;
l'ont pénétrée des lumières qui avaient brillé en des temps plus cléments,
ei préparé ainsi y selon la parole de l'Evangile, an vin nouveau qui
fermentait , le vase nouveau qui devait le contenir et le purifier.
Mais précisément par ce qu'on ne peut nier la part active qui appar-
tient au clergé et aux ordres monastiques dans la construction politique
de la société nouvelle , il est impossible de supposer que comme pro-
priétaires , que comme souverains temporels , ils se soient soustraits
aux mœurs et aux habitudes sociales du temps , et qu'ils aient adopté ,
pour le gouvernement de leurs vastes domaines , des conditions autres
que celles qui régissaient alors la propriété en général. Ils s'associèrent
au contraire pleinement au système féodal , et à cet égard , toute dé-
monstration ne serait-elle pas , à juste titre , considérée comme super-
flue ? qui ignore la haute position politique qu'occupaient jadis nos
évèques de Strasbourg , et les vingt-quatre comtes de leur chapitre ;
leurs démêlés incessants avec la ville et les seigneuries ; le combat de
Hausbergen y si vivement raconté par nos chroniques ; les excommuni-
cations pour causes purement civiles fulminées à coups redoublés contre
les populations ; les avoués nobles au service de tous les monastères ;
les vingt-quatre chevaliers et écuyers , vassaux de Marmoutier ^ ; Mur-
bach vendant aux Habsbourg ses cours colongères de Lucerne et préparant
ainsi la situation qui se dénoua à Sempach \ etc* , etc. Mais à quoi bon
prolonger ces exemples ? l'immixtion intime du clergé dans la féodalité
* Hanauer » CoMt, , p. 70.
' Kopp, H, p. 169 et 187. Les documcnls de celte vente prouvent que non
seulement les cours colongères , mais totu Us habitants étaient la propriété de
Tabbaje : « Leute und Gut sind des Gotleshauses Luxem EIoEN , und Zmng und
Bann. » La vente du 20 septembre 1277 porte également : « Den Hof Luzet-n
dis Stadt und die Besitzungen dassêlbst , mit den Bôfen (les noms des IS colonges]
mU alUm Zugehifr , mit den Leuten mit zwingen und bënnen, allen JEm-
l«m, mit voiler Vogtey mit Forsten und Waldungm , gebautem und unge-
bautem Srdreieh , Wunn und Weide^ etc. , etc. »
^ Séria. - il* hjaéê. ^
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88 Myvr. d'alsac^.
n'est évidemment pas coniKfstable. Ce qui i^e l'est pas dàtàntage , c'est
que l'Eglise , cait)m« propriétaire , jotilssail d'un droit pàHiculier dont
les dispositions étaient en général plus rigoureuses que celles du droit
commun laïque. Nous avons déjà ra>ppelé plûs haut qu'elle prétendait
n'user que du droit Romain , uiitw'fatê UomaM. En vettti de cette pré-
tention y l'on voit au w siècle encore un évéque vendre lès serfs de son
Eglise , absolument dômme cela se pratiquait dans l'ancienne Rome
payenne. Ce Tait donna lieu à un conflit mémorable entre la puissance civile
et la souveraineté ecclésiastique. L'empereur Conrad -le-Sàliqtte cassa là
vente ' . c H nous a été rapporté, porte l'Edit, que \H serfs de la saintes Eglise
c de Verden ont été vendus jusqu'ici comme un vil bétail (c(*ii bruia ani-
(( maita). Nous avons appris cet usage criminel avec étonnéhieht , et
« nous l'exécrons comme une chose détestable à Dieu et âut hommes...
H Nous pensons qu'aux termes de la loi canonique tes terres et lès terfg
a de V Eglise ne peuvent jamais être échangés sous d'autres roHdUions
(i tfue terres pour terres , serfs pour serfs , et de mamère que V échange
a soit toujours avantageux ou du moins n'offre pas de désavanîAge â
a C Eglise, En conséquence nous défendons par notre autorité impériale
6 de suivre à l'avenir un usage si opposé aux traditions des ^aints
(( Pères » Saint Rémy déjà, dans son testament, disposait de 89
colons qu'il dénommait, indépendamment , comme il le dit lui-même, de
ceux qui n'y sont pas mentionnés 2. — L'Bgfee , comme bailleur à litre
temporaire ou perpétuel , avait encore un droit privilégié ; la commise
vis-à-vis d'elle était de rigueur , et s'enco«irait par le seul fait de l'accu-
mulation de deux canons ; tandis que pour la propriété laïque, il fallait
trois échéances , et en outre one mise en demeure. En matière emphy-
téotique , le bien ecclésiastique tombait également en commise , em cas
de mauvaise culture de la part du preneur, ce qui n^avait pas lieu en
matière laïque ^. L'Eglise jouissait en outre du j^rivilège de Timpres-
criptibilité pour le fonds de ses propriétés et de la prescription qua-
dragénaire pour ses rentes et revenus. — Le imôde de recouvrement ^
* V. Pebtz . IV, p. 28.
' Flodoard , Hist, 28. — Je pourrais diu^lJpAîer ces exenpies. V. Ghéhaki» ,
Cartutaire du Saint- Père de Chartres, — Fleort , But, eecUsiaèt. , x , p» 32.
- LEnuËROU , q, 9up, , p. S05. — Voy. aussi rinléfessant cbapHré de H. HaMUér,
sur les affrancbisseinenia. Paysans , p. 119.
* Arrêts de Colmar , m , p. 5ii.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLONGÈRES d'aLSACE. 83
de ses redevances , de celles même qui n'étaient pas décimales , était
souvent excessivement rigoureux. Pour en revenir à nos colonges qui ,
d'aprësnotreauteur, doivent avoirjoui d'un régimesidouXy sous la houlette
pastorale, on voit que pour la perception des fermages, on y autorisait
dans ceriains lieux la torture jusqu'au saug i ; ailleurs, après avoir épuisé
la voie des gamitairet ^ , c'est-à-dire , après avoir mis toutes les provi-
tions du pauvre colonger à la merci de l'abbé et de ses 30 chevaux
pendant trois jours; puis, en cas d'insuffisance, après avoir autorisé
que le feu fut mis à tout ce qui se trouvait entre les quatre murs de sa
cabane , la charte nmi octroyée voulait en outre que le malheureux
rustaud réfractaire fût dénoncé à révêque , pour que celui-ci Vexrom-
iituntàî 3. Sur toute celte atroce exécution , M. Hanauer ne trouve rien
d'autre à dire , qu'à remarquer avec une étonnante placidité que c'est
un cas où la religion atteint l'homme quand le feu et les garnisaires
ont anéanti ses biens t — La religion en semblable compagnie ! à la
suite de l'incendiaire ei du dévastateur ! Une pareille profanation ne
blesse-t-elle pas le sens moral , même le moins susceptible ?
Cette ponctualité rigide , cette commise de plein droit , ces voies d'exé-
cution épouvantables faisaient aux locataires de l'Eglise une condition
particulièrement lourde et pénible. Aussi quel «/oritiemew/ n'éprouve-t-on
paS) lorsque dans une autre partie de la même production, à laquelle nous
venons d'emprunter ces derniers et odieux détails , on tombe sur un
chapitre intitulé : c Forme pleine de douceur pour la perception des
IMPÔTS S> et qu'on y lit des lignes comme celles-ci : c Les formes raides
c du fisc moderne sont si éloignées des habitudes de bonhomie qui entou^
€ raient chez nos pères la perception des impôts qu*on a peine à comprendre
« aujourd'hui ces anciennes coutumes / i — Il faut avouer que c'est là
un regret bien placé , et ce qu'on a peine à comprendre c'est que de
bonne foi on se laisse égarer à ce degré d'injustice. Sans doute notre fisc
a encore des garnisaires , et je ne veux pas le faire paraître plus aimable
qu'il n'est en réalité : mais , grâces à Dieu, il n'a plus à son service les
* V. Règlement coUmger de HugesgerUte. Mai 1279. - ap. ScHMrDX , q. sup. ,
p. 387. — Spach, Bulletin , iv , p. 172.
' Hanauer , Const, , p. 171.
' Yoy. Golonge de Honau , Const. , p, 175. Voy. aussi Saalbach de Rosbeîm ,
Cùiist, , p. 268.
' Paysans , p. 242.
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84 REVUE D'iLLSACE.
30 chevaux d*uD abbé . le feu de la terre et les foudres du ciel. — Il faut
ajouter, pour compléter le tableau , qu'outre ses prestations foncières
et censitiques , le colonger d'Eglise ou d abbaye avait à subir , presque
toujours , la perception de la dixme qui frappait non seulement sur le
produit de la terre , mais encore sur le croît des animaux , sur le vin ,
l'huile, etc. Tous nos publicistes , depuis les temps les plus anciens, sont
unanimes à constater que cet impôt était le plus onéreux de tous. Notre
auteur lui*même , sans s'associer entièrement â ce témoignage uni-
versel , reconnaît néanmoins que la dîme était devenue odieuse , moins ,
ajoute-t-il, à cause de son importance même i, qu'à raison de la manière
dont on la percevait , ei des entraves dont elle fut la cause , soit pour la
culture des champs , soit pour la rentrée des récoltes *. Le paysan qui
avait à subir toutes ces charges accumulées , cens , corvées , rentes ,
laudéme , mortuaire , dixme , ne s'y trompait pas ; un de ces proverbes,
qu'on appelle, quelquefois avec raison, la sagesse des nations^ résumait,
dans sa brièveté énergique , l'aménité et la bonhomie de sa situation :
Je nâher dem Kloster , je armer der Bauer 3. (Plus le paysan est près
ilu couvent, plus il est pauvre). Les commentateurs (les proverbes
mômes , comme on sait , n'en manquent pas) attribuent l'origine de cet
adage non seulement à la pesanteur des prestations en elles-mêmes mais
aussi à l'avidité des ministérinux , employés par les abbayes , et comme
un proverbe en engendre un autre, on explique le premier par celui-ci:
Amtleute geben dem Herm ein Ey
Und nehmen dem Bauem swey,
(Les minislériaux donnent au seigneur un œuf, et en prennent deux aux
paysans).
Mais nous n'avons pas à creuser davantage les causes apparentes ou
secrètes de ces doléances populaires contre la rigueur que TEglise
{apportait dans la gestion de ses domaines ; quand il ne faudrait chercher
ces causes que dans l'âpre rapacité des agents qu'elle employait, la
vérité historique, que nous rappelons ici en passant , n'en resterait pas
* Un impôt enlevant au mninsle 10* de la valeur imposée , parait et a toujours
paru important à tous les économistes.
' Paysans , pag. 269.
' Deutsche Beehts Spriehwœrter, — Cette collection a été publiée par It Ck>m-
misslon historique de rAcadémie des sciences de Munich. i86i. — Voy. pour le
texte , p. 52, et pour les commentaires, p. 56.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÈRES D*ALSACE. 85
moins établie. L'Eglise , comme puissance temporelle , a eu sa large
part dans la constitution et dans l'exercice du pouvoir féodal ; et la loi
particulière qu'elle conservait dans ses rapports avec ses sujets, loin de
constituer une dérogation débonnaire à la législation laïque , armait au
contraire ses propres minisiériaux , de moyens coêrcitifs inconnus en
droit commun. Dans cette période féodale , la noblesse , le clergé , et
plus tard les villes libres et impériales exercent et développent leur
domination dans la mesure qu'autorisaient les lois et les coutumes ; la
condition du sujet était à peu près partout , et vis-à-vis de tous les
pouvoirs, subalterne et dépourvue de garantie. Les classes rurales
restèrent donc taillables et corvéables ; les villages étaient considérés
comme une propriété hommes et terres ; on procédait quelquefois vis-
à-vis d'eux par voie de démolition , comme Colmar l'a fait pour Dein-
heim ^ Les affranchissements profitaient principalement aux serfs,
{servi , servîtes) ; mais ils n'en faisaient pas des hommes libres ; seule-
ment , ils les faisaient monter dans la classe des Hôrigen * , (iiberfi)
qui restaient toujours soumis au cens ou au mortuaire. Le Bôrige pou-
vait incontestablement posséder: mais ce qu^il possédait était sujet au
cens , et en outre à la commise <>u au retrait ; le sol même sur lequel
se construisait son habitation , devait le Bodenxïns ; il suffit d'ouvrir
les anciens terriers de nos villages pour y découvrir la preuve , que
presque toutes les construglions payaient rente pour le sol qu'elles
couvraient. Toutefois on ne saurait se refuser à reconnaître que le
régime féodal a été, comparativement aux temps antérieurs, plutôt
favorable que contraire à l'amélioration générale de la condition des
classes rurales. Le seigneur avait intérêt à attirer sur ses domaines des
populations qui pussent les faire valoir , et lui créer en produits , en
impôts, en corvées et même en service militaire, des ressources qui
lui permissent de tenir son rang , et de proléger sa sécurité. Au milieu
de ces guerres privées incessantes, de seigneurie à seigneurie, de ville
à ville, d'évêque à évèque, il importait à chaque dynaste d'avoir sous
sa main des moyens d'attaque et de défense ; aussi voit-on pendant cette
période nos villages s'entourer de murailles , quelques-uns même se
signaler par des actions d'éclat, Ëguisheim entre autres, en 1^98,
< SCHGEPFLM , AU, iU. , S 110.
* Voy. la ihéorie sur les affrancblssemeDls proposée par M. Hanauer* Paytanf^
pag. 118.
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86 REVUE D* ALSACE.
contre Adolphe de Nassau ; Dambach , en 1444, par sa défense contre
les Armagnacs , qui faillit enlever à la France son dauphin qui devint
Louis XI. — Hais ces brillants exploits ne changèrent pas les bases de
la subordination hiérarchique des classes ; le Baiicrnsland (la classe des
paysans) demeura en général dans les liens de son vasselage primitif.
Quant au pouvoir juridictionnel , M. Hanauer reconnaît lui-même que
ses idées sur la justice populaire et souveraine ne peuvent se concilier
avec les prérogatives si absolues et si parfaitement établies des justices
seigneuriales. Sur ce point nous le trouvons d'accord avec nous , et ,
dès-lors, nous insisterions inutilement à le démontrer. Seulement nous
chercherons dans un titre dont lui-même produit une version , une
transition pour arriver aux dernières observations que nous croyons
encore avoir à lui soumettre. Nous voulons parler du procès-verbal d'une
séance colongère^ datée du 2 mai 1575 ^ En exprimant le regret que
ce document ne soit produit qu'en une traduction , où Ton qualifie le
Dinggerichi àejury souverain (ce qui est un peu trop fort de ton) , nous
ferons remarquer que conformément à ce que nous avons déjà dit ail-
leurs, il prouve que le Dinggerichi ne s'y montre occupé que de cas
colongers proprement dits , tels que Tadoption d'un terrier , la vente
d'une tenure, le règlement des frais d'une audience. Ce n'est donc
évidemment que, comme juridiction spéciale, et tout-à-fait privée, que
je Dinggerichi a pu subsister sous le régime féodal, dont la règle fon-
damentale , de l'aveu de M. Hanauer lui-même ^ était la concentration
de toute juridiction dans la main du seigneur. — Je ne m'arrêterai pas
à un autre document qu'il intitule : Affranchissement (Tune cour * ,
quoique cet intitulé même crée , contre le système principal de l'auteur,
une objection que tout lecteur entrevoit. Si en effet une cour colongère
a eu besoin d'être affranchie , cela ne démonlrerait-il pas que c'est
erronément que notre auteur a voulu faire de ces cours , des commu-
nautés villageoises d'origine et par elles-mêmes libres el souveraines !
L'exception ici confirmerait donc la règle générale que j'oppose à
son système; mais il suffît de lire ce titre pour se convaincre que la
teneur ne répond pas à l'enseigne qu'on lui a donnée et ce serait abuser
de la dialectique que de chercher un argument dans un document qui
n'a pas la portée que lui attribue un intitulé incorrect.
' Paysans , p. 543.
' GVst un diplôme de l^évèque de Strasbourg da 25 nov. 1367. Paysans^ |). 349.
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QUELQUES MOTS SUR LES C0UIV5 COLO.NGÉRES D*ÂLSAGE. 87
Le gouverneinent Téodal n*a apporté légalem^olauew changement au
régime des cpurs calongères ; elles sont restées ce qu'elles étaient avant
son avèoemeoit , dans leur constitution propre. On pe peut citer aucun
acte d'un seigneur quelconque qui au,raiil législativement introduit des
innovations dans la condition générale de ces établisseioeats. Mais, comme
toute chose humaine , ils n'échappèrent pas à l'action du tempa , ni à la
désuétude qu'entraîne pour toutes les institutions le changement des
mœurs et des hal)iludes sociales. Â mesur$ quelea conditions de la vie
des (ainilles uobles se dé^veloppèrent , certains usages , conformes h la
rudessje auté;:ieure , se virent démodés de plus en plus , powr finir par
tornber dans un éternel oubli. Le seigneur , l'abbé des xv« et xyi^ siècle
ne devaient plus se soucier de ces promenades annuelles à accomplir dans
une ferme éloignée, ni de s'asseoir à ces banquets d'un n^nu si rustique el
où la tenue des convives devait bjesser leurs goûts plus raffinés t, ni de
profiter de ce gîte et de cette héberge, réglés avec une si stricte économie.
Aussi préférèrent -ils convertir ces droits en uu supplément de rede-
van/ces , conversion qui fut consentie de l'aveu même de M. Hanauer ,
ainsi que nous l'avonç déjà dit. Mais avec ves visites annuelles disparut
aussi cette surveillance vigilante du maître, qui , s'babituant peu à peu
à ne considérer sa terre colongère que comme une source de revenus
fixes , se contenta de recevoir chaque ^nnée ce revenu , sans plus s'oc-
cuper de savoir si les manses conservaient leur contenance , et si les
tenures restaient dans leurs limites. M. Hanauer reconnaît lui-même,
en plusieurs endroits , q^ue ces tenures §e démembrèrent et se confon-
dirent peu à peu. — Pour la perceplion du canon, ou du revenu annuel,
on renonça à cette cérémonie gênante , qui forçait les tenanciers à venir
processionnellement à jour déterminé , apporter chacun sa dette , avec
l'attrait d'un repas qui devait stimuler leur exactitude. Dès le xv« siècle
la porterie {Tràgerey) fut généralement substituée à la prestation indi-
viduelle, et le collecteur {Trarjcr) * percevait de chaque cultivateur sa
part de canon , qu'il portait ensuite à la caisse d'un seigneur , trop heu-
reux de n'avoir plus à se noyer dans les minutieux détails de chacune
des tenures comprises dstns la location collective.
Nous arrivons enfin à la dernière période de l'existence des cours
colongères. Atteintes déjà par FinOexible loi du temps , dans plusieurs
' Yoy. le poème de Grobianus el Grobiana. Dt ai\tiq, morum simplicitate.
* BURCKHARDT, p. l5 et 16.
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88 REVUE D* ALSACE.
de leurs attributs originels, ces établissements ruraux vont profiter
du mouvement général que la science du droit tend de plus en plus
à provoquer dans les idées et dans les institutions. Il faudrait vouloir
nier Tévidence, pour ne pas être frappé du libéralisme progressif
que la jurisprudence déploya en faveur des classes labopeuses de
la campagne. S'il y a eu des légistes, disposés à mettre Uun gloses
et leurs commeniahes ' au service des puissants du jour , on conviendra
que ce sont là de ces complaisances qui ne sont pas particulières à cet
ordre de savants, et Ton m'en voudrait avec raison , si, pour repousser
une incrimination aussi injustifiable , je rappelais ici les canonistes et les
théologiens qui se sont faits les adulateurs des pouvoirs les plus cou-
pables , et les apôtres de l'absolutisme le plus révoltant. Il suffit à la
gloire de la jurisprudence, que ses plus grands comme ses plus
illustres interprêtes aient , dans les temps les plus périlleux , proclamé
el défendu les principes de l'éternelle justice contre les oligarchies
intéressées à les outrager et à les méconnaître. — Pour ne pas sortir de
notre Alsace, je résumerai rapidement les doctrines principales qui ont
préparé chez nous l'émancipation des classes rurales. — La première
attaque fut dirigée contre l'impôt de mutation, le Laudème; cet impôt
dont la consistance était entièrement arbitraire, et qui par conséquent
pesait lourdement sur ceux qu'il atteignait , avait été étendu à toutes
les possessions des seigneurs et du clergé , lors même que les baux per-
pétuels n'en stipulaient pas l'obligation. En 1322 l'on posa au Sénat
de Strasbourg , la question de savoir : si cet impôt était réellement
universel , et s^il était exigible , même dans le silence des contrats.
Les jurisconsultes appuyaient la négative sur le droit romain, et en outre
sur le lehnrecht allemand ; elle fut décrétée par une constitution {lex
argentinensii) dont la naïve clarté pourrait servir d'exemple à des
législateurs plus modernes : < si les lettres de concession , stipulent
« le landème , le landème doit être payé ; si elles ne le stipulent pas, il
<r ne peut être exigé ' ! :» La suppression du landème consuétudinaire ,
(cela n'a pas besoin d'être démontré) apportait au domaine utile, déjà
acquis au preneur perpétuel , un complément considérable en dimi-
' Constitutions , p. 108.
* An wekhen Briefen Ersckatx stât , da sol man Ersckatz gsben ; who absr
Erschatt nit an Briefen stàt , da sol man auch keinen Erschats geben, — Gambs,
de Bonis Laudemialibus , 1690, p. 26.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÉRES D*ALSACE. 89
nuant les prérogatives de la directe , et en racilitant les aliénations. ^
A cette première conquête en succéda une autre : affranchi du landèroe»
là où il n*était pas expressément stipulé et fixé par les lettris de con-
cessions , le paysan cessa d*étre aussi strictement attaché à la glèbe ;
pouvant aliéner sa tenure , à la seule condition que le successeur qu'il
se serait choisi , tomberait lui-même sous la directe, et continuerait
le service de la rente qui en était la représentation , il devenait plus
libre d'émigrer et de s'établir ailleurs. Les statuts de villes libres et
impériales , inspirés par les jurisconsultes , favorisèrent partout cette
lente émancipation. — Un troisième résultat était à obtenir, pour élargir
Tassiette de la propriété privée et individuelle. La féodalité , comme on
le sait y avait posé la règle : Nulle terre $ans ieigneur. Elle en déduisait
non-seulement le droit à la souveraineté de tout le territoire formant
le fief, mais une véritable présomption de propriété qui s'étendait à
tous les biens compris dans son périmètre, sans que la possession privée,
quelque fût son litre, put s'y soustraire. Cette formule entraînait donc
Tattribution au domaine des seigneurs, non-seulement des biens
appelés vacants , des confiscatiom, et des choses sans maître (res nuUiu»)
mais encore des possessions privées qui ne reposaient pas sur un titre
exprès. — Nos anciens jurisconsultes , revendiquèrent pour l'Alsace ,
le principe contraire: nul seigneur, sans titre S et ils fondèrent
leur revendication sur l'allodialité originelle de la majeure partie des
terres dynastiques de la province , allodialilé démontrée par le nombre
considérable de fiefs oblats qu'y révèle l'histoire. Le triomphe de leur
doctrine , amena pour conséquence le respect des possessions privées
lors même qu'elles n'étaient pas fondées sur un titre positif, et tout
détenteur censitique se trouva ainsi protégé vis-à-vis du seigneur terri-
torial , contre tout déguerpissement réclamé au seul titre de l'enclave ,
et sans la production d'un litre écrit établissant une simple location tem-
poraire. — Ce résultat en amena un autre , et ici nous nous arrêterons
un instant à exposer les éléments de ce droit foncier particulier , connu
dans notre province sous le nom de Sthauffelrcchi fjus palus , le droit
de la bêche). Les jurisconsultes du xvi* et du xvii* siècle, préoc-
cupés de ce fait universel au moyen-âge , du démembrement de la pro-
priété en domaine direct et en domaine utile , en cherchèrent d'abord
* Knichen, de sublimitate territorii. — Menoch , de prasunuion, — Jurisprud,
(Mss ) da Conseil souverain et de la Goar du ressort. (Révillb , g. «. « p. 105).
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90 REVUE d'alsace
la justification dans les dispositions de la loi romaine concernant le
droii siiperficiahe ; mais beaucoup d'entr'eux , en interprétant quelques
phrasQS de César et de T^cit^ , pensèrent que le contrai censitique , c'est-
à-dire ^ l'abandon à titre perpétue) de l'usage J^une terre , moyen/iant
un cens fixe et invariable, était particulièrement conforme aux anciennes
traditions germaniques. Celte théorie que je me borne à exposer, mais
dont je ne prends pas sur moi de garantir l'exactitude historique, avail
au moins l'avantage de s'accorder avec l'état de la propriété rurale au
moyen-âge , propriété qui se trouvait entre les mains d'une classe nom-
breuse , qui la faisait valoir par son labeur , et qui depuis des siècles
ne payait, en échange de sa possession , qu'une redevance fixe et uni-
forme , indépendante d'ailleurs des autres charges personnelles , telles
que les corvées à l'égard desquelles le seigneur avait un titre légitime
dans sa souveraineté même. De la théorie à la conséquence , le pas
était facile. •— Les paysans , dans les doléances qui devancèrent l'explo-
sion tragique de 1525, avaient réclamé la pleine propriété des terros
qu'ils avaient fertilisées , sous prétexte que leur travail , continué
pendant des générations , avait $ubslUué au fonds primitif un fonds
nouveau , fruit Je la culture ; ils l'appelaient besscrung (amélioration) ,
Un n;iot grec vient de suite au secours de cette idée ; ce capital fictif pro-
duit par le travail prolongé s'appela Emponema ^ et la prétention ,
Jus Ëmponematum, C'est, comme on le voit, une curieuse édition de ce
droit du travail qu'on a vu si souvent, avant comme depuis , apparaître
dans les crises sociales. Malgré leur cruelle défaite , les paysans n'en
persistèrent pas moins, dans plusieurs parties de la province, à continuer
à vendre sous prétexte de nieltoratiOf les biens qu'ils possédaient,
sans s'enquérir du consentement de leurs seigneurs ^ et sans faire de
distinction entre ceux qu'ils possédaient à titre perpétuel y et ceux qu'il:»
ne détenaient que comme fermiers temporaires. Le Sénat de Strasbourg
s'émuC de cet état de choses , qu'il considérait comme un abus , et par
un premier décret du 11 juillet 1604 , il interdit ces ventes , sous peine
de retrait des biens ainsi vendus et même de châtiments corporels.
Cette décision ne remédia pas, à ce qu'il paraît, à la situation: nous
voyons en effet , dans le courant du xvii« siècle, plusieurs décrets sein-
' Voyez sur les détails de ce droit curieux , G. Bitsch , de jure Emponematum ,
ap. ScHiLTER , Codex juris Aletnan, Strasbourg, 1698. — El l'analyse subslan-
Uelle qui se trouve dans Tairêt Ue la Cour , 1*' avril 1846.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLONGËRES D*ALSAGE. 91
blables se succéder. La doctrioe finil pourtant par se fixer en se fondant
sur les deux principes suivants : le locataire temporaire celui dont la
possession n*a pris son origine que dam un bail écrit , ne peut en aucun
cas , quelque soit la durée de sa possession , (à moins qu'il n'y ait e,u
interversion dans son titre) aliéner d'une manière quelcoaque les
immeubles qu'il détient. Le locataire à titre perpétuel au contraire ,
investi par conséquent dès le principe du domaine utile que Teflet de ce
bail est de transmettre , pouvait aliéner ce domaine utile , à charge bien
entendu pour le successeur qu'il se sera choisi d'accomplir vis-à-vis de
la directe toutes les obligations dont était tenu l'héritage.
Dan% le cas où ni de part ni d'autre , n'était produit soit un bail
simple, soit un bail héréditaire écrit, le (enancier qui justifiait d'une
possession prolongée pendant 30 ou 40 ans , accompagnée de la presta-
tion pendant cç temps d'un canon uniforme , était présumé de droit
détenteur à titre héréditaire du domaine utile c'est-à-dire d'un véri-
table droit réel sur la lenure. C'est le droit dérivant de cette situation ,
en quelque sorte tacite, qui se nommule Schauffelrecht.
Est-il besoin d'insister pour faire ressortir le changement immense que
cette doctrine apportait à la situation des classes rurales^ dans nos
contrées? il suffit d'être un peu initié aux annales de noire passé , pour
se représenter ce qu'a pu y être le sort de l'agriculture, au milieu de ces
guerres incessantes , de seigneur à seigneur, de ville à ville, de ces bou-
leversements en quelque sorte périodiques qui venaient effacer les limites,
détruire les habitations , désorganiser les grandes exploitations. Sans
remonter aux invasions des Hongrois, aux guerres des Routiers, des
Bourguignons , des Armagnacs , aux invasions Lorraines , Françaises
et Suédoises nous nous bornerons au témoignage de notre premier
grand corps judiciaire qui atteste que < de 1637 à 1648, on trouvait
c à peine des villages habités entre Bàle et Strasbourg *. j» Aussi
qu'arriva-t-il? — Lorsqu'après les tourmentes , les paysans qui avaient
fui revinrent vers leurs anciennes habitations^ ils se remirent en posses-
sion des biens qu'ils avaient précédemment cultivés et cette reprise de
possession , après une interruption plus ou moins prolongée, se fit
en général au hasard, et sans ordre. Les seigneurs qui voyaient
avec plaisir le retour des cultivateurs sur des terres depuis trop long-
' Arrêts notables du Conssil souverain d* Alsace , 1 1 p. 339. — Ordonnances
dAlsace^ i . p. 19 et 149. — Révule , q, sup. , p. 239.
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92 REVrE d' ALSACE.
temps improductives , se prêtèrent à cette occupation fortuite et désor-
donnée ; mais après que de longues années de paix et de tranquillité
eurent succédé au désastre et consolidé la reprise de la culture , ils
cherchèrent eux aussi, à rétablir les cadres de leurs anciens terriers , et i
obtenir , par des renouvellements, te rétablissement de Tancien sytème
de location. C'est alors que les paysans leur opposèrent le Srhavffelrecht
et la jurisprudence, constamment suivie par le Conseil souverain
pendant tout le cours du xviii« siècle , fit droit à leur prétention. Le
système colonger même que M. Hanauer s'est complu à dépeindre comme
particulièrement agréable à nos classes rurales, fut déserté paf elles,
au profit du titre nouveau que sanctionnait la jurisprudence. J'en citerai
un seul exemple. L'abbaye de Saint-Etienne possédait jadis sur les terri-
toires de Bofltzheim et de Widernheim une cour colongère considérable ;
d'autres seigneurs y détenaient dix-huit autres corps de biens également
exploités en colonges , au moins partiellement. Des livres terriers , et
des renouvellements réguliers avaient parfiutement conservé le cadre de
cette vaste propriété jusqu'à la fin du xvi* siècle. En 1636, la gar-
nison suédoise de Benfeld envahit les villages qu'elle incendia et dé-
truisît de fond en comble. Leurs habitants s'enfuirent , se dispersèrent
et le territoire tomba en friche. En 1642 la population commence peu
à peu à revenir vers ses anciennes résidences : la culture fut reprise au
furet à mesure ; en 1648 . elle avait reconquis à peu près toute son an-
cienne importance. Les seigneurs de leur côté s'étaient contentés de cons-
tater chaque reprise de possession en délivrant un Akerzeitel à chaque
détenteur, pour l'étendue de sa tenure. Quand en 1679, la paix
de Nimègue eut définitivement rétabli le calme , et éloigné au moins
temporairement de l'Alsace les armées qui y rendaient l'agriculture
très-craintive et très-précaire, ils cherchèrent peu à peu à reconstituer
leurs corps de biens , sur l'ancien pied. Ils rencontrèrent une vive
résistance de la part des colons , résistance qu'ils cherchèrent à vaincre
en sollicitant et en obtenant des lettres-terrien qui tendaient à un
renouvellement général , et au rétablissement de l'ancien régime colon-
ger. Le commissaire délégué par les lettres , fit droit à la réquisition
seigneuriale ; mais son ordonnance fut attaquée par les cultivateurs ,
qui protestèrent contre ce rétablissement , et demandèrent à être
reconnus délenteurs perpétuels chacun de sa tenure, àiitredeSchauffel-
rechi. Après une longue procédure , le 16 mars 1773, le Conseil sou-
verain d'Alsace accueillit leurs prétentions, en décidant qu ils resteraient
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS G0L0N6ÈRES d'ALSACE. 93
investis à titre perpétuel du domaine utile des biens qu'ils cultivaient
moyennant la seule prestation du canon uniforme qu'ils avaient payé
pendant 40 ani» , et sans avoir à passer de nouveaux baux avec leurs
seigneurs * . Voilà certainement un fait qui doit déconcerter notre auteur :
ce n'est plus un philosophique intendant du X VI Ih tiède *, quelque
balli suspect de Voltairianisme , qui se permet irrespectueusement de
proclamer la surannalion de la Colonge , de cette institution populaire ,
et libérale , choyée et célébrée dans les 733 pages de son apologie !...
Ce sont les paysans eux-mêmes , les heureux bénéficiaires de ce régime
si empreint de bonhomie qui refusent leur consentement à son réta-
blissement offert par les seigneurs , et qui poussent la résistance
jusqu'à demander à la justice le maintien de leur Schauffelrechtl
M. Hanauer doit être disposé à les accuser d'une noire et ignorante
ingratitude , et pourtant si on y regarde bien , ce sont les ruitautê qui
ici encore ont été plus clairoyants que les docteurs. En effet , avec la
colonge se serait rétablis outre le canon et la corvée , la commise , le
retrait , le laudème et le mortuaire , sans compter les sujétions de
cérémonies où ils n'avaient eu à jouer d'autre rôle que celui de com-
parses , sinon de patients. Avec leur possession perpétuelle , garantie
par leur Schauffelrechtl ils réduisaient toutes les charges au seul
payement d'un canon modique et invariable , gardant la liberté d'aliéner
leur domaine utile sans plus avoir de mutation à payer , ni de prélation
i subir , ne devant plus d'autres corvées que les seigneuriales j restant
maîtres de leurs cultures , et n'ayant plus à marchander héberge , gite
et chevauchée avec qui que ce soit. Il faut avouer que nos paysans
auraient été plus qu'aveugles si entre deux situations si différentes , ils
avaient hésité dans leur choix. — Tel était le point où en était arrivée
la colonge vers le milieu du xviu* siècle : cet établissement rural s'était^
comme on vient de le voir, dépouillé peu à peu , tout le monde, paysans
et seigeurs y aidant , de son originalité archaïque , pour ne plus con-
server que ce que ces attributs primitifs avaient réellement d'utile :
réduite à ces éléments , la colonge se confondit de plus en plus avec
les autres formes de VErblehn ou de la locatairie perpétuelle ; elle pro-
fita y comme celle-ci , des incertitudes que des bouleversements fréquents
* Voj. Mémoire pour Us héritiers des anciens seigneurs de Bôfîtheim et de
Widershrim. Colmar, 1831 , p. 28.
. * Constitutions, p, 583.
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94 REVUE d'ÀLSACK.
jetèrent dans là possession de nos grandes exploitations agricoles ; le
domaine utile fdt maintenu au preneur perpétuel , à défaut de bail écrit,
en vertu diï droit constiétudinaire du Schauffelrechi ; nos paysans
s'associèrent ardemment à ce mouvement émancipateur , et quand vint
à sonner la grande heure de 1789 , ils ne regardèrent pas en arrière
pour découvrir derrière les voiles du passé , je ne sais quel Eldorado
chimérique qu'ils savaient fort bien n'avoir jamais existé pour eux; mais
ils s'élancèrent dans la large voie de liberté personnelle et d'égalité
citile que leur ouvrait la Révolution ; ils s'y élancèrent avec une vivacité
d'enthousiasme dont nos plus anciens monastères , même dans nos
religieuses contrées , eurent surtout à souffrir ; enseignement regret-
table , comme tout ce qui rappelle la violence , mais qui devrait être
décourageant pour ceuj[ qui cherchent à fonder sur le sentiment de nos
chsses rurale^, une défiguration fantastique des âges qui ont le plus dure-
ment pesé âur elles.
Me voilà arrivé au terme que je me suis imposé ; j'ai pris à la lettre
la déclaration faite par M. Hanauer^ que ses livres n'avaient d'autre
objet que l'histoire de l'instiltition colongère ; c'est sur cette institution
principalement que j'ai entendu faire porter mes observations et je dois
me restreindre au cadre que je me suis tracé. Je pourrais, tout en
n'en sortant pas , élever encore quelques objections ^ contre les tenta-
tives faites par notre auteur pour établir une comparaison entre les
valeurs d'autrefois et celles d'aujourd'hui ; pour fixer entr'àutre la
contenance d'une hueb ou d'une manse ; puis pour en déterminer le
prix , au taux monétaire actuel , etc. , etc. Toutes ces recherches
dénotent une grande aptitude spéculative qu'il serait injuste de ne pas
reconnaître ; mais quelque soin qu'on mette à les bien diriger , elles
aboutissent rarement à des résultats bien concluants. Pour nos mesures
agraires , par exemple , nous savons qu'elles ont varié en dénomination,
en contenance , en superficie , non pas seulement de seigneurie à sei-
gneurie , mais en quelque sorte de domaine à domaine. On est donc
ici , en pleine conjecture, sauf quelques données assez positives qui nous
ont été conservées , entre autres dans les tables de réduction , publiées
en fan x à Strasbourg, par un professeur de l'école centrale de Colmar >.
Quant à ^appréciation des autres valeurs , et de tout ce qui a constitué
la fortune privée au moyen-âge , nous pouvons glaner quelques éléments
* F. François, — LevrauU , an X.
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS COLONGÉRES 1)* ALSACE. 95
de comparaison dans les tarifs somptuaires , les chroniques, les
Taxorânungen , les Kaufbikhlein mais à la condition de tenir compte
lie rinfluence qu*ont exercée sur la valeur des denrées le peu de Tacililé
dnns les échanges éi les difficultés de toute nature qui entravaient le
commerce et la circulation. Puis viennent les inductions sur le pouvoir
de Targent monnayé aux diverses époques, inductions qui reposent
également sur des données mouvantes , à cause des variations inces-
santes dans le titre, M. Burckhardt semble donc avoir fait acte de pru-
dence en considérant ces sortes d'investigations, comme ne pouvant
donner que des résultats approximatifs et rarement certains >. Les
calculs les plus ii^énieux de notre auteur ont paru exagérés el son
chapitre (La valeur d'une manse au XII'^ siècle *) a été annoté par
M. Mono , comme indiquant une élévation dans le prix du Morgen ,
qu'on ne rencontre nulle part , dans les régions du Rhin supérieur ^.
Je ne suivrai donc pas M. Hanauer, dans les développements d'ailleurs
intéressants auxquels il se livre sur cet ordre de recherches : elles sont
étrangères à la constitution de la colonge en elle-même , et par consé-
quent je puis les négliger , tout ert rendant hommage au zèle sludieux
qui a poussé notre antenr à les aborder.
Je m'étais proposé toutefois de dlscoler encore un dernier ordre
de propositions , dont le sujet se rattache , mais seulement indirecte-
ment , il est vrai , à la matière des cours colongères ; elles concernent
les AUmenden , Communaux ^ dont H. Hanauer fait constamment des
Biens communaux , malgré la différence radicale que la législation
ancienne et moderne a toujours maintenue entre ces dénominations. Mais
aprèë les longs développements que j'ai dû donner à la question qui
forme l'objet spécial de sa pubHcation , je craindrais d'abuser de la
patience du lecteur, en m'engageant dans une recherche qui du
reste se relie plus particulièrement à l'histoire de nos grands communes
et il là formation beaucoup plus tardive des communes rurales. Je
reprendrai quelque jour cette question , en me bornant à faire observer
dès à présent qu'elle se résout principalement par la même distinction
entre le domaine utile, et le domaine direct, entre le simple droit d*usage,
' Burckhardt, p. 40 et H.
* Camiitutions , p. 49.
* JlÔNE, Zeitichrtft, iS* vol. , p. 259.
* Faysans , p. 1{$.
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96 RETUE D'àLSACE.
et la propriété tréfoncière , sur laquelle j'ai si souvent insisté. On n'a
jamais contesté , à la communauté villageoise , son droit à la jouissana
de rAllmend , et ce qu'il y a de plus remarquable , c'est qu'il se ren-
contre fort rarement dans les monuments de la jurisprudence, des
exemples de communautés de cette sorte réclamant au-delà de cette
jouissance. Les lois du 28 août 1792, et du 10 juin 1793, onldu reste
élevé à la hauteur d'un principe légal ^ le droit historique des communes
à la possession de leurs commumaux proprement dits et de leurs usages
dans les pâflurages et les forêts ; M. Hanauer se trouve donc ici , fort
à son insu, j'en suis sûr, d'accord avec la Révolution , quoique celle-ci
ait été assurément fort peu d'accord avec lui , sur le libéralisme et la
bonhomie du moyen-âge. — Mais, je le répète ^ je ne veux pas entrer
d'avantage dans cet ordre d'investigations , qui exigerait d'assez longs
détails et me forcerait à développer plus longuement ce que j'ai déjà
exposé à plusieurs reprises sur l'origine des souverainetés et la distinction
politique des classes.
Je m'arrête donc ici ; car je crois avoir épuisé ma lâche qui coa-
sistait à relever les hypothèses principales émises par H. Hanauer , sur la
constitution de nos anciennes cours colongères. L'accomplissement de
cette tâche m'a été pénible sous plus d'un rapport; pénible, par la
nécessité à laquelle j'ai dû me soumettre de condenser quelquefois à
l'excès, je le crains, l'exposition de principes et de faits , qui , pour une
entière clarté , eut exigé des développements hors de proportion avec
les limites permises à une simple étude critique : -— pénible surtout ,
en ce qu'un dissentiment à peu près absolu sur les doctrines professées
par l'auteur, imprimait fatalement à ma dissertation un caractère polé-
mique qui n'a pu laisser â l'éloge une place égale à celle qu'a dû prendre
la réfutation.
Je ne rétracte rien de ce que j'ai dit au commencemment de cette
étude , sur l'accueil que mérite sous beaucoup de rapports la publi-
cation de M. Hanauer , et sur le rang distingué qui lui est assuré dans
nos travaux d'archéologie provinciale. Mais précisément parce qu'elle est
digne d*attirer l'attention publique , j'ai cru remplir un devoir , en ne
laissant pas passer sans les combattre des opinions théoriques et des
appréciations historiques qui me semblent en flagrante opposition avec
l'enseignement traditionnel , et j'ose ajouter avec l'évidence des faits
acquis. La distinction dont un de nos corps savants a honoré les
travaux de H. Hanauer restera légitimement acquise à son œuvre aux
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QUELQUES MOTS SUR LES COURS GOLONGÊRES d'aLSACE. 97
jeux de tous ceux qui sauront en apprécier retendue et la difficulté.
Malgré les erreurs que je crois y découvrir et que doivent , h mon avis ,
y découvrir tous ceux qui ont étudié ces matières , l'œuvre , comme
composition , n'en témoigne pas moins de sérieuses recherches et d'une
grande bonne volonté. Mais cette justice rendue au talent de l'écrivain
n'6te rien aux droits delà critique, quant aux doctrines : l'Académie ne
compromet pas sa légitime autorité jusqu'à s'approprier les opinions
soutenues dans les livres qu'elle distingue et elle nous prouve tous les jours
qu'elle décerne ses récompenses , comme le gouvernement les brevets
d'invention , non pas certainement sans examen , mais du moins sans
garantie. Le même corps qui a décoré d'une troisième médaille les livres
où la C4^mune est représentée comme un produit spontané , naturel en
quelque sorte de la civilisation germanique, n'a-t-il pas maintenu pendant
de longues années son prix le plus éminent à l'illustre auteur des Lettres
sur rhistoire de France ^ qui au contraire fait sortir cette même institu-
tion , de l'insurrection triomphante ? Dans tout ouvrage il y a à faire la
part non-seulement des résultats obtenus , mais aussi du labeur et de la
dextérité de l'ouvrier. Une divergence radicale sur la théorie , ne peut
donc nous faire considérer comme injuste envers une publication qui ,
sous bien des rapports , et abstraction faite de certaines assertions qui
me semblent de tous points fausses ou exagérées, n'en reste pas moins
une œuvre utile et louable.
Qu'on me permette l'expression d'un vœu sincère , et auquel , j'en
suis sûr , adhéreront tous ceux qui se vouent avec une ferveur patrio-
tique, à l'étude de notre passé Alsacien !... N'oublions jamais que la
vérité historique , comme toute vérité, doit être cherchée en toute sin-
cérité, en toute indépendance , en toute liberté. Dépouillons-nousdonc,
de ces préventions , de ces préjugés d'école ou d'opinion , de ces étroi-
tesses officinales qui ravalent la majesté de l'histoire en la réduisant
à n'être qu'un misérable arsenal, où chaque parti va tour à tour, au
hasard et sans choix sérieux, chercher des armes , pour ses petites que-
relies du jour et pour ses tendances éphémères. Le vrai ne finit-il pas
toujours par triompher? — Que l'amour de la nouveauté, cette passion
contemporaine , ne nous rende pas irrespectueux envers nos anciens
maîtres, ni ingrats pour les immenses ressources qu'ils nous ont légués !
que sommes-nous à côté des Schœpflin , des Hergott , des Schertz , des
Schiller , des Grandidier , et quel pas aurions-nous pu faire dans notre
histoire si ces infatigables pionniers ne nous avaient préparé et éclairé
2*S^rï€.- 1T Année. 7
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98 REVUE D*ALSiCE.
la voie ! Ne nous laissons donc pas entraîner à les taxer légèrement d*er-
reur et d'insuffisance , et sans nous interdire une liberté d'examen sans
laquelle il ne peut y avoir de vraie science , ne nous décidons qu'après
sérieuse réflexion , à nous séparer de ce qu'ont enseigné les maîtres
d'autrefois, et de ce qu'enseignent encore ceux d'aujourd'hui. Ce qui
fait ma sécurité, dans la discussion que j'ai entreprise, c'est de me sentir
d'accord avec eux dans le présent comme dans le passé et je ne puis
mieux teVminer cette longue dissertation dont la docte Allemagne m'a
procuré presque tous les éléments , qu'en rappelant ces beaux vers d'un
de ses plus grands poètes :
Selbit erfinden itt sehcm : doeh glUcMieh von andem gefundnes ,
FrëhUch erkannt und geschStxt , nenntt du da$ wmiger dein !
1. Chauffoor.
RECTIFICATION.
Au bas de la page âS de la livraison précédente a été omise la noie suivanle ,
laquelle portail le renvoi * et se réfère à la 9« ligne en remontant, après les mots
du village :
* Voy. p. 556 (livraison de décembre) , le singulier litre de ce rotule « présenté
ici par Tauleur comme équivalent du teste latin.
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MEMOIRE
SUR L'ALIÉNATfON ET LE DÉFRICHEMENT DE LA FORÊT
ET SDR LES IRRIGATIONS
DU TERRITOIRE DE L4 HARTH.
— Sllilc Cl fin ' —
Le Conseil général du Haut^Rhin ayant été saisi de Taffaire exprima
un vœu favorable à la prompte exécution du canal d'irrigation de
Oltmarsheim à Ruestenharth , avec concession de 2,000 heclares de la
forêt de la Harth. Ce vœu était naturel et facile à expliquer par Tabsence
de toute contradiction et par les dispositions bienveillantes des hono-
rables membres pour tout ce qui parait utile au département.
Il n*en fut pas de même à Paris. L'ampliation de ce vœu ayant été
transmise au Ministère, la demande en concession de ces 2.000 hectares
fut , de la part de trois Ministres , l'objet d'observations et d'objections
sérieuses consignées dans la susdite lettre du 23 février 1864.
«( Son Excellence M. le Ministre de la guerre , lom eu maintenant la
< qucition de principe , consent^ en faveur d*un projet éminemment utiU
fi pour Vagriculture , à faire exception aux règles qui interdisent, dans
« l'intérêt de la défense , tout défrichement sur la forêt de la Harth et
a les bois qui bordent la rive gauche du Rhin. »
Son Excellence M. le Ministre des Finances remarque que < c'est
c sacrifier sensiblement l'intérêt forestier à des intérêts particuliers que
« d'opérer sur la masse boisée qui longe le Rhin une aliénation de
« 2,000 hectares. Le défrichement d'une partie aussi considérable
« de la forêt de la Harth ne serait pas sans grand dommage pour la
« population des villages environnants qui en tire ses principaux moyens
<t d'existence »
Son Excellence M. le Ministre de Tagricullure ajoute avec son
collègue, € que la nature peu fertile du sol de la contrée, qui se
• Voir la livraison i!«* janvier , p. 4t .
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100 REVUE D'ALSACE.
« compose d'une couche profonde de cailloux sujette aux inQltrations
<{ et recouverte d'un Lehm d'une faible épaisseur permet de douter
K des résultats de Topéralion projetée par la Compagnie du canal
( d'Ottmarsheim , eu égard aux avantages certains auxquels il fau-
4 drait renoncer, j»
Son Excellence H. le Ministre des Travaux publics invite ensuite
la Compagnie à adresser ses observations à M. le Préfet, et ordonne
une enquête faite de concert entre des ingénieurs et des agents de
l'administration forestière.
La Compagnie a donné sa réponse; (Lettre citée) l'enquête vient
d^être faite ; le rapport , dit-on , est défavorable.
Comment après des objections aussi graves de la part du gouverne-
ment et de ses agents , sur une concession partielle , comment est-il
possible que l'aliénation de la forêt entière puisse être proposée?
Serait-ce que la Compagnie dans sa réponse eût fourni des raisons
et des motifs péremptoires ? Essayons de les discuter.
A H. le Ministre de la guerre elle répond ; c L'exception consentie
« aujourd'hui , (les 2,000 hectares) doit emporter la règle plus tard ,
'( (toute la forêt) car elle aime à penser que , lorsqu'on pourra se rendre
•^ mieux compte encore des résultats M. le Ministre ne s'opposera pas
a à ce que le défrichement soit continué ; car les chances de guerre
u diminuent heureusement tous les jours plus et il est bien permis de
« prévoir qu'avec les échanges rendus tous les jours plus faciles entre
« los peuples , nos frontières n'auront plus besoin d'être protégées par
c des forêts de la Harth. Il semble du reste qu'il suffirait de conserver
ff pour la défense deux ou trois bandes de forêt, chacune sur une largeur
« de quelques centaines de mètres ; on formerait ainsi plusieurs points
« de résistance , et cela , sans empêcher le défrichement de la majeure
tf partie de le forêt. »
Sous ne nous hasarderons pas à émettre une opinion , ni sur la valeur
des deux ou trois bandes , ni sur celle de la forêt pour la défense du
territoire. M. le Ministre de la guerre et le génie militaire la main-
tiennent comme utile et nécessaire , il né reste qu'à s'incliner devant
Favis des hommes compétents. A côté d'intérêts aussi majeuis, que
devient l'intérêt attaché à une augmentation dans la production des
fourrages? Et puis l'histoire, contemporaine même , ne prouve4-elle
pas à chacune de ses pages l'inanité des aspirations à la fraternité ou
û la paix universelles en dépit des échanges rendus tous les jours plus
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MÉMOIIŒ SUR l'aliénation ET LE DÉFUICHEMENT , ETC. 101
faciles entre les peuples et malgré les ententes plus ou moins cordiales
entre les gouvernements?
A Messieurs les Ministres des Finances et des Travaux publics y la
compagnie répond : « Dans cette entreprise Tinlérêt général ne serait
" point sacriGé à l'intérêt particulier. La Société qui se constituerait
^ pour entreprendre Tachât d'une partie des forêts de l'Etat et leur
•( défrichement , ainsi que la construction d'un canal d'irrigation, se
<- contenterait de bénéfices très-modérés , et il ne pourrait en être
^ autrement , car la construction du canal exigerait une dépense très-
«« considérable. Outre l'irrigation des terrains déboisés , on donnerait
< de l'eau à des conditions modérées (soit au prix de 25 à 30 fr. par
« hecLire) aux cultivateurs qui ont de fort mauvaises terres le long du
tf Rhin et l'on en doublerait facilement ainsi le revenu actuel. Le
^ Ministre dit que par suite du défrichement , les populations voisines
» de la Harth seraient privées de travail. Le contraire arriverait avec
^ une culture très-sensiblement améliorée par les eaux d'irrigation et
'< par les nouvelles cultures qui seraient la suite des défrichements. Il
« y aurait infiniment plus de travail que n'en fournil aujourd'hui la
« coupe des bois tous les {retue'iinq ans. On met en doute le bon résul-
' tat de l'irrigation sur un soi qui a une couche aussi profonde de cail-
« loux , et qui permet trop les infiltrations. On n'entreprendrait pas
^ une pareille œuvre, et l'on ne s'exposerait pas à des dépenses si con-
« sidérables, si les résultais n'étaient pas assurés d'avance. Il existe à
^ Hombourg, sur les bords de la Harth et à 10 kilomètres de Mulhouse,
« un domaine très-considérable, appartenant à M. de Maupeou. II a fait
<' défricher plusieurs centaines d'hectares de forêt. Ces terres , irri-
« guées par les eaux du Rhin , provenant du canal du Rhône au Rhin ,
<• donnent de fort bons pâturages, le colmatage se faisant prompte-
« ment *, et ces prairies sont d'un excellent rapport. Il n'y a rien à
« objecter à cela et il est certain que toutes les forêts possédées par
1 l'Etat le long du Rhin, pourraient au moyen de canaux d'irrigation ,
'^ être successivement défrichées et converties en pâturages donnant les
« mêmes résultats que ceux de M. de Maupeou. Il est facile de calculer
V l'avantage qu'une pareille opération procurerait à l'Etat et celui qui
' Le colmatage ne s'y fait guère ou point du tout. On y produit des fourrages
à grand renfort d'engrais. Les ingénieurs du Rhin seuls savent comment se col-
matent les iles du Oeuve.
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i02 REVUE d'aLSACE.
« serait oblenu pour notre département. C'est un sentiment tout patrio-
« tique qui anime les citoyens qui veulent contribuer à ce résultat, et
<^ les engage à demander au gouvernement d'entrer promptement dans
* cette voie de progrès. »
Cette citation, dont nous n'avons rien voulu omettre, montre le che-
min que Ton a fait. Obligée de se défendre contre les objections du
gouvernement, à Tendroit de la concession d'une portion de la forêt de
TEtat, la compagnie fmitpar demander, dans son ardeur de défriche-
ment, la vente et le défrichement de la Harth entière et même de toutes
les forêts possédées par TElat le long du Rhin ^
Et cette mesure est réclamée parce que « tout eu augmentant consi-
« dérablement les revenus de TEtat , elle contribuera puissamment à
« augmenter la prospérité du département. ^
C'est ici, croyons-nous, le véritable motif du projet d'aliénation ; la
riante perspective de cette double augmentation de revenus et de
prospérité, devait naturellement séduire le gouvernement^ surtout dans
un moment où il cherchait à créer des ressources pour travaux publics.
Cependant Topinion des grands Corps de l'Etat , les avis des agents des
administrations et l'immense répulsion populaire ont , sans doute ,
ébranlé sa foi première. Puisse-t-il acquérir la conviction que la pro-
spérité promise , fût-elle même réalisable , ne compenserait jamais le
malheur public de la perte de la forêt.
Toute l'argumentation des honorables promoteurs de la mesure
projetée repose sur deux idées-mères.
Amoindrissement de l'importance de la forêt.
Exagération de celle des irrigations.
Quant à la forêt, les pages précédentes lui ont suffisamment restitué,
ce nous semble, sa juste et légitime valeur. La suite de ce travail com-
plétera ce qui reste à dire à cet égard.
* On croit pouvoir expliquer cette ardeur de faire table rase de toutes les
forêts de la plaine par l'espoir d'élever le prix de la houille , d'en accaparer , d*en
monopoliser l'exploitation. C'est , dit-on , le rôve d'or des propriétaires des mines
de houille. Nous n'admettons aucunement cette explication , car nous ne croyons
pas à la prétention de mettre tout le public, toute la masse des consoinmaleurs à la
discrétion de quelques grands spéculateui-s. Nous craignons plutét , qu'après la
(iosiruclion de nos forêts , nons soyons Iribulaires de l'Etranger. Il entre déjà , à
Marseille, par exemple, beaucoup de bois de la Valachie , pourquoi n'en viendrait-
il pas de l'Autriche ?
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MÉMOIRE SUR l'ALIÉNATION ET LE DÉFRICHEMENT , ETC. 103
Quant aux irrigations nous démontrerons qu'elles sont impossibles
sur une aussi grande échelle , que dès-lors , pour la majeure partie du
territoire défriché, Topération se réduirait à ajouter une immense
étendue de mauvaises terres à celles qui existent Jéjà sur la plaine de
la Harth , que désormais il importe d'agrandir non le sol arable mais le
sol forestier et qu'enfln les irrigations peuvent à la rigueur se pratiquer
utilement sans concession de la forêt domaniale.
Revenons à la forêt.
Le prix des bois , d'industrie comme de chauffage , est vraiment
exorbitant et hors de proportion avec celui des autres objets de pre-
mière nécessité. Il est conséquemment à désirer qu'il descende au
niveau de celtii des autres matières indispensables à la vie. Le moyen
d'y parvenir n'est certes pas le défrichement des forêts , c'est au con-
traire leur conservation et mieux encore le reboisement, afin d'élever
l'offre au-dessus de la demande, c On prévoit (lettre citée) une grande
€ diminution par suite de la concurrence de la houille , et du prochain
« achèvement du canal de la Sarre , qui produira une baisse d'un tiers
a sur les prix actuels. » On ajoute : € Le bois de la Harth n'est em-
« ployé que comme combustible. >
D'abord qu'il nous soit permis de répondre que cette dernière asser-
tion est une erreur , car on a vu plus haut que le rendement de cette
forêt , en bois d'industrie et de service , est considérable. Sous ce rap-
port la houille ne saurait donc suppléer les produits de la forêt. Il en
serait de même pour les bois « fournis en grande qtianlité par nos
c forêts de montagnes > qui , notamment, produisent peu ou point de
chênes. Quant au bois de sapin, il est principalement débité comme
bois de construction , planches , lattes , etc. , etc. , à cause de leur prix
plus avantageux , et il ne suiBt pas même à nos besoins puisqu'il s'en
importe une grande quantité de la Suisse et de l'Allemagne.
Il y aurait grande imprudence à se priver de bois de chauffage pour
se réduire à la houille attendu que son approvisionnement peut venir
à diminuer par une cause quelconque ; que son extraction et ses arri-
vages peuvent être entravés par diverses circonstances , telles que
accidents dans les mines , grèves ou coalitions d'ouvriers , droits éta-
blis. Enfin est-il bien certain que t le prix de ce combustible sous terre
€ diminuera bientôt; n'esl-il pas à prévoir plutôt qu'il augmentera par
suite de fusion , d'accaparement de la part de Compagnies houillères
et encore par suite d'un accroissement notable et continu des besoins
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104 REVUE D*ALSACE.
amenés par la rareté du bois, par l*augnientaiion de la population,
des établissements industriels, des chemins de fer^ des bateaux à
vapeur , etc. , etc. N'avons-nous pa& déjà les signes précurseurs de
cette pénurie, de cette cherté à venir? Et quelle cruelle et amère dé-
ception alors que , par la destruction d'une partie de nos ferèts , nous
serions condamnés à un chauffage plus cher que celui du bois.
A supposer même que le « prix de la houille vienne à baisser d'un
tiers > pense-t-on qu'alors le bois serait délaissé? Depuis longues
années la houille entre de plus en plus dans la consommation générale
et néanmoins le bois est toujours très-demande, malgré la hausse
constante de son prix. C'est que la nécessité de se procurer de nou-
veaux foyers , de se servir également de bois , le désagrément d'un
chauffage répugnant, souvent malsain^ quelquefois dangereux s^oppo-
seront toujours à ce que la houille trouve accès dans toutes les cuisines ,
encore moins dans les appartements.
Aussi n'est-il pc.s exact de prétendre que c notre population pourrait
c se passer Je bois , qu'il serait même utile que nous n'en eussions
« plus , parce que le consommateur serait forcé , à son grand avantage,
a de ne brûler que de la houille. > En effet, quand même la classe
pauvre y la classe ouvrière des villes , se résignerait à s'en servir, si
elle était à bas prix , celle des campagnes ferait de préférence usage de
bois , si elle continuait à le trouver dans les forêts communales ou
domaniales. Hais partout , en ville comme à la campagne , la classe
moyenne préférerait toujours le chauffage agréable et sain du bois , à
moins que les forêts ayant disparu en plaine, le bois ne devienne un
objet de luxe accessible seulement aux plus riches. C'est ainsi que la
destruction des forêts en plaine , en privant les populations de bois de
chauffage , à leur grand désavantage , les mettrait à la merci des grandes
Compagnies houillères.
On objectera peut-être qu'après la vente et la disparition des forêts
domaniales situées en plaine (Harth et Kastenwald dans le Haut-Rhin)
il y restera toujours assez de bois communaux et particuliers. 11 n en
est pas tout-à-fait ainsi. Les particuliers et les corps municipaux ne
sont que trop disposés à jouir à courte échéance , à se lancer dans des
travaux , consiruclions, embellissements onéreux , et afin de remédier
à la souffrance des caisses de recette , à mettre la main sur leurs bois ,
à sacriGer l'avenir à l'intérêt du moment. Que serait-ce donc et com-
ment refuser les autorisations si l'exemple vient de l'Etat lui-même ,
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MÉMOint; SUR l'aUÉNATIOM et le défrichement , ETC i05
lui qui cependanl c ne doit oi raisoooer ai agir comme un pariiculier. i
Les demandes abonderont d'autant plus que la loi (18 juin 1859) donne
trop de facilités. Dans la plaine du Haut-Rhin , il n'y a plus , pour ainsi
dire , que le veto du génie militaire et encore ce dernier rempart qui
abrite les forêts, n^est*il pas battu en brèche ? Ces déboisements n*au*
raient pas une influence aussi funeste si déjà antérieurement ils n'a-
vaient été tellement considérables qu'ils dépassent la juste limite,
l'équilibre normal. Voyons plutôt la situation.
On évalue à 46 millions d'hectares les forêts qui jadis couvraient la
Gaule. L'accroissement de la population et de la culture ont naturelle-
ment réduit de beaucoup une pareille étendue. Dans la suite des siècles
cependant les défrichements prirent une extension telle que les chefs
des Etats durent les réprimer à différentes époques. En 1760 les forêts
de la France étaient encore évaluées à 17 millions d'hectares (marquis
de Mirabeau, Théorie de l'impôij. La loi du 29 septembre 1791 en
poussant à l'extrême le rigorisme des principes permit aux propriétaires
d'user et d'abuser de leurs bois ; aussi les dévastations de forêts furent-
elles excessives jusqu'à ce que Napoléon , sous le consulat , y mit un
terme en décrétant les mesures conservatrices les plus sages. Aujour-
d'hui, d'après la statistique générale^ la superficie totale de la France
étant de 53,768,610 hectares, la superficie ^otiée n'est que de 8,804,559
hectares , soit un rappoit entre les deux superficies de 16,7 p. ^j^. Par
contre la France compte 21,729,102 hectares de pâturages et landes
cultivables. En 1860 {Rapport de iH. de Forcade mi Ministre de$
Finame») les forêts domaniales étaient réduites à 1,077,046 hectares ,
comprenant 40,716 hectares de vides , dont le repeuplement est achevé ;
mais d'après un nouveau recensement, ce nombre dépasse 1,100,000
hectares, sans y comprendre 67,185 hectares affectés à la dotation de
la couronne.
De 1820 à 1864:
Les bois domaniaux aliénés avec faculté de défricher
ont été de 278.691 Lect.
Les bois communaux vendus avec la même faculté ' . 11,185 —
L'administration a autorisé les particuliers à défricher 375,487 —
Ensemble 665,363 hect.
' Les bois domaniaux et coinmunanx font ensemble 289,870, soit une moyenne
annueUe de 6741.
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106 REVUE DAI.SACE.
Depuis seize ans , on autorise annuellement le défrichement d'environ
16,000 hectares^ On peut évaluer à une contenance de 9000 beelares
les défrichements au-dessous de 10 hectares en plaine et les défriche-
ments iliicUes. Si Ton ajoute encore 6000 bectai'es de bois domaniaux
el 1000 hectares de bois communaux , on arrive à un total d*envirou
31»000 hectares, qui représentent très-approximativement la surface
boisée livrée chaque année au défrichement. Or, si le défrichement
n'éprouvait pas un temps d'arrêt et qu'il fût effectué en totalité , on
aurait défriché en un siècle 3,1003000 hectares sur 8,80i,550 hectares
représentant la superficie boisée de la France ' et en moins de trois
siècles toutes les forêts qui couvrent aujourd'hui la France auraient
disparu entièrement. N'est-ce pas une perspective effrayante? Lé projet
de loi sur l'aliénation des forêts domaniales « estime de 80,000 à
« 130,000 hectares les bois qu'il s'agirait d'aliéner. > Eh bien, dix lois
pareilles feraient disparaître toutes les forêts domaniales.
Ces craintes sont chimériques, dira-t-on , puisque si l'on déboise
d'un côté , on reboise de l'autre. Depuis la promulgation de la loi du
28 juillet 1860 l'administration forestière s'occupe du reboisement des
terrains autres que les terrains domaniaux ou communaux soumis au
régime forestier; ce reboisement est effectué en pays de montagne
seulement^ avec subvention de l'Etat. C'est une mesure très-sage, très-
louable, mais qui est une faible compensation pour le dérrichement des
bois en plaine, car le chiffre des reboisements est bien inférieur à
celui des défrichements. Pendant les quatre dernières années, le
nombre d'hectares reboisés en pays de montagne a été
de 28103 hectares pour les communaux.
de 6061 id. pour les parliculiers.
de 6843 id. pour les domaniaux.
Total . . 41007 hectares.
vSoit une moyenne annuelle de 10,000 hectares, tandis qu'on a eu
la faculté de déboiser 31,000 hectares.
Les reboisements se sont d'ailleurs faits dans la proportion de 74
p. % en arbres verts el de 26 p. Vo seulement en autres espèces de
' Des forêts et de leur influence sur les climals , par M. Becquirel. Comptes
rendus à rAoadéiuie des sciences. Séance du 22 mai 1865.
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MÉMOlIll!; SUR L* ALIÉNATION ET LE DÉFIUGHEME.NT , ETC. iOT
bois K Ces 41,007 hectares reboisés en pays de montagne ne peuvent
pas même être considérés comme remplaçant, sous le rapport des
essences, pareil nombre d'hectares d'anciens bois défrichés en plaine,
qui sont principalement peuplés en chêne.
Le chiffre de ces opérations fùt-il égal , il serait toujours téméraire
de s*en prévaloir pour continuer les déboisements , parce que les nou-
velles plantations ne pourront être exploitées que dans un avenir très-
lointain et qu*en attendant elles sont même e^^posées à bien des vicis-
situdes. La prudence conseille de ne se départir des bois que nous
avons sous la main qu*à Tépoque où Pon pourra entrer en jouissance
de ceux qu'on plante aujourd'hui.
On veut défricher les forêts et les convertir en pâturages et en terres
de grande culture. Hais est-il nécessaire , est-il permis de défricher
des forêts quand on possède pour cela , à sa disposition , 21,729,102
hectares de pâturages et de landes cultivables. C'est là un vaste champ
d'opérations agricoles , qui s'offre même dans notre contrée ' , sans
qu'il soit aucunement besoin de détruire les forêts et avec elles les
influences bienfaisantes et les ressources précieuses qu'elles procurent
dans le présent et dans les éventualités de l'avenir.
En défrichant la forêt de la Harth obtiendrait-on au moins de bonnes
terres labourables? — Nullement.
Pendant les premières années qui suivent tout défrichement de forêt,
les récoltes sont , il est vrai, abondantes, parce que la terre végétale
accumulée par la forêt est un amendement puissant. Mais celui-ci s^é-
puise peu à peu , et les produits diminuent ou deviennent presque nuls
â moins que l'on ne soit en état de remédier à cet épuisement par de
fortes fumures. Cette observation générale peut être corroborée par de
nombreux exemples pris autour de nous. Au Niederwald de Ruesten-
* Rapfiorl de M. Vicaiie au Ministre des Finances eu 1862.
* Ainsi l'Ochsenfeld cet immense banc de gravier déposé au débouché de la vallée
de la Thurr ; ninsi cette plaine même de la Harth dont il est tant parlé offriraient
de grand» terrains propres à faire des essais de cnlUire améliorée , de la grande
culture , et à satisfaire les goûts et les eflbrts des agronomes. De louables expéri-
inenlulions y ont été tentées et il serait fort honorable d'imiter de tels exemples.
Kt qu'on ne dise pas que ces terres sont trop mauvaises , car le sol de la forêt est
tout aussi mauvais ; la similitude est parfaite.
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408 REVUE D'ALSACE.
hart, à Fessenheim et même à Hombourg^ quelques années après le
défrichement, on est obligé de recourir fortement à Tengrais et à des
troupeaux de moutons pour fumer champs et prairies. Il en arriverait
de même y sinon pis encore , pour le territoire de la Harth , qui bientôt
serait semblable à celui deJa plaine de la Harth aride (die autre H ml .
La force des choses rendrait le résultat inévitable , car c^est le même
sol ; les irrigations et d^autres améliorations seraient trop restreintes ,
pour vaincre les nombreuses difficultés de la culture sur un pareil
terrain et bientôt les produits et les revenus de la Harth défrichée
seraient les mêmes que ceux de la plaine de la Harth actuelle.
Composée de portions plus ou moins grandes d*une vingtaine de
banlieues cette plaine s'étend , sous le nom de Hart , Hartfeld, tout à
l'entour et surtout au nord de la forêt , dont elle égale la contenauce et
avec laquelle elle a une origine commune puisqu'elle s'est formée suc-
cessivement des défrichements séculaires de ^ancienne Harth. De part
et d'autre le sol procède du grand atterrissement diluvien qui fait le
fond de la vallée du Rhin. Ce fond est recouvert en plusieurs endroits ,
le long des fleuves et des rivières surtout , d'une couche assez épaisse
de marne jaunâtre , Lehm des Alsaciens ; mais ici , sur le plateau cen-
tral , entre la route du Rhin et jusqu'à deux à quatre kilomètres à TEst
de la rivière de l'Ill , cette couche est faible et en général tellement
mince que les galets roulés se montrent à la surface. Naturellement sur
ces mauvaises terres les récoltes sont médiocres , le travail ingrat , les
villages clair-semés et d'une faible population.
Nous avons sous les yeux les relevés cadastraux de 24 banlieues
situées sur le territoire de la Harth , et le chifl're officiel de la population
de ces communes. En voici le résumé :
Leur contenance totale est de 24,562 hectares dont 20,313 hectares
sont en nature de terres labourables.
Les bois communaux et particuliers des 20 banlieues avoisinant
immédiatement la forêt domaniale y figurent pour 477 hectares, non
compris les bois et broussailles des îles du Rhin, qui sont employés aux
travaux du fleuve.
En ajoutant les 14,000 hectares de la forêt domaniale la superficie
totale est de 38,562 hectares.
Sur cette superficie se trouve une population de 28,396 âmes.
Certes ces chifl'res parlent assez haut.
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MÉMOIRE SUR l'aLIÉNATION ET LE DÉFRICHEMENT , ETC. 109
La qualité el le rendement des terres ressort le mieux du prix de
location. Or voici, pour plusieurs commuues qui possèdent des biens
communaux situés sur le lerriloire du Harlhfeld^ les chiffres authentiques
de la location de ces biens.
Communes. Contenance.
Canon annuel.
Prix moyen
heet. ares.
par hectare.
Balgau ... 10 73
394' >
2-'40«
Bantzenheim . 5 68
133 »
!23 41
flirtzfelden . 300 —
3000 >
iO .
Boggenhausen 8 63
495 »
57 30 )Cesonl les meilleures
38 46 ) terres de la banlieue.
Ruestenharth 13 »
500 »
Rumersheim . 3 62
127 50
35 22
Le revenu moyen pour ces six communes est ainsi de 31 fr. 96 c. ,
celui de la forêt étant de 46 fr. 58 c. la différence en plus pour la forêt
serait d'environ 14 francs par heclare. On a choisi les biens communaux
afin de donner des chiffres officiels ; les terres des particuliers situées
dans le Barthfeld n'offrent pas un revenu supérieur K II sera constaté
plus bas qu*en cas de défrichement , sur les 14,000 hectares, 12,000
hectares seraient forcément convertis en terres labourables , dont le
revenu présumable serait également inférieur à celui de la forêt actuelle.
Voici quelle serait la prospérité promise et c'est pour aboutir à ce résultat
qu'on jetterait la perturbation dans le pays et forcerait les populations
à s'expatrier !
La mise en culture de ce vaste territoire procurerait-elle au moins
un surcroît le travail et de bien-être à la population ouvrière? A M. le
Ministre , manifestant la crainte que le défrichement de 2000 hectares
de la forêt n*apportàt un grand dommage à la population qui en tire ses
principaux moyens d'existence, la Compagnie a répondu « qu'avec les
c nouvelles cultures il y aurait infiniment plus de travail que n'en fournit
f aujourd'hui la coupe des bois tous les trente-cinq un«. »
On exploite annuellemcut quatre cents hectares dans la forêt de la
Harth et il a été bien constaté , plus haut , que celte exploitation — coupe
et transport — est d'un rapport annuel d'au moins 200,000 francs pour
la classe ouvrière. Le travail qui produit ce salaire annuel se fait prin-
* Les territoires défrichés du Niederwald de Ruestenhart el des Pins de Fessen-
heiro (à Mo>« Bartholdi) rapportent aujourd'hui à peine 20 fr. le hectare.
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110 REVITK d'ALSACF.
cipalement pendant la morle-saison , el sans nuire aux travaux des
champs. A part les frais de premier ^lablissemenl, la culture ne produi-
rait certes pas autant, particulièrement quant aux prairies qui exigent
le moins de travaux. Il est question d'ailleurs de moyens d'existence et
par là il ne faut pas seuleroeul entendre le travail , mais toutes autres
ressources offertes par la forêt. Est-il au reste bien utile ou nécessaire
de chercher à donner du développement aux exploitations agricoles à
une époque où les ouvriers désertent campagnes , ou ce n'est pas le
travail qui manque mais où ce sont plutôt les ouvriers qui font défaut.
Voudrait-on ouvrir un débouché aux ouvriers industriels? S'il y avait
même du trop-plein de ce côté , seraient-ils bien propres aux travaux
agricoles ? Dans cette gigantesque entreprise il faudrait créer quelques
villages, car les cultivateurs des villages voisins n'ont que trop de
mauvais champs ; où en prendrait-on les éléments? Quelle prospérité
ces nouveaux colons auraient-ils à entrevoir?
Enfm peut-on invoquer la loi suprême de l'alimentation de la nation ?
les prix des denrées alimentaires est-il élevé et celui des Itois tellement
bas qu'il importe d'augmenter le sol arable aux dépens du sol forestier,
de convertir les forêts en terres labourables? C'est plutôt le contraire
qui s lien ; car malgré la consommation croissante de le houille , le prix
de* bois hausse conlinuellement et celui des céréales diminue nu point de
n'être plus le prix de revient. L'application du libre-échange , en tant
quil a pour but de maintenir le pain à bon marché , deviendra même
inutile , sous ce rapport , attendu que par suite du développement de3
terres cultivées et des progrès agricoles la production alimentaire se
trouve au niveau des besoins. M. Becquerel vient même de démontrer,
qu'en France la production du froment a dépassé les besoins de la con-
sommation ^ Voici un résumé succinct de son mémoire. 11 y est question
de l'ensemencement , de la production , du prix et de la consommation
du froment en rapport avec la population. Au moyen de tracés gra-
phiques de chacun de ces éléments , on est parvenu à mieux saisir les
rapports entre toutes les parties. (En prenant les années pour abscisses
et ces éléments pour ordonnés , puis traçant également la ligne qui in-
' Mémoire sur la production et la eonsommalion du froment , par M. Becq^erri. ,
Comptes-rendus à rAcadémie des sciences. Séance du tO avril 1863.
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MÉMOinK SUR l'aliénation ET LE DÉFRICHEMENT , ETC. 111
dique la direclion moyenne et donnant son équation.) Les recensements
périodiques et la table de la population annuelle calculée par M. Mathieu,
montrent une marche ascendante assez régulière et permettent d*inférer
que, si aucuae puissante perturbation n^ntervient, la population qui
était de 37,382,225 âmes pour les 89 départements en 1861 sera de
42,139,397 âmes en 1900.
Le nombre des hectare? ensemencés en froment augmente chaque
année, mais dans un rapport moins grand que la population. Néanmoins
la production est en voie de dépasser les besoins , parce que le rende-
ment est plus fort que par le passé.
Ijes différenc^'s dans la production sont quelquefois considérables
d'une année à une autre ; elles résultent de Tintempérie des saisons ,
mais n*empèchent pas que la production n'aille en augmentant depuis
AS ans. Elle a presque doublé dans l'espace de 30 ans.
Autrefois les prix du froment variaient beaucoup dans les diverses
régions; la facitité des transports tend à les niveler, même dans les
divers pays. Ils ne dépendent pas toujours des bonnes ou mauvaises
récoltes. Les approvisionnements antérieurs et la spéculation inter-
viennent aussi pour les modifier.
Le froment entre do plus en plus dans la consommation ; la produc-
tion s'accroit néanmoins plus rapidement que la consommation, et
Tune et Tautre plus que la population. Les déficits diminuent à partir
de 1855 et la production commence à dépaiter de plus en plu» let
hnoinx.
Ces données ne reposent sur aucune hypothèse ; elleê ioni rexpretsion
pure ci simple des faits. Il convient d'ajouter que les conclusions aux-
quelles on est parvenu sont indépendantes des effets résultant de l'im-
portation et de l'exportation , des opérations commerciales et des réserves
faites par les producteurs pour vendre dans des temps opportuns.
La conclusion à tirer de cet état de choses c'est qu'il n'est nullement
nécessaire d'extirper les bois pour les besoins de l'alimentation publique
et qu'en tout cas les 21 millions de landes cultivables y sufliraient pour
des siècles.
n reste à parler des irrigations.
On a vu plus haut que la Compagnie demandait à défricher et à con-
vertir en prairies irrigables :
l'* UmX' mille hectares de la basse Harth ;
i^ Ensuite la forêt entière ;
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113 REVUE .D'ALSACE.
3« Toutes les forêts possédées par l'Etat , le long du Rhin ;
4" Elle se proposait en outre de céder de Feau à des prix modérés
(lie 25 à 30 francs par hectare) , pour irriguer les mauvaises terres ,
converties en prés, des cultivateurs le long du Rhin. (Il faut lire sans
doute les mauvaises terres sur la plaine de la Hartb , car le long du
Rhin les terres sont bonnes et humides). Est-il possible de réaliser ce
gigantesque projet suivant lequel il s'agirait de mettre en prairies et
d'irriguer environ 30,000 hectares ?
Toute irrigation dépend de deux conditions principales : le niveau des
terrains et la quantité d'eau nécessaire ou disponible. Ces deux condi-
tions existent-elles pour toutes les irrigations ?
La forêt de la Hartb peut être divisée en deux parties séparées par le
canal Av Rhône au Rhin , l'une située au Sud et à l'Ouest, l'autre au
Nord et à l'Est de ce canal.
La première composée de 18 séries ou triages (de la 3* à la 17* et de
le 35'» à la 37«) d'une contenance de 6404 hectares ne pourrait être
irriguée que par les eaux du canal de navigation. Or dans la portion
supérieure, depuis l'origine à la chaussée et Bartenheim jusque vis-à-vis
Habsheim et Hombourg , le terrain est comparativement plus élevé que
le niveau du canal , et ses eaux ne pourraient en conséquence y être
déversées. Cette diiBculté n'existe pas , généralement , dans la portion
inférieure, mais c'est la seconde condition , la quantité d'eau , qui ferait
défaut. Dans l'état actuel , le volume d'eau qui arrive dans les deux
branches , de Huningue et de Dannemarie , suffit à peine au service de
la navigation , ou pour parer incessamment aux grandes pertes qu'il
s'agit de remplacer. C'est au point que l'eau manque souvent pour l'irri-
gation des prairies du beau domaine de Hombourg. M. le vicomte de
Maupeou y a fait défricher et convertir en prés cent cinquante hedares ;
(tout en conservant 200 hectares de forêt) , il jouit d'une concession
d'eau , il paie à l'Etat un prix modéré de quatre francs par hectare , les
frais de premier établissement des écluses , fossés , etc. , etc. , ont été
considérables, et pourtant il n'obtient pas toujours l'eau nécessaire.
Il est question , il est vrai , de travaux d'agrandissement de l'écluse
de Huningue. Elle débite de huit à dix mètres cubes d'eau par seconde
lorsque les eaux du Rhin se trouvent à un étiage moyen. Mais par suite
de l'abaissement du lit du fleuve , amené par les travaux de rectification
et aux époques des basses eaux le débit est moindre et quelquefois le
canal se trouve presque à sec. Ces travaux seraient jugés nécessaires
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MÉXOIRE SUR L'ALlÉiNATiO.N LT LE OËrHlCHEMEMT , ETC. 113
dans rintéréi de la navigalion el à cause de la construction d'un canal
entre le bief N<» 41 et le Quatelbach , près de Mulhouse » dans le but de
fournil* plus d*eau aux moulins établis sur le canal. Le volume d*eau qui
devra y entrer est évalué de 4 à 5 mètres cubes par seconde , dont
les 9/10 provenant de la branche de fiuningue , tandis que d*un autre
côté , le service de la navigation ou Publigation de parer aux pertes in-
cessantes exige déjà un volume d'eaudeO à 7 mètres cubes par seconde.
D'après le projet dont il s'agit , on espère , dit*on , introduire par l'é-
cluse de Huningue 12 mètres cubes d'eau par seconde. Aller au-delà
n'est guère possible ou praticable , sans nuire à la navigation par un
courant trop fort qui entraverait la marche des bateaux en remontant.
Le débit fût-il même supérieur , lors des hautes eaux , ne doit cepen-
dant pas être porté plus haut , relativement aux irrigations , attendu
qu'à Tépoque où ces opérations ont le plus souvent lieu , en avril et mai,
les eaux du fleuve n'ont pas encore atteint leur maximum d'élévation.
Et , règle générale , les jours de basses eaux ou des eaux moyennes
constituent la grande majorité des jours de l'année. Voici donc quel
Serait , dans la situation la plus favorable , le bilan. Il faudrait de 6 à 7
mètres cubes pour le service de la navigation , de 4 à 5 pour le canal
allant au Quatelbach , et 1",0&' à \'',i^ pour les écluses de Hom-
bourg ^ De toute manière il n'y aurait aucun excédant d'eau , et il
résulte de cet aperçu qu'en admettant mAme l'exécution du projet
* Le débit de la première des trois écluses desservant chacun*^ 50 hectares, a été
calculé à 0",855e cubes d*eau par seconde par M. Miintz , ingénieur en chef (rapport
au Conseil général 1859). D'autres calculs le portent à 0",i30«. En prenant la
moyenne entre ces deux chifTr.'s on obtient 0", 892 50 pour 50 hectares et 1>",1776
pour les 150 hectares ou bien encore 0",00785 par hectare. Au moyen d'une écluse
on arrose de 8 à 4 hectares en S4 heures , soit 50 hectares en quinze jours. L'eau
est dirigée et promenée successivement sur toute la superficie , et quand une rota-
tion de quinzaine est terminée on en recommence une autre. Sans la précaution de
diriger ainsi les eaux quelques places seraient capables de boire toute l'eau fournie
par récluse. Sur ces terrains , un autre Palémon ne dirait pas : les prés ont assez
d'eau , »al yrata biberunt. Aussi le volume d'eau nécessaire , même par cette mé-
thode , est-il bien supérieur à celui qui est employé ailleurs où l'on compte une
tranche d'eau de 10 à 20 centimètres de hauteur , soit en moyenne 15">.00e cubes
ou 18,000 litres par are et 1,500,000 par heclure, renouvelable tous les quinxe
jours. A Hombovrg, en prenant le chiffi^ te plus bas , 0>>,855«, il faut 460 millions
de litres par quinzaine pour 50 hectares , soit 9,200,000 par hectare.
8- Série. - 17 Année. 8
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114 REVUE D' ALSACE.
d'agrandissement de l'écluse de Huningue il n'y a pas à compter, ni
sur la création c des 300 hectares de prairies irrigables dans la banlieue
de Rixheim , » ni sur aucune autre dans cette première partie de la forêt
de la Harlh , et que dès-lors , en cas de défrichement , la presque tota-
lité des 6400 hectares resteraient forcément à Tétat de terres labou-
rables.
La deuxième partie de la forêt de la Harth , située au Nord et à l'Est
du canal du Rhône au Rhin, composée de 23 séries ou triages (de 18 à
43^ , d'une contenance de 77CO hectares est dans une situation analogue.
Les eaux du Rhin sont les seules qui puissent y être amenées et la plus
grande, étendue de cette partie se trouve trop élevée pour qu'elles
puissent y atteindre. Il existe deux pentes Tune du Midi au Nord , sui-
vant la peîite générale , l'autre de l'Ouest à l'Est. Celle-ci est très-forte.
Du côté occidental de la forêt , l'élévation au-dessus du niveau de la
mer est cotée ainsi qu'il suit : Â la croisée des roules impériale N« 66
et départementales N<^ 9 et 15 près de Rixheim , 242 ; à la rondelle
Napoléon , 235; à l'entrée de la forêt, vers Ensisheim, chemin N^' 4, 227 ;
t tndis qu'au côté oriental elle l'est à 227 près d'Ottmarsheim ; 225 à
Rantzenheim et 222 près de Rumersheim. Dans cette direction on re-
marque plusieurs ondulations de terrain (Rideaux Ra'm en allemand)
qui comme des gradins descendent vers le Rhin. Tout le territoire placé
au-dessus ou en arrière du premier ou du second rideau , tout ce qui
constitue le plateau de la Harth est inaccessible aux eaux du Rhin de
quelque part qu'on les prenne. La superficie de cette portion de la
deuxième partie est d'une contenance d'environ 6000 hectares qui res-
teraient donc encore , après défrichement, à l'état de terres labourables.
Le tracé de la rigole, suivant l'étude Schlumberger-Dollfus, partant du
C'tpuzmer'Kopf, près d'Ottmarsheim, entrait dans la forêt de la Harlh
entre Bantzenheim et Rumersheim et là devenaient irrigables , quant au
niveau , environ mille hectares dans les 40*, 41* , 42* et 43* séries.
Les communes intéressées ayant demandé , en vain , que les irriga-
tions s'étendissent à leurs banlieues et qu'à cet effet la prise d'eau se fit
à Kembs ^ nous avons pris la résolution , fort de l'approbation préfec-
torale et de l'adhésion des communes , de faire étudier ce nouveau
projet. M. l'ingénieur Gauckler a bien voulu se charger de l'étude de
la prise d'eau de Kembs et il en ressort , outre I extension du bienfait
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MÉMOIRE SUR L'AUÉNATION ET LE DÉFRICHEMENT , ETC. 115
des irrigations à un plus grand nombre de communes , un atantage
extrêmement important , dont il va être parlé.
Comme élément d'irrigation , les eaux du Rhin ne sont point ferti-
lisantes y elles sont même considérées comme nuisibles par la plupart
des cultivateurs de la contrée. C'est un préjugé, si Ton veut, mais
qui n'est pas tout-à-fait sans quelque fondement. Lorsque les eaux sont
bourbeuses elles charrient un sable très-fm , et une matière limoneuse
particulière qui se déposent au cœur de la plante , qui s'attachent aux
feuilles sous forme d'une glu grisâtre. Celle-ci se voit après chaque
crue , indique parfaitement le passage et la hauteur des eaux et per-
siste jusqu'à ce que les rosées ou la pluie aient peu à peu lavé la plante.
En ce sens cette action des eaux est vraiment nuisible. Quand
au contraire les eaux sont claires , limpides , ce qui est bien rare ,
elles ne nuisent pas en ce sens, mais leur action peut devenir
nuisible d'une autre manière: c'est qu'en se répandant en grande
abondance sur un sol graveleux, perméable, elles filtrent faci-
lement à travers la couche superficielle , se perdent dans le sous-sol ,
entraînant des substances utiles et peuvent ainsi appauvrir les terrains.
11 faudrait renoncer aux irrigations si au moyen de procédé» particulière
et surtout de la disposition favorable des lieux et des eaux à Kembs on
ne parvenait à parer à ces inconvéniens réels et sérieux. Là il sera
possible d'utiliser tantôt les eaux troubles du Rhin pour colmatages, tantôt
les eaux claires , d'infiltration et les eaux des sources pour irrigations.
\oilà ce qui constitue Timmense avantage de la prise d'eau à Kembs.
Suivant le tracé de ce projet , la rigole viendrait , aussitôt que possi-
ble , longer la partie orientale de la forêt , et l'améliorerait en y répandant
rburoidité; elle traverserait plusieurs banlieues en éparpillant les
prairies en longueur afin de fournir des fourrages à toutes les com-
munes placées sur son parcours ^ Jusqu'à présent le cultivateur ou le
paysan sur la Harth est réduit à la culture des prairies artificielles sur
' Â partir d'Ottmarsheim , les prés seraient établis le long du canal , de chaque
cdlé , sur une largeur d'environ 400 mètres et sans qu'ils touchent immédiatement
la forêt. Ce syslcme est le meilleur, car la théorie et l'expérience de Hom bourg
sont d'accord pour démontrer !<> que les parties qui avoisinent les bandes de forêt
donnent d'»s fourrages inférieurs en quantité et en qualité ; 2" que . sur ce sol ,
la distribution des eaux présente de plus grandes >lifll<*ultés à mesure que Ton
s'éloigne dn c^nal d'irrigation.
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Ii6 lUEVlTE n*ALSiCE.
on mauvais sol et manque le plus souvent de fourrages. ïi est forcé
alors ou d'en acheter ou de vendre à vil prix son bétail qu'il ne peut
nourrir , sauf à le remplacer chèrement plus tard et à se mettre ainsi
souvent à la merci du trafiquant. Nulle bonne culture n'est possible
dans ces conditions. Les irrigations projetées acquerront donc le
caractère d'une véritable utilité publique , non par l'établissement d'un
domaine particulier^ aux dépens de la forêt, mais par la création ,
dans chaque localité traversée par le canal , d'un petit corps de prai-
ries irrigables , afin de rendre certains , assurés , la récolte de four-
rages , la nourriture , l'accroissement même du bétail * une culture
progressive , et le bien-être de l'homme des champs.
Ce serait aussi ce système , mais seulement ce système, qui amènerait
peu à peu , moyennant une production plus générale et plus assurée de
fourrages, la diminution ou la cessation des enlèvements d'herbes de la
forêt , enlèvements qui sans doute peuvent être une cause de détério-
ration , mais qui jusqu'ici ont leur impérieuse raison d'être.
Une utilité secondaire de notre rigole d'irrigation c'est qu'en outre
elle distribuerait , sur son parcours , de l'eau aux communes qui
aujourd'hui en sont privées pour créer des abreuvoirs , des lavoirs ,
des réservoirs à incendie. Tels sont les principaux avantages du projet
et du tracé qui naui appartient.
Suivant les calculs et l'expérience de Hombourg *, il faudra l'énorme
volume de 14 à 15 mètres cubes d'eau par seconde pour irriguer
2,000 hectares. — Et quelles dépenses pour amener sur place une
telle masse d'eau I
Avec la prise d'eau de Kembs le niveau des terrains permettrait à la
rigueur de prendre et d'irriguer ces â,000 hectares dans la forêt de la
Harlh, mais si l'on emploie , sur le territoire de la forêt , toute l'eau
* Il t>gt admis généralement ^qu'une couche d'eau de ObJO^ d'épaisseur est
suflisanle pour une irrigation répétée toutes les semaines ou tous les quinze jours.
Sganzin inspecteur général des ponts et chaussées , cours de construction, 2* vol.
page 1 47 , calcule aussi une tranche d'eau de 0"y1 0^ d'épaisseur. Ces calculs se rap-
portent à des irrigations sur des sols limoneux , compactes , où Teau n'est pas en-
tièrement absorbée et où le superflu est reçu dans des fossés d'écoulement. Il en est
tout autrement sur les terrains pierreux, sablonneux de la Harth. Hombourg fournit à
cet égard la mesure la plus exacte. On a vu qu'il faut au minimum 0n,35S« cubes d'eau
par seconde pour 50 hectares, conséquemment 0",7!0f pourcent et 7»,100 pour
mille hertarep.
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MÉMOIRE SUR L* ALIENATION ET LE DÉFRiCHEMEMT , ETC. 117
disponible » que deviendront les cessions d*eau aux particuliers , dont
il est tant question? que deviendra Futilité publique de Fentreprise ,
car tout le inonde reconnait, même implicitement, queTutililé publique
réside uniquement dans la création de prairies irrigables sur les pro •
priétés particulières de la plaine de la Hartb? Et à supposer qu'on
veuille bien leur céder la moitié de Teau , il ne resterait plus que 1,000
hectares de la forêt à convertir en prés.
Le résultat définitif de Taliénation et du défrichement de la forêt de
la Harth serait en conséquence l'obtention de 13,000 hectares de mau-
vaises ttrrei labourableê il de 1,000 à t,400 hecinrf$ de prés. Certes
an pareil résultat n'est point fait pour c contribuer puissamment à
€ augmenter la prospérité du département ; > il n'est pas même fait
pour tenter la spéculation et k moins d'obtenir la concessiun , soit par-
tielle, soit totale » bien au-dessous du prix vénal ou réel , toute com-
pagnie qui se formerait aurait vraiment « à se contester de bénéfices
t très-modérés. >
En résumé
La Harih , cette grande et antique forêt de l'Etat , d'un rapport
toujours plus considérable , et supérieur à celui des terres environ-
nantes , si éminemment utile aux communes usagères et à tout le pay> ,
ne pourrait passer en d'autres mains , sans que la perte de ses res-
sources et de ses influences bienfaisantes n'entrainàt une grave pertur-
bation dans la culture de la contrée et parmi les populations. Les
motifs de la conserver sont nombreux à tous les points de vue , il n'en
existe aucun de la faire disparaître. Les améliorations agricoles présumées
sont ou illusoires ou réalisables sans cessions du domaine national.
La raison d'Etat et l'instinct populaire se réunissent pour en repouriser
l'aliénation.
Les populations attendent du Gouvernement de l'Empereur la
satisfaction de leurs besoins, elles mettent en lui seul toute leur
confiance.
Onimus,
dn Conseil général du Haot-Rhio ,
aaire de Bantsenheim.
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SPECKLE (DANIEL).'
On a son portrait gravé peu de temps après sa mort par Jean-Théo-
dore de Bry , avec cette inscription à Tenlour : c Daniel Speckle
t Architectus Argentinensis nascitur anno M. D. XXXVL obiit Argen-
i( tinœ an. H. D. LXXXIX. >
Daniel Speckle naquit à Strasbourg en 4536 , de parents pauvres et
peu aisés. Sa jeunesse fut orageuse et peu décente , comme on le Ut
dans le protocole du grand sénat de Fan i565. € Damel Speckle Ut in
€ seiner Jugent etwa$ unnûl* und muthwiUig gewesen mil Frauvnvolk »
€ Schlagen und Handel , etc. >
Il commença par être un brodeur en soie et un dessinateur , et en
qualité de compagnon il parcourut la Suède, la Pologne , la Prusse , la
Hongrie et les Grisons.
Ses talents se développèrent dans ces dilTérents voyages et étant
venu à Vienne , il eut le bonheur de se voir attaché à Solizer , archi-
tecte de Tempereur , où il se perfectionna dans l'architecture militaire.
L'empereur reconnut son mérite et lui donna le soin do sa Kunst-
kummer. Ce fut là qu'il travailla pendant cinq ans , et qu'il s'acquit ces
grandes connaissances dans l'architecture militaire , qui le firent
regarder comme un oracle de son temps. Jean , évêque de Strasbourg ,
Georges-Jean et Jean-Casimir , tous deux comtes palatins du Rhin , le
comte de Hanau , les villes d'Ulm , de Bàle , Colmar , Scblestadt , Ha-
* Nous avons trouvé à la bibHfithèque de Strasbourg , parmi les manuscrits de
Grandidier, acbelés en 1862 à Leipzick , quelques notes sur Daniel Speckle.
Elles sonl écriles de la main de Grandidier. Nous les publions parce qu'elles nous
paraissent pouvoir servir à conlrôler et , à certains égards , à compléter la notice
donnée , Tan dernier , dans la troisième livraison des AUacieni illustrei. Le por-
trait dont il est question en tête des notes d3 Grandidier , est parfaitement repro-
duit dans la livraison des AUaeien» illusires.
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SPECKLÉ (DANIELV 119
guenau , etc. , l'appelèrent chez eux tour à tour pour prendre ses con-
seils et fortifier leurs villes. De retour dans sa patrie, en 1574, Lazare
de Schwendi lui ordonna , de la part de Tarchiduc Ferdinand , de faire
une carte d'Alsace. Celte carte fut achevée en 1577; elle est exacte,
bien gravée et mérite d*étre mise à côté de celle de Gassini.
Ce travail , qui ne fut qu'accessoire , ne l'empêcha pas de continuer
son principal métier , qui était celui de l'architecture militaire. Ses
talents furent reconnus par le Magistrat qui , en 1577 , le nomma l'ar-
chitecte^ ou Baumeisier de la ville , avec une pension annuelle de 250
florins , (somme alors considérable) de six cordes de bois , de cent
fagots ^ et d'une maison franche. Elle l'envoya dans le même temps en
Hollande pour en examiner les fortifications.
Dès l'an 1575, le fameux Lazare de Schwen<)i l'avait amené avec lui
à Ralisbonne , où on le consulta sur quelques fortifications à faire dans
la Hongrie ; il lui obtint la même année la place d'architecte d'Albert ,
duc de Bavière , qu'il abandonna l'année suivante pour aller dans sa
patrie.
Pendant son séjour à Strasbourg, il fut employé par différents
princes. Il accompagna Charles-Quint dans son expédition d'Afrique.
Georges-Jean, comte palatin, l'appella en 1580 pour examiner la
situation de la ville de Pfalsbourg et la rendre propre à la navigation :
ce que Speckle trouva impossible.
Dans les intervalles , Speckle travailla à différents ouvrages. Il publia
en 1^9, à Strasbourg, un livre allemand intitulé: Architectura von
Vestungen. C'est le premier ouvrage allemand qui parut sur l'archi-
tecture militaire ; il est dédié au duc de Brunswick. C'est un très-bon
ouvrage dans ce genre , dont plusieurs modernes ont profité. On prétend
même l'avoir vu sur la table du fameux Vauban.
Speckle laissa aussi des manuscrits sur l'histoire de Strasbourg , qui
sont cités par plusieurs auteurs. Celui . qui se trouve aujourd'hui dans
les archives de la ville , fut acheté pour 30 florins de Lazare Zetzner ,
libraire, par Oseas Schad , diacre de Saint-Pierre-ie -Vieux , d'où il
passa , en 1615, dans les archives de la ville.
Il mourut en 1589 , selon Eiseuschmid , de ponder. . sect. t , cap, 1 ;
Bûrger-Freund de l'année 1776, Num, oi , page 793-802,
* L'extrait du registre en porte le Dombre à mille. ^,Note de Téditcur).
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120 REYUE D'ALSACE.
Il ne faut pas le confondro avec Jérémie Speckie , son parent , qui
composa le grand Altnenthuch de la ville en 1570. Bûrgerfreund de
ran 1777 , page 74.
La carte géographique d'Alsace par Speckie fut gravée à Strasbourg
en 1576 , en trois feuilles , petit in-folio ; elle fut gravée par les ordres
de l'archiduc Ferdinand. C'est la plus ancienne et la plus exacte de
cette province. M. de Turenne s'en est servi et l'a approuvée.
Grandidier.
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NOTES ET DOCUMENTS
POUR SERVIR A L'HISTOIRC DE LA KÉVOLUTION EN ALSACE.
Suiiê \
1790.
y*" Décembre. — Abbaye (fAUpach. Religieases de l'ordre de
Sainte Claire, observance des Urbanistes. — Statistique au l*' dé-
cembre 1790. — Extrait du procès- verbul dressé par Jean-Baptiste
Mittelberger y membre du Directoire du district de Golmar, commissaire
nommé en cette partie , pour le canton de Kaysersberg , par arrêté du
Directoire du 9 novembre i 790.
Mittelbei^er constate que l'abbaye possède sur le ban de Kaysersberg :
six pièces de vigne, deux prés avec moulin et verger , dix-huit autres
prés , quatre champs , trois forêts et une maison à Kaysersberg affer-
mée 120 liv. ; un pré sur le ban de Lapoutroie, deux sur celui de
Fréland , une censé et dix journaux de prés à Orbey , six pièces de
vignes à Kientzheim , quatre à Sigolsheim et deux journaux de prés , six
vignes à Ammerschwihr , un pré , un champ , un jardin et une maison,
cinq vignes et un pré à Ingersheim , deux vignes et un pré à Nieder-
morschwihr , une vigne à Turckheim , un arpent de terre arable à
Houssen , soixante quinze journaux et demi de champs et cinquante-un
journaux et demi de prés à Heiteren, cinquante-deux Jûch un scbatz
et deux tiers à Oberhergheim , plusieurs terres labourables affermées ,
neuf rézeaux à Niederhergheim , un premier corps de bien de
106 Vi Jucher 1 viertzel , un deuxième de 73 Jucher 1 Vs viertzel ,
un troisième de 33 journaux de terres arables , et un quatrième de
deux Juchard un demi viertzel avec maison et dépendances à Balgau ;
un champ à Colmar , un à Wettolsheim , un à Wintzenheim et un
à Horbourg, affermés 21 rézaux ; un corps de bien affermé 20 rézaux
à Nambsheim , un à Harckolsheim affermé 58 rézaux i boisseaux ,
un à Ober et Mieder-Entzen affermé à 16 rézaux et deux à Ensisheim
affermés à 58 rézaux 2 boisseaux.
* Voir les livraisons de mai , Jain et octobre , pages 233 , 277 et 470.
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m REVUE d' ALSACE.
Le commissaire recense encore plusieurs rentes emphitéotiques en
nature et en argent d'un revenu considérable , il inventorie un mo-
bilier important et des récolles en grains et vins à Alspacb et
Ammerschwihr et clôt son procès- verbal le 14 décembre 1790.
Cette pièce est suivie de la mention et des signatures qui suivent :
€ En ma qualité d'Abbesse y en conséquence du serment fait après
< ma légitime élection de ne rien laisser aliéner , je proteste contre
« toute vente et aliénation quelconque des biens appartenant à Tabbaye. è
S. Harie-Therese Favre, abbesse. S. Marie-Benoite Reiset, prieure.
S. Marie-Xaveria Goll. S. Marie-Rose Bourste. S. Maria-Antonia Taver-
nière. S M: Louis G'sell. S. Marie-Saloraée Zœpfel. S. Marie-Anne
Baudinot. S. Marie-Françoise Gilgencranlz. S. Marie-Isabelle Tann-
berger. S. Marie-Rose Fanget. S. Marie-Claire Gilgencranlz. S. Marie-
Hyacintha Geiger ^ S. M. Séraphine Lang^. S. Marie-Odile Bertrand.
S. Marie-Joseph Schiele ^. S. Marie-Jeanne-Jean-Baplisle Antoine *.
S. Marie-Hortulane Bûcher ^. S. Marie-Pacifique Dyron ^. S. Marie-
Thérèse Reroy ''. S. Marie- Augustine MuUer s. S. Marie-BeatriK Wein-
zorn. Marie-Barbe Mutzmger , Catherine Biéchy , Agathe Ancel et Eli-
sabeth Bartbel , sœurs converses , ne sachant écrire ont fait une croix.
Ces marques sont suivies des deux signatures suivantes écrites en
lettres allemandes. J. Maria- Alexia Métier. J. Marie-Coleta Metter.
MlTTELBERGER ,
commissaire.
17 décembre, — Le conseil général rejette la demande d'une remise
de 95 liv. sur le prix de l'adjudication du 26 octobre de la maladrerie
de Thann au profit de Catherine Chalet pour le prix de 1600 livres et
dit qu'elle est définitivement adjugée à Cron.
* De Dtsscnlieiin , âgée de 20 ans, reçue le l«r n.>veiiibre 1777, s'appelait
Marie-Marguente-Sophie-Barbo.
* De Blolzheim , reçue le 1*^ septembre 1777 , à l'âge de 19 ans.
' D' Ammerschwihr , Agnès-Françoise, reçue le 21 janvier 1783, à Vi^e
de 22 ans.
* Walburge de Kaysersberg, reçue le 10 janvier 1788 , à Tàge de 19 ans.
* Marie-Magdcleine, de Schlestadt, reçue le 10 juin 1788 , à l'âge de 19 ans.
* Marie-Barbe , de ScherrwiUer, reçue le 21 janvier 1783 , âgée de 22 ans.
^ Marie-Anne- Jacobe , d'Ensisheim, reçue le 10 juin 1788, âgée de 18 ans
et demi.
* Maric-Aiiue , de Pfaflenheim , reçue le 10 juin 1788 , âgée de 19 ans.
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NOTES ET DOCUMENTS , ETC. 423
J/ décembre. — Le Directoire adresse à TAssemblée nationale ses
observations relativement à l'état-civil des juifs de la province d'Alsace;
Il fait valoir une foule de considérations tirées de leur état moral ,
de leurs habitudes d'extorsion , d'usure etc. , et enfin du préjugé qui
les frappe , pour repousser leur admission aux droits de citoyens et
surtout l'usage de ces droits dans les assemblées électives.
— La maison d^Ensisheim est convertie en dépAt de mendicité.
— En général tous les celleriers et économes des maisons religieuses
s'opposent à Texploitalion des forêts et propriétés des dites maisons.
1791.
5 janvier. — Le garde de M. de Reinach-Foussemagne demande
que son fusil a deux coups , enlevé par sept particuliers , lui soit rendu,
Le conseil dit qu'il n'y a pas lieu de statuer et renvoie le demandeur
à se pourvoir comme il entendra.
3féfne jour. — La municipalité de Bessencourt demande à être
autorisée de vendre le fusil saisi sur c un quidam > se disant chasseur
de M. de Reinach-Foussemagne et chassant dai^ la forêt. 11 a été ver-
balisé contre lui et la municipalité a prononcé la saisie du fusil.
Le Conseil dit qu'il n'y a pas lieu de statuer sur le demande de la
municipalité , sauf à celle-ci à donner suite à son jugement , s'il échet ,
conformément aux décrets.
iS janvier. — Les habitants de Meroux font une coupe extraor-
dinaire , dans le canton de réserve, de 180 cordes sur une surface de
6 arpens sans s'y faire autoriser.
Le Directoire considérant que le procédé tout marqué au coin d'une
insubordination décidée , le maire quoiqu'averti , mande le procureur
de la commune Alexis Villemin à la barre pour rendre compte de sa
conduite ; ordonne que le bois sera vendu entre les citoyens du lieu
au profit de la caisse communale.
/7 janvier. — Jean Coquerille de Vcllescot injurie , poursuit et
maltraite Henri Villemain Bangard , à propJs de la convocation qu'il
fait d'aller voter à Grandwillards pour Télection d^un juge de paix.
Le conseil général condamne Coquerille à trois jours de prison à la
conciergerie de Belfort,
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124 REVUE d' ALSACE.
10 janyièr. — M. Ricklîn est désigné pour remplacer M. Mûeg
procureur général syndic pendant une absence que celui-ci doit
faire.
A partir de 91 de nouveaux membres figurent parmi ceux du
Directoire : 0 était alors composé de Schaff vice-président.
Wselterle-Schneider-Rudler-Rescb et Eggerlé, Ricklin faisant fonction
de procureur général.
27 janvier. — Albert le jeune, homme de loi, donne sa démission de
secrétaire des biens nationaux du département. Le Directoire élit
M. Thannberger, le jeune, aussi homme de loi , pour le remplacer.
S février. — M. Mûeg donne sa démission de procureur général
syndic. M. Rudler est désigné pour le remplacer provisoirement.
4 février. — MM. Dumas , colonel d'infanterie , chevalier de Tordre
royal et militaire de Saint Louis et de celui de Cincinnatus , Marie
Jean Hérault , Tun des juges du District et ancien avocat général au
parlement de Paris et Joseph Ignace Foissey , président du tribunal du
District de Nancy et ancien avocat général au parlement de Metz , com-
missaires nommés par le Roi, en exécution du décret du 20 janvier
dernier, sont reçus alPDirectoire où une conférence a lieu, puis se retirent
aux Six-Montagnes noires où ils sont descendus la veille. Ils informent
le Directoire qu'ils partiront le lendemain pour Strasbourg où ils ren-
gagent à leur écrire pour tout ce qu'il aurait à traiter.
5 février. — Le Directoire s'organise en trois comités.
l*' MM. Schoff, directeur du bien public.
Resch — militaire et police.
Vaelterlé — contentieux.
^ MM. Schneider, directeur du bureau de comptabilité.
Muller — des domaines natKfhaux.
Ricklin —
3* MM. Rudler, directeur du bureau des impositions.
Eggerlé — du bureau forestal.
' Le Procureur général.
Séances des directeurs , le matin de 9 heures à midi.
•— le soir de 4 à 8 heures.
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NOTES BT DOCUVENTS , ETC. 425
10 avril. — M. Monnin, président du Conseil général da département
est introduit. — Lequel a dit que le Conseil général ayant arrêté le 3
novembre dernier, (n* 4 de son procès-verbal) qu'il resterait président
de l'administration majeure jusqu au moment où il ferait son aption
entre cette place et celle de 1«' juge du tribunal du District de
Belfort à laquelle la confiance publique Ta appelé ; il déclare qu'il
vient de prendre la résolution d'opter en faveur de cette dernière
place y invitant le Directoire de lui en donner acte et s'est retiré. —
Donné acte et délivré expédition à H. Monnin.
(Communications émanant de divers coUatrarateurs et de sources aulbentiques}
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BULLBTM BIBLlOfiRAPHIQVE.
Les coutumes du val deRoscmont, publiées potêr la première fins ,
avec introduction et notes par Ed. Bonvalot y conseiller à la cour
impériale de Goltoar. Paris, Âug. Durand, rue Cujas, 7 et rue
Touiller, 1. — 1866. Brochure in-8* de Si pages , prix 3 francs.
Au moment de mettre sous presse la dernière feuille de cette
livraison, nous recevons le travail que H. Bonvalot vient de faire
paraître sur Fancien droit coutumier d*un nouveau coin de TAIsace
française. Nous nous empressons de l'annoncer. Il sera reçu , nous
n'en doutons pas , avec ia^atisfaction qui a accueilli la première publi-
cation de M. Bonvalot sur le même sujet pour le val d'Orbey.
La méthode suivie par l'auteur pour les coutumes du Val de Rose-
mont est la même que celle adoptée pour les coutumes du val d'Orbey:
une introduction historique d'abord , puis le texte du règlement et, en
troisième ordre , les remarques de l'auteur sur les différents articles
dv ce petit code.
Dans le premier paragraphe de l'introduction , l'auteur établit som-
mairement l'état politique du Rosemont avant la Révolution de 1789.
Dans le second , il procède non moins rapidement pour l'état anté-
rieur jusqu'au commencement du quatorzième siècle, époque à laquelle
un document permet de préciser la date de 1307 où, par suite du
mariage de Wilhelmine de Montbéliard avec Renaud II, comte de
Bourgogne , Belfort reçoit , de ce dernier , des franchises auxquelles
participa peut-être aussi , selon l'auteur , la terre de Rosemont. Cela
paraît probable s'il est permis d'en juger, par déduction , assez natu-
relle ce nous semble , tirée de l'article 5 des c Droits et coustumes >
publiés en ^860, pag. 154 à 169 de la Hevue d'Alsace , par M. Henri
Bardy , sous le titre d'Urbaire de Belfort,
Un siècle et demi plus tard (1423) , après la mort de l'archiduc d'Au-
triche, Léopold m , Katerine de Bourgoigne , sa veuve, rentre en posses-
sion, pour sa vie durant, < des Chestiaix de Belfort, de Tanne, des bailliages
c et chatellenies d'Ycelles fourteraces... desdits pays de Sungole et de
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BULLETIN BIBLIOGBAPHIQI?E. 427
c Aassay lesquelx il nous ait rendu et aussi en Rosemont... > sauf
après son c deceps que ne obéiront a nulz fuer audit beaufrëre le duc
< Frédéric , à son frère ou cusin ou à la maison d'Osteriche *. >
Ainsi y le Rosemonl suit le sort de Belfort lorsqu'à la mort de
Catherine de Bourgogne , € rAutriche étend ses possessions dans le
Sundgau. > N'est-il pas naturel de penser que la terre de Rosemont ,
dépendant de la juridiction métropolitaine de Belfort sous Renaud de
Bourgogne , puis subissant le sort de la métropole quand elle passe à
l'Autriche, ait , depuis Renaud , joui des mêmes droits , us et coutumes
que la métropole y sauf les prérogatives de cetle dernière quant aux
droits seigneuriaux concédés par les Franchises?
Quoiqu'il en soit de cette remarque , nous dirons que dans les para-
graphes qui composent l'introduction, H. Bonvalot conduit le récit
avec une lucidité remarquable et qu'en écrivain loyal , il ne néglige ,
nulle part, d'indiquer les sources auxquelles il a été demanderas
matériaux dont il use pour composer son exc^llenl résumé historique.
Le règlement coutumier du val de Rosemont , qui forme la seconde
partie de la publication de H. Bonvalot , et qui en est , à vrai dire ,
la partie fondamentale , occupe les sept pages suivantes et se compose
de 56 articles. Ce n'est point d'après l'original , dont on ignore le sort ,
que ce petit code local est publié , mais d*après une copie collationnée
et authentiquée par' le notaire D. Viellard , puis signifié , le 15 octobre
1B97 , par B. Heugenot, à Tintendant des affaires de monseigneur le
duc de la Meilleraie.
C'est dans le cours de ces sept pages imprimées de notre vieux
droit coutumier que M. Bonvalot trouve l'occasion de placer 45 renvois
aux notes qui forment la troisième et dernière partie de sa publication.
Dans cette partie l'historien-légiste fait preuve de savoir étendu et
de travail consciencieux. Plusieurs de ses notes sont, en effet, de vérita-
bles traités, aussi sobres mais aussi complets que désirable sur des points
historiques et caractéristiques de notre ancien droit coutumier. La
première , entr'autre , résume avec une grande clarté l'organisation
juridictionnelle du comté de Belfort à partir des franchises de 1807,
comté dont dépendait la seigneurie du Rosemont que H. Bonvalot
' Aon. 1423 — Chambre des comptes de Dijon. « Traité fait et passé eotre
Frédéric , dac d'Autricbe, et Catherine de Bourgogne, an sujet du donaire qui lui
a été assigné par Léopold , duc d* Au triche , son mari. »
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iSS REVUE D* ALSACE.
traite spécialement. C'est dans ces notes qu'apparaissent les recherches >
vraiment très-considérables , que Fauteur a faites dans les livres et
dans les archives du pays pour jeter sur le sujet toute la lumière que
les monuments écrits permettent d'en dégager. A la note 24, pag. 56 ,
nous trouvons cependant un chant populaire qui apparaît comme inédit,
tandis qu'il a été publié par H. Henri Bardy en 1853 , pages 37 k 29
de celte Revue. La leçon de M. Bonvalot offre quelques variantes ^ îl
est vrai ; de plus sa manière d'ortographier le patois du Rosemont
comporte d'assez notables différences avec la manière de M. Bardy.
Nous ne savons trop à laquelle des deux manières il faudrait accorder
b préférence ; mais il suffit qu'elles existent pour donner aux deux
textes une certaine valeur au. point de vue de la linguistique.
Nous recommandons le travail de H. Bonvalot aux lecteurs de la
Revue et particulièrement à l'arrondissement de Belfort où l'on s'in-
téresse, peut-être moins qu'ailleurs , aux origines et aux traditions du
pays ; et nous saisissons cette occasion pour dire à notre collaborateur,
H. H. Bardy , qui a publié dans ce recueil des documents qui ont éié
d'un grand secours à M. Bonvalot, que si le titre de fondation du
chapitre de Belfort manquait aux archives et pouvait être utile pour
la continuation des recherches ou pour compléter les renseignements
fournis par Descharrières , nous en tenons à sa disposition une copie
qui parait être contemporaine de la fondation (1433).
Nous avons de plus sous la main une copie de l'acte d'affranchisse-
ment et une copie pareille du droit coutumier de Belfort. Ces copies
sont plus modernes que celles dont M. Bardy a fait usage et de l'écri-
ture desquelles il donne un fac rimile. Aussi existe-t-il quelques diffé-
rences entre le texte que nous avons sous les yeux et celui que
M. Bardy a publié. On reconnaît facilement que les différences aux-
quelles nous faisons allusion . sont le résultat de l'interprétation des
textes primitifs; on peut donc, selon nous, en tirer la conséquence que
les règlements du droit coutumier des diverses juridictions de la métro-
pole se sont successivement modifiés , plus ou moins sensiblement , et
que dans les temps anciens, comme dans les temps modernes, la
jurisprudence en a fait élaguer les parties tombées en désuétude et
peut-être même , en quelques seigneuries , les parties réglées par les
us et coutumes de la métropole.
Frédéric Kurtz.
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ETUDE
SUR L'ORGANISATION MUNICIPALE DE SA VERNE
S0V8 LA DOMINATION
DES ÉVÊQURS DE STRASBOURG.
Suite €t fin *.
C.
LE MAGISTRAT DEPriS hk SOUMISSION DE L'ÉVÊQUE DE STRASBOURG
A LA COURONNE De FRANCE.
Après que Tévêque de Strasbourg , François-Egon de Fûrstenberg
eut reconnu en 1680 la souveraineté de la France, le magistrat de Sa-
verne vit le cercle de ses attributions s*amoindrir et diminuer son im-
portance tant par la perte de Tadministration de la haute justice que
par les réformes que le cardinal Guillaume-Egon de Fûrstenberg lui fit
subir. Ce prince voulant introduire dans la comptabilité communale plus
de régularité , de clarlé et de précision , enleva aux lohnherrn la gestion
des deniers patrimoniaux et créa par un édit du 7 août 1691 la charge
de receveur municipal , qu*il conféra à un employé du conseil de sa Ré-
gence. Le magistrat protesta en vain contre cette nomination ; en vain,
prétendait-il que le droit de conférer la gestion des deniers communaux
était au nombre de ses prérogatives les plus essentielles, puisqu'il était
chargé d'exercer une surveillance active incessante tant sur la compta-
bilité que sur les comptables.
Lorsque Louis XIV eut reconnu par sa déclaration du 9 février 1693
que révèque de Strasbourg avait le droit de disposer de tous les offices
séculiers de Tévêché , le cardinal de Fûrstenberg s'entendit avec son
chapitre pour les aliéner et les rendre héréditaires ; il créa et érigea en
* Voir les livraisons de juin , juillet et septembre , pages 251 , 289 et 413.
8- Série. -47- Alinéa. 9
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130 REVUE d' ALSACE.
titre d'office par un édil du 30 mars de la même année, la charité de
prévôt et celle de greffier de 1^ yi)Ie d^Sayerne ; la charge d'Oberschult-
heiss Tut réunie à celle de vice-dône , président du conseil de la
Régence. Cette création ne porta aucune atteinte à la composition du
magistrat qui conserva ses anciepg privilèges et rranchises. L'Unlenschult-
heiss prit le titre de prévôt , et le vice-dôme président du conseil de la
Régence adjoignit à son titre celui d*Oberschultheiss ou de grand-bailli
(le la \ille. En 1695 un procureur fiscal Fut attaché au magistrat , il eut
pour mission de défendre les intérêts seigneuriaux, de faire la recherche
des délits et des contraventions, de réprimer les désordres et de
veiller à Texécution des lois et règlements >. Cette charge et celle de
receveur municipal furent conférées à vie moyennant finance, mais
ceux qui les avaient obtenues, ne pouvaient les céder ni les transmettre,
mais ils pouvaient en jouir toute leur vie avec tous les droits , honneurs
et émoluments y attachés sans pouvoir être destitués ni révoqués , à
moins de malversation ou de prévarication.
En 1707 les gages annuels du prévôt, des lohnherrn et du greffier
furent portés à i59 livres 6 sols 8 deniers , dix cordes de bois, cinq cents
fagots et cinq cents échalas.
En 1717 le conseil d'Etat fixa, par un arrêt du 23 août, au quatrième
degré , la défense de parenté ou d'ailliance entre les assesseurs au ma-
gistrat , mais cet arrêt n'a pas toujours été considéré comme une règle
générale et inviolable , et les bourgeois de Saverne se plaignirent sou-
vent que cette violation favorisait les résolutions contraires aux intérêts
généraux de la commune.
La communauté des bourgeois jouissait do tout temps du privilège de
choisir le médecin communal (Stadlphysicus) ; ce médecin devait soi-
gner gratuitement les pauvres ; il recevait pour ses gages trente florins ,
trois cordes de bois , trois cents fagots et une indemnité de logement de
dix Qorins; il lui était alloué pour une consultation un florin cinq schil-
lings , pour la première visite sept schillings six deniers , et pour cha-
' L*office de procureur fiscal de la ville de Saverne et des deux bailliages de
SaverDe et du Kocbersperg fut donné par le cardinal de Fûrstenberg à Jeaun*
Jacques Scbillinger , suivant trailé fait au cbàleau de Beraj , le 8 octobre 1695 ;
ce fut en sa qualité d*abbé de Saint-Germain-des-Prés de Paris que ce prince
occupa alors le beau cbftteau de Bemy, dépeodani de la cofomuoe de Fresnes-lès-
Rungls (Seine).
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ÉTUDE SUR L'ORGANISATiCIf MUNICIPALE DE SAVERNE. 131
^^e des autres visites deux schillings. En 1745 la communauté des
Citants avait choisi un médecin qu'elle considérait comme un homme
f science et de talents , il inspirait toute confiance au public , mais il
^^^it pas une créature du cardinal Armand-Gaston de Rohan, ni
.f ^^^ble â ses officiers , aussi tout exercice de la médecine lui fut-il non
^^Ui
^cnent interdit , mais encore fut-il poursuivi et expulsé de la ville
te* — ' «^ «' —
^K**^ 1758 le cardinal Louis-Constantin de Rohan voulut assujettir aux
^^es le magistrat , qui de toute ancienneté en était affranchi par
^t^tV état civil, ou le forcer à des prestations pécuniaires , mais celui-ci
résista avec énergie aux prétentions insolites de son seigneur et objecta
avec raison «c que les presbtions précuniaires ne sauraient être exigées
€ que de ceux auxquels le seigneur a droit de demander la corvée ; que
€ sa mission était d^administrer la justice en première instance et non
c celle de faire des corvées , et qu'il était insolent d'exiger que des juges
c descendissent de leurs sièges pour aller travailler surunchemin, dans
€ une forêt ou sur quelques terres seigneuriales '. >
En 1759 , le 27 janvier , le roi en son conseil rendit un arrêt en com-
mandement, par lequel il autorisa l'évêquede Strasbourg à destituer les
prévôts des villes de l'évéché et à payer leur finance à ceux qu'il révo-
querait de leurs fonctions 3. Cet arrêt de révocabilité causa un vif mé-
contentement à Saverne , le prévôt , lorsqu'il jouissait de l'inamovibilité,
était, y disait-on , le défenseur naturel des habitants, il pouvait prendre
en mains leurs intérêts et soutenir leurs droits même contre le seigneur ;
lé cardinal Louis -Constantin de Rohan, ayant rencontré une juste résis-
tance à sa volonté arbitraire dans plusieurs prévôts de l'évéché , avait
imaginé cet expédient pour briser leur indépendance et les rendre es-
claves de sa volonté , et il est parvenu à son but , en surprenant â la
religion du roi Fârrèt de révocabilité de 1759, car ses propres intérêts
lui tenaient seuls à cœur et non ceux du souverain qu'il avait mis en
avant ^.
Ce prélat , irrité de l'esprit d'indépendance que nourrissaient quelques
officiers municipaux , se plaignait non seulement du nombre trop élevé
des membres qui composaient les magistrats de l'évéché, mais encore de
' Archives de Sâverne , liasse 68.
' Archives commanales , liasse 66.
* Ordonnancée d'àlêaee , (orne ii , p. 519.
' Archives de Saveroe , liasse 68.
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132 REVUE D'ALSACE.
rinfime position sociale de la plupart d'entre eux ; ces plaintes furent
entendues du gouvernement et une ordonnance royale du 23 août 1760
réduisit le nombre des officiers municipaux dans toutes les villes de Té-
véché. Celui des assesseurs au magistrat de Saveme fut réduit à six , f
compris les deux lohnherrn , les huit assesseurs les moins anciens furent
éliminés et durent cesser leurs fonctions le 10 juin 1761 , mais ils
reçurent la faculté de pouvoir les reprendre au fur et à mesure des va-
cimces ^ C'est ainsi que fut adoucie la violation de l'antique privilège
qui consacrait leur inamovibilité.
En i 765 , le A avril , quatre ans après la publication du deuxième
volume de YAkatia illustrata , le magistrat de Saverne transmit à M. le
duc de Choiseul , principal ministre du roi Louis XV , une notice sur
le nombre de ses officiers et le mode de leur élection ; cette notice qui
est en contradiction avec les données publiées par Schœpflin , est de
la teneur suivante :
€ A Saverne se trouve un magistrat, qui est une justice subordonnée
<r à la Régence du seigneur-évêque , prince de Strasbourg ; ce magistral
a est composé de quatre chefs qui sont le prévôt , le fiscal , le greffier-
« notaire et un receveur des deniers patrimoniaux , qui sont tous quatre
« érigés en titre d'office et patentés par le prince; outre ces quatre
« officiers, le magistral est composé de deux lohnerset de douze asses-
« seurs au magistrat ; lorsqu'un de ces douze assesseurs décédait , il a
« été de tout temps remplacé par élection du magistrat assemblé , d'un
0 bourgeois le plus capable de la bourgeoisie ; les deux lohners étaient
« seuls tirés , à l'exclusion de tous autres , du même magistrat aux
« suffrages des assesseurs existants , ces magistrats une fois élus restent
« magistrats leur vie durante , ils sont confirmés après leur élection
i' par la Régence au nom du prince-évèque. Cette forme d'élection s'est
< ainsi observée jusqu'au A avril 1 761 , qu'il a plu à Sa Majesté de réduire
i'- le nombre des quatorze assesseurs au nombre de six en tout ; par le
« dit arrêt de suppression il est dit que les huit assesseurs supprimés
K rentreraient par préférence à tous autres à leur dignité, et rempla-
« ceront ceux existants et conservés qui décéderont , et que si le nombre
t» des magistrats supprimés est rentré dans le corps, et qu'il échcl de
« remplacer quelqu'un décédé , le magistrat assemblé l'élira en présence
* Ordonnance» d* Alsace, tome u , p. S65.
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ETCDE SUR l'organisation MUNICIPALE DE SÀYERNE. 133
€ d'un commissaire de la dite Régence , laquelle le confirmera , si le
< sujet est capable *. »
Un arrél rendu par le conseil d'Etat le 6 décembre 1765, fit subir à
la constitution de Saverne une nouvelle et importante modification ,
mais quoiqu'il portât que le magistrat devait se renouveler par moitié
tous les ans , comme il ne laissa pas l'élection des assesseurs aux bour-
geois, il ne fut accueilli qu'avec indifférence. Les anciens assesseurs
éliminés avaient successivement , au fur et à mesure des vacances,
réoccupé leurs siège , mais un décret rendu par la Régence de l'évêché
le 7 avril 1769, les força à résigner de nouveau leurs fonctions , et le
15 du même mois il fut procédé , en présence d'un commissaire de
l'évéque , à l'élection de trois nouveaux assesseurs choisis dans le sein
de la bourgeoisie. Quoique la liberté électorale eût été reconnue en
principe, elle était dénaturée, anéantie dans la pratique. Tous les ans^
le jour de l'Epiphanie les trois assesseurs les plus jeunes cessaient
leurs fonctions , mais comme l'élection était réservée non à la masse
des bourgeois , mais au magistrat déjà trop concentré lui-même , c'est-
à-dire au vice-dôme en sa qualité d'Oberschultheiss , au prévôt , aux
deux lohnherrn et à l'assesseur le plus ancien , les membres sortants
étaient constamment réélus , et on les vit se perpétuer vingt années
dans leurs fonctions. Les bourgeois , quoiqu'ils n'abordassent pas la
pensée d'une résistance quelconque , ne voulaient pas reconnaître dans
la forme de cette nomination une élection véritable et se plaignaient
justement de ce que le choix des magistrats qui se prétendaient inamo-
vibles ne portait que sur les assesseurs sortants. Par un abus impar-
ilonnable on n'hésitait pas , disaient-ils , à violer une loi fondée sur les
principes les plus équitables , et qui voulait que tous les habitants d'une
communauté, partageant les charges publiques, pussent arriver aux
honneurs de la magistrature communale, tant pour s'occuper des inté-
rêts communs que pour empêcher toute fraude ou malversation que des
officiers permanents pourraient commettre. La Régence de l'évêché vit
le mal que causait cette magistrature artificielle et sans racine dans la
population , sans chercher à y porter remède, tant elle redoutait l'esprit
d'innovation.
En 1769, l'agent comptable de la commune disparut, laissant un
déficit de 18,583 livres; ce désastre financier excita les vives plaintes
* Arcbives de Saverne , liasse 39â.
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134 RBVUE D'ALSACE.
des habitants ; ils soutenaient avec raison qu*à Tépoque où la caisse
municipale était déposée à rhôteUde-viile sous trois clés diS6reqies ,
il eut été impossible à uq comptable infidèle d'emporter les deniers
de la commune^ et que Tévêque , qui s'était arrogé le droit de nommer
le recevçur^ en devrait être le garant, ^k Faut -il des ahys plus énormes
« encore, disaient-ils, pour établir une règle salutaire qui mette à
« jamais les deniers publics à Tabri du vol et de la déprédation >. »
Un décret du cardinal Louis-Constantin de Rohan, en date du 7
juillet 1773^ fit défense aux membres de la magistrature communale de
procéder en corps aux vues et descentes des lieux litigieux et ordonna
que ces lieux ne seront dorénavant visités que par l'un d'eux , commis-
saire nommé à cet effet.
Dans les quarante dernières années de sou existence , le magistrat
de Saverne a été en butte à des. accusations de toutes sortes de la part
dç la bourgeoisie ; elle lui reprochait , surtout depuis son épuration ,
de montrer une tendance déterminée vers l'oligarchie, de se considérer
comme un corps isolé dont les vues, les intérêts et les actes ne teur
daient qu'à l'oppression de la commune qu'il devrait représenter, de
disposer non seulement à son gré d^ son patrimoine , mais d'oser encore
augmenter de son chef la masse de certains impats , sous le vain prétexte
qu'un long abus, qu'il qualifiait d'usage, les avait transformés en. reve-
nus patrimoniaux. Du moment qu'un bourgeois se trouvait incorporé
dans le corps municipal , il oubliait ce qu'il avait été et établissait une
profonde ligne de démarcation entre lui et ses concitoyens ; il se con-
sidérait comme destiné non à protéger et à défendre leurs intérêts ,
mais à les maintenir dans les bornes de la plus aveugle soumission.
Les bourgeois sollicitèrent vainement le redressement des griefs qui
leur semblaient les plus onéreux ; leurs réclamations ne furent pas
écoutées , les abus s'étant accrus avec Tautorité arbitraire du magistrat,
la bourgeoisie les trouva enfin si intolérables qu'elle s'en plaignit hau-
tement i elle ne vit plus, pour sortir de l'état d'oppression, sous lequel
elle soupirait, d'autre moyen que la voie de la justice; elle s'adressa
à l'intendant d'Alsace et fut autorisée par une ordonnance du 19 lévrier
1753 à s'assembler une fois seulement pardevant le Sieur d'Elverl ,
subdélégué à Saverne, pour lui exposer ses griefs el ses réclamations ;
les bourgeois s'empressèrent de profiler de cet acte de justice, ils s'as-
' Archives de Saverne , liasse 68.
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ÉTUDE SUR l'organisation MUNICIPALE DE SAVERNE. 135
semblèrent le 10 mars suivant , au nombre d« cent cinquante , devant
le subdélégoé d'Elvert, qui drcisa procès-verbal de leurs plaintes;
elles portaient principalement sur Texagéralion et la mauvaise répar-
titkm de Timpôt connu sous le nom de Betke, sur la mauvaise gestion
des deniers pobKcs, sur le mauvais emplor des revenus des biens
communaux , et sur le refus du magistrat de leur communiquer les
titres et les documents concernamt les forêts et les biens communaux ,
dont Hs désHraient connaître la quismlité et les chaires. Le U avril ils
obtinrent de Pintendant d* Alsace une ordonnance portant que leurs
plaintes seraient communiquées au magistrat^ et que Tafiaire serait
instruite par le svbdélégué d'Blvert, Tintendant les autorisa ensuite à
s*a3sembler pour élire treize d'entre eux , qui seraient chargés de suivre
l'instance et de veiller aux intérêts communs ; cette élection se fit le
!••»■ juin.
L'instruction renvoyée devant le snbdélégué ayant été terminée et les
pièces renvoyée? àM. deLtfcé, intendant d'Alsace; ce magistrat rendit,
h 7 février i754, une ordonnance déflïiitive et contradictoire, qui,
quoiqu'elle ne statuât pas sur tous les chefs de demandes de la bour-
geoisie, en avait cependant accueilli les principaux. Comme les vues
des bourgeois ne tendaient qu'à la bonne administration des deniers
publics et* à la décharge des impositions arbitraires, leur intention' était
de s'en tenir à la décision de l'intendant , mais les officiers municipaux
sA-aient un intérêt tout opposé ; effrayés à la fois de la nécessité de
rendre compte et de voir le> flambeau' de l'examen dans leur adminis-
tration, ils crurent devoir tenter l'impossible pour s'aflVanchir des
obligations qu'on voulait leur imposer ; en effet ils prirent la voie de
l'opposition contre Tordonnance contradictoire dn 7 février i 754 , qui
n'était pas susceptible d'opposition , et qui ne pouvait être attaquée que
par la voie de l'appel au conseil d'Etat; mais ce qui' doit paraître plus
surprenant encore , c'est que cette tentative leur réussit au gré de leurs
vœux , ils obtinrent , le 7 décembre suivant , une ordonnance aussi
contradictoire, par laquelle l'intendant, se réformant lui-même, et
jugeant tout le contraire de ce qu'il avait décidé en faveur des bour-
i:eois , a révoqué la p emière ordonnance et maintenu le magistrat dans
le droit de |>ercevoir la Bethe comme du passé. Défense fut faite aux
treize députés de la bourgeoisie de s'assembler sous quelque prétexte
que ce fui. Les bourgeois portèrent leurs plaintes au pied du trône et
se pourvurent au conseil d'Etat pour obtenir la réformation de cette
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136 REVOE d'âlsace.
décision si préjudicialile à leurs intérêts ; l'affaire y Iraina en longu«rur,
les bourgeois attendirent vainement un arrêt définitif , pendant que le
magistrat s'efforçait de son côté à soustraire cette affaire à rattention
du conseil d'Ëtat. Les avocats des deux parties étant décédés , la con-
testation fut entièrement oubliée jusqu'à ce que de nouveaux abus
ajoutés aux anciens dans le régime municipal de la ville de Saverne et
une déprédation générale dans toutes les parties de la chose publique ,
eussent forcé les bourgeois à revenir aux plaintes juridiques. Dans cette
situation malheureuse ils sollicitèrent, par le ministère des treize députés,
de l'intendant d'Alsace , la permission de s'assembler à l'effet de déli-
bérer sur la continuation du procès pendant au conseil d'Ëtat , tant
relativement aux revenus patrimoniaux qu'au sujet de radministrafion
des forêts de la ville , mais l'intendant d'Alsace rendit, le 11 décembre
1780, une ordonnance, par laquelle l'élection des treize députés fut
cassée et annulée , et défense fut faite aux bourgeois de s'assembler ,
sous peine de trois mille livres d'amende ; Fintendant établit pour syndic
le sieur Deheille c à l'effet de continuer les poursuites à faire dans la
dite instance > et fit défense au procureur des bourgeois de s'entre-
mettre à l'avenir en aucune affaire de la ville sous telle peine que de
droit.
La surprise des bourgeois fut grande quand ils apprirent qu'on leur
avait donné pour syndic la personne du procureur-fiscal général de
révêché y le commensal et l'intendant du château du cardinal de Rohaii ;
les différentes places qu'il occupait , étaient , selon leur dire , incom-
patibles avec celle de syndic , puisqu'on cette dernière qualité il serait
obligé de se placer dans un état de lutte avec l'évêque de Strasbourg et
de combattre plusieurs de ses prétendus privilèges, tandis qu'en qualité
de commensal et d'intendant du château , et en outre de procureur-
fiscal général de l'évèché , il S3 trouvait également obligé d'en défendre
les intérêts et les prétentions. Toutefois ils ne trouvèrent aucun incon-
vénient à laisser subsister l'ordonnance du 11 décembre 1780, mais
avant de continuer l'instance pendante au conseil d'Etat ils prirent une
voie infiniment plus simple et moins coûteuse, ils implorèrent la mé-
diation du cardinal de Rohan , leur seigneur , ce prélat s^empressa de
seconder leurs bonnnes intentions et par une commission du 4 juin
1782, revêtue de son sceau, il a nommé le sieur Ëberhard-Henri
baron de Truchsès-Rheinfelden , vice-dôme et président du conseil de
la Régence de l'évèché , le sieur Nicolas-Joseph Knepfiler et le sieur
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ÉTUDE SUR L*OnGANlSATION MUNICIPALE DE SAYERNE. t37
André Peltmesser ^ tous deux conseillers au même conseil , commis-
saires arbitres et amiables compositeurs entre les parties , pour terminer
leurs différends par une sentence arbitrale.
L'arbitrage fut accepté avec la plus respectueuse reconnaissance tant
par le magistrat que par la bourgeoisie , el on signa de part et d'autre
le compromis. Les bourgeois furent admis à présenter leurs griefs aux
arbitres et à établir leurs demandes , mais le magistrat , sous prétexte
que ces demandes renfermaient plusieurs nouveaux chefs , arrêta de ne
point y répondre , avant que les bourgeois ne lui eussent communiqué
leurs pièces justificatives. Ceux-ci tirent d'inutiles recherches pour se
procurer des pièces qui leur manquaient et qui avaient été adirées ;
le magistrat , informé de l'inutilité de ces recherches, fut charmé d'avoir
ce prétexte pour rompre l'arbitrage et notifia, le 15 mars 1786 , à la
bourgeoisie que son intention était de retourner au conseil d'Etat, pour
solliciter la justice qu'elle l'avait empêché d'obtenir.
La bourgeoisie , par l'organe de ses députés , déclara que son désir
était toujours d'obtenir un jugement arbitral , mais que du moment que
le magistrat témoignait de l'éioignement pour cette voie , elle serait
également forcée de chercher au conseil du roi la justice qu'elle avait
espéré trouver dans la voie amiable de l'arbitrage.
Ainsi se termina cette tentative , le magistral avait consenti à l'arbi-
trage par déférence pour la volonté du cardinal de Rohan , la disgrâce
de ce prélat l'avait fait revenir à son premier système d'oppression *.
Comme les choses avaient changé de face depuis les derniers erre-
ments de l'instance , comme les abus de l'administration municipale
s'étaient multipliés , les demandes de la bourgeoisie ne pouvaient plus
être renfermées dans les anciennes limites , toutefois les points capitaux
de ses griefs étaient toujours les impositions arbitraires , l'incertitude
de l'emploi des revenus de la commune et les déprédation des forêts
communales. Elle conçut de nouveau l'espoir qu'après plus d'un demi-
siècle d'oppression et de souffrance , la ville de Saverue obtiendrait «le
la justice suprême du roi une décision qui mettrait fin à ses maux ,
rétablirait Tordre public et couronnerait ainsi le zèle des bons citoyens
qui s'étaient dévoués au bonheur de leurs contemporains et de leurs
ilescendants.
' PfnoDDe n'ignore qu'à cette époque la ^caodaleuse affaire du collier avait
fait tomber le cstrdioal de Roban dans la disgrftte de la cour.
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138 REVUE D* ALSACE.
A pekie le conseil d'ËlaA étaiMI de nottveai» saisi de celle affaire,
que la modMeation introduite d^ns 1» eoi>stitHtîeft civîte de ia viHe de
Saverne , dispensa les bourgeois de contifraer les poursoités peur fafre
q>érer 1» réfonnation de Tordoimaiice de Tintendanf d'Alsaee du 7
décembre 1754 et obtenir le redressement lant de lears anciens que de
leurs nottveavT griefe. L'édit du roi , rendu en juin 1787 , changea h
constitailîon poliliqoe de i'Alsaee et établit Fadministration provinciale.
L'organisation qui fol adoptée par le règlement dli 12 juillet suivant,
comprenait rassemblée provirrcHile séant k Strasbourg et celles des dis-
tricts, qui fureni composées des trois ordres formant le corps de la nation,
et la commission intermédiaire à quiTad^hristration de la province éf ait
dévolue , lorsque rassemblée protinciale n'était pas réunie. L'adminis-
tration communale fut remise à une assemblée municipale, donft le
choix étak laissé à Télee^n et qui était assujettie à la direction d'un
syndic , également é)n par la masse des habitants.
Quoique l'assemblée provinciale eut reconnu par son arrêté du 6
décembre 1787, que les magistratures dies villes seigneuriales et les
administrations , existant dans les villages ou communautés , sous le
nom de Gerickt , remplissent parfaitement' les vues du gouternement
touchant rétablissement des municipalités , la commission intermédiaire,
cédant au vœu général et à des besoins énergiquement exprimés de
toutes parts , crut remplir les volontés dû roi en transgressant l'arrêté
de l'assemblée provinciale et en décrétant l'établissement de nouvelles
municipalités dans un grand nombre de villes seigneuriales d'Alsace.
Au nombre de ces villes se trouvait Saverne , mais rétablissement de
la nouvelle municipalité y rencontra la plus vive opposition de la pari
des officiers de l'évêché. Le magistrat dont les fonctions se trouvaient
réduites à Tadministration de la justice el à la gestion des biens patri-
moniaux , avah vainement brigué les suffrages de ses concitoyens , se
monlrarl irrité de la perle de ses pri-vilèges et de son prestige , fit la
guerre au nouveau syndic et entrava sans cesse son administration ;
impatiente à se livrer aux affaires , la nouvelle municipalité se posait
en rivale du magistrat et se regardait même comme supérieure à lui ;
de là non seulement de déplorables conflits , des contrariétés sans cesse
renaissantes , mais encore des altercations scandaleuses ; c'étaient deux
municipalités existant Tune à côté de l'autre , c'esl-a-dire une confu-
sion générale ; la nouvelle réclamait les titres , registres , comptes et
documents municipaux qu'elle avait le droit et le devoir d'exiger; Tan-
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ÉTUDE SUR L'ORGAtlISiTlOlC MUNICIPALE DE SAVERNE. 439
demie, c*e8!-à-dire le magislrai^ les hûtetoa eveo ime eonfiance
orgueuilleuse en la force du cardinaMe Rohan ; il cherehait même à
dégoûter les membres du nouveau pouvoir municipal de leurs fonctions
par des menaces ei des intimidaiions. Le cardinal de Rohan lui-même
sMrrita de l'allure indépendante de la municipalité qu'au mépris de ses
droits et de ses privilèges on avait imposée au chef^lieu de Tévèché ,
et protesta contre la soif immodérée d'innovations qui la dévorait. Cette
guerre intestine enfanta une animosilé presque universelK; , le mécon-
tentement prenait chaque jour plus d'intensité ^ la municipaKté fut sans
cesse en butte aux insujtes et aux meBaces dre la valetaille de cour, qui
ne la désignait qu'avec des épithètes ordurîères et qui lui reprochait
sans cesse son manque de confiance et de respect envers le cardinal de
Rohân , seigneur de la ville. Mais ni les injures , ni les menaces , ni
les nombreux dégoûts dont on Tlabreuvait , ne purent Kfntiraider ;
investie de cette force que donne TassoBtimeut de l'opinion pubKque ^
elle se montrait attachée à ses droits qu'elle tenait à foire reconnaître
et respecter, et marchait d'un pas ferme et résolu dans h voie des
améliorations. Pendant que le cardinal de Rohan criait à la violation de
ses droits et de ses privilèges , elte s'occupait de tontes les mesures
administratives, grâce à l'impuleion que- sut lui' imprimer son syndic ,
François-Léopold de Mayerhoffen.
L'établissement de la municipalité, cette création utile et btenftiisante
qui ramenait les rouages de radministratien aux principes <!e l'égalité,
avait fail tomber les bourgeois de Saverne dans la disgrâce du cardinal
de Rohan ; cette disgrâce fut fomentée sans cesse par le^magistrat qui
cherchait à attiser le feu de la discord<e ei à semer la désunion. Ce
déplorable état de choses subsista jusqu'à ce que la loi du 15 décembre
1789 sur la constitution des mumcipalités eût mis fin à l'existence du
magistrat. La nouvelle municipalité le remplaça aussi, en exécution de
la loi du ?8 décembre 1789, dans l'ei^ercîce de la juridiction conten-
tieuse jusqu'à la création du tribunal civil du district de Haguenau ,
dont le siège fut établi à Saverne.
A l'époque de sa suppression le magistrat était composé de :
Joseph-Antoine- Othon Schillinger, prévôt.
Hubert-Joseph Wolbrett , oberlohner.
Joseph Meyer , unterlohaer..
JeaUiApiSel, Jean-Michel Weber, François Fischer, Louis Wvr-
mell , assesseurs.
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140 REVUE D*ALS4CE.
Cbrétien-Guiilaume Fin^iio, procoreur-fiscal.
François- Antoine Schœn , grefYter.
SÉRIE DES GRANDS 'PRÉVÔTS DE SAVERNE.
1306. Conrad de Gougenheim.
1308. Frédéric chevalier de Wildesperg.
1331. Conrad de Gougenheim.
1356. Berthoid Hûnch de Wiisperg.
1372. Berthoid Hûnch de Wiisperg, fils du précédent.
1382. Egenolphe de Lûlzelbourg.
1400. Gerhard Daubn de Linange
1404. Bechtold Krantz de Geipohheim.
1418. Berthoid Mûnch de Wiisperg.
1427. Rafan Hoffwarlh de Kirchheira.
1436. Jean d'Altorf dit Wolschlag.
1446. Jean de Mûlnheim.
1448. Jacques d'Oberkirch.
1449. Jean d'Altorf dit Wolschlag.
1462. Eberhard Hoffwarth de Kirchheim.
1463. Jean-Michel de Neuenfels.
1485. Jean Hoffwarth de Kirchheim.
1489. Jean de Hohenstein.
1497. Jean de Mittelhausen.
1509. Antoine Mûnch de Wiisperg.
1521. Gaspard de Mûlnheim.
1525. Wolf Krantz de Geipolsheim.
1535. Cunon Eckbrecht de Dûrckheim.
1536. Philippe Breder de Hohenstein.
1540. Adrien de Mittelhausen.
1543. Jacques d'Oberkirch.
1549. Georges de Wangen.
1561. Othon de Soultz.
1579. Henri Mûnch de Buseck >.
, * Le val de Buseck , enclavé dans la Haule-Hesse , était autrefois sous la sup<^-
riorilé territoiale de la noble famille de ce nom , dont la branclie cadette ajouta
au nom patronimique celui de Mûnch.
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j
ÉTUDE SUR L^ORGANISATION MUNICIPALE DE SAVEBNE. Hi I
1581. Jean-Jacques Wurmser de Vendenheiin. i
i587. Philippe Breder de Hohenstein.
1594. Frédéric Zant de Mœrle , vogt héréditaire de Zell-am-Haminer.
16i1. Christophe de Wangen, intérimaire.
1612. Ulrich-Guillaume de Breiten-Landenberg.
1614. Jean-Frédéric de Landsperg.
1615. Jean-Christophe de Wildensteio.
1663. François-Christophe baron de Wangen.
1675. Jean-Henri baron d'Elsenheim.
1690. Jean-François-Autoine de Flachsianden.
1719. Jean-Henri-Joseph de Flachsianden.
1764. Jean-Baptiste Mitleton, de Langres.
1771. François-Joseph Bourste, ancien conseiller au Conseil souve-
rain d*Alsace.
1777. Nicolas-Thiébaut de la Jonchère, conseiller au présidial royal
de Langres.
1781. Eberhard-Henri Truchsess de Rheinfelden.
SÉRIE DES SOUS-PRÉVOTS DE SAVERNE.
1341. Baudouin Wemher.
1354. Hugues Volgener.
1370. Frédéric Stumpf.
1391. Hugues Zinck.
1400. Henselin Binsinger.
1404. Pelermann de Lûtzelbourg.
1419. Nicolas Schœnmetzger.
1453. Nicolas de Rechtenbach.
1465. Le Junker Jean Munch de Miinchstein , dit Lœwenberg.
1480. Chrétien Hûlter.
1486. Jean Mûnch de Mûnchstein , dit Lœwenberg.
1504. Michel Scherer.
1506. Guillaume Hess.
1509. Michel Scherer.
1513. Simon Krsmer.
1530. Junker Rodolphe Dictenhammer , intérimaire.
1521. Junker Bechtold de Lyningen.
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1527. Junker BechloM de Wihptifg.
1530. Philippe Blunder.
i534. Helchior Sprenger.
i544. Materne Vogt
1554. Martin Moschenrœsch.
1564. Adam de Boys.
159*2. Etienne Zwanger.
1627. Adolphe Billicum.
1632. Marc Rœch.
1636. Yalenlin Billieum.
1637. Jean-Henri Strauss.
1639. Thomas Ballinger.
1649. Jean Georgius.
1656. Sébastien Frey.
16610. Jean Rieffel.
1672. Sébastien Fenderich.
1678. Adam Rieffel.
1687. Othon Schillinger.
1697. Jacques Wolbrett.
1701. Jean-Jacques Schillinger.
1 733. François-Henri-Joseph Schillinger.
1775. Félix-Louis Arth.
1789. Joseph- Antoine- Olhon Schillinger.
SÉRIE DES GREFFIERS DE LA VILLE.
1434. Gonrath de Berlingen.
1456. Jacques de Sleinberg.
1469. Conrad Barrer d'Eichslâdt.
1485. Thiébaut Fleisch.
1493. Frédéric Hauwenschilt.
1502. Georges Brfeitschwert.
1521. Thomas Mûlich.
1525. Nicolas Gœtz.
1539. PaulKinher.
1542. GhrisostômeHuegelin.
1566. Nicolas Rohs.
1607. Guillaume Seger.
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ÉTUDE SUR l'organisation MUNIGIPALR DE SAVERNE. 143
1616. Charles Nierlin , Dommé le 12 mars , et ayant été appelé peu
de jours après à d'autres fonetions H fut remplacé , le 39 avril , par
1616. Jean-Melchior Slegmeyer , mort le 3 mai 1617.
1617. Biaise Hugelin.
1626. Jean Kurin de Valf.
1627. Marc Rœch.
1632. Valentin Billicum , de Saverne.
1640. Henri Krusenmeyer, noiarius Cœsareuê,
1665. Jean-Thiéhaut Reldt^ nommé le 22 avril et remplacé !e 3
juin par
1665. Jean-Charles Rienecker , nùkirius Cœsareus , Stadt und
AmUchreiber.
1668. Mathias Ernst d'Eguisheim , notaire impérial.
1675. Jean-Georges Metzger, de Benfeld; il reçut en 1684 le titre
de notaire royal.
1693. Emmanuel-Frédéric Bfihr.
1730. Emmanuel-Ignace B»hr.
1764. François-Joseph Schœn.
1789. François-Antoine Schœn.
Dagob£rt Fischer
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EXPÉDITION
DU
BARON NICOLAS DE POLWEILER
EN BRESSE , SIÈGE DE BOURG , 1557.
— Suite el un * —
Le manifeste du baron de Polweiler ne produisit que peu d*impres-
sion dans les contrées environnantes : aussi , pensant qu'il valait mieux
agir que d'attendre plus longtemps l'effet de ses proclamations prélimi-
naires, ce général quitta Treffort pour se rapprocher de Bourg qui n'en
est distant que d'à-peu-près 12 kilomètres. C'est à Chaslle , propriété
des comtes de Montrevel , qu'il vint camper, c'est-à-dire presque sous
les murs de Bourg.
Le roi Henri II , informé de ces événements , s'empressa à son tour
d'envoyer un manifeste daté de Saint-Germain-en-Laye , 13 octobre
1557. Le roi engageait les populations à demeurer fermes dans leur
obéissance (style officiel de l'époque) et leur promettait des secours
contre Polweiler ou tout autre fauteur de trouble.
La missive royale ramena un certain calme dans la population bres-
sanne et rendit surtout courage aux habitants de Bourg , qui restaient
en partie attachés à la France. Leurs craintes du reste étaient assez
fondées , car les fortifications de la capitale de la Bresse étaient dans
un état des plus déplorables et sans les secours , que nous allons voir
arriver très à propos, toute résistance sérieuse devenait impossible.
< Gabriel^ seigneur de la Guiche ou comte de la Guiche^ était lieute-
« nant-général pour le Roy en la province et se jetta dedans pour la
< deffendre.
c Les habitants de Lyon lui envoyèrent cent arquebusiers , conduits
« par François de Guerrier , seigneur de Combelonde baron de Jous.
* Voir la livraison d'août 1865 « pige 576.'
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EXPÉDITION DU BARON NICOLAS DE POLWEILER , ETC. 145
c Digoine-Daroas y entre aussi avec des Irouppes et bien en prit que
« Tannée du Duc de Guise revenait d'Italie , conduite par Gaspard Saux,
< seigneur deTavannes, car il envoya à Bourg les Chenets de la maison
« de Dinleuil , Jons et lamets avec le régiment de Champagne. François
c de Yendosme , vidame de Chartre , y arrive aussi avec deux cents
< soldats aguerris ^ »
D'après ce qui précède il est facile d'apprécier la situation du général
(le Polweiler et de son armée , situation qui était loin de répondre aux
espérances conçues avant son entrée en campagne. Il commença par
faire une reconnaissance en règle des fortifications de la ville et choisit,
pour nouvel emplacement de son camp , les terrains qui plus tard
devaient composer le domaine de Dufort , i distance d'un kilomètre de
Bourg environ '.
Le baron avait à sa disposition au moins seize pièces d'artillerie
comme nous le verrons plus loin ; eu égard à l'époque, c'était déjà une
force très-respectable et qui , bien dirigée surtout,4)ouvait faire beaucoup
de mal aux assiégés.
Mais ceux-ci de leur côté , malgré le mauvais état des fortifications ,
se mirent en mesure de résister aux efforts de l'ennemi dont les attaques
furent vaillamment repoussées sous la direction de Digoine Damas ,
commandant de la ville.
Aussi toutes les tentatives des Allemands restèrent-elles infructueuses,
tandis que l'artillerie, dont la place était assez convenablement pourvue,
leur répondit par un feu tellement bien nourri qu'il se virent forcée de
quitter de nouveau leurs positions. Ils franchirent la Beyssonce ', près
de Rosière, et allèrent se poster vers la chapelle de Saint-Jean , sur le
vieux chemin de Bourg ù Hàcon ^. Comme ils se trouvaient là hors de
portée , les batteries de la ville ne pouvaient plus les atteindre ; c'est
alors que les assiégés les harcelèrent par de fréquentes sorties dans
* GciCHENON , Histoire généalogique du duc de Savoye,
* Des réparations failps à ce domaine en 1822 amenèrent la découverte d^uae
masse de matériaux , poutres , madriers , etc., etc Ces débris ainsi que la
présence d*autres objets indiquaient, d*une manièrn précise , que c'était bleu sur
cet emplacement que Polweiler avait dû établir ses retranobsment^ après le pre-
mier écliec subi. (Gaco?i , Histoire de la Bresse et du Bugey.)
* Rivière du département de TAin..
* Gacon , Histoire de la Bresse et du Bugey , publiée par M. de U Tejfssonnière.
10
3*«^rie.— 47* Ann^e.
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146 REVUE D'ALSACE.
le»squelles il^ conservèrent toujours Tavantage. Enfin ils attaquèrent
les Allemands jusque dans leurs retranchements , qu^ils les forcèrenl
d'abandonner. Ce début de la campagne était peu encourageant pour
Polweiler qui , de tous côtés , ne recevait que de mauvaises nouvelles
comme nous allons le voir.
Les intrigues des capitaines Rossel et Verder à Lyon avaient été
éventées ; ce dernier même avait été arrêté et jeté dans les prisons de
la ville.
Ainsi le siège de Bourg était manqué et les tentatives sur Lyon n'a-
vaient pas mieux réussi. « Ainsi s'en alla en fumée (dit Guichenon) ce
<ac grand dessein et cette grande armée de Polweiler. »
Les fautes ne retombaient cependant pas toutes sur ce général dont
le plan de campagne n'était point mauvais ; ce qui le fit échouer ce fut
surtout le manque de concours des Espagnols sur lesquels il croyait
pouvoir compter. Il avait du reste éprouvé à Bourg une résistance hé-
roïque, car la garnisop avait suppléé par son courage au mauvais état
des fortifications. Le château seul , réparé lors du passage de François I«'
dans cette ville , aurait pu servir à prolonger les efforts des Français
contre la persévérance des assaillants.
Enfin , pour comble de disgrâce, Tarmée royale^ qui revenait d'Italie
sous le commandement du ducd'Aumale, s'avançait jusqu'à Montrevel,
à 12 kilomètres de Bourg à peu près.
En présence de forces aussi supérieures il ne restait qu'un seul parti
à prendre : celui d'une prompte retraite que Polweiler parvint encore
à se ménager à temps, pour reprendre en bon ordre la route du comté
de Bourgogne.
Il fut autorisé par le gouvernement de Besançon à traverser cette
ville ; mais plus qu'à son premier passage on redoubla de précautions.
On prit à son égard toutes les mesures que peuvent inspirer la défiance
et la crainte. On alla jusqu'à exiger que deux de ses enfants restassent
en otages pendant tout le temps que les troupes défileraient par le
territoire bisontin.
« Cette troupe (l'avant-garde probablement) , se composant de deux
(( mille hommes seulement, laipluspart Piquiers ou Corselets, condui-
<r saient 46 pièces d'artillerie et beaucoup de munitions de guerre.
«; Avant qu'ils entrassent dans la ville on exigea d'eux qu'ils décharge-
€ raient leurs armes ^ qu'ils u'eutreraient que 4 enseignes à la fois et
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EXPÉDITION DU BARON NICOLAS DE FOLWEILER , ETC. ii7
c qu'ils ne s'arrêteraient point dans la ville où il Tut même défendu de
« leur vendre ni vivres ni aucune espèce de marchandise V >
c Ce fut par la porte de Notre-Dame que ces enseignes entrèrent
« successivement, le premier et le deux novembre i557. Elles sortaient
« par la porte de Cbarmon. La grande rue seule était libre pour leur
« passage et les chaînes étaient tendues partout ailleurs.
c Un gouverneur à cheval , accompagné d'une troupe d'hommes à
« pied, conduisait ces étrangers jusqu'à la porte de Charmon , depuis la
u porte Notre-Dame qu'on refermait aussitôt qu'ils étaient ainsi entrés
H par détachements. On vit tous les citoyens sous les armes et l'arlil-
« lerie placée sur les remparts. >
Ce même manuscrit relate un fait qui retrace fidèlement les mœurs
de cette troupe mercenaire, c Les femmes des soldats de Polweiler^
€ oubliant une des lois les plus sacrées de la nature , dérobaient sur
< leur route les enfants mâles et mettaient en place leurs filles , parce
a que les mâles avaient une solde dès le berceau >. »
D'après cet échantillon de mœurs , nous pouvons juger des scènes
qui devaient souvent avoir lieu au camp des Bohèmes. On voit par les
lignes précédentes que cette réception faite au baron de Polweiler , le
i«r et 2 novembre par les Bisontins, différait très-sensiblement de la
précédente. On affecte à son égard une attitude de défiance et Ton va
jusqu'à lui couper littéralement les vivres, mais la suite prouvera
combien on avait agi avec prudence. L'insuccès de son entreprise lui
enlevait certainement une partie de son prestige et inspirait des pro-
cédés que justifiaient de reste les habitudes de libre échange des soldats
bohèmes.
Le baron de Polweiler n'était pas au bout de ses mésaventures ; le
nerf de la guerre allait bientôt lui manquer, car déjà il ne pouvait tirer
de sa caisse militaire assez d'argent pour donner solde entière même
aux simples lansquenets.
Les Flamands surtout (hommes d'ordre comme on sait) , qui com-
posaient une partie de son armée , éclataient à chaque instant en propos
séditieux. Il paraît que des scènes de désordre s'ensuivirent et retar-
dèrent la marche de l'armée qui , d'après Gollut 3, ne vint camper sous
les mars de Vesoul que le 15 novembre. Nous allons assister mainte-
' DoH GRàPP» , d*après les manoscrils de l'abbaye de Pavcrney.
* Ibidem. — * Historien bourguignon.
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148 RETUE D'ALSACE.
nant à Tune des scènes les plus étraDges , les plus bizarres que Ton
puisse imaginer. L'armée^ en pleine rébellion contre ses chefs, voulait à
toute force escalader les remparts de la ville pour la saccager; ils
regardaient cet horrible pillage , auquel ils étaient sur le point de pro-
céder, comme une juste indemnité des sommes qui leur étaient dues.
Quelles étaient les transes et les cruelles perplexités des habitants de
Yesoul en présence d*h6tes aussi incommodes que ces Bohèmes , tou-
jours blasphémant et vociférant dans une langue étrangère et barbare,
tout le monde peut le comprendre.
Mais cette scène de terreur et de profonde désolation ne sera point
de longue duré , car les habitants n'ont point imploré en vain la divine
providence.
Une pluie diluvienne, qui semble devoir, en quelques heures, épuiser
les cataractes célestes, fait éclater avec fracas une éruption torrentielle
du Frais-'Puits > ; en un clin-d'ceil la plaine est inondée et bientôt tout
va disparaître sous une imposante masse d'eau. A la vue d*un phéno-
mène aussi subit qu'effrayant, cette soldatesque inintelligente reste
frappée de stupeur ; mais bientôt ils comprennent le miracle y évidente
manifestation de la colère divine contre leurs odieux projets; Yesoul est
sauvé. Superstitieux comme ils Tétaient, les Bohèmes s'exagèrent enc<>re
la portée du prodige et croient que les habitants de Yesoul , maîtres de
ce nouvel Océan peuvent , à volonté en diriger les flots vengeurs sur
leurs ennemis. Leur terreur insurmontable fut suivie d'une déroute
complète, car leur fuite eut lieu avec une telle précipitation qu'ils lais-
sèrent sur place les échelles , les canons c et voir même , chose incré-
€ iihle pour les Allemands , dit Gollut, par une mauvaise plaisanterie ,
* A quatre kilomètres Sud-Ouest de Yesoul on rencontre le lit d'un torrent
bien tracé , bien reconnaissable et dont la pente est peu rapide. Après l'avoir
parcouru pendant l'espace de 100 mètres on voit, à l'origine de la valtée et ao
pied des rochers qui la forment « un creux de 46 à 17 mètres de profondeur et de
30 mètres de diamètre 2i l'orifice. Cet abtme est ordinairement à sec , mais après
<Ios pluies abondantes il vomit tout-à-eoup une eau bouillonnante qui surpasse
ses bords , se répand dans le lit du torrent et inonde toute la vallée ainsi que la
prairie de Yesoul. Ses eaux envahissent en même temps les parties basses de la
ville et présentent l'aspect d'un grand fleuve jusqu'à la Saône.
Ce phénomène dure trois jours et peu à peu les eaux se retirent.
{Annuaire du département de la Haute-Saône, par Sochaux
etBvCLMON, 182.^.)
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EXPÉDITION DU BARON NICOLAS DE POLWEll ER, ETC. 149
c les bouteilles et voir même les barils. > Suivant une autre version ,
l'armée de Polweiler serait entrée dans Vesoul , y aurait fait un séjour
d'une semaine et aurait levé sur les habitants une contribution de 150
écus d'or.
La relation de GoUut, qui était contemporain du baron de Polweiler,
nous parait mériter la préférence , d'autant plus qu*à partir de cette
retraite précipitée on ne retrouve plus la moindre trace de Famée qui
se retira probablement dans différentes directions pour r^agner l'Aile-
magne.
Les habitants de Bourg faillirent payer cruellement la manifestation
de leurs sympathiques tendances pour le prince Emmanuel-Philibert.
Irrité au dernier degré de leur participation aux tentatives du duc de
Savoie contre la Bresse , Henri II expédia au duc d'Aumale des ordres
formels en vertu desquels la ville de Bourg devait être détruite.
La population éplorée obtint de ce prince , à force de supplications ,
rajournement de cette terrible exécution jusqii'au retour des députés
qu'elle se proposait d'envoyer au Roi pour implorer son pardon.
La bourgeoisie .et le corps de la noblesse confièrent à H. de Feilleux
la mission, du succès de laquelle allait dépendre l'existence et le
bonheur de la cité bressanne.
Cédant à d'aussi pressantes et chaleureuses sollicitations , Henri II
révoqua les ordres dont le duc d'Aumale devait se rendre l'exécuteur
et accorda , en même temps, des lettres de pardon général. Bientôt le
mariage du duc Emmanuel-Philibert avec Marguerite de France , soeur
de Henri U , vint inaugurer une nouvelle alliance des Maisons de France
et de Savoie.
Nous croyons devoir compléter notre travail en relatant tous les
détails biographiques que nous sommes parvenu à réunir , concernant
le baron Nicolas de Polweiler.
D'après une ancienne tradition de la famille , les BoUweiler descen-
daient de souche royale, car ils comptaient au nombre de leurs ancêtres
le père de S* Appolla qui, lui-même, au iv« siècle, aurait été Roi
d'Alsace.
Que cette tradition soit réellement historique ou qu'elle ne fasse
qu'appartenir à l'antique domaine de la poésie légendaire, elle ne sau-
rait jamais déparer le berceau de BoUweiler. Nous allons citer le texte
de Schœpflin : « Yeius Bollwilanorum traditio origifiem eorum à
« S^ Appolla paire quem mcuIo IV. Begem Alsatiœ constitiUt dérivât. »
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150 REVUE D' ALSACE.
On trouvera, du reste, dans Schœpflin une généalogie assez complète
quMl est inutile de relater ici. Le baron Nicolas de Polweiler était fils
de Jean de BcUweiler et de Marguerile de Schauenbourg, dont la famille
occupe aujourd'hui encore un rang distingué.
Selon les époques , le nom des Bollweiler a subi les variations sui-
vantes: Bollunwiler, Bollwilr, Bollwil et Polweiler. C'est sous cette
dernière variante qu'est désigné le baron dont nous parlons.
Malheureusement les documents biographiques épars , que nous ne
sommes parvenu à réunir qu'avec peine du reste, sont trop insuffisants
pour pouvoir retracer , avec tout l'intérêt réel qu^elle comporterait ,
Tune de ces grandes et aventureuses existences du xvi* siècle qui
semblent souvent appartenir autant au roman qu'à l'histoire.
En 1549 le baron Nicolas de Polweiler, qui dès son début paraissait
jouir de la faveur toute particulière de l'empereur Ferdinand I*', rem-
plissait la charge de gouverneur d'Inspruck , puis de Constance , ville
dont la soumission était toute récente.
t55i. Ce même empereur, roi des Romains, accorde au baron de
Polweiler l'autorisation d'acquérir, par voie de rachat, la seigneurie de
Ville qu'occupait alors Schaubert, assesseur de la régence d'Inspruck.
i554. Ferdinand P' promet au baron la jouissance de la seigneurie
deMassevaux; cette promesse ne fut toutefois réalisée qu'en 155^7,
après la mort de Christophe de Massevaux , décédé sans postérité.
1555. L'empereur honore le baron d'une nouvelle marque de con-
fiance en le nommant Sous-Grand-Baiili de Haguenau. Peu favorable
aux idées de Luther , il fait tous ses efforts pour combattre, dans cette
localité, les progrès de la Réforme.
1560. La seigneurie de Florimont est engagée au baron par Ferdi-
nand I*', moyennant la somme de 9077 florins. Le château d'Altorf et
les villages de Medoisheim , Heimsbrunn et Flachsiand lui furent égale-
ment attribués.
Toutes ces possessions lui étaient échues, soit à titre de fiefs , soit
par engagement , soit par rachat et l'on voit que le nombre en était
grand et que le baron de Polweiler ne négligeait rien pour augmenter
la prospérité de sa famille.
La même année le sénat de Strasbourg ayant autorisé les protestants
à s'emparer de l'église de Saint-Pierre-le-Vieux , Tévéque Erasme ne
voulut point tolérer ce qu'il regardait comme une violation de ses droits
et adressa ses plaintes à la cour d'Autriche à ce sujet.
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EXPÉDITION DU BARON NICOLAS DE POLWEILER , ETC. 151
L'empereur nomma des commissaires en léte desquels figurait le
baron de Polweiler , sous-grand-bailli de Haguenau , avec le chancelier
Jean Fabry et Jean-Bernard Reunnelin , docteur en droit , pour asses-
seurs.
C'était au moment où le sénat venait de conclure une alliance avec les
princes protestants *, aussi les réclamations de Tévèque ne furent point
admises et Ton n'eut aucun égard pour les remontrances des commis-
saires. Bien plus, le sénat autorisa de nouveau les ministres du culte
luthérien à célébrer le service divin ^ non seulement dans la cathédrale
mais encore dans l'église de Saint-Pierre-le-Jeune i .
Selon toute probabilité, c'est à Strasbourg que le baron de Polweiler
se trouva pour la première fois en rapport avec Granveile qui , à cette
époque (1547), avait été chargé, par l'empereur Charles-Quint, d'une
mission de confiance^ au sujet des questions religieuses que la Réforme
venait de soulever dans toute l'Allemagne.
GraAvelle ^ fils du premier ministre de Charles-Quint, n'était encore
qu'évéque d'Ârras à cette époque ; on l'avait envoyé à Strasbourg pour
voir quelles étaient les dispositions de cette ville au sujet de la Réforme.
Plusieurs conférences eurent lieu à cet effet entre Granveile , Jacques
Sturm et les autres députés qui se rendirent à Ulm , près de l'empereur,
pour la discussion des affaires religieuses.
Quoiqu'il en soit , Granveile , devenu plus tard cardinal , conserva
toujours des relations d'amitié avec le baron de Polweiler dont les en-
fants furent même placés à Dôle par ses soins. C'est dans cette ville et
presque sous les yeux du cardinal qu'ils reçurent leur éducation , car le
cardinal séjournait tantôt à Dôle tantôt à Besançon où il possédait un
vaste palais. Il avait donc été facile de retenir comme otages deux fils
de Polweiler pendant le passage de ses troupes à Besançon.
Polweiler était en correspondance suivie avec le cardinal; malheu-
reusement nous n'avons pu citer qu'un seul spécimen de ce style épis-
tolaire de l'époque. Cependant il est probable que dans les papiers du
cardinal Granveile, conservés aux archives de Besançon , on retrou-
• Lagiiixe , Histoire d'Alsace.
* Anloine Perrenol de Granveile étaii (Ils de Nicolas Peirenoi ; né à Ornans
près Besançon , dans Tatetier d'un maréchdl-ftTrani , il s'éleva . par son seul
génie , à rémineute position de premier Ministre de. Gharlt'S-Quiiil.
(ROUGEBICFF , Histoire de la Franche-Comté.)
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153 REVUE D* ALSACE.
verait un certain nombre de ces lettres du baron de Poiweiler. En tout
cas le baron de Polweiler , qui était en estime tant auprès du roi d'Es-
pagne qu*à la cour de l'empereur Ferdinand P', ne devait point être
un personnage vulgaire. Sa liaison avec le cardinal Granvelle prouverait,
plus encore que les faveurs royales , son mérite personnel, car il fallait
assurément posséder des qualités supérieures pour être l'ami et surtout
le confident de ce grand homme.
En 1561 , l'empereur Ferdinand P', pour couronner dignement la
carrière du baron de Polweiler , lui confie l'un des postes les plus
élevés de l'empire , la Préfecture d'Alsace , charge souvent enviée et
occupée par des princes.
Les Electeurs Palatins avaient longtemps joui de cette magistrature
privilégiée, mais en 1558 le prix de rengagement leur fut remis par
l'empereur Ferdinand I*'.
Il parait que le baron de Polweiler a dû remplir ces importantes
fonctions * jusqu'en 1588 , époque de sa mort qui eut lieu le 8 mars.
Il avait épousé une comtesse de Lichtenstein de laquelle il eut deux
enfants y Constantin qui mourut président de l'ordre de la noblesse et
Rodolphe , qui, après après avoir été maréchal de l'archiduc Ferdinand,
devint possesseur du château du Haut-Kœnigsbourg et du domaine qui
en dépendait.
II maria sa fille Marguerite au comte Ernest de Fugger ^. En lui
s'éteignit le nom de Bollweiler en 1616.
Jules-Frédéric Putuod, docteur en
' Nous pensons devoir rappeler que le baron Nicolas de Polweiler avait eu pour
prédécesseur, comme Advocatus Alsatiœ , Théobald Waldner de Freandenstein.
Nous remarquerons à ce sujet que de toutes les familles de la vieille noblesse
alsacienne , dont les membres ont occupé cette éminente position , il n*en reste
plus que trois qui comptent encore des descendants dans notre province :
1 • La famille du conne Waldner de Fre undenstcin , général de division et
sénateur ;
3* La famille du baron de Wangen (1513 Fréd. de Wangen) ;
3o La famille du baron de Berckheim , membre du Conseil général du Haut-
Rhin , colonel de rartillerie à cheval de la garde impériale.
* En 1274 , après Peitinction des ducs d'Alsace , le noble Gunon de Berckheim
commença , avec Conrad Werner de Hadstatt , la nouvelle série des préfets d'Al-
sace {Advocati provinciales). Cuncn de Berckheim occcupaît lô château du Haut-
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EXPtomON PU BARON NICOLAS DE POLWEILER , ETC. 153
Kœnigsboorg à propos daquel nous donnons un extrait des œaTres historiques
inédites de Grsndidier que M Liblin a bien voulu nous communiquer avec son
obligeance accoutumée.
« On ne sait comment ce château , le Haut-Kœnigsbonrg , devint la propriété
« des ducs de Lorraine. Ceux-d l'accordèrent , l'un et l'autre (le cbftteau et S^
« Hipolyie) , en fief au comte de Werd , landgrave de la Basse-Alsace. Henri ,
« comte de Werd, mourut en 138..., ne laissant qu*un fils posthume nommé
« Henri Sigebert.
« Mathieu II , duc de Lorraine , retira alors à lui le fief et le conserva Jusqu'en
» i^SSO qu'il en investit le noble Gunon de Berckbeim. (L'original est dans hi
• Chambre des comptes de Nancy.) Celui-ci , par lettres données le 29 juillet de
« la même année » reconnaît avoir reçu en fief , lui et Louis , son fils , du duc
•» Mathieu le château d'Estupbin , avec Saintp-Hippolyte en Ensheim qui en dépen-
« daient , sous la clause qu'il n'en Jouirait que Jusqu'à la majorité du comte Henri
« Sigebert , ou à sa mort sans enfints , recevant alors une somme de deux cents
« marcs d'argent en forme d'indemnité. »
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RÉPONSE
A M. L'ABBÉ HANAUER,
Je n'ai jamais douté des ressources d'esprit que parait posséder
M. l'abbé Hanauer , ni de la haute opinion , qu'à fort juste titre assu-
rément , il a de sa personne. J'aurais donc appris avec une extrême
surprise , qu'il ait pu attendre, avec quelque crainte, un travail critique
quoiqu'il fut , et à plus forte raison le mien. Mais j'avoue que la réponse
qu'il m'a adressée, dans les trois lettres qu'il suppose m'avoir écrites, a
dépassé tout ce que j'étais disposé à pressentir de son savoir-faire. Elles
m'apprennent en effet que sur le chef fondamenlal de la discussion ,
LA SOUVERAINETÉ DE LA COLONGE , il aurait toujours été parfaitement
d'accord avec M. Zsepfl, et son très-humble critique. Ce sont là
de ces évasions mentales, de ces souplesses de dialectique, de ces
volte-faces inattendues , qui confondent ceux qui sont habitués à des
procédés de discussion plus réguliers et plus sérieux. Aussi fort peu
porté à engager avec l'auteur un commerce épistolaire et à prolonger uae
discussion sans issue dans de pareilles conditions , vais-jc me borner à
rétablir , par quelques rapides observations , la vérité sur le débat qui
s'est engagé entre nous.
J'ai d'abord à dégager ma personnalité. — Ce n'est certes pas pour mon
plaisir que j'ai scrupuleusement lu et relu les deux volumes desquels
j'ai rendu compte; ce n'est pas davantage pour mon agrément que je me
suis décidé à les analyser et à en discuter les propositions principales.
Je spis à quoi s'expose tout critique qui se permet d'élever la voix
contre certaines doctrines , professées par une certaine classe de lettrés.
Je n'ai pas obéi davantage au désir d'émettre mon opinion personnelle
sur les colonges. Si j'avais jamais pu avoir l'idée d'écrire un livre sur
cette matière, l'apparition successive des traités publiés par MM. Burck-
bard et Zœpfl , m'y eut fait renoncer. Ils résument, à mon avis, d'une
manière si complète et si précise, tout ce que nos documents provin-
ciaux nous ont appris sur ces institutions du temps passé, que reprendre
le même sujet m'eut paru s'exposer de gatté de cœur à un fastidieux
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RÉPONSE A M. l'abbé HANAUER. 155
plagiat, ou à la périlleuse tentation du paradoxe. Je crois qu'où
me rendra la justice que , dans toute cette discussion , je n'ai été
que le fidèle rapporteur de l'enseignement universel, et que, dans aucune
partie de mon travail, je ne me suis targué d'une autorité personnelle,
à laquelle je n'ai jamais eu l'immodestie de prétendre. — Mon interven-
tion m'a été dictée par le double devoir de maintenir l'autorité d'un
maître à la mémoire duquel tout jurisconsulte alsacien porte un profond
et pieux respect , et de défendre la tradition invariable attestée depuis
des siècles, par nos grands corps judiciaires provinciaux . — NoVire auteur,
qui a pourtant toutes les qualités personnelles pour être un producteur
ùriginal , aime à bourdonner autour des œuvres d'autrui 3 ef , dans son
humeur aggressive, après trois ou quatre campagnes qui se sontévanouies
dans le silence , il s'est arrogé la mission de réviser les savantes et
mémorables dissertations publiées, en i826 et 1832, par feu M. Raspieler
à l'occasion du procès lié entre la ville de Strasbourg et les communes
de Barr, etc. Encore ne s'arréte-t-il pas même à cette tâche qui asinonce
déjà un grand courage; H attaque les décisions judiciaires elles-mêmes
et il ose alîer jusqu'à dire : a II ne s agit pas ici d'un procès auquel un
« arrA , emporté par surprise , puisse donner la force de chose
€ jugée f..,^ i> Notre docteur se plaint lonque je le représente comme
sMsolant volontairement dans une ignorance absolue des choses d'ici
bas ! et cependant quelle autre excuse puis-je imaginer pour une aussi
inqualifiable incartade f quelle idée se fait-il donc d'une instruction
judiciaire? Saî^il qu'aucune pièce ne peut être produite* sans avoir subi
le contrôle de l'adversaire ? Sait-il qu'aucune parole n'est prononcée ,
sans qu'un contradicteur la pèse et la discute ? — A-t-il lu , pour n'eu
pas citer d'autres , les deux arrêts du 17 décembre 1836 et du i^ avril
1846, dans les motifs desquels se retrouve l'exposé complet de
notre ancien droit provincial? S'il les a lus^ comment a-t^il pu sup-
poser qu'une aussi savante exposition , précédée d'une instruction volu-
mineuse , ait pu être le résultat d'une surprise ? — Mais de pareils écarts
ne méritent pas de plus longs redressements ! — Quand M. Hanauer
s'est attaqué aux traités de M. Raspieler, il ne se doutait pas même
de la date de leur apparition , ni de la légitime autorité qui entoure la
mémoire de ce grand jurisconsulte. — Il supposait qu'ils venaient de
paraître il y a peu d'années , et qu'ils étaient l'œuvre d'un avocat
' Revue catholique , février 186S , p. 69. -- Lettre , édilioD spéciale, p. ^.
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156 REVUE d' ALSACE.
vivant encore ^ La méprise était forte de la part d'ua écrivain qui ne laisse
pas échapper une occasion d*exalter l'étendue de ses recherches ! Un
carton, subtilement intercalé dans le tirage d'ensemble, la fit disparaître
en reportant à une SO"* (tannées l'apparition des mémoires. Hais cette
certitude d'origine ne rendit pas notre auteur plus réservé ni plus mo-
deste dans sa réponse au défi que ce jurisconsulte ^ savant et estimé de
toute FAllemagne^ adressait à ses adversaires de citer sous la première
et la seconde race , ainsi que sous les Empereurs franconiens et saxons «
<f l'exemple d'une seule commune , c'est-à-dire , de cette PERSoimE
a MORALE formée par l'association des personnes corporelles des habi-
« lants d'un même lieu^ pour la jouissance en communauté de certains
d droits profitables aux membres individuels de l'association. > M. Ha-
nauer répond avec cette aisance qui lui est particulière c qu'il lui sera
« facile de ciler non pas une , non pas 100 , mais 200 , mais 300
« exemples de communes antérieures au xii« siècle ; > et dans sa nou-
velle note , il daigne enfin concéder que l'auteur (H. Raspieler) cannait
nos antiquités nationales, mais quV n'a pas saisi toute la portée des
anciennes constitutions cokngères f ^ Cette observation prouve que
notre auteur n'a pas même encore aujourd'hui découvert le second
mémoire publié en 1832 et dans lequel notre savant maître revient
sur les origines communales , et notamment sur les colouges, —
M. Hanauer s'est donc attaqué étourdiment à une œuvre dont il ne
s'est pas même donné la peine de connaître l'ensemble, et plus
étourdiment encore à des décisions judiciaires , rendues après une
instruction contradictoire , longue et solennelle , dont elles portent en
elles-mêmes la preuve et les éléments ! En voilà assez sur ce chapitre ;
mes lecteurs comprendront pourquoi j'ai dû accepter ce débat , et je
suis convaincu qu'ils me rendront tous la justice que je l'ai soutenu
dans la légitime mesure de mon droit et de mon devoir.
Je passerai rapidement sur ce que M. Hanauer lui-même appelle les
Préliminaires.
Il suffit, à mon avis , de lire seulement superficiellement, les deux
volumes de sa production , pour se convaincre que leur but général
est une apothéose absolue du moyen-àge et un dénigrement systéntia-
' Revue catholique, mars 1865, p. 104. Voy. aussi la caricuse note également
supprimée (^aos le carton.
• Paysans, p. 42. — * Paysans , ibid.
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RÉPONSE A M. l'abbé HANAUER. 157
tique des temps modernes. Au surplus j'ai peu insisté sur cette tona-
lité et ce n*est guère que sur des questions de détail que j'ai fait
ressortir ce que le parallèle offre' quelquefois d'outré sous la plume
de notre auteur. Cette impression a été partagée par tous ceux qui ont lu
le livre et elle a Hé exprimée par les deux judicieux critiques qui, avant
moi , en ont publié des comptes-rendus. La reprise de cette question par
M. Hanauer, dans sa première épitre , m'a révélé de sa part un degré
d'habileté dont je ne m'étais pas d'abord aperçu. Je savais bien que
souvent un beau désordre est un effet de l'art ;
mais le désordre qui règne dans la distribution de ses matériaux ne
m'avait pas assez frappé par sa beauté, pourm'inspirer le soupçon qu'il
pourrait dissimuler une arrière-pensée esthétique ; ce n'est que depuis que
j'ai lu sa réponse, que je découvre que cet encombrement pourrait fort
bien avoir été ménagé tout exprès pour cacher des pièces de rechange,
destinées, en cas de mésaventure^ à remplacer les maîtresses pièces.
Je me borne à constater que, Sans un coin de sa Pré/ac^ , Tauteur
daigne reconnaître que son apologie des temps anciens est purement
platonique.
Je passe au Préliminaire qui a le plus contribué à aigrir fort
inutilement la discussion , et sur lequel j'eusse trouvé de bon goût
de ne pas revenir. Je veux parler des tirades, aussi ridicules que
déplacées , que l'auteur n'a cessé de prodiguer aux jurisconsultes
de tous les temps. Ces sorties (je ne conçois pas qu'il ne le sente !) étaient
d'autant plus irritantes, que, de son propre aveu, sa campagne n'avait
été entreprise que contre l'œuvre d'un de nos plus respectables maîtres.
Aujourd'hui je vois, avec peine , qu'au lieu de laisser cette partie du
débat dans l'ombre , mon contradicteur cherche indirectement à nier la
gravité de ses attaques II n'avait parlé, dit-il, que dts travaux sérieux,
secs et scolastiques des jurisconsultes S et quel mal y a-tH à cela ?...
Qu'un lecteur inattenlif laisse passer sans les lire une ou plusieurs pages
d'un livre , cela se voit et se comprend ; mais, qu'un auteur ignore
ou fasse semblant d'ignorer ce qu'il a écrit , cela se comprend plus péni-
blement ! — Je ne veux pas revenir sur tous les passages où l'auteur
exhale , dans des termes souverainement condamnables, son antipathie
pour les légistes. Je ne lui en rappellerai qu'un ^ : < Cette clause si
• Lettre î , p. 57.
* CorutiiuUons , p. 108.
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i58 REVUE D'ALSACE.
€ absolue , écrit-il , g^na plus tard les agents de la seigneurie : ils s'en
« tirèrent comme les légistes de tous les siècles , par des gloses et des corn-
« meniaires. » Un jeune auteur qui traite avec un aussi injurieux dédain
un ordre de savants qui a donné à riiistoire , des génies comme Mon-
tesquieu, Ducange, Sa vigny^ et tant d'autres, peut-il prétendre ins-
pirer une haute opinion de son jugement et de son instruction?
Mais posons un exemple : Je suppose qu'un écrivain soit assez haineux ,
assez léger ou assez ami du scandale pour écrire une phrase comme
celle-ci : c II s'en tirèrent comme les prêtres de tous les temps , par des
€ gloses et des commentaires. » Quel est l'ecclésiatique , un peu soucieux
de la dignité de sa conscience , qui ne se soulèverait légitimement contre
une aussi blessante invective ? — L'auteur a donc élé> mal inspiré en
revenant sur ce disgracieux détail ; j'ajouterai même qu'il a été peu loyal
de sa part de chercher à dissimuler la violence de l'aggression, dans ie
but d'incriminer la vivacité de la défense , et d'intervertir ainsi à son
profit les rôles d'offenseur et d'offensé. Quand on a la prétention d'être
un écrivain , il faut savoir ou peser ses mots ou en subir la responsabilité.
J'arrive enfin au troisième préliminaire : il concerne l'utilité
comparative des pièces conservés aux archives, et des documents
acquis depuis des siècles à Phistoire. Je n'éprouve aucun besoin de
revenir sur les observations générales que je me suis permises à cet
égard. Mais je m'applaudis d'avoir procuré à H. Hanauer l'occasion ,
qui ne lui est jamais désagréable , de vanter ses gigantesques travaux ,
et de célébrer son incommensurable érudition. Jamais il n'en a plus
profité que dans ses Lettres : le moyen de discuter avec un homme qui
a dépouillé plus de <ic trois cent mille documents manuscrits pour se
c renseigner sur le milieu social , sur les destinées de rorganisation
tf colongère ^ En tombant sur cet énorme chiffre , mes yeux ont été
frappés d'éblouissement ! il doit y avoir là une faute d'impression I
Mais pourtant l'auteur a pris la précaution d'exprimer le nombre en
toutes lettres... trois cent mille documents , à raison de dix par jour ,
représenteraient un travail de près de 80 ans! — Que nous parle-t-on
encore de Pic de la Mirandole, et d'autres prodiges !... Combien notre
savant laisse loin derrière lui nos Schœpflin , nos Schilter , et cet illustre
Grandidier qui à la fm des 16 années de sa savante et lumineuse car-
rière, n'avait recueilli qu'un dépouillement de huit cents, à mille titres ! . . .
* Revue catholique , p. 59. Ed. spéc. p. il.
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RÉPONSE A M. l'abbé HANAUER. 159
Aussi , et je m'en doute , notre nouvel auteur s'est bien gardé d'un
dépouillement et il s'en est tenu à la superficie.
Pour achever d'élaguer tous ces hors-d'œuvre , il ne me reste qu'à
me laver d'un reproche , celui d'avoir altéré des textes >. Le reproche
est grave : mais, à l'exemple de mon contradicteur, je veux comprimer
Yemportement, pour m'en tenir à ma seule justification. Je me bornedonc
à transcrire les articles de la colonge de Bielbencken , que M. Hanauer
affirme ne pas exister K
6. Gerichtsbarkeit des Yogies. (Juridiction de l'avoué).
15. Hofgerichtsbarkeit, (Juridiction colongëre , art. 24 , du texte de
M. Burckardt). Item was Spen umb Dinkhofgûter beschehent das sol
man vor den Hubern and sunst ninan anderswo usstragen, wer es auch
das Jemanz Pfender neme von Hofgûtern , der sol auch solches berich-
tigen in mossen an den Enden obgemelt. Wer solichs nit fête oder
ûberfûre , des Lib und Gut stat in des Probsts und Vogts Gewalt.
17. Blutgerichlsbarckeiî. (Juridiction de grand criminel , art. 26 ,
texte Burckart). Item so der Probst und Vogt zu Gericht sizent oder
ire Ambtlût , und ist es daz es kombt an die Gericht des Bluts, ^o sol der
Probst ufston und dem Yogt gebieten daz er recht gericht halte.
Voilà donc les textes que, malgré sa vaste érudition , M. Hanauer
a déclaré ne pas eanster. Ils prouvent jusqu'à la dernière évidence ,
qu'autre chose é^ait le tribunal colonger, et autre chose la haute
justice ou la juridiction souveraine.
Je ne relèverai pas les minutieux dénombrements que mon critique
épistolaire a faits des virgules qui manquent, des italiques intempestives,
de coquilles commises dans certains renvois où un chiffre est employé
pour un autre (13 pour 15 , par exemple) ,'etc., etc. — Qu'il me permette
de le lui dire , de pareilles vétilles ressemblent plutôt à la correction du
devoir ou du pensum d'un élève , qu'à une discussion un peu soucieuse
de sa dignité. — Laissons donc toutes ces minuties et abordons direc-
tement la question fondamentale, la seule qui mérite encore quelques
observations.
Arrivé à ce point de ma courte réponse , je reçois de M. Hanauer
Ihommage du tirage de ses trois lettres ; il daigne y inscrire la belle
' Revue cath. , p. 72. Ed. spéc. p. 24.
* Reehttquellen von Ba$el Stadt und Land , n , p. 7. C*est l*ouvnige cité en note
ta bas de mon texte.
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160 REVUE D'aLSACE.
maxime : In dubiis libertas, in omnibus caritas tt J'y ai toujours adhéré
du fond de l'âme ; j'ai cherché à la pratiquer pendant toute ma vie , et
je crois dès.-lors avoir le droit d'exprimer le regret que mon contradicteur
en n'y pensant à huis clos, qu'à la fin de sa polémique, m'ait imposé la
nécessité de suivre en ceci son exemple. Il est certain qu'il eut pu écrire
plusieurs volumes sur la colonge , sans éveiller aucune susceptibilité ,
sans froisser aucune convenance ; et nous aurions pu disserter, à notre
aise , sur le pour et le contre en ne nous exposant à d'autres vivacités
que celles qui résultent, avec plus ou moins de chaleur, du choc de
convictions contraires.
Hais qu'ai-je encore à parler Je convictions contraires !.... Au fond
nous sommes d'accord! La paix est touto faite!... Notre auteur n'a
jamais prétendu à la souveraineté des colonges ; il fait bon marché de
l'épithète de souveraines qu'il a donnée à ses créations ; et tout se réduit
à la justice des pairs !I! > Il y a, à la page i70 des Constitutions , une
pièce de rechange qui coupe court à tout : c'est le passage où l'auteur
dit avec Schœpflin , que l'abbaye de Honau formait un véritable Etat
indépendant Ht
Que M. Hanauer ne prenne pas en mal cet hommage sincère que
m'arrache celte volte-face inattendue ! il est un habile homme. Il s'en-
tend merveilleusement à masquer une retraite. Il sent que la thèse
capitale de son livre ne peut se soutenir ; il la déserte , et il se trouve
que c'est lui qui est le conquérant de la place qu'il abandonne !
Revenons donc sur la position de la question :
La thèse de la colonge souveraine est la partie fondamentale , la base
de toute la production de H. Hanauer.
Voici quelques-uns des passages principaux qui ne permettent aucun
doute sur ce point.
€ Paysans. Préface , p. vi. Chaque village m'apparut alors comme
€ uue monarchie constitutionnelle, dont la charte, recueil de coutumes
<( immémoriales , avait quelque fois le caractère d'une transaction ,
« jamais celui d'une concession octroyée. Le pouvoir législatif et
« JUDICIAIRE RÉSIDAIT ESSENTIELLEMENT DANS LA COMMUNAUTÉ ; le pOU-
« voir exécutif appartenait à plusieurs fonctionnaires, dont quelques uns
€ représentaient le souverain de ces petits Etats ; les autres étaient ,
c avant tout , les délégués du peuple.
' Revue catholique , p. 167. Lettre , p. 18.
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RÉPONSE A M L*ABBÉ HaNAUER 161
« Je n'avais pas tardé à diviser les communautés rurales , appelées
« rotonge$ , en deux catégories distinctes. Les unes étaient de grandes |
« exploitations agricoles ; les ai^thes possédaient rous les droits I
« uÉGAUENs, C(mcentrtnenl entre leurs mains l'administration de \
t la jnstire , et jouissaient des immunités les plus larges et les plus
• t'urieuses. »
f Constitutions , p. 169. Exemples de colonges souveraines, p. 241.
Clôture de ce chapitre, c On ne comprendra n'en... à l'organisation de
« iBS souverainetés villageoises d'où sortirent les Etats modernes >
Si la langue française mérite encore de nos jours sa vieille réputation
de clarté et de précision, est-il possible de donner à ces propositions
d'autre sens que celui-ci ? « Les grandes colonges étaient' souveraines ; et
f par colonge il faut entendre la communauté , c'est-à-dire l'ensemble
f des fermiers constituant une agglomération plus on moins considérable
c (Paysans, p 8). Cette communauté avait le pouvoir législatif et judi-
€ ciaire ; elle possédait même tous les droits régaliens. >
Donc la thèse est celle-ci : dans la colonge la souveraineté résidait
non pas dans le seigneur , mais dans la population! — non pas dans la
propriété , mais dans la corporation des colongers.
Le volume tout entier des Paysam est consacré au développement
de cette théorie y qui , je le répète , constitue la seule nouveauté de
Fœuvre. — Je ne nie pas qu'il n'arrive de temps en temps à l'auteur de
se contredire lui-même ; mais se contredire n'est pas se rétracter , et
se montrer embarrassé de soutenir une affirmation impossible , n'est pas
précisément l'abandonner.
Le lecteur , qui a eu la patience de me suivre dans ma réfutation , se
rappellera les objections élémentaires que j'élevai contre ce bizarre
système. Elles peuvent se résumer en un mot ; Fauteur a déplacé le
siège de la souveraineté , c'est là tout son procédé ; elle était d'abord
dan3 la terre patrimoniale et libre , plus tard elle fut dans le fief: celte
souveraineté était donc dès l'origine, comme toute souveraineté, à la fois
personnelle et réelle ; réelle çn ce qu'elle s'étendait à tout le territoire
propre , allodial et libre ; personnelle , en ce quelle se concentrait sur
la téie du dynaste ou du seigneur. C'est ce qu'on a toujours appelé la
Grundherrlicke Gerichtsbarkeit , la j ustice patrimoniale du souverain
terrilunal ou du seigneur. J'ai du reste développé ce point à satiélc.
Arrivons à la réponse , ou plutôt à la retraite de mon critique ; ù
>■ Svn: — il' jwét, * 1
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462 REVUE D' ALSACE.
faut transcrire ce passage en entier ; car il mérite d'être signalé comme
un modèle du genre *.
€ Ces dernières colonges je les ai appelées souveraines ou immunités.
tf L'épithète souveraine n'est peut-être pas irréprochable au poim de
« vue de l'école , mais elle désigne un fait très-certain : elle est parfais
t tentent comprise par les gens du monde. Si elle vous gêne , diU^Ae,
« proposez-en une autre, je ne tiens pas au mot, pourvu que vous me
t laissiez Tidée. i
Ce n'est pas moi , Monsieur Tabbé , que votre épithèle gène ! Vous
la sentez insoutenable au point de vue de la science historique que
vous appelez l'Ecole , mais vous la croyez claire pour les gens du monde
qui n'y regardent pas de si près.... Ah I si vous ne vous adressiez
qu'aux gens du monde ^ il ne fallait pas prendre si vivement en mal le
reproche que je me suis permis de vous adresser d'avoir écrit, sur une
matière exclusivement juridique , sans vous être préalablement pénétré
des lumières indispensables que la jurisprudence seule pouvait vous
donner ! Les mots expriment des idées et des choses et il n'est pas loi-
sible y même en n'écrivant que pour les gens du monde , de les détourner
de leur signification technique et consacrée.
Mais poursuivons ; quelques pages plus loin M. Hanauer continue :
c Que me contestez-vous , Monsieur ! Texistence de colonges souve-
nt raines au xiv« et au xv* siècle? — Vous reconnaissez l'immunité à
€ toutes les colonges qui ont un droit d'asile.— L'épitbète de souveraine?
f mais alors dites-le et n'ayez pas l'air d'attaquer la chose elle-même. >
Décidément je perds l'espoir d'être compris de vous, Monsieur l'abbé.
Je ne conteste ni Timmunité, ni la souveraineté ; mais je dis qu'immu-
nité et houveraineié étaient attachées à la terre seigneuriale ou patri-
moniale et non aux manses colongers^— à la dignité même du seigneur,
e( non à la personne de ses colons. Vous voyez donc ici que la confusion
des mots prouve de votre part une inextricable confusion dans les choses.
Jamais personne , avant vous , ne s'était avisé de chercher une immunitéi
c'est-à-dire ce qu'il y avait de plus éminent dans la supériorité terri-
toriale , dans une agglomération de fermiers , et puisque vous venez de
vous prendre d'une subite soumission envers M. Zsepfl et son œuvre,
qu'à votre grand déplaisir j'ai qualifiée de traité définitif y permettez-
moi , pour toute réponse , de me borner à vous renvoyer à sa remar-
' iievue catholique , p. 66 el 70. Ed. spéc. p 18 1 1 21.
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RÉPO^SE A M. i/arbé hanaurr. 168
ffuable dissertation sur les Immunilés. Il les comprend comme aUfibuis
lie souveraineté dans Fénumération des prérogatives qui appartiennent
.iu seigneur souverain de la colonge (die Herrlichkeiten des Dinghof-
herren) ^ Il désigne spécialement le droit d'asile, comme éminemment
attaché au seigneur {eîn Rechl des Dinghofhenm), Ces immunités se
réduisaient substantiellement à la clôture du territoire k toute juridic-
tion étrangère et notamment à l'exclusion de celle du Comte , comme
juge provincial (judex provinciœ).
H. Hanauer reprenant la parole et s'adressant à moi continue ^ :
< La souveraineté , dites-vous , appartient au seigneur. Comment
c voir dans la colonge une communauté souveraine , où le preneur
€ aurait été l'égal du maître , où le colon , même servile , aurait eu ,
€ au même degré que celui-ci , droit et devoir de juridiction, i M. Ha-
t nauer (p. ib) veut absolument faire des rolongers de véritables sou-
f verains exerçant les droits régaliens f
f Si c'est là tout ce que vous condamnez dans mes conclusions la
c paix sera bientôt faite entre nous. A la page 170 de mes Constitu-
c lions je dis que F abbaye de Honau formait un véritable Etat indé-
€ pendant, et vous approuvez cette expression. Je ne dis pas que les
c colongers aient été de véritables souverains. A la page vi de mes
c Paysans j'attribue les droits régaliens aux golonges et non aux
c coLONGEiiS. A la même page j'appelle la colonge souveraine une mo-
c narcbîe constitutionnelle et non comme vous Taffirmez une république
c villageoise , etc. , etc. »
Oh ! Monsieur Tabbé , pourquoi ne pas avouer tout simplement et
tout franchement que vous vous êtes trompé dans votre enthousiasme
rétrospectif , et à qui espérez- vous faire prendre le change sur une
désertion aussi patente? Quel est Thomme du monde , même le plus
étranger aux choses de l'histoiro et du droit , que puissent satisfaire de
pareilles équivoques ? -— Reprenons , une à une , ces échappatoires , à
Taide desquelles vous cherchez à substituer A la proposition que j*ai
combattue , celle dont j*ai entrepris la démonstration.
c Vous n'avez pas entendu dire que les colongers fussent souverains,
c parce que , ajoutez-vous , à la page 170 , vous auriez dit que Vabbaye
c de Honau était un Etat indépendant ? « Mais le mot Etat , en quoi
* V. ZyCPFi , I, U, 39, 52.
Lettre. Edit. sp. , p. 22. {Revue cath. p. 70.)
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iM REVUE D* ALSACE.
peut-il avoir Tupparence de modifier votre thèse? manifeste-t-il une
contradiction perceptible avec votre théorème de la colonge souveraine ?
Vous savez que ce mot£^a/ exprime aussi bien une république^ une démo-
cratie qu'une monarchie ou une oligarchie , et il aurait fallu être bien
fin pour deviner que l'emploi de ce terme devait corriger, dans ce qu'elle
avait de trop absolu , la thèse qui est le fond de toute votre publication.
c A la page vi de mes Paymns^ continuez-vous, j'attribue les droits
f régaliens aux colanges et non aux colongers. i Quand vous n'auriez
fait que cela , vous auriez déjà commis une erreur ; car le seigneur
colonger lui-même , qui n'aurait pdi& été immédiat ^ n'aurait pas eu,
dans leur plénitude , la jouissance de ces droits souverains. C'est un
point de ma discussion que vous avez sagement laissé sans tentative de
réponse comme plusieurs autres ; je n'y reviendrai donc pas ; mais si
vous ne renoncez pas une fois pour toutes à confondre la seigneurie , la
colonge et les colongers , je ne saisis réellement pas où peut aboutir
cette subtile logomachie.
c Enfin , ajoutez-vous ^ dans mes Paysans, j'appelle la colonge une
« monarchie constitutionnelle, i Le mot est ingénieux ; à toute rigueur
il eut pu passer auprès des gens du monde , mais avec de nombreux
amendements. Je ne sais pas si cet emploi de termes si récents , pour
exprimer des institutions anciennes^ doit entrer dams cette régénération
de la stience par les travaux modernes que vous m'annoncez comme
imminente. En attendant permettez-moi de vous rappeler ici une omis-
sion grave dans votre citation : vous dites (page vi de vos Paysans) non
pas seulement que la colonge , mais chaque village vous apparut comme
une véritable monarchie constitutionnelle. Vous allez encore plus loin
et vous affirmez que le pouvoir législatif et judiciaire résidait essentielle-
ment dans la communauté , le souverain étant réduit au seul pouvoir
exécutif. 11 fallait avoir le courage de compléter ainsi le récit de votre
apparition. C'est là l'assertion décisive, et je ne conçois pas qu'elle ait
pu échapper à votre mémoire.
Résumons en termes intelligibles ce qui ressort de ces phrases con-
tournées, de ces explications embarrassées.
Les colonges souveraines ne sont qu'une équivoque.
La souveraineté de la terre colongère résidait sur la tête du dynaste
ou du seigneur ; le propriétaire de la colonge en était le souverain.
C'est la terre patrimoniale , libre , salique , plus lard souveraine et
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R|5:P0NSK a m. l'abbé HNNArKB. 165
immédiate qui jouissait de la franchise et de Timmunité , franchise et
immunité , qui formèrent l*un des fleurons de la couronne dynastique
ou seigneuriale.
Mais que mon honorable contradicteur me permette de lui faire
observer que ce point concédé , il n'y a plus même de question. — En
effet qu'est-ce qui a fait exclusivement pendant ces dernières années la
fortune des recherches colongères? — C'est le prétendu problème de
l'antériorité de la commune ou de la seigneurie. Les obscurités
archaïques des rotules, l'antiquité apparente du Dingho/f, l'étendue des
territoires soumis à ce mode d'exploitation , permirent de supposer
que c'est dans cet ordre d'institutions qu'il serait possible de trouver le
plus de lumière sur les premiers linéaments de l'organisation civile et poli-
tique qui succéda aux bouleversements de la conquête. — Or aujour-
d'hui il semble universellement admis ^ nemine obstante, plus même
M. Hanauer^ que la colonge ne formait pas et n'a jamais formé une
corporation de fermiers souverains ou une communauté collective
réunissant en elle les pouvoirs législatif et judiciaire; qu'au contraire ,
dans la colonge, comme tout autre domaine , la prééminence législative
et juridictionnelle, appartenait, aussi loin qu'on peut remonter, au
dypasie propriétaire ou au seigneur.
Tout ce qu'il pourrait encore rester d'intéressant à discuter, une fois
cette accord établi , c'est d'abord la condition des personnes réunies
dans l'aggrégation colongère et ensuite quelques détails d'organi-
sation intérieure. Quanta la condition des personnes colongères, à moins
d'admettre que le pacte colonger ait équivalu à une charte d'affran-
chissement ou oue la condition de Hueber, ait exigé de plein droit
l'ingénuité , il faut bien se résigner, comme l'a fait en dernier lieu
M. de Maurer lui-même , à ne voir , dans toute cette agglomération y
qu'une population servile ou demi senile de Hôrigen : j'ai trop
souvent insisté sur ce point , à mon avis capital, pour n'avoir pas le
droit d'exprimer ici monétonnementdusilenceobstinégardéàcetégard
par mon correspondant quelquefois si prolixe.
Quant à ce que l'on appelle la juridiction colongère (Hofgericht) c^est le
seul caractère qui, dans une certaine mesure, distinguait cette aggloméra-
tion: Mais cette;(i«U'c^étailtellementJiiïérentedelahautejuridiction, que
d'abord elle émanait de la seule volonté du seigneur propriétaire, comme
l'établit le Landrechly tandis que la seconde, n'appartenait au seigneur
qu'en vertu de son immédiatité et conformément aux constitutions de l'Em-
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166 RFVUE D'ALSACE.
pire. Ensuite cette espèce de tribunal intime, où se réglaient les différends
nés du pacte colonger, et où se prenaient les mesures propres à pré-
server le domaine de toute usurpation et de toute illégalité, se retrouve
dans toutes les colonges indistinctement , dans celles mêmes dont le
propriétaire n*était pas investi des droits de haute justice. Que dans les
colonges relevant de seigneurs immédiats et hauts justiciers y les Htieber
aient exercé soit avant» soit après la féodalité, lesîonciionsA'assessetêrs
libres ou obligés , c'est ce que je n'ai jamais songé à contester , si bien
qu'à plusieurs reprises j'ai reproché à mon docte contradicteur la
confusion qu'il commettait en prenant Vassessorat pour le droit de
juricdiction. Je n'ai nullement envie de revenir sur un point dediscus-
çion , sur lequel , je le vois , il m'est impossible de me faire comprendre
de lui : j'essayerai cependant de lui citer un exemple : — en Angleterre
encore aujourd'hui, la législation veut que lors qu'un étranger est
traduit devant une cour criminelle , il ait le droit de requérir qu*on
fasse entrer dans la composition du jury , à titre de pairs de l'inculpé »
un certain nombre d'étrangers. Est-il jamais entré dans la tête de
personne de soutenir que cette prérogative ait jamais^ chez nos voisins,
investi les étrangers non-seulement du droit de citoyens , mais même
du droit de souveraineté le plus élevé , c'est-à-dire , du droit de juri-
diction ?... Il suffit pour se guérir de cette étrange confusion de lire
dans Montesquieu les détails de nos anciennes cours féodales , ou dans
notre Land und Lehnrecht les minutieuses formalités suivies dans les
cours seigneuriales , ou seulement les deux chapitres si précis et si
substantiels consacrés à cette matière parM. Réville V Quanta M. Zaepfl
dans lequel M. Hanauer prétend trouver si tardivement un auxiliaire ,
il me permettra de lui répéter que l'auteur qui a mis le plus clairement
en relief cette donnée évidente d'après nous ,que la monade colongère
a été le type sur lequel s'est figurée la souveraineté patrimoniale
d'abord, et la supériorité seigneuriale ensuite, ne peut en aucun
cas être envisagé comme favorable à la thèse de la souveraineté des
communautés colongères. Il suffit du reste du passage cité par M. Hanauer
lui-même pour faire justice de cette illusion ^.
Je ne m'attendais pas davantage à voir la colonge finir, comme insti-
tution , par se confondre avec la villa. Il valait bien la peine d'écrire
' Page 116 el 124.
* Z^PFL, p. 10 et surtout p. 64.
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RÉPONSE A M. L^\BBé HANAUER. 167
deux volumes destinés à célébrer la découverte d^une communauté de
fermiers souverains , pour aboutir à une identification que tout repousse !
D'abord il n'est pas exact de dire que l'incolat suffisait pour opérer l'an-
nexion à l'agglomération colongère : le texte de M. Burckbart ^ prouve
directement le contraire , puis qu'il établit que dans la colonge l'admission
â iiuolat par le seigneur ne conférait à l'intrus (Hintersass) qu'un
droit à la jouissance des pâturages et de la forêt (ce qui prouve, soit dit en
passant^ que cet AUmend n'était pas la propriété des usagers ; car dans
ce cas , on ne comprendrait pas la disposition du seigneur) : mais cet
Hintersass , admis par le seigneur , n'entrait dans l'agglomération
colongère que par l'acquisition d'une cour {Hueb)> — La seule analogie
qu'on puisse apercevoir entre la colonge et h villa, c'est que dès l'origine
elles constituaient l'une et l'autre des agglomérations clo^e^, des groupes
fermés. Cette disposition a dû nécessairement concourir à former,
entre les familles qui les composaient , ces liens d'intérêt commun , de
solidarité d'heur et de malheur , de confraternité prolongée , qui plus
tard 9 (mais beaucoup plus tard) devinrent l'associatioti bourgeoise dont
les communes furent le brillant couronnement. — Mais je m'arrête
à ces simples indications : elles suffisent pour édifier le lecteur sur
la portée des rétractations de M. Hanauer ; en tous cas , les précautions
oratoires , les ambages inextricables sous lesquels il cherche à dissi-
muler les concessions que lui arrache l'évidence , me prouvent qu'il
n'y a rien de plus périlleux pour un écrivain que de se constituer l'apolo-
giste de sa propre œuvre. Aussi me garderai-je bien d'imiter sous ce
rapport l'exemple de mon opiniâtre adversaire. Je me bornerai à lui
rappeler qu'entre mon opinion et la sienne , il y a un juge que nous
avons choisi l'un et l'autre , le public impartial et éclairé. Quant à moi ,
j'ai dit sur les origines colongères l'opinion que je m'en suis formée
à mes risques et périls : j'ai cité exactement mes preuves et mes auto-
rités : chacun peut y recourir, et il n'entre nullement dans mes
dispositions de me laisser entraîner dans une argutieuse apologétique,
où trop souvent l'amour-propre excité usurpe la place de la conscience
et de la raison.
Je noterai pourtant encore comme un exemple des ambiguïtés aux-
quelles on se laisse entraîner dans ces Orationes prodomo st^ , la dis-
' Lettre , p. 39.
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168 REVUE d' ALSACE,
serlatioD évasive qui se trouve au bas de la page 32 des Lettres de
M. Hanauer.
Je m*élais borné à indiquer la contrariété qui me semblait exister
entre Tasserlion que les Germains auraient formé , avant Pinvasion ,
un peuple exclusivement nomade et pastoral {Const. p. 95) et la con-
cession précédemment faite par Tau teu r (Pa//5an5 , p. 297) , sur la foi de
Tacite , que ces mêmes Germains auraient eu chez eux déjà des cours
colongères. Si j'avais été aussi désireux que mon critique a le tort de
le supposer, de le constituer en flagrante contradiction, j'aurais pu
l'embarasser bien davantage encore en le priant de concilier sa formule
absolue d'un peuple sans gîte et sans agriculture avec ces latifundia ^
ces grandes cultures , ces terres saliques antérieures à la conquête qu'il
attribue à la dignité des chefs Germains (Paysans p, 40), C'est encore
Tacite , mais Tacite toujours commenté à la façon de notre auteur qui
est rendu responsable de cette proposition si bien enchâssée dans son
chapitre magistral sur la terre salique. — Aujourd'hui voilà mon cor-
respondant bénévole qui oublie le grand historien stoîque comme si jamais
il n'en avait entendu parler, et qui vient superbenrent m'objecter le témoi-
gnage de César , de Bello Gallico , vi , 22 ! — De bonne foi à qui et sur
quoi espère- l-on faire prendre le change? — Professeur d'histoire et de
rhétorique, mon contradicteur ne peut pas ignorer l'antinomie signalée et
disculée depuis des siècles , entre ce passage des Cojnmentaires ^ et le
fragment de Tacite, chap. xxvi Genn , si savamment commenté par lui-
même; et on peut dire sans se compromettre que ce petit problème philo-
logique est d'une notoriété aussi vulgaire que celle sous laquelle les
géomètres désignent le carré de l'hypoténuse *. Que s'est donc proposé
M. Hanauer, en lançant subitement, comme une découverte y un des pas-
sages les plususilcset les plus usés de l'antiquité classique ? rignorail*il
lorsqu'il a écrit ses deux volumes, et s1l ne Tignorait pas, pourquoi
a-t-il partout textuellement préféré le témoignage de Tacite , au ren-
seignement emprunté au conquérant des Gaules? L'envie de contester,
entraîne à de bien étranges contradictions !
* Je me borne à ninoyer celui des lecieurs qui ue serait pas au courant
Ue ce liett commun philologique , aux savants commentaires de C\ Orelli. Corn.
Taciii op. il, p. 566, ainsi qa*aux nombreuses monographies où Ton traite de
la concilialion des textes des deux historiens romains. [Duncker. Origin. Gtr-
manie(p.. — KiTZ , Gennania , p. 67 et siiiv.)
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RÉPONSE A M. ï/aBBÉ H'.NAUER 169
Je redressercri enfin (sommairement aussi) une dernière réplique
de mon correspondant (Lettre 3", p. 34 et 35). J'avais dans mon étude
rappelé y comme un fait historique incontestable , que le clergé et les
ordres monastiques , en tant que propriétaires ou seigneurs , avaient
imposé , à leurs serfs et vassaux , une sujétion au moins aussi dure que
celle à laquelle les hôrige étaient soumis vis-à-vis des souverai-
netés laïques. C'est encore là une de ces certitudes qui reposent sur
les témoignages les plus nombreux et les plus unanimes. Ce qui est
également incontroversable , c'est l'aggravation apportée, par le droit
ecclésiastique, aux commises, aux déchéances, aux voies d'exé-
cution, etc., et je ne conçois réellement pas qu'une dénégation ait pu se
produire sur un point aussi constant. Mais il serait peut-être disgracieux
de ma part d'insister à développer cette démonstration qui ne porte que
sur un point très-secondaire du sujet principal et M. Hanauer n'ignore pas,
j'en suis sûr, les autorités ecdésiasiiques que je pourrais lui citer à cet
égard. Passons donc. — Il me reproche d'avoir feint d'ignorer le diclon
populaire , sur lequel se fonde tout son optimisme : // fait bon vivre
8om la crosse, — Je n'ignore pas le dicton; mais j ai beaucoup de raisons
qui me font douter de son origine populaire. — S'il avait fait si bon
vivre sous la crosse , qu'on explique donc la violence de l'émancipation
communale dans les cités épiscopales ou abbatiales, les luttes entre les
cités et les abbayes suzeraines qui remplissent tout le moyen-âge en
Suisse et en Alsace ; la popularité qui dans une moitié de l'Europe , en
plein xvi* siècle , a accueilli la suppression de la plupart des abbayes
princières, des grands-chapitres et la sécularisation de leurs terres ;
qu'on m'explique enfin comment, dans notre paisible et religieuse
Alsace , les plus anciens et les plus célèbres de nos monastères se
sont ressentis particulièrement des soulèvements révolutionnaires?
Qu'on rapproche ces violences des premiers jours de l'énergie avec
laquelle les mêmes populations luttèrent contre l'oi^anisation civile
du clergé , et peut-on se soustraire à cette conviction : que la
conscience populaire , qui restait si fidèlement attachée à sa vieille foi ,
se retirait de la crosse comme signe de la souveraineté temporelle ? — Si
le paysan avait trouvé qu'il faisait si bon vivre sous sa protection , l'eut-il
si violemment abattue ? — Les plus anciens parœmiographes omettent
ce prétendu dicton , qui , généralement , ne se produit que sous cette
forme : Der Erummsiab schlisset niemand ans. — Ptstonus^ dont
le recueil jouit d'une légitime autorité , annote dans les termes suivants
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ilO REVUE D'ALSACE.
ce texte : Nihil igitur vuU hœc parœmia aliud qiMhi quod a Feudo
EcclesiasHco neuler sexm exclusus Ht quidquid iamen httjus sit
putamus iamen proverbium hoc falsitatis acctisandum ease >. Enfin
dans le recueil publié par la section juridique de FAcadémie des
sciences de Munich , ce prétendu proverbe n'a pas trouvé d'accueil. —
M. Tabbé ne connaît pas, à ce qu'il paraît, Tautorité dont jouit cette der-
nière publication ; elle est Tœuvre d'une commission scientifique qui
s'est choisi pour organes deux des plus savants publicistes de l'Alle-
magne contemporaine: HM. G. HaureretBluntschli. Les commentaires
auxquels j'ai fait un emprunt dans une citation (p. 56) sont au-
dessus du dédain, quelque peu présomptueux, dont les couvre mon con-
tradicteur : ils sont l'œuvre de la commission scientifique , et ils ont
paru sous lé couvert de V Académie des sciences tout entière. Il me
semble que quand on a l'honneur d'être le lauréat d'une Académie,
on doit être disposé à trouver excellents non seulement les ouvrages
que de pareils corps savants décorent y mais encore et à plus forte
raison ceux qu'ils publient eux-mêmes.
Voilà tout ce que je juge à propos de relever dans la correspondance de
mon contradicteur ; je ne sens ni le besoin, ni le goût de m'engager davan-
tage dans cette polémique. J'ai dit sur les colonges ce que j'en sais et
ce que je crois vrai ; je m'en tiens là , laissant au public le soin d'une
justice que je ne suis pas assez naïf d'attendre d'un auteur dont
l'amour-propre semble encore jeune et trop prompt à se froisser.
I Chauffour.
' The$, Parœmiar, Genn, juridic. Augbbourg, Ceol. v, p. 477. -^ Voy. eooore
)e diclon : Guident Kirchen, hôltierne Hertien, ib. p. 9j2. — M. Osenbrùggen ,
Deutsche Reehis Alterthumer, s'occape aussi du dicton de la crosse h propos de
certaines modifications dans la condition des Horige et lui refuse également la
portée que lui attribue M. Hanauer (p. 52).
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LA PIERRE DES MAUVAISES LANGUES-
En janvier 1856 la Revue d'Alsace publiait une notice sur le Klapper-
$iein de Mulhouse, cette pierre des mauvaises langues féminines qu'on
faisait porter par la ville à celles qui avaient médit du prochain ou pro-
féré des injures et des calomnies. L'auteur , M. Stœber , citait plusieurs
localités où il existait une pénalité pareille, remontant sans doute fort
avant dans le moyen-âge , si ingénieux à inventer des punitions ; et
celle-ci s'était maintenue jusqu'à des temps bien rapprochés de nous ,
puisque le Klapperstein se voit encore à Thôtel de ville mulhousien.
Il est vrai qu'il est hors de service , comme les machines à fouetter les
femmes qu'on conserve encore pour mémoire au château de Thoune.
Le Lasterstein de itulhoxxse estappendu sous une des fenêtres de l'hôtel
municipal et on lit, dans un cartouche au-dessus, quatre vers allemands
que M. Stœber traduit ainsi et que nous rapportons à raison de leur
aualogie à ce qui va suivre.
Je suis nommée la pierre des bavards ,
Biea connue des mauvaises langues ,
Quiconque prend plaisir à la disputa et 3i la querelle ,
Me portera par la ville.
Ce genre de peine n'était pas particulier à Mulhouse et bien d'autres
villes , dans leur législation spéciale , avaient eu recours à ce moyen
bizarre pour châtier les intempérances de la lan{j;ue. Nous citerons tout
particulièrement une des villes de l'ancien évécbé deBâIe, bien voisine
de l'Alsace, où il existe un règlement de police octroyé, le 30 juillet
1356 , par l'évêque de Bàle à ses féaux bourgeois de Delémont.
Nous transcrivons son article 15 d'une ancienne copie , un peu plus
complète que celle que nous avons fournie dans le temps à M. Trouillat,
pour son tome iv , page 97. Elle porte :
« Si ainsi fust qu'ine feme fist fravols ou noise de faict ou de parolle,
« et qu'ung chaslelain et ung conseil dissent que ce fuissent vilaines
« paroUes , elle doibt donner deux sols , ou pourter autour de l'église ,
« pour les deux sols , trois dimanches suivant l'ung après l'aultre , une
t pierre de demi cent poisant. i
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172 REVUE D' ALSACE.
Sur le dos de celle copie, écrite sur parchemin , entre le 15'' et le 16'
siècle , on lit les vers suivants :
A mal langtie n'est prouf,t ,
Cil qui me pour te vous le dict.
Et plus bas , d*une écriture un peu différente :
56 a mal langue rien ne poise ,
Ces te pierre la fera quoire.
C'est-à-dire :
A mauvaise langae n*est profit ,
Celui qu» me porte vous le dit.
Si à mauvaise langue rien ne pèse ,
Cette pierre la fera taire.
Nous croyons que ces sentences étaient écrites sur la pierre de scan-
dale ou sur un parchemin collé sur elle. C'était Topinion d'un respec-
table vieillard qui nous a renseigné dans le temps au sujet de cette
pierre. Il nous a raconté que, durant la révolution de 1793, les femmes
de Delémont s'insurgèrent contre la pierre des mauvaises langues ; que
cette dure et pesante pénalité fut l'objel d'une motion au club des trico-
teuses à bonnet rouge; qu'elles décidèrent , tout d'une voix, que la ci-
devant pierre , étant entachée de féodalilé , devait être mise hors la loi.
Les clubistes envoyèrent à l'hôtel de ville une dépulation pour se saisir
de cet objet de scandale et le réduire eu poudre, afin qu'il ne pesât plus
sur les langues de la localité régénérée. Hais la pierre avait eu la pru-
dence d'émigrer nuitamment dans certaine maison où elle resta cachée
pendant la terreur. Plus tard ou l'ulilisa pour en faire un poids de....
kilogrammes ; elle fut ensuite oubliée dans la poussière d'où nous
Tavons sortie récemment en la tirant par un des anneaux de fer qui se
dressent de chaque côté , comme des oreilles, et dans lesquels on passait
une corde pour la suspendre au cou des femmes à langue dévergondée.
Celte pierre n'a pas été taillée , et c'est simplement une très-grosse
chaille des terrains oxfordiens , ayant remarquablejnent la forme d'une
poire, comme un des hlapiersiein dont M. Slœber fait mention. Ain^i
ce n'est pas seulement l'ancienne république alsato-helvélique de Mul-
house qui avait ce mode spécial de pénalité , puisque Delémont lui eu
avait déjà donné Texemple et se réjouissait d'avoir un code do police
aus>i sagement conçu et rédigé.
A. QuiQUERfiZ.
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NOTES ET DOCUMENTS
POUR SERVIR A L*HiST01RE DE LA RÉVOLUTION EN ALSACE.
— Suite *.
1791.
fO février,
ÉLECTION DE L'EVÉQUE.
Séance du Directoire. Présents : MM. WiElterlé, Muller , Schneider ,
Resch^ Eggkrlé , Rudler , procureur-général syndic.
A Mineurs les Présidint et membres de V Assemblée nationale.
Le déparlement du Haut-Rhin , soumis jusqu'à présent à la juridic-
tion de M. l'évêque de Basie résidant hors du royaume , se trouve dans
des circonstances qui forcent le Directoire de recourir à FAsserablée
nationale pour lui tracer la voye qu*il doit suivre dans l'exécution du
décret pour la constilulion civile du clergé.
Dès la réception du décret , le procureur-général syndic en a fait part
à M. l'évêque avec invitation de déclarer s'il entendait s'y conformer ;
sa réponse n'ayant point été catégorique , le conseil général qui , pour
lors était assemblé , a arrêté qu'avant de procéder à l'éleclion , il serait
référé au comité ecclésiasfique , pour savoir , si , pour éviter les frais
considérables de la convocation extraordinaire du corps électoral , il ne
convenait point d'attendre la prochaine assemblée , pour faire cette
êleclion. Il en a reçu pour réponse l'article {''' des décrets des 14 et i5
novembre derniers , ainsi conçu :^Ala première convocation qui se
fera des assemblées électorales , celles du département , dont le siège
épiscopal se trouvera vacant , procéderont à l'élection d'un évéque. »
Toutes ces considérations ont arrêté jusqu'ici l'élection d'un évêque
pour notre département. Les circonstances deviennent urgentes. La
circonscription des paroisses ne souffre point de retard. Le carême
approche , il importe que les fidèles ne restent pas sans instruction
pastorale et sans mandement ; il pourrait en résulter une fermentation
* Voir les livraisons de mai , juin el octobre 1«65, pages 235, 277 ti 470,
el février 1866 , pageiSI.
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174 REVUE D* ALSACE.
d*autant plus funeste , que le peuple envisagerait peut-êlre cette inter*
ruplion momentanée de Tordre comme une atteinte à la religion et aux
consciences. Il a donc paru au Directoire qu'il devient indispensable
d'accélérer, autant qu'il sera possible, l'organisation civile du clergé dans
ce département. Hais comme il n'oserait prendre sur lui de convoquer
le corps électoral pour procéder au remplacement des fonctionnaires
publics, sans enfreindre les termes précis des lois, il supplie l'Assem-
blée nationale de vouloir bien l'autoriser , par ce décret , à faire cette
convocation, sans ultérieur retard; il ne serait pas prudent à faire
d^y surseoir. L'expiration du délai de deux mois prescrits par le décret
du 27 novembre , il en résulterait une anarchie alarmante dans ce
département.
L'Assemblée nationale toujours vigilante à prévenir les secousses que
pourrait recevoir la chose publique prendra notre demande en consi-
dération , et si elle pouvait juger que la convocation du corps électoral
dut être différée , au moins espérons-nous que , dans sa sagesse , elle
nous indiquera une voie pour tranquilliser le peuple sur l'alarme qu'il
concevrait de la vacance du siège épiscopal ; à portée de calculer les
effets de l'impression publique , nous ne concevons de moyens plus sârs
que de procéder dès à présent à l'élection de l'évèque.
Nous supplions TÂssemblée nationale de s'occuper incessamment de
l'objet que nous avons l'honneur de lui proposer , notre zèle , pour la
tranquillité du peuple de ce département, nous fait une loi de le
recommander à sa sollicitude.
Les administrateurs, Procureur-général-syndic composant le
Directoire du dépariement du Haut-Rhin.
n février. — Le procureur général syndic informe le directoire que
des libelles incendiaires circulent dans le déparlement, qu'il importe
de prémunir les citoyens contre l'effet de ces libelles et détruire les
impostures par lesquelles les ennemis de la chose publique cherchent
à séduire le peuple ; qu^une juste sévérité à cet égard devient d'autant
plus urgente , qu'à la faveur du mensonge et de la supposition , on
affecte d'alarmer le peuple sur sa religion et sur sou culte ; que pour
y parvenir on a déjà une première fois répandu un bref supposé du
pape et un avis controuvé de M. le cardinal de Rohan ; que les auteurs
de ces faux criminels , ne se sont pas bornés à cette première épreuve ;
mais qu'enhardis par l'espoir de l'impunité » ils ont réitéré récemment
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NOTES ET DOCUMENTS, ETC. 175
la supposition d'un bref du pape à Tévéque Bâle, accompafpié de
l'extrait d'une prétendue lettre écrite à un ecclésiastique de Strasbourg
de la part d'un évéque ; que ces entreprises n'ayant pour but que de
propager parnii les citoyens paisibles Terreur et avec elle les semences
de la discorde et d'une résistance coupable à l'exécution des décrets
rendus sur son intérêt civil et religieux , il importe de leur imposer
la terreur salutaire de la loi et d'arrêter les manœuvres perfides des
des ennemis publics ; requiert y être pouvu.
La motion mise en délibération :
Le Directoire arrête que le Procureur générai syndic dénoncera aux
accusateurs publics des tribunaux des districts du département et fera
poursuivre juridiquement comme perturbateurs du repos public et
comme séditieux , celui ou ceux qui ont fait imprimer dans les trois
langues en latin , français et allemand et distribuer le bref supposé du
pape à révêque de Bâle dont la traduction française commence par
ces roots: f Au vénérable frère Joseph évéque de Bâle^ > et finissant
par ceux-ci : signé , Benoit Stôy , comme aussi la lettre à la suite com-
mençant par ces mots : c extrait d'une lettre écrite > et finissant par
ceux-ci c dont ils seraient susceptibles y etc. » Ainsi que leurs fauteurs,
adhérens et complices , colporteurs et distributeurs d'icieux , pour
être prononcé, contre eux , telles condamnations et peines qu'il appar-
tiendra.
Enjoint aux municipalités d'empêcher la vente de ces écrits et tous
autres ^ les autorise à les saisir , à arrêter les imprimeurs , colporteurs
et distributeurs , pour leur procès être fait conformément à la loi.
Et pour détruire les fausses et dangereuses impressions, que la
publicité desdits imprimés pourrait avoir répandues , ordonne que
l'arrêté sera imprimé dans les deux langues et affiché, lu et publié
dans toutes les municipalités.
15 février. — La commune de Lebetatn a vendu une coupe de bois.
Le prix de cette coupe â été partagée entre les habitants.
La communauté de Novillars refuse de payer aux héritiers Poujol
une rente de 18 sacs d'avoine, avant qu'ils n'aient fait vérifier leurs
litres par le département.
Le Directoire renvoie les héritiers à se pourvoir devant la justice.
Abbaye de Pairis.
Si mars, — Cette abhaye avait le droit de pèche dans la Lauch ,
prenant son commeuceroent au bas du pont dit Langenbruck et finissant
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176 REVUE O' ALSACE.
au vieux pout en -deçà de la maison dite le Laihoff, Laurent Siebert,
pécheur à Colmar, souroisionne ce droit pour lequel il offre 1200 liv.,
Ie3i mars 1791.
Le 18 avril 1791 il fait une nouvelle soumission de 1250 liv. , en y
comprenant le Kasxelringischwasser, prenant son commencement à la
Laucb et l'Ill et finissant au Theinemmer-Steg , dans un autre Weeg.
i? avril.
Monastère des Dames religieuses du Vieux-Thann,
Marie-Louise Demougé , prieure , née le 23 juin 1732 f 14 mai 1755.
Plus 12 Dames religieuses qui toutes avaient pour premier prénom
celui de Marie. Ainsi: Marie-Joseph, Marie-Elisabeth, Marie- Anne,
Marie-Victor , Marie-Augustine , Marie-Angélique , Marie-Calherine ,
Marie-Thérèse, Marie-Françoise, Marie- Antoine, Marie-Marguerite et
Marie-Agathe.
2 sœurs converses : Marie- Vincent et Marie- Agathe.
Couvent des RR. PP. Cordeliers de Thann.
Norbert Ingwiller de Danzollsh. (Prieur?)
Plus douze autres Pères et 6 Frères lais.
Couvent des RR. PP. Capuans de Thann.
Balthasar Ihler de Thann (Prieur?)
12 autres Pères. — 7 Frères lais.
Couvent des RR. PP. Capucins de Belfort.
Claude-François Praileur , gardien , du Magny. 23 mars 1748 — 24
avril 1766.
9 autres Pères. — 3 Frères lais.
Etat certifié et visé au Directoire , le 17 avril 1791.
BoLTz , secrétaire-adjoiul.
;Conimunirations émanant de divers roliaboratenrs et de sources authentiques. ]
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LANDSRRON.
Sur un des derniers contreforts du Jura, entre Bàle et Ferrette , à la
limite de la France et de la Suisse , dominant de près la jolie vallée de
Leîmen et les routes antiques qui la sillonnent encore , on aperçoit
de très-loin une haute tour démantelée. Si de la vallée , qu'on vient de
nommer , on veut arriver sur cette hauteur , on suit d*abord le vieux
chemin tracé péniblement sur le flanc de la montagne et Ton ne voit
autour de soi que le massif de la forêt , des arbres d*àge moyen , crois-
sant à rangs serrés , comme s'ils étaient jaloux de réoccuper un sol
dont ils avaient été longtemps expulsés.
Arrivé sur la sommité on est largement indemnisé de sa peine : là
se dresse un donjon formidable ^ entouré d'édifices d'époques diverses ,
et, chose digne de remarque , les mieux conservés sont les plus anciens,
i commencer par la tour qui leur a servi à tous de noyau ou d'appui.
Celle-ci n'est plus envirounée que de murs informes^ de courtines
ébrèchées, de bastions renversés, de casemates éventrées. Il est évi-
dent que la poudre a passé par là , jetant pèle-mèle dans les fossés
les murailles du moyen-âge et celles élevées par les ordres de Vau-
ban , lorsque le château féodal fut converti en forteresse frontière ,
pour couvrir le passage du Rhin , arrêter un ennemi qui , après avoir
franchi le fleuve , aurait voulu pénétrer en France par la vallée de
Leimen, ou en descendant de THelvétie par le Blauenberg. C'était
simplement rétablir au 17* siècle une de ces forteresses que les Romains
avaient bâties en ce lieu , comme sur tant d'autres points culminants
da Jura ; tant il est vrai que certaines positions stratégiques sont ainsi
réoccupées de siècle en siècle. Du haut de ce château , si bien nommé
Landskron , ou Couronne du Pays ^ la vue s'étend sur toute la vallée
du Rhin , depuis Rheinfeld , à 3 lieues au-dessus de Bâle , jusqu'au-
delà de Strasboui^. L'œil pénètre jusque dans ces étroites vallées de
lllercinie d'où sortirent tant de peuples étrangers pour ravager l'Alsace
8*S4rie.-«7« Année. 12
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178 REVUE D'ALSACE.
et les Gaules. On domine toute la vallée de Leimen , où il y avait de
nombreux établissements romains ; on aperçoit le long du Jura les
débris de plusieurs châteaux réédifiés au ipoyenrâge sur des fondations
romaines ; aussi nous n'avons pas été tsop surpris de recueillir dans la
forêt , au nord et au pied de Landskron , des débris de tuiles romaines
et d'apprendre qu'on avait trouvé , sur la colline même , plus d'une
monnaie de la même époque.
Nous croyons donc que Torigine du château de Landskron est due
à une tour d'observation, bâtie en ce lieu par les romains pour la pro-
tection générale de la frontière et pour celle , plus particulière , des
vallées environnantes où se groupaient tant d'habitations romaines.
La Spécula avait probablement disparu en grande partie lorsque sur
ses fondations on éleva le donjon actuel , â une époque antérieure au
il^ siècle , comme certains détails d'architecture semblent l'indiquer.
Ce devait être un de ces domaines du fisc resté plus ou moins long-
temps entre les mains du souverain , donné ensuite à titre de bénéfice
temporaire , et ayant fini par devenir un fief héréditaire que notns
verrons possédé au 13^ siècle par une famille trans-rhén4D(3.
Nous n'avons pu retrouver le plan de cette forteresse vers les derniers
temps de son existence , c'est-à-dire avant 1814 , et nous le regrettons
vivement parce que ces sortes de documents deviesiment toi^yours plus
rares.
Il y a bien à l'abbaye voisine de Notre-Dame-de-l^-Pierre , un tableau
du lô** siècle représentant Landskron à l'occasion d'ua événement don^
nous ferons aussi mention. Mais lors même que l'artiste eticell^it pour
les portraits , nous nous méfions de l'exactitude du château» qui n'était
qu'une partie secondaire de son sujet. Mérian , dans sa topographie
d'Alsace , imprimée à Franckfort en 166^, fournit une vue de Lands-
kron qui , nonobstant quelques erreurs ^ offre cependant plus, d'i^a
intérêt. On y remarque des fortifications avancée^ > sur la, façade du
Sud , deux demi-tours réunies par une courtine , que Vauban , peu
d'années après , enveloppa dans ses bastions , comme on peui s'en
assurer encore. Les habitations ont aussi quelques parties reconnais
Sables et qui l'étaient bien davantage lorsque nous avous dessiné ces
ruines il y a près de 30 ans. Enfin il y a encore au village de I^^ds-
kron une vue assez mal faite , représentant la forteresse au commuée-
ment de notre siècle et elle parsift avoir été copiée dans un. mamiscril de
Maria-Stein.
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LANDSKRON. 179
C*est d'après ces indications anciennes y avec t'aide de personnes des
localités voisines , et l'examen des lieux , à plusieurs reprises , que
nous allons essayer de décrire Landskron pour conserver le souvenir de
celte vieille forteresse , evant que le temps et les hommes n'en dis-
persent les dernières pierres ^ Remarquons auparavant que les travaux
du 17« siècle ont tellement bouleversé la crête de la colline qu'il n'est
plus possible de reconnaître si elle a été occupée aux alentours du châ-
teau par quelques autres édifices , si ce n'est à l'ouest oà l'on indiquera
les ruines d'un manoir féodal. Quelques traditions locales semblent
rappeler que , sur les rochers de Tautre côté de la cluse, ou du village
de la Flue , il y a eu un poste militaire ou peut-être aussi un haut-lieu
des temps celtiques.
Deux chemins conduisaient à Landskron : l'un que nous avons' suivi ,
au nord , en sortant de la vallée de Leimen , et l'autre , au sud , ar-
rivant de la Suisse, dont les limites ne sont éloignées que d'environ
500 mètres. Ces deux chemins aboutissent à une même porte placée
au midi, mais tournée vers l'ouest. Ses approches étaient protégées
par plusieurs ouvrages avancés , dont l'un ^ fort remarquable , est
perché sur une roche conique détachée de la base qui porte le château.
Un pont-levis jeté sur le fossé permettait d'entrer à pied par une
poterne , ou avec voiture , par une porte suffisamment grande , mais
exposée au feu de tous les ouvrages placés au midi. Cette entrée a
remplacé l'ancienne déjà ouverte au même endroit. Les bastions et
la courtine qui les relie enveloppent deux tours rondes et une cour-
tine du 17'' siècle; mais ces fossés en s'agrandissant ont fait disparaître
l'ancien jardin. Tous ces ouvrages , vieux et nouveaux, ont été dévastés
par l'explosion des mines et Ton ne peut plus juger qu'imparfaitement
de l'étendue des voûtes et des casemates qu'ils renfermaient.
Vient ensuite une montée défendue à droite par la courtine , et à
gauche par les hautes murailles du château. Cette façade était percée
de canonières dans le bas et plus haut de fenêtres à plusieurs créneaux ,
dans le style des 15* au 16« siècles, comme Tatteste une date de 1516
placée sur la clef de voûte de la seconde porte donnant entrée dans la
grande cour« Celle-ci était occupée , à l'Est e^ au Nord, par divers bâti-
ments servant de corps de garde , de caserne , d'ateliers , d'écuries et
* M. de Reinach a acheté ces ruines et y a fait de nombreux travaux de déblais
et de conservation.
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180 RKVDE D' ALSACE.
autres dépendances , avec une poterne pour aller vers les forts déta-
chés , et une tour à Fangle Sud-Est , qui servait jadis de bastion , près
du magasin à poudre.
Au Sud et à TOuest se trouvaient le nouveau et l'ancien château s'ap-
puyant chacun au donjon. Là aussi on voyait la chapelle occupant pres-
que le centre de celte place de guerre. Il y avait ensuite une seconde
cour , précédant ces bâtiments divers et dans laquelle on pénétrait par
un passage voûté , dont tous les abords étaient percés de meurtrières,
afin de pouvoir encore se défendre après la prise de la première
cour. Le donjon se dresse à Tangle Sud-Ouest , comme dernière retraite.
11 est assis sur un roc plus haut que le niveau de la cour , ce qui donne
à la tour un aspect plus élevé et qui n'existe que comparativement. Ce
bâtiment est la partie la plus ancienne du château. Son plan a la forme
d'un carré un peu allongé à angles arrondis. Ses murs ont 6 mètres
d'épaisseur; ils sont à bain de mortier; les parements en moellons
irréguliers et à peine dégrossis à la pointe. Le remplissage se com-
pose de pierres informes et même de blocs de rocher d'un poids
énorme qui attestent l'emploi de puissantes grues pour les tirer jusqu'au
haut de la tour. Jadis on ne pouvait arriver à la porte du donjon qu'au
moyen d'une échelle et plus tard par les édiGces qu'on adossa d'abord
au Nord , puis à l'Est. Le bâtiment de l'Est servait de logement au
commandant du château , au médecin , au chapelain. Sa situation avec
façade au Sud le rendait d'un séjour plus agréable. On en a restauré
récemment une partie, mais au lieu de lui conserver son caractère pri-
mitif, on lui a donné l'aspect d'un chalet. Cest par ces restaurations
qu'on peut actuellement , comme autrefois , arriver à la porte du don-
jon. Nous y étions déjà parvenu précédemment par le côté du Nord,
dont une partie du revêtement a été arrachée. C'est sur les murs ébou-
lés que nous avions posé échelle sur échelle , cassecou sur cassecou.
Le bâtiment du Nord , ou de l'ancien château n'offre plus guère
de traces de son architecture. Ou remarque seulement que les deux
façades extérieures étaient très-avares de fenêtres , mais celle donnant
dans la cour est démolie. On reconnaît encore à un de ses étages, et
collés au donjon , les restes d'une de ces vastes cheminées des 14« et
15<> siècles , sous le manteau desquelles toute une famille pouvait être
réunie , et il y a encore les débris d'un autre chauffe pance à un étage
plus haut vers l'Ouest. Toutefois il y avait d'autres moyens de chauf-
fage , comme l'attestent des fragments de carreaux de fourneaux ou de
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LANDSKBON. 181
poêles en terre cuite à relief et à vernis plombifère. Nous en avons vu
quelques débris intéressants représentant des dragons affrontés et au
cols entrelacés.
Les portes extérieures du donjon rappellent par leurs formes les
époques où elles ont été percées lorsqu'on a voulu mettre la tour en
communication avec les bâtiments voisins. La plus ancienne est sem-
blable à celles qu'on voit à des tours et édifices antérieurs au il' siècle.
Chaque étage de la tour ne forme qu'une seule salle solidement voûtée
à plein cintre. La première n'a qu'une seule fenêtre carrée d'environ
20 centimètres de côté. Il n'y a pas d'embrasure , mais seulement un
couloir à peine plus grand que l'ouverture de la fenêtre , qu'on a
ménagé à travers un mur de 6 mètres d'épaisseur. Pour arriver au
jour et recevoir un rayon de soleil , il faut se traîner sur le ventre par
ce long et étroit passage. Ce mode de locomotion a cependant été si
fréquent que les pierres du couloir en ont été polies de tous côtés, et
surtout au contact du ventre et des genoux.
Dans le temps où ce donjon constituait à lui seul le château, et par
conséquent la demeure du châtelain , celte première salle devait être
la place d'arme , le corps de garde , le logement des hommes de guerre ,
qui de là veillaient à la défense de la porte. Quand plus lard on y sub-
stitua des édifices plus commodes , le donjon fut converti en prison ,
en sorte qu'il y a lieu de présumer que le polissement des pierres du
couloir conduisant à la fenêtre , est dû aux malheureux prisonniers qui
n'avaient pas d'autres moyens de prendre un peu d'air et de lumière.
Au château de Chilien , dont le lac de Genève reflète les hautes
murailles , on montre le sentier semi-circulaire que tracèrent dans le
pavé les pieds de Bonivard , lorsqu'il se promenait aussi loin que le lui
permettait sa chaîne.
Le second étage a une fenêtre un peu plus grande , mais son aspect
n'est pas plus réjouissant. Cet appartement est à peine éclairé ^ on n'y
reconnaît aucun moyen de chauffage , ce qui est conforme à ce qu'on
voit dans un grand nombre d'autres anciennes tours qui ont cependant
été habitées K En effet la salle , «formant le second étage du donjon de
Landskron, devait être le logement primitif du châtelain et de toute sa
* On pent dire sans hésitation que Toussaint, ce nègre intelligent qui avait com-
mandé à Saint-Domingue , est mort de froid dans les salles voûtées du fort de Jouy
qu'on lui a^ait donné pour prison.
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i&i RETQE fD'MiSAGE.
famille. C'est là qu'était le lit du père , de la mère et des enfents , Ht
à plusieurs divisions , superposées « pour gagner de ia place , véritable
monument dont Tusage s'est maintenu fort tard dans les ckàteaux et
jusqu'à nos jours dans les vieilles maisons de nos villages. Le rez-de-
chaussée recelait ces couchettes qu'on tirait le soir sur des roulettes ,
pour y mettre les enfants en bas âge. Au premier étage les père et
mère couchaient dans des lits de plumes que les inventaires du 45*
siècle annoncent du poids de 60 à 100 livres. La dimension de ces
lits fait penser qu'on y mettait au hesoin deux rangées de coucheurs
en les plaçant les pieds opposés. Enfin sur le ciel du lit grimpaient (es
adolescents , qui , à raison de la hauteur de certains appartements ,
pouvaient encore s*ébattre plus à l'aise que dans nos entre-sols.
On ne doit nullement être surpris de tels arrangements , de la part
des châtelains ; il y avait dans ces salles encore moins de pèle-m^e
que dans les tentes et les chariots de voyage de leurs ancêtres. C'était
déjà un perfectionnement notable que d'avoir éliminé une partie des
serviteurs et des animaux domestiques qui logeaient avec les vieux
Germains. La vie des anciens seigneurs se passait en plein air ^ à la
chasse, à la guerre, en courses de nature parfois fort peu honorables,
et quand tes châtelaines s'ennuyaient dans leurs sombres et étroites
demeures , elles allaient coudre ou broder hors du donjon , se pro-
mener dans la campagne , se rendant fréquemment à l'église voifiioe ,
ou bien elles faisaient de plus longs pèlerinages , quand leurs époux ou
leurs frères négligeaient de les mener en visite dans les châteaux , ou
de les faire assister à des -fêtes et à des joutes.
En sortant de cette salle par une petite porte s'ouvrant dans un
escalier dérobé , ménagé dans l'épaisseur des murs pour monter au
sommet de la tour , on laisse sous ses pieds un autre souvenir de ces
temps barbares. C'est une prison , une oubliette de 2 mètres de dia-
mètre creusée dans le massif des murs et descendant fort bas jusque
sur le roc. Une petite ouverture à la clef de la voûte servait à dévaler
le prisonnier et c'est par là qu^on lui administrait sa chétive nourriture
au moyen d'une corde. Nous verrons bientôt ce que devenaient les
malheureux qu'on envoyait dans ces horribles cachots. Hâtons-nous
de nous éloigner de ces lieux sinistres et de retrouver l'air et le jour*.
* Le passade et l'escalier ménagés dans l'épaisseur des murs rappelle le mode de
construction des plus anciens donjons de nos contrées et qu'on usageait encore dans
d'autres pays au onzième siècle.
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LAimSBlON. 183
Nous présumons que le doujoH a été autrefois couvert d'un toit haut
et pointu , servant de logement , de magasin et de moyens de défense.
Mais depuis ie 47® Biè<4e, an moins , la toiture avait disparu et se
tPêuvavt adors renifilaoée «par otie plate-forme à parapets crénelés. Lors-
que Vaubati fit «nsttile foftifier Landskron , il renforça ces parapets ,
tout en y ménaceant des embrasures et , vers le Sud , il fit tendre des
eorbeanx sur lesquels on posa Ufie guérite dominant toute la contrée
eoviraftwuile.
De œtle position élevée la vue eâibrasse un Magnifique panorama.
Nous en avons déjà découvert une partie en arrivant sur la colline ,
mais ée là on n'en ^sit pas aus^ bien l'ensemble et les détails que lors
q«'«ti est pérthé sur la «ommité du donjon. L'oeil plonge d'abord sur
l'encemble des ruines de la forteresse et sur ses ouvrages avancés.
Chaque embrasure de la plate-forme indique la direction d'une de ces
redolites et Ton voit que le canon renfilait le chemin couvert condui-
sant de la place à chaque fort détaché et rendait Toccupation de ceux-ci
fort périlleuse pour l'ennemi qui s'en serait emparé. Ces redoutes, sans
compter le cavalier dominant l'entrée du château , sont au nombre de
lroi« ) deux à l'Orient et une à TOccident , couvrant les abords de la
place par les seuls côtés accessibles. Elles étaient solidement con-
(^tmiteSy ayant des fossés, larges et profonds^ taillés dans le roc, des
revétemente en pierres de taille , des casemates enfin tous les acces-
soires de ces sortes d'ouvrages avancés. Des chemins couverts égale-
ment creusés dans le roc les mettaient en communication avec la
forteresse ; des ponts de bois jetés sur les fossés étaient faciles à dé-
truire en cas d'attaque.
On ne pouvait du reste tirer sur ces redoutes que depuis le territoire
suisse , sur le bord du plateau où est bâti l'abbaye de Maria-Stein.
Mois » si sur ce bord il était aisé d'établir des batteries , celles-çi
étaient trop éloignées du château pour le battre en brèche d'une ma-
nière efiBcace ; le canon du donjon les dominait et les boulets qui les
manquaient allaient de plein fait se loger dans les bâtiments du mo-
nastère. Aussi Ton accuse , peut-être trop légèrement , les Bénédic-
tins d'avoir demandé la destruction de cette forteresse lorsque les enne-
mis de la France cherchaient tous les prétextes pour en diminuer
l'étendue et la force. C'est également alors que les Bàlois revendi-
quèrent la démolition d'Huningue , dont les canons de 24 envoyaient de
trop lourds messages aux portes de la Suisse. Nous avons entendu
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iSi REVUE D'AL8ACE
tonner ces grosses pièces en 1814 et le soi gelé en tremblait à 8 lieues
de distance ^
De la plate-forme où nous sommes on aperçoit la forteresse dé-
mantelée sur le bord du Rhin et Bàle qui s'agrandit chaque jour sur
les deux rives du fleuve. On voit toute cette ligne d'anciens castels
qui^ depuis au-delà d'Âugusta-Rauracorum , s'échelonnaient le long
du Jura et qu'ont remplacés les châteaux du moyen-âge. Ce sont les
trois Wartenberg , Schauenbourg , Hunchenstein , les trois Reicben-
stein , les deux Byrseck , Dornach , Pfeffingen , Tschepperlein. Plus
près y dans une charmante vallée , il y avait le pittoresque Sternenberg
qu'on a démoli récemment , puis en arrière de Maria-Stein , le donjon
de Rothberg ; plus au Sud-Ouest les sept castels de la Bourg , bâtis
depuis les temps romains jusqu'à nos jours , portant chacun d'eux un
nom différent qui ont embrouillé les historiens ; enfin viennent les
masures des deux Waldeck et l'emplacement de Rheineck dont les
débris on servi aux constructions de Landskron.
U y a encore bien des choses à voir depuis celte plate-forme » mais
il y manque à celle-ci le rétablissement d'une partie de ses parapets ,
pour y déposer les chapeaux et les ombrelles des dames pendant
qu'elles font usage de leurs binocles.
En quittant le donjon nous n'avons plus que peu de chose à voir à
Landskron ; mais on doit indiquer en passant les deux citernes , l'une
dans la grande cour et l'autre dans la petite cour. Elles sont taillées
dans le roc à 13 ou 14 mètres de profondeur. L'ancien puits est
également foré dans le rocher jusqu'à la base de la colline , ce qu'on
évalue à plus de 200 mètres ^.
' Huningue fut construit par les ordres de Louis XIV en 1679 , nonobstant les
longues réclamations de la Suisse. Lorsque fiarbanégre défendit cette place en 1815
avec un courage digne d'un meilleur succès , les Suisses aidèrent aux alliés à en
faire le siège, en leur prêtant de la grosse artillerie et 4600 hommes. La tranchée
fut ouverte dans la nuit du 16 au 17 août et la place capitula le 26. Bâle put alors
respirer et échappa aux contributions et aux boulets de Barbanégre ; mais cette
ville ne pardonna pas à la forteresse qui fut démolie peu après , soit du commen-
cement de septembre à décembre 1815. Plus de 2000 hommes y travaillèrent de
corvée.
' Nonobstant ce puits et ces citernes, Landskron était si mal pourvu d'eau que sa
garnison était souvent obligée d'en aller chercher fort loin dans la vallée au-dessous
de Maria-Stein, — Haffner , Chronique de Soleure , seconde partie , p. 398.
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LANDSKRON. 485
On peut remarquer aussi quelques restes de ces prisons redoutables
qui ont entendu les soupirs et les plaintes de bien des malheureux, depuis
que Landskron a été acquis par la France pour en faire une forteresse
frontière , jusqu'à l'époque <oû cette succursale de la Bastille a cessé ,
comme celle-ci , d'être une prison d'Etat.
Un auteur suisse, Hcntzy , rapporte * qu'un jeune Américain, nommé
Duvergier , fut condamné à une prison perpétuelle pour avoir tenu
quelques propos contre le ministre de Choiseuil. Duvergier fut amené
à Landskron où il resta pendant 22 ans enchaîné dans un affreux
cachot; il y perdit l'usage de ses membres et la raison. Lorsque le
général Pichegru visita Landskron , il fit rechercher cet infortuné ,
qu'on transporta à l'hôpital de Strasboui^, où il mourut peu après.
Mous avons entendu raconter par le chirurgien de Landskron, sous
Tancien régime , qu'un jeune homme ayant déplu à une dame de la
cour, celle-ci, d'une voix douce et avec un sourire enchanteur,
obtint du ministre une bonne lettre de cachet , qu'elle accompagna
de quelques lignes griffonnées sur un feuillet de papier parfumé. Le
déplaisant personnage fut arrêté et conduit sans jugement à la for-
teresse frontière. Il comptait y trouver un appartement convenable
et il avait obtenu l'autorisation d'emmener quelques effets et un instru-
ment de musique. A son arrivé au château , le commandant prit cou-
naissance de l'ordre officiel ; mais à la lecture du billet , à tranches
dorées , il pâlit , hésita et malgré lui il fallut se résigner à envoyer
le jeune seigneur à l'ouverture d'une oubliette. Là, on le descendit avec
une corde , puis après lui son luth et ses effets , puis enfin sa première
ration , un morceau de pain et une cruche d'eau. La corde fut alors
retirée et l'ouverture fermée pour la journée. Chaque jour cependant,
si le geôlier ne l'oubliait pas , on renouvelait la ration , mais du jour ,
de l'air , de la propreté . il n'en pouvait être question. Aussi lorsqu'à
la révolution , la bastille St. Antoine s'écroula sous le choc de la
liberté , on ouvrit également les prisons de Landskron , mais l'oubliette,
au lieu d*un jeune homme plein de vie et de santé qu'elle avait reçu ,
ne restitua qu'un corps nu, velu et décharné, une figure hâve aux
yeux hébétés et éteints , des mains crochues armées d'ongles déme-
surés , et bientôt le changement d'atmosphère et de qourriture mit fin
aux longues souffrances de ce malheureux.
' Promenade pittoresque de Bdle à Bienne , en 1796. Publiée en 1809. T. ii, p. 14.
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186 REvra »'alsace.
La différence qu'on remarque entre ces récils feit penser qu'il y
eut deux fnrisoaniers ainsi retirés des oubliettes de Landskron , celui
dent Hentzi avait entendu parier et celui que le efaimrgien Fischer
avait vu sortir 4e son sépulcre. L'image <ie ce malheureux revenait
souvent au souvenir à ce vieux praticien, et plus d'une fois nous l'ayoas
entendu fronder les enfants en leur disant : vous a^iez des ongles
comme le prisonnier de Landskron.
Il n'est guère possible de désigner les premiers seigneurs qui ont
possédé Landskron. On a bien dit précédemment que ce cbàteau de-
vait être un de ces domaines du fisc échus aux souverains du pays
après la dissolution de l'empire romain* Selon une indication de Boyve ,
mais toujours sans preuve , ce château aurait été donné à l'é^ché ée
Bàle avec celui de Pfeffingen, par l'empereur Henri II en 1019*. Selon
Schcepflin c'était un ancien patrimoine des Sires de RoBteln, dont il ne
fait remonter l'origine qu'en 1083 ', tandis que, d'après une noUce
sur le château de Rœtein, les Sires de ce nom paraissent issus des pre«*
miers conquérants de la contrée ; leur ch&teau était assis sur une for-
teresse romaine et un des membres de cette famille figure dans on
diplôme de l'année 900 3.
Schœpflin , dans un autre lieu , dit que Landskron était un fief de
famille possédé par moitié entre la maison d'Autriche et celle des
marquis de Baden^. La famille de Rœtein s'éteignit en 1315; son
héritier principal fut le marquis de Hochberg et à celui-ci succéda la
maison de Baden-Dourlach qui ajoute & ses titres celui de Sire de
Rœtein. Nous croyons devoir admettre que ce furent les Rœtein qui
furent les possesseurs de Landskron à l'exclusion de l'Autriche. Leurs
héritiers, les Hochberg et tes Bad en , ont successivement infëodé ce
domaine à diverses familles et enfin il est certain que lors de la con-
quête de l'Alsace par la France , Louis XIV acheta le domaine direct
de Landskron aux marquis de Baden-Douriach , Sires de Rœtein, par
acte du 28 mars 1 663 , pour la somme de trois milles livres tournois ,
assignée sur le péage de Ottmarsheim , et par ce moyen les marquis de
* Annales de Neufchâtel , Tom. i , p. H I .
«
" Hist, Zœringo-Badensis , Tom. i, p. 454.
^ J. B. Brecht , Notice sur le château de llateln.
* Hist. Zaringo-Badensis , Tom. iv , p. 288,
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LANDSKRON. 187
Baden renoncèrent à tous leurs droits non spécifiés , sur le ciiàteau de
/ Landskron *.
[ Deux ans après cette convention la France , traita avec les Reich de
I Rreitenstein , alors en possession du fief de Landskron pour Taquisi-
tion du doBiaine utile; ce qui eut lieu nnoyenaani la somme de dix
n)ille livres tournois , ou d'une rente annuelle de 500 livres '. Dans
I aucune acte il n*est fait mention de FAul riche , ou de ses droits.
^ Mais retournons encore en arrière dans les annales de Landskron.
Au commencement du 13* siècle c'élaif déjà une place importante dont
'e possesseur était hostile à Frédéric II , un des compétiteurs à l'empire.
H est assez remarquable de voir alors le nom et le sort de Landskron
associés au château de Trifels , près d'Ânweiler. C'est dans celui-ci
^ue l'empereur Henri V avait ordonné en mourant , en 1125, de dé-
poser les insignes de l'empire, la couronne et le sceptre, jusqu'à
^^élection d'un nouvel empereur. Après la mort de Philippe, roi des
^Oftisûns , en 1208, son chancelier se retira dans cette forteresse , avec
'^5 iiiisignes de l'empire et ce n'est qu'en 1215 que l'empereur Fré-
déric II s'en empara en même temps que de Landskron. Or, une de
^^ places est au Nord et l'autre au Sud de l'Alsace , comme deux sen-
liivell^s aux extrêmes frontières delà province 3. La première, comme
^^ vient de le voir, servait de lieu de dépôt à la couronne du souve-
run ^g l'empire et Tuutre couronnait ou dominait toute la haute
^^Sa.oe, en même temps que ses armoiries portaient trois couronnes,
'^^dis, qu'à Trifels, trois castels couronnaient la même montagne.
A. QUIQUEREZ, aooion préfet dfiDélémunt.
loenibre de la Société juraMienoe d'émulation . et de plusieurs sociétés
d'hisloire et d'archéologie de Suisse 01 de Pranee.
, La fin à la prochaine livraison,)
, <^i8t. Zmringo^Badensis , Tom. vu , p. 2l2 L'annexion eut lieu en 1648 par
^^ité de Westphalie ; mais U fallut encore bien des années avant de se mettre
^^^«ment en possession de l'iuUace.
>V'ALCU , Miscel, Luctl, , manusc. , T. 1, p. 143. — Hentzy, T. u, p. 15.
ScH<EPFLiy , Alsat, illusU , trad. RÀV£Nez , T. iv , p. 431.
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LES CONFRÉRIES DE MÉTIERS.
Tous ceux qui se sont fait un nom dans le monde , hommes d*Eglise
ou de châteaux , hommes de camps ou de palais , n'ont jamais manqué
d'écrivains , pour célébrer leurs hauts-faits et leur puissance.
Le peuple , au contraire , quoique soutien naturel et agent principal
de toutes ces gloires ^ toujours obscur et ignoré , est resté longtemps
sans historiens, pour redire ses joies et ses douleurs, ses audaces et ses
faiblesses, ses mérites et ses fautes. Et cependant le peuple, et j'entends
par ce mot nos ancêtres, c'est-à-dire les générations qui ont précédé la
nôtre , a joué dans nos annales un rôle dont la grandeur apparaît
pleinement aujourd'hui. Lui aussi , il a eu son histoire , une histoire
toute remplie de patientes misères et d'élévation , d'excès monstrueux
et de grandes vertus, de poésie et d'héroïsme. Et cette histoire n'est au
fond que l'histoire même du développement et des progrès de notre
société civile, depuis le chaos de lois, de mesures et de conditions , qui
suivit la chute de l'empire romain , jusqu'à l'établissement du régime
d'ordre , d'unité , de liberté , qui découle nécessairement des grands
principes proclamés en 1789.
Je veux essayer de refaire un chapitre de cette grande histoire,
encore si peu connue, et entretenir le lecteur pendant quelques
instants, mais d'une manière rapide et sommaire, des corporations de
métiers , connues sous le nom de confréries de métiers et de jurandes.
La question de l'origine de ces associations est encore fort controversée
à l'heure qu'il est. Un écrivain moderne S qui n'a pas craint de fabri-
quer un système tout exprès, pour établir que les classes ouvrières ont
' Gaaiiur de Cassaignac.
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LES CONFRÉRIES DE MÉTIERS. 489
eu une origine distincte de celle des classes nobles dans l^istoire de
rhamanité , et que le travail n'a été au fond que la transformation de
Tesclayage, cet écrivain, dis- je ^ a parlé des jurandes juives qui se
montrèrent tout particulièrement, du temps de Salomon, avec les
80,000 ouvriers et leurs 3,200 maîtres employés à la construction du
temple de Jérusalem. Il les fait apparaître , dès les premiers temps de
l'histoire de la Grèce , à Athènes « lorsque Thésée divisa les habitants
de TAttique en nobles , laboureurs , artisans et gens de métiers , et il
les retrouve, à Rome, dans les Collegia opificum^ ou collèges d'ouvriers,
si connus depuis Numa, leur fondateur, jusqu'à la chute de l'Empire
d'Occident. Selon lui, les corporati«ms de métiers seraient donc de tous
les temps et de tous les pays ; elles auraient eu partout une origine
commune et différaient peu dans la forme et le but. En d'autres termes ,
les jurandes modernes ne seraient que la continuation des corporations
d'ouvriers de l'antiquité et notamment des Collèges d'ouvriers des
Romains.
D'autres pensent, au contraire, que nos jurandes ont une origine
germanique, qui ne remonte pas au-delà des grandes migrations du
5" siècle de notre ère. A les entendre, le gouvernement romain, après
ses 450 ans d*existence sur notre sol , fut totalement renversé dans les
Gaules avec ses 115 municipes ou communes , et par conséquent avec
les corporations de métiers qui composaient ce sjfstèmo administratif
municipal. Les Francs s'établirent à leur place , du moins jusqu'à la
Loire , et les institutions romaines ne purent se maintenir qu'au-delà
de ce fleuve , au Midi de la France , dans les pays de droit écrit *.
Selon quelques autres écrivains , la fusion qui s'est opérée sur notre
sol entre les Gaulois , les Romains et les Francs , et qui a constitué
nos mœurs nationales , aurait donné à nos corporations de métiers ce
caractère d'indépendance qui leur est propre et qu'elles n'ont emprunté
nulle part.
Quant à nous , il nous semble ^ en effet , que si les corporations
d'ouvriers ont eu un caractère théocratique ou plutôt sacerdotal dans
l'antiquité, et administratif chez les Romains , elles ont été, au con-
traire, féodales au moyen-âge» indépendantes et communales à la chute
de la féodalité, monarchiques avec la royauté , et cependant, sous ces
divers régimes , combattant sans cesse pour leur liberté politique ou
' A06U8TIN Tbierrt , Hécttê des temps mérovingiens , Toiil. i , p. 260'9S5.
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*90i WBVjm B^iiaSâCB;.
industrielle ou pour leurs monopoles, jusqu'au maniant où chez nous ,
abusant de leoors priviiéges, elles ont succombé en i79i povr feire
place à la Kberté du commenre et de Tinduslrie. Or, pour peu que nous
les examinions dans leurs rapports politiques et industriels, poétiques
et religieux , nous n'aurons pas de peine à constater les conséqaences
que nous venons d'énoncer.
Ce qui nous frappe tout d'abord, c'est que, malgré qu'elles présentent,
dans les divers pays de l'Europe, de notables différences d'organisation
et de mouvement , elles peuvent toutes être ramenées à une origine
commune : la liberté. Si elles ont ensuite marché dans des voies diffé-
rentes , c'est aux mœurs des peuples et aux événements poKtiques et
sociaux qu'il faut demander les raisons de cette diversité.
Parcourons rapidement les différentes phases de Thistoire de notre
France , qui fut successivement gauloise et romaine , chrétienne ,
franque et féodale, communale et populaire, puis enfin monarchique.
A la domination romaine , qui se maintint pendant près de 5 siècles
dans nos Etats européens, a succédé, au 5« siècle^ la grande invasion
germanique , d'où sont sorties la féodalité , les communes modernes ,
puis des royautés et des républiques. Chacune de ces grandes époques a
eu son action directe sur les jurandes.
Sous la domination romaine, nul doute que ce fut avec les institu-
tions municipales de Rome , que les corporations d'ouvriers , déjà
répandues dans tout l'empire sous le nom de Collèges ou de Gynécées,
furent introduites dans la vaste préfecture des Gaules.
L'empire , préoccupé avant tout de ses intérêts fiscaux et du besoin
d'assurer la fiicilité de ses propres services militaires et civils , a dû
opérer d'après ce plan : instituer dans toutes les ville» provinciales , sous
le nom de déeurions , une oligarekie bourgeoise , privilégiée autant que
possible , mais responsable de l'impôt devant le fisc ; organiser des
associations, des collèges d'ouvriers, auxquels il accordait la person-
nalité civile et des privilèges, sous réserve de. pourvoir aux réquisitions
des magistrats moyennant rémunération et compensation raisonnables.
Or, quels sont ces services, dont le gouvernement pouvait avoir besoio
et qu'il réclamait par l'entremise de ses magistrats? Afin d'organiser
son service administratif, son déploiement de forces militaires et le
développement de son luxe architectural, il lui fallait des charpentiers «
des maçons, des cuiseurs de chaux , des fontainiers, des mesureurs.
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LES GCWaâtfBS M. MÉTIERS. f9t
des meiloiers , de& boulangers , des bouchers , des muletiers , des toî-
luriersy des bateliers, des décorateurs , de» potiers, dAS foi^eiKms, des
ouvriers, en airaiu^ etc. U organisait doue dans chaque ville des collèges
chargés de remplir, chacun, une de ces tâches d'utilité journalière,
et ces coHéges , devenus un des rouages de radministralioD , étaient
comme la charpente qui supportait k grand corps de l'empire. Ge
furent ces légions d'ouvriers qui permirent à celui. - ci d' accomplir les
vastes travaux dont les ruines couvrent encore l'Espagne , la Franco ,
ritalie, l'Angleterre, l'Afrique, qui approvisionnèrent des armées
innombrables , qui firent rentrer l'impôt dans le plus vaste empire qui
fût jamais.
Mais cette institution , bonne en principe , née pour empêcher les
luttes de la concurrence , pour mettre les ouvriers à l'abri du besoin
par la mutualité des secours, par suite de l'intervention de l'Etat, était
devenue d'abord responsable des malheurs de l'empire; puis, les
ouvriers , attaqués dans leurs biens , n'avaient pas tardé à l'être
dans leurs personnes , et plus dépendants que les moines dans leurs
couvents , plus esclaves que les serfs sur leur glèbe , ils étaient con-
damnés à naître, à se marier, à mourir dans la corporation. A la suite
de ces barbares qui insultaient journellement les frontières de l'empire,
ii a dû se trouver plus d'une fois des ouvriers transfuges, qui, pour se
soustraire aux charges accablantes et aux mesures despotiques qui
pesaient sur leurs corporations, et pour ne pas s'éteindre de misère,
se donnaient à ces envahisseurs, auxquels ils communiquaient une
audace nouvelle, en leur servant de guides. Avoir la rage avec laquelle
ces barbares détruisaient les cités provinciales qu'ils parvenaient à
surprendre» il nous est bien permis de supposer, d'admettr» même
l'inspiration d'ouvriers fugitifs et désespérés ; les mains qui prome*
naient la torche incendiaire dans une ville ont dû être bien souvent
les mêmes mains, qui, peu de temps auparavant, > dans cette même
ville, avaient abandonné, par découragement et lassitude, les pacifiques
instruments du^ travail.
Florissantes , aussi longtemps que le gouvernement impérial pros-
péra, les corporations, attachées par des liens trop étroits à ses desti-
nées, durent nécessairement subir tous les contre -coups de ses
désastres. Certes , l'association dans le travail est une bonne , une
excellente chose , mais la liberté aussi est un bien fort précieux , et le
problème social consiste à les unir l'une et l'autre » l'association et la
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192 RKVUE D'ALSACE.
liberté, dans une telle mesure qu'elles se secourent mutuellement ^
sans se nuire Tune à l'autre.
Quand vint sur la Gaule le règne des barbares , quand l'ordre poli-
tique de l'Empire d'Occident s'écroula , les corporations de métiers
survécurent -elles à la destruction des municipes? Cela n'est pas à
croire, excepté toutefois dans les villes du Midi de la Gaule et dans
plusieurs cités des vallons du Rhin et du Danube , telles que Cologne,
Trêves , Augsbourg et Saitzbourg. Là , en effet , le régime municipal
ancien avait jeté des racines tellement profondes , que nous l'y voyons
subsister presque dans son intégrité jusqu'au milieu du 9« siècle. On y
voyait des places de vente, fora rerum venalium; les hommes de
métiers y étaient réunis en corporations , et les métiers se transmettaient
héréditairement. Mais partout ailleurs la dislocation générale des grands
ressorts de l'empire amena la dissolution des Collèges d^uvriers. Les
barbares cherchèrent , il est vrai , le plus possible à conserver les
anciens rouages , ceux du moins qui pouvaient servir à faciliter la per-
ception de l'impôt ; mais peu versés , comme ils Tétaient , dans l'art
des classifications ,. peu habitués aux allures d'un gouvernement régu-
lier, ils ne comprirent pas l'utilité et l'importance de ces institutions
administratives, et ne cherchèrent pas à empêcher le sauve-qui-peut
général qui se fit dans les corporations comme dans les curies. Le plus
grand nombre des ouvriers restèrent dans les villes , où il y avait encore
quelques lueurs de vie sociale ; là, les métiers, qui vivent des secours
mutuels que se prêtent les industries diverses, trouvaient aussi plus de
commodité pour s'exercer et vendre leurs produits. Les boulangers, les
bouchers , les mariniers de la Seine , qui finirent par absorber tous les
autres métiers et même tout le commerce de Paris , paraissent avoir
traversé la crise de la conquête sans trop se départir des anciens statuts
qui les régissaient sous l'empire romain.
A la fin du 9* siècle , lorsque le démembrement du vaste empire de
Charlemagne et les incursions dévastatrices des pirates northmans
eurent hâté les progrès de la féodalité , devenue comme une nécessité
dans ces temps d'anarchie; lorsque le réseau féodal se fut étendu à
la fois sur les hommes et sur la terre , comment les gens de métiers
auraient-ils pu se soustraire au sort commun ? L'évêque , le seigneur
laïc , le roi lui - même dans ses domaines , établirent les dîmes , les
tailles , les subsides. De toutes parts on se soumettait , parce qu'on
achetait par cette soumission la protection du donjon et du monastère.
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LES CONFRÉRIES DE MÉTIERS. 193
Mais ces redevances, en quelque sorte volontaires, et de contrat social,
furent bientôt sujettes à toutes les tyrannies imposées par la violence
féodale. Les hommes de métiers furent enrégimentés, sous la direction
d*un maitrCy non plus dans un intérêt de commune défense, mais pour
subir toutes les corvées et les pourvoieries seigneuriales, et c'est là, il
n'en faut point douter, qu'il convient de chercher l'origine des corpo-
rations d'ouvriers de celte époque. C'est ainsi, pour ne citer que ce seul
exemple, que Tévêque de Strasbourg distribue par classes tous ses gens,
selon les (Hvers services qu'ils lui doivent. Tous les artisans lui doivc^nt
la corvée ; les marchands lui servent de messagers par tout le diocèse ,
et il donne une sorte de juridiction sur tous ces hommes à certains
officiers de sa cour.
Les évéques, les abbés et les seigneurs laïcs donnaient des règlements
aux corps de métiers, et percevaient sur eux un droit annuel , appelé
hanse ou droit d'association *. Celui qui voulait exercer un métier
devait en acheter le droit au seigneur, puisque , d'après la loi tyran-
nique du temps , qui avait posé en principe qu'il n'y avait point de terre
sans seigneur, le seigneur avait juridiction et souveraineté sur sa terre.
Aussi voyons-nous les seigneurs et les rois concéder parfois comme une
espèce de fief le droit tout fiscal d'autoriser la profession des métiers'.
Ainsi tous les individus, même les corps de métier3 . furent enlacés
dans la hiérarchie féodale jusqu'à la fin du 11» et au commencement du
i2« siècle, c'est-à-dire jusqu'au moment où commença la grande révo-
lution de TaiTranchisseinent des communes , qui , tantôt propagée de
de ville en ville , tantôt éclatant sur plusieurs points en même temps,
embrassa, dans ses développements rapides, presque tous les pays de
langue romane , et eut ses foyers partout ou subsistaient , depuis le
temps des Romains , d'anciennes villes municipales. C'est alors qu'à
côté de la commune , nous voyons surgir^ sous le nom de Confrérie de
métiers , la jurande , c'est - à - dire la liberté du travail , à côté de la
liberté politique , proclamée par la charte de la Commune. Les Com-
munes, on l'a dit avec raison, sont sorties de la boutique et de l'atelier.
* Ce droit variait à Paris de 5 à 30 sous , c*est-à-dire de 25 à 150 fr. de notre
monnaie actueUe. Certaines corporations se rachetaient de cet impôt en payant une
somme annuelle , le hauban.
* C'est ainsi que Louis VII donne à la femme d'Yves Lecoché et à ses héritiers cinq
métiers à titre de flef , ceux des mégissiers , des boursiers , des baudroyers , des
savetiers et des sueurs (couturiers).
9*Séri«. — il'Aïui^. ^3
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194 ««VUE D' ALSACE.
Déjà, nous Tavons vu, les gens de la cité ou du village étaient classés
par métiers pour la facilité des corvées et pour les besoins de Tindustrie
domestique ; ainsi Favait voulu la féodalité. De plus , en beaucoup
d'endroits , et surtout dans les villes , les individus exerçant la même
profession avaient formé entr'eux des associations pour protéger leurs
personnes , leurs familles et leurs biens , pour veiller aux intérêts de
leur industrie et satisfaire à toutes les exigences sociales. Lorsque
rheure est venue, où les communes en armes se lèvent pour réagir
contre le dédain dont les accablaient les classes privilégiées et pour se
défendre contre les violences que cette époque d'anarchie voyait naître
à tout instant, ce sont les hommes de métiers qui paraissent alors sous
les bannières de leurs corporations pour marcher au combat et conquérir
des libertés municipales. L'esprit d'association est répandu par toute
l'Europe. De toutes parts on est debout pour faire commime , et la ville ,
qui ne peut obtenir une liberté municipale , conquiert du moins quelques
libertés industrielles, c'est-à-dire quelques jurandes. C'est ainsi que
la ville de Troyes, qui n'était point ville jurée, c'esi-à-dire qui n'avait
point de commune , était néanmoins vill j de loi ou jurée quant au fait
de la draperie , puisque les drapiers y étaient constitués en jurandes et
élisaient des maîtres et gardes.
Voyons en même temps ce qui se passe dans les Etats voisins de la
France. Du côté de la Flandre , dans le Nord de rAlletnagne , la puis^
sance commerciale atteint des proportions merveitteuses. Quatre-vingts
villes marchandes forment la ligue anséatique , puissante association ,
où les principales puissances de l'Europe tiennent à se faire représen-
ter, et qui ne craint pas d'entrer en guerre avec les souverains du
Nord , chaque fois que ceux-ri entreprennent de troubler le monopole
et les privilèges qu'ils ont en l'imprudence de leur accorder. Des ghîMes
de marchands et d'antres ligues et associations se forment encore en
Allemagne ; la plus célèbre fut sans contredit la Ligue des villes de la
Souabc, qui, quoique peu importantes pour la plupart, surent pourtant
maintenir avec énergie leurs prérogatives contre les empiétements des
comtes et des ducs de Wurtemberg. Le reste de l'Allemagne restera
longtemps encore sous le joug féodal ; ce qui a toujours manqué à ce
pays, c'est un pouvoir unitaire puissant^ une législation commune.
Les Flandres et les Pays-Bas sont déjà en rivalité de commerce avec
l'Angleterre; (dans ce dernier pays paraît en 1100 la première charte
de corporation à Londres). Plus tard ces luîtes prendront un caractère
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LES CONFRÉRIES DE MÉTIERS. 495
politique Téodal dans les guerres contre les rois de France et les ducs
de Bourgogne. Après une lutte de cent ans, les Communes de Flandre,
avec leurs 100,000 hommes de métiers sous les armes , et d'accord
pour cette fois avec les Anglais, ceux-ci pour leurs laines et les
Flamands pour leurs fabriques, sauront vaincre en France les derniers
soutiens de la féodalité , et écraser les restes de la chevalerie française
à Courtrai, à Crécy et à Poitiers.
En Italie, môme spectacle et mêmes prodiges opérés par l'industrie.
Dès le 9*" siècle , Venise est en république ; d'autres villes adoptent
ensuite cette forme de gouvernement. La féodalité est entièrement
détruite par les Communes , et la noblesse même se fait marchande.
Toute la puissance du pays réside dans les villes , comme dans l'Alle-
magne féodale la force s'est réfugiée dans les campagnes. En un mot ,
dans tout le Nord de l'Italie , dans sa partie celtique , la corporation
industrielle domine, elle y est au pouvoir, elle gouverne; les char-
pentiers , les menuisiers , les colporteurs et les maçons viennent
toujours de Novarre , de Como et de Bergame.
En Espagne , enfin , nous voyons le même principe insurrectionnel
agiter les esprits , et produire un résultat encore plus natioaal. Les
longues guerres entre les Sarrazins et les Chrétiens avaient ruiné
raf:ricalture et l'industrie si florissantes au temps des Arabes; et si les
rois chrétiens rétablissent . dès le 11* et le 12* siècles, des fabriques et
des nfiéliers, s'ils surveillent avec sollicitude les privilèges des Gremios
ou corporations de métiers , en les réglementant , c'est dans le but de
rétablir l'ordre et la sécurité dans l'Etat. Mais , de son côté^ la Com-
mune stipule aussi ses droits ; et c'est dans les fueros , ou ordonnances
municipales des villes et des bourgs, que se trouveront insérés les
statuts des Gremios.
Jusqu'ici nous avons vu se former les^corporations de métiers^ plutôt
dans un but de vague indépendance et de résistance à la tyrannie
féodale , que dans des vues purement industrielles.
Maintenant, au 13* siècle, les corps de métiers vont s'organiser,
(îrendre un caractère décidément politique dans le gouvernement de la
cité et devenir des Jurandes , sans en porter encore le nom , qu'ils ne
prendront légalement que sous le règne de Henri IlL
Mais dans quel but ce travail intérieur va - t - il s'opérer? Le même
esprit de liberté va-t-il continuer à se produire? Non, l'ennemi
commun , la féodalité » est vaincu ; il ne restera pluo à chaque
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196 RETUE D'ALSACE.
corporation qu'à s'occuper de ses intérêts privés , en se conformant aux
mœurs nationales.
Aussi la vie nouvelle des Jurandes deviendra- l-elle toute industrielle
et communale en Flandre et en Italie , toute mystique et poétique en
Allemagne, toute administrative, politique et religieuse en France et en
Espagne.
Si Ton se demande pourquoi il en fut ainsi , c'est que le génie
mystique de la vieille Allemagne, importé en Europe au 5" siècle,
demeura symbolique et poétique dans la moderne Allemagne, s'éteignit
en tombant dans le sensualisme flamand et Tindustrialisme des Pays-
Bas, et, se mêlant en France à nos mœurs gallo-romaines et à l'esprit
positif du guerrier franc , s'y transforma de manière à faire vivre dans
la Jurande la pratique morale et religieuse à côté de la règle industrielle
et légale.
Rendons compte de ces transformations.
Bruges et Anvers s'a?socient, en ii64, à la ligue anséatique. Du \3*
au 16* siècle, ce ne sont que rivalités sanglantes entre les villes belges^
au milieu desquelles Pesprit de corps parle plus haut que le patriotisme
d'ensemble. Louvain occupe, en 1360, 120,000 ouvriers dans 3 ou
4000 fabriques de draps; Ypres et Bruges autant. Mais ces 3 villes sont
écrasées tour à tour par Gand qui se glorifie de ses 80,000 bourgeois
en état de porter les armes, quoique l'on y voie 1400 homicides^ en 10
mois « dans les seuls lieux de débauche. Rarement l'étincelle fanatique
tombait en vain sur ces grandes multitudes de tisserands ; à Gand , ils
occupaient 27 carrefours , et formaient à eux seuls un des 3 membres
de la société Ondergherst. Dans cette même ville, la querelle sanglante
qui s'engagea, à cause des salaires, entre les foulons et les tisseurs ou
fabricants de draps*, y renversa la puissance du brasseur Artevelde ,
qui fut un instant le vrai roi de Flandre , et qui fut tué dans sa propre
maison, à son retour de Bruges et d'Ypres, au moment, où, après avoir
appelé l'Anglais à sou secours, il s'apprêtait à donner au prince de
Galles la Flandre qui lui échappait. Bruges a des privilèges, et elle
s'oppose à ce qu'on en accorde de semblables à l'Ecluse. L'Ecluse , de
* Ils se livrèrent en 1544 une bataHle décisive sur la place publique ; plus de
1500 foulons furenl tués ; les autres furent expulsés de la ville, et leurs métiers
entièiTHient détruits. Cette journée Ait appelée depuis le mauvait lundi.
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LES CONFRÉRIES DE MÉTIERS. 197
son côté, se croit en possession de la mer, et en refuse Tusage à
Bruges. De part et d*autre on court aux armes. Ypres soupçonne
Poperinghe de contrefaire ses draps ; les tisseurs de la ville d*Ypres
vont détruire Poperinghe. Four des questions de navigation ou de
métier, on voit Matines se lever contre Bruxelles, Anvers contre
Malines , Bruges contre Anvers. Ypres entreprit un jour d'ouvrir au
commerce une route abrégée en creusant TYperlé, et en dispensant
ainsi les bateaux de suivre Timmense détour des anciens canaux , de
Gand à Darame ,. de Damme à Nieuport. Desoncôlé, Bruges voulait
détourner la Lys au préjudice de Gand; celle-ci, placée au centre
naturel des eaux, au point où se rapprochent les fleuves, aurait soufferl
d'une telle innovation. Malgré les secours que les Brugeois tirèrent de
leur comte et du roi de France , malgré la défaite des Gantois à Rose-
becque, Gand prévalut sur Bruges; elle maintint Tancien cours de la Lys.
Elle eut moins de peine à prévaloir sur Ypres ; par menace ou autrement,
elle obtint du comte sentence pour combler TYperlé.
Dans cette question des eaux, qui remplit le 14* siècle, la dispute fui
entre les villes; le comte y était auxiliaire autant ou plus que partie
principale. Au 15 siècle, la lutte fut directement entre les villes et le
comte; la désunion des villes les fit succomber. Bruges ne fut pas sou-
tenue de Gand, et il lui fallut se soumettre. Gand ne fut pas soutenue
de Bruges , et fut brisée.
En Italie , Pise et Gênes s*épuisent aussi par des rivalités qu'enfante
la liberté commerciale, tandis qu'en France, c'est par des procès
ruineux que se décident les questions de prééminence entre les corpo-
rations, si Ton en excepte toutefois les rivalités de Rouen contre Paris,
qui voulut au 14« siècle lui enlever la navigation de la Seine.
Dans les associations allemandes de l'étudiant et de l'artisan , du
musicien et du chasseur, c'est tout un autre ordre d'idées. Le but
intéressé n'est point celui qu'on se propose en première ligne; l'essen-
tiel , ce sont les réunions amicales, les services mutuels, et ces rites ,
ces symboles , ces initiations , qui constituent pour les associés comme
une religion de leur choix. La table commune est en quelque sorte un
autel , où l'Allemand immole Fégoïsme. Tout est mystère et symbole
dans les statuts de ses associations ; le devoir est exprimé en termes
vagues , sous forme d'aventures de voyage , incidentées de manière à
faire naître des circonstances d'où puissent sortir les règles de la con-
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i98 REVUE D* ALSACE.
duite qu'il faut tenir K Risibles , mais touchants mystères de ia vieille
Allemagne, symbolisme sacré des forgerons et des maçons, graves ini-
tiations des tonneliers et des charpentiers , qu'est-ce que tout cela ,
sinon de la sympathie et du désintéressement. Aussi est-ce dans celte
contrée , où les villes acquirent une plus grande indépendance qu'ail-
leurs , que le système des corporations a reçu son plus entier dévelop-
pement et qu'il s'est conservé le plus longtemps ^.
Toutefois, de ce que le caractère principal des corporations allemandes
paraît avoir été pacifique et amical , il serait hasardé d'en conclure
qu'elles ne sont jamais intervenues dans la politique. Il est certain que
lors de l'établissement des institutions municipales en Allemagne , la
participation des artisans à la chose publique et la conquête des droits
de bourgeoisie ne s'obtinrent pas sans combats. Il y a plus, les longues
luttes qu elles provoquèrent paraissent ne l'avoir cédé en rien aux
révolutions des républiques de l'Antiquité et à celles qui déchirèrent
l'Italie au moyen -âge. Dans certaines localités même, cet élément
politique fut tellement prédominant , que toute la constitution munici-
pale reposa sur la division de la bourgeoisie entière en corporations de
métiers , en sorte que chaque bourgeois était obligé de s'aflilier à l'une
ou à l'autre de ces corporations. C^esl ainsi qu'à Strasbourg , après le
coup d'Ëtat de 1332 , qui donna la majorité dans le sénat à l'élément
plébéien, les corporations industrielles devinrent des tribus politiques,
et que l'Ammeister, pris jusqu'alors dans la noblesse , dut être désor-
mais choisi exclusivement dans le sein de ces mêmes corporations '.
C'est ainsi encore qu'en 4368 , un soulèvement des hommes de métier
' Voir le Magasin pittoresque : sur les compagnons chasseurs (1834, p. 365 et
suiv.) , sur la réception d'un compagnon menuisier (1835, p. 342 et suiv.) , etc.
Nous retrouvons, du reste, quelques-uns de ces rites symboliques dans quelques-
unes de nos corporations en France , par exemple , pour la réception des compa-
gnons chapeliers , tailleurs , selliers. Voir CHEttUEL , Dictionnaire historique des
institutions , mœurs et coutumes de la France , Tom. i , p. 233.
' Il faut espérer qu'elles fîniront par disparaître totalement devant les nombreuses
associations d'avances ou de crédit, les associations de rachat et de consomma-
lion , etc. , etc.
' II faut lire les détails de cette lutte sanglante qui naquit à la suite d'un festin
doimé à l'hôtel d'Ochsenstein (rue Brûlée) , entre les deux familles nobles des Zoni
et des Mûlnheini , qui s'étaient divisées à la suite de la double élection de Frédéric
d'Autriche et de Louis de Bavière. Â partir de ce jour , le gouvernement de la vHle
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LES CONFRÉRIES DB MÉTIERS. t99
obligea le conseil de la bourgeoisie de Francfort , doiii les membres se
reerataient alors parmi les clievaliers , à changer sa conslitulion. Ou
envoya des députés dans plusieurs villes impériales, telles que Mayeace,
Worms , Strasbourg , Bâle, Constance, pour y étudier les institutions
i|ui avaient eu pour résultat l'admission des hommes de métier dans le
gouvernement de la cité K
Il serait trop long de rappeler ici Thistoire des jurandes italiennes ,
(|ui ne fut autre que Thistoire sanglante des républiques de cette con-
trée. On sait que le sytème féodal y fut aboli plus tôt que dans aucune
(lutre partie de TEurope , et qu'au 12*" siècle toutes les villes italiennes
étaient libres. La conséquence immédiate de ce fait fut l'institution
politique des corporations de métiers dans toutes les républiques. Mais
c'est surtout à Florence que leur intervention dans le gouvernement de
la chose publique s'accusa avec le plus d'énergie. L?. fameuse ordon-
nance de 1^2 contre les Magnats ^, et, plus de 80 ans après, les luttes
entre les Ricci et les Albizzi suffiraient à elles seules pour donner une
itlée du gouvernement politique des métiers en Italie. Les Guelfes et les
Gibelins se partageant l'Italie durant les i^, i3* et 14* siècles, les cor-
porations de métiers devinrent aussi guelfes et gibelines ; mais ces
de Strasbourg devint et resta démocratique. Strobel , Geseh de» Elsasses , T. i( ,
p. 192-197. Déjà en 1308 avait eu lieu un soulèvement des hommes de métiers ;
mais la victoire était restée aux familles nobles.
' Après le retour des députés , on établit une constitution nouvelle , qui orgfanisa
deux conseils municipaux. L'un, chargé de Tadministration active, composé de 15
nobles et de 29 hommes de métiers, était présidé par deux bourguemestres, appar-
tenant l'un à la noblesse et l'autre aux corporations industrielles. Les nobles furent
tenus de s'affilier aux 27 corporations , sauf à y former , à volonté , une association
particulière entr*eux. L'autre conseil , ou grand conseil , chargé de contrôler le
premier, fut formé de 20i membres, pris dans les diverses corporations, etc,
* On désignait par ce nom de Magnat , les membres des 36 familles nobles de
Florence , qui furent alors exclues à jamais du prierai dus arls , sans qu'il leur fût
permis de recouvrer les droits de cité , en se faisant immatriculer dans quelque
corps de métiers ou en exerçant quelque profession. Pour assurer l'exécution de
cette ordonnance , connue sous le nom d'Ordinamenti délia jiusl'nia , on fut obligé
de créer une milice bourgeoise qui fut soumise à un gonfalonier de justice. Lies
effets de cette ordonnance ne furent pas de longue durée ; déjà en 1294 , une réac-
tion tut lieu , et le pouvoir retourna des mains des artisans et des classes inférieures
à celles de la ricbe bourgeoisie.
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200 RETUE D'ALSACE.
dénominations ayant changé d'objet , à la fin du 14* siècle , la lutte des
deux partis se confondit avec celle des républiques contre le despo-
tisme.
Il serait également superflu de montrer Talliance intime des gre-
raios ou jurandes espagnoles , avec le système municipal des diffé-
rentes provinces et des petits royaumes de Tancienae Ibérie » puisque ,
durant toute Texistence de ces corporations, leur développement indus-
triel, politique et religieux fut à peu près semblable en tout à celui des
jurandes françaises , soit avant , soit après leur conversion à l'autorité
monarchique.
On peut en dire presqu'autant de l'Angleterre , malgré le contraste
assez bizarre, résultant des deux principes opposés qui concoururent à
former la nationalité britannique , la féodalité et l'industrie , l'égoîsme
d'isolement et l'égoîsme d'assimilation ; mais partout il s'y rencontre un
point commun, qui leur sert de lien, c'est l'acquisition et la jouissance
de la richesse; la féodalité y a ses châteaux, et Tindustrie, ses corpo-
rations. Hais comme l'industrie règne sans partage , à condition de
laisser vivre l'aristocratie, toutes les populations des villes y sont par-
tagées en corporations de métiers, d'origine commune, auxquelles les
plus grands personnages de l'Angleterre et le souverain lui-même sont
tenus de s'affilier.
•Ed. Goguel.
{La fin à la prochaine livraison).
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ÉTUDES
SUR L'ÉLEVAGE, L'ENTRETIEN ET L'AMÉLIORATION
DE LA RACE BOVINE EN ALSACE
SI IVIES
DE QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LA LOI DU il FRIMAIRE AN Vil
RELATIVE AUX PATRES ET AUX TROUPEAUX.
Suite*.
VlII.
SOMMAIRE : la production des kngrais. — évaluation! approximative des
FRAIS d'entretien ET DU RAPPORT DES BÉTE8 BOVINES. — DEUX QUESTIONS A
RÉSOUDRE. -- OPIMONS DE MM. SACC ET BARRAL.
L*enchainement des idées, la simplicité et la clarté , contribuent
généralement au mérite d*un écrit , mais les études que nous avons
entreprises ici sont si complexes , elles se divisent en des branches si
multiples et se rattachent si souvent , tantôt directement tantôt indi-
rectement à des questions d'économie sociale et d'économie rurale que
nous avons été dans l'impossibilité d'éviter des digressions et des
renvois qui nous ont semblé nécessaires pour mettre le lecteur au
courant des opinions contradictoires émises relativement aux sujets
que nous traitons. Nous sommes obligé d'avoir de nouveau recours av
même procédé en faveur de la production des engrais , production qui ,
sans se rattacher aux tentatives faites dans le but de perfectionner les
races, est cependant souvent le mobile principal de l'entretien des bêtes
bovines et exige , par conséquent , d'être prise en sérieuse consi-
dération.
Ce qu'il importe c.vant tout de combattre , c'est cette opinion étrange
* Voir les livraisoDS de janvier, février , mars , avril , mai , juin , juillet cl
aoûi 1865, pages i7 , 59 , lia , 155, 216, 265 , 572 el 572.
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202 REVUE D*ALSAGR.
suivant laquelle le bélail serait un mal et une charge nécessaires. Cette
opinion engage malheureusement trop souvent nos cultivateurs à
négliger les soins que les étables réclament sous le singulier prétexte
qu'il n'y a rien à y gagner.
Il en est de l'agriculture comme de Tindustrie , comme de tous les
élats possibles. Le travail manuel ne réussit, la sueur ne féconde, que
lorsqu'ils sont dirigés par une intelligence relative et accompagnés des
soins d'un esprit d'ordre et d'économie.
Nous allons , du reste , essayer de démontrer par des chiffres que
si Teutretien du bétail est soumis, comme toute autre entreprise, au
succès comme à l'insuccès, il n'y a cependant point de raison pour
soutenir , d'une manière absolue , que l'entretien en question ne soit
possible qu'à des conditions onéreuses.
En évaluant , comme nous l'avons déjà fait plus haut , le rapport
d'une vache du pays à l,ôOO jusqu'à 2,500 litres de lait par an, ou
en admettant plutôt un rendement moyen et journalier de 6 lit' es , on
obtient, par année, 2,190 litres qui ont, à i5 cent, le litre, une
valeur vénale de 328 fr. 50 cent. En ajoutant à cette somme la valeur
du fumier , qui s'élève à environ 75 fr. , nous arrivons à un total de
403 fr. 50 cent. , qui constituent le rapport annuel d'une vache , de
faille et de qualité moyennes, en Alsace
Pour mettre en regard de ce chiffre celui des dépenses d'entretien ,
Il faut se rappeler que la quantité de foin que consomme une bête par
jour est environ de 7 kilog. quand elle reçoit , avec le foin « une
addition de betteraves , de navets , de paille hachée , etc. Ce chiffre ,
cependant, peut s'élever à 12 et même à 16 kilog. quand l'addition
des racines n'a pas lieu ^
Il est inutile de faire remarquer que la ration doit êlre plus ou moins
proportionnée à la taille ou au poids de l'animal. Cette nécessité avait
même engagé bon nombre d'agronomes et même de savants chimistes
* M. Adolphe Uobioire, professeur de chimie à Técole préparaloire des sciences
de Nantes, a fail des expérimentalions très-iDléressanles sur une vache qui cod-
sommaii par jour 7 kilog. 500 gr. de foio , et 16 kilog. de (.ommes de terre. Les
excréments de la bête dépassaient en poids celui de sa consommation. On p<Mit
donc dire , sans crainte d'exagérer, que 100 kilog. de fourrage donnent 100 kilog.
de fumier.
(Voy. L'atmosphère , le sol, les engrais , par A Bobickue, page 49o.)
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ÉTUDES SUR l'élevage , L'BNTKETIEN , ETC. *)3
à foire des recherches , peut-être plus intéressantes que vraiment utiles ,
à ce sujet.
C'est ainsi que Ton a divisé la ration en deux caté^ries distinctes :
Tune la ration d'entretien qui aurait uniquement pour but de main-
tenir l'animal en bonne santé sans augmentation ni diminution de poids,
lorsqu'il ne produit ni travail , ni lait , ni graisse ; l'autre , la ration de
production , serait celle qui produirait chez la bête un accroissement du
poids ou du rendement laiteux. Pour la première de ces rations on a
admis que 1.1, c'est-à-<iire une partie, plus sept dixième p. 100 ou
un soixantième du poids de la bête vivante , est nécessaire , tandis que
la ration de production exigerait d'être de 3,3 ou d'un trentième du
poids de l'animal vivant.
Nous ne nous arrêterons pas à cette distinction subtile qui semble
par trop assimiler Torganisme animal à des alambics qui divisent
exactement, l'un comme l'autre, les aliments consommés. 11 nous sui&ra
d'admettre , pour établir une balance entre le rapport et les dépenses
d'entretien, une moyenne de 14 kilog. de foin \ comme ration jour-
nalière pour une vache de taille moyenne.
Or« le prix des foins variant entre 2 fr. et 5 fr. le quintal , suivant
la sécheresse ou l'humidité de l'année , nous admettons également un
prix moyen de 3 fr. 50 cent, les 50 kilog. , ce qui fait pour 14 kilog.
de foin , une dépense journalière de 98 cent.
Quant à l'addition des betteraves, on n'en use généralement que
dans un but économique. Si le prix des plantes sarclées devait s'élever
au-dessus de celui du foin , il n'y aurait d'autres raisons pour s'en
servir que celles d'engraisser le bétail ou d'augmenter le rendement du
lait. Dans ce cas le supplément en question devient une spéculation
dont le détenteur des animaux est seul à même d'apprécier l'utilité par
l'effet qu'elle produit sur son bétail. Il est évident que si l'on dépense
par exemple , 40 cent, de supplément par jour et que l'on obtient dans
le rapport qu'une augmentation de 30 cent. , la spéculation devient
mauvaise. C'est là , cependant , ce qui arrive dans les exploitations ou le
maître ne s'informe que du rendement et non de la quantité et de la
valeur des fourrages consommés.
* D'après M. Villeroy , la quantité uécessaire de oourriture pour une vache lai-
tière serait de 5 p. 100 de son poids. Par conséquent , une vactie qui pèse 300
kilog , aurait l>esoin chaque jour de 15 kilog. de foin.
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ÏOi . REVUE D'ALSACE.
Pour ne pas compliquer notre calcul nous admettons la vache sim-
plement nourrie avec du foin el des regains. Nous aurons ainsi à
mettre en regard d'un rapport aunuel de 403 fr. 50 c.
une dépense pour fourrage de 357 70
Bénéfice restant 45 80
Il est impossible d'évaluer , par exemple , les intérêts de la valeur
de la bête ; celle-ci est quelquefois vendue avec bénéfice , comme
animal gras , tantôt avec perte, lorsqu'on Ta laissée trop vieillir. Il n*esi
pas plus possible de porter en ligne de compte le salaire du vacher
ou de la personne chargée des soins que les bêtes exigent. Ce calcul
ne peut être établi que dans les grandes exploitations. Dans les
moyennes et dans les petites qui dominent en Alsace , les soins que
rétable réclame ne constituent pas une occupation spéciale, elles
complètent plus généralement la série de travaux qui occupe un ou
plusieurs domestiques.
D'ailleurs, admettons même que la dépense d'entretien atteigne
le rapport. Dans ce cas , il en résulterait encore , à nos yeux , un
immense avantage pour le cultivateur, celui d'avoir eu à sa dispo-
sition les engrais juste au moment où les terres les réclamaient. C'est
là évidemment un avantage considérable pour celui qui reconnaitla
nécessité de restituer à la terre une partie des éléments qu'on lui
enlève par les récoltes successives.
Le bénéfice que l'on peut obtenir par l'entretien des animaux
domestiques, varie, du reste, selon le prix des fourrages. Il varie
également suivant l'intelligence avec laquelle on dirige l'exploitation ,
suivant les appréciations et suivant les prévoyances du fermier. Si les
connaissances de celui-ci sont suffisantes pour distinguer les qualités du
bétail , s'il n'est pas obligé d'avoir recours à des usuriers , et s'il n'a-
bandonne pas son étable à des domestiqu s ignorants et peu soigneux,
le bénéfice sera , selon nous , certain et pourra même se doubler et se
tripler quand on parvient à se procurer les matières premières , c'est-
à-dire, le foin, les racines, les trèfles à bon marché. Pour atteindre
ce bénéfice , il faut naturellement savoir se soustraire aux fluctuations
souvent désastreuses du prix de ces matières; il faut savoir tirer le
meilleur parti possible du produit ou du travail des bêtes et enfin , il
faut surtout savoir irriguer ou fumer ses prairies. Eu un mot , il faut
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ÉTUDES SUR L^ÉLEVAGE , L'ENTBETIEN , ETC. 205
savoir surveiller , à Tinstar de tout autre industriel , chaque engre-
nage qui se rattache au moteur principal de rexploitalion.
Généralement , ce sont les cultivateurs qui cultivent de leurs propres
mains qui sont le plus à Taise. Us réunissent à leur revenu , comme
propriétaires^ l'équivalent de leurs salaires comme travailleurs et le pro-
duit brut se transforme pour eux en produit net. f C'est peut-être la
portion la plus heureuse , disait un jour M. de Lavergne , de notre
population rurale. Us vivent de peu et économisent la plus grande
partie de ce qu'ils gagnent pour agrandir leur domaine. La terre
fructifie sous leurs sueurs et la plupart, à force de travail, parviennent
à s'élever dans l'échelle de la richesse II n'en est pas de même de
ceux que Ton voit avec peine, dans les cafés borgnes de nos chefs-
lieux de canton , passer leur temps à jouer aux cartes ou au billard.
Inutiles à leur pays , à leurs familles et à eux-mêmes , ils ne savent
que tourmenter leurs fermiers pour leur disputer les profits les plus
légitimes. Loin de rien donner à la terre , ils lui enlèvent ce qui la
rend féconde. *
La production des engrais , à l'aide du bétail , n'est donc pas moins
importante que la production des viandes et du lait et mérite , à ce
titre, l'encouragement de tous les hommes sérieux qui ont à cœur la
prospérité de leur pays. C'est par conséquent une étrange et bien
dangereuse doctrine que celle dont nous avons parlé dans le chapitre
précédent et suivant laquelle <r la tenue des étabtes serait une né-
cessité onéreuse dans une ferme en vue de la production des fumiers ;
que les étables ne donnent jamais de bénéfice et que les cultivateurs
sont bien heureux lorsque leur compte de bestiaux ne fait pas ressortir
des pertes ! »
Après cette longue digression en faveur do la production des engrais
nous revenons à la diversité des cultures de notre province et par con-
séquent aux besoins si variés que nous avons signalés. Nous disions que
pour donner des conseils à nos campagnards il est nécessaire de
soumettre ces conseils à l'étude de ces besoins ainsi qu'aux procédés
de culture usités dans les différentes contrées. Nous disions également
que , quelque soit la nécessité de l'augmentation des viandes de bou-
cherie y cette production ne peut nous engager à perdre de vue les autres
services que le bétail est appelé à rendre à l'agriculture en général et
à celle de notre pr jvince en particulier.
Nous avons encore fait remarquer que des conseil" qui ne seraient
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906 REVUE D'ALSACE.
pas fondés sur les éludes en question, aussi bienveillanis qu'ils puis-
sent d'ailleurs être , il en résulterait inévitablement de ces malentendus
que nous avons déplorés à différentes reprises et à la suite desquels on
est trop souvent disposé i mettre l'obstination que l'on rencontre chez
le campagnard sur le compte d'une routine invétérée et insurmontable.
Malheureusement, le paysan, et le paysan alsacien surtout, soit par
manque d'habitude de traduire ses idées par la parole , nVsl que rare-
ment à même d'exposer, d'une façon plus ou moins lucide , les raisons
qui l'engagent à persévérer si opiniâtrement dans les procédés qu'on
lui reproche.
L'ensemble de ces considérations nous avait par conséquent fait un
devoir d'étudier, dans ce travail, non-seulement et autant que nos
moyens le permettait , l'influence du climat et du sol , mais aussi de
faire ressortir toute l'importance qui se rattache à la sélection et à la
spécialisation des animaux domestiquer.
H résulte de ces études que les intérêts recherchés par le cultivateur
dans l'entretien du bétail sont très-variés et que , pour atteindre les
différents buts dont nous parlons , différentes races seraient nécessaires
à notre province.
On voudra bien , nous l'espérons , ne pas nous faire l'objection que
dans ce cas il faudrait une race à part pour chaque arrondissement ,
pour chaque canton , pour chaque village et même pour chaque exploi-
tation isolée. Non, les besoins généraux y sont très-distincts et
varient , comme nous l'avons , du reste , démontré plus haut , selon
les contrées : nous avons d'abord les montagnes où l'industrie four-
ragère réclame l'aptitude laiteuse, la région forestière où le bœuf
travailleur rend d'éminents services , les vallées qui recherchent l'en-
graissement , le vignoble qui demande à la fois du lait et du travail
et enfîn les plaines qui , par-dessus tout , ont besoin d'engrais.
Or , en admeltant cette distinction dans les besoins généraux et . par
conséquent , la nécessité d'avoir un bétail conforme à ces besoins ,
nous arrivons naturellement aux considérations suivantes :
1^ Une race ne peut-elle présenter des avantages réels que dans
un but spécial ; ou , en d'autres termes , ne peut-elle être utilisée avan-
tageusement à la production du lait , à Tengraissement , au travail en
même temps qu'à sa conservation ?
2<> Faut-il se procurer ces races à l'étranger, ou e^t-il possible de les
former , de les perfectionner dans chaque contrée en particulier ?
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ÉTUDES SUR l'Élevage , l'entretien , etc. S07
Nous répondrons d'abord à la première de ces questions en nous
appuyant , comme nous Tavons fait , du reste , chaque fois quand
l'occasion s'est présentée, sur l'opinion des hommes dont l'autorité ,
en pareille matière , n'est contestée par personne,
c Dans les principes posés dans la zootechnie^ dit M. Âug. de
Weckherlin \ des aptitudes afférentes sont difficiles à réunir sur un
même individu. Il arrive ordinairement chez les bètes bovines que
plus il y a abondance de lait, moins il y a disposition à prendre chair,
et que plus on cherche à obtenir de la chair, moins le lait est abondant.
Cepi^ndant on peut alors admettre que la qualité du lait est en rapport
direct avec la qualité et la quantité de la viande ; de telle sorte que
les races plus aptes à l'engraissement , et donnant moins de lait ,
dédommagent un peu par la bonne qualité de celui-ci. Mais il faut
aussi admettre que si on ne veut pas accorder exclusivement de la
valeur à la production du lait seule , on peut y par nn élevage bien
entendu , obtenir, au moins approximativement , les formes du corps
reconnues généralement pour les plus parfaites et conserver une
production de lait très-satisfaisante ; il peut même se trouver des races
entières, élevées avec soin, qui réunissent les diverses aptitudes, sinon
chacune au degré le plus élevé , du moins toutes à un degré assez
élevé...
< Tout aussi bien qu'on peut réunir aux formes du corps passant
généralement pour les plus parfaites , les aptitudes à l'engraissetnent et
à la production du lail à un degré satisfaisant , on peut y ajouter encore
une très-bonne aptitude au trait. Mais plus on voudra développer l'une
ou l'autre de ces aptitudes à un degré supérieur et jusqu'au dernier
point , plus se développeront des formes et des qualités dans un sens
qui ne correspondra plus à la force et à l'énergie nécessaires à de
rudes travaux. :»
S'il était possible , dit à son tour M. le Marquis de Dampierre , de
reucontrer une race qui réunit la sobriété à l'aptitude au travail , à la
précocité pour la boucherie et à la production abondante du laii , ah !
certes , cette race serait propre à tous les pays. Il faudrait la propager
partout , dans les montagnes comme dans les plaines , dans les pays
riches comme dans les pays pauvres. Mais une telle merveille n'a pas
encore été créée , et si deux aptitudes se trouvent réunies à un degré
* \oy. Traité des bétet bovines , vol. i«S page GO, i''* édiiiou.
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REVUE D ALSACE.
éminent dans une race , on doit être moins exigeant pour la troisième
qualité et se trouver bien partagé • . >»
Enfin, voici Topinion de M. Villeroy qui se place au point de vue
de l'agriculture de son pays , la Bavière-rhénane , notre voisine.
La spécialisation , dit-il , a trouvé dans ces derniers temps d'habiles
défenseurs. Il est incontestable que , si l'on veut arriver à ce qu'il y
a de plus parfait , il faut une race spéciale pour le travail , une autre
race pour Tengraissement , et une autre race pour la laiterie ; mais
on a poussé trop loin l'application de ce principe, et la race du
Glane ^, par exemple , qui réunit les trois conditions , mais à un degré
' Races bovines de France , 2« édition . page 9.
* Suivant M. Villeroy , la race du Glane tient aujourd'hui un rang disUngué
entre les bètes bovines de l'Allemagne et tire son nom du Glane petite rivière
qui prend sa source près de Hombourg. Le pays que cette rivière parcourt est
très-montueuic et coupé d'une multitude d'étroites vallées ; il y a peu d*années
encore, il n'y existait pas de routes; il était presque entièrement privé de com-
munications , mais rélevage du bétail lui avait déjîi fait acquérir un haut degré
de prospérité ; aujourd'hui les terres y sont arrivées à un point de fertilité remar-
quable , et la vente du bétail y amène une quantité considérable de numéraire.
Dans son Manuel de l'éleveur des bêtes à cornes , M. Villeroy nous apprend
que les vaches de cette race , lorsqu'elles sont fraîches , deviennent maigres
quoique très-bien nourries, mais que, lorsqu'elles avancent dans la gestation,
elles reprennent de l'embonpoint k mesure que le lait diminue , de sorte qu'elles
sont ordinairement grasses quand elles mettent bas. « J'ai eu une vache de cette
race , ajoute M. Villeroy , qui avait un poids d'environ 250 kilog. qui , fraîche et
nourrie de trèfle vert , à donné paY jour jusqu'à 24 litres de lait de bonne qualité,
et il n'est pas rare d'en trouver qui donnent 18 litres de lait par jour. »
Nous regrettons que M. Villeroy n'ait pas indiqué approximativement la moyenne
annuelle ou rendement laiteux des vaches qu'il recommande si chaleureusement ,
car ce n'est que d'après cette donnée qn'une appréciation devient possible.
Très-souvent les vaches, qui donnent le plus de lait après avoir vêlé sont pré-
cisément celles qu tarissent le plus tôt et leur lait est ordinairement peu bytu-
reux ; par contre les vaches dont le rendement en lait n'est pas si abondant
continuent longtemps à en donner. Suivant des observations faites par M.
Weckheriin sur les meilleures races laitières de la Hollande , de l'Angleterre et
de la Suisse , on ne pourrait admettre , comme moyenne la plus élevée de ces
diverses races , qu'un rendement annuel de 5,200 à 3,600 litres , ce qui ne
ferait que 8 à 9 litres par jour pendant la durée de l'année. Du reste, ajoute
M. de Weckheriin, on ne demande plus k présent combien de lait donne une
vache , mais on su demauUe combien de lait elle donne |iOur 50 kilog. de fuin.
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ÉTUDES SUR l'Élevage , l'entretien , etc. 2bd'^
inférieur à la race Durham pour Fengraissement , â la race Hollan-
daise pour la laiterie , à la race de Salers pour le travail , est néan-
moins plus avantageuse pour la grande majorité des cultivateurs
qu'aucune de ces trois races.
On le voit, la race du Glane serait presque la race merveilleuse que
M. de Dampierre désespère de trouver. L'opinion de M. Villeroy nous
semble être tant soit peu fondée sur les besoins de la contrée qu'il
habite , et qui paraissent être beaucoup moins hétérogènes que ceui
de notre province. Nous ne contestons pas, qu*une race sobre , apte
au travail , à un rendement plus ou moins satisfaisant en lait , et dont
les sujets s'engraisseraient facilement au bout de leur service , ne ferait
pas l'affaire de cenaines contrées de TÂlsace ; mais nous persistons
à croire , que , pour répondre à la diversité des besoins et de cultures , il
est d'une nécessité absolue , et surtout quand il s'agit d'atteindre une
amélioration réelle et durable , de suivre les principes de la spécia-
lisation.
En somme , et pour répondre catégoriquement à la première des
deux questions que nous venons de poser , nous dirons qu'il est im-
possible de réunir toutes les aptitudes à un degré élevé et que le
développement d'une aptitude , quelle qu'elle soit , se fait toujours aux
dépens ou au détriment des autres facultés , d'où il résulte que dans
notre province, pour arriver â une amélioration notable, différentes
races seraient nécessaires.
Ce principe, une fois admis, nous ramène naturellement à la
seconde question également posée plus haut , à savoir : s'il faut se
procurer ces diverses races à F étranger ou sHl est possibk de les former
dans chaque région en particulier.
Nous nous trouvons ici face à face avec les deux sytèmes , c'est-à-dire
le croisement et la sélection si souvent et si passionnément contro-
versés dans ces derniers temps , et à réclaircissement desquels nous
avons également consacré un grande partie des lignes qui précèdent.
Nous sommes donc bien aise d'avoir à placer ici une excellente
lettre que H. Sacc vient d'adresser à M. Barrai , le judicieux rédacteur
du Journal d'agriculture pratique. Celte letlre nous semble résumer
non-seulement ces importantes questions du croisement et de la sélection,
mais elle sera également la meilleure et la plus complète réponse à la
question qu'il nous importe de résoudre en ce moment.
9*SérM. — 17*Aiuië<. 1^
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210 REVUE d' ALSACE.
« Monsieur le Directeur,
« J'ai vu avec bonheur que vous avez défendu , auprès de la Société centrale
d'agricullure , le grand principe du perf. ciionnement des races domestiques par
elles-mêmes , et que vous n'admettez les croisements que dans le but d'obtenir
un résultai immédiatement utile , parce que vous avez reconnu que les animaux
résultant des croisements ne transmettent pas déflnittvement , à leurs descen-
dants, toutes les qualités de leurs ascendants. Telle est aussi la thèse que je
soutiens seul devant la Société d'acclimatation, dont quelques membres veulent
absolument n'employer les nouvelles races d'animaux domestiques qu'elle importe,
qu'à croiser nos anciennes espèces. Il y a là une double faute , ce me semble :
d'abord celle de détourner l'sittention du pcrfectiounemen» de ces races par
elles-mêmes , car elles laissent , en général , beaucoup à désirer ; el puis ensuite
celle de produire des bâtards , dont on ne pourra connaître les aptitudes qu'au
bout de bien des générations dont les caractères changeront d'ailleurs avec
chacune d'elles.
«r Pour ne citer que la chèvre d'Angora , dont je puis parler en connaissance
de cause » puisque je n'ai cessé de m'en occuper depuis le jour de son impor-
tation , voici tes résultats que j'ai obtenus avec la race pure. Les bètes importé<*s
donnaient si peu de lait qu'elles pouvaient à peine nourrir leura petits dont la
première génération française fournissait , sous l'influence d'une bonne nourriture,
un demi -litre de lait outre celui que buvait le petit , et la seconde génération ,
de 1 à 1 Vs c^ même 2 litres d'excellent lait. Le poids , la pureté et la finesse
des toisons allaient toujours en augmentant aussi dans une proportion analogue.
« Quant aux produits provenant du croisement du bouc angora avec une chèvre
d'Egypte et avec une autre d'Appenzell , j'ai dû les faire abattre parce que le
poil était assez long mais grossier, et que Tabsence presque totale du lait rendait
ces animaux d'un entretien trop coû.eux.
K Comme Suisse , d'ailleure , je ne puis être partisan que des races pures ;
notre belle race de chevaux de la Montagne-des-Bois et de Schwytz , nos gigan-
tesques vaches de Fribourg ; nos excellentes laitières de Schwytz et d'Uri ne
se sont formées que par sélection ; absolument comme les Arabes forment leurs
races de chevaux et de dromadaires.
<t On a beaucoup répété que les croisements consanguius , trop fréquemment
répétés , finiraient par amener l'abâtardissement des races ; voici deux faits qui
semblent prouver le contraire : Au commencement de ce siècle , Tempereur
Napoléon donna à M. Couderc , sénateur de Lyon , un bélier et une brebis
mérinos dont il fit cadeau à ma grand'mère , de qui le beau troupeau , qui passa
plus tard entre mes mains , présentait encore , en 1837 , tous les caractères de
la race pure, bien qu'il u'eul été jamnis ni croisé , ni rafralclii par une nouvelle-
importation de bêtes de pur sang.
« D'une seule paire de poules russes , importées à Neufcbàtel en 18^29 , j'ai
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ÉTUDES SUR l'Élevage , l'entretien , etc. 21 1
monté loate ma basse-cour , où ct*tto espèce s*cst conservée dans toute sa pureté
jusqu'au moment de mon départ en 1850.
n Depuis la création du monde , les pignons se reproduisent entre frères et
sœurs , et nulle part leur race n*a dégénéré : elle s*est au contraire inBniment
perfectionnée à Taide de soins bien entendus.
« Arrivant aux races issues de croisements bien entendus , vous avez cité
les porcs et les moutons anglais auxquels j'ajouterai notre justement célèbre
mouton du Larzac , et Tadmirablc race bovin<; de Rosenstein , que S. M. le roi
de Wurtemberg est enfin arrivé à fixer, après 20 ans de croisements répétés
entre les meilleures races bovines de l'Europe.
« Toutes ces races artificielles sont-elles bien et définitivement fixées ? ou bien
remonteront-elles, dès qu'on cessera de faire intervenir le pur sang, à leur
ascendant le plus robuste , à celui qui s'est formé sous Tinfluence locale ? Le roi
de Wurtemberg répond à cette question , qu'après plus d'un demi-siècle dVssais
incessants , ii s'est convaincu que , pour obtenir de bons résultats des croise-
ments des étalons arabes avec les juments allemandes , il faut faire intervenir
sans cesse le pur sang arabe. La soJété bob 'mienne, pour le perfectionnement
des lainages, répond que lorsqu'ap'ès neuf, je dis neuf générations de métis
mérinos-bobémiens , on cesse de faire intervenir le bélier mérinos, les descen-
dants de celle neuvième généialion, qui offrent cependant tous les caractères
des mérinos pur sang, reprennent aussitôt la laine grossière de Tespèce locale.
A Enfin , permettez-moi d'ajouter que pour quelques croisements qui ont pro-
duit de bons résultats, il y en a beaucoup plus qui en ont produit de mauvais ;
ainsi par exemple , le cbeval anglais croisé avec nos chevaux jurassiens donne des
produits à extrémités si allongées qu'ils en sont ioemployables ; les produits du
yack et de la vache , du bouc angora et de la chèvre commune ne donnent pas
de lait, ceux du coq nankin avec la poule commune ont une chair grossière et des
formes disgracieuses, et ceux du coq bankiua avec la poule commune sont aussi
petits , ou guère plus grands que leur père.
m Pour me résumer , je suis convaincu que quand les croisements produisent
un bon résultat , il n'est pas durable , et je conclus que vous avez mille fois
raison lorsque vous ne les admettez que pour arriver prompiemeol à un but
momentané , et que vous soutenez avec moi que , pour arriver à un but stable
et définitif, il faut améliorer nos animaux domestiques par une sage sélection de
leurs reproducteurs.
« Veuillez agréer, etc.
ff Signé , Sacc '. »
 cette lettre M. Barrai ajoute les réflexions suivantes :
« Ainsi , dit-il , à ceux qui ont fondé des élables pour le croisement
d'un animal perfectionné avec une autre race , nous ne saurions trop
* Voy. Journal d'agriculture pratique , 1865 , tome I*'. 5 juin.
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242 RÏvUli D*AtsW.
répéter de revenir souvent au sang pur pour obtenir de nouvelles
générations. • ^
Maintenant, après avoir enregistré les opinions de MM. Sacc et Barrai ,
après avoir reproduit au long , dans les chapitres précédents , les ren-
seignements que nous avons puisés dans les travaux de MM. Georges
Mai, David Low, Giot, Eugène Guyot, S. Gourdon, A. Sanson , de
Dampierre, Yilteroy, P. de Saint-Ferjeux, etc. nous formulons,
comme suit, la réponse qui nous reste à donner à la seconde qiiestion
posée plus haut :
La sélection est le seul moyen qiii permettra de compter sur une
transmission régulière de l'hérédité ; elle peut seule perfectionner les
races conformément ai^ besoins et aux influences locales.
Mais , il ne suffit pas d'ériger un principe en théorie , il faut aussi
se demander si , en pratique , l'application est possible ? - Malheu-
reusement nous trouvons, de ce côté, de nombreuses difficultés,
conséquences inévitables de la loi du 11 frimaire an vu, relative
aux troupeaux , et dont nous essaierons plus loin , de démontrer, à la
fois , les avantages et les inconvénients'.
J. F. Flaxland.
(La suite prochainement.)
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ABJURATION \
La déclaration du Roi contre les Relaps du 13 mars 1679 • celle du
mois de mars 1683 , qui défendent aux ministres de la religion prétendue
réformée d'admettre aucun catholique ou relaps à professer leur reli-
gion ou à fréquenter leurs prêches et celle du mois de juin de la même
année , qui dite aux catholiques la liberté de changer de religion , ont
été enregistrées au Conseil souverain d'Alsace et forment par consé-
quent loix , tant pour les luthériens que pour les calvinistes. La décla-
ration du 13 décembre 1698 pourvoit à l'instruction de ceux qui ont
fait abjuration et de leurs enfants , et les maintient dans leurs biens ,
en satisfaisant aux devoirs de la religion.
Les enfants, qui se sont convertis après l'âge de sept ans accomplis,
jouissent de l'effet .de la déclaration du 24 octobre 1665 ; il leur est
laissé à leur choix après, leur conversion de retourner en la maison de
leurs père et mère protestants pour y être nourris et entretenus , ou de
se retirer ailleurs en demandant une pension proportionnée à leurs
conditions et facultés. Cette disposition est conforme à l'édit du 17 juin
1681 , qui , quoique non registrée au Conseil, est cependant observée
en Alsace. Suivant le même édit , lesdits enfants ne peuvent être en-
voyés en pays étranger pour leur éducation avant l'âge de seize ans.
Un arrêt du Conseil souverain d'Alsace, du S8 septembre 1691 ,
défend aux nouveaux convertis d'envoyer leurs enfants auprès des
maîtres ou ministres faisant profession de la religion luthérienne ou
calviniste, soit au dedans, soit au dehors du royaume, pour y être
élevés et instruits dans les principes de leur religion : ce qui était une
contravention manifeste à la déclaration du mois de juin 1683. Le même
' Nous trouvons parmi les pièces éparses des inaouscriu de Graudidier la noiice
que Dous publions.
Nous ne savons pour quel recueil de son temps il Tavait préparée et nous
ignorons si elle a paru. Dans tous les cas il est utile de la recueillir, car il s'agit
du régime appliqué spécialemenl aux protestants d'Alsace,
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m REVUE D* ALSACE.
Conseil, en vertu d'une lettre de M. Le Blanc , du 29 janvier 1727 ,
jugea, le 1i mars suivant, que les enfants d'un luthérien nouveau con-
verti y qui se sont retirés hors du royaume pour y exercer leur reh'gion,
sont dans le cas des défenses générales portées par la déclaration du
mois de mars 1683 , et incapables de succéder à leur père.
Les nouveaux convertis , tant luthériens et calvinistes que juifs et
anabaptistes , jouissent en Alsace de deux privilèges particuliers. Le
premier, accordé par ordonnance de M. l'intendant, du 26 août 1683,
les exempte pendant trois ans du logement des gens de guerre et de
toutes impositions établies pour la subvention et subsistance desdits
gens de guerre. Le second est énoncé dans un arrêt du conseil d'Etat ,
du 9 juin 1685, qui accorde aux nouveaux convertis de l'Alsace le terme
et délai de trois ans pour le payement du capital de leurs dettes , à
charge cependant d'en payer les intérêts. Un arrêt du même conseil, du
18 janvier suivant, déclaYe que ce terme ne doit pas cependant s'appli-
quer aux dettes entre marchands. Un arrêt du Conseil souverain d'Al-
sace, donné le 30 janvier 1731 , en faveur de Charles-Philippe comte
de Hohenloê , époux d'une princesse de Hesse-Hombourg , a jugé que
le délai ou répit accordé aux nouveaux convertis pour le payement de
leurs dettes ne court que du jour de leur majorité , et qu'il profite au
mari comme poursuivant les droits de sa femme convertie.
Article fourni par M. Vabbé Grandidier
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NOTES ET DOCUMENTS
POUR SERVIR A l'HISTOIRE DE LA KÉVOLUTIO.N EN ALSACE.
- Suite *. -
4791.
i8 février. — Le directoire adressa aux électeurs la circulaire
suivante:
Frères et amis ,
Il est enfin fixé ce jour heureux où vous devez vous assembler pour
élire un pasteur parmi vos frères et concitoyens.
L'objet 4de celte assemblée est de la plus grande importance, et le
choix que vous devez faire exige de vous non-s miement des preuves
de patriotisme , mais surtout des marques de piété et de religion. Tous
les yeux sont ouverts sur vous , et votre conduite doit faire voir aux
peuples , que vous êtes aussi inviolablement attachés aux lois de la
religion , qu'à celles de la patrie.
On accuse les représentants de la nation de vouloir détruire la foi
de vos pères ; et les ennemis de la constitution , qui ont fondé sur ce
terrible moyen l'espoir d'une contre-révolution, s'efforcent de vous
persuader que vous ne pouvés concourir à l'élection de l'évéque sans
vous rendre coupable envers la religion.
Accoutumés à entendre ces impuissantes et déraisonnables clabau-
deries , nous aurions laissé ces pervers s'agiter dans la fange de la
calomnie , si des prêtres mêmes , qui refusent de prêter serment , n'a-
vaient empoisonné vos vues et cherché à alarmer vos consciences.
La religion est en danger , vous disent-ils , et ce prétexte , le plus
spécieux qui fut jamais , a été manié avec tant d'adresse , que quelques
âmes droites et désintéressées en ont pris sérieusement l'alarme , et
ont cru voir dans l'organisation du clergé un plan concerté , de détruire
la doctrine de l'Evangile. L'impression du moment , causée par la
* Voir les livraisons de mai , juin et octobre 1865 , pages S53, 277 et 470 ,
et février et mars 1866 , pages 121 et 173.
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216 REVUE D'ALSACE. ^
résistance , et le faux zèle des ministres de la paix , a subjugué la cré-
dulité , et a fait naître chez plusieurs une répugnance à prêter le ser-
ment civique. Pour tranquilliser les esprits et rassurer à cet égard les
âmes pieuses et timorées , on s'est proposé de faire une petite obser-
vation sur chacun des articles qui ont excité le plus de réclamations.
i** L'Assemblée nationale a remis au peuple le choix des évéques et
de ses pasteurs, c'est-à-dire : l'Assemblée nationale a rétabli le peuple
dans ses plus beaux droits, qu'il avait exercés dès le berceau de l'Eglise.
Lorsqu'il s'agissait de remplacer le traître Judas 3 le choix a été confié,
par l'ordre des apôtres , à tous les fidèles , entre lesquels étaient des
femmes : S* Jacques-le-mineur a été nommé de la même manière évèque
de Jérusalem ; S* Alhanase , évêque d'Alexandrie ; Cécîiien , évêque de
Carthage : S^ Ambroise , Corneille et plusieurs autres ont été élus una-
nimement par le peuple sur le simple témoignage des prêtres.
Ces sortes d'élections furent pendant quelque temps suspendues par
les fausses décrétales ; mais bientôt après rétablies par Saint Louis et
le concile de Bâie, et continuées ainsi dans l'Eglise jusqu^au honteux
concordat entre Léon X et François h^, par lequel le pape a obtenu le
droit des annates et le roi celui de nommer les évoques ; c'est cet abus
que l'Assemblée nationale a aboli, en rétablissant cette ancienne forme
d'élire qui a fourni à l'Eglise tant de grands et de saints évoques.
L'on objecte contre le décret , que les ecclésiastiques auraient dû au
moins participer à ces élections ; mais on ignore donc que les ecclé-
siastiques n'avaient aucune part aux élections des évoques , qui, dans
ces derniers temps , étaient l'ouvrage des plus viles intrigues de la
cour. D'ailleurs , d'après la nouvelle organisation , les ecclésiastiques
ne sont point exclus des élections : ne donnent ils pas leur suffrage aux
électeurs qui choisissent en leur nom les évéqiies et les curés I et il est
certain que, s'ils n'avaient pas opposé une si forte résistance aux décrets
de l'Assemblée , plusieurs parmi eux seraient déjà du nombre des élec-
teurs. Ah ! s'il était possible que les ecclésiastiques conçussent une fois
des sentiments patriotiques, ils verraient que le bon et vertueux Alsa-
cien se ferait un devoir de leur céder la première place à toutes les
élections.
2o L'Assemblée nationale a décrété que le nouvel évêque ne se pré-
senterait plus au pape, pour obtenir la confirmation , mais qu'il lui
écrirait comme au chef visible de l'Eglise , en signe d'union de la foi
que l'Assemblée nationale ordonne de conserver avec lui. Ceci est in-
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NOTES ^T DOQVUmrS , ETC. 217
contestablement Tusage de la première Eglise. Le concile de Nicée a
ordonné dans le quatrième canon y que Févèque recevrait la confirma-
tion du métropolitain et non du pape. Un concile de Carthage , auquel
Saint Augustin a assisté , défendit même , sous peine d'excommunica-
tion , de recourir au pape pour le même objet.
3^ L'Assemblée natioimie veut que chaque évoque nomme des vicaires
qui formeront son conseil. Pour se convaincre du parfait accord de
cette disposition avec la véritable discipline de TEglise , il suffit de lire
le second discours de Tabbé Fleury où il est dit : que dans TEglise
tout se faisait par conseil ; parce qu'on voulait y faire régner la raison,
la règle et la volonté de Dieu. Saint Cyprieu s'excusait auprès des
prêtres et des diacres , d'avoir nommé, contre sa coutume et sans leur
vœu, quelqu'un pour lecteur, à cause de son grand mérite. Si donc les
évèques sont obligés , suivant ce décret , de consulter leurs vicaires ,
il ne s'en suit pas de là , que les vicaires soient évèques , puisqu'ils ne
pourraient jamais ordonner un prêtre.
Tels sont les décrets contre lesquels se déchaînent avec tant de fureur
les ennemis entêtés de leurs opinions , qui sont d'autant plus dange-
reux , que, confondant la cause de la religion avec leurs intérêts parti-
culiers , ils s'imaginent n'être animés que du zèle le plus pur. Us vous
dépeignent l'organisation du clergé comme le plus noir attentat ; et
jamais événement ne fut plus nécessaire et en même temps plus utile
à TËglise. Il fallait la révolution actuelle pour rendre au clergé sa
dignité ; et nous pouvons nous glorifier de toucher enfin à cette époque
si désirable , où nos premiers pasteurs , riches de leurs seules vertus ,
et se trouvant dans l'heureuse impossibilité de se distinguer parle luxe,
seront forcés de se distinguer par un mérite plus réel et plus conve-
nable à la sainteté de leur Elat. Heureux citoyens ! livrés-vous donc à
tous les transports de la plus vive reconnaissance, envoyant luire à vos
yeux l'aurore du plus beau jour que la providence ait pu vous accorder.
Hàlez , par l'ardeur de vos vœux , le glorieux moment où doit se con-
sommer la plus importante opération ; conjurés tous ensemble le Dieu
que vous adorés , de la sanctifier par l'onction de la grâce , et de la
diriger vers l'unique bonheur , qui est celui de vos âmes. Que de motifs
pour tout chrétien d'être fidèle à son serment ! Et vous électeurs! vous
devez surtout en donner, l'exemple ; l'intérêt de la religion, le besoin
de. la paix , l'affermissement de la chose publique vous le recommandent
impérieusement. Faites donc des réflexions sérieuses sur l'objet imppr-
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218 REYUI D'ALSACE.
tant pour lequel vous allés être convoqués ; il ne s*agit pas d*élever un
grand seigneur à une place éminente ; vous devés donner un père au
peuple, un soutien à la foi, un refuge au malheureux , un apôlre à la
constitution et à la religion.
FaitàColmar au Directoire du département du Haut-Rhin, ce 18
février 1791. Signé : WvElterlé et Rudler.
Siégeans: MM. W^elterlé , Muller , Rigklin , Schneider , Resch ,
Eggerlé et RuDLER , faisant fonctions de procureur-général syndic.
— il y a dans les trois districts 160 capucins. Us sont répartis dans
les maisons de Weinbach 21 — Neuf-Brisach 15 — Soultz 12 —
Thann 22 — Blotzheim 18 — Landser 19 — Ensisheim 21 — Colmar
23 — Trois-Epis 4 — Belfort 5. — Total 160.
{Croquis d'un état minute.)
— Nombre de religieux capucins que l'on peut ajouter dans les diffé-
rentes maisons : Neuf-Brisach 10 — Soullz 13 — Thann 13 — Blotz-
heim 12 — Colmar 7 — Weinbach 4. — Total 54.
— Nombre de religieux récollets :
Rouffach 33 — Kaysersberg 30 — Luppach 40 — Total 103.
— Les Dominicains de Guebwiller resteront , ceux de Colmar s'y
transporteront aussi. — Total 30 Dominicains.
— Il y a 66 récollets. Ils sont répartis dans le couvent de Luppach
où il y en aura 40. — Les autres iront à Rouffach.
— Les 14 Cordcliers de Thann et les 5 de Sainte-Marie-aux-Mines
iront à Thierbach , ainsi qu'un des Augustins s'il en reste et s'ils n'ont
pas tous de place à Pairis.
— A Pairis il y aura les 19 Augustins de Colmar et ceux Je Ribeau-
villé. — Il n'y a place à Pairis que pour 19.
— A Marbach les 13 qui y étaient et sept des Bénédictins de Munster.
— A Lùcelle il y aura les religieux qui y sont , les sept rf'stant des
Bénédictins de Munster et les religieux restant de Pairis.
— Arrête : que les 19 Augustins de Colmar se rendront à Pairis.
Que les Dominicains se rendront à Guebwiller.
— Faire un arrêté pour qu'il puisse leur être notifié lundi 28.
— Arrête en outre que le religieux restant à Pairis se rendra à
Lucelle.
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NOTES ET DOCUMENTS, ETC. 219
14 mars. — 850 fusils sont mis à la disposition du Directoire. Le
Directoire !es répartit ainsi : Belfort 600, Altkirch 300. Golmar 250.
22 mars. — Nouvelle fourniture de 1557 fusils ainsi répartis par le
Directoire. District de Colmar 757 , Belfort 400 , Altkirch 400.
20 avril. — Roth^ capitaine commandant Fartillerie de Neuf-Brisach,
informe qu'il a été autorisé à délivrer 4500 fusils pour Tarmement de
la garde nationale. Le Directoire arrête qu'ils seront distribués au
district de Colmar 600 , de Belfort 400 , d' Altkirch 500.
25 avril.
Lettre du Directoire du déparlement du Haut-Rhin aux maires et
officiers municipaïuc.
Colmar, le 25 avril 1791.
M. Arbogart Martin , évéque de ce département , constitutionnelle-
ment élu , s'est hàtéj après son installation , de consacrer les premiers
instants de son épiscopat à s'entrelenir avec ses coopéraleurs et les
fidèles de son diocèse. Vous en serez convaincus à la vue de sa lettre
pastorale, qu'il vient d'adresser à tous les curés et dont vous trouverez
ci-joint un exemplaire. Ce morceau qui caractérise les sentiments de
piété et de religion qui animent ce digne prélat , nous a paru bien
propre à ramener les esprits que le fanatisme a tenté d'égarer ; et
comme , par un nouvel effort de cette passion cruelle , il est à craindre
que quelques curés réfractaires ne cherchent à en faire perdre le fruit
à leurs ouailles , en lui refusant la publicité nécessaire , nous croyons
de notre devoir de vous inviter de prier votre curé ^ au reçu de la
présente , de faire cette publication , et à son refus de la faire faire par
votre maire ou le premier officier municipal présent , comme le moyen
le plus efficace de faire cesser l'erreur dans laquelle les méchants
voudraient retenir le peuple.
W.fiLTERLÉ , RUDLER.
p. s. Vous voudrés bien , Messieu) s , donner avis au procureur-
syndic de votre district , de cette publication dès qu'elle aura été faite ,
et lui faire connaître par qui elle a été effectuée.
(Coromuiiicalions émanant de divers collaborateurs et de sources authentiques.)
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BIILLfiTIN BIBLIOGRAPHIQUE.
mi les publicalions bibliographiques que ces derniers temps ont
ître, il en est une qui mérite particulièrement d'être mentionnée
notre bulletin mensuel. C'esl la Revue critique d'histoire et de
liure, publiée à la librairie A. Franck , 67 , rue Richelieu , sous
ection de P. Meyer, Ch. Morel , G. Paris et H. Zotemberg. Elle
tous les samedis en une feuille de 16 pages, grand in-8«» et coûte
mc3 par an. Nous en avons les premières livraisons sous les yeux
'es en avoir pris connaissance , il nous reste celte impression qui
certainement celle que percevront tous ceux qui liront ce recueil :
que la Bévue critiqua n'est pas une de ces publicalions légères
lelles tout ce qui leur arrive est par cela même excellent. La pha-
, très- nombreuse déjà, de ses collaborateurs se compose d'hommes
voir dont chacun ne parle que de ce qu'il sait , et le fait avec une
endance qui n'est pas plus avare de la critique que de l'éloge. On
s'en rapporter au jugement de la Revue sur la valeur des livres
araissent se procurer les bons avec confiance , sans risquer le
usionnement que l'on éprouve quelque fois lorsque , sur la foi
I annonce élogieuse, on se laisse séduire par le titre et une recom-
alion de complaisance.
n de mieux éclairer encore nos lecteurs sur le mérite de cette
cation , nous en détachons l'analyse suivante qui concerne un
il dû aux recherches d'un antiquaire très-avantageusement connu
notre monde littéraire de l'Alsace.
Liste des no7ns de Veux inscrits sur les monnaies mérovingiennes,
!• Anatole de Barthélémy. Paris, Aubry, 1805, in-S»», 24 pages.
us les rois mérovingiens , la fabrication de la monnaie fut si rê-
ne, que non-seulement les grandes villes, mais des bourgs, des
es , même de .-impies domaines ruraux eurent leur atelier moné-
11 en résulte que la réunion des légendes imprimées sur les mon-
mérovingienues (en supposant que nous eussions toutes ces
laies) serait le dictionnaire géographique de la Gaule barbare.
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 224
M. de Longpérier a essayé le premier de faire un répertoire de celte
espèce. En 1841 il publia, dans l'Annuaire de la Société de THisloire
de France, une liste de 275 noms de lieu, déchiffrés sur la totalité des
monnaies de la première race que l'on connût alors. C'est une pareille
liste que vient de nous donner M. de Barthélémy, mais améliorée et
augmentée en raison des progrès accomplis par la science depuis vingt-
cinq ans. Le nombre des noms de lieu est porté de 275 à 721 ; en
outre, la plupart des lectures ont été vérifiées , soit sur les pièces elles-
mêmes , soit sur des empreintes ; de sorte que , sur les 721 noms
inscrits , 557 se présentent avec un signe qui garantit au lecteur la
fidélité de leur transcription.
N'ayant pas eu d'autre but que de composer une nomenclature aussi
complète et aussi pure que possible, M. de Barthélémy a laissé de côté
la recherche des lieux auxquels les noms se rapporlonl. II s'est contenté
de consigner , à litre de simple renseignement , les attributions propo-
sées jusqu'ici ; encore ne les a-t-il pas mises toutes au même rang.
Quelques-unes seulement, qui lui ont paru incontestables, ont pris
place dans sa liste ; toutes les autres , il les a rejetées , en note, à une
place qui les recommande spécialement au contrôle des critiques.
Les critiques , en effet , auront à faire bien des épurations dans ces
premiers essais de la géographie monétaire , tant il est arrivé de fois
que les noms anciens des localités ont été rendus sans tenir compte , ni
des faits historiques les plus connus , ni des lois qui ont présidé à la
formation de notre langue.
Ainsi , le nom consigné sous la double forme aprianco , abrianego a
été assimilé à Chevry , à Chabrignac» à Abriac , comme s'il était pos-
sible de supposer l'épenthèse ch devant l'a initial , et possible aussi de
faire fléchir en y ou ac la désinence anco, anecOy qui ne laissait de
choix qu'entre anc, anche, ange , angue , agne, argue ou ergue.
Ainsi, gambidonno, candidonno^ camdonno ont été assimilés à
Chambon , comme si la force de la dentale, si clairement indiquée par
les variations orthographiques du mot , pouvait avoir dégénéré dans la
prononciation.
Ainsi , IB1LLAC0 et ivciac [vm ou a] villa ont été rendus parBellange
et Julianges , comme si acum, acus , aca , avait jamais fléchi autrement
qu'en ac , ai ^ as , ay ou en ; et d'autres , qui ont proposé Julliac , au-
raient dû chercher dans quel mot on trouve la sifflante transformée en
une labiale avec mouillure.
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222 REVUE D' ALSACE.
Ainsi , POTENTO, qui est Pouan (Aube) , nommé dans un diplôme de
854-, a été rendu par Podensac, absolument comme si la légende eût
été Potentiaco.
Ainsi , voROLioviLLA est devenu Vollore-ville , comme si vorolivm
n'appartenait pas à une nombreuse famille de vocables , où la désinence
olium, se transformant d'une manière uniforme par la force de Taccenf
posté sur 0 , a engendré la terminaison française euil, eil , oil.
Ainsi , MATiRiACO iMALL'j) a été rendu par Mézières , malgré la peine
que s'est donnée H. Guérard pour établir que ce chef-lieu d'un pagus.
fréquemment cité par nos anciens annalistes , doit être placé à Méré
(Seine-et-Oise) ; et Méré , en effet , est le produit légitime et direct de
tnatiriacus , tandis que Mézières est le produit de maccmce.
Ainsi , CARicTAS a été rapporté à Ln Charité-sur-Loire , lorsque nous
avons le témoignage positif que La Charilé-sur-Loire, qui autrefois
s'appelait Syr , ne changea de nom qu'au xi« siècle , après l'établisse-
ment en ce lieu d'un prieuré de l'ordre de Cluny , etc. , etc. , etc.
Voilà assez d'exemples pour justifier M. de Barthélémy de la défiance
avec laquelle il a touché , dans le glossaire qu'il formait , la partie de
la traduction. Il a compris que jusqu'à présent la numismatique ne
s'était point assez appuyée sur la saine philologie, non plus que sur
tant d'autres connaissances du concours desquelles dépendent les
bonnes déterminations géographiques. Espérons que son travail aura
pour résultat de consommer cette union désirable. J, Quicherat.
Le défaut d'espace nous a empêché de mentionner, chacune en leur
temps , diverses petites publications qui nous sont arrivées et qui ont
aussi des^ droits à l'attention de nos lecteurs.
II. — La plus ancienne est la 4« livraison des Annales de F association
philomatique vogeso-rhénane , faisant suite à la Flore d'Alsace, de
F. KiRSCHLEGER. Ce fasciculc se compose de 48 pages compactes el
contient entr'autres choses le catalogue des c nouveaux et bons livres
de physioloijie et de morphologie végétales » parus depuis quelques mois
et qui méritent d'être signalés spécialement aux personnes qui s'occu-
pent de sciences naturelles ; à cette indication succède une notice très-
bien faite et très-utile sur l'association pour l'échange de plantes entre
les membres de la Société philomatique. Des instructions précises sont
données pour les relations régulières avec le comptoir d'échange (3tabli
à Guebvviller dirigé d'abord par M. MsBder , décédé il y a quelques mois,
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 223
et continué par H. Fidélis , son successeur. M. Kirschleger passe ensuite
au récit sommaire des courses de la Société du 20-23 août 4864 , et ,
plaçant chaque chose à son rang chronologique , il consacre quelques
pages à la cartologie alsato-vosgienne dont la carte en relief de M. Bûrgi,
publiée par la Société industrielle de Mulhouse lui fournit le sujet.
Dans une notice nécrologique sobre et bien pensée , il donne ensuite
quelques souvenirs et des regrets à Mœder , l'ami de la Société philo-
matique et Touvrier le plus zélé de la vie de l'association. Enfin cette
livraison se termine par un coup-d'œil rapide sur les flores voisines de
celle des régions rhénanes récemment éditées , par la relation de l'ex-
cursion printanière des 3 , 4 » 5 et 6 juin 1865, par le texte des nou-
veaux statuts de la Société d'échange de plantes et diverses remarques
relatives aux aflaires intérieures de la Société ou à des mémoires et des
publications qui intéressent ses membres.
Cette livraison , on le voit , continue à remplir admirablement le but
que le fondateur de la Société philomatique poursuit avec autant de
talent que de louable persévérance dans le mouvement qui caractérise
la vie scientifique en Alsace.
III. — Donnons quelques lignes à une notice , écrite en allemand ,
tirée à part et publiée dans le SumslagblaU de Mulhouse , par M. Napo-
léon Nickiès, pharmacien à Benfeld. Sans abandonner les travaux
scientifiques et économiques qui l'occupent depuis de longues années ,
M. Nicklès ne dédaigne pas de s'occuper aussi de l'histoire et de l'ar-
chéologie de sa ville. La notice dont nous parlons se rapporte à l'histoire
de l'hôpital de Benfeld et à celle de l'église dont la vieille tour vient
d'être démolie. Les deux titres sur lesquels H. Nicklès a écrit son inté-
ressante notice font regretter que les archives de la localité ne lui en
aient pas fourni d'autres pour la rendre plus complète. Benfeld a joué
un rôle dans nutre histoire d'Alsace et la place qu'elle y occupe serait
de nature à défrayer la plus émouvante de nos monographies locales.
M. Nicklès l'écrira peut-être un jour et tout la monde lui en saura gré.
IV. — Terminons cette revue par la mention de deux extraits du
Bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques
d Alsace. Le premier est une notice sur la famille de Rosen , fournie
par M. Ernest Lehr , secrétaire-général du Directoire de l'Eglise de la
confession d'Augsbourg , et le second une Promenade^archéologique de
Colmar à Alspach , par M. Paul Huot , conseiller à la cour impériale
de Colmar.
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ffi4^ REVUE d'aLSACE.
Les lecteurs de la Revv£ savent que M. Ernest Lehr s'occupe, depuis
quelques années , de l'histoire des familles nobles d'Alsace. La notice
que nous signalons a été détachée de la collection de M. Lehr et si, par ello,
on doit juger de la publication qui nous est promise , on ne peut qu'en
augurer très-favorablement. La majeure partie de la notice est l'histoire
de la famille de "osen d'Alsace, d'après un manuscrit du siècle dernier
qui a été communiqué à M. Lehr par M. Schvtralm , juge de paix à
Massevaux. La notice est occompagnée de trois planches représentant
les tombes de trois membres de cette famille , et dessinées par M. le
baron de Schauenbourg.
La Promenade de Colmar à Alspacli , par M. Huo^, constitue un tra-
vail archéologique d'une lecture atlrayante. C'est sur les lieux mêmes
que l'auteur a recueilli les intéressantes descriptions qu'il fait en homme
de goût , de savoir et d'élégance littéraire. Après avoir lu les 23 pages
que M. Huot a écrites dans celte courte excursion , l'on demeure con-
vaincu qu'il y a à lire ailleurs encore que dans les livres et que l'homme
instruit , l'esprit cultivé trouvent de belles pages à déchiffrer là où le
commun des mortels voit peu de choses et l'ignorant rien du tout. La
Société des monuments historiques et le comité de Colmar ont fait une
acquisition précieuse dans la personne de Monsieur le conseiller.
Frédéric Kurtz.
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ORIGINE
SIGNIFICATION DU NOM DE FRANC.
Les mots de la langue , surtout les noms propres , ont une histoire
comme les choses et les personnes qu'ils désignent. Cette histoire nous
offre un intérêt à la fois philosophique et scientifique , en ce qu'elle
nous montre , dans les changements de la signification des termes ,
l'origine, la filiation et la transformation des idées « et nous révèle, par
cela même, les métamorphoses successives par lesquelles a passé l'état
social , moral et intellectuel d'une nation. L'histoire de certains noms
propres mythologiques nous explique encore les traditions épiques et
symboliques des religions anciennes; et celle des noms propres ethniques
et géographiques nous fait quelquefois découvrir les rapports et les de-
grés de parenté qui ont existé entre les peuples primitifs ; aussi , à défaut
de documents plus authentiques et plus explicites , nous sert-elle de fil
conducteur pour nous diriger, avec sûreté , dans le dédale des révolu-
tions sociales qui ont eu lieu dans la plus haute antiquité. C'est^ce que
nous aiftns démontrer sur un exemple , en faisant l'histoire du nom
propre de Franc. Cette histoire nous intéresse d'autant plus vivement
et plus directement que les Franks sont nos ancêtres , ou du moins nos
prédécesseurs , sur le sol de la France ; il y a plus , cetle question
intéresse à la fois la race germanique, d'où sont sortis les Franks, et la
race romane dans laquelle ils se sont fondus.
Pour expliquer l'origine et la signification primitive du nom de Franky
et pour en faire l'histoire complète , il nous faudra remonter au moins au
sixième siècle avant notre ère , et de là redescendre au Moyen-âge et
jusqu'aux temps modernes.
S«Séri« i7* Année. ^^
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226 REVUE D'ALSACE,
Au septième siècle avant notre ère, de nombreuses peuplades
appartenant à la broche scythe ^ qui était la plus jeune des branches de
la souche iafétique ^ avaient quitté leur berceau primitif situé en Asie,
au Nord du plateau de Tlran , et s'étaient répandues dans les vastes
plaines qui forment aujourd'hui la Russie d'Europe. Ces peuplades
trouvèrent établies, dans ces contrées, différentes tribus de race sab-
mienne ou finnoise, qu'elles refoulèrent principalement vers le Nord et
vers l'Est. Ces anciennes tribus , bien qu'appartenant k une toute autre
race que les nouveaux venus , furent comprises et confondues avec eux
sous le nom général de Scythes. U faut donc toujours bien distinguer
entre les véritables Scythes , qui étaient d'origine iafétique , et les peu-
plades de diverses origines qui furent improprement appelées de ce
nom , et qui ont été confondues avec eux , parce que , comme eux ,
* La catastrophe géologique appelée , dans la tradilion , le Déloge , sépara les
peuplades d'origiDe jootMoAtte (sansc. kouça), répandues au Sud du Caucase, en deux
parties dont Tune, revenant de plus en plus au Sud , constitua la race sémitique, et
dont Taulre , s*étendant au Nord et à I*E8t , forma ce que nous appelons la race
iafétique. Les raisons qui nous font préférer la dénomination de iafétique à celle
dHndogermanique ont été développées dans Les Gèles (p. 18 suit.)- Les tribus
iafétiques, s'étant différenciées entre elles, ont formé quatre branches principales.
La branche occidentale est restée , pendant des siècles , établie aux pieds du
Caucase : elle 8*est divisée en trois rameaux : le rameau ibérique , le raoïeau
kimméro-keltique , et le rameau pélasgo-ionique. Les traditions mythologiques les
plus anciennes des peuples de ces trois rameaux se rattachent au Mont Caucase ,
à Hu, à Prométhée, et à Deucalion. La branche méridionale de la race iafétique
s*esi établie au Sud du plateau de l'Arménie, et s'est divisée en deux rameaux , le
rameau haïgan ou arménien et le rameau aihure ou assyrien. Les peuples de l'un
et de l'autre rameau rattachent leurs plus anciennes traditions mythologiques à
l'Ararat et aux descendants de Noé , Sem , Hham et lafète. La branche orientale
de la race iafétique s'est établie sur le plateau de l'Iran, d'où sont sortis ensuite les
peuples Ary&s, les Mèdes , les Perses , les Baktries et les Hindous. Les plus anciens
souvenirs de ces peuples se rattachent au berceau de leur race, au Qaniratha (Eu-
nerez) ou au district aux quatre angles (zend. tchatrugaosa)^ où la tradition aryenne,
transmise plus tard aux Assyres et par eux aux Hébreux , a placé VEden quadran-
gulaire, d'où sortaient, aux quatre angles (héb. râschim » Gcnès. 2 , 10), les quatre
fleuves du Paradis. En6n la branche austro^septentrionale de la race iafétique ,
éublie au Nord-Est du plateau de l'Iran , se composait d'un grand nombre de
peuplades nomades , dont Tensemble constituait, d'abord dans l'Asie et plus Urd
en Europe , ce que nous appelons la souche scythe , d'où sont sortis les peuples
sarmates et les peuples gètes , les ancêtres des peuples slaves et des peuples ger-
maniques. (Voy. L* unité de l'espèce humaine et la pluralité des langues primitives.
Strasbourg 1864 , p. 20 et sttlv.)
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ORIGINE ET SIGNIFICATION m? NOM DE FRANC. 227
elles habitaient les vastes contrées que l'on désignait vaguement sous
le nom de Scythie.
Les véritables Scythes, la plus jeune branche de la souche iafétique,
étaient, par leur extraction , les frères ou les cousins des peuples appar-
ienant aux autres branches de cette souche *. Ils parlaient comme eux
une langue sœur des idiomes appelés communément indogermaniques.
Ils avaient une religion qui renfermait un fond primitif commun à toutes
les religions des autres peuples iafétiques ; mais , ainsi que les Hindous^
les Perses , les Grecs , les Keltes , etc. , ils avaient , dans le cours du
temps, développé et agrandi ce fond primitif d'une manière qui leur était
entièrement individuelle.
Les peuplades scyihes , tant celles qui étaient restées dans leur ber-
ceau en Asie , que celles qui s'étaient établies dans les plaines de l'Eu-
rope orientale , adoraient principalement le dieu Soleil , auquel elles
donnaient le nom de Targitavus (Brillant par la targe). Ce dieu était
considéré par les Scythes comme le principe de la vie, et par suite comme
le Père , le Chef et le Protecteur de leur nation *. Comme Père et Chef
de la fi^rande famille scythe , Targitavus eut le nom épithétiquc de Sei-
gneur , qui , dans Tentendement de ces peuples , était synonyme de
Supérieur , et s'exprimait dans leur langue par le terme de Pravus ,
dont la signification propre et primitive était Excellent , Prééminent ,
Maître. Ce mot scythe Pravus correspondait exactement au mot sanscrit
Pra-bhus , terme composé , d'une analyse étymologique facile ^ , qui
• Voy. Les Scythes , les ancêtres dos peuples germaniques el slaves , leur étal
social , moral . intellectuel el religieux ; esquisse etbno-généalogique el histo-
rique. Colmar 1858 ; 2« édit. contrefaçou , Halle 1858.
' Voy. La Fascination de Gulfi , Irailé de mylbologie Scandinave composé par
Snorri fils de Slurlà , traduit el expliqué dans une introduction el un commentaire
^ I critique perpétuel. Strasbourg , Paris el Genève i861 , p. 277 et saiv.
' Le mot sanscrit prabhus se compose de la préposition pra (avant ; gr. pro;
lat. pro ; ail. vor^ etc.) et do bhu-s (('tant), forme adjectivc el subslantivn dérivée
<tu thème bhu (être ; lat. fu ; gr. phu ; ail bi,. De ce même radical dérivent aussi
les mots latins probus (excellent , probe], el superbus (étant au-dessus des autres,
cf. gr. huptr'-phuès) superbe. Le mot sanscrit bkavûn (excellent , seigneur), au
contraire, dérive d*UD radical tout autre , savoir de bhd (briller ; gr. pka ; lat. fa)
et signifie proprement brillant. Le mot latin prâvus dérive encore d'un radical
tout différent ; il correspond sans doute 1» au sanscrit prahvas daus le sens de
impétueux , violent ; 2° au mot Dorrain frekr (impétueux , effronté) ; 3° au latin
pergere (se jeter en avant) el 4" au grec i-perchein (inciter). Enfin , de même que
t
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228 nEvuE d'alsace
signifiait , également , Excellent , dans le sens de Seigneur, de Mattre.
Pravus correspondait au mot grec praûs ( ^ftivs) ou praos {vf^) , qui
dérivait également de la signification primitive d'excellent , dans le sens
de doux , bienveillant, mais qui n'a jamais signifié Seigneur ou Maître.
Au cinquième siècle avant notre ère, les nombreuses peuplades
scijthes y qui , lors de leur sortie de l'Asie , avaient déjà formé plusieurs
rameaux , s'étaient encore différenciées davantage dans les vastes plaines
de l'Europe orientale qu'elles habitaient. Cette différenciation était
tellement avancée , dès le quatrième siècle , qu'elles formèrent deux
branches principales suffisamment distinctes entre elles , savoir : la
branche des Scythes du Nord-Est , et celle des Scythes du Sud-OuesU
Les Scythes du Nord-Est composaient ce qu'on peut appeler , d'un nom
général , la branche sarmate , et ceux du Sud-Ouest peuvent être compris
sous la dénomination générique de branche géte ^
Vers le deuxième siècle de notre ère , les peuplades de la branche
sarmate s'étaient différenciées entre elles dans leur langue et dans leur
de la préposilion latine inira (entre) s*est formé le verbe dérivé intrare (s'inté-
riorer, entrer) de même, en sanscrit, de la préposition pra s'est formé le verbe
pri (mettre avant , préférer , aimer) qui correspond au grec phil (aimer) , et an
goth. frijon (agréer) dont, en baut-allemand , dérive le substantif Freude (agré-
ment • joie).
* Le nom de Sarmaies , grec Sauromatai , dérive de mâtus (p. man(us ; norr.
mâdr; germ. mannus p. mandas, doué d'esprit) homme, et de shaura (goth.
skûra ; ail. schauer , frisson , russe siever ; cf. Sibérie) aquilon , de sorte que le
nom propre de Saurth-maiai (hommes de l'aquilon) avait à peu près la même signi-
fication que celui de Nordmenn (hommes du Nord , Normands) — Les Gèle* se
disaient issus du dieu Soleil qu'ils adoraient. Or ce dieu , qui éclaire tout et qui
voit tout , portait le nom épilhétique de Gauius (norr. gautr , cf. ail. got Tintellî-
gent, dieu) Prudent, ou de Geia (sansc. Ichii pensée) Intelhgent. LesT descendants
de Geia prirent eux-mêmes le nom ethnique de Gèles (fils de rintelltgent). Snr
Ips peuples issus de la branche sarmate et de la branche gète , voyez Le» Gèies
ou la filiation généalogique des Scythes aux Gètes et des Gètes aux Germains ci
aux Scandinaves. Strasbourg 4859). De même que les Gèles, les Slaves se disaient
aussi issus du dieu Soleil quMls adoraient. Le nom sarmate du soleil était sval
(sansc. sval , svar; lat sol , proprement enflé, arrondi , disque, soleit, dont s*esl
formé ensuite, en sanscrit, le verbe svar, proprement soUiller , briller. (Voj. Les
Gètes , p. 177 , 178). Dans les idiomes de la branche sarmate . sval s'est transposé
en slav (soleil) dont on a fait plus tard , dans les langues slaves , le mot diminutif
caritalif «/once (p. slavnice, cher petit soleil) pour dire le soleil , comme du latin
sol on a formé, en français, le diminutif carltatifso/ef/ {soliculus, cher petit soleil).
De slav on a encore formé les dérivés slavy (solaire) et slavin (issu du soleil), qui
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ORIGINE IT sfGNlFiCiTlON DU NOM DE FRANC. 229
état social et religieux , de manière à former deux rameaux. Le premier,
que nous désignons sous le nom de rameau litva , comprenait des tribus
à'oi sont sortis plus tard les LUvas , les Lettes et les Prûses , qui sont
devenus les pères des Lithuanes , des Leilons et des Frustes germanisés.
Le second est le rameau slave ^ d'où sont sortis « dans la suite, les peuples
qui constituent aujourd'hui la grande famille slave composée de Russes,
de Polonais , de Tchèques-Bohèmes , de Serbes , de Croates , etc.
Déjà antérieurement au premier siècle de notre ère, les peuplades de
la to*anrA«j^è/e s'étaient sensiblement différenciées entre elles, et avaient
formé deux rameaux , le rameau gauio-scandinave et le rameau goto-
germanique , qui se sont de plus en plus séparés Tun de l'autre , d'abord
par des migrations au Nord et à l'Ouest , ensuite en prenant entr'eux
des caractères de plus en plus différents.
Les deux rameaux de la branche gèle , établis longtemps ensemble
dans le Sud-Est de l'Europe, avaient été en contact avec les nations les
plus civilisées du inonde ancien ; elles avaient vécu dans des contrées
riches , fertiles et d'une physionomie variée et accidentée ; quelques
unes de leurs tribus avaient été longtemps en mouvement pour chercher
de nouveaux établissements dans la Germanie et dans la Scandinavie.
Aussi les peuples de cette branche se civilisèrent-ils plus facilement et
plus rapidement que leurs cousins de la branche sarmate , et modi-
fièrent-ils , par cela même , plus profondément , les formes tradition-
nelles de leur état social et moral , ainsi que celles de leur langue et de
leur religion. Les peuples de la branche sarmate , au contraire , vivant
plus éloignés du contact avec des peuples plus civilisés qu'eux-mêmes ,
et habitant continuellement des contrées d'un caractère monotone et
peu favorisées par la nature , se développèrent aussi d'une manière
beaucoup plus lente et plus difficile , au point de vue social , moral et
intellectuel. C'est pourquoi les tribus du rameau slave , et surtout celles
du rameau litva , entourées de marécages et de forêts impénétrables ,
restèrent beaucoup plus longtemps stationnaires ; mais par cela même
sont devenus des noins propres indiquant Torigine de la nalion , et qui onl été
jidoptés par presque lous les pt>up1es du rameau slave. Le nom de Slave n*a donc
|i«$ , comme le prélendent quelques slavistes , la même origine que les mots slaves
giava (renommée; cf. Svialoslav^ Gloire du ciel) et slovo (la parole). Ces mois
dérivenl du radical clou qui répond au sanscril çrava , çrou (entendre) • au grec
klu (entendre), au latin cluere (écouter) , au germain hlû dont dérive par exemple
ehlâd (la renommée) dans Chlôdvig (Combattant glorieux).
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230 HEVUE D* ALSACE*
elles conservèrent aussi beaucoup plus longtemps et plus fidèlement les
anciennes formes tradition ?ielles de leur état soci.il et moral , ainsi que
celles de leur langue et de leur religion.
C'est ainsi que l'ancien dieu des Scythes , le dieu Soleil surnommé
Pravus (Seigneur) , se conserva dans la religion de leurs descendants
de la branche sarmale , sous le nom presque identique de Prova , de
Pravy ou Prove. Encore au moyen-âge, lesLithuanes, issus des Litvas,
adoraient le dieu Prova; et, au douzième siècle , du lemps du chro-
niqueur Helmolil y Prove était l'objet d'un culte chez les Slaves de la
Baltique, entre autres chez les habitants d'Aldenburg (Starograd) i.
Chez les Scythes , le dieu Soleil Targîtavus ou Svali passait , en sa
qualité de Seigneur (Pravus) , pour être le père et le chef de toute la
nation. Ces attributions de Pravus y comme père , lui furent conservées
aussi dans la religion des peuples de la branche sarmate. Ces peuples
se considérant comme issus du soleil , qu'ils appelaient du nom de SUiv
par transposition de celui de Sval , se donnaient le nom ethnique de
Slavies (sansc. svalyâs) signifiant 50/atr^s onfilsde Soleil. Par la même
raison , une peuplade du rameau lUva a pu se donner le nom ethnique
de Pruviz (Fils de Pruve) ^, d'où se sera formé par contraction le nom de
' Voy. HELMOLDi Chronica Slavorum^ i, 52, \>. 125 ; n , 83, p. 185 —
SCHAFARlK, Antiquités slavei , n » p. 61 i.
* Dans la langue scylhe , qui esi la uière des idiomes sarmales et des idiomes
gètet , les mois indiquant la dérivalion , PextracUon se. terminaient en ava , parti-
cule qui correspond à la préposition sanscrite ava (descendant ;.lat. ab ; ail. abe).
Ainsi du root scylhe vriskas (animal en rut , bélier ; cf. sansc. vrischas taureau)
sVst formé le dérivé vriskava (tenant du bélier), qu*on exprimerait, en latin , par
Tadjectif vervidnus (tenant du bélier) dérivé de vervex (bélier). De \k le nom
Scythe neutre vriskava (lat. vervicinum , sous-entcudu proniontorium) par lequel
les Scythes de la Chersonèse taurique désignaient le promontoire que les Grecs
appelaient Front de bélier [krion niétopon; voy. Let Scythes , p. ix). Les Scytbes-
Hellènes, parlant scylhe, appelaient ce cap briksaba [\t. vriskava). Cette termi-
naison ava dos noms scylhes s'est conservé encore dans les langues slaves , où
elle sert également à former des adjectifs ayant la signitication d'un génitif. Ainsi
en vieux russe , le loup et le loup-garou se nommaient t'o/c/t ; le magicien qui ,
dans la croyance du peuple , passait pour être fils d'un loup-garou , portait le nom
de volchov qui est proprement un adjectif ayant la signification de l'adjectif latin
lupinus (tenant du loupj, et qui peul également être employé en qualité de génitif.
Pour former des noms patronymiques, les anciens Slaves se servaient aussi de la
terminaison -it qui correspondait à Id terminaison -idès des noms patronymiqaes
grecs (ex. Atréides , fils d'Atreus) et à la tei uiinaisou -ida des noms patronymiques
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ORIGINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE FRANC. 23i
Prûz , lequel a passé à un peuple mêlé de Slaves et de Germains , et est
devenu , dans la suite , le noin des Prusses. Encore aujourd'hui pour
désigner le Prussien les Lilhuanes disent Prûsas et les Lettons Prûris.
Une tradition analogue à celle de Prove , considéré comme père de
la nation , s'est conservée chez les peuples de la branche gète. Ainsi ,
dans la mythologie norraine , le dieu HeimdaU , une des spécialisations
ou Tun des dédoublements du dieu Soleil , était également considéré
comme le père des peuples du Nord, appelés y pour cette raison , Fils de
gèle$, (Ex. Knivida , fiU de. Kniva ; Kalpidai , Gis du laboureur , du kalp ou chalp
thivudidai , fils du peuple; naticoaux; voy. Les Gèles , p. 5i , oote). La termi;
naisoD slave -it s*est changée plus lard en •%% ou t/;, itch. Ainsi les Pagorit%i du
moyen-âge correspondent aux Paguritai de Plolémée , les Dregovit%i aux Druga-
vitai, dans Const. Porpbjrrogeiiète. D'après cela on comprend aussi la signiflcaUon
de certains noms propres mythologiques , tels que SvanttvU (Zwentewte) et
Svaradjitj (Suarasici) que , jusqu'ici , les slavistcs n'ont pas su conveuahlement
expliquer. En effet, on vieux-slavon , sviai (lilb. sventas; zend spenta) signifie
brillant, divin, saint. Svial était le nom épithétique du dieu Ciel^ le brillant par
excellence (cf. gr. Zeus Brillant, Ciel ; scylb. Tivus Brillant , Ciel). Or le dieu
SoUil passait pour être le fils du dieu Ciel ; il eut donc le nom épithétique de Fils
du Ciel ou Fils du Divin ^ en slave Sviatovit (pruss. Zwentewi%). En sanscrit, le ciel
avait, entre autres noms épithéliques, celui de Route du soleil (sansc. svar-ga). Les
Sarmates ont probablement conservé , dans leur idiome « le nom correspondant
Svarag pour désigner le ciel. Or Radigast était, chez quelques tribus slaves, le nom
épithétique do dieu Soleil» qui était considéré comme le fils du ciel. C'est pour-
quoi un des nombreux dédoublements de Radigast eut le nom de Fils du Ciel ,
en slave Svaradjitj; car c'est ainsi que je crois devoir lire, au lieu de Lwarasici. Ce
nom a été écrit au moyen-âge Zvarasici. (Voy. Ditmar , Chrouicon , vi, p. 151 )•
Le grand slaviste Ssafarik préfère cependant lire Lwa-rasici qu'il a expliqué ,
avec peu de probabilité, par Leo^regulus (Lion-Roi; voy. Tchasopis tchesk. Mus.
4837 , p. 62).
D'après ce que nous venons de dire on trouvera très-probable que le nom des
anciens Prusses ou Pruzses se soit formé , par contraction , de Pruv-t/ai, et qu'il
ait signifié originairement Fils de Pruve,
Pour former des noms patronymiques , les langues slaves n'ont pas seulement
employé la terminaison -t/ ou -t/a ou -iteh , mais , le plus souvent , elles ont
rattaché cette terminaison à la particule av (ov , ev) ajouté au nom , comme , par
exemple , dans Sviat-ov-it. Ainsi , en russe , de Tsar (César) se forme l'adjectif
têorev (césarien) auquel on ajoute la terminaison -il changée en -il; , pour former
le patronymique Tsar^-ev-i^ (fils césarien , fils du Tsar ; cf. AfûAt-ev-ticA , fils de
Mizki ; CarUoihil* , fils de Charles). Pour former le dérivatif féminin on ajoute ,
au lieu de la terminaison masculine -il . la terminaison féminine -na (cf. lat. Lu-
pina). Ainsi se sont formés , par exemple , les noms de Tsar-ev-na (fille du Tsar),
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232 REVUE D'ilLSACE.
Heimdall ^ Beaucoup de tribus germaniques^ portaient pareillement un
nom ethnique emprunté au dieu qu*elles adoraient et dont elles se
disaient issues.
CioQime^ dans Tétat social primitif, le chef de la tribu en était aussi le
juge^ le nom de Seigneur (ProYe)impliquait également l'idée de défenseur
de la loi et du droit social. C'est pourquoi le dieu du soleil , d'abord en
sa qualité de Seigneur , ensuite comme représentant du soleil , symbole
de la vérité et de la pureté , présidait , chez les Slaves^ comme chez les
Germains et chez d'autres nations de l'antiquité , à l'exercice et au main-
tien de la justice. Les Slaves consacraient à Pravy des chênes , à l'ombre
desquels le roi et le prêtre rendaient leurs jugements au nom du Seigneur
(Prove) , le dieu de la justice. La justice étant dans les attributions du
Seigneur ou du chef de Iribu, le droit eut, dans les langues d'origine
sarmate^ un nom signifiant proprement ^et^^fn^tmal 3. C'est ainsi que dans
de Panl'ov-na (fllle de Paul) , Feodorovna (fille de Théodore) , clc. Ajoatons que
les Polonais , à Texemple des nobles au moyen-âge , portent des noms d« famille
qui se sont formés d'un nom propre de demeure ou de domaine , terminé par la
particule -ski, qui exprime la provenance, et correspond à la terminaison germa-
uique -isch ou ish (yoy. Les Gèles ^ p. 61 , note 1). De là les noms propres
polonais comme : Wol-ow-ski , Wal^ew-shi , Dobr-ow-ski , etc.
* Voy. La Fascination de Gulfi , p. 27i-277.
' Célébrant carminibus antiquis , quod unum apnd illos memoriae et annatium
genus est , Tuistonem deam terra editum , et fliium Mannum originem genti» con-
ditoresque, Manno très Ûlios assignant, e qi4orum nominibus proximi Oceano
IngœvoneSf medii HerminoneSy ceteri Istœvones vocentur. Quidam autem, licentia
vetusialis pïures de deo orios pluresque gentis appellationes Marsos , Gambrivios ,
Svevos, Vandalios aHirtnant , eaque vera et anliqua nomina. (Tagitus, Gernmnia,
C.2).
' Chez la plupart des anciens peuples iafétiques on remarque celte association
d'idées entre le nom de seignettr et celui de défenseur de la loi , de la religion
et de la propriété. Ces peuples exprimaient l'idée de loi , de religion et de pro-
priété, entre autres, par un terme qui signifiait proprement ce à quoi l'on tient ,
ce qu'on maintient. C'est ainsi que de la racine sanscrite iç (tenir), qui correspond
à la racine grecque isch ou ech (tenir) , et à la racine germanique aigan (tenir) ,
dérivent le nom sanscrit iç (loi , propriété) , le nom germain êva (loi) , le nom
allemand ehe (loi , mariage) et le nom frison d (loi , droit). Le seigneur, justicier,
propriétaire et défenseur de la loi et de la foi, portait , en sanscrit, le nom de
garde-loi (sansc. iç-varas). Le vieux-allemand êo-wart (garde-loi j désignait le
prêtre et le juge, et , cbez les Prisons , â-sega (qui dit la loi) désignait \^ justicier.
Le terme grec qui correspondait au sanscrit içvaras était l'ancien mot ikuros dont
on a fait, par transposition , kurios , ayant la signification de Maître, de Seigneur ;
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ORIGINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE FRANC. 233
l'ancien idiome slave prav (seigneurial) signifie juste , droit , et , en
russe , pravda désigne la justice et le droit. Ces deux mots slaves sont
évidemment dérivés de Pravy (Seigneur) ; de sorte que Pravy , dans la
pensée des Slaves » comme içvaras dans celle des Hindous , impliquait
à la fois ridée de seigneur et l'idée de défenseur du droit et de la pro-
priété. De Prove dérive aussi le mot prono (p. proveno), seigneurial.
Le mot slave prono correspond exactement au vieux allemand frônô
(seigneurial) dont il est peut-être dérivé ; et de même que de frônô les
Allemands ont formé le mot de frôn (travail pour le seigneur , corvée)
et le verbe frœnen (travailler pour le seigneur), de même, dans le droit
serbe , et sans doute en imitation du droit germanique , on a dérivé de
prono le substantif abstrait pronîa (domaine seigneurial) , et le verbe
proniarmt (travailler pour le seigneur) ^
Pravusy l'ancien dieu des Scythes , s'est maintenu , sous le nom de
Prove ou Pravy , dans la religion de leurs descendants , les peuples de
la branche sarmate, jusqu'à l'époque de leur conversion au christia-
nisme ; ce qui arriva , pour le rameau slave , du dixième au treizième
siècle, et pour le rameau litva , du quatorzième au seizième siècle. Le
dieu Scythe Pravus se maintint également , mais beaucoup moins long-
temps , dans la religion des peuples germaniques et Scandinaves. Or nous
l'avons dit , ces peuples de la branche gèle , par suite de leurs progrès
plus rapides dans la civilisation , subirent , plus que leurs cousins de la
branche sarmate , des changements dans leurs mœurs , leur langue et
leur religion. Dans leur langue, et selon les règles euphoniques de leur
idiome respectif, le nom de l'ancien Pravus se changea régulièrement
en Fravis (norr. Freyr) , et ensuite en F rat? , Frô et Frd. De Frav ,
substantif primitif ou fort , se forma un adjectif-substantif faible ou
mais dont les Grecs ne connaissaient déjà plus la signification primiiive de garde-
loi. Dans rinde Içvaras est devenu un des noms épilhétiques de-s dieux en général,
et principalement du dieu Çiva, considéré comme défenseur de la loi et de la foi.
I>e içvaTa9 s'est formé plus tard , par contraction , le mot çoutm qui , dans les
poèmes épiques , est une épitbète donnée fréquemment aux rois et aux héros
considérés comme propriétaires et comme défenseurs de la loi. Peut-être ce mot
correspond-il aussi au mot grec hérô»^ comme le croit M. Bopp. Dans ce cas les mots
grecs héros et kurios seraient , comme cela arrive assez souvent , .deux formés
ilifférentes dérivées d'un seul et même thème.
' Voy. ScuAFARiK , Aniiquitéi slaves , i , p. 450.
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234 REVUE D'ALSACE.
dérivé /"ratnaCseigneurial, seigneur), ainsi qu'un nom féminin bible fravià
(norr. Freyia) qui eut la signification de Maîtresse , Dame. Les Gaths
changèrent le substantif faible frama en frauia , et son féminin firavià
en firavi (p. fravie , frâvi), et enfin en fravi, avec un t bref, comme le
mot Scythe âvid (sansc. àpid aquatique , île) s'est changé, dans i'idiôme
gote , en avi (p. avie , avt). Les peuples tudesques de la Germanie abré-
gèrent le féminin Fravià en Froua et Frû , et remployèrent , ainsi que
le masculin Frô et Frà originairement fort, comme des formes faibles.
Chez les peuples de la branche gète , le dieu du soleil et la déesse de
la lune, nommés l'un le Seigneur (germ. Frauia; norr. Freyr; sax. Frô)
et l'autre la Dame ^Fravi , norr. Freyia; sax. Fraua), furent considérés
principalement comme présidant à l'abondance , à la fertilité et à la
fécondité. Ayant des attributions analogues à celles qu'avaient tradition-
nellement le dieu et la déesse Vrindus (norr. Niôrdur ; germ. Nerihus ;
norr. Rindur) qui avaient présidé également , dans l'ancienne religion des
Scythes, à l'abondance et à la fécondité, ces divinités appelées le Seigneur
et la Dame , et considérées comme mari et femme et comme frère et sœur,
passèrent pour être le fils et la fille du dieu et de la déesse Vrindus *.
Plus tard l'un et l'autre se confondirent avec d'autres divinités anciennes ;
Frauia se confondit avec le dieu Virgunis (norr/ Fiôrgynn)^ et avec le
dieu Hagunis (norr. Hcsnir), qui l'un et l'autre furent substitués à l'an-
cien dieu Vrindus (norr. Niôrdr) ; et Fravi se confondit principalement
avec la déesse Frigg (Pluie fécondante) ; de sorfe que , pendant long-
temps, le dieu Fravia et la déesse Fram ne figurèrent plus , du moins,
sous ces noms, dans la religion des peuples de la branche gèle. Mais
au deuxième siècle de notre ère, des tribus gautes , dont plus tard quel-
ques unes allèrent s'établir en Scandinavie, habitaient le littoral de la
Baltique, dans le voisinage de peuples slaves y qui adoraient des divinités
auxquelles ces peuples donnaient le nom de Vanai (Uniques), et qui se
donnaient à eux-mêmes , d'après leurs dieux , le nom ethnique de Va-
nitaiy signifiant Issus des Vanes (gr. À'rrcn ; sax. Wenden) ^, Ces tribus
* Voy. La Fascination de Gulfi , p. 260-266.
* Le nom de Vanai esl le pluriel de vans ^un ; lith. wienas . lett. wéiis^ gotb.
ains, lat. untu , gr. keis p. hem). Le nom un ou unique exprime l'idée de chef ^
parce que le cbef D*a pas de pareil ; il esl Vunique par rapport aux subordonnas
Voilà pourquoi les Slaves et, d'après eux, li'S Burgondcs désignaient encore le chef
ou le roi par le mot de Hendinus, qui signifiait également Vuniquet et auquel cor-
respond aujourd'hui , en russe, le mot édiny, it, m polonais, te mot icdyny. Le
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ORIGINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE PRANC 235
^'autes adoptèrent de ces peuples slaves leurs divinités vanes, d'abord le
cuite du dieu et de la déesse Vrindus, qui en Scandinavie et en langue
norraine eurent le nom de Niôrdur et de Rindur , et ensuite encore le
culte de leur fils Pravy (Seigneur) et de leur fille Pravia (Dame). Elles
donnèrent, en Scandinavie, à ces deux dernières divinités, le nom de
Freyr et de Freyia; et comme elles les avaient adoptées des Slaves ,
elles leur donnèrent le nom particulier de divinités vanes. Les tribus
gotes de la Germanie septentrionale appelèrent ces mômes divinités du
nom de Prav et de Fria (p. Fravia) ; et c'est ainsi que les peuples de
la branche gèie , dans la religion desquels le dieu Frada et la déesse
Fraviâ n'avaient plus été adorés , sous ces noms, pendant deux siècles ,
reprirent , de nouveau , dans leurs établissements en Scandinavie et en
Germanie , le culte et les noms traditionnels de ces divinités , après les
avoir adoptés des Slaves qui ne les avaient jamais abandonnés.
Pendant longtemps les peuplades de la branche gèle ^ établies en Scan-
dinavie , connaissaient la signification de Seigneur et de Dame attachée
aux noms de Frey et de Freyia. Cependant comme dans leur langue
ces noms étaient réservés exclusivement à ces deux divinités, parce
qu'elles étaient considérées comme le Seigneur et la Dame par excel-
nom propre de Vaniiai (Fils des Uoiques) est formé , comme les noms slaves Pa-
guritai et DrugavUai , etc. , et les noms gèles Kalpidai , Thivudidai , etc. Les
Grecs , n'^yaot pas de V dans leur langae , ont rendu Vanitai tantôt par Bantai ,
tantôt par Antai, C'est donc à tort que rtiislorien des Langobardes , le diacre
Paul, fils de Warnefrid (vers 790), considère Anth-aib (le district des Anthes) et
Banth-aib (le district des Banthes) comme deux contrées entièrement différentes
Tune de i*autre. (Voy. Muraiori ^ Rer. ital. scriptores, i , 415). Les Vantes (Ve-
netai , Vindai , Vandai) ont existé , sous ce nom , déjà au premier siècle avant
notre ère. Tacite les appelle Venedi ; et comme ils habitaient dans le voisinage
des Sarmates et en-deçà de l'Oder, dans des contrées occupées par des Germains,
cet historien ne sait pas sMI doit les compter parmi les Germains ou parmi les
Sarmates. Leur nom indique qu'ils étaient d'origine sarmate ; mais , ainsi que les
Svèves, ils avaient souvent mêlé leur sang à celui des tribus germaniques voisines.
De la nation des Vantes, sortit , de bonne heure , la peuplade des Vantâtes, dont le
nom est la forme diminutive de celui des Vantes, et signifie PeliU-Vanies , dans le
sens de Descendants des Vanteg. Pline connaît ces Vantales sous le nom de Vindili,
et Tacite les appelle Vandalii, Ce sont les pères de ces Vandales qui ont porté dans
leurs veines beaucoup plus de sang slave que de sang germanique, et qui ont figuré
dans les migrations des peuples barbares, depuis leur apparition sur le Rhin, au
rukiimencemont du troisième siècle jusqu'en 534 , époque de la fin de leur domi-
nalion au Nord de l'Afrique.
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236 REVUE d' ALSACE.
l#nce , ils ne furent bientôt plus employés comme noms communs ,
désignant le seigneur et la dame^ mais ils devinrent de véritables noms
propres. Si , plus tard , chez ces peuples , le mot norrain frauvaiy. Fam-
manna-eôgury 10, 421) et le mot danois frû ont été employés comme
noms communs ^ pour désigner les dames en général , cela vient de ce
que ces termes ont été empruntés, avec cette signification , à Tallemand
du moyen-âge , qui , surtout dans le minnegesang , imité en partie des
chants des Troubadours , employait le nom de frava (dame^ unique-
ment comme nom commun , n'ayant plus aucun rapport avec Tancien
nom propre mythologique de la déesse Fria.
Au troisième siècle de notre ère , les Goths méridionaux ayant em-
brassé le christianisme , le dieu Fravia disparut de leur religion comme
divinité ; mais le terme de frauia resta dans leur langue comme nom
commun , ayant la signification traditionnelle de seigneur. Ce nom ayant
perdu , chez les Goths devenus chrétiens, sa signification mythologique
payenne, Tévèque Vlfilas se servit de ce terme pour traduire le mot
grec Kv;têe, qui dans le N. T. désignait, le plus souvent, le Seigneur
Dieu et le Seigneur Jésus. Ayant ainsi repris de nouveau une significa-
tion essentiellement religieuse , le mot gothique frauia finit par rede-
venir presqu'un nom propre ; car il ne fut plus guère employé comme
nom commun avec le sens de seigneur en général. La conséquence
fut que les Goths n'employèrent pas non plus, dans leur langue, comme
nom commun , le nom féminin frauié , correspondant au masculin
frauia , pour désigner , en général , la maîtresse ou la dame.
Le culte du dieu Frauia , qui disparut de la religion des Goths méri-
dionaux après leur conversion au christianisme,. se maintint plus long-
temps chez les tribus de la Germanie orientale , qui étaient voisines des
Slaves , et qui restèrent plus longtemps dans le paganisme. Déjà au pre-
mier siècle de notre ère , les Germains orientaux de la branche svève ,
qui s'étaient mêlés à des Slaves , adoraient le dieu Frauia, et le consi-
déraient comme le Père et comme le Seigneur de leur nation. En qualité
de seigneur, ce dieu portait, comme plus tard tous les chefs de famille ,
le nom épithétiqne de Hlaiv-virts (ail Laib-wirlh Donne-pain ; angles.
hlaf'Vordj écossais Lairdj angl. lord). Le dieu Hlaivvirts passait
pour être le père du dieu Valaçhus (slav. Volos ou Vêles Errant , No-
made ; cf. gr. Pelasgos; v. ail. Walah) ; divinité d'origine slave qui prési-
dait aux pâturages , à l'entretien et à la prospérité des tribus nomades.
Une tribu germanique , s'étant détachée de ces Svèves orientaux , vint
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ORIGINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE FRANC. 231
s'établir, au premier siècle, sur les bords du Rhin , dans un bourg
nommé Asci-burg (Enclos des barques ; cf. norr. Noa-tûn Enclos de
navires). Elle érigea sur la rive à son dieu prolecteur Voh (Valaçhus) ,
un autel, sur lequel on grava, en caractères runiques, qui étaient imités
de récriture grecque , l'inscription suivante : A Volos fU$ de Hlaiv^
virts. Les Romains établis sur le Rhin, ayant appris que le nom du dieu
Volos signifiait Errant , et remarquant sur son autel des caractères qui
leur semblaient être de l'écriture grecque , s'imaginèrent que le dieu
solaire Volos, fils de Htaiv^virts^ n'était autre que le symbole du Soleil
errant, à savoir le héros grec Ulysse (\ulns)^ le fils de Latertès\E\9iV'
virts), qui^ après avoir longtemps erré sur toutes les mers, serait arrivé
sur les bords du Rhin, où il serait devenu le héros éponymede la tribu
svève qui était venue s'établir dans cette contrée >. Cette tribu svève ne
portait pas encore , à cette époque , le nom de Frank ; mais elle s'était
détachée d'une peuplade qui , après avoir pris le nom de Francs , vint ,
plus tard , également s'établir sur les bords du Rhin , et s'unit de nou-
veau avec la tribu qui s'était détachée d'elle à l'Est de la Germanie. Les
chefs de cette tribu se nommaient , d'après Vols leur dieu éponyme ,
Fils de Vols (v. ail. Volsinge ; norr. Vôlmngar)^ et formaient la race
des Volsings ^ qui était une des nombreuses branches de la nation des
Franks. Aussi dans le Traité du langage poétique ( Skaldskaparmàl )
renfermé dans TEdda de Snorri , est-il dit : c De Voisung descendent
c les Volsungs dans le pays des Franks. »
Connaissant l'origine de la race des Franks , disons maintenant quelle
est la signification de leur nom. La peuplade germanique svève , qui
vivait dans le voisinage des Slaves , avec lesquels elle s'était mêlée , et
dont la tribu des Volsungs s'était détachée , au premier siècle , pour
venir s'établir sur le Rhin , adorait, comme les Slaves , le dieu-héros
Prav (Seigneur ; slave Pravy) , surnommé Hlaiv-virts (Hôte-panetier),
le père du héros éponyme Vols. Suivant l'habitude prise par tous les
peuples de l'antiquité , et qu'on retrouve fréquemment chez les nations
germaniques , de se donner, comme nom ethnique, un nom patronymique
* Ulixem quidam opiDaotur , longo illo el fabaloso errare in hune OceaDum
delalum , adiisse Germaniae terras, Asciburgiumque , quod io ripa Rheni situni
bodieque ineolitur , ab illo coostitutum nomiDatumque..... aram quin eliam Ulixi
consecratam , adjecto Laerlœ patris nomine , eodem loco olim repertam : moDo-
mentaque et tumulos quosdam grœcis litterU inacriptos, in coDfioio Germani»
RbaUaeqne adbuc exstare. — Tacitcs, Germania^ c. 2.
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238 REVUE D'ALSACE.
emprunté à la divinité qu'ils adoraient et qu'ils considéraient comme
Fauteur et le chef de leur race , cette peuplade svève se donnait le nom
de Fils de Frav. Or, dans les langues germaniques, pour désigner la
descendance d'une personne , on ajoutait au nom de cette personne la
terminaison -ing (-ang , -ung), comme dans la langue grecque on ajou-
tait 'idès y et , dans les langues slaves , ^ava , ou 4t^ ou -Uj (et VanUai).
C'est pourquoi la peuplade svève, pour dire Fils de Frat\ se servait dans
sa langue du mot de Fravinc, qui , par contraction (cf. norr. Havink ,
Hânk ; lat. avencus ^ àncw) , se changea organiquement en celui de
Franc ^
* Nous avons vu que , dans les langues de la branche tarmaU , la terminaisoD
des noms propres, par laquelle s'exprimait la descendance ou rextraciioo, était -ii
(cf. Vanitai , Fils des Vanes) , qui s'est changée plus tard en -t/A , -itch , -Uj. Les
langues de la branche gète ont la terminaison correspondanle -ida (cî. Knivida ,
fils de Kniva). Mais elles ont employé beaucoup plus fréquemment la terminaison
-hk (-ank , -unk) on -ing (-ang , -ung), qui a la même signification, et se compose :
io de la particule in (an , un) qui , dans toutes les langues iafétiques , exprime le
rapport d'espèce (Ex. lat. equînus chevalin) , et 2» de la particule ik (ak , uk)
qui , dans ces mêmes langues , exprime un rapport de dérivation ou d'apparte-
nance (Ex. lat. civtcut , civique , tenant du civis). La terminaison -ink se trouve
déjà employée dans la langue scythe. Ainsi du nom propre scythe Tervo (Arbre ;
voy. La Fascination de Gulfi , p. 194) s'est formé le nom ethnique Dervinkai (Issus
de Dervo) , qui a été rendu en grec tantôt par Derbikkai , tantêt par Derbiggai , et
qui prenait , en latin , aussi la forme de Dtrvîcœ. Dans les idiomes du rameau
gète^ on a également formé de Tur ou ùur , qui correspond au scythe Tervo
(Dervo , Arbre) , les noms ethniques de Turing et During , l'un et l'autre con-
uractés quelquefois en Tyrk et DUrk (cf. les Tyrks , synonymes de Turinges , et
Durk-heitn), Du nom propre do dieu-héros Davus (scyih. Tavtu, Brillant) on a
formé le nom propre dérivé Davinkus ^Fils du Brillant), qui s'est contracté en Dàcus
(le Dace) , et en Dâgr (Jour) nom d'un héros qui était considéré , dans le Nord ,
comme la souche des Dôglingar (Fils de Dagr). Autre exemple : Wodan ou Odinn
avait deux noms épithétiqoes Havi (Sublime) et Avi (Grand-père). De Ifavi s'est
formé le nom propre dérivatif Havink (Fils de Sublime), contracté en Hdnk et Hâk
(cf. Hankr-vin; norr. HâkrMn , Hàk-on^ Ami de Havink) ; de Avi s'est formé Aving
(Issu du Grand-père) qui s'est contracté en Ang et Ing (Petit-fils ; cf. Ingvinones :
v. ail. encho petit-fils). Enfin en latin on a formé, d'une manière analogue , de
avus (grand-père) le nom de avencus (issu du grand-père) , qui s'est contracté en
âncus , et a servi à désigner plus particulièrement le petit-fUs ; (cf. v. ail. eneho
petit-fils). Do latin juvenû s'est formé également le déméjuvencus (p, juvenieus],
qui correspond à la forme allemande beaucoup plus contractée dejung (jeune).
Do même que , dans les langues slaves , la terminaison dérivativc -t/ (-iz, -Itch)
aimait à s'ajouter à la particule dérivative ev (ov) comme , par exemple , dans
Têar-ev'ilj (Fils de Césai) , de mém** , en latin , la particule diminutive -ul aimait
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ORIGINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE FRANC. 239
Les tribus de la nation svève , ayant pris le nom de Frank» , comme
d'autres tribus de cette même nation avaient pris celui à' Angles
( p. Avingks Fils de l'Aïeul ) , de Langobardes ( Fils d'Odin à la
langue barbe) , de Sû^ambers (Forts du Verrat) , etc. , après avoir
quitté leurs premiers établissements au Nord-Est de la Germanie , se
répandirent dans les parties occidentales et méridionales de ce grand
pays. On trouve quelques unes de ces tribus frankes établies en Pan-
nonie (v Grimm, Geschichte d. d. Spr.y i , p. 523) ; d'autres parties de
la tribu des Sugambres s'établirent sur la Saaie , d'où , sans doute ,
elles prirent d'abord le nom de Francs-Saliens (Francs de la Saale),
à s'ajouter à la forme dérivative -une. C'est ainsi que de fur (voleur] on a formé
d'abord fur-unc (engeaDce de voleur), qui n'est pas usité , mais qui correspond aux
dérivés germaniques terminés en ung (ing' ; et ensuite à fur-unc on a attaché la
terminaison diminutive ulus , de sorte que fur-unc-ulus a , à-peu-près , la signifi-
cation de petite engeance de voleur. De la même manièr3 on a formé , en latyi ,
de avus (grand-père) , avuncus (issu du grand-père) , qui , suivi de la particule
diminutive -ulus , forma le mol av-unc'ulus , et prit la signification de oncle (mot
dérivé du latin avunculus). Cette signification résultait de ce que , par rapport à
son oncle » le netfcu considérait son propre père comme le fils du grand-père , et
pouvait l'appeler, comme tel, avun( us (issu de l'avusj : il considérait le frère de son
père ou son oncle également comme le fils du grand-père , mais avec cette diffé-
rence qu'il désignait son père comme le fils majeur , ou comme le grand fils du
grand-père , et son oncle comme le fils mineur , ou le petit fils du grand-père.
C'est pourquoi , au point de vue du neveu , avunculus (petite progéniture de l'avus)
implique l'idée d'une certaine infériorité de l'oncle par rapport au père.
Du latin âncus (p. avencus^ issu du grand-père) s'est formé le diminutif anculus
(petit-fils du grand-père) qui correspond, pour la forme, à l'allemand enkel
(p«>tit-fils) , qui est le diminutif de l'ancien nom commun ancho (issu du grand-
père , petit-fils). Mais le latin anculus n'a pas conservé comme enkel la signifi-
cation particulière de petit-fils ; il a pris la signification plus générale de garçon
serviteur. C'est que les petits-fils , étant les plus jeunes membres de la famille
patriarcale , devinrent naturellement les garçons de service , les serviteurs de la
maison , principalement les commissionnaires de leurs grands parents âgés. C'est
pourquoi , en latin , ancus et son diminutif anculus , prirent plus particulièrement
la signification de garçon , serviteur. De antulus , remplacé bientôt par puer , on
a ensuite formé le diminutif féminin anculula , contracté en ancilla , qui eut la
signification de fillette servante.
De même qu'en latin anculus désignait le serviteur , le commissionnaire , le
messager , de même , en grec , le mot angelos , qui correspond au latin anculus ,
eut la significaUon de serviteur-messager, et par suite celle d'ange , c'est-à-dire de
messager , de ministre de Dieu.
Disons encore que du nom propre germain Ang {!ng Fils de i'Aleul ou d'Odinn),
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240 REVUE D*ÂLSACE.
avant de se nommer ainsi d'après le district appelé Salo , près de l'Issel
(Isula), qu'elles occupèrent, plus tard, dans la Batavie. D'autres Saliens
et Sugambres se portèrent , comme les Angles , aux rives de l'Elbe , et
s'établirent dans le district de Morungèn (lat. Maurungania ^ ) , ainsi
nommé , sans doute , d'après les marais dont ce pays était couvert.
on a formé le diminutif Angul (Petit-fils d'Odinn) qui est devenu le nom ethnique
des Angles , les ancêtres des Anglais. Sur les Ingœwmes (Compagnons de l'ami
d7n^), Tune des trois branches de la nation germanique , voyes Let Gèiet, p. 85.
Tandis qu'en latin on aimait placer la particule diminutive -/ après la particule
dérivative -une (ex. : fur-une^ulus) , les langues germaniques ont préféré mettre
la terminaison diminutive -a/ (-il . -ul) avant la terminaison dérivaUve -ung (-ing,
-ang). Ainsi de Tgrk on a dérivé d^abord Tyrk-il, et puis Tyrk-U^g (Tburcilingi) ;
de Dag {Dëg-^il) s'est formé Deg-l-ing ; de Wolf, {Wôlf-itj Wolf-Uing; de Ang ^ Ang-
ul et Yng-l'ing ; dejung^ (jQog-el) eijung-l-ing. Si l'une des deux particules déri-
valives ne s'était pas effacée par contraction dans beaucoup de noms germaniques,
l'une et l'autre, y étant maintenues, auraient rendu la forme de ces noms singu-
lièrement barbare. En effet la forme complète ou étymologique de fngling, par
exemple , serait AtHing-l^ing , et celle du mot allemand jungling (jouvence!) ,
transcrite en la forme correspondante latine , serait juv-ene-ul-ene-i».
Dans le nom patronymique français CarlovingUn , on dirait que la terminaison
ing a été ajoutée à la particule dérivative slave ov , comme dans Carl-ùV'Ui, Mais
la syllabe ov n'y est pas d'origine slave ; elle y est complètement inorganique ;
elle provient de ce qu'on a changé la forme organique Karl-ing d'abord en Caro-
Ung puis en Carlo-ing, dont on a fait disparaître l'hiatus en y insérant un v eupho-
nique. Si aux yeux du linguiste la forme Carloving est irrégulière , celle de Carlo^
vinyien est à la fois hybride et barbare ; car elle présente la terminaison dérivative
latine -anus (fr. t'en) ajoutée ï la terminaison dérivative germanique "ing ; de
sorte que la terminaison -ingien exprime deux fois de suite et en deux idiomes
différents l'idée de dérivation ou d'extraction.
' Dans l'antiquilé les noms propres des pays étaient assez souvent identiques ,
par leur forme grammaticale , aux noms propres des peuplades ou tribus qui les
habitaient. Ainsi en Italie , par exemple, on disait Gabii pour désigner le bourg
et le district des Gabii. Chez les peuples du rameau lilhva , les noms des villages
étaient empruntés généralement aux noms ethniques de leurs habitants. Encore
aujourd'hui presque tous les noms de village des Lithuaniens proprement dits ,
ont la forme plurielle , ce qui indique que ces noms de village sont proprement
des noms donnés it leurs habitants. Les Allemands désignent également plusieurs
grands pays de l'Allemagne par des noms qui ont la forme plurielle. Ainsi Sachsen^
Hessen^ Franken, Schwaben^ Baïern, Preusseny Thuringen , etc. , ne sont pas
originairement 'des noms géographiques ou de pays , mais des noms ethniques
ou de peuples. En effet ils sont dérivés d'anciens génitifs pluriels , de sorte que»
par exemple , in Sachsen (dans la Saxe) signifiait originairement im Lande der
Saxen (dans le pays des Saxes ; in Saxena lant ; cf. latt m Gabiis). D*après cela
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ORIGINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE FKANC. Hi
C'est là probablemeat que la famille de Merovicq ^ qui se rattachait à
la fois aux Saliens et aux Sûgambres , a pris son origine. Le plus grand
nombre de tribus frankes s'établirent sur les bords du Rhin inférieur :
elles furent désignées, plus tard, sous le nom de Rin Franken (Franks
rhénans; lai. Franci ripuarii ; vieux Ir. Franc river). Du temps de
Chlôdiô , les Franks possédaient déjà tout le pays depuis le Rbin jusqu'à
la Soname; et la Forél charbonnière (lat. carbotiùria) et le Liger (au-
jourd'hui Leie) formaient la limite entre la Contrée des Franks germa-
niques y appelée YOrientale (Aus(rasia), et la Contrée des Franks gallo-
romains , appelée la Nemlrie (lat. germ. Ny Ve$ir%a) c'est-à-dire la
Nouvelle Occidentaley ainsi nommée par opposition à l'ancienne Vestrie ou
Contrée occidentale. Bien qu'il y eût dès-lors des Franks aussi bien sur la
rive droite que sur la rive gauche du Rhin , le nom de Frank fut plus
particulièrement donné et maintenu aux Francs de la Monarchie , sur la
rive gauche du Rhin. Lorsque plus tard, après Charlemagne , le royaume
des Franks ou la Francie (France) se distingua de l'Empire germanique,
le nom des Francs de la Francie effaça encore davantage celui des
Franks de l'Allemagne.
il semble que le oom de Morungen dérive aussi d*UD ancien génitif pluriel mârun-
gônô , et signifie originairement District de»- Môrungs, Le nom eibnique Mârung
signifiait , sans doute , Maremmien , c'est-à-dire habitant des maremines ou du
pays marécageux (ail. môr-land). Môrung pourrait aussi être une contraction de
Mér-Qv-ing , et , dans ce cas , il signifierait habitant de Vile {ov , aue) aux mari'
cages {mâr),
* Mêr-ove (lie de mer), difiérent de Moraue (Ile aux Hiarécages}, parait avoir
été, à l'embouchure de TEIbe , une lie de VAnglie maritime {Mer-angel). Elle a
sans doute été le lieu de naissance du beau-fils de Chlôdjô , appelé , d'après sa
patrie , Mer-oveo (originaire d'Ile de mer] ou Mer-angel (originaire de TAnglie
maritime). Ceux qui écrivaient en latin rendaient Meroveo par Merovicui (la Méro-
vique). Les descendants de Meroveo ou Merangel furent appelés Merovings ou
Merangelings. Meroveo et ses premiers descendants étaient de grands comhcUtants
ou , comme on disait dans le Nord , de grands sangliers ( cf. norr. iôfrar , san-
gliers, guerriers ; voy. Fascination de Gulfiy p. 184). Jouantsur la signification méta-
phorique du nom de sanglier, la tradition , tournant à la fable, rapporta , dans son
langage figuré , que les Merovings portaient des soies sur le dos , qu'ils étaient
Trieho-rhachatai^ ayant le rachis velu ; voy. Tiieophames , Chronographia , édit.
Venet. 1729 , p. 268). Or tous les Francs, comme Tindiquc déjà ce nom , se
disaient issus du dieu héros Frav ; et Frav , comme combattant , portail le nom
épithéUque de Sanglier [Ebur, Su ; cf. sûrgambres), et avait pour symbole leluerrat
(voy. Gylfaginning , p 531). L'apparition du verrat ou sa sortie de la mer prusa-
ys^ie — 17- Année. 16
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242 REVUE D' ALSACE.
Aussi longtemps que les Francs de la Gaule restèrent attachés an
paganisme , ils connaissaient parfaitement la signification de leur nom
propre national ; ils savaient que Franc signifiait Fils du dieu héros
Frav (Seigneur). Hais après leur conversion au christianisme , ils ou-
blièrent cette signification , et tâchèrent même d*en faire oublier l'ori-
gine payenne K Us s'expliquèrent dès*Iors le nom de Franc comme
signifiant Fils de Seigneur , en donnant au mot de Seigneur , non pas
le sens mythologique payen , ni le sens religieux chrétien de Seigneur
Dieu , mais le sens social de seigneur ou mattre , que ce mot avait
effectivement dans l'ancien idiome germanique. Or, dans l'état social
d'alors , l'idée de seigneur impliquait tout d*abord celle d'homme libre,
et comme les descendants ou enfants de l'homme libre étaient eux-
mêmes, de droit, libres de naissance (cf. lat. liberi , libres , enfants),
le nom de Franc ou de fils de seigneur , prit alors , pour la première
fois, une signification qu'elle n'avait jamais eue , la signification de libre
ou issu d'homme libre (cf. goth. freis libre et gète fravis seigneur).
En outre comme les Francs vainqueurs étaient devenus , en Francie,
geait , chez les Francs et les Slaves fnarUime$ , les combau, la guerre ou Tariivée
des pirates du côté de la mer (voy. Ditmar , Chronùsan^ éd Steinh. , vi , p. 65).
Pour donner une plus grande distinction , sur les autres Francs , aux descendants
de Meroveo ou aux Meravings , la tradition rapporta que le beau-fils de Chlôdjô était
le propre fils ou le descendant immédiat du Sanglier (le dieu Frav , le Combattant)
et qu'il a eu pour mère l'épouse de CMôdiô. Peut-être Merovic était-il le fils de
cette femme et d*un rot de mer (norr. saekonunffr) ou éeumeur de baies , (norr.
vîkingr) qui fut désigné , dans la tradition , sous le nom de verrai de mer. Gomme
les Franks romanisés ne savaient plus la vraie signification du nom de Merovicus
(le Mérovique , originaire de Tlle de mer) , on le crut formé de la même manière
que le nom de Hludovicus, Or chlôdvfg signifiant combat de gloire on combattant
glorieux, Merovic ou Merovtg fut expliqué comme signifiant eom6a/tonf en mer; pois
la tradition fabuleuse, attribuant ce nom au père de Merovig , rapporu , afla d*en
expliquer le sens , la fable suivante , concernant Torigine extraordinaire de la
souche des Merovings. Un jour , dans la canicule , Chlôdiô et son épouse étaient
assis sur le bord de la mer , pour se rafraîchir. Lorsque la reine prit un bain sur la
plage , le dieu Frav , sous la forme du sanglier marin nommé Merovig (Combattant
en mer], la força, et la rendit mère d'un fils qui fut nommé Merovtg d'après son
père divin, et qui portait , comme lui , des soies sur le dos (voy. Conrad UavsaG.
Argentoi, 1609 , p. 92), ainsi que ses descendanu les Merovings.
* Le franc Ermoldiu Nigellus , dans son poème historique latin , composé i
Strasbourg , vers 810 , dit ( i , 344) :
Francuf habet nomen a ferUaie sua.
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ORICINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE FRANC. 243
socialement el politiquement parlant, les maîtres ou les seigneurs de la
population gallo-romaine vaincue , ils formèrent également , selon Tha-
bitude de tous les peuples victorieux de l'antiquité , la classe des
Nobles y par opposition aux classes subjuguées des bourgeois libres et
des serfs. De sorte que le nom propre ethnique de Franc devint aussi ,
au point de vue social , synonyme de Noble ou de Gentil, Ce qui prouve
que c'est seulement en France , par suite de la domination politique et
sociale de la race franke , que le nom de franc prit plus tard , jusques
dans les idiomes germaniques , la signification de libre ou affranchi et
de geintil ou noble , c'est que ce mot n'a jamais eu antérieurement, dans
aucun des idiomes germaniques , ni de l'antiquité » ni du moyen-ftge ,
la signification de libre. En effet les langues germaniques de l'antiquité
et du moyen-ftge aiment beaucoup l'allitération ou l'accouplement
de mots allilérants ^ comme , par exemple , Feuer und Flamme (feu
et flamme), Friede und Freundschaft (paix et amitié), Frisch und Frô
(frais et dispos), Los und Ledig (libre el franc), etc. Or jamais on
ne^trouve dans ces idiomes la formule Frank und Fri (franc et libre) ,
bien qu'on rencontre souvent Tallitéralion de Frech und Fri (hardi et
libre); ce qui prouve que le mot frank n'existait pas encore , dans ces
langues , avec le sens de libre. Le mot franc, avec la significiition sociale
de libre , de gentil ou noble, ne se rencontre d'abord que dans le vieux
français. Ainsi , par exemple, dans le Roman de Garin se trouvent les
expressions suivantes : li franc et H baron (les Nobles et les Barons) ,
frans homme (gentilhomme) ; franche roïne (Noble Reine) ; frans cfée-
raliers jentis (noble et gentil chevalier) , etc. K Froissard (liv. i , ch.
^01) oppose les francs (nobles) aux vilains ; et dans- la Chansoti de
Roland , fratics chevaliers signifie plutôt noble chevalier que chevalier
français En vieux français, parler franc ne signifie pas parler français,
mais parler librement, franchement. Le mot franc, signifiant libre et
noble, passa , avec cette signification , du vieux français ou de la langue
d'oïl, dans l'idiome provençal , italien et espagnol. Les Normands de
la France, qui parlaient roman dès la seconde génération , introdui-
sirent ce mot, avec cette signification, en Angleterre , après l'invasion de
Guiliaume^le-Conquérant ; et, ainsi que les Franks en France, les
Normands, vainqueurs en Angleterre, se disaient franc homme (Gen-
tilshommes , Nobles). Le mol de franc passa ensuite du normand dana
* Voy. Gloisaire, par Em. Gachet el Félisl Likbreciit , Bruxelles 1839 , s, r.
fraoc.
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244 REVUE D*ALSAGE.
Tanglo-saxon , où se forma le nom de franklin (petit franc-tenancier).
Enfin ce mot fut également introduit, en imitation du français^ dans
les différents idiomes du haut et du bas allemand. Ce ne fut cependant
qu'au dix-septième siècle que le mot français franc fut adopté par les
Allemands et les Hollandais, àikns le sens de libre , affranchi. Encore
au seizième siècle , Luther expliqua, ingénieusement, il est vrai , mais
faussement, le nom ethnique de Frank comme s'il était dérivé par con-
traction de fri-ank (libre garçon). Si, de son temps, le mot frank avait
déjà existé dans la langue allemande , comme il y existe aujourd'hui ^
avec la signification de libre empruntée au français , Luther n'aurait pas
manqué , comme on l'a fait plus tard ,. d'expliquer par ce mot le nom
ethnique des Franks.
Dès le neuvième siècle on ne savait plus en France que le nom propre
ethnique de Franc dérivait du nom germanique Frav ou Frô, et signi-
fiait proprement tenant du seigneur ou seignIèvriaL On le soupçonnait
d'autant moins que la langue romane qu'on parlait n'avait pas adopté de
Tidiôme germanique , avec le nom propre de Franc , également le nom
propre ou commun de frav signifiant seigneur. A cette époque le mot
frav ou frô (angles, frea; v. sax. frahô) signifiant seigneur y avait
même déjà disparu des idiomes germaniques , et y avait été remplacé ,
dans le sens de seigneur, par le mot herriro (ail. Herr). Ce root qui
est proprement un adjectif comparatif de hêr (élevé} signifiant plt/^ éler^éy
supérieur, maître, est devenu substantif, comme le mot français supé-
rieur {\M. superior , plus élevé) , qui exprime exactement le sens pri-
mitif du mot allemand herr. Mais si le terme frav ou frô (seigneur) a
disparu , de bonne heure , des idiomes germaniques du moyen-âge » il
n'a pas été de même de frau, le féminin de frô , lequel s'est conservé ,
dans la plupart de ces langues , avec la signification de ianie. C'est que
les mœurs de la féodalité contribuèrent au maintien de ce terme , puisque,
d'après les idées sociales de ces temps , l'inférieur ou Yh4mme devait
hommage non seulement au seigneur comme à son supérieur, mais
aussi à l'épouse de son seigneur , appelée la dame. Aussi le mot alle-
mand frmca (dame) servait-il à désigner la femme considérée , non pas
par rapport au sexe, mais toujours et uniquement, par rapport à sa
qualité ou à sa -position sociale comme Maîtresse ou Dame (lat. dominay
maltresse) ^
' D&DS rantiquité payenne Tidée de maître ou de seignenr impliquait celle de
puissance , d'autorité et de splendeur , et ne s'associait guère avec l'idée de dou-
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ORIGINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE FRANO. 245
De même que dans les langues slaves, de Prove (Seigneur) s'est
formé le àémé prâno (p. proveno^ seigneurial), de même, dans
ridiôme allemand , de Frav (seigneur) se forma le dérivé frônô. Dans
Torigine frânô n'était autre chose que le génitif pluriel de frô ; et ce
génitif, signifiant des seigneurs , était employé pour exprimer le sens
de Wdi\ecX\{ seigneurial y tout comme on dit, par exemple, l'esprit des
militaires pour dire l'esprit militaire. Ce génitif pluriel frônô se fait
encore reconnaître comme tel par la construction de la phrase dans
certains textes , placé qu'il était dans l'origine après le sujet ; mais plus
tard ce génitif n'étant plus reconnu comme tel , il fut mis dans la phrase,
à l'instar des adjectifs, devant le sujet, et fut pris dès-lors pour un ad-
•
ceur, de mansuétude et de grâce. Si le mot grec praus (doux) dérive ilu même
radical que le mot scytheprat; (seigneur), cela vient de ce que le sens primitif de
excellent a été appliqué , en grec , pour signifier doux, et , dans Tidiôme scythe ,
pour signifier seigneur ; mais jamais le mot grec ni le mot scythe n*ODt eu , à la
fois , la signification de seigneur et celle de bénin. El est vrai que dans la poésie
norraine le seigneur est appelé souvent mildingr (libéral , gracieux) ; mais cette
épithète n'exprime Jamais la mansuétude du seigneur ; elle exprime sa libéralité,
qualité qui est indépendante du caractère bénin. Le mot germanique frau (mat-
tresse, dame), également, implique toujours Tidée de respect, et de déférence due
à la position sociale de la dame, et nullement l'idée é'amour ni d'affection s'a-
dressant au sexe de la dame. (V. Dânte et sa Comédie ^ p. 6-7). Aussi ne doit-on
pas dériver le mot frau de frion (aimer), ni le croire étymologiquement synonyme
de gracieuse , aimable. Si , par suite de l'esprit du christianisme et de la chevalerie
chrétienne, la Dame, au moyen-âge, a souvent pris le caractère de la femme
gracieuse et bienveillante , ce n'est pas là une raison pour qu'on doive confondre
les idées et les mœurs sentimentales des peuples chrétiens du moyen-Age avec
les mœurs et les idées quelque peu despotiques des peuples payens de l'antiquité.
Si ensuite Jacob Grimm , pour appuyer l'opinion que le mol frau (dame) vient de
frion (aimer), ajoute que le nom de la déesse Scandinave Freyia (Dame) semble
dériver de la même racine que le nom de la déesse Frigg, qu'il fait dériver également
de frion , il commet une double erreur. Le nom de Frigg n'a étymologiquement
rien de commun avec celui de Freyia; car il dérive d'un ancien mot germanique
Frigg qui correspond au sanscrit pardjj , lequel signifie pluie. Frigg , la person-
nification de la pluie fécondante , était , en effet , la déesse qui , dans Torigine ,
présidait à U fécondation et à la fécondité de la terre. (V. La Fascination de Gulfi ,
p. 252). Ensuite le nom norrain Freyia correspond bien au nom germanique frau ,
mais il n'a, par son origine , nul rapport avec Frigg ou Fri, Ce qui a fait croire
que Freyia éiait étymologiquement identique avec Frigg y c'est que Freyia, comme
amante d'Odinn , et comme déesse de la fécondité et de l'amour , a été quelque-
fois substituée, dans la m)thoiogie du Nord, à Frigg , la déesse de la pluie
fécondante et l'épouse d'Odinn. (Voy. La Fascination de Gulfi , p. 993).
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246 RKVUE D' ALSACE.
jectif ou un substanlif délermiDatir, comme , par exemple , dans : daz
frônô kapei (la prière dominicale) , ou dans frânleichnum (corps sei-
gneurial).
Dans l'antiquité l'idée de seigneur impliquait, non seulement celle de
puissance et d'autorité , mais encore l'idée de splendeur et de majesté.
Aussi l'adjectif frôtiô prit-il , comme plus tard l'adjectif allemand herr-
lich (seigneurial), la signification de splendide, de brillant. Dans l'idiome
norrain, frdna y qui semble correspondre à l'allemand fr&nô y avait aussi
la signification de brillant. L'adjectif dérivé de frav fut également
employé comme substantif: ainsi, en frison , l'adjectif /rdnd (lat. domi-
nicus) désignait le président du tribunal , qui rendait la justice en sa
qualité de seigneur, ou qui jugeait au nom de son seigneur féodal
(cf. lat. missm dominicus). L'adjectif féminin frône (seigneurial) était
usité , jusque dans l'allemand moderne , comme substantif désignant la
corvée , ou le travail dû au seigneur ; et de ce substantif on a dérivé le
verbe frcenen (servir en esclave), comme , dans le droit serbe , depronia
(domaine seigneurial) on a dérivé le verbe proniar&vit.
Le nom propre de Franc ne se conserva en France , comme nom
ethnique , que chez les Franks qui continuaient à parler leur idiome
germanique Chez les autres Francs, qui avaient adopté la langue romane,
ce nom ne fut usité , dès lé huitième siècle , que comme un nom
archaïque y surtout comme traduction littérale du latin franchis. Ainsi ,
en vieux-français , la France fut appelée pays francor (lat. pagtês
Francorum) , puisque en latin on disait Terra Francorum (pays des
Francs ) , et , en langue franke germanique , Framùnô tant (pays des
Franks). C'est encore à un archaïsme ou à une origine latine qu'il faut
rapporter te nom de /ranc employé , dès le quatorzième siècle et encore
aujourd'hui, pour désigner une pièce d'argent française. € En 1360,
« dit M. Littré {Dict. s. v, franc; , le roi Jean fit frapper une monnaie
« représentant le roi à cheval et armé de toutes pièces ; elle fut nommée
« franc à cheval , à cause de la devise latine : Francorum rex qui y était.
tt II y avait aussi des monnaies appelées francs à pied représentant le
« roi armé de toutes pièces , mais à pied. »
L'ancien nom ethnique de franc n'éiant plus usité , dès le huitième
siècle , dans la France romane , que comme latinisme , ou comme nom
archaïque désignant les ancêtres des Français , ces descendants des an-
ciens Francs se donnèrent à eux-mêmes , dans l'origine, le n'om ethnique
de francisCy qui n'était autre que l'adjectif allemand /'rân&tôcA (francique).
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ORIGINE ET SIGNIFICATION DU NOM DE FRANC. 247
En effet, dans les idiomes germaniques , ies qualiflcatifs exprimant un
rapport d'origine ou de dérivation se forment en ajoutant au terme
qualifié la terminiison adjective i$c *. C'est ainsi que les Franks , par-
lant encore l'allemand, appelaient leur langue frankùcà (la frarxisque).
Aussi les Français , ou les descendants des Francs romanisés , par cela
même qu'ils se considéraient comme issus des anciens Francs , se don-
naient-ils également le nom d'origine germanique de Francise (Fran-
cisques) , qui s'écrivait et se prononçait au onzième siècle Franceis
(Francéîs) , plus tard encore François (Françoefs) , et , enfin , François
(Françoas). Comme, en France, le nom latinisé Francia se prononçait
Fransiay et en Italie Fran(cAta, le nom germanique frànkisch se pro-
nonça également franséis ou frânsoxs par les Français , et Frwntchesco
par les Italiens. Les Allemands, imitant, au moyen-âge, la pronon-
ciation française , disaient Franze pour France, et franzois ou franzésch
pour françois. (Voy. Tituret). Bernardone, le père de Saint François
d'Assise » ayan t séjourné longtemps en France , eut , lui d'abord , et ,
après lui , son fils , le nom de FrancescOt qui ne signifiait autre chose que
franceis (français), qu'on prononçait , à cette époque, fransoa , comme
on prononce encore aujourd'hui le nom de baptême usité, depuis, en
mémoire de Saint François d'Assise. Cette prononciation du nom ethnique
des Français, identique à celle du nom de baptême François, se maintint
en France jusqu'au dix-septième siècle. A cette époque la diphtbongue
ùi (pron. oa) commença à être remplacée , dans beaucoup de mots ,
par ai (pron. é). Cependant, bien que l'usage s'établit de prononcer
Français , Anglais , au lieu de François , Anglots , on n'en continua pas
moins , comme on le fait encore aujourd'hui , à prononcer Danois ,
Suédois , Gallois , etc. , au lieu de Danais , Suédats , Gallais , etc.
Les Italiens , imitant h nouvelle prononciation du nom de Franpais
(Francés), changèrent leur ancienne forme organique de Franceschi
(François) en Francesi (Français). De cette manière ils ont confondu
la terminaison «esco {-eschi) , dérivée de l'allemand isc ou isch , avec la
terminaison ese dérivée du latin -ensis ; et ils prononcent par conséquent
des mots , comme par exemple , arnese (harnais) , francese (français) ,
venant de l'allemand harnisc , francise ^ avec la même terminaison
qu'on trouve dans forese (étranger) qui vient du latin forensis.
Les Allemands conservèrent, au moyen-âge , la prononciation régu-
li ère de franzois (françois) , qui , dans les temps plus modernes , s'est
' Voy. les Gttei, p. 61 , note 1.
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248 REVUE D* ALSACE.
changée par contractioa en franzôn. Mais de même qu en français cer-
tains noms propres, comme par exemple le nom de Carlovingien , ren-
ferment deux fois une terminaison exprimant la dérivation , d'abord la
terminaison germanique -ingy et ensuite encore la terminaison latine
'ianus (cf. PrussianuSy habitant de la Prusse), de même Tadjectif alle-
mand franzôsisch dérivé de franzôs renferme , d'après la juste remarque
de Jacob Grimm (v. Wôrterbuch s. v. franzôsisch), deux fois la même
terminaison isc exprimant la dérivation^ d'abord la terminaison isc
cachée sous la forme modifiée de os , ôs , et ensuite encore la même
terminaison isc sous la forme moderne de isch ^ de sorte que l'adjectif
allemand franzôsisch équivaut proprement à la forme inorganique et
barbare de franzischisch. •
Les noms allemands de Franzôs et de franzôsisch étant , par suite
de leur composition et de leur prononciation , peu propres à figurer
dans le vers , les poètes allemands contemporains , suivant l'exemple
des poètes français, surtout depuis la révolution, leur ont généralement
substitué les noms archaïques de Franke (Franc) et de frânkisch (fran-
cique) *. Comme depuis 1789, la poésie affectionne tout ce qui rappelle
l'idée de liberté , les poètes , tant en France qu'en Allemagne , ont pré-
féré, à Français et à Franzôsen, les noms archaïques A^Franks et de
Franken , et cela principalement parce que ce nom ethnique de Francs
leur semblait avoir la signification d'hommes libres. Us ignoraient , ce
que nous venons de démontrer dans cet opuscule , que le nom de Frank
signifiait d'abord issu du dieu Frav, ensuite fils de seigneur, et, en dernier
lieu seulement, libre et noble , au point de vue politique et social , sans
cependant jamais avoir été , dans ce sens , un nom de peuple ou de
nation.
K. G. Bergmann.
* Si des poêles de nos jours emploient avec prédilection les noms archaïques
pour désigner des peuples modernes (exemple : Get mains pour Allemands ; cf. La
Fascination , p. 25) , plusieurs poètes du moyen-âge ont suivi , quelquefois » le
système inverse , on employant les noms ethniques et géographiques de leur
temps pour désigner les pays et le$ peuples de l'antiquité. C'est ainsi , par
exemple , que Danle a désigné comme lombard le poète Virgile , né à Mantoue ,
bourg qui déjà du temps du Florentin faisait partie de la Lombardie {[nfemo , i ,
68) ; il désigne également, par le nom û' Arabes , les Carthaginois , parce que
ceux-ci habitaient autrefois le pays , qui , de son temps , était occupé par des
Arabes. [Parad. 6,49j.
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HISTOIRE DK LA VILLE DE SOULTZ.
— Suite *.
CHAPITRE IV.
L'histoire de TAIsace , à ce qui nons semble , ne peut être écrite
qu'après la publication des histoires locales. Au moyen-âge la vie était
individuelle pour chaque localité, pour le Haut-Hundat , pour les pays
antérieurs de FAulriche , pour les villes libres , pour les comtés et les
baronies.
De temps en temps un ouragan de malheurs forçait les localités de
se prêter assistance , de vivre d'une vie commune et alors les événe-
ments locaux étaient refoulés dans l'ombre ; telles l'invasion des rou-
tiers, la peste de 1340 et la guerre des Suédois.
Certes , et nous ne le savons que trop ^ une humble histoire locale
ne présente que peu d'attrait ; mais pour l'homme sérieux , cette mono-
graphie a sa valeur ; c'est un facteur à ajouter au tableau général ; c'est
une unité à classer dans le grand casier historique de notre province.
Que chacun fasse l'inventaire de la contrée qu'il habile , et qu'ensuite
une plume habile coordonne le tout , en tire la quintescence et nous
donne une histoire complète de notre province.
Il y a deux choses surtout à distinguer dans l'histoire d'une ville , et
de là , à classer en deux sections ; d'un côté on peut donner tous les
détails matériels sur les fortifications anciennes , sur les établissements
civils et religieux , et c'est là de la pure archéologie ; dans un autre
cadre, par contre, on peut noter tout ce qui concerne l'organisation
politique, les droits, les redevances et la position des fonctionnaires
publics.
* Voir les liTraîsons de novembre et décembre 1861 , pages 499 et 529 , mars
1862, page 155, et novembre 1863, page 496.
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250 REYUE D* ALSACE.
Nous avons suivi cette marche et nous livrons aujourd%ui à la Reime
ce que nous avons pu trouver à cet égard.
§ !«' FORTIFICATIONS DE LA VILLE.
D'après Schœpflin il y avait au xiu'- siècle , en Alsace , quatorze villes
impériales, soixante villes fortes , mille villages et deux cents châteaux
ou burgs.
Les fortiûcations de Soultz dont nous voyons encore les restes , furent
élevées par Tévéque Henri de Stahleck vers l'année 1240 ^
La ville était ceinte de deux remparts et de deux fossés , le tout flan-
qué de sept tours massives , rondes, ^crénelées.
Du côté de la montagne elle était en outre défendue par une redoute
ou fortin baslionné , à terre-plein avec revêtement à talus , isolé du
corps de la place , mais s'y rattachant par le rempart extérieur , et de
plus par le château de Buchneck , faisant office de citadelle.
Les murailles avaient dix mètres de hauteur , s'appuyant sur une
galerie à terrassement de cinq mètres ; elles étaient percées de meur-
trières , distancées i égulièrement à sepl mètres. Les fossés avaient six
mètres de largeur et quatre de profondeur ; on les inondait facilement
avec la rivière venant de Junghoitz qui entre en ville à l'ouest.
Les portes , au nombre de quatre, tétaient défendues par une herse
et un pont-levis , de plus , surmontées d'une tour à plusieurs étages
percées de meurtrières et servant à inquiéter l'ennemi et à observer au
loin ses mouvements.
Voici à-peu-près le plan de ces fortifications. A partir de la pointe
du WerkhofT (l'ancienne école des filles) le rempart intérieur s'allon-
geait en ligne oblique de l'Est à l'Ouest jusqu'à la porte des champs
(Feldthor) ; de là il allait à la tour verte qui commandait par ses meur-
trières l'approche de la porte des champs ; de ce point les remparts se
dirigeaient parallèlement vers la tour des sorciers ; de là inclinant vers
le Sud , ils présentaient un angle aigu du côlc de la campagne (ou
Schûtzenrain) , arrivaient à la porte haute (porte de Wuenheim) d'où ,
allant du Midi au Nord , ils touchaient la grande tour , la tour du fossé
' Massevaux fut foniflée en 1213; Dellc 6^-1229 ; Cuirnar, Roufl'ach et Mul-
house, en 1232; Guebwiller et Wattwiller , en 1260; Soultz, Sainte-Croix et
Ensisheim. en 1240, 1270. Voyez, pour l'aspect de ces villes, la Tapogruphia
attatÛB compléta t par Matheus Meham. Francfort, MDCXLIU (1643).
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HISTOIRE DE LÉL VILLE DE SOULTZ. 251
et enfin la tour hexagonale. Mais ici se produisait un tout autre système
de défense. A partir de celte tour , les remparts ont dû embrasser le
château du Bucbneck et l'espèce de fortin ou blockhaus situé sur le
jardin actuel du meunier Bloch. Vu la proximit - des montagnes , l'ingé-
nieur avait jugé ce côté d'un facile accès à l'ennemi et il avait relié
très-adroitement les remparts avec le fortin et le château. Ce fortin
était une redoute à terrassement avec revêtement et plan incliné. Il était
séparé de la ville par le fossé interne et offrait un angle basiioné et une
tour hexagonale dont on voit encore les vestiges. Une poterne , dont on
aperçoit encore l'empreinte (1865) au bas d'une maison incorporée dans
l'enceinte interne , le mettait en communication avec la place.
 l'entrée de la commanderie (maison Hug), les doubles remparts se
retrouvent faisant face à celui du faubourg (qui était unique) ; ils se
prolongent jusqu'à la tour du moulin qui commandait la sortie de la
rivière qui traverse la ville. Celle-ci possédait trois portes , le faubourg
de Guebv^iller deux : les trois premières étaient la porte des champs
{Feldthor) , du côté de BoUwiller ; la porte haute {Oherihor) y du côté
de Wuenheim et la porte de l'hôpital (Spitalthor) menant dans le fau-
bourg Saint-Jean, appelé actuellement faubourg de Guebwiller.
Une autre porte dont on voit encore l'encadrement , mais qui était
condamnée depuis la révolte des paysans (1525) , s'ouvrait du côté de
l'Est y vers le chemin appelé : n Derrière l'église » ; .c'était la porte des
prés {MaUerUhor.)
Gomme la ville était entourée de deux remparts , chaque porte était
double et avait deux entrées que l'on désignait sous le nom c i'unten
am Thor et oben am Thor. >
Les sept tours (sans compter celles des portes) flanquaient : deux ,
les remparts internes (la tour verte et celle des soràers) ; trois , les
remparts externes du côté de la montagne , la grande tour , la tour du
fossé et la tour hexagonale ^ et deux, les remparts du faubourg, la tour
du moulin et la tour du château de M. de Heeckeren.
L'entretien et les réparations tant des fortifications que des édifices
publics étaient confiés à un membre du conseil revêtu de la chaire d'édile
(Baumeister) ; l'inspecteur diynatériel de guerre se nommait Bûchsen-
meister.
La garde de la ville était confiée en temps ordinaire à deux sergents
de ville ( Weibel) tenus de faire la police , et la nuit à quatre gardes qui
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25S REVDE D* ALSACE.
circulaient dans les rues el qui criaient les heures aussitôt que le
couvre-feu avait sonné.
Le gardien de la tour Saint-Maurice (Thurmwàchter) faisait de fré-
quentes rondes autant pour signaler les incendies que pour annoncer
rapproche de Tennemi , ce qui était chose commune au temps bien-
heureux du moyen-âge , où la guerre était l'état permanent de la société.
Le commandement militaire était exercé soit par le bailli , soit par
le prévôt , soit par les familles nobles qui habitaient le château , les
comtes de Yaudemont en 1151 , Ulrich de Ferrette en 1251 , Guillaume
de Soultz en 1354 , les Pfaffenheim en 1289 , etc.
Le renouvellement de certains statuts et ordonnances décrétés en
1588, nous apprend quelles étaient les mesures prescrites dans les
éventualités de guerre.
1. Au son du tocsin; quiconque se trouvait dans la banlieue devait
se hâter de regagner la ville et devait y ramener chevaux , bestiaux et
voitures.
2. Les meuniers exlra-muros devaient ouvrir les écluses et vannes
afin d'augmenter le volume d'eau des fossés.
3. Chaque bourgeois devait s'armer et se présenter devant l'hôtel-de-
ville , ceux préposés à la garde des portes devaient s'y rendre instanta-
nément (il y avait trois hommes par tour et six pour chaque porte).
4. D'un autre côté les artilleurs se rendait à leurs pièces {Die Leule
vom groben Geschutz).
5. La grande cloche de Saint-Maurice , tintant seule , annonçait que
l'ennemi était en vue ; si par contre une autre commençait le carillon ,
l'incendie était en ville ; les pompiers alors savaient ce qu'ils avaient
â faire.
LA BURG (burgi) ou château du buchneck.
Ce castel (castellum Sulze ) , aujourd'hui la fabrique Gusmaul-
Horandt , sortait sa masse imposante du sein d'un étang carré , lai^e
et profond ; il fut détruit lors de la guerre de trente ans et en i 719
l'évêque de Strasbourg , comme seigneur et maître du Haut-Mundat ,
ordonna de faire enlever par corvées leS décombres du vieux château ,
en place duquel il en bâtit un nouveau. (Inventaire de Grandidier ,
Ch. 8 , partie 2 , page 19).
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HISXOmE DE LA VILLE DE SOULTZ. 253
CITATIONS HISTORIQUES.
Ce château date du douzième siècle. En ii18 Heilwi^çe» comtesse
d*Egisheim et épouse de Gérard , comte de Vaudemont , fut investi ,
conjointement avec les deux comtes, Hugues et Ulric, ses fils, par
CuDon , évéque de Strasbourg , du fief épiscopal situé à Soultz. Hano»
rata e*i benefidis de curie episcopali » videlicet quœ sita e*t in viUa juxta
Vosagum. (Méglin^ Notice sur Soultz , p. 11).
En 1251 , Ulric I, comte de Ferrette^ signa les lettres reversâtes
des fiefs de l'église de Strasbourg qu'il avait reçues. Apud munitiotiem
Sulze. (Schœpflin, T. rv , p. 207).
Trois ans après , Guillaume , franc-homme de Soultz , miles diclus
de SouUz , offrit en fief à l'évêque Henri de Stahleck sa forteresse sise
dans la ville de SouKz ^
D'après l'auteur des annales de Golmar ^f le petit château de Soultz ,
coêtellum Sultze, eut beaucoup à souffrir en 1281 du ravage des eaux ^.
Les nobles dits de Soultz évidemment apparurent au 13" siècle ;
d'après Schœpflin ils se sont éteints en 1648 dans la personne de Nicolas
Jacob. Nous reviendrons sur cette question a l'article c Biographie des
célébrités soultziennes. »
Materne Berler , le chroniqueur de Rouffach (Code diplomatique et
historique de Strasbourg) pensait que Soultz n'est devenue une ville
qu'après la destruction d'Alschwiller en 1375. Berler s'est trompé
comme nous l'avons démontré dans la Revue d'Alsace.
La lettre de l'évêque Jean de Dirpheim ^ (1328) au magistrat de
Soultz , le prouve évidemment; à cette époque le fauboui^ de Saint^Jean
* En 1254 Guillaume de Soultz donne une lettre reversale à l'évêque Henri par
laquelle il se reconnaît vassal et homme-lige de Tévôché ; par contre Tévèque déclare
que le dit sieur de Soultz percevra annuellement la rente de douze livres deniers à
Sunthoffen et le péage de la ville de Soultz , et ce jusqu'à la concurrence de trente
marcs d'argent. — ([nventaire de Grandidier , p. 15, Bailliage de Soultz).
' SCHOEPFUN , tom. lY , p. 208.
' Cette lettre , je la possède ; elle fait partie du cartulaire de la commanderie
des chevaliers de Halle de Soultz , elle sera reproduite dans le paragraphe qui
concerne cette commanderie.
Le ebftteau de Soultz fut occupé par les Ferrette (1251) puis par les de Soultz
(1254). Les Pfaffenheim qui vinrent Voccuper après , et firent abandon définitif à
l'évêque Conrad III avec le consentement des bourgeois de Soultz , Tacte est daté
du jour de Sainte Cécile de l'année 1289. (Méglin , p. 1^ et 18). Ils étaient trois
frères : Jean , Henri et Pierre ; à partir de cette époque il ne fut plus donné en flef.
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t54 BEVUE d'alsacb.
avec la commanderie furent englobés dans les fortifications de la ville \
celles-ci étaient donc antérieures à 1328 et remontent au treizième
siècle. Chose curieuse , la superficie de la ville n'a guère augnnenté
depuis cette époque et le Soultz actuel est encore le Soultz du moyen-l^e.
§ II. ÉDIFICES CIVILS. — HÔTEL-DE-VILLE (acluel).
L*hôtel-de'Ville n'a jamais eu d autre emplacement. Avant qu'il fut
restauré , on voyait dans la grande salle où jadis s'assemblait le ma-
gistrat , le buste de plusieurs empereurs d'Allemagne sculpté sur les
panneaux lambrissés de ses murailles toutes revêtues de boiseries. En
1821 il fut rebâti à neuf; un maçon fut à celte circonstance écrasé par
une pierre.
Cet édifice a une assez jolie façade à deux rangs de croisées , orné
d un balcon aux armes de la ville sustendue par deux colonnes.
L'horloge porte la sentencieuse épigraphe : Imminet una tibi i et a
un belvédère surmonté d'un ange en girouette. L'hôtel-de-viile ren-
ferme : la salle d'audience du juge de paix , avec deux cabinets de côté,
le secrétariat de la mairie , la salle du conseil municipal , le corps*de-
garde , la prison , le cabinet du commissaire de police , le logement de
l'appariteur , la grande salle des séances publiques et oflicielles , le
magasin des pompes , les balances publiques, et une vasie salle servant
de dépôt aux armes de la garde nationale ; on y remarque d'énormes
armoires à rayons nombreux mais veuves aiiyourd'hui de tout objet.
C'est là que naguère étaient classées les archives de la ville , les pré-
cieuses reliques qu'une administration peu soucieuse a laissé dilapider.
Jadis les fenêtres étaient en ogives et sur les vitres peintes se voyaient
les noms^des plus anciennes familles de Soultz.
l'arsenal.
L'ancienne halle-aux-blés , démolie en 1860, était le magasin d'armes
des habitants de la ville de Soultz. La structure , la division intérieure
et la position de ce bâtiment ne laissent aucun doute à cet égard. Les
étages supérieurs ont subi bien des transformations, depuis la perte de
leur destination primitive. Ce bâtiment était vide et sans usage à la fin
du siècle dernier ; en 1804 on en fît une salle de spectacle ; en 1814 ,
lors de l'invasion des alliés , il devint caserne jusqu'en 1818. En 1819
on y établit les écoles primaires. En 1830 les salles furent agrandies.
* Une de ces minutes eit la tienne.
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HISTOIRE LE LA TILLE DE SOULTZ. 255
Celle de droite senrit à l*école mutuelle , celle de gauche fut consacrée
aux exercices des gardes nationaux , aux bals ] et aux représentations
théâtrales; les salles des mansardes furent destinées ^ les unes aux
répétitions musicales , les autres à recevoir du bois de chauffage, les
planches et les madriers de la ville ; en 1 835 on y opéra de nouveaux
changements ; depuis cette époque le marché aux grains se tient dans
rétage inférieur , les salles du premier forment Técole des garçons
desservie par les frères de la Société de Marie. En 1860 une nouvelle
halle magnifique , trop belle peut-être , remplaça l'ancienne; c'est là
un véritable monument public
LA HALLE-AUX-BLÉS DU XV^' SIÈCLE.
Aujourd'hui la maison Schmidlin , assise entre la brasserie Wacker ,
le logis des frères et la maison Schlichthœmlé , on y communiquait du
côté de la place , de la rue Saint-Sébastien et de l'église. Depuis très-
longtemps la halle a été établie dans le local actuel ; il s'y tient le marché
aux grains le plus important du Haut-Rhin après ceux de Colmar , de
Mulhouse et de Thann. Ce marché périclite beaucoup depuis que les
marchands vont acheter sur les greniers des villages.
l'hôpital. (Maison Frey, teinturier.)
L'ancien hôpital de la ville était situé à l'entrée du faubourg S^Jean ,
entre la rue des Tanneurs , l'abattoir et l'église Saint-Sébastien. C'est
présentement la maison Frey. Cet établissement touchait à Tune des
portes de la ville à laquelle il avait donné son nom {SpilaUkor) ; il fut
supprimé en 1821.
Un titre j daté du jour de la Saint-Ehrhardt de l'année 1516 , nous
apprend quelle était son organisation. Le magistrat traitait avec un
bourgeois de la ville, qui prenait alors le titre de Spitalmeister ; il était
investi pour neuf années consécutives de tous les biens , maisons , prés
et champs qui en dépendaient. Par contre il s'engageait à faire soigner
les malades , à tenir en bon état les bâtiments et le mobilier de l'éta-
blissement , les poêles , les vitres , etc., et à faire une certaine distri-
bution de bois de chauffage aux nécessiteux , et à avoir toujours une
salle montée en lits destinés aux ouvriers et artisans malades ; ce même
Spitaîmeister, qui jouissait aussi de tous les revenus de l'hôpital , devait
fournir à ce dernier , annuellement , douze sacs de froment^ et neuf
d'avoine. En cas de guerre , il mettait à la disposition de la ville une
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356 REVUE D'ALSACE.
voiture à quatre roues attelée d'un bon cheval ; il devait aussi chercher
à un mille de distance les gens du bailli de Rouffach si la fantaisie pre-
nait à celui-ci de vouloir jenir chasser près de Soultz. En outre ,
moyennant une indemnité d'une livre stabler (26 sols tournois), il devait
faire ouvrir et fermer^ aux heures indiquées par le prévôt, la porte de la
ville adjacente à l'hôpital. Ce bail était chaque fois passé le jour de la
Purification de la Vierge.
L'hôpital, outre l'entrepreneur dont nous venons de parler, avait un
gérant nommé par le magistral et appelé Spitalpfleger.
En 1821 l'hôpital fut transféré dans l'ancien couvent des capucins;
il est administré par un conseil présidé par le maire et composé de six
membres y compris l'ordonnateur et l'économe , et desservi par des
sœurs de Saint-Vincent-de-Paul ; il est pourvu d'une chapelle et a de
7 à 8000 fr. de revenus ; en 1847 ses recettes se montaient à 7214 fr.
LA LÉPROSERIE. GuthrLeuth^Haus , hospice des lépreux.
Matadrerie siluée jadis près de la croisière d*Usenheim et de Gaebwilter ,
au bord d*an petit étang.
Au commencement du xyi« siècle , la plupart des villes de la Haute-
Alsace avaient établi hors de leur enceinte des léproseries pour y rece-
voir les pauvres affligés de la lèpre. Celle de Soultz confinait au couvent
des capucins et était bâtie au bord d'un étang nommé encore de nos
jours: GuUh-Leulh'Weyer y tout près de la croisière d*Issenheim.
Vers la fin du xvi'^ siècle elle était encore peuplée, par quelques-uns de
ces infortunés , exclus de tout commerce avec les vivants , espèce de
cadavres ambulants , corps pourris , rongés et à moitié décomposés par
la hideuse lèpre S cette horrible et incurable maladie. Dès qu'un homme
en ressentait les premiers symptômes , il était tenu d'en faire la décla-
ration ; peu après il était procédé à une cérémonie religieuse qui le
retranchait de ses semblables et qui le classait , quoiqu'en vie , parmi
les morts ] immédiatement après l'office célébré comme pour la commé-
moration d'un trépassé , il était confiné dans la léproserie d'où il ne
pouvait sortir que muni d'une crécelle qui avertissait au loin les passants,
qui se hâtaient de se ranger de côté ou d'enfiler un autre chemin , afin
d'éviter jusqu'au souffle de ce misérable , tant la contagion était à
craindr^
Charles Knoll.
' Maladie de la peau formulée par des chancres à forme circulaire.
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LES CONFRÉRIES DE MÉTIERS.
- Suite el fin.
Qaanl aux jurandes françaises, leur triple caractère est facile à
reconnaître. L'institution est à la fois industrielle ^ politique et reli-
gieuse.
Elle est industrielle dans le statut de chaque métier, véritable code de
travail positif et clair^ comme la charte de la commune ^ et dans le
monopole qui en est la conséquence; elle est poltït^u^ dans son alliance
avec le système communal de la fin du moyen - âge , et avec la fiscalité
monarchique qui la réglementa à son tour. Elle est religieuse dans les
règlements de la confrérie , dont l'esprit tout chrétien rappelle les
anciennes associations germaniques.
Avec ces caractères qui distinguent les jurandes françaises, comment
pourrait-*on encore les confondre avec les Ck)lléges d'ouvriers de Tempire
romain ?
Reprenons ces 3 points :
Avant que Philippe - Auguste et surtout Saint Louis eussent organisé
les métiers de Paris et de la France , un ordre admirable régnait déjà
dans ces différents corps. Lorsque le prévôt des marchands sous
Saint Louis , Etienne Boileau , appela les corporations de son ressort à
venir déclarer leurs statuts , c'était principalement pour constater offi-*
tellement et régulariser l'existence de ces corps restés jusqu'alors
' Vuir la livraison d'avril, page 188.
3' Série. - AT Ann^ê. 1 7
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258 RRYUE D'ALSACE.
indépendants; il n'en fit à proprement dire que le recolemeat <.
Chaque métier possédait déjà son organisation complète ; des règle-
ments nets et précis » rédigés par les prud'hommes ou anciens , déter-
minaient les rapports hiérarchiques et les devoirs de tous les membres
de la corporation, apprentis, compagnons, maîtres, gardes-jurés, ainsi
que les conditions de capacité des aspirants à la maîtrise , la nature et
la forme du chef-d'œuvre qu^il fallait faire pour l'obtenir. Tout y a été
fixé invariablement, le mode d'élection des syndics, jurés, prud'hommes,
gardes du métier, visiteurs, etc., dont la réunion constituait le syndicat
ou la jurande , les tournées d'inspection , les sommes à percevoir, les
amendes à infliger, la ligne de démarcation & observer entre les diverses
professions et surtout entre celles qui se touchent le plus près, et jus-
qu'aux heures de travail , enfin la police intérieure de chaque profes-
sion et bien d'autres choses encore qu'il serait oiseux d'énumérer ici.
Il est surtout un point qui fixe l'attention dans chaque métier, c'est le
monopole ou la conservation de chaque industrie dans la famille de
celui qui l'exerce ; aussi les fils de maîtres y sont - ils toujours admis
de préférence à d'autres , et même avec dispense de tout examen ou
chef-d'œuvre. Hais ce qu'il y avait de plus déplorable encore, et qui con-
tribua puissamment à la ruine des jurandes, c'était la défense expresse
de rien changer à la nature et à la forme des objets manufacturés.
Immobilité iatale , qui comprimait à jamais tout essor industriel ,
arrêtait par conséquent tout progrès et interdisait toute invention
nouvelle !
De cette organisation légale résultèrent diverses transformations
politiques ; d'une part, la facilité , pour les jurandes, de s'associer aux
mouvements populaires des communes ; de l'autre , pour la royauté ,
le moyen de les soumettre à la fiscalité , soit à titre d'ancien droit
féodal, soit sous prétexte de protection.
Ainsi, d'un côté, les hommes de métiers proclamaient leur indépen-
dance ; de l'autre ^ leurs professions s'achetaient encore soit du roi ,
soit des seigneurs haut-justiciers , tel était le droit de hanse , que chacun
payait m entrant dans une corporation industrielle. Quelques métiers
* Voir Deppihc, Règlements sur les arts et métiers , rédigés au 13« siècle , et
connus sous le nom de Livre des métiers d'Etienne Boileau , pufbliés pour la première
fois eu entier avec notes et introduction. Paris 1887 , in-4o. L'introduction est une
dissertation importante sur l'industrie de Paris au 4 8* sièole.
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LES CONFRÉRIES DE MÉTIERS. 259
restaient libres ou devenaient francs ; d'autres demeuraient à la nomi-
nation des communes , et un petit nombre enfin , les confréries de ma-
çons, par exemple j se soumeilaient à des règles secrètes. Se servant
même de signes cabalistiques pour se reconnaître , ils se répandirent*,
aux i2* et 13* siècles, en Europe, formant une vaste franc-maçonnerie,
pour construire des ponts , des routes , des églises , des tours , des
murailles et des châteaux \
Concluons donc que de cette époque du 13*" siècle date la véritable
organisation administrative des jurandes , organisation tellement forte ,
qu'elle servit de base aux édits de rénovation de Henri III et de Henri IV S
jusqu'en 4776, époque où ces associations, supprimées momentané-
ment , ne reprirent quelque vie que pour succomber définitivement en
1791 3. Après avoir accompli leur utile mission, consistant dans la
résistance à la féodalité et dans l'organisation des diverses industries ,
elles abusèrent tyranniqoement de leurs privilèges , dans l'intérêt de
leurs monopoles , et périrent par leurs propres excès.
Quant à Tintervention active de ces corporations dans les événements
politiques de notre pays , si l'on en excepte quelques résultats heureux ,
* La confrérie des maçons , chargée de la construction de la cathédrale de Stras-
bourg , avait des lois » des règlements particuliers , probablement aussi des grades,
et elle correspondait avec d'autres logei ou associations qui existaient dans divers
états. Toutes les loges d'Allemagne relevaient de cette grande loge de Strasbourg,
qui tenait ses séances au Maurerhof, et à laquelle le Magistrat avait accordé la
connaissance exclusive de tous les procès de bâtisse. Il est certain que la ressem-
blance que l'on remarque dans la forme et les dimensions de beaucoup de monu-
ments des 12«, 13* et 14« siècles, révèle une unité de règles qui n'aurait pu avoir
lieu sans une inspiration commune.
* En 1581 , 1583, 1597. Enfin unéditde mars 1673 ajouta quelques dispositions
à celles qui existaient déjà , et créa de nouvelles corporations. Par suite de cette
organisation ainsi complétée , les villes devinrent jurées ou non-jurées , suivant
qu'eUes eurent ou non des chefs de communauté Jvrés. Il y eut de grandes et de
petites jurandes , -des communautés patentées et non patentées , etc.
' L'édil de 1776 , bien que rapporté au bout de six mois , laissa cependant quel-
ques traces durables. Sur 110 corporations , 21 furent dissoutes , et les 89 restantes,
réduites , par voie de réunion , au chiffre de 44 ; de plus , les droits de réception
furent diminués. La loi du 14 juin 1791 fut absolue ; elle prohiba même toute
association formée d'individus appartenant à une même profession , ainsi que la
rédaction des listes de membres , la formation des caisses communes , la nomination
d'officiers quelconques , et toute mesure qui aurait pu ressembler aux anciennes
corporations.
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260 REVUE D'ALSACE.
tels que la conquête des libertés communales , leurs mouvements y du-
rant nos mauvais jours du 14* et du 15* siècles , furent presque toujours
désordonnés , anarchiques et sanglants.
Sous la régence du dauphin , qui lut plus tard Charles V , c*est le
prévôt Marcel , avec ses 9000 artisans , qui^ dans la ville de Paris , se
rend redoutable à l'autorité royale. La carrière publique de cet homme
fut courte et terrible. En 1356 il sauva Paris; l'effroi était grand dans
cette capitale^ quand les fuyards de Poitiers , le dauphin en tète , étaient
venus annoncer qu'il n*y avait plus ni roi , ni barons en France , que
tout avait été tué ou pris. Les Anglais, un instant éloignés , pour mettre
en sûreté leur capture, allaient sans doute revenir, et Ton devait s'at-
tendre , cette fois , à ce qu'ils prissent , non plus Calais , mais Paris et
même tout le royaume. Il n'y avait pas beaucoup à espérer du dauphin,
ni de ses frères ; le prince était faible , pâle , chétif ; il n'avait que 19
ans. Hais Paris n'avait pas besoin du dauphin ; n'avaît-eile pas son
prévôt des marchands? Harcd mit bon ordre à tout; on forgea et on
tendit des chaînes ; on exhaussa les murs de parapets et on les pourvut
d^engins de guerre ; de nouvelles murailles furent élevées , et l'île elle-
même fut fortifiée.
L'année suivante, 1357, Marcel dictait au dauphin la fameuse ordon-
nance de réforme du royaume , qui fut bien plus qu'un réforme , car
elle changeait d'un coup le gouvernement ; elle mettait l'administration
entre les mains des Etats , et la donnait au peuple , ou plutôt à la com-
mune de Paris. Hais bientôt après tirant de prison Charles-le-Mauvais ,
pour l'opposer au dauphin dont il tuait les conseillers ; il donnait ainsi
un chef à tous les bandits qui infestaient Paris et la France ; puis , après
avoir désorganisé les Etats qui l'abandonnaient , et s'être allié à la
Jacquerie qui échouait , il périssait misérablement à l'une des portes de
Paris , de la main d'un des échevins, au moment où il allait livrer les
clefs de la ville aux bandes sanguinaires du roi de Navarre.
Sa tentative fut comme un essai prématuré des grandjs desseins de la
Providence, et comme le miroir des sanglantes péripéties à travers
lesquelles , sous l'entraînement des passions humaines , ces desseins
devaient marcher à leur accomplissement. Harcel vécut et mourut pour
une idée , celle de précipiter par la force des masses roturières l'osuvre
de nivellement graduel commencé par les rois. A la fougue du tribun ,
qui ne recule pas devant le meurtre , il joignait l'instinct organisateur ;
il a laissé dans la grande cité qu'il gouverna d'une façon rudemeni ab«-
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LES GONFIiBRIBS DE MÉTIERS. 261
solue , des insUiulions furies , de grandi oa\ rages el un nom que , deux
siècles après y ses descendants portaient avec orgueil comme un litre de
noblesse. C'était d'ailleurs le temps, où le désir de Tindépendance sou-
levait de toutes parts la roture contre la féodalité. Les chaperons blancs
de Florence avaient pour chef un bourgeois de Gand , un artisan ; les
ciompi de Florence ', un cardeur de laine, et c'était un forgeron qui
menait le peuple de Londres , et dictait au roi Richard II l'affranchisse-
ment des serfs.
Sous le règne de Charles VI , de funeste mémoire , même immixtion
des corporations de Paris dans les troubles du royaume , les unes sont
avec les Bourguignons , les autres se rangent du côté des Armagnacs.
La corporation des bouchers , la plus célèbre entre toutes , ayant à sa
tête le bourreau Capeluche , tient un instant prisonniers , dans l'hôtel
de Saint-Pol , le roi et le dauphin. Cette corporation présentait cette
particularité que les familles qui la composaient ne pouvaient la quitter,
absolument comme dans les collèges d'ouvriers des derniers temps de
l'empire d'Occident. La qualité se transmettait de père en fils ainsi que
les élaux , et les déshérences étaient au profit de la communauté. Ces
bouchers avaient autour d'eux une clientèle héréditaire de valets, qu'on
nommait écorcheurs , classe abjecte et violenle , toute dévouée à ses
patrons. Les valets ne tardent pas à dépasser leurs maîtres , et leur chef
Caboche donne son nom à celte phase sanglante de i'in. urrection. Ce
parti sanguinaire est l'instrument des Bourguignons ; plus tard il en
devient le maître , et son héros Capeluche^ après avoir forcé les portes
du palais, aborde le duc de Bourgogne , dont il se croit devenu l'égal ,
en lui frappant dans la main en signe d'amiti*^. Etrange rapprochement
opéré par l'audace , et qu'une juste terreur devait bientôt faire cesser !
Capeluche est arrêté à son tour et périt sur Féchafaud ^.
Cependant le gouvernement ressaisit un instant le pouvoir ^ et il est
obligé de supprimer les confréries de métiers , dont la funeste énergie
venait de mettre la France à deux doigts de sa perte. Rétablies depuis ,
' On défiiinaajt ainsi les artisans de Florence qui appartenaient , pour la plupart ,
am métiers qui n'araient point d'existence politique et qui travaillaient la laine ;
4;e nom de ciompi était un mot français déOguré, compère , qui leur était resté dès
le temps de la tyrannie du duc d'Athènes.
' Le valet du duc de Bourj^ogne , chargé de lui trancher la tôte , m savait com-
ment s'y prendre; Capeluche lui vint en aide; ce fut lui qui fit tous les préparatifs
n^essaires pour son propre supplice.
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%i REVUE D'ALSACE.
les corporations de Paris figureront encore dans nos troubles poli-
tiques , et , durant les guerres de la Ligue , on les emploiera comme
des instruments pour fomenter l'esprit de révolte au sein des masses.
Mais ce n'est pas seulement à Paris que les jurandes fomentent
Pinsurrection sous prétexte de liberté Elles se mêlent , dans les pro-
vinces, à tous les mouvements insurrectionnels des communes;
lorsqu'on i3Si , les oncles de Charles VI eurent doublé certains
subsides abolis par Charles V , les gens de métiers de la ville de Rouen
s'assemblèrent durant 3 jours sur la place du marché, et, élurent,
bon gré mal gré, pour roi de France (le rai gras) un marchand
drapier , c gros homme et pauvre d'esprit , > disent les histoires du
temps. On pilla, on massacra; les subsides furent maintenus, et six
des plus mutins ayant porté leurs tètes sur l'échafaud , tout rentra
dans l'ordre.
Sous le rapport religieux enfin , on trouve dans chaque jurande ,
à côté du statut industriel et municipal , une confrérie religieuse ^ qui
possède aussi son règlement formulé avec netlelé et simplicité. Nulle
part , la charité chrétienne ne s'exerce avec plus d'intelligence et de
dévouement. Les confrères se prêtent les uns aux autres une assistance
mutuelle , l'associalion soutient de ses derniers communs quiconque
entreprend un pèlerinage à Jérusalem , et elle paye les absoutes pour
celui qui a encouru les censures de l'église ou l'excommunication.
Quand elle a perdu un de ses membres , elle lui rend les derniers
devoirs , et l'accompagne jusqu'à sa dernière demeure. Les femmes
elles-mêmes ont droit à ces souvenirs touchants de la communauté ,
quoiqu'on général elles ne fassent pas partie de la jurande. La confra-
ternité n'est point une mot vide de sens , mais aussi l'honneur du corps
exige que tous les délits soient punis , comme les contraventions aux
statuts seront réprimées ; les délits graves entraînent même l'expulsion.
C'est précisément cet esprit de corps qui fait aussi prendre place à la
corporation dans l'église; elle y a son banc , son cierge , ses messes,
ses vêpres, ses obitsetses processions. Telle était, à Caen, la pro-
cession de la fête de la Pentecôte , qui avait pour but le transport et le
don de tous les deniers^à-Dieu des 40 à 50 corps de métiers à l'hôpital
de cette ville. Telle était encore, à Bruges , la procession du Saint-Sang ,
à laquelle assistait le porte-croix de tous les métiers au milieu des
évéques , des abbés , du bourguemestre et des conseillers de la com-
mune, des chanoines , des échevins et d'autres magistrats , suivis des
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LES GONFRéRIES DE MÉTIERS. 263
confréries de Saint-Michel et de l'escrime de Saint-George , ou de la
grande et de la petite arbalète , et des archers de Saint-Sébastien ou
de rarc^Q-roain. Et lorsqu'arrive le jour de la fête du patron , le
clergé va chercher processionnellement d son hôtel le roi de la confrérie ,
l'amène à l'Eglise pour assister aux ofiBces et le reconduit chez lui avec
le même cérémonial y en portant en tète du cortège la bannière armoiriée
qui rappelle aussi parfois des exploits guerriers. Et lorsque les céré-
monies religieuses ont eu leur tour , les patrons sont fêtés par force
réjouissances , chansons et rasades t. (D'après un calendrier des con-
firairies de i6i1 y Paris comptait 180 confréries et 66 saints étaient
fêtés de la sorte).
En retour de ces services religieux , la jurande qui s'était constituée
en rentes envers l'église , fait cependant les frais du luminaire et de la
sonnerie ; elle fait maintes offrandes à la chapelle , donne des stalles
magnifiquement sculptées au chœur de l'église et des verrières de
couleur pour ses croisées. Le corps des orfèvres donnait à chaque
i'r mai un tableau à la vierge et c'était presque toujours l'ouvrage de
quelque maître en renom ; celui de 1649 fut le Saint Paul» prêchant
à Epbèse , de Lesueur , actuellement au Louvre.
Si maintenant nous considérons les jurandes sous un dernier point
de vue , elles ont encore droit de fixer pour un instant notre attention.
Une espèce de blason féodal vient armorier leurs bannières ; elles ont
aussi leurs cris d'armes et leur tournois. Il se trouve enfin des poètes
pour chanter les métiers, leurs combats et leurs jeux.
Sur la bannière on voit toujours d'abord le saint qui protège la cor-
poration , autant que possible un saint qui durant sa vie a travaillé
dans le métier de la corporation ^. Sotnt Eloi est le patron des forgerons,
en général de tous les ouviriers en métaux, SairU Joseph^ des char-
pentiers , des menuisiers et de tous ceux qui travaillent dans le bois ;
Saint Crépiny des cordonniers, patiniers^ etc.; Saint Biaise, des
maçons, plâtriers, carriers, couvreurs, etc.; Saint Cômôy des
barbiers, testinneurs ou coiffeurs , chirurgiens ; Saint Honoré , de tous
les gens de la pelle, boulangers, pâtissiers , meuniers, etc.; Saint Luce^
* Les armes parlaates figurent parfois en même temps que l'image du saint ; à
Carcassonne , on voyait , sur la bannière de la corporation des barbiers , une image
de Sainte Catherine encadrée dans une roue de rasoirs.
* Le trésor de la corporation était d'ordinaire déposé dans la chapelle consacrée
à ce saint.
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264 nevuE d'alsacr.
des lailteurs , sueurs ou couturiers, en général des gens de raiguille;
Saint Marc y des vitriers, lanterniers, boisseliers , vanniers, etc. etc.
Il est assez difficile quelquefois d'apercevoir le rapport qui peut exister
entre les patrons et les confréries; par exemple, pourquoi les col-
porteurs d'édits d'almanach et choses telles , les botteleurs de foin ,
ont également pour patron Cliarlemagne ; pourquoi Saint Jean-
Baptiste est celui des passeurs en peaux, des tonneliers, et avaleurs
de vins , des fourbisseurs , des ramoneurs ; (quant aux premiers , c'est
peut-être parce qu'il s'habillait de peaux dans le désert) ; pourquoi la
Sainte Vierge est la patrons des gagne-deniers sur l'eau, des faiseurs
d'aiguilles, des rôtisseurs, des tondeurs de drap, des compagnons
corroyeurs ; pourquoi Saint Paul était le patron des cordiers ; était-ce
peut-être parce qu'il fut descendu avec des cordes dans un panier
hors de la prison de Damas? Les bouchers et les tripiers avaient pris
pour patron le Saint Sacrement , peut-être parce qu'il était considéré
dans l'église comme la chair de notre Seigneur.
Bientôt cependant à côté ou à la place du saint se glissent peu à peu
les insignes mêmes du métier ou armes parlantes , que la corporation
imprime sur ses actes , ou grave sur son sceau et sur ses jetons. Les
armoiries des épiciers-apothicaires de Paris représentaient une main
sortant d'un nuage dans un ciel étoile et tenant un fléau avec des
balances. Au-dessus était cette devise : lances et fondera servant.
Pourquoi ces des deux professions se trouvent-elles ainsi associées?
Peut-être voulait-oa créer une concurrence à l'apothicaire et l'empê-
cher de vendre ses drogues à un prix excessif. Ce qui est certain ,
c'est que la santé du public se ressentit plus d'une fois de l'ignorance
des garçons épiciers. Les armoiries des marchands de vin de Paris
étaient un navire d'argent à la bannière de France , avec 6 petites nefs
autour et une grappe de raisin en chef sur un champ d'azur. La
basoche de Normandie avait pour sceau deux écriioires croisées. A
Florence^ les plumes étaient l'attribut des arts ou corporations tra-
vaillant la soie et la laine.
Puis, à l'imitation des jeux chevaleresques, les classes bourgeoises
exécutent des joutes et des tournois, les confréries religieuses
deviennent même des espèces de chevaleries. Il se forme des asso-
ciations bizarres , dont les statuts et les exercices ne sont , au fond
que des parodies de ceux des classes guerrières : les toupiniers et
bebours de Lyon, les chevaliers du plat d'argent, les associations de
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LES CONFRÉRIES DE MÉTIERS 265
la plume , du prince de TËtrille , etc. Il y a des villes entières de
chevalerie arquebusière. Les ducs de Bourgogne , le chevalier Bayard
et d'autres grands seigneurs ne dédaignent pas de prendre part à ces
divertissements. Les tournois de Valenciennes , ou le vainqueur à la
lance recevait un éperon d'or, et auxquels Jean-sans-Peur, duc de
Bourgogne, assista en 1416, sont aussi célèbres que la guerre des
Castellani et des Nicoloti , ou les combats que les ouvriers de Tarsenal
de Venise livraient chaque année , le jour de la Saint-Simon ^ à ceux
de la ville, et où les combattants, armés de bâtons, se donnaient
rendez-vous près du pont des serls et engageaient des batailles régu-
lières. La royauté finit par s'alarmer de ces tournois populairns , sans
doute à cause de l'esprit guerrier qu'ils entretenaient parmi les artisans,
et plusieurs ordonnances les défendirent en France , principalement
celles de 1311 et de 1314'.
Que dirai -je encore pour compléter autant que possible cet
aperçu? il s'est trouvé ^ au moyen-âge , des poêles qui ont fait passer
dans leurs vers les sujets les moins poétiques , voir même les Instilutes
de Justinieu. Ils rimèrent aussi des statuts de corporations de métiers,
et, simples jongleurs ou ménestrels , ils chantaient dans les carrefours
des vers comfiosés en Thonueur des différentes classes d'artisans *.
Il était réservé aux troubadours de célébrer , dans les châteaux ,
les hauts-faits des classes aristocratiques , qui les faisaient vivre. Mais
s'ils frappaient rudement les hommes de loi , dont ils n'avaient rien
à espérer, ni à craindre ; s'ils caricaturaient sans pitié les médecins et
les jongleurs , dont la science leur était également indifférente; s'ils
réservaient leurs plus mordantes satyres pour les moines et les prêtres ,
dont ils encouraient journellement les censures , du moins ils trai-
' Plusieurs de ces fêtes du moyen-âge ont traversé les siècles pour arriver jusqu'à
nous , à l*état de reliques , il est vrai , ainsi celles de Sainte Mar^j^uerite de Flandre
à Lille, du Gayant à Douai, des Incas à Valenciennes, du comte de la Mi-Carême
à Uazebrouck , la Procession de Cambrai , remarquable par son attirail de chars et
de cavalcades , etc. Voir Musée des Familles , 1833-34 , p. 201 et suiv.
* C'est ainsi que dans les villes de la Grèce ancienne , outre les chansons buco-
liques des pâtres, des moissonneurs, des journaliers, etc. , chaque corps de métiers
avait aussi sa chanson parliculicrc , par laquelle les ouvriers s'excitaient à l'ouvrage,
il y avait le chant des baigneurs , celui des tisserands , êlinos. Il y avait encore la
chanson des tisseurs de laine , celle des boulangers , celte des ouvriers qui tournent
la meule , des porteurs d'eau , des bateliers , des rameurs , etc.
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266 REVUE ii'ai.sace.
taient avec une certaine distinction les marchands, les gens delà hanse
et delà corporation, laborieux^ sensés, qui quelquefois appuyaient
bien aussi le doigt sur la balance , mais que Ton tenait généralement
pour hommes puissants, et qu'on savait toujours exacts aux offices
de la paroisse et jaloux avant tout de leurs privilèges et de leurs
franchises.
Et maintenant, pour terminer, encore un mot sur ces institutions
qui appartiennent désormais à Thistofre. Elles furent bonnes , pour
la société , pour Tindustrie au moyen-àge. Elles furent un lien de
cohésion entre des hommes que la chute de Tempire romain aban-
donnaient à la merci de la conquête; elles furent un abri pour la liberté,
pour la dignité humaine 3 un instant méconnues , exilées ; elles con-
servèrent les traditions non-seulement du travail, mais encore du
droit , et leurs statuts contribuèrent à opérer le retour vers les insti-
tutions civiles. Ces corporations , inspirées par l'esprit chrétien ,
étaient de véritables confréries , rappelant les hétairies de la Grèce
ancienne. A la fois amis et rivaux , ces artisans, qui , dans leur sim-
plicité pleine de sens et de profondeur, appelaient la patrie Vatnitié ,
se faisaient, dans leurs quartiers respectifs, une concurrence loyale
et avouée , concurrence de probité dans le travail et dans la vente bien
plus que de bénéfice , et l'honneur du corps les rendait en quelque
sorte solidaires de la conduite de chaque membre.
Cependant il y avait au fond de cette institution dés confréries un
vice qui ne devait pas tarder de porter ses fruits, surtout depuis
qu'ayant été réglementées par l'Etat , elles pouvaient dormir à l'abri
dé leurs privilèges. Elles étaient devenues des associations jalouses,
improgressives el avides , constituées désormais , non plus en vue de
maintenir l'art dans sa dignité, dans sa pureté, mais plutôt pour
entretenir au point de vue de la routine et au profit des chefs de
métier , un monopole tyrannique. De là, la longueur de l'apprentissage,
la limitation du nombre des apprentis étrangers, la nécessité de
servir comme compagnon un temps double de celui de l'apprentissage ;
de là , les difficultés , les contributions d'argent pour obtenir la maî-
trise \ la multitude de charges qui hérissaient l'entrée dans un métier.
* Dam certaines communautés on remarque une tendance à les élever de plus en
plus La corporation des tailleurs de Lyon , demande que la taxe qui n'était à Lyon
que de 100 fr. , tandis qu'à Paris elle était de iOOO Tr. et de 500 fr. (Uns d'autres
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LES G(»fFRÉRIBS DE MÉTIERS. 267
Un ouvrier reçu maître dans une ville ne pouvait exercer dans une
autre. Nul ne peut plus inventer , car on est tenu de se conformer
strictement aux statuts. Des luttes interminables naissent sur la spé-
cialité de chacun : les cloutiers prétendent interdire aux serruriers le
droit de fabriquer les clous dont ils ont besoin ,. les pâtissiers interdire
aux boulangers celui de faire de la pâtisserie. Les bouquinistes et les
libraires se disputent sur le point de savoir en quoi un bouquin diffère
d'un livre ; les fripiers et les tailleurs sur la limite qui sépare un vieil
habit d'un habit neuf \ Quand le luxe s'introduit , les lois somptuaires
établissent mille degrés de tolérance entre les métiers pour le port des
objets de soie , d'or et d'autres matières. L'exagération des classifications
et des formalités de tout genre fait des métiers , pour ceux qui y sont
entrés , des espèces de cellules » une véritable prison ; l'égoïsme et l'a-
vidité en font des forteresses inaccessibles aux étrangers et aux pauvres.
Plusieurs fois les rois avaient essayé d'élargir quelque peu l'accès des
corporations '; de généraliser le monopole , mais ils avaient presque
toiyours échoué dans leurs tentatives. Ce ne fut donc pas merveille si ,
au i8<» siècle, la philosophie, excitée par les plaintes que proféraient
les travailleurs étouffant dans ces geôles ^, demanda Tindépendance , le
droit du travail, comme elle revendiquait la liberté , les droits.de la
pensée, et si Turgot , disciple des économistes et des philosophes , fit
abolir les jurandes et les maîtrises dans un lit de justice, tenu le 12
Tilles , soit élevée , puis elle ajoute : « On comprend que cette augmentation des
droits , en rendant l'entrée à la maîtrise un peu plus difficile , pourra diminuer à
Tavenlr le nombre des maîtres ; ils seront plus experts » plus aisés , etc. »
* Mêmes querelles entre les cordonniers et les savetiers , entre les pâtissiers et
les rôtisseurs , entre les houi-brouetteurs et les bas-brouetteurs , etc. , etc.
' C'est ainsi que l'Edit royal de 1581 décida qu'à l'avenir les maîtres reçus à
Paris pourraient exercer leur métier dans tout te royaume , et que les maîtres reçus
dans une ville de parlement seraient libres de s'établir dans tout le ressort de ce
parlement. C'était amoindrir le monopole et non l'abolir.
* Un exemple entre mille : En 1760 , un chapelier, le Prcvôt, imagina de fabri-
quer des chapeaux avec de la soie. Le succès attira la foule , et la foule amena la
fortune ; mais la corporation s'irrita et punit le prévôt d'une amende. Il plaida , on
le condamna. Pour déjouer la haine de ses confrères , il acheta une charge de cha-
pelier du roi. La corporation ne laissa pas échapper son justiciable. Un jour , les
jurés entrèrent dans les magasins et y détruisirent 3000 chapeaux. Il plaida encore ;
au bout de quatre années de procès , l'inventeur eut permission d'exploiter son in-
vention, mais il était ruiné.
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208 RKViiK d'alsacr.
mars 1776. On raconte que le jour où fui publié cet édil, qui ne devait
pas survivre à la disgrâce du ministre , fui un jour d* allégresse et de
jubilation pour les classes ouvrières , et que Tivresse qu'il produisit fut
semblable à celle que fit naître un autre édit tout aussi fameux du i9"^
siècle, qui supprima l'esclavage dans nos colonies.
Que conclure de tout ce qui vient d'être dit? Hétablir les anciennes
formes^ les corporations, les tyrannies industrielles , reprendre les
entraves pour mieux marcher, défaire l'œuvre de la révolution, détruire
à la légère ce qu'on a demandé pendant tant de siècles, ce serait une
entreprise insensée. Mais en voyant les effets qu'a produits jusqu'à ce
jour la liberté du travail , en voyant surtout l'artisan se réfugier comme
autrefois dans l'association pour échapper aux conséquences variées ,
souvent rudes et désastreuses de la concurrence , on serait peut-être eti
droit de demander s'il n'eût pas mieux valu régénérer l'autorité frater-
nelle des associations et les combiner avec une sage liberté. Quant à
moi , j'ai la conviction que les successeurs des membres de nos jurandes
ne se prendront à l'association que par le cœur , par l'amitié. Il faut à
la France une société d'amis; c'est sou désavantage industriel, mais
aussi sa supériorité sociale de n'en point comporter d'autres.
ËO. GOGUEL.
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BULLETIN BIBLI06RAPRIQIIL
L Geobges Wickram , écrivain populaire et fondateur de la corporation
des chanteurs de Calmar , au XVh siècle , par Auguste Stœber. —
Mulhouse 1866, imprimerie de J. P. Risler. i"" édition revue et aug-
mentée. Brochure in-12 de 56 pages.
Nous ne pouvons annoncer cette brochure qu'en faisant tout d*abord
un reproche à son auteur. Le titre ne répond pas au contenu , en ce
sens que les douxe premières pages ne sont pas seulement la biographie
de Georges , mais cle tous ceux de cette famille dont notre histoire locale
a conservé les noms. Ce reproche , il est vrai , n'a pas de portée défa-
vondila^puisque la notice donne plus que son titre ne promet et qu'au
lieu d'éprouver une déception le lecteur trouve , dans les premières
pages , une agréable surprise. Dans le fait c'est bien de Georges Wickram
et de ses écrits qu'il s'agit. Mais , en historien sérieux , respectant son
public autant que la science quil cultive , M. Stœber a voulu que ses
lecteurs fissent préalablement connaissance sommaire et exacte avec la
famille du littérateur dont il voulait écrire la biographie ; et c'est ainsi
que, dans l'espace de quelques pages, M. Stœber a non seulement
rassemblé tout ce qui était disséminé dans diverses publications sur les
Wickram , mais encore une quantité de faits inconnus jusqu'ici et qui
sont le fruit de ses recherches, de ses découvertes et de ses propres
études.
Georges Wickram est né à Colmar, ainsi que M. Henri Kienlen , au-
trefois pasteur dans cette ville et aujourd'hui président du consistoire
de Strasbourg , l'avait déjà présumé dans les Bouquets du nouvel an
(Neujahrsblàiter) de 1846. Différents travaux attestent que M. Kienlen
avait essayé de faire revivre la tradition de l'école des Pfefîel , des Lersé,
des Butenschœn et des fiilling , continuée par les Bartholdi , les Morel ,
les Engel , les Haussmann et tant d'autres dont nous retrouvons les
noms dans les écrits du premier Empire et de la Restauration. Aussi
est-ce au dernier représentant de cette tradition , à M. Henri Kienlen ,
son ami d'enfance , que M. *Stœber dédie la notice qu'il consacre à
Georges Wickram. Après avoir discuté et établi diversesfparticularités
de la vie de Wickram , M. Stœber passe à ses écrits et c'est surtout dans
cette partie que se révèle le principal intérêt de son travail. On y voit ,
en raccourci , une des belles pages de notre histoire littéraire alsacienne
et c'est la ville de Colmar qui a l'honneur de lui avoir donné l'origine
et d'en avoir été le théâtre. A un point de vue plus spécial , les écrits de
Georges Wickram sont surtout intéressants pour l'histoire des mœurs
et de la vie intime de Colmar au xvi« siècle , car il est indubitable que
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270 REVUE D'ALSACE
le milieu dans lequel vivait l'auteur a été pour quelque chose dans ses
productions , dont quelques-unes ont été composées pour la corporation
des chanteurs de Colmar^ qu'il avait fondée, et qui , du sein même de
cette société , sont descendues dans la rue pour égayer nos ancêtres ,
dans les occasions où la liberté peut user de ses droits sans danger
pour l'auteur , le carnaval , par exemple. Mais nous ne voulons pas en
dire davantage dans l'annonce que nous faisons , afin de ne pas déflorer
une œuvre que nous nous proposons de faire traduire , après en avoir
obtenu Fautorisation , et de publier ensuite dans la Revue ^ afin
de la mettre à la disposition de ceux de nos lecteurs oui ne sont pas en
mesure de la consulter en langue allemande. Cepenaanl nous ne vou-
drions pas que ce projet empêchât qui que ce soit de se procurer l'ori-
ginal qui offre , nous le répétons , un intérêt très-grand pour les habi-
tants de la ville où la Revue se publie. Nous n'hésitons pas à leur
recommander spécialement cette inappréciable biographie.
II. Légendes du Florival , ou la Mythologie allemande dans une
vallée d^ Alsace par M. l'abbé Braun. Guebwiller. — 1866. — Typo-
graphie de J.-B. Jung i vol de xvi-212 pages. Prix 2 fr. 50 c.
dans les principales librairies d'Alsace.
Quand , dans une province , quelques hommes d'étude poursuivent
avec constance un but commun , rien de ce qui arrive au jour n'est
perdu; on peut être assuré que ceux qui systématicjuement excluent
les travaux qui ne sont pas dans la voie de leurs préoccupations , de
leurs études, finissent par subir, à leur tour, une part d'influence
égale à celle que leurs propres productions exercent sur ceux qui ouvrent
ou continuent un autre sillon. Il nous souvient que certaines recherches ,
certaines dissertations publiées dans la Revue passaient inaperçues
d'abord , puis étaient dédaiçnées des exclusivistes et ont abouti à
devenir régulièrement le point de mire de ces mêmf^s hommes,
jusqu'à ce qu'enfin ils se sont brusquement aperçus que , sous peine,
de uemeurer trop en arrière , il faut , en toute chose , tenir compte de
ce qui se fait, de ce que Ton pense dans les rangs de ceux qui ne
marchent que sous la bannière de l'étude et de la réflexion.
Celte marque nous est suggérée par le livre de M. l'abbé Braun ,
non pour lui en faire un application personnelle , car M. Braun a tou-
jours été de ceux qui suivent le mouvement des idées , dans toutes les
directions , mais pour en déduire une, conséquence dont on ne con-
testera pas l'opportunité, hdi Revue d'Alsace n'a jamais manqué d'être
vivement attaquée toutes les fois que l'un ou l'autre de ses collabora-
teurs se livrait à des études du genre de celles que M. Braun vient de
codifier, en quelque sorte , dans ses Légendes du Florival. Nous savons
toute la différence de vues, de tendance scientifique et morale que Ton
peut supposer entre les travaux dont nous voulons parler et le livre
de M. Braun. Au fond il s'agit de la même question , de la même
méthode , du même point de départ et nous dirions volontiers presque
de la même conclusion Telle est la puissance de la vérité historique ,
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 27i
cpie personne n'y peut résister lorsqu'elle a pénétré les couches intel-
ligentes de la société , et que les plus rebelles sont traînés à la remorque ,
sauf à apporter aux systèmes que la controverse engendre des tempé-
raments , systématiques aussi , qui ont la prétention de sauver ce qui
n'avait pas été menacé , ce qui n'était pas en péril. Il y a quelque
Îuinze ans que des idées rajeunies , mais suspectes à cause du temps
ans lequel elles se sont reproduites , ont excité de Fémotion dans un
certain monde; la conviction ou la persistance de leur disciples a
forcé ceux qui résistaient à substituer Tétude au dédain et aux investives ;
cinq ans après , du sein même de la cohorte rebelle , est sortie l'école
nouvelle qui a trouvé son fondateur à Munich , et dont les disciples
intelligents nous offrent en ce moment le spectacle d'une hardiesse
dont n'ont jamais approché ceux dont ils condamnaient d'abord les
intentions et la témérité C'est cette évolution des idées modernes
qui nous faisait dire tout à l'heure que rien n'est perdu de ce qui se
produit dans le mouvement intellectuel poursuivant paisiblement un
ont commun.
En fait de légendes et de proverbes tout le monde connaît les publi-
cations si estimées de M. Aug. Stœber; on connaît peut-être moins ses
travaux philologiques , basés sur les matériaux nombreux et variés qu'il
a recueillis. Cependant il n'est aucun des lecteurs de cette Revue qui
les ignore absolument , car ils ont eu quelques fois l'occasion d'en lire
des fragments préparés spécialement pour elle. Nous sommes en mesure
de leur en faire goûter prochainement une nouvelle page. Eh bien , ce
que M. Stœber a fait et ce qu'il continue à faire pour l'Alsace tout en-
tière, M. l'abbé Braun a tenté de le faire pour la seule vallée de Gueb-
willer, leFlorivnl, et nous dirions qu'il a magistralement réussi, si
lui-même ne faisait des réserves pour une quantité de faits qu'il n'a pu
étayer sur des preuves acceptables, mais qu'il n'a cependant pas voulu
passer sous silence , sauf à revenir ultérieurement , nous n'en doutons
pas, ou corroborer des inductions par analogie, ou les rectifier selon
les preuves qu'il aura découvertes. Quand un homme de la valeur de
M. l'abbé Braun débute dans l'étude de nos origines avec le savoir , la
liberté et la philosophie éclectique dont il vient de faire preuve, il serait
regrettable qu'il s'en tint à cet essai et qu'il ne creusât pas davantage
la mine dont il a si hardiment tracé le périmètre dans l'étroit espace
de la vallée de Guebwiller. Nous croyons que plusieurs de ses limites
ne sont pas incontestables ; lui-même en paraît convaincu. Mais au lieu
de s'arrêter devant les incertitudes , disons les obstacles qu'il a rencon-
trés , H. Braun a sauté par-dessus en traçant une ligne droite qui ,
comme l'épée du héros de l'antiquité « a tronche te nœud. C'est au
moyen de ces hardiesses — qui le font rire quelque fois — qu'il est
arrivé à établir un système dans lequel s'enchâssent, avec un art infini,
toutes les certitudes historiques recueillies çk et là et toujours éclairées
d'une critique de bon aloi, d'une indépendance acceptable , voire même
de la part de M. Henri Schlumberger , maire de la ville de Guebwiller
et concitoyen de l'auteur.
D'après ce que nous venons de dire le lecteur concevra qu'il y
aurait possibilité de chercher querelle à l'auteur sur beaucoup de
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272 REVUE D'ALSACE.
Îuestions particulières ou de détail; mais ce serait souverainement
épiacé , car M. Braun lui-même a fait la part très-large à la critique
et ra, par cela même, entièrement désarmée.
Après tout le mal que nous venons de dire de ce charmant petit
livre , il nous sera permis de dire aussi, très-sommairement, le oien
que nous en pensons. Il a d*abord le mérite de réunir, en un cadre
bien rempli , toutes les légendes de la vallée ; en second lieu tous les
faits qui rentraient dans le plan de Tauteur et au sujet desquels
rhistoire n'est pas muette , sont appuyées des preuves les plus
consciencieuses , les plus authentiques. Les lacunes , nous l'avons dit ,
• ont été comblées par H. Braun de la façon la plus originale et la plus
indépendante. Le style est partout châtié, l'impression minutieusement
soignée et il n'est pas un chapitre qui ne soit d'une lecture très-
attrayante ; enfin ce qui nous plail dans cet essai , c'est le système
hardi , complet qui enserre l'ensemble de la conception , ainsi que les
vives couleurs que M. Braun a répandues , sans parcimonie et sans
gêne , sur toutes les parties de sa toile. Nous recommandons ce livre à
ceux que notre histoire et nos origines intéressent.
Frédéric Kurtz.
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LANDSKRON.
— Suile el fin. * —
On ignore à. qui appartenait Landskron à cette époque. S'il était vrai
que l'empereur Henri II eût donné ce château à l'évèché de Bftle au
commencement du onzième siècle y il se pourrait qu'un des évéques ,
Lulholde ou Walter de la maison de Rœtein , l'eussest remis à un
membre de leur famille. Le premier occupa le siège dç Bàle de (191
à 1213 et le second s'en empara ensuite par des moyens peu légitimes
qui le firent déposer par le concile de Latran , en 1215. Alors il n'était
pas rare de voir les princes ecclésiastiques disposer des domaines de
leur église en les remettant en fief à des parents et ces fiefs , dont on
négligeait le reprise , finissaient par se perdre pour l'église. Toutefois
aucun acte de l'évèché de Bàle ne revendique des droits sur Landskron ,
tandis que les historiens en attribuent la possession aux sires de
Rœtein dès le treizième siècle. Ils ont dû donner ce château en fief
aux nobles de Mûnch de Hûnchenstein au plus tard vers le milieu de ce
même siècle. Dès l'année 1267 on cite Henri Mûnch dit de Landskron,
et pendant près de deux siècles cette branche du Mûnch conserva ce
domaine ^
Cependant nous éprouvons une difficulté qui naît des armoiries du
Mûnch de Landskron et de celles qu'on donne à Bourcard de Lands-
kron qui fut élu abbé de Lucelle en 1298 et qui mourut en 1303. L'ar-
moriai de ce monastère et celui de Tschudi assignent à ce prélat et aux
nobles de Landskron des armoiries tout-â-fait étrangères à celles du
Mûnch qui leur étaient cependant bien connues puis qu'ils les repro-
duisent avec toutes leurs variantes. A Lucelle les Landskron porteni
de sable à la bande d'or chargée de trois couronnes de gueules. Le
cimier est formé d'un demi-vol aux émaux et pièces de l'écu.
* Voir la livraisoD d^avril , p»g«* 177.
* Urstisius , Bailer Chronik , p. 20.
9*Séri«.~- 17* Anaé*. '^
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274 REVUE D' ALSACE.
Tschudi les représente de sable à la bande d'argent aux trois cou-
ronnes d'or 9 mais ce doit être une erreur parce qu'on ne met pas ,
sans cause , métal sur métal *.
Les armoiries des Mûnch n'ont jamais varié que pour le cimier ,
qui servait à distinguer les branches nombreuses de celte famille. Elles
portaient d'argent , au moine de carnation , vêtu de sable et tenant
d'une main un bâton et quelque fois un livre ou un plat d'or. Les
cimiers extrêmement nombreux sont fort curieux ; Tschudi en a repro-
duit plusieurs : en 1237 le chevalier Mûnch , dit Rungler , avait pour
cimier un moine barbu, vêtu d'un froc à capuchon et coiffé d'un cha-
peau à ïesfes bords de gueules. En 1258 Hugo Mûnch , dit Pagers,
ornait le sien d^un moine blanc à figure rubiconde couvrant à moitié
sa tonsure d'yne cagoule. De 1314 à 1377 les Mûnch de Landskron
portaient un moine tonsuré, mais barbu, tête nue, et le corps vêtu d'une
robe d'or. De 1315 à 1330 les Mûnch, surnommés Schlegel et Saper,
avaient un moine semblable à celui du Londskron , mais en habit blanc.
En 1332 les Mûnch de Bàle coiffaient leur moine du haut capuchon de
sable , et lui mettaient en main un livre d'argent et un bâton d'or. Les
Mûnch dit Schuler, 1354, tout en vêlant leur moines d'un froc et
cagoule de sable , le coiffaient cependant d'une mitre d'or. Les Mûnch
de Mûnchberg habillaient le leur d'une robe d'argent à cagoule et sca-
pulaire de sable, 1306 à 1356. Il y avait encore bien d'autres variantes
dans le cimier, que nous donne Tschudi et les sceaux attachés aux actes
dans les archives.
Bourcard de Landskron , abbé de Lucelle , aurait-il été le dernier
membre d'une famille de ce nom et serait-ce st ulement alors que les
Mûnch auraient obtenu le fief de Landskron? c'est ce que nous ne
pouvons décider.
Dans tous les cas il est certain qu'en 1267 Henri Mûnch tenait Lands-
kron en fief des sires de Rœteln. Sa famille apparaît déjà dans tes actes
du douzième siècle parmi celles des ministériels des évêques de Bâle.
Dès le commencement du siècle suivant jusqu'à l'extinction de leur
famille on vit les Mûnch occuper les premières charges de la ville de
Bâle et posséder de nombreux domaines dans la contrée environnante.
Les Mûnch de Landskron ne jouèrent pas un rôle moins important
* Walch , Mùeel. Lucel. man. T. i. — - Tschudi , Arma geniHUia m dm hehe-
tUehen Landen, Manuicrit in-folio.
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LANDSKRON. 275
dans les Etals de l'Autriche en Alsace. Ils furent plusieurs fois les
créanciers des évéques de Bftle et des archiducs d'Autriche , et les offi-
ciers de ces derniers dans la Haute- Alsace ' .
Quand , dans une fête ou un tournoi , on voyait arriver fièrement et
combattre avec intrépidité quelque chevalier dont le casque fermé ne
laissait pas voir la figure on ne laissait de les reconnaître à leurs coups
et Ton criail ce sont les Mûnch. Quand les pays voisins de la Suisse
avaient des démêlés avec les confédérés , on était assuré de voir des
Mûnch parmi les ennemis de ceux-ci. Lorsque le pays était en paix et
qu'il n'y avait point de querelle à vider par la voie des armes , ce mode
de justice du moyen-âge , les Mûnch allaient chercher à l'étranger des
occasions d'acquérir de la gloire.
En 1346 les Anglais faisaient la guerre à Philippe de Valois. Parmi
les alliés de ce prince se trouvait Jean de Luxembourg , roi de Bohême,
dont le fils Charles avait épousé la sœur du roi Philippe , et sa fille ,
Bonne, le propre fils de ce même roi. Ce vieux prince était aveugle , mais
il aimait encore les combats et pour le conduire il avait de vaillants
chevaliers, parmi lesquels se trouvait Henri Mûnch de Landskron , que
les chroniqueurs appellent |e moine de Bâle.
Les Anglais étaient près de Crécy dans une position difficile ; il ne
fallait qu'un peu de patience et le salut de leur armée pouvait être com-
promis. Le chroniqueur Froissard , Albert de Strasbourg et Tschudi
racontent tous trois ce qui se passa alors , mais ce premier fournit des
détails que nous croyons intéressants à rapporter , parce qu'ils font
connaître ce que c'était que les chevaliers de notre contrée. Il est ensuite
remarquable que la France dut la perte de cette bataille au mépris qu'on
fit alors des conseils du chevalier alsato-bâlois , de même qu'un peu
plus tard l'Autriche essuya la sanglante défaite de Sempach pour avoir
méconnu les sages avis d'un autre jurassien , Jean d'Asuel. Et cependant
ces chevaliers prouvèrent par leur mort héroïque que c'était la sagesse
et non pas la couardise qui dictait leurs conseils de prudence.
* En 1374 Bourcard Muncb de LandskroD étail LaDdvogt de TAlsace autrichienne.
En 1392 , ce chevalier, oo bien son fils , du même nom , prêtait 3100 florins au
duc Léopold m , pour racheter le château dMstein , et gardait ce domaine à litre
de gage. En 1406, il prêtait encore au duc cinq mille florins en prenant pour
sûreté la seigneurie de Landser qui lui resta jusqu'au rachat en 1450 ; mais nous
aurions .iDri k faire si nous voulions citer tous les laits et gestes des Mûnch de
Landskron consignés dans les actes.
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276 REVUE D'ALSACE.
a Ce luy jour de samedi (25 août -1356) se leva le roi de France,
u assez malin et ouit messe en son hostel devant Âbbeville, en Tabbaye
« de Saint-Pierre où il estait logé , et aussi firent ses gens , et se par-
K tirent d'Âbbeville après le soleil levant. » Quand il Tut éloigné de la
ville de deux lieues , approchant ses ennemis on lui dit : € Sire , il sérail
« bon que vous fissiez entendre à ordonner vos batailles , et laississiez
« toutes manières des gens à pied passer par devant , parquoi ils en
(( fussent foulés de ceux de cheval. Lors envoya le Roy quatre cheva-
«. liers : le moine de Basele , le seigneur de Noyer , le sire de Beaujeu
(( et le sire d'Aubigny. Lesquels chevauchèrent bien près des Anglois ,
<L tant qu'ils purent bien voir une partie de leur affaire ; et bien virent
« les Anglois qui estaient là venus pour les veoir ; mais n'en firent point
a semblant , et les laisser tous en paix retourner. Quand le Roy de
(( France voit ses quatre chevaliers revenir, il s'arresta sur les champs.
ff Les susdits rompirent les presses et vindre jusqu'au Roy , qui leur
« dit : Seigneurs quelles nouvelles ? Si regardèrent tous quatre l'ua
« l'autre sans mot sonner; car nul ne se voulait nommer, ni parler
h avant ses compaignons. Finablement le Roy dit au moyne de Basele^
« qu'il parlast , qui estait au Roy de Bohaigne , et avait tant fait de son
Ci corps , qu'il estait tenu pour un des vaillants chevaliers du monde.
« Lors dit le moyne de Basele , je parleray , Sire , puisqu'il vous plaist,
« sous correction de mes compaignons. Nous avons chevauché et avons
« veu le maintien de vos ennemis. Sachez qu'ils sont arrêtés en trois
« batailles et vous attendent. Si conseil de ma partie , sauf tous dits le
< meilleur conseil , que vous faciez toutes vos gens arrester cy sur le
« champs et loger pour ceste journée ; car ainçois que les derniers
<( soyent venus jusqu'ici , et vos batailles soient bien ordonnées , il sera
« fard. Se seraient vos gens lassés et sans arroy , et trouveraient vos
« ennemis frais et pourveus. Si pouvez lendemain au malin ordonner
« vos batailles plus meurement et par plus grand loisir adviser vos
<t ennemis, et par quel costé on les pourra combattre. Car soyez seur
« qu'il vous attendront. Le Roy commanda qu'ainsi fust fait. Si chevau-
« chèrent les maréchaux , l'un devant , l'autre derrière, en disant aux
« bannières : arrêtez , bannières , au nom de Dieu et de Saint Denys.
« Ceux qui estaient devant s'arrestèrent et les derniers chevau-
« chèrent » et ils avancèrent si bien que la bataille s'engagea
contrairement aux sages conseils de Henri Munch et avec plus de
désordre encore qu'il n'avait prévu. Les chevaliers français pressés d'en
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LANDSKRON. 277
venir aux mains « ne pensant qu'à donner de beaux coups de lance ,
passèrent sur le corps de leur propre infanterie qui les gênait et arri-
vèrent en désarroi sur les Anglais. Les archers ennemis, renomm^.spar
leur adresse , les reçurent par des volées de flèches , qui blessèrent et
tuèrent les chevaux en accroissant le désordre.
Le roi de Bohême , entendant le bruit du combat , s'informa où était
son fils Charles , et sur la réponse qu'il était'déjà engagé dans la tnélée,
le roi dit à ses chevaliers : « Seigneurs , vous estes mes gens et mes
« compaignons et amis à la journée d'huy. Je vous requière que vous
c me meniez si avant que je puisse férir un coup d'épée. > Les cheva-
liers répondirent qu'ils le feraient volontiers et , pour qu'ils ne le per-
dissent pas dans la presse , ils lièrent à la bride de leurs chevaux celte
du cheval du roi aveugle. € Là estait le moyne de Basele et plusieurs
« bons chevaliers de la comté de Lucembourg ; ils allèrent si avant sur
« les ennemis que le Roy féni un coup d'épée , voir trois , voir quatre,
u et se combattit moult vaillament et aussi firent tous ceulx qui avec
« luy estaient pour l'accompagner , et si bien ce serrèrent et si avant
« se boutèrent sur les Anglois , que tous y demeurèrent , ni oncques
« nul ne s'en départit et furent trouvés le lendemain sur la place autour
« du Roy et chevaulx tous allayés ensemble >
Là aussi furent tués Henri de Rathsamhausen , chevalier alsacien, et
Henri de Glingenberg , chevalier suisse , onze princes , 80 bannières ,
1200 chevaliers français et environ trente mille hommes.
Un siècle plus tard on trouve un autre Mûnch de Landskron sur un
chamfNe bataille non moins célèbre ; mais son rôle n'y fut pas aussi
brillant. Non content d'avoir contribué à attirer les Armagnacs contre
les Suisses , de les avoir amenés dans son propre pays , il insultait en-
core les morts et les blessés sur les rives de la Byrse , près de Saint-
Jacques , lorsqu'un Suisse mourant eut encore assez de force pour lui
briser la tête d'un coup de pierre. 14M.
Bourcard Mûnch de Landskron ne mourut pas à Saint-Jacques même,
mais peu après dans son château où il avait été transporté II fut
l'avant-demier de cette branche des Mûnch , et déjà en prévision de
son extinction ils avaient fait en 1430 un accord avec Jean de Flaxlanden
pour lui transmettre le fief de Landskron pour lui et ses héritiers des
deux sexes. Les Flaxlanden ne jouirent pas de cette acquisition et avant
la mort du dernier des Mûnch , en 1459 , ils avaient déjà cédé leurs
droits , en 1444 , à Rodolphe de Ramslein. Celui-ci ne les garda gu^re
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278 REVUE n'ALSACE.
plus longtemps et il les vendit à Pierre Reich de Reichenstein , en
1462 K Tous ces marchés durent recevoir l'assentiment des seigneurs
directs, héritiers des sires de Rœleln.
Les Reich étaient aussi des chevaliers alsato-bâlois , dont la fortune,
d'abord fort modeste, avait pris plus d'extension à l'avènement d'un
des membres de leur famille au siège épiscopal et princier de Bâle. Ils
en avaient reçu le fief de Reichenstein , dont ils avaient ajouté le nom
à celui qu'ils portaient. C'était une forteresse dominant la ville de Bâle
et assise sur l'emplacement d'une position romaine. Ils avaient ensuite
acquis de vastes domaines près de Landskron même. Le chevalier Pierre
de Reichenstein ayant pris part à la guerre que la noblesse alsacienne
fit à la ville de Mulhouse en 1466, les Soleurois, alliés de cette ville
libre , s'emparèrent de Landskron , qui ne fut restitué qu'après la paix
de Waldshut,enl468«.
La cession temporaire de l'Alsace autrichienne au duc de Bourgogne,
la guerre de ce prince avec les Suisses , les dévastations des châteaux
et des villages de cette contrée par les confédérés pendant leur démêlés
avec la noblesse alsato-autrichienne , rendit la position de Landskron si
importante , que l'empereur Maximilien b* traita avec les Reichenstein
pour augmenter les fortifications de celte place. A cet effet, il leur donna
une somme de quatorze cents florins et leur permît d'employer les
fortifications de Reineck , pour les bâtisses à faire à Landskron , 1515.
Reineck était situé à l'extrémité occidentale de la colline de Landskron.
L'histoire de ce château est fort obscure. On sait seulement d'une
manière positive qu'il avait été donné à l'évêque de Bâle, en 1149, par
l'empereur Conrad III , en même temps que le château voisin de
Waldeck 3. Celui-ci, même après qu'il eut été ruiné en 1356 ou en
1365, fut inféodé, par les évêques de Bâle, à divers seigneurs, et
' ScHOEPFLiN , Alsal, illusl, , traduction Ravenez , T. iv , p. 156. Jean Muiicli
de Landsliron , cbcvalier, frère de Bourcard , blessé à mort à Saint-Jacques,
vécut encore jusqu*en 1459. Et comme Bourcarl fut transporté à Landskron après
sa blessure, nous avons dû admettre que la cession de ce château , en faveur dts
Plaxiand et même des Ramstein , n'était qu^éventuelle.
* Haffner , Chronique de Soleure , p. 40i. — Alsat, ill. , traduction Ravenez,
T. V , p. 315.
' Nous avons visité les ruines peu apparentes du Waldeck , occupant une
étendue assez considérable sur la croupe d'une colline au Sud-Sud-Ouest de
Landskron. On y reconnaît facilement l'emplacement de plusieurs châteaux , dont
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LiNDSKRON. 279
Reineck parait avoir passé à la maison d'Autriche, de laquelle les
Reichenstein le tenaient en flef. C'est à Urs -Jacob de Reichenstein ,
seigneur engagiste de Ferrette qu'on attribue les principales restaura-
tions de Landskron. Son fils » Jean Thuring , devint bailli de Ferrette ,
après le rachat de cette seigneurie , en 1540, pour une somme de 6100
florins.
Ayant abandonné sa résidence de Ferrette , vers 1542 , à raison de
la peste qui y régnait , il se réfugia à Landskron où Pair paraissait plus
sain. S'ennuyant sans doute dans cette résidence ^ il voulut accompagner
sa femme à un pèlerinage qu'elle désirait faire k Maria-Stein , alors
humble chapelle cachée dans une caverne , avec une modeste habitation
pour le chapelain. Pendant que la dame était eu dévotion , le bailli alla
se promener le long du plateau bordé de précipices. S*étant appuyé
imprudemment contre un arbre , celui-ci céda , et le châtelain tomba à
24 toises de profondeur. Il est probable que sa chute fut amortie par
des branches d'arbres , ou que le sire roula de gradin en gradin , car
sans cela il aurait été écrasé sous son propre poids. Sa femme ne le
trouvant plus près de la chapelle le chercha longtemps , et ce ne fut que
deux heures après que le chapelain découvrit enfin le bailli au pied de3
rochers. Un tableau peint dans le temps par un artiste bàlois , repré-
sente ce sujet en plusieurs scènes. On voit le blessé au pied du rocher,
le chapelain , la dame , un domestique amenant un cheval , puis le sire
couché mi soutenu sur sa monture qu'on conduit à Landskron. Toutes
ces figures paraissent être des portraits. Le bailli ne mourut point de
cette chute , et sa guérison , attribuée à un miracle , accrut encore la
réputation dont jouissait Termilage de Haria-Stein , et c'est là qu'on
éleva enfin un monastère en 1648 \
Les fortifications qu'on ajouta à Landskron dans la première moitié
du seizième siècle et encore au commencement du suivant , ne purent
soustraire cette place à l'occupation des troupes du duc de Saxe-
Weymar , faisant alors la guerre en partie pour son propre compte et
1111 acte de 1149 en nomme déjà deux , Tancien et le nouveau. Cette succession
de châteaux sur la même colline est très-rréquente et mérite toute Tattention
des antiquaires.
' UasTisius , Basler Chronik , pag. 20. - Annales de Beinweil. — HàFFNER ,
Soloth. Cfiron. , pag. 397 et 413. — Le tableau qui est dans une des salles de
Tabbayo de Haria-Stein est de Cb. Holbein. L'accidi^ni quMl représente en plu-
sieurs scènes est du 13 décembre 1542 ou 1543.
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280 REVUE D' ALSACE.
comptant se former une principauté par le démembrement des posses-
sions de r Autriche en Alsace et de Tévéque de Bâle. En 1638 Lands-
kron avait une bonne garnison d'Impériaux , lorsque Tarmée suédoise de
Weymar l'assiégea et s'en rendit maître. Au commencement du siècle
suivant, 1710 , pendant la guerre que la France soutenait contre l'eni*
pire d'Allemagne , les Impériaux cherchèrent à reprendre Landskroii ,
plutôt par ruse que par force. Le comte de Transmandorf, ambassadeur
de l'empereur en Suisse, se trouvant au château de Bemau , noua une
intrigue avec le suiïragant de l'évêque de Bâle, avec le comte de Wicka,
noble Delémontain , et le baron de Wessemberg, tous deux chanoines
de l'évêché de Bâle. Un certain capitaine Fischer fut mis dans le com-
plot. La famille de Wessemberg possédait le château de la Bourg , à
une demi-lieue de Landskron , et ce fut la position qu'on choisit pour
faire l'expédition. Le baron-chanoine était ami du marquis de Killo-
Sablon , commandant à Landskron ; il lui avait souvent emprunté des
soldats de la garnison pour travailler dans sa petite seigneurie de la
Bourg , et en récompense de ces services de voisin, il ne se proposait
pas moins que de le trahir et de le livrer lui et son château aux ennemis
de la France. Le complot consistait à cacher au château de la Boui^ un
corps de grenadiers autrichiens , d'y attirer un fort détachement de la
garnison de Landskron , de le faire arrêter à la Bourg , de s'emparer de
ses habits et les Autrichiens, vêtus en Français, seraient entrés le soir
à Landskron. Malgré les bonnes dispositions que le chanoine at le capi-
taine Fischer avaient prises â la Bourg , le secret lut éventé et le baron
de Wessemberg se hâta de retourner à Arlesheim « craignant une visite
de ses amis de Landskron.
A cette époque ce château avait déjà reçu des accroissement considé-
rables , par les soins de Vauban. C'est lui qui lit envelopper , en 1665 ,
la courtine et les tours du seizième siècle dans des bastions d'après le
nouveau système, qui ajouta les forts détachés et tous les autres ouvrages
extérieurs , et qui transforma ce manoir féodal en une petite place res-
pectable et capable d'inquiéter quelque temps l'ennemi. Elle n'était
ordinairement occupée que par des invalides qui, à l'approche des
alliés j fin décembre 1813, furent renforcés par 67 conscrits arrivant
pleins de bonne volonté, mais sans vivres. Ces jours-là plus de cent
mille hommes passaient le Rhin à leur vue \ Un fort détachement vint
* Les alliés passèrent le Rhin dans la nuit du 20 au ti décembre,
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LANDSKRON. 28i
les bloquer en janvier suivant, et cependant ces conscrits eurent le
courage de soutenir trois jours de siège.
Landskron était un des rares châleaus d'Alsace qui avaient survécu
aux guerres des siècles précédents, mais son heure était venue, comme
celle de plusieurs autres forteresses plus importantes ; aussi en péris-
sant avec elles , elle ne tomba pas sans gloire.
Les ruines des constructions de Vauban présentent encore un carac-
tère de solidité tout particulier. Les bastions et la courtine se sont ren-
versées en grandes masses dans les fossés , ressemblant plutôt à des
blocs de rocher qu'à des murailles. Les murs étaient construits à I>ain
de mortier fait avec de la chaux maigre que fournit la petite vallée
voisine. Ce ciment a le même aspect, la même dureté que celui que
nous avons vu aux ruines des castels romains du Mont-Terrible, de
Wartenberg , et autres édifices de la même époque , au point que les
échantillons que nous en avons conservés ne peuvent se distinguer les
uns des autres*
Les ruines de Landskron ont déjà exercé les crayons de plusieurs
artistes. Mon fils les a photographiées de plusieurs côtés y en même
temps que j'ai recueilli tous les vieux dessins e' armoiries qui avaient
trait à ce monument pour en orner Tarmorial de l'ancien évêché de
Bâle encore manuscrit.
A. QOIQUEREZ, ancien préfet de DéléiDont,
membre de 1» Société jurtsâemie d'émulation, et de plusieurs sociétés
d'histoire et d'arohéoiogie de Suisse et de Pranea.
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ÉTUDES
SUR L'ÉLEVAGE, L'ENTRETIEN ET L'AMÉLIORATION
DE LA RACE BOVINE EN ALSACE
SUIVIES
DE QUELQUES HÉFLEXIONS SUR LA LOI DU 11 FRIMAIRE AN VII
RELATIVE AUX PATRES ET AUX TROUPEAUX.
IX.
SOMMAIRE : une lettre de h. le comte de leusse adressée au conseil général
DU BAS>iiHtN. — DE l/lHPORTANCE DU CHOIX DES ANIMAUX REPRODUCTEURS. — LE
HEERD-BOOCK. — DU TYPE DE LA BEAUTÉ DANS l'ESPÈCE BOVINE. — PROCÉDÉ
D*APPRÉCIATION DANS LES CONCOURS ANGLAIS. — DU CHOIX DES VEAUX ET DE L*IN~
FLUENCE PLANÉTAIRE SUR LES APTITUDES DF.â ANIMAUX.
On nous communique une lettre, imprimée en 1863 et adressée à
MM. les membres du Conseil général du Bas-Rhin. Dans cet écrit,
M. de Leusse, cultivateur à Reichshoffen , expose que dans notre riche
Alsace le bétail n'a pas Timportante place qu*il devrait y occuper; qu'à
part quelques rares éleveurs , peu de gens en Alsace ont étudié les
diverses races de bétail , et que , les avis différant dans chaque société
ou comice, aucune suite ne pouvait être apportée dans les améliorations
entreprises jusqu'à ce jour, c II ne suffit pas , dit-il , de désigner les
défauts de nos races, mais après avoir éliminé, il serait nécessaire de
présenter quelque chose de supérieur à ce que Ion blâme. »
Frappé dô cet état de vague et d'incertitude, M. de Leusse a cru
devoir apporter au Conseil général, à titre de simples renseignements,
le fruit de son expérience et de ses recherches laborieuses.
* Voir les livraisons de janvier, février » mars , avril , mai , juin , juiUet, août
1865 , pages 17 , 59 , 112 , 155, 216, 265, 572, 572, et avril 1866, page 901.
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ÉTUDES SUR l'élevage , l'eNTRETIEN , ETC. 283
« Le département du Nord, dit M de Leusse, possède avec celui du
Bas-Rl)iii une frappante analogie : sol morcelé et de grande valeur,
cultivé avec soin , plantes industrielles dans les deux pays , centres
manufacturiers et commerciaux venant ici comme là absorber les pro-
duits d'une riche culture , enfin travail des vaches dans les deux pays
et entretien d'un plus grand nombre de femelles que de mâles. » Tels
sont y suivant M. de Leusse , les points de ressemblance saillants entre
les deux contrées , ressemblance qui l'engage à conclure que la race
flamande sérail celle qui conviendrait le mieux à l'amélioration des
animaux de notre pays.
Si nous déplorons sincèrement avec M. de Leusse l'hétérogénéité et
l'insuffisance de aotre bétail , si, comme lui, nous sommes' convaincu
que des études sérieuses des races bovines 'seraient nécessaires dans
l'intérêt même de la fortune de notre province , nous regrettons d'autant
plus de ne pas pouvoir partager son opinion relativement à l'analogie
qu'il cherche à établir entre les départements du Nord et l'Alsace. Nous
ne contestons pas que l'Alsace ne renferme pas quelques contrées qui
ont une ressemblance plus ou moins marquée avec les Pays-Bas , nous
retrouvons bien chez nous, par-ci par-là, un sol plat, un climat
brumeux et humide , nous voyons bien dans quelques vallées , traver-
sées par de nombreux cours d'eau , des prairies luxuriantes , mais en
somme , ce ne sont pas là les propriétés distinctives , ni les caractères
généraux de l'Alsace , oA la fertilité et les modes d*exp1 citation des
terres sont soumises, comme nous l'avons fait remarquer plus haut,
à une grande variabilité , dont les conséquences naturelles consistent
dans une variété non moins grande de besoins , autant sous le rapport
des cultures que sous celui des animaux domestiques.
D'un autre côté, la composition géologique de l'Alsace ne semble pas
pouvoir rivaliser avec celle des Pays-Bas , où le mélange d'argile et de
calcaire est si favorable à la production des plantes fourragères, tandis
que chez nous, de vastes plaines ne sont souvent productives qu'à force
d'être labourées par une population active. A l'appui de cette assertion ,
nous citerons le domaine même de M. le comte de Leusse , composé de
65 hectares et qui ne renferme ni plus ni moins que 25 hectares de
sable pur, plus propre à sabler du papier qu'à produire des betteraves ^
' Voy. Distillation agricole delà pomme de terre ^ par le comte Paul de Leusse,
page 6.
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â84 REVUE D'ALSACE.
Si nous ajoutons à ces circonstances , d*abord la présence des nom-
breuses usines hydrauliques y qui empêchent souvent d'établir des irri-
gations y et ensuite l'incertitude des récoltes fourragères , c'est-à-dire
les alternatives fréquentes entre les années de disette et les années
d'abondance , nous sommes porté , contrairement à l'opinion émise
par l'honorable cultivateur de Reichshoffen , à conclure que la spéciali-
sation, ou plutôt l'appropriation et le choix des animaux, conformément
aux besoins de nos cultivateurs, au climat et au sol, loin d'être déplacée
en Alsace', y est, au contraire, une nécessité absolue dans les réformes
à y introduire.
L'introduction des animaux flamands , opérée sous les auspices des
sociétés et comices agricoles , ne nous parait donc ni plus rationnelle
ni plus efficace que ne le «ont les efforts faits dans le but d'acclimater
chez nous les races hollandaises et suisses.
D'ailleurs, en Flandre, comme en Suisse, comme en Angleterre , les
races sont loin d'être homogènes et varient d'aptitudes et de formes :
Dans l'arrondissement de Lille , par exemple , les bêtes bovines sont
retenues à une stricte stabulation et entretenues en grande partie à
l'aide des résidus provenant d'un grand nombre de fabriques de sucre
de betteraves et de distilleries de toutes sortes; dans l'arrondissement
de Dunkerque , les vaches sont laissées dans bs parcours pendant six
mois consécutifs , nuit et jour. Dans les arrondissements de Cambrai et
de Douai , on conduit les troupeaux sur les champs après les récoltes.
Enfin , suivant H. Lefour, ce n'est que dans les plus riches pâtures de
Bergues ^ Cassel , Bailleul , Hazebroock que l'on rencontre des types
purs de ,1a race flamande. Assurément , ces bêtes s'accommoderaient
très-difiicilement du régime alimentaire que nos montagnards et nos
paysans auraient à leur ofirir, et leur type serait probablement difficile
à retrouver dès la seconde ou la troisième génération.
Toutefois, il faut reconnaître que la variété dans les races flamandes,
anglaises et suisses n'est pas à comparer à l'assemblage confus qui
existe dans les étables d'Alsace et que les variétés y sont les consé-
quences du sol et du climat, tandis que chez nous elles sont évidemment
le résultat d'un manque de discernement et surtout de ce manque de
principe, signalé par M. de Leusse, et qui ne permet pas de donner suite
aux améliorations entreprises par nos sociétés et nos comices agri-
coles.
Au reste, en Hollande, en Suisse, en Angleterre, les éleveurs ne
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ÉTUDES SUR l'Élevage , l'entretien , etc. 285
perdent pas leur temps , nous l'avons fait remarquer à différentes
reprises, à faire des plaidoyers intarissables en faveur de tel ou tel type
étranger à introduire chez eux; ils se contentent d'imiter l'exemple que
leur offre la sélection naturelle en choisissant pour la reproduction ceux
des sujets qui , sous les rapports de la constitution et des aptitudes ,
semblent être les plus comformes au but qu'ils poursuivent.
Laissons donc à nos voisins^ à ceux d'outre - mer comme à ceux du
continent y le bétail qu'ils ont produit à la suite des siècles par les qua-
lités de leurs fourrages, par leurs ressources de toutes sortes, par leur
sol et par leur ciel brumeux , et occupons-nous à les imiter en perfec-
tionnant nos races par le choix des reproducteurs.
Mais y pour opérer par sélection , deux conditions se présentent et
exigent d'être observées scrupuleusement : d'une part, c'est le discer-
nement qui constitue la base de ces opérations , et de l'autre , ce sont
les soins intelligents dont il faut entourer les élèves.
Abstraction faite de l'atavisme, conséquence inévitable des croise-
ments continus , le taureau transmet à ses produits ses bonnes qualités
comme ses vices. Il importe , par conséquent , d'appeler tout d'abord
l'attention de nos éleveurs sur l'influence qu'exerce le reproducteur
mâle sur la prospérité du troupeau, influence qui, malheureusement,
n'est pas appréciée à sa juste valeur de la plus grande partie de nos
éleveurs.
Le reproducteur mâle ne doit être ni impétueux ni vindicatif. Trop
ardent et trop emporté, il transmet ces défauts à sa postérité et perpétue
ainsi dans les bêtes femelles ce tempérament remuant , qui est si con-
traire au repos qu'exige la sécrétion du lait. D'un autre côté , l'impé-
tuosité de l'animal présente des dangers sérieux et journaliers pour les
hommes qui l'entourent. Des mouvements rapides, un œil vif et gai ,
sont néanmoins des preuves d'une santé robuste de l'animal et consti-
tuent, avec un poil lisse et luisant , les indications à la fois d'une conforr
mation solide et des qualités prolifiques qu'exige l'accomplissement de
sa mission. La taille du reproducteur ne doit être ni trop forte ni trop
élevée ; si le reproducteur est trop puissant , le poids de son corps fera
fléchir jusqu'à terre le corps de la femelle au moment de l'accouplement ;
cette circonstance a souvent pour résultat ou la stérilité, ou un fœtus
disproportionné 9 ou des produits faibles et cbétifs. D'un autre côté, il
résulte également des conséquences fâcheuses de l'accouplement quand
le reproducteur est trop jeune ou trop âgé. Trop jeune , c'est la char-
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^86 REVUE D' ALSACE.
pente osseuse qui, n'étant pas suffisamment développée, ne permet pas
à l'animal d'accomplir énergiquement l'acte de la génération; trop âgé,
la force et la vigueur font également défaut. Ce n'est donc qu'à l'âge
d'un an et demi que le taureau peut être admis à remplir ses fonctions
de reproducteur; toutefois , ce n'est qu'à partir de Tàge de deux ans
qu'il doit être employé à la monte d'un troupeau composé tout au plus de
soixante-dix à quatre-vingts tètes. Ce chiffre, cependant, doit être
réduit à quarante ou cinquante tètes si les accouplements se prolon^
geaient pendant toute l'année ou si le taureau était obligé de suivre
journellement le troupeau sur des pâturages éloignés de la ferme ou de
la commune , comme cela a lieu dans beaucoup de nos contrées. Un
nombre plus élevé de femelles , quelle que soit d'ailleurs la nourriture
et la constitution du reproducteur, ne laisserait pas que de l'énerver et
de l'user avant l'âge de quatre ou cinq ans. Dans ce cas, non-seulement
la postérité est exposée à porter les traces des fatigues et des excès
qu'on aura fait commettre imprudemment au reproducteur, mais il
arrive encore fréquemment qu'un grand nombre de femelles restent
stériles, conséquence fâcheuse à la fois pour l'intérêt privé et pour
l'intérêt général de la commune.
^ Toutefois, si un troupeau trop nombreux est préjudiciable à la con-
stitution du taureau , par contre un nombre insuffisant de vaches a éga-
lement de très - grands inconvénients en occasionnant chez l'animal un
caractère intraitable et par conséquent vicieux.
Nous ne saurions donc trop insister sur l'importance qui se rattach '
au choix dont nous parlons et qui , malheureusement , dans les com-
munes de l'Alsace , est généralement abandonné à l'ignorance et à la
rapine de ceux qui sont chargés de l'acquisition et de l'entretien des
taureaux communaux.
Placé dans de bonnes conditions et lorsque le reproducteur jouit
d'une nourriture conforme à ses besoins, celui-ci est à même à
desservir le troupeau dès l'âge de dix-huit mois jusqu'à l'âge de huit ou
dix ans. En Angleterre où le troupeau au lieu d'être composé , comme
en Alsace , par le bétail de toute une commune , n'est , le plus souvent,
form^ que par des bêtes appartenant à un seul fermier, les taureaux
sont souvent maintenus jusqu'à l'âge de dix et douze ans. Charles
Colling en avait un dont le nom nous échappe , qui avait conservé ses
qualités prolifiques jusqu'à sa seizième année. En Allemagiie, aw
contraire , les taureaux sont généralement réformés dès l'âge de qwUre
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ÉTUDES SUR l'Élevage , l'entretien , etc. 387
ans et souvent même avant ce moment. Ce procédé cependant, quoiqu'on
a cru remarquer que les générations provenant de jeunes taureaux
sont supérieures à celles provenant de sujets d'un âge plus avancé ,
n'est nullement approuvé par un grand nombre des vétérinaires d'outre-
Rhin. Ceux-ci reprochent au procédé en question d'être la cause de la
pénurie des reproducteurs de choix et de priver même les éleveurs
du temps nécessaire pour apprécier les produits de l'animal. D'un
autre côté encore , on reproche à ce procédé d'entraîner à un renou-
vellement souvent très-préjudiciable aux capitaux engagés. A ces
observations les éleveurs allemands opposent des arguments qui^ à
leur tour, ne sont pas sans valeur; « En réformant nos taureaux,
disent-ils , dès l'âge de trois ou quatre ans, ces animaux sont encore
à l'âge de pouvoir suppprter la castration et deviennent ainsi , après
avoir rendu service comme reproducteurs , d'excellentes bêtes de
boucherie ou de travail possédant même plus de force et de vigueur
que si elles avait subit l'opération dont il s'agit â un âge moins
avancé \ >
II résulte évidemment de ces opinions contradictoires qu'il est im-
possible d'établir à ce sujet des règle absolues. Il nous paraît tout aussi
impossible de contester l'avantage que présente la conservation d'un
taureau dont les qualités sont remarquables , qu'il nous semble logique
de se défaire d'un animal dont les qualités ne sont qu'ordinaires et
qui peut être employé à une destination plus avantageuse.
L'usage de réformer les taureaux à un âge peu avancé existe éga-
lement en Alsace ; cet usage nous semble , toutefois , ne pas devoir
son origine à jin principe quelconque admis ou suivi par nos cam-
pagnards; il semble plutôt être le résultat tantôt des privations
auxquelles la bête a été , le plus souvent , exposée pendant son
élevage » tantôt de la mauvaise qualité des fourrages qu'elle reçoit à
' « On pense , dit M. Sanson, qu*il convient d'employer des taureaux jeunes.
Ils sont plus propre4'^«roit-on , à procréer de bons produits. Cependant la ques-
tion ast fort controversée et chacun s'appuie sur des observations contradictoires
qui semblent également concluantes , mais auxquelles i\ manque , sans aucun
doute, une exacte interprétation. Ces observations ne peuvent être contradictoires
qu'en apparence, car les faits physiologiques sont absolus, nécessairement, dans
leur signiâcation. La vérité est, qu'à dater du moment oà le mille possède la
feculté de se reproduire , la considération d'Age est indifférente pour la qualité du
proMl 9 (Voy. Livre de la ferme.)
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288 RETUE d'alsagb.
l'ftge d'adulte et enfin l'usage en question n'est peut-être autre chose
qu'une conséquence fatale et inévitable du régime de la stabulation
absolue. Au lieu d'élever le taurillon sur de bons pâturages et de loi
accorder le mouvement si nécessaire à la formation de sa charpente
osseuse , il passe généralement toute son existence à l'étable, attaché
à une chaîne qui mesure à peine soixante centimètres de longueur et
ne reçoit , le plus souvent qu'une nourriture insuffisante au dévelop-
pement de sa constitution '.
Or, le propriétaire comme les communes qui ont intérêt à ne pas
entretenir un bétail stérile , qui ont à cœur de perfectionner celui qu'ils
possèdent et ne pas s'exposer , comme c'est l'usage en Alsace , d'em-
prunter aux pays voisins par l'intermédiaire des maquignons , ou des
taureaux à bon marché ou des vaches latières dont les aptitudes sont
douteuses , ceux-là doivent avant tout fixer toute leur attention et sur
le choix et sur l'entretien des reproducteurs. Dès le moment que l'on
remarque , parmi les nouvelles générations , des veaux difformes ou
<:hétifs dont la cause n'est pas accidentelle , on doit considérer l'accident
Ml y a une quinzaine d'années , un véritable engouement avait porté nos
Sociétés d'agriculture et nos comices k recommander aux éleveurs à la fois la
stabulation permanente et la suppression totale des pâturages. Un rapport adressé
en 1861 à M. le Préfet du Bas-Rhin par les vétérinaires du département fit res-
sortir, dans les termes suivants, les conséquences fâcheuses de ces innovations :
« Dans une grande partie de TAlsace , disaient-ils , les jeunes élèves des espèces
« chevalines et bovines séjournent depuis le jour de leur naissance dans le coin le
plus reculé des écuries et des étables ; ils n'ont d'autre occasion de développer
leurs forces que dans le trajet , trois fois par jour , de l'écurie à la pompe où fls
s'abreuvent , et dans quelques sauts désordonnés dans une cour peu espacée et
habituellement encombrée où ils se trouvent exposés à de nombreux et graves
accidents. Pour obvier â des inconvénients de cette nature , il serait fort k désirer
que dans les localités où la possibilité existe , on convertit une partie du cobh
munal , d'une contenance de cinq hectares environ et le ply approché du village,
en place d'ébats où les éleveurs, à de certaines heures , suivant la saison , pour-
raient conduire et laisser en toute liberté les poulains, taurillons, génisses , etc.,
moyennant une minime rétribution à verser dans la caisse communale. Ce ne
serait point un pâturage où les jeunes élèves trouveraient de la nourriture , mais
un terrain de gymnoêtique suffisant pour leur développement. »
Nons avons cru d'autant plus opportun d'enregistrer ici cette partie do rapport
de MM. les vétérinaires du Bas-Rhin que la suppression totale des pâturages
compte encore un grand nombre de partisans en Alsace.
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ÉTUDES SDR l'élevage » l'eNTREîIEN , ETC. 289
comme provenant du reproducteur et le remplacer immédiatement.
Dans ses lettres sur la physiologie animale H. Vogt cite à ce sujet un
exemple curieux: dans un troupeau, dit-il, on vit plusieurs veaux
difformes naître en une seule année ; le reproducteur qui desservait
le troupeau était de bonne apparence , on le remplaça néanmoins et
les génération subséquentes reprirent de nouveau leur constitution
normale.
Il est sans doute inutile de faire remarquer que le choix des bétes
femelles ne doit pas moins absorber l'attention de Téleveur quoiqu'elles
ne transmettent qu'isolément leurs qualités comme leurs défauts à un
petit nombre de veaux , tandis que le mâle les transmet au bétail entier
de la commune. On a souvent comparé ^ et avec raison , la femelle au
sol et le mâle à la semence qu'on lui confie, les deux éléments doivent
être nécessairement dans de bonnes conditions si l'on veut obtenir de
bons résultats.
Nous ne nous arrêterons pas ici à énumérer les soins dont il faut
entourer les bêtes femelles, ils sont amplement décrits dans les divers
traités que nous avons cités dans le cours de ce travail. Néanmoins ,
c<Hiime l'aptitude laiteuse est généralement la plus estimée en Alsace
nous rapporterons quelques détails intéressants à ce sujet. Suivant les
auteurs anglais , allemands et français le taureau aurait autant d'in-
fluence* dans la transmission héréditaire de l'aptitude dont il s'agit et
devra, par conséquent , provenir lui-même d'une mère bonne laitière.
Les qualités du père et de la mère cependant ne se transmettraient pas
toujours en ligne directe à la fille et souvent on ne retrouverait leurs
aptitudes qu'aux générations ultérieures.
C'est apparemment ce phénomène qui se manifeste si singulièrement
dans la transmission héréditaire et connu sous le nom d'atavisme qui
a engagé nos voisins d'outre-roanche d'avoir recours à diverses pré-
cantions2[dans l'élevage de leurs animaux domestiques et dont la prin-
cipale consiste dans l'établissement du Stut-boock ou Herd-boock ,
c'est-à-dire dans ces registres dans lesquels ils consignent soigneusement
les qualités qui distinguent leurs animaux reproducteurs.
Ces tables généalogiques sont évidemment d'une nécessité absolue
lorsqu'il s'agit de faire des observations sérieuses sur la transmission ,
héréditaire , que celle-ci s'opère ou par croisement ou par sélection.
Il est , d'un autre côté , certain que les controverses au sujet de cette
transmission , et qui durent depuis des siècles auraient trouvé depuis
S*Sérl*.-*i1-Aiiiié«. iV
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290 REVUE d'àlsace.
longtemps une solution définitive si on avait eu recours plus tôt aux
registres dont il est question. Nous constatons donc avec satisfaction ,
qu'à rtieure qu'il est , des Heerd-Boocks sont introduits chez les grands
éleveurs de TÂllemagne ainsi que dans plusieurs départements français
et notamment dans la Haute-Saône où l'on doit à ce procédé la pureté
de la race femeline.
Ce fut en 1856 que le congrès agricole de la Haute-Saône prit l'initiative
d'y établir un registre généalogique et qu'il décida en même temps de
primer des taureaux-étalons comme on prime des chevaux-étalons.
« Ces décisions , disait alors M. de Saint-Ferjeux, conformes à ce qui
se pratique en Angleterre produiront assurément de bons résultats et il
serait à désirer que d'autres départements entrassent dans la même
voie d'amélioration. i> Les prévisions de M. de Saint-Ferjeux se sont,
en effet , réalisées depuis ; nous avons déjà parié de l'admiration dont
la race femeline a été l'objet lors du dernier concours régional à Colmar,
ajoutons encore que, d'après une récente statistique , la Haute-Saône,
qui autrefois exportait à peine quelques bandes de bœufs dans les villes
voisines, en a vendu , pendant l'année 1862, au sucriers et aux distil-
lateurs du Nord , pour une somme de trois millions.
ff C'est que chaque année, dit M. de Leusse ^ le conseil général de
de ce département vote des fonds qui , joints à ceux de la société d'agri-
culture, permettent d'acheter et de revendre des taureaux de* la race
indigène ; de donner des primes aux jeunes taurillons élevés dans le
pays , et de rétribuer des vétérinaires chaînés de visiter les étables pour
y choisir les sujets les plus convenables à la reproduction, t
Ces lignes seront suffisantes pour faire comprendre la nécessité d'un
registre généalogique dans l'élevage du bétail. Cette nécessité a fait
dire naguère à un agronome allemand que ,• plus l'agriculture fera des
progrès plus elle exigera de nouvelles mesures y car ce qui ne semblait
être qu'un accessoire, il y a dix ans, est déjà devenu aujourd'hui une
condition rigoureuse.
Malheureusement , en Alsace , nous sommes encore loin d'apporter
dans nos essais d'amélioration les mêmes soins que nos voisins. Chez
nous les sociétés d'agriculture , les comices , les éleveurs achètent des
taureaux et des vachee ; il leur suffit de savoir que les animaux
proviennent d'un pays étranger , jouissant de la réputation de produire
* Lettre adressée au Gonsefl général du Bas-RUn.
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ÉTUDES SUR l'Élevage , l'entretien , etc. 291
de bonnes laitières^ pour en faire l'acquisition avec une conGance
illimitée. Il leur importe fort peu de savoir si le rendement du lait est
en rapport avec les quantités de fourrages que ces animaui exigent , si
la transmigration n'expose pas les sujets à des influences pernicieuses
et enfin si la souche de laquelle proviennent les animaux a été dans
les conditions d'aptitudes que l'on cherche à conquérir pour nos races
indigènes.
Toute ces informations cependant , suivant M. de Saint-Feijeux ont
une grande importance, c Si l'on ne s'informe point , dit-il , des
qualités laitières de la souche à laquelle appartient , par exemple , un
taureau que l'on achète , on ne pourra avoir des vaches laitières , on
n'en obtiendra qu'exceptionnellement et que par hasard , car il est un
fait bien reconnu, c'est que^ généralement, les produits femelles
tiennent leurs qualités du père et les produits mâles ont les qualités de
leur mère. Si Ton a une vache bonne laitière et qu'on ne l'accouple
pas avec un taureau de race laitière , il est presque certain que les
vaches que l'on obtiendra n'auront point les qualités de leur mère.
Si le Sîut'booch constitue une mesure de pécantion indispensable là
où l'on poursuit sérieusement le perfectionnement ou le maintien des
aptitudes acquises , il n'est pas moins nécessaire lorsqu'il s'agit de la
conservation de la forme extérieure des animaux. Ceci nous amène
naturellement à dire un mol de l'importance qu'il faut attacher à la
constitution apparente des races bovines.
Il ne peut être ici question de déterminer les caractères du beau
dans les productions de la nature, c'est-à-dire d'un jugement esthétique.
En toute chose la beauté nous semble Atre relative et n'être réelle que
lorsqu'elle répond ou au désir que nous éprouvons ou à l'intérêt qui
nous guide. Ce principe , toutefois , ne doit pas nous faire accepter
parfois et suivant un littérateur célèbre , le laid pour le beau. En un
mot, une défectuosité, dans les proportions ordinaires, qui nous choque
et nous repousse ne sera jamais conforme au sens que l'on attache à
ridée que Ton peut avoir sur la beauté d'un animal. Pour la boucherie
le type le plus parfait est évidemment représenté par la race Durham ,
d'abord à cause de sa précocité et la finesse de sa charpente osseuse
et ensuite , à cause de l'énorme développement de ses chairs et de sa
graisse. Pour le travail , au contraire , on recherche des membres
plus forts , des jambes plus élevées et plus nerveuses , des jarrets plus
larges , une tète plus fine el eufia un ventre moins pezulant. Pour les
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292 REVUE D' ALSACE.
vaches laitières ie type est plus difficile à définir. Â part les signes
extérieurs auxquels on croit pouvoir reconnaître les qualités laiteuses^
on peut dire que la sécrétion du lait caractérise plus ou moins toutes
les races qui habitent les climats tempérés : sur le littoral hollandais
les vaches laitières sont souvent maigres et élancées tandis que dans
d'aulres contrées elles se rapprochent de la forme des bêtes de boucherie.
En somme, au lieu de se rapprocher des contours dont Tensemble
serait agréable à nos yeux , le type de la vache laitière s'en éloigne
généralement.
< Le plus souvent , dit M. Magne , les vaches très-bonnes laitières
sont anguleuses et paraissent plus ou moins décousues, t Suivant le
savant professeur de Técole impériale d'Alfort , on trouverait rarement
des glandes mammaires très-actives , avec les formes gracieuses ,
potelées , qui constituent ce qu'on appelle vulgairement beatUé dans
les quadrupèdes Elles peuvent être néanmoins aussi bien conformées
quant à la charpente osseuse , que les vaches remarquables par
l'aptitude à s'engraisser où à travailler. Rarement en état d'embonpoint,
elles sont minces et ont les saillies osseuses très-proéminentes , du
moins pendant qu'elles donnent du lait. ^
^ En outre , dit encore M. Magne , le régime auquel on soumet les
laitières tend à taire paraître , quand elle sont âgées , la poitrine étroite
et le ventre gros. Il en résulte que le corps paraît resserré , sanglé au
milieu de la poitrine. La graisse qui, comme on sait, s'accumule
surtout dans les vides qui existent autour des organes et en particulier
derrière l'épaule, est peu abondante et manque dans cette région.
Cette[conformation disgracieuse , conséquence de la maigreur produite
par le régime auquel les vaches sont soumises, et de l'épuisement
qu'occasionne la sécrétion des mamelles, à été souvent confondue
avec l'étroitesse constitutionnelle du corps. On a été jusqu'à la con-
sidérer comme un caractère essentiel d'une grande activité des glandes
mammaires. En attribuant cette importance à l'exiguité de la poitrine ,
ajoute M. Magne, on a confondu l'effet avec la cause. »
Nous ne saurions trop recommander aux éleveurs alsaciens le livre
de M. Magne traitant du choix des vaches laitières \ C'est un aperçu
à la fois rapide et substantiel de tous les systèmes qui ont étéélaborés^
jusqu'à ce jour, à ce sujet. Il est de nature non-seulement à servir de
' Paris , librairie agricole de la maison rustique , rue Jacob, S6.
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ÉTUDES SUR L*ÉLEVAGE , l'eNTRBTIEN y ETC. ^93
guide à nos cultivateurs dans l'entretien des races bovines mais
encore à nos comices agricoles. Trop souvent dans les concours
organisés par ces sociétés les jurys se laissent influencer par les
contours gracieux et les formes potelées sans se rendre exactement
compte du but de Télevage des sujets exposés.
« Des génisses élevées avec des aliments succulents , dit H. Magne ,
avec des farines et des tourteaux , sont grasses , à corps cylindrique ,
très-bonnes pour la boucherie, mais médiocres pour donner du lait...
Il arrive assez souvent que, près des villes, des propriétaires ayant
de belles et excellentes vaches , de jolies chèvres, bonnes, très-bonnes
pour le lait , veulent en conserver 1^ race ; ils élèvent des génisses et
des chevrettes, les soignent et les nourrissent très -bien. Nous n'en
avons jamais vu qui aient produit de très-bonnes laitières. »
c Ont également peu de quaUtés, fait encore remarquer M. Magne,
celles qui broutent sur des pâturages secs , peu fertiles , où Therbe
est plutôt très-nutritive qu'abondante, tandis que les herbes abondantes ,
mais peu substantielles , la dépaissance sur les herbages frais, favorisent
la production de bonnes vaches. >
Ce sont là des faits très-instructifs que le savant professeur ne
signale sans doute qu'à la suite de nombreuses observations. Ces faits
sont assurément d'une haute valeur pour l'Alsace où Pon ne poursuit
dans l'élevage ni un but déterminé ni un principe arrêté. Il en résulte
que dans ces circonstances et lors des expositions publiques des
animaux, les jurys ont une mission à la fois difficile et délicate à remplir.
N'ayant ni de but bien déterminé à encourager ni un principe basé sur
des données scientifiques et pratiques à apprécier, il n'est pas sur-
prenant de voir parmi les membres même des jurys de nos comices
surgir quelquefois des discussions regrettables et les primes et les en-
couragements dont ils disposent rester sans résultat dans l'amélioration
de nos races bovines.
Ces considérations nous engagent à placer ici un exemple de la
marche suivie par les sociétés anglaises lors des exhibitions des races
bovines. L'échelle suivante, établie par des points et appliquée
spécialement à l'appréciation de la race laitière de Sersey , fera immé-
diatement entrevoir au lecteur la méthode simple et facile qui guide
les juges de ces concours.
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iM REVUE D* ALSACE.
APPRÉGIATIOM DES TAUREAUX.
Art. 1. Pureté conoue du côté paternel et maternel d^une race
donnant beaucoup de lait et de beurre 4 points.
Art. 2. Tète fine et pointue , joues étroites , bouche fine et
à bords blancs , narines hautes et ouvertes , cornes lisses ,
annotées , pas trop épaisses à leur base et se terminant en
pointes , noires à l'extrémité ; oreilles petites , de couleur
orange à l'intérieur, yeux grands et vifs 8 —
Art. S. Encolure fine et légère, bien remplie vers les
épaules , poitrail lai^e , corps en forme de tonneau , profond,
les côtes s'étendant jusque près des hanches 3 ~-
Art. 4. Dos droit du garrot jusqu'à l'attache de la queue ,
en angle droit avec celle-ci , queue fine , descendant jusqu'à
deux pouces au-dessus du jarret 3 —
Art. 5. Peau fine et lâche, souple, bien garnie de poils
mous et fins de bonne couleur 3 —
Art. 6. Les avant-bras larges et robustes , les jambes courtes
et droites , grosses et pleines au-dessus des genoux et fines
en dessous .2 —
Art. 7. Quartier de derrière, depuis la hanche jusqu'à
l'extrémité du dos , long et bien rempli , les jambes de der-
rière peu obliques dans la marche 2 —
Art. 8. Croissance i —
Art* 9. Apparence générale 2 —
Perfection .... 28 points.
Aucun prix n'est accordé pour un taureau qui n'obtient pas au
moins 20 points.
11 est inutile de transcrire également les divers articles qui se rap-
portent aux vaches et génisses. Cet exemple est certainement suffisant
pour démontrer , d'une part , le procédé méthodique que l'on emploie
et , de l'autre , l'importance que nos voisins attachent à leurs exhibitions.
Nous regrettons de ne pas posséder des documents relatifs an procédé
usité dans nos concours régionaux ; il doit y avoir évidemment entre
le procédé anglais et celui qui guide les appréciations en France de
l'analogie sous plus d'un rapport. Nous ferons toutefois remarquer que
l'écheHe doit nécessairement varier suivant les races, suivant leur
destination et suivant les localités.
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ÉTUDES SUR L*ÉLEVAGE , I/BNTRBTIBN , ETC. 295
Mais ce n'est pas seulement dans les concours que des principes
raisonnes seraient nécessaires pour guider ceux qui ont à décerner
des récompenses. C'est à nos populations agricoles , à nos éleveurs y
à nos paysans comme à nos montagnards qu'il faudrait pouvoir faire
connaître la nécessité et l'importance d'observer , dans l'élevage , des
principes généraux qui , dès la naissance du veau , les guiderait plus
sûrement que ne peuvent le faire les constellations planétaires! N'estril
pas déplorable de voir encore aujourd'hui des tlétenteurs d'animaux
consulter, par exemple ^ l'état de la lune au moment de la parturition
et considérer cet état comme pronostic des aptitudes futures de l'animal
nouveau- né.
Telle est cependant , dans bien des contrées de notre Alsace , dont
les populations , sont si laborieuses , l'unique indication qui les guide
dans le choix des veaux destinés à vivre ou à être livrés au boucher.
Mais ce n'est pas seulement au moment de sa naissance que le préjugé
et l'ignorance entourent souvent l'animal ; arrivé à l'âge d'adulte , il
est encore soumis à d'autres influences mystérieuses qui l'empêchent
tantôt à prendre graisse tantôt à donner un lait abondant.
C'est ainsi qu'un riche propriétaire nous disait un jour, avec une
conviction inébranlable* que c'était sa vieille et misérable voisine qui,
par des maléfices , l'empêchait depuis de longues années de réussir
dans l'entretien de son bétail.
En eflet , chaque année notre riche propriétaire achète des bêtes
bien portantes et les revend chaque année dans un état de dépéris-
sement complet. Mais il suffit de jeter un coup-d'œil dans l'intérieur
de ses étables , sur la malpropreté qui y domine , sur les portes et
fenêtres mal jointes donnant passage à des courants-d'air même au
milieu de l'hiver, et on devinera facilement le motif véritable des
mécomptes qui en résultent.
Mentionnons encore , avant de terminer ce chapitre un exemple de
traitement curatif opéré tantôt par des bouchers ruinés tantôt par des
maréchaux-ferrants et qui, abusant de la crédulité et souvent de
l'ignorance des populations rurales « exercent encore à l'heure qu'il
est publiquement et impunément le métier de vétérinaire.
Une vache est-elle triste, son appétit lui fait-il défaut, son poil
e?t-il hérissé et sa peau adhérente , on décide immédiatement qu'elle
est possédée par un esprit malin. Pour chasser l'hôte incommode on
pratique à l'extrémité de la queue de l'animal malade deux incisions
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296 REVUE D'ALSACE.
en croix , on en tire quelques gouttes de sang et , si la béte ne guérit
pas dans quelques temps , c'est que le détenteur de la bête n'avait pas
sufBsament de foi dans l'opération mystique \
Nous demandons pardon à nos lecteurs de nous être arrêté à ces
préjugés , mais qui sont d'autant plus fâcheux qu'ils constituent 3 eu
face du progrès , des obstacles sérieux. Hâtons-nous cependant d'ajouter
que le campagnard alsacien est généralement l'ami des animaux do-
mestiques , qu'il les traite avec douceur et qu'il ne repousse pas systé-
matiquement les conseils qu'on lui donne et que, si le jugement, basé
sur des données de la science lui fait souvent défaut , c'est peut-être
moins la faute de celui qui pioche la terre à la sueur de son front
que la faute de ceux qui ont mission de l'éclairer et de l'instruire.
J. F. Flaxland.
(La fin proehainemenl.)
* Une Société de véiéiinaires d'AUace , dit-on , est sur le point de se former ;
soD but sera de mainteair l'exercice de l'art dans les voies utiles au bien public
et à la dignité de la profession ; de se rendre utile à Tadministration et à Tagri-
culture , de contribuer aux progrès de la science vétérinaire et de rendre cette
profession aussi considérée qu'elle doit l'être.
Il est de fait que la considéraUon accordée par nos populations agricoles à l'art
vétérinaire laisse beaucoup à désirer. D'un autre côté et malheureusement le
nombre des vétérinaires est trop peUt et les distances qui les séparent les uns des
autres ne permettent pas , le plus souvent , d'avoir recours à eux au moment
même où leur présence serait nécessaire. Cette circonstance contribue évidem-
ment à l'opiniâtreté avec laquelle les campagnards restent attachés aux médecins
empiriques des communes.
Espérons que la sympathie publique ne fera point défiiut à la société en ques-
tion dont l'uUUté semble être à tous égards incontestable.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ.
— Suiie ♦. —
CHAPITRE V.
DU HAUT-MUNDAT EN GÉNÉRAL BT DU BAILLIAGE DE SOULTZ
EN PARTICULIER.
§ 1-
Le HauUMundat était composé de trois bailliages (Vogieyen) , celui
d'Eguisheim , celui de Rouflach et celui de Soultz. L'Obervogt ou gou-
verneur était le premier magistrat du Mundat , nommé par le prince-
éyéque ; il était presque toujours choisi dans la classe équestre , rare-
ment dans la bourgeoisie. C'est lui qui présidait le tribunal judiciaire
et les assemblées populaires ; c'est lui qui commandait la milice. Pendant
longtemps le Hundat ne possédait qu'un Vogt sans résidence fixe, tenant
même ses assises à Heyenheim , au temps où cette charge était hérédi-
taire y dans la maison des Habsboui^. Plus tard , le gouverneur résidait
tantôt à Soultz , tantôt à Rouflach , mais le plus souvent dans cette
dernière ville; il avait alors sous lui des Untervogts pour administrer
les autres districts ; au quinzième siècle , les trois Vogieyen furent indé-
pendantes les unes des autres. Dès 1491 , il y avait des Vogts spéciaux
à Soultz. Au commencement du dix-septième siècle , le bailli de Soultz
devint Obervogt (grand-bailli) ; vers la fin du môme siècle , cette charge
fut supprimée , et remplacée par celle d'Amptmann pourvue de toutes
antres attributions. L'Amptmann n'était pas un personnage aussi omni-
potent que le Vogt , ses fonctions étaient plutôt judiciaires qu'adminis-
tratives.
Voici le catalogue incomplet des grands-baillis du Haut-Mundat :
Année 1111. Otton II, comte de Habsbourg et landgraf de la Haute-
Alsace.
— 1134. Adelbert, frère du précédent.
* Voir tes livraisons de Dovembre et décembre 1861 , psgcs 499 et !$29 , mars
1862, page 155 , novembre 1»63, page 496 et mai 1866, page i49.
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298 RBVUB D' ALSACE.
Année 1135. Werner , comte de Habsbourg.
- 1186. Adelbert III, surnommé le Riche.
- 1199. Rodolphe, fils d'Adelberl lU.
- 1232. Adelbert IV , dit le Sage.
— 1235. Rodolphe-le-Tacitume , frère du précédent.
— 1242. Rodolphe de Habsbourg, comte de Kybourg , fils d'Adel-
bert IV , plus lard roi des Romains et empereur d'Alle-
magne. Après que Rodolphe eut résigné cette charge
Ton trouve :
— 1292. Théobald , comte de Ferrette.
— 1299. Jean de Lichtenberg^ neveu de Tévéque.
— 1332. Le chevalier Berthold de Waldner.
— 1342. Le chevalier Jacques de Schœnau.
— 1416. Werner , burgraf de Souitzmatt.
— 1440. Thuring de Holveil.
Traité conclu en Van 1498 entre VMjêque Albert et Maximilimy rai des
Romains et Umdgraf de la Haute- Alsace , à Fribourg en Brisgau.
1« L'empereur, comme landgraf, et les landgrafs ses successeurs ,
pourront toujours passer librement par rOber-Muodat avec leurs
escortes ; les évéques de Strasbourg devront les accompagner.
i9 Pour toutes les affaires que le landgraf peut avoir en Alsace , les
sujets de Tévêché dans TOber-Mundat doivent être prêts à marcher ;
d'autre part , et par reconnaissance , les sujets de Tempire leur prête-
ront assistance et secours , toutes fois qu'ils en auront besoin; si cepen-
dant il y a des frais , ils restent pour le compte des assistés (les gens de
révêque.)
S^ En tout temps , le landgraf aura l'entrée libre à Soullz , si le besoin
du temps le requiert , sans préjudice des droits de l'évêque, qui doivent
être conservés en leur entier et protégés par le landgraf.
4<* Jungholtz (château et village) sera cédé en fief à Nicolas de
Schauenbourg.
Par contre Maximilien donne de nouveau Souitz , Jungholtz avec les
endroits dépendants , à l'évêque , et décharge les magistrats des dits
endroits du serment de fidélité qu'ils lui ont prêté et devaient lui prêter;
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ. f99
toate fois à charge par le dit évêque de les laisser jouir paisiblement de
leurr anciens droits et privilèges '.
LE BAILLIAGE DE SOULtZ , SA CONSTITUTION POLITIQDE ,
SES IMPÔTS, ETC.
§2.
Le bailliage de Soultz , un des plus petits de révéché , fit partie du
Haut-Mundat vers l'année 1015 ; il a toujours été séparé de celui de
Rouffach. En 1760, il fut amoindri des villages de Hartiiianswiller et
de Rimbach-Zell , que le cardinal de Rohan échangea aux sieurs de
Waldner contre le village de Schweinheim , qui se trouvait enclavé dans
le district épiscopal de Saverne ; de cette façon , le bailliage de Soultz ,
en 1789, ne comprenait plus que la ville de Soultz et le village de
Wuenheim , lesquels ne formaient qu'un seul et même ban.
Junghoitz parait avoir fait autrefois partie de ce bailliage, avant
qu'il eut été donné en fief par Tévêché.
La recette du bailliage de Soultz ayant toujours été confondue avec
celle du bailliage de Rouffach , le receveur qui avait les deux districts
ne rendait qu'un seul et même compte ; si donc l'on désire connaître
ces états, il faut recourir à ceux qui se trouvent cotés au titre Bailliage
de Rouffach , page 64 de la première partie de l'inventaire de Gran-
didier.
Le fermier de l'évêché sous-baille le débit de fer dans le district de
Soultz, en 1694, au sieur Hirz, juif demeurant à Soultz. Hirz devra
fournir du bon fer et au prix qu'il se vend dans le bailliage de Rouffach.
Il le vendra seul , nul autre n'en pourra trafiquer sous peine de 100
livres d'amende et de confiscation; par contre, le sous-fermier doit
payer au fermier 75 florins ; en cas de guerre ou de circonstances ma-
jeures , le bailleur indemnisera Hirz , le bail est conclu pour six années.
En 1706 fut faite une estimation générale de tous les biens immeubles
des habitants du bailliage , avec la répartition des impositions levées
sur les dits biens ; de plus , un détail de tous les habitants et de tous
les bestiaux.
' La rédaction de ce chapitre est basée sur les données que nous avons puisées
dans Tinveniaire manuscrit de Grandidier , concernant les bailliages de l'évêché
de Strasbourg.
Ce manuscrit existe aux archives de la préfecture du Haut-Rhin.
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300 REVUE D* ALSACE.
Le bailli peut tenir ses audiences en la ville de Soultz , mais le ma-
gistrat de la ville seul doit connaître les différends entre les bourgeois
de la commune. (Sentence épiscopale de 4712.)
L'évéque jouit du droit de bâtardise dans tout l'Ober-Hundat.
En 1581 , le sieur Lidi , greffier à Soultz, expose à Tévêque Jean lY,
qu'il est né bâtard et de par là incapable de tester de son bien , lequel ,
selon les règlements de Tévêché, était, de droit, dévolu au seigneur
évéque , ainsi que celui de tout bâtard résidant dans Tévéché.
Il demande, vu les services qu'il a rendus au public comme greffier,
le droit de tester. L'évéque communique la requête à la régence qui
trouve que le dit greffier , par grâce ^ mérite cette faveur.
D résulte de plusieurs contestations qui eurent lieu en 1660 et 1770,
que révéché avait pleine juridiction haute et basse sur OUwiller et
Hartmanswiller , et ce au détriment de la famille Waldner.
DOMAINES KT RKNTKS.
Péage. — En Tan 1254 , Guillaume de Soultz se reconnaît vassal et
homme-lige de l'évéque Henri et lui donne la jouissance de sa forte-
resse sise au dit Soultz ; par contre , l'évéque lui donne la rente de
douze livres deniers à Sundhoffen , et le péage de la ville de Soultz , et
ce, jusqu'à concurrence de *30 marcs d'argent.
Le château de Junghoitz, en 1419, est vendu pai* Louis, comte
palatin , en qualité de tuteur de l'enfant délaissé par le comte Burcart
de la Petite-Pierre, à l'évéque Guillaume, pour la somme de 1200
florins.
Bains. — En 1537 l'évéque Guillaume III donne , à bail emphitéo-
lique perpétuel , la maison des bains situés à Soultz , à un nommé
Antoine Schardin , surnommé Ruxingen , bourgeois de Strasbourg ,
moyennant un canon annuel de deux livres deniers , valeur de Stras-
bourg.
Buchiuck. — La ville et le château du Buchneck appartiennent à
l'évéque avec tous les droits régaliens qui en dépendent.
Prévôté. — La prévôt de Soultz est composé de Soultz , Wuenheim
et Rimbach-Zell ; elle est de l'Ober-Mundat (1760).
Tous le bâtiments publics de la ville sont réparés aux frais de la dite
ville , laquelle , pour les dites réparations , a le droit de commander
des corvées.
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HISTOIRE DB LA VILLE DE SOULTZ. 301
Les réparations du château sont à la charge de Tévéque.
Les habitants de toule la prévôté sont tenus , en ces cas et pour cet
effet , de faire des corvées.
Le château a le droit , qu'on y peut faire couler une partie de Teau
qui fait aller le moulin dit Grabenmdhle.
Ceux de Soultz et de Wuenheim y doivent conduire quatre chariots
de bois (chacun de ceux qui ont cheval et voiture) ; ce bois appartient
au bailli pour une partie de ses gages.
L'évèque a une maison près de l'église dite maison des dîmes , elle
lui appartient en propre ; aussi les réparations sont à sa charge.
Echalas et corvées. — La ville donne 8000 échalas pour les vignes
de Févêque situées à Rouffach et à Orschwihr. Les habitants de Wuen-
heim sont obligés de les y conduire.
En 4719 le cardinal de Rohan enjoint au bailli de Soultz de faire
enlever, par corvées, les décombres du vieux château du dit lieu , en
place duquel l'évêque entend en bâtir un nouveau ; il lui ordonne
d'employer des corvées d'hommes , de chevaux , de voitures et de faire
couper le bois de bâtiment nécessaire pour le nouveau château.
DROITS HONORiriQnKS ET UTILES >.
Contributions, — La collecte de Soultz est de 50 marcs.
L'umgeld et le péage se montent à 60 livres deniers , quelque fois
plus , quelque fois moins.
Les petites amendes s'afferment d'ordinaire pour SO livres deniers.
A la marge il est dit qu'elles sont données au prévôt.
La cour de Rutschin donne annuellement un cens de 30 schillings.
La vente des grains sur le marché produit annuellement 16 rézeaux
de seigle et d'orge.
La ville donne 39 florins de gewerff % 29 pfund steblers de droit de
corvées de bois, pour remplacer les corvées de bois qu'elle était
obligée de faire.
L'évêque a les deux tiers du droit d'umgeld ; ce droit est de six pots
par mesure de vin ^.
' Nous résumoDS ici ce que dous avons trouvé de droits utiles djins un registre
traitant des droits et biens de Tévècbé , registre sans date mais présumé, par son
contenu et son caractère , être dn commencement du 14« siècle (1320).
' La taille. — * impôt sur le vin.
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302 REVUE D*ALSAGE.
La ville perçoit seule le droit dit baser Pfennig , qui est d'un HeUer
pour chaque mesure de vin , qui paie Tuingeld.
Le droit de pontenage * appartient moitié è la ville et moitié i Té-
vêque. L'abbaye de Hurbach , la maison d'Issenheiro (les autorités) et
les sieurs de Schauenbourg en sont francs (exempts).
Le droit qui se perçoit sur le débit du grain appartient à Tévêque
seul ; il ne se prend que sur les étrangers qui vendent du grain.
Celui qui se perçoit sur le débit du vin appartient , pour les deux
tiers y à la ville.
Le PfumdzoU * et le Haarzoll appartiennent à Févéque seul.
Tout étranger qui vend du sel à Soultz paie un droit dont la moitié
est à révèque et l'autre moitié à la ville.
Toutes les amendes, grandes et petites , appartiennent à l'évèque ,
à l'exception de celles qui ont pour objet les délits forestiers et ceux
commis tians les champs du ban , et ceux commis par les gens de mé-
tier dans la profession de leur métier.
L'évèque y perçoit aussi une partie d'un droit dit Erbgtdden , ou
droit de succession. La moitié en appartient à l'évèque , et l'autre
moitié au prévôt du lieu où la succession se prend.
L'évèque a le droit de désKérence , c'est-à-dire le droit de s'emparer
de toutes les successions vacantes ; il a aussi le droit de bâtardise.
La commanderie de Halte , située à Soultz , devait annuellement
donner un repas au magistrat de la ville ; en 1750 le commandeur s'y
refusa , de là un long procès.
Le Gewerfon la taille est imposée toutes les années de nouveau , ou
plutôt la répartition du Gewerf se fait toutes les années vers la Saint-
Adolphe , en présence du bailli , des quatre chefs de tribu et de quatre
bourgeois. Ces chefs de tribu et ces quatre bourgeois prêtent préalable-
ment serment d'y procéder selon leur conscience. La répartition se fait
alors suivant les facultés d'un chacun , dont la cote augmente ou dimi-
nue , suivant que ses ressources ont augmenté ou diminué.
En 1589 cet impôt était de illi livres.
Quant à l'umgeld^ le titre porte qu'on décomptera tous les mois avec
les cabaretiers , en présence du prévôt , du greffier , du bourgmestre ,
du magistrat et des chefs de tribu.
* Brûekemoll.
* Le Pfund%oU se prélevait sur les marchandises et denrées qu*on étalait en
vente sur le marché de la ville.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ.
Du produit du dit impAt on paie d'abord :
1^ BibcUia , ou les frais de bouche du prévôt , greffier, bouî^mestre
et autres qui y ont assisté , laquelle dépense pour lors monta à six
schillings et huit pfennigs.
2* A chaque cabaretîer on donne ou plutôt on fait remise de deux
pots de vin , nommé vin d'église , que le sacristain cherche toutes les
semaines chez eux (probablement à tour de rôle).
3^ On paie aussi, de l'umgeld, lesbangards, lorsqu'on les a envoyés
quelque part, au nom de l'évêque , à raison de quatre schillings par
mille.
4^ On en paie un pot de vin , qui est bu lors du décompte de cet
umgeld.
Le restant est partagé en trois parties, le prévôt au nom de l'évêque,
en prend deux , et le bourgmestre , au nom de la ville , en prend une.
(InFtruction donnée par le magistrat de Soultz sur la manière de
percevoir l'umgeld et le gewerf au dit lieu , et sur l'usage qui en a été
fait en 1589.)
RÈGLEMENTS DE POLICE ET DE JUSTICE.
1576. Service divin. — Le magistrat assistera au service divin dévo-
tement et dès le commencement , tout rassemblé dans un banc et non
dispersé dans l'église ; il veillera à ce que le dit service divin soit fait
et observé avec respect.
1628. Défense au prévôt de Soultz de se nommer Stadihalier. — La
régence défend au magistrat de Soultz d'appeler son prévôt Vogtey-
Stadlhalter , quoique depuis un temps immémorial le prévôt , en l'ab-
sence du bailli , administrait la vogtey.
Livrée des sergenls de ville. — A la même époque , la régence d'En-
sisheim consent , à la requête du magistrat de Soultz , que les sergents
de ville portent pour livrée un habit moitié blanc, moitié rouge , comme
les sergents des autres villes de l'évèché , au lieu de noir et blanc
qu'ils portaient auparavant,
1616. Réforme des magistrats ^ parents ou alliés entre eux Le
procureur fiscal de l'évèché se plaint à la régence de ce que certains
membres du magistrat de Soultz, lesquels sont parents et alliés,
cherchent à se perpétuer dans leurs charges ; la régence , par plusieurs
décrets, ordonne la réforme qui fut exécutée.
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304 REVUE D*ALSÀCE.
1715. Le bailli ne sera juge des bourgeois de la vHle que conjoinle-
ment avec le magistrat. — D'après une minute d'une sentence de la
régence , le bailli pourra tenir ses audiences en la ville de Soultz ; mais
il reste stipulé qu'il ne connaîtra privativement au magisu^at , d'aucun
différend entre bourgeois , et qu'il ne pourra en connaître qu'en allant
présider aux audiences du magistrat. Le bailli connaît néanmoins des
différends des bourgeois qui, d'un commun accord, le prennent pour
1765. Non^e de$ magistrats, — D'après deux arrêts du Conseil
d'Etat du roi, l'évêque est autorisé, dans toutes les villes qui dépendent
de son domaine , de ne conserver , en fait de magistrat, que le prévôt,
le procureur fiscal , le greffier , un bourgmestre et cinq conseillers de
ville ; à l'effet du même arrêt, l'évêque de Strasbourg est invité à faire
cette opération à mesure que le temps de l'exercice des officiers en
place est accompli ; le tout sans rien innover à la forme de l'élection ,
qui sera faite selon l'ancienne coutume , en présence du commissaire
de l'évêché, et conformément aux ordonnances concernant les degrés
de parenté. Les trois plus anciens conseillers restent à vie , les deux
autres sont changés tous les ans sans espoir d'être conservés , à moins
qu'ils ne se trouvent au nombre des nouveaux élus , ou au cas échéant
que, par le décès d'un des trois anciens, ils soient appelés, par rang
d'ancienneté , à remplacer le dit ancien décédé.
Vers la même époque et c'est là l'époque de la décadence des fran-
chises municipales des villes d'Âlsacs, le Conseil souverain déclare
qu'il n'accorde au bourgmestre , magistrat et habitants de la ville de
Soultz aucune justice propre et patrimoniale; en conséquence fait
défense aux dits bourgmestre et magistrat de tenir audience sans être
présidé parle bailli ou le prévôt, et sans se servir du procureur fiscal
et du greffier , officiers de l'évêché. (1775-1785).
Cbarlrs Knoll.
La suite h une prochaine Uvraiâon),
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION
DE MA
DBCUSSION SUR LES COLONGES.
Non missura cuiem
HURAT.
En répondant par un acte d'urbanité, à l'hommage respeclueiix
que M. Tabbé Hanauer avait bien voulu me faire de ses trois premières
lettres imprimées, je n'entendais certainement pas lui interdire le
plaisir d'en éditer une quatrième , quoique je pensasse dès lors , (et je
crois sur ce point être d'accord avec l'unanimité de nos rares lecteurs)
que d'après la direction qu'il a prise et le point où il a été conduit ,
le débat pouvait se clore sans aucun inconvénient. Notre fécond au-
teur en juge autrement : il est à la fois trop plein et trop peu maître de
son sujet pour s'apercevoir de la satiété que doit faire éprouver à tout
lecteur sérieux une controverse , fourvoyée dans des subtilités et des
arguties qui rappellent, à certains égards, la dialectique tortueuse qu'ont
immortalisée les Provinciales. — Hais comme^ de mon côté, je me.suis
proposé un but utile , en me décidant à contester plusieurs des affir-
mations dogmatiques dont il s'est rendu l'éditeur, sa persistance m'im-
pose l'obligation de rentrer une dernière fois en lice^ et d'achever,
malgré ma lassitude, la tâche alsatique que j'ai assumée. — Elle se
réduit aujourd'hui à rassembler les éléments de la discussion et (ce qui
n'est pas sans quelque difficulté) à ramener celle-ci à son véritable
objet. Si quelque lecteur s'est trouvé armé d'assez de courageuse
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306 BEVUE d'àlsage.
patience, pour avoir suivi les développements de cette controverse
sui generi^ , il doit se trouver aussi embarrassé que moi à déterminer
exactement , ce qui peut encore rester en litige , après les rectifications
et les atténuations successives que Fauteur a apportées à ses apho-
rismes primitifs. A force de m'abandonner les mois pour se réserver
les choses * ; de déserter sa propre expression pour se replier sur je
sais quelle idée ^, de reconnaître que ses textes les plus importants
(ceux que j'ai spécialement combattus) sont vagues ^y M. Uanauer
réduit insensiblement sa première œuvre à une espèce de contexte
hiératique , dont le sens ne serait plus à chercher dans la parole
exprimée, mais bien dans une interprétation arbitraire et mysté-
rieuse dont le trop prudent auteur se serait exclusivement réservé la
clef. Qui se serait jamais douté qu'une méthode qui rappelle le Thalmu-
disme et la Kabbale, ait pu sembler opportune dans une discussion
qui a pour but Télucidaiion d'un fait historique , comme celui de nos
colonges ! — Un maître a dit :
Ce que Ton conçoit bien s*énonce clairement.
et d'après ce principe, contre tout écrit, on a droit de conclure
de l'impropriété ou de l'inexactitude du texte , à Tinsuffisance ou à
l'obscurité de la conception. Les palinodies de rédaction, ces argtk-
menta linguarum dont abondent les letires de M Hanauer, prou-
veraient donc tout au moins que dans le texte de ses livres, Vexpression
aurait mal rendu son idée , le mot mal défini la chose qu'il voulait
dépeindre ; mais après un tel aveu, n'eut-il pas été indispensable, qu'il uti-
lisât ses commentaires pour nous révéler clairement les idées et les choses
qu'il entendait sauver du naufrage de ses mots et de ses expressionsi
C'est ce qu'il n'a pas fait , et c'est ce que nous allons chercher à
faire à sa place , afin que celte controverse ait au moins le résultat
utile de bien dessiner ce qui était généralement admis relativement à
nos colonges, avant l'apparition des deux livres de M. Hanauer, et
quels sont les éléments nouveaux que celui-ci aurait apportés aux
connaissances acquises sur ce point.
Avant tout , il faut se fixer sur la délimitation chronologique du pro-
blème qui s'est agité entre nous.; — Notre auteur, on se le rappelle,
• Banaubr, ir* lettre, p. 15.
• Ibid. , p. «1.
• Ibiil., 4« lettre, p. 10.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 307
a négligé de pousser ses invesUgalions jusqu'à l'origine même de
Porganisation colongère , et se préoccupant principalement d'un de
ses attributs secondaires , la juridiction , qu'il suppose avec raison être
de source purement germanique, il s'est borné à constater en quelques
lignes que sur le point de savoir si la législation romaine n'a pas
donné la première base à celte institution , des opinions contradictoires
se seraient produites chez des savants de premier ordre. Il faut
cependant reconnaître que les travaux récents des Roth , des
Gaupp, des Waitz, des Mone, etc. , tendraient à établir que dans les
provinces , jadis occupées par les Romains , le colonat tel qu'il avait été
institué par les rescrits impériaux , reproduits dans les codes théo-
dosien et justinien , a été adopté pour Texploitation des immenses
terres domaniales que l'Empire y possédait , et que cet état de choses
s'est maintenu bien longtemps après ce qu'on est convenu d'appeler
la Conquête ou l'Invasion \ L'opinion de M. Hanauer sur ce grand
fait et sur ses conséquences relativement à la propriété , est restée dans
le vague , et il semble même s'être laissé entraîner par l'erreurque
les lois des Barbares auraient été conçues et promulguées déjà avant
cette invasion , tandis qu'il suffit de les lire pour se convaincre qu'elles
sont dans leur contexte postérieures à cet événement '. Ce dédain
pour les préludes en quelque sorte intimes de la matière en discussion
a nécessairement conduit notre auteur à ne pas s'occuper des insti-
tutions mérovingiennes et carlovingiennes , tels que les Bénéfices,
les Prœstnriaj le fiscus regius , les curies regiœ , etc. , etc. , qui ont
si profondément influé sur la condition faite aux personnes et aux pro-
priétés dans la société nouvelle qui se construisait sur les débris du
monde romain , en en conservant l'empreinte. Notre auteur a pris
les colonges {Dinghôfe) exclusivement dans l'état qu'accusaient les
rotules écrits , tout en avouant à plusieurs reprises (ce qui d'ailleurs est
incontestable) que le texte des plus anciens de ces documents ne remonte
pas au-delà du xrv siècle. Ce serait donc en pleine féodalité que ces Charles
viUageaises i comme il les appelle, auraient reçu leur rédaction.
* Aux autorités déjà citées <lans mon Etude sur le caractère de la conquête et la
persistance du colonat , voy. Lehuërou , i , 368, ii , 177. — Ed. Labodlayb , Hist,
de la propriété foncière , p. 243. — Guérahd , Polypt. d'Irm, — J. Loiseleur ,
Lei Crimes et les Peines , p. 355.
' Paysans , p. 40 et 41. — Sur la date de ces lois. Voy. Mittermaycr , Deutsehes
Privatreehl, i, J 11. — Merkcl, Leg. Barbar,
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308 REVUE d'alsage.
Toutefois il n'accepte celte rédaction que comme la justification de
coutumes ou de traditions antérieures ; ce point de vue est juste et
il est généralement admis par tous les auteurs. Hais ce qui cesse d'être
juste, c'est de sauter du xiv« siècle, à l'époque de Tacile, ou même
à celle de Jules César, en faisant abstraction de tous les temps inter-
médiaires , et notamment de toutes les institutions fondamentales qui
sous les rois de la première et les empereurs de la seconde race , sont
devenues l'assiette de la société germanique. Ce qui cesse d'être juste,
c'est de dériver la colonge du mallus Frank ou alémanique , sans tenir
le moindre compte de la condition différente des personnes , déjà
attestée d'ailleurs par Tacite, et si énergiquement confirmée par l'inca-
pacité , édictée contre les non libres de tous les degrés , de participer
activement à ces grandes assemblées populaires. Enfin ce qui cesse
d'être juste , c'est la contradiction même dans laquelle H. Hanauer
se trouve engagé par cette indécision chronologique : je n'en citerai
qu'un exemple: à la page 95 (Constitutions) en parlant de l'avènement
de la féodalité , il dit : c Enfin arrive le triomphe de la Souveraineté
c seigneuriale... La vie politique, la puissance judiciaire sont con-
« centrées entre les mains de quelques seigneurs. ^. Le reste du peuple
<( attend que la domination naissante de l'Etat (!! sic) vienne rétablir
c l'égalité, mais l'égalité dans une tutelle commune. > Cela ne dit-il
pas clairement que dans la pensée de l'auteur, l'omnipotence juri-
dictionnelle dont il avait doté ses colonges , aurait disparu sous l'usur-
pation envahissante de la seigneurie , et cela n'a-l-il pas l'accent d'un
De Profufidis psalmodié tristement , sur la disparition de cet âge d'or,
de liberté souveraine , que, pour les temps antérieurs , il avait rêvé pour
ses colongers I Comment donc après un aveu si plaintifet si catégorique,
a-t-il pu dans ses premières lettres (p. Si) me poser cette question :
« que me contestez-vous , Monsieur : L'existence des colonges souve-
t raines au xiv% et au xv siècle? > Mais à quelle époque, notre docte
abbé reporte-l-il donc le triomphe de la souveraineté seigneuriale?
De quel siècle date-t-il l'avènement du régime féodal , puisque d'une
part il prétend que ce régime aurait concentré toute la puissance judi-
ciaire entre les mains de quelques seigneurs , et que d'autre part pour-
tant , il semble persister dans son idée fixe de trouver encore des colonges
souveraines en pleins XIV* et XV« siècles ! Il y a là un mépris de la
chronologie qui saute aux yeux, même de l'homme le moins familiarisé
avec les choses iiisloriques; et c'est sur celte étrange confusion entre les
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 309
époques les plus distinctes que nous avons dû particulièrement insister
dans notre critique, sans avoir pu amener M. Hanauer à aucune
rectification plausible. Quant à nous nous persistons à penser que le
terrain qu'il s'est ainsi arbitrairement créé manque d'abord de Tarn-
pleur qui eût été indispensable pour placer sous leur vraie lumière ,
tous les traits et toutes les affinités de l'institution qu'il se proposait
d'étudier; nous persistons à penser en outre que l'incertitude dans
laquelle il s'est maintenu^ dans ses deux volumes , sur la succession chro-
nologique des grands faits sociaux qui dessinent l'œuvre du moyen-âge,
l'ont inévitablement conduit à se méprendre sur les caractères les plus
essentiels du sujet dont il avait entrepris Félucidation. Cette partie
principale de mon étude est restée sans aucune tentative de réponse de
sa part ; je me borne donc à la rappeler , et c'est sous la réserve de
ces considérations générales , que je vais maintenant esquisser les deux
thèses contradictoires engagées dans cette discussion.
Pour tous les jurisconsultes qui ont écrit sur nos colonges , depuis
Ulrich Zasius jusqu'à M. Za^pfl, cette institution n'a été qu'une forme
particulière, peut-être la plus ancienne de toutes, de la localairie per-
pétuelle (Ztm/^An). Son principe était la location ou le bail, s^étendant
à un territoire plus au moins considérable ; sa forme essentielle ,
la division de la location , en autant de lots distincts qu'il y avait de
preneurs distincts, mais de façon cependant à maintenir, à chaque lot,
une individualité persistante (mansus, hueb). A chaque lot était attaché
le domaine utile , c'est-à-dire l'usufruit perpétuel et héréditaire. —
Mais cet usufruit lui-même était sujet à la caducité et à la réversibilité,
ce qui prouve qu'il n'était pas détaché d'une manière absolue du
domaine direct.
Il était sujet à la caducité en cas de non paiement du canon et en cas
d'aliénation , sans déclaration au seigneur. Il était sujet à h réversibilité
ou au retrait , par la prélation qui compétait au propriétaire ou au
seigneur vis-à-vis de tout tiers , proposé comme acquéreur ; il était
encore sujet à la réversibilité ou au retrait dans le cas où le preneur
étant venu à décéder , ses héritiers ne se seraient pas fait investir de
son lot dans un délai déterminé. Tous ces caractères identifient la
colonge avec le contrat censitique , tel qu'il est déjà désigné dans les
Leges Barbarorum et les Capitulaires , sauf la faculté d'aliénation ,
cum conseusu damini , el sauf la réserve de la prélation , caractère
qui la rapproche davantage du contrat emphytéotique. — Le proprié-
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310 REVUE D'ALSACE.
taire ou le seigneur avait sur ses colons, ainsi que sur tout le territoire
qu'ils habitaienl la pleine souveraineté {Zwing und Bann)- La juridic-
tion colongère ou , comme on l'appelle , la cour colongère (curia domini-
calis) était la juridiction du propriétaire, et non celle des colongers;
curiœ non dicuntur dominicales £x parte hubariorum , sed ex parle
domini * . Cette juridiction colongère qui forme le seul trait saillant de
ce genre particulier de locatairie , se restreignait aux cas colongers ,
c'est-à-dire aux conflits procédant de l'exécution même du bail et des
obligations qu'il imposait aux preneurs. Son institution rentrait dans
les droits généraux du propriétaire même non seigneur *. Du reste
aucun lien corporatif n'unissait les colongers entre eux ; ils ne concou-
raient à la nomination d'aucun officier , ministérial ou autre , qui tous
restaient à la nomination et sous la dépendance du maître ou du sei-
gneur. Seulement dans quelques rotules^ on conCe aux colons le choix
de leurs bangards ; ce qui s'explique facilement par l'intérêt que des
usufruitiers ont nécessairement à la conservation de leurs récoites. ~
La colonge ne formait donc ni une corporation , ni une commune ; elle
avait plutôt la consistance d'un petit fief rural , dont la population était
sujette , corps et biens » d'un maître , propriétaire ou seigneur , auquel
elle devait non seulement le cens , les prestations en nature , mais en
outre l'obéissance et les corvées , et lorsque le propriétaire était en
même temps seigneur baut-justicier, il avait notamment le droit de
convoquer tel nombre de ses colons qu'il jugeait nécessaire ^u ding
und zu ring , c'est-à-dire de les forcer à constituer un tribunal sous sa
présidence , obligation passive , que , par une confusion persistante ,
M. Hanauer cherche à convertir en un droit actif compétent à la popu-
lation colongère. Je discuterai tout-à-l'beure ce point séparément.
Voilà ce qu'était la colonge d'après l'enseignejnent de tous les auteurs
anciens , de ceux qui ont eu l'avantage de voir cette institution vivre et
fonctionner sous leurs yeux, Hertzog le chroniqueur, Rehro^ Cratz-
meyer , Durr, Schilter, Wehner, Besold , etc., etc. Voilà comme elle
a été définie par le sénat de Strasbourg dont les décisions nous sont
conservées dans le recueil d'Otto Thabor , plus tard par le Conseil
souverain d'Alsace. Voilà comme elle est encore expliquée de nos jours
' Rehm , de Cur. Dominical. , p. 35.
' Voy. l'art. 125 du Land- und Lehnrechl , cité dans notre 3« article de cette
Revue, N» de janvier, p. 12.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 311
par les jurisconsultes qui ont approfondi cette création du moyen-âge
dans ses plus minutieux détails , entre autre MM. Burckbardt et Zsepfl.
C'est là la iraiUwn invariable de nos grands corps judiciaires pro-
vinciaux que j'alléguais ! — Cette tradition , M. Hanauer avoue lui-même
qu'il l'ignore ; il ti^ saiê pas à quoi j'ai voulu faire allusion , en m'en
prévalant ^ . Et qu^ai-je dit autre chose I Pour aboutir à un si candide aveu
valait^il donc la peine de jeter les hauts cris contre la personnalité que
je me serais permise en signalant, dans les préliminaires de mon étude,
la lacune inévitable que l't^oraiM^ relative des travaux des juriscon-
sultes anciens, faisait regretter dans tous les chapitres de son ou-
vrage I Cette lacune est flagrante , et vraiment il faut pousser la
susceptibilité jusqu'à Taveuglemenl , pour ne pas comprendre enfin
qu'il vaudrait mieux chercher à la réparer , que de s'en prendre au
. critique qui en définitive n'use que de son droit en la constatant.
Résumons maintenant la doctrine que M. Hanauer prétend opposer à
l'enseignement traditionnel.
Lacolonge, à ses yeux, est une véritable commune^ plus même
qu'une commune rurale ordinaire ; car tout le monde sait ce qu'était
en Alsace la commune rurale, ce qu'étaient du reste toutes les com-
munes qui n'avaient pas atteint la suprême indépendance des villes
libres et impériales. Il avait d'un trait de plume effacé toute cette
énorme distance ^ en attribuant à ces modestes colonies agricoles le
titre de souverainetés. La critique a au moins eu pour résultat , de le
convaincre lui-même de l'exagéraûon de cette qualification ; mais au
lieu de la retirer simplement et loyalement , il essaie , à l'aide d'un
subterfuge de grammairien , d'enlever la qualification , tout en mainte-
nant , selon son expression , la chose. Voyons donc cette chose , et
examinons , si étant telle que l'auteur la décrit , elle ne correspond pas
exactement au mot qu'il se décide (je ne sais pourquoi) à répudier ?
Or celte chose nous la trouvons dans les attributs même qu'il imagine
pour la cùinmunauié des colongers. Ces attributs sont le pouooW légis-
latif ei \e pouvoir judiciaire ; et qu'ici on ne cherche plus à équivoquer
sur ce qu'exprime le mol communauté; il est pris dans le sens d'un
être collectif composé des colons , à V exclusion du seigneur. H. Hanauer,
en effet , après avoir ainsi disposé du pouvoir législatif et judiciaire
ajoute que le pouvoir exécutif apparlenaii à plusieurs fonctionnaires
* i^ lettre , p, 2.
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312 REVUE D'ALSACE.
dont QUELQUES-UNS représentaient le souverain de u petit Etat; les
AUTRES , avant tout , ajoule-l-il , étaient les délégués du peuple !...
Il n'y a donc pas à s'y méprendre : d'après notre auteur le souverain
dans la colonge adû être le peuple >, c'est-à-dire , le corps des colons,
qui aurait concentré en lui tous les pouvoirs législatif el judiciaire. Qu'on
ajoute à cela les droUs régaliens que notre auteur attribue en totalité
aux grandes colonges , et son articulation ne permet plus le moindre
doute , sur l'autonomie dont il prétendait douer nos populations colon-
gères! En réunissant ces traits^ on se convainc donc que ce serait fort
judicieusement queM.Hanauerauraitqualifié ses colongesdesotireraines,
s'il avait été d'ailleurs en mesure de justifier , que les choses par lui
attribuées aux colons , c'est-à-dire, le pouvoir législatif, le droit de
haute et basse justice , les droits régaliens , leur appartenaient réelle-
ment. A ces conditions ces colonges auraient été en effet sowoeraines au.
même titre que les plus importantes communes , que les dix villes libres
et impériales par exemple.
Or est-il possible d'admettre qu'un écrivain qui se pose comme
particulièrement expérimenté en ces matières , ait pu être assez infidèle à
sa propre pensée^ pour entasser ainsi faussement des termes d'une signi-
fication si bien coordonnée et si précise ? Est-il possible surtout de ne con -
sidérer que comme un simple vice de rédaction , comme une exagération
de pur style , ces qualifications détaillées qui n'ont eu d'autre portée
que de faire entrer les colonges dans le système général que l'auteur
professe sur l'origine des communes? D'après lui la commune a existé
de tout temps ; cette affirmation qui , soit dit en passant , est en contra-
diction avec les textes les plus positifs de l'histoire , ne se trouve pas
' Cette affirmation de la souveraineté rttstique , contre laquelle M. Hanauer se
débat si péniblement dans sa défense épistolaire , a été comprise dans le même sens
que mo! , par des écrivains auxquels certainement il ne prêtera pas de sentiments
malveillants. M. Bonvalot . dans Tintéressante notice qui précède l'édition qu'il a
donnée de la coutume du val d'Orbey , atteste, sur la foi de M. Hanauer qu'il cite
en note , que le peuple participe tout entier et par lui-même à la constatalion^ainiù
qu'à la consécration de la loi (pag;. 4). M. l'abbé Braun , dans ses remarquables
Légendes du Florival , rite textuellement la même autorité pour établir que les
plaids de la mark exerçaient les droits de justice et décidaient les affaires politiques
(p. 2). Comment d'ailleurs prendrait-on le change sur ce qu'a voulu dire et sur ce
qu'a si pot itivement dit M. Hanauer pour peu qu'on se rappelle ses regrets pour le
self govemment germanique? Paysans ^ p. x.
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KÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 313
seulement , comme on semble Tinsinuer maintenant * , dans le passage
où , répondant au défi de M. Raspieler, Tauteur s'engage éprouver qu'il
existaii à sa connaissance non pas une y mais SOO communes anié-
Heures au xir siècle; mais elle est au contraire exprimée de la manière
la plus catégorique , dans de nombreux passages des Pojfsans et des
Conslitulùms, entre autres celui-ci : < Noire conviction, le lecteur a
« déjà pu le constater, c'esl que les communes ont toujours existé}» »
Il ne s'agirait que de savoir ce que H. Hanauer entend par communes;
sa définition doit évidemment s'écarter de celle que la science a toujours
attribuée à ce terme et rentrer dans sa chronologie confuse et aventu-
reuse ; mais cette digression nous écarterait de l'objet spécial de notre
investigation actuelle ; et je m'arrête en concluant qu'un auteur qui ,
sur lorigine des municipalités , se gouverne par un aphorisme comme
celui que nous venons de transcrire , a dû nécessairement voir une
commune dans toute agglomération d'habitants, el que dès-lors la
logique même de sa conception l'a conduit à découvrir dans chaque
colonge , comme dans chaque villa , une population qu'il a bien fallu
pourvoir d'une souveraineté imaginaire , notamment des attributs de
haute justice et des prérogatives régaliennes. Il est donc impossible de
ne pas être frappé de la parfaite concordance entre l'idée , les choses
qu'a voulu exprimer notre auteur, et les expressions, les mots dont
il s'est servi , et il faudrait qu'il eût une triste opinion de la sagacité
et de la syntaxe de ses lecteurs, pour espérer, selon son expression
favorite, s'être tiré de la responsabilité de textes aussi clairs et
aussi précis, en rééditant pour la millième fois l'historiette aussi
spirituelle que neuve de Judas allant se pendre et faisant bien 3.
Les deux thèses contradictoires en présence étaient donc celles-ci :
Je soutenais et je soutiens, en m'appuyant sur l'enseignement universel,
ancien et moderne, que la colonge , même avant ^organisation définitive
de la féodalité , présentait toutes les conditions élémentaires du fief.
H. Hanauer , au contraire , a pris sur lui d'enseigner que la colonge
contenait la base et tous les éléments d'une commune autonome et
souveraine. C'est contre ce système que j'ai dirigé ma discussion ; il
fallait ou l'abandonner franchement, ou, y persistant, répondre à mes
' 4« lettre, p. 12.
' Paytanê, P. 813.
' 4* lettre , p. 4.
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314 REVUE D' ALSACE.
objections. M. Hanauer a préféré ne faire ni l'un ni l'autre ; il a adopté
une argumentation de faux-fuyants qui en promenant l'esprit du livre
au commentaire et du commentaire au livre , ne peut que jeter dans la
perplexité tout lecteur qui n'a pas le ferme parti pris d'arriver à la
vérité au travers de ces retraites , de ces rétractations ambiguës , de
ces souplesses de langage sans clarté et sans consistance.
Le vrai terrain de la discussion étant rétabli , je vais résumer mes
objections primitives , et répondre en même temps aux nouveaux argu-
ments qui se sont produits dans le supplément épistolaire.
Je m'étais permis de constater, que malgré ses immenses , ses fabu-
leuses recherches , M. Hanauer n'avait produit sur la constitution de
nos colonges aucun fait , ni aucun document réellement nouveau , d*où
je tirais cette conséquence , que son système des colonges souveraines ^
en contradiction si manifeste avec tous les documents connus , manquait
absolument de base et d'autorité. M. Hanauer semble aujourd'hui
reconnaître lui-même qu'effectivement aucun des rotules nouvellement
édités par lui n'apporte de changement notable aux éléments précé-
demment acquis ; mais il me reproche de ne pas lui avoir tenu compte
du labeur qu'il s'était imposé en rendant accessibles aux lecteurs
français , par ses traductions , des documents qu'ils n'auraient pas pu
déchiffrer dans leur texte original ^ Je ne crois pas avoir encouru ce
reproche; car dès la première page de mon étude j'ai rendu l'hommage
qu'elle méritait à l'entreprise laborieuse de M. l'abbé, et si cette
justice ne lui paraissait pas suffisante, je n'hésiterais pas à répéter,
qu'en publiant son livre , il a rendu un vrai service à l'étude de nos
anciennes institutions. Mais cet hommage que je ne lui ai jamais refusé^
n'implique pas de ma part l'approbation sans réserves de ses traduc-
tions qui m'ont paru défectueuses , dans plusieurs parties essentielles ,
comme je l'ai signalé dans mon Etude; elle n'implique pas davantage
rétractation de ma part , des observations que j'ai cru pouvoir me per-
mettre sur le caractère évidemment suspect de plusieurs des documents
recueillis^: elle n'implique surtout pas la moindre modification de
l'opinion que j'ai exprimée sur l'interprétation erronnée, suivant moi,
que l'auteur a donnée à la plupart de ces vieux rotules.
' Ire lettre , |>. i.
' Voy. Revue 1865 , pag. 536. Je reviendrai d'ailleurs sur ce point plus bai à
l'occasion du rotule de Grendelbruch.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 315
Ici M. Hanauer m'adresse une doléance que l'on a peine à comprendre
de la pari d'un érudit , quelque haute opinion qull puisse avoir de lui-
même, c Un autre privilège que vous me réserviez , écrit-il , c'est
« l'honneur de voir suspecter VautherUicité de mes textes , et, par suite
€ au moins j non juscernement ^ » Mon contradicteur ar-t-il bien pesé
rimmodestie, Toutrecuidance de la prétention qu'il a laissé percer dans ces
lignes? Comment , suspecter l'authenticité d'un texte, c'est porter atteinte
à l'honneur de celui qui s'en constitue l'éditeur? Grandidier aurait ou-
tragé Schœpflin en ne suspectant pas seulement , mais en démontrant
la fausseté de certains documents publiés dans VAIsatia diplomcUica t
— Ai-je, dans toute ma dissertation, écrit un seul mot qui put s'in-
terpréter comme mettant en suspicion la bonne foi de M. Hanauer? ne
l'ai-je pas au contraire constamment mise hors de cause par l'hommage
le plus répété et alors le plus sincère ? cela m'ôtait-il le droit
d'émettre des doutes sur l'authenticité de tel rotule découvert par lui ?
je ne doute pas qu'il ait considéré comme parfaitement irréprochables
à la forme tous les documents calleux qu'il a reproduits ; mais serait-il
donc le premier et le seul diplomatisle auquel serait échu le malheur de
se laisser séduire par une apparence , et de se méprendre sur l'originalité
d'une vieille charte ! ce malheur là n'est-il pas arrivé à d'aussi savants
quelui? qu'il parcoure Mabillon, Ruinart, Monlfaucon et de nos jours la
Bibliothèque de l'Ecole des chartes ! qu'il se rappelle une aventure récente,
l'erreur unanime dans laquelle tout un corps d'érudils de premier ordre
a été entraîné par le grec Simonides ! et je suppose qu'il permettra désor-
mais de douter de son infaillibilité, sans plus voir dans cedoute le moindre
outrage à sa sincérité ou à son honneur Et quant à son discernement ,
je lui demanderai humblement à quoi se réduiraient, d'après lui, les droits
incontestables de la critique , s'il était permis à un auteur d'ériger
orgueilleusement son discernement personnel en certitude inviolable ! Le
critique n'a-t-il pas aussi son discernement et ne suis-je pas libre , sans
manquer de respect à M. l'abbé , de préférer, en fait de colonges , le
discernement des Raspieler, des Walter , des Daniels , des Burckbardt
et des Zapfl à son discernement à lui ? Une personnalité aussi exigeante
explique, sans la justifier, une susceptibilité dont j'ai eu peine à me
rendre compte ; car toute opinion est discutable , parce que tout homme
est faillible, et quand on se fait auteur, il ne faut jamais oublier qu'on
subit , comme tous les hommes , l'infirmité propre à notre nature !
* i^ lettre , pag. 5.
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316 REVUE D* ALSACE.
Passons maintenant à la discussion du fonds.
J*âi insisté dans mon Etude sur ce fait que la colonge procède incon-
testablement d'un bail ou d*une location * , et j'ai déduit de ce fait la con-
séquence de la subalternité nécessaire , cogénitate en quelque sorte du
colon vis-à-vis du propriétaire. H. Hanauer s'est mis dans Timpossi-
bilité de me contester judicieusement cette prémisse en définissant lui*
même la colonge une agglomération plus ou moins considérable db
FERMIERS ' Or il n'y a pas de fermiers sans bail ; cela n'a pas besoin
de démonstration. — Rien, il doit en convenir, ne ressemble moins à
une charte non octroyée qu'un bail ^ qui suppose virtuellement une
concession libre et volontaire de la part du maître de l'immeuble , et
qui ne transfère au preneur qu'un droit précaire toujours assujetti à un
cens {Zins) 5, subordonné , même quand il est perpétuel , à la réversi-
bilité procédant du retrait, de la commise ou de la préemption. C'est là
le rapport nécessaire et forcé qui, sous notre ancienne législation , reliait
le domaine utile censitique au domaine direct. — J'avais reproché i
plusieurs reprises à M. Hanauer de n'avoir pas suffisamment tenu
compte , dans le système qu'il s'est fait sur les colonges , de cette
subordination hiérarchique du domaine utile au domaine direct , qui a
été l'une des principales bases de tout l'édifice social du moyen-âge. Il
0)0 fait à ce sujet une réponse qui suffirait à elle seule pour justifier mon
reproche et pour m'autoriser à l'exprimer encore plus affirmativement
<r Ce principe, écrit-il ^, de la subalternité du domaine utile a été si peu
« méconnu par moi que dans mon chapitre sur les tenures colongères
« je m'appuie constamment sur lui pour expliquer les diverses clauses
« du bail colonger. Je n'en citerai qu'un exemple , Paysans ^ page 71 :
* Revue i janvier, p. 16.
* Paysans i pag. 5. Je ne reproduis plus la définition en entier; je ne fais cette
observation que pour éviter le reproche de tronquer que M. Hanauer m'adresse avec
une gracieuse prodigalité.
' Dans mon Etude critique {Revue, janvier, p. 38) j'avais cité, pour établir la
condition que faisait à la terre le cens, Montesquieu et Waitz. « Le cens était tou-
« jours la marque d'une terre sujette et dépendante, comme Vimmunité était celle
« d'une terre indépendante et franche C'est pour cela que le bénéfice et le fief
« dans les idées du moyen-âge étaient des tenures nobles , et que la censive était
« une tenure roturière. » Lebuërou , h , p. 187. — La censive devenait même une
tenure servile par la condition personnelle du preneur. — V. V\^EHMEa , Y« Zinns-
gulh. — Besoi.d , V. Zinslehn.
* î« lettre , p. 27.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 3(7
« La main marte colongère a donc son point de départ non dans la
<L condition primitive du tenancier ^ mais dans la directe du seigneur. »
Aucune citation ne pouvait mettre davantage en relief la justesse de
mon observation : car elle prouve d'une manière péremptoire que la
théorie du domaine utile censitique , en opposition avec le domaine
direct, n*a pas encore été suffisamment étudiée par notre auteur,
malgré son immense désir d^avoir raison de mes objections. Son
exemple porte sur une nature de biens qui précisément ne tombaient
pas dans la sphère du domaine utile. En eflet , le mortuaire , la
main-morte se percevait sur le mobilier, et le mobilier, dans tout le
droit germanique, a toujours été considéré comme le pècvle particu-
lier et propre : il ne se confondait pas avec Timmeuble , qui seul se
prélait à la distinction, entre Futile et le direct. Les rotules cités par
M. Hanauer et par M. Burckhardt contiennent plusieurs démonstrations
non équivoques de ce principe incontestable que le colon non libre
avait la propriété de son mobilier, si bien qu'en cas d'émigration con-
sentie, rémigrant pouvait, si son mobilier était considérable, franchir
la limite de la colonge, tandis que le colon , moins favorisé par la for-
tune , était obligé de demeurer^ si le maire pouvait d'un doigt arrêter
le charriot contenant ses meubles. L'exemple choisi par H. Hanauer
pour prouver son érudition , en ce qui concerne la distinction des do-
maines utile et direct , manque donc complètement son but ; il tombe à
faux. La fortune mobilière * était considérée comme l'acquêt formé
par le travail personnel : de là la règle : c le mobilier ne subit pas
f de retrait. » Fahmiss hat keinen Zug '. Le mortuaire qui ne frap-
pait que le mobilier n'avait donc rien de commun avec la condition
censitique du domaine utile. Il dérivait au contraire d'un droit sur la
personne même du censitaire , et il révélait d'une manière certaine la
condition de non libre ^ tout au moins ceWe iï homme propre (Leib-
eigenel Hôrige. Sur ce point encore, M. Hanauer se sépare de la tra-
dition , non pas seulement en niant absolument que le mortuaire ait été
dû par la personne , mais en prétendant en outre , contre l'opinion de
M. Burckhardt , qu'il y avait eu deux espèces de mortuaires ^, l'un sur
' Fahrniss, Fahmuts — Fahrende Habe — Bewegîiche Giiter. (V. Schertz,
Glo$t. Stryck, Ui. hod,, vui, § 16. Gail, C. i, p. 19. Besold, Th. Praciic. 4.
* Deuhehe Rechti'Sprichworter , 105-109.
' ButtCkUARDT, p là. —Hanauer, Paysans.
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318 REVUE d' ALSACE.
la personne, l*autre sur le bien <. Je ne m'occuperai que du mortuaire
perçu sur le censitaire défunt , et je soutiens que ce droit personnel ,
prélevé sur le mobilier exclusivement , révélait la condition f homme
propre du défunt. Les dénominations mêmes , sous lesquelles se révèle
ce droit, manifestent clairement sa portée; il s'appelle indifféremment
Todtfall, manus morttM^ todte Handy Buteil (Spoliumy €xuf?iœ)j
Besthaupt , Hauptrecht ; c*est le symbole de l'antique servage, d'après
les lois duquel l'esclave ne pouvait avoir de pécule , et acquérait pour
son maître, c C'est sans contredit, dit Lehuêrou, à cette première con-
« dition de la tenure colonaire qu'il faut rattacher l'origine du morta-
tf rmm ou droit de main^morte, que le seigneur prélevait encore dans
« le siècle dernier sur le pécule de son colon , à la mort de celui*ci.
<( C'était un adoucissement , mais aussi un souvenir de la condition
« première attachée à ces sortes de concessions *. » Aussi ce droit ne
se percevait que sur les non libres , les hommes propres , et partout
ou l'on rencontre les stipulations du Besthaupt, on a toujours conclu
avec raison que ceux qui étaient assujétis à ce droit , à de rares excep-
tions près, étaient les Leibeigene, homines propriiy les Hârige , ikomt-
7ies pertinentes, du seigneur qui le percevait 3. Quant à la dualité ou
même à une plus grande multiplicité du Todtfall dans certains do-
* Comme je n'entends pas m'étendre sur ce côté tout-à-fail secondaire de la ques-
tion , je me permettrai de faire remarquer que M. Hanauer me semble confondre
ici deux perceptions pour cause de mort que M. Zœpfl a clairement distinguées , en
appelant Tune Todtfall : c'est le véritable mortuaire iVappant sur la personne da
défunt , et Tautre : Todfalhanleite qui était une espèce de droit d'entrée imposé au
successeur ou à l'héritier. (V. Z^pfl, p. 159). Un des rotules publiés par Stopfel-
Grimm et traduit par M. Hanauer, celui de Sundhofen , contient un texte bien précis
à ce sujet : Les hommes propres ont le droit que si l'un d*eux ou des leurs meurt ,
on doit LOI (ihme) donner un arbre de 7 pieds de long ; puis vient le mortuaire ,
qui était fort atténué dans cette colonge. Cet arbre de 7 pieds , attribué an défunt,
était son cercueil , qui se creusait d'habitude dans un tronc , ainsi qu'on peut en
voir de nombreux spécimens au Muséum Germanicum de Nuremberg ; delà la déno-
mination de Todtenbaum (arbre du mort) qui est encore usuelle en Alsace.
* Lehuêrou , h , p. 210. V. les opinions conformes de Montesquieu , Esprit des
Lois , IV , p. 201. — Rehm, de Cur. Dom, , p. 29. — Wehner , Y. }Veidmahl,
p. 506.
' Tous les auteurs anciens et modernes sont unanimes sur ce point. Durr , de
Cur. Dom. —• Cratzheyer , die Dinghôfe. — Rbhh ,9.5.— Schilter , Cod,—
Haltaus, y. Butheil. — ZiGPFL', q. s, — Waitz. — Walter, ti , p. 21 , l'en-
seignent comme hors de doute.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 319
maînes , elle s'explique comme on va le voir^ non pas par une autre
signification de ce droit en lui-même , mais par diverses circonstances
que la science a depuis longtemps révélées.
Il est très-vrai que dans certains domaines ecclésiastiques princi-
palement et même dans certaines villes , s'était introduit peu à peu Tabus
de doubler, de tripler et même de quadrupler le Todtfall , tantôt à
propos de l'ofiice, tantôt à propos d'une espèce de compensation hypo-
thétique pour des dîmes qui n'auraient pas été payées par le défunt de
son vivant ^ , tantôt enfin pour indemniser le recteur de la paroisse des
frais d'inhumation y etc. La multiplication arbitraire de ce prélèvement
sur le mobilier fut toujours un des griefs les plus vifs que les paysans
soulevèrent contre les abbayes, et qui motivèrent assez souvent l'inter-
vention des Empereurs*. En 1524, les colons de l'abbaye de S^-Blaise
adressèrent â la Régence d'Ensisheim une supplique qui fut communi-
quée par l'abbé au procureur Anastasius Wigkram. Us s'y plaignaient
entre autres de ce que quand un homme de l'abbaye , marié à une
femme étrangère au domaine {eine Ungenossatné) , venait à mourir,
l'abbé de Saint-Biaise commençait par prélever le Todtfall sur la tota-
lité du mobilier, et puis il en partageait le surplus en trois parts ,
desquelles il prenait deux pour lui, de manière à n'en laisser qu'un
tiers à la veuve et aux enfants. Si parmi ceux-ci il y avait des garçons ,
le seiçcneur s'attribuait encore un mortuaire sur la tête du plus âgé 3.
Dans un autre cahier de doléances, les paysans d'une contrée voisine se
plaignent de ce que , lorsque le maître {der Meister) meurt dans une
famille, le seigneur commence par prélever la meilleure tête, à titre
de mortuaire ; le bailli , les habits ; le iMndwaiM (sergent) , le cha-
peau, répée, les souliers, la bourse et les chapelets. Si c'est une femme
qui meurt , le seigneur prend le lit ; le bailli , le meilleur habit ; le
sergent, les ceintures , la bourse et les chapelets ^. On comprend donc
facilement comment le Todlfall, malgré sa spécialité, a pu être étendu
à des cas autres que ceux en vue desquels il s'était primitivement
* Rrhm , p. S9.
■ V. ûipl. Fréd. /, 1180. Wormg , ap. IiERVAnn , iv , p. 23.
' Et ceci arrive pour toutes les autres personnes du sexe masculin comme si elles
(Haient mortes en Turquie ou à Milan. (Schreiber , Deulicher Bauernkrieg, vu).
* Ibid. XXV. C'est sans doute là le mortuaire, à cause de Voffire {Arfibachl)^ dont
parle M. Hanauer.
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320 REVUE d' ALSACE.
établi , et même en certaines circonstances à des personnes qui n*au-
raiept pas dû y être sujettes. Mais cette digression m'entratne loin de
l'objet de ma démonstration : je crois avoir suffisamment prouvé qu*en
aucun cas le Todtfall ou le mortuaire ne peut se référer à la théorie
du domaine utile ^ puisqu'il portait sur des valeurs essentiellement
étrangères à ce domaine, et que dès -lors H. Hanauer, en s'ap-
puyant de ce qu'il a dit sur cette espèce particulière d'impôt, n'a
nullement réparé la lacune capitale que j'avais pris la liberté de signaler
dans ses traités.
J'arrive ainsi tout naturellement à une autre omission d'une égale
gravité que j'ai aussi pris sur moi de remarquer; elle consiste dans l'ab-
sence de toute espèce d'études sur la condition personnelle des colon-
gers. Pourtant il semble que lorsque l'on se laisse entraîner jusqu'à
'vouloir, sans aucune distinction, ériger en aotii^^atfis une classe entière
de paysans , il eût été préalablement indispensable de vérifier si ce que
les documents historiques les plus certains nous apprennent sur la
condition des personnes au moyen-âge, permettait une aussi considérable
émancipation. Dans mon Etude , j'avais insisté , avec autant de déve-
loppements que les limites légitimes d'un pareil genre de travail me
permettaient d'y apporter, sur ce fait que , bien avant la féodalité, l'im-
mense majorité de la classe rurale était composée de serfs ou tout au
moins d'hommes propres (Hôrige). J'avais cité les historiens et les
auteurs qui ont unanimement admis ce fait comme certain. El pourtant
ce détail si grave n'a pas provoqué la moindre tentative sérieuse de réfu-
tation dans les quatre longues lettres que H. Hanauer a jugé à propos
de publier I il a trouvé moyen de s'y étendre longuement sur les objets
de discussion les plus infimes, les plus indifférents j mais le fait capital
de la condition des personnes colongères , il n'a pas osé l'aborder de
front, une seule fois, dans les 56 pages de sa défense !
I. Chauffoor.
{La suite à la prochaine livraiion).
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f
RÉSUMÉ ET CONCLUSION
DE MA
DISCUSSION Sm LES COLONGES.
Suite et fin *. —
Seulement dans sa 3« lellre (p. 34) , il louche très en passant à Tun
des points de cet ordre de démonstration , en essayant d'élever des
doules sur les formules nombreuses qui prouvent que les hommes
propres étaient attachés au fonds de la terre et se vendaient avec elle.
Pour toute autorité il se cite lui-même (Paysans, p. 113) , ce qui est
d'une modestie parfaite et surtout commode. L'argumentation à laquelle
on nous renvoie avec tant de sans -façon, peut-elle d'ailleurs être
acceptée comme sérieuse ? Elle se réduit à ceci que, lorsque de nos temps
encore, un souverain^ par un traité de paix, cède une province, il cède
aussi les hommes qui l'habitent ! et lorsqu'un propriétaire vend son
champ , il transmet aussi le droit qu'il a lui-même sur les renies de
son fermier!... Ne serait-on pas en droit de demander à l'écrivain
pour qui il prend ses lecteurs , pour oser présenter comme pertinentes
de pareilles arguties ? Au moyen - âge , quand un abbé disait ,
comme celui de Murbach , en 1277 : Leute une Gut sind des Gottes-
hanses... {Les gens et les biens appartiennent à F abbaye) : quand
dans les ventes ou les traditions, on disait : den Hof, mit den Leuten
{la cour avec les gens) : ctiriam cum hominibus ibi commanentibus , cum
mandpiis desuper commanentibus^ et ad eoti^dem vnansus adsp'tdentibus :
cum hominibus publias et tributariis in eadem villa manentibus, on
exprimait indubitablement une réalité , l'adscription à la glèbe , réa-
lité en parfait rapport avec les institutions du temps qui légitimaient le
' Voir la livraison de juin , page 905.
«•Séria. -47- Aimé*. 21
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322 REVUE D* ALSACE.
servage, et contre laquelle je défie M. Hanauer de trouver la
moindre autorité. Pourquoi donc ne pas l'accepter comme incon-
testable^ et pourquoi essayer encore des objections comme celle-ci:
•( En 1767 , le B"" F. de Falkenhayen vendit aux dames de Saint-
X Etienne le village de Behlenheim avec ses habitants, etc. : qui oserait
(i dire que les habitants de Behlenheim , en 4 727, aient été les esclaves ou
<i même les serfs du baron de Falkenhayen * ? » Voilà, il faut en convenir,
une logique dune force singulière!... Nous discutons sur les institutions
du premier moyen-àge , et l'on me répond par une vente du xvni% qui
dit précisément ce qu'on disait en plein moyen-àge ! — Le dialecticien
suppose qu'en 1 727 il n'y avait plus nulle part d*homme8 propres {Bôrigé) :
c'est tout simplement proposer de résoudre la question par la question.
Est-il bien sûr qu'en i 727, le servage de la glèbe ait été absolument aboli
dans toute notre province? Mais j'admettrais même que le baron silé-
sien de Falkenhayen se soit trompé sur le temps et sur le lieu , en se
supposant à tort (ce que M. Hanauer ne prouve pas) des homines pro-
prii dans son petit fief de Behlenheim , en quoi cela inGrmerait-il la
démonstration qu'au moyen-âge ces sortes de ventes étaient effectives et
usuelles ? Vraiment , devant de pareils arguments , ne suis-je pas en
droit de demander ce qu'il y avait donc de si agressif dans le regret que j'ai
quelquefois exprimé , de voir un auteur de mérite s'opiniâtrer dans
des erreurs de cette espèce, qu'il serait infiniment plus noble de sa part
de déserter franchement ?
Dans sa 4<^ lettre (p. 13), il revient de nouveau sur ce sujet de la
condition des personnes colougères , mais pour l'éluder encore : il me
renvoie toujours à la fameuse page 111 de ses Paysans , en m'invitant
gracieusement à finir par la lire. Je n'userai pas de la réciprocité ,
en le renvoyant à mon Etude , et j'y serais pourtant bien autorisé par
l'objection suprême qu'il reproduit (i6. , p. 14). Elle consiste à faire
remarquer que dans certaines colonges il y aurait eu des manses
tenus^ par des gentilshommes et des nobles. Je n'ai jamais élevé la
moindre dénégation contre ce fait ; je l'ai au contraire formellement
affirmé en constatant que les manses d'un même domaine , sous les
Mérovingiens et les Carlovingiens , se distinguaient en libres , en ingé-
nuiles et en serviles *. Dès-lors, d'accord sur ce point avec M. Hanauer,
' 3» lettre, p. 34.
* V. Revue d'Alsace , janvier 1866 , p. 13
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 323
je n'avais plus à le faire entrer dans notre controverse : seulement
il fallait encore imprimer à ce fait sa signification, et c'est sur
cette signification que mon opinion se sépare radicalement de la
sienne. Je vais entrer à cet ^rd dans quelques nouvelles explica-
tions qui, je Tespère, finiront par me procurer l'avantage d'être com-
pris de lui.
Je prends, par ordre de dates, les documents qu'il dte:
Le premier dans cet ordre est le prétendu diplôme de Louis-le-
Débonnaire, en faveur de Pabbaye d'Ebersmunster, de 817. Il est en
effet rapporté par Scbœpflin, ou plutôt par Lamey, ^omme extrait d'un
codex de la Bibliothèque de Beatus Rhenanus ^ Hais la fausseté de ce
prétendu document a été démontrée jusqu'à la dernière évidence par
Grandidier *, et d'ailleurs reconnue par Schœpflin lui-même qui , à la
page 105 du même volume de sa Diplomatique , le classe parmi les
Carolingien vel adulterina vel inlerpolata. Comnient donc un paléographe
puriste y comme mon correspondant affiche la prétention de l'être,
a-t-il pu se décider à chercher des armes dans un texte aussi notoirement
apocryphe ^ ? Pourquoi n'a-t-il pas profité de l'occasion pour invoquer
encore dans le même sens, la fameuse charte , par laquelle Dagobert est
censé avoir cédé trois cours royales (curtes Regias) à l'église de Stras-
bourg, cum servienlibiAs , optimatibuSy et etiam equitibus ad easdem
curtes pertinentibus? diplôme qui, comme je le dirai tout à l'heure, a
fondé le rang des quatre vidâmes de l'église de Strasbourg^? La
* AUat^ Dipl, , I, p. 66, Schœpflin ajoute en note: In Ebersheimenn tabalario
charia isla non reperitur,
' Hist, de VEglise et des évêques de Strasbourg , ii , Diss. V^, p. 4.
* Dans une note (même page 14) H. Uanauer me cherche incidemment noise , à
propos de la rectification que je me suis permise du sens qu'il attachait dans ses
Paysans au mot famille : sens que j*ai fixé , d'après la définition de Ducange et de
tous les auteurs contemporains , comme exprimant un rapport de servage ou tout
au moins de fcunulisme, (Reoue , janvier, p. 24). Déjà dans ses premières lettres
(p. 25) il m'avait finement plaisanté en insinuant que je lui supposais l'intention
d'attribuer une famille naturelle à une église ou à des moines. Je me suis bien
gardé d'une aussi pauvre inconvenance. 11 faut réellement être à bout de bonnes
raisons , pour dénaturer à ce point les expressions les plus claires , et surtout pour
chercher dans un texte , d'ailleurs faux , une prétendue rectification que ce texte
même , fut-il vrai , condamnerait positivement.
* Gaanuidikr, q* s.ï, Pièces just. , N<» 17.
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324 REVUE d'àlsace.
fausseté de ce diplôme est hors de controverse comme celle du pré-
eédenli.
Le second document , invoqué par H. Hanauer, est le diplôme de
Lothaire » de 845 , confirmant les possessions et les privilèges de l'abbaye
(te Saint-Etienne et lui conférant douze nouvelles cours. Dans ce titre,
la donation générale comporte le territoire cum servis y ancelUSy coUmis
fiscalibuSy lunctisque justiciis^ cum mancipiis. Pour le territoire de
Munhinga Prisgaudi , la charte ajoute : cum suis appensibuSy basilica,
rkis.,,. manciidiSy servis et ancillis, colonis et fiscalinis tam de
équestre quam pédestre ordine , banno et cyppo , marcato , et omnibus
justitiis *.
Ici encore , je dois rappeler mon correspondant à Tordre chronolo-
gique. Tous ces documents se réfèrent à l'âge des Bénéfices, dont j'ai
rapidement esquissé les traits principaux '. Je sortirais des limites
dans lesquelles je suis forcé de me renfermer, si je cherchais à pro-
duire ici , ne fût-ce qu'en résumé , ce qui se trouve enseigné par nos
savants les plus éminents sur ce régime qui a précédé la féodalité dont
il contenait en germe tous les éléments. La révolution carolingienne ,
qui a rendu perpétuelles les concessions territoriales faites à l'Eglise»
à titre précaire, le rang politique attribué à celle-ci , le maintien dans
les grandes donations territoriales des droits précédemment acquis aux
recommandés ou aux gasindi ^^ sont des faits historiques qu'il n'est pas
possible de négliger quand il s'agit d'interpréter des documents remon-
tant à cette époque. Quand le Roi ou l'Empereur cédait un territoire
tout entier, il ne pouvait pas révoquer les concessions viagères ou perpé-
tuelles qu'il avait précédemment octroyées àsesleudes ouàses^(utndi.
Mais que devinrent ces concessions partielles lorsque, peu à peu, le
régime bénéficiaire s'absorba dans le régime féodal? Elles devinrent, en
partie, lorsqu'elles étaient tenues par des nobles des petits fiefs relevant
* GRANDIDIER, I, p. 83.
' SCHCEPFLIN , Al$aL dipl, , i , p. 81.
* Hevue , janvier, p. 10.
* « De l'aUemand Gesind : « le bénéfice militaire surtout était toujours le prix
« d'un service rendu , quelque fois une solde , quelque fois un salaire. Le bénéficier
« faisait partie de la domesticité du Roi. » Lebuërou , q» i. u, p. 665. ~ Roth,
Betie/tcialwesen , p. 359-364 , contient les textes les plus précis sur cette org^i-
sation hiérarchique des bénéfices. V. aussi sur la recommandation , Laboitlatc ,
HiiL du droit de propriété . p. S81.
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KÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 325
de Tabbaye, ou de rétablissement ecclésiastique, investi de la souveraineté
du territoire intégral ! C'est ce que Grandidier explique clairement dans
ses commentaires sur le texte du titre faux de 817, en disant: Opii-
maies erant liberi nobiles qui quasi vassi eas mrîes , ratione cen$us
possidebant; equitum nomine hic censentnr Ingenui sive homims
liberi, sed non nobiles y qui eodem modo ac optimales illis curtibus
fruebaniur * . Les fiscalini equestris ordinis n'en étaient pas moins des
fiscaliniy c'est-à-dire des hommes quoddammodo addicti , ainsi que
l'explique fort clairement Ducange , précisément à propos de cetio
charte de 845 *. Pierre d'Andlo , chanoine du chapitre de Saint-
Martin de Colmar, a consacré tout un volume à établir la subordination
hiérarchique des classes dans l'empire germanique ; il la fonde non-
seulement sur la constitution politique propre à ce pays , mais sur les
préceptes de la loi divine, et sur l'enseignement des Pères. Dans
le 12« chapitre de son second livre : de septem nobilitads gradibtis , il
distingue entre autres les Barons en deux classes : les semper Barones -'<
et les simplidter Barones. Les premiers sont ceux qui ne tiennent leur
fief de personne et ne doivent par conséquent foi et hommage à aucun
autre Baron ; puis suivent les Valvasores , id est , minores capitanei
quiproceres sive min'tsterarii dicuntur; locum sibi vendicant simplicem
militiam transcendentes et sunt illi qui à majoribus ralvasoribus et
capiianeis feudum tenent et ipsi alios vasaltos habent.., ul sunt propriê
domini mei de Andlo, de Hohenstein, de Landsperg, Treger et his similes.
filœ enim quatuor famiiiœ sont valvasores, sive vice domini hereditarii
iliustris Argenlinenlis Ecclesiœ , ex quibus unam personam ad vice domi-
natus dignilatis regimen assumere tenentur, qui etiam plurimos
minoris militiœ nobiles feudali jure vasallos habent, jureque proprio
in prœliis suo panderio militare possunt : hune valvasorum ordinem
sequitur infimus nobilitatis gradus.,.. qnos et client ulos, more nostr),
' Grandidier , 9. <. , Pièces just. , K» 17 , p. xxvii.
' 6io$s, Ed. Didot , ni , p. 310-311. Sur la différence d'état entre les Hôhge ,
le* Aldiones , les Cerarii , les Tributarii , différences qui ne les faisaient pas sortir,
même par affranchisscmznt y de la dépendance de leur maître ou seigneur»
V. ZiCPFL , Recktsgesch . , u , p. 28. Daniels , 9. s. 1 , p. 4i6.
* Dans le IJeerschild [l'Ecu] , qui ouvre le Miroir de Saxe comnie le Miroir de
Souabe, le 7* et dernier rang des Proceres^ est attribue aux Semperen liile, c'est-à-
dire , selon la traduction publiée par Matile , li franc qui ont autres francs sur lotir
,eux).
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326 REVUE D*ALSACE.
appellamus*. La position de ces petits détenteurs de lenures subalternes
dans les grands bénéfices concédés aux Eglises ou aux monastères , par
les Mérovingiens et les Carlovingiens , n'a pas été autre que celle des
hommes libres qui , sous cette période , pour se créer des protecteurs ,
abandonnaient leurs alletMC et les reprenaient ensuite au moyen de tra-
ditions lesquelles leur enlevaient leur ingénuité, mais leur procuraient au
moins en retour une sécurité relative. Laréduction de laclasse des Ingenuiy
à cette époque, a été de tous temps remarquée par les historiens : Mon-
tesquieu la relève avec sa pénétration habituelle : « Une infinité de
(erres , dit-il , que des hommes libres faisaient valoir, se changèrent en
mainmortables "*: :» La disparition presque totale des petits alleux , par
l'usage des vassalités et des donations à l'Eglise , est attestée par des
textes contemporains nombreux. Dans le Cap. 3, ann. 8ii, on lit entre
autres : c Dicunt quod episcopi et abbates, sive comités dimittunt eorum
liberos homines ad casam in nomine ministerialium. Ibi sunt falconarii »
venatores , telonarii , prœpositi , decani , et alii qui misses recipiunt et
eorum sequenles^. » La loi des Ripuaires (XXXl) faisait déjà allusion à
cette réduction des hommes d'état libre, à la condition de homines proprii
ou Hôrigen, avec la réserve illusoire de ne pouvoir être employés qu'à
de certains services ingenuili ordine ^ ; mais le ministérial, quelque fût
sa fonction , n'en restait pas moins homo proprius , comme je l'ai dé-
montré à satiété dans mon Etude ^. Comment d'ailleurs H. Hanauer
peut-il me contraindre à revenir sur cette démonstration, lorsque M. de
Maurer , ce savant dont toute l'Allemagne reconnait l'autorité {Const.
p. 96), ce savant^ sur l'infaillibilité duquel il prétendait appuyer ses
assertions les plus téméraires, constate lui-même, dans les termes les
moins équivoques, cet asservissement de la classe des hommes libres,
comme ayant été le résultat , non pas de la féodalité , mais du fait bien
' Pkt. ab Andlo , de Imperio Romano , édit. Freher, p. 117. Cet auteur vivait
au XV* siècle. — Aux autorités que j*ai citées dans mon Etude , sur le fait fonda»
mental de la distinction des classes , joignez encore E. L aboolaye , q, s, , p. 154.
' Esprit des Lois , xxx , ch. xi.
-' Baluze , 1, p. 845. En commentant ce texte, M. Ed. Labodlaye dit avec
raison : « Les faits et les lois , tout nous atteste que , du vi« au x« siècle , tous les
•< petits propriétaires d'aileux furent peu à peu dépouillés ou réduits à Ia condition
.« soit de vassaux , soit de tributaires • [Hist. de la propriété, p. 277.)
* Sirmond , form. 44. — ZiCPFL , Rechtsgesch. , ii , p. 10.
* V. Revue, janvier , p. 29.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 327
antérieur des Traditianes aux Eglises el aux monastères? J*ai cité en
entier > le passage dans lequel cet auteur distingué atteste que les pro-
priétaires f libres de villas libres se virent forcés de donner à des Eglises
c ou à des couvents leurs biens libres, à les reprendre ensuite par des Iradi-
« li(mes y mais en aliénant ainsi leur qualité de propriétaires libres. » Je
crains même que cette citation ait brouillé H. Tabbé, avec l'apôtre
scientifique de ses Paysans et de ses Constitulions ^ à en juger par le
silence absolu qu'il a gardé dans ses quatre lettres ^ sur une autorité
qu'il se plaisait naguère à étaler avec profusion. — Il me semble donc
hors de doute que les libres ont peu à peu échangé leur ingénuité
contre la position plus humble , mais plus protégée de honiines propriï
ou de Hôrigen ^: la ministérialité ne les relevait pas de cette déchéance :
car la ministérialité, à tous les degrés, n'était qu'une fonction révocable et
quasi servile , qui laissait Thomme qui'l^exerçait sous la dépendance per-
sonnelle de son maître et seigneur. Les écrits contemporains
abondent de traits contre *es hommes de cette classe qui lendaienl
à se relever par leurs fonctions , et les chroniques monacales , il
faut le dire, ne sont pas celles qui sous ce rapport se montrent les plus
libérales. Celle de Sainl-Gall , entre autres, en Tannée 1130, s'élève
avec virulence contre Timpertinence des celleriers de l'Eglise, qui reven-
diquaient à titre de bénéfices (m modum beneficiofi^m) les droits de
villicature (jura villicationis) et qui poussaient l'arrogance jusqu'à
vouloir, contre tout usage {contra consuetiidinem) , porter l'épée à
l'imitation des nobles (more nobilium)^. Si telle était la condition des
hommes libres , devenus ministériaux , qu'a donc dû être celle
de cette classe inférieure, désignée sous la dénomination de
Rustici y et qui ne trouve pas même sa place dans la graduation sociale
du Heersckild * ?
Je me résume donc. L'existence de mansus liberi , ingénuités , et
même nobiles, dans les grands Bénéfices détachés du Fiscus regius par
les Mérovingiens , et les Carolingiens , n'est pas contestable ; mais que
' Voy. mon Etude, Revue ^ février, p. 76.
• Sur la condition de ces Schulibefohlene (protégés, recommandés) voy. I)amelï>,
I, p. 445, et les autorités qu'il cite.
^ Chron. de Sainl-Gall , ap. I ertz , Mon. germ. , u , p. IGl.
' Voy. entre autres TËdit de l'empereur Frédéric I , qui défend aux Mis de paysan»
(/l/ii Rusticorum) de vivre à la manière des chevaliers (Rittermâssig)» Pertz , Mon,
germ. , iv , p. 185.
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328 REVUE D' ALSACE.
sonl devenues ces petites enclaves après la conversion des Bénéfices
viagers ou temporaires en Bénéfices perpétuels , et surtout après la
substitution définitive du régime féodal au système bénéficier? — Celles
qui étaient détenues par des nobles se convertirent en partie en petits
fiefs de vasselage ; nous en avons cité tout à Theure un exemple , celui
des quatre vidâmes de Téglise de Strasbourg ; dans notre Etude , nous
avions déjà indiqué celui des vingt-quatre chevaliers ou écuyers vassaux
de Tabbaye de Marmoutier ^ ; nous aurions pu ajouter à la nomenclature
les nombreux sous*feudataires de Hurbach^ de Massevaux , d*Ebers-
munster , d'Andlau , etc. , etc. -— Quant aux mmses , alleux d'hommes
libres , compris dans le territoire Bénéficiaire , ou encore quant à un
certain nombre de villas allodiales^ détenues par de simples Bénéficiaires
militaires , même équestres , elles subirent Tentrainement des recom-
mandali09i$ et des iraditiones qui amena peu à peu la concentration
des grands domaines , et la disparition des libres non nobles ou d^une
noblesse inférieure. A ce moment historique s'opéra une grande révo-
lution qu'il n'est pas permis d'oublier quand on veut s'occuper de cet
ordre de recherches : « Lora de la conquête, ce fut l'état des personnes
M qui fit la condition des propriétés. La terre du noble fut noble ; celle
« du Barbare fut franche , celle du Romain soumise à l'impôt. Hais la
<c terre étant la source et le cachet de la puissance ^ l'état des terres a
a bientôt exprimé plus au vif que tout le reste la condition des per-
« sonnes. Le signe alors est devenu c^use et l'état des personnes a été
« commandé par Télat des terres... Celte révolution lente , qui fit pré-
< valoir les relations du sol sur les relations personnelles y c'est l'his-
0 toire de l'époque... A mesure qu'on s'est éloigné de la conquête, les
« conditions sociales s'étant toujours et de plus en plus incorporées au
<i sol, les variations successives de la propriété ont réglé presque seules
« le mode et les vicissitudes de toutes les conditions , de tous les
« droits y de toutes les libertés ^. » — Dès - lors , le libre , le noble
même , qui se soumettaient à être détenteurs d'une censive , s'assujé-
tissaient par cela même à la condition d'hommes propres ou de
Horigc du seigneur ou du propriétaire. « Dans les idées du moyen-
K* âge, le bénéfice et le fief étaient seuls des tenures nobles ; la censive
' Flrvue, février 1866, p. 81.
• Laboulaye, q. sup* , p. 257. - GuizoT , o« Essai sur rhistoire de France,
— LeuuëAOU , I , p. 353 , 365 et 8uiv.
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IlÉSUMÉ ET CONCLUSION) ETC. 329
« élail une lenure roturière , parce que les obligations personnelles
« étaient aux yeux des vieux Germains , de la nature de celles qui
<i subordonnent sans avilir, tandis que les redevances censuelles et
« territoriales étaient une marque constante d'infériorité sociale ^ >
Et ceci est d'une évidence palpable , pour peu qu'on tienne compte de
ce fait que le cens était une part de fruit, c'est-à-dire la représentation
d'un travail manuel et mercenaire. Rien ne confirme mieux ces obser-
vations et ne peut mieux clore celte partie de ma discussion que les der-
nières citations produites par M. Hanauer (p. 14, 4« lettre). — Elles
prouvent en effet que le noble , descendu au rang de colonger, était
vàllig^ c'est-à-dire sujet non-seulement au cens, mais au mortuaire.
A la page H1 de ses Paysans , il constate lui-même que les nobles ,
colongers, partageaient le sort des atUrescohmgerSy lorsquHls exploitaient
eux-mêmes. Même dans les cours , n'appartenant pas à un seigneur
haut-justicier, le noble, détenteur d'une tenure, était soumis aux
charges les plus roturières, entre autres à la Porterie. Une seide excep-
tion à cette égalité de condition , est signalée par notre auteur lui-
même ; elle concerne la dispense qui aurait été accordée à un gentilhomme
dans une ferme dépendante de la colonge de Wallenheim , de recevoir
du Banvin et de donner des contributions de vivres (Zerungs bette).
Cette dispense n'est pas bien significative (H. Hanauer en conviendra)
et en tout cas cette exception unique ne confirme-t-elle pas la règle?
Tout ce que j'ai dit dans mon Elude , sur la condition des personnes
colongèreSy reste donc debout, et reçoit une confirmation décisive de
l'impossibilité à peine déguisée dans laquelle, malgré la bonne volonté
qu'il a laissé percer, à cet égard, dans ses Lettres, il s'est trouvé d'élever
contre ma proposition la moindre objection un peu spécieuse. En effet,
parce que dans certaines localités il y aurait eu, dans une agglomération
colongère, quelques manses tenus par des hommes libres ou même par
des nobles, ce fait, fut-il démontré, autoriserait-t il à émanciper du même
coup les Busticiy les Probstleutej les Hôrige, etc , cette majorité immense
de paysans dont la condition servile ou quasi servile ne peut être con-
testée ! Mais comment surtout maintiendrait-on ce singulier argument
devant cette autre démonstration faite par l'auteur lui-même, que
le libre ou le noble colonger partageait le sort commun de toute la
population ! Je ne chercherai donc pas , s'il est vrai , comme il le dit
' Lëhuëkou, II, p. 188.
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330 REVUE o'alsace.
encore (4" letlre, p. 14) qu'il n'y ail rien de plus bigarré qu'une liste de
coltmgerSy puisqu'au fonds cette bigarrure ne modifiait en rien , vis-à-vis
du seigneur, leur condition commune.
Je passe maintenant à l'examen de l'attribut colonger qui a soulevé
entre H. Hauauer et moi le désaccord le plus absolu : je veux
parler de ce qu'il appelle la juridiction ou le plaid colonger. Â en
juger par la confusion de ses prétendues réfutations , et par l'incohérence
des propositions qu'il a continué à développer sur ce sujet (à propos
duquel il se sépare d'une manière tranchée , non-seulement de la tradi-
tion , mais de l'enseignement universel) je dois croire qu'il s'est trop
bâté de se forger une doctrine sur des rotules mal compris et mal inter-
prétés, sans s'être muni préalablement des notions spéciales et élémen-
taires que l'histoire el la jurisprudence lui eussent abondamment
fournies.
Commençons par nous entendre sur les termes :
On appelle juridiction à la fois le droit de justice et l'organe par
lequel ce droit s'exerce. On dit par exemple tel souverain, tel seigneur,
telle ville a la juridiction sur lel territoire , ce qui veut dire tel souve-
rain , tel seigneur, telle ville a le droit souverain de justice , droit qui
comprend non-seulement l'émanation, mais aussi le pouvoir exclusif d'ins-
tituer des juges et des tribunaux. — Dans un sens plus restreint, on
appelle ;'rrû(tdton ou même justice, le ressort d'un tribunal institué. —
On saisit sans grand effort de réflexion qu'autre chose est le droit sou-
verain de justice ou de juridiction , et autre chose l'aptitude ou l'ido-
uéïté à être juge : le juge n'a de juridiction qu'autant qu'elle^lui a été
déléguée par celui en qui réside le droit dej*tstice.
En qui résidait le droit de justice, le droit souverain de juridiction
chez les anciens Germains ! — En qui résidait-il surtout sous les
Mérovingiens et les Carlovingiens , la seule époque de laquelle nous
ayons à nous préoccuper, après la concession faite par H. Ilanauer,
qu'à partir de la féodalité , ce droit s'est concentré dans les mains des
seigneurs?
J'ai exposé dans mon Etude < les principes généraux que Thistoire
et les documents législatifs ont établis à cet égard ; je l'ai fait rapide-
ment, d'abord parce qu'un compte-rendu ne peut avoir les dimensions
d'un livre ; ensuite parce qu'il m'eiîl semblé despectueux de supposer
' Revue , janvier , p. 7 et suiv. , p. 36 et suiv.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. ^ 331
que sur des faits aussi universellement connus et dont la connaissance
est si indispensable pour qui se propose de discuter sur ces matières ,
notre savant auteur eût besoin d'autre incitation qu'un simple
appel à sa mémoire. — Son insistance me force aujourd'hui , non pas
à développer, mais à préciser un peu davantage l'appréciation que
je me suis permis d'opposer à la sienne *.
A propos de la juridiction domestique des anciens Germains , i'ai
appujé sur ce fait qu'elle appartenait exclusivement au Propriétaire de
la terre libre, au Maître {Dominm), comme l'appelle Tacite % et qu'elle
s'étendait sur tous ses colons. — La loi des Alémans et celle des Ripuaires ^
révèlent le maintien de cette juridiction, s'exerçant par un juge (judex),
choisi et délégué par le propriétaire ou le maître (Judex per jnsiionem
damini). Chaque propriétaire libre avait notan^ment son judex rural ,
son majordome y son major; ce qui a conduit des auteurs éminents à
supposer que dans tout domaine il y aurait eu un officier investi des mêmes
fonctions que ces fameux maires du Palais de la i'^ race , sur lesquels il
a été tant écrite. Ces juridictions domestiques formaient le droit commun
de la propriété libre ; elles ne furent pas constituées par privilège.
La législation carolingienne confirma cette attribution de la juridic-
tion au propriétaire libre, sur son domaine, sur ses colons , et sur
touà ceux auxquels s'étendait , même momentanément seulement, son
patrocinium , ou sa protection {Schutz , Schirm) \ elle atteignait en
outre les vassaux: c non-seulement à l'époque où la féodalité était déjà
u en pleine vigueur, mais dès le principe , et lorsque l'institution se
K montre pour la première fois dans l'histoire ^. >
J'ai déjà appelé l'attention sur le caractère monarchique et oligarchique
des institutions mérovingiennes et carlovingiennes, qui appartiennent à
ce que ScbœpOin appelle notre Période Francique ^. Il est donc inutile d'y
' Pour ne plus revenir sur les auiorilés déjà cilées dans mon Etude , je me t>or-
nenii à résumer ici sommairement les textes reproduits littéralement par Lehuërou ,
dans les deux volumes que j'ai déjà si souvent annotés.
' Germ, 20.
' Lex alam. xxiii , Rip. 88.
* V. Lehuëroci , I , p. 384. . MiCHELET, tlht. lie France, i , p. 275 , et M. Ed.
Laboulate , Droit depropr. , paç. 351-53 , ont parfaitement saisi le caractère de
cette institution. > (Note de Lehuërou).
" Baldze, form. 3 et 8. -> Lehuërou, ii , p. tt5.
• Revue , jan^er, p. 8.
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332 REVUE 0*ALbACE.
revenir ici : et uolre auteur a fait trop peu d'efforts sérieux dans le
but de contester ces données générales , pour que j'éprouve le besoin d'y
insister davantage. Pour moi , elles se résument en cette conviction ,
que déjà avant l'établissement de la féodalité, le droit de justice résidait
exclusivement sur la tête du propriétaire libre de la terre Ubre et
allodiale.
A ce pouvoir de justice correspond le privilège un peu plus tardif de
l'immunité. Qu'est-ce que Vimmunité? Elle n'est autre chose que Faf-
franchissement acquis à certaines juridictions domaniales ou intérieures
de toute intrusion de la justice du comte, ou de tout autre supérieur.
La plus ancienne formule en exprime clairement la force : Sub integrœ
immunitatis valeant dominare... quaslibet causas , ubicumquey quoquo
tempore ^ L'immunité n'était que l'indépendance assurée à cer-
taines juridictions domaniales : elle ne constituait pas ces juridictions ;
elle en élargissait seulement l'action. L'immunité était donc un attribut
inhérent au droit de justice , et inhérente comme lui à la qualité de
maître , de propriétaire ou de dynaste.
Le droit de justice de celui-ci avait pour ressort toute l'étendue de
son domaine ; il lui compétait sur tous ceux qui étaient sous sa dépen-
dance légale; ce droit était donc, comme nous l'avons déjà établi, à la
fois personnel , en tant que résidant sur la tête du seigneur , et terri-
Utrial en tant qu'il avait pour ressort toute l'étendue de sa terre.
Ici notre auteur commet une confusion bizarre , en imaginant que
. parce que le droit de justice était tenitorial, il aurait été, comme une
espèce de servitude, attaché au sol , et par conséquent commun à toii&
les habitants. Uimmunité aurait été ainsi , d'après lui , un pri-
vilège , se divisant entre toutes les tenures du territoire , cl se répar-
tissant entre tous leurs détenteurs* — Celte doctrine est d'une fausseté
évidenle : d'abord l'immunitc , comme le droit de justice dont elle élait
inséparable , résidait personnellement et exclusivement sur la tête et
dans le titre du souverain de la terre -, en second lieu , l'immunité ne
pouvait s'attacher qu'à une terre libre , franche et indépendante ,
jamais à une terre censîlique. Le cens , nous l'avons déjà dit , est tou-
jours la marque d'une terre sujette et dépendante : or toutes les tenures
' Marculf , form. i , s. â.
' %• LeUre , paj^. SI et 22. — C'est là au moins ie seul sens que je puis5« y
découvrir.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 333
dépendant d'un domaine colonger payaient un cens au propriétaire ou
au seigneur; elles étaient donc dépendantes vis-à-vis de lui. Lui seul
avait son domaine libre et franc ; lui seul donc aussi jouissait de Yim-
munité.
Du reste , il est inutile de rappeler que Yimtnunité n'était pas de droit
commun , et qu'elle ne formait qu'un privilège exceptionnel. En Alsace
elle a été accordée avec largesse par les Carolingiens aux évèchés et
aux abbayes ; mais il y a beaucoup de colonges qui se sont fondées sur
des territoires dont le seigneur n'avait pas cette prérogative.
Le droit de justice , avec ou sans son attribut de l'immunité , étant
ainsi restitué au seigneur ou au propriétaire, nous devons exposer
rapidement comment il s'exerçait d'après les coutumes germaniques.
•— La pluralité des juges semble avoir été acceptée dès le principe comme
règle dans la constitution des tribunaux. La forme fondamentale de
l'organisation judiciaire consistait dans l'exercice du droit de justice par le
souverain territorial, avec la cDopération d'une partie de la population.
Cette coopération a, d'époque en époque, varié d'intensité et d'étendue.
Dans les premiers temps de la conquête , tous les hommes libres d'un
territoire ou d'une gau , comme nous l'avons dit t , étaient obligés de
se réunir en mallus sous la présidence du comte ou de tout autre
représentant du Roi. Cette première institution a , selon toute vraisem-
blance y servi de type aux cours des consorts ou des pairs que l'on ren-
contre sous toutes les formes dans les périodes suivantes. Le libre y
comme plus tard le vassal , n'avait pas seulement le droit de siéger à
ces assemblées ; il y était obligé , sous des peines d'une sévérité variable.
J'ai indiqué comment la législation carolingienne a influé sur cette
institution en quelque sorte nationale ^ d'abord en limitant le nombre
de ces mallus , et ensuite en restreignant Tidonéilé des libres à une
catégorie d'hommes plus puissants ou plus capables , qui s'appelaient
Scabini ou Schœffen^. Cette dernière restriction est remarquable
surtout par le motif sur lequel elle s'appuye. C'est pour exonérer les
libres de condition inférieure , de l'incommodité d'une comparution
trop fréquente, que Charlemagne les afl'ranchit du devoir de venir
au mallus y et qu'il ne maintient cette charge que pour certains hommes
' Revue j janvier, p. 8.
* V. Cap, Aquitgr, 809 , c. u. Cap. Wormatiense , 829 , cap. 4. — Sur cHle
réforme caroUngiennr , voy. Waltfr , Reekitgetch, , i, p. 106 — ii, p. 278.
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334 REVUE D' ALSACE.
libres, d'un nombre et d'une consistance sociale déterminés. Fins tard
cette institution des premiers temps subit un dernier aflaissement par
ia diminution de la classe des hommes libres , dont j'ai tout-à^l'heure
indiqué les principales causes Dans son dernier état , le mallus ou ce
qui le rappelait , notre ancien Landgericht y n'était plus qu'une simple
forme solennelle, conservée dans le but de donner à certains actes, dans
des temps où l'écriture était presque généralement inconnue , la consé-
cration d'un témoignage populaire t.
Le droit de juridiction ou le pouvoir de justice , nous venons de i^
voir , appartenait exclusivement au propriétaire ou au souverain terri-
torial ; mais pour l'exercice de ce droit , le souverain était autorîs** par
la coutume à contraindre tous ses sujets à y concourir avec lui, et c'est
de ce principe que sont sorties les cours (curiœ) féodales et autres.
ff Le devoir des vassaux était de combattre et juger , et ce devoir était
« même tel que juger c'était combattre , > dit Montesquieu *. Le Land
undLehnrechls-Buch^eTimxïiqtie explique dans le même sens, l'origiiie
des cours seigneuriales. La collation de fiefs à plusieurs engendrait entre
eux un consortium , une parité ; ils s'appelaient Lehens Genassene ;
combattre et juger à Fappel de leur suzerain était aussi leur devoir ;
il pouvait les convoquer zu Ding und zu Ring^. Je n'entrerai pas dans plus
de détails sur la composition de ces cours féodales , sur l'obligation des
* Ces cérémonies prirent le nom d'Offenungen , (Proclamation , Promulgalion ,
Publication) Y. Wackernagel , Gloss, h. v. — Un document curieux conservé aux
Archives du Haui'Rhin , Fonds de Vordre de Malte , eommanderie de Mulhouse ,
nous donne le procès-verbal d'une pareille assemblée tenue , apud SenkeUtein , à la
Saint-Michel 1276 , pour la publication d'une donation faite à Tabbaye de LuoeUe
d'une cour appelée Sancta AdeUieid de Sel%a. Voici comment on y décrit le rôle de
la multitude présente : Huic aulem confessioni suœ nullus se reclamando uel con-
tradicendo opposuit , sed multiiudo hominum qui aderant arrisit pro gaudio et
applausit. — Les publications des bans de mariage avec interpellation si personne
n'a à s'opposer , et presque toutes les procédures per turbas du moyen-âge , etc.,
dérivent du même besoin de procurer par la publicité une plus grande solemnité
à certains actes. Du reste le document même que nous venons de citer , établit que
l'acte procédait du Landgericht (tribunal provincial) , qui était ambulatoire. —
V. BÉVILLE , Jurid. , p. 33.
' Esprit des Lois, iv , p. 80.
' Littéralement : au conseil et au cercle : le Ring est une allusion à l'ordre circiUaire
dans lequel se plaçaient les juges. — V. Oseiibbijggen , CuUur hist, Bilder^ p. 165.
— Z^PPL , p. 7 et 16.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 335
vassaux d'y concourir à l'appel du seigneur suzerain , à tilre d'asses-
seurs y non plus que sur la forme de la procédure qui s'y observait.
Ces détails minutieusement développés dans les Miroirs de Saxe et de
Souabe ', ainsi que dans le vieux code que nous venons de citer, ont
été reproduits par M. Réville , avec une si exacte précision qu'il n'y a
rieo à ajouter'.
Quoique la concession à titre de censive , n'eût pas la dignité de la
concession à fief, et qu'au contraire il fût de maxime qu'une censive
ne pouvait jamais être constituée qu'à un inférieur et non à un pair 3, le
seigneur ou le propriétaire d'un domaine , réparti entre plusieurs dé-
tenteurs à titre censitique , avait le droit d'exiger de ceux-ci comme le
seigneur suzerain de ses vassaux de former une cour pour veiller à la
conservation du bien , à l'exacte exécution des clauses du bail , et pour
vider les différends nés entre les censitaires. J'ai cité (Revue , janvier,
p. 12) le texte formel du Landrecht qui établit cette proposition d'une
manière irréfutable , et M. Zaepil ^ considère avec raison l'institution de
ces justices mineures etdomestiques comme procédant exclusivement de la
souveraineté {Bann) du seigneur , propriétaire de la terre censitique ,
colongère ou autre : sur ce point encore il ne fait qu'exprimer la
doctrine universellement admise.
Dans ces cours inférieures , composées non de pairs , mais de si^ets
on se modela, pour la procédure, sur celle qu'observèrent les cours féo-
dales, sauf quelques rusticités assez burlesques, qu'il est impossible de
reproduire ici et qui se trouvent détaillées au chapitre 126 du Landrecht^
et au chap. 120, de la traduction Romande, publiée par M. Matile.
Les rotules qui ont reproduit la pratique judiciaire , usitée dans les
cours colongères, se sont visiblement inspirés de ce droit provincial ,
comme il serait facile de s'en convaincre en comparant les dispositions
contenues dans ce code, avec les citations de H. Hanauer^.
* Lehnrechtbuch , cap. 112 et 118. — Miroir de Souabe, texte romand, c. 109.
* V. RÉVILLE , Juridictions d'Alsace , p. 116.
^ Landrecht , Ed. Daniels , cap. 108. Es mag kein Mann mit Rechte sime Ge-
nossen Zinslehen gelihen, Er lihet es wol sime Undergenosse, Dos ist aber nut
recht lehen. — Nul ne peut constituer une censive à son pair; mais seulement à
son inférieur. Le bail à censive n'est pas fief. — V. Matile , Miroir de Souabe ,
p. 105 , de /le» eensaul,
* ZiCPFL , q, sup. , p. 16.
^ UanaUER ; Paysans , pag. 206-223. Pour relever ses plaids, et leur imprimer
une grande importance il fait ressortir avec un certain éclat que le plaignant ou le cité
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336 REVUE D* ALSACE
Il n'y â du reste pas eu avant lui un seul auteur qui ait con-
sidéré les cours colongères, ou la justice propre de la colonge
comme dérivant d'une autre source que cette juridiction particulière
aux concessions censitiques\ calquée sur la justice féodale, avec celte
différence unique , mais profonde , que dans celle-là les assesseurs
étaient tous des inférieurs, c Quod ad personas qui judicium hoc constitu-
« tuunt illie sunt vel directum habentes vel utile dominium. Ille dicitur
« dominusdirectus, derDtfij^Ao/fes ft^rr, qui judex est in hiscausis, cujus
a minister der vogt des hoffes vocatur. Illi vero hubarii dicuntur hûbnery
<i et sunt hujus judicii assessores , sicut in curia feudali pares , quà
( in re curiae hsec dominicales cum judicio feudali quandam habent
« aiBnitatero ^. i» L'affinité plutôt formelle que substantielle qui s'établit
par Tusage entre la cour féodale ayant les feudi consortes {Lehns ge-
nojsen) pour assesseurs, et les cours rustiques ^ ayant pour assesseurs
les censitaires, débiteurs et sujets du même seigneur, est exprimée
dans beaucoup de textes , notamment au jus feudak Sax. , dans
des termes qui ne laissent aucun doute sur le caractère et la spécialité
de ces dernières cours. € Le seigneur n'est pas tenu de répondre à son
<( vassal devant son supérieur, avant qu'il ne l'ait fait comparaître
<( d'abord devant ses co-vassaux et il en est de même pour ses censives
« {Zinnsgelden), pour lesquelles il doit d'abord faire comparaître son
« débiteur , devant les consorts de celui-ci {Zinsgenossen)^^
Je ne crois pas qu'il soit nécessaire de pousser plus loin ces déve-
loppements. Il me semble incontestable que dès les temps les plus an-
ciens , et bien antérieurement à la féodalité , la juridiction ou le droit
suprême de justice , appartenait exclusivement au dynaste , ou au pro-
devait s'y faire assister par un avocat : fie texte dit Fursprech). Ce détail n*est pas
spécial à la justice colongère ; il appartenait à toute la procédure ^rmanique. Le
Miroir de Souabe s'étend longuement sur ce point , cap. 76. On y voit que c'«st le
juge qui nommait le défenseur ; « si ce juge donne pour défenseur un bègue {einen
« Stamelenden Mann) il fait mal {da$ isl unrecht), » — Tout homme d'ailleurs en terre
allemande peut être choisi pour défenseur. (Schwabenspiegtl , p. 63}. — Tous ces
détails sur la procédure ne sont donc , comme on le voit , ni bien spéciaux , ni bien
neufs.
* Wie der Herr umb Zinslehn richten sol , c. 185. — Matile , 119 , des Fie»
CensauK. — Behv , de Cur. Dom. , p. 44.
* Gratzheter , de Cur. Dom. , p 7.
' lus Feudalê Sax , c. 69. ^ Hehu , de Cur. Dom. , p. 14.
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RÉSTJM* ET CONCLUSION, ETC. 337
priétaîre libre de la terre libre ; sur son domaine et sur ses habitants;
que c'est de sa souveraineté que procédèrent l'institution et l'organisation
de ces cours de justice, seigneuriales, ou simplement censitiques; que
dans les premières , les pairs en fief ou en vasselage , comme dans
les secondes, les sujets censitaires étaient tenus de comparaître comme
assesseurs, par les devoirs même du vasselage ou de la censive. — Il ne
reste donc plus rien de la proposition fondamentale de notre auteur ,
qui voulait faire considérer le droit de justice comme une espèce d'éma-
nation de la terre , et en faire l'attribut commun de la population qui
l'exploitait, quelque inûme que fût sa condition. Ses colonges sont
donc destituées de ce pouvoir judiciaire qu'il faisait résider dans la
communauté , dans le peuple... Je n'ose plus dire (quoique cela soit
pourtant bien apparent) , qu'il a fini par le reconnaître lui-même , tant
j 'ai peur de le voir s'engager de nouveau , pour dissimuler sa concession ,
dans une de ces évolutions byzantines sur la chose et le mot qui fatiguent
l'intelligence sans satisfaire la raison ! Son premier fascicule épistolaire
semblait m'autoriser bien clairement à considérer ce débat comme vidé,
et à constater, sur ce point au moins , son adhésion. Mais voilà que dans
sa quatrième lettre il me tance sévèrement pour avoir osé qualifier cette
adhésion de désertion! Toutes ces arguties Aemots ne me convainquent
que d'une chose : c'est que si M. l'abbé se résigne jamais à capituler en
quoi que ce soit et envers qui que ce soit , il s'efforcera toujours de se
réserver les tambours et les trompettes. Qu'à cela ne tienne! je les lui
laisse volontiers: je n'ai jamais eu de goût pour ce genre de musique.
La nature , l'origine et le caractère du tribunal , ou du plaid colon-
ger étant ainsi déterminés , il faut en préciser la destination. A ceC
égard j'ai soutenu , avec l'unanimité des savants qui se sont occupés de
ces questions , qu'elle se restreignait à maintenir la bonne police dans le
domaine colonger , à assurer le payement régulier du cens , ainsi que
l'exécution des conditions du bail , et enfin à régler les difficultés ou
les litiges qui pouvaient s'élever à l'occasion de ce même bail. J'ai reconnu
en outre qu'avant comme aprè3 l'établissement du régime féodal , les
colongers ont pu être appelés comme assesseurs du seigneur ou de son
avoué (VogtJ à concourir même à la juridiction de haute justice (blut-
gericht) ; mais que ce concours se fondait non pas sur un droit propre
à la population colongère , mais exclusivement sur la vocation du sei-
gneur , qui faisait de ce concours un devoir pour ses sujets.
Ces propositions se démontrent par des faits , d'une évidence telle
a« Série.- 47' Anne*. ^^
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338 REVUE d' ALSACE.
qu'on ne peut pas concevoir qu'elles puissent sérieusement paraître
hypothétiques ou contestables.
La spécialité de la juridiction colongère, sa restriction aux cas
colongers , se révèle d'abord par ce premier fait , que partout où il y a
une colonge , on trouve aussi le ding^ le plaid colonger. Or il est indu-
bitable (M. Hanauer le constate lui-même) qu'une grande quantité de
colonges s'étaient établies sttk* des domaines dont les propMétaires y
quelquefois simples roturiers, n'ont jamais eu ni prétendu avoir le droit
de haute justice. Encore une fois la colonge n'était pas un /fe^:*mais une
simple censive (Zinslehn) \ Il ne prétendra certainement pas que dans
les colonges purement foncières et roturières , simples expMUxHofis
agricoles comme il les qualifie lui-même , la cour ait exercé les droits
de haute justice. L'ubiquité de ce tribunal intérieur, prouve donc
jusqu'à la dernière évidence la limitation destinative de sa fonction.
Cette démonstration acquiert encore un plus haut degré d'évidence ,
quand on étudie le fonctionnement de ce plaid colonger, parallèlement
à l'exercice de la haute justice dans les domaines où ce droit de haute
justice appartenait au Dinghoffsherr {le seigneur). — On est frappé
d'abord de cette circonstance que ce^ plaids colongers, dans la presque
totalité des rotules, sont fixes quant à leur nombre , et quant au temps
de leur convocation. — Cette fixité ne peut évidemment pas se concilier
avec les exigeances de la justice répressive , qui i cette époque (tous les
documents le prouvent) avait la rapidité , je dirais presque , la sou-
daineté du flagrant délit. Dans la plupart des colonges , les plaids se
tenaient deux ou (rots fois, vers le printemps et en automne.
* Notandum est quod personœ iilœ habentes jus curiœ dominicalis , sivE domini
DiRECTi possint esse personae vel seculares , vel etiam Ecclésiasticœ vel nobiles , vel
etiam ignobiles sicut plurfma exempta in llsatia nostra ostendunt. Vieissim juris
curiarum harum dominicialium capaces sutit mares et feminie , quod ostendit nobis
nobile exemplum abbatissœ sancti Stephani quia haecce juridictio rcalis est seu
patrimonialis f quœ sdlicet feudo alia^us cohœret, Rbhh, q. sup, , pag. 25. —
M. Hanauer n'ignore certainement pas que, d'après l'ancien droit allemand, les
moines , non plus que les femmes , ne pouvaient tenir flef , [Lehnrétikt , T. i, p. 4), .
à moins de le faire gérer , pour l'es Obligations viriles , (combattre et juger) par an
gentilhomme à fie%. C'est ce 4[Ui eCplhiue le rdle prépondérant de l'avoué (Vogi)
dans les terres ecclésîàMiques dont les monastères , propriétaires , n'étaient paf
princes d'Empire. Quant aux vilaim {geburen) et ceux mêmes de lignaige fran
qui ne sont gentil» de leurt quatre quartiers , le flef leur est absolument interdit
(Matilc , I f p. 2).
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 339
Gommenl admettrait -oo que la justice du seigneur ou du vogt
ail sommeillé pendant l'intervalle de ces réunions > lorsque toute
Tancienne procédure criminelle germanique révèle une promptitude
d'action , qui rappelle sous quelques rapports (et de fort loin, j'en con-
viens) , la justice anormale et expéditive du juge Lynch , en Amérique ?
Le plaid ou le tribunal colonger avait encore cette particularité qu'il
se réunissait dans un local différent de celui oii se tenait la Cour de
haute justice , tantôt sous un hangar (Schappff) construit exprès pour
cet usage , sous un arbre , dans le jardin du seigneur, dans la grange
du Meyer (Maire), etc.'. Il était en général présidé par le Maire,
ministérial du propriétaire ou du seigneur. Enfin tous les détenteurs
de lenures colongères , étaient obligés d'y assister de leurs personnes,
sous des peines variables, à moins d'impossibilité dûment justifiée. — *
Quant à ses occupations , j'ai démontré à satiété par l'analyse des rotules »
invoqués par M. Hanauer lui-même , qu'elles consistaient à recueillir
les cens , (la réunion des colongers débutait toujours par là) à recevoir
les déclarations de mutation par aliénation ou par décès , à exercer les
retraits % et enfin à vider les contestations nées entre les détenteurs.
Mais rien ne précise mieux la distinction qui s'est toujours maintenue
entre cette simple fonction colongère, ei h haute justice propremeni
dite , que les dispositions mêmes des rotules qui réglaient celles de ces
colonges que M. Hanauer a classées sous le titre de colonges souveraines.
Celles-ci s'étaient toutes formées sur des territoires , dont le propriétaire
ou le seigneur avait la haute juridiction , avec Yimmunité. Il suffit d'un
peu d'attention pour apercevoir immédiatement une différence fonda-
mentale , et si on se dirige dans cet examen , d'après l'ordre chro-
nologique que notre auteur, je le répète , a trop constamment négligé ,
on se pénètre bien vite de cette évidence, queV assessorcU des colongers
a subi toutes les phases par lesquelles a passé la juridiction seigneuriale.
— Je vais donner quelques indications qui, jointes à celles que j'ai déjà
* V. Citations , Revue , janvier, p. 80.
* A Toccasion du retrait j*ai indiqué que dans quelques colonges le Vogi seul
pouvait l'opérer. M Hanauer , dans sa 2< lettre , p. 23 , se livre à cet égard à une
exclamation renforcée d*un grand luxe de majuscules ! je le renvoie à lui-même, ce
qui est certes la meilleure autorité que je puisse lui citer : (Con^, p. 204). « Si
« Tabbesse avait besoin de lui (du Vogi) pour retirer un bien, ce que lui seul doit
« faire. Dai niemand iuon êol wann der Vogt. » -r Voy. aussi l'art. 22 du Rotule
de Sundhufen , Payions , p. 24.
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340 REVUE D'ALSACE.
relevées dans mon Etude \ ne peuvent, à mon avis, laisser subsister
aucun doute sur ce point :
La colonge deSundhofenestindiquéeparM.Hanaucir(/'ajysafi<p. /4)
comme une des plus anciennes : elle remonte, d'après lui , au commence-
ment du x« siècle. — La réunion colongère y est indiquée dans l'art. 2.
Quant à la haute justice , elle s'exerçait par le prévôt seul (Schultheiss)
avec l'assistance du franc avoué (frihen vogt) de Horbourg , tous deux
oificiers seigneuriaux. Le rotule exige bien qu'on convoqua à la justice
la population du territoire , mais il ajoute : que ceux-ci ciennetu ou
non y le prévôt doit siéger et juger; ce qui prouve évidemment qu*à
cette époque , certaines cours n'avaient pas même encore Yassessorcu^
et que le seigneur y rendait seul par ses agents , la haute justice.
Dans le rotule de Bœrsch , que M. Hanauer me reproche de n'avoir
pas analysé (2* lettre^ p. 23) (comme si j'avais pu m'attacher à autre
chose qu'à ses colonges souveraines contre lesquelles j'ai principalement
dirigé ma critique !) , on découvre clairement Vassessorat^ dans les
pulsati * s les mi discretiores et honestiores. Le SchtUtheiss (prévôt)
doit appeler le Vogt {advocatus) pour rendre la justice dans la cour.
{Pro facienda justitia curiœ.) — Le mansurnariUs , y est dénommé
dominus curiœ , le seigneur de la cour. — Trois plaids par année
{Huebgedinc) doivent être présidés par lui, (M. Hanauer imprime
possideUt: mais c'est évidemment prcesidebit), A ces plaids doivent
comparaître tous les détenteurs de manses {mansionarii) , et les autres
habitants du territoire, pour y renouveler les droits de la cour et
s'expliquer sur les changements apportés aux biens du seigneur
(requirere defectum de bonis domnorum). L'art. 13 , s'explique dans
sa partie fmale sur la punition des voleurs et des autres malfaiteurs , .et
ajoute : cumpersententiam damnatifuerint,presentabunturadvocato,..
Qui porte id la sentence? telle est la question que se pose H. Hanauer
lui-même ? — Est-ce le Wunnebotte et le Schultheiss ? ou le SchuUeùfs
présidant les F//, ou V avoué et le Schultheiss ? Et voilà le doute par
lequel il prétend répondre à des textes précis ! — D propose pour le
résoudre, de se replier sur le dernier paragraphe de l'art. 12, qui
statue que toute plainte 3, sera portée devant le Schultheiss , et ter-
' Revue, janvier, p. 23 à 38.
• Injus vocati. V. Ddcange , Gloss, V« Pulsare.
' M. Hanauer traduit tout procès. — Questio signifiait principalement une
plainte , une réclamation, Querela, Duc, h. v.
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RÉSUVi ET CONCLUSION, ETC. 341
minée selon la sentence de la cour et des niixnsionnaires. — Mais
n'avons-nous pas toujours admis que la cour composée du seigneur,
de ses officiers , et des colongers , statuait précisément sur tous les cas
colougers? L'argument qu^on peut tirer du texte, d'ailleurs alléré et
interpolé de ce rotule , loin de détruire la distinction entre la justice
colongère et la haute justice la confirmerait au contraire.
H. Hanauer me permettra de ne pas accorder une grande
créance au rotule d'Odern auquel il lui plait de me renvoyer (^ lettre,
p. 23 ^ notey . Une copie du XVI* siècle^ dans laquelle je trouve les
mots si significatifs de cives in parochia, et en outre la synonymie im-
possible , de mancipium et fœdum , me paraît une pièce non pas copiée
mais fabriquée au xvi« siècle^ avant ou à l'époque de la guerre des
paysans. Notre auleur est trop instruit pour ignorer que la bourgeoisie
ne s'est formée dans nos campagnes que bien des siècles après le
régime des bénéfices , et le texte seul de ce document où les bourgeois
d'Odern se qualifient de nos communitas (Gemeinde) prouve l'ana-
chronisme , anachronisme qu'on peut sans doute pardonner à la Dame
sacristine qui parait l'avoir rédigé. Un titre où I on assimile une
lenure censitique y comme Test toute tenure colongère à un ûe^ (feodum)
et dans lequel s'entassent des prétentions illimitées tels que les droits
de chasse et autres , où l'on voit la prérogative régalienne de la haute
justice attribuée exclusivement aux bourgeois (cives), sans le concours
d'aucun officier seigneurial , un pareil titre , dis-je , ne me parait pas
digne d'être accueilli, surtout lorsqu'on est forcé d'avouer qu'on n'en
possède qu'une copie, qui n'a pas même ce signe d'authenticité si
prisé par M. l'abbé, ïempreinte des mains calletises. Il est beau
d'aimer les colonges : mais il ne faut pas se laisser entraîner par
cet amour , plus que par un autre, hors des limites du raisonnable, et
à mon avis , il suffit de lire l'espèce de sommation finale adressée aux
dames de Remiremont de défendre les droits des bourgeois d'Odern
contre leurs propres seigneurs (dominos nostros) et en outre contre
tous autres hommes (altos homines imiversos) pour ramener ce docu-
ment à son insignifiance réelle.
Je reviens maintenant aux rotules qui ont reçu de notre auteur
l'insigne honneur d'être réunis sous le titre d* Exemples de colonges
' V. ce rotule qui ne se trouve ni dans Grimm , ni dans Stoffel , Cwist, , p. i8.
C'est un des nouveaux documents découverts par M. Hanauer,
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ÎU2 REVUE D'ALSACE.
souveraines. Il est visible que ce tilre t'embarrasse aujourd'hui : c'est
au moins un petit résultat obtenu par ma critique ! Nulle part en effet
la distinction entre la simple juridiction intime de la colonge , et le tri-
bunal spécial de la haute justice ne se trouve plus expressément in -
diquée que dans cette série à laquelle il a lui-même réservé
la place d'élite. Le lecteur comprendra qu'ici je ne puis plus qu'ana-
lyser rapidement , après I«'S longues pages que j'ai déjà consacrées ,
dans nven Etude , à l'examen de ces documents.
Le premier est la constitution de Honau V L'art. 2 , établit trois
phids colongers par année où siégera l'avoué ad regendam familiam
ecclesicBj etc. Voilà la justice colongère. -— S'il s'agit au contraire
d^un fait de desobéissance , commis par un homme de la famille de
l'église, ce sont les douze assesseurs de l'avoué, duodecim advocali
assessores, qui dicunlur Scheffele ', qui sont chargés de la poursuite
du jugement et de son exécution. — C'est à la suite de ce document
que M. Hanauer a jugé a propos d'imprimer comme une trouvaille, le
rotule qui porte l'intitulé suivant: nouveau rotule imaginé par un
paysan de la Wantzenau au détriment de l'ancien rotule et écrit par
Jean Brandenberg y curé de rendrait en 1411. Une pareille rubrique
ne devait-elle pas décider noire auteur , à laisser la pièce qui la porte ,
enfouie dans lesarchives? siaumoins encore cette pièce aussi expressément
marquée de son caractère apocryphe pouvait , se présenter comme une
traduction du document latin qui la précède! Mais il suffit de comparer
les deux écrits , pour acquérir la démonstration de la fausseté du second ,
révélation grave qui justifierait les observations que j'ai cru devoir
émettre sur la circonspection extrême dont on doit user dans
l'examen et dans l'acceptation de documents , qui comme les rotules ,
' Constitutions , p. 17i.
' Ces Scheffele sont évidemment une imitation rustique des SehcBffen des grands
domaines, connus sous les dénominations de homines synodales, sempere rmuinen,
sempermannen , semperliite. Lorsque ces fonctions étaient exercées par des minis-
lêriaux ou par des hommes de condition inférieure, comme l'étaient les Probstleute
Uc Honau, elles ne les relevaient pas de leur état, d'après la maxime : Sckmffmbare
Fteyheit adelt keinen schnaden Mann. V. Rechtsvolkspruch , p. 32. Seulement elles
les investissaient , par une espèce d'affranchissement implicite, d'une liberté relative
(Freyheit), Ainsi que nous l'avons déjà dit, le auasi servage avait plusieurs degrés,
comme le révèlent surtout les lettres d'affranchissement. (Yoy. les citations et les
textes, DAifiELS , i, p. 4i6.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 343
ne portent d'ailleurs en général aucun des signes ordinaires de Tau-
tbenlicité. Je me demande encore maintenant ce qui a pu le porter à
imprimer cette pièce , à la suite de la constitution authentique de
Honau. et surtout ^ à la présenter, sous de certaines réserves il est
vrai \ comme une traduction allemande de celle-ci? Ne saute-l-il pas
aux yeux que cette prétendue traduction omet des clauses essentielles
du titre primordial, et produit audacieusement au contraire, des
phrases entières , qui ne se trouvent pas dans celui-ci ! M. Hanauer est
certainement trop versé dans la science diplomatique pour ignorer que
le titre le plus aoci^ji^ remporte toujours sur le titre postérieur, sim-
plement confirmatif et récognitif. Pourquoi donc a-t-il imprimé celte
élucubration d'un paysan ambitieux, lorsque l'intitulé même sous lequel
elle est classéç, ^i archives en signalait si évidemment la fausseté?
Mais ne prolongeons pas cette digression et reprenons notre analyse.
Je ne parle plus du rotule de Hofen et de Buren que H. Hanauer n'a
pas même cherché à relever, à l'encontre de ma critique. J^ p^e à celui
d'Eschau , où la distinction du plaid colonger , et du tribunal de haute
justice est aussi clairement accentuée qq'à Honau. En effet, après avoir
exprimé , comme du reste tous les rotules de cette catégorie, que le
seigneur ou le manêumarius a seul la haute justice; {Stog und bannj,
ce titre règle qu'il y a pour les colongers trois plaids par an (art 1) et
les articles 2 et 14, expriment que les assesseurs du Vogt, peuvent
être pris ailleurs que parmi les colongers. — Que devient devant un
texte aussi précis la doctrine de notre savant, qui prétend au contraire
que chaque colonger, était en tant que colon^^ non-seulement investi
du droit de concourir comme assesseur à des actes de haute justice ,
mais qu'en outre , il participait de droit à ce pouvoir de haute justice
en lui-même ! — L'art. 2 , porte expressément : quand l'avoué siège •
il aura de chaque côté six ScheiTelen : s'il (ravoué) ne les trouve pas
parmi les colongers , il les prendra parmi d'honorables fermiers ,
auxquels on doit porter confiance (den man geloben soll an der Hueber
stat) — Yoilà donc un autre fait, dont je m'étonne que M. Hanauer
n'ait pas mesuré la portée: ces Scheffelen auquel il donne le titre pom-
peux à*Echevins , ne sont pas même les élus de la poptUation , de la
communauté qu'il a si légèrement vendue souveraine! c'est le Vogt ,
l'homme du seigneur qui les choisit ^ à son gré , parmi les colongers ,
* ConstitûtioM , p. 179.
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344 REVUE D* ALSACE.
OU même parmi de simples fermiers. Le rôle des colongers en matière
de justice criminelle se réduit , d'après les termes de la charte à l'obli-
gation de dénoncer (Rtwgen) les vols el les délits. Devant de pareils
textes notre auteur persistera -t-il encore à faire du droit de justice ,
une espèce de privilège natif des autochthones'!
Je ne reviendrai plus sur les autres rotules de la même catégorie
sur lesquels , je me suis expliqué dans mon Elude : je me hâte de
répondre à la provocation que m'adresse M. Hanauer, de m'expliquer
sur celui de Grendelbuch , qu'il m'accuse fort acrimonieusement t
d'avoir prétérit à dessein dans mes observations. Je serais tout disposé
à le remercier de son interpellation, si elle s'était produite sous une
forme moins arrogante : car ce document, on va le voir, contient autant
et peut-être même plus que tous ceux que nous venons d'analyser la
démonstration que j'établis ici. Je suis donc bien aise que mon con-
tradicteur ait précisé avec tant d'insistance ce terrain de discussion ,
qu'il considère comme décisif. Il m'çtt imposible en effet de m'arréter
à tous les rotules dont il a jugé convenable de surcharger les collections
déjà acquises à la science et sa vive spécification donnera ainsi à ma
démonstration , une portée qu'il ne pourra plus chercher à esquiver.
PourGrendelbruch les Constitutions (f. 211) contiennent deux pièces;
Tune est intitulée : Vidirm^s de 15S5 ; l'autre : Copie de 1550. Dans
une espèce d'introduction , en partie fort obscure , notre diplomatiste
s'élève contre la consommation fabuleuse de lettres inutiles qui, d'après
1 ui, surchargerait ces documents, sans avoir l'air de se douter qu'il fait lui-
même une consommation fort inutile de caractères en imprimant à la
suite du titre qu'il considère comme suffisamment original , une copie
postérieure de quinze ans et contenant de notables variantes. Or n'est-
il pas de règle en matière de preuve littérale , que la copie ne peut en
aucun cas suppléer à Y original , et que ce qu'elle contient de différent
en plus ou en moins, doit être réputé non écrit? — Pourquoi donc
imprimer celte prétendue copie de 1550? A quoi peut servir ce luxe
stérile , sinon à éblouir le lecteur ?
Le Vidimus de 1535 est donc seul à étudier , et il me suffira de bien
peu de développements pour établir qu'il contient exactement tout ce
i]ue nous avons déjà trouvé dans les rotules précédents.
L'article 1^^ fixe à deux le nombre des assemblées colongères que le
' 2« lettre, p. 31.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 345
se^neur^ évéque de Strasbourg , lient, chaque année , dans son domaine
de Grendelbnich. Le Vogt du val de la Brusche les préside ; il vient à
cette occasion deitx fois par an pour recueillir les cens dus au seigneur.
Voilà bien le plaid colonger , auquel ^tout détenteur de tenures était
obligé de comparaître y sous peine , d*aprës l'usage , de voir doubler
son cens , ou même de payer une amende.
La justice criminelle se rendait-elle par cette assemblée ? une juri-
diction^quelconque , en-dehors des cas colongers , est>elle par ce docu*
ment attribuée à ce plaid?
L'article 3 dispose : « Ensuite il y a 44 hommes qui ont prêté serm&nl
< entre les mains de notre gracieux seigneur S et ont promis de rendre
c la justice dans la cour franche de sa Grâce : ils siègent a côté du
« VOGT. >
Ces 14 hommes ^ sont donc les assesseurs de l'avoué, délégués et dési-
gnés par le seigneur , auquel ils prêtent serment ; ils sont de plus
salariés par le seigneur, et dou^M)ar lui d'un degré de liberté , supé-
rieur à celui des autres tenanciers. En effet après l'article 1% qui
exprime , pour les 14 hommes , le devoir de dénoncer les faits délic-
tueux et autres, vient l'article 13 dont le texte se traduit littéralement
ainsi :
Traduction lUléraU. } Traduction Hanauer,
Les li hommes sont aussi tenus de
JUGER en matière capitale. À cause de
cela les 14 hommes sont affranchis (dess
habenn Freyheit ') de payer aucun mor-
tuaire après leur mort à N. G. S.
texte : « Auch so seind die vier^ehn Mann verbunden %u urtkeUen iiber dos
Bluth, Dess habeon die vierzehn Mann Freyheit , das'sie kbaynen Fatl nach ihrem
Todt unserm On. H. gebenn. »
La traduction de M. Hanauer est équivoque, en ce qu'elle permet de
supposer que dans sa pensée les 14 hommes rendaient seuls les sen-
tences capitales ; tandis que l'article 3 établit qu'ils ne concouraient à
ces sentences que comme assesseurs du Vogt, Pour cet assessorat ils
ont l'affranchissement du morttuiire.
' Die unnserem Gn. //. Geschworenn , und gelobt Aa^enn....
' Die vierzehn Mann. M. Hanauer traduit : les 14 jurés.
' C'est évidemment la Schœffenbare Freyheiiy raffhinchissement relatif dont nous
parlions tout-à-l'heure. — Sur l'état que cet affranchissement procurait à la personne
qui en était l'objet. V. Walter , g. «up. , u , p. 78,
Les 14 juré4 sont aussi tenus de
RENDRE DES SENTENCES CAPITALES. En
compensation ils ne payent pas de mor-
tuaire , à leur mort , à N. G. S.
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346 REVUE d'alsace.
L'article suivant ajoute une autre franchise à cette qui précède : En
voici encore le teite : je tiens à le rétablir pour rendre le lecteur juge
de la liberté des traductions de mon contadicteur.
« Auch sd sint die vienehn Mann Pbt , dass man sie ann den iweyen Dinli-
hôfenn fîir Recht nitt bekumbem toU , weder sy noch ir Gesinde. Des sollen die
vierzehn Mann auch keyn Urtheil geU nemmen uf den cweyen Dinkliof ol>gem6lt. >
Traduction Hanauer,
Les jurés ont aussi la franchise de ne
pouvoir être inquiétés en justice, dans
les deux plaids colongers, ni eux ni
leurs domestiques. A cause de cela les
quatorze jurés ne prendront point d'ar-
gent pour leurs arrêts , dans les deux
plaids.
Traduction littérale.
De même aussi les quatonie hommes
sont libres, en ce que Ton ne doit pas les
APPELER pour droit *, ni eux , ni leurs
domestiques aux deux plaids. Pour cette
cause les 14 hommes ne doivent égale-
ment pas prendre salaire de jugement
aux deux plaids ci-dessus dénommés.
A mou avis, ce texte qui , j'en conviens , est d'une certaine obscurité,
ne peut s'interpréter que comme dispensant les quatorze de Tobligation
imposée aux autres colongers , soiiF peine d'amende , d'assister aux
deux plaids annuels. Autrement on ne pourrait pas donner de sens à
la stipulation finale qui leur enlève leurs épices pour les jugements quMIs
rendraient à ces deux plaids. Beaucoup de rotules règlent minutieuse-
ment le droit d'assistance dû aux colongers juges, lorsqu'ils ont à sta-
tuer sur des contestations privées *. Ici la dispense d'assister est consi-
dérée comme un avantage qui serait compensé par la gratuité imposée
à leur intervention facultative.
Nous voyons enfin par l'article 16 < que les mêmes i4 hommes sont
« obligés de pacifier ou concilier les difficultés qui peuvent naître à
< cause de la limite des tenures et de planter des pierres-bornes. Pour
< cet office on devra leur donner ce qui leur est dû, savoir : un quart
€ de vin. »
Un lecteur attentif peut-il hésiter à reconnaître la démonstration évi-
dente qui résulte de ce rotule? Ne révèle-t-il pas aussi clairement que
tous ceux que j'avais analysés dans mon Etude , la distinction radicale
' Behumbern , Bekuimbem signifie convenire in judicio. Sghertz , Gloss. h. v.
— Il signifie aussi molestiam creare, oceupare, impedire, pignerare; mais il semble
impossible d'attribuer dans notre texte l'un ou l'autre de ces derniers sens à ce
terme. £n effet que signifierait celte défense d* inquiéter en justice » des hommes qui
occupaient une position relativement éminente au milieu de la population colongére
et cela précisément à l'occasion des deux plaids annaux, présidés par le vogt?
* Voy. entre autres les sentences d'une traduction si excentrique. Pa\fsans , p. S44.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 347
entre le plaid colonger, el la justice criminelle ou contentieuse? Les 44
hommes élus du seigneur, assesseurs du Vogt , n'ont-ils pas, dans ce
rotule pour cette dernière sphère de fonctions , des attributions spéciales,
exclusives de toute coopération du reste de la population colongère?
Est'il possible da dessiner plus catégoriquement que ne le fait ce doeu*
ment la spécialité du plaid ou de rassemblée colongëre , en contraste
avec la justice haute et basse , réservée exclusivement au seigneur , à
son Vogt et à ses 12 assesseurs ? Si l'irritation d'un amour-propre
excessif laisse encore place à un peu de clairvoyante équité dans
l'esprit de mon contradicteur , il doit éprouver une certaine confu-
sion de m'avoir si vivement imputé la prétérition de ce rotule des
Grendelbnich^ et d'avoir laissé tomber de sa plume, à ce propos , une
incrimination comme celle-ci : c La réponse eût Hé fronn^ « écrit-il * ^
^ àum condition toutefois, si cette reme (celle que j'ai présentée des
< coUmges souveraines) avait toujours été faite avec le désintéressement
€ de férudit uniquement soucieux de la vérité. Or ce désintéressement
<f il est impossible de le reconnaître, » Maintenant tout homme de sens
droit est à même de juger si, dans Tordre de dicussion que j'ai
suivi , j'avais le moindre intérêt à sauter par dessus la colonge de
Grendelbruch ; el il ne lui sera pas difficile d'apprécier de quel cAté
est ce désintéressement soucieux de la vérité auquel M. Hanauer a eu
le courage de faire appel. Je me garderai bien de prendre vis-à-vis de
lui le titre à'érudit qu'il m'offre ; il peut convenir à sa suffisance ; je
n'oserais y aspirer dans mon humilité : mais en fait de sincérité , d'à-
tnour désintéressé de la vérité y j'accepte le parallèle , et après la démons-
tration à laquelle il m'a provoqué , dans des termes plus empreints
d'âcreté bilieuse que de prudence littéraire , la solution de la compa-
raison ne doit être douteuse pour personne.
Je m'abstiendrai également d'exprimer le sentiment que m'a fait
éprouver la persistance de M. l'abbé Hanauer à revenir à propos des
rotules de Bulbencken et de Bubendorff , sur une prétendue altération
de textes que j'aurais commise. Je sais qu'il faut toujours , ne fut-ce
que dans l'intérêt de sa propre dignité , passer quelque chose au vatum
irritabile genus ; mais il y a des procédés de dialectique et de discus-
sion avec lesquels un esprit sincère et rectiligne , par une heureuse
impuissance , ne se familiarisera jamais. — Sur quoi repose la chicane
• 1« Lettre, p. M.
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348 REVUE d'alsace.
(je ne puis la qualifier autrement) que continue à me chercher ici
M. l'abbé? chicane au développement de laquelle il a consacré trois
pages de ses premières lettres et trois de sa quatrième ' ? J'aurais pris
un texte pour un autre et cité H. Burckhardt au lieu des Basler Rechis-
quellen!.... Ce petit malheur me fut-il arrivé , serait-ce donc un cas
bien impardonnable , qu'une inadvertance fort inoffensive d'ailleurs en
elle-même , qui me serait échappée dans un travail d'assez longue haleine,
entrepris et accompli au milieu d'occupations et d'interruptions jour-
nalières?... Mais si je m'étais de mon côté appliqué, avec une si rigide
casuistique ^ à grapiller dans les 769 pages de mon contradicteur toutes
les erreurs de citation , les impropriétés d'expression , les contradic-
tions qu'on peut y découvrir , même sans loupe , comment eût-il qua-
lifié (et fort légitimement) un aussi piètre procédé ? — Il suffit d'aller
au fond des choses, dans ce ridicule débat, pour se convaincre qu'il
n'y a pas même d'inadvertance à me reprocher. Les textes sont identi-
quement les mêmes dans Borckhardt et dans les Recktsquellm ; la seule
différence qui se remarque , consiste en ce que dans cette dernière
publication chaque article du rotule est précédé d'une indication initiale,
qui marque l'objet spécial de la disposition^. Mais qu'on prenne le texte
ou qu'on s'arrête aux intitulés, on aboutira toujours à la proposition
principale au soutien de laquelle je les invoquais. Cette proposition la voici :
€ Dans les rotules publiés par feu H. Burckhardt de Bàle, ce qu'on
« appelle juridiction colongère est aussi parfaitement distinct de la vraie
« juridiction que dans les chartes que nous venons de parcourir '. >
Que se propose donc ici M. Hanauer? nie-t-il que le rotule imprimé
dans le tome ii des Rechtsquellen von Basel porte les trois rubriques
que je viens de reproduire en note ? — Pour toute réponse je l'avertis
que ce volume est déposé aux archives de la ville de Colmar , où il
pourra le vérifier, quelque étonnement que j'éprouve qu'un chercheur ^
comme il prétend l'être, en soit encore à ignorer l'existence d'un
Recueil de cette importance. Nie-t-il la distinction faite dans les textes
mêmes publiés par M. Burckhardt? — Mais elle saute aux yeux aussi
clairement que dans le rotule de Grendelbruch , où M. Hanauer n'était
' 4« Lettre , p. 6 , sous le titre hors ligne : Singulière justification d'un texte,
■ Art. 6. Gerichtsbarkeit des Vogtes. — Art. 15. Hofyerichtsbarkeil, — Art. 17.
Bluisgerichtsbarkeit .
' Revue f janvier, p. 84.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION, ETC. 349
pas parvenu à la voir davantage ! — Enfin il met le comble à celte
tortueuse argutie , en descendant à mesurer le nombre de lignes qui ^
d'après lui , séparent dans mon Etude les deux citations ! I On rougit
presque, en vérité» d'avoir à relever de pareilles vétilles; mais elles ont
leur côté instructif; elles donnent la mesure de ce qu'on peut attendre
de certains controversisles , qui ^ selon la fine observation de Labruyère,
ont une bile intarissable sur les plus petits inconvénients !! Tout le
méfait auquel mon contradicteur a consacré près de 6 pages de sa gra-
cieuse correspondance se réduit donc à «eci : deux volumes reprodui-
sant le même texte sont étalés devant moi ; je les consulte et les cite
textuellement tous les deux , sur la même proposition ; mais les renvois
les séparent (Tune ligne au bas de la même page ! I ^ Si mon éducation
et le respect de moi-même ne me détournaient d'imiter l'urbanité de
M. l'abbé , ne serais-je pas autorisé à lui renvoyer le démenti formel *
par lequel il a trouvé de bon goût de terminer cet épisode aussi gratui-
tement blessant que foncièrement oiseux?
Je résume encore cette partie de ma discussion :
Les rotules colongers produits ou reproduits par M. Hanauer, et
particulièrement ceux qu'il a invoqués pour soutenir sa fameuse doctrine
des colonges souveraines et régaliennes y prouvent :
l"" Que le droit de justice {Zwing und Bann) a toujours été une pré-
rogative de la souveraineté territoriale ou seigneuriale.
2« Que nulle part ce droit de justice , ou , comme il l'appelle , le
pouvoir judiciaire n'a résidé dans la population des tenanciers.
30 Que cette population ne formait pas une communauté , ni même
une corporation investie d'une autonomie quelconque.
4« Que la justice colongère ou le plaid colonger était , dans son insti-
tution et dans ses attributs , une espèce de tribunal domestique et sei-
gneurial , constitué principalement dans le but d'assurer la conservation
du domaine, l'indépendance réciproque des lenures, Texécution régu-
lière des obligations censitiques , et de maintenir entre les colongers la
paix et les bons rapports.
b"" Que le seigneur haut-justicier , ou le propriétaire d'un domaine
formant immunité ," avait le droit de forcer ses censitaires à concourir
comme assesseurs à l'administration de la justice , même en matière
criminelle ; mais que ce concours était un devoir qui pouvait leur être
• 4« LeUre, p. 7.
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350 REVUE D*ÀLS4CE.
imposé, et non un droit qu'ils auraient puisé dans une prétendue
souveraineté populaire.
Cela est prouvé à l'évidence par les textes que nous venons d'ana-
lyser et qui établissent que tantôt aucun concours à l'exercice de la
haute justice n'était demandé aux colongers ; que tantôt le seigneur
employait le Ding , tout entier pour assister le Vogt dans ce devoir :
que dans certains domaines, les assesseurs étaient choisis parmi
d'autres habitants que les colongers ; enfin qu'ailleurs encore , l*lsisses-
sorat était attribué à un nombre limité de colongers, choisis et admis
à serment par le seigneur. Dans tous les cas , et partout , le rôle des
colongers s admis à assister à l'administration de la haute justice , se
réduisait à celui de simples assesseurs. J'en conclus donc que la doctrine
qui consiste à attribuer à la population colongère , le pouvoir judiciaire
du souverain, est fausse et erronnée, non seulement dans YexpressUm^
mais encore dans le fonds même des choses.
— Les droits régaliens dont M. Hanauer avait également doté les sou-
verainetésvillageoises de son invention n'ont pu davantage résister à la cri-
tique: seulement , par un de ces abus de gymnastique grammaticale qu'il
a prodigués dans sa défense épistolaire, il cherche à esquiver la défaite ,
en se bornant à avouer que les textes qu'il avait hasardés à cet égard
sont vagues \ Hais quel est le lecteur assez novice pour accepter ce
trop naïf subterfuge ? Je le demande ! qu'y a-t-îl de vague dans un
texte ainsi formulé?... Elles possédaient tous les droits régaliens^.
Ce n'est certes pas l'expression , mais la pensée exprimée , qui est ici
en défaut, et l'on nesetirepdiS d'une pareille assertion, en s'en prenant
futilement aux mots. M. l'abbé n'eut-il pas mieux fait de reconnaître loya-
lement qu'il s'est trompé et que lorsqu'il a écrit cette phrase sonore
il ne s'était pas encore suffisamment enquis de ce qu'ont toujours été
en réalité ces droits régaliens , attributs essentiels de la souveraineté
immédiate !
— Reste le pouvoir législatif , le troisième fleuron de la couronne
dynastique que notre poétique paléographe avait fotgée pour ses Etats
populaires. J'espérais qu'à cet égard au moins , il se résoudrait à une
retraite , £rinon apparente , au moins simulée , après l'embah^as qu'il
avait manifesté dans ses trois premièrtas lettres, à maintenir, en
• 4« Lettre, p. 10.
' Paysans , p. vi.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 351
l*amendanl tant qu^il ]e pouvait » sa téméraire conception des souverainetés
villageoises. — Mais point du tout! à ]a page 10 de sa quatrième
lettre , i) édite l'aphorisme suivant : € Quand un"e loi semblait néces-
i saire » elle était votée , selon son importance , avec ou sans l'aoré-
« MENT DU SEIGNEUR far ks mémes colongers t » Et puis notre excellent
abbé y appelle cela un gouvernement constitutionnel , une monarchie
constitutionnelle , et il se fâche parce que dans une phrase de mon
étude , j*ai (pour éviter une répétilion) substitué le mot de républiques
à celui de souverainetés villageoises ! Ne sortirons-nous donc jamais
de cet étrange galimathias d'idées , de choses et de mots incohérents,
qui enveloppe comme d'un jiuage impénétrable la pensée de notre
auteur. Voyons! un Etat dans lequel le peuple serait seul investi
du pouvoir judiciaire , un Etat dans lequel le même peuple aurait
rinitiative , le vote et la confection des lois , même sam l'agrément et
le concours du seigneur ou souverain nominal : un état dans lequel
toujours ce môme peuple exercerait la presque totalité du pouvoir
exécutifs et aurait le droit d^élire directement la majeure partie des
fonctionnaires S* un élat enfin où ce même peuple aurait avec la plé-
nitude des droits régaliens, la liberté de fidre la paix et la guerre,
de battre monnaie, de conclure des traités, d'asseoir des impôts, etc.,
un pareil Etat , dis-je , ne ressemblerait-il pas beaucoup plus à une
république qu'à une monarchie, même constitutionnelle? — Je ne
conçois pas que M. Hanauer n'aperçoive pas enfin toute l'énormité de
sa chimère ! A ce compte ses colonges souveraines , auraient été plus
que des Pays iEtat ; elles auraient constitué déjà du temps des Caro-
lingiens de véritables républiques municipales, comme celles quie
figurèrent beaucoup plus tard , les villes libres et impériales !... Maïs
poursuivons rapidement l'examen de cette affirmation in extremis du
pouvoir législatif, attribué aux colongers. J'ai beau chercher dans tous
les recueils, une Id votée par des colongers, je n'ai pas eu l'heureuse
chance d'en découvrir. M. Hanauer a-t-il été plus favorisé que moi? —
Sa 4* lettre me renvoyé pour toute démonstration à ses Paysans,
(p. 249^220) : mais après avoir lu et relu tes pages qui doivent
tout prouver, je déclare que je n'y rencèntre pas la moindre Mce^tj^in
pouvoir législatif qu'auraiemt exencé des colongers , mais biên'la jUMi-*
fication du reproche que j'ai été à regret forcé de lui adresser si souvent ,
* Payions, p. vi.
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352 REVUE D* ALSACE.
de mêler constammenl ensemble les choses , les mots , e( les temps
les plus disparates. — Toutes les citations de M. Hanauer sur ce point
se réduisent à ceci : € que dans de certaines localités , le maire a le
( droit d'établir des Eynungen , sur les bois et les champs , comme on
« établit les Eynungen de toute ancienneté , d'après le conseil des gens
< honorables , » et qu'ailleurs € les jurés ont à estimer VEynung. . . > Qu'y
a-t-il de législatif à cela? — Le maire n'est-il pas l'homme du seigneur, le
ministérial du propriétaire et maître de la colonge? qu'il doive dans l'éta-
blissement de certains règlements ou de certaines amendes consulter les
anciens usages et les vieilles gen^ qui peuvent en déposer, cela le rend-il
législateur pour cela? Quant aux jurésj^de la seconde citation , je ne
sais réellement pas où notre auteur est allé les chercher ; il me renvoie
à BuRCRHARDT ^ p. 89 , n^ t2. Or voilà tout ce que rapporte cet auteur
en cet endroit : < Le maire dn Dinghoff, les gens de la cour, les co-
« longers (Hoflût) doivent garder la forêt de Févêque en bas et en haut
f et^ils ont à dénoncer quiconque y commettrait un délit ou encourrait
€ l'amende. » Je ne vois dans ce texte ni jurés y ni pouvoir législatif l
Je ne sais si M. Hanauer a commis ici une erreur de citation : si cet
accident lui était arrivé, je lui promets un peu plus de charité qu'il n'en
a usé envers moi|, pour un cas semblable ; mais il est certain que ce
texte ne dit absolument rien de ce qu'il lui prête. — Notre auteur
ajoute encore qu'à Dannemarie l'argent des Eynungen « servait à
l'entretien des chemins : » il reproduit la même observation pour
Amertzwiller : mais selon son habitude , il ne fait aucune attention
à la date de ces deux documents: l'un est de 1578 * et l'autre
de 1576-1689. C'est pour cela qu^l n'y est plus question seulement
de colongers, mais de bourgeois. Le fonds de ces dispositions est
qu'à Dannemarie l'abbesse de Hassevaux doit entretenir les bêtes mâles
pour que le bétail de la commune {dos gemeinds Vieh) puisse se repro-
duire , et c ce qui sera payé pour cela sera réparti des Va an tiers entre
« le maire et les bourgeois , qui en employèrent une partie pour amé-
< liorer les chemins. > Quant à Amertzwiller, le rotule porte d'abord
que c la première condition ou droit du Dinkhof doit être énoncé et
c posé par le seigneur du DinckhofT ou par le maire, etc. Puis il qoute
c que le seigneur a la permission (le droit) de confirmer et mettre un
c banvart , lequel doit rester sur le ban du hois des bourgeois et garder
• Stopfsl, p. 80.
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RÉSUMÉ BT CONCLUSION, ETC. 353
« les champs et faire mention (des délits) desquels il est permis d'en
« prendre 5 s. avec une livre d'amendement , et celte livre appartient
€ au seigneur ^ » — Je le demande encore, qu'est-ce qu'il y a de
législatif ici , et en tous cas quel serait le législateur ? -— Je terminerai
sur ce point , trop faiblement soutenu pour mériter un plus long
examen , en rappelant quelques principes généraux qui me semblent
incontestables. — La base du droit germanique était la coutume , qui se
révélait par l'ancienne pratique ^ la tradition {das allé Herkommen) :
chaque pays , chaque contrée , chaque localité avait sa coutume , qui
généralement tenait lieu de loi non écrite. Dans aucun pays , la pos-
session immémoriale n'a été aussi prépondérante qu'en Allemagne . et
les institutions les plus bigarres s^y sont perpétuées sans aucune autre
raison d'être que leur immémorialité. Mais déjà Charlemagne avail posé
le principe que la coutume devait céder à la loi *, et c*est eh s'armant
de ce principe , qu'on distingua les coutumes en bonnes et en mau-
vaises , en reconnaissant au souverain territorial le pouvoir suprême
de faire disparaître celles-ci par Texercice de son pouvoir législatif.
Cette faculté, on le comprend^ créait ainsi au profit de ce souverain
une puissance à peu près absolue. Les plus anciens documents l'attestent :
le Lehnrechlsbfich attribue l'origine et la sanction des coutumes à la
volonté des souverains territoriaux 3. Le droit de réviser celles
mêmes qui existaient d'ancienneté, était presque toujours réservé par les
seigneurs territoriaux, dans les actes de confirmation ou de publication ,
et comme M. Hanauer cite Orbey au nombre des colonges où le
peuple aurait exercé le pouvoir législatif, je ne puis mieux faire que
de mettre sous ses yeux l'intitulé du document de 1513, auquel
il renvoie dans sa note. Il est ainsi conçu: c En l'an du seigneur 1513»
* Stoffel , p. 62.
* Cap. gêner, an, 76S, ap. Pertz.
' Durch die menecoalten Gewonheit die die Pischôve , und die Abbte und'die
Abtissin , die da Fursten tind , und andere Ftirsten in ir Hoven sitzent so musen
wir davon nit mehre gesprechen. Wan guote Gewonheit sol man behalten. —
Daniels , RechtsdenknUUer des deutschen Mittelaliers , pag. 243. — Le Miroir de
Stmahe (trad. Rom. publiée par Matile, p. lOS et i09) s'exprime ainsi : « Deys
■ coutumes que U Evesques et H Abbey et les Abbesses et autres grants Barons
« metent au servir en leur cort , ne volons nos mie parler ; car chascun là y met
« selon son puair (pouvoir) ou de volonté , ou selon la coutume de son pays. Cornant '
« qu'il soit les bonnes coutumes se font de tenir , et les maies à layssier. «
i*SArto.— 17*Aiiaét. 23
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354 REVUE d'alsage.
(ï à la conversion de Saint Paul, sur l'ordre des très-nobles Maximin et
« Guillamne de Ribeaupierre, moi»., etc. , convoqués et appelés à in-
« diquer les vieilles traditions, coutumes et pratiques du val , nous les
«avons renouvelées et notées, en réservant toutefois à nos gracieux
a seigneurs le droit de les diminuer, augmenter ou corriger à leur
Kgré. > — Dans le second coutumier, promulgué en 1564, par
Egenolphe de Ribeaupierre , la même réserve est encore reproduite :
< mais toutefois réservons et retenons à nous, à nos hoirs et suc-
€ cpsseurs seigneurs de Ribeaupierre , de pouvoir changer, amoindrir,
« augmenter et corriger à tous jours et temps compétant, iceux cou-
« tûmes, ordonnances et statuts selon notre volonté *. > — U faut
donc reléguer le potit^otr %i$Iaa/ des souverainetés colongères , dans
les mêmes limbes chimériques , où se sont déjà évanouis leur patwoir
ju^daire et leurs droits régaliem.
J'ai fait remarquer tout-à-rheure les dates (xyp et xyii<' siècles)
ài^xquelles se réfèrent les chartes d'Amertzwiller, d'Orbey et de Dan-
nemarie , invoquées par H. Hanauer, ainsi que les dénominations de
bourgeois et de communes qui s'y rencontrent. Ceci me ramène à une
observation que j'ai soulevée plusieurs fois, et qui servira de conclusion
à ce résumé. — L'intérêt des recherches colongëres , dans notre pro-»
vince surtout, gît principalement dans les conjectures qu'on
peut tirer des rotules ou des Weisslhûmer ^ en général, rela-
tivement à l'état des personnes et des propriétés , dans la période qui
s'étend depuis la stabilitation de la conquête jusqu'à l'établissement
définitif du régime féodal. J'ai déjà insisté sur ce fait que M. Hanauer
assigne lui-même l'avènement de ce régime, comme extrême limite , à
ses théories sur la liberté colongère ^ ; seulement nulle part il n'a
nettement accusé la date à laquelle il reporte ce triomphe de la souve-
' Voy. BONVALOT, Les coutumes du val d'Orbey, p. 7 et 8. Nous devons déjà à
ce laborieux magistrat la publication de plusieurs de nos anciennes coutumes alsa-
ciennes , qui étaient conseryées dans de rares collections et par conséquent peu connues.
Les notes qui les accompagnent sont très-intéressantes pour l'histoire du droit dans
notre province.
' Le mot Weissthum , on le sait , n'exprime pas seulement des chartes colongères ;
il désigne toute espèce d'actes de notoriété d'une authenticité variable , mais rela-
Unt d'anciens usages. V. Haltaus , Y» Weissthum, — Schcepflîn » Alsat. iil. -
'grimm, t , p. 111.
' CanstUutionê ^ p. 96 (page mémorable).
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 355
raineté seigneuriale , comme H l'appelle : omission qui laisse à ses
développements une latitude , aboutissant inévitablement à un désordre
chronologique inextricable. — Il est en effet certain, d'une part,
qu'aucun des rotules produits dans les collections de Schiller,
de Grimm , de Stoffel , et dans les livres de notre auteur, ne
remonte par sa rédaction au-delà du xiii^* siècle , et il est également
certain , d'autre part, que le plus grand nombre de ces documents est
d'une rédaction qui descend jusqu'au xvi« et même jusqu'au xyii* siècle.
— Or comment la science les utilise-t-elle? comment les a-t-elles
utilisés jusqu'à présent? — On a considéré cet ordre de documents comme
renfermant le témoignage écrit d'une coutume ancienne et invétérée y
et dès-lors, sans s'arrêter à la seule date de leur rédaction, on s'est
cru légitimement autorisé à reporter les institutions dont elles
révèlent la trace, à un passé plus ou moins lointain. -- C'est comme on le
voit, un simple procédé d'induction. — Mais en cette matière comme en
toute autre, la méthode d'induction exige une grande prudence, et
surtout une clairvoyante circonspection. Si l'on peut à la rigueur,
trouver, dans un texte comparativement moderne, la constatation
plus ou moins claire d'une tradition antique, encore faut -il en
remontant avec cette tradition le cours des siècles, s'assurer d'abord
si elle concorde avec d'autres documents ou d'autres faits dont la
contemporanéité ne peut être contestée. Est-il permis, par exemple, de
négliger dans l'étude de l'état de la société du vr au xi« siècle les actes
des législations mérovingienne, carlovingienne et impériale, les
coutumes générales auxquelles se réfèrent les Leges Barbarorum , et
plus tard les Miroirs de Saxe et de Souabe , le Lehn undLandrecht?
Est -il licite surtout de négliger la succession chronologique qui
permet d'assigner des dates , au moins approximativement certaines ,
aux grandes institutions des bénéfices , des immunités , du régime
féodal et des communes? Les rotules ne peuvent donc pas échapper
à la règle vulgaire qui régittoute interprétation : leurs termes doivent être
acceptés dans le sens que leur impriment les mœurs ou les institutions,
sinon exclusivement du temps oùilsontétéécrits, du moinsdecelui auquel
on prétend faire remonter les usages et les rapports qu'ils constatent.
— D'un autre côté , si cette rédaction même n'a d'autre valeur que
celle d'une attestation donnée à des faits antérieurs, mais subsistants, ne
tombe- t-il pas sous le sens que cette rédaction, dans bien des cas, a
dû s'empreindre du langage contemporain ^ tout en ne préttindant
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356 REVUE D* ALSACE.
exprimer que des faits anciens ? La date de la rédaction devient donc
ici un élément capital ; car il a toujours été de principe dans la diplo-
matique comme dans la jurisprudence , que le sens des termes se fixe
par le temps et le lieu ou ils ont été écrits. Qu'y a-t-il d'étonnant , par
exemple , de trouver les termes de bourgeois , de commune , de caisse
communale 9 dans des écrits du xvi* et du xvii* siècle , et quelle
légitimité y aurait-il , je le demande , dans le raisonnement qui pous-
serait à donner une réalité rétroactive à ces expressions, en les
reportant à une époque où notoirement les institutions auxquelles elles font
allusion, n'existaient point? — Cette induction serait souverainement
irrationnelle, d'autant plus que dans les rotules plus anciens , ceux
du XIII' et du xrv* siècle , de pareils termes ne se rencontrent nulle
part. On n'y parle ni de bourgeois , ni de commune. Je sais très-
bien que M. Hanauer n'est pas de cet avis : je sais que d'après lui les
communes ont totijours existé; que les mots Gemeine^ Universitas ds^ns
les chartes mérovingiennes et carlovingiennes expriment déjà pour lui ,
Vétre moral collectif qui, bien plus lard seulement, apparaît sur l'horizon
du moyen-âge. Je ne le suivrai pas dans cette nouvelle thèse^ paradoxale
dans mon opinion, puisqu'il promet de la développer dans un livre à part ' .
J'attendrai : mais jusque-là , je continuerai à croire , avec l'unanimité
des historiens , que les grandes communes ne se sont organisées ,
chez nous généralement , qu'après la féodalité , au plus tôt au xiP siècle,
et que les petites communes rurales , faible ombre des municipalités
urbaines ne se sont constituées, fort débilement d'ailleurs, que beaucoup
plus tard '. Je crains bien que notre auteur ne soit encore ici victime
de son système d'étude trop restreint, trop exclusif, et qu'il ne
s'opiniâtre dans une confusion. Il y a eu de toute ancienneté des groupes,
des agglomérations d'habitants ; mais ce n'est pas cela qui forme ce
qu'on appelle la commune , c'est-à-dire un être moral , doué d'une
représentation propre (collegium) et constituant ainsi une personne
* i» Lettre, p. 13.
' Je ne Terai pas de citation sur ce fait historique ; il n'a jamais été contesté. La
nouvelle théorie de M. Hanauer trouvera , je le lui prédis , bien des incrédules.
L'origine des communes semble une certitude acquise ; on ne la discute plus. Voici ,
entre autres , comment tout récemment encore M. Darbois de Jubainville s'explique
sur cette confusion de temps et de termes dans laquelle se complaît notre auteur :
- Universitas, au xiii* siècle , voulait dire la totalité, l'ensemble; ce n'est que
• plus tard qu'il a pris le sens de corporation. • Revue critique d*hiêtoire, p. 196.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION^ ETC. 357
juridique, capable d'exercer tous les droits et tous les actes
de la vie civile ^ Si j*avais à m'étendre plus longuement sur ce sujet,
je pourrais montrer , en ro'aidant de la lumière de documents irrécu-
sables 9 comment l'esprit d'association et de compagnonage , si vivace
chez les races germaniques, a peu à peu pénétré et uni entre eux les
groupes de population épars sur le domaine d'un même souverain ,
créé ces confédérations bourgeoises auxquelles les puissances civiles et
religieuses se montrèrent si longtemps hostiles , et fini par conquérir, à
force de patience et d'énergie, cette liberté communale qui n'atteignît son
apogée que dans certaines villes ^ La formation progressive du Tiers-Etat
est le grand œuvre du moyen-âge , et cette lente , mais persévérante
marche des deshérités et des serfs de toute condition et de toute
classe, vers l'affranchissement et la liberté, est un spectacle plus
fortifiant pour l'âme , et surtout plus conforme à la vérité , que ne sont
satisfaisants pour l'imagination et acceptables par la raison , ces rêves
d'une liberté Préadamique , dont il deviendrait impossible d'expliquer
la complète disparition au x* siècle.
La colonge n'a jamais été une commune : aussi loin qu'on remonte
l'échelle des temps , aussi bas qu'on la descende , nulle part on ne
peut découvrir dans la première aucun des organes essentiels et dis-
tinctifs de la seconde : ni magistrature élue, ni conseil, ni même
aucun lien corporatif quelconque. La colonge antérieure à la commune
s'est toujours maintenue distincte de la commune , et ce fait , attesté
par les textes les plus nombreux et les plus positifs , suffit à lui seul
pour écarter la confusion moyennant laquelle on voudrait attribuer,
dès les plus anciens temps , à l'agglomération colongère , le caractère
corporatif et Tautonomie relative qui ont spécialement distingué la com-
' Sur ces traita élémentaires de la commune, voy. Eighhorn , ii , pag. 157. —
MiTTERMATER , I , p. 297 , etc. , etc.
' V. Gadpp, dos Slàdteweien im Mittelalter» S'il était besoin de preuves pour
Uêinuntrer que chez nous la liberté communale n'a atteint son maximum que dans
les villes immédiales , il suffirait d'appeler l'attention sur la condition inférieure
dans laquelle se maintinrent nos villages, et même nos villes seigneuriales. Le
lecteur qui voudra s'édifier sur cette comparaison la trouvera parfaitement établie
dans l'excellente Etude sur l'organisation mimicipale de Saoerne , publiée dans
cette Revue par M. Dagobert Fischer , et dans les savantes Recherche» sur la
Constitution municipale de Calmar de M. X. Mosshann , publiées dans le Bulletin
des monuments historiques.
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358 REVUE d'alsage.
mune. Ainsi , à Amertzwiller, à Dannemarie , à Orbe; , où nous avons
été obligé de suivre tout-à-rheure H.^ Hanauer, la commune existait
incontestablement aux xvi* et au xm* siècles, d'après les rotules
mèn^s que nous avons cités ; et les colonges subsistaient néanmoins
dans ces mêmes localités, avec leurs attributs particuliers. H. Stoffel,
dans son précieux recueil, publié en 1861, sous les glorieux auspices
de J. Grimm ^ , nous a conservé, entre cent autres , une pièce ' qui
jette une grande lumière sur les rapports de la colonge avec la com-
mune: c'est une supplique présentée en 1660 à ViAVOuéy SchuUheisSi
bourgmestre et conseil tle la ville d'Eguisheim (Vogtj SchuUkeisSy
Bûrgermeister und Rath der Stadt Eguisheim) par le bourgeois Jean
Hartmann {unser angehôriger Mitbûrger) , pour obtenir de l'autorité
communale la constatation et même la démarcation d'une ancienne
cour colongère, appelée Kaysers Dinkhofft dont le titre avait été
renouvelé une dernière fois en 1559, mais qui depuis avait été désertée
par les colongers, chassés ou dispersés par les violences de la guerre.
A la suite de la supplique se trouve la transcription de la charte colon-
gère^ preuve palpable que le Dinkhoff était considéré comme une
possession particulière , tombant sous la protection de l'autorité com-
munale , mais ne se confondant pas avec elle. — Je ne veux pas m'é-
tendre davantage sur cette démonstration en quelque sorte digressive ;
et je clorai cette dernière partie de mes observations par l'analyse ra-
pide d'une série de titres empruntés à un coin de notre province , mais qui
donnent en quelque sorte un tableau récapitulatif de l'état et du déve-
loppement de nos institutions anciennes depuis la ilfarcA jusqu'à la libe^rté
communale la plus élevée, celle d'une ville libre et impériale. Pourquoi
dans ses vastes recherches M. Hanauer a-t-il si complètement perdu d^e
vue la confédération singulière de ces dix communes, qui s'élevèrent au
fonds de la vallée de Munster autour d'une abbaye bénédictine , et se déco-
rèrent au moyen-âge du litre pompeux do Décapote du val de Saint-Gré-
goire? Je ne crois pas qu'il y ait dans notre Alsace un seul territoire où il
' Ce recueil , fruil d'une longue exploration de nos archives , était achevé en
1 846-1847. Gr&ces à la complaisance de M. Stoffel , j'en possède une copie manuscrite
depuis cette dernière année et dussé-je blesser la modestie de ce savant et labo-
rieux investigateur de nos antiquités nationales, je suis heureux de saisir l'occasion
de m'acquitter publiquement envers lui d'une dette d'affectueuse reconnaissance.
• Stoffel , p. 172.
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RÉSUMÉ ET CONCLUSION , ETC. 359
soit plus facile d'observer la gradation historique, grâce aux do-
coments qui , à chaque siècle en quelque sorte , y marquent les états
différents par lesquels ont passé les populations et la seigneurie! J'avais
déjà signalé cette lacune inexplicable dans mon Etude ' ; je vais ,
en la réparant, achever par une justification en quelque sorte tex-
tuelle la confirmation des propositions que j'oppose aux doctrines de
M. Hanauer. — Le territoire sur lequel s'est fondé au vn« siècle Tab-
baye des Bénédictins du confluent y était une Marck, et comme toutes les
grandes marches de notre pays, elle faisait partie du^isc royal : celle
de Munster dépendait du fiscus Regius Columbarius. Cette Mardi est
décrite avec ses antiques limites, selon la judicieuse observation de H. Mono,
dans nos plus anciens diplômes*. La population de ce territoire fiscal
ne pouvait donc se composer que de fiscalini, homines fisci, etc. Un
diplôme de Louis-le-Débonnaire , de 817 , indique que cette marche a
été abandonnée au monastère^ sans chaire de don gratuit, sans charge
de service militaire , mais à la seule condition de prier pour l'Empe-
reur et pour l'Empire 3. On peut toutefois inférer d'une charte de 833 *
que tout en se dépouillant gratuitement , l'Empire s'était réservé une
part (partem quandam) dans le domaine concédé à l'abbaye. Cette part
était le tiers de l'advocatie (Vogtey). L'abbaye, comme cela se pratiqua
partout , attira la population sur ce territoire , et peu à peu se for-
mèrent sur sa surface dix agg]om<^rations principales '. D'assez nom-
breuses cours colongères s'y montrent dès les temps les plus récriés.
L'abbaye avait le dominium ou le bannum sur tous les habitants ,
colons ou autres. Le Vogt représentait non«seulement l'abbaye, mais
aussi l'Empire. Cette division de la Vogtey cessa en 1235 , par la cession
qui fut faile des deux tiers qui lui compétaient dans ce pouvoir, par
l'abbaye à l'Empereur Frédéric II ^, et cette consolidation de l'advocatie
procura à la population un premier privilège , celui de relever directe-
' Revue , février, p. 67.
' Voy. notamment la charte apocryphe d'Ebersmunsler de 817, citée par M. Ha-
nauer, 4" lettre, p. 14 ; mais heureusement pour la description de la Marck , ce
titre est confirmé par des diplômes contemporains, de 817 et 828.
' Ap. Grandidier , Eglise de Strasbourg , n, N« 90.
* ScBQEPFLiiv , Als. dipl. , 1, p. 69. GRANDIDIER , Hist, d'Alsace, I , lit. 144.
' Munster, MQhlbach, Metzeral, Breitenbach, Sondernach , Sultzeren, Stosswihr,
Uohroth, Lautenbach et Eschbach.
* Diplôme daté de Uagveaau. — ScHCBiVLm , Ahat^ iU, , g 759.
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360 REVUE D'ALSACE.
ment de TEmpire ; mais ce privilège ne Tafiranchit pas de Tautorité
territoriale de l'abbaye , quoique dès-lors comme bourgeoisie de l'Em-
pire cette population put jouir de la forme communale. D&s le
xm^ siècle éclate ce fait curieux, d'une confédération qui réunit en une
seule cité , en une seule commune , dix agglomérations d'habitants ,
séparées par des distances relativement considérables. Hais que celte
émancipation communale est encore loin de cette liberté personnelle
que M. Hanauer a fait rayonner sur l'horizon du moyen -âge le
plus reculé! I En 1339 apparaît la transaction célèbre intervenue
entre l'abbé Marquart, représentant le monastère d'une part, eiVavaué,
le œnseil et la commune du Val et de la ville d^ autre part ; aucun do-
cument , que je sache , ne dessine plus clairement les phases qu'a dû
parcourir l'émancipation communale avant d'atteindre à son extrême
limite. Loin de débuter par une liberté absolue, par une espèce de
souveraineté populaire , on voit au contraire qu'elle subit toutes les
lenteurs d'jin aOranchissement graduel. Ainsi l'abbaye , tout en stipu-
lant avec une commune, se réserve expressément dans cette transaction
la haute juridiction {Zwing und Bann) la nomination du Schultheiss
(en réduisant la charge au viager) , l'investiture exclusive de 21 ofiB-
ciers (cellerier, percepteur d'impôts , préposé aux poids et mesures ,
directeur de travaux publics (Werkmeister) , etc. *. Si elle consente
, respecter les libertés de la ville {Unser Statt Freyheiten) , c'est à la
condition que celle-ci ne touchera en rien aux prérogatives de l'abbaye.
L'abbé se réserve du reste les deux tiers de la justice du Schultheissen-
thumb et ses droits de corvée contre tous les habitants. La population ,
malgré l'existence de la commune , est divisée en deux classes ; l'une
que le diplôme appelle la classe des hommes libres (firigen, fireyen
Luth) , l'autre , la classe des hommes propres et taillables {eigen zins-
geltigefi Leuth). La première classe ne jouissait que d'un afGranchisse-
ment relatif, laissant sabsister l'empreinte de la dépendance servile :
la lignée reste féminine* et ces libres demeurent assujétis aux corvées et
au mortuaire qui doit consister dans la meilleure tète de bétail , le
meilleur habit ou le meilleur lit. On leur promet en compensation , il
' Ce diplôme portait, dans les archives de l'abbaye, le titre de Grosse Dinckhoff
iu Munster. Schœpflin lui a donné avec raison le titre de Transaelio. ( DipL , ii ,
p. 162). M. StofTel le reproduit avec le premier intitulé , p. 183.
' Die freyen Luth der Mutter nachschlagend und nie dem Voter naeh.
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RÉSUMÉ ET GOlfCLUSIOW , ETC. 961
est vrai y de sonner tontes les cloches et d'allumer des cierges à leur
enlerrement. Quant à la seconde classe , celle des hommes prcpreSy
ils restent sous rautorité directe de l'abbaye ; ils ne peuvent rien
aliéner ni changer de demeure, sans la permission de l'abbé; s'ils con^
treviennent, ils sont punis corps et biens. — Quel crédit peut-on accorder
à la théorie de la liberté universelle et native , défendue par M. Hanauer,
en présence de faits de cette nature qui donnent si clairement la me-
sure de ce qu'était cette liberté , même après un premier affranchisse-
ment communal ? — Mais poursuivons : après avoir ainsi reconnu la
commune et l'advocatie , réglé ses droits au SchuUheissenthumb , déter-
miné le nombre des fonctionnaires à son choix, l'abbé indiqué que le
monastère possède à Munster une cour colongère de laquelle dépendent
des biens appelés Zellegut et Mentagsgut, pour lesquels les détenteurs
doivent aller au Geding trois fois par an. Cette cour n'exerçait donc ni
la haute justice , ni la justice contentieuse , ni le pouvoir judiciaire ,
puisqu'on la voit subsister dans la commune à côté du Gericht ou du
SchîMheistenthum I La fonction du Geding est du reste bien dessinée ,
conformément à tous les précédents que nous avons déjà cités , par un
renouvellement de 4498 \ On voit par ce document que les colongers
(Hueber) se réunissent sous la présidence de Conrad de Wunneberg ,
cellerier, collecteur de cens {Zinsmeister^ quœstor) et maire de la cour
(Hoffmeyger) pour aider à une nouvelle rédaction du Rotule , qui doit
renfermer tous les anciens us et coutumes de cette cour appelée Jung-
hoUZ'Dinghoff. L'art, l** est relatif à la tenue du Geding, auquel
doivent comparaître chaque année personnellement de leurs corps (ir
selbstlibe) les colongers, afin de lenir le plaid , d'y prêter serment, de
régler et payer également sous leur serment leur cens y quHl consiste en
argent , en poulet , en grains ou en chapons. Doivent faire de même
ceux qui ne sont pas colongers, mais qui néanmoins sont tenus de payer
leurs cens à cette cour, et ils doivent payer ces cens et en répondre en-
semble» Puis viennent les amendes contre les absents et les retarda-
taires, les stipulations deLaudème, l'obligation pour chaque tenancier
de déclarer sow serment les corps de biens pour lesquels il doit le
cens , en un mot , tout le cortège de prescriptions minutieuses qui ,
suivant nous , impriment à ces assemblées colongères une Spécialité si
précise et si conforme à leur évidente destination. N'y eût-il que cette
* StoFFEL , p. 198.
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362 REVUE D'ALSilCB.
prodigalité de sermmts imposés à chaque colonger, el même au simple
censitaire , serment pour reconnaître la colonge , serment pour attester
le montant du cens et les espèces dans lesquelles il doit être acquitté ,
serment sur la contenance des biens de chaque tenure , qu'elle suffirait
pour justifier cette interprétation que j'ai déjà si souvent produite , et qui
consiste à attribuer à ces assemblées un but principal , celui de main-
tenir, à défaut d'écriture , l'intégrité administrative du domaine colon-
ger. — La ville et la vallée ne restèrent pas longtemps sous la rigoureuse
dépendance dans laquelle les maintenait la transaction de 4339. Par une
charte, datée de Colmar, en 1347, l'Empereur Charles IV promit de ne
pas détacher de l'Empire les bourgeois de Hunster, el en 1354 le même
Empereur, se trouvant à Schlestadt , concéda à la ville et à la vallée
tous les droits privés et publics , qu'Adolphe de Nassau avait accordés
en 1293 à la ville de Colmar. Il ordonna en outre que si les bourgeois
avaient quelque procès avec leurs magistrats , le sénat de Colmar serait
l'arbitre du différend. — La ville garda les armoiries de l'abbaye. Son
magistrat (Senatus) se composait de 16 assesseurs nommés à vie:
l'abbé , dans les premières constitutions , avait à en nommer trois ; les
deux premiers sénateurs de la ville portaient le nom de Burgermeister.
La liste se dressait à l'abbaye, par le Reichsvogt de Kaysersberg (repré-
sentant le Landvogt ou l'Empereur) , l'abbé et le greffier de la ville K
Ensuite les bourgeois et tous les fils de bourgeois, âgés de plus de
14 ans , étaient appelés , par le son de la cloche , sur la place ; l'abbé
et le Yogt prêtaient serment à la ville , le Sénat le prêtait aux bour-
geois, et ceux-ci à leur tour au Sénat et à la ville. Munster prend donc
rang parmi les villes libres et impériales , ce qui n'empêche pas l'ab-
baye de conserver ses cours colongères à Munster, à Sundernach , à
Melzeral * , et ces cours d'avoir leurs Dings , comme par le passé.
Preuve évidente à ajouter à tant d'autres que la colonge n'a jamais été
une souveraineté collective et populaire, douée de la pleine juridiction
sur les territoires sur lesquels elle s'étendait ! — Ce tableau sommaire
d'une cité, commençant humblement par des groupes qui s'établissent
sur un vaste domaine d'abord fiscal et plus tard seigneurial , qui se
lient peu à peu entre eux par une confédération personnelle^ pour
atteindre d'abord à un affranchissement à peine perceptible , et pour
' ScHCEPFLiN, Alsai, ilLt 8 761.
* V. Stoffel, Renouvellements de 4468-4498, p. 194 , v. s.
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RÉSUMÉ BT CONCLUSION , ETC. 363
aboutir final0mQi^t;i l'autonomie d'une ville libre et impériale., rn*est^il
pas la meilleure conclusion que je puisse donner à la controverse que
H. Hanauer m'a forcé de continuer contre lui ? Cet exemple ^ qui ré-
sume tout ce que j'ai dit sur l'état des personnes , la constitution des
souverainetés, le caractère des affranchissements, l'organisme des
colonges, et même sur l'origine des communes, peut servir de pierre de
toucbe aux doctrines contraires qui se sont agitées entre nous. Quant
à moi y je ne puis admettre que notre auteur ait pu sérieusement se
méprendre sur la portée de son système, au point de ne pas voir qu'il
conduit nécessairement à faire de la colonge, dès le principe, une véri-
table commune autonome et souveraine, tandis que dans ma conviction
intime , conviction appuyée du reste sur l'opinion des auteurs les plus
accréclités^ .<^t# institution colongère, d'après tous ses éléments connus ,
n'a été qu'une des formes sous lesquelles le souverain .territorial régissait
et administrait ses terres , forme dans laquelle on retrouve à l'état de
rudiments les traits principaux du fief, tel qu'il s'organisa plus tard.
— Je tiens, avant de finir, à dire mon sentiment sur le ton et la tour-
nure inusités qu'a pris cette jongue controverse.
Dans les premières lignes de sa correspondance, M. Hanauer a bien
voulu reconnaître chez moi un vif intérêt pour les lettres alsaciennes. Je
n'ai certes pas , je le répète , pu donner une meilleure preuve de la justice
de ce témoignage que le labeur que j'ai librement entrepris , et que je
continue patiemment dans l'unique but de défendre nos traditions histo-
riques contre des erreurs , d'autant plus dangereuses qu'elles se sont
produites avec beaucoup d'assurance , et une apparence d'érudition in-
contestable. Je ne me suis jamais montré empressé à ce genre de lutte,
et sans le sentiment consciencieux d'un devoir à remplir , je ne serais
pas sorti , même à propos des Paysans et des Constitutions , de mes
habitudes d'amateur passif, quoique assidu et dévoué. Je ne sais donc
pas si M. l'abbé a voulu continuer envers moi les câlineries de son
exorde épistolaire ou s'il s'est proposé quelque petite méchanceté féline^
en parlant de mes campagnes qui ne se seraient pas toujours évanouies
dans le silence \ Derrière les demi-jours, les pénombres de son style ,
il n'est pas toujours facile (nous venons de le voir mainte fois) de péné-
trer nettement sa pensée ou ses intentions. — Je n'ai qu'un root à lui
' kf Utve , p. 4.
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364 REVUE D' ALSACE.
répondre à ce sujet. S'il a voulu être flatteur , il l'aurait été trop ; s'il a
voulu être caustique , il lui serait arrivé pour ma biographie ce qui lui
est arrivé trop souvent pour ses colonies ; il aurait mal vu , et par
conséquent frappé à faux. Je ne me connais pas en effet (et personne ,
j'en suis sûr, ne me connaît) de campagnes littéraires^ soit silen-
cieuses, soit éclatantes. Depuis que j'ai appris, en cinquième, la
maxime : Ne sutor suprà crepidam , elle m'est restée dans la tète , et
elle eut suiB , si j'avais jamais ressenti la dangereuse démanfi;eaison de me
faire auteur, pour m'ôter le courage d'écrire une seule ligne sur des
matières étrangères à la science à l'étude de laquelle j'ai consacré toute
mon intelligence et toute ma vie. Aussi mon mince bagage littéraire se
réduit-il à quelques dissertations ou mémoires juridiques, à des comptes-
rendus de publications se rattachant à la science historique du droit ,
telles que celles de MM. Réville , Trouillat^ Heitz^ etc., comptes-rendus
dans lesquels j'ai eu l'heureuse chance de n'avoir à exprimer que des
éloges ce qui , par conséquent , ne les exposait pas à faire grand bruit.
Ces Etudes reposent paisiblement dans les cadres des recueils qui ont
bien voulu s'ouvrir pour elles , comme s'y serait assoupie pareillement
ma dissertation sur les colonges si l' amour-propre surexcité de M. Ha-
nauer n'avait pas cru trouver son compte à en révéler l'existence urbi
et orbi ^ en faisant briller aux vitrines de toutes nos librairies ses élé-
gantes et victorieuses réfutations. Il a donc bien raison de ne pas
m'envier comme il a la bonté de m'en donner Tassurance, car
réellement, en me prêtant des campagnes littéraires, il a pris à
rebours le proverbe qui veut qu'on ne prête qu^aux riches, —
Que sont en effet mes maigres états de service, en comparaison
des expéditions répétées qui, malgré sa jeunesse, chargent déjà les
siens? — Je suis pour ma part très -disposé à être convaincu
de l'ardent amour qu'il porte aux lettres alsaciennes ; mais il ne peut
pas nier que les preuves qu'il en a données jusqu'à présent, aient été
exclusivement adversatives comme diraient nos voisins. Chacune de ses
publications, comme s'il obéissait à quelque monitoire mystérieux
prescrivant une croisade, a été une \éniMe campagne aggressive :
campagne , contre les intéressantes notices , publiées par M. X. Hoss-
mann , sur la Réforme à Colmar ; campagne , contre la traduction de
notre chronique des Dominicains , publiée par MM. Liblin et Gérard ;
campagne y contre ce livre d'une si charmante érudition : L'ancienne
Alsace à table ^ qu'il accuse d'irrévérence envers Vaustère moyen-
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r£sumé et conclusion, etc. 365
&ge ; campagne enfin , contre Vavocat distingué qui a publié y il y a peu
d'années y les deux célèbres mémoires pour la ville de Strasbourg !...
Personne ne trouve grâce devant cette ardeur guerroyante , ni les ser-
monnaires Geiler et Tauler, ni Schertz, ni Schœpflin , ni Raspieler, ni
Schilter, ni Wehner , ni même ce pacifique et savant L. Spach , ce
doux et fin Erasme alsacien qui pourtant, comme son illustre devancier,
se tient, avec une si élégante réserve, à l'écart de tout ce qui peut
ressembler à une polémique ! N'est-ce pas là , en effet , une singulière
manière de montrer son goût pour les kUres alsaciennes , que de se jeter
tête baissée contre tous ceux qui, dans le passé comme dans le présent,
les ont cultivées et les cultivent avec le plus d'ardeur et de succès ?
'^M.Hanauer a eu tort de prendre pour une épigramme, ce qui de ma
part n'était que l'expression sincère d'un véritable regret. Quand on se
sent assez riche de science acquise pour se faire auteur, on doit se
préoccuper davantage de produire ses propres idées que de nier celles
des autres. La négation ne conduit à rien , si derrière elle ne se con-
struit une affirmation Nous venons de voir ce qui est advenu de cette
structure des souverainetés villageoises, que notre auteur a élevée
si pompeusement dans ses livres , et que cependant dans ses Lettres il a
été obligé de démolir à-peu-près pièce par pièce de ses propres mains ;
désagrément qu'il aurait évité , s'il ne s'était laissé constamment dis-
traire de l'étude calme des textes et des faits , par l'ambitieux désir de
se séparer de tous ceux qui les avaient pesés et appréciés avant lui.
H. l'abbé peut sans doute chercher à justifier l'expression militante qu'il
a donnée jusqu'à présent à son amour pour les lettres alsaciennes ^ par
la maxime : qxd aime bien châtie bien! mais n'aboutirait-il pas ainsi à cette
conclusion que la critique peut être quelquefois un acte de véritable dévoû-
ment , sinon envers les écrivains, du moins envers la science et la vérité?
S'il a compris ainsi ^ celle qu'il a prodiguée jusqu'ici à tous ceux qui de
nos jours ont bien mérité de notre histoire provinciale , pourquoi donc
se montre-t-il si susceptible envers celle que j'ai dirigée contre ses
livres? Il faut savoir souffrir ce qu'on a soi-même fait supporter aux
autres ; et si on l'a fait à bon escient, on manquerait à la fois de justice
et de désintéressement personnel , en supposant à autrui une intention
autre que celle qu'on aurait eue soi-même.
Voici pourtant, que devant la première contradiction qu'il rencontre ,
cet Aristarque intrépide affecte de prendre l'attitude dolente d'un offensé
que j'aurais accablé de personnalités el de sarcaâmes ! Cela est-il aérieui
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3(W^ MmïtfD'AL'SACIÎ.
de sa part? Je serais désolé de le croire ! heureusement , on le sait ,
l'amour-propre est bien riche en illusions !
Lynx envers nos pareils , et taupes envers nous ,
Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes !
Sincèrement , je ne crois avoir en rien motivé les doléances deH. Hanauer .
S*il tient absolument à se poser en victime, pourrait-il être assez injuste
pour méconnaître que je l'aurais au moins très-convenablemetit otné de
bandelettes et de guirlandes ? Il n^a pas dédaigné (et cela m'a fait grand
plaisir) de s'apercevoir des louanges que je lui ai prodiguées dans toutes
les parties de mon Etude ^ et à en juger par le soin qu'il a pris de les
transcrire textuellement dans sa correspondance^ il m'est doux de
pouvoir croire que loin dé lui être indifférentes elles
Chatouillaient de son cœur l'orgueilleuse faiblesse !
Ne devait-il donc pas , après avoir accepté l'encens , après avoir
reconnu lui-même que j'avais fait une lat^ge part à l'éloge \
réserver à la critique un accueil plus équitable , je dirai même , moins
intolérant? Peut-il me citer un seul passage de mes Quelques mots (qui
lui ont paru si longs , et à moi aussi) dans lequel j'aurais cherché à
le blesser dans une qualité véritablement persannelle, telle que la
bonne foi , la droiture , la sincérité , voire même l'aptitude ! —
Trouvera-t-il quelque part tombées de ma plume , des invectives
comme celles de démenti formel , d'altération volontaire de textes ,
d'arrêts obtenus par surprise , et cent autres aménités du même ton ,
qui émaillent ses lettres si pleines d*atticisme! J'ignore comment la
charité et l'humilité chrétiennes peuvent s'accommoder avec de pareils
éclats d'orgueil irrité : mais ce que je sais , c'est que mon
honnêteté et ma dignité de simple laïque eussent défendu à mon
amour-propre, si soulevé qu'il eût pu l'être , de céder à la tentation de
semblables excès de langage.
Pour se donner le droit de crier à la personnalité , et forger ainsi
un prétexte à de si véhémentes sorties, M. Hanauer comprend (nous
l'avons vu) au nombre des qualités intimes , devant lesquelles, d'après
lui , doit s'arrêter la critique , la perspicacité et le discernaient de
l'écrivain. Ces bomes-Ià n'ont jamais été reconnues dans la république
des lettres , et si elles parvenaient à s'y faire accepter, il faudrait
renoncer à toute discussion , par conséquent à toute lumière*! ce serait
Mr^ Lettre, p. î.
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RéSUMÉ BT CONCLUSION, ETC. 367
rinauguralion du Mandarinisme, sous le régime duquel un simple bonnet
suffit pour décider souverainement de toute science et de toute vérité.
Quand j'ai blâmé la mauvaise disposition donnée par M. Hanauer
à ses nombreux matériaux , quand j'ai signalé la confusion que< jetait
dans ses volumes l'absence de toute vue d'ensemble , de tout ordre
chronologique ou rationnel (confusion qui a certainement frappé tous
ceux qui les ont lus) ai-je attaqué sa personne , ou ne me suis-je pas
borné , selon mon droit » à juger son œuvre?
Lorsque j'ai soulevé des objections irréfutables et irréfutées contre
sa prétention de refaire l'histoire exclusivement par les archives ,
sans tenir compte ni des faits généraux,, ni des législations les plus
célèbres y ni même des témoignages contemporains; — lorsque j'ai
contesté l'autorité de certaines découvertes , et démontré , comme je
crois l'avoir fait , la fragilité de plusieurs documents invoqués , ai-je
étendu contre la personne de l'auteur, cette critique dirigée exclusi-
vement contre son œuvre?
Enfin lorsqu'abordant l'éloignement exprimé par M. Hanauer pour
les travaux secs et arides des jurisconsultes et la condamnation qu'il
prononce en masse contre les légistes, coupables, d'après lui, de toutes
les inepties du passé , j'ai laissé entrevoir la lacune regrettable que
l'absence de toute étude juridique imprime nécessairement à toute sa doc-
trine, ai'je dépassé la mesure d'ironie licite qu'autorisait, que provoquait
même un si singulier aveu I La critique serait réduite à n'être plus
qu'une maussade et terne annotation , si on lui interdisait cette gaité
exempte de malveillance que soulèvent bon gré malgré certaines excen-
tricités littéraires I Comment^ par exemple , l'auteur a-t-il pu prendre
pour une personnalité blessante la qualification AHgnorance relative que
j'ai donnée à sa répulsion pour les travaux des jurisconsultes ? Cette qua-
lification, ne la poussaitril pas lui-même sous ma plume , et pouvais-ie
me douter que je l'offenserais en constatant ainsi une répugnance qu'il
me semblait mettre un certain plaisir à professer? On peut être un
parfait honnête homme , même un écrivain de mérite , et éprouver
pour la science du droit un éloignement insurmontable. Chacun subit
dans ce bas monde , l'influence de ses attractions et de ses répulsions
instinctives. Seulement, quand, par délicatesse de goût ou tout autre cause,
on a obéi à une de ces répugnances , il ne faut pas prétendre savoir ce
que l'on se fait une espèce d'honneur de n'avoir pas appris , et ne pas
imiter ainsi ce poète hargneux auquel Horace fait dire :
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368 REVUE D'ALSilCE.
Hihi turpe relinqui est
Et guod non didici sanè nescire fateri.
DUnoSensives plaisanteries , motivées par la bizarrerie même dé
certaines opinions et tempérées d'ailleurs par des loaanges répétées, n*ont
jamais été considérées, par les hommes de bon sens, comme de cou-
pables personnalités. Quant à moi , j'ai tenu à émettre consciencieusement
et librement mon opinion sur les théories nouvelles que M. Hanauer
a produites , et aussi sur le trop de sans-façon avec lequel il a traité la
méthode et les autorités acquises. Je me suis constitué juge de son œuvre ,
comme c'était mon droit. Je n'ai pas eu un instant la pensée de m'occuper
de sa personne , quoiqu'à mon avis elle se mette trop constamment en vue
dans ses livres, pour qu'il soit toujours facile d'en faire abstraction. J'ai
combattu et je combats principalement l'hypothèse des colonges souve-
raines et régaliennes, hypothèse qui est le centre de tout son système,
centre autour duquel se groupent les autres théories secondaires qu'il a
cherché à accréditer. — Ypersiste-t-il? Voilà toute la question. — Ses trois
premières lettres me semblaient annoncer de sa part un abandon à-peu-
près absolu. L'amertume qui perce dans sa quatrième me rejette
dans rincertitude. H. Hanauer a-t-il été blessé de ce que dans ma Courte
réponse j'aie rendu cet abandon trop sensible? ou a-t-il cru réellement ,
à l'aide des nouveaux arguments qu'il y produit , pouvoir rétablir les
choses en cx)ntinuant à ne sacrifier que les motsl Aucun lecteur compé-
tent ne peut se laisser prendre à ces stratagèmes grammaticaux. Je pense
donc que si M. l'abbé veut maintenir l'hypothèse fondamendale de ses
livres, il faut qu'il se décide à se mettre en quête de raisons et de textes
plus positifs que ceux qu'il a employés jusqu'ici. Si au contraire,
comme tout me portait à le croire , il la trouve insoutenable . qu'il
l'abandonne sans commentaire, sans réticence et sans mauvaise humeur.
— Qu'il se garde surtout en prolongeant sa correspondance, de trop
justifier cette sage observation d'un ancien :
Nimium aUereando vtritas atnittitur,
I. Chauffour.
46 mai 4866.
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LE MUSÉE DE COLMAR
I.
Certains monuments ont d'étranges destinées. Le souiDe des événe*
ments passe sur eux et les transforme. Tel édifice qui , au moyen âge ,
servait de sanctuaire au recueillement ascétique d'une communauté
religieuse, est devenu aujourd'hui un sanctuaire des arts. Il a vu se
disperser, dans un moment d'orage , les saintes recluses passant comme
des ombres sous les voûtes sonores du cloître ; il a vu se briser , sous
le marteau de 93 , ses fines ogives que les siècles avaient respectées ;
il a vu greffer sur sa vieille structure gothique des bâtisses modernes
qui en dénaturent le beau caractère. Tout autour du vaste rectangle où
s'abritent ses galeries si remarquables , oâ s'élancent les voûtes de son
église , s'étalaient les dépendances de la riche communauté , formant tout
un quartier de la vieille ville. Ces bâtiments , rasés du sol , ont fait
place i un théâtre.
' Depuis 1 793 , cet antique couvent des Unterlindeté de Colmar qui ,
durant six siècles , avait servi de séjour à la communauté des Domini-
caines , célèbre dans l'histoire du mysticisme allemand , a subi des
profanations sans nombre : on y a installé tour à tour des casernes de
cavalerie, des écuries, des magasins de fourrages , des ateliers, des
dépôts de vieux matériaux , affligeant pêle-mêle qui jetait son voile de
tristesse sur l'œuvre du moyen âge, étouffant sous sa végétation para-
site un monument digne d'une destination meilleure.
Le moment de la renaissance devait arriver pour lui. La ville de
Colmar ne possédait point de local définitif pour sa riche bibliothèque ,
pour sa précieuse collection de tableaux de Tancienne école allemande,
pour ses archives non moins précieuses. On songea donc à installer
3« Série— i7« Année. ^^
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370 ' REVUE D' ALSACE.
toutes ces collections aux Unterlinden , à y former un musée digne du
chef-lieu du Haut-Rhin. Celte idée, lancée dans le domaine des projets
réalisables par quelques esprils sérieux qui entrevoyaient le parti brillant
que Ton pouvait tirer d'un pareil local , fut saisie au bond par les amis do
beau. Une société se constitua , et , pour bien caractériser ses tendances,
adopta le nom d'un artiste qui , à Colmar ^ résume une des belles
périodes de l'art , le nom de Martin Schongauer, peintre, graveur et
ciseleur du xv« siècle , dont la statue , œuvre d'un style élevé, due au
ciseau de U. Aug. Bartholdi, orne aujourd'hui le préau du cloître.
II.
La Société Schongauer proposa à l'administration municipale de
décider que l'église et les bâtiments conventuels des Unterlinden seraient
désormais affectés à recevoir les collections publiques de sciences et
d'art que possède la ville. Elle eut la satisfaction de voir sa proposition
accueillie par un vote du conseil municipal du 20 juin 1849 qui lui im-
posa , toutefois, la condition d'approprier à ses frais Péglise et le cloître.
Cette condition fut remplie, en partie avec les ressources de la Société,
en partie avec le concours aussi intelligent que généreux (ielf . Hartmaon-
Hetzger, ancien pair de France , qui s'appliqua surtout à la restauration
complète des galeries du cloître. Le musée put s'installer bientôt dans
la nef rajeunie. Son premier fonds se forma des collections d'anciens
tableaux que possédait la ville. Dans ces collections , remarquables par
leur belle conservation , figure une série nombreuse de tableaux reli-
gieux de l'école de Martin Schongauer, empreinte du cachet original de
l'époque et tellement précieuse pour l'histoire de l'art, qu'elle fixe à
juste titre l'attention des vrais connaisseurs en France et à l'étranger.
Depuis quinze ans , notre musée s'est peuplé de nouvelles richesses.
Dons de particuliers , dons du gouvernement , votes du conseil général
et du conseil municipal, efforts collectifs et individuels , concours inces-
sant de tous ceuxque leur spécialité ou leur amour pour les choses de Tin-
telligence met en campagne, ont contribué à élargir peu à peu le cercle
de nos collections. C'est là un des beaux c6t6s de l'initiative individuelle.
Cet esprit de décentralisation qui , aujourd'hui , fait participer la province
au mouvement artistique et littéraire qui semblait , naguères, ne pal-
piter qne dans le grand centre parisien , a réveillé parmi nous bien des
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LE MUSÉE DK COLVAR. 371
velléités timides, stimulé bien des générosités discrètes , guéri Tégoîsme
relRtif de bien des collectionneurs. Ceux-ci , possédés de la fièvre que
M. Clément de Ris , le fin critique d*art , a baptisée du nom de collectKh
na/^t^ , travaillent , après tout, dans Fintérôl de Tari, apis matinœ
more modoque. Leurs richesses , lentement amassées , patiemment
exhumées de la poussière , finissent toujours , après un certain temps
d*éclipse , par venir grossir le butin archéologique qui s'éfale dans les
vitrines des musées publics.
Colmar doit à quelques bonnes fortunes de ce genre d'avoir vu grandir
les fonds divers qui composent ses collections de peinture , de sculpturt',
d'estampes , d'histoire naturelle , d'ethnographie et de numismatique.
La création récente d'une Société d'histoire naturelle, sous le patro-
nage d'hommes dévoués à la science, ne peut que contribuer à étendre
le rayonnement de ce centre. Ces hommes ont été compris et , de tous
côtés, aiOuent les dons et les souscriptions dont ils ont besoin pour faire
prospérer leur œuvre , encouragée d'ailleurs par des subventions de
l'Etat , du département et de la ville.
m.
Mon intention , en écrivant ces lignes^ n'est point de passer en revue
toutes les œuvres exposées au musée. La fâche serait trop longue et , à
quelques points de vue, trop aride. J*entends faire, d'abord , une petite
excursion rétrospective dans le domaine de l'ancienne école allemande,
si largement représentée sous ces voûtes gothiques , et résumer ensuite
mes observations sur les œuvres modernes les plus importantes.
En peu d'années le monument des Unterlinden est devenu un foyer
qui reflète, bien que dans des proportions modestes, tous les côtés
intéressants de l'art et de l'intelligence humaine. Les vastes salles de
Pétage sont occupées par la bibliothèque de la ville qui renferme 40,000
volumes, par le médailler qui compte plus de 10,000 pièces, dont un
grand nombre fort rares , par une vaste collection d'estampes de choix
formée en grande partie par feu M. Hugot , bibliothécaire-archiviste de
la ville et l'un des plus ardents promoteurs de Tœuvre des Unterlinden.
A côté de ces ressources précieuses pour l'élude vient se ranger le
musée d'histoire naturelle où figurent les belles collections ethnogra-
phiques de la Chine , rapportées par M. Âug. Haussmann, du Logelbach.
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37% REVUE D' ALSACE.
qui faisait partie du personnel de la mission de H. de Lagrenêe en
1843; les collections des îles Marquises , données par M. le capitaine
Rohr, de Colmar; celles de la côte orientale d'Afrique, et des Indes,
rapportées par H. Kuhlmann , de Colmar, ancien consul de France à
Zanzibar. Les salles du rez-de-chaussée sont consacrées en partie aux
archives municipales. Les galeries ogivales du cloître , qui entourent le
préau d'un carré parfait, renferment les monuments gallo-romains
trouvés dans le département , les fragments de sculptures gothiques et
de la renaissance , quelques moulages de statues de la cathédrale de
Strasbourg, première ébauche d'un musée spécial de la vallée du Rhin
dont la création api)artient à M. Hugot. Comment citer ces belles gale-
ries sans rendre hommage à la munificence de M. Hartmann , ce Nestor
de l'industrie alsacienne, qui, à l'âge de quatre-vingt-quatre ans, pos-
sédait encore cette verdeur agissante , cette jeunesse d'esprit qui font
entreprendre une belle œuvre avec la volonté de l'achever? Sou œuvre,
réalisée à grands frais, ne se recommande-t-elle pas à la reconnais-
sance des artistes et amateurs , comme un bel exemple rarement imité
et , par cela même , plus précieux ?
IV.
Entrons dans le musée qui occupe toute la nef de l'ancienne église
du couvent. Ici le contraste est bizarre. Sous ces voûtes gothiques , aux
pendentifs historiés et dorés ^ dans le sanctuaire où retentissait jadis le
chant liturgique des nonnes , l'art grec a installé les déités du paga-
nisme. Saluons avec respect ces œuvres où le génie de l'antiquité a
marqué sa forte empreinte, où la nature humaine idéalisée résume si
bien les caracières du beau^ c'est-^à-dire l'harmonie des deux principes
de Texistence , de l'idée et de la forme , de l'infini et du fini. Hegel l'a
dit avec beaucoup de vérité : < Le sentiment de cette heureuse harmonie
€ perce à travers toutes les productions de l'art grec C'est le moment
t de la jeunesse dans la vie de l'humanité, âge court , moment unique
i et irrévocable . comme celui de la beauté dans l'individu. >
L'Apollon, le Laocoon, la Vénus de Uilo , celle de Hcdicis, la
Poihymnie , belles épreuves sorties des ateliers de moulage du Louvre ,
occupent la première place. Des bustes en marbre et en plâtre ganiisseut
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LB MUSÉE I>B COLMAR. 373
le pourtour de Tabside dont le sol n pour pavé la mosaïque gallo-romaine
de Bergheim , découverte en 1848 et transportée à Colmar dans des
conditions qui ont manqué de compromettre son existence.
Franchissons le long intervalle qui sépare Part grec de la renaissance
et entrons en plein dans celte vieille et vénérable école allemande qui,
dans notre musée , est si largement représentée. Voici d'abord tout un
pan de mur couvert de panneaux à fond d'or, relevé de gaufrures , où
défilent, sous leur forme primitive et comme taillés à Temporte-pièce ,
les nombreux sujets de la passion du Christ. Les traditions du moyen
âge sont là toutes vivantes. Le souffle de la renaissance semble les avoir
à peine effleurées , et cependant nous sommes dans la seconde moitié
du quinzième siècle , époque féconde qui a vu le grand mouvement
italien dans Fart , qui a vu surgir Pérugin , Ghirlandajo , Masaccio, ces
précurseurs de Raphaël et de Michel-Ânge. La chaude atmosphère où
se développait leur art n'avait pas encore franchi les monts , et Tart
allemand semble s'être créé spontanément, tant il reste étranger à l'in-
fluence néo-grecque qui respire dans les œuvres des maîtres italiens ,
ses contemporains.
Quatre siècles nous séparent de celte époque. Pour juger ces artistes
allemands dans leur milieu réel , il faut donc déposer au seuil du sanc-
tuaire nos idées modernes , vivre un instant de leur vie propre, faire
abstraction , en un mot , de cet entourage luxueux de progrès accom-
plis en toutes choses, qui forme une disparate si étrange avec la naïve
originalité des vieux maîtres. Nous les jugerons ainsi sans préventions.
Nous irons mieux au vif de leur pensée , nous serons plus indulgents
pour leurs défauts.
Et d'abord , pouvons-nous nous défendre du sentiment d'admiration
que commande, à quatre siècles de distance, la supériorité de leur
procédé matériel ? Voyez ce frais coloris auquel le temps, ce grand
destructeur, n'a pas fait la moindre injure. Il est là ce coloris encore
tout chaud des caresses du pinceau. La pâte qui le compose semble
avoir figé dans les chairs ces tons d'ambre et de rose inattaquables à la
lumière: son épiderme est intact, dans toute sa fleur native. Cette pâle,
solide comme l'émail , défie les siècles. N'est-ce point la gloire du
flamand Jean Van Eyck, l'inventeur de la peinture à l'huile, d'avoir
donné aux artistes de son siècle un procédé impérissable que les per-
fectionnements de la chimie moderne n'ont fait qu'altérer au grand
détriment de la conservation des tableaux ?
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374 REVUE D* ALSACE.
Cette influence flamande domine , par ses procédés et par son génie
propre , dans les œuvres de Martin Schongauer et de son école , dans
sa pièce capitale surtout, la célèbre Vierge au buisson de roses , dont
je parlerai plus loin et où la figure de la Vierge rappelle le type des
femmes flamandes.
La série de peintures que nous avons devant nous se compose d'une
suite de seize tableaux , réunis deux par deux , dans un même cadre ,
et dont les sujets sont tirés de la passion du Christ. Ils proviennent
tous de Tancienne église des Dominicains , de Colmar. S'ils ne sont
point , dans leur ensemble , comme on le croyait d'abord , une émana-
tion directe du maître , ils ont avec lui une parenté étroite. Le souffle
de son inspiration a passé sur ces travaux d'atelier où la touche de son
pinceau se reconnaît dans les principales figures. On peut , avec une
presque certitude , émettre l'opinion que telle tête de Vierge, de sainte
femme ou d'apôtre porte le cachet original de Schongauer. Comme Ta
fait remarquer M. Hugot, le savant conservateur du musée, dans le
Livret-indicateur qu'il a publié en 1860, M. Waagen , directeur du
Musée royal de Berlin, considère comme devant être attribuées avec
certitude à Schongauer la Descente de croix (N<^ 123) et la 3fise au
tombeau (î^^ ai) K
* M. Emile Galichon , directeur de la Gatette des Beaux-Arts , affirme que cet
16 panneaux ne peuvent être de Martin Schongauer et qu'il n'y faut voir que Tœuvre
de quelques fabricants de chemins de la croix qui auront pris pour modèles les
compositions gravées du beau Martin ; que dans ces tableaux , et c^ci est un point
caractéristique , un trait sec et inintelligent circonscrit grossièrement tous les con*
tour? du visage et des parties nues ; que ce trait accuse d'une manière irrécusable
l'impossibilité dans laquelle était Taitiste de dessiner et de faire ressortir ses figures
par le modelé.
{Gaiette des Beattx-Arts , 1859 , T. m , p. 323.)
S'il est vrai que quelques parties faibles déparent l'ensemble de ces peintures et
révèlent la main encore inexpérimentée des élèves de Schongauer , on ne saurait
méconnaître qu'elles renferment d'excellents morceaux, d'un modelé très-heureux,
d'une carnation splendide, d'un fini parfait , que le maître n'eût certes point désa-
voués et qui sont bien loin de ce procédé somm lire d'artisans que M. Galichon
considère comme faisant injure au talent du bi'au Martin. Je citerai , comme ren-
trant tout-à-fait dans la manière du maître, le tableau N» 127, représentant Jésus
et Madeleine, où le treillage du fond , dans lequel des oiseaux se jouent au milieu
du feuillage , reproduit le genre et le lini précieux du fond du tableau de la Vierge
aux roses.
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LE NUSÉB Dis GOLMAR. 375
Pour apprécier l'origine de ces tableaux de la Passion , nous possé-
dons de précieux éléments de comparaison dans les estampes où notre
peintre-graveur a représenté les mêmes sujets traités d'une manière
différente , mais où l'expression des figures , la forme émaciée des
membres , l'agencement des groupes , l'accentuation originale de l'en-
semble révèlent , entre les peintures et les estampes , une homogénéité
de provenance qui paraît difficilement contestable.
Les gravures portent le monogramme de l'artiste : les peintures en
sont dépourvues. L'attribution de ces dernières ne peut donc se faire
que par voie de conjecture ou d'induction , en s'appuyant des données
généralement admises par la critique moderne. Les érudits allemands
y ont mis toute la passion , toute la persévérance qui les distingue ;
leurs recherches, servies par la longue étude qu'ils ont faite des œuvres
de ces vieux maîtres , leur ont révélé certains traits qui échappent au
vulgaire ; ils se sont attachés surtout au type , à la manière propre à
chaque maître, et , de l'ensemble de leurs observations patientes, s'est
dégagée la lumière qui a dissipé quelques unes des incertitudes dont
s'enveloppait l'attribution d'une foule d'œuvres de mérite.
Les collections du musée de Colmar ont particulièrement fixé l'atten-
tion de ces iconophiles. À différentes époques Berlin, Dresde, Munich,
Augsbourg, Vienne nous ont envoyé l'élite de leurs connaisseurs. Leurs
opinions , pieusement recueillies par H. Hugot , se reflètent dans les
notices qu'il a composées pour le Livret - indicateur. Récemment
encore un homme auquel ses fonctions de conservateur du musée
d'Âugsbourg et son talent de peintre-restaurateur donnent une autorité
justement reconnue parnfis voisins d'Outre-Rhin, M. Eigner, est venu
faire un pèlerinage artistique dans notre musée. Un panneau placé
dans une parlie peu éclairée de la nef a surtout attiré son attention. Ce
panneau qui formait le devant du coffre d'un autel dans l'église du
Tempelhof à Bergheim est divisé en deux parties dont l'une représente
Saint Jean-Baptiste , entouré du peuple , montrant du doigt le Christ
accompagné de deux disciples , et l'autre Saint Georges vainqtieur du
dragon- Selon M. Eigner ce tableau , bien qu'endommagé dans quel-
ques unes de ses parties , porte le caractère manifeste du génie de
Martin Schongauer. Ce caractère ressort de l'onction des figures qui
rappelle la bonne manière du maître, de leur dessin sobre et correct ,
eiy détail essentiel , de la forme particulière des yeux des personnages,
du jet des draperies , enfin de cet ensemble de signes distinctifs qui
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376 REVUE d' ALSACE.
affirment la personnalité puissante du maître , bien qu'aucun mono-
gramme n'en prouve l'authenticité i.
Il y a des œuvres qui , sans signature apparente , sans cachet parti-
culier , révèlent la personnalité de Fauteur et la font reconnaître aux
initiés. Tel est le tableau dont je viens de parler *. Nous pouvons, à
bon droit, le classer parmi les joyaux de notre musée où il va prendre
désormais , au grand jour , une place plus digne que celle qu'il occupait
jusqu'ici dans la pénombre. Gomme sentiment et comme exécution il
ne le cède en rien à la fameuse Vierge au buisson de roses. Espérons
que le jugement de M. Eigner sera confirmé par d'autres appréciateurs
qui , comme lui , font autorité en pareille matière.
Quel est donc ce génie original , cet homme supérieur à son sièele ,
qui partagea avec Albert Durer l'honneur d'avoir créé l'art allemand , •
qui fut le précurseur de ce grand homme appelé à ouvrir dans l'art les
perspectives d'un monde nouveau ; de cette individualité étrange dont
un érudit français a dit qu'il est comme une évocation de tous les songes
de la Germanie ?
* Lors de la visite qu'il a faite au musée , en septembre 1865 , H. Eigner était
accompagné de M. Ed. His-Heusler , membre de la commission du musée de Bâle
qui , lui aussi , s'occupe avec persévérance de l'étude des origines de Tart et a
apporté son contingent d'observations utiles dans l'appréciation de notre collection
de l'école allemande.
M. X. Mossmann , archiviste de la ville de Golmar , a tenu note des observations
des deux connaisseurs et en a rendu compte dans un article fort intéressant publié
par le Bibliographe alsacien (1865, p. 987). Il fait remarquer qu'indépendamoaent
de sa position au musée de la ville d'où les Schongauer de Golmar tiraient leur
origine, M. Eigner est lui-même artiste, et que, comme peintre restaurateur, il a
eu entre les mains un nombre considérable de tableaux de l'école de Souabe.
Peut-être M. Eigner a-t-il été , comme M. de Quandt, trop afllrmatif «n attri-
buant à Schongauer la Pieià ou Mater doloro&a qui forme un contraste si remar-
quable avec les autres œuvres du maître et que des raisons d'esthétique , dont nous
aurons à nous occuper plus loin, font considérer comme étant de provenance
italienne.
* Il est couvert de nobles cicatrices qui attestent son âge et que , pour ma part ,
je regretterais de voir disparaître sous les retouches d'un restaurateur quelque
habile qu'il puisse être.
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te MT7SÉE DE COLMAn. 377
« Quand on approche , dil M. Chaires Blanc » de l'homme qui a créé
c ces images , à la fois si réelles et si fugilives , on reconnaît que cet
c incompréhensible visionnaire est le plus délicat des orfèvres , le plus
f patient des graveurs , le plus fin des peintres , qu'il aime à sculpter
< sur Fairain les chimères de l'Apocalypse et à ciseler ses propres songes
c dans l'acier. Il se trouve que cet amant du merveilleux a poursuivi
€ l'étude des sciences positives , que ce poète fantastique est un mathé-
c maticien consommé , que ce rêveur enfin , est un géomètre K »
Singulier alliage que celui que nous rencontrons dans le génie de ces
deux hommes , Albert Durer et Martin Schongauer. Ce dernier aussi
fut peintre , graveur et ciseleur , maniant avec une égale aisance la
palette et le burin , ayant , pour manifester sa pensée , l'admirable res-
source de parler aux yeux par le coloris , de multiplier ses œuvres par
la gravure, de creuser l'empreinte de son génie dans le métal précieux,
et de léguer ainsi aux siècles , sous une triple forme , un nom impé-
rissable.
Les particularités de la vie de Martin Schongauer sont pour nous
livre clos. La science archéologique en est réduite à des conjectures sur
le lieu et l'époque vraie de sa naissance. M. Passavant , dans son ou-
vrage le Peintre graveur , a cherché à soulever le voile qui les recouvre.
Son opinion , fondée sur des données Irès-intéressantes , doit être con-
signée ici. Je la transcris sous forme d'extrait :
f Schongauer devait son origine à une des bonnes familles d'Augs-
« bourg , comme l'indiquent les armoiries de son portrait dont un
«c exemplaire , qui se trouvait anciennement dans le cabinet Praun de
« Nurnberg^ se conserve actuellement dans la Pinacothèque de Munich,
« un second dans la collection de TAcadémie de Sienne et un troisième
« à Colmar. Tous portent l'inscription HIPSCH MARTIN SCHONGAVER
« MALER. 1453. Comme il a , dans ce portrait, l'apparence d'un jeune
« homme de trente ans environ , on pourrait , en conséquence , placer
« sa naissance vers 1420.
€ Selon quelques écrivains il serait né à Colmar, et ils appuient celte
« opinion sur le témoignage d'un ancien écriteau , assez endommagé ,
t qui se trouve au revers du portrait du Munich et qui contient ce qui
« suit :
' Cb. Blanc , Histoire des peintres de toutes les écoles.
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378 AEYUE d'at^sace
c MaxBttx Martin dc^ongoiDr ntaler genannt iÇtpacJ^
« Martin non wtqtn Btxmx ihunst^ geboren zn fiolmar,
« aber non detnen (H^eltetn atn augapurger bu(rger) Ite^
« ge5c^lecl)t5 w ^ert geporn, un]» (gesto )rben tnAolmat
< ann0 1499.* 2^^*^ t)0rnung0 hem got gennir.
« 3cl) sein junger t)and burgkmatr tm J0r 1488*
(iMaître Martin Schoogawr , nommé le beau Martin à cause de son
art 9 né à Coimar , mais par ses ancêtres citoyen d'Augsbourg , né de
famille patricienne, décédé à Coimar Tan 1499.. le 2.. février , à qui
Dieu fasse grâce.
Moi , son élève Hans Burgkmair en Tannée 1488.)
« Il existe un doute sur l'authenticité de Técriteau , que nous ne pas-
c sons sous silence, c'est celui que fait naitre l'assertion que Martin
« Schongauer est mort le 2 février 1499, tandis que, si l'on doit s'en
« rapporter à l'extrait des registres mortuaires de l'église de Coimar ,
« la mort du maître aurait eu lieu le 2 février 1488 '.
« Cette dernière assertion semble encore être confirmée par le fait
f qu'Albert Durer, dans le voyage en Allemagne qu'il entreprit en 1490 ,
c étant arrivé en 1492 à Coimar, n'y trouva que les frères de Martin
«( Schongauer , mais qu'à son grand regret , il ne vit jamais le maître
« lui-même. Jean NeudôriTer dit , à ce propos , dans ses Nouvelles des
« artistes de Numberg , é< rites en 1546 : Anno 1490 , après Pâques ,
« il (Albert Durer) partit d'ici pour voyager à travers l'Allemagne et il
« alla à Coimar trouver Gaspard , George et Paul , orfèvres , et Louis ,
m le peintre, tous quatre frères de Martin Schœn ci-dessus nommé , et
<c il fut reçu honorablement et hébergé amicalement par eux.
« Cependant nous avons ^ contre l'opinion qui fait mourir Martin
« Schongauer en 1488 , un autre témoignage dans un document de
« Coimar même , le livre des redevances de l'église de Saint-Martin de
' < L'archiviste de Golmar , H. Hugot, trouva dans les registres de i*église Saint-
Martin de cette ville, établis en 1507, sur les anciens documents originaux de la
paroisse et continués jusqu'en 1539, après avoir commencé à la date de 1391 , la
notice suivante :
' Marlinus Schohgouwer , piclorum yLiia le v s (leyavU quinque solidoi) pro
anniversario suo et addidil i s i d , ad annivertarium paternum a quo habuit
minus anniversarium. Obiil die Puri/icatiottis Marùz , eto. LXXX VllL "
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LE MUSÉE DE COLMAR. 379
« celte ville , qui nous informe que M. Schongauer ^ en compagnie de
« son ami Hunlpur, paya en 1490 une redevance de 31 schillings pour
« une maison occupée par eux deux.
< Il était donc encore vivant à cette époque. Nous serions porté à
4 croire , afin de concilier ces contradictions , que le rédacteur de la
n nolice nécrologique aura omis , en l'écrivant , un chiffre (X) , et si
K Ton ajoute que le jour de la mort de notre maître était indiqué comme
a celui de la Chandeleur (2 février) 1498, selon Tusage du diocèse de
c Bâie auquel appartenait Colmar, mais en 1499 , selon la coutume de
€ celui d'Augsbourg) qui commençait Tannée au !«' janvier, nous
« trouverons ainsi la raison de ces variantes et nous pouvons établir
« avec toute vraisemblance que Martin Schongauer est mort le 2 février
« 1499.
« Il est très-probable que M. Schongauer naquit , < omme son frère
c Louis, à Âugsbourg et qu'il ne vint à Colmar qu'après 1462, puisque,
« dans cette aimée , les peintures du maître-autel de l'église Saint-
« Martin de cette ville furent confiées à un peintre peu distingué , Gas-
c pard Isenmann, citoyen de Colmar. au prix de 500 florins du Rhin \
« ce qui n'aurait probablement pas été le cas si un maître aussi renommé
« que l'était alors Martin Schongauer , s'y était déjà trouvé. Ce ne fut
< qu'en 1473 qu'il peignit pour l'église Saint-Martin sa célèbre vierge
9 à la haie de roses , qui en forme encore aujourd'hui le principal
« ornement ^. Une preuve de la considération et de l'aisance dont il
« parvint à jouir à Colmar , c'est de le voir plus tard possesseur de trois
t belles maisons dans cette ville ^. »
Dans un précédent travail publié par le Kunstblatt du 25 août 1840,
M. Passavant donnait une autre version d'après laquelle notre peintre
serait uu rejeton de la famille des Schoen ou Schongauer d'Ulm qui
aurait eu , toutefois , des affinités avec celle d'Augsbourg , puisque les
deux ont les mêmes armoiries : d'argent au croissant de gueules.
* De ces tableaux , sept qui représentent les événements de la Passion du Christ,
figures d'un tiers de nature environ , ont surirécu à la destruction et se voient
actuellement dans le musée de Colmar.
* En 1469 les archives de la ville constatent le paiement d'une redevance que
Schongauer aurait fait pour une maison qu'il possédait rue des Augustins , à l'en-
seigne du Cygne.
' J. D. Passavaut , Le Peintre^Graveur , tome ii, p. 103 et suîv.
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380 REVUE d'alsage.
Le peintre Barthel Schœn , le vieux , apparaît dans les registres d'Ulm
des années 1427, 1430, 1440, sa veuve en Tannée 1441. Maître Martin
Schœn ou Schongawer serait le fils du dit Barthel. Il est question de
lui comme peintre et comme orfèvre , sous ces deux noms , dans les
livres d'Ulm des aunées 1441 et 1461. Il paraît s'être fixé peu après à
Colmar, puisque son nom ne figure point dans la liste de la confrérie
d'artistes d'Ulm de Tannée 1473. Son frère Gaspard , Torfévre, fut déjà
en 1445 bourgeois de Colmar; Louis, le peintre , le devint seulement
en 1493 et Paul , également orfèvre , Tannée suivante *.
D'un autre côté, M. Fôrster, dans son Histoire de Part allemand *,
admet comme très-vraisemblable que la famille de Martin Schongauer
était originaire d'Âugshourg et qu'elle a transféré sa résidence à Colmar
où Martin serait né vers 1420 et mort en 1499. 11 se fonde, à cet égard,
sur le portrait de la Pinacothèque de Munich , de 1453, où Schongauer
figure sous les traits d'un jeune homme d'environ 33 ans et sur Técri-
teau placé au revers et tracé par son élève Hans Burgkmair , dont le
nom a été lu par erreur Largkmair. Il considère comme erronée Tin-
dicadon de 1488 donnée comme date du décès du maître par le registre
obituaire de Saint-Martin que j'ai cité plus haut.
Ce Hans Burgkmair est né à Âugsbcurg en 1473 et mort dans la
même ville en 1559 ^. Il est cité , dans les notices allemandes, comme
élève de Thomas Burgkmair , ce qui ne l'aurait pas empêché d'être
venu se perfectionner dans l'atelier de Schongauer à Colmar où , d'après
Técrileau en question , il aurait séjourné en 1488.
Peut-être faut-il ranger aussi parmi les disciples de Schongauer un
excellent peintre suisse du nom de Hans Friess , dont la vie et les
œuvres ont fait l'objet d'une étude publiée en 1863 par M. Ed. His-
Heusler , dans les Basler Nachrichlen et reproduite dans les Curiosités
d'Alsace (Colmar 1863 , p. 333). Le musée de Bàle possède quelques
unes de ses peintures. < Son dessin , dit M. His, juge si compétent en
c cette matière, se ressent manifestement de Tinfluenre de. Martin
€ Schongauer , le grand peintre de Colmar ; cependant il est déjà plus
« conforme à la nature et Tanatomie surtout est plus correcte. >
* Beitrœgezur KenntniHi der allen Maler-Schulen Ikutacklam^s, J. D. Passavant,
Kunsiblatt , N» 42 , 25 août 1846.
* Das deutsche Volk. —fie^chichte der deutschen Kunst. Leipzig , T. 0. Weigel ,
1858. — 2« vol.
' n ne peul donc être l'auteur du portrait de Munich.
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LE MUSÉE DE COLMAR. 381
Il existe aux archives de Colmar un traité conclu par ce peintre avec
le chapitre de Saint*Martin pour Texécution d'un tableau d'église.
VI.
Si la date de la naissance et celle de la mort de notre peintre ont
donné lieu à des variantes , son nom aussi semble participer de ce cachet
énigmatique qui s'attache à tout ce qui le concerne. Martin Schom,
Schcmgauer^ Schongauer, Schongouwer, Schonhawer, Hipsch Martin,
Bel MartinOy Mnrtino d'Anversa, telles sont les appellations sous les-
quelles il est connu dans l'histoire.
A défaut d'acte de naissance, quel nom choisir? Ne faut-il point
admettre celui qui a généralement prévalu dans les écrits des critiques
allemands qui l'appellent Schongauer ? Ce nom paraît être , en effet ,
le vrai nom patronymique de la famille. La variante de Schœn, HiWsch
(beau) ne serait donc qu'une qualification gracieuse, un hommage
d'admiration rendu au talent , peut-être aussi au physique avenant du
maître.
Passons sur ces détails, quoiqu'ils ne soient point sans importance.
Ce qui nous préoccupe avant tout , c'est l'œuvre , c'est l'idéal du
peintre , c'est l'influence exercée par cette belle nature d'artiste qui a
laissé après elle une longue traînée lumineuse.
Elève de Roger Van der Weyden , le vieux, Schongauer fut un adepte
de l'école flamande qui eut pour chefs les frères Van Eyck. Nous en
trouvons le témoignage dans une lettre écrite le 27 avril 1565 par
Lambert Lombard , peintre flamand , à Vasari , le célèbre auteur de
V Histoire des peintres ^ Cette lettre , qui donne à Schongauer le sur-
nom de Bel Martino , l'apprécie surtout comme graveur. Nous y voyons
ce passage : c II n'atteignit jamais l'excellence de Roger dans l'art de
« peindre, puisqu'il s'occupa plus particulièrement de l'art de graver
« lu burin. Ces gravures parurent alors merveilleuses et se main-
te tiennent encore en considération auprès de nos artistes actuels, car,
f bien que ses œuvres soient un peu sèches , elles ne manquent pas
< d'une certaine excellence. Si , d'un autre côté, nous considérons ses
« gravures , on ne peut y méconnaître l'influence de l'école de Van Eyck.
« et cela est surtout le cas pour quelques pièces qui portent tout-à-fait
* Carteggio d'artiiti , Tom. m , page 177.
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882 REVUE D'ALSACE.
ff l'empreinte de la manière de Roger Van der Weyden , le vieux , qui
« mourut en 1464 à Bruxelles. Â celles-ci appartient, entre autres,
f l'estampe de la Vierge au Perroquet . qui semble être en même temps
< une des premières gravures de Schongauer , car , bien qu'elle soit
c d'une grande finesse de travail , elle ne montre pas encore celte force
c et cette liberté dans la conduite du burin , que nous rencontrons, par
« la suite , dans presque tous ses autres ouvrages. »
L'art allemand avait atteint sa plus haute expression dans les œuvres
de Martin Schongauer et d'Albert Durer. Elève immédiat des Flamands,
le beau Martin s'assimila plutôt leur génie que les manifestations exté-
rieures de leur plastique. On a découvert récemment à la bibliothèque
d^Erlangen un portrait à la plume tracé , vraisemblablement, de la main
de notre artiste. Il représente un jeune homme dont la figure a la plus
grande analogie avec le portrait peint à l'huile dont il existe trois exem-
plaires. La figure , un peu allongée , a une expression maladive ; elle
fait face au spectateur dans Tatlilude d'un homme qui aurait fait son
propre portrait en se regardant dans une glace. L'une des mains est
appuyée à la tête : les cheveux sont coupés ras sur le front et longs sur
la nuque. Le regard a une expression sereine et concentrée , reflet de
l'àme dans le miroir des yeux. Ce qui frappe, ce sont les formes grêles,
la main longue et osseuse , la même main que nous remarquons dans
toutes les figures peintes par l'artiste ^
Les doigts longs , en fuseaux , sont un des signes de reconnaissance
de la manière de Schongauer. Ces formes émaciées , allongées outre
mesure , nous les retrouvons dans la fameuse Maria am Rosenhaag ,
la Vierge au buisson de roses , de l'église Saint-Martin de Colmar.
M. Passavant en donne , dans le Kunsiblatt , la description suivante
que je traduis littéralement :
« C'est le seul tableau connu de longue date et l'une des œuvres les
4 plus remarquables de Martin Schongauer. Il doit nous servir de type
« pour juger toutes les autres peintures qui lui sont si généreusement
K attribuées. Originairement il figura sur un autel d'une chapelle laté-
« raie ; maintenant il est placé très-haut contre la paroi de droite de
c la nef. Marie , presque de grandeur naturelle , tient l'enfant Jésus
c dans ses bras et est assise sur un banc de verdure , entourée de
< fleurs et d'une haie de roses. Des oiseaux , aux brillantes couleurs ,
* Dr Von Eye , Leben und Wirken Aibrecht Dureras, P- 7i * Nôrdlingen , 1860.
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LE MUSÉE 1>E COLVAR. 383
f chantent dans le feuillage , et deux petits anges , vêtus de bleu ,
ff planent sur sa tète en tenaut une couronne. Le fond d'or relève Téclat
« du coloris où dominent différentes nuances de rouge ; ce qui produit
c un effet singulièrement gai et solennel. La robe de la Vierge est
« peinte en laque , son large manteau est écarlate. Sous le tendre car-
<r min des roses , pétille le rouge incandescent d'une rose de Damas,
f Par contre y les carnations ne sont pas chaudement teintées et tournent
c au gris dans les ombres. Ceci peut être le résultat du nettoyage du
« tableau , nettoyage qui a fait disparaître les glacis légers. L'exprès-
« sion , pleine d'onction et de pureté , dans la tète et dans toute l'atti-
c tude de la madone , les charmantes tètes des anges et de l'enfant
€ Jésus , sont vraiment magiques et surpassent tout ce qui a été fait
c dans ce genre, par les contemporains de l'artiste. De même que dans
« ses gravures , le dessin est plein de sentiment et de finesse , mais
« quelque peu maigre , surtout dans les mains qui , d'ailleurs » sont
c bien membrées. Ce tableau , de même que toutes ses œuvres authen-
< tiques, révèle une proche parenté avec l'école de Van Eyck, bien que
« la manière des maîtres de le Haute -Allemagne, plus appliquée an
<r dessin qu'au coloris , domine également chez lui. Le tableau a souffert
«r à certains endroits et a été restauré , notamment dans les draperies
€ rouges ; mais son ensemble produit encore un effet très-satisfaisant
€ et l'on y sent vivre son expression originale , c^lle d'une sérénité
c vraiment céleste K >
Voilà , certes , une description enthousiaste , mais dont nous devons
peut-être un peu rabattre en examinant l'œuvre froidement. Il faut
convenir que nous nous sentons médiocrement touchés devant ces traits
vulgaires de bourgeoise flamande que le peintre a donnés à la mère du
Christ. Cette Vierge aux roses , qui passe pour le chef-d'œuvre du
maître , bien que savamment rhythmée au point de vue de la compo-
sition , pèche , ce me semble , par le sentiment. Elle n'a point cet
attrait souverain qui fascine le regard , cette dose de vie qui parle è
l'âme et émeut les indifférents. L'expression de la mère et celle de
l'enfant ont quelque chose de triste , de peu communicatif et cet accent
sévère résulte surtout des ombres grises qui creusent les vastes fronts
des deux figures.
' Beitràge %ur Kenntnin der alten ^faler^Schultn Deuischlands — KunstblaU
>« 4S, — S6 août 1846.
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3M REYUR D'ALSACE.
Si les carnations ont souffert des nombreux nettoyages ^que le tableau
a subis , elles n'ont , du moins , pas été altérées par des retouches
comme les autres parties de la composition qui portent , malheureuse-
ment , la trace de restaurations successives. Malgré ses défauts , inhé-
rents à l'éducation artistique du peintre, qui, dans l'imitation delà
nature , n'avait point appris à faire une part sufiSsante à l'idéal , le
tableau de la Vierge de Colmar n'en demeure pas moins, dans son genre,
et relativement à l'époque où il remonte, une œuvre remarquable. Il
n'est point le chef-d'œuvre de Schongauer , mais , dans l'histoire de
l'art allemand , il occupe un rang d'incontestable supériorité. Aussi
n'est-ce point sans un juste orgueil que Colmar le montre aux nom-
breux visiteurs qui viennent l'admirer dans la sacristie de Saint-Martin
oA il est placé aujourd'hui.
En parlant de la Vierge aux roses , M. Fôrster la considère comme
type à consulter pour le jugement des œuvres du maître. Il en fait,
remonter la composition à cette époque intermédiaire où l'influence de
l'école de Roger Van der Weyden est encore apparente, mais se trouve
modifiée par le goût personnel du peintre \ La forme anguleuse et on-
doyante des draperies est celle par laquelle les écoles de la haute
Allemagne se distinguent de celles de la basse Allemagne '.
H. Emile Galichon , directeur de la Gazette des BeaiAX-Arts , qui a
vu et admiré cette œuvre , dit que le contour des figures est tracé avec
fermeté , la couleur d'un ton puissant. Il ajoute, et ceci s'applique aux
accessoires , que jamais pinceau plus délicat ne rendit avec un soin plus
précieux ou le frêle tissu des fleurs , ou l'éclat soyeux du plumage des
oiseaux. Les fruits et les fleuré sur lesquels posent les pieds de la
Vierge, les plantes qui grimpent le long du treillage , enfin les parties
nues des figures sont d'une conservation qui ne laisse rien à désirer '.
C'est dans la partie supérieure de la vallée du Rhin que se trouvaient
répandues la plupart des œuvres de Schongauer. On comprend qu'^u
milieu des tourmentes qui ont agité cette contrée pendant le seizième
et le dix-septième siècles , plusieurs d'entre elles , des plus notables
* Le tableau porte , au revers , la date de 1478.
* Ernst Fôrst£R, Dos deutsche Volk , T. ii , p. 194.
' GoAette det Beaux-Arls. — Martin Schœni^auer , peintre et graveur , 1859 ,
T. m , p. 8SS-d23.
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LE MUSÉE DE COLNAR. 385
peut-être , aient disparu. Ce qui en reste à Colmar su£Bt pour perpétuer
le nom du maître et représenter dignement son école K
Schongauer a gravé de nombreuses figures de Vierges. Elles rappellent
toutes le type de la Vierge de Colmar , type de sérénité un peu sévère ,
où la majesté divine , compatissante pour les douleurs de ceux qui l'in-
voquent , fait défaut. Voici Popinion qu'exprime à ce sujet le docteur
Von Eye dans sa Vie d^ Albert Durer : « Les Vierges de Martin Schon-
gauer forment un contraste frappant avec celles de l'ancien art chrétien
qui , après s'être affranchies des épreuves terrestres et s'être élevées à
la dignité de la puissance céleste , trônent inaccessibles « immuables
dans leur persévérance , jetant un regard de majestueuse compassion
sur leurs adorateurs ^. »
Ch. GOUTZWILLBR,
SecréUira en nbaf de U mairit de Golour.
(JLa «iftf • à la prochaine UvraùonJ.
* • La position de Colmar , heureusement située entre deux grands œntres artis-
tiques et littéraires , Bâle et Strasbourg , séduisit sans doute Schongauer qui s'y
établit définitivement avec ses frères. Des disciples ne tardèrent point à venir se
grouper autour de cet artiste éminent. Il devint ainsi le chef d'une école plus
importante qu'on ne croit communément , et qui imposa son style à tous les peintres
fixés sur les deux rives du Rhin , de Bàle à Strasbourg. »
(Ë. Galighon, Gaiettedes Beaux- Arts, 4859, T. v, p. 259.)
' ùie Marien des Martin Schongauer bilden den geraden Gegensat% %u denen
der altesten christlichen Kunst , welche , nach Ueberwindung irdisehen Geschickes,
%ur WUrde der himmlischen Herrschafl erhoben , auch ailes Irdische abgestreift
haben , und in unnahharem , unverànderlichem Beharren , thronend majest&tisch,
wenn aueh erbarmend , ouf die Atibetenden hemieder sehen,
9-8éne.<-ilAjuiée. ^&
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ÉTUDES
SUR L'ÉLEVAGE, L'ENTRETIEN ET L'AMÉLIORATION
DE LA RACE BOVINE EN ALSACE
SUIVIES
DE QUELQUES RÉFLEXIONS SUR LA LOI DU 11 FRIMAIRE AN VII
RELATIVE AUX PATRES ET AUX TROUPEAUX.
SOUMAIRE : conditions db l'élevage. — la sélection et ses bntkayes. — m
L'ENTRETIEN DES TAUREAUX COMMUNAUX. — LA LOI DU 11 FRIMAIRE AN VII ET ONE
CIRCULAIRE DB M. MIGNERET , ANCIEN PRÉFET DU BAS-RHIN. — CONCLUSION.
Jusqu*ici deux points principaux ressortent évidemment de ces
études. D* abord , c'est ralternative fréquente des années de disette et
d'abondance et qui réclame pour notre province , pour les plaines sur-
tout y un bétail à la fois sobre , propre à surmonter les privations . et
apte à prospérer par des temps propices. Ensuite , c'est la grande
diversité de nos cultures , et la variété des besoins qui en sont les
conséquences.
Cette diversité de nos cultures et de nos besoins exige incontestable-
ment une variété plus ou moins étendue dans nos races bovines. Ce ne
sont donc , ni les animaux du Simmenthal , ni ceux de la Hollande
septentrionale , dont nous avons décrit les caractères généraux et qui
sont introduits en Alsace par l'entremise des comices agricoles , qui
donneraient satisfaction aux nombreux besoins de nos populations
rurales.
* Voir les livraisons de janvier, février , mars , avril , mai , juin , juillet, août
1865, pages 17, 59, 112, 155, 216, 265, 372, 372, avril el jais 1866, pages
901 et 282.
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ÉTUDES SUn L*ÉLEVAGE , L^EXTRETIKN , ETC. 387
D*an autre côté , cette introduction a pour conséquence absolue d'o-
bliger nos éleveurs, pour atteindre une amélioration quelconque, d'opérer
exclusivement ou par acclimatatian ou par croisement.
L'acclimatation consiste , on le sait , à accoutumer les animaux à la
température et aux influences d'un nouveau climat. Nous avons démontré^
dans les chapitres précédents , les inconvénients qui résultent généra-
lement de ces transmigrations ^
Quant au croisement des races, il a été démontré également que
celui qui consiste à accoupler des races de caractères , d'aptitudes et de
conformations très-distinctes , n*a produit , en Alsace , depuis plus d'un
demi-siècle , aucun résultat avantageux. Il en sera probablement de
même du croisement entre des races similaires. Il est évident que les
résultats, que Ton obtiendra par ce dernier procédé , ne dépasseront
pas les limites de la similarité , et ne produiront , par conséquent ,
point de changement important.
Ces deux procédés , c'est-à-dire , l'acclimatation et le croisement ,
nous semblent donc être hérissés d'autant plus de difficultés que,
d'une part , on a à lutter contre les influences et du ciel et du sol et
que , de l'autre , il est bien difficile de découvrir , au-delà de nos fron-
tières , les races ou hétérogènes ou similaires , qui conviendraient ,
sous tous les rapports, à notre bétail indigène.
Nous persistons, par conséquent, à croire que la sélection qui, non
seulement éliminerait toutes ces difficultés, mais qui rendraient encore
les opérations moins compliquées et surtout moins coûteuses , serait le
* Suivant M. Magne Ips vaches arrivent rarement chez les nourrisseurR de Paris
en qailtant la Flandre ou la Normandie ; elles séjournent le plus souvent , les
Flamandes , dans les départements de la Somme , de l'Oise , de Seine-et-Oise ,
et les Normandes, dans ceux de TEure, d*Eure-et-Loire et de Seine-et-Oise, Les
nourrisseurs préfèrent les vaches qui ont passé dix-huit mois ou deux ans dans
une ferme de la Picardie : Elles se mettent à table en arrivant , disent-ils ; tandis
que ceUes qui arrivent directement des pays de production regrettent les pacages
el s'acclimatent toujours diffieiUment. Elles restent deux ou trois mois sans sa
fdire à la nouvelle nourriture et trop souvent eUes dépérissent. Ajoutons que
lorsqu'il est possible d'acclimater des animaux , il s'opère toujours des chanj$*e-
ments qui mettent leur organisation en rapport avec les climats où ils sont desti-
nés k vivro et que, par conséquent, la disparition des caractères et des aptitudes
originaires dans les générations suivantes en est, nécessairement, une suite
inévitable.
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388 REVUE d' ALSACE.
seul procédé à même de conduire à bonne fin nos entreprises d'amé*-
lioration.
Malheureusement , ce procédé , si facile comme opération zootecb-
nique, rencontreàson tour, et en Alsace surtout, des entra?e3 difficiles
à surmonter et que nous avons , du reste , déjà Tait prévoir à la fin du
chapitre II de ce travail.
Ces entraves sont de nature différente ; les unes proviennent de Tinez-
périence et , il faut bien le dire , de Tignorance de nos cultivateurs en
matières zootechniques ; les autres sont purement administratives et
découlent de la loi du 11 frimaire an VII , relative aux pâtres et aux
troupeaux.
Le manque de connaissances zootechniques se manifeste, non seule-
ment dan.« le choix des reproducteurs mais aussi dans le choix des veaux
destinés à Télevage. Nous venons de dire combien il est regrettable de
voir ce choix soumis très-souvent à l'influence planétaire. Ajoutons
encore, ce qui n'est pas moins déplorable ^ que, par une économie
assurément très-mal entendue , les plus beaux veaux sont généralement
vendus au boucher. Cependant , c*est autant du choix que des soins
dont on entoure Tanimal , dès les premiers temps de sa vie , que dé-
pendent , en grande partie , la conformation de son corps et le déve^
loppement de ses aptitudes.
€ La conformation , d'après H. Baudement, à laquelle la pratique
attache tant d'importance , n'est pas une cause c'est un effet , c'est la
résultante de toutes les forces physiologiques diversement mises en
jeu , et recevant leur première impulsion de la manière dont l'animal
a été nourri et traité dès les premiers temps de sa vie. Aussi le mode
d'élevage dans le jeune âge renferme-t^il, en définitive, tout le problème
de la création et de l'amélioration des races '. C'est là la conséquence
pratique , essentielle , qui ressort de cette manière de comprendre la
' C'est évidemment aller à l'extrôme , Télevage a une inflaence très- puissante
sar la conformation, mais on ne saurait lui attribuer la conformation totale de
l*aniinat. M. Sanson va même plus loin que M. Baudement et considère les apti-
tudes de l'animal comme conséquences du traitement du veau. « I>e la manière ,
dit-il , dont Tanimat a été nourri et traité dès les premiers temps de sa vie , dé-
pendent uniquement «es aptitudes et sa conformation. » D*un autre côté , M. Jean
Kiener, Jeune, soutient, à la suite de nombreuses expériences , que l'on peat
a<iveiopprr, arrondir It'S masses musculaires de l'animal par le régime atimenlaife,
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ÉTUDES SUR l'Élevage , l'ertretien , etc. 389
formation des machines animales ; la pratique lui donne l'appui de son
eipérience ^ »
Quel que soit, par conséquent, le procédé employé pour perfection-'
ner le bétail , le choix et le traitement des élèves en sera toujours Tune
des conditions fondamentales et doit fixer, au plus haut degré, Tatten-
tion de l'éleveur. Nous n'avons pas à nous occuper ici de la nature des
soins que réclame le jeune animal , ni des conditions zootechniques
qui doivent guider le choix des veaux. Nous ne pouvons que déplorer de
voir nos cultivateurs attacher , en général , si peu d'attention et si peu
d'importance aux conditions dont il s'agit.
A part cette indifférence qui rend la sélection difficile , nous avons à
nous occuper des autres entraves , résultant de la loi que nous venons
d'indiquer, et que nous trouvons , principalement, dans la manière
dont les reproducteurs mâles sont logés et entretenus dans nos cam-
pagnes.
Avant la promulgation de la loi du 11 frimaire an vu, il y avait, dans
une notable partie des villages d'Alsace , ce qu'on appelait alors le
taureau banal , c'est-à-dire , le taureau appartenant au seigneur du
village, et par lequel les habitants devaient faire saillir les vaches. Là,
ou il n'existait point de seigneurie , les villages se pourvoyaient ei«x-
mêmes d'un ou de plusieurs taureaux qui étaient entretenus aux frais
de la commune : le taureau , confié aux soins du pâtre ou d'un gardien *,
était logé dans une construction communale , et les terrains commu*
naux nécessaires à la production des fourrages , étaient concédés au
gardien.
mais qoe te squelette reste constamment réfractaire à ces procédés. Cette dernière
opiniOD nous paraU seule ratioDeUe. Nous la citODS» d'aatant plas volonUers ,
qu'elle nous semble être de nature à empêcher les éleveurs d*ent reprendre des
eipérimentations et des spéculations inutiles et même désastreuses.
* Voyez : Otiservalions sur les rapports qui existent entre le développement de
la poitrine , la conformaiion et les races bovines. Annales du Conservatoire des
arts et métiers. 4861,
* Il fant faire une différence entre le pâtre et le gardien. Le pfttre est celui qui
conduit le troupeau au pftturaxe ; le gardien , celui qui est chargé de TentrcUen
tin taureau. Dans les circulaires de MM. les préfets, relatives à Tentreiien du
taureau , le gardien est le plus souvent désigné sous le nom d*en/reprenei<r. L»%
fonctions de pâtre et de gardien sont quelquefois réunies; mais., le plus souvent',
séparées.
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390 REVUE D*ALS4GE.
Depuis , une nouvelle législation est intervenue ; elle s'est basée sur
ce principe que les dépenses , relatives à la garde du troupeau , comme
au service de la reproduction , ne peuvent être municipales , en ce
sens , que la caisse municipale ne doit pas fournir les fonds nécessaires
à l'entretien du taureau , mais que ces dépenses doivent être suppor-
tées j proportùmnellement , par ceux qui en profitent.
A la suite de cette loi les terrains communaux , dont nous venons de
parler , ont dû recevoir une autre destination ainsi que le logement
communal du taureau. L'entretien de celui-ci devenait ainsi une entre-
prise privée que les municipalités concédèrent , et concèdent encore
aujourd'hui , par voie d'enchères au rabais , ou quelquefois sous forme
de marché à l'amiable.
Cette réforme nécessita naturellement des mesures toutes nouvelles ,
d'abord, pour établir une répartition équitable et proportionnelle entre
les nombreux détenteurs d'animaux , et ensuite pour donner à l'entre-
preneur certaines garanties dans le recouvrement des sommes qui lui
seraient dues. A cet effet , on organisa une espèce d'association entre
les délenteurs de botes bovines. L'association fut placée sous la pro-
tection et sous la surveillance des autorités départementales et commu-
nales , et enGn basée sur une véritable échelle mobile , réglant les
cotisations ou y pour employer le terme usité dans nos campagnes , les
contributions.
Cette association est fondée sur une échelle mobile , en ce sens que,
dans une commune rurale , chaque propriétaire de bêtes à cornes ne
contribue pas invariablement , suivant le nombre de têtes de bétail qu'il
possède , mais suivant le nombre des bêtes à cornes qui existent dans
la commune , et qui varie souvent , selon l'abondance ou la pénurie des
fourrages , et enfin selon d'autres circonstances encore dont il sera
question tout-à-riieure.
Si le nombre des vaches formant le troupeau de la commune s'élève,
par exemple , à 50 têtes , les frais d'entretien du taureau sont divisés
par le chiffre 50 et répartis entre les propriétaires. Or, si les frais d'en-
tretien , y compris les frais d'acquisition du taureau , les frais du loge-
ment, ainsi que le salaire du gardien , montent à 600 fr. par an, la
cotisation individuelle et par tête de bétail sera de 12 fr. ce qui fera ,
en admettant une moyenne de 2 à 3 vaches par propriétaire , une somme
annuelle de 24 fr. à 36 fr. à payer.
La cotisation cependant n'atteindra que la moitié de ce chiffre j si te
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ÉTUDES SUR l'Élevage , l'entretien , etc. 391
nombre de têtes , composant le troupeau , s'élève à 100 au lieu de 50.
Elle ne sera que du tiers , si au lieu de monter à iOO , elle s'élève jus-
qu'à 150. Dans ce dernier cas la contribution individuelle , et par tête
de bétail , ne sera que de 4 fr. à condition que les frais d'entretien ne
dépassent pas , comme nous venons de le dire , 600 fr. par an.
Pour établir équitablement cette répartition , l'administration muni-
cipale fait dresser, annuellement, une liste divisée en deux colonnes
dont Tune porte les noms des propriétaires , et l'autre le nombre des
animaux qu'ils possèdent. Cette liste est finalement affichée à l'entrée
de la maison communale , et porte l'invitation de verser les cotisations
entre les mains du percepteur qui, après en avoir prélevée p. iOO
comme frais de perception , les reverse entre les mains du gardien ou
entrepreneur.
Ce mode de versement a ainsi lieu , en vertu de la loi municipale du
18 juillet 1837 , suivant laquelle € ces sortes de taxes doivent être répar^
lies par délibération du conseil municipal , approuvées par le préfet et
perçues suivant les formes établies pour le recouvrement des contribua
tions publiques.
Nous venons de dire que la rétribution annuelle accordée au gardien
ou entrepreneur peut monter à environ 600 fr. Ce chiffre toutefois varie
selon les localités * et suivant le nombre des concurrente qui se pré-
sentent à l'adjudication de l'entretien du taureau communal. Ces con-
currents, généralement , ne se présentent pas en très-grand nombre ,
car les fonctions de gardien ne sont ni sans inconvénients ni sans dan-
gers , et , par conséquent , loin d'être à la portée de chaqne habitant de
la commune.
' Dans beaucoup de localités les administrations municipales ont su éluder la
loi du 11 frimaire an vu, et ccStiserver jasqu*auJourd*hui une quantité plus ou
moins considérable de terrains communaux , qui centinuent d*ètre affectés à l 'en-
tretien dn taureau. Cette soustraction a principalement lieu dans les communes
dont les maires appartiennent à des anciennes familles du pays , et qui tiennent ,
par conséquent , aux anciens usages. Si cette soustraction est contraire à la loi ,
elle parait , par contre , très-légitime aux populations. D'un autre côté , c*est à
cette circonstance qu'il faut attribuer les renseignements contradictoires qoe Ton
obtient sur les dépenses de l'entretien du taureau , car les rétributions, accordées
à l'entrepreneur, varient nécessairement selon l'importance des terrains soustraits.
Cette illégalité donne , du reste , le plus souvent lien à des procès et à des con-
testations entre les communes et les entrepreneurs.
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393 REVUE D* ALSACE.
Ces fonctions présentent des dangers en ce sens que , pour le ma-
niement d'une béte aussi puissante qu*un taureau , il faut un homme
courageux , ayant pour aide un homme également fort et hardi ; elles
ont y d*autre part , Tinconvénient d'obliger le gardien d'être continuel-
lement à la disposition des propriétaires qui mènent au taureau les
bêles en chaleur.
A part ces dangers et ces inconvénients , le gardien doit posséder un
emplacement assez vaste et très-convenable pour loger l'animal en
question. L'emplacement ne remplit pas^ sous le rapport des conve-
nances , les conditions nécessaires lorsqu'il se trouve enchevêtré «lans
d'autres habitations et que le taureau , pour rejoindre le troupeau , est
obligé de passer sur des chemins ou dans des rues très-étroites et très-
fréquentées , ce qui a lieu , le plus souvent , dans les contrées riches et
populeuses de nos vignobles où les terrains ont un prix très-élevés.
L'emplacement n'est pas convenable non plus quand , pour opérer l'ac-
couplement , le gardien est obligé, faute d'espace , de lâcher le taureau
sur la voie publique ^
Ces circonstances feront facilement comprendre que le nombre des
concurrents dont nous venons de parler, se réduit, le plus souvent,
à un chiffre peu élevé; ajoutons, à ces circonstances, celle encore que
ces fonctions ne sont pas précisément ambitionnées par ceux qui savent
se tirer d'affaires par d'autres occupations lesquelles, à tort ou à raison,
sont généralement plus respectées dans nos communes rurales.
D'un autre côté , le bénéfice qui résulte de ces fonctions n'est pas
très-séduisant. La rémunération s' élevant à environ 600 fr. le gardien
est obligé de fournir , non seulement un taureau jeune et vigoureux ,
de le nourrir, de le loger, mais aussi dé le faire remplacer par un
nouveau taureau chaque fois que la commune le juge nécessaire.
Ces conditions , nous allons le voir , sont le plus souvent très-funestes
à l'état du bétail dans nos communes, elles s'opposent à tous les efforts
* Dans bien des communes d'Alsace il arrive annuellement des accidents fâ-
cheux. Ce sont surtout les vieillards et les enfants qui , ne pouvant fuir rapide-
ment, sont exposés à des dangers sérieux. On sait que le taureau se met £icilemeni
en fureur soit à la vue de couleurs qui lui déplaisent , soit à la suite d*autres
contrariétés. L*anneau nasal n*est pas usité en Alsace et ne le sera sans doute que
sur un arrêté de Tadministration supérieure. L'usage de cet anneau n'a aucun
inconvénient quand on n'en abuse pas pour tourmenter l'animal.
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CtUDES sur L*ÉLBVAGB , L'BNTRETIEN , ETC. 393
qoe pourraient faire les éleveurs dans un but d'amélioration • et
deviennent ainsi des entraves insurmontables à toutes les opérations de
la sélection ou d'un croisement raisonné.
Pour que nous puissions développer notre assertion , le lecteur voudra
bien se rappeler maintenant les conditions que nous avons décrites dans
le chapitre précédent , et relatives au choix du taureau. Nous y avons
dit que le propriétaire, comme les communes, qui ont intérêt à ne pas
élever un béfail stérile ; qui ont à cœur de perf ;< tionner celui qu'ils
possèdent , doivent avant tout fixer leur attention sur le choix en ques-
tion. Nous y avons dit également que le nombre de bétes femelles doit
être proportionné au mâle, et que ce nombre ne peut que rarement dé-
passer le chiffre de 60 ou 80.
Or , il y a des communes où le nombre de vaches desservies par un
seul taureau atteint , non seulement le chiffre que nous venons de dési-
gner, mais où il s'élève même jusqu'à 100 , quelque fois jusqu'à 450 ;
et dans la commune que nous habitons il monte , depuis bien des années,
jusqu'à 178. Ce chiffre de 178 est inscrit sur le registre communal et
approuvé par l'administration municipale.
Il faut nécessairement se demander comment l'administration muni-
cipale d'une commune , dans laquelle l'agriculture domine toutes les
autres industries, peut tolérer et même approuver un état pareil ? La
réponse est facile : c'est parce que dans les administrations municipales
de nos campagnes on s'occupe fort peu de questions zootechniques ;
nous doutons même que les controverses ardentes au sujet de Tatavisme,
de la consanguinité , du croisement et de la sélection , qui intéressent
cependant à un si haut degré l'économie du bétail , et qui ont pénétré
jusqu'au sein de l'Académie des sciences de Paris . parviennent jamais
à se frayer un passage jusque dans les assemblées présidées par les
maires de nos villages.
Hais ce qui préoccupe et ce qui intéresse plus directement nos admi-
nistrations municipales c'est la répartition des cotisations destinées à
l'entretien du taureau. Or, comme ces cotisations deviennent plus faibles
à mesure que le nombre de bétes femelles grandit , on jugé , le plus
souvent, prudent de tolérer l'étal regrettable des choses — si toutefois
il est considéré comme tel — plutôt que d'augmenter les cotisations.
On juge d'autant plus prudent de tolérer l'état dont il s'agit, que ces
cotisations sont considérées, par le plus grand nombre de nos campa-
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394 REVUE D'ALSACE.
gnards , dont les connaissances administratives sont fort peu dévelop-
pées y comme contributions directes ou foncières payées à l'Etat.
Il résulte naturellement de ces circonstances que le reproducteur mâle,
se trouvant à la tête d'un troupeau d'environ 150 bètes , est totalement
épuisé en peu de temps , surtout lorsque le troupeau est conduit , pen-
dant six mois de l'année , sur des pâturages communaux , éloignés
quelquefois à plusieurs kilomètres du village K
Hais cet épuisement précoce du taureau , nous dira-t-on , est prévu
par les conditions imposées à l'entrepreneur qui , suivant le cahier des
charges , est obligé de le faire remplacer chaque fois que la commune
ou ses représentants le juge nécessaire.
Malheureusement, l'observation de cette condition rencontre, à son
tour, bien des difficultés par la simple raison qu'elle est souvent con-
traire aux intérêts pécuniers du gardien dont les finances disponibles
ne se prêtent pas toujours à l'acquisition réclamée par les habitants de
la commune. C'est à ce moment que des discussions, souvent regret-
tables , et des appréciations très-conlradictoires s'engagent entre les
mandataires de la municipalité et le gardien. Ces discussions sont rare-
ment parlementaires. L'entrepreneur qui d'abord , par esprit d'écono-
mie , avait cherché d'entretenir le taureau avec le moins de frais pos-
sible, économie qui, malheureusement, est parfois trop visible sur les
flancs décharnés du pauvre animal , s'obstine ensuite à ti ouver son
animal très-valide et très-capable de faire le service que l'on exige de
lui, et refuse, en conséquence, de faire l'acquisition demandée. Dans
ces cas, et lorsqu'un arrangement à l'amiable est devenu complètement
impossible entre les parties intéressées , on a , des deux côtés, recours
au vétérinaire du canton , qui est appelé à juger la question en dernier
ressort.
J. F. Flaxland.
(La fin à la prochaine livraiêou.)
' Nous avons vu des troupeaux de 500 lètes desservis seulement par deux
taureaux. La proportion entre les bètes mâles et le troupeau n'est généralement
observée que dans les communes Jouissant des soustractions des terrains comma-
ot«x dont il a été question plus haut.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOliLTZ.
- Suite *. —
RÈGLEMENTS DE POUCE ET DE JUSTICE.
1575-1661. Biens roturiers et francs. — Le sieur de Landenberg
avait acheté, en 1595, à Soultz, des biens roturiers qui ne jouissaient
autrefois d*aucuDe franchise. Il réclama cependant la franchise , ce qui
fit matière à procès. En fin de compte , la régence lui enjoint de payer
les charges des dits biens ou de les revendre. Le sieur Hellensohn , en
1606, élève des prétentions semblables à celles du sieur Landenberg ,
En 1574 tous les sujets de l'Ober-Hundat s'obligent à ne plus vendre
leurs biens à aucun noble , parce que les nobles « ne payant point les
impositions , les ruinaient , vu que les impositions retombaient seules
et plus lourdes alors sur les biens qu'ils conservaient. Ils s'obligent ,
au cas échéant , de se cotiser et de retirer les biens vendus ; ce droit
de retrait leur sera conservé à tous , et à un chacun , pourvu qu'il soit
de rOber-Mundat. Cette convention a été faite sous Tévèque Erasme ,
qui l'a ratifiée et au bas dit expressément qu'il doit avoir force et
vigueur.
Le bailli de Soultz, par une lettre datée de l'année 1670, expose à
la régence , que le commandeur de l'ordre de Halte achète sans cesse
des biens roturiers , lesquels payaient rentes foncières ou autres , et
que ces biens une fois acquis, le dit commandeur refusait toute espèce
d'imposition y quoiqu'il était de règle que tout noble ou ecclésiastique
était obligé de les payer pour les biens roturiers qu'il acquerrait. Il
demande ce qu'il doit faire vis-à-vis des prétentions du dit comman-
deur. La régence communique la dite lettre à révoque François Egon ,
qui ordonne au bailli d'exiger du dit commandeur et de sa comman-
derie , pour les biens roturiers acquis et pour ceux qu'il acquerrera ,
toutes les charges auxquelles ces biens avaient été soumis avant la
vente. {Inv. p. 39).
* Voir les livnisons de novembre el décembre 1861 , pages 499 et 529 , mars
1862, page 135 , novembre 1863, page 496, mai et jain 1866, p. 249 et 297.
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396 REVUE D* ALSACE.
RÈGLEMENTS CONCERNANT LES ISRAÉLITES.
(Invenlaire précité , page 4i et suivantes.)
1308. Par une lettre de Tan 1308, Henri, élu roi des Romains,
donne à Tévèché les Israélites demeurant à Souitz ^ Rhinau , Holsheini
et Rouffach.
1574. Par règlement en date de 1574, dérense est faite aux habi-
tants du bailliage de Souitz d'aliéner^ ni d'hypothéquer aucun immeuble
à aucun Israélite sous peine de cinq livres bâioises ; défense de ne rien
acheter d'eux , soit peu , soit beaucoup , qu'argent complani ; défense
de se faire recevoir bourgeois de Souitz , si l'on doit quelque chose aux
Israélites. (Inv. p. 44).
1684. Règlement concernant la viande que les juifs pourront débUer.
— Vu une contestation survenue entre les bouchers catholiques et juifs,
la régence ordonne que les juifs pourront tuer en tout dix pièces de
bétail , et pourront en vendre en détail par poids ce qu'ils ne pour-
raient consommer en leur ménage , de Pâques à la Saint-Barthélémy ;
mais depuis la Saint-Barlhélemy au carnaval , ils ne pourront vendre
ni grosse ni petite viande au poids , mais bien par quartier, (/itr. p. 45).
En 1699 un juif de Souitz avait une maison qu'il échangea contre
celle d'un chrétien ; le magistrat défendit l'exécution de cet échange.
Le juif s'en plaignit à la régence qui consulta sur ce le bailli. Celui-ci
répondit que le juif n'acquérant pas une seconde maison , et celle qu'il
donne en échange au chrétien valant même mieux que celle qu'il acqué-
rait, il ne voyait point pourquoi l'échange ne s'effectuerait pas. La
régence en ordonne l'exécution. Le ma&^istrat se plaint derechef à la
dite régence , en alléguant que la dite maison que le juif acquiert est
vis-à-vis de la porte de la paroisse ; qu'il serait indécent que , dans le
cas où l'on porterait le viatique à un malade , il passât devant la maison
d'un juif. La régence n'approuve pas cette raison. Le magistrat froissé
s'adresse à l'intendant et rapporte que le nombre des juifs augmente
tellement à Souitz qu'il dépassera bientôt celui des chrétiens, et ce
contrairement à une lettre de franchise de l'évêque Robert de 1592 ,
concernant les villes du Haut-Mundat ; que du reste déjà les juifs pos-
sèdent huit maisons à Souitz, et des plus belles , et qu'ils étaient fort à
charge à la commune , vu qu'ils se prétendent exempts de tout impôt ,
lequel retombe seul sur les autres habitants. Il ajoute que tout se fait
par l'agrément de la régence L'intendant ordonne que les juifs paieront
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTS. 397
les charges bourgeoises pour leurs biens , et qu'il sera fait un règle-
ment du nombre des juifs qui pourront rester dans la ville sans être à
sa charge, (/tir. p. 45).
1683. Les israéliies jouissent du droit de pâturage à SotUtz moyen-
nant une rétribution fixée par tête. — Les juifs d'Ober-Soultz , par une
requête présentée à la régence , exposent que, pour jouir du droit de
pâturage à Soultz, ils sont obligés^ en temps de vendanges, de faire
mener les vins du seigneur dans la ville , et que , pour raison de la dite
jouissance, ils paient de plus encore annuellement une somme de 2
florins; que^ nonobstant, la bourgeoisie du dit Soultz prétendait les
obliger à payer tous les ans une autre somme de 20 florins , et que
cette dernière charge était contraire à Tancien usage. La régence
ordonne que chaque juif établi à Soultz paiera annuellement 4 florins à
la dite ville ; nul n'en pourra exiger davantage. {Inv. p. 46).
EAUX ET FORÊTS. — CHASSE ET PÊCHE.
iDven taire de Graodidier, page 44.
En 1468, un certain particulier vend à la ville de Soultz un endroit
nommé Weibelspach , avec la cafrière et le petit bosquet qui y est
contigu.
Il est défendu à tout chacun du bailliage de Soultz d'endommager le
parc qui appartient à Tévéque dans les forêts du ban du dit lieu , sous
peine de cinq livres deniers d'amende et de bannissement pour deux
mois de TOber-Hundat.
Il est défendu également de tirer des lièvres , perdrix ou bêtes fauves,
le seigneur évêque menaçant des plus grosses peines les contrevenants.
Il est défendu à tous et à chacun du dit bailliage d'avoir des armes à
feu ; défense de tirer des faucons ou les chasser ni prendre leurs œufs ;
ordre d'avertir le chasseur de l'évêque dès qu'il en paraîtra un.
Défense de couper du chêne dans la forêt de devant ou de derrière
(ban de Soultz) , sous peine de cinq livres steblers d'amende pour chaque
tronc , que le délinquant soit pris en forêt, en chemin ou chez lui.
Il est permis d'enlever les arbres renversés par le vent dans la forêt
de derrière, mais ceux renversés dans la forêt de devant ne pourront
être enlevés qu'après qu'ils auront été couchés à terre dans la forêt un
an et un jour.
Défense de parcourir la forêt avec des bêtes de somme et voitures ,
sous peine de cinq livres steblers.
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398 REVITB D'ÀLSÂCe.
Quiconque est surpris par le garde forestier coupant du sapin idans
la forêt de derrière , paiera une livre par tronc.
n en est de même dans la forêt dite PropslwaH ou forêt du préTêl ,
laquelle les dits gardes forestiers doivent garder comme celle de la ville.
Tous les trois ans on distribue des coupes aux habitants ; celui qui
est trouvé à couper du bois dans la portion destinée à son voisin paie
cinq livres steblers.
Celui qui veut bâtir doit demander au magistrat la permission de
couper du bois de bâtiment , ce qui lui sera accordé ; puis il doit
trouver le forestier qui lui marquera les arbres, lesquels il emploiera
dans le courant de l'année , sinon il paiera amende.
Celui qui vendra le bois qu'il aura coupé dans la coupe, bois à lui
destiné, sera mis à l'amende. (Registre BB. 1574).
Les amendes forestières ne tournent pas seules au profit de la ville ,
la moitié sera versée aux gardes forestiers. (Règlement de 1570).
Les moulins de rOber-Mundat , en 1613, existent àSouItz, Rouflach,
Westhalten , Souitzmatt , Gundolsheim et Gueberschwihr ; le total des
droits de ces chûtes d'eau se monte à 7fi rézeaux de blé.
En 1681 , l'évéque Egon de Furstenberg répond au commandeur de
Saint-Jean que la petite chasse est permise aux chevaliers , mais à eux
personnellement , mais non à leurs gens ou domestiques qui vendent
le gibier. Le commandeur avait dit dans sa supplique que la comman-
derie , étant antérieure â la ville , possédait jadis le droit de chasse en
entier, et qu'il aurait pu le prouver si les anciens titres n'avaient péri
dans la guerre de trente ans i.
En 1720 Souitz doit, pour payer ses dettes, vendre deux montagnes
à elle appartenant et nommées la Grande et la Petite Verrerie ; la ville
proteste , l'intendant du roi persiste dans sa demande.
LIMITES ET BAN.
La ville de Souitz a été plusieurs fois obligée de défendre l'intégrité
de sa banlieue contre les prétentions des nobles de Schauenbourg et les
comtes de Waldner. — C'est qu'il est beau le domaine actuel encore de
Souitz , ces immenses forêts , cet étalage de prairies , cette propriété
d'origine colongère s'étendant de la villa de Ratherishdm juscpi^au
^ Ce passage prouve que la commanderie , entée sar une cour colongère, avait
droU de chasse et de pèche de par sa devancière agiricole.
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HISTOIRE DE LA TILLE DE SOULTZ. 399
Ballon , et depuis Berrwiller jusqu'au lit de la Lauch. Pour ne pas fati-
guer le lecteur, nous relaterons succinctement ces procès , nous réser-
vant de les donner peut-être in extenso à la fin de TouTrage. Us ont
fait suer sang et eau à nos devanciers ces nobles voisins et ont failli
enlever aux générations actuelles et futures le patrimoine chéri de
notre cité.
En 1455, Versic de Stauiïenberg prétend que le chftteau de Jungholtz
avait un ban séparé de celui de Soultz. La ville de Soûl tz, au contraire,
prétend que le dit château était situé dans son ban , dans le ban de
Soultz , et qu'il n'y avait pas de ban séparé, finv. p. 55).
1493. Reinhard de Schauenbourg prétend que Jungholtz et Rimbach
forment un ban séparé de Soultz. Soultz prétend avoir Jungholtz et
Rimbach en son ban. Un jugement arbitral intervint et donna gain de
cause à la ville. (Inv. p. 60).
1505. Nouvelle contestation entre le sieur Nicolas de Schauenbourg
et Soultz , au sujet des bans et droits respectifs de la ville , de Rimbach
et de Jungholtz.
Dans le ban de Soultz existait un canton communal dit bei Sigels-
brunnen, dont la propriété était à Tévêché de Strasbourg, et sur lequel
la ville de Soultz jouissait des droits de pâturage et de faire des fagots ,
car le sieur Nicolas , ni plus ni moins, faisait labourer le dit communal
en se l'appropriant. Schauenbourg est détourné de ses prétentions,
(/fit?, p. 64).
1575. Nouveau procès entre la ville et Ulric-Thiébaud de Schauen-
bourg , et jugement qui Ç\xe toutes les prétentions des seigneurs de
Jungholtz. {Inv. p. 67).
1656. Original d'une requête présentée â la régence par la ville de
Soultz. (Inv. p. 73). Il y est exposé qu'un membre du magistrat ayant
fait visite au sieur de Schauenbourg à Niederhergheim , celui-ci aurait
dit avoir appris que la ville de Soultz prétendait que le château de
Jungholtz était dans son ban ; que c'était pour la seconde fois qu'il en-
tendait débiter de pareilles fables , mais qu'il jetterait par la fenêtre
celui qui le lui dirait pour la troisième fois, et qu'il ferait feu sur les
rénovateurs qui approcheraient des fossés du château. La ville prie la
régence de la maintenir dans son droit. 1671-1739. Les sieurs de
Schauenbourg contestent à l'évèché la juridiction sur leurs domaines
situés dans le ban de Soultz. Suit un arrêté qui acyuge la juridiction â
l'évèché. ^
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400 REVITE D'ALSACE.
1749-1769. Les sieurs de Schauenbourg prétendent à la chasse dans
les forêts et terres qu*ils tiennent en fief dans le ban de Soultz. Soit un
arrêté qui les condamne à l'amende au profit de l'évécbé pour y avoir
chassé. {Inv. p. 77).
On le voit , ils n'ont pas manqué , ces seigneurs de Jungholtz , de
chercher maille à partir aux bourgeois de Soultz. Communal , forêts ,
pêche , tout était matière à procès. Déboulés de leurs demandes cent
fois , cent fois ils recommencèrent ; ils ignoraient sans doute le mot
d'annexion , mais ils connurent le procédé et ils l'essayèrent plus d'une
fois.
Procès entre la ville de Soultz et le sieur Christian-Frédéric- Dagoberi
comte de Waldner de F)reundstein ^ grand-croix de l'ordre du Mérite
militaire , lieutenant-général des armées du roi , colonel Sun régi-
ment suiêse de son nom , seigneur d'Ollwiller et autres lieux.
1776. Les pièces de ce procès jettent une clarté extrême sur les
origines de Soultz et sur celles de cette noble famille , qui avait eu pour
berceau le château du Freundstein. Nous livrerons au public (et ce à la
fin de l'histoire que nous écrivons sur la ville que nous habitons) le
manuscrit complet formant cinquante-deux pages imprimées, et intitulé :
t Précis de l'instance entre les prévôts , boui^uemestre et magistrats
c de la ville de Soultz , défendeurs en référé et en requête , et deman-
c deurs en requête, contre messire comte de Waldner, et signé :
c H. Holdt , conseiller ; Doyen , rapporteur ; Reech , procureur.
4 A Colmar , de l'imprimerie de Jean-Henri Decker , imprimeur du
t Roi et de Nosseigneurs du Conseil souverain d'Alsace. 1781-1782. i
La ville a gagné ce procès qui compromettait plus que la moitié de
ses possessions forestières.
ANNEXES DE SOULTZ — DROITS DE LA VU.LE.
Wuenheim.
L'umgeld s'y prend à raison de six pots par mesure (qui est sensée
au cabaret de 38 pots). Les deux tiers de ce droit appartiennent à l'évè-
ché , et un tiers à la communauté du lieu.
1297. Le sieur d'Erenberg vend à l'évêque Conrad et à l'évèché son
château et forteresse de Wuenheim , pour et moyennant 201 marcs
d'argent. (V^ l'original en l'armoire des chartes , date 1297. B)
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ. 401
i497. Le sieur de Mœrsperg reçoit l'ermitage qui esl près de Wuen-
heira sous la protection de l'empire. {Inv^ p. 88).
1578. Le village de Wuenheim appartient à Tévéque et forme avec
Soultz un seul ban et n'a qu'une justice. L'umgetd au dit lieu appartient
pour les deux tiers à l'évoque , le troisième tiers et droit appelé bosser
Pfennig , revîenent h la ville de Soultz. Le droit sur le débit de vin se
partage de même.
Le Pfundzoll est à l'évéque seul.
Item les amendes à l'exception de celles qui sont acceptées (étiqueter
Soultz 1578 . Iesq\ielles appartiennent à la ville de Soultz).
Chaque habitant de Wuenheim doit à l'évéque une poule au carnaval.
Chacun qui a voilure doit mener quatre voitures de bois au château
de Soultz.
La cour Saint-Léonard de Wuenheim paie pour droit à l'évéque dix
schillings
l/évéque a un quart de la dîme en grains dans un certain canton
désigné par tous les tt^nants , le sieur de Schauenbourg et la dame
Zindia ont les trois autres quarts.
La dime en foin dans le même canton apppartient de même aux
quatre décimateurs; mais comme le sieur de Schauenbourg a des prés,
il n'en paie pas la dime et laisse partager les trois quarts du revenu à
qui de droit.
Item pour la dime en chanvre.
La dîme en vin appartient, la moitié à l'évéque, l'autre moitié à la
commune de Soultz.
A l'exception de quelques cantons désignés dans le registre , les habi-
tants de Wuenheim sont tenus de réparer ^e parc de l'évéché » et cela
chaque année. {Inv. p. 89).
i598. Le magistrat de Soultz, Ober-Mundat, demande à Eberhard de
Manderscheid , stalthalter , le tiers de l'umgeld à Wuenheim , le droit
de banvin à Soultz^ et le droit de percevoir à Soultz les amendes en-
courues pendant deux foires de l'année. Il prie le statthalter de vouloir
ne pas le dépouiller d'une possession qui remonte au-delà des siècles.
La sentence du statthalter est négative. {Inv. p. 90).
3^ Série. • M* Année.
26
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402 REVUE b' ALSACE.
Villages de Hartmanstoiller et de Rimbach-ZelL
Ces deux villages ont été échangés par Tévêché contre le village de
Schweinheim , que Tévéché a acquis par là des sieurs de Waldncr en
1760. {Im\ p. 93).
Les règlements , arrêts, diiïérends et sentences n*oifrent rien de par-
ticulier et ne valent pas la peine d'être citées
ORGANISATION SPÉCIALE DE LA VII.Lli:.
Le Prévôt , Scultelus. Der Schultz , SrhuUheiss.
Le prévôt , nommé par Tévèque et choisi parmi les boui^eois nota-
bles , commandait la milice directe de la ville , présidait le conseil et le
tribunal juridique ; hiérarchiquement , il était soumis au bailli , mais
tout en tenant son mandat du seigneur évêque, il était le chef naturel
de la bourgeoisie , le protecteur né des libertés et franchises munici-
pales. Le Schullheiss était le juge ordinaire du lieu , et dirigeait toutes
les causes , hormis celles qui , par leur importance , demandaient la
présence du bailli (Vogt). Ce personnage tenait du maire et du juge de
paix actuels.
Série des Prévôts de Soultz dont les noms nous sont parvenus ; ceUe
liste est basée sur des manuscrits en notre possession , »ur le Cartu-
laire de la commanderie et sur l'ouvrage de if. Trouillat.
1271 . Johannes Marchalchus. — Trouillat , tome 2 , page 213.
1291. Wernherus. — Tr. , tom. 2, p. 402.
1293. Werner de Rode. — Tr. , tom. 2 , p. 675.
1295. Henri de Baleswindt. — Cartulaire de la commanderie^ p. 137.
1303. Johannes. — Tr. , tom. 3 , p. 39.
1310. Ruediger. — Tr. , tom. 3, p. 690.
1316. Nicolas de Lulenbach. — Tr. , tom. 3 , p. 699.
1338. Clawes. — Tr. , tom. 3, p. 783.
1341. Rutschin Schurer. — Tr. , tom. 3, p. 792.
1346. Jacobus. — Cartulaire, p. 137.
1370. Pierre de Fribourg. — Cart. , p. 22.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ. 403
1382. Heinlzmann (lening. — Cart. , p 22 , Tr. , tom, 4 , p. 773 ,
780, etc.
i396. Michaêl Burgnougt. -> Tr. , tom. 4 , p. 849.
1398. Cuntzel Kremer. — Tr. , tom. 4 , p. 858.
1400. Conrad Huian.
1402. Conzelin Herman. — Cart. , p. 143.
1413. Hennemann Gartner. — Cart. , p. 57.
1422. Henri Wiener. — Cart. , p. 83.
«434. Hennemann Serun. — Cart. , p. 74.
1439. Jean de Prangen. (Hans von Prangen).
1458. Jegelin Pollwyler. — Cart. , p. 120.
1465. Michel Brinighoffen. - Cart. , p. 167 et 138.
1472. Werlin Krurablin. — Cart. , p. 89.
1472. Jacques de Pollwyler. — Cart. , p. 73.
1482. Pierre Tzœpehlin.
1486. Jean de Waltvylr.
1487. Bernard de Pollvylr. - Cart. , p. 106 et 42.
1493. Jean-Alban Stenhalter.
1494. Bernard de Pollvylr , pour la 2« fois.
1496. Doman Virtag.
1522. Conrad Trutmann. — Cart. , p. 65.
1538. Tiethbold Kersmann. — Cart., p. 179.
1550. Jean Hannerey.
1556. Balthasar Kuentz.
1558. Marc Kunenberger.
1568. Jean Schmidlin.
1576. Jean*Léonard HalTner.
1590. Martin Kuen.
1602. Théobald Wendt. (Archives du clocher.)
1620. Florian Rieden.
1636. Louis Schlitzweck. (Archives du clocher.)
1642. Jean-Louis Banhauer.
1652. Jean-Conrad Jacques , mort le 30 avril 1665.
1665. Pierre Lorentz.
1686. Louis d'Aubry , mort le 19 février 1725.
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404
REVUE D'ALSACE.
LE BOURGUEMAÎTRB , Bûrgermeistef , Magister civium.
Le bourguemaitre , choisi dans le sein du roagisirai , avait un mandai
de trois ans ; avant que FAlsace ne devint française, il y avait à Soulfz
un Altbûrgermeister et un Bûrgermeister adjoint. Ces officiera étaient
attachés au prévôt comme nos adjoints actuels le sont au maire. A la
période française, le Schultz fut remplacé par le bourguemaitre , et le
bailli par rAmptmann , qui seul devenait juge ; plus tard , le premier
devint maire , et le second formula le juge de paix. Cakifogue '.
1341. Bourkardl de Bollwiller.
(Trouillal, lom. 3, p 792.)
1452. Clevin Schweblin.
1470. Pierre Zstchoplin.
1514. Jean Schliztveck.
1556. Roman Wernher.
1567. Thomas Schliztveck.
1568. Georges Jungher.
1569. Ulric Zûrcher.
1570. Ulric Hûgelin.
1571. JeanEbstein.
1574. Jean-Leonard Haller.
1583. Théobald Wendt.
1583. David Schliztveck.
1589. Ulric Zûrcher.
1592. Gabriel Werner.
1595. Jérémie Herdtwitt.
1597. Rodolphe Speich.
I.'i99. David Metzner.
1602. Florian Rieden.
1604. Jacques Henigath.
1607. Ulric Schmidt.
1609. Balthasar Dûb.
1616. Georges Bauer.
1619. Valentin Butz.
1620. Jacques Hillenmeyer.
1622. Jérôme Reinbold.
1623. Georges Bauer.
1626. Jérôme Reinbold. (2« fois.)
1631. Louis Schilztveck.
1642. Georges Aman.
1646. Jean-Conrad Marloy.
1647. Jean-Conrad JsBger.
1650. Idem.
1657. Gabriel Schneiderlin.
1659. Pierre Lorentz.
1662. Christophe Burger.
1663. Nicolas Witschger.
1664. Paul Breil«lrouk.
1666. Christophe Burger.
1667. Jean-Jacques Werner.
1668. Florian Hûgelin.
1681. Jean-Conrad Harlon fils.
1672 Philippe Judlin.
1673. Georges Rauch.
1674. Philippe Judlin.
1678. Jean-Jacob Werner.
1680. Louis Kromer.
1680 Melchior Lipold.
1683. Jean-Georges Lorentz.
1688 JeanWeibel.
' Ce Catalogue est incomplet , malgré les peines que noas noas sommes don-
nées pour l'établir , à partir de 1688 il n*y avait plus de prévit , le bonrgnemattre
Tavait remplacé.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ.
405
Période française.
A cette époque le Schuitz (prévôt) fut remplacé par le bourguemaltre
qui devint dès-lors le chef de la commune; il fut remplacé en 1789
par le maire.
1691.
Mathieu Larger.
1740.
Conrad Cromer.
1693.
Jean-Conrad Marloy.
1748.
Antoine Hug.
1693.
Henri-André Maurer.
1756.
Gaspard Ziemer.
1696.
François- Henri Meyer.
1756.
Gaspard Rauch.
1699.
Maurice Schmidt.
1757.
Moritz Hirtz.
noo.
Lorentz Beitz.
1770.
Joseph Larger.
1710.
Guillaume Wittmer.
1770.
Ambroise Beigert.
1712.
Michel Wilschger.
1771.
Caspar Keyser.
1715.
Guillaume Wittmer.
1772.
Jean Ebclin.
1719.
Gaspard Immelin.
1782.
Nicolas Kœnig.
1736.
Conrad Cromer.
1787.
Adam Jacques*
Charles Knoll.
La suite à une prochaine livraison).
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DE L'INFLUENCE DES FORÊTS
SUR LA DISTRIBUTION DES EAUX.
Des observations faites en tous pays onl montré dans les forêts une
tendance générale à abaisser la température. Abritant le sol contre
rirradiation solaire , elles entretiennent , par le fait de la transpiration
des feuilles, une grande quantité d'humidité dans l'atmosphère , et mul-
tiplient, par l'expansion des branches, l'étendue des surfaces qui se
refroidissent par rayonnement. Dans nos climats, où la transpiration et
le pouvoir émissif des plantes sont moins intenses que sous les tropiques,
l'action frigorifique de certaines forêts n'est pas aussi prononcée.
Toutefois si Ton ne peut dire d'une manière générale quelles seront les
conséquences de la disparition d'une forêt déterminée , il est certain
que si nos départements méridionaux étaient plus boisés , ils seraient
à l'abri des sécheresses qui les désolent si souvent. M. Becquerel , dans
un mémoire lu à l'Académie des sciences ' , rapporte les expérience.^
qu'il a faites à ce sujet et montre que les arbres s'échauffent et se
refroidissent très -lentement, que par conséfiuent ils prennent à l'air
ambiant, pendant les heures les plus chaudes de la journée, une partie
de sa chaleur pour la lui rendre quand la température s'abaisse. L(^
tronc des arbres atteint^ seulement après le coucher du soleil , la tem-
pérature maxima, et quand, par TefTet du rayonnement nocturne, les
feuilles se refroidissent . elles reprennent au corps de l'arbre ce qu'elles
avaient perdu et rétablissent ainsi l'équilibre.
Non seulement les forêts agissent comme cause frigorifique de Tat-
mosphëre; elles assainissent certaines contrées en les abritant contre
' Cofnpies-rendus des séances de l'Académie des sciences , 4866 et 4866,
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DE l'influence DES FORÊTS, ETC. 407
les vents dangereux , en décomposant les miasmes que dégage le sol ;
elles préservent contre la gr^le les zones environnantes soit qu'en occa-
sionnant des remous atmosphériques ' , elles provoquent la résolution
des nuages à distance , soit que les arbres, agissant comme des para-
tonnerres, enlèvent aux nuages leur électricité et empêchent la formation
de la grêle. Tous ces faits sont certains. L^influence attribuée aux forêts
sur la régularisation des cours d'eau est-elle également réelle ?
Dès les premières années de ce siècle ujie enquête a cherché à con-
stater cette influence par des observations directes faites dans le val de
la Lièpvre et dont malheureusement je n'ai pu trouver les résultais.
En 1850 , un ingénieur des ponts et chaussées , M. Belgrand , reprit la
question dans le Morvan, sur le bassin du Cousin, torrent dont les versants,
de formation cristaline imperméable, sont boisés au tiers , et sur le ruis-
seau de la Grenetière , dont la vallée , également granitique , est entiè-
rement boisée. Le résultat de cette expérience, suivie du 17 novembre
1850 au 1^' mai 1853, parut montrer que le régime des deux cours
d'eau est le même , quoique ces deux bassins soient très-inégalement
boisés ; que l'eau suit la même marche ascendante et descendante
dans les pluies et les sécheresses , en hiver et en été ; que le Cousin
et la Grenetière ont un régime de basses eaux d'hiver beaucoup plus
abondant que celui d'été; que dans les deux bassins une forte pluie
d'hiver produit une crue subite plus ou moins élevée , mais très-courte,
suivie d'une longue crue moyenne. En conséciuence M. Belgrand con-
clut de ces observations qu'on ne doit pas attendre du reboisement ,
entre l'hiver et l'été , une distribution plus régulière des eaux dans le
Thalweg '.
Restées quelque temps sans contrôle, les conclusions de M. Belgrand
furent infirmées en 1860 par les observations nouvelles de MM. Jenndel,
Cantégril et Bellaud. Il est rare de trouver deux bassins contigus d'une
même étendue, d'une nature géologique, d'un relief, d'une exposition
et d'une déclivité identiques, différents seulement par la végétation.
Ces conditions se trouvèrent sinon absolument , du moins d'une ma-
nière satisfaisante sur deux versants opposés des Basses-Vosges. Le
bassin boisé situé à l'Est du bief de séparation des eaux dans la forêt
domaniale de Dabo , donne naissance h deux bras de la Zorn , issus ,
' Becquerrl , Comptes-rendus de l' Académie des sciences, 48SS. T. 60, p. 1049.
* Annales des ponts et chaussées , 1854 ^ 3« série , tom. vu , p. 19.
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408 REVUE D'ALSACE.
Tun, du Grossmanii, vers 900 mètres d'altilude, Taulre, du Hengst-
kopf, donl le sommet s'élève à 889 mètres , et qui se réunissent à la
pointe d*01)erzorn après quinze kilomètres de parcours^ à deux kilo-
mètres au-dessus de la Kleinmùhl de Dabo. De belles futaies de sapins,
âgées de 60 à 120 ans , couvrent le versant septentrional de la vallée ;
le versant méridional est formé de chaumes , terrains autrefois, livrés à
des incendies périodiques pour être convertis en pâturages , revêtus
maintenant de jeunes bois et de quelques vieux chênes épargnés par le
feu , à Texceplion de 70 hectares de rocailles et de bruyères à la partie
supérieure du bassin qui n'ont encore pu être reboisés à cause de la
rigueur du climat. Le second bassin appartient au versant occidental
de la chaîne ; il est alimenté par deux ruisseaux qui forment la Bièvre,
affluent de la Sarre, à 1 kilomètre en amont de Walscheid. Cette vallée
est boisée seulement sur la moitié de sa surface , l'autre moitié , étant
occupée par des cultures au fond et sur les pentes les moins rapides ,
alternant avec des prairies irriguées que suivent ensuite des friches et
des pâturages. Le bassin boisé a une étendue de 4223 hectares , celui
du second en comprend 978. Tous deux ont pour base géologique le
grès vosgien qui présente parfois des escarpements verticaux et ne
porte que peu d'humus sur un tiers de sa surface. Les pentes transver-
sales du bassin de la Zorn varient de 30 à 60 quelque fois mê .le 80 pour
cent ; celle du bassin de la Bièvre sont un peu moindres. Les eaux
météoriques étaient mesurées à l'aide de quatre udomètres placés, l'un
dans le bassin de la Bièvre au village de Walscheid , les trois autres
dans la vallée de la Zorn , à 400 , 500 et 889 mètres d'altitude ; la
quantité d'eau écoulée à la surface du sol était mesurée à l'aide de
déversoirs. On a consigné sur le registre d'observations l'heure du com-
mencement et l'heure de la fin de la pluie, ainsi que l'heure des mesu-
rages effectués aux déversoirs. Le calcul des observations ainsi faites a
donné les résultats suivants :
I Bassiu boisé . . 0,07l>
Cucfficienls géiu^raux d'écoulciucDl i^uperflciel .
( Bassin déboisé . 0J27
I Bassin boisé . . 0,0215
CocfYicieuls généraux d'action inondante • • {
' Bassiu déboisé . 0,0591
iNous allons voir qu'il importe beaucoup pour la précision des obser-
vations que les bassins comparés aient la même étendue , mais encore
dans le champ de l'expôrience de M. Jeandel , le bassin de la Zorn,
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DE l'influence DES FOHÊTS , ETC 409
quoique quatre fois supérieur à celui de la Bièvre, a des versants
d'uue largeur égale ' à celle-ci ; la nature du sol étant identique et la
pente sensiblement la même , les deux bassins peuvent être comparés
entre eux sans erreur notable. Or le bassin de la Bièvre, quoique boisé
à moitié , laisse écouler une quantité d'eau plus considérable que celui
de la Zorn et les forêts exercent ici une infiuence considérable sur la
régularisation des eaux.
Dans TÂude et THéraull, M. Maistre de Villeneuve s'est également
asîsuré par des observations pluviomélriques el des jaugeages répétés
deux fois par jour que le bassin boisé de Lampy , dépendant du massif
de la Montagne Noire , sur une superficie de 700 hectares , absorbe
à peu près la moitié de Teau pluviale et fournit , par l'intermédiaire
de sources nombreuses, 110 litres d'eau par seconde au ruisseau du
Lampy, tandis que le bassin voisin déboisé de Salagou écoule superfi-
ciellement la majeure partie des eaux météoriques , et bien que d'une
superficie six fois supérieure , fournit seulement un débit de 12 litres
par seconde. Les expériences de M. Conle-Grandchamps ont reconnu
ailleurs l'existence de faits semblables.
Que l'opinion publique ait été froissée par les conclusions négatives
de M. Belgrand sur l'influence des furets sur la régularisation des cours
d'eau , cela ne prouve rien. Mais aujourd'hui ces conclusions sont
démenties par des expériences nouvelles , ce qui est grave. La nature
ne se contredit pas. Jamais une même cause ne donne des résultats
différents, dans des conditions identiques, il faut donc que les obser-
vations de M. Belgrand soient incomplètes, ou plutôt a tiré des con-
clusions erronées de prémisses vraies.
M. Belgrand compare les hauteurs d'eau pluviale et le débit par
minute et par kilomètre carré du Cousin et de la Grenetière , deux
cours d'eau du Morvan ^. Le Cousin est une rivière alimentée par
un bassin de 33,600 hectares « boisé sur un tiers de sa surface ; la
vallée de la Grenetière est boisé presque entièrement, son étendue
est de 250 hectares. Le Cousin est alimenté par de nombreux étangs,
dont M Belgrand ne tient pas compte dans ses appréciations
t
' Rapport du maréchal Vaillant sur les études de MM. Jcandcl , GaDtcgril et
BHIaud. Annules forestières el métallurgiques. Ann. 1861, 4« série, t. vu» p. 17^.
' Annales des ponts el chaussées , 48^ i, 3« série , tom. vu , p. 1
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410 REVUE DALSACE.
actuelles , mais sans lesquels il a reconnu précédemment que le Cousin
cesserait de couler lors des années sèches ^ Le savant ingénieur dit
aussi que les eaux d'une rivière s'écoulent d'autant moins vite que le
bassin d'alimentation est plus grand ^, et pose en loi que la crue torren-
tielle d'un grand cours d'eau, à versants imperméables, se compose non
pas de la somme , mais seulement de la succession des crues torren-
tielles des affluents qui passent les unes à la suite des autres. Toutes
ces causes concourent à donner à la Grenetière un cours moins régulier
que celui du Cousin. Or ces deux cours d'eau ont un régime identique;
le bassin de la Grenetière est très-boisé , le Cousin l'est peu , l'influence
des forêts n'est donc pas nulle.
Cependant H. Belgrand ne s'est pas borné à étudier le régime du
Cousin et de la Grenetière ; il compare aussi le débit de ce dernier
ruisseau à celui du Bouchât. Le débit des cours d'eau passant sur des
versants granitiques est essentiellement variable parce que le sol y étant
sablonneux ne retient pas longtemps les eaux pluviales , parce que les
sources peu profondes tarissent pendant les sécheresses et commu-
niquent leur régime aux ruisseaux qu'elles alimentent ^. Le bassin de
la Grenetière est formé de granit sur toute son étendue de 250 hectares
environ. Le bassin du Bouchât au contraire , qui comprend 2075 hec-
tares . consiste en terrains liasiques et superliasiques sur une surface de
1775 hectares. Ces terrains très-argileux absorbent et retiennent avec
plus de force les eaux superficielles Ils en accumulent de grandes
quantités au contact des terrains cristallins et dans le calcaire à gryphées
arquées , qui présente souvent à sa base des sources très-abondantes ;
comme le calcaire oolithique dont se composent les 300 hectares res-
tants du Bouchât , ne laisse pas s'écouler une seule goutie d'eau ^ à
leur surface , il faut bien que cette roche absorbe une partie des eaux
pluviales pour les accumuler dans des réservoirs souterrains. H. Bel-
grand ne lient pas compte de ces 300 hectares, reconnaît que les vallées
granitiques ont une pente trois fois plus forte que les vallées liasiques
et les eaux s'y écoulent plus vite. Ici encore la Grenetière devrait jouir
d'un cours moins régulier que celui du Bouchât. Toutefois H. Belgrand
' Belgrand, Annales des potih et chaussées , ^846 , :^« série , loiu. \ii , p. 152.
' Idem , i852 . 5« série, lom. ni , p. 29.
' Idem, /«46\ lom. XH , p. UO.
' tdem , 1864 , 3« série , lom. vn , p. 2.
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DE L*1NFLDENGE DES FORÊTS, ETC. 411
consiale dans ces deux ruisseaux un débit journalier identique , si ee
u*est que la Grenetière a un débit maximum un peu plus faible , un
minimum un peu plus fort que le Boucbat. La Grenetière est boisée , le
Bouchât ne Test pas. Les observations de H Belgrand établissent donc,
d'une manière éclatante, la puissante influence des forêts sur la régula-
risation des cours d'eau i.
Cette loi est générale et nous avons des exemples nombreux pour
en preuver la vérité manifeste. Sans parler des torrents des Alpes qui
ont causé de si déplorables dénudations arrêtées seulement par les
reboisements, nous signalerons un seul fait qui donne de cette influence
une démonstration complète. Le ruisseau du Caunan , dans le Tarn ,
issu de la forêt déboisée de Labruguière , transformé en torrent en biver,
sans eau en été , laissait chômer depuis longtemps les usines qu'il ali-
mentait. A partir de i840 y la forêt mieux soignée, plus respectée s'est
repeuplée peu à peu. En même temps le régime du cours d'eau s'est
modiflé , les crues sont devenues moins brusques , la sécheresse a dis-
paru , le débit s'est régularisé tellement que les fabriques de drap qui
bordent le Caunan n'ont plus à soufl'rir d'aucun chômage. Dans les Vosges
au contraire, la réduction , la disparition de nos belles forêts réagit
d'une manière singulière sur le régime de TIll et de ses tributaires. La
Fecht qui donnait, au commencement de ce siècle, des eaux abondantes
même en été, par suite du déboisement et aussi à cause du progrès des
cultures se dessèche maintenant chaque année en aval de Turckheim ,
et l'hiver elle est tourmentée par des crues violentes.
Ce n'est pas seulement dans les montagnes que s'exerce l'action
régulatrice des forêts. On a constaté une diminution du débit des cours
d'eau dans le département de l'Oise. Dans son rapport adressé au
Conseil général du Haut-Rhin , au sujet du défrichement de la
Harth , l'ingénieur en chef des ponts et chaussées , H. Mûntz ,
affirme que cette forêt provoque des pluies dont la plaine a si grand
besoin. La plaine du même nom qui s'étend au nord de la forêt , jadis
couverte de bois, aujourd'hui presque totalement défrichée, est devenue
stérile. C'est la Harth aride, dûrre Hahtb , comme on dit en Alsace.
Un grand nombre de cours d'eau qui arrosaient la plaine sont mainte-
nant à sec. Le petit réseau anonyme marqué sur la carte de Spœcklin ,
' Voyez dans la Revue des eaux et forêts une note de M. d*Arbois dt> Jubainville
sur l'influence des forêts sur le régime des eaux , 1866 , tom. v , p. 65.
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412 REVUE D* ALSACE.
en 1576, composé de sept ruisseaux venant des collines du Sundgau,
a disparu depuis le déboisement des forêts qui les alimentaient. Aussi
la présentation récente d'un projet de loi faite au Corps législatif sur
Taliénation de la forêt domaniale de la Harth a-t-elle provoqué une émo-
tion générale. Le Conseil général du Haut-Rhin, sur les vives instances
de H. Herzog , a demandé, d'une voix unanime, le retrait de ce projet
dont les lecteurs de la Revue ont pu apprécier ici même * les funestes
conséquences économiques.
Charles Grad.
Turckbeim, 30 mars 1866.
* Voyez rexcellent mémoire de M. Onimus : Sur Valiénation el le défrichement
de la Harth, - Rsvue d'Alsace , année 1865 el 1866.
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JEAN DE DAMBACH k JEAN TAULER.
Nous trouvons dans les manuscrits encore inédits de Grandidier ,
cahier seizième , à la fin de Tépiscopat de Jean de Liechtenherg , une
courte notice qui a été barrée par l'auteur , et qui concerne Jean de
Dambach et Jean Tauler. Cette notice , dont Grandidier a probablement
fait usage ailleurs , car il barrait tout ce qui ne devait plus lui servir ,
nous paraît mériter d*étre recueillie. J. L.
L*Âlsace vit naître . sous Tépiscopat de Conrad (de Liechtenherg) ,
deux hommes célèbres , tous deux de Tordre de Saint-Dominique.
L Jean de Tambac naquit à Dambach en Alsace Tan 1288. Il prit
riiabit de Saint Dominique dans le couvent de Strasbourg, en 1308. Il
vint à Paris et il y commença divers ouvrages dont il enrichit , dans In
suite, la République des lettres. Le pape, Clément VI, lui donna le
degré de Docteur et l'empereur, Charles IV, l'tablit premier recteur de
rUniversité qu'il fonda à Prague. Il mourut à Fribourg , en Brisgan ,
le 3 janvier 1372 *.
II. Jean Tauler naquit en 1274 et prit Thabit de Saint Dominique , à
Strasbourg, vers Tan 1316. Il devint Tun des plus habiles prédicateurs
et des plus grands maîtres de la vie spirituelle de son temps. Il mourut
à Strasbourg, Je 17 de mai 1361. On a de lui plusieurs sermons et ou-
vrages de spiritualité , entre lesquels on estime surtout son livre alle-
mand appelé communément : les Institutions , qui a été traduit en
français et en latin. Tauler était, au jugement de M. Bossuet / un\ies
plus solides et des plus corrects des auteurs mystiques. 11^ est connu ,
dans les écoles , sous le nom de Docteur illuminé. Le cardinal Belarm in
l'appelle un prédicateur éminent en piété et en savoir ; et l'illustre
* Consultez, à son sujet, le Père Echard, Script, ord. proBdical., lom. i , p. 667,
et le Père ToOROff , Hist. dt» hommet illusires de V ardre de Saint- Dominique,
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414 RKVUE n'ALSACR.
évêque de Pamiers , Henri de Sponde , qui a continué les annales de
Baronius , ne craint pas d'assurer que c'est un homme digne d'admi-
ration et que ses ouvrages sont pleins de l'onction et de la grâce du
Saint-Esprit * . Il s'attacha principalement à la théologie mystique et ,
comme on le crut favorisé de révélations ; on le nomma Théologien-
illuminé. Freherus ' dit que son épitaphe porte qu'il mourut le 15
juillet 1379. Mais Bayle ^ soutient qu'on y lit que ce fut le 17 mai 1361.
Ce dernier a raison. Il mourut et fut enterré chez les Dominicains de
Strasbourg avec cette épitaphe : Anno Domini M.CCC.LXI. , XVI. ral.
JUN. OBiiT FRATER JoHANNES Tauler. Tauler mourut subitement à
Strasbourg, dans le jardin des religieuses de Saint-Nicolas in undis ,
ou il était allé voir une de ses sœurs qui y était religieuse.
Voici un passage de Luther au sujet de Tauler : « Si te delectat pu-
« ram ^ solidam , antiqusB simillimam iheologiam légère in germanicâ
<t linguâ effusam , sermones Joannis Tauleri praBdicatoriœ confessionis
« tibi coroparare potes, neque enim ego vel in latinâ vel in nostrâ linguft
« theologiam vidi ^alubriorem, et cum evangelio consonantiorem >
* Consultez . k sod sujet , le Père Echard, Script, ord. prœdicat. . tom. i ,
pag. 677; le Père TOOROti, Hùmmes illustres de l'ordre de Saint-Dominique ,
tom. Il , pag. 354 ; le Père HoifOUÉ de St«-MARIB , dâas sa Tradition dés Pètes et
des auteurs eccUsiasliques sur la contemplation , tom. i , pag. S8 ; Hedion , In
Historié tripartitâ, pag. 398; Bochholtzer , »»/ Indice chronoL , et Woi.ff ,
Lectionum memorabil. , tom. i, cant. 14, fol. 669.
* !n theatro , page 79.
' Dictionnaire critique.
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BniEHN BIBUOGRAPHIQUE.
Les épopées françaises formeroni trois volumes in*8* de 700 pages
chacun , publiés chez V. Palmé , 22 , rue Sainl-Sulpice , au prix de
10 fr. chacun.
L'Académie des inscriptions et belles-lettres vient de décerner le
second prix Gobert à un ouvrage qui est destiné à intéresser tous ceux
qui aiment les lettres , et surtout ceux qui aiment la littérature fran-
çaise. Nous ne craignons pas de prédire un bon accueil aux Epopées
françaises, étude sur les origines et l'histoire de la littérature nationale,
Cêi ouvrage , dont le premier volume seul a paru , est le fruit des
patientes recherches de 1 un de ces jeunes érudits dont s'honore TEcole
des chartes , cette pépinière des bénédictions laïques.
H L. Gautier a voulu prouver que , contrairement au préjugé , la
France est de toutes les nations modernes celle qui possède le plus
d'épopées ; qu'elle avait une littérature épique des plus originales et
des plus riches alors que les autres peuples ne possédaient encore que
des légendes confuses et des traditions orales. Pour atteindre son but ,
M. Gautier a courageusement entrepris un travail d'ensemble sur ces
romans de chevalerie qui , depuis le douxième siècle^ ont été traduits
dans toutes les langues. Le premier volume montre tour à tour nos
vieux poèmes sous toutes les formes qu'ils ont revêtues depuis leur
origine jusqu'à nos jours : c'est Torigine et l'histoire des épopées fran-
çaises ; à lui seul il forme un tout complet. Le second volume contiendra
une analyse de chacun de nos romans cie chevalerie ; le troisième volume
sera consacré à une étude philosophique et comparée de nos épopées
mises en regard de celles des autres peuples de l'antiquité et du moyen-
âge, de l'Europe et de l'Asie.
Une œuvre de ce genre ne peut manquer d'être goûtée , parce qu'elle
est à la fois savante et populaire. Les romans de chevalerie se com-
posent de milliers de vers qui peuvent effrayer beaucoup de personnes :
on a si peu de loisirs à notre époque ! — De plus ces poèmes sont ré-
digés dans un idiome qui est souvent difficile à comprendre pour ceux
qui n'ont pas fait d'études spéciales. Ce sera donc une bonne fortune
que d'avoir en trois volumes , sous la main , le moyen de connaître et
d'apprécier l'ancienne littérature française. La haute distinction que
que vient d'accorder l'Académie au premier volume de M. Léon Gautier
est la meilleure recommandation que l'ouvrage puisse avoir auprès du
monde savant. Anatole de Barthélémy.
Etude sur L'HiSToms des juifs a colmar , par X. Mossmann , archi-
viste de la ville de Colmar. — Metz , typographie Rousseau-Pallez ,
1866. Extrait de la Revue de l'Est. — Brochure in-8« de 52 pages.
Prix : 2 fr. chez Eug. Barth , Grand'rue , à Colmar y et Ernest
Thorin, 58, boulevard Saint-Michel ^ à Paris.
On peut espérer que les archives de Colmar nous fourniront de cu-
rieuses révélations sur l'histoire de cette ville , depuis que H. X. Moss-
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416 REVUE D'ALSACE.
mann est préposé à leur conservation. Pour commencer voici une étude
sur la condition des juifs dans ce milieu pendant le moyen-âge. Si le
sort de la nation juive en Alsace n'est pas précisément le côté de notre
histoire qui soit le plus obscur, le plus ignoré, grâce aux mémoires
savants et nombreux qui ont été écrits à propos de contestations judi-
ciaires , grâce encore à une quantité respectable de petits livres ou
de brochures généralement empreints de la haine enfantée par le sen-
timent religieux , il n'est pas moins vrai que l'étude de M. Mossmann
nous apprend beaucoup de choses sur la condition qui fut faite aux
juifs, dans l'ancienne ville libre de Colmar spécialement. C'est donc un
service que M. l'archiviste rend à l'histoire particulière de la ville dont
il administre le dépôt , et dont on ne saurait trop Tencourapr à user
pour en faire jaillir la lumière qu'il est susceptible de produire.
On suit avec intérêt M. Mossmann dans la revue qu'il fait d'actes et
. de circonstances sur lesquels il est difficile , même encore aujourd'hui ,
à une critique saine et impartiale de s'exercer. C'est une histoire lamen-
table que celle des juifs en Alsace et on ne trouve peut-être pas dans la
notice dont nous parlons le reflet suflisammenl accentué des violences
(|ue les débris de cette nation durent subir dans les lieux où ils trou-
vaient un refuge ^ toujours temporaire, ni surtout des causes de cet
état de dégradation. Il est vrai que M. Mossmann n'a en vue que l'histoire
particulière de la ville de Colmar : c'est ce qui explique pourquoi le
lecteur ne sera peut-être pas toujours d'accord avec lui lorsqu'il découvre,
dans des circonstances purement locales , l'explication de telle ou telle
mesure de protection ou de rigueur. Ainsi , par exemple , on admettra
difficilement que les figures grimaçantes des juifs, mêlées « aux scènes
pieuses » de la passion , peinte dans l'atelier de Schœngauer , c ont
eu de l'influence sur l'implacable acharnement de la ville (de Colmar)
contre les juifs et sur la guerre sans trêve qu'elle leur fit jusqu'à la
Révolution, i» Nous n'insistons pas , car nous sommes persuadé que si
M. Mossmann veut bien jeter un coup-d'œil sur ce qui se passait ailleurs
dans le même temps , il demeurera convaincu que les peintures sorties de
l'atelier du Maître ne furent pour rien dans l'attitude du Magistrat et de
la population de Colmar envers les juifs.
Quoiqu'il en soit , la notice dont il s'agit est recommandable comme
document à consulter lorsque Ton voudra, une bonne fois, écrire
l'histoire de la ville ; si d'une part il y manque le lien qui rattache aux
événements généraux de la province et même de l'Empire , les faits
qu'elle rapporte , d'autre part elle en signale qui étaient ignorés jus-
qu'à présent et à l'appui de beaucoup il ne manque autre chose
que rindication des sources dont M. Mossmann s'est montré un peu
trop avare.
Ces réserves faites avec franchise et sincérité, nous recommandons
à nos lecteurs l'étude sur l'histoire des juifs à Colmar, par M. l'archi-
viste de cette ville.
FRÉDÉnir. KuRTz.
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UN BAS-RELIEF DE MITHRA.
URCODVKKT A STRASBOURG ET ACQUIS PAR LA BIBLIOTHÈQUE DE CETTE VILLE.
Le musée lapidaire de la Bibliothèque de Strasbourg vient de s'enri-
chir d'un monument intéressant et que sa rareté rend même précieux.
C*est un bas-relief représentant un Mithra, divinité dont le culte, né en
Perse et introduit à Rome sous Pompée , a pénétré successivement
dans la Gaule et jusque sur les deux rives du Rhin , où Ton a déjà
découvert plusieurs sanctuaires qui lui étaient consacrés. Ce monument
a été trouvé tout récemment , par hasard , au centre de la ville , dans
des fouilles effectuées pour Tapprofondissemenl d'une cave.
Afin de mieux faire apprécier la valeur de celte acquisition et de
faire connaître la signification de ce bas-relief, il convient d'exposer
d'abord , dans ses grands contours, la religion mazdéenne , à laquelle
le culte de Mithra se rattache , et les principaux symboles de ce culte
mystérieux.
Selon les croyances primitives des Aryas persans , au commencement
des temps , un être plein de bonté , de sagesse , éternel , vivait au
milieu de la lumière primordiale ; c'était le brillant Ormuzd {Ahouray
le vivant ; Mazda ^ le sage) , génie du bien , dieu suprême qui , par
sa puissance et sa volonté , a créé le monde. En même temps , au-
dessous de lui , dans les ténèbres , s'agitait le génie du mal , immortel
quoique n'étant pas étemel , Ahriman (i42/na manyoun) , qui intro-
duisait dans le monde tous les maux qui pèsent sur la création.
Autour de ces deux divinités rivales viennent se grouper deux armées.
Du côté d'Ormuzd , ce sont les sept Amschapands , esprits purs , per-
sonnification des vertus divines, puis les Yzeds, au nombre de 28 , qui
personnifient les forces de la nature, et enfin les Ferouers , les âmes ,
* D'où vient le mot de matdéismt.
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418 REVUE D'ALSACE.
espèce d'anges gardiens. Du côté d'Ahriman combattent les Dewas, le
mal sous toutes les formes , les hommes méchants , les animaux mal-
faisants y les plantes vén^peuses , les mauvais penchants , les fléaux ,
les maladies , etc.
La lutte entre ces deux puissances , ce dualisme du bien et du mal ,
constituent la doctrine fondamentale 'du mazdéisme, tel du moins que
Ta établi Zoroastre, le fondateur ou plutôt le réformateur de l'antique
religion ^end: et celte lutte dure et durera jusqu'à la consommation des
temps pour se terminer alors par la défaite et la rédemption d'Âhriroan
et par le règne calme et de nouveau glorieux d'Ormuzd , rentré , comme
à l'origine des choses, dans les radieuses splendeurs de la lumière éter-
nelle.
if/t/ftra, ''émanation d'Ormuzd , n'est pas un dieu lui-même, quoique
dans le culte adopté et successivement modifié par le polythéisme
romain il eût pris le caractère de la divinité ; il n'est qu'un Ized^ mais
le premier et le meilleur de ces génies bienfaisants , une personnifica-
tion du soleil et du feu , les deux formes visibles du Dieu suprême ; c'est
lui qui chauffe , 'qui éclaire , vivifie et qui , infatigable champion du
bien , combat à outrance les ténèbres de la nuit , les froids de l'hiver ,
les principes humides des brouillards et des marais ; c'est lui qui à
chaque renouvellement des saisons rend la vie à la nature entière. De
plus , car dans ces symbolismes philosophiques , tout est multiple et
complexe et des conceptions accessoires s'ajoutent presque toujours à
l'idée principale , Hithra est en même temps un médiateur , d'une part,
entre les deux principes rivaux , entre Ormuzd et Ahriman ; d'autre part,
entre Dieu et Thumanité. C'est lui qui , agent actif, force le mal lui-
même à devenir bien , qui , par exemple , en fondant les froides neiges
de l'hiver, assure l'alimentation des sources fécondantes de l'été; c'est
lui encore qui, forme sensibh' de la divinité, reçoit les prières des
hommes et les élève vers le Dieu suprême et qui en même temps répand
sur toute laeréation les bienfaits inépuisables de la sagesse éternelle,
d'Âhoura Mazda.
Tçlle est , dans ses grands linéaments , cette religion antique de
l'Arya persane , dont les croyance^, quarante fois séculaires, se perpé-
tuent jusqu'à nos jours dans le Parsisme , la religion des Guèbres ,
adorateurs du feu, et qui, aux environs du iip sjècle de l'èfe chrétienne,
avait pénétré jusqu'à la lisière des pays germaniques ,«à la suite des légions
romaines et sous sa forme symbolique et niy^t^neu^ dti cultç de l||i.t)ira.
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UN BASrI\|5L|FF m MITHRA. 449
Il est inutile sans doute de faire observer qu'en se déplaçant ainsi
dans Tespace et le temps , en passpnt d'Orient en Occident et aussi en
allant à travers les sièples depuis la primitive Arya asiatique jus :|u'à la
Rome de la décadence , le culte de Mitbra dût nécessairement se modi-
fier , sinon peut-âtre dans son essence même , en tous cas du moins
dans son expression et dans sa forme. C'est ainsi que , tandis que le
caractère de ce cn|t'' chez les anciens Persans étail le plaisir , la joie ,
la volupté , et avait quelque chose de chaud et de radieux comme le
soleil, chez les Mithriaques occidentaux c'étaient plutôt la renonciation ,
les austérités , l'idée de sacrifice qui dominaient. Les imaginations assom-
bries du Nord s'y reflétaient et l'on y sentait en outre l'empreinte attristée
de ce malaise qui , aux temps de la naissance du christianisme , existait
au fpnd d'un si grand nombre de consciences.
Et en même temps encore tandis que les anciens Perses réprouvaient
le cult.e des idoles , bien que leur religion fut chargée et surchargée
d'un symbolisme aussi varié que complexe , le polythéisme romain au
contraire imposait une figure humaine à tous ses dieux ; et il résulte
de ce dernier fait que c'est en Asie qu'il faut chercher l'explicktiou de
tous ces symboles , de toutes ces allégories qui cachaient au]( profanes
la pensée secrète , la formule mystique révélée aux seuls initiée , et que
c'est en Europe que l'on rencontre les images qui représeatent moins
cette conception philosophique que le dieu lui-même.
{jOS monuments mithriaques, découverts jusqu'ici en Europe, sont
répartis en plusieurs groupes. Il y en a un certain nombre du côté du
Bas-Danube, en Transilvanie et en Valachie ; un nombre plus considé-
rable à Rome et en Italie ; quelques uns dans la vallée du Rhône , un
b^-relief à Vienne (Isère) , un autre à Bourg-Saint-Andéol (Ardèche)
et une statue à Arles ; puis dans le bassin du Rhin , une série de bas-
reliefs , trouvés à diverses époques , à Dormageo , entre Cologne et
Neuss ; à Hedernheim , près de Wiesbaden *, à Neuenheim , ppès de
Heidelberg ; à Ladenburg , sur le Neckar ; à Fehlbarh , dans le Wur-
temberg ; à Mauls , dans le Tyrol , et plus près de nous à Schwarzerd,
dans les Vosges , entre Lichtenberg et Deux-Ponts, sans oublier un
petit bas-relief, peu caractérisé il est vrai, mais que cependant le savant
professeur Schweighseuser a attribué au même culte, et qui, découvert
il y a une trentaine d'années dans la furet de Haguenau , fait déjà partie
du musée deUa BU)liothèque, et en y comprenant encore peut-être une
figure de lion appuyé^contre une urne , provenant de Brumatb et appar-
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420 REVUE D*ALSAGE.
tenant à la collection de la Société pour la conservation des monuments
historiques d'Alsace, ûgure qui semble se rattacher également au sym-
bolisme mithriaque. Ce relevé ne mentionne que les bas-reliefs et les
statues découverts en Europe. Il eut été trop long d'y ajouter encore
l'indication des inscriptions votives ou commémoratives qui sont fort
nombreuses.
Ces monuments se divisent en deux sortes , en deux représentations
bien distinctes, bien tranchées de la figure symbolique du dieu soleil.
Les plus communs , désignés ordinairement sous le nom de Tauro^
boleSy montrent le Mithra sous les traits d'un jeune homme' imberbe,
vêtu à la persane y en manteau (lotlant , coiflfé d'un bonnet phrygien et
plongeant un glaive dans l'épaule d'un taureau qu'il tient terrassé sous
son genou. Diverses autres figures allégoriques , parmi lesquelles l'on
retrouve presque toujours le lion , le serpent , un ou plusieurs vases,
puis encore le scorpion , un chien , un corbeau , des grains et des
épis , etc. , complètent la mise en scène de ce sacrifice symbolique ; le
taureau mystique représentant la force vitale et génératrice qui chaque
année succombe avec le solstice d'hiver pour renaître de nouveau avec
le soleil du printemps. Telle est du moins l'une des interprétations de
cette scène.
Les autres monuments mithriaques d'Europe sont infiniment plus
rares. Lajard , dans son magnifique ouvrage , dont le texte est malheu-
sement resté incomplet , Lajard n'en indique que huit. Ils représentent
habituellement le Mithra avec une tète de lion , le corps nu ou presque
nu , ayant deux paires d'ailes et portant en mains , comme attributs
caractéristiques , toujours une clef et souvent un sceptre ou un bâton
pastoral. Le serpent et des vases accompagnent ordinairement cette
figure principale.
C'est à cette dernière série de monuments qu'appartient celui que la
Bibliothèque vient d'acquérir. Une courte description en fera connaître
les caractères distinctifs et servira à justifier cette attribution de notre
bas-relief au culte de Mithra.
Les dimensions de ce monument sont fort modestes , car il ne se
compose que d'une simple dalle en grès , mesurant 69 centimètres en
hauteur sur 40 centimètres de large. A sa partie inférieure un rebord
en saillie , haut de 5 centimètres , forme socle et sert de base à la com-
position. En haut , au-dessus des figures , se trouve une surface lisse ,
haute de 6 centimètres, qui est de niveau avec le fond du bas-relief.
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m BAS-RRMEF DE MITHRA. 421
Le milieu de la dalle est occupé par un personnage debout , trapu ,
ayant pour tout vêtement une courte tunique , descendant seule-
ment jusque vers le haut des cuisses et retenue à la taille par une
corde formant ceinture avec un nœud dont les bouts retombent sur le
bas-ventre. Cette figure d'un travail grossier quoiqu'assez correct » est
surmontée d'une tête de proportions trop fortes pour le corps , et qu'en-
cadre un collier de barbe frisée , simulant quelque peu la crinière
d'un lion. Le haut du crâne manque ; le front entaillé au-dessus de la
racine du nez s'arrête brusquement coupé à angle droit par une ligne
horizontale qui va rejoindre , au niveau plane du fond de la dalle ,
cette bande lisse haute de 6 centimètres qui limite le haut du bas-relief.
En voyant ainsi celte tête tronquée l'on est porté à penser qu'une coiffure,
en métal sans doute , devait s'y adapter, une tiare ou une mitre (ce nom
d'origine persane vient de Mithra). La figure porte quatre ailes , deux aux
épaules, deux aux hanches , toutes quatre semblables , petites , arrondies
parle haut , la pointe des plumes dirigée vers le sol. Dans sa main droite,
le bras étant replié extérieurement , elle élève vers l'épaule une clef; cette
pièce est mutilée mais cependant fort aisée h reconnaître. Le bras gauche
abaissé tient obliquement un bâton. Derrière les jambes de ce person-
nage qui remplit tout le milieu de la dalle , est un lion paraissant mar-
cher et disposé en travers de telle sorte que sa croupe et sa queue se
dessinent à gauche des jambes de l'homme tandis que sa tête s'avance
sous le coude droit qui soutient la clef. Tout en bas , sur le socle , aux
deux coins inférieurs de la d ille, se trouvent deux vases ; l'un , celui de
gauche par rapport à la figure centrale , pansu , presque rond , avec un
goulot court et étroit ; celui de droite par contre évasé en forme de bassin
et muni de deux anses. Une cassure de la pierre laisse quelques doutes
sur les détails de ce dernier vase autour duquel paraît s'enrouler le
corps d'un serpent et vers lequel le lion incline sa tête.
En récapitulant ces divers signes , nous voyons donc dans notre bas-
relief tous les principaux attributs qui caractérisèrent les monuments
du culte mithriaque , le lion , les quatre ailes , la clef, le bâton ou
sceptre , les vases liturgiques et sans doute même le serpent. Tous ces
détails s'y trouvent réunis ; et si aucune des figures découvertes jus-
qu'ici ne reproduit exactement le même ensemble, il y a lieu de remar-
quer que chacun de ces traits distinclifs se trouve reproduit dans l'un
ou l'autre des monuments connus et admis sans conteste comme
appartenant au culte du dieu Soleil , au Mithra persan. Un examen
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432 REWE P* ALSACE.
des planches de Touvrage déjà cité de Lajard , ne laisse abcun doute à
ce sujet.
Ce point essentiel établi il ne reste plus qu'à expliquer , autant qu'il
est possible , la signification de ces divers attributs du Mithra représenté
sur notre bas-relief. Hais il convient toutefois de faire observer que
cette interprétation sera forcément vague et incomplète tant à cause du
manque de documents précis , par suite du mystère qui autrefois entou-
rait ce culte dont la connaissance n'était graduellement révélée qu'aux
initiés et qu'après de longues et sérieuses épreuves , que par suite aussi
du caractère complexe de ce symbolisme lui-même , dans lequel le
même signe exprimait souvent plusieurs idées et la même idée revêtait
plusieurs formes différentes.
Sur le monument que le Bibliothèque vient d'acquérir ne figurent
pas , nous l'avons indiqué , l'un des types les plus ordinaires du culte
mithriaque européen , le taureau , à la fois image allégorique et signe
zodiacal , ni le scorpion ou cancer qui raccompagne presque toujours
et qui a de même une double signification symbolique et astronomique.
Par contre le lion y est représenté et y figure même deux fois en pre-
nant le collier de barbe qui encadre le visage pour une imitation de la
crinière léonine que Ton retrouve sur d'autres représentations du dieu
Soleil. Or le lion est le symbole spécial du Mithra. Ardent comme la
flamme , irrésistible comme le soleil , tout puissant , invaincu (le Soi
invicius des monnaies de la seconde moitié du lu* siècle) ^ le lion fait
fuir devant lui tous les animaux, comme l'astre solaire, dissipant la
nuit , fait pâlir et disparaître devant son éclat toutes les étoiles du
firmament. De plus , car il y a toujours au moins une double signifi-
cation dans ces figures , le lion est également un signe zodiacal et in-
dique le point du ciel où le soleil parvient à sa plus grande hauteur.
Les ailes symbolisent la rapidité de la course du soleil ; leur nombre
de quatre faisant allusion , soit aux quatre saisons , soit aux quatre élé-
ments. Remarquons d'ailleurs en passant que ce chiffre mystique rap-
pelle les quatre ailes des chérubins figurés au-dessus de l'arche de
l'alliance et tout autour du sanctuaire dans le temple de Jérusalem.
La clef, attribut que l'on retrouve constamment à toutes ces images
et qui n'est pas sans analogie avec la clef du Horus égyptien , signifie
que le soleil ouvre toute chose , le ciel au jour, la terre fertilisée à la
végétation et elle fait sans doute en même temps allusion aux mystères
du culte mithriaque.
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UN BAS-RELIEF DE MITHRA. 423
Le bftton ou sceptre que le Mithra tient ea mains parait être simple-
ment le signe de la suprématie, quoique diverses autres interprétations
soient données à cet emblème qui joue un rdle dans plusieurs mystères
antiques.
Les deux vases , qui appartiennent à la liturgie non seulement mi-
ihriaque mais mazdéenne , se rapportent aux deux éléments fondamen-
taux , le feu et Teau ; celui de gauche , avec sa forme pansue et son
ouverture étroite comme celle d'une lampe, contenant probablement le
feu créateur ; Tautre , le bassin à deux anses , renfermant Teau pri-
mordiale , principe de la vie.
Finalement le serpent qui paraît entourer de ses annearat ce dernier
vase, et qui*, à en juger par analogie d'après des représentations sem-
blables , élevait sans doute sa tète au-dessus du bassin mystique en y
plongeant ses regards ; le serpent; image ordinaire d'Abriman, semble
ici , par Tune de ces bizarreries familières au symbolisme mythologique,
changer de rôle et de caractère , et prendre non fa si|*nification du
génie du mal , mais au contraire celle d'un génie bienfaisant comme
Test dans d'autres cultes le serpent médecin d'Isis ou J'Esculape. C'est
ainsi du moins qu'il figure « par exemple, dans le mîthraum de
Neuenheim.
Une dernière remarque encore pour faire ressortir la valeur de notre
bas-relief, et elle est empruntée à un rare expert en ces matières , au
savant Visconti , c'est qu'en outre des images ordinaires qui représen-
taient Mithra en habit persan (le Mithra des Tauroboles) , il y en avait
d autres plus mystérieuses que l'on ne montrait qu'aut initiés , et que
ces dernières avaient , comme attributs distinctifs , la clef, la tète de
lion , les ailes , tous les signes caractéristiques que nous trouvons sur
notre bas-relief. Celui-ci devait être par conséquent l'une de ces repré-
sentations mystérieuses du dieu Soleil qui , cachées au fond du sanc-
tuaire , n'étaient révélées qu'au petit noinbre d'adeptes qui avaient subi
les épreuves de l'initiation.
AuG. SattU,
Bibliothécaire de la vilTe de Strasbourg
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LE MUSEE DE COLMAR
SuiU. ' —
VH.
C'est comme graveur, surtout, que Martin Schongauer se rendit
célèbre. Dispersées dans les collections publiques et privées , ses
estampes sont devenues très-rares et atteignent, de nos jours, un prix
très-élevé. Il est telle épreuve du Portement de croix qui, il y a quel-
ques années , dans une vente publique à Paris , a été poussée par les
enchères jusqu'à 1200 fr.
Nourri des traditions du moyen-àge , imbu de ses principes sévères
qui faisaient de la forme humaine une abstraction , pour concentrer
l'expression , le sentiment , dans la tète des personnages , Schongauer
a réalisé dans ses leiravures , finement burinées du reste , des types
étranges de maigreur et de sécheresse. Elles sont Tœuvre d'un véritable
ascète V Ici , rien de cette vie exubérante qui galvanise les personnages
d'Albert Durer. Un abîme semble séparer les deux maîtres. Quoique
presque contemporains , l'un plonge en plein moyen âge , l'autre adore
le soleil levant de la renaissance. Schongauer semble mépriser le corps
humain et ne chercher dans l'homme que Télément purement spirituel.
Durer , au contraire , l'étudié sous ses aspects les plus originaux , se
crée un fonds immense d'observations et réalise des chefs-d'œuvre où
la vie palpite *.
* Voir la livraison d'août, page 369.
' V^'inckelinann , en parlant de l'Apollon du Belvédère , a dit que Tartiste , en
créant ce chef-d'œuvre , n'a emprunté à la matière que ce qui était absolumeot
indispensable pour revêtir l'esprit d'une forme corporelle; de même, l'aKiste chré-
tien du XV' siècle ne laisse à ses créations que la consistiince corporelle nécessaire
pour que l'àine puisse s'y attacher.
(Df A. VON Eye ♦ Leben und Wirken AUnechi Durer's,)
* Dans sa notice sur Martin Schongauer, H. Emile Galicbon , en mettant ce
maître en parallèle avec Albert Durer , indique les différences profondes qui les
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LE MrSÉE OR COLMAR. 435
Ne soyons pas trop sévères pour notre maître colmarien. Prenons-le
tel que son époque Ta fait. Comme je Tai dit plus haut , pour juger son
œuvre , dépouillons le vêtement de nos iJées modernes et nous aurons
devant nous une de ces puissantes individualités qui commandent le
respect » par l'eflort concentré qu'elle a dû faire pour réaliser des œuvres
durables. Ces œuvres ont subi Tépreuve du temps , elles ont passé au
creuset de la critique et en sont sorties comme la personnification vivante
des errements d'une époque où la foi naïve parquait Tartiste dans un
cercle infranchissable , où la formule hiératique tenait son imagination
constamment bridée.
Dans une notice remarquable publiée par le Kunstbtall (Gazette alle-
mande des Beaux- Arts), en septembre 1840, H. de Quandt, conser-
vateur du musée de Dresde , a divisé en quatre souches principales les
tableaux de Técole allemande du xv« siècle.
Selon lui , les caractères physionoiniques de la souche la plus an-
cienne se révèlent par des nez courts et pointus, affectant la forme d'une
pyramide aiguë, et par un ovale assez large de la figure, ayant pour
base des os jugulaires très-proéminents. Dans 'une seconde famille
d'artistes apparaissent des nez plus longs et d'i-plomb , des yeux large-
séparent. • A l'opposé du peinlre de Nurnberg , Schongauer , dit-il , D*Aime ni la
rêverie ni le fantastique ; fortement imbu des exemples des maîtres flamands , dont
iJ égale la clarté dans ses compositions , il est le peintre du mouvement ; il repro-
duit la nature telle qu'elle se présente , non dans son ensemble , mais dans ses
détails et anime ses personnages d'un sentiment que nul n*a dépassé. »
II y a peut-être des réserves à faire quant à la dernière partie de ce jugement.
Dans l'imitation de la nature, Schongauer fut loin d'être un réaliste. 11 s'était, au
contraire , créé des types à lui qui ne procèdent point de l'imitation directe de la
nature et , sur certains points , s'en éloignent outre mesure , comme , par exemple,
duns l'anatoniie des mains et des pieds de ses personnages. La forme maniérée de
ses draperies n'est point non plus une reproduction telle quelle de la nature.
Nous sommes tout-à-fait d'accord avec M. Galichon quand, plus loin, il dit qu'il
faut savoir surmonter la première impression, toujours peu favorable, que pro-
duisent les flgures maigres et décharnées de Martin Schongauer ; qu'il n'a pas imité
une nature de choix ; que ses personnages ont des membres osseux , souvent mal
ai lâchés, des doigts crispés et des pieds qui ressemblent à des pieds de singe.
(Galette des Beaux-Arts. 1859. T. m, p. 264.)
Acceptons sans conteste cette autre opinion du savant critique qui en cela est
d'accord avec le jugement des critiques allemands , c'est que les Vierges de Schongauer
(liarment par leur maintien religieux et représentent assez bien l'idéal peu élevé
auquel il a été donné à l'école de Bruges d'atteindre.
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426 RRVUE D'ALSACE.
menl fendus , mais peu ouverts, des visages d'un ovale un peu' allongé.
Une troisième famille se distingue par des figures rondes, à l'expression
douce et aimable et des nez écourtés. La quatrième sè caractérise par
un ovale plus allongé du visage , par la forme droite , noble et bien
modelée du nez , par des yeux médiocrement fendus mais ouverts daôs
une mesure convenable.
La première serait la souche allemande pure , la seconde aurait subi
une infusion byzantino-italienne , la troisième révèle sa parenté avec
les Pays-Bas , la quatrième serait rHarquée du sceau flamand et cette
dernière pourrait bien avoir Jean Van Eyck pour patron.
C'est celle dans laquelle la critique moderne a classé Martin Schon-
gauer.
Suivons M. de Quandt dans son appréciation savante des caractères
qui permettent de reconnaître les œuvres de ce maître. C'est un
guide sûr, qui fait autorité en pareille matière et dont l'opinion
se fonde sur les données d'une longue et judicieuse observation.
Il reconnaît dans les figures de Schongauer deux classes bien tran-
chées de physionomies, dont l'une appartient aux natures élevées,
l'autre aux natures ignobles ou triviales. La première se distingue par
la forme régulière des figures , où le visage se divise en trois parties de
dimensions à peu près égales , où la longueur de l'œil représente envi-
ron le quart de la longueur du nez. Ce dernier , vu de face , a très-peu
de largeur , à peine le cinquième de la longueur. Il va de soi que ces
indications doivent être considérées comme une moyenne et qu'il y a
pla'^e pour des modifications délicates qui échappent à l'appréciation
géométrique. Le visage est un ovale qui , dans les têtes d'enfant , se
rapproche du cercle et s'allonge dans les têtes d'hommes.
Dans les figures d'anges et d'enfants les sourcils , délicatement mo-
delés , affectent presque la forme d'un demi-cercle. Vus de profil , les
nez sont droits. Lt^s dégénérescences do ces formes idéales , qui se tra-
duisent en nez courts, inclinés ou camards, désignent les natures
grossières.
Une autre particularité du dessin de Schongauer c'est que les mains
sont toujours très-osseuses. Dans les épreuves les plus vigoureuses de
ses gravures, la forme du visage n'est souvent indiquée qu'au trait,
peu relevé d'ombres , tandis que les ombres des draperies et accessoires
sont traitées avec vigueur , d'où l'on peut conclure à une carnation
légère et délicate des peintures.
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LE MtlSÉE DE COillAR. 4^7
Ce f^mt là de^ indicatioirtâ précises qui se Tëriflènt à chaque pas dans
rexameti des centres attribuées à notre riiattre. Elles ont été cotifirmées
récemment par M. Signer, conservateur du musée d'Augsbourg qui ,
lui aussi, a particulièrement étudié Schongauer et a pu , aidé dé ces
données , nous révéler Texistence , au musée dé Colmar , d'une page
pféeieuse dont Tauthenticité , comnfie œuvre de maître Martin , lui pa-
rait incontestable. C'est le Sainf Jean- Baptiste et le Saint Georges dont
j'ai parlé plus haut.
MM. de Quandt et Ëigner auraient pu classer enco^e parmi les traits
distinctifs de la manière de Scbongauer le fini ()récieut atec lequel
sent traités les cheveux de ses personnages. Le dessin en est souple et
oBdOyant «I les masses sont relevées de lignes d'une ténuité extrême
qui rappellent presque le pinceau d'un miniaturiste.
vm.
Lorsque M. de Quandt vint visiter les collections de Colmar , alors
eiicore logées dans les bâtiments de l'ancien collège , il fut particuliè-
rement frappé du mérite d'un tableau formant l'aile d'un triptyque i sur
lequel le peintre a représenté une Madone à genoux Ml y trouva réunis
tous les traits distinctifs de la manière de Schongauer et fut convaincu
d^avoir sous les yeux un tableau authentique du maître. Il crut devoir
également lui attribuer la fameuse Pietà qui est une des pièces capitales
de notre collection et qu'on avait attribuée tantôt à Ùolbein , tantôt à
Albert Durer, Cette Pietà représente la Vierge tenant le Christ mort
sur ses genoux.
Laissons parler M. de Quandt avant de hasarder nous-méme une
appréciation. Je traduis :
< Ce tableau dépasse toute idée que nous nous étions formée des
<i peintures de Martin , en contemplant ses merveilleuses gravures.
<< Pour décrire cette image , il faudrait trouver une formule qui pût
v( exprimer à la fois sainteté , amour , tristesse et béatitude, à la ma-
< nîère du peintre qui est parvenu à fondre tous ces sentiments dans
une seule expression ; car , dans la figure de la Vierge ^ sainteté
« devient amour , amour devient u^islesse , tristesse devient ôéatilude ,
et toute cette diversité se fusionne en une seule unité {und ailes eins.)
' CeUe vier(içe est »i^iiulée $ou8 le N** 201 , dans le livret indicateur publié par
M. Hufot en 1860.
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428 REVrE d' ALSACE.
<( Ce beau visage est comme une fleur éclose le matin et trempée de
« la rosée la plus pure. Des larmes transparentes tombent abondam-
a ment sur ses joues et calment la douleur cuisante. L'âme du specta-
Q teur est remplie d'une émotion de bonheur à côté de laquelle il n'y a
« point place pour un autre sentiment.
« La couleur de la chair est un rose doux et jaunâtre , et , presque
« sans le secours des ombres , tout s'arrondit par l'effet d'une dégra-
« dation souverainement délicate de teintes harmonieuses. Les larmes
I sont peintes de main de maître , comme les gouttes de rosée sur les
« fleurs d'un artiste hollandais. Le coloris du cadavre du Christ a quel-
« que chose de plombé. Le dessin du nu dénote la connaissance du
« corps humain , mais ne révèle pas le dessinateur expérimente et ha-
« bile. Les formes sont une traduction imagée de la nature , saus
« compréhension suffisante. 9
Dans cette description on sent l'admirateur convaincu d'avoir sous
les yeux l'œuvre d'un maître préféré. Mais la forme même sous laquelle
se traduit cette admiration passionnée du célèbre critique n'est-elle pas
en contraste flagrant avec le caractère rigide du style de Schongauer?
Le tableau lui même , par le sentiment qui l'imprègne , par la souplesse
de son dessin , par le parfum exotique qui s'en dégage , révèle une
origine étrangère à l'art allemand de cette époque. Ce tableau , placé
dans la suite des œuvres de l'école de Martin , tranche trop manifeste-
ment avec elles pour qu'il soit possible de le ranger dans leur famille.
II y a, dans cette page, un idéal trop élevé que Schongauer n'a jamais
atteint au même degré. Placez-la en regard de la Vierge aux roses de
l'église Saint-Martin et jugez. Le type de celle-ci est flamand , celui de
la Pietà est italien. Or , presque tous les critiques qui ont vu et étudié
les œuvres de Schongauer semblent d'accord sur ce point , c'est qu'il
resta étranger à l'influence italienne * .
' En émettant l'opinion que Martin Schongauer pourrait être un élève de Jean
Van Eyck , M. de Quandt ajoute que , pour lui , il est certain que ce maître eut
une influence immédiate su^le plus sentimental des peintres aUemands , par lequel
cette influence s'étendit alors médiatement sur les autres peintres en Allemagne;
que H. Schongauer ne doit pas seulement à l'école de Jean Van Eyck la connais-
sance d'une nouvelle technique , mais aussi un sentiment de la beauté des physio-
nomies qu'avant lui aucun allemand ne possédait au môme degré -, que c'est par
lui que , pour la première fois , la vie intérieure se traduisit dans les figures des
tableaux allemands.
I lus loin il dit : « Ueinecke , qui avait vu les tableaux de Martin Schongauer à
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LE MUSÉE DE COLMAR. 429
D'où nous vient donc ce tableau remarquable ? Les documents nous
manquent pour résoudre la question. Elle semble donc devoir rester
indécise jusqu'à plus ample informé. Cette peinture , qui parait appar-
tenir au XVI* siècle , est à classer parmi les œuvres de ces artistes in-
connus qui, satisfaits d'avoir produit une page émouvante , ont dédaigné
la vaine gloire d'y attacher leur nom , laissant à la postérité le soin de
deviner , à la touche du génie , la personnalité de l'auteur ^
Je rappellerai , à cet égard , que M. Hugot, dans ses notes si substan-
tielles sur le musée de Colmar, n'a point non plus partagé l'opinion de
M. deQuandt, tout en s'unissant de sentiment à la vive et profonde
admiration du célèbre critique. M. Fôrster ne souscrit non plus à cette
opinion. D'après lui , il existe un certain nombre de tableaux se ratta-
chant à la seconde manière de Schongauer , mais qui certainement ne
sont pas son œuvre : d'abord , la Pietà de la collection de Colmar ,
tableau fort beau d'ailleurs , ensuite les seize tableaux de la Passion ,
de la même collection , puis onze tableaux des collections de Munich ,
Schleiszheim et Nurnberg.
Wimpfeling, dans son Epitome rerum germanicarum *, dont la pre-
mière édition parut à Strasbourg en 1505, dit que les peintures de Schon-
gauer étaient si remarquables qu'elles étaient recherchées en Italie , en
Espagne , en France , en Angleterre et dans tous les lieux du monde.
Le docteur Heinecke , dans ses Netie Nachrichten von Kûnstlem und
Kunstsachen , page 403 , signale les tableaux suivants de notre maître :
Le Crucifiement du Christ y dans une chapelle latérale de Saint-Martin,
de Colmar. Dans la même église , le remarquable tableau de la Vierge
aux roses , couronnée par des anges. Dans l'église de la Trinité , de la
même ville , quelque? bonnes peintures sur bois , mais sans indication
de sujets. Passavant, à qui j'emprunte ces détails, ajoute que, malheu-
reusement toutes ces peintures , à l'exception de la Vierge aux roses ,
Colmar, a senti ce au'il y a en eux d'étranger et quel contraste ils présentent avec la
manière allemande , ce qu'il attribue à l'amitié et aux relations qui auraient existé
entre Martin et Pierre Pérugin , ainsi que l'assurent Sandrart et d'autres écrivains. >
C'est là une opinion qui demanderait à être confirmée par des preuves tauthen-
tiques , qui malheureusement nous manquent et ne peuvent que laisser planer le
doute sur l'attribution du tableau de la Pieià.
' Ce tableau provient de l'église des Antonites d'Issenheim.
' Chap. 68 De picturd et plastice.
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430 açvpE ^'AL^iep.
o^( été détfuit^s , comme Ta été , à la suite de la révolution de 1830 ,
le grand triptyque de SouUzbach ^
Passavaift attrjt)ue à Schongauer deux autres tableaux de la collection
de Colmar , provenant d'Issenheim : rinnonaajiton de ta Vierge > dont
le Ciivifbe contient cette inscription ; Eccevirgo çonâfriet et parietfiUum
et vocabitur nomen eiw^ Emant^L L'mi des revers du tripliqiae repré-
sente Marie à genoux , les mains croisées sur h poitrina , adorant Ten-
Tant couché à terre. Dieu le Père , portant le globe , co.ntemple d'eu-haut
et bénit. Vis-à-vis se trouvent les arm^s de Jean d'Orliac (d*Orly), Tun
de§ fpndatenrs du couvent. L'autre revers représente Saint Antoine ,
ermite, debout, figure souverainement digne, tenant un livre et le
Tau. Devant lui est agenouillée la petite ^ve du donateur > comte de
Bserenfels , ayant ses armoiries à son cété.
Parmi les œuvres attribuées par Passavant à Schongauer figurent
V Entrée triomphale de David à Jérusalem , avec la tête de Goliath ,
placée à la Pinacothèque de Munich ; la Mort de la Vierge , dans la
galerie du Palais Sciarra Colonna , à Rome ; YEcce homo qui se trou-
vait, en 1831 , dans la collection Ader à Londres.
L'historiographe «lu Peintre -graveur ajoute qu'il existe aussi au
Musée de Madrid un excellent tableau de Martin Schongauer portant tous
les caractères de l'authenticité.
Fôrster lui attribue un petit tableau , malheureusement endommagé,
représentant V Annonciation , que possède le comte Franz de Pocci h
Munich et qui , par son style , se rapproche de l'école flamand^. Il en
donp.e une gravure. € A la finesse du sentiment et à la pureté des
( formes , s'allie , dans ce tableau , un coloris uniformément soutenu ,
« aux lumières grassement peintes et aux ombres légères > saps que |e
c travail du pinceau soit visible , dans le genrç des modèles flamands
« qui i[i'a été atteint que par des maîtres fort distingués ^. »
A en juger par la gravure , ce tableau n'a qu'une analogie fort loin-
taine avec ceux du Musée de Colmar dont l'attribution est incontestée.
Elle ne parait reposer que sur une coi^jecture difficilement souteoable
quand on le compare à Y Annonciation , d'Issenheim , peinte tout-à-faîi
dans la manière du maître*
Les dessins originaux de Martin Schongauer sont très- rares. Le plus
grand nombre d'entr'eux se trouve dans la collection du Musée de Bâle,
* J. D. Passavant , KunUbkiil , Hs 41 , io aoûi 1Si6.
' Ge^chichte dtr deutichen Kumt , T. il , p. 196.
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LE MPS^B Di$ CQIjIfÀR. 431
dans celle de Tarchiduc Charles ^ Vienne. On en voil quelques uns dans
les cabinets d'estampes de Berlin et de Dresde.
c Ce qui prouve , dit Passavant , que les élèves et imitateurs de
c Martin Schongauer furent très -nombreux^ ce né sont paç seulement
c les nombreuses gravures de son école , mais aussi beaucoup de pein-
« tures que j*ai encore vues en 1845 , dans différentes églises de TAl-
< sace. Aujourd'hui encore (1846), Saint-Pierre de Strasbourg conserve
« d|x de ces tableaux représentant la Passion du Christ , qui ont été
• exécutés par divers artistes pour divers fondateurs.
En groupant les suffrages des juges autorisés dont j'ai cité Topinion
dans le cours de cette notice^ on peut admettre aujourd'hui que Tœuvre
de Schongauer, au Musée de Colmar , est représenté par onze tableaux
originaux dont voici l'indication :
No 123 (ancien livret). La Desrenie de croix.
N^ 124. La Mise au tombeau.
N* 133. L'Annonciation.
N« 134. La Vierge et Saint- Joseph adorant l'enfant Jésus
N* 135. La Vierge et Saint- Jean adorant le (hrist en croix.
iNo 136. Le Christ en croix.
N^ 168. Saint Jean Baptiste et Saint-Georges.
N» 201 . La Vierge adorant l enfant
N® 202. V Ange de l'Annonciation
N» 203. Saint Antoine.
N» 204. La Vierge de l'Annonciation.
La Vierge aux roses, de la sacristie de Saint-Martin , complète ce
précieux ensemble.
L'intéressante étude , publiée^'en 1 859 , par M. E. Galichon, nous
donne la gravure d'un autre tableau , La Mort de la Vierge , attribué à
Scfaongauer par MM Crowe et Cavalcaselle , dans leur ouvrage The
early flemish pointers , p. 324 , et que je n'ai point trouvé mentionné
dans les auteurs allemands. Ce tableau fait partie de la collection de
?J. Beaucousin à Paris. M. Galichon nous apprend qu'il a été possédé
par deux rois , Charles I'' d'Angleterre et Louis de Hollande, qui étaient
aussi des amateurs distingués : « Il résume , ajoute-t-il , toutes les
€ qualités du peintre et du graveur : sentiment profond et vrai , com-
« position pleine de vie , couleur puissante et faire précieux. La tête
« admirable de la Vierge , qui rappelle ses plus beaux types , celle de
« Saint Pierre , le grand style des anges , le desbin des extrémités , les
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433 RBVUB D'ALSACE.
€ plis cassés des draperies , les fabriques qui entourent la place qu*on
« aperçoit à travers la fenêtre ouverte , toute cette composition aile-
« mande et Ûamaude à la fois , trahit ta main de Schongauer. Ajoutons
« que le faire, plus libre et plus gras que dans la Vierge de Colmar,
« donne à cette peinture une date postérieure ; sans doute elle fut exé-
« cutée à une époque où Schongauer était entièrement maître de lui-
t même. «
FjB Musée du Louvre possède aussi un tableau attribué à notre maître :
Les hroéUtes recueillafU la manne dam le déserL
IX.
(1 me reste à dire un mot du rôle qu'on attribue à Schongauer dans
l'invention de la gravure au burin. Peu de questions d'art ont été contro-
versées autant que celle-ci. Les Flandres , l'Allemagne , l'Italie se dis-
putent l'honneur d'avoir donné naissance à cet art merveilleux de la
gravure qui suivit de près l'invention de l'imprimerie , qui servit à
répandre dans le monde intellectuel , à des milliers d'exemplaires , la
reproduction des tableaux de maîtres , qui ajouta un fleuron de plus à
cette couronne , si brillante déjà , des arts plastiques. L'amour-propre
allemand a revendiqué pour son pays cette gloire que l'abbé florentin
Zani prétendit avoir , définitivement et sans conteste , attachée au nom
de son compatriote , l'orfévre-nielleur Tomaso Finiguerra.
11 est curieux d'étudier les pièces du procès. L'intérêt qui s'y attache
est trop vif pour que je résiste au désir de les mettre sous les yeux de
mes lecteurs.
Ecoutons d'abord Passavant, Vnixieixr du Peinlre-graveur \ Après
avoir rappelé l'opinion fort accréditée et fort ancienne que Martin
Schongauer inventa l'art de la gravure au burin en 1442 , que peut-être
il le rapporta des Pays-Bas où l'on a conservé , dans l'ancienne collec-
tion des Stadthouders d'Amsterdam , de remarquables gravures de
Van Eyck , il cite le passage suivant de Bernard lobin , de Strasbourg ,
dont l'ouvrage : Aœuralœ effigies ponlificum maximorum , a été édité
à Strasbourg en 1573 :
* Beitrœgt %ur Kennlnis% der alien Maler-Schulen Deutschlandt. J. D. Passavant,
KunalblaU , N» 41 , 20 août 1846.
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LE MUSÉE DE CoLMAR. 133
.« George Vasari a attribué Finvention de la gravure à ua Florentin,
« Maso Finiguerra , qui a vécu en 1470 (il aurait dû dire 14()0) , alors
H pourtant qu'il est plus que certain qu*un artiste de la haute Allemagne
«r {ein HochdetUscher) , nommé Martin Schœn , a mis cet art pour la
'< première fois en pratique et en renom , après avoir été stimulé vers
« fexercice de cet art, en l'année 1430 , par ses deux maîtres dont Tun
« s'appelait Luprecht Rûst. > (Voir Fiorilla , Petits écrits, ii, p. 329).
Je dois dire que Passavant ne semble pas avoir une foi robuste dans
les assertions de lobin en matière d'histoire artistique , et que surtout
il n'admet point que le Formschneider Luprecht Rûst ait été professeur
de Schongauer ; mais il se borne à noter celte circonstance que déjà à
répoque où vécut cet écrivain , s était accréditée l'opinion que notre
peintre avait inventé l'art de la gravure au burin ; qu'à l'exemple de
Wimpheling il désigne le maître sous le nom de Martin Schcm et non
point Schofigauer , ce qui prouve qu'on le désignait tantôt sous l'un
tantôt sous l'autre de ces noms.
U Artiste {Revue de Paris), publié par M. Arsène Houssaye, contient
dans son numéro du 20 juillet 1845 , un article sur les nielles qui con-
teste cette invention à TAlleniagne et l'attribue à Torfévre florentin
Maso Finiguerra. € C'était, dit l'auteur de l'article, une tradition en
Italie que , dix ans environ avant que les estampes de Schœngauer
eussent vu le jour en Allemagne , l'art de Vimpression avait pris nais-
sance à Florence , dans l'atelier du plus célèbre orfèvre de l'époque ,
Tomaso Finiguerra. » Cet orfèvre était, à la fois, dessinateur, ciseleur
et sculpteur, très-habile surtout dans l'art de nieller, c'est-à-dire de
graver sur or et argent des dessins dans le creux desquels il infusait un
émail noirâtre qui faisait ressortir vivement le trait et lui donnait l'efTet
d'un dessin au crayon noir. Le hasard , ce complice ordinaire des in-
venteurs , favorisa la découverte de l'impression des nielles sur papier.
La tradition veut , que, dans l'atelier de Finiguerra , le hasard se pré-
senta sous la forme d'une blanchisseuse qui déposa par mégarde un
paquet de linge humide sur une planche fraîchement niellée dont l'em-
preinte se reproduisit sur le linge. L'artiste , frappé à la vue de cette
empreinte, songea que le papier humide ferait le même effet, et l'im-
pression de la gravure sur papier fut inventée. La légende , si elle n'est
vraie, est au moins ingénieuse et nous la retrouvons, un peu autrement
habillée, au berceau de la lithographie.
La preuve authentique manquait. C'est l'abbé Zaïii , célèbre amateur
3* Séria. ~ 17* Annét. ^^
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434 REVUE n* ALSACE.
iUlien , qui s'est chargé de la fournir. Poussé par son désir d'élucider
la question , il vint à Paris en 1 797, visiter le cabinet des estampes et
se fil représenter les portefeuilles les plus précieux de la collection.
Ici. laissons parler V Artiste , auquel j'emprunte ces détails : < Il y avait
à peine quelques jours que Zani avait commencé ses recherches , lors-
qu'au milieu d'une feuille sur laquelle étaient attachées douze ou quinze
gravures fort anciennes , il en aperçoit une qui ft'appe particulièrement
son œil exercé» Il croit la reconnaître et cependant jamais il n'a vu sa
pareille; mais tout à coup un trait de mémoire vjent l'éclairer. Ce n'est
pas en estampe , ce n'est point sur le papier qu'il a vu cette Vierge
agenouillée recevant une couronne, et ces figures de saints rangées
symétriquement de chaque côté. C'est sur une plaque d'argent, sur une
Paie * gravée et niellée par Tomaso Finiguerra pour l'église Saint-Jean-
Baptiste de Florence. C'est dans cette église qu'il a vu , il y a quelques
années^ le type de cette gravure qu'il a maintenant sous les yeux. Voilà
donc la preuve que Finiguerra a imprimé des estampes ; voilà la tradi-
tion italienne justifiée : car , pour comble de bonheur , cette paix de
Finiguerra se trouve avoir une date certaine. Le registre des adminis-
trateurs de l'église de Saint-^Jean-Baptiste atteste qu'elle fut terminée ,
livrée et payée 60 florins 6 livres et 1 denier, l'an 1452. La découverte
de ce petit morceau de papier allait^donc mettre à néant les prétentions
de l'Allemagne. »
Suit une affirmation catégorique de l'auteur de l'article ainsi formulée :
« Toutes les incertitudes sont fixées , et c'est un fait officiel , depuis
quelques années , aux yeux de tous les artistes et amateurs , que l'art
de l'impression a pris naissance à Florence, l'an 1452 , dans l'alelier
de Tomaso Finiguerra ^. »
Que l'impression de cette paix de Finiguerra ait été le premier essai ,
le premier pas fait en Italie vers l'impression des estampes gravées , le
doute ne parait point possible ; mais la priorité de l'invention est aujour-
' On donne le nom de paix à de petites plaques en métal qui sont en usage à la
messe des grandes fêtes , pendant qu'on chante VAgnu$ Dti. Leur nom vient de ce
que , baisée d'abord par le célébrant , cette plaque est awuite présentée à chacun
des ecclésiastiques avec ces paroles : Pax tecum.
* Une autre Paix attribuée à Finiguerra et qui représente V Annonciation et V Ado-
ration dès mages , a été reproduite en fac-simiie par la Galette des Beaux- Arti
(octobre 1865 , page 844). C'est un spécimen fort curieux de la manière de Torfévre
florentin.
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!.G MT7SÉE DE caLlTAR. tô5
d'hui «n fait défmhivemeiil jugé en faveur de 1* Allemagne , et en voici
les preavee péremptoirement rapportées par Passavant , dans son
Peintre-graveur,
D'après Yasari , il se passa dix ans avant que Baccio Baldini y le plus
ancien des graveurs au burin d'Italie, n'eut l'idée d'appliquer ce pro-
cédé à la multiplication des épreuves tirées d'une planche gravée. La
plus ancienne épreuve datée que l'on connaisse de lui , est de 1465 ^
Mais te hasard a fait découvrir récemment une série d'estampes alle-
mandes portant une date bien antérieure. Ainsi M. Renouvier, de Mont-
pellier , possède dans sa collectiofi une gravure portant le millésime de
i446 , représentant la Flagellation de N. S. Elle fait partie d'une suite
de sept estampes de la Passion exécutées par un maître de la Haute-
Allemagne.
Dans la collection de M. T. 0. Weigel , à Leipzig , se trouve une
estampe avec le millésime de 1451 , signée P. et représentant la Vierge
entourée de quatre chœurs d'anges.
La date de 1457 se trouve empreinte sur une gravure de la Cène
faisant partie d'une série de 37 pièces de la Passion conservées au
Musée britannique.
Dans la Bibliothèque de Dantzig se trouve une gravure allemande de
1458 représentant la Décollation de Sainte Catherine.
Passavant multiplie les citations de ce genre et ajoute qu'il ne peut
y avoir de doute , qu'à côté de ces gravures il n'en existe beaucoup
d'autres d'une date aussi reculée , mais dont il est impossible de fixer
l'époque , dépourvues qu'elles sont de millésimes ; qu'à ces dernières
appartiennent notamment plusieurs gravures de Martin Schongauer.
Le nom de notre maître colmarien s'attache donc aux origines de l'art
de la gravure au burin. Il fut un de ces vaillants lutteurs qui surgirent
vers le milieu du quinzième siècle , époque féconde , période de mouve-
ment irrésistible où le génie humain , s' affranchissant des entraves du
passé y créa ces magnifiques instruments de propagation de la pensée
qui s'appellent l'imprimerie et la gravure.
A son origine , l'art de la gravure s'était renfermé presque exclusi-
vement dans le cercle des sujets religieux. Martin Schongauer rompit
rarement avec ces traditions pour traiter des sujets t>rofanes. Une de
ses estampes représente un paysan portant des œufs au marché et
' Passavant , Le PeinlrC'Graveur , tome i , p. 197.
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i36 REVUE D* ALSACE
traînant sa femme et ses enfants sur une charrette ; une autre nous
montre un meunier poussant devant lui un âne bâté ; sur une troisième
il a représenté une querelle d*apprentis-orfévres t.
Dans les compositions de ce genre il manifeste une certaine prédi-
leclion pour le comique un peu trivial, et cette tendance se fait jour
aussi dans des sujets plus sévères , par exemple dans les scènes de la
Passion où il représente les bourreaux avec des mines presque carica-
turales. A ce genre se rattache le tableau de la Descente aux enfen,
qui fait partie de la collection de l'école de Schongauer , au Musée de
Colmar ; nous y voyons figurer un démon vert , à la face particulière-
ment hideuse et qui , pour comble de grotesque , porte dans sa région
caudale une figure grimaçante au milieu de laquelle la queue forme
trompe.
X.
Schonpuer devait être aussi un habile nielleur. A Texenjple des
orfèvres italiens , il exécuta pour les églises des plaques d'argent gra-
vées , connues sous le nom de paix ou A'Agnus Dei. Dans son rapport
sur les opérations de la Société Schongauer , pendant les années 1848
et 1849 , M. Hugoi nous apprend que la Bibliothèque de Bàle possède
deux de ces agnus ou plaques rondes en argent provenant du trésor de
Tancienne cathédrale ; que Martin Schongauer les avait gravées au
burin , vraisemblablement pour les nieller , mais que rémail noir ou
nigello n'a pas été incrusté dans les sillons de la gravure. M. le docteur
Gerlach , bibliothécaire de cette ville , en a fait tirer des exemplaires
imprimés en noir comme une gravure ordinaire ; il a offert à la Biblio-
thèque de Colmar deux de ces estampes qui , ajoute M. Hugot , bien
qu'elles ne soient point les premières , ont toute la fraîcheur et toute
la netteté d'une épreuve avant la lettre.
Passavant parle en détail de ces gravures sur plaques d'argent, con-
servées dans la collection de Bâle et qui sont plus nombreuses que ne
rindîque H. Hugot. < Ces gravures qui , en partie , semble appartenir
au maître lui-même ou ont été, du moins, faites dans son atelier,
d'après ses dessins et sous sa direction , sont exécutées sur dûc-neuf
planches de forme ronde , deux grandes et dix-sept petites , dont on a
tiré quelques épreuves à une époque très-récente. »
* FôRATEB , QeêchichU der deuUchen Kuriêi, T. n , p. 19i.
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LE MrSÉE DE GOIJfAR. 191
Deux de ces gravures , Jésus sur le mont des olives et la Prise de
Jésus -Christ , se trouvent sur les deux côtés d'un médaillon en argent
qui , d'après Bartscb , aurait contenu le sceau de la ville de Colmar.
Mais, comme le fait observer M. Passavant , ce médaillon ne forme
point une botte ; ce sont deux plaques jointes par un cercle orné qui
paraît avoir été suspendu à un ostensoir. Peut-être cette pièce d'orfè-
vrerie était-elle un écrin destiné à contenir des hosties.
Les dix-sept petites plaques ou médaillons d'aïf ent gravés sortent de
Fatelier de Schongauer et représentent des sujets tirés de la vie du
Christ , de la Vierge et des apôtres. Le style du dessin et de la compo-
sition , ainsi que le gracieux caractère des têtes de Vierges, ne laissent
aucun doute à cet égard , toujours d'après l'opinion du célèbre histo-
riographe de la gravure.
La direction du Musée de Bftie en a fait tirer , en 1858 , quelques
épreuves sur papier de Chine qui ont été données aux principales col-
lections de gravures de l'Europe : elles ne sont point destinées à passer
dans le commerce.
XI.
L'œuvre gravé de Schongauer est considérable. D'après Barlsch, les
pièces authentiques , relies qui peuvent lui être attribuées avec certi-
tude , sont au nombre de 116 , dont 87 représentent des sujets religieux,
quatre des scènes familières , quatre des animaux et 21 des motifs
d'orfèvrerie ou d'ornements. On lui attribue encore la gravure sans
marque le Mari subjugué par sa fem^ne y qui rentre tout-à-fait dans sa
manière , et la Décollation de Sainte Catherine dont nous avons parlé
plus haut.
Les estampes du maître ont été décrites par H. de Heinecke , dans
ses Neue Nachrichten von Kûnstkrn und Kunstsachen , par MM. de
Bartscb et Passavant dans leur Peintre-graveur. Il ne peut entrer dans
le plan de cette notice de reproduire , même sommairement , les des-
criptions des pièces les plus intéressantes.
Comme tous les grands artistes, Schongauer subit l'influence de
modifications successives qui se reflètent dans ses œuvres aux diverses
époques de sa vie. Les œuvres de sa jeunesse se ressentent des influences
d'écoles oà domine le goût flamand : elles sont plus froides que celles
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i38 ReYUK D'ALSACE.
de Tàge mûr où le burin , conduit par une main plus libre et un senti-
ment plus personnel , creuse des billes plus profondes , donne plus de
valeur aux contrastes d'ombre et de lumière , et affirme nettement
rittdividualité de l'artiste maître de son procédé.
Parmi les pièces capitales de notre artiste , il faut citer le Poriememi
de croix , cette page magnifique qui a inspiré à M. Waagen , conser-
vateur du Musée de Berlin , la réflexion suivante : « Je suis convaincu
que Rapbael emprunta au beau Martin, pour son célèbre tableau le
Spoêimo y la figure du Christ succombant sous le poids de la croix , et
se soutenant sur sa main droite. Gomme Raphaël a dû connaître de
bonne heure les gravures de Martin Schœn , dans l'atelier de son
maitre Le Pérugin » il est naturel de supposer que cette figure a dû
frapper son esprit encore jeune *. » Hais, d'après M. Emile Galiehon ,
cette opinion est difficilement soutenable , si Ton compare les deux
Christs, tels que Raphaël et Schongauer les comprirent^ dans la même
position , on sent de suite combien est grande la diSërence des idées
et du style dans les deux écoles. « Chez le maitre allemand, dit-il, la
figure du sauveur du monde manque de cette unité qui donne tant de
grandeur au maitre italien ; la tête , vue de face , s'attache mal au
corps représenté de profil ; la ligne courbe du dos donne au Christ
quelque chose d'humble et de trop humain qui sied mal à la divinité.
Chez Raphaël , au contraire , la noble figure du Christ ^ admirable
d'ensemble y se présente toute de trois quarts et la belle ligne droite
du dos conserve à son Christ toute la dignité d'un Dieu qui se sacrifie.»
Il faut citer encore, parmi les meilleures estampes dumattre: Le
Christ m croix (N<> 25 du catalogue de Bartsch), La Mort de la Vierge
(N*" 33) , pièce exécutée dans le genre du tableau possédé par H. Beau-
cousin ; Saint Antoine tourmenté par des démons (N<» 47). Vasari nous
apprend que cette estampe fut tellement appréciée par Michel-Ange
qu'il la reproduisit sous la forme d'un dessin colorié ; Saint Jacques le
mineur (N<* 53) , gravure qui passe pour être la dernière du maître et
qui est d'une extrême rareté ; Les Vierges sages et ks Vierges folles
(N^* 77-86) , qui ont été copiées par Israël Van Mechenen.
Plusieurs graveurs français se sont inspirés de la manière de Schon-
gauer ou ont imité ses estampes dans la gravure des sujets qui ornent
les livres d'heures édités par Gilles Hardouin et Ambroise GirauU.
' Waagen , Trésors de l'wl de la Grdmie-Uretagne.
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LE MIISÉK l>E GOMTAil. 496
Albert Darer aussi , ie grand maître allemand , s'est insfriré quelqae
fois du styie de Schongauer : il lui a emprunté ^ notamment , le plus
beau type de vierge que le mattre colmarien ait conçu , eeile qui figure
dans son estampe La Fuile en Egypte (N^^ 7* Bartsch) '.
Faut-il le dire ? Le Musée de Golmar , si riche en œuvres peintes de
Técole de Schongauer, est réduit à ne pouvoir exhiber aux curieux que
<{ualre petites estampes portant le monogramme du maître. Elles sont
réunies dans un seul cadre , placé au-dessous du portrait de Tartiste ,
et représentent des sujets de la Passion. Un peu de bonne volonté ,
doublée d'une certaine dose de persévérance , suffirait cependant pour
réunir peu à peu un groupe plus nombreux. Les estampes de Schon-
gauer ne sont pas tellement clairsemées qu'il ne soit pas possible de
s'en procurer quelques bonnes épreuves , en France ou en Allemagne.
C'est là une question de dignité pour le Musée de Golmar qui doit tenir
à honneur de compléter les éléments d'esthétique qui permettent d'en-
visager dans tout son jour l'œuvre de cet homme qui a laissé une trace
si brillante dans l'art.
Je crois avoir consciencieusement analysé les opinions et les recher^
ches des critiques les plus autorisés qui ont étudié cette personnalité
d'artiste. Mon travail n'a pas la prétention d'être autre chose qu'un
petit résumé , un guide pour les personnes qui veulent se rendre compte
de l'état le plus récent des données acquises , des notions recueillies
sur le maître colmarien. Passavant , cet infatigable mineur , qui a
découvert tant de filons précieux dans les couches historiques de l'art ,
a élargi la voie où étaient entrés ses émules. A-t-ii dit le dernier mot?
Il faut espérer que non. Le champ d'exploration sera parcouru , sans
doute, par d'autres encore et le hasard, ce puissant auxiliaire des
chercheurs, nous réserve peut-être des surprises, des données nou-
velles qui dégageront tout entière la noble figure dont j'ai essayé de
crayonner quelques lignes.
Nous connaissons , de l'œuvre de Schongauer , ce qui a survécu à
faction destructive du temps et des hommes : de sa vie intime , rien
n'a transpiré jusqu'à nous. Ce grand artiste , qui a tant produit, a-t>il
passé , comme bien d'autres , et des plus illustres , par les épreuves
navrantes qui sont la pierre de touche du génie et , parfois , ie calvaire
du talent ? Pas une chronique , pas une anecdote , pas un mot de cor-
' E. Galichon , Ga%eUe det Beaux-Aris , T. ni , p. 828.
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440 REVUE D' ALSACE.
respondance émané de lui , pour nous découvrir un coin de son existence
privée. Contenions-nous du rayonnement de sa pensée dans ses œuvres :
nous nous consolerons de n'y point trouver le repoussoir d'une vie
agitée , à Texemple de celui qui jette une ombre si mélancolique sur la
carrière d'Albert Durer , cet autre grand artiste qui vécut martyr d'une
Xantippe
Ch. Goutzwiller .
Secrétaire on rhof de la mairie do Golmar.
{La viUe à une prochaine livraison,}
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ÉTUDES
SUR L'ÉLEVAGE, L'ENTRETIEN ET L'AMELIORATION
DE LA RACE BOVINE EN ALSACE
SITVIE8
DE QUELQUES RÉFLEIiONS SUR LA LOI DU 11 FRIMAIRE AN VII
RELATIVE AUX PATRES ET AUX TROUPEAUX.
Suite tt fin *.
Mais la position du vétérinaire , en des circonstances pareilles , est
souvent trës-embarrassante. Au point de vue de Fart , il est vrai , son
jugement est bien vite formé ; mais , le plus souvent , la zootechnie et
toutes les autres sciences , laborieusement acquises par l'artiste , sont
moins consultées que ne Test l'usage du pays. Le gardien fait remarquer,
au vétérinaire, que le taureau en litige lui a coûté la même somme que
le précédent qui avait duré une année de plus ; que son taureau est en
tout aussi bon état que ceux des villages voisins , et que , si l'animal est
maigre , c'est parce que l'année a été trop sèche ou trop humide et que
les fourrages n'ont pas réussi , et enfin , il déclare que si la commission
municipale a l'inten'ion de le ruiner , il préfère renoncer immédiate-
ment à ses fonctions.
C'est là, comme nous venons de le dire , que commence l'embarras
du vétérinaire , car , évidemment , tous les arguments invoqués par le
gardien ne sont pas du domaine de la science. C'est donc en vain que
le vétérinaire cherche à concilier les partis. Les délégués municipaux ,
à leur tour, continuent à insister sur leur réclamation , en s'appuyant
sur le cahier des charges qui stipule le renouvellement du taureau, non
pas périodiquement, mais chaque fois que c'est jugé nécessaire par la
commune. Le gardien' ne persiste pas moins à soutenir qu'on le pour-
* Voir les livraisons de janvier, février , mars , avril , mai , juin , juillet, aoûi
]8i>5, pages 17 , m, 112 , 155, 216, 265, 572, 372, avril . juin et août 186<s
pag(*8 201 , 28^ et 586.
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442 REVUF D*ALSACE.
suit par des chicanes , et le vélérioaire , voyant parfaitement que la
source de la discussion découle du trop grand nombre de tètes de bêtes
femelles qui composent le troupeau , signale en vain la cause du mal.
Finalement le vétérinaire se retire en haussant les épaules; le gardien
s'en va de son côté , en jurant les grands dieux que Ton est injuste à
son égard , et la délégation municipale se sépare avec la résolution bien
arrêtée de remplacer ou de desliluei le gardien.
Mais , le plus souvent, la destitution est plus facile que le remplace-
ment à cause des motifs que le lecteur connaît. Les jour n^ les semaines,
Tannée entière s'écoulent, et le taureau , quoiqu'il ait laissé stériles la
moitié des vaches dans la commune et que les veaux auxquels il a donné
le jour soient de constitution chétive , sort néanmoins victorieusement
de la lutte parlementaire que nous venons de décrire.
En théorie il y a un moyen bien simple de remédier à Tétat de choses
que nous signalons , ce serait d'obliger l'entrepreneur d'avoir deux ou
trois taureaux au lieu d'un , et de payer en conséquence. Mais , en pra-
tique , il faut avoir , à cet effet , le consentement des contribuables dont
les deux tiers sont des gens peu aisés et qui gagnent péniblement le
nécessaire à l'entretien de leurs familles. Ils n'entendent pas voir aug-
menter leurs contributions ou cotisations et sont , généralement , faute
de connaissances suffisantes , plutôt disposés à mettre le mauvais état
du taureau communal sur le compte de l'entrepreneur, que d'en accuser
le trop grand nombre de têtes composant le troupeau.
A différentes reprises déjà , cet étal de choses a rendu nécessaire
rintervention des administrations supérieures des départements du Haut
et du Bas-Rhin. Nous avons sous les yeux divers documents relatifs à
ce sujet , et notamment une circulaire de H. Migueret , datée du 30
janvier i 864, qui est de nature à prouver au lecteur combien sont
grandes les dissensions fâcheuses qui surgissent, à tout moment, entre
les administrations municipales , les entrepreneurs et les habitants des
communes.
Cette circulaire est adressée par M. Migneret , ancien préfet du Bas-
Rhin y à MM. les sous-préfets et maires de ce département.
Dans la question qui nous occupe , ce document est d'une trop haute
importance pour ne pas être reproduit ici.
Le voici textuellement :
M Je remarque que , depuis quelque lemps , 4e fréquenies coDiestations 8*é-
lèveut daos ies commuues à ToccasioD de l*enlrelien des taureaux baoaax , et
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ÉTUDES SUR l'ÉLCVAGE , L*E\TRETIKN , ETC. 448
qne kss tdmiiiistrttioBS nmiiklpftles se troutenl engigées dus des cootesutions
regrettables.
m Deux cirettltires insérées tu Recueil dei acte$ de la préfechirê , soos les dites
du 42 mars 1944 et du 16 féfiier 18S0 , cmt eu déjà pour but de rappeler à
MM. les maires que l'eutrelien des animaux reproducteurs , taureaux , verrats et
i«utr«>s, n'était pas un objet dévolu par les lois aux soins des administrations
communales , que rint«'rvenllon des communes devait se borner à donner des
encouragements aux éleveurs , quand les ressources budgétaires le permettaient.
« Malgré les recommandations qui ont eu lieu à ce sujet , on continue , dans la
plupart des localités , k fiûre de l'entretien des taureaux banaux Pobjet d*une
entreprise concédée , au nom de la commune , par voie d'adjudication publique.
Dans d'auues locaUtés , le maire » agissant au nom de la commune, passe avec
les entrepreneurs, des marclés à l'amiable , k des conditions qui conduisent aux
mêmes inconvénients qne les adiudications.
« En effet , dans les deux cas, il existe entre la commune et rentreprenenr un
contrat avec des engagements réciproques. Or, que Tune ou l'autre des clauses
de ce contrat donne lieu à contestation , la commune se trouve entraînée dans un
procès » et cela , comme je l'ai dit , pour une affaire où elle n'avait pas i Inter-
venir , au moins comme partie contractante.
« Remarquez , Messieurs , que je ne repousse pas absolument l'Intervention
administrative en cette matière. Les intérêts de Tagriculture sont trop étroite-
ment liés à une bonne reproduction du bétail , et à l'amélioration des races, pour
que les administrations des communes puissent demeurer indifférentes à ce
résulut.
« Seulement , il importe que leur intervention soit contenue dans de justes
limites , et il est certain qu'on n'a pas agi toujours k cet égard avec assez de pru-
dence ni avec aasez de régularité. 11 en est résulié , comme je l'ai dit plus haut ,
de nombreuses difficultés. Afin d'en prévenir le retour , je Tiens de prendre un
arrêté que vous trouver«^ à la suite de cette circulaire et qui établit les règles à
observer par les communes du département, lorsqu'elles voudront, dans l'intérêt
de l'agricnltnre , encourager l'élève d'animaux reproducteurs.
« J'appelle tonte votre attention sur les dispositions de cet arrêté et je vous
invite à vous 5 conformer à l'avenir rigoureusement. •
Voici maintenant le texte de Tarrêté :
n Nous Préfet du Bas-Rbin ,
0 Considérant que l'entretien des animaux reproducteurs , laureaui , ver-
rais , etc. , n'est pas un service communal ; que c'est par conséquent à tort quu ,
«iaiis un grand nombre de localités du département , les administrations munici-
paies concèdent ces sortes d'entreprises , au nom de la commune , par voie d'en-
chères au rabais , ou sous forme de marchés k l'amiable.
« Cousuiéraut d'ailleurs que cet usage a pour les communes de funestes con-
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444 RFVUE n*AL8ACE.
séqueoces , d'une pari , parce qu'en cas de non-valeurs dues par les habitants ,
c'est la commune , responsable de l'exécution du marché , qui est tenue d'indem-
niser l'entrepreneur ; d'autre part , à cause des contestations nombreuses aux-
quelles le service , dont il s'agit , peut donniT lieu entre la commune et l'entre'-
preneur , contesta tions qui amènent presque toujours des procès et entraînent à
des dépenses que les caisses municipales ne sont pas en mesure de payer.
ff Considérant toutefois que , s'il importe de faire cesser les abus résultant
d'une immixtion exagérée des communes dans l'élève du bétail, les sacrifices que
les administrations municipales seraient disposées à faire , dans de justes limites,
en faveur d'un objet qui intéresse à un si haut degré l'agriculture, méritent
d'être encouragés , mais qu'il convient de faire connaître les conditions sous les-
quelles l'approbation préfectorale pourra être donnée à cette dépense.
« Arrêtons : •
€ Art. 1•^ A partir de ce jour, ne seront plus approuvées par nous les cou-
cessions faites par les administrations municipales , au nom des communes , soit
par adjudication au rabais , soit sous formes de marchés il l'amiable « des entre-
prises dites entretien des bêtes mâles.
« Art. 2. Les communes , auxquelles leurs ressources le permettent, pourront
inscrire annuellement dans leurs budgets une certaine somme pour encourage-
ment aux éleveurs d'animaux reproducteurs.
a Un règlement , adopté en conseil municipal et approuvé par nous , détermi-
nera les conditions auxquelles Tobtentioa des encouragements sera subordonnée.
« L'entrepreneur du service des bêtes mfties sera tenu , pour avoir droit aux
primes communales, 4® de se faire agréer par le conseil municipal , comme étant
en état de pourvoir à un bon choix et à un bon entretien des animaux ; 2^ de ne
pas exiger par saillie un prix plus élevé que celui fixé comme maximum par le
conseil municipal ' ; 3<> de se soumettre , à l'avance , à la décision d'une commis-
sion dont le mode de nomination sera déterminée par le conseil municipal , et qui
sera chargée de statuer , en dernier ressort , sur l'allocation des primes.
« Art. 3. Dans les communes où il se formerait des associations syndicales
ayant pour objet l'entretien d'animaux reproducteurs , la recette et la dépense
seront faites par le syndicat lui-même et pnr le membre qu'il aura désigné. Les
comptes relatifs à cet obj«>t seront complèlcmimt distinct et détachés de la gestion
communale.
« An. 4. Dans aucun cas , les dispositions qui seraient prises en vertu du pré-
sent arrêté no pourront faire obstacle au droit qu'a chaque h^ibitant d'entretenir
' L'usage de payer par saillie n'a généralement lieu que dans les communes oà
l'entretien du taureau est un<i entreprise privée. Ces entreprisc^s sont fort rares
faute de grand<i$ exploitations. DaiS les communes où il existe un traité qnel-
conq le avec l'entrepreneur, le prix des saillies est naturellement compris dans
les cotisations. [Note de Vauteur.)
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ÉTUT ES SUn L*âLEVAGE , L'BNTRETIEN , ETC. 445
des aDfmaui reprodactenrs et les mettre à U disposition des éleveurs aux condi-
tions qu'il juge convenables.
» Signé : Mjgnebet. »
Ce document nous fait voir que malgré les circulaires insérées à dif-
férentes reprises au Recueil des actes de la préfecture, on ne continuait
pas moins au 30 janvier i864 , dans la plupartides localités , à faire de
Fentretien des taureaux banaux ou communaux , l'objet d'entreprises
concédées au nom de la commi^ne.
Suivant ce document Tusage dont il s'agit auraH pour les communes
(le funestes conséquences , d'une part , parce qu'en cas de non-valeurs
sur les cotisations dues par les habitants, c'est la commune respon-
sable de l'exécution du marché , qui est tenue d'indemniser l'entre-
preneur ; d'autre part à cause des contestations nombreuses auxquelles
le service en question , peut donner lieu entre la commune et l'entre-
preneur.
Que l'on veuille bien nous permettre de faire quelques observations
au sujet de ces derniers arguments. Vivant au milieu des cultivateurs,
nous croyons avoir appris à connaître une partie des causes qui em-
pêchent le progrès , tout aussi bien que nous croyons entrevoir, d'un
autre côté, les nombreuses difficultés qui se présentent dans une admi-
nistration supérieure, quelles que soient d'ailleurs et la bonne volonté et
la sollicitude dont elle est animée l
Les observations que nous nous permettrons de faire auront donc
moins pour but de combattre des arguments ou des opinions émises
par un administrateur qui a laissé de si excellents souvenirs dans notre
province, que de contribuer, dans la limite de nos moyens , à éclairer
une question dont Timportance n'est contestée par personne.
Nous dirons donc que les conséquences résultant des non-valeurs
sur les cotisations dues" par les habitants de la commune, nous
paraissent non-seulement moins funestes qu'à M. Higneret, mais
qu'elles nous paraissent avoir peu de gravité , par la raison toute
simple que , suivant l'article 44 de la loi municipale du 18 juillet 1837
ces cotisations ou taxes sont perçues , comme nous l'avons déjà fait
remarquer plus haut, suivant les formes établies par le recouvrement
des contributions publiques.
c Les sommes ainsi réparties , disait en 1848 M. le Ministre de Tin-
térieur, peuvent être portéen en recettes et en dépenses dans les budgets
communatéx et versées dans la caisse communale pour être appliquées
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iM nwrnt d'alsagb.
aux dépenses qtf elles' cfmcement , puisgne l'article 44 préeiié fui éÉi-
blit une recette autorise implicitement une dépense >•
Les arguments invoqués par H. Migneret, et basés sur les difficultés
que présenteraient le recouvrement, opéré par TinterveDlion àes rece-
veurs municipaux ou percepteurs , nous paraissent donc non-seulemenl
peu fondés, mais môme contraires à rinstrucjion que nous venAns de
signaler et qui a été adressée , à M. le Préfet du Haut-Rhin , par H. le
Ministre de Tlntérieur, le 9 juin 1838 ^
Le recouvrement des cotisations nous parait, au contraire, présenter
des difficultés réelles lorsqu'il est privé de Fintervention des autorités,
c'est-à-dire, lorsqu'il n'a pas lieu suivant les formes établies pour le
recouvrement des contributions publiques. Dans ce cas, il n'^iste natu-
rellement point de traité entre la cemnokune et l'entrepreneur, el ce
dernier n'a d'autres roeyens légaux à sa disposition pour la récupéra-
tion des sommes qui lui sont dues , que l 'assistance que peut lui offrir
l'huissier de la justice de paix. Ce sont, du reste, les conséquences
fâcheuses de ce mode de recouvrement qui ont fait foire , à M. Brel,
contrairement à M. Migneret , les observations suivantes ; < Je ne me
suis pas dissimulé, disait-il dans une circulaire du 1 8 août 1 838, les incon-
vénients du mode de recouvrement de ces taxes , qui , ayant lieu sans
Vinterventûm êes receveurs municipaïux , doaiient souvent lieu à des
difficultés , et j'ai cru devoir consulter à ce sujet M. le Ministre de
rintérieur. Il résulte de sa réponse du 9 juin 1838 : qu'en effet les
dépenses relatives à la garde du troupeau coaimun et au service de la
reprodoelion ne sont pas municipales, en ce sens que la caisse muni-
cipale ne fournit pas les fonds nécessaires pour y subvenir, mais que,
puisqu'aux termes de Tarticle 6 de la loi du H frimaire an VII , elles
doivent être supportées proportionnellement par ceux qui en profitent,
conformément au règlement arrêté par les administrations municipales,
rien ne s'opposerait à ce que les sommes auxquelles les habitants ou
propriétaires auraient été taxés, fussent versées dans la caisse munici-
pale pour servir au paiement des dépenses août il s'agit. »
Or, si l'artiele 44 de la loi municipale du 18 juillet 1837 établissant
une recette, autorise implicitement une dépense, il faut nécessairement
' Vov. Circulaire adressée, eo 4858, par M. Bret, aocleo préfet du flaut-Rbin,
k Mil. les maires du département , et relative aux dépenses des pèlivs e( det
UHïttpeaQK eonmanavx.
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ÉTUDES SUR l'ÉLETAGE , l'EITTRETIEN , ETC. 447
une convenlion quelconque entre la commune et l'entrepreneur, et il
devient ainsi difficile à s'expliquer, en vertu de quelle loi , M. Migneret
prit Tarrêté selon lequel ne seront plus approuvées , à partir du
30 janvier 1864, les concessions faites par les administrations munici-
pales, au nom des communes.
Quoiqu'il en soit, il est, d'un autre côté, certain que si Tentreprise
est privée ou particulière, l'entrepreneur est seul juge et du eboix et de
In validité du reproducteur communal. Or, si au lieu d'être animé du
désir de voir prospérer le bétail dans la commune , si au lieu d'être
pénétré de l'importance qui se rattache à sa mission , il se laisse , au
contraire , guider par la perspective du bénéfice qui devra résulter de
son entreprise ; dans ce cas, la prospérité du troupeau marchera sûre-
ment et rapidement vers son déclin.
C'est , assurément , l'ensemble de ces circonstances qui engage à la
fois l'entrepreneur et la commune à persister dans l'usage , offrant à
l'un la garantie quU trouve dam le recouvrement opéré mivanl les
formes étabUes pour le recouvrement des contributions publiques , et à
Tautre , la faculté d'établir, vis-à-vis de l'entrepreneur, un cahier des
charges qui répond aux besoins et aux intérêts de la commune.
Le principal argument, invoqué par l'ancien Préfet du Bas-Rhin ,
semble ainsi disparaître devant un examen, tant soit peu minutieux. Il
n'en est cependant pas de même du second argument, relatif aux nom-
breuses contestations auxquelles le service, dont il s'agit, peut dc^nnei*
lieu entre la commune et l'entrepreneur.
Ce sont là évidemment des contestations très-regrettables et que nous
avons, tout d'abord, signalées nous-mème au lecteur. Nous les avons
signalées , non-seulement comme fâcheuses au point de vue adminis-
tratif , mais encore et principalement au point de vue de la prospérité
du troupeau. La non-intenrention de l'administration communale entre
les détenteurs de bêtes bovines et l'entrepreneur des reproducteurs
serait, à coup sûr, le moyen le plus simple et le plus efficace pour fetre
cesser ces inconvénients car rien n'est plus logique que de fiaire dispa-
raître la cause pour éviter son effet.
Mais 1:: cause réside , comme le dit M. Migneret lui-même dans les
intérêts de l'agricuUure qui sont trop étroitemeni Ués à une bofme
reproduction du bétail et à l'^amélioration des raceSy pour que lês oêmi-
nislrations des communes rurales puissent demeurer indifférentes à ce
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448 REVtJE d'alsack.
résultat. A ce point de vae la cause est nécessairement trop importante
pour la faire disparaître par un trait de plume.
Aussi , M. Migneret ne repousse-t-il pas absolument Tintervention
administrative en cette matière; seulement, il imporle, dit-il . queFin-
tervention soit contenue dans de justes Imites /... et les communes aux-
quelles leurs ressources le permettront, pourront inscrire annuellement
dans leurs budgets une certaine somme pour encouragement aux éle-
veurs d'animaux reproducteurs.
Mais celte faculté d'accorder des primes aux éleveurs d'animaux
reproducteurs , n'esl-elle pas , elle-même , une infraction à la loi du
1i frimaire an VU, qui dit formellement que les dépenses relatives à la
reproduction ne peuvent pas être municipales ? — A son tour, M. Mi-
gneret, n'a-t-il pas éludé la loi en permettant à la population rurale du
département du Bas-Rbin de contribuer, d'une manière indirecte , au
service de la reproduction ? — Or, si une intervention quelconque de
l'administration municipale est utile , est nécessaire en raison des con-
sidérations signalées dans la circulaire même de M. Mignei-et, n'en
résulie-t-il pas une contradiction fâcheuse entre les intérêts de l'agri-
culture et la loi en question ?
Et d'ailleurs , ne faut-il pas se demander où sont les limites dont
parle M. Migneret et dans lesquelles les encouragements accordés par
les administrations municipales doivent se contenir? — Où est la com-
mune qui aurait la conscience de les avoir outrepassés? — Et enfin, ne
faut-il pas également se demander si les successeurs de M. Migneret ne
seraient pas dans le cas de considérer ces limites d'un autre point de
vue , ou plus étendu , ou plus restreint ?
Ce qui est incontestable , c'est que les communes ne se font pas un
cas de conscience d'éluder la loi chaque] fois que l'occasion se présente,
et de soustraire à la surveillance départementale les terrains commu-
naux.dont nous avons parlé plus haut. Ce qui est certain encore , c'est
que l'appréciation des limites de l'intervention municipale est subor-
donnée à l'importance , attachée par l'administration départementale ,
aux intérêts purement agricoles , d'où il résulte que ces appréciations
seront toujours plus ou moins arbitraires.
Eh bien, c'est précisément dans ces appréciations arbitraires, provo-
quées aujourd'hui par la force des choses, quoiqu'elles soient contraires
à la loi du 11 firimaire an VII; que, suivant nous, réside la cause
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ÉTTBES SUR L*iLBVAGB y L'HUTRETIEN , ETC. 449
des contestations reg;rettables , qui ont été indiquées dans la circulaire
de M. Migneret.
En effet , la commune , ne pouvant donner ni le logement aux bétes
mâles , ni leur affecter des terrains communaux et , réduite à accorder
de simples encouragements à l*entrèpreneur du service des bêtes
mâles , est nécessurement obligée de se plier aux exigences d'un très-
petit nombre d'habitants , souvent même aux exigences d'un seul indi-
vidu à même d'accepter les charges qui incombent à Tentrepreneur.
Nous ne reproduirons pas l'énumération des conséquences désastreuses
qui résultent de cet état de choses pour les troupeaux communaux, mais
ce que nous croyons devoir faire observer de nouveau, c'est que l'amé-
lioration de nos races bovines, l'amélioration qui a fait l'objet principal
de ces études, ne sera pas possible aussi longtemps qu'elle aura à lutter
contre des circonstances si contraires à sa réalisation.
Si nous avons longuement décrit ces inconvénients et ces entraves ,
nous laisserons, par contre, à d'autres plus compétents et plus expéri-
mentais que nous en matière d'économie sociale, le soin d'y trouver des
remèdes. Un mot, toutefois, nous semble encore nécessaire au sujet de
la circulaire de M. Migneret.
L'infatigable activité qui distinguait l'ancien administrateur du Bas-
Rhin ainsi que la sollicitude affectueuse que témoignait M. Migneret à
ses administrés, lui a fait gagner une place dans les annales de ce
département. Ce n'est donc pas à l'administrateur que nous allons faire
l'observation suivante mais bien à l'homme qui ne peut posséder, au
même degré, toutes les branches des connaissances humaines.
Dans l'économie du bétail, par exemple, il faut établir une distinction
entre les difficultés qui entourent l'élevage et l'entretien des animaux
reproducteurs d'espèces différentes. L'entretien des uns exige , ou de
grandes exploitations , ou une association entre les moyens et les petits
cultivateurs ; l'entretien des autres , au contraire , est à la portée de
chaque propriétaire , quelle que soit l'étendue de ses cultures. Parmi les
reproducteurs que nous venons d'indiquer en premier lieu, il faut
compter les espèces chevalines et bovines. L'étalon, dans les races
bovines, ne peut exister ou plutôt ne peut prospérer que dans des con-
ditions sur lesquelles nous n'avons pas à revenir, et qui réclament des
capitaux assez considérables. L'étalon de l'espèce chevaline est placé
dans les mêmes conditions , et c'est, certainement , à ce titre seul que
l'Etat a jugé son intervention nécessaire. Il n'en est pas de même des
9*»éri«.- 17* Année. 29
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*50 wwfrm p'AiMOIE.
aMires iDspàces A'sif^m^m domasliques, le» îa^, Ie3 boucs, les héiws,
les verrats sont loin de présenter les mêmes difficultés d^QS leur mit^
tjen.et djstns iour élefag^.
Or, M. Migiieret, an rappetont dans sa circulaire, iidressée a MM. les
maires , qu^ l'entretien des aoimaiix reproducteurs tels que taureaux ,
mfrai^flimtr^, n'était pas un objet déyolu ^r les lois aux soins des
^dmiiûsir^lions (»)frinu]nales , a coaun^s une confusion , que naus
regr0UOi»8 d'ftutanA plus , qu'elle confond , an quelque âorte , ractioii
privéa avec l'action collective.
Aui yaux dii public, c'est-àrdir^ aux yepi de tous ceux qui n'ont pas
étudié spécialement l'économie du bétail , il n'y aurait aij)si point de
raise^s légitimes pour accorder l'i^rvention comnwnale , plutôt aux
espaces chevialinas ei bovines, qu>uj^ i^spèces porcines et ovines, voire
même les oiseaux de basse-cour. Copendiant, rinlerv^ntion de fUW.
dmi que celle des départemi^nts et d^ grandes villes, en £»veur de l'éle-
vage descbevaux, prouve qu'il n'^ est p#s ainsi.
En effet, si la loi du il frimairean VII, est applicable indistinctement
à toutes tes espèces de reproducteurs , on a de la peine à conoprQudi'e
en vertu de quel droit le conseil général du Bas-Rhin accarde , par
■ exemple , une somme de 16,900 (r. par an , à l'élevage du cheval. On
comprendrait tout aussi peu les 3,000 fr. accordés par la ville de
Strasbourg et les 2,000 fr. accordés par la ville de Wissembourg au
même objet.
Sans nous arrêter à des considérations que ces chiffras poumienl
nous faire faire, nous dirons néanmoins qu'ils nous rappellent les débals
passionnés qui ont eu lieu, il y a quelques années à peine , au saifei de
l'intervention de l'Etat dans la production des chevaux.
On ne contesta pas alors l'utilité et la nécessité de l'intervention de
l'Etat, mais on reprocha à l'intervention de trop centraliser son action
et d'agir trop uniformément sans égard pour les besoins locaux. Aux
yeux des adversaires des haras , ces institutions avaient, pour consé-
quences inévitables , de ne présenter aux éleveurs qu'un seul procédé
d'amélioration, celui du croisement V Cette uniformité , suite absolue
* Suivant |1. Sanaon , le croisement a été une eonséqueace oorinale et rigou-
reuse du faux principe de la centralisation. « Ce Taux principe , dit-il , au lieu de
conduire , comme il Ta fait jusqu'à présent , Tadministration à ériger le croise-
ment en système , Teut-il conduite h en foire de même de la sélecUon , pour 6tre
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ÉTUDES SDR L'ÉLEVAGE , l'ENTRETIEN , ETC. 45i
de la centralisation , enlevait aux conseils généraux la faculté dïntro-
d«ire et dVncourager dans leurs déparlements les étalons, soit étrangers
soit indigènes , et qui leur semblaient répondre le plus aux cultures et
aux besoins des localités.
Eh bien , ces débats , comparés à la question qui nous occupe ici ,
offrent évidemment une analogie frappante avec les circonstances qui
nous semblent constituer les principaux empêchements à l'amélioration
des races bovines de notre province. Nos administrations supérieures,
nos sociétés d'agriculture et nos comices , accordent bien également et
annuellement, quelques faibles encouragements à Famélioration des
races dont il s'agit ; mais, remarquons-le bien, c'est à condition d'em-
ployer des reproducteurs ou de la Hollande septentrionale ou du Sim-
methal , obligation qui force nécessairement nos éleveurs d'agir, s'ils
veulent profiter des encouragements , également et uniquement par la
voie du croisement. Est-il , dès-lors , surprenant de voir nos deux
départements peuplés de Métis qui, le plus souvent, ne répondent nul-
lement aux conditions si variées que nous avons démontrées dans le
cours de ces études.
Nous n'avons pas, nous le répétons, la prétention d'indiquer une
une voie à suivre qui, à son tour, ne présenterait pas également
des inconvénients et des mécomptes; mais, ce que nous croyons
devoir faire remarquer comme conclusion de ce travail, c'est, selon
nous, la nécessité de laisser une part d'action plus grande aux com-
munes rurales, en leur accordant la faculté de pouvoir contribuer
directement , et autant que leurs ressources le permettent , à la repro-
duction et à l'amélioration des races indigènes. Dans ce but , les com-
munes ne pourraient-elles pas former des groupes soit par districts ,
soit par arrondissements , soit même par cantons , en d'autres termes,
les communes ne pourraient-elles pas se grouper suivant les besoins
locaux et créer des établissements spéciaux destinés à l'élevage des
reproducteurs ? L'administration départementale , en accordant à ces
établissements quelques subsides , serait eu droit de les mettre sous la
moios désastreuse , puisque ta sélection ne saurait faire du mal à aucune race ,
ce système égalemeni absolu o*eD eût pas pour cela été moins condamnable ,
attendu qu'il nous aurait privés d'un moyen, qui a sa rèison et son utilité dans
un grand nombre de cas.
(Voy. Livre de la fer nie , 8<^ fascicule , page 4^iâ.)
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452 RRWE d' ALSACE.
surveillance des vétérinaires, des sociétés d'agriculture, et des comices
qui, à leur tour, pourraient y entreprendre des observations suivies sur
la consanguinité, sur le croisement, sur la sélection , etc., et y établir
des stulfboock, sans lesquels des expériences sérieuses sont évidem-
ment impossibles'.
Relier les intérêts épars des communes situéesj[à proximité les unes
des autres, encourager Faction collective et modifier la loi du il fri-
maire an VU ; telles nous semblent être , à part la propagation des
connaissances zoolecbniques, les mesures nécessaires à prendre, pour
surmonter dans notre province les difficultés créées par le morcellement
des terres, suite inévitable , selon Texpression de H. Rouher, des dis-
positions libérales de notre législation.
J. F. Flaxland.
* R Dans ceruines communes de la Suisse , dit M. P. Tscbudi, des corporatioDs
se chargent de Tenlretien das taureaux. De pareiUes associations offrent d'ex-
cellents résultats aux éleveurs si les statuts de rassociatlon sont rédigés d'une
manière sage et prudente , et s'ils sont ponctuellement exécutés. Mais , ajoute
M. Tschudi, si nous voulons sûrement atteindre le perfectionnement de nos raci^
bovines, il fiaut absolument que l'entretien des reproducteurs niAles soit réglé par les
autorités {So mm* durckaus wm SUuUswegen die HaUung der Zuchtsliere geordtiel
werden,) Il faut proportionner les troupeaux aui Uureaux et oiDrir à l'entrepreneur
autant d'avantages que possible , afin qu'il exécute , avec empressement , l'enga-
geraeni qu'il a coniraeté. »
^Voy. Der Schwei%er-Bmter , 4* livraison • page 74.}
Di^tizedbyCjOOQlC
BIBLIOGRAPHIE.
I. Deux premières amnées d'allemand , par //. Schmidl , professeur
d'allemand au lycée Charlemague , docteur ès-lettres , agrégé pour
renseignement des langues vivantes , officier d'Académie. — Paris ,
eu dépôt chez Hachette et Q\ 1866 , in-12 , 84 pages.
II. Notice de grammaire et d'orthographe, choix d'homonymes et de
SYNONYMES , PROVERBES EXPLIQUÉS , ETC. , par Pk H. Bcck , profes-
seur. — Paris et Strasbourg, chez veuve Berger-Levrault et fils,
4866, 293 pages.
S'il s'agit d'ouvrages d'enseignement élémentaire , comme le sont les
deux livres ci-dessus indiqués , rappelons-nous les sages paroles de
Quintilien : Ne guis iam parva fasiidiat ekmenta , etc. c Ne dédaignons^
pas ces petits éléments et exercices. > C'est avec ces éléments que se
construit l'édifice d&la science, et c'est l'emploi d'une méthode bonne
ou mauvaise qui rend l'enseignement facile ou difficile , et donne aux
commençants le goût ou le dégoût pour l'étude des langues. A l'ensei-
gnement secondaire du grec , du latin et du français est venu s'ajouter,
récemment , celui des langues modernes étrangères : mesure impor-
tante commandée par les besoins intellectuels de notre époque. Si dans
ces études ainsi élargies on emploie la bonne méthode , elles ne seront
pas une surcharge pour la jeunesse, elles se soutiendront au contraire
réciproquement. Disons même que si , par suite du maintien de l'an-
cienne méthode , il fallait renoncer à l'un ou à l'autre enseignement ,
parce que le temps et les forces manqueraient aux enfants pour
apprendre plusieurs langues à la fois , nous croyons qu'on devrait
laisser plutôt les langues anciennes ou mortes, que les langues mo-
dernes , vivantes^ ; car celles-ci, non seulement sont d'une plus grande
utilité pratique et plus généralement indispensables de nos jours , mais
elles sont aussi , bien qu'on prétende le contraire , plus propres à déve-
lopper les facultés intellectuelles et morales de l'enfance et de la jeu-
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454 REVUE D*ALSAGE.
nesse. Qu'on ne nous dise pas , en prenant sur le (on railleur : c Voas
êtes orfèvre Monsieur Josse. » Le rôle de H. Josse , on le sait , n'est
pas le nôtre ; il appartient plutôt à ceux qui ^ se renfermant exclusive*
ment dans l'antiquité classique y se persuadent trop facilement qu'en
fait de langue et de littérature , il n'y a de perfection et de goût que
chez les Grecs et les Latins.
Pour apprendre les langues je ne connais que deux vraies méthodes :
la méthode maternelle pratique et la méthode grammaticale théorique.
Celle-ci devrait toujours être précédée de l'autre ; et dans renseigne-
ment des langues , qui s'adresse aux enfants , on devrait toujours , de
préférence , employer la méthode maternelle , d'après laquelle nous
tous nous avons appris , sans peine et sans ennui , la langue de notre
mère et celle des personnes de notre entourage. Aujourd'hui l'enfant
russe de bonne maison parle quatre ou cinq idiomes, sans avoir jamais
louché à une grammaire, sans avoir fait ni thèmes ni versions. L'ensei-
gnement analytique et grammatical des langues ne devrait s'adresser
qu'à l'adolescence qui, par goût et par aptitude d'esprit, est naturel*
lement portée à l'analyse et à la comparaison , et dont la mémoire est
suffisamment enrichie de faits pour qu'elle soit en état de faire conve-
nablement des comparaisons et des analyses grammaticales.
Jusqu'ici on a suivi dans les écoles de tous les pays de l'Europe une
méthode peu conforme à la nature intellectuelle des enfants et des ado-
lescents. La grammaire analytique et plus ou moins abstraite , qui
répugne au genre de conception propre à l'esprit enfantin , a dominé
dans l'enseignement : la connaissance des mots a pris le dessus sur la
connaissance des choses , et , au lieu de la suivre , l'a précédée. Tout
jeune homme sortant de l'enseignement primaire et secondaire a passé
par dix ans d'études grammaticales. Est-ce que du moins il y a acquis
l'intelligence de la grammaire ? est-ce que les règles grammaticales
sont pour lui autre chose qu'une affaire de pure mémoire, qu'une auto-
rité qu'il accepte sans réflexion , sans en comprendre la raison ? Com-
bien y a-t-il de bacheliers-és-lettres , combien y a-t-il même de
grammairiens qui sachent nous expliquer, par exemple , pourquoi en
français, comme en grec et en latin, l'adjectif, bien que la signification
en soit abstraite, s'accorde en genre et en nombre avec le substantif?
pourquoi il faut dire roi puissant , reine puissante , héros immortels ,
causes inconnues? Les enfants et les personnes qui apprennent les
langues d'après la méthode maternelle, ne demandent pas ces explica-
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mbuooraphie. 455
\î9m ; ils n*en auraient que fwe y et ne seraient pae môme en étal «le
les comprendre : mais les adolescents s'intéresseraient vivement à ces
questions et en comprendraient facilement la solution. Il suffiraii de
letif montrer (toe, dans lorigifie, Tadjectif était^ aussi bien que le sub-
stanlir, un nom rùncrei; que, par exemple, le père est bon équivalaM à
le père est un bM^ de la mémo manière que Cléopdlre était reine
éqiri valait à Cléopéire était une reine. On comprend doue que^ d'après
la conception Ic^qne naturelle à cette époque primitive , il y avait
nécessité de dire le père est bon (pour un bon), la mère est vigilante
(pour une vigilante) , les enfants sont turbulents (pour des turbulents),
les filles sont coquettes (pour des coquettes). La règle de l'accord en
genre et en nombre était doue nécessaire d'après la conception des*
hommes des temps anciens. Mais elle n'avait plus la même raisofi lors-
que, plus tard, les adjectifs eurent pris une signiftcation abstraite^ plus
conforme à leur nature de noms qualificatifs. En effet la qualité comme
telle, n'est pas différente dans un objet et dans plusieurs objets, dans un
sujet masculin et dans un sujet féminin. La conception logique exige-
rail donc , de nos jours, qu'on dit Phabit est vert, la prairie ett vert,
les rubans sont vert^ les feuilles sont vert. Celle manière de s'énoncer
fut adoptée dans un grand nombre de langues anciennes et modernes :
en anglais , par exemple , l'on dit thé man is good (l'homme est bon),
the wtman is good (la femme est bon)^ the children are good (les en-
fants sont bon), tlie girls are good (les filles sont bon). Cependant, dans
l'origine, l'anglais on l'idiome dont iV est dérivé , suivait également la
règle de l'accord du genre et du nombre ; mais cefle r^gle, n'étant plus
justifiée dans la suite par la logique , les adjectifs étant devenus des
termes abstraits, la langue anglaise ne prit aucun soin de conserver les
terminaisons des adjectifs par lesquelles, dans l'origine., elle avait
exprimé la différence da genre et du nombre ; elle laissa ces terminai*
sons s'effacer, et par conséquent» les forntôs des adjectifs, antérieurement
différenciées entre elles quant au genre et au nombre, se confondirent.
D'autres langues, an contraire, comme, par exemple, les idiomes
romans , bien qu'elles n'attachent pas non plus un sens concret à Tad-
jectif. ont cependant conservé les terminaisons différentes^ indiquant le
genre et le nombre , et elles l'ont fait uniquement dans l'intérêt de la
clarté de la phrase ou pour éviter l'ambiguïté dans la construction des
mots ; de sorte que, dans ces idiomes, la règle de la concordance est
justifiée d'abord comme conforme à l'usage traditionnel qui avait sa rai-
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456 REVUE o'âlsàce.
son dans le mode de conception de l'époque primitive, et, ensuite ,
comme moyen de rendre la construction de la phrase plus daire et plus
précise.
Les jeunes gens auxquels on donnerait eette explication , compren-*
draient aussi, d'après elle, la règle des participes-régimes, en français.
Ils comprendraient (et s'ils ont appris le latin, ils n'en compren-
draient que mieux), pourquoi il faut dire, par exemple , la leUre que
fai reçue; ils sauraient que cette phrase est équivalente à la l^tre que
fai (pu que je liens) comme lettre reçue^ et ils la traduiraient en basse
latinité par epistola quam habeo receptam. De même ils comprendraient
pourquoi il faut dire les sciences que fai aimées ; car ils transcriraient
'celte phrase en cette autre : les sciences que je tiens comme sciences
aimées, en latin : scientiœ quas habeo amatas.
Mais pourquoi en français dit-on , par exemple , ils se sont baUus,
tandis qu'en allemand on dit ils s'ont battu (sie haben sich geschlagen).
Dans l'origine il est vrai, on disait en allemand sie sich haben geschla-
gène (ils s'ont battus). Hais plus tard le terme concret gescUagene
(battus), ayant pris la signification plus abstraite d'un qualificatif, la
langue a laissé s'effacer la terminaison indiquant le pluriel, et a dit con-
formément à la logique . ils s'ont battu \jsie haben sich geschlagen).
Pourquoi, en français, dit-on ils se sont battus et non pas, ce qui sem-
blerait plus conforme à la logique et à la règle des participes-régimes,
ils sont battus? Remarquons que ils s'ont battus se confondrait pho-
niquement avec ils sont battus. Il fallait donc éviter cette confusion et
amphibologie. Pour cela, quel moyen a-t-on choisi? On comprend que
ils ont battu a pu être remplacé par ils sont ayant battu ; de sorte que
ils s'ont battus , pouvait aussi être remplacé par ils sont s' ayant battus.
Mais dans les verbes pronominaux ou réfléchis , bien qu'ils expriment
à la fois Taction et la passion unies dans le même sujet, la passion est
cependant l'idée prédominante, de sorte que ils sont s ayant battus im-
plique bien qu'il y a eu des battants , mais énonce plus généralement
qu'il y a eu des battus. L'idée de passion prédominant sur l'idée d'ac-
tion dans les verbes pronominaux ^ on y a remplacé, pour cette raison,
le verbe actif avoir par le verbe passif être; mais on y a conservé, con-
trairement à la logique , les pronoms régimes directs qui ne sauraient
se construire avec le verbe être. C'est ainsi qu'au lieu de ils sont
s'ayant battus on aurait pu dire ils sont s'étant battus, puis ils se sont
étant battus . Mais simplifiant cette construction peu élégante et embar-
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BIBLIOGRAPHIE. 457
rassée, au lieu de dire : tb se sont étant battus, on est arrivé à la locu-
tion de ils se sont battus»
En expliquant ainsi aux jeunes gens les particularités d*un idiome ,
on est naturellement amené à leur exposer l'histoire des langues , sans
laquelle toute étude grammaticale est incomplète et insuffisante. En
effet, toutes les choses du monde physique et du monde intellectuel et
morah manifestent leur nature dans une successiou de phénomènes
dont Tensemble constitue l'histoire de la nature complète et véri*
table de ces choses. On ne saurait donc comprendre complètement
la nature et h raison des phénomènes et des faits, si l'on en ignorait
l'histoire, ou si l'on ne connaissait qu'une partie de cette histoire. Le
grammairien qui s'en tient uniquement à l'état actuel d'un idiome sans
remonter à ses états antérieurs , prendra pour une règle de la langue
ce qui n'en fut qu'un des nombreux phénomènes transitoires; il res-
semble au naturaliste qui, ignorant le développement infini delà nature,
croirait que les formes, les dimensions, les proportions des plantes et des
animaux ont toujours été identiques à ce qu'elles sont aujourd'hui ; il
se trompera comme l'économiste qui croirait que les formes ou règles
sociales actuelles ont existé de tout temps et doivent être considérées
comme des prin ipes et rnels et immuables. C'est parce qu'ils ignorent
l'histoire de leur langue que certains écrivains et grammairiens ont
établi des préceptes qui ne sont pas fondés en raison , et des ^règles qui
devraient être formulées d'une manière toute différente. L'histoire de
la langue française prouve, par exemple , qu'il y avait un temps où l'on
écrivait et prononçait il ainiet, comme on écrivait el prononçait il fait.
Plus tard, toutes les fois que la consonne finale t ne s'appuyait plus sur
une voyelle suivante, elle s'effaçait dans la prononciation , et l'on pro-
nonçait tl aime comme on disait il faù Mais tout en changeant la pro-
nonciation ancienne, on aurait dû conserver l'orthographe traditionnelle
il aimet comme on l'a conservé dans il (ait; car on revient à la pronon-
ciation primitive tl aimet toutes les fois que ce verbe est suivi d'un mot
commençant par une voyelle , comme dans aimet-iL Dans ce cas , les
grammairiens, ignorant la forme primitive, disent qu'il faut insérer entre
(Urne et il un t euphonique ; et , comme si ce t était un élément tout
nouveau , ils donn'^nt la règle de joindre ce t au mot qui précède et au
mot qui suit par des trails-d'union, aime-t-il : ils ne s'aperçoivent pas
que si l'on n'avait pas retranché ce t dans il aimet , on n'aurait pas
besoin de le remettre à sa place dans aimet4i; et que si Ton écrit
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4M RETUE D*ALBA<».
aime-Uil , il n'y a pas de raison pourquoi on n'écrirait pas également
fai't'iL
De tout ce qui précède nous devons conclure d'abord que l'enspigne-
ment des langues devra changer de méthode , et ensuite que la gram-
maire elle-même a besoin de présenter ses règles d'une manière pins
natarolle et plus rationnelle. Ces réformes , je n'en doute pas, s'opére-
ront chez nous , puisque l'impulsion vient maintenant d'en haut. Le
programme publié par le Ministère de l'Instruelion publique, pour
l'enseignement spécial, changera la méthode actuelle d'enseignement i\es
langues dans l'université. J'y trouve cette phrase : la grammaire abS'
traite n^est pas faite pour t enfant ; si cette phrase n'est pas à elle
seule une nouvelle méthode , du moins elle en renferme la promesse.
Puisse cette promesse se réaliser bientôt et délivrer l'eniance du cauche-
mar de la grammaire qui depuis si longtemps pèse sur elle.
Cependant dans tout changement à opérer il iaut ménager les
moyens de transition. Dans l'état actuel de l'enseignement des langues,
il faudra , pendant quelque temps encore, employer en partie l'ancienne
méthode, en partie la nouvelle. Enseignant encore la grammaire aux
enfants , il faudra soulager leur mémoire , et diminuer leurs tourments
en applanissant les difficultés des études grammaticales. C'est ce
qu'ont entrepris de faire MM. Schmidt et Beck; et c'est dans la manière
heureuse et ingénieuse dont ils l'ont fait que consiste le mérite de leurs
livres élémentaires. Les ouvrages de ces deux professeurs sont peut-
être plus utiles encore aux maîtres qu'aux élèves : car ils montrent
directement à ceux qui sont chargés d'enseigner le français et l'aile-
mand^ de quelle manière il faut procéder pour rendre aux enfants
l'étude grammaticale de ces langues moins aride, moins difficile et,
autant que faire se peut, plus féconde et plus attrayante.
F. G. Bergmann.
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MBMOGRAPHIR. 459
RfiCHEACHES SUR LE PLAN DE LA CRÉATION ET LA STRUCTURE DE L*AME ,
par //. de Madiis {de May). 1866. ^ Paris et Strasbourg, chez
Berger-Levrault, 2 cabiers grand ia-8<> formant un total de 184 pages.
Ces caJiiers substantiels sont le produit des réflexions d'un solitaire ,
le résultat d'une pensée repliée sur elle-même et essayant de recon*
straire à sa foçon le monde et l'àme humaine. En d'autros termes, nous
nous trouvons, en méditant ces pages, en face d'un système métaphy-
sique, en grande partie original , basé sur des études physiologiques et
sur des convictions spirïlualistes, hardies, mais incorrectes dans la
forme.
Nous conviendrons franchement que ce qui nous a décidé à en entre-
tenir les lecteurs de la Becm d'Akace, c'est bien moins le système que
la personne de l'auteur , bien moins l'édifice , que l'architecte. Saisi ,
tfès-jeune , par une cruelle infirmité, H. de May, qui appartient, comme
son nom l'indique , à une ancienne famille patricienne de la Suisse , et
qui avait une belle carrière ouverte devant lui , s'est réfugié , silencieux
et résigné , dans le monde interne ; il a soumis à un nouvel examen ses
propres facultés , et à une nouvelle enquête l'ensemble de l'histoire
naturelle. Je dois ajouter qu'il procède plutôt par synthèse que par ana-
lyse; il cherche, dans la nature extérieure, non la composition chi-
mique, mais la vie et les fonctions de cette nature à l'endroit de
l'homme ; il s'applique plutôt à scruter , à deviner les intentions du
grand compositeur qu'à détailler la qualité des couleurs qui ont servi à
faire le tableau.
Il est arrivé à M. de May ce qui arrive à la plupart des autodidactes ;
sans être le moins du monde épris de lui-même , il est cependant con-
vaincu de l'infaillibilité de son système appliqué à l'interprétation de la
nature , et de l'esprit de l'homme. El s'il ne l'était , aurait-il eu la
patience de le construire et de l'exposer? Il lui a fallu d^ailleurs , pour
en réunir les matériaux , de longues études préliminaires.
Je tâcherai , non pas de le suivre dans ses développements, — les
bornes qui me sont assignées , me l'interdisent — mais de condenser
en quelques pages les idées fondamentales de sa métaphysique. J'aime
à penser que les personnes familiarisées avec ce genre d'études, seront
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460 RETUE D* ALSACE
portées, après celte lecture, à aborder Toauvre de Fauteur suisse; il
n'en a d'ailleurs livré jusqu'ici que la première partie , il n'a pas encore
dit le dernier mot de l'énigme ; il ne nous est permis que d'entrevoir
ses conclusions dernières.
Comme , beaucoup de philosophes, comme Kant surtout, l'auteur
attache un sens particulier, spécial à certains termes, tels qu'dme,
esprit , vie ; nous demanderons la permission de le suivre d'abord sur
une partie de ce terrain ; cette interprétation préliminaire facilitera
{exposition condensée de son travail d'ensemble.
Par € âme de l'animal , » l'auteur entend c un faisceau de forces , de
\ies » (sic) , de nature immatérielle , tels que la mémoire , les instincts,
l'intelligence ; malgré cette définition , il déclare que dans sa convicticm
l'âme de l'animal est périssable.
L'âme de l'homme est formée d'un faisceau pareil à celui des forces
et des vies qui constituent f l'âme de l'animal , > cette âme est la source
même de la vie. Hais l'homme a de plus un esprit immortel c composé
d'un corps spirituel et d'une âme spirituelle; > en d'autres termes
Tesprit , c'est toute la partie de l'homme , qui demeure incorruptible
après sa mort^ et qui constitue le corps transfiguré dont parle S^ Paul.
Ces distinctions, quelqu'ingénieuses qu'elles soient, ne' laissent pas
que d'être très-discutables. Ce ne sont , à tout prendre , que des péti-
tions de principe. On objectera, non sans raison, à l'auteur, que du
moment où il accorde à l'animal la jouissance de facultés immatérielles,
du moment où il lui accorde une âme psychique — c'est l'expression
dont il se sert — on ne voit pas de quel droit il lui refuse la persistance,
même après ,1a décomposition du corps.
Je sais bien ce qu'il me répondra, c Je ne détruis point , » me dira-
t-il , c les forces : mais je n'admets point pour les animaux la persis-
tance de la personnalité , de l'individualité ; c'est là le privilège de
l'esprit de l'homme, véritable souffle de Dieu. »
Hélas! sur le seuil même de Tédifice, construit par l'auteur, avant
même d'entrer, je ne dirai pas dans le temple, mais dans le vestibule,
nous nous heurtons contre l'un de ces problèmes insolubles , qui feront
à la fois rélernel orgueil et l'éternel désespoir des penseurs de tous les
âges. Chez les peuples les plus barbares , une croyance instinctive semble
accorder aux animaux — du moinsi à ceux qui vivent dans la domesticité
de 1 homme — une vie persistante après cette courte vie terrestre. Les
coutumes funéraires[^de l'antiquité antéhistorique le prouvent surabon-
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BIBLIOGRAPHIE. 461
damment. Et pourquoi reléguer, au nombre des superstitions ridicules j
cette foi primitive , qui fait revivre avec le maître les animaux qu'il a
chéris , et qui formaient une partie Je son existence ? Serait-ce un
blasphème ou une absurdité que de reconnaître dans l'âme d'un chien
dévoué une puissance d'affection infiniment plus grande et plus digne
de survivre , que l'âme d'un méchant et d'un être radicalement criminel ?
Mais je sens que je m'engage dans un inextricable labyrinthe , sans
avoir indiqué le point fondamental du système , sans avoir démontré
ce qui fait son originalité et sa nouveauté.
M. de May établit , en dehors , où plutôt à la base des trois règnes de
la nature admis jusqu'ici , un quatrième qu'il appelle le règne éthérique,
et dans lequel il range l'électricité , le galvanisme , le magnétisme ,
« l'éther de l'espace , > avec leurs manifestations^ c'est-à-dire, la répul-
sion , l'attraction , la chaleur, la lumière , les couleurs.
Pour lui , l'introduction de ce quatrième règne a une valeur spéciale ;
il en fait dériver une série de lois nouvelles. Il commence par établir, à
l'aide de l'analogie que c tous les règnes sont construits sur le même
plan , soumis aux mêmes lois ; la matière primitive est une seule et
même matière , mais dans leur sein il se rencontre une infinie quantité
de forces diversement combinées. Et si des règnes inorganiques vous
montez aux règnes organiques , vous retrouvez la même loi. Une plante
diffère d'une autre plante, non par la diversité de la matière, mais par
une autre combinaison de ce que l'auteur, dans son langage hérissé de
néologismes , appelle : c les vies et les âmes. »
Car dans son système , basé en partie sur l'étude attentive de la phy-
siologie végétale, il attache une importance majeure à l'existence de la
cellule ; la construction cellulaire est , de fait , pour lui le vrai fonde-
ment de son édifice moitié métaphysique moitié réel ; chaque cellule
est pour lui une individualité , < une vie ; » un arbre, pour lui , n'est
point en réalité un individu, mais une communauté d'individus , une
association de forces vivantes , une espèce de phalanstère naturel , si
j'ai bien compris sa pensée. La fleur , la feuille constituent une com-
munauté , comme le plus grand arbre. Dans l'un des tableaux intéres-
sants , intercalés dans le texte, M. de May nous présente la section d'une
reine-marguerite de grandeur naturelle ; il poursuit , au microscope ,
Pexamen des diverses parties de la fleur; les petites fleurs dont se com-
pose l'individu principal , se composent , à l'entour , d'organes sem-
blables qui se subdivisent de nouveau en vaisseaux et en cellules. Arrivé
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MB RBWB D'ALSACE.
à ce point rudimenUire , robservaieur à àa fin s'arrête , die {pnè ott ëe
force ; il croit tenir ce point d'Arehimède , ce levier en dehors du
monde y mais qui soulève le monde , et il s'écrie à son tour : fi^pt «« !
La cellule , pour lui , ne se subdivise plus ; c'est donc elle qui cowtitee
l'individu. Il admet donc coaiBe une vérité fondamentale ^ que les
plantes ne possèdent pas de vie générale^ unique, mais que leur vie se
compose d'une infinité d'existences subordonnées , qu'elles soni formées
d'autant de vies qu'elles out de cellules actives et vivantes.
Ayant ainsi constaté , à sa aianière , le pmnt de départ , il arrive à
la reproduction de la cellule, c'est-à-dire , à l'apparition d'un nouveau
principe , celui des sexes , puis à celui de la communauté ou de
l'association , qui est produite par la réunion d'un grand nombre de
fleurs sur une tige commune.
Le même principe , il rapplique ensuite au règne animal ; il démontre,
en commençant par les organismes les plus simples , par le polype ,
par exemple, que ia vie d'un animal se compose d'une multitude de
petites vies cellulaires, et il fait passer l'animal, comme la plante , par
trois sortes d'états différents, par celui de Findividuaiité (les cellules,
les monades) , par celui de la dualité (les sexes) , qui oarrespond à crini
de la floraison dans le règne végétal , et celui de la commonaulé.
Je m'interdis à regret les divelop^meats. Le lecteur attentif a dû
entrevoir^ pourquoi dans ce système , l'auimal se compose — je me
sers du langage de l'auteur — d'une multitude de petites âmes ; com-
ment l'homme possède, outre aon Âme aninaale, une Ame spîrîiueUe, à
laquelle l'auteur superposa encore une àme divine ; et comme s'il
n'avait pas sui&samment doté le roi de le créaiion , il lui prête , il lui
octroyé , il lui impose < dee vies végétatives , » des vies on des forces
minérales et éthériques.
Si , dans cette méthode d'analyser et de recaii&tiluer la nature phy-
sique et spirituelle de l'homme , il y a quelque chose d'ingénieux , on
ne peut disconvenir aussi que ces distinctions entre les diverses Ames
sont subtiles. Je ne veux point m'engager avec l'auteur dans une con-
troverse , qui ressemblerait un peu à certaines discussions dans les
conciles du Bas-^Empire ; de toute nécessité , je dois ici me borner à
des indications et renvoyer pour les développements au texte même de
l'oeuvre , ou plutêi du programme que j'annonce ; car jusqu'ici Fou-
vrage de M. de May n'est qu'une série de tètes de chapitres, qu'il com-
plétera nécessairement par ia suite.
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MBLIOGRAPHIK. 463
L'homme , tel qii*il le conçoit , est donc un assemblage , une totalité
4fi forces et de vies ; il en réunit, il en contient un plus grand nombre
<|ue tout autre corps ou animal terrestre ; il est Fétre le plus parfait ,
i^ar le rang d'un corps se mesure d'après la multiplication de « ses
vies. Ji
M. de May ne s'arrête point sur la route, dont il a suivi le long par-
cours depuis le règne pondérable ou éthérique jusqu'à l'extrême limite
du règne animal. L'être le plus parfait — et sur ce point l'auteur se
rencontre plus que l'on ne pense , avec la croyance instinctive de tous
. les peuples — peut et doit , d'après les lois de l'analogie , s'élever en-
core ; mais comment parvenir à cet état supérieur, sinon par l'acqui-
sition d'une nouvelle vie, d'une nouvelle àme, d'une âme que ue
possède point l'homme naturel. C'est cette nouvelle âme, dont leehris-
tiaaisiBe a élé le parrain.
fie l'bomme pris individuellement, l'auteur s'élève à l'idée de l'hu-
manité , qui n'est pas une simple aggrégation , mais un corps organique
ayant ses lois, ses fonctions, ses conditions vitales, une analogie com-
plète avec le corps humain.
Nous nMts permettrons seulement de faire remarquer que celte idée,
bien jopi'elle s'encadre convenablement dans le système, dont nous nous
constituons le rapporteur, n'est point propre à M. de May ; il y a près
de cent ans, Herder a appuyé sa philosophie deThistoire, sur ce même
fondement.
D'après ces prémisses , il serait donc permis d'étudier t'anetomie de
l'humanité comme celle du corps humain ; caries deux sont soumis aux
mêmes lois de nutrition, de développement et de dépérissement. L^hy-
giène matérielle est l'image de l'hygiène humanitaire , seulement la
première , celle de notre corps , obéit à des lois physiques , celle de
l'autre à des lois morales.
Ici , sans le vouloir peut-être , l'auteur est ramené sur un terrain
pratique et politique. Si l'humanité, comme il le prouve, est soumise à
des lois nouvelles , la prospérité d'un peuple dépend de l'observation
de ces lois ; les mesures arbitraires, qui empêcheraient ou entraveraient
le développement normal d'un peuple , trouveraieut leur condamnation
dans le dépérissement de cette société , frappée ainsi dans son germe.
De là , nécessité pour l'homme d'Etat d'étudier et de respecter les lois
humanitaires.
Si j'ai réussi , à l'aide de ces indications , à appeler l'attention du
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461 REVUP. d'alsage.
public alsacien sur l'œuvre qui porte le titre signiâcatif mais un peu
ambitieux de c Plan de la création et système de fàme, » je dois me
tenir pour satisfait. Donner dans quelques pages une idée adéquate ,
complète d*un système, fruit d'une longue et lente élaboration, ce serait
une prétention absurde. Jusqu'à quel point M. de May réussira-t-il à
se faire une place parmi les penseurs contemporains , qui se donnent
la mission de débattre les intérêts et les destinées de Thumanité , je
n'oserais non plus le prédire. Il ne flatte aucune passion du jour, il ne
rentre point dans tel ou tel camp aux limites et aux couleurs déjà con-
nues ; cette neutralité naturelle n'est point un titre de recommandation ;
sa foi naïvement chrétienne pourrait même lui nuire, je veux dire
qu'elle lui sera nuisible auprès des libres penseurs, qui ne lui pardon-
neront pas d'effleurer l'école atomiste , l'école des forces et de la ma-
tière , d'avoir le même point de départ qu'elle , sans s'y arrêter.
Franchir les limites du visible et chercher à deviner les destinées
futures, c'est la tendance d'un rêveur incorrigible^ et je vois tel de nos
coryphées qui partirait d'un éclat de rire homérique , pantagruélique ,
si c le plan de la création » tombait entre ses mains. Pour ma part, je
préfère former des vœux en faveur d'un homme jeune encore et rude-
ment éprouvé , lui souhaiter confiance et persévérance , lui rappeler
l'exhortation que Posa, sur le point de périr^ adresse au fils de Phi-
lippe II: € Reste fidèle aux pensées idéales de ta jeunesse; » vers que
je traduirais ainsi à l'usage de notre philosophe: < Ne vous laissez
point abattre par les objections ou par Tindifférence plus dangereuse
que les adversaires et que l'ironie. >
L. Spagh,
Archivitte du Bas-Rhin
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GORDESPONDANGB
DE L'ABBÉ GRANDIDIER
ET AUTRES DOCUMENTS RELATIFS A CET HJSTORIEfT,
A SA FAMILLE ET A SES OUVRAGES.
— SuU9. * —
DBVXliME PAITIB.
Documents extraits de la correspondance de J.-J Oberlin,
Le professeur Oberlin , bibliothécaire de Funiversité protestante de
Strasbourg, avait recueilli un grand nombre de documents, relatifs en
générai à l'Alsace. Sa collection , acquise il y a trente ou quarante ans
par la bibliothèque royale , a été scindée entre deux fonds : iHe fonds
latin , qui comprend 388 chartes du th^ au xvui« siècle , des fragments
de manuscrits , un recueil de fac simile d'anciennes écritures , et une
collection de sceaux détachés t ; 2» le fonds allemand (autrefois supplé-
ment français) y qui renferme environ 400 chartes en allemand et i3
volumes in-4o de correspondance. On y trouve des lettres d'un grand
nombre de savants et d'hommes illustres français et étrangers, tels que
Koch y Lamey, l'abbé Grégoire, l'abbé Grandidier, dom Sterque, Tujk-
heim l'atné , Sigismond Billing , les deux Pfeffel , Paul-Louis Courier ,
Frédéric Oberlin , etc. Les lettres que nous publions se trouvent dans
les tomes 4 et i 2 de la correspondance (Fonds allemand , n** 195 et
203). Elles complètent les renseignements fournis par la correspondance
de Moreau sur l'auteur de Y Histoire de t église de Strasbourg.
AuG. Krœber.
* Voir les livraisons d'août , septembre , octobre , novembre et décembre 1865,
pages 337, 385 , «33 , 802 et 549.
* Voy. rinventaire des manuseriu du fonds lalln , pabUé par M. Léop. Dellsle
dans la BibUoihéque de l'Ecole des chartes , 5« série , lom. m.
a*Séri«.— 17* Auéê. 30
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466 REVUE D* ALSACE.
Lettres de Grandidier à Oberlin.
I.
(Saos (Ula.)
Monsieur,
Je pars à une heure pour Saverne , où Mgr. le Cardinal m'appelle
S. E. me charge de vous témoigner sa reconnaissance pour tout ce que
vous avés bien voulu faire pour lui. Vous en jugerés par ce passage de
la lettre de Mgr. d'Arath *, que je vous transcris ici , n*ayant pas eu
l'honneur de vous trouver :
<( J'ai rendu compte à S. A. E. du travail de H. Oberlin sur nos ma-
« nuscrits ; elle en est singulièrement satisfaite , mais encore plus
« reconnaissante. Elle me charge de vous dire de voir de sa part cet
( officieux professeur, et de l'assurer que le prince sera charmé de le
« voir et de converser avec lui, lorsqu'elle viendra à Strasbourg, ce qui
« sera dans une ou deux semaines. •
J'ai l'honneur d'être avec un parfait attachement.
Monsieur ,
Votre très humble et très obéissant serviteur,
L'abbé GRAlfDIDIER.
n.
Saveme, ce 16 juiUet 1775.
Monsieur,
J'ai tardé jusqu'ici de répondre à la lettre dont vous m'avés honoré :
le séjour que j'ai fait pendant quelques jours à Neuvillers , m'a privé
jusqu'à présent de ce plaisir. Monseigneur d'Arath a lu les extraits des
manuscrits de tf olsheim à S. A. E. Mgr. le Cardinal : S. Ë. a été fort
satisfaite de votre ouvrage, et Mgr. d'Arath a fait votre éloge en pré-
sence d'une nombreuse compagnie. C'est un témoignage qu'il vous a
rendu bien sincèrement et qu'il vous devait pour tout ce que vous avés
bien voulu faire pour l'évèché. Sa Grandeur vous écrira elle-même pour
vous marquer toute sa reconnaissance et le plaisir que Mgr. le Cardinal
aurait de vous voir ici. M. de Lancay est bien sensible à votre souve-
nir, et compte à son premier voyage à Strasbourg vous y embrasser.
* Suffragant , viuiire-géoéral et offlcial de l*éf6ché de Straabourg.
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CORRESPONDANCE DE l'aBBÉ OflANDlDIER , ETC. 467
Je sais rintérèi que vous prenés à tout ce qui peut me regarder: le
Prince a rapporté de Paris mon manuscrit de Thistoire des évèques, et
sur le témoignage favorable qu'en a rendu H. Dupuy, il a consenti à
rimpression. Je ne désespère pas de la réussite, si vous voulés bien me
coDtinaer toutes vos bontés » m'aider des livres de votre bibliothèque ,
et surtout de vos lumières , auxquelles de tout tems j'aurai la plus
grande déférence. Je voudrais trouver un moment favorable pour vous
en témoigner toute ma reconnaissance ; je n'ai à moi que le sentiment
du cœur, et si celui-ci peut vous suffire , vous ne trouvères personne
qui n'ait plus de respect et d'attachement pour vous que moi. Ce sont
les plus vrais de mes sentiments que je vous renouvelle , avec lesquels
j'ai l'honneur d'être ,
Monsieur ,
Votre très humble et très obéissant serviteur ,
Grandidikr.
nr.
A Saverne, ce 11 octobre 1775.
Monsieur,
Je vous rends mille grâces de toutes les peines que vous avés prises
pour moi : c'est la suite des bontés que vous m'avés toujours témoi-
gnées, et auxquelles je joins toute la reconnaissance possible, en y
ajoutant la prière de me les continuer. Je ne peux que me louer des
journalistes qui ont inséré mes prospectus dans leurs journaux. Je n'ai
à me plaindre que de l'ex-jésuite journaliste de Luxembourg , qui s'est
avisé de tronquer et corriger mon prospectus. Il y a surtout une correc-
tion qui est impertinente , et qui me fait dire plus que je ne veux dire ;
le prospectus porte : Les savants et illustres d* Alsace, qui par leurs
écrits ont soutenu la religion ou se sont rendus recommandabfes dans
l'église pan* d'autres services.... Le journaliste généralise cette phrase et
dit : Les savants et grands hommes en tout genre que l'Alsace a pro-
duits... Il finit le prospectus par me laire dire une sottise ; j'avais mis :
aivantage plus précieux et plus désirable que cette réputation souvetét
frivole qu'on peut acquérir par les latents. H. le conecteur de Luxem-
bourg, en changeant la phrase , m'attribue un tour de vanité auquel je
ne pensais pas ; il met : cette r^jnUation souvent frivole qu'on acquiert
par des talents plus bruyants. Je ne vous parlerai pas des autres cor-
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468 REVUE d'àlsage.
rections qu'il a faites : aussi ridicules que les premières , elles n'at-
taquent pas de même le fonds.
Je compte vous revoir bientôt à Strasbourg; les pièces que vous
m'avés promises me seront d'une grande utilité. J*ai trouvé dans les
aichives de la collégiale de Neuvillers une donation faite en 1356 à
l'église de S. Adelphe par Albertus de Argentine, cellerarius ecclesie
S. Adelphi Novillarensis. Ne serait-ce peut-être pas le même qu'Albert
de Strasbourg , auquel on attribue une chronique qui porte son nom
dans le recueil d'Urstisius , et qui a composé la vie de Bertholde de
Bucheck , évêque de Strasbourg^ dont il était aumônier ? Elle se trouve
dans la bibliothèque de Berne sous le nom de Bertholde de Neubourg.
M. le Baron de Zurlauben , maréchal-de-camp , m'annonce la copie
des chroniques de Herman Contract el de Bertholde de Constance
d'après les originaux primitifs, avec des variantes et des augmentations
qu'on ne trouve pas dans les imprimés , ainsi que différents actes con-
cernant cette province, qu'il n'a pas communiqués à M. SchœpQin.
J'attends de Richenau une copie exacte du ms. dont Mabillon a donné
une partie dans ses analectes , sous le titre de Societales Augienses.
M. l'abbé d'Ettenheimmunster m'a promis un ms. qu*un de ses pères
aujourd'hui mort a laissé sous le titre d'Antiquitates Akaticœ et Bris-
goicœ. Il y a dans le chartrier de Cluni un code considérable de diplômes,
bulles et actes concernant uniquement les évêchés et abbayes d'Alle-
magne. S. A. E. Mgr. le Cardinal en fait faire la recherche , pour voir
s'il n'y a rien qui concerne notre province. Ces actes doivent être ren-
fermés dans un coffre considérable par sa grosseur et non encore
fouillé. Il a été vu par celui qui a travaillé par ordre du ministre à Cluni
pour avoir des copies authentiques de tout ce qui s'est passé au concile
de Lyon^ où Frédéric II fut excommunié. Une partie de ces pièces
pourra peut-être vous être de quelque utilité pour votre Alsatia litterata,
el je m'empresserai de vous les communiquer, dès qu'elles me seront
parvenues. J'ai fait quelques découvertes sur Kœnigshoven et Wimphe-
lingue, qui pourraient peut-être vous servir.
Je viens de recevoir une lettre de M. Molter, bibliothécaire et con-
seiller de S. A. S. Mgr. le Margrave de Bade , qui m^envoye de la part
de son maître un brevet d'associé honoraire à la société littéraire de
Carlsrouhe.
Mon oncle est bien. sensible à votre souvenir et m'a chargé de vous
faire agréer ses complimens ; mais il espère vous revoir ici , et il croit
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CORRESPONDANCE DE L'ABBÉ GRANDIDIER , ETC. 469
que vous prendrés un lenis ou il pourra jouir plus longtemps de vous
que la dernière fois.
Les ross. du collège de Nolsheini ne pressent pas , et S. A. E. m'a
chargé de vous dire que vous pourrés les garder encore quatre ou cinq
mois , s'ils peuvent vous être utiles. Elle a une autre grâce à vous
demander, et elle vous en écrira elle-même : c'est de vouloir bien pré-
sider à rimpression d'un ouvrage auquel elle s'intéresse un peu. J'y ai
aussi quelque intérêt ; celui que vous y prenés vous-même^ l'amitié dont
vous honorés son auteur, et la part même que vous y avés , en faisant
semblant de l'ignorer, m'autorisent peut-être à y joindre mes prières.
Elles augmentent en moi l'estime, la reconnaissance, l'attachement, que
vous connaisses dans celui qui est pour la vie ,
Monsieur ,
Votre très humble et très obéissant serviteur ,
L'abbé Grandidier ,
IV.
A Strasbourg, ce 15 avril 1776.
Monsieur,
M. l'évêque d'Ârath est mortifié de ne pas avoir des connaissances
particulières dans les endroits que vous lui avés indiqués. Quant à Bor-
deaux , si le Prince Ferdinand de Rohan archevêque s'y trouve , vous
n'aurés qu'à y réclamer le nom de son oncle M. le Cardinal de Rohan ;
vous serés sur d'y être bien reçu. Vous y trouvères aussi l'abbé de
Londres. Sa Grandeur vous souhaite un heureux voyage, si elle n'a pas
4'bonneur de vous voir avant votre départ. Elle désirerait fort que vos
courses littéraires vous mènent en Auvergne. Vous y êtes connu par
vos ouvrages , et vous serés sûrement fêté par M. Duvernin , son frère ,
vice-directeur de l'Académie, ainsi que par M. l'abbé Micolon de
Blauval , grand-vicaire de Clermont et secrétaire perpétuel de la dite
Académie.
J'avais demandé à M. le baron de Zurlauben pour vous quelques
éclaircissements sur les canaux navigables de la Suisse. La feuille ci-
jointe contient l'histoire du canal projeté entre le lac de Genève et celui
de Neuchâtel. M. le baron ajoute qu'il a en Suisse parmi ses mss. un
détail de tous les passages de la Savoye en France , qui n'a jamais
encore été imprimé , copié d'après l'original et tiré du Dépôt de la
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470 RSVDE D'ALSACE.
Guerre. Parmi ces notices, il y a le pian du canal projelé du Rhône pour
le rendre navigable depuis sa sortie du lac de Genève jusqu'à Seissel ,
malgré le précipice où il se perd entFe Genève et Seissel , ce qu'on
pourrait décliner par un canal. Ce mémoire renferme aussi le délai! des
avantages considérables que la France tirerait du Valais par le transport
des mâts de vaisseau jusqu'à Versoy en tout tems, et dans le tems même
qu'on n'en pourrait tirer de la Suède. Si vous désirés , Monsieur, l'ar-
ticle de ce canal projeté, M. de Zurlauben vous le fera tenir à son retour
en Suisse.
Je suis avec rattachement le plus parfait ,
Monsieur ,
Votre très humble et très obéissant serviteur ,
L'abbé Grandidier.
V.
A Saveroe, ce li aoust 1777.
Monsieur et très-cher confrère ,
J'ai reçu votre lettre du 6 de ce mois, qui me rappelle les deux sen-
timents d'attachement et de reconnaissance que je vou»'dois. Il faudrait
être bien exempt d'amour-propre, pour n'être pas sensible à tout ce que
vous voulés bien me dire de flatteur.
M. le conseiller Lang ne me doit aucun remerciment: je vous en dois
plutôt un , pour m'avoir mis à même de l'obliger. Ce sont des services
qu'on se doit réciproquement , et je vous prie de l'assurer que je lui
communiquerai toutes les pièces qui me tomberont entre les mains con-
cernant la maison d'Œtingue. Je me crois même encore assés heureu»
pour lui en procurer de nouvelles.
Je reçois dans le moment la lettre de M. Haillet de Couronne du 29 du
mois passé , qui m'annonce l'adoption que l'Académie de Rouen a bien
voulu faire de moi Agréés-en le premier hommage de n»a reconnais-
sance : c'est un honneur que je vous doii^, et il m'est d'autant plus flat-
teur qu'en me procurant la connaissance d'une personne aussi estimable
que M. Haillet , elle augmente dans moi tous les sentiments que votre
nouveau confrère vous a voués depuis longtemps.
Mon oncle est très-sensible à votre souvenir : il espère vous voir cet
été dans ce pays- ci, il le désire même. L'amitié mérite bien qu'on
donne quelque relâche à ses travaux littéraires.
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CORRESPONDANCE DE L^ABBÉ GR4MD1DIER , ETC. 474
Je ne vous dirai rien du plaisir que j*aurai de vous voir à Saveriie.
Vous oonnaîssés la sincérité de tous mes sentiments. C'est Teffusion du
vrai et tendre attachement avec lequel je ne cesserai d'dtre ,
Monsieur et très*cher coafirère ,
Y. T. H. Qt T. 0. S.
L'abbé Grammduer.
P. S. J'ai l'honneur de vous adresser des pro^ammes de la Société
Patriotique de Hesse»Hombour|;. Cet institut peut devenir utile par
les correspondances qu'elle entretient avec différons savans dispersés
en Europe. Si vous désirés y être agrégé, je vous prie, Monsieur et cher
confrère , de me le marquer, en y joignant vos noms de baptême et de
famille , vos titres et quaKtés littéraires , la liste des Académies dont
vous êtes membre^ et le catalogue des ouvrages dont vous êtes l'auteur.
Je ne doute pas de l'empressement qu'aura la Société de vous posséder.
L. G.
VI.
A Saverne. ce 10 mai 1778.
Je viens de recevoir, Monsieur et très-cher confrère , une lettre de
M. Dupuy, qui m'annonce que vous allés recevoir incessamment les
volumes 36, 37, 38 et 39 des Mémoires de l'Académie des belles-
lettres, qui manquaient à votre bibliothèque, et que vous m'aviés chargé
de vous faire parvenir. Le volume en feuilles revient à onze livres , ce
qui fait quarante-quatre livres , que je ferai passer à M. Dupuy par les
équipages de M. le Cardinal, qui doit partir sur la (in du mois. M. Dupuy
me charge en même tems de vous dire bien des choses de sa part.
Je vous envoyé le serment de Louis-le-Germanique traduit en bas-
breton.
Présentés, s'il vous plaît, l'hommage de mes sentiments à H. le pro-
fesseur Koch. Mon oncle espère enfin avoir le bonheur de vous posséder
quelques jours chez lui. Je le désire d'autant plus vivement , que per-
sonne ne recherche avec plus de plaisir que moi les occasions de pou-
voir vous renouveler les sentiments du tendre et parfait attachement,
avec lesquels j'ai l'honneur d'être ,
Monsieur ,
V. T. H. et T. 0. S.
L'abbé Grandwier.
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472 REVUE D'ilLSAGE.
VII.
A Ssverae» ce 26 ntti ÏTIS.
Monsieur et cher confrère , ^
J'ai reçu la lettre dont vous m'avés honoré le 23 de ce mois. JeTerai
passer à M. Dupuy les 44 livres des Mémoires par les équipages de M. le
Cardinal, qui partent le premier du mois prochain. Vous pourrés m'en-
voyer ladite somme à loisir, quand l'occasion se présentera.
Si vous désirés quelque chose, relativement au patois, de M. Tavocat
Le Brigant de Tréguier, je m'empresserai de vous le faire parvenir. Je
connais quelqu'un à Vannes^ qui est son ami. Il ùkvki au reste se défier
un peu du système singulier de M. Le Brigant , dont les opinions sont
quelquefois outrées. D est à la découverte de savoir si les enfants de
Gomer parlaient celtique : car ce sont eux, selon lui , qui ont peuplé la
Bretagne. Le comment est difficile à trouver.
Mon oncle est bien sensible à l'honneur que vous lui ferés de passer
quelques jours chez lui. La diligence continue de passer une fois par
semaine de Strasbourg à Saverne , et cette voiture vous y rend dans
quelques heures.
Vous connaissez tous les sentiments d'estime particulière et du tendre
attachement, avec lesquels je suis pour la vie tout à vous, eu vous em-
brassant bien sincèrement.
L'abbé Gramdidieh.
VIU.
A Saverne , ce 6 septembre i 778.
Monsieur et très-cher confrère,
Votre lettre du 3 de ce mois me peine , puisqu'elle m'apprend que
nous n'aurons pas le bonheur de vous voir dans ce pays. Mon oncle
l'aurait désiré ardemment, et il ne désespère pas encore de jouir de ce
plaisir pendant vos vacances, qui, à ce que je crois, commenceront
bientôt.
Vous aurés reçu par M. Koch l'extrait de la lettre de M. Dupuy, qui
vous concerne. Quant aux 44 livres , cela ne presse pas. Si cependant
vous voulés bien me les envoyer, je vous prierai de les faire passer
cachetées à mon adresse à Madame Grandidier, rue du Poumon , près
du Marché aux Poi ssons. Ma mère doit venir ici sur la fin de la semaine,
t elle pourra me les remettre.
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CORRESPONDANCE DE L*ABBÉ ORANDIDIER , ETC. 473
Vous connaissez tous les sentiments particuliers du tendre et invio-
lable attachement, avec lesquels je suis pour la vie y
Monsieur et très cher confrère ,
V. T. H. et T. O.S.
L'abbé Grandidier.
P. S. Je rouvre ma lettre pour vous annoncer la réception de celle
de H. Le Brigant , avocat à Tréguier. Il me charge , Monsieur^ de vous
assurer de ses respects, en vous priant de lui continuer votre bienveil-
lance et votre amitié. Il doit vous envoyer dans peu les deux derniers
cahiers de ses observations sur les recherches de M. Nitsidman.
Il m'a fait passer aussi un petit mémoire , par lequel il veut prouver
que la langue des savans de Tlnde nommée samskrete ou hanscrite a
beaucoup de rapport avec l'ancienne langue celtique des Bas-Bretons.
Il désirerait faire connaître ce mémoire traduit en allemand dans
quelques gazettes allemandes , comme dans celles des Deux-Ponts ou
de Nuremberg. Si vous pouvés les employer, je vous prie de me le
marquer, et je vous enverrai le mémoire.
Vous obligerés un très honnête homme en obligeant M. Le Briganl.
C'est un homme zélé et laborieux, quoique systématique. Il s'est telle-
ment occupé de son système qu'il voit dans tous les idiomes qu'on lui'
présente , la langue de son ami Gomer, comme le P. Mallebranche
voyait tout en Dieu. Mais ce qui n'est point systématique chés lui, c'est
son goût pour les devoirs maritaux. Madame Le Brigant , dit-on, ne le
trouve point mauvais, et elle a pondu 22 enfans, dont 14 sont encore
vivants. Vous voyés bien qu'il faut autre chose qu'un système, qu'une
profession peu lucrative d'avocat pour alimenter une si nombreuse
progéniture.
Beaucoup d'amitiés de la part de M. le marquis de Luchet, qui m'a
écrit ces jours derniers.
IX.
A Saveroe , ce 30 septembre 1 778.
Monsieur et très cher confrère;
J'ai reçu et la lettre, dont vous m'avés honoré le 15 de ce mois, et
les quarante-quatre livres que ma mère m'a remis. Je joins ici le
mémoire sur la langue sanskrete ou hanscrite , qui pourra vous servir.
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474 REVUE D'ALSACE.
ei que m*a envoyé M. Le Brigant , auquel je fais part de ce que vous
m'écrives à son sujet.
Continués-moi votre amitié et croyés aux sentimens du tendre et
inviolable attachement que vous a voué le plus fidèle de vos serviteurs,
*L'abbé Grândidier.
X.
A Sa?erne, ce 16 octobre 1779.
Monsieur et très cher confrère ,
Je reçois dans le moment par l'intendance de Strasbourg le paquet
ci-inclus, que M. Le Brigant m'a adressé pour vous ; je m'empresse de
vous le faire parvenir.
Je n'ai été dernièrement à Strasbourg que pour un jour : sans cela
j'aurais eu l'honneur de vous y voir. Je compte y retourner sur la fin
du mois. Le Prince-Cardinal part dans le courant de la semaine pro-
chaine.
Mon oncle aurait été très charmé de vous posséder ici pour quelques
jours ; mais vous avés la cruauté de nous priver toujours de ce plaisir.
Il m'a chargé de vous faire agréer ses hommages.
J'ai fait circuler les annonces de votre glossaire , qui intéressera bien
des savants : on l'attend avec impatience. A mon retour, je parcourerai
mes titres allemands, pour en extraire les passages difficiles. Vous en
trouvères déjà plusieurs dans le Code des lois de la ville de Strasbourg
imprimé dans mon second volume. Il me reste encore deux autres pos-
térieurs, l'un de Fonzième et Tautre du treizième siècle, à publier.
Le grand sceau de l'Evéché pour le nouveau prince n'est pas fait
encore ; mais il sera entièrement conforme aux deux empreintes que je
vous envoyé.
Vous connaisses tous les sentiments du tendre et sincère attachement
avec lesquels je suis pour la vie le plus fidèle de vos confrères et amis.
L'abbé Graiyoidier. .
XL
Saveroc, ce 10 novembre 17S5'.
Monsieur,
Je m'empresse de répondre à la lettre dont vous m'avés hoa<Mré le 9
de ce mois. Je n'ai point vu le ms. de l'abbaye de S^-Gal, d'après lequel
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CORRRSPONDANCJR OË L'ABBÉ 6RÂMD1DIER , ETC. 475
j'ai pMblié lo fii^éne de Tévèque Baldram. Mais je i*ai donné d'apfte It
copie qui m'a été envoyée par dom Vandermeer, qui y a fait qualqoes
corrections d'après le ms., qui indique souvent des mois que Canisins
a mal lus ou oial exprimés, tant & cause de la mauvaise écriture que des
abréviations 4^ il fourmille. Je n'y ai fait d'autres corrections que les
deux vers, que Baldram parait avoir empruntés de Fortunat. Vous trou-
vères également dans mon second volume, pag. 262 et suiv., une para-
phrase de cette élégie en vers français.
Je n'ai aucune connaissance de la traduction allemande du Psautier
par Baldram. Si cette traduction existe encore , elle doit être plutôt
attribuée à Waldram ou Baldram, moine et doyen de l'abbaye de
S*-Gal, qui vivait dans cette abbaye ep Tan 925.
Si vous publiés les vers d'Erchambald, je vous prierai de suivre leur
liste , telle que je les ai fait imprimer à la suite de chaque évéque. A
mon retour à Strasbourg , je vous donnerai les autres vers particuliers
composés par le même évéque , ainsi que tout ce qui regarde les écri-
vains du x% II* et xu« siècles , dont les articlQS sont d^à rédigés dans
mon propre manuscrit, qu'on vient de me renvoyer de Paris.
Agréés de la part de mon oncle et de la mienne l'assurance du tendre
attachement avec lequel j'ai l'honneur d'être pour la vie ,
Monsieur ,
V. T. H. et T. 0. S.
L'abbé Grandwier.
XII.
Ce 28 février 1787.
Monsieur et très cher confrère ,
Je me rappelle toujours avec plaisir les sentiments d'attachement et
de reconnaissance que je vous dois , je désirerais être à même de vous
en prouver la vérité. J'espère que vous me donnerés une marque des
vôtres en recevant avec indulgence un exemplaire du premier volume
de l'Histoire d'Alsace, que j'ai l'honneur de vous adresser. J'ai cru
devoir y rappeler les secours obligeans que vous m'avés fournis de tout
tems pour la perfection de ce travail, et surtout les savans ouvrages que
vous avés donnés au public. En remplissant par là les devoirs de la
reconnaissance, j'ai suivi en même tems le pins cher et le plus vrai des
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476 REVUE D*ALSAGE.
sentimens : c'est celai du lendre et inviolable attachement que vous a
voué pour la vie ,
Monsieur,
V. T. H. E. T. 0. S.
L'abbé Grandumer.
Lettre de dam Sterque * à Oberlin,
Besançon, 9 mai 1786.
Monsieur.
L'absence de M. l'intendant de Franche-Comté a seule occasionné le
retard de la réponse que je devois à la lettre que vous m'avez fait
l'honneur de m'écrire. Ce magistrat pouvoit , à ce qu'on me disoit,
permettre l'entrée de la province aux livres venus de l'étranger. J'ai
attendu son retour pour solliciter son agrément ; mais depuis quelque
tems la librairie n'est plus de son ressort. M. l'abbé Grand-Didier doit
venir à Besançon le mois prochain, à ce que m'a dit D. Grappin. Si
vous lui proposiez , Monsieur, de mettre ces deux volumes dans sa voi-
ture et d'acquitter vos déboursés ! Dans le cas où cet arrangement ne
se trouverait pas de son goût , je vous prie de les donner au caresse et
de les adresser à M. Bel- Ami , avocat et secrétaire de la ville , rue des
Granges. C'est une précaution pour les empêcher de tomber entre les
mains de la Chambre syndicale de la librairie. S'ils sont arrêtés dans la
voiture de M. Grand-Didier ou dans le caresse, j'en serai quitte pour
les faire revenir de Paris, où ils seront retenus quelque tems. C'est le
seul danger qu'ils aient à courir. Le directeur ou le conducteur du
caresse voudra bien, je pense, vous avancer l'argent qui vous est dû.
Recevez mes remercîmens et l'assurance de mon respect. J'ai l'hon-
neur d'être ,
Monsieur,
V. T. H. et T. 0. S
D. Sterque.
* Bibliothécaire de Saint- Vincent de Besançon. La bibliothèque de cette abbaye
était une propriété publique. Voy. VEiude de M. Gastan sur le Froissart du Saiol
Vincent. {Bibl. de l'EcoU des chartes , 6* série, ton. i.)
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GOBRESPONDANGB Dfi L'àBBÉ GRANDIDIER , ETC. 477
Extrait é^fme lettre de dom Sterque à Oberlin.
Besançon, 24 août 1784.
Monsieur,
M. Tabbé Grand-Didier m'a remis le Glossaire pour lequel avoit
souscrit D. Rousseau , mon prédécess^eur à la Bibliothèque publique de
Besançon. Il voudra bien se charger encore des trente livres que coûte
cet ouvrage , et vous les faire parvenir. Je vous remercie , Monsieur,
des deux petites brochures que vous avez eu la bonté d'y ajouter, etc.
Billet de Grandidiery sans date.
M. le Baron de Zurlauben présente à M. le professeur Oberlin ses très
humbles complimens, et il le prie de vouldir bien :
i^ lui indiquer Tendroit où demeure aujourd*huy M. Riegger, ci-
devant professeur à Fribourg.
2» s'il n'existe pas dans la bibliothèque de l'université ou de h ville
Topuscule suivant, in-4^<^, imprimé sans datte d'année ou de lieu , sous
le titre de Soliloqwum Wimphelingii pro pace christianorum et pro
Helvetiis. M. de Zurlauben désirerait en donner une nouvelle édition.
Si cet opuscule était à acheter, il en ferait l'acquisition ; sinon, il aurait
beaucoup d'obligation à M. Oberlin , s'il voulait bien le lui prêter pour
quelques semaines.
L'Abbé Grandidier a l'honneur en même tems de présenter ses
hommages à M. le professeur.
Lettre du frère de Vabbé Grandidier.
Saveroe, ce 19 décembre 1790.
Monsieur,
 mon dernier voiage à Strasbourg vous avés eu la bonté de me
promettre que vous m'enverriés une liste de médailles romaines avec
le prix de chacune. Je prens la liberté de vous en faire ressouvenir et je
vous prie de me l'envoier avant la fin du mois ; n'étant pas sûr que mon
régiment restera en Lorraine , je ne pourrais pas profiter de l'occasion
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à rendre service par cette lîâte à làn ôeitfh^tfr de oe ptt^s. J'ose donc
vous prier de la tenir prette avant le 29 ou 30 de ce mois, tems auquel
je compte passer à Strasboui^.
J'ai l'honneur d'être très respertueusement ,
Monsieur ,
V. T. H. et T. 0. S.
L'abbé GRANomiER,
aumônier du régiment de Chamboranl
(La àuitB à un$ prochaine Mtfràwon;.
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LE TRIBUNAL CIVIL DE SAVERNE.
A l'aurdre de la révolutioD, la principauté épiscopale de Strasboarg,
dont radministration ou la régence était établie à SuTcarne , périt iam
le naufrage commun des institutions féodales. Avec l'abolition des
décastères de Téfèché commença pour SaYcme une ère nouvelle , ère
d'épreuves et de déchéance politique ; la nouvelle organisation tèrrito*
riale qu'adopta l'Assemblée nationale fit descendre cette ville au rang
d'uti simple chef^-lieu de canton du district de Haguenau, dans le
département du Bas-Rbini et effaça les derniers vestiges de son
ancientie importance. Saveme subit avec résignation toutes les grandes
réformes décrétées par l'Assemblée nationale, mais en 1790, lors delà
création des tribunaux civils de district , cette ville où vivait tout un
monde d'avocats, de procureurs, de grefiiers, d'employés, d'huissiers
et de clercs que la régence avait trainés à sa suite , conçut l'espoir
d'obtenir le siège du tribunal civil du district , comme une juste com-
pensation des nombreux sacrifices que la révolution avait exigés d'elle.
Haguenau el Saveme, les deux villes les plus importantes du district,
se disputaient le siège du tribunal, et chacune d'^es rivalisait d'efforts
et de sacrifices pour sortir victorieuse de la lutte. Le bailli de Flachs-
landen*, originaire de Saveme, l'un des députés de l'Alsace, usa de
* Le disirict de Haguenau se composaii de neuf ciUUnis : Poit-ViUlMai , Ha*
gnenau , Brumath , Truchienbdm , Marmotttier , Saveme , Booiwiller, Hbchfeldea
el Uiaehwiller.
' JeaD-Baptiste^Antoiiie de Plachslanden vit le Jour I Saverae , te tO juillet
1739 , et fut destiné par sa fitmille ii entrer dans Tordre de SaSnt>leaD-de-léra«
salem. Il fut reçu chevalier de Halte de mlaorlté, pourm Jeune eacore de la dignilé
de kMUli qui lui donnait séance après le grand-prieur dans ie chapitre provincial ,
et de celle da turcopoliar de Tordre. Il làt gratifié des oetuttÉnderiea de Rohr-
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480 REVUE D^ALSACE.
toute son influence pour doter la irille qui l'avait vu naître, du siège dn
tribunal du district. La ville de Saverne adressa à rAssemblée natio-
nale un long mémoire où elle énumérait tous les motifs qui devaient
lui donner la préférence sur sa rivale. La municipalité vota, malgré la
pénurie de ses finances, un don patriotique de six mille livres ^ et invita
tous les citoyens de la ville à seconder ses efforts par des dons volon-
taires tant en argent qu*en vaisselle d'or et d'argent ; mais en ce moment
de disette et de pénurie , c'était trop présumer de leur patriotisme ; la
liste de souscription produisit toutefois la somme de seize- cent trente-
trois livres. Le maire , François-Léopold de Hayerhoffer , se rendit à
Paris, au printemps de l'année 1790, accompagné d'un officier muni-
cipal , pour solliciter de la bienveillance et de la justice de l'Assemblée
nationale l'établissement du tribunal du district à Saverne; l'accueil
cordial qu'il reçut de tous les députés de l'Alsace lui fit présager im
heureux résultat de sa mission. Mais les députés de la province , quel-
ques bienveillantes que fussent leurs intentions à l'égard de la ville de
Saverne, devaient chercher à concilier les vœux et les intérêts particu-
liers avec l'intérêt général et faire présider l'équité la plus stricte à leur
choix ; ils se réunirent pour entendre et discuter les réclamations et les
prétentions des deux villes contendantes, et transmettre leurs observa-
tions et leurs propositions au comité de constitution , auquel l'Assem-
blée nationale avait laissé le soin de fixer le siège du tribunal du
district de Haguenau. Dans cette réunion , le sieur Kauffmann' prit la
parole pour éclairer ses collègues et fit observer qu'il fallait conserver
à Saverne l'influence que lui avait acquise l'ancienne régence de
l'évêché de Strasbourg et établir une juste réciprocité d'avantages entre
cette ville et le chef-lieu du district ; il démontra clairement que l'heu-
reuse situation de Saverne sur plusieurs grandes routes en facilitait
dorf , de Delzingen et d'Oberhausudt ; il fat Tud des adjoints au directoire de la
noblesse de la Basse-Alsace et président de l'Assemblée provinciale d'Alsace en
1787. Appelé aux éuts-généraux de i 789 par le tien^tat des batlUages de Ha-
guenau et de Wissembouig , il se fit peu remarquer dans cette célèbre Assemblée ;
il donna sa démission ^ la suite du décret du 19 juin 1790 qui abolissait la noblesse,
et les événements politiques le forcèrent à émigrer peu de temps après ; il mourut
sur la terre étrangère.
' Protocole de la municipalUé , vol. u , p. ââ6.
' Le sieur Kauffmann , prévôt de Hatzenheim (canton de Benfeld) , anit èlé élu
par le tiers^état des bailliages de Golmar et de Scblestad^.
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LE TR1BUNA.L CIVIL DE SAVERNE. 481
Taccës en tout temps et que cette ville présentait à Timinense majorité
des communes du district moins d'inconvénients pour rétablissement
d*un tribunal que la ville de Haguenau sa rivale ; il termina en deman-
dant que l'on devait s'entendre avec le comité de constitution pour doter
Saveme du siège du tribunal du district. Cette proposition fut aussitôt
examinée , vivement appuyée par Victor de Broglie ' et adoptée sans
opposition. Le comité de constitution qui penchait pour la ville de
Haguenau ) céda au vœu unanime de la députation alsacienne et proposa
à la sanction de l'Assemblée nationale un projet de décret qui plaça le
siège du tribunal du district de Haguenau dans la ville de Saveme. Ce
projet fut définitivement adopté le 23 août 1790.
La nouvelle organisation judiciaire dont la France fut redevable à
l'Assemblée constituante laissa la nomination des juges à l'élection
populaire , mais l'élection était à deux degrés : les citoyens actifs nom-
maient les électeurs qui eux-mêmes choisissaient les magistrats appelés
à rendre la justice ; le nombre des juges était fixé à cinq et la durée de
leurs fonctions était de six années ; ils étaient tenus de résider dans la
ville où siégeait le tribunal, leur traitement était de dix-huit cents
livres. Nul ne pouvait être juge s'il n'était âgé de trente ans et s'il n'avait
été pendant cinq ans juge ou homme de loi ayant exercé publiquement
près d'un tribunal. Les fonctions de président étaient dévolues à celui
des juges qui avait obtenu le plus grand nombre de suffrages. Le gref-
fier du tribunal était élu par les juges , il avait un traitement f\\e de
six cents livres. Il n'y avait que l'officier du ministère public qui fut
nommé directement par le roi ; il portait le titre de commissaire du roi
et son traitement était égal à celui des juges. Le nombre des juges sup-
pléants était de quatre; dont deux devaient être pris dans le chef-lieu
judiciaire du district. Les suppléants étaient appelés selon l'ordre de
leur nomination à rempla< er les juges dont les places viendraient à
vaquer, soit par mort, soit par démission. Comme les juges de district
* Le prJDce Victor de Broglie fut Dommé député aux états-généraux de 1789
par la noblesse des bailliages de Colmar et de Schlestadt ; il voua ses services ï
la cause populaire , se réunit à la minorité de son ordre et appuya tons les projets
de réforme et de liberté ; il fiit employé comme chef d'état-magor dans Tarmée du
Rhin ; après que le roi eût été suspendu de ses fonctions » il donna sa démission
et quitta Tarmée ; il fut arrêté et traduit ensuite au tribunal révolutionnaire qui le
condamna à mort, le 37 juin 1794; il était seulement âgé de 54 ans et bien digne
d*an meUlear sort.
3« Séria. — 17* Aanét. 31
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482 RÉvuÉ: D'ALSAcne.
étaient juges d^appef les xifis k regard dés aftff^es, les septtribunauiles
plus voisins de Saverne furent désignés comme tribunaux auxquels la
connaissance des appels était dévolue ; c'étaient les tribunaux de Sarre-
bourg , Dieuze , Bitsche*, Wissembourg, Strasbourg, Schlestadt* et
Golmar. L'appelant pouvait exclure péremptoirement trois de ces tribu-
naux et il était libre à Fintimé de proposer une pareille exclusion.
Le choix des électeurs du district de Haguenau tomba sur les sienrs
Joseph-André Horrer, André Feltmesser, Marie-François Gérard,
Nicolas-Joseph Knœpfler et Théodore-Dominique Donnât ; c'étaient
d'anciens et honorables magistrats qui recueillirent partout les témoi-
gnages de l'estime et du respect dont les citoyens étaient pénétrés pour
leur caractère ; le sieur Jean-François Martinez fut appelé à occuper
provisoirement le siège du ministère public.
Ce fut le 29 décembre 1 790 que la municipalité de Saverne procéda
solennellement à l'installation du nouveau tribunal 3« Introduits dans
l'intérieur du parquet de l'ancienne salle d'audience de la régence de
révêchéy les juges prêtèrent devant le conseil général de la commune
le serment d'être fidèles à la nation, à la loi et au roi ; après cette céré-
monie, le conseil général les installa et prononça au nom du peuple,
l'engagement de porter au tribunal et à ses jugements le respect que
tout citoyen doit à la loi et à ses organes ; il remit ensuite à chacun
d'eux les patentes royales qui leur conféraient la qualité de juge du
district de Haguenau. Les juges reçurent ensuite le serment du com-
missaire du roi; l'ancien secrétaire du conseil de la régence de
l'évêché , le sieur François-Dagobert Behr^ réunit en sa faveur leurs
suffrages, fut proclamé greffier et admis à fournir le cautionnement que
la loi exigeait de lui ^. Le tribunal s'adjoignit le sieur Jean-Baptiste
Pardiellan , ancien avocat au conseil de la régence et lui confia les
fonctions d'accusateur public, chargé de l'instruction des procès crimi-
nels jusqu'à l'établissement du tribunal criminel et de la procédure par
jurés; il lui était alloué une indemnité annuelle de neuf cents livres,
égale à la moitié du traitement du commissaire du roi.
* Les tribunaux de Dieuze et de Bitcbe ne sabâistent plus.
* Le siège du tribunal du district de Benfeld était à Schlestadt.
' Registre de la municipalité , vol. in , p. 484.
' Ce cantiQnoement consistait en immeubles d'une valeur de 42,000 livres-
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LE TRIBUNAL GiyiL DE SAVERNE. ^^3
yr\ des premierst ré^lUts de rétablissement du tribunal du district
à Saverne fut d'assurer Texistence des nombreux pères de famille ,
avocats, procureurs, jurisconsultes et écrivains que cette ville renfer-
mait , et de les affranchir des soucis et des inquiétudes dont ils étaient
dévorés , depuis que la révolution était venue balayer les dicastères de
la principauté épiscopale de Strasbourg.
Cependaet la ville de Haguens^u voyait d*un œil jaloux les avantages
que le siège du tribunal du district procurait à sa rivale, elle renouvela
des tentatives pour se réunir àTadministration du district^ elle s'efforça
()e répandre dans le département les attaques les plus vives et les
plus exagérées contre l'intégrité d^ jug€s et l'équité de leurs jugements.
La calomnie fut l'arme redqutable au moyen dOxlaquelle elle 'spérait
aupfUant^r la ville de Saverne ; elle n'béaita pfis à avancer que la classe
aristocraliqtie y exerçait une funeste influence sur les jugements , et à
ftccusef ses habitants d'incivisme, dans l'espoir d'insinuer par cette
inculpation vague et calomnieuse que , si le siège du tribunal était
.maintenu dans leurs murs , les délits contre la constitution resteraient
impunis. Hais ces calomnies et ces imputations absurdes eurent un
résultat diamétralement opposé à celui que la ville de Haguenau en
avait attendu , elles consolidèrent le jeune tribunal ; la réputation sans
tache et Tintégrité notoire des juges étaient de sûrs garants que leurs
jugements seraient toujours basés sur la justice et l'observation des lois.
La ville de Saverne se lava sans peine du reproche d'incivisme , elle
conserva le siège du tribunal que les convenances générales, l'intérêt
publie, la proximité de 435 communes sur 21 3, qui composaient le dis-
trict , l'érudition et le zèle infatigable des hoiqmes de loi qui y rési-
daient et le bien individuel des habitants avaient déterminé l'Assemblée
nationale à placer dans ses murs; d'ailleurs les avantages qui pouvaient
en résulter pour cette ville, n'étaient qu'une juste indemnité des pertes
considérables que la révolution lui avait fait essuyer i. Le commissaire
du roi était un homme modéré et franchement dévoué à la nouvelle
constitution, aussi ne resta-t-il que peu de temps en fonctions * ; dès le
mois de novembre 1791, il fut remplacé par l'avocat Pierre BentaboUe,
* Reffistre de la nmnieipalité de Saverne , vol v , p. 59.
* Les coDcitoyens du sieur Martioez le nommèrent , le ^ juin 1799 , juge de
paix de la première section du canton de Sayerne.
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484 REWE d' ALSACE.
qui professait les opinions les plus avancées ^ . Tandis que le nouveau
commissaire du roi rêvait l'établissement de la république, les juges se
montraient les plus chauds partions de la monarchie ; aussi ne tardèrent-
ils pas à apprendre qu'ils ne devaient pas compter sur sa bienveillance.
La mésintelligence qui existait entre eux prenait chaque fois un carac-
tère plus hostile et l'incompatibilité entre eux venait se révéler à chaque
instant, au grand détriment de la justice. Le citoyen Bentabolle se
rendit le 5 avril 1 792 au club des Jacobins de Strasbourg , ou il lut un
long mémoire contre l'établissement du tribunal du district de Haguenau
dans les murs de Saverne ; il y dit que c'était le citoyen Broglio qui,
par suite de considérations particulières, avait fait 6xer le siège du tri-
bunal à Saverne , contrairement au bien public et à la détermination
qui avait été prise dans l'origine par \e comité de constitution pour le
placer à Haguenau. L'exaltation de ses opinions politiques lui valut, en
juillet 1792 , la place de procureur-général-syndic du département du
Bas-Rhin. L'accusateur public, Jean-Baptiste Pardiellan, fut appelé aux
fonctions de commissaire national près le tribunal civil de Saverne; il
ne les exerça que depuis le i'^ août au 30 septembre, où il eut pour
successeur Tun des juges du tribunal , le citoyen Théodore-Dominique
Donnât. Celui-ci fut remplacé comme juge par le premier juge sup-
pléant, le citoyen Félix-Louis Ârth , et remplit ses nouvelles fonctions
avec autant de sagesse que de modération.
A peine constituée, la Convention nationale déclara que le choix des
électeurs pour les emplois judiciaires pouvait être porté sur tous les
citoyens indistinctement et que l'obligation de ne choisir les juges que
parmi les hommes de loi était abolie; un décret du 19 octobre 1792
ordonna le renouvellement des tribunaux civils. Les résultats des élec-
tions faites vers la fin du mois de novembre suivant, en conformité à ce
décrit , ne furent pas également heureux pour le district de Haguenau.
Si le choix des électeurs se fixa sur d'anciens magistrats, il tomba aussi
sur des citoyens qui étaient plus connus par leur ardent patriotisme et
* Pierre Bentabolle , ayant été nommé député à la convention nationale par le
Bas-Rbin , se monUra Ton des plus fongueux démagogues ; il vota la mort du roi ,
se prononça avec rigueur contre les Girondins , puis contre Robespierre qu'il bais-
sait depuis la mort de son ami Danton. Devenu , en 1795, membre du Conseil des
Cinq-Cents, il resta fidèle à ses nouveUes idées de modération et à ses principes
républicains ; il mourut è Paris, le i2 avril 1798.
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LE TRIBUNAL CIVIL DE SAYERNE. 485
leur énergie républicaine que par leurs connaissances juridiques. Les
citoyens qui réunirent les suffrages des électeurs furent : Jean-Baptiste
Rubin, commissaire municipal à Saverne >, François-Joseph Pettmesser,
ci-devant juge de paix à la Wantzenau, Joseph Ebener, brasseur à
Saverne, Marie-François Gérard, ci-devant juge et Ignace Hauswald , de
Strasbourg , commissaire municipal à Saverne. Le citoyen Théodore-
Dominique Donnât fut nommé commissaire national par la majorité des
électeurs ; le citoyen Behr réunit aussi en sa faveur la majorité des suf-
frages et resta attaché au tribunal comme greffier.
Le 4 janvier 1793, « sur l'invitation faite au conseil général de
« Saverne par le citoyen Donnât, commissaire du pouvoir exécutif près
c du tribunal en cette ville, pour être procédé à Tinstallation des juges
c nommés par le corps électoral à la fin du mois de novembre dernier,
< et sur le jour convenu avec le citoyen maire, le conseil général s'est
€ assemblé à la maison commune et s'est rendu à neuf heures du matin
c à la salle d'audience dudit tribunal , où après avoir pris séance et fait
c avertir de sa présence les juges nouvellement élus et assemblés dans
< la salle des rapports , les citoyens Rubin , Pettmesser, Ebener et
c Gérard sont entrés dans la salle d'audience , et se tenant debout en
« costume dans l'intérieur du parquet , ils ont prêté le serment pres-
« crit par la loi , en présence dudit conseil général qui s'est de suite
« retiré*. »
Le 4 février suivant, le conseil général de Saverne se rendit au pré-
toire du tribunal et après avoir pris séance à la salle d'audience , il
procéda à l'installation du citoyen Hauswald , cinquième juge et des
suppléants ^.
La chute de Robespierre amena une modification dans le personnel
du tribunal. Les éléments hétérogènes dont il était composé, avaient
' La manicipaUlé de Saverne ajant été suspendue par arrêté du département ,
du 29 août 1792 , avait été obligée de céder ki place à une commisiion munici-
pale , à la tête de laquelle se trouvait le citoyen Robin , de Strasbourg ; cette
commission cessa ses fonctions le 12 décembre suivant, où une nouvelle munici-
palité élue fut installée ; celle-ci fut suspendue par arrêté du département , en
date du 20 février 1793 , et le surlendemain une municipalité provisoire fut
nommée et iostallée par le citoyen Louis Edelmann , qui avait été nommé com-
missaire à cet effet.
* Registre de la municipalité , vol. vi , p. 503.
' Ibid. , p. 585.
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486 REVUE D* ALSACE.
transformé le sanctuaire de la justice en une sorte d*arèn<> politique, où
les opinions et les passions du moment créaient une foule d'embarras
préjudiciables aux intérêts des justiciables. Le représentant du peuple
Foussedoire, que la Convention nationale avait été envoyé en mission dans
les départements du Haut et du Bas-Rbin , se rendit le 5 brumaire de
Tan m à Saverne, pour procéder à l'épuration des autorités eobstiluées,
et après^ avoir < consulté le peuple et la société populaire sur chacun
des individus en place ou proposés en remplacement, i il maintint dans
le tribunal les citoyens Ebener et Hauswald, ainsi que tes citoyens Jean-
Baptiste Pardiellan et Arsène Didier, qui de juges suppléants étaient
devenus juges effectifs, et leur adjoignit un nouveau collègue, lé citoyen
Dominique Piva, ancien procureur. Le commissaire national fut révoqué
et remplacé par le citoyen François-Joseph Schœn , ancieb magistrat ;
quatre nouveaux juges suppléants complétèrent le tribunal. Dès le sur-
lendemain^ l'installation des citoyens nouvellement nommés eut lieu de
la manière accoutumée.
Cette épuration, qui n'avait pas un car)àctùre trop contre-révolution-
naire, fut loin de satisfaire le parti modéré ; aussi, lorsque peu de temps
après, le représentant du peuple Bailly vint dans le département chargé
de la mission d'épurer les municipalités et les administrations , s'em-
pressa-t-il de lui $ignaler les fonctionnaires démocrates qu'il fallait
remplacer par des créatures appartenant au parti qui avait triomphé en
thermidor. Bailly se rendit à leurs désirs et prit le iO pluviôse un
arrêté par lequel il nomma le citoyen Neumann , membre du directoire
du district de Haguenan , « commissaire à Feffel de recevoir le vœu des
a citoyens de Saverne sur les individus désignés pour remplir les places
« des autorités constituées , et dans le cas où quelques-uns ne réuni-
a raient pas la confiance, d'inviter le peuple assemblé à indiquer les
a citoyens qu'il croirait les plus dignes des susdites fonctions. >
Le surlendemain le commissaire se rendit à Saverne, réunit les
citoyens de la ville et les invita à exprimer leurs sentiments sur les
divers fonctionnaires. Le résultat de cette réunion fut de modifier le
tribunal ; on en élimina les citoyens Ebener et Piva, et on les remplaça
par André Petlmesser, ancien juge et François-Dagobert Behr ; il fut
décidé en outre que les fonctions de greffier que celui-ci avait remplies
jusqu'ici seraient données au citoyen Jean-Baptiste KnœpiBer, que le
citoyen Arsène Didier, remplacerait comme commissaire na(sonal le
citoyen Schœn et que celui-ci serait nommé juge au lieu et pTace du
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LE TRIBtWAL CIVJL .PE SÀVERNE. 487
citoyen Didier. Un {urooës-verbftl de ces diverses propositions fui redisse
et transmis au représentant du peuple Ballly, qui s*enipressa de les
approuver et de les ratifier.
La constitution de Tan 111 ne laissa subsister qu^un tribunal civil par
département ; un tribunal de police correctionnelle Tut établi à Saverne
par le décret que rendit la Conveation nationale , le 19 vendémiaire de
Fan IV (11 octobre 1795)» sur la division du territoire de la France, le
placement et Torganisation des autorités administratives et judiciaires.
Sa juridiction comprenait les cantons de Bischwiller, Bouxwiller, Bru-
matb, Diemeringen, i)rulingen, FortrYauban, Haguenau intra et extra-
muros , Harskirchen , Hochfelden , Marmoutier, Saar-Union , Saverne ,
Truchtersheim et Woliskirchen. Il était composé d'un président qui
était pris tous les six mois parmi les Juges du tribunal civil , de deux
jqges de paix ou assesseurs déjuges de paix, d'un commissaire du pou-
voir.exécutif et d'un greffier. Le président faisait en même .temps les
fonctions du directeur du jury d'accusation en matière de délits empor-
tant peine alHictive ou infamante. Les juges de paix ou assesseurs de
juges de paix devaient être de la commune où le tribunal était établi. Le
greffier était noipmé et révocable par le tribunal. Les fonctions de com-
missaire du pouvoir exécutif furent conférées au citoyen Piva et le
citoyen Jcan-André-Clément Knœpffler, fut appelé aux fonctions de
^effier.
Un tribunal de police correctionnelle ayant été établi à Saar-Union
en exéculion de la loi du 7 ventôse de Tan VU (25 février 1799) , on
détacha pour le former les cantons de Saar-Union, Harskirchen, Wolfs-
kirchen , Diemeringen et Drulingen de l'arrondissement judiciaire de
Saverne, et le canton de la Petite-Pierre de l'arrondissement judiciaire
de Wissembourg. L'installation de ce tribunal eut lieu le 29 ventôse
(19 mars suivant).
La ville de Saverne fut élevée au rang de chef-lieu d'arrondissement,
siège d'une sous-préfecture, par la loi du 17 ventôse de l'an VIII
(8 mars 1800). Le siège du tribunal civil de première instance fut
établi dans ses murs ; sa circonscription s'étendait sur les cantons de
Saar-Union, Drulingen, la Petite-Pierre, Bouxwiller, Hochfelden , Mar-
moutier et Saverne et les cantons de Diemeringen , Harskirchen
Wolfskircben et Ingwiller, qui furent supprimés depuis et réunis aux
autres cantons de l'arrondissement.
La ville de Bouxwiller, ancien chef-lieu des possessions des land-
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488 REYUE D' ALSACE.
graves de'Hesse-Darmstadt, avait sollicité l'établissement dans ses murs
du iribunal civil de l'arrondissement de Saverne^ tant pour lui con-
server l'influence que lui avait acquise le siège des dicastères de soi
princes, que pour établir une juste réciprocité d'avantages entre elle et
le chef-lieu de la sous-préfecture ;[mais toutes ses sollicitations , toutes
ses démarches ne purent déterminer le gouvernement à détacher le
siège du tribunal du chef-lieu de l'arrondissement. La situation géogra-
phique de Saveme sur la route de Paris , plusieui^ grandes routes qui
y aboutissent', les facilités heureuses que cette ville présente pour les
communications , l'existence dans son enceinte du palais de l'ancienne
régence de l'évéché de Strasbourg, qui ajété de tout temps approprié et
consacré à l'usage d'un' tribunal et d'une'^maison' d'arrêt et entretenu à
cet effet par le département y[ le grand [nombre de citoyens et de pères
de famille , hommes de loi d'une probité reconnue que celte ville ren-
fermait, et qui, par l'éducation et .l'instruction qu'ils avaient reçues,
s'étaient voués à la défense des droits et des propriétés , et à la protec-
tion de l'opprimé et étaient à même de servir utilement le public; telles
étaient les considérations générales qui déterminèrent le gouvernement
consulaire à placer et à maintenir le siège du tribunal à Saverne et à y
établir la sous-préfecture. Bouxwiller qui ne pouvait offrir au gouver-
nement tous ces avantages et dont les démarches n'avaient pour but
qu'un intérêt particulier, succomba dans sa lutte avec Saverne, Tandis
que cette ville se félicitait d'avoir été préservée d'une ruine presque
certaine , celle de Bouxwiller épia l'occasion de renouveler ses préten-
tions. Encouragée par M. Shéé, préfet du département, elle réclama eo
1806 la translation dans son enceinte de la sous- préfecture ou du tri-
bunal defpremière instance de l'arrondissement de Saverne, en s'effor-
çant de démontrer que les pertes que la révolution lui avait fait
éprouver, lui donnaient droit à une juste compensation. Mais la ville de
Saverne démontra jusqu'à l'évidence que la demande de Bouxvriller,
inspirée par un intérêt privé , était coniraire^.à l'intérêt de l'Etat et au
bien générai de l'arrondissement.
Les pertes de Bouxwiller, disaient les représentants de Saverne , ne
pouvaient être mises en parallèle avec celles que Saveme avait essuyées.
Bouxwiller avait à la vérité un château où résidaient quelques fuis les
princes de Hesse-Darmstadt , qui y avaient une régence, une chambre
des comptes et une cour féodale; mais la résidence habituelle de ces
princes était la ville de^Pirmasens, à laquelle ils avaient voué toute leur
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LE TRIBUNAL CIVIL DE SAVERNE. 489
sollicitude. Saverne était depuis un siècle Tapanage et la résidence des
cardinaux de Rohan , dont le luxe et l'opulence , connus de toute la
France, répandaient tous les ans parmi ses habitants plus de trois cent
mille francs ; cette ville était encore, pendant le séjour de ces princes,
le rendez-vous de toute la noblesse d'Alsace et le lieu de réunion du
grand-chapitre de Strasbourg; elle était le siège de la régence de
révèché , d'une chambre des comptes et d'une chambre féodale ; il y
avait, outre le vice-dôme de l'évéché, le vice-chancelier, le procureur-
général, ses substituts et les conseillers, une foule de jurisconsultes et
d'employés jouissant tous d'une honnête aisance et alimentant l'indu-
strie de leurs concitoyens. Saverne avait encore un chapitre riche, une
maison d'éducation pour quatre-vingts demoiselles et une école latine.
Tous ces établissements, qui y attiraient un nombre infini d'étrangers ,
ont été anéantis par la révolution. L'Assemblée nationale avait déjà
reconnu que Saverne méritait des égards particuliers et que sa situation
géographique, qui pouvait lui servir à réparer ses pertes, présentait en
même temps des avantages pour le public , qu'il n'y avait rien à créer et
que cette ville pouvait tirer un parti précieux pour les habitants de l'ar-
rondissement, des anciens hommes de loi et fonctionnaires attachés aux
autorités abolies par la révolution , tous également versés dans la con-
naissance des lois et de la jurisprudence, tandis que tous les employés
de Bouxwiller ont suivi leur prince à l'étranger; d'ailleurs la justice y
était toujours rendue en langue allemande et toutes les formes de la jus-
tice française y étaient aussi ignorées que dans le cœur de l'Allemagne.
L'empereur Napoléon à son passage par Saverne , en 1805 *, a lui-
même apprécié les avantages que présentait Saverne par sa position
géographique pour le siège des autorités ; il a dit, du ton le plus gracieux,
au maire et à la députation des citoyens qui étaient venus pour lui pré-
senter leurs hommages d'admiration et de fidélité: c je sais que
c Saverne a fait de grandes pertes, mais je les réparerai. > Ces paroles
précieuses qui ont cicatrisé toutes les plaies , devaient garantir la ville
de Saverne des nouveaux malheurs dont elle se voyait menacée.
Les représentants de Saverne ne pouvaient nier que cette ville ne se
trouve pas absolument au centre topograpbique de l'arrondissement,
' NapoléoD {" ne fit que traverser Safeme avec Timpératrice Joséphine , le 26
septembre ; U y fut reçu au milieu des acclamations les plus vives ; il se rendit à
Strasbourg, suivi des hommages des Savernois, qui regrettaient de n'avoir pas
pu le posséder plus longtemps au milieu d'eux.
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44d REVUE D' ALSACE.
€ mais, disaient-ils, Bouxwiller s'y trouve encore moins ; de 165 com-
(L oHuies éL de 80,000 habitante que contient Tarrondissemeat de
ft Saverne, 100 communes au moins et 53^000 habitants sont plus
(( rapprochés de Saverne que de Bouxwiller. Saverne présente en tout
4 temps à tous les habitants de l'arrondissement un accès facile ; les
« routes de Holsheim , de Strasbourg et de Haguenau , les chemins de
« BouxwiUer et de Neuwiller s'y réunissent d'un côté, et de l'autre, les
(( routes de Nancy, de Metz et de Saar-Unian ; il en coûterait au gou-
<ji vernement des sommes immenses pour établir une communication
n aussi facile avec Bouxwiller, pour convertir ses voies publiques , ses
« chemins vicinaux qui, la plupart du temps, celui de Saverne excepté,
^ ne peuvent être fréquentés. »
Telles furent les justes remontrances que Saverae crut davoirfaire au
gouvernemetit>et ces remontrances bsdancàrent l'influence de M. Shée,
préfet du dé-pertement du Bas-Rhin, qui penchait «n faveur de la traos-
latien du chef-^lieu d'arrondissement dans l'anctenae résidence des
princes de Hesse*Darmstadt , et firent rejeter à tout jamais la demande
de Bouxwiller, \m ne tendait rien moins qu'à compromettre l'exiateoce
•politique de Saverne et à anéantir sa prospérité.
^Le tribunal civil de première instance de Saverne, dont les appels se
portent devant la cour impériale de Colmar, est rangé dans la sixième
ou dernière classe ; il n'était composé dans l'origine que d'un président,
de deux juges, de deux suppléants, d'un commissaire du gouvernement,
de son substitut , d'un greffier et d'un commis-greffier. En 1804, le
commissaire prit le titre de procureur impérial. La loi du 18 août 1810
porta le nombre des juges suppléants à trois. Comme il était impossible
à trois magistrats de suffire à la masse des affaires qui étaient pendantes
devant le tribunal, sans que radministralion de la justice éprouvât des
retards, le gouvernement reconnut la nécessité d'en augmenter le per-
sonnel, et en .1838, le nombre .des juges fut porté à trois.
Le tribunal civil de l'arrondissement de Saverne a, depuis son instal-
lation en 1800 , poursuivi sa laborieuse carrière sans interruption ,
même dans les années néfastes (i 814-181 5), où le sol de la France était
souillé par l'étranger ; en 1814 , il rendit la justice au nom de l'empe-
reur Napoléon, jusqu'à ce que les funestes événements d'avril, c'est-à-
dire la déchéance du chef de l'Etat et l'installation du gouvernement
provisoire lui fussent connus, sans que l'ennemi y mît aucune entrave.
Dagobërt Fischer.
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HISTOIRE D£ LA VILLE DE SOULTZ.
— Suite *. —
EDIFICES Religieux de soultz.
CHAPELLE DE SALNT-PIERRE. (CELLA S. PETRI.)
Du temps tte ColofVibe , qui éteiit dbbé d'Eberstmitister, sow te
règne de Pepfn , vivail un prêtre , nommé (fin , qui bàtil à Svitz ,
près de la poirte , réglîse de Saint*Pierre. Eectesiam , que eélla BtHMii
t^etri iicUfùr, dltTauteur de la chronique d*&berstmûnâ(er ; il ajoute,
que cette égKsefut consacrée par Saint-^Pirmin , abbé de Reiohenau .
lequel vint se rétirer en Alsace en Tan 727 *.
'En 818 y Louis-^le^Débounaire ' parie aussi, dans un diplônte, de
ce cette chapelle située dans la cour de la. porte; en 1022, le 4 jaftviar ,
rempereur Henri la mentionne également et enfin ^ après 1224,
TaUbalye d'Ebersmûnsteî ▼endît pour cent mares , la chapelle de Suitz
et la eour qui l'entourait ^.
Ce petit temple était «âtué dans la cour près de la porte , mais de
quel <^t6 se trouvait cette cour? Il y avait à Sultz une cour éfemtnîcaie,
^eigneurûAe qui n^était pas la mèm« que.la 0O(irpr4< de \apofie\ la
cour dominicale,, d'après nos recherches , existait là eu s'éleva plus
tard la commaiiderîe (S. hhanser^hof) , et la cour pf es de i la porte
fut appelée plus tard le Capellhof, la cour de la chapelle. C'est donc
'^ Voir les Kvraidonas de novembre et décembre 1861 , pages 499 et 989 , mars
1862, page 135, novembre 1863, page 496, mai , jnin etaofti 1866, p. 249,
297 et 395.
' Notice sur Ober-Sul% , par le docteur Héglin , page 9. — Grandidier , Histoire
de Véglise de Strasbourg , tom. i. p. 66.
' MéGLiN , p. 10. Curtis porte mm omni dedma Sulice terra. Capella etiam que
cella S. Pétri dicitur in suprà dictûm curtum parte ewn omnibus ad se pertinen-
tibus pertinet, et GitAifDtDiER , tome ii , page CLin.
' HÉGLiN , page ih.
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492 REVUE d' ALSACE.
dans le quartier de la ville appelé la cappel , qu'il faut chercher rem-
placement de la chapelle d'Irin. Or, ce quartier touche à la porte de
Bollwiller, et aux remparts; les vestiges du Capelihof s'y voient encore,
c'est le quartier le plus ancien de Soultz , et la maison n® 42 de la rue
dite du temple , porte actuellement encore le nom de Heidentempel ,
temple des païens. Ce nom d'où vient-il ? A force de recherches et de
comparaison nous sommes conduits à penser qu'un temple païen
existait en ces lieux à l'époque romaine , et même après l'invasion des
barbares * ; que ce temple fut renversé par le prêtre Irin , qui , pour
christianiser ^ les lieux, y éleva la chapelle de Saint-Pierre , que plus
tard , par suites de dons el de largesses , cette chapelle augmentant
ses richesses , s'appropria une cour spacieuse, agricole , une véritable
cour colongère — Cette cour fut vendue après 1200 probablement
à révêque de Strasbourg , qui la donna en fief en 1208 à Frédéric II y
comte de Ferrette, lequel la céda en 1210, aux moines du Lieu-
Croissant , qui conservèrent ce domaine jusqu'après 1550. Dans le
courant de ce siècle, on la retrouve incorporée dans les biens de
l'évêque de Bâle , qui en resta propriétaire jusqu'à la révolution.
Feu le docteur Méglin pensait que la chapelle de Saint^Pierre se
trouvait dans la cour de la commanderie de Malte (page 10, note 3).
C'est là une grave erreur. La chapelle d'Irin se trouvait dans la cour
de la porte et non dans la cour dominicale; l'évêque de Baie n'a
jamais rien possédé du côté de la cour dominicale (cour de la com-
manderie ou cour de Saint-Jean , porte de Guebwiller). M. le docteur,
à la page 14 de sa notice , dit que cette chapelle et ses biens consti-
tuaient le domaine que possédait autrefois à Soultz l'évêque de Bàle ;
mais il est à la connaissance de tout Soulzien, que l'intendant de
révêché de Bàle résidait au Capellhof et non à Saint- Jean.
* La voie romaine , venant de Gernay et que M. de Golbéry a signalée , passait
par Soultz -, d'un autre côté la présence de la villa du Schimmelrain et celle de la
tour d'observation de Saint-Georges , tour probablement construite vers Tan 30 0
après le Christ , nous portent à croire à un établissement romain à Soultz ; un
temple païen a donc pu y exister. Ce n'est pas là sans doute une certitude , mais
une probabilité qui a sa valeur.
* Saint Augustin et beaucoup de Pères d'église ont conseillé aux prêtres de
conserver l'emplacement des temples païens , et de christianiser les lieux que U
foule était accoutumée de fréquenter.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ. 493
Autre erreur de Héglin : c D y eut à Sultz , dit-il , près de la porte
de Gebwiller, une maison de chevaliers du s. sépulcre, autrement dits
Templiers ; ces chevaliers s'établirent probablement à Sultz, comme
dans le reste de l'Alsace, vers Tan 1260. (Woogs-Ehàssiche Schath
bûhne p. 239). Lors de leur fatale catastrophe (1312), leurs possessions
furent données en France à Tordre de Malte ; de là Torigine de la
commanderie de Soultz. »
Si des Templiers avaient existé à Soultz en 13i2 , les chevaliers de
Malte n*auraient pu leur succéder qu'après cette époque; déjà en 1287,
Jacques de Neufchàtel était commandeur de Saint-Jean dans cette
localité, le baron de Mulheim en 1300, et Rodolphe de Massevaux
en 1311 \
NOUVELLE CHAPELLE OFTE DE LA VIERGE.
En Fan 1253 , Bertholde de Ferrctte , évêque de Bàle , permet aux
religieux du Lieu-Croissant de fonder une chapelle dans la ville de
Soultz et en 1254, il consacra cettp chapelle en Thonneur de la Vierge.
En 1255, le même évéque permit à ces religieux d'adjoindre un
cimetière à la chapelle.
Le temple d'Irin, sans doute, avait disparu. En effet, en 1255,
le 30 mars, Pierre, légat apostolique, accorde une indulgence de
quarante jours aux fidèles qui aideront de leurs aumônes Tabbaye du
Lieu-Croissant à rebâtir une chapelle à Soultz ' , dans le diocèse de
Bàle. Rebâtir inciperent œdificare de novo, tel est le texte, rebâtir
de nouveau , la lumière se fait ici ; Thistorien fait allusion à l'antique
chapelle d'Irin située près de la porte , que les Citerciens voulurent
remplacer; ils réussirent, et accumulèrent par là une immense
fortune.
Nous ignorons à qu'elle époque (probablement après le xiv siècle)
cette chapelle fut remplacée par une église fort belle et très-spacieuse ,
succursale de Saint-Maurice, et placée sous le patronage des trois rois.
Ce temple, qui a disparu au 18* siècle , avait un maltre-autel , deux
autels latéraux, une nef et deux bas-côtés avec voûtes ogivales, des
* Cartulaire de la commanderie en ma possession , page 3 i 3 et suivantes.
* Trouillat , Monuments de l'évéehé de Bàle , tom. i , p. 596 , et Schobpflin ,
tom. IV , p. i08.
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niÉra» colonés repréaentmrt ies ovjels 4e la ^Ma « das évMvia« fiV du
nMityiologe. Le btliaient était snroiooté d'une loue qu9dra«c^l9Îc•
portant deux cloohes. Déjà bien avant 1789 ^ il n'existait plu^ que la
pefte dn ehœur. Le couvent , qui jadis en dépendait y était occiipé. par
des moines citerciens qui relevaient de l'abbaye du Ueu-Çroissaat ^
CITATIONS HISTORIQUES.
a Fpédérie II , comte de Ferrette . donne à l'abbaye du Uea^CpoU*
saot , penr oompenser les dommages qu'il lui a causés, un fief sis sur
le territonre de Soulla, en Alsaoe. (1210. Trouillal, t, i, p. 45&)
Par cette donation , les moines de cette abbaye devinrent propriéteires
du Gapellhof et de l'Ollwillerhof ; ils vendirent ce dernier aux Waldner ,
en 1260, cette dernière eonsawaat pcéckieusement le domaine de la
chapelle, qui, à cette époque probablement, gisaît en ruines.
b Ulric comte de Ferrette (eomes Phirre^fisis) confirme i l'abbaye
du Lieu-Croissant la donation faite (par son père Frédéric , d'un fief
sis à Olhi'iHer (Curia sua de OHewihr. 1349.) Treuillat , p. 591 1. 1.
c Bertholde de Ferrette , évéqne de Bftle , permet aux religieux du
Lieu-Croissant de fonder une chapelle dans la vilk de Sulxa. 1263.
Trouillat , t. i , p. 596.
d Procès-verbal de consécration d'une chapelle fondée àSouMa, en
Alsace . dépendant de l'abbaye du Lieu-Croissaot. {Looi cresceniis
dsterciensis ordinis Bimntinensisdi&eem)^ par BerthoMe de Ferrette,
évéque deBâle. 1254, le 19 juillet. Tr. , t. i , p. 605.
e Guillaume , archevêque de Besançon , confirme l'autorisation
accordée par Bertholde de Ferrette à raUmyo du Lieu-Croissapt de
fonder une chapelle à Senllz. 1254. Tr. , p. i , p. 616.
f Bertholde , évëque de Bâle , donne à Tabba^e du Lieu-CraîssMit
l'autorisation d^établir un cimetière dépendant de la chapeUe, que
cette abbaye possédait à Soultz , en Aisace , 90 mars 1955. Tr. , 1. 1 ,
p. 618.
g^ Pierre, légat apostolique confirme cette auterisation. 1255, 30 mars.
Tr.,t. i, p. 620.
h 1255 , 30 mars. Pierre ^ légat apostolique, accorde une indulgence
' Cette abbaye s'appelait en allemand Wachstatt ; elle était près de Baume-les*
Dames. (ScBOBprLiN , tom. iv , p. SIS).
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HISTOIRE ElE L4 TiLLtf tË SOULTZ. Mft
de quafratite jours anx fidèles qai aideront, de leiHTS mmtmêê, l'aMMiye
du Lieu^Cfeîssant , à rebâtir une chapelte à Soulls , diooèse ée BMe.
Tr. , 1. 1, p. 621, (indperint adificare de novo,)
Une chapelle avait été détruite en ces Nèmc , puisqu'il est queflMon
de la rebâtir, et cette chapelle ne pouvait être une autre qve celle
dlrin ; or, si cette chapelle était dans la cour près de la porte ,
cette coor forcément devait exister près de la porte de BoHwiller et
non près de celle de Guebwiiler.
f 1355. Transaction entre les moines du Lieu^iMssaiit et le caré
de Seultz , relativement à la portion canoniqne des testaments et des
aumônes des paroissiens dudil lieu , réclamée par ce damier. Tr. , 1. 1,
p. 69e.
k 1255. L*évèque de Bâie confirme celte transaction. Tr. , 1. 1, p. 683.
/ 1260, juin L'abbaye du Lieu-Croissant vend à Conrand Waldner,
de Guebwiiler, et à ses trois frères , son domaine d'OlIwiller, près de
Souitz , i l'exception de la chapelle qui dépendait dudit domaine ,
(eoscipta capeUa rita indicto municipio Sultz). Tr. > 1. 1, p. 99.
m 1282, 13 décembre. Grégoire X confirme à l'abbaye du Lieu-
Croissaut la (acuité détablir une chapelle et un cimetière à Souitz ,
en Alsace.
n 1291 , 24 Juillet. Echange de dîmes entre l'abbaye du Lieu-Crois-
sant et tes frères de Saint-Jean de Jérusalem . au lieu de Soult;.
Jaeobus commendaiar in Sulze. Tr. , t. ii , p. 508.
Donc la commanderie existait déjà à cette époque et avant la
destruction de l'ordre des Templiers.
Si nous avons tant insisté sur l'origine du Capeilhof, c'est que là
se trouvait le noyau primitif de notre ville ; c'est autour de la chapelle
d'Irin que se groupa la communauté chrétienne qui fonda SouUb , et
qui , en s' étendant peu-à-peu el en s'assimilant les habitants d'Alsch-
willer, forma notre rilé actuelle.
Les paysans révoltés ayant dévasté l'établissement de la chapelle de
concert avec des bourgeois de la ville , cette dernière fut obligée de
solder aux moines du Lieu-Croissant 35 livres stebier , en compen-
sation des dégâts causés.
Voici la quittance que le magistrat reçut du gouverneur du couvent :
c Ich bruder Anthonius Fabri , des ordens von Cisterciens , diser zit
« Capellmeister der Capell zu Sultz Bekenne das mir der ersame und
u Nvise scbultheis und rai und ganz gemein au Sulto, guelUoh efntrtohlet
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496 REVUE D'ALSACE.
€ ond bezahlt liand , iunf und drissig pfund stebier, so sîe mir von
a wegen dem schaden... im fûaf und zwenrig ior der niederen zel...
« purisches Uffrur durch Inlassen diesen genossen puren huffen zugefugi,
« und durch dero aïs umberss gemeltete Summa durch die Edlen Christian
« Junckherr Welf zur Rhein so nun dieser zit zu SuUz und Albrecht von
« Regisheim, daruf und derohalb so sag ich voll bidmenlicher Gewalt mir
< von minem herrn dem apt und ganz gemein des Klosters zu Wachstatt
« dieser apprifllich zu geben hernach als Kapellmeister minem heim
1 den apt und ganzen Conwent des Kloster zu Wachstatt etc. — der
« geben war noch uf zinstag nâchts nach sang Martinstag', als man
€ zablt nach der geburt Christi funfzehnhundert zwenzig und sechs
€ ior. » (Pièce en ma possession sur parchemin , les sceaux manquent,
cette pièce tronquée renferme des passages illisibles '.)
NOTICE SUR l'église PAROISSIALE DE SOULTZ (SAINT-MAURICe) .
De tous les édifices religieux qui jadis existaient à Soultz , Téglise
Saint-Maurice est le seul qui ait échappé à la tourmente révolutionnaire.
Saint-Jean a été détruit il y a passé un siècle , Saint-Georges , Saint-
Sébastien et Sainte-Marie ont disparu en 1789; Saint-Maurice seul jette
encore dans les airs sa flèche hardie et élégante.
Les fondements de cette église semblent avoir été posés vers la fin
du 13* siècle (1277) , à l'époque où l'évêque Conrad de Lichtenberg
bénissait la première pierre du magnifique portail d'Ervin. Les annales
des dominicains de Colmar nous révèlent à cette datte l'accroissement
de la commune de Soultz '.
* Les Citeaux ou Cisterciens qui occupèrent le KaptUhof dès Tannée ISiO ,
observaient la règle de Saint Benoit ; Saint Bernard réforma cet ordre qui comptait
5000 maisons ou communautés. Ces religieux étaienl très-renommés pour leur
savoir ; ils cultivaient les lettres et instruisaient ' la jeunesse ; ils portaient une
longue chape blanche recouverte d'un capuchon noir.
Le cimetière du Kapellhof existait sur l'emplacement de Thôte! et du jardin de
la Belle-Vue , maison Weinbrachtiger. En creusant les fondements de ce b&tîment,
on déterra beaucoup de cr&nes et d'ossements humains. Il paraît qu'on cessa d'y
faire des inhumations vers la fin du seizième siècle , à l'époque où l'évêque de B&le
acheta le KapeUhof. Une petite chapelle , adossée à la maison Weinbrœchtiger ,
rappelle l'existence de ce cimetière.
* Ann. Dominic, , p. 65. L'évêque de Strasbourg exigea 80 marcs des habitants de
Soultz qui en payaient à peine soixante et en murmurant à ses prédécesseurs. La
population parut donc avoir augmenté.
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HISTOIRE DE LA VIDLE DE SOULTZ. 49l
La riche efDorescence et les formes sveltes des parties avoisinant le
chœur qui se confond avec elles , accusent la fin du 13* ou le com-
mencement du 14e siècle *. Mais les choses n'allaient pas vite dans ces
temps de lutte ; il y eut une interruption , et ce n*est que plus tard
que la construction paraît avoir été reprise. On trouve l'explication de
ce fait dans l'histoire de la province. Les terribles irruptions des rou-
tiers, qui, à dix ans d'intervalle, ont accumulé sur notre Alsace un
monceau de ruines, avaient fait disparaître le village d'Alschwiller
situé dans le voisinage de Soultz. La population du village détruit se
réfugia dans la ville , et c'est sans doute peu de temps après que
furent élevées les parties de Saint -Maurice qui respirent si complè-
tement la dégénérescence du xv« siècle ^. A cette dernière époque
appartiennent deux chapelles et une fort remarquable sacristie.
Enfin , et c'est par là que le monument fut clos, on ajouta, en 1489,
une travée dans toute la largeur, avec le porche du portail principal
qui , par un travail alambiqué et sans importance , parfaitement con-
forme à cette période finale de l'ogive , contraste péniblement avec ce
que promettaient les premières parties de l'édifice.
M. de Golbéry range avec raison Péglise de Soullz parmi les monu-
ments du style gothique de la seconde époque. Son plan figure une
croix latine régulièrement orientée; l'abside est coupée carrément;
la chapelle de droite était jadis occupée par la famille Waldener ; elle
leur servait de sépulture et l'autel qu'elle renfermait fut fondé en 1340,
par le chevalier Berthold , dont on admirait encore la tombe dans la
même chapelle à la fin du dernier siècle ^. Saint-Maurice est repré-
senté armé de toutes pièces en chevalier du xiv siècle sur tympan de
la porte latérale du sud , qui présente aussi l'adoration des mages.
A la gauche de cette porte se voient une règle en fer et une rainure
longue l'une de 0^,5485 , l'autre 0^,545 , anciens étalons de l'aune
de Soulz.
A l'adgle sud-ouest on remarque le Klapperstein que les femmes
' La pierre employée pour la construction du chœur est jaun&tre , tandis que le
reste de l'édifice est en grès rott|;e vosgien ; les six premières colonnes ont des
chapiteaux , les autres n'en ont pas du tout.
* NoHee iw r église Saint-Mauriee de SouU% , par M. Ed BavclâEe de Golmar.
' Une reproduction fidèle de cette pierre tomhale se voit dans Schœpflin.
3-S«rw.~17';auié«. 32
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498 BBAUE D* ALSACE.
condamnées comme médisantes élaîent obligées de porter à travers
toute la ville.
Saint-Maurice était le patron de Tabbaye d'Ebersmiuister ; il est
aussi celui de Soults , ce qui prouve la filiation de ces deux ^lises.
D'un autre côté , les armes de la ville de Soultz sont presque les mêmes
que celles de Savoie, de gueules à croix d'argent » avec cette seule
différence , que la croix est cantonnée d'une so rte de brisure.
Le clocher , assis au centre de la croix que forme Téglise, est oct^
gone; il est ceint d'une double galerie avec balustrade et jette dans
les airs , comme le dit si bien M. Mossmann , une élégante toiture en
forme d'aiguille. Il mesure 63^,06 de la base au sommet de la croû,
lesquels se décomposent de la manière qui suit : Hauteur de Téglise
IT^^^SO, la voûte du clocher i^Ji, la façade de l'horloge jusqu'à
la i^*" galerie S^^yST, de la i'* galerie à la seconde 6^,15 La toiture
de la galerie supérieur au sommet de ta croix 26 métrés \
Celle tour en grès vosgien rouge , comme du reste tout le monument,
ne fut terminée qu'en 1610 , ainsi ,que le prouvent et l'inscription de
la galerie supérieure et le parchemin qui se trouve dans la coupole et
dont nous donnons plus loin l'analyse.
La boule ou coupole placée au sommet du clocher est une sphère
creuse en cuivre doré ; elle a O^^i&i de diamètre latéral , et O^^H
diamètre supero-inférieur ; elle contiendrait facilement deux hectolitres.
La croix qui la surmonte est en fer, elle a deux mètres de haut et 2>»,03
d'envergure, elle porte le millésime 1738; plus haut est placé la
demi-lune qui a 0,>»30 de longueur et l'étoile ou le soleil ayant 0°^,50
de diamètre. Une boite soudée en fer blanc existe dans la boule ; on y
a trouvé trois parchemins , l'un datant de 1611 ^ le second de 1628 et
le troisième de 1738 ; de plus un procès verbal de descente de 1819.
On a joint à ces pièces le procès-^verbal de descente de 4863 et une
courte notice sur l'état actuel de notre ville , fournie par nous.
L'église Saint-Maurice fut commencée en 1277 ou 1290. En 1S30 )a
partie avoisinant du chœur fut construite; les travaux qui furent
suspendus à l'arrivée des routiers (1370) furent repris, et le monu-
ment fut achevé en 1489 i date qui se trouve à l'intérieur de la grande
* Ces chiffres trè»-exact8 nous ont été fournis , le 6 nevembre ItSa , par l'ou-
vrier qui a pUcô les ardoises et la croix. Nous avons nous««iD6inea touché la sphère
creuse promenée en ville par les ouvriers, le 18 octobre iS68.
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HISTOIRE DE Ul YVLVR DE SOULTZ. 499
porte d'entrée , et sur le contrefort de droite oA est appendu le Klap-
perstein. Qaant à la tour elle a dû être achevée jusqu'à la première
galerie en 1489; la vieille cloche porte le millésime 1452. En 1611
fut construit le second étage de la tour, car l'inscription de 1610 nous
fait supposer qu'il n'y avait auparavant qu'un étage et que la toiture
était assise sur le rebord de la galerie inférieure. Comment expliquer
autrement la présence de la grande cloche de 1452 , qui a dû être
hissée en haut avant que la voûte du chœur ne fut fermée.
L'édifice que nous venons de décrire n'est point Téglise paroissiale
primitive de la ville ; sans doute qu'elle a remplacé un temple qui a
dû exister au 11* siècle. En effet en 1079 il en est question ; en 1138
le recteur Diethelm, avec tous les habitants, fait un vœu à Thierenbach.
En 1 9S5 nous trouvons un Berthold plebanus in Sultz (Tr . , 1. 1, p . 61 8) ;
En 1902 un Baldemarus curé à Soultz , qui signa une charte de Conrad,
évèqne de Strasbourg , en faveur du monastère de Schwarzenthann.
(Méglin , notice p. 13.)
Tout nous porte à croire , qu'à côté de l'établissement si important
de la Kappel , il y avait à Soultz une petite église paroissiale dédiée à
Saint-Maurice , peut-être construite en bois , occupant l'emplacement
de l'église actuelle ; il a dû en être ainsi car eu 1316 (Tr. , t. 3, p. 700)
il est question de Thomas vicaire de Sultz et en 1255 de Bertold
plebanus.
Le vieux chroniqueur de RonfTach , Materne Berler , (code diplo-
matique et historique de Strasbourg p. 20) dit, que l'église paroissiale
de Soultz est une filiale de celle d'Âischwiller ; que cette église était
administrée par des recteurs de souche noble : tel le comte Hermann
de Dierstein qui fit don à cette cour rectoriale de prés et de champs ,
situés à Herkersheim; tels Henri de Hohenstein qui mourut en 1440;
Rudolf d'Oberkirch qui mourut 1460, et Jean-Jacques d'AndIau qui
fut enterré en 1520. Le recteur de Soultz, continue Berler , avait le
droit de porter un bonnet (Chorcopp) avec un cordon rouge et vert ;
ce privilège fut accordé par le pape Félix au concile de Bâle; le recteur
qui avait obtenu cette distinction se nommait... moi Materne Berler
j'ai vu cette bulle papale et je l'ai lue de mes yeux ^
' Revue d'AUace, décembre 1867 , Origine de Suullz , par Cb. Knoll
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500 REVUE D* ALSACE.
ANALYSE DU MANUSCRITS TROUVÉS DANS LA BOULE DB LA TOUR
SAINT-MAURICE.
(Texte allemand mr parchemin.)
164. Ce document signale la construction du 2* étage de la tour et
rachèvement du clocher tel qu'il est actuellement. Thiébaud Wendt,
était Schultheis , Pierre Schlitzweck , greffier , Pierre de Landsbei^ ,
bailli.
1628. A cette époque , par suite d'une grande tempête , la croix de
la tour fut jetée dans cour du presbytère (maison Bind nord-est); elle
ne fut remise en place qn'en 1639; ce retard s'explique par l'arrivée
des Suédois.
1738. Â cette date on fit des réparations au clocher. La croix et la
boule furent descendues , le tout fut de nouveau réparé et remis en
place le 31 octobre après avoir été béni par Cristophe Rieden , recteur.
La dorure de la sphère creuse avail coûté 400 livres tournois ; le chef
politique de l'obermundat était le cardinal de Rohan évéque de
Strasbourg ; le bailli , Christophe André Nessel, Wend était Schultheis,
Philipp Remy , notaire , Bouat procureur fiscal , Larger bourgueroattre.
Le manuscrit porte que le fuder de vin (20 à 24 mesures ou lOOOUtres)
valait 240 livres tournois ou 13 liv. la mesure ; le froment 12 liv. , le
seigle 9 liv. , l'orge 6 liv. Ce document nous donne des renseignements
précieux sur l'église Saint-Sébastien, édifiée par suite d'une maladie
pestilentielle. Belz Tobie a doré la boule ; il a glissé dans le dossier de
la sphère quelques faits curieux ; après avoir parlé de la peste et de
Louis [XV , il ajoute : < tout est sans sus dessous , le magistrat déteste
la bourgeoisie : et celle-ci le lui rend en plein. » — - C'est peu , mais
c'est un nuage précurseur de 1789.
Le cadran de l'ancienne horloge portant la date de i 610 est appendu
dans l'église actuelle.
Charles Knoll.
[La suite à fa prochaine iwraison).
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BIBLIOGRAPHIE.
I.
Histoire de la ville d'Obernai et de ses rapports avec les autres villes
ci-devant impériales d'Alsace et avec les seigneuries voisines , com-
prenant rhistoire du Mont Sainte-Odile , des anciens monastères de
la contrée et des localités limitrophes , par H. Fabbé J. Gyss , ancien
aumônier du collège d'Obernai y membre de la Société pour la con-
servation des monuments historiques d'Alsace. — Strasbourg , im-
primerie d'Ed. Huder. — 1866. — Un volume in-8» de 510 pages,
tome i«'. Prix : 6 francs , chez H. Salomon^ libraire à Strasbourg.
Voici une histoire particulière qui ne peut manquer d'avoir un grand
intérêt ; le tome primer l'atteste , le second , qui est sous presse et
qui sera , croyons^nous , le dernier , confirmera notre allégation. La
présence de cette mystérieuse charte, en pierres gigantesques , connue
sous le nom de mur païen , la parenté étroite d'Obernai avec le monl
Sainte^Odile, l'origine même de la ville , le rôle que les fondateurs et
les habitants de ces monuments ont joué dans les différents âges , voilà
certes de quoi exercer le talent de l'historien qui a voué ses loisirs à
retracer le passé d'un intéressant coin du pays.
Nos savants devanciers , qui ont étudié les monuments de toute sorte,
concernant ces lieux célèbres , nous ont-ils donné le demiet mol qu'il
soit possible d'apprendre sur les temps anté-historiques ? M. l'abbé Gyss
ne le pense probablement pas ; mais il sait que la science moderne n'a
ajouté que peu de chose à ce qu'ils nous apprennent. Aussi se bome-t-il
à résumer , en une dixaine de pages y tout ce que l'on sait sur les ori-
gines qui se perdent dans la nuit des temps. Cependant il a bien fait de
tenir compte de l'opinion exprimée par H. L. Levrault au sujet des
découvertes faites en 1863 et dont ce dernier a été le sagace rapporteur.
Cette circonstance et d'autres , qui offrent plus ou moins d'analogie ,
nous portent à croire que le sol alsacien recèle aussi des archives et
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502 REVUE D'ALSAGE.
qu'elle^ permettront, un jour ou l'autre « d'apporter moins de réserve
dans les conclusions tirées habituellement des pièces que le hasard
place sous nos yeux. La seule chose qui est à désirer, c'est que partout
l'on conserve religieusement ces débris et que l'on en forme de petits
musées de localité dont la vue et l'étude aideront nos contemporains ou
nos descendants à aller un peu plus loin que nous sommes dans la
connaissance du pays natal.
Ce désir n'est pas formulé à l'intention des hommes qui« à Obemai.
professent la doctrine < que le respect du passé est une garantie de
progrès pour l'avenir. > Nous sommes convaincu que rien ne se perd
dans ce petit centre où la vie intellectuelle a conservé ses droits ; nous
en avons la preuve dans les mesures que son administration a prises
pour rendre possible la publication du travail de M. l'abbé Gyss. Le
conseil municipal a , en effet , voté une somme de 2000 fr. pour foire
face à la majeure partie des frais d'impression. Ce n'est pas le premier
exemple , en Alsace , d'une décision dé cette nature. Dans un temps ,
déjà éloigné de nous , la ville de Strasbourg prit une détermination
semblable en vue de la publication des chroniques inédites dont sa
bibliothèque renferme les manuscrits. C'était en 1843. Deux tomes
parurent et on en demeura là , assez médiocrement satisfait du résultat
qui fut considéré comme étant en disproportion avec la dépense , iné-
vitable conséquence de la méthode vicieuse dont celle bonne pensée de
l'administration fut servie. Quelques années plus tard , sinon presque
en môme temps , la ville de Haguenau voulut marcher dans la même
voie , entraînée par un érudit qui se chargea d'écrire , pour le compte
de la ville qui en fut le chef-lieu, l'histoire de la décapole. Soit qu'il
comptât trop sur ses propres forces» soit pour toute autre cause, le
projet demeura en chemin ; il fallut y renoncer, non sans avoir éprouvé
de grands désagréments et fait d'assez notables sacrifices. Postérieure-
ment encore , à Mulhouse , un homme dévoué à sa ville et laborieux ,
éditait , avec le concours de tous , le c Livre d'or » de la bourgeoisie
de l'ancienne République , livre estimable et que nous achetâmes tous
parce que , sans grands efforts . nous pouvions lire dans ce nobiliaire
démocratique une partie fort intéressante de la vie particulière à ce
petit Etat. Plus récemment un obscur citoyen de Belfort réunit , dans
un petit volume dont il fut à la fin obligé de se faire le colporteur
estampillé, tout ce qu'il était parvenu à rassembler concernant les
annales de sa ville. Il y a trois ou quatre ans, l'autorité municipale de
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BIBIJ06RAPHIE. 503
Thann adoptait, sous le patronage de son secrétaire en chef, feu
M. Hereklen , la chronique des Dominicains de cette ville sauvée de
rottbH , pent-^e de la destruction par un prêtre honorable , H. Zim-*
berlin^ dont les dernières années se consument dans la Sibérie du
diocèse , et en âaôsait la spiendide édition qui a paru en 1864. Enfin au
commencement de cette année, sur la proposition de son maire,
M. Blandin, le conseil municipal d'Obernai votait, avec un entrain
dont les lettres doivent lui savoir gré et qui mérite les éloges de tout
homme ayant la religion du devoir, la subvention dont nous avons
parlé précédemment , laquelle nous vaut le livre que nous annonçons
et dont la un va paraître au premier jour. Cette détermination de Tau-
torité munidpale d'Obernai vivra alors qu'il ne sera plus question des
enfantements positifs auxquels la plupart des conseils croiraient dérober
la miette qu'ils accorderaient aux travaux de l'esprit. Cet acte fait hon-
neur à l'autorité municipale d'Obernai et nous pensons qu'elle ne pou^
vait faire moins pour son historiographe , M. Gyss , dont le travail nous
parait assez complet et consciencieux.
Comme nous l'avons dit plus haut , H. l'abbé Gyss s'est montré plein
de réserve pour la période qui concerne les origines de la ville , celle
qui précède l'établissement du monastère de Sainte-Odile , Hohenbourg
et la maison hospitalière du bas de la montagne , Niedermunster. C'est
â partir de là , en effet , que les documents certains commencent à
apparaître et que la vie d'Obernai est étroitement liée à celle des deux
monastères. Son autonomie pendant le temps de première prospé-
rité de ces abbayes s'efface ou plutôt se confond dans l'histoire de
Hohenbourg et n'apparaît d'une façon définitive que sous le règne de
Frédéric ii , au commencement du treizième siècle. Toute celte partie
des origines est traitée avec méthode et beaucoup de circonspection par
H. Gyss et ces qualités , que le lecteur reconnaîtra dans les soixante
premières pages du livre , il les retrouvera dans les suivantes où com-
mence , à vrai dire , la production originale , le travail propre de
l'historien.
Nous ne pouvons , dans une simple annonce , suivre M. Gyss dans
toutes les parties de sa monographie. Il faut nous borner à en faire la
description la plus succincte et nous ne voyons de meilleur moyen d'y
parvenir que de transcrire les têtes de chapitres qui la composent. Le
premier embrasse l'époque gallo-romaine , le second la période franque,
le troisième celle des ducs et des Hohenstauffen , le quatrième l'inler-
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504
REVUE D'AL8AGB
règne , le cinquième le quatorzième siècle , le sixième le quinzièroe et
le septième, qui termine le tome premier, retrace la part prise ou subie
par la ville d'Obemai dans le travail de transformation da seisième
siècle qui clôt le moyen^àge.
Le tome ii qui est annoncé pour paraître très-prochainement , com-
prendra , sans doute , « l'histoire du mont Sainte*Odile » celle des an-
ciens monastères et châteaux de la contrée et des localités limitrophes. »
Ce sera une occasion de revenir sur l'ensemble de la publication favo-
risée , sinon déterminée , par le patriotisme de Tautorité municipale
d'Obemai. En attendant nous ne résistons pas au désir de placer ici
quelques lignes extraites d'un travail, encore inédit , émanant d'un histo-
rien dont le passé des mêmes lieux fit vivement battre le cœur, au siècle
dernier.
Dans une de ses excursions , en 1786 , il rencontra aux portes d'O-
bemai , « un militaire respectable , décoré des marques distinctives de
la bravoure et du patriotisme , retiré à la campagne où il consacrait ses
derniers jours à la bienfaisance. » C'est là, dit le militaire au touriste
historien , que
Loin d'ua monde vain et trompeur ^
Loin du bigot , loin du critique ,
Du petit-maitre parasite.
De l'Agnès à fausse pudeur ;
Loin du Grand tristement stupide ,
Loin de nos abbés sémillants ,
De nos barons à tôte vuide ,
De nos Robins à froid bon sens \
Sans besoins , comme sans envie ,
Je sens les charmes de la vie.
C'est là que je sais vivre heureux ,
£n banissant de ma pensée
Et l'ambition insensée
Et les projets tumultueux.
Douces erreurs de ma jeunesse ,
Où se livrait mon cœur séduit ,
Votre charme est enfln détruit
Par le flambeau de la sagesse.
La vanité n'est qu'uu tourment ,
La gloire une vaine fumée
Et les douceurs du sentiment
Valent mieux que la renommée '.
' Bérenger.
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BlBLIOCRAPfllB. 505
Nous ignorons le nom du militaire qui tenait ce langage à Grandidier.
A Obemai on se le rappellera. Us étaient arrivés à mi-bauteur de la
montagne lorsque Tabbé répliqua en ces termes à son compagnon.
€ Que sont devenues , me demandez- vous, en considérant tristement
ces débris de la piété de nos ancêtres , que sont devenues ces utiles
fondations du sexe , ces belles et riches abbayes de chanoinesses nobles
fondées autrefois dans la Basse-Alsace par des empereurs , des impé-
ratrices , des ducs , des évêques? Hélas ! elles n'existent presque plus
que dans Thistoire. Elles disparurent toutes dans le cours du xvi* siècle.
Andiau seule , ce chapitre noble et princier , qui n'est éloigné d'ici que
d'une lieue et demie , a subsisté et subsiste encore dans l'éclat de son
origine et la régularité de son institut primitif. Hais c'est aussi à cette
régularité que celte abbaye , au milieu des guerres de l'empire et des
troubles de religion , dut son bonheur et sa conservation. Andiau , au
témoignage d'un historien du temps (Wimpfeling) , était , sur la fin du
quinzième siècle et au commencement du seizième , l'exemple et l'édi-
fication de la province , tandis que les cinq autres abbayes canoniales
du même sexe et du même état , Hohenbourg , Niedermunster , Saint-
Etienne de Strasbourg , Escbau , Ërstein en étaient devenues le scan-
dale. Ces asiles de la piété et de la pudeur étaient alors changés , sui-
vant les expressions tranchantes du même écrivain , en un temple de
licence et de prostitution. Voilà la véritable cause des ruines d'une
église sur lesquelles vous gémissez et que je vais vous faire connaître
dans les temps d'une existence plus heureuse. Asseyons-nous près de
ce tilleul , arbre bien respectable par son antiquité , puisqu'on prétend
que ce fut un des trois que Sainte Odile avait plantés elle-même à côté
de réglise de Niedermunster ; nous pourrons ici philosopher à notre
aise sur Tinstabilité des choses humaines. »
Après avoir assez longuement retracé à son compagnon l'histoire des
abbayes dont il est parlé, Grandidier allait pousser plus loin ses
recherches lorsque l'heure les força à se séparer, c Nous quittâmes ces
lieux avec regret, dit Grandidier , et nous nous embrassâmes tendrement,
bien résolus de nous revoir dans peu pour examiner les débris d'un
mur romain , les ruines du monastère de Trutenhusen et celles des
châteaux d' Andiau , de Landsberg , de Lucelbourg , de Rathsamhausen
et de Spesbourg que nous avions sous les yeux. >
Nous ne trouvons nulle part trace de la réalisation de ce projet. II est
probable que le tilleul de Niedermunster fut témoin de la dernière
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506 REVUS D* ALSACE.
accolade que les deux amis éehangàrent en oe monde. Mais le fti de
cetie histoire a été repris , à son insu , par i'abbé Gy&s et nous souhai-
tons que son travail forme le trait-d'union ftoçre à rattacher le présent
à la bonne tradition du siècle dernier.
Ce qui précède allait être mis sous presse lorsque nous avons reçu
le dernier tome de Touvrage. Il nous reste à peine le temps de le par-
courir et d'en donner une description succincte. Il se compose de 470
pages et d'un troisième tableau comprenant la liste des autorités de la
ville d'Obernai au xvn® siècle et pendant la période française. Ce tome
est divisé en cinq chapitres dont le premier (vm* de Fou? rage) réca-
pitule l'histoire de la ville jusqu'avant la guerre de trente ans ; le
second et le troisième concernent les périodes pendant et après la même
guerre ; le quatrième traite de la période sous le régime français » et
enûn le dernier contient spécialement l'histoire d'Obernai pendant la
Révolution.
On lira avec intérêt ces divers chapitres qui nous paraissent fort bien
traités ; celui de la période française » écrit avec modération et avec
impartialité > initie le lecteur aux procédés de la politique française
pour arriver, petit à petit, à faire disparaître les droits et privilèges
garantis par le traité de paix ; on y apprend que les candidatures
recommandées ne sont pas une invention moderne et que de ce temps*
là , comme plus tard encore , on eut plus d'une fois occasion de s'élevw
contre les pratiques qui avaient pour conséquence de perpétuer les
fonctions dans une même famille , de les rendre en quelque sorte héré*
ditaires. En lisant ce chapitre on sent que M. l'abbé Gyss l'a écrit avec
le désintéressement qui permet à l'écrivain d'être équitable, parce qu'il
s'agit de temps trop éloignés de l'époque où il écrit pour que les idées
du moment s^y rattachent directement. Nous voudrions pouvoir en dire
autant de l'histoire d'Obernai pendant la Révolution. On y sent , un peu
trop , l'homme d'il y a quinze ans , voire même l'homme d'aujourd'hui.
Ce n'est pas toujours le langage de l'historien qui en fait les frais. 11 y
règne une préoccupation trop constante, trop exclusive peut-être de la
condition que s'était faite , dirons-nous , une partie du clergé et noa
pas que la Révolution lui avait «Téée. De cette tendance même , il a dé
nécessairement résulter une certaine réminiscence du langage militaui
dont nous percevons encore , de temps à autre , quelques échos de la
part de ceux qui ne tiennent aucun compte des temps et n'oublient
pas.
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MBLIOGBAPHIB. S07
Semme leole la monographie de M. l'abbé Gysa est im ouvrage qui
iait boMiûiir à son auteur et à la ville (pii a eu le bon esprit d'en faci-
liter la publication.
M. Salomon^ libraire-éditeur , s'est bien acquitté de la tHUîbe qu'il a
aceeptée. Nous recommandons ses deux volumes, dont te prix est de
18 francs , aux lecteurs de la R$vue.
U.
Des Vosgbs au Rhin. Excursions et causeries alsaciennes^ par Paul
HuoT , conseiller à la cour impériale de Colmar, membre du comité
de la société des monuments historiques d* Alsace. 1 vol. in-l'^ de
597 pages. Imprimerie de veuve Berger-Levrault et fils. Paris et
Strasbourg. — 1866. Prix 5 francs.
On ne lit pas les préfaces , dit l'auteur. Il n'en écrit pas une , car
les quelques lignes qu'il place en tête de son volume , ne sont qu'une
justification des citations allemandes répandues dans le cours de l'ou-
vrage afin de rendre compréhensibles, pour les lecteurs de l'autre côté
des Vosges , les passages sur lesquels sont basées les courtes et spiri-
tuelles dissertations que M. Huot a dû écrire pour éclairer un point de
l'histoire , combattre une erreur ou dissiper des préjugés. Cette expli-
cation étant donnée , M. Huot c abandonne complètement son modeste
« volume à la critique, n'ayant eu la prétention d'écrire ni une
< description , ni , encore moins , une histoire de TAlsace , mais seu-
« lement de liver au public une sorte de manuel , portatif, d'un prix
« modique et pouvant, néanmoins^ suppléer, dans une certaine mesure,
< les volumineux et coûteux ouvrages où il a largement puisé. >
c Ignari Hscant, ament meminisK periti. »
Voilà toute la préface , voilà aussi toute la pensée , ou mieux encore
toute la définition du livre. On pourrait , après cela , si l'on avait bâte
d'en finir, déposer la plume et dire au lecteur qu'il a une idée générale
de l'ouvrage signalé à son attention. Mais M. Huot a droit à plus
d'égards : bien que son t modeste volume » — c'est ainsi qu'il le
qualifie — se présente sous les apparences d'une composition purement
littéraire et agréable , le fond n'est pas moins instructif et sérieux.
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508 REVUR D*ALSACE.
Dans un cadre toujours élfi%mi , souvent original , l'auteur enchâsse
une quantité de faits plus ou moins connus de notre histoire locale ,
les soumet à une critique sobre et hardie » révélant une étude soutenue
et des connaissances très- variées. Ce n'est peut-être pas un des
moindres mérites de Tauteur, d'avoir su dégager, des ouvrages qu'il a
consultés , les principaux traits historiques pour les faire entrer dans
son livre, en élucider de la signification , en déduire le sens philosophique^
les compléter quelquefois ou rectifier les opinions qu'ils ont en-
gendrées. Disons le , à l'honneur de l'écrivain , il le fait avec une
sagacité qui est rarement en défaut et surtout avec une indépendance
que l'on aime d'autant plus à reconnaître qu'elle est plus rare dans
beaucoup de publications modernes émanant de plumes qui pourraient ,
sans danger d'aucune sorte , se dispenser de sacrifier la conviction ,
et y à plus forte raison , la science , à la pression éphémère du courant
des idées ou mieux des conventions du moment.
Ce n'est pas à dire que ça et là on ne rencontre dans le volume de
M. Huot^ nous ne dirons pas des transactions , mais des argumnnts d'une
certaine faibles&e pour arriver plus facilement à des conclusions qui
ne sont p«s entièrement justifiées. Nous nous garderons d'en faire
l'objet d'un reproche , car, si fort et si indépendant que l'on soit , la
pensée , l'expression subissent , même à l'insu de celui qui écrit , une
part quelconque de l'influence du milieu dans lequel on vit; il y a plus :
l'homme ne parvient jamais , môme dans l'ordre des idées, à dépouiller
absolument le caractère de la position qu'il occupe ; il en reste toujours
quelques vestiges reconnaissabbs , soit par la tournure de la pensée ,
soit par le jugement qu'il porte sur les événements et les choses. Cette
observation n'a rien de particulièrnment applicable aux causeries de
M. Huot ; elle peut , tout au pins , se rapporter à des nuances qui ont
été , pour nous , plus sensibles peut-élre qu'elles ne le seront pour
le commun des lecteurs.
Mais ce n'est pas à ce point de vue que veut élre appréciée la pro-
duction qui nous occupe : il ne s'agit, répétons-le, ( ni d'une descrip-
tion ni , encore moins, d'une histoire de l'Alsace , » il s'agit tout sim-
plement « d'un mauml portatif et d'un prix modique, pouvant
néanmoins suppléer, dans une certaine mesure des ouvrages chers et
volumineux. » Or, après avoir lu en entier ce manuel , nous devons
avouer que Tauteur nous a paru avoir atteint le but qu'il se proposait.
Diverses tentatives de ce genre ont été faites antérieurement pour
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iHBLiOGRAPine. 509
cerlaines contrées de notre province ; aucune ne nous semble digne
d'élre citée comme exemple. Il n'y avait donc, avant M. Huot,
aucun modèle à recommander. Cependant il y avait , épars cà et là ,
dans des livres et des écrits spéciaux , de nombreux matériaux jetant
la lumière sur quelques points restreints d'histoire et de connaissances
usuelles. H. Huot , qui habite l'Alsace depuis quelques années seu-
lement , n'a pas tardé à découvrir le défaut de cette situation et à
rassembler les matériaux qui devaient lui permettre d'y remédier. Il
s'est donc mis en mesure de parcourir le pays en tous les sens , c'est-
à-dire d'aller chercher, sur les lieux mêmes ^ les informations
qu'aucun livre ne lui aurait fournies avec assez de détails pour écrire
les excursions et les causeries que M^^ veuve Berger-Levrault et fils
ont élégamment et correctement éditées. On comprend , dès ce moment ,
qu'outre les matériaux essentiels empruntés à d'autres , l'auteur a mis
beaucoup du sien dans le travail qu'il produit, et qu'avec un style
élégant et facile , son savoir et sa critique , il a composé un manuel
très-recommandable .
Hais nous avoils d'autres motifs à faire valoir en faveur de cette
agréable production. Le principal est tiré du sentiment d'où elle
dérive. Elle est incontestablement le fruit d'un amour sincère , d'une
affection vive pour le pays qui en est l'objet. M. Huot aime l'Alsace
parce qu'il sait l'apprécier ; et il l'estime à sa juste valeur parce que ,
étant en mesure de juger sainement par voie de comparaisons , il a
assez de franchise et de désintéressement pour exprimer, sansambage,
le sentiment qu'elle lui inspire. Ce n'est pas chose si commune que
de^ rencontrer justice équitable , pour notre province , de la part de
personnes qui lui sont étrangères. Notre dialecte , notre langue mère ,
conséquemment notre origine sont , pour la plupart de ces personnes,
la cause d'un sentiment différent de celui de M. Huot. Comme lui , elles
savent le latin , le grec et Montaigne par cœur, mais elles ne sauront
jamais un mot d'allemand. M. Huot au contraire veut savoir quelque
chose de cette langue et sa première préoccupation, lorsqu'il débarque
de ce cAté-ci des Vosges , qui n'est plus un pays conquis , c'est d'en
apprendre autant qu'il lui sera possible. Il faut bien que l'allemand ne
lui ait point paru si barbare pour être arrivé , en quelques années, à
tirer des titres et des «textes consultés , les mots nombreux et les cita-
tionsVréquentes qui émaillent chaque page de ses causeries y et à
l'endroit desquels il s'est cru obligé de produire une {ustification. On
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540 KBfVn D*AU4I».
serait donc mal veau de lui chercher querelle àâ déUU sur ce aqel ;
il Gatut plutôl l'applaudir et le louer de n'avoir pas reculé devant une
tâche aussi intéressante que difficile et de l'avoir accomplie avec la
patience que Térudii apporte dans ses recherches et l'amour de
l'artiste dans l'exécution de son œuvre.
Nous n'aurions pas intégralement payé notre dette envers M. Hnotsi,
après avoir dit l'impression générale que nous avons perçue à la lecture
de son volume , nous ne dirions pas aussi les regrets que cette lecture
nous a feit éprouver. Nous aurions aimé moins de sobriété dans l'in-
dication des sources. Justice est rendue à tous, il est vrai, maîsi
quelques-uns avec plus^de libéralité qu'à d'autres. Or^ dans la répu-
blique des lettres , on est , à juste titre , amoureux de l'égalité et le
plus mince ouvrier revendique les égards que l'on a pour les plus forts.
C'est Tensemble des idées ^ l'ensemble des recherches qui fait la vie de
la république et c'est pour cela que chacun de ses citoyens est jaloux
de la part qu'il y apporte.
Cette remarque, que nous avons voulu faire pour user du droit de
critique dont M. Huot|a un sentiment très-élevé, ne porte aucune
atteinte au fond de l'ouvrage que nous estimons très-haut et que
recommandons on ne peutl^plus chaudement au public et aux lecteurs
de la Revue.
m.
Mélanges D'msTomE bt de critiqtje triTÉRAmE ^ par Louis Spagh ,
archiviste du département du Bas-Rhin. — Troisième série. —
Strasbourg, typographie de G. Silbermann. — 1866. — Un volume
in-12 de ?18 pages.
C'est d'une œuvre plus modeste que les précédentes dont nous avons
à dire quelques mots en cette occasion. Elle eet la troisième série des
éudee auxquelles se li/vre notre gracieux et libéral pivot de la vie litté-
raire en Alsace , pour recommander et encourager les travaux de tout
genre. Si le r6le qu'il consent à remplir n'est pas toujours facile» s'il
est escorté de difficultés déticates , si enfin il est quelque foie suivi de
déboires aussi iniustes qu'inattendus , il n'en demeure pas moins le
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BIfiUOGBAFIIIE. 5H
r6Ie principal de la naanifeslation dé notre vie intellectuelle ; celui qui
le remplit , avec un savoir et un talent qu'aucun autre n'égalerait , peut
être convaincu que l'on fait le plus grand cas des services qu'il rend et
que tout le monde lui en tient compte. Nous disons cela au risque de
blesser la modestie de M. Spach , car personne, mieux que nous, n'est
initié aux véritables mobiles de ses actes : ils procèdent des inspirations
d'une conscience portée à faire le bien et à trouver sa récompense dans
la satisfaction qu'elle se procure.
C'est du menu produit littéraire de l'écrivain que cette note doit faire
mention. Mais , même dans ce menu , il y a de quoi enrichir la science,
étendre les connaissances des lecteurs , épurer nos sentiments. Ainsi ,
la biographie alsacienne sera tributaire de cette troisième série des
Mélanges, , au même titre que les travaux historiques le sont des ou-
vrages plus considérables du même auteur et de ses publications dissé-
minées. Lereboullet, Paul Lehr, David Richard, trois noms qui ont
conquis une place dans la mémoire des contemporains , y sont l'objet
de biographies que liront avec reconnaissance ceux pour qui elles ont
passé inaperçues et que l'on consultera nécessairement quand on voudra
écrire notre histoire scientifique et littéraire. C'est ainsi qu'en suivant
infatigablement la voie dans laquelle il s'est engagé pour être agréable
d'abord , pour remplir ensuite ce qu'il considère , à d'autres égards ,
comme un devoir , H. Spach est assuré que , même ses travaux les
moins importants , ne seront pas rangés parmi ceux qui ont une exis-
tence éphémère. On ne lira pas avec moins de plaisir ni moins de
profit que les biographies , le texte de trois conférences publiques tenues
à Strasbourg dans les mois de mars et d'avril 4865. Le sujet traité est
familier à M. Spach ; ce sont les œuvres de Schiller qui en ont fourni
la matière et l'on pense bien que ce n'est pas aux moindres chefs-
d'œuvre du grand poète que le critique a demandé ses inspirations.
Jeanne d'Arc dont il a vengé la pureté quelque peu ternie par les har-
diesses du poète; Guillaume Tell, dont il a essayé de réhabiliter
l'existence et le rôle que la science ou le scepticisme lui contestent et
que , c ombre idéale ou homme pétri du même limon que nous , » il
salue avec enthousiasme; Wallenstein , ce duc de Finlande qui a pris
une 4 iT^nde pUce dans la guerre de trente ans, voilà les sujets
esquissés par M. Spach et qu'on lira toujours avec intérêt dans le petit
volume que nous nous faisons un véritable plaisir de signaler.
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512 , RBVUE D* ALSACE.
IV.
Pour terminer ce bulletin nous mentionnerons un petit travail de
M. Henri Bardy , de 48 pages in-8<*, et renfermant de curieuses infor-
mations météorologiques c sur le xiii* siècle et les années 1755 et sui-
vantes. > On comprend que des recherches de ce genre ne peuvent avoir
d'autre but que celui de la composition* pure et simple d'un document
préparé à Tusage de celui ou de ceux qui s'occuperont , un jour, d'é-
tudes climatériques et qui seront bien aise de trouver rassemblées , dans
un cadre aussi restreint, les observations recueillies par Jqi chroni-
queurs , pendant tout un siècle. C'est ce travail de compilation que
M. Bardy a eu l'attention du faire pour le xiii* siècle en groupant les
remarques du Dominicain de Colmar , d'après l'édition de 1854, dont
notre aimable compilateur dit beaucoup de bien et dont un débutant
ecclésiastique s'est évertué ^ huit ans après la publication , à dire beau-
coup de mal. Ces extraits sont précédés de renseignements analogues ,
mais inédits , que M. Bardy a trouvés au verso de la couverture du
Journal de rhôtel-de-ville de Belfort de 1749 à 1774, Inutile de faire
remarquer que ces renseignements atmosphériques concernent spécia-
lement l'Alsace. Comme nous l'avons dit , notre collaborateur n'a eu
d'autre but que de grouper dans un cadre restreint des notes recueillies
sur notre climat au xiii® siècle , laissant à d'autres le soin de les dis-
cuter et de dire si ce climat s'est détérioré ou amélioré depuis. La petite
brochure en question est un extrait des Annale$ de la Société d^émulaiûm
des Vosges.
Frédéric Kurtz.
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J k'
GOftRESPONDANGE
DE L'ABBÉ GRANDIDIER
ET AUTRES DOCUMENTS RELATIFS A CET HISTORIEN ,
A SA FAMILLE ET A SES OUVRAGES.
— Suite 01 fin. * —
Extrait dune lettre de Grandidier à Le Brigant ,
en date du 29 décemltre 1779 \
M. Oberlin vous aura sans doute répondu ; comme cet ouvrage lui
est dédié et qu'il en a fait les frais , je ne crois pas qu'il soit pressé
pour le remboursement. Il trouvera certainement de quoi les remplir
par le débit; ainsi n'aies aucune inquiétude pour le paiement. M. Oberlin
ne le pressera pas. Je Facquitterai dans le moment où je pourrai le
soupçonner pressé de retirer les deux louis qu'il a avancés pour vous.
Je ne doute pas de l'honneur que vous procurera cet ouvrage. Vous
n'en acquerrerés pas moins de celui qui traitera de la maison de R. '
Croies qu'entre toys vos amis vous n'en trouvères pas de plus fidèle
et de plus dévoué que
L'abbé Grandidier.
* Voir les livraisons d*août , septembre , oaobre , novembre et décembre 1865,
pages 357 , 585 , 453 , 502 , 549, et octobre 1866 , page 465.
* Cet extrait, qui a été adressé à Oberlin par Le Brigant, le iâ! avril 1780,
se trouve dans le lome 6 de la correspondance d'Oberlin.
' Rohaa.
jaUérie.- 17* Année. <^3
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5U REVUK d' ALSACE.
Extrait ttme lettre de Champlain de la Blaneherie à OberUn.
Paris, le 37 mai 4778.
Mes très-humbles respects , s'il vous piait, à M. l'abbé Grandidier.
J'ai reçu avec beaucoup de reoosnoissance l'ouvrage que H. Becker m'a
apporté de lui : il est mis sous les yeux du public tous les jeudis, el
j'ai eu le plaisir d'eu entendre faire l'éloge.
Expliquez-vous , etc.
La Blangherie.
Extrait d'une lettre de Ch. delà Blaneherie à Oberlin.
Le 18 novembre 1779.
Je vous prie de vouloir bien présenter à H. l'abbé Grandidier mes
très-respectueux hommages , et lui faire part des mêmes sentiments
qui m'animent à son égard. Je comprends que l'incendie du château
de Saverne vous a beaucoup occupé ^ ainsi que lui. C'est un malhear
d'autant plus triste qu'il n'y a pas plus de remède qu'à la mort
Où en sont vos ouvrages à l'un et à l'autre?
Je vous prie , H. l'abbé Grandidier et vous , de me procurer souvent
l'occasion de vous être utile et agréable , etc.
La Blangherie.
Extrait Sune lettre de Ch.de la Blaneherie à OberUn.
Paris, le 14 Janvier 1780.
J'ai reçu le second volume de Y Histoire de V Eglise de Strasbmrg\
j'attends avec grande impatience que H. l'abbé Grandidier m'ait fait
passer le premier. Je vous prie de le remercier de toutes les choses
tendres qu'il a la bonté de me dire dans ses deux dernières lettres.
La Blangherie.
Extrait d'une lettre de Ch.de la Blaneherie à Oberlin.
Paris, leS5JaiUeti787.
Je n'entends plus parler du chanoine historiographe, ni de H. Spiel-
man. Mille complimens , si vous les voyez.
La BLAifCHEmE.
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CORRESPONDANCE DE L'ABBÉ GRANDIDIER , ETC. 515
Extrait S une lettre de dom Maurice Rïbbelé à Oberlin.
St. Blasien, d. il nov. 1787.
Ja ! Yfir haben hier die lelze Tage des besten Abbé Grandidier
gefeyrel!
Hauriz Kibbele;.
Lettres du baron de Zur-Lauben à Oberlin '.
1.
Zug , le 5i octobre 1787.
Monsieur ,
Vous m'annonces la mort de notre ami H. Fabbé Grandidier, et
reloge que vous en faites me rend d'autant plus chère sa mémoire. Je
le regrette infiniment ; c'est une vraie perte pour ses amis, pour Thu-
manité et les lettres. Son second volume de l'histoire d'Alsace était
très avancé pour l'impression : c'est un enfant orphelin qui demande un
père. Le défunt aura laissé les matériaux nécessaires ; ce seroit un
meurtre de les soustraire au public , etc.
IL
Zug Jt> i!» mai 1788.
Je regrette toujours vivemenl notre ami M. Grandidier ; c'est un
meurtre si on ne publie pas ses chartes , dont une grande partie l'étoit
déjà pour le 2<^ volume , lorsque la mort nous l'a ravi , ce précieux
littérateur. On m'a dit qu'un libraire de Strasbourg possédait son ma-
nuscrit du texte historique ; j'ose donc encore espérer que ce texte
qu'on croioit perdu paraîtra malgré l'envie qui sembloil l'avoir con-
damné aux ténèbres , etc.
' Ces lettres se, trouvent dans le tome 13 de la correspondance d'Oberlin.
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516 REVUE D* ALSACE.
m.
Zng, le 91 août 1788.
J*ai été enchanté d'apprendre que M. de Turckheim , ammestre de
Strasbourg , avoit acquis les manuscrits de notre bon ami M. Fabbé
Grandidier. M. de Turckheim seroit-il le même a^ec qui j'ai été pen-
sionnaire, en 1731-1735, au Collège royal des Quatre-Nations , à
Paris ? Ou seroit-il noTeu ou fils du même , mon ancien et cher cama-
rade du Collège Mazarin? Si cela étoit, je prendrois la liberté de lai
écrire pour hâter la suite de l'édition du diplomatarium de M. 6ran-
didier, etc.
Le Baron de Zur-Lauben.
Extrait (Tune lettre de Melchior Rangon à Oberlin ».
Tario , 91 avril 1790.
Peu de tems me reste à m'entretenir avec vous dans cette journée de
courrier, mais permettez que je vous demande si les ouvrages posthumes
de M. Grandidier se publient ou non
Melchior Rangon.
Corresp. d'Oberlio , tome 9.
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ÉTUDES D'HISTOIRE GONTBMPORAINB.
DU MOUVEMENT RELIGIEUX
PARMI LE8 PK0TE8TANTS d' A LLEIVI AGN E.
Il ne sera peut-être pas sans intérêt pour les lecteurs de la Revue
d'Akace d'avoir quelques données sur le mouvement qui agite en ce
moment le protestantisme allemand. On sait comment la dissidence a
éclaté il y a quelques trente ans dans le monde théologique par la
publication de la Vie de Jésus du D' Strauss ; mais en dehors des uni*
versités Tinfluence dominante est restée à la tradition. Surtout depuis
le triomphe de la réaction sur les mouvements de 1848 et 1849, le
parti rétrograde, en religion comme en politique, a joui plus que jamais
de la faveur exclusive des gouvernements. C*est à partir de 1859 seule-
ment qu'un courant contraire se déclara sur le terrain de la pratique ,
et c'est dans le pays le plus voisin de la France et de l'Alsace, le grand
duché de Bade, qu'il a pris naissance. Il se manifesta par la convocation
des protestants de ce pays à Durlach où furent agitées , dans six confé-
rences successives , d'année en année , les questions les plus vitales du
temps en matière de religion. Par l'influence prépondérante qu'elles
exercèrent sur l'opinion publique , ces conférences déterminèrent la
révocation du concordat et posèrent les bases de la législation , éminem-
ment libérale , qui régit , dans ce petit mais intéressant pays , les rap-
ports de l'Etat avec les différents cultes. Tout le monde sait quels con-
flits cette législation , dans son application aux écoles, a soulevées avec
le clergé catholique , qui fait encore aujourd'hui une opposition à ou-
trance à l'organisation de l'enseignement laïque. La constitution inté-
rieure de l'Eglise protestante fut abandonnée à un synode qui , sous
l'influence des principes discutés et votés à Durlach, confia la direction
des affaires ecclésiastiques à des autorités où dominait l'élément
laïque.
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5i8 REVUE d' ALSACE.
C'est dans la cinquième des conférences de Durlach , tenue le 3 août
1863, que fut décidée la fondation d'une Union protestante {Proies-
tantenverein) embrassant toute l'Allemagne. Cette association a tenu
ses premières assises à Eisenach , le 7 et le 8 juin 4865. Ses travaux
ont été publiés en brochure , sous le titre de : Der erste detUsche
Protestantentag gehalten zu Eisenach. Pour mettre ses lecteurs à
même de juger de l'intérêt qu'ils offrent, la Revue va donner ici
l'énoncé des différentes questions traitées et les thèses dans lesquelles
les rapporteurs, chargés de préparer les décisions de l'assem-
blée , ont résumé leurs propositions. Ces thèses proclament plutôt des
principes qu'elles ne recommandent des mesures. C'est que , d'après
les statuts de l'association , les mesures d'exécution sont confiées à un
comité permanent et que les assemblées générales se bornent à expri-
mer l'esprit dont le comité devra s'inspirer.
La première question discutée était celle-ci ; Par quels moyens peut-
on regagner à l'Eglise ceux de ses membres qui s'en sont éloignés?
Elle a fait l'objet d'un rapport de la part du conseiller ecclésiastique
D' Rothe de Heidelbeif , se résumant dans les thèses suivantes :
I. L'éloignement , malheureusement incontestable , que des masses
et des classes entières de notre population évangélique allemande
témoignent pour les choses de l'Eglise , n'est pas , chez la plupart
de ces indifférents ^ éloignement pour le christianisme , moins encore
pour toute croyance religieuse ; beaucoup d'entre eux sont morale-
ment et chrétiennement bien au-dessus des chrétiens d'habitude,
même les plus assidus à l'église. On n'est donc nullement autorisé à
conclure du fait dont il s'agit que les sentiments chrétiens de nos con-
temporains soient moindres que ceux de la chrétienté des siècles pré-
cédents. Il n'en est pas moins vrai que ce fait constitue un grand danger
tant pour les indifférents eux-mêmes que pour l'Eglise. Pour celle-ci le
danger est d'autant plus grand que l'éloignement dont elle est l'objet
règne précisément dans les classes les plus honorables et les plus
influentes^ parmi ce qu'on appelle les personnes éclairées. C'est donc
un devoir impérieux pour l'Eglise d'aviser à ce mal, auquel tout
chrétien sincère doit d'ailleurs avoir à cœur de trouver un remède.
II. Ce mal ne peut pas être guéri par des mesures isolées ; il exige
une cure radicale , dont la première condition est le discernement de la
cause de la maladie. Et cette cause n'est pas à chercher dans une pro-
fonde corruption morale de nos contemporains. D'après la nature même
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ÉTUDBS DHISTOIRE CONTEMPORAINE. 510
de la chose , le mal ne peut qu'être principalement imputable à l'Eglise
elle-même. Car celle-ci n'est bonne à rien dès qu'elle ne possède pas
la puissance morale nécessaire pour gagner et pour s'attacher les cœurs
de ses fidèles.
m. Si l'on consulte l'histoire» la cause du phénomène se révèle clai-
rement dans cette circonstance qu'il est contemporain de la grande
révolution historique par laquelle , dans le peuple allemand et pendant la
seconde moitié du siècle dernier, la conscience moderne et la civilisation
moderne se sont fait jour et ont amené à leur suite la manière de voir
et les maximes qui leur sont particulières ; elle se révèle encore en ce
que l'indifférence règne surtout dans les classes de la société qui sont
le plus pénétrées de cet esprit moderne. L'église n'a pas su prendre à
l'égard du monde nouveau la position convenable et finalement la tendance
dominante dans son sein a fait une opposition de principe à ce monde
qu'elle a déclaré non chrétien ou même anti-chrétien. De-là^ comme
conséquence inévitable, le profond éloignement qu'à inspiré l'Eglise à
tous ceux dont l'esprit moderne s'était emparé. C'est pourquoi l'éloi-
gnement dont il s'agit ne peut être surmonté que par un seul moyen ,
c'est que l'Eglise soit retirée de la fausse position qu'elle affecte envers
le développement de la culture moderne et remise dans la position juste
qui lui convient à cet égard.
IV. Le moment actuel offre ^ autant qu'il le faut, les conditions
nécessaires pour faire avec espoir de succès une tentative dans ce sens.
Cette tentative toutefois ne peut réussir que si les deux parties mettent
la main à l'œuvre, l'Eglise et ceux qui sont éloignés d'elle.
|o L'Eglise doit d*abord conclure sincèrement et en toute connais-
sance de cause un traité de paix et d'amitié avec la civilisation moderne.
Mais elle doit le faire sous la réserve formelle que la civilisation mo-
derne se soumettra à l'influence éducatrice de Tesprit de Christ.
L'Eglise doit elle-même concourir sans arrière-pensée à construire
cette civilisation , mais en s'efforçant constamment de la purifier et de
la sanctifier. Elle doit ensuite régler ses rapports intérieurs d'une ma-
nière qui réponde aux besoins réels des chrétiens d'aujourd^hui , c'est-
à-dire des chrétiens modernes, notamment dans sa doctrine et sa
constitution. En ce qui concerne la doctrine, elle doit annoncer Christ
à la génération présentement vivante , dans la langue de celle-ci , c'est-
à-dire eu faisant appel aux sentiments, aux pensées et en employant
les expressions propfes à cette génération. Elle ne doit pas emprunter
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520 REVUE D'ALSACE.
sa langue à une forme dogmatique qui appartient à un temps depuis
longtemps passé e( qui n*a plus guère qu'une valeur historique. Géné-
ralement parlant , elle ne doit pas imposer de croyances. Le besoin
réel des hommes du présent en ce point , c'est l'étude des grands
faits historiques , uniques dans leur espèce , qui ont donné une ré^la-
tien au monde. S'assurer de leur réalité et s'en rendre un compte aussi
juste et aussi complet que le comportent les moyens du temps , voilà
ce qu'il faut à ces hommes ; voilà le travail dans lequel l'Eglise doit les
aider , selon ses forces. Elle ne peut le faire que si , d'une part , con-
fiante dans la bonté de sa cause , elle accorde sans crainte la pleine
liberté de recherche , et si de l'autre elle fait en sorte que les
résultats de son travail théologique ne soient pas cachés à la com-
munauté laïque , et deviennent autant que possible un bien commun.
Dans ce dernier but il faudra , outre la nouvelle direction à imprimer
aux publications littéraires , recourir à des institutions particulières ,
principalement à des conférences libres et indépendantes du service
divin , pour lesquelles on devra demander le concours de personnes
autres que les théologiens. Tout cela , sans doute , augmente considé-
rablement les devoirs que l'Eglise impose à ses serviteurs. La comli-
tîUion de l'Eglise elle-même doit ôtre réformée en ce sens , que le
christianisme non théologique ou mondain obtienne et qu'on lui assure
dans l'Eglise l'influence et la part de direction à laquelle il a droit ; en
d'autres termes , l'Eglise ne doit pas être cléricale ; elle doit se consti-
tuer en Eglise de comrnunavté. Ceci implique la nécessité que la con-
stitution donne autant de jeu que possible à la liberté des simples
fidèles et qu'elle leur procure l'occasion de concourir à son œuvre , en
travaillant spontanément à réveiller l'esprit public et le patriotisme.
^ Les personnes éloignées de l'Eglise y les hommes de la culture
moderne , doivent de leur côté sortir de leur indifférence. Ils ont besoin
d'apprécier à leur juste valeur la puissance effective de la religion , du
christianisme et de l'Eglise ^ ce que si souvent encore ils ne savent pas
faire. Us doivent tout d'abord apprendre combien ces choses sont im-
portantes , bien plus sont indispensables pour les intérêts mêmes qui
forment les puissances dominantes de la vie moderne y et en général
pour les intérêts moraux. Il faut qu'ils comprennent que sans la religion
l'esprit public n'a ni fondement ni âme , que notre vie morale en
particulier repose sur le christianisme comme sur sa base , qu'elle y
tient comme à sa racine. D'un autre cêté, ils ont à comprendre l'ini*
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ÉTUDES O'BISTOIRE CONTEMPORAINE. 5ii
portauce de ces puissances et le besoin qu'ils en ont pour eux-mêmes
perionneUemmt. En le comprenant , ils surmonteront leur répugnance
invétérée pour TEglise, répugnance qu'ils doivent courageusement
sdtjurer , s'ils veulent que les choses s'améliorent. Car ce sera précisé-
ment leur retour qui sera pour TEglise l'un des motifs les plus puis-
sants de se décider à la réforme qui vient d'être indiquée.
V. Mais afin d'arriver à ce que les deux parties mettent réellement
la main à la réalisation de ces conditions indispensables , il faut l'union
de tous ceux qui sont vivement pénétrés de leur urgente nécessité , à
cette fin de travailler , de toutes leurs forces réunies et d'après un plan
bien rétléchi^ à réveiller dans TËglise le sentiment toujours plus général
et plus fort des conditions du progrès , telles qu'elles viennent d'être
définies. L'Union protestante veut être une association semblable.
Toutes ces thèses , qui sout développées dans un discours du D' Roth
(dont le Disciple de Jésus-Christ a donné une traduction dans ses N«*
du 31 octobre et du 15 novembre 1865), ont été, après de courtes
observations , adoptées à l'unanimité par l'assemblée.
Venait ensuite la question des mariages mixtes. Elle fut traitée par
le professeur de Holtzendorff de Berlin dans un rapport dont voici les
thèses ou conclusions.
I. L'Eglise protestante ne doit ni désapprouver les mariages mixtes
ni en entraver la conclusion.
IL Le clergé catholique, en exigeant du fiancé protestant la promesse
de faire élever ses enfants dans la religion catholique , en se faisant
donner cette promesse par serment, par écrit ou dans toute autre forme ,
avant la conclusion du mariage , viole le principe légalement reconnu
de l'égalité des cultes , met en danger la paix confessionnelle , trouble la
vie commune au sein tant de la famille que de la nation , extorque enfin
aux membres de l'Eglise protestante une renonciation illégale à la liberté
de conscience qui leur appartient.
in. L'Eglise protestante doit s'abstenir de toutes représailles contre
cet injuste procédé et ne doit de son côté exiger aucune promesse au
sujet de l'éducation confessionnelle des enfants de mariae[es mixtes ;
mais elle fait à ses membres une obligation morale de refuser toute
demande semblable faite par l'Eglise catholique.
IV. Elle regarde les promesses faites à l'Eglise catholique au sujet de
l'éducation des enfants comme étant, de la part du fiancé protestant,
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5!22 REVUE d' ALSACE.
une marque d'indifférence pour sa propre Eglise , un abandon anticipé
de sa liberté , une faiblesse morale et un manque d*honneur.
V. L'Eglise protestante considère de telles promesses comme non
obligatoires ; elle estime qu'elle doivent céder à une conviction mieux
réOécbie et que la législation doit en prononcer ia*nullité.
VI. L'Eglise protestante peut abandonner à la conscience individuelle
la célébration ecclésiastique du mariage , sans craindre que celui-ci
perde pour cela de sa dignité religieuse , et elle reconnaît que pour
assurer le droit des relations conjugales , garantir Tégalité des confes-
sions et mettre la liberté personnelle à l'abri des entreprises du clergé,
le seul moyen efficace est d'introduire la célébration civile du mariage.
La discussion s'établit exclusivement sur la thèse VL Tout le monde
à peu près veut le mariage civil , mais les uns demandent qu'il soit
facultatif , les autres veulent le rendre obligatoire. Pour calmer l'orage
qui commençait à s'élever, le président Bluntschli propose d'adopter
les thèses , en renvoyant au comité la question du mariage civil obliga-
toire touchée dans la thèse VI , afin qu'il en soit fait rapport à la pro-
chaine assemblée. Cette proposition est adoptée à l'unanimité.
Le second jour, 8 juin 1865 , s'ouvre par le rapport du D' Scbvrarz ,
prédicateur de la cour de Gotha , sur la liberté de doctrine et ses limites.
Les thèses qui résument son travail sont les suivantes :
I. Les limites de la liberté de doctrine , dans le protestantisme , ne
sont pas marquées par les confessions de foi, qui ont, au contraire,
besoin de se continuer et qui ne sont autre chose que les documents
historiques des croyances du temps de la réformation et de l'interpré-
tation qui était alors donnée à l'Ecriture.
II. Les confessions de l'Eglise protestante ne ferment les portes que
sur le passé, elles les ouvrent au développement à venir. L'exigence
d'un serment à prêter sur ces confessions est anti-protestante et immo-
rale. Là où elles font encore l'obiel d'un engagement , celui-ci ne doit
pas se rapporter à leurs statuts dogmatiques , mais ne peut consister
que dans l'abjuration des erreurs fondamentales de l'Eglise romaine.
III. Les limites de la liberté de doctrine dans le protestantisme ne
sont pas marquées par l'autorité de la lettre de l'Ecriture. Loin de là ,
la libre recherche dans l'Ecriture est la condition fondamentale do
protestantisme.
IV. La libre recherche dans l'Ecriture conduit nécessairement au
libre examen de l'Ecriture elle-même» de l'authenticité ou de l'inau-
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ÉTUDES D^HISTOIRE CONTEMPORAINE. 523
thenticité , de Tàge et de l'origine de ses différentes parties , de ce qui
est ou non historique dans ses récits , de ce qui est la substance et de
ce qui est Fenveloppe des vérités qu'elle contient.
V. La liberté de doctrine n'est pas l'arbitraire en doctrine , elle est
limitée par les bornes mêmes du christianisme. Ces bornes ne sont pas
ce qu'on appelle les vérités fondamentales et les faits fondamentaux ,
mais la vérité fondamentale unique du christianisme , de telle sorte que
tout homme qui se trouve dans le cercle de cette vérité fondamentale
et de son développement historique conserve le droit d'enseigner dans
l'Eglise protestante.
VI. La vérité fondamentale unique du christianisme n'est pas de
nature dogmatique , mais de nature religieuse et morale. Elle est le
christianisme de Christ, l'Evangile de l'amour et de la filiation divine ,
tel qu'il a été non seulement enseigné par Christ lui-même , mais ma-
nifesté dans sa personne et tel qu'il l'a scellé de sa vie et de sa mort.
VU. La liberté du docteur de la science théologique est en outre
limitée par le sérieux et la dignité de la science ; elle cesse là où une
raillerie frivole usurpe la chaire scientifique.
Vin. De même encore la liberté de l'instituteur du peuple et du
père spirituel est limitée par la nécessité pédagogique d'avoir égard au
degré d'intelligence et aux besoins de la communauté et par cette loi
invariable : de ne jamais démolir sans reconstruire , de n'employer la
négation que comme un moyen de rectifier les idées matérielles et gros-
sières et de les élever jusqu'à une vérité supérieure.
Comme appendice à son travail le rapporteur caractérise sévèrement
la levée de boucliers contre le D' Schenkel ; il flétrit les clameurs soule-
vées par son livre sur le caractère de Jésus {Charakterbild Jesu) et les
protestations qui se sont élevées contre la sage décision du conseil
ecclésiastique de Bade.
Après une discussion dans laquelle les contradicteurs n'ont pas
manqué y les thèses sont adoptées dans leur partie essentielle , au con-
tentement même des orateurs de la droite. L'un de ceux-ci vote ainsi :
€ La tournure que la discussion a prise me réjouit bien plus que si ma
motion additionnelle avait été adoptée. > Toutefois les deux importantes
questions de savoir s'il faut établir des règles pour l'enseignement et
comment l'Eglise peut en assurer l'observation sont réservées à une
délibération à venir.
La quatrième question relative aux différends qui se sont élevés dans
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524 REVUE D*ÀLSACE.
l'Eglise du Mecklembourg est d'un intérêt trop éloigné pour trouver
place ici. Disons seulement que le gouvernement de cette Eglise a , par
sa rigidité , causé une telle désaffection que dans maiules localités te
service divin ne peut plus être célébré faute d'auditeurs ; que les écoles
sont tombées fort bas ; qu'enfin l'assemblée a déclaré c reconnaître
c dans la situation de l'Eglise mecklembourgeoise un danger imminent
c pour toute l'Eglise évangélique et considérer comme un devoir de
€ V Union protestante de s'efforcer de la changer. »
Il y a lieu de penser que les principes posés dans cette assemblée ,
composée de plus de cinq cents personnes venues de tous les points
de l'Allemagne , ne resteront pas stériles. Espérons qu*ils influeront ,
non seulement sur les doctrines qui sont présentées à l'assentiment du
siècle, mais encore et surtout sur la manière de pratiquer la charité
chrétienne. Quand les gens d'église seront bien convaincus que la
charité du moyen-âge , celle qui s'exerce par des aumônes , est aujour-
d'hui insuffisante ; que l'amour chrétien doit se transformer selon les
exigences du temps et prendre sa place dans le grand mouvement de
l'association et du développement spontané des forces individuelles ;
quand ils auront résolu ce grand problème et créé les œuvres nouvelles
que cette solution comprend , ils gagneront les cœurs à la religion
bien plus sûrement que par tous les discours du monde.
Ch. Kûss.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ.
— Suiiêêt fin ♦. —
EDIFICES RELIGIEUX DE SOULTZ.
SAINT-SÉBASTIEN.
Cette petite église faisait Tangle près de la porte du faubourg Saiat-
Jean ; elle occupait remplacement de la maison Brihner , ferblantier.
On ne connaît pas précisément l'origine de sa fondation ; il est à pré-
sumer qu'elle fut l'œuvre de quelques âmes pieuses , lors de quelque
effrayante mortalité. Nous pensons qu'elle fut édifiée à l'occasion de la
grande peste qui régnait en 1535 ^ et dont le souvenir est .consacré
dans l'église de Saint-Martin de Colmar par une inscription en hébreu ,
en grec el en latin. Du reste, dans un document écrit en allemand et
trouvé en 1864 dans la boule du clocher de Soultz on lit, qu'il y a cent
ans ou plus que la peste avait tellement sévi à Soultz, que les habitants se
mirent sous la protection de Saint Sébastien , et lui élevèrent une cha-
pelle attenante à l'hôpital. Chaque semaine on y disait une messe ; une
confrérie fut organisée , et on y établit aussi un chapelain qui , en
1738 , se nommait Bernhard Schmitt. En 1663 un nouvel autel y fut
dressé , autel dont l'exécution fut confiée aux sculpteurs Georges Muller
de Thann et Pierre Amplatz de Soultz. La commission municipale .
préposée à cet effet, se composait de Jean-Conrad Jœger, prévôt,
Nicolas Witschger , bourguemaître , Michel Zipfel , Gabriel Schnei-
derlin , conseillers ; Ferdinand Bautenmuhler , greffier syndic , et de
Pierre Lorenz , chef de la confrérie appelé Buttmeister. On y disait la
messe tous les jeudis; l'église n'avait qu'une cloche, elle fut confisquée
en 1790 et vendue.
* Voir les UYraisons de novembre et décembre 1861 , pages 499 et £{29 , mars
1862, pige 13S , novembre 1865, page 496, mai , juin, août et octobre 1866,
p. 249. ^7, 395 et 491.
' AN. M. D. XLl. Hominum CIRGITER III et D GOLMARIS PESTILENTIA
PERIERE. L'an do Gbrist 1541 , environ 3500 personnes périrent à Colmar par
la peste.
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526 REVUE D' ALSACE.
COUVENT DES CAPUCINS.
Cette maison religieuse prit naissance en 1632 ; elle ne fut achevée
qu'après la guerre des Suédois. Rebâtie à neuf un siècle après (1732) ,
la révolution de 1789 en fit une propriété nationale achetée d'abord
par M. Bemhard et plus tard vendue à M. Magniëre. Celui-ci acheva la
construction actuelle. Vendue en 1821 à la ville , elle fut transformée
en hôpital. L'évéque de Strasbourg, Jean-Pierre Saurine, en tournée
pastorale , y succomba d'une attaque d'apoplexie foudroyante au mois
de mars 1813. Le mur de clôture, la cour et le jardin du couvent
avaient absolument la même conûguration qu'aujourd'hui, l'entrée
était où elle se trouve actuellement, seulement à côté de la grille s'éle-
vait une petite chapelle avec un christ et deux larrons en croix , dus au
ciseau d'un habile sculpteur \
L'église longeait la route de Guebwriller ; le cloître donnait vers le
chemin et les jardins du Wolfhag. L'église , d'une architecture toute
simple , présentait un plan rectangi\laire, plus long que large en regard
de la ville ; elle avait une façade avec portail cintré , sans ornement
aucun , couvert d'un appentis détruit en 1 732 et surmonté d'une ouver-
ture ronde en forme de rosace pratiquée là où le pignon commençait à
se rétrécir. Chacun des côtés recevait le jour par quatre fenêtres
arquées d'après une gravure de 1680; à linteaux droits, suivant une
gravure du dernier siècle; preuve que les constructions primitives
avaient été changées.
Le toit était couronné d'un petit clocher pointu assis presque immé-
diatement au-dessus de la naissance du chœur.
Les capucins suivaient la règle austère de Saint François , créée par
Hathao de Bosco , en 1525 , et confirmée par le pape Paul III en 1535.
Ces religieux portaient une capote brune d'un drap très-grossier, un
capuchon long et pointu de la même étoffe ; une corde en crin filé
leur ceignait le corps, et pour toute chaussure, ils n'avaient que des
sandales en bois.
La prédication et la mission de préparer à la mort les condamnés ,
leur étaient spécialement dévolues. Jamais l'exécuteur de Soultz n'ac-
complissait son horrible ministère sans rencontrer, entre lui et la
victime , un de ces Pères qui ne délaissaient pas , dans ce moment
* Rirbard préund que c*est le même ChrisC qu*on voit dans ane chapelle à
Wui'nheim , à droite en entrant au village.
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HISTOIRE DR LA VILLE DE SOULTZ. 5Î7
suprême, Tinfortuné retranché de la société. La chaire, cette tribune
chrétienne, leur était principalement confiée, rarement elle était
abordée par le recteur ou le chapelain de Saint-Maurice. Les capucins
prêchaient les dimanches et les jours fériés.
Le supérieur du couvent portait le titre de : Quartian^ Père gardien.
Une nouvelle chapelle vient d'y être construite par les soins de quel-
ques personnes pieuses de Soullz. Elle est fort jolie ; Ton y voit un
tableau représentant Napoléon IIL
SAINT-GEORGES. SANCT JÔRGEN.
La chapelle de Saint-Georges était assise dans la prairie , en-deçà du
monticule du même nom , vers la bifurcation de deux chemins , dont
l'un conduit à la section cadastrale appelé le Gehag, et Tautre vers
VOrschwillerburg. Son origine ne nous est pas connue. Méglin y fait
entrevoir le lieu de sépulture du village détruit d'Alschwiller. Le char-
nier qui était adossé à la chapelle donne du poids cette supposition.
Du reste Saint Georges était le patron d'Alschwiller. La population de
Soultz se rendait chaque année (avant 1789) en procession à ce petit
temple, détruit lors de la terreur. A Saint Georges étaient affectés
beaucoup de biens qui relevaient de la cure de Soultz ; ces terres , avec
le monticule, turent vendus comme biens nationaux. Le tableau repré-
sentant Saint Georges et provenant de Tantique chapelle fut sauvée par
la famille Blumstein , qui en fit cadeau à la ville pour être déposé dans
la chapelle du cimetière actuel , ou il existe encore. Les anciens de
Soultz se rappellent aussi avoir vu , à la fin du dernier siècle , et près
du monticule , une statue équestre du même saint en pierre.
Il est fait mention de cette chapelle dans Trouillat , tom. ii , p. 524 ,
Capellanus in Akwilr sancti Geargii III marcis (paie trois marcs à
révêché de Bâie.)
Rodolphe Kaldahusli , citoyen de BâIe , donne à l'église de Saint-
Léonard en cette ville , trois schatz de vignes sur le ban d'Alschv^iller ,
près de la chapelle de Saint-Georges , le trois mai 1792 * .
* Voyez Histoire de SouU% , ptr Ch. Knoll , feuille il , et Bulletin de la Société
pour la eomerviUUm deê monumentê hintoriques d' Alsace, 4858, lom. n,
livraison .1 , page 141.
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528 REVUE D'ALSACE.
OMBTI&RE GATHOUQDE.
L'ancien cimetière catholique comprenait tout l'espace situé entre
l'église et les maisons bâties à l'entour , la place de Bouat et rempla-
cement des écoles des filles. U y avait jadis en ces lieui un magnifique
ossuaire ; les crânes y étaient symétriquement empilés ; un autel s'y
trouvait et l'on y célébrait la messe le 3 novembre. La tradition raconte
que lors de la guerre des Suédois , quand toute la population avait fui ,
soit en Suisse , soit dans les forêts du Freundstein , Gros-Stall et Gros-
Offen, deux femmes s'étaient cachées dans cet endroit et y ont vécu
trois jours sans manger ni boire , pendant que les vainqueurs pillaient
la ville.
Ce charnier fut supprimé avec le cimetière en 1819. C'est dans le
courant de cette année que se firent les premiers enterrements sur le
cimetière actuel , établi â l'angle formé par la route de BoUwiller et le
chemin de grande communication menant â Ensisheim. L'augmentatios
continuelle de la population soultzienne nécessita son agrandissement
qu'on réalisa en 1852. Cette terre funèbre est peuplée de beaux mau-
solées, et une chapelle spacieuse y fut construite en 1855 par les dons
des bourgeois. C'est dans cette chapelle que se trouve le tableau de
Saint Georges qui provient du petit temple attenant â la butte du même
nom.
I
I
I
I
CIMETIÈRE DES PROTESTANTS. * i
Ce cimetière , qui touche à celui des catholiques , date également de
l'année 1819; fermé d'abord seulement en partie, il fut clos «itière-
ment en 1851.
CIMETIÈRE DES ISRAÉLITES.
Il est aux pieds des ruines de l'antique manoir de Jungholtz. Le
terrain appartenait aux Schauenbourg. Au dernier siècle les Israéhtes
en firent l'acquisition. On y amène les morts de quatre lieues â la
ronde. Jadis il y avait aussi une synagogue dans le hameau de Jung-
holtz.
SYNAGOGUE.
La première synagogue que les Israélites possédaient en ville est ce
bâtiment qui , de nos jours , leur sert d'école , de logement aux pré-
posés du culte et de bains pour les femmes.
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HISTOIRB DE LA VILLE DE SOULTZ. 529
En i343 , lors de l'histoire des puits empoisonnés , elle fut confisquée
et devint propriété particulière. Proscrits de Soultz ^ les Israélites y
rentrèrent plus tard au nombre de sept ménages d'abord , plus tard
tolérés jusqu'à onze. Us ne purent toutefois se procurer une autre
synagogue que vers la fin du dernier siècle. Ils convertirent en temple
une maison située au fond d'une impasse , entre la rue des Juifs et
celle des Vignerons. Mis en jouissance des droits civils par la]révoltttion
française , et ayant beaucoup augmenté en nombre y ils cherchèrent un
local plu3 vaste pour célébrer leur culte. Une maison était à vendre .
précisément celle qui cinq cents ans auparavant avait eu la même des-
tination -, une foule d'inscriptions hébraïques y déchiffréesjsur les linteaux
des fenêtres , sur des plaques en pierre et même sur les murs ne lais-
saient subsister aucun doute à cet égard. Us 'empressèrent de l'acheter
et de lui rendre sa forme et sa destination primitives ; mais ce local
étant encore trop peu spacieux , ils construisirent^en 1837 la synagogue
actuelle qui Ait achevée et inaugurée au mois de juillet 1838.
QUELQUES DATES DES VIEILLES CONSTRUCTIONS
QUI SE TROUVENT A SOULTZ.
1471. Moulin du faubourg de Guebwiller. Cet édifice, actuellement
démoli, appartenait primitivement à la commanderie. Dès l'année 1622
il fut entre les mains d'une famille Akermann.
1489. Eglise Saint-Maurice , à la face interne de la grande porte
d'entrée.
1510. Maison curiale.
1550. Maison Quinfe. On lit sur le contrefort extérieur : Markard
Deblin, Bûrger in Basel , hat dies Bus gebauven.
1576. Maison Akermann , Grégoire.
1575. Maison Risacher y brasseur.
1574. Maison veuve Schelbaum.
1582. Maison Jacquet.
1582. Commanderie, maison KnoU et Stokart.
1554. Maison Salm, Louis.
1587. Maison Riber.
1587 Maison Schneiderlin.
1588. Maison MuUer^tein.
1605. Maison d'Anlhès et de Heekeren.
3«Séri«.^l7*AjiBéc. 34
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530 REVUE d' ALSACE.
1622. Maison Lévy-HoffmannV
16 . . Moulin Wilhelm.
1661. Cette date se voit sur une poutre du passage de la Hôll , près
de la synagogue. La date de la vieille maison manque ; sans doute
qu'elle remonte aussi au 16'' siècle, vu sa cage d'escalier. J'ai remarqué
et non seulement à Souitz, mais dans presque tout le département que
les constructions du 16« siècle sont toutes munies d'une cage o'escalier
en pierre, surmontée d'une petite tourelle. Cet escalier en spirale et
en pierre massive , donnant issue sur chaque étage , devait être d'une
grande ressource lors d'un incendie.
Le puits de la maison Hudel porte le millésime 1593.
Charlrs Knoll.
* iDscripUoa en allemand sous la statue Saint Michel (traducUon).
ff L*an i6â2, le célèbre et renommé Jean Bail , capitaine dans le régiment de
Son Excellence Impériale Léopold , archiduc d'Autriche , premier mestrc-de-camp
de la ville et forteresse de Brisach , a édifié cette maison , placée sous la sauve-
garde de Saint Michel. (Amen.)
« Les présentes assez fidèlement oopplé de son original (plutôt traduit) déposé
au greff'e du soussigné notaire et greffier de la ville et prévôté de Soultz , pour y
avoir recours le cas échéant.
«r Soultz , ce 12 janvier 1771.
« Remy , not. et greffier. »
En 1762 le notaire Remy avait acheté cette maison de feu François Gérard ,
huissier , sergent royal ^ la résidence de la dite ville de SouUz.
Le 5 novembre Remy vend l'hôtel de Saint-Michel avec grange, jardin , droit,
appartenances , etc. , à messire Balthasar de Bergeret , seigneur de RicbwiUer
et de Niedermorschwiller et autres li^ux , chevalier de Tordre royal et militaire
de Saint-Louis, pour et moyennant la somme de 6500 livres tournois et six louis
d'épingles. Cat hôtel passa entre les mains d'un M. de Nambsheim et en dernier
lieu fut acquis par des fabricants de Bâle qui la convertirent en rubanuerie.
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LE ONZIÈME PLAIDOYER
DE L'AVOCAT PATRU.
Tout le monde sait que Boileau , qui prenait fort au sérieux le titre
de Législateur du ParfMsse dont le gratifiaient ses amis , ne soumettait
pas volontiers ses œuvres , ses vers surtout, à leur censure. Il faisait
cependant une exception en faveur de Pavocat Patru , surnommé par
ses contemporains : le Quiniilien moderne, et qui, né en 1604, acadé-
micien dès 16409 pouvait, par son âge et sa haute position dans le
monde lettré , servir de guide à un jeune robin qui avait déserté t le
culte de Thémis pour celui d* Apollon, ]» ainsi que Von disait alors.
En 1666 , Boileau , âgé de 29 ans, avait déjà publié les sept premières
de ses satires dans lesquelles il traite , de la façon que chacun sait ,
Quinault, Colletet, Cottin, Saint-Amand et tant d'autres. Les aménités
qu'il leur adresse le conduiraient , de nos jours , en police correction-
nelle; à cette époque elles ne donnaient lieu qu'à une polémique plus
ou moins vive. Les amis des victimes du satirique prirent fait et cause
pour celles-ci et Boileau leur répliqua par la satire IX qu'il fit précéder
d'une préface^en prose où il appuyait sur les exemples les plus célèbres
de l'antiquité le droit*dont il avait usé dans ses satires précédentes.
On raconte , à ce sujet , qu'attachant une certaine importance à cette
préface , il la soumit à Patru et qu'arrivé à ce passage : < Je pense
avoir montré passez clairement que, sans blesser l'Etat et sa conscience,
on peut|trouver de méchants vers méchants , et s'ennuyer de plein
droit en lisant un sot livre ; » Patru arrêta l'auteur sur ce dernier
membre de phrase , en disant : « Il faut changer ceci ; c^est un alexan-
drin, ce qui , en prose, est aussi choquant qu'un vers faux en poésie. j»
Boileau objectant que cela est impossible à éviter d'une manière absolue ,
Patru répliqua : « Rien n'est impossible a qui sait écrire ; et tenez !
voici le recueil de mes meilleurs plaidoyers , de ceux que je destine à
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532 REVUE D* ALSACE.
rimpression ; je vous défie d'y trouver un seul vers ! > Boileau ouvre le
manuscrit au hasard et pose un doigt triomphant sur un titre ainsi
conçu :
<c Onzième plaidoyer. — Pour un Prince allemand. >
Voilà l'anecdote , telle qu'elle a été racontée par les contemporains .
elle doit être vraie. D'abord , dans la préface de Boileau , le vers
proscrit par Patru a disparu ; on y lit : € S'ennuyer de plein droit à la
lecture d'un sot livre. » En outre , le titre du onzième plaidoyer , dans le
recueil imprimé , forme , en effet, un alexandrin , seulement celui qui
a , le premier , raconté l'anecdote , citait probalement de mémoire , et
s'est trompé ; le véritable titre est :
( Onzième plaidoyer. Pour un jeune Allemand. »
En effet y loin d'être un prince, le client de Patru était ce qu'on
appelait alors un petit laquais y et ce petit laquais était Alsacien , né à
Strasbourg , ce qui ne l'empêchait pas d'être Allemand , le plaidoyer
dont il s'agit ayant été prononcé en 1639.
On ne lit plus guère les plaidoyers , ni les autres écrits de Patru ; il
paraît même qu'ils n'étaient guère lus, de son temps, si ce n'est par
les beaux esprits et les écrivains de profession , et que les plaideurs
préféraient confier leurs causes à des avocats moins lettrés et plus
hommes dC affaires ; témoin ce vers de la première satire dans lequel
Boileau parlant du palais où. lui-même avait vu la clientèle briller par
son absence , le qualifie de : € pays barbare
« Où Patru gagne moins qu'Huot et Le Mazier. »
Cet Huot et ce Le Mazier devaient être deux vieux praticiens , rompus
aux roueries du métier, sachant se reconnaître € dans les détours d'un
dédale de lois
« Et dans l'amas confus de chicanes énormes. »
Plus envieux des gros honoraires que des brillants succès , ils aban-
donnaient sans regrets à leur pompeux confrère les palmes de l'élo-
quence et les lauriers académiques.
Encore cette éloquence , remplie de beautés de convention , nous
semble- t-elle aujourd'hui bien froide et bien compassée dans sa ma-
jestueuse correction , lorsque nous la comparons aux brillantes impro-
visations , parfois inégales , mais où l'inégalité est souvent une grâce
déplus, desDupin, des Berryer, des Jules Favre et autres illustrations
du barreau moderne
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LE ONZIÈME PLAIDOYER DE L*AVOCAT PATRD. 533
Si un homme digne de foi m'affirmait avoir lu d'un bout à l'autre les
deux volumes in-quarto qui contiennent les plaidoyers de Patru , je
serais bien forcé de le croire sur son affirmation , mais j'avoue que je
serais plus tenté d'admirer sa patience que d'imiter son exemple.
Il suffit de les feuilleter pour reconnaître que , quant à la forme , ce
sont, en général, des harangues plutôt que des plaidoyers^ et quant au
fond , des questions de préséance, de dîmes , de privilèges entre com-
munautés ou corporations plaidant les unes contre les autres ou contre
leurs supérieurs ; de longues citations et discussions tirées des conciles,
des pères, des constitutions , des bulles et décrétâtes ; ici la conciliation
ou l'antinomie entre le chapitre de indemnitatibus du concordat de
François I«r, et le chapitre five propter an concile de Latran ; ailleurs la
question de savoir si on doit dire malines le matin , comme l'indique
l'étymologie , ou le soir, comme le permettent les nouvelles constitu-
tions , ou si la décision de Pie lY, en faveur des chanoines réguliers ^
constitue une sentence et non un privilège. En un root, c'est un autre
temps , ce sont d'autres lois, d'autres mœurs que les nôtres, déjà trop
loin de nous pour offrir un intérêt pratique , et trop rapprochés encore
pour offrir un intérêt historique proprement dit.
Or, au milieu de ces pages pompeuses , de ces arides et fatiguantes
citations, ce onzième plaidoyer, sans en être complètement exempt, fait
une heureuse diversion ; la matière en est un peu scabreuse sans pour-
tant exiger le huis clos ; le fait qualifié de rapt n'est en réalité qu'une
séduction ; la fille est ros^eure , aucun acte de violence n'est allégué ,
ce n'est donc ni l'attentat , ni le détournement de mineure de notre
code , mais un acte qui n'est plus puni par nos lois. Du reste , la plai-
doierie de Patru commence par un exposé de faits si simple , si clair ,
si bref et en même temps d'un style, si correct quoique mêlé d'une
légère teinte d'archaïsme qui, poumons, en augmente la saveur, qu'il
pourrait servir de modèle à plus d'un avocat de nos jours ; nos lecteurs
ne nous sauront pas mauvais gré de le citer textuellement.
€ Messieurs, ce pauvre garçon , que la cour voit à ses pieds , et qui
est né à Strasbourg, vint en France il y a environ deux ans, et s'arrêta
à Chàlons au service d'un gentilhomme qui avait , en sa jeunesse ,
autrefois porté les armes en Allemagne. Depuis , et après la mort de ce
gentilhomme qui ne vécut guère , il est venu en cette ville où il a trouvé
un nouveau maître qui maintenant est son seul appui. Or , tandis qu'il
demeurait à Chàlons , il fréquentait au logis de l'intimé (le père de la
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534 REVUE d'alsage.
prétendue victime , partie civile) qui pour laquais et autres semblables
gens lient le cabaret le plus fameux de la ville. On sait combien les
valets aiment la taverne. Je ne prétends point excuser ce dérèglement
qui , pour être universel , n'en est pas moins condamnable ; mais il est
en quelque sorte à pardonner , si dans une grande jeunesse on n'a pu
se garantir du venin ou de la contagion des mauvais exemples. L'ap-
pelant allait donc avec les autre» assez souvent chez l'intimé, mais
sans dessein, comme il est aisé de le présumer d'un Allemand, jeune,
en l'âge alors de 15 à 16 ans, sorti tout nouvellement de son pays et
qui ne pouvait qu'à peine se faire entendre en notre langue pour les
choses les plus ordinaires. Cependant, l'intimé, vers le mois de juin
de l'année dernière, rend sa plainte au lieutenant criminel de Cbâlons,
demande permission d'informer du rapt de sa fille commis , à ce qu'il
expose , par ma partie ; obtient un décret de prise de corps , ensuite il
se rend en cette ville et prenant un parecUis , fait mettre en prison ce
pauvre étranger qui ne devait apparemment rien moins craindre qu'une
calomnie si peu vraisemblable.
« Hais , Messieurs , comme il importe que la cour connaisse et la
fille qu'on a ravie et le père qui nous accuse , permettez-moi , s'il vous
plaît, de vous en dire ici quelque chose. Je passe les taches delà
famille. Je ne dis point que le frère de l'intimé , par sentence que j'ai
dans mon sac , fut banni , il y a quelques années , pour un crime de
recelé. Il serait à plaindre en cela , s'il s'était d'ailleurs montré digne
d'un frère qui fût homme de bien. Mais il n'est à plaindre ni pour son
frère , ni pour sa fille. De marchand de serge qu'il fut autrefois , il est
depuis neuf à dix ans devenu maître tavernier. On ne l'a presque jamais
vu qu'avec des femmes et des filles de très-mauvais nom. Il se vante
de savoir l'art de suborner les plus retenues. Cependant il ne s'est pas
autrement enrichi à ce commerce ; car , après tout, le désordre de ses
affaires l'a réduit au métier qu'il fait aujourd'hi. Sa fille n'a démenti ni
la nourriture ni les bons exemples que son père lui a donnés. Elle est
âgée de 22 ans et davantage ; elle est célèbre dans Chàlons , on l'appelle
la Suzon ; il n'y a personne dans le pays à qui ce nom ne soit connu ,
et si ses couches de l'an passé sont en effet ses premières couches , de
la manière dont elle a vécu il faut que par accident ou par nature elle
ne soit pas autrement féconde. ]»
Entrant dans la discussion du fond , il établit par divers arguments
rinvraisemblance de l'accusation , et il insiste particulièrement sur la
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LE ONZIÈME PLAIDOYER DE l'aVOCAT PATRU. 535
diificulié qu'éprouve son client pour s'exprimer en français ; cette partie
du plaidoyer n'est plus de notre temps ; c'est un peu le langage précieux
de Vhôiel de Rambouillet , la phraséologie sentimentale de C^frus et de
rAstrée ; mais il en devait plaire davantage à ceux qui l'écoutaient :
« Messieurs , on sait combien une fille, qui a quelqu*honneur , a de
résistance pour le vice ; que pour la vaincre, il faut ^ en toute condition,
au moins un peu de dextérité , qu'il faut de grands soins et de longues
assiduités. Hais tout cela est inutile sans le discours. Les protestations,
les promesses, les sermons, tout ce qu'il y a de plus venimeux , de
plus mortel, dans la funeste science d^ aimer , c'est l'usage de la parole.
En vain un amant soupire , ou tremble auprès de ce cher objet qui le
tue , en vain ses yeux , en vain son visage témoignent l'émotion de son
cœur, en tout ce langage muet il n'y a rien d'intelligible pour une fille
innocente ; il faut s'expliquer , il faut parler^ ou toiUe sa vie languir
sans remède. » Il était à craindre , en effet , que le jeune Allemand ,
s'il eût compté sur son éloquence , languît toute sa vie sans remède.
Mais il avait un talisman plus dangereux que l'éloquence : Il avait
dix-huit ans.
Abordant ensuite la question de droit , Patru , comme tous les avo-
cats de son temps , cite le digeste , le code , les novelles , la loi de
* Htu nuptiarum, la loi JuliadeadulteriiSy la loi de receptis et plusieurs
autres qui n'ont qu'un rapport très-problématique à l'affaire. Cet abus
des citations commençait déjà à choquer les gens de goût et Racine
allait lui porter le premier coup dans sa comédie des Plaideurs :
« Qui ne sait que la loi siquiscanis digeste
De vi paragrapho , Messieurs , caponibm
Est manifestemeot contraire à cet abus ! *>
Passant enfin ^ toujours selon l'usage du temps, des lois romaines
à l'Ecriture sainte, il invoque Josué, Saint Paul, Saint Jacques y
Saint Jérôme , Saint Grégoire de Naziance , etc. , pour établir que les
mots cauponaria et meretrix (tavernière et courtisane) sont synonimes,
et joignant l'argument de fait à l'argument de droit, que toutes les
filles de la partie adverse, servantes dans son cabaret , ont fait le même
métier ; alors il serre davantage son argumentation , il s'anime , et ses
accents ont quelque chose de l'improvisation.
€ Mais laissons-là les autres filles de l'intimé, laissons-en parler
tout Chàlons et pour revenir à notre cause , il ne s'est donc pu rien
faire ici de punissable par les lois. Cependant , voici un père qui se
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536 REVUE D*ÀLS4C£.
plaint d'un rapt ; voici un juge qui nous traite en ravisseur. La Suzon
par son baptistaire a vingt-deux ans et davantage ; ce pauvre gai^on à
peine en a*t-il dix-huit et s'il est vrai qu'il y ait ici rapt , qui est-ce ,
dans cette inégalité d'âge, qu'on en doit probablement accuser? Car
enfin » que partout ailleurs on opine favorablement , que partout ailleurs
la présomption soit , si l'on veut , pour le sexe le plus faible , à la bonne
heure , quand cela se peut sans heurter le sens commun. Mais dans
cette cause , dans toutes les circonstances que la cour a pu observer :
Cabaret , quatre ans de plus , père, oncle, sœurs , couverts ou de crime
ou d'infamie , qui ne voit, qui ne croira qu'un étranger , presqu'encore
enfant , a plutôt été la proie que le ravisseur de cette fille ? c
Le recueil des plaidoyers de Patru ne /ait pas connaître le résultat
de l'affaire , mais , en général , les avocats ne tiennent pas à conserver
le souvenir des procès qu'ils perdent ; il est probable que la sentence
de Cbâlons fut réformée , d'autant qu'en bonne conscience c'était
justice.
L'arrêt fut rendu séance tenante le 27 juillet 1639, à la chambre de
VEdit ; on sait qu'on appelait ainsi une chambre spéciale créée dans
certains parlements par VEdit de Nantes pour juger les affaires où
étaient intéressés des protestants , et dans laquelle devait siéger au
moins un magistrat professant ce culte ; on doit en conclure que le
client de Patru appartenait à cette communion; cependant, comme il
s'appelait , de son prénonm , Daniel y il se pourrait bien qu'il eât caché,
comme cela se faisait souvent alors , la qualité d'israélite sous celle de
dissident ; il en résulterait que , le prince alletnand dont parlent les
mémoires du xvii* siècle était tout simplement un petit juif d'Alsace.
Maintenant, comment Patru qui, tout en gagnant moins c qu'Huotet
Lemazier > , occupait cependant une grande position au barreau , s'était-
il chargé d'une petite affaire correctionnelle digne d'un stagiaire ? Il le
laisse entrevoir dans son exorde en disant que son client a trouvé à
Paris un nouveau maître < qui est maintenant son seul appui. > Patru ,
en sa qualité de bel esprit et d'académicien , était reçu et recherché
dans la plus haute société ; le maître du pauvre Daniel le voyait sans
doute dans le monde et lui avait exposé le cas piteux de son serviteur
en le priant de lui indiquer un jeune avocat pour plaider sa cause , et
soit courtoisie , soit humanité , Patru s'était chargé de la plaider lui-
même. L'affaire l'avait intéressé , amusé , il l'avait soignée , arrangée
avec art , polie avec amour , et en définitive avait été content de son
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LE ONZIÈME PLAIDOYER DE L'AVOGAT PATRU. 537
œuvre puisqu'il Fa jugée digne de la publicité « et en cela il eut raison ;
l'élégante sobriété de son exorde , notamment , forme un heureux con-
traste avec celui de son plaidoyer dans Vaffaire des pàlisHen cofUre les
bùukmgers où il n'avait pas craint d'emprunter celui de Cicéron dans son
oraison pro QuifUio : c Qwb res in dvitate plurimum passunt y etc. »
C'est, dit-on y à ce malencontreux exorde que Racine fait allusion
lorsqu'il en met la paraphrase dans la bouche de Ylntimé :
ff Messieurs « toot ce qui peut étODDer un coupable.
« Tout ce que les mortels ont de plus redoutable
« Semble s'fttre assemblé contre nous par hasard
« Je veux dire la brigue et l'éloquence car
« D'un cèté le crédit du déftint m'épouvante
« Et de l'autre côté l'éloquence éclatante
« De mattre Petit-Jean m'éblouit »
Ici j du moins , Patru n'a pas attendu que son juge lui criftt :
« De votre ton , TOUA-méme , adoucissez l'éclat. »
Le ton comme le style sont en accord parfait avec la nature de la
cause.
Paul Huot ,
Gonseill«r k U Cour impériale de Golmir.
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AKMOIKIËS
DES ÉVÊQUKS DK STRASBOUKli
{Extrait des manuscrits inédits de Grandidier.)
WERNER I- ou GAUTHIER DE ALTEMBOURG. 1001— 1028.
Il porte écartelé au 1^' et 4« d'argent à une rose de gueules bordée
d*or et ornée de quelques feuilles de sinople , qui sont les armes
d'Altembourg; au 2« et 3« d^or à un lion de gueules, couronné et lam-
passé d*azur, qui sont les armes d'Habsbourg.
GUILLAUME !•' DE SOUABE. 1029-1047.
Il porte écartelé au 1" et 4* de sable au lion rampant d'or, couronné
lampassé et armé de gueules , comme comte palatin du Rhin ; au 2* et
3* d'or à trois lions de sable passants l'un sur l'autre, oreilles, lampassés
et armés de gueules, qui sont les armoiries des anciens ducs de
Souabe.
(a)
WERNER n ou GAUTHIER DE THURINGE. 1065-1079.
D'or au lion passant contourné et fascé d'argent et de gueules; au 2*
et 3* de sable, à l'aigle éployée d'or.
OTHON DE BUREN ou HOHEiNSTAUFFEN. 1082-1100.
Il porte écartelé au 1^^ et 4'' d'or k trois lions de sable passants l'un
sur l'autre, oreilles , lampassés et armés de gueules , qui sont les
anciennes armoiries des ducs de Souabe ; au 2^ et 3« de gufules à une
bande d'argent , accostée de branches ou feuilles de rue de même cou-
leur, armes des anciens ducs d'Alsace; sur le tout , d'or à un château
élevé de sable, donjonné de deux tourelles de gueules , à la porte d'ar-
gent, qui sont les armes propres de la famille de Ilohenstauflen.
(a) Celle première lacune concerne Hetzclon ou Hereniaii. Voy. Œuv. hist, inétf.,
totn. II, pag. iU à 55.
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ARMOIRIES DES ÉVÊQUES DE STRASBOURG. 539
UEJSRl le' DE HASEMBERG. 1180-1190.
D'or, au lièvre passant de sable , sur un tertre de sinople à la pointe
de reçu
CONRAD m DE HUNENBURG. 1190—1202.
L'écu coupé , au premier de sable à deux têtes de cygnes d'argent
adossées, et au second d'or.
HENRI II DE VERINGEN. 1202-1223.
De sinople, à trois cœurs d'argent, deux et un.
BERTHOLD I« DE TECK. 1223—1244.
Losange d'or et de sable.
HENRI ni DE STALECK. 1244-1260.
Il porte écartelé au l*r et 4* de sable , au lion rampant d'or, cou-
ronné , [lampassé et armé de gueules ; au 2<' et 3* d'azur à un cerf
d'argent, montant sur une colline de sinople.
GAUTHIER DE GEROLDSECK. 1260—1263.
D'or, à la fasce de gueules.
HENRI IV DE GEROLDSECK. 1263-1273.
D'argent, à neuf billettes d'azur, rangées trois, trois et trois, au lion
rampant de gueules, couronné d'or, brochant sur le tout.
{b) La deuxième lacune que Grandidier a laissé subsister, concerne l'époque du
schisme et Tépiscopat des évèques :
1. BAUDOUIN. 1100—1100. (Œuv. hist. inéd., tum. Il, pag. 210 à 300.)
2. CUNON DE MICHELBACH. 1100-1123. (Œfiv. hist. ined,, tom. lï.pag. S07
à S46.)
3. BRUNON DE HOHBNBERG. 1123-1131. (Œuu. hist. inéd., tom. Il, pag. 349
à 368.)
4. GEBEHARD D'URAGH. 1131— llit. {(Euv. hist. inéd., tom. U, pag. 369
à 390.)
5. BURCHARD. 1141—1162. (Œuv. hist, inéd., tom. II, pag, 391 à Ut.)
6. RODOLPHE. 1163—1179. {(Euv. hist. inéd., tom. U, pag. U5 à 469.)
7. CONRAD DE GEROLDSECK. 1179. (Œuv. hist. inèd., tom. III, pa. 4 à 8.)
(Note de l'Editeur.)
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540 REVUE D* ALSACE.
CONRAD IV DE LIECHTENBERG. 1273-1299.
D'argent^ au lion rampant de sable, la qaeue fourchée et passée en
sautoir, à la bordure de gueules.
FRÉDÉRIC l" DE LIECHTENBERG. 1299-1306.
Les mêmes que celles du précédent.
JEAN I". 1306—1328.
De gueules, à la crosse d'argent mise en pal.
BERTHOLD II DE BUCHECK. 1328—1353.
Il porte écartelé au 1'' et 4«, bande d'or et d*azur de six pièces
enfermé, à la bordure de gueules, armes de Fancienne Bourgogne ; au
2* et 3* d'or, à trois roses de gueules, boutonnées d'or mises en pal.
JEAN II DE LIECHTENBERG. 1353—1365.
Les mêmes que celles de Conrad lY de Liechtenberg.
JEAN m DE LITZELB0UR6 ou LINIE. 1365-1371 .
D'or, à une bande de gueules.
LAMBERT DE BURNE. 1371-1375.
De sable , au lion d'or, au chef cousu de gueules , chargé de trois
roses d'argent.
FRÉDÉRIC U DE BLANCKENHEIM. 1375-1393.
Il porte écartelé au 1'' et i^ d'argent, à la bande ondée de gueules,
i'écu semé d'étoiles de même ; au 2« et 3<» d'or au lion rampant de sable,
chargé d'un lambel de gueules de quatre pièces.
LOUIS DE THIERSTEIN. 1393—1393.
D'or, à sept losanges de gueules, trois, trois et un.
BURCHARD DE LUTZELSTEIN. 1393-1394.
L'écu coupé au premier de gueules , à un chevron d'argent ; au
second d'or.
GUmLAUME H DE DIETSCH. 1394-1439.
De gueules, à deux lions léopardés d'or, armés et .lampassés d'azur,
passant l'un sur l'autre.
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ARMOIRIES DE8 ÉVÊQUES DB STRASBOURG. 541
CONRAD V DE BUSNANG. U39-1471.
Bandé d'or et de sable de dix pièces^ au pal d*aif ent brochant sur le
tout.
ROBERT DE BAVIÈRE. 1471 ^1«8.
Il porte écartelé au !•' et 4« de sable y au lion rampant d'or, cou-
ronné) lampassé et armé de gueules , comme palatin du Rhin ; au 2' et
3* d'or, au lion rampant de gueules, lampassé et armé d*azur, comme
duc de Deux-Ponts ; sur le tout , losange ou plutôt fuselé d'argent et
d'azur, de vingt-une pièces mises en bande, armes de Bavière.
ALBERT DE BAVIÈRE. 1478—1506.
Il porte écartelé au 1" et 4®, les armes palatines du Rhin ; au 2« et
3* d'argent, à une colonne de sable, chargé de trois écussons de
gueules, deux et un , comme duc de Mosbach; sur le tout , armes de
Bavière.
GUILLAUME III DE HOHENSTEIN. 1506-1541.
Echiqueté d'argent et de gueules au 1*' et 4* ; coupé d'azur au lion
rampant d'or et burelé en pointe d'or et de gueules de huit pièces ; au
2" et 3« , d'argent au cerf de sable sur le tout.
ÉRASME DE LIMBOURG. 1541—1568.
Il porte écartelé au l^' d'argent, à la fasce de gueules, chargée de trois
pals d'or ; au 2* de gueules , au lion d'argent , couronné , lampassé et
armé d'or, à la queue fourchue et passée en sautoir; au 3* d'or, à deux
lions de gueules passant l'un sur l'autre ; au 4* de gueules , à trois
besans d'or, deux et un ; sur le tout , d'argent au lion rampant de
gueules , couronné et armé d'or, lampassé d'azur, à la queue nouée ,
fourchue et passée en' sautoir.
JEAN IV DE MANDERSCHEIDT. 1568-1592.
Il porte parti d'un et coupé de deux, au 1*' d'or, à la bande virrée de
gueules ; au 2* d'or, au lion rampant de sable , chargé d'un lambel de
gueules de quatre pièces ; au 3« d'or, au lion rampant de gueules ; au
4« d'argent , à l'aigle éployée , de gueules ; au 5« d'argent , à la bande
ondée de gueules , l'écu semé d'étoiles de même ; au 6« d'or, fretté de
gueules.
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542 REVUE D*ALSâGE.
CHARLES DE LORRAINE. 1592—1601.
D'or^ à la bande de gueules, chargée de trois alerions d'argent.
JEAN-GEORGES DE BRANDEBOURG, évéque luthérien.
Il porte écartelé , au 1<' et i^ d'argent , à Taigle éployée de gueules ,
dont les ailes sont chargées de demi-cercles d'or ; au 2« et 3« d'ai^ent ,
à une aigle éployée de sable , colletée d'utoe couronne d'or, aux ailes
chargées de petits annelets de même.
LÉOPOLD I*' D'AUTRICHE. 1607-1625.
De gueules , à la fasce d'argent.
LÉOPOLD II D'AUTRICHE. 1625-1662.
Les mêmes.
FRANÇOIS DE FURSTEMBERG. 1662-^1682.
Il porte d'or, à l'aigle éployée de gueules, becquée et membréed'anir,
à la bordure ondée d'argent et d'azur; l'aigle de Furstemberg est chargée
en cœur d'un écu écartelé, au i^ et 4« de gueules , à une bannière
d'église ou gonfanon d'ai^ent ; au 2'' et 3* de sable^ à la barre engoulée
d'argent.
GUILLAUME DE FURSTEMBERG. 1682—1704.
Les mêmes.
ARMAND DE ROHAN. 1704—1749.
4 11 porte écartelé au !«' et 4' d'hermine , qui sont les armes des
anciens ducs de Bretagne ; au 2« et 3« de gueules « à neuf macles d'or
accolées et aboutées trois et trois en trois faces, armes de Rohan.
FRANÇOIS DE ROHAN. 1749-1756.
Les mêmes.
LOUIS-CONSTANTIN DE ROHAN. 1756-1779.
Les mêmes.
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ARMOIRIES DES ÉVÊQUES DE STRASBOURG 543
GRANDES ÂRMOmiES
fiVfiQUES DE 8TRA8B01R6 DE LA FAMILLE DES ROHAN.
Ils portent écartelé au i^^ et 4' de gueules, à la bande d'argent ,
comme évêques de Strasbourg ; au 2« et 3" de gueules , à une bande
d'argent , bordée de feuilles de rue d'or et entrelacée de petits globes
de même, comme landgraves de la Basse-Alsace; sur le tout est un
autre écu de huit quartiers, coupé d'un et parti de trois. Au 1" au chef
d'azur, semé de fleurs de lis d'or, à la bande de gueules , brochant sur
le tout, qui sont les armes des comtes d'Evreux ; au â^ de gueules, aux
raies d'escarboucle ou chênes , accolées et pommelées d'or, armes des
rois de Navarre ; au d^ d'or, à quatre pals de gueules, qui est d'Aragon;
au A^ d'or, au lion de gueules, enfermé dans un double trecheur fleur-
delisé et contre-fleurdelisé de même , armes d'Ecosse ; au 5® qui est le
i*r de la pointe, d'hermine, armes de Bretagne ; au 6* d'argent, à une
guivre, ou bisse, ou vipère d'azur, couronnée d'or, à Tissant de gueules,
armes de Milan ; au 7' d'argent, à la fasce de gueules, à la bordure d'azur,
qui est Saint-Severin ; au 8^ à la bande de gueules , chargée de trois
alerions d'argent , armes de Lorraine ; sur le tout du tout brochaut un
autre écu parti au premier de Rohan ; au second de Bretagne.
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RELIEFS ET CARTES DES VOSGES.
Quiconque s'intéresse à Tétude de la physique du globe ou des
sciences naturelles ne peut manquer de saluer comme un heureux
événement la publication récente d'une série de reliefs et de cartes des
montagnes françaises qui réalisent en tous points la perfection passible.
Cette belle œuvre y fruit d'un long travail d'un de nos professeurs de
l'Ecole polytechnique, M. Bardin , repose sur des documents d'une
valeur scientifique sans pareille : les minutes du Dépôt de la guerre.
Elle embrasse les principales chaînes de la France : les Alpes , les
Pyrénées , les Vosges , le Jura , les montagnes d'Auvergne. On com-
prend l'impossibilité et mieux l'inutilité de construire le relief de tout
le pays; aussi l'auteur reproduit non pas les chaînes entières avec tout
leur développement horizontal , mais il donne le plan de certains frag-
ments construits à une échelle commune afin de les rendre comparables
dans leurs formes et dans leurs hauteurs respectives. Assez petite pour
embrasser de grandes étendues, Péchelle de réduction de ces plans « le
quarante-millième , sufSt néanmoins pour faire ressortir les détaUs
essentiels du relief. Cette échelle , en outre , est la même pour les hau-
teurs et les surfaces horizontales ; on a donc sous les yeux des plans
naturels , d'une réalité saisissante y bien différents des reliefs mons-
trueux , véritables anamorphoses que produit si souvent l'exagération
des hauteurs et par lesquelles des chaînes à peine perceptibles devien-
nent des Cordillières d'une saillie contre nature ; les cimes isolées des
pics énormes; les collines, des montagnes abruptes. Comme M. Bardin
la fort bien fait remarquer à l'Académie des sciences , en présence de
ces images Vraies où les rapports des hauteurs sont conservés sans
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REUCFS ET GiRTES DES VOSGES. 545
altération, où les pentes du sol sont naturelles, l'observateur le
plus novice ne confond plus entre eux des phénomènes orograpbiques
r|ui n'ont de commun que leur nom générique. L'arête étroite et en
bayonnette des Pyrénées, l'aspect chaotique des Alpes, les formes
arrondies des Vosges, les combes jurassiques , les pustules volcaniques
de l'Auvergne, si semblables aux cirques de la lune, le frappent au
premier abord et communiquent des impressions ineffaçables ^ laissant
la connaissance précise de faits difficiles à saisir sans le secours de ces
images.
Ne pouvant examiner séparément chaque partie de cet immense tra-
vail , je me bornerai à quelques détails sur les Vosges dont la connais-
sance nous touche d'une manière plus intime. Le plan-relief des Vosges
a été traité complètement au point de vue topographique et les détails
de sa surface dessinés à quatre crayons : les eaux en bleu , la végétation
en vert , les lieux habités en rouge , les courbes de niveau centisimales
et les écritures à la mine de plomb. Comme le relief, à cause de ses
dimensions considérables , serait d'une reproduction coûteuse , l'auteur
a dressé à la môme échelle une carte orographique où la forme du
terrain est représentée non par des hachures , mais par des courbes
de niveau tracées de dix en dix mètres de hauteur verticale. Cette carte
ne peut manquer de fixer l'attention des ingénieurs chargés des grands
travaux publics et nous-mêmes en avons constaté l'extrême utilité
comme guide dans nos courses vosgiennes.
Après avoir fait des plans avec des cartes , H. Bardin a eu l'idée
ingénieuse de faire des cartes avec ses plans. La photographie lui a
permis de reproduire le plan topographique et le plan stéréotomique à
gradins réduits de moitié. La carte stéréotomique — dont six feuilles
sont publiées jusqu'à présent ainsi que pour le plan topographique —
est d'une vérité tefle que tous les détails du relief semblent palpables ;
on croit voir les objets mêmes , non leur image , et un œil exercé
reconnaît, sous les aspérités apparentes, la nature même du terrain.
Le Bàlon — et non le ballon. Nulle part dans les Vosges , dans le
Schv^artzwald et même dans le Jura , je n'ai pu voir dans les formes
qurique fois arrondies des montagnes qui portent ce nom de l'analogie
avec un aérostat. — De Guebwiller, le Rossberg, le BsBrenkopf qui
forment dans la chaîne des massifs distincts ou des rameaux d'inégale
grandeur, rayonnant autour d'un cône central, décèlent sur la carte
des formations curitiques ; on y reconnaît aussi la falaise escarpée du
9* Série. -17* Année. 35
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546 REVUE D'ALSACE.
grès des Vosges et les contreforts allongés de calcaire adossés contre la
chaîne vers la plaine d'Alsace , et les alluvions dessinées par des
courbes serrées , nombreuses à Torigine des vallées , descendant en
ondes plus amples , plus espacées au débouché et à la surface de la
plaine Les photographies du plan topographique sont également supé-
rieures aux feuilles correspondantes gravées de la carte du Dépôt de la
guerre au Vseooo \ '^ figure du terrain y est plus nette , ses détails plus
saisissants. Eaux courantes , végétation naturelle , grandes cultures ,
chemins de fer, canaux , routes , groupement des populations , tout est
exprimé avec une précision extrême , et un coup-d'œil suffit pour
reconnaître à ces signes la richesse y la beauté , la nature d*un pays.
Si Ton a appelé les cartes des livres en une page , cette définition s^ap-
plique surtout aux tableaux que j*ai sous les yeux , et qui unissent le
mérite d'une belle œuvre d'art à la supériorité magistrale d'un travail
scientifique.
Les photographies réddtes des plans-reliefs sont dues à H. Bisson.
A ces feuilles détachées il faut ajouter une carte d'ensemble de la partie
française du système des Vosges à l'échelle du Vsaoooo 4^'^^ ^^^ ^^^
préférable de prolonger jusqu'à Mayence; elle se serait ainsi étendue à
toute la chaîne , depuis Belfort jusqu'au confluent de la Nahe et du
Rhin avec ses limites naturelles que ne doivent pas faire supprimer
les divisions politiques. Quoiqu'il en soit de cette omission ^ M. Bardin
s'efforce de rendre les parties achevées de son œuvre aussi complètes
que possible avec le concours de savants spéciaux. Déjà il a pu y ajouter
des cartes botaniques et géologiques construites à l'échelle de la carte
générale , l'une par M. CoUomb, l'autre par le D' Kirschleger à qui ses
savants travaux sur la Flore de notre pays ont fait une réputation bien
méritée.
En même temps que M. Bardin achevait ses beaux travaux, la
Société industrielle de Mulhouse , dans des proportions plus modestes ,
faisait exécuter , par un instituteur suisse , H. Bûrgi , un relief du
massif des Hautes- Vosges. Cette carte , dressée à l'échelle de Viooom '
comprend les parties de la chaîne comprises entre Allkirch et Ron-
champ , Schlestadt et Saint-Dié et la proportion des hauteurs est exa-
gérée ; mais comme elle n'a pas , comme les cartes de M. Bardin , un
caractère exclusivement scientifique elle est néanmoins d'une grande
utilité pour les écoles primaires et se trouve à la portée de toutes par
la modicité de son prix. Tous les détails topograpbiques, les forêts , le
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RELIEFS ET CARTES DBS VOSGES. 547
cours d'eaux, les lieux habités, les routes, les lignes de chemins de
fer rectifiées avec le concours de M. Jundt , ingénieur des ponts-et*
chaussées , se trouvent représentés avec une précision remarquable et
quMl est plus aisé de saisir que sur le dessin très- compliqué d*une
carte plane. Ce relief, malgré son mérite très-réel , est loin de valoir, au
point de vue de la science , les magnifiques tableaux de M. Bardin qui
resteront le plus beau monument élevé à Torographie de la France et
portent tous le cachet d'une œuvre définitive.
ê
CUAHLES GRAD ,
membre de la Société de Géographie.
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BIBLIOGRAPHIE.
L
Recherches anthropologiques sur le pays de Montbéliard, par
H. le Docteur Muston. — Première partie. — - Imprimerie et librairie
de Henri Barbier. — Montbéliard ^ 1866. — Un vol. grand in-8<> de
456 pages.
Quand des sociétés se fondent à Montbéliard pour des travaux inteU
lectuels , les efforts se concentrent sur l'étude du pays. Cela ne veut
pas dire que Ton fait divorce avec les différentes branches de la
science j dans son acception générale ; loin de là. Hais on n'y a pas ,
comme ailleurs, comme presque partout en province , la prétention de
former des académies savantes , qui n'en ont , la plupart du temps, que
le titre, ni des collections visant à égaler, sinon à surpasser celles
des grandes villes ; noscere se ipsum, telle semble être la devise des
Sociétés scientifiques de l'ancienne principauté , et c'est en lui demeu-
rant fidèles qu'elles arrivent , insensiblement , à prouver que de ce
point de départ, on parvient à rattacher toutes les recherches spéciales,
tous les travaux aux points culminants de la science proprement dite.
Lisez, je vous prie, les deux pages d'introduction du livre de H. Muston,
et vous verrez comment , sans franchir les frontières de ce petit pays ,
la Société d^émulatian étend le cercle de ses études jusqu'aux limites
les plus reculées.
Si notre temps se distingue par un côté , c'est incontestablement par
les travaux qui ont pour objet la recherche des origines. A aucune
époque on n'a tant creusé , tant fouillé cette matière qui , au-delà des
temps historiques , paraissait jusqu'alors aussi insondable que le mys-
tère de la Trinité. Aux imaginations dites aventureuses ont succédé
des esprits calmes, réfléchis et cultivés qui ont voulu vérifier les hypo-
thèses , et qui ont été conduits , quelque fois sans le savoir , au-delà
de la limite que les premiers voulaient atteindre. Ça été un peu l'œuvre
delà philosophie positive ou mieux de la science pure. Or, devant
celle-là il n'y a pas à se cabrer; elle se présente avec les preuves en
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BIRLIOGRAPHIR. 519
mains , et le plus sceptique , le plus incrédule comme le mystagogue le
plus fieffé s'inclineront , s'ils sont de bonne foi , avec autant d'empres-
sement devant la preuve administrée par la nature dite inerte , que
devant la signature et le sceau de Saint Louis.
Les sciences en général subissent une évolution qui paraît étrange
et qui est pourtant fort simple , essentiellement logique. Il n'y a pas
vingt ans , le naturaliste de province professait un superbe dédain pour
les travaux historiques ; le plus mince herboriste , en possession du
bagage technologique , faisait acte de savant en se bouchant les oreilles
à la lecture d'une production littéraire quelconque et en lui opposant
une composition de cryptographie apprise à l'école ou élaborée dans
l'arriëre-boutique. Ce genre devient un peu plus rare depuis que les
Maîtres , qui n'ont jamais donné dans ce ridicule ^ leur enseignent que
toutes les sciences sont solidaires et que les travaux de l'une peuvent
aider à l'avancement de l'autre. Il y a , en effet , entre toutes les
branches des connaissances humaines des points de contact si nom-
breux , qu'une intelligence saine les aperçoit et se garde de ravaler
l'une au profit de l'autre.
Voyez plutôt : au sein de la Société d'émulalion de Montbéliard ,
peuplée comme partout d'hommes adonnés aux éludes les plus diverses,
on s'occupe de chronologie, d'histoire particulière, d'archéologie,
d'art et d'autres choses encore , en même temps que de sciences natu-
relles dont l'arrondissement est le champ d'exploration. Le terrain est
à peine effleuré que l'on aperçoit les liens intimes qui rattachent l'un
à l'autre des travaux si divergents en apparence. Partout ailleurs il y
aurait tendance à considérer semblable association comme une affreuse
cacophonie. Ici point. Des intelligences d'élite mettent en évidence les
points de contact et abandonnent au plus dévoué , ou au plus capable
le soin de mettre le bart autour de la gerbe.
En examinant les épis de cette gerbe on reconnaît bien vîte que rien
de disparate , rien d'inutile n'est entré dans sa formation ; que chaque
moissonneur y a contribué dans la mesure que comportait sa tâche et
que l'ensemble s'élève au niveau du dernier état de la science. Dans ce
champ circonscrit on a récolté tous les fruits qu'il fallait pour se mettre
à la hauteur du savoir des Lyel , des Boucher de Perthes , des d'Archiac
et des Louis Figuier ; d^s Trogon , des Pictet, des Fournet , des Broca,
des Flourens, des Amédé Thierry, des Quiquerez, des Moreau de
JonnèSj des Ghiflet et des Schœpflin ; des Grandidier , des de Golbéry ,
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550 REVUK o'alsage.
des Napoléon P" et III et de tant d'autres qu'il serait trop long de
dénommer ici. Tant il est vrai de dire que le véritable homme de
science trouve dans son propre pays le sujet de ses études expérimen-
tales et qu'il fait bien de laisser à celui qui veut jeter de la poudre aux
yeux de ses concitoyens , le privilège de chercher au-dehors des maté- *
riaux que ceux-ci ne connaissent pas et qu'il ne connaît guère mieux.
Il paraît prétentieux le livre de M. Muston après les citations que nous
venons de produire ; et pourtant rien n'est plus modeste. Il est d'une
extrême simplicité et ne dédaigne pas de quitter les hauteurs où il se
place au début pour descendre jusqu'à la bonhommie de la statistique.
Nous aimons y nous estimons des travaux de ce genre ; on n'y trouve
pas d'afféterie y point de faits ni d'opinions hasardés. Il y a ce que l'au-
teur sait , et ce qu'il sait , il le sait bien. Nous allons essayer de rendre,
en aussi peu de mots que possible , les contours généraux de cette
anthropologie locale.
On a trouvé dans le sol du pays de Montbéliard les preuves de Texis*
tence de Thomme à l'époque de la formation quaternaire du globe.
Soumises à l'examen de la science anthropologique » ces preuves ont
démontré que l'homme, qui habitait notre contrée à cette époque,
était brackycéphak et appartenait à la race lapone^ ramification extrême
de la race mongole. Semblable découverte a été faite récemment à
Eguisheim , dans le terrain diluvien , au milieu d'ossements d'animaux
disparus. H. le docteur Faudel en fait le rapport dans le Bulletin de la
Société d'histoire naturelle de Colmar« qui paraîtra très-prochainement.
C'est à cette époque que remonte Vige de pierre. H. Huston le divise
en trois périodes : celle des haches ébauchées , celles des temps gla-
ciaires et celle des habitations lacustres. Â l'appui de cette thèse , les
sciences naturelles fournissent des preuves qui ne sont pas moins con-
cluantes que les premières ; elles donnent l'explication de l'anéantisse-
ment partiel des êtres vivants dans le sens prévu par Humbolt et nié par
les défenseurs de l'unité de race ; du phénomène des blocs erratiques
et de ces habitations étranges dont la récente découverte a tant préoccupé
le monde savant. Pendant la première période, Thomme a vécu à l'état
sauvage et s'est fait de la pierre des instruments ébauchés , tels que
haches rudimentaires, pointes de flèches dont on retrouve des échan-
tillons dans le terrain quaternaire. Il va sans dire que la faune de cette
période est reconstituée par les mêmes indications et les mêmes preuves.
La période glaciaire qui succéda est également prouvée par des faits
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BIBLIOGRAPHIE. 551
aussi incontestables que les premiers. Le centre de l'Europe a été cou-
vert de glaciers semblables à ceux des pôles. Le mouvement de ces
immenses mers de glace expliquent le transport de ces énormes blocs
de granité des Alpes jusque sur les flancs des plus hautes montagnes
du Jura. Les cavernes que Ton rencontre dans ce terrain de formation
postérieure fournissent , à leur tour , la preuve que la période glaciaire
fut mortelle pour le lion , Téléphant-mammouth , le rhinocéros , l'hip-
popotame , le renne , le grand cerf d'Irlande qui disparurent et dont
ces cavernes renferment des débris fossiles eu grandes quantité , asso-
ciés d'ailleurs à des ossements humains et à des débris de son industrie
primitive, tels que silex taillés en couteaux, pointes de flèches^ instru-
ments en bois de cerf et renne appointés d'un bout et taillés en biseau
de l'autre. A la période glaciaire succède la période lacustre ou anté-
celtique , qui est la dernière de l'âge de pierre , car les recherches et
les études faites sur cet élément nouveau pour l'histoire de nos origines,
démontrent que les peuplades qui cherchaient , au milieu des eaux ou
des marais , un abri sûr pour y établir leurs huttes , ne connnaissaient
point encore l'usage des métaux. Ce fait , comme le remarque H. Muston,
a en effet une haute importance puisqu'il sépare d'une façon tranchée
l'âge de pierre de l'âge de bronze. Ces peuplades descendaient du type
lapon de la première période et les découvertes prises dans le terrain
artificiel sur lequel elles établirent leurs habitations, permettent à fauteur
d'esquisser avec sûreté leurs mœurs et leur civilisation. Il faut lire dans
l'ouvrage les divers chapitres, très-sobres du reste, où ces différents
points sont traités , pour avoir une idée bien nette du secours que la
science apporte à l'histoire des origines.
En sortant de cette longue époque d'enfance de notre humanité , on
entre dans Vdge de bronze , c'est-à-dire dans une civilisation toute
nouvelle importée par des tribus aryennes venues de TAsie , sortes de
Kabyles qui émigrèrent de la Bactriane vers Toccident de l'Europe où
elles formèrent, avec les débris échappés au massacre des peuplades
primitives qui l'habitaient , le peuple celtique et inaugurèrent l'd^^ de
bronze. Cette époque, quoiquo très-reculée, est un fait acquis à la
science et contre lequel personne ne s'élève plus de nos jours, parce
que les retardataires trouvent moyen de le concilier avec la chronologie
sur laquelle ils basent leur infaillibilité de croyance. Or, M. Adolphe
Pictet, dans ses Origines indo-européennes ^ a jeté une lumière très-
vive sur les Aryas primitifs, leurs moeurs, leur civilisation et les causes
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552 REVUE D'ALSACE
de leur immigration dans l'Europe occidentale. Ceux-là sont nos véri-
tables ancêtres et si leur histoire était encore lettre morte au pays dont
ils prirent possession , H. Pictet nous la ferait connaître en allant Fétu-
dierenAsie, c'est-à-dire à leur berceau. C'est sur cette, autorité ,
acceptée de tout le monde , que M. Muston se base pour nous parler
de l'époque celtique dans nos contrées. Si les Celtes nous apportèrent ,
comme cela n'est pas douteux , la civilisation de la Bactriane au mo-
ment de leur émigration , on est forcé d'avouer que de nos jours encore
subsistent^ dans^J'agriculture tout au moins, non pas des restes , mais
des procédés tout entiers au perfectionnement desquels les comicps
croient travailler efficacement , tandis que notre industrie moderne ,
que l'on peut appeler Vâge de F acier , les bat en brèche avec plus ou
moins de succès.
De même que Yàge de pierre avait fini par l'invasion des Celtes , de
même aussi Vdge de bronze devait succomber devant l'invasion des
Kimris , autre peuplade de l'Asie refoulée en Crimée d'abord , se répan-
dant ensuite jusqu'à la mer Baltique d'où elle partit, beaucoup plus
tard , pour envahir les terres situées entre le Rhin et l'Océan, se con-
fondre avec les Celtes , inaugura Vâge de fer et former la nation
Arrivé au galop à ce point de notre résumé, nous pourrions nous
arrêter sans scrupule , parce que nous en avons dit assez pour piquer
la curiosité du lecteur , conséquemment pour recommander un livre
qui nous intéresse au plus haut degré. Nous touchons d'ailleurs à une
époque dont l'histoire est écrite par Pelloutier et une foule d'autres
qui ont suivi ses traces ou l'ont complété. Mais nous ne sommes pas au
tiers du livre et si pour l'épuiser il nous faut mesurer la place qui nous
reste , nous devons procéder par enjambées plus grandes encore que
les précédentes.
Avec le fer nous ne sommes pas à Jules-César et jusqu'à l'acier
obtenu régulièrement nous devons arriver au dix-septième siècle de
notre ère, ainsi que le démontre, par l'histoire et la géologie,
M. Quiquerez dans un travail avec lequel nous sommes en retard et
que nous nous proposons de faire prochainement connaître à nos lec-
teurs. Notre computation est rapide , comme on le voit , car dans cette
nouvelle époque nous embrassons la période celtique , la période gallo-
romaine, la période franque et burgonde ainsi que toute celle du
moyen-àge. Sommes-nous encore dans Vâge de faâer et de la fonte ,
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BIBLIOGRAPHIE. 553
OU bien avons-nous déjà un pied dans Vâge d'or? Nous voudrions
pouvoir l'affirmer. Quoiqu'il en soit nous avons fait beaucoup de che-
min vers un âge meilleur , malgré ce qu'en écrit l'évêque d'Orléans ,
et pour ef être convaincu il suffit de suivre l'étude de H. Muston dans
son paisible développement. Toutefois il est probable que l'âge dans
lequel nous sommes se prolongera encore si la durée de la période doit
égaler celles qui l'ont précédée.
Combien de siècles se sont écoulés depuis le commencement de
Vdge de pierre jusqu'à sa fin ? C'est ce que la géologie n*a pu encore
nous apprendre. Elle prouve seulement l'existence de l'homme pendant
l'époque tout entière de la formation quaternaire , mais elle n'a pu
jusqu'à présent en indiquer la durée d'après la mesure des révolutions
sidérales. Elle est moins circonspecte pour les âges suivants. Tandis
que l'acier coupe en deux parts des collines entières pour livrer passage
à nos voies ferrées, la science recueille, aux divers étages de leur
formation, les preuves de la présence de l'homme et en déduit la durée
des époques. En partant des mesures faites dans une semblable cir-
constance aux environs de Genève, et en admettant une antiquité de
treize siècles au moins et de dix-huit au plus pour la couche romaine
au-delà de laquelle on ne fera pas remonter Vâge de fer bien qu'il lui
soit antérieur, on arrive à une antiquité de 29 siècles au moins à 42
siècles au plus pour Y âge de bronze ; de 47 siècles au moins à 70
siècles au plus pour la fin de Y âge de pierre et pour la formation totale
de la colline éventrée, à un âge de 74 siècles au moins à ilO siècles au
plus. Si l'on admet ces données , qui ne sont pas faites pour contrarier
la version des Septante quant au déluge (3716 ans avant notre ère) ,
l'accord cesse de régner entre les constatations arrachées à la nature
par l'intelligence humaine et les révélations enseignées par l'exclusi-
visme de la tradition.
' Nous pouvons nous borner à ce qui précède pour donner au lecteur
une idée concise de la première partie du livre de H. Muston. Pour le
surplus nous pouvons , sans inconvénient , être plus bref encore , car
nous sommes arrivé à la partie statistique dont nous avons parlé en
commençant. Le chapitre II est consacré à la description des diverses
régions du pays de Montbéliard avec quelques pages accordées à son
hydrographie et à sa faune. Le chapitre lil est tout entier à la statistique
agricole et le chapitre IV à la statistique industrielle. Mais il ne faut
pas que ce mot de statistique effraie les esprits qui ont horreur des
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554 REVUE D'ALSACE.
chiffres et qui leur accordent peu de créance. Ils n'y trouveront que
très-peu de chiffres , mais beaucoup de récits , de raisonnements et de
descriptions intéressantes; c'est un genre de statistique auquel on
donne ordinairement un nom moins modeste Nous regrettoos de man-
quer de la place nécessaire pour en fournir un exemple. On nous croira
sur parole et cela suffit au but que nous nous proposons. Nous dirons
seulement que dans cette dernière partie , comme dans la précédente,
l'auteur s'est appuyé sur des travaux originaires du pays et dus , pour
la géologie, à HM. Thurmann, Thirria, Kœcfalin-Schlumberger,
Contejean , Parisot , Résal , Fournet , etc. ; pour la botanique , à
HM. Thurmann, Contejean^ Parisot, Grenier, Kirschleger , Quailet ,
Friche- José et Hontandon; pour la statistique, à H. PaulLaurens,
rédacteur des annuaires du Doubs, et à H. Résal , ingénieur des mines ;
pour la faune , à plusieurs naturalistes franc-comtois et particulièrement
à Frère Ogérien , auteur de l'histoire naturelle du Jura et des départe-
ments voisins. Rien n'est oublié de ce qui a rapport au pays de Mont-
béiiard , et l'on présume de reste que le présent est rattaché au passé
dans chacune des matières qui le comporte, c'est-à-dire qui a des
racines dans les temps éloignés de nous. C'est une particularité qu'il
convient de faire ressortir , une fois de plus^ en faveur du naturaliste
que la routine de la spécialité n'éblouit pas au point de le convaincre
qu'en dehors de sa visée, il n'y a plus rien. Dans certains endroits on
pourrait reprocher à M. Huston trop de laconisme ; mais cela doit être
excusé , parce que le plan môme de Touvrage commande cette sobriété.
La première partie a le caractère d'une œuvre scientifique en même temps
que historique ; la suite devait se maintenir autant que possible dans ce
plan afin de respecter l'unité de la conception ; ce qui n'empêche pas l'au-
teur de tirer çà et là des conclusions justifiées par les faits mis en évi-
dence , comme par exemple lorsqu'il dit que « la domination des Francs
< fut, pour la Gaule, une véritable calamité, t Que la période mérovin-
gienne fut « une période d'anarchie , d'ignorance et d'atrocités » mar-
quée par < les forfaits des princes de cette dynastie exécrable ; » qu'à
l'avènement des Capétiens , bien que les Francs se fussent fondus dans
la nationalité gauloise à laquelle ils donnèrent leur nom, ils n'en
retardèrent pas moins, c pendant des siècles, le progrès des Gaulois
« dans la civilisation ; que leur c aristocratie féodale pesa sur eux jus-
« qu'à la grande Révolution française, qui fut le réveil définitif de
« l'esprit gaulois, » c'est-à-dire de l'esprit des tribus aryennes, les
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BIBLIOGRAPHnS. 555
Celtes et les Kimris , dont les Francs saiiens et les Francs ripuaires
devinrent les dominateurs après avoir été les mercenaires des Romains
et les avoir trahb à la décadence de Tempire. A cette seule citation y
comme à beaucoup d'autres qu'il nous faut passer , le lecteur recon-
naîtra Texcelleni esprit qui règne dans ce livre , au sujet duquel nous
ne dirons plus qu'un mot qui sera notre conclusion.
Il est louable de mettre son savoir et ses loisirs au service de la
science et de son pays natal. En creusant la terre pour refeire ses
annales on lui donne un blason qui vaut celui que beaucoup rappor-
tèrent de la Palestine à la suite de Pierre Termite , et H. Huston, qui
nous promet pour paraître prochainement le dernier tome de son
anthropologie locale , s'est assuré une des premières places parmi cette
pléiade d'hommes distingués qui sont les dépositaires de la bonne tradi-
tion au pa;s de Montbéliard.
II.
Questions sur la chasse. Jurisprudence de la Cmir de Coltnar en
cette matière , par M. de Neyremand , conseiller à la cour impériale
de Colroar. — Colmar , imprimerie de Ch.-M. Hoffmann — 1866. —
Une brochure in-S^" de 148 pages. Prix : 2 fr. 50 c. Chez Eug. Barth
et Held-Baltzinger , libraires à Colmar.
Il y a , près la cour impériale de Colmar, un recueil de soixante-six
volumes contenant les arrêts les plus notables de cette cour en toutes
les matières. C'est une collection rare et coûteuse , outre qu'elle tient
beaucoup de place dans le cabinet d'un homme de loi ; de plus elle
renferme une foule do décisions qui ont perdu à peu près tout l'intérêt
juridique qu'elles présentaient dans le temps où elles ont été rendues.
Cette seule considération motiverait , pour diverses matières , un travail
semblable à celui que M. le conseiller de Neyrenfand vient de faire
paraître pour les questions relatives au droit de chasse. C'est bien le
juriste qui se révèle dans les cent quarante-huit pages qui forment ce
premier essai spécial de la tradition jurisprudencielle de la cour de
Colmar en fait de droit de chasse ; mais nous soupçonnons — et M. de
Neyremand nous pardonnera cet aveu — que le chasseur y est aussi
pour quelque chose. Si la plupart de Messieurs les conseillers ne prati-
quent la chasse que sur l'étalage du revendeur , il est bon qu'il y en
ait aussi quelques uns qui trouvent le gibier qu'ils abattent meilleur
que celui du restaurateur. Voici pourquoi : Nous posons en fait qu'il
n'est pas un seul chasseur qui n'ait, plus ou moins fréquemment , con-
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556 RBTUB d' ALSACE.
trevenu à la loi et aux règleroenls , tant Texercice du droit que Ton
achète est semé de difficultés el d'écueils. M. de Neyremand , qui se
livre , avec une modération tout-à-fait magistrale , au délassement de
la chasse , s'est sans doute trouvé plus d'une fois , comme nous tous ,
aux prises avec ces difficultés , embarrassé dans ces écueiis. De là
l'opportunité de faire la reconnaissance juridique du terrain. Si c'était,
en effet , sous l'habit 'du chasseur que le légiste a senti la nécessité de
se révéler , nous ne devrions pas regretter la mauvaise chicane qu'un
garde champêtre lui aurait cherchée puisqu'elle nous aurait valu le
petit manuel qui permet à chaque chasseur d'apprendre , par des arrêts
de la cour de Colmar , où commence et s'arrête son droit, où commence
et finit celui du briquet rural. Le fait est que si, pour notre part, nous
avions su ce que nous apprend H. de Neyremand , nous aurions , plus
d'une fois, invité ce fonctionnaire à aller se promener , au lieu de nous
livrer à des explications diplomatiques qui portaient quelqu'atteinte à
notre dignité de disciple en Saint Hubert. Nous conseillons à nos con-
frères de se munir des armes que H. de Neyremand met à leur dispo-
sition , d'en étudier un peu le mécanisme et la portée et de s'en servir
impitoyablement lorsqu'une plaque malencontreuse vient troubler in-
tempestivement leurs exercices. Il n'est pas besoin d'avoir passé quatre
années dans une université à ne pas suivre l'école de droit pour en faire
usage ; il suffit de savoir lire pour comprendre les termes d'un arrêt.
D'ailleurs , quand cela est nécessaire , M. de Neyremand fait suivre la
glosse et ce qu'il y a surtout de bon dans ce manuel , c'est que l'auteur
ne craint pas de critiquer les décisions de la Compagnie à laquelle il
appartient, lorsqu'il ne partage pas son avis ou celui de la majorité ;
c'est-à-dire que^ s'il est respectueux pour ses décisions , cela ne l'em-
pêche pas de revendiquer le droit quand il le croit méconnu. Nous
pourrions en donner plus d'une preuve , mais nous lais&ons à l'homme
de loi et au chasseur la satisfaction de les découvrir. Présentée à coups
d'arrêts, la matière nous semble si complexe qu'elle mérite d'être
étudiée , dans la brochure de M. de Neyremand , par les hommes qui
sont chargés de défendre , devant le siège , le contrevenant ou le délin-
quant , par ceux qui doivent appliquer la loi et surtout par la classe .
assez nombreuse dans le ressort^ que la loi concerne spécialement ,
c'est-à-dire les chasseurs.
Une chose noys a frappé à la lecture de cette série de décisions judi-
ciaires. La jurisprudence de la cour impériale de Colmar élève presqu'à
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BIBLIOGRAPHIB. 557
la haateur d'un principe que la bonne foi , en matière de contra-
vention ou de délit de chasse, ne peut être admise. Cela nous a paru
être d*une rigueur extrême. En toute autre matière, beaucoup plus
grave et qui intéresse Tordre social à un plus haut degré ^ la bonne foi
est un élément constitutif du fuit incriminé , et la décision qui inter-
vient en tient compte. On peut dire que c'est aussi , jusqu'à un certain
point , dans ce sens que les tribunaux correctionnels de première in-
stance jugent la contravention ou le délit de chasse , car , si dans les
motifs du jugement la bonne foi n'est pas explicitement retenue , il
n'en parait pas moins certain que l'acquittement , basé sur l'insuffisanse
de preuves , en est déduit. Plus rigide sur les principes , la Cour semble
placer au-dessus de l'intention , au-dessus de la bonne foi , le fait
matériel établi au procès-verbal et appliquer la loi presque comme en
matière de délit forestier ; de sorte que les éclaircissements versés au
débat demeurent , pour ainsi dire, sans effet quant à la pénalité et ne
peuvent avoir d'autre conséquence que d'atténuer la portée morale qui
résulte à rencontre du prévenu par le fait de la prévention et de la
condamnation. Nous nous élèverions contre cette doctrine juridique si ,
par profession , nous étions autorisé à le faire. Comme chasseur nous
pouvons dire , sans manquer le respect pour la chose jugée , que dans
l'exercice du droit de chasse on est souvent , sans le savoir , exposé
a être constitué en contravention ou en délit. Que le procès-verbal fasse
foi , rien de mieux ; mais s'en suit-il que son effet juridique ne puisse
être infirmé? cela se comprend difficilement alors qu'en matière crimi-
nelle la procédure écrite , elle-même , est corrigée , aggravée ou anéan-
tie quelques fois par de nouvelles explications de l'accusé ou par la
déposition orale des témoins entendus devant le juge-instructeur et son
greffier.
Hais nous mettons le pied sur un terrain qui n'est pas le nôtre et
l'on voudra bien ne pas nous en faire un grief, n'ayant en vue que de
justifier ce que nous voulons alléguer : Pour être chasseur , on est pas
essentiellement de mauvaise foi dans l'exercice du droit que l'on paie;
on peut être amené à la barre de la justice étant innocent moralement
du fait qui est reproché ; bref, nous aurions jugé comme le tribunal de
police correctionelle de Colmar dans la cause des oiseatêx aquatiques ,
pages ii9 à 129 des excerpta de M. de Neyremand.
Ne semble-t-il pas , d'après ce qui précède , qu'il s'agit d'un sujet
bien sévère , bien ardu dans la brochure que nous signalons ? Nous
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558 mWE D* ALSACE.
prions le lecteur de n'en rien croire. Si la matière est un peu sèche ,
d'un caractère tant soit peu subtil , elle devient attrayante et instructive
sous la plume de H. de Neyremand. Le chasseur ne s'ennuie pas en la
lisant. Sa curiosité est excitée au plus haut degré par la variété des cas
soumis à l'appréciation de la Cour depuis plus d'un demi-siècle , et son
esprit est singulièrement reposé par l'exposition des faits soit dans le
texte des arrêts , soit par H. de Neyremand quand le rédacteur de
l'arrêt s'est montré trop discret. La brochure a donc aussi sa partie
amusante et nous pouvons , en toute sûreté de conscience , la recom-
mander aux chasseurs , voire même aux braconniers du pays.
m.
Le Bib' iographe alsacien. Ga%ette littéraire , historique , artvttique. Strasbourg,
îir.primeric de veave Berger-Levrault et fils. — M.D.GCG.LXVI. — Prix :
6 francs par an. On s'abonne chez les principaux .libraires d* Alsace , et au
bureau de la Rédaction , chez M. Ch M<b1 , 23, rue de l'Arc-en-Giel I Stras-
bourg.
Nous aimerions que tous les lecteurs de la Revue connussent cet
intéressant recueil. lien est à sa troisième année d'existence et il forme
jusqu'à présent une collection d'une homogénéité remarquable. Son
Directeur , M. Hehl , est un homme de savoir et un homme de goût :
il a su maintenir le Bibliographe dans le programme de son début ,
réveiller chez beaucoup de nos compatriotes l'amour du livre , le goût
de l'art et Tardeur des études sur un terrain beaucoup trop négligé en
Alsace. La tâche qu'il s'est imposée et qu'il accomplit avec une entière
indépendance mérite des encouragements qu'il ne faut pas marchander.
C'est quelque chose pour une province que d'avoir une publication qui
mette en relief toutes les productions de sa vie artistique dans les temps
anciens comme dans les temps modernes. Le Bibliographe ne faillit
pas à cette mission et pour s'en convaincre , il suiBt de parcourir ses
tables de matières. Le plus indifférent y trouvera de quoi l'intéresser ,
le distraire et l'instruire. Si occupé , si pressé de vivre que l'on soit ,
l'esprit veut aussi avoir des satisfactions qu'on ne lui refuse pas im-
punément , car la vie n'est pas seulement confinée dans la préoccupa-
tion des jouissances matérielles, des absorptions du mouvement poli-
tique. Il y a temps pour tout et quand l'esprit demande satisfaction ce-
n'est pas pour détourner l'homme des choses positives , mais bien pour
le reposer, le retremper aux véritables sources d'où procèdent les
sociétés civilisées et le rendre plus apte à bien remplir le réie auquel il
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BIBLIOGRAPHIE. 559
est appelé. En nulle autre province mieux qu*en Alsace , on n*a con-
science de cette vérité ; aussi la vie intellectuelle y est active , constante,
même sous Tempire des circonstances les plus propres à la paralyser.
Rien n'arrive au jour en Alsace sans y rencontrer de Tappui el des sym-
pathies ; c'est que TAlsace toute française qu'elle est ^ toute archî-
française que , de temps à autre , on se croit obligé de la proclamer ,
n'en conserve pas moins sa vie propre et tient à la cultiver à côté du
mouvement , du tourbillon général en dehors duquel on a le tort de
croire qu'il n'y a plus rien Dans cette vie de famille , le Bibliographe
a pris une place inoccupée depuis trop longtemps y comme nous l'avons
déjà dit. Il y figure avec honneur. Nous serions heureux, si la justice
que nous nous plaisons à lui rendre pouvait contribuer à lui assurer de
plus en plus le succès dont il jouit. Ceux de nos lecteurs qui ne con-
naissent pas encore le Bibliographe et qui se décideraient à lui accorder
une petite part de leur attention ^ nous sauront gré , nous n'en doutons
pas , de le leur avoir signalé.
La cinquième livraison, du Z^* volume commencé , paraîtra du 15 au
20 de ce mois.
IV.
Exposition des beaux-arts de paris. V Alsace et ses artisêes,
par Ad. Morpain. — Strasbourg , imprimerie d'Ad. Christophe —
ig66. — Une brochure petit in-S** de 40 pages.
M. Morpain nous a fait Thonneur de nous envoyer sa brochure; nous
devons l'en remercier et en dire quelques mots. C'est la troisième année
des comptes-rendus du salon de peinture, publiés, si nous ne nous
trompons, dans le Moniteur du Bas- Rhin.
Pourquoi ne dirions-nous pas tout d'abord que nous regrettons les
quatre pages d'introduction dont l'autour a cru bon de faire précéder
sa critique'^du salon ? Nous ne pensons pensons pas que la bouflbnnerie
Lischen et Fritzchen soit une peinture exacte des mœurs alsaciennes
et M. Morpain nous paraît mériter le reproche de l'avoir prise au sérieux.
Les balais de Brumath et d'autres choses n'ont pas besoin d'être vengés.
On sait à Paris, aussi bien que partout ailleurs « que l'Alsace fait partie
(lu territoire français depuis 1648, Strasbourg depuis 1681; qu'on y
parle et qu'on y écrit , tant bien que mal , les deux langues , mais qu'on
y est d'origine allemande ce qui , n'en déplaise à l'auteur, n'est nulle-
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560 REVUE D'ALSACE.
ment un déshonneur. Aujourd'hui que la Société des amis des arts a
rompu avec € l'école de Dusseldorff » s'en trouve-t-elle mieux? Quelques
uns disent oui, d'autres disent non. L'important est de savoir qui a
raison , mais ce qui est certain c'est qu'une Société s'amoindrit en'jetant
par-dessus bord un des éléments qui constituent sa richesse et son ori-
ginalité. Pour être Français et bon Français , est-il absolument indis-
pensable de renier l'ancienne parenté et de n'avoir plus rien de commun
avec elle , ni dans la langue , ni dans la science*, ni dans l'art ? Nous
ne le pensons pas , ce qui veut dire que nous sommes d'un avis contraire
à celui de H. Horpain. Mais nous n'insistons pas , car nous croyons
que cette espèce de croisade , dont M. Morpain est l'éloquent apôtre ,
n'a au fond rien de sérieux et qu*elle cessera dès que le prétexte sur
lequel elle se fonde sera usé. Il est bien près de l'être , car aujourd'hui
on ne nous conteste plus que nous sommes Français , bons Français ,
mais nous ne pensons pas qu'on aille, comme M. Morpain, jusqu'à
prétendre que nous sommes meilleurs Français que les Bretons , les
Gascons où les Marseillais.
Ce qui est louable dans la brochure de M. Horpain c'est l'intention.
Il revendique , au profit de la réputation du pays , les œuvres de tous
ses artistes. Il distribue à ces derniers l'éloge et la critique dans une
mesure qu'il ne nous est pas permis d'apprécier , car nous ne connais-
sons que très-superficiellement les œuvres qu'il examine. La critique «
en matière d'art , est fort difficile et scabreuse. On a vu les œuvres les
plus dénigrées reprendre leurs droits et arriver, quelquefois grâce à ce
dénigrement , à obtenir très-promptement bonne et équitable justice.
Quand la critique a ce résultat, il ne faut pas trop s'en plaindre , car
c'est une des voies indirectes par lesquelles l'écrivain peut encore
rendre service. Nous ne faisons pas cette remarque à l'intention de tel
ou tel chapitre de la brochure de M. Morpain : si l'auteur est hardi, vif^
un peu pressé en beaucoup d'endroits , il ne va pas , ou il n'a jamais
voulu aller jusqu'à « détruire d'un seul trait les illusions de l'artiste, i
Il est ( de ceux, au contraire^ qui croient que devant n'importe quelle
( œuvre d'art , soit de peinture ou de sculpture , fut-elle même mau-
c vaise, il faut toujours faire une large part au sentiment qui l'a créée.»
M. Morpain a raison et nous sommes persuadé qu'en restant fidèle à ce
précepte il nous donnera , l'an prochain , une revue de plus en plus
intéressante des œuvres par lesquelles l'Alsace artistique se distinguera
à l'exposition universelle. Frédéric Kurtz.
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PERSÉCUTIONS DES VAUDOIS
A STRASBOURG.
{Extrait des manutcrits inédits de Grandidier,)
C'est sous Fépiscopat de Henri de Veringue que com-
mencèrent les persécutions : le temps était arrivé où les
infortunés , mais trop opiniâtres , Vaudois devaient être la
victime de leur erreur. Qu'il nous soit permis d'en rap-
porter les différentes circonstances: cette digression ne
sera pas un objet indigne de la curiosité des lecteurs.
Indépendamment qu'elle appartient à l'histoire du siècle et
de la province , elle nous fait connaître les ressorts hon-
teux qu'une fausse piété , la ven{^eance , l'avarice , l'esprit
persécuteur mirent en usage pour y exterminer des sec-
taires dont le crime était de ne pas être de la même
croyance. Ce n'est point à Saint-Dominique, ce n'est point
à son ordre qu'on doit imputer de pareils traits et de
pareilles persécutions. C'est en général à la perversité des
hommes, toujours fanatiques, toujours cruels , lorsqu'ils
n'écoutent que la voix de leurs passions , ou le cri de la
superstition. Nous oserons dire des vérités que des pré-
jugés populaires auraient proscrites dans des temps anté-
rieurs mais qui , grâces aux lumières d'un siècle où la
raison, trop longtemps captive, se perfectionne et se fortifie
tous les jours , n'ont plus rien d'offensant. Nous sommes
8*Sérit.— 17* Année. 36
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562 REVUE D' ALSACE.
à présent convaincus que ce n'est pas en déguisant les
fautes des personnages sacrés que nous parviendrons à
nous instruire. Au reste Tordre de Saint-Dominique , qui
a produit tant d'hommes savants et tant de pieux person-
nages , n'a plus rien de commun que le nom avec quel-
ques-uns de leurs confrères qui poussèrent le peuple à la
barbarie et à la cruauté.
Les Vaudois, qui en furent la victime, étaient une secte
formée, en 1160, par un marchand de Lyon, nommé
Pierre Yaldo , qui leur donna son nom. On les appela
aussi les Pauvres de Lycm, à cause qu'ils prirent naissance
dans cette ville et à cause de la pauvreté qu'ils affectaient*.
Pierre \aldo étant, selon sa coutume, dans une assemblée
de riches commerçants , un des plus apparents de la
troupe mourut subitement. Ce coup le frappa : un de ces
événements eflfrayants pour les imaginations vives et
sombres , que le commun des hommes voit tous les jours
avec indifférence , lui donna naissance* Une pareille avan-
ture jeta dans la suite Luther dans le cloître. Valdo ne se
fit pas moine , mais il étudia l'évangile. Il y vit partout
l'éloge de la pauvreté ; il jugea que la vie apostolique avait
disparu de la terre ; il voulut la renouveler. Il distribua
aussitôt aux pauvres tout son bien, qui était grand, et, en
ayant ramassé par ce moyen un grand nombre , il leur
apprit la pauvreté volontaire et à imiter la vie de J.-C. et
de ses apôtres.
Mais on va voir ce que peut la piété mal conduite : au
commencement , cette secte obscure et timide n'avait
encore aucun dogme particulier, ou ne se déclarait pas ;
leurs mœurs étaient irréprochables, ils n'opprimaient per-
' Voyei Waldenter-Chronick, imprimée à Schaffhausen, en 1655.
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PERSÉCUTION DES VAUDOIS. 563
sonne , leurs visages étaient mortifiés ou abattus pai* le
jeûne. On ne remarquait dans eux que Tafiectation d'une
superbe et oisive pauvreté. On les voyait avec de certains
souliers d'une forme particulière, coupés par-dessus pour
faire paraître les pieds nus, à l'exemple des apôtres, à ce
qu'ils disaient ; on les voyait affecter cette chaussure pour
marque de leur pauvreté apostolique , attendre l'aumône
et ne vivre que de ce qu'on leur donnait. Cette chaussure
singulière les fit nommer insabbatés^ (insabbatati). On
reprocha quelque orgueil à ces insabbatés, qui se piquaient
fort d'humilité ; des sandales portées par une pauvreté
forcée peuvent humilier, mais on sait que portées par une
pauvreté volontaire et théologique , elles peuvent enor-
gueillir.
Les Vaudois, après avoir vécu quelque temps dans cette
pauvreté prétendue apostolique, s'avisèrent que les apôtres
n'étaient pas seulement pauvres , mais aussi les prédica-
teurs de l'évangile. Ils se mirent donc à prêcher, à leur
exemple, afin d'imiter en tout la vie apostolique. Mais les
apôtres étaient envoyés , et ceux-ci , que leur ignorance
rendait incapables de cette mission , furent exclus par les
évêques d'un ministère qu'ils avaient usurpé sans leur
permission. Ils ne laissèrent pas de continuer secrètement
et de murmurer contre le clergé qui les empêchait de
prêcher, à ce qu'ils disaient , par jalousie et à cause que
leur doctrine et leur sainte vie confondaient ses mœurs
corrompues.
Les progrès que faisaient les Vaudois, obligèrent le pape
Luce m, vers l'an 1183, de condamner leurs observances
* Un véritable Vaudois était un homme revêtu d'un froc avec une longue barbe,
un capuchon» les pieds nus. Ce sont ces sectaires qui ont donné à plusieurs moines
le modèle de leurs vêtements.
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564 REVUE D'ALSACE.
superstitieuses et leurs affectations bizarres ; mais, irrités
par cette juste sévérité du pontife et bravant les anathèmes
de l'église, ils s'élevèrent avec encore plus d'audace contre
le pouvoir qui sévissait contre eux. Leur audace s'accrût
de plus en plus: leur doctrine devint une espèce de Dona-
tisme , qui faisait dépendre l'effet des sacrements de la
vertu des ministres. Un mauvais prêtre ne pouvait ni
absoudre , ni consacrer ; un mauvais prêtre n'était point
un prêtre. En revanche , tout laïque vertueux était prêtre
essentiellement , mais pour être vertueux il fallait être
pauvre. Tout prêtre qui conservait quelque propriété, était
déchu du sacerdoce ; les biens devaient être communs. Ils
avaient encore une autre erreur, qu'il n'appartient pas à
tout le monde d'avoir : ils ne croyaient pas qu'il fût permis
de punir de mort les criminels ; ils ne fondaient cette idée
sur aucun motif philosophique ou politique , mais sur
l'évangile. Dieu a dit: je ne veux point la mort du pécheur,
il fallait donc le laisser vivre ; la vengeance m'appartient,
il fallait donc la lui réserver ; laissez croître l'ivraie jus-
qu'à la moisson , il ne fallait donc pas prévenir ce temps.
Le reste de leurs erreurs est resté assez obscur , et peut-
être leur a-t-on imposé plus de crimes qu'ils n'en étaient
coupables ^ Pour éviter la persécution, ils se mêlaient
parmi les catholiques , ils assistaient à leurs assemblées ,
ils y recevaient les sacrements de la main des prêtres,
* On qualifiait les Vaudois d'un nom très-infftme , qui prouverait qu'ils étaient
sujets à cette impureté abominable que la nature outragée rejette avec horreur, et
qui attira le feu du ciel sur Sodome et Gomorrhe. Ils étaient appelés P'**, dénomina-
tion honteuse, que le respect dû à la modestie ne permet pas d'écrire en entier, bien
loin d'en donner l'interprétation. Le P. Daniel , tom. 5, pag. 409 , et l'abbé Velli,
tom. Sy pag, 484, assurent qu'on lisait ce mot entier sur le tombeau d'Alix, com-
tesse de Bigorre ; qu'elle était fille de Gui de Montfort , qui pour la foi mourut
contre les P*" et les Albigeois.
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PERSÉCUTIONS DES VAUDOIS. 565
mais leurs ministres leur faisaient demander pardon à Dieu
de cette faiblesse.
Plus on examine la secte des Yaudois, plus on reconnaît
que les chefs avaient eu Fart d'opposer au faste de Féglise
romaine une simplicité adroite. Le vulgaire , toujours
avide de ce qui parait au-dessus de lui, et les grands, qui
sont si souvent plus peuple que le peuple lui-même , flé-
chissaient le genou devant des prédicants austères , qui
semblaient vouloir simplifier le dogme pour l'accommoder
davantage à la faiblesse humaine. La sobriété dans les
plaisirs de la table et la privation absolue de ceux de
Famour, étaient les deux objets principaux des engage-
ments des dames; en ajoutant qu'elles promettaient de ne
se jamais permettre un mensonge , ou aura une idée des
lois rigoureuses que le beau sexe s'imposait à lui-même.
La répugnance que les Vaudois témoignaient pour leurs
femmes, les fit dans la suite accuser de crimes dont peut-
être ils n'ont jamais été coupables. L'on sait combien les
préjugés populaires leur ont toujours attribué d'infamies.
Après tout c'était l'orgueil , c'était l'ostentation d'une
prétendue pauvreté apostolique, qui faisait le fond de cette
secte. C'était la présomption à vanter leurs vertus ; c'était
la haine contre le clergé , poussée jusqu'à mépriser les
sacrements dans leurs mains ; c'était l'aigreur contre leurs
frères , portée jusqu'à la rupture et jusqu'au schisme. On
mène où l'on veut un peuple ignorant, lorsqu'après avoir
allumé dans son cœur une passion violente et surtout la
haine contre ses conducteurs, on s'en sert comme d'un lien
pour l'entraîner. S'il y avait dans les villes des gens retirés
et paisibles , c'était dans leurs maisons que les Vaudois
s'introduisaient avec leur simplicité apparente. Assez sem-
blables à ces faux cénobites , qui s'introduisent dans les
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566 REVUE d'àlsace.
maisons particulières pour y décrier les légitimes pasteurs,
pour y porter la discorde entre les époux, y corrompre la
vertu de jeunes innocentes , les Vaudois paraissent leur
avoir donné cet exemple à certains points ; à peine osaient-
ils élever la voix, tant ils étaient doux, mais les richesses
du clergé qui opprimait le peuple, l'incontinence des mau-
vais ecclésiastiques, étaient mis aussitôt sur le tapis : une
satire subtile , impitoyable , prenait la forme du zèle. Les
bonnes gens qui les écoutaient, étaient pris et transportés
de ce zèle amer, ils s'imaginaient encore devenir plus gens
de bien en devenant hérétiques.
Telles étaient les voies par lesquelles les Vaudois s'in-
troduisirent dans Strasbourg. Cachés dans leur origine,
ils ne commencèrent à y paraître que vers l'an 1205.
L'amour de la nouveauté leur attacha dans cette ville des
partisans , non-seulement entre le menu peuple , mais
aussi entre la noblesse, ils n'eurent point de peine à s'in-
sinuer dans des esprits attirés par l'appât de la liberté et
prévenus contre le clergé ; mais , faibles dans les commen-
cements , ils ne se conservèrent que par le silence et la
dissimulation. Cependant ces visionnaires enthousiastes,
entêtés d'une chimère de perfection chrétienne , ennemis
des cérémonies religieuses , soulevés contre le pouvoir et
les richesse» du clergé, se multiplièrent insensiblement et
formèrent une secte nombreuse. La fureur, avec laquelle
ces fanatiques s'efforçaient d'étendre leurs erreurs , excita
le zèle de l'évêque de Strasbourg. Henri , dont la charité
égalait la vertu, fit arrêter les chefs de ces nouveaux héré-
tiques ; mais ce prélat bienfaisant, loin de les efii*ayer par
des menaces et des supplices , les interrogea , leur parla
avec tant de zèle et les instruisit avec tant de bonté, qu'il
fit entendre raison aux plus sensés , quoique le grand
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PERSÉCUTIONS DES VAUDOIS. 567
nombre des Vaudois s'obstinât dans Thérésie. L'évéque
Henri eut cependant le bonheur d'opérer plusieurs con-
versions par la douceur et la parole ; quelques-uns abju-
rèrent leurs erreurs et les détestèrent, et il les déroba aux
poursuites vigoureuses que quelques zélateurs de son
clergé et du magistrat commençaient à faire contre eux.
Tant il est vrai que ce ne sont pas les échafauds qui font
triompher la vérité : la violence révolte les esprits, la dou-
ceur les subjugue. Mais malheureusement les convertis-
seurs furent suivis de trop près des persécuteurs , qui ne
convertissent pas toujours.
Ce fut, dit-on, pour opposer aux Vaudois, a ces pauvres
orgueilleux, des pénitents vraiment pauvres et humbles de
cœur, qu'Innocent III approuva , au concile de Latran ,
l'institut des frères Mineurs ou Cordeliers. Ce fut appa-
remment aussi pour opposer à ces prédicateurs sans mis-
sion , des prédicateurs envoyés , qu'il approuva au même
concile l'ordre des frères Prêcheurs ou Dominicains. Une
société de religieux tellement occupés de leur sanctifica-
tion personnelle qu'ils travaillassent en même temps
par état à la sanctification du prochain , parut à l'évéque
de Strasbourg un établissement d'autant plus nécessaire
que l'ordre des frères Prêcheurs était particulièrement
destiné pour défendre la religion contre les efforts des
hérétiques. Saint Dominique , leur fondateur, n'employait
pour les convertir que des moyens conformes à l'esprit de
la religion ; il persuadait les esprits par la force du rai-
sonnement , il gagnait les cœurs par les charmes d'une
vertu sublime. Mais ses disciples passèrent les bornes de
leur mission ; ils employèrent le bras de la puissance tem-
porelle contre des infortunés qu'ils n'avaient pu convaincre,
ne connaissant pas cette indulgence , ni cette charité mu-
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568 REVUE D' ALSACE. *
tuelle que le christianisme recommande avec tant de
chaleur.
Dès Tan 1212, l'évéque Henri avait admis des religieux
de cet ordre naissant dans sa ville épiscopale , pour les
opposer aux Vaudois. Ils bâtirent d'abord, en 1224 , un
hospice et une église à Thonneur de sainte Elisabeth , dans
les faubourgs de la ville , entre la Porte-Blanche et celle
de l'hôpital » dans un canton qui porte encore de nos jours
le nom de Finckweiler. Ce couvent et cette église ftirent
accordés dans la suite à des religieuses dominicaines,
lorsque , par la libéralité des Rebstock et de plusieurs
autres nobles de Strasbourg, on leur accorda, en 1254, un
ample emplacement au milieu de la ville , où ils bâtirent
un couvent plus spacieux et une église plus vaste, que les
protestants occupent aujourd'hui sous le nom du Temple-
Neuf-
Le pieux motif qui avait engagé l'évéque Henri à appe-
ler les Dominicains dans Strasbourg , ne dura pas long-
temps. Se voyant considérés chez le peuple , ils devinrent
persécuteurs: le nombre des Vaudois s'augmentait mal-
heureusement; c'était une raison de tâcher de les convertir,
les Dominicains trouvèrent plus simple et plus court de
les brûler. La persécution éclata en 1215 ^ L'inquisition
confiée à ces religieux en avait fait un tribunal de sang ,
en prétendant maintenir la pureté de la croyance par la
terreur des supplices. Ce tribunal , heureusement oublié
parmi nous, fouillait dans les pensées, persécutait sur des
soupçons. Il faisait un devoir de l'infâme métier de déla-
teur, il forçait de violer la nature sous prétexte de servir
la foi, il transformait en crimes atroces les simples égare-
* Annales Golmarienses , ad an. 1215, « haeretici comburuntur. >
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PERSÉCUTIONS DES VAUBOIS. 569
ments de l'esprit humain. C'est à regret que je présente
ici au lecteur des crimes qu'on devrait couvrir des ténèbres
d'un silence étemel. Mais il est des vérités dures que le
devoir d'un historien ne permet pas de passer sous silence.
L'inquisition se saisit d'un grand nombre de Yaudois:
comme on accusait les uns à faux et qu'il n'y avait aucune
preuve certaine qu'on pût alléguer contre les autres, puis-
qu'ils niaient tout ce qu'on disait contre eux , les inquisi-
teurs s'avisèrent d'un singulier moyen pour découvrir les
coupables. Ce fut en ordonnant à tous les accusés de
manier un fer chaud ^ Il n'est pas étonnant que ce secret
ne réussit pas , et qu'il n'y eut presque aucun qui en
échappa. Tous les accusés n'ayant pu résister à l'épreuve
du fer ardent , eurent les mains entièrement brûlées.
 cette marque , qui passait chez le peuple pour le juge-
ment de Dieu , ils furent déclarés coupables , et l'inquisi-
tion » chargée de leur procès , les condamna au feu. Au
milieu de ces bourreaux fanatiques et de ces victimes
immolées , l'évéque Henri parut encore comme un dieu
envoyé du ciel pour faire du bien : il contint les persécu-
teurs, il consola les persécutés, mais en vain. Les inqui-
siteurs, impatients de venger Dieu , irritèrent le peuple et
pressèrent l'exécution. Avides des biens et des dépouilles
des Vaudois , dont quelques-uns malgré leurs principes
s'étaient enrichis , ils couvrirent leurs intérêts et leur
cruauté du masque d'un faux zèle pour la défense de la
religion. Le jugement fut exécuté et plus de quatre-vingts
personnes de tout âge, de tout état et de tout sexe furent
brûlées publiquement ^. L'exécution se fit dehors la ville ,
* Fragmentum historicum Urstisii ; Cesarius de Heisierbach , miracul., lib, 3,
cap. 4Sy pag. 89.
* Kœnigshovius , in Chronico, pag. S98.
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570 REVUE D'ALSACE.
près du cimetière de Saint-Gall , et Tendroit où ils furent
brûlés porte encore de nos jours le nom de fosse des héré-
tiques ^ (Kesergrub). Les biens des suppliciés furent
vendus à l'encan et la moitié accordée aux juges et aux
dénonciateurs : terribles exécutions, dont une triste expé-
rience et des réflexions trop tardives , nous ont donné de
justes horreurs. Toutes les sectes , toutes les hérésies ont
cela de commun avec la véritable religion , qu'elles se sont
accrues et fortifiées par la persécution.
Celle qu'on exerça à Strasbourg contre les Yaudois , fit
bien voir que le bûcher n'était pas le meilleur argument
pour convertir les hérétiques , car les flammes où l'on
jetait les uns , allumaient l'enthousiasme des autres. Les
supplices , au lieu de les affaiblir, semblaient leur donner
une nouvelle vigueur. La constance que ces prétendus
martyrs montraient sur l'échafaud et au milieu des
flammes, insinuait leurs sentiments dans les cœurs par la
compassion. Le mobile de toutes ces exécutions était un
certain frère Prêcheur, nommé Conrad de Marbourg,
vicaire-général de l'inquisition de Strasbourg*. Il s'était
trompé en se faisant prêtre, il devait être bourreau , du
moins saisissait- il l'occasion de l'être. C'était un fanatique,
qui, à un rare talent pour la prédication, joignait une
grande apparence de piété , un hypocrite qui abusa long-
temps de la confiance que le peuple avait en lui ; il faisait
brûler indistinctement innocent et coupable. Le plus léger
soupçon d'hérésie lui suffisait pour faire conduire au sup-
plice un riche particulier, dont la moitié des dépouilles
' Kleinlauel, in Chron. Argent., pag, t8.
' Crois comme nous, ou tu seras brûlé ; c'était le grand argument de Conrad de
Marbourg, qui se disait cependant ministre d'une religion qui ne prêche qu*amour,
douceur, humilité, bienfaisance.
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PERSÉCUTIONS DES VAUDOIS. 571
était adjugée à son ordre. Un bourgeois de Strasbourg,
nommé Guldin, qui, par sa créance, s'était rendu suspect
à rinquisition , fut arrêté ; ses richesses et son crédit ne
purent le sauver du feu , et il fut exécuté en 1229 ^ La
persécution recommença en i231 ^ et un grand nombre
de Vaudois n'échappèrent pas encore aux recherches
redoutables des inquisiteurs. Ils portèrent leur intolérance
à de si grandes extrémités , que Tévéque de Strasbourg ,
de concert avec le magistrat , fut obligé de leur défendre
d'informer sur la religion de quelqu'un , s'ils n'en étaient
requis. L'inquisiteur, Conrad de Marbourg, Ait lui-même la
victime de ses cruautés, et il fut assassiné le 2 des calendes
d'août 1233, de retour du concile de Mayence, où il avait
fait approuver sa cruelle doctrine^, par quelques gentils-
hommes outrés de ses délations *. Drason , son digne
collègue, et également affamé de sang , avait péri l'année
précédente de la même façon. Il avait cité au tribunal de
l'inquisition , Henri de Mullenheim , seigneur distingué
dans la province, et s'y était rendu son accusateur comme
favorisant les erreurs des Vaudois. Celui-ci ne trouva
d'autre moyen d'échapper aux recherches de ce terrible
inquisiteur, qu'en le tuant *. L'hérésie parut enfin éteinte
dans le sang des hérétiques et dans celui de leurs persé-
cuteurs, mais elle resta dans les cœurs. ,
* Annales Colmariciisos.
* Ibidem.
^ TriUieniius, Annal. Hirsaug., tom. /, pag. 5S8.
* Annales Coloiarienses ; voyez Hartzhein , Concil. germ., tom. 3, pag. 543
el seq,
^ Schœpflinus, Alsal. iUust., tom. J8, pag, 340.
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MUSICIENS D'ALSACE
(Extrait des manuicriU inédits de Gratididier.)
Le titre de Roi des musiciens répandus dans FÂlsace,
est depuis plusieurs siècles un fief de l'empire, héréditaire
dans la maison des seigneurs de Rappolstein et remontant
au-delà du quatorzième siècle. Schmassman ou Maximin
de Ribeaupierre , qui nomma en 1400, en son nom et en
celui d'Ulric, son frère, le sieur Heuselin, son fifre, à la
place de son vicaire dans cette fonction , qu'on nomme
aujourd'hui le Pfeiffei^-Kœnig, vacante par la démission
de Heintzman Gerwer, qui y avait été nommé par feu
Brunon, son père, dit dans ses lettres de 1400, que cet
office avait été possédé à titre de fief de l'empire , par
ledit Brunon , son père et ses ancêtres de la maison de
Rappolstein, depuis un temps immémorial. On lit dans les
lettres d'investiture accordées, en 1481 , par l'empereur
Frédéric III , à Guillaume de Rappolstein et à Schmass-
man , son frère *, que ses ancêtres de la maison de Rap-
polstein possédaient ledit office à titre de fief de l'empire.
La nature de ce fief, suivant ces lettres d'investiture de
1481 , consistait dans les services que ces musiciens
* Publiées par Lunig, Spidl. sœcuL, tom. 2, pag, i7i0.
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MUSICIENS D' ALSACE. 573
deyaient rendre aux seigneurs de Rappolstein et dans la
juridiction qu'ils avaient sur eux. Die Dinsten und Ober-
keit der Spilleut , juridiction indiquée, quoique impropre-
ment , par ces mots de Kunigrich varender Lute , qu'on
trouve dans les lettres de Schmassman de Rappolstein, de
1400 et i434 et dont on se sert encore aujourd'hui. Cette
juridiction donne droit aux possesseurs de ce fief de don-
ner des statuts aux musiciens, de les changer ou abroger,
de nommer un chef ou vicaire à leur place, d'imposer des
amendes , de prononcer et faire exécuter des sentences
dans toutes les affaires qui concernent leur art ou métier.
Ainsi , tout musicien qui exerce son art publiquement et
en retire de l'argent , est sujet à sa juridiction dans toutes
les affaires qui regardent le fait de leur métier^ comme l'a
décidé un arrêt du Conseil souverain d'Alsace, de 1700.
Le mot allemand Spilleut , ne signifie pas seulement
ceux qui jouaient des instruments de musique, mais on y
comprenait aussi tous les jongleurs, bouffons, baladins, etc.,
qui couraient les villes et les campagnes pour amuser le
public et en retirer de l'argent ; voyez les statuts anciens
de la ville de Strasbourg.
Les lettres de Schmassman, de 1400 et 1434, les
nomment varender Lute ; c'est le nom qu'on donnait aux
jongleurs , parce qu'ils étaient des vagabonds qui allaient
de côté et d'autre ; Scherzii Glossarium, tom. i, pag. 372
et 373. Ils sont appelés Spilluten und farenden Luten, par
Kœnigshoven, in Chronico, pag. ii2 et i35.
Dans cette société étaient compris non-seulement les mu-
siciens , mais aussi les baladins, comme le prouvent les
lettres de Caspar, évêque de Bâle , du 11 mars 1480,
adressées dilectis nobis in christo fistulatoribus , tubicinis
et minis societatis et confratemiœ villœ alten Thann nun-
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574 REVUE d'alsace.
cupatœ atque cœteris in instrumentis musicalibus^ lusoribus
societatis et confraterniœ ejusdem iam in dicta villa quam
in civitatibus et diœces. liasiliensis et Argentinensis conr
stitutis , qui ratifient les lettres du cardinal Julien , nonce
du Saint-Siège en Allemagne , qui leur avait permis de
communier une fois par an, au temps de Pâques, dummodo
per quindedm ante hujus sacramenti perceptionem et post
illam per totidem alios dies ab offidorùm vestrorum et
scurrilium operum exercitiis abstineatis. On voit aussi
par là que l'assemblée des musiciens de la Haute-Alsace
se tenait alors au Vieux-Thann.
La juridiction des seigneurs de Rappolstein s'étend non
pas sur tous les musiciens indifféremment, mais sur ceux
seulement qui sont mercenaires et que l'arrêt du Conseil
souverain, de 1700, nomme les joueurs de violons et autres
instruments. Eberhard, seigneur de Rappolstein , dans ses
statuts de iOOl , les fait connaître ainsi : welcherley Spiel
sie mit Pfeiffenr, Trommen, Drometern, Seitenspiel, und was
dergleichen zu offenen Dantzen gebraucht worden , c'est-à-
dire de quelque instrument qu'Us jouent, soit flûtes, tam-
bours, trompettes ou autre instrument de musique à corde
dont on se sert dans les danses publiques.
Cette juridiction, avec les droits y attachés, s'étend dans
presque toute l'Alsace et le Sundgau. Les lettres de
Schmassman de Rappolstein , de 1400 , portent: entre la
forêt de Haguenau et la rivière de Birsch, entre le Rhin et
les montagnes dites Virst. Le diplôme de Frédéric , de
1481, porte: depuis la montagne de Hauenstein, qui est
située au-delà de Bâle , jusqu'à la forêt de Haguenau et
entre le Rhin et la Virst. Sa juridiction s'étendait donc en
longueur, depuis la montagne de Hauenstein et comprenait
le Sundgau et l'Alsace jusqu'à la forêt de Haguenau et en
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MUSIGlKlfS D*ALSACE. 575
largeur, depuis le Rhin jusqu'au haut des montagnes dites
Fûrst, qui séparent l'Alsace de la Lorraine. De là vient que
les musiciens de Bàle et ceux de Lorraine, qui avoisinent
TAlsace, se font aussi inscrire dans la confraternité , pour
pouvoir exercer partout leur métier.
Egenolphe de Kappolstein , par son mandat et instruc-
tion de 1577, adressé à son vicaire ou Pfeiffer-^Kônig ,
ordonna qu'aucun musicien, soit Auteur, tambour, violon
ou d'autre instrument à corde et à vent, ne put jouer dans
toutes les villes , bourgs et villages de son district, tant
aux danses publiques, sociétés, confrairies, fêtes d'arque-
buse et autres assemblées, s'il n'est reçu dans la société.
Ainsi tout musicien qui y est reçu , peut jouer non-seule-
ment dans le lieu de son domicile , mais aussi dans tous
les endroits du district, sans qu'il puisse être empêché
par ceux qui y demeurent.
Les lettres de 1400 et 1434 parlent du vicaire nommé
par le seigneur de Rappolstein , sous le titre de Pfeiffer-
Konig. GeluL-ci représente le seigneur, exerce en son nom
et à sa place tout ce qui lui compète au titre de ce droit,
et administre la justice suivant les ordonnances et statuts,
qui existent des années 1601, 1649, 1674 et 1718. De là
sa fonction est nommée dans les anciens titres : dos Am-
bacht des Kunigrichs varender Lute. Ce chef a quelques
assesseurs, qu'on nomme das Gericht , qui sont élus par
l'ordre même des musiciens, mais dont l'élection doit être
confirmée par le seigneur. Les membres du Gericht de la
mittlere Bruderschaft sont : un schulteiss, quatre maîtres,
dont un est porte-étendard , de douze autres hommes et
d'un sergent.
Lesdits joueurs de violons et autres instruments de la
province, suivant l'arrêt de 1700, sont tenus de s'assem-
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576 REYUC D'ALSACE.
bler une fois par chaque année, à tels jour et lieu qui leur
est indiqué par le seigneur. C'est ce qu'on nomme le
Pfeiffertag, où chaque musicien est obligé de se présenter
pour acquitter la redevance annuelle due au seigneur et où
Ton termine toutes les difficultés élevées au sujet de leur
art et métier. Ce lieu dépend uniquement du seigneur.
En 1480, elle se tenait au Vieux-Thann. En 1624,
toute la société s'assembla le même jour à Ribeauvillé.
Depuis ce temps elle a été , à cause du nombre , partagée
en trois corps ou Bruderschafft. La première, du Sundgau,
dite die obère Bruderschaft , qui comprend tous les musi-
ciens depuis la montagne de Hauenstein jusqu'à VOUmars-
buhl, au-delà de Colmar, s'assemble le mardi après la
nativité de la Sainte- Vierge , au village voisin de Thann,
qu'on nomme Alt-Thann. La seconde, de la Haute-Âlsace,
dite die mittlere Bruderschafft , comprend tous les musi-
ciens depuis les limites de la première jusqu'à Epfich.
Leur assemblée se tient à Ribeauvillé , le jour de la nati-
vité de la Sainte-Vierge. La troisième, de la Basse-Âlsace,
dite die untere Brudei'schafft , comprend tous les autres
musiciens jusqu'à la forêt de Haguenau. Depuis l'an 1686,
leur assemblée , depuis que la seigneurie de Rappolstein
appartient à la maison palatine , se tient le jour de l'As-
somption , à Bischweyler, en Basse-Alsace ; avant elle se
tenait tantôt à Rosheim, tantôt à Mutzig.
Entre les cérémonies qu'on fait dans ces assemblées ,
on doit remarquer: !<> chaque associé doit prendre et
porter avec lui, une marque ou pièce d'argent, qui est le
symbole de la confraternité , pesant environ deux drach-
mes , qui à sa mort est partagé , ainsi que son meilleur
instrument , entre le Pfeiffer-Kônig et la Bruderschafft ;
2o après l'office divin, célébré dans l'église , les musiciens
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MDSICIENS d' ALSACE. 577
vont en procession avec leur roi et les autres membres du
Geric/U, accompagnés de leur étendard et des autres ins-
truments et se présentent devant le château ou maison
du seigneur, où, pour acquitter leurs services, ils font des
symphonies et des concerts ; 3^ ils se retirent ensuite en
ordre et vont se mettre ensemble à table, à frais communs,
à l'exception du roi, qui ne paye rien, et des quatre mattres,
qui ne payent que la moitié. Le seigneur y fait d'ordinaire
distribuer du vin. Tous les musiciens inscrits dans la
société doivent y comparaître en personne , à moins qu'ils
ne puissent proposer d'empêchements légitimes. Ceux qui
n'y comparaissent pas, sans avoir porté d'excuses légitimes,
sont condamnés , non-seulement aux frais , mais aussi à
une amende de cent livres. Ceux qui sont reçus , sont
obligés de prêter un serment corporel entre les mains du
seigneur ou du Pfeiffer-Kônig.
Les droits du seigneur, sur les musiciens d'Alsace, con-
sistent en partie dans certaines redevances et en partie
dans la perception des amendes. Chaque musicien , tant à
sa réception dans la société que dans l'abdication , est
obligé de payer un ou deux florins. De plus, il est obligé
de payer à l'assemblée générale de chaque année , das
Jahr-Bec/it , somme qui n'est pas considérable. De plus,
les juifs doivent payer au seigneur un florin d'or, ou Gold-
Gulden. Sans ce payement, les musiciens n'osent pas jouer
à leurs danses ou à leurs repas. Les amendes sont ou
ordonnées par les statuts, ou elles sont arbitraires, suivant
l'exigence des cas.
Voyez , sur ces musiciens , les Notes d'arrêts du Conseil
souverain d'Alsace , yag, 203 et 204 , et le Recueil des
ordonnances d'Alsace , tom, i , pag. 166 et 295-298 et
tom. 2, pag. 382,
«•Série, "i 7- Année, 37
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ÉTUDES SUR LES VOSGES.
LES BASSES-VOSGES.
Tout le caractère de la chaîne se transforme quand du massif des
Hautes-Vos«:es on passe à la partie septentrionale du système <. For-
mées par un immense dépôt arénacé ces montagnes se distinguent de
celles du midi par leur nature géologique autant ()ue par leur hauteur,
et la figure de leur relief revêt des formes nouvelles. Elles s'étendent
de Saales et Saint-Dié à Kayserslautern , vers la base du Mont Tonnerre.
Appuyées sur le Donon , qui est leur point culminant, les Basses-
Vosges suivent la direction générale de la chaîne jusqu'au-delà de
Bilcbe. Puis, en-dehors de nos frontières actuelles, elles s'inflé-
chissent vers le Sud-Ouest pour circonscrire le pays de Deux-Ponts et
par une autre courbe , en sens inverse de la première , contournent au
Sud le massif du Hundsruck , rentrent en France à quelques lieues de
Forbach , pour en ressortir définitivement à Willing et remonter vers
le Nord. Cette partie moyenne du système , assez développée au nord
du Donon et s'étendant sur une largeur de 18 à 20 kilomètres, se
rétrécit beaucoup à la hauteur de Saverne , puis s'élargît de nouveau
plus au Nord et atteint son plus grand développement dans le Palatinat.
Le versant alsacien des Basses-Vosges est abrupt , elles constituent des
plateaux à pente occidentale. Â leur base la plaine lorraine s'incline à
la fois au Nord et à l'Ouest , mais ondulée, parcourue par de nombreux
amas d'eau , bornée à l'occident par une ligne de coteaux à profil rec-
tiligne et horizontale , de la falaise oolithique qui règne de Langres à
Longwy.
' Voyez notre Elude sur kt massif des Vos($os daos les Annales des Voyages ,
1866 , tome n , p. 530.
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ÉTUDES SUR LES VOSGES 579
Après avoir en quelque sorte disparu au point de jonction des vallées
de la Fave et de la Bruche , la chaîne forme un large plateau offrant
des communications faciles entre la Lorraine et la plaine d'Alsace. Elle
se relève immédiatement au-dessus de Saint-Dié. La montagne d'Or-
mont porte son bord méridional à une altitude de 890 mètres et se
maintient à 600 mètres jusqu'au bois de la Barre , sur une étendue
transversale de plusieurs lieues. Ce rameau verse sea eaux dans la
Meurthe et la vallée de la Fave ; il passe ensuite entre Senones et
Fouday , entre le bassin du Rabodeau et celui de la Bruche , pour se
rattacher au Donon sous le nom de Hautes-Chaumes. Le Sapt s'élève là
à 833 mètres au-dessus du niveau de la mer et plusieurs routes fran-
chissent le petit massif des Hautes-Chaumes qui s'appuie vers la Bruche
sur le contrefort de la Chatte- pendue , en forme de nd, à 9 mètres de
hauteur.
Le grès vosgien domine dans cette partie de la chaîne , les roches
plus anciennes ne se montrent plus qu'au fond des vallées Surnombre
de points du versant gauche de la Bruche le terrain cristallin passe un
schiste de transition sur des roches intermédiaires d'une étendue peu
considérable, mais très-variées. Tantôt les schistes se transforment en
syénite , tantôt le granité porphyroïde passant au porphyre est encaissé
dans le schiste. Le contact du granité porphyroïde et du porphyre avec
le schiste ne se fait pas directement, mais par l'intermédiaire d'une
sorte de pétrosilex^ comme à la Claquette, près Rothau '. Au sud de
Schirmeck la syénite et le schiste forment aussi de nombreux passages
fondus les uns dans les autres sur une étendue de 100 mètres ^. On y
voit une carrière classique dont parlent tous les géologues qui se sont
occupés des Vosges : c'est un calcaire fossilifère traversé par des masses
de porphyre et que le porphyre recouvre. Ailleurs , comme à Framonl,
dans le vallon de Rinières ; à Urmatt ; près de Lutzêlhausen , toujours
sur la rive gauche de la Bruche , le sol schisteux est pénétré par des
roches dioritiques , par diverses variétés de porphyre quartzifère pas-
sant à un pétrosilex verdâtre , soit à du granité à petits grains Près de
Schirmeck , des diorites bien caractérisés se réduisent par la disparition
de cristaux d'albite à une pâte homo8;ène plus ou moins compacte , noi-
râtre ou verdâtre , parfois d'un gris blanc , et qui , selon la judicieuse
* Delesse , Métamorphiime des roches , p. 31!(.
' KœcHLiN-ScHLDMiiEKGER , Mémoire sur le terrain de transilion des Vosges ,
page 259.
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580 RETUE D* ALSACE.
remarque de M. Calmelot , offre l'aspect des cornéennes et du pétro-
sjlex *. Il est impossible de relever tous ces passages et ces accidents
dans le cadre de notre étude ; la thôorie du métamorphisme y a trouvé
et y trouvera encore une ample moisson de faits moins simples que la
théorie.
Une bande de hauteurs abruptes , boisées , de nature porphyrique ,
comprise entre Oberhaslach et Vische, suit la limite du terrain de tran-
sition et sépare le bassin supérieur de la Bruche du vallon de Haslach.
Ces montagnes s'élèvent à une hauteur de 600 mètres , dominées par
les cîmes de grès du Kohlberg et du Ratzenberg qui sont formées de
grès vosgien. Par la décomposition de son feldspath , ce nouveau por-
phyre se distingue nettement de celui du Champ-du-Feu ; il est réduit
à uu état terreux , de couleur rouge ou rose identique à Targilophyre.
Le porphyre forme néamoins sur cette rive des conglomérats contenant
des fragments de schiste. Il se présente aussi sur les bords du Baeren-
baechel , en brèches parsemées de grains de quartz hyalin incolore et
que réunit une pâte très-dure criblée d'une multitude de petits trous.
Enfin le même terrain renferme encore une roche ordinairement rouge,
parfois d'un gris blanchâtre qui a tous les caractères du porphyre avec
cette différence qu'il manque de cristaux de feldspath. On l'appelle
argilolilhe. M. Daubrée la montre dans la colline de Clintz, parsemée
de boursouflures , entre les couches inférieures du grès rouge ei un
dépôt d'argilophyre qui recouvre le grès. Le porphyre brèchiforme
existe en prismes hauts de 30 mètres , mais d'une épaisseur variable ,
à la chute de Nideck. La cascade se précipite par-dessus ces colonnes
blanches d'écume et réduite en fine poussière au pied d'une vieille tour
féodale. Selon la tradition populaire une race de géants habitait là.
C'est un des plus beaux sites des Vosges. D'un accès facile, on y monte
par un chemin de schlitte qui serpente à l'ombre d'une haute futaie de
sapins 3. La forêt environnante réunit toutes les essences vosgiennes : Tif
s'élance sur les rochers les moins accessibles , l'épicéa et le pin poussent
sur des rocailles où jamais une plante ne devrait végéter. Pour élever
* Calmelot , Journal des mines , lom. xxxv , p. 250, ei Elib de Bbaumont ,
Explication de la carte géologique de France, tom. i , p. 5i5. Paris, 1841.
' A. Dacbréf. , Description géologique et minéralogique du Bas-Rhin, page 42.
Strasbourg, 1852.
' EiRSCHLLGbH , t'loi$ d'Alsace , loin, m , p. 348.
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ÉTUDKS SITR LE? VOSGES. 581
ces jeunes plants il a fallu les semer dans la terre végétale apportée de
loin et retenue avec la plus grande peine à la surface d'unsol dénudé.
Des lunaires vivaces*, au limbe en cœur couvrent les abords du sentier
et une belle végétation de fougères , de graminées revêt la base des
escarpements , dans les moindres fentes poussent la bisentelle l'arabide
du grès et Torpin.
Les habitations manquent sur toute l'étendue du terrain porphyrique,
nous y trouvons à peine de rares maisons forestières disséminées dans
les forêts. Quant au relief de ce terrain , il est aujourd'hui découpé en
nombreuses collines à cimes aplaties, dont tous les sommets sont à peu
près situés dans un même plan très-faiblement incliné à Thorizon. Les
p;)rois des vallons qui séparent les collines sont très-abruptes ; leurs
pentes atteignent souvent 5 et dépassent même 30 degrés , ainsi qu'on
l'observe dans le vallon de Nideck , au-dessus et au-dessous de la cas-
cade. La puissance de ce terrain atteint, au pied du Schneeberg, 150
à 180 mètres d'épaisseur. Au nord du vieux château de Nideck recom-
mencent les montagnes de grès qui rejoignent celles situées sur le
penchant nord-ouest de la formation porphyrique. Le grès vosgien
s'abaisse en s'approchantde la plaine lorraine sur les bords de laquelle
il y a des escarpements sensibles , moins considérables cependant que
sur le flanc oriental. Ce terrain se relève doucement vers l'intérieur de
la région montagneuse , où il constitue , presque jusqu'à son centre ,
de hautes cimes détachées , telles que le Haut-du-Tault qui a 980
mètres et le Haut-du-Boc qui en a 1016. Entre ces montagnes ser-
pentent des vallées d'un caractère tout particulier dont les voyageurs ne
se lassent pas d'admirer les points de vue pittoresques. Telle est € la
paisible vallée de Celles, près Raon-l'Etape, qui se prolonge , gracieuse
et variée , entre des pentes douces , où la tendre verdure du hêtre se
marie à la teinte sombre des sapins. Elle s'entr'ouvre par intervalle
pour faire place à de beaux villages , puis se ferme au pied du Donon ,
dont le sommet nous offre ses souvenirs et son magnifique panorama *.>
Le grand Donon passait encore , au dernier siècle , pour la plus
haute cime des Vosges , présomption qui explique l'étymologie celtique
de son nom Don , élévation . avec le superlatif aon , on , d'où Donon ,
la plus haute élévation. On substitue quelquefois à ce nom celui de
Framont. La montagne présente à sa cîme deux mamelons peu étendus
dont le plus élevé atteint 1010 mètres d'altitude.
' E. DE BE%ozELAinc, Pramenades dans les Vosges , p. 31.
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582 REVUE D'ALSACE.
Le 28 août 1734, Cassini observa sur le Donon : c Sor les dem
heures de l'après-midi , la hauteur du mercure dans le baromètre qui
fut trouvée, par deux fois , de 24 pouces 6 lignée; moins grande de 3
pouces et demi que sa hauteur moyenne au-dessus du niveau de la mer,
d'où il résulte , suivant la règle que l'on a donnée dans les Mémoires
de l'Académie des sciences de 1 703 à 1705 , que su hauteur est de 570
toises au-dessus du niveau de la mer *. » Ces observations donnent une
hauteur supérieure de 101 mètres au chifTre obtenu par les officiers
d'état-major chargés du levé de la carte topographique de France. Far
son élévation comme par la nature géologique de sa base le Donon
semble devoir partager les caractères des dômes des Hautes-Vosges.
Il n'en est rien cependant. Sa cime n'est pas arrondie ni gazonoée , elle
porte une couronne de blocs énormes semblables à des tours carrées ,
presque nus, de difficile accès , qui entourent un cône de grès tronqué,
plane à sa surface comme une dalle homogène. Un nivellement de
M. JoUois place la dalle du sommet à 40 mètres au-dessus d'une pre*
mière plate-forme longue de 350 mètres sur une largeur moyenne de
80 à 100 mètres. En suite de leur faible cohésion , les couches infé*
Heures du grès se délitent rapidement sous l'influence de l'atmosphère
et produisent des éboulements fréquents. S'il faut en croire une tradi-
tion très-conteslable , Pharamond , le chef présumé de la dynastie méro-
vingienne y a été enterré ^. Une chose reste certaine . c'est que la
pierre plate du sommet est à la fois un monument de la nature et un
monument religieux. Elle a conservé les vestiges d'un temple dédié à
Mercure , et les blocs carrés qui se dressent sur son pourtour ressem-
blent beaucoup aux pierres levées des Celtes que nous avons vues au
haut de tant de cimes des Vosges.
C'est le grès vosgien qui constitue la tête du Donon , mais on trouve
le grès rouge au pied de ses escarpements à Raon-en- Plaine, comme
aussi dans la vallée de Nideck et près des ruines du vieux château de la
Muraille. Il y a près du grand Donon une cime du même nom et de
même nature, quoique moins élevée, et couverte , comme le Kohlberg,
de blocs éboulés. Divers contreforts rayonnent autour de leurs pentes.
Le plus étendu de ces rameaux se dirige au sud-ouest terminé en
fourche entre les vallées du Rabodeau et de la Plaine. Le chaînon se
* Mémoires de V Académie des sciences , Paris , i772.
' ScHOEPFLiN, L'Alsace illustrée. TraductioB de L. Ravenez , tom. u, p. 508.
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ÉTUDES SUR LES VOSGES. 583
maintient à une hauteur constante de 800 mètres jusqu'à sa bifurcation
en deux branches séparées par la profonde coupure où coule le ruis-
seau des Ravines, affinent du Rabodeau. Il porte sur la crête d*énormes
sapins et sa forme est régulière^ sans vallons sur la pente orientale,
appuyée vers Touest sur les con'reforts de Vexaincourt , d'Alarmont ,
de In tète des Herrins. Le petit lac de la Maix se trouve là à une altitude
de 663 mètres.
Le relief des montagnes situées sur la rive droite de la Plaine est
moins saillant que celui du rameau qui finit brusquement à Raon-
TËtape. Elles forment un massif triangulaire dont le sommet s'appuie
à son point culminant au Chaume de Réquival et rappelle la forme du
Bâlon, entre les bassins de la Fecht et de la Thur. Ce massif s'incline
vers la Lorraine en pente douce , creusé de gouttières où coulent les
torrents qui forment ensemble la Vezouse , au-dessus de Cirey , et la
Blatte. La Vezouse reçoit la Blatte près Blâment pour recueillir ensuite
les eaux de l'Âlbe, de la Verdurette, de la rivière de l'Etang et celle
des Amis à son débouché dans la Meurthe, en aval de Lunéville. Sur la
limite septentrionale du massif coûIe la Sarre qui , née au pied du châ-
teau de Salm, occupe le fond de la vallée de Blanc-Ropt, reçoit la
Sarre-Blanche vers Hérinelange , passe à Saar-Union et se jette dans la
Moselle vers Trêves , après avoir reçu successivement TEischel , l'Isch-
bach et la Rose. Toutes ces rivières ne coulent pas plus bas que le dépôt
du grès rouge , sauf le vallon de la Crache qui est creusé , près de
Raon-sur-Plaine , dans une grauwacke schisteuse liée à des schistes
argileux formant la prolongation de ceux de Framont et de Bruche. \
Certaines couches de cette grauwacke schisteuse sont grises ; d'autres
sont rouges , bariolées de gris bleuâtre et contiennent des strates très-
chargés de mica. Ces parties micacées rappellent complètement quelques
unes des couches qui alternent avec les quarzites du Hundsruck et de
TArdenne. Lors des explorations de Dufrénoy et de M. de Beaumont ,
en 1 830 , on exploitait la grauwacke rouge pour en tirer des ardoises
grossières.
Nous avons vu les liantes montagnes du grès vosgien : les deux
Donon , le Kohlberg , le cap avancé du château de la Muraille entourer
en demi-cercle les c!mes arrondies du Ban-de-la-Roche. Réunie à la
bande orientale des dépôts arénacés , cette formation se prolonge jus-
' E. DE Beaumont i Explication de la carte géologique de France, T. i , p. 321.
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584 REVUE U' ALSACE.
qu'au parallèle de Manheim eo décroissant du Sud au Nord. Le Hengst
atteint encore 890 mètres d'altitude ; le Schneeberg 963 ; le Prancey
983 ; mais le sommet des montagnes de Dabo n'a plus que 532 mètres
et au-delà la chaîne s'abaisse de plus en plus ; le col de la montée de
Saveme n'est plus qu'à 428 mètres et le fort de Bitsche à 320. (Le Rhin
coule en face à 130 mètres au-dessus du niveau de la mer). Cette chaîne
s'abaisse également d'orient en occident vers les plaines de la Lorraine.
Au-delà du Donon la ligne de faîte passe au petit plateau du Peug et
au Monacker pour se diriger ensuite droit au Nord , suivant la direction
du méridien jusqu'à Waldenbourg. Elle laisse à droite le chaînon tra-
versé par la montée de Saveme et qui est compris entre les vallées de
la Zorn et de la Zinzel. Puis ces montagnes vont se déprimant toujours,
perdant en hauteur ce qu'elles gagnent en étendue. Tout devient uni-
forme. A la place des puissantes sommités des Hautes-Vosges il ne
reste plus que des crêtes basses, larges, horizontales, monotones
d'aspect.
Un rameau qui se détache du Kohlberg s'élève entre la vallée de la
Mossig et un bras de la Bruche. Il atteint 672 mètres à la censé du
Breitberg ; 712 à la Haute-Struth , se dirige a l'Est et se penche entre
Heiligenberg et Geierstein vers la plaine d'Alsace. Une autre branche
partie du Schneeberg suit la rive gauche de la Mossig pour se diriger
ensuite vers Saveme , à une hauteur de 500 à 600 mètres , envoyant
dans la Zorn les eaux de son versant occidental. La Zorn elle*ffiéme
reste encaissée sur une étendue de 20 kilomètres dans une gui^e paral-
lèle à la ligne de séparation des eaux entre la Lorraine et l'Alsace ,
jusqu'aux environs de Saint-Louis. Sur la rive droite les montagnes
arrivent à une plus grande élévation que sur la rive gauche. Parvenues
à Rheinhardsmunster , elles se dépriment pour livrer passage aux eaux
de la Moselle et ne forment plus, sur la rive opposée que des réunions
de collines, traversées aussi par le ruisseau de Thaï. Quant aux contre-
forts de l'Ouest ils n'ont plus d'importance. La chaîne se réduit à la
latitude de Saveme à une falaise de grès et les Vosges se confondent
presque avec le niveau des plateaux lorrains. L'altitude moyenne de ces
plateaux s'arrête à 300 mètres , mais certaines cîmes parviennent plus
haut. L'AUenberg qui porle le fort de la Petite-Pierre a 428 mètres; le
fort de Lichtenberg 359 ; le Wasenbei^ , près Niederbronn , 528 ; le
Pigeonnier ou Scherholl, à Wissembourg , 507. A son entrée dans le
Palatinal la chaîne prend le nom de Hardt jusqu'à Kayserslautern et
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ÉTUDE8 SUR LES VOSGES. 585
NeasUdt au pied du Donnersberg. Ses sommités qui conservent leur
constitution archacée s'élèvent à 577 mètres au Wieselberg, près
Oberkirchen ; 563 mètres au Polzberg , entre Cassel et Wolfstein ; 477
mètres au Wackenberg ; 542 mètres au Kœnigsberg ;* 675 mètres au
Kahlrouck qui est le point culminant de cette zone ; enfin 570 mètres
au Bloskei. Un rameau qui se détache entre la Nahe et la Moselle forme
le groupe du Hundsruck. Les roches constituantes du Hundsruck sont
la grauwacke et le schiste métamorphique, au Donnersberg nous trou-
vons le métaphyre et dans les collines qui s'étendent de là à Hayence ,
le calcaire. •
Les Vosges présentent à la hauteur de Saverne au passage fameux
dans les annales de la guerre. Défendue depuis Belfort par un
rempart naturel la France est ouverte ici aux invasions d'Outre-Rhin.
Arioviste y a passé avec ses Suèves après avoir franchi le Rhin sur le
territoire des Trévires^ pour la conquête de Séquanie \ Au point de
vue physique cette contrée a des sites d'une beauté ravissante , car la
chaîne , bien qu'elle forme une série de plateaux , ne se termine pas
cependant par une surface unie. C'est une succession de collines , de
vallées , de ravins , de dépressions. Les limites des massifs sont moins
indiquées par leurs crêtes que par leurs rivières qui les sillonnent , par
la Sarre et ses affluents , par la Uièvre et la Rouge-Eau. Des forêts
profondes couvrent les hauteurs à perte de vue ; le fond des vallées est
revêtu de prairies et de pâturages, coupés d'eaux dormantes, d'étangs,
de chétives plantations. Si la formation du grès vosgien présente des
paysages charmants et variés , le sol est pauvre , presque stérile ; sa
flore rare en espèces , les cultures misérables , la population clair-
semée.
En général les vallées des Vosges arénacées étroites , profondes ,
toujours remarquablement pittoresques , apparaissent flanquées de
pentes abruptes se terminant par escarpements Lorsqu'elles sont
entièrement creusées dans le grès, on ne voit jamais au fond des rochers
isolés ni des blocs épars. Partout le sol est composé de sable. Les cou-
rants d'eau attaquent aisément les grès , le creusement des vallées a
atteint une limite telle, que leur fond est très-peu incliné. Le ruisseau
y serpente au milieu d'une prairie unie ; jamais son lit n'est jonché de
cailloux roulés comme dans* les terrain? cristallins ; ses eaux glissent
' L'abbé Martin , Le$ deux Germantes cis-^hénanes , p. 2i. Paris , ISU3.
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586 REVUE D'ALSACE.
saus bruit sur le sable fin. Comme le grès vosgien laisse filtrer ses eaux
on n'y voit presque pas de sources sortir des flancs des montagnes , et
celles qui coulent à leur pied sont extrêmement limpides. Cette filtra-
tion rapide des' eaux contribue peu à la fécondité du sol , surtout sur
les pentes un peu inclinées dont la plupart sont arides ou couvertes de
bruyères. A travers les forêts qui descendent des plateaux sur le flanc
des vallées , des escarpements presque verticaux laissent souvent aper-
cevoir des couches de grès. La couche la plus élevée est fréquemment
plus saillante que les autres et semble protéger celle&-ci par sa solidité.
Cette espèce de corniche est en général un poudingue.
Dans sa belle étude sur les Vosges, M. de Beaumont a fait remarquer
que lorsqu'une vallée présente des escarpements sur les deux flancs ,
les couches qui s'y dessinent par leur saiUie se correspondent à peu
près par la hauteur. On ne peut douter qu'elles aient formé continuité
autrefois ; l'ouverture de la vallée les a séparées. Des rochers minces ,
posés d'aplomb à côté des escarpements , semblables à des colonnes
grossièrement taillées, paraissent avoir été laissés comme des témoins
de l'ancienne étendue des couches de la montagne. Ces couches se
dessinent sur la surface du rocher par leur plus ou moins de saillie de
sorte qu'il semble composé de blocs inégaux placés horizontalement les
uns sur les autres ; mais la correspondance des couches avec celles de
l'escarpement montre qu'il est encore en place, et n'est séparé de la
montagne que par une fissure graduellement agrandie. Parfois les
escarpements montent jusqu'au sommet de la montagne et forment un
angle droit avec le plateau qui le couronne. Ce fait n'est pas habituel.
L'escarpement se termine plus souvent par un talus en pente dont le
sol est formé de débris de grès désagrégé.
Le sommet de la montagne peut être tout-à-fait arrondi On le voit
aussi couvert de blocs amoncelés fournis par les parties les plus solides
du grès , qui atteignent un niveau supérieur et dont les parties les
moins solidement agglutinées ont été entraînées par les eaux. Très-
souvent encore les agents destructeurs, en arrondissant et en abaissant
la cime y ont laissé un rocher stable et taillé à pic , pareil à ceux qui
s'élèvent le long des escarpements. Les formes carrées de ces rochers,
les lignes horizontales qui s'y dessinent leur donnent un aspect de ruines
qui s'allie heureusement avec les ruines féodales , dont plusieurs sont
couronnés. Leur position dominante et leurs flancs taillés à pic les ren-
daient faciles à fortifier. Aussi , dans la vallée du Rhin , de tels rochers
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ÉTITDKS SUR LES VOSGKS. 587
ont fourni les fondements , et , pour ainsi dire , l^esquisse de tous les
châteaux qu'on a taillés en grande partie dans leur masse. On en peut
juger par les belles photographies alsaciennes , publiées par M. Braun ,
de Mulhouse. D'une partie détâchée etMa plus élevée du roc, on a fait
une tour, dans Tintérieur de laquelle se taillait un escalier tournant.
Dans une portion plus massive on a ouvert des salles et des chambres.
Avec les pierres qui en furent extraites on a construit Tétage supérieur
et formé les créneaux de la plate- forme. Un petit nombre de fenêtres ,
entourées d'ornements contournés et délicats , percent les flancs du
rocher , qui conserve entr' elles sa partie brute et allie aux décorations
légères et maniérées de Tarchitecture gothique des lignes horizontales
et des corniches naturelles d'un style plus élevé. < Le grès des Vosges
est si durable , que ces monuments des siècles de la chevalerie sont
souvent très-bien «onservés, et ne semblent être abandonnés que
depuis peu de temps. Ils forment un des traits marquants de ces con-
trées pittoresques. On les aperçoit surtout, en grand nombre, sur les
promontoires escarpés que forment les montagnes de grès tout le long
de la plaine du Rhin. La maison de Habsbourg , la maison de Salm ,
plusieurs familles princières ont vu commencer leur existence politique
dans quelques-uns de ces vieux manoirs actuellement inhabités. Lorsque,
d'un point découvert , l'œil embrasse dans son ensemble cette longue
file d'antiques résidences, l'imagination se reporte toujours avec plaisir
aux temps où , toutes habitées , bien entretenues , entourées des attri-
buts de la richesse, brillantes du luxe d'alors, pavoisées dans un jour
de fête des bannières et des écussons de leurs seigneurs , on voyait ces
fleurs de la civilisation du moyeu-àge s'élever et s'épanouir au milieu
de la verdure des forêts *. »
Toutes les vallf'^es du grès vosgien présentent des rochers caracté-
ristiques pareils à ceux qui viennent d'être décrits On en voit au Kam-
berg près Saint-Dié; au Tœnnicbel , au-dessus de Ribeau ville; au mont
S^''-Odile, dans la vallée du Graufthal , sur les bords de la Mossig , à la
grotte de Saint-Vit et au Karlspning dans les environs de Saverne ;
surtout enfin à Ânnweiler et a Dahn en Bavière. Ces rochers afl'ectent
toutes les formes. Il y en a qui représentent des miches empilées tels
que le Bseckerfels 3 Sainte-Odile ; d'autres ont la figure de batraciens
* Elie de Bbaumont , Explication de la carte géologique de France , loine 1 ,
pages 1286 à 288.
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588 REVUE d'alsacf.
comme le rocher de la Grenouille, près la Petile-Picrre ; d'autres
encore sont évasés en chaudières, témoin la roche des Fées au
Hobnack. Bien des fois de simples accidents , naturelle conséquence de
la désagrégation facile du grès, ont provoqué de longues controverses
archéologiques ^
Le grès est la roche vosgienne par excellence. Aucune formation ne
s'est développée à la surface de nos montagnes sur une étendue aussi
importante. Dans le Bas-Rhin seulement le grès des Vosges occupe une
superficie de 617 kilomètres carrés , de 200 dans le Haut-Rhin et sur
le versant occidental de la chaîne , il forme une vaste barde qui , partant
de Lure et de Luxeuil , passe à Epinal , dans la Meurthe , dans la Mo-
selle et couvre encore une aire considérable dans la Hardt. Dans les
Hautes- Vosges cette roche commence à paraître aux environs de Gueb-
willer et passe derrière Soultzmatt , Pfaffenheim et Gueberschwihr à
des altitudes de 300 à 500 mètres. Il constitue les sommets des mon-
tagnes granitiques sur la rive gauche de la Fecht entre 700 et iOOO
mètres de hauteur , forme plusieurs cônes dans le bassin de la Weiss
jusqu'à Âubure pour reparaître sur le bief de séparation entre les
vallées du Strengbach et de la Lièpvrette. On le trouve ensuite au
Taennichel, à une élévation de 910 mètres; au Hoh-Kœni^sbourg, à 560
mètres ; au Climont; à rUngersberg; au mont S^^-Odile ; dans la vallée
de la Bruche. Puis, à partir des deux Donon, il constitue à lui seul
tous les rameaux des Basses- Vosges jusqu'à Kayserslautern, dominant
presque toujours la formation plus récente du grès bigarré. Le grès
des Vosges a été parfaitement décrit par MM. Daubrée et Elie de Beau-
mont ^ ; je ne puis mieux signaler ses caractères qu'en faisant des em-
prunts aux observations de ces savants, observations si complètes,
qu'elles n'ont pas laissé découvrir ici un seul fait nouveau.
Essentiellement formé de grains de quartz dont la grosseur varie
.depuis celle d'un grain de millet jusqu'à celle d'un grain de chenevis ,
le grès vosgien atteint quelquefois une puissance énorme allant jusqu'à
400 mètres d'épaisseur au Katzenberg et à 500 mètres près Rapn-
' Ceroios savants ont ainsi constaté , à la vue des i assins «les Caveaux , près
Kioyrs » que n l(>s Gaulois en creusant ces bassins dans le grè^ faii^aient preuve
• de leurs connaissances physiques ; ci'Ue substance contribuant à maintenir la
« pureté de l'eau. » Gkaviër, Histoire de SainUlHé , page 9.
* Elie db Bëaumont , Explication de la carte géologique de Fra lee , tom. i ,
p. 373. — A. Dadbréb, Description géologique du Bas-Rhin, p. 84.
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ÉTUDES SUR LES VOSGES. 589
l'Etape. Cette composition varie peu sur toute l'étendue du terrain. La
surface extérieure des grains présente souvent des facettes cristallines
qui réfléchissent la lumière du soleil. Us sont mêlés aussi à de petites
masses d'argiles et d'autres grains formés de feldspath en décomposition»
ceux-ci peu abondants , poudreux , anguleux , d'un blanc mat , non
translucides. En général les grains quartzeux restent incolores et même
translucides ; mais ils sont habituellement recouverts par un très-léger
enduit coloré , soit en rouge par le peroxide de fer anhydre , soit en
jaune par le peroxide hydraté. L'enduit ferrugineux contribue sans
doute à faire adhérer les grains les uns aux autres. L'adhérence est le
plus souvent assez faible , d'où il résulte que la roche s'égraine facile-
ment et mérite bien le nom de Sandsteiriy pierre de sable , sous lequel
on la désigne en Alsace.
La couleur du grès , résultat de l'enduit qui cimente les grains , est
habituellement rouge de brique pâle. Dans quelques variétés des teintes
rouges, violacées, brunâtres, jaunes ou blanches forment dans la
pierre des teintes parallèles ou des taches. Mais ces couleurs ne sont
que superficielles puisque Taclion de l'acide hydrochlorique les décolore
rapidement.
De nombreux galets sont disséminés dans le grès vosgien et le font
passer souvent à un véritable poudingue. Comme les moindres grains
la plupart des galets sont quartzeux. Les uns consistent en un quartz
gris , brun ou rougeâtre , à cassure un peu schisteuse ; les autres sont
formés d'un quartz blanc , à éclat gras, presque opaque ; enfin d'autres
encore , les moins nombreux , proviennent de quartz noir , de Horn-
stein , comme au Katzenberg près Lutzelhausen. Les galets de granité
et de gneiss sont excessivement rares dans le grès vosgien ; quant au
quartz qui a fourni de si nombreux cailloux à ce terrain , il se trouve
en veines ou en rognons dans le terrain métamorphique des Hautes-
Vosges et surtout du Hundsruck. Dans le grès du Jsegerthàl , on a trouvé
un galet de quartzite renfermant dans son intérieur une empreinte
parfaitement nette de spirifèrCy fossile qui appartient au terrain de
transition. La surface des galets , quoique plus ou moins arrondie , n'est
pas unie. De petites facettes cristallines très-brillantes recouvrent la
surface d'un grand nombre d'entre eux, soit en totalité, soit en partie,
Cet enduit, identique à celui des petits grains , n'existe pas dans les
poiidingues des autres terrains , non plus que dans le gravier des allu -
vious anciennes et modernes. Dans le grès vosgien il se retrouve par
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590 REVUE D' ALSACE.
toute la formation à toutes les hauteurs. M. Daubrée l'attribue è un
dépôt siliceux qui s* est précipité et fixé en cristalisant sur la surface
des cailloux et des grains de sable , tout en abandonnant ça et là des
cristaux isolés de quartz. Peut-être aussi Tinfluence chimique à laquelle
ce iait est dû a contribué à Textrème rareté des restes organiques dans
ce puissant dépôt. On n'y a observé de débris animaux que quelques
empreintes de coquilles contenues dans les galets de quartzite du pou-
dingue^ et, par conséquent, étrangères à sa formation. Les débris
végétaux eux-mêmes y sont excessivement rares : nous n'en connaissons
que des empreintes de calamités arenacem trouvées par le docteur
Mougeot dans les poudingues de Boreroont et différentes tiges du même
genre recueillies à Bains et à Plombières par M. Hogard, dans une
arène qu'il rapporte au grès vosgien ^ Ajoutons que les lits minces de
ce grès de Kronthal outre des rides et des bourrelets polygonaux des
aspérités circulaires tellement nombreux que la surface en est comme
chagrinée et semblables aux empreintes de gouttes de pluie trouvées
par Lyell dans le limon de la baie de Fundy , dans la Nouvelle-Ecosse '.
Les aspérités du grès correspondent à de petits bourrelets attachés à la
surface de l'argile sous-jacente.
Le grès vosgi« n touche vers sa base des couches de compositions
différentes auxquelles il se lie cependant par une dégradation insensible
de caractères et par la continuité de la stratification. Les éléments de
ces couches sont plus grossiers , composés de grains de quartz arrondis
de dimensions variables , de feldspath , de mica , de menus galets de
granité , de gneiss , de porphyre et plus rarement de schiste , le tout
aggloméré par un ciment argileux. C'est le roth lodt liegende des mi-
neurs allemands , connu communément sous le nom de grès rouge. La
coloration rouge que son nom implique n'est pas générale au terrain
qui présente également des teintes jaunes et d'un gris bleuâtre. Cer-
taines couches, sont presque argileuses , et présentent des strates fossiles
couverts de paillettes de mica blanchâtre , communes dans le grès
bigarré , mais très-rares dans la formation intermédiaire. Outre ces
argilolithes on trouve encore dans le grès rouge des lits minces de
* Henri Hogard , Description minéralogigtie el géologique du système des
Vosges , page 230. Epinal, 1837.
* Cu. Lyell. Oo fossil raio mark*. Journal ofthe geologicat Society , lom vin,
page 238.
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ÉTUDES SUR LES VOSGES. 591
dolomies , notamment entre Forbach et Sarreguemines , ainsi que des
poudingues formés de gneiss, de micaschiste et de granité. Située à la
base du grès vosgien , cette formation plus ancienne est concentrée en
général dans certaines dépressions et apparaît seulement dans l'inté-
rieur de la chaîne et au fond des vallées. Nous l'avons vu entre Belfort
et Giromagny , dans la vallée du Rhin , entre Ribeauvillé et Saint-
Hypolite , dans le val de Ville , dans le bassin de la Lièpvrette , au
JsBgerthal , dans le bassin supérieur de la Bruche , sur les bords de la
Fave , du Rabodeau et de la Plaine.
Si la nature minérale et Tâge géologique établissent une séparation
réelle mais peu prononcée entre les étages du grès rouge et du grès
vosgien , la distinction entre celte formation et le grès bigarré ne paraît
pas plus nette. Loin d'être exclusivement quartzeuse le dépôt du grès
bigarré superposé au grès des Vosges est formé de grains de quartz
fins et réguliers , mêlés de paillettes de mica argentin qui donnent à
certaines assises la structure bcliisteuse , le tout réuni par un ciment
argileux. Cette roche est donc plutôt un psamnite qu'un grès véritable.
Sa couleur varie du rouge lie-de-vin au blanc sale et sont souvent
zébrées de jaune ou de brun. Ses strates n'ont pas la continuité habi-
tuelle des terrains sédimentaires , ils affectent la forme de lentilles de
dimensions variables , superposées les unes aux autres. On peut facile-
ment observer cette disposition près de Gresswiller , dans la colline
Dreyspitze , où des carrières presque contiguês ne présentent pas la
même disposition de couches \ Puissantes vers la base du dépôt , les
couches du grès bigarré deviennent plus minces en s'élevant et n'at-
teignent plus que quelques centimètres. Le grès alterne alors avec des
couches argileuses en général mélangées de sable , quelque fois bario-
lées et suivies elles-mêmes de lits minces de dolomie qui forment la
transition du grès bigarré au muscheikalk.
Au contraire de ce que nous avons observé dans le grès vosgien , les
débris organiques se trouvent en grande quantité sur toute l'étendue
de la formation du grès bigarré. MM. Mougeot et W. Ph. Schimper,
professeur à la faculté des sciences de Strasbourg et correspondant de
rinstitut ont donné une excellente monographie * des plantes fossiles
** Daubrée , Description géologique du Bas^Rhin , p. i05.
' W. Ph. ScfliMPER eiANT. Mougbot, Monographie despUmles fossiles du grèt
bigarré des Vosges, Leipzig» 1844.
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592 REVUE D'ALS4GE.
trouvées dans ce dépôt , surtout à SouItz-ies-Bains. Ce sont surtout des
équisétacées , des calamités , des fougères dont plusieurs espèces arbo-
rescentes ; df s conifères appartenant aux genres Voitzia , Âlbertia et
dont les graines, les écailles abondent dans les assises marneuses.
Cependant les empreintes de plantes fossiles ne sont pas indistinctement
disséminées dans toutes les couches. Les couches supérieures recou-
vrant le premier banc à Soultz-les-Bains en contiennent fort peu , mais
en revanche elles renferment en abondance des coquilles marines et
des restés de sauriens. En allant de haut en bas le premier banc de
grès contient des débris de bois fossiles et des calamités , la couche
marneuse suivante renferme quelques empreintes de fougères et de
conifères et c*est seulement dans les couches marneuses recouvrant le
troisième banc qu'on rencontre les empreintes les mieux conservées.
Dans ces marnes les parties les plus délicates des plantes sont dessinées
d'une manière admirable.
Répandu sur les deux versants des Vosges , le grès bigarré forme en
Lorraine et eu Bavière une bande continue appuyée sur le grès vosgien,
en Alsace il n'apparaît qu'en lambeaux à Osenbach , entre Riquewihr
et Ribeauvillé , au Klingenthal et à Otrott ; devient plus puissant vers
Haslach , Mutzig et Molsheim , sur les rives de la Mossig au Kronthal et
s'étend jusqu'à Neusladt , sur la Hardt dans le Palatinat. La bande
continue du versant occidental se moule autour du promontoire de grès
vosgien de la forêt d'Hérival et suit une direction parallèle à la ligne
de faite des Vosges. Elle va du val d'Ajol vers le Nord en touchant le
grès vosgien sur les plateaux entre Plombières et Saint-Bresson ,
à Hadol , à Menenil , à Autrey , à Menil , à Baccarat. Sa largeur ,
inférieure à celle du grès vosgien , atteint 50 kilomètres en face
du val d'Ajol , 9 à Domptail , 3 à Nossemont , 4 à Grandvillers , et
seulement un kilomètre près d'Epinal. Sa puissance varie de 20 à 30
mètres à l'Est , et à l'Ouest elle s'élève au double.
A Touest des Vosges le terrain du grès bigarré se présente sous
forme de plateaux , généralement arrondis sur les bords , à pentes
douces , sans escarpements vers le Nord , mais coupés par intervalles ,
au Midi, de ravines profondes. La végétation est à la fois plus vigou-
reuse et plus variée que sur le grès vosgien^ ce qui tient sans doute à
la présence de l'argile. Cette roche , située à uue altitude de 300
mètres à Rambervillers , s'élève à 400 mètres au Million, près de
Bains ; à 621 à la Sentinelle , entre Plombières et le val d'Ajol ; et
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ÉTUDES SUR LES VOSGES. 593
même à 750 mètres vers Haxonchamp , près du bassin supérieur de la
Moselle. Quoique d'une origine plus récente et placé à un niveau géné-
ralement inférieur à celui du grès vosgien^ le grès bigarré atteint, sur
les pentes des Hautes-Vosges, des altitudes supérieures à un grand
nombre de collines de grès vosgien sur lesquelles ce grès n'existe pas.
Il y serait arrivé cependant s'il avait été déposé au niveau qu'il atteint
au val d'Ajol.
Comment finit le grès bigarré? On le sait , ce dépôt ne constitue pas
un terrain distinct ; il appartient à la formation du lias qui comprend ,
en outre , les deux étages du muschelkalk et des marnes irisées. Les
trois dépôts du trias se redressent en Alsace contre les Vosges ; mais
en lambeaux séparés par des roches plus récentes. En Lorraine , au
contraire , ils forment des bandes continues , à peu près horizontales.
Ni le muschelkalk , ni les marnes irisées influent sur le relief de la
chaîne ; la séparation des différents étages se manifeste seulement par
des ressauts à peine saisissables , pareils à des lignes de dunes. En
réalité ces ondulations n'appartiennent plus aux Vosges , les rivières
issues de ces chaînes les traversent successivement jusqu'au pied de la
falaise oolithique qui sépare la Moselle de la Meuse. Les couches du
grès bigarré plongent sous le muschelkalk et un lit de dolomies cris-
tallines lie les deux étages. Les dolomies alternent avec des couches
marneuses suivies de calcaire. La marne prédomine surtout dans les
assises supérieures du muschelkalk. D'abord schisteuse et grise, on la
voit prendre en s'élevant une teinte de plus en plus décidée qui forme
la transition aux marnes irisées.
Charles Grad ,
membre de l'Association scientiilque de France.
(La fn à la prochaine livraison,)
3*Série.— 17* Année. 38
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L'ANNIVERSAIRE
DE MARTIN SCHONGAUER.
Parmi les documents inléressants qui se rattachent à la biographie ,
assez obscure , du peintre-graveur Martin Schongauer , figure la fon-
dation de l'anniversaire du célèbre artiste. Cet acte, dont il existe un
fac-similé au musée de Colmar , est extrait d*un ancien registre des
anniversaires de la paroisse Saint-Martin de Colmar , déposé à la Biblio-
thèque de la ville. Les mentions relatives à plusieurs membres de la
famille des Schongauer ont été découvertes le 6 décembre 1840. Elles
assignent à la mort du peintre une date antérieure de onze ans à celle
que l'histoire avait enregistrée jusque-là , sur la foi d'un écriteau placé
au dos du portrait que possède le musée.
M. Hugot, alors bibliothécaire-archiviste de la ville , s'empressa de faire
part de cette découverte à M. Gesscrt , conservateur du musée de Munich ,
par une lettre datée du 7 décembre 1840, qui a été traduite in extenso
dans le Kunstblatt du 23 février 1 841 («<> 15). Cette lettre, qui renferme
des détails précis et curieux, présente un intérêt trop évident pour que
nous ne nous fassions pas un devoir de la reproduire. Nous en donnons
une transcription littérale , d'après la minute déposée à la Bibliothèque
et nous sommes heureux de pouvoir , ainsi , attribuer à qui de droit le
mérite d'avoir mis ce document historique en lumière.
Ch. GOUTZWILLER.
« Colmar, le 7 décembre 1840
€ Monsieur ,
a Je m'empresse de vous écrire pour vous faire une heureuse commu-
nication ( t je voudrais que ma lettre vout fût déjà parvenue , tant j'é-
prouve de plaisir à vous l'adresser.
€ Hier au soir, 6 décembre, un volume manuscrit qui se trouvait,
à mon arrivée, déposé dans les greniers de la Bibliothèque de la ville
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l'anniversaire de MARTIN SGHONGAUER. 595
et que j'en avais fait descendre , nous a fourni la plus précieuse décou-
verte. C'est un registre in fo)^ composé de 53 feuillets de parchemin ,
relié en bois et recouvert de peau de truie , à compartiments en fers à
froid. Il contient le relevé des anniversaires fondés en l'église parois-
siale de Saint-Martin de Colroar, depuis et y compris l'année i39i
jusque 1539 inclusivement. Dès que je l'eus ouvert , je ne doutai point
un seul instant qu'il ne dût renfermer des indications extrêmement
précieuses sur la famille de Schongauer et je m'empressai de le confier
à M. X. Mossmann , jeune homme aussi distingué par son zèle que par
son instruction, qui veut bien me seconder au milieu de mes occupa-
tions, en le priant de parcourir le volume avec une scrupuleuse atten-
tion. Arrivé au verso du folio 35 M. X. Mossmann trouva la mention
suivante que je transcris littéralement ainsi que les deux autres :
« Anno dm (domini) m« cccc^ LXVIW
Caspar Schongauwer aurifaber le. (legavit) XlIIId. (denarios)p (pro)
$e Gertrude uxore et liberis eor. (eorum).
€ Au recto du 29* feuillet , dans le bas de la page :
€ .yiarting (Marlinus) Schongouwer Pictor (Pictorum) gloria legauit
V S (solidos) p (pro^ aniver^ (anniversario) suo et addiditÇ) 19 (unus)
s (solidum) / (unum) denarium ad an^ (anniversarium) patemtTCpa-
ternum) a9<^ (à quo) habuitmig (minus) A (anniversarium) Obijt (obiit)
m die Purificatos (Purificatiohis) Marie.
€ Anno , etc. {M' cccc) LXXXVIIL
c Au bas du 35* feuillet :
c Mgr (Magister) Paulus Schongotmer legauit V S pro te uxore et
liberis mis qui obijt XXIX Apprilis. Anno etc. (4f' D) XVI . (C'est-à-
dire 1516).
{*) M. X. MoflsmaiiD nous a fait remarquer que les signes 1* oot été considérés
par erreur comme exprimant une unité. Gela provient de ce que le chiffre arabe
9 a la même forme que le signe abréviatif us employé dans les anciens manu-
scrits. La comparaison des chiffres avec ceux employés dans d'autres mentions
similaires dans le même registre, confirme la justesse de Tobservation de
M. Mossmann. Il faut donc lire 49 solidos. M. Hugot a rectifié plus tard cette
petite erreur dans le Catalogue du Musée qu'il a publié en 1860 (voir page 47).
11 £ïui rectifier le chiffre des deniers qui , au lieu de représenter une uoiié ,
représente réellement le chiffre 1 , et lire 49 soltdos 7 denaria. Bien que ces
chiffres n*affectent que fort peu le fond même du documeni , il est bon de réla-
tilir sa véritable signification et nous remercions M. Mussmann de nous avoir
fourni le moyen de le faire.
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5% REYUE d' ALSACE.
c Le registre de Colmar est parfaitement conservé. Il a été exécuté
en 1507 par les ordres de Grégoire Bescherer, chanoine de S'-Martia
de Colmar , sur les originaux marnes des fondations et sous le décanat
de Jacobus Carpentarius, doyen de ladite église. Il se continue jusqu'en
1539. L'attitude de récriture , jusques en 1499 particulièrement, prouve
que le copiste a voulu apporter dans sa transcription un soin religieux.
Le parchemin en est fort beau et ce monument présente tous les carac-
tères désirables d'aulhenticilé.
« Je crois devoir vous communiquer également, Monsieur, un extrait
du préambule qui ouvre le volume. Les motif qui ont déterminé la
formation du registre s'y trouvent exprimés. L'un d'entre eux est trop
curieux pour être négligé. Après avoir rapporté les paroles de Saint
Grégoire sur l'efficacité des prières pour les morts , le préambule
ajoute :
€ Quare pr^ulenter sibi consulunt ex subdilis nostris nanntUli sepul-
turam non passim nec vulgarem diligmtes ; sed in cimelerio et amUtu
ecclesie nostre collégiale Sancti Martini colmariensis. Unde pie credi-
mus illorum animas tranquillius sub umbra pallii Domini Martini
Patroni ab estu cruente bestie animas vorare querentis quiescere
Cum et perpétua hebdomadarum sic vigiliœ noctumorum intègre hoc
est cum tribus noctvrnis et novem lectoribus lunœ et sabbato et missœ
pro defunctis quœ anniversaria nominantur ordinaria , illis videlicet
quorum corpora in dicto ambitu inhumata et animœ Dominorum cano-
nicorum precibus commendatœ dévote et reverenter in dicta ecclesia
Sancti Martini Colmariensis decantentur et celebrentur.
« Quorumquidem memoria ne pereat cum sonitu , vigilanti indus-
tria venerabilis viri magistri Gregorii Bechererus (sic) 9(q[fe dictœ
ccclesiœ canonici sparsim e pulvere collectis et excussis in hanc quam (sic)
cernitur formam excuterentur duraturam sub anno domini M* D^ VU*"
die octava aprilis Jacobo Carpentario Hyppolitano (vraisemblablement
de Saint-Hippolyte , petite commune du département du Haut- Rhin)
dictœ (jBdis Martinianœ decano.
€ Telle est , Monsieur, la communication que j'aurais eu l'honneur
de vous adresser dès hier au soir , si l'heure me l'avait permis. Les
indications du registre de Colmar ne s'accordent avec aucune des dates
assignées à la mort de Martin Schongauer. Elle diffère de onze ans
avec la date qui se trouve sur le portrait attribué à Jean Largkmair ^ ;
* C'est BarglLmatr qa'il fout lire.
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l'anniversaire de MARTIN SCUO.NGAUER. 597
mais il me semble peu probable qu'à uae distance de 8 ans , une erreur
de 11 années ait pu se commettre à Golmar par un homme qui parail avoir
su apprécier le mérite du grand artiste et qui peut-être Tavait même
connu personnellement. Vous déciderez , Monsieur , mille fois mieux
que moi ,' cette grave question , et si quelques nouveaux documents , les
manuscrits entre autres que M. Lersé avait vus à Golmar , au dire de
M. Huber, venaient à me tomber entre les mains, je m'empresserai
également de vous faire part du résultat de mes recherches,
c J'ai encore à vous remercier , etc • .
c Veuillez agréer, etc.
c L. HUGOT y
bibliothécaire-archiviste de la ville de Golmar. »
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BIBLIOGRAPHIE.
1.
L'Empereur Sigismond a Strasbourg , Opéra historique en dtiq actes ^
par Louis Spach. — Strasbourg , imprimerie de G. Silbormann —
1866. — Brochure in-12 de 88 pages.
L'évêque de Strasboui^ , Frédéric de Blaackenbeim , s'étant déclaré
Tennemi du magistrat de sa ville épiscopale^ fut à la fio obligé de quitter
révêché. Il permuta avec Guillaume de Dietsch , évèque d'Utrecht. Le
pape, BooifacelX, avait ratifié cet arrangement; mais le chapitre de la
cathédrale ne voulut pas s'y soumettre et il donna , pour sucesseur à
Frédéric de Blanckenheim, Louis de Thierstein, qui fut frappé de mort
subite au moment où il allait se mettre en route pour venir prendre
possession de Tévêché. Le chapitre élut à sa place Burcard de Lucel-
stein que le pape excommunia et qui , dès ce moment , fut abandonné
de ses partisans. Burcard en vint à un accommodement avec Guillaume
et la possession viagère du Haut-Mundat par Burcard de Luceistein fut
le prix de cette Iransaclion.
Guillaume de Oietsch prit donc possession du siège épiscopal les
armes à la main. Le nouvel évêque ne tarda pas à faire argent des
revenus de Téglise, qu'il engagea à tort et à travers. La ville de Stras-
bourg et le chapitre se coalisèrent pour arrêter ces aliénations et
racheter celles qui avaient été faites. De là conflit entre la ville, alliée
du chapitre , et Févêque. L'empereur Robert-le-Palatin , sollicité d'in-
tervenir, écouta les plaintes des deux parties, mais se garda d^engager
son autorité dans le différend. Les choses demeurèrent en cet état
jusqu'à la mort de l'empereur Robert^ arrivée en 1410. Sigismond, roi
de Hongrie, lui ayant succédé, vint à Strasbourg en 1414, pour récon-
cilier la ville et le chapitre avec l'évèque. C'est le séjour que l'empereur
fit à Strasbourg, dans cette occasion , qui a fourni le thème de l'opéra
que M. Spach a écrit en langue allemande, et dont nous allons esquisser
très-rapidement la combinaison scénique.
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BIBLIOGRAPHIB. 599
Le premier acte est rempli par diverses scènes dont l'intérieur de
Maître Nibelung , cordonnier, est le théâtre à Toccasion de la nouvelle
de Tarrivée de Tempereur. Salomé , la femme de H* Nibelung , veut
des vacances pour ses ouvrières avec salaire de la journée ; Nibelung
s*y refuse et Salomé porte le différend devant Tammeistre Bock , qui
doit le vider. L'ammeislre est embarrassé du cas, mais il a derrière lui
Ulrich Meyer, le greffier, qui , comme tous les greffiers , anciens et
modernes , le tire d'embarras en lui indiquant le chemin ou les échap-
patoires. Simultanément il faut songer où loger Fempereur et c'est
encore Ulrich qui tranche la question , en décidant que Madame Bock
cédera ses appartements au Souverain. Dans cette seule donnée , il y a
matière è six scènes des plus amusantes que M. Spach a remplies avec
un talent fort apprécié des personnes quelque peu initiées aux mœurs
de l'ancienne Alsace et au génie de sa langue.
Le deuxième acte est tout entier à l'arrivée et à la réception de l'em-
pereur. On a bien fait les choses et l'empereur ne veut p^as rester en
retard de gracieuseté. Il accorde à Tammeistre les grâces qu'il lui
demandera. Comme toujours, malheureusement, l'ammeistre n'est pas
préparé. Cependant un trait de lumière frappe son imagination : il
demande la liberté des jeux de carte ; le conseil approuve , mais il y
met la restriction qu'on doit en user modérément. Ce sont les sages de
la cité , et l'affaire en serait restée là si Ulric Meyer, le greffier, n'eût
pas apporté son appoint aux lumières de l'ammeistre et du conseil.
L'Alsace est une terre bénie qui produit du blé et du vin en abondance,
mais l'homme ne vit pas seulement de pain; il faut à Strasbourg la
foire de la Saint-Jean , c'est-à-dire la liberté ou plutôt des avantages
pour le commerce , les draps du Brabant , les laines d'Angleterre , les
toiles blanches de Cologne et de Trêves et les épices du midi.
L'empereur. Eh bien , faites les venir.
Ulrich. Voilà justement le point, Majesté ! Accordez la sécurité au
commerce. L'acheteur quittera avec plaisir de lointains pays pour venir
en notre ville, et ce sera pour elle une source de prospérité.
L'empereur, Voilà qui est parler. Vous voulez des privilèges pour les
commerçants qui fréquentent votre ville ; ils doivent être exempts des
droits. Je vous l'accorde.
Les conseillers expriment tout naturellement leur reconnaissance
pour tant de bienfaits.
A cette scène succède l'invitation au bal historique qui doit avoir lieu
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600 REVUB d'alsacs.
à la Haute-Montée , le lendemain malin , parce qu'à Strasbourg on s'y
prend de bonne heure pour finir tard. C'est Dîna Zorn qui fait l'invita-
tion en présentant à l'empereur, pour l'impératrice , une rose d'argent
artistement ciselée. L'empereur accepte, rend un baiser et prend
rendez-vous au lendemain matin , à la condition que Madame Zorn et
Dina , avec leurs amies , viennent le réveiller par un petit coup frappé
à sa porte.
Le troisième acte commence par la retraite de l'empereur dans sa
chambre à coucher; mais avant de pénétrer dans ses appartements,
l'empereur est instruit, par le greffier Ulric, de la division qui partage
Strasbourg en deux camps , le parti des Zorn et celui des Mullenbeim ,
en-dehors desquels se tient l'ammeistre Bock , ce qui fait sa force. La
nuit se fait, la voix du veilleur de nuit retentit , l'empereur dort , et à
l'aurore Dina Zorn et d'autres jeunes filles, conduites par Catherine Zorn,
mère de Dina , arrivent pour le réveiller et l'accompagner au bal. C'est
en robe de chambre et en pantoufles que l'empereur paraît et qu'il est
entraîné jusqu'à la maison du cordonnier Nibelung , où des souliers de
bal lui sont chaussés par Dame Salomé. Le bruit a réveillé Nibelung ,
qui se confond en excuses auprès dLe l'empereur et lui dit son nom. Ce
nom illustre cause de la surprise à l'empereur qui invite le cordonnier
à faire vérifier son état civil et à l'accompagner, lui et sa femme, au
bal de la Haute- Montée , car quiconque porte le nom de cette ancienne
race est noble , fût-il cordonnier. Les bagages arrivent , mais les bottes
espagnoles qu'ils apportent sont dédaignées pour les souliers de Stras-
bourg dont l'empereur introduira la mode à la cour de Prague. L'acte
se termine par la présentation de l'ancien Stettmeistre Zorn qui invite
l'empereur au bal , où Tattendent cent cinquante hommes de noble
qualité , tous bourgeois de la ville.
Le quatrième acte se passe à la Haute-Montée ; le greffier Ulrich Mey er
en sera le héros. Son cœur est à Marguerite de Neunstein , sœur de
la dame de l'ammeistre Bock. On voudrait en faire une dame d'hon-
neur de l'impératrice , afin d'éviter une union contraire aux volontés de
Rodolphe, père de Marguerite. Cette faveur est obtenue, mais accueillie
avec douleur par la jeune fille et son prétendant. Pendant le bal un
orage éclate et met le feu au Pfenninglhurm ; le tocsin retentit , la
confusion envahit le bal , on court au feu , Ulric Meyer se distingue
et est gravement blessé. Des lansquenets le rapportent sur une civière
et le déposent dans une gloriette de la Haute-Montée. Au bruit de sa
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«BLIOGRAPHnS. 601
mort , Marguerite de Neunstein accourt éplorée et s'agenouille près de
lui. Ou est unanime à dire que les plus grands honneurs sont dus à son
courage civique , s'il revient à la vie. L'empereur s'associe à l'opinion ,
un chirurgien est appelé et Ulric revient à la vie.
Le cinquième et dernier acte est rempli par le diner d'adieu donné à
l'empereur dans une Ile du Rhin. C'est le dénouement qui fait des heu-
reux par le mariage d'Ulric avec Marguerite, par l'intendance des
troupes à cheval de Bohème accordée à Mattre Nibel... et par des assu-
rances d'amitié et de protection au magistrat et à toute la population de
la ville libre.
Voilà le canevas du poème; il ne devait pas empiéter sur la négocia-
tion qui avait pour but de réconcilier la ville et le chapitre avec
Févèque. Si l'on devait continuer l'historique de l'épisode , il faudrait
dire que la réconciliation ne dura pas et que la ville fut, quelques
années après , mise au ban de l'empire par le même Sigismond pour
avoir, de concert avec le chapitre, retenu prisonnier l'évèque Guil-
laume de Dietsch ; grosse ajBTaire qui subit un instant la terreur qu'ins-
pira le bûcher de Jean Huss , et qui ne se termina que laborieusement
au concile de Constance , mais en définitive au profit et à l'honneur de
la République strasbourgeoise.
En localisant la visite de l'empereur, M. Spach a écrit un chef-
d'œuvre^ auquel il ne manque plus , pour être complet , que la traduc-
tion lyrique par un Lorzing alsacien.
II.
De l'état actuel des prisons civiles de Strasbourg , au point de
vue sanitaire ei médical , par H. d'EoGS , médecin en chef. — Stras-
bourg, imprimerie de G. Silbermann , i866. — Brochure in-8^ de
64 pages.
La question pénitentiaire n'a pas d'attrait pour les esprits livrés à
des études moins tristes. Cependant quand elle est traitée par un homme
expérimenté, on se laisse entraîner dans l'exposé concis des règlements,
et quand on a parcouru cette longue série de prescriptions minutieuses ,
on veut savoir comment le médecin , par exemple , en règle l'applica-
tion au point de vue sanitaire et médical. Dans la prison comme ailleurs,
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602 REVUE d'alsace
el peut-être plus que partout ailleurs, Phomme de Part est la bienfai-
sante providence de celui qui souffre. C'est lui qui ramène la société
aux règles humanitaires que ses agents seraient trop souvent portés à
oublier. Et quand , comme d'Eggs , il ne craint de confier ces règles à
l'impression , il rend un véritable service , car les bonnes choses que
l'opinion épouse sont autant de conquêtes pour la civilisation.
Si l'on devait comparer notre régime pénitentiaire moderne au régime
d'avant quatre-vingt-neuf, il serait aisé de démontrer que la Révolution
a eu d'heureuses conséquences , même pour ceux que la société doit
punir. Quelque considérable que soit le progrès accompli , il n'en est
pas moins resté un grain de barbarie dans notre législation pénale, et ,
comme nous l'avons dit , le médecin des établissements pénitentiaires
est la providence pratique qui lutte , à côté de la philosophie , pour en
adoucir l'application et même en extirper les dernières racines.
« La perte de la liberté , l'abattement qui en est l'inévitable consé-
« quence , certaines habitudes vicieuses que la détention engendre ou
< perpétue y l'absence d'affections de famille , le silence réglementaire,
c antipathique à l'homme en général , la discipline , le manque
« d'exercices variés , souvent le défaut de lumière , d'aération suffi-
« santé, etc. , etc. > sont autant de causes , dit avec raison M. d^Eggs,
qui agissent d'une manière fJkcheuse sur la santé du prisonnier et com-
mandent une sollicitude compatissante et un examen attentif des ques-
tions relatives à sa santé.
Ce sont ces questions que M. d'Eggs passe en revue et qu^l traite
dans la deuxième partie de son opuscule au point de vue général et au
point de vue des prisons de Strasbourg. L'aération, l'influence des
fosses d'aisance, la propreté générale , celle du corps, les vêtements ,
le régime alimentaire et l'infirmerie lui fournissent la matière d'autant
de chapitres où l'homme de savoir et l'homme de cœur se montrent
sous les plus beaux côtés.
Cette dernière partie prend moins de place que la première, et comme
c'est le médecin qui parle, non le règlement , elle est plus substantielle»
plus attrayante. Dans ces quelques pages, M. d'Eggs expose, en un
langage précis , les mesures prises, dans les prisons de Strasbourg ,
sur les avis, quelque fois sur les ordres du médecin, pour soustraire la
population des prisons à l'influence délétère du milieu dans lequel elle
est condamnée à vivre. 11 lui arrive souvent de justifier ses prescriptions
sanitaires par des considérations d'un ordre tout différent de la pratique
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BlfiL10GRAPBI£. 603
médicale. 11 a à cœur de préserver le prisonnier des ulcérations de
Tàme autant que de celles du corps ; il revendique son droit à une
nourriture salubre, afin quHl ue prenne pas en haine celui qui le nourrit
mal , afin que son cœur ne soit pas fermé à la morale, car, dit Fauteur,
€ comment serait-il touché de vos préceptes » lorsque vous ne Têtes pas
€ de sa misère? > En le lisant, on sympathise avec le docteur parce
qu*il est lui-même plein de sympathie pour les malheureux confiés à
ses soins. Son exposé de la question pénitentiaire est una bonne œuvre,
nou« nous plaisons à lui rendre ce témoignage.
III.
Les animaux peints pah eux-mêmes, de Granville; Les voyages
EXTRAORDINAIRES, de JuLES Verne, illustrés parRiou, et Les contes
de Perrault, illustrés par Gustave Dore. — Paris, librairie de
J. Hetzel, 18, me Jacob.
Ces trois ouvrages sont en cours de publication ; ils seront achevés
très-prochainement; peut-être même auront-ils paru lorsque l'annonce
que nous tenons à leur consacrer arrivera à nos lecteurs.
En mettant la Revue à la disposition des livres que H. Hetzel édite ^
nous ne nous écartons pas absolument de notre programme. M. Hetzel
est un enfant de FÂIsace et presque tous ses collaborateurs y tiennent
aussi par des liens plus ou moins étroits. C'est de la librairie Hetzel que
sont sortis, illustrés, lesAomansnaa'onauosd'Erckmann-Chatrian; c'est
elle qui nous a donné Thisloire d'une Bottchée de pain , née en Alsace ;
les Contes et le Théâtre du petit château , ainsi que V Arithmétique du
grand papa , qui ont la même origine ; c'est elle encore qui a mis à la
portée de toutes les bourses les Misérables el Notre-Dame de Paris ^
qui sont universels , et enfin c'est elle qui, reprenant une à une les
publications importantes antérieures à l'Empire, poursuit avec une
constance rare l'exécution d'une bonne pensée dont M. Hetzel, notre
compatriote , est le patron. Tout ce qui sort de l'association libre dont
il est le prévôt est digne du succès donl jouissent les meilleures entre-
prises, car rien n'est épargné pour rendre les reproductions irrépro-
chables et les entourer du cortège artistique qifi en fait des livres de
luxe. Il n'est aucun des livres que nous avons nommés qui ne l'attestent.
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604 REVUE D'ALSACE.
Ceux qui sont en cours de publication surpassent encore les précédents
et prouvent que la pensée de M. Hetzel est bonne , puisqu*à mesure
qu'elle avance dans sa voie elle se perfectionne encore s'il est possible ,
loin de se ressentir d'une sorte de fatigue qui est Tindice certain d'une
fin prochaine. Des collaborateurs comme ceux dont H. Hetzel sait
s'entourer sont capables de fournir une longue et brillante carrière ,
parce qu'ils sont tous des hommes de mérite. L'illustration en général
est tombée dans un^ décadence déplorable : elle s'est mise au service
des choses les plus vulgaires et l'art est naturellement tombé au niltou
de cette littérature. Les efforts de M. Hetzel et de ses collaborateurs
sont une protestation contre cette décrépitude, une réhabilitation
nécessaire de notre époque en la ramenant aux dernières étapes où les
anciens se sont arrêtés et que les jeunes n'ont pas su continuer, car
tous ceux qui reviennent avec M. Hetzel à ce point d'arrêt sont élèves
d'une génération qui ne savait pas le chemin de la Bourse. Leur sera-t-
il donné d'approcher du but ? C'est ce que nous espérons fermement ,
car il est certain que la satiété des choses mauvaises finira par faire
revenir les esprits vers les choses de meilleur aloi.
L'abaissement littéraire et artistique de ces derniers temps aura eu
quelque chose de bon. Après s'être introduits dans toutes les maisons,
sous une robe brillante et frelatée , on voudra nécessairement remplacer
des hôtes fftcheux par des hôtes recommandables. Or, prenez au hasard
dans la collection de M. Hetzel : le premier livre qui vous tombera sous
la main sera de bonne compagnie ; il sera mieux que cela , un ami du
foyer que l'on chérira jusqu'au dernier moment. Si nous disons beau-
coup de bien de ses publications , c'est parce que nous le pensons ;
c'est parce que nous les considérons comme un contrepoids indispen-
sable dans la balance qui menace de donner gain de cause à l'industrie
qui s'est emparée du livre pour en faire exclusivement un négoce de
pacotille.
Jusqu'à ce que notre temps ait produit de bonnes œuvres, M. Hetzel
a raison de lui faciliter la connaissance de3 anciennes. Il compte ,
nous assure-t-on , donner un pendant aux Animaux peints par eux-
mêmes , en éditant , dans le même format et illustré par un peintre
allemand, Kaulbach , le renard de Gœthe. Ce n'est pas pour jeter un
défi au génie français qu'il associe à cette œuvre un artiste allemand ;
c'est parce qu'en homoM de sens, M. Hetzel sait que l'œuvre ne peut
être illustrée , dans le sens vraiment artistique, que par un homme
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BIBLIOGRAPHIE. 605
qui parle la langue de Gœthe et qui est , mieux que ne pourrait Fétre
un Français , initié au génie du poème.
M. Hetzel s'est déjà attaché à un autre chef-d'œuvre qui para!t«^
prochainement , ou même qui a déjà paru : Les contes de Perrault ,
illustrés par Gustave Doré. Comme toujours y c'est pour les mettre à la
portée de toutes les bourses qu'il a fait cette nouvelle édition dont le
prix ne dépassera pas 35 ou 30 fr. au lieu de 70 fr. que coûtait la pré-
cédante. Au moyen de la galvanoplastie la première gravure reste
vierge des presses et les clichés dont on se sert pour ce tirage . la repro-
duisent dans sa plus grande pureté ; ajoutons que la typographie en
sera soignée comme tout ce qui sort d'une imprimerie modèle, le
Magasin d'éducation , par exemple , qui est véritablement un chef-
d'œuvre de typographie , de jour en jour plus partiale.
Si tous ces livres ne sont pas des publications de circonstance , il
peuvent néanmoins , et mieux que beaucoup d'autres, en tenir lieu. Ce
sont de belles et bonnes étrennes qui peuvent être mises entre toutes
les mains , que l'on conserve et que Von veut augmenter. A cOté d'un
bon livre et d'un beau livre on a l'ambition d'en placer un nouveau de
même qualité et nous soupçonnons que ce soit là le secret de M. Hetzel,
comme éditeur. Il pense , avec raison , que là où le premier de sa col-
lection a conquis une place les autres viendront fatalement se grouper
On ne peut que le souhaiter avec lui.
Frédéric Kurtz.
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TABLE DES MATIÈRES.-- 3"' SÉRIE. I?*»' ANNÉE.
HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Paro-
le. Chauffour. — Quelques mots sur les cours colongères d'Alsace. ... 5
— — — — ' Suite et fin 65
— — — — Même sujel. RépobS9 à une critique 154
— — — — Même sujel. Résumé et conclusions 305
— ___-. Suite et fin 3ÎI
AUG. Stqeber. — Note sur le lieu de naissance de Jean Geiler, dit de
Kaisersberg 59
Dag. Fischer. — Etude sur l'organisation municipale de Saverne sous la
dominalion des évêques de Strasbourg 199
— — — — Le tribunal civil de Saverne 479
Joles-Frédéric Puthod. — Expédition du baron Nicolas de Polweiler en
Rresse , siège de Bourg , 1557 144
As QoiQiiERKZ. — La pierre des mauvaises langues 171
— — — — Landskron 477
— — — — Suite et fin 873
Ed. Goguel. — Les confréries «te métiers 188
— - — — Suite et fin 257
L'abbé Grakdidier. — Abjuration 213
— » — — Armoiries des évèques de Strasbourg .%38
— — — — Persécution des Vaudois à Strasbourg 561
— — __ — Les musiciens d'Alsace 572
Gh. Knoll. — Histoire de la fille de Soultz 249
— — — — i^ suite 297
— _ _ _. 2e suite 395
— — — — 5«m/e 491
_-__- — 4* suite et fin 525
P. G Bergmann. — Origine et signiûcalion du nom de Franc 225
Ch. GOUTZWILLEI;. — Le musée de Golmar 369
— — — — limite kU
— — — — Anniversaire de Martin Scbongauer 594
AiiG. Saum. - Un bas-relief de Mitbra , découvert à Strasbourg 417
AuG. Krceber. — Correspondance de l'abbé Grandidier et autres documents
relatifs à cet histonen, à sa famille et à ses ouvrages 465
«._-« — Suite et fin 513
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TABLE DES MATIÈRES. 607
Pages.
Gh. KÛSs. — Etudes d^bistoire contemporaine. -— Do mouvement religieux
parmi les protestants d'Allemagne 517
Paul Huot. — Le onzième plaidoyer de l'avocat Patru 551
NOTES ET DOCUMENTS HISTORIQUES.
J. L. ... — Notes et documents pour servir à Thistoire religieuse en Alsace . 121
— - — \'e suite 475
— - - — '2^ suite 215
BIOGRAPHIE.
L'abbé Grandidier. — Daniel Specklé 118
__ _ „. - Jean de Dambacb et Jean Tauler 415
ÉCONOMIE SOCIALE. — AGRICULTURE.
Ommds. — De Taliénation et du défriclieœcnt de la forêt et des irrigations
du territoire de la Harth il
— — — — Suite et fin 99
J. F. Plaxlakd. — Etudes sur l'élevage, rontretien et l'amélioration de la
race bovine en Alsace 201
— — ~ — 1'^ 8uiU 28i
— — — — 2« suite 38ô
— — ~ — ^ suite et fin 441
Charles Grau. — De l'influence des forêts sur la distribution des eaux . . . 407
SCIENCES NATURELLES.
Cu. Grad — Reliefs et cartes des Vosg s «^4i
—.— ._- Etudes sur les Vosges 378
CRITIQUE LITTÉRAIRE.
Louis Spach. — Histoire d'un homme bcureux , par Adolphe Sehœffer ... 62
— — ~ — Recherches sur le plan de la création et la structure de
r&me , par //. de Madiis (de May) 4.^9
J. QuiCHERAT. — Liste des noms de lieux inscrits sur les monnaies méro-
vingiennes , par Anatole de Barthélémy 220
Anatole de Barthélémy. — Les épopées françaises , par M. L. Gauthier . . 415
F. G. Bergma^in. — Deux premières années d'allemand , par H. Schmidt . 455
— — — — Noticedegritmmaireetd'orthograpbe, choix d'homonymes
et de synonymes, proverbes expliqués , etc. , par Ph. H, Beck .... 458
Frédéric Kuktz. — Les coutumes du val de Rosemont , publiées pour la
première fois , avec introduction et notes , par Ed, Bonvalot iW
— — ~ — Annales de l'association philomatique vogeso-rhénane ,
faisant suite à la Flore^d'Alsace, par F. Kirschleger 222
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008 REVUE D'ALSACE.
Frédéric Kortz. — Notice sur l'hôpiul et la toar de l'élise de Benfeld ,
par Nap. NiekUs .223
— — — -- Nolioe sur la famille de Rosen , par Emetl Lehr • . . . 225
— — ^ — Promenade de Colmar k Aispacb , par Paul Huot . . . 224
— — — — Georges V/ickram , écrivaiD populaire el fondateur de ia
oorporaiion des cbao leurs de Coiroar, au xvi* siède, par Aug. Stœber. . 269
— — — — Légendes du Floriyal , par M. l'abbé Broun 270
— ^ — — Histoire des juifs à Colmar , par X, Mossmann .... 4iti
— — — — Histoire de la ville d'Obemai et de ses rapports avec les
autres villes ci-devani impériales d*Alsace et avec les seigneuries voisines ,
comprenant Thistoire du mont Sainte-Odile , des anciens monastères de la
contrée et des localités limitrophes, par M. Tabbé /. Gyss SOi
— — — Des Vosges au Rbin. Excursions et causeries alsaciennes,
par Paul Huoi Wl
— — — - — Mélanges d'histoire et de critique littéraire , par L. Spaeh SIO
— — — •— Renseignements météorologiques sur le xiii* siècle , par
Henri Bardy Si2
— — — _ Recherches anthropologiques sur le pays de Monibéliard ,
par le D' Mustm 548
~ — — _ Questions sur la chasse. Jurisprudence de la Cour de
Colmar en ce i te matière, par U* de Neyremand 5!S5
— ~ — — Le Bibliographe alsacien , par Ch, Mehl • 558
— ~ — — L'Alsace et ses artistes, pur Ad, Morpain 559
— — — — L'empereur Sigismond à Strasbourg, opéra historique,
par L, Spach 598
— ~ — — Les prisons de Strasbourg, par M. d'£y9« 605
-> — — — Récentes publications de Hetzel — Les voyages extraor-
dinaires de Jule9 Verne , illustrés par Riou ; les animaux peints par eux-
mêmes , de GranviUe , et les contes de Perrault , illustrés par Gustave Doré 606
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