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Full text of "Revue d'Alsace"

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FhAl.'ldQ^ 


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\ 


REVUE  D'ALSACE. 


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COLMAR  •  Imprimerio  et  Littiogrtphie  de  CAMaLB  Dbgksi». 


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REVUE  D'ALSACE. 


DIX-SEPTIÈME  ANNÉE. 


TBOISltHE  SiRII. 


TOME  DEUXIÈME. 


GOLHAR, 

AU  BUREAU ,  RUB  DES  MARCHANDS.  IC  H. 

1866. 


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^ 


^T^^^-^r^ 


Han^ard  Colleî^^e  l.ibrary 
V.    APR  18  1908 
Hohenzol!crn  CV»llcction 
Gift  of  A.  i:.  Cv.'.Kiîre 


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aUElQUES  HOTS 
SUR  LES  COURS  COLONGÈRKS  D'ALSACE 

DES  LIVRES  DE  M.   HANAUER  SUR  CETTE  MATIÈRE  K 

—  Suite  •.  — 

De  la  question  d'origine  légale ,  du  titre  Romain  ou  Germanique  de 
la  Colonge ,  passons  à  Tétude  de  Tinstitution  en  elle-même ,  de  ses 
conditions  essentielles,  de  ses  destinées  et  de  sa  disparition. 

Ici  encore  y  tout  en  continuant  à  rendre  justice  à  retendue  des  re« 
cherches ,  à  la  remarquable  sagacité  d'un  grand  nombre  de  ses  commen- 
taires ,  à  la  richesse  de  ses  développements ,  nous  regrettons  d'avoir  à 
reprocher  à  l'auteur  un  vice  radical ,  qui  consiste  dans  l'absence  de 
toute  méthode  et  de  tout  ordre  rationnel  dans  la  distribution  des  maté- 
riaux qu'il  a  entassés  en  quelque  sorte  au  hasard  et  pèle-méle. 

Pourtant ,  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer ,  une  institution  quelle 
qu'elle  soit,  subit  fatalement  la  loi  du  milieu  social  dans  lequel  elle  natt 
et  se  développe.  Le  premier  devoir  de  l'historien  est  donc  de  suivre 
attentivement ,  en  remontant  le  cours  des  siècles ,  la  succession  des  faits 
sociaux  qui  ont  dû  imprimer  à  l'institution  son  caractère  originel  et 
dominer  toutes  les  phases  de  son  évolution,  c  Nous  avons  pensé ,  dit  un 
savant  qui  jouit  d'une  légitime  autorité ,  <  que  si  rien  n'était  plus  com- 
c  mode  que  d'isoler  l'histoire  des  institutions  de  l'histoire  des  faits ,  rien 

f  n'est  plus  compromettant ni  plus  dan- 

c  gereux  pour  la  vérité  *.  ^ 

*  Voir  la  livraison  de  décembre  1865,  page  529. 

*  i^  Les  Payeam  de  l'Alsace  au  moyen^ge.  i  vol.  S^, 

2^  Les  constitutions  des  campagnes  de  l'Alsace  au  moyen-âge,  1  vol.  8*. 

*  LehuSrcd,  Hist.  des  institutions  earoUng.  Paris  1843.  Avant-Propos,  p.  xin. 
Une  école  allemande,  celle  pour  laquelle  M.  Hanauer  doit  avoir  le  plus  de  sym- 


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6  REVUE  D* ALSACE. 

Une  histoire  de'  la  colonge  se  plie  fort  biei)  à  la  division  faile  par 
Schœpflin  en  périodes  Francique ,  Germanique  et  Française  ;  c'est  aussi 
celle  qui  a  été  adoptée  par  M.  Véron-Réville  dans  son  excellent  Traité 
sur  nos  juridictions  alsaciennes.  En  fait  de  méthode  il  ne  faut  pas  légè- 
rement être  ambitieux  ou  novateur.  Les  classifications  les  plus  usitées  , 
sont  incontestablement  les  plus  avantageuses  tant  qu'elles  ne  sont  pas 
devenues  incomplètes  ou  insuffisantes.  En  adoptant  cet  ordre  qui  a  pour 
lui  la  consécration  de  l'usage ,  H.  Hanauer  eut  trouvé  moyen  de  classer 
chronologiquement  les  rotules  déjà  connus  ,  et  ceux  qu'il  a  lui-même 
ramassés  dans  les  archives.  Ensuite  son  eiïort  eut  dû  porter  à  assigner  à 
chacune  de  leurs  dispositions ,  celles  surtout  concernant  la  juridiction 
et  le  droit  d'asile ,  leur  date  d'origine  au  moins  présomptive. 

Au  lieu  d'une  interprétation  tirée  des  faits  historiques  ambiants, 
notre  auteur  au  contraire  ne  s'attache  qu'au  texte  de  ses  vieux  titres  ; 
il  accepte  le  sens  littéral  de  chacun  de  leurs  termes  sans  se  préoccuper 
de  savoir  si  ce  sens  est  bien  réellement  celui  que  leur  attribuait  le 
temps  od  ils  ont  été  écrits.  Tel  rotule,  nous  dit-il ,  contient  telle  ou  telle 
stipulation  ;  donc  cette  stipulation  a  vécu  ;  et  non  seulement  elle  a  vécu 
une  heure ,  un  siècle ,  mais  elle  a  conservé  pleine  force  et  vigueur  pendant 
tout  le  moyen-âge,  malgré  les  bouleversements  répétés  et  profonds  qui 
ont  agité  cette  époque  de  formation  ,  malgré  le  changement  incessant 
du  milieu  dans  lequel  Tinstitution  a  dû  naître  et  .se  maintenir  !  Avec  un 
pareil  systènie  de  servilité  littérale,  je  ne  vois  pas  pourquoi,  en  France, 
nous  ne  daterions  pas  les  principes  de  1789  de  Tan  de  gr^e  1315  ,  et 
pourquoi  nous  ne  chercherions  pas  Tavénemcnt  des  droits  de  l'homme 
et  du  citoyen  dans  les  fameuses  lettres  de  Louis-le-Hutin ,  déclarant  que 
dans  le  royaume  des  Francs ,  tous ,  sans  distinction ,  doivent  être  Francs 
et  libres  ^ 

Et  puis ,  il  importait  peu ,  ce  nous  semble ,  d'enrichir  le  domaine  de 
la  science  du  texte  de  quelques  rotules  de  plus  ;  il  eût  été  intéressant  au 
contraire  de  chercher  dans  nos  archives  départementales  et  spéciales  ce 


pathie ,  s'est  appropriée  cette  maxime  :  Tf\eht$  Ut  bequemer  aU  die  Geichichu 
d$r  Beehisinstitutê  von  der  Gêschichte  der  Thatsachen  xu  trennen;  aber  nichts 
Ut  xugUieh  gêftikrlicher  far  dU  Warheii.  —  GfrÔBER.  Zur  Gescfiichte  dêotscher 
Volkirechten  im  àÊUtelalter ,  i,  p.  2. 

*  De  Lalriêre  ,  Ordannancet  de*  RoU  de  France ,  i ,  p.  385. 


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QUELQUES  MOTS  SUA  LES  COURS  COLONGÈRES  D'alSACE.       7 

qu'elles  peuvent  contenir  sur  la  mise  en  pratique  de  ces  textes  ;  de  dé- 
couvrir notamment  ce  qu'elles  peuvent  cacher  de  renseignements  utiles 
sur  les  juridictions  ,  la  pratique  du  droit  d*èmigration  ,  le  maintien  ou  la 
conversion  des  prestations,  etc.  M.  Hanauer  est  forcé  de  convenir,  en  plus 
d*un  endroit ,  que  dans  beaucoup  de  cas ,  ces  dernières  surtout  se  sont 
trouvé  modifiées  par  le  cours  du  temps  et  le  changement  des  habitudes 
sociales.  Ainsi ,  d'après  lui-même  ,  le  droit  de  gtte  ou  d'hébergé  se  serait 
converti,  dans  certaines  contrées  ,  en  prestations  pécuniaires  ou  taille  K 
Voilà  des  symptômes  qu'il  aurait  été  utile  de  suivre  et  d'approfondir,  parce 
que  d'une  part  ils  nous  auraient  appris  comment  les  colongers  qu'on  pré- 
tend autonomes  seraient  devenus  taillables,  et  d'un  autre  côté  l'on  serait 
arrivé  ainsi  à  la  démons^tration  de  cette  vérité ,  évidente  d'ailleurs  par  elle- 
même  ,  que  le  Dinghof^  comme  toutes  les  autres  institutions  anciennes, 
a  successivement  subi  Tinfluence  des  mutations  qui  s'opéraient  dans  le 
milieu  historique  qui  Tenveloppait.  M.  Hanauer  du  reste  finit  par  en 
faire  l'aveu  ^,  en  reconnaissant  que  la  constitution  des  colonges  t  subit 
dans  le  cours  des  siècles  des  changements  assez  considérables.  >  C'était 
une  raison ,  ce  nous  semble ,  de  dessiner  ce  cours  des  siècles  dans  la 
division  même  de  sa  dissertation. 

L'ordre  que  nous  indiquions  tout-à-l'heure  correspond  du  reste  d'une 
manière  précise  aux  grandes  révolutions  qui  ont  précédé ,  chez  nous  , 
la  formation  de  la  société  moderne. 

La  période  Francique  commence  à  l'établissement  définitif  des  inva- 
sions germaniques  sur  les  territoires  soumis  jusqu^alors  à  la  domination 
Romaine;  elle  se  clôt  au  moment  où  le  régime  féodal  a  remplacé  celui 
des  Bénéfices.  Plusieurs  grands  traits  la  signalent.  A  son  début  l'occu- 
pation du  territoire  conquis,  par  des  hordes,  des  bandes  ou  des  tribus 
qui  s'asseoient  et  s'établissent  (Ansiedelung)  dani  des  cantons  d'une 
étendue  variable  (Gauen)  ;  chacune  de  ces  aggrégations  obéissait  à  un 
chef  auquel  un  ordre  hiérarchique  rattachait  les  hommes  ou  les  Leudes 
qui  la  composaient.  En  temps  de  paix  au  moins  aucune  autorité  com- 
mune ne  dominait  les  tribus  diverses ,  ni  leurs  chefs.  .Les  hommes  qui 
composaient  chacune  de  ces  aggrégations  se  classaient  en  états  diffé- 
rents (Stânde)  :  les  nobles ,  les  libres,  les  nonAibres  {AdeUhe y  Freye, 


*  Constitutions  f  p.  17t. 

•  Paysans,  p.  287. 


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8  REVUE  D' ALSACE. 

Hârigen)  ^  L'esclave  (Knecht)  qui  n'était  considéré,  chez  les  Germains 
ainsi  que  chez  les  Romains ,  que  comme  une  chose ,  n'avait  par  consé- 
quent pas  d'état  personnel ,  et  ne  formait  pas  une  classe.  —  C'est  cette 
distinction  dans  l'état  des  personnes  qu'il  faut  toujours  avoir  présente  à 
l'esprit ,  dans  l'étude  de  toute  institution ,  qui  reporte  son  origine  à  ces 
temps  reculés  ;  elle  s'est  perpétuée  en  s'accentuant  diversement  pendant 
tout  le  moyen-âge,  et  pourtant  ce  fait  capital  nous  semble  n'avoir  pas 
obtenu  de  M.  Hanauer ,  toute  l'attention  qu'il  mérite.  —  Les  intérêts 
communs  de  la  Gaue»  de  la  tribu  ou  du  clan  se  traitaient  dans  des 
assemblées ,  Mallus ,  qui  se  composaient  primitivement  de  tous  les 
hommes  libres  du  district ,  sous  la  présidence  du  chef  ou  de  ses  repré- 
sentants. Dans  ces  assemblées  le  Lite ,  le  non  tibre  {Hùrige)  pouvait  se 
présenter  comme  plaignant  ou  comme  défendeur,  mais  seulement  pour 
autant  qu'il  s'agissait  de  la  poursuite  d*un  droit  privé  le  concernant  ^. 
Ce  droit  de  juridiction  des  hommes  libres ,  cette  indépendance  des 
j'iaids ,  (Mallus),  a  attaché  à  cette  époque  la  dénomination  d'époque  de 
Vautonomie  primitive,  sous  laquelle  elle  est  désignée  par  presque  tous 
les  auteurs —  Il  n'y  avait  alors  d'autre  source  du  droit  que  la  tradition 
(das  alte  Herkommen)  que  le  Mallus  était  censé  chercher  et  proclamer 
{das  Rechl  suchen).  C'est  à  ce  point  de  vue  qu'on  a  pu  aller  jusqu'à  pré- 
tendre que  \ejury  (Geschwomen-Gerïcht)  aurait  été  alors  de  droit  com- 
mun, si  Ton  admet  qu'on  puisse  appliquer  cette  dénomination  moderne 
à  l'assemblée  des  Gauen  ^  et  à  l'aptitude  inhérente  à  l'homme  libre  d'être 
juge  ^.  Mais  ce  régime  de  liberté  absolue  des  Mallus  et  du  pladta  ne  tarda 
pas  à  se  modifier,  au  fur  et  à  mesure  que  la  conquête  se  consolida  et  que 
se  constitua  au«dessus  des  chefs  des  Gauen  une  autorité  commune  , 
centrale  comme  nous  dirions  de  nos  jours  ,  le  pouvoir  royal.  Déjà  en 
574 ,  un  édit  de  Chilpéric  '  restreint  le  cercle  illimité  de  la  juridiction 

*  lAberti.  ingenui.  nobilei.  Tac  Germ,  c.  25,  c.  42.  -  Nithard,  iv,  cap.  2.— 
WaITZ,  Deuttch.  Verfaiiungê^Gêêehichte  ^  i,  171. 

*  Lex  Salie,  ,1,1.  —  Cap.  Sax.  de  797 ,  c.  5.  —  Pbrtz  ,  Lsges. ,  l ,  76.  — 
Gemeiner  ,  Cenimen ,  63.  —  Waitz  ,  q.  sup.  177. 

'  V.  entre  autres  Gfrôrer  •  Zur  GeichichU  der  detUiehê  Volksrêehten  im 
Miltelaltwr.  Je  cite  cet  auteur  de  préférence  parce  que  son  autorité  ne  saurait 
être  suspecte  à  l*école  à  laquelle  appartient  M.  Hanauer. 

'  Y.  sur  ce  point  les  développements  dans  Savigny  ,  Geschiehte  des  ràmiichen 
Rechti  im  Mittelalter ,  u  ,  p.  151. 

*  V.  Pertz  ,  Leges.  1.  —  et  encore  Gfrôrer  ,  q.  s.  p.  156. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÂRES  D* ALSACE.       9 

libre ,  en  faisant  de  la  Bonitas ,  le  titre  distinctif  du  Rachimburgus 
idoneus.  Un  capitulaire  de  Pépin ,  de  760,  et  plusieurs  autres  émanés 
de  Charlemagne ,  régularisèrent  la  tenue  des  Mallus  et  restreignirent 
les  fonctions  de  juge  à  un  certain  nombre  d*hommes  libres  qui  dès- 
lors  formèrent  une  classe,  à  part.  —  En  Alsace  entre  autres  des  comtes 
représentèrent  le  pouvoir  royal,  duquel  dérivait  toute  juridiction  >.  La 
charte  de  Louis-le-Débonnaire  de  823  \  par  laquelle  il  confirme  les 
droits  de  l'abbaye  de  Hassevaux ,  démontre  que  Vidonéiié  était  devenue 
une  condition  essentielle  pour  la  juridiction  des  Mallus,  et  que  la  jus- 
lice  s'y  exerçait  au  nom  du  Souverain ,  sous  la  présidence  de  son  délégué  : 
Jpse  advocaius  cui  nos  vel  successores  nostri  bannum  super  Abbadam 
Leaniem  dabimus  illius  Ecclesiœ  lods  bénigne  provideat  et  scmel  in  auno 
^^  publicum  placitum  apud  villam  quaa  vocatur  Gœwenheim ,  ubi  sedes 
est  judiciaria  totius  abbati»  teneat  cumillis  tamen ,  qui  quodjustum  est 
sciant  et  diligant ,  et  ibi  omnibus  injuriam  passis  secundum  idaneos 
ejusdem  populi  judices  ceterorumque  consensum  jt^fictam  faàat,  nec 
aliquis  de  tota  familia  dives  seu  pauper  terra  sua  aut  jure  suo  privetur, 
nisi  in  prsdicto  loco  et  communi  cunctorum  sapientiutn  judicio  ;  et  in 

ipsà  die  pubiici  placiti ad  ipsum  quidem  locum  ubi  congregatio 

est ,  propter  inquietationi  {sic)  evitandam ,  caussà  placitandi  non  veniat 
nisi  par  abbatissam  vocetur.  —  Ce  document  célèbre  révèle  trois  faits 
d*une  égale  importance  :  l'émanation  du  droit  de  justice  de  la  puissance 
impériale  ou  royale  ;  l'institution  par  cette  même  autorité  de  l'advocatie 
(Vt^tey)  même  dans  les  possessions  ecclésiastiques;  enfin  la  restriction 
du  droit  de  concourir  activement  au  plaid  ou  au  Mallus,  à  une  catégorie 
particulière  de  personnes  {sapientes  y  idonei judices ,  qui  quodjustum 
est  sciant  et  diligant).  Il  prouve  que  dès  les  premiers  temps  qui  succé- 
dèrent à  la  formation  d'un  pouvoir  central ,  la  liberté  primitive  de  Ras- 
semblée populaire  subit  des  atteintes  au  détriment  même  de  la  classe 
des  Freyen  ,  atteintes  qui  s'aggravèrent  de  plus  en  plus ,  et  qui  finirent 
par  faire  disparaître ,  par  la  désuétude ,  l'ancienne  institution  nationale  '• 


'  In  Sll$atià  comiUatui  duo,  V.  le  partage  de  870 ,  ap.  Trocillat  ,  q.  sup. 

'  ScHOSPPLiN  f  Aliatia  dipL  ,  i ,  70.  Ce  diplôme  a  été  publié  également  par 
Laguille,  Preuves  de  l'histoire  éT Alsace,  p.  15,  et  par  Dom  Bouquet  ,  SeripL 
rer.  Frane. ,  vi,  p.  8^.  Comparez  la  curiease  traduclloa  qa*en  donne  M.'Ha- 
nauer ,  Paysans ,  p.  79. 

*  Elle  s'est  conservée  dans  quelques  parties  reculées  de  la  Suisse  (la  vaUée  de 


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10  REVUE   D'ALSACE. 

La  coulume  même  (dos  alte  Herkommen)  fut  desliluée  de  son  empire 
absolu  ,  el  subordonnée  à  Tautorité  de  la  loi  >,  dans  les  matières  réglées 
par  celle-ci ,  autre  circonstance  qui  explique  les  efforts  que  le  pouvoir 
central  mettait  à  créer  une  classe  déjuges  idoines. 

Rappelons  encore  que  c'est  durant  cette  même  période /rafictgti^  que 
se  constituèrent  les  vastes  possessions  que  TËglise  obtint  des  Mérovin- 
giens el  des  Carlovingiens  ;  possessions  qui ,  pour  la  majeure  partie , 
étaient  des  démembrements  du  Fiscxis  Regius.  C'est  durant  cette  époque 
égalemanl  q\ie  se  maintinrent  ou  se  formèrent  les  territoires  dynastiques 
des  Ducs ,  des  Comtes  et  des  nobles  ^  soit  qu'ils  leur  soient  échus  comme 
sortes  au  moment  de  la  conquête ,  soit  qu'ils  les  aient  conservés,  comme 
on  en  souleva  la  prétention  pour  quelques  uns ,  à  titres  antérieurs  ^. 
C'est  dans  cette  période  aussi ,  qu'à  côté  des  concessions  en  pleine 
propriété  faites  par  les  Rois ,  on  rencontre  des  investitures  précaires  et 
viagères  sous  le  titre  de  Bénéfices.  Une  grande  partie  de  ces  grands  terri- 
toires ecclésiastiques  ou  laïques  formèrent  ce  qu'on  appelait  les  Immunités^ 
comme  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer  plus  haut.  C'est  à  ces  divisions 
territoriales  qu'il  faut  également  reporter  la  distinction  qui  se  révèle  déjà 
dans  cette  période ,  entre  le  bannus  dominicus  site  régis  et  le  bannie 
allodii  ou  bannus  generalis.  Ce  dernier  indiquait  le  domaine  de  la 
propriété  patrimoniale  et  seigneuriale  (eigenthumsherrliche  Bann)  en 
regard  des  droits  éminents  de  la  souveraineté  royale  (Kœnigs  Bann)  ^. 

La  seconde  période  s'ouvre  par  la  conversion  des  Bénéfices ,  qui  n'é- 
taient que  viagers  ,  en  fiefs  héréditaires.  A  partir  de  cette  grande  révo- 
lution ,  opérée  par  Conrad  il ,  le  régime  féodal  s'installe  et  se  développe 
avec  une  constante  progression.  En  Alsace  les  prérogatives  des  comtes, 

Davos),  jusque  vers  le  milieu  du  xvii*  siècle.  M.  It^  professeur  OsenbrUà'gen  a 
«tooné  le  lableau  piuoresque  et  intt^ressaiit  (i*uii  de  ces  Mallus  des  temps  pri- 
mitifs dans  ses  Culturhistoriiche  Bilder  ans  der  Schweiz,  Leipzig ,  1863 ,  p.  163. 
Qu'il  nous  soit  permis  d*exprimer  ici  le  regret  que  M.  Véron-Réville  D*aii  pas 
continué  réiégantc  et  fidèle  traductioo  qn*il  avait  commencée  de  ce  livre  ,  traduc- 
tion dont  il  a  publié  quelques  fragments  dans  cette  Revue, 

'  Caroi.  m.  Cap,  Gen  a-  785.  Placuit  inserere  ubi  lex  erit  prœcellere  con- 
sueludini  et  nuUa  contuetudo  tuperponalur  Legi, 

*  Léo.  Die  Tertitorien,  tom.  i.  Elsass,  —  Land\ii.  Die  Territorien ,  324.  — 
RofH  ,  Beneficialwesen .  p.  64. 

'  Z/GPFL  ,  ÀUerlhum,  i ,  p.  37.  —  P.  Ruth,  Gesch.  des  Beneficialwesens  von 
den  altesten  Zeiten  bii  Mum  X  Jahrh,  ,  p.  i43  et  i45. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  C0L0N6ÉRCS  DALSACE.  M 

el  en  partie  celles  mêmes  du  pouvoir  impérial ,  se  disséminent  entre 
les  mains  d'une  multitude  de  seigneurs  ;  à  mesure  que  le  nouveau 
régime  s'étend  et  se  consolide ,  les  prétentions  seigneuriales  grandissent. 
Chaque  feudataire  aiBrme  être  dans  son  fief  ce  que  FEmpereur  est  dans 
TËmpire  >.  Toute  justice  y  émane  de  lui;  à  lui  seul  appartient  le  droit 
d'établir  des  juridictions  el  d'instituer  des  juges.  Lors  de  la  Réformation 
religieuse ,  les  nobles  qui  l'embrassèrent  allèrent  même  jusqu'à  se  dé- 
clarer investis  de  la  puissance  papale  sur  la  conscience  de  leurs  sujets  *. 
— L'introduction  du  droit  Romain  dans  les  tribunaux  de  l^Ëmpire  accéléra 
la  décadence  ou  du  moins  l'altération  des  institutions  germaniques,  qui 
avaient  été  déjà  ébranlées  dans  l'âge  précédent.  Enfin  l'érection  des  villes 
libres  et  impériales,  la  formation  des  grandes  communes ,  qui  conquirent 
bientôt  le  rang  &  Etais  du  Sainl- Empire  y  exercèrent  aussi  une  inOuence 
considérable  sur  la  constitution  des  classes  en  Allemagne.  —  Tous 
les  rotules  colongers,  qu'on  retrouve  dans  les  archives^  appartiennent, 
par  leur  rédaction ,  à  cette  seconde  période  ;  si  quelques  uns  contienm  nt 
quelques  réminiscences  des  temps  antérieurs ,  des  documents  positifs 
établissent  la  désuétude  dans  laquelle  tombèrent  successivement  les 
attributs  qui  en  formaient  l'originalité ,  désuétude  qui  aboutit  insensi- 
blement à  l'assimilation  presque  complète  de  la  colonge  avec  les  autres 
locations  perpétuelles. 

A  partir  de  l'année  1648,  qui  ouvre  la  troisième  époque,  le  caractère 
de  cette  institution  s'efface  de  plus  en  plus ,  aux  yeux  des  paysans  eux- 
mêmes  ,  comme  aux  yeux  des  juridictions  que  la  France  installait  en 
Alsace.  Dans  beaucoup  de  cas ,  le  colonger  montre  sa  préférence  pour 
le  droit  commun  de  la  locatairie  perpétuelle ,  qui  assurait  au  preneur  la 
possession  perpétuelle  de  la  terre  qu'il  cultivait ,  l'invariable  uniformité 
du  canon  et  le  débarrassait  ainsi  du  landeme  ,  du  mortuaire  et  d'une 
multitude  de  cérémonies  coûteuses  ou  gAnantes ,  qui  étaient  devenues 
des  formalités  stériles.  Aussi  les  anciens  Hueber  de  l'Alsace  ne  furent-ils 
pas  ceux  qui  saluèrent  avec  le  moins  d'empressement  la  Révolution , 
lorsqu'elle  vint  leur  offrir ,  moyennant  le  rachat ,  l'affranchissement 
définitif  de  leur  propriété ,  affranchissement  préparé  d'avance  par  la 
jurisprudence  du  Conseil  souverain. 

'  Corulit.  Frédéric  ii.  dejuribut  Princip.  —  RÉULLE ,  q,  êuprà, ,  p.  37. 
*  £r  wàre  in  «einem  land  PabU  und  Kayter,  Slikgk  ,  de  jure  Papali  prttieipwm 
JSvang.  ,  l  ,  il. 


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a  REVUE  D'ALSACE. 

Telle  est  en  substance  la  division  historique ,  qu'on  ne  doit  pas  perdre 
de  vue  un  instant ,  sous  peine  de  s'égarer  dans  l'étude  des  institutions 
colongëres.  C'est  à  la  lumière  de  ces  faits  généraux  de  Thisloire  qu'il  faut 
en  suivre  attentivement  le  développement.  En  dédaignant  celte  lumière, 
on  peut  bien ,  à  Taide  de  quelques  textes  ambigus  et  d'une  interpréta- 
tion hardie,  créer  une  colonge  idéale ,  à  la  place  de  la  colonge  terrestre 
et  réelle  qu'ont  connue  les  temps  antérieurs.  Mais  quelle  est  l'institution 
ancienne  dont  il  ne  soit  pas  facile  de  forcer  le  caractère  et  d'exagérer 
l'importance ,  en  l'isolant ,  par  une  opération  mentale ,  des  faits  et  du 
droit  contemporains  ?  —  Fixés  sur  la  méthode  à  suivre  entrons  donc  dans 
l'examen  de  la  nouvelle  théorie  qu'est  venu  proposer  M.  Hanauer. 

Quel  est  le  caractère  spécifique  de  la  colonge  ?  —  Il  nous  répond  : 
c'est  la  juridiction ,  la  juridiction  qui  suppose  le  Ztoing  und  Bann , 
la  Souveraineté  y  et  qui  aurait  fait  des  Hueber  de  véritables  coseigneurs. 
—  Dans  notre  opinion  au  contraire  il  y  a  déjà  ici ,  relativement  à  cette 
juridiction  prise  en  elle-même  et  sans  encore  discuter  son  étendue , 
une  distinction  capitale  à  faire.  Elle  établissait ,  en  fait,  si  l'on  veut, 
une  différence  entre  la  colonge  et  les  autres  formes  de  la  locatairie  per- 
pétuelle ,  telles  que  YEmphytéose  ^  VErblehn ,  le  Schauffelrecht ,  etc.  , 
qui  n'engendraient  pas  une  juridiction  propre.  Mais  en  droit  cet  attribut 
est  si  peu  caractéristique ,  que  la  loi  générale ,  le  Codex  feudalis  * 
autorisait  de  semblables  juridictions,  intérieures  et  spéciales,  pour 
toutes  espèces  de  bcations  même  non  colongëres.  Il  exigeait  seulement 
que  le  nombre  de  preneurs  fut  de  plus  de  douze  ;  et  en  effet,  pratique- 
ment, il  est  facile  de  comprendre,  qu'une  juridiction  eut  été  de  luxe 
pour  une  corporation  de  preneurs ,  d'un  nombre  inférieur.  —  Le  contrat 
colonger  au  contraire  se  formait  toujours  entre  le  propriétaire  et  un 
nombre  plus  ou  moins  considérable  de  preneurs  ;  la  condition  de  plu- 
ralité s'y  rencontrait  donc  nécessairement ,  ce  qui  n'avait  pas  lieu  dans 
les  baux  purement  individuels.  —  Ajoutons  qu'en  Alsace .  comme  on  le 
verra  tout-à-l'heure  ,  il  existait  un  grand  nombre  d'institutions  qui 

*  Bdel  und  Rêchtê  Lehnhueh ,  cap.  125.  Si  dominus  muUis ,  intelUgê  duodeeim 
vel  pluribuê  emphyteusin  c<mc9dit ,  et  inter  ipsum  et  Ulos ,  aut  inter  ipsos  lis 
oriiur ,  ip$e  eitare  potei  emphyteulas  etjudieare  sieut  de  feudo  recto.  —  Od  sait 
que  le  terme  lalin  EmphyteutU  exprimait ,  cd  général ,  le  bail  perpétuel  ;  en 
allemand  le  mot  est  Zinslehn  ,  qui  est  également  générique.  Schuter  ,  Cod. 
jur.  AUm. ,  p.  68. 


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0T7ELQUES  VOTS  ST7R  LES  COURS  COLONGËRES  d'àLSAGE.  <S 

jouissaient  d'une  juridiction  propre  y  quoiqu'elles  n'eussent  aucun  trait 
de  comoiun  avec  la  colonge.  Il  est  donc  impossible  de  reconnaître,  dans 
l'existence  d'une  juridiction  ,  un  caractère  absolu  et  distinctif. 

Ensuite  il  ne  faut  pas  non  plus  perdre  de  vue  que  la  colonge  par 
elle-mènie  n'était  pas  attributive  de  la  liberté  aux  Hueber ,  qui  en  for- 
maient la  population.  Les  plus  anciens  documents  démontrent,  au 
contraire,  que  dans  les  domaines  ecclésiastiques  comme  dans  les  autres, 
les  Hueber  étaient  eigene  Leute  et  comme  tels  sujets  au  cens  et  au  mor- 
tuaire Parmi  les  Huoben  même  il  y  en  avait  de  libres,  dHngénmles^ 
de  serviles  ^  Or  s'il  est  incontestable ,  que  même  pendant  la  première 
période,  dans  toute  la  sève  de  l'indépendance  que  les  peuplades  conqué- 
rantes doivent  avoir  apportée  des  forêts  de  la  Germanie ,  le  droit  d'être 
juge  était  l'attribut  du  seul  homme  libre  (Freye) ,  comment  pourrait-on 
accepter  la  proposition  de  notre  auteur  qui  soutient  que  le  Dinghof 
exerçait  même  la  hatUe  juridiciion  et  que  tous  les  Hueber  y  étaient 
juges  de  droit?  —  Si  ce  dernier  fait  était  établi,  c'est-à-dire ,  s'il  était 
justiGé  que  tous  les  détenteurs ,  les  serviles  y  compris  ,  participaient  au 
Dinggericht  la  conclusion  forcée  serait  que  cette  cour  n'exerçait  pas  la 
haute  juridiction  ,  mais  que  sa  compétence  se  réduisait ,  comme  nous 
le  démontrerons  et  comme  l'indique  d'ailleurs  le  Lehnbuch  cité  tout-à- 
rheure ,  aux  seuls  cas  colongers.  Si  au  contraire  les  ingénuités  et  les 
serviles  étaient  exclus  du  Ding ,  une  juridiction  composée  exclusive- 
ment des  hommes  libres  eut  été  dans  les  conditions  générales  de  la 
législation  du  temps ,  et  ne  se  baserait  pas  absolument  sur  une  préro- 
gative spéciale. 

D'ailleurs  comment  confondre  le  modeste  Ding  colonger ,  l'assemblée 
en  quelque  sorte  intime  de  quelques  colons  appelés  à  discuter  les  intérêts 
procédant  d'un  bail  commun ,  avec  le  Mallfis  ou  le  plaid  germain , 
comme  l'appelle  M.  Hanauer  ^,  la  grande  réunion  solennelle  à  laquelle, 
sous  la  présidence  du  comte  ou  de  son  délégué ,  concouraient  tous  les 
hommes  libres  d'une  ou  de  plusieurs  Gauen  ? 

La  colonge  donnait  si  peu  la  liberté ,  que  le  seigneur  en  vendant  la 
propriété  y  vendait  les  hommes ,  la  justice  et  le  ban  :  cum  banno , 
judiciOy  hominibus  mansis  et  curià  ^.  Aussi  a-t-on  été  généralement  d'ac- 

<  Zeoss,  Trad.  Wieeb. ,  p.  273-275. 

*  Paysant,  p.  186. 

'  V.  là  eurieiise  note  de  Kœnigshofen  ,  ooncernant  les  droits  da  chapitre  de  S^ 


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H  KEVDE  D'ALSàCK. 

cord  jusqu'ici  pour  reconnattre  >  que  la  justice  colongëre  se  bornait  aux 
seules  causes  nées  de  Texécution  du  pacte  colonger ,  n'embrassant  ainsi 
que  les  droits  de  la  colonge  proprement  dite ,  c'est-à-dire  les  rapports 
des  Hmber  entre  eux ,  et  vis-à-vis  du  propriétaire  de  la  terre.  Ainsi 
restreinte,  cette  juridiction  n'a  rien  qui  sorte  des  principes  qui  régissaient 
la  condition  si  différente  des  personnes  au  moyen-àge;  elle  n'a  même 
rien  qui  dépasse  ce  que  le  droit  commun  d'alors  admettait  comme  légi- 
time ,  dans  cet  ordre  de  fonctions  sociales.  En  effet  il  y  a  de  nombreux 
exemples  de  juridictions  ainsi  restreintes  à  des  rapports  spéciaux ,  dans 
d'autres  établissements  qui  n'ont  rien  de  commun  avec  la  colonge. 
Ainsi  les  Oberheimgeraïde  qui  formaient ,  dans  la  partie  septentrionale 
de  l'Alsace ,  une  confédération  d'usagers ,  (confédération  dont  l'origine 
traditionnelle  remonte  à  Dagobert  II) ,  avaient  leur  Geraïde-Sluhl , 
composé  de  douze  assesseurs  {Zwœlffer)  et  d'un  président  (SchuUheiss) 
désignés  par  tous  les  membres  de  la  confédération  ,  d'après  un  mode 
d'élection  déterminé  *.  Ainsi  encore  la  confédération  forestière  du 
Hochwald  et  de  YUngersberg ,  qui  se  compose  encore  aujourd'hui  de 
27  communes ,  avait  sa  juridiction  propre  pour  statuer  sur  tous  les  cas 
intéressant  la  confédération  ^.  Le  vaste  territoire  de  1*^411^ ,  entre  Blotz- 
beim  ,  Huningue  et  Bartenheim ,  n'a-t-il  pas  soutenu,  jusqu'à  ces  der- 
niers temps ,  la  prétention  d'appartenir  à  une  confédération  purement 
personnelle  de  Sassen  ou  de  bourgeois ,  élisant  tous  les  trois  ans  un 
chef  appelé  Augrafei  s' arrogeant  droit  de  juridiction  sur  tous  les  rap- 
ports des  confédérés  entre  eux ,  et  contre  les  tiers  prétendant  à  une 
participation  ^.  Je  pourrais  rappeler  encore  une  foule  d'autres  juridic- 
tions qui ,  à  raison  de  leur  restriction  même,  n'exigeaient  pas  de  la  part 
de  ceux  qui  les  exerçaient  la  condition  d'hommes  libres  ;  la  Kessler- 
Eynung  qui  avait  juridiction  sur  les  métiers  circulants ,  les  élameurs  , 
les  chaudronniers  roulants  y  les  charlatans ,  devins ,  etc.  {incanlorea  , 


Tbomas,  sur  la  colnngc  de  Niederbau8l)ergen ,  écrite  en  1580 ,  et  publiée  par  M.  le 
professeur  Schmidt  ,  Histoire  du  chapitre  de  Saint'Thomas  de  Strasbourg,  Pièces 
justificatives  49  »,  p.  531. 

*  Voy.  entre«aulre8  Bdrckhardt,  p.  20,  —  Réville,  Essai ,  p.  126. 

*  SCHATTENMANN  ,  q.  SUp,  ,  p.  2i. 

'  Die  Hochwald  Eynung  und  Ordnung,   Imp.  ^  Strasbourg ,  1725. 
*•  Voy.  les  derniers  docMm^otSi.ap»  Morrer  ,  Dict,  d' Alsace ,  a^us  pièces. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÈRES  D'ALSAGE.  <5 

pkitMes ,  cauculatores ,  tempeslariiy  etc.)  ^  le  Kohlenherger-Gerichi  *, 
juridiction  des  FreyheiUknaben  de  Bàle ,  etc. ,  etc.  Je  conclus  de  ces 
observations  que  la  juridiction  ne  spécifie  pas  la  colonge  d'une  ma- 
nière absolue ,  parce  que  cette  institution  partage  cet  attribut  avec  une 
multitude  d'autres  institutions  complètement  dissemblables.  Il  ne  devient 
distinctif  qu*à  un  point  de  vue  relatif,  en  ce  sens  qu'il  fait  de  la  colonge 
une  variété  dans  la  série  des  contrats  translatifs  du  domaine  utile. 
Encore  ne  doit-elle  ce  caractère  qu'à  la  seule  circonstance  que  le  bail 
colonger,  qui  répartissait  un  corps  de  bien  appartenant  au  même  maître 
(mansumarius)  entre  un  nombre  plus  au  moins  considérable  de  pre- 
neurs y  créait  ainsi  une  aggrégation  ou  une  pluralité  d'intéressés ,  tirant 
leurs  droits  d'un  titre  commun.  Or  nous  avons  déjà  fait  remarquer  que  le 
Lehnbuch  autorise  le  seigneur  ou  propriétaire  à  organiser  une  juridiction 
spéciale  semblable,  pour  toute  location  perpétuelle  quelle  qu'elle  soit, 
pour  tout  Zinslehn  ^  pourvu  que  le  nombre  des  preneurs  soit  de  douze  ou 
au-delà.  Nous  considérons  donc  comme  entièrement  exacte  la  définition 
qu'a  donnée  de  la  colonge  le  savant  auteur  du  Traité  sur  la  nature  des 
biens  ruraux  en  Alsace ,  dans  les  termes  suivants  : 

c  La  colonge  en  allemand  Dinghoff.  —  Bail  le  plus  ancien  et  très- 
«  fréquent  dans  la  ci-devant  province  d'Alsace.  C'est  un  contrat  par 
f  lequel  un  propriétaire  répartissait  entre  plusieurs  preneurs  un  corps 
<  de  bien  considérable ,  en  se  réservant  un  canon  annuel  modique , 
c  avec  la  faculté  de  faire  juger  les  différends  qui  s'élevaient  entre  eux 
«  â  raison  de  ces  fonds  par  le  bailleur ,  comme  président ,  assisté  des 
c  preneurs  comme  assesseurs.  > 

Mais  M.  Hanauer  est  bien  loin  de  se  contenter  de  ce  rôle  de  simples 
assesseurs  pour  ses  Hueber;  il  veut  absolument  faire  des  colongers  de 
véritables  souverains  ^,  exerçant  même  les  droits  Régaliens  ^  !  Il  prétend 
en  un  mot  que  le  pouvoir  législatif  et  judiciaire  a  résidé  dans  l'aggréga- 
tion  colongère ,  qu'il  appelle  une  communauté. 

L'œuvre  tout  entière  n'est  que  le  développement  de  cette  thèse  ;  c'est 
cette  exagération  qui  constitue  toute  son  originalité,  et  rien  à  notre  avis 
ne  démontre  plus  sensiblement  le  danger  de  la  méthode  d'abstraction 

*  Krafft  von  Reding  ,  Zur  Gesehichte  des  Gaunerlhumt.  —  Berlkr  ,  Tatch., 
3LII ,  33.  —  Voy.  do  reste  Paytant .  1  i2. 

*  OsKNBRUGCEN ,  Deutsch.  Beehts  ÂUerîhiimerata  der  Schttêix ,  t  - 10. 
'  Constitutioni ^  p.  J70   —  ^  Paysans,  vi ,  eipassim. 


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16  REVUE  D'ALSACE. 

suivie  par  l'auteur.  Quoi  de  plus  périlleux  en  effet  que  d'inventer  de 
nouvelles  hypothèses  dans  une  matière  laborieusement  explorée  par  la 
science,  lorsque  d'ailleurs  aucune  donnée  nouvelle  n'y  a  été  introduite? 
On  aboutit  inévitablement  à  l'utopie  ou  tout  au  moins  au  paradoxe', 
quand  on  se  sépare  volontairement  de  renseignement  traditionnel,  et 
de  l'évidence  des  faits  généraux. 

Cherchons  donc  d'abord  où  aurait  résidé  la  souveraineté  de  la  colonge  ? 

La  colonge  n'est  essentiellement  qu'un  bail  on  me  location  :  or,  dans 
tout  bail  il  y  a  un  propriétaire  et  des  preneurs;  c'est-à-dire,  d'un 
c6té  un  droit  principal  permanent ,  supérieur ,  foncier  ;  de  l'autre  un 
droit  dérivé ,  secondaire ,  précaire ,  et  ne  portant  que  sur  les  fruits.  Dans 
ce  rapport  nécessaire  la  suprématie  appartient  incontestablement  à  la 
propriété,  c'est-à-dire  au  droit  le  plus  ample  et  le  plus  absolu.  Ceci  est 
dans  la  nature  même  des  choses ,  et  par  conséquent  est  nécessairement 
vrai ,  partout  et  toujours. 

Avant  la  féodalité  ,  la  propriété  libre  et  souveraine ,  le  latifundium , 
Valody  ValleUy  était  la  terre  saii^tt^^  leSeelgut,  la  terra  $alica  ou  sala^^ 
ritia ,  la  terra  dominica  ou  dominicata  *.  Je  n'ai  pas  à  m'étendre  ici 
sur  l'origine  de  la  terre  salique  :  cela  serait  tout-à-fait  superflu.  Ne  repré- 
sente-t-elle ,  comme  le  veut  M.  Hanauer ,  que  la  terre  échue  au  Franc , 
par  suite  du  partage  après  la  conquête  ^  ?  ou  bien  doit-on  y  voir  le  6ene- 
ficium ,  concédé  à  perpétuité ,  par  antithèse  avec  le  beneficium  simple- 
ment révocable  et  viager?  A  l'appui  de  cette  dernière  interprétation  l'on 
relève ,  avec  quelque  raison  ,  que  la  terre  salique ,  dans  toutes  les  lois 
dites  Barbares  ,  et  dans  certains  capitulaires  ,  est  toujours  qualifiée  de 
terra  hereditaria^  de  terra  aviatica;  que  le  terme  Sale  ou  Salung  y 
exprime  la  légitima  traditio ,  en  opposition  avec  la  gewere  (vestiturà)  ^. 
Mais  cette  recherche  sortirait  du  cadre  de  notre  question  spéciale  ;  il 
suffit ,  pour  sa  solution ,  de  reconnaître  ce  qui  est  universellement  ad- 
mis que  la  terra  salica .  sous  la  première  et  seconde  race ,  était  une 
propriété  libre ,  héréditaire ,  perpétuelle.  —  Cette  propriété ,  le  maitre 


«  V.  GuÉRARD ,  Polypiique  d'irminon ,  ii ,  p.  6 ,  2i,  35 ,  52 ,  76.  —  Zeuss  , 
Trad  Vicêburgensu.  ^  Gancuni.  Leq,  barb.  i,  114.  —  Landau.  Salgut.  i, 
p.  73  et  80. 

*  Paysans ,  p.  38. 

'  RoTH ,  g.  tup.  p.  65.  —  BiUNTSCHLî ,  DeuUehês  Privât  R^cht ,  i ,  290.  >- 
Waltbr,  I,  p.  56. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGËRES  D* ALSACE.  il 

Texploitait  par  lui-même,  ou  moyennant  des  locations  temporaires  ^ 
ou  bien  il  en  faisait  cultiver ,  moyennant  des  baux  perpétuels  ,  par  des 
Hôrigen  (non-libres) ,  une  partie  divisée  en  Hueben  ou  ManH  serviles. 
A  côté  de  la  curia  ou  curtis  du  JWnj^fto/' s'élevait  le  Herrhof,  la  Sala , 
et  subsistait  la  terra  salica  ou  Saalgut  que  le  propriétaire  de  la  terre 
cultivait  par  lui-même ,  et  qui  formait  ainsi  contraste  avec  les  biens  de 
Hueb  qui  étaient  livrés  aux  colons. 

Il  faut  rappeler  ici  un  principe  juridique  sur  lequel  a  reposé  tout  le 
système  de  la  propriété  au  moyen-âge,  et  qui  pourtant  n'a  pas  été 
aperçu  clairement  une  seule  fois  par  H.  Hanauer.  Toute  location  per- 
pétuelle opérait  au  profit  du  preneur  la  transmission  perpétuelle  du 
domame  utile  ;  mais  le  propriétaire  conservait  le  domaine  direct ,  ou 
{a  directe ,  c'est-à-dire  la  propriété  substantielle  du  fonds ,  et  par 
conséquent  la  suprématie.  Aussi  lorsque  le  preneur  même  perpétiiel 
venait  à  manquer  au  pacte ,  soit  en  négligeant  de  payer  son  canon , 
soit  en  vendant  sa  tenure  sans  faire  de  déclaration  préalable ,  il 
perdait  le  domaine  utiles  qui  retournait  ainsi  à  la  directe.  Les 
rotules  contiennent  à  cet  égard  une  expression  qui  ne  permet  aucune 
équivoque  et  qui  détermine  bien  clairement  ce  qu'était  la  terre 
saliquey  relativement  aux  teoures  même  à  titre  perpétuel.  L'art.  44  du 
livre  salique  de  Hobenburg,  entre  autres ,  dispose  que  lorsque  rbéritier 
ou  l'acquéreur  d'un  bien  colonger  néglige  de  s'en  faire  investir  dans  les 
30  jours  ^ ,  le  bien  peut  être  retiré ,  et  redevient  ainsi  Salgut  :  Bas 
mag  myn  Frowe  (l'abbesse  de  Hohenbourg)  wol  mit  Recht  ziehen  und 
IST  DENNE  SEL  GUOT.  Remarquons  en  passant  que  H.  Hanauer  a  mal  com- 
pris et  par  conséquent  inexactement  traduit  cette  clause.  Elle  se  réfère 
à  la  mutation  par  décès  ou  par  aliénation  d'une  Hueb  ou  tenure  colon- 
gëre  ;  en  ce  cas  le  seigneur  avait  un  double  droit  à  exercer  :  le  landème 
et  la  prélation ,  si  le  nouvel  acquéreur  ne  lui  convenait  pas.  C'est  pour 
mettre  le  seigneur  à  même  d'utiliser  l'une  et  l'autre  de  ces  prérogatives 
que  le  nouveau  preneur  était  obligé  de  se  faire  agréer  dans  un  délai  de 
trente  jours  ;  sinon  ,  le  seigneur  exerçait ,  en  vertu  de  la  directe ,  le 
retrait  du  bien  concédé.  11  ne  saisissait  pas  ce  bien^  comme  le  porte 
la  traduction  ;  ziehen  n'a  jamais  signifié  samr  :  il  \e  retirait ,  et  ce  bien 

*  Mamui  indominicati,  V.  Mone  ,  ZnUehHft  fur  GetehichU  de*  Ober-Rheinê  , 
V ,  p.  35.  —  V.  BURCKHARDT  ,  q,  sup.  p.  13. 
'  dmstituiioni  ,  p.  265. 
l«Séri«.— 17*  Aané*.  ^ 


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i8  RE7UE  D'ALSACE. 

ainsi  retiré ,  par  conséquent  affranchi  du  lien  de  la  location  perpétuelle, 
faisait  retour  au  Saalgut:  und  ist  denne  Seelguot.  Le  seigneurn*en 
fait  pas  un  biefi  saligue,  comme  le  porte  encore  la  traduction.  Un  retour 
n'est  pas  une  création ,  ce  n'est  que  la  restitution  à  un  élat  de  chose 
antérieur.  —  Un  autre  exemple  (et  nous  n'en  citerons  pas  davantage) 
se  rencontre  dans  le  rotule  d'Andolsheim  dont  notre  auteur  n'a  décou- 
vert qu'une  traduction  K  L'art.  19  s'occupe  du  cas  Où  une  tenure  colon- 
gère  aurait  été  abandonnée  ou  négligée  dans  sa  culture  par  le  preneur. 
Le  seigneur  exerce  le  retrait  ;  puis  la  clause  ajoute  :  c  Si  l'année  se  passe 
c  sans  que  le  colon  se  soit  accommodé  ,  le  Maire  joindra  sa  Hueb  aux 
«  biens  du  Seel  ou  Seelgut  (terre  salique)  et  elle  ne  fera  plus  partie  de  la 
€  cokmge  ^.  »  Il  est  impossible  d'exprimer  plus  clairement  le  rapport 
entre  la  tene  libre  (Salgut)  et  la  terre  concédée  à  titre  de  colonge 
(Hofgut);  ni  de  déterminer  plus  positivement  le  droit  prépondérant  du 
propriétaire  vis-à-vis  du  preneur  ou  du  colon. 

Cette  suprématie  à  la  fois  personnelle  et  foncière ,  permet-elle  de 
voir  dans  la  colonge  prise  collectivement,  une  communauté  souveraine , 
comme  le  prétend  M.  Hanauer ,  communauté  où  le  preneur  aurait  été 
l'égal  du  maître,  où  le  colon,  même  servile,  aurait  eu,  au  même  degré 
que  celui-ci ,  droit  et  pouvoir  de  juridiction  ? 

On  a  peine  à  croire  qu'une  pareille  question  ait  pu  sérieusement  se 
poser  devant  un  esprit  versé  dans  l'étude  de  ces  matières.  —  S'il  est  un 
point  qui  semble  incontestable  en  histoire ,  c'est  ce  fait  que ,  dans  les 
premiers  temps  du  moyen-âge ,  la  juridiction  ,  c'est-à-dire  le  droit  de 
constituer  des  juges  et  de  rendre  justice  était  un  attribut  de  la  propriété 
souveraine.  Le  droit  de  juridiction  était  tellement  inhérent  au  droit  de 
propriété  qu'il  s'étendait  à  tout  ce  qui  faisait  partie  de  la  propriété  ,  les 
choses  et  les  personnes  que  le  maître  avait  souîi  sa  puissance  (mundium) 
un ,  tributarii ,  coloni ,  et  même  sur  tous  ceux  qui  se  trouvaient  mo- 
mentanément dans  les  limites  de  son  autorité  et  sous  sa  protection 


*  ConstUutioni ,  p.  19S. 

'  Ce  texte  traduit  se  réfère  évidemment  au  rotule  imprimé  dans  la  collection 
de  Grimm  (Stoffel)  WeisthUmer,  iv,  p.  264,  sous  le  titre  Dinghofxu  Leberaeh» 
La  clause  allemande  est  plus  nette  encore  que  la  traduction  :  So  daz  Jahr  u% 
komet,  dax  er  nut  gutegetinget  hat  so  sol  sie  der  JUmer  xiehm  xuo  dem  Seel- 
guotê  und  sol  des  Hovês  Udie  sin. 


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QUELQUES  VOTS  SUR  LES  COURS  C0L0NGÈRE3  d' ALSACE.  i9 

(palrodnium)  K  Le  droit  de  justice  était  une  conséquence  nécessaire 
du  droit  de  propriété ,  si  bien  que  lorsque  le  Roi  donnait  un  domaine 
il  donnait  en  même  temps  la  justice  sur  ce  domaine  ^.  Et  cela  n*était 
pas  particulier  aux  concessions  royales  ;  ce  privilège  appartenait  à  tous 
les  propriétaires  sans  distinction  ^.  Enfin  dès  les  premiers  siècles  qui 
suivirent  Tinvasion ,  ces  justices  étaient  déjà  territoriales  sans  cesser 
d'être  personnelles  ^.  —  Il  ne  faut  ensuite  pas  confondre  Tidonéité  ,  la 
capacité  d'être  juge  avec  le  pouvoir  de  justice  ;  pouvoir  qui  consiste 
non  seulement  à  constituer  des  tribunaux  ,  mais  encore  à  pourvoir  à 
Fexécution  de  leurs  sentences.  La  distinction  que  hasarde  sur  ce  point 
notre  auteur  entre  le  pouvoir  législatif  et  judiciaire  et  le  pouvoir  exé- 
^il7^  est  un  véritable  anachronisme.  Le  moyen*àge  ne  connaissait 
pas  cette  distinction  moderne.  Sous  son  régime ,  toute  juridiction 
connaît  de  droit  de  l'exécution  de  ses  sentences.  —  Suivons  la  colonge 
dans  les  (rois  périodes  :  où  voyons-nous  que  le  simple  colon ,  le  Hueber 
aurait  jamais  exercé ,  contre  le  gré,  ou  sans  le  concours  de  son  maitre 
et  seigneur ,  un  acte  quelconque  de  juridiction  proprement  dite  ?  — 
S'il  est  incontestable  que  pendant  la  première  période ,  celle  qui  pré- 
cède la  formation  de  la  féodalité  proprement  dite ,  tout  homme  libre 
avait  l'idonéiié  du  juge  ,  on  ne  peut  pas  en  conclure  qu'il  ail  été  investi 
par  cela  même  du  pouvoir  de  juridiction  dans  le  sens  le  plus  étendu  de 
ce  mot.  Ce  pouvoir  résidait  dans  le  seigneur ,  le  propriétaire  de  la  terre 
salique ,  le  supérieur  territorial  ou  foncier.  Les  textes  mêmes  rapportés 
par  M.  Hanauer  combattent  la  confusion  dans  laquelle  il  est  tombé.  Le 
rotule  de  Sundhofen  ^  ,  par  exemple,  qu'il  produit  comme  un  des  plus 
anciens ,  explique  clairement  la  constitution  hiérarchique  de  la  colonge. 
Elle  appartenait  au  comte  de  Horbourg  ,  qui  avait  son  franc  avoué 
(FreyeU'Vogt)  ;  de  plus  ,  au-dessous  de  ce  premier  officier  qui  repré- 
sentait le  seigneur  pour  le  comté ,  il  y  avait  le  Schultheiss  (le  prévôt , 

'  Lex  salie, ,  28.  —  Lex  Rip^ ,  ii ,  62.  —  Cap,  Carhm.  —  ludov.  II.  eonv. 
Tiein,  a.  855.  —  Pertz  ,  ii.  —  SckUtzrtcht  Uber  BOrigen,  —  Daniels,  i  ,  332. 

•  Marculf  ,  Form. ,  cap.  xxvi ,  i .  17. 
'  Leg.  Lotharii  IL  Pertz. 

*  Marculf,  ifi,  11.  Aut  de  ingenuisaut  de  servientibui ^  cœteris  que  nationibus 
quœ  fun<  infrà  agros  vel  fines  seu  supra  terras...,  commanentes.  —  V.  Leduërou, 
q.  sup.  ,  p.  218-245. 

*  Paysans ,  p.  vi . 

•  Paysans ,  p.  16. 


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20  REVUE  D* ALSACE. 

autre  officier  seigneurial).  Lors  donc  que  le  rotule  débute  par  dire  que 
dans  le  Dinghof  il  y  a  juridiction ,  haute  justice  pour  les  vols  et  les 
délits  y  il  n'exprime  autre  chose  si  ce  n*est  que  dans  le  territoire,  la 
juridiction  appartient  au  souverain  ou  au  seigneur;  mais  non  aux 
simples  colongersy  ou  à  une  communauté  embrassant  à  la  fois  les 
colongers  et  le  seigneur.  —  La  suite  le  démontre  à  Tévidence.  Un  voleur 
est  saisi ,  il  est  conduit  à  la  prison  de  la  cour  (Stock).  L'appariteur  doit 
convoquer  une  espèce  d'assemblée ,  en  s'adressant  aux  hommes  établis 
dans  le  voisinage  (Vmhbesassen)  ^  et  les  inviter  à  se  rendre  à  la  justice. 
Mais  que  ceux-ci  viennent  ou  non  (Die  kommen  oder  nichtjy  le  prévôt, 
avec  l'assistance  du  franc  avoué  de  Horbourg  ou  de  son  représentant , 
doit  siéger  en  justice  et  juger  le  voleur.  —  La  clarté  de  ce  texte  a-t-elle 
besoin  de  commentaire  ?  ne  rend-il  pas  évident  que  ces  Umhbesassen 
convoqués  étaient  tout  au  plus  des  assesseurs  du  Schullheiss  et  du 
franc  avoué  ;  je  dis  tout  au  plus  des  assesseurs ,  puisqu'on  cas  de  non 
comparution  de  leur  part ,  le  jugement  n'en  suivait  pas  moins  son 
cours  ?  Ce  n'étaient  donc  que  des  assistants.  Cet  appel  à  l'assislance  des 
habitants  était  tout  à  la  fois  dans  les  prérogatives  du  seigneur  et  dans  la 
tradition  germanique  qui  exigeait  des  témoins  et  même  des  cojurateurs 
pour  tous  les  actes  importants.  Mais  la  faculté  laissée  aux  appelés  de  ne 
pas  se  présenter,  sans  que  leur  absence  préjudiciàt  à  l'action  de  la 
justico  y  prouve  qu'ils  ne  participaient  pas  au  pouvoir  de  juridiction  en 
lui-même.  —  Si  l'on  compare  cet  appareil  de  la  haute  justice  s'exer- 
çant  au  SalAo/"^  avec  ou  sans  la  présence  des  Umbbesassen,  sous  la 
présidence  du  haut-avoué  et  du  prévôt  avec  ce  que  l'auteur  appelle  le 
plaid  du  Dinghof  f  on  sera  frappé  de  certaines  différences  qui  ne  per- 
mettent plus  de  confondre  la  haute  justice  avec  les  réunions  périodiques 
des  colongers ,  dans  le  but  de  régler  les  différends  nés  entre  eux,  ou  de 
prendre  des  mesures  dans  l'intérêt  commun.  Le  Dinghof  à  Sundhoffen 
doit  se  tenir  sous  un  hangar  (Schoppf) ,  qui  doit  être  établi  à  cet  effet  ; 
ailleurs  il  se  tenait  sous  un  tilleul  ou  dans  le  jardin  seigneurial ,  etc. 
Ces  réunions  sont  en  général  convoquées  et  présidées  par  le  Maire 
(  Villicus)  * ,  également  officier  du  seigneur ,  mais  officier  purement 
rural  en  quelque  sorte ,  et  exclusivement  préposé  à  l'exploitation  du 
fonds.  Le  colonger  n'était  pas  libre  d'assister  ou  de  ne  pas  assister  à 
ces  réunions  domestiques  ;  il  était  puni  d'une  amende  plus  ou  moins 

*  Grimii  ,  1 ,  695.  —  Stoffel,  p.  53  et  76.  —  Paytant ,  i ,  p.  187. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÉRES  d'aLSACE.      21 

considérable ,  en  cas  d'absence  non  justifiée  * ,  preuve  évidente  que  dans 
ces  Dingstag ,  il  s'agissait  des  affaires  des  coiongers  eux-mêmes  <  et 
non  plus  de  haute-iustice. 

Nous  oe  quitterons  pas  le  rotule  de  Sundhofen  sans  y  relever  une 
allusion  curieuse  à  la  dépendance  dans  laquelle ,  à  celte  époque  encore, 
se  trouvaient,  en  matière  de  grand  criminel  {Blutgericht) ,  les  hautes 
juridictions  locales  relativement  au  landgraviat.  Lorsque  le  voleur  est 
condamné  par  le  prévôt  et  le  fVanc  avoué ,  la  sentence  ne  peut  être 
mise  à  exécution  avant  que  le  landgrave  d'Ensisheim  n*ait  été  prévenu , 
et  n'ait  été  invité  à  venir  prendre  le  voleur.  Si  avant  midi  du  jour  sui- 
vant le  landgrave  défère  à  Finvitation ,  le  voleur  lui  sera  remis  ;  si  au 
contraire  il  ne  se  présente  pas^  le  prévôt  seigneurial  fait  lui-même 
procéder  à  l'exécution  :  und  soll  darumb  niemnnd  vôrchlen  ;  «  et  pour 
cela  il  ne  doit  craindre  personne  *  Cette  immunité ,  stipulée  pour  le 
prévôt ,  et  la  réserve  rassurante  qui  la  suit ,  indiquent  que  l'origine  de 
ce  document  sinon  sa  rédaction ,  remonte  à  l'époque  de  transition  pen- 
dant laquelle  les  justices  patrimoniales ,  se  convertissaient  en  justices 
seigneuriales ,  et  où  celles-ci  se  préparaient  peu  à  peu  à  l'indépendance 
presque  absolue  à  laquelle  elles  arrivèrent  surtout  à  l'époque  du  grand 
interrègne  (de  1254  à  1273).  Ce  moment  de  Thistoire  e3t  excessivement 
curieux ,  et  d'une  importance  prépondérante  surtout  dans  le  dévelop- 
pement progressif  des  institutions  judiciaires  ^.  Il  a  du  reste  été  signalé 
par  tous  les  historiens  et  par  tous  les  publicistes  ;  nous  nous  garderons 
donc  de  le  développer  davantage. 

Le  passage  de  Yaleu ,  de  la  terre  saliqtie ,  de  la  grande  propriété  patri- 
moniale ,  au  fief,  s'est  opéré  en  Alsace,  moyennant  un  fait  considérable, 
dont  on  s'étonnera  à  juste  titre  de  ne  pas  rencontrer  la  moindre  trace  dani 
les  deux  volumes  de  M.  Hanauer.  Ce  fait  est  cependant  indispensable 
pour  se  rendre  compte  de  la  concentration  progressive  du  pouvoir  juridic- 
tionnel. La  terre  franche  et  libre  devenait  Iief  par  Voblation^  c'est-à- 
dire,  par  l'ollre  qu'en  faisait  le  propriétaire  à  un  suzerain  plus  puissant. 


'  V.  textes  cités.  —  Pay$ant ,  p.  193  et  pastim. 

*  V.  sor  la  formatioD  du  Hofreeht  (jus  curiœ)  le  résumé  si  exact  et  si  vrai  quVn 
donne  M.  Véron-Réville ,  q.  sup.  ,  p.  li. 

*  V.  Z^PFL  ,  Deutthe  Staatt  und  Recht  Guchichu ,  n  ,  p.  2  ,  §  55.  —  Yéron- 
IUVU.LE  ,  9.  »up,  ,  p.  29. 


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22  REVUE  D'ALSACE. 

afin  de  s'assurer  sa  protection  par  le  lien  vassalitique.  Il  est  peu  de 
provinces  de  l'ancien  Empire  d'Allemagne  qui  présentent ,  autant  que 
l'Alsace,  d'exemples  de  ces  inféodations  volontaires  ;  le  plus  mémorable 
de  tous  est  l'acte  par  lequel  les  comtes  de  Ferrette  ont  déclaré  en  4271 
vouloir  relever  de  l'évèché  de  Bâle  ^  pour  les  terres  de  leur  vaste  comté. 
L'oblation  à  l'Empire  ^,  comme  la  tradition  directe  faite  par  l'Empereur 
au  nom  de  l'Empire  ,  et  conformément  aux  capitulations,  procurait  au 
fief  Vimmédiateté ,  avec  tous  ses  privilèges.  L'oblation  à  un  suzerain 
autre  que  l'Empereur,  n'assurait  au  dynaste  que  la  médialeté.  Relative- 
ment au  fief  et  à  son  gouvernement ,  l'immédiateté  conservait  l'ensemble 
des  droits  définis  par  les  feudistes  sous  le  titre  de  Supériorité  terri- 
toriale. Elle  embrassait  les  prérogatives  qualifiées  de  régaliennes,  le  ban, 
la  juridiction  haute  et  basse,  le  droit  de  créer  des  impôts,  de  constituer 
des  juges ,  en  un  mot  la  souveraineté.  Le  noble  immédiat  jouissait  dans 
son  territoire  de  la  même  autorité  que  l'Empereur  d'tns  l'Empire.  Il 
était  souverain  dans  la  plus  large  étendue  de  ce  mot.  Le  noble  médiat 
était  dans  son  fief  également  seigneur  et  maître  ;  mais  il  restait  sous  la 
mouvance  de  son  suzerain ,  qui  lui-même ,  directement  ou  indirectement, 
relevait  de  l'Empire. 

A  ce  point  je  me  borne  à  demander  à  M.  Hanauer ,  uû  il  a  pu  réussir 
à  découvrir  une  coton^^ ,  qui  à  quelque  époque  que  ce  soit  aurait  été 
immédiate  et  souveraine  ?  une  colonge  qui  aurait  été  investie  ,  comme 
telle ,  de  droits  Régaliens  !  Qu'était-ce  d'abord  que  ces  droits  régaliens  ? 
—  On  appelait  ainsi  les  droits  de  la  souveraine  puissance ,  royale  ou 
impériale.  Leur  définition  a  occupé  pendant  le  moyen-âge  le  sacerdoce 
et  l'Kmpire  ;  on  les  voit  mentionnés  d'abord  dans  le  Concordat  calixlin  de 
1122  ;  puis  énumérés  dans  les  propositions  du  pape  Paschal  II,  à  l'em- 
pereur Henri  V ,  à  propos  de  l'investiture  des  évoques  3.  A  la  fameuse 
Diète  tenue  h  Roncale,  l'Empereur  les  fit  déterminer  ^.  Frédéric  II  en  1220 

*  ScHoi.rFLiN ,  Àlsat.  illust, ,  iv  ,  p.  74.  —  Hebrgott  ,  Dipl.  —  Trouillat  , 
H,  p.  2^7. 

'  Je  me  permetlrai  de  renvoyer  pour  le  développement  de  ce  qui  concerne  ce 
point  historique  à  la  disserlalion  Des  domaines  engagés ,  publiée  en  1830,  par 
M.  Chauûour  Vt\né,  M.  Hanauer  ne  m'en  voudm  pas  do  lui  opposer  Tautorité  d*un 
des  deux  légistes  aiixiiuets  il  daigne  reconnaître  quelque  connaissance  de  la  matière. 
[Constitutions^  P-  9). 

»  Pertx  ,  Leges.  il ,  p.  6î) ,  70 ,  76. 

*  Pertz  ,  Leges.  u  ,  p.  176. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÈRES  d' ALSACE.  23 

et  en  1236  spécifia  ,  par  des  constitutions,  ceux  de  ces  droits  qui 
compétaient  en  Âllemague  aux  souverains  ecclésiastiques ,  Etats  d'Em- 
pire (geistliche  Stândé)  et  aux  immédiats  laïques  K  L'énuméralion  de 
ces  prérogatives  suprêmes  qui  comprennent ,  entre  autres ,  la  juridic- 
tion à  tous  les  degré ,  le  pouvoir  de  constituer  des  juges  {pof estas 
comtituendorum  magistratuum) ,  de  lever  des  impôts ,  de  s'attribuer 
les  vacants  et  les  confiscations ,  etc. ,  etc. ,  cette  énumération  ,  disons- 
nous  ,  qui  est  longue ,  se  trouve  partout  ;  comme  partout  aussi  on  trouve 
cette  doctrine  que  ces  droits  étaient  Tattribut  de  la  souveraineté  directe 
ou  déléguée.  Regalia  esse  jus  personœ  principis  vel  superiorem  non 
recognoscentis  vel  quibus  illi  dederinl  cohœrens  >. 

Sans  prolonger  inutilement  ces  développements  préalables ,  que  tous 
ceux  qui  s'occupent  d'histoire  doivent  trouver  surabondants,  examinons 
un  peu  les  colonges  souveraines  découvertes  par  nt*tre  auteur  3. 

La  première  est ,  d'après  lui  y  celle  de  l'abbaye  de  Honau ,  qui  faisait 
remonter  son  origine  jusqu'aux  temps  de  Clovis  V"^  (506).  Or  le  prélude 
même  qu'il  place  en  tète  du  texte  du  rotule ,  prouve  que  la  souveraineté 
appartenait  à  l'abbaye  qui  formait  un  véritable  Etat  indépendant,  —  Le 
rotule  commence  en  effet  par  ces  mots  :  «  Haec  sunt  jura  Honaug,  Ecc'e- 
siœ  qu»rttô/tci  jurata  praîposito  fîdelilate,  reàiaverunt.  —  Voici  les  droits 
de  l'église  de  Honau  ^  que  les  paysans ,  après  avoir  fait  serment  de  fidélité 
à  l'abbé ,  ont  confessés  ou  récités.  »  —  M.  Hanauer ,  lui ,  trouve  parfai- 
tement exacte  la  version  suivante  de  cette  phrase  latine  si  simple  : 
«  Telle  est  depuis  un  temps  immémorial  la  colonge  de  Honau  ;  tels 
a  sont  les  droits  de  Messieurs  de  Rhinau  et  du  village.  >  Avec  une  pa- 
reille liberté  de  traduction  il  n'est  pas  difficile ,  convenons-en^  de  créer 
des  souverains  et  d'enrichir  l'érudtion  de  nouveautés  inaperçues  I 

Le  titre  latin  continue  en  disposant  que  l'église  de  Honau  ,  par  pri- 
vilège et  par  la  dignité  de  sa  fondation ,  doit  avoir  un  aviué ,  homme 
de  condition  libre ,  et  non  autre.  Cet  avoué  doit  siéger  en  plaid  trois  fois 
par  an ,  pour  gouverner  la  famille  de  l'église  (  ad  regendam  familiam 
ecclesiœ)\  il  prend  une  part  des  amendes,  les  deux  autres  appartiennent 
à  l'abbé.  —  A  l'abbé  tous  les  colons  {mstici)  demeurant  dans  File 


'  Pertz  ,  Uges  ,  i ,  p.  286  el  291. 

'  Prockmann.  Traci.  de  RegaL  i54i,  cap   ii,  §  1.—  Saehsenspiegel ,  i ,  p.  35, 
édit.  Homayer.  —  Schwabenspiegel  ^  édit.  Lassberg ,  p.  97. 
'  Constitutions,  p.  170  ài  237. 


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24  REVUE   D' ALSACE. 

doivent  prêter  serment  de  fidélité ,  soit  parce  qu'ils  fcmt  partie  de  la 
famille  *  de  Véglm ,  soit  parce  qu'ils  possèdent  une  tenure  du  fonds 
de  réglise.  c  Car  le  fonds  de  toute  Ttle  est  propriété  de  l'église.  Funâus 
enim  totius  imtUœ  proprius  est  Ecclesiœ. 
Qui  est  donc  ici  le  souverain  ?  —  Le  paysan  ou  l'abbaje  1 
Après  la  souveraineté  rustique  de  Honau ,  l'auteur  nous  produit  avec 
la  sémillante  minauderie  d'un  antiquaire  ravi  d'une  trouvaille,  une 
espèce  de  déclaration ,  sans  aucune  indication  d'origine  ni  de  date ,  et 
qu'il  qualifie  de  rotule  souverain  de  Hofen  et  Buren.  —  Nous  voyons  par 
ce  document  que  le  SchultheisSy  officier  seigneurial,  doit  convoquer  un 
plaid  (traduction  de  M.  Hanauer) ,  où  doivent  s'asseoir  à  côté  de  lui  les 
représentants  des  Sieurs  d'Ochsenstein  et  de  Fleckenstein ,  S'ILS  LE 
VEULENT ,  pour  entendre  quels  sont  les  droits  de  ces  seigneurs  (was 
Rechten  die  Herren  do  habent)  et  ce  qu'ils  devraient  encore  faire  {wider 
umb  tun  sullent)  pour  les  pauvres  gens  {arme  Lûte)  du  village.  Voici 
certainement  un  bien  singulier  ton  pour  des  souverains  qui  se  qualifient 
d'arme  Lûte ,  de  pauvres  gens  !  —  Le  terme  arme  Lûte  est  traduit 
par  Scherlz ,  Subditi ,  homines  proprii ,  censuales.  Jusqu'à  présent 
cette  définition  a  été  en  quelque  sorte  usuelle ,  non  seulement  en  Alsace, 
mais  dans  toute  l'Allemagne  ^.  Mais  notre  docte  novateur  n*est  pas 
homme  à  se  soumettre  à  l'autorité  de  Schertz.  <  Il  pourrait ,  nous  dit-il, 
«  citer  des  centaines  de  mots  qui  manquent  dans  son  recueil ,  des  cen- 
«  taims  d'autres  dont  il  n'indique  qu'en  partie  les  diverses  acceptions  ^.  » 
Que  M.  Hanauer  y  prenne  garde!  il  assume  une  lourde  tâche;  en 
affirmant  ainsi  l'insuffisance  de  notre  glossaire  alsacien  ,  il  prend 
virtuellement  l'engagement  de  nous  en  donner  un  autre;  et  au  fij|it 
s'il    continue ,    comme   il  l'a  si  bien    commencé ,    de  bouleverser 

*  M.  Hanauer  fjil,  à  plusieurs  reprises,  uu  singulier  abus  de  ce  mol  de  familia 
auquel  11  ailribue  le  sens  doux  et  bienveillant  du  groupe  formé  par  la  parenté. 
Les  formules  de  Marculf  ainsi  que  les  capilulalres  ont  pourtant  donné  à  ce  terme , 
relativement  aux  institutions  rurales ,  une  signification  bien  précise.  «  Bac  voce 
indigitantur  servi ,  coloni  ,  in  prœdiis  rusticis  eommanenies  ^  dominis  prœdiorum 
famulatum  et  servitium  exhibentet.  —  Ducange  ,  Gloe,  Med.  œvi,  Edit.  Didot , 
m ,  p.  200. 

*  C*est  celle  de  Schilter  ,  Ghss  h.  v,  —  de  Haltaus  ,  Glost.  Germ,  Med, 
Aivi.  p.  52.  —  de  Wackernagel  ,  Alldeutsehet  Wœrterbuch.  —  de  Ziemann, 
Mittelhochdeutschet  Wœrterbuch ,  p.  12 ,  etc. 

'  Constitutions ,  p,  180. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÈRES  d' ALSACE.  25 

Tantique  signification  des  choses ,  il  faudra  bien  qu'il  se  décide 
sérieusement  à  nous  révéler  le  secret  de  sa  langue.  —  Mais  revenons 
à  notre  rotule.  J'aimerais  bien  savoir  ce  que  le  sire  d'Ochsenstein 
avait  à  faire  au  plaid  de  Buren.  Je  vois,  par  les  observations 
préliminaires  que  M.  Hanauer  a  empruntées  à  Schœpflin  (sans 
toutefois  lui  faire  Thonneur  de  le  nommer),  que  ce  petit  territoire  aurait 
été  concédé ,  à  titre  d'engagement ,  par  Frédéric  Blochhollz ,  prieur  de 
Saint-Pierre-le-Jeune  à  Strasbourg ,  à  Wyrich  de  Hohenbourg  et  à  Jean 
de  Fleckenstein  en  1450.  Schœpflin  m'apprend  en  outre  qu'en  1470 , 
Schweigard  de  Sickingen  l'enleva  à  Jean  de  Fleckenstein.  Nulle  part  il 
n'est  question  d'un  Ochsenstein.  Comment  donc  a-t-il  pu  ùgurer  comme 
co-seignettr  dans  la  pièce  calleuse  que  H.  Hanauer  édite ,  et  dont  il  pré- 
tend ,  sans  expliquer  clairement  pourquoi ,  placer  la  date  entre  les  années 
1354  et  1450  ?  J'avoue  que  ces  embarras  me  rendent  Tauthenticilé  de  la 
pièce  extrêmement  suspecte  ;  en  définitive  si  les  paysans  devaient  con- 
naître quelque  chose  y  c'était  certainement  les  vrais  noms  de  leurs  sei- 
gneurs.*- Au  surplus  Hofen  et  Buren  ont  toujours  été  considérés  comme 
de  simples  villages  féodaux  '.  Â  en  croire  même  le  document  produit , 
ils  contenaient  un  certain  nombre  d'hommes  de  l'Empire  (fiichslûlé),  qui 
comme  tels  éfaienl  affranchis  des  impôts  seigneuriaux —  Ce  qui  en  res- 
sort nettement  aussi  c'est  que  le  jour  du  plaid  se  passait  pour  les  paysans 
(arme  LiUe)  en  paiement  d'impôts.  (Un  denier  qui  doit  être  apporté 
par  tout  détenteur  d'immeubles  dans  le  ban  de  Hofen  ;  une  poule  et 
trois  deniers  pour  chaque  maison  des  deux  villages  ;  un  boisseau  et 
demi  d'avoine  pour  chacune  des  13  tenures  {Uûphôfo).  Le  Schultheiss, 
après  avoir  ainsi  reçu  de  chaque  redevable  l'importance  de  cet  impôt , 
doit  en  faire  le  partage  entre  les  deux  seigneurs.  Le  titre  ajoute  que 
pour  les  délits  commis  depuis  la  veille  jusqu'à  la  fin  de  ce  jour  (de  minuit 
à  minuit)  les  amendes  appartiendront  pour  ^3  <^^^  ^^^^^  seigneurs 
et  Va  Ott  prévôt  de  Saint-Pierre,  La  semence  devra  être  rendue  par  le 
tribunal  du  prévôt  ^  Mais  pour  les  affaires  qui  sont  jugées  les  autres 


'  SGHOEPFLI.N  ,  AU.  ilL  ,  §  405. 

'  ConslUnliont ,  p.  181. 

*  Le  titre  iM)rie  Probtiti-Gmchu.  -  On  conuaissaii  aussi  vd  Alsace  le  Probsi- 
ding ,  forum  9eu  judicium  prœpotiturœ.  Les  Probsldinglwte  étaient  si  peu  des 
souverains ,  qu'on  les  assimilait  aux  servi ,  et  en  tous  cas ,  ils  étaient  homines 
proprii  (Uitrigen).  >-  ScuERTZ,  Gloss. ,  k  ces  mois. 


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i&  REVUE   d'ALSACE. 

jours  de  l*année  «  Tamende  appartiendra  au  prévôt  du  chapitre  seul , 
sans  partage  avec  les  seigneurs ,  ses  concessionnaires.  —  Mais  où  donc 
trouver  ici  la  moindre  trace  d'une  participation  des  paysans  en  général 
et  des  colongers  en  particulier  à  Texercice  de  la  justice  seigneuriale  ? 
comment  y  découvrir  surtout  la  moindre  justiflcation  d'une  souveraineté 
quelconque  qu'auraient  exercée  ces  pauvres  gens ,  qu'on  ne  voit  figurer 
dans  tous  ces  détails ,  que  comme  débiteurs  de  cens ,  venant  au  jour 
donné  recevoir  leur  quittance  ou  payer  leurs  amendes,  sans  même  être 
admis  au  plaisir  d'assister  au  partage  que  leurs  maîtres  s'en  faisaient  entre 
eux?  On  leur  procure,  il  est  vrai,  celui  deproclamer  (traduction  Hanauer) 
ou  de  déclarer  les  droits ,  c'est-à-dire  la  consistance  des  redevances  qu'ils 
doivent  à  leurs  seigneurs  y  et  celui  qui  manquerait  de  venir  faire  cette 
déclaration  au  jour  fixé  par  le  prévôt  devrait  payer  5  solsd'aqfiende  I  — De 
pareils  textes  n'ont  pas  besoin  de  commentaires  pour  justifier  Fétonne- 
ment  qu'on  éprouve  à  les  rencontrer  sous  le  titre  :  Exemples  de  colonges 
souveraines.  Aussi  notre  auteur  s'efforce-t-il  de*  relever  son  assertion  , 
en  faisant  ressortir  avec  une  gracieuse  insistance ,  qu'à  défaut  d'autre 
liberté ,  ses  colongers  de  Buren  et  de  Hofen  avaient  au  moins  celle  de 
manger  du  poisson  et  du  lièvre ,  régal  dont  il  suppose  privés ,  comme 
de  raison ,  les  paysans  d'aujourd'hui.  Mais  je  crains  bien  que  cette 
clause  même  n'ait  pas  encore  tout-à-fait  cette  signification  dont  H.  Ha- 
nauer ,  fidèle  à  son  système  »  fait  honneur  à  la  bénignité  connue  du 
moyen-âge.  En  effet  après  avoir  exprimé  que  tout  homme  domicilié 
dans  la  seigneurie ,  peut  prendre  des  poissons  ou  un  lièvre  * ,  mais  à 
condition  de  les  manger  dans  sa  maison ,  et  sans  pouvoir  les  vendre , 
sous  peine  d*amende  ;  la  clause  ajoute  :  «  il  ne  doit  y  avoir  ni  pêcheur 
ni  chasseur  ici  y  >  ce  qui  rend  assez  difficile,  ce  semble,  la  pratique  de 
celte  prétendue  liberté.  Il  est  ajouté  au  surplus  c  que  cela  a  été  décidé 
«  ainsi  à  Hofen,  devant  l'église ,  le  lendemain  de  la  Saint-Michel  1354, 
€  contre  le  sire  Ottmann  d'Ochsenstein  ^  qui  s'était  permis  d'enlever 


'  Einm  Hasen  :  M.  Hanauer  iraduil  des  lièvres  ;  le  pluriel  esl  ici  de  trop. 

*  11  est  difficile  de  deviner  sur  quelle  cause  a  pu  s'élablir,  en  1354,  nn  débat 
entre  un  Otlmann  d*Ochsenstein  et  le  Chapitre  de  Saint-Pierre.  Schœpflln  nomme 
plusieurs  seigneurs  de  ce  nom ,  dont  l'un  aurait  même  été  momentanément  land- 
grave d'Alsace  et  du  Spiregau.  La  contestation  se  fondait  peut-être  sur  la  pré- 
tention de  faire  de  Buren  et  de  Hofen  des  villages  impériaux  ,  ce  que  pouvait 
rendre  vraisemblable  rexIsteDce  de  gens  de  l'Empire  dans  leur  sein, 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGËRES  d'ALSACE.      27 

«  une  partie  de  ses  droits  à  Nicolas  de  Kageneck ,  prévôt  du  chapitre 
€  de  Saint-Pierre-le-Jeune.  »  De  quels  droits  peut-il  s'agir  ici?  — 
Evidemment  des  droits  de  chasse  et  de  pêche  qui  appartenaient  exclusi- 
vement au  chapitre ,  comme  seigneur  foncier. 

Il  est  impossible  que  M.  Hanauer  persiste  dans  l'illusion  de  fonder 
sur  un  semblable  document  des  colonges  souveraines  ;  tout  y  révèle  la 
condition  infime,  plus  que  subalterne,  des  pauvres  gens  de  Buren  et  de 
Hofen  ,  y  compris  les  possesseurs  des  treize  tenures  colongères ,  qui  n'y 
sont  même  jamais  distingués  du  surplus  de  la  population.  Il  ne  faut 
pas  un  grand  effort  d'attention,  pour  se  fixer  sur  le  véritable  sens  et  le 
vrai  caractère  de  ce  prétendu  rottde  ;  ce  n'est  pas  autre  chose  qu'une 
espèce  de  supplique  formée  par  les  paysans  dans  le  but  de  se  procurer 
certains  avantages,  et  d'obtenir  une  limitation  un  peu  fixe  de  leurs 
charges  ;  et  ce  qu'il  y  a  de  remarquable  dans  cet  écrit,  c'est  d'une  part 
les  précautions  qu'on  y  prend  de  rendre  la  prière  touchante,  en 
accentuant  tout  ce  qui  peut  apitoyer  sur  la  misère  de  ceux  qui  la  pré- 
sentaient ,  et  d'autre  part ,  le  silence  absolu  qui  y  est  gardé  sur  un  bail 
colonger  quelconque.  Rien  d'ailleurs  ne  révèle  la  présence  à  cet  acte,  ni 
par  conséquent  Tasseotiment  du  seigneur  suzerain  ou  de  ses  vassaux  tem- 
poraires. Ce  document  unilatéral  et  équivoque ,  je  n'hésite  pas  à  le  dire, 
ne  méritait  pas  l'honneur  d'une  publication.  En  tous  cas  il  est  bien  loin 
de  justifier  le  titre  fantastique  sous  lequel  notre  auteur  l'a  produit. 

Je  laisse  de  côté  la  traduction  de  la  colonge  d'Andolsheim  sur  la- 
quelle j'ai  déjà  fait  mes  observations ,  et  je  passe  à  la  quatrième  colonge 
prétendue  souveraine ,  celle  d'Ëschau.  —  Ici  je  demanderai  d'abord  à 
l'auteur,  pourquoi  il  qualifie  les  constitutions  d'Eschau  de  rotules 
colongert  ?  Nous  venons  de  voir  déjà  tout-à-l'heure  qu'à  Hofen  et  à  Buren, 
la  colonge,  composée  de  treize  tenures  seulement ,  ne  formait  qu'une 
faible  partie  de  la  population  et  n'embrassait  qu'une  petite  portion  des 
possession^ du  chapitre  A  côté  des  colons ,  il  y  avait  d'autres  habitants, 
locataires  de  terre  et  propriétaires  de  maison  ;  il  y  avait  même  des  gens 
de  l'Empire ,  francs  de  toute  redevance  seigneuriale.  Pourquoi  donc  n'y 
voir  que  la  colonge ,  et  commettre  ainsi  cette  erreur  de  prendre  la 
partie  pour  le  tout?  —  Pourquoi  ?  —  Parce  que  l'esprit  de  système  a 
un  entraînement  fatal.  L'auteur  fait  de  la  colonge  le  point  de  départ  de 
toute  l'organisation  rurale  du  moyen-Âge  ;  il  fallait  donc  bien  que  la 
colonge  fut  tout  et  partout.  —  Le  même  procédé  se  reproduit  pour 
Eschau ,  et  pourtant  il  ne  faut  que  lire,  avec  un  peu  d'atleniion ,  les  deux 


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28  REVUE  D* ALSACE. 

titres  qui  s'y  réfèrent ,  pour  se  couvaiocre  que  l'exploitation  colongère 
n'embrassait  qu'une  faible  partie  des  vastes  domaines  du  couvent  ;  tout  le 
surplus  était  entre  les  mains  de  fermiers ,  d'emphytéotes ,  de  locataires 
temporaires  ou  perpétuels.  Mais  ici  encore,  il  fallait  une  colonge  pour 
en  faire  un  souverain ,  et  notre  auteur ,  pas  plus  qu'ailleurs ,   n'a 
reculé  devant  les  exigeances  de  son  programme.  —  Le  premier  litre 
concernant  Eschau  est  la  sentence  arbitrale  de  1272 ,  rendue  sur  les 
prétentions  respectives  de  l'abbesse  Mechthilde  ,   et  de  Philippe  de 
Kathsamhausen ,  l'avoué  héréditaire  du  couvent.  M.  Hanauer  n'a  pas 
pu  se  dissimuler  combien  l'institution  de  ces  advocaties  i ,  pour  les 
possessions  ecclésiastiques  surtout,  institution  qui  remonte  jusqu'aux 
Carolingiens ,  contrariait  le  système  de  liberté  absolue ,  et  de  souve- 
raineté qu'il  a  imaginé  non  seulement  pour  les  colons,  mais  pour 
la  classe  rurale  en  général.  Sans  doute,  la  fonction  d'avoué  dans  le 
principe  n'était  pas  liérédiiaire  :  elle  avait  cela  de  commun ,  comme 
nous  l'avons  déjà  fait  remarquer ,  avec  la  majeure  partie  des  bénéfices , 
qui,  temporaires  ou  viagers,  ont  profité  de  la  révolution  opérée  par 
Conrad-le-Salique.    La  meilleure  preuve  que  Tavocatie  n'était  plus 
révocable  en  1272  ,  se  trouve  dans  le  titre  même  dont  nous  nous  occu-' 
pons.  Le  couvent ,  pour  se  prémunir  des  usurpations  dont  il  se  plai- 
gnait ,  se  serait  borné  à  destituer  son  avoué.  Au  surplus  je  n'ai  pas  à 
m'engager  davantage  dans  cette  question ,  l'auteur  lui-même  se  sou- 
mettant sur  ce  point ,  bien  qu'à  contre-cœur ,  à  cette  certitude  démon- 
trée, des  empiétements  des  avoués,  empiétements  qu'il  attribue  d  ce 
courant  centralisateur  (sic)  contre  lequel  la  résistance  des  monastères 
était  vne  œuvre  libérale  l  Je  ne  sais  pas  si  le  mouvement  féodal  mérite 
bien  cette  qualification  de  courant  centralisateur  ,  et  quant  à  la  résis- 
tance des  monastères ,  je  n'y  vois  autre  chose  que  l'attitude  d'un  pro- 
priétaire qui  défend  ses  intérêts  et  ses  droits ,  attitude  qui ,  pour  être  fort 
légitime,  ne  me  sembla  pourtant  point  justifier  l'épithèle  de  libérale.  On 
est  libéral  quand  on  défend  le  droit  de  tout  le  monde  ;  on  n'est  que  légal, 
quand  on  fait  valoir  le  sien.  —  D'ailleurs  Tadvocatie  portait  en  elle- 
même  le  germe  de  tous  ses  développements  ultérieurs.  L'avoué  était  le 
protecteur  armé  des  habitants  du  territoire  ;  il  faisait  mouvoir  la  force 
militaire,  nécessaire  à  l'accomplissement  de  sa  fonction.  Cette  fonction 
ne  se  limitait  pas  à  la  colonge  ;  tout  grand  domaine  avait  son  avoué. 

'  Paysans ,  p.  74  et  93. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLONGÉRES  D'aLSACE  29 

Lorsqu'il  apparaît  dans  les  rotules  colongers  spécialement,  on  le  voit 
chargé  de  défendre  contre»  toute  violence  les  intérêts  du  Manzeler  ^  fman- 
surnariui) ,  du  propriétaire  des  manses  et  de  la  terre  colongëre ,  ainsi 
que  ceux  des  tenanciers  mêmes.  Plusieurs  titres  expriment  avec  une 
précision  pittoresque  l'empressement  que  l'avoué  devait  mettre  à  porter 
secours ,  en  cas  de  besoin.  Si  un  Bueber  fait  appel  à  son  assistance  , 
pour  une  affaire  colongère  y  une  attaque ,  une  incursion  par  exemple , 
l'avoué  ne  fut-il  chaussé  que  d'une  botte ,  devait ,  l'autre  botte  à  la 
main ,  voler  au  secours  du  tenancier  ^.  Il  est  facile  de  comprendre  la  pré- 
pondérance que  dût  bientôt  acquérir  un  officier  chaîné  d'une  semblable 
fonction,  un  officier  appartenant  d'ailleurs  à  la  classe  des  Freijen ,  et  comme 
tel  investi  du  droit  de  porter  les  armes  et  de  commander  à  une  force  armée 
au  milieu  d'une  population  de  Hôrige  ,  de  non  libres  et  de  serfs  à  la- 
quelle le  Wehrdiensi  ne  pouvait  être  demandé  ^.  —  L'histoire  du  moyen- 
âge  est  remplie  des  faits  et  gestes  de  ces  Vôgte  impériaux ,  seigneuriaux 
ou  simplement   patrimoniaux.  L'arbitrage  auquel  a  été  contraint  de 
recourir  le  couvent  d'Eschau  en  1272  n'a  rien  de  particulier  ;  il  prouve, 
comme  beaucoup  d'autres  documents  de  la  même  origine  et  de  la  même 
espèce ,  que  la  détermination  précise  des  droits  du  propriétaire  ou  sei- 
gneur, et  des  prérogatives  de  l'advocatie,  était  quelquefois  rendue 
nécessaire  par  Taccroissement  progressif  de  celle-ci.  Mais  il  est  difficile 
de  comprendre  en  quoi  ce  document  doit  venir  en  aide  à  la  thèse  des 
colonges  souveraines ,  et  faire  ressortir  la  prétendue  autonomie  de  la 
classe  rurale.  Ce  titre  débute  par  Gxer  la  taille  due  à  l'avoué  par  chaque 
tenure  dépendante  de  la  cour  de  Fegenheim  ^  ;  cette  détermination  se 
fait  sur  la  déclaration  par  serment  de  trois  minisieriales  (Ambnchumann) 
de  l'abbaye^.  On  r^le  ensuite  le  nombre  et  l'époque  des  Dmgs  annuels, 

'  Mantzeler  ,  Mansi  possêssor.  Schbrtz.  —  Voy.  aussi  Sciimui  ,  Histoire  du 
Chapitre  de  Saint-Thomas ,  p.  65. 

'  BUBCKHARDT ,  Ç.  SUp, .  p.  31 . 

'  Bdrckhardt  ,  q.  sup. ,  p.  26. 

*  Voici  encore  une  cour  qui  ne  forme  qu'une  enclave  dans  un  domaine  plus  con- 
sidérable ,  ce  qui  contrarie  le  système  de  la  eolonge  souveraine.  On  ne  voit  en  effet 
nulle  part  que  cette  cour  de  Fegersheim  ait  eu  ,  comme  eolonge  organisée,  une 
prépondérance  quelconque  dans  le  gouvernement  du  patrimoine  du  couvent 
d'Eschau. 

*  Les  monastères  et  tons  les  propriétaires  de  domaines  avaient  leurs  ministe^ 
riaux  (Àmbaehtslitte)  ,  parmi  lesquels  on  voit  figurer  entre  autres  le  Stadeler , 


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30  REVUE  D' ALSACE. 

ainsi  que  Théberge  à  laquelle  Tavoué  avait  droit  en  cette  occasion.  Les 
*colongers ,  Butber ,  interviennent  plusieurs  fois,  mais  seulement  comme 
témoins ,  pour  attester  que  Tabbesse  seule  a  le  droit  de  pécher  dans 
PIll ,  avec  rets  et  filets ,  que  ses  ministenauxy  au  nombre  de  neuf,  sont 
francs  (lidic)  de  gtte ,  de  services ,  de  taille  et  de  toute  contribution 
envers  le  Vogi  (avoué) ,  etc.  Enfin  les  arbitres  insèrent  dans  leur  Spruch 
que  VAUmend  d'Eschau  ,  comme  tout  le  sol  et  tout  le  ban  du  domaine 
appartiennent  en  propriété  au  monastère  <  que  nul  n'a  le  droit  de  vendre 
ni  prés ,  ni  bois,  ni  forêts ,  ni  allmend»,  ni  gaules ,  ni  foin ,  (traduction 
de  M.  Hanauer?  noch  Wiede,  noch  Uouwe)  sans  le  consentement  de 
Fabbesse  et  de  l'avoué  ;  que  tout  membre  de  la  Geburschaft  i  peut  en* 
voyer  sur  VAUmend  ses  bêtes ,  mais  non  des  bêtes  étrangères  ;  que 
l'avoué  seul,  sur  la  réquisition  de  l'abbesse,  doit,  toute  affaire  cessante, 
opérer  le  retrait  d*un  corps  de  bien  loué  par  elle;  enfin  que  pour  ses  cens 
et  créances  à  Eschau ,  Wibolsheim ,  Fegersheim ,  Ohnenheim  et  Willer, 
l'abbesse  peut  porter  ses  actions  oit  elle  veut ,  devant  toute  juuicf  ecclé* 
siastique  ou  laïque  y  et  qu'elle  peut  punir  ou  destituer  ses  ministeriaux 
à  son  gré.  -—  Telle  est  en  substance  la  teneur  de  la  sentence  arbitrale. 
Avec  la  meilleure  volonté  du  monde  est-il  possible  d^y  voir  autre  chose 
qu'un  règlement  de  prérogatives  entre  le  Vogt  et  le  monastère ,  et  d'y 
découvrir  la  moindre  trace  d'une  participation  quelconque  de  la  colonge 
au  gouvernement  ou  à  la  juridiction  ?  —  Passons  maintenant  à  la  charte 
colongère  elle-même  que  M.  Hanauer  reproduit  aussi  en  son  entier. 
Il  la  date  de  4341.  Elle  débute  par  ces  mots  :  c  Voici  les  droits  de  la 
c  colonge  (des  DinghovesJ  ou  couvent  d'Eschau.  >  Donc  la  colonge 
était  la  propriété  du  couvent ,  et  ne  formait  pas  cette  espèce  de  petite 
République ,  de  communauté  indépendante  imaginée  par  notre  auteur.  — 
Voyons  maintenant  comment  cette  colonge  a  pu  lui  apparaître  comme 
une  souveraine.  —  Le  Vogt  doit  tenir  trois  plaids  par  an  dans  la  cour  ;  de 
qui  se  composent-ils?  de  l'avoué,  qui  aura  de  chaque  cêté  six  Scheffeler; 


euitos  euriœ  'dominicaUs  ,  stabuli  dominici.  —  V.  Trans.  de  Marqnard  »  abbé  de 
Munster,  du  4  février  1339.  Schcepflin  ,  Dipl ,  n,  163.~ Grandidier ,  u,  p.  8i. 
—  Mais  ces  fonctioos  de  ministeriales  ne  relevaient  pas  ceux  qui  en  étaient  in- 
vestis de  la  classe  des  Hôrigen.  —  V.  les  textes  ap.  Waltrr  ,  Reehtsg.  ,  ii ,  p.  9. 
'  M.  Hanauer  traduit  Geburschaft  par  communauté,  ce  qui  est  un  peu  large. 
Ce  raot  exprime  non  pas  une  sooiété  mais  Pensemble  ou  la  généralité  des  habi- 
tants d*UDe  contrée.  —  Rustici  et  eives  omnes  pagi  alieujus.  -  Schertz,  G.  v. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLONGÈRES  d'ALSAGE.      31 

l'fi  ne  peut  les  trouver  parmi  les  colongers ,  il  les  prendra  parmi  d'ho* 
norables  fermiers  ,  auxquels  on  doit  se  fier  à  la  place  des  colongers  *. 
Il  résulte  de  cette  clause  que  la  capacité  d'assister  au  Ding  comme 
assesseur  du  Vogt  y  n'était  pas  inhérente  à  la  seule  qualité  de  Uueber 
ou  de  colonger.  —  Quel  était  l'objet  de  ces  plaids,  qui  dans  la  traduction 
un  peu  libre  de  M.  Hanauer,  deviennent  maintenant  des  assises  ?  —  Tout 
le  personnel  étant  réuni ,  le  Vogt  doit  demander  aux  minisieriaux  du  cou- 
vent, c'est-à-dire  au  Siadeler ,  au  bouvier  et  au  meunier  (lequel  n'est 
pas  Uueber  mais  emphytéote)  si,  à  leur  sçu^  le  couvent  a  souffert  quelque 
dommage ,  et  ceux-ci ,  en  présence  du  maire  de  Tabbesse  qui  doit  siéger 
à  côté  du  Vogi,  déclareront  par  leur  serment  tous  les  torts  éprouvés  par 
le  monastère  ,  en  cens ,  en  usurpations ,  en  empiétements  fubtrgri/fenj 
sur  les  eaux ,  les  prés  et  les  champs  du  ban.  —  Qui  n'entrevoit  ici  que 
la  fonction  de  ces  Dings  colongers  était  essentiellement  protectrice  des 
droits  patrimoniaux  et  fonciers  du  Manxeler ,  du  propriétaire  ?  Dans 
ces  temps  reculés  où  l'usage  de  l'écriture  était  à  peu  près  inconnu ,  la 
conservation  des  droits  d'un  domaine ,  la  fixation  de  ses  limites ,  la 
détermination  des  redevances  qu'il  devait  produire ,  étaient  en  quelque 
sorte  confiées  à  la  mémoire  des  hommes ,  et  n'avaient  d'autre  preuve' 
que  le  témoignage  sous  serment.  La  procédure  de  cette  époque  est  abso- 
lument testimoniale ,  et  sans  entrer  à  cet  égard  dans  des  développements 
superflus^  on  se  bornera  à  rappeler  les  formalités  bizarres  qui  accompa- 
gnaient en  Alsace  la  reconnaissance  périodique  des  limites  d'une  banlieue 
ou  d'un  domaine.  Une  commission  ,  formée  de  sept  enfants  et  de  sept 
vieillards ,  suivie  d'un  grand  nombre  d'habitants  du  territoire  ou  de  la 
commune ,  se  transportait  processionnellement  sur  la  ligne  de  démarca- 
tion. A  l'emplacement  de  chaque  borne^  les  vieux  affirmaient  par  serment 
qu'elle  était  à  son  ancien  lieu,  et  les  enfants,  pour  que  le  fait  se  gravât 
bien  dans  leur  mémoire ,  subissaient  des  opérations  mnémotechniques 
qui  variaient  selon  les  localités.  Le  tout  se  terminait ,  d'ordinaire  y 
comme  presque  toutes  les  solennités  du  moyen-àge ,  par  un  grand 
repas  ^.  Les  Dtags  des  cours  colongères  n'ont  vraisemblablement  pas 

'  Den  fnan  wol  gelobm  sol  an  der  Hueher  ttat.  —  M.  Hanauer  traduit  aiosi  ce 
nembre  de  pbrase  :  «  qui  puissent  rendre  la  justice  à  la  place  des  colenges.  » 
€eloben  n'a  jamais  signifié  rendre  la  justice,  mais  bien  Crgdere,  Spondere,  fidem 
dure.  —  V.  Scbertz  ,  ff.  v. 

'  Ces  tournées  de  ban  se  sont  dites  périodiquement  à  Colmar  jusqu'en  1726. 
Elles  se  faisaient  avec  la  pins  grande  solennité  ;  le  magistrat ,  le  conseil ,  les 


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32  REVUE  D  ALSACE, 

dû  leur  origine  à  un  autre  but  que  de  conserver ,  dans  Tintérèt  du 
propriétaire  et  aussi  dans  cetui  des  usufruitiers ,  la  tradition  invariable 
de  rétendue  du  domaine,  de  la  consistance  de  chaque  ffueb  ou  manse, 
du  taux  des  ^prestations  et  des  conditions  générales  de  Texploitation. 
Ce  n'est  pas  là  une  juridiction  dans  le  sens  propre  du  mot  ;  c'est  tout 
au  plus  une  fonction  de  notoriété.  Cela  est  si  vrai ,  que  même  lorsqu'il 
ne  s*agilque  du  retrait  a  exercer  sur  une  Hueb  ,  le  Vogt  seul  a  le  droit 
de  statuer  * ,  et  il  peut  le  faire  hors  du  temps  des  trois  plaids  annaux. 
Cependant  cette  question  du  retrait  peut  intéresser ,  au  moins  comme 
précédent,  toute  la  corporation  des  Htieber ,  et  sa  solution  est  aban- 
donnée au  seul  avoué  !  —  A  lui  seul  aussi  appartient  la  haute  justice  , 
ce  qui  est  exclusif  du  droit  de  souveraineté  que  M.  Hanauer  veut  attri- 
buer au  corps  des  Hneber ,  pris  collectivement.  Les  habitants  du  terri^ 
toire  du  monastère  dénoncent  fruogenij  les  vols  et  les  délits.  Lorsqu'un 
voleur  est  pris  ,  il  est  gardé  dans  la  prison  de  l'abbesse ,  qui  a  même 
un  mimstenal  attaché  à  cette  fonction.  Il  est  remis  le  lendemain 
à  l'avoué  qui  statue  sur  son  sort.  L'abbesse  a  d'ailleurs  expressémeut 
le  droit  de  haute  justice  et  le  Siog  (la  prison)  ;  elle  est  souveraine  de 
tout  le  ban  Wun,  Weide  und  Wasser.  —  De  plus,  elle  n'est  assujettie 
k  aucune  juridiction  iniérkure  pour  ses  cens  et  ses  créance$  ;  elle  peut 
porter  ses  actions  devant  tout  tribunal  ecclésiastique  ou  laïque. 

L'analyse  détaillée  que  nous  venons  de  faire  de  ces  deux  titres  d'Ës- 
chau ,  nous  permet  de  signaler  d'une  manière  saillante  la  confusion 
sur  laquelle  H.  Hanauer  a  bâti  son  système  des  colonga  iouvera'mes. 
Le  Dinghoff  jpoMt  lui  est  une  espèce  d'être  collectif,  composé  de  tous 
les  Bveber ,  s'administrant  par  lui-même  ;  bien  plus ,  exerçant  par  lui- 
même  une  espèce  de  puissance  souveraine.  Il  résulte,  au  contraire,  des 
textes  que  nous  venons  de  parcourir  que  le  Dinghoff ,  la  curia  domim- 

notables  dos  iribus  et  leurs  enfants  y  allaient  à  cbeval  ;  on  s'arrêtait  à  chaque 
borne,  on  en  faisait  le  tour ,  et  un  bangard  debout  sur  la  pierre  donnait  aux  enfants 
un  soufflet  pour  quMls  s'en  souvinssent.  On  faisait  ensuite  une  grande  halte.  Cela 
durait  trois  ou  quatre  jours.  {Statuts  mss.  de  Colmar),  L'auteur  auquel  j'emprunte 
cette  citation  ajoute  une  observation  qui ,  j'en  suis  sûr,  fera  plaisir  à  M.  Hanau<'r 
et  que  je  transcris  à  ce  dessein.  Il  se  plaint  amèrement  de  Tabolition  de  ces 
tournées  :  «  On  s'en  repentira  peut-être  !  ajoute-t^il  :  un  seul  procès  sur  les 
u  limites  coûtera  plus  que  ne  coûteraient  quatre  renouvellements  par  siècle.  »  ' 
Et  c'était  cependant  un  légiste  qui  regrettait  ainsi  le  bon  ^ieux  temps  I 
*  Si  l'abbesse  avait  besoin  de  lui  pour  retirer  un  bien ,  ce  que  lai  seul  doit  faire. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLONGÈRCS  D* ALSACE.      33 

calis ,  est  une  création  du  propriétaire  de  la  (erre  y  fondée  sur  un  bail 
perpétuel  d'une  portion  de  son  domaine ,  divisée  en  lots  d'un  nombre 
et  d'une  contenance  déterminés  fBnebJ,  La  propriétaire  conserve  sur 
les  tfueber  toutes  ses  prérogatives  :  le  Dinghoff  est  à  lui;  hi  haute  justice 
est  à  lui  ;  c'est  lui  qui  détermine  le  nombre  des  plaids  ,  leur  tenue  , 
et  ces  assemblées  ont  pour  but  principal  la  conservation  du  domaine  et 
la  régularité  dans  le  se/vice  des  prestations. 

Nous  croyons  pouvoir  nous  borner  à  passer  rapidement  en  revue  les 
autres  chartes  que  notre  auteur  a  accumulées  sous  le  titre  de  Exemplei 
de  colonges  souveraines.  Elles  ne  contiennent  ni  plus  ni  moins  que 
celles  qui  viennent  d'être  étudiées  en  détail.  Ainsi  dans  le  rotule  de 
Kintzheim  dont  l'auteur  ne  nous  donne  qu'une  traduction  fort 
moderne ,  il  est  stipulé  que  l'abbesse  d'AndIau  n  ta  justice  terri" 
loriule  (Zwing  und  BannJ  dans  loul  le  village.  Elle  a  un  avoué  et  en 
outre  un  Schultheiss  qui  doit  lui  juger  tout  ce  qu'elle  a  à  juger  (sic)  ^ 
—  A  Detlwiller  les  colongers  confessent  eux-mêmes  qu'aux  deux  plaids 
annaux ,  ils  doivent  apporter  leur  cens ,  sous  peine  d* amende ,  même 
du  retrait  du  bkii. L^s  amendes  se  partagent  des  deux  tiers  au  tiers  entre 
le  seigneur  et  Pavoué  (  Vogt).  Le  seigneur  confisque  les  biens  des  con- 
damnés. L'avoué  peut  aussi  désigner  quatorze  aborneurs  jurés  fMarq- 
leuien)  qui  doivent  placer  à  sa  demande  des  pierres-bornes  là  où  il  le 
juge  nécessaire.  —  Le  rotu!e  d'Entzheim  qui  suit,  contient  une  clause 
qui  précise  encore  très-clairement  le  but  des  assemblées  colongères. 
Après  avoir  constaté  que  la  puissance  publique  est  représentée  dans  la 
cour  par  nn  Vogt ,  l'art.  8  porte  que ,  tous  les  ans ,  le  troisième  jour 
après  la  Saint-Martin,  l'avoué  y  viendra,  zu  geding ,  au  plaid  (traduc- 
tion Hanauer);  il  siégera  pour  entendre  les  colongers  faire  la  déclaration 
des  droits  et  franchises  de  la  cour ,  appartenant  au  grand  hôpital  de 
Strasbourg  ;  chaque  tenancier  doit  être  présent  de  sa  personne  pour 
déclarer  les  biens  qu*il  possède  dans  le  ban ,  et  qui  appartiennent  à  la 
cour:  Dem  Bof  sein  Recht  sprechen  von  seinem  gueth,  als  dus 
gewœhnlich  und  recht  ist.  C'est  évidemment  d'une  simple  déclaration 
d'urbaire  ou  de  renouvellement  qu'il  s'agit  ici!  mais  notre  auteur  qui 
poursuit  à  outrance  son  idée  de  faire  des  colongers  des  juges  souverains 
traduit  ce  membre  de  phrase ,  par  ces  mots  :  En  particulier  ceux  qui 
possèdent  dans  le  ban  quelque  bien  dépendant  de  la  colonge  {Bof)  se 

*  Constitutions,  p.  219. 

8^SM«.  — il- Année.  3 


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34  REVUE  D*ÀLSACE. 

c  présenteront  à  la  cour .  pour  y  r£!<dre  justice  ,  a  cause  de  ses  biens  , 
«  comme  d*habilude  et  de  droU  il  > 

Voilà  pourtant  comme  on  fait  des  colonges  souveraines  !  Voilà  les  dé- 
monstrations.à  la  suite  desquelles  on  écrit  superbement  :  c  Aucun  de 
«  ces  documents  n*a  le  caractère  d'un  octroi  seigneurial ,  d'une  charte 

<  d'affranchissement  /....  la  colonge  était  donc  une  innitution  politique. 

<  Elle  l'était  toujours  quand  son  noyau  formait  une  terre  salique.  Une 
€  histoire  qui  ne  tiendra  compte  de  ces  institutions  si  nombreuses  et  si 
(  remarquables  ne  comprendra  rien  à  la  vie  des  campagnes  du  moyen- 

<  âge ,  A  l'organisation  de  ces  souverainetés  villageoises  d'ou 
€  sortirent  les  états  modernes  >.  » 

Je  n'ajouterai  plus  à  la  critique  que  je  viens  de  faire  des  documents 
produits  par  H.  Hanauer  lui-même  à  l'appui  de  cette  thèse...  énorme , 
que  quelques  textes  qui  achèveront  de  prouver  que  nos  Dinghofe  alsa- 
ciens ne  peuvent  pas  accepter  cette  prétention  d'être  les  Pères  des  Etats 
modernes ,  prétention  que  jusqu'à  présent  personne  n'a  osé  soulever 
pour  leur  humilité.  —  Dans  les  rotules  publiés  par  feu  M.  Burckhardt 
de  Bâle^  ce  qu'on  appelle  juridiction  colongère  est  aussi  parfaitement 
distinct  de  la  vraie  juridiction  (haute  justice)  que  dans  les  chartes 
que  nous  venons  de  parcourir.  Ainsi  dans  le  rotule  de  Bielbenken  ^  » 
deux  articles  précisent  et  séparent  l'objet  de  l'une  et  de  l'autre.  L'art. 
ii,  intitulé  Recht  des  Vogtes ,  exprime  qu'à  lui  seul  appartient  la  jus- 
tice sur  les  crimes  et  les  délits;  l'art.  13,  relatif  aux  atsembléfs 
colcngères ,  indique  qu'à  ces  assemblées  doit  se  faire  la  déclaration  des 
biens  possédés  par  chacun  des  tenanciers ,  des  aliénations  ou  mutations 
qui  peuvent  être  survenues  ainsi  que  le  paiement  des  cens  et  canons. 
L'art.  15,  intitulé  Bofgerichtsbat keii ,  veut  que  tous  les  différends,  à 
cause  des  biens  colongers,  soient  portés  d'abord  devant  l'assemblée 
colongère  ;  puis  s'ils  ne  s'y  terminent  pas,  ils  sont  dévolus  au  prévôt  du 
chapitre  et  à  V avoué  CVogtJ,  —  Le  rotule  de  Bubendorf  porte  les  mêmes 
dispositions  ^.  Une  récente  publication  ^  nous  met  en  possession  d'un 
document  qui  concorde  d'ailleurs  avec  le  seul  titre  du  même  genre , 
que  M.  Hanauer  soit  parvenu  à  rencontrer  dans  ses  recherches.  C'est 


'  Constitutions,  p.  24i. 

'  Burckhabdt  ,  p,  S9. 

'  Id.  ib. ,  p.  43. 

^  Eechtsqusllen  von  Basst-Stadt  und  Land ,  \u  —  Voy.  aussi  Paysans^  p.  345. 


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QUELQUKS  MOTS  SUR  LES  COCBS  C0LON6ÈRES  D'ALSACE.      35 

ane  espèce  de  protocole  ou  de  registre  des  audiences  de  ces  D'mg- 
gerichte ,  document  d'une  valeur  considérable  pour  déterminer  la  com- 
pétence et  l'utilité  de  ces  prétendues  juridictions.  Les  extraits  publiés 
▼ont  pour  Bubendorf  et  Bielbenken  de  1486  à  1536.  Chaque  séance  est 
consacrée  à  la  lecture  des  statuts  colongers  par  le  représentant  du 
Chapitre ,  au  serment  des  colongers,  à  des  délibérations  sur  le  dommage 
apporté  à  certains  biens ,  A  des  défenses  de  couper  des  bois  sans  l'au- 
torisation du  prévôt,  etc....  en  un  mot,  toute  l'activité  de  ces  assem- 
blées plutôt  administratives  que  judiciaires  se  restreint  exclusivement 
aux  questions  que  devait  nécessairement  faire  nattre  une  jouissance 
exercée  par  une  pluralité  sur  un  fonds  appartenant  à  un  même  mattre. 
Résumons  donc  (il  en  est  temps)  ce  qui  nous  semble  ressortir  avec 
évidence  des  documents  mêmes  sur  lesquels  M.  Hanauer  fonde  ce  qui 
constitue  son  système  personnel ,  la  vnde  nouveauté  de  sa  théorie. 
Dans  aucune  des  pièces  que  nous  venons  d'analyser,  on  n'oublie 
de  déclarer  que  la  terre  colongère  est  la  propriété  de  tel  ou  tel 
maftre ,  ce  qui  exclut  déjà  la  singulière  supposition  que  pour  chaque 
tenure  le  bail  se  serait  formé  par  la  volonté  des  locataires  et  non  par 
celle  des  propriétaires.  Cette  idée  d'une  charte  non  octroyée  est  véri- 
tablement d'une  originalité  extrême  lors  qu'en  définitive  au  fonds  il 
s'agit  d'un  bail  ou  d'une  location  :  dans  tous  les  temps ,  dans  tous 
les  lieux ,  le  bail  est  l'œuvre  du  propriétaire  ;  c'est  lui  qui  Yoctroye; 
et  la  reconnaissance  seule  du  titre  précaire  de  preneur  est  l'affir- 
mation la  plus  virtuelle,  la  plus  énergique  du  droit  de  propriété 
compétant  au  seigneur  ou  au  maître  de  la  terre.  —  Partout  la  co- 
longe  a  conservé  cette  forme  substantielle  d'une  location  constituée  au 
profit  de  plusieurs.  —  Partout  la  condition  des  Bueber  est  subalterne , 
dans  le  sens  du  rapport  du  preneur  avec  le  propriétaire.  La  colonge 
ne  formait  donc  un  être  collectif  qu'au  point  de  vue  du  titre  commun 
ei  uniforme  sur  lequel  se  basaient  la  division  des  tenures  et  leur  consis- 
tance invariable  —  Elle  formait  si  peu  une  imtitution  politique  qu'elle 
pouvait  exister  même  dans  la  seigneurie,  c'est-à-dire  dans  la  souve- 
raineté d'autrui  >.  Ce  n'était  qu'une  institution  patrimoniale,  une  forme 
particulière  de  la  location  perpétuelle,  qui  relevait  directement  du  maître 

*  Rebm  ,  de  Cur.  Dominie.  ap.  Schilter.  p.  iup.  —  Schwdt  ,  Bistatre  du 
Chapitre  de  Saênî-Tlumuu ,  p.  66,  et  les  pièces  qu'il  cite.  —  Spach  ,  Bulletin 
de  la  Soeiétéi  du  monuments  historiques ,  iv,  p.  173. 


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36  REVUE  D' ALSACE. 

en  tant  que  propriétaire  foncier  de  la  terre  {Mamurnariui)  et  en  outre 
en  tant  que  seigneur  de  ses  Hôrigev,  —  L'organisation  des  Dings  au  sein 
de  ces  agglomérations  ne  sort  pas  des  conditions  normales  sous  les- 
quelles l'histoire  a  toujours  reconnu  la  juridiction  domeitique  des 
Germains,  le  droit  patrimonial  des  justices  privées  auquel  il  est  fait 
directement  allusion  dans  la  plupart  des  Leges  Barbarorum,  et  encore 
dans  les  capitulaires  V  <  Ce  droit  de  juridiction ,  ajoute  avec  raison  un 
«  de  nos  meilleurs  historiens ,  était  tellement  inhérent  au  droit  de 
<i  propriété  que  chaque  propriétaire  pouvait  toujours  suspendre  les 
«  inimitiés  particulières  ^...  en  proclamant  son  ban,  c'est-à-dire  en 
«  étendant  sa  paix  sur  tous  ceux  qui  se  trouvaient  par  occasion  dans 
<  les  limites  de  son  autorité  seigneuriale.  »  Je  rappellerai  seulement 
encore  ici  que  la  Paix  {Frieden)  était  le  but  auquel,  pendant  toute  la 
durée  du  moyen-âge ,  tendaient  toutes  les  institutions  générales  ou  lo- 
cales ^ ,  et  ce  besoin  justifie  et  explique  le  rôle  de  toutes  ces  juri- 
dictions contentieuses ,  arbitrales  ^  ou  de  simple  conciliation ,  qui  se 
développent  sous  les  formes  les  plus  variées  pendant  cette  période. 
Mais,  à  côté  de  ce  fait,  n'en  subsistait  pas  moins  la  distinction  des 
classes ,  ce  trait  capital  qui  se  mainlient  jusqu'à  l'aurore  des  temps 
modernes  :  le  nori'Ubre  est  resté  appartenanl  (Hôrige)  comme  il  l'était 
déjà  du  temps  de  Tacite.  Il  ne  changeait  pas  de  condition  lors  même 
que  son  maître  relevait  au  rang  de  ministérial  (miniêttriatii)  K  Ces  pré- 
tendues souverainetés  villageoises ,  fondées  sur  de  prétendues  chartes 


*  Car.  Magn.  Cap.  Langob.  an,  803.  —  Garol.  Calv.  Ediet.  Dist.  an.  864.  8. 

—  Lud.  Imp,  Cap.  ad  Theod,  VUlam.  q.  821. 

*  Sur  les  bans  domestiques  Y.  Lehuërou  ,  Hist.  des  Institut,  carolingiennes , 
I ,  p.  232. 

'  Vrideliches  Leben  hat  unser  Berre  gar  liep,  tcan  er  cham  selber  vom  Him" 
melreirh  auf  Ertrich  durch  anders  nit ,  wan  durch  den  Rechten  Vride,  — 
Srhwabenspiegel.  —  Philipps  ,  p.  53,  —  Z^cppl,  n,  p.  2-16.  —  Walter  ,  p.  iH. 

—  Gengler  ,  p.  359.  —  Daniels  ,  i  ,  313. 

*  Ce  mot  HOrigen  (c'est  un  point  sur  lequel  il  y  unanimité)  avait  pour  syno- 
nymes une  multitude  de  dénominations ,  entre  autres  ,  pour  rester  dans  notre 
sujet ,  celles  de  Mamianarii  ,  Lati,  Lassen^  Laten,  Erblaten ,  Hofleute ,  Hof- 
hifrigeleute ,  Hausgenossen  ,  Bobs  und  Klobsleute ,  Bueber ,  Gotteshausleute , 
Bomines  Eccltsiastici ,  t-lc.  Walter,  I ,  p.  53. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COUUS  GOLONGËRES  D*ALSACE.      37 

cortttUutionnellei  >,  nous  paraissent  donc  des  conceptions  arbitraires  qui 
peuvent  tout  au  plus  plaire  à  Timagination ,  mais  qui  ne  sauraient  se 
faire  accepter  par  la  science.  —  Il  n'y  manquait  que  le  couronnement. 
Nous  avons  eu  des  généalogistes  qui  se  sont  mis  l'esprit  à  la  torture 
pour  faire  entrer  quelques  gouttes  du  sang  d'Etichon  dans  les  veines 
des  fannilles  de  Bourbon  et  de  Habsbourg.  Afin  qu'aucune  célébrité  ne 
fit  défaut  à  notre  Alsace ,  il  fallait  encore  donner  aux  Etats  moderves 
pour  souche  commune ,  nos  modestes  court  colongères  I  La  filiation  ne 
s'entrevoit  pas  clairement ,  et  je  craindrais  d'embarrasser  notre  auteur 
si  je  le  pressais  de  nommer  un  des  Etats  modernei  qui  serait  sorti 
de  Tune  ou  de  l'autre  de  nos  cours  rustiques.  Mais  il  ne  faut  pas  trop 
insister  sur  une  exagération  qui  n'est  qu'une  preuve  de  plus  du 
danger  de  l'esprit  de  système.  M.  Hanauer,  en  persistant  à  faire 
de  la  colonge  alsacienne  une  espèce  de  République  villageoise  ^  où 
le  paysan  se  serait  trouvé  en  quelque  sorte  l'égal  du  maître  ,  nous 
semble  avoir  méconnu  les  faits  les  plus  certains.  Ce  qui  frappe 
au  contraire  dans  cette  institution  rurale,  c'est  le  contraste  visible 
de  la  supériorité  du  propriétaire  et  de  la  subalternilé  des  Hueher. 
Aussi  le  savant  professeur  Zaepfl  ,  loin  d*y  découvrir  la  moindre 
trace  de  cette  souvemincté  populaire,  imaginée  par  notre  auteur, 
considère- t-il ,  au  contraire,  l'organisation  colongère  comme  le  point 
rie  départ  de  la  seigneurie  territoriale  et  comme  le  berceau  du  régime 
féodal  ^.  Tout  concourt  à  démontrer  la  justesse  de  ce  point  de  vue  :  la 
patrimonialité  de  la  justice ,  l'institution  de  Tadvocatie ,  et  jusqu'à 
cette  immunité  dont  (nous  avons  le  regret  de  le  dire)  notre  auteur  n'a 
pas  saisi  exactement  le  sens.  Le  Dinglwff,  et  en  général  le  bien 
talique,  constituait  une  unité  territoriale  :  comme  telle  il  jouissait 
de  cette  espèce  d'impénétrabilité  qui  était  l'attribut  de  toute  pro- 
priété libre.  Le  libre  seul  (Freye)  pouvait  posséder  la  terre  /i6re  3;  et 
il  trouvait  aussi ,  dans  son  droit  de  propriété ,  le  titre  et  la  base  de 
son  droit  de  juridiction.  Delà  la  première  immunité,  le  bannus  aUodii, 
qui  traçait  autour  de  la  terre  libre  un  cercle  infranchissable  pour  toute 
juridiction  extérieure,  souvent  même  pour  celle  du  comte  ;  de  là  aussi 

'  Paysans ,  p.  3. 

*  Die  Dinghâfe  als  Atugangspunkt  der  Landesherrlichkeit  und  die  Wiege  des 
deuisckm  Berrenstandes. 

■  Waitz  ,  Deutsch.  Verfassungsgeschichte ,  i ,  p   173. 


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38  REVUE  D* ALSACE. 

cette  immunité  secondaire  qui  procurait  un  asile  au  délinquant  fugitif. 
Ce  droit  d'asile ,  au  sujet  duquel  M.  Hanauer  a  jugé  ii  propos  de  dé- 
cocher quelques  traits  d'une  philanthropie  équivoque  contre  les 
traités  d'extradition  ,  poursuivis  par  les  hommes  de  progrès  > ,  ce 
droit  d'asile,  disons-nous,  n'était  pas  un  effet  de  l'esprit  de  miséricorde 
des  hommes  du  moyen-âge.  Il  était  le  résultai  logique  de  deux  prin- 
cipes :  le  crime  appartenait  à  la  juridiction  du  territoire  où  il  avait  été 
commis  ;  il  n'était  considéré  que  comme  une  infraction  à  la  paix  lo- 
cale ,  et  il  n'ouvrait  droit  à  la  Fehde ,  c'est-à-dire  à  la  poursuite  qu'au 
lésé  ou  à  sa  famille.  D'un  autre  côté ,  le  domaine  dans  lequel  le  délin- 
quant s'était  réfugié,  était  clos  à  cette  poursuite  ;  de  là  la  Freyung ,  la 
franchise  ;  le  maître  du  lieu  du  refuge  dont  la  paix  n'avait  pas  été  en- 
freinte ,  n'ayant  aucun  droit  ni  aucun  intérêt  à  participer  à  la  Fehde 
encourue  ailleurs  '.  Cette  immunité,  sur  laquelle  nous  n'avons  pas  à 
nous  étendre  davantage ,  achève  d'accentuer  la  condition  de  la  terre 
colongère  et  conGrme  tout  ce  que  nous  avons  dit  sur  les  préroga- 
tives de  la  propriété  libre  et  patrimoniale:  cette  franchise  est  en 
effet  attachée  à  la  terre ,  et  ne  forme  sous  aucun  rapport  un  privilège 
de  la  population  de  Uueber,  que  le  maître  a  pu  y  établir.  Cette  immu- 
nité n'est  donc  qu'un  attribut  de  la  souveraineté  du  mattre  (dominus) 
et  nullement  une  liberté  ou  une  franchise  attachée  aux  manses.  Ici 
encore  toutes  les  recherches  de  M.  Hanauer  n'ont  abouti  qu'à  lui  faire 
prendre  le  change  entre  le  seigneur  et  ses  sujets. 

Terminons  cette  longue  analyse  des  rotules,  en  fixant  les  traits  fon- 
damentaux sous  lesquels  s'est  toujours,  et  dès  les  temps  les  plus 
reculés ,  manifestée  la'  colonge.  —  Le  fonds  tout  entier  est  la  propriété 
d'un  maître  et  seigneur  :  il  a  le  plein  domaine  ;  il  a  la  souveraineté  ; 
il  a  la  juridiction  ;  il  a  la*contrainte  {Zwing.  Jus  disiringendi).  Il  est 
libre  (freye),  sa  terre  est  libre,  franche  de  tribut  et  de  cens  ^.  Il  divise 
sa  terre  en  parts  exploitables ,  en  Hueb  ou  mansus  d'un  nombre  va- 
riable. Chaque  Hueb  est  censitique^  et  de  plus  le  Bueber  est  sujet  à  la 


*  Paysans,  p.  64. 

*  Il  y  aurait  ici  encore  bien  des  consi'Jérations  à  relever  ,  entre  autres  sur  le 
système  pénal  des  anciens  Allemands  ;  mais  cela  nous  entraînerait  trop  loin  du 
sujet  spécial  de  notre  étude. 

*  Montesquieu  ,  Esprit  d$s  lois ,  xxx»  i5.  Que  ce  qu'on  appelait  eensus  ne  se 
levait  que  sur  les  serfs  et  non  pas  sur  les  hommes  libres  —  Waitz,  q.  luji.  177. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÈRES  D* ALSACE.      30 

corrée  et  au  mortuaire,  par  conséquent  non  libre  (Hônga).  LsiBuebon 
la  manse  reste  si  bien  partie  intégrante  du  domaine  que  la  commise  ou 
le  retrait  Ty  font  rentrer,  affranchie  du  lien  centitique  et  usufructaire. — 
Le  caractère  exclusivement  rural  de  cette  institution  se  manifeste  par 
la  désignation  minutieuse  des  fonctions  dévolues  aux  ministmaleB  ;  un 
ViUicu»  (Meyer)^  préposé  à  la  surveillance,  un  Siadeler,  chaîné  tantôt 
de  la  direction  des  écuries ,  tantôt  de  la  distribution  des  eaux  sur  les 
prairies  réservées  au  seigneur,  etc.  Dans  celte  colonie ,  la  chaire  de 
Tentretien  des  animaux  reproducteurs  incombe  également  au  seigneur. 
Les  rotules  spécifient  avec  une  exactitude  parcimonieuse  qui  donne 
à  elle  seule  la  mesure  de  Topulence  relative  de  ces  établissements ,  la 
consistance  du  repas  que  le  ViUicui  doit  offrir  aux  colongers  le  jour 
où  ils  viennent  s'acquitter  de  leurs  cens  et  canons ,  le  nombre  de 
visites,  avec  droit  de  gite  et  d'hébergé  permises  à  l'avoué ,  la  spécifi- 
cation du  nombre  de  chevaux  >  que  ce  chef  de  la  force  armée  peut 
amener  avec  lui,  et  jusqu'au  détail  des  setiers  d'avoine  qui  devront 
être  fournis  à  chaque  chevauchée ,  tantôt  dans  les  écuries  du  seigneur 
tantôt  dans  celle  des  colongers.  En  dehors  des  terres  vouées  à  la  cul- 
ture, une  portion  du  territoire,  pâturage  ou  bois,  reste  ouverte  à  l'usage 
commun  des  habitants  de  la  colonge  {Àllmend)  ;  mais  cette  portion 
n'est  pas  pour  cela  exclue  de  la  loi  générale  du  territoire  qui  appartient 
en  toute  propriété  au  maître  et  seigneur.  —  Tous  ces  faits ,  qu'on 


*  A  propos  de  ces  cbevaux ,  M.  Haoaaer  nous  donne  an  petit  exemple  ,  trop 
égayant  pour  ne  pas  le  recueillir  en  passant ,  du  vif  besoin  qn*!!  éprouve  de  se 
mettre  en  contradiction  avec  ceux  de  ses  rares  devanciers  qu*il  a  jugé  à  propos  de 
connaître.  Dans  plusieurs  rotules,  il  esi  question  de  Balbrosse,  (Rotule  d*EI>ers- 
tieim  et  Gresswiller).  M.  ZsepD  ,  d*accord  avec  Schcrtz ,  traduit  ce  mot  par  equus 
coMfraiuêf  un  ehêval  hongre,  en  opposition  avec  le  Bengst  (Ventier).  Notre 
docte  abbé  veut  au  contraire  que  le  Halbross  ne  soit  qa^ane  mule ,  et  il  consacre 
une  petite  dissertation  en  trois  points  (Cùmt,  p.  300,  note)  k  discuter  ce  détail  de 
philologie  vétérinaire.  Nous  nous  permettrons  seulement  de  faire  remarquer  qu*^ 
si  Ton  conçoit  à  la  rigueur  que  Tabbesse  d'Erstcin  se  soit  servie  de  mules  pour 
foire  son  entrée  annuelle  sans  sa  cour  de  Gressweiler ,  il  est  diflScile  de  supposer 
que  le  sire  de  Ratbtambausen,  accompagné  de  ses  retires,  so  soit  contenté  d'une 
monture  ausbi  monasiique,  lorsqu*il  venait  à  Escbau  exercer  ses  fonctions  de  haut- 
avoué.  M.  Zsepfl  d*aillcurs  (p.  \45)  fait  remarquer  avec  raison  qu*il  ne  fuul  pas 
attacher  an  sens  trop  rigoareax  à  ce  terme  de  Halbroes^  qui  a  élé  employé  par-ci 
par-là ,  on  peu  au  hasard. 


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40  RETUE  D'ALSACE. 

trouve  répétés ,  avec  plus  ou  moins  de  prolixité  ,  dans  tous  les  rotules 
précédemment  connus^  ainsi  que  dans  ceux  que  M.  Hanauer  s'est 
donné  la  peine  de  colliger ,  ne  laissent  aucun  doute  sur  la 
constitution  du  Dlnghof,  qui  n'était  autre  chose  qu'une  colonie 
agricole  dont  le  fonds  appartenait  à  un  maître ,  lequel  puisait 
dans  son  droit  de  propriété  un  droit  de  souveraineté  sur  le  terri- 
toire et  sur  les  personnes  qui  l'exploitaient ,  droit  de  souveraineté  qui 
deviendra ,  plus  tard ,  la  seigneurie  proprement  dite  telle  que  l'a  con- 
stituée la  féodalité.  —  L*utopie  qui  consiste  à  déplacer  celte  souve- 
raineté ,  à  la  faire  descendre  de  la  tète  du  mansurnarms  sur  celles  de 
ses  colons  ;  pour  ériger  ceux-ci  en  une  véritable  république  autonome^ 
nous  semble  en  contradiction  manifeste  avec  les  documents  mêmes 
qui  l'ont  si  gratuitement  inspirée. 

I.  Chauffour. 
{La  fin  à  la  prochaine  livraison). 


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MÉMOIRE 


SUR  L'ALIÉNATION  ET  LE  DÉFRICHEMENT  DE  LA  FORÊT 

ET  SUR  LES  IRRIGATIONS 

DU  TERRITOIRE  DE  L4  HARTH. 


L'opinion  publique  s*est  vivement  émue  de  la  présentation ,  pendant 
la  dernière  session ,  d*un  projet  de  loi  demandant  l'aliénation  des 
forêts  domaniales  pour  subvenir  aux  dépenses  de  travaux  publics  extraor- 
dinaires. De  nombreuses  manifestations  contraires  se  sont  produites 
soit  de  la  part  de  corps,  constitués ,  soit  de  la  part  de  simples  citoyens , 
par  voie  de  pétitions.  Au  Corps  lé|^slatif  même,  nul  projet  de  loi , 
depuis  quinze  ans ,  n'avait  été  aussi  mal  accueilli.  Il  n'est  point  arrivé 
à  l'état  de  rapport. 

Dans  le  département  du  Haut-Rhin  les  deux  forêts  domaniales  ,  le 
Kastenwald  et  la  Harlh ,  les  seuks  forêts  domamales  existantes  encore 
en  plaine,  étaient  comprises  parmi  celles  à  vendre  dans  un  avenir  plus 
ou  moins  prochain 

En  ce  qui  concerne  la  forêt  de  la  Harth ,  la  question  se  compliquait 
d'une  demande  antérieure  de  concession  de  deux  mille  hectares  de 
forêt  à  convertir  en  prairies  irrigables  par  les  eaux  du  Rhin. 

La  vente  et  le  défrichement  de  la  forêt  de  la  Harth  se  présentaient 
ainsi  comme  une  mesure  favorable  à  l'agriculture  du  pays.  —  Pour 
ceux  qui  ^  au  contraire  ,  considèrent  le  défrichement  de  la  forêt  comme 
un  malheur  public ,  et  la  création  de  prairies  irrigables  comme  possible 
xans  concession  de  forêi  de  VEtat ,  pour  ceux-ci ,  disons-nous ,  le 
danger  est  d'autant  plus  difficile  à  conjurer  que  la  mesure  en  question 
est  proposée  et  défendue  par  des  hommes  éminents  par  leur  position. 


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M  REVUE  D'ALSACE. 

Aussi  grâce  à  ce  haut  patronage  et  à  d'autres  circonstances  qu'il  est 
inutile  de  dire  ici ,  le  projet  de  vente  peut  être  repris  et  dès  lors ,  pour 
toue  les  hommes  compétents ,  c'est  faire  acte  de  bon  citoyen  que  de 
combattre  cette  mesure  désastreuse.  Si  nous  osons  descendre  dans 
l'arène,  à  la  suite  de  tant  de  notabilités  de  la  science  et  de  la  publi- 
cité, ce  n'est  assurémrat  pas  que  nous  ayons  la  moindre  prétention 
d'apporter  de  nouvelles  lumières  dans  la  discussion  générale,  mais  c'est 
parce  que  nous  avons  des  notions  particulières  sur  l'état  de  la  Harth , 
sur  les  besoins  des  communes  et  sur  les  irrigations. 

La  question  pendante  peut  être  envisagée  sous  différents  points  de 
vue:  i^  au  point  de  vue  historique.  Situation  et  étendue  des  bois. 
Droits  et  jouissances  du  peuple  ;  ^  au  point  de  vue  économique  et 
climatologique :  ressources  et  avantages  pour  le  pays;  défense  du 
territoire  ;  revenus  ;  influences  bienfaisantes  des  forêts  ;  3°  au  point  de 
vue  agricole.  Nature  du  sol  ;  revenu  comparé  ;  culture  actuelle  et 
future ,  déboisement  et  reboisement  ;  production  et  consommation  ; 
irrigation. 

Le  mot  teutonique  Haardt  désigne  une  forêt.  Il  s'applique  ou  s'ajoute 
à  une  contrée  boisée  ou  à  une  localité  qui  l'était  autrefois.  Ainsi  nous 
trouvons  les  dénominations  de  Haardt ,  Speshart ,  Reinhart ,  Heiterer- 
hart,  Rueschen-hart  et  puis  encore  Reichenweyer-hart^  Hunaweyer- 
hart,  Golmarer-hart  >. 

La  Harth  de  l'Alsace  occupait  une  étendue  de  22  lieues  entre  Bàle  et 
iVarkoUheim  (ingens  silvarum  traetaêj  '.  Le  Rhin  formait  comme  un 
magnifique  Waldstrom  entre  les  forêts  des  Vosges  et  celle  de  l'Oden- 
wald.  La  voie  romaine  depuis  Augusta  rauracorum ,  Gambes,  Brissia- 
cum ,  Argentoratum  et  au-delà ,  passait  entre  deux  grandes  forêts , 
d*un  cAté  la  Haardt ,  de  l'autre  les  îles  du  Rhin  couvertes  de  chênes , 
d*aunes ,  de  frênes ,  d'ormes  et  de  charmes  ^.  Malgré  de  vastes  défri- 


«SCHOBPFLiN.  AUat,  illuiL  T.  I,  m ,  p.  8.  —  Billing,  Geschiehle  und  Be- 
tehreikung  des  Elsasses ,  etc.  Basel ,  1783. 

*  L'abbesae  (d'Erslein)  a  un  bois  appelé  Hardt  dans  le  ban  de  Kuenheim  (village 
entre  Brisach  et  Markolsheim)  et  les  Forster  Hûrst,  et  parce  que  les  gens  du  ban  et 
les  colongers  jouissenr  des  pâturages  et  des  bois ,  tous  ceux  qui  ont  des  botes  de 
trait  doivent  trois  labours  par  an  sur  la  terre  Salique...  (Les  paysans  de  V Alsace 
au  moyen-âge  ,  par  M.  l'abbé  Hanaocr  1865.) 

'  A.  Maurt.  Les  foréls  de  la  France,  1856. 


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MÉMOIRE  SUR  L*ALIÉ1IATI0N  KT  LI  DÉFRICHEMENT  ,  ETC.  43 

chements  successifs  depuis  les  guerres  de  Jules  César,  les  bois  ombra- 
geaient encore  d'immenses  terrains  dans  les  plaines  d'Alsace.  Au 
oniième  siècle  la  forêt  de  la  Hart  couvrait  tout  le  territoire  situé  entre 
le  Rhin  et  TUl,  sur  8  lieues  de  long  et  2  lieues  de  large»  depuis  Bêle 
jusqu'à  Blodelsheim  et  Ruocheim  (Rueschen-hart  ou  un  village  détruit  ?) 
c  Oclo  ieucoê  in  langum ,_  duos  in  lalum  et  qîùdem  EUum  inter  Rhenum 
que  ie  extendiu  »  L'an  1004,  Henri  II  fit  donation  à  TEglise  de  BAle  de 
ce  f  SaUus  in  àUatàa  >  allant  c  de  BasHea  cwitaie  deonum  venum  « 
secum  Bhenum,,.  tenu»  flumen  UyUa  (lil)  usquè  Ruocheim ,  et  de 
Ruocheim  usquè  ad  Rubenlewa  (Hotbleible?)  La  donation  de  cette  forêt 

•  rilvam  Sundgowiœ  Haardi  t  se  fit  avec  le  eomentem^nt  de  tout  le 
peuple  de  ce  domaine  foresté  qui  jusqu'à  présent  en  a  l'usage ,  c  oJKti- 
liente  omni  populo  ejusdem  saltus  hactenus  usum  habente,  i  Le  peuple 
donna  son  consentement  à  la  transmission  de  propriété ,  il  ne  renonça 
point  à  ses  droits. 

Dans  l'origine  la  terre  abandonnée  i  elle-même  se  couvrit  de  bois; 
il  n'en  fut  distrait  que  les  terrains  nécessaires  à  la  culture.  L'idée  de 
propriété  se  basa  sur  la  mise  en  culture ,  en  d'autres  termes  se  confondit 
avec  la  jouissance.  Les  forêts  furent  toutes  bien  communal ,  propriété 
commune  t.  Dans  le  cours  des  siècles  les  communaux  perdirent  ce 
caractère  primitif,  il  devinrent  propriété  seigneuriale;  les  communautés 
n'en  eurent  que  la  jouissance  qui ,  pour  elles,  équivalait  presque  à  la 
propriété  et  qui  leur  était  concédée,  tantôt  i  titre  gratuit,  tantôt 
moyennant  une  légère  redevance.  Dans  mainte  localité  cependant  les 
restrictions  s'aggravèrent ,  les  redevances  de  toute  espèce  se  multi- 
plièrent et  s'alourdirent  y  l'oppression  devint  générale.  Les  accapa- 
rements des  droits  et  jouissances  dans  les  bois  furent  une  des  causes 
des  révoltes  des  paysans  qui  désolèrent  nos  provinces  au  xvi«  siècle  *. 
Le  renchérissement  du  bois  est  un  des  motifs  de  l'émigration  allemande 
vers  l'Amérique. 

*  Die  NMianal'^Economie, ,  mn  /.  Graff  von  Soden,  Leipiig. 

*  Dans  leur  manifeste  (15S5)  on  lit  entr'autres  :  «  Nous  avons  des  griefs  au  suget 
«  des  bois ,  car  nos  Seugneureries  ont  usurpé  les  forêts  pour  elles  seules ,  et 

•  quand  le  pauvre  homme  a  besoin  de  quelque  chose ,  il  est  forcé  de  Tacheter  pour 

•  deux  pièces  d'argent  (umb  ftwey  gelt)*  Notre  opinion  est  que  tous  les  bois  qui 

•  sont  «entré  les  mains  d'ecclésiastiques  ou  de  laïcs  ,  et  qui  n'ont  pas  été  acquis 
<  par  achat ,  doivent  retourner  i  toute  la  communanté.  Wider  an  heim  faUen,  > 
M.  Haradex  ,  loc.  dt. 


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U  REVUE  D'ALSACE. 

Quant  à  la  forêt  de  la  Harth,  les  communautés  usagères  y  jouissaient 
des  droits  de  pâturage ,  de  glandée  ,  de  marnage  (de  prendre  les  bois 
pour  construction  des  habitations)  de  mort-bois  et  de  bois  mort.  Des 
cantonnements  étaient  même  établis  pour  la  livraison  des  bois  d'échalas 
des  vignes.  Tous  ces  droits  furent  maintenus  sous  les  empereurs  d'Alle- 
magne, comme  sous  les  archiducs  d'Autriche  (Habsbourg,  seigneurie 
de  Landser)«  La  conquête  de  TAIsace  la  fit  passer  dans  le  domaine 
royal  de  France.  L'établissement  de  la  maîtrise  d'Ensisheim  et  l'or- 
donnance de  1669  furent  destinés  à  en  régulariser  la  propriété  ^  mais 
en  même  temps  à  supprimer  la  plupart  des  droits  usagers.  Une  or- 
donnance subséquente  du  14  septembre  1728  confirma  le  droit  de 
pâturage,  elle  fut  rendue  en  suite  des  instances  des  communautés  qui 
représentèrent  â  Sa  Majesté  que  c  sans  ces  droits  et  ces  concessions 
«  elles  ne  se  seraient  point  établies  aux  rives  de  cette  forêt  ;  que  sans  ces 
c  concessions  elles  cesseraient  de  subsister ,  n'ayant  aucun  bois  en 
c  propriété.  » 

D'un  autre  coté  les  limites  de  la  forêt  reculaient  peu  à  peu.  Moyennant 
une  légère  redevance  les  habitants  obtenaient  des  seigneurs  la  permission 
de  défricher.  La  forêt  fut  attaquée  de  tout  coté.  La  jouissance  des  terres 
ainsi  acquises  sur  le  territoire  forestier  fut  le  plus  souvent  convertie  en 
droit  de  propriété  par  les  transmissions  successives. 

Néanmoins  l'inspection  de  la  carte  de  Spœckiin  de  1576  montre  qu'à 
cette  époque  il  y  avait  encore  une  grande  étendue  de  forêts  sur  le  terri- 
toire du  Sundgau  On  y  aperçoit  aussi  un  grand  nombre  de  cours  d'eau , 
entr'autres  les  sept  ruisseaux  qui  sortant  des  collines  à  l'Ouest,  venaient 
se  jeter  et  se  perdre  dans  la  Harth.  «  Seplem  rivuli  anonymi  versus 
ortttm  decurrentes ,  ad  silvam  hanc  decurrunt,  et  in  eâdem  se  perdunt  ^  i 
Aujourd'hui  ces  sept  ruisseaux  sont  presque  toujours  à  sec,  mais 
aussi  les  bois  qui  alimentaient  leurs  sources  ont  disparu. 

Enfin  les  empiétements  vis-à-vis  la  forêt  domaniale  devinrent  si 
grands  que  pour  y  mettre  un  terme,  le  roi  (Louis  XV)  en  son  Conseil , 
ordonna  en  1768  c  la  délimitation  de  la  Hart,  contenant  environ  31000 
«  arpents ,  qui  dans  toute  sa  longueur  n'est  éloignée  qu'à  un  quart  de 
f  lieue  du  Rhin ,  qui  est  un  des  plus  précieux  domaines  de  la  Cou- 
t  ronne ,  tant  par  rapport  au  prodnit  annuel  que  relativement  aux 
<c  ressources  qu'elle  seule  peut  fournir,  soit  pour  l'approvisionnement 

*  SCBCEPFLIN  ,  toc.  cit. 


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MÉMOIRE  SUR  L' ALIÉNATION  ET  LE  DÉFRICHEMENT  ,  ETC.  45 

c  de  quantité  de  places  fortes  qui  en  sont  à  portée ,  soit  pour  les 
c  besoins  des  années  en  temps  de  guerre.  > 

Par  cette  délimitation  la  forêt  a  conservé  son  intégrité ,  du  moins 
jusqu'à  ces  derniers  temps  (1861).  Mais  sur  le  territoire  situé  au  nord 
de  la  forêt ,  dans  la  plaine  située  entre  la  forêt  et  Neuf-Brisach ,  appelée 
également  la  Hart y  la  Hart aride^  {nufdtr  Huri^  die  dûrre  Uari)  les  défri- 
chements ont  continué  d'une  manière  déplorable.  Des  pai'ticuliers  et 
des  communes  ont  fait  disparaitre  leurs  bois.  L'Etat  lui-même  a  vendu 
avec  faculté  de  dèfricliery  de  1831  à  1864 ,  ddiûs  celte  plaine  de  la  Hart , 
les  bois  suivants  : 

lo  La  forêt  de  pins  de  Fessenheim,  contenance  de  118  hect.  25  ares. 

â^"  Le  Niderwald  à  Rueschenhart 107  % 

:^«  La  Hart  de  Heiteren 332  ji 

i""  Enfin  en  1861 ,  au  coté  opposé  ,  Sud  de  la  forêt 
les  l'«  et  2«o  séries  de  la  Hart 391  75 


Ensemble  .   .   .  839  hectares. 

Aujourd'hui  la    contenance   de  la  forêt  de  la  Hart  est   réduite 

à  14164  hectares ,  savoir  pour  le  cantonnement  de  Habsheim  6006  hect. 

pour  le  cantonnement  de  Mulhouse  8158  hect. 

Ensemble  .   .   .  14164  hect. 


La  forêt  de  la  Harth  constitue  un  grand  massif,  d'un  seul  tenant; 
elle  a  une  longueur  d'environ  32  kilomètres  et  une  largeur  qui  varie 
de  2  à  12  kilomètres.  Elle  est  traversée  à  peu  près  dans  la  moitié  de  sa 
longueur  par  le  canal  du  Rhône-au-Rhin  (branche  d'Huningue)  qui 
après  l'avoir  longée  vers  l'est ,  la  parcourt  dans  sa  partie  occidentale. 
Elle  confine  dans  son  pourtour  aux  banlieues  de  23  communes  dont 
la  partie  avoisinant  la  forêt  porte  le  nom  de  Hartfeld.  Elle  suit  presque 
parallèlement  la  ligne  du  Rhin  dont  elle  n'est  distante  que  de  1  à  4  ki- 
lomètres. Les  essences  dominantes  sont  le  chêne  et  le  charme.  Autrefois 
(dès  1701)  <  les  coupes  et  ventes  ordinaires  y  avaient  été  réglées  à  la 
c  quantité  de  600  arpents  demi-futaie,  de  l'âge  de  52  ans  de  recrû , 
«  pour  chacun  an.  n  Actuellement  l'aménagement  est  de  35  ans  seule- 
ment. Aussi  la  demi-futaie  disparaitra-t-elle  bientôt  pour  faire  place 
au  taillis  pur  à  moins  que  l'administration  ne  modifie  le  mode  d'amé- 
nagement^ et  d'exploitation. .Des  éludes  sont  faites  dans  ce  sens. 


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M  REVUE  11* ALSACE. 

Nonobstant  la  diminution  croissante  du  produit  brut ,  le  revenu  net 
delà  forêt  augmente  continuellement,  par  suite  du  renchérissement  du 
bois.  Chaque  année  l'administration  marque  et  met  en  vente  approxi- 
mativement le  même  nombre  d'hectares.  De»  calculs  succincts  em- 
brassant les  dix  dernières  années,  établissent  un  revenu  moyen  annuel 
de  500,000  fr.  soit  35  fr.  71  c.  par  hectare.  Il  est  de  40  à  41  fr.  pour 
les  5  dernières  années  ,  et  pour  l'exercice  1864  il  est  de  46  fr.  58  c. 
par  hectare.  Voici  les  chiffres  pour  1864 . 

404  hect.  36  a.  ont  été  vendus  aux  prix  principal  de    612,380  f. 

A  ce  prix  principal  il  faut  ajouter  : 

M  VsP*/oetrenregistremenl, 87,372    04 

Î9  pour  les  harts   nécessaires   à   l'exploitation   des 
coupes  « 3,856    78 

3o  Indemnités  pour  réserves  brisées ,  amendes  ,  etc.  .        140    40 

Et  puis  encore  pour  compléter  le  revenu  annuel  : 

4<»  Exploitations  accidentelles  ,   chablis ,   brins   secs 
etbrisés 17,773    44 

5*  Location  de  la  chasse , 18,401 

Ensemble  .  .   .  679,423    66 
Dont  à  déduire: 

1«  pour  la  surveillance  '  .   .  14,494 
2<»  pour  les  cantonniers  .   .   .  5,700 

20,194 20,194 

Reste  net .   .   .  659,729    66 
Ce  qui  pour  14,164  hectares  fait  un  revenu  net  de  46  fr.  58  c.  par 
hectare ,  encaissé  par  l'Etat. 

Mais  à  cela  ne  se  borne  pas  le  produit  de  la  forêt ,  car  à  coté  du 
revenu  encaissé  par  le  domaine ,  il  y  a  divers  rendements  qui  sont  des 
ressources  presque  indispensables  pour  les  communes  limitrophes. 

*  Lef  covpes  sont  vendues  sur  pied.  S'il  est  reconnu  que  les  adjudicataires  ne 
peuvent  trouver  une  quantité  suffisante  de  harts  dans  les  coupes  qui  leur  ont  été 
vendues ,  l'agent  forestier  chef  de  service  peut  les  autoriser  à  en  prendre  dans  le 
restant  des  bois  environnants,  moyennant  un  prix  à  payer  au  domaine  et  fixé  dans 
le  procès-verbal  de  coroptase. 

'  Cet  article  et  le  suivant  forment  le  traitement  et  le  salaire  des  gardes  forestiers 
et  des  gardes  terrassiers  ou  cantonniers. 


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MÉMOIRE  SUR  L'aLIÉNATION  RT  LE  DÉFRICHEMERT  ,  ETC.  47 

Nous  trouvons  en  premier  lieu  le  bois  sec,  les  ëpines  ou  autres 
mort-bois  que  les  habitants  pauvres  vont  chercher  dans  la  forêt.  C'est 
une  tolérance  admise  puisque  rautorité  a  elle* même  fixé  des  jours  de 
bois.  Il  y  en  a  deux  par  semaine ,  conséquemment  404  dans  Tannée 
et  Ton  peut  compter  que  chaque  ménage  pauvre  rapporte  4  charges 
par  }<iur  de  bois^  soit  400  charges  pour  un  ménsge.  C'est  un  avantage 
immense  pour  la  classe  nécessiteuse,  vu  le  haut  prix  du  combustible  *. 
En  usant  de  cette  tolérance ,  qui  lui  est  propre ,  Tadministration  s'est 
assurément  souvenue  des  anciens  droits  des  communautés ,  et  peut-être 
aussi  des  paroles  de  nos  ancêtres ,  les  pétitionnaires  de  1728  qui  avaient 
déclaré  à  Sa  Majesté  que  c  sans  ces  concessions  elles  cesseraient  de 
c  subsister ,  n'ayant  aucun  bois  en  propriété.  »  Quiconque  a  vu  combien 
de  charges  de  bois  sortent  de  la  forêt  par  un  hiver  rigoureux  ou  sus 
époques  de  crise  manufacturière  (même  par  des  habitants  de  la  ville 
de  Mulhouse)  ne  trouvera  nulle  exagération  dans  ces  paroles.  Ajoutons 
aussi  que  parmi  une  vingtaine  de  communes ,  il  en  est  effectivement 
à  peine  2  ou  3  qui  possèdent  des  bois  communaux  d'une  faible  con- 
tenance. Quant  aux  bois  des  lies  du  Rhin ,  ils  sont  employés  au  service 
du  fleuve  *. 

Une  ressource  non  moins  précieuse  est  la  faculté  qui  leur  est  accordée 
d'extraire  de  la  forêt  des  herbes  et  de  la  litière  en  retour  de  certaines 
prestations ,  de  travaux  de  réemplantation ,  de  sarclage ,  etc. ,  etc.  Il 
serait  certainement  ditBcile  d'évaluer  la  qnantité  ou  la  valeur  de  ces 
produits  forestiers ,  mais  la  quantité  de  mousse  et  d'herbes  est  consi- 
dérable ,  l'humidité  de  la  forêt  favorisant  leur  croissance ,  et  elle  vient 
.grandemeut  en  aide  aux  pauvres  gens  pour  nourrir  leur  bétail ,  surtout 
pendant  les  années  de  sécheresse.  L'Etat  lui-même  y  trouve  son  profit, 
puisque  par  ces  travaux  s'efiectue  le  reboisement  des  places  vides  et  en 
effet  les  innombrables  clairières  qui  y  existpient  sont  maintenant  presque 
toutes  couvertes  de  jeunes  plantations. 

Un  troisième  avantage  que  procure  la  forêt  à  la  population  riveraine, 
c'est  le  salaire  ou  le  prix  qu'elle  retire  pour  la  coupe,  le  façonnage  et 
le  transport  des  bois. 

'  Qu'on  veuiUe  bien  se  rappeler  que  l'élévation  du  prix  du  bois  est  une  dea 
causes  de  l'émigration  allemande. 

*  Us  sont  aussi  employés  pour  la  vannerie  et  ne  sont  que  des  taillis  peu 
propres  aux  usages  du  ménage. 


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48  REVUE  d' ALSACE. 

Le  produit  annuel  moyen  des  coupes  de  la  Harth  ,  calculé  sur  une 
dizaine  d*années  peut  élre  évalué  à  8,000  stères  de  bois  de  chauffage , 
à  18,000  stères  de  bois  de  service  et  d'industrie ,  à  1,500,000  fagots 
de  toutes  qualités.  Le  prix  moyen  de  la  coupe  et  façon  est  de  4  fr.  du 
cent  de  fagots  et  de  4  stères  de  bois,  ce  qui  fait  un  total  annuel  de  80,000  fr. 
perçu  chaque  année  par  les  bûcherons.  Le  transport  des  bois  se  fait 
dans  les  villes  de  Mulhouse ,  de  Colmar ,  dans  les  environs ,  dans  le 
vignoble.  En  portant  une  moyenne  de  10  fr.  pour  le  100  de  fagots ,  les 
4  stères  de  bois  à  brûler  ou  d'industrie,  nous  arrivons  à  un  chiffre 
de  200,000  fr.  Voici  donc  du  fait  de  la  forêt  une  recette  annuelle  de 
près  de  300,000  fr.  pour  les  bûcherons  et  les  voituriers  de  la  contrée. 

Dans  le  produit  de  la  forêt  nous  venons  de  poser  12,000  stères  de 
bois  d'industrie  pa  an.  En  effet  la  Harth  ne  fournit  pas  seulement  du 
bois  de  chauffage.  Pour  la  vente  des  coupes ,  l'administration  forestière 
marque  le  nombre  de  chênes  ou  d'arbres  de  futaie  i  abattre  et  en 
évalue  le  cub\  Nous  trouvons,  par  exemple: 

1*  pour  l'exercice  1862  —  4,606  mètres  cubes  ; 

2»  id.  1863  —  3,835  id. 

30  id.  1864  ^  3,535  id. 

Dans  ce  nombre  ne  sont  point  compris  les  jeunes  chênes  et  brins  qui 
s'emploient,  avec  une  partie  des  arbres  chênes,  pour  échalas  des 
vignes.  De  ces  arbres  et  de  ces  brins ,  sortis  de  !a  Harth ,  on  façonne 
bien  annuellement  800,000  échalas  achetés  par  le  vignoble  du  Haut-Rhin. 
L'autre  partie  des  arbres  en  grume ,  ou  des  susdits  mètres  cubes ,  sert 
comme  bois  de  construction,  de  charronage,  de  traverses  de  chemins 
de  fer ,  et  de  merrains  qui  s'expédient  dans  le  midi  de  la  France. 

Sous  ces  différents  rapports,  non  seulement  l'État  perçoit  un  excellent 
revenu  de  la  forêt  de  la  Harth .  mais  toute  la  contrée  en  retire  de 
grands  avantages. 

De  plus ,  elle  est  d'une  importance  majeure  au  point  de  vue  straté- 
gique. 

On  a  vu  plus  haut  combien  sous  Louis  XV  même ,  on  appréciait  la 
Hart,  ce  très-ffécieux  domaine  de  la  Coutonne,  par  rapport  aux 
ressources  qu'elle  seule  peut  fournir.  Le  génie  militaire  actuel  parait 
être  du  même  avis  ;  elle  est  comprise  dans  la  zone  militaire.  Aux  yeux 
des  hommes  compétens ,  le  centre,  le  noyau  de  ce  grand  massif  doit 
donc  être  religieusement  conservé ,  d'abord  pour  servir  de  point  d'appui 


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MÉMOIRE  SUR  L*AL1ÉNATI0N  ET  LE  DÉFRICHEMENT  ,  ETC.  49 

et  de  défense  en  cas  dMovasion ,  ensuite  pour  approvisionner  au  besoin 
les  places  fortes  de  bois  de  chauffage ,  de  bois  de  construction ,  de 
palissades,  fraises ,  chevaux  de  frise,  etc.  etc.  Nous  avons  nnalheureu- 
sement  des  exemples  de  pareils  approvisionnements  à  citer:  En  1813 
et  1815,  des  quantités  considérables  de  bois  des  forêts  de  ^tat  ont  été 
livrées  dans  les  places  de  Huningue  et  de  Neuf-Brisach.  A  une  époque 
plus  rapprochée ,  vers  la  fin  de  la  guerre  d'Italie ,  si  nos  souvenirs 
sont  fidèles ,  il  a  été  question  de  pareille  mesure;  Villafranca  Ta  rendue 
inutile. 

La  forêt  de  la  Harth  tombe  aussi  sous  la  restriction  de  Tarticle  136 
du  Code  forestier.  Sur  plusieurs  points  elle  est  située  à  moins  de  5  kilo- 
mètres des  bords  du  Rhin  .  et  ses  bois  peuvent êtr^  destinés,  requis 
et  employés  pour  le  service  des  travaux  de  ce  fleuve,  Presque  toujours , 
il  est  vrai,  les  bois  des  îles  y  suffisent;  cependant  des  bois  de  fascinage  y 
ont  été  coupés  à  diverses  époques,  notamment  en  1831  et  1852  soit 
par  pénurie  d'autres  bois ,  soit  que  les  parties  boisées  du  côté  du  Rhin 
eussent  été  submergées.  Cette  espèce  de  réserve  dans  la  Harlh  peut  ainsi 
être  précieuse  à  certains  moments. 

Nous  dirons  maintenant  quelques  roots  pour  faire  ressortir  Tinfluence 
des  forêts  sous  le  rapport  du  climat,  du  régime  des  eaux  et  consé- 
quemment  de  la  culture. 

Les  forêts  sont  le  chevelu  ,  le  vêtement  de  la  terre  ^  elles  sont  les 
agents  intermédiaires  entre  la  terre  et  Tatmosphère.  Elles  abritent 
contre  le  froid  et  la  chaleur ,  contre  les  vents  et  la  tempête  ;  elles  donnent 
la  fraîcheur  et  Thumidité ,  elles  augmentent  les  rosées  bienfaisantes,  elles 
fixent  un  sol  mouvant  ;  elles  élèvent  et  assainissent  une  localité  maré- 
cageuse ,  insalubre;  elles  alimentent  les  sources,  régularisent  les  cours 
d'eau;  elles  fertilisent  à  la  longue  un  terrain  maigre,  ingrat,  et  lui 
font  comme  une  provision  lente  de  terre  végétale.  L's  délrichemenis , 
iurlout  quand  ils  tont  pomsés  trop  loin  ,  produisent  des  effets  diamétra- 
lement contraires. 

Il  existe  une  corrélation  entre  les  forêts  et  le  climat.  Sous  la  même 
latitude  ,  et  même  à  égale  altitude,  le  climat  difl'ère  selon  le  plus  ou  le 
moins  d'étendue  des  forêts.  La  Gaule  couverte  aux  deux  tiers  de  forêts 
vierges  avait  des  hivers  longs  et  rudes,  un  ciel  âpre  et  triste.  Dix  années 
de  guerres  sous  Jules  César,  puis  la  civilisation  romaine  venue  à  la 
suite  de  la  conquête  en  firent  disparaître  d'immenses  portions.  Les 

!•  Série.  —  n- Année.  ^ 


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50  REVUE  D*ALSACE. 

débris  des  forêts  avaient  fertilisé  le  sol  ;  le  ciel  était  plus  ioun  et  des 
euUures  diverses  se  répandaient  du  midi  au  nord  et  amenaient  la  pros- 
périté. Cet  état  de  choses  fut  interrompu  par  une  épouvantable  cata- 
strophe^ par  l'invasion  des  barbares  du  nord.  Le  christianisme  parvint 
à  jeter  va^  sorte  de  pont  à  travers  ce  chaos  et  à  lier  les  civilisations 
ancienne  et  moderne. 

Peu-à-peu  les  dévastations  cessèrent ,  les  cultures  se  ranimèrent  et 
le  climat  s'améliora.  Les  corporations  religieuses  alors  se  donnèrent 
la  double  mission ,  noble  et  sainte ,  d'humaniser  les  barbares ,  d'instruire 
la  jeunesse  et  en  même  temps  de  cultiver  les  terres. 

C'est  aux  moines  de  cette  époque  que  l'on  doit  la  restauration  de  l'agri- 
culture. Leurs  travaux  étaient  conduits  avec  intelligence ,  et  assortis  à 
Tétat  du  sol ,  à  la  position  des  lieux ,  à  la  nature  du  climat.  Ici  ils 
desséchaient  des  marais ,  là  ils  défrichaient  des  bois  |  ailleurs  ils 
respectaient  et  entretenaient  même  la  forêt  ;  ils  fertilisaient  des  terrains 
incultes,  dévastés,  méphitiques.  En  un  mot  ils  furent,  principalement 
les  Bénédictins ,  pendant  plusieurs  siècles ,  les  instituteurs  et  les  nour- 
riciers du  genre  humain.  Le  climat  se  ressentit  de  ces  progrès  de  la 
culture  ;  la  vigne ,  l'olivier  s'avancèrent  graduellement  du  midi  au  nord. 
La  vigne  prospéra  en  Picardie ,  en  Normandie ,  jusqu'en  Flandre.  Il 
$'élaH  établi  un  juste  léqvilibre  entre  l'étendue  de»  forêts  et  de»  terres 
cultivée»^  une  harmonique  infiutttce  récipoque  entre  le  climat  el  les 
euUures. 

Cependant  les  croisades  vinrent  dépeupler  les  campagnes  ;  chez  les 
moines  commença  à  régner  un  tout  autre  esprit  ;  des  guerres  intestines 
et  étrangères  continuelles  bouleversèrent  la  France  ;  le  mépris  de  tout 
droit ,  de  toute  justice ,  consomma  sa  ruine  matérielle  et  morale.  Les 
dévastations  des  forêts  allèrent  leur  train  ,  malgré  les  défenses  réitérées 
de  nos  rois.  On  ne  défricha  plus  le  trop  plein  des  forêts  pour  faire  de 
la  culture  intelligente  et  suivie.  On  détruisit  les  bois  pour  en  tirer  de 
bonnes  récoltes  pendant  quelques  années,  pour  les  laisser  ensuite  à  l'état 
inculte  et  passer  à  d'autres  et  ainsi  de  suite.  A  mesure  que  disparurent 
les  bois  t  commencèrent  à  s*éiendre  démesurément  les  terres  vaines  et  les 
landes.  Les  intempéries,  les  tempêtes  se  succédèrent  plus  rapidement; 
le  climat  se  détériora;  la  vigne,  l'olivier  rétrogradèrent  du  nord  au 
midi.  Cette  marche  séculaire  ascendante  et  descendante  de  notre  climat, 
se  produisant  simultanément  avec  la  situation  delà  culture,  la  destruction 


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MËHOniE  SUR  l'aliénation  et  le  DÉFmCHEMENT  ,  ETC.  5i 

des  foréls  et  l'extension  des  terres  vaines,  atteste  leur  connexion  étroite  *. 

Semblable  rapport  existe  entre  les  forêts  et  le  régime  des  eaux  et 
conséqueroment  la  culture  en  général.  Les  récits  des  voyageurs  abondent 
en  preuves  à  cet  égard  Des  contrées  jadis  florissantes ,  des  nations 
prospères  sont  devenues  stériles  et  pauvres ,  parce  qu'on  a  inconsi- 
dérément détruit  leurs  forêts  ;  destruction  qui  a  tari  leurs  sources  et 
leurs  cours  d*eau ,  qui  a  stérilisé  leurs  plaines. 

Ce  que  disait  Thuan  à  VAuemblcc  nationale  est  encore  vrai  aujour- 
d'hui ,  et  nous  ne  pouvons  résister  au  plaisir  d'insérer  une  citation  de 
cette  page  éloquente  qui  résume  admirablement  le  sujet  actuel  :  <  Les 
«  arbres ,  par  leurs  racines  et  leur  cîme ,  établissent  une  circulation 
«  perpétuelle  du  fluide  électrique  de  l'atmosphère  à  la  terre  et  récipro- 
V  quement.  Ils  attirent  les  nuages  et  sont  des  paratonnerres  naturels, 
t  Bagnères ,  Plombières  entourés  de  forêts  avaient  leur  saison  plu- 
«  vieuse  régulière.  On  les  a  coupées  et  maintenant  on  n'y  connaît  plus 
c  que  des  ondées.  L'homme  qui  a  le  pouvoir  de  conduire  la  foudre , 
«  peut  aussi  diriger  la  pluie  ;  qu'il  plante  des  arbres.  Leurs  cimes 
«  sont  pour  la  vapeur  ce  que  la  pointe  métallique  est  pour  la  matière 
«  électrique.  Toutes  deux  rendent  à  la  terre ,  celles-là  l'eau ,  celle-ci 
«  l'électricité.  Si  Ton  n'arrête  pas  bientôt  cette  dévastation  des  forêts , 
4  cette  France  si  fière  de  sa  fertilité  et  de  sa  population  deviendra  un 

<  désert.  Cet  anathème  a  de  quoi  surprendre  ?  Mais  la  Phénicie  et  cent 
c  autres  provinces  de  l'Asie  et  de  l'Afrique ,  jadis  les  greniers  d'abon- 
«  dance  de  i'iLurope  inculte ,  ne  sont-elles  pas  aujourd'hui  de  vastes 
c  déserts  ?  Ces  cent  lieues  carrées  de  sable  brûlant ,  dans  lesquelles 

<  le  voyageur  ne  trouve  pas  uue  goutte  d'eau ,  étaient ,  il  y  a  mille  ans, 
c  arrosées  par  des  ruisseaux  et  des  rivières  fertilisantes.  Ghoisieul- 
c  Goufier  cherchait  en  vain  le  Scamandre  dans  le  dirritoire  de  Troye 
€  Depuis  longtemps  son  lit  se  trouvait  desséché^  mais  aussi  depuis  long. 
«  temps  les  forêts  du  mont  Ida ,  d'où  il  sortait ,  étaient-elles  abattues^ 
«  Ce  n'est  que  l'abondance  des  eaux  et  des  forêts  qui  met  la  Chine  efi 

<  état  de  nourrir  trois  cent  millions  d'habitants.  > 

L  exposition  d'une  contrée  fait  presque  partie  de  son  climat.  On  dii 
d'une  localité  qu'elle  est  exposée  au  nord ,  au  midi ,  etc.  et  selon 
ces  diverses  exposition  il  y  aura  une  différence  de  température ,  de  vents 

*  Voyei  des  changements  dans  le  climat  de  la  France  |>arleD'  FusTEft.  *— 
Paris  1846. 


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5â  REVUE  d' ALSACE. 

régnants ,  de  végétation ,  de  salubrité.  Après  les  montagnes  ce  sont  les 
forêts  qui  conditionnent  les  expositions ,  en  pays  de  montagnes  princi- 
palement, mais  aussi  en  pays  de  plaine.  Pourrait-on  nier,  par  exemple, 
que  la  ville  de  Mulhouse  et  ses  alentours  ne  soient  pas  protégés  par  la 
forêt  de  la  Harth  ,  contre  les  vents  du  Nord-Est  qui  régnent  si  souvent? 
El  quel  bon  abri  ne  donneraient  pas  à  la  plaine  de  la  Hart  et  même 
à  toute  celle  de  la  vallée  du  Rhin  des  zones  de  forêts  placées  de  distance 
en  distance  ?  Et  tout  en  abritant  contre  les  vents  desséchants  ou  gla- 
çants,  les  forêts  répandent  encore  autour  d'elles  la  chaleur  et  l'humi- 
dité y  deux  éléments  de  toute  végétation.  La  forêt  s'oppose  au  trop 
prompt  effritement  de  la  roche  et  du  sol ,  elle  empêche  la  dénudation 
des  pentes  ;  elle  ralentit  le  passage  d  une  température  à  une  autre  et 
la  fonte  des  neiges  ;  elle  favorise  l'infiltration  lente  des  eaux  dans  le  sol 
et  le  rend  plus  perméable  ;  elle  soutire  continuellement  l'humidité  de 
l'atmosphère  et  retarde  l'évaporation  de  celle  de  la  terre.  De  cette 
manière  elle  alimente  les  sources ,  régularise  les  cours  d'ean ,  au- 
gmente le  volume  d'eau  des  rivières  et  devient  un  réservoir  d'humi- 
dité qui  pénètre  peu-à-peu  dans  le  sol ,  même  à  de  grandes  distances 
et  selon  les  pentes,  et  forme  cette  nappe  d'eau  souterraine  qui  alimente 
nos  fontaines  et  nos  puits  et  qui  arrive  même  vaporisée  ou  non  aux 
racines  des  végétaux. 

On  sait  que  la  plante  respire^  mais  que  contrairement  à  l'animal  elle 
absorbe  généralement  l'acide  carbonique  et  exhale  l'oxigène  ;  elle  se 
nourrit  ainsi  par  ses  racines  et  par  ses  feuilles  ou  ses  parties  vertes. 
Par  ces  organes  il  se  fait  un  double  mouvement ,  l'un  d'absorption  et 
d'assimilation  de  matières  fluides  et  aériformes ,  l'autre  d'évaporation 
de  gaz  et  d'eau.  Chacun  de  ces  actes  opère  un  changement  de  tempéra- 
ture ,  celui-là  d'élévation ,  celui-ci  d'abaissement.  Il  est  produit  par  le 
passage  de  l'état  gazeux  ou  fluide  à  l'état  solide  —  carbone  —  et  de 
l'état  solide  ou  fluide  à  l'état  gazeux  ou  de  vapeur.  Par  ce  dernier  la 
plante  est  capable  de  résister  à  sa  chaleur  propre  et  surtout  à  la  cha- 
leur extérieure.  Quand  les  rayons  du  soleil  de  juillet  dardent  à  midi 
sur  une  planche ,  elle  devient  chaude,  brûlante.  Les  feuilles  de  la 
plante  périraient  bientôt  par  une  telle  température.  Hais  elles  restent 
fraîches ,  parce  qu'avec  l'élévation  de  la  température  s'accroît  aussi 
l'acte  d'évaporation  qui  refroidit.  Des  expériences  —  de  Haies 
entr'autres  —  ont  démontré  qu'un  arbre  nain  évapore  en  40  heures 
15  livres  (7  7i  kil  )  d'eau.  L'évaporation  d'eau  sur  une  surface  de  25 


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MÉMOIBE  SUR  l' ALIÉNATION  ET  LE  DÉFRIOREMENT  ,  ETC.  53 

ares ,  n*est  pàs  moindre ,  suivant  des  calculs  approximatifs,  de  2  mil- 
lions de  kiiog.  d*eau  en  12  joui*s  pour  une  plantation  de  houblons ,  et 
de  2  V2  millions  de  kilog.  d'eau  y  pendant  un  été ,  pour  une  plantation 
d'arbres  fruitiers.  L'é-aporalion  de  25  ares  de  forêt,  pendant  120  jours 
d'été,  représente  ou  dépense  une  force  égale  au  travail  de  1460  che- 
vaux durant  le  même  laps  de  temps.  Le  travail  d*évaporation  de  25 
ares  de  futaie ,  pendant  un  an ,  a  été  assimilé  à  celui  obtenu  par  une 
quantité  de  chaleur  capable  de  porter  au  point  d'ébullition  11  millions 
de  kilogrammes  d'eau  glacée  *. 

De  toutes  les  plantes  ,  ce  sont  les  arbres  qui  offrent  le  plus  de  sur- 
face par  leurs  feuilles,  et  il  n'est  pas  surprenant  que,  comme  le  prouve 
d'ailleurs  l'observation  journalière,  elles  attirent,  retiennent  et  répandent 
autour  d'elles  une  masse  énorme  d'eau  et  de  vapeur  qui  forment  une 
des  conditions  premières  de  la  végétation  environnante ,  même  à  une 
grande  distance.  Les  forêts,  comme  en  général  toutes  les  plantes,  sont 
surtout  destinées  à  extraire  le  carbone  de  l'immense  réservoir  de 
l'atmosphère  pour  en  doter  les  générations  présentes  et  futures.  Possé- 
derions-nous la  houille  sans  la  végétation  luxuriante  des  âges  anté- 
rieurs ? 

L'assainissement  des  terrains  marécageux  par  le  reboisement  esl  un 
fait  universellement  reconnu.  Les  effluves  délétères  des  eaux  sta- 
gnantes sont  absorbées  et  échangées  en  air  vital  par  la  végétation.  Les 
bois  en  éloignent  les  fièvres  paludéennes.  Un  grand  nombre  de  faits 
prouve  également  que  dans  les  territoires  secs ,  non  marécageux  ,  la 
présence  des  forêts  influe  sur  la  salubrité  Elles  arrêtent  ou  circon- 
scrivent les  épidémies  ;  les  arbres  semblent  tamiser  l'air  infecté  en  lui 
enlevant  les  miasmes  pestilentiels.  Dans  les  marais  Pontius,  par 
exemple ,  un  bois  interposé  sur  le  passage  d'un  courant  d'air  humide 
chargé  de  ces  miasmes  préserve  tout  ce  qui  est  derrière  lui,  tandis  que 
les  parties  découvertes  demeurent  exposées  aux  maladies.  De  nos 
jours ,  des  établissements  de  santé ,  dits  bains  d'air,  ont  pris  beaucoup 
d*extension  La  Suisse,  ce  pays  fortuné  entre  tous,  en  fourmille.  En 
Alsace,  il  en  a  surgi  deux;  le  Hochwald  et  les  Trois-Epis ;  ce  ne  seront 
pas  les  derniers.  On  y  va  prendre,  non  des  bains  d'eaux  minérales, 
mais  des  bains  d'air.  On  va  y  jouir  d'un  climat  doux,  d'un  sile  magni- 
fique, d'une  position  délicieuse  et  d'un  air  pur.  Eh  bien,  c'est  aux  forêts 

*  NiEeELi.  Dit  Bewegung  im  Pflamenreiche.  1860. 


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54  REVUE  D* ALSACE. 

avoisinantes  que  Ton  est  redevable  de  tout  cela.  Ce  sont  elles  qui 
abritent  contre  Texcès  de  vent  et  de  soleil ,  ce  sont  elles  qui  procurent 
Tair  pur  et  les  émanations  balsamiques. 

Conçoit-on  un  paysage  sans  forêt?  Les  rivières,  les  lacs  ne  veulent- 
ils  pas  être  protégés  par  une  ceinture  de  forêts?  Ne  sont-ce  pas  les 
bois  qui  viennent  interrompre  heureusement  un  océan  de  sable  ou  de 
neige? 

Les  forêts  offrent  un  asile  à  ces  innombrables  hôfes  des  bois  de  tout 
genre ,  de  loute  espèce ,  dont  la  plupart  sont  d'une  utilité  incontestable 
et  qui  tous  ont  leur  raison  d'être. 

Les  forets  enfin  procurent  particulièrement  le  plaisir  et  les  produits 
de  la  masse. 
-     Ce»  nombreuses  influences  bienfaisantes  sont  communes  aux  forêts 
de  montagnes  et  à  celles  de  la  plaine,  quoique  les  premières  les 
possèdent  à  un  plus  haut  degré. 

De  ce  qui  précède  on  peut  certainement  conclure  que  la  forêt  de  la 
Hartb  réunit  tous  les  caractères  que  M.  le  Ministre  reconnait  appartenir 
aux  grands  bois  domaniaux. 

c  Dans  son  exposé  des  motifs  (projet  de  loi  sur  Taliénation  des 
«  forêts)  ,  Son  Excellence  ,  après  avoir  dit  que  les  forêts  domaniales 

<  (en  général,  sans  doute)  n*ont  qu'un  produit  minime,  et  peu  en  rap- 
€  port  avec  leur  valeur  vénale  en  conclut  que  l'Etat  pourrait  trouver  un 
c  bénéfice  considérable  à  les  aliéner.  Mais  Elle  s'empresse  d'ajouter 
€  que  l'Etat  n'est  pas  un  simple  particulier,  et  qu'il  ne  lui  est  pas  per- 
f  mis  de  raisonner  et  d'agir  comme  un  particulier  pourrait  le  faire. 
«  Lui  seul ,  précisément  à  cause  du  temps  (|ue  demande  la  création  de 
«  ces  grands  bois ,  à  cause  des  sacrifices  qu'ils  imposent ,  lui  seul ,  à 
«  part  quelques  rares  exceptions  est  en  mesure  de  les  posséder  et  de 
«  les  maintenir.  >  Son  Excellence  ajoute  encore  :  c  Or,  les  grands  bois 
«  servent  à  l'ornement  du  pays  ,  qui  en  est  fier  ;  à  la  défense  du  terri- 
«  toire,  s'il  était  envahi;  à  la  salubrité  des  populations  par  leurs 
«.  influences  atmosphériques  ;  au  régime  régulier  des  eaux  ,  dont  ilg 

<  tempèrent  la  violence  ;  aux  constructions  civiles  ;  à  celles  si  essen- 
(  tielles  de  la  marine  militaire  ;  enfin  ils  ofl'rent  dans  un  besoin  urgtni 

<  une  ressource  financière  sur  laquelle  l'Etat  peut  compter,  mais  à 
4  laquelle  il  ne  doit  jamais  recourir  dans  les  temps  calmes  et  prospères. 
«  Si  l'Etat  possède  aujourd'hui  1,100,000  hectares  de  bois  diversement 


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MÉMOIRE  SUR  l'ALIÉNATION  ET  LE  DÉFRICHEMENT  ,  ETC.  55 

c  répartis  sar  toute  la  surface  de  la  France ,  dans  ce  chiffre  considé- 
c  rable  se  trovveat,  soit  ces  grandes  maisei  de  f&reu  qui  sont  eonsa- 
«  crées  par  le  temps  et  par  le  respect  des  popalations ,  soit  anssi  les 
c  parties  de  bois  qui  peuvent  être  utiles  à  la  défense  du  territoire.  Il 
€  ne  saurait  être  question  de  les  aliéner,  et  quelle  que  soit  leur  valeur 
«  vénale  comparée  è  leur  produit  annuel ,  elles  sont  respectables  pour 
c  tout  le  monde,  t 

Or,  tout  ceci  se  rapporte  parfaitement  à  la  forêt  de  la  Harth.  Elle 
constitue  une  grande  masse  de  bois ,  consacrée  par  le  temps ,  et  par  le 
respect  des  populations  ^  elle  est  également  utile  à  la  défense  du  terri- 
toire. De  plus,  son  produit  annuel  est  considérable  et  tend  à  s*ac- 
crollre  '. 

L'exposé  des  motifs  s'occupe  ensuite  c  des  petits  bois  qui  détachés 
«  du  reste  de  la  culture  forestière,  d'une  garde  difficile,  d*un  produit  à 
t  peu  près  nul,  quelquefois  même  onéreux,  ne  présentent  aucun  inté- 
1  ret  pour  leur  conservation...  qui  ont  le  tort  d'étouffer  les  populations 
tf  qu'ils  entourent,  et  de  ne  pas  leur  laisser  la  liberté  nécessaire  pour 
t  ie  développement  de  leur  industrie  et  de  leur  agriculture.  > 

Rien  de  tout  cela  ne  peut  s'appliquer  à  la  forêt  de  la  Harth.  Il  n'y  a 
point  de  portions  isolées  ;  sa  garde  est  très-facile  ;  son  rendement  est 
loin  d'être  nul;  elle  n'étouffe  point  les  populations  environnantes  qui 
ont  toute  liberté»  de  développer  leur  industrie  et  leur  agriculture. 
L'étendue  des  terrains  cultivables  est  au  contraire  très-forte  compara- 
tivement à  la  population. 

Evidemment ,  la  forêt  de  la  Harth  se  trouve  dans  la  catégorie  des 
grands  bois  domaniaux,  que,  suivant  M.  le  Ministre  lui-même,  le  goU' 
vernement  doit  et  veut  conserver. 

En  cet  état  de  cause,  la  Harth  étant  un  grand  bois,  utile  à  la  défense 
du  territoire  et  même  d'un  bon  rapport,  comment  se  fait-il  qu'elle  ait 
été  comprise  parmi  les  forêts  aliénables  ? 

Serait-ce  que  le  gouvernement  se  fût  laissé  entraîner  par  des  offres 
brillantes ,  bien  supérieures  à  la  valeur  ou  au  capital  que  représente  le 
revenu  actuel  ? 

A  cet  égard  ,  nous  trouvons  une  donnée  dans  la  réponse  faite  par 

'  On  verra  plas  loin  qu'au  contraire  le  produit  et  la  valeur  des  terrains  défri- 
chés de  l'ancienne  forêt  sont  fiiibles  ,  comparativement,  et  qu'ils  vont  toujours  en 
décroissant. 


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56  REVUE  d' ALSACE. 

HM.  Dollfus ,  Schlumberger  et  Amédée  Rieder  à  la  lettre  ministérielle 
du  23  février  1864,  réponse  qui  a  été  rendue  publique  par  M.  Dollfus  ^ 
On  y  lit:  c  Ses  bois  à  couper  peuvent  être  estimés  en  moyenne,  dans 
«  leur  état  actuel,  à  6  ou  700  fr.  au  moins  par  hectare,  et  les  terrains, 

<  une  fois  les  bois  coupés,  à  400  fr.  l'hectare,  soit  une  valeur  totale  de 
«  1,000  à  1,100  fr.  La  vente  de  ces  forêts  produirait  donc  àTEtat  une 
«  somme  d'environ  46  millions,  par  conséquent  un  revenu  par  hectare 
«  de  plus  de  50  fr.  Or,  le  revenu  atteint  à  peine  aujourd'hui  15  fr.  et 

<  produira  moins  encore > 

Au  taux  parfaitement  admissible  de  4  p.  O/q,  les  16  millions  donne- 
raient ,  il  est  vrai ,  un  revenu  annuel  de  640,000  fr.  et  les  15  fr.  par 
hectare  pour  14000  hectares  (chiffre  rond  au  lieu  de  14164) ,  ne  don- 
neraient que  210,000  fr.,  différence  ou  perte  annuelle  pour  l'Etat 
430,000  fr.  S'il  en  était  ainsi  et  à  ne  considérer  que  le  côté  financier^  le 
gouvernement  aurait  un  intérêt  manifeste  à  vendre  la  forêt.  Mais  toute 
cette  argumentation  repose  sur  une  erreur ,  car  nous  avons  établi  plus 
haut,  par  des  chiffres  nuihcntique^ ,  officieU ,  que  le  revenu  annuel  net 
de  la  forêt  était  1®  pour  les  10  dernières  années  de  500,000  fr.,  2»  pour 
les  5  dernières  années  de  560,000  fr.,  et  3«  pour  l'exercice  1864  de 
659,729  fr.  Soit  par  hectare  de  40,  4t  à  46  fr.  58  c.  Ce  revenu ,  on  le 
voit,  progresse  constamment,  loin  a  de  produire  moins  encore,  j»  En 
calculant  toujours  d'après  une  valeur  vénale  de  16*millions  y  l'année 
1864  aurait  .produit  au-delà  de  4  p.  O/q,  et  les  5  années  antérieures, 
3  Va  P"  O/O'  Ce  revenu  n'est-il  pas  superbe  pour  des  immeubles,  et  un 
particulier  qui  le  toucherait ,  se  déciderait-il  jamais  à  vendre  sa  pro- 
priété? On  ne  saurait  donc  se  persuader  que  c'est  par  un  calcul  d'in- 
térêt que  l'Etat  a  compris  la  Harth  parmi  les  forêts  aliénables ,  lui  qui 
«  n'est  pas  un  simple  particulier,  lui ,  à  qui  il  n'est  pas  permis  de  rai- 
c  sonner  et  d'agir  comme  un  particulier  pourrait  le  faire,  »  et  M.  le 
Ministre  (des  finances)  qui  a  écrit  ^  c  que  le  rendement  de  ces  forêts 
«  ne  parait  pas  devoir  être  iniërieur,  dans  un  avenir  prochain  ,  à  50  fr. 
ce  par  hectare ,  et  que  dans  ces  circonstances  l'aliénation  demandée 
c  (^000  hectares  seulement)  semble  inopportune ,  j>  M.  le  Ministre 
trouvera  certainement  illogique  et  anti-Onancière  l'opération  de  vendre, 

*  Voyez  le  Journal  Le  Tempi.  N«  du  7  juin  1865. 
'  Lettre  précitée  du  23  février  1864. 


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MÉMOIIIE  SUR  l'aliénation  ET  LE  I»ÉFiUCHENENT  ,  E,TC.  57 

non  plus  une  portion,  mais  toute  la  forêty  une  forêt  entière  qui  bientôt 
versera  un  revenu  de  passé  4  Vi  P    ^/O  ^^^^  ^^^  caisses  de  l'Etat. 

Serait-ce  la  nécessité  qui  porte  le  gouvernement  à  recourir  à  c  cette 
c  ressource,  financière  à  laquelle  il  ne  doit  jamais  recourir  dans  les 
c  temps  cahnes  et  prospères?  i  Cela  n*est  pas  admissible,  car  qui 
pourrait  soutenir  que  nous  ne  nous  trouvions  pas  dans  des  temps 
calmes  et  prospères  ?  Au  dehors,  rien  dUnquiétant  ;  au  dedans ,  l'ordre 
et  la  marche  régulière  des  affaires.  On  projette ,  il  est  vrai ,  de  grands 
travaux  publics,  et  pour  cela  faire,  on  irait  mettre  la  main  sur  les  pro- 
priétés nationales.  Hais  les  travaux  publics,  quelqu'utiles  qu'ils  fussent, 
exécutés  moyennant  les  seize  millions,  prix  de  vente  de  la  Uarth  » 
seraient  loin  d'atteindre  ou  d'égaler  l'utilité  de  la  forêt  dans  le  présent 
et  dans  l'avenir.  Ces  travaux  ne  sont  pas  tellement  indispensables ,  ils 
n'ont  pas  le  caractère  d'une  nécessité  immédiate  et  absolue  telle  qu'ils 
ne  puissent  être  ajournés  et  ne  s'exécuter  qu'au  fur  et  à  mesure  des 
ressources  disponibles.  Que  dirait-on  d'un  père  de  famille  qui  entame- 
rait le  capital  dont  il  doit  compte  à  ses  enfants,  qui  prendrait  sur  ce 
capital  et  non  sur  son  revenu  ,  sur  ses  économies  >  pour  faire  des 
embellissements  et  même  des  travaux  qui  peuvent  être  utiles,  mais  qui 
ne  sont  point  nécessaires  ?  Où  irons-nou^,  grand  Dieu  !  avec  cette  fièvre 
de  construction?  Ah!  s'il  y  avait  €  un  besoin  urgent,  »  si  la  patrie 
était  en  danger,  oh  !  alors  oui ,  il  serait  permis  de  recourir  à  cette 
ressource  extrême  ;  et  encore ,  nous  en  avons  la  patriotique  conviction, 
la  France  bien  consultée,  préférerait  verser  son  dernier  écu,  plutôt  que 
de  subir  la  destruction  de  propriétés  nationales,  qu'en  droit  strict,  elle 
doit  léguer  intactes  aux  générations  futures. 

Heureusement  la  sagesse  et  la  force  du  Gouvernement  éloignent  de 
nous  de  pareils  dangers,  de  tels  €  besoins  urgents.  > 

Les  principes  conservateurs  des  forêts  ont  été ,  jusqu'à  ces  derniers 
temps ,  ceux  du  Gouvernement  français.  Nous  en  avons  une  preuve 
dans  la  résistance  qu'il  avait  opposée  à  la  demande  de  concession  d'une 
partie  seulement ,  (2,000  hectares)  de  la  forêt  de  la  Harth. 

Il  existe  autour  et  surtout  au  nord  de  cette  forêt ,  une  plaine  immense 
iippelée  du  môme  nom  ,  jadis  couverte  de  bois,  aujourd'hui  presqu'en- 
tièrement  défrichée.  Ces  défrichements  opérés  fréquemment  à  la  suite 
de  la  construction  de  Neuf-Brisach  pour  motif  militaire  et  poussés  trop 
loin  depuis ,  ont  eu  pour  résultat  de  rendre  cette  plaine  éminemment 


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58  REVUE  D'ALSACE. 

sècfae,  aride,  quasi  stérile.  En  i861  un  projet  fut  dressé  pour  établir 
un  canal  à  Teffet  d*y  amener  les  eaux  du  Rhin ,  pris  au  Capuzinerkopf 
près  d*Ottmarsheira.  Ces  eaux  devaient  servir  en  partie  comme  moteurs 
hydrauliques  et  surtout  à  la  création  de  prairies  dans  cette  plaine  ^  et 
par  conséquent  à  Tamélioralion  de  cette  grande  étendue  de  mauvaises 
terres,  par  l'augmentation  des  fourrages,  du  bétail ,  des  engrais ,  etc. 
Jusque  là  c'était  fort  bien  ;  même  les  communes  exclues  demandèrent 
l'extension  à  leur  profit,  de  cette  mesure  bienfaisante^  moyennant  la 
prise  d*eau  à  Kembs ,  par  pétition  du  21  avril  1861  K 

Une  Société  financière  s'était  formée  à  Mulhouse  ayant  à  sa  tête  des 
hommes  très-considérables  tels  que  MM.  Dollfus,  Schlumberger ,  etc. 
Cette  compagnie  refusa  d'admettre  la  modification  demandée ,  (prise 
d'eau  à  Kembs)  ;  de  plus  ,  elle  reconnut  bientôt ,  à  tort  ou  à  raison  des 
difficultés  dans  l'exécution  des  travaux  et  dans  Tcrganisation  d'un 
syndicat ,  qui  pourtant  ne  fut  pas  essayé. 

On  songea  alors  à  Tacquisition  d'une  portion  de  la  forêt  de  la  Harth 
pour  la  convertir  en  prairies  et  pour  établir  une  espèce  de  ferme-madèle. 
Ln  Société  formula  une  demande  en  concession ,  à  prix  réduit ,  de  2,000 
hectares,  comme  l'équivalent  d'une  subvention.  En  acquérant  ce  do- 
maine elle  eût  enlevé  aux  communes  et  aux  particuliers  le  bénéfice 
de  la  forêt,  elle  se  serait  débarrassée  de  leur  intervention  ,  elle  aurait 
commencé  par  s*emparer  de  toute  l'eau  disponible  et  n'aurait  cédé  , 
à  prix  iVargeni  ,  aux  propriétaires  de  la  plaine  de  la  Harth  ,  que  celle 
dont  elle  n'aurait  eu  nul  besoin^.  Celte  modification  avait  ainsi  le  grand 
tort  d'enlever  au  projet  son  caractère  primilif  d'utilité  publique,  pour 
en  faire  une  entreprise  particulière  ;  elle  créait  en  outre  un  funeste 
antécédent,  en  entrebâillant  la  porte  par  où  devait  disparaître  la 
forêt  entière. 

Onimus  , 

ancien  membre  du  Conseil  (énér^l  du  Haut-Rhin , 
maire  de  BantEcnheim. 

[Im  fin  a  la  ftruciiuine  UvratsoH.j 

'  Délibéraliot) ,  session  de  mai  1861 ,  et  démarche  personnelle  auprès  de  M.  le 
Préfet  Paul  Odent  par  quelques  maires  et  M.  de  Janeigny  alors  sous- préfet  à  Mulhouse. 

'  Il  sera  prouté  plus  loin  qu'après  Tirrigalion  des  2,000  hectares  il  ne  resterait 
môme  plus  une  goutte  d*eau  pour  les  propriétaires  de  la  plaine  de  la  Harth.  U  n'y 
en  aura  peut-âtre  pas  assez  car  rexpérience  démoatre  que  les  terres  traitées  comme 
à  Homhourg  absorbent  tgute  Teau  qu'on  peut  leur  donner. 


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NOTE 


SUR  LE  LIEU  DE  NAISSANCE 
De 

JBAN  GfclLER  dit  DE  KA1SBRSBER6. 


Plusieurs  liiléraleurs,  entre  autres  Reimann  * .  Chr.-M.  Engelhardt*, 
\V.  Wackernagel  3,  et ,  tout  récemment ,  H.  Kurz  ♦ ,  désignent  comme 
lieu  de  naissance  de  Jean  Geiler  l'ancienne  ville  libre  impériale  de 
KaisersberQy  aujourd'hui  chef-lieu  du  canton  du  même  nom. 

Cette  erreur  provient  d'abord  de  ce  que  Fillustre  prédicateur  de  la 
cathédrale  de  Strasbourg  signait  d'ordinaire  ses  lettres  «  Doctor  KaUen- 
berger  ou  Keysersperger  • ,  et  que  le  peuple  l'appelait  également  de  ce 
nom  ;  —  elle  provient  ensuite  des  deux  premiers  vers  de  l'épidécion 
composé  par  Sébastien  Brant  en  Thonneur  de  son  fidèle  ami  et  protec- 
teur y  et  qui  sont  ainsi  conçus  : 

o  Quem  merito  d$fUt  urbt  Argeniina  :  Joantm 
Geyler ,  monte  quidem  Ca$ari$  egemtuê.  » 

Mais  le  nom  de  Kaisersberger  ou  Cœiaremonianus ,  comme  l'ont 
traduit  quelques  auteurs  ,  prouve  au:si  peu  en  faveur  de  Kaisersberg , 
comme  lieu  de  naissance  de  Geiler ,  que  celui  de  Hhenanut ,  Bïid  von 
Rheïnau ,  prouve  en  faveur  de  celte  dernière  localité^  comme  ayant  été 
le  berceau  du  célèbre  humoriste  alsacien  qui  a  découvert  le  manuscrit 
de  Velléius  Paterculus.  En  effet ,  Beatus  ou  Bild  naquit  (1485)  non  à 
Rtiinau  ,  mais  à  Schlestadt  ;  il  ajouta  à  son  nom  celui  de  Rhenanus , 
c'est-à-dire:  de  Rhinau,  village  situé,  à  cette  époque,  sur  la  rive  gauche 
du  Rhin ,  où  son  père  était  né.  De  même  Geiler  se  nommait  volontiers 
Docior  Kahcrsbcrger ,  du  lieu  de  naissance  de  son  grand-père  et  par 

'  RLIMAN.XCS ,  introd.  ad  histor,  lUterar.  ,  m  ,  6. 

•  Wandemngen  durch  dU  Vogesen ,  7i . 

*  Deutsehâ  iMteraturgeseh,  340  ,  note  75. 

'  J.  fVickram's  Rollwagenbiiehlein  ,  Leips.  1865  ,  211. 


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60  REVUE  D*ALSACE. 

reconnaissance  pour  ce  dernier  ;  car  cet  excellent  homme ,  dont  Geiler 
ne  parlait  jamais  qu'avec  la  plus  grande  vénération,  avait  reçu  chez  lui, 
en  1448 ,  le  jeune  orphelin ,  âgé  alors  de  trois  ans  y  après  que  son  père 
eut  été  (ué  par  un  ours  qui  ravageait  les  vignes  d'Ammerschwihr. 

Quant  aux  deux  vers  de  Sébastien  Brant ,  ils  ne  sauraient  a  -oir  Tau- 
torité  d'un  extrait  de  naissance.  D'abord  ,  le  passage  c  monie  quidem 
Cœ%nrU  egenhug  » ,  ne  signifie  pas  rigoureusement  que  Geiler  lui-même 
soit  né  à  Kaisersberg  ;  il  peut  s'interpréter  par  c  issu  d'une  famille  de 
Kaisersberg  »  ;  puis ,  Brant  appuie  si  peu  sur  cette  circonstance  ,  que , 
dans  la  rédaction  allemande  de  son  épidécion  ,  il  la  néglige  complète- 
ment et  se  contente  de  dire  : 

»  Johannes  Geiler  lobes  rich , 
Den  Doctor  Kaisersperg  man  nant.  » 

Jean  Geiler  n'est  pas  né  à  Kaisersberg. 

Il  vint  au  monde  le  16  mars  1445,  à  Scha/fliouae ,  soumise,  à  cette 
époque ,  ainsi  que  toute  TAIsace  supérieure  •  à  la  domination  autri- 
chienne. Cette  dernière  circonstance  explique  pourquoi  le  père  de 
Geiler,  bien  qu'Alsacien,  pouvait  être  revêtu,  à  Schaffhouse  ^ ,  des 
fonctions  de  c  nrihce  ejus  oppidi  minisier  a  manu  ,  »  fonctions  qu'il 
échangea  en  1446  contre  celles  de  notaire  d'Ammerschwihr.  C'est  ce 
que  déclare  ,  en  termes  formels  ,  Beatus  Rhenanus ,  le  jeune  et  dévoué 
disciple  de  Geiler ,  qui ,  tout  en  nommant  ce  dernier  c  Cœsaremon^ 
lanus  \  )  dit  au  commencement  de  sa  notice  biographique  :  <  Ortus  est 
«  Joannes  Geilerus  ira  urbe  Schafhusin  ,  antequam  ab  inclyto  Austriae 
c  ducatu  descivisset,  anno  gratiae  HCCCGXLV  décima  sexta  Hartii  die, 
€  pâtre  Jeanne  Geilero ,  matre  autem  Anna  Zuber » 

Beatus  Rhenanus  n'a  été  contredit ,  sur  ce  point ,  par  aucun  des 
auteurs  de  son  époque  ;  il  n'aurait  pas  dû  l'être  par  ceux  que  nous 
avons  cités  au  commencement  de  cette  note.  Son  assertion  est  d'ailleurs 
admise  par  la  majorité  des  littérateurs  qui  ont  traité  de  Geiler  ;  elle  l'a 
été,  entre  autres,  par  J.  W.  Hertzog',  l'auteur  de  l'ouvrage  c  Aihenœ 

*  Un  autre  AUacien  ,  Jean-Ad?lphus  Mulichius  oa  M olingus  ,  l*éditear  de  plu- 
sieurs sermons  de  Geiler ,  après  avoir  étudié  la  médecine  ^  Strasbourg  ,  sa  ville 
natale  ,  devint  Stadtphytieue ,  médecin  de  la  ville ,  de  Schaflfbouse. 

*  «  J.  GeiUri  Ccuaremontani ,  primi  eoneionatorie  in  œde  eaerm  majorii 
«  eeeUs.  Àrgentor.  vila  per  Beatum  Rhenanum  SeUetatinum,  Sehtttid.  IdibuM 
H  maitf.  1510.  » 


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I 


NOTE  SUR  LE  LIEU  DE  NAISSANCE  DE  JEAN  GEILER  ,  ETC.  61 

Ravricœ  >  ou  Catalogue  des  professeurs  de  l'université  de  BAle  ^  En 
parlant  des  efforts  que  Tammeistre  Pierre  Scholt  fit  pour  engager  Geiler 
à  accepter  la  place  de  prédicateur  à  la  cathédrale  de  Strasbourg , 
Hertzog  dit  :  €  (Geilerus)  a  Petro  Schotto  Argentoratensi  senatore ,  viro 
c  tam  gravi  quam  prudent! ,  rogatus  est  enixe  admodum ,  ut  si  uspiaro 
<  dominici  verbi  enarrandi  provinciam  vellet,  Argentorati  id  ageret, 
c  se  daturum  operam ,  ne  digna  laborura  mercede  careret  ;  adseveravit- 
c  que  porro  Schottus,  cum  patriae  secundum  parentes  omniadebeamus, 
€  eo  illud  maxime  faciendum  esse  loco ,  qui  Alsatiœ  sit  caput  ;  ut  enim 
K  Keisersberga  ,  ubi  educatus,  ita  et  Scaphu$ium,  ubi  natut  erai  Gey'^ 
c  lenu ,  tum  ad  Alsatiam  pertinebat.  > 

AuG   Stœbea  , 

profBSieur  «u  Collège  de  Ifulbouie ,  oflDder  d'Acadéoiie. 


*Ba$iUi$  UDCCLXXVni,  p.  4. 


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BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE. 


Histoire  d'un  homme  heureux  ,  par  Adolphe  Schœffer,  —  Paris ,  4865, 
chez  Michel  Lévy.  1  toI.  in-lâ. 

Un  homme  heureux  !  je  n'en  connais  pas  de  complètement  heureux 
dans  ce  bas  monde ,  et  celui ,  que  H.  Schiffer  nous  présente  comme 
tel ,  ne  réalise  pas  du  tout  l'idée  que  je  me  fais ,  ou  que  je  me  ferais  du 
bonheur  sur  cette  terre,  s'il  était  permis  d'être  complètement  franc 
sur  ce  sujet.  La  vie ,  de  quelque  façon  qu'on  l'envisage ,  même  au  point 
de  vue  religieux ,  demeure  une  terrible  et  indéchiffrable  énigme  ; 
M,  Schseffer,  quelqu'effort  qu'il  fasse  pour  nous  donner  son  homme  à 
titre  de  modèle ,  d'un  enfant  chéri  de  Dieu ,  et  conduit  par  la  voie 
providentielle  vers  la  seule  source  de  toute  félicité,  H.  Schseffer,  je  le 
crains  bien ,  n'a  point  réussi  à  convertir  tous  ses  lecteurs  à  sa  manière 
de  concevoir  cette  félicité. 

Ce  petit  volume  est  vivement  écrit ,  et  suffisamment  coloré  ;  Tinven- 
tion  est  quelquefois  ingénieuse;  mais  le  grand  tort  de  c  l'homme 
heureux  >  ,  c'est  de  n'être  ni  un  roman  complet ,  ni  un  traité  complet 
de  religion  ou  de  morale. 

Le  roman  soi-disant  religieux  présente,  à  mon  gré ,  des  écueils  iné- 
vitables; car^  de  deux  choses  l'une,  ou  l'intérêt  passionné  fait  tort  à  la 
doctrine  que  l'écrivain  moraliste  veut  propager ,  ou  l'étendue  donnée 
aux  développements  moraux  ,  fait  l'effet  d'une  lande  immense ,  au  sein 
de  laquelle  se  perdent ,  inaperçues ,  les  fleurs  de  poésie  que  l'auteur 
essaye  d'y  acclimater. 

Je  crois ,  pour  ma  part ,  que  chaque  chose  a  son  temps  et  son  lieu 
propice  ;  qu'il  y  a ,  en  littérature ,  des  cases  consacrées ,  en-dehors 
desquelles  l'auteur  ne  se  place  qu'à  ses  risques  et  périls  Le  sermon  à 
l'église ,  le  traité  en  chaire,  devant  un  auditoire  résigné ,  et  le  roman 
au  cabinet  de  lecture  et  dans  le  boudoir  ou  dans  l'antichambre.  Ces 
réserves  faites ,  il  me  serait  facile  de  trouver  dans  l'œuvre  d'imagina- 
tion, à  fond  didactique,  de  11.  Schœffer,  bien  des  motifs  d'éloge;  car 
son  intention  est  droite  et  bonne  ,  et  au  service  de  son  intention  il  met 
un  cœur  sympathique  à  la  souffrance  physique  et  morale  des  classes 
inférieures  ,  un  esprit  cultivé  ,  observateur  ,  et  une  expérience 
évidemment    acquise   dans    une    carrière    pratique.    M.    Schœffer  « 


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BULLETIN   BïBLIOGRAPHIQrE.  63 

comme  médecin  de  l'âme ,  a  dû  se  trouver  au  milieu  de  familles , 
éprouvées  à  Tinstar  de  celle  de  Paul  Lepelit^  en  face  d'individualités 
pareilles  à  celles  du  petit  bossu  dévoué ,  et  en  face  d'égoïstes  tels  que 
M.  le  marquis,  H  Lenoir,  M.  Vilargeot,  etc.  AlapIacedeH.  Schseffer, 
j'aurais  été  à  la  recherche  de  quelques  noms  patronymiques ,  qui 
eussent  donné  moins  de  prise  au  calembour. 

Le  caractère  le  plus  aimable ,  le  plus  attachant  de  cette  composition , 
est  sans  doute  celui  de  Marie,  la  femme  de  Paul  Lepetit  ;  c'est  un  ange 
de  douceur ,  de  résignation ,  de  patience  ;  il  me  semble  mAme  que  dans 
la  réalité ,  elle  a  dû  mettre  beaucoup  moins  de  temps  que  l'auteur , 
dans  sa  libéralité  y  lui  en  accorde  y  pour  amener  à  ses  fins  Paul  Lepetit , 
un  peu  libre  penseur  dans  l'origine ,  et  chrétien  convaincu  à  la  fin  de 
sa  laborieuse  et  triste  carrière.  Marie ,  si  elle  était  telle  que  M.  Schœfler 
nous  la  montre ,  rayonnante  de  pureté ,  ayant  autour  de  sa  belle  tète 
déjeune  fille  Fauréolede  la  foi  évangélique,  Marie  a  dû  convertir,  sans 
préambule ,  un  être  de  la  trempe  de  Paul  Lepetit  ;  je  vais  pl«s  loin , 
elle  ne  l'aurait  point  épousé,  si  dès  le  moment  des  fiançailles,  et  certes 
avant  le  mariage ,  il  n'avait  partagé  sur  le  monde  présent  et  à  venir , 
sur  la  grâce  et  le  salut,  toute  la  manière  de  sentir  et  de  penser  de  sa 
future  compagne.  Il  n'y  a ,  dans  cette  sphère  d'idées ,  point  de  com- 
promis possible  ;  dans  la  situation  donnée ,  le  bonheur  n'est  admissible 
qu'au  prix  d'une  concordance  parfaite ,  d'une  harmonie  complète  entre 
les  deux  conjoints.  La  jeune  femme,  qui  a  le  bonheur  de  posséder  la 
foi  évangélique ,  ne  peut  donner  son  cœur  et  sa  main  qu'à  un  homme 
gagné  aux  mêmes  doctrines  ;  elle  sera  tout  aussi  exclusive  que  le  prêtre 
qui  prononce  le  mot  terrible  et  sans  appel  :  €  Hors  de  l'Eglise  point 
de  salut  !  » 

Marie,  dans  le  roman  religieux  de  M.  Schaeffer,  est  donc  un  peu 
inconséquente  ;  un  rigoriste  pourrait  rattacher  à  ce  premier  manquement 
les  malheurs  qui  viennent  fondre,  postérieurement,  sur  la  famille  de 
cet  excellent  barbier  ;  car ,  ne  vous  en  déplaiée ,  l'auteur ,  pour  mettre 
en  relief  sa  thèse ,  que  le  bonheur ,  le  vrai  bonheur  ,  ne  tient  pas  à  la 
position  plus  ou  moins  élevée  que  l'homme  occupe  ,  mais  à  la  paix  du 
cœur  et  à  la  réconciliation  de  l'âme  avec  Dieu  et  le  Sauveur ,  l'auteur  a 
placé  son  c  homme  heureux  »  dans  la  boutique  d'un  barbier.  —  Et  je 
ne  vois  pas  de  quel  droit  nous  lui  ferions  une  querelle  d'Allemand  à  ce 
sujet.  Le  barbier  d'Agen  était  un  poète  distingué  ;  il  a  été  admis  en  pré- 
sence de  têtes  couronnées;  et  le  barbier  de  Séville  est  allé  à  Timmor- 


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64  REVUE  D*ALS4GE. 

talité,  sans  qu'une  éclaboussure  de  ridicule  se  soit  attachée  à  sa  chau- 
mière espagnole. 

Si  je  ne  puis  admettre  que  sous  bénéfice  d'inventaire  certaines  parties 
du  roman  ou  du  traité  de  H.  Schaeffer ,  j'accorderais  plus  aisément 
droit  de  bourgeoisie,  dans  le  domaine  romanesque ,  à  d'autres  chapitres 
de  son  c  homme  heureux.  » 

La  pauvre  Marie,  trop  rudement  éprouvée,  tombe  dans  un  état 
mental  désespérant,  et  la  peinture  de  cet  état  m'a  semblé  bien  exécutée  ; 
ce  sont  des  scènes  d'une  vérité  poignante,  telles  que  la  vie  actuelle  n'en 
présente  que  trop  souvent  ;  car  les  asiles  d'aliénés  se  peuplent  de  plus 
en  plus ,  et  la  statistique  des  maladies  de  l'âme  de  notre  époque ,  ne 
parle  ni  en  faveur  du  bonheur  général ,  ni  en  faveur  de  la  thèse  prêchée 
par  M.  Schœffer  ;  car ,  nous  voici  certes  en  face  d'un  malheur  non 
mérité ,  et  qui  tombe  sur  la  tête  d'une  pauvre  victime  qui  semblait 
pourtant  bien  abritée  derrière  le  rempart  de  la  foi. 

Le  pauvre  Paul  Lepetit  meurt  aussi  misérablement ,  quoique  soutenu 
par  le  bon  petit  bossu ,  et  par  sa  foi  inébranlable.  —  Mais  c'est  préci- 
sément pour  faire  éclater  les  miracles  de  la  foi  et  le  bonheur  d'une  mort 
paisible ,  au  milieu  d'une  aussi  cruelle  épreuve  ,  que  M.  Scha^fTer  a  cru 
devoir  accumuler  sur  la  tête  de  son  héros  ces  malheurs ,  qui  auraient 
poussé  au  désespoir  tout  autre  que  Paul  Lepetit.  Oh  !  quant  à  l'intention 
de  l'auteur,  elle  n'est  point  douteuse  pour  moi  ;  je  suis  convaincu  que 
plus  d'une  âme  sincèrement  pieuse  et  chrétienne ,  livrée  aux  mêmes 
tortures  physiques  et  morales ,  y  échapperait  grâce  aux  mêmes  secours 
spirituels.  Mais  tous  les  lecteurs  seront-ils  gagnés  par  l'argumentation 
de  M.  Schœffer  à  la  cause  de  l'Evangile ,  et  à  l'image  du  bonheur  qu'il 
présente  dans  la  personne  de  son  barbier?...  Il  est  permis  d'en  douter. 
Les  cris  plaintifs  de  Job  sur  son  fumier  trouveront  plus  d'écho  dans  les 
âmes  douloureusement  éprouvées  de  notre  époque  sceptique  que  les 
essais  de  conversion  tentés  par  des  écrivains ,  auxquels  je  me  plais  à 
rendre  justice ,  Forsqu'il  ne  s'agit  que  de  priser  leur  sincérité  et  leur 
ardeur  naïve.  Ah  !  leur  dirai-je ,  ne  recourez  pas  â  la  voie  du  roman  , 

pour  ramener  à  vous  les  âmes  flottantes laissez  faire  l'expérience  de 

la  vie ,  de  la  souffrance  et  du  malheur....  laissez  faire  la  mort  !  attendez 
ce  moment  terrible  du  passage  vers  un  autre  monde....  alors  les  âmes 
seront  avides  de  tremper  leurs  lèvres  desséchées  dans  la  coupe  d'espé* 
rance  que  vous  leur  présenterez ,  sans  phrase ,  avec  simple  accompa- 
gnement de  quelques  mots  de  l'Evangile.  Louis  Spagh  , 


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QUELQUES  MOTS 
SUR  LES  COURS  COLONGÈRKS  D'ALSACE 


4   PROfHM 


t>ES   LIVRES   DE  M.    HANAUER   SUR   CETTE   MVTIÉRE  '. 


—  SuUê  et  fin  *.    ~ 

Si  M  Hanauer  se  montrait  moins  constamment  afBrmatif,  moins 
ferroemeni  disposé  à  formuler  des  oracles  là  où  la  science  la  plus  sûre 
d'elle-même  oserait  à  peine  hasarder  des  conjectures ,  on  se  sentirait 
porté  à  croire  que  parfois  il  a  éprouvé  quelque  doute  intime  sur  la  soli- 
dité de  ses  conceptions  théoriques,  et  un  peu  d'hésitation  à  leur  main- 
tenir la  forme  absolue  sous  laquelle  elles  s'étaient  d'abord  présentées  à 
son  esprit.  En  effet ,  après  avoir  expressément  indiqué  la  cour  colon- 
gère  comme  la  souche  unique  ou  du  moins  normale  d'où  seraient 
sortis  nos  villages  ;  après  avoir  insisté  sur  cette  proposition  jusque  dans 
cette  partie  de  l'œuvre  (la  Préface)  dans  laquelle  les  auteurs  résument 
et  concentrent  d'habitude  les  idées  générales  qui  les  ont  dominés;  après 
avoir  surtout  affirmé  celte  théorie  par  l'explication  qu'il  donne  de 
l'exagération  de  ses  intitulés ,  on  dirait  qu'au  fur  et  à  mesure  que  se 
développait  son  étude ,  il  s'est  senti  gêné  par  l'exiguité  du  cadre  qu'il 
s'était  choisi  et  qu'il  a  éprouvé  le  besoin  de  donner  un  peu  plus  d'am- 
pleur aux  frêles  institutions  desquelles  il  voudrait  faire  sortir  les  Etats 
modernes.  L'ouvrier  s'est  visiblement  effrayé  de  la  disproportion  de 
sa  propre  œuvre  :  une  cour  colongère  en  effet  si  rustique ,  si  modeste 
dans  son  organisation ,  ne  peut  évidemment  pas  prétendre  à  une  pareille 
lignée ,  et  s'il  faut  croire  avec  Pascal  que  de  petites  causes  peuvent 
produire  de  grands  effets,  encore  n'est-ce  qu'à  la  condition  d*une  coré- 

'  i^  Lef  Paysam  de  VAUace  au  moyen-àge.  1  vol.  8". 

2®  Les  constilutiont  les  campagnee  de  l' Alsace  au  nioyen^ge»  i  vol.  8». 
^  Voir  les  iivRiisoii«  de  décembre  1865 ,  page  529,  et  Janvier  1866,  («ge  5. 
9'Séri0.  — 41  Année.  5 


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66  REVUE  D'ALSACE. 

lalion  démontrée,  soit  rationneliemenl,  soit  expérimentalement.  Or 
cette  démonstration  où  la  chercher  et  comment  Télablir  ?  Aussi  voit-on 
notre  auteur  secrètement  en  peine  de  trouver  pour  ses  créations  un 
peu  plus  d'air ,  une  atmosphère  plus  large ,  et  c'est  dans  l'ancienne 
mnrck  ou  marche  qu'il  essaye  de  chercher  un  théâtre  plus  digne  de 
porter  ses  nouveraîneiés  villageoises  !  Il  y  revient  à  deux  reprises  ,  dans 
son  premier  et  dans  son  second  volume  ;  et  il  nous  révèle  ici  d'une 
manière  palpable  la  cause  des  imperfections  de  son  œuvre ,  qui  semble 
s'être  créée  par  intervalle,  par  pièces  et  morceaux  ,  au  jour  le  jour,  et 
a  par  conséquent  les  allures  flottantes  et  Tincohésion  d'une  conception 
qui  ne  s'est  pas  d^abord  bien  fixée  sur  son  point  de  départ  et  son  but. 
Dans  le  premier  volume  ^  sous  le  titre  peu  approprié  de  Biens  commu^ 
nattx ,  il  nous  peint ,  pour  nous  donner  l'idée  d'une  Marrk ,  un  petit 
tableau  champêtre  c  de  vergers  et  de  jardins  ,  au  milieu  desquels 
c  se  groupent  quelques  chalets  rustiques.  Autour  de  ces  demeures 
oc  s'étendaient  les  prés  et  les  champs  ;  plus  loin  l'œil  se  reposait 
<i  sur  un  immense  tapis  de  verdure.  Au  loin  s'élevaient  des  forêts  de 
«  chênes  et  de  pins  qui  encadraient  la  villa  de  leur  sombre  feuil- 
«  lage ,  etc. ,  etc.  Ces  forêts  et  ces  pâturages  formaient  le  bien  com- 
€  munal ,  appelé  en  général  Allmend ,  lorsque  l^usage  en  était  réservé 
<  à  une  seule  villa ,  et  marck  lorsqu'il  appartenait  d'une  manière  indivise 
«  à  une  ou  plusieurs  communes.  »  Tout  cela  n'est-il  pas  d'une  saisissante 
clarté?  et  ne  faudrait-il  pas  avoir  l'esprit  bien  obtus,  pour  ne  pas  en- 
trevoir, à  la  lumière  de  cette  définition ,  une  grande  imtiiuihn  poli' 
ligue  à  travers  l'exubérante  verdure  de  ce  riche  paysage  !  Acceptons 
pourtant  encore  cette  peinture  comme  une  réhabilitation  de  notre 
chère  et  belle  Alsace  où  les  Mérovingiens  ne  voyaient  que  des  déserts  à 
Aéiricher  (eremus  ex(olcndus)  et  dans  les  plus  riches  contrées  de  la- 
quelle, en  plein  xvi]«  siècle,  dom  Ruinart  signalait  à'horribles  soUiudcs  ^, 

mais 

Abn  saiis  est  ptdchra  esse  poëmata  :  dulcia  sunlo. 

Ne  discutons  pas  la  poésie!  respectons  ses  caprices,  d'autant  que 

notre  auteur  constate  lui-même  l'insuffisance  de  ce  premier  essai  -^  et 

que,  dans  son  second  volume,  il  se  décide,  sur  la  prière  Ae  quelques per- 

'  Paysans  »  p.  44. 

•  Horr endos  soliiudines.  La  vallée  de  Munsier.  —    V.  littéraire  en  Alsace.  — 
Mattkk,  p.  il5. 

*  Paysans,  p.  xni. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÈRES  D^ALSACE.  67 

ionnei  \  à  reprendre  ab  ovo  Thistoire  des  Marches  «  pour  réfuter  Vopinion 
t  de  gens  qui  n'en  connaissent  d'autres  que  celles  qui  se  trouvaient 
>  sur  les  frontières.  >  Cette  complaisance,  à  laquelle  se  mêlait  bien  aussi 
le  plaisir  de  satisfaire  une  humeur  un  peu  militante ,  nous  a  valu  un 
chapitre  composé  de  quatre  sections ,  dans  lequel ,  à  propos  de  la 
Marck,  c  il  entre  dans  quelques  détails  historiques  appuyés  par 
ff  drs  documentt  nationaux,  >  Les  personnes  qui  nous  ont  valu  ce  cha- 
pitre supplémentaire  (qu'il  nous  soit  permis  de  le  dire)  auraient  trouvé 
partout  l'histoire  de  la  Marche ,  appuyée  partout  aussi  des  mêmes  docu- 
ments nationaux  que  notre  docte  abbé  juge  à  propos  de  rééditer  ;  je  ne 
puis  donc  que  lui  reprocher  d'avoir  mis  un  trop  grand  empressement  à 
déférer  à  leur  prière.  En  effet ,  cette  hàlene  lui  a  laissé  le  temps  que  de 
produire  un  résume  fort  confus  de  la  doctrine  de. M.  de  Haurer ,  en  lui 
faisant  oublier  en  revanche  des  exemples  notables  de  Marches ,  qui  se 
sont  élevées  successivement  à  l'état  de  communes ,  Tune  même  à  la 
dignité  de  ville  libre  et  impériale ,  entre  autres  la  décapole  de  la  vallée 
de  Saint-Grégoire ,  et  la  confédération  du  val  de  Massevaux. 

Pour  en  revenir  au  mol  Marck  (marca; ,  il  est  certain  qu*i!  a  eu  , 
comme  presque  toutes  les  dénominations  de  ces  temps  reculés ,  plu- 
sieurs significations  diverses.  D'après  M.  de  Haurer  lui-même ,  ce  terme, 
dans  beaucoup  de  cas ,  signifiait  frontière  '.  Pour  un  savant  membre 
de  l'Institut  de  France ,  i)  avait  le  sens  de  cité  3.  En  Alsace ,  dès  le  ix* 
siècle ,  le  mot  lit\nn ,  quoiqu'il  n'exprime  en  général  que  la  souverai- 
neté sur  un  territoire ,  est  fréquemment  employé  dans  le  même  sens 
que  9/larck  ^.  Pour  M.  Hanauer,  la  Hiarck  n'est  plus  qu'un  Allmend , 
avec  la  traduction  de  bien  communal. 

Voyons  rapidement  ce  que  cette  intrusion  de  la  âfarck  peut  apporter 
de  lumières  à  la  question  restreinte  des  cours  colongères. 

Je  me  garderai  bien  de  remonter  aux  «  révolutions  que  la  société 
c  germanique  a  subies  comme  le  globe  terrestre  »  ^  :  une  ascension  aussi 
pompeuse  m'effrayerait.  Je  me  bornerai  à  demander  humblement  en 
quoi  consistait  cette  prétendue  société  germanique  avant  et  au  moment 


*  Constitutions ,  p.  94. 

*  Bfarkgenossensehaft ,  p.  40-481. 

*  Pn.  Lebas  ,  HUt.  d'Allemagne  >  i  »  p.  5*29. 

*  ScHCEPPiJN  ,  DipL  ,  I ,  p.  60  ,  1 17  ,  224.  —  L^mdad  ,  Territorien ,  p.  1 13. 

*  Constitutions^  p.  95. 


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68  REM'E  D'ALSACE. 

de  i'invasioD.  Si  M.  Hanauer  le  sait  f  xacteroenl,  qu'il  le  dise  !  il  rendra 
â  la  science  un  service  éminent;  car  tous  les  érudîts,  qui  se  sonl  évertués 
à  celle  étude  »  reconnaissent  avec  candeur  que  ces  temps  primiiifs  sont 
couverts  de  telles  ténèbres  qu'on  peut  tout  au  plus  essayer  de  les  péné- 
Irer  par  la  conjecture  ou  la  divination  *.  Il  est  en  tous  cas  fort  douteux 
que  les  Germains,  comme  l'affirme  cependant  notre  auteur ,  aient  jamais 
formé  un  peuple  exe-utivement  nomaU  et  pasioral.  Ce  que  Tacite 
raconte  de  leur  colonat ,  semble  prouver,  tout  au  contraire ,  que  l'agri- 
culture était  pratiquée,  sinon  par  ce  peuple  tout  entier,  au  moins  par  un 
certain  nombre  des  races  dont  il  se  composait.  H.  Hanauer  paraissait  à  cet 
égard  tellement  disposé  à  admettre  Topinion  du  grand  historien  romain, 
qu'ainsi  qu'on  se  le  rappelle  ,  il  a  formellement  concédé  l'existence  du 
colonat  germanique  ;  d'ailleurs  M  de  Haurer,  auquel  il  accorde  une 
foi  si  reconnaissante  et  si  exclusive,  admets  comme  hort  de  doute,  que, 
bien  avant  tout  contact  avec  les  Romains ,  la  Germanie  présentait  des 
traces  incontestables  d'une  agriculture  permanente  et  étendue  *.  Mais 
il  me  semble  qu'il  s'agit  moins  ici  de  conjecturer  ce  que  pouvaient  faire 
les  Germains  lorsqu'ils  étaient  encore  contenus  chez  eux ,  par  la  Umiie 
romaine ,  que  de  préciser,  autant  que  possible  ,  ce  qu'ils  ont  dû  faire 
après  que  leurs  hordes  eurent  fait  irruption  dans  les  territoires  occupés 
d'ancienneté  par  l'Empire.  Il  est  évident  que  ces  conquérants  se  trou- 
vèrent tout-à-coup  transportés  dans  un  milieu  nouveau.  En  Alsace  «  ils 
rencontrèrent  des  surfaces  cultivées  ,  à  côté  de  terrains  encore  vierges 
et  incultos  ;  les  premières  ont  dû ,  autant  qu'on  peut  se  laisser  guider 
par  la  vraisemblance ,  servir  principalement  d'assiette  à  ces  établisse- 
ments agricoles ,  curies,  vHlœ,  parmi  lesquels  se  classent ,  comme  une 
espèce  dans  un  genre ,  les  cours  colongères.  Il  n'est  pas  admissible ,  en 
effet ,  quelque  barbares  qu'on  puisse  supposer  ces  rudes  conquérants , 
qu'ils  aient,  contre  leur  propre  intérêt ,  détruit  les  cultures  de  la  Terre 
i , tmite  sur  laquelle  ils  se  ruaient ,  dispersé  toutes  ces  populations 
agricoles  d'une  condition  trop  infime  pour  les  inquiéter,  au  travail  et  à 
l'industrie  desquelles  Rome  avait  dû  l'alimentation  de  ses  armées ,  et  la 
possibilité  même  de  son  occupation  prolongée  —  Les  terrains  incultes, 
au  contraire ,  les  grands  massifs  de  forêts  ou  de  pâturages  formaient 
chez  les  Romains  des  dépendances  du  fisc ,  comme  Res  publicï  jurls  ou 

*  Daniels  ,  i  ,  p.  3i3,  el  le  résumé  des  autorités. 

*  Eine  uralte  nicht  Rlhnischê  LandescuUur,  V.  Maorer  ,  Einleitung,  p   1. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COUPS  COLONGÈRES  D' ALSACE.  69 

publ'tcœ.  —  A  la  suite  de  rinvasion ,  les  conquérants  s'asseoient  par 
groupes,  par  tribus,  par  clans;  ces  groupes,  en  général,  se  forment 
par  familles  (ffnusgenosscnnchafften),  par  races  (génies  ei  cognaiwneà)^ 
par  relations  de  voisinage  (propinquiiaies)  >.  Ces  groupes  obéissaient 
chacun  à  un  chef,  et  chacun  d'eux  formait  une  unité,  qui  avait  sa  paix 
propre.  La  marck  était  un  district  de  territoire ,  compris  entre  des  limites 
déterminées  *  sur  lequel  ces  divers  groupes  s'assirent ,  soit  simulta- 
nément ,  soit  successivement  et  se  fixèrent  pur  des  établissements  en 
général  isolés  ^  (Einzelhôfe),  ou  par  quelques  habitations  agglomérées 
(Hr»).  Une  ma'ck  pouvait  donc  contenir  des  possessions  de  nature 
différentes  ,  privées  ou  collectives;  des  villa  •  des  cours  {Meyerhëfeu)^ 
des  habitations  individuelles ,  le  tout  entouré  d'une  lande  de  terres 
vaines  et  vagues  ,  de  pâturages  et  de  forêts  auxquelles  la  culture  n'avaij 
pas  encore  touché.  —  M.  Hanauer  croit  nécessaire  de  prouver ,  ce 
qui  n'a  été  contesté  par  personne ,  que  la  propriété  privée  existait  déjà 
ou  plutôt  encore  au  viir  siècle  ^.  Mais  qui  a  jamais  songé  à  affirmer  que 
les  conquérants  Barbares  auraient  effacé  jusqu'au  dernier  vestige  les 
établissements  antérieurs ,  exterminé  tous  les  habitauts  ,  et  violemment 
occupé  toutes  leurs  habitations  et  toutes  leurs  terres?  Les  lois  Aléman- 
nique,  Ripuaire,  Salique,  etc. ,  au  contraire ,  ne  révèlent-elles  pas  un 
partage  eotre  les  vainqueurs  et  les  vaincus  (Long  Sorg)^  par  conséquent 
le  maintien  de  la  population  sédentaire,  pour  laquelle  le  tarif  des 


'  Voy.  sur  toas  ces  détails  qu'il  m'est  impossible  de  ilévcloppcr  davantage  ici  les 
opinions  unanimes  des  publicistes  anciens  cl  modernes.  —  Philipps  ,  §  55.  — 
ZiCPFL,  n,  §  5,  7,  —  Walter  ,  §  lô.  —  Gengler  ,  p.  33i.  —  Daniels  ,  i,  313. 
—  V.  SïBEL  ,  GesehUchte  Verfatsung.  —  Schhidt  ,  Zeitêchrift ,  m  ,  p.  593.  — 
Maorer  ,  Einleitung ,  p.  4  -  69. 

*  .M.  Mone  soutient  que  les  délimitations  dos  Marek  furent  celles  qui  avaient  élé 
établies  par  les  Romains  ;  la  direction  des  eaux  en  précisait  les  couâns.  [Diver- 
gium  aquœ,  Wasserseigi ,  Sne/lUts,  -^  V.  Uber  die  Allmenden  vom  {^  bis  \6. 
Jahrhundert,  Zeitschrift ,  i,  p.  345.  Nous  avons  en  Alsace  plusieurs  exemples  qui 
conflrmenl  cette  observation.  La  First ^  entre  autres,  SchnéeechmeU ,  Si*rvail 
lie  limite  aux  propriétés  de  Hurbacb  entre  les  deux  vallées  de  Goebwiller  et  de 
Saint-Amarin  et  les  pays  d'outre- Vosges. 

*  Colunt  diêcreti  et  diverei,  ut  fons  ut  campus  ut  nemus  plaeuil.  Vicos  loeant 
non  in  nostrum  morem ,  connexis  et  cohœrentibut  œdifidis  ;  suam  quisque 
domum  epatio  cireumdat.  Tac  16.  —  V.  Maurer  ,  Einleitung,  p.  5. 

*  Paysans ,  p.  340. 


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70  REVUE   D* ALSACE. 

compositions  stipulait  d'une  manière  expresse?  La  répartition  de  cette 
population  sur  le  sol,  la  corélation  entre  la  propriété  privée  et  cette 
espèce  de  domaine  public /7of/a?(/,  les  conditions  même  de  cette  pro- 
priété privée  ,  sont  encore  aujourd'hui  des  problèmes  qui  sont  loin  d*ètre 
éclaircis.  Mais  (et  ceci  rentre  directement  dans  le  sujet  dont  je  m'oc- 
cupe en  ce  moment)  la  propriété  privée  et  aliodiale  pouvait  exister  dans 
la  àfarck  même.  Une  formule  de  la  fin  du  ix«  siècle  décrit  ainsi  une 
cour  donnée  en  dot  :  curtim  stpe  ^hwiam  in  pago  qui  dicitur  ita  in  villa 
vocata  ita  vel  ita ,  et  in  eadem  marcha  de  arvea  terra  juchos  C,  de 
pratii  juchos  totidem,.  ,,  de  silvâ  puoprii  mei  jvms  juchos  CL.  y  coni- 

munem  pnscuum  communesqiie  siLVARUM  uses mancipia  LX  *. 

Ce  texte  remarquable  établit  nettement  l'existence  d'une  propriété  libre 
et  privée  dans  l'intérieur  de  la  marck  :  il  qualifie  en  même  temps  ,  par 
une  antithèse  sensible ,  le  litre  auquel  le  fonds  privé  jouissait  des  forêts 
et  des  pâturages  Allmcnd;  c'est  à  titre  d'usage ,  {usus)^  titre  distinct  du 
droit  sur  la  forêt  propre  annexée  à  la  cour  (xilva  proprii  jurif) ,  et  ce 
droit  d'usage  se  présente  déjà  non  pas  comme  un  droit  principal  mais 
comme  une  simple  nnni  xe  réelle  de  l'immeuble  ou  du  fonds  auquel  il  est 
attaché.  Je  note  aussi  en  passant  cette  qualification  de  mancipia  * , 
(esclaves) ,  donnée  à  la  population  de  la  cour.  —  Plusieurs  formules 
analogues  se  trouvent  dans  les  Tradiiiunes  Vizcnburgenses  ;  elles  men- 
tionnent des  corps  de  biens  y  propriétés  privées ,  situées  dans  des 
Mat(k^.  Il  faut  donc  conclure  de  ces  développements  que  la  J/ai; Âc 
était,  comme  l'enseignent  du  reste  tous  les  auteurs,  y  compris  celui 
auquel  M.  Hanauer  accorde  une  préférence  trop  marquée  * ,  un  terri- 

*  Atmanniêche  Formeln  und  Briefe  aus  Jem  IX  Jahrhund.  F.  de  Wysse  , 
Zurich,  p.  36. 

*  Mancipia ,  tervi  homines  sed  non  fjusdem  ordinis  atque  conditionis  —  Du- 
f.ANCE  ,  b.  V. 

•Zelss,  p.  80    82,96,  iJ9,  tic. 

*  Il  rappelle  le  Savant  dont  toute  V Allemagne  reconnait  Vautorité  [Const. 
p.  96.)  Les  travaux  de  ce  jurisconsidte  raéiitciil  a  rlaînemenl  uue  baule  et  légitime 
considération;  mais  je  n'oserais  conlrt»sîj;i)er  le  diplôme  un  peu  trop  absolu  que 
M.  Hanauer  prend  sur  lui  de  lui  décerner.  !l  suffit  de  suivre  avec  quelque  assiduité 
les  travaux  qui  se  succèdent  d'année  en  année  chez  nos  doctt  s  voisins  sur  les 
Institutions  du  premier  moyen^âge  pour  èlre  convaincu  que  celle  science  relative 
n*y  est  pas  encore  arrivée  h  ce  point  que  toutes  les  obscurités  soient  considérées 
comme  dissi(ée5.  Les  affirmations  catégoriques  si  ramili6rcs  à  notre  savant  abbé 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COIRS  COLO.VGÈRES  D'aLSACE.  71 

toire  non  pas  indistinctement  commun  à  toute  la  population  qui  s'était 
fixée  sur  sa  surface ,  mais  qu  il  était  au  contraire  divisé  en  autant  de 
petits  territoires  spéciaux  qu*il  y  avait  de  villœ ,  de  curies,  d'établisse- 
ments collectifs  ou  privés.  Enfin  un  autre  caractère  du  régime  des 
Marck ,  est  que  le  droit  de  s'y  fixer  et  de  s'y  établir ,  procédait  exclusi- 
vement de  Vincolat ,  c'est-à-dire ,  de  Vinsiallalion  à  titre  permanent 
sur  son  territoire.  Cet  incolat  lui-même  ne  s'acquérait  que  par  Vindigénal 
ou  parle  contentement  de  ta  population  déjà  établie,  ou  par  une  espèce  de 
prescription ,  équivalant  à  consentement  tacite.  Plusieurs  lois  font 
allusion  à  cet  ordre  de  faits,  entre  autres  le  chapitre  45  de  la  loi  Salique 
{de  migrantibus).  Il  suppose  un  errant  qui  veut  venir  s'établir  dans  une 
vilLi  ;  si  les  individus  attachés  à  celle  villa ,  et  formant  par  conséquent 
un  groupe  établi ,  veulent  le  recevoir ,  il  peut  être  agrégé  ;  si  un  seul 
contredit ,  il  n'en  aura  pas  le  droit.  Le  texte  règle  ensuite  la  procédure 
par  mannition ,  c'est-à-dire  par  interpellation  trois  fois  répétée  à  suivre 
contre  l'intrus  récalcitrant.  Si  à  la  troisième  sommation  il  ne  se  retire 
pas ,  le  cas  est  déféré  au  comte  (gia/ia)  qui  est  prié  de  venir  sur  place 
et  de  l'expulser.  Mais  si  l'intrus  a  séjourné  12  mois ,  le  droit  de  rési- 
dence lui  est  acquis  au  même  titre  qu'aux  autres  habitants  {securus , 
siiut  et  aUi  vicini  maneat  K  Voilà  donc  la  formation  primitive  des 
groupes  bien  expliquée,  ainsi  que  les  conditions  d'inhabitation  qui 
donnaient  droit  de  résidence  dans  la  Mank —  Mais  ici  comme  ailleurs 
M.  Hanauer  a  encore  négligé  de  se  préoccuper  de  deux  questions  prin- 
cipales :  à  qui  appartenait  la  propriété  et  la  souveraineté  de  ces  Marck  ? 
—  Quelle  était  la  condition  des  personnes  formant  leur  population  ?  — 
Presque  toutes  les  Marck ,  connues  en  Alsace ,  procèdent  soit  d'an- 
ciennes possessions  dynastiques ,  soit  de  l'ancien  fisc  romain ,  devenu 
plus  tard  le  fucus  regius  des  Mérovingiens  ou  des  Carlovingiens.  La 
marche  de  Marmoutier  {Marca  oqitileiensix)  a  été  donnée  à  celte 
abbaye  en  pleine  souveraineté,  comme  terre  à  défricher,  leira  de 
vremo  cxcolendn  ,  par  le  roi  Childebert ,  donation  confirmée  par  le  roi 
Thierry  IV  *.  La  marche  de  Munster  était  un  démembrement  du  ^scus 

n'out  pas  encore  acquis  droit  de  cité  chez  ses  collègues  d*outre-Rhia ,  et  M.  de 
Mauror,  j'en  suis  couvaincu ,  sourirait  à  s*enteudre  citer  comme  une  espèce  de 
Pape  scieoliûquc,  dominant  par  son  autorité  les  Savigny,  les  Moser ,  les  Eichhorn 
les  Zaepfli  les  Mone,  etc. ,  etc. 

*  Waitz,  da*  alte  Reeht  der  salisehen  Franken  ,  p.  253. 

*  SCIICEPFLLN  ,  DipL 


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72  REîTUE    D'aLSACE. 

regîux  Colomharîvs,  Le  flatgau  était  dès  Forigine  et  est  resté  partie 
intégrante  du  domaine  royal  ou  impérial  ;  la  Voginf  y  était  un  fief  m- 
pêrfal ,  porté  successivement  par  les  nobles  de  Lichtemberg ,  de  Hanau 
et  de  Darmstadt  '.  Wffrkth  ^  aussi  loin  qu'on  peut  remonter  dans 
l'histoire,  est  sous  la  souveraineté  des  Fleckenslein  ^.  La  Gemelnmark 
de  Guémar,  qui  formait  d'ailleurs  plutôt  un  simple  pâturage  ouvert  à  la 
jouissance  de  plusieurs  communes  ,  qu'une  véritable  marck  ou  marche 
dans  le  sens  historique  du  mot ,  était  sous  la  seigneurie  et  la  juridiction 
des  Rappolstein.  Quant  à  la  popui  tion  de  ces  territoires ,  elle  était  évi- 
demment soumise ,  sous  le  rapport  de  la  distinction  des  classes  ,  à  la  règle 
commune  de  ces  temps  reculés.  Nous  venons  de  voir  déjà  que  les  curies 
et  les  villœ  des  marck  avaient  leurs  mancipiay  leurs  villani .  que  ces  curies 
et  villœ  appartinssent  à  des  dynastes  ,  ou  à  des  souverains ,  ou  même 
allodialement  à  de  simples  propriétaires  libres  (freye).  Les  chartes  qui 
constatent  que  la  population  des  vUlœ  se  vendait  ou  se  donnait  avec  ces 
corps  d'exploitation^  abondent.  M.  de  Rozière  dans  .«on  précieux  Recueil 
général  des  formules  ,  nous  en  a  conservé  plusieurs  qui  se  rapportent 
à  l'Alsace  ou  aux  pays  limitrophes.  Je  les  cite  de  préférence  à  tous 
autres  documents  pour  ne  pas  faire  double  emploi  avec  les  textes  iden- 
tiques qu'on  rencontre  dans  Schœpflin ,  dans  Wurdtwein  ,  dans  Zeuss  , 
dans  Trouillat ,  dans  Mone  et  même  dans  Maurer.  La  vente  totale  ou 
môme  seulement  partielle  d'une  vHia  comprend  toujours  la  formule 
cum  mancipi'iB  desuper  commanentibus  et  ad  eosdem  mansus  adspicien- 
ùbus  ;  cum  hominibus  publias  et  tributariis  in  eàdem  villa  manetuibus  3. 
La  condition  servile  des  groupes  dans  lesquels  se  rèpartissait  la  popu- 
lation est  donc  incontestable.  —  L'exercice  du  droit  d'usage  commun 
sur  le  fonds  laissé  en-dehors  de  la  culture,  forêt,  pâlurage  ,  terres 
vaines  et  vagues ,  créait  un  intérêt  commun  entre  les  didérents  centres 
d'habitations  qui  y  participaient  ;  de  là  les  Marckgenossenschafien  , 
dont  toute  l'activité  et  la  fonction  se  réduisaient  à  régulariser ,  avec  le 
concours  du  seigneur,  l'usage  commun,  à  prévenir  les  abus,  et  à 
veiller  à  ce  que  le  fonds  servant  commun  (Gemeinmark)  ne  soit  pas 
diminué  par  l'un  ou  l'autre  des  groupes  participants  ^.  Ce  qui  est  sur- 


'  SCHGEPFLIN  ,  Âlê,  ili, ,  i  214. 
'  Hànauer  ,  Const, ,  p.  1 36. 

*  V.  DE  RoziÈRE,  I,  p.  140,  245  ei  pass, 

*  Voy.  sur  lous  ces  détails  ëichuorn  ,  DevUseh,  BeehtsgeêetUche ,  i,  p.  14.  - 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLONGÈRES  D' ALSACE.  73 

tout  à  remarquer  c'est  que  ces  Genossenschaften  dans  la  généralité  des 
cas  au  moins,  ainsi  que  l'indique  du  reste  Tétymologie  même  * ,  n'ont 
jamais  prétendu  à  la  propriété  et  encore  moins  à  la  souveraineté  sur  les 
territoires  assujettis  à  leur  jouissance  Les  règlements  de  ['Oberheim- 
geraîde,  plus  tard  ceux  des  Gerdide  de  Landau,  enfin  ceux  de  VUffrieth 
et  de  la  grande  WaUlgenossenschufi  du  Hohwaid  et  de  YUngersherg 
prouvent  à  l'évidence  que  ces  associations  n'étaient  (\}i'u$agèrei  *.  — 
Mais  je  dois  ici  terminer  cette  trop  longue  digression  ,  et  revenir  à  nos 
cours  colangères  qui  sont  et  doivent  rester  l'objet  exclusif  de  notre 
recherche.  Tout  lecteur  un  peu  exercé  se  sera  demandé  plus  d'une 
fois  :  qu'est-ce  que  les  villœ ,  les  curies,  les  marck  ont  de  commun  avec 
l'individualité  si  marquée  des  Dinghôfe  ?  Je  n'en  sais  rien ,  et  quand  je 
m'adresse  à  M.  Hanauer  pour  avoir  l'explication  de  cette  excursion  qu'il 
exécute  sur  ce  terrain  complètement  étranger ,  je  ne  reçois ,  à  titre 
d'éclaircissement,  que  des  propositions  comme  celles-ci  : 

«  Cette  société  (germanique)  fut  d*ubord  nomade  et  pastorale.  Ici 
Q  point  de  demeure  fixe  et  partant  point  de  propriété  stable ,  point  de 
n  culture  suivie  *. 

f  Â  ce  premier  âge  succède  celui  des  Marches.  Les  populations  se 

<  (ixent  par  groupes  ;  la  propriété  est  d*abofd  commune  ;  la  culture  du 
d  sol  se  développe  et  fonde  peu  à  peu  la  propriété  particulière  ,  à  côté 
i  mi  aux  dépem  de  h  propriété  communale,  i  Une  propriété  communale 
quand  il  n'y  a  pas  encore  de  commune  est  assez  difficile  à  comprendre  ! 
Mais  poursuivons  : 

t  La  troisième  période  est  celle  des  cours  colongères.  Les  grandes 
«  ifillas  se  forment  par  des  acquisitions  (de  qui?)  ou  par  des  défriche- 

<  nents  (  sur  quoi  ?  )  ET  me  rendent  ensuite  leur  territoire  a  la 


Z.CPFL,  II ,  p.  195.  —  Locw,  Markgenossenschaftm.  —  V.  Maurbr  ,  Gesefi.  der 
Markverfassung  in  DeutscMandf  p.  44 ,  197  et  i98.  —  Daniels,  i  .  517. 

'  Genou  à  niessm  uti ,  firui.  Schertz  «  Glo.  h.  verb. 

*  L'autorité  de  M.  RéYille  que  M.  Hanauer  se  borue  à  invoquer,  dans  le  passage 
unique  qu'il  consacre  aux  Garai'd^,  est  toul-à-faii  conforme  ^  l'opinion  que  nous 
soutenons.  —  V.  Réville  ,  p.  146  ,  et  Hanauer  ,  Constitutions ,  p.  103. 

'  Const. ,  p.  95.  J'ai  déjà  prouvé  ta  lausseté  de  cette  opinion  de  M.  Hanauer 
qui  est  ici  en  contradiction  manifeste  avec  son  guide  habituel  M.  de  Uaurer.  Le 
climat  de  la  Germanie  ne  permet  pas  de  lui  supposer ,  à  aucune  époque ,  une 
population  exclusivement  nomade. 


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74  REVUE  u'alsace. 

«  CIRCULATION  QU'AVEC    LA   HÉSERVE   DU   DOMAINE  DIRECT.   >  —  Je  défie 

(oui  homme,  ayant  (|uelque  notion  de  chronologie  el  de  droit,  de 
trouver  ou  de  donner  un  sens  acceptable  à  ces  étranges  propositions  ! 
D* abord  que  iM.  Hanauer  nous  explique  comment  il  peut ,  sans  contre- 
dire les  affirmations  de  son  premier  volume  ,  placer  les  cours  colon- 
gères ,  chronologiciuement ,  après  les  marches  et  les  vHla  ?  n'en  avait-il 
pas  fait  la  souche  de  toutes  nos  communes  villageoises  ?  —  Ensuite 
existe-t-il  un  seul  document  qui  permette ,  non  pas  d'assurer ,  mais 
seulement  de  supposer  que  de  semblables  cour^  n'aient  pas  existé  en 
même  temps  que  les  mnrchv»  ?  Sur  quel  fondement  d'ailleurs  Tauteur 
peut-il  s'appuyer,  pour  faire  de  la  villa  une  espèce  de  développement 
de  la  COUR  colo^gére?  —  Ces  deux  genres  d'établissements  ont  tou- 
jours été  ortjan'uinemeni  distincts.  Lduoloncje  avec  sa  division  en  mairsus 
ou  en  hutb  a  toujours  été  diiférente  de  la  lillu  qui  ne  comportait  pas 
nécessairement  cette  divison.  Pour  se  convaincre  du  défaut  d'identité 
enire  ces  deux  genres  d'agglomérations ,  il  suffit  de  se  reporter  au  capi- 
tulaire  de  Charlemagne  de  viUis  et  au  fameux  Hè^!ement  de  l^abbé 
Meynhart  de  Marmoulier  ^1144)  ',  lequel ,  comme  le  fait  observer  avec 
raison  M.  Hanauer ,  est  cité  dans  tous  les  ouvrages  qui  ont  traité  de  ces 
matières.  Commtnt  d'ailleurs  n'être  pas  frappé  de  ce  contraste  que 
l'annexion  à  la  mmck  par  la  vilLi ,  procédait  du  seul  fait  de  Yincolai , 
tandis  que  la  cour  colongère  formait  une  aiigloméraîion  dosa  à  tout  ce 
qui  n'était  pas  hiu  h,  r  (prt* neur)  et  que  par  conséquent  l'aggrégation  à 
une  semblable  cour  exigeait  la  lovnùon  ilirecie ,  ou  la  iransmisshn 
héréditaire  du  lien  locaiif  !  —  Au  surplus  les  documents  historiques 
démontrent  pour  les  villas  une  antiquité  au  moins  aussi  reculée  que 
pour  les  Miuvk  et  les  Dinyhôf*' ,  et  nous  sommes  étonnés  d'avoir  à  le 
démontrer  contre  M.  Hanauer ,  dont  tout  le  premier  tome  ,  préface 
y  compris,  contient  le  thème  de  VuLiquiié  immémoriale  de  la  colonge. 
Nous  venons  de  voir  les  villa  mentionnées  déjà  dans  la  loi  talique  ;  et 
je  n'ai  trouvé  dans  les  deux  voluniei^  de  notre  auteur  aucun  texte  ,  au- 
cune autorité  sur  lesquels  il  puisse  appuyer  la  priorité  chronologique 
qu'il  attribue  maintenant  aux  marck ,  lesquelles  conleiiaienl  des  villa  , 
sur  les  cuuts  coloi'gèies  qui,  nous  le  répétons  ,  nont  rien  de  commun 
avec  ces  élablissements  d'une  nature  délcruiinée.  —  Ici  d'ailleurs  se 

•  SciiccpFLiN ,  Dipl. ,  I ,  p.  2^^.  —  Voy.  sur  l'organisation  Ue  la  villa  Réville, 
q.  s,  p.  225. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLONGÉRES  D*ALSACE.      75 

redresse  le  vrai  problème.  —  Ces  vHla  ,  comme  le  veut  M.  Hanauer , 
auraient-elles  été  la  propriété  coileciive  des  personnes  qui  en  formaient 
la  population  ?  —  Cette  population  formait-elle  une  commune ,  corn* 
posée  d'habitants  et  d'habitations  ,  fundus  prœdiis  et  personis  coUtctiiM^ 
dont  l'ensemble  eût  constitué  dès-lors  un  corps  moral  ^  comme  nous 
disons  nous  autres  légistes  ,  un  être  juridique^  capab'e  de  possMer  ?  En 
d'autres  termes ,  faut-il  voir  dans  toutes  ces  villa  de  la  période  fran- 
cique ,  les  Dorffgemifiude ,  les  communautrs  viUncfeoises  avec  le  sens 
que  les  siècles  postérieurs  ont  altribi.é  à  ces  dénominations  ?  —  Ici 
nous  nous  heurtons  de  nouveau  à  Tobjection  que  j'ai  déjà  si  souvent 
signalée  au  savant  auteur  ;  Tobjection  fondée  sur  la  condition  des 
personnes.  S'il  parvenait  à  prouver  que  la  population  des  marck  ,  des 
villa ,  des  Dinghôfe  était  exclusivement  composée  d'hommes  libres,  je  me 
rangerais  immédiatement  à  la  théorie  de  l'indépendance  originelle,  du 
self  gouvernemeht  primitif  et  absolu  ,  que  ,  comme  un  Paradis  perdu  , 
il  place  au  seuil  de  la  nouvelle  société  européenne.  Mais  cette  preuve 
est-elle  possible ,  en  présence  des  innombrables  documents  qui  éta- 
blissent que ,  dans  les  marck  comme  dans  les  villa ,  s'étaient  main- 
tenus la  distinction  des  classes  et  avec  elle  l'esclavage  à  divers  degrés , 
les  maueipia  ,  les  hommes  proprii  ,  publici  »  tribulniii ,  villttni  , 
hœrigen  l  Si  cela  est  incontestable ,  comment  donc  attribuer  à  ces  popu- 
lations auxquelles  leur  état  légal  inféiieur  interdisait  jusqu'à  l'accès  de 
la  propriété  libre  ,  la  propriété  collective  de  ces  marck  et  de  ces  villa  ! 
M.  tle  Maurer  lui-même  ,  sur  les  ailes  duquel  M.  Hanauer  s'est  laissé 
entraîner  à  l'enthousiasme  pour  cette  haute  liberté  des  temps  primitifs^ 
a  été  conduit  à  confesser,  dans  le  dernier  ouvrage  qu'il  vient  de  publier  \ 
que  sa  théorie  de  villages  prop^  iéiairts  de  leurs  fonds,  ne  pourrait  recevoir 
d'application  que  dans  le  cas  où  le  Oor/f^  la  villa  auraient  été  exclusive- 
ment composés  de /î6/t  5  (FreyenJ.  Il  appelle  ce  genre  parliculier  lesvtllœ 
frunt  (Bou  ril'œ  ingemhv.  Il  prétend,  il  est  vrai  aust^i,  (|u*elles  auraient  été 
irès-rèpamlues  dans  le  principe  ;  peut-être  même,  ajoute-t-il ,  formaient- 
elles  la  règle.  (Je  note  le  peut-être)  «  Mais,  ajoute-t-ii,  par  la  suite  et  les 
*  malheurs  du  temps  ,  les  propriétaires  libres  de  ces  villos  libres  se  virot 
^  forcés  de  se  dvnve>  à  des  églises,  à  da  couveuis  ou  à  d'auii  t  s  pi  otccteurs 
<  et  reprenant  tmuite.  leurs  biens  par  des  traditions  fti  adilionesj  ils  oit 
i(  ainsi  perdu  leur  qualité  de  pi  opriétaires  libres  et  de  membres  d'une 

*  Gesehichie  der  Dorfverfassung  in  Deutschland,  Nuvenibre  1865,  i ,  p.  6  et  59. 


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76  REVUE  D'ALSACE 

f  communauté  libre  (Freije  DorffmarhgenossenJ .  *  On  ne  peut  être 
que  frappé  de  ce  qu'il  y  a  d'ingénieux  dans  ce  moyen  de  sauver  un 
système  tout  en  le  désertant.  Sur  le  fonds  obscur  de  Textréme  moyen- 
âge  ,  on  fait  apparaître,  mais  pour  un  moment  seulement ,  la  figure  à 
peine  accentuée  d'une  villa  composée  exclusivement  d'hommei  libres  ; 
puis ,  avant  qu'on  ait  eu  le  temps  de  la  constater  ,  l'apparition  s'éva- 
nouit devant  l'implacable  dureté  des  temps  !  —  Est-ce  là  une  certi- 
tude que  puisse  accueillir  la  sérieuse  histoire,  et  peut-on  fonder  une 
théorie  sur  des  données  aussi  fragiles  et  aussi  fugitives  ?  —  M.  de 
Maurer  du  reste ,  dans  ses  nouissima  vetba ,  reconnaît  qu'à  côté  de  ses 
villas,  composées  de  libres,  il  y  en  avait  qui  étaient  exclusivement 
composées  de  Hôriyen  i,  ce  qui  suffit  pour  enlever  au  mot  Gemeinde  le 
sens  d'une  commune  indépendante ,  libre  et  souveraine  que  M.  Hanauer 
lui  donne  d'une  manière  absolue  et  sans  tenir  aucun  compte  de 
la  diversité  des  époques.  Voilà  pourtant  tout  ce  que  la  science 
la  plus  entreprenante  est  parvenue ,  jusqu'à  nos  jours ,  à  tirer 
des  ténèbres  de  ces  premiers  âges  de  la  civilisation  moderne  ; 
cela  est  bien  loin  y  on  en  conviendra ,  du  large  milieu  de  liberté 
absolue,  de  propriété  plantureuse,  de  sécurité  presque  patriarcbale 
dont  M.  Hanauer  a  pris  sur  lui  de  nous  exposer  l'attrayant  mais 
fantastique  tableau.  —  Je  reviens  donc  à  lui;  je  ne  lui  demanderai 
plus  de  prouver  que  ses  villa,  sans  distinction^  aient  été  et  aient 
pu  être  propriétaires  et  souveraines.  Je  voudrais  seulement  qu'il  pût 
me  donner  le  sens  de  sa  prodigieuse  phrase  :  «  L^s  grandes  villa 
c  ne  rendent  ensuite  leur  territoire  à  la  circulation  qu'av*  c  la  réserve  du 
€  domaine  direct,  >  J'y  ai  mis ,  je  le  jure,  tous  mes  efforts ,  toute  ma 
bonne  volonté  ;  et  j'atteste  en  toute  humilité  que  pour  moi  ce  rare  et 


'de  Maurek  ,  Dorfverfattung  ,  §  4  au  §  6 ,  p.  H.  Cet  auteur  complète  Taveu 
que  lui  arrache  l*évideDce  des  faits  en  ajoutant  que  les  marches  viltageoises  «et- 
gneuriales  {Grundherrliche  Dorfmarken)  ont  existé  en  lrès-^r:iud  nombre  dans 
les  provinces  conquises  sur  les  Romains  ;  il  les  qualllic  de  coloniœ  ou  de  colonicm. 
Il  ajoute  :  a  Les  Rois  ,  les  Ducs  et  les  Comtes  possédaient  également ,  en  Aile- 
n  mugne ,  dès  la  plus  haute  antiquité  (schon  frùlie) ,  des  marches  vitlageoisn 
M  (Dorfmarken)  exclusivement  peuplées  de  sujets  non-libres  (Hàrijen),  desquellrs 
a  ces  souverains  pouvaient  disposer  arbitrairement  ('t  desquelles  ils  disposèrent 
«  en  effet  ainsi  »  —  M.  Mone  avait  du  roste  d^jà  démontié  cette  vérité  incon- 
testable. —  Zeitschrift ,  vil ,  p.  160. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGËRES  d' ALSACE.      77 

malheureux  emprunt  que  M.  Hanauer  a  fait  à  la  langue  du  droit 
n'aboutit  qu'à  une  assertion  qui  m'est  absolument  inintelligible.  Le 
domaine  direct  (dominium  dtrecium) ,  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer, 
est  ce  que  nous  appelons  le  domaine  tréfoncier,  ou  plus  simplement 
la  directe:  ce  mot  exprime  tous  les  droits  de  maîtrise,  de  supé- 
riorité que  renferme  le  droit  de  propriété.  En  opposition  à  cette  directe 
et  à  un  rang  tout-à-fait  subalterne ,  vient  le  domaine  utile,  c'est-à-dire  le 
simple  usufruit ,  le  simple  droit  aux  fruits ,  la  substance  du  fonds  res- 
tant sauve.  —  Fixé  sur  le  sens  universel  de  ces  termes,  chaque  lecteur 
se  demandera  :  que  peuvent  donc  être  ces  villa  de  la  première 
période ,  rendant  leur  territoire  à  la  cirailation ,  sous  la  réserve  du 
domaine  direct  ?  Quelle  est  la  situation  historique  ou  légale  qui  puisse 
se  prêter  à  un^si  bizarre  énonciation  ?  qu'est-ce  d'abord  que  cette  circu- 
lation à  laquelle  le  territoire  serait  rendu  ?  —  La  circulation  en  matière 
d'immeubles  ne  peut  guère  s'entendre  que  de  l'aliénation  sous  toutes 

les  formes,  ventes,  donations ,  échanges,  etc Les  villa  que  d'un 

trait  de  plume  M.  Hanauer  a  déj:^  rendues  libres,  propriétaires  ,  souve- 
raines ,  deviendraient-elles  ainsi ,  en  outre  ,  marchandes  d^immeubles  ? 
Et  puis  cette  réserve  de  la  directe,  (ce  qui  suppose  des  aliéna- 
tions par  censive,  à  titre  de  rente  foncière ,  ou  d'empbytéose),  où  notre 
savant  abbé  en  a-l-il  donc  rencontré  la  moindre  trace ,  même  dans 
ces  villa  de  Freyen  dont  M.  de  Haurer  n'a  pu  faire  qu'une  espèce  de 
fantôme  ?  Commencer  par  vouloir  faire  des  villa  de  vraies  communes 
libres  y  puis  ériger  les  Marches  en  véritables  biens  communaux  {Bona 
vniversitatis)  pour  aboutir  à  une  circulntion  qui  aurait  converti  la  pro- 
priété collective  en  une  simple  créance,  c'est,  il  faut  le  dire ,  se  donner 
beaucoup  de  peine  pour  édifier  un  non  sens  qui  ne  peut  se  faire  accepter 
par  aucun  historien ,  qu'il  soit  jurisconsulte  ou  même  simplement 
amateur. 

Le  tort  de  M.  Hanauer  (tort  très-excusable ,  je  me  hâte  de  le  dire , 
puisqu'il  a  sa  source  dans  une  noble  ambition)  a  été  de  ne  pas  avoir 
été  assez  frappé  de  l'obscurité  qui  couvre  et  qui  couvrira  probablement 
à  jamais  ,  au  moins  en  partie ,  cet  âge  en  quelque  sorte  rudimentaire 
des  premiers  établissements  germaniques.  Toute  nuit  est  féconde  en 
illusions  ,  et  c'est  contre  ces  illusions  qu'il  ne  s'est  pas  prémuni  avec 
assez  de  circonspection  :  il  a  voulu  faire  pénétrer  courageusement  la 
lumière  dans  les  ténèbres  ,  sans  s'apercevoir  que  son  flambeau  ne  lui 
rendait  qu'une  image  illusoire  et  trompeuse.  C'est  une  vértiable  étude 


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78*  REVUE  D'ALSACE. 

embryogénique  qu'il  a  entreprise  ;  mais  il  n'a  pas  assez  saisi  les  linéa- 
ments de  la  formation  qu'il  entendait  observer.  Dans  cette  masse  con- 
fuse ,  il  a  cru  apercevoir  tous  les  organes  d'une  liberté  avancée  ,  d'une 
véritable  souveraineté  populaire ,  s'exerçant  dans  des  assemblées  natio- 
nales ;  et  il  n'a  pas  pénétré  un  seul  instant  du  regard ,  ces  deux  grands 
traits  de  la  condition  des  personnes ,  divisées  en  classes  ,  et  de  la  sou- 
veraineté territoriale  des  chefs  de  tribu  ou  des  dynastes.  Ces  traits  vont 
s'accentuer  dans  l'âge  suivant ,  et  c'est  la  preuve  nécessaire  de  leur  pré- 
pondérance fondan>entale  dans  l'âge  antérieur.  L'humanité  pas  plus  que 
l'homme  ne  se  développe  par  saut  ou  par  bond  ;  elle  subit,  au  contraire 
comme  lui ,  une  loi  de  formation  sériaire  et  graduelle  ;  son  passé  se 
reflète  dans  son  présent  et  dans  son  futur ,  comme  l'homn^e^  en  croissant, 
conserve  en  les  développant  les  puissances  organiques  cachées  dans  son 
germe.  Dans  le  système  de  M.  Hanauer,  l'avènement  du  régime  féodal 
reste  complètement  inexplicable  ;  comment  toutes  ces. populations ,  de 
races  diverses,  établies  depuis  près  de  cinq  siècles  sur  un  sol  qui  aurait  été 
leur  propriété ,  jouissant  de  l'indépendance  la  plus  large  ,  s'assemblant 
librement  dans  leurs  mallux ,  auraient-elles  du  jour  au  lendemain  subi 
cette  transformation  inouie  qui  aurait  violemment  destitué  Phomme 
libre  de  sa  liberté  pour  le  réduire  à  un  état  de  demi-servage ,  arraché 
la  propriété  au  possesseur  pour  Tattribuét*  à  un  maître ,  et  couvert  le 
pays  tout  entier  d'un  réseau  de  dominations  sans  limites  comme  sans 
frein?  L'avènement  de  la  féodalité  aurait  donc  été  plus  radicalement  nova- 
teur que  la  conquête  ?  la  conquête  pourtant  était  la  victoire  sur  une  domi- 
nation étrangère ,  et  ici  au  contraire  l'asservissement  des  personnes,  l'a- 
néantissement de  toute  propriété  ,  de  toute  liberté  auraient  été  imposés, 
tyranniquement ,  par  des  nationaux  à  leurs  concitoyens!  Une  thèse  ,  qui 
conduit  à  de  pareilles  conséquences ,  ne  se  condamne-t-elle  pas  d'elle- 
même?  et  la  féodalité  peut-elle  être  considérée  autrement  que  comme 
une  phase  du  développement  intime  de  la  société  Germanique ,  telle 
qu'elle  était  constituée  au  moment  de  la  conquête  et  telle  qu'elle  s'était 
maintenue  jusqu'au  x«  et  au  xi«  siècle?  Ce  régime  repose  exclu- 
sivement sur  les  deux  grandes  bases  que  lui  ont  préparées  et  conservées 
les  temps  antérieurs  ;  la  condition  différente  des  personnes,  (la  person- 
nalité du  droit),  un  des  grands  traits  du  premier  moyen-âge ,  et  la  sou- 
veraineté territoriale ,  procédant  de  la  propriété  libre ,  qui  va  se  subor- 
donner elle-même  dans  une  certaine  mesure  à  la  souveraineté  supérieure 
de  l'Empereur  et  de  l'Empire. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÊRES  D' ALSACE.  19^ 

Je  considère  donc ,  coninie  peu  exacte ,  la  forme  dans  laquelle 
U.  Hanauer,  dans  sa  courte  récnpitulalion  chronologique,  annonce 
ravènempnt  du  régime  féodal.  <  Enfin,  dit-il  ^ ,  arrive  le  triomphe  de 
«  la  souveraineté  seigneuriale  ,  ou  des  ciU's  républicaines,  La  vie  poli- 
f  tique ,  la  puissance  judiciaire  sont  concentrées  entre  les  mains  de 
4  quelques  seigneurs  ou  de  quelques  villcx,  »  La  souveraineté  seigneu- 
riale ,  nous  venons  de  le  rappeler ,  résidait  avant  Torganisation  féodale 
dans  la  propriété  Itbre  ei  allndinlc ,  ol  quant  aux  cités  républicaines 
notre  auteur  se  hasarde  un  peu  en  les  rendant  en  quelque  sorte  congé- 
n<?reir  des  seigneuries  ^  auxquelles  elles  ont  servi  de  contrepoids ,  à  la 
suite  de  luttes  prolongées  dont  nos  annales  alsaciennes  contiennent  le 
récit.  L'histoire  de  la  formation  de  nos  grandes  communes ,  libres  et 
impériales ,  est  trop  connue  ,  pour  que  nous  songions  à  allonger  inuti- 
lement cette  étude  ,  en  suivant  M.  Hananer  dans  les  développements , 
quelquefois  erronnés  ,  qu*il  a  jugé  à  propos  de  consacrer  à  ce  sujet , 
entièrement  étranger  à  cehii  que ,  d'après  Tamendement  apporté  par 
lui-même  à  ses  titres  ,  il  entendait  traiter  exclusivement.  Laissant  donc 
de  côté  rhistoire  des  villes ,  je  me  bornerai  à  étudier  Tinfluence  du 
régime  féodal  sur  les  établissements ,  objets  directs  de  cette  étude. 

Je  me  suis  sincèrement  appliqué  ,  en  lisant  Tœuvre  de  M.  llanauer, 
à  découvrir  les  principes  généraux  qui  doivent  dominer  ses  convictions 
historiques ,  et  je  le  dis  à  regret ,  je  ne  suis  pas  parvenu  à  m'en  faire 
un  résumé  exact  et  concordant.  Entièrement  disposé  à  reconnaître  avec 
lui  qu'il  ne  faut  pas  apporter  ,  dans  l'étude  du  passé ,  les  idées  ou  si 
l'on  veut  les  préjugés  propres  à  une  époque  postérieure  ,  je  le  trouve 
au  seuil  du  régime  féodal ,  enclin  à  considérer  cette  structure  sociale 
comme  une  véritable  usurpation  ,  dont  il  aurait  bonne  envie  encore  de 
rejeter  tout  l'odieux  sur  les  jurisconsultes  et  les  légistes.  A  nos  yeux ,  au 
contraire ,  la  féodalité  a  été  le  développement  inévitable  d'un  mouvement 
politique  et  social ,  qui  a  commencé  dès  l'invasion;  elle  était  dans  le 
sens  de  ce  mouvement ,  dans  le  courant  des  mœurs  et  des  institutions 
d'alors  ;  et ,  fidèle  jusqu'au  bout  à  cet  esprit  d'équité  pour  les  temps  an- 
térieurs auquel  notre  auteur  a  fait  lui-même  appel ,  je  n'hésite  pas  à 
croire  qu'à  son  début  ce  régime  n'a  pas  été ,  pour  les  contem- 
porains ,  ce  qu'il  nous  paraît  aujourd'hui ,  à  nouS;  enfants  d'une  civili- 
sation plus  avancée.  On  s'exagère  souvent  les  souffrances  du  passé,  parce 

*  Constitutions ,  p.  95. 


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80  REVUE  D* ALSACE. 

que  Ton  se  représente  ce  qu'on  souffrirait  soi-même  dans  de  pareilles 
conditions. —  On  peut  aussi  arriver,  à  Tinverse,  à  se  faire  de  ce  passée  une 
image  séduisante  et  digne  de  regrets ,  en  isolant  certains  détails  pour 
les  mettre  en  opposition  avec  les  sentiments  et  les  habitudes  du  temps 
où  Ton  vit  ;  méthode  fausse,  dans  Tune  et  l'autre  direction,  et  qui 
conduit  à  condamner  ou  à  glorifier  le  passé ,  en  vertu  d'idées ,  d'aspi- 
rations ,  de  principes  que  ce  passé  n'a  pas  eus  et  n'a  pas  pu  avoir. 

Au  surplus  la  féodalité  n'a  pas  eu  besoin  de  légistes  pour  arriver  à  la 
vie,  et,  pour  rendre  justice  à  qui  elle  est  due,  reconnaissons  que,  de  toutes 
les  puissances  qui  ont  concouru  à  tirer  une  organisation  du  chaos  des  in- 
vasions, aucune  n'a  déployé  plus  d'énergique  activité  que  l'Eglise.  Est-il 
besoin  de  rappeler  ici  le  zèle  qu'elle  mit  à  inoculer  à  ces  conquérants  bar- 
bares, en  même  temps  que  la  foi  religieuse ,  le  latinisme  des  formes  poli- 
tiques ;  son  ardeur  à  susciter  des  dominateurs  et  à  constituer  une  autorité 
au  milieu  de  ces  secousses  désordonnées  !  qui  peut  avoir  oublié  l'influence 
sacerdotale  qui  s'agita  autour  des  premiers  rois  de  Bourgogne ,  les  plus 
débonnaires  des  Germains  conquérants  ?  N'est-ce  pas  l'Eglise  qui  fit 
apporter,  par  les  anges,  la  Sainte- Ampoule ,  pour  oindre  le  front  encore 
si  barbare  de  Clovis  ?  n'est-ce  pas  elle  qui  couronna  et  sacra  Pépin-le- 
Bref  ;  qui  exhuma ,  pour  en  ceindre  la  tête  glorieuse  de  Charlemagne  , 
cette  couronne  de  l'empire  d'Occident ,  que,  quelques  siècles  plus  tard , 
le  pieux  mais  avisé  Rodolphe  de  Habsbourg  refusait  d'aller  chercher 
à  Rome ,  en  récitant  à  ses  preux  la  fable  de  l'antre  du  lion  ^  ?  En  échange 
de  cette  influence  d'une  force,  alors  irrésistible,  qu'ils  mettaient  au  ser- 
vice de  la  civilisation  se  dégageant  péniblement  du  sein  d'un  cata- 
clysme ,  le  clergé  et  les  ordres  monastiques  conquirent  un  rang  pré- 
pondérant dans  l'ordre  social  nouveau ,  et  des  domaines  immenses  dans 
le  partage  des  débris  de  l'ancien  Empire  romain.  Ce  serait  perdre  son 
temps  et  abuser  de  la  patience  du  lecteur  que  de  rappeler  ici ,  ne  fût-ce 
que  sommairement,  les  vastes  concessions  Mérovingiennes  et  Carlovin- 
giennes  dont  furent  successivement  dotés  les  évèchés  et  les  ordres  mo- 
nastiques de  l'Alsace.  Il  faudrait  vouloir  fermer  obstinément  les  yeux  à 
l'évidence  pour  se  refuser  à  reconnaître  l'influence  dominante  qu'a 
exercée  l'Eglise  dans  la  constitution  des  pouvoirs  nouveaux  ,  qui ,  après 
l'invasion ,  se  substituèrent  soit  aux  anciens  chefs  nationaux ,  soit  aux 


'  KcLMGSBOVEN,  EUott,  ChronUk.  Ed.  Schelt.  p.  il 9. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLOMGÈIiES  D'aLSACE.  81 

gouYerneurs  Romains.  Ce  sérail  même  s'exposer  à  se  montrer  ingrat 
envers  les  services  signalés  qu'elle  a  rendus  à  Thumanité  dans  ces  temps 
si  profondément  troublés.  Aussi  les  historiens  de  toutes  les  écoles , 
orthodoxes  et  hétérodoxes ,  sont-ils  aujourd'hui  unanimes  à  lui  rendre 
cette  justice ,  qu'à  elle  principalement  la  civilisation  moderne  doit  ses  ori- 
gines et  sa  culture.  Sa  puissante  impulsion,  sa  savante  initiation,  sa  persé- 
vérance ,  ont  peu  à  peu  dominé  et  transformé  la  Barbarie  envahissante  ; 
l'ont  pénétrée  des  lumières  qui  avaient  brillé  en  des  temps  plus  cléments, 
ei  préparé  ainsi  y  selon  la  parole  de  l'Evangile,  an  vin  nouveau  qui 
fermentait ,  le  vase  nouveau  qui  devait  le  contenir  et  le  purifier. 

Mais  précisément  par  ce  qu'on  ne  peut  nier  la  part  active  qui  appar- 
tient au  clergé  et  aux  ordres  monastiques  dans  la  construction  politique 
de  la  société  nouvelle ,  il  est  impossible  de  supposer  que  comme  pro- 
priétaires ,  que  comme  souverains  temporels ,  ils  se  soient  soustraits 
aux  mœurs  et  aux  habitudes  sociales  du  temps ,  et  qu'ils  aient  adopté  , 
pour  le  gouvernement  de  leurs  vastes  domaines ,  des  conditions  autres 
que  celles  qui  régissaient  alors  la  propriété  en  général.  Ils  s'associèrent 
au  contraire  pleinement  au  système  féodal ,  et  à  cet  égard ,  toute  dé- 
monstration ne  serait-elle  pas ,  à  juste  titre ,  considérée  comme  super- 
flue ?  qui  ignore  la  haute  position  politique  qu'occupaient  jadis  nos 
évèques  de  Strasbourg ,  et  les  vingt-quatre  comtes  de  leur  chapitre  ; 
leurs  démêlés  incessants  avec  la  ville  et  les  seigneuries  ;  le  combat  de 
Hausbergen  y  si  vivement  raconté  par  nos  chroniques  ;  les  excommuni- 
cations pour  causes  purement  civiles  fulminées  à  coups  redoublés  contre 
les  populations  ;  les  avoués  nobles  au  service  de  tous  les  monastères  ; 
les  vingt-quatre  chevaliers  et  écuyers ,  vassaux  de  Marmoutier  ^  ;  Mur- 
bach  vendant  aux  Habsbourg  ses  cours  colongères  de  Lucerne  et  préparant 
ainsi  la  situation  qui  se  dénoua  à  Sempach  \  etc* ,  etc.  Mais  à  quoi  bon 
prolonger  ces  exemples  ?  l'immixtion  intime  du  clergé  dans  la  féodalité 

*  Hanauer  »  CoMt, ,  p.  70. 

'  Kopp,  H,  p.  169  et  187.  Les  documcnls  de  celte  vente  prouvent  que  non 
seulement  les  cours  colongères ,  mais  totu  Us  habitants  étaient  la  propriété  de 
Tabbaje  :  «  Leute  und  Gut  sind  des  Gotleshauses  Luxem  EIoEN  ,  und  Zmng  und 
Bann.  »  La  vente  du  20  septembre  1277  porte  également  :  «  Den  Hof  Luzet-n 
dis  Stadt  und  die  Besitzungen  dassêlbst ,  mit  den  Bôfen  (les  noms  des  IS  colonges] 

mU  alUm  Zugehifr ,  mit  den  Leuten mit  zwingen  und  bënnen,  allen  JEm- 

l«m,  mit  voiler  Vogtey mit  Forsten  und  Waldungm  ,  gebautem  und  unge- 

bautem  Srdreieh ,  Wunn  und  Weide^  etc.  ,  etc.  » 

^  Séria.  -  il*  hjaéê.  ^ 


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88  Myvr.  d'alsac^. 

n'est  évidemment  pas  coniKfstable.  Ce  qui  i^e  l'est  pas  dàtàntage  ,  c'est 
que  l'Eglise ,  cait)m«  propriétaire ,  jotilssail  d'un  droit  pàHiculier  dont 
les  dispositions  étaient  en  général  plus  rigoureuses  que  celles  du  droit 
commun  laïque.  Nous  avons  déjà  ra>ppelé  plûs  haut  qu'elle  prétendait 
n'user  que  du  droit  Romain ,  uiitw'fatê  UomaM.  En  vettti  de  cette  pré- 
tention y  l'on  voit  au  w  siècle  encore  un  évéque  vendre  lès  serfs  de  son 
Eglise ,  absolument  dômme  cela  se  pratiquait  dans  l'ancienne  Rome 
payenne.  Ce  Tait  donna  lieu  à  un  conflit  mémorable  entre  la  puissance  civile 
et  la  souveraineté  ecclésiastique.  L'empereur  Conrad -le-Sàliqtte  cassa  là 
vente  ' .  c  H  nous  a  été  rapporté,  porte  l'Edit,  que  \H  serfs  de  la  saintes  Eglise 
c  de  Verden  ont  été  vendus  jusqu'ici  comme  un  vil  bétail  (c(*ii  bruia  ani- 
((  maita).  Nous  avons  appris  cet  usage  criminel  avec  étonnéhieht ,  et 
«  nous  l'exécrons  comme  une  chose  détestable  à  Dieu  et  âut  hommes... 
H  Nous  pensons  qu'aux  termes  de  la  loi  canonique  tes  terres  et  lès  terfg 
a  de  V Eglise  ne  peuvent  jamais  être  échangés  sous  d'autres  roHdUions 
(i  tfue  terres  pour  terres  ,  serfs  pour  serfs ,  et  de  mamère  que  V échange 
a  soit  toujours  avantageux  ou  du  moins  n'offre  pas  de  désavanîAge  â 
a  C Eglise,  En  conséquence  nous  défendons  par  notre  autorité  impériale 
6  de  suivre  à  l'avenir  un  usage  si  opposé  aux  traditions  des  ^aints 

((  Pères »  Saint  Rémy  déjà,  dans  son  testament,  disposait  de  89 

colons  qu'il  dénommait,  indépendamment ,  comme  il  le  dit  lui-même,  de 
ceux  qui  n'y  sont  pas  mentionnés  2.  —  L'Bgfee ,  comme  bailleur  à  litre 
temporaire  ou  perpétuel ,  avait  encore  un  droit  privilégié  ;  la  commise 
vis-à-vis  d'elle  était  de  rigueur ,  et  s'enco«irait  par  le  seul  fait  de  l'accu- 
mulation de  deux  canons  ;  tandis  que  pour  la  propriété  laïque,  il  fallait 
trois  échéances ,  et  en  outre  one  mise  en  demeure.  En  matière  emphy- 
téotique ,  le  bien  ecclésiastique  tombait  également  en  commise ,  em  cas 
de  mauvaise  culture  de  la  part  du  preneur,  ce  qui  n^avait  pas  lieu  en 
matière  laïque  ^.  L'Eglise  jouissait  en  outre  du  j^rivilège  de  Timpres- 
criptibilité  pour  le  fonds  de  ses  propriétés  et  de  la  prescription  qua- 
dragénaire pour  ses  rentes  et  revenus.  —  Le  imôde  de  recouvrement  ^ 


*  V.  Pebtz  .  IV,  p.  28. 

'  Flodoard  ,  Hist,  28.  —  Je  pourrais  diu^lJpAîer  ces  exenpies.  V.  Ghéhaki»  , 
Cartutaire  du  Saint- Père  de  Chartres,  —  Fleort  ,  But,  eecUsiaèt. ,  x  ,  p»  32. 
-  LEnuËROU ,  q,  9up, ,  p.  S05.  —  Voy.  aussi  rinléfessant  cbapHré  de  H.  HaMUér, 
sur  les  affrancbisseinenia.  Paysans ,  p.  119. 

*  Arrêts  de  Colmar ,  m ,  p.  5ii. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLONGÈRES  d'aLSACE.  83 

de  ses  redevances  ,  de  celles  même  qui  n'étaient  pas  décimales ,  était 
souvent  excessivement  rigoureux.  Pour  en  revenir  à  nos  colonges  qui , 
d'aprësnotreauteur,  doivent  avoirjoui  d'un  régimesidouXy  sous  la  houlette 
pastorale,  on  voit  que  pour  la  perception  des  fermages,  on  y  autorisait 
dans  ceriains  lieux  la  torture  jusqu'au  saug  i  ;  ailleurs,  après  avoir  épuisé 
la  voie  des  gamitairet  ^  ,  c'est-à-dire  ,  après  avoir  mis  toutes  les  provi- 
tions  du  pauvre  colonger  à  la  merci  de  l'abbé  et  de  ses  30  chevaux 
pendant  trois  jours;  puis,  en  cas  d'insuffisance,  après  avoir  autorisé 
que  le  feu  fut  mis  à  tout  ce  qui  se  trouvait  entre  les  quatre  murs  de  sa 
cabane ,  la  charte  nmi  octroyée  voulait  en  outre  que  le  malheureux 
rustaud  réfractaire  fût  dénoncé  à  révêque ,  pour  que  celui-ci  Vexrom- 
iituntàî  3.  Sur  toute  celte  atroce  exécution  ,  M.  Hanauer  ne  trouve  rien 
d'autre  à  dire ,  qu'à  remarquer  avec  une  étonnante  placidité  que  c'est 
un  cas  où  la  religion  atteint  l'homme  quand  le  feu  et  les  garnisaires 
ont  anéanti  ses  biens  t  —  La  religion  en  semblable  compagnie  !  à  la 
suite  de  l'incendiaire  ei  du  dévastateur  !  Une  pareille  profanation  ne 
blesse-t-elle  pas  le  sens  moral ,  même  le  moins  susceptible  ? 

Cette  ponctualité  rigide ,  cette  commise  de  plein  droit ,  ces  voies  d'exé- 
cution épouvantables  faisaient  aux  locataires  de  l'Eglise  une  condition 
particulièrement  lourde  et  pénible.  Aussi  quel  «/oritiemew/ n'éprouve-t-on 
paS)  lorsque  dans  une  autre  partie  de  la  même  production,  à  laquelle  nous 
venons  d'emprunter  ces  derniers  et  odieux  détails ,  on  tombe  sur  un 
chapitre  intitulé  :  c  Forme  pleine  de  douceur  pour  la  perception  des 
IMPÔTS  S>  et  qu'on  y  lit  des  lignes  comme  celles-ci  :  c  Les  formes  raides 
c  du  fisc  moderne  sont  si  éloignées  des  habitudes  de  bonhomie  qui  entou^ 
€  raient  chez  nos  pères  la  perception  des  impôts  qu*on  a  peine  à  comprendre 
«  aujourd'hui  ces  anciennes  coutumes  /  i  —  Il  faut  avouer  que  c'est  là 
un  regret  bien  placé ,  et  ce  qu'on  a  peine  à  comprendre  c'est  que  de 
bonne  foi  on  se  laisse  égarer  à  ce  degré  d'injustice.  Sans  doute  notre  fisc 
a  encore  des  garnisaires ,  et  je  ne  veux  pas  le  faire  paraître  plus  aimable 
qu'il  n'est  en  réalité  :  mais ,  grâces  à  Dieu,  il  n'a  plus  à  son  service  les 


*  V.  Règlement  coUmger  de  HugesgerUte.  Mai  1279.  -  ap.  ScHMrDX  ,  q.  sup. , 
p.  387.  —  Spach,  Bulletin  ,  iv ,  p.  172. 

'  Hanauer  ,  Const, ,  p.  171. 

'  Yoy.  Golonge  de  Honau  ,  Const. ,  p,  175.  Voy.  aussi  Saalbach  de  Rosbeîm  , 
Cùiist, ,  p.  268. 

'  Paysans ,  p.  242. 


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84  REVUE  D'iLLSACE. 

30  chevaux  d*uD  abbé .  le  feu  de  la  terre  et  les  foudres  du  ciel.  —  Il  faut 
ajouter,  pour  compléter  le  tableau ,  qu'outre  ses  prestations  foncières 
et  censitiques ,  le  colonger  d'Eglise  ou  d  abbaye  avait  à  subir ,  presque 
toujours ,  la  perception  de  la  dixme  qui  frappait  non  seulement  sur  le 
produit  de  la  terre ,  mais  encore  sur  le  croît  des  animaux  ,  sur  le  vin , 
l'huile,  etc.  Tous  nos  publicistes ,  depuis  les  temps  les  plus  anciens,  sont 
unanimes  à  constater  que  cet  impôt  était  le  plus  onéreux  de  tous.  Notre 
auteur  lui*même ,  sans  s'associer  entièrement  â  ce  témoignage  uni- 
versel ,  reconnaît  néanmoins  que  la  dîme  était  devenue  odieuse ,  moins , 
ajoute-t-il,  à  cause  de  son  importance  même  i,  qu'à  raison  de  la  manière 
dont  on  la  percevait ,  ei  des  entraves  dont  elle  fut  la  cause ,  soit  pour  la 
culture  des  champs ,  soit  pour  la  rentrée  des  récoltes  *.  Le  paysan  qui 
avait  à  subir  toutes  ces  charges  accumulées ,  cens ,  corvées ,  rentes  , 
laudéme ,  mortuaire ,  dixme ,  ne  s'y  trompait  pas  ;  un  de  ces  proverbes, 
qu'on  appelle,  quelquefois  avec  raison,  la  sagesse  des  nations^  résumait, 
dans  sa  brièveté  énergique ,  l'aménité  et  la  bonhomie  de  sa  situation  : 
Je  nâher  dem  Kloster ,  je  armer  der  Bauer  3.  (Plus  le  paysan  est  près 
ilu  couvent,  plus  il  est  pauvre).  Les  commentateurs  (les  proverbes 
mômes ,  comme  on  sait ,  n'en  manquent  pas)  attribuent  l'origine  de  cet 
adage  non  seulement  à  la  pesanteur  des  prestations  en  elles-mêmes  mais 
aussi  à  l'avidité  des  ministérinux ,  employés  par  les  abbayes ,  et  comme 
un  proverbe  en  engendre  un  autre,  on  explique  le  premier  par  celui-ci: 

Amtleute  geben  dem  Herm  ein  Ey 
Und  nehmen  dem  Bauem  swey, 
(Les  minislériaux  donnent  au  seigneur  un  œuf,  et  en  prennent  deux  aux 
paysans). 

Mais  nous  n'avons  pas  à  creuser  davantage  les  causes  apparentes  ou 
secrètes  de  ces  doléances  populaires  contre  la  rigueur  que  TEglise 
{apportait  dans  la  gestion  de  ses  domaines  ;  quand  il  ne  faudrait  chercher 
ces  causes  que  dans  l'âpre  rapacité  des  agents  qu'elle  employait,  la 
vérité  historique,  que  nous  rappelons  ici  en  passant ,  n'en  resterait  pas 

*  Un  impôt  enlevant  au  mninsle  10*  de  la  valeur  imposée  ,  parait  et  a  toujours 
paru  important  à  tous  les  économistes. 

'  Paysans ,  pag.  269. 

'  Deutsche  Beehts  Spriehwœrter,  —  Cette  collection  a  été  publiée  par  It  Ck>m- 
misslon  historique  de  rAcadémie  des  sciences  de  Munich.  i86i.  —  Voy.  pour  le 
texte ,  p.  52,  et  pour  les  commentaires,  p.  56. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÈRES  D*ALSACE.      85 

moins  établie.  L'Eglise ,  comme  puissance  temporelle ,  a  eu  sa  large 
part  dans  la  constitution  et  dans  l'exercice  du  pouvoir  féodal  ;  et  la  loi 
particulière  qu'elle  conservait  dans  ses  rapports  avec  ses  sujets,  loin  de 
constituer  une  dérogation  débonnaire  à  la  législation  laïque ,  armait  au 
contraire  ses  propres  minisiériaux ,  de  moyens  coêrcitifs  inconnus  en 
droit  commun.  Dans  cette  période  féodale ,  la  noblesse ,  le  clergé ,  et 
plus  tard  les  villes  libres  et  impériales  exercent  et  développent  leur 
domination  dans  la  mesure  qu'autorisaient  les  lois  et  les  coutumes  ;  la 
condition  du  sujet  était  à  peu  près  partout ,  et  vis-à-vis  de  tous  les 
pouvoirs,  subalterne  et  dépourvue  de  garantie.  Les  classes  rurales 
restèrent  donc  taillables  et  corvéables  ;  les  villages  étaient  considérés 
comme  une  propriété  hommes  et  terres  ;  on  procédait  quelquefois  vis- 
à-vis  d'eux  par  voie  de  démolition  ,  comme  Colmar  l'a  fait  pour  Dein- 
heim  ^  Les  affranchissements  profitaient  principalement  aux  serfs, 
{servi ,  servîtes)  ;  mais  ils  n'en  faisaient  pas  des  hommes  libres  ;  seule- 
ment ,  ils  les  faisaient  monter  dans  la  classe  des  Hôrigen  * ,  (iiberfi) 
qui  restaient  toujours  soumis  au  cens  ou  au  mortuaire.  Le  Bôrige  pou- 
vait incontestablement  posséder:  mais  ce  qu^il  possédait  était  sujet  au 
cens  ,  et  en  outre  à  la  commise  <>u  au  retrait  ;  le  sol  même  sur  lequel 
se  construisait  son  habitation ,  devait  le  Bodenxïns  ;  il  suffit  d'ouvrir 
les  anciens  terriers  de  nos  villages  pour  y  découvrir  la  preuve ,  que 
presque  toutes  les  construglions  payaient  rente  pour  le  sol  qu'elles 
couvraient.  Toutefois  on  ne  saurait  se  refuser  à  reconnaître  que  le 
régime  féodal  a  été,  comparativement  aux  temps  antérieurs,  plutôt 
favorable  que  contraire  à  l'amélioration  générale  de  la  condition  des 
classes  rurales.  Le  seigneur  avait  intérêt  à  attirer  sur  ses  domaines  des 
populations  qui  pussent  les  faire  valoir ,  et  lui  créer  en  produits ,  en 
impôts,  en  corvées  et  même  en  service  militaire,  des  ressources  qui 
lui  permissent  de  tenir  son  rang ,  et  de  proléger  sa  sécurité.  Au  milieu 
de  ces  guerres  privées  incessantes,  de  seigneurie  à  seigneurie,  de  ville 
à  ville,  d'évêque  à  évèque,  il  importait  à  chaque  dynaste  d'avoir  sous 
sa  main  des  moyens  d'attaque  et  de  défense  ;  aussi  voit-on  pendant  cette 
période  nos  villages  s'entourer  de  murailles ,  quelques-uns  même  se 
signaler  par  des  actions  d'éclat,  Ëguisheim  entre  autres,  en  1^98, 

<  SCHGEPFLM  ,  AU,  iU. ,  S 110. 

*  Voy.  la  ihéorie  sur  les  affrancblssemeDls  proposée  par  M.  Hanauer*  Paytanf^ 
pag.  118. 


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86  REVUE  D* ALSACE. 

contre  Adolphe  de  Nassau  ;  Dambach  ,  en  1444,  par  sa  défense  contre 
les  Armagnacs ,  qui  faillit  enlever  à  la  France  son  dauphin  qui  devint 
Louis  XI.  —  Hais  ces  brillants  exploits  ne  changèrent  pas  les  bases  de 
la  subordination  hiérarchique  des  classes  ;  le  Baiicrnsland  (la  classe  des 
paysans)  demeura  en  général  dans  les  liens  de  son  vasselage  primitif. 
Quant  au  pouvoir  juridictionnel ,  M.  Hanauer  reconnaît  lui-même  que 
ses  idées  sur  la  justice  populaire  et  souveraine  ne  peuvent  se  concilier 
avec  les  prérogatives  si  absolues  et  si  parfaitement  établies  des  justices 
seigneuriales.  Sur  ce  point  nous  le  trouvons  d'accord  avec  nous  ,  et , 
dès-lors,  nous  insisterions  inutilement  à  le  démontrer.  Seulement  nous 
chercherons  dans  un  titre  dont  lui-même  produit  une  version ,  une 
transition  pour  arriver  aux  dernières  observations  que  nous  croyons 
encore  avoir  à  lui  soumettre.  Nous  voulons  parler  du  procès-verbal  d'une 
séance  colongère^  datée  du  2  mai  1575  ^  En  exprimant  le  regret  que 
ce  document  ne  soit  produit  qu'en  une  traduction  ,  où  Ton  qualifie  le 
Dinggerichi  àejury  souverain  (ce  qui  est  un  peu  trop  fort  de  ton)  ,  nous 
ferons  remarquer  que  conformément  à  ce  que  nous  avons  déjà  dit  ail- 
leurs, il  prouve  que  le  Dinggerichi  ne  s'y  montre  occupé  que  de  cas 
colongers  proprement  dits ,  tels  que  Tadoption  d'un  terrier ,  la  vente 
d'une  tenure,  le  règlement  des  frais  d'une  audience.  Ce  n'est  donc 
évidemment  que,  comme  juridiction  spéciale,  et  tout-à-fait  privée,  que 
je  Dinggerichi  a  pu  subsister  sous  le  régime  féodal,  dont  la  règle  fon- 
damentale ,  de  l'aveu  de  M.  Hanauer  lui-même  ^  était  la  concentration 
de  toute  juridiction  dans  la  main  du  seigneur.  —  Je  ne  m'arrêterai  pas 
à  un  autre  document  qu'il  intitule  :  Affranchissement  (Tune  cour  * , 
quoique  cet  intitulé  même  crée ,  contre  le  système  principal  de  l'auteur, 
une  objection  que  tout  lecteur  entrevoit.  Si  en  effet  une  cour  colongère 
a  eu  besoin  d'être  affranchie ,  cela  ne  démonlrerait-il  pas  que  c'est 
erronément  que  notre  auteur  a  voulu  faire  de  ces  cours ,  des  commu- 
nautés villageoises  d'origine  et  par  elles-mêmes  libres  el  souveraines  ! 
L'exception  ici  confirmerait  donc  la  règle  générale  que  j'oppose  à 
son  système;  mais  il  suffît  de  lire  ce  titre  pour  se  convaincre  que  la 
teneur  ne  répond  pas  à  l'enseigne  qu'on  lui  a  donnée  et  ce  serait  abuser 
de  la  dialectique  que  de  chercher  un  argument  dans  un  document  qui 
n'a  pas  la  portée  que  lui  attribue  un  intitulé  incorrect. 

'  Paysans ,  p.  543. 

'  GVst  un  diplôme  de  l^évèque  de  Strasbourg  da  25  nov.  1367.  Paysans^  |).  349. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  C0UIV5  COLO.NGÉRES  D*ÂLSAGE.  87 

Le  gouverneinent  Téodal  n*a  apporté légalem^olauew  changement  au 
régime  des  cpurs  calongères  ;  elles  sont  restées  ce  qu'elles  étaient  avant 
son  avèoemeoit ,  dans  leur  constitution  propre.  On  pe  peut  citer  aucun 
acte  d'un  seigneur  quelconque  qui  au,raiil  législativement  introduit  des 
innovations  dans  la  condition  générale  de  ces  établisseioeats.  Mais,  comme 
toute  chose  humaine ,  ils  n'échappèrent  pas  à  l'action  du  tempa ,  ni  à  la 
désuétude  qu'entraîne  pour  toutes  les  institutions  le  changement  des 
mœurs  et  des  hal)iludes  sociales.  Â  mesur$  quelea  conditions  de  la  vie 
des  (ainilles  uobles  se  dé^veloppèrent ,  certains  usages ,  conformes  h  la 
rudessje  auté;:ieure ,  se  virent  démodés  de  plus  en  plus ,  powr  finir  par 
tornber  dans  un  éternel  oubli.  Le  seigneur ,  l'abbé  des  xv«  et  xyi^  siècle 
ne  devaient  plus  se  soucier  de  ces  promenades  annuelles  à  accomplir  dans 
une  ferme  éloignée,  ni  de  s'asseoir  à  ces  banquets  d'un  n^nu  si  rustique  el 
où  la  tenue  des  convives  devait  bjesser  leurs  goûts  plus  raffinés  t,  ni  de 
profiter  de  ce  gîte  et  de  cette  héberge,  réglés  avec  une  si  stricte  économie. 
Aussi  préférèrent -ils  convertir  ces  droits  en  uu  supplément  de  rede- 
van/ces ,  conversion  qui  fut  consentie  de  l'aveu  même  de  M.  Hanauer , 
ainsi  que  nous  l'avonç  déjà  dit.  Mais  avec  ves  visites  annuelles  disparut 
aussi  cette  surveillance  vigilante  du  maître,  qui ,  s'babituant  peu  à  peu 
à  ne  considérer  sa  terre  colongère  que  comme  une  source  de  revenus 
fixes ,  se  contenta  de  recevoir  chaque  ^nnée  ce  revenu ,  sans  plus  s'oc- 
cuper de  savoir  si  les  manses  conservaient  leur  contenance ,  et  si  les 
tenures  restaient  dans  leurs  limites.  M.  Hanauer  reconnaît  lui-même, 
en  plusieurs  endroits  ,  q^ue  ces  tenures  §e  démembrèrent  et  se  confon- 
dirent peu  à  peu.  —  Pour  la  perceplion  du  canon,  ou  du  revenu  annuel, 
on  renonça  à  cette  cérémonie  gênante ,  qui  forçait  les  tenanciers  à  venir 
processionnellement  à  jour  déterminé ,  apporter  chacun  sa  dette  ,  avec 
l'attrait  d'un  repas  qui  devait  stimuler  leur  exactitude.  Dès  le  xv«  siècle 
la  porterie  {Tràgerey)  fut  généralement  substituée  à  la  prestation  indi- 
viduelle, et  le  collecteur  {Trarjcr)  *  percevait  de  chaque  cultivateur  sa 
part  de  canon ,  qu'il  portait  ensuite  à  la  caisse  d'un  seigneur ,  trop  heu- 
reux de  n'avoir  plus  à  se  noyer  dans  les  minutieux  détails  de  chacune 
des  tenures  comprises  dstns  la  location  collective. 

Nous  arrivons  enfin  à  la  dernière  période  de  l'existence  des  cours 
colongères.  Atteintes  déjà  par  FinOexible  loi  du  temps ,  dans  plusieurs 

'  Yoy.  le  poème  de  Grobianus  el  Grobiana.  Dt  ai\tiq,  morum  simplicitate. 

*  BURCKHARDT,  p.  l5  et  16. 


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88  REVUE  D* ALSACE. 

de  leurs  attributs  originels,  ces  établissements  ruraux  vont  profiter 
du  mouvement  général  que  la  science  du  droit  tend  de  plus  en  plus 
à  provoquer  dans  les  idées  et  dans  les  institutions.  Il  faudrait  vouloir 
nier  Tévidence,  pour  ne  pas  être  frappé  du  libéralisme  progressif 
que  la  jurisprudence  déploya  en  faveur  des  classes  labopeuses  de 
la  campagne.  S'il  y  a  eu  des  légistes,  disposés  à  mettre  Uun  gloses 
et  leurs  commeniahes  '  au  service  des  puissants  du  jour ,  on  conviendra 
que  ce  sont  là  de  ces  complaisances  qui  ne  sont  pas  particulières  à  cet 
ordre  de  savants,  et  Ton  m'en  voudrait  avec  raison ,  si,  pour  repousser 
une  incrimination  aussi  injustifiable ,  je  rappelais  ici  les  canonistes  et  les 
théologiens  qui  se  sont  faits  les  adulateurs  des  pouvoirs  les  plus  cou- 
pables ,  et  les  apôtres  de  l'absolutisme  le  plus  révoltant.  Il  suffit  à  la 
gloire  de  la  jurisprudence,  que  ses  plus  grands  comme  ses  plus 
illustres  interprêtes  aient ,  dans  les  temps  les  plus  périlleux  ,  proclamé 
el  défendu  les  principes  de  l'éternelle  justice  contre  les  oligarchies 
intéressées  à  les  outrager  et  à  les  méconnaître.  —  Pour  ne  pas  sortir  de 
notre  Alsace,  je  résumerai  rapidement  les  doctrines  principales  qui  ont 
préparé  chez  nous  l'émancipation  des  classes  rurales.  —  La  première 
attaque  fut  dirigée  contre  l'impôt  de  mutation,  le  Laudème;  cet  impôt 
dont  la  consistance  était  entièrement  arbitraire,  et  qui  par  conséquent 
pesait  lourdement  sur  ceux  qu'il  atteignait ,  avait  été  étendu  à  toutes 
les  possessions  des  seigneurs  et  du  clergé ,  lors  même  que  les  baux  per- 
pétuels n'en  stipulaient  pas  l'obligation.  En  1322  l'on  posa  au  Sénat 
de  Strasbourg ,  la  question  de  savoir  :  si  cet  impôt  était  réellement 
universel ,  et  s^il  était  exigible ,  même  dans  le  silence  des  contrats. 
Les  jurisconsultes  appuyaient  la  négative  sur  le  droit  romain,  et  en  outre 
sur  le  lehnrecht  allemand  ;  elle  fut  décrétée  par  une  constitution  {lex 
argentinensii)  dont  la  naïve  clarté  pourrait  servir  d'exemple  à  des 
législateurs  plus  modernes  :  <  si  les  lettres  de  concession ,  stipulent 
«  le  landème ,  le  landème  doit  être  payé  ;  si  elles  ne  le  stipulent  pas,  il 
<r  ne  peut  être  exigé  '  !  :»  La  suppression  du  landème  consuétudinaire , 
(cela  n'a  pas  besoin  d'être  démontré)  apportait  au  domaine  utile,  déjà 
acquis  au  preneur  perpétuel ,  un  complément  considérable  en  dimi- 

'  Constitutions ,  p.  108. 

*  An  wekhen  Briefen  Ersckatx  stât ,  da  sol  man  Ersckatz  gsben  ;  who  absr 
Erschatt  nit  an  Briefen  stàt ,  da  sol  man  auch  keinen  Erschats  geben,  —  Gambs, 
de  Bonis  Laudemialibus ,  1690,  p.  26. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÉRES  D*ALSACE.      89 

nuant  les  prérogatives  de  la  directe ,  et  en  racilitant  les  aliénations.  ^ 
A  cette  première  conquête  en  succéda  une  autre  :  affranchi  du  landèroe» 
là  où  il  n*était  pas  expressément  stipulé  et  fixé  par  les  lettris  de  con- 
cessions ,  le  paysan  cessa  d*étre  aussi  strictement  attaché  à  la  glèbe  ; 
pouvant  aliéner  sa  tenure ,  à  la  seule  condition  que  le  successeur  qu'il 
se  serait  choisi ,  tomberait  lui-même  sous  la  directe,  et  continuerait 
le  service  de  la  rente  qui  en  était  la  représentation  ,  il  devenait  plus 
libre  d'émigrer  et  de  s'établir  ailleurs.  Les  statuts  de  villes  libres  et 
impériales  ,  inspirés  par  les  jurisconsultes ,  favorisèrent  partout  cette 
lente  émancipation.  —  Un  troisième  résultat  était  à  obtenir,  pour  élargir 
Tassiette  de  la  propriété  privée  et  individuelle.  La  féodalité ,  comme  on 
le  sait  y  avait  posé  la  règle  :  Nulle  terre  $ans  ieigneur.  Elle  en  déduisait 
non-seulement  le  droit  à  la  souveraineté  de  tout  le  territoire  formant 
le  fief,  mais  une  véritable  présomption  de  propriété  qui  s'étendait  à 
tous  les  biens  compris  dans  son  périmètre,  sans  que  la  possession  privée, 
quelque  fût  son  litre,  put  s'y  soustraire.  Cette  formule  entraînait  donc 
Tattribution  au  domaine  des  seigneurs,  non-seulement  des  biens 
appelés  vacants ,  des  confiscatiom,  et  des  choses  sans  maître  (res  nuUiu») 
mais  encore  des  possessions  privées  qui  ne  reposaient  pas  sur  un  titre 
exprès.  —  Nos  anciens  jurisconsultes ,  revendiquèrent  pour  l'Alsace , 
le  principe  contraire:  nul  seigneur,  sans  titre  S  et  ils  fondèrent 
leur  revendication  sur  l'allodialité  originelle  de  la  majeure  partie  des 
terres  dynastiques  de  la  province ,  allodialilé  démontrée  par  le  nombre 
considérable  de  fiefs  oblats  qu'y  révèle  l'histoire.  Le  triomphe  de  leur 
doctrine ,  amena  pour  conséquence  le  respect  des  possessions  privées 
lors  même  qu'elles  n'étaient  pas  fondées  sur  un  titre  positif,  et  tout 
détenteur  censitique  se  trouva  ainsi  protégé  vis-à-vis  du  seigneur  terri- 
torial ,  contre  tout  déguerpissement  réclamé  au  seul  titre  de  l'enclave , 
et  sans  la  production  d'un  litre  écrit  établissant  une  simple  location  tem- 
poraire. —  Ce  résultat  en  amena  un  autre ,  et  ici  nous  nous  arrêterons 
un  instant  à  exposer  les  éléments  de  ce  droit  foncier  particulier ,  connu 
dans  notre  province  sous  le  nom  de  Sthauffelrcchi  fjus  palus ,  le  droit 
de  la  bêche).  Les  jurisconsultes  du  xvi*  et  du  xvii*  siècle,  préoc- 
cupés de  ce  fait  universel  au  moyen-âge ,  du  démembrement  de  la  pro- 
priété en  domaine  direct  et  en  domaine  utile ,  en  cherchèrent  d'abord 

*  Knichen,  de  sublimitate  territorii.  —  Menoch  ,  de  prasunuion,  —  Jurisprud, 
(Mss  )  da  Conseil  souverain  et  de  la  Goar  du  ressort.  (Révillb  ,  g.  «.  «  p.  105). 


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90  REVUE  d'alsace 

la  justification  dans  les  dispositions  de  la  loi  romaine  concernant  le 
droii  siiperficiahe  ;  mais  beaucoup  d'entr'eux  ,  en  interprétant  quelques 
phrasQS  de  César  et  de  T^cit^ ,  pensèrent  que  le  contrai  censitique ,  c'est- 
à-dire  ^  l'abandon  à  titre  perpétue)  de  l'usage  J^une  terre ,  moyen/iant 
un  cens  fixe  et  invariable,  était  particulièrement  conforme  aux  anciennes 
traditions  germaniques.  Celte  théorie  que  je  me  borne  à  exposer,  mais 
dont  je  ne  prends  pas  sur  moi  de  garantir  l'exactitude  historique,  avail 
au  moins  l'avantage  de  s'accorder  avec  l'état  de  la  propriété  rurale  au 
moyen-âge ,  propriété  qui  se  trouvait  entre  les  mains  d'une  classe  nom- 
breuse ,  qui  la  faisait  valoir  par  son  labeur ,  et  qui  depuis  des  siècles 
ne  payait,  en  échange  de  sa  possession ,  qu'une  redevance  fixe  et  uni- 
forme ,  indépendante  d'ailleurs  des  autres  charges  personnelles ,  telles 
que  les  corvées  à  l'égard  desquelles  le  seigneur  avait  un  titre  légitime 
dans  sa  souveraineté  même.  De  la  théorie  à  la  conséquence ,  le  pas 
était  facile.  •—  Les  paysans ,  dans  les  doléances  qui  devancèrent  l'explo- 
sion tragique  de  1525,  avaient  réclamé  la  pleine  propriété  des  terros 
qu'ils   avaient  fertilisées ,    sous  prétexte  que  leur  travail ,  continué 
pendant  des  générations ,  avait  $ubslUué  au  fonds  primitif  un  fonds 
nouveau ,  fruit  Je  la  culture  ;  ils  l'appelaient  besscrung  (amélioration) , 
Un  n;iot  grec  vient  de  suite  au  secours  de  cette  idée  ;  ce  capital  fictif  pro- 
duit par  le  travail  prolongé  s'appela  Emponema  ^  et  la  prétention  , 
Jus  Ëmponematum,  C'est,  comme  on  le  voit,  une  curieuse  édition  de  ce 
droit  du  travail  qu'on  a  vu  si  souvent,  avant  comme  depuis ,  apparaître 
dans  les  crises  sociales.  Malgré  leur  cruelle  défaite ,  les  paysans  n'en 
persistèrent  pas  moins,  dans  plusieurs  parties  de  la  province,  à  continuer 
à  vendre  sous  prétexte  de  nieltoratiOf  les  biens  qu'ils  possédaient, 
sans  s'enquérir  du  consentement  de  leurs  seigneurs ^  et  sans  faire  de 
distinction  entre  ceux  qu'ils  possédaient  à  titre  perpétuel  y  et  ceux  qu'il:» 
ne  détenaient  que  comme  fermiers  temporaires.  Le  Sénat  de  Strasbourg 
s'émuC  de  cet  état  de  choses  ,  qu'il  considérait  comme  un  abus ,  et  par 
un  premier  décret  du  11  juillet  1604 ,  il  interdit  ces  ventes  ,  sous  peine 
de  retrait  des  biens  ainsi  vendus  et  même  de  châtiments  corporels. 
Cette  décision  ne  remédia  pas,  à  ce  qu'il  paraît,  à  la  situation:  nous 
voyons  en  effet ,  dans  le  courant  du  xvii«  siècle,  plusieurs  décrets  sein- 

'  Voyez  sur  les  détails  de  ce  droit  curieux ,  G.  Bitsch  ,  de  jure  Emponematum  , 
ap.  ScHiLTER  ,  Codex  juris  Aletnan,  Strasbourg,  1698.  —  El  l'analyse  subslan- 
Uelle  qui  se  trouve  dans  Tairêt  Ue  la  Cour ,  1*'  avril  1846. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLONGËRES  D*ALSAGE.      91 

blables  se  succéder.  La  doctrioe  finil  pourtant  par  se  fixer  en  se  fondant 
sur  les  deux  principes  suivants  :  le  locataire  temporaire  celui  dont  la 
possession  n*a  pris  son  origine  que  dam  un  bail  écrit ,  ne  peut  en  aucun 
cas  ,  quelque  soit  la  durée  de  sa  possession ,  (à  moins  qu'il  n'y  ait  e,u 
interversion  dans  son  titre)  aliéner  d'une  manière  quelcoaque  les 
immeubles  qu'il  détient.  Le  locataire  à  titre  perpétuel  au  contraire , 
investi  par  conséquent  dès  le  principe  du  domaine  utile  que  Teflet  de  ce 
bail  est  de  transmettre ,  pouvait  aliéner  ce  domaine  utile ,  à  charge  bien 
entendu  pour  le  successeur  qu'il  se  sera  choisi  d'accomplir  vis-à-vis  de 
la  directe  toutes  les  obligations  dont  était  tenu  l'héritage. 

Dan%  le  cas  où  ni  de  part  ni  d'autre ,  n'était  produit  soit  un  bail 
simple,  soit  un  bail  héréditaire  écrit,  le  (enancier  qui  justifiait  d'une 
possession  prolongée  pendant  30  ou  40  ans ,  accompagnée  de  la  presta- 
tion pendant  cç  temps  d'un  canon  uniforme ,  était  présumé  de  droit 
détenteur  à  titre  héréditaire  du  domaine  utile  c'est-à-dire  d'un  véri- 
table droit  réel  sur  la  lenure.  C'est  le  droit  dérivant  de  cette  situation , 
en  quelque  sorte  tacite,  qui  se  nommule Schauffelrecht. 

Est-il  besoin  d'insister  pour  faire  ressortir  le  changement  immense  que 
cette  doctrine  apportait  à  la  situation  des  classes  rurales^  dans  nos 
contrées?  il  suffit  d'être  un  peu  initié  aux  annales  de  noire  passé ,  pour 
se  représenter  ce  qu'a  pu  y  être  le  sort  de  l'agriculture,  au  milieu  de  ces 
guerres  incessantes ,  de  seigneur  à  seigneur,  de  ville  à  ville,  de  ces  bou- 
leversements en  quelque  sorte  périodiques  qui  venaient  effacer  les  limites, 
détruire  les  habitations ,  désorganiser  les  grandes  exploitations.  Sans 
remonter  aux  invasions  des  Hongrois,  aux  guerres  des  Routiers,  des 
Bourguignons ,  des  Armagnacs ,  aux  invasions  Lorraines ,  Françaises 
et  Suédoises  nous  nous  bornerons  au  témoignage  de  notre  premier 
grand  corps  judiciaire  qui  atteste  que  <  de  1637  à  1648,  on  trouvait 
c  à  peine  des  villages  habités  entre  Bàle  et  Strasbourg  *.  j»  Aussi 
qu'arriva-t-il? —  Lorsqu'après  les  tourmentes  ,  les  paysans  qui  avaient 
fui  revinrent  vers  leurs  anciennes  habitations^  ils  se  remirent  en  posses- 
sion des  biens  qu'ils  avaient  précédemment  cultivés  et  cette  reprise  de 
possession ,  après  une  interruption  plus  ou  moins  prolongée,  se  fit 
en  général  au  hasard,  et  sans  ordre.  Les  seigneurs  qui  voyaient 
avec  plaisir  le  retour  des  cultivateurs  sur  des  terres  depuis  trop  long- 

'  Arrêts  notables  du  Conssil  souverain  d* Alsace ,  1 1  p.  339.  —  Ordonnances 
dAlsace^  i .  p.  19  et  149.  —  Révule  ,  q,  sup. ,  p.  239. 


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92  REVrE   d' ALSACE. 

temps  improductives  ,  se  prêtèrent  à  cette  occupation  fortuite  et  désor- 
donnée ;  mais  après  que  de  longues  années  de  paix  et  de  tranquillité 
eurent  succédé  au  désastre  et  consolidé  la  reprise  de  la  culture ,  ils 
cherchèrent  eux  aussi,  à  rétablir  les  cadres  de  leurs  anciens  terriers ,  et  i 
obtenir ,  par  des  renouvellements,  te  rétablissement  de  Tancien  sytème 
de  location.  C'est  alors  que  les  paysans  leur  opposèrent  le  Srhavffelrecht 
et  la  jurisprudence,  constamment  suivie  par  le  Conseil  souverain 
pendant  tout  le  cours  du  xviii«  siècle ,  fit  droit  à  leur  prétention.  Le 
système  colonger  même  que  M.  Hanauer  s'est  complu  à  dépeindre  comme 
particulièrement  agréable  à  nos  classes  rurales,  fut  déserté  paf  elles, 
au  profit  du  titre  nouveau  que  sanctionnait  la  jurisprudence.  J'en  citerai 
un  seul  exemple.  L'abbaye  de  Saint-Etienne  possédait  jadis  sur  les  terri- 
toires de  Bofltzheim  et  de  Widernheim  une  cour  colongère  considérable  ; 
d'autres  seigneurs  y  détenaient  dix-huit  autres  corps  de  biens  également 
exploités  en  colonges ,  au  moins  partiellement.  Des  livres  terriers ,  et 
des  renouvellements  réguliers  avaient  parfiutement  conservé  le  cadre  de 
cette  vaste  propriété  jusqu'à  la  fin  du  xvi*  siècle.  En  1636,  la  gar- 
nison suédoise  de  Benfeld  envahit  les  villages  qu'elle  incendia  et  dé- 
truisît de  fond  en  comble.  Leurs  habitants  s'enfuirent ,  se  dispersèrent 
et  le  territoire  tomba  en  friche.  En  1642  la  population  commence  peu 
à  peu  à  revenir  vers  ses  anciennes  résidences  :  la  culture  fut  reprise  au 
furet  à  mesure  ;  en  1648  .  elle  avait  reconquis  à  peu  près  toute  son  an- 
cienne importance.  Les  seigneurs  de  leur  côté  s'étaient  contentés  de  cons- 
tater chaque  reprise  de  possession  en  délivrant  un  Akerzeitel  à  chaque 
détenteur,  pour  l'étendue  de  sa  tenure.  Quand  en  1679,  la  paix 
de  Nimègue  eut  définitivement  rétabli  le  calme ,  et  éloigné  au  moins 
temporairement  de  l'Alsace  les  armées  qui  y  rendaient  l'agriculture 
très-craintive  et  très-précaire,  ils  cherchèrent  peu  à  peu  à  reconstituer 
leurs  corps  de  biens ,  sur  l'ancien  pied.  Ils  rencontrèrent  une  vive 
résistance  de  la  part  des  colons  ,  résistance  qu'ils  cherchèrent  à  vaincre 
en  sollicitant  et  en  obtenant  des  lettres-terrien  qui  tendaient  à  un 
renouvellement  général ,  et  au  rétablissement  de  l'ancien  régime  colon- 
ger. Le  commissaire  délégué  par  les  lettres ,  fit  droit  à  la  réquisition 
seigneuriale  ;  mais  son  ordonnance  fut  attaquée  par  les  cultivateurs , 
qui  protestèrent  contre  ce  rétablissement ,  et  demandèrent  à  être 
reconnus  délenteurs  perpétuels  chacun  de  sa  tenure,  àiitredeSchauffel- 
rechi.  Après  une  longue  procédure ,  le  16  mars  1773,  le  Conseil  sou- 
verain d'Alsace  accueillit  leurs  prétentions,  en  décidant  qu  ils  resteraient 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  G0L0N6ÈRES  d'ALSACE.      93 

investis  à  titre  perpétuel  du  domaine  utile  des  biens  qu'ils  cultivaient 
moyennant  la  seule  prestation  du  canon  uniforme  qu'ils  avaient  payé 
pendant  40  ani» ,  et  sans  avoir  à  passer  de  nouveaux  baux  avec  leurs 
seigneurs  * .  Voilà  certainement  un  fait  qui  doit  déconcerter  notre  auteur  : 
ce  n'est  plus  un  philosophique  intendant  du  X  VI Ih  tiède  *,  quelque 
balli  suspect  de  Voltairianisme ,  qui  se  permet  irrespectueusement  de 
proclamer  la  surannalion  de  la  Colonge ,  de  cette  institution  populaire , 
et  libérale ,  choyée  et  célébrée  dans  les  733  pages  de  son  apologie  !... 
Ce  sont  les  paysans  eux-mêmes ,  les  heureux  bénéficiaires  de  ce  régime 
si  empreint  de  bonhomie  qui  refusent  leur  consentement  à  son  réta- 
blissement offert  par  les  seigneurs ,  et  qui  poussent  la  résistance 
jusqu'à  demander  à  la  justice  le  maintien  de  leur  Schauffelrechtl 
M.  Hanauer  doit  être  disposé  à  les  accuser  d'une  noire  et  ignorante 
ingratitude ,  et  pourtant  si  on  y  regarde  bien ,  ce  sont  les  ruitautê  qui 
ici  encore  ont  été  plus  clairoyants  que  les  docteurs.  En  effet ,  avec  la 
colonge  se  serait  rétablis  outre  le  canon  et  la  corvée ,  la  commise ,  le 
retrait ,  le  laudème  et  le  mortuaire ,  sans  compter  les  sujétions  de 
cérémonies  où  ils  n'avaient  eu  à  jouer  d'autre  rôle  que  celui  de  com- 
parses ,  sinon  de  patients.  Avec  leur  possession  perpétuelle ,  garantie 
par  leur  Schauffelrechtl  ils  réduisaient  toutes  les  charges  au  seul 
payement  d'un  canon  modique  et  invariable ,  gardant  la  liberté  d'aliéner 
leur  domaine  utile  sans  plus  avoir  de  mutation  à  payer ,  ni  de  prélation 
i  subir ,  ne  devant  plus  d'autres  corvées  que  les  seigneuriales  j  restant 
maîtres  de  leurs  cultures ,  et  n'ayant  plus  à  marchander  héberge ,  gite 
et  chevauchée  avec  qui  que  ce  soit.  Il  faut  avouer  que  nos  paysans 
auraient  été  plus  qu'aveugles  si  entre  deux  situations  si  différentes ,  ils 
avaient  hésité  dans  leur  choix.  —  Tel  était  le  point  où  en  était  arrivée 
la  colonge  vers  le  milieu  du  xviu*  siècle  :  cet  établissement  rural  s'était^ 
comme  on  vient  de  le  voir,  dépouillé  peu  à  peu ,  tout  le  monde,  paysans 
et  seigeurs  y  aidant ,  de  son  originalité  archaïque ,  pour  ne  plus  con- 
server que  ce  que  ces  attributs  primitifs  avaient  réellement  d'utile  : 
réduite  à  ces  éléments  ,  la  colonge  se  confondit  de  plus  en  plus  avec 
les  autres  formes  de  VErblehn  ou  de  la  locatairie  perpétuelle  ;  elle  pro- 
fita y  comme  celle-ci ,  des  incertitudes  que  des  bouleversements  fréquents 

*  Voj.  Mémoire  pour  Us  héritiers  des  anciens  seigneurs  de  Bôfîtheim  et  de 
Widershrim.  Colmar,  1831 ,  p.  28. 
.   *  Constitutions,  p,  583. 


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94  REVUE  d'ÀLSACK. 

jetèrent  dans  là  possession  de  nos  grandes  exploitations  agricoles  ;  le 
domaine  utile  fdt  maintenu  au  preneur  perpétuel ,  à  défaut  de  bail  écrit, 
en  vertu  diï  droit  constiétudinaire  du  Schauffelrechi  ;  nos  paysans 
s'associèrent  ardemment  à  ce  mouvement  émancipateur  ,  et  quand  vint 
à  sonner  la  grande  heure  de  1789  ,  ils  ne  regardèrent  pas  en  arrière 
pour  découvrir  derrière  les  voiles  du  passé ,  je  ne  sais  quel  Eldorado 
chimérique  qu'ils  savaient  fort  bien  n'avoir  jamais  existé  pour  eux;  mais 
ils  s'élancèrent  dans  la  large  voie  de  liberté  personnelle  et  d'égalité 
citile  que  leur  ouvrait  la  Révolution  ;  ils  s'y  élancèrent  avec  une  vivacité 
d'enthousiasme  dont  nos  plus  anciens  monastères ,  même  dans  nos 
religieuses  contrées  ,  eurent  surtout  à  souffrir  ;  enseignement  regret- 
table ,  comme  tout  ce  qui  rappelle  la  violence ,  mais  qui  devrait  être 
décourageant  pour  ceuj[  qui  cherchent  à  fonder  sur  le  sentiment  de  nos 
chsses  rurale^,  une  défiguration  fantastique  des  âges  qui  ont  le  plus  dure- 
ment pesé  âur  elles. 

Me  voilà  arrivé  au  terme  que  je  me  suis  imposé  ;  j'ai  pris  à  la  lettre 
la  déclaration  faite  par  M.  Hanauer^  que  ses  livres  n'avaient  d'autre 
objet  que  l'histoire  de  l'instiltition  colongère  ;  c'est  sur  cette  institution 
principalement  que  j'ai  entendu  faire  porter  mes  observations  et  je  dois 
me  restreindre  au  cadre  que  je  me  suis  tracé.  Je  pourrais,  tout  en 
n'en  sortant  pas ,  élever  encore  quelques  objections  ^  contre  les  tenta- 
tives faites  par  notre  auteur  pour  établir  une  comparaison  entre  les 
valeurs  d'autrefois  et  celles  d'aujourd'hui  ;  pour  fixer  entr'àutre  la 
contenance  d'une  hueb  ou  d'une  manse  ;  puis  pour  en  déterminer  le 
prix ,  au  taux  monétaire  actuel ,  etc. ,  etc.  Toutes  ces  recherches 
dénotent  une  grande  aptitude  spéculative  qu'il  serait  injuste  de  ne  pas 
reconnaître  ;  mais  quelque  soin  qu'on  mette  à  les  bien  diriger ,  elles 
aboutissent  rarement  à  des  résultats  bien  concluants.  Pour  nos  mesures 
agraires ,  par  exemple ,  nous  savons  qu'elles  ont  varié  en  dénomination, 
en  contenance ,  en  superficie ,  non  pas  seulement  de  seigneurie  à  sei- 
gneurie ,  mais  en  quelque  sorte  de  domaine  à  domaine.  On  est  donc 
ici ,  en  pleine  conjecture,  sauf  quelques  données  assez  positives  qui  nous 
ont  été  conservées ,  entre  autres  dans  les  tables  de  réduction ,  publiées 
en  fan  x  à  Strasbourg,  par  un  professeur  de  l'école  centrale  de  Colmar  >. 
Quant  à  ^appréciation  des  autres  valeurs ,  et  de  tout  ce  qui  a  constitué 
la  fortune  privée  au  moyen-âge ,  nous  pouvons  glaner  quelques  éléments 

*  F.  François,  —  LevrauU ,  an  X. 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  COLONGÉRES  1)* ALSACE.  95 

de  comparaison   dans   les   tarifs  somptuaires ,    les  chroniques,  les 
Taxorânungen ,  les  Kaufbikhlein  mais  à  la  condition  de  tenir  compte 
lie  rinfluence  qu*ont  exercée  sur  la  valeur  des  denrées  le  peu  de  Tacililé 
dnns  les  échanges  éi  les  difficultés  de  toute  nature  qui  entravaient  le 
commerce  et  la  circulation.  Puis  viennent  les  inductions  sur  le  pouvoir 
de  Targent  monnayé  aux  diverses  époques,  inductions  qui  reposent 
également  sur  des  données  mouvantes  ,  à  cause  des  variations  inces- 
santes dans  le  titre,  M.  Burckhardt  semble  donc  avoir  fait  acte  de  pru- 
dence en  considérant  ces  sortes  d'investigations,  comme  ne  pouvant 
donner  que  des  résultats  approximatifs  et  rarement  certains  >.  Les 
calculs  les  plus  ii^énieux  de  notre  auteur  ont  paru  exagérés  el  son 
chapitre  (La  valeur  d'une  manse  au  XII'^  siècle  *)  a  été  annoté  par 
M.  Mono ,  comme  indiquant  une  élévation  dans  le  prix  du  Morgen , 
qu'on  ne  rencontre  nulle  part ,  dans  les  régions  du  Rhin  supérieur  ^. 
Je  ne  suivrai  donc  pas  M.  Hanauer,  dans  les  développements  d'ailleurs 
intéressants  auxquels  il  se  livre  sur  cet  ordre  de  recherches  :  elles  sont 
étrangères  à  la  constitution  de  la  colonge  en  elle-même ,  et  par  consé- 
quent je  puis  les  négliger ,  tout  ert  rendant  hommage  au  zèle  sludieux 
qui  a  poussé  notre  antenr  à  les  aborder. 

Je  m'étais  proposé  toutefois  de  dlscoler  encore  un  dernier  ordre 
de  propositions ,  dont  le  sujet  se  rattache ,  mais  seulement  indirecte- 
ment ,  il  est  vrai ,  à  la  matière  des  cours  colongères  ;  elles  concernent 
les  AUmenden ,  Communaux  ^  dont  H.  Hanauer  fait  constamment  des 
Biens  communaux  ,  malgré  la  différence  radicale  que  la  législation 
ancienne  et  moderne  a  toujours  maintenue  entre  ces  dénominations.  Mais 
aprèë  les  longs  développements  que  j'ai  dû  donner  à  la  question  qui 
forme  l'objet  spécial  de  sa  pubHcation ,  je  craindrais  d'abuser  de  la 
patience  du  lecteur,  en  m'engageant  dans  une  recherche  qui  du 
reste  se  relie  plus  particulièrement  à  l'histoire  de  nos  grands  communes 
et  il  là  formation  beaucoup  plus  tardive  des  communes  rurales.  Je 
reprendrai  quelque  jour  cette  question  ,  en  me  bornant  à  faire  observer 
dès  à  présent  qu'elle  se  résout  principalement  par  la  même  distinction 
entre  le  domaine  utile,  et  le  domaine  direct,  entre  le  simple  droit  d*usage, 

'  Burckhardt,  p.  40  et  H. 

*  Camiitutions ,  p.  49. 

*  JlÔNE,  Zeitichrtft,  iS*  vol. ,  p.  259. 

*  Faysans ,  p.  1{$. 


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96  RETUE  D'àLSACE. 

et  la  propriété  tréfoncière ,  sur  laquelle  j'ai  si  souvent  insisté.  On  n'a 
jamais  contesté ,  à  la  communauté  villageoise ,  son  droit  à  la  jouissana 
de  rAllmend ,  et  ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  ,  c'est  qu'il  se  ren- 
contre fort  rarement  dans  les  monuments  de  la  jurisprudence,  des 
exemples  de  communautés  de  cette  sorte  réclamant  au-delà  de  cette 
jouissance.  Les  lois  du  28  août  1792,  et  du  10  juin  1793,  onldu  reste 
élevé  à  la  hauteur  d'un  principe  légal  ^  le  droit  historique  des  communes 
à  la  possession  de  leurs  commumaux  proprement  dits  et  de  leurs  usages 
dans  les  pâflurages  et  les  forêts  ;  M.  Hanauer  se  trouve  donc  ici ,  fort 
à  son  insu,  j'en  suis  sûr,  d'accord  avec  la  Révolution ,  quoique  celle-ci 
ait  été  assurément  fort  peu  d'accord  avec  lui ,  sur  le  libéralisme  et  la 
bonhomie  du  moyen-âge.  —  Mais,  je  le  répète  ^  je  ne  veux  pas  entrer 
d'avantage  dans  cet  ordre  d'investigations ,  qui  exigerait  d'assez  longs 
détails  et  me  forcerait  à  développer  plus  longuement  ce  que  j'ai  déjà 
exposé  à  plusieurs  reprises  sur  l'origine  des  souverainetés  et  la  distinction 
politique  des  classes. 

Je  m'arrête  donc  ici  ;  car  je  crois  avoir  épuisé  ma  lâche  qui  coa- 
sistait  à  relever  les  hypothèses  principales  émises  par  H.  Hanauer ,  sur  la 
constitution  de  nos  anciennes  cours  colongères.  L'accomplissement  de 
cette  tâche  m'a  été  pénible  sous  plus  d'un  rapport;  pénible,  par  la 
nécessité  à  laquelle  j'ai  dû  me  soumettre  de  condenser  quelquefois  à 
l'excès,  je  le  crains,  l'exposition  de  principes  et  de  faits ,  qui ,  pour  une 
entière  clarté ,  eut  exigé  des  développements  hors  de  proportion  avec 
les  limites  permises  à  une  simple  étude  critique  :  -—  pénible  surtout , 
en  ce  qu'un  dissentiment  à  peu  près  absolu  sur  les  doctrines  professées 
par  l'auteur,  imprimait  fatalement  à  ma  dissertation  un  caractère  polé- 
mique qui  n'a  pu  laisser  â  l'éloge  une  place  égale  à  celle  qu'a  dû  prendre 
la  réfutation. 

Je  ne  rétracte  rien  de  ce  que  j'ai  dit  au  commencemment  de  cette 
étude ,  sur  l'accueil  que  mérite  sous  beaucoup  de  rapports  la  publi- 
cation de  M.  Hanauer ,  et  sur  le  rang  distingué  qui  lui  est  assuré  dans 
nos  travaux  d'archéologie  provinciale.  Mais  précisément  parce  qu'elle  est 
digne  d*attirer  l'attention  publique ,  j'ai  cru  remplir  un  devoir ,  en  ne 
laissant  pas  passer  sans  les  combattre  des  opinions  théoriques  et  des 
appréciations  historiques  qui  me  semblent  en  flagrante  opposition  avec 
l'enseignement  traditionnel ,  et  j'ose  ajouter  avec  l'évidence  des  faits 
acquis.  La  distinction  dont  un  de  nos  corps  savants  a  honoré  les 
travaux  de  H.  Hanauer  restera  légitimement  acquise  à  son  œuvre  aux 


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QUELQUES  MOTS  SUR  LES  COURS  GOLONGÊRES  d'aLSACE.      97 

jeux  de  tous  ceux  qui  sauront  en  apprécier  retendue  et  la  difficulté. 
Malgré  les  erreurs  que  je  crois  y  découvrir  et  que  doivent ,  h  mon  avis , 
y  découvrir  tous  ceux  qui  ont  étudié  ces  matières ,  l'œuvre ,  comme 
composition ,  n'en  témoigne  pas  moins  de  sérieuses  recherches  et  d'une 
grande  bonne  volonté.  Mais  cette  justice  rendue  au  talent  de  l'écrivain 
n'6te  rien  aux  droits  delà  critique,  quant  aux  doctrines  :  l'Académie  ne 
compromet  pas  sa  légitime  autorité  jusqu'à  s'approprier  les  opinions 
soutenues  dans  les  livres  qu'elle  distingue  et  elle  nous  prouve  tous  les  jours 
qu'elle  décerne  ses  récompenses ,  comme  le  gouvernement  les  brevets 
d'invention  ,  non  pas  certainement  sans  examen  ,  mais  du  moins  sans 
garantie.  Le  même  corps  qui  a  décoré  d'une  troisième  médaille  les  livres 
où  la  C4^mune  est  représentée  comme  un  produit  spontané ,  naturel  en 
quelque  sorte  de  la  civilisation  germanique,  n'a-t-il  pas  maintenu  pendant 
de  longues  années  son  prix  le  plus  éminent  à  l'illustre  auteur  des  Lettres 
sur  rhistoire  de  France  ^  qui  au  contraire  fait  sortir  cette  même  institu- 
tion ,  de  l'insurrection  triomphante  ?  Dans  tout  ouvrage  il  y  a  à  faire  la 
part  non-seulement  des  résultats  obtenus ,  mais  aussi  du  labeur  et  de  la 
dextérité  de  l'ouvrier.  Une  divergence  radicale  sur  la  théorie ,  ne  peut 
donc  nous  faire  considérer  comme  injuste  envers  une  publication  qui , 
sous  bien  des  rapports ,  et  abstraction  faite  de  certaines  assertions  qui 
me  semblent  de  tous  points  fausses  ou  exagérées,  n'en  reste  pas  moins 
une  œuvre  utile  et  louable. 

Qu'on  me  permette  l'expression  d'un  vœu  sincère ,  et  auquel ,  j'en 
suis  sûr ,  adhéreront  tous  ceux  qui  se  vouent  avec  une  ferveur  patrio- 
tique, à  l'étude  de  notre  passé  Alsacien  !...  N'oublions  jamais  que  la 
vérité  historique  ,  comme  toute  vérité,  doit  être  cherchée  en  toute  sin- 
cérité, en  toute  indépendance  ,  en  toute  liberté.  Dépouillons-nousdonc, 
de  ces  préventions ,  de  ces  préjugés  d'école  ou  d'opinion ,  de  ces  étroi- 
tesses  officinales  qui  ravalent  la  majesté  de  l'histoire  en  la  réduisant 
à  n'être  qu'un  misérable  arsenal,  où  chaque  parti  va  tour  à  tour,  au 
hasard  et  sans  choix  sérieux,  chercher  des  armes ,  pour  ses  petites  que- 
relies  du  jour  et  pour  ses  tendances  éphémères.  Le  vrai  ne  finit-il  pas 
toujours  par  triompher?  —  Que  l'amour  de  la  nouveauté,  cette  passion 
contemporaine ,  ne  nous  rende  pas  irrespectueux  envers  nos  anciens 
maîtres,  ni  ingrats  pour  les  immenses  ressources  qu'ils  nous  ont  légués  ! 
que  sommes-nous  à  côté  des  Schœpflin ,  des  Hergott ,  des  Schertz ,  des 
Schiller ,  des  Grandidier ,  et  quel  pas  aurions-nous  pu  faire  dans  notre 
histoire  si  ces  infatigables  pionniers  ne  nous  avaient  préparé  et  éclairé 

2*S^rï€.-  1T  Année.  7 


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98  REVUE  D*ALSiCE. 

la  voie  !  Ne  nous  laissons  donc  pas  entraîner  à  les  taxer  légèrement  d*er- 
reur  et  d'insuffisance ,  et  sans  nous  interdire  une  liberté  d'examen  sans 
laquelle  il  ne  peut  y  avoir  de  vraie  science  ,  ne  nous  décidons  qu'après 
sérieuse  réflexion ,  à  nous  séparer  de  ce  qu'ont  enseigné  les  maîtres 
d'autrefois,  et  de  ce  qu'enseignent  encore  ceux  d'aujourd'hui.  Ce  qui 
fait  ma  sécurité,  dans  la  discussion  que  j'ai  entreprise,  c'est  de  me  sentir 
d'accord  avec  eux  dans  le  présent  comme  dans  le  passé  et  je  ne  puis 
mieux  teVminer  cette  longue  dissertation  dont  la  docte  Allemagne  m'a 
procuré  presque  tous  les  éléments ,  qu'en  rappelant  ces  beaux  vers  d'un 
de  ses  plus  grands  poètes  : 

Selbit  erfinden  itt  sehcm  :  doeh  glUcMieh  von  andem  gefundnes  , 
FrëhUch  erkannt  und  geschStxt ,  nenntt  du  da$  wmiger  dein  ! 

1.  Chauffoor. 


RECTIFICATION. 

Au  bas  de  la  page  âS  de  la  livraison  précédente  a  été  omise  la  noie  suivanle  , 
laquelle  portail  le  renvoi  *  et  se  réfère  à  la  9«  ligne  en  remontant,  après  les  mots 
du  village  : 

*  Voy.  p.  556  (livraison  de  décembre) ,  le  singulier  litre  de  ce  rotule  «  présenté 
ici  par  Tauleur  comme  équivalent  du  teste  latin. 


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MEMOIRE 

SUR  L'ALIÉNATfON  ET  LE  DÉFRICHEMENT  DE  LA  FORÊT 

ET  SDR   LES   IRRIGATIONS 

DU  TERRITOIRE  DE  L4  HARTH. 

—  Sllilc  Cl  fin    '   — 


Le  Conseil  général  du  Haut^Rhin  ayant  été  saisi  de  Taffaire  exprima 
un  vœu  favorable  à  la  prompte  exécution  du  canal  d'irrigation  de 
Oltmarsheim  à  Ruestenharth  ,  avec  concession  de  2,000  heclares  de  la 
forêt  de  la  Harth.  Ce  vœu  était  naturel  et  facile  à  expliquer  par  Tabsence 
de  toute  contradiction  et  par  les  dispositions  bienveillantes  des  hono- 
rables membres  pour  tout  ce  qui  parait  utile  au  département. 

Il  n*en  fut  pas  de  même  à  Paris.  L'ampliation  de  ce  vœu  ayant  été 
transmise  au  Ministère,  la  demande  en  concession  de  ces  2.000  hectares 
fut ,  de  la  part  de  trois  Ministres ,  l'objet  d'observations  et  d'objections 
sérieuses  consignées  dans  la  susdite  lettre  du  23  février  1864. 

«(  Son  Excellence  M.  le  Ministre  de  la  guerre  ,  lom  eu  maintenant  la 
<  qucition  de  principe ,  consent^  en  faveur  d*un  projet  éminemment  utiU 
fi  pour  Vagriculture  ,  à  faire  exception  aux  règles  qui  interdisent,  dans 
«  l'intérêt  de  la  défense ,  tout  défrichement  sur  la  forêt  de  la  Harth  et 
a  les  bois  qui  bordent  la  rive  gauche  du  Rhin.  » 

Son  Excellence  M.  le  Ministre  des  Finances  remarque  que  <  c'est 
c  sacrifier  sensiblement  l'intérêt  forestier  à  des  intérêts  particuliers  que 
«  d'opérer  sur  la  masse  boisée  qui  longe  le  Rhin  une  aliénation  de 
«  2,000  hectares.  Le  défrichement  d'une  partie  aussi  considérable 
«  de  la  forêt  de  la  Harth  ne  serait  pas  sans  grand  dommage  pour  la 
«  population  des  villages  environnants  qui  en  tire  ses  principaux  moyens 
<t  d'existence  » 

Son  Excellence  M.  le  Ministre  de  Tagricullure  ajoute  avec  son 
collègue,   €  que  la  nature  peu  fertile  du  sol  de  la   contrée,  qui   se 

•  Voir  la  livraison  i!«*  janvier ,  p.  4t . 


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100  REVUE  D'ALSACE. 

«  compose  d'une  couche  profonde  de  cailloux  sujette  aux  inQltrations 
<{  et  recouverte  d'un  Lehm  d'une  faible  épaisseur  permet  de  douter 
K  des  résultats  de  Topéralion  projetée  par  la  Compagnie  du  canal 
(  d'Ottmarsheim ,  eu  égard  aux  avantages  certains  auxquels  il  fau- 
4  drait  renoncer,  j» 

Son  Excellence  H.  le  Ministre  des  Travaux  publics  invite  ensuite 
la  Compagnie  à  adresser  ses  observations  à  M.  le  Préfet,  et  ordonne 
une  enquête  faite  de  concert  entre  des  ingénieurs  et  des  agents  de 
l'administration  forestière. 

La  Compagnie  a  donné  sa  réponse;  (Lettre  citée)  l'enquête  vient 
d^être  faite  ;  le  rapport ,  dit-on ,  est  défavorable. 

Comment  après  des  objections  aussi  graves  de  la  part  du  gouverne- 
ment et  de  ses  agents ,  sur  une  concession  partielle ,  comment  est-il 
possible  que  l'aliénation  de  la  forêt  entière  puisse  être  proposée? 

Serait-ce  que  la  Compagnie  dans  sa  réponse  eût  fourni  des  raisons 
et  des  motifs  péremptoires  ?  Essayons  de  les  discuter. 

A  H.  le  Ministre  de  la  guerre  elle  répond  ;  c  L'exception  consentie 
«  aujourd'hui ,  (les  2,000  hectares)  doit  emporter  la  règle  plus  tard  , 
'(  (toute  la  forêt)  car  elle  aime  à  penser  que ,  lorsqu'on  pourra  se  rendre 
•^  mieux  compte  encore  des  résultats  M.  le  Ministre  ne  s'opposera  pas 
a  à  ce  que  le  défrichement  soit  continué  ;  car  les  chances  de  guerre 
u  diminuent  heureusement  tous  les  jours  plus  et  il  est  bien  permis  de 
«  prévoir  qu'avec  les  échanges  rendus  tous  les  jours  plus  faciles  entre 
«  los  peuples ,  nos  frontières  n'auront  plus  besoin  d'être  protégées  par 
c  des  forêts  de  la  Harth.  Il  semble  du  reste  qu'il  suffirait  de  conserver 
ff  pour  la  défense  deux  ou  trois  bandes  de  forêt,  chacune  sur  une  largeur 
«  de  quelques  centaines  de  mètres  ;  on  formerait  ainsi  plusieurs  points 
«  de  résistance ,  et  cela ,  sans  empêcher  le  défrichement  de  la  majeure 
tf  partie  de  le  forêt.  » 

Sous  ne  nous  hasarderons  pas  à  émettre  une  opinion ,  ni  sur  la  valeur 
des  deux  ou  trois  bandes  ,  ni  sur  celle  de  la  forêt  pour  la  défense  du 
territoire.  M.  le  Ministre  de  la  guerre  et  le  génie  militaire  la  main- 
tiennent comme  utile  et  nécessaire ,  il  né  reste  qu'à  s'incliner  devant 
Favis  des  hommes  compétents.  A  côté  d'intérêts  aussi  majeuis,  que 
devient  l'intérêt  attaché  à  une  augmentation  dans  la  production  des 
fourrages?  Et  puis  l'histoire,  contemporaine  même ,  ne  prouve4-elle 
pas  à  chacune  de  ses  pages  l'inanité  des  aspirations  à  la  fraternité  ou 
û  la  paix  universelles  en  dépit  des  échanges  rendus  tous  les  jours  plus 


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MÉMOIIŒ  SUR  l'aliénation  ET  LE  DÉFUICHEMENT  ,  ETC.  101 

faciles  entre  les  peuples  et  malgré  les  ententes  plus  ou  moins  cordiales 
entre  les  gouvernements? 

A  Messieurs  les  Ministres  des  Finances  et  des  Travaux  publics  y  la 
compagnie  répond  :  «  Dans  cette  entreprise  Tinlérêt  général  ne  serait 
"  point  sacriGé  à  l'intérêt  particulier.  La  Société  qui  se  constituerait 
^  pour  entreprendre  Tachât  d'une  partie  des  forêts  de  l'Etat  et  leur 
•(  défrichement ,  ainsi  que  la  construction  d'un  canal  d'irrigation,  se 
<-  contenterait  de  bénéfices  très-modérés ,  et  il  ne  pourrait  en  être 
^  autrement ,  car  la  construction  du  canal  exigerait  une  dépense  très- 
««  considérable.  Outre  l'irrigation  des  terrains  déboisés ,  on  donnerait 
<  de  l'eau  à  des  conditions  modérées  (soit  au  prix  de  25  à  30  fr.  par 
«  hecLire)  aux  cultivateurs  qui  ont  de  fort  mauvaises  terres  le  long  du 
tf  Rhin  et  l'on  en  doublerait  facilement  ainsi  le  revenu  actuel.  Le 
^  Ministre  dit  que  par  suite  du  défrichement ,  les  populations  voisines 
»  de  la  Harth  seraient  privées  de  travail.  Le  contraire  arriverait  avec 
^  une  culture  très-sensiblement  améliorée  par  les  eaux  d'irrigation  et 
'<  par  les  nouvelles  cultures  qui  seraient  la  suite  des  défrichements.  Il 
«  y  aurait  infiniment  plus  de  travail  que  n'en  fournil  aujourd'hui  la 
«  coupe  des  bois  tous  les  {retue'iinq  ans.  On  met  en  doute  le  bon  résul- 
'  tat  de  l'irrigation  sur  un  soi  qui  a  une  couche  aussi  profonde  de  cail- 
«  loux  ,  et  qui  permet  trop  les  infiltrations.  On  n'entreprendrait  pas 
^  une  pareille  œuvre,  et  l'on  ne  s'exposerait  pas  à  des  dépenses  si  con- 
«  sidérables,  si  les  résultais  n'étaient  pas  assurés  d'avance.  Il  existe  à 
^  Hombourg,  sur  les  bords  de  la  Harth  et  à  10  kilomètres  de  Mulhouse, 
«  un  domaine  très-considérable,  appartenant  à  M.  de  Maupeou.  II  a  fait 
<'  défricher  plusieurs  centaines  d'hectares  de  forêt.  Ces  terres ,  irri- 
«  guées  par  les  eaux  du  Rhin ,  provenant  du  canal  du  Rhône  au  Rhin  , 
<•  donnent  de  fort  bons  pâturages,  le  colmatage  se  faisant  prompte- 
«  ment  *,  et  ces  prairies  sont  d'un  excellent  rapport.  Il  n'y  a  rien  à 
«  objecter  à  cela  et  il  est  certain  que  toutes  les  forêts  possédées  par 
1  l'Etat  le  long  du  Rhin,  pourraient  au  moyen  de  canaux  d'irrigation , 
'^  être  successivement  défrichées  et  converties  en  pâturages  donnant  les 
«  mêmes  résultats  que  ceux  de  M.  de  Maupeou.  Il  est  facile  de  calculer 
V  l'avantage  qu'une  pareille  opération  procurerait  à  l'Etat  et  celui  qui 

'  Le  colmatage  ne  s'y  fait  guère  ou  point  du  tout.  On  y  produit  des  fourrages 
à  grand  renfort  d'engrais.  Les  ingénieurs  du  Rhin  seuls  savent  comment  se  col- 
matent les  iles  du  Oeuve. 


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i02  REVUE  d'aLSACE. 

«  serait  oblenu  pour  notre  département.  C'est  un  sentiment  tout  patrio- 
«  tique  qui  anime  les  citoyens  qui  veulent  contribuer  à  ce  résultat,  et 
<^  les  engage  à  demander  au  gouvernement  d'entrer  promptement  dans 
*  cette  voie  de  progrès.  » 

Cette  citation,  dont  nous  n'avons  rien  voulu  omettre,  montre  le  che- 
min que  Ton  a  fait.  Obligée  de  se  défendre  contre  les  objections  du 
gouvernement,  à  Tendroit  de  la  concession  d'une  portion  de  la  forêt  de 
TEtat,  la  compagnie  fmitpar  demander,  dans  son  ardeur  de  défriche- 
ment, la  vente  et  le  défrichement  de  la  Harth  entière  et  même  de  toutes 
les  forêts  possédées  par  TElat  le  long  du  Rhin  ^ 

Et  cette  mesure  est  réclamée  parce  que  «  tout  eu  augmentant  consi- 
«  dérablement  les  revenus  de  TEtat ,  elle  contribuera  puissamment  à 
«  augmenter  la  prospérité  du  département.  ^ 

C'est  ici,  croyons-nous,  le  véritable  motif  du  projet  d'aliénation  ;  la 
riante  perspective  de  cette  double  augmentation  de  revenus  et  de 
prospérité,  devait  naturellement  séduire  le  gouvernement^  surtout  dans 
un  moment  où  il  cherchait  à  créer  des  ressources  pour  travaux  publics. 
Cependant  Topinion  des  grands  Corps  de  l'Etat ,  les  avis  des  agents  des 
administrations  et  l'immense  répulsion  populaire  ont ,  sans  doute , 
ébranlé  sa  foi  première.  Puisse-t-il  acquérir  la  conviction  que  la  pro- 
spérité promise  ,  fût-elle  même  réalisable ,  ne  compenserait  jamais  le 
malheur  public  de  la  perte  de  la  forêt. 

Toute  l'argumentation  des  honorables  promoteurs  de  la  mesure 
projetée  repose  sur  deux  idées-mères. 

Amoindrissement  de  l'importance  de  la  forêt. 

Exagération  de  celle  des  irrigations. 

Quant  à  la  forêt,  les  pages  précédentes  lui  ont  suffisamment  restitué, 
ce  nous  semble,  sa  juste  et  légitime  valeur.  La  suite  de  ce  travail  com- 
plétera ce  qui  reste  à  dire  à  cet  égard. 

*  On  croit  pouvoir  expliquer  cette  ardeur  de  faire  table  rase  de  toutes  les 
forêts  de  la  plaine  par  l'espoir  d'élever  le  prix  de  la  houille ,  d'en  accaparer ,  d*en 
monopoliser  l'exploitation.  C'est ,  dit-on  ,  le  rôve  d'or  des  propriétaires  des  mines 
de  houille.  Nous  n'admettons  aucunement  cette  explication ,  car  nous  ne  croyons 
pas  à  la  prétention  de  mettre  tout  le  public,  toute  la  masse  des  consoinmaleurs  à  la 
discrétion  de  quelques  grands  spéculateui-s.  Nous  craignons  plutét ,  qu'après  la 
(iosiruclion  de  nos  forêts  ,  nons  soyons  Iribulaires  de  l'Etranger.  Il  entre  déjà  ,  à 
Marseille,  par  exemple,  beaucoup  de  bois  de  la  Valachie  ,  pourquoi  n'en  viendrait- 
il  pas  de  l'Autriche  ? 


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MÉMOIRE  SUR  l'ALIÉNATION  ET  LE  DÉFRICHEMENT  ,  ETC.  103 

Quant  aux  irrigations  nous  démontrerons  qu'elles  sont  impossibles 
sur  une  aussi  grande  échelle ,  que  dès-lors ,  pour  la  majeure  partie  du 
territoire  défriché,  Topération  se  réduirait  à  ajouter  une  immense 
étendue  de  mauvaises  terres  à  celles  qui  existent  Jéjà  sur  la  plaine  de 
la  Harth ,  que  désormais  il  importe  d'agrandir  non  le  sol  arable  mais  le 
sol  forestier  et  qu'enfln  les  irrigations  peuvent  à  la  rigueur  se  pratiquer 
utilement  sans  concession  de  la  forêt  domaniale. 

Revenons  à  la  forêt. 

Le  prix  des  bois ,  d'industrie  comme  de  chauffage ,  est  vraiment 
exorbitant  et  hors  de  proportion  avec  celui  des  autres  objets  de  pre- 
mière nécessité.  Il  est  conséquemment  à  désirer  qu'il  descende  au 
niveau  de  celtii  des  autres  matières  indispensables  à  la  vie.  Le  moyen 
d'y  parvenir  n'est  certes  pas  le  défrichement  des  forêts ,  c'est  au  con- 
traire leur  conservation  et  mieux  encore  le  reboisement,  afin  d'élever 
l'offre  au-dessus  de  la  demande,  c  On  prévoit  (lettre  citée)  une  grande 
€  diminution  par  suite  de  la  concurrence  de  la  houille ,  et  du  prochain 
«  achèvement  du  canal  de  la  Sarre  ,  qui  produira  une  baisse  d'un  tiers 
a  sur  les  prix  actuels.  »  On  ajoute  :  €  Le  bois  de  la  Harth  n'est  em- 
«  ployé  que  comme  combustible.  > 

D'abord  qu'il  nous  soit  permis  de  répondre  que  cette  dernière  asser- 
tion est  une  erreur ,  car  on  a  vu  plus  haut  que  le  rendement  de  cette 
forêt ,  en  bois  d'industrie  et  de  service ,  est  considérable.  Sous  ce  rap- 
port la  houille  ne  saurait  donc  suppléer  les  produits  de  la  forêt.  Il  en 
serait  de  même  pour  les  bois  «  fournis  en  grande  qtianlité  par  nos 
c  forêts  de  montagnes  >  qui ,  notamment,  produisent  peu  ou  point  de 
chênes.  Quant  au  bois  de  sapin,  il  est  principalement  débité  comme 
bois  de  construction  ,  planches ,  lattes ,  etc. ,  etc. ,  à  cause  de  leur  prix 
plus  avantageux ,  et  il  ne  suiBt  pas  même  à  nos  besoins  puisqu'il  s'en 
importe  une  grande  quantité  de  la  Suisse  et  de  l'Allemagne. 

Il  y  aurait  grande  imprudence  à  se  priver  de  bois  de  chauffage  pour 
se  réduire  à  la  houille  attendu  que  son  approvisionnement  peut  venir 
à  diminuer  par  une  cause  quelconque  ;  que  son  extraction  et  ses  arri- 
vages peuvent  être  entravés  par  diverses  circonstances ,  telles  que 
accidents  dans  les  mines ,  grèves  ou  coalitions  d'ouvriers ,  droits  éta- 
blis. Enfin  est-il  bien  certain  que  t  le  prix  de  ce  combustible  sous  terre 
€  diminuera  bientôt;  n'esl-il  pas  à  prévoir  plutôt  qu'il  augmentera  par 
suite  de  fusion ,  d'accaparement  de  la  part  de  Compagnies  houillères 
et  encore  par  suite  d'un  accroissement  notable  et  continu  des  besoins 


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104  REVUE   D*ALSACE. 

amenés  par  la  rareté  du  bois,  par  l*augnientaiion  de  la  population, 
des  établissements  industriels,  des  chemins  de  fer^  des  bateaux  à 
vapeur ,  etc. ,  etc.  N'avons-nous  pa&  déjà  les  signes  précurseurs  de 
cette  pénurie,  de  cette  cherté  à  venir?  Et  quelle  cruelle  et  amère  dé- 
ception alors  que ,  par  la  destruction  d'une  partie  de  nos  ferèts ,  nous 
serions  condamnés  à  un  chauffage  plus  cher  que  celui  du  bois. 

A  supposer  même  que  le  «  prix  de  la  houille  vienne  à  baisser  d'un 
tiers  >  pense-t-on  qu'alors  le  bois  serait  délaissé?  Depuis  longues 
années  la  houille  entre  de  plus  en  plus  dans  la  consommation  générale 
et  néanmoins  le  bois  est  toujours  très-demande,  malgré  la  hausse 
constante  de  son  prix.  C'est  que  la  nécessité  de  se  procurer  de  nou- 
veaux foyers ,  de  se  servir  également  de  bois ,  le  désagrément  d'un 
chauffage  répugnant,  souvent  malsain^  quelquefois  dangereux  s^oppo- 
seront  toujours  à  ce  que  la  houille  trouve  accès  dans  toutes  les  cuisines , 
encore  moins  dans  les  appartements. 

Aussi  n'est-il  pc.s  exact  de  prétendre  que  c  notre  population  pourrait 
c  se  passer  Je  bois ,  qu'il  serait  même  utile  que  nous  n'en  eussions 
«  plus ,  parce  que  le  consommateur  serait  forcé ,  à  son  grand  avantage, 
a  de  ne  brûler  que  de  la  houille.  >  En  effet,  quand  même  la  classe 
pauvre  y  la  classe  ouvrière  des  villes  ,  se  résignerait  à  s'en  servir,  si 
elle  était  à  bas  prix ,  celle  des  campagnes  ferait  de  préférence  usage  de 
bois ,  si  elle  continuait  à  le  trouver  dans  les  forêts  communales  ou 
domaniales.  Hais  partout ,  en  ville  comme  à  la  campagne ,  la  classe 
moyenne  préférerait  toujours  le  chauffage  agréable  et  sain  du  bois ,  à 
moins  que  les  forêts  ayant  disparu  en  plaine,  le  bois  ne  devienne  un 
objet  de  luxe  accessible  seulement  aux  plus  riches.  C'est  ainsi  que  la 
destruction  des  forêts  en  plaine  ,  en  privant  les  populations  de  bois  de 
chauffage ,  à  leur  grand  désavantage ,  les  mettrait  à  la  merci  des  grandes 
Compagnies  houillères. 

On  objectera  peut-être  qu'après  la  vente  et  la  disparition  des  forêts 
domaniales  situées  en  plaine  (Harth  et  Kastenwald  dans  le  Haut-Rhin) 
il  y  restera  toujours  assez  de  bois  communaux  et  particuliers.  11  n  en 
est  pas  tout-à-fait  ainsi.  Les  particuliers  et  les  corps  municipaux  ne 
sont  que  trop  disposés  à  jouir  à  courte  échéance ,  à  se  lancer  dans  des 
travaux  ,  consiruclions,  embellissements  onéreux ,  et  afin  de  remédier 
à  la  souffrance  des  caisses  de  recette ,  à  mettre  la  main  sur  leurs  bois , 
à  sacriGer  l'avenir  à  l'intérêt  du  moment.  Que  serait-ce  donc  et  com- 
ment refuser  les  autorisations  si  l'exemple  vient  de  l'Etat  lui-même , 


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MÉMOint;  SUR  l'aUÉNATIOM  et  le  défrichement  ,  ETC  i05 

lui  qui  cependanl  c  ne  doit  oi  raisoooer  ai  agir  comme  un  pariiculier.  i 
Les  demandes  abonderont  d'autant  plus  que  la  loi  (18  juin  1859)  donne 
trop  de  facilités.  Dans  la  plaine  du  Haut-Rhin ,  il  n'y  a  plus ,  pour  ainsi 
dire ,  que  le  veto  du  génie  militaire  et  encore  ce  dernier  rempart  qui 
abrite  les  forêts,  n^est*il  pas  battu  en  brèche  ?  Ces  déboisements  n*au* 
raient  pas  une  influence  aussi  funeste  si  déjà  antérieurement  ils  n'a- 
vaient été  tellement  considérables  qu'ils  dépassent  la  juste  limite, 
l'équilibre  normal.  Voyons  plutôt  la  situation. 

On  évalue  à  46  millions  d'hectares  les  forêts  qui  jadis  couvraient  la 
Gaule.  L'accroissement  de  la  population  et  de  la  culture  ont  naturelle- 
ment réduit  de  beaucoup  une  pareille  étendue.  Dans  la  suite  des  siècles 
cependant  les  défrichements  prirent  une  extension  telle  que  les  chefs 
des  Etats  durent  les  réprimer  à  différentes  époques.  En  1760  les  forêts 
de  la  France  étaient  encore  évaluées  à  17  millions  d'hectares  (marquis 
de  Mirabeau,  Théorie  de l'impôij.  La  loi  du  29  septembre  1791  en 
poussant  à  l'extrême  le  rigorisme  des  principes  permit  aux  propriétaires 
d'user  et  d'abuser  de  leurs  bois  ;  aussi  les  dévastations  de  forêts  furent- 
elles  excessives  jusqu'à  ce  que  Napoléon ,  sous  le  consulat ,  y  mit  un 
terme  en  décrétant  les  mesures  conservatrices  les  plus  sages.  Aujour- 
d'hui, d'après  la  statistique  générale^  la  superficie  totale  de  la  France 
étant  de  53,768,610  hectares,  la  superficie  ^otiée  n'est  que  de  8,804,559 
hectares ,  soit  un  rappoit  entre  les  deux  superficies  de  16,7  p.  ^j^.  Par 
contre  la  France  compte  21,729,102  hectares  de  pâturages  et  landes 
cultivables.  En  1860  {Rapport  de  iH.  de  Forcade  mi  Ministre  de$ 
Finame»)  les  forêts  domaniales  étaient  réduites  à  1,077,046  hectares , 
comprenant  40,716  hectares  de  vides ,  dont  le  repeuplement  est  achevé  ; 
mais  d'après  un  nouveau  recensement,  ce  nombre  dépasse  1,100,000 
hectares,  sans  y  comprendre  67,185  hectares  affectés  à  la  dotation  de 
la  couronne. 

De  1820  à  1864: 

Les  bois  domaniaux  aliénés  avec  faculté  de  défricher 
ont  été  de 278.691  Lect. 

Les  bois  communaux  vendus  avec  la  même  faculté  '   .    11,185    — 

L'administration  a  autorisé  les  particuliers  à  défricher  375,487    — 

Ensemble 665,363  hect. 

'  Les  bois  domaniaux  et  coinmunanx  font  ensemble  289,870,  soit  une  moyenne 
annueUe  de  6741. 


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106  REVUE    DAI.SACE. 

Depuis  seize  ans ,  on  autorise  annuellement  le  défrichement  d'environ 
16,000  hectares^  On  peut  évaluer  à  une  contenance  de  9000  beelares 
les  défrichements  au-dessous  de  10  hectares  en  plaine  et  les  défriche- 
ments  iliicUes.  Si  Ton  ajoute  encore  6000  bectai'es  de  bois  domaniaux 
el  1000  hectares  de  bois  communaux  ,  on  arrive  à  un  total  d*envirou 
31»000  hectares,  qui  représentent  très-approximativement  la  surface 
boisée  livrée  chaque  année  au  défrichement.  Or,  si  le  défrichement 
n'éprouvait  pas  un  temps  d'arrêt  et  qu'il  fût  effectué  en  totalité ,  on 
aurait  défriché  en  un  siècle  3,1003000  hectares  sur  8,80i,550  hectares 
représentant  la  superficie  boisée  de  la  France  '  et  en  moins  de  trois 
siècles  toutes  les  forêts  qui  couvrent  aujourd'hui  la  France  auraient 
disparu  entièrement.  N'est-ce  pas  une  perspective  effrayante?  Lé  projet 
de  loi  sur  l'aliénation  des  forêts  domaniales  «  estime  de  80,000  à 
«  130,000  hectares  les  bois  qu'il  s'agirait  d'aliéner.  >  Eh  bien,  dix  lois 
pareilles  feraient  disparaître  toutes  les  forêts  domaniales. 

Ces  craintes  sont  chimériques,  dira-t-on ,  puisque  si  l'on  déboise 
d'un  côté ,  on  reboise  de  l'autre.  Depuis  la  promulgation  de  la  loi  du 
28  juillet  1860  l'administration  forestière  s'occupe  du  reboisement  des 
terrains  autres  que  les  terrains  domaniaux  ou  communaux  soumis  au 
régime  forestier;  ce  reboisement  est  effectué  en  pays  de  montagne 
seulement^  avec  subvention  de  l'Etat.  C'est  une  mesure  très-sage,  très- 
louable,  mais  qui  est  une  faible  compensation  pour  le  dérrichement  des 
bois  en  plaine,  car  le  chiffre  des  reboisements  est  bien  inférieur  à 
celui  des  défrichements.  Pendant  les  quatre  dernières  années,  le 
nombre  d'hectares  reboisés  en  pays  de  montagne  a  été 

de  28103  hectares  pour  les  communaux. 

de    6061       id.       pour  les  parliculiers. 

de    6843      id.      pour  les  domaniaux. 

Total  .    .   41007  hectares. 

vSoit  une  moyenne  annuelle  de  10,000  hectares,  tandis  qu'on  a  eu 
la  faculté  de  déboiser  31,000  hectares. 

Les  reboisements  se  sont  d'ailleurs  faits  dans  la  proportion  de  74 
p.  %  en  arbres  verts  el  de  26  p.  Vo  seulement  en  autres  espèces  de 


'  Des  forêts  et  de  leur  influence  sur  les  climals  ,   par  M.  Becquirel.  Comptes 
rendus  à  rAoadéiuie  des  sciences.  Séance  du  22  mai  1865. 


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MÉMOlIll!;  SUR  L* ALIÉNATION  ET  LE  DÉFIUGHEME.NT  ,  ETC.  iOT 

bois  K  Ces  41,007  hectares  reboisés  en  pays  de  montagne  ne  peuvent 
pas  même  être  considérés  comme  remplaçant,  sous  le  rapport  des 
essences,  pareil  nombre  d'hectares  d'anciens  bois  défrichés  en  plaine, 
qui  sont  principalement  peuplés  en  chêne. 

Le  chiffre  de  ces  opérations  fùt-il  égal ,  il  serait  toujours  téméraire 
de  s*en  prévaloir  pour  continuer  les  déboisements ,  parce  que  les  nou- 
velles plantations  ne  pourront  être  exploitées  que  dans  un  avenir  très- 
lointain  et  qu*en  attendant  elles  sont  même  e^^posées  à  bien  des  vicis- 
situdes. La  prudence  conseille  de  ne  se  départir  des  bois  que  nous 
avons  sous  la  main  qu*à  Tépoque  où  Pon  pourra  entrer  en  jouissance 
de  ceux  qu'on  plante  aujourd'hui. 

On  veut  défricher  les  forêts  et  les  convertir  en  pâturages  et  en  terres 
de  grande  culture.  Hais  est-il  nécessaire ,  est-il  permis  de  défricher 
des  forêts  quand  on  possède  pour  cela ,  à  sa  disposition ,  21,729,102 
hectares  de  pâturages  et  de  landes  cultivables.  C'est  là  un  vaste  champ 
d'opérations  agricoles ,  qui  s'offre  même  dans  notre  contrée  ' ,  sans 
qu'il  soit  aucunement  besoin  de  détruire  les  forêts  et  avec  elles  les 
influences  bienfaisantes  et  les  ressources  précieuses  qu'elles  procurent 
dans  le  présent  et  dans  les  éventualités  de  l'avenir. 

En  défrichant  la  forêt  de  la  Harth  obtiendrait-on  au  moins  de  bonnes 
terres  labourables?  —  Nullement. 

Pendant  les  premières  années  qui  suivent  tout  défrichement  de  forêt, 
les  récoltes  sont ,  il  est  vrai,  abondantes,  parce  que  la  terre  végétale 
accumulée  par  la  forêt  est  un  amendement  puissant.  Mais  celui-ci  s^é- 
puise  peu  à  peu ,  et  les  produits  diminuent  ou  deviennent  presque  nuls 
â  moins  que  l'on  ne  soit  en  état  de  remédier  à  cet  épuisement  par  de 
fortes  fumures.  Cette  observation  générale  peut  être  corroborée  par  de 
nombreux  exemples  pris  autour  de  nous.  Au  Niederwald  de  Ruesten- 


*  Rapfiorl  de  M.  Vicaiie  au  Ministre  des  Finances  eu  1862. 

*  Ainsi  l'Ochsenfeld  cet  immense  banc  de  gravier  déposé  au  débouché  de  la  vallée 
de  la  Thurr  ;  ninsi  cette  plaine  même  de  la  Harth  dont  il  est  tant  parlé  offriraient 
de  grand»  terrains  propres  à  faire  des  essais  de  cnlUire  améliorée  ,  de  la  grande 
culture  ,  et  à  satisfaire  les  goûts  et  les  eflbrts  des  agronomes.  De  louables  expéri- 
inenlulions  y  ont  été  tentées  et  il  serait  fort  honorable  d'imiter  de  tels  exemples. 
Kt  qu'on  ne  dise  pas  que  ces  terres  sont  trop  mauvaises ,  car  le  sol  de  la  forêt  est 
tout  aussi  mauvais  ;  la  similitude  est  parfaite. 


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408  REVUE   D'ALSACE. 

hart,  à  Fessenheim  et  même  à  Hombourg^  quelques  années  après  le 
défrichement,  on  est  obligé  de  recourir  fortement  à  Tengrais  et  à  des 
troupeaux  de  moutons  pour  fumer  champs  et  prairies.  Il  en  arriverait 
de  même  y  sinon  pis  encore ,  pour  le  territoire  de  la  Harth ,  qui  bientôt 
serait  semblable  à  celui  deJa  plaine  de  la  Harth  aride  (die  autre  H  ml  . 
La  force  des  choses  rendrait  le  résultat  inévitable ,  car  c^est  le  même 
sol  ;  les  irrigations  et  d^autres  améliorations  seraient  trop  restreintes  , 
pour  vaincre  les  nombreuses  difficultés  de  la  culture  sur  un  pareil 
terrain  et  bientôt  les  produits  et  les  revenus  de  la  Harth  défrichée 
seraient  les  mêmes  que  ceux  de  la  plaine  de  la  Harth  actuelle. 

Composée  de  portions  plus  ou  moins  grandes  d*une  vingtaine  de 
banlieues  cette  plaine  s'étend ,  sous  le  nom  de  Hart ,  Hartfeld,  tout  à 
l'entour  et  surtout  au  nord  de  la  forêt ,  dont  elle  égale  la  contenauce  et 
avec  laquelle  elle  a  une  origine  commune  puisqu'elle  s'est  formée  suc- 
cessivement des  défrichements  séculaires  de  ^ancienne  Harth.  De  part 
et  d'autre  le  sol  procède  du  grand  atterrissement  diluvien  qui  fait  le 
fond  de  la  vallée  du  Rhin.  Ce  fond  est  recouvert  en  plusieurs  endroits , 
le  long  des  fleuves  et  des  rivières  surtout ,  d'une  couche  assez  épaisse 
de  marne  jaunâtre ,  Lehm  des  Alsaciens  ;  mais  ici ,  sur  le  plateau  cen- 
tral ,  entre  la  route  du  Rhin  et  jusqu'à  deux  à  quatre  kilomètres  à  TEst 
de  la  rivière  de  l'Ill ,  cette  couche  est  faible  et  en  général  tellement 
mince  que  les  galets  roulés  se  montrent  à  la  surface.  Naturellement  sur 
ces  mauvaises  terres  les  récoltes  sont  médiocres ,  le  travail  ingrat ,  les 
villages  clair-semés  et  d'une  faible  population. 

Nous  avons  sous  les  yeux  les  relevés  cadastraux  de  24  banlieues 
situées  sur  le  territoire  de  la  Harth ,  et  le  chifl're  officiel  de  la  population 
de  ces  communes.  En  voici  le  résumé  : 

Leur  contenance  totale  est  de  24,562  hectares  dont  20,313  hectares 
sont  en  nature  de  terres  labourables. 

Les  bois  communaux  et  particuliers  des  20  banlieues  avoisinant 
immédiatement  la  forêt  domaniale  y  figurent  pour  477  hectares,  non 
compris  les  bois  et  broussailles  des  îles  du  Rhin,  qui  sont  employés  aux 
travaux  du  fleuve. 

En  ajoutant  les  14,000  hectares  de  la  forêt  domaniale  la  superficie 
totale  est  de  38,562  hectares. 

Sur  cette  superficie  se  trouve  une  population  de  28,396  âmes. 

Certes  ces  chifl'res  parlent  assez  haut. 


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MÉMOIRE  SUR  l'aLIÉNATION  ET  LE  DÉFRICHEMENT  ,  ETC.  109 

La  qualité  el  le  rendement  des  terres  ressort  le  mieux  du  prix  de 
location.  Or  voici,  pour  plusieurs  commuues  qui  possèdent  des  biens 
communaux  situés  sur  le  lerriloire  du  Harlhfeld^  les  chiffres  authentiques 
de  la  location  de  ces  biens. 


Communes.      Contenance. 

Canon  annuel. 

Prix  moyen 

heet.    ares. 

par  hectare. 

Balgau    ...    10    73 

394'    > 

2-'40« 

Bantzenheim  .     5    68 

133    » 

!23  41 

flirtzfelden     .  300    — 

3000    > 

iO    . 

Boggenhausen     8    63 

495    » 

57  30  )Cesonl  les  meilleures 
38  46  )  terres  de  la  banlieue. 

Ruestenharth     13      » 

500    » 

Rumersheim  .     3    62 

127  50 

35  22 

Le  revenu  moyen  pour  ces  six  communes  est  ainsi  de  31  fr.  96  c. , 
celui  de  la  forêt  étant  de  46  fr.  58  c.  la  différence  en  plus  pour  la  forêt 
serait  d'environ  14  francs  par  heclare.  On  a  choisi  les  biens  communaux 
afin  de  donner  des  chiffres  officiels  ;  les  terres  des  particuliers  situées 
dans  le  Barthfeld  n'offrent  pas  un  revenu  supérieur  K  II  sera  constaté 
plus  bas  qu*en  cas  de  défrichement ,  sur  les  14,000  hectares,  12,000 
hectares  seraient  forcément  convertis  en  terres  labourables ,  dont  le 
revenu  présumable  serait  également  inférieur  à  celui  de  la  forêt  actuelle. 
Voici  quelle  serait  la  prospérité  promise  et  c'est  pour  aboutir  à  ce  résultat 
qu'on  jetterait  la  perturbation  dans  le  pays  et  forcerait  les  populations 
à  s'expatrier  ! 

La  mise  en  culture  de  ce  vaste  territoire  procurerait-elle  au  moins 
un  surcroît  le  travail  et  de  bien-être  à  la  population  ouvrière?  A  M.  le 
Ministre  ,  manifestant  la  crainte  que  le  défrichement  de  2000  hectares 
de  la  forêt  n*apportàt  un  grand  dommage  à  la  population  qui  en  tire  ses 
principaux  moyens  d'existence,  la  Compagnie  a  répondu  «  qu'avec  les 
c  nouvelles  cultures  il  y  aurait  infiniment  plus  de  travail  que  n'en  fournit 
f  aujourd'hui  la  coupe  des  bois  tous  les  trente-cinq  un«.  » 

On  exploite  annuellemcut  quatre  cents  hectares  dans  la  forêt  de  la 
Harth  et  il  a  été  bien  constaté ,  plus  haut ,  que  celte  exploitation  —  coupe 
et  transport  —  est  d'un  rapport  annuel  d'au  moins  200,000  francs  pour 
la  classe  ouvrière.  Le  travail  qui  produit  ce  salaire  annuel  se  fait  prin- 

*  Les  territoires  défrichés  du  Niederwald  de  Ruestenhart  el  des  Pins  de  Fessen- 
heiro  (à  Mo>«  Bartholdi)  rapportent  aujourd'hui  à  peine  20  fr.  le  hectare. 


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110  REVITK  d'ALSACF. 

cipalement  pendant  la  morle-saison ,  el  sans  nuire  aux  travaux  des 
champs.  A  part  les  frais  de  premier  ^lablissemenl,  la  culture  ne  produi- 
rait certes  pas  autant,  particulièrement  quant  aux  prairies  qui  exigent 
le  moins  de  travaux.  Il  est  question  d'ailleurs  de  moyens  d'existence  et 
par  là  il  ne  faut  pas  seuleroeul  entendre  le  travail ,  mais  toutes  autres 
ressources  offertes  par  la  forêt.  Est-il  au  reste  bien  utile  ou  nécessaire 
de  chercher  à  donner  du  développement  aux  exploitations  agricoles  à 
une  époque  où  les  ouvriers  désertent  campagnes ,  ou  ce  n'est  pas  le 
travail  qui  manque  mais  où  ce  sont  plutôt  les  ouvriers  qui  font  défaut. 
Voudrait-on  ouvrir  un  débouché  aux  ouvriers  industriels?  S'il  y  avait 
même  du  trop-plein  de  ce  côté ,  seraient-ils  bien  propres  aux  travaux 
agricoles  ?  Dans  cette  gigantesque  entreprise  il  faudrait  créer  quelques 
villages,  car  les  cultivateurs  des  villages  voisins  n'ont  que  trop  de 
mauvais  champs  ;  où  en  prendrait-on  les  éléments?  Quelle  prospérité 
ces  nouveaux  colons  auraient-ils  à  entrevoir? 


Enfm  peut-on  invoquer  la  loi  suprême  de  l'alimentation  de  la  nation  ? 
les  prix  des  denrées  alimentaires  est-il  élevé  et  celui  des  Itois  tellement 
bas  qu'il  importe  d'augmenter  le  sol  arable  aux  dépens  du  sol  forestier, 
de  convertir  les  forêts  en  terres  labourables?  C'est  plutôt  le  contraire 
qui  s  lien  ;  car  malgré  la  consommation  croissante  de  le  houille ,  le  prix 
de*  bois  hausse  conlinuellement  et  celui  des  céréales  diminue  nu  point  de 
n'être  plus  le  prix  de  revient.  L'application  du  libre-échange ,  en  tant 
quil  a  pour  but  de  maintenir  le  pain  à  bon  marché ,  deviendra  même 
inutile ,  sous  ce  rapport ,  attendu  que  par  suite  du  développement  de3 
terres  cultivées  et  des  progrès  agricoles  la  production  alimentaire  se 
trouve  au  niveau  des  besoins.  M.  Becquerel  vient  même  de  démontrer, 
qu'en  France  la  production  du  froment  a  dépassé  les  besoins  de  la  con- 
sommation ^  Voici  un  résumé  succinct  de  son  mémoire.  11  y  est  question 
de  l'ensemencement ,  de  la  production ,  du  prix  et  de  la  consommation 
du  froment  en  rapport  avec  la  population.  Au  moyen  de  tracés  gra- 
phiques de  chacun  de  ces  éléments ,  on  est  parvenu  à  mieux  saisir  les 
rapports  entre  toutes  les  parties.  (En  prenant  les  années  pour  abscisses 
et  ces  éléments  pour  ordonnés ,  puis  traçant  également  la  ligne  qui  in- 

'  Mémoire  sur  la  production  et  la  eonsommalion  du  froment ,  par  M.  Becq^erri.  , 
Comptes-rendus  à  rAcadémie  des  sciences.  Séance  du  tO  avril  1863. 


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MÉMOinK  SUR  l'aliénation  ET  LE  DÉFRICHEMENT  ,  ETC.  111 

dique  la  direclion  moyenne  et  donnant  son  équation.)  Les  recensements 
périodiques  et  la  table  de  la  population  annuelle  calculée  par  M.  Mathieu, 
montrent  une  marche  ascendante  assez  régulière  et  permettent  d*inférer 
que,  si  aucuae  puissante  perturbation  n^ntervient,  la  population  qui 
était  de  37,382,225  âmes  pour  les  89  départements  en  1861  sera  de 
42,139,397  âmes  en  1900. 

Le  nombre  des  hectare?  ensemencés  en  froment  augmente  chaque 
année,  mais  dans  un  rapport  moins  grand  que  la  population.  Néanmoins 
la  production  est  en  voie  de  dépasser  les  besoins ,  parce  que  le  rende- 
ment est  plus  fort  que  par  le  passé. 

Ijes  différenc^'s  dans  la  production  sont  quelquefois  considérables 
d'une  année  à  une  autre  ;  elles  résultent  de  Tintempérie  des  saisons  , 
mais  n*empèchent  pas  que  la  production  n'aille  en  augmentant  depuis 
AS  ans.  Elle  a  presque  doublé  dans  l'espace  de  30  ans. 

Autrefois  les  prix  du  froment  variaient  beaucoup  dans  les  diverses 
régions;  la  facitité  des  transports  tend  à  les  niveler,  même  dans  les 
divers  pays.  Ils  ne  dépendent  pas  toujours  des  bonnes  ou  mauvaises 
récoltes.  Les  approvisionnements  antérieurs  et  la  spéculation  inter- 
viennent aussi  pour  les  modifier. 

Le  froment  entre  do  plus  en  plus  dans  la  consommation  ;  la  produc- 
tion s'accroit  néanmoins  plus  rapidement  que  la  consommation,  et 
Tune  et  Tautre  plus  que  la  population.  Les  déficits  diminuent  à  partir 
de  1855  et  la  production  commence  à  dépaiter  de  plus  en  plu»  let 
hnoinx. 

Ces  données  ne  reposent  sur  aucune  hypothèse  ;  elleê  ioni  rexpretsion 
pure  ci  simple  des  faits.  Il  convient  d'ajouter  que  les  conclusions  aux- 
quelles on  est  parvenu  sont  indépendantes  des  effets  résultant  de  l'im- 
portation et  de  l'exportation ,  des  opérations  commerciales  et  des  réserves 
faites  par  les  producteurs  pour  vendre  dans  des  temps  opportuns. 

La  conclusion  à  tirer  de  cet  état  de  choses  c'est  qu'il  n'est  nullement 
nécessaire  d'extirper  les  bois  pour  les  besoins  de  l'alimentation  publique 
et  qu'en  tout  cas  les  21  millions  de  landes  cultivables  y  sufliraient  pour 
des  siècles. 

n  reste  à  parler  des  irrigations. 

On  a  vu  plus  haut  que  la  Compagnie  demandait  à  défricher  et  à  con- 
vertir en  prairies  irrigables  : 

l'*  UmX'  mille  hectares  de  la  basse  Harth  ; 

i^  Ensuite  la  forêt  entière  ; 


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113  REVUE  .D'ALSACE. 

3«  Toutes  les  forêts  possédées  par  l'Etat ,  le  long  du  Rhin  ; 

4"  Elle  se  proposait  en  outre  de  céder  de  Feau  à  des  prix  modérés 
(lie  25  à  30  francs  par  hectare) ,  pour  irriguer  les  mauvaises  terres , 
converties  en  prés,  des  cultivateurs  le  long  du  Rhin.  (Il  faut  lire  sans 
doute  les  mauvaises  terres  sur  la  plaine  de  la  Hartb ,  car  le  long  du 
Rhin  les  terres  sont  bonnes  et  humides).  Est-il  possible  de  réaliser  ce 
gigantesque  projet  suivant  lequel  il  s'agirait  de  mettre  en  prairies  et 
d'irriguer  environ  30,000  hectares  ? 

Toute  irrigation  dépend  de  deux  conditions  principales  :  le  niveau  des 
terrains  et  la  quantité  d'eau  nécessaire  ou  disponible.  Ces  deux  condi- 
tions existent-elles  pour  toutes  les  irrigations  ? 

La  forêt  de  la  Hartb  peut  être  divisée  en  deux  parties  séparées  par  le 
canal  Av  Rhône  au  Rhin  ,  l'une  située  au  Sud  et  à  l'Ouest,  l'autre  au 
Nord  et  à  l'Est  de  ce  canal. 

La  première  composée  de  18  séries  ou  triages  (de  la  3*  à  la  17*  et  de 
le  35'»  à  la  37«)  d'une  contenance  de  6404  hectares  ne  pourrait  être 
irriguée  que  par  les  eaux  du  canal  de  navigation.  Or  dans  la  portion 
supérieure,  depuis  l'origine  à  la  chaussée  et  Bartenheim  jusque  vis-à-vis 
Habsheim  et  Hombourg ,  le  terrain  est  comparativement  plus  élevé  que 
le  niveau  du  canal ,  et  ses  eaux  ne  pourraient  en  conséquence  y  être 
déversées.  Cette  diiBculté  n'existe  pas ,  généralement ,  dans  la  portion 
inférieure,  mais  c'est  la  seconde  condition ,  la  quantité  d'eau ,  qui  ferait 
défaut.  Dans  l'état  actuel ,  le  volume  d'eau  qui  arrive  dans  les  deux 
branches ,  de  Huningue  et  de  Dannemarie ,  suffit  à  peine  au  service  de 
la  navigation  ,  ou  pour  parer  incessamment  aux  grandes  pertes  qu'il 
s'agit  de  remplacer.  C'est  au  point  que  l'eau  manque  souvent  pour  l'irri- 
gation des  prairies  du  beau  domaine  de  Hombourg.  M.  le  vicomte  de 
Maupeou  y  a  fait  défricher  et  convertir  en  prés  cent  cinquante  hedares  ; 
(tout  en  conservant  200  hectares  de  forêt) ,  il  jouit  d'une  concession 
d'eau ,  il  paie  à  l'Etat  un  prix  modéré  de  quatre  francs  par  hectare ,  les 
frais  de  premier  établissement  des  écluses  ,  fossés ,  etc. ,  etc. ,  ont  été 
considérables,  et  pourtant  il  n'obtient  pas  toujours  l'eau  nécessaire. 

Il  est  question ,  il  est  vrai ,  de  travaux  d'agrandissement  de  l'écluse 
de  Huningue.  Elle  débite  de  huit  à  dix  mètres  cubes  d'eau  par  seconde 
lorsque  les  eaux  du  Rhin  se  trouvent  à  un  étiage  moyen.  Mais  par  suite 
de  l'abaissement  du  lit  du  fleuve ,  amené  par  les  travaux  de  rectification 
et  aux  époques  des  basses  eaux  le  débit  est  moindre  et  quelquefois  le 
canal  se  trouve  presque  à  sec.  Ces  travaux  seraient  jugés  nécessaires 


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MÉXOIRE  SUR  L'ALlÉiNATiO.N  LT  LE  OËrHlCHEMEMT  ,  ETC.  113 

dans  rintéréi  de  la  navigalion  el  à  cause  de  la  construction  d'un  canal 
entre  le  bief  N<»  41  et  le  Quatelbach ,  près  de  Mulhouse  »  dans  le  but  de 
fournil*  plus  d*eau  aux  moulins  établis  sur  le  canal.  Le  volume  d*eau  qui 
devra  y  entrer  est  évalué  de  4  à  5  mètres  cubes  par  seconde ,  dont 
les  9/10  provenant  de  la  branche  de  fiuningue ,  tandis  que  d*un  autre 
côté ,  le  service  de  la  navigation  ou  Publigation  de  parer  aux  pertes  in- 
cessantes exige  déjà  un  volume  d'eaudeO  à  7  mètres  cubes  par  seconde. 
D'après  le  projet  dont  il  s'agit ,  on  espère ,  dit*on ,  introduire  par  l'é- 
cluse de  Huningue  12  mètres  cubes  d'eau  par  seconde.  Aller  au-delà 
n'est  guère  possible  ou  praticable ,  sans  nuire  à  la  navigation  par  un 
courant  trop  fort  qui  entraverait  la  marche  des  bateaux  en  remontant. 
Le  débit  fût-il  même  supérieur ,  lors  des  hautes  eaux ,  ne  doit  cepen- 
dant pas  être  porté  plus  haut ,  relativement  aux  irrigations ,  attendu 
qu'à  Tépoque  où  ces  opérations  ont  le  plus  souvent  lieu  ,  en  avril  et  mai, 
les  eaux  du  fleuve  n'ont  pas  encore  atteint  leur  maximum  d'élévation. 
Et ,  règle  générale ,  les  jours  de  basses  eaux  ou  des  eaux  moyennes 
constituent  la  grande  majorité  des  jours  de  l'année.  Voici  donc  quel 
Serait ,  dans  la  situation  la  plus  favorable ,  le  bilan.  Il  faudrait  de  6  à  7 
mètres  cubes  pour  le  service  de  la  navigation ,  de  4  à  5  pour  le  canal 
allant  au  Quatelbach  ,  et  1",0&'  à  \'',i^  pour  les  écluses  de  Hom- 
bourg  ^  De  toute  manière  il  n'y  aurait  aucun  excédant  d'eau ,  et  il 
résulte  de  cet  aperçu  qu'en  admettant  mAme  l'exécution  du  projet 


*  Le  débit  de  la  première  des  trois  écluses  desservant  chacun*^  50  hectares,  a  été 
calculé  à  0",855e  cubes  d*eau  par  seconde  par  M.  Miintz  ,  ingénieur  en  chef  (rapport 
au  Conseil  général  1859).  D'autres  calculs  le  portent  à  0",i30«.  En  prenant  la 
moyenne  entre  ces  deux  chifTr.'s  on  obtient  0", 892 50  pour  50  hectares  et  1>",1776 
pour  les  150  hectares  ou  bien  encore  0",00785  par  hectare.  Au  moyen  d'une  écluse 
on  arrose  de  8  à  4  hectares  en  S4  heures ,  soit  50  hectares  en  quinze  jours.  L'eau 
est  dirigée  et  promenée  successivement  sur  toute  la  superficie ,  et  quand  une  rota- 
tion de  quinzaine  est  terminée  on  en  recommence  une  autre.  Sans  la  précaution  de 
diriger  ainsi  les  eaux  quelques  places  seraient  capables  de  boire  toute  l'eau  fournie 
par  récluse.  Sur  ces  terrains ,  un  autre  Palémon  ne  dirait  pas  :  les  prés  ont  assez 
d'eau  ,  »al  yrata  biberunt.  Aussi  le  volume  d'eau  nécessaire ,  même  par  cette  mé- 
thode ,  est-il  bien  supérieur  à  celui  qui  est  employé  ailleurs  où  l'on  compte  une 
tranche  d'eau  de  10  à  20  centimètres  de  hauteur ,  soit  en  moyenne  15">.00e  cubes 
ou  18,000  litres  par  are  et  1,500,000  par  heclure,  renouvelable  tous  les  quinxe 
jours.  A  Hombovrg,  en  prenant  le  chiffi^  te  plus  bas ,  0>>,855«,  il  faut  460  millions 
de  litres  par  quinzaine  pour  50  hectares ,  soit  9,200,000  par  hectare. 
8-  Série.  -  17  Année.  8 


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114  REVUE  D' ALSACE. 

d'agrandissement  de  l'écluse  de  Huningue  il  n'y  a  pas  à  compter,  ni 
sur  la  création  c  des  300  hectares  de  prairies  irrigables  dans  la  banlieue 
de  Rixheim ,  »  ni  sur  aucune  autre  dans  cette  première  partie  de  la  forêt 
de  la  Harlh ,  et  que  dès-lors ,  en  cas  de  défrichement ,  la  presque  tota- 
lité des  6400  hectares  resteraient  forcément  à  Tétat  de  terres  labou- 
rables. 


La  deuxième  partie  de  la  forêt  de  la  Harth ,  située  au  Nord  et  à  l'Est 
du  canal  du  Rhône  au  Rhin,  composée  de  23  séries  ou  triages  (de  18 à 
43^ ,  d'une  contenance  de  77CO  hectares  est  dans  une  situation  analogue. 
Les  eaux  du  Rhin  sont  les  seules  qui  puissent  y  être  amenées  et  la  plus 
grande,  étendue  de  cette  partie  se  trouve  trop  élevée  pour  qu'elles 
puissent  y  atteindre.  Il  existe  deux  pentes  Tune  du  Midi  au  Nord ,  sui- 
vant la  peîite  générale ,  l'autre  de  l'Ouest  à  l'Est.  Celle-ci  est  très-forte. 
Du  côté  occidental  de  la  forêt ,  l'élévation  au-dessus  du  niveau  de  la 
mer  est  cotée  ainsi  qu'il  suit  :  Â  la  croisée  des  roules  impériale  N«  66 
et  départementales  N<^  9  et  15  près  de  Rixheim ,  242  ;  à  la  rondelle 
Napoléon ,  235;  à  l'entrée  de  la  forêt,  vers  Ensisheim,  chemin  N^'  4, 227  ; 
t  tndis  qu'au  côté  oriental  elle  l'est  à  227  près  d'Ottmarsheim  ;  225  à 
Rantzenheim  et  222  près  de  Rumersheim.  Dans  cette  direction  on  re- 
marque plusieurs  ondulations  de  terrain  (Rideaux  Ra'm  en  allemand) 
qui  comme  des  gradins  descendent  vers  le  Rhin.  Tout  le  territoire  placé 
au-dessus  ou  en  arrière  du  premier  ou  du  second  rideau  ,  tout  ce  qui 
constitue  le  plateau  de  la  Harth  est  inaccessible  aux  eaux  du  Rhin  de 
quelque  part  qu'on  les  prenne.  La  superficie  de  cette  portion  de  la 
deuxième  partie  est  d'une  contenance  d'environ  6000  hectares  qui  res- 
teraient donc  encore ,  après  défrichement,  à  l'état  de  terres  labourables. 

Le  tracé  de  la  rigole,  suivant  l'étude  Schlumberger-Dollfus,  partant  du 
C'tpuzmer'Kopf,  près  d'Ottmarsheim,  entrait  dans  la  forêt  de  la  Harlh 
entre  Bantzenheim  et  Rumersheim  et  là  devenaient  irrigables ,  quant  au 
niveau ,  environ  mille  hectares  dans  les  40*,  41* ,  42*  et  43*  séries. 

Les  communes  intéressées  ayant  demandé ,  en  vain ,  que  les  irriga- 
tions s'étendissent  à  leurs  banlieues  et  qu'à  cet  effet  la  prise  d'eau  se  fit 
à  Kembs  ^  nous  avons  pris  la  résolution ,  fort  de  l'approbation  préfec- 
torale et  de  l'adhésion  des  communes ,  de  faire  étudier  ce  nouveau 
projet.  M.  l'ingénieur  Gauckler  a  bien  voulu  se  charger  de  l'étude  de 
la  prise  d'eau  de  Kembs  et  il  en  ressort ,  outre  I  extension  du  bienfait 


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MÉMOIRE  SUR  L'AUÉNATION  ET  LE  DÉFRICHEMENT  ,  ETC.  115 

des  irrigations  à  un  plus  grand  nombre  de  communes ,  un  atantage 
extrêmement  important ,  dont  il  va  être  parlé. 

Comme  élément  d'irrigation  ,  les  eaux  du  Rhin  ne  sont  point  ferti- 
lisantes y  elles  sont  même  considérées  comme  nuisibles  par  la  plupart 
des  cultivateurs  de  la  contrée.  C'est  un  préjugé,  si  Ton  veut,  mais 
qui  n'est  pas  tout-à-fait  sans  quelque  fondement.  Lorsque  les  eaux  sont 
bourbeuses  elles  charrient  un  sable  très-fm ,  et  une  matière  limoneuse 
particulière  qui  se  déposent  au  cœur  de  la  plante ,  qui  s'attachent  aux 
feuilles  sous  forme  d'une  glu  grisâtre.  Celle-ci  se  voit  après  chaque 
crue ,  indique  parfaitement  le  passage  et  la  hauteur  des  eaux  et  per- 
siste jusqu'à  ce  que  les  rosées  ou  la  pluie  aient  peu  à  peu  lavé  la  plante. 
En  ce  sens  cette  action  des  eaux  est  vraiment  nuisible.  Quand 
au  contraire  les  eaux  sont  claires ,  limpides ,  ce  qui  est  bien  rare , 
elles  ne  nuisent  pas  en  ce  sens,  mais  leur  action  peut  devenir 
nuisible  d'une  autre  manière:  c'est  qu'en  se  répandant  en  grande 
abondance  sur  un  sol  graveleux,  perméable,  elles  filtrent  faci- 
lement à  travers  la  couche  superficielle ,  se  perdent  dans  le  sous-sol , 
entraînant  des  substances  utiles  et  peuvent  ainsi  appauvrir  les  terrains. 
11  faudrait  renoncer  aux  irrigations  si  au  moyen  de  procédé»  particulière 
et  surtout  de  la  disposition  favorable  des  lieux  et  des  eaux  à  Kembs  on 
ne  parvenait  à  parer  à  ces  inconvéniens  réels  et  sérieux.  Là  il  sera 
possible  d'utiliser  tantôt  les  eaux  troubles  du  Rhin  pour  colmatages,  tantôt 
les  eaux  claires ,  d'infiltration  et  les  eaux  des  sources  pour  irrigations. 
\oilà  ce  qui  constitue  Timmense  avantage  de  la  prise  d'eau  à  Kembs. 

Suivant  le  tracé  de  ce  projet ,  la  rigole  viendrait ,  aussitôt  que  possi- 
ble ,  longer  la  partie  orientale  de  la  forêt ,  et  l'améliorerait  en  y  répandant 
rburoidité;  elle  traverserait  plusieurs  banlieues  en  éparpillant  les 
prairies  en  longueur  afin  de  fournir  des  fourrages  à  toutes  les  com- 
munes placées  sur  son  parcours  ^  Jusqu'à  présent  le  cultivateur  ou  le 
paysan  sur  la  Harth  est  réduit  à  la  culture  des  prairies  artificielles  sur 


'  Â  partir  d'Ottmarsheim ,  les  prés  seraient  établis  le  long  du  canal ,  de  chaque 
cdlé ,  sur  une  largeur  d'environ  400  mètres  et  sans  qu'ils  touchent  immédiatement 
la  forêt.  Ce  syslcme  est  le  meilleur,  car  la  théorie  et  l'expérience  de  Hom bourg 
sont  d'accord  pour  démontrer  !<>  que  les  parties  qui  avoisinent  les  bandes  de  forêt 
donnent  d'»s  fourrages  inférieurs  en  quantité  et  en  qualité  ;  2"  que .  sur  ce  sol , 
la  distribution  des  eaux  présente  de  plus  grandes  >lifll<*ultés  à  mesure  que  Ton 
s'éloigne  dn  c^nal  d'irrigation. 


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Ii6  lUEVlTE  n*ALSiCE. 

on  mauvais  sol  et  manque  le  plus  souvent  de  fourrages.  ïi  est  forcé 
alors  ou  d'en  acheter  ou  de  vendre  à  vil  prix  son  bétail  qu'il  ne  peut 
nourrir ,  sauf  à  le  remplacer  chèrement  plus  tard  et  à  se  mettre  ainsi 
souvent  à  la  merci  du  trafiquant.  Nulle  bonne  culture  n'est  possible 
dans  ces  conditions.  Les  irrigations  projetées  acquerront  donc  le 
caractère  d'une  véritable  utilité  publique  ,  non  par  l'établissement  d'un 
domaine  particulier^  aux  dépens  de  la  forêt,  mais  par  la  création , 
dans  chaque  localité  traversée  par  le  canal ,  d'un  petit  corps  de  prai- 
ries irrigables ,  afin  de  rendre  certains  ,  assurés ,  la  récolte  de  four- 
rages ,  la  nourriture ,  l'accroissement  même  du  bétail  *  une  culture 
progressive  ,  et  le  bien-être  de  l'homme  des  champs. 

Ce  serait  aussi  ce  système ,  mais  seulement  ce  système,  qui  amènerait 
peu  à  peu ,  moyennant  une  production  plus  générale  et  plus  assurée  de 
fourrages,  la  diminution  ou  la  cessation  des  enlèvements  d'herbes  de  la 
forêt ,  enlèvements  qui  sans  doute  peuvent  être  une  cause  de  détério- 
ration ,  mais  qui  jusqu'ici  ont  leur  impérieuse  raison  d'être. 

Une  utilité  secondaire  de  notre  rigole  d'irrigation  c'est  qu'en  outre 
elle  distribuerait ,  sur  son  parcours ,  de  l'eau  aux  communes  qui 
aujourd'hui  en  sont  privées  pour  créer  des  abreuvoirs ,  des  lavoirs  , 
des  réservoirs  à  incendie.  Tels  sont  les  principaux  avantages  du  projet 
et  du  tracé  qui  naui  appartient. 

Suivant  les  calculs  et  l'expérience  de  Hombourg  *,  il  faudra  l'énorme 
volume  de  14  à  15  mètres  cubes  d'eau  par  seconde  pour  irriguer 
2,000  hectares.  —  Et  quelles  dépenses  pour  amener  sur  place  une 
telle  masse  d'eau  I 

Avec  la  prise  d'eau  de  Kembs  le  niveau  des  terrains  permettrait  à  la 
rigueur  de  prendre  et  d'irriguer  ces  â,000  hectares  dans  la  forêt  de  la 
Harlh,  mais  si  l'on  emploie ,  sur  le  territoire  de  la  forêt ,  toute  l'eau 

*  Il  t>gt  admis  généralement  ^qu'une  couche  d'eau  de  ObJO^  d'épaisseur  est 
suflisanle  pour  une  irrigation  répétée  toutes  les  semaines  ou  tous  les  quinze  jours. 
Sganzin  inspecteur  général  des  ponts  et  chaussées ,  cours  de  construction,  2*  vol. 
page  1 47 ,  calcule  aussi  une  tranche  d'eau  de  0"y1 0^  d'épaisseur.  Ces  calculs  se  rap- 
portent à  des  irrigations  sur  des  sols  limoneux ,  compactes ,  où  Teau  n'est  pas  en- 
tièrement absorbée  et  où  le  superflu  est  reçu  dans  des  fossés  d'écoulement.  Il  en  est 
tout  autrement  sur  les  terrains  pierreux,  sablonneux  de  la  Harth.  Hombourg  fournit  à 
cet  égard  la  mesure  la  plus  exacte.  On  a  vu  qu'il  faut  au  minimum  0n,35S«  cubes  d'eau 
par  seconde  pour  50  hectares,  conséquemment  0",7!0f  pourcent  et  7»,100  pour 
mille  hertarep. 


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MÉMOIRE  SUR  L* ALIENATION  ET  LE  DÉFRiCHEMEMT  ,  ETC.  117 

disponible  »  que  deviendront  les  cessions  d*eau  aux  particuliers ,  dont 
il  est  tant  question?  que  deviendra  Futilité  publique  de  Fentreprise , 
car  tout  le  inonde  reconnait,  même  implicitement,  queTutililé  publique 
réside  uniquement  dans  la  création  de  prairies  irrigables  sur  les  pro  • 
priétés  particulières  de  la  plaine  de  la  Hartb?  Et  à  supposer  qu'on 
veuille  bien  leur  céder  la  moitié  de  Teau  ,  il  ne  resterait  plus  que  1,000 
hectares  de  la  forêt  à  convertir  en  prés. 


Le  résultat  définitif  de  Taliénation  et  du  défrichement  de  la  forêt  de 
la  Harth  serait  en  conséquence  l'obtention  de  13,000  hectares  de  mau- 
vaises ttrrei  labourableê  il  de  1,000  à  t,400  hecinrf$  de  prés.  Certes 
an  pareil  résultat  n'est  point  fait  pour  c  contribuer  puissamment  à 
€  augmenter  la  prospérité  du  département  ;  >  il  n'est  pas  même  fait 
pour  tenter  la  spéculation  et  k  moins  d'obtenir  la  concessiun  ,  soit  par- 
tielle, soit  totale  »  bien  au-dessous  du  prix  vénal  ou  réel ,  toute  com- 
pagnie qui  se  formerait  aurait  vraiment  «  à  se  contester  de  bénéfices 
t  très-modérés.  > 

En  résumé 

La  Harih ,  cette  grande  et  antique  forêt  de  l'Etat ,  d'un  rapport 
toujours  plus  considérable ,  et  supérieur  à  celui  des  terres  environ- 
nantes ,  si  éminemment  utile  aux  communes  usagères  et  à  tout  le  pay> , 
ne  pourrait  passer  en  d'autres  mains ,  sans  que  la  perte  de  ses  res- 
sources et  de  ses  influences  bienfaisantes  n'entrainàt  une  grave  pertur- 
bation dans  la  culture  de  la  contrée  et  parmi  les  populations.  Les 
motifs  de  la  conserver  sont  nombreux  à  tous  les  points  de  vue  ,  il  n'en 
existe  aucun  de  la  faire  disparaître.  Les  améliorations  agricoles  présumées 
sont  ou  illusoires  ou  réalisables  sans  cessions  du  domaine  national. 
La  raison  d'Etat  et  l'instinct  populaire  se  réunissent  pour  en  repouriser 
l'aliénation. 

Les  populations  attendent  du  Gouvernement  de  l'Empereur  la 
satisfaction  de  leurs  besoins,  elles  mettent  en  lui  seul  toute  leur 
confiance. 

Onimus, 

dn  Conseil  général  du  Haot-Rhio , 
aaire  de  Bantsenheim. 


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SPECKLE  (DANIEL).' 


On  a  son  portrait  gravé  peu  de  temps  après  sa  mort  par  Jean-Théo- 
dore de  Bry ,  avec  cette  inscription  à  Tenlour  :  c  Daniel  Speckle 
t  Architectus  Argentinensis  nascitur  anno  M.  D.  XXXVL  obiit  Argen- 
i(  tinœ  an.  H.  D.  LXXXIX.  > 

Daniel  Speckle  naquit  à  Strasbourg  en  4536 ,  de  parents  pauvres  et 
peu  aisés.  Sa  jeunesse  fut  orageuse  et  peu  décente ,  comme  on  le  Ut 
dans  le  protocole  du  grand  sénat  de  Fan  i565.  €  Damel  Speckle  Ut  in 
€  seiner  Jugent  etwa$  unnûl*  und  muthwiUig  gewesen  mil  Frauvnvolk  » 
€  Schlagen  und  Handel ,  etc.  > 

Il  commença  par  être  un  brodeur  en  soie  et  un  dessinateur ,  et  en 
qualité  de  compagnon  il  parcourut  la  Suède,  la  Pologne ,  la  Prusse  ,  la 
Hongrie  et  les  Grisons. 

Ses  talents  se  développèrent  dans  ces  dilTérents  voyages  et  étant 
venu  à  Vienne ,  il  eut  le  bonheur  de  se  voir  attaché  à  Solizer ,  archi- 
tecte de  Tempereur ,  où  il  se  perfectionna  dans  l'architecture  militaire. 
L'empereur  reconnut  son  mérite  et  lui  donna  le  soin  do  sa  Kunst- 
kummer.  Ce  fut  là  qu'il  travailla  pendant  cinq  ans ,  et  qu'il  s'acquit  ces 
grandes  connaissances  dans  l'architecture  militaire  ,  qui  le  firent 
regarder  comme  un  oracle  de  son  temps.  Jean ,  évêque  de  Strasbourg , 
Georges-Jean  et  Jean-Casimir ,  tous  deux  comtes  palatins  du  Rhin ,  le 
comte  de  Hanau ,  les  villes  d'Ulm ,  de  Bàle  ,  Colmar ,  Scblestadt ,  Ha- 

*  Nous  avons  trouvé  à  la  bibHfithèque  de  Strasbourg ,  parmi  les  manuscrits  de 
Grandidier,  acbelés  en  1862  à  Leipzick  ,  quelques  notes  sur  Daniel  Speckle. 
Elles  sonl  écriles  de  la  main  de  Grandidier.  Nous  les  publions  parce  qu'elles  nous 
paraissent  pouvoir  servir  à  conlrôler  et ,  à  certains  égards ,  à  compléter  la  notice 
donnée  ,  Tan  dernier ,  dans  la  troisième  livraison  des  AUacieni  illustrei.  Le  por- 
trait dont  il  est  question  en  tête  des  notes  d3  Grandidier ,  est  parfaitement  repro- 
duit dans  la  livraison  des  AUaeien»  illusires. 


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SPECKLÉ  (DANIELV  119 

guenau ,  etc. ,  l'appelèrent  chez  eux  tour  à  tour  pour  prendre  ses  con- 
seils et  fortifier  leurs  villes.  De  retour  dans  sa  patrie,  en  1574,  Lazare 
de  Schwendi  lui  ordonna ,  de  la  part  de  Tarchiduc  Ferdinand  ,  de  faire 
une  carte  d'Alsace.  Celte  carte  fut  achevée  en  1577;  elle  est  exacte, 
bien  gravée  et  mérite  d*étre  mise  à  côté  de  celle  de  Gassini. 

Ce  travail ,  qui  ne  fut  qu'accessoire ,  ne  l'empêcha  pas  de  continuer 
son  principal  métier ,  qui  était  celui  de  l'architecture  militaire.  Ses 
talents  furent  reconnus  par  le  Magistrat  qui ,  en  1577 ,  le  nomma  l'ar- 
chitecte^ ou  Baumeisier  de  la  ville ,  avec  une  pension  annuelle  de  250 
florins ,  (somme  alors  considérable)  de  six  cordes  de  bois ,  de  cent 
fagots  ^  et  d'une  maison  franche.  Elle  l'envoya  dans  le  même  temps  en 
Hollande  pour  en  examiner  les  fortifications. 

Dès  l'an  1575,  le  fameux  Lazare  de  Schwen<)i  l'avait  amené  avec  lui 
à  Ralisbonne ,  où  on  le  consulta  sur  quelques  fortifications  à  faire  dans 
la  Hongrie  ;  il  lui  obtint  la  même  année  la  place  d'architecte  d'Albert , 
duc  de  Bavière ,  qu'il  abandonna  l'année  suivante  pour  aller  dans  sa 
patrie. 

Pendant  son  séjour  à  Strasbourg,  il  fut  employé  par  différents 
princes.  Il  accompagna  Charles-Quint  dans  son  expédition  d'Afrique. 
Georges-Jean,  comte  palatin,  l'appella  en  1580  pour  examiner  la 
situation  de  la  ville  de  Pfalsbourg  et  la  rendre  propre  à  la  navigation  : 
ce  que  Speckle  trouva  impossible. 

Dans  les  intervalles ,  Speckle  travailla  à  différents  ouvrages.  Il  publia 
en  1^9,  à  Strasbourg,  un  livre  allemand  intitulé:  Architectura  von 
Vestungen.  C'est  le  premier  ouvrage  allemand  qui  parut  sur  l'archi- 
tecture militaire  ;  il  est  dédié  au  duc  de  Brunswick.  C'est  un  très-bon 
ouvrage  dans  ce  genre ,  dont  plusieurs  modernes  ont  profité.  On  prétend 
même  l'avoir  vu  sur  la  table  du  fameux  Vauban. 

Speckle  laissa  aussi  des  manuscrits  sur  l'histoire  de  Strasbourg ,  qui 
sont  cités  par  plusieurs  auteurs.  Celui .  qui  se  trouve  aujourd'hui  dans 
les  archives  de  la  ville ,  fut  acheté  pour  30  florins  de  Lazare  Zetzner , 
libraire,  par  Oseas  Schad ,  diacre  de  Saint-Pierre-ie -Vieux ,  d'où  il 
passa ,  en  1615,  dans  les  archives  de  la  ville. 

Il  mourut  en  1589 ,  selon  Eiseuschmid  ,  de  ponder. .  sect.  t ,  cap,  1  ; 
Bûrger-Freund  de  l'année  1776,  Num,  oi  ,  page  793-802, 


*  L'extrait  du  registre  en  porte  le  Dombre  à  mille.  ^,Note  de  Téditcur). 


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120  REYUE  D'ALSACE. 

Il  ne  faut  pas  le  confondro  avec  Jérémie  Speckie ,  son  parent ,  qui 
composa  le  grand  Altnenthuch  de  la  ville  en  1570.  Bûrgerfreund  de 
ran  1777 ,  page  74. 

La  carte  géographique  d'Alsace  par  Speckie  fut  gravée  à  Strasbourg 
en  1576 ,  en  trois  feuilles ,  petit  in-folio  ;  elle  fut  gravée  par  les  ordres 
de  l'archiduc  Ferdinand.  C'est  la  plus  ancienne  et  la  plus  exacte  de 
cette  province.  M.  de  Turenne  s'en  est  servi  et  l'a  approuvée. 

Grandidier. 


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NOTES  ET  DOCUMENTS 

POUR  SERVIR  A  L'HISTOIRC  DE  LA   KÉVOLUTION   EN  ALSACE. 
Suiiê  \ 

1790. 

y*"  Décembre.  —  Abbaye  (fAUpach.  Religieases  de  l'ordre  de 
Sainte  Claire,  observance  des  Urbanistes.  —  Statistique  au  l*'  dé- 
cembre 1790.  —  Extrait  du  procès- verbul  dressé  par  Jean-Baptiste 
Mittelberger  y  membre  du  Directoire  du  district  de  Golmar,  commissaire 
nommé  en  cette  partie ,  pour  le  canton  de  Kaysersberg ,  par  arrêté  du 
Directoire  du  9  novembre  i  790. 

Mittelbei^er  constate  que  l'abbaye  possède  sur  le  ban  de  Kaysersberg  : 
six  pièces  de  vigne,  deux  prés  avec  moulin  et  verger ,  dix-huit  autres 
prés ,  quatre  champs ,  trois  forêts  et  une  maison  à  Kaysersberg  affer- 
mée 120  liv.  ;  un  pré  sur  le  ban  de  Lapoutroie,  deux  sur  celui  de 
Fréland ,  une  censé  et  dix  journaux  de  prés  à  Orbey ,  six  pièces  de 
vignes  à  Kientzheim ,  quatre  à  Sigolsheim  et  deux  journaux  de  prés  ,  six 
vignes  à  Ammerschwihr ,  un  pré ,  un  champ ,  un  jardin  et  une  maison, 
cinq  vignes  et  un  pré  à  Ingersheim  ,  deux  vignes  et  un  pré  à  Nieder- 
morschwihr ,  une  vigne  à  Turckheim ,  un  arpent  de  terre  arable  à 
Houssen ,  soixante  quinze  journaux  et  demi  de  champs  et  cinquante-un 
journaux  et  demi  de  prés  à  Heiteren,  cinquante-deux  Jûch  un  scbatz 
et  deux  tiers  à  Oberhergheim ,  plusieurs  terres  labourables  affermées , 
neuf  rézeaux  à  Niederhergheim ,  un  premier  corps  de  bien  de 
106  Vi  Jucher  1  viertzel ,  un  deuxième  de  73  Jucher  1  Vs  viertzel , 
un  troisième  de  33  journaux  de  terres  arables ,  et  un  quatrième  de 
deux  Juchard  un  demi  viertzel  avec  maison  et  dépendances  à  Balgau  ; 
un  champ  à  Colmar ,  un  à  Wettolsheim  ,  un  à  Wintzenheim  et  un 
à  Horbourg,  affermés  21  rézaux  ;  un  corps  de  bien  affermé  20  rézaux 
à  Nambsheim ,  un  à  Harckolsheim  affermé  58  rézaux  i  boisseaux , 
un  à  Ober  et  Mieder-Entzen  affermé  à  16  rézaux  et  deux  à  Ensisheim 
affermés  à  58  rézaux  2  boisseaux. 

*  Voir  les  livraisons  de  mai ,  Jain  et  octobre ,  pages  233 ,  277  et  470. 


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m  REVUE  d' ALSACE. 

Le  commissaire  recense  encore  plusieurs  rentes  emphitéotiques  en 
nature  et  en  argent  d'un  revenu  considérable ,  il  inventorie  un  mo- 
bilier important  et  des  récolles  en  grains  et  vins  à  Alspacb  et 
Ammerschwihr  et  clôt  son  procès- verbal  le  14  décembre  1790. 

Cette  pièce  est  suivie  de  la  mention  et  des  signatures  qui  suivent  : 

€  En  ma  qualité  d'Abbesse  y  en  conséquence  du  serment  fait  après 
<  ma  légitime  élection  de  ne  rien  laisser  aliéner ,  je  proteste  contre 
«  toute  vente  et  aliénation  quelconque  des  biens  appartenant  à  Tabbaye.  è 

S.  Harie-Therese  Favre,  abbesse.  S.  Marie-Benoite  Reiset,  prieure. 
S.  Marie-Xaveria  Goll.  S.  Marie-Rose  Bourste.  S.  Maria-Antonia  Taver- 
nière.  S  M:  Louis  G'sell.  S.  Marie-Saloraée  Zœpfel.  S.  Marie-Anne 
Baudinot.  S.  Marie-Françoise  Gilgencranlz.  S.  Marie-Isabelle  Tann- 
berger.  S.  Marie-Rose  Fanget.  S.  Marie-Claire  Gilgencranlz.  S.  Marie- 
Hyacintha  Geiger  ^  S.  M.  Séraphine  Lang^.  S.  Marie-Odile  Bertrand. 
S.  Marie-Joseph  Schiele  ^.  S.  Marie-Jeanne-Jean-Baplisle  Antoine  *. 
S.  Marie-Hortulane  Bûcher  ^.  S.  Marie-Pacifique  Dyron  ^.  S.  Marie- 
Thérèse  Reroy  ''.  S.  Marie- Augustine  MuUer  s.  S.  Marie-BeatriK  Wein- 
zorn.  Marie-Barbe  Mutzmger ,  Catherine  Biéchy ,  Agathe  Ancel  et  Eli- 
sabeth Bartbel ,  sœurs  converses ,  ne  sachant  écrire  ont  fait  une  croix. 

Ces  marques  sont  suivies  des  deux  signatures  suivantes  écrites  en 
lettres  allemandes.  J.  Maria- Alexia  Métier.  J.  Marie-Coleta  Metter. 

MlTTELBERGER  , 

commissaire. 
17  décembre,  —  Le  conseil  général  rejette  la  demande  d'une  remise 
de  95  liv.  sur  le  prix  de  l'adjudication  du  26  octobre  de  la  maladrerie 
de  Thann  au  profit  de  Catherine  Chalet  pour  le  prix  de  1600  livres  et 
dit  qu'elle  est  définitivement  adjugée  à  Cron. 

*  De  Dtsscnlieiin ,  âgée  de  20  ans,  reçue  le  l«r  n.>veiiibre  1777,  s'appelait 
Marie-Marguente-Sophie-Barbo. 

*  De  Blolzheim  ,  reçue  le  1*^  septembre  1777  ,  à  l'âge  de  19  ans. 

'  D' Ammerschwihr ,  Agnès-Françoise,  reçue  le  21  janvier  1783,  à  Vi^e 
de  22  ans. 

*  Walburge  de  Kaysersberg,  reçue  le  10  janvier  1788  ,  à  Tàge  de  19  ans. 

*  Marie-Magdcleine,  de  Schlestadt,  reçue  le  10  juin  1788  ,  à  l'âge  de  19  ans. 

*  Marie-Barbe  ,   de  ScherrwiUer,  reçue  le  21  janvier  1783 ,  âgée  de  22  ans. 

^  Marie-Anne- Jacobe ,  d'Ensisheim,  reçue  le  10  juin  1788,  âgée  de  18  ans 
et  demi. 

*  Maric-Aiiue ,  de  Pfaflenheim  ,  reçue  le  10  juin  1788  ,  âgée  de  19  ans. 


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NOTES  ET  DOCUMENTS  ,   ETC.  423 

J/  décembre.  —  Le  Directoire  adresse  à  TAssemblée  nationale  ses 
observations  relativement  à  l'état-civil  des  juifs  de  la  province  d'Alsace; 
Il  fait  valoir  une  foule  de  considérations  tirées  de  leur  état  moral , 
de  leurs  habitudes  d'extorsion  ,  d'usure  etc. ,  et  enfin  du  préjugé  qui 
les  frappe ,  pour  repousser  leur  admission  aux  droits  de  citoyens  et 
surtout  l'usage  de  ces  droits  dans  les  assemblées  électives. 

—  La  maison  d^Ensisheim  est  convertie  en  dépAt  de  mendicité. 

—  En  général  tous  les  celleriers  et  économes  des  maisons  religieuses 
s'opposent  à  Texploitalion  des  forêts  et  propriétés  des  dites  maisons. 

1791. 

5  janvier.  —  Le  garde  de  M.  de  Reinach-Foussemagne  demande 
que  son  fusil  a  deux  coups ,  enlevé  par  sept  particuliers ,  lui  soit  rendu, 
Le  conseil  dit  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  statuer  et  renvoie  le  demandeur 
à  se  pourvoir  comme  il  entendra. 

3féfne  jour.  —  La  municipalité  de  Bessencourt  demande  à  être 
autorisée  de  vendre  le  fusil  saisi  sur  c  un  quidam  >  se  disant  chasseur 
de  M.  de  Reinach-Foussemagne  et  chassant  dai^  la  forêt.  11  a  été  ver- 
balisé contre  lui  et  la  municipalité  a  prononcé  la  saisie  du  fusil. 

Le  Conseil  dit  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  statuer  sur  le  demande  de  la 
municipalité ,  sauf  à  celle-ci  à  donner  suite  à  son  jugement ,  s'il  échet , 
conformément  aux  décrets. 

iS  janvier.  —  Les  habitants  de  Meroux  font  une  coupe  extraor- 
dinaire ,  dans  le  canton  de  réserve,  de  180  cordes  sur  une  surface  de 
6  arpens  sans  s'y  faire  autoriser. 

Le  Directoire  considérant  que  le  procédé  tout  marqué  au  coin  d'une 
insubordination  décidée ,  le  maire  quoiqu'averti ,  mande  le  procureur 
de  la  commune  Alexis  Villemin  à  la  barre  pour  rendre  compte  de  sa 
conduite  ;  ordonne  que  le  bois  sera  vendu  entre  les  citoyens  du  lieu 
au  profit  de  la  caisse  communale. 

/7  janvier.  —  Jean  Coquerille  de  Vcllescot  injurie ,  poursuit  et 
maltraite  Henri  Villemain  Bangard ,  à  propJs  de  la  convocation  qu'il 
fait  d'aller  voter  à  Grandwillards  pour  Télection  d^un  juge  de  paix. 

Le  conseil  général  condamne  Coquerille  à  trois  jours  de  prison  à  la 
conciergerie  de  Belfort, 


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124  REVUE  d' ALSACE. 

10  janyièr.  —  M.  Ricklîn  est  désigné  pour  remplacer  M.  Mûeg 
procureur  général  syndic  pendant  une  absence  que  celui-ci  doit 
faire. 

A  partir  de  91  de  nouveaux  membres  figurent  parmi  ceux  du 
Directoire  :  0  était  alors  composé  de  Schaff  vice-président. 

Wselterle-Schneider-Rudler-Rescb  et  Eggerlé,  Ricklin  faisant  fonction 
de  procureur  général. 

27  janvier.  —  Albert  le  jeune,  homme  de  loi,  donne  sa  démission  de 
secrétaire  des  biens  nationaux  du  département.  Le  Directoire  élit 
M.  Thannberger,  le  jeune,  aussi  homme  de  loi ,  pour  le  remplacer. 

S  février.  —  M.  Mûeg  donne  sa  démission  de  procureur  général 
syndic.  M.  Rudler  est  désigné  pour  le  remplacer  provisoirement. 

4  février.  —  MM.  Dumas ,  colonel  d'infanterie ,  chevalier  de  Tordre 
royal  et  militaire  de  Saint  Louis  et  de  celui  de  Cincinnatus ,  Marie 
Jean  Hérault ,  Tun  des  juges  du  District  et  ancien  avocat  général  au 
parlement  de  Paris  et  Joseph  Ignace  Foissey ,  président  du  tribunal  du 
District  de  Nancy  et  ancien  avocat  général  au  parlement  de  Metz ,  com- 
missaires nommés  par  le  Roi,  en  exécution  du  décret  du  20  janvier 
dernier,  sont  reçus  alPDirectoire  où  une  conférence  a  lieu,  puis  se  retirent 
aux  Six-Montagnes  noires  où  ils  sont  descendus  la  veille.  Ils  informent 
le  Directoire  qu'ils  partiront  le  lendemain  pour  Strasbourg  où  ils  ren- 
gagent à  leur  écrire  pour  tout  ce  qu'il  aurait  à  traiter. 

5  février.  —  Le  Directoire  s'organise  en  trois  comités. 

l*'  MM.  Schoff,  directeur  du  bien  public. 

Resch         —       militaire  et  police. 
Vaelterlé     —       contentieux. 

^  MM.  Schneider,  directeur  du  bureau  de  comptabilité. 
Muller  —       des  domaines  natKfhaux. 

Ricklin  — 

3*  MM.  Rudler,  directeur  du  bureau  des  impositions. 
Eggerlé      —      du  bureau  forestal. 
'  Le  Procureur  général. 


Séances  des  directeurs ,  le  matin  de  9  heures  à  midi. 
•—  le  soir  de  4  à  8  heures. 


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NOTES  BT  DOCUVENTS  ,   ETC.  425 

10  avril.  —  M.  Monnin,  président  du  Conseil  général  da  département 
est  introduit.  —  Lequel  a  dit  que  le  Conseil  général  ayant  arrêté  le  3 
novembre  dernier,  (n*  4  de  son  procès-verbal)  qu'il  resterait  président 
de  l'administration  majeure  jusqu  au  moment  où  il  ferait  son  aption 
entre  cette  place  et  celle  de  1«'  juge  du  tribunal  du  District  de 
Belfort  à  laquelle  la  confiance  publique  Ta  appelé  ;  il  déclare  qu'il 
vient  de  prendre  la  résolution  d'opter  en  faveur  de  cette  dernière 
place  y  invitant  le  Directoire  de  lui  en  donner  acte  et  s'est  retiré.  — 
Donné  acte  et  délivré  expédition  à  H.  Monnin. 

(Communications  émanant  de  divers  coUatrarateurs  et  de  sources  aulbentiques} 


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BULLBTM  BIBLlOfiRAPHIQVE. 


Les  coutumes  du  val  deRoscmont,  publiées  potêr  la  première  fins , 
avec  introduction  et  notes  par  Ed.  Bonvalot  y  conseiller  à  la  cour 
impériale  de  Goltoar.  Paris,  Âug.  Durand,  rue  Cujas,  7  et  rue 
Touiller,  1.  —  1866.  Brochure  in-8*  de  Si  pages ,  prix  3  francs. 

Au  moment  de  mettre  sous  presse  la  dernière  feuille  de  cette 
livraison,  nous  recevons  le  travail  que  H.  Bonvalot  vient  de  faire 
paraître  sur  Fancien  droit  coutumier  d*un  nouveau  coin  de  TAIsace 
française.  Nous  nous  empressons  de  l'annoncer.  Il  sera  reçu ,  nous 
n'en  doutons  pas ,  avec  ia^atisfaction  qui  a  accueilli  la  première  publi- 
cation de  M.  Bonvalot  sur  le  même  sujet  pour  le  val  d'Orbey. 

La  méthode  suivie  par  l'auteur  pour  les  coutumes  du  Val  de  Rose- 
mont  est  la  même  que  celle  adoptée  pour  les  coutumes  du  val  d'Orbey: 
une  introduction  historique  d'abord ,  puis  le  texte  du  règlement  et,  en 
troisième  ordre ,  les  remarques  de  l'auteur  sur  les  différents  articles 
dv  ce  petit  code. 

Dans  le  premier  paragraphe  de  l'introduction ,  l'auteur  établit  som- 
mairement l'état  politique  du  Rosemont  avant  la  Révolution  de  1789. 

Dans  le  second ,  il  procède  non  moins  rapidement  pour  l'état  anté- 
rieur jusqu'au  commencement  du  quatorzième  siècle,  époque  à  laquelle 
un  document  permet  de  préciser  la  date  de  1307  où,  par  suite  du 
mariage  de  Wilhelmine  de  Montbéliard  avec  Renaud  II,  comte  de 
Bourgogne ,  Belfort  reçoit ,  de  ce  dernier ,  des  franchises  auxquelles 
participa  peut-être  aussi ,  selon  l'auteur ,  la  terre  de  Rosemont.  Cela 
paraît  probable  s'il  est  permis  d'en  juger,  par  déduction  ,  assez  natu- 
relle ce  nous  semble ,  tirée  de  l'article  5  des  c  Droits  et  coustumes  > 
publiés  en  ^860,  pag.  154  à  169  de  la  Hevue  d'Alsace ,  par  M.  Henri 
Bardy ,  sous  le  titre  d'Urbaire  de  Belfort, 

Un  siècle  et  demi  plus  tard  (1423)  ,  après  la  mort  de  l'archiduc  d'Au- 
triche, Léopold  m ,  Katerine  de  Bourgoigne ,  sa  veuve,  rentre  en  posses- 
sion, pour  sa  vie  durant,  <  des  Chestiaix  de  Belfort,  de  Tanne,  des  bailliages 
c  et  chatellenies  d'Ycelles  fourteraces...  desdits  pays  de  Sungole  et  de 


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BULLETIN  BIBLIOGBAPHIQI?E.  427 

c  Aassay  lesquelx  il  nous  ait  rendu  et  aussi  en  Rosemont...  >  sauf 
après  son  c  deceps  que  ne  obéiront  a  nulz  fuer  audit  beaufrëre  le  duc 
<  Frédéric ,  à  son  frère  ou  cusin  ou  à  la  maison  d'Osteriche  *.  > 

Ainsi  y  le  Rosemonl  suit  le  sort  de  Belfort  lorsqu'à  la  mort  de 
Catherine  de  Bourgogne ,  €  rAutriche  étend  ses  possessions  dans  le 
Sundgau.  >  N'est-il  pas  naturel  de  penser  que  la  terre  de  Rosemont , 
dépendant  de  la  juridiction  métropolitaine  de  Belfort  sous  Renaud  de 
Bourgogne ,  puis  subissant  le  sort  de  la  métropole  quand  elle  passe  à 
l'Autriche,  ait ,  depuis  Renaud ,  joui  des  mêmes  droits ,  us  et  coutumes 
que  la  métropole  y  sauf  les  prérogatives  de  cetle  dernière  quant  aux 
droits  seigneuriaux  concédés  par  les  Franchises? 

Quoiqu'il  en  soit  de  cette  remarque ,  nous  dirons  que  dans  les  para- 
graphes qui  composent  l'introduction,  H.  Bonvalot  conduit  le  récit 
avec  une  lucidité  remarquable  et  qu'en  écrivain  loyal ,  il  ne  néglige , 
nulle  part,  d'indiquer  les  sources  auxquelles  il  a  été  demanderas 
matériaux  dont  il  use  pour  composer  son  exc^llenl  résumé  historique. 

Le  règlement  coutumier  du  val  de  Rosemont ,  qui  forme  la  seconde 
partie  de  la  publication  de  H.  Bonvalot ,  et  qui  en  est ,  à  vrai  dire , 
la  partie  fondamentale ,  occupe  les  sept  pages  suivantes  et  se  compose 
de  56  articles.  Ce  n'est  point  d'après  l'original ,  dont  on  ignore  le  sort , 
que  ce  petit  code  local  est  publié  ,  mais  d*après  une  copie  collationnée 
et  authentiquée  par'  le  notaire  D.  Viellard  ,  puis  signifié ,  le  15  octobre 
1B97  ,  par  B.  Heugenot,  à  Tintendant  des  affaires  de  monseigneur  le 
duc  de  la  Meilleraie. 

C'est  dans  le  cours  de  ces  sept  pages  imprimées  de  notre  vieux 
droit  coutumier  que  M.  Bonvalot  trouve  l'occasion  de  placer  45  renvois 
aux  notes  qui  forment  la  troisième  et  dernière  partie  de  sa  publication. 
Dans  cette  partie  l'historien-légiste  fait  preuve  de  savoir  étendu  et 
de  travail  consciencieux.  Plusieurs  de  ses  notes  sont,  en  effet,  de  vérita- 
bles traités,  aussi  sobres  mais  aussi  complets  que  désirable  sur  des  points 
historiques  et  caractéristiques  de  notre  ancien  droit  coutumier.  La 
première ,  entr'autre ,  résume  avec  une  grande  clarté  l'organisation 
juridictionnelle  du  comté  de  Belfort  à  partir  des  franchises  de  1807, 
comté  dont  dépendait  la  seigneurie  du  Rosemont  que  H.   Bonvalot 

'  Aon.  1423  —  Chambre  des  comptes  de  Dijon.  «  Traité  fait  et  passé  eotre 
Frédéric ,  dac  d'Autricbe,  et  Catherine  de  Bourgogne,  an  sujet  du  donaire  qui  lui 
a  été  assigné  par  Léopold  ,  duc  d*  Au  triche ,  son  mari.  » 


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iSS  REVUE  D* ALSACE. 

traite  spécialement.  C'est  dans  ces  notes  qu'apparaissent  les  recherches  > 
vraiment  très-considérables ,  que  Fauteur  a  faites  dans  les  livres  et 
dans  les  archives  du  pays  pour  jeter  sur  le  sujet  toute  la  lumière  que 
les  monuments  écrits  permettent  d'en  dégager.  A  la  note  24,  pag.  56  , 
nous  trouvons  cependant  un  chant  populaire  qui  apparaît  comme  inédit, 
tandis  qu'il  a  été  publié  par  H.  Henri  Bardy  en  1853 ,  pages  37  k  29 
de  celte  Revue.  La  leçon  de  M.  Bonvalot  offre  quelques  variantes  ^  îl 
est  vrai  ;  de  plus  sa  manière  d'ortographier  le  patois  du  Rosemont 
comporte  d'assez  notables  différences  avec  la  manière  de  M.  Bardy. 
Nous  ne  savons  trop  à  laquelle  des  deux  manières  il  faudrait  accorder 
b  préférence  ;  mais  il  suffit  qu'elles  existent  pour  donner  aux  deux 
textes  une  certaine  valeur  au.  point  de  vue  de  la  linguistique. 

Nous  recommandons  le  travail  de  H.  Bonvalot  aux  lecteurs  de  la 
Revue  et  particulièrement  à  l'arrondissement  de  Belfort  où  l'on  s'in- 
téresse,  peut-être  moins  qu'ailleurs ,  aux  origines  et  aux  traditions  du 
pays  ;  et  nous  saisissons  cette  occasion  pour  dire  à  notre  collaborateur, 
H.  H.  Bardy ,  qui  a  publié  dans  ce  recueil  des  documents  qui  ont  éié 
d'un  grand  secours  à  M.  Bonvalot,  que  si  le  titre  de  fondation  du 
chapitre  de  Belfort  manquait  aux  archives  et  pouvait  être  utile  pour 
la  continuation  des  recherches  ou  pour  compléter  les  renseignements 
fournis  par  Descharrières  ,  nous  en  tenons  à  sa  disposition  une  copie 
qui  parait  être  contemporaine  de  la  fondation  (1433). 

Nous  avons  de  plus  sous  la  main  une  copie  de  l'acte  d'affranchisse- 
ment et  une  copie  pareille  du  droit  coutumier  de  Belfort.  Ces  copies 
sont  plus  modernes  que  celles  dont  M.  Bardy  a  fait  usage  et  de  l'écri- 
ture desquelles  il  donne  un  fac  rimile.  Aussi  existe-t-il  quelques  diffé- 
rences entre  le  texte  que  nous  avons  sous  les  yeux  et  celui  que 
M.  Bardy  a  publié.  On  reconnaît  facilement  que  les  différences  aux- 
quelles nous  faisons  allusion .  sont  le  résultat  de  l'interprétation  des 
textes  primitifs;  on  peut  donc,  selon  nous,  en  tirer  la  conséquence  que 
les  règlements  du  droit  coutumier  des  diverses  juridictions  de  la  métro- 
pole se  sont  successivement  modifiés  ,  plus  ou  moins  sensiblement ,  et 
que  dans  les  temps  anciens,  comme  dans  les  temps  modernes,  la 
jurisprudence  en  a  fait  élaguer  les  parties  tombées  en  désuétude  et 
peut-être  même ,  en  quelques  seigneuries ,  les  parties  réglées  par  les 
us  et  coutumes  de  la  métropole. 

Frédéric  Kurtz. 


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ETUDE 


SUR  L'ORGANISATION  MUNICIPALE  DE  SA  VERNE 

S0V8  LA  DOMINATION 

DES  ÉVÊQURS  DE  STRASBOURG. 
Suite  €t  fin  *. 


C. 

LE  MAGISTRAT  DEPriS  hk  SOUMISSION  DE  L'ÉVÊQUE   DE  STRASBOURG 
A   LA  COURONNE  De  FRANCE. 

Après  que  Tévêque  de  Strasbourg ,  François-Egon  de  Fûrstenberg 
eut  reconnu  en  1680  la  souveraineté  de  la  France,  le  magistrat  de  Sa- 
verne  vit  le  cercle  de  ses  attributions  s*amoindrir  et  diminuer  son  im- 
portance tant  par  la  perte  de  Tadministration  de  la  haute  justice  que 
par  les  réformes  que  le  cardinal  Guillaume-Egon  de  Fûrstenberg  lui  fit 
subir.  Ce  prince  voulant  introduire  dans  la  comptabilité  communale  plus 
de  régularité ,  de  clarlé  et  de  précision  ,  enleva  aux  lohnherrn  la  gestion 
des  deniers  patrimoniaux  et  créa  par  un  édit  du  7  août  1691  la  charge 
de  receveur  municipal ,  qu*il  conféra  à  un  employé  du  conseil  de  sa  Ré- 
gence. Le  magistrat  protesta  en  vain  contre  cette  nomination  ;  en  vain, 
prétendait-il  que  le  droit  de  conférer  la  gestion  des  deniers  communaux 
était  au  nombre  de  ses  prérogatives  les  plus  essentielles,  puisqu'il  était 
chargé  d'exercer  une  surveillance  active  incessante  tant  sur  la  compta- 
bilité que  sur  les  comptables. 

Lorsque  Louis  XIV  eut  reconnu  par  sa  déclaration  du  9  février  1693 
que  révèque  de  Strasbourg  avait  le  droit  de  disposer  de  tous  les  offices 
séculiers  de  Tévêché ,  le  cardinal  de  Fûrstenberg  s'entendit  avec  son 
chapitre  pour  les  aliéner  et  les  rendre  héréditaires  ;  il  créa  et  érigea  en 

*  Voir  les  livraisons  de  juin  ,  juillet  et  septembre ,  pages  251 ,  289  et  413. 
8- Série. -47- Alinéa.  9 


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130  REVUE  d' ALSACE. 

titre  d'office  par  un  édil  du  30  mars  de  la  même  année,  la  charité  de 
prévôt  et  celle  de  greffier  de  1^  yi)Ie  d^Sayerne  ;  la  charge  d'Oberschult- 
heiss  Tut  réunie  à  celle  de  vice-dône ,  président  du  conseil  de  la 
Régence.  Cette  création  ne  porta  aucune  atteinte  à  la  composition  du 
magistrat  qui  conserva  ses  anciepg  privilèges  et  rranchises.  L'Unlenschult- 
heiss  prit  le  titre  de  prévôt ,  et  le  vice-dôme  président  du  conseil  de  la 
Régence  adjoignit  à  son  titre  celui  d*Oberschultheiss  ou  de  grand-bailli 
(le  la  \ille.  En  1695  un  procureur  fiscal  Fut  attaché  au  magistrat ,  il  eut 
pour  mission  de  défendre  les  intérêts  seigneuriaux,  de  faire  la  recherche 
des  délits  et  des  contraventions,  de  réprimer  les  désordres  et  de 
veiller  à  Texécution  des  lois  et  règlements  >.  Cette  charge  et  celle  de 
receveur  municipal  furent  conférées  à  vie  moyennant  finance,  mais 
ceux  qui  les  avaient  obtenues,  ne  pouvaient  les  céder  ni  les  transmettre, 
mais  ils  pouvaient  en  jouir  toute  leur  vie  avec  tous  les  droits ,  honneurs 
et  émoluments  y  attachés  sans  pouvoir  être  destitués  ni  révoqués ,  à 
moins  de  malversation  ou  de  prévarication. 

En  1707  les  gages  annuels  du  prévôt,  des  lohnherrn  et  du  greffier 
furent  portés  à  i59  livres  6  sols  8  deniers ,  dix  cordes  de  bois,  cinq  cents 
fagots  et  cinq  cents  échalas. 

En  1717  le  conseil  d'Etat  fixa,  par  un  arrêt  du  23  août,  au  quatrième 
degré ,  la  défense  de  parenté  ou  d'ailliance  entre  les  assesseurs  au  ma- 
gistrat ,  mais  cet  arrêt  n'a  pas  toujours  été  considéré  comme  une  règle 
générale  et  inviolable ,  et  les  bourgeois  de  Saverne  se  plaignirent  sou- 
vent que  cette  violation  favorisait  les  résolutions  contraires  aux  intérêts 
généraux  de  la  commune. 

La  communauté  des  bourgeois  jouissait  do  tout  temps  du  privilège  de 
choisir  le  médecin  communal  (Stadlphysicus)  ;  ce  médecin  devait  soi- 
gner gratuitement  les  pauvres  ;  il  recevait  pour  ses  gages  trente  florins , 
trois  cordes  de  bois  ,  trois  cents  fagots  et  une  indemnité  de  logement  de 
dix  Qorins;  il  lui  était  alloué  pour  une  consultation  un  florin  cinq  schil- 
lings ,  pour  la  première  visite  sept  schillings  six  deniers ,  et  pour  cha- 


'  L*office  de  procureur  fiscal  de  la  ville  de  Saverne  et  des  deux  bailliages  de 
SaverDe  et  du  Kocbersperg  fut  donné  par  le  cardinal  de  Fûrstenberg  à  Jeaun* 
Jacques  Scbillinger ,  suivant  trailé  fait  au  cbàleau  de  Beraj ,  le  8  octobre  1695  ; 
ce  fut  en  sa  qualité  d*abbé  de  Saint-Germain-des-Prés  de  Paris  que  ce  prince 
occupa  alors  le  beau  cbftteau  de  Bemy,  dépeodani  de  la  cofomuoe  de  Fresnes-lès- 
Rungls  (Seine). 


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ÉTUDE  SUR  L'ORGANISATiCIf  MUNICIPALE  DE  SAVERNE.  131 

^^e  des  autres  visites  deux  schillings.  En  1745  la  communauté  des 
Citants  avait  choisi  un  médecin  qu'elle  considérait  comme  un  homme 
f  science  et  de  talents ,  il  inspirait  toute  confiance  au  public ,  mais  il 
^^^it  pas  une  créature  du  cardinal  Armand-Gaston  de  Rohan,  ni 
.f  ^^^ble  â  ses  officiers ,  aussi  tout  exercice  de  la  médecine  lui  fut-il  non 


^^Ui 


^cnent  interdit ,  mais  encore  fut-il  poursuivi  et  expulsé  de  la  ville 


te*  —         ' «^ «' — 

^K**^  1758  le  cardinal  Louis-Constantin  de  Rohan  voulut  assujettir  aux 

^^es  le  magistrat ,  qui  de  toute  ancienneté  en  était  affranchi  par 
^t^tV  état  civil,  ou  le  forcer  à  des  prestations  pécuniaires  ,  mais  celui-ci 
résista  avec  énergie  aux  prétentions  insolites  de  son  seigneur  et  objecta 
avec  raison  «c  que  les  presbtions  précuniaires  ne  sauraient  être  exigées 
€  que  de  ceux  auxquels  le  seigneur  a  droit  de  demander  la  corvée  ;  que 
€  sa  mission  était  d^administrer  la  justice  en  première  instance  et  non 
c  celle  de  faire  des  corvées ,  et  qu'il  était  insolent  d'exiger  que  des  juges 
c  descendissent  de  leurs  sièges  pour  aller  travailler  surunchemin,  dans 
€  une  forêt  ou  sur  quelques  terres  seigneuriales  '.  > 

En  1759  ,  le  27  janvier ,  le  roi  en  son  conseil  rendit  un  arrêt  en  com- 
mandement, par  lequel  il  autorisa  l'évêquede  Strasbourg  à  destituer  les 
prévôts  des  villes  de  l'évéché  et  à  payer  leur  finance  à  ceux  qu'il  révo- 
querait de  leurs  fonctions  3.  Cet  arrêt  de  révocabilité  causa  un  vif  mé- 
contentement à  Saverne ,  le  prévôt ,  lorsqu'il  jouissait  de  l'inamovibilité, 
était,  y  disait-on ,  le  défenseur  naturel  des  habitants,  il  pouvait  prendre 
en  mains  leurs  intérêts  et  soutenir  leurs  droits  même  contre  le  seigneur  ; 
lé  cardinal  Louis -Constantin  de  Rohan,  ayant  rencontré  une  juste  résis- 
tance à  sa  volonté  arbitraire  dans  plusieurs  prévôts  de  l'évéché  ,  avait 
imaginé  cet  expédient  pour  briser  leur  indépendance  et  les  rendre  es- 
claves de  sa  volonté ,  et  il  est  parvenu  à  son  but ,  en  surprenant  â  la 
religion  du  roi  Fârrèt  de  révocabilité  de  1759,  car  ses  propres  intérêts 
lui  tenaient  seuls  à  cœur  et  non  ceux  du  souverain  qu'il  avait  mis  en 
avant  ^. 

Ce  prélat ,  irrité  de  l'esprit  d'indépendance  que  nourrissaient  quelques 
officiers  municipaux ,  se  plaignait  non  seulement  du  nombre  trop  élevé 
des  membres  qui  composaient  les  magistrats  de  l'évéché,  mais  encore  de 


'  Archives  de  Sâverne  ,  liasse  68. 

'  Archives  commanales ,  liasse  66. 

*  Ordonnancée  d'àlêaee ,  (orne  ii ,  p.  519. 

'  Archives  de  Saveroe ,  liasse  68. 


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132  REVUE  D'ALSACE. 

rinfime  position  sociale  de  la  plupart  d'entre  eux  ;  ces  plaintes  furent 
entendues  du  gouvernement  et  une  ordonnance  royale  du  23  août  1760 
réduisit  le  nombre  des  officiers  municipaux  dans  toutes  les  villes  de  Té- 
véché.  Celui  des  assesseurs  au  magistrat  de  Saveme  fut  réduit  à  six ,  f 
compris  les  deux  lohnherrn  ,  les  huit  assesseurs  les  moins  anciens  furent 
éliminés  et  durent  cesser  leurs  fonctions  le  10  juin  1761 ,  mais  ils 
reçurent  la  faculté  de  pouvoir  les  reprendre  au  fur  et  à  mesure  des  va- 
cimces  ^  C'est  ainsi  que  fut  adoucie  la  violation  de  l'antique  privilège 
qui  consacrait  leur  inamovibilité. 

En  i  765 ,  le  A  avril ,  quatre  ans  après  la  publication  du  deuxième 
volume  de  YAkatia  illustrata ,  le  magistrat  de  Saverne  transmit  à  M.  le 
duc  de  Choiseul ,  principal  ministre  du  roi  Louis  XV ,  une  notice  sur 
le  nombre  de  ses  officiers  et  le  mode  de  leur  élection  ;  cette  notice  qui 
est  en  contradiction  avec  les  données  publiées  par  Schœpflin ,  est  de 
la  teneur  suivante  : 

€  A  Saverne  se  trouve  un  magistrat,  qui  est  une  justice  subordonnée 
<r  à  la  Régence  du  seigneur-évêque  ,  prince  de  Strasbourg  ;  ce  magistral 
a  est  composé  de  quatre  chefs  qui  sont  le  prévôt ,  le  fiscal ,  le  greffier- 
«  notaire  et  un  receveur  des  deniers  patrimoniaux ,  qui  sont  tous  quatre 
«  érigés  en  titre  d'office  et  patentés  par  le  prince;  outre  ces  quatre 
«  officiers,  le  magistral  est  composé  de  deux  lohnerset  de  douze  asses- 
«  seurs  au  magistrat  ;  lorsqu'un  de  ces  douze  assesseurs  décédait ,  il  a 
«  été  de  tout  temps  remplacé  par  élection  du  magistrat  assemblé ,  d'un 
0  bourgeois  le  plus  capable  de  la  bourgeoisie  ;  les  deux  lohners  étaient 
«  seuls  tirés ,  à  l'exclusion  de  tous  autres ,  du  même  magistrat  aux 
«  suffrages  des  assesseurs  existants ,  ces  magistrats  une  fois  élus  restent 
«  magistrats  leur  vie  durante ,  ils  sont  confirmés  après  leur  élection 
i'  par  la  Régence  au  nom  du  prince-évèque.  Cette  forme  d'élection  s'est 
<  ainsi  observée  jusqu'au  A  avril  1 761 ,  qu'il  a  plu  à  Sa  Majesté  de  réduire 
i'-  le  nombre  des  quatorze  assesseurs  au  nombre  de  six  en  tout  ;  par  le 
«  dit  arrêt  de  suppression  il  est  dit  que  les  huit  assesseurs  supprimés 
K  rentreraient  par  préférence  à  tous  autres  à  leur  dignité,  et  rempla- 
«  ceront  ceux  existants  et  conservés  qui  décéderont ,  et  que  si  le  nombre 
t»  des  magistrats  supprimés  est  rentré  dans  le  corps,  et  qu'il  échcl  de 
«  remplacer  quelqu'un  décédé ,  le  magistrat  assemblé  l'élira  en  présence 

*  Ordonnance»  d* Alsace,  tome  u ,  p.  S65. 


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ETCDE  SUR  l'organisation  MUNICIPALE  DE  SÀYERNE.  133 

€  d'un  commissaire  de  la  dite  Régence  ,  laquelle  le  confirmera ,  si  le 
<  sujet  est  capable  *.  » 

Un  arrél  rendu  par  le  conseil  d'Etat  le  6  décembre  1765,  fit  subir  à 
la  constitution  de  Saverne  une  nouvelle  et  importante  modification , 
mais  quoiqu'il  portât  que  le  magistrat  devait  se  renouveler  par  moitié 
tous  les  ans ,  comme  il  ne  laissa  pas  l'élection  des  assesseurs  aux  bour- 
geois,  il  ne  fut  accueilli  qu'avec  indifférence.  Les  anciens  assesseurs 
éliminés  avaient  successivement ,  au  fur  et  à  mesure  des  vacances, 
réoccupé  leurs  siège ,  mais  un  décret  rendu  par  la  Régence  de  l'évêché 
le  7  avril  1769,  les  força  à  résigner  de  nouveau  leurs  fonctions ,  et  le 
15  du  même  mois  il  fut  procédé ,  en  présence  d'un  commissaire  de 
l'évéque ,  à  l'élection  de  trois  nouveaux  assesseurs  choisis  dans  le  sein 
de  la  bourgeoisie.  Quoique  la  liberté  électorale  eût  été  reconnue  en 
principe,  elle  était  dénaturée,  anéantie  dans  la  pratique.  Tous  les  ans^ 
le  jour  de  l'Epiphanie  les  trois  assesseurs  les  plus  jeunes  cessaient 
leurs  fonctions ,  mais  comme  l'élection  était  réservée  non  à  la  masse 
des  bourgeois ,  mais  au  magistrat  déjà  trop  concentré  lui-même ,  c'est- 
à-dire  au  vice-dôme  en  sa  qualité  d'Oberschultheiss ,  au  prévôt ,  aux 
deux  lohnherrn  et  à  l'assesseur  le  plus  ancien  ,  les  membres  sortants 
étaient  constamment  réélus ,  et  on  les  vit  se  perpétuer  vingt  années 
dans  leurs  fonctions.  Les  bourgeois ,  quoiqu'ils  n'abordassent  pas  la 
pensée  d'une  résistance  quelconque ,  ne  voulaient  pas  reconnaître  dans 
la  forme  de  cette  nomination  une  élection  véritable  et  se  plaignaient 
justement  de  ce  que  le  choix  des  magistrats  qui  se  prétendaient  inamo- 
vibles ne  portait  que  sur  les  assesseurs  sortants.  Par  un  abus  impar- 
ilonnable  on  n'hésitait  pas ,  disaient-ils ,  à  violer  une  loi  fondée  sur  les 
principes  les  plus  équitables ,  et  qui  voulait  que  tous  les  habitants  d'une 
communauté,  partageant  les  charges  publiques,  pussent  arriver  aux 
honneurs  de  la  magistrature  communale,  tant  pour  s'occuper  des  inté- 
rêts communs  que  pour  empêcher  toute  fraude  ou  malversation  que  des 
officiers  permanents  pourraient  commettre.  La  Régence  de  l'évêché  vit 
le  mal  que  causait  cette  magistrature  artificielle  et  sans  racine  dans  la 
population ,  sans  chercher  à  y  porter  remède,  tant  elle  redoutait  l'esprit 
d'innovation. 

En  1769,  l'agent  comptable  de  la  commune  disparut,  laissant  un 
déficit  de  18,583  livres;  ce  désastre  financier  excita  les  vives  plaintes 

*  Arcbives  de  Saverne ,  liasse  39â. 


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134  RBVUE  D'ALSACE. 

des  habitants  ;  ils  soutenaient  avec  raison  qu*à  Tépoque  où  la  caisse 
municipale  était  déposée  à  rhôteUde-viile  sous  trois  clés  diS6reqies  , 
il  eut  été  impossible  à  uq  comptable  infidèle  d'emporter  les  deniers 
de  la  commune^  et  que  Tévêque ,  qui  s'était  arrogé  le  droit  de  nommer 
le  recevçur^  en  devrait  être  le  garant,  ^k  Faut -il  des  ahys  plus  énormes 
«  encore,  disaient-ils,  pour  établir  une  règle  salutaire  qui  mette  à 
«  jamais  les  deniers  publics  à  Tabri  du  vol  et  de  la  déprédation  >.  » 

Un  décret  du  cardinal  Louis-Constantin  de  Rohan,  en  date  du  7 
juillet  1773^  fit  défense  aux  membres  de  la  magistrature  communale  de 
procéder  en  corps  aux  vues  et  descentes  des  lieux  litigieux  et  ordonna 
que  ces  lieux  ne  seront  dorénavant  visités  que  par  l'un  d'eux ,  commis- 
saire nommé  à  cet  effet. 

Dans  les  quarante  dernières  années  de  sou  existence ,  le  magistrat 
de  Saverne  a  été  en  butte  à  des.  accusations  de  toutes  sortes  de  la  part 
dç  la  bourgeoisie  ;  elle  lui  reprochait ,  surtout  depuis  son  épuration  , 
de  montrer  une  tendance  déterminée  vers  l'oligarchie,  de  se  considérer 
comme  un  corps  isolé  dont  les  vues,  les  intérêts  et  les  actes  ne  teur 
daient  qu'à  l'oppression  de  la  commune  qu'il  devrait  représenter,  de 
disposer  non  seulement  à  son  gré  d^  son  patrimoine ,  mais  d'oser  encore 
augmenter  de  son  chef  la  masse  de  certains  impats ,  sous  le  vain  prétexte 
qu'un  long  abus,  qu'il  qualifiait  d'usage,  les  avait  transformés  en. reve- 
nus patrimoniaux.  Du  moment  qu'un  bourgeois  se  trouvait  incorporé 
dans  le  corps  municipal ,  il  oubliait  ce  qu'il  avait  été  et  établissait  une 
profonde  ligne  de  démarcation  entre  lui  et  ses  concitoyens  ;  il  se  con- 
sidérait comme  destiné  non  à  protéger  et  à  défendre  leurs  intérêts , 
mais  à  les  maintenir  dans  les  bornes  de  la  plus  aveugle  soumission. 
Les  bourgeois  sollicitèrent  vainement  le  redressement  des  griefs  qui 
leur  semblaient  les  plus  onéreux  ;  leurs  réclamations  ne  furent  pas 
écoutées ,  les  abus  s'étant  accrus  avec  Tautorité  arbitraire  du  magistrat, 
la  bourgeoisie  les  trouva  enfin  si  intolérables  qu'elle  s'en  plaignit  hau- 
tement i  elle  ne  vit  plus,  pour  sortir  de  l'état  d'oppression,  sous  lequel 
elle  soupirait,  d'autre  moyen  que  la  voie  de  la  justice;  elle  s'adressa 
à  l'intendant  d'Alsace  et  fut  autorisée  par  une  ordonnance  du  19  lévrier 
1753  à  s'assembler  une  fois  seulement  pardevant  le  Sieur  d'Elverl , 
subdélégué  à  Saverne,  pour  lui  exposer  ses  griefs  el  ses  réclamations  ; 
les  bourgeois  s'empressèrent  de  profiler  de  cet  acte  de  justice,  ils  s'as- 

'  Archives  de  Saverne ,  liasse  68. 


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ÉTUDE  SUR  l'organisation  MUNICIPALE  DE  SAVERNE.  135 

semblèrent  le  10  mars  suivant ,  au  nombre  d«  cent  cinquante ,  devant 
le  subdélégoé  d'Elvert,  qui  drcisa  procès-verbal  de  leurs  plaintes; 
elles  portaient  principalement  sur  Texagéralion  et  la  mauvaise  répar- 
titkm  de  Timpôt  connu  sous  le  nom  de  Betke,  sur  la  mauvaise  gestion 
des  deniers  pobKcs,  sur  le  mauvais  emplor  des  revenus  des  biens 
communaux ,  et  sur  le  refus  du  magistrat  de  leur  communiquer  les 
titres  et  les  documents  concernamt  les  forêts  et  les  biens  communaux  , 
dont  Hs  désHraient  connaître  la  quismlité  et  les  chaires.  Le  U  avril  ils 
obtinrent  de  Pintendant  d* Alsace  une  ordonnance  portant  que  leurs 
plaintes  seraient  communiquées  au  magistrat^  et  que  Tafiaire  serait 
instruite  par  le  svbdélégué  d'Blvert,  Tintendant  les  autorisa  ensuite  à 
s*a3sembler  pour  élire  treize  d'entre  eux ,  qui  seraient  chargés  de  suivre 
l'instance  et  de  veiller  aux  intérêts  communs  ;  cette  élection  se  fit  le 
!••»■  juin. 

L'instruction  renvoyée  devant  le  snbdélégué  ayant  été  terminée  et  les 
pièces  renvoyée?  àM.  deLtfcé,  intendant  d'Alsace;  ce  magistrat  rendit, 
h  7  février  i754,  une  ordonnance  déflïiitive  et  contradictoire,  qui, 
quoiqu'elle  ne  statuât  pas  sur  tous  les  chefs  de  demandes  de  la  bour- 
geoisie, en  avait  cependant  accueilli  les  principaux.  Comme  les  vues 
des  bourgeois  ne  tendaient  qu'à  la  bonne  administration  des  deniers 
publics  et*  à  la  décharge  des  impositions  arbitraires,  leur  intention' était 
de  s'en  tenir  à  la  décision  de  l'intendant ,  mais  les  officiers  municipaux 
sA-aient  un  intérêt  tout  opposé  ;  effrayés  à  la  fois  de  la  nécessité  de 
rendre  compte  et  de  voir  le>  flambeau' de  l'examen  dans  leur  adminis- 
tration, ils  crurent  devoir  tenter  l'impossible  pour  s'aflVanchir  des 
obligations  qu'on  voulait  leur  imposer  ;  en  effet  ils  prirent  la  voie  de 
l'opposition  contre  Tordonnance  contradictoire  dn  7  février  i  754 ,  qui 
n'était  pas  susceptible  d'opposition  ,  et  qui  ne  pouvait  être  attaquée  que 
par  la  voie  de  l'appel  au  conseil  d'Etat;  mais  ce  qui' doit  paraître  plus 
surprenant  encore ,  c'est  que  cette  tentative  leur  réussit  au  gré  de  leurs 
vœux ,  ils  obtinrent ,  le  7  décembre  suivant ,  une  ordonnance  aussi 
contradictoire,  par  laquelle  l'intendant,  se  réformant  lui-même,  et 
jugeant  tout  le  contraire  de  ce  qu'il  avait  décidé  en  faveur  des  bour- 
i:eois ,  a  révoqué  la  p  emière  ordonnance  et  maintenu  le  magistrat  dans 
le  droit  de  |>ercevoir  la  Bethe  comme  du  passé.  Défense  fut  faite  aux 
treize  députés  de  la  bourgeoisie  de  s'assembler  sous  quelque  prétexte 
que  ce  fui.  Les  bourgeois  portèrent  leurs  plaintes  au  pied  du  trône  et 
se  pourvurent  au  conseil  d'Etat  pour  obtenir  la  réformation  de  cette 


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136  REVOE  d'âlsace. 

décision  si  préjudicialile  à  leurs  intérêts  ;  l'affaire  y  Iraina  en  longu«rur, 
les  bourgeois  attendirent  vainement  un  arrêt  définitif ,  pendant  que  le 
magistrat  s'efforçait  de  son  côté  à  soustraire  cette  affaire  à  rattention 
du  conseil  d'Ëtat.  Les  avocats  des  deux  parties  étant  décédés ,  la  con- 
testation fut  entièrement  oubliée  jusqu'à  ce  que  de  nouveaux  abus 
ajoutés  aux  anciens  dans  le  régime  municipal  de  la  ville  de  Saverne  et 
une  déprédation  générale  dans  toutes  les  parties  de  la  chose  publique , 
eussent  forcé  les  bourgeois  à  revenir  aux  plaintes  juridiques.  Dans  cette 
situation  malheureuse  ils  sollicitèrent,  par  le  ministère  des  treize  députés, 
de  l'intendant  d'Alsace  ,  la  permission  de  s'assembler  à  l'effet  de  déli- 
bérer sur  la  continuation  du  procès  pendant  au  conseil  d'Ëtat ,  tant 
relativement  aux  revenus  patrimoniaux  qu'au  sujet  de  radministrafion 
des  forêts  de  la  ville ,  mais  l'intendant  d'Alsace  rendit,  le  11  décembre 
1780,  une  ordonnance,  par  laquelle  l'élection  des  treize  députés  fut 
cassée  et  annulée ,  et  défense  fut  faite  aux  bourgeois  de  s'assembler , 
sous  peine  de  trois  mille  livres  d'amende  ;  Fintendant  établit  pour  syndic 
le  sieur  Deheille  c  à  l'effet  de  continuer  les  poursuites  à  faire  dans  la 
dite  instance  >  et  fit  défense  au  procureur  des  bourgeois  de  s'entre- 
mettre à  l'avenir  en  aucune  affaire  de  la  ville  sous  telle  peine  que  de 
droit. 

La  surprise  des  bourgeois  fut  grande  quand  ils  apprirent  qu'on  leur 
avait  donné  pour  syndic  la  personne  du  procureur-fiscal  général  de 
révêché  y  le  commensal  et  l'intendant  du  château  du  cardinal  de  Rohaii  ; 
les  différentes  places  qu'il  occupait ,  étaient ,  selon  leur  dire  ,  incom- 
patibles avec  celle  de  syndic ,  puisqu'on  cette  dernière  qualité  il  serait 
obligé  de  se  placer  dans  un  état  de  lutte  avec  l'évêque  de  Strasbourg  et 
de  combattre  plusieurs  de  ses  prétendus  privilèges,  tandis  qu'en  qualité 
de  commensal  et  d'intendant  du  château  ,  et  en  outre  de  procureur- 
fiscal  général  de  l'évèché ,  il  S3  trouvait  également  obligé  d'en  défendre 
les  intérêts  et  les  prétentions.  Toutefois  ils  ne  trouvèrent  aucun  incon- 
vénient à  laisser  subsister  l'ordonnance  du  11  décembre  1780,  mais 
avant  de  continuer  l'instance  pendante  au  conseil  d'Etat  ils  prirent  une 
voie  infiniment  plus  simple  et  moins  coûteuse,  ils  implorèrent  la  mé- 
diation du  cardinal  de  Rohan ,  leur  seigneur ,  ce  prélat  s^empressa  de 
seconder  leurs  bonnnes  intentions  et  par  une  commission  du  4  juin 
1782,  revêtue  de  son  sceau,  il  a  nommé  le  sieur  Ëberhard-Henri 
baron  de  Truchsès-Rheinfelden ,  vice-dôme  et  président  du  conseil  de 
la  Régence  de  l'évèché ,  le  sieur  Nicolas-Joseph  Knepfiler  et  le  sieur 


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ÉTUDE  SUR  L*OnGANlSATION  MUNICIPALE  DE  SAYERNE.  t37 

André  Peltmesser  ^  tous  deux  conseillers  au  même  conseil ,  commis- 
saires arbitres  et  amiables  compositeurs  entre  les  parties ,  pour  terminer 
leurs  différends  par  une  sentence  arbitrale. 

L'arbitrage  fut  accepté  avec  la  plus  respectueuse  reconnaissance  tant 
par  le  magistrat  que  par  la  bourgeoisie ,  el  on  signa  de  part  et  d'autre 
le  compromis.  Les  bourgeois  furent  admis  à  présenter  leurs  griefs  aux 
arbitres  et  à  établir  leurs  demandes ,  mais  le  magistrat ,  sous  prétexte 
que  ces  demandes  renfermaient  plusieurs  nouveaux  chefs ,  arrêta  de  ne 
point  y  répondre ,  avant  que  les  bourgeois  ne  lui  eussent  communiqué 
leurs  pièces  justificatives.  Ceux-ci  tirent  d'inutiles  recherches  pour  se 
procurer  des  pièces  qui  leur  manquaient  et  qui  avaient  été  adirées  ; 
le  magistrat ,  informé  de  l'inutilité  de  ces  recherches,  fut  charmé  d'avoir 
ce  prétexte  pour  rompre  l'arbitrage  et  notifia,  le  15  mars  1786 ,  à  la 
bourgeoisie  que  son  intention  était  de  retourner  au  conseil  d'Etat,  pour 
solliciter  la  justice  qu'elle  l'avait  empêché  d'obtenir. 

La  bourgeoisie ,  par  l'organe  de  ses  députés ,  déclara  que  son  désir 
était  toujours  d'obtenir  un  jugement  arbitral ,  mais  que  du  moment  que 
le  magistrat  témoignait  de  l'éioignement  pour  cette  voie ,  elle  serait 
également  forcée  de  chercher  au  conseil  du  roi  la  justice  qu'elle  avait 
espéré  trouver  dans  la  voie  amiable  de  l'arbitrage. 

Ainsi  se  termina  cette  tentative ,  le  magistral  avait  consenti  à  l'arbi- 
trage par  déférence  pour  la  volonté  du  cardinal  de  Rohan  ,  la  disgrâce 
de  ce  prélat  l'avait  fait  revenir  à  son  premier  système  d'oppression  *. 

Comme  les  choses  avaient  changé  de  face  depuis  les  derniers  erre- 
ments de  l'instance ,  comme  les  abus  de  l'administration  municipale 
s'étaient  multipliés  ,  les  demandes  de  la  bourgeoisie  ne  pouvaient  plus 
être  renfermées  dans  les  anciennes  limites ,  toutefois  les  points  capitaux 
de  ses  griefs  étaient  toujours  les  impositions  arbitraires ,  l'incertitude 
de  l'emploi  des  revenus  de  la  commune  et  les  déprédation  des  forêts 
communales.  Elle  conçut  de  nouveau  l'espoir  qu'après  plus  d'un  demi- 
siècle  d'oppression  et  de  souffrance ,  la  ville  de  Saverue  obtiendrait  «le 
la  justice  suprême  du  roi  une  décision  qui  mettrait  fin  à  ses  maux , 
rétablirait  Tordre  public  et  couronnerait  ainsi  le  zèle  des  bons  citoyens 
qui  s'étaient  dévoués  au  bonheur  de  leurs  contemporains  et  de  leurs 
ilescendants. 

'  PfnoDDe  n'ignore  qu'à  cette  époque  la  ^caodaleuse  affaire  du  collier  avait 
fait  tomber  le  cstrdioal  de  Roban  dans  la  disgrftte  de  la  cour. 


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138  REVUE  D* ALSACE. 

A  pekie  le  conseil  d'ËlaA  étaiMI  de  nottveai»  saisi  de  celle  affaire, 
que  la  modMeation  introduite  d^ns  1»  eoi>stitHtîeft  civîte  de  ia  viHe  de 
Saverne ,  dispensa  les  bourgeois  de  contifraer  les  poursoités  peur  fafre 
q>érer  1»  réfonnation  de  Tordoimaiice  de  Tintendanf  d'Alsaee  du  7 
décembre  1754  et  obtenir  le  redressement  lant  de  lears  anciens  que  de 
leurs  nottveavT  griefe.  L'édit  du  roi ,  rendu  en  juin  1787  ,  changea  h 
constitailîon  poliliqoe  de  i'Alsaee  et  établit  Fadministration  provinciale. 
L'organisation  qui  fol  adoptée  par  le  règlement  dli  12  juillet  suivant, 
comprenait  rassemblée  provirrcHile  séant  k  Strasbourg  et  celles  des  dis- 
tricts, qui  fureni  composées  des  trois  ordres  formant  le  corps  de  la  nation, 
et  la  commission  intermédiaire  à  quiTad^hristration  de  la  province  éf ait 
dévolue ,  lorsque  rassemblée  protinciale  n'était  pas  réunie.  L'adminis- 
tration communale  fut  remise  à  une  assemblée  municipale,  donft  le 
choix  étak  laissé  à  Télee^n  et  qui  était  assujettie  à  la  direction  d'un 
syndic ,  également  é)n  par  la  masse  des  habitants. 

Quoique  l'assemblée  provinciale  eut  reconnu  par  son  arrêté  du  6 
décembre  1787,  que  les  magistratures  dies  villes  seigneuriales  et  les 
administrations ,  existant  dans  les  villages  ou  communautés ,  sous  le 
nom  de  Gerickt ,  remplissent  parfaitement'  les  vues  du  gouternement 
touchant  rétablissement  des  municipalités ,  la  commission  intermédiaire, 
cédant  au  vœu  général  et  à  des  besoins  énergiquement  exprimés  de 
toutes  parts ,  crut  remplir  les  volontés  dû  roi  en  transgressant  l'arrêté 
de  l'assemblée  provinciale  et  en  décrétant  l'établissement  de  nouvelles 
municipalités  dans  un  grand  nombre  de  villes  seigneuriales  d'Alsace. 

Au  nombre  de  ces  villes  se  trouvait  Saverne ,  mais  rétablissement  de 
la  nouvelle  municipalité  y  rencontra  la  plus  vive  opposition  de  la  pari 
des  officiers  de  l'évêché.  Le  magistrat  dont  les  fonctions  se  trouvaient 
réduites  à  Tadministration  de  la  justice  el  à  la  gestion  des  biens  patri- 
moniaux ,  avah  vainement  brigué  les  suffrages  de  ses  concitoyens ,  se 
monlrarl  irrité  de  la  perle  de  ses  pri-vilèges  et  de  son  prestige ,  fit  la 
guerre  au  nouveau  syndic  et  entrava  sans  cesse  son  administration  ; 
impatiente  à  se  livrer  aux  affaires ,  la  nouvelle  municipalité  se  posait 
en  rivale  du  magistrat  et  se  regardait  même  comme  supérieure  à  lui  ; 
de  là  non  seulement  de  déplorables  conflits ,  des  contrariétés  sans  cesse 
renaissantes ,  mais  encore  des  altercations  scandaleuses  ;  c'étaient  deux 
municipalités  existant  Tune  à  côté  de  l'autre ,  c'esl-a-dire  une  confu- 
sion générale  ;  la  nouvelle  réclamait  les  titres ,  registres  ,  comptes  et 
documents  municipaux  qu'elle  avait  le  droit  et  le  devoir  d'exiger;  Tan- 


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ÉTUDE  SUR  L'ORGAtlISiTlOlC  MUNICIPALE  DE  SAVERNE.  439 

demie,  c*e8!-à-dire  le  magislrai^  les  hûtetoa  eveo  ime  eonfiance 
orgueuilleuse  en  la  force  du  cardinaMe  Rohan  ;  il  cherehait  même  à 
dégoûter  les  membres  du  nouveau  pouvoir  municipal  de  leurs  fonctions 
par  des  menaces  ei  des  intimidaiions.  Le  cardinal  de  Rohan  lui-même 
sMrrita  de  l'allure  indépendante  de  la  municipalité  qu'au  mépris  de  ses 
droits  et  de  ses  privilèges  on  avait  imposée  au  chef^lieu  de  Tévèché , 
et  protesta  contre  la  soif  immodérée  d'innovations  qui  la  dévorait.  Cette 
guerre  intestine  enfanta  une  animosilé  presque  universelK; ,  le  mécon- 
tentement prenait  chaque  jour  plus  d'intensité  ^  la  municipaKté  fut  sans 
cesse  en  butte  aux  insujtes  et  aux  meBaces  dre  la  valetaille  de  cour,  qui 
ne  la  désignait  qu'avec  des  épithètes  ordurîères  et  qui  lui  reprochait 
sans  cesse  son  manque  de  confiance  et  de  respect  envers  le  cardinal  de 
Rohân ,  seigneur  de  la  ville.  Mais  ni  les  injures ,  ni  les  menaces ,  ni 
les  nombreux  dégoûts  dont  on  Tlabreuvait ,  ne  purent  Kfntiraider  ; 
investie  de  cette  force  que  donne  TassoBtimeut  de  l'opinion  pubKque  ^ 
elle  se  montrait  attachée  à  ses  droits  qu'elle  tenait  à  foire  reconnaître 
et  respecter,  et  marchait  d'un  pas  ferme  et  résolu  dans  h  voie  des 
améliorations.  Pendant  que  le  cardinal  de  Rohan  criait  à  la  violation  de 
ses  droits  et  de  ses  privilèges ,  elte  s'occupait  de  tontes  les  mesures 
administratives,  grâce  à  l'impuleion  que-  sut  lui'  imprimer  son  syndic , 
François-Léopold  de  Mayerhoffen. 

L'établissement  de  la  municipalité,  cette  création  utile  et  btenftiisante 
qui  ramenait  les  rouages  de  radministratien  aux  principes  <!e  l'égalité, 
avait  fail  tomber  les  bourgeois  de  Saverne  dans  la  disgrâce  du  cardinal 
de  Rohan  ;  cette  disgrâce  fut  fomentée  sans  cesse  par  le^magistrat  qui 
cherchait  à  attiser  le  feu  de  la  discord<e  ei  à  semer  la  désunion.  Ce 
déplorable  état  de  choses  subsista  jusqu'à  ce  que  la  loi  du  15  décembre 
1789  sur  la  constitution  des  mumcipalités  eût  mis  fin  à  l'existence  du 
magistrat.  La  nouvelle  municipalité  le  remplaça  aussi,  en  exécution  de 
la  loi  du  ?8  décembre  1789,  dans  l'ei^ercîce  de  la  juridiction  conten- 
tieuse  jusqu'à  la  création  du  tribunal  civil  du  district  de  Haguenau , 
dont  le  siège  fut  établi  à  Saverne. 

A  l'époque  de  sa  suppression  le  magistrat  était  composé  de  : 

Joseph-Antoine- Othon  Schillinger,  prévôt. 

Hubert-Joseph  Wolbrett ,  oberlohner. 

Joseph  Meyer ,  unterlohaer.. 

JeaUiApiSel,  Jean-Michel  Weber,  François  Fischer,  Louis  Wvr- 
mell ,  assesseurs. 


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140  REVUE  D*ALS4CE. 

Cbrétien-Guiilaume  Fin^iio,  procoreur-fiscal. 
François- Antoine  Schœn  ,  grefYter. 

SÉRIE  DES  GRANDS 'PRÉVÔTS  DE  SAVERNE. 

1306.  Conrad  de  Gougenheim. 

1308.  Frédéric  chevalier  de  Wildesperg. 

1331.  Conrad  de  Gougenheim. 

1356.  Berthoid  Hûnch  de  Wiisperg. 

1372.  Berthoid  Hûnch  de  Wiisperg,  fils  du  précédent. 

1382.  Egenolphe  de  Lûlzelbourg. 

1400.  Gerhard  Daubn  de  Linange 

1404.  Bechtold  Krantz  de  Geipohheim. 

1418.  Berthoid  Mûnch  de  Wiisperg. 

1427.  Rafan  Hoffwarlh  de  Kirchheira. 

1436.  Jean  d'Altorf  dit  Wolschlag. 

1446.  Jean  de  Mûlnheim. 

1448.  Jacques  d'Oberkirch. 

1449.  Jean  d'Altorf  dit  Wolschlag. 

1462.  Eberhard  Hoffwarth  de  Kirchheim. 

1463.  Jean-Michel  de  Neuenfels. 
1485.  Jean  Hoffwarth  de  Kirchheim. 
1489.  Jean  de  Hohenstein. 

1497.  Jean  de  Mittelhausen. 
1509.  Antoine  Mûnch  de  Wiisperg. 
1521.  Gaspard  de  Mûlnheim. 
1525.  Wolf  Krantz  de  Geipolsheim. 

1535.  Cunon  Eckbrecht  de  Dûrckheim. 

1536.  Philippe  Breder  de  Hohenstein. 
1540.  Adrien  de  Mittelhausen. 
1543.  Jacques  d'Oberkirch. 

1549.  Georges  de  Wangen. 

1561.  Othon  de  Soultz. 

1579.  Henri  Mûnch  de  Buseck  >. 

,  *  Le  val  de  Buseck  ,  enclavé  dans  la  Haule-Hesse  ,  était  autrefois  sous  la  sup<^- 
riorilé  territoiale  de  la  noble  famille  de  ce  nom ,  dont  la  branclie  cadette  ajouta 
au  nom  patronimique  celui  de  Mûnch. 


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j 

ÉTUDE  SUR  L^ORGANISATION  MUNICIPALE  DE  SAVEBNE.  Hi  I 

1581.  Jean-Jacques  Wurmser  de  Vendenheiin.  i 

i587.  Philippe  Breder  de  Hohenstein. 

1594.  Frédéric  Zant  de  Mœrle ,  vogt  héréditaire  de  Zell-am-Haminer. 

16i1.  Christophe  de  Wangen,  intérimaire. 

1612.  Ulrich-Guillaume  de  Breiten-Landenberg. 

1614.  Jean-Frédéric  de  Landsperg. 

1615.  Jean-Christophe  de  Wildensteio. 
1663.  François-Christophe  baron  de  Wangen. 
1675.  Jean-Henri  baron  d'Elsenheim. 

1690.  Jean-François-Autoine  de  Flachsianden. 

1719.  Jean-Henri-Joseph  de  Flachsianden. 

1764.  Jean-Baptiste  Mitleton,  de  Langres. 

1771.  François-Joseph  Bourste,  ancien  conseiller  au  Conseil  souve- 
rain d*Alsace. 

1777.  Nicolas-Thiébaut  de  la  Jonchère,  conseiller  au  présidial  royal 
de  Langres. 

1781.  Eberhard-Henri  Truchsess  de  Rheinfelden. 


SÉRIE  DES  SOUS-PRÉVOTS  DE  SAVERNE. 

1341.  Baudouin  Wemher. 

1354.  Hugues  Volgener. 

1370.  Frédéric  Stumpf. 

1391.  Hugues  Zinck. 

1400.  Henselin  Binsinger. 

1404.  Pelermann  de  Lûtzelbourg. 

1419.  Nicolas  Schœnmetzger. 

1453.  Nicolas  de  Rechtenbach. 

1465.  Le  Junker  Jean  Munch  de  Miinchstein ,  dit  Lœwenberg. 

1480.  Chrétien  Hûlter. 

1486.  Jean  Mûnch  de  Mûnchstein ,  dit  Lœwenberg. 

1504.  Michel  Scherer. 

1506.  Guillaume  Hess. 

1509.  Michel  Scherer. 

1513.  Simon  Krsmer. 

1530.  Junker  Rodolphe  Dictenhammer ,  intérimaire. 

1521.  Junker  Bechtold  de  Lyningen. 


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1527.  Junker  BechloM  de  Wihptifg. 

1530.  Philippe  Blunder. 

i534.  Helchior  Sprenger. 

i544.  Materne  Vogt 

1554.  Martin  Moschenrœsch. 

1564.  Adam  de  Boys. 

159*2.  Etienne  Zwanger. 

1627.  Adolphe  Billicum. 

1632.  Marc  Rœch. 

1636.  Yalenlin  Billieum. 

1637.  Jean-Henri  Strauss. 
1639.  Thomas  Ballinger. 
1649.  Jean  Georgius. 
1656.  Sébastien  Frey. 
16610.  Jean  Rieffel. 

1672.  Sébastien  Fenderich. 

1678.  Adam  Rieffel. 

1687.  Othon  Schillinger. 

1697.  Jacques  Wolbrett. 

1701.  Jean-Jacques  Schillinger. 

1 733.  François-Henri-Joseph  Schillinger. 

1775.  Félix-Louis  Arth. 

1789.  Joseph- Antoine- Olhon  Schillinger. 

SÉRIE  DES  GREFFIERS  DE  LA  VILLE. 

1434.  Gonrath  de  Berlingen. 
1456.  Jacques  de  Sleinberg. 
1469.  Conrad  Barrer  d'Eichslâdt. 
1485.  Thiébaut  Fleisch. 
1493.  Frédéric  Hauwenschilt. 
1502.  Georges  Brfeitschwert. 
1521.  Thomas  Mûlich. 
1525.  Nicolas  Gœtz. 
1539.  PaulKinher. 
1542.  GhrisostômeHuegelin. 
1566.  Nicolas  Rohs. 
1607.  Guillaume  Seger. 


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ÉTUDE  SUR  l'organisation  MUNIGIPALR  DE  SAVERNE.  143 

1616.  Charles  Nierlin ,  Dommé  le  12  mars ,  et  ayant  été  appelé  peu 
de  jours  après  à  d'autres  fonetions  H  fut  remplacé ,  le  39  avril ,  par 

1616.  Jean-Melchior  Slegmeyer ,  mort  le  3  mai  1617. 

1617.  Biaise  Hugelin. 

1626.  Jean  Kurin  de  Valf. 

1627.  Marc  Rœch. 

1632.  Valentin  Billicum ,  de  Saverne. 

1640.  Henri  Krusenmeyer,  noiarius  Cœsareuê, 

1665.  Jean-Thiéhaut  Reldt^  nommé  le  22  avril  et  remplacé  !e  3 
juin  par 

1665.  Jean-Charles  Rienecker  ,  nùkirius  Cœsareus  ,  Stadt  und 
AmUchreiber. 

1668.  Mathias  Ernst  d'Eguisheim ,  notaire  impérial. 

1675.  Jean-Georges  Metzger,  de  Benfeld;  il  reçut  en  1684  le  titre 
de  notaire  royal. 

1693.  Emmanuel-Frédéric  Bfihr. 

1730.  Emmanuel-Ignace  B»hr. 

1764.  François-Joseph  Schœn. 

1789.  François-Antoine  Schœn. 


Dagob£rt  Fischer 


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EXPÉDITION 


DU 


BARON  NICOLAS  DE  POLWEILER 

EN  BRESSE ,  SIÈGE  DE  BOURG ,  1557. 


—  Suite  el  un  *  — 


Le  manifeste  du  baron  de  Polweiler  ne  produisit  que  peu  d*impres- 
sion  dans  les  contrées  environnantes  :  aussi ,  pensant  qu'il  valait  mieux 
agir  que  d'attendre  plus  longtemps  l'effet  de  ses  proclamations  prélimi- 
naires, ce  général  quitta  Treffort  pour  se  rapprocher  de  Bourg  qui  n'en 
est  distant  que  d'à-peu-près  12  kilomètres.  C'est  à  Chaslle ,  propriété 
des  comtes  de  Montrevel ,  qu'il  vint  camper,  c'est-à-dire  presque  sous 
les  murs  de  Bourg. 

Le  roi  Henri  II ,  informé  de  ces  événements ,  s'empressa  à  son  tour 
d'envoyer  un  manifeste  daté  de  Saint-Germain-en-Laye ,  13  octobre 
1557.  Le  roi  engageait  les  populations  à  demeurer  fermes  dans  leur 
obéissance  (style  officiel  de  l'époque)  et  leur  promettait  des  secours 
contre  Polweiler  ou  tout  autre  fauteur  de  trouble. 

La  missive  royale  ramena  un  certain  calme  dans  la  population  bres- 
sanne  et  rendit  surtout  courage  aux  habitants  de  Bourg ,  qui  restaient 
en  partie  attachés  à  la  France.  Leurs  craintes  du  reste  étaient  assez 
fondées ,  car  les  fortifications  de  la  capitale  de  la  Bresse  étaient  dans 
un  état  des  plus  déplorables  et  sans  les  secours ,  que  nous  allons  voir 
arriver  très  à  propos,  toute  résistance  sérieuse  devenait  impossible. 

<  Gabriel^  seigneur  de  la  Guiche  ou  comte  de  la  Guiche^  était lieute- 
«  nant-général  pour  le  Roy  en  la  province  et  se  jetta  dedans  pour  la 
<  deffendre. 

c  Les  habitants  de  Lyon  lui  envoyèrent  cent  arquebusiers ,  conduits 
«  par  François  de  Guerrier ,  seigneur  de  Combelonde  baron  de  Jous. 

*  Voir  la  livraison  d'août  1865  «  pige  576.' 


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EXPÉDITION  DU  BARON  NICOLAS  DE  POLWEILER  ,  ETC.  145 

c  Digoine-Daroas  y  entre  aussi  avec  des  Irouppes  et  bien  en  prit  que 
«  Tannée  du  Duc  de  Guise  revenait  d'Italie ,  conduite  par  Gaspard  Saux, 

<  seigneur  deTavannes,  car  il  envoya  à  Bourg  les  Chenets  de  la  maison 
«  de  Dinleuil ,  Jons  et  lamets  avec  le  régiment  de  Champagne.  François 
c  de  Yendosme ,  vidame  de  Chartre ,  y  arrive  aussi  avec  deux  cents 

<  soldats  aguerris  ^  » 

D'après  ce  qui  précède  il  est  facile  d'apprécier  la  situation  du  général 
(le  Polweiler  et  de  son  armée ,  situation  qui  était  loin  de  répondre  aux 
espérances  conçues  avant  son  entrée  en  campagne.  Il  commença  par 
faire  une  reconnaissance  en  règle  des  fortifications  de  la  ville  et  choisit, 
pour  nouvel  emplacement  de  son  camp ,  les  terrains  qui  plus  tard 
devaient  composer  le  domaine  de  Dufort ,  i  distance  d'un  kilomètre  de 
Bourg  environ  '. 

Le  baron  avait  à  sa  disposition  au  moins  seize  pièces  d'artillerie 
comme  nous  le  verrons  plus  loin  ;  eu  égard  à  l'époque,  c'était  déjà  une 
force  très-respectable  et  qui ,  bien  dirigée  surtout,4)ouvait  faire  beaucoup 
de  mal  aux  assiégés. 

Mais  ceux-ci  de  leur  côté ,  malgré  le  mauvais  état  des  fortifications , 
se  mirent  en  mesure  de  résister  aux  efforts  de  l'ennemi  dont  les  attaques 
furent  vaillamment  repoussées  sous  la  direction  de  Digoine  Damas , 
commandant  de  la  ville. 

Aussi  toutes  les  tentatives  des  Allemands  restèrent-elles  infructueuses, 
tandis  que  l'artillerie,  dont  la  place  était  assez  convenablement  pourvue, 
leur  répondit  par  un  feu  tellement  bien  nourri  qu'il  se  virent  forcée  de 
quitter  de  nouveau  leurs  positions.  Ils  franchirent  la  Beyssonce  ',  près 
de  Rosière,  et  allèrent  se  poster  vers  la  chapelle  de  Saint-Jean  ,  sur  le 
vieux  chemin  de  Bourg  ù  Hàcon  ^.  Comme  ils  se  trouvaient  là  hors  de 
portée ,  les  batteries  de  la  ville  ne  pouvaient  plus  les  atteindre  ;  c'est 
alors  que  les  assiégés  les  harcelèrent  par  de  fréquentes  sorties  dans 


*  GciCHENON  ,  Histoire  généalogique  du  duc  de  Savoye, 

*  Des  réparations  failps  à  ce  domaine  en  1822  amenèrent  la  découverte  d^uae 

masse  de  matériaux  ,  poutres ,  madriers  ,   etc.,  etc Ces  débris  ainsi  que  la 

présence  d*autres  objets  indiquaient,  d*une  manièrn  précise ,  que  c'était  bleu  sur 
cet  emplacement  que  Polweiler  avait  dû  établir  ses  retranobsment^  après  le  pre- 
mier écliec  subi.  (Gaco?i  ,  Histoire  de  la  Bresse  et  du  Bugey.) 

*  Rivière  du  département  de  TAin.. 

*  Gacon  ,  Histoire  de  la  Bresse  et  du  Bugey  ,  publiée  par  M.  de  U  Tejfssonnière. 

10 


3*«^rie.— 47*  Ann^e. 


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146  REVUE  D'ALSACE. 

le»squelles  il^  conservèrent  toujours  Tavantage.  Enfin  ils  attaquèrent 
les  Allemands  jusque  dans  leurs  retranchements ,  qu^ils  les  forcèrenl 
d'abandonner.  Ce  début  de  la  campagne  était  peu  encourageant  pour 
Polweiler  qui ,  de  tous  côtés  ,  ne  recevait  que  de  mauvaises  nouvelles 
comme  nous  allons  le  voir. 

Les  intrigues  des  capitaines  Rossel  et  Verder  à  Lyon  avaient  été 
éventées  ;  ce  dernier  même  avait  été  arrêté  et  jeté  dans  les  prisons  de 
la  ville. 

Ainsi  le  siège  de  Bourg  était  manqué  et  les  tentatives  sur  Lyon  n'a- 
vaient pas  mieux  réussi.  «  Ainsi  s'en  alla  en  fumée  (dit  Guichenon)  ce 
<ac  grand  dessein  et  cette  grande  armée  de  Polweiler.  » 

Les  fautes  ne  retombaient  cependant  pas  toutes  sur  ce  général  dont 
le  plan  de  campagne  n'était  point  mauvais  ;  ce  qui  le  fit  échouer  ce  fut 
surtout  le  manque  de  concours  des  Espagnols  sur  lesquels  il  croyait 
pouvoir  compter.  Il  avait  du  reste  éprouvé  à  Bourg  une  résistance  hé- 
roïque, car  la  garnisop  avait  suppléé  par  son  courage  au  mauvais  état 
des  fortifications.  Le  château  seul ,  réparé  lors  du  passage  de  François  I«' 
dans  cette  ville ,  aurait  pu  servir  à  prolonger  les  efforts  des  Français 
contre  la  persévérance  des  assaillants. 

Enfin ,  pour  comble  de  disgrâce,  Tarmée  royale^  qui  revenait  d'Italie 
sous  le  commandement  du  ducd'Aumale,  s'avançait  jusqu'à  Montrevel, 
à  12  kilomètres  de  Bourg  à  peu  près. 

En  présence  de  forces  aussi  supérieures  il  ne  restait  qu'un  seul  parti 
à  prendre  :  celui  d'une  prompte  retraite  que  Polweiler  parvint  encore 
à  se  ménager  à  temps,  pour  reprendre  en  bon  ordre  la  route  du  comté 
de  Bourgogne. 

Il  fut  autorisé  par  le  gouvernement  de  Besançon  à  traverser  cette 
ville  ;  mais  plus  qu'à  son  premier  passage  on  redoubla  de  précautions. 
On  prit  à  son  égard  toutes  les  mesures  que  peuvent  inspirer  la  défiance 
et  la  crainte.  On  alla  jusqu'à  exiger  que  deux  de  ses  enfants  restassent 
en  otages  pendant  tout  le  temps  que  les  troupes  défileraient  par  le 
territoire  bisontin. 

«  Cette  troupe  (l'avant-garde  probablement) ,  se  composant  de  deux 
((  mille  hommes  seulement,  laipluspart  Piquiers  ou  Corselets,  condui- 
<r  saient  46  pièces  d'artillerie  et  beaucoup  de  munitions  de  guerre. 
«;  Avant  qu'ils  entrassent  dans  la  ville  on  exigea  d'eux  qu'ils  décharge- 
€  raient  leurs  armes  ^  qu'ils  u'eutreraient  que  4  enseignes  à  la  fois  et 


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EXPÉDITION  DU  BARON  NICOLAS  DE  FOLWEILER ,  ETC.  ii7 

c  qu'ils  ne  s'arrêteraient  point  dans  la  ville  où  il  Tut  même  défendu  de 
«  leur  vendre  ni  vivres  ni  aucune  espèce  de  marchandise  V  > 

c  Ce  fut  par  la  porte  de  Notre-Dame  que  ces  enseignes  entrèrent 
«  successivement,  le  premier  et  le  deux  novembre  i557.  Elles  sortaient 
«  par  la  porte  de  Cbarmon.  La  grande  rue  seule  était  libre  pour  leur 
«  passage  et  les  chaînes  étaient  tendues  partout  ailleurs. 

c  Un  gouverneur  à  cheval ,  accompagné  d'une  troupe  d'hommes  à 
«  pied,  conduisait  ces  étrangers  jusqu'à  la  porte  de  Charmon ,  depuis  la 
u  porte  Notre-Dame  qu'on  refermait  aussitôt  qu'ils  étaient  ainsi  entrés 
H  par  détachements.  On  vit  tous  les  citoyens  sous  les  armes  et  l'arlil- 
«  lerie  placée  sur  les  remparts.  > 

Ce  même  manuscrit  relate  un  fait  qui  retrace  fidèlement  les  mœurs 
de  cette  troupe  mercenaire,  c  Les  femmes  des  soldats  de  Polweiler^ 
€  oubliant  une  des  lois  les  plus  sacrées  de  la  nature ,  dérobaient  sur 
<  leur  route  les  enfants  mâles  et  mettaient  en  place  leurs  filles ,  parce 
a  que  les  mâles  avaient  une  solde  dès  le  berceau  >.  » 

D'après  cet  échantillon  de  mœurs ,  nous  pouvons  juger  des  scènes 
qui  devaient  souvent  avoir  lieu  au  camp  des  Bohèmes.  On  voit  par  les 
lignes  précédentes  que  cette  réception  faite  au  baron  de  Polweiler ,  le 
i«r  et  2  novembre  par  les  Bisontins,  différait  très-sensiblement  de  la 
précédente.  On  affecte  à  son  égard  une  attitude  de  défiance  et  Ton  va 
jusqu'à  lui  couper  littéralement  les  vivres,  mais  la  suite  prouvera 
combien  on  avait  agi  avec  prudence.  L'insuccès  de  son  entreprise  lui 
enlevait  certainement  une  partie  de  son  prestige  et  inspirait  des  pro- 
cédés que  justifiaient  de  reste  les  habitudes  de  libre  échange  des  soldats 
bohèmes. 

Le  baron  de  Polweiler  n'était  pas  au  bout  de  ses  mésaventures  ;  le 
nerf  de  la  guerre  allait  bientôt  lui  manquer,  car  déjà  il  ne  pouvait  tirer 
de  sa  caisse  militaire  assez  d'argent  pour  donner  solde  entière  même 
aux  simples  lansquenets. 

Les  Flamands  surtout  (hommes  d'ordre  comme  on  sait) ,  qui  com- 
posaient une  partie  de  son  armée ,  éclataient  à  chaque  instant  en  propos 
séditieux.  Il  paraît  que  des  scènes  de  désordre  s'ensuivirent  et  retar- 
dèrent la  marche  de  l'armée  qui ,  d'après  Gollut  3,  ne  vint  camper  sous 
les  mars  de  Vesoul  que  le  15  novembre.  Nous  allons  assister  mainte- 

'  DoH  GRàPP»  ,  d*après  les  manoscrils  de  l'abbaye  de  Pavcrney. 
*  Ibidem.  —  *  Historien  bourguignon. 


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148  RETUE  D'ALSACE. 

nant  à  Tune  des  scènes  les  plus  étraDges ,  les  plus  bizarres  que  Ton 
puisse  imaginer.  L'armée^  en  pleine  rébellion  contre  ses  chefs,  voulait  à 
toute  force  escalader  les  remparts  de  la  ville  pour  la  saccager;  ils 
regardaient  cet  horrible  pillage ,  auquel  ils  étaient  sur  le  point  de  pro- 
céder,  comme  une  juste  indemnité  des  sommes  qui  leur  étaient  dues. 

Quelles  étaient  les  transes  et  les  cruelles  perplexités  des  habitants  de 
Yesoul  en  présence  d*h6tes  aussi  incommodes  que  ces  Bohèmes ,  tou- 
jours blasphémant  et  vociférant  dans  une  langue  étrangère  et  barbare, 
tout  le  monde  peut  le  comprendre. 

Mais  cette  scène  de  terreur  et  de  profonde  désolation  ne  sera  point 
de  longue  duré ,  car  les  habitants  n'ont  point  imploré  en  vain  la  divine 
providence. 

Une  pluie  diluvienne,  qui  semble  devoir,  en  quelques  heures,  épuiser 
les  cataractes  célestes,  fait  éclater  avec  fracas  une  éruption  torrentielle 
du  Frais-'Puits  >  ;  en  un  clin-d'ceil  la  plaine  est  inondée  et  bientôt  tout 
va  disparaître  sous  une  imposante  masse  d'eau.  A  la  vue  d*un  phéno- 
mène aussi  subit  qu'effrayant,  cette  soldatesque  inintelligente  reste 
frappée  de  stupeur  ;  mais  bientôt  ils  comprennent  le  miracle  y  évidente 
manifestation  de  la  colère  divine  contre  leurs  odieux  projets;  Yesoul  est 
sauvé.  Superstitieux  comme  ils  Tétaient,  les  Bohèmes  s'exagèrent  enc<>re 
la  portée  du  prodige  et  croient  que  les  habitants  de  Yesoul ,  maîtres  de 
ce  nouvel  Océan  peuvent ,  à  volonté  en  diriger  les  flots  vengeurs  sur 
leurs  ennemis.  Leur  terreur  insurmontable  fut  suivie  d'une  déroute 
complète,  car  leur  fuite  eut  lieu  avec  une  telle  précipitation  qu'ils  lais- 
sèrent sur  place  les  échelles ,  les  canons  c  et  voir  même ,  chose  incré- 
€  iihle  pour  les  Allemands ,  dit  Gollut,  par  une  mauvaise  plaisanterie , 

*  A  quatre  kilomètres  Sud-Ouest  de  Yesoul  on  rencontre  le  lit  d'un  torrent 
bien  tracé ,  bien  reconnaissable  et  dont  la  pente  est  peu  rapide.  Après  l'avoir 
parcouru  pendant  l'espace  de  100  mètres  on  voit,  à  l'origine  de  la  valtée  et  ao 
pied  des  rochers  qui  la  forment  «  un  creux  de  46  à  17  mètres  de  profondeur  et  de 
30  mètres  de  diamètre  2i  l'orifice.  Cet  abtme  est  ordinairement  à  sec  ,  mais  après 
<Ios  pluies  abondantes  il  vomit  tout-à-eoup  une  eau  bouillonnante  qui  surpasse 
ses  bords ,  se  répand  dans  le  lit  du  torrent  et  inonde  toute  la  vallée  ainsi  que  la 
prairie  de  Yesoul.  Ses  eaux  envahissent  en  même  temps  les  parties  basses  de  la 
ville  et  présentent  l'aspect  d'un  grand  fleuve  jusqu'à  la  Saône. 

Ce  phénomène  dure  trois  jours  et  peu  à  peu  les  eaux  se  retirent. 

{Annuaire  du  département  de  la  Haute-Saône,  par  Sochaux 
etBvCLMON,  182.^.) 


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EXPÉDITION  DU  BARON  NICOLAS  DE  POLWEll  ER,  ETC.  149 

c  les  bouteilles  et  voir  même  les  barils.  >  Suivant  une  autre  version , 
l'armée  de  Polweiler  serait  entrée  dans  Vesoul ,  y  aurait  fait  un  séjour 
d'une  semaine  et  aurait  levé  sur  les  habitants  une  contribution  de  150 
écus  d'or. 

La  relation  de  GoUut,  qui  était  contemporain  du  baron  de  Polweiler, 
nous  parait  mériter  la  préférence ,  d'autant  plus  qu*à  partir  de  cette 
retraite  précipitée  on  ne  retrouve  plus  la  moindre  trace  de  Famée  qui 
se  retira  probablement  dans  différentes  directions  pour  r^agner  l'Aile- 
magne. 

Les  habitants  de  Bourg  faillirent  payer  cruellement  la  manifestation 
de  leurs  sympathiques  tendances  pour  le  prince  Emmanuel-Philibert. 

Irrité  au  dernier  degré  de  leur  participation  aux  tentatives  du  duc  de 
Savoie  contre  la  Bresse ,  Henri  II  expédia  au  duc  d'Aumale  des  ordres 
formels  en  vertu  desquels  la  ville  de  Bourg  devait  être  détruite. 

La  population  éplorée  obtint  de  ce  prince ,  à  force  de  supplications , 
rajournement  de  cette  terrible  exécution  jusqii'au  retour  des  députés 
qu'elle  se  proposait  d'envoyer  au  Roi  pour  implorer  son  pardon. 

La  bourgeoisie  .et  le  corps  de  la  noblesse  confièrent  à  H.  de  Feilleux 
la  mission,  du  succès  de  laquelle  allait  dépendre  l'existence  et  le 
bonheur  de  la  cité  bressanne. 

Cédant  à  d'aussi  pressantes  et  chaleureuses  sollicitations ,  Henri  II 
révoqua  les  ordres  dont  le  duc  d'Aumale  devait  se  rendre  l'exécuteur 
et  accorda  ,  en  même  temps,  des  lettres  de  pardon  général.  Bientôt  le 
mariage  du  duc  Emmanuel-Philibert  avec  Marguerite  de  France ,  soeur 
de  Henri  U ,  vint  inaugurer  une  nouvelle  alliance  des  Maisons  de  France 
et  de  Savoie. 

Nous  croyons  devoir  compléter  notre  travail  en  relatant  tous  les 
détails  biographiques  que  nous  sommes  parvenu  à  réunir ,  concernant 
le  baron  Nicolas  de  Polweiler. 

D'après  une  ancienne  tradition  de  la  famille ,  les  BoUweiler  descen- 
daient de  souche  royale,  car  ils  comptaient  au  nombre  de  leurs  ancêtres 
le  père  de  S*  Appolla  qui,  lui-même,  au  iv«  siècle,  aurait  été  Roi 
d'Alsace. 

Que  cette  tradition  soit  réellement  historique  ou  qu'elle  ne  fasse 
qu'appartenir  à  l'antique  domaine  de  la  poésie  légendaire,  elle  ne  sau- 
rait jamais  déparer  le  berceau  de  BoUweiler.  Nous  allons  citer  le  texte 
de  Schœpflin  :  «  Yeius  Bollwilanorum  traditio  origifiem  eorum  à 
«  S^  Appolla  paire  quem  mcuIo  IV.  Begem  Alsatiœ  constitiUt  dérivât.  » 


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150  REVUE  D' ALSACE. 

On  trouvera,  du  reste,  dans  Schœpflin  une  généalogie  assez  complète 
quMl  est  inutile  de  relater  ici.  Le  baron  Nicolas  de  Polweiler  était  fils 
de  Jean  de  BcUweiler  et  de  Marguerile  de  Schauenbourg,  dont  la  famille 
occupe  aujourd'hui  encore  un  rang  distingué. 

Selon  les  époques ,  le  nom  des  Bollweiler  a  subi  les  variations  sui- 
vantes: Bollunwiler,  Bollwilr,  Bollwil  et  Polweiler.  C'est  sous  cette 
dernière  variante  qu'est  désigné  le  baron  dont  nous  parlons. 

Malheureusement  les  documents  biographiques  épars  ,  que  nous  ne 
sommes  parvenu  à  réunir  qu'avec  peine  du  reste,  sont  trop  insuffisants 
pour  pouvoir  retracer ,  avec  tout  l'intérêt  réel  qu^elle  comporterait , 
Tune  de  ces  grandes  et  aventureuses  existences  du  xvi*  siècle  qui 
semblent  souvent  appartenir  autant  au  roman  qu'à  l'histoire. 

En  1549  le  baron  Nicolas  de  Polweiler,  qui  dès  son  début  paraissait 
jouir  de  la  faveur  toute  particulière  de  l'empereur  Ferdinand  I*',  rem- 
plissait la  charge  de  gouverneur  d'Inspruck ,  puis  de  Constance ,  ville 
dont  la  soumission  était  toute  récente. 

t55i.  Ce  même  empereur,  roi  des  Romains,  accorde  au  baron  de 
Polweiler  l'autorisation  d'acquérir,  par  voie  de  rachat,  la  seigneurie  de 
Ville  qu'occupait  alors  Schaubert,  assesseur  de  la  régence  d'Inspruck. 

i554.  Ferdinand  P'  promet  au  baron  la  jouissance  de  la  seigneurie 
deMassevaux;  cette  promesse  ne  fut  toutefois  réalisée  qu'en  155^7, 
après  la  mort  de  Christophe  de  Massevaux ,  décédé  sans  postérité. 

1555.  L'empereur  honore  le  baron  d'une  nouvelle  marque  de  con- 
fiance en  le  nommant  Sous-Grand-Baiili  de  Haguenau.  Peu  favorable 
aux  idées  de  Luther ,  il  fait  tous  ses  efforts  pour  combattre,  dans  cette 
localité,  les  progrès  de  la  Réforme. 

1560.  La  seigneurie  de  Florimont  est  engagée  au  baron  par  Ferdi- 
nand I*',  moyennant  la  somme  de  9077  florins.  Le  château  d'Altorf  et 
les  villages  de  Medoisheim ,  Heimsbrunn  et  Flachsiand  lui  furent  égale- 
ment attribués. 

Toutes  ces  possessions  lui  étaient  échues,  soit  à  titre  de  fiefs  ,  soit 
par  engagement ,  soit  par  rachat  et  l'on  voit  que  le  nombre  en  était 
grand  et  que  le  baron  de  Polweiler  ne  négligeait  rien  pour  augmenter 
la  prospérité  de  sa  famille. 

La  même  année  le  sénat  de  Strasbourg  ayant  autorisé  les  protestants 
à  s'emparer  de  l'église  de  Saint-Pierre-le-Vieux  ,  Tévéque  Erasme  ne 
voulut  point  tolérer  ce  qu'il  regardait  comme  une  violation  de  ses  droits 
et  adressa  ses  plaintes  à  la  cour  d'Autriche  à  ce  sujet. 


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EXPÉDITION  DU  BARON  NICOLAS  DE  POLWEILER  ,  ETC.  151 

L'empereur  nomma  des  commissaires  en  léte  desquels  figurait  le 
baron  de  Polweiler ,  sous-grand-bailli  de  Haguenau  ,  avec  le  chancelier 
Jean  Fabry  et  Jean-Bernard  Reunnelin ,  docteur  en  droit ,  pour  asses- 
seurs. 

C'était  au  moment  où  le  sénat  venait  de  conclure  une  alliance  avec  les 
princes  protestants  *,  aussi  les  réclamations  de  Tévèque  ne  furent  point 
admises  et  Ton  n'eut  aucun  égard  pour  les  remontrances  des  commis- 
saires. Bien  plus,  le  sénat  autorisa  de  nouveau  les  ministres  du  culte 
luthérien  à  célébrer  le  service  divin  ^  non  seulement  dans  la  cathédrale 
mais  encore  dans  l'église  de  Saint-Pierre-le-Jeune  i . 

Selon  toute  probabilité,  c'est  à  Strasbourg  que  le  baron  de  Polweiler 
se  trouva  pour  la  première  fois  en  rapport  avec  Granveile  qui ,  à  cette 
époque  (1547),  avait  été  chargé,  par  l'empereur  Charles-Quint,  d'une 
mission  de  confiance^  au  sujet  des  questions  religieuses  que  la  Réforme 
venait  de  soulever  dans  toute  l'Allemagne. 

GraAvelle  ^  fils  du  premier  ministre  de  Charles-Quint,  n'était  encore 
qu'évéque  d'Ârras  à  cette  époque  ;  on  l'avait  envoyé  à  Strasbourg  pour 
voir  quelles  étaient  les  dispositions  de  cette  ville  au  sujet  de  la  Réforme. 
Plusieurs  conférences  eurent  lieu  à  cet  effet  entre  Granveile  ,  Jacques 
Sturm  et  les  autres  députés  qui  se  rendirent  à  Ulm ,  près  de  l'empereur, 
pour  la  discussion  des  affaires  religieuses. 

Quoiqu'il  en  soit ,  Granveile ,  devenu  plus  tard  cardinal ,  conserva 
toujours  des  relations  d'amitié  avec  le  baron  de  Polweiler  dont  les  en- 
fants furent  même  placés  à  Dôle  par  ses  soins.  C'est  dans  cette  ville  et 
presque  sous  les  yeux  du  cardinal  qu'ils  reçurent  leur  éducation ,  car  le 
cardinal  séjournait  tantôt  à  Dôle  tantôt  à  Besançon  où  il  possédait  un 
vaste  palais.  Il  avait  donc  été  facile  de  retenir  comme  otages  deux  fils 
de  Polweiler  pendant  le  passage  de  ses  troupes  à  Besançon. 

Polweiler  était  en  correspondance  suivie  avec  le  cardinal;  malheu- 
reusement nous  n'avons  pu  citer  qu'un  seul  spécimen  de  ce  style  épis- 
tolaire  de  l'époque.  Cependant  il  est  probable  que  dans  les  papiers  du 
cardinal  Granveile,  conservés  aux  archives  de  Besançon ,  on  retrou- 


•  Lagiiixe  ,  Histoire  d'Alsace. 

*  Anloine  Perrenol  de  Granveile  étaii  (Ils  de  Nicolas  Peirenoi  ;  né  à  Ornans 
près  Besançon  ,  dans  Tatetier  d'un  maréchdl-ftTrani ,  il  s'éleva  .  par  son  seul 
génie ,  à  rémineute  position  de  premier  Ministre  de.  Gharlt'S-Quiiil. 

(ROUGEBICFF ,  Histoire  de  la  Franche-Comté.) 


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153  REVUE  D* ALSACE. 

verait  un  certain  nombre  de  ces  lettres  du  baron  de  Poiweiler.  En  tout 
cas  le  baron  de  Polweiler ,  qui  était  en  estime  tant  auprès  du  roi  d'Es- 
pagne qu*à  la  cour  de  l'empereur  Ferdinand  P',  ne  devait  point  être 
un  personnage  vulgaire.  Sa  liaison  avec  le  cardinal  Granvelle  prouverait, 
plus  encore  que  les  faveurs  royales ,  son  mérite  personnel,  car  il  fallait 
assurément  posséder  des  qualités  supérieures  pour  être  l'ami  et  surtout 
le  confident  de  ce  grand  homme. 

En  1561  ,  l'empereur  Ferdinand  P',  pour  couronner  dignement  la 
carrière  du  baron  de  Polweiler ,  lui  confie  l'un  des  postes  les  plus 
élevés  de  l'empire ,  la  Préfecture  d'Alsace ,  charge  souvent  enviée  et 
occupée  par  des  princes. 

Les  Electeurs  Palatins  avaient  longtemps  joui  de  cette  magistrature 
privilégiée,  mais  en  1558  le  prix  de  rengagement  leur  fut  remis  par 
l'empereur  Ferdinand  I*'. 

Il  parait  que  le  baron  de  Polweiler  a  dû  remplir  ces  importantes 
fonctions  *  jusqu'en  1588 ,  époque  de  sa  mort  qui  eut  lieu  le  8  mars. 
Il  avait  épousé  une  comtesse  de  Lichtenstein  de  laquelle  il  eut  deux 
enfants  y  Constantin  qui  mourut  président  de  l'ordre  de  la  noblesse  et 
Rodolphe ,  qui,  après  après  avoir  été  maréchal  de  l'archiduc  Ferdinand, 
devint  possesseur  du  château  du  Haut-Kœnigsbourg  et  du  domaine  qui 
en  dépendait. 

II  maria  sa  fille  Marguerite  au  comte  Ernest  de  Fugger  ^.  En  lui 
s'éteignit  le  nom  de  Bollweiler  en  1616. 

Jules-Frédéric  Putuod,  docteur  en 


'  Nous  pensons  devoir  rappeler  que  le  baron  Nicolas  de  Polweiler  avait  eu  pour 
prédécesseur,  comme  Advocatus  Alsatiœ ,  Théobald  Waldner  de  Freandenstein. 
Nous  remarquerons  à  ce  sujet  que  de  toutes  les  familles  de  la  vieille  noblesse 
alsacienne ,  dont  les  membres  ont  occupé  cette  éminente  position ,  il  n*en  reste 
plus  que  trois  qui  comptent  encore  des  descendants  dans  notre  province  : 

1  •  La  famille  du  conne  Waldner  de  Fre undenstcin ,  général  de  division  et 
sénateur  ; 

3*  La  famille  du  baron  de  Wangen  (1513  Fréd.  de  Wangen)  ; 

3o  La  famille  du  baron  de  Berckheim ,  membre  du  Conseil  général  du  Haut- 
Rhin  ,  colonel  de  rartillerie  à  cheval  de  la  garde  impériale. 

*  En  1274 ,  après  Peitinction  des  ducs  d'Alsace ,  le  noble  Gunon  de  Berckheim 
commença  ,  avec  Conrad  Werner  de  Hadstatt ,  la  nouvelle  série  des  préfets  d'Al- 
sace {Advocati  provinciales).  Cuncn  de  Berckheim  occcupaît  lô  château  du  Haut- 


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EXPtomON  PU  BARON  NICOLAS  DE  POLWEILER  ,  ETC.  153 

Kœnigsboorg  à  propos  daquel  nous  donnons  un  extrait  des  œaTres  historiques 
inédites  de  Grsndidier  que  M  Liblin  a  bien  voulu  nous  communiquer  avec  son 
obligeance  accoutumée. 

«  On  ne  sait  comment  ce  château ,  le  Haut-Kœnigsbonrg ,  devint  la  propriété 
«  des  ducs  de  Lorraine.  Ceux-d  l'accordèrent ,  l'un  et  l'autre  (le  cbftteau  et  S^ 
«  Hipolyie) ,  en  fief  au  comte  de  Werd ,  landgrave  de  la  Basse-Alsace.  Henri , 
«  comte  de  Werd,  mourut  en  138...,  ne  laissant  qu*un  fils  posthume  nommé 
«  Henri  Sigebert. 

«  Mathieu  II ,  duc  de  Lorraine ,  retira  alors  à  lui  le  fief  et  le  conserva  Jusqu'en 
»  i^SSO  qu'il  en  investit  le  noble  Gunon  de  Berckbeim.  (L'original  est  dans  hi 
•  Chambre  des  comptes  de  Nancy.)  Celui-ci ,  par  lettres  données  le  29  juillet  de 
«  la  même  année  »  reconnaît  avoir  reçu  en  fief ,  lui  et  Louis ,  son  fils ,  du  duc 
•»  Mathieu  le  château  d'Estupbin ,  avec  Saintp-Hippolyte  en  Ensheim  qui  en  dépen- 
«  daient ,  sous  la  clause  qu'il  n'en  Jouirait  que  Jusqu'à  la  majorité  du  comte  Henri 
«  Sigebert ,  ou  à  sa  mort  sans  enfints  ,  recevant  alors  une  somme  de  deux  cents 
«  marcs  d'argent  en  forme  d'indemnité.  » 


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RÉPONSE 

A  M.  L'ABBÉ  HANAUER, 


Je  n'ai  jamais  douté  des  ressources  d'esprit  que  parait  posséder 
M.  l'abbé  Hanauer ,  ni  de  la  haute  opinion ,  qu'à  fort  juste  titre  assu- 
rément ,  il  a  de  sa  personne.  J'aurais  donc  appris  avec  une  extrême 
surprise ,  qu'il  ait  pu  attendre,  avec  quelque  crainte,  un  travail  critique 
quoiqu'il  fut ,  et  à  plus  forte  raison  le  mien.  Mais  j'avoue  que  la  réponse 
qu'il  m'a  adressée,  dans  les  trois  lettres  qu'il  suppose  m'avoir  écrites,  a 
dépassé  tout  ce  que  j'étais  disposé  à  pressentir  de  son  savoir-faire.  Elles 
m'apprennent  en  effet  que  sur  le  chef  fondamenlal  de  la  discussion  , 
LA  SOUVERAINETÉ  DE  LA  COLONGE ,  il  aurait  toujours  été  parfaitement 
d'accord  avec  M.  Zsepfl,  et  son  très-humble  critique.  Ce  sont  là 
de  ces  évasions  mentales,  de  ces  souplesses  de  dialectique,  de  ces 
volte-faces  inattendues  ,  qui  confondent  ceux  qui  sont  habitués  à  des 
procédés  de  discussion  plus  réguliers  et  plus  sérieux.  Aussi  fort  peu 
porté  à  engager  avec  l'auteur  un  commerce  épistolaire  et  à  prolonger  uae 
discussion  sans  issue  dans  de  pareilles  conditions ,  vais-jc  me  borner  à 
rétablir ,  par  quelques  rapides  observations ,  la  vérité  sur  le  débat  qui 
s'est  engagé  entre  nous. 

J'ai  d'abord  à  dégager  ma  personnalité.  —  Ce  n'est  certes  pas  pour  mon 
plaisir  que  j'ai  scrupuleusement  lu  et  relu  les  deux  volumes  desquels 
j'ai  rendu  compte;  ce  n'est  pas  davantage  pour  mon  agrément  que  je  me 
suis  décidé  à  les  analyser  et  à  en  discuter  les  propositions  principales. 
Je  spis  à  quoi  s'expose  tout  critique  qui  se  permet  d'élever  la  voix 
contre  certaines  doctrines ,  professées  par  une  certaine  classe  de  lettrés. 
Je  n'ai  pas  obéi  davantage  au  désir  d'émettre  mon  opinion  personnelle 
sur  les  colonges.  Si  j'avais  jamais  pu  avoir  l'idée  d'écrire  un  livre  sur 
cette  matière,  l'apparition  successive  des  traités  publiés  par  MM.  Burck- 
bard  et  Zœpfl ,  m'y  eut  fait  renoncer.  Ils  résument, à  mon  avis,  d'une 
manière  si  complète  et  si  précise,  tout  ce  que  nos  documents  provin- 
ciaux nous  ont  appris  sur  ces  institutions  du  temps  passé,  que  reprendre 
le  même  sujet  m'eut  paru  s'exposer  de  gatté  de  cœur  à  un  fastidieux 


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RÉPONSE  A  M.  l'abbé  HANAUER.  155 

plagiat,  ou  à  la  périlleuse  tentation  du  paradoxe.  Je  crois  qu'où 
me  rendra  la  justice  que ,  dans  toute  cette  discussion ,  je  n'ai  été 
que  le  fidèle  rapporteur  de  l'enseignement  universel,  et  que,  dans  aucune 
partie  de  mon  travail,  je  ne  me  suis  targué  d'une  autorité  personnelle, 
à  laquelle  je  n'ai  jamais  eu  l'immodestie  de  prétendre.  —  Mon  interven- 
tion m'a  été  dictée  par  le  double  devoir  de  maintenir  l'autorité  d'un 
maître  à  la  mémoire  duquel  tout  jurisconsulte  alsacien  porte  un  profond 
et  pieux  respect ,  et  de  défendre  la  tradition  invariable  attestée  depuis 
des  siècles,  par  nos  grands  corps  judiciaires  provinciaux .  —  NoVire  auteur, 
qui  a  pourtant  toutes  les  qualités  personnelles  pour  être  un  producteur 
ùriginal ,  aime  à  bourdonner  autour  des  œuvres  d'autrui  3  ef ,  dans  son 
humeur  aggressive,  après  trois  ou  quatre  campagnes  qui  se  sontévanouies 
dans  le  silence ,  il  s'est  arrogé  la  mission  de  réviser  les  savantes  et 
mémorables  dissertations  publiées,  en  i826  et  1832,  par  feu  M.  Raspieler 
à  l'occasion  du  procès  lié  entre  la  ville  de  Strasbourg  et  les  communes 
de  Barr,  etc.  Encore  ne  s'arréte-t-il  pas  même  à  cette  tâche  qui  asinonce 
déjà  un  grand  courage;  H  attaque  les  décisions  judiciaires  elles-mêmes 
et  il  ose  alîer  jusqu'à  dire  :  a  II  ne  s  agit  pas  ici  d'un  procès  auquel  un 
«  arrA ,  emporté  par  surprise  ,  puisse  donner  la  force  de  chose 
€  jugée  f..,^  i>  Notre  docteur  se  plaint  lonque  je  le  représente  comme 
sMsolant  volontairement  dans  une  ignorance  absolue  des  choses  d'ici 
bas  !  et  cependant  quelle  autre  excuse  puis-je  imaginer  pour  une  aussi 
inqualifiable  incartade  f  quelle  idée  se  fait-il  donc  d'une  instruction 
judiciaire?  Saî^il  qu'aucune  pièce  ne  peut  être  produite* sans  avoir  subi 
le  contrôle  de  l'adversaire  ?  Sait-il  qu'aucune  parole  n'est  prononcée , 
sans  qu'un  contradicteur  la  pèse  et  la  discute  ?  —  A-t-il  lu  ,  pour  n'eu 
pas  citer  d'autres ,  les  deux  arrêts  du  17  décembre  1836  et  du  i^  avril 
1846,  dans  les  motifs  desquels  se  retrouve  l'exposé  complet  de 
notre  ancien  droit  provincial?  S'il  les  a  lus^  comment  a-t^il  pu  sup- 
poser qu'une  aussi  savante  exposition ,  précédée  d'une  instruction  volu- 
mineuse ,  ait  pu  être  le  résultat  d'une  surprise  ?  —  Mais  de  pareils  écarts 
ne  méritent  pas  de  plus  longs  redressements  !  —  Quand  M.  Hanauer 
s'est  attaqué  aux  traités  de  M.  Raspieler,  il  ne  se  doutait  pas  même 
de  la  date  de  leur  apparition ,  ni  de  la  légitime  autorité  qui  entoure  la 
mémoire  de  ce  grand  jurisconsulte.  —  Il  supposait  qu'ils  venaient  de 
paraître  il  y  a  peu  d'années ,  et  qu'ils  étaient  l'œuvre  d'un  avocat 

'  Revue  catholique ,  février  186S  ,  p.  69.  --  Lettre  ,  édilioD  spéciale,  p.  ^. 


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156  REVUE  d' ALSACE. 

vivant  encore  ^  La  méprise  était  forte  de  la  part  d'ua  écrivain  qui  ne  laisse 
pas  échapper  une  occasion  d*exalter  l'étendue  de  ses  recherches  !  Un 
carton,  subtilement  intercalé  dans  le  tirage  d'ensemble,  la  fit  disparaître 
en  reportant  à  une  SO"*  (tannées  l'apparition  des  mémoires.  Hais  cette 
certitude  d'origine  ne  rendit  pas  notre  auteur  plus  réservé  ni  plus  mo- 
deste dans  sa  réponse  au  défi  que  ce  jurisconsulte  ^  savant  et  estimé  de 
toute  FAllemagne^  adressait  à  ses  adversaires  de  citer  sous  la  première 
et  la  seconde  race ,  ainsi  que  sous  les  Empereurs  franconiens  et  saxons  « 
<f  l'exemple  d'une  seule  commune ,  c'est-à-dire ,  de  cette  PERSoimE 
a  MORALE  formée  par  l'association  des  personnes  corporelles  des  habi- 
«  lants  d'un  même  lieu^  pour  la  jouissance  en  communauté  de  certains 
d  droits  profitables  aux  membres  individuels  de  l'association.  >  M.  Ha- 
nauer  répond  avec  cette  aisance  qui  lui  est  particulière  c  qu'il  lui  sera 
«  facile  de  ciler  non  pas  une ,  non  pas  100 ,  mais  200 ,  mais  300 
«  exemples  de  communes  antérieures  au  xii«  siècle  ;  >  et  dans  sa  nou- 
velle note ,  il  daigne  enfin  concéder  que  l'auteur  (H.  Raspieler)  cannait 
nos  antiquités  nationales,  mais  quV  n'a  pas  saisi  toute  la  portée  des 
anciennes  constitutions  cokngères  f  ^  Cette  observation  prouve  que 
notre  auteur  n'a  pas  même  encore  aujourd'hui  découvert  le  second 
mémoire  publié  en  1832  et  dans  lequel  notre  savant  maître  revient 
sur  les  origines  communales ,  et  notamment  sur  les  colouges,  — 
M.  Hanauer  s'est  donc  attaqué  étourdiment  à  une  œuvre  dont  il  ne 
s'est  pas  même  donné  la  peine  de  connaître  l'ensemble,  et  plus 
étourdiment  encore  à  des  décisions  judiciaires ,  rendues  après  une 
instruction  contradictoire ,  longue  et  solennelle ,  dont  elles  portent  en 
elles-mêmes  la  preuve  et  les  éléments  !  En  voilà  assez  sur  ce  chapitre  ; 
mes  lecteurs  comprendront  pourquoi  j'ai  dû  accepter  ce  débat ,  et  je 
suis  convaincu  qu'ils  me  rendront  tous  la  justice  que  je  l'ai  soutenu 
dans  la  légitime  mesure  de  mon  droit  et  de  mon  devoir. 

Je  passerai  rapidement  sur  ce  que  M.  Hanauer  lui-même  appelle  les 
Préliminaires. 

Il  suffit,  à  mon  avis  ,  de  lire  seulement  superficiellement,  les  deux 
volumes  de  sa  production ,  pour  se  convaincre  que  leur  but  général 
est  une  apothéose  absolue  du  moyen-àge  et  un  dénigrement  systéntia- 

'  Revue  catholique,  mars  1865,  p.  104.  Voy.  aussi  la  caricuse  note  également 
supprimée  (^aos  le  carton. 
•  Paysans,  p.  42.  —  *  Paysans  ,  ibid. 


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RÉPONSE  A  M.  l'abbé  HANAUER.  157 

tique  des  temps  modernes.  Au  surplus  j'ai  peu  insisté  sur  cette  tona- 
lité et  ce  n*est  guère  que  sur  des  questions  de  détail  que  j'ai  fait 
ressortir  ce  que  le  parallèle  offre'  quelquefois  d'outré  sous  la  plume 
de  notre  auteur.  Cette  impression  a  été  partagée  par  tous  ceux  qui  ont  lu 
le  livre  et  elle  a  Hé  exprimée  par  les  deux  judicieux  critiques  qui,  avant 
moi ,  en  ont  publié  des  comptes-rendus.  La  reprise  de  cette  question  par 
M.  Hanauer,  dans  sa  première  épitre ,  m'a  révélé  de  sa  part  un  degré 
d'habileté  dont  je  ne  m'étais  pas  d'abord  aperçu.  Je  savais  bien  que 

souvent  un  beau  désordre  est  un  effet  de  l'art  ; 
mais  le  désordre  qui  règne  dans  la  distribution  de  ses  matériaux  ne 
m'avait  pas  assez  frappé  par  sa  beauté,  pourm'inspirer  le  soupçon  qu'il 
pourrait  dissimuler  une  arrière-pensée  esthétique  ;  ce  n'est  que  depuis  que 
j'ai  lu  sa  réponse,  que  je  découvre  que  cet  encombrement  pourrait  fort 
bien  avoir  été  ménagé  tout  exprès  pour  cacher  des  pièces  de  rechange, 
destinées,  en  cas  de  mésaventure^  à  remplacer  les  maîtresses  pièces. 
Je  me  borne  à  constater  que,  Sans  un  coin  de  sa  Pré/ac^ ,  Tauteur 
daigne  reconnaître  que  son  apologie  des  temps  anciens  est  purement 
platonique. 

Je  passe  au  Préliminaire  qui  a  le  plus  contribué  à  aigrir  fort 
inutilement  la  discussion ,  et  sur  lequel  j'eusse  trouvé  de  bon  goût 
de  ne  pas  revenir.  Je  veux  parler  des  tirades,  aussi  ridicules  que 
déplacées ,  que  l'auteur  n'a  cessé  de  prodiguer  aux  jurisconsultes 
de  tous  les  temps.  Ces  sorties  (je  ne  conçois  pas  qu'il  ne  le  sente  !)  étaient 
d'autant  plus  irritantes,  que,  de  son  propre  aveu,  sa  campagne  n'avait 
été  entreprise  que  contre  l'œuvre  d'un  de  nos  plus  respectables  maîtres. 
Aujourd'hui  je  vois,  avec  peine  ,  qu'au  lieu  de  laisser  cette  partie  du 
débat  dans  l'ombre ,  mon  contradicteur  cherche  indirectement  à  nier  la 
gravité  de  ses  attaques  II  n'avait  parlé,  dit-il,  que  dts  travaux  sérieux, 
secs  et  scolastiques  des  jurisconsultes  S  et  quel  mal  y  a-tH  à  cela  ?... 
Qu'un  lecteur  inattenlif  laisse  passer  sans  les  lire  une  ou  plusieurs  pages 
d'un  livre ,  cela  se  voit  et  se  comprend  ;  mais,  qu'un  auteur  ignore 
ou  fasse  semblant  d'ignorer  ce  qu'il  a  écrit ,  cela  se  comprend  plus  péni- 
blement !  —  Je  ne  veux  pas  revenir  sur  tous  les  passages  où  l'auteur 
exhale ,  dans  des  termes  souverainement  condamnables,  son  antipathie 
pour  les  légistes.  Je  ne  lui  en  rappellerai  qu'un  ^  :  <  Cette  clause  si 

•  Lettre  î ,  p.  57. 

*  CorutiiuUons ,  p.  108. 


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i58  REVUE  D'ALSACE. 

€  absolue ,  écrit-il ,  g^na  plus  tard  les  agents  de  la  seigneurie  :  ils  s'en 
«  tirèrent  comme  les  légistes  de  tous  les  siècles ,  par  des  gloses  et  des  corn- 
«  meniaires.  »  Un  jeune  auteur  qui  traite  avec  un  aussi  injurieux  dédain 
un  ordre  de  savants  qui  a  donné  à  riiistoire ,  des  génies  comme  Mon- 
tesquieu, Ducange,  Sa  vigny^  et  tant  d'autres,  peut-il  prétendre  ins- 
pirer une  haute  opinion  de  son  jugement  et   de   son  instruction? 
Mais  posons  un  exemple  :  Je  suppose  qu'un  écrivain  soit  assez  haineux , 
assez  léger  ou  assez  ami  du  scandale  pour  écrire  une  phrase  comme 
celle-ci  :  c  II  s'en  tirèrent  comme  les  prêtres  de  tous  les  temps ,  par  des 
€  gloses  et  des  commentaires.  »  Quel  est  l'ecclésiatique ,  un  peu  soucieux 
de  la  dignité  de  sa  conscience ,  qui  ne  se  soulèverait  légitimement  contre 
une  aussi  blessante  invective  ?  —  L'auteur  a  donc  élé>  mal  inspiré  en 
revenant  sur  ce  disgracieux  détail  ;  j'ajouterai  même  qu'il  a  été  peu  loyal 
de  sa  part  de  chercher  à  dissimuler  la  violence  de  l'aggression,  dans  ie 
but  d'incriminer  la  vivacité  de  la  défense ,  et  d'intervertir  ainsi  à  son 
profit  les  rôles  d'offenseur  et  d'offensé.  Quand  on  a  la  prétention  d'être 
un  écrivain ,  il  faut  savoir  ou  peser  ses  mots  ou  en  subir  la  responsabilité. 
J'arrive  enfin   au   troisième  préliminaire  :    il   concerne    l'utilité 
comparative  des  pièces  conservés  aux  archives,  et  des  documents 
acquis  depuis  des  siècles  à  Phistoire.  Je  n'éprouve  aucun  besoin  de 
revenir  sur  les  observations  générales  que  je  me  suis  permises  à  cet 
égard.  Mais  je  m'applaudis  d'avoir  procuré  à  H.  Hanauer  l'occasion  , 
qui  ne  lui  est  jamais  désagréable ,  de  vanter  ses  gigantesques  travaux , 
et  de  célébrer  son  incommensurable  érudition.  Jamais  il  n'en  a  plus 
profité  que  dans  ses  Lettres  :  le  moyen  de  discuter  avec  un  homme  qui 
a  dépouillé  plus  de  <ic  trois  cent  mille  documents  manuscrits  pour  se 
c  renseigner  sur  le  milieu  social ,  sur  les  destinées  de  rorganisation 
tf  colongère  ^  En  tombant  sur  cet  énorme  chiffre ,  mes  yeux  ont  été 
frappés  d'éblouissement  !  il  doit  y  avoir  là  une  faute  d'impression  I 
Mais  pourtant  l'auteur  a  pris  la  précaution  d'exprimer  le  nombre  en 
toutes  lettres...  trois  cent  mille  documents ,  à  raison  de  dix  par  jour , 
représenteraient  un  travail  de  près  de  80  ans!  —  Que  nous  parle-t-on 
encore  de  Pic  de  la  Mirandole,  et  d'autres  prodiges  !...  Combien  notre 
savant  laisse  loin  derrière  lui  nos  Schœpflin  ,  nos  Schilter ,  et  cet  illustre 
Grandidier  qui  à  la  fm  des  16  années  de  sa  savante  et  lumineuse  car- 
rière, n'avait  recueilli  qu'un  dépouillement  de  huit  cents,  à  mille  titres  ! . . . 

*  Revue  catholique ,  p.  59.  Ed.  spéc.  p.  il. 


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RÉPONSE  A  M.  l'abbé  HANAUER.  159 

Aussi ,  et  je  m'en  doute ,  notre  nouvel  auteur  s'est  bien  gardé  d'un 
dépouillement  et  il  s'en  est  tenu  à  la  superficie. 

Pour  achever  d'élaguer  tous  ces  hors-d'œuvre ,  il  ne  me  reste  qu'à 
me  laver  d'un  reproche ,  celui  d'avoir  altéré  des  textes  >.  Le  reproche 
est  grave  :  mais,  à  l'exemple  de  mon  contradicteur,  je  veux  comprimer 
Yemportement,  pour  m'en  tenir  à  ma  seule  justification.  Je  me  bornedonc 
à  transcrire  les  articles  de  la  colonge  de  Bielbencken  ,  que  M.  Hanauer 
affirme  ne  pas  exister  K 

6.  Gerichtsbarkeit  des  Yogies.  (Juridiction  de  l'avoué). 

15.  Hofgerichtsbarkeit,  (Juridiction  colongëre ,  art.  24 ,  du  texte  de 
M.  Burckardt).  Item  was  Spen  umb  Dinkhofgûter  beschehent  das  sol 
man  vor  den  Hubern  and  sunst  ninan  anderswo  usstragen,  wer  es  auch 
das  Jemanz  Pfender  neme  von  Hofgûtern ,  der  sol  auch  solches  berich- 
tigen  in  mossen  an  den  Enden  obgemelt.  Wer  solichs  nit  fête  oder 
ûberfûre ,  des  Lib  und  Gut  stat  in  des  Probsts  und  Vogts  Gewalt. 

17.  Blutgerichlsbarckeiî.  (Juridiction  de  grand  criminel ,  art.  26 , 
texte  Burckart).  Item  so  der  Probst  und  Vogt  zu  Gericht  sizent  oder 
ire  Ambtlût ,  und  ist  es  daz  es  kombt  an  die  Gericht  des  Bluts,  ^o  sol  der 
Probst  ufston  und  dem  Yogt  gebieten  daz  er  recht  gericht  halte. 

Voilà  donc  les  textes  que,  malgré  sa  vaste  érudition ,  M.  Hanauer 
a  déclaré  ne  pas  eanster.  Ils  prouvent  jusqu'à  la  dernière  évidence , 
qu'autre  chose  é^ait  le  tribunal  colonger,  et  autre  chose  la  haute 
justice  ou  la  juridiction  souveraine. 

Je  ne  relèverai  pas  les  minutieux  dénombrements  que  mon  critique 
épistolaire  a  faits  des  virgules  qui  manquent,  des  italiques  intempestives, 
de  coquilles  commises  dans  certains  renvois  où  un  chiffre  est  employé 
pour  un  autre  (13  pour  15 ,  par  exemple)  ,'etc.,  etc.  —  Qu'il  me  permette 
de  le  lui  dire ,  de  pareilles  vétilles  ressemblent  plutôt  à  la  correction  du 
devoir  ou  du  pensum  d'un  élève ,  qu'à  une  discussion  un  peu  soucieuse 
de  sa  dignité.  —  Laissons  donc  toutes  ces  minuties  et  abordons  direc- 
tement la  question  fondamentale,  la  seule  qui  mérite  encore  quelques 
observations. 

Arrivé  à  ce  point  de  ma  courte  réponse ,  je  reçois  de  M.  Hanauer 
Ihommage  du  tirage  de  ses  trois  lettres  ;  il  daigne  y  inscrire  la  belle 

'  Revue  cath. ,  p.  72.  Ed.  spéc.  p.  24. 

*  Reehttquellen  von  Ba$el  Stadt  und  Land ,  n  ,  p.  7.  C*est  l*ouvnige  cité  en  note 
ta  bas  de  mon  texte. 


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160  REVUE  D'aLSACE. 

maxime  :  In  dubiis  libertas,  in  omnibus  caritas  tt  J'y  ai  toujours  adhéré 
du  fond  de  l'âme  ;  j'ai  cherché  à  la  pratiquer  pendant  toute  ma  vie ,  et 
je  crois  dès.-lors  avoir  le  droit  d'exprimer  le  regret  que  mon  contradicteur 
en  n'y  pensant  à  huis  clos,  qu'à  la  fin  de  sa  polémique,  m'ait  imposé  la 
nécessité  de  suivre  en  ceci  son  exemple.  Il  est  certain  qu'il  eut  pu  écrire 
plusieurs  volumes  sur  la  colonge  ,  sans  éveiller  aucune  susceptibilité , 
sans  froisser  aucune  convenance  ;  et  nous  aurions  pu  disserter,  à  notre 
aise ,  sur  le  pour  et  le  contre  en  ne  nous  exposant  à  d'autres  vivacités 
que  celles  qui  résultent,  avec  plus  ou  moins  de  chaleur,  du  choc  de 
convictions  contraires. 

Hais  qu'ai-je  encore  à  parler  Je  convictions  contraires  !....  Au  fond 
nous  sommes  d'accord!  La  paix  est  touto  faite!...  Notre  auteur  n'a 
jamais  prétendu  à  la  souveraineté  des  colonges  ;  il  fait  bon  marché  de 
l'épithète  de  souveraines  qu'il  a  donnée  à  ses  créations  ;  et  tout  se  réduit 
à  la  justice  des  pairs  !I!  >  Il  y  a,  à  la  page  i70  des  Constitutions ,  une 
pièce  de  rechange  qui  coupe  court  à  tout  :  c'est  le  passage  où  l'auteur 
dit  avec  Schœpflin ,  que  l'abbaye  de  Honau  formait  un  véritable  Etat 
indépendant  Ht 

Que  M.  Hanauer  ne  prenne  pas  en  mal  cet  hommage  sincère  que 
m'arrache  celte  volte-face  inattendue  !  il  est  un  habile  homme.  Il  s'en- 
tend merveilleusement  à  masquer  une  retraite.  Il  sent  que  la  thèse 
capitale  de  son  livre  ne  peut  se  soutenir  ;  il  la  déserte ,  et  il  se  trouve 
que  c'est  lui  qui  est  le  conquérant  de  la  place  qu'il  abandonne  ! 

Revenons  donc  sur  la  position  de  la  question  : 

La  thèse  de  la  colonge  souveraine  est  la  partie  fondamentale ,  la  base 
de  toute  la  production  de  H.  Hanauer. 

Voici  quelques-uns  des  passages  principaux  qui  ne  permettent  aucun 
doute  sur  ce  point. 

€  Paysans.  Préface ,  p.  vi.  Chaque  village  m'apparut  alors  comme 
€  uue  monarchie  constitutionnelle,  dont  la  charte,  recueil  de  coutumes 
<(  immémoriales ,  avait  quelque  fois  le  caractère  d'une  transaction  , 
«  jamais  celui  d'une  concession  octroyée.  Le  pouvoir  législatif  et 

«  JUDICIAIRE  RÉSIDAIT  ESSENTIELLEMENT  DANS  LA  COMMUNAUTÉ  ;   le  pOU- 

«  voir  exécutif  appartenait  à  plusieurs  fonctionnaires,  dont  quelques  uns 
€  représentaient  le  souverain  de  ces  petits  Etats  ;  les  autres  étaient , 
c  avant  tout ,  les  délégués  du  peuple. 

'  Revue  catholique ,  p.  167.  Lettre ,  p.  18. 


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RÉPONSE  A  M    L*ABBÉ  HaNAUER  161 

«  Je  n'avais  pas  tardé  à  diviser  les  communautés  rurales  ,  appelées 
«  rotonge$ ,  en  deux  catégories  distinctes.  Les  unes  étaient  de  grandes  | 

«  exploitations  agricoles  ;  les  ai^thes  possédaient  rous  les  droits  I 

«  uÉGAUENs,    C(mcentrtnenl  entre  leurs  mains  l'administration  de  \ 

t  la  jnstire ,  et  jouissaient  des  immunités  les  plus  larges  et  les  plus 
•  t'urieuses.  » 

f Constitutions  ,  p.  169.  Exemples  de  colonges  souveraines,  p.  241. 
Clôture  de  ce  chapitre,  c  On  ne  comprendra  n'en...  à  l'organisation  de 
«  iBS  souverainetés  villageoises  d'où  sortirent  les  Etats  modernes   > 

Si  la  langue  française  mérite  encore  de  nos  jours  sa  vieille  réputation 
de  clarté  et  de  précision,  est-il  possible  de  donner  à  ces  propositions 
d'autre  sens  que  celui-ci  ?  «  Les  grandes  colonges  étaient'  souveraines  ;  et 
f  par  colonge  il  faut  entendre  la  communauté  ,  c'est-à-dire  l'ensemble 
f  des  fermiers  constituant  une  agglomération  plus  on  moins  considérable 
c  (Paysans,  p  8).  Cette  communauté  avait  le  pouvoir  législatif  et  judi- 
€  ciaire  ;  elle  possédait  même  tous  les  droits  régaliens.  > 

Donc  la  thèse  est  celle-ci  :  dans  la  colonge  la  souveraineté  résidait 
non  pas  dans  le  seigneur ,  mais  dans  la  population!  —  non  pas  dans  la 
propriété  ,  mais  dans  la  corporation  des  colongers. 

Le  volume  tout  entier  des  Paysam  est  consacré  au  développement 
de  cette  théorie  y  qui ,  je  le  répète ,  constitue  la  seule  nouveauté  de 
Fœuvre.  — Je  ne  nie  pas  qu'il  n'arrive  de  temps  en  temps  à  l'auteur  de 
se  contredire  lui-même  ;  mais  se  contredire  n'est  pas  se  rétracter ,  et 
se  montrer  embarrassé  de  soutenir  une  affirmation  impossible ,  n'est  pas 
précisément  l'abandonner. 

Le  lecteur ,  qui  a  eu  la  patience  de  me  suivre  dans  ma  réfutation ,  se 
rappellera  les  objections  élémentaires  que  j'élevai  contre  ce  bizarre 
système.  Elles  peuvent  se  résumer  en  un  mot  ;  Fauteur  a  déplacé  le 
siège  de  la  souveraineté ,  c'est  là  tout  son  procédé  ;  elle  était  d'abord 
dan3  la  terre  patrimoniale  et  libre ,  plus  tard  elle  fut  dans  le  fief:  celte 
souveraineté  était  donc  dès  l'origine,  comme  toute  souveraineté,  à  la  fois 
personnelle  et  réelle  ;  réelle  çn  ce  qu'elle  s'étendait  à  tout  le  territoire 
propre ,  allodial  et  libre  ;  personnelle  ,  en  ce  quelle  se  concentrait  sur 
la  téie  du  dynaste  ou  du  seigneur.  C'est  ce  qu'on  a  toujours  appelé  la 
Grundherrlicke  Gerichtsbarkeit ,  la  j  ustice  patrimoniale  du  souverain 
terrilunal  ou  du  seigneur.  J'ai  du  reste  développé  ce  point  à  satiélc. 

Arrivons  à  la  réponse ,  ou  plutôt  à  la  retraite  de  mon  critique  ;  ù 

>■  Svn:  —  il'  jwét,  *  1 


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462  REVUE  D' ALSACE. 

faut  transcrire  ce  passage  en  entier  ;  car  il  mérite  d'être  signalé  comme 
un  modèle  du  genre  *. 

€  Ces  dernières  colonges  je  les  ai  appelées  souveraines  ou  immunités. 
tf  L'épithète  souveraine  n'est  peut-être  pas  irréprochable  au  poim  de 
«  vue  de  l'école ,  mais  elle  désigne  un  fait  très-certain  :  elle  est  parfais 
t  tentent  comprise  par  les  gens  du  monde.  Si  elle  vous  gêne ,  diU^Ae, 
«  proposez-en  une  autre,  je  ne  tiens  pas  au  mot,  pourvu  que  vous  me 
t  laissiez  Tidée.  i 

Ce  n'est  pas  moi  ,  Monsieur  Tabbé ,  que  votre  épithèle  gène  !  Vous 
la  sentez  insoutenable  au  point  de  vue  de  la  science  historique  que 
vous  appelez  l'Ecole ,  mais  vous  la  croyez  claire  pour  les  gens  du  monde 
qui  n'y  regardent  pas  de  si  près....  Ah  I  si  vous  ne  vous  adressiez 
qu'aux  gens  du  monde  ^  il  ne  fallait  pas  prendre  si  vivement  en  mal  le 
reproche  que  je  me  suis  permis  de  vous  adresser  d'avoir  écrit,  sur  une 
matière  exclusivement  juridique ,  sans  vous  être  préalablement  pénétré 
des  lumières  indispensables  que  la  jurisprudence  seule  pouvait  vous 
donner  !  Les  mots  expriment  des  idées  et  des  choses  et  il  n'est  pas  loi- 
sible y  même  en  n'écrivant  que  pour  les  gens  du  monde ,  de  les  détourner 
de  leur  signification  technique  et  consacrée. 

Mais  poursuivons  ;  quelques  pages  plus  loin  M.  Hanauer  continue  : 

c  Que  me  contestez-vous ,  Monsieur  !  Texistence  de  colonges  souve- 
nt raines  au  xiv«  et  au  xv*  siècle?  —  Vous  reconnaissez  l'immunité  à 
€  toutes  les  colonges  qui  ont  un  droit  d'asile.— L'épitbète  de  souveraine? 
f  mais  alors  dites-le  et  n'ayez  pas  l'air  d'attaquer  la  chose  elle-même.  > 

Décidément  je  perds  l'espoir  d'être  compris  de  vous,  Monsieur  l'abbé. 
Je  ne  conteste  ni  Timmunité,  ni  la  souveraineté  ;  mais  je  dis  qu'immu- 
nité et  houveraineié  étaient  attachées  à  la  terre  seigneuriale  ou  patri- 
moniale et  non  aux  manses  colongers^—  à  la  dignité  même  du  seigneur, 
e(  non  à  la  personne  de  ses  colons.  Vous  voyez  donc  ici  que  la  confusion 
des  mots  prouve  de  votre  part  une  inextricable  confusion  dans  les  choses. 
Jamais  personne ,  avant  vous ,  ne  s'était  avisé  de  chercher  une  immunitéi 
c'est-à-dire  ce  qu'il  y  avait  de  plus  éminent  dans  la  supériorité  terri- 
toriale ,  dans  une  agglomération  de  fermiers ,  et  puisque  vous  venez  de 
vous  prendre  d'une  subite  soumission  envers  M.  Zsepfl  et  son  œuvre, 
qu'à  votre  grand  déplaisir  j'ai  qualifiée  de  traité  définitif  y  permettez- 
moi  ,  pour  toute  réponse ,  de  me  borner  à  vous  renvoyer  à  sa  remar- 

'  iievue  catholique  ,  p.  66  el  70.  Ed.  spéc.  p   18  1 1  21. 


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RÉPO^SE  A  M.  i/arbé  hanaurr.  168 

ffuable  dissertation  sur  les  Immunilés.  Il  les  comprend  comme  aUfibuis 
lie  souveraineté  dans  Fénumération  des  prérogatives  qui  appartiennent 
.iu  seigneur  souverain  de  la  colonge  (die  Herrlichkeiten  des  Dinghof- 
herren)  ^  Il  désigne  spécialement  le  droit  d'asile,  comme  éminemment 
attaché  au  seigneur  {eîn  Rechl  des  Dinghofhenm),  Ces  immunités  se 
réduisaient  substantiellement  à  la  clôture  du  territoire  k  toute  juridic- 
tion étrangère  et  notamment  à  l'exclusion  de  celle  du  Comte ,  comme 
juge  provincial  (judex  provinciœ). 

H.  Hanauer  reprenant  la  parole  et  s'adressant  à  moi  continue  ^  : 

<  La  souveraineté ,  dites-vous ,  appartient  au  seigneur.  Comment 
c  voir  dans  la  colonge  une  communauté  souveraine ,  où  le  preneur 
€  aurait  été  l'égal  du  maître ,  où  le  colon ,  même  servile ,  aurait  eu , 
€  au  même  degré  que  celui-ci ,  droit  et  devoir  de  juridiction,  i  M.  Ha- 
t  nauer  (p.  ib)  veut  absolument  faire  des  rolongers  de  véritables  sou- 
f  verains  exerçant  les  droits  régaliens  f 

f  Si  c'est  là  tout  ce  que  vous  condamnez  dans  mes  conclusions  la 
c  paix  sera  bientôt  faite  entre  nous.  A  la  page  170  de  mes  Constitu- 
c  lions  je  dis  que  F  abbaye  de  Honau  formait  un  véritable  Etat  indé- 
€  pendant,  et  vous  approuvez  cette  expression.  Je  ne  dis  pas  que  les 
c  colongers  aient  été  de  véritables  souverains.  A  la  page  vi  de  mes 
c  Paysans  j'attribue  les  droits  régaliens  aux  golonges  et  non  aux 
c  coLONGEiiS.  A  la  même  page  j'appelle  la  colonge  souveraine  une  mo- 
c  narcbîe  constitutionnelle  et  non  comme  vous  Taffirmez  une  république 
c  villageoise ,  etc. ,  etc.  » 

Oh  !  Monsieur  Tabbé  ,  pourquoi  ne  pas  avouer  tout  simplement  et 
tout  franchement  que  vous  vous  êtes  trompé  dans  votre  enthousiasme 
rétrospectif ,  et  à  qui  espérez- vous  faire  prendre  le  change  sur  une 
désertion  aussi  patente?  Quel  est  Thomme  du  monde ,  même  le  plus 
étranger  aux  choses  de  l'histoiro  et  du  droit ,  que  puissent  satisfaire  de 
pareilles  équivoques  ?  -—  Reprenons ,  une  à  une ,  ces  échappatoires ,  à 
Taide  desquelles  vous  cherchez  à  substituer  A  la  proposition  que  j*ai 
combattue  ,  celle  dont  j*ai  entrepris  la  démonstration. 

c  Vous  n'avez  pas  entendu  dire  que  les  colongers  fussent  souverains, 
c  parce  que ,  ajoutez-vous ,  à  la  page  170 ,  vous  auriez  dit  que  Vabbaye 
c  de  Honau  était  un  Etat  indépendant  ?  «  Mais  le  mot  Etat ,  en  quoi 

*  V.  ZyCPFi  ,  I,  U,  39,  52. 
Lettre.  Edit.  sp. ,  p.  22.  {Revue  cath.  p.  70.) 


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iM  REVUE  D* ALSACE. 

peut-il  avoir  Tupparence  de  modifier  votre  thèse?  manifeste-t-il  une 
contradiction  perceptible  avec  votre  théorème  de  la  colonge  souveraine  ? 
Vous  savez  que  ce  mot£^a/  exprime  aussi  bien  une  république^  une  démo- 
cratie qu'une  monarchie  ou  une  oligarchie ,  et  il  aurait  fallu  être  bien 
fin  pour  deviner  que  l'emploi  de  ce  terme  devait  corriger,  dans  ce  qu'elle 
avait  de  trop  absolu  ,  la  thèse  qui  est  le  fond  de  toute  votre  publication. 

c  A  la  page  vi  de  mes  Paymns^  continuez-vous,  j'attribue  les  droits 
f  régaliens  aux  colanges  et  non  aux  colongers.  i  Quand  vous  n'auriez 
fait  que  cela ,  vous  auriez  déjà  commis  une  erreur  ;  car  le  seigneur 
colonger  lui-même  ,  qui  n'aurait  pdi&  été  immédiat ^  n'aurait  pas  eu, 
dans  leur  plénitude ,  la  jouissance  de  ces  droits  souverains.  C'est  un 
point  de  ma  discussion  que  vous  avez  sagement  laissé  sans  tentative  de 
réponse  comme  plusieurs  autres  ;  je  n'y  reviendrai  donc  pas  ;  mais  si 
vous  ne  renoncez  pas  une  fois  pour  toutes  à  confondre  la  seigneurie ,  la 
colonge  et  les  colongers  ,  je  ne  saisis  réellement  pas  où  peut  aboutir 
cette  subtile  logomachie. 

c  Enfin ,  ajoutez-vous  ^  dans  mes  Paysans,  j'appelle  la  colonge  une 
«  monarchie  constitutionnelle,  i  Le  mot  est  ingénieux  ;  à  toute  rigueur 
il  eut  pu  passer  auprès  des  gens  du  monde ,  mais  avec  de  nombreux 
amendements.  Je  ne  sais  pas  si  cet  emploi  de  termes  si  récents ,  pour 
exprimer  des  institutions  anciennes^  doit  entrer  dams  cette  régénération 
de  la  stience  par  les  travaux  modernes  que  vous  m'annoncez  comme 
imminente.  En  attendant  permettez-moi  de  vous  rappeler  ici  une  omis- 
sion grave  dans  votre  citation  :  vous  dites  (page  vi  de  vos  Paysans)  non 
pas  seulement  que  la  colonge ,  mais  chaque  village  vous  apparut  comme 
une  véritable  monarchie  constitutionnelle.  Vous  allez  encore  plus  loin 
et  vous  affirmez  que  le  pouvoir  législatif  et  judiciaire  résidait  essentielle- 
ment dans  la  communauté ,  le  souverain  étant  réduit  au  seul  pouvoir 
exécutif.  11  fallait  avoir  le  courage  de  compléter  ainsi  le  récit  de  votre 
apparition.  C'est  là  l'assertion  décisive,  et  je  ne  conçois  pas  qu'elle  ait 
pu  échapper  à  votre  mémoire. 

Résumons  en  termes  intelligibles  ce  qui  ressort  de  ces  phrases  con- 
tournées, de  ces  explications  embarrassées. 

Les  colonges  souveraines  ne  sont  qu'une  équivoque. 

La  souveraineté  de  la  terre  colongère  résidait  sur  la  tête  du  dynaste 
ou  du  seigneur  ;  le  propriétaire  de  la  colonge  en  était  le  souverain. 
C'est  la  terre  patrimoniale ,  libre ,  salique ,  plus  lard  souveraine  et 


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R|5:P0NSK  a  m.  l'abbé  HNNArKB.  165 

immédiate  qui  jouissait  de  la  franchise  et  de  Timmunité ,  franchise  et 
immunité ,  qui  formèrent  l*un  des  fleurons  de  la  couronne  dynastique 
ou  seigneuriale. 

Mais  que  mon  honorable  contradicteur  me  permette  de  lui  faire 
observer  que  ce  point  concédé  ,  il  n'y  a  plus  même  de  question.  —  En 
effet  qu'est-ce  qui  a  fait  exclusivement  pendant  ces  dernières  années  la 
fortune  des  recherches  colongères?  —  C'est  le  prétendu  problème  de 
l'antériorité  de  la  commune  ou  de  la  seigneurie.  Les  obscurités 
archaïques  des  rotules,  l'antiquité  apparente  du  Dingho/f,  l'étendue  des 
territoires  soumis  à  ce  mode  d'exploitation ,  permirent  de  supposer 
que  c'est  dans  cet  ordre  d'institutions  qu'il  serait  possible  de  trouver  le 
plus  de  lumière  sur  les  premiers  linéaments  de  l'organisation  civile  et  poli- 
tique qui  succéda  aux  bouleversements  de  la  conquête.  —  Or  aujour- 
d'hui il  semble  universellement  admis  ^  nemine  obstante,  plus  même 
M.  Hanauer^  que  la  colonge  ne  formait  pas  et  n'a  jamais  formé  une 
corporation  de  fermiers  souverains  ou  une  communauté  collective 
réunissant  en  elle  les  pouvoirs  législatif  et  judiciaire;  qu'au  contraire , 
dans  la  colonge,  comme  tout  autre  domaine ,  la  prééminence  législative 
et  juridictionnelle,  appartenait,  aussi  loin  qu'on  peut  remonter,  au 
dypasie  propriétaire  ou  au  seigneur. 

Tout  ce  qu'il  pourrait  encore  rester  d'intéressant  à  discuter,  une  fois 
cette  accord  établi ,  c'est  d'abord  la  condition  des  personnes  réunies 
dans  l'aggrégation  colongère  et  ensuite  quelques  détails  d'organi- 
sation intérieure.  Quanta  la  condition  des  personnes  colongères,  à  moins 
d'admettre  que  le  pacte  colonger  ait  équivalu  à  une  charte  d'affran- 
chissement ou  oue  la  condition  de  Hueber,  ait  exigé  de  plein  droit 
l'ingénuité ,  il  faut  bien  se  résigner,  comme  l'a  fait  en  dernier  lieu 
M.  de  Maurer  lui-même ,  à  ne  voir ,  dans  toute  cette  agglomération  y 
qu'une  population  servile  ou  demi  senile  de  Hôrigen  :  j'ai  trop 
souvent  insisté  sur  ce  point ,  à  mon  avis  capital,  pour  n'avoir  pas  le 
droit  d'exprimer  ici  monétonnementdusilenceobstinégardéàcetégard 
par  mon  correspondant  quelquefois  si  prolixe. 

Quant  à  ce  que  l'on  appelle  la  juridiction  colongère  (Hofgericht)  c^est  le 
seul  caractère  qui,  dans  une  certaine  mesure,  distinguait  cette  aggloméra- 
tion: Mais  cette;(i«U'c^étailtellementJiiïérentedelahautejuridiction,  que 
d'abord  elle  émanait  de  la  seule  volonté  du  seigneur  propriétaire,  comme 
l'établit  le  Landrechly  tandis  que  la  seconde,  n'appartenait  au  seigneur 
qu'en  vertu  de  son  immédiatité  et  conformément  aux  constitutions  de  l'Em- 


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166  RFVUE  D'ALSACE. 

pire.  Ensuite  cette  espèce  de  tribunal  intime,  où  se  réglaient  les  différends 
nés  du  pacte  colonger,  et  où  se  prenaient  les  mesures  propres  à  pré- 
server le  domaine  de  toute  usurpation  et  de  toute  illégalité,  se  retrouve 
dans  toutes  les  colonges  indistinctement ,  dans  celles  mêmes  dont  le 
propriétaire  n*était  pas  investi  des  droits  de  haute  justice.  Que  dans  les 
colonges  relevant  de  seigneurs  immédiats  et  hauts  justiciers  y  les  Htieber 
aient  exercé  soit  avant»  soit  après  la  féodalité,  lesîonciionsA'assessetêrs 
libres  ou  obligés ,  c'est  ce  que  je  n'ai  jamais  songé  à  contester ,  si  bien 
qu'à  plusieurs  reprises  j'ai  reproché  à  mon  docte  contradicteur  la 
confusion  qu'il  commettait  en  prenant  Vassessorat  pour  le  droit  de 
juricdiction.  Je  n'ai  nullement  envie  de  revenir  sur  un  point  dediscus- 
çion  ,  sur  lequel ,  je  le  vois  ,  il  m'est  impossible  de  me  faire  comprendre 
de  lui  :  j'essayerai  cependant  de  lui  citer  un  exemple  :  —  en  Angleterre 
encore  aujourd'hui,  la  législation  veut  que  lors  qu'un  étranger  est 
traduit  devant  une  cour  criminelle ,  il  ait  le  droit  de  requérir  qu*on 
fasse  entrer  dans  la  composition  du  jury ,  à  titre  de  pairs  de  l'inculpé  » 
un  certain  nombre  d'étrangers.  Est-il  jamais  entré  dans  la  tête  de 
personne  de  soutenir  que  cette  prérogative  ait  jamais^  chez  nos  voisins, 
investi  les  étrangers  non-seulement  du  droit  de  citoyens ,  mais  même 
du  droit  de  souveraineté  le  plus  élevé ,  c'est-à-dire ,  du  droit  de  juri- 
diction ?...  Il  suffit  pour  se  guérir  de  cette  étrange  confusion  de  lire 
dans  Montesquieu  les  détails  de  nos  anciennes  cours  féodales ,  ou  dans 
notre  Land  und  Lehnrecht  les  minutieuses  formalités  suivies  dans  les 
cours  seigneuriales ,  ou  seulement  les  deux  chapitres  si  précis  et  si 
substantiels  consacrés  à  cette  matière  parM.  Réville  V  Quanta  M.  Zaepfl 
dans  lequel  M.  Hanauer  prétend  trouver  si  tardivement  un  auxiliaire  , 
il  me  permettra  de  lui  répéter  que  l'auteur  qui  a  mis  le  plus  clairement 
en  relief  cette  donnée  évidente  d'après  nous  ,que  la  monade  colongère 
a  été  le  type  sur  lequel  s'est  figurée  la  souveraineté  patrimoniale 
d'abord,  et  la  supériorité  seigneuriale  ensuite,  ne  peut  en  aucun 
cas  être  envisagé  comme  favorable  à  la  thèse  de  la  souveraineté  des 
communautés  colongères.  Il  suffit  du  reste  du  passage  cité  par  M.  Hanauer 
lui-même  pour  faire  justice  de  cette  illusion  ^. 

Je  ne  m'attendais  pas  davantage  à  voir  la  colonge  finir,  comme  insti- 
tution ,  par  se  confondre  avec  la  villa.  Il  valait  bien  la  peine  d'écrire 

'  Page  116  el  124. 

*  Z^PFL,  p.  10  et  surtout  p.  64. 


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RÉPONSE  A  M.  L^\BBé  HANAUER.  167 

deux  volumes  destinés  à  célébrer  la  découverte  d^une  communauté  de 
fermiers  souverains ,  pour  aboutir  à  une  identification  que  tout  repousse  ! 
D'abord  il  n'est  pas  exact  de  dire  que  l'incolat  suffisait  pour  opérer  l'an- 
nexion à  l'agglomération  colongère  :  le  texte  de  M.  Burckbart  ^  prouve 
directement  le  contraire ,  puis  qu'il  établit  que  dans  la  colonge  l'admission 
â  iiuolat  par  le  seigneur  ne  conférait  à  l'intrus  (Hintersass)  qu'un 
droit  à  la  jouissance  des  pâturages  et  de  la  forêt  (ce  qui  prouve,  soit  dit  en 
passant^  que  cet  AUmend  n'était  pas  la  propriété  des  usagers  ;  car  dans 
ce  cas ,  on  ne  comprendrait  pas  la  disposition  du  seigneur)  :  mais  cet 
Hintersass ,  admis  par  le  seigneur ,  n'entrait  dans  l'agglomération 
colongère  que  par  l'acquisition  d'une  cour  {Hueb)>  —  La  seule  analogie 
qu'on  puisse  apercevoir  entre  la  colonge  et  h  villa,  c'est  que  dès  l'origine 
elles  constituaient  l'une  et  l'autre  des  agglomérations  clo^e^,  des  groupes 
fermés.  Cette  disposition  a  dû  nécessairement  concourir  à  former, 
entre  les  familles  qui  les  composaient ,  ces  liens  d'intérêt  commun  ,  de 
solidarité   d'heur  et  de  malheur ,  de  confraternité  prolongée ,  qui  plus 
tard  9  (mais  beaucoup  plus  tard)  devinrent  l'associatioti  bourgeoise  dont 
les   communes  furent  le  brillant  couronnement.  —  Mais  je  m'arrête 
à  ces  simples  indications  :  elles  suffisent  pour  édifier  le  lecteur  sur 
la  portée  des  rétractations  de  M.  Hanauer  ;  en  tous  cas ,  les  précautions 
oratoires ,  les  ambages  inextricables  sous  lesquels  il  cherche  à  dissi- 
muler les  concessions  que  lui  arrache  l'évidence ,  me  prouvent  qu'il 
n'y  a  rien  de  plus  périlleux  pour  un  écrivain  que  de  se  constituer  l'apolo- 
giste de  sa  propre  œuvre.  Aussi  me  garderai-je  bien  d'imiter  sous  ce 
rapport  l'exemple  de  mon  opiniâtre  adversaire.  Je  me  bornerai  à  lui 
rappeler  qu'entre  mon  opinion  et  la  sienne ,  il  y  a  un  juge  que  nous 
avons  choisi  l'un  et  l'autre ,  le  public  impartial  et  éclairé.  Quant  à  moi , 
j'ai  dit  sur  les  origines  colongères  l'opinion  que  je  m'en  suis  formée 
à  mes  risques  et  périls  :  j'ai  cité  exactement  mes  preuves  et  mes  auto- 
rités :   chacun  peut  y  recourir,  et  il  n'entre  nullement  dans  mes 
dispositions  de  me  laisser  entraîner  dans  une  argutieuse  apologétique, 
où  trop  souvent  l'amour-propre  excité  usurpe  la  place  de  la  conscience 
et  de  la  raison. 

Je  noterai  pourtant  encore  comme  un  exemple  des  ambiguïtés  aux- 
quelles on  se  laisse  entraîner  dans  ces  Orationes  prodomo  st^ ,  la  dis- 


'  Lettre  ,  p.  39. 


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168  REVUE  d' ALSACE, 

serlatioD  évasive  qui  se  trouve  au  bas  de  la  page  32  des  Lettres  de 
M.  Hanauer. 

Je  m*élais  borné  à  indiquer  la  contrariété  qui  me  semblait  exister 
entre  Tasserlion  que  les  Germains  auraient  formé ,  avant  Pinvasion , 
un  peuple  exclusivement  nomade  et  pastoral  {Const.  p.  95)  et  la  con- 
cession précédemment  faite  par  Tau teu r  (Pa//5an5 ,  p.  297) ,  sur  la  foi  de 
Tacite ,  que  ces  mêmes  Germains  auraient  eu  chez  eux  déjà  des  cours 
colongères.  Si  j'avais  été  aussi  désireux  que  mon  critique  a  le  tort  de 
le  supposer,  de  le  constituer  en  flagrante  contradiction,  j'aurais  pu 
l'embarasser  bien  davantage  encore  en  le  priant  de  concilier  sa  formule 
absolue  d'un  peuple  sans  gîte  et  sans  agriculture  avec  ces  latifundia  ^ 
ces  grandes  cultures ,  ces  terres  saliques  antérieures  à  la  conquête  qu'il 
attribue  à  la  dignité  des  chefs  Germains  (Paysans  p,  40),  C'est  encore 
Tacite ,  mais  Tacite  toujours  commenté  à  la  façon  de  notre  auteur  qui 
est  rendu  responsable  de  cette  proposition  si  bien  enchâssée  dans  son 
chapitre  magistral  sur  la  terre  salique.  —  Aujourd'hui  voilà  mon  cor- 
respondant bénévole  qui  oublie  le  grand  historien  stoîque  comme  si  jamais 
il  n'en  avait  entendu  parler,  et  qui  vient  superbenrent  m'objecter  le  témoi- 
gnage de  César ,  de  Bello  Gallico ,  vi ,  22  !  —  De  bonne  foi  à  qui  et  sur 
quoi  espère- l-on  faire  prendre  le  change?  —  Professeur  d'histoire  et  de 
rhétorique,  mon  contradicteur  ne  peut  pas  ignorer  l'antinomie  signalée  et 
disculée  depuis  des  siècles  ,  entre  ce  passage  des  Cojnmentaires  ^  et  le 
fragment  de  Tacite,  chap.  xxvi  Genn  ,  si  savamment  commenté  par  lui- 
même;  et  on  peut  dire  sans  se  compromettre  que  ce  petit  problème  philo- 
logique est  d'une  notoriété  aussi  vulgaire  que  celle  sous  laquelle  les 
géomètres  désignent  le  carré  de  l'hypoténuse  *.  Que  s'est  donc  proposé 
M.  Hanauer,  en  lançant  subitement,  comme  une  découverte  y  un  des  pas- 
sages les  plususilcset  les  plus  usés  de  l'antiquité  classique  ?  rignorail*il 
lorsqu'il  a  écrit  ses  deux  volumes,  et  s1l  ne  Tignorait  pas,  pourquoi 
a-t-il  partout  textuellement  préféré  le  témoignage  de  Tacite  ,  au  ren- 
seignement emprunté  au  conquérant  des  Gaules?  L'envie  de  contester, 
entraîne  à  de  bien  étranges  contradictions  ! 


*  Je  me  borne  à  ninoyer  celui  des  lecieurs  qui  ue  serait  pas  au  courant 
Ue  ce  liett  commun  philologique  ,  aux  savants  commentaires  de  C\  Orelli.  Corn. 
Taciii  op.  il,  p.  566,  ainsi  qa*aux  nombreuses  monographies  où  Ton  traite  de 
la  concilialion  des  textes  des  deux  historiens  romains.  [Duncker.  Origin.  Gtr- 
manie(p..  —  KiTZ ,  Gennania ,  p.  67  et  siiiv.) 


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RÉPONSE  A  M.  ï/aBBÉ  H'.NAUER  169 

Je  redressercri  enfin  (sommairement  aussi)  une  dernière  réplique 
de  mon  correspondant  (Lettre  3",  p.  34  et  35).  J'avais  dans  mon  étude 
rappelé  y  comme  un  fait  historique  incontestable ,  que  le  clergé  et  les 
ordres  monastiques ,  en  tant  que  propriétaires  ou  seigneurs ,  avaient 
imposé ,  à  leurs  serfs  et  vassaux ,  une  sujétion  au  moins  aussi  dure  que 
celle  à  laquelle  les  hôrige  étaient  soumis  vis-à-vis  des  souverai- 
netés laïques.  C'est  encore  là  une  de  ces  certitudes  qui  reposent  sur 
les  témoignages  les  plus  nombreux  et  les  plus  unanimes.  Ce  qui  est 
également  incontroversable ,  c'est  l'aggravation  apportée,  par  le  droit 
ecclésiastique,  aux  commises,  aux  déchéances,  aux  voies  d'exé- 
cution, etc.,  et  je  ne  conçois  réellement  pas  qu'une  dénégation  ait  pu  se 
produire  sur  un  point  aussi  constant.  Mais  il  serait  peut-être  disgracieux 
de  ma  part  d'insister  à  développer  cette  démonstration  qui  ne  porte  que 
sur  un  point  très-secondaire  du  sujet  principal  et  M.  Hanauer  n'ignore  pas, 
j'en  suis  sûr,  les  autorités  ecdésiasiiques  que  je  pourrais  lui  citer  à  cet 
égard.  Passons  donc.  —  Il  me  reproche  d'avoir  feint  d'ignorer  le  diclon 
populaire ,  sur  lequel  se  fonde  tout  son  optimisme  :  //  fait  bon  vivre 
8om  la  crosse,  —  Je  n'ignore  pas  le  dicton;  mais  j  ai  beaucoup  de  raisons 
qui  me  font  douter  de  son  origine  populaire.  —  S'il  avait  fait  si  bon 
vivre  sous  la  crosse ,  qu'on  explique  donc  la  violence  de  l'émancipation 
communale  dans  les  cités  épiscopales  ou  abbatiales,  les  luttes  entre  les 
cités  et  les  abbayes  suzeraines  qui  remplissent  tout  le  moyen-âge  en 
Suisse  et  en  Alsace  ;  la  popularité  qui  dans  une  moitié  de  l'Europe ,  en 
plein  xvi*  siècle ,  a  accueilli  la  suppression  de  la  plupart  des  abbayes 
princières,  des  grands-chapitres  et  la  sécularisation  de  leurs  terres  ; 
qu'on  m'explique  enfin  comment,  dans  notre  paisible  et  religieuse 
Alsace ,  les  plus  anciens  et  les  plus  célèbres  de  nos  monastères  se 
sont  ressentis  particulièrement  des  soulèvements  révolutionnaires? 
Qu'on  rapproche  ces  violences  des  premiers  jours  de  l'énergie  avec 
laquelle  les  mêmes  populations  luttèrent  contre  l'oi^anisation  civile 
du  clergé ,  et  peut-on  se  soustraire  à  cette  conviction  :  que  la 
conscience  populaire ,  qui  restait  si  fidèlement  attachée  à  sa  vieille  foi , 
se  retirait  de  la  crosse  comme  signe  de  la  souveraineté  temporelle  ?  —  Si 
le  paysan  avait  trouvé  qu'il  faisait  si  bon  vivre  sous  sa  protection ,  l'eut-il 
si  violemment  abattue  ?  —  Les  plus  anciens  parœmiographes  omettent 
ce  prétendu  dicton ,  qui ,  généralement ,  ne  se  produit  que  sous  cette 
forme  :  Der  Erummsiab  schlisset  niemand  ans.  —  Ptstonus^  dont 
le  recueil  jouit  d'une  légitime  autorité ,  annote  dans  les  termes  suivants 


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ilO  REVUE  D'ALSACE. 

ce  texte  :  Nihil  igitur  vuU  hœc  parœmia  aliud  qiMhi  quod  a  Feudo 

EcclesiasHco  neuler  sexm  exclusus  Ht quidquid  iamen  httjus  sit 

putamus  iamen  proverbium  hoc  falsitatis  acctisandum  ease  >.  Enfin 
dans  le  recueil  publié  par  la  section  juridique  de  FAcadémie  des 
sciences  de  Munich ,  ce  prétendu  proverbe  n'a  pas  trouvé  d'accueil.  — 
M.  Tabbé  ne  connaît  pas,  à  ce  qu'il  paraît,  Tautorité  dont  jouit  cette  der- 
nière publication  ;  elle  est  Tœuvre  d'une  commission  scientifique  qui 
s'est  choisi  pour  organes  deux  des  plus  savants  publicistes  de  l'Alle- 
magne contemporaine:  HM.  G. HaureretBluntschli. Les  commentaires 
auxquels  j'ai  fait  un  emprunt  dans  une  citation  (p.  56)  sont  au- 
dessus  du  dédain,  quelque  peu  présomptueux,  dont  les  couvre  mon  con- 
tradicteur :  ils  sont  l'œuvre  de  la  commission  scientifique ,  et  ils  ont 
paru  sous  lé  couvert  de  V Académie  des  sciences  tout  entière.  Il  me 
semble  que  quand  on  a  l'honneur  d'être  le  lauréat  d'une  Académie, 
on  doit  être  disposé  à  trouver  excellents  non  seulement  les  ouvrages 
que  de  pareils  corps  savants  décorent  y  mais  encore  et  à  plus  forte 
raison  ceux  qu'ils  publient  eux-mêmes. 

Voilà  tout  ce  que  je  juge  à  propos  de  relever  dans  la  correspondance  de 
mon  contradicteur  ;  je  ne  sens  ni  le  besoin,  ni  le  goût  de  m'engager  davan- 
tage dans  cette  polémique.  J'ai  dit  sur  les  colonges  ce  que  j'en  sais  et 
ce  que  je  crois  vrai  ;  je  m'en  tiens  là ,  laissant  au  public  le  soin  d'une 
justice  que  je  ne  suis  pas  assez  naïf  d'attendre  d'un  auteur  dont 
l'amour-propre  semble  encore  jeune  et  trop  prompt  à  se  froisser. 

I    Chauffour. 


'  The$,  Parœmiar,  Genn,  juridic.  Augbbourg,  Ceol.  v,  p.  477.  -^  Voy.  eooore 
)e  diclon  :  Guident  Kirchen,  hôltierne  Hertien,  ib.  p.  9j2.  —  M.  Osenbrùggen  , 
Deutsche  Reehis  Alterthumer,  s'occape  aussi  du  dicton  de  la  crosse  h  propos  de 
certaines  modifications  dans  la  condition  des  Horige  et  lui  refuse  également  la 
portée  que  lui  attribue  M.  Hanauer  (p.  52). 


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LA  PIERRE  DES  MAUVAISES  LANGUES- 


En  janvier  1856  la  Revue  d'Alsace  publiait  une  notice  sur  le  Klapper- 
$iein  de  Mulhouse,  cette  pierre  des  mauvaises  langues  féminines  qu'on 
faisait  porter  par  la  ville  à  celles  qui  avaient  médit  du  prochain  ou  pro- 
féré des  injures  et  des  calomnies.  L'auteur ,  M.  Stœber ,  citait  plusieurs 
localités  où  il  existait  une  pénalité  pareille,  remontant  sans  doute  fort 
avant  dans  le  moyen-âge ,  si  ingénieux  à  inventer  des  punitions  ;  et 
celle-ci  s'était  maintenue  jusqu'à  des  temps  bien  rapprochés  de  nous  , 
puisque  le  Klapperstein  se  voit  encore  à  Thôtel  de  ville  mulhousien. 
Il  est  vrai  qu'il  est  hors  de  service  ,  comme  les  machines  à  fouetter  les 
femmes  qu'on  conserve  encore  pour  mémoire  au  château  de  Thoune. 
Le  Lasterstein  de  itulhoxxse  estappendu  sous  une  des  fenêtres  de  l'hôtel 
municipal  et  on  lit,  dans  un  cartouche  au-dessus,  quatre  vers  allemands 
que  M.  Stœber  traduit  ainsi  et  que  nous  rapportons  à  raison  de  leur 
aualogie  à  ce  qui  va  suivre. 

Je  suis  nommée  la  pierre  des  bavards , 

Biea  connue  des  mauvaises  langues , 

Quiconque  prend  plaisir  à  la  disputa  et  3i  la  querelle  , 

Me  portera  par  la  ville. 

Ce  genre  de  peine  n'était  pas  particulier  à  Mulhouse  et  bien  d'autres 
villes ,  dans  leur  législation  spéciale  ,  avaient  eu  recours  à  ce  moyen 
bizarre  pour  châtier  les  intempérances  de  la  lan{j;ue.  Nous  citerons  tout 
particulièrement  une  des  villes  de  l'ancien  évécbé  deBâIe,  bien  voisine 
de  l'Alsace,  où  il  existe  un  règlement  de  police  octroyé,  le  30  juillet 
1356 ,  par  l'évêque  de  Bàle  à  ses  féaux  bourgeois  de  Delémont. 

Nous  transcrivons  son  article  15  d'une  ancienne  copie ,  un  peu  plus 
complète  que  celle  que  nous  avons  fournie  dans  le  temps  à  M.  Trouillat, 
pour  son  tome  iv  ,  page  97.  Elle  porte  : 

«  Si  ainsi  fust  qu'ine  feme  fist  fravols  ou  noise  de  faict  ou  de  parolle, 
«  et  qu'ung  chaslelain  et  ung  conseil  dissent  que  ce  fuissent  vilaines 
«  paroUes ,  elle  doibt  donner  deux  sols ,  ou  pourter  autour  de  l'église , 
«  pour  les  deux  sols  ,  trois  dimanches  suivant  l'ung  après  l'aultre ,  une 
t  pierre  de  demi  cent  poisant.  i 


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172  REVUE  D' ALSACE. 

Sur  le  dos  de  celle  copie,  écrite  sur  parchemin ,  entre  le  15''  et  le  16' 
siècle ,  on  lit  les  vers  suivants  : 

A  mal  langtie  n'est  prouf,t , 
Cil  qui  me  pour  te  vous  le  dict. 

Et  plus  bas ,  d*une  écriture  un  peu  différente  : 

56  a  mal  langue  rien  ne  poise  , 
Ces  te  pierre  la  fera  quoire. 
C'est-à-dire  : 

A  mauvaise  langae  n*est  profit , 
Celui  qu»  me  porte  vous  le  dit. 
Si  à  mauvaise  langue  rien  ne  pèse , 
Cette  pierre  la  fera  taire. 

Nous  croyons  que  ces  sentences  étaient  écrites  sur  la  pierre  de  scan- 
dale ou  sur  un  parchemin  collé  sur  elle.  C'était  Topinion  d'un  respec- 
table vieillard  qui  nous  a  renseigné  dans  le  temps  au  sujet  de  cette 
pierre.  Il  nous  a  raconté  que,  durant  la  révolution  de  1793,  les  femmes 
de  Delémont  s'insurgèrent  contre  la  pierre  des  mauvaises  langues  ;  que 
cette  dure  et  pesante  pénalité  fut  l'objel  d'une  motion  au  club  des  trico- 
teuses à  bonnet  rouge;  qu'elles  décidèrent ,  tout  d'une  voix,  que  la  ci- 
devant  pierre ,  étant  entachée  de  féodalilé ,  devait  être  mise  hors  la  loi. 
Les  clubistes  envoyèrent  à  l'hôtel  de  ville  une  dépulation  pour  se  saisir 
de  cet  objet  de  scandale  et  le  réduire  eu  poudre,  afin  qu'il  ne  pesât  plus 
sur  les  langues  de  la  localité  régénérée.  Hais  la  pierre  avait  eu  la  pru- 
dence d'émigrer  nuitamment  dans  certaine  maison  où  elle  resta  cachée 
pendant  la  terreur.  Plus  tard  ou  l'ulilisa  pour  en  faire  un  poids  de.... 
kilogrammes  ;  elle  fut  ensuite  oubliée  dans  la  poussière  d'où  nous 
Tavons  sortie  récemment  en  la  tirant  par  un  des  anneaux  de  fer  qui  se 
dressent  de  chaque  côté ,  comme  des  oreilles,  et  dans  lesquels  on  passait 
une  corde  pour  la  suspendre  au  cou  des  femmes  à  langue  dévergondée. 

Celte  pierre  n'a  pas  été  taillée ,  et  c'est  simplement  une  très-grosse 
chaille  des  terrains  oxfordiens  ,  ayant  remarquablejnent  la  forme  d'une 
poire,  comme  un  des  hlapiersiein  dont  M.  Slœber  fait  mention.  Ain^i 
ce  n'est  pas  seulement  l'ancienne  république  alsato-helvélique  de  Mul- 
house qui  avait  ce  mode  spécial  de  pénalité ,  puisque  Delémont  lui  eu 
avait  déjà  donné  Texemple  et  se  réjouissait  d'avoir  un  code  do  police 
aus>i  sagement  conçu  et  rédigé. 

A.    QuiQUERfiZ. 


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NOTES  ET  DOCUMENTS 

POUR   SERVIR   A    L*HiST01RE   DE   LA   RÉVOLUTION   EN   ALSACE. 
—  Suite  *. 

1791. 

fO  février, 

ÉLECTION  DE  L'EVÉQUE. 

Séance  du  Directoire.  Présents  :  MM.  WiElterlé,  Muller  ,  Schneider  , 

Resch^  Eggkrlé  ,  Rudler  ,  procureur-général  syndic. 

A  Mineurs  les  Présidint  et  membres  de  V Assemblée  nationale. 

Le  déparlement  du  Haut-Rhin ,  soumis  jusqu'à  présent  à  la  juridic- 
tion de  M.  l'évêque  de  Basie  résidant  hors  du  royaume ,  se  trouve  dans 
des  circonstances  qui  forcent  le  Directoire  de  recourir  à  FAsserablée 
nationale  pour  lui  tracer  la  voye  qu*il  doit  suivre  dans  l'exécution  du 
décret  pour  la  constilulion  civile  du  clergé. 

Dès  la  réception  du  décret ,  le  procureur-général  syndic  en  a  fait  part 
à  M.  l'évêque  avec  invitation  de  déclarer  s'il  entendait  s'y  conformer  ; 
sa  réponse  n'ayant  point  été  catégorique ,  le  conseil  général  qui ,  pour 
lors  était  assemblé ,  a  arrêté  qu'avant  de  procéder  à  l'éleclion  ,  il  serait 
référé  au  comité  ecclésiasfique ,  pour  savoir ,  si ,  pour  éviter  les  frais 
considérables  de  la  convocation  extraordinaire  du  corps  électoral ,  il  ne 
convenait  point  d'attendre  la  prochaine  assemblée ,  pour  faire  cette 
êleclion.  Il  en  a  reçu  pour  réponse  l'article  {'''  des  décrets  des  14  et  i5 
novembre  derniers  ,  ainsi  conçu  :^Ala  première  convocation  qui  se 
fera  des  assemblées  électorales ,  celles  du  département ,  dont  le  siège 
épiscopal  se  trouvera  vacant ,  procéderont  à  l'élection  d'un  évéque.  » 

Toutes  ces  considérations  ont  arrêté  jusqu'ici  l'élection  d'un  évêque 
pour  notre  département.  Les  circonstances  deviennent  urgentes.  La 
circonscription  des  paroisses  ne  souffre  point  de  retard.  Le  carême 
approche ,  il  importe  que  les  fidèles  ne  restent  pas  sans  instruction 
pastorale  et  sans  mandement  ;  il  pourrait  en  résulter  une  fermentation 

*  Voir  les  livraisons  de  mai ,  juin  el  octobre  1«65,  pages  235,  277  ti  470, 
el  février  1866 ,  pageiSI. 


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174  REVUE  D* ALSACE. 

d*autant  plus  funeste ,  que  le  peuple  envisagerait  peut-êlre  cette  inter* 
ruplion  momentanée  de  Tordre  comme  une  atteinte  à  la  religion  et  aux 
consciences.  Il  a  donc  paru  au  Directoire  qu'il  devient  indispensable 
d'accélérer,  autant  qu'il  sera  possible,  l'organisation  civile  du  clergé  dans 
ce  département.  Hais  comme  il  n'oserait  prendre  sur  lui  de  convoquer 
le  corps  électoral  pour  procéder  au  remplacement  des  fonctionnaires 
publics,  sans  enfreindre  les  termes  précis  des  lois,  il  supplie  l'Assem- 
blée nationale  de  vouloir  bien  l'autoriser ,  par  ce  décret ,  à  faire  cette 
convocation,  sans  ultérieur  retard;  il  ne  serait  pas  prudent  à  faire 
d^y  surseoir.  L'expiration  du  délai  de  deux  mois  prescrits  par  le  décret 
du  27  novembre ,  il  en  résulterait  une  anarchie  alarmante  dans  ce 
département. 

L'Assemblée  nationale  toujours  vigilante  à  prévenir  les  secousses  que 
pourrait  recevoir  la  chose  publique  prendra  notre  demande  en  consi- 
dération ,  et  si  elle  pouvait  juger  que  la  convocation  du  corps  électoral 
dut  être  différée ,  au  moins  espérons-nous  que ,  dans  sa  sagesse  ,  elle 
nous  indiquera  une  voie  pour  tranquilliser  le  peuple  sur  l'alarme  qu'il 
concevrait  de  la  vacance  du  siège  épiscopal  ;  à  portée  de  calculer  les 
effets  de  l'impression  publique ,  nous  ne  concevons  de  moyens  plus  sârs 
que  de  procéder  dès  à  présent  à  l'élection  de  l'évèque. 

Nous  supplions  TÂssemblée  nationale  de  s'occuper  incessamment  de 
l'objet  que  nous  avons  l'honneur  de  lui  proposer ,  notre  zèle ,  pour  la 
tranquillité  du  peuple  de  ce  département,  nous  fait  une  loi  de  le 
recommander  à  sa  sollicitude. 

Les  administrateurs,  Procureur-général-syndic  composant  le 
Directoire  du  dépariement  du  Haut-Rhin. 

n  février.  —  Le  procureur  général  syndic  informe  le  directoire  que 
des  libelles  incendiaires  circulent  dans  le  déparlement,  qu'il  importe 
de  prémunir  les  citoyens  contre  l'effet  de  ces  libelles  et  détruire  les 
impostures  par  lesquelles  les  ennemis  de  la  chose  publique  cherchent 
à  séduire  le  peuple  ;  qu^une  juste  sévérité  à  cet  égard  devient  d'autant 
plus  urgente ,  qu'à  la  faveur  du  mensonge  et  de  la  supposition ,  on 
affecte  d'alarmer  le  peuple  sur  sa  religion  et  sur  sou  culte  ;  que  pour 
y  parvenir  on  a  déjà  une  première  fois  répandu  un  bref  supposé  du 
pape  et  un  avis  controuvé  de  M.  le  cardinal  de  Rohan  ;  que  les  auteurs 
de  ces  faux  criminels ,  ne  se  sont  pas  bornés  à  cette  première  épreuve  ; 
mais  qu'enhardis  par  l'espoir  de  l'impunité  »  ils  ont  réitéré  récemment 


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NOTES  ET  DOCUMENTS,  ETC.  175 

la  supposition  d'un  bref  du  pape  à  Tévéque  Bâle,  accompafpié  de 
l'extrait  d'une  prétendue  lettre  écrite  à  un  ecclésiastique  de  Strasbourg 
de  la  part  d'un  évéque  ;  que  ces  entreprises  n'ayant  pour  but  que  de 
propager  parnii  les  citoyens  paisibles  Terreur  et  avec  elle  les  semences 
de  la  discorde  et  d'une  résistance  coupable  à  l'exécution  des  décrets 
rendus  sur  son  intérêt  civil  et  religieux ,  il  importe  de  leur  imposer 
la  terreur  salutaire  de  la  loi  et  d'arrêter  les  manœuvres  perfides  des 
des  ennemis  publics  ;  requiert  y  être  pouvu. 
La  motion  mise  en  délibération  : 

Le  Directoire  arrête  que  le  Procureur  générai  syndic  dénoncera  aux 
accusateurs  publics  des  tribunaux  des  districts  du  département  et  fera 
poursuivre  juridiquement  comme  perturbateurs  du  repos  public  et 
comme  séditieux  ,  celui  ou  ceux  qui  ont  fait  imprimer  dans  les  trois 
langues  en  latin  ,  français  et  allemand  et  distribuer  le  bref  supposé  du 
pape  à  révêque  de  Bâle  dont  la  traduction  française  commence  par 
ces  roots:  f  Au  vénérable  frère  Joseph  évéque  de  Bâle^  >  et  finissant 
par  ceux-ci  :  signé ,  Benoit  Stôy  ,  comme  aussi  la  lettre  à  la  suite  com- 
mençant par  ces  mots  :  c  extrait  d'une  lettre  écrite  >  et  finissant  par 
ceux-ci  c  dont  ils  seraient  susceptibles  y  etc.  »  Ainsi  que  leurs  fauteurs, 
adhérens  et  complices ,  colporteurs  et  distributeurs  d'icieux ,  pour 
être  prononcé,  contre  eux ,  telles  condamnations  et  peines  qu'il  appar- 
tiendra. 

Enjoint  aux  municipalités  d'empêcher  la  vente  de  ces  écrits  et  tous 
autres  ^  les  autorise  à  les  saisir ,  à  arrêter  les  imprimeurs ,  colporteurs 
et  distributeurs ,  pour  leur  procès  être  fait  conformément  à  la  loi. 

Et  pour  détruire  les  fausses  et  dangereuses  impressions,  que  la 
publicité  desdits  imprimés  pourrait  avoir  répandues ,  ordonne  que 
l'arrêté  sera  imprimé  dans  les  deux  langues  et  affiché,  lu  et  publié 
dans  toutes  les  municipalités. 

15  février.  —  La  commune  de  Lebetatn  a  vendu  une  coupe  de  bois. 
Le  prix  de  cette  coupe  â  été  partagée  entre  les  habitants. 

La  communauté  de  Novillars  refuse  de  payer  aux  héritiers  Poujol 
une  rente  de  18  sacs  d'avoine,  avant  qu'ils  n'aient  fait  vérifier  leurs 
litres  par  le  département. 

Le  Directoire  renvoie  les  héritiers  à  se  pourvoir  devant  la  justice. 
Abbaye  de  Pairis. 

Si  mars,  —  Cette  abhaye  avait  le  droit  de  pèche  dans  la  Lauch  , 
prenant  son  commeuceroent  au  bas  du  pont  dit  Langenbruck  et  finissant 


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176  REVUE  O' ALSACE. 

au  vieux  pout  en -deçà  de  la  maison  dite  le  Laihoff,  Laurent  Siebert, 
pécheur  à  Colmar,  souroisionne  ce  droit  pour  lequel  il  offre  1200  liv., 
Ie3i  mars  1791. 

Le  18  avril  1791  il  fait  une  nouvelle  soumission  de  1250  liv. ,  en  y 
comprenant  le  Kasxelringischwasser,  prenant  son  commencement  à  la 
Laucb  et  l'Ill  et  finissant  au  Theinemmer-Steg ,  dans  un  autre  Weeg. 

i?  avril. 
Monastère  des  Dames  religieuses  du  Vieux-Thann, 
Marie-Louise  Demougé ,  prieure ,  née  le  23  juin  1732  f  14  mai  1755. 
Plus  12  Dames  religieuses  qui  toutes  avaient  pour  premier  prénom 
celui  de  Marie.  Ainsi:  Marie-Joseph,  Marie-Elisabeth,  Marie- Anne, 
Marie-Victor ,  Marie-Augustine  ,  Marie-Angélique ,  Marie-Calherine , 
Marie-Thérèse,  Marie-Françoise,  Marie- Antoine,  Marie-Marguerite  et 
Marie-Agathe. 
2  sœurs  converses  :  Marie- Vincent  et  Marie- Agathe. 

Couvent  des  RR.  PP.  Cordeliers  de  Thann. 
Norbert  Ingwiller  de  Danzollsh.  (Prieur?) 
Plus  douze  autres  Pères  et  6  Frères  lais. 

Couvent  des  RR.  PP.  Capuans  de  Thann. 
Balthasar  Ihler  de  Thann  (Prieur?) 
12  autres  Pères.  —  7  Frères  lais. 

Couvent  des  RR.  PP.  Capucins  de  Belfort. 
Claude-François  Praileur ,  gardien ,  du  Magny.  23  mars  1748  —  24 
avril  1766. 
9  autres  Pères.  —  3  Frères  lais. 

Etat  certifié  et  visé  au  Directoire ,  le  17  avril  1791. 
BoLTz ,  secrétaire-adjoiul. 

;Conimunirations  émanant  de  divers  roliaboratenrs  et  de  sources  authentiques. ] 


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LANDSRRON. 


Sur  un  des  derniers  contreforts  du  Jura,  entre  Bàle  et  Ferrette ,  à  la 
limite  de  la  France  et  de  la  Suisse ,  dominant  de  près  la  jolie  vallée  de 
Leîmen  et  les  routes  antiques  qui  la  sillonnent  encore ,  on  aperçoit 
de  très-loin  une  haute  tour  démantelée.  Si  de  la  vallée ,  qu'on  vient  de 
nommer ,  on  veut  arriver  sur  cette  hauteur ,  on  suit  d*abord  le  vieux 
chemin  tracé  péniblement  sur  le  flanc  de  la  montagne  et  Ton  ne  voit 
autour  de  soi  que  le  massif  de  la  forêt ,  des  arbres  d*àge  moyen ,  crois- 
sant à  rangs  serrés ,  comme  s'ils  étaient  jaloux  de  réoccuper  un  sol 
dont  ils  avaient  été  longtemps  expulsés. 

Arrivé  sur  la  sommité  on  est  largement  indemnisé  de  sa  peine  :  là 
se  dresse  un  donjon  formidable  ^  entouré  d'édifices  d'époques  diverses , 
et,  chose  digne  de  remarque ,  les  mieux  conservés  sont  les  plus  anciens, 
i  commencer  par  la  tour  qui  leur  a  servi  à  tous  de  noyau  ou  d'appui. 
Celle-ci  n'est  plus  envirounée  que  de  murs  informes^  de  courtines 
ébrèchées,  de  bastions  renversés,  de  casemates  éventrées.  Il  est  évi- 
dent que  la  poudre  a  passé  par  là ,  jetant  pèle-mèle  dans  les  fossés 
les  murailles  du  moyen-âge  et  celles  élevées  par  les  ordres  de  Vau- 
ban ,  lorsque  le  château  féodal  fut  converti  en  forteresse  frontière , 
pour  couvrir  le  passage  du  Rhin ,  arrêter  un  ennemi  qui ,  après  avoir 
franchi  le  fleuve ,  aurait  voulu  pénétrer  en  France  par  la  vallée  de 
Leimen,  ou  en  descendant  de  THelvétie  par  le  Blauenberg.  C'était 
simplement  rétablir  au  17*  siècle  une  de  ces  forteresses  que  les  Romains 
avaient  bâties  en  ce  lieu ,  comme  sur  tant  d'autres  points  culminants 
da  Jura  ;  tant  il  est  vrai  que  certaines  positions  stratégiques  sont  ainsi 
réoccupées  de  siècle  en  siècle.  Du  haut  de  ce  château  ,  si  bien  nommé 
Landskron ,  ou  Couronne  du  Pays  ^  la  vue  s'étend  sur  toute  la  vallée 
du  Rhin ,  depuis  Rheinfeld ,  à  3  lieues  au-dessus  de  Bâle ,  jusqu'au- 
delà  de  Strasboui^.  L'œil  pénètre  jusque  dans  ces  étroites  vallées  de 
lllercinie  d'où  sortirent  tant  de  peuples  étrangers  pour  ravager  l'Alsace 

8*S4rie.-«7«  Année.  12 


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178  REVUE  D'ALSACE. 

et  les  Gaules.  On  domine  toute  la  vallée  de  Leimen  ,  où  il  y  avait  de 
nombreux  établissements  romains  ;  on  aperçoit  le  long  du  Jura  les 
débris  de  plusieurs  châteaux  réédifiés  au  ipoyenrâge  sur  des  fondations 
romaines  ;  aussi  nous  n'avons  pas  été  tsop  surpris  de  recueillir  dans  la 
forêt ,  au  nord  et  au  pied  de  Landskron ,  des  débris  de  tuiles  romaines 
et  d'apprendre  qu'on  avait  trouvé ,  sur  la  colline  même ,  plus  d'une 
monnaie  de  la  même  époque. 

Nous  croyons  donc  que  Torigine  du  château  de  Landskron  est  due 
à  une  tour  d'observation,  bâtie  en  ce  lieu  par  les  romains  pour  la  pro- 
tection générale  de  la  frontière  et  pour  celle ,  plus  particulière ,  des 
vallées  environnantes  où  se  groupaient  tant  d'habitations  romaines. 

La  Spécula  avait  probablement  disparu  en  grande  partie  lorsque  sur 
ses  fondations  on  éleva  le  donjon  actuel ,  â  une  époque  antérieure  au 
il^  siècle ,  comme  certains  détails  d'architecture  semblent  l'indiquer. 
Ce  devait  être  un  de  ces  domaines  du  fisc  resté  plus  ou  moins  long- 
temps entre  les  mains  du  souverain ,  donné  ensuite  à  titre  de  bénéfice 
temporaire ,  et  ayant  fini  par  devenir  un  fief  héréditaire  que  notns 
verrons  possédé  au  13^  siècle  par  une  famille  trans-rhén4D(3. 

Nous  n'avons  pu  retrouver  le  plan  de  cette  forteresse  vers  les  derniers 
temps  de  son  existence ,  c'est-à-dire  avant  1814 ,  et  nous  le  regrettons 
vivement  parce  que  ces  sortes  de  documents  deviesiment  toi^yours  plus 
rares. 

Il  y  a  bien  à  l'abbaye  voisine  de  Notre-Dame-de-l^-Pierre ,  un  tableau 
du  lô**  siècle  représentant  Landskron  à  l'occasion  d'ua  événement  don^ 
nous  ferons  aussi  mention.  Mais  lors  même  que  l'artiste  eticell^it  pour 
les  portraits ,  nous  nous  méfions  de  l'exactitude  du  château»  qui  n'était 
qu'une  partie  secondaire  de  son  sujet.  Mérian ,  dans  sa  topographie 
d'Alsace  ,  imprimée  à  Franckfort  en  166^,  fournit  une  vue  de  Lands- 
kron qui ,  nonobstant  quelques  erreurs  ^  offre  cependant  plus,  d'i^a 
intérêt.  On  y  remarque  des  fortifications  avancée^  >  sur  la,  façade  du 
Sud ,  deux  demi-tours  réunies  par  une  courtine ,  que  Vauban ,  peu 
d'années  après ,  enveloppa  dans  ses  bastions ,  comme  on  peui  s'en 
assurer  encore.  Les  habitations  ont  aussi  quelques  parties  reconnais 
Sables  et  qui  l'étaient  bien  davantage  lorsque  nous  avous  dessiné  ces 
ruines  il  y  a  près  de  30  ans.  Enfin  il  y  a  encore  au  village  de  I^^ds- 
kron  une  vue  assez  mal  faite ,  représentant  la  forteresse  au  commuée- 
ment  de  notre  siècle  et  elle  parsift  avoir  été  copiée  dans  un.  mamiscril  de 
Maria-Stein. 


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LANDSKRON.  179 

C*est  d'après  ces  indications  anciennes  y  avec  t'aide  de  personnes  des 
localités  voisines ,  et  l'examen  des  lieux ,  à  plusieurs  reprises ,  que 
nous  allons  essayer  de  décrire  Landskron  pour  conserver  le  souvenir  de 
celte  vieille  forteresse ,  evant  que  le  temps  et  les  hommes  n'en  dis- 
persent les  dernières  pierres  ^  Remarquons  auparavant  que  les  travaux 
du  17«  siècle  ont  tellement  bouleversé  la  crête  de  la  colline  qu'il  n'est 
plus  possible  de  reconnaître  si  elle  a  été  occupée  aux  alentours  du  châ- 
teau par  quelques  autres  édifices ,  si  ce  n'est  à  l'ouest  oà  l'on  indiquera 
les  ruines  d'un  manoir  féodal.  Quelques  traditions  locales  semblent 
rappeler  que  ,  sur  les  rochers  de  Tautre  côté  de  la  cluse,  ou  du  village 
de  la  Flue ,  il  y  a  eu  un  poste  militaire  ou  peut-être  aussi  un  haut-lieu 
des  temps  celtiques. 

Deux  chemins  conduisaient  à  Landskron  :  l'un  que  nous  avons' suivi , 
au  nord  ,  en  sortant  de  la  vallée  de  Leimen ,  et  l'autre ,  au  sud ,  ar- 
rivant de  la  Suisse,  dont  les  limites  ne  sont  éloignées  que  d'environ 
500  mètres.  Ces  deux  chemins  aboutissent  à  une  même  porte  placée 
au  midi,  mais  tournée  vers  l'ouest.  Ses  approches  étaient  protégées 
par  plusieurs  ouvrages  avancés ,  dont  l'un  ^  fort  remarquable ,  est 
perché  sur  une  roche  conique  détachée  de  la  base  qui  porte  le  château. 
Un  pont-levis  jeté  sur  le  fossé  permettait  d'entrer  à  pied  par  une 
poterne ,  ou  avec  voiture ,  par  une  porte  suffisamment  grande ,  mais 
exposée  au  feu  de  tous  les  ouvrages  placés  au  midi.  Cette  entrée  a 
remplacé  l'ancienne  déjà  ouverte  au  même  endroit.  Les  bastions  et 
la  courtine  qui  les  relie  enveloppent  deux  tours  rondes  et  une  cour- 
tine du  17''  siècle;  mais  ces  fossés  en  s'agrandissant  ont  fait  disparaître 
l'ancien  jardin.  Tous  ces  ouvrages ,  vieux  et  nouveaux,  ont  été  dévastés 
par  l'explosion  des  mines  et  Ton  ne  peut  plus  juger  qu'imparfaitement 
de  l'étendue  des  voûtes  et  des  casemates  qu'ils  renfermaient. 

Vient  ensuite  une  montée  défendue  à  droite  par  la  courtine ,  et  à 
gauche  par  les  hautes  murailles  du  château.  Cette  façade  était  percée 
de  canonières  dans  le  bas  et  plus  haut  de  fenêtres  à  plusieurs  créneaux , 
dans  le  style  des  15*  au  16«  siècles,  comme  Tatteste  une  date  de  1516 
placée  sur  la  clef  de  voûte  de  la  seconde  porte  donnant  entrée  dans  la 
grande  cour«  Celle-ci  était  occupée ,  à  l'Est  e^  au  Nord,  par  divers  bâti- 
ments servant  de  corps  de  garde  ,  de  caserne ,  d'ateliers ,  d'écuries  et 

*  M.  de  Reinach  a  acheté  ces  ruines  et  y  a  fait  de  nombreux  travaux  de  déblais 
et  de  conservation. 


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180  RKVDE  D' ALSACE. 

autres  dépendances ,  avec  une  poterne  pour  aller  vers  les  forts  déta- 
chés ,  et  une  tour  à  Fangle  Sud-Est ,  qui  servait  jadis  de  bastion ,  près 
du  magasin  à  poudre. 

Au  Sud  et  à  TOuest  se  trouvaient  le  nouveau  et  l'ancien  château  s'ap- 
puyant  chacun  au  donjon.  Là  aussi  on  voyait  la  chapelle  occupant  pres- 
que le  centre  de  celte  place  de  guerre.  Il  y  avait  ensuite  une  seconde 
cour ,  précédant  ces  bâtiments  divers  et  dans  laquelle  on  pénétrait  par 
un  passage  voûté ,  dont  tous  les  abords  étaient  percés  de  meurtrières, 
afin  de  pouvoir  encore  se  défendre  après  la  prise  de  la  première 
cour.  Le  donjon  se  dresse  à  Tangle  Sud-Ouest ,  comme  dernière  retraite. 
11  est  assis  sur  un  roc  plus  haut  que  le  niveau  de  la  cour ,  ce  qui  donne 
à  la  tour  un  aspect  plus  élevé  et  qui  n'existe  que  comparativement.  Ce 
bâtiment  est  la  partie  la  plus  ancienne  du  château.  Son  plan  a  la  forme 
d'un  carré  un  peu  allongé  à  angles  arrondis.  Ses  murs  ont  6  mètres 
d'épaisseur;  ils  sont  à  bain  de  mortier;  les  parements  en  moellons 
irréguliers  et  à  peine  dégrossis  à  la  pointe.  Le  remplissage  se  com- 
pose de  pierres  informes  et  même  de  blocs  de  rocher  d'un  poids 
énorme  qui  attestent  l'emploi  de  puissantes  grues  pour  les  tirer  jusqu'au 
haut  de  la  tour.  Jadis  on  ne  pouvait  arriver  à  la  porte  du  donjon  qu'au 
moyen  d'une  échelle  et  plus  tard  par  les  édiGces  qu'on  adossa  d'abord 
au  Nord ,  puis  à  l'Est.  Le  bâtiment  de  l'Est  servait  de  logement  au 
commandant  du  château ,  au  médecin ,  au  chapelain.  Sa  situation  avec 
façade  au  Sud  le  rendait  d'un  séjour  plus  agréable.  On  en  a  restauré 
récemment  une  partie,  mais  au  lieu  de  lui  conserver  son  caractère  pri- 
mitif,  on  lui  a  donné  l'aspect  d'un  chalet.  Cest  par  ces  restaurations 
qu'on  peut  actuellement ,  comme  autrefois ,  arriver  à  la  porte  du  don- 
jon. Nous  y  étions  déjà  parvenu  précédemment  par  le  côté  du  Nord, 
dont  une  partie  du  revêtement  a  été  arrachée.  C'est  sur  les  murs  ébou- 
lés que  nous  avions  posé  échelle  sur  échelle ,  cassecou  sur  cassecou. 
Le  bâtiment  du  Nord ,  ou  de  l'ancien  château  n'offre  plus  guère 
de  traces  de  son  architecture.  Ou  remarque  seulement  que  les  deux 
façades  extérieures  étaient  très-avares  de  fenêtres ,  mais  celle  donnant 
dans  la  cour  est  démolie.  On  reconnaît  encore  à  un  de  ses  étages,  et 
collés  au  donjon ,  les  restes  d'une  de  ces  vastes  cheminées  des  14«  et 
15<>  siècles ,  sous  le  manteau  desquelles  toute  une  famille  pouvait  être 
réunie ,  et  il  y  a  encore  les  débris  d'un  autre  chauffe  pance  à  un  étage 
plus  haut  vers  l'Ouest.  Toutefois  il  y  avait  d'autres  moyens  de  chauf- 
fage ,  comme  l'attestent  des  fragments  de  carreaux  de  fourneaux  ou  de 


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LANDSKBON.  181 

poêles  en  terre  cuite  à  relief  et  à  vernis  plombifère.  Nous  en  avons  vu 
quelques  débris  intéressants  représentant  des  dragons  affrontés  et  au 
cols  entrelacés. 

Les  portes  extérieures  du  donjon  rappellent  par  leurs  formes  les 
époques  où  elles  ont  été  percées  lorsqu'on  a  voulu  mettre  la  tour  en 
communication  avec  les  bâtiments  voisins.  La  plus  ancienne  est  sem- 
blable à  celles  qu'on  voit  à  des  tours  et  édifices  antérieurs  au  il'  siècle. 
Chaque  étage  de  la  tour  ne  forme  qu'une  seule  salle  solidement  voûtée 
à  plein  cintre.  La  première  n'a  qu'une  seule  fenêtre  carrée  d'environ 
20  centimètres  de  côté.  Il  n'y  a  pas  d'embrasure ,  mais  seulement  un 
couloir  à  peine  plus  grand  que  l'ouverture  de  la  fenêtre ,  qu'on  a 
ménagé  à  travers  un  mur  de  6  mètres  d'épaisseur.  Pour  arriver  au 
jour  et  recevoir  un  rayon  de  soleil ,  il  faut  se  traîner  sur  le  ventre  par 
ce  long  et  étroit  passage.  Ce  mode  de  locomotion  a  cependant  été  si 
fréquent  que  les  pierres  du  couloir  en  ont  été  polies  de  tous  côtés,  et 
surtout  au  contact  du  ventre  et  des  genoux. 

Dans  le  temps  où  ce  donjon  constituait  à  lui  seul  le  château,  et  par 
conséquent  la  demeure  du  châtelain  ,  celte  première  salle  devait  être 
la  place  d'arme ,  le  corps  de  garde ,  le  logement  des  hommes  de  guerre , 
qui  de  là  veillaient  à  la  défense  de  la  porte.  Quand  plus  lard  on  y  sub- 
stitua des  édifices  plus  commodes ,  le  donjon  fut  converti  en  prison  , 
en  sorte  qu'il  y  a  lieu  de  présumer  que  le  polissement  des  pierres  du 
couloir  conduisant  à  la  fenêtre ,  est  dû  aux  malheureux  prisonniers  qui 
n'avaient  pas  d'autres  moyens  de  prendre  un  peu  d'air  et  de  lumière. 

Au  château  de  Chilien ,  dont  le  lac  de  Genève  reflète  les  hautes 
murailles ,  on  montre  le  sentier  semi-circulaire  que  tracèrent  dans  le 
pavé  les  pieds  de  Bonivard ,  lorsqu'il  se  promenait  aussi  loin  que  le  lui 
permettait  sa  chaîne. 

Le  second  étage  a  une  fenêtre  un  peu  plus  grande ,  mais  son  aspect 
n'est  pas  plus  réjouissant.  Cet  appartement  est  à  peine  éclairé  ^  on  n'y 
reconnaît  aucun  moyen  de  chauffage ,  ce  qui  est  conforme  à  ce  qu'on 
voit  dans  un  grand  nombre  d'autres  anciennes  tours  qui  ont  cependant 
été  habitées  K  En  effet  la  salle , «formant  le  second  étage  du  donjon  de 
Landskron,  devait  être  le  logement  primitif  du  châtelain  et  de  toute  sa 


*  On  pent  dire  sans  hésitation  que  Toussaint,  ce  nègre  intelligent  qui  avait  com- 
mandé à  Saint-Domingue ,  est  mort  de  froid  dans  les  salles  voûtées  du  fort  de  Jouy 
qu'on  lui  a^ait  donné  pour  prison. 


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i&i  RETQE  fD'MiSAGE. 

famille.  C'est  là  qu'était  le  lit  du  père ,  de  la  mère  et  des  enfents ,  Ht 
à  plusieurs  divisions ,  superposées  «  pour  gagner  de  ia  place ,  véritable 
monument  dont  Tusage  s'est  maintenu  fort  tard  dans  les  ckàteaux  et 
jusqu'à  nos  jours  dans  les  vieilles  maisons  de  nos  villages.  Le  rez-de- 
chaussée  recelait  ces  couchettes  qu'on  tirait  le  soir  sur  des  roulettes , 
pour  y  mettre  les  enfants  en  bas  âge.  Au  premier  étage  les  père  et 
mère  couchaient  dans  des  lits  de  plumes  que  les  inventaires  du  45* 
siècle  annoncent  du  poids  de  60  à  100  livres.  La  dimension  de  ces 
lits  fait  penser  qu'on  y  mettait  au  hesoin  deux  rangées  de  coucheurs 
en  les  plaçant  les  pieds  opposés.  Enfin  sur  le  ciel  du  lit  grimpaient  (es 
adolescents ,  qui ,  à  raison  de  la  hauteur  de  certains  appartements , 
pouvaient  encore  s*ébattre  plus  à  l'aise  que  dans  nos  entre-sols. 

On  ne  doit  nullement  être  surpris  de  tels  arrangements ,  de  la  part 
des  châtelains  ;  il  y  avait  dans  ces  salles  encore  moins  de  pèle-m^e 
que  dans  les  tentes  et  les  chariots  de  voyage  de  leurs  ancêtres.  C'était 
déjà  un  perfectionnement  notable  que  d'avoir  éliminé  une  partie  des 
serviteurs  et  des  animaux  domestiques  qui  logeaient  avec  les  vieux 
Germains.  La  vie  des  anciens  seigneurs  se  passait  en  plein  air  ^  à  la 
chasse,  à  la  guerre,  en  courses  de  nature  parfois  fort  peu  honorables, 
et  quand  tes  châtelaines  s'ennuyaient  dans  leurs  sombres  et  étroites 
demeures ,  elles  allaient  coudre  ou  broder  hors  du  donjon ,  se  pro- 
mener dans  la  campagne ,  se  rendant  fréquemment  à  l'église  voifiioe , 
ou  bien  elles  faisaient  de  plus  longs  pèlerinages ,  quand  leurs  époux  ou 
leurs  frères  négligeaient  de  les  mener  en  visite  dans  les  châteaux  ,  ou 
de  les  faire  assister  à  des -fêtes  et  à  des  joutes. 

En  sortant  de  cette  salle  par  une  petite  porte  s'ouvrant  dans  un 
escalier  dérobé ,  ménagé  dans  l'épaisseur  des  murs  pour  monter  au 
sommet  de  la  tour ,  on  laisse  sous  ses  pieds  un  autre  souvenir  de  ces 
temps  barbares.  C'est  une  prison ,  une  oubliette  de  2  mètres  de  dia- 
mètre creusée  dans  le  massif  des  murs  et  descendant  fort  bas  jusque 
sur  le  roc.  Une  petite  ouverture  à  la  clef  de  la  voûte  servait  à  dévaler 
le  prisonnier  et  c'est  par  là  qu^on  lui  administrait  sa  chétive  nourriture 
au  moyen  d'une  corde.  Nous  verrons  bientôt  ce  que  devenaient  les 
malheureux  qu'on  envoyait  dans  ces  horribles  cachots.  Hâtons-nous 
de  nous  éloigner  de  ces  lieux  sinistres  et  de  retrouver  l'air  et  le  jour*. 

*  Le  passade  et  l'escalier  ménagés  dans  l'épaisseur  des  murs  rappelle  le  mode  de 
construction  des  plus  anciens  donjons  de  nos  contrées  et  qu'on  usageait  encore  dans 
d'autres  pays  au  onzième  siècle. 


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LAimSBlON.  183 

Nous  présumons  que  le  doujoH  a  été  autrefois  couvert  d'un  toit  haut 
et  pointu  ,  servant  de  logement ,  de  magasin  et  de  moyens  de  défense. 
Mais  depuis  ie  47®  Biè<4e,  an  moins  ,  la  toiture  avait  disparu  et  se 
tPêuvavt  adors  renifilaoée  «par  otie  plate-forme  à  parapets  crénelés.  Lors- 
que Vaubati  fit  «nsttile  foftifier  Landskron ,  il  renforça  ces  parapets , 
tout  en  y  ménaceant  des  embrasures  et ,  vers  le  Sud  ,  il  fit  tendre  des 
eorbeanx  sur  lesquels  on  posa  Ufie  guérite  dominant  toute  la  contrée 
eoviraftwuile. 

De  œtle  position  élevée  la  vue  eâibrasse  un  Magnifique  panorama. 
Nous  en  avons  déjà  découvert  une  partie  en  arrivant  sur  la  colline , 
mais  ée  là  on  n'en  ^sit  pas  aus^  bien  l'ensemble  et  les  détails  que  lors 
q«'«ti  est  pérthé  sur  la  «ommité  du  donjon.  L'oeil  plonge  d'abord  sur 
l'encemble  des  ruines  de  la  forteresse  et  sur  ses  ouvrages  avancés. 
Chaque  embrasure  de  la  plate-forme  indique  la  direction  d'une  de  ces 
redolites  et  Ton  voit  que  le  canon  renfilait  le  chemin  couvert  condui- 
sant de  la  place  à  chaque  fort  détaché  et  rendait  Toccupation  de  ceux-ci 
fort  périlleuse  pour  l'ennemi  qui  s'en  serait  emparé.  Ces  redoutes,  sans 
compter  le  cavalier  dominant  l'entrée  du  château ,  sont  au  nombre  de 
lroi«  )  deux  à  l'Orient  et  une  à  TOccident ,  couvrant  les  abords  de  la 
place  par  les  seuls  côtés  accessibles.  Elles  étaient  solidement  con- 
(^tmiteSy  ayant  des  fossés,  larges  et  profonds^  taillés  dans  le  roc,  des 
revétemente  en  pierres  de  taille ,  des  casemates  enfin  tous  les  acces- 
soires de  ces  sortes  d'ouvrages  avancés.  Des  chemins  couverts  égale- 
ment creusés  dans  le  roc  les  mettaient  en  communication  avec  la 
forteresse  ;  des  ponts  de  bois  jetés  sur  les  fossés  étaient  faciles  à  dé- 
truire en  cas  d'attaque. 

On  ne  pouvait  du  reste  tirer  sur  ces  redoutes  que  depuis  le  territoire 
suisse ,  sur  le  bord  du  plateau  où  est  bâti  l'abbaye  de  Maria-Stein. 
Mois  »  si  sur  ce  bord  il  était  aisé  d'établir  des  batteries ,  celles-çi 
étaient  trop  éloignées  du  château  pour  le  battre  en  brèche  d'une  ma- 
nière efiBcace  ;  le  canon  du  donjon  les  dominait  et  les  boulets  qui  les 
manquaient  allaient  de  plein  fait  se  loger  dans  les  bâtiments  du  mo- 
nastère. Aussi  Ton  accuse ,  peut-être  trop  légèrement ,  les  Bénédic- 
tins d'avoir  demandé  la  destruction  de  cette  forteresse  lorsque  les  enne- 
mis de  la  France  cherchaient  tous  les  prétextes  pour  en  diminuer 
l'étendue  et  la  force.  C'est  également  alors  que  les  Bàlois  revendi- 
quèrent la  démolition  d'Huningue ,  dont  les  canons  de  24  envoyaient  de 
trop  lourds  messages  aux  portes  de  la  Suisse.  Nous  avons  entendu 


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iSi  REVUE  D'AL8ACE 

tonner  ces  grosses  pièces  en  1814  et  le  soi  gelé  en  tremblait  à  8  lieues 
de  distance  ^ 

De  la  plate-forme  où  nous  sommes  on  aperçoit  la  forteresse  dé- 
mantelée sur  le  bord  du  Rhin  et  Bàle  qui  s'agrandit  chaque  jour  sur 
les  deux  rives  du  fleuve.  On  voit  toute  cette  ligne  d'anciens  castels 
qui^  depuis  au-delà  d'Âugusta-Rauracorum ,  s'échelonnaient  le  long 
du  Jura  et  qu'ont  remplacés  les  châteaux  du  moyen-âge.  Ce  sont  les 
trois  Wartenberg ,  Schauenbourg ,  Hunchenstein ,  les  trois  Reicben- 
stein  ,  les  deux  Byrseck ,  Dornach ,  Pfeffingen ,  Tschepperlein.  Plus 
près  y  dans  une  charmante  vallée ,  il  y  avait  le  pittoresque  Sternenberg 
qu'on  a  démoli  récemment ,  puis  en  arrière  de  Maria-Stein ,  le  donjon 
de  Rothberg  ;  plus  au  Sud-Ouest  les  sept  castels  de  la  Bourg ,  bâtis 
depuis  les  temps  romains  jusqu'à  nos  jours ,  portant  chacun  d'eux  un 
nom  différent  qui  ont  embrouillé  les  historiens  ;  enfin  viennent  les 
masures  des  deux  Waldeck  et  l'emplacement  de  Rheineck  dont  les 
débris  on  servi  aux  constructions  de  Landskron. 

U  y  a  encore  bien  des  choses  à  voir  depuis  celte  plate-forme  »  mais 
il  y  manque  à  celle-ci  le  rétablissement  d'une  partie  de  ses  parapets , 
pour  y  déposer  les  chapeaux  et  les  ombrelles  des  dames  pendant 
qu'elles  font  usage  de  leurs  binocles. 

En  quittant  le  donjon  nous  n'avons  plus  que  peu  de  chose  à  voir  à 
Landskron  ;  mais  on  doit  indiquer  en  passant  les  deux  citernes ,  l'une 
dans  la  grande  cour  et  l'autre  dans  la  petite  cour.  Elles  sont  taillées 
dans  le  roc  à  13  ou  14  mètres  de  profondeur.  L'ancien  puits  est 
également  foré  dans  le  rocher  jusqu'à  la  base  de  la  colline  ,  ce  qu'on 
évalue  à  plus  de  200  mètres  ^. 

'  Huningue  fut  construit  par  les  ordres  de  Louis  XIV  en  1679  ,  nonobstant  les 
longues  réclamations  de  la  Suisse.  Lorsque  fiarbanégre  défendit  cette  place  en  1815 
avec  un  courage  digne  d'un  meilleur  succès ,  les  Suisses  aidèrent  aux  alliés  à  en 
faire  le  siège,  en  leur  prêtant  de  la  grosse  artillerie  et  4600  hommes.  La  tranchée 
fut  ouverte  dans  la  nuit  du  16  au  17  août  et  la  place  capitula  le  26.  Bâle  put  alors 
respirer  et  échappa  aux  contributions  et  aux  boulets  de  Barbanégre  ;  mais  cette 
ville  ne  pardonna  pas  à  la  forteresse  qui  fut  démolie  peu  après ,  soit  du  commen- 
cement de  septembre  à  décembre  1815.  Plus  de  2000  hommes  y  travaillèrent  de 
corvée. 

'  Nonobstant  ce  puits  et  ces  citernes,  Landskron  était  si  mal  pourvu  d'eau  que  sa 
garnison  était  souvent  obligée  d'en  aller  chercher  fort  loin  dans  la  vallée  au-dessous 
de  Maria-Stein,  —  Haffner  ,  Chronique  de  Soleure  ,  seconde  partie ,  p.  398. 


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LANDSKRON.  485 

On  peut  remarquer  aussi  quelques  restes  de  ces  prisons  redoutables 
qui  ont  entendu  les  soupirs  et  les  plaintes  de  bien  des  malheureux,  depuis 
que  Landskron  a  été  acquis  par  la  France  pour  en  faire  une  forteresse 
frontière ,  jusqu'à  l'époque  <oû  cette  succursale  de  la  Bastille  a  cessé , 
comme  celle-ci ,  d'être  une  prison  d'Etat. 

Un  auteur  suisse,  Hcntzy ,  rapporte  *  qu'un  jeune  Américain,  nommé 
Duvergier ,  fut  condamné  à  une  prison  perpétuelle  pour  avoir  tenu 
quelques  propos  contre  le  ministre  de  Choiseuil.  Duvergier  fut  amené 
à  Landskron  où  il  resta  pendant  22  ans  enchaîné  dans  un  affreux 
cachot;  il  y  perdit  l'usage  de  ses  membres  et  la  raison.  Lorsque  le 
général  Pichegru  visita  Landskron ,  il  fit  rechercher  cet  infortuné , 
qu'on  transporta  à  l'hôpital  de  Strasboui^,  où  il  mourut  peu  après. 

Mous  avons  entendu  raconter  par  le  chirurgien  de  Landskron,  sous 
Tancien  régime ,  qu'un  jeune  homme  ayant  déplu  à  une  dame  de  la 
cour,  celle-ci,  d'une  voix  douce  et  avec  un  sourire  enchanteur, 
obtint  du  ministre  une  bonne  lettre  de  cachet ,  qu'elle  accompagna 
de  quelques  lignes  griffonnées  sur  un  feuillet  de  papier  parfumé.  Le 
déplaisant  personnage  fut  arrêté  et  conduit  sans  jugement  à  la  for- 
teresse frontière.  Il  comptait  y  trouver  un  appartement  convenable 
et  il  avait  obtenu  l'autorisation  d'emmener  quelques  effets  et  un  instru- 
ment de  musique.  A  son  arrivé  au  château ,  le  commandant  prit  cou- 
naissance  de  l'ordre  officiel  ;  mais  à  la  lecture  du  billet ,  à  tranches 
dorées ,  il  pâlit ,  hésita  et  malgré  lui  il  fallut  se  résigner  à  envoyer 
le  jeune  seigneur  à  l'ouverture  d'une  oubliette.  Là,  on  le  descendit  avec 
une  corde ,  puis  après  lui  son  luth  et  ses  effets ,  puis  enfin  sa  première 
ration ,  un  morceau  de  pain  et  une  cruche  d'eau.  La  corde  fut  alors 
retirée  et  l'ouverture  fermée  pour  la  journée.  Chaque  jour  cependant, 
si  le  geôlier  ne  l'oubliait  pas ,  on  renouvelait  la  ration ,  mais  du  jour , 
de  l'air  ,  de  la  propreté  .  il  n'en  pouvait  être  question.  Aussi  lorsqu'à 
la  révolution ,  la  bastille  St.  Antoine  s'écroula  sous  le  choc  de  la 
liberté ,  on  ouvrit  également  les  prisons  de  Landskron  ,  mais  l'oubliette, 
au  lieu  d*un  jeune  homme  plein  de  vie  et  de  santé  qu'elle  avait  reçu , 
ne  restitua  qu'un  corps  nu,  velu  et  décharné,  une  figure  hâve  aux 
yeux  hébétés  et  éteints ,  des  mains  crochues  armées  d'ongles  déme- 
surés ,  et  bientôt  le  changement  d'atmosphère  et  de  qourriture  mit  fin 
aux  longues  souffrances  de  ce  malheureux. 

'  Promenade  pittoresque  de  Bdle  à  Bienne ,  en  1796.  Publiée  en  1809.  T.  ii,  p.  14. 


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186  REvra  »'alsace. 

La  différence  qu'on  remarque  entre  ces  récils  feit  penser  qu'il  y 
eut  deux  fnrisoaniers  ainsi  retirés  des  oubliettes  de  Landskron ,  celui 
dent  Hentzi  avait  entendu  parier  et  celui  que  le  efaimrgien  Fischer 
avait  vu  sortir  4e  son  sépulcre.  L'image  <ie  ce  malheureux  revenait 
souvent  au  souvenir  à  ce  vieux  praticien,  et  plus  d'une  fois  nous  l'ayoas 
entendu  fronder  les  enfants  en  leur  disant  :  vous  a^iez  des  ongles 
comme  le  prisonnier  de  Landskron. 

Il  n'est  guère  possible  de  désigner  les  premiers  seigneurs  qui  ont 
possédé  Landskron.  On  a  bien  dit  précédemment  que  ce  cbàteau  de- 
vait être  un  de  ces  domaines  du  fisc  échus  aux  souverains  du  pays 
après  la  dissolution  de  l'empire  romain*  Selon  une  indication  de  Boyve , 
mais  toujours  sans  preuve  ,  ce  château  aurait  été  donné  à  l'é^ché  ée 
Bàle  avec  celui  de  Pfeffingen,  par  l'empereur  Henri  II  en  1019*.  Selon 
Schcepflin  c'était  un  ancien  patrimoine  des  Sires  de  RoBteln,  dont  il  ne 
fait  remonter  l'origine  qu'en  1083  ',  tandis  que,  d'après  une  noUce 
sur  le  château  de  Rœtein,  les  Sires  de  ce  nom  paraissent  issus  des  pre«* 
miers  conquérants  de  la  contrée  ;  leur  ch&teau  était  assis  sur  une  for- 
teresse romaine  et  un  des  membres  de  cette  famille  figure  dans  on 
diplôme  de  l'année  900  3. 

Schœpflin ,  dans  un  autre  lieu  ,  dit  que  Landskron  était  un  fief  de 
famille  possédé  par  moitié  entre  la  maison  d'Autriche  et  celle  des 
marquis  de  Baden^.  La  famille  de  Rœtein  s'éteignit  en  1315;  son 
héritier  principal  fut  le  marquis  de  Hochberg  et  à  celui-ci  succéda  la 
maison  de  Baden-Dourlach  qui  ajoute  &  ses  titres  celui  de  Sire  de 
Rœtein.  Nous  croyons  devoir  admettre  que  ce  furent  les  Rœtein  qui 
furent  les  possesseurs  de  Landskron  à  l'exclusion  de  l'Autriche.  Leurs 
héritiers,  les  Hochberg  et  tes  Bad en ,  ont  successivement  infëodé  ce 
domaine  à  diverses  familles  et  enfin  il  est  certain  que  lors  de  la  con- 
quête de  l'Alsace  par  la  France ,  Louis  XIV  acheta  le  domaine  direct 
de  Landskron  aux  marquis  de  Baden-Douriach ,  Sires  de  Rœtein,  par 
acte  du  28  mars  1 663 ,  pour  la  somme  de  trois  milles  livres  tournois , 
assignée  sur  le  péage  de  Ottmarsheim ,  et  par  ce  moyen  les  marquis  de 

*  Annales  de  Neufchâtel ,  Tom.  i ,  p.  H I . 

« 
"  Hist,  Zœringo-Badensis ,  Tom.  i,  p.  454. 

^  J.  B.  Brecht  ,  Notice  sur  le  château  de  llateln. 

*  Hist.  Zaringo-Badensis  ,  Tom.  iv  ,  p.  288, 


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LANDSKRON.  187 

Baden  renoncèrent  à  tous  leurs  droits  non  spécifiés ,  sur  le  ciiàteau  de 
/  Landskron  *. 

[  Deux  ans  après  cette  convention  la  France ,  traita  avec  les  Reich  de 

I  Rreitenstein ,  alors  en  possession  du  fief  de  Landskron  pour  Taquisi- 

tion  du  doBiaine  utile;  ce  qui  eut  lieu  nnoyenaani  la  somme  de  dix 
n)ille  livres  tournois ,  ou  d'une  rente  annuelle  de  500  livres  '.  Dans 
I  aucune  acte  il  n*est  fait  mention  de  FAul  riche ,  ou  de  ses  droits. 

^  Mais  retournons  encore  en  arrière  dans  les  annales  de  Landskron. 

Au  commencement  du  13*  siècle  c'élaif  déjà  une  place  importante  dont 
'e  possesseur  était  hostile  à  Frédéric  II ,  un  des  compétiteurs  à  l'empire. 
H  est  assez  remarquable  de  voir  alors  le  nom  et  le  sort  de  Landskron 
associés  au  château  de  Trifels ,  près  d'Ânweiler.  C'est  dans  celui-ci 
^ue  l'empereur  Henri  V  avait  ordonné  en  mourant ,  en  1125,  de  dé- 
poser les  insignes  de  l'empire,  la  couronne  et  le  sceptre,  jusqu'à 
^^élection  d'un  nouvel  empereur.  Après  la  mort  de  Philippe,  roi  des 
^Oftisûns ,  en  1208,  son  chancelier  se  retira  dans  cette  forteresse  ,  avec 
'^5  iiiisignes  de  l'empire  et  ce  n'est  qu'en  1215  que  l'empereur  Fré- 
déric II  s'en  empara  en  même  temps  que  de  Landskron.  Or,  une  de 
^^  places  est  au  Nord  et  l'autre  au  Sud  de  l'Alsace ,  comme  deux  sen- 
liivell^s  aux  extrêmes  frontières  delà  province  3.  La  première,  comme 
^^  vient  de  le  voir,  servait  de  lieu  de  dépôt  à  la  couronne  du  souve- 
run  ^g  l'empire  et  Tuutre  couronnait  ou  dominait  toute  la  haute 
^^Sa.oe,  en  même  temps  que  ses  armoiries  portaient  trois  couronnes, 
'^^dis,  qu'à  Trifels,  trois  castels  couronnaient  la  même  montagne. 

A.   QUIQUEREZ,   aooion  préfet  dfiDélémunt. 
loenibre  de  la  Société  juraMienoe  d'émulation .  et  de  plusieurs  sociétés 
d'hisloire  et  d'archéologie  de  Suisse  01  de  Pranee. 


,  La  fin  à  la  prochaine  livraison,) 


,  <^i8t.  Zmringo^Badensis  ,  Tom.  vu  ,  p.  2l2    L'annexion  eut  lieu  en  1648  par 

^^ité  de  Westphalie  ;  mais  U  fallut  encore   bien  des  années  avant  de  se  mettre 
^^^«ment  en  possession  de  l'iuUace. 

>V'ALCU ,  Miscel,  Luctl, ,  manusc. ,  T.  1,  p.  143.  —  Hentzy,  T.  u,  p.  15. 
ScH<EPFLiy ,  Alsat,  illusU  ,  trad.  RÀV£Nez  ,  T.  iv  ,  p.  431. 


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LES  CONFRÉRIES  DE  MÉTIERS. 


Tous  ceux  qui  se  sont  fait  un  nom  dans  le  monde ,  hommes  d*Eglise 
ou  de  châteaux ,  hommes  de  camps  ou  de  palais ,  n'ont  jamais  manqué 
d'écrivains ,  pour  célébrer  leurs  hauts-faits  et  leur  puissance. 

Le  peuple ,  au  contraire ,  quoique  soutien  naturel  et  agent  principal 
de  toutes  ces  gloires  ^  toujours  obscur  et  ignoré ,  est  resté  longtemps 
sans  historiens,  pour  redire  ses  joies  et  ses  douleurs,  ses  audaces  et  ses 
faiblesses,  ses  mérites  et  ses  fautes.  Et  cependant  le  peuple,  et  j'entends 
par  ce  mot  nos  ancêtres,  c'est-à-dire  les  générations  qui  ont  précédé  la 
nôtre ,  a  joué  dans  nos  annales  un  rôle  dont  la  grandeur  apparaît 
pleinement  aujourd'hui.  Lui  aussi ,  il  a  eu  son  histoire ,  une  histoire 
toute  remplie  de  patientes  misères  et  d'élévation  ,  d'excès  monstrueux 
et  de  grandes  vertus,  de  poésie  et  d'héroïsme.  Et  cette  histoire  n'est  au 
fond  que  l'histoire  même  du  développement  et  des  progrès  de  notre 
société  civile,  depuis  le  chaos  de  lois,  de  mesures  et  de  conditions ,  qui 
suivit  la  chute  de  l'empire  romain  ,  jusqu'à  l'établissement  du  régime 
d'ordre ,  d'unité ,  de  liberté ,  qui  découle  nécessairement  des  grands 
principes  proclamés  en  1789. 

Je  veux  essayer  de  refaire  un  chapitre  de  cette  grande  histoire, 
encore  si  peu  connue,  et  entretenir  le  lecteur  pendant  quelques 
instants,  mais  d'une  manière  rapide  et  sommaire,  des  corporations  de 
métiers ,  connues  sous  le  nom  de  confréries  de  métiers  et  de  jurandes. 

La  question  de  l'origine  de  ces  associations  est  encore  fort  controversée 
à  l'heure  qu'il  est.  Un  écrivain  moderne  S  qui  n'a  pas  craint  de  fabri- 
quer un  système  tout  exprès,  pour  établir  que  les  classes  ouvrières  ont 

'  Gaaiiur  de  Cassaignac. 


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LES  CONFRÉRIES  DE  MÉTIERS.  489 

eu  une  origine  distincte  de  celle  des  classes  nobles  dans  l^istoire  de 
rhamanité ,  et  que  le  travail  n'a  été  au  fond  que  la  transformation  de 
Tesclayage,  cet  écrivain,  dis- je  ^  a  parlé  des  jurandes  juives  qui  se 
montrèrent  tout  particulièrement,  du  temps  de  Salomon,  avec  les 
80,000  ouvriers  et  leurs  3,200  maîtres  employés  à  la  construction  du 
temple  de  Jérusalem.  Il  les  fait  apparaître  ,  dès  les  premiers  temps  de 
l'histoire  de  la  Grèce ,  à  Athènes  «  lorsque  Thésée  divisa  les  habitants 
de  TAttique  en  nobles ,  laboureurs ,  artisans  et  gens  de  métiers ,  et  il 
les  retrouve,  à  Rome,  dans  les  Collegia  opificum^  ou  collèges  d'ouvriers, 
si  connus  depuis  Numa,  leur  fondateur,  jusqu'à  la  chute  de  l'Empire 
d'Occident.  Selon  lui,  les  corporati«ms  de  métiers  seraient  donc  de  tous 
les  temps  et  de  tous  les  pays  ;  elles  auraient  eu  partout  une  origine 
commune  et  différaient  peu  dans  la  forme  et  le  but.  En  d'autres  termes , 
les  jurandes  modernes  ne  seraient  que  la  continuation  des  corporations 
d'ouvriers  de  l'antiquité  et  notamment  des  Collèges  d'ouvriers  des 
Romains. 

D'autres  pensent,  au  contraire,  que  nos  jurandes  ont  une  origine 
germanique,  qui  ne  remonte  pas  au-delà  des  grandes  migrations  du 
5"  siècle  de  notre  ère.  A  les  entendre,  le  gouvernement  romain,  après 
ses  450  ans  d*existence  sur  notre  sol ,  fut  totalement  renversé  dans  les 
Gaules  avec  ses  115  municipes  ou  communes ,  et  par  conséquent  avec 
les  corporations  de  métiers  qui  composaient  ce  sjfstèmo  administratif 
municipal.  Les  Francs  s'établirent  à  leur  place ,  du  moins  jusqu'à  la 
Loire  ,  et  les  institutions  romaines  ne  purent  se  maintenir  qu'au-delà 
de  ce  fleuve ,  au  Midi  de  la  France ,  dans  les  pays  de  droit  écrit  *. 

Selon  quelques  autres  écrivains ,  la  fusion  qui  s'est  opérée  sur  notre 
sol  entre  les  Gaulois  ,  les  Romains  et  les  Francs ,  et  qui  a  constitué 
nos  mœurs  nationales ,  aurait  donné  à  nos  corporations  de  métiers  ce 
caractère  d'indépendance  qui  leur  est  propre  et  qu'elles  n'ont  emprunté 
nulle  part. 

Quant  à  nous ,  il  nous  semble  ^  en  effet ,  que  si  les  corporations 
d'ouvriers  ont  eu  un  caractère  théocratique  ou  plutôt  sacerdotal  dans 
l'antiquité,  et  administratif  chez  les  Romains ,  elles  ont  été,  au  con- 
traire, féodales  au  moyen-âge»  indépendantes  et  communales  à  la  chute 
de  la  féodalité,  monarchiques  avec  la  royauté ,  et  cependant,  sous  ces 
divers  régimes ,  combattant  sans  cesse  pour  leur  liberté  politique  ou 

'  A06U8TIN  Tbierrt  ,  Hécttê  des  temps  mérovingiens  ,  Toiil.  i ,  p.  260'9S5. 


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*90i  WBVjm  B^iiaSâCB;. 

industrielle  ou  pour  leurs  monopoles,  jusqu'au  maniant  où  chez  nous , 
abusant  de  leoors  priviiéges,  elles  ont  succombé  en  i79i  povr  feire 
place  à  la  Kberté  du  commenre  et  de  Tinduslrie.  Or,  pour  peu  que  nous 
les  examinions  dans  leurs  rapports  politiques  et  industriels,  poétiques 
et  religieux ,  nous  n'aurons  pas  de  peine  à  constater  les  conséqaences 
que  nous  venons  d'énoncer. 

Ce  qui  nous  frappe  tout  d'abord,  c'est  que,  malgré  qu'elles  présentent, 
dans  les  divers  pays  de  l'Europe,  de  notables  différences  d'organisation 
et  de  mouvement ,  elles  peuvent  toutes  être  ramenées  à  une  origine 
commune  :  la  liberté.  Si  elles  ont  ensuite  marché  dans  des  voies  diffé- 
rentes ,  c'est  aux  mœurs  des  peuples  et  aux  événements  poKtiques  et 
sociaux  qu'il  faut  demander  les  raisons  de  cette  diversité. 

Parcourons  rapidement  les  différentes  phases  de  Thistoire  de  notre 
France ,  qui  fut  successivement  gauloise  et  romaine ,  chrétienne , 
franque  et  féodale,  communale  et  populaire,  puis  enfin  monarchique. 
A  la  domination  romaine ,  qui  se  maintint  pendant  près  de  5  siècles 
dans  nos  Etats  européens,  a  succédé,  au  5«  siècle^  la  grande  invasion 
germanique ,  d'où  sont  sorties  la  féodalité ,  les  communes  modernes , 
puis  des  royautés  et  des  républiques.  Chacune  de  ces  grandes  époques  a 
eu  son  action  directe  sur  les  jurandes. 

Sous  la  domination  romaine,  nul  doute  que  ce  fut  avec  les  institu- 
tions municipales  de  Rome ,  que  les  corporations  d'ouvriers ,  déjà 
répandues  dans  tout  l'empire  sous  le  nom  de  Collèges  ou  de  Gynécées, 
furent  introduites  dans  la  vaste  préfecture  des  Gaules. 

L'empire ,  préoccupé  avant  tout  de  ses  intérêts  fiscaux  et  du  besoin 
d'assurer  la  fiicilité  de  ses  propres  services  militaires  et  civils ,  a  dû 
opérer  d'après  ce  plan  :  instituer  dans  toutes  les  ville»  provinciales ,  sous 
le  nom  de  déeurions ,  une  oligarekie  bourgeoise ,  privilégiée  autant  que 
possible ,  mais  responsable  de  l'impôt  devant  le  fisc  ;  organiser  des 
associations,  des  collèges  d'ouvriers,  auxquels  il  accordait  la  person- 
nalité civile  et  des  privilèges,  sous  réserve  de. pourvoir  aux  réquisitions 
des  magistrats  moyennant  rémunération  et  compensation  raisonnables. 
Or,  quels  sont  ces  services,  dont  le  gouvernement  pouvait  avoir  besoio 
et  qu'il  réclamait  par  l'entremise  de  ses  magistrats?  Afin  d'organiser 
son  service  administratif,  son  déploiement  de  forces  militaires  et  le 
développement  de  son  luxe  architectural,  il  lui  fallait  des  charpentiers  « 
des  maçons,  des  cuiseurs  de  chaux ,  des  fontainiers,  des  mesureurs. 


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LES  GCWaâtfBS  M.  MÉTIERS.  f9t 

des  meiloiers ,  de&  boulangers ,  des  bouchers ,  des  muletiers ,  des  toî- 
luriersy  des  bateliers,  des  décorateurs ,  de» potiers,  dAS  foi^eiKms,  des 
ouvriers,  en  airaiu^  etc.  U  organisait  doue  dans  chaque  ville  des  collèges 
chargés  de  remplir,  chacun,  une  de  ces  tâches  d'utilité  journalière, 
et  ces  coHéges ,  devenus  un  des  rouages  de  radministralioD ,  étaient 
comme  la  charpente  qui  supportait  k  grand  corps  de  l'empire.  Ge 
furent  ces  légions  d'ouvriers  qui  permirent  à  celui.  -  ci  d' accomplir  les 
vastes  travaux  dont  les  ruines  couvrent  encore  l'Espagne ,  la  Franco , 
ritalie,  l'Angleterre,  l'Afrique,  qui  approvisionnèrent  des  armées 
innombrables ,  qui  firent  rentrer  l'impôt  dans  le  plus  vaste  empire  qui 
fût  jamais. 

Mais  cette  institution ,  bonne  en  principe ,  née  pour  empêcher  les 
luttes  de  la  concurrence ,  pour  mettre  les  ouvriers  à  l'abri  du  besoin 
par  la  mutualité  des  secours,  par  suite  de  l'intervention  de  l'Etat,  était 
devenue  d'abord  responsable  des  malheurs  de  l'empire;  puis,  les 
ouvriers ,  attaqués  dans  leurs  biens ,  n'avaient  pas  tardé  à  l'être 
dans  leurs  personnes ,  et  plus  dépendants  que  les  moines  dans  leurs 
couvents ,  plus  esclaves  que  les  serfs  sur  leur  glèbe  ,  ils  étaient  con- 
damnés à  naître,  à  se  marier,  à  mourir  dans  la  corporation.  A  la  suite 
de  ces  barbares  qui  insultaient  journellement  les  frontières  de  l'empire, 
ii  a  dû  se  trouver  plus  d'une  fois  des  ouvriers  transfuges,  qui,  pour  se 
soustraire  aux  charges  accablantes  et  aux  mesures  despotiques  qui 
pesaient  sur  leurs  corporations,  et  pour  ne  pas  s'éteindre  de  misère, 
se  donnaient  à  ces  envahisseurs,  auxquels  ils  communiquaient  une 
audace  nouvelle,  en  leur  servant  de  guides.  Avoir  la  rage  avec  laquelle 
ces  barbares  détruisaient  les  cités  provinciales  qu'ils  parvenaient  à 
surprendre»  il  nous  est  bien  permis  de  supposer,  d'admettr» même 
l'inspiration  d'ouvriers  fugitifs  et  désespérés  ;  les  mains  qui  prome* 
naient  la  torche  incendiaire  dans  une  ville  ont  dû  être  bien  souvent 
les  mêmes  mains,  qui,  peu  de  temps  auparavant, > dans  cette  même 
ville,  avaient  abandonné,  par  découragement  et  lassitude,  les  pacifiques 
instruments  du^ travail. 

Florissantes ,  aussi  longtemps  que  le  gouvernement  impérial  pros- 
péra, les  corporations,  attachées  par  des  liens  trop  étroits  à  ses  desti- 
nées, durent  nécessairement  subir  tous  les  contre -coups  de  ses 
désastres.  Certes ,  l'association  dans  le  travail  est  une  bonne ,  une 
excellente  chose ,  mais  la  liberté  aussi  est  un  bien  fort  précieux ,  et  le 
problème  social  consiste  à  les  unir  l'une  et  l'autre  »  l'association  et  la 


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192  RKVUE  D'ALSACE. 

liberté,  dans  une  telle  mesure  qu'elles  se  secourent  mutuellement ^ 
sans  se  nuire  Tune  à  l'autre. 

Quand  vint  sur  la  Gaule  le  règne  des  barbares ,  quand  l'ordre  poli- 
tique de  l'Empire  d'Occident  s'écroula ,  les  corporations  de  métiers 
survécurent -elles  à  la  destruction  des  municipes?  Cela  n'est  pas  à 
croire,  excepté  toutefois  dans  les  villes  du  Midi  de  la  Gaule  et  dans 
plusieurs  cités  des  vallons  du  Rhin  et  du  Danube ,  telles  que  Cologne, 
Trêves ,  Augsbourg  et  Saitzbourg.  Là ,  en  effet ,  le  régime  municipal 
ancien  avait  jeté  des  racines  tellement  profondes  ,  que  nous  l'y  voyons 
subsister  presque  dans  son  intégrité  jusqu'au  milieu  du  9«  siècle.  On  y 
voyait  des  places  de  vente,  fora  rerum  venalium;  les  hommes  de 
métiers  y  étaient  réunis  en  corporations ,  et  les  métiers  se  transmettaient 
héréditairement.  Mais  partout  ailleurs  la  dislocation  générale  des  grands 
ressorts  de  l'empire  amena  la  dissolution  des  Collèges  d^uvriers.  Les 
barbares  cherchèrent ,  il  est  vrai ,  le  plus  possible  à  conserver  les 
anciens  rouages ,  ceux  du  moins  qui  pouvaient  servir  à  faciliter  la  per- 
ception de  l'impôt  ;  mais  peu  versés  ,  comme  ils  Tétaient ,  dans  l'art 
des  classifications ,. peu  habitués  aux  allures  d'un  gouvernement  régu- 
lier, ils  ne  comprirent  pas  l'utilité  et  l'importance  de  ces  institutions 
administratives,  et  ne  cherchèrent  pas  à  empêcher  le  sauve-qui-peut 
général  qui  se  fit  dans  les  corporations  comme  dans  les  curies.  Le  plus 
grand  nombre  des  ouvriers  restèrent  dans  les  villes ,  où  il  y  avait  encore 
quelques  lueurs  de  vie  sociale  ;  là,  les  métiers,  qui  vivent  des  secours 
mutuels  que  se  prêtent  les  industries  diverses,  trouvaient  aussi  plus  de 
commodité  pour  s'exercer  et  vendre  leurs  produits.  Les  boulangers,  les 
bouchers ,  les  mariniers  de  la  Seine ,  qui  finirent  par  absorber  tous  les 
autres  métiers  et  même  tout  le  commerce  de  Paris ,  paraissent  avoir 
traversé  la  crise  de  la  conquête  sans  trop  se  départir  des  anciens  statuts 
qui  les  régissaient  sous  l'empire  romain. 

A  la  fin  du  9*  siècle ,  lorsque  le  démembrement  du  vaste  empire  de 
Charlemagne  et  les  incursions  dévastatrices  des  pirates  northmans 
eurent  hâté  les  progrès  de  la  féodalité ,  devenue  comme  une  nécessité 
dans  ces  temps  d'anarchie;  lorsque  le  réseau  féodal  se  fut  étendu  à 
la  fois  sur  les  hommes  et  sur  la  terre ,  comment  les  gens  de  métiers 
auraient-ils  pu  se  soustraire  au  sort  commun  ?  L'évêque  ,  le  seigneur 
laïc ,  le  roi  lui  -  même  dans  ses  domaines ,  établirent  les  dîmes  ,  les 
tailles ,  les  subsides.  De  toutes  parts  on  se  soumettait ,  parce  qu'on 
achetait  par  cette  soumission  la  protection  du  donjon  et  du  monastère. 


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LES  CONFRÉRIES  DE  MÉTIERS.  193 

Mais  ces  redevances,  en  quelque  sorte  volontaires,  et  de  contrat  social, 
furent  bientôt  sujettes  à  toutes  les  tyrannies  imposées  par  la  violence 
féodale.  Les  hommes  de  métiers  furent  enrégimentés,  sous  la  direction 
d*un  maitrCy  non  plus  dans  un  intérêt  de  commune  défense,  mais  pour 
subir  toutes  les  corvées  et  les  pourvoieries  seigneuriales,  et  c'est  là,  il 
n'en  faut  point  douter,  qu'il  convient  de  chercher  l'origine  des  corpo- 
rations d'ouvriers  de  celte  époque.  C'est  ainsi,  pour  ne  citer  que  ce  seul 
exemple,  que  Tévêque  de  Strasbourg  distribue  par  classes  tous  ses  gens, 
selon  les  (Hvers  services  qu'ils  lui  doivent.  Tous  les  artisans  lui  doivc^nt 
la  corvée  ;  les  marchands  lui  servent  de  messagers  par  tout  le  diocèse , 
et  il  donne  une  sorte  de  juridiction  sur  tous  ces  hommes  à  certains 
officiers  de  sa  cour. 

Les  évéques,  les  abbés  et  les  seigneurs  laïcs  donnaient  des  règlements 
aux  corps  de  métiers,  et  percevaient  sur  eux  un  droit  annuel ,  appelé 
hanse  ou  droit  d'association  *.  Celui  qui  voulait  exercer  un  métier 
devait  en  acheter  le  droit  au  seigneur,  puisque  ,  d'après  la  loi  tyran- 
nique  du  temps ,  qui  avait  posé  en  principe  qu'il  n'y  avait  point  de  terre 
sans  seigneur,  le  seigneur  avait  juridiction  et  souveraineté  sur  sa  terre. 
Aussi  voyons-nous  les  seigneurs  et  les  rois  concéder  parfois  comme  une 
espèce  de  fief  le  droit  tout  fiscal  d'autoriser  la  profession  des  métiers'. 

Ainsi  tous  les  individus,  même  les  corps  de  métier3  .  furent  enlacés 
dans  la  hiérarchie  féodale  jusqu'à  la  fin  du  11»  et  au  commencement  du 
i2«  siècle,  c'est-à-dire  jusqu'au  moment  où  commença  la  grande  révo- 
lution de  TaiTranchisseinent  des  communes ,  qui ,  tantôt  propagée  de 
de  ville  en  ville  ,  tantôt  éclatant  sur  plusieurs  points  en  même  temps, 
embrassa,  dans  ses  développements  rapides,  presque  tous  les  pays  de 
langue  romane ,  et  eut  ses  foyers  partout  ou  subsistaient ,  depuis  le 
temps  des  Romains  ,  d'anciennes  villes  municipales.  C'est  alors  qu'à 
côté  de  la  commune ,  nous  voyons  surgir^  sous  le  nom  de  Confrérie  de 
métiers ,  la  jurande ,  c'est  -  à  -  dire  la  liberté  du  travail ,  à  côté  de  la 
liberté  politique  ,  proclamée  par  la  charte  de  la  Commune.  Les  Com- 
munes, on  l'a  dit  avec  raison,  sont  sorties  de  la  boutique  et  de  l'atelier. 

*  Ce  droit  variait  à  Paris  de  5  à  30  sous ,  c*est-à-dire  de  25  à  150  fr.  de  notre 
monnaie  actueUe.  Certaines  corporations  se  rachetaient  de  cet  impôt  en  payant  une 
somme  annuelle ,  le  hauban. 

*  C'est  ainsi  que  Louis  VII  donne  à  la  femme  d'Yves  Lecoché  et  à  ses  héritiers  cinq 
métiers  à  titre  de  flef ,  ceux  des  mégissiers ,  des  boursiers ,  des  baudroyers  ,  des 
savetiers  et  des  sueurs  (couturiers). 

9*Séri«.  — il'Aïui^.  ^3 


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194  ««VUE  D' ALSACE. 

Déjà,  nous  Tavons  vu,  les  gens  de  la  cité  ou  du  village  étaient  classés 
par  métiers  pour  la  facilité  des  corvées  et  pour  les  besoins  de  Tindustrie 
domestique  ;  ainsi  Favait  voulu  la  féodalité.  De  plus ,  en  beaucoup 
d'endroits ,  et  surtout  dans  les  villes ,  les  individus  exerçant  la  même 
profession  avaient  formé  entr'eux  des  associations  pour  protéger  leurs 
personnes ,  leurs  familles  et  leurs  biens ,  pour  veiller  aux  intérêts  de 
leur  industrie  et  satisfaire  à  toutes  les  exigences  sociales.  Lorsque 
rheure  est  venue,  où  les  communes  en  armes  se  lèvent  pour  réagir 
contre  le  dédain  dont  les  accablaient  les  classes  privilégiées  et  pour  se 
défendre  contre  les  violences  que  cette  époque  d'anarchie  voyait  naître 
à  tout  instant,  ce  sont  les  hommes  de  métiers  qui  paraissent  alors  sous 
les  bannières  de  leurs  corporations  pour  marcher  au  combat  et  conquérir 
des  libertés  municipales.  L'esprit  d'association  est  répandu  par  toute 
l'Europe.  De  toutes  parts  on  est  debout  pour  faire  commime ,  et  la  ville , 
qui  ne  peut  obtenir  une  liberté  municipale ,  conquiert  du  moins  quelques 
libertés  industrielles,  c'est-à-dire  quelques  jurandes.  C'est  ainsi  que 
la  ville  de  Troyes,  qui  n'était  point  ville  jurée,  c'esi-à-dire  qui  n'avait 
point  de  commune ,  était  néanmoins  vill  j  de  loi  ou  jurée  quant  au  fait 
de  la  draperie ,  puisque  les  drapiers  y  étaient  constitués  en  jurandes  et 
élisaient  des  maîtres  et  gardes. 

Voyons  en  même  temps  ce  qui  se  passe  dans  les  Etats  voisins  de  la 
France.  Du  côté  de  la  Flandre ,  dans  le  Nord  de  rAlletnagne ,  la  puis^ 
sance  commerciale  atteint  des  proportions  merveitteuses.  Quatre-vingts 
villes  marchandes  forment  la  ligue  anséatique ,  puissante  association  , 
où  les  principales  puissances  de  l'Europe  tiennent  à  se  faire  représen- 
ter, et  qui  ne  craint  pas  d'entrer  en  guerre  avec  les  souverains  du 
Nord  ,  chaque  fois  que  ceux-ri  entreprennent  de  troubler  le  monopole 
et  les  privilèges  qu'ils  ont  en  l'imprudence  de  leur  accorder.  Des  ghîMes 
de  marchands  et  d'antres  ligues  et  associations  se  forment  encore  en 
Allemagne  ;  la  plus  célèbre  fut  sans  contredit  la  Ligue  des  villes  de  la 
Souabc,  qui,  quoique  peu  importantes  pour  la  plupart,  surent  pourtant 
maintenir  avec  énergie  leurs  prérogatives  contre  les  empiétements  des 
comtes  et  des  ducs  de  Wurtemberg.  Le  reste  de  l'Allemagne  restera 
longtemps  encore  sous  le  joug  féodal  ;  ce  qui  a  toujours  manqué  à  ce 
pays,  c'est  un  pouvoir  unitaire  puissant^  une  législation  commune. 

Les  Flandres  et  les  Pays-Bas  sont  déjà  en  rivalité  de  commerce  avec 
l'Angleterre;  (dans  ce  dernier  pays  paraît  en  1100  la  première  charte 
de  corporation  à  Londres).  Plus  tard  ces  luîtes  prendront  un  caractère 


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LES  CONFRÉRIES  DE  MÉTIERS.  495 

politique  Téodal  dans  les  guerres  contre  les  rois  de  France  et  les  ducs 
de  Bourgogne.  Après  une  lutte  de  cent  ans,  les  Communes  de  Flandre, 
avec  leurs  100,000  hommes  de  métiers  sous  les  armes ,  et  d'accord 
pour  cette  fois  avec  les  Anglais,  ceux-ci  pour  leurs  laines  et  les 
Flamands  pour  leurs  fabriques,  sauront  vaincre  en  France  les  derniers 
soutiens  de  la  féodalité  ,  et  écraser  les  restes  de  la  chevalerie  française 
à  Courtrai,  à  Crécy  et  à  Poitiers. 

En  Italie,  môme  spectacle  et  mêmes  prodiges  opérés  par  l'industrie. 
Dès  le  9*"  siècle  ,  Venise  est  en  république  ;  d'autres  villes  adoptent 
ensuite  cette  forme  de  gouvernement.  La  féodalité  est  entièrement 
détruite  par  les  Communes ,  et  la  noblesse  même  se  fait  marchande. 
Toute  la  puissance  du  pays  réside  dans  les  villes  ,  comme  dans  l'Alle- 
magne féodale  la  force  s'est  réfugiée  dans  les  campagnes.  En  un  mot , 
dans  tout  le  Nord  de  l'Italie  ,  dans  sa  partie  celtique  ,  la  corporation 
industrielle  domine,  elle  y  est  au  pouvoir,  elle  gouverne;  les  char- 
pentiers ,  les  menuisiers ,  les  colporteurs  et  les  maçons  viennent 
toujours  de  Novarre ,  de  Como  et  de  Bergame. 

En  Espagne ,  enfin  ,  nous  voyons  le  même  principe  insurrectionnel 
agiter  les  esprits ,  et  produire  un  résultat  encore  plus  natioaal.  Les 
longues  guerres  entre  les  Sarrazins  et  les  Chrétiens  avaient  ruiné 
raf:ricalture  et  l'industrie  si  florissantes  au  temps  des  Arabes;  et  si  les 
rois  chrétiens  rétablissent .  dès  le  11*  et  le  12*  siècles,  des  fabriques  et 
des  nfiéliers,  s'ils  surveillent  avec  sollicitude  les  privilèges  des  Gremios 
ou  corporations  de  métiers ,  en  les  réglementant ,  c'est  dans  le  but  de 
rétablir  l'ordre  et  la  sécurité  dans  l'Etat.  Mais ,  de  son  côté^  la  Com- 
mune stipule  aussi  ses  droits  ;  et  c'est  dans  les  fueros ,  ou  ordonnances 
municipales  des  villes  et  des  bourgs,  que  se  trouveront  insérés  les 
statuts  des  Gremios. 

Jusqu'ici  nous  avons  vu  se  former  les^corporations  de  métiers^  plutôt 
dans  un  but  de  vague  indépendance  et  de  résistance  à  la  tyrannie 
féodale ,  que  dans  des  vues  purement  industrielles. 

Maintenant,  au  13*  siècle,  les  corps  de  métiers  vont  s'organiser, 
(îrendre  un  caractère  décidément  politique  dans  le  gouvernement  de  la 
cité  et  devenir  des  Jurandes  ,  sans  en  porter  encore  le  nom  ,  qu'ils  ne 
prendront  légalement  que  sous  le  règne  de  Henri  IlL 

Mais  dans  quel  but  ce  travail  intérieur  va  -  t  -  il  s'opérer?  Le  même 
esprit  de  liberté  va-t-il  continuer  à  se  produire?  Non,  l'ennemi 
commun ,   la  féodalité  »   est   vaincu  ;  il   ne  restera  pluo  à  chaque 


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196  RETUE  D'ALSACE. 

corporation  qu'à  s'occuper  de  ses  intérêts  privés ,  en  se  conformant  aux 
mœurs  nationales. 

Aussi  la  vie  nouvelle  des  Jurandes  deviendra- l-elle  toute  industrielle 
et  communale  en  Flandre  et  en  Italie  ,  toute  mystique  et  poétique  en 
Allemagne,  toute  administrative,  politique  et  religieuse  en  France  et  en 
Espagne. 

Si  Ton  se  demande  pourquoi  il  en  fut  ainsi ,  c'est  que  le  génie 
mystique  de  la  vieille  Allemagne,  importé  en  Europe  au  5"  siècle, 
demeura  symbolique  et  poétique  dans  la  moderne  Allemagne,  s'éteignit 
en  tombant  dans  le  sensualisme  flamand  et  Tindustrialisme  des  Pays- 
Bas,  et,  se  mêlant  en  France  à  nos  mœurs  gallo-romaines  et  à  l'esprit 
positif  du  guerrier  franc  ,  s'y  transforma  de  manière  à  faire  vivre  dans 
la  Jurande  la  pratique  morale  et  religieuse  à  côté  de  la  règle  industrielle 
et  légale. 

Rendons  compte  de  ces  transformations. 

Bruges  et  Anvers  s'a?socient,  en  ii64,  à  la  ligue  anséatique.  Du  \3* 
au  16*  siècle,  ce  ne  sont  que  rivalités  sanglantes  entre  les  villes  belges^ 
au  milieu  desquelles  Pesprit  de  corps  parle  plus  haut  que  le  patriotisme 
d'ensemble.  Louvain  occupe,  en  1360,  120,000  ouvriers  dans  3  ou 
4000  fabriques  de  draps;  Ypres  et  Bruges  autant.  Mais  ces  3  villes  sont 
écrasées  tour  à  tour  par  Gand  qui  se  glorifie  de  ses  80,000  bourgeois 
en  état  de  porter  les  armes,  quoique  l'on  y  voie  1400 homicides^  en  10 
mois  «  dans  les  seuls  lieux  de  débauche.  Rarement  l'étincelle  fanatique 
tombait  en  vain  sur  ces  grandes  multitudes  de  tisserands  ;  à  Gand ,  ils 
occupaient  27  carrefours ,  et  formaient  à  eux  seuls  un  des  3  membres 
de  la  société  Ondergherst.  Dans  cette  même  ville,  la  querelle  sanglante 
qui  s'engagea,  à  cause  des  salaires,  entre  les  foulons  et  les  tisseurs  ou 
fabricants  de  draps*,  y  renversa  la  puissance  du  brasseur  Artevelde , 
qui  fut  un  instant  le  vrai  roi  de  Flandre  ,  et  qui  fut  tué  dans  sa  propre 
maison,  à  son  retour  de  Bruges  et  d'Ypres,  au  moment,  où,  après  avoir 
appelé  l'Anglais  à  sou  secours,  il  s'apprêtait  à  donner  au  prince  de 
Galles  la  Flandre  qui  lui  échappait.  Bruges  a  des  privilèges,  et  elle 
s'oppose  à  ce  qu'on  en  accorde  de  semblables  à  l'Ecluse.  L'Ecluse ,  de 

*  Ils  se  livrèrent  en  1544  une  bataHle  décisive  sur  la  place  publique  ;  plus  de 
1500  foulons  furenl  tués  ;  les  autres  furent  expulsés  de  la  ville,  et  leurs  métiers 
entièiTHient  détruits.  Cette  journée  Ait  appelée  depuis  le  mauvait  lundi. 


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LES  CONFRÉRIES   DE  MÉTIERS.  197 

son  côté,  se  croit  en  possession  de  la  mer,  et  en  refuse  Tusage  à 
Bruges.  De  part  et  d*autre  on  court  aux  armes.  Ypres  soupçonne 
Poperinghe  de  contrefaire  ses  draps  ;  les  tisseurs  de  la  ville  d*Ypres 
vont  détruire  Poperinghe.  Four  des  questions  de  navigation  ou  de 
métier,  on  voit  Matines  se  lever  contre  Bruxelles,  Anvers  contre 
Malines ,  Bruges  contre  Anvers.  Ypres  entreprit  un  jour  d'ouvrir  au 
commerce  une  route  abrégée  en  creusant  TYperlé,  et  en  dispensant 
ainsi  les  bateaux  de  suivre  Timmense  détour  des  anciens  canaux  ,  de 
Gand  à  Darame ,.  de  Damme  à  Nieuport.  Desoncôlé,  Bruges  voulait 
détourner  la  Lys  au  préjudice  de  Gand;  celle-ci,  placée  au  centre 
naturel  des  eaux,  au  point  où  se  rapprochent  les  fleuves,  aurait  soufferl 
d'une  telle  innovation.  Malgré  les  secours  que  les  Brugeois  tirèrent  de 
leur  comte  et  du  roi  de  France ,  malgré  la  défaite  des  Gantois  à  Rose- 
becque,  Gand  prévalut  sur  Bruges;  elle  maintint  Tancien  cours  de  la  Lys. 
Elle  eut  moins  de  peine  à  prévaloir  sur  Ypres  ;  par  menace  ou  autrement, 
elle  obtint  du  comte  sentence  pour  combler  TYperlé. 

Dans  cette  question  des  eaux,  qui  remplit  le  14*  siècle,  la  dispute  fui 
entre  les  villes;  le  comte  y  était  auxiliaire  autant  ou  plus  que  partie 
principale.  Au  15  siècle,  la  lutte  fut  directement  entre  les  villes  et  le 
comte;  la  désunion  des  villes  les  fit  succomber.  Bruges  ne  fut  pas  sou- 
tenue de  Gand,  et  il  lui  fallut  se  soumettre.  Gand  ne  fut  pas  soutenue 
de  Bruges ,  et  fut  brisée. 

En  Italie ,  Pise  et  Gênes  s*épuisent  aussi  par  des  rivalités  qu'enfante 
la  liberté  commerciale,  tandis  qu'en  France,  c'est  par  des  procès 
ruineux  que  se  décident  les  questions  de  prééminence  entre  les  corpo- 
rations, si  Ton  en  excepte  toutefois  les  rivalités  de  Rouen  contre  Paris, 
qui  voulut  au  14«  siècle  lui  enlever  la  navigation  de  la  Seine. 

Dans  les  associations  allemandes  de  l'étudiant  et  de  l'artisan ,  du 
musicien  et  du  chasseur,  c'est  tout  un  autre  ordre  d'idées.  Le  but 
intéressé  n'est  point  celui  qu'on  se  propose  en  première  ligne;  l'essen- 
tiel ,  ce  sont  les  réunions  amicales,  les  services  mutuels,  et  ces  rites , 
ces  symboles ,  ces  initiations ,  qui  constituent  pour  les  associés  comme 
une  religion  de  leur  choix.  La  table  commune  est  en  quelque  sorte  un 
autel ,  où  l'Allemand  immole  Fégoïsme.  Tout  est  mystère  et  symbole 
dans  les  statuts  de  ses  associations  ;  le  devoir  est  exprimé  en  termes 
vagues ,  sous  forme  d'aventures  de  voyage ,  incidentées  de  manière  à 
faire  naître  des  circonstances  d'où  puissent  sortir  les  règles  de  la  con- 


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i98  REVUE  D* ALSACE. 

duite  qu'il  faut  tenir  K  Risibles ,  mais  touchants  mystères  de  ia  vieille 
Allemagne,  symbolisme  sacré  des  forgerons  et  des  maçons,  graves  ini- 
tiations des  tonneliers  et  des  charpentiers  ,  qu'est-ce  que  tout  cela  , 
sinon  de  la  sympathie  et  du  désintéressement.  Aussi  est-ce  dans  celte 
contrée ,  où  les  villes  acquirent  une  plus  grande  indépendance  qu'ail- 
leurs ,  que  le  système  des  corporations  a  reçu  son  plus  entier  dévelop- 
pement et  qu'il  s'est  conservé  le  plus  longtemps  ^. 

Toutefois,  de  ce  que  le  caractère  principal  des  corporations  allemandes 
paraît  avoir  été  pacifique  et  amical ,  il  serait  hasardé  d'en  conclure 
qu'elles  ne  sont  jamais  intervenues  dans  la  politique.  Il  est  certain  que 
lors  de  l'établissement  des  institutions  municipales  en  Allemagne ,  la 
participation  des  artisans  à  la  chose  publique  et  la  conquête  des  droits 
de  bourgeoisie  ne  s'obtinrent  pas  sans  combats.  Il  y  a  plus,  les  longues 
luttes  qu  elles  provoquèrent  paraissent  ne  l'avoir  cédé  en  rien  aux 
révolutions  des  républiques  de  l'Antiquité  et  à  celles  qui  déchirèrent 
l'Italie  au  moyen -âge.  Dans  certaines  localités  même,  cet  élément 
politique  fut  tellement  prédominant ,  que  toute  la  constitution  munici- 
pale reposa  sur  la  division  de  la  bourgeoisie  entière  en  corporations  de 
métiers ,  en  sorte  que  chaque  bourgeois  était  obligé  de  s'aflilier  à  l'une 
ou  à  l'autre  de  ces  corporations.  C^esl  ainsi  qu'à  Strasbourg  ,  après  le 
coup  d'Ëtat  de  1332  ,  qui  donna  la  majorité  dans  le  sénat  à  l'élément 
plébéien,  les  corporations  industrielles  devinrent  des  tribus  politiques, 
et  que  l'Ammeister,  pris  jusqu'alors  dans  la  noblesse ,  dut  être  désor- 
mais choisi  exclusivement  dans  le  sein  de  ces  mêmes  corporations  '. 
C'est  ainsi  encore  qu'en  4368 ,  un  soulèvement  des  hommes  de  métier 


'  Voir  le  Magasin  pittoresque  :  sur  les  compagnons  chasseurs  (1834,  p.  365  et 
suiv.) ,  sur  la  réception  d'un  compagnon  menuisier  (1835,  p.  342  et  suiv.)  ,  etc. 
Nous  retrouvons,  du  reste,  quelques-uns  de  ces  rites  symboliques  dans  quelques- 
unes  de  nos  corporations  en  France  ,  par  exemple  ,  pour  la  réception  des  compa- 
gnons chapeliers ,  tailleurs ,  selliers.  Voir  CHEttUEL ,  Dictionnaire  historique  des 
institutions ,  mœurs  et  coutumes  de  la  France ,  Tom.  i ,  p.  233. 

'  Il  faut  espérer  qu'elles  fîniront  par  disparaître  totalement  devant  les  nombreuses 
associations  d'avances  ou  de  crédit,  les  associations  de  rachat  et  de  consomma- 
lion  ,  etc.  ,  etc. 

'  II  faut  lire  les  détails  de  cette  lutte  sanglante  qui  naquit  à  la  suite  d'un  festin 
doimé  à  l'hôtel  d'Ochsenstein  (rue  Brûlée) ,  entre  les  deux  familles  nobles  des  Zoni 
et  des  Mûlnheini ,  qui  s'étaient  divisées  à  la  suite  de  la  double  élection  de  Frédéric 
d'Autriche  et  de  Louis  de  Bavière.  Â  partir  de  ce  jour  ,  le  gouvernement  de  la  vHle 


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LES  CONFRÉRIES  DB  MÉTIERS.  t99 

obligea  le  conseil  de  la  bourgeoisie  de  Francfort ,  doiii  les  membres  se 
reerataient  alors  parmi  les  clievaliers  ,  à  changer  sa  conslitulion.  Ou 
envoya  des  députés  dans  plusieurs  villes  impériales,  telles  que  Mayeace, 
Worms ,  Strasbourg ,  Bâle,  Constance,  pour  y  étudier  les  institutions 
i|ui  avaient  eu  pour  résultat  l'admission  des  hommes  de  métier  dans  le 
gouvernement  de  la  cité  K 

Il  serait  trop  long  de  rappeler  ici  Thistoire  des  jurandes  italiennes  , 
(|ui  ne  fut  autre  que  Thistoire  sanglante  des  républiques  de  cette  con- 
trée. On  sait  que  le  sytème  féodal  y  fut  aboli  plus  tôt  que  dans  aucune 
(lutre  partie  de  TEurope  ,  et  qu'au  12*"  siècle  toutes  les  villes  italiennes 
étaient  libres.  La  conséquence  immédiate  de  ce  fait  fut  l'institution 
politique  des  corporations  de  métiers  dans  toutes  les  républiques.  Mais 
c'est  surtout  à  Florence  que  leur  intervention  dans  le  gouvernement  de 
la  chose  publique  s'accusa  avec  le  plus  d'énergie.  L?.  fameuse  ordon- 
nance de  1^2  contre  les  Magnats  ^,  et,  plus  de  80  ans  après,  les  luttes 
entre  les  Ricci  et  les  Albizzi  suffiraient  à  elles  seules  pour  donner  une 
itlée  du  gouvernement  politique  des  métiers  en  Italie.  Les  Guelfes  et  les 
Gibelins  se  partageant  l'Italie  durant  les  i^,  i3*  et  14*  siècles,  les  cor- 
porations de  métiers  devinrent  aussi  guelfes  et  gibelines  ;  mais  ces 


de  Strasbourg  devint  et  resta  démocratique.  Strobel  ,  Geseh  de»  Elsasses ,  T.  i( , 
p.  192-197.  Déjà  en  1308  avait  eu  lieu  un  soulèvement  des  hommes  de  métiers  ; 
mais  la  victoire  était  restée  aux  familles  nobles. 

'  Après  le  retour  des  députés ,  on  établit  une  constitution  nouvelle ,  qui  orgfanisa 
deux  conseils  municipaux.  L'un,  chargé  de  Tadministration  active,  composé  de  15 
nobles  et  de  29  hommes  de  métiers,  était  présidé  par  deux  bourguemestres,  appar- 
tenant l'un  à  la  noblesse  et  l'autre  aux  corporations  industrielles.  Les  nobles  furent 
tenus  de  s'affilier  aux  27  corporations ,  sauf  à  y  former ,  à  volonté ,  une  association 
particulière  entr*eux.  L'autre  conseil ,  ou  grand  conseil ,  chargé  de  contrôler  le 
premier,  fut  formé  de  20i  membres,  pris  dans  les  diverses  corporations,  etc, 

*  On  désignait  par  ce  nom  de  Magnat ,  les  membres  des  36  familles  nobles  de 
Florence  ,  qui  furent  alors  exclues  à  jamais  du  prierai  dus  arls  ,  sans  qu'il  leur  fût 
permis  de  recouvrer  les  droits  de  cité ,  en  se  faisant  immatriculer  dans  quelque 
corps  de  métiers  ou  en  exerçant  quelque  profession.  Pour  assurer  l'exécution  de 
cette  ordonnance ,  connue  sous  le  nom  d'Ordinamenti  délia  jiusl'nia ,  on  fut  obligé 
de  créer  une  milice  bourgeoise  qui  fut  soumise  à  un  gonfalonier  de  justice.  Lies 
effets  de  cette  ordonnance  ne  furent  pas  de  longue  durée  ;  déjà  en  1294 ,  une  réac- 
tion tut  lieu ,  et  le  pouvoir  retourna  des  mains  des  artisans  et  des  classes  inférieures 
à  celles  de  la  ricbe  bourgeoisie. 


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200  RETUE  D'ALSACE. 

dénominations  ayant  changé  d'objet ,  à  la  fin  du  14*  siècle ,  la  lutte  des 
deux  partis  se  confondit  avec  celle  des  républiques  contre  le  despo- 
tisme. 

Il  serait  également  superflu  de  montrer  Talliance  intime  des  gre- 
raios  ou  jurandes  espagnoles ,  avec  le  système  municipal  des  diffé- 
rentes provinces  et  des  petits  royaumes  de  Tancienae  Ibérie  »  puisque , 
durant  toute  Texistence  de  ces  corporations,  leur  développement  indus- 
triel, politique  et  religieux  fut  à  peu  près  semblable  en  tout  à  celui  des 
jurandes  françaises ,  soit  avant ,  soit  après  leur  conversion  à  l'autorité 
monarchique. 

On  peut  en  dire  presqu'autant  de  l'Angleterre ,  malgré  le  contraste 
assez  bizarre,  résultant  des  deux  principes  opposés  qui  concoururent  à 
former  la  nationalité  britannique ,  la  féodalité  et  l'industrie ,  l'égoîsme 
d'isolement  et  l'égoîsme  d'assimilation  ;  mais  partout  il  s'y  rencontre  un 
point  commun,  qui  leur  sert  de  lien,  c'est  l'acquisition  et  la  jouissance 
de  la  richesse;  la  féodalité  y  a  ses  châteaux,  et  Tindustrie,  ses  corpo- 
rations. Hais  comme  l'industrie  règne  sans  partage ,  à  condition  de 
laisser  vivre  l'aristocratie,  toutes  les  populations  des  villes  y  sont  par- 
tagées en  corporations  de  métiers,  d'origine  commune,  auxquelles  les 
plus  grands  personnages  de  l'Angleterre  et  le  souverain  lui-même  sont 
tenus  de  s'affilier. 

•Ed.  Goguel. 


{La  fin  à  la  prochaine  livraison). 


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ÉTUDES 

SUR  L'ÉLEVAGE,   L'ENTRETIEN    ET   L'AMÉLIORATION 
DE  LA  RACE  BOVINE  EN  ALSACE 

SI  IVIES 

DE   QUELQUES   RÉFLEXIONS   SUR  LA  LOI  DU    il  FRIMAIRE  AN  Vil 
RELATIVE  AUX  PATRES  ET  AUX  TROUPEAUX. 

Suite*. 


VlII. 
SOMMAIRE  :  la  production  des  kngrais.  —  évaluation!  approximative  des 

FRAIS  d'entretien    ET  DU   RAPPORT  DES  BÉTE8  BOVINES.    —    DEUX  QUESTIONS    A 
RÉSOUDRE.  --  OPIMONS  DE  MM.  SACC  ET  BARRAL. 

L*enchainement  des  idées,  la  simplicité  et  la  clarté ,  contribuent 
généralement  au  mérite  d*un  écrit ,  mais  les  études  que  nous  avons 
entreprises  ici  sont  si  complexes ,  elles  se  divisent  en  des  branches  si 
multiples  et  se  rattachent  si  souvent ,  tantôt  directement  tantôt  indi- 
rectement à  des  questions  d'économie  sociale  et  d'économie  rurale  que 
nous  avons  été  dans  l'impossibilité  d'éviter  des  digressions  et  des 
renvois  qui  nous  ont  semblé  nécessaires  pour  mettre  le  lecteur  au 
courant  des  opinions  contradictoires  émises  relativement  aux  sujets 
que  nous  traitons.  Nous  sommes  obligé  d'avoir  de  nouveau  recours  av 
même  procédé  en  faveur  de  la  production  des  engrais  ,  production  qui , 
sans  se  rattacher  aux  tentatives  faites  dans  le  but  de  perfectionner  les 
races,  est  cependant  souvent  le  mobile  principal  de  l'entretien  des  bêtes 
bovines  et  exige ,  par  conséquent ,  d'être  prise  en  sérieuse  consi- 
dération. 

Ce  qu'il  importe  c.vant  tout  de  combattre ,  c'est  cette  opinion  étrange 

*  Voir  les  livraisoDS  de  janvier,  février ,  mars ,  avril ,  mai ,  juin  ,  juillet  cl 
aoûi  1865,  pages  i7 ,  59 ,  lia ,  155,  216,  265 ,  572  el  572. 


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202  REVUE   D*ALSAGR. 

suivant  laquelle  le  bélail  serait  un  mal  et  une  charge  nécessaires.  Cette 
opinion  engage  malheureusement  trop  souvent  nos  cultivateurs  à 
négliger  les  soins  que  les  étables  réclament  sous  le  singulier  prétexte 
qu'il  n'y  a  rien  à  y  gagner. 

Il  en  est  de  l'agriculture  comme  de  Tindustrie ,  comme  de  tous  les 
élats  possibles.  Le  travail  manuel  ne  réussit,  la  sueur  ne  féconde,  que 
lorsqu'ils  sont  dirigés  par  une  intelligence  relative  et  accompagnés  des 
soins  d'un  esprit  d'ordre  et  d'économie. 

Nous  allons ,  du  reste ,  essayer  de  démontrer  par  des  chiffres  que 
si  Teutretien  du  bétail  est  soumis,  comme  toute  autre  entreprise,  au 
succès  comme  à  l'insuccès,  il  n'y  a  cependant  point  de  raison  pour 
soutenir ,  d'une  manière  absolue ,  que  l'entretien  en  question  ne  soit 
possible  qu'à  des  conditions  onéreuses. 

En  évaluant ,  comme  nous  l'avons  déjà  fait  plus  haut ,  le  rapport 
d'une  vache  du  pays  à  l,ôOO  jusqu'à  2,500  litres  de  lait  par  an,  ou 
en  admettant  plutôt  un  rendement  moyen  et  journalier  de  6  lit'  es ,  on 
obtient,  par  année,  2,190  litres  qui  ont,  à  i5  cent,  le  litre,  une 
valeur  vénale  de  328  fr.  50  cent.  En  ajoutant  à  cette  somme  la  valeur 
du  fumier ,  qui  s'élève  à  environ  75  fr. ,  nous  arrivons  à  un  total  de 
403  fr.  50  cent. ,  qui  constituent  le  rapport  annuel  d'une  vache ,  de 
faille  et  de  qualité  moyennes,  en  Alsace 

Pour  mettre  en  regard  de  ce  chiffre  celui  des  dépenses  d'entretien , 
Il  faut  se  rappeler  que  la  quantité  de  foin  que  consomme  une  bête  par 
jour  est  environ  de  7  kilog.  quand  elle  reçoit ,  avec  le  foin  «  une 
addition  de  betteraves  ,  de  navets ,  de  paille  hachée ,  etc.  Ce  chiffre , 
cependant,  peut  s'élever  à  12  et  même  à  16  kilog.  quand  l'addition 
des  racines  n'a  pas  lieu  ^ 

Il  est  inutile  de  faire  remarquer  que  la  ration  doit  êlre  plus  ou  moins 
proportionnée  à  la  taille  ou  au  poids  de  l'animal.  Cette  nécessité  avait 
même  engagé  bon  nombre  d'agronomes  et  même  de  savants  chimistes 

*  M.  Adolphe  Uobioire,  professeur  de  chimie  à  Técole  préparaloire  des  sciences 
de  Nantes,  a  fail  des  expérimentalions  très-iDléressanles  sur  une  vache  qui  cod- 
sommaii  par  jour  7  kilog.  500  gr.  de  foio  ,  et  16  kilog.  de  (.ommes  de  terre.  Les 
excréments  de  la  bête  dépassaient  en  poids  celui  de  sa  consommation.  On  p<Mit 
donc  dire ,  sans  crainte  d'exagérer,  que  100  kilog.  de  fourrage  donnent  100  kilog. 
de  fumier. 

(Voy.  L'atmosphère ,  le  sol,  les  engrais ,  par  A   Bobickue,  page  49o.) 


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ÉTUDES  SUR  l'élevage  ,  L'BNTKETIEN  ,  ETC.  *)3 


à  foire  des  recherches ,  peut-être  plus  intéressantes  que  vraiment  utiles , 
à  ce  sujet. 

C'est  ainsi  que  Ton  a  divisé  la  ration  en  deux  caté^ries  distinctes  : 
Tune  la  ration  d'entretien  qui  aurait  uniquement  pour  but  de  main- 
tenir l'animal  en  bonne  santé  sans  augmentation  ni  diminution  de  poids, 
lorsqu'il  ne  produit  ni  travail ,  ni  lait ,  ni  graisse  ;  l'autre ,  la  ration  de 
production ,  serait  celle  qui  produirait  chez  la  bête  un  accroissement  du 
poids  ou  du  rendement  laiteux.  Pour  la  première  de  ces  rations  on  a 
admis  que  1.1,  c'est-à-<iire  une  partie,  plus  sept  dixième  p.  100  ou 
un  soixantième  du  poids  de  la  bête  vivante ,  est  nécessaire ,  tandis  que 
la  ration  de  production  exigerait  d'être  de  3,3  ou  d'un  trentième  du 
poids  de  l'animal  vivant. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  à  cette  distinction  subtile  qui  semble 
par  trop  assimiler  Torganisme  animal  à  des  alambics  qui  divisent 
exactement,  l'un  comme  l'autre,  les  aliments  consommés.  11  nous  sui&ra 
d'admettre ,  pour  établir  une  balance  entre  le  rapport  et  les  dépenses 
d'entretien,  une  moyenne  de  14  kilog.  de  foin  \  comme  ration  jour- 
nalière pour  une  vache  de  taille  moyenne. 

Or«  le  prix  des  foins  variant  entre  2  fr.  et  5  fr.  le  quintal ,  suivant 
la  sécheresse  ou  l'humidité  de  l'année ,  nous  admettons  également  un 
prix  moyen  de  3  fr.  50  cent,  les  50  kilog. ,  ce  qui  fait  pour  14  kilog. 
de  foin ,  une  dépense  journalière  de  98  cent. 

Quant  à  l'addition  des  betteraves,  on  n'en  use  généralement  que 
dans  un  but  économique.  Si  le  prix  des  plantes  sarclées  devait  s'élever 
au-dessus  de  celui  du  foin ,  il  n'y  aurait  d'autres  raisons  pour  s'en 
servir  que  celles  d'engraisser  le  bétail  ou  d'augmenter  le  rendement  du 
lait.  Dans  ce  cas  le  supplément  en  question  devient  une  spéculation 
dont  le  détenteur  des  animaux  est  seul  à  même  d'apprécier  l'utilité  par 
l'effet  qu'elle  produit  sur  son  bétail.  Il  est  évident  que  si  l'on  dépense 
par  exemple  ,  40  cent,  de  supplément  par  jour  et  que  l'on  obtient  dans 
le  rapport  qu'une  augmentation  de  30  cent. ,  la  spéculation  devient 
mauvaise.  C'est  là ,  cependant ,  ce  qui  arrive  dans  les  exploitations  ou  le 
maître  ne  s'informe  que  du  rendement  et  non  de  la  quantité  et  de  la 
valeur  des  fourrages  consommés. 

*  D'après  M.  Villeroy  ,  la  quantité  uécessaire  de  oourriture  pour  une  vache  lai- 
tière serait  de  5  p.  100  de  son  poids.  Par  conséquent ,  une  vactie  qui  pèse  300 
kilog  ,  aurait  l>esoin  chaque  jour  de  15  kilog.  de  foin. 


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ÏOi     .  REVUE  D'ALSACE. 

Pour  ne  pas  compliquer  notre  calcul  nous  admettons  la  vache  sim- 
plement nourrie  avec  du  foin  el  des  regains.  Nous  aurons  ainsi  à 

mettre  en  regard  d'un  rapport  aunuel  de 403  fr.  50  c. 

une  dépense  pour  fourrage  de 357      70 

Bénéfice  restant 45      80 

Il  est  impossible  d'évaluer ,  par  exemple ,  les  intérêts  de  la  valeur 
de  la  bête  ;  celle-ci  est  quelquefois  vendue  avec  bénéfice ,  comme 
animal  gras ,  tantôt  avec  perte,  lorsqu'on  Ta  laissée  trop  vieillir.  Il  n*esi 
pas  plus  possible  de  porter  en  ligne  de  compte  le  salaire  du  vacher 
ou  de  la  personne  chargée  des  soins  que  les  bêtes  exigent.  Ce  calcul 
ne  peut  être  établi  que  dans  les  grandes  exploitations.  Dans  les 
moyennes  et  dans  les  petites  qui  dominent  en  Alsace ,  les  soins  que 
rétable  réclame  ne  constituent  pas  une  occupation  spéciale,  elles 
complètent  plus  généralement  la  série  de  travaux  qui  occupe  un  ou 
plusieurs  domestiques. 

D'ailleurs,  admettons  même  que  la  dépense  d'entretien  atteigne 
le  rapport.  Dans  ce  cas ,  il  en  résulterait  encore  ,  à  nos  yeux ,  un 
immense  avantage  pour  le  cultivateur,  celui  d'avoir  eu  à  sa  dispo- 
sition les  engrais  juste  au  moment  où  les  terres  les  réclamaient.  C'est 
là  évidemment  un  avantage  considérable  pour  celui  qui  reconnaitla 
nécessité  de  restituer  à  la  terre  une  partie  des  éléments  qu'on  lui 
enlève  par  les  récoltes  successives. 

Le  bénéfice  que  l'on  peut  obtenir  par  l'entretien  des  animaux 
domestiques,  varie,  du  reste,  selon  le  prix  des  fourrages.  Il  varie 
également  suivant  l'intelligence  avec  laquelle  on  dirige  l'exploitation , 
suivant  les  appréciations  et  suivant  les  prévoyances  du  fermier.  Si  les 
connaissances  de  celui-ci  sont  suffisantes  pour  distinguer  les  qualités  du 
bétail ,  s'il  n'est  pas  obligé  d'avoir  recours  à  des  usuriers  ,  et  s'il  n'a- 
bandonne pas  son  étable  à  des  domestiqu  s  ignorants  et  peu  soigneux, 
le  bénéfice  sera  ,  selon  nous  ,  certain  et  pourra  même  se  doubler  et  se 
tripler  quand  on  parvient  à  se  procurer  les  matières  premières ,  c'est- 
à-dire,  le  foin,  les  racines,  les  trèfles  à  bon  marché.  Pour  atteindre 
ce  bénéfice ,  il  faut  naturellement  savoir  se  soustraire  aux  fluctuations 
souvent  désastreuses  du  prix  de  ces  matières;  il  faut  savoir  tirer  le 
meilleur  parti  possible  du  produit  ou  du  travail  des  bêtes  et  enfin ,  il 
faut  surtout  savoir  irriguer  ou  fumer  ses  prairies.  Eu  un  mot ,  il  faut 


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ÉTUDES  SUR  L^ÉLEVAGE  ,  L'ENTBETIEN  ,  ETC.  205 

savoir  surveiller ,  à  Tinstar  de  tout  autre  industriel ,  chaque  engre- 
nage qui  se  rattache  au  moteur  principal  de  rexploitalion. 

Généralement ,  ce  sont  les  cultivateurs  qui  cultivent  de  leurs  propres 
mains  qui  sont  le  plus  à  Taise.  Us  réunissent  à  leur  revenu  ,  comme 
propriétaires^  l'équivalent  de  leurs  salaires  comme  travailleurs  et  le  pro- 
duit brut  se  transforme  pour  eux  en  produit  net.  f  C'est  peut-être  la 
portion  la  plus  heureuse ,  disait  un  jour  M.  de  Lavergne ,  de  notre 
population  rurale.  Us  vivent  de  peu  et  économisent  la  plus  grande 
partie  de  ce  qu'ils  gagnent  pour  agrandir  leur  domaine.  La  terre 
fructifie  sous  leurs  sueurs  et  la  plupart,  à  force  de  travail,  parviennent 
à  s'élever  dans  l'échelle  de  la  richesse  II  n'en  est  pas  de  même  de 
ceux  que  Ton  voit  avec  peine,  dans  les  cafés  borgnes  de  nos  chefs- 
lieux  de  canton  ,  passer  leur  temps  à  jouer  aux  cartes  ou  au  billard. 
Inutiles  à  leur  pays ,  à  leurs  familles  et  à  eux-mêmes ,  ils  ne  savent 
que  tourmenter  leurs  fermiers  pour  leur  disputer  les  profits  les  plus 
légitimes.  Loin  de  rien  donner  à  la  terre ,  ils  lui  enlèvent  ce  qui  la 
rend  féconde.  * 

La  production  des  engrais  ,  à  l'aide  du  bétail ,  n'est  donc  pas  moins 
importante  que  la  production  des  viandes  et  du  lait  et  mérite ,  à  ce 
titre,  l'encouragement  de  tous  les  hommes  sérieux  qui  ont  à  cœur  la 
prospérité  de  leur  pays.  C'est  par  conséquent  une  étrange  et  bien 
dangereuse  doctrine  que  celle  dont  nous  avons  parlé  dans  le  chapitre 
précédent  et  suivant  laquelle  <r  la  tenue  des  étabtes  serait  une  né- 
cessité onéreuse  dans  une  ferme  en  vue  de  la  production  des  fumiers  ; 
que  les  étables  ne  donnent  jamais  de  bénéfice  et  que  les  cultivateurs 
sont  bien  heureux  lorsque  leur  compte  de  bestiaux  ne  fait  pas  ressortir 
des  pertes  !  » 

Après  cette  longue  digression  en  faveur  do  la  production  des  engrais 
nous  revenons  à  la  diversité  des  cultures  de  notre  province  et  par  con- 
séquent aux  besoins  si  variés  que  nous  avons  signalés.  Nous  disions  que 
pour  donner  des  conseils  à  nos  campagnards  il  est  nécessaire  de 
soumettre  ces  conseils  à  l'étude  de  ces  besoins  ainsi  qu'aux  procédés 
de  culture  usités  dans  les  différentes  contrées.  Nous  disions  également 
que ,  quelque  soit  la  nécessité  de  l'augmentation  des  viandes  de  bou- 
cherie y  cette  production  ne  peut  nous  engager  à  perdre  de  vue  les  autres 
services  que  le  bétail  est  appelé  à  rendre  à  l'agriculture  en  général  et 
à  celle  de  notre  pr  jvince  en  particulier. 
Nous  avons  encore  fait  remarquer  que  des  conseil"  qui  ne  seraient 


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906  REVUE  D'ALSACE. 

pas  fondés  sur  les  éludes  en  question,  aussi  bienveillanis  qu'ils  puis- 
sent d'ailleurs  être ,  il  en  résulterait  inévitablement  de  ces  malentendus 
que  nous  avons  déplorés  à  différentes  reprises  et  à  la  suite  desquels  on 
est  trop  souvent  disposé  i  mettre  l'obstination  que  l'on  rencontre  chez 
le  campagnard  sur  le  compte  d'une  routine  invétérée  et  insurmontable. 
Malheureusement,  le  paysan,  et  le  paysan  alsacien  surtout,  soit  par 
manque  d'habitude  de  traduire  ses  idées  par  la  parole  ,  nVsl  que  rare- 
ment à  même  d'exposer,  d'une  façon  plus  ou  moins  lucide ,  les  raisons 
qui  l'engagent  à  persévérer  si  opiniâtrement  dans  les  procédés  qu'on 
lui  reproche. 

L'ensemble  de  ces  considérations  nous  avait  par  conséquent  fait  un 
devoir  d'étudier,  dans  ce  travail,  non-seulement  et  autant  que  nos 
moyens  le  permettait ,  l'influence  du  climat  et  du  sol ,  mais  aussi  de 
faire  ressortir  toute  l'importance  qui  se  rattache  à  la  sélection  et  à  la 
spécialisation  des  animaux  domestiquer. 

H  résulte  de  ces  études  que  les  intérêts  recherchés  par  le  cultivateur 
dans  l'entretien  du  bétail  sont  très-variés  et  que ,  pour  atteindre  les 
différents  buts  dont  nous  parlons  ,  différentes  races  seraient  nécessaires 
à  notre  province. 

On  voudra  bien ,  nous  l'espérons  ,  ne  pas  nous  faire  l'objection  que 
dans  ce  cas  il  faudrait  une  race  à  part  pour  chaque  arrondissement , 
pour  chaque  canton  ,  pour  chaque  village  et  même  pour  chaque  exploi- 
tation isolée.  Non,  les  besoins  généraux  y  sont  très-distincts  et 
varient ,  comme  nous  l'avons ,  du  reste ,  démontré  plus  haut ,  selon 
les  contrées  :  nous  avons  d'abord  les  montagnes  où  l'industrie  four- 
ragère réclame  l'aptitude  laiteuse,  la  région  forestière  où  le  bœuf 
travailleur  rend  d'éminents  services  ,  les  vallées  qui  recherchent  l'en- 
graissement ,  le  vignoble  qui  demande  à  la  fois  du  lait  et  du  travail 
et  enfîn  les  plaines  qui ,  par-dessus  tout ,  ont  besoin  d'engrais. 

Or ,  en  admeltant  cette  distinction  dans  les  besoins  généraux  et .  par 
conséquent ,  la  nécessité  d'avoir  un  bétail  conforme  à  ces  besoins , 
nous  arrivons  naturellement  aux  considérations  suivantes  : 

1^  Une  race  ne  peut-elle  présenter  des  avantages  réels  que  dans 
un  but  spécial  ;  ou ,  en  d'autres  termes  ,  ne  peut-elle  être  utilisée  avan- 
tageusement à  la  production  du  lait ,  à  Tengraissement ,  au  travail  en 
même  temps  qu'à  sa  conservation  ? 

2<>  Faut-il  se  procurer  ces  races  à  l'étranger,  ou  e^t-il  possible  de  les 
former ,  de  les  perfectionner  dans  chaque  contrée  en  particulier  ? 


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ÉTUDES  SUR  l'Élevage  ,  l'entretien  ,  etc.  S07 

Nous  répondrons  d'abord  à  la  première  de  ces  questions  en  nous 
appuyant ,  comme  nous  Tavons  fait ,  du  reste ,  chaque  fois  quand 
l'occasion  s'est  présentée,  sur  l'opinion  des  hommes  dont  l'autorité , 
en  pareille  matière ,  n'est  contestée  par  personne, 

c  Dans  les  principes  posés  dans  la  zootechnie^  dit  M.  Âug.  de 
Weckherlin  \  des  aptitudes  afférentes  sont  difficiles  à  réunir  sur  un 
même  individu.  Il  arrive  ordinairement  chez  les  bètes  bovines  que 
plus  il  y  a  abondance  de  lait,  moins  il  y  a  disposition  à  prendre  chair, 
et  que  plus  on  cherche  à  obtenir  de  la  chair,  moins  le  lait  est  abondant. 
Cepi^ndant  on  peut  alors  admettre  que  la  qualité  du  lait  est  en  rapport 
direct  avec  la  qualité  et  la  quantité  de  la  viande  ;  de  telle  sorte  que 
les  races  plus  aptes  à  l'engraissement ,  et  donnant  moins  de  lait , 
dédommagent  un  peu  par  la  bonne  qualité  de  celui-ci.  Mais  il  faut 
aussi  admettre  que  si  on  ne  veut  pas  accorder  exclusivement  de  la 
valeur  à  la  production  du  lait  seule ,  on  peut  y  par  nn  élevage  bien 
entendu  ,  obtenir,  au  moins  approximativement ,  les  formes  du  corps 
reconnues  généralement  pour  les  plus  parfaites  et  conserver  une 
production  de  lait  très-satisfaisante  ;  il  peut  même  se  trouver  des  races 
entières,  élevées  avec  soin,  qui  réunissent  les  diverses  aptitudes,  sinon 
chacune  au  degré  le  plus  élevé ,  du  moins  toutes  à  un  degré  assez 
élevé... 

<  Tout  aussi  bien  qu'on  peut  réunir  aux  formes  du  corps  passant 
généralement  pour  les  plus  parfaites ,  les  aptitudes  à  l'engraissetnent  et 
à  la  production  du  lail  à  un  degré  satisfaisant ,  on  peut  y  ajouter  encore 
une  très-bonne  aptitude  au  trait.  Mais  plus  on  voudra  développer  l'une 
ou  l'autre  de  ces  aptitudes  à  un  degré  supérieur  et  jusqu'au  dernier 
point ,  plus  se  développeront  des  formes  et  des  qualités  dans  un  sens 
qui  ne  correspondra  plus  à  la  force  et  à  l'énergie  nécessaires  à  de 
rudes  travaux.  :» 

S'il  était  possible ,  dit  à  son  tour  M.  le  Marquis  de  Dampierre ,  de 
reucontrer  une  race  qui  réunit  la  sobriété  à  l'aptitude  au  travail ,  à  la 
précocité  pour  la  boucherie  et  à  la  production  abondante  du  laii ,  ah  ! 
certes ,  cette  race  serait  propre  à  tous  les  pays.  Il  faudrait  la  propager 
partout ,  dans  les  montagnes  comme  dans  les  plaines ,  dans  les  pays 
riches  comme  dans  les  pays  pauvres.  Mais  une  telle  merveille  n'a  pas 
encore  été  créée ,  et  si  deux  aptitudes  se  trouvent  réunies  à  un  degré 

*  \oy.  Traité  des  bétet  bovines ,  vol.  i«S  page  GO,  i''*  édiiiou. 


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REVUE  D  ALSACE. 

éminent  dans  une  race ,  on  doit  être  moins  exigeant  pour  la  troisième 
qualité  et  se  trouver  bien  partagé  • .  >» 

Enfin,  voici  Topinion  de  M.  Villeroy  qui  se  place  au  point  de  vue 
de  l'agriculture  de  son  pays ,  la  Bavière-rhénane  ,  notre  voisine. 

La  spécialisation  ,  dit-il ,  a  trouvé  dans  ces  derniers  temps  d'habiles 
défenseurs.  Il  est  incontestable  que ,  si  l'on  veut  arriver  à  ce  qu'il  y 
a  de  plus  parfait ,  il  faut  une  race  spéciale  pour  le  travail ,  une  autre 
race  pour  Tengraissement ,  et  une  autre  race  pour  la  laiterie  ;  mais 
on  a  poussé  trop  loin  l'application  de  ce  principe,  et  la  race  du 
Glane  ^,  par  exemple ,  qui  réunit  les  trois  conditions  ,  mais  à  un  degré 

'  Races  bovines  de  France ,  2«  édition  .  page  9. 

*  Suivant  M.  Villeroy ,  la  race  du  Glane  tient  aujourd'hui  un  rang  disUngué 
entre  les  bètes  bovines  de  l'Allemagne  et  tire  son  nom  du  Glane  petite  rivière 
qui  prend  sa  source  près  de  Hombourg.  Le  pays  que  cette  rivière  parcourt  est 
très-montueuic  et  coupé  d'une  multitude  d'étroites  vallées  ;  il  y  a  peu  d*années 
encore,  il  n'y  existait  pas  de  routes;  il  était  presque  entièrement  privé  de  com- 
munications ,  mais  rélevage  du  bétail  lui  avait  déjîi  fait  acquérir  un  haut  degré 
de  prospérité  ;  aujourd'hui  les  terres  y  sont  arrivées  à  un  point  de  fertilité  remar- 
quable ,  et  la  vente  du  bétail  y  amène  une  quantité  considérable  de  numéraire. 

Dans  son  Manuel  de  l'éleveur  des  bêtes  à  cornes ,  M.  Villeroy  nous  apprend 
que  les  vaches  de  cette  race  ,  lorsqu'elles  sont  fraîches ,  deviennent  maigres 
quoique  très-bien  nourries,  mais  que,  lorsqu'elles  avancent  dans  la  gestation, 
elles  reprennent  de  l'embonpoint  k  mesure  que  le  lait  diminue ,  de  sorte  qu'elles 
sont  ordinairement  grasses  quand  elles  mettent  bas.  «  J'ai  eu  une  vache  de  cette 
race ,  ajoute  M.  Villeroy ,  qui  avait  un  poids  d'environ  250  kilog.  qui ,  fraîche  et 
nourrie  de  trèfle  vert ,  à  donné  paY  jour  jusqu'à  24  litres  de  lait  de  bonne  qualité, 
et  il  n'est  pas  rare  d'en  trouver  qui  donnent  18  litres  de  lait  par  jour.  » 

Nous  regrettons  que  M.  Villeroy  n'ait  pas  indiqué  approximativement  la  moyenne 
annuelle  ou  rendement  laiteux  des  vaches  qu'il  recommande  si  chaleureusement , 
car  ce  n'est  que  d'après  cette  donnée  qn'une  appréciation  devient  possible. 
Très-souvent  les  vaches,  qui  donnent  le  plus  de  lait  après  avoir  vêlé  sont  pré- 
cisément celles  qu  tarissent  le  plus  tôt  et  leur  lait  est  ordinairement  peu  bytu- 
reux  ;  par  contre  les  vaches  dont  le  rendement  en  lait  n'est  pas  si  abondant 
continuent  longtemps  à  en  donner.  Suivant  des  observations  faites  par  M. 
Weckheriin  sur  les  meilleures  races  laitières  de  la  Hollande  ,  de  l'Angleterre  et 
de  la  Suisse ,  on  ne  pourrait  admettre ,  comme  moyenne  la  plus  élevée  de  ces 
diverses  races ,  qu'un  rendement  annuel  de  5,200  à  3,600  litres ,  ce  qui  ne 
ferait  que  8  à  9  litres  par  jour  pendant  la  durée  de  l'année.  Du  reste,  ajoute 
M.  de  Weckheriin,  on  ne  demande  plus  k  présent  combien  de  lait  donne  une 
vache  ,  mais  on  su  demauUe  combien  de  lait  elle  donne  |iOur  50  kilog.  de  fuin. 


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ÉTUDES  SUR  l'Élevage  ,  l'entretien  ,  etc.  2bd'^ 

inférieur  à  la  race  Durham  pour  Fengraissement ,  â  la  race  Hollan- 
daise pour  la  laiterie ,  à  la  race  de  Salers  pour  le  travail ,  est  néan- 
moins plus  avantageuse  pour  la  grande  majorité  des  cultivateurs 
qu'aucune  de  ces  trois  races. 

On  le  voit,  la  race  du  Glane  serait  presque  la  race  merveilleuse  que 
M.  de  Dampierre  désespère  de  trouver.  L'opinion  de  M.  Villeroy  nous 
semble  être  tant  soit  peu  fondée  sur  les  besoins  de  la  contrée  qu'il 
habite ,  et  qui  paraissent  être  beaucoup  moins  hétérogènes  que  ceui 
de  notre  province.  Nous  ne  contestons  pas,  qu*une  race  sobre ,  apte 
au  travail ,  à  un  rendement  plus  ou  moins  satisfaisant  en  lait ,  et  dont 
les  sujets  s'engraisseraient  facilement  au  bout  de  leur  service ,  ne  ferait 
pas  l'affaire  de  cenaines  contrées  de  TÂlsace  ;  mais  nous  persistons 
à  croire ,  que ,  pour  répondre  à  la  diversité  des  besoins  et  de  cultures ,  il 
est  d'une  nécessité  absolue ,  et  surtout  quand  il  s'agit  d'atteindre  une 
amélioration  réelle  et  durable ,  de  suivre  les  principes  de  la  spécia- 
lisation. 

En  somme ,  et  pour  répondre  catégoriquement  à  la  première  des 
deux  questions  que  nous  venons  de  poser ,  nous  dirons  qu'il  est  im- 
possible de  réunir  toutes  les  aptitudes  à  un  degré  élevé  et  que  le 
développement  d'une  aptitude ,  quelle  qu'elle  soit ,  se  fait  toujours  aux 
dépens  ou  au  détriment  des  autres  facultés ,  d'où  il  résulte  que  dans 
notre  province,  pour  arriver  â  une  amélioration  notable,  différentes 
races  seraient  nécessaires. 

Ce  principe,  une  fois  admis,  nous  ramène  naturellement  à  la 
seconde  question  également  posée  plus  haut ,  à  savoir  :  s'il  faut  se 
procurer  ces  diverses  races  à  F  étranger  ou  sHl  est  possibk  de  les  former 
dans  chaque  région  en  particulier. 

Nous  nous  trouvons  ici  face  à  face  avec  les  deux  sytèmes ,  c'est-à-dire 
le  croisement  et  la  sélection  si  souvent  et  si  passionnément  contro- 
versés dans  ces  derniers  temps ,  et  à  réclaircissement  desquels  nous 
avons  également  consacré  un  grande  partie  des  lignes  qui  précèdent. 

Nous  sommes  donc  bien  aise  d'avoir  à  placer  ici  une  excellente 
lettre  que  H.  Sacc  vient  d'adresser  à  M.  Barrai ,  le  judicieux  rédacteur 
du  Journal  d'agriculture  pratique.  Celte  letlre  nous  semble  résumer 
non-seulement  ces  importantes  questions  du  croisement  et  de  la  sélection, 
mais  elle  sera  également  la  meilleure  et  la  plus  complète  réponse  à  la 
question  qu'il  nous  importe  de  résoudre  en  ce  moment. 

9*SérM.  — 17*Aiuië<.  1^ 


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210  REVUE  d' ALSACE. 

«  Monsieur  le  Directeur, 

«  J'ai  vu  avec  bonheur  que  vous  avez  défendu ,  auprès  de  la  Société  centrale 
d'agricullure  ,  le  grand  principe  du  perf.  ciionnement  des  races  domestiques  par 
elles-mêmes ,  et  que  vous  n'admettez  les  croisements  que  dans  le  but  d'obtenir 
un  résultai  immédiatement  utile ,  parce  que  vous  avez  reconnu  que  les  animaux 
résultant  des  croisements  ne  transmettent  pas  déflnittvement ,  à  leurs  descen- 
dants, toutes  les  qualités  de  leurs  ascendants.  Telle  est  aussi  la  thèse  que  je 
soutiens  seul  devant  la  Société  d'acclimatation,  dont  quelques  membres  veulent 
absolument  n'employer  les  nouvelles  races  d'animaux  domestiques  qu'elle  importe, 
qu'à  croiser  nos  anciennes  espèces.  Il  y  a  là  une  double  faute  ,  ce  me  semble  : 
d'abord  celle  de  détourner  l'sittention  du  pcrfectiounemen»  de  ces  races  par 
elles-mêmes  ,  car  elles  laissent ,  en  général ,  beaucoup  à  désirer  ;  el  puis  ensuite 
celle  de  produire  des  bâtards ,  dont  on  ne  pourra  connaître  les  aptitudes  qu'au 
bout  de  bien  des  générations  dont  les  caractères  changeront  d'ailleurs  avec 
chacune  d'elles. 

«r  Pour  ne  citer  que  la  chèvre  d'Angora  ,  dont  je  puis  parler  en  connaissance 
de  cause  »  puisque  je  n'ai  cessé  de  m'en  occuper  depuis  le  jour  de  son  impor- 
tation ,  voici  tes  résultats  que  j'ai  obtenus  avec  la  race  pure.  Les  bètes  importé<*s 
donnaient  si  peu  de  lait  qu'elles  pouvaient  à  peine  nourrir  leura  petits  dont  la 
première  génération  française  fournissait ,  sous  l'influence  d'une  bonne  nourriture, 
un  demi -litre  de  lait  outre  celui  que  buvait  le  petit ,  et  la  seconde  génération  , 
de  1  à  1  Vs  c^  même  2  litres  d'excellent  lait.  Le  poids ,  la  pureté  et  la  finesse 
des  toisons  allaient  toujours  en  augmentant  aussi  dans  une  proportion  analogue. 

«  Quant  aux  produits  provenant  du  croisement  du  bouc  angora  avec  une  chèvre 
d'Egypte  et  avec  une  autre  d'Appenzell ,  j'ai  dû  les  faire  abattre  parce  que  le 
poil  était  assez  long  mais  grossier,  et  que  Tabsence  presque  totale  du  lait  rendait 
ces  animaux  d'un  entretien  trop  coû.eux. 

K  Comme  Suisse ,  d'ailleure ,  je  ne  puis  être  partisan  que  des  races  pures  ; 
notre  belle  race  de  chevaux  de  la  Montagne-des-Bois  et  de  Schwytz ,  nos  gigan- 
tesques vaches  de  Fribourg  ;  nos  excellentes  laitières  de  Schwytz  et  d'Uri  ne 
se  sont  formées  que  par  sélection  ;  absolument  comme  les  Arabes  forment  leurs 
races  de  chevaux  et  de  dromadaires. 

<t  On  a  beaucoup  répété  que  les  croisements  consanguius  ,  trop  fréquemment 
répétés ,  finiraient  par  amener  l'abâtardissement  des  races  ;  voici  deux  faits  qui 
semblent  prouver  le  contraire  :  Au  commencement  de  ce  siècle ,  Tempereur 
Napoléon  donna  à  M.  Couderc ,  sénateur  de  Lyon  ,  un  bélier  et  une  brebis 
mérinos  dont  il  fit  cadeau  à  ma  grand'mère  ,  de  qui  le  beau  troupeau  ,  qui  passa 
plus  tard  entre  mes  mains ,  présentait  encore  ,  en  1837  ,  tous  les  caractères  de 
la  race  pure,  bien  qu'il  u'eul  été  jamnis  ni  croisé  ,  ni  rafralclii  par  une  nouvelle- 
importation  de  bêtes  de  pur  sang. 

«  D'une  seule  paire  de  poules  russes ,  importées  à  Neufcbàtel  en  18^29 ,  j'ai 


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ÉTUDES  SUR  l'Élevage  ,  l'entretien  ,  etc.  21 1 

monté  loate  ma  basse-cour ,  où  ct*tto  espèce  s*cst  conservée  dans  toute  sa  pureté 
jusqu'au  moment  de  mon  départ  en  1850. 

n  Depuis  la  création  du  monde ,  les  pignons  se  reproduisent  entre  frères  et 
sœurs  ,  et  nulle  part  leur  race  n*a  dégénéré  :  elle  s*est  au  contraire  inBniment 
perfectionnée  à  Taide  de  soins  bien  entendus. 

«  Arrivant  aux  races  issues  de  croisements  bien  entendus ,  vous  avez  cité 
les  porcs  et  les  moutons  anglais  auxquels  j'ajouterai  notre  justement  célèbre 
mouton  du  Larzac ,  et  Tadmirablc  race  bovin<;  de  Rosenstein  ,  que  S.  M.  le  roi 
de  Wurtemberg  est  enfin  arrivé  à  fixer,  après  20  ans  de  croisements  répétés 
entre  les  meilleures  races  bovines  de  l'Europe. 

«  Toutes  ces  races  artificielles  sont-elles  bien  et  définitivement  fixées  ?  ou  bien 
remonteront-elles,  dès  qu'on  cessera  de  faire  intervenir  le  pur  sang,  à  leur 
ascendant  le  plus  robuste ,  à  celui  qui  s'est  formé  sous  Tinfluence  locale  ?  Le  roi 
de  Wurtemberg  répond  à  cette  question  ,  qu'après  plus  d'un  demi-siècle  dVssais 
incessants ,  ii  s'est  convaincu  que ,  pour  obtenir  de  bons  résultats  des  croise- 
ments des  étalons  arabes  avec  les  juments  allemandes ,  il  faut  faire  intervenir 
sans  cesse  le  pur  sang  arabe.  La  soJété  bob 'mienne,  pour  le  perfectionnement 
des  lainages,  répond  que  lorsqu'ap'ès  neuf,  je  dis  neuf  générations  de  métis 
mérinos-bobémiens  ,  on  cesse  de  faire  intervenir  le  bélier  mérinos,  les  descen- 
dants de  celle  neuvième  généialion,  qui  offrent  cependant  tous  les  caractères 
des  mérinos  pur  sang,  reprennent  aussitôt  la  laine  grossière  de  Tespèce  locale. 

A  Enfin  ,  permettez-moi  d'ajouter  que  pour  quelques  croisements  qui  ont  pro- 
duit de  bons  résultats,  il  y  en  a  beaucoup  plus  qui  en  ont  produit  de  mauvais  ; 
ainsi  par  exemple ,  le  cbeval  anglais  croisé  avec  nos  chevaux  jurassiens  donne  des 
produits  à  extrémités  si  allongées  qu'ils  en  sont  ioemployables  ;  les  produits  du 
yack  et  de  la  vache  ,  du  bouc  angora  et  de  la  chèvre  commune  ne  donnent  pas 
de  lait,  ceux  du  coq  nankin  avec  la  poule  commune  ont  une  chair  grossière  et  des 
formes  disgracieuses,  et  ceux  du  coq  bankiua  avec  la  poule  commune  sont  aussi 
petits ,  ou  guère  plus  grands  que  leur  père. 

m  Pour  me  résumer ,  je  suis  convaincu  que  quand  les  croisements  produisent 

un    bon  résultat ,   il  n'est  pas  durable ,  et  je  conclus  que   vous  avez  mille  fois 

raison  lorsque  vous  ne   les  admettez  que  pour  arriver  prompiemeol  à  un  but 

momentané ,  et  que  vous  soutenez  avec  moi  que  ,  pour  arriver  à  un  but  stable 

et  définitif,  il  faut  améliorer  nos  animaux  domestiques  par  une  sage  sélection  de 

leurs  reproducteurs. 

«  Veuillez  agréer,  etc. 

ff  Signé  ,  Sacc  '.  » 

  cette  lettre  M.  Barrai  ajoute  les  réflexions  suivantes  : 
«  Ainsi ,  dit-il ,  à  ceux  qui  ont  fondé  des  élables  pour  le  croisement 
d'un  animal  perfectionné  avec  une  autre  race ,  nous  ne  saurions  trop 

*  Voy.  Journal  d'agriculture  pratique  ,  1865 ,  tome  I*'.  5  juin. 


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242  RÏvUli  D*AtsW. 

répéter  de  revenir  souvent  au  sang  pur  pour  obtenir  de  nouvelles 
générations.  •  ^ 

Maintenant,  après  avoir  enregistré  les  opinions  de  MM.  Sacc  et  Barrai , 
après  avoir  reproduit  au  long ,  dans  les  chapitres  précédents ,  les  ren- 
seignements que  nous  avons  puisés  dans  les  travaux  de  MM.  Georges 
Mai,  David  Low,  Giot,  Eugène  Guyot,  S.  Gourdon,  A.  Sanson ,  de 
Dampierre,  Yilteroy,  P.  de  Saint-Ferjeux,  etc.  nous  formulons, 
comme  suit,  la  réponse  qui  nous  reste  à  donner  à  la  seconde  qiiestion 
posée  plus  haut  : 

La  sélection  est  le  seul  moyen  qiii  permettra  de  compter  sur  une 
transmission  régulière  de  l'hérédité  ;  elle  peut  seule  perfectionner  les 
races  conformément  ai^  besoins  et  aux  influences  locales. 

Mais ,  il  ne  suffit  pas  d'ériger  un  principe  en  théorie ,  il  faut  aussi 
se  demander  si ,  en  pratique ,  l'application  est  possible  ?  -  Malheu- 
reusement nous  trouvons,  de  ce  côté,  de  nombreuses  difficultés, 
conséquences  inévitables  de  la  loi  du  11  frimaire  an  vu,  relative 
aux  troupeaux  ,  et  dont  nous  essaierons  plus  loin ,  de  démontrer,  à  la 
fois ,  les  avantages  et  les  inconvénients'. 

J.  F.  Flaxland. 

(La  suite  prochainement.) 


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ABJURATION  \ 


La  déclaration  du  Roi  contre  les  Relaps  du  13  mars  1679  •  celle  du 
mois  de  mars  1683 ,  qui  défendent  aux  ministres  de  la  religion  prétendue 
réformée  d'admettre  aucun  catholique  ou  relaps  à  professer  leur  reli- 
gion ou  à  fréquenter  leurs  prêches  et  celle  du  mois  de  juin  de  la  même 
année ,  qui  dite  aux  catholiques  la  liberté  de  changer  de  religion  ,  ont 
été  enregistrées  au  Conseil  souverain  d'Alsace  et  forment  par  consé- 
quent loix ,  tant  pour  les  luthériens  que  pour  les  calvinistes.  La  décla- 
ration du  13  décembre  1698  pourvoit  à  l'instruction  de  ceux  qui  ont 
fait  abjuration  et  de  leurs  enfants ,  et  les  maintient  dans  leurs  biens  , 
en  satisfaisant  aux  devoirs  de  la  religion. 

Les  enfants,  qui  se  sont  convertis  après  l'âge  de  sept  ans  accomplis, 
jouissent  de  l'effet  .de  la  déclaration  du  24  octobre  1665  ;  il  leur  est 
laissé  à  leur  choix  après,  leur  conversion  de  retourner  en  la  maison  de 
leurs  père  et  mère  protestants  pour  y  être  nourris  et  entretenus ,  ou  de 
se  retirer  ailleurs  en  demandant  une  pension  proportionnée  à  leurs 
conditions  et  facultés.  Cette  disposition  est  conforme  à  l'édit  du  17  juin 
1681 ,  qui ,  quoique  non  registrée  au  Conseil,  est  cependant  observée 
en  Alsace.  Suivant  le  même  édit ,  lesdits  enfants  ne  peuvent  être  en- 
voyés en  pays  étranger  pour  leur  éducation  avant  l'âge  de  seize  ans. 

Un  arrêt  du  Conseil  souverain  d'Alsace,  du  S8  septembre  1691  , 
défend  aux  nouveaux  convertis  d'envoyer  leurs  enfants  auprès  des 
maîtres  ou  ministres  faisant  profession  de  la  religion  luthérienne  ou 
calviniste,  soit  au  dedans,  soit  au  dehors  du  royaume,  pour  y  être 
élevés  et  instruits  dans  les  principes  de  leur  religion  :  ce  qui  était  une 
contravention  manifeste  à  la  déclaration  du  mois  de  juin  1683.  Le  même 

'  Nous  trouvons  parmi  les  pièces  éparses  des  inaouscriu  de  Graudidier  la  noiice 
que  Dous  publions. 

Nous  ne  savons  pour  quel  recueil  de  son  temps  il  Tavait  préparée  et  nous 
ignorons  si  elle  a  paru.  Dans  tous  les  cas  il  est  utile  de  la  recueillir,  car  il  s'agit 
du  régime  appliqué  spécialemenl  aux  protestants  d'Alsace, 


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m  REVUE  D* ALSACE. 

Conseil,  en  vertu  d'une  lettre  de  M.  Le  Blanc  ,  du  29  janvier  1727 , 
jugea,  le  1i  mars  suivant,  que  les  enfants  d'un  luthérien  nouveau  con- 
verti y  qui  se  sont  retirés  hors  du  royaume  pour  y  exercer  leur  reh'gion, 
sont  dans  le  cas  des  défenses  générales  portées  par  la  déclaration  du 
mois  de  mars  1683  ,  et  incapables  de  succéder  à  leur  père. 

Les  nouveaux  convertis ,  tant  luthériens  et  calvinistes  que  juifs  et 
anabaptistes ,  jouissent  en  Alsace  de  deux  privilèges  particuliers.  Le 
premier,  accordé  par  ordonnance  de  M.  l'intendant,  du  26  août  1683, 
les  exempte  pendant  trois  ans  du  logement  des  gens  de  guerre  et  de 
toutes  impositions  établies  pour  la  subvention  et  subsistance  desdits 
gens  de  guerre.  Le  second  est  énoncé  dans  un  arrêt  du  conseil  d'Etat , 
du  9  juin  1685,  qui  accorde  aux  nouveaux  convertis  de  l'Alsace  le  terme 
et  délai  de  trois  ans  pour  le  payement  du  capital  de  leurs  dettes ,  à 
charge  cependant  d'en  payer  les  intérêts.  Un  arrêt  du  même  conseil,  du 
18  janvier  suivant,  déclaYe  que  ce  terme  ne  doit  pas  cependant  s'appli- 
quer aux  dettes  entre  marchands.  Un  arrêt  du  Conseil  souverain  d'Al- 
sace, donné  le  30  janvier  1731 ,  en  faveur  de  Charles-Philippe  comte 
de  Hohenloê ,  époux  d'une  princesse  de  Hesse-Hombourg ,  a  jugé  que 
le  délai  ou  répit  accordé  aux  nouveaux  convertis  pour  le  payement  de 
leurs  dettes  ne  court  que  du  jour  de  leur  majorité ,  et  qu'il  profite  au 
mari  comme  poursuivant  les  droits  de  sa  femme  convertie. 

Article  fourni  par  M.  Vabbé  Grandidier 


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NOTES  ET  DOCUMENTS 

POUR   SERVIR  A   l'HISTOIRE   DE  LA   KÉVOLUTIO.N   EN  ALSACE. 

-  Suite  *.  - 

4791. 

i8  février.  —  Le  directoire  adressa  aux  électeurs  la  circulaire 
suivante: 

Frères  et  amis , 

Il  est  enfin  fixé  ce  jour  heureux  où  vous  devez  vous  assembler  pour 
élire  un  pasteur  parmi  vos  frères  et  concitoyens. 

L'objet 4de  celte  assemblée  est  de  la  plus  grande  importance,  et  le 
choix  que  vous  devez  faire  exige  de  vous  non-s  miement  des  preuves 
de  patriotisme ,  mais  surtout  des  marques  de  piété  et  de  religion.  Tous 
les  yeux  sont  ouverts  sur  vous ,  et  votre  conduite  doit  faire  voir  aux 
peuples ,  que  vous  êtes  aussi  inviolablement  attachés  aux  lois  de  la 
religion ,  qu'à  celles  de  la  patrie. 

On  accuse  les  représentants  de  la  nation  de  vouloir  détruire  la  foi 
de  vos  pères  ;  et  les  ennemis  de  la  constitution ,  qui  ont  fondé  sur  ce 
terrible  moyen  l'espoir  d'une  contre-révolution,  s'efforcent  de  vous 
persuader  que  vous  ne  pouvés  concourir  à  l'élection  de  l'évéque  sans 
vous  rendre  coupable  envers  la  religion. 

Accoutumés  à  entendre  ces  impuissantes  et  déraisonnables  clabau- 
deries ,  nous  aurions  laissé  ces  pervers  s'agiter  dans  la  fange  de  la 
calomnie ,  si  des  prêtres  mêmes  ,  qui  refusent  de  prêter  serment ,  n'a- 
vaient empoisonné  vos  vues  et  cherché  à  alarmer  vos  consciences. 

La  religion  est  en  danger ,  vous  disent-ils  ,  et  ce  prétexte ,  le  plus 
spécieux  qui  fut  jamais  ,  a  été  manié  avec  tant  d'adresse ,  que  quelques 
âmes  droites  et  désintéressées  en  ont  pris  sérieusement  l'alarme ,  et 
ont  cru  voir  dans  l'organisation  du  clergé  un  plan  concerté ,  de  détruire 
la  doctrine  de  l'Evangile.  L'impression  du  moment ,  causée  par  la 

*  Voir  les  livraisons  de  mai ,  juin  et  octobre  1865 ,  pages  S53,  277  et  470 , 
et  février  et  mars  1866 ,  pages  121  et  173. 


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216  REVUE  D'ALSACE.  ^ 

résistance ,  et  le  faux  zèle  des  ministres  de  la  paix  ,  a  subjugué  la  cré- 
dulité ,  et  a  fait  naître  chez  plusieurs  une  répugnance  à  prêter  le  ser- 
ment civique.  Pour  tranquilliser  les  esprits  et  rassurer  à  cet  égard  les 
âmes  pieuses  et  timorées ,  on  s'est  proposé  de  faire  une  petite  obser- 
vation sur  chacun  des  articles  qui  ont  excité  le  plus  de  réclamations. 

i**  L'Assemblée  nationale  a  remis  au  peuple  le  choix  des  évéques  et 
de  ses  pasteurs,  c'est-à-dire  :  l'Assemblée  nationale  a  rétabli  le  peuple 
dans  ses  plus  beaux  droits,  qu'il  avait  exercés  dès  le  berceau  de  l'Eglise. 
Lorsqu'il  s'agissait  de  remplacer  le  traître  Judas 3  le  choix  a  été  confié, 
par  l'ordre  des  apôtres ,  à  tous  les  fidèles ,  entre  lesquels  étaient  des 
femmes  :  S*  Jacques-le-mineur  a  été  nommé  de  la  même  manière  évèque 
de  Jérusalem  ;  S*  Alhanase ,  évêque  d'Alexandrie  ;  Cécîiien  ,  évêque  de 
Carthage  :  S^  Ambroise ,  Corneille  et  plusieurs  autres  ont  été  élus  una- 
nimement par  le  peuple  sur  le  simple  témoignage  des  prêtres. 

Ces  sortes  d'élections  furent  pendant  quelque  temps  suspendues  par 
les  fausses  décrétales  ;  mais  bientôt  après  rétablies  par  Saint  Louis  et 
le  concile  de  Bâie,  et  continuées  ainsi  dans  l'Eglise  jusqu^au  honteux 
concordat  entre  Léon  X  et  François  h^,  par  lequel  le  pape  a  obtenu  le 
droit  des  annates  et  le  roi  celui  de  nommer  les  évoques  ;  c'est  cet  abus 
que  l'Assemblée  nationale  a  aboli,  en  rétablissant  cette  ancienne  forme 
d'élire  qui  a  fourni  à  l'Eglise  tant  de  grands  et  de  saints  évoques. 

L'on  objecte  contre  le  décret ,  que  les  ecclésiastiques  auraient  dû  au 
moins  participer  à  ces  élections  ;  mais  on  ignore  donc  que  les  ecclé- 
siastiques n'avaient  aucune  part  aux  élections  des  évoques  ,  qui,  dans 
ces  derniers  temps ,  étaient  l'ouvrage  des  plus  viles  intrigues  de  la 
cour.  D'ailleurs ,  d'après  la  nouvelle  organisation ,  les  ecclésiastiques 
ne  sont  point  exclus  des  élections  :  ne  donnent  ils  pas  leur  suffrage  aux 
électeurs  qui  choisissent  en  leur  nom  les  évéqiies  et  les  curés  I  et  il  est 
certain  que,  s'ils  n'avaient  pas  opposé  une  si  forte  résistance  aux  décrets 
de  l'Assemblée  ,  plusieurs  parmi  eux  seraient  déjà  du  nombre  des  élec- 
teurs. Ah  !  s'il  était  possible  que  les  ecclésiastiques  conçussent  une  fois 
des  sentiments  patriotiques,  ils  verraient  que  le  bon  et  vertueux  Alsa- 
cien se  ferait  un  devoir  de  leur  céder  la  première  place  à  toutes  les 
élections. 

2o  L'Assemblée  nationale  a  décrété  que  le  nouvel  évêque  ne  se  pré- 
senterait plus  au  pape,  pour  obtenir  la  confirmation ,  mais  qu'il  lui 
écrirait  comme  au  chef  visible  de  l'Eglise ,  en  signe  d'union  de  la  foi 
que  l'Assemblée  nationale  ordonne  de  conserver  avec  lui.  Ceci  est  in- 


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NOTES  ^T  DOQVUmrS  ,  ETC.  217 

contestablement  Tusage  de  la  première  Eglise.  Le  concile  de  Nicée  a 
ordonné  dans  le  quatrième  canon  y  que  Févèque  recevrait  la  confirma- 
tion du  métropolitain  et  non  du  pape.  Un  concile  de  Carthage  ,  auquel 
Saint  Augustin  a  assisté ,  défendit  même ,  sous  peine  d'excommunica- 
tion ,  de  recourir  au  pape  pour  le  même  objet. 

3^  L'Assemblée  natioimie  veut  que  chaque  évoque  nomme  des  vicaires 
qui  formeront  son  conseil.  Pour  se  convaincre  du  parfait  accord  de 
cette  disposition  avec  la  véritable  discipline  de  TEglise ,  il  suffit  de  lire 
le  second  discours  de  Tabbé  Fleury  où  il  est  dit  :  que  dans  TEglise 
tout  se  faisait  par  conseil  ;  parce  qu'on  voulait  y  faire  régner  la  raison, 
la  règle  et  la  volonté  de  Dieu.  Saint  Cyprieu  s'excusait  auprès  des 
prêtres  et  des  diacres ,  d'avoir  nommé,  contre  sa  coutume  et  sans  leur 
vœu,  quelqu'un  pour  lecteur,  à  cause  de  son  grand  mérite.  Si  donc  les 
évèques  sont  obligés ,  suivant  ce  décret ,  de  consulter  leurs  vicaires , 
il  ne  s'en  suit  pas  de  là  ,  que  les  vicaires  soient  évèques ,  puisqu'ils  ne 
pourraient  jamais  ordonner  un  prêtre. 

Tels  sont  les  décrets  contre  lesquels  se  déchaînent  avec  tant  de  fureur 
les  ennemis  entêtés  de  leurs  opinions  ,  qui  sont  d'autant  plus  dange- 
reux ,  que,  confondant  la  cause  de  la  religion  avec  leurs  intérêts  parti- 
culiers ,  ils  s'imaginent  n'être  animés  que  du  zèle  le  plus  pur.  Us  vous 
dépeignent  l'organisation  du  clergé  comme  le  plus  noir  attentat  ;  et 
jamais  événement  ne  fut  plus  nécessaire  et  en  même  temps  plus  utile 
à  TËglise.  Il  fallait  la  révolution  actuelle  pour  rendre  au  clergé  sa 
dignité  ;  et  nous  pouvons  nous  glorifier  de  toucher  enfin  à  cette  époque 
si  désirable ,  où  nos  premiers  pasteurs ,  riches  de  leurs  seules  vertus , 
et  se  trouvant  dans  l'heureuse  impossibilité  de  se  distinguer  parle  luxe, 
seront  forcés  de  se  distinguer  par  un  mérite  plus  réel  et  plus  conve- 
nable à  la  sainteté  de  leur  Elat.  Heureux  citoyens  !  livrés-vous  donc  à 
tous  les  transports  de  la  plus  vive  reconnaissance,  envoyant  luire  à  vos 
yeux  l'aurore  du  plus  beau  jour  que  la  providence  ait  pu  vous  accorder. 
Hàlez ,  par  l'ardeur  de  vos  vœux ,  le  glorieux  moment  où  doit  se  con- 
sommer la  plus  importante  opération  ;  conjurés  tous  ensemble  le  Dieu 
que  vous  adorés ,  de  la  sanctifier  par  l'onction  de  la  grâce ,  et  de  la 
diriger  vers  l'unique  bonheur ,  qui  est  celui  de  vos  âmes.  Que  de  motifs 
pour  tout  chrétien  d'être  fidèle  à  son  serment  !  Et  vous  électeurs!  vous 
devez  surtout  en  donner,  l'exemple  ;  l'intérêt  de  la  religion,  le  besoin 
de. la  paix ,  l'affermissement  de  la  chose  publique  vous  le  recommandent 
impérieusement.  Faites  donc  des  réflexions  sérieuses  sur  l'objet  imppr- 


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218  REYUI  D'ALSACE. 

tant  pour  lequel  vous  allés  être  convoqués  ;  il  ne  s*agit  pas  d*élever  un 
grand  seigneur  à  une  place  éminente  ;  vous  devés  donner  un  père  au 
peuple,  un  soutien  à  la  foi,  un  refuge  au  malheureux  ,  un  apôlre  à  la 
constitution  et  à  la  religion. 

FaitàColmar  au  Directoire  du  département  du  Haut-Rhin,  ce  18 
février  1791.  Signé  :  WvElterlé  et  Rudler. 

Siégeans:  MM.  W^elterlé  ,  Muller  ,  Rigklin  ,  Schneider  ,  Resch  , 
Eggerlé  et  RuDLER ,  faisant  fonctions  de  procureur-général  syndic. 

—  il  y  a  dans  les  trois  districts  160  capucins.  Us  sont  répartis  dans 
les  maisons  de  Weinbach  21  —  Neuf-Brisach  15  —  Soultz  12  — 
Thann  22  —  Blotzheim  18  —  Landser  19  —  Ensisheim  21  —  Colmar 
23  —  Trois-Epis  4  —  Belfort  5.  —  Total  160. 

{Croquis  d'un  état  minute.) 

—  Nombre  de  religieux  capucins  que  l'on  peut  ajouter  dans  les  diffé- 
rentes maisons  :  Neuf-Brisach  10  —  Soullz  13  —  Thann  13  —  Blotz- 
heim 12  —  Colmar  7  —  Weinbach  4.  —  Total  54. 

—  Nombre  de  religieux  récollets  : 

Rouffach  33  —  Kaysersberg  30  —  Luppach  40  —  Total  103. 

—  Les  Dominicains  de  Guebwiller  resteront ,  ceux  de  Colmar  s'y 
transporteront  aussi.  —  Total  30  Dominicains. 

—  Il  y  a  66  récollets.  Ils  sont  répartis  dans  le  couvent  de  Luppach 
où  il  y  en  aura  40.  —  Les  autres  iront  à  Rouffach. 

—  Les  14  Cordcliers  de  Thann  et  les  5  de  Sainte-Marie-aux-Mines 
iront  à  Thierbach ,  ainsi  qu'un  des  Augustins  s'il  en  reste  et  s'ils  n'ont 
pas  tous  de  place  à  Pairis. 

—  A  Pairis  il  y  aura  les  19  Augustins  de  Colmar  et  ceux  Je  Ribeau- 
villé.  —  Il  n'y  a  place  à  Pairis  que  pour  19. 

—  A  Marbach  les  13  qui  y  étaient  et  sept  des  Bénédictins  de  Munster. 

—  A  Lùcelle  il  y  aura  les  religieux  qui  y  sont ,  les  sept  rf'stant  des 
Bénédictins  de  Munster  et  les  religieux  restant  de  Pairis. 

—  Arrête  :  que  les  19  Augustins  de  Colmar  se  rendront  à  Pairis. 
Que  les  Dominicains  se  rendront  à  Guebwiller. 

—  Faire  un  arrêté  pour  qu'il  puisse  leur  être  notifié  lundi  28. 

—  Arrête  en  outre  que  le  religieux  restant  à  Pairis  se  rendra  à 
Lucelle. 


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NOTES  ET  DOCUMENTS,  ETC.  219 

14  mars.  —  850  fusils  sont  mis  à  la  disposition  du  Directoire.  Le 
Directoire  !es  répartit  ainsi  :  Belfort  600,  Altkirch  300.  Golmar  250. 

22  mars.  —  Nouvelle  fourniture  de  1557  fusils  ainsi  répartis  par  le 
Directoire.  District  de  Colmar  757  ,  Belfort  400  ,  Altkirch  400. 

20  avril.  —  Roth^  capitaine  commandant  Fartillerie  de  Neuf-Brisach, 
informe  qu'il  a  été  autorisé  à  délivrer  4500  fusils  pour  Tarmement  de 
la  garde  nationale.  Le  Directoire  arrête  qu'ils  seront  distribués  au 
district  de  Colmar  600 ,  de  Belfort  400 ,  d' Altkirch  500. 

25  avril. 

Lettre  du  Directoire  du  déparlement  du  Haut-Rhin  aux  maires  et 
officiers  municipaïuc. 

Colmar,  le  25  avril  1791. 

M.  Arbogart  Martin ,  évéque  de  ce  département ,  constitutionnelle- 
ment  élu  ,  s'est  hàtéj  après  son  installation  ,  de  consacrer  les  premiers 
instants  de  son  épiscopat  à  s'entrelenir  avec  ses  coopéraleurs  et  les 
fidèles  de  son  diocèse.  Vous  en  serez  convaincus  à  la  vue  de  sa  lettre 
pastorale,  qu'il  vient  d'adresser  à  tous  les  curés  et  dont  vous  trouverez 
ci-joint  un  exemplaire.  Ce  morceau  qui  caractérise  les  sentiments  de 
piété  et  de  religion  qui  animent  ce  digne  prélat ,  nous  a  paru  bien 
propre  à  ramener  les  esprits  que  le  fanatisme  a  tenté  d'égarer  ;  et 
comme ,  par  un  nouvel  effort  de  cette  passion  cruelle ,  il  est  à  craindre 
que  quelques  curés  réfractaires  ne  cherchent  à  en  faire  perdre  le  fruit 
à  leurs  ouailles ,  en  lui  refusant  la  publicité  nécessaire ,  nous  croyons 
de  notre  devoir  de  vous  inviter  de  prier  votre  curé  ^  au  reçu  de  la 
présente ,  de  faire  cette  publication ,  et  à  son  refus  de  la  faire  faire  par 
votre  maire  ou  le  premier  officier  municipal  présent ,  comme  le  moyen 
le  plus  efficace  de  faire  cesser  l'erreur  dans  laquelle  les  méchants 
voudraient  retenir  le  peuple. 

W.fiLTERLÉ  ,    RUDLER. 

p.  s.  Vous  voudrés  bien  ,  Messieu)  s ,  donner  avis  au  procureur- 
syndic  de  votre  district ,  de  cette  publication  dès  qu'elle  aura  été  faite  , 
et  lui  faire  connaître  par  qui  elle  a  été  effectuée. 

(Coromuiiicalions  émanant  de  divers  collaborateurs  et  de  sources  authentiques.) 


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BIILLfiTIN  BIBLIOGRAPHIQUE. 


mi  les  publicalions  bibliographiques  que  ces  derniers  temps  ont 
ître,  il  en  est  une  qui  mérite  particulièrement  d'être  mentionnée 
notre  bulletin  mensuel.  C'esl  la  Revue  critique  d'histoire  et  de 
liure,  publiée  à  la  librairie  A.  Franck  ,  67  ,  rue  Richelieu ,  sous 
ection  de  P.  Meyer,  Ch.  Morel ,  G.  Paris  et  H.  Zotemberg.  Elle 
tous  les  samedis  en  une  feuille  de  16  pages,  grand  in-8«»  et  coûte 
mc3  par  an.  Nous  en  avons  les  premières  livraisons  sous  les  yeux 
'es  en  avoir  pris  connaissance ,  il  nous  reste  celte  impression  qui 
certainement  celle  que  percevront  tous  ceux  qui  liront  ce  recueil  : 
que  la  Bévue  critiqua  n'est  pas  une  de  ces  publicalions  légères 
lelles  tout  ce  qui  leur  arrive  est  par  cela  même  excellent.  La  pha- 
,  très- nombreuse  déjà,  de  ses  collaborateurs  se  compose  d'hommes 
voir  dont  chacun  ne  parle  que  de  ce  qu'il  sait ,  et  le  fait  avec  une 
endance  qui  n'est  pas  plus  avare  de  la  critique  que  de  l'éloge.  On 
s'en  rapporter  au  jugement  de  la  Revue  sur  la  valeur  des  livres 
araissent  se  procurer  les  bons  avec  confiance  ,  sans  risquer  le 
usionnement  que  l'on  éprouve  quelque  fois  lorsque ,  sur  la  foi 
I  annonce  élogieuse,  on  se  laisse  séduire  par  le  titre  et  une  recom- 
alion  de  complaisance. 

n  de  mieux  éclairer  encore  nos  lecteurs  sur  le  mérite  de  cette 
cation ,  nous  en  détachons  l'analyse  suivante  qui  concerne  un 
il  dû  aux  recherches  d'un  antiquaire  très-avantageusement  connu 
notre  monde  littéraire  de  l'Alsace. 

Liste  des  no7ns  de  Veux  inscrits  sur  les  monnaies  mérovingiennes, 
!•  Anatole  de  Barthélémy.  Paris,  Aubry,  1805,  in-S»»,  24  pages. 

us  les  rois  mérovingiens ,  la  fabrication  de  la  monnaie  fut  si  rê- 
ne, que  non-seulement  les  grandes  villes,  mais  des  bourgs,  des 
es ,  même  de  .-impies  domaines  ruraux  eurent  leur  atelier  moné- 
11  en  résulte  que  la  réunion  des  légendes  imprimées  sur  les  mon- 
mérovingienues  (en  supposant  que  nous  eussions  toutes  ces 
laies)  serait  le  dictionnaire  géographique  de  la  Gaule  barbare. 


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BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE.  224 

M.  de  Longpérier  a  essayé  le  premier  de  faire  un  répertoire  de  celte 
espèce.  En  1841  il  publia,  dans  l'Annuaire  de  la  Société  de  THisloire 
de  France,  une  liste  de  275  noms  de  lieu,  déchiffrés  sur  la  totalité  des 
monnaies  de  la  première  race  que  l'on  connût  alors.  C'est  une  pareille 
liste  que  vient  de  nous  donner  M.  de  Barthélémy,  mais  améliorée  et 
augmentée  en  raison  des  progrès  accomplis  par  la  science  depuis  vingt- 
cinq  ans.  Le  nombre  des  noms  de  lieu  est  porté  de  275  à  721  ;  en 
outre,  la  plupart  des  lectures  ont  été  vérifiées ,  soit  sur  les  pièces  elles- 
mêmes  ,  soit  sur  des  empreintes  ;  de  sorte  que ,  sur  les  721  noms 
inscrits ,  557  se  présentent  avec  un  signe  qui  garantit  au  lecteur  la 
fidélité  de  leur  transcription. 

N'ayant  pas  eu  d'autre  but  que  de  composer  une  nomenclature  aussi 
complète  et  aussi  pure  que  possible,  M.  de  Barthélémy  a  laissé  de  côté 
la  recherche  des  lieux  auxquels  les  noms  se  rapporlonl.  II  s'est  contenté 
de  consigner ,  à  litre  de  simple  renseignement ,  les  attributions  propo- 
sées jusqu'ici  ;  encore  ne  les  a-t-il  pas  mises  toutes  au  même  rang. 
Quelques-unes  seulement,  qui  lui  ont  paru  incontestables,  ont  pris 
place  dans  sa  liste  ;  toutes  les  autres ,  il  les  a  rejetées ,  en  note,  à  une 
place  qui  les  recommande  spécialement  au  contrôle  des  critiques. 

Les  critiques  ,  en  effet ,  auront  à  faire  bien  des  épurations  dans  ces 
premiers  essais  de  la  géographie  monétaire ,  tant  il  est  arrivé  de  fois 
que  les  noms  anciens  des  localités  ont  été  rendus  sans  tenir  compte ,  ni 
des  faits  historiques  les  plus  connus ,  ni  des  lois  qui  ont  présidé  à  la 
formation  de  notre  langue. 

Ainsi ,  le  nom  consigné  sous  la  double  forme  aprianco  ,  abrianego  a 
été  assimilé  à  Chevry ,  à  Chabrignac»  à  Abriac ,  comme  s'il  était  pos- 
sible de  supposer  l'épenthèse  ch  devant  l'a  initial ,  et  possible  aussi  de 
faire  fléchir  en  y  ou  ac  la  désinence  anco,  anecOy  qui  ne  laissait  de 
choix  qu'entre  anc,  anche,  ange ,  angue ,  agne,  argue  ou  ergue. 

Ainsi,  gambidonno,  candidonno^  camdonno  ont  été  assimilés  à 
Chambon ,  comme  si  la  force  de  la  dentale,  si  clairement  indiquée  par 
les  variations  orthographiques  du  mot ,  pouvait  avoir  dégénéré  dans  la 
prononciation. 

Ainsi ,  IB1LLAC0  et  ivciac  [vm  ou  a]  villa  ont  été  rendus  parBellange 
et  Julianges ,  comme  si  acum,  acus ,  aca ,  avait  jamais  fléchi  autrement 
qu'en  ac ,  ai  ^  as ,  ay  ou  en  ;  et  d'autres ,  qui  ont  proposé  Julliac ,  au- 
raient dû  chercher  dans  quel  mot  on  trouve  la  sifflante  transformée  en 
une  labiale  avec  mouillure. 


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222  REVUE  D' ALSACE. 

Ainsi ,  POTENTO,  qui  est  Pouan  (Aube) ,  nommé  dans  un  diplôme  de 
854-,  a  été  rendu  par  Podensac,  absolument  comme  si  la  légende  eût 
été  Potentiaco. 

Ainsi ,  voROLioviLLA  est  devenu  Vollore-ville ,  comme  si  vorolivm 
n'appartenait  pas  à  une  nombreuse  famille  de  vocables ,  où  la  désinence 
olium,  se  transformant  d'une  manière  uniforme  par  la  force  de  Taccenf 
posté  sur  0 ,  a  engendré  la  terminaison  française  euil,  eil ,  oil. 

Ainsi ,  MATiRiACO  iMALL'j)  a  été  rendu  par  Mézières ,  malgré  la  peine 
que  s'est  donnée  H.  Guérard  pour  établir  que  ce  chef-lieu  d'un  pagus. 
fréquemment  cité  par  nos  anciens  annalistes ,  doit  être  placé  à  Méré 
(Seine-et-Oise)  ;  et  Méré ,  en  effet ,  est  le  produit  légitime  et  direct  de 
tnatiriacus ,  tandis  que  Mézières  est  le  produit  de  maccmce. 

Ainsi ,  CARicTAS  a  été  rapporté  à  Ln  Charité-sur-Loire ,  lorsque  nous 
avons  le  témoignage  positif  que  La  Charilé-sur-Loire,  qui  autrefois 
s'appelait  Syr ,  ne  changea  de  nom  qu'au  xi«  siècle ,  après  l'établisse- 
ment en  ce  lieu  d'un  prieuré  de  l'ordre  de  Cluny ,  etc. ,  etc. ,  etc. 

Voilà  assez  d'exemples  pour  justifier  M.  de  Barthélémy  de  la  défiance 
avec  laquelle  il  a  touché ,  dans  le  glossaire  qu'il  formait ,  la  partie  de 
la  traduction.  Il  a  compris  que  jusqu'à  présent  la  numismatique  ne 
s'était  point  assez  appuyée  sur  la  saine  philologie,  non  plus  que  sur 
tant  d'autres  connaissances  du  concours  desquelles  dépendent  les 
bonnes  déterminations  géographiques.  Espérons  que  son  travail  aura 
pour  résultat  de  consommer  cette  union  désirable.         J,  Quicherat. 

Le  défaut  d'espace  nous  a  empêché  de  mentionner,  chacune  en  leur 
temps  ,  diverses  petites  publications  qui  nous  sont  arrivées  et  qui  ont 
aussi  des^  droits  à  l'attention  de  nos  lecteurs. 

II.  —  La  plus  ancienne  est  la  4«  livraison  des  Annales  de  F  association 
philomatique  vogeso-rhénane ,  faisant  suite  à  la  Flore  d'Alsace,  de 
F.  KiRSCHLEGER.  Ce  fasciculc  se  compose  de  48  pages  compactes  el 
contient  entr'autres  choses  le  catalogue  des  c  nouveaux  et  bons  livres 
de  physioloijie  et  de  morphologie  végétales  »  parus  depuis  quelques  mois 
et  qui  méritent  d'être  signalés  spécialement  aux  personnes  qui  s'occu- 
pent de  sciences  naturelles  ;  à  cette  indication  succède  une  notice  très- 
bien  faite  et  très-utile  sur  l'association  pour  l'échange  de  plantes  entre 
les  membres  de  la  Société  philomatique.  Des  instructions  précises  sont 
données  pour  les  relations  régulières  avec  le  comptoir  d'échange  (3tabli 
à  Guebvviller  dirigé  d'abord  par  M.  MsBder ,  décédé  il  y  a  quelques  mois, 


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BULLETIN   BIBLIOGRAPHIQUE.  223 

et  continué  par  H.  Fidélis ,  son  successeur.  M.  Kirschleger  passe  ensuite 
au  récit  sommaire  des  courses  de  la  Société  du  20-23  août  4864 ,  et , 
plaçant  chaque  chose  à  son  rang  chronologique ,  il  consacre  quelques 
pages  à  la  cartologie  alsato-vosgienne  dont  la  carte  en  relief  de  M.  Bûrgi, 
publiée  par  la  Société  industrielle  de  Mulhouse  lui  fournit  le  sujet. 
Dans  une  notice  nécrologique  sobre  et  bien  pensée  ,  il  donne  ensuite 
quelques  souvenirs  et  des  regrets  à  Mœder ,  l'ami  de  la  Société  philo- 
matique  et  Touvrier  le  plus  zélé  de  la  vie  de  l'association.  Enfin  cette 
livraison  se  termine  par  un  coup-d'œil  rapide  sur  les  flores  voisines  de 
celle  des  régions  rhénanes  récemment  éditées  ,  par  la  relation  de  l'ex- 
cursion printanière  des  3  ,  4  »  5  et  6  juin  1865,  par  le  texte  des  nou- 
veaux statuts  de  la  Société  d'échange  de  plantes  et  diverses  remarques 
relatives  aux  aflaires  intérieures  de  la  Société  ou  à  des  mémoires  et  des 
publications  qui  intéressent  ses  membres. 

Cette  livraison ,  on  le  voit ,  continue  à  remplir  admirablement  le  but 
que  le  fondateur  de  la  Société  philomatique  poursuit  avec  autant  de 
talent  que  de  louable  persévérance  dans  le  mouvement  qui  caractérise 
la  vie  scientifique  en  Alsace. 

III.  —  Donnons  quelques  lignes  à  une  notice ,  écrite  en  allemand  , 
tirée  à  part  et  publiée  dans  le  SumslagblaU  de  Mulhouse  ,  par  M.  Napo- 
léon Nickiès,  pharmacien  à  Benfeld.  Sans  abandonner  les  travaux 
scientifiques  et  économiques  qui  l'occupent  depuis  de  longues  années , 
M.  Nicklès  ne  dédaigne  pas  de  s'occuper  aussi  de  l'histoire  et  de  l'ar- 
chéologie de  sa  ville.  La  notice  dont  nous  parlons  se  rapporte  à  l'histoire 
de  l'hôpital  de  Benfeld  et  à  celle  de  l'église  dont  la  vieille  tour  vient 
d'être  démolie.  Les  deux  titres  sur  lesquels  H.  Nicklès  a  écrit  son  inté- 
ressante notice  font  regretter  que  les  archives  de  la  localité  ne  lui  en 
aient  pas  fourni  d'autres  pour  la  rendre  plus  complète.  Benfeld  a  joué 
un  rôle  dans  nutre  histoire  d'Alsace  et  la  place  qu'elle  y  occupe  serait 
de  nature  à  défrayer  la  plus  émouvante  de  nos  monographies  locales. 
M.  Nicklès  l'écrira  peut-être  un  jour  et  tout  la  monde  lui  en  saura  gré. 

IV.  —  Terminons  cette  revue  par  la  mention  de  deux  extraits  du 
Bulletin  de  la  Société  pour  la  conservation  des  monuments  historiques 
d Alsace.  Le  premier  est  une  notice  sur  la  famille  de  Rosen ,  fournie 
par  M.  Ernest  Lehr ,  secrétaire-général  du  Directoire  de  l'Eglise  de  la 
confession  d'Augsbourg ,  et  le  second  une  Promenade^archéologique  de 
Colmar  à  Alspach  ,  par  M.  Paul  Huot ,  conseiller  à  la  cour  impériale 
de  Colmar. 


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ffi4^  REVUE  d'aLSACE. 

Les  lecteurs  de  la  Revv£  savent  que  M.  Ernest  Lehr  s'occupe,  depuis 
quelques  années ,  de  l'histoire  des  familles  nobles  d'Alsace.  La  notice 
que  nous  signalons  a  été  détachée  de  la  collection  de  M.  Lehr  et  si,  par  ello, 
on  doit  juger  de  la  publication  qui  nous  est  promise ,  on  ne  peut  qu'en 
augurer  très-favorablement.  La  majeure  partie  de  la  notice  est  l'histoire 
de  la  famille  de  "osen  d'Alsace,  d'après  un  manuscrit  du  siècle  dernier 
qui  a  été  communiqué  à  M.  Lehr  par  M.  Schvtralm ,  juge  de  paix  à 
Massevaux.  La  notice  est  occompagnée  de  trois  planches  représentant 
les  tombes  de  trois  membres  de  cette  famille ,  et  dessinées  par  M.  le 
baron  de  Schauenbourg. 

La  Promenade  de  Colmar  à  Alspacli ,  par  M.  Huo^,  constitue  un  tra- 
vail archéologique  d'une  lecture  atlrayante.  C'est  sur  les  lieux  mêmes 
que  l'auteur  a  recueilli  les  intéressantes  descriptions  qu'il  fait  en  homme 
de  goût ,  de  savoir  et  d'élégance  littéraire.  Après  avoir  lu  les  23  pages 
que  M.  Huot  a  écrites  dans  celte  courte  excursion  ,  l'on  demeure  con- 
vaincu qu'il  y  a  à  lire  ailleurs  encore  que  dans  les  livres  et  que  l'homme 
instruit ,  l'esprit  cultivé  trouvent  de  belles  pages  à  déchiffrer  là  où  le 
commun  des  mortels  voit  peu  de  choses  et  l'ignorant  rien  du  tout.  La 
Société  des  monuments  historiques  et  le  comité  de  Colmar  ont  fait  une 
acquisition  précieuse  dans  la  personne  de  Monsieur  le  conseiller. 

Frédéric  Kurtz. 


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ORIGINE 


SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FRANC. 


Les  mots  de  la  langue ,  surtout  les  noms  propres ,  ont  une  histoire 
comme  les  choses  et  les  personnes  qu'ils  désignent.  Cette  histoire  nous 
offre  un  intérêt  à  la  fois  philosophique  et  scientifique ,  en  ce  qu'elle 
nous  montre ,  dans  les  changements  de  la  signification  des  termes , 
l'origine,  la  filiation  et  la  transformation  des  idées  «  et  nous  révèle,  par 
cela  même,  les  métamorphoses  successives  par  lesquelles  a  passé  l'état 
social ,  moral  et  intellectuel  d'une  nation.  L'histoire  de  certains  noms 
propres  mythologiques  nous  explique  encore  les  traditions  épiques  et 
symboliques  des  religions  anciennes;  et  celle  des  noms  propres  ethniques 
et  géographiques  nous  fait  quelquefois  découvrir  les  rapports  et  les  de- 
grés de  parenté  qui  ont  existé  entre  les  peuples  primitifs  ;  aussi ,  à  défaut 
de  documents  plus  authentiques  et  plus  explicites ,  nous  sert-elle  de  fil 
conducteur  pour  nous  diriger,  avec  sûreté  ,  dans  le  dédale  des  révolu- 
tions sociales  qui  ont  eu  lieu  dans  la  plus  haute  antiquité.  C'est^ce  que 
nous  aiftns  démontrer  sur  un  exemple ,  en  faisant  l'histoire  du  nom 
propre  de  Franc.  Cette  histoire  nous  intéresse  d'autant  plus  vivement 
et  plus  directement  que  les  Franks  sont  nos  ancêtres ,  ou  du  moins  nos 
prédécesseurs ,  sur  le  sol  de  la  France  ;  il  y  a  plus ,  cetle  question 
intéresse  à  la  fois  la  race  germanique,  d'où  sont  sortis  les  Franks,  et  la 
race  romane  dans  laquelle  ils  se  sont  fondus. 

Pour  expliquer  l'origine  et  la  signification  primitive  du  nom  de  Franky 
et  pour  en  faire  l'histoire  complète ,  il  nous  faudra  remonter  au  moins  au 
sixième  siècle  avant  notre  ère ,  et  de  là  redescendre  au  Moyen-âge  et 
jusqu'aux  temps  modernes. 

S«Séri« i7*  Année.  ^^ 


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226  REVUE  D'ALSACE, 

Au  septième  siècle  avant  notre  ère,  de  nombreuses  peuplades 
appartenant  à  la  broche  scythe  ^  qui  était  la  plus  jeune  des  branches  de 
la  souche  iafétique  ^  avaient  quitté  leur  berceau  primitif  situé  en  Asie, 
au  Nord  du  plateau  de  Tlran ,  et  s'étaient  répandues  dans  les  vastes 
plaines  qui  forment  aujourd'hui  la  Russie  d'Europe.  Ces  peuplades 
trouvèrent  établies,  dans  ces  contrées,  différentes  tribus  de  race  sab- 
mienne  ou  finnoise,  qu'elles  refoulèrent  principalement  vers  le  Nord  et 
vers  l'Est.  Ces  anciennes  tribus ,  bien  qu'appartenant  k  une  toute  autre 
race  que  les  nouveaux  venus ,  furent  comprises  et  confondues  avec  eux 
sous  le  nom  général  de  Scythes.  U  faut  donc  toujours  bien  distinguer 
entre  les  véritables  Scythes  ,  qui  étaient  d'origine  iafétique ,  et  les  peu- 
plades de  diverses  origines  qui  furent  improprement  appelées  de  ce 
nom ,  et  qui  ont  été  confondues  avec  eux ,  parce  que ,  comme  eux , 

*  La  catastrophe  géologique  appelée ,  dans  la  tradilion ,  le  Déloge ,  sépara  les 
peuplades  d'origiDe  jootMoAtte  (sansc.  kouça),  répandues  au  Sud  du  Caucase,  en  deux 
parties  dont  Tune,  revenant  de  plus  en  plus  au  Sud ,  constitua  la  race  sémitique,  et 
dont  Taulre ,  s*étendant  au  Nord  et  à  I*E8t ,  forma  ce  que  nous  appelons  la  race 
iafétique.  Les  raisons  qui  nous  font  préférer  la  dénomination  de  iafétique  à  celle 
dHndogermanique  ont  été  développées  dans  Les  Gèles  (p.  18  suit.)-  Les  tribus 
iafétiques,  s'étant  différenciées  entre  elles,  ont  formé  quatre  branches  principales. 
La  branche  occidentale  est  restée ,  pendant  des  siècles ,  établie  aux  pieds  du 
Caucase  :  elle  8*est  divisée  en  trois  rameaux  :  le  rameau  ibérique ,  le  raoïeau 
kimméro-keltique ,  et  le  rameau  pélasgo-ionique.  Les  traditions  mythologiques  les 
plus  anciennes  des  peuples  de  ces  trois  rameaux  se  rattachent  au  Mont  Caucase  , 
à  Hu,  à  Prométhée,  et  à  Deucalion.  La  branche  méridionale  de  la  race  iafétique 
s*esi  établie  au  Sud  du  plateau  de  l'Arménie,  et  s'est  divisée  en  deux  rameaux ,  le 
rameau  haïgan  ou  arménien  et  le  rameau  aihure  ou  assyrien.  Les  peuples  de  l'un 
et  de  l'autre  rameau  rattachent  leurs  plus  anciennes  traditions  mythologiques  à 
l'Ararat  et  aux  descendants  de  Noé ,  Sem ,  Hham  et  lafète.  La  branche  orientale 
de  la  race  iafétique  s'est  établie  sur  le  plateau  de  l'Iran,  d'où  sont  sortis  ensuite  les 
peuples  Ary&s,  les  Mèdes  ,  les  Perses  ,  les  Baktries  et  les  Hindous.  Les  plus  anciens 
souvenirs  de  ces  peuples  se  rattachent  au  berceau  de  leur  race,  au  Qaniratha  (Eu- 
nerez)  ou  au  district  aux  quatre  angles  (zend.  tchatrugaosa)^  où  la  tradition  aryenne, 
transmise  plus  tard  aux  Assyres  et  par  eux  aux  Hébreux  ,  a  placé  VEden  quadran- 
gulaire,  d'où  sortaient,  aux  quatre  angles  (héb.  râschim  »  Gcnès.  2 ,  10),  les  quatre 
fleuves  du  Paradis.  En6n  la  branche  austro^septentrionale  de  la  race  iafétique , 
éublie  au  Nord-Est  du  plateau  de  l'Iran  ,  se  composait  d'un  grand  nombre  de 
peuplades  nomades ,  dont  Tensemble  constituait,  d'abord  dans  l'Asie  et  plus  Urd 
en  Europe ,  ce  que  nous  appelons  la  souche  scythe ,  d'où  sont  sortis  les  peuples 
sarmates  et  les  peuples  gètes ,  les  ancêtres  des  peuples  slaves  et  des  peuples  ger- 
maniques. (Voy.  L* unité  de  l'espèce  humaine  et  la  pluralité  des  langues  primitives. 
Strasbourg  1864 ,  p.  20  et  sttlv.) 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  m?  NOM  DE  FRANC.  227 

elles  habitaient  les  vastes  contrées  que  l'on  désignait  vaguement  sous 
le  nom  de  Scythie. 

Les  véritables  Scythes,  la  plus  jeune  branche  de  la  souche  iafétique, 
étaient,  par  leur  extraction ,  les  frères  ou  les  cousins  des  peuples  appar- 
ienant  aux  autres  branches  de  cette  souche  *.  Ils  parlaient  comme  eux 
une  langue  sœur  des  idiomes  appelés  communément  indogermaniques. 
Ils  avaient  une  religion  qui  renfermait  un  fond  primitif  commun  à  toutes 
les  religions  des  autres  peuples  iafétiques  ;  mais ,  ainsi  que  les  Hindous^ 
les  Perses ,  les  Grecs ,  les  Keltes ,  etc. ,  ils  avaient ,  dans  le  cours  du 
temps,  développé  et  agrandi  ce  fond  primitif  d'une  manière  qui  leur  était 
entièrement  individuelle. 

Les  peuplades  scyihes ,  tant  celles  qui  étaient  restées  dans  leur  ber- 
ceau en  Asie ,  que  celles  qui  s'étaient  établies  dans  les  plaines  de  l'Eu- 
rope orientale ,  adoraient  principalement  le  dieu  Soleil ,  auquel  elles 
donnaient  le  nom  de  Targitavus  (Brillant  par  la  targe).  Ce  dieu  était 
considéré  par  les  Scythes  comme  le  principe  de  la  vie,  et  par  suite  comme 
le  Père ,  le  Chef  et  le  Protecteur  de  leur  nation  *.  Comme  Père  et  Chef 
de  la  fi^rande  famille  scythe  ,  Targitavus  eut  le  nom  épithétiquc  de  Sei- 
gneur ,  qui ,  dans  Tentendement  de  ces  peuples  ,  était  synonyme  de 
Supérieur ,  et  s'exprimait  dans  leur  langue  par  le  terme  de  Pravus , 
dont  la  signification  propre  et  primitive  était  Excellent ,  Prééminent , 
Maître.  Ce  mot  scythe  Pravus  correspondait  exactement  au  mot  sanscrit 
Pra-bhus ,  terme  composé  ,  d'une  analyse  étymologique  facile  ^ ,  qui 

•  Voy.  Les  Scythes  ,  les  ancêtres  dos  peuples  germaniques  el  slaves ,  leur  étal 
social ,  moral .  intellectuel  el  religieux  ;  esquisse  etbno-généalogique  el  histo- 
rique. Colmar  1858  ;  2«  édit.  contrefaçou ,  Halle  1858. 

'  Voy.  La  Fascination  de  Gulfi ,  Irailé  de  mylbologie  Scandinave  composé  par 
Snorri  fils  de  Slurlà  ,  traduit  el  expliqué  dans  une  introduction  el  un  commentaire 
^  I  critique  perpétuel.  Strasbourg ,  Paris  el  Genève  i861  ,  p.  277  et  saiv. 

'  Le  mot  sanscrit  prabhus  se  compose  de  la  préposition  pra  (avant  ;  gr.  pro; 
lat.  pro  ;  ail.  vor^  etc.)  et  do  bhu-s  (('tant),  forme  adjectivc  el  subslantivn  dérivée 
<tu  thème  bhu  (être  ;  lat.  fu  ;  gr.  phu  ;  ail  bi,.  De  ce  même  radical  dérivent  aussi 
les  mots  latins  probus  (excellent ,  probe],  el  superbus  (étant  au-dessus  des  autres, 
cf.  gr.  huptr'-phuès)  superbe.  Le  mot  sanscrit  bkavûn  (excellent ,  seigneur),  au 
contraire,  dérive  d*UD  radical  tout  autre ,  savoir  de  bhd  (briller  ;  gr.  pka  ;  lat.  fa) 
et  signifie  proprement  brillant.  Le  mot  latin  prâvus  dérive  encore  d'un  radical 
tout  différent  ;  il  correspond  sans  doute  1»  au  sanscrit  prahvas  daus  le  sens  de 
impétueux  ,  violent  ;  2°  au  mot  Dorrain  frekr  (impétueux  ,  effronté)  ;  3°  au  latin 
pergere  (se  jeter  en  avant)  el  4"  au  grec  i-perchein  (inciter).  Enfin ,  de  même  que 


t 


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228  nEvuE  d'alsace 

signifiait ,  également ,  Excellent ,  dans  le  sens  de  Seigneur,  de  Mattre. 
Pravus  correspondait  au  mot  grec  praûs  (  ^ftivs)  ou  praos  {vf^) ,  qui 
dérivait  également  de  la  signification  primitive  d'excellent ,  dans  le  sens 
de  doux ,  bienveillant,  mais  qui  n'a  jamais  signifié  Seigneur  ou  Maître. 

Au  cinquième  siècle  avant  notre  ère,  les  nombreuses  peuplades 
scijthes  y  qui ,  lors  de  leur  sortie  de  l'Asie ,  avaient  déjà  formé  plusieurs 
rameaux ,  s'étaient  encore  différenciées  davantage  dans  les  vastes  plaines 
de  l'Europe  orientale  qu'elles  habitaient.  Cette  différenciation  était 
tellement  avancée ,  dès  le  quatrième  siècle ,  qu'elles  formèrent  deux 
branches  principales  suffisamment  distinctes  entre  elles ,  savoir  :  la 
branche  des  Scythes  du  Nord-Est ,  et  celle  des  Scythes  du  Sud-OuesU 
Les  Scythes  du  Nord-Est  composaient  ce  qu'on  peut  appeler ,  d'un  nom 
général ,  la  branche  sarmate ,  et  ceux  du  Sud-Ouest  peuvent  être  compris 
sous  la  dénomination  générique  de  branche  géte  ^ 

Vers  le  deuxième  siècle  de  notre  ère ,  les  peuplades  de  la  branche 
sarmate  s'étaient  différenciées  entre  elles  dans  leur  langue  et  dans  leur 

de  la  préposilion  latine  inira  (entre)  s*est  formé  le  verbe  dérivé  intrare  (s'inté- 
riorer,  entrer)  de  même,  en  sanscrit,  de  la  préposition  pra  s'est  formé  le  verbe 
pri  (mettre  avant ,  préférer ,  aimer)  qui  correspond  au  grec  phil  (aimer) ,  et  an 
goth.  frijon  (agréer)  dont,  en  baut-allemand ,  dérive  le  substantif  Freude  (agré- 
ment •  joie). 

*  Le  nom  de  Sarmaies  ,  grec  Sauromatai ,  dérive  de  mâtus  (p.  man(us  ;  norr. 
mâdr;  germ.  mannus  p.  mandas,  doué  d'esprit)  homme,  et  de  shaura  (goth. 
skûra  ;  ail.  schauer ,  frisson  ,  russe  siever  ;  cf.  Sibérie)  aquilon  ,  de  sorte  que  le 
nom  propre  de  Saurth-maiai  (hommes  de  l'aquilon)  avait  à  peu  près  la  même  signi- 
fication que  celui  de  Nordmenn  (hommes  du  Nord ,  Normands)  —  Les  Gèle*  se 
disaient  issus  du  dieu  Soleil  qu'ils  adoraient.  Or  ce  dieu ,  qui  éclaire  tout  et  qui 
voit  tout ,  portait  le  nom  épilhétique  de  Gauius  (norr.  gautr ,  cf.  ail.  got  Tintellî- 
gent,  dieu)  Prudent,  ou  de  Geia  (sansc.  Ichii  pensée)  Intelhgent.  LesT  descendants 
de  Geia  prirent  eux-mêmes  le  nom  ethnique  de  Gèles  (fils  de  rintelltgent).  Snr 
Ips  peuples  issus  de  la  branche  sarmate  et  de  la  branche  gète ,  voyez  Le»  Gèies 
ou  la  filiation  généalogique  des  Scythes  aux  Gètes  et  des  Gètes  aux  Germains  ci 
aux  Scandinaves.  Strasbourg  4859).  De  même  que  les  Gèles,  les  Slaves  se  disaient 
aussi  issus  du  dieu  Soleil  quMls  adoraient.  Le  nom  sarmate  du  soleil  était  sval 
(sansc.  sval ,  svar;  lat  sol ,  proprement  enflé,  arrondi ,  disque,  soleit,  dont  s*esl 
formé  ensuite,  en  sanscrit,  le  verbe  svar,  proprement  soUiller ,  briller.  (Voj.  Les 
Gètes  ,  p.  177 ,  178).  Dans  les  idiomes  de  la  branche  sarmate .  sval  s'est  transposé 
en  slav  (soleil)  dont  on  a  fait  plus  tard ,  dans  les  langues  slaves ,  le  mot  diminutif 
caritalif  «/once  (p.  slavnice,  cher  petit  soleil)  pour  dire  le  soleil ,  comme  du  latin 
sol  on  a  formé,  en  français,  le  diminutif  carltatifso/ef/  {soliculus,  cher  petit  soleil). 
De  slav  on  a  encore  formé  les  dérivés  slavy  (solaire)  et  slavin  (issu  du  soleil),  qui 


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ORIGINE  IT  sfGNlFiCiTlON  DU  NOM  DE  FRANC.  229 

état  social  et  religieux ,  de  manière  à  former  deux  rameaux.  Le  premier, 
que  nous  désignons  sous  le  nom  de  rameau  litva ,  comprenait  des  tribus 
à'oi  sont  sortis  plus  tard  les  LUvas ,  les  Lettes  et  les  Prûses ,  qui  sont 
devenus  les  pères  des  Lithuanes ,  des  Leilons  et  des  Frustes  germanisés. 
Le  second  est  le  rameau  slave ^  d'où  sont  sortis  «  dans  la  suite,  les  peuples 
qui  constituent  aujourd'hui  la  grande  famille  slave  composée  de  Russes, 
de  Polonais ,  de  Tchèques-Bohèmes ,  de  Serbes ,  de  Croates ,  etc. 

Déjà  antérieurement  au  premier  siècle  de  notre  ère,  les  peuplades  de 
la  to*anrA«j^è/e  s'étaient  sensiblement  différenciées  entre  elles,  et  avaient 
formé  deux  rameaux ,  le  rameau  gauio-scandinave  et  le  rameau  goto- 
germanique ,  qui  se  sont  de  plus  en  plus  séparés  Tun  de  l'autre ,  d'abord 
par  des  migrations  au  Nord  et  à  l'Ouest ,  ensuite  en  prenant  entr'eux 
des  caractères  de  plus  en  plus  différents. 

Les  deux  rameaux  de  la  branche  gèle ,  établis  longtemps  ensemble 
dans  le  Sud-Est  de  l'Europe,  avaient  été  en  contact  avec  les  nations  les 
plus  civilisées  du  inonde  ancien  ;  elles  avaient  vécu  dans  des  contrées 
riches ,  fertiles  et  d'une  physionomie  variée  et  accidentée  ;  quelques 
unes  de  leurs  tribus  avaient  été  longtemps  en  mouvement  pour  chercher 
de  nouveaux  établissements  dans  la  Germanie  et  dans  la  Scandinavie. 
Aussi  les  peuples  de  cette  branche  se  civilisèrent-ils  plus  facilement  et 
plus  rapidement  que  leurs  cousins  de  la  branche  sarmate ,  et  modi- 
fièrent-ils ,  par  cela  même  ,  plus  profondément ,  les  formes  tradition- 
nelles de  leur  état  social  et  moral ,  ainsi  que  celles  de  leur  langue  et  de 
leur  religion.  Les  peuples  de  la  branche  sarmate ,  au  contraire ,  vivant 
plus  éloignés  du  contact  avec  des  peuples  plus  civilisés  qu'eux-mêmes  , 
et  habitant  continuellement  des  contrées  d'un  caractère  monotone  et 
peu  favorisées  par  la  nature  ,  se  développèrent  aussi  d'une  manière 
beaucoup  plus  lente  et  plus  difficile ,  au  point  de  vue  social ,  moral  et 
intellectuel.  C'est  pourquoi  les  tribus  du  rameau  slave ,  et  surtout  celles 
du  rameau  litva ,  entourées  de  marécages  et  de  forêts  impénétrables , 
restèrent  beaucoup  plus  longtemps  stationnaires  ;  mais  par  cela  même 

sont  devenus  des  noins  propres  indiquant  Torigine  de  la  nalion ,  et  qui  onl  été 
jidoptés  par  presque  lous  les  pt>up1es  du  rameau  slave.  Le  nom  de  Slave  n*a  donc 
|i«$ ,  comme  le  prélendent  quelques  slavistes ,  la  même  origine  que  les  mots  slaves 
giava  (renommée;  cf.  Svialoslav^  Gloire  du  ciel)  et  slovo  (la  parole).  Ces  mois 
dérivenl  du  radical  clou  qui  répond  au  sanscril  çrava  ,  çrou  (entendre)  •  au  grec 
klu  (entendre),  au  latin  cluere  (écouter) ,  au  germain  hlû  dont  dérive  par  exemple 
ehlâd  (la  renommée)  dans  Chlôdvig  (Combattant  glorieux). 


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230  HEVUE  D* ALSACE* 

elles  conservèrent  aussi  beaucoup  plus  longtemps  et  plus  fidèlement  les 
anciennes  formes  tradition ?ielles  de  leur  état  soci.il  et  moral ,  ainsi  que 
celles  de  leur  langue  et  de  leur  religion. 

C'est  ainsi  que  l'ancien  dieu  des  Scythes ,  le  dieu  Soleil  surnommé 
Pravus  (Seigneur) ,  se  conserva  dans  la  religion  de  leurs  descendants 
de  la  branche  sarmale ,  sous  le  nom  presque  identique  de  Prova ,  de 
Pravy  ou  Prove.  Encore  au  moyen-âge,  lesLithuanes,  issus  des  Litvas, 
adoraient  le  dieu  Prova;  et,  au  douzième  siècle  ,  du  lemps  du  chro- 
niqueur Helmolil  y  Prove  était  l'objet  d'un  culte  chez  les  Slaves  de  la 
Baltique,  entre  autres  chez  les  habitants  d'Aldenburg  (Starograd)  i. 
Chez  les  Scythes ,  le  dieu  Soleil  Targîtavus  ou  Svali  passait ,  en  sa 
qualité  de  Seigneur  (Pravus) ,  pour  être  le  père  et  le  chef  de  toute  la 
nation.  Ces  attributions  de  Pravus  y  comme  père ,  lui  furent  conservées 
aussi  dans  la  religion  des  peuples  de  la  branche  sarmate.  Ces  peuples 
se  considérant  comme  issus  du  soleil ,  qu'ils  appelaient  du  nom  de  SUiv 
par  transposition  de  celui  de  Sval ,  se  donnaient  le  nom  ethnique  de 
Slavies  (sansc.  svalyâs)  signifiant  50/atr^s  onfilsde  Soleil.  Par  la  même 
raison ,  une  peuplade  du  rameau  lUva  a  pu  se  donner  le  nom  ethnique 
de  Pruviz  (Fils  de  Pruve)  ^,  d'où  se  sera  formé  par  contraction  le  nom  de 


'  Voy.  HELMOLDi  Chronica  Slavorum^  i,  52,  \>.  125  ;  n ,  83,  p.  185  — 
SCHAFARlK,  Antiquités  slavei  ,  n  »  p.  61  i. 

*  Dans  la  langue  scylhe ,  qui  esi  la  uière  des  idiomes  sarmales  et  des  idiomes 
gètet ,  les  mois  indiquant  la  dérivalion ,  PextracUon  se.  terminaient  en  ava ,  parti- 
cule qui  correspond  à  la  préposition  sanscrite  ava  (descendant ;.lat.  ab  ;  ail.  abe). 
Ainsi  du  root  scylhe  vriskas  (animal  en  rut ,  bélier  ;  cf.  sansc.  vrischas  taureau) 
sVst  formé  le  dérivé  vriskava  (tenant  du  bélier),  qu*on  exprimerait,  en  latin  ,  par 
Tadjectif  vervidnus  (tenant  du  bélier)  dérivé  de  vervex  (bélier).  De  \k  le  nom 
Scythe  neutre  vriskava  (lat.  vervicinum  ,  sous-entcudu  proniontorium)  par  lequel 
les  Scythes  de  la  Chersonèse  taurique  désignaient  le  promontoire  que  les  Grecs 
appelaient  Front  de  bélier  [krion  niétopon;  voy.  Let  Scythes  ,  p.  ix).  Les  Scytbes- 
Hellènes,  parlant  scylhe,  appelaient  ce  cap  briksaba  [\t.  vriskava).  Cette  termi- 
naison ava  dos  noms  scylhes  s'est  conservé  encore  dans  les  langues  slaves ,  où 
elle  sert  également  à  former  des  adjectifs  ayant  la  signitication  d'un  génitif.  Ainsi 
en  vieux  russe  ,  le  loup  et  le  loup-garou  se  nommaient  t'o/c/t  ;  le  magicien  qui , 
dans  la  croyance  du  peuple ,  passait  pour  être  fils  d'un  loup-garou ,  portait  le  nom 
de  volchov  qui  est  proprement  un  adjectif  ayant  la  signification  de  l'adjectif  latin 
lupinus  (tenant  du  loupj,  et  qui  peul  également  être  employé  en  qualité  de  génitif. 

Pour  former  des  noms  patronymiques,  les  anciens  Slaves  se  servaient  aussi  de  la 
terminaison  -it  qui  correspondait  à  Id  terminaison  -idès  des  noms  patronymiqaes 
grecs  (ex.  Atréides ,  fils  d'Atreus)  et  à  la  tei  uiinaisou  -ida  des  noms  patronymiques 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FRANC.  23i 

Prûz ,  lequel  a  passé  à  un  peuple  mêlé  de  Slaves  et  de  Germains ,  et  est 
devenu ,  dans  la  suite ,  le  noin  des  Prusses.  Encore  aujourd'hui  pour 
désigner  le  Prussien  les  Lilhuanes  disent  Prûsas  et  les  Lettons  Prûris. 

Une  tradition  analogue  à  celle  de  Prove ,  considéré  comme  père  de 
la  nation ,  s'est  conservée  chez  les  peuples  de  la  branche  gète.  Ainsi , 
dans  la  mythologie  norraine ,  le  dieu  HeimdaU ,  une  des  spécialisations 
ou  Tun  des  dédoublements  du  dieu  Soleil ,  était  également  considéré 
comme  le  père  des  peuples  du  Nord,  appelés  y  pour  cette  raison ,  Fils  de 


gèle$,  (Ex.  Knivida  ,  fiU  de.  Kniva  ;  Kalpidai ,  Gis  du  laboureur ,  du  kalp  ou  chalp 
thivudidai ,  fils  du  peuple;  naticoaux;  voy.  Les  Gèles ,  p.  5i ,  oote).  La  termi; 
naisoD  slave  -it  s*est  changée  plus  lard  en  •%%  ou  t/;,  itch.  Ainsi  les  Pagorit%i  du 
moyen-âge  correspondent  aux  Paguritai  de  Plolémée ,  les  Dregovit%i  aux  Druga- 
vitai,  dans  Const.  Porpbjrrogeiiète.  D'après  cela  on  comprend  aussi  la  signiflcaUon 
de  certains  noms  propres  mythologiques ,  tels  que  SvanttvU  (Zwentewte)  et 
Svaradjitj  (Suarasici)  que ,  jusqu'ici ,  les  slavistcs  n'ont  pas  su  conveuahlement 
expliquer.  En  effet,  on  vieux-slavon  ,  sviai  (lilb.  sventas;  zend  spenta)  signifie 
brillant,  divin,  saint.  Svial  était  le  nom  épithétique  du  dieu  Ciel^  le  brillant  par 
excellence  (cf.  gr.  Zeus  Brillant,  Ciel  ;  scylb.  Tivus  Brillant ,  Ciel).  Or  le  dieu 
SoUil  passait  pour  être  le  fils  du  dieu  Ciel  ;  il  eut  donc  le  nom  épithétique  de  Fils 
du  Ciel  ou  Fils  du  Divin  ^  en  slave  Sviatovit  (pruss.  Zwentewi%).  En  sanscrit,  le  ciel 
avait,  entre  autres  noms  épithéliques,  celui  de  Route  du  soleil  (sansc.  svar-ga).  Les 
Sarmates  ont  probablement  conservé ,  dans  leur  idiome  «  le  nom  correspondant 
Svarag  pour  désigner  le  ciel.  Or  Radigast  était,  chez  quelques  tribus  slaves,  le  nom 
épithétique  do  dieu  Soleil»  qui  était  considéré  comme  le  fils  du  ciel.  C'est  pour- 
quoi un  des  nombreux  dédoublements  de  Radigast  eut  le  nom  de  Fils  du  Ciel , 
en  slave  Svaradjitj;  car  c'est  ainsi  que  je  crois  devoir  lire,  au  lieu  de  Lwarasici.  Ce 
nom  a  été  écrit  au  moyen-âge  Zvarasici.  (Voy.  Ditmar  ,  Chrouicon  ,  vi,  p.  151  )• 
Le  grand  slaviste  Ssafarik  préfère  cependant  lire  Lwa-rasici  qu'il  a  expliqué , 
avec  peu  de  probabilité,  par  Leo^regulus  (Lion-Roi;  voy.  Tchasopis  tchesk.  Mus. 
4837 ,  p.  62). 

D'après  ce  que  nous  venons  de  dire  on  trouvera  très-probable  que  le  nom  des 
anciens  Prusses  ou  Pruzses  se  soit  formé ,  par  contraction ,  de  Pruv-t/ai,  et  qu'il 
ait  signifié  originairement  Fils  de  Pruve, 

Pour  former  des  noms  patronymiques ,  les  langues  slaves  n'ont  pas  seulement 
employé  la  terminaison  -t/  ou  -t/a  ou  -iteh ,  mais ,  le  plus  souvent ,  elles  ont 
rattaché  cette  terminaison  à  la  particule  av  (ov  ,  ev)  ajouté  au  nom ,  comme  ,  par 
exemple  ,  dans  Sviat-ov-it.  Ainsi ,  en  russe ,  de  Tsar  (César)  se  forme  l'adjectif 
têorev  (césarien)  auquel  on  ajoute  la  terminaison  -il  changée  en  -il; ,  pour  former 
le  patronymique  Tsar^-ev-i^  (fils  césarien  ,  fils  du  Tsar  ;  cf.  AfûAt-ev-ticA  ,  fils  de 
Mizki  ;  CarUoihil* ,  fils  de  Charles).  Pour  former  le  dérivatif  féminin  on  ajoute , 
au  lieu  de  la  terminaison  masculine  -il .  la  terminaison  féminine  -na  (cf.  lat.  Lu- 
pina).  Ainsi  se  sont  formés ,  par  exemple ,  les  noms  de  Tsar-ev-na  (fille  du  Tsar), 


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232  REVUE  D'ilLSACE. 

Heimdall  ^  Beaucoup  de  tribus  germaniques^  portaient  pareillement  un 
nom  ethnique  emprunté  au  dieu  qu*elles  adoraient  et  dont  elles  se 
disaient  issues. 

CioQime^  dans  Tétat  social  primitif,  le  chef  de  la  tribu  en  était  aussi  le 
juge^  le  nom  de  Seigneur  (ProYe)impliquait  également  l'idée  de  défenseur 
de  la  loi  et  du  droit  social.  C'est  pourquoi  le  dieu  du  soleil ,  d'abord  en 
sa  qualité  de  Seigneur ,  ensuite  comme  représentant  du  soleil ,  symbole 
de  la  vérité  et  de  la  pureté ,  présidait ,  chez  les  Slaves^  comme  chez  les 
Germains  et  chez  d'autres  nations  de  l'antiquité ,  à  l'exercice  et  au  main- 
tien de  la  justice.  Les  Slaves  consacraient  à  Pravy  des  chênes ,  à  l'ombre 
desquels  le  roi  et  le  prêtre  rendaient  leurs  jugements  au  nom  du  Seigneur 
(Prove) ,  le  dieu  de  la  justice.  La  justice  étant  dans  les  attributions  du 
Seigneur  ou  du  chef  de  Iribu,  le  droit  eut,  dans  les  langues  d'origine 
sarmate^  un  nom  signifiant  proprement  ^et^^fn^tmal  3.  C'est  ainsi  que  dans 


de  Panl'ov-na  (fllle  de  Paul) ,  Feodorovna  (fille  de  Théodore) ,  clc.  Ajoatons  que 
les  Polonais ,  à  Texemple  des  nobles  au  moyen-âge ,  portent  des  noms  d«  famille 
qui  se  sont  formés  d'un  nom  propre  de  demeure  ou  de  domaine ,  terminé  par  la 
particule  -ski,  qui  exprime  la  provenance,  et  correspond  à  la  terminaison  germa- 
uique  -isch  ou  ish  (yoy.  Les  Gèles  ^  p.  61  ,  note  1).  De  là  les  noms  propres 
polonais  comme  :  Wol-ow-ski ,  Wal^ew-shi ,  Dobr-ow-ski ,  etc. 

*  Voy.  La  Fascination  de  Gulfi ,  p.  27i-277. 

'  Célébrant  carminibus  antiquis ,  quod  unum  apnd  illos  memoriae  et  annatium 
genus  est ,  Tuistonem  deam  terra  editum ,  et  fliium  Mannum  originem  genti»  con- 
ditoresque,  Manno  très  Ûlios  assignant,  e  qi4orum  nominibus  proximi  Oceano 
IngœvoneSf  medii  HerminoneSy  ceteri  Istœvones  vocentur.  Quidam  autem,  licentia 
vetusialis  pïures  de  deo  orios  pluresque  gentis  appellationes  Marsos ,  Gambrivios , 
Svevos,  Vandalios  aHirtnant ,  eaque  vera  et  anliqua  nomina.  (Tagitus,  Gernmnia, 
C.2). 

'  Chez  la  plupart  des  anciens  peuples  iafétiques  on  remarque  celte  association 
d'idées  entre  le  nom  de  seignettr  et  celui  de  défenseur  de  la  loi ,  de  la  religion 
et  de  la  propriété.  Ces  peuples  exprimaient  l'idée  de  loi ,  de  religion  et  de  pro- 
priété, entre  autres,  par  un  terme  qui  signifiait  proprement  ce  à  quoi  l'on  tient , 
ce  qu'on  maintient.  C'est  ainsi  que  de  la  racine  sanscrite  iç  (tenir),  qui  correspond 
à  la  racine  grecque  isch  ou  ech  (tenir) ,  et  à  la  racine  germanique  aigan  (tenir) , 
dérivent  le  nom  sanscrit  iç  (loi ,  propriété) ,  le  nom  germain  êva  (loi) ,  le  nom 
allemand  ehe  (loi ,  mariage)  et  le  nom  frison  d  (loi ,  droit).  Le  seigneur,  justicier, 
propriétaire  et  défenseur  de  la  loi  et  de  la  foi,  portait ,  en  sanscrit,  le  nom  de 
garde-loi  (sansc.  iç-varas).  Le  vieux-allemand  êo-wart  (garde-loi j  désignait  le 
prêtre  et  le  juge,  et ,  cbez  les  Prisons ,  â-sega  (qui  dit  la  loi)  désignait  \^  justicier. 
Le  terme  grec  qui  correspondait  au  sanscrit  içvaras  était  l'ancien  mot  ikuros  dont 
on  a  fait,  par  transposition ,  kurios ,  ayant  la  signification  de  Maître,  de  Seigneur  ; 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FRANC.  233 

l'ancien  idiome  slave  prav  (seigneurial)  signifie  juste ,  droit ,  et ,  en 
russe ,  pravda  désigne  la  justice  et  le  droit.  Ces  deux  mots  slaves  sont 
évidemment  dérivés  de  Pravy  (Seigneur)  ;  de  sorte  que  Pravy ,  dans  la 
pensée  des  Slaves  »  comme  içvaras  dans  celle  des  Hindous ,  impliquait 
à  la  fois  ridée  de  seigneur  et  l'idée  de  défenseur  du  droit  et  de  la  pro- 
priété. De  Prove  dérive  aussi  le  mot  prono  (p.  proveno),  seigneurial. 

Le  mot  slave  prono  correspond  exactement  au  vieux  allemand  frônô 
(seigneurial)  dont  il  est  peut-être  dérivé  ;  et  de  même  que  de  frônô  les 
Allemands  ont  formé  le  mot  de  frôn  (travail  pour  le  seigneur ,  corvée) 
et  le  verbe  frœnen  (travailler  pour  le  seigneur),  de  même,  dans  le  droit 
serbe ,  et  sans  doute  en  imitation  du  droit  germanique ,  on  a  dérivé  de 
prono  le  substantif  abstrait  pronîa  (domaine  seigneurial) ,  et  le  verbe 
proniarmt  (travailler  pour  le  seigneur)  ^ 

Pravusy  l'ancien  dieu  des  Scythes ,  s'est  maintenu ,  sous  le  nom  de 
Prove  ou  Pravy ,  dans  la  religion  de  leurs  descendants ,  les  peuples  de 
la  branche  sarmate,  jusqu'à  l'époque  de  leur  conversion  au  christia- 
nisme ;  ce  qui  arriva ,  pour  le  rameau  slave ,  du  dixième  au  treizième 
siècle,  et  pour  le  rameau  litva ,  du  quatorzième  au  seizième  siècle.  Le 
dieu  Scythe  Pravus  se  maintint  également ,  mais  beaucoup  moins  long- 
temps ,  dans  la  religion  des  peuples  germaniques  et  Scandinaves.  Or  nous 
l'avons  dit ,  ces  peuples  de  la  branche  gèle ,  par  suite  de  leurs  progrès 
plus  rapides  dans  la  civilisation  ,  subirent ,  plus  que  leurs  cousins  de  la 
branche  sarmate ,  des  changements  dans  leurs  mœurs ,  leur  langue  et 
leur  religion.  Dans  leur  langue,  et  selon  les  règles  euphoniques  de  leur 
idiome  respectif,  le  nom  de  l'ancien  Pravus  se  changea  régulièrement 
en  Fravis  (norr.  Freyr) ,  et  ensuite  en  F  rat? ,  Frô  et  Frd.  De  Frav , 
substantif  primitif  ou  fort ,  se  forma  un  adjectif-substantif  faible  ou 


mais  dont  les  Grecs  ne  connaissaient  déjà  plus  la  signification  primiiive  de  garde- 
loi.  Dans  rinde  Içvaras  est  devenu  un  des  noms  épilhétiques  de-s  dieux  en  général, 
et  principalement  du  dieu  Çiva,  considéré  comme  défenseur  de  la  loi  et  de  la  foi. 
I>e  içvaTa9  s'est  formé  plus  tard  ,  par  contraction  ,  le  mot  çoutm  qui ,  dans  les 
poèmes  épiques ,  est  une  épitbète  donnée  fréquemment  aux  rois  et  aux  héros 
considérés  comme  propriétaires  et  comme  défenseurs  de  la  loi.  Peut-être  ce  mot 
correspond-il  aussi  au  mot  grec  hérô»^  comme  le  croit  M.  Bopp.  Dans  ce  cas  les  mots 
grecs  héros  et  kurios  seraient ,  comme  cela  arrive  assez  souvent ,  .deux  formés 
ilifférentes  dérivées  d'un  seul  et  même  thème. 

'  Voy.  ScuAFARiK ,  Aniiquitéi  slaves ,  i ,  p.  450. 


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234  REVUE  D'ALSACE. 

dérivé /"ratnaCseigneurial,  seigneur),  ainsi  qu'un  nom  féminin  bible  fravià 
(norr.  Freyia)  qui  eut  la  signification  de  Maîtresse ,  Dame.  Les  Gaths 
changèrent  le  substantif  faible  frama  en  frauia ,  et  son  féminin  firavià 
en  firavi  (p.  fravie ,  frâvi),  et  enfin  en  fravi,  avec  un  t  bref,  comme  le 
mot  Scythe  âvid  (sansc.  àpid  aquatique ,  île)  s'est  changé,  dans  i'idiôme 
gote ,  en  avi  (p.  avie ,  avt).  Les  peuples  tudesques  de  la  Germanie  abré- 
gèrent le  féminin  Fravià  en  Froua  et  Frû ,  et  remployèrent ,  ainsi  que 
le  masculin  Frô  et  Frà  originairement  fort,  comme  des  formes  faibles. 
Chez  les  peuples  de  la  branche  gète ,  le  dieu  du  soleil  et  la  déesse  de 
la  lune,  nommés  l'un  le  Seigneur  (germ.  Frauia;  norr.  Freyr;  sax.  Frô) 
et  l'autre  la  Dame  ^Fravi ,  norr.  Freyia;  sax.  Fraua),  furent  considérés 
principalement  comme  présidant  à  l'abondance ,  à  la  fertilité  et  à  la 
fécondité.  Ayant  des  attributions  analogues  à  celles  qu'avaient  tradition- 
nellement le  dieu  et  la  déesse  Vrindus  (norr.  Niôrdur  ;  germ.  Nerihus  ; 
norr.  Rindur)  qui  avaient  présidé  également ,  dans  l'ancienne  religion  des 
Scythes,  à  l'abondance  et  à  la  fécondité,  ces  divinités  appelées  le  Seigneur 
et  la  Dame ,  et  considérées  comme  mari  et  femme  et  comme  frère  et  sœur, 
passèrent  pour  être  le  fils  et  la  fille  du  dieu  et  de  la  déesse  Vrindus  *. 
Plus  tard  l'un  et  l'autre  se  confondirent  avec  d'autres  divinités  anciennes  ; 
Frauia  se  confondit  avec  le  dieu  Virgunis  (norr/  Fiôrgynn)^  et  avec  le 
dieu  Hagunis  (norr.  Hcsnir),  qui  l'un  et  l'autre  furent  substitués  à  l'an- 
cien dieu  Vrindus  (norr.  Niôrdr)  ;  et  Fravi  se  confondit  principalement 
avec  la  déesse  Frigg  (Pluie  fécondante)  ;  de  sorfe  que ,  pendant  long- 
temps, le  dieu  Fravia  et  la  déesse  Fram  ne  figurèrent  plus ,  du  moins, 
sous  ces  noms,  dans  la  religion  des  peuples  de  la  branche  gèle.  Mais 
au  deuxième  siècle  de  notre  ère,  des  tribus  gautes ,  dont  plus  tard  quel- 
ques unes  allèrent  s'établir  en  Scandinavie,  habitaient  le  littoral  de  la 
Baltique,  dans  le  voisinage  de  peuples  slaves  y  qui  adoraient  des  divinités 
auxquelles  ces  peuples  donnaient  le  nom  de  Vanai  (Uniques),  et  qui  se 
donnaient  à  eux-mêmes ,  d'après  leurs  dieux  ,  le  nom  ethnique  de  Va- 
nitaiy  signifiant  Issus  des  Vanes  (gr.  À'rrcn  ;  sax.  Wenden)  ^,  Ces  tribus 

*  Voy.  La  Fascination  de  Gulfi ,  p.  260-266. 

*  Le  nom  de  Vanai  esl  le  pluriel  de  vans  ^un  ;  lith.  wienas  .  lett.  wéiis^  gotb. 
ains,  lat.  untu  ,  gr.  keis  p.  hem).  Le  nom  un  ou  unique  exprime  l'idée  de  chef  ^ 
parce  que  le  cbef  D*a  pas  de  pareil  ;  il  esl  Vunique  par  rapport  aux  subordonnas 
Voilà  pourquoi  les  Slaves  et,  d'après  eux,  li'S  Burgondcs  désignaient  encore  le  chef 
ou  le  roi  par  le  mot  de  Hendinus,  qui  signifiait  également  Vuniquet  et  auquel  cor- 
respond aujourd'hui ,  en  russe,  le  mot  édiny,  it,  m  polonais,  te  mot  icdyny.  Le 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  PRANC  235 

^'autes  adoptèrent  de  ces  peuples  slaves  leurs  divinités  vanes,  d'abord  le 
cuite  du  dieu  et  de  la  déesse  Vrindus,  qui  en  Scandinavie  et  en  langue 
norraine  eurent  le  nom  de  Niôrdur  et  de  Rindur ,  et  ensuite  encore  le 
culte  de  leur  fils  Pravy  (Seigneur)  et  de  leur  fille  Pravia  (Dame).  Elles 
donnèrent,  en  Scandinavie,  à  ces  deux  dernières  divinités,  le  nom  de 
Freyr  et  de  Freyia;  et  comme  elles  les  avaient  adoptées  des  Slaves , 
elles  leur  donnèrent  le  nom  particulier  de  divinités  vanes.  Les  tribus 
gotes  de  la  Germanie  septentrionale  appelèrent  ces  mômes  divinités  du 
nom  de  Prav  et  de  Fria  (p.  Fravia)  ;  et  c'est  ainsi  que  les  peuples  de 
la  branche  gèie ,  dans  la  religion  desquels  le  dieu  Frada  et  la  déesse 
Fraviâ  n'avaient  plus  été  adorés ,  sous  ces  noms,  pendant  deux  siècles , 
reprirent ,  de  nouveau ,  dans  leurs  établissements  en  Scandinavie  et  en 
Germanie ,  le  culte  et  les  noms  traditionnels  de  ces  divinités ,  après  les 
avoir  adoptés  des  Slaves  qui  ne  les  avaient  jamais  abandonnés. 

Pendant  longtemps  les  peuplades  de  la  branche  gèle  ^  établies  en  Scan- 
dinavie ,  connaissaient  la  signification  de  Seigneur  et  de  Dame  attachée 
aux  noms  de  Frey  et  de  Freyia.  Cependant  comme  dans  leur  langue 
ces  noms  étaient  réservés  exclusivement  à  ces  deux  divinités,  parce 
qu'elles  étaient  considérées  comme  le  Seigneur  et  la  Dame  par  excel- 


nom  propre  de  Vaniiai  (Fils  des  Uoiques)  est  formé ,  comme  les  noms  slaves  Pa- 
guritai  et  DrugavUai ,  etc. ,  et  les  noms  gèles  Kalpidai ,  Thivudidai ,  etc.  Les 
Grecs ,  n'^yaot  pas  de  V  dans  leur  langae ,  ont  rendu  Vanitai  tantôt  par  Bantai , 
tantôt  par  Antai,  C'est  donc  à  tort  que  rtiislorien  des  Langobardes ,  le  diacre 
Paul,  fils  de  Warnefrid  (vers  790),  considère  Anth-aib  (le district  des  Anthes)  et 
Banth-aib  (le  district  des  Banthes)  comme  deux  contrées  entièrement  différentes 
Tune  de  i*autre.  (Voy.  Muraiori  ^  Rer.  ital.  scriptores,  i ,  415).  Les  Vantes  (Ve- 
netai ,  Vindai ,  Vandai)  ont  existé ,  sous  ce  nom  ,  déjà  au  premier  siècle  avant 
notre  ère.  Tacite  les  appelle  Venedi  ;  et  comme  ils  habitaient  dans  le  voisinage 
des  Sarmates  et  en-deçà  de  l'Oder,  dans  des  contrées  occupées  par  des  Germains, 
cet  historien  ne  sait  pas  sMI  doit  les  compter  parmi  les  Germains  ou  parmi  les 
Sarmates.  Leur  nom  indique  qu'ils  étaient  d'origine  sarmate  ;  mais ,  ainsi  que  les 
Svèves,  ils  avaient  souvent  mêlé  leur  sang  à  celui  des  tribus  germaniques  voisines. 
De  la  nation  des  Vantes,  sortit ,  de  bonne  heure ,  la  peuplade  des  Vantâtes,  dont  le 
nom  est  la  forme  diminutive  de  celui  des  Vantes,  et  signifie  PeliU-Vanies ,  dans  le 
sens  de  Descendants  des  Vanteg.  Pline  connaît  ces  Vantales  sous  le  nom  de  Vindili, 
et  Tacite  les  appelle  Vandalii,  Ce  sont  les  pères  de  ces  Vandales  qui  ont  porté  dans 
leurs  veines  beaucoup  plus  de  sang  slave  que  de  sang  germanique,  et  qui  ont  figuré 
dans  les  migrations  des  peuples  barbares,  depuis  leur  apparition  sur  le  Rhin,  au 
rukiimencemont  du  troisième  siècle  jusqu'en  534 ,  époque  de  la  fin  de  leur  domi- 
nalion  au  Nord  de  l'Afrique. 


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236  REVUE  d' ALSACE. 

l#nce ,  ils  ne  furent  bientôt  plus  employés  comme  noms  communs , 
désignant  le  seigneur  et  la  dame^  mais  ils  devinrent  de  véritables  noms 
propres.  Si ,  plus  tard ,  chez  ces  peuples ,  le  mot  norrain  frauvaiy.  Fam- 
manna-eôgury  10,  421)  et  le  mot  danois  frû  ont  été  employés  comme 
noms  communs  ^  pour  désigner  les  dames  en  général ,  cela  vient  de  ce 
que  ces  termes  ont  été  empruntés,  avec  cette  signification  ,  à  Tallemand 
du  moyen-âge ,  qui ,  surtout  dans  le  minnegesang ,  imité  en  partie  des 
chants  des  Troubadours ,  employait  le  nom  de  frava  (dame^  unique- 
ment comme  nom  commun ,  n'ayant  plus  aucun  rapport  avec  Tancien 
nom  propre  mythologique  de  la  déesse  Fria. 

Au  troisième  siècle  de  notre  ère ,  les  Goths  méridionaux  ayant  em- 
brassé le  christianisme ,  le  dieu  Fravia  disparut  de  leur  religion  comme 
divinité  ;  mais  le  terme  de  frauia  resta  dans  leur  langue  comme  nom 
commun ,  ayant  la  signification  traditionnelle  de  seigneur.  Ce  nom  ayant 
perdu ,  chez  les  Goths  devenus  chrétiens,  sa  signification  mythologique 
payenne,  Tévèque  Vlfilas  se  servit  de  ce  terme  pour  traduire  le  mot 
grec  Kv;têe,  qui  dans  le  N.  T.  désignait,  le  plus  souvent,  le  Seigneur 
Dieu  et  le  Seigneur  Jésus.  Ayant  ainsi  repris  de  nouveau  une  significa- 
tion essentiellement  religieuse ,  le  mot  gothique  frauia  finit  par  rede- 
venir presqu'un  nom  propre  ;  car  il  ne  fut  plus  guère  employé  comme 
nom  commun  avec  le  sens  de  seigneur  en  général.  La  conséquence 
fut  que  les  Goths  n'employèrent  pas  non  plus,  dans  leur  langue,  comme 
nom  commun ,  le  nom  féminin  frauié ,  correspondant  au  masculin 
frauia ,  pour  désigner ,  en  général ,  la  maîtresse  ou  la  dame. 

Le  culte  du  dieu  Frauia ,  qui  disparut  de  la  religion  des  Goths  méri- 
dionaux après  leur  conversion  au  christianisme,. se  maintint  plus  long- 
temps chez  les  tribus  de  la  Germanie  orientale ,  qui  étaient  voisines  des 
Slaves ,  et  qui  restèrent  plus  longtemps  dans  le  paganisme.  Déjà  au  pre- 
mier siècle  de  notre  ère ,  les  Germains  orientaux  de  la  branche  svève , 
qui  s'étaient  mêlés  à  des  Slaves ,  adoraient  le  dieu  Frauia,  et  le  consi- 
déraient comme  le  Père  et  comme  le  Seigneur  de  leur  nation.  En  qualité 
de  seigneur,  ce  dieu  portait,  comme  plus  tard  tous  les  chefs  de  famille , 
le  nom  épithétiqne  de  Hlaiv-virts  (ail  Laib-wirlh  Donne-pain  ;  angles. 
hlaf'Vordj  écossais  Lairdj  angl.  lord).  Le  dieu  Hlaivvirts  passait 
pour  être  le  père  du  dieu  Valaçhus  (slav.  Volos  ou  Vêles  Errant ,  No- 
made ;  cf.  gr.  Pelasgos;  v.  ail.  Walah)  ;  divinité  d'origine  slave  qui  prési- 
dait aux  pâturages ,  à  l'entretien  et  à  la  prospérité  des  tribus  nomades. 
Une  tribu  germanique ,  s'étant  détachée  de  ces  Svèves  orientaux  ,  vint 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FRANC.  231 

s'établir,  au  premier  siècle,  sur  les  bords  du  Rhin ,  dans  un  bourg 
nommé  Asci-burg  (Enclos  des  barques  ;  cf.  norr.  Noa-tûn  Enclos  de 
navires).  Elle  érigea  sur  la  rive  à  son  dieu  prolecteur  Voh  (Valaçhus) , 
un  autel,  sur  lequel  on  grava,  en  caractères  runiques,  qui  étaient  imités 
de  récriture  grecque ,  l'inscription  suivante  :  A  Volos  fU$  de  Hlaiv^ 
virts.  Les  Romains  établis  sur  le  Rhin,  ayant  appris  que  le  nom  du  dieu 
Volos  signifiait  Errant ,  et  remarquant  sur  son  autel  des  caractères  qui 
leur  semblaient  être  de  l'écriture  grecque ,  s'imaginèrent  que  le  dieu 
solaire  Volos,  fils  de  Htaiv^virts^  n'était  autre  que  le  symbole  du  Soleil 
errant,  à  savoir  le  héros  grec  Ulysse (\ulns)^  le  fils  de  Latertès\E\9iV' 
virts),  qui^  après  avoir  longtemps  erré  sur  toutes  les  mers,  serait  arrivé 
sur  les  bords  du  Rhin,  où  il  serait  devenu  le  héros  éponymede  la  tribu 
svève  qui  était  venue  s'établir  dans  cette  contrée  >.  Cette  tribu  svève  ne 
portait  pas  encore ,  à  cette  époque ,  le  nom  de  Frank  ;  mais  elle  s'était 
détachée  d'une  peuplade  qui ,  après  avoir  pris  le  nom  de  Francs ,  vint , 
plus  tard ,  également  s'établir  sur  les  bords  du  Rhin  ,  et  s'unit  de  nou- 
veau avec  la  tribu  qui  s'était  détachée  d'elle  à  l'Est  de  la  Germanie.  Les 
chefs  de  cette  tribu  se  nommaient ,  d'après  Vols  leur  dieu  éponyme , 
Fils  de  Vols  (v.  ail.  Volsinge  ;  norr.  Vôlmngar)^  et  formaient  la  race 
des  Volsings  ^  qui  était  une  des  nombreuses  branches  de  la  nation  des 
Franks.  Aussi  dans  le  Traité  du  langage  poétique  (  Skaldskaparmàl  ) 
renfermé  dans  TEdda  de  Snorri ,  est-il  dit  :  c  De  Voisung  descendent 
c  les  Volsungs  dans  le  pays  des  Franks.  » 

Connaissant  l'origine  de  la  race  des  Franks ,  disons  maintenant  quelle 
est  la  signification  de  leur  nom.  La  peuplade  germanique  svève ,  qui 
vivait  dans  le  voisinage  des  Slaves ,  avec  lesquels  elle  s'était  mêlée ,  et 
dont  la  tribu  des  Volsungs  s'était  détachée ,  au  premier  siècle ,  pour 
venir  s'établir  sur  le  Rhin ,  adorait,  comme  les  Slaves ,  le  dieu-héros 
Prav  (Seigneur  ;  slave  Pravy) ,  surnommé  Hlaiv-virts  (Hôte-panetier), 
le  père  du  héros  éponyme  Vols.  Suivant  l'habitude  prise  par  tous  les 
peuples  de  l'antiquité ,  et  qu'on  retrouve  fréquemment  chez  les  nations 
germaniques ,  de  se  donner,  comme  nom  ethnique,  un  nom  patronymique 

* Ulixem  quidam  opiDaotur ,  longo  illo  el  fabaloso  errare  in  hune  OceaDum 

delalum ,  adiisse  Germaniae  terras,  Asciburgiumque ,  quod  io  ripa  Rheni  situni 
bodieque  ineolitur ,  ab  illo  coostitutum  nomiDatumque.....  aram  quin  eliam  Ulixi 
consecratam ,  adjecto  Laerlœ  patris  nomine ,  eodem  loco  olim  repertam  :  moDo- 
mentaque  et  tumulos  quosdam  grœcis  litterU  inacriptos,  in  coDfioio  Germani» 
RbaUaeqne  adbuc  exstare.  —  Tacitcs,  Germania^  c.  2. 


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238  REVUE  D'ALSACE. 

emprunté  à  la  divinité  qu'ils  adoraient  et  qu'ils  considéraient  comme 
Fauteur  et  le  chef  de  leur  race ,  cette  peuplade  svève  se  donnait  le  nom 
de  Fils  de  Frav.  Or,  dans  les  langues  germaniques,  pour  désigner  la 
descendance  d'une  personne ,  on  ajoutait  au  nom  de  cette  personne  la 
terminaison  -ing  (-ang ,  -ung),  comme  dans  la  langue  grecque  on  ajou- 
tait 'idès  y  et ,  dans  les  langues  slaves ,  ^ava ,  ou  4t^  ou  -Uj  (et  VanUai). 
C'est  pourquoi  la  peuplade  svève,  pour  dire  Fils  de  Frat\  se  servait  dans 
sa  langue  du  mot  de  Fravinc,  qui ,  par  contraction  (cf.  norr.  Havink , 
Hânk  ;  lat.  avencus  ^  àncw) ,  se  changea  organiquement  en  celui  de 
Franc  ^ 

*  Nous  avons  vu  que  ,  dans  les  langues  de  la  branche  tarmaU ,  la  terminaisoD 
des  noms  propres,  par  laquelle  s'exprimait  la  descendance  ou  rextraciioo,  était  -ii 
(cf.  Vanitai ,  Fils  des  Vanes) ,  qui  s'est  changée  plus  tard  en  -t/A  ,  -itch  ,  -Uj.  Les 
langues  de  la  branche  gète  ont  la  terminaison  correspondanle  -ida  (cî.  Knivida  , 
fils  de  Kniva).  Mais  elles  ont  employé  beaucoup  plus  fréquemment  la  terminaison 
-hk  (-ank ,  -unk)  on  -ing  (-ang ,  -ung),  qui  a  la  même  signification,  et  se  compose  : 
io  de  la  particule  in  (an ,  un)  qui ,  dans  toutes  les  langues  iafétiques ,  exprime  le 
rapport  d'espèce  (Ex.  lat.  equînus  chevalin) ,  et  2»  de  la  particule  ik  (ak ,  uk) 
qui ,  dans  ces  mêmes  langues ,  exprime  un  rapport  de  dérivation  ou  d'apparte- 
nance (Ex.  lat.  civtcut ,  civique ,  tenant  du  civis).  La  terminaison  -ink  se  trouve 
déjà  employée  dans  la  langue  scythe.  Ainsi  du  nom  propre  scythe  Tervo  (Arbre  ; 
voy.  La  Fascination  de  Gulfi ,  p.  194)  s'est  formé  le  nom  ethnique  Dervinkai  (Issus 
de  Dervo) ,  qui  a  été  rendu  en  grec  tantôt  par  Derbikkai ,  tantêt  par  Derbiggai ,  et 
qui  prenait ,  en  latin  ,  aussi  la  forme  de  Dtrvîcœ.  Dans  les  idiomes  du  rameau 
gète^  on  a  également  formé  de  Tur  ou  ùur ,  qui  correspond  au  scythe  Tervo 
(Dervo ,  Arbre) ,  les  noms  ethniques  de  Turing  et  During ,  l'un  et  l'autre  con- 
uractés  quelquefois  en  Tyrk  et  DUrk  (cf.  les  Tyrks  ,  synonymes  de  Turinges  ,  et 
Durk-heitn),  Du  nom  propre  do  dieu-héros  Davus  (scyih.  Tavtu,  Brillant)  on  a 
formé  le  nom  propre  dérivé  Davinkus  ^Fils  du  Brillant),  qui  s'est  contracté  en  Dàcus 
(le  Dace) ,  et  en  Dâgr  (Jour)  nom  d'un  héros  qui  était  considéré ,  dans  le  Nord  , 
comme  la  souche  des  Dôglingar  (Fils  de  Dagr).  Autre  exemple  :  Wodan  ou  Odinn 
avait  deux  noms  épithétiqoes  Havi  (Sublime)  et  Avi  (Grand-père).  De  Ifavi  s'est 
formé  le  nom  propre  dérivatif  Havink  (Fils  de  Sublime),  contracté  en  Hdnk  et  Hâk 
(cf.  Hankr-vin;  norr.  HâkrMn  ,  Hàk-on^  Ami  de  Havink)  ;  de  Avi  s'est  formé  Aving 
(Issu  du  Grand-père)  qui  s'est  contracté  en  Ang  et  Ing  (Petit-fils  ;  cf.  Ingvinones  : 
v.  ail.  encho  petit-fils).  Enfin  en  latin  on  a  formé,  d'une  manière  analogue  ,  de 
avus  (grand-père)  le  nom  de  avencus  (issu  du  grand-père) ,  qui  s'est  contracté  en 
âncus  ,  et  a  servi  à  désigner  plus  particulièrement  le  petit-fUs  ;  (cf.  v.  ail.  eneho 
petit-fils).  Do  latin  juvenû  s'est  formé  également  le  déméjuvencus  (p,  juvenieus], 
qui  correspond  à  la  forme  allemande  beaucoup  plus  contractée  dejung  (jeune). 

Do  même  que  ,  dans  les  langues  slaves ,  la  terminaison  dérivativc  -t/  (-iz,  -Itch) 
aimait  à  s'ajouter  à  la  particule  dérivative  ev  (ov)  comme ,  par  exemple  ,  dans 
Têar-ev'ilj  (Fils  de  Césai) ,  de  mém** ,  en  latin  ,  la  particule  diminutive  -ul  aimait 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FRANC.  239 

Les  tribus  de  la  nation  svève ,  ayant  pris  le  nom  de  Frank» ,  comme 
d'autres  tribus  de  cette  même  nation  avaient  pris  celui  à' Angles 
(  p.  Avingks  Fils  de  l'Aïeul  ) ,  de  Langobardes  (  Fils  d'Odin  à  la 
langue  barbe) ,  de  Sû^ambers  (Forts  du  Verrat) ,  etc. ,  après  avoir 
quitté  leurs  premiers  établissements  au  Nord-Est  de  la  Germanie ,  se 
répandirent  dans  les  parties  occidentales  et  méridionales  de  ce  grand 
pays.  On  trouve  quelques  unes  de  ces  tribus  frankes  établies  en  Pan- 
nonie  (v  Grimm,  Geschichte  d.  d.  Spr.y  i ,  p.  523)  ;  d'autres  parties  de 
la  tribu  des  Sugambres  s'établirent  sur  la  Saaie ,  d'où  ,  sans  doute , 
elles  prirent  d'abord  le  nom  de  Francs-Saliens  (Francs  de  la  Saale), 

à  s'ajouter  à  la  forme  dérivative  -une.  C'est  ainsi  que  de  fur  (voleur]  on  a  formé 
d'abord  fur-unc  (engeaDce  de  voleur),  qui  n'est  pas  usité ,  mais  qui  correspond  aux 
dérivés  germaniques  terminés  en  ung  (ing'  ;  et  ensuite  à  fur-unc  on  a  attaché  la 
terminaison  diminutive  ulus  ,  de  sorte  que  fur-unc-ulus  a  ,  à-peu-près  ,  la  signifi- 
cation de  petite  engeance  de  voleur.  De  la  même  manièr3  on  a  formé ,  en  latyi , 
de  avus  (grand-père) ,  avuncus  (issu  du  grand-père) ,  qui ,  suivi  de  la  particule 
diminutive  -ulus  ,  forma  le  mol  av-unc'ulus  ,  et  prit  la  signification  de  oncle  (mot 
dérivé  du  latin  avunculus).  Cette  signification  résultait  de  ce  que ,  par  rapport  à 
son  oncle  »  le  netfcu  considérait  son  propre  père  comme  le  fils  du  grand-père ,  et 
pouvait  l'appeler,  comme  tel,  avun(  us  (issu  de  l'avusj  :  il  considérait  le  frère  de  son 
père  ou  son  oncle  également  comme  le  fils  du  grand-père  ,  mais  avec  cette  diffé- 
rence qu'il  désignait  son  père  comme  le  fils  majeur  ,  ou  comme  le  grand  fils  du 
grand-père  ,  et  son  oncle  comme  le  fils  mineur ,  ou  le  petit  fils  du  grand-père. 
C'est  pourquoi ,  au  point  de  vue  du  neveu ,  avunculus  (petite  progéniture  de  l'avus) 
implique  l'idée  d'une  certaine  infériorité  de  l'oncle  par  rapport  au  père. 

Du  latin  âncus  (p.  avencus^  issu  du  grand-père)  s'est  formé  le  diminutif  anculus 
(petit-fils  du  grand-père)  qui  correspond,  pour  la  forme,  à  l'allemand  enkel 
(p«>tit-fils) ,  qui  est  le  diminutif  de  l'ancien  nom  commun  ancho  (issu  du  grand- 
père  ,  petit-fils).  Mais  le  latin  anculus  n'a  pas  conservé  comme  enkel  la  signifi- 
cation particulière  de  petit-fils  ;  il  a  pris  la  signification  plus  générale  de  garçon 
serviteur.  C'est  que  les  petits-fils  ,  étant  les  plus  jeunes  membres  de  la  famille 
patriarcale ,  devinrent  naturellement  les  garçons  de  service  ,  les  serviteurs  de  la 
maison  ,  principalement  les  commissionnaires  de  leurs  grands  parents  âgés.  C'est 
pourquoi ,  en  latin  ,  ancus  et  son  diminutif  anculus ,  prirent  plus  particulièrement 
la  signification  de  garçon ,  serviteur.  De  antulus ,  remplacé  bientôt  par  puer ,  on 
a  ensuite  formé  le  diminutif  féminin  anculula ,  contracté  en  ancilla  ,  qui  eut  la 
signification  de  fillette  servante. 

De  même  qu'en  latin  anculus  désignait  le  serviteur ,  le  commissionnaire ,  le 
messager ,  de  même  ,  en  grec ,  le  mot  angelos ,  qui  correspond  au  latin  anculus , 
eut  la  significaUon  de  serviteur-messager,  et  par  suite  celle  d'ange ,  c'est-à-dire  de 
messager ,  de  ministre  de  Dieu. 

Disons  encore  que  du  nom  propre  germain  Ang  {!ng  Fils  de  i'Aleul  ou  d'Odinn), 


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240  REVUE  D*ÂLSACE. 

avant  de  se  nommer  ainsi  d'après  le  district  appelé  Salo ,  près  de  l'Issel 
(Isula),  qu'elles  occupèrent,  plus  tard,  dans  la  Batavie.  D'autres  Saliens 
et  Sugambres  se  portèrent ,  comme  les  Angles ,  aux  rives  de  l'Elbe ,  et 
s'établirent  dans  le  district  de  Morungèn  (lat.  Maurungania  ^  ) ,  ainsi 
nommé ,  sans  doute ,  d'après  les  marais  dont  ce  pays  était  couvert. 


on  a  formé  le  diminutif  Angul  (Petit-fils  d'Odinn)  qui  est  devenu  le  nom  ethnique 
des  Angles  ,  les  ancêtres  des  Anglais.  Sur  les  Ingœwmes  (Compagnons  de  l'ami 
d7n^),  Tune  des  trois  branches  de  la  nation  germanique ,  voyes  Let  Gèiet,  p.  85. 

Tandis  qu'en  latin  on  aimait  placer  la  particule  diminutive  -/  après  la  particule 
dérivative  -une  (ex.  :  fur-une^ulus) ,  les  langues  germaniques  ont  préféré  mettre 
la  terminaison  diminutive  -a/  (-il .  -ul)  avant  la  terminaison  dérivaUve  -ung  (-ing, 
-ang).  Ainsi  de  Tgrk  on  a  dérivé  d^abord  Tyrk-il,  et  puis  Tyrk-U^g  (Tburcilingi)  ; 
de  Dag  {Dëg-^il)  s'est  formé  Deg-l-ing  ;  de  Wolf,  {Wôlf-itj  Wolf-Uing;  de  Ang  ^  Ang- 
ul et  Yng-l'ing  ;  dejung^  (jQog-el)  eijung-l-ing.  Si  l'une  des  deux  particules  déri- 
valives  ne  s'était  pas  effacée  par  contraction  dans  beaucoup  de  noms  germaniques, 
l'une  et  l'autre,  y  étant  maintenues,  auraient  rendu  la  forme  de  ces  noms  singu- 
lièrement barbare.  En  effet  la  forme  complète  ou  étymologique  de  fngling,  par 
exemple ,  serait  AtHing-l^ing  ,  et  celle  du  mot  allemand  jungling  (jouvence!) , 
transcrite  en  la  forme  correspondante  latine ,  serait  juv-ene-ul-ene-i». 

Dans  le  nom  patronymique  français  CarlovingUn ,  on  dirait  que  la  terminaison 
ing  a  été  ajoutée  à  la  particule  dérivative  slave  ov ,  comme  dans  Carl-ùV'Ui,  Mais 
la  syllabe  ov  n'y  est  pas  d'origine  slave  ;  elle  y  est  complètement  inorganique  ; 
elle  provient  de  ce  qu'on  a  changé  la  forme  organique  Karl-ing  d'abord  en  Caro- 
Ung  puis  en  Carlo-ing,  dont  on  a  fait  disparaître  l'hiatus  en  y  insérant  un  v  eupho- 
nique. Si  aux  yeux  du  linguiste  la  forme  Carloving  est  irrégulière ,  celle  de  Carlo^ 
vinyien  est  à  la  fois  hybride  et  barbare  ;  car  elle  présente  la  terminaison  dérivative 
latine  -anus  (fr.  t'en)  ajoutée  ï  la  terminaison  dérivative  germanique  "ing  ;  de 
sorte  que  la  terminaison  -ingien  exprime  deux  fois  de  suite  et  en  deux  idiomes 
différents  l'idée  de  dérivation  ou  d'extraction. 

'  Dans  l'antiquilé  les  noms  propres  des  pays  étaient  assez  souvent  identiques , 
par  leur  forme  grammaticale ,  aux  noms  propres  des  peuplades  ou  tribus  qui  les 
habitaient.  Ainsi  en  Italie  ,  par  exemple,  on  disait  Gabii  pour  désigner  le  bourg 
et  le  district  des  Gabii.  Chez  les  peuples  du  rameau  lilhva ,  les  noms  des  villages 
étaient  empruntés  généralement  aux  noms  ethniques  de  leurs  habitants.  Encore 
aujourd'hui  presque  tous  les  noms  de  village  des  Lithuaniens  proprement  dits , 
ont  la  forme  plurielle ,  ce  qui  indique  que  ces  noms  de  village  sont  proprement 
des  noms  donnés  it  leurs  habitants.  Les  Allemands  désignent  également  plusieurs 
grands  pays  de  l'Allemagne  par  des  noms  qui  ont  la  forme  plurielle.  Ainsi  Sachsen^ 
Hessen^  Franken,  Schwaben^  Baïern,  Preusseny  Thuringen  ,  etc. ,  ne  sont  pas 
originairement  'des  noms  géographiques  ou  de  pays ,  mais  des  noms  ethniques 
ou  de  peuples.  En  effet  ils  sont  dérivés  d'anciens  génitifs  pluriels ,  de  sorte  que» 
par  exemple ,  in  Sachsen  (dans  la  Saxe)  signifiait  originairement  im  Lande  der 
Saxen  (dans  le  pays  des  Saxes  ;  in  Saxena  lant  ;  cf.  latt  m  Gabiis).  D*après  cela 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FKANC.  Hi 

C'est  là  probablemeat  que  la  famille  de  Merovicq  ^  qui  se  rattachait  à 
la  fois  aux  Saliens  et  aux  Sûgambres ,  a  pris  son  origine.  Le  plus  grand 
nombre  de  tribus  frankes  s'établirent  sur  les  bords  du  Rhin  inférieur  : 
elles  furent  désignées,  plus  tard,  sous  le  nom  de  Rin  Franken  (Franks 
rhénans;  lai.  Franci ripuarii ;  vieux  Ir.  Franc  river).  Du  temps  de 
Chlôdiô  ,  les  Franks  possédaient  déjà  tout  le  pays  depuis  le  Rbin  jusqu'à 
la  Soname;  et  la  Forél  charbonnière  (lat.  carbotiùria)  et  le  Liger  (au- 
jourd'hui Leie)  formaient  la  limite  entre  la  Contrée  des  Franks  germa- 
niques y  appelée  YOrientale  (Aus(rasia),  et  la  Contrée  des  Franks  gallo- 
romains  ,  appelée  la  Nemlrie  (lat.  germ.  Ny  Ve$ir%a)  c'est-à-dire  la 
Nouvelle  Occidentaley  ainsi  nommée  par  opposition  à  l'ancienne  Vestrie  ou 
Contrée  occidentale.  Bien  qu'il  y  eût  dès-lors  des  Franks  aussi  bien  sur  la 
rive  droite  que  sur  la  rive  gauche  du  Rhin ,  le  nom  de  Frank  fut  plus 
particulièrement  donné  et  maintenu  aux  Francs  de  la  Monarchie ,  sur  la 
rive  gauche  du  Rhin.  Lorsque  plus  tard,  après  Charlemagne ,  le  royaume 
des  Franks  ou  la  Francie  (France)  se  distingua  de  l'Empire  germanique, 
le  nom  des  Francs  de  la  Francie  effaça  encore  davantage  celui  des 
Franks  de  l'Allemagne. 


il  semble  que  le  oom  de  Morungen  dérive  aussi  d*UD  ancien  génitif  pluriel  mârun- 
gônô ,  et  signifie  originairement  District  de»-  Môrungs,  Le  nom  eibnique  Mârung 
signifiait ,  sans  doute ,  Maremmien  ,  c'est-à-dire  habitant  des  maremines  ou  du 
pays  marécageux  (ail.  môr-land).  Môrung  pourrait  aussi  être  une  contraction  de 
Mér-Qv-ing  ,  et ,  dans  ce  cas ,  il  signifierait  habitant  de  Vile  {ov ,  aue)  aux  mari' 
cages  {mâr), 

*  Mêr-ove  (lie  de  mer),  difiérent  de  Moraue  (Ile  aux  Hiarécages},  parait  avoir 
été,  à  l'embouchure  de  TEIbe ,  une  lie  de  VAnglie  maritime  {Mer-angel).  Elle  a 
sans  doute  été  le  lieu  de  naissance  du  beau-fils  de  Chlôdjô ,  appelé ,  d'après  sa 
patrie ,  Mer-oveo  (originaire  d'Ile  de  mer]  ou  Mer-angel  (originaire  de  TAnglie 
maritime).  Ceux  qui  écrivaient  en  latin  rendaient  Meroveo  par  Merovicui  (la  Méro- 
vique).  Les  descendants  de  Meroveo  ou  Merangel  furent  appelés  Merovings  ou 
Merangelings.  Meroveo  et  ses  premiers  descendants  étaient  de  grands  comhcUtants 
ou  ,  comme  on  disait  dans  le  Nord ,  de  grands  sangliers  (  cf.  norr.  iôfrar ,  san- 
gliers, guerriers  ;  voy.  Fascination  de  Gulfiy  p.  184).  Jouantsur  la  signification  méta- 
phorique du  nom  de  sanglier,  la  tradition ,  tournant  à  la  fable,  rapporta ,  dans  son 
langage  figuré ,  que  les  Merovings  portaient  des  soies  sur  le  dos ,  qu'ils  étaient 
Trieho-rhachatai^  ayant  le  rachis  velu  ;  voy.  Tiieophames  ,  Chronographia ,  édit. 
Venet.  1729 ,  p.  268).  Or  tous  les  Francs,  comme  Tindiquc  déjà  ce  nom  ,  se 
disaient  issus  du  dieu  héros  Frav  ;  et  Frav  ,  comme  combattant ,  portail  le  nom 
épithéUque  de  Sanglier  [Ebur,  Su  ;  cf.  sûrgambres),  et  avait  pour  symbole  leluerrat 
(voy.  Gylfaginning  ,  p  531).  L'apparition  du  verrat  ou  sa  sortie  de  la  mer  prusa- 
ys^ie — 17- Année.  16 


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242  REVUE  D' ALSACE. 

Aussi  longtemps  que  les  Francs  de  la  Gaule  restèrent  attachés  an 
paganisme  ,  ils  connaissaient  parfaitement  la  signification  de  leur  nom 
propre  national  ;  ils  savaient  que  Franc  signifiait  Fils  du  dieu  héros 
Frav  (Seigneur).  Hais  après  leur  conversion  au  christianisme ,  ils  ou- 
blièrent cette  signification  ,  et  tâchèrent  même  d*en  faire  oublier  l'ori- 
gine payenne  K  Us  s'expliquèrent  dès*Iors  le  nom  de  Franc  comme 
signifiant  Fils  de  Seigneur ,  en  donnant  au  mot  de  Seigneur ,  non  pas 
le  sens  mythologique  payen ,  ni  le  sens  religieux  chrétien  de  Seigneur 
Dieu ,  mais  le  sens  social  de  seigneur  ou  mattre ,  que  ce  mot  avait 
effectivement  dans  l'ancien  idiome  germanique.  Or,  dans  l'état  social 
d'alors ,  l'idée  de  seigneur  impliquait  tout  d*abord  celle  d'homme  libre, 
et  comme  les  descendants  ou  enfants  de  l'homme  libre  étaient  eux- 
mêmes,  de  droit,  libres  de  naissance  (cf.  lat.  liberi ,  libres ,  enfants), 
le  nom  de  Franc  ou  de  fils  de  seigneur ,  prit  alors ,  pour  la  première 
fois,  une  signification  qu'elle  n'avait  jamais  eue ,  la  signification  de  libre 
ou  issu  d'homme  libre  (cf.  goth.  freis  libre  et  gète  fravis  seigneur). 

En  outre  comme  les  Francs  vainqueurs  étaient  devenus ,  en  Francie, 


geait ,  chez  les  Francs  et  les  Slaves  fnarUime$ ,  les  combau,  la  guerre  ou  Tariivée 
des  pirates  du  côté  de  la  mer  (voy.  Ditmar  ,  Chronùsan^  éd  Steinh. ,  vi ,  p.  65). 
Pour  donner  une  plus  grande  distinction  ,  sur  les  autres  Francs ,  aux  descendants 
de  Meroveo  ou  aux  Meravings  ,  la  tradition  rapporta  que  le  beau-fils  de  Chlôdjô  était 
le  propre  fils  ou  le  descendant  immédiat  du  Sanglier  (le  dieu  Frav  ,  le  Combattant) 
et  qu'il  a  eu  pour  mère  l'épouse  de  CMôdiô.  Peut-être  Merovic  était-il  le  fils  de 
cette  femme  et  d*un  rot  de  mer  (norr.  saekonunffr)  ou  éeumeur  de  baies ,  (norr. 
vîkingr)  qui  fut  désigné ,  dans  la  tradition ,  sous  le  nom  de  verrai  de  mer.  Gomme 
les  Franks  romanisés  ne  savaient  plus  la  vraie  signification  du  nom  de  Merovicus 
(le  Mérovique ,  originaire  de  Tlle  de  mer) ,  on  le  crut  formé  de  la  même  manière 
que  le  nom  de  Hludovicus,  Or  chlôdvfg  signifiant  combat  de  gloire  on  combattant 
glorieux,  Merovic  ou  Merovtg  fut  expliqué  comme  signifiant eom6a/tonf  en  mer;  pois 
la  tradition  fabuleuse,  attribuant  ce  nom  au  père  de  Merovig  ,  rapporu ,  afla  d*en 
expliquer  le  sens ,  la  fable  suivante ,  concernant  Torigine  extraordinaire  de  la 
souche  des  Merovings.  Un  jour ,  dans  la  canicule ,  Chlôdiô  et  son  épouse  étaient 
assis  sur  le  bord  de  la  mer ,  pour  se  rafraîchir.  Lorsque  la  reine  prit  un  bain  sur  la 
plage ,  le  dieu  Frav ,  sous  la  forme  du  sanglier  marin  nommé  Merovig  (Combattant 
en  mer],  la  força,  et  la  rendit  mère  d'un  fils  qui  fut  nommé  Merovtg  d'après  son 
père  divin,  et  qui  portait ,  comme  lui ,  des  soies  sur  le  dos  (voy.  Conrad  UavsaG. 
Argentoi,  1609 ,  p.  92),  ainsi  que  ses  descendanu  les  Merovings. 

*  Le  franc  Ermoldiu  Nigellus ,  dans  son  poème  historique  latin ,  composé  i 
Strasbourg ,  vers  810 ,  dit  (  i ,  344)  : 

Francuf  habet  nomen  a  ferUaie  sua. 


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ORICINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FRANC.  243 

socialement  el  politiquement  parlant,  les  maîtres  ou  les  seigneurs  de  la 
population  gallo-romaine  vaincue ,  ils  formèrent  également ,  selon  Tha- 
bitude  de  tous  les  peuples  victorieux  de  l'antiquité ,  la   classe  des 
Nobles  y  par  opposition  aux  classes  subjuguées  des  bourgeois  libres  et 
des  serfs.  De  sorte  que  le  nom  propre  ethnique  de  Franc  devint  aussi , 
au  point  de  vue  social ,  synonyme  de  Noble  ou  de  Gentil,  Ce  qui  prouve 
que  c'est  seulement  en  France ,  par  suite  de  la  domination  politique  et 
sociale  de  la  race  franke ,  que  le  nom  de  franc  prit  plus  tard  ,  jusques 
dans  les  idiomes  germaniques ,  la  signification  de  libre  ou  affranchi  et 
de  geintil  ou  noble ,  c'est  que  ce  mot  n'a  jamais  eu  antérieurement,  dans 
aucun  des  idiomes  germaniques ,  ni  de  l'antiquité  »  ni  du  moyen-ftge , 
la  signification  de  libre.  En  effet  les  langues  germaniques  de  l'antiquité 
et  du  moyen-ftge  aiment  beaucoup  l'allitération   ou   l'accouplement 
de  mots  allilérants  ^  comme ,  par  exemple ,  Feuer  und  Flamme  (feu 
et  flamme),  Friede  und  Freundschaft  (paix  et  amitié),  Frisch  und  Frô 
(frais  et  dispos),  Los  und  Ledig  (libre  el  franc),  etc.  Or  jamais  on 
ne^trouve  dans  ces  idiomes  la  formule  Frank  und  Fri  (franc  et  libre) , 
bien  qu'on  rencontre  souvent  Tallitéralion  de  Frech  und  Fri  (hardi  et 
libre);  ce  qui  prouve  que  le  mot  frank  n'existait  pas  encore ,  dans  ces 
langues ,  avec  le  sens  de  libre.  Le  mot  franc,  avec  la  significiition  sociale 
de  libre ,  de  gentil  ou  noble,  ne  se  rencontre  d'abord  que  dans  le  vieux 
français.  Ainsi ,  par  exemple,  dans  le  Roman  de  Garin  se  trouvent  les 
expressions  suivantes  :  li  franc  et  H  baron  (les  Nobles  et  les  Barons) , 
frans  homme  (gentilhomme)  ;  franche  roïne  (Noble  Reine)  ;  frans  cfée- 
raliers  jentis  (noble  et  gentil  chevalier)  ,  etc.  K  Froissard  (liv.  i ,  ch. 
^01)  oppose  les  francs  (nobles)  aux  vilains  ;  et  dans-  la  Chansoti  de 
Roland ,  fratics  chevaliers  signifie  plutôt  noble  chevalier  que  chevalier 
français  En  vieux  français,  parler  franc  ne  signifie  pas  parler  français, 
mais  parler  librement,  franchement.  Le  mot  franc,  signifiant  libre  et 
noble,  passa  ,  avec  cette  signification ,  du  vieux  français  ou  de  la  langue 
d'oïl,  dans  l'idiome  provençal ,  italien  et  espagnol.  Les  Normands  de 
la  France,  qui  parlaient  roman  dès  la  seconde  génération ,  introdui- 
sirent ce  mot,  avec  cette  signification,  en  Angleterre ,  après  l'invasion  de 
Guiliaume^le-Conquérant ;  et,  ainsi  que  les  Franks  en  France,  les 
Normands,  vainqueurs  en  Angleterre,  se  disaient  franc  homme  (Gen- 
tilshommes ,  Nobles).  Le  mol  de  franc  passa  ensuite  du  normand  dana 

*  Voy.  Gloisaire,  par  Em.  Gachet  el  Félisl  Likbreciit  ,  Bruxelles  1839  ,  s,  r. 
fraoc. 


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244  REVUE  D*ALSAGE. 

Tanglo-saxon ,  où  se  forma  le  nom  de  franklin  (petit  franc-tenancier). 
Enfin  ce  mot  fut  également  introduit,  en  imitation  du  français^  dans 
les  différents  idiomes  du  haut  et  du  bas  allemand.  Ce  ne  fut  cependant 
qu'au  dix-septième  siècle  que  le  mot  français  franc  fut  adopté  par  les 
Allemands  et  les  Hollandais,  àikns  le  sens  de  libre ,  affranchi.  Encore 
au  seizième  siècle ,  Luther  expliqua,  ingénieusement,  il  est  vrai ,  mais 
faussement,  le  nom  ethnique  de  Frank  comme  s'il  était  dérivé  par  con- 
traction de  fri-ank  (libre  garçon).  Si,  de  son  temps,  le  mot  frank  avait 
déjà  existé  dans  la  langue  allemande ,  comme  il  y  existe  aujourd'hui  ^ 
avec  la  signification  de  libre  empruntée  au  français ,  Luther  n'aurait  pas 
manqué ,  comme  on  l'a  fait  plus  tard  ,.  d'expliquer  par  ce  mot  le  nom 
ethnique  des  Franks. 

Dès  le  neuvième  siècle  on  ne  savait  plus  en  France  que  le  nom  propre 
ethnique  de  Franc  dérivait  du  nom  germanique  Frav  ou  Frô,  et  signi- 
fiait proprement  tenant  du  seigneur  ou  seignIèvriaL  On  le  soupçonnait 
d'autant  moins  que  la  langue  romane  qu'on  parlait  n'avait  pas  adopté  de 
Tidiôme  germanique ,  avec  le  nom  propre  de  Franc ,  également  le  nom 
propre  ou  commun  de  frav  signifiant  seigneur.  A  cette  époque  le  mot 
frav  ou  frô  (angles,  frea;  v.  sax.  frahô)  signifiant  seigneur  y  avait 
même  déjà  disparu  des  idiomes  germaniques  ,  et  y  avait  été  remplacé , 
dans  le  sens  de  seigneur,  par  le  mot  herriro  (ail.  Herr).  Ce  root  qui 
est  proprement  un  adjectif  comparatif  de  hêr  (élevé}  signifiant  plt/^  éler^éy 
supérieur,  maître,  est  devenu  substantif,  comme  le  mot  français  supé- 
rieur {\M.  superior ,  plus  élevé) ,  qui  exprime  exactement  le  sens  pri- 
mitif du  mot  allemand  herr.  Mais  si  le  terme  frav  ou  frô  (seigneur)  a 
disparu ,  de  bonne  heure ,  des  idiomes  germaniques  du  moyen-âge  »  il 
n'a  pas  été  de  même  de  frau,  le  féminin  de  frô ,  lequel  s'est  conservé , 
dans  la  plupart  de  ces  langues ,  avec  la  signification  de  ianie.  C'est  que 
les  mœurs  de  la  féodalité  contribuèrent  au  maintien  de  ce  terme ,  puisque, 
d'après  les  idées  sociales  de  ces  temps ,  l'inférieur  ou  Yh4mme  devait 
hommage  non  seulement  au  seigneur  comme  à  son  supérieur,  mais 
aussi  à  l'épouse  de  son  seigneur ,  appelée  la  dame.  Aussi  le  mot  alle- 
mand frmca  (dame)  servait-il  à  désigner  la  femme  considérée ,  non  pas 
par  rapport  au  sexe,  mais  toujours  et  uniquement,  par  rapport  à  sa 
qualité  ou  à  sa -position  sociale  comme  Maîtresse  ou  Dame  (lat.  dominay 
maltresse)  ^ 

'  D&DS  rantiquité  payenne  Tidée  de  maître  ou  de  seignenr  impliquait  celle  de 
puissance ,  d'autorité  et  de  splendeur ,  et  ne  s'associait  guère  avec  l'idée  de  dou- 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FRANO.  245 

De  même  que  dans  les  langues  slaves,  de  Prove  (Seigneur)  s'est 
formé  le  àémé  prâno  (p.  proveno^  seigneurial),  de  même,  dans 
ridiôme  allemand  ,  de  Frav  (seigneur)  se  forma  le  dérivé  frônô.  Dans 
Torigine  frânô  n'était  autre  chose  que  le  génitif  pluriel  de  frô  ;  et  ce 
génitif,  signifiant  des  seigneurs ,  était  employé  pour  exprimer  le  sens 
de  Wdi\ecX\{  seigneurial  y  tout  comme  on  dit,  par  exemple,  l'esprit  des 
militaires  pour  dire  l'esprit  militaire.  Ce  génitif  pluriel  frônô  se  fait 
encore  reconnaître  comme  tel  par  la  construction  de  la  phrase  dans 
certains  textes ,  placé  qu'il  était  dans  l'origine  après  le  sujet  ;  mais  plus 
tard  ce  génitif  n'étant  plus  reconnu  comme  tel ,  il  fut  mis  dans  la  phrase, 

à  l'instar  des  adjectifs,  devant  le  sujet,  et  fut  pris  dès-lors  pour  un  ad- 

• 

ceur,  de  mansuétude  et  de  grâce.  Si  le  mot  grec  praus  (doux)  dérive  ilu  même 
radical  que  le  mot  scytheprat;  (seigneur),  cela  vient  de  ce  que  le  sens  primitif  de 
excellent  a  été  appliqué ,  en  grec ,  pour  signifier  doux,  et ,  dans  Tidiôme  scythe , 
pour  signifier  seigneur  ;  mais  jamais  le  mot  grec  ni  le  mot  scythe  n*ODt  eu ,  à  la 
fois ,  la  signification  de  seigneur  et  celle  de  bénin.  El  est  vrai  que  dans  la  poésie 
norraine  le  seigneur  est  appelé  souvent  mildingr  (libéral ,  gracieux)  ;  mais  cette 
épithète  n'exprime  Jamais  la  mansuétude  du  seigneur  ;  elle  exprime  sa  libéralité, 
qualité  qui  est  indépendante  du  caractère  bénin.  Le  mot  germanique  frau  (mat- 
tresse,  dame),  également,  implique  toujours  Tidée  de  respect,  et  de  déférence  due 
à  la  position  sociale  de  la  dame,  et  nullement  l'idée  é'amour  ni  d'affection  s'a- 
dressant  au  sexe  de  la  dame.  (V.  Dânte  et  sa  Comédie  ^  p.  6-7).  Aussi  ne  doit-on 
pas  dériver  le  mot  frau  de  frion  (aimer),  ni  le  croire  étymologiquement  synonyme 
de  gracieuse ,  aimable.  Si ,  par  suite  de  l'esprit  du  christianisme  et  de  la  chevalerie 
chrétienne,  la  Dame,  au  moyen-âge,  a  souvent  pris  le  caractère  de  la  femme 
gracieuse  et  bienveillante ,  ce  n'est  pas  là  une  raison  pour  qu'on  doive  confondre 
les  idées  et  les  mœurs  sentimentales  des  peuples  chrétiens  du  moyen-Age  avec 
les  mœurs  et  les  idées  quelque  peu  despotiques  des  peuples  payens  de  l'antiquité. 
Si  ensuite  Jacob  Grimm ,  pour  appuyer  l'opinion  que  le  mol  frau  (dame)  vient  de 
frion  (aimer),  ajoute  que  le  nom  de  la  déesse  Scandinave  Freyia  (Dame)  semble 
dériver  de  la  même  racine  que  le  nom  de  la  déesse  Frigg,  qu'il  fait  dériver  également 
de  frion ,  il  commet  une  double  erreur.  Le  nom  de  Frigg  n'a  étymologiquement 
rien  de  commun  avec  celui  de  Freyia;  car  il  dérive  d'un  ancien  mot  germanique 
Frigg  qui  correspond  au  sanscrit  pardjj ,  lequel  signifie  pluie.  Frigg ,  la  person- 
nification de  la  pluie  fécondante  ,  était ,  en  effet ,  la  déesse  qui ,  dans  Torigine , 
présidait  à  U  fécondation  et  à  la  fécondité  de  la  terre.  (V.  La  Fascination  de  Gulfi  , 
p.  252).  Ensuite  le  nom  norrain  Freyia  correspond  bien  au  nom  germanique  frau , 
mais  il  n'a,  par  son  origine  ,  nul  rapport  avec  Frigg  ou  Fri,  Ce  qui  a  fait  croire 
que  Freyia  éiait  étymologiquement  identique  avec  Frigg  y  c'est  que  Freyia,  comme 
amante  d'Odinn ,  et  comme  déesse  de  la  fécondité  et  de  l'amour ,  a  été  quelque- 
fois substituée,  dans  la  m)thoiogie  du  Nord,  à  Frigg ,  la  déesse  de  la  pluie 
fécondante  et  l'épouse  d'Odinn.  (Voy.  La  Fascination  de  Gulfi ,  p.  993). 


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246  RKVUE  D' ALSACE. 

jectif  ou  un  substanlif  délermiDatir,  comme  ,  par  exemple ,  dans  :  daz 
frônô  kapei  (la  prière  dominicale) ,  ou  dans  frânleichnum  (corps  sei- 
gneurial). 

Dans  l'antiquité  l'idée  de  seigneur  impliquait,  non  seulement  celle  de 
puissance  et  d'autorité ,  mais  encore  l'idée  de  splendeur  et  de  majesté. 
Aussi  l'adjectif  frôtiô  prit-il ,  comme  plus  tard  l'adjectif  allemand  herr- 
lich  (seigneurial),  la  signification  de  splendide,  de  brillant.  Dans  l'idiome 
norrain,  frdna  y  qui  semble  correspondre  à  l'allemand  fr&nô  y  avait  aussi 
la  signification  de  brillant.  L'adjectif  dérivé  de  frav  fut  également 
employé  comme  substantif:  ainsi,  en  frison ,  l'adjectif /rdnd  (lat.  domi- 
nicus)  désignait  le  président  du  tribunal ,  qui  rendait  la  justice  en  sa 
qualité  de  seigneur,  ou  qui  jugeait  au  nom  de  son  seigneur  féodal 
(cf.  lat.  missm  dominicus).  L'adjectif  féminin  frône  (seigneurial)  était 
usité ,  jusque  dans  l'allemand  moderne ,  comme  substantif  désignant  la 
corvée ,  ou  le  travail  dû  au  seigneur  ;  et  de  ce  substantif  on  a  dérivé  le 
verbe  frcenen  (servir  en  esclave),  comme ,  dans  le  droit  serbe ,  depronia 
(domaine  seigneurial)  on  a  dérivé  le  verbe  proniar&vit. 

Le  nom  propre  de  Franc  ne  se  conserva  en  France ,  comme  nom 
ethnique ,  que  chez  les  Franks  qui  continuaient  à  parler  leur  idiome 
germanique  Chez  les  autres  Francs,  qui  avaient  adopté  la  langue  romane, 
ce  nom  ne  fut  usité ,  dès  lé  huitième  siècle ,  que  comme  un  nom 
archaïque  y  surtout  comme  traduction  littérale  du  latin  franchis.  Ainsi , 
en  vieux-français ,  la  France  fut  appelée  pays  francor  (lat.  pagtês 
Francorum) ,  puisque  en  latin  on  disait  Terra  Francorum  (pays  des 
Francs  ) ,  et ,  en  langue  franke  germanique ,  Framùnô  tant  (pays  des 
Franks).  C'est  encore  à  un  archaïsme  ou  à  une  origine  latine  qu'il  faut 
rapporter  te  nom  de  /ranc  employé ,  dès  le  quatorzième  siècle  et  encore 
aujourd'hui,  pour  désigner  une  pièce  d'argent  française.  €  En  1360, 
«  dit  M.  Littré  {Dict.  s.  v,  franc; ,  le  roi  Jean  fit  frapper  une  monnaie 
«  représentant  le  roi  à  cheval  et  armé  de  toutes  pièces  ;  elle  fut  nommée 
«  franc  à  cheval ,  à  cause  de  la  devise  latine  :  Francorum  rex  qui  y  était. 
tt  II  y  avait  aussi  des  monnaies  appelées  francs  à  pied  représentant  le 
«  roi  armé  de  toutes  pièces ,  mais  à  pied.  » 

L'ancien  nom  ethnique  de  franc  n'éiant  plus  usité ,  dès  le  huitième 
siècle ,  dans  la  France  romane ,  que  comme  latinisme ,  ou  comme  nom 
archaïque  désignant  les  ancêtres  des  Français ,  ces  descendants  des  an- 
ciens Francs  se  donnèrent  à  eux-mêmes ,  dans  l'origine,  le  n'om  ethnique 
de  francisCy  qui  n'était  autre  que  l'adjectif  allemand /'rân&tôcA  (francique). 


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ORIGINE  ET  SIGNIFICATION  DU  NOM  DE  FRANC.  247 

En  effet,  dans  les  idiomes  germaniques ,  ies  qualiflcatifs  exprimant  un 
rapport  d'origine  ou  de  dérivation  se  forment  en  ajoutant  au  terme 
qualifié  la  terminiison  adjective  i$c  *.  C'est  ainsi  que  les  Franks ,  par- 
lant encore  l'allemand,  appelaient  leur  langue  frankùcà  (la  frarxisque). 
Aussi  les  Français ,  ou  les  descendants  des  Francs  romanisés ,  par  cela 
même  qu'ils  se  considéraient  comme  issus  des  anciens  Francs ,  se  don- 
naient-ils également  le  nom  d'origine  germanique  de  Francise  (Fran- 
cisques) ,  qui  s'écrivait  et  se  prononçait  au  onzième  siècle  Franceis 
(Francéîs) ,  plus  tard  encore  François  (Françoefs) ,  et ,  enfin ,  François 
(Françoas).  Comme,  en  France,  le  nom  latinisé  Francia  se  prononçait 
Fransiay  et  en  Italie  Fran(cAta,  le  nom  germanique  frànkisch  se  pro- 
nonça également  franséis  ou  frânsoxs  par  les  Français ,  et  Frwntchesco 
par  les  Italiens.  Les  Allemands,  imitant,  au  moyen-âge,  la  pronon- 
ciation française ,  disaient  Franze  pour  France,  et  franzois  ou  franzésch 
pour  françois.  (Voy.  Tituret).  Bernardone,  le  père  de  Saint  François 
d'Assise  »  ayan  t  séjourné  longtemps  en  France ,  eut ,  lui  d'abord ,  et , 
après  lui ,  son  fils ,  le  nom  de  FrancescOt  qui  ne  signifiait  autre  chose  que 
franceis  (français),  qu'on  prononçait ,  à  cette  époque,  fransoa ,  comme 
on  prononce  encore  aujourd'hui  le  nom  de  baptême  usité,  depuis,  en 
mémoire  de  Saint  François  d'Assise.  Cette  prononciation  du  nom  ethnique 
des  Français,  identique  à  celle  du  nom  de  baptême  François,  se  maintint 
en  France  jusqu'au  dix-septième  siècle.  A  cette  époque  la  diphtbongue 
ùi  (pron.  oa)  commença  à  être  remplacée ,  dans  beaucoup  de  mots  , 
par  ai  (pron.  é).  Cependant,  bien  que  l'usage  s'établit  de  prononcer 
Français ,  Anglais ,  au  lieu  de  François ,  Anglots ,  on  n'en  continua  pas 
moins ,  comme  on  le  fait  encore  aujourd'hui ,  à  prononcer  Danois , 
Suédois ,  Gallois ,  etc. ,  au  lieu  de  Danais ,  Suédats ,  Gallais ,  etc. 

Les  Italiens ,  imitant  h  nouvelle  prononciation  du  nom  de  Franpais 
(Francés),  changèrent  leur  ancienne  forme  organique  de  Franceschi 
(François)  en  Francesi  (Français).  De  cette  manière  ils  ont  confondu 
la  terminaison  «esco  {-eschi) ,  dérivée  de  l'allemand  isc  ou  isch ,  avec  la 
terminaison  ese  dérivée  du  latin  -ensis  ;  et  ils  prononcent  par  conséquent 
des  mots ,  comme  par  exemple  ,  arnese  (harnais) ,  francese  (français)  , 
venant  de  l'allemand  harnisc ,  francise  ^  avec  la  même  terminaison 
qu'on  trouve  dans  forese  (étranger)  qui  vient  du  latin  forensis. 

Les  Allemands  conservèrent,  au  moyen-âge ,  la  prononciation  régu- 
li  ère  de  franzois  (françois) ,  qui ,  dans  les  temps  plus  modernes ,  s'est 

'  Voy.  les  Gttei,  p.  61 ,  note  1. 


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248  REVUE   D* ALSACE. 

changée  par  contractioa  en  franzôn.  Mais  de  même  qu  en  français  cer- 
tains noms  propres,  comme  par  exemple  le  nom  de  Carlovingien ,  ren- 
ferment deux  fois  une  terminaison  exprimant  la  dérivation ,  d'abord  la 
terminaison  germanique  -ingy  et  ensuite  encore  la  terminaison  latine 
'ianus  (cf.  PrussianuSy  habitant  de  la  Prusse),  de  même  Tadjectif  alle- 
mand franzôsisch  dérivé  de  franzôs  renferme ,  d'après  la  juste  remarque 
de  Jacob  Grimm  (v.  Wôrterbuch  s.  v.  franzôsisch),  deux  fois  la  même 
terminaison  isc  exprimant  la  dérivation^  d'abord  la  terminaison  isc 
cachée  sous  la  forme  modifiée  de  os ,  ôs ,  et  ensuite  encore  la  même 
terminaison  isc  sous  la  forme  moderne  de  isch  ^  de  sorte  que  l'adjectif 
allemand  franzôsisch  équivaut  proprement  à  la  forme  inorganique  et 
barbare  de  franzischisch.  • 

Les  noms  allemands  de  Franzôs  et  de  franzôsisch  étant ,  par  suite 
de  leur  composition  et  de  leur  prononciation ,  peu  propres  à  figurer 
dans  le  vers ,  les  poètes  allemands  contemporains ,  suivant  l'exemple 
des  poètes  français,  surtout  depuis  la  révolution,  leur  ont  généralement 
substitué  les  noms  archaïques  de  Franke  (Franc)  et  de  frânkisch  (fran- 
cique) *.  Comme  depuis  1789,  la  poésie  affectionne  tout  ce  qui  rappelle 
l'idée  de  liberté ,  les  poètes  ,  tant  en  France  qu'en  Allemagne ,  ont  pré- 
féré, à  Français  et  à  Franzôsen,  les  noms  archaïques  A^Franks  et  de 
Franken ,  et  cela  principalement  parce  que  ce  nom  ethnique  de  Francs 
leur  semblait  avoir  la  signification  d'hommes  libres.  Us  ignoraient ,  ce 
que  nous  venons  de  démontrer  dans  cet  opuscule ,  que  le  nom  de  Frank 
signifiait  d'abord  issu  du  dieu  Frav,  ensuite  fils  de  seigneur,  et,  en  dernier 
lieu  seulement,  libre  et  noble ,  au  point  de  vue  politique  et  social ,  sans 
cependant  jamais  avoir  été ,  dans  ce  sens ,  un  nom  de  peuple  ou  de 
nation. 

K.  G.  Bergmann. 


*  Si  des  poêles  de  nos  jours  emploient  avec  prédilection  les  noms  archaïques 
pour  désigner  des  peuples  modernes  (exemple  :  Get mains  pour  Allemands  ;  cf.  La 
Fascination ,  p.  25) ,  plusieurs  poètes  du  moyen-âge  ont  suivi ,  quelquefois  »  le 
système  inverse ,  on  employant  les  noms  ethniques  et  géographiques  de  leur 
temps  pour  désigner  les  pays  et  le$  peuples  de  l'antiquité.  C'est  ainsi ,  par 
exemple ,  que  Danle  a  désigné  comme  lombard  le  poète  Virgile ,  né  à  Mantoue  , 
bourg  qui  déjà  du  temps  du  Florentin  faisait  partie  de  la  Lombardie  {[nfemo ,  i , 
68)  ;  il  désigne  également,  par  le  nom  û' Arabes  ,  les  Carthaginois  ,  parce  que 
ceux-ci  habitaient  autrefois  le  pays ,  qui ,  de  son  temps ,  était  occupé  par  des 
Arabes.  [Parad.  6,49j. 


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HISTOIRE  DK  LA  VILLE  DE  SOULTZ. 


—  Suite  *. 


CHAPITRE  IV. 


L'histoire  de  TAIsace ,  à  ce  qui  nons  semble ,  ne  peut  être  écrite 
qu'après  la  publication  des  histoires  locales.  Au  moyen-âge  la  vie  était 
individuelle  pour  chaque  localité,  pour  le  Haut-Hundat ,  pour  les  pays 
antérieurs  de  FAulriche  ,  pour  les  villes  libres ,  pour  les  comtés  et  les 
baronies. 

De  temps  en  temps  un  ouragan  de  malheurs  forçait  les  localités  de 
se  prêter  assistance ,  de  vivre  d'une  vie  commune  et  alors  les  événe- 
ments locaux  étaient  refoulés  dans  l'ombre  ;  telles  l'invasion  des  rou- 
tiers, la  peste  de  1340  et  la  guerre  des  Suédois. 

Certes ,  et  nous  ne  le  savons  que  trop  ^  une  humble  histoire  locale 
ne  présente  que  peu  d'attrait  ;  mais  pour  l'homme  sérieux ,  cette  mono- 
graphie a  sa  valeur  ;  c'est  un  facteur  à  ajouter  au  tableau  général  ;  c'est 
une  unité  à  classer  dans  le  grand  casier  historique  de  notre  province. 
Que  chacun  fasse  l'inventaire  de  la  contrée  qu'il  habile ,  et  qu'ensuite 
une  plume  habile  coordonne  le  tout ,  en  tire  la  quintescence  et  nous 
donne  une  histoire  complète  de  notre  province. 

Il  y  a  deux  choses  surtout  à  distinguer  dans  l'histoire  d'une  ville  ,  et 
de  là ,  à  classer  en  deux  sections  ;  d'un  côté  on  peut  donner  tous  les 
détails  matériels  sur  les  fortifications  anciennes ,  sur  les  établissements 
civils  et  religieux  ,  et  c'est  là  de  la  pure  archéologie  ;  dans  un  autre 
cadre,  par  contre,  on  peut  noter  tout  ce  qui  concerne  l'organisation 
politique,  les  droits,  les  redevances  et  la  position  des  fonctionnaires 
publics. 

*  Voir  les  liTraîsons  de  novembre  et  décembre  1861  ,  pages  499  et  529 ,  mars 
1862,  page  155,  et  novembre  1863,  page  496. 


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250  REYUE  D* ALSACE. 

Nous  avons  suivi  cette  marche  et  nous  livrons  aujourd%ui  à  la  Reime 
ce  que  nous  avons  pu  trouver  à  cet  égard. 

§  !«'  FORTIFICATIONS  DE  LA  VILLE. 

D'après  Schœpflin  il  y  avait  au  xiu'-  siècle ,  en  Alsace ,  quatorze  villes 
impériales,  soixante  villes  fortes  ,  mille  villages  et  deux  cents  châteaux 
ou  burgs. 

Les  fortiûcations  de  Soultz  dont  nous  voyons  encore  les  restes ,  furent 
élevées  par  Tévéque  Henri  de  Stahleck  vers  l'année  1240  ^ 

La  ville  était  ceinte  de  deux  remparts  et  de  deux  fossés ,  le  tout  flan- 
qué de  sept  tours  massives ,  rondes, ^crénelées. 

Du  côté  de  la  montagne  elle  était  en  outre  défendue  par  une  redoute 
ou  fortin  baslionné ,  à  terre-plein  avec  revêtement  à  talus ,  isolé  du 
corps  de  la  place ,  mais  s'y  rattachant  par  le  rempart  extérieur ,  et  de 
plus  par  le  château  de  Buchneck ,  faisant  office  de  citadelle. 

Les  murailles  avaient  dix  mètres  de  hauteur ,  s'appuyant  sur  une 
galerie  à  terrassement  de  cinq  mètres  ;  elles  étaient  percées  de  meur- 
trières ,  distancées  i  égulièrement  à  sepl  mètres.  Les  fossés  avaient  six 
mètres  de  largeur  et  quatre  de  profondeur  ;  on  les  inondait  facilement 
avec  la  rivière  venant  de  Junghoitz  qui  entre  en  ville  à  l'ouest. 

Les  portes ,  au  nombre  de  quatre,  tétaient  défendues  par  une  herse 
et  un  pont-levis ,  de  plus  ,  surmontées  d'une  tour  à  plusieurs  étages 
percées  de  meurtrières  et  servant  à  inquiéter  l'ennemi  et  à  observer  au 
loin  ses  mouvements. 

Voici  à-peu-près  le  plan  de  ces  fortifications.  A  partir  de  la  pointe 
du  WerkhofT  (l'ancienne  école  des  filles)  le  rempart  intérieur  s'allon- 
geait en  ligne  oblique  de  l'Est  à  l'Ouest  jusqu'à  la  porte  des  champs 
(Feldthor)  ;  de  là  il  allait  à  la  tour  verte  qui  commandait  par  ses  meur- 
trières l'approche  de  la  porte  des  champs  ;  de  ce  point  les  remparts  se 
dirigeaient  parallèlement  vers  la  tour  des  sorciers  ;  de  là  inclinant  vers 
le  Sud ,  ils  présentaient  un  angle  aigu  du  côlc  de  la  campagne  (ou 
Schûtzenrain) ,  arrivaient  à  la  porte  haute  (porte  de  Wuenheim)  d'où , 
allant  du  Midi  au  Nord  ,  ils  touchaient  la  grande  tour ,  la  tour  du  fossé 

'  Massevaux  fut  foniflée  en  1213;  Dellc  6^-1229  ;  Cuirnar,  Roufl'ach  et  Mul- 
house, en  1232;  Guebwiller  et  Wattwiller ,  en  1260;  Soultz,  Sainte-Croix  et 
Ensisheim.  en  1240,  1270.  Voyez,  pour  l'aspect  de  ces  villes,  la  Tapogruphia 
attatÛB  compléta  t  par  Matheus  Meham.  Francfort,  MDCXLIU  (1643). 


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HISTOIRE  DE  LÉL  VILLE  DE  SOULTZ.  251 

et  enfin  la  tour  hexagonale.  Mais  ici  se  produisait  un  tout  autre  système 
de  défense.  A  partir  de  celte  tour ,  les  remparts  ont  dû  embrasser  le 
château  du  Bucbneck  et  l'espèce  de  fortin  ou  blockhaus  situé  sur  le 
jardin  actuel  du  meunier  Bloch.  Vu  la  proximit  -  des  montagnes ,  l'ingé- 
nieur avait  jugé  ce  côté  d'un  facile  accès  à  l'ennemi  et  il  avait  relié 
très-adroitement  les  remparts  avec  le  fortin  et  le  château.  Ce  fortin 
était  une  redoute  à  terrassement  avec  revêtement  et  plan  incliné.  Il  était 
séparé  de  la  ville  par  le  fossé  interne  et  offrait  un  angle  basiioné  et  une 
tour  hexagonale  dont  on  voit  encore  les  vestiges.  Une  poterne ,  dont  on 
aperçoit  encore  l'empreinte  (1865)  au  bas  d'une  maison  incorporée  dans 
l'enceinte  interne ,  le  mettait  en  communication  avec  la  place. 

  l'entrée  de  la  commanderie  (maison  Hug),  les  doubles  remparts  se 
retrouvent  faisant  face  à  celui  du  faubourg  (qui  était  unique) ;  ils  se 
prolongent  jusqu'à  la  tour  du  moulin  qui  commandait  la  sortie  de  la 
rivière  qui  traverse  la  ville.  Celle-ci  possédait  trois  portes ,  le  faubourg 
de  Guebv^iller  deux  :  les  trois  premières  étaient  la  porte  des  champs 
{Feldthor) ,  du  côté  de  BoUwiller  ;  la  porte  haute  {Oherihor)  y  du  côté 
de  Wuenheim  et  la  porte  de  l'hôpital  (Spitalthor)  menant  dans  le  fau- 
bourg Saint-Jean,  appelé  actuellement  faubourg  de  Guebwiller. 

Une  autre  porte  dont  on  voit  encore  l'encadrement ,  mais  qui  était 
condamnée  depuis  la  révolte  des  paysans  (1525) ,  s'ouvrait  du  côté  de 
l'Est  y  vers  le  chemin  appelé  :  n  Derrière  l'église  »  ;  .c'était  la  porte  des 
prés  {MaUerUhor.) 

Gomme  la  ville  était  entourée  de  deux  remparts ,  chaque  porte  était 
double  et  avait  deux  entrées  que  l'on  désignait  sous  le  nom  c  i'unten 
am  Thor  et  oben  am  Thor.  > 

Les  sept  tours  (sans  compter  celles  des  portes)  flanquaient  :  deux , 
les  remparts  internes  (la  tour  verte  et  celle  des  soràers)  ;  trois ,  les 
remparts  externes  du  côté  de  la  montagne ,  la  grande  tour ,  la  tour  du 
fossé  et  la  tour  hexagonale  ^  et  deux,  les  remparts  du  faubourg,  la  tour 
du  moulin  et  la  tour  du  château  de  M.  de  Heeckeren. 

L'entretien  et  les  réparations  tant  des  fortifications  que  des  édifices 
publics  étaient  confiés  à  un  membre  du  conseil  revêtu  de  la  chaire  d'édile 
(Baumeister)  ;  l'inspecteur  diynatériel  de  guerre  se  nommait  Bûchsen- 
meister. 

La  garde  de  la  ville  était  confiée  en  temps  ordinaire  à  deux  sergents 
de  ville  (  Weibel)  tenus  de  faire  la  police ,  et  la  nuit  à  quatre  gardes  qui 


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25S  REVDE  D* ALSACE. 

circulaient  dans  les  rues  el  qui  criaient  les  heures  aussitôt  que  le 
couvre-feu  avait  sonné. 

Le  gardien  de  la  tour  Saint-Maurice  (Thurmwàchter)  faisait  de  fré- 
quentes rondes  autant  pour  signaler  les  incendies  que  pour  annoncer 
rapproche  de  Tennemi ,  ce  qui  était  chose  commune  au  temps  bien- 
heureux du  moyen-âge ,  où  la  guerre  était  l'état  permanent  de  la  société. 

Le  commandement  militaire  était  exercé  soit  par  le  bailli ,  soit  par 
le  prévôt ,  soit  par  les  familles  nobles  qui  habitaient  le  château ,  les 
comtes  de  Yaudemont  en  1151 ,  Ulrich  de  Ferrette  en  1251 ,  Guillaume 
de  Soultz  en  1354 ,  les  Pfaffenheim  en  1289 ,  etc. 

Le  renouvellement  de  certains  statuts  et  ordonnances  décrétés  en 
1588,  nous  apprend  quelles  étaient  les  mesures  prescrites  dans  les 
éventualités  de  guerre. 

1.  Au  son  du  tocsin;  quiconque  se  trouvait  dans  la  banlieue  devait 
se  hâter  de  regagner  la  ville  et  devait  y  ramener  chevaux ,  bestiaux  et 
voitures. 

2.  Les  meuniers  exlra-muros  devaient  ouvrir  les  écluses  et  vannes 
afin  d'augmenter  le  volume  d'eau  des  fossés. 

3.  Chaque  bourgeois  devait  s'armer  et  se  présenter  devant  l'hôtel-de- 
ville ,  ceux  préposés  à  la  garde  des  portes  devaient  s'y  rendre  instanta- 
nément (il  y  avait  trois  hommes  par  tour  et  six  pour  chaque  porte). 

4.  D'un  autre  côté  les  artilleurs  se  rendait  à  leurs  pièces  {Die  Leule 
vom  groben  Geschutz). 

5.  La  grande  cloche  de  Saint-Maurice ,  tintant  seule ,  annonçait  que 
l'ennemi  était  en  vue  ;  si  par  contre  une  autre  commençait  le  carillon  , 
l'incendie  était  en  ville  ;  les  pompiers  alors  savaient  ce  qu'ils  avaient 
â  faire. 

LA  BURG  (burgi)  ou  château  du  buchneck. 

Ce  castel  (castellum  Sulze  ) ,  aujourd'hui  la  fabrique  Gusmaul- 
Horandt ,  sortait  sa  masse  imposante  du  sein  d'un  étang  carré ,  lai^e 
et  profond  ;  il  fut  détruit  lors  de  la  guerre  de  trente  ans  et  en  i  719 
l'évêque  de  Strasbourg ,  comme  seigneur  et  maître  du  Haut-Mundat , 
ordonna  de  faire  enlever  par  corvées  leS  décombres  du  vieux  château  , 
en  place  duquel  il  en  bâtit  un  nouveau.  (Inventaire  de  Grandidier , 
Ch.  8 ,  partie  2 ,  page  19). 


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HISXOmE  DE  LA  VILLE  DE  SOULTZ.  253 

CITATIONS  HISTORIQUES. 

Ce  château  date  du  douzième  siècle.  En  ii18  Heilwi^çe»  comtesse 
d*Egisheim  et  épouse  de  Gérard ,  comte  de  Vaudemont ,  fut  investi , 
conjointement  avec  les  deux  comtes,  Hugues  et  Ulric,  ses  fils,  par 
CuDon ,  évéque  de  Strasbourg ,  du  fief  épiscopal  situé  à  Soultz.  Hano» 
rata  e*i  benefidis  de  curie  episcopali  »  videlicet  quœ  sita  e*t  in  viUa  juxta 
Vosagum.  (Méglin^  Notice  sur  Soultz  ,  p.  11). 

En  1251 ,  Ulric  I,  comte  de  Ferrette^  signa  les  lettres  reversâtes 
des  fiefs  de  l'église  de  Strasbourg  qu'il  avait  reçues.  Apud  munitiotiem 
Sulze.  (Schœpflin,  T.  rv  ,  p.  207). 

Trois  ans  après ,  Guillaume ,  franc-homme  de  Soultz ,  miles  diclus 
de  SouUz ,  offrit  en  fief  à  l'évêque  Henri  de  Stahleck  sa  forteresse  sise 
dans  la  ville  de  SouKz  ^ 

D'après  l'auteur  des  annales  de  Golmar  ^f  le  petit  château  de  Soultz , 
coêtellum  Sultze,  eut  beaucoup  à  souffrir  en  1281  du  ravage  des  eaux  ^. 

Les  nobles  dits  de  Soultz  évidemment  apparurent  au  13"  siècle  ; 
d'après  Schœpflin  ils  se  sont  éteints  en  1648  dans  la  personne  de  Nicolas 
Jacob.  Nous  reviendrons  sur  cette  question  a  l'article  c  Biographie  des 
célébrités  soultziennes.  » 

Materne  Berler ,  le  chroniqueur  de  Rouffach  (Code  diplomatique  et 
historique  de  Strasbourg)  pensait  que  Soultz  n'est  devenue  une  ville 
qu'après  la  destruction  d'Alschwiller  en  1375.  Berler  s'est  trompé 
comme  nous  l'avons  démontré  dans  la  Revue  d'Alsace. 

La  lettre  de  l'évêque  Jean  de  Dirpheim  ^  (1328)  au  magistrat  de 
Soultz ,  le  prouve  évidemment;  à  cette  époque  le  fauboui^  de  Saint^Jean 


*  En  1254  Guillaume  de  Soultz  donne  une  lettre  reversale  à  l'évêque  Henri  par 
laquelle  il  se  reconnaît  vassal  et  homme-lige  de  Tévôché  ;  par  contre  Tévèque  déclare 
que  le  dit  sieur  de  Soultz  percevra  annuellement  la  rente  de  douze  livres  deniers  à 
Sunthoffen  et  le  péage  de  la  ville  de  Soultz ,  et  ce  jusqu'à  la  concurrence  de  trente 
marcs  d'argent.  —  ([nventaire  de  Grandidier ,  p.  15,  Bailliage  de  Soultz). 

'  SCHOEPFUN  ,  tom.  lY  ,  p.  208. 

'  Cette  lettre ,  je  la  possède  ;  elle  fait  partie  du  cartulaire  de  la  commanderie 
des  chevaliers  de  Halle  de  Soultz  ,  elle  sera  reproduite  dans  le  paragraphe  qui 
concerne  cette  commanderie. 

Le  ebftteau  de  Soultz  fut  occupé  par  les  Ferrette  (1251)  puis  par  les  de  Soultz 
(1254).  Les  Pfaffenheim  qui  vinrent  Voccuper  après ,  et  firent  abandon  définitif  à 
l'évêque  Conrad  III  avec  le  consentement  des  bourgeois  de  Soultz  ,  Tacte  est  daté 
du  jour  de  Sainte  Cécile  de  l'année  1289.  (Méglin  ,  p.  1^  et  18).  Ils  étaient  trois 
frères  :  Jean ,  Henri  et  Pierre  ;  à  partir  de  cette  époque  il  ne  fut  plus  donné  en  flef. 


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t54  BEVUE  d'alsacb. 

avec  la  commanderie  furent  englobés  dans  les  fortifications  de  la  ville  \ 
celles-ci  étaient  donc  antérieures  à  1328  et  remontent  au  treizième 
siècle.  Chose  curieuse ,  la  superficie  de  la  ville  n'a  guère  augnnenté 
depuis  cette  époque  et  le  Soultz  actuel  est  encore  le  Soultz  du  moyen-l^e. 

§  II.  ÉDIFICES  CIVILS.  —  HÔTEL-DE-VILLE  (acluel). 

L*hôtel-de'Ville  n'a  jamais  eu  d  autre  emplacement.  Avant  qu'il  fut 
restauré ,  on  voyait  dans  la  grande  salle  où  jadis  s'assemblait  le  ma- 
gistrat ,  le  buste  de  plusieurs  empereurs  d'Allemagne  sculpté  sur  les 
panneaux  lambrissés  de  ses  murailles  toutes  revêtues  de  boiseries.  En 
1821  il  fut  rebâti  à  neuf;  un  maçon  fut  à  celte  circonstance  écrasé  par 
une  pierre. 

Cet  édifice  a  une  assez  jolie  façade  à  deux  rangs  de  croisées ,  orné 
d  un  balcon  aux  armes  de  la  ville  sustendue  par  deux  colonnes. 

L'horloge  porte  la  sentencieuse  épigraphe  :  Imminet  una  tibi  i  et  a 
un  belvédère  surmonté  d'un  ange  en  girouette.  L'hôtel-de-viile  ren- 
ferme :  la  salle  d'audience  du  juge  de  paix ,  avec  deux  cabinets  de  côté, 
le  secrétariat  de  la  mairie ,  la  salle  du  conseil  municipal ,  le  corps*de- 
garde ,  la  prison ,  le  cabinet  du  commissaire  de  police ,  le  logement  de 
l'appariteur ,  la  grande  salle  des  séances  publiques  et  oflicielles ,  le 
magasin  des  pompes ,  les  balances  publiques,  et  une  vasie  salle  servant 
de  dépôt  aux  armes  de  la  garde  nationale  ;  on  y  remarque  d'énormes 
armoires  à  rayons  nombreux  mais  veuves  aiiyourd'hui  de  tout  objet. 
C'est  là  que  naguère  étaient  classées  les  archives  de  la  ville ,  les  pré- 
cieuses reliques  qu'une  administration  peu  soucieuse  a  laissé  dilapider. 
Jadis  les  fenêtres  étaient  en  ogives  et  sur  les  vitres  peintes  se  voyaient 
les  noms^des  plus  anciennes  familles  de  Soultz. 

l'arsenal. 

L'ancienne  halle-aux-blés ,  démolie  en  1860,  était  le  magasin  d'armes 
des  habitants  de  la  ville  de  Soultz.  La  structure  ,  la  division  intérieure 
et  la  position  de  ce  bâtiment  ne  laissent  aucun  doute  à  cet  égard.  Les 
étages  supérieurs  ont  subi  bien  des  transformations,  depuis  la  perte  de 
leur  destination  primitive.  Ce  bâtiment  était  vide  et  sans  usage  à  la  fin 
du  siècle  dernier  ;  en  1804  on  en  fît  une  salle  de  spectacle  ;  en  1814  , 
lors  de  l'invasion  des  alliés ,  il  devint  caserne  jusqu'en  1818.  En  1819 
on  y  établit  les  écoles  primaires.  En  1830  les  salles  furent  agrandies. 

*  Une  de  ces  minutes  eit  la  tienne. 


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HISTOIRE  LE  LA  TILLE  DE  SOULTZ.  255 

Celle  de  droite  senrit  à  l*école  mutuelle ,  celle  de  gauche  fut  consacrée 
aux  exercices  des  gardes  nationaux ,  aux  bals  ]  et  aux  représentations 
théâtrales;  les  salles  des  mansardes  furent  destinées ^  les  unes  aux 
répétitions  musicales ,  les  autres  à  recevoir  du  bois  de  chauffage,  les 
planches  et  les  madriers  de  la  ville  ;  en  1 835  on  y  opéra  de  nouveaux 
changements  ;  depuis  cette  époque  le  marché  aux  grains  se  tient  dans 
rétage  inférieur ,  les  salles  du  premier  forment  Técole  des  garçons 
desservie  par  les  frères  de  la  Société  de  Marie.  En  1860  une  nouvelle 
halle  magnifique ,  trop  belle  peut-être ,  remplaça  l'ancienne;  c'est  là 
un  véritable  monument  public 

LA  HALLE-AUX-BLÉS  DU  XV^'  SIÈCLE. 

Aujourd'hui  la  maison  Schmidlin ,  assise  entre  la  brasserie  Wacker , 
le  logis  des  frères  et  la  maison  Schlichthœmlé ,  on  y  communiquait  du 
côté  de  la  place  ,  de  la  rue  Saint-Sébastien  et  de  l'église.  Depuis  très- 
longtemps  la  halle  a  été  établie  dans  le  local  actuel  ;  il  s'y  tient  le  marché 
aux  grains  le  plus  important  du  Haut-Rhin  après  ceux  de  Colmar ,  de 
Mulhouse  et  de  Thann.  Ce  marché  périclite  beaucoup  depuis  que  les 
marchands  vont  acheter  sur  les  greniers  des  villages. 

l'hôpital.  (Maison  Frey,  teinturier.) 

L'ancien  hôpital  de  la  ville  était  situé  à  l'entrée  du  faubourg  S^Jean , 
entre  la  rue  des  Tanneurs ,  l'abattoir  et  l'église  Saint-Sébastien.  C'est 
présentement  la  maison  Frey.  Cet  établissement  touchait  à  Tune  des 
portes  de  la  ville  à  laquelle  il  avait  donné  son  nom  {SpilaUkor)  ;  il  fut 
supprimé  en  1821. 

Un  titre  j  daté  du  jour  de  la  Saint-Ehrhardt  de  l'année  1516 ,  nous 
apprend  quelle  était  son  organisation.  Le  magistrat  traitait  avec  un 
bourgeois  de  la  ville,  qui  prenait  alors  le  titre  de  Spitalmeister  ;  il  était 
investi  pour  neuf  années  consécutives  de  tous  les  biens ,  maisons ,  prés 
et  champs  qui  en  dépendaient.  Par  contre  il  s'engageait  à  faire  soigner 
les  malades ,  à  tenir  en  bon  état  les  bâtiments  et  le  mobilier  de  l'éta- 
blissement ,  les  poêles ,  les  vitres ,  etc.,  et  à  faire  une  certaine  distri- 
bution de  bois  de  chauffage  aux  nécessiteux ,  et  à  avoir  toujours  une 
salle  montée  en  lits  destinés  aux  ouvriers  et  artisans  malades  ;  ce  même 
Spitaîmeister,  qui  jouissait  aussi  de  tous  les  revenus  de  l'hôpital ,  devait 
fournir  à  ce  dernier ,  annuellement ,  douze  sacs  de  froment^  et  neuf 
d'avoine.  En  cas  de  guerre ,  il  mettait  à  la  disposition  de  la  ville  une 


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356  REVUE  D'ALSACE. 

voiture  à  quatre  roues  attelée  d'un  bon  cheval  ;  il  devait  aussi  chercher 
à  un  mille  de  distance  les  gens  du  bailli  de  Rouffach  si  la  fantaisie  pre- 
nait à  celui-ci  de  vouloir  jenir  chasser  près  de  Soultz.  En  outre , 
moyennant  une  indemnité  d'une  livre  stabler  (26  sols  tournois),  il  devait 
faire  ouvrir  et  fermer^  aux  heures  indiquées  par  le  prévôt,  la  porte  de  la 
ville  adjacente  à  l'hôpital.  Ce  bail  était  chaque  fois  passé  le  jour  de  la 
Purification  de  la  Vierge. 

L'hôpital,  outre  l'entrepreneur  dont  nous  venons  de  parler,  avait  un 
gérant  nommé  par  le  magistral  et  appelé  Spitalpfleger. 

En  1821  l'hôpital  fut  transféré  dans  l'ancien  couvent  des  capucins; 
il  est  administré  par  un  conseil  présidé  par  le  maire  et  composé  de  six 
membres  y  compris  l'ordonnateur  et  l'économe ,  et  desservi  par  des 
sœurs  de  Saint-Vincent-de-Paul  ;  il  est  pourvu  d'une  chapelle  et  a  de 
7  à  8000  fr.  de  revenus  ;  en  1847  ses  recettes  se  montaient  à  7214  fr. 

LA  LÉPROSERIE.  GuthrLeuth^Haus ,  hospice  des  lépreux. 

Matadrerie  siluée  jadis  près  de  la  croisière  d*Usenheim  et  de  Gaebwilter , 
au  bord  d*an  petit  étang. 

Au  commencement  du  xyi«  siècle ,  la  plupart  des  villes  de  la  Haute- 
Alsace  avaient  établi  hors  de  leur  enceinte  des  léproseries  pour  y  rece- 
voir les  pauvres  affligés  de  la  lèpre.  Celle  de  Soultz  confinait  au  couvent 
des  capucins  et  était  bâtie  au  bord  d'un  étang  nommé  encore  de  nos 
jours:  GuUh-Leulh'Weyer y  tout  près  de  la  croisière  d*Issenheim. 
Vers  la  fin  du  xvi'^  siècle  elle  était  encore  peuplée,  par  quelques-uns  de 
ces  infortunés  ,  exclus  de  tout  commerce  avec  les  vivants ,  espèce  de 
cadavres  ambulants ,  corps  pourris  ,  rongés  et  à  moitié  décomposés  par 
la  hideuse  lèpre  S  cette  horrible  et  incurable  maladie.  Dès  qu'un  homme 
en  ressentait  les  premiers  symptômes ,  il  était  tenu  d'en  faire  la  décla- 
ration ;  peu  après  il  était  procédé  à  une  cérémonie  religieuse  qui  le 
retranchait  de  ses  semblables  et  qui  le  classait ,  quoiqu'en  vie ,  parmi 
les  morts  ]  immédiatement  après  l'office  célébré  comme  pour  la  commé- 
moration d'un  trépassé ,  il  était  confiné  dans  la  léproserie  d'où  il  ne 
pouvait  sortir  que  muni  d'une  crécelle  qui  avertissait  au  loin  les  passants, 
qui  se  hâtaient  de  se  ranger  de  côté  ou  d'enfiler  un  autre  chemin ,  afin 
d'éviter  jusqu'au  souffle  de  ce  misérable  ,  tant  la  contagion  était  à 

craindr^ 

Charles  Knoll. 

'  Maladie  de  la  peau  formulée  par  des  chancres  à  forme  circulaire. 


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LES  CONFRÉRIES  DE  MÉTIERS. 


-  Suite  el  fin. 


Qaanl  aux  jurandes  françaises,  leur  triple  caractère  est  facile  à 
reconnaître.  L'institution  est  à  la  fois  industrielle  ^  politique  et  reli- 
gieuse. 

Elle  est  industrielle  dans  le  statut  de  chaque  métier,  véritable  code  de 
travail  positif  et  clair^  comme  la  charte  de  la  commune  ^  et  dans  le 
monopole  qui  en  est  la  conséquence;  elle  est  poltït^u^  dans  son  alliance 
avec  le  système  communal  de  la  fin  du  moyen  -  âge ,  et  avec  la  fiscalité 
monarchique  qui  la  réglementa  à  son  tour.  Elle  est  religieuse  dans  les 
règlements  de  la  confrérie ,  dont  l'esprit  tout  chrétien  rappelle  les 
anciennes  associations  germaniques. 

Avec  ces  caractères  qui  distinguent  les  jurandes  françaises,  comment 
pourrait-*on  encore  les  confondre  avec  les  Ck)lléges  d'ouvriers  de  Tempire 
romain  ? 

Reprenons  ces  3  points  : 

Avant  que  Philippe  -  Auguste  et  surtout  Saint  Louis  eussent  organisé 
les  métiers  de  Paris  et  de  la  France ,  un  ordre  admirable  régnait  déjà 
dans  ces  différents  corps.  Lorsque  le  prévôt  des  marchands  sous 
Saint  Louis ,  Etienne  Boileau  ,  appela  les  corporations  de  son  ressort  à 
venir  déclarer  leurs  statuts ,  c'était  principalement  pour  constater  offi-* 
tellement  et  régulariser  l'existence  de  ces  corps  restés  jusqu'alors 

'  Vuir  la  livraison  d'avril,  page  188. 

3'  Série.  -  AT  Ann^ê.  1  7 


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258  RRYUE  D'ALSACE. 

indépendants;  il  n'en  fit  à  proprement  dire  que  le  recolemeat <. 
Chaque  métier  possédait  déjà  son  organisation  complète  ;  des  règle- 
ments nets  et  précis  »  rédigés  par  les  prud'hommes  ou  anciens ,  déter- 
minaient les  rapports  hiérarchiques  et  les  devoirs  de  tous  les  membres 
de  la  corporation,  apprentis,  compagnons,  maîtres,  gardes-jurés,  ainsi 
que  les  conditions  de  capacité  des  aspirants  à  la  maîtrise  ,  la  nature  et 
la  forme  du  chef-d'œuvre  qu^il  fallait  faire  pour  l'obtenir.  Tout  y  a  été 
fixé  invariablement,  le  mode  d'élection  des  syndics,  jurés,  prud'hommes, 
gardes  du  métier,  visiteurs,  etc.,  dont  la  réunion  constituait  le  syndicat 
ou  la  jurande ,  les  tournées  d'inspection ,  les  sommes  à  percevoir,  les 
amendes  à  infliger,  la  ligne  de  démarcation  &  observer  entre  les  diverses 
professions  et  surtout  entre  celles  qui  se  touchent  le  plus  près,  et  jus- 
qu'aux heures  de  travail ,  enfin  la  police  intérieure  de  chaque  profes- 
sion et  bien  d'autres  choses  encore  qu'il  serait  oiseux  d'énumérer  ici. 
Il  est  surtout  un  point  qui  fixe  l'attention  dans  chaque  métier,  c'est  le 
monopole  ou  la  conservation  de  chaque  industrie  dans  la  famille  de 
celui  qui  l'exerce  ;  aussi  les  fils  de  maîtres  y  sont  -  ils  toujours  admis 
de  préférence  à  d'autres ,  et  même  avec  dispense  de  tout  examen  ou 
chef-d'œuvre.  Hais  ce  qu'il  y  avait  de  plus  déplorable  encore,  et  qui  con- 
tribua puissamment  à  la  ruine  des  jurandes,  c'était  la  défense  expresse 
de  rien  changer  à  la  nature  et  à  la  forme  des  objets  manufacturés. 
Immobilité  iatale ,  qui  comprimait  à  jamais  tout  essor  industriel , 
arrêtait  par  conséquent  tout  progrès  et  interdisait  toute  invention 
nouvelle  ! 

De  cette  organisation  légale  résultèrent  diverses  transformations 
politiques  ;  d'une  part,  la  facilité ,  pour  les  jurandes,  de  s'associer  aux 
mouvements  populaires  des  communes  ;  de  l'autre ,  pour  la  royauté , 
le  moyen  de  les  soumettre  à  la  fiscalité ,  soit  à  titre  d'ancien  droit 
féodal,  soit  sous  prétexte  de  protection. 

Ainsi,  d'un  côté,  les  hommes  de  métiers  proclamaient  leur  indépen- 
dance ;  de  l'autre  ^  leurs  professions  s'achetaient  encore  soit  du  roi , 
soit  des  seigneurs  haut-justiciers ,  tel  était  le  droit  de  hanse ,  que  chacun 
payait  m  entrant  dans  une  corporation  industrielle.  Quelques  métiers 


*  Voir  Deppihc,  Règlements  sur  les  arts  et  métiers ,  rédigés  au  13«  siècle ,  et 
connus  sous  le  nom  de  Livre  des  métiers  d'Etienne  Boileau ,  pufbliés  pour  la  première 
fois  eu  entier  avec  notes  et  introduction.  Paris  1887 ,  in-4o.  L'introduction  est  une 
dissertation  importante  sur  l'industrie  de  Paris  au  4  8*  sièole. 


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LES  CONFRÉRIES  DE  MÉTIERS.  259 

restaient  libres  ou  devenaient  francs  ;  d'autres  demeuraient  à  la  nomi- 
nation des  communes ,  et  un  petit  nombre  enfin  ,  les  confréries  de  ma- 
çons, par  exemple  j  se  soumeilaient  à  des  règles  secrètes.  Se  servant 
même  de  signes  cabalistiques  pour  se  reconnaître ,  ils  se  répandirent*, 
aux  i2*  et  13*  siècles,  en  Europe,  formant  une  vaste  franc-maçonnerie, 
pour  construire  des  ponts ,  des  routes ,  des  églises ,  des  tours ,  des 
murailles  et  des  châteaux  \ 

Concluons  donc  que  de  cette  époque  du  13*"  siècle  date  la  véritable 
organisation  administrative  des  jurandes ,  organisation  tellement  forte , 
qu'elle  servit  de  base  aux  édits  de  rénovation  de  Henri  III  et  de  Henri  IV  S 
jusqu'en  4776,  époque  où  ces  associations,  supprimées  momentané- 
ment ,  ne  reprirent  quelque  vie  que  pour  succomber  définitivement  en 
1791  3.  Après  avoir  accompli  leur  utile  mission,  consistant  dans  la 
résistance  à  la  féodalité  et  dans  l'organisation  des  diverses  industries , 
elles  abusèrent  tyranniqoement  de  leurs  privilèges ,  dans  l'intérêt  de 
leurs  monopoles ,  et  périrent  par  leurs  propres  excès. 

Quant  à  Tintervention  active  de  ces  corporations  dans  les  événements 
politiques  de  notre  pays ,  si  l'on  en  excepte  quelques  résultats  heureux , 


*  La  confrérie  des  maçons ,  chargée  de  la  construction  de  la  cathédrale  de  Stras- 
bourg ,  avait  des  lois  »  des  règlements  particuliers ,  probablement  aussi  des  grades, 
et  elle  correspondait  avec  d'autres  logei  ou  associations  qui  existaient  dans  divers 
états.  Toutes  les  loges  d'Allemagne  relevaient  de  cette  grande  loge  de  Strasbourg, 
qui  tenait  ses  séances  au  Maurerhof,  et  à  laquelle  le  Magistrat  avait  accordé  la 
connaissance  exclusive  de  tous  les  procès  de  bâtisse.  Il  est  certain  que  la  ressem- 
blance que  l'on  remarque  dans  la  forme  et  les  dimensions  de  beaucoup  de  monu- 
ments des  12«,  13*  et  14«  siècles,  révèle  une  unité  de  règles  qui  n'aurait  pu  avoir 
lieu  sans  une  inspiration  commune. 

*  En  1581 ,  1583,  1597.  Enfin  unéditde  mars  1673  ajouta  quelques  dispositions 
à  celles  qui  existaient  déjà ,  et  créa  de  nouvelles  corporations.  Par  suite  de  cette 
organisation  ainsi  complétée ,  les  villes  devinrent  jurées  ou  non-jurées ,  suivant 
qu'eUes  eurent  ou  non  des  chefs  de  communauté  Jvrés.  Il  y  eut  de  grandes  et  de 
petites  jurandes  ,  -des  communautés  patentées  et  non  patentées ,  etc. 

'  L'édil  de  1776  ,  bien  que  rapporté  au  bout  de  six  mois ,  laissa  cependant  quel- 
ques traces  durables.  Sur  110  corporations  ,  21  furent  dissoutes ,  et  les  89  restantes, 
réduites ,  par  voie  de  réunion  ,  au  chiffre  de  44  ;  de  plus ,  les  droits  de  réception 
furent  diminués.  La  loi  du  14  juin  1791  fut  absolue  ;  elle  prohiba  même  toute 
association  formée  d'individus  appartenant  à  une  même  profession ,  ainsi  que  la 
rédaction  des  listes  de  membres ,  la  formation  des  caisses  communes ,  la  nomination 
d'officiers  quelconques ,  et  toute  mesure  qui  aurait  pu  ressembler  aux  anciennes 
corporations. 


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260  REVUE  D'ALSACE. 

tels  que  la  conquête  des  libertés  communales ,  leurs  mouvements  y  du- 
rant nos  mauvais  jours  du  14*  et  du  15*  siècles ,  furent  presque  toujours 
désordonnés ,  anarchiques  et  sanglants. 

Sous  la  régence  du  dauphin  ,  qui  lut  plus  tard  Charles  V  ,  c*est  le 
prévôt  Marcel ,  avec  ses  9000  artisans ,  qui^  dans  la  ville  de  Paris ,  se 
rend  redoutable  à  l'autorité  royale.  La  carrière  publique  de  cet  homme 
fut  courte  et  terrible.  En  1356  il  sauva  Paris;  l'effroi  était  grand  dans 
cette  capitale^  quand  les  fuyards  de  Poitiers ,  le  dauphin  en  tète ,  étaient 
venus  annoncer  qu'il  n*y  avait  plus  ni  roi ,  ni  barons  en  France ,  que 
tout  avait  été  tué  ou  pris.  Les  Anglais,  un  instant  éloignés ,  pour  mettre 
en  sûreté  leur  capture,  allaient  sans  doute  revenir,  et  Ton  devait  s'at- 
tendre ,  cette  fois ,  à  ce  qu'ils  prissent ,  non  plus  Calais ,  mais  Paris  et 
même  tout  le  royaume.  Il  n'y  avait  pas  beaucoup  à  espérer  du  dauphin, 
ni  de  ses  frères  ;  le  prince  était  faible ,  pâle ,  chétif  ;  il  n'avait  que  19 
ans.  Hais  Paris  n'avait  pas  besoin  du  dauphin  ;  n'avaît-eile  pas  son 
prévôt  des  marchands?  Harcd  mit  bon  ordre  à  tout;  on  forgea  et  on 
tendit  des  chaînes  ;  on  exhaussa  les  murs  de  parapets  et  on  les  pourvut 
d^engins  de  guerre  ;  de  nouvelles  murailles  furent  élevées ,  et  l'île  elle- 
même  fut  fortifiée. 

L'année  suivante,  1357,  Marcel  dictait  au  dauphin  la  fameuse  ordon- 
nance de  réforme  du  royaume ,  qui  fut  bien  plus  qu'un  réforme ,  car 
elle  changeait  d'un  coup  le  gouvernement  ;  elle  mettait  l'administration 
entre  les  mains  des  Etats ,  et  la  donnait  au  peuple ,  ou  plutôt  à  la  com- 
mune de  Paris.  Hais  bientôt  après  tirant  de  prison  Charles-le-Mauvais , 
pour  l'opposer  au  dauphin  dont  il  tuait  les  conseillers  ;  il  donnait  ainsi 
un  chef  à  tous  les  bandits  qui  infestaient  Paris  et  la  France  ;  puis ,  après 
avoir  désorganisé  les  Etats  qui  l'abandonnaient ,  et  s'être  allié  à  la 
Jacquerie  qui  échouait ,  il  périssait  misérablement  à  l'une  des  portes  de 
Paris ,  de  la  main  d'un  des  échevins,  au  moment  où  il  allait  livrer  les 
clefs  de  la  ville  aux  bandes  sanguinaires  du  roi  de  Navarre. 

Sa  tentative  fut  comme  un  essai  prématuré  des  grandjs  desseins  de  la 
Providence,  et  comme  le  miroir  des  sanglantes  péripéties  à  travers 
lesquelles ,  sous  l'entraînement  des  passions  humaines ,  ces  desseins 
devaient  marcher  à  leur  accomplissement.  Harcel  vécut  et  mourut  pour 
une  idée ,  celle  de  précipiter  par  la  force  des  masses  roturières  l'osuvre 
de  nivellement  graduel  commencé  par  les  rois.  A  la  fougue  du  tribun , 
qui  ne  recule  pas  devant  le  meurtre ,  il  joignait  l'instinct  organisateur  ; 
il  a  laissé  dans  la  grande  cité  qu'il  gouverna  d'une  façon  rudemeni  ab«- 


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LES  GONFIiBRIBS    DE  MÉTIERS.  261 

solue ,  des  insUiulions  furies ,  de  grandi  oa\  rages  el  un  nom  que ,  deux 
siècles  après  y  ses  descendants  portaient  avec  orgueil  comme  un  litre  de 
noblesse.  C'était  d'ailleurs  le  temps,  où  le  désir  de  Tindépendance  sou- 
levait de  toutes  parts  la  roture  contre  la  féodalité.  Les  chaperons  blancs 
de  Florence  avaient  pour  chef  un  bourgeois  de  Gand ,  un  artisan  ;  les 
ciompi  de  Florence  ',  un  cardeur  de  laine,  et  c'était  un  forgeron  qui 
menait  le  peuple  de  Londres ,  et  dictait  au  roi  Richard  II  l'affranchisse- 
ment des  serfs. 

Sous  le  règne  de  Charles  VI ,  de  funeste  mémoire ,  même  immixtion 
des  corporations  de  Paris  dans  les  troubles  du  royaume ,  les  unes  sont 
avec  les  Bourguignons ,  les  autres  se  rangent  du  côté  des  Armagnacs. 
La  corporation  des  bouchers ,  la  plus  célèbre  entre  toutes ,  ayant  à  sa 
tête  le  bourreau  Capeluche ,  tient  un  instant  prisonniers ,  dans  l'hôtel 
de  Saint-Pol ,  le  roi  et  le  dauphin.  Cette  corporation  présentait  cette 
particularité  que  les  familles  qui  la  composaient  ne  pouvaient  la  quitter, 
absolument  comme  dans  les  collèges  d'ouvriers  des  derniers  temps  de 
l'empire  d'Occident.  La  qualité  se  transmettait  de  père  en  fils  ainsi  que 
les  élaux ,  et  les  déshérences  étaient  au  profit  de  la  communauté.  Ces 
bouchers  avaient  autour  d'eux  une  clientèle  héréditaire  de  valets,  qu'on 
nommait  écorcheurs ,  classe  abjecte  et  violenle ,  toute  dévouée  à  ses 
patrons.  Les  valets  ne  tardent  pas  à  dépasser  leurs  maîtres ,  et  leur  chef 
Caboche  donne  son  nom  à  celte  phase  sanglante  de  i'in.  urrection.  Ce 
parti  sanguinaire  est  l'instrument  des  Bourguignons  ;  plus  tard  il  en 
devient  le  maître ,  et  son  héros  Capeluche^  après  avoir  forcé  les  portes 
du  palais,  aborde  le  duc  de  Bourgogne ,  dont  il  se  croit  devenu  l'égal , 
en  lui  frappant  dans  la  main  en  signe  d'amiti*^.  Etrange  rapprochement 
opéré  par  l'audace ,  et  qu'une  juste  terreur  devait  bientôt  faire  cesser  ! 
Capeluche  est  arrêté  à  son  tour  et  périt  sur  Féchafaud  ^. 

Cependant  le  gouvernement  ressaisit  un  instant  le  pouvoir  ^  et  il  est 
obligé  de  supprimer  les  confréries  de  métiers ,  dont  la  funeste  énergie 
venait  de  mettre  la  France  à  deux  doigts  de  sa  perte.  Rétablies  depuis , 

'  On  défiiinaajt  ainsi  les  artisans  de  Florence  qui  appartenaient ,  pour  la  plupart , 
am  métiers  qui  n'araient  point  d'existence  politique  et  qui  travaillaient  la  laine  ; 
4;e  nom  de  ciompi  était  un  mot  français  déOguré,  compère ,  qui  leur  était  resté  dès 
le  temps  de  la  tyrannie  du  duc  d'Athènes. 

'  Le  valet  du  duc  de  Bourj^ogne ,  chargé  de  lui  trancher  la  tôte ,  m  savait  com- 
ment s'y  prendre;  Capeluche  lui  vint  en  aide;  ce  fut  lui  qui  fit  tous  les  préparatifs 
n^essaires  pour  son  propre  supplice. 


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%i  REVUE   D'ALSACE. 

les  corporations  de  Paris  figureront  encore  dans  nos  troubles  poli- 
tiques ,  et ,  durant  les  guerres  de  la  Ligue ,  on  les  emploiera  comme 
des  instruments  pour  fomenter  l'esprit  de  révolte  au  sein  des  masses. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  à  Paris  que  les  jurandes  fomentent 
Pinsurrection  sous  prétexte  de  liberté  Elles  se  mêlent ,  dans  les  pro- 
vinces, à  tous  les  mouvements  insurrectionnels  des  communes; 
lorsqu'on  i3Si  ,  les  oncles  de  Charles  VI  eurent  doublé  certains 
subsides  abolis  par  Charles  V ,  les  gens  de  métiers  de  la  ville  de  Rouen 
s'assemblèrent  durant  3  jours  sur  la  place  du  marché,  et,  élurent, 
bon  gré  mal  gré,  pour  roi  de  France  (le  rai  gras)  un  marchand 
drapier ,  c  gros  homme  et  pauvre  d'esprit ,  >  disent  les  histoires  du 
temps.  On  pilla,  on  massacra;  les  subsides  furent  maintenus,  et  six 
des  plus  mutins  ayant  porté  leurs  tètes  sur  l'échafaud ,  tout  rentra 
dans  l'ordre. 

Sous  le  rapport  religieux  enfin  ,  on  trouve  dans  chaque  jurande , 
à  côté  du  statut  industriel  et  municipal ,  une  confrérie  religieuse  ^  qui 
possède  aussi  son  règlement  formulé  avec  netlelé  et  simplicité.  Nulle 
part ,  la  charité  chrétienne  ne  s'exerce  avec  plus  d'intelligence  et  de 
dévouement.  Les  confrères  se  prêtent  les  uns  aux  autres  une  assistance 
mutuelle ,  l'associalion  soutient  de  ses  derniers  communs  quiconque 
entreprend  un  pèlerinage  à  Jérusalem  ,  et  elle  paye  les  absoutes  pour 
celui  qui  a  encouru  les  censures  de  l'église  ou  l'excommunication. 
Quand  elle  a  perdu  un  de  ses  membres ,  elle  lui  rend  les  derniers 
devoirs ,  et  l'accompagne  jusqu'à  sa  dernière  demeure.  Les  femmes 
elles-mêmes  ont  droit  à  ces  souvenirs  touchants  de  la  communauté , 
quoiqu'on  général  elles  ne  fassent  pas  partie  de  la  jurande.  La  confra- 
ternité n'est  point  une  mot  vide  de  sens ,  mais  aussi  l'honneur  du  corps 
exige  que  tous  les  délits  soient  punis ,  comme  les  contraventions  aux 
statuts  seront  réprimées  ;  les  délits  graves  entraînent  même  l'expulsion. 
C'est  précisément  cet  esprit  de  corps  qui  fait  aussi  prendre  place  à  la 
corporation  dans  l'église;  elle  y  a  son  banc ,  son  cierge ,  ses  messes, 
ses  vêpres,  ses  obitsetses  processions.  Telle  était,  à  Caen,  la  pro- 
cession de  la  fête  de  la  Pentecôte ,  qui  avait  pour  but  le  transport  et  le 
don  de  tous  les  deniers^à-Dieu  des  40  à  50  corps  de  métiers  à  l'hôpital 
de  cette  ville.  Telle  était  encore,  à  Bruges ,  la  procession  du  Saint-Sang , 
à  laquelle  assistait  le  porte-croix  de  tous  les  métiers  au  milieu  des 
évéques ,  des  abbés ,  du  bourguemestre  et  des  conseillers  de  la  com- 
mune, des  chanoines ,  des  échevins  et  d'autres  magistrats ,  suivis  des 


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LES  GONFRéRIES  DE  MÉTIERS.  263 

confréries  de  Saint-Michel  et  de  l'escrime  de  Saint-George ,  ou  de  la 
grande  et  de  la  petite  arbalète ,  et  des  archers  de  Saint-Sébastien  ou 
de  rarc^Q-roain.  Et  lorsqu'arrive  le  jour  de  la  fête  du  patron ,  le 
clergé  va  chercher  processionnellement  d  son  hôtel  le  roi  de  la  confrérie , 
l'amène  à  l'Eglise  pour  assister  aux  ofiBces  et  le  reconduit  chez  lui  avec 
le  même  cérémonial  y  en  portant  en  tète  du  cortège  la  bannière  armoiriée 
qui  rappelle  aussi  parfois  des  exploits  guerriers.  Et  lorsque  les  céré- 
monies religieuses  ont  eu  leur  tour ,  les  patrons  sont  fêtés  par  force 
réjouissances ,  chansons  et  rasades  t.  (D'après  un  calendrier  des  con- 
firairies  de  i6i1  y  Paris  comptait  180  confréries  et  66  saints  étaient 
fêtés  de  la  sorte). 

En  retour  de  ces  services  religieux ,  la  jurande  qui  s'était  constituée 
en  rentes  envers  l'église  ,  fait  cependant  les  frais  du  luminaire  et  de  la 
sonnerie  ;  elle  fait  maintes  offrandes  à  la  chapelle ,  donne  des  stalles 
magnifiquement  sculptées  au  chœur  de  l'église  et  des  verrières  de 
couleur  pour  ses  croisées.  Le  corps  des  orfèvres  donnait  à  chaque 
i'r  mai  un  tableau  à  la  vierge  et  c'était  presque  toujours  l'ouvrage  de 
quelque  maître  en  renom  ;  celui  de  1649  fut  le  Saint  Paul»  prêchant 
à  Epbèse ,  de  Lesueur ,  actuellement  au  Louvre. 

Si  maintenant  nous  considérons  les  jurandes  sous  un  dernier  point 
de  vue ,  elles  ont  encore  droit  de  fixer  pour  un  instant  notre  attention. 
Une  espèce  de  blason  féodal  vient  armorier  leurs  bannières  ;  elles  ont 
aussi  leurs  cris  d'armes  et  leur  tournois.  Il  se  trouve  enfin  des  poètes 
pour  chanter  les  métiers,  leurs  combats  et  leurs  jeux. 

Sur  la  bannière  on  voit  toujours  d'abord  le  saint  qui  protège  la  cor- 
poration ,  autant  que  possible  un  saint  qui  durant  sa  vie  a  travaillé 
dans  le  métier  de  la  corporation  ^.  Sotnt  Eloi  est  le  patron  des  forgerons, 
en  général  de  tous  les  ouviriers  en  métaux,  SairU  Joseph^  des  char- 
pentiers ,  des  menuisiers  et  de  tous  ceux  qui  travaillent  dans  le  bois  ; 
Saint  Crépiny  des  cordonniers,  patiniers^  etc.;  Saint  Biaise,  des 
maçons,  plâtriers,  carriers,  couvreurs,  etc.;  Saint  Cômôy  des 
barbiers,  testinneurs  ou  coiffeurs ,  chirurgiens  ;  Saint  Honoré ,  de  tous 
les  gens  de  la  pelle,  boulangers,  pâtissiers ,  meuniers,  etc.;  Saint  Luce^ 

*  Les  armes  parlaates  figurent  parfois  en  même  temps  que  l'image  du  saint  ;  à 
Carcassonne ,  on  voyait ,  sur  la  bannière  de  la  corporation  des  barbiers ,  une  image 
de  Sainte  Catherine  encadrée  dans  une  roue  de  rasoirs. 

*  Le  trésor  de  la  corporation  était  d'ordinaire  déposé  dans  la  chapelle  consacrée 
à  ce  saint. 


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264  nevuE  d'alsacr. 

des  lailteurs ,  sueurs  ou  couturiers,  en  général  des  gens  de  raiguille; 
Saint  Marc  y  des  vitriers,  lanterniers,  boisseliers  ,  vanniers,  etc.  etc. 
Il  est  assez  difficile  quelquefois  d'apercevoir  le  rapport  qui  peut  exister 
entre  les  patrons  et  les  confréries;  par  exemple,  pourquoi  les  col- 
porteurs d'édits  d'almanach  et  choses  telles ,  les  botteleurs  de  foin , 
ont  également  pour  patron  Cliarlemagne  ;  pourquoi  Saint  Jean- 
Baptiste  est  celui  des  passeurs  en  peaux,  des  tonneliers,  et  avaleurs 
de  vins  ,  des  fourbisseurs ,  des  ramoneurs  ;  (quant  aux  premiers ,  c'est 
peut-être  parce  qu'il  s'habillait  de  peaux  dans  le  désert)  ;  pourquoi  la 
Sainte  Vierge  est  la  patrons  des  gagne-deniers  sur  l'eau,  des  faiseurs 
d'aiguilles,  des  rôtisseurs,  des  tondeurs  de  drap,  des  compagnons 
corroyeurs  ;  pourquoi  Saint  Paul  était  le  patron  des  cordiers  ;  était-ce 
peut-être  parce  qu'il  fut  descendu  avec  des  cordes  dans  un  panier 
hors  de  la  prison  de  Damas?  Les  bouchers  et  les  tripiers  avaient  pris 
pour  patron  le  Saint  Sacrement ,  peut-être  parce  qu'il  était  considéré 
dans  l'église  comme  la  chair  de  notre  Seigneur. 

Bientôt  cependant  à  côté  ou  à  la  place  du  saint  se  glissent  peu  à  peu 
les  insignes  mêmes  du  métier  ou  armes  parlantes ,  que  la  corporation 
imprime  sur  ses  actes  ,  ou  grave  sur  son  sceau  et  sur  ses  jetons.  Les 
armoiries  des  épiciers-apothicaires  de  Paris  représentaient  une  main 
sortant  d'un  nuage  dans  un  ciel  étoile  et  tenant  un  fléau  avec  des 
balances.  Au-dessus  était  cette  devise  :  lances  et  fondera  servant. 
Pourquoi  ces  des  deux  professions  se  trouvent-elles  ainsi  associées? 
Peut-être  voulait-oa  créer  une  concurrence  à  l'apothicaire  et  l'empê- 
cher de  vendre  ses  drogues  à  un  prix  excessif.  Ce  qui  est  certain , 
c'est  que  la  santé  du  public  se  ressentit  plus  d'une  fois  de  l'ignorance 
des  garçons  épiciers.  Les  armoiries  des  marchands  de  vin  de  Paris 
étaient  un  navire  d'argent  à  la  bannière  de  France ,  avec  6  petites  nefs 
autour  et  une  grappe  de  raisin  en  chef  sur  un  champ  d'azur.  La 
basoche  de  Normandie  avait  pour  sceau  deux  écriioires  croisées.  A 
Florence^  les  plumes  étaient  l'attribut  des  arts  ou  corporations  tra- 
vaillant la  soie  et  la  laine. 

Puis,  à  l'imitation  des  jeux  chevaleresques,  les  classes  bourgeoises 
exécutent  des  joutes  et  des  tournois,  les  confréries  religieuses 
deviennent  même  des  espèces  de  chevaleries.  Il  se  forme  des  asso- 
ciations bizarres ,  dont  les  statuts  et  les  exercices  ne  sont ,  au  fond 
que  des  parodies  de  ceux  des  classes  guerrières  :  les  toupiniers  et 
bebours  de  Lyon,  les  chevaliers  du  plat  d'argent,  les  associations  de 


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LES  CONFRÉRIES  DE  MÉTIERS  265 

la  plume ,  du  prince  de  TËtrille ,  etc.  Il  y  a  des  villes  entières  de 
chevalerie  arquebusière.  Les  ducs  de  Bourgogne ,  le  chevalier  Bayard 
et  d'autres  grands  seigneurs  ne  dédaignent  pas  de  prendre  part  à  ces 
divertissements.  Les  tournois  de  Valenciennes ,  ou  le  vainqueur  à  la 
lance  recevait  un  éperon  d'or,  et  auxquels  Jean-sans-Peur,  duc  de 
Bourgogne,  assista  en  1416,  sont  aussi  célèbres  que  la  guerre  des 
Castellani  et  des  Nicoloti ,  ou  les  combats  que  les  ouvriers  de  Tarsenal 
de  Venise  livraient  chaque  année ,  le  jour  de  la  Saint-Simon  ^  à  ceux 
de  la  ville,  et  où  les  combattants,  armés  de  bâtons,  se  donnaient 
rendez-vous  près  du  pont  des  serls  et  engageaient  des  batailles  régu- 
lières. La  royauté  finit  par  s'alarmer  de  ces  tournois  populairns ,  sans 
doute  à  cause  de  l'esprit  guerrier  qu'ils  entretenaient  parmi  les  artisans, 
et  plusieurs  ordonnances  les  défendirent  en  France ,  principalement 
celles  de  1311  et  de  1314'. 

Que  dirai -je  encore  pour  compléter  autant  que  possible  cet 
aperçu?  il  s'est  trouvé  ^  au  moyen-âge  ,  des  poêles  qui  ont  fait  passer 
dans  leurs  vers  les  sujets  les  moins  poétiques ,  voir  même  les  Instilutes 
de  Justinieu.  Ils  rimèrent  aussi  des  statuts  de  corporations  de  métiers, 
et,  simples  jongleurs  ou  ménestrels ,  ils  chantaient  dans  les  carrefours 
des  vers  comfiosés  en  Thonueur  des  différentes  classes  d'artisans  *. 

Il  était  réservé  aux  troubadours  de  célébrer ,  dans  les  châteaux , 
les  hauts-faits  des  classes  aristocratiques ,  qui  les  faisaient  vivre.  Mais 
s'ils  frappaient  rudement  les  hommes  de  loi ,  dont  ils  n'avaient  rien 
à  espérer,  ni  à  craindre  ;  s'ils  caricaturaient  sans  pitié  les  médecins  et 
les  jongleurs ,  dont  la  science  leur  était  également  indifférente;  s'ils 
réservaient  leurs  plus  mordantes  satyres  pour  les  moines  et  les  prêtres , 
dont  ils  encouraient  journellement  les  censures ,  du  moins  ils  trai- 


'  Plusieurs  de  ces  fêtes  du  moyen-âge  ont  traversé  les  siècles  pour  arriver  jusqu'à 
nous  ,  à  l*état  de  reliques ,  il  est  vrai ,  ainsi  celles  de  Sainte  Mar^j^uerite  de  Flandre 
à  Lille,  du  Gayant  à  Douai,  des  Incas  à  Valenciennes,  du  comte  de  la  Mi-Carême 
à  Uazebrouck ,  la  Procession  de  Cambrai ,  remarquable  par  son  attirail  de  chars  et 
de  cavalcades  ,  etc.  Voir  Musée  des  Familles ,  1833-34  ,  p.  201  et  suiv. 

*  C'est  ainsi  que  dans  les  villes  de  la  Grèce  ancienne ,  outre  les  chansons  buco- 
liques des  pâtres,  des  moissonneurs,  des  journaliers,  etc. ,  chaque  corps  de  métiers 
avait  aussi  sa  chanson  parliculicrc ,  par  laquelle  les  ouvriers  s'excitaient  à  l'ouvrage, 
il  y  avait  le  chant  des  baigneurs ,  celui  des  tisserands ,  êlinos.  Il  y  avait  encore  la 
chanson  des  tisseurs  de  laine ,  celle  des  boulangers ,  celte  des  ouvriers  qui  tournent 
la  meule ,  des  porteurs  d'eau  ,  des  bateliers ,  des  rameurs ,  etc. 


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266  REVUE  ii'ai.sace. 

taient  avec  une  certaine  distinction  les  marchands,  les  gens  delà  hanse 
et  delà  corporation,  laborieux^  sensés,  qui  quelquefois  appuyaient 
bien  aussi  le  doigt  sur  la  balance ,  mais  que  Ton  tenait  généralement 
pour  hommes  puissants,  et  qu'on  savait  toujours  exacts  aux  offices 
de  la  paroisse  et  jaloux  avant  tout  de  leurs  privilèges  et  de  leurs 
franchises. 

Et  maintenant,  pour  terminer,  encore  un  mot  sur  ces  institutions 
qui  appartiennent  désormais  à  Thistofre.  Elles  furent  bonnes ,  pour 
la  société ,  pour  Tindustrie  au  moyen-àge.  Elles  furent  un  lien  de 
cohésion  entre  des  hommes  que  la  chute  de  Tempire  romain  aban- 
donnaient à  la  merci  de  la  conquête;  elles  furent  un  abri  pour  la  liberté, 
pour  la  dignité  humaine  3  un  instant  méconnues ,  exilées  ;  elles  con- 
servèrent les  traditions  non-seulement  du  travail,  mais  encore  du 
droit ,  et  leurs  statuts  contribuèrent  à  opérer  le  retour  vers  les  insti- 
tutions civiles.  Ces  corporations ,  inspirées  par  l'esprit  chrétien , 
étaient  de  véritables  confréries ,  rappelant  les  hétairies  de  la  Grèce 
ancienne.  A  la  fois  amis  et  rivaux ,  ces  artisans,  qui ,  dans  leur  sim- 
plicité pleine  de  sens  et  de  profondeur,  appelaient  la  patrie  Vatnitié , 
se  faisaient,  dans  leurs  quartiers  respectifs,  une  concurrence  loyale 
et  avouée ,  concurrence  de  probité  dans  le  travail  et  dans  la  vente  bien 
plus  que  de  bénéfice ,  et  l'honneur  du  corps  les  rendait  en  quelque 
sorte  solidaires  de  la  conduite  de  chaque  membre. 

Cependant  il  y  avait  au  fond  de  cette  institution  dés  confréries  un 
vice  qui  ne  devait  pas  tarder  de  porter  ses  fruits,  surtout  depuis 
qu'ayant  été  réglementées  par  l'Etat ,  elles  pouvaient  dormir  à  l'abri 
dé  leurs  privilèges.  Elles  étaient  devenues  des  associations  jalouses, 
improgressives  el  avides ,  constituées  désormais ,  non  plus  en  vue  de 
maintenir  l'art  dans  sa  dignité,  dans  sa  pureté,  mais  plutôt  pour 
entretenir  au  point  de  vue  de  la  routine  et  au  profit  des  chefs  de 
métier ,  un  monopole  tyrannique.  De  là,  la  longueur  de  l'apprentissage, 
la  limitation  du  nombre  des  apprentis  étrangers,  la  nécessité  de 
servir  comme  compagnon  un  temps  double  de  celui  de  l'apprentissage  ; 
de  là ,  les  difficultés ,  les  contributions  d'argent  pour  obtenir  la  maî- 
trise \  la  multitude  de  charges  qui  hérissaient  l'entrée  dans  un  métier. 


*  Dam  certaines  communautés  on  remarque  une  tendance  à  les  élever  de  plus  en 
plus  La  corporation  des  tailleurs  de  Lyon ,  demande  que  la  taxe  qui  n'était  à  Lyon 
que  de  100  fr. ,  tandis  qu'à  Paris  elle  était  de  iOOO  Tr.  et  de  500  fr.  (Uns  d'autres 


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LES  G(»fFRÉRIBS   DE  MÉTIERS.  267 

Un  ouvrier  reçu  maître  dans  une  ville  ne  pouvait  exercer  dans  une 
autre.  Nul  ne  peut  plus  inventer ,  car  on  est  tenu  de  se  conformer 
strictement  aux  statuts.  Des  luttes  interminables  naissent  sur  la  spé- 
cialité de  chacun  :  les  cloutiers  prétendent  interdire  aux  serruriers  le 
droit  de  fabriquer  les  clous  dont  ils  ont  besoin ,.  les  pâtissiers  interdire 
aux  boulangers  celui  de  faire  de  la  pâtisserie.  Les  bouquinistes  et  les 
libraires  se  disputent  sur  le  point  de  savoir  en  quoi  un  bouquin  diffère 
d'un  livre  ;  les  fripiers  et  les  tailleurs  sur  la  limite  qui  sépare  un  vieil 
habit  d'un  habit  neuf  \  Quand  le  luxe  s'introduit ,  les  lois  somptuaires 
établissent  mille  degrés  de  tolérance  entre  les  métiers  pour  le  port  des 
objets  de  soie ,  d'or  et  d'autres  matières.  L'exagération  des  classifications 
et  des  formalités  de  tout  genre  fait  des  métiers ,  pour  ceux  qui  y  sont 
entrés ,  des  espèces  de  cellules  »  une  véritable  prison  ;  l'égoïsme  et  l'a- 
vidité en  font  des  forteresses  inaccessibles  aux  étrangers  et  aux  pauvres. 
Plusieurs  fois  les  rois  avaient  essayé  d'élargir  quelque  peu  l'accès  des 
corporations  ';  de  généraliser  le  monopole ,  mais  ils  avaient  presque 
toiyours  échoué  dans  leurs  tentatives.  Ce  ne  fut  donc  pas  merveille  si , 
au  i8<»  siècle,  la  philosophie,  excitée  par  les  plaintes  que  proféraient 
les  travailleurs  étouffant  dans  ces  geôles  ^,  demanda  Tindépendance ,  le 
droit  du  travail,  comme  elle  revendiquait  la  liberté ,  les  droits.de  la 
pensée,  et  si  Turgot ,  disciple  des  économistes  et  des  philosophes ,  fit 
abolir  les  jurandes  et  les  maîtrises  dans  un  lit  de  justice,  tenu  le  12 

Tilles ,  soit  élevée ,  puis  elle  ajoute  :  «  On  comprend  que  cette  augmentation  des 
droits ,  en  rendant  l'entrée  à  la  maîtrise  un  peu  plus  difficile ,  pourra  diminuer  à 
Tavenlr  le  nombre  des  maîtres  ;  ils  seront  plus  experts  »  plus  aisés ,  etc.  » 

*  Mêmes  querelles  entre  les  cordonniers  et  les  savetiers ,  entre  les  pâtissiers  et 
les  rôtisseurs ,  entre  les  houi-brouetteurs  et  les  bas-brouetteurs  ,  etc. ,  etc. 

'  C'est  ainsi  que  l'Edit  royal  de  1581  décida  qu'à  l'avenir  les  maîtres  reçus  à 
Paris  pourraient  exercer  leur  métier  dans  tout  te  royaume ,  et  que  les  maîtres  reçus 
dans  une  ville  de  parlement  seraient  libres  de  s'établir  dans  tout  le  ressort  de  ce 
parlement.  C'était  amoindrir  le  monopole  et  non  l'abolir. 

*  Un  exemple  entre  mille  :  En  1760  ,  un  chapelier,  le  Prcvôt,  imagina  de  fabri- 
quer des  chapeaux  avec  de  la  soie.  Le  succès  attira  la  foule ,  et  la  foule  amena  la 
fortune  ;  mais  la  corporation  s'irrita  et  punit  le  prévôt  d'une  amende.  Il  plaida ,  on 
le  condamna.  Pour  déjouer  la  haine  de  ses  confrères ,  il  acheta  une  charge  de  cha- 
pelier du  roi.  La  corporation  ne  laissa  pas  échapper  son  justiciable.  Un  jour ,  les 
jurés  entrèrent  dans  les  magasins  et  y  détruisirent  3000  chapeaux.  Il  plaida  encore  ; 
au  bout  de  quatre  années  de  procès ,  l'inventeur  eut  permission  d'exploiter  son  in- 
vention, mais  il  était  ruiné. 


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208  RKViiK  d'alsacr. 

mars  1776.  On  raconte  que  le  jour  où  fui  publié  cet  édil,  qui  ne  devait 
pas  survivre  à  la  disgrâce  du  ministre ,  fui  un  jour  d* allégresse  et  de 
jubilation  pour  les  classes  ouvrières ,  et  que  Tivresse  qu'il  produisit  fut 
semblable  à  celle  que  fit  naître  un  autre  édit  tout  aussi  fameux  du  i9"^ 
siècle,  qui  supprima  l'esclavage  dans  nos  colonies. 

Que  conclure  de  tout  ce  qui  vient  d'être  dit?  Hétablir  les  anciennes 
formes^  les  corporations,  les  tyrannies  industrielles ,  reprendre  les 
entraves  pour  mieux  marcher,  défaire  l'œuvre  de  la  révolution,  détruire 
à  la  légère  ce  qu'on  a  demandé  pendant  tant  de  siècles,  ce  serait  une 
entreprise  insensée.  Mais  en  voyant  les  effets  qu'a  produits  jusqu'à  ce 
jour  la  liberté  du  travail ,  en  voyant  surtout  l'artisan  se  réfugier  comme 
autrefois  dans  l'association  pour  échapper  aux  conséquences  variées , 
souvent  rudes  et  désastreuses  de  la  concurrence  ,  on  serait  peut-être  eti 
droit  de  demander  s'il  n'eût  pas  mieux  valu  régénérer  l'autorité  frater- 
nelle des  associations  et  les  combiner  avec  une  sage  liberté.  Quant  à 
moi ,  j'ai  la  conviction  que  les  successeurs  des  membres  de  nos  jurandes 
ne  se  prendront  à  l'association  que  par  le  cœur  ,  par  l'amitié.  Il  faut  à 
la  France  une  société  d'amis;  c'est  sou  désavantage  industriel,  mais 
aussi  sa  supériorité  sociale  de  n'en  point  comporter  d'autres. 

ËO.   GOGUEL. 


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BULLETIN  BIBLI06RAPRIQIIL 


L  Geobges  Wickram  ,  écrivain  populaire  et  fondateur  de  la  corporation 
des  chanteurs  de  Calmar ,  au  XVh  siècle ,  par  Auguste  Stœber.  — 
Mulhouse  1866,  imprimerie  de  J.  P.  Risler.  i""  édition  revue  et  aug- 
mentée. Brochure  in-12  de  56  pages. 

Nous  ne  pouvons  annoncer  cette  brochure  qu'en  faisant  tout  d*abord 
un  reproche  à  son  auteur.  Le  titre  ne  répond  pas  au  contenu ,  en  ce 
sens  que  les  douxe  premières  pages  ne  sont  pas  seulement  la  biographie 
de  Georges ,  mais  cle  tous  ceux  de  cette  famille  dont  notre  histoire  locale 
a  conservé  les  noms.  Ce  reproche ,  il  est  vrai ,  n'a  pas  de  portée  défa- 
vondila^puisque  la  notice  donne  plus  que  son  titre  ne  promet  et  qu'au 
lieu  d'éprouver  une  déception  le  lecteur  trouve ,  dans  les  premières 
pages ,  une  agréable  surprise.  Dans  le  fait  c'est  bien  de  Georges  Wickram 
et  de  ses  écrits  qu'il  s'agit.  Mais ,  en  historien  sérieux ,  respectant  son 
public  autant  que  la  science  quil  cultive ,  M.  Stœber  a  voulu  que  ses 
lecteurs  fissent  préalablement  connaissance  sommaire  et  exacte  avec  la 
famille  du  littérateur  dont  il  voulait  écrire  la  biographie  ;  et  c'est  ainsi 
que,  dans  l'espace  de  quelques  pages,  M.  Stœber  a  non  seulement 
rassemblé  tout  ce  qui  était  disséminé  dans  diverses  publications  sur  les 
Wickram  ,  mais  encore  une  quantité  de  faits  inconnus  jusqu'ici  et  qui 
sont  le  fruit  de  ses  recherches,  de  ses  découvertes  et  de  ses  propres 
études. 

Georges  Wickram  est  né  à  Colmar,  ainsi  que  M.  Henri  Kienlen  ,  au- 
trefois pasteur  dans  cette  ville  et  aujourd'hui  président  du  consistoire 
de  Strasbourg ,  l'avait  déjà  présumé  dans  les  Bouquets  du  nouvel  an 
(Neujahrsblàiter)  de  1846.  Différents  travaux  attestent  que  M.  Kienlen 
avait  essayé  de  faire  revivre  la  tradition  de  l'école  des  Pfefîel ,  des  Lersé, 
des  Butenschœn  et  des  fiilling ,  continuée  par  les  Bartholdi ,  les  Morel , 
les  Engel ,  les  Haussmann  et  tant  d'autres  dont  nous  retrouvons  les 
noms  dans  les  écrits  du  premier  Empire  et  de  la  Restauration.  Aussi 
est-ce  au  dernier  représentant  de  cette  tradition  ,  à  M.  Henri  Kienlen  , 
son  ami  d'enfance ,  que  M.  *Stœber  dédie  la  notice  qu'il  consacre  à 
Georges  Wickram.  Après  avoir  discuté  et  établi  diversesfparticularités 
de  la  vie  de  Wickram ,  M.  Stœber  passe  à  ses  écrits  et  c'est  surtout  dans 
cette  partie  que  se  révèle  le  principal  intérêt  de  son  travail.  On  y  voit , 
en  raccourci ,  une  des  belles  pages  de  notre  histoire  littéraire  alsacienne 
et  c'est  la  ville  de  Colmar  qui  a  l'honneur  de  lui  avoir  donné  l'origine 
et  d'en  avoir  été  le  théâtre.  A  un  point  de  vue  plus  spécial ,  les  écrits  de 
Georges  Wickram  sont  surtout  intéressants  pour  l'histoire  des  mœurs 
et  de  la  vie  intime  de  Colmar  au  xvi«  siècle  ,  car  il  est  indubitable  que 


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270  REVUE  D'ALSACE 

le  milieu  dans  lequel  vivait  l'auteur  a  été  pour  quelque  chose  dans  ses 
productions ,  dont  quelques-unes  ont  été  composées  pour  la  corporation 
des  chanteurs  de  Colmar^  qu'il  avait  fondée,  et  qui ,  du  sein  même  de 
cette  société ,  sont  descendues  dans  la  rue  pour  égayer  nos  ancêtres , 
dans  les  occasions  où  la  liberté  peut  user  de  ses  droits  sans  danger 
pour  l'auteur ,  le  carnaval ,  par  exemple.  Mais  nous  ne  voulons  pas  en 
dire  davantage  dans  l'annonce  que  nous  faisons ,  afin  de  ne  pas  déflorer 
une  œuvre  que  nous  nous  proposons  de  faire  traduire ,  après  en  avoir 
obtenu  Fautorisation ,  et  de  publier  ensuite  dans  la  Revue  ^  afin 
de  la  mettre  à  la  disposition  de  ceux  de  nos  lecteurs  oui  ne  sont  pas  en 
mesure  de  la  consulter  en  langue  allemande.  Cepenaanl  nous  ne  vou- 
drions pas  que  ce  projet  empêchât  qui  que  ce  soit  de  se  procurer  l'ori- 
ginal qui  offre ,  nous  le  répétons ,  un  intérêt  très-grand  pour  les  habi- 
tants de  la  ville  où  la  Revue  se  publie.  Nous  n'hésitons  pas  à  leur 
recommander  spécialement  cette  inappréciable  biographie. 

II.  Légendes  du  Florival  ,  ou  la  Mythologie  allemande  dans  une 
vallée  d^ Alsace  par  M.  l'abbé  Braun.  Guebwiller.  —  1866.  — Typo- 
graphie de  J.-B.  Jung  i  vol  de  xvi-212  pages.  Prix  2  fr.  50  c. 
dans  les  principales  librairies  d'Alsace. 

Quand  ,  dans  une  province ,  quelques  hommes  d'étude  poursuivent 
avec  constance  un  but  commun  ,  rien  de  ce  qui  arrive  au  jour  n'est 
perdu;  on  peut  être  assuré  que  ceux  qui  systématicjuement excluent 
les  travaux  qui  ne  sont  pas  dans  la  voie  de  leurs  préoccupations  ,  de 
leurs  études,  finissent  par  subir,  à  leur  tour,  une  part  d'influence 
égale  à  celle  que  leurs  propres  productions  exercent  sur  ceux  qui  ouvrent 
ou  continuent  un  autre  sillon.  Il  nous  souvient  que  certaines  recherches , 
certaines  dissertations  publiées  dans  la  Revue  passaient  inaperçues 
d'abord ,  puis  étaient  dédaiçnées  des  exclusivistes  et  ont  abouti  à 
devenir  régulièrement  le  point  de  mire  de  ces  mêmf^s  hommes, 
jusqu'à  ce  qu'enfin  ils  se  sont  brusquement  aperçus  que ,  sous  peine, 
de  uemeurer  trop  en  arrière  ,  il  faut ,  en  toute  chose ,  tenir  compte  de 
ce  qui  se  fait,  de  ce  que  Ton  pense  dans  les  rangs  de  ceux  qui  ne 
marchent  que  sous  la  bannière  de  l'étude  et  de  la  réflexion. 

Celte  marque  nous  est  suggérée  par  le  livre  de  M.  l'abbé  Braun , 
non  pour  lui  en  faire  un  application  personnelle ,  car  M.  Braun  a  tou- 
jours été  de  ceux  qui  suivent  le  mouvement  des  idées ,  dans  toutes  les 
directions ,  mais  pour  en  déduire  une,  conséquence  dont  on  ne  con- 
testera pas  l'opportunité,  hdi  Revue  d'Alsace  n'a  jamais  manqué  d'être 
vivement  attaquée  toutes  les  fois  que  l'un  ou  l'autre  de  ses  collabora- 
teurs se  livrait  à  des  études  du  genre  de  celles  que  M.  Braun  vient  de 
codifier,  en  quelque  sorte ,  dans  ses  Légendes  du  Florival.  Nous  savons 
toute  la  différence  de  vues,  de  tendance  scientifique  et  morale  que  Ton 
peut  supposer  entre  les  travaux  dont  nous  voulons  parler  et  le  livre 
de  M.  Braun.  Au  fond  il  s'agit  de  la  même  question ,  de  la  même 
méthode ,  du  même  point  de  départ  et  nous  dirions  volontiers  presque 
de  la  même  conclusion  Telle  est  la  puissance  de  la  vérité  historique  , 


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BULLETIN  BIBLIOGRAPHIQUE.  27i 

cpie  personne  n'y  peut  résister  lorsqu'elle  a  pénétré  les  couches  intel- 
ligentes de  la  société ,  et  que  les  plus  rebelles  sont  traînés  à  la  remorque , 
sauf  à  apporter  aux  systèmes  que  la  controverse  engendre  des  tempé- 
raments ,  systématiques  aussi ,  qui  ont  la  prétention  de  sauver  ce  qui 
n'avait   pas  été  menacé ,  ce  qui  n'était  pas  en  péril.  Il  y  a  quelque 

Îuinze  ans  que  des  idées  rajeunies  ,  mais  suspectes  à  cause  du  temps 
ans  lequel  elles  se  sont  reproduites ,  ont  excité  de  Fémotion  dans  un 
certain  monde;  la  conviction  ou  la  persistance  de  leur  disciples  a 
forcé  ceux  qui  résistaient  à  substituer  Tétude  au  dédain  et  aux  investives  ; 
cinq  ans  après ,  du  sein  même  de  la  cohorte  rebelle ,  est  sortie  l'école 
nouvelle  qui  a  trouvé  son  fondateur  à  Munich ,  et  dont  les  disciples 
intelligents  nous  offrent  en  ce  moment  le  spectacle  d'une  hardiesse 
dont  n'ont  jamais  approché  ceux  dont  ils  condamnaient  d'abord  les 
intentions  et  la  témérité  C'est  cette  évolution  des  idées  modernes 
qui  nous  faisait  dire  tout  à  l'heure  que  rien  n'est  perdu  de  ce  qui  se 
produit  dans  le  mouvement  intellectuel  poursuivant  paisiblement  un 
ont  commun. 

En  fait  de  légendes  et  de  proverbes  tout  le  monde  connaît  les  publi- 
cations si  estimées  de  M.  Aug.  Stœber;  on  connaît  peut-être  moins  ses 
travaux  philologiques ,  basés  sur  les  matériaux  nombreux  et  variés  qu'il 
a  recueillis.  Cependant  il  n'est  aucun  des  lecteurs  de  cette  Revue  qui 
les  ignore  absolument ,  car  ils  ont  eu  quelques  fois  l'occasion  d'en  lire 
des  fragments  préparés  spécialement  pour  elle.  Nous  sommes  en  mesure 
de  leur  en  faire  goûter  prochainement  une  nouvelle  page.  Eh  bien ,  ce 
que  M.  Stœber  a  fait  et  ce  qu'il  continue  à  faire  pour  l'Alsace  tout  en- 
tière, M.  l'abbé  Braun  a  tenté  de  le  faire  pour  la  seule  vallée  de  Gueb- 
willer,  leFlorivnl,  et  nous  dirions  qu'il  a  magistralement  réussi,  si 
lui-même  ne  faisait  des  réserves  pour  une  quantité  de  faits  qu'il  n'a  pu 
étayer  sur  des  preuves  acceptables,  mais  qu'il  n'a  cependant  pas  voulu 
passer  sous  silence  ,  sauf  à  revenir  ultérieurement ,  nous  n'en  doutons 
pas,  ou  corroborer  des  inductions  par  analogie,  ou  les  rectifier  selon 
les  preuves  qu'il  aura  découvertes.  Quand  un  homme  de  la  valeur  de 
M.  l'abbé  Braun  débute  dans  l'étude  de  nos  origines  avec  le  savoir ,  la 
liberté  et  la  philosophie  éclectique  dont  il  vient  de  faire  preuve,  il  serait 
regrettable  qu'il  s'en  tint  à  cet  essai  et  qu'il  ne  creusât  pas  davantage 
la  mine  dont  il  a  si  hardiment  tracé  le  périmètre  dans  l'étroit  espace 
de  la  vallée  de  Guebwiller.  Nous  croyons  que  plusieurs  de  ses  limites 
ne  sont  pas  incontestables  ;  lui-même  en  paraît  convaincu.  Mais  au  lieu 
de  s'arrêter  devant  les  incertitudes ,  disons  les  obstacles  qu'il  a  rencon- 
trés ,  H.  Braun  a  sauté  par-dessus  en  traçant  une  ligne  droite  qui , 
comme  l'épée  du  héros  de  l'antiquité  «  a  tronche  te  nœud.  C'est  au 
moyen  de  ces  hardiesses  —  qui  le  font  rire  quelque  fois  —  qu'il  est 
arrivé  à  établir  un  système  dans  lequel  s'enchâssent,  avec  un  art  infini, 
toutes  les  certitudes  historiques  recueillies  çk  et  là  et  toujours  éclairées 
d'une  critique  de  bon  aloi,  d'une  indépendance  acceptable  ,  voire  même 
de  la  part  de  M.  Henri  Schlumberger ,  maire  de  la  ville  de  Guebwiller 
et  concitoyen  de  l'auteur. 

D'après  ce  que  nous  venons  de  dire  le  lecteur  concevra  qu'il  y 
aurait  possibilité  de  chercher  querelle  à  l'auteur  sur  beaucoup  de 


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272  REVUE  D'ALSACE. 

Îuestions  particulières  ou  de  détail;  mais  ce  serait  souverainement 
épiacé ,  car  M.  Braun  lui-même  a  fait  la  part  très-large  à  la  critique 
et  ra,  par  cela  même,  entièrement  désarmée. 

Après  tout  le  mal  que  nous  venons  de  dire  de  ce  charmant  petit 
livre ,  il  nous  sera  permis  de  dire  aussi,  très-sommairement,  le  oien 
que  nous  en  pensons.  Il  a  d*abord  le  mérite  de  réunir,  en  un  cadre 
bien  rempli ,  toutes  les  légendes  de  la  vallée  ;  en  second  lieu  tous  les 
faits  qui  rentraient  dans  le  plan  de  Tauteur  et  au  sujet  desquels 
rhistoire  n'est  pas  muette ,  sont  appuyées  des  preuves  les  plus 
consciencieuses ,  les  plus  authentiques.  Les  lacunes ,  nous  l'avons  dit , 
•  ont  été  comblées  par  H.  Braun  de  la  façon  la  plus  originale  et  la  plus 
indépendante.  Le  style  est  partout  châtié,  l'impression  minutieusement 
soignée  et  il  n'est  pas  un  chapitre  qui  ne  soit  d'une  lecture  très- 
attrayante  ;  enfin  ce  qui  nous  plail  dans  cet  essai ,  c'est  le  système 
hardi ,  complet  qui  enserre  l'ensemble  de  la  conception ,  ainsi  que  les 
vives  couleurs  que  M.  Braun  a  répandues ,  sans  parcimonie  et  sans 
gêne ,  sur  toutes  les  parties  de  sa  toile.  Nous  recommandons  ce  livre  à 
ceux  que  notre  histoire  et  nos  origines  intéressent. 

Frédéric  Kurtz. 


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LANDSKRON. 


—  Suile  el  fin.  *  — 


On  ignore  à. qui  appartenait  Landskron  à  cette  époque.  S'il  était  vrai 
que  l'empereur  Henri  II  eût  donné  ce  château  à  l'évèché  de  Bftle  au 
commencement  du  onzième  siècle  y  il  se  pourrait  qu'un  des  évéques , 
Lulholde  ou  Walter  de  la  maison  de  Rœtein ,  l'eussest  remis  à  un 
membre  de  leur  famille.  Le  premier  occupa  le  siège  dç  Bàle  de  (191 
à  1213  et  le  second  s'en  empara  ensuite  par  des  moyens  peu  légitimes 
qui  le  firent  déposer  par  le  concile  de  Latran  ,  en  1215.  Alors  il  n'était 
pas  rare  de  voir  les  princes  ecclésiastiques  disposer  des  domaines  de 
leur  église  en  les  remettant  en  fief  à  des  parents  et  ces  fiefs ,  dont  on 
négligeait  le  reprise ,  finissaient  par  se  perdre  pour  l'église.  Toutefois 
aucun  acte  de  l'évèché  de  Bàle  ne  revendique  des  droits  sur  Landskron , 
tandis  que  les  historiens  en  attribuent  la  possession  aux  sires  de 
Rœtein  dès  le  treizième  siècle.  Ils  ont  dû  donner  ce  château  en  fief 
aux  nobles  de  Mûnch  de  Hûnchenstein  au  plus  tard  vers  le  milieu  de  ce 
même  siècle.  Dès  l'année  1267  on  cite  Henri  Mûnch  dit  de  Landskron, 
et  pendant  près  de  deux  siècles  cette  branche  du  Mûnch  conserva  ce 
domaine  ^ 

Cependant  nous  éprouvons  une  difficulté  qui  naît  des  armoiries  du 
Mûnch  de  Landskron  et  de  celles  qu'on  donne  à  Bourcard  de  Lands- 
kron qui  fut  élu  abbé  de  Lucelle  en  1298  et  qui  mourut  en  1303.  L'ar- 
moriai de  ce  monastère  et  celui  de  Tschudi  assignent  à  ce  prélat  et  aux 
nobles  de  Landskron  des  armoiries  tout-â-fait  étrangères  à  celles  du 
Mûnch  qui  leur  étaient  cependant  bien  connues  puis  qu'ils  les  repro- 
duisent avec  toutes  leurs  variantes.  A  Lucelle  les  Landskron  porteni 
de  sable  à  la  bande  d'or  chargée  de  trois  couronnes  de  gueules.  Le 
cimier  est  formé  d'un  demi-vol  aux  émaux  et  pièces  de  l'écu. 

*  Voir  la  livraisoD  d^avril ,  p»g«*  177. 

*  Urstisius  ,  Bailer  Chronik ,  p.  20. 

9*Séri«.~- 17*  Anaé*.  '^ 


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274  REVUE  D' ALSACE. 

Tschudi  les  représente  de  sable  à  la  bande  d'argent  aux  trois  cou- 
ronnes d'or  9  mais  ce  doit  être  une  erreur  parce  qu'on  ne  met  pas , 
sans  cause  ,  métal  sur  métal  *. 

Les  armoiries  des  Mûnch  n'ont  jamais  varié  que  pour  le  cimier , 
qui  servait  à  distinguer  les  branches  nombreuses  de  celte  famille.  Elles 
portaient  d'argent ,  au  moine  de  carnation ,  vêtu  de  sable  et  tenant 
d'une  main  un  bâton  et  quelque  fois  un  livre  ou  un  plat  d'or.  Les 
cimiers  extrêmement  nombreux  sont  fort  curieux  ;  Tschudi  en  a  repro- 
duit plusieurs  :  en  1237  le  chevalier  Mûnch ,  dit  Rungler ,  avait  pour 
cimier  un  moine  barbu,  vêtu  d'un  froc  à  capuchon  et  coiffé  d'un  cha- 
peau à  ïesfes  bords  de  gueules.  En  1258  Hugo  Mûnch ,  dit  Pagers, 
ornait  le  sien  d^un  moine  blanc  à  figure  rubiconde  couvrant  à  moitié 
sa  tonsure  d'yne  cagoule.  De  1314  à  1377  les  Mûnch  de  Landskron 
portaient  un  moine  tonsuré,  mais  barbu,  tête  nue,  et  le  corps  vêtu  d'une 
robe  d'or.  De  1315  à  1330  les  Mûnch,  surnommés  Schlegel  et  Saper, 
avaient  un  moine  semblable  à  celui  du  Londskron ,  mais  en  habit  blanc. 
En  1332  les  Mûnch  de  Bàle  coiffaient  leur  moine  du  haut  capuchon  de 
sable ,  et  lui  mettaient  en  main  un  livre  d'argent  et  un  bâton  d'or.  Les 
Mûnch  dit  Schuler,  1354,  tout  en  vêlant  leur  moines  d'un  froc  et 
cagoule  de  sable ,  le  coiffaient  cependant  d'une  mitre  d'or.  Les  Mûnch 
de  Mûnchberg  habillaient  le  leur  d'une  robe  d'argent  à  cagoule  et  sca- 
pulaire  de  sable,  1306  à  1356.  Il  y  avait  encore  bien  d'autres  variantes 
dans  le  cimier,  que  nous  donne  Tschudi  et  les  sceaux  attachés  aux  actes 
dans  les  archives. 

Bourcard  de  Landskron ,  abbé  de  Lucelle ,  aurait-il  été  le  dernier 
membre  d'une  famille  de  ce  nom  et  serait-ce  st  ulement  alors  que  les 
Mûnch  auraient  obtenu  le  fief  de  Landskron?  c'est  ce  que  nous  ne 
pouvons  décider. 

Dans  tous  les  cas  il  est  certain  qu'en  1267  Henri  Mûnch  tenait  Lands- 
kron en  fief  des  sires  de  Rœteln.  Sa  famille  apparaît  déjà  dans  tes  actes 
du  douzième  siècle  parmi  celles  des  ministériels  des  évêques  de  Bâle. 
Dès  le  commencement  du  siècle  suivant  jusqu'à  l'extinction  de  leur 
famille  on  vit  les  Mûnch  occuper  les  premières  charges  de  la  ville  de 
Bâle  et  posséder  de  nombreux  domaines  dans  la  contrée  environnante. 
Les  Mûnch  de  Landskron  ne  jouèrent  pas  un  rôle  moins  important 


*  Walch  ,  Mùeel.  Lucel.  man.  T.  i.  — -  Tschudi  ,  Arma  geniHUia  m  dm  hehe- 
tUehen  Landen,  Manuicrit  in-folio. 


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LANDSKRON.  275 

dans  les  Etals  de  l'Autriche  en  Alsace.  Ils  furent  plusieurs  fois  les 
créanciers  des  évéques  de  Bftle  et  des  archiducs  d'Autriche  ,  et  les  offi- 
ciers de  ces  derniers  dans  la  Haute- Alsace  ' . 

Quand  ,  dans  une  fête  ou  un  tournoi ,  on  voyait  arriver  fièrement  et 
combattre  avec  intrépidité  quelque  chevalier  dont  le  casque  fermé  ne 
laissait  pas  voir  la  figure  on  ne  laissait  de  les  reconnaître  à  leurs  coups 
et  Ton  criail  ce  sont  les  Mûnch.  Quand  les  pays  voisins  de  la  Suisse 
avaient  des  démêlés  avec  les  confédérés ,  on  était  assuré  de  voir  des 
Mûnch  parmi  les  ennemis  de  ceux-ci.  Lorsque  le  pays  était  en  paix  et 
qu'il  n'y  avait  point  de  querelle  à  vider  par  la  voie  des  armes ,  ce  mode 
de  justice  du  moyen-âge ,  les  Mûnch  allaient  chercher  à  l'étranger  des 
occasions  d'acquérir  de  la  gloire. 

En  1346  les  Anglais  faisaient  la  guerre  à  Philippe  de  Valois.  Parmi 
les  alliés  de  ce  prince  se  trouvait  Jean  de  Luxembourg ,  roi  de  Bohême, 
dont  le  fils  Charles  avait  épousé  la  sœur  du  roi  Philippe ,  et  sa  fille , 
Bonne,  le  propre  fils  de  ce  même  roi.  Ce  vieux  prince  était  aveugle ,  mais 
il  aimait  encore  les  combats  et  pour  le  conduire  il  avait  de  vaillants 
chevaliers,  parmi  lesquels  se  trouvait  Henri  Mûnch  de  Landskron  ,  que 
les  chroniqueurs  appellent  |e  moine  de  Bâle. 

Les  Anglais  étaient  près  de  Crécy  dans  une  position  difficile  ;  il  ne 
fallait  qu'un  peu  de  patience  et  le  salut  de  leur  armée  pouvait  être  com- 
promis. Le  chroniqueur  Froissard ,  Albert  de  Strasbourg  et  Tschudi 
racontent  tous  trois  ce  qui  se  passa  alors ,  mais  ce  premier  fournit  des 
détails  que  nous  croyons  intéressants  à  rapporter ,  parce  qu'ils  font 
connaître  ce  que  c'était  que  les  chevaliers  de  notre  contrée.  Il  est  ensuite 
remarquable  que  la  France  dut  la  perte  de  cette  bataille  au  mépris  qu'on 
fit  alors  des  conseils  du  chevalier  alsato-bâlois ,  de  même  qu'un  peu 
plus  tard  l'Autriche  essuya  la  sanglante  défaite  de  Sempach  pour  avoir 
méconnu  les  sages  avis  d'un  autre  jurassien ,  Jean  d'Asuel.  Et  cependant 
ces  chevaliers  prouvèrent  par  leur  mort  héroïque  que  c'était  la  sagesse 
et  non  pas  la  couardise  qui  dictait  leurs  conseils  de  prudence. 

*  En  1374  Bourcard  Muncb  de  LandskroD  étail  LaDdvogt  de  TAlsace  autrichienne. 
En  1392  ,  ce  chevalier,  oo  bien  son  fils ,  du  même  nom  ,  prêtait  3100  florins  au 
duc  Léopold  m  ,  pour  racheter  le  château  dMstein  ,  et  gardait  ce  domaine  à  litre 
de  gage.  En  1406,  il  prêtait  encore  au  duc  cinq  mille  florins  en  prenant  pour 
sûreté  la  seigneurie  de  Landser  qui  lui  resta  jusqu'au  rachat  en  1450  ;  mais  nous 
aurions  .iDri  k  faire  si  nous  voulions  citer  tous  les  laits  et  gestes  des  Mûnch  de 
Landskron  consignés  dans  les  actes. 


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276  REVUE  D'ALSACE. 

a  Ce  luy  jour  de  samedi  (25  août  -1356)  se  leva  le  roi  de  France, 
u  assez  malin  et  ouit  messe  en  son  hostel  devant  Âbbeville,  en  Tabbaye 
«  de  Saint-Pierre  où  il  estait  logé ,  et  aussi  firent  ses  gens  ,  et  se  par- 
K  tirent  d'Âbbeville  après  le  soleil  levant.  »  Quand  il  Tut  éloigné  de  la 
ville  de  deux  lieues ,  approchant  ses  ennemis  on  lui  dit  :  €  Sire ,  il  sérail 
«  bon  que  vous  fissiez  entendre  à  ordonner  vos  batailles  ,  et  laississiez 
«  toutes  manières  des  gens  à  pied  passer  par  devant ,  parquoi  ils  en 
((  fussent  foulés  de  ceux  de  cheval.  Lors  envoya  le  Roy  quatre  cheva- 
«.  liers  :  le  moine  de  Basele ,  le  seigneur  de  Noyer ,  le  sire  de  Beaujeu 
((  et  le  sire  d'Aubigny.  Lesquels  chevauchèrent  bien  près  des  Anglois  , 
<L  tant  qu'ils  purent  bien  voir  une  partie  de  leur  affaire  ;  et  bien  virent 
«  les  Anglois  qui  estaient  là  venus  pour  les  veoir  ;  mais  n'en  firent  point 
a  semblant ,  et  les  laisser  tous  en  paix  retourner.  Quand  le  Roy  de 
((  France  voit  ses  quatre  chevaliers  revenir,  il  s'arresta  sur  les  champs. 
ff  Les  susdits  rompirent  les  presses  et  vindre  jusqu'au  Roy  ,  qui  leur 
«  dit  :  Seigneurs  quelles  nouvelles  ?  Si  regardèrent  tous  quatre  l'ua 
«  l'autre  sans  mot  sonner;  car  nul  ne  se  voulait  nommer,  ni  parler 
h  avant  ses  compaignons.  Finablement  le  Roy  dit  au  moyne  de  Basele^ 
«  qu'il  parlast ,  qui  estait  au  Roy  de  Bohaigne ,  et  avait  tant  fait  de  son 
Ci  corps ,  qu'il  estait  tenu  pour  un  des  vaillants  chevaliers  du  monde. 
«  Lors  dit  le  moyne  de  Basele ,  je  parleray ,  Sire ,  puisqu'il  vous  plaist, 
«  sous  correction  de  mes  compaignons.  Nous  avons  chevauché  et  avons 
«  veu  le  maintien  de  vos  ennemis.  Sachez  qu'ils  sont  arrêtés  en  trois 
«  batailles  et  vous  attendent.  Si  conseil  de  ma  partie ,  sauf  tous  dits  le 
<  meilleur  conseil ,  que  vous  faciez  toutes  vos  gens  arrester  cy  sur  le 
«  champs  et  loger  pour  ceste  journée  ;  car  ainçois  que  les  derniers 
<(  soyent  venus  jusqu'ici ,  et  vos  batailles  soient  bien  ordonnées ,  il  sera 
«  fard.  Se  seraient  vos  gens  lassés  et  sans  arroy ,  et  trouveraient  vos 
«  ennemis  frais  et  pourveus.  Si  pouvez  lendemain  au  malin  ordonner 
«  vos  batailles  plus  meurement  et  par  plus  grand  loisir  adviser  vos 
<t  ennemis,  et  par  quel  costé  on  les  pourra  combattre.  Car  soyez  seur 
«  qu'il  vous  attendront.  Le  Roy  commanda  qu'ainsi  fust  fait.  Si  chevau- 
«  chèrent  les  maréchaux ,  l'un  devant ,  l'autre  derrière,  en  disant  aux 
«  bannières  :  arrêtez ,  bannières ,  au  nom  de  Dieu  et  de  Saint  Denys. 
«  Ceux  qui  estaient    devant  s'arrestèrent  et  les  derniers   chevau- 

«  chèrent »  et  ils  avancèrent  si  bien  que  la  bataille  s'engagea 

contrairement  aux  sages  conseils  de  Henri  Munch  et  avec  plus  de 
désordre  encore  qu'il  n'avait  prévu.  Les  chevaliers  français  pressés  d'en 


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LANDSKRON.  277 

venir  aux  mains  «  ne  pensant  qu'à  donner  de  beaux  coups  de  lance , 
passèrent  sur  le  corps  de  leur  propre  infanterie  qui  les  gênait  et  arri- 
vèrent en  désarroi  sur  les  Anglais.  Les  archers  ennemis,  renomm^.spar 
leur  adresse  ,  les  reçurent  par  des  volées  de  flèches  ,  qui  blessèrent  et 
tuèrent  les  chevaux  en  accroissant  le  désordre. 

Le  roi  de  Bohême ,  entendant  le  bruit  du  combat ,  s'informa  où  était 
son  fils  Charles ,  et  sur  la  réponse  qu'il  était'déjà  engagé  dans  la  tnélée, 
le  roi  dit  à  ses  chevaliers  :  «  Seigneurs ,  vous  estes  mes  gens  et  mes 
«  compaignons  et  amis  à  la  journée  d'huy.  Je  vous  requière  que  vous 
c  me  meniez  si  avant  que  je  puisse  férir  un  coup  d'épée.  >  Les  cheva- 
liers répondirent  qu'ils  le  feraient  volontiers  et ,  pour  qu'ils  ne  le  per- 
dissent pas  dans  la  presse ,  ils  lièrent  à  la  bride  de  leurs  chevaux  celte 
du  cheval  du  roi  aveugle.  €  Là  estait  le  moyne  de  Basele  et  plusieurs 
«  bons  chevaliers  de  la  comté  de  Lucembourg  ;  ils  allèrent  si  avant  sur 
«  les  ennemis  que  le  Roy  féni  un  coup  d'épée ,  voir  trois ,  voir  quatre, 
u  et  se  combattit  moult  vaillament  et  aussi  firent  tous  ceulx  qui  avec 
«  luy  estaient  pour  l'accompagner  ,  et  si  bien  ce  serrèrent  et  si  avant 
«  se  boutèrent  sur  les  Anglois  ,  que  tous  y  demeurèrent ,  ni  oncques 
«  nul  ne  s'en  départit  et  furent  trouvés  le  lendemain  sur  la  place  autour 
«  du  Roy  et  chevaulx  tous  allayés  ensemble  > 

Là  aussi  furent  tués  Henri  de  Rathsamhausen ,  chevalier  alsacien,  et 
Henri  de  Glingenberg ,  chevalier  suisse ,  onze  princes ,  80  bannières , 
1200  chevaliers  français  et  environ  trente  mille  hommes. 

Un  siècle  plus  tard  on  trouve  un  autre  Mûnch  de  Landskron  sur  un 
chamfNe  bataille  non  moins  célèbre  ;  mais  son  rôle  n'y  fut  pas  aussi 
brillant.  Non  content  d'avoir  contribué  à  attirer  les  Armagnacs  contre 
les  Suisses  ,  de  les  avoir  amenés  dans  son  propre  pays ,  il  insultait  en- 
core les  morts  et  les  blessés  sur  les  rives  de  la  Byrse ,  près  de  Saint- 
Jacques  ,  lorsqu'un  Suisse  mourant  eut  encore  assez  de  force  pour  lui 
briser  la  tête  d'un  coup  de  pierre.  14M. 

Bourcard  Mûnch  de  Landskron  ne  mourut  pas  à  Saint-Jacques  même, 
mais  peu  après  dans  son  château  où  il  avait  été  transporté  II  fut 
l'avant-demier  de  cette  branche  des  Mûnch ,  et  déjà  en  prévision  de 
son  extinction  ils  avaient  fait  en  1430  un  accord  avec  Jean  de  Flaxlanden 
pour  lui  transmettre  le  fief  de  Landskron  pour  lui  et  ses  héritiers  des 
deux  sexes.  Les  Flaxlanden  ne  jouirent  pas  de  cette  acquisition  et  avant 
la  mort  du  dernier  des  Mûnch  ,  en  1459 ,  ils  avaient  déjà  cédé  leurs 
droits ,  en  1444 ,  à  Rodolphe  de  Ramslein.  Celui-ci  ne  les  garda  gu^re 


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278  REVUE  n'ALSACE. 

plus  longtemps  et  il  les  vendit  à  Pierre  Reich  de  Reichenstein ,  en 
1462  K  Tous  ces  marchés  durent  recevoir  l'assentiment  des  seigneurs 
directs,  héritiers  des  sires  de  Rœleln. 

Les  Reich  étaient  aussi  des  chevaliers  alsato-bâlois ,  dont  la  fortune, 
d'abord  fort  modeste,  avait  pris  plus  d'extension  à  l'avènement  d'un 
des  membres  de  leur  famille  au  siège  épiscopal  et  princier  de  Bâle.  Ils 
en  avaient  reçu  le  fief  de  Reichenstein  ,  dont  ils  avaient  ajouté  le  nom 
à  celui  qu'ils  portaient.  C'était  une  forteresse  dominant  la  ville  de  Bâle 
et  assise  sur  l'emplacement  d'une  position  romaine.  Ils  avaient  ensuite 
acquis  de  vastes  domaines  près  de  Landskron  même.  Le  chevalier  Pierre 
de  Reichenstein  ayant  pris  part  à  la  guerre  que  la  noblesse  alsacienne 
fit  à  la  ville  de  Mulhouse  en  1466,  les  Soleurois,  alliés  de  cette  ville 
libre ,  s'emparèrent  de  Landskron ,  qui  ne  fut  restitué  qu'après  la  paix 
de  Waldshut,enl468«. 

La  cession  temporaire  de  l'Alsace  autrichienne  au  duc  de  Bourgogne, 
la  guerre  de  ce  prince  avec  les  Suisses ,  les  dévastations  des  châteaux 
et  des  villages  de  cette  contrée  par  les  confédérés  pendant  leur  démêlés 
avec  la  noblesse  alsato-autrichienne ,  rendit  la  position  de  Landskron  si 
importante ,  que  l'empereur  Maximilien  b*  traita  avec  les  Reichenstein 
pour  augmenter  les  fortifications  de  celte  place.  A  cet  effet,  il  leur  donna 
une  somme  de  quatorze  cents  florins  et  leur  permît  d'employer  les 
fortifications  de  Reineck ,  pour  les  bâtisses  à  faire  à  Landskron  ,  1515. 
Reineck  était  situé  à  l'extrémité  occidentale  de  la  colline  de  Landskron. 

L'histoire  de  ce  château  est  fort  obscure.  On  sait  seulement  d'une 
manière  positive  qu'il  avait  été  donné  à  l'évêque  de  Bâle,  en  1149,  par 
l'empereur  Conrad  III ,  en  même  temps  que  le  château  voisin  de 
Waldeck  3.  Celui-ci,  même  après  qu'il  eut  été  ruiné  en  1356  ou  en 
1365,  fut  inféodé,  par  les  évêques  de  Bâle,  à  divers  seigneurs,  et 


'  ScHOEPFLiN ,  Alsal,  illusl, ,  traduction  Ravenez ,  T.  iv  ,  p.  156.  Jean  Muiicli 
de  Landsliron  ,  cbcvalier,  frère  de  Bourcard ,  blessé  à  mort  à  Saint-Jacques, 
vécut  encore  jusqu*en  1459.  Et  comme  Bourcarl  fut  transporté  à  Landskron  après 
sa  blessure,  nous  avons  dû  admettre  que  la  cession  de  ce  château  ,  en  faveur  dts 
Plaxiand  et  même  des  Ramstein  ,  n'était  qu^éventuelle. 

*  Haffner  ,  Chronique  de  Soleure  ,  p.  40i.  —  Alsat,  ill. ,  traduction  Ravenez, 
T.  V  ,  p.  315. 

'  Nous  avons  visité  les  ruines  peu  apparentes  du  Waldeck ,  occupant  une 
étendue  assez  considérable  sur  la  croupe  d'une  colline  au  Sud-Sud-Ouest  de 
Landskron.  On  y  reconnaît  facilement  l'emplacement  de  plusieurs  châteaux ,  dont 


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LiNDSKRON.  279 

Reineck  parait  avoir  passé  à  la  maison  d'Autriche,  de  laquelle  les 
Reichenstein  le  tenaient  en  flef.  C'est  à  Urs -Jacob  de  Reichenstein  , 
seigneur  engagiste  de  Ferrette  qu'on  attribue  les  principales  restaura- 
tions de  Landskron.  Son  fils  »  Jean  Thuring ,  devint  bailli  de  Ferrette  , 
après  le  rachat  de  cette  seigneurie ,  en  1540,  pour  une  somme  de  6100 
florins. 

Ayant  abandonné  sa  résidence  de  Ferrette  ,  vers  1542  ,  à  raison  de 
la  peste  qui  y  régnait ,  il  se  réfugia  à  Landskron  où  Pair  paraissait  plus 
sain.  S'ennuyant  sans  doute  dans  cette  résidence  ^  il  voulut  accompagner 
sa  femme  à  un  pèlerinage  qu'elle  désirait  faire  k  Maria-Stein ,  alors 
humble  chapelle  cachée  dans  une  caverne ,  avec  une  modeste  habitation 
pour  le  chapelain.  Pendant  que  la  dame  était  eu  dévotion ,  le  bailli  alla 
se  promener  le  long  du  plateau  bordé  de  précipices.  S*étant  appuyé 
imprudemment  contre  un  arbre  ,  celui-ci  céda ,  et  le  châtelain  tomba  à 
24  toises  de  profondeur.  Il  est  probable  que  sa  chute  fut  amortie  par 
des  branches  d'arbres ,  ou  que  le  sire  roula  de  gradin  en  gradin ,  car 
sans  cela  il  aurait  été  écrasé  sous  son  propre  poids.  Sa  femme  ne  le 
trouvant  plus  près  de  la  chapelle  le  chercha  longtemps ,  et  ce  ne  fut  que 
deux  heures  après  que  le  chapelain  découvrit  enfin  le  bailli  au  pied  de3 
rochers.  Un  tableau  peint  dans  le  temps  par  un  artiste  bàlois  ,  repré- 
sente ce  sujet  en  plusieurs  scènes.  On  voit  le  blessé  au  pied  du  rocher, 
le  chapelain ,  la  dame ,  un  domestique  amenant  un  cheval ,  puis  le  sire 
couché  mi  soutenu  sur  sa  monture  qu'on  conduit  à  Landskron.  Toutes 
ces  figures  paraissent  être  des  portraits.  Le  bailli  ne  mourut  point  de 
cette  chute ,  et  sa  guérison ,  attribuée  à  un  miracle  ,  accrut  encore  la 
réputation  dont  jouissait  Termilage  de  Haria-Stein  ,  et  c'est  là  qu'on 
éleva  enfin  un  monastère  en  1648  \ 

Les  fortifications  qu'on  ajouta  à  Landskron  dans  la  première  moitié 
du  seizième  siècle  et  encore  au  commencement  du  suivant ,  ne  purent 
soustraire  cette  place  à  l'occupation  des  troupes  du  duc  de  Saxe- 
Weymar ,  faisant  alors  la  guerre  en  partie  pour  son  propre  compte  et 

1111  acte  de  1149  en  nomme  déjà  deux  ,  Tancien  et  le  nouveau.  Cette  succession 
de  châteaux  sur  la  même  colline  est  très-rréquente  et  mérite  toute  Tattention 
des  antiquaires. 

'  UasTisius ,  Basler  Chronik ,  pag.  20.  -  Annales  de  Beinweil.  —  HàFFNER  , 
Soloth.  Cfiron.  ,  pag.  397  et  413.  —  Le  tableau  qui  est  dans  une  des  salles  de 
Tabbayo  de  Haria-Stein  est  de  Cb.  Holbein.  L'accidi^ni  quMl  représente  en  plu- 
sieurs scènes  est  du  13  décembre  1542  ou  1543. 


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280  REVUE  D' ALSACE. 

comptant  se  former  une  principauté  par  le  démembrement  des  posses- 
sions de  r Autriche  en  Alsace  et  de  Tévéque  de  Bâle.  En  1638  Lands- 
kron  avait  une  bonne  garnison  d'Impériaux ,  lorsque  Tarmée  suédoise  de 
Weymar  l'assiégea  et  s'en  rendit  maître.  Au  commencement  du  siècle 
suivant,  1710 ,  pendant  la  guerre  que  la  France  soutenait  contre  l'eni* 
pire  d'Allemagne ,  les  Impériaux  cherchèrent  à  reprendre  Landskroii , 
plutôt  par  ruse  que  par  force.  Le  comte  de  Transmandorf,  ambassadeur 
de  l'empereur  en  Suisse,  se  trouvant  au  château  de  Bemau ,  noua  une 
intrigue  avec  le  suiïragant  de  l'évêque  de  Bâle,  avec  le  comte  de  Wicka, 
noble  Delémontain  ,  et  le  baron  de  Wessemberg,  tous  deux  chanoines 
de  l'évêché  de  Bâle.  Un  certain  capitaine  Fischer  fut  mis  dans  le  com- 
plot. La  famille  de  Wessemberg  possédait  le  château  de  la  Bourg ,  à 
une  demi-lieue  de  Landskron ,  et  ce  fut  la  position  qu'on  choisit  pour 
faire  l'expédition.  Le  baron-chanoine  était  ami  du  marquis  de  Killo- 
Sablon  ,  commandant  à  Landskron  ;  il  lui  avait  souvent  emprunté  des 
soldats  de  la  garnison  pour  travailler  dans  sa  petite  seigneurie  de  la 
Bourg ,  et  en  récompense  de  ces  services  de  voisin,  il  ne  se  proposait 
pas  moins  que  de  le  trahir  et  de  le  livrer  lui  et  son  château  aux  ennemis 
de  la  France.  Le  complot  consistait  à  cacher  au  château  de  la  Boui^  un 
corps  de  grenadiers  autrichiens ,  d'y  attirer  un  fort  détachement  de  la 
garnison  de  Landskron  ,  de  le  faire  arrêter  à  la  Bourg ,  de  s'emparer  de 
ses  habits  et  les  Autrichiens,  vêtus  en  Français,  seraient  entrés  le  soir 
à  Landskron.  Malgré  les  bonnes  dispositions  que  le  chanoine  at  le  capi- 
taine Fischer  avaient  prises  â  la  Bourg ,  le  secret  lut  éventé  et  le  baron 
de  Wessemberg  se  hâta  de  retourner  à  Arlesheim  «  craignant  une  visite 
de  ses  amis  de  Landskron. 

A  cette  époque  ce  château  avait  déjà  reçu  des  accroissement  considé- 
rables ,  par  les  soins  de  Vauban.  C'est  lui  qui  lit  envelopper ,  en  1665 , 
la  courtine  et  les  tours  du  seizième  siècle  dans  des  bastions  d'après  le 
nouveau  système,  qui  ajouta  les  forts  détachés  et  tous  les  autres  ouvrages 
extérieurs  ,  et  qui  transforma  ce  manoir  féodal  en  une  petite  place  res- 
pectable et  capable  d'inquiéter  quelque  temps  l'ennemi.  Elle  n'était 
ordinairement  occupée  que  par  des  invalides  qui,  à  l'approche  des 
alliés  j  fin  décembre  1813,  furent  renforcés  par  67  conscrits  arrivant 
pleins  de  bonne  volonté,  mais  sans  vivres.  Ces  jours-là  plus  de  cent 
mille  hommes  passaient  le  Rhin  à  leur  vue  \  Un  fort  détachement  vint 

*  Les  alliés  passèrent  le  Rhin  dans  la  nuit  du  20  au  ti  décembre, 


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LANDSKRON.  28i 

les  bloquer  en  janvier  suivant,  et  cependant  ces  conscrits  eurent  le 
courage  de  soutenir  trois  jours  de  siège. 

Landskron  était  un  des  rares  châleaus  d'Alsace  qui  avaient  survécu 
aux  guerres  des  siècles  précédents,  mais  son  heure  était  venue,  comme 
celle  de  plusieurs  autres  forteresses  plus  importantes  ;  aussi  en  péris- 
sant avec  elles ,  elle  ne  tomba  pas  sans  gloire. 

Les  ruines  des  constructions  de  Vauban  présentent  encore  un  carac- 
tère de  solidité  tout  particulier.  Les  bastions  et  la  courtine  se  sont  ren- 
versées en  grandes  masses  dans  les  fossés ,  ressemblant  plutôt  à  des 
blocs  de  rocher  qu'à  des  murailles.  Les  murs  étaient  construits  à  I>ain 
de  mortier  fait  avec  de  la  chaux  maigre  que  fournit  la  petite  vallée 
voisine.  Ce  ciment  a  le  même  aspect,  la  même  dureté  que  celui  que 
nous  avons  vu  aux  ruines  des  castels  romains  du  Mont-Terrible,  de 
Wartenberg ,  et  autres  édifices  de  la  même  époque ,  au  point  que  les 
échantillons  que  nous  en  avons  conservés  ne  peuvent  se  distinguer  les 
uns  des  autres* 

Les  ruines  de  Landskron  ont  déjà  exercé  les  crayons  de  plusieurs 
artistes.  Mon  fils  les  a  photographiées  de  plusieurs  côtés  y  en  même 
temps  que  j'ai  recueilli  tous  les  vieux  dessins  e'  armoiries  qui  avaient 
trait  à  ce  monument  pour  en  orner  Tarmorial  de  l'ancien  évêché  de 
Bâle  encore  manuscrit. 

A.   QOIQUEREZ,   ancien  préfet  de  DéléiDont, 
membre  de  1»  Société  jurtsâemie  d'émulation,  et  de  plusieurs  sociétés 
d'histoire  et  d'arohéoiogie  de  Suisse  et  de  Pranea. 


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ÉTUDES 

SUR  L'ÉLEVAGE,  L'ENTRETIEN    ET   L'AMÉLIORATION 
DE  LA  RACE  BOVINE  EN  ALSACE 

SUIVIES 

DE   QUELQUES   HÉFLEXIONS  SUR  LA  LOI  DU    11  FRIMAIRE  AN  VII 
RELATIVE  AUX  PATRES  ET  AUX  TROUPEAUX. 


IX. 

SOMMAIRE  :  une  lettre  de  h.  le  comte  de  leusse  adressée  au  conseil  général 

DU  BAS>iiHtN.  —  DE  l/lHPORTANCE  DU  CHOIX  DES  ANIMAUX  REPRODUCTEURS.  —  LE 
HEERD-BOOCK.  —  DU  TYPE  DE  LA  BEAUTÉ  DANS  l'ESPÈCE  BOVINE.  —  PROCÉDÉ 
D*APPRÉCIATION  DANS  LES  CONCOURS  ANGLAIS.  —  DU  CHOIX  DES  VEAUX  ET  DE  L*IN~ 
FLUENCE  PLANÉTAIRE  SUR  LES  APTITUDES  DF.â  ANIMAUX. 

On  nous  communique  une  lettre,  imprimée  en  1863  et  adressée  à 
MM.  les  membres  du  Conseil  général  du  Bas-Rhin.  Dans  cet  écrit, 
M.  de  Leusse,  cultivateur  à  Reichshoffen ,  expose  que  dans  notre  riche 
Alsace  le  bétail  n'a  pas  Timportante  place  qu*il  devrait  y  occuper;  qu'à 
part  quelques  rares  éleveurs ,  peu  de  gens  en  Alsace  ont  étudié  les 
diverses  races  de  bétail ,  et  que  ,  les  avis  différant  dans  chaque  société 
ou  comice,  aucune  suite  ne  pouvait  être  apportée  dans  les  améliorations 
entreprises  jusqu'à  ce  jour,  c  II  ne  suffit  pas ,  dit-il ,  de  désigner  les 
défauts  de  nos  races,  mais  après  avoir  éliminé,  il  serait  nécessaire  de 
présenter  quelque  chose  de  supérieur  à  ce  que  Ion  blâme.  » 

Frappé  dô  cet  état  de  vague  et  d'incertitude,  M.  de  Leusse  a  cru 
devoir  apporter  au  Conseil  général,  à  titre  de  simples  renseignements, 
le  fruit  de  son  expérience  et  de  ses  recherches  laborieuses. 

*  Voir  les  livraisons  de  janvier,  février  »  mars ,  avril ,  mai ,  juin  ,  juiUet,  août 
1865 ,  pages  17 ,  59 ,  112 ,  155,  216,  265,  572,  572,  et  avril  1866,  page  901. 


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ÉTUDES  SUR  l'élevage  ,  l'eNTRETIEN  ,  ETC.  283 

«  Le  département  du  Nord,  dit  M  de  Leusse,  possède  avec  celui  du 
Bas-Rl)iii  une  frappante  analogie  :  sol  morcelé  et  de  grande  valeur, 
cultivé  avec  soin ,  plantes  industrielles  dans  les  deux  pays ,  centres 
manufacturiers  et  commerciaux  venant  ici  comme  là  absorber  les  pro- 
duits d'une  riche  culture ,  enfin  travail  des  vaches  dans  les  deux  pays 
et  entretien  d'un  plus  grand  nombre  de  femelles  que  de  mâles.  »  Tels 
sont  y  suivant  M.  de  Leusse ,  les  points  de  ressemblance  saillants  entre 
les  deux  contrées ,  ressemblance  qui  l'engage  à  conclure  que  la  race 
flamande  sérail  celle  qui  conviendrait  le  mieux  à  l'amélioration  des 
animaux  de  notre  pays. 

Si  nous  déplorons  sincèrement  avec  M.  de  Leusse  l'hétérogénéité  et 
l'insuffisance  de  aotre  bétail ,  si,  comme  lui,  nous  sommes' convaincu 
que  des  études  sérieuses  des  races  bovines  'seraient  nécessaires  dans 
l'intérêt  même  de  la  fortune  de  notre  province ,  nous  regrettons  d'autant 
plus  de  ne  pas  pouvoir  partager  son  opinion  relativement  à  l'analogie 
qu'il  cherche  à  établir  entre  les  départements  du  Nord  et  l'Alsace.  Nous 
ne  contestons  pas  que  l'Alsace  ne  renferme  pas  quelques  contrées  qui 
ont  une  ressemblance  plus  ou  moins  marquée  avec  les  Pays-Bas ,  nous 
retrouvons  bien  chez  nous,  par-ci  par-là,  un  sol  plat,  un  climat 
brumeux  et  humide ,  nous  voyons  bien  dans  quelques  vallées ,  traver- 
sées par  de  nombreux  cours  d'eau ,  des  prairies  luxuriantes  ,  mais  en 
somme ,  ce  ne  sont  pas  là  les  propriétés  distinctives ,  ni  les  caractères 
généraux  de  l'Alsace ,  oA  la  fertilité  et  les  modes  d*exp1  citation  des 
terres  sont  soumises,  comme  nous  l'avons  fait  remarquer  plus  haut, 
à  une  grande  variabilité ,  dont  les  conséquences  naturelles  consistent 
dans  une  variété  non  moins  grande  de  besoins ,  autant  sous  le  rapport 
des  cultures  que  sous  celui  des  animaux  domestiques. 

D'un  autre  côté,  la  composition  géologique  de  l'Alsace  ne  semble  pas 
pouvoir  rivaliser  avec  celle  des  Pays-Bas ,  où  le  mélange  d'argile  et  de 
calcaire  est  si  favorable  à  la  production  des  plantes  fourragères,  tandis 
que  chez  nous,  de  vastes  plaines  ne  sont  souvent  productives  qu'à  force 
d'être  labourées  par  une  population  active.  A  l'appui  de  cette  assertion , 
nous  citerons  le  domaine  même  de  M.  le  comte  de  Leusse ,  composé  de 
65  hectares  et  qui  ne  renferme  ni  plus  ni  moins  que  25  hectares  de 
sable  pur,  plus  propre  à  sabler  du  papier  qu'à  produire  des  betteraves  ^ 

'  Voy.  Distillation  agricole  delà  pomme  de  terre ^  par  le  comte  Paul  de  Leusse, 
page  6. 


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â84  REVUE  D'ALSACE. 

Si  nous  ajoutons  à  ces  circonstances ,  d*abord  la  présence  des  nom- 
breuses usines  hydrauliques  y  qui  empêchent  souvent  d'établir  des  irri- 
gations y  et  ensuite  l'incertitude  des  récoltes  fourragères ,  c'est-à-dire 
les  alternatives  fréquentes  entre  les  années  de  disette  et  les  années 
d'abondance ,  nous  sommes  porté ,  contrairement  à  l'opinion  émise 
par  l'honorable  cultivateur  de  Reichshoffen ,  à  conclure  que  la  spéciali- 
sation, ou  plutôt  l'appropriation  et  le  choix  des  animaux,  conformément 
aux  besoins  de  nos  cultivateurs,  au  climat  et  au  sol,  loin  d'être  déplacée 
en  Alsace',  y  est,  au  contraire,  une  nécessité  absolue  dans  les  réformes 
à  y  introduire. 

L'introduction  des  animaux  flamands ,  opérée  sous  les  auspices  des 
sociétés  et  comices  agricoles ,  ne  nous  parait  donc  ni  plus  rationnelle 
ni  plus  efficace  que  ne  le  «ont  les  efforts  faits  dans  le  but  d'acclimater 
chez  nous  les  races  hollandaises  et  suisses. 

D'ailleurs,  en  Flandre,  comme  en  Suisse,  comme  en  Angleterre ,  les 
races  sont  loin  d'être  homogènes  et  varient  d'aptitudes  et  de  formes  : 
Dans  l'arrondissement  de  Lille ,  par  exemple ,  les  bêtes  bovines  sont 
retenues  à  une  stricte  stabulation  et  entretenues  en  grande  partie  à 
l'aide  des  résidus  provenant  d'un  grand  nombre  de  fabriques  de  sucre 
de  betteraves  et  de  distilleries  de  toutes  sortes;  dans  l'arrondissement 
de  Dunkerque  ,  les  vaches  sont  laissées  dans  bs  parcours  pendant  six 
mois  consécutifs ,  nuit  et  jour.  Dans  les  arrondissements  de  Cambrai  et 
de  Douai ,  on  conduit  les  troupeaux  sur  les  champs  après  les  récoltes. 
Enfin  ,  suivant  H.  Lefour,  ce  n'est  que  dans  les  plus  riches  pâtures  de 
Bergues  ^  Cassel ,  Bailleul ,  Hazebroock  que  l'on  rencontre  des  types 
purs  de  ,1a  race  flamande.  Assurément ,  ces  bêtes  s'accommoderaient 
très-difiicilement  du  régime  alimentaire  que  nos  montagnards  et  nos 
paysans  auraient  à  leur  ofirir,  et  leur  type  serait  probablement  difficile 
à  retrouver  dès  la  seconde  ou  la  troisième  génération. 

Toutefois,  il  faut  reconnaître  que  la  variété  dans  les  races  flamandes, 
anglaises  et  suisses  n'est  pas  à  comparer  à  l'assemblage  confus  qui 
existe  dans  les  étables  d'Alsace  et  que  les  variétés  y  sont  les  consé- 
quences du  sol  et  du  climat,  tandis  que  chez  nous  elles  sont  évidemment 
le  résultat  d'un  manque  de  discernement  et  surtout  de  ce  manque  de 
principe,  signalé  par  M.  de  Leusse,  et  qui  ne  permet  pas  de  donner  suite 
aux  améliorations  entreprises  par  nos  sociétés  et  nos  comices  agri- 
coles. 

Au  reste,  en  Hollande,  en  Suisse,  en  Angleterre,  les  éleveurs  ne 


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ÉTUDES  SUR  l'Élevage  ,  l'entretien  ,  etc.  285 

perdent  pas  leur  temps ,  nous  l'avons  fait  remarquer  à  différentes 
reprises,  à  faire  des  plaidoyers  intarissables  en  faveur  de  tel  ou  tel  type 
étranger  à  introduire  chez  eux;  ils  se  contentent  d'imiter  l'exemple  que 
leur  offre  la  sélection  naturelle  en  choisissant  pour  la  reproduction  ceux 
des  sujets  qui ,  sous  les  rapports  de  la  constitution  et  des  aptitudes , 
semblent  être  les  plus  comformes  au  but  qu'ils  poursuivent. 

Laissons  donc  à  nos  voisins^  à  ceux  d'outre  -  mer  comme  à  ceux  du 
continent  y  le  bétail  qu'ils  ont  produit  à  la  suite  des  siècles  par  les  qua- 
lités de  leurs  fourrages,  par  leurs  ressources  de  toutes  sortes,  par  leur 
sol  et  par  leur  ciel  brumeux ,  et  occupons-nous  à  les  imiter  en  perfec- 
tionnant nos  races  par  le  choix  des  reproducteurs. 

Mais  y  pour  opérer  par  sélection  ,  deux  conditions  se  présentent  et 
exigent  d'être  observées  scrupuleusement  :  d'une  part,  c'est  le  discer- 
nement qui  constitue  la  base  de  ces  opérations ,  et  de  l'autre  ,  ce  sont 
les  soins  intelligents  dont  il  faut  entourer  les  élèves. 

Abstraction  faite  de  l'atavisme,  conséquence  inévitable  des  croise- 
ments continus ,  le  taureau  transmet  à  ses  produits  ses  bonnes  qualités 
comme  ses  vices.  Il  importe ,  par  conséquent ,  d'appeler  tout  d'abord 
l'attention  de  nos  éleveurs  sur  l'influence  qu'exerce  le  reproducteur 
mâle  sur  la  prospérité  du  troupeau,  influence  qui,  malheureusement, 
n'est  pas  appréciée  à  sa  juste  valeur  de  la  plus  grande  partie  de  nos 
éleveurs. 

Le  reproducteur  mâle  ne  doit  être  ni  impétueux  ni  vindicatif.  Trop 
ardent  et  trop  emporté,  il  transmet  ces  défauts  à  sa  postérité  et  perpétue 
ainsi  dans  les  bêtes  femelles  ce  tempérament  remuant ,  qui  est  si  con- 
traire au  repos  qu'exige  la  sécrétion  du  lait.  D'un  autre  côté ,  l'impé- 
tuosité de  l'animal  présente  des  dangers  sérieux  et  journaliers  pour  les 
hommes  qui  l'entourent.  Des  mouvements  rapides,  un  œil  vif  et  gai , 
sont  néanmoins  des  preuves  d'une  santé  robuste  de  l'animal  et  consti- 
tuent, avec  un  poil  lisse  et  luisant ,  les  indications  à  la  fois  d'une  conforr 
mation  solide  et  des  qualités  prolifiques  qu'exige  l'accomplissement  de 
sa  mission.  La  taille  du  reproducteur  ne  doit  être  ni  trop  forte  ni  trop 
élevée  ;  si  le  reproducteur  est  trop  puissant ,  le  poids  de  son  corps  fera 
fléchir  jusqu'à  terre  le  corps  de  la  femelle  au  moment  de  l'accouplement  ; 
cette  circonstance  a  souvent  pour  résultat  ou  la  stérilité,  ou  un  fœtus 
disproportionné 9  ou  des  produits  faibles  et  cbétifs.  D'un  autre  côté,  il 
résulte  également  des  conséquences  fâcheuses  de  l'accouplement  quand 
le  reproducteur  est  trop  jeune  ou  trop  âgé.  Trop  jeune ,  c'est  la  char- 


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^86  REVUE  D' ALSACE. 

pente  osseuse  qui,  n'étant  pas  suffisamment  développée,  ne  permet  pas 
à  l'animal  d'accomplir  énergiquement  l'acte  de  la  génération;  trop  âgé, 
la  force  et  la  vigueur  font  également  défaut.  Ce  n'est  donc  qu'à  l'âge 
d'un  an  et  demi  que  le  taureau  peut  être  admis  à  remplir  ses  fonctions 
de  reproducteur;  toutefois ,  ce  n'est  qu'à  partir  de  Tàge  de  deux  ans 
qu'il  doit  être  employé  à  la  monte  d'un  troupeau  composé  tout  au  plus  de 
soixante-dix  à  quatre-vingts  tètes.  Ce  chiffre,  cependant,  doit  être 
réduit  à  quarante  ou  cinquante  tètes  si  les  accouplements  se  prolon^ 
geaient  pendant  toute  l'année  ou  si  le  taureau  était  obligé  de  suivre 
journellement  le  troupeau  sur  des  pâturages  éloignés  de  la  ferme  ou  de 
la  commune ,  comme  cela  a  lieu  dans  beaucoup  de  nos  contrées.  Un 
nombre  plus  élevé  de  femelles ,  quelle  que  soit  d'ailleurs  la  nourriture 
et  la  constitution  du  reproducteur,  ne  laisserait  pas  que  de  l'énerver  et 
de  l'user  avant  l'âge  de  quatre  ou  cinq  ans.  Dans  ce  cas,  non-seulement 
la  postérité  est  exposée  à  porter  les  traces  des  fatigues  et  des  excès 
qu'on  aura  fait  commettre  imprudemment  au  reproducteur,  mais  il 
arrive  encore  fréquemment  qu'un  grand  nombre  de  femelles  restent 
stériles,  conséquence  fâcheuse  à  la  fois  pour  l'intérêt  privé  et  pour 
l'intérêt  général  de  la  commune. 

^  Toutefois,  si  un  troupeau  trop  nombreux  est  préjudiciable  à  la  con- 
stitution du  taureau ,  par  contre  un  nombre  insuffisant  de  vaches  a  éga- 
lement de  très  -  grands  inconvénients  en  occasionnant  chez  l'animal  un 
caractère  intraitable  et  par  conséquent  vicieux. 

Nous  ne  saurions  donc  trop  insister  sur  l'importance  qui  se  rattach  ' 
au  choix  dont  nous  parlons  et  qui ,  malheureusement ,  dans  les  com- 
munes de  l'Alsace ,  est  généralement  abandonné  à  l'ignorance  et  à  la 
rapine  de  ceux  qui  sont  chargés  de  l'acquisition  et  de  l'entretien  des 
taureaux  communaux. 

Placé  dans  de  bonnes  conditions  et  lorsque  le  reproducteur  jouit 
d'une  nourriture  conforme  à  ses  besoins,  celui-ci  est  à  même  à 
desservir  le  troupeau  dès  l'âge  de  dix-huit  mois  jusqu'à  l'âge  de  huit  ou 
dix  ans.  En  Angleterre  où  le  troupeau  au  lieu  d'être  composé ,  comme 
en  Alsace ,  par  le  bétail  de  toute  une  commune ,  n'est ,  le  plus  souvent, 
form^  que  par  des  bêtes  appartenant  à  un  seul  fermier,  les  taureaux 
sont  souvent  maintenus  jusqu'à  l'âge  de  dix  et  douze  ans.  Charles 
Colling  en  avait  un  dont  le  nom  nous  échappe ,  qui  avait  conservé  ses 
qualités  prolifiques  jusqu'à  sa  seizième  année.  En  Allemagiie,  aw 
contraire ,  les  taureaux  sont  généralement  réformés  dès  l'âge  de  qwUre 


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ÉTUDES  SUR  l'Élevage  ,  l'entretien  ,  etc.  387 

ans  et  souvent  même  avant  ce  moment.  Ce  procédé  cependant,  quoiqu'on 
a  cru  remarquer  que  les  générations  provenant  de  jeunes  taureaux 
sont  supérieures  à  celles  provenant  de  sujets  d'un  âge  plus  avancé , 
n'est  nullement  approuvé  par  un  grand  nombre  des  vétérinaires  d'outre- 
Rhin.  Ceux-ci  reprochent  au  procédé  en  question  d'être  la  cause  de  la 
pénurie  des  reproducteurs  de  choix  et  de  priver  même  les  éleveurs 
du  temps  nécessaire  pour  apprécier  les  produits  de  l'animal.  D'un 
autre  côté  encore ,  on  reproche  à  ce  procédé  d'entraîner  à  un  renou- 
vellement souvent  très-préjudiciable  aux  capitaux  engagés.  A  ces 
observations  les  éleveurs  allemands  opposent  des  arguments  qui^  à 
leur  tour,  ne  sont  pas  sans  valeur;  «  En  réformant  nos  taureaux, 
disent-ils ,  dès  l'âge  de  trois  ou  quatre  ans,  ces  animaux  sont  encore 
à  l'âge  de  pouvoir  suppprter  la  castration  et  deviennent  ainsi ,  après 
avoir  rendu  service  comme  reproducteurs  ,  d'excellentes  bêtes  de 
boucherie  ou  de  travail  possédant  même  plus  de  force  et  de  vigueur 
que  si  elles  avait  subit  l'opération  dont  il  s'agit  â  un  âge  moins 
avancé  \  > 

II  résulte  évidemment  de  ces  opinions  contradictoires  qu'il  est  im- 
possible d'établir  à  ce  sujet  des  règle  absolues.  Il  nous  paraît  tout  aussi 
impossible  de  contester  l'avantage  que  présente  la  conservation  d'un 
taureau  dont  les  qualités  sont  remarquables ,  qu'il  nous  semble  logique 
de  se  défaire  d'un  animal  dont  les  qualités  ne  sont  qu'ordinaires  et 
qui  peut  être  employé  à  une  destination  plus  avantageuse. 

L'usage  de  réformer  les  taureaux  à  un  âge  peu  avancé  existe  éga- 
lement en  Alsace  ;  cet  usage  nous  semble ,  toutefois ,  ne  pas  devoir 
son  origine  à  jin  principe  quelconque  admis  ou  suivi  par  nos  cam- 
pagnards; il  semble  plutôt  être  le  résultat  tantôt  des  privations 
auxquelles  la  bête  a  été  ,  le  plus  souvent ,  exposée  pendant  son 
élevage  »  tantôt  de  la  mauvaise  qualité  des  fourrages  qu'elle  reçoit  à 

'  «  On  pense ,  dit  M.  Sanson,  qu*il  convient  d'employer  des  taureaux  jeunes. 
Ils  sont  plus  propre4'^«roit-on  ,  à  procréer  de  bons  produits.  Cependant  la  ques- 
tion ast  fort  controversée  et  chacun  s'appuie  sur  des  observations  contradictoires 
qui  semblent  également  concluantes ,  mais  auxquelles  i\  manque ,  sans  aucun 
doute,  une  exacte  interprétation.  Ces  observations  ne  peuvent  être  contradictoires 
qu'en  apparence,  car  les  faits  physiologiques  sont  absolus,  nécessairement,  dans 
leur  signiâcation.  La  vérité  est,  qu'à  dater  du  moment  oà  le  mille  possède  la 
feculté  de  se  reproduire ,  la  considération  d'Age  est  indifférente  pour  la  qualité  du 
proMl  9  (Voy.  Livre  de  la  ferme.) 


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288  RETUE  d'alsagb. 

l'ftge  d'adulte  et  enfin  l'usage  en  question  n'est  peut-être  autre  chose 
qu'une  conséquence  fatale  et  inévitable  du  régime  de  la  stabulation 
absolue.  Au  lieu  d'élever  le  taurillon  sur  de  bons  pâturages  et  de  loi 
accorder  le  mouvement  si  nécessaire  à  la  formation  de  sa  charpente 
osseuse ,  il  passe  généralement  toute  son  existence  à  l'étable,  attaché 
à  une  chaîne  qui  mesure  à  peine  soixante  centimètres  de  longueur  et 
ne  reçoit ,  le  plus  souvent  qu'une  nourriture  insuffisante  au  dévelop- 
pement de  sa  constitution  '. 

Or,  le  propriétaire  comme  les  communes  qui  ont  intérêt  à  ne  pas 
entretenir  un  bétail  stérile ,  qui  ont  à  cœur  de  perfectionner  celui  qu'ils 
possèdent  et  ne  pas  s'exposer ,  comme  c'est  l'usage  en  Alsace ,  d'em- 
prunter aux  pays  voisins  par  l'intermédiaire  des  maquignons ,  ou  des 
taureaux  à  bon  marché  ou  des  vaches  latières  dont  les  aptitudes  sont 
douteuses ,  ceux-là  doivent  avant  tout  fixer  toute  leur  attention  et  sur 
le  choix  et  sur  l'entretien  des  reproducteurs.  Dès  le  moment  que  l'on 
remarque ,  parmi  les  nouvelles  générations ,  des  veaux  difformes  ou 
<:hétifs  dont  la  cause  n'est  pas  accidentelle ,  on  doit  considérer  l'accident 


Ml  y  a  une  quinzaine  d'années ,  un  véritable  engouement  avait  porté  nos 
Sociétés  d'agriculture  et  nos  comices  k  recommander  aux  éleveurs  à  la  fois  la 
stabulation  permanente  et  la  suppression  totale  des  pâturages.  Un  rapport  adressé 
en  1861  à  M.  le  Préfet  du  Bas-Rhin  par  les  vétérinaires  du  département  fit  res- 
sortir, dans  les  termes  suivants,  les  conséquences  fâcheuses  de  ces  innovations  : 
«  Dans  une  grande  partie  de  TAlsace ,  disaient-ils  ,  les  jeunes  élèves  des  espèces 
«  chevalines  et  bovines  séjournent  depuis  le  jour  de  leur  naissance  dans  le  coin  le 
plus  reculé  des  écuries  et  des  étables  ;  ils  n'ont  d'autre  occasion  de  développer 
leurs  forces  que  dans  le  trajet ,  trois  fois  par  jour ,  de  l'écurie  à  la  pompe  où  fls 
s'abreuvent ,  et  dans  quelques  sauts  désordonnés  dans  une  cour  peu  espacée  et 
habituellement  encombrée  où  ils  se  trouvent  exposés  à  de  nombreux  et  graves 
accidents.  Pour  obvier  â  des  inconvénients  de  cette  nature ,  il  serait  fort  k  désirer 
que  dans  les  localités  où  la  possibilité  existe ,  on  convertit  une  partie  du  cobh 
munal ,  d'une  contenance  de  cinq  hectares  environ  et  le  ply  approché  du  village, 
en  place  d'ébats  où  les  éleveurs,  à  de  certaines  heures ,  suivant  la  saison  ,  pour- 
raient conduire  et  laisser  en  toute  liberté  les  poulains,  taurillons,  génisses ,  etc., 
moyennant  une  minime  rétribution  à  verser  dans  la  caisse  communale.  Ce  ne 
serait  point  un  pâturage  où  les  jeunes  élèves  trouveraient  de  la  nourriture ,  mais 
un  terrain  de  gymnoêtique  suffisant  pour  leur  développement.  » 

Nons  avons  cru  d'autant  plus  opportun  d'enregistrer  ici  cette  partie  do  rapport 
de  MM.  les  vétérinaires  du  Bas-Rhin  que  la  suppression  totale  des  pâturages 
compte  encore  un  grand  nombre  de  partisans  en  Alsace. 


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ÉTUDES  SDR  l'élevage  »  l'eNTREîIEN  ,  ETC.  289 

comme  provenant  du  reproducteur  et  le  remplacer  immédiatement. 
Dans  ses  lettres  sur  la  physiologie  animale  H.  Vogt  cite  à  ce  sujet  un 
exemple  curieux:  dans  un  troupeau,  dit-il,  on  vit  plusieurs  veaux 
difformes  naître  en  une  seule  année  ;  le  reproducteur  qui  desservait 
le  troupeau  était  de  bonne  apparence ,  on  le  remplaça  néanmoins  et 
les  génération  subséquentes  reprirent  de  nouveau  leur  constitution 
normale. 

Il  est  sans  doute  inutile  de  faire  remarquer  que  le  choix  des  bétes 
femelles  ne  doit  pas  moins  absorber  l'attention  de  Téleveur  quoiqu'elles 
ne  transmettent  qu'isolément  leurs  qualités  comme  leurs  défauts  à  un 
petit  nombre  de  veaux ,  tandis  que  le  mâle  les  transmet  au  bétail  entier 
de  la  commune.  On  a  souvent  comparé  ^  et  avec  raison ,  la  femelle  au 
sol  et  le  mâle  à  la  semence  qu'on  lui  confie,  les  deux  éléments  doivent 
être  nécessairement  dans  de  bonnes  conditions  si  l'on  veut  obtenir  de 
bons  résultats. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  ici  à  énumérer  les  soins  dont  il  faut 
entourer  les  bêtes  femelles,  ils  sont  amplement  décrits  dans  les  divers 
traités  que  nous  avons  cités  dans  le  cours  de  ce  travail.  Néanmoins , 
c<Hiime  l'aptitude  laiteuse  est  généralement  la  plus  estimée  en  Alsace 
nous  rapporterons  quelques  détails  intéressants  à  ce  sujet.  Suivant  les 
auteurs  anglais ,  allemands  et  français  le  taureau  aurait  autant  d'in- 
fluence* dans  la  transmission  héréditaire  de  l'aptitude  dont  il  s'agit  et 
devra,  par  conséquent ,  provenir  lui-même  d'une  mère  bonne  laitière. 
Les  qualités  du  père  et  de  la  mère  cependant  ne  se  transmettraient  pas 
toujours  en  ligne  directe  à  la  fille  et  souvent  on  ne  retrouverait  leurs 
aptitudes  qu'aux  générations  ultérieures. 

C'est  apparemment  ce  phénomène  qui  se  manifeste  si  singulièrement 
dans  la  transmission  héréditaire  et  connu  sous  le  nom  d'atavisme  qui 
a  engagé  nos  voisins  d'outre-roanche  d'avoir  recours  à  diverses  pré- 
cantions2[dans  l'élevage  de  leurs  animaux  domestiques  et  dont  la  prin- 
cipale consiste  dans  l'établissement  du  Stut-boock  ou  Herd-boock , 
c'est-à-dire  dans  ces  registres  dans  lesquels  ils  consignent  soigneusement 
les  qualités  qui  distinguent  leurs  animaux  reproducteurs. 

Ces  tables  généalogiques  sont  évidemment  d'une  nécessité  absolue 
lorsqu'il  s'agit  de  faire  des  observations  sérieuses  sur  la  transmission , 
héréditaire ,  que  celle-ci  s'opère  ou  par  croisement  ou  par  sélection. 
Il  est ,  d'un  autre  côté ,  certain  que  les  controverses  au  sujet  de  cette 
transmission ,  et  qui  durent  depuis  des  siècles  auraient  trouvé  depuis 

S*Sérl*.-*i1-Aiiiié«.  iV 


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290  REVUE  d'àlsace. 

longtemps  une  solution  définitive  si  on  avait  eu  recours  plus  tôt  aux 
registres  dont  il  est  question.  Nous  constatons  donc  avec  satisfaction , 
qu'à  rtieure  qu'il  est ,  des  Heerd-Boocks  sont  introduits  chez  les  grands 
éleveurs  de  TÂllemagne  ainsi  que  dans  plusieurs  départements  français 
et  notamment  dans  la  Haute-Saône  où  l'on  doit  à  ce  procédé  la  pureté 
de  la  race  femeline. 

Ce  fut  en  1856  que  le  congrès  agricole  de  la  Haute-Saône  prit  l'initiative 
d'y  établir  un  registre  généalogique  et  qu'il  décida  en  même  temps  de 
primer  des  taureaux-étalons  comme  on  prime  des  chevaux-étalons. 
«  Ces  décisions  ,  disait  alors  M.  de  Saint-Ferjeux,  conformes  à  ce  qui 
se  pratique  en  Angleterre  produiront  assurément  de  bons  résultats  et  il 
serait  à  désirer  que  d'autres  départements  entrassent  dans  la  même 
voie  d'amélioration.  i>  Les  prévisions  de  M.  de  Saint-Ferjeux  se  sont, 
en  effet ,  réalisées  depuis  ;  nous  avons  déjà  parié  de  l'admiration  dont 
la  race  femeline  a  été  l'objet  lors  du  dernier  concours  régional  à  Colmar, 
ajoutons  encore  que,  d'après  une  récente  statistique ,  la  Haute-Saône, 
qui  autrefois  exportait  à  peine  quelques  bandes  de  bœufs  dans  les  villes 
voisines,  en  a  vendu ,  pendant  l'année  1862,  au  sucriers  et  aux  distil- 
lateurs du  Nord ,  pour  une  somme  de  trois  millions. 

ff  C'est  que  chaque  année,  dit  M.  de  Leusse  ^  le  conseil  général  de 
de  ce  département  vote  des  fonds  qui ,  joints  à  ceux  de  la  société  d'agri- 
culture, permettent  d'acheter  et  de  revendre  des  taureaux  de*  la  race 
indigène  ;  de  donner  des  primes  aux  jeunes  taurillons  élevés  dans  le 
pays ,  et  de  rétribuer  des  vétérinaires  chaînés  de  visiter  les  étables  pour 
y  choisir  les  sujets  les  plus  convenables  à  la  reproduction,  t 

Ces  lignes  seront  suffisantes  pour  faire  comprendre  la  nécessité  d'un 
registre  généalogique  dans  l'élevage  du  bétail.  Cette  nécessité  a  fait 
dire  naguère  à  un  agronome  allemand  que  ,•  plus  l'agriculture  fera  des 
progrès  plus  elle  exigera  de  nouvelles  mesures  y  car  ce  qui  ne  semblait 
être  qu'un  accessoire,  il  y  a  dix  ans,  est  déjà  devenu  aujourd'hui  une 
condition  rigoureuse. 

Malheureusement ,  en  Alsace  ,  nous  sommes  encore  loin  d'apporter 
dans  nos  essais  d'amélioration  les  mêmes  soins  que  nos  voisins.  Chez 
nous  les  sociétés  d'agriculture ,  les  comices ,  les  éleveurs  achètent  des 
taureaux  et  des  vachee  ;  il  leur  suffit  de  savoir  que  les  animaux 
proviennent  d'un  pays  étranger ,  jouissant  de  la  réputation  de  produire 

*  Lettre  adressée  au  Gonsefl  général  du  Bas-RUn. 


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ÉTUDES  SUR  l'Élevage  ,  l'entretien  ,  etc.  291 

de  bonnes  laitières^  pour  en  faire  l'acquisition  avec  une  conGance 
illimitée.  Il  leur  importe  fort  peu  de  savoir  si  le  rendement  du  lait  est 
en  rapport  avec  les  quantités  de  fourrages  que  ces  animaui  exigent ,  si 
la  transmigration  n'expose  pas  les  sujets  à  des  influences  pernicieuses 
et  enfin  si  la  souche  de  laquelle  proviennent  les  animaux  a  été  dans 
les  conditions  d'aptitudes  que  l'on  cherche  à  conquérir  pour  nos  races 
indigènes. 

Toute  ces  informations  cependant ,  suivant  M.  de  Saint-Feijeux  ont 
une  grande  importance,  c  Si  l'on  ne  s'informe  point ,  dit-il ,  des 
qualités  laitières  de  la  souche  à  laquelle  appartient ,  par  exemple ,  un 
taureau  que  l'on  achète ,  on  ne  pourra  avoir  des  vaches  laitières ,  on 
n'en  obtiendra  qu'exceptionnellement  et  que  par  hasard ,  car  il  est  un 
fait  bien  reconnu,  c'est  que^  généralement,  les  produits  femelles 
tiennent  leurs  qualités  du  père  et  les  produits  mâles  ont  les  qualités  de 
leur  mère.  Si  Ton  a  une  vache  bonne  laitière  et  qu'on  ne  l'accouple 
pas  avec  un  taureau  de  race  laitière ,  il  est  presque  certain  que  les 
vaches  que  l'on  obtiendra  n'auront  point  les  qualités  de  leur  mère. 

Si  le  Sîut'booch  constitue  une  mesure  de  pécantion  indispensable  là 
où  l'on  poursuit  sérieusement  le  perfectionnement  ou  le  maintien  des 
aptitudes  acquises  ,  il  n'est  pas  moins  nécessaire  lorsqu'il  s'agit  de  la 
conservation  de  la  forme  extérieure  des  animaux.  Ceci  nous  amène 
naturellement  à  dire  un  mol  de  l'importance  qu'il  faut  attacher  à  la 
constitution  apparente  des  races  bovines. 

Il  ne  peut  être  ici  question  de  déterminer  les  caractères  du  beau 
dans  les  productions  de  la  nature,  c'est-à-dire  d'un  jugement  esthétique. 
En  toute  chose  la  beauté  nous  semble  Atre  relative  et  n'être  réelle  que 
lorsqu'elle  répond  ou  au  désir  que  nous  éprouvons  ou  à  l'intérêt  qui 
nous  guide.  Ce  principe ,  toutefois ,  ne  doit  pas  nous  faire  accepter 
parfois  et  suivant  un  littérateur  célèbre ,  le  laid  pour  le  beau.  En  un 
mot,  une  défectuosité,  dans  les  proportions  ordinaires,  qui  nous  choque 
et  nous  repousse  ne  sera  jamais  conforme  au  sens  que  l'on  attache  à 
ridée  que  Ton  peut  avoir  sur  la  beauté  d'un  animal.  Pour  la  boucherie 
le  type  le  plus  parfait  est  évidemment  représenté  par  la  race  Durham  , 
d'abord  à  cause  de  sa  précocité  et  la  finesse  de  sa  charpente  osseuse 
et  ensuite ,  à  cause  de  l'énorme  développement  de  ses  chairs  et  de  sa 
graisse.  Pour  le  travail ,  au  contraire ,  on  recherche  des  membres 
plus  forts ,  des  jambes  plus  élevées  et  plus  nerveuses ,  des  jarrets  plus 
larges ,  une  tète  plus  fine  el  eufia  un  ventre  moins  pezulant.  Pour  les 


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292  REVUE  D' ALSACE. 

vaches  laitières  ie  type  est  plus  difficile  à  définir.  Â  part  les  signes 
extérieurs  auxquels  on  croit  pouvoir  reconnaître  les  qualités  laiteuses^ 
on  peut  dire  que  la  sécrétion  du  lait  caractérise  plus  ou  moins  toutes 
les  races  qui  habitent  les  climats  tempérés  :  sur  le  littoral  hollandais 
les  vaches  laitières  sont  souvent  maigres  et  élancées  tandis  que  dans 
d'aulres  contrées  elles  se  rapprochent  de  la  forme  des  bêtes  de  boucherie. 
En  somme,  au  lieu  de  se  rapprocher  des  contours  dont  Tensemble 
serait  agréable  à  nos  yeux ,  le  type  de  la  vache  laitière  s'en  éloigne 
généralement. 

<  Le  plus  souvent ,  dit  M.  Magne ,  les  vaches  très-bonnes  laitières 
sont  anguleuses  et  paraissent  plus  ou  moins  décousues,  t  Suivant  le 
savant  professeur  de  Técole  impériale  d'Alfort ,  on  trouverait  rarement 
des  glandes  mammaires  très-actives ,  avec  les  formes  gracieuses , 
potelées ,  qui  constituent  ce  qu'on  appelle  vulgairement  beatUé  dans 
les  quadrupèdes  Elles  peuvent  être  néanmoins  aussi  bien  conformées 
quant  à  la  charpente  osseuse  ,  que  les  vaches  remarquables  par 
l'aptitude  à  s'engraisser  où  à  travailler.  Rarement  en  état  d'embonpoint, 
elles  sont  minces  et  ont  les  saillies  osseuses  très-proéminentes ,  du 
moins  pendant  qu'elles  donnent  du  lait.  ^ 

^  En  outre ,  dit  encore  M.  Magne ,  le  régime  auquel  on  soumet  les 
laitières  tend  à  taire  paraître ,  quand  elle  sont  âgées ,  la  poitrine  étroite 
et  le  ventre  gros.  Il  en  résulte  que  le  corps  paraît  resserré ,  sanglé  au 
milieu  de  la  poitrine.  La  graisse  qui,  comme  on  sait,  s'accumule 
surtout  dans  les  vides  qui  existent  autour  des  organes  et  en  particulier 
derrière  l'épaule,  est  peu  abondante  et  manque  dans  cette  région. 
Cette[conformation  disgracieuse  ,  conséquence  de  la  maigreur  produite 
par  le  régime  auquel  les  vaches  sont  soumises,  et  de  l'épuisement 
qu'occasionne  la  sécrétion  des  mamelles,  à  été  souvent  confondue 
avec  l'étroitesse  constitutionnelle  du  corps.  On  a  été  jusqu'à  la  con- 
sidérer comme  un  caractère  essentiel  d'une  grande  activité  des  glandes 
mammaires.  En  attribuant  cette  importance  à  l'exiguité  de  la  poitrine , 
ajoute  M.  Magne,  on  a  confondu  l'effet  avec  la  cause.  » 

Nous  ne  saurions  trop  recommander  aux  éleveurs  alsaciens  le  livre 
de  M.  Magne  traitant  du  choix  des  vaches  laitières  \  C'est  un  aperçu 
à  la  fois  rapide  et  substantiel  de  tous  les  systèmes  qui  ont  étéélaborés^ 
jusqu'à  ce  jour,  à  ce  sujet.  Il  est  de  nature  non-seulement  à  servir  de 

'  Paris ,  librairie  agricole  de  la  maison  rustique ,  rue  Jacob,  S6. 


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ÉTUDES  SUR  L*ÉLEVAGE  ,  l'eNTRBTIEN  y  ETC.  ^93 

guide  à  nos  cultivateurs  dans  l'entretien  des  races  bovines  mais 
encore  à  nos  comices  agricoles.  Trop  souvent  dans  les  concours 
organisés  par  ces  sociétés  les  jurys  se  laissent  influencer  par  les 
contours  gracieux  et  les  formes  potelées  sans  se  rendre  exactement 
compte  du  but  de  Télevage  des  sujets  exposés. 

«  Des  génisses  élevées  avec  des  aliments  succulents ,  dit  H.  Magne , 
avec  des  farines  et  des  tourteaux ,  sont  grasses ,  à  corps  cylindrique , 
très-bonnes  pour  la  boucherie,  mais  médiocres  pour  donner  du  lait... 
Il  arrive  assez  souvent  que,  près  des  villes,  des  propriétaires  ayant 
de  belles  et  excellentes  vaches ,  de  jolies  chèvres,  bonnes,  très-bonnes 
pour  le  lait ,  veulent  en  conserver  1^  race  ;  ils  élèvent  des  génisses  et 
des  chevrettes,  les  soignent  et  les  nourrissent  très -bien.  Nous  n'en 
avons  jamais  vu  qui  aient  produit  de  très-bonnes  laitières.  » 

c  Ont  également  peu  de  quaUtés,  fait  encore  remarquer  M.  Magne, 
celles  qui  broutent  sur  des  pâturages  secs ,  peu  fertiles ,  où  Therbe 
est  plutôt  très-nutritive  qu'abondante,  tandis  que  les  herbes  abondantes , 
mais  peu  substantielles ,  la  dépaissance  sur  les  herbages  frais,  favorisent 
la  production  de  bonnes  vaches.  > 

Ce  sont  là  des  faits  très-instructifs  que  le  savant  professeur  ne 
signale  sans  doute  qu'à  la  suite  de  nombreuses  observations.  Ces  faits 
sont  assurément  d'une  haute  valeur  pour  l'Alsace  où  Pon  ne  poursuit 
dans  l'élevage  ni  un  but  déterminé  ni  un  principe  arrêté.  Il  en  résulte 
que  dans  ces  circonstances  et  lors  des  expositions  publiques  des 
animaux,  les  jurys  ont  une  mission  à  la  fois  difficile  et  délicate  à  remplir. 
N'ayant  ni  de  but  bien  déterminé  à  encourager  ni  un  principe  basé  sur 
des  données  scientifiques  et  pratiques  à  apprécier,  il  n'est  pas  sur- 
prenant de  voir  parmi  les  membres  même  des  jurys  de  nos  comices 
surgir  quelquefois  des  discussions  regrettables  et  les  primes  et  les  en- 
couragements dont  ils  disposent  rester  sans  résultat  dans  l'amélioration 
de  nos  races  bovines. 

Ces  considérations  nous  engagent  à  placer  ici  un  exemple  de  la 
marche  suivie  par  les  sociétés  anglaises  lors  des  exhibitions  des  races 
bovines.  L'échelle  suivante,  établie  par  des  points  et  appliquée 
spécialement  à  l'appréciation  de  la  race  laitière  de  Sersey ,  fera  immé- 
diatement entrevoir  au  lecteur  la  méthode  simple  et  facile  qui  guide 
les  juges  de  ces  concours. 


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iM  REVUE  D* ALSACE. 

APPRÉGIATIOM  DES  TAUREAUX. 

Art.  1.  Pureté  conoue  du  côté  paternel  et  maternel  d^une  race 
donnant  beaucoup  de  lait  et  de  beurre 4  points. 

Art.  2.  Tète  fine  et  pointue ,  joues  étroites ,  bouche  fine  et 
à  bords  blancs ,  narines  hautes  et  ouvertes ,  cornes  lisses , 
annotées ,  pas  trop  épaisses  à  leur  base  et  se  terminant  en 
pointes ,  noires  à  l'extrémité  ;  oreilles  petites ,  de  couleur 
orange  à  l'intérieur,  yeux  grands  et  vifs 8    — 

Art.  S.  Encolure  fine  et  légère,  bien  remplie  vers  les 
épaules ,  poitrail  lai^e ,  corps  en  forme  de  tonneau ,  profond, 
les  côtes  s'étendant  jusque  près  des  hanches 3    ~- 

Art.  4.  Dos  droit  du  garrot  jusqu'à  l'attache  de  la  queue , 
en  angle  droit  avec  celle-ci ,  queue  fine ,  descendant  jusqu'à 
deux  pouces  au-dessus  du  jarret 3    — 

Art.  5.  Peau  fine  et  lâche,  souple,  bien  garnie  de  poils 
mous  et  fins  de  bonne  couleur 3    — 

Art.  6.  Les  avant-bras  larges  et  robustes ,  les  jambes  courtes 
et  droites ,  grosses  et  pleines  au-dessus  des  genoux  et  fines 
en  dessous .2    — 

Art.  7.  Quartier  de  derrière,  depuis  la  hanche  jusqu'à 
l'extrémité  du  dos ,  long  et  bien  rempli ,  les  jambes  de  der- 
rière peu  obliques  dans  la  marche 2    — 

Art.  8.  Croissance i    — 

Art*  9.  Apparence  générale 2    — 

Perfection  ....  28  points. 

Aucun  prix  n'est  accordé  pour  un  taureau  qui  n'obtient  pas  au 
moins  20  points. 

11  est  inutile  de  transcrire  également  les  divers  articles  qui  se  rap- 
portent aux  vaches  et  génisses.  Cet  exemple  est  certainement  suffisant 
pour  démontrer ,  d'une  part ,  le  procédé  méthodique  que  l'on  emploie 
et ,  de  l'autre ,  l'importance  que  nos  voisins  attachent  à  leurs  exhibitions. 
Nous  regrettons  de  ne  pas  posséder  des  documents  relatifs  an  procédé 
usité  dans  nos  concours  régionaux  ;  il  doit  y  avoir  évidemment  entre 
le  procédé  anglais  et  celui  qui  guide  les  appréciations  en  France  de 
l'analogie  sous  plus  d'un  rapport.  Nous  ferons  toutefois  remarquer  que 
l'écheHe  doit  nécessairement  varier  suivant  les  races,  suivant  leur 
destination  et  suivant  les  localités. 


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ÉTUDES  SUR  L*ÉLEVAGE  ,  I/BNTRBTIBN  ,  ETC.  295 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  dans  les  concours  que  des  principes 
raisonnes  seraient  nécessaires  pour  guider  ceux  qui  ont  à  décerner 
des  récompenses.  C'est  à  nos  populations  agricoles ,  à  nos  éleveurs  y 
à  nos  paysans  comme  à  nos  montagnards  qu'il  faudrait  pouvoir  faire 
connaître  la  nécessité  et  l'importance  d'observer ,  dans  l'élevage ,  des 
principes  généraux  qui ,  dès  la  naissance  du  veau ,  les  guiderait  plus 
sûrement  que  ne  peuvent  le  faire  les  constellations  planétaires!  N'estril 
pas  déplorable  de  voir  encore  aujourd'hui  des  tlétenteurs  d'animaux 
consulter,  par  exemple ^  l'état  de  la  lune  au  moment  de  la  parturition 
et  considérer  cet  état  comme  pronostic  des  aptitudes  futures  de  l'animal 
nouveau- né. 

Telle  est  cependant ,  dans  bien  des  contrées  de  notre  Alsace ,  dont 
les  populations ,  sont  si  laborieuses ,  l'unique  indication  qui  les  guide 
dans  le  choix  des  veaux  destinés  à  vivre  ou  à  être  livrés  au  boucher. 
Mais  ce  n'est  pas  seulement  au  moment  de  sa  naissance  que  le  préjugé 
et  l'ignorance  entourent  souvent  l'animal  ;  arrivé  à  l'âge  d'adulte ,  il 
est  encore  soumis  à  d'autres  influences  mystérieuses  qui  l'empêchent 
tantôt  à  prendre  graisse  tantôt  à  donner  un  lait  abondant. 

C'est  ainsi  qu'un  riche  propriétaire  nous  disait  un  jour,  avec  une 
conviction  inébranlable*  que  c'était  sa  vieille  et  misérable  voisine  qui, 
par  des  maléfices ,  l'empêchait  depuis  de  longues  années  de  réussir 
dans  l'entretien  de  son  bétail. 

En  eflet ,  chaque  année  notre  riche  propriétaire  achète  des  bêtes 
bien  portantes  et  les  revend  chaque  année  dans  un  état  de  dépéris- 
sement complet.  Mais  il  suffit  de  jeter  un  coup-d'œil  dans  l'intérieur 
de  ses  étables ,  sur  la  malpropreté  qui  y  domine ,  sur  les  portes  et 
fenêtres  mal  jointes  donnant  passage  à  des  courants-d'air  même  au 
milieu  de  l'hiver,  et  on  devinera  facilement  le  motif  véritable  des 
mécomptes  qui  en  résultent. 

Mentionnons  encore ,  avant  de  terminer  ce  chapitre  un  exemple  de 
traitement  curatif  opéré  tantôt  par  des  bouchers  ruinés  tantôt  par  des 
maréchaux-ferrants  et  qui,  abusant  de  la  crédulité  et  souvent  de 
l'ignorance  des  populations  rurales  «  exercent  encore  à  l'heure  qu'il 
est  publiquement  et  impunément  le  métier  de  vétérinaire. 

Une  vache  est-elle  triste,  son  appétit  lui  fait-il  défaut,  son  poil 
e?t-il  hérissé  et  sa  peau  adhérente ,  on  décide  immédiatement  qu'elle 
est  possédée  par  un  esprit  malin.  Pour  chasser  l'hôte  incommode  on 
pratique  à  l'extrémité  de  la  queue  de  l'animal  malade  deux  incisions 


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296  REVUE  D'ALSACE. 

en  croix ,  on  en  tire  quelques  gouttes  de  sang  et ,  si  la  béte  ne  guérit 
pas  dans  quelques  temps ,  c'est  que  le  détenteur  de  la  bête  n'avait  pas 
sufBsament  de  foi  dans  l'opération  mystique  \ 

Nous  demandons  pardon  à  nos  lecteurs  de  nous  être  arrêté  à  ces 
préjugés ,  mais  qui  sont  d'autant  plus  fâcheux  qu'ils  constituent  3  eu 
face  du  progrès ,  des  obstacles  sérieux.  Hâtons-nous  cependant  d'ajouter 
que  le  campagnard  alsacien  est  généralement  l'ami  des  animaux  do- 
mestiques ,  qu'il  les  traite  avec  douceur  et  qu'il  ne  repousse  pas  systé- 
matiquement les  conseils  qu'on  lui  donne  et  que,  si  le  jugement,  basé 
sur  des  données  de  la  science  lui  fait  souvent  défaut ,  c'est  peut-être 
moins  la  faute  de  celui  qui  pioche  la  terre  à  la  sueur  de  son  front 
que  la  faute  de  ceux  qui  ont  mission  de  l'éclairer  et  de  l'instruire. 

J.  F.  Flaxland. 
(La  fin  proehainemenl.) 


*  Une  Société  de  véiéiinaires  d'AUace ,  dit-on  ,  est  sur  le  point  de  se  former  ; 
soD  but  sera  de  mainteair  l'exercice  de  l'art  dans  les  voies  utiles  au  bien  public 
et  à  la  dignité  de  la  profession  ;  de  se  rendre  utile  à  Tadministration  et  à  Tagri- 
culture ,  de  contribuer  aux  progrès  de  la  science  vétérinaire  et  de  rendre  cette 
profession  aussi  considérée  qu'elle  doit  l'être. 

Il  est  de  fait  que  la  considéraUon  accordée  par  nos  populations  agricoles  à  l'art 
vétérinaire  laisse  beaucoup  à  désirer.  D'un  autre  côté  et  malheureusement  le 
nombre  des  vétérinaires  est  trop  peUt  et  les  distances  qui  les  séparent  les  uns  des 
autres  ne  permettent  pas ,  le  plus  souvent ,  d'avoir  recours  à  eux  au  moment 
même  où  leur  présence  serait  nécessaire.  Cette  circonstance  contribue  évidem- 
ment à  l'opiniâtreté  avec  laquelle  les  campagnards  restent  attachés  aux  médecins 
empiriques  des  communes. 

Espérons  que  la  sympathie  publique  ne  fera  point  défiiut  à  la  société  en  ques- 
tion dont  l'uUUté  semble  être  à  tous  égards  incontestable. 


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HISTOIRE  DE  LA  VILLE  DE  SOULTZ. 


—  Suiie  ♦.  — 
CHAPITRE  V. 

DU  HAUT-MUNDAT  EN  GÉNÉRAL  BT  DU  BAILLIAGE  DE  SOULTZ 
EN  PARTICULIER. 

§    1- 

Le  HauUMundat  était  composé  de  trois  bailliages  (Vogieyen)  ,  celui 
d'Eguisheim ,  celui  de  Rouflach  et  celui  de  Soultz.  L'Obervogt  ou  gou- 
verneur était  le  premier  magistrat  du  Mundat ,  nommé  par  le  prince- 
éyéque  ;  il  était  presque  toujours  choisi  dans  la  classe  équestre ,  rare- 
ment dans  la  bourgeoisie.  C'est  lui  qui  présidait  le  tribunal  judiciaire 
et  les  assemblées  populaires  ;  c'est  lui  qui  commandait  la  milice.  Pendant 
longtemps  le  Hundat  ne  possédait  qu'un  Vogt  sans  résidence  fixe,  tenant 
même  ses  assises  à  Heyenheim ,  au  temps  où  cette  charge  était  hérédi- 
taire y  dans  la  maison  des  Habsboui^.  Plus  tard ,  le  gouverneur  résidait 
tantôt  à  Soultz ,  tantôt  à  Rouflach ,  mais  le  plus  souvent  dans  cette 
dernière  ville;  il  avait  alors  sous  lui  des  Untervogts  pour  administrer 
les  autres  districts  ;  au  quinzième  siècle ,  les  trois  Vogieyen  furent  indé- 
pendantes les  unes  des  autres.  Dès  1491 ,  il  y  avait  des  Vogts  spéciaux 
à  Soultz.  Au  commencement  du  dix-septième  siècle ,  le  bailli  de  Soultz 
devint  Obervogt  (grand-bailli)  ;  vers  la  fin  du  môme  siècle ,  cette  charge 
fut  supprimée ,  et  remplacée  par  celle  d'Amptmann  pourvue  de  toutes 
antres  attributions.  L'Amptmann  n'était  pas  un  personnage  aussi  omni- 
potent que  le  Vogt ,  ses  fonctions  étaient  plutôt  judiciaires  qu'adminis- 
tratives. 

Voici  le  catalogue  incomplet  des  grands-baillis  du  Haut-Mundat  : 
Année  1111.  Otton  II,  comte  de  Habsbourg  et  landgraf  de  la  Haute- 
Alsace. 

—    1134.  Adelbert,  frère  du  précédent. 

*  Voir  tes  livraisons  de  Dovembre  et  décembre  1861  ,  psgcs  499  et  !$29 ,  mars 
1862,  page  155 ,  novembre  1»63,  page  496  et  mai  1866,  page  i49. 


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298  RBVUB  D' ALSACE. 

Année  1135.  Werner ,  comte  de  Habsbourg. 

-  1186.  Adelbert  III,  surnommé  le  Riche. 

-  1199.  Rodolphe,  fils  d'Adelberl  lU. 

-  1232.  Adelbert  IV ,  dit  le  Sage. 

—  1235.  Rodolphe-le-Tacitume  ,  frère  du  précédent. 

—  1242.  Rodolphe  de  Habsbourg,  comte  de  Kybourg ,  fils  d'Adel- 

bert  IV  ,  plus  lard  roi  des  Romains  et  empereur  d'Alle- 
magne. Après  que  Rodolphe  eut  résigné  cette  charge 
Ton  trouve  : 

—  1292.  Théobald ,  comte  de  Ferrette. 

—  1299.  Jean  de  Lichtenberg^  neveu  de  Tévéque. 

—  1332.  Le  chevalier  Berthold  de  Waldner. 

—  1342.  Le  chevalier  Jacques  de  Schœnau. 

—  1416.  Werner ,  burgraf  de  Souitzmatt. 

—  1440.  Thuring  de  Holveil. 


Traité  conclu  en  Van  1498  entre  VMjêque  Albert  et  Maximilimy  rai  des 
Romains  et  Umdgraf  de  la  Haute- Alsace ,  à  Fribourg  en  Brisgau. 

1«  L'empereur,  comme  landgraf,  et  les  landgrafs  ses  successeurs , 
pourront  toujours  passer  librement  par  rOber-Muodat  avec  leurs 
escortes  ;  les  évéques  de  Strasbourg  devront  les  accompagner. 

i9  Pour  toutes  les  affaires  que  le  landgraf  peut  avoir  en  Alsace ,  les 
sujets  de  Tévêché  dans  TOber-Mundat  doivent  être  prêts  à  marcher  ; 
d'autre  part ,  et  par  reconnaissance  ,  les  sujets  de  Tempire  leur  prête- 
ront assistance  et  secours ,  toutes  fois  qu'ils  en  auront  besoin;  si  cepen- 
dant il  y  a  des  frais ,  ils  restent  pour  le  compte  des  assistés  (les  gens  de 
révêque.) 

S^  En  tout  temps ,  le  landgraf  aura  l'entrée  libre  à  Soullz ,  si  le  besoin 
du  temps  le  requiert ,  sans  préjudice  des  droits  de  l'évêque,  qui  doivent 
être  conservés  en  leur  entier  et  protégés  par  le  landgraf. 

4<*  Jungholtz  (château  et  village)  sera  cédé  en  fief  à  Nicolas  de 
Schauenbourg. 

Par  contre  Maximilien  donne  de  nouveau  Souitz ,  Jungholtz  avec  les 
endroits  dépendants ,  à  l'évêque ,  et  décharge  les  magistrats  des  dits 
endroits  du  serment  de  fidélité  qu'ils  lui  ont  prêté  et  devaient  lui  prêter; 


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HISTOIRE  DE  LA   VILLE  DE  SOULTZ.  f99 

toate  fois  à  charge  par  le  dit  évêque  de  les  laisser  jouir  paisiblement  de 
leurr  anciens  droits  et  privilèges  '. 

LE  BAILLIAGE  DE  SOULtZ  ,    SA  CONSTITUTION  POLITIQDE  , 
SES  IMPÔTS,  ETC. 

§2. 

Le  bailliage  de  Soultz ,  un  des  plus  petits  de  révéché ,  fit  partie  du 
Haut-Mundat  vers  l'année  1015  ;  il  a  toujours  été  séparé  de  celui  de 
Rouffach.  En  1760,  il  fut  amoindri  des  villages  de  Hartiiianswiller  et 
de  Rimbach-Zell ,  que  le  cardinal  de  Rohan  échangea  aux  sieurs  de 
Waldner  contre  le  village  de  Schweinheim ,  qui  se  trouvait  enclavé  dans 
le  district  épiscopal  de  Saverne  ;  de  cette  façon ,  le  bailliage  de  Soultz , 
en  1789,  ne  comprenait  plus  que  la  ville  de  Soultz  et  le  village  de 
Wuenheim ,  lesquels  ne  formaient  qu'un  seul  et  même  ban. 

Junghoitz  parait  avoir  fait  autrefois  partie  de  ce  bailliage,  avant 
qu'il  eut  été  donné  en  fief  par  Tévêché. 

La  recette  du  bailliage  de  Soultz  ayant  toujours  été  confondue  avec 
celle  du  bailliage  de  Rouffach ,  le  receveur  qui  avait  les  deux  districts 
ne  rendait  qu'un  seul  et  même  compte  ;  si  donc  l'on  désire  connaître 
ces  états,  il  faut  recourir  à  ceux  qui  se  trouvent  cotés  au  titre  Bailliage 
de  Rouffach ,  page  64  de  la  première  partie  de  l'inventaire  de  Gran- 
didier. 

Le  fermier  de  l'évêché  sous-baille  le  débit  de  fer  dans  le  district  de 
Soultz,  en  1694,  au  sieur  Hirz,  juif  demeurant  à  Soultz.  Hirz  devra 
fournir  du  bon  fer  et  au  prix  qu'il  se  vend  dans  le  bailliage  de  Rouffach. 
Il  le  vendra  seul ,  nul  autre  n'en  pourra  trafiquer  sous  peine  de  100 
livres  d'amende  et  de  confiscation;  par  contre,  le  sous-fermier  doit 
payer  au  fermier  75  florins  ;  en  cas  de  guerre  ou  de  circonstances  ma- 
jeures ,  le  bailleur  indemnisera  Hirz ,  le  bail  est  conclu  pour  six  années. 

En  1706  fut  faite  une  estimation  générale  de  tous  les  biens  immeubles 
des  habitants  du  bailliage ,  avec  la  répartition  des  impositions  levées 
sur  les  dits  biens  ;  de  plus  ,  un  détail  de  tous  les  habitants  et  de  tous 
les  bestiaux. 

'  La  rédaction  de  ce  chapitre  est  basée  sur  les  données  que  nous  avons  puisées 
dans  Tinveniaire  manuscrit  de  Grandidier ,  concernant  les  bailliages  de  l'évêché 
de  Strasbourg. 

Ce  manuscrit  existe  aux  archives  de  la  préfecture  du  Haut-Rhin. 


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300  REVUE  D* ALSACE. 

Le  bailli  peut  tenir  ses  audiences  en  la  ville  de  Soultz ,  mais  le  ma- 
gistrat de  la  ville  seul  doit  connaître  les  différends  entre  les  bourgeois 
de  la  commune.  (Sentence  épiscopale  de  4712.) 

L'évéque  jouit  du  droit  de  bâtardise  dans  tout  l'Ober-Hundat. 

En  1581 ,  le  sieur  Lidi ,  greffier  à  Soultz,  expose  à  Tévêque  Jean  lY, 
qu'il  est  né  bâtard  et  de  par  là  incapable  de  tester  de  son  bien ,  lequel , 
selon  les  règlements  de  Tévêché,  était,  de  droit,  dévolu  au  seigneur 
évéque ,  ainsi  que  celui  de  tout  bâtard  résidant  dans  Tévéché. 

Il  demande,  vu  les  services  qu'il  a  rendus  au  public  comme  greffier, 
le  droit  de  tester.  L'évéque  communique  la  requête  à  la  régence  qui 
trouve  que  le  dit  greffier ,  par  grâce  ^  mérite  cette  faveur. 

D  résulte  de  plusieurs  contestations  qui  eurent  lieu  en  1660  et  1770, 
que  révéché  avait  pleine  juridiction  haute  et  basse  sur  OUwiller  et 
Hartmanswiller ,  et  ce  au  détriment  de  la  famille  Waldner. 

DOMAINES    KT   RKNTKS. 

Péage.  —  En  Tan  1254 ,  Guillaume  de  Soultz  se  reconnaît  vassal  et 
homme-lige  de  l'évéque  Henri  et  lui  donne  la  jouissance  de  sa  forte- 
resse sise  au  dit  Soultz  ;  par  contre ,  l'évéque  lui  donne  la  rente  de 
douze  livres  deniers  à  Sundhoffen  ,  et  le  péage  de  la  ville  de  Soultz ,  et 
ce,  jusqu'à  concurrence  de  *30  marcs  d'argent. 

Le  château  de  Junghoitz,  en  1419,  est  vendu  pai*  Louis,  comte 
palatin  ,  en  qualité  de  tuteur  de  l'enfant  délaissé  par  le  comte  Burcart 
de  la  Petite-Pierre,  à  l'évéque  Guillaume,  pour  la  somme  de  1200 
florins. 

Bains.  —  En  1537  l'évéque  Guillaume  III  donne  ,  à  bail  emphitéo- 
lique  perpétuel ,  la  maison  des  bains  situés  à  Soultz ,  à  un  nommé 
Antoine  Schardin ,  surnommé  Ruxingen ,  bourgeois  de  Strasbourg , 
moyennant  un  canon  annuel  de  deux  livres  deniers  ,  valeur  de  Stras- 
bourg. 

Buchiuck.  —  La  ville  et  le  château  du  Buchneck  appartiennent  à 
l'évéque  avec  tous  les  droits  régaliens  qui  en  dépendent. 

Prévôté.  —  La  prévôt  de  Soultz  est  composé  de  Soultz ,  Wuenheim 
et  Rimbach-Zell  ;  elle  est  de  l'Ober-Mundat  (1760). 

Tous  le  bâtiments  publics  de  la  ville  sont  réparés  aux  frais  de  la  dite 
ville ,  laquelle ,  pour  les  dites  réparations ,  a  le  droit  de  commander 
des  corvées. 


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HISTOIRE  DB  LA   VILLE  DE   SOULTZ.  301 

Les  réparations  du  château  sont  à  la  charge  de  Tévéque. 

Les  habitants  de  toule  la  prévôté  sont  tenus  ,  en  ces  cas  et  pour  cet 
effet ,  de  faire  des  corvées. 

Le  château  a  le  droit ,  qu'on  y  peut  faire  couler  une  partie  de  Teau 
qui  fait  aller  le  moulin  dit  Grabenmdhle. 

Ceux  de  Soultz  et  de  Wuenheim  y  doivent  conduire  quatre  chariots 
de  bois  (chacun  de  ceux  qui  ont  cheval  et  voiture)  ;  ce  bois  appartient 
au  bailli  pour  une  partie  de  ses  gages. 

L'évèque  a  une  maison  près  de  l'église  dite  maison  des  dîmes ,  elle 
lui  appartient  en  propre  ;  aussi  les  réparations  sont  à  sa  charge. 

Echalas  et  corvées.  —  La  ville  donne  8000  échalas  pour  les  vignes 
de  Févêque  situées  à  Rouffach  et  à  Orschwihr.  Les  habitants  de  Wuen- 
heim sont  obligés  de  les  y  conduire. 

En  4719  le  cardinal  de  Rohan  enjoint  au  bailli  de  Soultz  de  faire 
enlever,  par  corvées,  les  décombres  du  vieux  château  du  dit  lieu ,  en 
place  duquel  l'évêque  entend  en  bâtir  un  nouveau  ;  il  lui  ordonne 
d'employer  des  corvées  d'hommes ,  de  chevaux  ,  de  voitures  et  de  faire 
couper  le  bois  de  bâtiment  nécessaire  pour  le  nouveau  château. 

DROITS  HONORiriQnKS  ET  UTILES  >. 

Contributions,  —  La  collecte  de  Soultz  est  de  50  marcs. 

L'umgeld  et  le  péage  se  montent  à  60  livres  deniers  ,  quelque  fois 
plus  ,  quelque  fois  moins. 

Les  petites  amendes  s'afferment  d'ordinaire  pour  SO  livres  deniers. 
A  la  marge  il  est  dit  qu'elles  sont  données  au  prévôt. 

La  cour  de  Rutschin  donne  annuellement  un  cens  de  30  schillings. 

La  vente  des  grains  sur  le  marché  produit  annuellement  16  rézeaux 
de  seigle  et  d'orge. 

La  ville  donne  39  florins  de  gewerff  %  29  pfund  steblers  de  droit  de 
corvées  de  bois,  pour  remplacer  les  corvées  de  bois  qu'elle  était 
obligée  de  faire. 

L'évêque  a  les  deux  tiers  du  droit  d'umgeld  ;  ce  droit  est  de  six  pots 
par  mesure  de  vin  ^. 

'  Nous  résumoDS  ici  ce  que  dous  avons  trouvé  de  droits  utiles  djins  un  registre 
traitant  des  droits  et  biens  de  Tévècbé  ,  registre  sans  date  mais  présumé,  par  son 
contenu  et  son  caractère  ,  être  dn  commencement  du  14«  siècle  (1320). 

'  La  taille.  —  *  impôt  sur  le  vin. 


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302  REVUE  D*ALSAGE. 

La  ville  perçoit  seule  le  droit  dit  baser  Pfennig ,  qui  est  d'un  HeUer 
pour  chaque  mesure  de  vin  ,  qui  paie  Tuingeld. 

Le  droit  de  pontenage  *  appartient  moitié  è  la  ville  et  moitié  i  Té- 
vêque.  L'abbaye  de  Hurbach  ,  la  maison  d'Issenheiro  (les  autorités)  et 
les  sieurs  de  Schauenbourg  en  sont  francs  (exempts). 

Le  droit  qui  se  perçoit  sur  le  débit  du  grain  appartient  à  Tévêque 
seul  ;  il  ne  se  prend  que  sur  les  étrangers  qui  vendent  du  grain. 

Celui  qui  se  perçoit  sur  le  débit  du  vin  appartient ,  pour  les  deux 
tiers  y  à  la  ville. 

Le  PfumdzoU  *  et  le  Haarzoll  appartiennent  à  Févéque  seul. 

Tout  étranger  qui  vend  du  sel  à  Soultz  paie  un  droit  dont  la  moitié 
est  à  révèque  et  l'autre  moitié  à  la  ville. 

Toutes  les  amendes,  grandes  et  petites  ,  appartiennent  à  l'évèque , 
à  l'exception  de  celles  qui  ont  pour  objet  les  délits  forestiers  et  ceux 
commis  tians  les  champs  du  ban  ,  et  ceux  commis  par  les  gens  de  mé- 
tier dans  la  profession  de  leur  métier. 

L'évèque  y  perçoit  aussi  une  partie  d'un  droit  dit  Erbgtdden ,  ou 
droit  de  succession.  La  moitié  en  appartient  à  l'évèque ,  et  l'autre 
moitié  au  prévôt  du  lieu  où  la  succession  se  prend. 

L'évèque  a  le  droit  de  désKérence ,  c'est-à-dire  le  droit  de  s'emparer 
de  toutes  les  successions  vacantes  ;  il  a  aussi  le  droit  de  bâtardise. 

La  commanderie  de  Halte ,  située  à  Soultz ,  devait  annuellement 
donner  un  repas  au  magistrat  de  la  ville  ;  en  1750  le  commandeur  s'y 
refusa ,  de  là  un  long  procès. 

Le  Gewerfon  la  taille  est  imposée  toutes  les  années  de  nouveau  ,  ou 
plutôt  la  répartition  du  Gewerf  se  fait  toutes  les  années  vers  la  Saint- 
Adolphe  ,  en  présence  du  bailli ,  des  quatre  chefs  de  tribu  et  de  quatre 
bourgeois.  Ces  chefs  de  tribu  et  ces  quatre  bourgeois  prêtent  préalable- 
ment serment  d'y  procéder  selon  leur  conscience.  La  répartition  se  fait 
alors  suivant  les  facultés  d'un  chacun  ,  dont  la  cote  augmente  ou  dimi- 
nue ,  suivant  que  ses  ressources  ont  augmenté  ou  diminué. 

En  1589  cet  impôt  était  de  illi  livres. 

Quant  à  l'umgeld^  le  titre  porte  qu'on  décomptera  tous  les  mois  avec 
les  cabaretiers ,  en  présence  du  prévôt ,  du  greffier ,  du  bourgmestre  , 
du  magistrat  et  des  chefs  de  tribu. 

*  Brûekemoll. 

*  Le  Pfund%oU  se  prélevait  sur  les  marchandises  et  denrées  qu*on  étalait  en 
vente  sur  le  marché  de  la  ville. 


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HISTOIRE  DE  LA  VILLE  DE  SOULTZ. 

Du  produit  du  dit  impAt  on  paie  d'abord  : 

1^  BibcUia ,  ou  les  frais  de  bouche  du  prévôt ,  greffier,  bouî^mestre 
et  autres  qui  y  ont  assisté ,  laquelle  dépense  pour  lors  monta  à  six 
schillings  et  huit  pfennigs. 

2*  A  chaque  cabaretîer  on  donne  ou  plutôt  on  fait  remise  de  deux 
pots  de  vin ,  nommé  vin  d'église ,  que  le  sacristain  cherche  toutes  les 
semaines  chez  eux  (probablement  à  tour  de  rôle). 

3^  On  paie  aussi,  de  l'umgeld,  lesbangards,  lorsqu'on  les  a  envoyés 
quelque  part,  au  nom  de  l'évêque ,  à  raison  de  quatre  schillings  par 
mille. 

4^  On  en  paie  un  pot  de  vin ,  qui  est  bu  lors  du  décompte  de  cet 
umgeld. 

Le  restant  est  partagé  en  trois  parties,  le  prévôt  au  nom  de  l'évêque, 
en  prend  deux ,  et  le  bourgmestre ,  au  nom  de  la  ville ,  en  prend  une. 

(InFtruction  donnée  par  le  magistrat  de  Soultz  sur  la  manière  de 
percevoir  l'umgeld  et  le  gewerf  au  dit  lieu ,  et  sur  l'usage  qui  en  a  été 
fait  en  1589.) 

RÈGLEMENTS   DE  POLICE   ET  DE  JUSTICE. 

1576.  Service  divin.  —  Le  magistrat  assistera  au  service  divin  dévo- 
tement et  dès  le  commencement ,  tout  rassemblé  dans  un  banc  et  non 
dispersé  dans  l'église  ;  il  veillera  à  ce  que  le  dit  service  divin  soit  fait 
et  observé  avec  respect. 

1628.  Défense  au  prévôt  de  Soultz  de  se  nommer  Stadihalier.  —  La 
régence  défend  au  magistrat  de  Soultz  d'appeler  son  prévôt  Vogtey- 
Stadlhalter ,  quoique  depuis  un  temps  immémorial  le  prévôt ,  en  l'ab- 
sence du  bailli ,  administrait  la  vogtey. 

Livrée  des  sergenls  de  ville.  —  A  la  même  époque ,  la  régence  d'En- 
sisheim  consent ,  à  la  requête  du  magistrat  de  Soultz ,  que  les  sergents 
de  ville  portent  pour  livrée  un  habit  moitié  blanc,  moitié  rouge ,  comme 
les  sergents  des  autres  villes  de  l'évèché ,  au  lieu  de  noir  et  blanc 
qu'ils  portaient  auparavant, 

1616.  Réforme  des  magistrats  ^  parents  ou  alliés  entre  eux Le 

procureur  fiscal  de  l'évèché  se  plaint  à  la  régence  de  ce  que  certains 
membres  du  magistrat  de  Soultz,  lesquels  sont  parents  et  alliés, 
cherchent  à  se  perpétuer  dans  leurs  charges  ;  la  régence ,  par  plusieurs 
décrets,  ordonne  la  réforme  qui  fut  exécutée. 


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304  REVUE   D*ALSÀCE. 

1715.  Le  bailli  ne  sera  juge  des  bourgeois  de  la  vHle  que  conjoinle- 
ment  avec  le  magistrat.  —  D'après  une  minute  d'une  sentence  de  la 
régence ,  le  bailli  pourra  tenir  ses  audiences  en  la  ville  de  Soultz  ;  mais 
il  reste  stipulé  qu'il  ne  connaîtra  privativement  au  magisu^at ,  d'aucun 
différend  entre  bourgeois ,  et  qu'il  ne  pourra  en  connaître  qu'en  allant 
présider  aux  audiences  du  magistrat.  Le  bailli  connaît  néanmoins  des 
différends  des  bourgeois  qui,  d'un  commun  accord,  le  prennent  pour 


1765.  Non^e  de$  magistrats,  —  D'après  deux  arrêts  du  Conseil 
d'Etat  du  roi,  l'évêque  est  autorisé,  dans  toutes  les  villes  qui  dépendent 
de  son  domaine ,  de  ne  conserver ,  en  fait  de  magistrat,  que  le  prévôt, 
le  procureur  fiscal ,  le  greffier ,  un  bourgmestre  et  cinq  conseillers  de 
ville  ;  à  l'effet  du  même  arrêt,  l'évêque  de  Strasbourg  est  invité  à  faire 
cette  opération  à  mesure  que  le  temps  de  l'exercice  des  officiers  en 
place  est  accompli  ;  le  tout  sans  rien  innover  à  la  forme  de  l'élection  , 
qui  sera  faite  selon  l'ancienne  coutume  ,  en  présence  du  commissaire 
de  l'évêché,  et  conformément  aux  ordonnances  concernant  les  degrés 
de  parenté.  Les  trois  plus  anciens  conseillers  restent  à  vie ,  les  deux 
autres  sont  changés  tous  les  ans  sans  espoir  d'être  conservés ,  à  moins 
qu'ils  ne  se  trouvent  au  nombre  des  nouveaux  élus  ,  ou  au  cas  échéant 
que,  par  le  décès  d'un  des  trois  anciens,  ils  soient  appelés,  par  rang 
d'ancienneté ,  à  remplacer  le  dit  ancien  décédé. 

Vers  la  même  époque  et  c'est  là  l'époque  de  la  décadence  des  fran- 
chises municipales  des  villes  d'Âlsacs,  le  Conseil  souverain  déclare 
qu'il  n'accorde  au  bourgmestre ,  magistrat  et  habitants  de  la  ville  de 
Soultz  aucune  justice  propre  et  patrimoniale;  en  conséquence  fait 
défense  aux  dits  bourgmestre  et  magistrat  de  tenir  audience  sans  être 
présidé  parle  bailli  ou  le  prévôt,  et  sans  se  servir  du  procureur  fiscal 
et  du  greffier ,  officiers  de  l'évêché.  (1775-1785). 

Cbarlrs  Knoll. 


La  suite  h  une  prochaine  Uvraiâon), 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION 


DE     MA 


DBCUSSION  SUR  LES  COLONGES. 


Non  missura  cuiem 

HURAT. 


En  répondant  par  un  acte  d'urbanité,  à  l'hommage  respeclueiix 
que  M.  Tabbé  Hanauer  avait  bien  voulu  me  faire  de  ses  trois  premières 
lettres  imprimées,  je  n'entendais  certainement  pas  lui  interdire  le 
plaisir  d'en  éditer  une  quatrième ,  quoique  je  pensasse  dès  lors ,  (et  je 
crois  sur  ce  point  être  d'accord  avec  l'unanimité  de  nos  rares  lecteurs) 
que  d'après  la  direction  qu'il  a  prise  et  le  point  où  il  a  été  conduit , 
le  débat  pouvait  se  clore  sans  aucun  inconvénient.  Notre  fécond  au- 
teur  en  juge  autrement  :  il  est  à  la  fois  trop  plein  et  trop  peu  maître  de 
son  sujet  pour  s'apercevoir  de  la  satiété  que  doit  faire  éprouver  à  tout 
lecteur  sérieux  une  controverse ,  fourvoyée  dans  des  subtilités  et  des 
arguties  qui  rappellent,  à  certains  égards,  la  dialectique  tortueuse  qu'ont 
immortalisée  les  Provinciales.  —  Hais  comme^  de  mon  côté,  je  me.suis 
proposé  un  but  utile ,  en  me  décidant  à  contester  plusieurs  des  affir- 
mations dogmatiques  dont  il  s'est  rendu  l'éditeur,  sa  persistance  m'im- 
pose l'obligation  de  rentrer  une  dernière  fois  en  lice^  et  d'achever, 
malgré  ma  lassitude,  la  tâche  alsatique  que  j'ai  assumée.  —  Elle  se 
réduit  aujourd'hui  à  rassembler  les  éléments  de  la  discussion  et  (ce  qui 
n'est  pas  sans  quelque  difficulté)  à  ramener  celle-ci  à  son  véritable 
objet.   Si  quelque  lecteur  s'est  trouvé  armé  d'assez  de  courageuse 


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306  BEVUE  d'àlsage. 

patience,  pour  avoir  suivi  les  développements  de  cette  controverse 
sui  generi^ ,  il  doit  se  trouver  aussi  embarrassé  que  moi  à  déterminer 
exactement ,  ce  qui  peut  encore  rester  en  litige ,  après  les  rectifications 
et  les  atténuations  successives  que  Fauteur  a  apportées  à  ses  apho- 
rismes  primitifs.  A  force  de  m'abandonner  les  mois  pour  se  réserver 
les  choses  *  ;  de  déserter  sa  propre  expression  pour  se  replier  sur  je 
sais  quelle  idée  ^,  de  reconnaître  que  ses  textes  les  plus  importants 
(ceux  que  j'ai  spécialement  combattus)  sont  vagues  ^y  M.  Uanauer 
réduit  insensiblement  sa  première  œuvre  à  une  espèce  de  contexte 
hiératique ,  dont  le  sens  ne  serait  plus  à  chercher  dans  la  parole 
exprimée,  mais  bien  dans  une  interprétation  arbitraire  et  mysté- 
rieuse dont  le  trop  prudent  auteur  se  serait  exclusivement  réservé  la 
clef.  Qui  se  serait  jamais  douté  qu'une  méthode  qui  rappelle  le  Thalmu- 
disme  et  la  Kabbale,  ait  pu  sembler  opportune  dans  une  discussion 
qui  a  pour  but  Télucidaiion  d'un  fait  historique ,  comme  celui  de  nos 
colonges  !  —  Un  maître  a  dit  : 

Ce  que  Ton  conçoit  bien  s*énonce  clairement. 

et  d'après  ce  principe,  contre  tout  écrit,  on  a  droit  de  conclure 
de  l'impropriété  ou  de  l'inexactitude  du  texte ,  à  Tinsuffisance  ou  à 
l'obscurité  de  la  conception.  Les  palinodies  de  rédaction,  ces  argtk- 
menta  linguarum  dont  abondent  les  letires  de  M  Hanauer,  prou- 
veraient donc  tout  au  moins  que  dans  le  texte  de  ses  livres,  Vexpression 
aurait  mal  rendu  son  idée  ,  le  mot  mal  défini  la  chose  qu'il  voulait 
dépeindre  ;  mais  après  un  tel  aveu,  n'eut-il  pas  été  indispensable,  qu'il  uti- 
lisât ses  commentaires  pour  nous  révéler  clairement  les  idées  et  les  choses 
qu'il  entendait  sauver  du  naufrage  de  ses  mots  et  de  ses  expressionsi 

C'est  ce  qu'il  n'a  pas  fait ,  et  c'est  ce  que  nous  allons  chercher  à 
faire  à  sa  place ,  afin  que  celte  controverse  ait  au  moins  le  résultat 
utile  de  bien  dessiner  ce  qui  était  généralement  admis  relativement  à 
nos  colonges,  avant  l'apparition  des  deux  livres  de  M.  Hanauer,  et 
quels  sont  les  éléments  nouveaux  que  celui-ci  aurait  apportés  aux 
connaissances  acquises  sur  ce  point. 

Avant  tout ,  il  faut  se  fixer  sur  la  délimitation  chronologique  du  pro- 
blème qui  s'est  agité  entre  nous.; —  Notre  auteur,  on  se  le  rappelle, 


•  Banaubr,  ir*  lettre,  p.  15. 

•  Ibid. ,  p.  «1. 

•  Ibiil.,  4«  lettre,  p.  10. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,   ETC.  307 

a  négligé  de  pousser  ses  invesUgalions  jusqu'à  l'origine  même  de 
Porganisation  colongère ,  et  se  préoccupant  principalement  d'un  de 
ses  attributs  secondaires ,  la  juridiction ,  qu'il  suppose  avec  raison  être 
de  source  purement  germanique,  il  s'est  borné  à  constater  en  quelques 
lignes  que  sur  le  point  de  savoir  si  la  législation  romaine  n'a  pas 
donné  la  première  base  à  celte  institution  ,  des  opinions  contradictoires 
se  seraient  produites  chez  des  savants  de  premier  ordre.  Il  faut 
cependant  reconnaître  que  les  travaux  récents  des  Roth ,  des 
Gaupp,  des  Waitz,  des  Mone,  etc. ,  tendraient  à  établir  que  dans  les 
provinces ,  jadis  occupées  par  les  Romains ,  le  colonat  tel  qu'il  avait  été 
institué  par  les  rescrits  impériaux ,  reproduits  dans  les  codes  théo- 
dosien  et  justinien ,  a  été  adopté  pour  Texploitation  des  immenses 
terres  domaniales  que  l'Empire  y  possédait ,  et  que  cet  état  de  choses 
s'est  maintenu  bien  longtemps  après  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler 
la  Conquête  ou  l'Invasion  \  L'opinion  de  M.  Hanauer  sur  ce  grand 
fait  et  sur  ses  conséquences  relativement  à  la  propriété ,  est  restée  dans 
le  vague ,  et  il  semble  même  s'être  laissé  entraîner  par  l'erreurque 
les  lois  des  Barbares  auraient  été  conçues  et  promulguées  déjà  avant 
cette  invasion  ,  tandis  qu'il  suffit  de  les  lire  pour  se  convaincre  qu'elles 
sont  dans  leur  contexte  postérieures  à  cet  événement  '.  Ce  dédain 
pour  les  préludes  en  quelque  sorte  intimes  de  la  matière  en  discussion 
a  nécessairement  conduit  notre  auteur  à  ne  pas  s'occuper  des  insti- 
tutions mérovingiennes  et  carlovingiennes ,  tels  que  les  Bénéfices, 
les  Prœstnriaj  le  fiscus  regius ,  les  curies  regiœ ,  etc. ,  etc. ,  qui  ont 
si  profondément  influé  sur  la  condition  faite  aux  personnes  et  aux  pro- 
priétés dans  la  société  nouvelle  qui  se  construisait  sur  les  débris  du 
monde  romain ,  en  en  conservant  l'empreinte.  Notre  auteur  a  pris 
les  colonges  {Dinghôfe)  exclusivement  dans  l'état  qu'accusaient  les 
rotules  écrits ,  tout  en  avouant  à  plusieurs  reprises  (ce  qui  d'ailleurs  est 
incontestable)  que  le  texte  des  plus  anciens  de  ces  documents  ne  remonte 
pas  au-delà  du  xrv  siècle.  Ce  serait  donc  en  pleine  féodalité  que  ces  Charles 
viUageaises i    comme  il  les  appelle,   auraient  reçu  leur  rédaction. 

*  Aux  autorités  déjà  citées  <lans  mon  Etude  sur  le  caractère  de  la  conquête  et  la 
persistance  du  colonat ,  voy.  Lehuërou  ,  i ,  368,  ii ,  177.  —  Ed.  Labodlayb  ,  Hist, 
de  la  propriété  foncière  ,  p.  243.  —  Guérahd  ,  Polypt.  d'Irm,  —  J.  Loiseleur  , 
Lei  Crimes  et  les  Peines  ,  p.  355. 

'  Paysans ,  p.  40  et  41.  — Sur  la  date  de  ces  lois.  Voy.  Mittermaycr  ,  Deutsehes 
Privatreehl,  i,  J  11.  —  Merkcl,  Leg.  Barbar, 


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308  REVUE  d'alsage. 

Toutefois  il  n'accepte  celte  rédaction  que  comme  la  justification  de 
coutumes  ou  de  traditions  antérieures  ;  ce  point  de  vue  est  juste  et 
il  est  généralement  admis  par  tous  les  auteurs.  Hais  ce  qui  cesse  d'être 
juste,  c'est  de  sauter  du  xiv«  siècle,  à  l'époque  de  Tacile,  ou  même 
à  celle  de  Jules  César,  en  faisant  abstraction  de  tous  les  temps  inter- 
médiaires ,  et  notamment  de  toutes  les  institutions  fondamentales  qui 
sous  les  rois  de  la  première  et  les  empereurs  de  la  seconde  race ,  sont 
devenues  l'assiette  de  la  société  germanique.  Ce  qui  cesse  d'être  juste, 
c'est  de  dériver  la  colonge  du  mallus  Frank  ou  alémanique ,  sans  tenir 
le  moindre  compte  de  la  condition  différente  des  personnes ,  déjà 
attestée  d'ailleurs  par  Tacite,  et  si  énergiquement  confirmée  par  l'inca- 
pacité ,  édictée  contre  les  non  libres  de  tous  les  degrés ,  de  participer 
activement  à  ces  grandes  assemblées  populaires.  Enfin  ce  qui  cesse 
d'être  juste ,  c'est  la  contradiction  même  dans  laquelle  H.  Hanauer 
se  trouve  engagé  par  cette  indécision  chronologique  :  je  n'en  citerai 
qu'un  exemple:  à  la  page  95  (Constitutions)  en  parlant  de  l'avènement 
de  la  féodalité ,  il  dit  :  c  Enfin  arrive  le  triomphe  de  la  Souveraineté 
c  seigneuriale...  La  vie  politique,  la  puissance  judiciaire  sont  con- 
«  centrées  entre  les  mains  de  quelques  seigneurs.  ^.  Le  reste  du  peuple 
<(  attend  que  la  domination  naissante  de  l'Etat  (!!  sic)  vienne  rétablir 
c  l'égalité,  mais  l'égalité  dans  une  tutelle  commune.  >  Cela  ne  dit-il 
pas  clairement  que  dans  la  pensée  de  l'auteur,  l'omnipotence  juri- 
dictionnelle dont  il  avait  doté  ses  colonges ,  aurait  disparu  sous  l'usur- 
pation envahissante  de  la  seigneurie ,  et  cela  n'a-l-il  pas  l'accent  d'un 
De  Profufidis  psalmodié  tristement ,  sur  la  disparition  de  cet  âge  d'or, 
de  liberté  souveraine  ,  que,  pour  les  temps  antérieurs ,  il  avait  rêvé  pour 
ses  colongers  I  Comment  donc  après  un  aveu  si  plaintifet  si  catégorique, 
a-t-il  pu  dans  ses  premières  lettres  (p.  Si)  me  poser  cette  question  : 
«  que  me  contestez-vous ,  Monsieur  :  L'existence  des  colonges  souve- 
t  raines  au  xiv%  et  au  xv  siècle?  >  Mais  à  quelle  époque,  notre  docte 
abbé  reporte-l-il  donc  le  triomphe  de  la  souveraineté  seigneuriale? 
De  quel  siècle  date-t-il  l'avènement  du  régime  féodal ,  puisque  d'une 
part  il  prétend  que  ce  régime  aurait  concentré  toute  la  puissance  judi- 
ciaire entre  les  mains  de  quelques  seigneurs ,  et  que  d'autre  part  pour- 
tant ,  il  semble  persister  dans  son  idée  fixe  de  trouver  encore  des  colonges 
souveraines  en  pleins  XIV*  et  XV«  siècles  !  Il  y  a  là  un  mépris  de  la 
chronologie  qui  saute  aux  yeux,  même  de  l'homme  le  moins  familiarisé 
avec  les  choses  iiisloriques;  et  c'est  sur  celte  étrange  confusion  entre  les 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION  ,  ETC.  309 

époques  les  plus  distinctes  que  nous  avons  dû  particulièrement  insister 
dans  notre  critique,  sans  avoir  pu  amener  M.  Hanauer  à  aucune 
rectification  plausible.  Quant  à  nous  nous  persistons  à  penser  que  le 
terrain  qu'il  s'est  ainsi  arbitrairement  créé  manque  d'abord  de  Tarn- 
pleur  qui  eût  été  indispensable  pour  placer  sous  leur  vraie  lumière , 
tous  les  traits  et  toutes  les  affinités  de  l'institution  qu'il  se  proposait 
d'étudier;  nous  persistons  à  penser  en  outre  que  l'incertitude  dans 
laquelle  il  s'est  maintenu^  dans  ses  deux  volumes ,  sur  la  succession  chro- 
nologique des  grands  faits  sociaux  qui  dessinent  l'œuvre  du  moyen-âge, 
l'ont  inévitablement  conduit  à  se  méprendre  sur  les  caractères  les  plus 
essentiels  du  sujet  dont  il  avait  entrepris  Félucidation.  Cette  partie 
principale  de  mon  étude  est  restée  sans  aucune  tentative  de  réponse  de 
sa  part  ;  je  me  borne  donc  à  la  rappeler ,  et  c'est  sous  la  réserve  de 
ces  considérations  générales ,  que  je  vais  maintenant  esquisser  les  deux 
thèses  contradictoires  engagées  dans  cette  discussion. 

Pour  tous  les  jurisconsultes  qui  ont  écrit  sur  nos  colonges ,  depuis 
Ulrich  Zasius  jusqu'à  M.  Za^pfl,  cette  institution  n'a  été  qu'une  forme 
particulière,  peut-être  la  plus  ancienne  de  toutes,  de  la  localairie  per- 
pétuelle (Ztm/^An).  Son  principe  était  la  location  ou  le  bail,  s^étendant 
à  un  territoire  plus  au  moins  considérable  ;  sa  forme  essentielle , 
la  division  de  la  location ,  en  autant  de  lots  distincts  qu'il  y  avait  de 
preneurs  distincts,  mais  de  façon  cependant  à  maintenir,  à  chaque  lot, 
une  individualité  persistante  (mansus,  hueb).  A  chaque  lot  était  attaché 
le  domaine  utile ,  c'est-à-dire  l'usufruit  perpétuel  et  héréditaire.  — 
Mais  cet  usufruit  lui-même  était  sujet  à  la  caducité  et  à  la  réversibilité, 
ce  qui  prouve  qu'il  n'était  pas  détaché  d'une  manière  absolue  du 
domaine  direct. 

Il  était  sujet  à  la  caducité  en  cas  de  non  paiement  du  canon  et  en  cas 
d'aliénation ,  sans  déclaration  au  seigneur.  Il  était  sujet  à  h  réversibilité 
ou  au  retrait ,  par  la  prélation  qui  compétait  au  propriétaire  ou  au 
seigneur  vis-à-vis  de  tout  tiers ,  proposé  comme  acquéreur  ;  il  était 
encore  sujet  à  la  réversibilité  ou  au  retrait  dans  le  cas  où  le  preneur 
étant  venu  à  décéder ,  ses  héritiers  ne  se  seraient  pas  fait  investir  de 
son  lot  dans  un  délai  déterminé.  Tous  ces  caractères  identifient  la 
colonge  avec  le  contrat  censitique ,  tel  qu'il  est  déjà  désigné  dans  les 
Leges  Barbarorum  et  les  Capitulaires ,  sauf  la  faculté  d'aliénation , 
cum  conseusu  damini ,  el  sauf  la  réserve  de  la  prélation ,  caractère 
qui  la  rapproche  davantage  du  contrat  emphytéotique.  —  Le  proprié- 


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310  REVUE  D'ALSACE. 

taire  ou  le  seigneur  avait  sur  ses  colons,  ainsi  que  sur  tout  le  territoire 
qu'ils  habitaienl  la  pleine  souveraineté  {Zwing  und  Bann)-  La  juridic- 
tion colongère  ou ,  comme  on  l'appelle ,  la  cour  colongère  (curia  domini- 
calis)  était  la  juridiction  du  propriétaire,  et  non  celle  des  colongers; 
curiœ  non  dicuntur  dominicales  £x  parte  hubariorum ,  sed  ex  parle 
domini  * .  Cette  juridiction  colongère  qui  forme  le  seul  trait  saillant  de 
ce  genre  particulier  de  locatairie ,  se  restreignait  aux  cas  colongers , 
c'est-à-dire  aux  conflits  procédant  de  l'exécution  même  du  bail  et  des 
obligations  qu'il  imposait  aux  preneurs.  Son  institution  rentrait  dans 
les  droits  généraux  du  propriétaire  même  non  seigneur  *.  Du  reste 
aucun  lien  corporatif  n'unissait  les  colongers  entre  eux  ;  ils  ne  concou- 
raient à  la  nomination  d'aucun  officier ,  ministérial  ou  autre ,  qui  tous 
restaient  à  la  nomination  et  sous  la  dépendance  du  maître  ou  du  sei- 
gneur. Seulement  dans  quelques  rotules^  on  conCe  aux  colons  le  choix 
de  leurs  bangards  ;  ce  qui  s'explique  facilement  par  l'intérêt  que  des 
usufruitiers  ont  nécessairement  à  la  conservation  de  leurs  récoites.  ~ 
La  colonge  ne  formait  donc  ni  une  corporation ,  ni  une  commune  ;  elle 
avait  plutôt  la  consistance  d'un  petit  fief  rural ,  dont  la  population  était 
sujette ,  corps  et  biens  »  d'un  maître ,  propriétaire  ou  seigneur ,  auquel 
elle  devait  non  seulement  le  cens  ,  les  prestations  en  nature ,  mais  en 
outre  l'obéissance  et  les  corvées ,  et  lorsque  le  propriétaire  était  en 
même  temps  seigneur  baut-justicier,  il  avait  notamment  le  droit  de 
convoquer  tel  nombre  de  ses  colons  qu'il  jugeait  nécessaire  ^u  ding 
und  zu  ring ,  c'est-à-dire  de  les  forcer  à  constituer  un  tribunal  sous  sa 
présidence  ,  obligation  passive ,  que ,  par  une  confusion  persistante , 
M.  Hanauer  cherche  à  convertir  en  un  droit  actif  compétent  à  la  popu- 
lation colongère.  Je  discuterai  tout-à-l'beure  ce  point  séparément. 

Voilà  ce  qu'était  la  colonge  d'après  l'enseignejnent  de  tous  les  auteurs 
anciens ,  de  ceux  qui  ont  eu  l'avantage  de  voir  cette  institution  vivre  et 
fonctionner  sous  leurs  yeux,  Hertzog  le  chroniqueur,  Rehro^  Cratz- 
meyer ,  Durr,  Schilter,  Wehner,  Besold  ,  etc.,  etc.  Voilà  comme  elle 
a  été  définie  par  le  sénat  de  Strasbourg  dont  les  décisions  nous  sont 
conservées  dans  le  recueil  d'Otto  Thabor ,  plus  tard  par  le  Conseil 
souverain  d'Alsace.  Voilà  comme  elle  est  encore  expliquée  de  nos  jours 


'  Rehm  ,  de  Cur.  Dominical. ,  p.  35. 

'  Voy.  l'art.    125  du  Land-  und  Lehnrechl ,  cité  dans  notre  3«  article  de  cette 
Revue,  N»  de  janvier,  p.  12. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,   ETC.  311 

par  les  jurisconsultes  qui  ont  approfondi  cette  création  du  moyen-âge 
dans  ses  plus  minutieux  détails ,  entre  autre  MM.  Burckbardt  et  Zsepfl. 

C'est  là  la  iraiUwn  invariable  de  nos  grands  corps  judiciaires  pro- 
vinciaux que  j'alléguais  !  — Cette  tradition ,  M.  Hanauer  avoue  lui-même 
qu'il  l'ignore  ;  il  ti^  saiê  pas  à  quoi  j'ai  voulu  faire  allusion ,  en  m'en 
prévalant  ^ .  Et  qu^ai-je  dit  autre  chose  I  Pour  aboutir  à  un  si  candide  aveu 
valait^il  donc  la  peine  de  jeter  les  hauts  cris  contre  la  personnalité  que 
je  me  serais  permise  en  signalant,  dans  les  préliminaires  de  mon  étude, 
la  lacune  inévitable  que  l't^oraiM^  relative  des  travaux  des  juriscon- 
sultes anciens,  faisait  regretter  dans  tous  les  chapitres  de  son  ou- 
vrage I  Cette  lacune  est  flagrante ,  et  vraiment  il  faut  pousser  la 
susceptibilité  jusqu'à  Taveuglemenl ,  pour  ne  pas  comprendre  enfin 
qu'il  vaudrait  mieux  chercher  à  la  réparer ,  que  de  s'en  prendre  au 
.  critique  qui  en  définitive  n'use  que  de  son  droit  en  la  constatant. 

Résumons  maintenant  la  doctrine  que  M.  Hanauer  prétend  opposer  à 
l'enseignement  traditionnel. 

Lacolonge,  à  ses  yeux,  est  une  véritable  commune^  plus  même 
qu'une  commune  rurale  ordinaire  ;  car  tout  le  monde  sait  ce  qu'était 
en  Alsace  la  commune  rurale,  ce  qu'étaient  du  reste  toutes  les  com- 
munes qui  n'avaient  pas  atteint  la  suprême  indépendance  des  villes 
libres  et  impériales.  Il  avait  d'un  trait  de  plume  effacé  toute  cette 
énorme  distance  ^  en  attribuant  à  ces  modestes  colonies  agricoles  le 
titre  de  souverainetés.  La  critique  a  au  moins  eu  pour  résultat ,  de  le 
convaincre  lui-même  de  l'exagéraûon  de  cette  qualification  ;  mais  au 
lieu  de  la  retirer  simplement  et  loyalement ,  il  essaie ,  à  l'aide  d'un 
subterfuge  de  grammairien ,  d'enlever  la  qualification ,  tout  en  mainte- 
nant ,  selon  son  expression ,  la  chose.  Voyons  donc  cette  chose ,  et 
examinons ,  si  étant  telle  que  l'auteur  la  décrit ,  elle  ne  correspond  pas 
exactement  au  mot  qu'il  se  décide  (je  ne  sais  pourquoi)  à  répudier  ? 
Or  celte  chose  nous  la  trouvons  dans  les  attributs  même  qu'il  imagine 
pour  la  cùinmunauié  des  colongers.  Ces  attributs  sont  le  pouooW  légis- 
latif ei  \e  pouvoir  judiciaire  ;  et  qu'ici  on  ne  cherche  plus  à  équivoquer 
sur  ce  qu'exprime  le  mol  communauté;  il  est  pris  dans  le  sens  d'un 
être  collectif  composé  des  colons ,  à  V exclusion  du  seigneur.  H.  Hanauer, 
en  effet ,  après  avoir  ainsi  disposé  du  pouvoir  législatif  et  judiciaire 
ajoute  que  le  pouvoir  exécutif  apparlenaii  à  plusieurs  fonctionnaires 

*  i^  lettre  ,  p,  2. 


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312  REVUE  D'ALSACE. 

dont  QUELQUES-UNS  représentaient  le  souverain  de  u  petit  Etat;  les 
AUTRES  ,  avant  tout ,  ajoule-l-il ,  étaient  les  délégués  du  peuple  !... 

Il  n'y  a  donc  pas  à  s'y  méprendre  :  d'après  notre  auteur  le  souverain 
dans  la  colonge  adû  être  le  peuple  >,  c'est-à-dire ,  le  corps  des  colons, 
qui  aurait  concentré  en  lui  tous  les  pouvoirs  législatif  el  judiciaire.  Qu'on 
ajoute  à  cela  les  droUs  régaliens  que  notre  auteur  attribue  en  totalité 
aux  grandes  colonges ,  et  son  articulation  ne  permet  plus  le  moindre 
doute ,  sur  l'autonomie  dont  il  prétendait  douer  nos  populations  colon- 
gères!  En  réunissant  ces  traits^  on  se  convainc  donc  que  ce  serait  fort 
judicieusement  queM.Hanauerauraitqualifié  ses  colongesdesotireraines, 
s'il  avait  été  d'ailleurs  en  mesure  de  justifier ,  que  les  choses  par  lui 
attribuées  aux  colons ,  c'est-à-dire,  le  pouvoir  législatif,  le  droit  de 
haute  et  basse  justice ,  les  droits  régaliens  ,  leur  appartenaient  réelle- 
ment. A  ces  conditions  ces  colonges  auraient  été  en  effet  sowoeraines  au. 
même  titre  que  les  plus  importantes  communes ,  que  les  dix  villes  libres 
et  impériales  par  exemple. 

Or  est-il  possible  d'admettre  qu'un  écrivain  qui  se  pose  comme 
particulièrement  expérimenté  en  ces  matières ,  ait  pu  être  assez  infidèle  à 
sa  propre  pensée^  pour  entasser  ainsi  faussement  des  termes  d'une  signi- 
fication si  bien  coordonnée  et  si  précise  ?  Est-il  possible  surtout  de  ne  con  - 
sidérer  que  comme  un  simple  vice  de  rédaction ,  comme  une  exagération 
de  pur  style ,  ces  qualifications  détaillées  qui  n'ont  eu  d'autre  portée 
que  de  faire  entrer  les  colonges  dans  le  système  général  que  l'auteur 
professe  sur  l'origine  des  communes?  D'après  lui  la  commune  a  existé 
de  tout  temps  ;  cette  affirmation  qui ,  soit  dit  en  passant ,  est  en  contra- 
diction avec  les  textes  les  plus  positifs  de  l'histoire ,  ne  se  trouve  pas 


'  Cette  affirmation  de  la  souveraineté  rttstique ,  contre  laquelle  M.  Hanauer  se 
débat  si  péniblement  dans  sa  défense  épistolaire ,  a  été  comprise  dans  le  même  sens 
que  mo! ,  par  des  écrivains  auxquels  certainement  il  ne  prêtera  pas  de  sentiments 
malveillants.  M.  Bonvalot .  dans  Tintéressante  notice  qui  précède  l'édition  qu'il  a 
donnée  de  la  coutume  du  val  d'Orbey  ,  atteste,  sur  la  foi  de  M.  Hanauer  qu'il  cite 
en  note  ,  que  le  peuple  participe  tout  entier  et  par  lui-même  à  la  constatalion^ainiù 
qu'à  la  consécration  de  la  loi  (pag;.  4).  M.  l'abbé  Braun ,  dans  ses  remarquables 
Légendes  du  Florival ,  rite  textuellement  la  même  autorité  pour  établir  que  les 
plaids  de  la  mark  exerçaient  les  droits  de  justice  et  décidaient  les  affaires  politiques 
(p.  2).  Comment  d'ailleurs  prendrait-on  le  change  sur  ce  qu'a  voulu  dire  et  sur  ce 
qu'a  si  pot itivement  dit  M.  Hanauer  pour  peu  qu'on  se  rappelle  ses  regrets  pour  le 
self  govemment  germanique?  Paysans  ^  p.  x. 


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KÉSUMÉ   ET  CONCLUSION  ,    ETC.  313 

seulement ,  comme  on  semble  Tinsinuer  maintenant  * ,  dans  le  passage 
où ,  répondant  au  défi  de  M.  Raspieler,  Tauteur  s'engage  éprouver  qu'il 
existaii  à  sa  connaissance  non  pas  une  y  mais  SOO  communes  anié- 
Heures  au  xir  siècle;  mais  elle  est  au  contraire  exprimée  de  la  manière 
la  plus  catégorique ,  dans  de  nombreux  passages  des  Pojfsans  et  des 
Conslitulùms,  entre  autres  celui-ci  :  <  Noire  conviction,  le  lecteur  a 
«  déjà  pu  le  constater,  c'esl  que  les  communes  ont  toujours  existé}»  » 
Il  ne  s'agirait  que  de  savoir  ce  que  H.  Hanauer  entend  par  communes; 
sa  définition  doit  évidemment  s'écarter  de  celle  que  la  science  a  toujours 
attribuée  à  ce  terme  et  rentrer  dans  sa  chronologie  confuse  et  aventu- 
reuse ;  mais  cette  digression  nous  écarterait  de  l'objet  spécial  de  notre 
investigation  actuelle  ;  et  je  m'arrête  en  concluant  qu'un  auteur  qui , 
sur  lorigine des  municipalités ,  se  gouverne  par  un  aphorisme  comme 
celui  que  nous  venons  de  transcrire ,  a  dû  nécessairement  voir  une 
commune  dans  toute  agglomération  d'habitants,  el  que  dès-lors  la 
logique  même  de  sa  conception  l'a  conduit  à  découvrir  dans  chaque 
colonge ,  comme  dans  chaque  villa ,  une  population  qu'il  a  bien  fallu 
pourvoir  d'une  souveraineté  imaginaire ,  notamment  des  attributs  de 
haute  justice  et  des  prérogatives  régaliennes.  Il  est  donc  impossible  de 
ne  pas  être  frappé  de  la  parfaite  concordance  entre  l'idée ,  les  choses 
qu'a  voulu  exprimer  notre  auteur,  et  les  expressions,  les  mots  dont 
il  s'est  servi ,  et  il  faudrait  qu'il  eût  une  triste  opinion  de  la  sagacité 
et  de  la  syntaxe  de  ses  lecteurs,  pour  espérer,  selon  son  expression 
favorite,  s'être  tiré  de  la  responsabilité  de  textes  aussi  clairs  et 
aussi  précis,  en  rééditant  pour  la  millième  fois  l'historiette  aussi 
spirituelle  que  neuve  de  Judas  allant  se  pendre  et  faisant  bien  3. 

Les  deux  thèses  contradictoires  en  présence  étaient  donc  celles-ci  : 
Je  soutenais  et  je  soutiens,  en  m'appuyant  sur  l'enseignement  universel, 
ancien  et  moderne,  que  la  colonge ,  même  avant  ^organisation  définitive 
de  la  féodalité ,  présentait  toutes  les  conditions  élémentaires  du  fief. 
H.  Hanauer ,  au  contraire ,  a  pris  sur  lui  d'enseigner  que  la  colonge 
contenait  la  base  et  tous  les  éléments  d'une  commune  autonome  et 
souveraine.  C'est  contre  ce  système  que  j'ai  dirigé  ma  discussion  ;  il 
fallait  ou  l'abandonner  franchement,  ou,  y  persistant,  répondre  à  mes 

'  4«  lettre,  p.  12. 
'  Paytanê,  P.  813. 
'  4*  lettre ,  p.  4. 


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314  REVUE  D' ALSACE. 

objections.  M.  Hanauer  a  préféré  ne  faire  ni  l'un  ni  l'autre  ;  il  a  adopté 
une  argumentation  de  faux-fuyants  qui  en  promenant  l'esprit  du  livre 
au  commentaire  et  du  commentaire  au  livre  ,  ne  peut  que  jeter  dans  la 
perplexité  tout  lecteur  qui  n'a  pas  le  ferme  parti  pris  d'arriver  à  la 
vérité  au  travers  de  ces  retraites ,  de  ces  rétractations  ambiguës ,  de 
ces  souplesses  de  langage  sans  clarté  et  sans  consistance. 

Le  vrai  terrain  de  la  discussion  étant  rétabli ,  je  vais  résumer  mes 
objections  primitives ,  et  répondre  en  même  temps  aux  nouveaux  argu- 
ments qui  se  sont  produits  dans  le  supplément  épistolaire. 

Je  m'étais  permis  de  constater,  que  malgré  ses  immenses ,  ses  fabu- 
leuses recherches ,  M.  Hanauer  n'avait  produit  sur  la  constitution  de 
nos  colonges  aucun  fait ,  ni  aucun  document  réellement  nouveau ,  d*où 
je  tirais  cette  conséquence ,  que  son  système  des  colonges  souveraines  ^ 
en  contradiction  si  manifeste  avec  tous  les  documents  connus ,  manquait 
absolument  de  base  et  d'autorité.  M.  Hanauer  semble  aujourd'hui 
reconnaître  lui-même  qu'effectivement  aucun  des  rotules  nouvellement 
édités  par  lui  n'apporte  de  changement  notable  aux  éléments  précé- 
demment acquis  ;  mais  il  me  reproche  de  ne  pas  lui  avoir  tenu  compte 
du  labeur  qu'il  s'était  imposé  en  rendant  accessibles  aux  lecteurs 
français ,  par  ses  traductions ,  des  documents  qu'ils  n'auraient  pas  pu 
déchiffrer  dans  leur  texte  original  ^  Je  ne  crois  pas  avoir  encouru  ce 
reproche;  car  dès  la  première  page  de  mon  étude  j'ai  rendu  l'hommage 
qu'elle  méritait  à  l'entreprise  laborieuse  de  M.  l'abbé,  et  si  cette 
justice  ne  lui  paraissait  pas  suffisante,  je  n'hésiterais  pas  à  répéter, 
qu'en  publiant  son  livre ,  il  a  rendu  un  vrai  service  à  l'étude  de  nos 
anciennes  institutions.  Mais  cet  hommage  que  je  ne  lui  ai  jamais  refusé^ 
n'implique  pas  de  ma  part  l'approbation  sans  réserves  de  ses  traduc- 
tions qui  m'ont  paru  défectueuses ,  dans  plusieurs  parties  essentielles , 
comme  je  l'ai  signalé  dans  mon  Etude;  elle  n'implique  pas  davantage 
rétractation  de  ma  part ,  des  observations  que  j'ai  cru  pouvoir  me  per- 
mettre sur  le  caractère  évidemment  suspect  de  plusieurs  des  documents 
recueillis^:  elle  n'implique  surtout  pas  la  moindre  modification  de 
l'opinion  que  j'ai  exprimée  sur  l'interprétation  erronnée,  suivant  moi, 
que  l'auteur  a  donnée  à  la  plupart  de  ces  vieux  rotules. 


'  Ire  lettre  ,  |>.  i. 

'  Voy.  Revue  1865  ,  pag.  536.   Je   reviendrai  d'ailleurs  sur  ce  point  plus  bai  à 
l'occasion  du  rotule  de  Grendelbruch. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION  ,   ETC.  315 

Ici  M.  Hanauer  m'adresse  une  doléance  que  l'on  a  peine  à  comprendre 
de  la  pari  d'un  érudit ,  quelque  haute  opinion  qull  puisse  avoir  de  lui- 
même,  c  Un  autre  privilège  que  vous  me  réserviez ,  écrit-il ,  c'est 
«  l'honneur  de  voir  suspecter  VautherUicité  de  mes  textes ,  et,  par  suite 
€  au  moins  j  non  juscernement  ^  »  Mon  contradicteur  ar-t-il  bien  pesé 
rimmodestie,  Toutrecuidance  de  la  prétention  qu'il  a  laissé  percer  dans  ces 
lignes?  Comment ,  suspecter  l'authenticité  d'un  texte,  c'est  porter  atteinte 
à  l'honneur  de  celui  qui  s'en  constitue  l'éditeur?  Grandidier  aurait  ou- 
tragé Schœpflin  en  ne  suspectant  pas  seulement ,  mais  en  démontrant 
la  fausseté  de  certains  documents  publiés  dans  VAIsatia  diplomcUica  t 
—  Ai-je,  dans  toute  ma  dissertation,  écrit  un  seul  mot  qui  put  s'in- 
terpréter comme  mettant  en  suspicion  la  bonne  foi  de  M.  Hanauer?  ne 
l'ai-je  pas  au  contraire  constamment  mise  hors  de  cause  par  l'hommage 
le  plus  répété  et  alors  le  plus  sincère  ?  cela  m'ôtait-il  le  droit 
d'émettre  des  doutes  sur  l'authenticité  de  tel  rotule  découvert  par  lui  ? 
je  ne  doute  pas  qu'il  ait  considéré  comme  parfaitement  irréprochables 
à  la  forme  tous  les  documents  calleux  qu'il  a  reproduits  ;  mais  serait-il 
donc  le  premier  et  le  seul  diplomatisle  auquel  serait  échu  le  malheur  de 
se  laisser  séduire  par  une  apparence ,  et  de  se  méprendre  sur  l'originalité 
d'une  vieille  charte  !  ce  malheur  là  n'est-il  pas  arrivé  à  d'aussi  savants 
quelui?  qu'il  parcoure  Mabillon,  Ruinart,  Monlfaucon  et  de  nos  jours  la 
Bibliothèque  de  l'Ecole  des  chartes  !  qu'il  se  rappelle  une  aventure  récente, 
l'erreur  unanime  dans  laquelle  tout  un  corps  d'érudils  de  premier  ordre 
a  été  entraîné  par  le  grec  Simonides  !  et  je  suppose  qu'il  permettra  désor- 
mais de  douter  de  son  infaillibilité,  sans  plus  voir  dans  cedoute  le  moindre 

outrage  à  sa  sincérité  ou  à  son  honneur Et  quant  à  son  discernement , 

je  lui  demanderai  humblement  à  quoi  se  réduiraient,  d'après  lui,  les  droits 
incontestables  de  la  critique ,  s'il  était  permis  à  un  auteur  d'ériger 
orgueilleusement  son  discernement  personnel  en  certitude  inviolable  !  Le 
critique  n'a-t-il  pas  aussi  son  discernement  et  ne  suis-je  pas  libre ,  sans 
manquer  de  respect  à  M.  l'abbé ,  de  préférer,  en  fait  de  colonges ,  le 
discernement  des  Raspieler,  des  Walter  ,  des  Daniels ,  des  Burckbardt 
et  des  Zapfl  à  son  discernement  à  lui  ?  Une  personnalité  aussi  exigeante 
explique,  sans  la  justifier,  une  susceptibilité  dont  j'ai  eu  peine  à  me 
rendre  compte  ;  car  toute  opinion  est  discutable ,  parce  que  tout  homme 
est  faillible,  et  quand  on  se  fait  auteur,  il  ne  faut  jamais  oublier  qu'on 
subit ,  comme  tous  les  hommes ,  l'infirmité  propre  à  notre  nature  ! 

*  i^  lettre ,  pag.  5. 


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316  REVUE  D* ALSACE. 

Passons  maintenant  à  la  discussion  du  fonds. 

J*âi  insisté  dans  mon  Etude  sur  ce  fait  que  la  colonge  procède  incon- 
testablement d'un  bail  ou  d*une  location  * ,  et  j'ai  déduit  de  ce  fait  la  con- 
séquence de  la  subalternité  nécessaire ,  cogénitate  en  quelque  sorte  du 
colon  vis-à-vis  du  propriétaire.  H.  Hanauer  s'est  mis  dans  Timpossi- 
bilité  de  me  contester  judicieusement  cette  prémisse  en  définissant  lui* 
même  la  colonge  une  agglomération  plus  ou  moins  considérable  db 

FERMIERS  ' Or  il  n'y  a  pas  de  fermiers  sans  bail  ;  cela  n'a  pas  besoin 

de  démonstration.  —  Rien,  il  doit  en  convenir,  ne  ressemble  moins  à 
une  charte  non  octroyée  qu'un  bail  ^  qui  suppose  virtuellement  une 
concession  libre  et  volontaire  de  la  part  du  maître  de  l'immeuble ,  et 
qui  ne  transfère  au  preneur  qu'un  droit  précaire  toujours  assujetti  à  un 
cens  {Zins)  5,  subordonné ,  même  quand  il  est  perpétuel ,  à  la  réversi- 
bilité procédant  du  retrait,  de  la  commise  ou  de  la  préemption.  C'est  là 
le  rapport  nécessaire  et  forcé  qui,  sous  notre  ancienne  législation ,  reliait 
le  domaine  utile  censitique  au  domaine  direct.  —  J'avais  reproché  i 
plusieurs  reprises  à  M.  Hanauer  de  n'avoir  pas  suffisamment  tenu 
compte ,  dans  le  système  qu'il  s'est  fait  sur  les  colonges ,  de  cette 
subordination  hiérarchique  du  domaine  utile  au  domaine  direct ,  qui  a 
été  l'une  des  principales  bases  de  tout  l'édifice  social  du  moyen-âge.  Il 
0)0  fait  à  ce  sujet  une  réponse  qui  suffirait  à  elle  seule  pour  justifier  mon 
reproche  et  pour  m'autoriser  à  l'exprimer  encore  plus  affirmativement 
<r  Ce  principe,  écrit-il  ^,  de  la  subalternité  du  domaine  utile  a  été  si  peu 
«  méconnu  par  moi  que  dans  mon  chapitre  sur  les  tenures  colongères 
«  je  m'appuie  constamment  sur  lui  pour  expliquer  les  diverses  clauses 
«  du  bail  colonger.  Je  n'en  citerai  qu'un  exemple ,  Paysans  ^  page  71  : 

*  Revue  i  janvier,  p.  16. 

*  Paysans  i  pag.  5.  Je  ne  reproduis  plus  la  définition  en  entier;  je  ne  fais  cette 
observation  que  pour  éviter  le  reproche  de  tronquer  que  M.  Hanauer  m'adresse  avec 
une  gracieuse  prodigalité. 

'  Dans  mon  Etude  critique  {Revue,  janvier,  p.  38)  j'avais  cité,  pour  établir  la 
condition  que  faisait  à  la  terre  le  cens,  Montesquieu  et  Waitz.  «  Le  cens  était  tou- 
«  jours  la  marque  d'une  terre  sujette  et  dépendante,  comme  Vimmunité  était  celle 

«  d'une  terre  indépendante  et  franche C'est  pour  cela  que  le  bénéfice  et  le  fief 

«  dans  les  idées  du  moyen-âge  étaient  des  tenures  nobles ,  et  que  la  censive  était 
«  une  tenure  roturière.  »  Lebuërou  ,  h  ,  p.  187.  —  La  censive  devenait  même  une 
tenure  servile  par  la  condition  personnelle  du  preneur.  —  V.  V\^EHMEa ,  Y«  Zinns- 
gulh.  —  Besoi.d  ,  V.  Zinslehn. 

*  î«  lettre  ,  p.  27. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,  ETC.  3(7 

«  La  main  marte  colongère  a  donc  son  point  de  départ  non  dans  la 
<L  condition  primitive  du  tenancier ^  mais  dans  la  directe  du  seigneur.  » 
Aucune  citation  ne  pouvait  mettre  davantage  en  relief  la  justesse  de 
mon  observation  :  car  elle  prouve  d'une  manière  péremptoire  que  la 
théorie  du  domaine  utile  censitique ,  en  opposition  avec  le  domaine 
direct,  n*a  pas  encore  été  suffisamment  étudiée  par  notre  auteur, 
malgré  son  immense  désir  d^avoir  raison  de  mes  objections.  Son 
exemple  porte  sur  une  nature  de  biens  qui  précisément  ne  tombaient 
pas  dans  la  sphère  du  domaine  utile.  En  eflet ,  le  mortuaire ,  la 
main-morte  se  percevait  sur  le  mobilier,  et  le  mobilier,  dans  tout  le 
droit  germanique,  a  toujours  été  considéré  comme  le  pècvle  particu- 
lier et  propre  :  il  ne  se  confondait  pas  avec  Timmeuble ,  qui  seul  se 
prélait  à  la  distinction,  entre  Futile  et  le  direct.  Les  rotules  cités  par 
M.  Hanauer  et  par  M.  Burckhardt  contiennent  plusieurs  démonstrations 
non  équivoques  de  ce  principe  incontestable  que  le  colon  non  libre 
avait  la  propriété  de  son  mobilier,  si  bien  qu'en  cas  d'émigration  con- 
sentie, rémigrant  pouvait,  si  son  mobilier  était  considérable,  franchir 
la  limite  de  la  colonge,  tandis  que  le  colon ,  moins  favorisé  par  la  for- 
tune ,  était  obligé  de  demeurer^  si  le  maire  pouvait  d'un  doigt  arrêter 
le  charriot  contenant  ses  meubles.  L'exemple  choisi  par  H.  Hanauer 
pour  prouver  son  érudition ,  en  ce  qui  concerne  la  distinction  des  do- 
maines utile  et  direct ,  manque  donc  complètement  son  but  ;  il  tombe  à 
faux.  La  fortune  mobilière  *  était  considérée  comme  l'acquêt  formé 
par  le  travail  personnel  :  de  là  la  règle  :  c  le  mobilier  ne  subit  pas 
f  de  retrait.  »  Fahmiss  hat  keinen  Zug  '.  Le  mortuaire  qui  ne  frap- 
pait que  le  mobilier  n'avait  donc  rien  de  commun  avec  la  condition 
censitique  du  domaine  utile.  Il  dérivait  au  contraire  d'un  droit  sur  la 
personne  même  du  censitaire ,  et  il  révélait  d'une  manière  certaine  la 
condition  de  non  libre ^  tout  au  moins  ceWe  iï homme  propre  (Leib- 
eigenel  Hôrige.  Sur  ce  point  encore,  M.  Hanauer  se  sépare  de  la  tra- 
dition ,  non  pas  seulement  en  niant  absolument  que  le  mortuaire  ait  été 
dû  par  la  personne ,  mais  en  prétendant  en  outre ,  contre  l'opinion  de 
M.  Burckhardt ,  qu'il  y  avait  eu  deux  espèces  de  mortuaires  ^,  l'un  sur 

'  Fahrniss,  Fahmuts  —  Fahrende  Habe  —  Bewegîiche  Giiter.  (V.  Schertz, 
Glo$t.  Stryck,  Ui.  hod,,  vui,  §  16.  Gail,  C.  i,  p.  19.  Besold,  Th.  Praciic.  4. 
*  Deuhehe  Rechti'Sprichworter ,  105-109. 
'  ButtCkUARDT,  p  là.  —Hanauer,  Paysans. 


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318  REVUE  d' ALSACE. 

la  personne,  l*autre  sur  le  bien <.  Je  ne  m'occuperai  que  du  mortuaire 
perçu  sur  le  censitaire  défunt ,  et  je  soutiens  que  ce  droit  personnel , 
prélevé  sur  le  mobilier  exclusivement ,  révélait  la  condition  f  homme 
propre  du  défunt.  Les  dénominations  mêmes ,  sous  lesquelles  se  révèle 
ce  droit,  manifestent  clairement  sa  portée;  il  s'appelle  indifféremment 
Todtfall,  manus  morttM^  todte  Handy  Buteil  (Spoliumy  €xuf?iœ)j 
Besthaupt ,  Hauptrecht  ;  c*est  le  symbole  de  l'antique  servage,  d'après 
les  lois  duquel  l'esclave  ne  pouvait  avoir  de  pécule ,  et  acquérait  pour 
son  maître,  c  C'est  sans  contredit,  dit  Lehuêrou,  à  cette  première  con- 
«  dition  de  la  tenure  colonaire  qu'il  faut  rattacher  l'origine  du  morta- 
tf  rmm  ou  droit  de  main^morte,  que  le  seigneur  prélevait  encore  dans 
«  le  siècle  dernier  sur  le  pécule  de  son  colon ,  à  la  mort  de  celui*ci. 
<(  C'était  un  adoucissement ,  mais  aussi  un  souvenir  de  la  condition 
«  première  attachée  à  ces  sortes  de  concessions  *.  »  Aussi  ce  droit  ne 
se  percevait  que  sur  les  non  libres ,  les  hommes  propres ,  et  partout 
ou  l'on  rencontre  les  stipulations  du  Besthaupt,  on  a  toujours  conclu 
avec  raison  que  ceux  qui  étaient  assujétis  à  ce  droit ,  à  de  rares  excep- 
tions près,  étaient  les  Leibeigene,  homines  propriiy  les  Hârige ,  ikomt- 
7ies  pertinentes,  du  seigneur  qui  le  percevait 3.  Quant  à  la  dualité  ou 
même  à  une  plus  grande  multiplicité  du  Todtfall  dans  certains  do- 


*  Comme  je  n'entends  pas  m'étendre  sur  ce  côté  tout-à-fail  secondaire  de  la  ques- 
tion ,  je  me  permettrai  de  faire  remarquer  que  M.  Hanauer  me  semble  confondre 
ici  deux  perceptions  pour  cause  de  mort  que  M.  Zœpfl  a  clairement  distinguées ,  en 
appelant  Tune  Todtfall  :  c'est  le  véritable  mortuaire  iVappant  sur  la  personne  da 
défunt ,  et  Tautre  :  Todfalhanleite  qui  était  une  espèce  de  droit  d'entrée  imposé  au 
successeur  ou  à  l'héritier.  (V.  Z^pfl,  p.  159).  Un  des  rotules  publiés  par  Stopfel- 
Grimm  et  traduit  par  M.  Hanauer,  celui  de  Sundhofen ,  contient  un  texte  bien  précis 
à  ce  sujet  :  Les  hommes  propres  ont  le  droit  que  si  l'un  d*eux  ou  des  leurs  meurt , 
on  doit  LOI  (ihme)  donner  un  arbre  de  7  pieds  de  long  ;  puis  vient  le  mortuaire , 
qui  était  fort  atténué  dans  cette  colonge.  Cet  arbre  de  7  pieds ,  attribué  an  défunt, 
était  son  cercueil ,  qui  se  creusait  d'habitude  dans  un  tronc  ,  ainsi  qu'on  peut  en 
voir  de  nombreux  spécimens  au  Muséum  Germanicum  de  Nuremberg  ;  delà  la  déno- 
mination de  Todtenbaum  (arbre  du  mort)  qui  est  encore  usuelle  en  Alsace. 

*  Lehuêrou  ,  h  ,  p.  210.  V.  les  opinions  conformes  de  Montesquieu  ,  Esprit  des 
Lois ,  IV ,  p.  201.  —  Rehm,  de  Cur.  Dom, ,  p.  29.  —  Wehner  ,  Y.  }Veidmahl, 
p.  506. 

'  Tous  les  auteurs  anciens  et  modernes  sont  unanimes  sur  ce  point.  Durr  ,  de 
Cur.  Dom.  —•  Cratzheyer  ,  die  Dinghôfe.  —  Rbhh  ,9.5.—  Schilter  ,  Cod,— 
Haltaus,  y.  Butheil.  —  ZiGPFL',  q.  s,  —  Waitz.  —  Walter,  ti  ,  p.  21  ,  l'en- 
seignent comme  hors  de  doute. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,   ETC.  319 

maînes  ,  elle  s'explique  comme  on  va  le  voir^  non  pas  par  une  autre 
signification  de  ce  droit  en  lui-même ,  mais  par  diverses  circonstances 
que  la  science  a  depuis  longtemps  révélées. 

Il  est  très-vrai  que  dans  certains  domaines  ecclésiastiques  princi- 
palement et  même  dans  certaines  villes ,  s'était  introduit  peu  à  peu  Tabus 
de  doubler,  de  tripler  et  même  de  quadrupler  le  Todtfall ,  tantôt  à 
propos  de  l'ofiice,  tantôt  à  propos  d'une  espèce  de  compensation  hypo- 
thétique pour  des  dîmes  qui  n'auraient  pas  été  payées  par  le  défunt  de 
son  vivant  ^ ,  tantôt  enfin  pour  indemniser  le  recteur  de  la  paroisse  des 
frais  d'inhumation  y  etc.  La  multiplication  arbitraire  de  ce  prélèvement 
sur  le  mobilier  fut  toujours  un  des  griefs  les  plus  vifs  que  les  paysans 
soulevèrent  contre  les  abbayes,  et  qui  motivèrent  assez  souvent  l'inter- 
vention des  Empereurs*.  En  1524,  les  colons  de  l'abbaye  de  S^-Blaise 
adressèrent  â  la  Régence  d'Ensisheim  une  supplique  qui  fut  communi- 
quée par  l'abbé  au  procureur  Anastasius  Wigkram.  Us  s'y  plaignaient 
entre  autres  de  ce  que  quand  un  homme  de  l'abbaye ,  marié  à  une 
femme  étrangère  au  domaine  {eine  Ungenossatné) ,  venait  à  mourir, 
l'abbé  de  Saint-Biaise  commençait  par  prélever  le  Todtfall  sur  la  tota- 
lité du  mobilier,  et  puis  il  en  partageait  le  surplus  en  trois  parts , 
desquelles  il  prenait  deux  pour  lui,  de  manière  à  n'en  laisser  qu'un 
tiers  à  la  veuve  et  aux  enfants.  Si  parmi  ceux-ci  il  y  avait  des  garçons , 
le  seiçcneur  s'attribuait  encore  un  mortuaire  sur  la  tête  du  plus  âgé  3. 
Dans  un  autre  cahier  de  doléances,  les  paysans  d'une  contrée  voisine  se 
plaignent  de  ce  que ,  lorsque  le  maître  {der  Meister)  meurt  dans  une 
famille,  le  seigneur  commence  par  prélever  la  meilleure  tête,  à  titre 
de  mortuaire  ;  le  bailli ,  les  habits  ;  le  iMndwaiM  (sergent) ,  le  cha- 
peau, répée,  les  souliers,  la  bourse  et  les  chapelets.  Si  c'est  une  femme 
qui  meurt ,  le  seigneur  prend  le  lit  ;  le  bailli ,  le  meilleur  habit  ;  le 
sergent,  les  ceintures ,  la  bourse  et  les  chapelets  ^.  On  comprend  donc 
facilement  comment  le  Todlfall,  malgré  sa  spécialité,  a  pu  être  étendu 
à  des  cas  autres  que  ceux  en  vue  desquels  il  s'était  primitivement 

*  Rrhm  ,  p.  S9. 

■  V.  ûipl.  Fréd.  /,  1180.  Wormg ,  ap.  IiERVAnn  ,  iv  ,  p.  23. 
'  Et  ceci  arrive  pour  toutes  les  autres  personnes  du  sexe  masculin  comme  si  elles 
(Haient  mortes  en  Turquie  ou  à  Milan.  (Schreiber  ,  Deulicher  Bauernkrieg,  vu). 

*  Ibid.  XXV.  C'est  sans  doute  là  le  mortuaire,  à  cause  de  Voffire  {Arfibachl)^  dont 
parle  M.  Hanauer. 


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320  REVUE  d' ALSACE. 

établi ,  et  même  en  certaines  circonstances  à  des  personnes  qui  n*au- 
raiept  pas  dû  y  être  sujettes.  Mais  cette  digression  m'entratne  loin  de 
l'objet  de  ma  démonstration  :  je  crois  avoir  suffisamment  prouvé  qu*en 
aucun  cas  le  Todtfall  ou  le  mortuaire  ne  peut  se  référer  à  la  théorie 
du  domaine  utile  ^  puisqu'il  portait  sur  des  valeurs  essentiellement 
étrangères  à  ce  domaine,  et  que  dès -lors  H.  Hanauer,  en  s'ap- 
puyant  de  ce  qu'il  a  dit  sur  cette  espèce  particulière  d'impôt,  n'a 
nullement  réparé  la  lacune  capitale  que  j'avais  pris  la  liberté  de  signaler 
dans  ses  traités. 

J'arrive  ainsi  tout  naturellement  à  une  autre  omission  d'une  égale 
gravité  que  j'ai  aussi  pris  sur  moi  de  remarquer;  elle  consiste  dans  l'ab- 
sence de  toute  espèce  d'études  sur  la  condition  personnelle  des  colon- 
gers.  Pourtant  il  semble  que  lorsque  l'on  se  laisse  entraîner  jusqu'à 
'vouloir,  sans  aucune  distinction,  ériger  en  aotii^^atfis  une  classe  entière 
de  paysans ,  il  eût  été  préalablement  indispensable  de  vérifier  si  ce  que 
les  documents  historiques  les  plus  certains  nous  apprennent  sur  la 
condition  des  personnes  au  moyen-âge,  permettait  une  aussi  considérable 
émancipation.  Dans  mon  Etude ,  j'avais  insisté ,  avec  autant  de  déve- 
loppements que  les  limites  légitimes  d'un  pareil  genre  de  travail  me 
permettaient  d'y  apporter,  sur  ce  fait  que ,  bien  avant  la  féodalité,  l'im- 
mense majorité  de  la  classe  rurale  était  composée  de  serfs  ou  tout  au 
moins  d'hommes  propres  (Hôrige).  J'avais  cité  les  historiens  et  les 
auteurs  qui  ont  unanimement  admis  ce  fait  comme  certain.  El  pourtant 
ce  détail  si  grave  n'a  pas  provoqué  la  moindre  tentative  sérieuse  de  réfu- 
tation dans  les  quatre  longues  lettres  que  H.  Hanauer  a  jugé  à  propos 
de  publier  I  il  a  trouvé  moyen  de  s'y  étendre  longuement  sur  les  objets 
de  discussion  les  plus  infimes,  les  plus  indifférents  j  mais  le  fait  capital 
de  la  condition  des  personnes  colongères ,  il  n'a  pas  osé  l'aborder  de 
front,  une  seule  fois,  dans  les  56  pages  de  sa  défense  ! 

I.  Chauffoor. 


{La  suite  à  la  prochaine  livraiion). 


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f 


RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION 


DE     MA 


DISCUSSION  Sm  LES  COLONGES. 


Suite  et  fin  *.  — 


Seulement  dans  sa  3«  lellre  (p.  34) ,  il  louche  très  en  passant  à  Tun 
des  points  de  cet  ordre  de  démonstration ,  en  essayant  d'élever  des 
doules  sur  les  formules  nombreuses  qui  prouvent  que  les  hommes 
propres  étaient  attachés  au  fonds  de  la  terre  et  se  vendaient  avec  elle. 
Pour  toute  autorité  il  se  cite  lui-même  (Paysans,  p.  113) ,  ce  qui  est 
d'une  modestie  parfaite  et  surtout  commode.  L'argumentation  à  laquelle 
on  nous  renvoie  avec  tant  de  sans -façon,  peut-elle  d'ailleurs  être 
acceptée  comme  sérieuse  ?  Elle  se  réduit  à  ceci  que,  lorsque  de  nos  temps 
encore,  un  souverain^  par  un  traité  de  paix,  cède  une  province,  il  cède 
aussi  les  hommes  qui  l'habitent  !  et  lorsqu'un  propriétaire  vend  son 
champ  ,  il  transmet  aussi  le  droit  qu'il  a  lui-même  sur  les  renies  de 
son  fermier!...  Ne  serait-on  pas  en  droit  de  demander  à  l'écrivain 
pour  qui  il  prend  ses  lecteurs ,  pour  oser  présenter  comme  pertinentes 
de  pareilles  arguties  ?  Au  moyen  -  âge ,  quand  un  abbé  disait , 
comme  celui  de  Murbach ,  en  1277  :  Leute  une  Gut  sind  des  Gottes- 
hanses...  {Les  gens  et  les  biens  appartiennent  à  F  abbaye)  :  quand 
dans  les  ventes  ou  les  traditions,  on  disait  :  den  Hof,  mit  den  Leuten 
{la  cour  avec  les  gens)  :  ctiriam  cum  hominibus  ibi  commanentibus ,  cum 
mandpiis  desuper  commanentibus^  et  ad  eoti^dem  vnansus  adsp'tdentibus  : 
cum  hominibus  publias  et  tributariis  in  eadem  villa  manentibus,  on 
exprimait  indubitablement  une  réalité ,  l'adscription  à  la  glèbe ,  réa- 
lité en  parfait  rapport  avec  les  institutions  du  temps  qui  légitimaient  le 

'  Voir  la  livraison  de  juin ,  page  905. 

«•Séria. -47- Aimé*.  21 


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322  REVUE  D* ALSACE. 

servage,  et  contre  laquelle  je  défie  M.  Hanauer  de  trouver  la 
moindre  autorité.  Pourquoi  donc  ne  pas  l'accepter  comme  incon- 
testable^ et  pourquoi  essayer  encore  des  objections  comme  celle-ci: 
•(  En  1767  ,  le  B""  F.  de  Falkenhayen  vendit  aux  dames  de  Saint- 
X  Etienne  le  village  de  Behlenheim  avec  ses  habitants,  etc.  :  qui  oserait 
(i  dire  que  les  habitants  de  Behlenheim ,  en  4  727,  aient  été  les  esclaves  ou 
<i  même  les  serfs  du  baron  de  Falkenhayen  *  ?  »  Voilà,  il  faut  en  convenir, 
une  logique  dune  force  singulière!...  Nous  discutons  sur  les  institutions 
du  premier  moyen-àge ,  et  l'on  me  répond  par  une  vente  du  xvni%  qui 
dit  précisément  ce  qu'on  disait  en  plein  moyen-àge  !  —  Le  dialecticien 
suppose  qu'en  1 727  il  n'y  avait  plus  nulle  part  d*homme8 propres  {Bôrigé)  : 
c'est  tout  simplement  proposer  de  résoudre  la  question  par  la  question. 
Est-il  bien  sûr  qu'en  i  727,  le  servage  de  la  glèbe  ait  été  absolument  aboli 
dans  toute  notre  province?  Mais  j'admettrais  même  que  le  baron  silé- 
sien  de  Falkenhayen  se  soit  trompé  sur  le  temps  et  sur  le  lieu ,  en  se 
supposant  à  tort  (ce  que  M.  Hanauer  ne  prouve  pas)  des  homines  pro- 
prii  dans  son  petit  fief  de  Behlenheim ,  en  quoi  cela  inGrmerait-il  la 
démonstration  qu'au  moyen-âge  ces  sortes  de  ventes  étaient  effectives  et 
usuelles  ?  Vraiment ,  devant  de  pareils  arguments ,  ne  suis-je  pas  en 
droit  de  demander  ce  qu'il  y  avait  donc  de  si  agressif  dans  le  regret  que  j'ai 
quelquefois  exprimé ,  de  voir  un  auteur  de  mérite  s'opiniâtrer  dans 
des  erreurs  de  cette  espèce,  qu'il  serait  infiniment  plus  noble  de  sa  part 
de  déserter  franchement  ? 

Dans  sa  4<^  lettre  (p.  13),  il  revient  de  nouveau  sur  ce  sujet  de  la 
condition  des  personnes  colougères ,  mais  pour  l'éluder  encore  :  il  me 
renvoie  toujours  à  la  fameuse  page  111  de  ses  Paysans ,  en  m'invitant 
gracieusement  à  finir  par  la  lire.  Je  n'userai  pas  de  la  réciprocité , 
en  le  renvoyant  à  mon  Etude ,  et  j'y  serais  pourtant  bien  autorisé  par 
l'objection  suprême  qu'il  reproduit  (i6. ,  p.  14).  Elle  consiste  à  faire 
remarquer  que  dans  certaines  colonges  il  y  aurait  eu  des  manses 
tenus^  par  des  gentilshommes  et  des  nobles.  Je  n'ai  jamais  élevé  la 
moindre  dénégation  contre  ce  fait  ;  je  l'ai  au  contraire  formellement 
affirmé  en  constatant  que  les  manses  d'un  même  domaine ,  sous  les 
Mérovingiens  et  les  Carlovingiens ,  se  distinguaient  en  libres ,  en  ingé- 
nuiles  et  en  serviles  *.  Dès-lors,  d'accord  sur  ce  point  avec  M.  Hanauer, 

'  3»  lettre,  p.  34. 

*  V.  Revue  d'Alsace  ,  janvier  1866  ,  p.  13 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,   ETC.  323 

je  n'avais  plus  à  le  faire  entrer  dans  notre  controverse  :  seulement 
il  fallait  encore  imprimer  à  ce  fait  sa  signification,  et  c'est  sur 
cette  signification  que  mon  opinion  se  sépare  radicalement  de  la 
sienne.  Je  vais  entrer  à  cet  ^rd  dans  quelques  nouvelles  explica- 
tions qui,  je  Tespère,  finiront  par  me  procurer  l'avantage  d'être  com- 
pris de  lui. 
Je  prends,  par  ordre  de  dates,  les  documents  qu'il  dte: 
Le  premier  dans  cet  ordre  est  le  prétendu  diplôme  de  Louis-le- 
Débonnaire,  en  faveur  de  Pabbaye  d'Ebersmunster,  de  817.  Il  est  en 
effet  rapporté  par  Scbœpflin,  ou  plutôt  par  Lamey,  ^omme  extrait  d'un 
codex  de  la  Bibliothèque  de  Beatus  Rhenanus  ^  Hais  la  fausseté  de  ce 
prétendu  document  a  été  démontrée  jusqu'à  la  dernière  évidence  par 
Grandidier  *,  et  d'ailleurs  reconnue  par  Schœpflin  lui-même  qui ,  à  la 
page  105  du  même  volume  de  sa  Diplomatique ,  le  classe  parmi  les 
Carolingien  vel  adulterina  vel  inlerpolata.  Comnient  donc  un  paléographe 
puriste  y  comme  mon  correspondant  affiche  la  prétention  de  l'être, 
a-t-il  pu  se  décider  à  chercher  des  armes  dans  un  texte  aussi  notoirement 
apocryphe  ^  ?  Pourquoi  n'a-t-il  pas  profité  de  l'occasion  pour  invoquer 
encore  dans  le  même  sens,  la  fameuse  charte ,  par  laquelle  Dagobert  est 
censé  avoir  cédé  trois  cours  royales  (curtes  Regias)  à  l'église  de  Stras- 
bourg, cum  servienlibiAs ,  optimatibuSy  et  etiam  equitibus  ad  easdem 
curtes  pertinentibus?  diplôme  qui,  comme  je  le  dirai  tout  à  l'heure,  a 
fondé  le  rang  des  quatre  vidâmes  de  l'église  de  Strasbourg^?  La 


*  AUat^  Dipl, ,  I,  p.  66,  Schœpflin  ajoute  en  note:  In  Ebersheimenn  tabalario 
charia  isla  non  reperitur, 

'  Hist,  de  VEglise  et  des  évêques  de  Strasbourg  ,  ii ,  Diss.  V^,  p.  4. 

*  Dans  une  note  (même  page  14)  H.  Uanauer  me  cherche  incidemment  noise ,  à 
propos  de  la  rectification  que  je  me  suis  permise  du  sens  qu'il  attachait  dans  ses 
Paysans  au  mot  famille  :  sens  que  j*ai  fixé ,  d'après  la  définition  de  Ducange  et  de 
tous  les  auteurs  contemporains ,  comme  exprimant  un  rapport  de  servage  ou  tout 
au  moins  de  fcunulisme,  (Reoue ,  janvier,  p.  24).  Déjà  dans  ses  premières  lettres 
(p.  25)  il  m'avait  finement  plaisanté  en  insinuant  que  je  lui  supposais  l'intention 
d'attribuer  une  famille  naturelle  à  une  église  ou  à  des  moines.  Je  me  suis  bien 
gardé  d'une  aussi  pauvre  inconvenance.  11  faut  réellement  être  à  bout  de  bonnes 
raisons ,  pour  dénaturer  à  ce  point  les  expressions  les  plus  claires ,  et  surtout  pour 
chercher  dans  un  texte ,  d'ailleurs  faux ,  une  prétendue  rectification  que  ce  texte 
même ,  fut-il  vrai ,  condamnerait  positivement. 

*  Gaanuidikr,  q*  s.ï,  Pièces  just.  ,  N<»  17. 


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324  REVUE  d'àlsace. 

fausseté  de  ce  diplôme  est  hors  de  controverse  comme  celle  du  pré- 
eédenli. 

Le  second  document ,  invoqué  par  H.  Hanauer,  est  le  diplôme  de 
Lothaire  »  de  845 ,  confirmant  les  possessions  et  les  privilèges  de  l'abbaye 
(te  Saint-Etienne  et  lui  conférant  douze  nouvelles  cours.  Dans  ce  titre, 
la  donation  générale  comporte  le  territoire  cum  servis  y  ancelUSy  coUmis 
fiscalibuSy  lunctisque  justiciis^  cum  mancipiis.  Pour  le  territoire  de 
Munhinga  Prisgaudi ,  la  charte  ajoute  :  cum  suis  appensibuSy  basilica, 
rkis.,,.  manciidiSy  servis  et  ancillis,  colonis  et  fiscalinis  tam  de 
équestre  quam  pédestre  ordine ,  banno  et  cyppo ,  marcato ,  et  omnibus 
justitiis  *. 

Ici  encore ,  je  dois  rappeler  mon  correspondant  à  Tordre  chronolo- 
gique. Tous  ces  documents  se  réfèrent  à  l'âge  des  Bénéfices,  dont  j'ai 
rapidement  esquissé  les  traits  principaux  '.  Je  sortirais  des  limites 
dans  lesquelles  je  suis  forcé  de  me  renfermer,  si  je  cherchais  à  pro- 
duire ici ,  ne  fût-ce  qu'en  résumé ,  ce  qui  se  trouve  enseigné  par  nos 
savants  les  plus  éminents  sur  ce  régime  qui  a  précédé  la  féodalité  dont 
il  contenait  en  germe  tous  les  éléments.  La  révolution  carolingienne , 
qui  a  rendu  perpétuelles  les  concessions  territoriales  faites  à  l'Eglise» 
à  titre  précaire,  le  rang  politique  attribué  à  celle-ci ,  le  maintien  dans 
les  grandes  donations  territoriales  des  droits  précédemment  acquis  aux 
recommandés  ou  aux  gasindi  ^^  sont  des  faits  historiques  qu'il  n'est  pas 
possible  de  négliger  quand  il  s'agit  d'interpréter  des  documents  remon- 
tant à  cette  époque.  Quand  le  Roi  ou  l'Empereur  cédait  un  territoire 
tout  entier,  il  ne  pouvait  pas  révoquer  les  concessions  viagères  ou  perpé- 
tuelles qu'il  avait  précédemment  octroyées  àsesleudes  ouàses^(utndi. 
Mais  que  devinrent  ces  concessions  partielles  lorsque,  peu  à  peu,  le 
régime  bénéficiaire  s'absorba  dans  le  régime  féodal?  Elles  devinrent,  en 
partie,  lorsqu'elles  étaient  tenues  par  des  nobles  des  petits  fiefs  relevant 


*  GRANDIDIER,  I,  p.  83. 

'  SCHCEPFLIN  ,  Al$aL  dipl, ,  i ,  p.  81. 

*  Hevue ,  janvier,  p.  10. 

*  «  De  l'aUemand  Gesind  :  «  le  bénéfice  militaire  surtout  était  toujours  le  prix 
«  d'un  service  rendu  ,  quelque  fois  une  solde ,  quelque  fois  un  salaire.  Le  bénéficier 
«  faisait  partie  de  la  domesticité  du  Roi.  »  Lebuërou  ,  q»  i.  u,  p.  665.  ~  Roth, 
Betie/tcialwesen ,  p.  359-364 ,  contient  les  textes  les  plus  précis  sur  cette  org^i- 
sation  hiérarchique  des  bénéfices.  V.  aussi  sur  la  recommandation  ,  Laboitlatc  , 
HiiL  du  droit  de  propriété .  p.  S81. 


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KÉSUMÉ   ET  CONCLUSION  ,    ETC.  325 

de  Tabbaye,  ou  de  rétablissement  ecclésiastique,  investi  de  la  souveraineté 
du  territoire  intégral  !  C'est  ce  que  Grandidier  explique  clairement  dans 
ses  commentaires  sur  le  texte  du  titre  faux  de  817,  en  disant:  Opii- 
maies  erant  liberi  nobiles  qui  quasi  vassi  eas  mrîes ,  ratione  cen$us 
possidebant;  equitum  nomine  hic  censentnr  Ingenui  sive  homims 
liberi,  sed  non  nobiles  y  qui  eodem  modo  ac  optimales  illis  curtibus 
fruebaniur  * .  Les  fiscalini  equestris  ordinis  n'en  étaient  pas  moins  des 
fiscaliniy  c'est-à-dire  des  hommes  quoddammodo  addicti ,  ainsi  que 
l'explique  fort  clairement  Ducange ,  précisément  à  propos  de  cetio 
charte  de  845  *.  Pierre  d'Andlo  ,  chanoine  du  chapitre  de  Saint- 
Martin  de  Colmar,  a  consacré  tout  un  volume  à  établir  la  subordination 
hiérarchique  des  classes  dans  l'empire  germanique  ;  il  la  fonde  non- 
seulement  sur  la  constitution  politique  propre  à  ce  pays ,  mais  sur  les 
préceptes  de  la  loi  divine,  et  sur  l'enseignement  des  Pères.  Dans 
le  12«  chapitre  de  son  second  livre  :  de  septem  nobilitads  gradibtis ,  il 
distingue  entre  autres  les  Barons  en  deux  classes  :  les  semper  Barones  -'< 
et  les  simplidter  Barones.  Les  premiers  sont  ceux  qui  ne  tiennent  leur 
fief  de  personne  et  ne  doivent  par  conséquent  foi  et  hommage  à  aucun 
autre  Baron  ;  puis  suivent  les  Valvasores ,  id  est ,  minores  capitanei 
quiproceres  sive  min'tsterarii  dicuntur;  locum  sibi  vendicant  simplicem 
militiam  transcendentes  et  sunt  illi  qui  à  majoribus  ralvasoribus  et 
capiianeis  feudum  tenent  et  ipsi  alios  vasaltos  habent..,  ul  sunt  propriê 
domini  mei  de  Andlo,  de  Hohenstein,  de  Landsperg,  Treger  et  his  similes. 
filœ  enim  quatuor  famiiiœ  sont  valvasores,  sive  vice  domini  hereditarii 
iliustris  Argenlinenlis  Ecclesiœ ,  ex  quibus  unam  personam  ad  vice  domi- 
natus  dignilatis  regimen  assumere  tenentur,  qui  etiam  plurimos 
minoris  militiœ  nobiles  feudali  jure  vasallos  habent,  jureque  proprio 
in  prœliis  suo  panderio  militare  possunt  :  hune  valvasorum  ordinem 
sequitur  infimus  nobilitatis  gradus.,..  qnos  et  client ulos,  more  nostr), 


'  Grandidier  ,  9.  <. ,  Pièces  just. ,  K»  17  ,  p.  xxvii. 

'  6io$s,  Ed.  Didot ,  ni ,  p.  310-311.  Sur  la  différence  d'état  entre  les  Hôhge  , 
le*  Aldiones  ,  les  Cerarii ,  les  Tributarii ,  différences  qui  ne  les  faisaient  pas  sortir, 
même  par  affranchisscmznt  y  de  la  dépendance  de  leur  maître  ou  seigneur» 
V.  ZiCPFL  ,  Recktsgesch . ,  u  ,  p.  28.  Daniels  ,  9.  s.  1 ,  p.  4i6. 

*  Dans  le  IJeerschild  [l'Ecu] ,  qui  ouvre  le  Miroir  de  Saxe  comnie  le  Miroir  de 
Souabe,  le  7*  et  dernier  rang  des  Proceres^  est  attribue  aux  Semperen  liile,  c'est-à- 
dire  ,  selon  la  traduction  publiée  par  Matile ,  li  franc  qui  ont  autres  francs  sur  lotir 
,eux). 


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326  REVUE  D*ALSACE. 

appellamus*.  La  position  de  ces  petits  détenteurs  de  lenures  subalternes 
dans  les  grands  bénéfices  concédés  aux  Eglises  ou  aux  monastères ,  par 
les  Mérovingiens  et  les  Carlovingiens ,  n'a  pas  été  autre  que  celle  des 
hommes  libres  qui ,  sous  cette  période ,  pour  se  créer  des  protecteurs , 
abandonnaient  leurs  alletMC  et  les  reprenaient  ensuite  au  moyen  de  tra- 
ditions lesquelles  leur  enlevaient  leur  ingénuité,  mais  leur  procuraient  au 
moins  en  retour  une  sécurité  relative.  Laréduction  de  laclasse  des  Ingenuiy 
à  cette  époque,  a  été  de  tous  temps  remarquée  par  les  historiens  :  Mon- 
tesquieu la  relève  avec  sa  pénétration  habituelle  :  «  Une  infinité  de 
(erres ,  dit-il ,  que  des  hommes  libres  faisaient  valoir,  se  changèrent  en 
mainmortables  "*:  :»  La  disparition  presque  totale  des  petits  alleux ,  par 
l'usage  des  vassalités  et  des  donations  à  l'Eglise ,  est  attestée  par  des 
textes  contemporains  nombreux.  Dans  le  Cap.  3,  ann.  8ii,  on  lit  entre 
autres  :  c  Dicunt  quod  episcopi  et  abbates,  sive  comités  dimittunt  eorum 
liberos  homines  ad  casam  in  nomine  ministerialium.  Ibi  sunt  falconarii  » 
venatores ,  telonarii ,  prœpositi ,  decani ,  et  alii  qui  misses  recipiunt  et 
eorum  sequenles^.  »  La  loi  des  Ripuaires  (XXXl)  faisait  déjà  allusion  à 
cette  réduction  des  hommes  d'état  libre,  à  la  condition  de  homines proprii 
ou  Hôrigen,  avec  la  réserve  illusoire  de  ne  pouvoir  être  employés  qu'à 
de  certains  services  ingenuili  ordine  ^  ;  mais  le  ministérial,  quelque  fût 
sa  fonction ,  n'en  restait  pas  moins  homo  proprius ,  comme  je  l'ai  dé- 
montré à  satiété  dans  mon  Etude  ^.  Comment  d'ailleurs  H.  Hanauer 
peut-il  me  contraindre  à  revenir  sur  cette  démonstration,  lorsque  M.  de 
Maurer ,  ce  savant  dont  toute  l'Allemagne  reconnait  l'autorité  {Const. 
p.  96),  ce  savant^  sur  l'infaillibilité  duquel  il  prétendait  appuyer  ses 
assertions  les  plus  téméraires,  constate  lui-même,  dans  les  termes  les 
moins  équivoques,  cet  asservissement  de  la  classe  des  hommes  libres, 
comme  ayant  été  le  résultat ,  non  pas  de  la  féodalité ,  mais  du  fait  bien 


'  Pkt.  ab  Andlo  ,  de  Imperio  Romano  ,  édit.  Freher,  p.  117.  Cet  auteur  vivait 
au  XV*  siècle.  —  Aux  autorités  que  j*ai  citées  dans  mon  Etude  ,  sur  le  fait  fonda» 
mental  de  la  distinction  des  classes ,  joignez  encore  E.  L  aboolaye  ,  q,  s,  ,  p.  154. 

'  Esprit  des  Lois  ,  xxx  ,  ch.  xi. 

-'  Baluze  ,  1,  p.  845.  En  commentant  ce  texte,  M.  Ed.  Labodlaye  dit  avec 
raison  :  «  Les  faits  et  les  lois ,  tout  nous  atteste  que  ,  du  vi«  au  x«  siècle ,  tous  les 
•<  petits  propriétaires  d'aileux  furent  peu  à  peu  dépouillés  ou  réduits  à  Ia  condition 
.«  soit  de  vassaux  ,  soit  de  tributaires •  [Hist.  de  la  propriété,  p.  277.) 

*  Sirmond ,  form.  44.  —  ZiCPFL ,  Rechtsgesch. ,  ii ,  p.  10. 

*  V.  Revue,  janvier  ,  p.  29. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION  ,   ETC.  327 

antérieur  des  Traditianes  aux  Eglises  el  aux  monastères?  J*ai  cité  en 
entier  >  le  passage  dans  lequel  cet  auteur  distingué  atteste  que  les  pro- 
priétaires f  libres  de  villas  libres  se  virent  forcés  de  donner  à  des  Eglises 
c  ou  à  des  couvents  leurs  biens  libres,  à  les  reprendre  ensuite  par  des  Iradi- 
«  li(mes  y  mais  en  aliénant  ainsi  leur  qualité  de  propriétaires  libres.  »  Je 
crains  même  que  cette  citation  ait  brouillé  H.  Tabbé,  avec  l'apôtre 
scientifique  de  ses  Paysans  et  de  ses  Constitulions  ^  à  en  juger  par  le 
silence  absolu  qu'il  a  gardé  dans  ses  quatre  lettres ^  sur  une  autorité 
qu'il  se  plaisait  naguère  à  étaler  avec  profusion.  —  Il  me  semble  donc 
hors  de  doute  que  les  libres  ont  peu  à  peu  échangé  leur  ingénuité 
contre  la  position  plus  humble ,  mais  plus  protégée  de  honiines  propriï 
ou  de  Hôrigen  ^:  la  ministérialité  ne  les  relevait  pas  de  cette  déchéance  : 
car  la  ministérialité,  à  tous  les  degrés,  n'était  qu'une  fonction  révocable  et 
quasi  servile ,  qui  laissait  Thomme  qui'l^exerçait  sous  la  dépendance  per- 
sonnelle de  son  maître  et  seigneur.  Les  écrits  contemporains 
abondent  de  traits  contre  *es  hommes  de  cette  classe  qui  lendaienl 
à  se  relever  par  leurs  fonctions ,  et  les  chroniques  monacales ,  il 
faut  le  dire,  ne  sont  pas  celles  qui  sous  ce  rapport  se  montrent  les  plus 
libérales.  Celle  de  Sainl-Gall ,  entre  autres,  en  Tannée  1130,  s'élève 
avec  virulence  contre  Timpertinence  des  celleriers  de  l'Eglise,  qui  reven- 
diquaient à  titre  de  bénéfices  (m  modum  beneficiofi^m)  les  droits  de 
villicature  (jura  villicationis)  et  qui  poussaient  l'arrogance  jusqu'à 
vouloir,  contre  tout  usage  {contra  consuetiidinem) ,  porter  l'épée  à 
l'imitation  des  nobles  (more  nobilium)^.  Si  telle  était  la  condition  des 
hommes  libres ,  devenus  ministériaux ,  qu'a  donc  dû  être  celle 
de  cette  classe  inférieure,  désignée  sous  la  dénomination  de 
Rustici  y  et  qui  ne  trouve  pas  même  sa  place  dans  la  graduation  sociale 
du  Heersckild  *  ? 

Je  me  résume  donc.  L'existence  de  mansus  liberi ,  ingénuités ,  et 
même  nobiles,  dans  les  grands  Bénéfices  détachés  du  Fiscus  regius  par 
les  Mérovingiens ,  et  les  Carolingiens ,  n'est  pas  contestable  ;  mais  que 

'  Voy.  mon  Etude,  Revue ^  février,  p.  76. 

•  Sur  la  condition  de  ces  Schulibefohlene  (protégés,  recommandés)  voy.  I)amelï>, 
I,  p.  445,  et  les  autorités  qu'il  cite. 

^  Chron.  de  Sainl-Gall ,  ap.  I  ertz  ,  Mon.  germ. ,  u  ,  p.  IGl. 

'  Voy.  entre  autres  TËdit  de  l'empereur  Frédéric  I ,  qui  défend  aux  Mis  de  paysan» 
(/l/ii  Rusticorum)  de  vivre  à  la  manière  des  chevaliers  (Rittermâssig)»  Pertz  ,  Mon, 
germ. ,  iv  ,  p.  185. 


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328  REVUE  D' ALSACE. 

sonl  devenues  ces  petites  enclaves  après  la  conversion  des  Bénéfices 
viagers  ou  temporaires  en  Bénéfices  perpétuels ,  et  surtout  après  la 
substitution  définitive  du  régime  féodal  au  système  bénéficier? — Celles 
qui  étaient  détenues  par  des  nobles  se  convertirent  en  partie  en  petits 
fiefs  de  vasselage  ;  nous  en  avons  cité  tout  à  Theure  un  exemple ,  celui 
des  quatre  vidâmes  de  Téglise  de  Strasbourg  ;  dans  notre  Etude ,  nous 
avions  déjà  indiqué  celui  des  vingt-quatre  chevaliers  ou  écuyers  vassaux 
de  Tabbaye  de  Marmoutier  ^  ;  nous  aurions  pu  ajouter  à  la  nomenclature 
les  nombreux  sous*feudataires  de  Hurbach^  de  Massevaux ,  d*Ebers- 
munster ,  d'Andlau ,  etc. ,  etc.  -—  Quant  aux  mmses ,  alleux  d'hommes 
libres ,  compris  dans  le  territoire  Bénéficiaire ,  ou  encore  quant  à  un 
certain  nombre  de  villas  allodiales^  détenues  par  de  simples  Bénéficiaires 
militaires ,  même  équestres ,  elles  subirent  Tentrainement  des  recom- 
mandali09i$  et  des  iraditiones  qui  amena  peu  à  peu  la  concentration 
des  grands  domaines ,  et  la  disparition  des  libres  non  nobles  ou  d^une 
noblesse  inférieure.  A  ce  moment  historique  s'opéra  une  grande  révo- 
lution qu'il  n'est  pas  permis  d'oublier  quand  on  veut  s'occuper  de  cet 
ordre  de  recherches  :  «  Lora  de  la  conquête,  ce  fut  l'état  des  personnes 
M  qui  fit  la  condition  des  propriétés.  La  terre  du  noble  fut  noble  ;  celle 
«  du  Barbare  fut  franche ,  celle  du  Romain  soumise  à  l'impôt.  Hais  la 
<c  terre  étant  la  source  et  le  cachet  de  la  puissance  ^  l'état  des  terres  a 
a  bientôt  exprimé  plus  au  vif  que  tout  le  reste  la  condition  des  per- 
«  sonnes.  Le  signe  alors  est  devenu  c^use  et  l'état  des  personnes  a  été 
«  commandé  par  Télat  des  terres...  Celte  révolution  lente ,  qui  fit  pré- 
<  valoir  les  relations  du  sol  sur  les  relations  personnelles  y  c'est  l'his- 
0  toire  de  l'époque...  A  mesure  qu'on  s'est  éloigné  de  la  conquête,  les 
«  conditions  sociales  s'étant  toujours  et  de  plus  en  plus  incorporées  au 
<i  sol,  les  variations  successives  de  la  propriété  ont  réglé  presque  seules 
«  le  mode  et  les  vicissitudes  de  toutes  les  conditions ,  de  tous  les 
«  droits  y  de  toutes  les  libertés  ^.  »  —  Dès  -  lors ,  le  libre ,  le  noble 
même ,  qui  se  soumettaient  à  être  détenteurs  d'une  censive ,  s'assujé- 
tissaient  par  cela  même  à  la  condition  d'hommes  propres  ou  de 
Horigc  du  seigneur  ou  du  propriétaire.  «  Dans  les  idées  du  moyen- 
K*  âge,  le  bénéfice  et  le  fief  étaient  seuls  des  tenures  nobles  ;  la  censive 


'  Flrvue,  février  1866,  p.  81. 

•  Laboulaye,  q.  sup*  ,  p.  257.  -  GuizoT  ,  o«  Essai  sur  rhistoire  de  France, 
—  LeuuëAOU  ,  I ,  p.  353  ,  365  et  8uiv. 


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IlÉSUMÉ  ET  CONCLUSION)   ETC.  329 

«  élail  une  lenure  roturière ,  parce  que  les  obligations  personnelles 
«  étaient  aux  yeux  des  vieux  Germains ,  de  la  nature  de  celles  qui 
<i  subordonnent  sans  avilir,  tandis  que  les  redevances  censuelles  et 
«  territoriales  étaient  une  marque  constante  d'infériorité  sociale  ^  > 
Et  ceci  est  d'une  évidence  palpable ,  pour  peu  qu'on  tienne  compte  de 
ce  fait  que  le  cens  était  une  part  de  fruit,  c'est-à-dire  la  représentation 
d'un  travail  manuel  et  mercenaire.  Rien  ne  confirme  mieux  ces  obser- 
vations et  ne  peut  mieux  clore  celte  partie  de  ma  discussion  que  les  der- 
nières citations  produites  par  M.  Hanauer  (p.  14,  4«  lettre).  —  Elles 
prouvent  en  effet  que  le  noble ,  descendu  au  rang  de  colonger,  était 
vàllig^  c'est-à-dire  sujet  non-seulement  au  cens,  mais  au  mortuaire. 
A  la  page  H1  de  ses  Paysans ,  il  constate  lui-même  que  les  nobles , 
colongers,  partageaient  le  sort  des  atUrescohmgerSy  lorsquHls  exploitaient 
eux-mêmes.  Même  dans  les  cours ,  n'appartenant  pas  à  un  seigneur 
haut-justicier,  le  noble,  détenteur  d'une  tenure,  était  soumis  aux 
charges  les  plus  roturières,  entre  autres  à  la  Porterie.  Une  seide  excep- 
tion à  cette  égalité  de  condition ,  est  signalée  par  notre  auteur  lui- 
même  ;  elle  concerne  la  dispense  qui  aurait  été  accordée  à  un  gentilhomme 
dans  une  ferme  dépendante  de  la  colonge  de  Wallenheim ,  de  recevoir 
du  Banvin  et  de  donner  des  contributions  de  vivres  (Zerungs  bette). 
Cette  dispense  n'est  pas  bien  significative  (H.  Hanauer  en  conviendra) 
et  en  tout  cas  cette  exception  unique  ne  confirme-t-elle  pas  la  règle? 
Tout  ce  que  j'ai  dit  dans  mon  Elude ,  sur  la  condition  des  personnes 
colongèreSy  reste  donc  debout,  et  reçoit  une  confirmation  décisive  de 
l'impossibilité  à  peine  déguisée  dans  laquelle,  malgré  la  bonne  volonté 
qu'il  a  laissé  percer,  à  cet  égard,  dans  ses  Lettres,  il  s'est  trouvé  d'élever 
contre  ma  proposition  la  moindre  objection  un  peu  spécieuse.  En  effet, 
parce  que  dans  certaines  localités  il  y  aurait  eu,  dans  une  agglomération 
colongère,  quelques  manses  tenus  par  des  hommes  libres  ou  même  par 
des  nobles,  ce  fait,  fut-il  démontré,  autoriserait-t  il  à  émanciper  du  même 
coup  les  Busticiy  les  Probstleutej  les  Hôrige,  etc  ,  cette  majorité  immense 
de  paysans  dont  la  condition  servile  ou  quasi  servile  ne  peut  être  con- 
testée !  Mais  comment  surtout  maintiendrait-on  ce  singulier  argument 
devant  cette  autre  démonstration  faite  par  l'auteur  lui-même,  que 
le  libre  ou  le  noble  colonger  partageait  le  sort  commun  de  toute  la 
population  !  Je  ne  chercherai  donc  pas ,  s'il  est  vrai ,  comme  il  le  dit 

'  Lëhuëkou,  II,  p.  188. 


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330  REVUE  o'alsace. 

encore  (4"  letlre,  p.  14)  qu'il  n'y  ail  rien  de  plus  bigarré  qu'une  liste  de 
coltmgerSy  puisqu'au  fonds  cette  bigarrure  ne  modifiait  en  rien ,  vis-à-vis 
du  seigneur,  leur  condition  commune. 

Je  passe  maintenant  à  l'examen  de  l'attribut  colonger  qui  a  soulevé 
entre  H.  Hauauer  et  moi  le  désaccord  le  plus  absolu  :  je  veux 
parler  de  ce  qu'il  appelle  la  juridiction  ou  le  plaid  colonger.  Â  en 
juger  par  la  confusion  de  ses  prétendues  réfutations ,  et  par  l'incohérence 
des  propositions  qu'il  a  continué  à  développer  sur  ce  sujet  (à  propos 
duquel  il  se  sépare  d'une  manière  tranchée ,  non-seulement  de  la  tradi- 
tion ,  mais  de  l'enseignement  universel)  je  dois  croire  qu'il  s'est  trop 
bâté  de  se  forger  une  doctrine  sur  des  rotules  mal  compris  et  mal  inter- 
prétés, sans  s'être  muni  préalablement  des  notions  spéciales  et  élémen- 
taires que  l'histoire  el  la  jurisprudence  lui  eussent  abondamment 
fournies. 

Commençons  par  nous  entendre  sur  les  termes  : 

On  appelle  juridiction  à  la  fois  le  droit  de  justice  et  l'organe  par 
lequel  ce  droit  s'exerce.  On  dit  par  exemple  tel  souverain,  tel  seigneur, 
telle  ville  a  la  juridiction  sur  lel  territoire ,  ce  qui  veut  dire  tel  souve- 
rain ,  tel  seigneur,  telle  ville  a  le  droit  souverain  de  justice ,  droit  qui 
comprend  non-seulement  l'émanation,  mais  aussi  le  pouvoir  exclusif  d'ins- 
tituer des  juges  et  des  tribunaux.  —  Dans  un  sens  plus  restreint,  on 
appelle  ;'rrû(tdton  ou  même  justice,  le  ressort  d'un  tribunal  institué.  — 
On  saisit  sans  grand  effort  de  réflexion  qu'autre  chose  est  le  droit  sou- 
verain de  justice  ou  de  juridiction ,  et  autre  chose  l'aptitude  ou  l'ido- 
uéïté  à  être  juge  :  le  juge  n'a  de  juridiction  qu'autant  qu'elle^lui  a  été 
déléguée  par  celui  en  qui  réside  le  droit  dej*tstice. 

En  qui  résidait  le  droit  de  justice,  le  droit  souverain  de  juridiction 
chez  les  anciens  Germains  !  —  En  qui  résidait-il  surtout  sous  les 
Mérovingiens  et  les  Carlovingiens ,  la  seule  époque  de  laquelle  nous 
ayons  à  nous  préoccuper,  après  la  concession  faite  par  H.  Ilanauer, 
qu'à  partir  de  la  féodalité  ,  ce  droit  s'est  concentré  dans  les  mains  des 
seigneurs? 

J'ai  exposé  dans  mon  Etude  <  les  principes  généraux  que  Thistoire 
et  les  documents  législatifs  ont  établis  à  cet  égard  ;  je  l'ai  fait  rapide- 
ment, d'abord  parce  qu'un  compte-rendu  ne  peut  avoir  les  dimensions 
d'un  livre  ;  ensuite  parce  qu'il  m'eiîl  semblé  despectueux  de  supposer 


'  Revue  ,  janvier  ,  p.  7  et  suiv. ,  p.  36  et  suiv. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,   ETC.  ^  331 

que  sur  des  faits  aussi  universellement  connus  et  dont  la  connaissance 
est  si  indispensable  pour  qui  se  propose  de  discuter  sur  ces  matières , 
notre  savant  auteur  eût  besoin  d'autre  incitation  qu'un  simple 
appel  à  sa  mémoire.  —  Son  insistance  me  force  aujourd'hui ,  non  pas 
à  développer,  mais  à  préciser  un  peu  davantage  l'appréciation  que 
je  me  suis  permis  d'opposer  à  la  sienne  *. 

A  propos  de  la  juridiction  domestique  des  anciens  Germains ,  i'ai 
appujé  sur  ce  fait  qu'elle  appartenait  exclusivement  au  Propriétaire  de 
la  terre  libre,  au  Maître  {Dominm),  comme  l'appelle  Tacite  %  et  qu'elle 
s'étendait  sur  tous  ses  colons.  —  La  loi  des  Alémans  et  celle  des  Ripuaires  ^ 
révèlent  le  maintien  de  cette  juridiction,  s'exerçant  par  un  juge  (judex), 
choisi  et  délégué  par  le  propriétaire  ou  le  maître  (Judex  per  jnsiionem 
damini).  Chaque  propriétaire  libre  avait  notan^ment  son  judex  rural , 
son  majordome  y  son  major;  ce  qui  a  conduit  des  auteurs  éminents  à 
supposer  que  dans  tout  domaine  il  y  aurait  eu  un  officier  investi  des  mêmes 
fonctions  que  ces  fameux  maires  du  Palais  de  la  i'^  race ,  sur  lesquels  il 
a  été  tant  écrite.  Ces  juridictions  domestiques  formaient  le  droit  commun 
de  la  propriété  libre  ;  elles  ne  furent  pas  constituées  par  privilège. 

La  législation  carolingienne  confirma  cette  attribution  de  la  juridic- 
tion au  propriétaire  libre,  sur  son  domaine,  sur  ses  colons ,  et  sur 
touà  ceux  auxquels  s'étendait ,  même  momentanément  seulement,  son 
patrocinium ,  ou  sa  protection  {Schutz ,  Schirm)  \  elle  atteignait  en 
outre  les  vassaux:  c  non-seulement  à  l'époque  où  la  féodalité  était  déjà 
u  en  pleine  vigueur,  mais  dès  le  principe ,  et  lorsque  l'institution  se 
K  montre  pour  la  première  fois  dans  l'histoire  ^.  > 

J'ai  déjà  appelé  l'attention  sur  le  caractère  monarchique  et  oligarchique 
des  institutions  mérovingiennes  et  carlovingiennes,  qui  appartiennent  à 
ce  que  ScbœpOin  appelle  notre  Période  Francique  ^.  Il  est  donc  inutile  d'y 


'  Pour  ne  plus  revenir  sur  les  auiorilés  déjà  cilées  dans  mon  Etude  ,  je  me  t>or- 
nenii  à  résumer  ici  sommairement  les  textes  reproduits  littéralement  par  Lehuërou  , 
dans  les  deux  volumes  que  j'ai  déjà  si  souvent  annotés. 

'  Germ,  20. 

'  Lex  alam.  xxiii ,  Rip.  88. 

*  V.  Lehuëroci  ,  I ,  p.  384.  .  MiCHELET,  tlht.  lie  France,  i  ,  p.  275  ,  et  M.  Ed. 
Laboulate  ,  Droit  depropr.  ,  paç.  351-53  ,  ont  parfaitement  saisi  le  caractère  de 
cette  institution.  >  (Note  de  Lehuërou). 

"  Baldze,  form.  3  et  8.  ->  Lehuërou,  ii  ,  p.  tt5. 

•  Revue  ,  jan^er,  p.  8. 


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332  REVUE  0*ALbACE. 

revenir  ici  :  et  uolre  auteur  a  fait  trop  peu  d'efforts  sérieux  dans  le 
but  de  contester  ces  données  générales ,  pour  que  j'éprouve  le  besoin  d'y 
insister  davantage.  Pour  moi ,  elles  se  résument  en  cette  conviction , 
que  déjà  avant  l'établissement  de  la  féodalité,  le  droit  de  justice  résidait 
exclusivement  sur  la  tête  du  propriétaire  libre  de  la  terre  Ubre  et 
allodiale. 

A  ce  pouvoir  de  justice  correspond  le  privilège  un  peu  plus  tardif  de 
l'immunité.  Qu'est-ce  que  Vimmunité?  Elle  n'est  autre  chose  que  Faf- 
franchissement  acquis  à  certaines  juridictions  domaniales  ou  intérieures 
de  toute  intrusion  de  la  justice  du  comte,  ou  de  tout  autre  supérieur. 
La  plus  ancienne  formule  en  exprime  clairement  la  force  :  Sub  integrœ 
immunitatis  valeant  dominare...  quaslibet  causas ,  ubicumquey  quoquo 
tempore  ^  L'immunité  n'était  que  l'indépendance  assurée  à  cer- 
taines juridictions  domaniales  :  elle  ne  constituait  pas  ces  juridictions  ; 
elle  en  élargissait  seulement  l'action.  L'immunité  était  donc  un  attribut 
inhérent  au  droit  de  justice  ,  et  inhérente  comme  lui  à  la  qualité  de 
maître ,  de  propriétaire  ou  de  dynaste. 

Le  droit  de  justice  de  celui-ci  avait  pour  ressort  toute  l'étendue  de 
son  domaine  ;  il  lui  compétait  sur  tous  ceux  qui  étaient  sous  sa  dépen- 
dance légale;  ce  droit  était  donc,  comme  nous  l'avons  déjà  établi,  à  la 
fois  personnel ,  en  tant  que  résidant  sur  la  tête  du  seigneur ,  et  terri- 
Utrial  en  tant  qu'il  avait  pour  ressort  toute  l'étendue  de  sa  terre. 

Ici  notre  auteur  commet  une  confusion  bizarre ,  en  imaginant  que 
.  parce  que  le  droit  de  justice  était  tenitorial,  il  aurait  été,  comme  une 
espèce  de  servitude,  attaché  au  sol ,  et  par  conséquent  commun  à  toii& 
les  habitants.  Uimmunité  aurait  été  ainsi ,  d'après  lui ,  un  pri- 
vilège ,  se  divisant  entre  toutes  les  tenures  du  territoire ,  cl  se  répar- 
tissant  entre  tous  leurs  détenteurs* —  Celte  doctrine  est  d'une  fausseté 
évidenle  :  d'abord  l'immunitc ,  comme  le  droit  de  justice  dont  elle  élait 
inséparable ,  résidait  personnellement  et  exclusivement  sur  la  tête  et 
dans  le  titre  du  souverain  de  la  terre  -,  en  second  lieu  ,  l'immunité  ne 
pouvait  s'attacher  qu'à  une  terre  libre ,  franche  et  indépendante , 
jamais  à  une  terre  censîlique.  Le  cens ,  nous  l'avons  déjà  dit ,  est  tou- 
jours la  marque  d'une  terre  sujette  et  dépendante  :  or  toutes  les  tenures 

'  Marculf  ,  form.  i ,  s.  â. 

'  %•  LeUre ,  paj^.  SI  et  22.  —  C'est  là  au  moins  ie  seul  sens  que  je  puis5«  y 
découvrir. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION  ,   ETC.  333 

dépendant  d'un  domaine  colonger  payaient  un  cens  au  propriétaire  ou 
au  seigneur;  elles  étaient  donc  dépendantes  vis-à-vis  de  lui.  Lui  seul 
avait  son  domaine  libre  et  franc  ;  lui  seul  donc  aussi  jouissait  de  Yim- 
munité. 

Du  reste ,  il  est  inutile  de  rappeler  que  Yimtnunité  n'était  pas  de  droit 
commun  ,  et  qu'elle  ne  formait  qu'un  privilège  exceptionnel.  En  Alsace 
elle  a  été  accordée  avec  largesse  par  les  Carolingiens  aux  évèchés  et 
aux  abbayes  ;  mais  il  y  a  beaucoup  de  colonges  qui  se  sont  fondées  sur 
des  territoires  dont  le  seigneur  n'avait  pas  cette  prérogative. 

Le  droit  de  justice  ,  avec  ou  sans  son  attribut  de  l'immunité  ,  étant 
ainsi  restitué  au  seigneur  ou  au  propriétaire,  nous  devons  exposer 
rapidement  comment  il  s'exerçait  d'après  les  coutumes  germaniques. 
•—  La  pluralité  des  juges  semble  avoir  été  acceptée  dès  le  principe  comme 
règle  dans  la  constitution  des  tribunaux.  La  forme  fondamentale  de 
l'organisation  judiciaire  consistait  dans  l'exercice  du  droit  de  justice  par  le 
souverain  territorial,  avec  la  cDopération  d'une  partie  de  la  population. 
Cette  coopération  a,  d'époque  en  époque,  varié  d'intensité  et  d'étendue. 
Dans  les  premiers  temps  de  la  conquête ,  tous  les  hommes  libres  d'un 
territoire  ou  d'une  gau  ,  comme  nous  l'avons  dit  t ,  étaient  obligés  de 
se  réunir  en  mallus  sous  la  présidence  du  comte  ou  de  tout  autre 
représentant  du  Roi.  Cette  première  institution  a ,  selon  toute  vraisem- 
blance y  servi  de  type  aux  cours  des  consorts  ou  des  pairs  que  l'on  ren- 
contre sous  toutes  les  formes  dans  les  périodes  suivantes.  Le  libre  y 
comme  plus  tard  le  vassal ,  n'avait  pas  seulement  le  droit  de  siéger  à 
ces  assemblées  ;  il  y  était  obligé ,  sous  des  peines  d'une  sévérité  variable. 
J'ai  indiqué  comment  la  législation  carolingienne  a  influé  sur  cette 
institution  en  quelque  sorte  nationale  ^  d'abord  en  limitant  le  nombre 
de  ces  mallus ,  et  ensuite  en  restreignant  Tidonéilé  des  libres  à  une 
catégorie  d'hommes  plus  puissants  ou  plus  capables ,  qui  s'appelaient 
Scabini  ou  Schœffen^.  Cette  dernière  restriction  est  remarquable 
surtout  par  le  motif  sur  lequel  elle  s'appuye.  C'est  pour  exonérer  les 
libres  de  condition  inférieure ,  de  l'incommodité  d'une  comparution 
trop  fréquente,  que  Charlemagne  les  afl'ranchit  du  devoir  de  venir 
au  mallus  y  et  qu'il  ne  maintient  cette  charge  que  pour  certains  hommes 

'  Revue j  janvier,  p.  8. 

*  V.  Cap,  Aquitgr,  809 ,  c.  u.  Cap.  Wormatiense ,  829 ,  cap.  4.  —  Sur  cHle 
réforme  caroUngiennr  ,  voy.  Waltfr  ,  Reekitgetch, ,  i,  p.  106  —  ii,  p.  278. 


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334  REVUE  D' ALSACE. 

libres,  d'un  nombre  et  d'une  consistance  sociale  déterminés.  Fins  tard 
cette  institution  des  premiers  temps  subit  un  dernier  aflaissement  par 
ia  diminution  de  la  classe  des  hommes  libres ,  dont  j'ai  tout-à^l'heure 
indiqué  les  principales  causes  Dans  son  dernier  état ,  le  mallus  ou  ce 
qui  le  rappelait ,  notre  ancien  Landgericht  y  n'était  plus  qu'une  simple 
forme  solennelle,  conservée  dans  le  but  de  donner  à  certains  actes,  dans 
des  temps  où  l'écriture  était  presque  généralement  inconnue ,  la  consé- 
cration d'un  témoignage  populaire  t. 

Le  droit  de  juridiction  ou  le  pouvoir  de  justice ,  nous  venons  de  i^ 
voir ,  appartenait  exclusivement  au  propriétaire  ou  au  souverain  terri- 
torial ;  mais  pour  l'exercice  de  ce  droit ,  le  souverain  était  autorîs**  par 
la  coutume  à  contraindre  tous  ses  sujets  à  y  concourir  avec  lui,  et  c'est 
de  ce  principe  que  sont  sorties  les  cours  (curiœ)  féodales  et  autres. 
ff  Le  devoir  des  vassaux  était  de  combattre  et  juger ,  et  ce  devoir  était 
«  même  tel  que  juger  c'était  combattre ,  >  dit  Montesquieu  *.  Le  Land 
undLehnrechls-Buch^eTimxïiqtie  explique  dans  le  même  sens,  l'origiiie 
des  cours  seigneuriales.  La  collation  de  fiefs  à  plusieurs  engendrait  entre 
eux  un  consortium ,  une  parité  ;  ils  s'appelaient  Lehens  Genassene  ; 
combattre  et  juger  à  Fappel  de  leur  suzerain  était  aussi  leur  devoir  ; 
il  pouvait  les  convoquer  zu  Ding  und  zu  Ring^.  Je  n'entrerai  pas  dans  plus 
de  détails  sur  la  composition  de  ces  cours  féodales ,  sur  l'obligation  des 


*  Ces  cérémonies  prirent  le  nom  d'Offenungen ,  (Proclamation ,  Promulgalion  , 
Publication)  Y.  Wackernagel  ,  Gloss,  h.  v.  —  Un  document  curieux  conservé  aux 
Archives  du  Haui'Rhin ,  Fonds  de  Vordre  de  Malte  ,  eommanderie  de  Mulhouse , 
nous  donne  le  procès-verbal  d'une  pareille  assemblée  tenue ,  apud  SenkeUtein ,  à  la 
Saint-Michel  1276 ,  pour  la  publication  d'une  donation  faite  à  Tabbaye  de  LuoeUe 
d'une  cour  appelée  Sancta  AdeUieid  de  Sel%a.  Voici  comment  on  y  décrit  le  rôle  de 
la  multitude  présente  :  Huic  aulem  confessioni  suœ  nullus  se  reclamando  uel  con- 
tradicendo  opposuit ,  sed  multiiudo  hominum  qui  aderant  arrisit  pro  gaudio  et 
applausit.  —  Les  publications  des  bans  de  mariage  avec  interpellation  si  personne 
n'a  à  s'opposer ,  et  presque  toutes  les  procédures  per  turbas  du  moyen-âge ,  etc., 
dérivent  du  même  besoin  de  procurer  par  la  publicité  une  plus  grande  solemnité 
à  certains  actes.  Du  reste  le  document  même  que  nous  venons  de  citer  ,  établit  que 
l'acte  procédait  du  Landgericht  (tribunal  provincial) ,  qui  était  ambulatoire.  — 
V.  BÉVILLE ,  Jurid.  ,  p.  33. 

'  Esprit  des  Lois,  iv  ,  p.  80. 

'  Littéralement  :  au  conseil  et  au  cercle  :  le  Ring  est  une  allusion  à  l'ordre  circiUaire 
dans  lequel  se  plaçaient  les  juges.  —  V.  Oseiibbijggen  ,  CuUur  hist,  Bilder^  p.  165. 
—  Z^PPL ,  p.  7  et  16. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,   ETC.  335 

vassaux  d'y  concourir  à  l'appel  du  seigneur  suzerain  ,  à  tilre  d'asses- 
seurs y  non  plus  que  sur  la  forme  de  la  procédure  qui  s'y  observait. 
Ces  détails  minutieusement  développés  dans  les  Miroirs  de  Saxe  et  de 
Souabe  ',  ainsi  que  dans  le  vieux  code  que  nous  venons  de  citer,  ont 
été  reproduits  par  M.  Réville ,  avec  une  si  exacte  précision  qu'il  n'y  a 
rieo  à  ajouter'. 

Quoique  la  concession  à  titre  de  censive ,  n'eût  pas  la  dignité  de  la 
concession  à  fief,  et  qu'au  contraire  il  fût  de  maxime  qu'une  censive 
ne  pouvait  jamais  être  constituée  qu'à  un  inférieur  et  non  à  un  pair  3,  le 
seigneur  ou  le  propriétaire  d'un  domaine ,  réparti  entre  plusieurs  dé- 
tenteurs à  titre  censitique ,  avait  le  droit  d'exiger  de  ceux-ci  comme  le 
seigneur  suzerain  de  ses  vassaux  de  former  une  cour  pour  veiller  à  la 
conservation  du  bien  ,  à  l'exacte  exécution  des  clauses  du  bail ,  et  pour 
vider  les  différends  nés  entre  les  censitaires.  J'ai  cité  (Revue ,  janvier, 
p.  12)  le  texte  formel  du  Landrecht  qui  établit  cette  proposition  d'une 
manière  irréfutable ,  et  M.  Zaepil  ^  considère  avec  raison  l'institution  de 
ces  justices  mineures  etdomestiques  comme  procédant  exclusivement  de  la 
souveraineté  {Bann)  du  seigneur ,  propriétaire  de  la  terre  censitique , 
colongère  ou  autre  :  sur  ce  point  encore  il  ne  fait  qu'exprimer  la 
doctrine  universellement  admise. 

Dans  ces  cours  inférieures  ,  composées  non  de  pairs ,  mais  de  si^ets 
on  se  modela,  pour  la  procédure,  sur  celle  qu'observèrent  les  cours  féo- 
dales, sauf  quelques  rusticités  assez  burlesques,  qu'il  est  impossible  de 
reproduire  ici  et  qui  se  trouvent  détaillées  au  chapitre  126  du  Landrecht^ 
et  au  chap.  120,  de  la  traduction  Romande,  publiée  par  M.  Matile. 
Les  rotules  qui  ont  reproduit  la  pratique  judiciaire ,  usitée  dans  les 
cours  colongères,  se  sont  visiblement  inspirés  de  ce  droit  provincial , 
comme  il  serait  facile  de  s'en  convaincre  en  comparant  les  dispositions 
contenues  dans  ce  code,  avec  les  citations  de  H.  Hanauer^. 

*  Lehnrechtbuch  ,  cap.  112  et  118.  —  Miroir  de  Souabe,  texte  romand,  c.  109. 

*  V.  RÉVILLE ,  Juridictions  d'Alsace ,  p.  116. 

^  Landrecht ,  Ed.  Daniels  ,  cap.  108.  Es  mag  kein  Mann  mit  Rechte  sime  Ge- 
nossen  Zinslehen  gelihen,  Er  lihet  es  wol  sime  Undergenosse,  Dos  ist  aber  nut 
recht  lehen.  —  Nul  ne  peut  constituer  une  censive  à  son  pair;  mais  seulement  à 
son  inférieur.  Le  bail  à  censive  n'est  pas  fief.  —  V.  Matile  ,  Miroir  de  Souabe , 
p.  105  ,  de  /le»  eensaul, 

*  ZiCPFL  ,  q,  sup.  ,  p.  16. 

^  UanaUER  ;  Paysans  ,  pag.  206-223.  Pour  relever  ses  plaids,  et  leur  imprimer 
une  grande  importance  il  fait  ressortir  avec  un  certain  éclat  que  le  plaignant  ou  le  cité 


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336  REVUE  D* ALSACE 

Il  n'y  â  du  reste  pas  eu  avant  lui  un  seul  auteur  qui  ait  con- 
sidéré les  cours  colongères,  ou  la  justice  propre  de  la  colonge 
comme  dérivant  d'une  autre  source  que  cette  juridiction  particulière 
aux  concessions  censitiques\  calquée  sur  la  justice  féodale,  avec  celte 
différence  unique ,  mais  profonde ,  que  dans  celle-là  les  assesseurs 
étaient  tous  des  inférieurs,  c  Quod  ad  personas  qui  judicium  hoc  constitu- 
«  tuunt  illie  sunt  vel  directum  habentes  vel  utile  dominium.  Ille  dicitur 
«  dominusdirectus,  derDtfij^Ao/fes  ft^rr,  qui  judex  est  in  hiscausis,  cujus 
a  minister  der  vogt  des  hoffes  vocatur.  Illi  vero  hubarii  dicuntur  hûbnery 
<i  et  sunt  hujus  judicii  assessores ,  sicut  in  curia  feudali  pares ,  quà 
(  in  re  curiae  hsec  dominicales  cum  judicio  feudali  quandam  habent 
«  aiBnitatero  ^.  i»  L'affinité  plutôt  formelle  que  substantielle  qui  s'établit 
par  Tusage  entre  la  cour  féodale  ayant  les  feudi  consortes  {Lehns  ge- 
nojsen)  pour  assesseurs,  et  les  cours  rustiques ^  ayant  pour  assesseurs 
les  censitaires,  débiteurs  et  sujets  du  même  seigneur,  est  exprimée 
dans  beaucoup  de  textes ,  notamment  au  jus  feudak  Sax. ,  dans 
des  termes  qui  ne  laissent  aucun  doute  sur  le  caractère  et  la  spécialité 
de  ces  dernières  cours.  €  Le  seigneur  n'est  pas  tenu  de  répondre  à  son 
<(  vassal  devant  son  supérieur,  avant  qu'il  ne  l'ait  fait  comparaître 
<(  d'abord  devant  ses  co-vassaux  et  il  en  est  de  même  pour  ses  censives 
«  {Zinnsgelden),  pour  lesquelles  il  doit  d'abord  faire  comparaître  son 
«  débiteur ,  devant  les  consorts  de  celui-ci  {Zinsgenossen)^^ 

Je  ne  crois  pas  qu'il  soit  nécessaire  de  pousser  plus  loin  ces  déve- 
loppements. Il  me  semble  incontestable  que  dès  les  temps  les  plus  an- 
ciens ,  et  bien  antérieurement  à  la  féodalité ,  la  juridiction  ou  le  droit 
suprême  de  justice ,  appartenait  exclusivement  au  dynaste ,  ou  au  pro- 


devait s'y  faire  assister  par  un  avocat  :  fie  texte  dit  Fursprech).  Ce  détail  n*est  pas 
spécial  à  la  justice  colongère  ;  il  appartenait  à  toute  la  procédure  ^rmanique.  Le 
Miroir  de  Souabe  s'étend  longuement  sur  ce  point ,  cap.  76.  On  y  voit  que  c'«st  le 
juge  qui  nommait  le  défenseur  ;  «  si  ce  juge  donne  pour  défenseur  un  bègue  {einen 
«  Stamelenden  Mann)  il  fait  mal  {da$  isl  unrecht),  »  —  Tout  homme  d'ailleurs  en  terre 
allemande  peut  être  choisi  pour  défenseur.  (Schwabenspiegtl ,  p.  63}.  —  Tous  ces 
détails  sur  la  procédure  ne  sont  donc ,  comme  on  le  voit ,  ni  bien  spéciaux  ,  ni  bien 
neufs. 

*  Wie  der  Herr  umb  Zinslehn  richten  sol ,  c.  185.  —  Matile  ,  119  ,  des  Fie» 
CensauK.  —  Behv  ,  de  Cur.  Dom.  ,  p.  44. 

*  Gratzheter  ,  de  Cur.  Dom.  ,  p    7. 

'  lus  Feudalê  Sax ,  c.  69.  ^  Hehu  ,  de  Cur.  Dom.  ,  p.  14. 


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RÉSTJM*  ET  CONCLUSION,   ETC.  337 

priétaîre  libre  de  la  terre  libre  ;  sur  son  domaine  et  sur  ses  habitants; 
que  c'est  de  sa  souveraineté  que  procédèrent  l'institution  et  l'organisation 
de  ces  cours  de  justice,  seigneuriales,  ou  simplement  censitiques;  que 
dans  les  premières ,  les  pairs  en  fief  ou  en  vasselage ,  comme  dans 
les  secondes,  les  sujets  censitaires  étaient  tenus  de  comparaître  comme 
assesseurs,  par  les  devoirs  même  du  vasselage  ou  de  la  censive.  —  Il  ne 
reste  donc  plus  rien  de  la  proposition  fondamentale  de  notre  auteur , 
qui  voulait  faire  considérer  le  droit  de  justice  comme  une  espèce  d'éma- 
nation de  la  terre ,  et  en  faire  l'attribut  commun  de  la  population  qui 
l'exploitait,  quelque  inûme  que  fût  sa  condition.  Ses  colonges  sont 
donc  destituées  de  ce  pouvoir  judiciaire  qu'il  faisait  résider  dans  la 
communauté ,  dans  le  peuple...  Je  n'ose  plus  dire  (quoique  cela  soit 
pourtant  bien  apparent) ,  qu'il  a  fini  par  le  reconnaître  lui-même ,  tant 
j 'ai  peur  de  le  voir  s'engager  de  nouveau ,  pour  dissimuler  sa  concession , 
dans  une  de  ces  évolutions  byzantines  sur  la  chose  et  le  mot  qui  fatiguent 
l'intelligence  sans  satisfaire  la  raison  !  Son  premier  fascicule  épistolaire 
semblait  m'autoriser  bien  clairement  à  considérer  ce  débat  comme  vidé, 
et  à  constater,  sur  ce  point  au  moins ,  son  adhésion.  Mais  voilà  que  dans 
sa  quatrième  lettre  il  me  tance  sévèrement  pour  avoir  osé  qualifier  cette 
adhésion  de  désertion!  Toutes  ces  arguties  Aemots  ne  me  convainquent 
que  d'une  chose  :  c'est  que  si  M.  l'abbé  se  résigne  jamais  à  capituler  en 
quoi  que  ce  soit  et  envers  qui  que  ce  soit ,  il  s'efforcera  toujours  de  se 
réserver  les  tambours  et  les  trompettes.  Qu'à  cela  ne  tienne!  je  les  lui 
laisse  volontiers:  je  n'ai  jamais  eu  de  goût  pour  ce  genre  de  musique. 

La  nature ,  l'origine  et  le  caractère  du  tribunal ,  ou  du  plaid  colon- 
ger  étant  ainsi  déterminés ,  il  faut  en  préciser  la  destination.  A  ceC 
égard  j'ai  soutenu ,  avec  l'unanimité  des  savants  qui  se  sont  occupés  de 
ces  questions ,  qu'elle  se  restreignait  à  maintenir  la  bonne  police  dans  le 
domaine  colonger ,  à  assurer  le  payement  régulier  du  cens ,  ainsi  que 
l'exécution  des  conditions  du  bail ,  et  enfin  à  régler  les  difficultés  ou 
les  litiges  qui  pouvaient  s'élever  à  l'occasion  de  ce  même  bail.  J'ai  reconnu 
en  outre  qu'avant  comme  aprè3  l'établissement  du  régime  féodal ,  les 
colongers  ont  pu  être  appelés  comme  assesseurs  du  seigneur  ou  de  son 
avoué  (VogtJ  à  concourir  même  à  la  juridiction  de  haute  justice  (blut- 
gericht)  ;  mais  que  ce  concours  se  fondait  non  pas  sur  un  droit  propre 
à  la  population  colongère ,  mais  exclusivement  sur  la  vocation  du  sei- 
gneur ,  qui  faisait  de  ce  concours  un  devoir  pour  ses  sujets. 

Ces  propositions  se  démontrent  par  des  faits ,  d'une  évidence  telle 

a« Série.-  47'  Anne*.  ^^ 


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338  REVUE  d' ALSACE. 

qu'on  ne  peut  pas  concevoir  qu'elles  puissent  sérieusement  paraître 
hypothétiques  ou  contestables. 

La  spécialité  de  la  juridiction  colongère,  sa  restriction  aux  cas 
colongers  ,  se  révèle  d'abord  par  ce  premier  fait ,  que  partout  où  il  y  a 
une  colonge ,  on  trouve  aussi  le  ding^  le  plaid  colonger.  Or  il  est  indu- 
bitable (M.  Hanauer  le  constate  lui-même)  qu'une  grande  quantité  de 
colonges  s'étaient  établies  sttk*  des  domaines  dont  les  propMétaires  y 
quelquefois  simples  roturiers,  n'ont  jamais  eu  ni  prétendu  avoir  le  droit 
de  haute  justice.  Encore  une  fois  la  colonge  n'était  pas  un  /fe^:*mais  une 
simple  censive  (Zinslehn)  \  Il  ne  prétendra  certainement  pas  que  dans 
les  colonges  purement  foncières  et  roturières ,  simples  expMUxHofis 
agricoles  comme  il  les  qualifie  lui-même ,  la  cour  ait  exercé  les  droits 
de  haute  justice.  L'ubiquité  de  ce  tribunal  intérieur,  prouve  donc 
jusqu'à  la  dernière  évidence  la  limitation  destinative  de  sa  fonction. 

Cette  démonstration  acquiert  encore  un  plus  haut  degré  d'évidence , 
quand  on  étudie  le  fonctionnement  de  ce  plaid  colonger,  parallèlement 
à  l'exercice  de  la  haute  justice  dans  les  domaines  où  ce  droit  de  haute 
justice  appartenait  au  Dinghoffsherr  {le  seigneur).  —  On  est  frappé 
d'abord  de  cette  circonstance  que  ce^ plaids  colongers,  dans  la  presque 
totalité  des  rotules,  sont  fixes  quant  à  leur  nombre ,  et  quant  au  temps 
de  leur  convocation.  —  Cette  fixité  ne  peut  évidemment  pas  se  concilier 
avec  les  exigeances  de  la  justice  répressive ,  qui  i  cette  époque  (tous  les 
documents  le  prouvent)  avait  la  rapidité ,  je  dirais  presque ,  la  sou- 
daineté du  flagrant  délit.  Dans  la  plupart  des  colonges  ,  les  plaids  se 
tenaient  deux  ou  (rots   fois,  vers  le  printemps  et  en  automne. 


*  Notandum  est  quod  personœ  iilœ  habentes  jus  curiœ  dominicalis ,  sivE  domini 
DiRECTi  possint  esse  personae  vel  seculares ,  vel  etiam  Ecclésiasticœ  vel  nobiles ,  vel 
etiam  ignobiles  sicut  plurfma  exempta  in  llsatia  nostra  ostendunt.  Vieissim  juris 
curiarum  harum  dominicialium  capaces  sutit  mares  et  feminie ,  quod  ostendit  nobis 
nobile  exemplum  abbatissœ  sancti  Stephani  quia  haecce  juridictio  rcalis  est  seu 
patrimonialis  f  quœ  sdlicet  feudo  alia^us  cohœret,  Rbhh,  q.  sup, ,  pag.  25.  — 
M.  Hanauer  n'ignore  certainement  pas  que,  d'après  l'ancien  droit  allemand,  les 
moines ,  non  plus  que  les  femmes ,  ne  pouvaient  tenir  flef ,  [Lehnrétikt ,  T.  i,  p.  4),  . 
à  moins  de  le  faire  gérer ,  pour  l'es  Obligations  viriles ,  (combattre  et  juger)  par  an 
gentilhomme  à  fie%.  C'est  ce  4[Ui  eCplhiue  le  rdle  prépondérant  de  l'avoué  (Vogi) 
dans  les  terres  ecclésîàMiques  dont  les  monastères  ,  propriétaires ,  n'étaient  paf 
princes  d'Empire.  Quant  aux  vilaim  {geburen)  et  ceux  mêmes  de  lignaige  fran 
qui  ne  sont  gentil»  de  leurt  quatre  quartiers ,  le  flef  leur  est  absolument  interdit 
(Matilc  ,  I  f  p.  2). 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,   ETC.  339 

Gommenl  admettrait -oo  que  la  justice  du  seigneur  ou  du  vogt 
ail  sommeillé  pendant  l'intervalle  de  ces  réunions  >  lorsque  toute 
Tancienne  procédure  criminelle  germanique  révèle  une  promptitude 
d'action ,  qui  rappelle  sous  quelques  rapports  (et  de  fort  loin,  j'en  con- 
viens) ,  la  justice  anormale  et  expéditive  du  juge  Lynch ,  en  Amérique  ? 

Le  plaid  ou  le  tribunal  colonger  avait  encore  cette  particularité  qu'il 
se  réunissait  dans  un  local  différent  de  celui  oii  se  tenait  la  Cour  de 
haute  justice ,  tantôt  sous  un  hangar  (Schappff)  construit  exprès  pour 
cet  usage ,  sous  un  arbre ,  dans  le  jardin  du  seigneur,  dans  la  grange 
du  Meyer  (Maire),  etc.'.  Il  était  en  général  présidé  par  le  Maire, 
ministérial  du  propriétaire  ou  du  seigneur.  Enfin  tous  les  détenteurs 
de  lenures  colongères ,  étaient  obligés  d'y  assister  de  leurs  personnes, 
sous  des  peines  variables,  à  moins  d'impossibilité  dûment  justifiée.  — * 
Quant  à  ses  occupations ,  j'ai  démontré  à  satiété  par  l'analyse  des  rotules  » 
invoqués  par  M.  Hanauer  lui-même ,  qu'elles  consistaient  à  recueillir 
les  cens  ,  (la  réunion  des  colongers  débutait  toujours  par  là)  à  recevoir 
les  déclarations  de  mutation  par  aliénation  ou  par  décès ,  à  exercer  les 
retraits  %  et  enfin  à  vider  les  contestations  nées  entre  les  détenteurs. 

Mais  rien  ne  précise  mieux  la  distinction  qui  s'est  toujours  maintenue 
entre  cette  simple  fonction  colongère,  ei  h  haute  justice  propremeni 
dite ,  que  les  dispositions  mêmes  des  rotules  qui  réglaient  celles  de  ces 
colonges  que  M.  Hanauer  a  classées  sous  le  titre  de  colonges  souveraines. 
Celles-ci  s'étaient  toutes  formées  sur  des  territoires ,  dont  le  propriétaire 
ou  le  seigneur  avait  la  haute  juridiction ,  avec  Yimmunité.  Il  suffit  d'un 
peu  d'attention  pour  apercevoir  immédiatement  une  différence  fonda- 
mentale ,  et  si  on  se  dirige  dans  cet  examen ,  d'après  l'ordre  chro- 
nologique que  notre  auteur,  je  le  répète ,  a  trop  constamment  négligé , 
on  se  pénètre  bien  vite  de  cette  évidence,  queV assessorcU  des  colongers 
a  subi  toutes  les  phases  par  lesquelles  a  passé  la  juridiction  seigneuriale. 
—  Je  vais  donner  quelques  indications  qui,  jointes  à  celles  que  j'ai  déjà 


*  V.  Citations ,  Revue ,  janvier,  p.  80. 

*  A  Toccasion  du  retrait  j*ai  indiqué  que  dans  quelques  colonges  le  Vogi  seul 
pouvait  l'opérer.  M  Hanauer ,  dans  sa  2<  lettre ,  p.  23  ,  se  livre  à  cet  égard  à  une 
exclamation  renforcée  d*un  grand  luxe  de  majuscules  !  je  le  renvoie  à  lui-même,  ce 
qui  est  certes  la  meilleure  autorité  que  je  puisse  lui  citer  :  (Con^,  p.  204).  «  Si 
«  Tabbesse  avait  besoin  de  lui  (du  Vogi)  pour  retirer  un  bien,  ce  que  lui  seul  doit 
«  faire.  Dai  niemand  iuon  êol  wann  der  Vogt.  »  -r  Voy.  aussi  l'art.  22  du  Rotule 
de  Sundhufen  ,  Payions  ,  p.  24. 


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340  REVUE  D'ALSACE. 

relevées  dans  mon  Etude  \  ne  peuvent,  à  mon  avis,  laisser  subsister 
aucun  doute  sur  ce  point  : 

La  colonge  deSundhofenestindiquéeparM.Hanaucir(/'ajysafi<p.  /4) 
comme  une  des  plus  anciennes  :  elle  remonte,  d'après  lui ,  au  commence- 
ment du  x«  siècle.  —  La  réunion  colongère  y  est  indiquée  dans  l'art.  2. 
Quant  à  la  haute  justice ,  elle  s'exerçait  par  le  prévôt  seul  (Schultheiss) 
avec  l'assistance  du  franc  avoué  (frihen  vogt)  de  Horbourg ,  tous  deux 
oificiers  seigneuriaux.  Le  rotule  exige  bien  qu'on  convoqua  à  la  justice 
la  population  du  territoire ,  mais  il  ajoute  :  que  ceux-ci  ciennetu  ou 
non  y  le  prévôt  doit  siéger  et  juger;  ce  qui  prouve  évidemment  qu*à 
cette  époque ,  certaines  cours  n'avaient  pas  même  encore  Yassessorcu^ 
et  que  le  seigneur  y  rendait  seul  par  ses  agents ,  la  haute  justice. 

Dans  le  rotule  de  Bœrsch ,  que  M.  Hanauer  me  reproche  de  n'avoir 
pas  analysé  (2*  lettre^  p.  23)  (comme  si  j'avais  pu  m'attacher  à  autre 
chose  qu'à  ses  colonges  souveraines  contre  lesquelles  j'ai  principalement 
dirigé  ma  critique  !) ,  on  découvre  clairement  Vassessorat^  dans  les 
pulsati  *  s  les  mi  discretiores  et  honestiores.  Le  SchtUtheiss  (prévôt) 
doit  appeler  le  Vogt  {advocatus)  pour  rendre  la  justice  dans  la  cour. 
{Pro  facienda  justitia  curiœ.)  —  Le  mansurnariUs ,  y  est  dénommé 
dominus  curiœ ,  le  seigneur  de  la  cour.  —  Trois  plaids  par  année 
{Huebgedinc)  doivent  être  présidés  par  lui,  (M.  Hanauer  imprime 
possideUt:  mais  c'est  évidemment  prcesidebit),  A  ces  plaids  doivent 
comparaître  tous  les  détenteurs  de  manses  {mansionarii) ,  et  les  autres 
habitants  du  territoire,  pour  y  renouveler  les  droits  de  la  cour  et 
s'expliquer  sur  les  changements  apportés  aux  biens  du  seigneur 
(requirere  defectum  de  bonis  domnorum).  L'art.  13 ,  s'explique  dans 
sa  partie  fmale  sur  la  punition  des  voleurs  et  des  autres  malfaiteurs ,  .et 
ajoute  :  cumpersententiam  damnatifuerint,presentabunturadvocato,.. 
Qui  porte  id  la  sentence?  telle  est  la  question  que  se  pose  H.  Hanauer 
lui-même  ?  —  Est-ce  le  Wunnebotte  et  le  Schultheiss  ?  ou  le  SchuUeùfs 
présidant  les  F//,  ou  V avoué  et  le  Schultheiss  ?  Et  voilà  le  doute  par 
lequel  il  prétend  répondre  à  des  textes  précis  !  —  D  propose  pour  le 
résoudre,  de  se  replier  sur  le  dernier  paragraphe  de  l'art.  12,  qui 
statue  que  toute  plainte  3,  sera  portée  devant  le  Schultheiss ,  et  ter- 

'  Revue,  janvier,  p.  23  à  38. 
•  Injus  vocati.  V.  Ddcange  ,  Gloss,  V«  Pulsare. 

'  M.   Hanauer  traduit  tout  procès.    —  Questio  signifiait  principalement  une 
plainte ,  une  réclamation,  Querela,  Duc,  h.  v. 


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RÉSUVi  ET  CONCLUSION,   ETC.  341 

minée  selon  la  sentence  de  la  cour  et  des  niixnsionnaires.  —  Mais 
n'avons-nous  pas  toujours  admis  que  la  cour  composée  du  seigneur, 
de  ses  officiers ,  et  des  colongers ,  statuait  précisément  sur  tous  les  cas 
colougers?  L'argument  qu^on  peut  tirer  du  texte,  d'ailleurs  alléré  et 
interpolé  de  ce  rotule ,  loin  de  détruire  la  distinction  entre  la  justice 
colongère  et  la  haute  justice  la  confirmerait  au  contraire. 

H.  Hanauer  me  permettra  de  ne  pas  accorder  une  grande 
créance  au  rotule  d'Odern  auquel  il  lui  plait  de  me  renvoyer  (^  lettre, 
p.  23 ^  notey  .  Une  copie  du  XVI*  siècle^  dans  laquelle  je  trouve  les 
mots  si  significatifs  de  cives  in  parochia,  et  en  outre  la  synonymie  im- 
possible ,  de  mancipium  et  fœdum ,  me  paraît  une  pièce  non  pas  copiée 
mais  fabriquée  au  xvi«  siècle^  avant  ou  à  l'époque  de  la  guerre  des 
paysans.  Notre  auleur  est  trop  instruit  pour  ignorer  que  la  bourgeoisie 
ne  s'est  formée  dans  nos  campagnes  que  bien  des  siècles  après  le 
régime  des  bénéfices ,  et  le  texte  seul  de  ce  document  où  les  bourgeois 
d'Odern  se  qualifient  de  nos  communitas  (Gemeinde)  prouve  l'ana- 
chronisme ,  anachronisme  qu'on  peut  sans  doute  pardonner  à  la  Dame 
sacristine  qui  parait  l'avoir  rédigé.  Un  titre  où  I  on  assimile  une 
lenure  censitique  y  comme  Test  toute  tenure  colongère  à  un  ûe^  (feodum) 
et  dans  lequel  s'entassent  des  prétentions  illimitées  tels  que  les  droits 
de  chasse  et  autres ,  où  l'on  voit  la  prérogative  régalienne  de  la  haute 
justice  attribuée  exclusivement  aux  bourgeois  (cives),  sans  le  concours 
d'aucun  officier  seigneurial ,  un  pareil  titre ,  dis-je ,  ne  me  parait  pas 
digne  d'être  accueilli,  surtout  lorsqu'on  est  forcé  d'avouer  qu'on  n'en 
possède  qu'une  copie,  qui  n'a  pas  même  ce  signe  d'authenticité  si 
prisé  par  M.  l'abbé,  ïempreinte  des  mains  calletises.  Il  est  beau 
d'aimer  les  colonges  :  mais  il  ne  faut  pas  se  laisser  entraîner  par 
cet  amour ,  plus  que  par  un  autre,  hors  des  limites  du  raisonnable,  et 
à  mon  avis ,  il  suffit  de  lire  l'espèce  de  sommation  finale  adressée  aux 
dames  de  Remiremont  de  défendre  les  droits  des  bourgeois  d'Odern 
contre  leurs  propres  seigneurs  (dominos  nostros)  et  en  outre  contre 
tous  autres  hommes  (altos  homines  imiversos)  pour  ramener  ce  docu- 
ment à  son  insignifiance  réelle. 

Je  reviens  maintenant  aux  rotules  qui  ont  reçu  de  notre  auteur 
l'insigne  honneur  d'être  réunis  sous  le  titre  d* Exemples  de  colonges 


'  V.  ce  rotule  qui  ne  se  trouve  ni  dans  Grimm  ,  ni  dans  Stoffel  ,  Cwist, ,  p.  i8. 
C'est  un  des  nouveaux  documents  découverts  par  M.  Hanauer, 


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ÎU2  REVUE   D'ALSACE. 

souveraines.  Il  est  visible  que  ce  tilre  t'embarrasse  aujourd'hui  :  c'est 
au  moins  un  petit  résultat  obtenu  par  ma  critique  !  Nulle  part  en  effet 
la  distinction  entre  la  simple  juridiction  intime  de  la  colonge ,  et  le  tri- 
bunal spécial  de  la  haute  justice  ne  se  trouve  plus  expressément  in  - 
diquée  que  dans  cette  série  à  laquelle  il  a  lui-même  réservé 
la  place  d'élite.  Le  lecteur  comprendra  qu'ici  je  ne  puis  plus  qu'ana- 
lyser rapidement ,  après  I«'S  longues  pages  que  j'ai  déjà  consacrées , 
dans  nven  Etude ,  à  l'examen  de  ces  documents. 

Le  premier  est  la  constitution  de  Honau  V  L'art.  2 ,  établit  trois 
phids  colongers  par  année  où  siégera  l'avoué  ad  regendam  familiam 
ecclesicBj  etc.  Voilà  la  justice  colongère.  -—  S'il  s'agit  au  contraire 
d^un  fait  de  desobéissance ,  commis  par  un  homme  de  la  famille  de 
l'église,  ce  sont  les  douze  assesseurs  de  l'avoué,  duodecim  advocali 
assessores,  qui  dicunlur  Scheffele  ',  qui  sont  chargés  de  la  poursuite 
du  jugement  et  de  son  exécution.  —  C'est  à  la  suite  de  ce  document 
que  M.  Hanauer  a  jugé  a  propos  d'imprimer  comme  une  trouvaille,  le 
rotule  qui  porte  l'intitulé  suivant:  nouveau  rotule  imaginé  par  un 
paysan  de  la  Wantzenau  au  détriment  de  l'ancien  rotule  et  écrit  par 
Jean  Brandenberg  y  curé  de  rendrait  en  1411.  Une  pareille  rubrique 
ne  devait-elle  pas  décider  noire  auteur ,  à  laisser  la  pièce  qui  la  porte , 
enfouie  dans  lesarchives?  siaumoins  encore  cette  pièce  aussi  expressément 
marquée  de  son  caractère  apocryphe  pouvait ,  se  présenter  comme  une 
traduction  du  document  latin  qui  la  précède!  Mais  il  suffit  de  comparer 
les  deux  écrits ,  pour  acquérir  la  démonstration  de  la  fausseté  du  second , 
révélation  grave  qui  justifierait  les  observations  que  j'ai  cru  devoir 
émettre  sur  la  circonspection  extrême  dont  on  doit  user  dans 
l'examen  et  dans  l'acceptation  de  documents ,  qui  comme  les  rotules , 


'  Constitutions ,  p.  17i. 

'  Ces  Scheffele  sont  évidemment  une  imitation  rustique  des  SehcBffen  des  grands 
domaines,  connus  sous  les  dénominations  de  homines  synodales,  sempere  rmuinen, 
sempermannen ,  semperliite.  Lorsque  ces  fonctions  étaient  exercées  par  des  minis- 
lêriaux  ou  par  des  hommes  de  condition  inférieure,  comme  l'étaient  les  Probstleute 
Uc  Honau,  elles  ne  les  relevaient  pas  de  leur  état,  d'après  la  maxime  :  Sckmffmbare 
Fteyheit  adelt  keinen  schnaden  Mann.  V.  Rechtsvolkspruch  ,  p.  32.  Seulement  elles 
les  investissaient ,  par  une  espèce  d'affranchissement  implicite,  d'une  liberté  relative 
(Freyheit),  Ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit,  le  auasi  servage  avait  plusieurs  degrés, 
comme  le  révèlent  surtout  les  lettres  d'affranchissement.  (Yoy.  les  citations  et  les 
textes,  DAifiELS  ,  i,  p.  4i6. 


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RÉSUMÉ   ET  CONCLUSION,   ETC.  343 

ne  portent  d'ailleurs  en  général  aucun  des  signes  ordinaires  de  Tau- 
tbenlicité.  Je  me  demande  encore  maintenant  ce  qui  a  pu  le  porter  à 
imprimer  cette  pièce ,  à  la  suite  de  la  constitution  authentique  de 
Honau.  et  surtout  ^  à  la  présenter,  sous  de  certaines  réserves  il  est 
vrai  \  comme  une  traduction  allemande  de  celle-ci?  Ne  saute-l-il  pas 
aux  yeux  que  cette  prétendue  traduction  omet  des  clauses  essentielles 
du  titre  primordial,  et  produit  audacieusement  au  contraire,  des 
phrases  entières ,  qui  ne  se  trouvent  pas  dans  celui-ci  !  M.  Hanauer  est 
certainement  trop  versé  dans  la  science  diplomatique  pour  ignorer  que 
le  titre  le  plus  aoci^ji^  remporte  toujours  sur  le  titre  postérieur,  sim- 
plement confirmatif  et  récognitif.  Pourquoi  donc  a-t-il  imprimé  celte 
élucubration  d'un  paysan  ambitieux,  lorsque  l'intitulé  même  sous  lequel 
elle  est  classéç,  ^i  archives  en  signalait  si  évidemment  la  fausseté? 

Mais  ne  prolongeons  pas  cette  digression  et  reprenons  notre  analyse. 
Je  ne  parle  plus  du  rotule  de  Hofen  et  de  Buren  que  H.  Hanauer  n'a 
pas  même  cherché  à  relever,  à  l'encontre  de  ma  critique.  J^  p^e  à  celui 
d'Eschau ,  où  la  distinction  du  plaid  colonger ,  et  du  tribunal  de  haute 
justice  est  aussi  clairement  accentuée  qq'à  Honau.  En  effet,  après  avoir 
exprimé ,  comme  du  reste  tous  les  rotules  de  cette  catégorie,  que  le 
seigneur  ou  le  manêumarius  a  seul  la  haute  justice;  {Stog  und  bannj, 
ce  titre  règle  qu'il  y  a  pour  les  colongers  trois  plaids  par  an  (art  1)  et 
les  articles  2  et  14,  expriment  que  les  assesseurs  du  Vogt,  peuvent 
être  pris  ailleurs  que  parmi  les  colongers.  —  Que  devient  devant  un 
texte  aussi  précis  la  doctrine  de  notre  savant,  qui  prétend  au  contraire 
que  chaque  colonger,  était  en  tant  que  colon^^  non-seulement  investi 
du  droit  de  concourir  comme  assesseur  à  des  actes  de  haute  justice , 
mais  qu'en  outre ,  il  participait  de  droit  à  ce  pouvoir  de  haute  justice 
en  lui-même  !  —  L'art.  2 ,  porte  expressément  :  quand  l'avoué  siège  • 
il  aura  de  chaque  côté  six  ScheiTelen  :  s'il  (ravoué)  ne  les  trouve  pas 
parmi  les  colongers ,  il  les  prendra  parmi  d'honorables  fermiers , 
auxquels  on  doit  porter  confiance  (den  man  geloben  soll  an  der  Hueber 
stat)  —  Yoilà  donc  un  autre  fait,  dont  je  m'étonne  que  M.  Hanauer 
n'ait  pas  mesuré  la  portée:  ces  Scheffelen  auquel  il  donne  le  titre  pom- 
peux à*Echevins ,  ne  sont  pas  même  les  élus  de  la  poptUation ,  de  la 
communauté  qu'il  a  si  légèrement  vendue  souveraine!  c'est  le  Vogt , 
l'homme  du  seigneur  qui  les  choisit  ^  à  son  gré ,  parmi  les  colongers , 

*  ConstitûtioM ,  p.  179. 


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344  REVUE  D* ALSACE. 

OU  même  parmi  de  simples  fermiers.  Le  rôle  des  colongers  en  matière 
de  justice  criminelle  se  réduit ,  d'après  les  termes  de  la  charte  à  l'obli- 
gation de  dénoncer  (Rtwgen)  les  vols  el  les  délits.  Devant  de  pareils 
textes  notre  auteur  persistera -t-il  encore  à  faire  du  droit  de  justice  , 
une  espèce  de  privilège  natif  des  autochthones'! 

Je  ne  reviendrai  plus  sur  les  autres  rotules  de  la  même  catégorie 
sur  lesquels ,  je  me  suis  expliqué  dans  mon  Elude  :  je  me  hâte  de 
répondre  à  la  provocation  que  m'adresse  M.  Hanauer,  de  m'expliquer 
sur  celui  de  Grendelbuch ,  qu'il  m'accuse  fort  acrimonieusement  t 
d'avoir  prétérit  à  dessein  dans  mes  observations.  Je  serais  tout  disposé 
à  le  remercier  de  son  interpellation,  si  elle  s'était  produite  sous  une 
forme  moins  arrogante  :  car  ce  document,  on  va  le  voir,  contient  autant 
et  peut-être  même  plus  que  tous  ceux  que  nous  venons  d'analyser  la 
démonstration  que  j'établis  ici.  Je  suis  donc  bien  aise  que  mon  con- 
tradicteur ait  précisé  avec  tant  d'insistance  ce  terrain  de  discussion , 
qu'il  considère  comme  décisif.  Il  m'çtt  imposible  en  effet  de  m'arréter 
à  tous  les  rotules  dont  il  a  jugé  convenable  de  surcharger  les  collections 
déjà  acquises  à  la  science  et  sa  vive  spécification  donnera  ainsi  à  ma 
démonstration  ,  une  portée  qu'il  ne  pourra  plus  chercher  à  esquiver. 

PourGrendelbruch  les  Constitutions  (f.  211)  contiennent  deux  pièces; 
Tune  est  intitulée  :  Vidirm^s  de  15S5  ;  l'autre  :  Copie  de  1550.  Dans 
une  espèce  d'introduction  ,  en  partie  fort  obscure ,  notre  diplomatiste 
s'élève  contre  la  consommation  fabuleuse  de  lettres  inutiles  qui,  d'après 
1  ui,  surchargerait  ces  documents,  sans  avoir  l'air  de  se  douter  qu'il  fait  lui- 
même  une  consommation  fort  inutile  de  caractères  en  imprimant  à  la 
suite  du  titre  qu'il  considère  comme  suffisamment  original ,  une  copie 
postérieure  de  quinze  ans  et  contenant  de  notables  variantes.  Or  n'est- 
il  pas  de  règle  en  matière  de  preuve  littérale ,  que  la  copie  ne  peut  en 
aucun  cas  suppléer  à  Y  original ,  et  que  ce  qu'elle  contient  de  différent 
en  plus  ou  en  moins,  doit  être  réputé  non  écrit?  —  Pourquoi  donc 
imprimer  celte  prétendue  copie  de  1550?  A  quoi  peut  servir  ce  luxe 
stérile  ,  sinon  à  éblouir  le  lecteur  ? 

Le  Vidimus  de  1535  est  donc  seul  à  étudier ,  et  il  me  suffira  de  bien 
peu  de  développements  pour  établir  qu'il  contient  exactement  tout  ce 
i]ue  nous  avons  déjà  trouvé  dans  les  rotules  précédents. 

L'article  1^^  fixe  à  deux  le  nombre  des  assemblées  colongères  que  le 

'  2«  lettre,  p.  31. 


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RÉSUMÉ   ET  CONCLUSION,   ETC.  345 

se^neur^  évéque  de  Strasbourg ,  lient,  chaque  année ,  dans  son  domaine 
de  Grendelbnich.  Le  Vogt  du  val  de  la  Brusche  les  préside  ;  il  vient  à 
cette  occasion  deitx  fois  par  an  pour  recueillir  les  cens  dus  au  seigneur. 
Voilà  bien  le  plaid  colonger ,  auquel  ^tout  détenteur  de  tenures  était 
obligé  de  comparaître  y  sous  peine ,  d*aprës  l'usage ,  de  voir  doubler 
son  cens ,  ou  même  de  payer  une  amende. 

La  justice  criminelle  se  rendait-elle  par  cette  assemblée  ?  une  juri- 
diction^quelconque ,  en-dehors  des  cas  colongers ,  est>elle  par  ce  docu* 
ment  attribuée  à  ce  plaid? 

L'article  3  dispose  :  «  Ensuite  il  y  a  44  hommes  qui  ont  prêté  serm&nl 
<  entre  les  mains  de  notre  gracieux  seigneur  S  et  ont  promis  de  rendre 
c  la  justice  dans  la  cour  franche  de  sa  Grâce  :  ils  siègent  a  côté  du 

«  VOGT.  > 

Ces  14  hommes  ^  sont  donc  les  assesseurs  de  l'avoué,  délégués  et  dési- 
gnés par  le  seigneur ,  auquel  ils  prêtent  serment  ;  ils  sont  de  plus 
salariés  par  le  seigneur,  et  dou^M)ar  lui  d'un  degré  de  liberté ,  supé- 
rieur à  celui  des  autres  tenanciers.  En  effet  après  l'article  1%  qui 
exprime ,  pour  les  14  hommes ,  le  devoir  de  dénoncer  les  faits  délic- 
tueux et  autres,  vient  l'article  13  dont  le  texte  se  traduit  littéralement 
ainsi  : 

Traduction  lUléraU.  }  Traduction  Hanauer, 

Les  li  hommes  sont  aussi  tenus  de 
JUGER  en  matière  capitale.  À  cause  de 
cela  les  14  hommes  sont  affranchis  (dess 
habenn  Freyheit  ')  de  payer  aucun  mor- 
tuaire après  leur  mort  à  N.  G.  S. 

texte  :  «  Auch  so  seind  die  vier^ehn  Mann  verbunden  %u  urtkeUen  iiber  dos 
Bluth,  Dess  habeon  die  vierzehn  Mann  Freyheit  ,  das'sie  kbaynen  Fatl  nach  ihrem 
Todt  unserm  On.  H.  gebenn.  » 

La  traduction  de  M.  Hanauer  est  équivoque,  en  ce  qu'elle  permet  de 
supposer  que  dans  sa  pensée  les  14  hommes  rendaient  seuls  les  sen- 
tences capitales  ;  tandis  que  l'article  3  établit  qu'ils  ne  concouraient  à 
ces  sentences  que  comme  assesseurs  du  Vogt,  Pour  cet  assessorat  ils 
ont  l'affranchissement  du  morttuiire. 

'  Die  unnserem  Gn.  //.  Geschworenn ,  und  gelobt  Aa^enn.... 

'  Die  vierzehn  Mann.  M.  Hanauer  traduit  :  les  14  jurés. 

'  C'est  évidemment  la  Schœffenbare  Freyheiiy  raffhinchissement  relatif  dont  nous 
parlions  tout-à-l'heure.  —  Sur  l'état  que  cet  affranchissement  procurait  à  la  personne 
qui  en  était  l'objet.  V.  Walter  ,  g.  «up.  ,  u  ,  p.  78, 


Les   14  juré4   sont   aussi   tenus   de 

RENDRE  DES    SENTENCES   CAPITALES.    En 

compensation  ils  ne  payent  pas  de  mor- 
tuaire ,  à  leur  mort ,  à  N.  G.  S. 


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346  REVUE  d'alsace. 

L'article  suivant  ajoute  une  autre  franchise  à  cette  qui  précède  :  En 
voici  encore  le  teite  :  je  tiens  à  le  rétablir  pour  rendre  le  lecteur  juge 
de  la  liberté  des  traductions  de  mon  contadicteur. 

«  Auch  sd  sint  die  vienehn  Mann  Pbt  ,  dass  man  sie  ann  den  iweyen  Dinli- 
hôfenn  fîir  Recht  nitt  bekumbem  toU ,  weder  sy  noch  ir  Gesinde.  Des  sollen  die 
vierzehn  Mann  auch  keyn  Urtheil  geU  nemmen  uf  den  cweyen  Dinkliof  ol>gem6lt.  > 


Traduction  Hanauer, 
Les  jurés  ont  aussi  la  franchise  de  ne 
pouvoir  être  inquiétés  en  justice,  dans 
les  deux  plaids  colongers,  ni  eux  ni 
leurs  domestiques.  A  cause  de  cela  les 
quatorze  jurés  ne  prendront  point  d'ar- 
gent pour  leurs  arrêts  ,  dans  les  deux 
plaids. 


Traduction  littérale. 
De  même  aussi  les  quatonie  hommes 
sont  libres,  en  ce  que  Ton  ne  doit  pas  les 
APPELER  pour  droit  *,  ni  eux ,  ni  leurs 
domestiques  aux  deux  plaids.  Pour  cette 
cause  les  14  hommes  ne  doivent  égale- 
ment pas  prendre  salaire  de  jugement 
aux  deux  plaids  ci-dessus  dénommés. 


A  mou  avis,  ce  texte  qui ,  j'en  conviens ,  est  d'une  certaine  obscurité, 
ne  peut  s'interpréter  que  comme  dispensant  les  quatorze  de  Tobligation 
imposée  aux  autres  colongers ,  soiiF  peine  d'amende ,  d'assister  aux 
deux  plaids  annuels.  Autrement  on  ne  pourrait  pas  donner  de  sens  à 
la  stipulation  finale  qui  leur  enlève  leurs  épices  pour  les  jugements  quMIs 
rendraient  à  ces  deux  plaids.  Beaucoup  de  rotules  règlent  minutieuse- 
ment le  droit  d'assistance  dû  aux  colongers  juges,  lorsqu'ils  ont  à  sta- 
tuer sur  des  contestations  privées  *.  Ici  la  dispense  d'assister  est  consi- 
dérée comme  un  avantage  qui  serait  compensé  par  la  gratuité  imposée 
à  leur  intervention  facultative. 

Nous  voyons  enfin  par  l'article  16  <  que  les  mêmes  i4  hommes  sont 
«  obligés  de  pacifier  ou  concilier  les  difficultés  qui  peuvent  naître  à 

<  cause  de  la  limite  des  tenures  et  de  planter  des  pierres-bornes.  Pour 

<  cet  office  on  devra  leur  donner  ce  qui  leur  est  dû,  savoir  :  un  quart 
€  de  vin.  » 

Un  lecteur  attentif  peut-il  hésiter  à  reconnaître  la  démonstration  évi- 
dente qui  résulte  de  ce  rotule?  Ne  révèle-t-il  pas  aussi  clairement  que 
tous  ceux  que  j'avais  analysés  dans  mon  Etude ,  la  distinction  radicale 

'  Behumbern ,  Bekuimbem  signifie  convenire  in  judicio.  Sghertz  ,  Gloss.  h.  v. 
—  Il  signifie  aussi  molestiam  creare,  oceupare,  impedire,  pignerare;  mais  il  semble 
impossible  d'attribuer  dans  notre  texte  l'un  ou  l'autre  de  ces  derniers  sens  à  ce 
terme.  £n  effet  que  signifierait  celte  défense  d* inquiéter  en  justice  »  des  hommes  qui 
occupaient  une  position  relativement  éminente  au  milieu  de  la  population  colongére 
et  cela  précisément  à  l'occasion  des  deux  plaids  annaux,  présidés  par  le  vogt? 

*  Voy.  entre  autres  les  sentences  d'une  traduction  si  excentrique.  Pa\fsans ,  p.  S44. 


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RÉSUMÉ   ET  CONCLUSION  ,    ETC.  347 

entre  le  plaid  colonger,  el  la  justice  criminelle  ou  contentieuse?  Les  44 
hommes  élus  du  seigneur,  assesseurs  du  Vogt ,  n'ont-ils  pas,  dans  ce 
rotule  pour  cette  dernière  sphère  de  fonctions ,  des  attributions  spéciales, 
exclusives  de  toute  coopération  du  reste  de  la  population  colongère? 
Est'il  possible  da  dessiner  plus  catégoriquement  que  ne  le  fait  ce  doeu* 
ment  la  spécialité  du  plaid  ou  de  rassemblée  colongëre ,  en  contraste 
avec  la  justice  haute  et  basse ,  réservée  exclusivement  au  seigneur ,  à 
son  Vogt  et  à  ses  12  assesseurs  ?  Si  l'irritation  d'un  amour-propre 
excessif  laisse  encore  place  à  un  peu  de  clairvoyante  équité  dans 
l'esprit  de  mon  contradicteur ,  il  doit  éprouver  une  certaine  confu- 
sion de  m'avoir  si  vivement  imputé  la  prétérition  de  ce  rotule  des 
Grendelbnich^  et  d'avoir  laissé  tomber  de  sa  plume,  à  ce  propos ,  une 
incrimination  comme  celle-ci  :  c  La  réponse  eût  Hé  fronn^  «  écrit-il  *  ^ 
^  àum  condition  toutefois,  si  cette  reme  (celle  que  j'ai  présentée  des 
<  coUmges  souveraines)  avait  toujours  été  faite  avec  le  désintéressement 
€  de  férudit  uniquement  soucieux  de  la  vérité.  Or  ce  désintéressement 
<f  il  est  impossible  de  le  reconnaître,  »  Maintenant  tout  homme  de  sens 
droit  est  à  même  de  juger  si,  dans  Tordre  de  dicussion  que  j'ai 
suivi ,  j'avais  le  moindre  intérêt  à  sauter  par  dessus  la  colonge  de 
Grendelbruch  ;  el  il  ne  lui  sera  pas  difficile  d'apprécier  de  quel  cAté 
est  ce  désintéressement  soucieux  de  la  vérité  auquel  M.  Hanauer  a  eu 
le  courage  de  faire  appel.  Je  me  garderai  bien  de  prendre  vis-à-vis  de 
lui  le  titre  à'érudit  qu'il  m'offre  ;  il  peut  convenir  à  sa  suffisance  ;  je 
n'oserais  y  aspirer  dans  mon  humilité  :  mais  en  fait  de  sincérité ,  d'à- 
tnour  désintéressé  de  la  vérité  y  j'accepte  le  parallèle ,  et  après  la  démons- 
tration à  laquelle  il  m'a  provoqué ,  dans  des  termes  plus  empreints 
d'âcreté  bilieuse  que  de  prudence  littéraire ,  la  solution  de  la  compa- 
raison ne  doit  être  douteuse  pour  personne. 

Je  m'abstiendrai  également  d'exprimer  le  sentiment  que  m'a  fait 
éprouver  la  persistance  de  M.  l'abbé  Hanauer  à  revenir  à  propos  des 
rotules  de  Bulbencken  et  de  Bubendorff ,  sur  une  prétendue  altération 
de  textes  que  j'aurais  commise.  Je  sais  qu'il  faut  toujours ,  ne  fut-ce 
que  dans  l'intérêt  de  sa  propre  dignité ,  passer  quelque  chose  au  vatum 
irritabile  genus  ;  mais  il  y  a  des  procédés  de  dialectique  et  de  discus- 
sion avec  lesquels  un  esprit  sincère  et  rectiligne ,  par  une  heureuse 
impuissance ,  ne  se  familiarisera  jamais.  —  Sur  quoi  repose  la  chicane 

•  1«  Lettre,  p.  M. 


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348  REVUE  d'alsace. 

(je  ne  puis  la  qualifier  autrement)  que  continue  à  me  chercher  ici 
M.  l'abbé?  chicane  au  développement  de  laquelle  il  a  consacré  trois 
pages  de  ses  premières  lettres  et  trois  de  sa  quatrième  '  ?  J'aurais  pris 
un  texte  pour  un  autre  et  cité  H.  Burckhardt  au  lieu  des  Basler  Rechis- 
quellen!....  Ce  petit  malheur  me  fut-il  arrivé ,  serait-ce  donc  un  cas 
bien  impardonnable ,  qu'une  inadvertance  fort  inoffensive  d'ailleurs  en 
elle-même ,  qui  me  serait  échappée  dans  un  travail  d'assez  longue  haleine, 
entrepris  et  accompli  au  milieu  d'occupations  et  d'interruptions  jour- 
nalières?... Mais  si  je  m'étais  de  mon  côté  appliqué,  avec  une  si  rigide 
casuistique  ^  à  grapiller  dans  les  769  pages  de  mon  contradicteur  toutes 
les  erreurs  de  citation  ,  les  impropriétés  d'expression  ,  les  contradic- 
tions qu'on  peut  y  découvrir  ,  même  sans  loupe ,  comment  eût-il  qua- 
lifié (et  fort  légitimement)  un  aussi  piètre  procédé  ?  —  Il  suffit  d'aller 
au  fond  des  choses,  dans  ce  ridicule  débat,  pour  se  convaincre  qu'il 
n'y  a  pas  même  d'inadvertance  à  me  reprocher.  Les  textes  sont  identi- 
quement les  mêmes  dans  Borckhardt  et  dans  les  Recktsquellm  ;  la  seule 
différence  qui  se  remarque ,  consiste  en  ce  que  dans  cette  dernière 
publication  chaque  article  du  rotule  est  précédé  d'une  indication  initiale, 
qui  marque  l'objet  spécial  de  la  disposition^.  Mais  qu'on  prenne  le  texte 
ou  qu'on  s'arrête  aux  intitulés,  on  aboutira  toujours  à  la  proposition 
principale  au  soutien  de  laquelle  je  les  invoquais.  Cette  proposition  la  voici  : 
€  Dans  les  rotules  publiés  par  feu  H.  Burckhardt  de  Bàle,  ce  qu'on 
«  appelle  juridiction  colongère  est  aussi  parfaitement  distinct  de  la  vraie 
«  juridiction  que  dans  les  chartes  que  nous  venons  de  parcourir  '.  > 
Que  se  propose  donc  ici  M.  Hanauer?  nie-t-il  que  le  rotule  imprimé 
dans  le  tome  ii  des  Rechtsquellen  von  Basel  porte  les  trois  rubriques 
que  je  viens  de  reproduire  en  note  ?  —  Pour  toute  réponse  je  l'avertis 
que  ce  volume  est  déposé  aux  archives  de  la  ville  de  Colmar ,  où  il 
pourra  le  vérifier,  quelque  étonnement  que  j'éprouve  qu'un  chercheur  ^ 
comme  il  prétend  l'être,  en  soit  encore  à  ignorer  l'existence  d'un 
Recueil  de  cette  importance.  Nie-t-il  la  distinction  faite  dans  les  textes 
mêmes  publiés  par  M.  Burckhardt?  —  Mais  elle  saute  aux  yeux  aussi 
clairement  que  dans  le  rotule  de  Grendelbruch  ,  où  M.  Hanauer  n'était 

'  4«  Lettre ,  p.  6  ,  sous  le  titre  hors  ligne  :  Singulière  justification  d'un  texte, 

■  Art.  6.  Gerichtsbarkeit  des  Vogtes.  —  Art.  15.  Hofyerichtsbarkeil,  —  Art.  17. 
Bluisgerichtsbarkeit . 

'  Revue  f  janvier,  p.  84. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION,  ETC.  349 

pas  parvenu  à  la  voir  davantage  !  —  Enfin  il  met  le  comble  à  celte 
tortueuse  argutie ,  en  descendant  à  mesurer  le  nombre  de  lignes  qui  ^ 
d'après  lui ,  séparent  dans  mon  Etude  les  deux  citations  !  I  On  rougit 
presque,  en  vérité»  d'avoir  à  relever  de  pareilles  vétilles;  mais  elles  ont 
leur  côté  instructif;  elles  donnent  la  mesure  de  ce  qu'on  peut  attendre 
de  certains  controversisles  ,  qui  ^  selon  la  fine  observation  de  Labruyère, 
ont  une  bile  intarissable  sur  les  plus  petits  inconvénients  !!  Tout  le 
méfait  auquel  mon  contradicteur  a  consacré  près  de  6  pages  de  sa  gra- 
cieuse correspondance  se  réduit  donc  à  «eci  :  deux  volumes  reprodui- 
sant le  même  texte  sont  étalés  devant  moi  ;  je  les  consulte  et  les  cite 
textuellement  tous  les  deux ,  sur  la  même  proposition  ;  mais  les  renvois 
les  séparent  (Tune  ligne  au  bas  de  la  même  page  !  I  ^  Si  mon  éducation 
et  le  respect  de  moi-même  ne  me  détournaient  d'imiter  l'urbanité  de 
M.  l'abbé ,  ne  serais-je  pas  autorisé  à  lui  renvoyer  le  démenti  formel  * 
par  lequel  il  a  trouvé  de  bon  goût  de  terminer  cet  épisode  aussi  gratui- 
tement blessant  que  foncièrement  oiseux? 

Je  résume  encore  cette  partie  de  ma  discussion  : 

Les  rotules  colongers  produits  ou  reproduits  par  M.  Hanauer,  et 
particulièrement  ceux  qu'il  a  invoqués  pour  soutenir  sa  fameuse  doctrine 
des  colonges  souveraines  et  régaliennes  y  prouvent  : 

l""  Que  le  droit  de  justice  {Zwing  und  Bann)  a  toujours  été  une  pré- 
rogative de  la  souveraineté  territoriale  ou  seigneuriale. 

2«  Que  nulle  part  ce  droit  de  justice ,  ou ,  comme  il  l'appelle ,  le 
pouvoir  judiciaire  n'a  résidé  dans  la  population  des  tenanciers. 

30  Que  cette  population  ne  formait  pas  une  communauté ,  ni  même 
une  corporation  investie  d'une  autonomie  quelconque. 

4«  Que  la  justice  colongère  ou  le  plaid  colonger  était ,  dans  son  insti- 
tution et  dans  ses  attributs ,  une  espèce  de  tribunal  domestique  et  sei- 
gneurial ,  constitué  principalement  dans  le  but  d'assurer  la  conservation 
du  domaine,  l'indépendance  réciproque  des  lenures,  Texécution  régu- 
lière des  obligations  censitiques ,  et  de  maintenir  entre  les  colongers  la 
paix  et  les  bons  rapports. 

b""  Que  le  seigneur  haut-justicier ,  ou  le  propriétaire  d'un  domaine 
formant  immunité ,"  avait  le  droit  de  forcer  ses  censitaires  à  concourir 
comme  assesseurs  à  l'administration  de  la  justice ,  même  en  matière 
criminelle  ;  mais  que  ce  concours  était  un  devoir  qui  pouvait  leur  être 

•  4«  LeUre,  p.  7. 


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350  REVUE  D*ÀLS4CE. 

imposé,  et  non  un  droit  qu'ils  auraient  puisé  dans  une  prétendue 
souveraineté  populaire. 

Cela  est  prouvé  à  l'évidence  par  les  textes  que  nous  venons  d'ana- 
lyser et  qui  établissent  que  tantôt  aucun  concours  à  l'exercice  de  la 
haute  justice  n'était  demandé  aux  colongers  ;  que  tantôt  le  seigneur 
employait  le  Ding ,  tout  entier  pour  assister  le  Vogt  dans  ce  devoir  : 
que  dans  certains  domaines,  les  assesseurs  étaient  choisis  parmi 
d'autres  habitants  que  les  colongers  ;  enfin  qu'ailleurs  encore ,  l*lsisses- 
sorat  était  attribué  à  un  nombre  limité  de  colongers,  choisis  et  admis 
à  serment  par  le  seigneur.  Dans  tous  les  cas ,  et  partout ,  le  rôle  des 
colongers  s  admis  à  assister  à  l'administration  de  la  haute  justice ,  se 
réduisait  à  celui  de  simples  assesseurs.  J'en  conclus  donc  que  la  doctrine 
qui  consiste  à  attribuer  à  la  population  colongère ,  le  pouvoir  judiciaire 
du  souverain,  est  fausse  et  erronnée,  non  seulement  dans  YexpressUm^ 
mais  encore  dans  le  fonds  même  des  choses. 

—  Les  droits  régaliens  dont  M.  Hanauer  avait  également  doté  les  sou- 
verainetésvillageoises  de  son  invention  n'ont  pu  davantage  résister  à  la  cri- 
tique: seulement ,  par  un  de  ces  abus  de  gymnastique  grammaticale  qu'il 
a  prodigués  dans  sa  défense  épistolaire,  il  cherche  à  esquiver  la  défaite , 
en  se  bornant  à  avouer  que  les  textes  qu'il  avait  hasardés  à  cet  égard 
sont  vagues  \  Hais  quel  est  le  lecteur  assez  novice  pour  accepter  ce 
trop  naïf  subterfuge  ?  Je  le  demande  !  qu'y  a-t-îl  de  vague  dans  un 
texte  ainsi  formulé?...  Elles  possédaient  tous  les  droits  régaliens^. 
Ce  n'est  certes  pas  l'expression ,  mais  la  pensée  exprimée  ,  qui  est  ici 
en  défaut,  et  l'on  nesetirepdiS  d'une  pareille  assertion,  en  s'en  prenant 
futilement  aux  mots.  M.  l'abbé  n'eut-il  pas  mieux  fait  de  reconnaître  loya- 
lement qu'il  s'est  trompé  et  que  lorsqu'il  a  écrit  cette  phrase  sonore 
il  ne  s'était  pas  encore  suffisamment  enquis  de  ce  qu'ont  toujours  été 
en  réalité  ces  droits  régaliens ,  attributs  essentiels  de  la  souveraineté 
immédiate  ! 

—  Reste  le  pouvoir  législatif ,  le  troisième  fleuron  de  la  couronne 
dynastique  que  notre  poétique  paléographe  avait  fotgée  pour  ses  Etats 
populaires.  J'espérais  qu'à  cet  égard  au  moins ,  il  se  résoudrait  à  une 
retraite ,  £rinon  apparente ,  au  moins  simulée ,  après  l'embah^as  qu'il 
avait  manifesté  dans  ses  trois  premièrtas  lettres,  à  maintenir,  en 


•  4«  Lettre,  p.  10. 
'  Paysans ,  p.  vi. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION  ,   ETC.  351 

l*amendanl  tant  qu^il  ]e  pouvait  »  sa  téméraire  conception  des  souverainetés 
villageoises.  —  Mais  point  du  tout!  à  ]a  page  10  de  sa  quatrième 
lettre ,  i)  édite  l'aphorisme  suivant  :  €  Quand  un"e  loi  semblait  néces- 
i  saire  »  elle  était  votée ,  selon  son  importance ,  avec  ou  sans  l'aoré- 
«  MENT  DU  SEIGNEUR  far  ks  mémes  colongers  t  »  Et  puis  notre  excellent 
abbé  y  appelle  cela  un  gouvernement  constitutionnel ,  une  monarchie 
constitutionnelle ,  et  il  se  fâche  parce  que  dans  une  phrase  de  mon 
étude  ,  j*ai  (pour  éviter  une  répétilion)  substitué  le  mot  de  républiques 
à  celui  de  souverainetés  villageoises  !  Ne  sortirons-nous  donc  jamais 
de  cet  étrange  galimathias  d'idées ,  de  choses  et  de  mots  incohérents, 
qui  enveloppe  comme  d'un  jiuage  impénétrable  la  pensée  de  notre 
auteur.  Voyons!  un  Etat  dans  lequel  le  peuple  serait  seul  investi 
du  pouvoir  judiciaire ,  un  Etat  dans  lequel  le  même  peuple  aurait 
rinitiative ,  le  vote  et  la  confection  des  lois ,  même  sam  l'agrément  et 
le  concours  du  seigneur  ou  souverain  nominal  :  un  état  dans  lequel 
toujours  ce  môme  peuple  exercerait  la  presque  totalité  du  pouvoir 
exécutifs  et  aurait  le  droit  d^élire  directement  la  majeure  partie  des 
fonctionnaires  S*  un  élat  enfin  où  ce  même  peuple  aurait  avec  la  plé- 
nitude des  droits  régaliens,  la  liberté  de  fidre  la  paix  et  la  guerre, 
de  battre  monnaie,  de  conclure  des  traités,  d'asseoir  des  impôts,  etc., 
un  pareil  Etat ,  dis-je ,  ne  ressemblerait-il  pas  beaucoup  plus  à  une 
république  qu'à  une  monarchie,  même  constitutionnelle?  —  Je  ne 
conçois  pas  que  M.  Hanauer  n'aperçoive  pas  enfin  toute  l'énormité  de 
sa  chimère  !  A  ce  compte  ses  colonges  souveraines  ,  auraient  été  plus 
que  des  Pays  iEtat  ;  elles  auraient  constitué  déjà  du  temps  des  Caro- 
lingiens de  véritables  républiques  municipales,  comme  celles  quie 
figurèrent  beaucoup  plus  tard ,  les  villes  libres  et  impériales  !...  Maïs 
poursuivons  rapidement  l'examen  de  cette  affirmation  in  extremis  du 
pouvoir  législatif,  attribué  aux  colongers.  J'ai  beau  chercher  dans  tous 
les  recueils,  une  Id  votée  par  des  colongers,  je  n'ai  pas  eu  l'heureuse 
chance  d'en  découvrir.  M.  Hanauer  a-t-il  été  plus  favorisé  que  moi?  — 
Sa  4*  lettre  me  renvoyé  pour  toute  démonstration  à  ses  Paysans, 
(p.  249^220)  :  mais  après  avoir  lu  et  relu  tes  pages  qui  doivent 
tout  prouver,  je  déclare  que  je  n'y  rencèntre  pas  la  moindre  Mce^tj^in 
pouvoir  législatif  qu'auraiemt  exencé  des  colongers ,  mais  biên'la  jUMi-* 
fication  du  reproche  que  j'ai  été  à  regret  forcé  de  lui  adresser  si  souvent , 

*  Payions,  p.  vi. 


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352  REVUE  D* ALSACE. 

de  mêler  constammenl  ensemble  les  choses ,  les  mots ,  e(  les  temps 
les  plus  disparates.  —  Toutes  les  citations  de  M.  Hanauer  sur  ce  point 
se  réduisent  à  ceci  :  €  que  dans  de  certaines  localités ,  le  maire  a  le 
(  droit  d'établir  des  Eynungen ,  sur  les  bois  et  les  champs ,  comme  on 
«  établit  les  Eynungen  de  toute  ancienneté ,  d'après  le  conseil  des  gens 

<  honorables ,  »  et  qu'ailleurs  €  les  jurés  ont  à  estimer  VEynung. . .  >  Qu'y 
a-t-il  de  législatif  à  cela?  —  Le  maire  n'est-il  pas  l'homme  du  seigneur,  le 
ministérial  du  propriétaire  et  maître  de  la  colonge?  qu'il  doive  dans  l'éta- 
blissement de  certains  règlements  ou  de  certaines  amendes  consulter  les 
anciens  usages  et  les  vieilles  gen^  qui  peuvent  en  déposer,  cela  le  rend-il 
législateur  pour  cela?  Quant  aux  jurésj^de  la  seconde  citation  ,  je  ne 
sais  réellement  pas  où  notre  auteur  est  allé  les  chercher  ;  il  me  renvoie 
à  BuRCRHARDT  ^  p.  89 ,  n^  t2.  Or  voilà  tout  ce  que  rapporte  cet  auteur 
en  cet  endroit  :  <  Le  maire  dn  Dinghoff,  les  gens  de  la  cour,  les  co- 
«  longers  (Hoflût)  doivent  garder  la  forêt  de  Févêque  en  bas  et  en  haut 
f  et^ils  ont  à  dénoncer  quiconque  y  commettrait  un  délit  ou  encourrait 
€  l'amende.  »  Je  ne  vois  dans  ce  texte  ni  jurés  y  ni  pouvoir  législatif  l 
Je  ne  sais  si  M.  Hanauer  a  commis  ici  une  erreur  de  citation  :  si  cet 
accident  lui  était  arrivé,  je  lui  promets  un  peu  plus  de  charité  qu'il  n'en 
a  usé  envers  moi|,  pour  un  cas  semblable  ;  mais  il  est  certain  que  ce 
texte  ne  dit  absolument  rien  de  ce  qu'il  lui  prête.  —  Notre  auteur 
ajoute  encore  qu'à  Dannemarie  l'argent  des  Eynungen  «  servait  à 
l'entretien  des  chemins  :  »  il  reproduit  la  même  observation  pour 
Amertzwiller  :  mais  selon  son  habitude ,  il  ne  fait  aucune  attention 
à  la  date  de  ces  deux  documents:  l'un  est  de  1578  *  et  l'autre 
de  1576-1689.  C'est  pour  cela  qu^l  n'y  est  plus  question  seulement 
de  colongers,  mais  de  bourgeois.  Le  fonds  de  ces  dispositions  est 
qu'à  Dannemarie  l'abbesse  de  Hassevaux  doit  entretenir  les  bêtes  mâles 
pour  que  le  bétail  de  la  commune  {dos  gemeinds  Vieh)  puisse  se  repro- 
duire ,  et  c  ce  qui  sera  payé  pour  cela  sera  réparti  des  Va  an  tiers  entre 
«  le  maire  et  les  bourgeois ,  qui  en  employèrent  une  partie  pour  amé- 

<  liorer  les  chemins.  >  Quant  à  Amertzwiller,  le  rotule  porte  d'abord 
que  c  la  première  condition  ou  droit  du  Dinkhof  doit  être  énoncé  et 
c  posé  par  le  seigneur  du  DinckhofT  ou  par  le  maire,  etc.  Puis  il  qoute 
c  que  le  seigneur  a  la  permission  (le  droit)  de  confirmer  et  mettre  un 
c  banvart ,  lequel  doit  rester  sur  le  ban  du  hois  des  bourgeois  et  garder 

•  Stopfsl,  p.  80. 


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RÉSUMÉ  BT  CONCLUSION,   ETC.  353 

«  les  champs  et  faire  mention  (des  délits)  desquels  il  est  permis  d'en 
«  prendre  5  s.  avec  une  livre  d'amendement ,  et  celte  livre  appartient 
€  au  seigneur  ^  »  —  Je  le  demande  encore,  qu'est-ce  qu'il  y  a  de 
législatif  ici ,  et  en  tous  cas  quel  serait  le  législateur  ?  -—  Je  terminerai 
sur  ce  point ,  trop  faiblement  soutenu  pour  mériter  un  plus  long 
examen ,  en  rappelant  quelques  principes  généraux  qui  me  semblent 
incontestables.  —  La  base  du  droit  germanique  était  la  coutume ,  qui  se 
révélait  par  l'ancienne  pratique  ^  la  tradition  {das  allé  Herkommen)  : 
chaque  pays  ,  chaque  contrée ,  chaque  localité  avait  sa  coutume ,  qui 
généralement  tenait  lieu  de  loi  non  écrite.  Dans  aucun  pays ,  la  pos- 
session immémoriale  n'a  été  aussi  prépondérante  qu'en  Allemagne .  et 
les  institutions  les  plus  bigarres  s^y  sont  perpétuées  sans  aucune  autre 
raison  d'être  que  leur  immémorialité.  Mais  déjà  Charlemagne  avail  posé 
le  principe  que  la  coutume  devait  céder  à  la  loi  *,  et  c*est  eh  s'armant 
de  ce  principe ,  qu'on  distingua  les  coutumes  en  bonnes  et  en  mau- 
vaises ,  en  reconnaissant  au  souverain  territorial  le  pouvoir  suprême 
de  faire  disparaître  celles-ci  par  Texercice  de  son  pouvoir  législatif. 
Cette  faculté,  on  le  comprend^  créait  ainsi  au  profit  de  ce  souverain 
une  puissance  à  peu  près  absolue.  Les  plus  anciens  documents  l'attestent  : 
le  Lehnrechlsbfich  attribue  l'origine  et  la  sanction  des  coutumes  à  la 
volonté  des  souverains  territoriaux  3.  Le  droit  de  réviser  celles 
mêmes  qui  existaient  d'ancienneté,  était  presque  toujours  réservé  par  les 
seigneurs  territoriaux,  dans  les  actes  de  confirmation  ou  de  publication , 
et  comme  M.  Hanauer  cite  Orbey  au  nombre  des  colonges  où  le 
peuple  aurait  exercé  le  pouvoir  législatif,  je  ne  puis  mieux  faire  que 
de  mettre  sous  ses  yeux  l'intitulé  du  document  de  1513,  auquel 
il  renvoie  dans  sa  note.  Il  est  ainsi  conçu:  c  En  l'an  du  seigneur  1513» 


*  Stoffel  ,  p.  62. 

*  Cap.  gêner,  an,  76S,  ap.  Pertz. 

'  Durch  die  menecoalten  Gewonheit  die  die  Pischôve  ,  und  die  Abbte  und'die 
Abtissin ,  die  da  Fursten  tind ,  und  andere  Ftirsten  in  ir  Hoven  sitzent  so  musen 
wir  davon  nit  mehre  gesprechen.  Wan  guote  Gewonheit  sol  man  behalten.  — 
Daniels  ,  RechtsdenknUUer  des  deutschen  Mittelaliers ,  pag.  243.  —  Le  Miroir  de 
Stmahe  (trad.  Rom.  publiée  par  Matile,  p.  lOS  et  i09)  s'exprime  ainsi  :  «  Deys 
■  coutumes  que  U  Evesques  et  H  Abbey  et  les  Abbesses  et  autres  grants  Barons 
«  metent  au  servir  en  leur  cort ,  ne  volons  nos  mie  parler  ;  car  chascun  là  y  met 
«  selon  son  puair  (pouvoir)  ou  de  volonté  ,  ou  selon  la  coutume  de  son  pays.  Cornant  ' 
«  qu'il  soit  les  bonnes  coutumes  se  font  de  tenir ,  et  les  maies  à  layssier.  « 

i*SArto.— 17*Aiiaét.  23 


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354  REVUE  d'alsage. 

(ï  à  la  conversion  de  Saint  Paul,  sur  l'ordre  des  très-nobles  Maximin  et 
«  Guillamne  de  Ribeaupierre,  moi».,  etc. ,  convoqués  et  appelés  à  in- 
«  diquer  les  vieilles  traditions,  coutumes  et  pratiques  du  val ,  nous  les 
«avons  renouvelées  et  notées,  en  réservant  toutefois  à  nos  gracieux 
a  seigneurs  le  droit  de  les  diminuer,  augmenter  ou  corriger  à  leur 
Kgré.  >  —  Dans  le  second  coutumier,  promulgué  en  1564,  par 
Egenolphe  de  Ribeaupierre ,  la  même  réserve  est  encore  reproduite  : 
<  mais  toutefois  réservons  et  retenons  à  nous,  à  nos  hoirs  et  suc- 
€  cpsseurs  seigneurs  de  Ribeaupierre  ,  de  pouvoir  changer,  amoindrir, 
«  augmenter  et  corriger  à  tous  jours  et  temps  compétant,  iceux  cou- 
«  tûmes,  ordonnances  et  statuts  selon  notre  volonté  *.  >  —  U  faut 
donc  reléguer  le  potit^otr  %i$Iaa/ des  souverainetés  colongères ,  dans 
les  mêmes  limbes  chimériques ,  où  se  sont  déjà  évanouis  leur  patwoir 
ju^daire  et  leurs  droits  régaliem. 

J'ai  fait  remarquer  tout-à-rheure  les  dates  (xyp  et  xyii<'  siècles) 
ài^xquelles  se  réfèrent  les  chartes  d'Amertzwiller,  d'Orbey  et  de  Dan- 
nemarie ,  invoquées  par  H.  Hanauer,  ainsi  que  les  dénominations  de 
bourgeois  et  de  communes  qui  s'y  rencontrent.  Ceci  me  ramène  à  une 
observation  que  j'ai  soulevée  plusieurs  fois,  et  qui  servira  de  conclusion 
à  ce  résumé.  —  L'intérêt  des  recherches  colongëres ,  dans  notre  pro-» 
vince  surtout,  gît  principalement  dans  les  conjectures  qu'on 
peut  tirer  des  rotules  ou  des  Weisslhûmer ^  en  général,  rela- 
tivement à  l'état  des  personnes  et  des  propriétés ,  dans  la  période  qui 
s'étend  depuis  la  stabilitation  de  la  conquête  jusqu'à  l'établissement 
définitif  du  régime  féodal.  J'ai  déjà  insisté  sur  ce  fait  que  M.  Hanauer 
assigne  lui-même  l'avènement  de  ce  régime,  comme  extrême  limite ,  à 
ses  théories  sur  la  liberté  colongère  ^  ;  seulement  nulle  part  il  n'a 
nettement  accusé  la  date  à  laquelle  il  reporte  ce  triomphe  de  la  souve- 


'  Voy.  BONVALOT,  Les  coutumes  du  val  d'Orbey,  p.  7  et  8.  Nous  devons  déjà  à 
ce  laborieux  magistrat  la  publication  de  plusieurs  de  nos  anciennes  coutumes  alsa- 
ciennes ,  qui  étaient  conseryées  dans  de  rares  collections  et  par  conséquent  peu  connues. 
Les  notes  qui  les  accompagnent  sont  très-intéressantes  pour  l'histoire  du  droit  dans 
notre  province. 

'  Le  mot  Weissthum ,  on  le  sait ,  n'exprime  pas  seulement  des  chartes  colongères  ; 
il  désigne  toute  espèce  d'actes  de  notoriété  d'une  authenticité  variable ,  mais  rela- 
Unt  d'anciens  usages.  V.  Haltaus  ,  Y»  Weissthum,  —  Schcepflîn  »  Alsat.  iil.  - 
'grimm,  t ,  p.  111. 

'  CanstUutionê  ^  p.  96  (page  mémorable). 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION  ,   ETC.  355 

raineté  seigneuriale ,  comme  H  l'appelle  :  omission  qui  laisse  à  ses 
développements  une  latitude ,  aboutissant  inévitablement  à  un  désordre 
chronologique  inextricable.  —  Il  est  en  effet  certain,  d'une  part, 
qu'aucun  des  rotules  produits  dans  les  collections  de  Schiller, 
de  Grimm ,  de  Stoffel ,  et  dans  les  livres  de  notre  auteur,  ne 
remonte  par  sa  rédaction  au-delà  du  xiii^*  siècle ,  et  il  est  également 
certain ,  d'autre  part,  que  le  plus  grand  nombre  de  ces  documents  est 
d'une  rédaction  qui  descend  jusqu'au  xvi«  et  même  jusqu'au  xyii*  siècle. 

—  Or  comment  la  science  les  utilise-t-elle?  comment  les  a-t-elles 
utilisés  jusqu'à  présent? — On  a  considéré  cet  ordre  de  documents  comme 
renfermant  le  témoignage  écrit  d'une  coutume  ancienne  et  invétérée  y 
et  dès-lors,  sans  s'arrêter  à  la  seule  date  de  leur  rédaction,  on  s'est 
cru  légitimement  autorisé  à  reporter  les  institutions  dont  elles 
révèlent  la  trace,  à  un  passé  plus  ou  moins  lointain.  --  C'est  comme  on  le 
voit,  un  simple  procédé  d'induction.  —  Mais  en  cette  matière  comme  en 
toute  autre,  la  méthode  d'induction  exige  une  grande  prudence,  et 
surtout  une  clairvoyante  circonspection.  Si  l'on  peut  à  la  rigueur, 
trouver,  dans  un  texte  comparativement  moderne,  la  constatation 
plus  ou  moins  claire  d'une  tradition  antique,  encore  faut -il  en 
remontant  avec  cette  tradition  le  cours  des  siècles,  s'assurer  d'abord 
si  elle  concorde  avec  d'autres  documents  ou  d'autres  faits  dont  la 
contemporanéité  ne  peut  être  contestée.  Est-il  permis,  par  exemple,  de 
négliger  dans  l'étude  de  l'état  de  la  société  du  vr  au  xi«  siècle  les  actes 
des  législations  mérovingienne,  carlovingienne  et  impériale,  les 
coutumes  générales  auxquelles  se  réfèrent  les  Leges  Barbarorum ,  et 
plus  tard  les  Miroirs  de  Saxe  et  de  Souabe ,  le  Lehn  undLandrecht? 
Est -il  licite  surtout  de  négliger  la  succession  chronologique  qui 
permet  d'assigner  des  dates ,  au  moins  approximativement  certaines , 
aux  grandes  institutions  des  bénéfices ,  des  immunités ,  du  régime 
féodal  et  des  communes?  Les  rotules  ne  peuvent  donc  pas  échapper 
à  la  règle  vulgaire  qui  régittoute  interprétation  :  leurs  termes  doivent  être 
acceptés  dans  le  sens  que  leur  impriment  les  mœurs  ou  les  institutions, 
sinon  exclusivement  du  temps  oùilsontétéécrits,  du  moinsdecelui  auquel 
on  prétend  faire  remonter  les  usages  et  les  rapports  qu'ils  constatent. 

—  D'un  autre  côté ,  si  cette  rédaction  même  n'a  d'autre  valeur  que 
celle  d'une  attestation  donnée  à  des  faits  antérieurs,  mais  subsistants,  ne 
tombe- t-il  pas  sous  le  sens  que  cette  rédaction,  dans  bien  des  cas,  a 
dû  s'empreindre  du  langage  contemporain  ^  tout  en  ne  préttindant 


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356  REVUE  D* ALSACE. 

exprimer  que  des  faits  anciens  ?  La  date  de  la  rédaction  devient  donc 
ici  un  élément  capital  ;  car  il  a  toujours  été  de  principe  dans  la  diplo- 
matique comme  dans  la  jurisprudence ,  que  le  sens  des  termes  se  fixe 
par  le  temps  et  le  lieu  ou  ils  ont  été  écrits.  Qu'y  a-t-il  d'étonnant ,  par 
exemple ,  de  trouver  les  termes  de  bourgeois ,  de  commune ,  de  caisse 
communale  9  dans  des  écrits  du  xvi*  et  du  xvii*  siècle ,  et  quelle 
légitimité  y  aurait-il ,  je  le  demande ,  dans  le  raisonnement  qui  pous- 
serait à  donner  une  réalité  rétroactive  à  ces  expressions,  en  les 
reportant  à  une  époque  où  notoirement  les  institutions  auxquelles  elles  font 
allusion,  n'existaient  point?  —  Cette  induction  serait  souverainement 
irrationnelle,  d'autant  plus  que  dans  les  rotules  plus  anciens ,  ceux 
du  XIII'  et  du  xrv*  siècle ,  de  pareils  termes  ne  se  rencontrent  nulle 
part.  On  n'y  parle  ni  de  bourgeois ,  ni  de  commune.  Je  sais  très- 
bien  que  M.  Hanauer  n'est  pas  de  cet  avis  :  je  sais  que  d'après  lui  les 
communes  ont  totijours  existé;  que  les  mots  Gemeine^  Universitas  ds^ns 
les  chartes  mérovingiennes  et  carlovingiennes  expriment  déjà  pour  lui , 
Vétre  moral  collectif  qui,  bien  plus  lard  seulement,  apparaît  sur  l'horizon 
du  moyen-âge.  Je  ne  le  suivrai  pas  dans  cette  nouvelle  thèse^  paradoxale 
dans  mon  opinion,  puisqu'il  promet  de  la  développer  dans  un  livre  à  part  ' . 
J'attendrai  :  mais  jusque-là ,  je  continuerai  à  croire ,  avec  l'unanimité 
des  historiens ,  que  les  grandes  communes  ne  se  sont  organisées , 
chez  nous  généralement ,  qu'après  la  féodalité ,  au  plus  tôt  au  xiP  siècle, 
et  que  les  petites  communes  rurales ,  faible  ombre  des  municipalités 
urbaines  ne  se  sont  constituées,  fort  débilement  d'ailleurs,  que  beaucoup 
plus  tard  '.  Je  crains  bien  que  notre  auteur  ne  soit  encore  ici  victime 
de  son  système  d'étude  trop  restreint,  trop  exclusif,  et  qu'il  ne 
s'opiniâtre  dans  une  confusion.  Il  y  a  eu  de  toute  ancienneté  des  groupes, 
des  agglomérations  d'habitants  ;  mais  ce  n'est  pas  cela  qui  forme  ce 
qu'on  appelle  la  commune ,  c'est-à-dire  un  être  moral ,  doué  d'une 
représentation  propre  (collegium)  et  constituant  ainsi  une  personne 

*  i»  Lettre,  p.  13. 

'  Je  ne  Terai  pas  de  citation  sur  ce  fait  historique  ;  il  n'a  jamais  été  contesté.  La 
nouvelle  théorie  de  M.  Hanauer  trouvera ,  je  le  lui  prédis ,  bien  des  incrédules. 
L'origine  des  communes  semble  une  certitude  acquise  ;  on  ne  la  discute  plus.  Voici , 
entre  autres ,  comment  tout  récemment  encore  M.  Darbois  de  Jubainville  s'explique 
sur  cette  confusion  de  temps  et  de  termes  dans  laquelle  se  complaît  notre  auteur  : 
-  Universitas,  au  xiii*  siècle ,  voulait  dire  la  totalité,  l'ensemble;  ce  n'est  que 
•  plus  tard  qu'il  a  pris  le  sens  de  corporation.  •  Revue  critique  d*hiêtoire,  p.  196. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION^   ETC.  357 

juridique,  capable  d'exercer  tous  les  droits  et  tous  les  actes 
de  la  vie  civile  ^  Si  j*avais  à  m'étendre  plus  longuement  sur  ce  sujet, 
je  pourrais  montrer ,  en  ro'aidant  de  la  lumière  de  documents  irrécu- 
sables 9  comment  l'esprit  d'association  et  de  compagnonage ,  si  vivace 
chez  les  races  germaniques,  a  peu  à  peu  pénétré  et  uni  entre  eux  les 
groupes  de  population  épars  sur  le  domaine  d'un  même  souverain , 
créé  ces  confédérations  bourgeoises  auxquelles  les  puissances  civiles  et 
religieuses  se  montrèrent  si  longtemps  hostiles ,  et  fini  par  conquérir,  à 
force  de  patience  et  d'énergie,  cette  liberté  communale  qui  n'atteignît  son 
apogée  que  dans  certaines  villes  ^  La  formation  progressive  du  Tiers-Etat 
est  le  grand  œuvre  du  moyen-âge ,  et  cette  lente ,  mais  persévérante 
marche  des  deshérités  et  des  serfs  de  toute  condition  et  de  toute 
classe,  vers  l'affranchissement  et  la  liberté,  est  un  spectacle  plus 
fortifiant  pour  l'âme ,  et  surtout  plus  conforme  à  la  vérité  ,  que  ne  sont 
satisfaisants  pour  l'imagination  et  acceptables  par  la  raison ,  ces  rêves 
d'une  liberté  Préadamique ,  dont  il  deviendrait  impossible  d'expliquer 
la  complète  disparition  au  x*  siècle. 

La  colonge  n'a  jamais  été  une  commune  :  aussi  loin  qu'on  remonte 
l'échelle  des  temps ,  aussi  bas  qu'on  la  descende ,  nulle  part  on  ne 
peut  découvrir  dans  la  première  aucun  des  organes  essentiels  et  dis- 
tinctifs  de  la  seconde  :  ni  magistrature  élue,  ni  conseil,  ni  même 
aucun  lien  corporatif  quelconque.  La  colonge  antérieure  à  la  commune 
s'est  toujours  maintenue  distincte  de  la  commune ,  et  ce  fait ,  attesté 
par  les  textes  les  plus  nombreux  et  les  plus  positifs ,  suffit  à  lui  seul 
pour  écarter  la  confusion  moyennant  laquelle  on  voudrait  attribuer, 
dès  les  plus  anciens  temps  ,  à  l'agglomération  colongère ,  le  caractère 
corporatif  et  Tautonomie  relative  qui  ont  spécialement  distingué  la  com- 


'  Sur  ces  traita  élémentaires  de  la  commune,  voy.  Eighhorn  ,  ii ,  pag.  157.  — 
MiTTERMATER  ,  I ,  p.  297  ,  etc. ,  etc. 

'  V.  Gadpp,  dos  Slàdteweien  im  Mittelalter»  S'il  était  besoin  de  preuves  pour 
Uêinuntrer  que  chez  nous  la  liberté  communale  n'a  atteint  son  maximum  que  dans 
les  villes  immédiales ,  il  suffirait  d'appeler  l'attention  sur  la  condition  inférieure 
dans  laquelle  se  maintinrent  nos  villages,  et  même  nos  villes  seigneuriales.  Le 
lecteur  qui  voudra  s'édifier  sur  cette  comparaison  la  trouvera  parfaitement  établie 
dans  l'excellente  Etude  sur  l'organisation  mimicipale  de  Saoerne ,  publiée  dans 
cette  Revue  par  M.  Dagobert  Fischer  ,  et  dans  les  savantes  Recherche»  sur  la 
Constitution  municipale  de  Calmar  de  M.  X.  Mosshann  ,  publiées  dans  le  Bulletin 
des  monuments  historiques. 


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358  REVUE  d'alsage. 

mune.  Ainsi ,  à  Amertzwiller,  à  Dannemarie ,  à  Orbe; ,  où  nous  avons 
été  obligé  de  suivre  tout-à-rheure  H.^  Hanauer,  la  commune  existait 
incontestablement  aux  xvi*  et  au  xm*  siècles,  d'après  les  rotules 
mèn^s  que  nous  avons  cités  ;  et  les  colonges  subsistaient  néanmoins 
dans  ces  mêmes  localités,  avec  leurs  attributs  particuliers.  H.  Stoffel, 
dans  son  précieux  recueil,  publié  en  1861,  sous  les  glorieux  auspices 
de  J.  Grimm  ^ ,  nous  a  conservé,  entre  cent  autres ,  une  pièce  '  qui 
jette  une  grande  lumière  sur  les  rapports  de  la  colonge  avec  la  com- 
mune: c'est  une  supplique  présentée  en  1660  à  ViAVOuéy  SchuUheisSi 
bourgmestre  et  conseil  tle  la  ville  d'Eguisheim  (Vogtj  SchuUkeisSy 
Bûrgermeister  und  Rath  der  Stadt  Eguisheim)  par  le  bourgeois  Jean 
Hartmann  {unser  angehôriger  Mitbûrger) ,  pour  obtenir  de  l'autorité 
communale  la  constatation  et  même  la  démarcation  d'une  ancienne 
cour  colongère,  appelée  Kaysers  Dinkhofft  dont  le  titre  avait  été 
renouvelé  une  dernière  fois  en  1559,  mais  qui  depuis  avait  été  désertée 
par  les  colongers,  chassés  ou  dispersés  par  les  violences  de  la  guerre. 
A  la  suite  de  la  supplique  se  trouve  la  transcription  de  la  charte  colon- 
gère^ preuve  palpable  que  le  Dinkhoff  était  considéré  comme  une 
possession  particulière ,  tombant  sous  la  protection  de  l'autorité  com- 
munale ,  mais  ne  se  confondant  pas  avec  elle.  —  Je  ne  veux  pas  m'é- 
tendre  davantage  sur  cette  démonstration  en  quelque  sorte  digressive  ; 
et  je  clorai  cette  dernière  partie  de  mes  observations  par  l'analyse  ra- 
pide d'une  série  de  titres  empruntés  à  un  coin  de  notre  province ,  mais  qui 
donnent  en  quelque  sorte  un  tableau  récapitulatif  de  l'état  et  du  déve- 
loppement de  nos  institutions  anciennes  depuis  la  ilfarcA  jusqu'à  la  libe^rté 
communale  la  plus  élevée,  celle  d'une  ville  libre  et  impériale.  Pourquoi 
dans  ses  vastes  recherches  M.  Hanauer  a-t-il  si  complètement  perdu  d^e 
vue  la  confédération  singulière  de  ces  dix  communes,  qui  s'élevèrent  au 
fonds  de  la  vallée  de  Munster  autour  d'une  abbaye  bénédictine ,  et  se  déco- 
rèrent au  moyen-âge  du  litre  pompeux  do  Décapote  du  val  de  Saint-Gré- 
goire? Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  dans  notre  Alsace  un  seul  territoire  où  il 


'  Ce  recueil ,  fruil  d'une  longue  exploration  de  nos  archives ,  était  achevé  en 
1 846-1847.  Gr&ces  à  la  complaisance  de  M.  Stoffel ,  j'en  possède  une  copie  manuscrite 
depuis  cette  dernière  année  et  dussé-je  blesser  la  modestie  de  ce  savant  et  labo- 
rieux investigateur  de  nos  antiquités  nationales,  je  suis  heureux  de  saisir  l'occasion 
de  m'acquitter  publiquement  envers  lui  d'une  dette  d'affectueuse  reconnaissance. 

•  Stoffel  ,  p.  172. 


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RÉSUMÉ  ET  CONCLUSION  ,   ETC.  359 

soit  plus  facile  d'observer  la  gradation  historique,  grâce  aux  do- 
coments  qui ,  à  chaque  siècle  en  quelque  sorte ,  y  marquent  les  états 
différents  par  lesquels  ont  passé  les  populations  et  la  seigneurie!  J'avais 
déjà  signalé  cette  lacune  inexplicable  dans  mon  Etude  '  ;  je  vais , 
en  la  réparant,  achever  par  une  justification  en  quelque  sorte  tex- 
tuelle la  confirmation  des  propositions  que  j'oppose  aux  doctrines  de 
M.  Hanauer.  —  Le  territoire  sur  lequel  s'est  fondé  au  vn«  siècle  Tab- 
baye  des  Bénédictins  du  confluent  y  était  une  Marck,  et  comme  toutes  les 
grandes  marches  de  notre  pays,  elle  faisait  partie  du^isc  royal  :  celle 
de  Munster  dépendait  du  fiscus  Regius  Columbarius.  Cette  Mardi  est 
décrite  avec  ses  antiques  limites,  selon  la  judicieuse  observation  de  H.  Mono, 
dans  nos  plus  anciens  diplômes*.  La  population  de  ce  territoire  fiscal 
ne  pouvait  donc  se  composer  que  de  fiscalini,  homines  fisci,  etc.  Un 
diplôme  de  Louis-le-Débonnaire ,  de  817 ,  indique  que  cette  marche  a 
été  abandonnée  au  monastère^  sans  chaire  de  don  gratuit,  sans  charge 
de  service  militaire ,  mais  à  la  seule  condition  de  prier  pour  l'Empe- 
reur et  pour  l'Empire  3.  On  peut  toutefois  inférer  d'une  charte  de  833  * 
que  tout  en  se  dépouillant  gratuitement ,  l'Empire  s'était  réservé  une 
part  (partem  quandam)  dans  le  domaine  concédé  à  l'abbaye.  Cette  part 
était  le  tiers  de  l'advocatie  (Vogtey).  L'abbaye,  comme  cela  se  pratiqua 
partout ,  attira  la  population  sur  ce  territoire ,  et  peu  à  peu  se  for- 
mèrent sur  sa  surface  dix  agg]om<^rations  principales  '.  D'assez  nom- 
breuses cours  colongères  s'y  montrent  dès  les  temps  les  plus  récriés. 
L'abbaye  avait  le  dominium  ou  le  bannum  sur  tous  les  habitants , 
colons  ou  autres.  Le  Vogt  représentait  non«seulement  l'abbaye,  mais 
aussi  l'Empire.  Cette  division  de  la  Vogtey  cessa  en  1235 ,  par  la  cession 
qui  fut  faile  des  deux  tiers  qui  lui  compétaient  dans  ce  pouvoir,  par 
l'abbaye  à  l'Empereur  Frédéric  II  ^,  et  cette  consolidation  de  l'advocatie 
procura  à  la  population  un  premier  privilège ,  celui  de  relever  directe- 


'  Revue ,  février,  p.  67. 

'  Voy.  notamment  la  charte  apocryphe  d'Ebersmunsler  de  817,  citée  par  M.  Ha- 
nauer, 4"  lettre,  p.  14  ;  mais  heureusement  pour  la  description  de  la  Marck  ,  ce 
titre  est  confirmé  par  des  diplômes  contemporains,  de  817  et  828. 

'  Ap.  Grandidier  ,  Eglise  de  Strasbourg ,  n,  N«  90. 

*  ScBQEPFLiiv ,  Als.  dipl. ,  1,  p.  69.  GRANDIDIER ,  Hist,  d'Alsace,  I  ,  lit.  144. 

'  Munster,  MQhlbach,  Metzeral,  Breitenbach,  Sondernach  ,  Sultzeren,  Stosswihr, 
Uohroth,  Lautenbach  et  Eschbach. 

*  Diplôme  daté  de  Uagveaau.  —  ScHCBiVLm  ,  Ahat^  iU, ,  g  759. 


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360  REVUE  D'ALSACE. 

ment  de  TEmpire  ;  mais  ce  privilège  ne  Tafiranchit  pas  de  Tautorité 
territoriale  de  l'abbaye ,  quoique  dès-lors  comme  bourgeoisie  de  l'Em- 
pire cette  population  put  jouir  de  la  forme  communale.  D&s  le 
xm^  siècle  éclate  ce  fait  curieux,  d'une  confédération  qui  réunit  en  une 
seule  cité ,  en  une  seule  commune ,  dix  agglomérations  d'habitants , 
séparées  par  des  distances  relativement  considérables.  Hais  que  celte 
émancipation  communale  est  encore  loin  de  cette  liberté  personnelle 
que  M.  Hanauer  a  fait  rayonner  sur  l'horizon  du  moyen -âge  le 
plus  reculé!  I  En  1339  apparaît  la  transaction  célèbre  intervenue 
entre  l'abbé  Marquart,  représentant  le  monastère  d'une  part,  eiVavaué, 
le  œnseil  et  la  commune  du  Val  et  de  la  ville  d^ autre  part  ;  aucun  do- 
cument ,  que  je  sache ,  ne  dessine  plus  clairement  les  phases  qu'a  dû 
parcourir  l'émancipation  communale  avant  d'atteindre  à  son  extrême 
limite.  Loin  de  débuter  par  une  liberté  absolue,  par  une  espèce  de 
souveraineté  populaire ,  on  voit  au  contraire  qu'elle  subit  toutes  les 
lenteurs  d'jin  aOranchissement  graduel.  Ainsi  l'abbaye ,  tout  en  stipu- 
lant avec  une  commune,  se  réserve  expressément  dans  cette  transaction 
la  haute  juridiction  {Zwing  und  Bann)  la  nomination  du  Schultheiss 
(en  réduisant  la  charge  au  viager) ,  l'investiture  exclusive  de  21  ofiB- 
ciers  (cellerier,  percepteur  d'impôts ,  préposé  aux  poids  et  mesures  , 
directeur  de  travaux  publics  (Werkmeister) ,  etc.  *.  Si  elle  consente 
,  respecter  les  libertés  de  la  ville  {Unser  Statt  Freyheiten) ,  c'est  à  la 
condition  que  celle-ci  ne  touchera  en  rien  aux  prérogatives  de  l'abbaye. 
L'abbé  se  réserve  du  reste  les  deux  tiers  de  la  justice  du  Schultheissen- 
thumb  et  ses  droits  de  corvée  contre  tous  les  habitants.  La  population , 
malgré  l'existence  de  la  commune ,  est  divisée  en  deux  classes  ;  l'une 
que  le  diplôme  appelle  la  classe  des  hommes  libres  (firigen,  fireyen 
Luth) ,  l'autre ,  la  classe  des  hommes  propres  et  taillables  {eigen  zins- 
geltigefi  Leuth).  La  première  classe  ne  jouissait  que  d'un  afGranchisse- 
ment  relatif,  laissant  sabsister  l'empreinte  de  la  dépendance  servile  : 
la  lignée  reste  féminine*  et  ces  libres  demeurent  assujétis  aux  corvées  et 
au  mortuaire  qui  doit  consister  dans  la  meilleure  tète  de  bétail ,  le 
meilleur  habit  ou  le  meilleur  lit.  On  leur  promet  en  compensation ,  il 

'  Ce  diplôme  portait,  dans  les  archives  de  l'abbaye,  le  titre  de  Grosse  Dinckhoff 
iu  Munster.  Schœpflin  lui  a  donné  avec  raison  le  titre  de  Transaelio.  (  DipL  ,  ii , 
p.  162).  M.  StofTel  le  reproduit  avec  le  premier  intitulé ,  p.  183. 

'  Die  freyen  Luth  der  Mutter  nachschlagend  und  nie  dem  Voter  naeh. 


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RÉSUMÉ  ET  GOlfCLUSIOW  ,   ETC.  961 

est  vrai  y  de  sonner  tontes  les  cloches  et  d'allumer  des  cierges  à  leur 
enlerrement.  Quant  à  la  seconde  classe ,  celle  des  hommes  prcpreSy 
ils  restent  sous  rautorité  directe  de  l'abbaye  ;  ils  ne  peuvent  rien 
aliéner  ni  changer  de  demeure,  sans  la  permission  de  l'abbé;  s'ils  con^ 
treviennent,  ils  sont  punis  corps  et  biens.  —  Quel  crédit  peut-on  accorder 
à  la  théorie  de  la  liberté  universelle  et  native ,  défendue  par  M.  Hanauer, 
en  présence  de  faits  de  cette  nature  qui  donnent  si  clairement  la  me- 
sure de  ce  qu'était  cette  liberté ,  même  après  un  premier  affranchisse- 
ment communal  ?  —  Mais  poursuivons  :  après  avoir  ainsi  reconnu  la 
commune  et  l'advocatie ,  réglé  ses  droits  au  SchuUheissenthumb ,  déter- 
miné le  nombre  des  fonctionnaires  à  son  choix,  l'abbé  indiqué  que  le 
monastère  possède  à  Munster  une  cour  colongère  de  laquelle  dépendent 
des  biens  appelés  Zellegut  et  Mentagsgut,  pour  lesquels  les  détenteurs 
doivent  aller  au  Geding  trois  fois  par  an.  Cette  cour  n'exerçait  donc  ni 
la  haute  justice ,  ni  la  justice  contentieuse ,  ni  le  pouvoir  judiciaire , 
puisqu'on  la  voit  subsister  dans  la  commune  à  côté  du  Gericht  ou  du 
SchîMheistenthum  I  La  fonction  du  Geding  est  du  reste  bien  dessinée , 
conformément  à  tous  les  précédents  que  nous  avons  déjà  cités ,  par  un 
renouvellement  de  4498  \  On  voit  par  ce  document  que  les  colongers 
(Hueber)  se  réunissent  sous  la  présidence  de  Conrad  de  Wunneberg , 
cellerier,  collecteur  de  cens  {Zinsmeister^  quœstor)  et  maire  de  la  cour 
(Hoffmeyger)  pour  aider  à  une  nouvelle  rédaction  du  Rotule ,  qui  doit 
renfermer  tous  les  anciens  us  et  coutumes  de  cette  cour  appelée  Jung- 
hoUZ'Dinghoff.  L'art,  l**  est  relatif  à  la  tenue  du  Geding,  auquel 
doivent  comparaître  chaque  année  personnellement  de  leurs  corps  (ir 
selbstlibe)  les  colongers,  afin  de  lenir  le  plaid ,  d'y  prêter  serment,  de 
régler  et  payer  également  sous  leur  serment  leur  cens  y  quHl  consiste  en 
argent ,  en  poulet ,  en  grains  ou  en  chapons.  Doivent  faire  de  même 
ceux  qui  ne  sont  pas  colongers,  mais  qui  néanmoins  sont  tenus  de  payer 
leurs  cens  à  cette  cour,  et  ils  doivent  payer  ces  cens  et  en  répondre  en- 
semble»  Puis  viennent  les  amendes  contre  les  absents  et  les  retarda- 
taires, les  stipulations  deLaudème,  l'obligation  pour  chaque  tenancier 
de  déclarer  sow  serment  les  corps  de  biens  pour  lesquels  il  doit  le 
cens ,  en  un  mot ,  tout  le  cortège  de  prescriptions  minutieuses  qui , 
suivant  nous ,  impriment  à  ces  assemblées  colongères  une  Spécialité  si 
précise  et  si  conforme  à  leur  évidente  destination.  N'y  eût-il  que  cette 

*  StoFFEL  ,  p.  198. 


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362  REVUE  D'ALSilCB. 

prodigalité  de  sermmts  imposés  à  chaque  colonger,  el  même  au  simple 
censitaire ,  serment  pour  reconnaître  la  colonge ,  serment  pour  attester 
le  montant  du  cens  et  les  espèces  dans  lesquelles  il  doit  être  acquitté , 
serment  sur  la  contenance  des  biens  de  chaque  tenure ,  qu'elle  suffirait 
pour  justifier  cette  interprétation  que  j'ai  déjà  si  souvent  produite ,  et  qui 
consiste  à  attribuer  à  ces  assemblées  un  but  principal ,  celui  de  main- 
tenir, à  défaut  d'écriture ,  l'intégrité  administrative  du  domaine  colon- 
ger.  —  La  ville  et  la  vallée  ne  restèrent  pas  longtemps  sous  la  rigoureuse 
dépendance  dans  laquelle  les  maintenait  la  transaction  de  4339.  Par  une 
charte,  datée  de  Colmar,  en  1347,  l'Empereur  Charles  IV  promit  de  ne 
pas  détacher  de  l'Empire  les  bourgeois  de  Hunster,  el  en  1354  le  même 
Empereur,  se  trouvant  à  Schlestadt ,  concéda  à  la  ville  et  à  la  vallée 
tous  les  droits  privés  et  publics ,  qu'Adolphe  de  Nassau  avait  accordés 
en  1293  à  la  ville  de  Colmar.  Il  ordonna  en  outre  que  si  les  bourgeois 
avaient  quelque  procès  avec  leurs  magistrats ,  le  sénat  de  Colmar  serait 
l'arbitre  du  différend.  —  La  ville  garda  les  armoiries  de  l'abbaye.  Son 
magistrat  (Senatus)  se  composait  de  16  assesseurs  nommés  à  vie: 
l'abbé ,  dans  les  premières  constitutions ,  avait  à  en  nommer  trois  ;  les 
deux  premiers  sénateurs  de  la  ville  portaient  le  nom  de  Burgermeister. 
La  liste  se  dressait  à  l'abbaye,  par  le  Reichsvogt  de  Kaysersberg  (repré- 
sentant le  Landvogt  ou  l'Empereur) ,  l'abbé  et  le  greffier  de  la  ville  K 
Ensuite  les  bourgeois  et  tous  les  fils  de  bourgeois,  âgés  de  plus  de 
14  ans ,  étaient  appelés ,  par  le  son  de  la  cloche  ,  sur  la  place  ;  l'abbé 
et  le  Yogt  prêtaient  serment  à  la  ville ,  le  Sénat  le  prêtait  aux  bour- 
geois, et  ceux-ci  à  leur  tour  au  Sénat  et  à  la  ville.  Munster  prend  donc 
rang  parmi  les  villes  libres  et  impériales ,  ce  qui  n'empêche  pas  l'ab- 
baye de  conserver  ses  cours  colongères  à  Munster,  à  Sundernach ,  à 
Melzeral  * ,  et  ces  cours  d'avoir  leurs  Dings ,  comme  par  le  passé. 
Preuve  évidente  à  ajouter  à  tant  d'autres  que  la  colonge  n'a  jamais  été 
une  souveraineté  collective  et  populaire,  douée  de  la  pleine  juridiction 
sur  les  territoires  sur  lesquels  elle  s'étendait  !  —  Ce  tableau  sommaire 
d'une  cité,  commençant  humblement  par  des  groupes  qui  s'établissent 
sur  un  vaste  domaine  d'abord  fiscal  et  plus  tard  seigneurial ,  qui  se 
lient  peu  à  peu  entre  eux  par  une  confédération  personnelle^  pour 
atteindre  d'abord  à  un  affranchissement  à  peine  perceptible ,  et  pour 

'  ScHCEPFLiN,  Alsai,  ilLt  8  761. 

*  V.  Stoffel,  Renouvellements  de  4468-4498,  p.  194  ,  v.  s. 


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RÉSUMÉ  BT  CONCLUSION  ,   ETC.  363 

aboutir  final0mQi^t;i  l'autonomie  d'une  ville  libre  et  impériale.,  rn*est^il 
pas  la  meilleure  conclusion  que  je  puisse  donner  à  la  controverse  que 
H.  Hanauer  m'a  forcé  de  continuer  contre  lui  ?  Cet  exemple ^  qui  ré- 
sume tout  ce  que  j'ai  dit  sur  l'état  des  personnes ,  la  constitution  des 
souverainetés,  le  caractère  des  affranchissements,  l'organisme  des 
colonges,  et  même  sur  l'origine  des  communes,  peut  servir  de  pierre  de 
toucbe  aux  doctrines  contraires  qui  se  sont  agitées  entre  nous.  Quant 
à  moi  y  je  ne  puis  admettre  que  notre  auteur  ait  pu  sérieusement  se 
méprendre  sur  la  portée  de  son  système,  au  point  de  ne  pas  voir  qu'il 
conduit  nécessairement  à  faire  de  la  colonge,  dès  le  principe,  une  véri- 
table commune  autonome  et  souveraine,  tandis  que  dans  ma  conviction 
intime ,  conviction  appuyée  du  reste  sur  l'opinion  des  auteurs  les  plus 
accréclités^  .<^t#  institution  colongère,  d'après  tous  ses  éléments  connus , 
n'a  été  qu'une  des  formes  sous  lesquelles  le  souverain  .territorial  régissait 
et  administrait  ses  terres ,  forme  dans  laquelle  on  retrouve  à  l'état  de 
rudiments  les  traits  principaux  du  fief,  tel  qu'il  s'organisa  plus  tard. 

—  Je  tiens,  avant  de  finir,  à  dire  mon  sentiment  sur  le  ton  et  la  tour- 
nure inusités  qu'a  pris  cette  jongue  controverse. 

Dans  les  premières  lignes  de  sa  correspondance,  M.  Hanauer  a  bien 
voulu  reconnaître  chez  moi  un  vif  intérêt  pour  les  lettres  alsaciennes.  Je 
n'ai  certes  pas ,  je  le  répète ,  pu  donner  une  meilleure  preuve  de  la  justice 
de  ce  témoignage  que  le  labeur  que  j'ai  librement  entrepris ,  et  que  je 
continue  patiemment  dans  l'unique  but  de  défendre  nos  traditions  histo- 
riques contre  des  erreurs ,  d'autant  plus  dangereuses  qu'elles  se  sont 
produites  avec  beaucoup  d'assurance ,  et  une  apparence  d'érudition  in- 
contestable. Je  ne  me  suis  jamais  montré  empressé  à  ce  genre  de  lutte, 
et  sans  le  sentiment  consciencieux  d'un  devoir  à  remplir ,  je  ne  serais 
pas  sorti ,  même  à  propos  des  Paysans  et  des  Constitutions ,  de  mes 
habitudes  d'amateur  passif,  quoique  assidu  et  dévoué.  Je  ne  sais  donc 
pas  si  M.  l'abbé  a  voulu  continuer  envers  moi  les  câlineries  de  son 
exorde  épistolaire  ou  s'il  s'est  proposé  quelque  petite  méchanceté  féline^ 
en  parlant  de  mes  campagnes  qui  ne  se  seraient  pas  toujours  évanouies 
dans  le  silence  \  Derrière  les  demi-jours,  les  pénombres  de  son  style , 
il  n'est  pas  toujours  facile  (nous  venons  de  le  voir  mainte  fois)  de  péné- 
trer nettement  sa  pensée  ou  ses  intentions.  —  Je  n'ai  qu'un  root  à  lui 

'  kf  Utve ,  p.  4. 


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364  REVUE  D' ALSACE. 

répondre  à  ce  sujet.  S'il  a  voulu  être  flatteur ,  il  l'aurait  été  trop  ;  s'il  a 
voulu  être  caustique ,  il  lui  serait  arrivé  pour  ma  biographie  ce  qui  lui 
est  arrivé  trop  souvent  pour  ses  colonies  ;  il  aurait  mal  vu ,  et  par 
conséquent  frappé  à  faux.  Je  ne  me  connais  pas  en  effet  (et  personne , 
j'en  suis  sûr,  ne  me  connaît)  de  campagnes  littéraires^  soit  silen- 
cieuses, soit  éclatantes.  Depuis  que  j'ai  appris,  en  cinquième,  la 
maxime  :  Ne  sutor  suprà  crepidam ,  elle  m'est  restée  dans  la  tète ,  et 
elle  eut  suiB ,  si  j'avais  jamais  ressenti  la  dangereuse  démanfi;eaison  de  me 
faire  auteur,  pour  m'ôter  le  courage  d'écrire  une  seule  ligne  sur  des 
matières  étrangères  à  la  science  à  l'étude  de  laquelle  j'ai  consacré  toute 
mon  intelligence  et  toute  ma  vie.  Aussi  mon  mince  bagage  littéraire  se 
réduit-il  à  quelques  dissertations  ou  mémoires  juridiques,  à  des  comptes- 
rendus  de  publications  se  rattachant  à  la  science  historique  du  droit , 
telles  que  celles  de  MM.  Réville ,  Trouillat^  Heitz^  etc.,  comptes-rendus 
dans  lesquels  j'ai  eu  l'heureuse  chance  de  n'avoir  à  exprimer  que  des 
éloges  ce  qui ,  par  conséquent ,  ne  les  exposait  pas  à  faire  grand  bruit. 
Ces  Etudes  reposent  paisiblement  dans  les  cadres  des  recueils  qui  ont 
bien  voulu  s'ouvrir  pour  elles ,  comme  s'y  serait  assoupie  pareillement 
ma  dissertation  sur  les  colonges  si  l' amour-propre  surexcité  de  M.  Ha- 
nauer  n'avait  pas  cru  trouver  son  compte  à  en  révéler  l'existence  urbi 
et  orbi  ^  en  faisant  briller  aux  vitrines  de  toutes  nos  librairies  ses  élé- 
gantes et  victorieuses  réfutations.  Il  a  donc  bien  raison  de  ne  pas 
m'envier  comme  il  a  la  bonté  de  m'en  donner  Tassurance,  car 
réellement,  en  me  prêtant  des  campagnes  littéraires,  il  a  pris  à 
rebours  le  proverbe  qui  veut  qu'on  ne  prête  qu^aux  riches,  — 
Que  sont  en  effet  mes  maigres  états  de  service,  en  comparaison 
des  expéditions  répétées  qui,  malgré  sa  jeunesse,  chargent  déjà  les 
siens?  —  Je  suis  pour  ma  part  très -disposé  à  être  convaincu 
de  l'ardent  amour  qu'il  porte  aux  lettres  alsaciennes  ;  mais  il  ne  peut 
pas  nier  que  les  preuves  qu'il  en  a  données  jusqu'à  présent,  aient  été 
exclusivement  adversatives  comme  diraient  nos  voisins.  Chacune  de  ses 
publications,  comme  s'il  obéissait  à  quelque  monitoire  mystérieux 
prescrivant  une  croisade,  a  été  une  \éniMe  campagne  aggressive  : 
campagne  ,  contre  les  intéressantes  notices ,  publiées  par  M.  X.  Hoss- 
mann  ,  sur  la  Réforme  à  Colmar  ;  campagne ,  contre  la  traduction  de 
notre  chronique  des  Dominicains ,  publiée  par  MM.  Liblin  et  Gérard  ; 
campagne  y  contre  ce  livre  d'une  si  charmante  érudition  :  L'ancienne 
Alsace  à  table  ^  qu'il  accuse  d'irrévérence  envers  Vaustère  moyen- 


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r£sumé  et  conclusion,  etc.  365 

&ge  ;  campagne  enfin ,  contre  Vavocat  distingué  qui  a  publié  y  il  y  a  peu 
d'années  y  les  deux  célèbres  mémoires  pour  la  ville  de  Strasbourg  !... 
Personne  ne  trouve  grâce  devant  cette  ardeur  guerroyante ,  ni  les  ser- 
monnaires  Geiler  et  Tauler,  ni  Schertz,  ni  Schœpflin  ,  ni  Raspieler,  ni 
Schilter,  ni  Wehner ,  ni  même  ce  pacifique  et  savant  L.  Spach ,  ce 
doux  et  fin  Erasme  alsacien  qui  pourtant,  comme  son  illustre  devancier, 
se  tient,  avec  une  si  élégante  réserve,  à  l'écart  de  tout  ce  qui  peut 
ressembler  à  une  polémique  !  N'est-ce  pas  là ,  en  effet ,  une  singulière 
manière  de  montrer  son  goût  pour  les  kUres  alsaciennes ,  que  de  se  jeter 
tête  baissée  contre  tous  ceux  qui,  dans  le  passé  comme  dans  le  présent, 
les  ont  cultivées  et  les  cultivent  avec  le  plus  d'ardeur  et  de  succès  ? 
'^M.Hanauer  a  eu  tort  de  prendre  pour  une  épigramme,  ce  qui  de  ma 
part  n'était  que  l'expression  sincère  d'un  véritable  regret.  Quand  on  se 
sent  assez  riche  de  science  acquise  pour  se  faire  auteur,  on  doit  se 
préoccuper  davantage  de  produire  ses  propres  idées  que  de  nier  celles 
des  autres.  La  négation  ne  conduit  à  rien  ,  si  derrière  elle  ne  se  con- 
struit une  affirmation  Nous  venons  de  voir  ce  qui  est  advenu  de  cette 
structure  des  souverainetés  villageoises,  que  notre  auteur  a  élevée 
si  pompeusement  dans  ses  livres ,  et  que  cependant  dans  ses  Lettres  il  a 
été  obligé  de  démolir  à-peu-près  pièce  par  pièce  de  ses  propres  mains  ; 
désagrément  qu'il  aurait  évité ,  s'il  ne  s'était  laissé  constamment  dis- 
traire de  l'étude  calme  des  textes  et  des  faits ,  par  l'ambitieux  désir  de 
se  séparer  de  tous  ceux  qui  les  avaient  pesés  et  appréciés  avant  lui. 
H.  l'abbé  peut  sans  doute  chercher  à  justifier  l'expression  militante  qu'il 
a  donnée  jusqu'à  présent  à  son  amour  pour  les  lettres  alsaciennes  ^  par 
la  maxime  :  qxd  aime  bien  châtie  bien!  mais  n'aboutirait-il  pas  ainsi  à  cette 
conclusion  que  la  critique  peut  être  quelquefois  un  acte  de  véritable  dévoû- 
ment ,  sinon  envers  les  écrivains,  du  moins  envers  la  science  et  la  vérité? 
S'il  a  compris  ainsi  ^  celle  qu'il  a  prodiguée  jusqu'ici  à  tous  ceux  qui  de 
nos  jours  ont  bien  mérité  de  notre  histoire  provinciale ,  pourquoi  donc 
se  montre-t-il  si  susceptible  envers  celle  que  j'ai  dirigée  contre  ses 
livres?  Il  faut  savoir  souffrir  ce  qu'on  a  soi-même  fait  supporter  aux 
autres  ;  et  si  on  l'a  fait  à  bon  escient,  on  manquerait  à  la  fois  de  justice 
et  de  désintéressement  personnel ,  en  supposant  à  autrui  une  intention 
autre  que  celle  qu'on  aurait  eue  soi-même. 

Voici  pourtant,  que  devant  la  première  contradiction  qu'il  rencontre , 
cet  Aristarque  intrépide  affecte  de  prendre  l'attitude  dolente  d'un  offensé 
que  j'aurais  accablé  de  personnalités  el  de  sarcaâmes  !  Cela  est-il  aérieui 


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3(W^  MmïtfD'AL'SACIÎ. 

de  sa  part?  Je  serais  désolé  de  le  croire  !  heureusement ,  on  le  sait , 

l'amour-propre  est  bien  riche  en  illusions  ! 

Lynx  envers  nos  pareils ,  et  taupes  envers  nous  , 

Nous  nous  pardonnons  tout  et  rien  aux  autres  hommes  ! 

Sincèrement ,  je  ne  crois  avoir  en  rien  motivé  les  doléances  deH.  Hanauer . 
S*il  tient  absolument  à  se  poser  en  victime,  pourrait-il  être  assez  injuste 
pour  méconnaître  que  je  l'aurais  au  moins  très-convenablemetit  otné  de 
bandelettes  et  de  guirlandes  ?  Il  n^a  pas  dédaigné  (et  cela  m'a  fait  grand 
plaisir)  de  s'apercevoir  des  louanges  que  je  lui  ai  prodiguées  dans  toutes 
les  parties  de  mon  Etude  ^  et  à  en  juger  par  le  soin  qu'il  a  pris  de  les 
transcrire  textuellement  dans  sa  correspondance^  il  m'est  doux  de 
pouvoir  croire  que  loin  dé  lui  être  indifférentes  elles 

Chatouillaient  de  son  cœur  l'orgueilleuse  faiblesse  ! 

Ne  devait-il  donc  pas ,  après  avoir  accepté  l'encens ,  après  avoir 
reconnu  lui-même  que  j'avais  fait  une  lat^ge  part  à  l'éloge  \ 
réserver  à  la  critique  un  accueil  plus  équitable ,  je  dirai  même ,  moins 
intolérant?  Peut-il  me  citer  un  seul  passage  de  mes  Quelques  mots  (qui 
lui  ont  paru  si  longs ,  et  à  moi  aussi)  dans  lequel  j'aurais  cherché  à 
le  blesser  dans  une  qualité  véritablement  persannelle,  telle  que  la 
bonne  foi ,  la  droiture ,  la  sincérité ,  voire  même  l'aptitude  !  — 
Trouvera-t-il  quelque  part  tombées  de  ma  plume ,  des  invectives 
comme  celles  de  démenti  formel ,  d'altération  volontaire  de  textes , 
d'arrêts  obtenus  par  surprise ,  et  cent  autres  aménités  du  même  ton , 
qui  émaillent  ses  lettres  si  pleines  d*atticisme!  J'ignore  comment  la 
charité  et  l'humilité  chrétiennes  peuvent  s'accommoder  avec  de  pareils 
éclats  d'orgueil  irrité  :  mais  ce  que  je  sais ,  c'est  que  mon 
honnêteté  et  ma  dignité  de  simple  laïque  eussent  défendu  à  mon 
amour-propre,  si  soulevé  qu'il  eût  pu  l'être ,  de  céder  à  la  tentation  de 
semblables  excès  de  langage. 

Pour  se  donner  le  droit  de  crier  à  la  personnalité ,  et  forger  ainsi 
un  prétexte  à  de  si  véhémentes  sorties,  M.  Hanauer  comprend  (nous 
l'avons  vu)  au  nombre  des  qualités  intimes ,  devant  lesquelles,  d'après 
lui ,  doit  s'arrêter  la  critique ,  la  perspicacité  et  le  discernaient  de 
l'écrivain.  Ces  bomes-Ià  n'ont  jamais  été  reconnues  dans  la  république 
des  lettres ,  et  si  elles  parvenaient  à  s'y  faire  accepter,  il  faudrait 
renoncer  à  toute  discussion ,  par  conséquent  à  toute  lumière*!  ce  serait 

Mr^  Lettre,  p.  î. 


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RéSUMÉ  BT  CONCLUSION,  ETC.  367 

rinauguralion  du  Mandarinisme,  sous  le  régime  duquel  un  simple  bonnet 
suffit  pour  décider  souverainement  de  toute  science  et  de  toute  vérité. 

Quand  j'ai  blâmé  la  mauvaise  disposition  donnée  par  M.  Hanauer 
à  ses  nombreux  matériaux ,  quand  j'ai  signalé  la  confusion  que<  jetait 
dans  ses  volumes  l'absence  de  toute  vue  d'ensemble ,  de  tout  ordre 
chronologique  ou  rationnel  (confusion  qui  a  certainement  frappé  tous 
ceux  qui  les  ont  lus)  ai-je  attaqué  sa  personne ,  ou  ne  me  suis-je  pas 
borné ,  selon  mon  droit  »  à  juger  son  œuvre? 

Lorsque  j'ai  soulevé  des  objections  irréfutables  et  irréfutées  contre 
sa  prétention  de  refaire  l'histoire  exclusivement  par  les  archives , 
sans  tenir  compte  ni  des  faits  généraux,,  ni  des  législations  les  plus 
célèbres  y  ni  même  des  témoignages  contemporains;  —  lorsque  j'ai 
contesté  l'autorité  de  certaines  découvertes ,  et  démontré ,  comme  je 
crois  l'avoir  fait ,  la  fragilité  de  plusieurs  documents  invoqués ,  ai-je 
étendu  contre  la  personne  de  l'auteur,  cette  critique  dirigée  exclusi- 
vement contre  son  œuvre? 

Enfin  lorsqu'abordant  l'éloignement  exprimé  par  M.  Hanauer  pour 
les  travaux  secs  et  arides  des  jurisconsultes  et  la  condamnation  qu'il 
prononce  en  masse  contre  les  légistes,  coupables,  d'après  lui,  de  toutes 
les  inepties  du  passé ,  j'ai  laissé  entrevoir  la  lacune  regrettable  que 
l'absence  de  toute  étude  juridique  imprime  nécessairement  à  toute  sa  doc- 
trine, ai'je  dépassé  la  mesure  d'ironie  licite  qu'autorisait,  que  provoquait 
même  un  si  singulier  aveu  I  La  critique  serait  réduite  à  n'être  plus 
qu'une  maussade  et  terne  annotation ,  si  on  lui  interdisait  cette  gaité 
exempte  de  malveillance  que  soulèvent  bon  gré  malgré  certaines  excen- 
tricités littéraires  I  Comment^  par  exemple ,  l'auteur  a-t-il  pu  prendre 
pour  une  personnalité  blessante  la  qualification  AHgnorance  relative  que 
j'ai  donnée  à  sa  répulsion  pour  les  travaux  des  jurisconsultes  ?  Cette  qua- 
lification, ne  la  poussaitril  pas  lui-même  sous  ma  plume ,  et  pouvais-ie 
me  douter  que  je  l'offenserais  en  constatant  ainsi  une  répugnance  qu'il 
me  semblait  mettre  un  certain  plaisir  à  professer?  On  peut  être  un 
parfait  honnête  homme ,  même  un  écrivain  de  mérite ,  et  éprouver 
pour  la  science  du  droit  un  éloignement  insurmontable.  Chacun  subit 
dans  ce  bas  monde ,  l'influence  de  ses  attractions  et  de  ses  répulsions 
instinctives.  Seulement,  quand,  par  délicatesse  de  goût  ou  tout  autre  cause, 
on  a  obéi  à  une  de  ces  répugnances ,  il  ne  faut  pas  prétendre  savoir  ce 
que  l'on  se  fait  une  espèce  d'honneur  de  n'avoir  pas  appris ,  et  ne  pas 
imiter  ainsi  ce  poète  hargneux  auquel  Horace  fait  dire  : 


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368  REVUE  D'ALSilCE. 

Hihi  turpe  relinqui  est 
Et  guod  non  didici  sanè  nescire  fateri. 

DUnoSensives  plaisanteries ,  motivées  par  la  bizarrerie  même  dé 
certaines  opinions  et  tempérées  d'ailleurs  par  des  loaanges  répétées,  n*ont 
jamais  été  considérées,  par  les  hommes  de  bon  sens,  comme  de  cou- 
pables personnalités.  Quant  à  moi ,  j'ai  tenu  à  émettre  consciencieusement 
et  librement  mon  opinion  sur  les  théories  nouvelles  que  M.  Hanauer 
a  produites ,  et  aussi  sur  le  trop  de  sans-façon  avec  lequel  il  a  traité  la 
méthode  et  les  autorités  acquises.  Je  me  suis  constitué  juge  de  son  œuvre , 
comme  c'était  mon  droit.  Je  n'ai  pas  eu  un  instant  la  pensée  de  m'occuper 
de  sa  personne ,  quoiqu'à  mon  avis  elle  se  mette  trop  constamment  en  vue 
dans  ses  livres,  pour  qu'il  soit  toujours  facile  d'en  faire  abstraction.  J'ai 
combattu  et  je  combats  principalement  l'hypothèse  des  colonges  souve- 
raines et  régaliennes,  hypothèse  qui  est  le  centre  de  tout  son  système, 
centre  autour  duquel  se  groupent  les  autres  théories  secondaires  qu'il  a 
cherché  à  accréditer.  — Ypersiste-t-il?  Voilà  toute  la  question.  —  Ses  trois 
premières  lettres  me  semblaient  annoncer  de  sa  part  un  abandon  à-peu- 
près  absolu.  L'amertume  qui  perce  dans  sa  quatrième  me  rejette 
dans  rincertitude.  H.  Hanauer  a-t-il  été  blessé  de  ce  que  dans  ma  Courte 
réponse  j'aie  rendu  cet  abandon  trop  sensible?  ou  a-t-il  cru  réellement , 
à  l'aide  des  nouveaux  arguments  qu'il  y  produit ,  pouvoir  rétablir  les 
choses  en  cx)ntinuant  à  ne  sacrifier  que  les  motsl  Aucun  lecteur  compé- 
tent ne  peut  se  laisser  prendre  à  ces  stratagèmes  grammaticaux.  Je  pense 
donc  que  si  M.  l'abbé  veut  maintenir  l'hypothèse  fondamendale  de  ses 
livres,  il  faut  qu'il  se  décide  à  se  mettre  en  quête  de  raisons  et  de  textes 
plus  positifs  que  ceux  qu'il  a  employés  jusqu'ici.  Si  au  contraire, 
comme  tout  me  portait  à  le  croire ,  il  la  trouve  insoutenable .  qu'il 
l'abandonne  sans  commentaire,  sans  réticence  et  sans  mauvaise  humeur. 
—  Qu'il  se  garde  surtout  en  prolongeant  sa  correspondance,  de  trop 
justifier  cette  sage  observation  d'un  ancien  : 

Nimium  aUereando  vtritas  atnittitur, 

I.  Chauffour. 

46  mai  4866. 


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LE  MUSÉE  DE  COLMAR 


I. 

Certains  monuments  ont  d'étranges  destinées.  Le  souiDe  des  événe* 
ments  passe  sur  eux  et  les  transforme.  Tel  édifice  qui ,  au  moyen  âge , 
servait  de  sanctuaire  au  recueillement  ascétique  d'une  communauté 
religieuse,  est  devenu  aujourd'hui  un  sanctuaire  des  arts.  Il  a  vu  se 
disperser,  dans  un  moment  d'orage ,  les  saintes  recluses  passant  comme 
des  ombres  sous  les  voûtes  sonores  du  cloître  ;  il  a  vu  se  briser ,  sous 
le  marteau  de  93 ,  ses  fines  ogives  que  les  siècles  avaient  respectées  ; 
il  a  vu  greffer  sur  sa  vieille  structure  gothique  des  bâtisses  modernes 
qui  en  dénaturent  le  beau  caractère.  Tout  autour  du  vaste  rectangle  où 
s'abritent  ses  galeries  si  remarquables ,  oâ  s'élancent  les  voûtes  de  son 
église  ,  s'étalaient  les  dépendances  de  la  riche  communauté ,  formant  tout 
un  quartier  de  la  vieille  ville.  Ces  bâtiments ,  rasés  du  sol ,  ont  fait 
place  i  un  théâtre. 
'  Depuis  1 793 ,  cet  antique  couvent  des  Unterlindeté  de  Colmar  qui , 
durant  six  siècles ,  avait  servi  de  séjour  à  la  communauté  des  Domini- 
caines ,  célèbre  dans  l'histoire  du  mysticisme  allemand ,  a  subi  des 
profanations  sans  nombre  :  on  y  a  installé  tour  à  tour  des  casernes  de 
cavalerie,  des  écuries,  des  magasins  de  fourrages ,  des  ateliers,  des 
dépôts  de  vieux  matériaux ,  affligeant  pêle-mêle  qui  jetait  son  voile  de 
tristesse  sur  l'œuvre  du  moyen  âge,  étouffant  sous  sa  végétation  para- 
site un  monument  digne  d'une  destination  meilleure. 

Le  moment  de  la  renaissance  devait  arriver  pour  lui.  La  ville  de 
Colmar  ne  possédait  point  de  local  définitif  pour  sa  riche  bibliothèque , 
pour  sa  précieuse  collection  de  tableaux  de  Tancienne  école  allemande, 
pour  ses  archives  non  moins  précieuses.  On  songea  donc  à  installer 

3«  Série— i7«  Année.  ^^ 


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370  '  REVUE  D' ALSACE. 

toutes  ces  collections  aux  Unterlinden  ,  à  y  former  un  musée  digne  du 
chef-lieu  du  Haut-Rhin.  Celte  idée,  lancée  dans  le  domaine  des  projets 
réalisables  par  quelques  esprils  sérieux  qui  entrevoyaient  le  parti  brillant 
que  Ton  pouvait  tirer  d'un  pareil  local ,  fut  saisie  au  bond  par  les  amis  do 
beau.  Une  société  se  constitua ,  et ,  pour  bien  caractériser  ses  tendances, 
adopta  le  nom  d'un  artiste  qui ,  à  Colmar ^  résume  une  des  belles 
périodes  de  l'art ,  le  nom  de  Martin  Schongauer,  peintre,  graveur  et 
ciseleur  du  xv«  siècle ,  dont  la  statue  ,  œuvre  d'un  style  élevé,  due  au 
ciseau  de  U.  Aug.  Bartholdi,  orne  aujourd'hui  le  préau  du  cloître. 


II. 

La  Société  Schongauer  proposa  à  l'administration  municipale  de 
décider  que  l'église  et  les  bâtiments  conventuels  des  Unterlinden  seraient 
désormais  affectés  à  recevoir  les  collections  publiques  de  sciences  et 
d'art  que  possède  la  ville.  Elle  eut  la  satisfaction  de  voir  sa  proposition 
accueillie  par  un  vote  du  conseil  municipal  du  20  juin  1849  qui  lui  im- 
posa ,  toutefois,  la  condition  d'approprier  à  ses  frais  Péglise  et  le  cloître. 
Cette  condition  fut  remplie,  en  partie  avec  les  ressources  de  la  Société, 
en  partie  avec  le  concours  aussi  intelligent  que  généreux  (ielf .  Hartmaon- 
Hetzger,  ancien  pair  de  France ,  qui  s'appliqua  surtout  à  la  restauration 
complète  des  galeries  du  cloître.  Le  musée  put  s'installer  bientôt  dans 
la  nef  rajeunie.  Son  premier  fonds  se  forma  des  collections  d'anciens 
tableaux  que  possédait  la  ville.  Dans  ces  collections ,  remarquables  par 
leur  belle  conservation  ,  figure  une  série  nombreuse  de  tableaux  reli- 
gieux de  l'école  de  Martin  Schongauer,  empreinte  du  cachet  original  de 
l'époque  et  tellement  précieuse  pour  l'histoire  de  l'art,  qu'elle  fixe  à 
juste  titre  l'attention  des  vrais  connaisseurs  en  France  et  à  l'étranger. 

Depuis  quinze  ans ,  notre  musée  s'est  peuplé  de  nouvelles  richesses. 
Dons  de  particuliers ,  dons  du  gouvernement ,  votes  du  conseil  général 
et  du  conseil  municipal,  efforts  collectifs  et  individuels ,  concours  inces- 
sant de  tous  ceuxque  leur  spécialité  ou  leur  amour  pour  les  choses  de  Tin- 
telligence  met  en  campagne,  ont  contribué  à  élargir  peu  à  peu  le  cercle 
de  nos  collections.  C'est  là  un  des  beaux  c6t6s  de  l'initiative  individuelle. 
Cet  esprit  de  décentralisation  qui ,  aujourd'hui ,  fait  participer  la  province 
au  mouvement  artistique  et  littéraire  qui  semblait ,  naguères,  ne  pal- 
piter qne  dans  le  grand  centre  parisien ,  a  réveillé  parmi  nous  bien  des 


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LE  MUSÉE  DK  COLVAR.  371 

velléités  timides,  stimulé  bien  des  générosités  discrètes  ,  guéri  Tégoîsme 
relRtif  de  bien  des  collectionneurs.  Ceux-ci ,  possédés  de  la  fièvre  que 
M.  Clément  de  Ris ,  le  fin  critique  d*art ,  a  baptisée  du  nom  de  collectKh 
na/^t^ ,  travaillent ,  après  tout,  dans  Fintérôl  de  Tari,  apis  matinœ 
more  modoque.  Leurs  richesses ,  lentement  amassées ,  patiemment 
exhumées  de  la  poussière ,  finissent  toujours ,  après  un  certain  temps 
d*éclipse ,  par  venir  grossir  le  butin  archéologique  qui  s'éfale  dans  les 
vitrines  des  musées  publics. 

Colmar  doit  à  quelques  bonnes  fortunes  de  ce  genre  d'avoir  vu  grandir 
les  fonds  divers  qui  composent  ses  collections  de  peinture ,  de  sculpturt', 
d'estampes ,  d'histoire  naturelle ,  d'ethnographie  et  de  numismatique. 

La  création  récente  d'une  Société  d'histoire  naturelle,  sous  le  patro- 
nage d'hommes  dévoués  à  la  science,  ne  peut  que  contribuer  à  étendre 
le  rayonnement  de  ce  centre.  Ces  hommes  ont  été  compris  et ,  de  tous 
côtés,  aiOuent  les  dons  et  les  souscriptions  dont  ils  ont  besoin  pour  faire 
prospérer  leur  œuvre ,  encouragée  d'ailleurs  par  des  subventions  de 
l'Etat ,  du  département  et  de  la  ville. 


m. 


Mon  intention ,  en  écrivant  ces  lignes^  n'est  point  de  passer  en  revue 
toutes  les  œuvres  exposées  au  musée.  La  fâche  serait  trop  longue  et ,  à 
quelques  points  de  vue,  trop  aride.  J*entends  faire,  d'abord ,  une  petite 
excursion  rétrospective  dans  le  domaine  de  l'ancienne  école  allemande, 
si  largement  représentée  sous  ces  voûtes  gothiques ,  et  résumer  ensuite 
mes  observations  sur  les  œuvres  modernes  les  plus  importantes. 

En  peu  d'années  le  monument  des  Unterlinden  est  devenu  un  foyer 
qui  reflète,  bien  que  dans  des  proportions  modestes,  tous  les  côtés 
intéressants  de  l'art  et  de  l'intelligence  humaine.  Les  vastes  salles  de 
Pétage  sont  occupées  par  la  bibliothèque  de  la  ville  qui  renferme  40,000 
volumes,  par  le  médailler  qui  compte  plus  de  10,000  pièces,  dont  un 
grand  nombre  fort  rares  ,  par  une  vaste  collection  d'estampes  de  choix 
formée  en  grande  partie  par  feu  M.  Hugot ,  bibliothécaire-archiviste  de 
la  ville  et  l'un  des  plus  ardents  promoteurs  de  Tœuvre  des  Unterlinden. 
A  côté  de  ces  ressources  précieuses  pour  l'élude  vient  se  ranger  le 
musée  d'histoire  naturelle  où  figurent  les  belles  collections  ethnogra- 
phiques de  la  Chine ,  rapportées  par  M.  Âug.  Haussmann,  du  Logelbach. 


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37%  REVUE  D' ALSACE. 

qui  faisait  partie  du  personnel  de  la  mission  de  H.  de  Lagrenêe  en 
1843;  les  collections  des  îles  Marquises ,  données  par  M.  le  capitaine 
Rohr,  de  Colmar;  celles  de  la  côte  orientale  d'Afrique, et  des  Indes, 
rapportées  par  H.  Kuhlmann  ,  de  Colmar,  ancien  consul  de  France  à 
Zanzibar.  Les  salles  du  rez-de-chaussée  sont  consacrées  en  partie  aux 
archives  municipales.  Les  galeries  ogivales  du  cloître ,  qui  entourent  le 
préau  d'un  carré  parfait,  renferment  les  monuments  gallo-romains 
trouvés  dans  le  département ,  les  fragments  de  sculptures  gothiques  et 
de  la  renaissance ,  quelques  moulages  de  statues  de  la  cathédrale  de 
Strasbourg,  première  ébauche  d'un  musée  spécial  de  la  vallée  du  Rhin 
dont  la  création  api)artient  à  M.  Hugot.  Comment  citer  ces  belles  gale- 
ries  sans  rendre  hommage  à  la  munificence  de  M.  Hartmann  ,  ce  Nestor 
de  l'industrie  alsacienne,  qui,  à  l'âge  de  quatre-vingt-quatre  ans,  pos- 
sédait encore  cette  verdeur  agissante ,  cette  jeunesse  d'esprit  qui  font 
entreprendre  une  belle  œuvre  avec  la  volonté  de  l'achever?  Sou  œuvre, 
réalisée  à  grands  frais,  ne  se  recommande-t-elle  pas  à  la  reconnais- 
sance des  artistes  et  amateurs ,  comme  un  bel  exemple  rarement  imité 
et ,  par  cela  même ,  plus  précieux  ? 


IV. 


Entrons  dans  le  musée  qui  occupe  toute  la  nef  de  l'ancienne  église 
du  couvent.  Ici  le  contraste  est  bizarre.  Sous  ces  voûtes  gothiques  ,  aux 
pendentifs  historiés  et  dorés  ^  dans  le  sanctuaire  où  retentissait  jadis  le 
chant  liturgique  des  nonnes ,  l'art  grec  a  installé  les  déités  du  paga- 
nisme. Saluons  avec  respect  ces  œuvres  où  le  génie  de  l'antiquité  a 
marqué  sa  forte  empreinte,  où  la  nature  humaine  idéalisée  résume  si 
bien  les  caracières  du  beau^  c'est-^à-dire  l'harmonie  des  deux  principes 
de  Texistence ,  de  l'idée  et  de  la  forme ,  de  l'infini  et  du  fini.  Hegel  l'a 
dit  avec  beaucoup  de  vérité  :  <  Le  sentiment  de  cette  heureuse  harmonie 
€  perce  à  travers  toutes  les  productions  de  l'art  grec  C'est  le  moment 
t  de  la  jeunesse  dans  la  vie  de  l'humanité,  âge  court ,  moment  unique 
i  et  irrévocable  .  comme  celui  de  la  beauté  dans  l'individu.  > 

L'Apollon,  le  Laocoon,  la  Vénus  de  Uilo ,  celle  de  Hcdicis,  la 
Poihymnie ,  belles  épreuves  sorties  des  ateliers  de  moulage  du  Louvre , 
occupent  la  première  place.  Des  bustes  en  marbre  et  en  plâtre  ganiisseut 


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LB  MUSÉE  I>B  COLMAR.  373 

le  pourtour  de  Tabside  dont  le  sol  n  pour  pavé  la  mosaïque  gallo-romaine 
de  Bergheim ,  découverte  en  1848  et  transportée  à  Colmar  dans  des 
conditions  qui  ont  manqué  de  compromettre  son  existence. 

Franchissons  le  long  intervalle  qui  sépare  Part  grec  de  la  renaissance 
et  entrons  en  plein  dans  celte  vieille  et  vénérable  école  allemande  qui, 
dans  notre  musée ,  est  si  largement  représentée.  Voici  d'abord  tout  un 
pan  de  mur  couvert  de  panneaux  à  fond  d'or,  relevé  de  gaufrures ,  où 
défilent,  sous  leur  forme  primitive  et  comme  taillés  à  Temporte-pièce , 
les  nombreux  sujets  de  la  passion  du  Christ.  Les  traditions  du  moyen 
âge  sont  là  toutes  vivantes.  Le  souffle  de  la  renaissance  semble  les  avoir 
à  peine  effleurées ,  et  cependant  nous  sommes  dans  la  seconde  moitié 
du  quinzième  siècle ,  époque  féconde  qui  a  vu  le  grand  mouvement 
italien  dans  Fart ,  qui  a  vu  surgir  Pérugin ,  Ghirlandajo ,  Masaccio,  ces 
précurseurs  de  Raphaël  et  de  Michel-Ânge.  La  chaude  atmosphère  où 
se  développait  leur  art  n'avait  pas  encore  franchi  les  monts ,  et  Tart 
allemand  semble  s'être  créé  spontanément,  tant  il  reste  étranger  à  l'in- 
fluence néo-grecque  qui  respire  dans  les  œuvres  des  maîtres  italiens , 
ses  contemporains. 

Quatre  siècles  nous  séparent  de  celte  époque.  Pour  juger  ces  artistes 
allemands  dans  leur  milieu  réel ,  il  faut  donc  déposer  au  seuil  du  sanc- 
tuaire nos  idées  modernes  ,  vivre  un  instant  de  leur  vie  propre,  faire 
abstraction ,  en  un  mot ,  de  cet  entourage  luxueux  de  progrès  accom- 
plis en  toutes  choses,  qui  forme  une  disparate  si  étrange  avec  la  naïve 
originalité  des  vieux  maîtres.  Nous  les  jugerons  ainsi  sans  préventions. 
Nous  irons  mieux  au  vif  de  leur  pensée  ,  nous  serons  plus  indulgents 
pour  leurs  défauts. 

Et  d'abord  ,  pouvons-nous  nous  défendre  du  sentiment  d'admiration 
que  commande,  à  quatre  siècles  de  distance,  la  supériorité  de  leur 
procédé  matériel  ?  Voyez  ce  frais  coloris  auquel  le  temps,  ce  grand 
destructeur,  n'a  pas  fait  la  moindre  injure.  Il  est  là  ce  coloris  encore 
tout  chaud  des  caresses  du  pinceau.  La  pâte  qui  le  compose  semble 
avoir  figé  dans  les  chairs  ces  tons  d'ambre  et  de  rose  inattaquables  à  la 
lumière:  son  épiderme  est  intact,  dans  toute  sa  fleur  native.  Cette  pâle, 
solide  comme  l'émail ,  défie  les  siècles.  N'est-ce  point  la  gloire  du 
flamand  Jean  Van  Eyck,  l'inventeur  de  la  peinture  à  l'huile,  d'avoir 
donné  aux  artistes  de  son  siècle  un  procédé  impérissable  que  les  per- 
fectionnements de  la  chimie  moderne  n'ont  fait  qu'altérer  au  grand 
détriment  de  la  conservation  des  tableaux  ? 


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374  REVUE  D* ALSACE. 

Cette  influence  flamande  domine ,  par  ses  procédés  et  par  son  génie 
propre ,  dans  les  œuvres  de  Martin  Schongauer  et  de  son  école ,  dans 
sa  pièce  capitale  surtout,  la  célèbre  Vierge  au  buisson  de  roses ,  dont 
je  parlerai  plus  loin  et  où  la  figure  de  la  Vierge  rappelle  le  type  des 
femmes  flamandes. 

La  série  de  peintures  que  nous  avons  devant  nous  se  compose  d'une 
suite  de  seize  tableaux ,  réunis  deux  par  deux ,  dans  un  même  cadre , 
et  dont  les  sujets  sont  tirés  de  la  passion  du  Christ.  Ils  proviennent 
tous  de  Tancienne  église  des  Dominicains ,  de  Colmar.  S'ils  ne  sont 
point ,  dans  leur  ensemble ,  comme  on  le  croyait  d'abord ,  une  émana- 
tion directe  du  maître ,  ils  ont  avec  lui  une  parenté  étroite.  Le  souffle 
de  son  inspiration  a  passé  sur  ces  travaux  d'atelier  où  la  touche  de  son 
pinceau  se  reconnaît  dans  les  principales  figures.  On  peut ,  avec  une 
presque  certitude  ,  émettre  l'opinion  que  telle  tête  de  Vierge,  de  sainte 
femme  ou  d'apôtre  porte  le  cachet  original  de  Schongauer.  Comme  Ta 
fait  remarquer  M.  Hugot,  le  savant  conservateur  du  musée,  dans  le 
Livret-indicateur  qu'il  a  publié  en  1860,  M.  Waagen ,  directeur  du 
Musée  royal  de  Berlin,  considère  comme  devant  être  attribuées  avec 
certitude  à  Schongauer  la  Descente  de  croix  (N<^  123)  et  la  3fise  au 
tombeau  (î^^  ai)  K 


*  M.  Emile  Galichon ,  directeur  de  la  Gatette  des  Beaux-Arts ,  affirme  que  cet 
16  panneaux  ne  peuvent  être  de  Martin  Schongauer  et  qu'il  n'y  faut  voir  que  Tœuvre 
de  quelques  fabricants  de  chemins  de  la  croix  qui  auront  pris  pour  modèles  les 
compositions  gravées  du  beau  Martin  ;  que  dans  ces  tableaux ,  et  c^ci  est  un  point 
caractéristique ,  un  trait  sec  et  inintelligent  circonscrit  grossièrement  tous  les  con* 
tour?  du  visage  et  des  parties  nues  ;  que  ce  trait  accuse  d'une  manière  irrécusable 
l'impossibilité  dans  laquelle  était  Taitiste  de  dessiner  et  de  faire  ressortir  ses  figures 
par  le  modelé. 

{Gaiette  des  Beattx-Arts  ,  1859 ,  T.  m  ,  p.  323.) 

S'il  est  vrai  que  quelques  parties  faibles  déparent  l'ensemble  de  ces  peintures  et 
révèlent  la  main  encore  inexpérimentée  des  élèves  de  Schongauer ,  on  ne  saurait 
méconnaître  qu'elles  renferment  d'excellents  morceaux,  d'un  modelé  très-heureux, 
d'une  carnation  splendide,  d'un  fini  parfait ,  que  le  maître  n'eût  certes  point  désa- 
voués et  qui  sont  bien  loin  de  ce  procédé  somm  lire  d'artisans  que  M.  Galichon 
considère  comme  faisant  injure  au  talent  du  bi'au  Martin.  Je  citerai ,  comme  ren- 
trant tout-à-fait  dans  la  manière  du  maître,  le  tableau  N»  127,  représentant  Jésus 
et  Madeleine,  où  le  treillage  du  fond ,  dans  lequel  des  oiseaux  se  jouent  au  milieu 
du  feuillage ,  reproduit  le  genre  et  le  lini  précieux  du  fond  du  tableau  de  la  Vierge 
aux  roses. 


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LE  NUSÉB  Dis  GOLMAR.  375 

Pour  apprécier  l'origine  de  ces  tableaux  de  la  Passion ,  nous  possé- 
dons de  précieux  éléments  de  comparaison  dans  les  estampes  où  notre 
peintre-graveur  a  représenté  les  mêmes  sujets  traités  d'une  manière 
différente ,  mais  où  l'expression  des  figures ,  la  forme  émaciée  des 
membres ,  l'agencement  des  groupes  ,  l'accentuation  originale  de  l'en- 
semble révèlent ,  entre  les  peintures  et  les  estampes ,  une  homogénéité 
de  provenance  qui  paraît  difficilement  contestable. 

Les  gravures  portent  le  monogramme  de  l'artiste  :  les  peintures  en 
sont  dépourvues.  L'attribution  de  ces  dernières  ne  peut  donc  se  faire 
que  par  voie  de  conjecture  ou  d'induction ,  en  s'appuyant  des  données 
généralement  admises  par  la  critique  moderne.  Les  érudits  allemands 
y  ont  mis  toute  la  passion  ,  toute  la  persévérance  qui  les  distingue  ; 
leurs  recherches,  servies  par  la  longue  étude  qu'ils  ont  faite  des  œuvres 
de  ces  vieux  maîtres ,  leur  ont  révélé  certains  traits  qui  échappent  au 
vulgaire  ;  ils  se  sont  attachés  surtout  au  type ,  à  la  manière  propre  à 
chaque  maître,  et ,  de  l'ensemble  de  leurs  observations  patientes,  s'est 
dégagée  la  lumière  qui  a  dissipé  quelques  unes  des  incertitudes  dont 
s'enveloppait  l'attribution  d'une  foule  d'œuvres  de  mérite. 

Les  collections  du  musée  de  Colmar  ont  particulièrement  fixé  l'atten- 
tion de  ces  iconophiles.  À  différentes  époques  Berlin,  Dresde,  Munich, 
Augsbourg,  Vienne  nous  ont  envoyé  l'élite  de  leurs  connaisseurs.  Leurs 
opinions ,  pieusement  recueillies  par  H.  Hugot ,  se  reflètent  dans  les 
notices  qu'il  a  composées  pour  le  Livret  -  indicateur.  Récemment 
encore  un  homme  auquel  ses  fonctions  de  conservateur  du  musée 
d'Âugsbourg  et  son  talent  de  peintre-restaurateur  donnent  une  autorité 
justement  reconnue  parnfis  voisins  d'Outre-Rhin,  M.  Eigner,  est  venu 
faire  un  pèlerinage  artistique  dans  notre  musée.  Un  panneau  placé 
dans  une  parlie  peu  éclairée  de  la  nef  a  surtout  attiré  son  attention.  Ce 
panneau  qui  formait  le  devant  du  coffre  d'un  autel  dans  l'église  du 
Tempelhof  à  Bergheim  est  divisé  en  deux  parties  dont  l'une  représente 
Saint  Jean-Baptiste ,  entouré  du  peuple ,  montrant  du  doigt  le  Christ 
accompagné  de  deux  disciples ,  et  l'autre  Saint  Georges  vainqtieur  du 
dragon-  Selon  M.  Eigner  ce  tableau ,  bien  qu'endommagé  dans  quel- 
ques unes  de  ses  parties ,  porte  le  caractère  manifeste  du  génie  de 
Martin  Schongauer.  Ce  caractère  ressort  de  l'onction  des  figures  qui 
rappelle  la  bonne  manière  du  maître,  de  leur  dessin  sobre  et  correct , 
eiy  détail  essentiel ,  de  la  forme  particulière  des  yeux  des  personnages, 
du  jet  des  draperies ,  enfin  de  cet  ensemble  de  signes  distinctifs  qui 


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376  REVUE  d' ALSACE. 

affirment  la  personnalité  puissante  du  maître ,  bien  qu'aucun  mono- 
gramme n'en  prouve  l'authenticité  i. 

Il  y  a  des  œuvres  qui ,  sans  signature  apparente ,  sans  cachet  parti- 
culier ,  révèlent  la  personnalité  de  Fauteur  et  la  font  reconnaître  aux 
initiés.  Tel  est  le  tableau  dont  je  viens  de  parler  *.  Nous  pouvons,  à 
bon  droit,  le  classer  parmi  les  joyaux  de  notre  musée  où  il  va  prendre 
désormais ,  au  grand  jour ,  une  place  plus  digne  que  celle  qu'il  occupait 
jusqu'ici  dans  la  pénombre.  Gomme  sentiment  et  comme  exécution  il 
ne  le  cède  en  rien  à  la  fameuse  Vierge  au  buisson  de  roses.  Espérons 
que  le  jugement  de  M.  Eigner  sera  confirmé  par  d'autres  appréciateurs 
qui ,  comme  lui ,  font  autorité  en  pareille  matière. 


Quel  est  donc  ce  génie  original ,  cet  homme  supérieur  à  son  sièele , 
qui  partagea  avec  Albert  Durer  l'honneur  d'avoir  créé  l'art  allemand ,  • 
qui  fut  le  précurseur  de  ce  grand  homme  appelé  à  ouvrir  dans  l'art  les 
perspectives  d'un  monde  nouveau  ;  de  cette  individualité  étrange  dont 
un  érudit  français  a  dit  qu'il  est  comme  une  évocation  de  tous  les  songes 
de  la  Germanie  ? 


*  Lors  de  la  visite  qu'il  a  faite  au  musée ,  en  septembre  1865 ,  H.  Eigner  était 
accompagné  de  M.  Ed.  His-Heusler  ,  membre  de  la  commission  du  musée  de  Bâle 
qui ,  lui  aussi ,  s'occupe  avec  persévérance  de  l'étude  des  origines  de  Tart  et  a 
apporté  son  contingent  d'observations  utiles  dans  l'appréciation  de  notre  collection 
de  l'école  allemande. 

M.  X.  Mossmann ,  archiviste  de  la  ville  de  Golmar ,  a  tenu  note  des  observations 
des  deux  connaisseurs  et  en  a  rendu  compte  dans  un  article  fort  intéressant  publié 
par  le  Bibliographe  alsacien  (1865,  p.  987).  Il  fait  remarquer  qu'indépendamoaent 
de  sa  position  au  musée  de  la  ville  d'où  les  Schongauer  de  Golmar  tiraient  leur 
origine,  M.  Eigner  est  lui-même  artiste,  et  que,  comme  peintre  restaurateur,  il  a 
eu  entre  les  mains  un  nombre  considérable  de  tableaux  de  l'école  de  Souabe. 

Peut-être  M.  Eigner  a-t-il  été  ,  comme  M.  de  Quandt,  trop  afllrmatif  «n  attri- 
buant à  Schongauer  la  Pieià  ou  Mater  doloro&a  qui  forme  un  contraste  si  remar- 
quable avec  les  autres  œuvres  du  maître  et  que  des  raisons  d'esthétique ,  dont  nous 
aurons  à  nous  occuper  plus  loin,  font  considérer  comme  étant  de  provenance 
italienne. 

*  Il  est  couvert  de  nobles  cicatrices  qui  attestent  son  âge  et  que ,  pour  ma  part , 
je  regretterais  de  voir  disparaître  sous  les  retouches  d'un  restaurateur  quelque 
habile  qu'il  puisse  être. 


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te  MT7SÉE   DE  COLMAn.  377 

«  Quand  on  approche ,  dil  M.  Chaires  Blanc  »  de  l'homme  qui  a  créé 
c  ces  images ,  à  la  fois  si  réelles  et  si  fugilives ,  on  reconnaît  que  cet 
c  incompréhensible  visionnaire  est  le  plus  délicat  des  orfèvres ,  le  plus 
f  patient  des  graveurs  ,  le  plus  fin  des  peintres  ,  qu'il  aime  à  sculpter 
<  sur  Fairain  les  chimères  de  l'Apocalypse  et  à  ciseler  ses  propres  songes 
c  dans  l'acier.  Il  se  trouve  que  cet  amant  du  merveilleux  a  poursuivi 
€  l'étude  des  sciences  positives ,  que  ce  poète  fantastique  est  un  mathé- 
c  maticien  consommé  ,  que  ce  rêveur  enfin  ,  est  un  géomètre  K  » 

Singulier  alliage  que  celui  que  nous  rencontrons  dans  le  génie  de  ces 
deux  hommes ,  Albert  Durer  et  Martin  Schongauer.  Ce  dernier  aussi 
fut  peintre ,  graveur  et  ciseleur ,  maniant  avec  une  égale  aisance  la 
palette  et  le  burin  ,  ayant ,  pour  manifester  sa  pensée ,  l'admirable  res- 
source de  parler  aux  yeux  par  le  coloris ,  de  multiplier  ses  œuvres  par 
la  gravure,  de  creuser  l'empreinte  de  son  génie  dans  le  métal  précieux, 
et  de  léguer  ainsi  aux  siècles ,  sous  une  triple  forme ,  un  nom  impé- 
rissable. 

Les  particularités  de  la  vie  de  Martin  Schongauer  sont  pour  nous 
livre  clos.  La  science  archéologique  en  est  réduite  à  des  conjectures  sur 
le  lieu  et  l'époque  vraie  de  sa  naissance.  M.  Passavant ,  dans  son  ou- 
vrage le  Peintre  graveur ,  a  cherché  à  soulever  le  voile  qui  les  recouvre. 
Son  opinion ,  fondée  sur  des  données  Irès-intéressantes ,  doit  être  con- 
signée ici.  Je  la  transcris  sous  forme  d'extrait  : 

f  Schongauer  devait  son  origine  à  une  des  bonnes  familles  d'Augs- 
«  bourg ,  comme  l'indiquent  les  armoiries  de  son  portrait  dont  un 
«c  exemplaire  ,  qui  se  trouvait  anciennement  dans  le  cabinet  Praun  de 
«  Nurnberg^  se  conserve  actuellement  dans  la  Pinacothèque  de  Munich, 
«  un  second  dans  la  collection  de  TAcadémie  de  Sienne  et  un  troisième 
«  à  Colmar.  Tous  portent  l'inscription  HIPSCH  MARTIN  SCHONGAVER 
«  MALER.  1453.  Comme  il  a ,  dans  ce  portrait,  l'apparence  d'un  jeune 
«  homme  de  trente  ans  environ ,  on  pourrait ,  en  conséquence ,  placer 
«  sa  naissance  vers  1420. 

€  Selon  quelques  écrivains  il  serait  né  à  Colmar,  et  ils  appuient  celte 
«  opinion  sur  le  témoignage  d'un  ancien  écriteau ,  assez  endommagé , 
t  qui  se  trouve  au  revers  du  portrait  du  Munich  et  qui  contient  ce  qui 
«  suit  : 


'  Cb.  Blanc  ,  Histoire  des  peintres  de  toutes  les  écoles. 


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378  AEYUE  d'at^sace 

c  MaxBttx  Martin  dc^ongoiDr  ntaler  genannt  iÇtpacJ^ 
«  Martin  non  wtqtn  Btxmx  ihunst^  geboren  zn  fiolmar, 
«  aber  non  detnen  (H^eltetn  atn  augapurger  bu(rger)  Ite^ 
«  ge5c^lecl)t5  w  ^ert  geporn,  un]»  (gesto  )rben  tnAolmat 
<  ann0  1499.*  2^^*^  t)0rnung0  hem  got  gennir. 

«  3cl)  sein  junger  t)and  burgkmatr  tm  J0r  1488* 

(iMaître  Martin  Schoogawr ,  nommé  le  beau  Martin  à  cause  de  son 
art  9  né  à  Coimar ,  mais  par  ses  ancêtres  citoyen  d'Augsbourg ,  né  de 
famille  patricienne,  décédé  à  Coimar  Tan  1499..  le  2..  février ,  à  qui 
Dieu  fasse  grâce. 

Moi ,  son  élève  Hans  Burgkmair  en  Tannée  1488.) 

«  Il  existe  un  doute  sur  l'authenticité  de  Técriteau ,  que  nous  ne  pas- 
c  sons  sous  silence,  c'est  celui  que  fait  naitre  l'assertion  que  Martin 
«  Schongauer  est  mort  le  2  février  1499,  tandis  que,  si  l'on  doit  s'en 
«  rapporter  à  l'extrait  des  registres  mortuaires  de  l'église  de  Coimar , 
«  la  mort  du  maître  aurait  eu  lieu  le  2  février  1488  '. 

«  Cette  dernière  assertion  semble  encore  être  confirmée  par  le  fait 
f  qu'Albert  Durer,  dans  le  voyage  en  Allemagne  qu'il  entreprit  en  1490 , 
c  étant  arrivé  en  1492  à  Coimar,  n'y  trouva  que  les  frères  de  Martin 
«(  Schongauer ,  mais  qu'à  son  grand  regret ,  il  ne  vit  jamais  le  maître 
«  lui-même.  Jean  NeudôriTer  dit ,  à  ce  propos ,  dans  ses  Nouvelles  des 
«  artistes  de  Numberg ,  é<  rites  en  1546  :  Anno  1490  ,  après  Pâques , 
«  il  (Albert  Durer)  partit  d'ici  pour  voyager  à  travers  l'Allemagne  et  il 
«  alla  à  Coimar  trouver  Gaspard ,  George  et  Paul ,  orfèvres ,  et  Louis , 
m  le  peintre,  tous  quatre  frères  de  Martin  Schœn  ci-dessus  nommé ,  et 
<c  il  fut  reçu  honorablement  et  hébergé  amicalement  par  eux. 

«  Cependant  nous  avons  ^  contre  l'opinion  qui  fait  mourir  Martin 
«  Schongauer  en  1488 ,  un  autre  témoignage  dans  un  document  de 
«  Coimar  même ,  le  livre  des  redevances  de  l'église  de  Saint-Martin  de 

'  <  L'archiviste  de  Golmar ,  H.  Hugot,  trouva  dans  les  registres  de  i*église  Saint- 
Martin  de  cette  ville,  établis  en  1507,  sur  les  anciens  documents  originaux  de  la 
paroisse  et  continués  jusqu'en  1539,  après  avoir  commencé  à  la  date  de  1391 ,  la 
notice  suivante  : 

'  Marlinus  Schohgouwer  ,  piclorum  yLiia  le  v  s  (leyavU  quinque  solidoi)  pro 
anniversario  suo  et  addidil  i  s  i  d ,  ad  annivertarium  paternum  a  quo  habuit 
minus  anniversarium.  Obiil  die  Puri/icatiottis  Marùz ,  eto.  LXXX  VllL  " 


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LE   MUSÉE   DE   COLMAR.  379 

«  celte  ville ,  qui  nous  informe  que  M.  Schongauer  ^  en  compagnie  de 
«  son  ami  Hunlpur,  paya  en  1490  une  redevance  de  31  schillings  pour 
«  une  maison  occupée  par  eux  deux. 

<  Il  était  donc  encore  vivant  à  cette  époque.  Nous  serions  porté  à 
4  croire  ,  afin  de  concilier  ces  contradictions ,  que  le  rédacteur  de  la 
n  nolice  nécrologique  aura  omis ,  en  l'écrivant ,  un  chiffre  (X) ,  et  si 
K  Ton  ajoute  que  le  jour  de  la  mort  de  notre  maître  était  indiqué  comme 
a  celui  de  la  Chandeleur  (2  février)  1498,  selon  Tusage  du  diocèse  de 
c  Bâie  auquel  appartenait  Colmar,  mais  en  1499 ,  selon  la  coutume  de 
€  celui  d'Augsbourg)  qui  commençait  Tannée  au  !«'  janvier,  nous 
«  trouverons  ainsi  la  raison  de  ces  variantes  et  nous  pouvons  établir 
«  avec  toute  vraisemblance  que  Martin  Schongauer  est  mort  le  2  février 
«  1499. 

«  Il  est  très-probable  que  M.  Schongauer  naquit ,  <  omme  son  frère 
c  Louis,  à  Âugsbourg  et  qu'il  ne  vint  à  Colmar  qu'après  1462,  puisque, 
«  dans  cette  aimée ,  les  peintures  du  maître-autel  de  l'église  Saint- 
«  Martin  de  cette  ville  furent  confiées  à  un  peintre  peu  distingué ,  Gas- 
c  pard  Isenmann,  citoyen  de  Colmar.  au  prix  de  500  florins  du  Rhin  \ 
«  ce  qui  n'aurait  probablement  pas  été  le  cas  si  un  maître  aussi  renommé 
«  que  l'était  alors  Martin  Schongauer ,  s'y  était  déjà  trouvé.  Ce  ne  fut 
<  qu'en  1473  qu'il  peignit  pour  l'église  Saint-Martin  sa  célèbre  vierge 
9  à  la  haie  de  roses ,  qui  en  forme  encore  aujourd'hui  le  principal 
«  ornement  ^.  Une  preuve  de  la  considération  et  de  l'aisance  dont  il 
«  parvint  à  jouir  à  Colmar ,  c'est  de  le  voir  plus  tard  possesseur  de  trois 
t  belles  maisons  dans  cette  ville  ^.  » 

Dans  un  précédent  travail  publié  par  le  Kunstblatt  du  25  août  1840, 
M.  Passavant  donnait  une  autre  version  d'après  laquelle  notre  peintre 
serait  uu  rejeton  de  la  famille  des  Schoen  ou  Schongauer  d'Ulm  qui 
aurait  eu  ,  toutefois ,  des  affinités  avec  celle  d'Augsbourg ,  puisque  les 
deux  ont  les  mêmes  armoiries  :  d'argent  au  croissant  de  gueules. 


*  De  ces  tableaux ,  sept  qui  représentent  les  événements  de  la  Passion  du  Christ, 
figures  d'un  tiers  de  nature  environ  ,  ont  surirécu  à  la  destruction  et  se  voient 
actuellement  dans  le  musée  de  Colmar. 

*  En  1469  les  archives  de  la  ville  constatent  le  paiement  d'une  redevance  que 
Schongauer  aurait  fait  pour  une  maison  qu'il  possédait  rue  des  Augustins ,  à  l'en- 
seigne du  Cygne. 

'  J.  D.  Passavaut  ,  Le  Peintre^Graveur  ,  tome  ii,  p.  103  et  suîv. 


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380  REVUE  d'alsage. 

Le  peintre  Barthel  Schœn ,  le  vieux ,  apparaît  dans  les  registres  d'Ulm 
des  années  1427,  1430, 1440,  sa  veuve  en  Tannée  1441.  Maître  Martin 
Schœn  ou  Schongawer  serait  le  fils  du  dit  Barthel.  Il  est  question  de 
lui  comme  peintre  et  comme  orfèvre ,  sous  ces  deux  noms  ,  dans  les 
livres  d'Ulm  des  aunées  1441  et  1461.  Il  paraît  s'être  fixé  peu  après  à 
Colmar,  puisque  son  nom  ne  figure  point  dans  la  liste  de  la  confrérie 
d'artistes  d'Ulm  de  Tannée  1473.  Son  frère  Gaspard ,  Torfévre,  fut  déjà 
en  1445  bourgeois  de  Colmar;  Louis,  le  peintre ,  le  devint  seulement 
en  1493  et  Paul ,  également  orfèvre ,  Tannée  suivante  *. 

D'un  autre  côté,  M.  Fôrster,  dans  son  Histoire  de  Part  allemand *, 
admet  comme  très-vraisemblable  que  la  famille  de  Martin  Schongauer 
était  originaire  d'Âugshourg  et  qu'elle  a  transféré  sa  résidence  à  Colmar 
où  Martin  serait  né  vers  1420  et  mort  en  1499.  11  se  fonde,  à  cet  égard, 
sur  le  portrait  de  la  Pinacothèque  de  Munich ,  de  1453,  où  Schongauer 
figure  sous  les  traits  d'un  jeune  homme  d'environ  33  ans  et  sur  Técri- 
teau  placé  au  revers  et  tracé  par  son  élève  Hans  Burgkmair ,  dont  le 
nom  a  été  lu  par  erreur  Largkmair.  Il  considère  comme  erronée  Tin- 
dicadon  de  1488  donnée  comme  date  du  décès  du  maître  par  le  registre 
obituaire  de  Saint-Martin  que  j'ai  cité  plus  haut. 

Ce  Hans  Burgkmair  est  né  à  Âugsbcurg  en  1473  et  mort  dans  la 
même  ville  en  1559  ^.  Il  est  cité ,  dans  les  notices  allemandes,  comme 
élève  de  Thomas  Burgkmair ,  ce  qui  ne  l'aurait  pas  empêché  d'être 
venu  se  perfectionner  dans  l'atelier  de  Schongauer  à  Colmar  où ,  d'après 
Técrileau  en  question ,  il  aurait  séjourné  en  1488. 

Peut-être  faut-il  ranger  aussi  parmi  les  disciples  de  Schongauer  un 
excellent  peintre  suisse  du  nom  de  Hans  Friess ,  dont  la  vie  et  les 
œuvres  ont  fait  l'objet  d'une  étude  publiée  en  1863  par  M.  Ed.  His- 
Heusler ,  dans  les  Basler  Nachrichlen  et  reproduite  dans  les  Curiosités 
d'Alsace  (Colmar  1863 ,  p.  333).  Le  musée  de  Bàle  possède  quelques 
unes  de  ses  peintures.  <  Son  dessin ,  dit  M.  His,  juge  si  compétent  en 
c  cette  matière,  se  ressent  manifestement  de  Tinfluenre  de.  Martin 
€  Schongauer ,  le  grand  peintre  de  Colmar  ;  cependant  il  est  déjà  plus 
«  conforme  à  la  nature  et  Tanatomie  surtout  est  plus  correcte.  > 

*  Beitrœgezur  KenntniHi  der  allen  Maler-Schulen  Ikutacklam^s,  J.  D.  Passavant, 
Kunsiblatt  ,  N»  42  ,  25  août  1846. 

*  Das  deutsche  Volk.  —fie^chichte  der  deutschen  Kunst.  Leipzig  ,  T.  0.  Weigel , 
1858.  —  2«  vol. 

'  n  ne  peul  donc  être  l'auteur  du  portrait  de  Munich. 


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LE  MUSÉE  DE  COLMAR.  381 

Il  existe  aux  archives  de  Colmar  un  traité  conclu  par  ce  peintre  avec 
le  chapitre  de  Saint*Martin  pour  Texécution  d'un  tableau  d'église. 

VI. 

Si  la  date  de  la  naissance  et  celle  de  la  mort  de  notre  peintre  ont 
donné  lieu  à  des  variantes ,  son  nom  aussi  semble  participer  de  ce  cachet 
énigmatique  qui  s'attache  à  tout  ce  qui  le  concerne.  Martin  Schom, 
Schcmgauer^  Schongauer,  Schongouwer,  Schonhawer,  Hipsch  Martin, 
Bel  MartinOy  Mnrtino  d'Anversa,  telles  sont  les  appellations  sous  les- 
quelles il  est  connu  dans  l'histoire. 

A  défaut  d'acte  de  naissance,  quel  nom  choisir?  Ne  faut-il  point 
admettre  celui  qui  a  généralement  prévalu  dans  les  écrits  des  critiques 
allemands  qui  l'appellent  Schongauer  ?  Ce  nom  paraît  être  ,  en  effet , 
le  vrai  nom  patronymique  de  la  famille.  La  variante  de  Schœn,  HiWsch 
(beau)  ne  serait  donc  qu'une  qualification  gracieuse,  un  hommage 
d'admiration  rendu  au  talent ,  peut-être  aussi  au  physique  avenant  du 
maître. 

Passons  sur  ces  détails,  quoiqu'ils  ne  soient  point  sans  importance. 
Ce  qui  nous  préoccupe  avant  tout ,  c'est  l'œuvre  ,  c'est  l'idéal  du 
peintre ,  c'est  l'influence  exercée  par  cette  belle  nature  d'artiste  qui  a 
laissé  après  elle  une  longue  traînée  lumineuse. 

Elève  de  Roger  Van  der  Weyden ,  le  vieux,  Schongauer  fut  un  adepte 
de  l'école  flamande  qui  eut  pour  chefs  les  frères  Van  Eyck.  Nous  en 
trouvons  le  témoignage  dans  une  lettre  écrite  le  27  avril  1565  par 
Lambert  Lombard  ,  peintre  flamand ,  à  Vasari ,  le  célèbre  auteur  de 
V Histoire  des  peintres  ^  Cette  lettre ,  qui  donne  à  Schongauer  le  sur- 
nom de  Bel  Martino ,  l'apprécie  surtout  comme  graveur.  Nous  y  voyons 
ce  passage  :  c  II  n'atteignit  jamais  l'excellence  de  Roger  dans  l'art  de 
«  peindre,  puisqu'il  s'occupa  plus  particulièrement  de  l'art  de  graver 
«  lu  burin.  Ces  gravures  parurent  alors  merveilleuses  et  se  main- 
te tiennent  encore  en  considération  auprès  de  nos  artistes  actuels,  car, 
f  bien  que  ses  œuvres  soient  un  peu  sèches ,  elles  ne  manquent  pas 
<  d'une  certaine  excellence.  Si ,  d'un  autre  côté,  nous  considérons  ses 
«  gravures ,  on  ne  peut  y  méconnaître  l'influence  de  l'école  de  Van  Eyck. 
«  et  cela  est  surtout  le  cas  pour  quelques  pièces  qui  portent  tout-à-fait 

*  Carteggio  d'artiiti ,  Tom.  m  ,  page  177. 


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882  REVUE  D'ALSACE. 

ff  l'empreinte  de  la  manière  de  Roger  Van  der  Weyden ,  le  vieux ,  qui 
«  mourut  en  1464  à  Bruxelles.  Â  celles-ci  appartient,  entre  autres, 
f  l'estampe  de  la  Vierge  au  Perroquet .  qui  semble  être  en  même  temps 

<  une  des  premières  gravures  de  Schongauer ,  car ,  bien  qu'elle  soit 
c  d'une  grande  finesse  de  travail ,  elle  ne  montre  pas  encore  celte  force 
c  et  cette  liberté  dans  la  conduite  du  burin ,  que  nous  rencontrons,  par 
«  la  suite ,  dans  presque  tous  ses  autres  ouvrages.  » 

L'art  allemand  avait  atteint  sa  plus  haute  expression  dans  les  œuvres 
de  Martin  Schongauer  et  d'Albert  Durer.  Elève  immédiat  des  Flamands, 
le  beau  Martin  s'assimila  plutôt  leur  génie  que  les  manifestations  exté- 
rieures de  leur  plastique.  On  a  découvert  récemment  à  la  bibliothèque 
d^Erlangen  un  portrait  à  la  plume  tracé ,  vraisemblablement,  de  la  main 
de  notre  artiste.  Il  représente  un  jeune  homme  dont  la  figure  a  la  plus 
grande  analogie  avec  le  portrait  peint  à  l'huile  dont  il  existe  trois  exem- 
plaires. La  figure ,  un  peu  allongée ,  a  une  expression  maladive  ;  elle 
fait  face  au  spectateur  dans  Tatlilude  d'un  homme  qui  aurait  fait  son 
propre  portrait  en  se  regardant  dans  une  glace.  L'une  des  mains  est 
appuyée  à  la  tête  :  les  cheveux  sont  coupés  ras  sur  le  front  et  longs  sur 
la  nuque.  Le  regard  a  une  expression  sereine  et  concentrée ,  reflet  de 
l'àme  dans  le  miroir  des  yeux.  Ce  qui  frappe,  ce  sont  les  formes  grêles, 
la  main  longue  et  osseuse ,  la  même  main  que  nous  remarquons  dans 
toutes  les  figures  peintes  par  l'artiste  ^ 

Les  doigts  longs ,  en  fuseaux ,  sont  un  des  signes  de  reconnaissance 
de  la  manière  de  Schongauer.  Ces  formes  émaciées ,  allongées  outre 
mesure ,  nous  les  retrouvons  dans  la  fameuse  Maria  am  Rosenhaag , 
la  Vierge  au  buisson  de  roses ,  de  l'église  Saint-Martin  de  Colmar. 
M.  Passavant  en  donne ,  dans  le  Kunsiblatt ,  la  description  suivante 
que  je  traduis  littéralement  : 

«  C'est  le  seul  tableau  connu  de  longue  date  et  l'une  des  œuvres  les 
4  plus  remarquables  de  Martin  Schongauer.  Il  doit  nous  servir  de  type 
«  pour  juger  toutes  les  autres  peintures  qui  lui  sont  si  généreusement 
K  attribuées.  Originairement  il  figura  sur  un  autel  d'une  chapelle  laté- 
«  raie  ;  maintenant  il  est  placé  très-haut  contre  la  paroi  de  droite  de 
c  la  nef.  Marie  ,  presque  de  grandeur  naturelle ,  tient  l'enfant  Jésus 
c  dans  ses  bras  et  est  assise  sur  un  banc  de  verdure ,  entourée  de 

<  fleurs  et  d'une  haie  de  roses.  Des  oiseaux ,  aux  brillantes  couleurs  , 

*  Dr  Von  Eye  ,  Leben  und  Wirken  Aibrecht  Dureras,  P-  7i  *  Nôrdlingen  ,  1860. 


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LE  MUSÉE  1>E  COLVAR.  383 

f  chantent  dans  le  feuillage ,  et  deux  petits  anges ,  vêtus  de  bleu , 
ff  planent  sur  sa  tète  en  tenaut  une  couronne.  Le  fond  d'or  relève  Téclat 
«  du  coloris  où  dominent  différentes  nuances  de  rouge  ;  ce  qui  produit 
c  un  effet  singulièrement  gai  et  solennel.  La  robe  de  la  Vierge  est 
«  peinte  en  laque ,  son  large  manteau  est  écarlate.  Sous  le  tendre  car- 
<r  min  des  roses ,  pétille  le  rouge  incandescent  d'une  rose  de  Damas, 
f  Par  contre  y  les  carnations  ne  sont  pas  chaudement  teintées  et  tournent 
c  au  gris  dans  les  ombres.  Ceci  peut  être  le  résultat  du  nettoyage  du 
«  tableau ,  nettoyage  qui  a  fait  disparaître  les  glacis  légers.  L'exprès- 
«  sion ,  pleine  d'onction  et  de  pureté ,  dans  la  tète  et  dans  toute  l'atti- 
c  tude  de  la  madone ,  les  charmantes  tètes  des  anges  et  de  l'enfant 
€  Jésus ,  sont  vraiment  magiques  et  surpassent  tout  ce  qui  a  été  fait 
c  dans  ce  genre,  par  les  contemporains  de  l'artiste.  De  même  que  dans 
«  ses  gravures ,  le  dessin  est  plein  de  sentiment  et  de  finesse ,  mais 
«  quelque  peu  maigre ,  surtout  dans  les  mains  qui ,  d'ailleurs  »  sont 
c  bien  membrées.  Ce  tableau ,  de  même  que  toutes  ses  œuvres  authen- 
<  tiques,  révèle  une  proche  parenté  avec  l'école  de  Van  Eyck,  bien  que 
«  la  manière  des  maîtres  de  le  Haute -Allemagne,  plus  appliquée  an 
<r  dessin  qu'au  coloris ,  domine  également  chez  lui.  Le  tableau  a  souffert 
«r  à  certains  endroits  et  a  été  restauré ,  notamment  dans  les  draperies 
€  rouges  ;  mais  son  ensemble  produit  encore  un  effet  très-satisfaisant 
€  et  l'on  y  sent  vivre  son  expression  originale ,  c^lle  d'une  sérénité 
c  vraiment  céleste  K  > 

Voilà ,  certes ,  une  description  enthousiaste ,  mais  dont  nous  devons 
peut-être  un  peu  rabattre  en  examinant  l'œuvre  froidement.  Il  faut 
convenir  que  nous  nous  sentons  médiocrement  touchés  devant  ces  traits 
vulgaires  de  bourgeoise  flamande  que  le  peintre  a  donnés  à  la  mère  du 
Christ.  Cette  Vierge  aux  roses ,  qui  passe  pour  le  chef-d'œuvre  du 
maître ,  bien  que  savamment  rhythmée  au  point  de  vue  de  la  compo- 
sition ,  pèche ,  ce  me  semble ,  par  le  sentiment.  Elle  n'a  point  cet 
attrait  souverain  qui  fascine  le  regard  ,  cette  dose  de  vie  qui  parle  è 
l'âme  et  émeut  les  indifférents.  L'expression  de  la  mère  et  celle  de 
l'enfant  ont  quelque  chose  de  triste ,  de  peu  communicatif  et  cet  accent 
sévère  résulte  surtout  des  ombres  grises  qui  creusent  les  vastes  fronts 
des  deux  figures. 

'  Beitràge  %ur  Kenntnin  der  alten  ^faler^Schultn  Deuischlands  —  KunstblaU 
>«  4S,  —  S6  août  1846. 


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3M  REYUR  D'ALSACE. 

Si  les  carnations  ont  souffert  des  nombreux  nettoyages  ^que  le  tableau 
a  subis ,  elles  n'ont ,  du  moins ,  pas  été  altérées  par  des  retouches 
comme  les  autres  parties  de  la  composition  qui  portent ,  malheureuse- 
ment ,  la  trace  de  restaurations  successives.  Malgré  ses  défauts ,  inhé- 
rents à  l'éducation  artistique  du  peintre,  qui,  dans  l'imitation  delà 
nature ,  n'avait  point  appris  à  faire  une  part  sufiSsante  à  l'idéal ,  le 
tableau  de  la  Vierge  de  Colmar  n'en  demeure  pas  moins,  dans  son  genre, 
et  relativement  à  l'époque  où  il  remonte,  une  œuvre  remarquable.  Il 
n'est  point  le  chef-d'œuvre  de  Schongauer ,  mais ,  dans  l'histoire  de 
l'art  allemand ,  il  occupe  un  rang  d'incontestable  supériorité.  Aussi 
n'est-ce  point  sans  un  juste  orgueil  que  Colmar  le  montre  aux  nom- 
breux visiteurs  qui  viennent  l'admirer  dans  la  sacristie  de  Saint-Martin 
oA  il  est  placé  aujourd'hui. 

En  parlant  de  la  Vierge  aux  roses ,  M.  Fôrster  la  considère  comme 
type  à  consulter  pour  le  jugement  des  œuvres  du  maître.  Il  en  fait, 
remonter  la  composition  à  cette  époque  intermédiaire  où  l'influence  de 
l'école  de  Roger  Van  der  Weyden  est  encore  apparente,  mais  se  trouve 
modifiée  par  le  goût  personnel  du  peintre  \  La  forme  anguleuse  et  on- 
doyante des  draperies  est  celle  par  laquelle  les  écoles  de  la  haute 
Allemagne  se  distinguent  de  celles  de  la  basse  Allemagne  '. 

H.  Emile  Galichon  ,  directeur  de  la  Gazette  des  BeaiAX-Arts ,  qui  a 
vu  et  admiré  cette  œuvre ,  dit  que  le  contour  des  figures  est  tracé  avec 
fermeté ,  la  couleur  d'un  ton  puissant.  Il  ajoute,  et  ceci  s'applique  aux 
accessoires ,  que  jamais  pinceau  plus  délicat  ne  rendit  avec  un  soin  plus 
précieux  ou  le  frêle  tissu  des  fleurs ,  ou  l'éclat  soyeux  du  plumage  des 
oiseaux.  Les  fruits  et  les  fleuré  sur  lesquels  posent  les  pieds  de  la 
Vierge,  les  plantes  qui  grimpent  le  long  du  treillage  ,  enfin  les  parties 
nues  des  figures  sont  d'une  conservation  qui  ne  laisse  rien  à  désirer  '. 

C'est  dans  la  partie  supérieure  de  la  vallée  du  Rhin  que  se  trouvaient 
répandues  la  plupart  des  œuvres  de  Schongauer.  On  comprend  qu'^u 
milieu  des  tourmentes  qui  ont  agité  cette  contrée  pendant  le  seizième 
et  le  dix-septième  siècles ,  plusieurs  d'entre  elles ,  des  plus  notables 

*  Le  tableau  porte  ,  au  revers ,  la  date  de  1478. 

*  Ernst  Fôrst£R,  Dos  deutsche  Volk ,  T.  ii ,  p.  194. 

'  GoAette  det  Beaux-Arls.  —  Martin  Schœni^auer  ,  peintre  et  graveur  ,  1859  , 
T.  m  ,  p.  8SS-d23. 


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LE  MUSÉE  DE  COLNAR.  385 

peut-être ,  aient  disparu.  Ce  qui  en  reste  à  Colmar  su£Bt  pour  perpétuer 
le  nom  du  maître  et  représenter  dignement  son  école  K 

Schongauer  a  gravé  de  nombreuses  figures  de  Vierges.  Elles  rappellent 
toutes  le  type  de  la  Vierge  de  Colmar ,  type  de  sérénité  un  peu  sévère , 
où  la  majesté  divine ,  compatissante  pour  les  douleurs  de  ceux  qui  l'in- 
voquent ,  fait  défaut.  Voici  Popinion  qu'exprime  à  ce  sujet  le  docteur 
Von  Eye  dans  sa  Vie  d^ Albert  Durer  :  «  Les  Vierges  de  Martin  Schon- 
gauer forment  un  contraste  frappant  avec  celles  de  l'ancien  art  chrétien 
qui ,  après  s'être  affranchies  des  épreuves  terrestres  et  s'être  élevées  à 
la  dignité  de  la  puissance  céleste ,  trônent  inaccessibles  «  immuables 
dans  leur  persévérance ,  jetant  un  regard  de  majestueuse  compassion 
sur  leurs  adorateurs  ^.  » 


Ch.   GOUTZWILLBR, 

SecréUira  en  nbaf  de  U  mairit  de  Golour. 


(JLa  «iftf •  à  la  prochaine  UvraùonJ. 


*  •  La  position  de  Colmar ,  heureusement  située  entre  deux  grands  œntres  artis- 
tiques et  littéraires ,  Bâle  et  Strasbourg ,  séduisit  sans  doute  Schongauer  qui  s'y 
établit  définitivement  avec  ses  frères.  Des  disciples  ne  tardèrent  point  à  venir  se 
grouper  autour  de  cet  artiste  éminent.  Il  devint  ainsi  le  chef  d'une  école  plus 
importante  qu'on  ne  croit  communément ,  et  qui  imposa  son  style  à  tous  les  peintres 
fixés  sur  les  deux  rives  du  Rhin  ,  de  Bàle  à  Strasbourg.  » 

(Ë.  Galighon,  Gaiettedes  Beaux- Arts,  4859,  T.  v,  p.  259.) 

'  ùie  Marien  des  Martin  Schongauer  bilden  den  geraden  Gegensat%  %u  denen 
der  altesten  christlichen  Kunst ,  welche ,  nach  Ueberwindung  irdisehen  Geschickes, 
%ur  WUrde  der  himmlischen  Herrschafl  erhoben ,  auch  ailes  Irdische  abgestreift 
haben ,  und  in  unnahharem ,  unverànderlichem  Beharren ,  thronend  majest&tisch, 
wenn  aueh  erbarmend ,  ouf  die  Atibetenden  hemieder  sehen, 

9-8éne.<-ilAjuiée.  ^& 


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ÉTUDES 

SUR  L'ÉLEVAGE,  L'ENTRETIEN   ET  L'AMÉLIORATION 
DE  LA  RACE  BOVINE  EN  ALSACE 

SUIVIES 

DE   QUELQUES   RÉFLEXIONS  SUR  LA  LOI  DU   11  FRIMAIRE  AN  VII 
RELATIVE  AUX  PATRES  ET  AUX  TROUPEAUX. 


SOUMAIRE  :  conditions  db  l'élevage.  —  la  sélection  et  ses  bntkayes.  —  m 

L'ENTRETIEN  DES  TAUREAUX  COMMUNAUX.  —  LA  LOI  DU  11  FRIMAIRE  AN  VII  ET  ONE 
CIRCULAIRE  DB  M.  MIGNERET  ,  ANCIEN  PRÉFET  DU  BAS-RHIN.  —  CONCLUSION. 

Jusqu*ici  deux  points  principaux  ressortent  évidemment  de  ces 
études.  D* abord ,  c'est  ralternative  fréquente  des  années  de  disette  et 
d'abondance  et  qui  réclame  pour  notre  province  ,  pour  les  plaines  sur- 
tout y  un  bétail  à  la  fois  sobre ,  propre  à  surmonter  les  privations  .  et 
apte  à  prospérer  par  des  temps  propices.  Ensuite ,  c'est  la  grande 
diversité  de  nos  cultures ,  et  la  variété  des  besoins  qui  en  sont  les 
conséquences. 

Cette  diversité  de  nos  cultures  et  de  nos  besoins  exige  incontestable- 
ment une  variété  plus  ou  moins  étendue  dans  nos  races  bovines.  Ce  ne 
sont  donc ,  ni  les  animaux  du  Simmenthal ,  ni  ceux  de  la  Hollande 
septentrionale ,  dont  nous  avons  décrit  les  caractères  généraux  et  qui 
sont  introduits  en  Alsace  par  l'entremise  des  comices  agricoles ,  qui 
donneraient  satisfaction  aux  nombreux  besoins  de  nos  populations 
rurales. 

*  Voir  les  livraisons  de  janvier,  février ,  mars ,  avril ,  mai ,  juin ,  juillet,  août 
1865,  pages  17,  59,  112, 155,  216,  265,  372,  372,  avril  el  jais  1866,  pages 
901  et  282. 


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ÉTUDES  SUn  L*ÉLEVAGE ,  L^EXTRETIKN  ,  ETC.  387 

D*an  autre  côté ,  cette  introduction  a  pour  conséquence  absolue  d'o- 
bliger nos  éleveurs,  pour  atteindre  une  amélioration  quelconque,  d'opérer 
exclusivement  ou  par  acclimatatian  ou  par  croisement. 

L'acclimatation  consiste ,  on  le  sait ,  à  accoutumer  les  animaux  à  la 
température  et  aux  influences  d'un  nouveau  climat.  Nous  avons  démontré^ 
dans  les  chapitres  précédents ,  les  inconvénients  qui  résultent  généra- 
lement de  ces  transmigrations  ^ 

Quant  au  croisement  des  races,  il  a  été  démontré  également  que 
celui  qui  consiste  à  accoupler  des  races  de  caractères ,  d'aptitudes  et  de 
conformations  très-distinctes ,  n*a  produit ,  en  Alsace ,  depuis  plus  d'un 
demi-siècle ,  aucun  résultat  avantageux.  Il  en  sera  probablement  de 
même  du  croisement  entre  des  races  similaires.  Il  est  évident  que  les 
résultats,  que  Ton  obtiendra  par  ce  dernier  procédé ,  ne  dépasseront 
pas  les  limites  de  la  similarité ,  et  ne  produiront ,  par  conséquent , 
point  de  changement  important. 

Ces  deux  procédés ,  c'est-à-dire ,  l'acclimatation  et  le  croisement , 
nous  semblent  donc  être  hérissés  d'autant  plus  de  difficultés  que, 
d'une  part ,  on  a  à  lutter  contre  les  influences  et  du  ciel  et  du  sol  et 
que ,  de  l'autre ,  il  est  bien  difficile  de  découvrir ,  au-delà  de  nos  fron- 
tières ,  les  races  ou  hétérogènes  ou  similaires ,  qui  conviendraient , 
sous  tous  les  rapports,  à  notre  bétail  indigène. 

Nous  persistons,  par  conséquent,  à  croire  que  la  sélection  qui,  non 
seulement  éliminerait  toutes  ces  difficultés,  mais  qui  rendraient  encore 
les  opérations  moins  compliquées  et  surtout  moins  coûteuses ,  serait  le 

*  Suivant  M.  Magne  Ips  vaches  arrivent  rarement  chez  les  nourrisseurR  de  Paris 
en  qailtant  la  Flandre  ou  la  Normandie  ;  elles  séjournent  le  plus  souvent ,  les 
Flamandes ,  dans  les  départements  de  la  Somme ,  de  l'Oise ,  de  Seine-et-Oise  , 
et  les  Normandes,  dans  ceux  de  TEure,  d*Eure-et-Loire  et  de  Seine-et-Oise,  Les 
nourrisseurs  préfèrent  les  vaches  qui  ont  passé  dix-huit  mois  ou  deux  ans  dans 
une  ferme  de  la  Picardie  :  Elles  se  mettent  à  table  en  arrivant ,  disent-ils  ;  tandis 
que  ceUes  qui  arrivent  directement  des  pays  de  production  regrettent  les  pacages 
el  s'acclimatent  toujours  diffieiUment.  Elles  restent  deux  ou  trois  mois  sans  sa 
fdire  à  la  nouvelle  nourriture  et  trop  souvent  eUes  dépérissent.  Ajoutons  que 
lorsqu'il  est  possible  d'acclimater  des  animaux  ,  il  s'opère  toujours  des  chanj$*e- 
ments  qui  mettent  leur  organisation  en  rapport  avec  les  climats  où  ils  sont  desti- 
nés k  vivro  et  que,  par  conséquent,  la  disparition  des  caractères  et  des  aptitudes 
originaires  dans  les  générations  suivantes  en  est,  nécessairement,  une  suite 
inévitable. 


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388  REVUE  d' ALSACE. 

seul  procédé  à  même  de  conduire  à  bonne  fin  nos  entreprises  d'amé*- 
lioration. 

Malheureusement ,  ce  procédé ,  si  facile  comme  opération  zootecb- 
nique,  rencontreàson  tour,  et  en  Alsace  surtout,  des  entra?e3  difficiles 
à  surmonter  et  que  nous  avons ,  du  reste ,  déjà  Tait  prévoir  à  la  fin  du 
chapitre  II  de  ce  travail. 

Ces  entraves  sont  de  nature  différente  ;  les  unes  proviennent  de  Tinez- 
périence  et ,  il  faut  bien  le  dire ,  de  Tignorance  de  nos  cultivateurs  en 
matières  zootechniques  ;  les  autres  sont  purement  administratives  et 
découlent  de  la  loi  du  11  frimaire  an  VII ,  relative  aux  pâtres  et  aux 
troupeaux. 

Le  manque  de  connaissances  zootechniques  se  manifeste,  non  seule- 
ment dan.«  le  choix  des  reproducteurs  mais  aussi  dans  le  choix  des  veaux 
destinés  à  Télevage.  Nous  venons  de  dire  combien  il  est  regrettable  de 
voir  ce  choix  soumis  très-souvent  à  l'influence  planétaire.  Ajoutons 
encore,  ce  qui  n'est  pas  moins  déplorable ^  que,  par  une  économie 
assurément  très-mal  entendue ,  les  plus  beaux  veaux  sont  généralement 
vendus  au  boucher.  Cependant ,  c*est  autant  du  choix  que  des  soins 
dont  on  entoure  Tanimal ,  dès  les  premiers  temps  de  sa  vie ,  que  dé- 
pendent ,  en  grande  partie ,  la  conformation  de  son  corps  et  le  déve^ 
loppement  de  ses  aptitudes. 

€  La  conformation ,  d'après  H.  Baudement,  à  laquelle  la  pratique 
attache  tant  d'importance  ,  n'est  pas  une  cause  c'est  un  effet ,  c'est  la 
résultante  de  toutes  les  forces  physiologiques  diversement  mises  en 
jeu ,  et  recevant  leur  première  impulsion  de  la  manière  dont  l'animal 
a  été  nourri  et  traité  dès  les  premiers  temps  de  sa  vie.  Aussi  le  mode 
d'élevage  dans  le  jeune  âge  renferme-t^il,  en  définitive,  tout  le  problème 
de  la  création  et  de  l'amélioration  des  races  '.  C'est  là  la  conséquence 
pratique ,  essentielle ,  qui  ressort  de  cette  manière  de  comprendre  la 


'  C'est  évidemment  aller  à  l'extrôme ,  Télevage  a  une  inflaence  très- puissante 
sar  la  conformation,  mais  on  ne  saurait  lui  attribuer  la  conformation  totale  de 
l*aniinat.  M.  Sanson  va  même  plus  loin  que  M.  Baudement  et  considère  les  apti- 
tudes de  l'animal  comme  conséquences  du  traitement  du  veau.  «  I>e  la  manière , 
dit-il ,  dont  Tanimat  a  été  nourri  et  traité  dès  les  premiers  temps  de  sa  vie  ,  dé- 
pendent uniquement  «es  aptitudes  et  sa  conformation.  »  D*un  autre  côté ,  M.  Jean 
Kiener,  Jeune,  soutient,  à  la  suite  de  nombreuses  expériences ,  que  l'on  peat 
a<iveiopprr,  arrondir  It'S  masses  musculaires  de  l'animal  par  le  régime  atimenlaife, 


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ÉTUDES  SUR  l'Élevage  ,  l'ertretien  ,  etc.  389 

formation  des  machines  animales  ;  la  pratique  lui  donne  l'appui  de  son 
eipérience  ^  » 

Quel  que  soit,  par  conséquent,  le  procédé  employé  pour  perfection-' 
ner  le  bétail ,  le  choix  et  le  traitement  des  élèves  en  sera  toujours  Tune 
des  conditions  fondamentales  et  doit  fixer,  au  plus  haut  degré,  Tatten- 
tion  de  l'éleveur.  Nous  n'avons  pas  à  nous  occuper  ici  de  la  nature  des 
soins  que  réclame  le  jeune  animal ,  ni  des  conditions  zootechniques 
qui  doivent  guider  le  choix  des  veaux.  Nous  ne  pouvons  que  déplorer  de 
voir  nos  cultivateurs  attacher ,  en  général ,  si  peu  d'attention  et  si  peu 
d'importance  aux  conditions  dont  il  s'agit. 

A  part  cette  indifférence  qui  rend  la  sélection  difficile ,  nous  avons  à 
nous  occuper  des  autres  entraves ,  résultant  de  la  loi  que  nous  venons 
d'indiquer,  et  que  nous  trouvons ,  principalement,  dans  la  manière 
dont  les  reproducteurs  mâles  sont  logés  et  entretenus  dans  nos  cam- 
pagnes. 

Avant  la  promulgation  de  la  loi  du  11  frimaire  an  vu,  il  y  avait,  dans 
une  notable  partie  des  villages  d'Alsace ,  ce  qu'on  appelait  alors  le 
taureau  banal ,  c'est-à-dire ,  le  taureau  appartenant  au  seigneur  du 
village,  et  par  lequel  les  habitants  devaient  faire  saillir  les  vaches.  Là, 
ou  il  n'existait  point  de  seigneurie ,  les  villages  se  pourvoyaient  ei«x- 
mêmes  d'un  ou  de  plusieurs  taureaux  qui  étaient  entretenus  aux  frais 
de  la  commune  :  le  taureau ,  confié  aux  soins  du  pâtre  ou  d'un  gardien  *, 
était  logé  dans  une  construction  communale ,  et  les  terrains  commu* 
naux  nécessaires  à  la  production  des  fourrages ,  étaient  concédés  au 
gardien. 

mais  qoe  te  squelette  reste  constamment  réfractaire  à  ces  procédés.  Cette  dernière 
opiniOD  nous  paraU  seule  ratioDeUe.  Nous  la  citODS»  d'aatant  plas  volonUers , 
qu'elle  nous  semble  être  de  nature  à  empêcher  les  éleveurs  d*ent reprendre  des 
eipérimentations  et  des  spéculations  inutiles  et  même  désastreuses. 

*  Voyez  :  Otiservalions  sur  les  rapports  qui  existent  entre  le  développement  de 
la  poitrine ,  la  conformaiion  et  les  races  bovines.  Annales  du  Conservatoire  des 
arts  et  métiers.  4861, 

*  Il  fant  faire  une  différence  entre  le  pâtre  et  le  gardien.  Le  pfttre  est  celui  qui 
conduit  le  troupeau  au  pftturaxe  ;  le  gardien  ,  celui  qui  est  chargé  de  TentrcUen 
tin  taureau.  Dans  les  circulaires  de  MM.  les  préfets,  relatives  à  Tentreiien  du 
taureau ,  le  gardien  est  le  plus  souvent  désigné  sous  le  nom  d*en/reprenei<r.  L»% 
fonctions  de  pâtre  et  de  gardien  sont  quelquefois  réunies;  mais.,  le  plus  souvent', 
séparées. 


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390  REVUE  D*ALS4GE. 

Depuis ,  une  nouvelle  législation  est  intervenue  ;  elle  s'est  basée  sur 
ce  principe  que  les  dépenses ,  relatives  à  la  garde  du  troupeau ,  comme 
au  service  de  la  reproduction ,  ne  peuvent  être  municipales ,  en  ce 
sens ,  que  la  caisse  municipale  ne  doit  pas  fournir  les  fonds  nécessaires 
à  l'entretien  du  taureau ,  mais  que  ces  dépenses  doivent  être  suppor- 
tées j  proportùmnellement ,  par  ceux  qui  en  profitent. 

A  la  suite  de  cette  loi  les  terrains  communaux ,  dont  nous  venons  de 
parler ,  ont  dû  recevoir  une  autre  destination  ainsi  que  le  logement 
communal  du  taureau.  L'entretien  de  celui-ci  devenait  ainsi  une  entre- 
prise privée  que  les  municipalités  concédèrent ,  et  concèdent  encore 
aujourd'hui ,  par  voie  d'enchères  au  rabais ,  ou  quelquefois  sous  forme 
de  marché  à  l'amiable. 

Cette  réforme  nécessita  naturellement  des  mesures  toutes  nouvelles , 
d'abord,  pour  établir  une  répartition  équitable  et  proportionnelle  entre 
les  nombreux  détenteurs  d'animaux ,  et  ensuite  pour  donner  à  l'entre- 
preneur certaines  garanties  dans  le  recouvrement  des  sommes  qui  lui 
seraient  dues.  A  cet  effet ,  on  organisa  une  espèce  d'association  entre 
les  délenteurs  de  botes  bovines.  L'association  fut  placée  sous  la  pro- 
tection et  sous  la  surveillance  des  autorités  départementales  et  commu- 
nales ,  et  enGn  basée  sur  une  véritable  échelle  mobile ,  réglant  les 
cotisations  ou  y  pour  employer  le  terme  usité  dans  nos  campagnes ,  les 
contributions. 

Cette  association  est  fondée  sur  une  échelle  mobile ,  en  ce  sens  que, 
dans  une  commune  rurale ,  chaque  propriétaire  de  bêtes  à  cornes  ne 
contribue  pas  invariablement ,  suivant  le  nombre  de  têtes  de  bétail  qu'il 
possède ,  mais  suivant  le  nombre  des  bêtes  à  cornes  qui  existent  dans 
la  commune ,  et  qui  varie  souvent ,  selon  l'abondance  ou  la  pénurie  des 
fourrages ,  et  enfin  selon  d'autres  circonstances  encore  dont  il  sera 
question  tout-à-riieure. 

Si  le  nombre  des  vaches  formant  le  troupeau  de  la  commune  s'élève, 
par  exemple ,  à  50  têtes ,  les  frais  d'entretien  du  taureau  sont  divisés 
par  le  chiffre  50  et  répartis  entre  les  propriétaires.  Or,  si  les  frais  d'en- 
tretien ,  y  compris  les  frais  d'acquisition  du  taureau ,  les  frais  du  loge- 
ment, ainsi  que  le  salaire  du  gardien ,  montent  à  600  fr.  par  an,  la 
cotisation  individuelle  et  par  tête  de  bétail  sera  de  12  fr.  ce  qui  fera , 
en  admettant  une  moyenne  de  2  à  3  vaches  par  propriétaire ,  une  somme 
annuelle  de  24  fr.  à  36  fr.  à  payer. 

La  cotisation  cependant  n'atteindra  que  la  moitié  de  ce  chiffre  j  si  te 


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ÉTUDES  SUR  l'Élevage  ,  l'entretien  ,  etc.  391 

nombre  de  têtes ,  composant  le  troupeau  ,  s'élève  à  100  au  lieu  de  50. 
Elle  ne  sera  que  du  tiers  ,  si  au  lieu  de  monter  à  iOO ,  elle  s'élève  jus- 
qu'à 150.  Dans  ce  dernier  cas  la  contribution  individuelle ,  et  par  tête 
de  bétail ,  ne  sera  que  de  4  fr.  à  condition  que  les  frais  d'entretien  ne 
dépassent  pas ,  comme  nous  venons  de  le  dire  ,  600  fr.  par  an. 

Pour  établir  équitablement  cette  répartition ,  l'administration  muni- 
cipale fait  dresser,  annuellement,  une  liste  divisée  en  deux  colonnes 
dont  Tune  porte  les  noms  des  propriétaires  ,  et  l'autre  le  nombre  des 
animaux  qu'ils  possèdent.  Cette  liste  est  finalement  affichée  à  l'entrée 
de  la  maison  communale ,  et  porte  l'invitation  de  verser  les  cotisations 
entre  les  mains  du  percepteur  qui,  après  en  avoir  prélevée  p.  iOO 
comme  frais  de  perception ,  les  reverse  entre  les  mains  du  gardien  ou 
entrepreneur. 

Ce  mode  de  versement  a  ainsi  lieu ,  en  vertu  de  la  loi  municipale  du 
18  juillet  1837 ,  suivant  laquelle  €  ces  sortes  de  taxes  doivent  être  répar^ 
lies  par  délibération  du  conseil  municipal ,  approuvées  par  le  préfet  et 
perçues  suivant  les  formes  établies  pour  le  recouvrement  des  contribua 
tions  publiques. 

Nous  venons  de  dire  que  la  rétribution  annuelle  accordée  au  gardien 
ou  entrepreneur  peut  monter  à  environ  600  fr.  Ce  chiffre  toutefois  varie 
selon  les  localités  *  et  suivant  le  nombre  des  concurrente  qui  se  pré- 
sentent à  l'adjudication  de  l'entretien  du  taureau  communal.  Ces  con- 
currents, généralement ,  ne  se  présentent  pas  en  très-grand  nombre  , 
car  les  fonctions  de  gardien  ne  sont  ni  sans  inconvénients  ni  sans  dan- 
gers ,  et ,  par  conséquent ,  loin  d'être  à  la  portée  de  chaqne  habitant  de 
la  commune. 

'  Dans  beaucoup  de  localités  les  administrations  municipales  ont  su  éluder  la 
loi  du  11  frimaire  an  vu,  et  ccStiserver  jasqu*auJourd*hui  une  quantité  plus  ou 
moins  considérable  de  terrains  communaux ,  qui  centinuent  d*ètre  affectés  à  l 'en- 
tretien dn  taureau.  Cette  soustraction  a  principalement  lieu  dans  les  communes 
dont  les  maires  appartiennent  à  des  anciennes  familles  du  pays ,  et  qui  tiennent , 
par  conséquent ,  aux  anciens  usages.  Si  cette  soustraction  est  contraire  à  la  loi  , 
elle  parait ,  par  contre ,  très-légitime  aux  populations.  D'un  autre  côté ,  c*est  à 
cette  circonstance  qu'il  faut  attribuer  les  renseignements  contradictoires  qoe  Ton 
obtient  sur  les  dépenses  de  l'entretien  du  taureau ,  car  les  rétributions,  accordées 
à  l'entrepreneur,  varient  nécessairement  selon  l'importance  des  terrains  soustraits. 
Cette  illégalité  donne ,  du  reste ,  le  plus  souvent  lien  à  des  procès  et  à  des  con- 
testations entre  les  communes  et  les  entrepreneurs. 


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393  REVUE  D* ALSACE. 

Ces  fonctions  présentent  des  dangers  en  ce  sens  que ,  pour  le  ma- 
niement d'une  béte  aussi  puissante  qu*un  taureau ,  il  faut  un  homme 
courageux ,  ayant  pour  aide  un  homme  également  fort  et  hardi  ;  elles 
ont  y  d*autre  part ,  Tinconvénient  d'obliger  le  gardien  d'être  continuel- 
lement à  la  disposition  des  propriétaires  qui  mènent  au  taureau  les 
bêles  en  chaleur. 

A  part  ces  dangers  et  ces  inconvénients ,  le  gardien  doit  posséder  un 
emplacement  assez  vaste  et  très-convenable  pour  loger  l'animal  en 
question.  L'emplacement  ne  remplit  pas^  sous  le  rapport  des  conve- 
nances ,  les  conditions  nécessaires  lorsqu'il  se  trouve  enchevêtré  «lans 
d'autres  habitations  et  que  le  taureau ,  pour  rejoindre  le  troupeau ,  est 
obligé  de  passer  sur  des  chemins  ou  dans  des  rues  très-étroites  et  très- 
fréquentées ,  ce  qui  a  lieu  ,  le  plus  souvent ,  dans  les  contrées  riches  et 
populeuses  de  nos  vignobles  où  les  terrains  ont  un  prix  très-élevés. 
L'emplacement  n'est  pas  convenable  non  plus  quand ,  pour  opérer  l'ac- 
couplement ,  le  gardien  est  obligé,  faute  d'espace ,  de  lâcher  le  taureau 
sur  la  voie  publique  ^ 

Ces  circonstances  feront  facilement  comprendre  que  le  nombre  des 
concurrents  dont  nous  venons  de  parler,  se  réduit,  le  plus  souvent, 
à  un  chiffre  peu  élevé;  ajoutons,  à  ces  circonstances,  celle  encore  que 
ces  fonctions  ne  sont  pas  précisément  ambitionnées  par  ceux  qui  savent 
se  tirer  d'affaires  par  d'autres  occupations  lesquelles,  à  tort  ou  à  raison, 
sont  généralement  plus  respectées  dans  nos  communes  rurales. 

D'un  autre  côté ,  le  bénéfice  qui  résulte  de  ces  fonctions  n'est  pas 
très-séduisant.  La  rémunération  s' élevant  à  environ  600  fr.  le  gardien 
est  obligé  de  fournir ,  non  seulement  un  taureau  jeune  et  vigoureux , 
de  le  nourrir,  de  le  loger,  mais  aussi  dé  le  faire  remplacer  par  un 
nouveau  taureau  chaque  fois  que  la  commune  le  juge  nécessaire. 

Ces  conditions ,  nous  allons  le  voir ,  sont  le  plus  souvent  très-funestes 
à  l'état  du  bétail  dans  nos  communes,  elles  s'opposent  à  tous  les  efforts 


*  Dans  bien  des  communes  d'Alsace  il  arrive  annuellement  des  accidents  fâ- 
cheux. Ce  sont  surtout  les  vieillards  et  les  enfants  qui ,  ne  pouvant  fuir  rapide- 
ment, sont  exposés  à  des  dangers  sérieux.  On  sait  que  le  taureau  se  met  £icilemeni 
en  fureur  soit  à  la  vue  de  couleurs  qui  lui  déplaisent ,  soit  à  la  suite  d*autres 
contrariétés.  L*anneau  nasal  n*est  pas  usité  en  Alsace  et  ne  le  sera  sans  doute  que 
sur  un  arrêté  de  Tadministration  supérieure.  L'usage  de  cet  anneau  n'a  aucun 
inconvénient  quand  on  n'en  abuse  pas  pour  tourmenter  l'animal. 


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CtUDES  sur  L*ÉLBVAGB  ,  L'BNTRETIEN  ,  ETC.         393 

qoe  pourraient  faire  les  éleveurs  dans  un  but  d'amélioration  •  et 
deviennent  ainsi  des  entraves  insurmontables  à  toutes  les  opérations  de 
la  sélection  ou  d'un  croisement  raisonné. 

Pour  que  nous  puissions  développer  notre  assertion ,  le  lecteur  voudra 
bien  se  rappeler  maintenant  les  conditions  que  nous  avons  décrites  dans 
le  chapitre  précédent ,  et  relatives  au  choix  du  taureau.  Nous  y  avons 
dit  que  le  propriétaire,  comme  les  communes,  qui  ont  intérêt  à  ne  pas 
élever  un  béfail  stérile  ;  qui  ont  à  cœur  de  perf  ;<  tionner  celui  qu'ils 
possèdent ,  doivent  avant  tout  fixer  leur  attention  sur  le  choix  en  ques- 
tion. Nous  y  avons  dit  également  que  le  nombre  de  bétes  femelles  doit 
être  proportionné  au  mâle,  et  que  ce  nombre  ne  peut  que  rarement  dé- 
passer le  chiffre  de  60  ou  80. 

Or ,  il  y  a  des  communes  où  le  nombre  de  vaches  desservies  par  un 
seul  taureau  atteint ,  non  seulement  le  chiffre  que  nous  venons  de  dési- 
gner, mais  où  il  s'élève  même  jusqu'à  100 ,  quelque  fois  jusqu'à  450  ; 
et  dans  la  commune  que  nous  habitons  il  monte ,  depuis  bien  des  années, 
jusqu'à  178.  Ce  chiffre  de  178  est  inscrit  sur  le  registre  communal  et 
approuvé  par  l'administration  municipale. 

Il  faut  nécessairement  se  demander  comment  l'administration  muni- 
cipale d'une  commune ,  dans  laquelle  l'agriculture  domine  toutes  les 
autres  industries,  peut  tolérer  et  même  approuver  un  état  pareil  ?  La 
réponse  est  facile  :  c'est  parce  que  dans  les  administrations  municipales 
de  nos  campagnes  on  s'occupe  fort  peu  de  questions  zootechniques  ; 
nous  doutons  même  que  les  controverses  ardentes  au  sujet  de  Tatavisme, 
de  la  consanguinité ,  du  croisement  et  de  la  sélection  ,  qui  intéressent 
cependant  à  un  si  haut  degré  l'économie  du  bétail ,  et  qui  ont  pénétré 
jusqu'au  sein  de  l'Académie  des  sciences  de  Paris .  parviennent  jamais 
à  se  frayer  un  passage  jusque  dans  les  assemblées  présidées  par  les 
maires  de  nos  villages. 

Hais  ce  qui  préoccupe  et  ce  qui  intéresse  plus  directement  nos  admi- 
nistrations municipales  c'est  la  répartition  des  cotisations  destinées  à 
l'entretien  du  taureau.  Or,  comme  ces  cotisations  deviennent  plus  faibles 
à  mesure  que  le  nombre  de  bétes  femelles  grandit ,  on  jugé ,  le  plus 
souvent,  prudent  de  tolérer  l'étal  regrettable  des  choses  —  si  toutefois 
il  est  considéré  comme  tel  —  plutôt  que  d'augmenter  les  cotisations. 
On  juge  d'autant  plus  prudent  de  tolérer  l'état  dont  il  s'agit,  que  ces 
cotisations  sont  considérées,  par  le  plus  grand  nombre  de  nos  campa- 


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394  REVUE  D'ALSACE. 

gnards ,  dont  les  connaissances  administratives  sont  fort  peu  dévelop- 
pées y  comme  contributions  directes  ou  foncières  payées  à  l'Etat. 

Il  résulte  naturellement  de  ces  circonstances  que  le  reproducteur  mâle, 
se  trouvant  à  la  tête  d'un  troupeau  d'environ  150  bètes ,  est  totalement 
épuisé  en  peu  de  temps ,  surtout  lorsque  le  troupeau  est  conduit ,  pen- 
dant six  mois  de  l'année ,  sur  des  pâturages  communaux ,  éloignés 
quelquefois  à  plusieurs  kilomètres  du  village  K 

Hais  cet  épuisement  précoce  du  taureau  ,  nous  dira-t-on ,  est  prévu 
par  les  conditions  imposées  à  l'entrepreneur  qui ,  suivant  le  cahier  des 
charges ,  est  obligé  de  le  faire  remplacer  chaque  fois  que  la  commune 
ou  ses  représentants  le  juge  nécessaire. 

Malheureusement,  l'observation  de  cette  condition  rencontre,  à  son 
tour,  bien  des  difficultés  par  la  simple  raison  qu'elle  est  souvent  con- 
traire aux  intérêts  pécuniers  du  gardien  dont  les  finances  disponibles 
ne  se  prêtent  pas  toujours  à  l'acquisition  réclamée  par  les  habitants  de 
la  commune.  C'est  à  ce  moment  que  des  discussions,  souvent  regret- 
tables ,  et  des  appréciations  très-conlradictoires  s'engagent  entre  les 
mandataires  de  la  municipalité  et  le  gardien.  Ces  discussions  sont  rare- 
ment parlementaires.  L'entrepreneur  qui  d'abord ,  par  esprit  d'écono- 
mie ,  avait  cherché  d'entretenir  le  taureau  avec  le  moins  de  frais  pos- 
sible, économie  qui,  malheureusement,  est  parfois  trop  visible  sur  les 
flancs  décharnés  du  pauvre  animal ,  s'obstine  ensuite  à  ti  ouver  son 
animal  très-valide  et  très-capable  de  faire  le  service  que  l'on  exige  de 
lui,  et  refuse,  en  conséquence,  de  faire  l'acquisition  demandée.  Dans 
ces  cas,  et  lorsqu'un  arrangement  à  l'amiable  est  devenu  complètement 
impossible  entre  les  parties  intéressées ,  on  a ,  des  deux  côtés,  recours 
au  vétérinaire  du  canton ,  qui  est  appelé  à  juger  la  question  en  dernier 
ressort. 

J.  F.  Flaxland. 

(La  fin  à  la  prochaine  livraiêou.) 


'  Nous  avons  vu  des  troupeaux  de  500  lètes  desservis  seulement  par  deux 
taureaux.  La  proportion  entre  les  bètes  mâles  et  le  troupeau  n'est  généralement 
observée  que  dans  les  communes  Jouissant  des  soustractions  des  terrains  comma- 
ot«x  dont  il  a  été  question  plus  haut. 


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HISTOIRE  DE  LA  VILLE  DE  SOliLTZ. 


-  Suite  *.  — 


RÈGLEMENTS  DE  POUCE  ET  DE  JUSTICE. 

1575-1661.  Biens  roturiers  et  francs.  —  Le  sieur  de  Landenberg 
avait  acheté,  en  1595,  à  Soultz,  des  biens  roturiers  qui  ne  jouissaient 
autrefois  d*aucuDe  franchise.  Il  réclama  cependant  la  franchise ,  ce  qui 
fit  matière  à  procès.  En  fin  de  compte ,  la  régence  lui  enjoint  de  payer 
les  charges  des  dits  biens  ou  de  les  revendre.  Le  sieur  Hellensohn ,  en 
1606,  élève  des  prétentions  semblables  à  celles  du  sieur  Landenberg , 

En  1574  tous  les  sujets  de  l'Ober-Hundat  s'obligent  à  ne  plus  vendre 
leurs  biens  à  aucun  noble ,  parce  que  les  nobles  «  ne  payant  point  les 
impositions ,  les  ruinaient ,  vu  que  les  impositions  retombaient  seules 
et  plus  lourdes  alors  sur  les  biens  qu'ils  conservaient.  Ils  s'obligent , 
au  cas  échéant ,  de  se  cotiser  et  de  retirer  les  biens  vendus  ;  ce  droit 
de  retrait  leur  sera  conservé  à  tous ,  et  à  un  chacun ,  pourvu  qu'il  soit 
de  rOber-Mundat.  Cette  convention  a  été  faite  sous  Tévèque  Erasme  , 
qui  l'a  ratifiée  et  au  bas  dit  expressément  qu'il  doit  avoir  force  et 
vigueur. 

Le  bailli  de  Soultz,  par  une  lettre  datée  de  l'année  1670,  expose  à 
la  régence ,  que  le  commandeur  de  l'ordre  de  Halte  achète  sans  cesse 
des  biens  roturiers ,  lesquels  payaient  rentes  foncières  ou  autres ,  et 
que  ces  biens  une  fois  acquis,  le  dit  commandeur  refusait  toute  espèce 
d'imposition  y  quoiqu'il  était  de  règle  que  tout  noble  ou  ecclésiastique 
était  obligé  de  les  payer  pour  les  biens  roturiers  qu'il  acquerrait.  Il 
demande  ce  qu'il  doit  faire  vis-à-vis  des  prétentions  du  dit  comman- 
deur. La  régence  communique  la  dite  lettre  à  révoque  François  Egon , 
qui  ordonne  au  bailli  d'exiger  du  dit  commandeur  et  de  sa  comman- 
derie ,  pour  les  biens  roturiers  acquis  et  pour  ceux  qu'il  acquerrera , 
toutes  les  charges  auxquelles  ces  biens  avaient  été  soumis  avant  la 
vente.  {Inv.  p.  39). 

*  Voir  les  livnisons  de  novembre  el  décembre  1861 ,  pages  499  et  529 ,  mars 
1862,  page  135 ,  novembre  1863,  page  496,  mai  et  jain  1866,  p.  249  et  297. 


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396  REVUE   D* ALSACE. 

RÈGLEMENTS  CONCERNANT  LES  ISRAÉLITES. 
(Invenlaire  précité ,  page  4i  et  suivantes.) 

1308.  Par  une  lettre  de  Tan  1308,  Henri,  élu  roi  des  Romains, 
donne  à  Tévèché  les  Israélites  demeurant  à  Souitz  ^  Rhinau ,  Holsheini 
et  Rouffach. 

1574.  Par  règlement  en  date  de  1574,  dérense  est  faite  aux  habi- 
tants du  bailliage  de  Souitz  d'aliéner^  ni  d'hypothéquer  aucun  immeuble 
à  aucun  Israélite  sous  peine  de  cinq  livres  bâioises  ;  défense  de  ne  rien 
acheter  d'eux ,  soit  peu ,  soit  beaucoup ,  qu'argent  complani  ;  défense 
de  se  faire  recevoir  bourgeois  de  Souitz ,  si  l'on  doit  quelque  chose  aux 
Israélites.  (Inv.  p.  44). 

1684.  Règlement  concernant  la  viande  que  les  juifs  pourront  débUer. 
—  Vu  une  contestation  survenue  entre  les  bouchers  catholiques  et  juifs, 
la  régence  ordonne  que  les  juifs  pourront  tuer  en  tout  dix  pièces  de 
bétail ,  et  pourront  en  vendre  en  détail  par  poids  ce  qu'ils  ne  pour- 
raient consommer  en  leur  ménage ,  de  Pâques  à  la  Saint-Barthélémy  ; 
mais  depuis  la  Saint-Barlhélemy  au  carnaval ,  ils  ne  pourront  vendre 
ni  grosse  ni  petite  viande  au  poids ,  mais  bien  par  quartier,  (/itr.  p.  45). 

En  1699  un  juif  de  Souitz  avait  une  maison  qu'il  échangea  contre 
celle  d'un  chrétien  ;  le  magistrat  défendit  l'exécution  de  cet  échange. 
Le  juif  s'en  plaignit  à  la  régence  qui  consulta  sur  ce  le  bailli.  Celui-ci 
répondit  que  le  juif  n'acquérant  pas  une  seconde  maison ,  et  celle  qu'il 
donne  en  échange  au  chrétien  valant  même  mieux  que  celle  qu'il  acqué- 
rait, il  ne  voyait  point  pourquoi  l'échange  ne  s'effectuerait  pas.  La 
régence  en  ordonne  l'exécution.  Le  ma&^istrat  se  plaint  derechef  à  la 
dite  régence  ,  en  alléguant  que  la  dite  maison  que  le  juif  acquiert  est 
vis-à-vis  de  la  porte  de  la  paroisse  ;  qu'il  serait  indécent  que ,  dans  le 
cas  où  l'on  porterait  le  viatique  à  un  malade ,  il  passât  devant  la  maison 
d'un  juif.  La  régence  n'approuve  pas  cette  raison.  Le  magistrat  froissé 
s'adresse  à  l'intendant  et  rapporte  que  le  nombre  des  juifs  augmente 
tellement  à  Souitz  qu'il  dépassera  bientôt  celui  des  chrétiens,  et  ce 
contrairement  à  une  lettre  de  franchise  de  l'évêque  Robert  de  1592 , 
concernant  les  villes  du  Haut-Mundat  ;  que  du  reste  déjà  les  juifs  pos- 
sèdent huit  maisons  à  Souitz,  et  des  plus  belles ,  et  qu'ils  étaient  fort  à 
charge  à  la  commune ,  vu  qu'ils  se  prétendent  exempts  de  tout  impôt , 
lequel  retombe  seul  sur  les  autres  habitants.  Il  ajoute  que  tout  se  fait 
par  l'agrément  de  la  régence  L'intendant  ordonne  que  les  juifs  paieront 


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HISTOIRE   DE  LA  VILLE  DE  SOULTS.  397 

les  charges  bourgeoises  pour  leurs  biens ,  et  qu'il  sera  fait  un  règle- 
ment du  nombre  des  juifs  qui  pourront  rester  dans  la  ville  sans  être  à 
sa  charge,  (/tir.  p.  45). 

1683.  Les  israéliies  jouissent  du  droit  de  pâturage  à  SotUtz  moyen- 
nant une  rétribution  fixée  par  tête.  —  Les  juifs  d'Ober-Soultz ,  par  une 
requête  présentée  à  la  régence ,  exposent  que,  pour  jouir  du  droit  de 
pâturage  à  Soultz,  ils  sont  obligés^  en  temps  de  vendanges,  de  faire 
mener  les  vins  du  seigneur  dans  la  ville ,  et  que ,  pour  raison  de  la  dite 
jouissance,  ils  paient  de  plus  encore  annuellement  une  somme  de  2 
florins;  que^  nonobstant,  la  bourgeoisie  du  dit  Soultz  prétendait  les 
obliger  à  payer  tous  les  ans  une  autre  somme  de  20  florins ,  et  que 
cette  dernière  charge  était  contraire  à  Tancien  usage.  La  régence 
ordonne  que  chaque  juif  établi  à  Soultz  paiera  annuellement  4  florins  à 
la  dite  ville  ;  nul  n'en  pourra  exiger  davantage.  {Inv.  p.  46). 

EAUX  ET  FORÊTS.   —  CHASSE  ET  PÊCHE. 
iDven taire  de  Graodidier,  page  44. 

En  1468,  un  certain  particulier  vend  à  la  ville  de  Soultz  un  endroit 
nommé  Weibelspach  ,  avec  la  cafrière  et  le  petit  bosquet  qui  y  est 
contigu. 

Il  est  défendu  à  tout  chacun  du  bailliage  de  Soultz  d'endommager  le 
parc  qui  appartient  à  Tévéque  dans  les  forêts  du  ban  du  dit  lieu ,  sous 
peine  de  cinq  livres  deniers  d'amende  et  de  bannissement  pour  deux 
mois  de  TOber-Hundat. 

Il  est  défendu  également  de  tirer  des  lièvres ,  perdrix  ou  bêtes  fauves, 
le  seigneur  évêque  menaçant  des  plus  grosses  peines  les  contrevenants. 

Il  est  défendu  à  tous  et  à  chacun  du  dit  bailliage  d'avoir  des  armes  à 
feu  ;  défense  de  tirer  des  faucons  ou  les  chasser  ni  prendre  leurs  œufs  ; 
ordre  d'avertir  le  chasseur  de  l'évêque  dès  qu'il  en  paraîtra  un. 

Défense  de  couper  du  chêne  dans  la  forêt  de  devant  ou  de  derrière 
(ban  de  Soultz) ,  sous  peine  de  cinq  livres  steblers  d'amende  pour  chaque 
tronc ,  que  le  délinquant  soit  pris  en  forêt,  en  chemin  ou  chez  lui. 

Il  est  permis  d'enlever  les  arbres  renversés  par  le  vent  dans  la  forêt 
de  derrière,  mais  ceux  renversés  dans  la  forêt  de  devant  ne  pourront 
être  enlevés  qu'après  qu'ils  auront  été  couchés  à  terre  dans  la  forêt  un 
an  et  un  jour. 

Défense  de  parcourir  la  forêt  avec  des  bêtes  de  somme  et  voitures , 
sous  peine  de  cinq  livres  steblers. 


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398  REVITB  D'ÀLSÂCe. 

Quiconque  est  surpris  par  le  garde  forestier  coupant  du  sapin  idans 
la  forêt  de  derrière ,  paiera  une  livre  par  tronc. 

n  en  est  de  même  dans  la  forêt  dite  PropslwaH  ou  forêt  du  préTêl , 
laquelle  les  dits  gardes  forestiers  doivent  garder  comme  celle  de  la  ville. 

Tous  les  trois  ans  on  distribue  des  coupes  aux  habitants  ;  celui  qui 
est  trouvé  à  couper  du  bois  dans  la  portion  destinée  à  son  voisin  paie 
cinq  livres  steblers. 

Celui  qui  veut  bâtir  doit  demander  au  magistrat  la  permission  de 
couper  du  bois  de  bâtiment ,  ce  qui  lui  sera  accordé  ;  puis  il  doit 
trouver  le  forestier  qui  lui  marquera  les  arbres,  lesquels  il  emploiera 
dans  le  courant  de  l'année ,  sinon  il  paiera  amende. 

Celui  qui  vendra  le  bois  qu'il  aura  coupé  dans  la  coupe,  bois  à  lui 
destiné,  sera  mis  à  l'amende.  (Registre  BB.  1574). 

Les  amendes  forestières  ne  tournent  pas  seules  au  profit  de  la  ville , 
la  moitié  sera  versée  aux  gardes  forestiers.  (Règlement  de  1570). 

Les  moulins  de  rOber-Mundat ,  en  1613,  existent  àSouItz,  Rouflach, 
Westhalten ,  Souitzmatt ,  Gundolsheim  et  Gueberschwihr  ;  le  total  des 
droits  de  ces  chûtes  d'eau  se  monte  à  7fi  rézeaux  de  blé. 

En  1681 ,  l'évéque  Egon  de  Furstenberg  répond  au  commandeur  de 
Saint-Jean  que  la  petite  chasse  est  permise  aux  chevaliers ,  mais  à  eux 
personnellement ,  mais  non  à  leurs  gens  ou  domestiques  qui  vendent 
le  gibier.  Le  commandeur  avait  dit  dans  sa  supplique  que  la  comman- 
derie ,  étant  antérieure  â  la  ville  ,  possédait  jadis  le  droit  de  chasse  en 
entier,  et  qu'il  aurait  pu  le  prouver  si  les  anciens  titres  n'avaient  péri 
dans  la  guerre  de  trente  ans  i. 

En  1720  Souitz  doit,  pour  payer  ses  dettes,  vendre  deux  montagnes 
à  elle  appartenant  et  nommées  la  Grande  et  la  Petite  Verrerie  ;  la  ville 
proteste ,  l'intendant  du  roi  persiste  dans  sa  demande. 

LIMITES  ET  BAN. 

La  ville  de  Souitz  a  été  plusieurs  fois  obligée  de  défendre  l'intégrité 
de  sa  banlieue  contre  les  prétentions  des  nobles  de  Schauenbourg  et  les 
comtes  de  Waldner.  —  C'est  qu'il  est  beau  le  domaine  actuel  encore  de 
Souitz  ,  ces  immenses  forêts ,  cet  étalage  de  prairies ,  cette  propriété 
d'origine  colongère  s'étendant  de  la  villa  de  Ratherishdm  juscpi^au 

^  Ce  passage  prouve  que  la  commanderie  ,  entée  sar  une  cour  colongère,  avait 
droU  de  chasse  et  de  pèche  de  par  sa  devancière  agiricole. 


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HISTOIRE  DE  LA  TILLE  DE  SOULTZ.  399 

Ballon ,  et  depuis  Berrwiller  jusqu'au  lit  de  la  Lauch.  Pour  ne  pas  fati- 
guer le  lecteur,  nous  relaterons  succinctement  ces  procès ,  nous  réser- 
vant de  les  donner  peut-être  in  extenso  à  la  fin  de  TouTrage.  Us  ont 
fait  suer  sang  et  eau  à  nos  devanciers  ces  nobles  voisins  et  ont  failli 
enlever  aux  générations  actuelles  et  futures  le  patrimoine  chéri  de 
notre  cité. 

En  1455,  Versic  de  Stauiïenberg  prétend  que  le  chftteau  de  Jungholtz 
avait  un  ban  séparé  de  celui  de  Soultz.  La  ville  de  Soûl tz,  au  contraire, 
prétend  que  le  dit  château  était  situé  dans  son  ban ,  dans  le  ban  de 
Soultz ,  et  qu'il  n'y  avait  pas  de  ban  séparé,  finv.  p.  55). 

1493.  Reinhard  de  Schauenbourg  prétend  que  Jungholtz  et  Rimbach 
forment  un  ban  séparé  de  Soultz.  Soultz  prétend  avoir  Jungholtz  et 
Rimbach  en  son  ban.  Un  jugement  arbitral  intervint  et  donna  gain  de 
cause  à  la  ville.  (Inv.  p.  60). 

1505.  Nouvelle  contestation  entre  le  sieur  Nicolas  de  Schauenbourg 
et  Soultz ,  au  sujet  des  bans  et  droits  respectifs  de  la  ville ,  de  Rimbach 
et  de  Jungholtz. 

Dans  le  ban  de  Soultz  existait  un  canton  communal  dit  bei  Sigels- 
brunnen,  dont  la  propriété  était  à  Tévêché  de  Strasbourg,  et  sur  lequel 
la  ville  de  Soultz  jouissait  des  droits  de  pâturage  et  de  faire  des  fagots , 
car  le  sieur  Nicolas ,  ni  plus  ni  moins,  faisait  labourer  le  dit  communal 
en  se  l'appropriant.  Schauenbourg  est  détourné  de  ses  prétentions, 
(/fit?,  p.  64). 

1575.  Nouveau  procès  entre  la  ville  et  Ulric-Thiébaud  de  Schauen- 
bourg ,  et  jugement  qui  Ç\xe  toutes  les  prétentions  des  seigneurs  de 
Jungholtz.  {Inv.  p.  67). 

1656.  Original  d'une  requête  présentée  â  la  régence  par  la  ville  de 
Soultz.  (Inv.  p.  73).  Il  y  est  exposé  qu'un  membre  du  magistrat  ayant 
fait  visite  au  sieur  de  Schauenbourg  à  Niederhergheim  ,  celui-ci  aurait 
dit  avoir  appris  que  la  ville  de  Soultz  prétendait  que  le  château  de 
Jungholtz  était  dans  son  ban  ;  que  c'était  pour  la  seconde  fois  qu'il  en- 
tendait débiter  de  pareilles  fables ,  mais  qu'il  jetterait  par  la  fenêtre 
celui  qui  le  lui  dirait  pour  la  troisième  fois,  et  qu'il  ferait  feu  sur  les 
rénovateurs  qui  approcheraient  des  fossés  du  château.  La  ville  prie  la 
régence  de  la  maintenir  dans  son  droit.  1671-1739.  Les  sieurs  de 
Schauenbourg  contestent  à  l'évèché  la  juridiction  sur  leurs  domaines 
situés  dans  le  ban  de  Soultz.  Suit  un  arrêté  qui  acyuge  la  juridiction  â 
l'évèché.  ^ 


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400  REVITE  D'ALSACE. 

1749-1769.  Les  sieurs  de  Schauenbourg  prétendent  à  la  chasse  dans 
les  forêts  et  terres  qu*ils  tiennent  en  fief  dans  le  ban  de  Soultz.  Soit  un 
arrêté  qui  les  condamne  à  l'amende  au  profit  de  l'évécbé  pour  y  avoir 
chassé.  {Inv.  p.  77). 

On  le  voit ,  ils  n'ont  pas  manqué ,  ces  seigneurs  de  Jungholtz ,  de 
chercher  maille  à  partir  aux  bourgeois  de  Soultz.  Communal ,  forêts , 
pêche ,  tout  était  matière  à  procès.  Déboulés  de  leurs  demandes  cent 
fois ,  cent  fois  ils  recommencèrent  ;  ils  ignoraient  sans  doute  le  mot 
d'annexion ,  mais  ils  connurent  le  procédé  et  ils  l'essayèrent  plus  d'une 
fois. 

Procès  entre  la  ville  de  Soultz  et  le  sieur  Christian-Frédéric- Dagoberi 
comte  de  Waldner  de  F)reundstein  ^  grand-croix  de  l'ordre  du  Mérite 
militaire ,  lieutenant-général  des  armées  du  roi ,  colonel  Sun  régi- 
ment  suiêse  de  son  nom ,  seigneur  d'Ollwiller  et  autres  lieux. 

1776.  Les  pièces  de  ce  procès  jettent  une  clarté  extrême  sur  les 
origines  de  Soultz  et  sur  celles  de  cette  noble  famille ,  qui  avait  eu  pour 
berceau  le  château  du  Freundstein.  Nous  livrerons  au  public  (et  ce  à  la 
fin  de  l'histoire  que  nous  écrivons  sur  la  ville  que  nous  habitons)  le 
manuscrit  complet  formant  cinquante-deux  pages  imprimées,  et  intitulé  : 
t  Précis  de  l'instance  entre  les  prévôts ,  boui^uemestre  et  magistrats 
c  de  la  ville  de  Soultz ,  défendeurs  en  référé  et  en  requête ,  et  deman- 
c  deurs  en  requête,  contre  messire  comte  de  Waldner,  et  signé  : 
c  H.  Holdt ,  conseiller  ;  Doyen ,  rapporteur  ;  Reech ,  procureur. 

4  A  Colmar ,  de  l'imprimerie  de  Jean-Henri  Decker ,  imprimeur  du 
t  Roi  et  de  Nosseigneurs  du  Conseil  souverain  d'Alsace.  1781-1782.  i 

La  ville  a  gagné  ce  procès  qui  compromettait  plus  que  la  moitié  de 
ses  possessions  forestières. 

ANNEXES  DE  SOULTZ     —  DROITS   DE   LA  VU.LE. 

Wuenheim. 

L'umgeld  s'y  prend  à  raison  de  six  pots  par  mesure  (qui  est  sensée 
au  cabaret  de  38  pots).  Les  deux  tiers  de  ce  droit  appartiennent  à  l'évè- 
ché ,  et  un  tiers  à  la  communauté  du  lieu. 

1297.  Le  sieur  d'Erenberg  vend  à  l'évêque  Conrad  et  à  l'évèché  son 
château  et  forteresse  de  Wuenheim ,  pour  et  moyennant  201  marcs 
d'argent.  (V^  l'original  en  l'armoire  des  chartes  ,  date  1297.  B) 


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HISTOIRE   DE   LA  VILLE    DE  SOULTZ.  401 

i497.  Le  sieur  de  Mœrsperg  reçoit  l'ermitage  qui  esl  près  de  Wuen- 
heira  sous  la  protection  de  l'empire.  {Inv^  p.  88). 

1578.  Le  village  de  Wuenheim  appartient  à  Tévéque  et  forme  avec 
Soultz  un  seul  ban  et  n'a  qu'une  justice.  L'umgetd  au  dit  lieu  appartient 
pour  les  deux  tiers  à  l'évoque ,  le  troisième  tiers  et  droit  appelé  bosser 
Pfennig  ,  revîenent  h  la  ville  de  Soultz.  Le  droit  sur  le  débit  de  vin  se 
partage  de  même. 

Le  Pfundzoll  est  à  l'évéque  seul. 

Item  les  amendes  à  l'exception  de  celles  qui  sont  acceptées  (étiqueter 
Soultz  1578  .  Iesq\ielles  appartiennent  à  la  ville  de  Soultz). 

Chaque  habitant  de  Wuenheim  doit  à  l'évéque  une  poule  au  carnaval. 

Chacun  qui  a  voilure  doit  mener  quatre  voitures  de  bois  au  château 
de  Soultz. 

La  cour  Saint-Léonard  de  Wuenheim  paie  pour  droit  à  l'évéque  dix 
schillings 

l/évéque  a  un  quart  de  la  dîme  en  grains  dans  un  certain  canton 
désigné  par  tous  les  tt^nants ,  le  sieur  de  Schauenbourg  et  la  dame 
Zindia  ont  les  trois  autres  quarts. 

La  dime  en  foin  dans  le  même  canton  apppartient  de  même  aux 
quatre  décimateurs;  mais  comme  le  sieur  de  Schauenbourg  a  des  prés, 
il  n'en  paie  pas  la  dime  et  laisse  partager  les  trois  quarts  du  revenu  à 
qui  de  droit. 

Item  pour  la  dime  en  chanvre. 

La  dîme  en  vin  appartient,  la  moitié  à  l'évéque,  l'autre  moitié  à  la 
commune  de  Soultz. 

A  l'exception  de  quelques  cantons  désignés  dans  le  registre ,  les  habi- 
tants de  Wuenheim  sont  tenus  de  réparer  ^e  parc  de  l'évéché  »  et  cela 
chaque  année.  {Inv.  p.  89). 

i598.  Le  magistrat  de  Soultz,  Ober-Mundat,  demande  à  Eberhard  de 
Manderscheid  ,  stalthalter  ,  le  tiers  de  l'umgeld  à  Wuenheim  ,  le  droit 
de  banvin  à  Soultz^  et  le  droit  de  percevoir  à  Soultz  les  amendes  en- 
courues pendant  deux  foires  de  l'année.  Il  prie  le  statthalter  de  vouloir 
ne  pas  le  dépouiller  d'une  possession  qui  remonte  au-delà  des  siècles. 

La  sentence  du  statthalter  est  négative.  {Inv.  p.  90). 


3^  Série.  •  M*  Année. 


26 


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402  REVUE  b' ALSACE. 

Villages  de  Hartmanstoiller  et  de  Rimbach-ZelL 

Ces  deux  villages  ont  été  échangés  par  Tévêché  contre  le  village  de 
Schweinheim  ,  que  Tévéché  a  acquis  par  là  des  sieurs  de  Waldncr  en 
1760.  {Im\  p.  93). 

Les  règlements ,  arrêts,  diiïérends  et  sentences  n*oifrent  rien  de  par- 
ticulier et  ne  valent  pas  la  peine  d'être  citées 

ORGANISATION   SPÉCIALE  DE   LA    VII.Lli:. 

Le  Prévôt ,  Scultelus.  Der  Schultz  ,  SrhuUheiss. 

Le  prévôt ,  nommé  par  Tévèque  et  choisi  parmi  les  boui^eois  nota- 
bles ,  commandait  la  milice  directe  de  la  ville ,  présidait  le  conseil  et  le 
tribunal  juridique  ;  hiérarchiquement ,  il  était  soumis  au  bailli ,  mais 
tout  en  tenant  son  mandat  du  seigneur  évêque,  il  était  le  chef  naturel 
de  la  bourgeoisie ,  le  protecteur  né  des  libertés  et  franchises  munici- 
pales. Le  Schullheiss  était  le  juge  ordinaire  du  lieu  ,  et  dirigeait  toutes 
les  causes ,  hormis  celles  qui ,  par  leur  importance ,  demandaient  la 
présence  du  bailli  (Vogt).  Ce  personnage  tenait  du  maire  et  du  juge  de 
paix  actuels. 

Série  des  Prévôts  de  Soultz  dont  les  noms  nous  sont  parvenus  ;  ceUe 
liste  est  basée  sur  des  manuscrits  en  notre  possession ,  »ur  le  Cartu- 
laire  de  la  commanderie  et  sur  l'ouvrage  de  if.  Trouillat. 

1271 .  Johannes  Marchalchus.  —  Trouillat ,  tome  2 ,  page  213. 

1291.  Wernherus.  —  Tr. ,  tom.  2,  p.  402. 

1293.  Werner  de  Rode.  —  Tr. ,  tom.  2 ,  p.  675. 

1295.  Henri  de  Baleswindt.  —  Cartulaire  de  la  commanderie^  p.  137. 

1303.  Johannes.  —  Tr. ,  tom.  3 ,  p.  39. 

1310.  Ruediger.  —  Tr. ,  tom.  3,  p.  690. 

1316.  Nicolas  de  Lulenbach.  —  Tr. ,  tom.  3 ,  p.  699. 

1338.  Clawes.  —  Tr. ,  tom.  3,  p.  783. 

1341.  Rutschin  Schurer.  —  Tr. ,  tom.  3,  p.  792. 

1346.  Jacobus.  —  Cartulaire,  p.  137. 

1370.  Pierre  de  Fribourg.  —  Cart. ,  p.  22. 


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HISTOIRE  DE  LA    VILLE  DE  SOULTZ.  403 

1382.  Heinlzmann  (lening.  —  Cart. ,  p  22 ,  Tr. ,  tom,  4 ,  p.  773  , 

780,  etc. 
i396.  Michaêl  Burgnougt.  ->  Tr. ,  tom.  4 ,  p.  849. 
1398.  Cuntzel  Kremer.  —  Tr. ,  tom.  4 ,  p.  858. 
1400.  Conrad  Huian. 

1402.  Conzelin  Herman.  —  Cart. ,  p.  143. 
1413.  Hennemann  Gartner.  —  Cart. ,  p.  57. 
1422.  Henri  Wiener.  —  Cart. ,  p.  83. 
«434.  Hennemann  Serun.  —  Cart. ,  p.  74. 
1439.  Jean  de  Prangen.  (Hans  von  Prangen). 
1458.  Jegelin  Pollwyler.  —  Cart. ,  p.  120. 
1465.  Michel  Brinighoffen.  -  Cart. ,  p.  167  et  138. 
1472.  Werlin  Krurablin.  —  Cart. ,  p.  89. 
1472.  Jacques  de  Pollwyler.  —  Cart. ,  p.  73. 
1482.  Pierre  Tzœpehlin. 

1486.  Jean  de  Waltvylr. 

1487.  Bernard  de  Pollvylr.  -  Cart. ,  p.  106  et  42. 

1493.  Jean-Alban  Stenhalter. 

1494.  Bernard  de  Pollvylr ,  pour  la  2«  fois. 
1496.  Doman  Virtag. 

1522.  Conrad  Trutmann.  —  Cart. ,  p.  65. 

1538.  Tiethbold  Kersmann.  —  Cart.,  p.  179. 

1550.  Jean  Hannerey. 

1556.  Balthasar  Kuentz. 

1558.  Marc  Kunenberger. 

1568.  Jean  Schmidlin. 

1576.  Jean*Léonard  HalTner. 

1590.  Martin  Kuen. 

1602.  Théobald  Wendt.  (Archives  du  clocher.) 

1620.  Florian  Rieden. 

1636.  Louis  Schlitzweck.  (Archives  du  clocher.) 

1642.  Jean-Louis  Banhauer. 

1652.  Jean-Conrad  Jacques ,  mort  le  30  avril  1665. 

1665.  Pierre  Lorentz. 

1686.  Louis  d'Aubry  ,  mort  le  19  février  1725. 


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404 


REVUE  D'ALSACE. 


LE  BOURGUEMAÎTRB ,  Bûrgermeistef ,  Magister  civium. 

Le  bourguemaitre ,  choisi  dans  le  sein  du  roagisirai ,  avait  un  mandai 
de  trois  ans  ;  avant  que  FAlsace  ne  devint  française,  il  y  avait  à  Soulfz 
un  Altbûrgermeister  et  un  Bûrgermeister  adjoint.  Ces  officiera  étaient 
attachés  au  prévôt  comme  nos  adjoints  actuels  le  sont  au  maire.  A  la 
période  française,  le  Schultz  fut  remplacé  par  le  bourguemaitre ,  et  le 
bailli  par  rAmptmann  ,  qui  seul  devenait  juge  ;  plus  tard  ,  le  premier 
devint  maire ,  et  le  second  formula  le  juge  de  paix.  Cakifogue  '. 


1341.  Bourkardl  de  Bollwiller. 
(Trouillal,  lom.  3,  p  792.) 
1452.  Clevin  Schweblin. 
1470.  Pierre  Zstchoplin. 
1514.  Jean  Schliztveck. 
1556.  Roman  Wernher. 

1567.  Thomas  Schliztveck. 

1568.  Georges  Jungher. 

1569.  Ulric  Zûrcher. 

1570.  Ulric  Hûgelin. 

1571.  JeanEbstein. 

1574.  Jean-Leonard  Haller. 
1583.  Théobald  Wendt. 
1583.  David  Schliztveck. 
1589.  Ulric  Zûrcher. 
1592.  Gabriel  Werner. 
1595.  Jérémie  Herdtwitt. 
1597.  Rodolphe  Speich. 
I.'i99.  David  Metzner. 
1602.  Florian  Rieden. 
1604.  Jacques  Henigath. 
1607.  Ulric  Schmidt. 
1609.  Balthasar  Dûb. 
1616.  Georges  Bauer. 

1619.  Valentin  Butz. 

1620.  Jacques  Hillenmeyer. 


1622.  Jérôme  Reinbold. 

1623.  Georges  Bauer. 

1626.  Jérôme  Reinbold.  (2« fois.) 
1631.  Louis  Schilztveck. 
1642.  Georges  Aman. 

1646.  Jean-Conrad  Marloy. 

1647.  Jean-Conrad  JsBger. 
1650.  Idem. 

1657.  Gabriel  Schneiderlin. 
1659.  Pierre  Lorentz. 

1662.  Christophe  Burger. 

1663.  Nicolas  Witschger. 

1664.  Paul  Breil«lrouk. 

1666.  Christophe  Burger. 

1667.  Jean-Jacques  Werner. 

1668.  Florian  Hûgelin. 
1681.  Jean-Conrad  Harlon  fils. 
1672    Philippe  Judlin. 

1673.  Georges  Rauch. 

1674.  Philippe  Judlin. 
1678.  Jean-Jacob  Werner. 
1680.  Louis  Kromer. 
1680    Melchior  Lipold. 
1683.  Jean-Georges  Lorentz. 
1688    JeanWeibel. 


'  Ce  Catalogue  est  incomplet ,  malgré  les  peines  que  noas  noas  sommes  don- 
nées pour  l'établir ,  à  partir  de  1688  il  n*y  avait  plus  de  prévit ,  le  bonrgnemattre 
Tavait  remplacé. 


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HISTOIRE  DE   LA  VILLE  DE   SOULTZ. 


405 


Période  française. 

A  cette  époque  le  Schuitz  (prévôt)  fut  remplacé  par  le  bourguemaltre 
qui  devint  dès-lors  le  chef  de  la  commune;  il  fut  remplacé  en  1789 
par  le  maire. 


1691. 

Mathieu  Larger. 

1740. 

Conrad  Cromer. 

1693. 

Jean-Conrad  Marloy. 

1748. 

Antoine  Hug. 

1693. 

Henri-André  Maurer. 

1756. 

Gaspard  Ziemer. 

1696. 

François- Henri  Meyer. 

1756. 

Gaspard  Rauch. 

1699. 

Maurice  Schmidt. 

1757. 

Moritz  Hirtz. 

noo. 

Lorentz  Beitz. 

1770. 

Joseph  Larger. 

1710. 

Guillaume  Wittmer. 

1770. 

Ambroise  Beigert. 

1712. 

Michel  Wilschger. 

1771. 

Caspar  Keyser. 

1715. 

Guillaume  Wittmer. 

1772. 

Jean  Ebclin. 

1719. 

Gaspard  Immelin. 

1782. 

Nicolas  Kœnig. 

1736. 

Conrad  Cromer. 

1787. 

Adam  Jacques* 
Charles  Knoll. 

La  suite  à  une  prochaine  livraison). 


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DE  L'INFLUENCE  DES  FORÊTS 

SUR  LA  DISTRIBUTION  DES  EAUX. 


Des  observations  faites  en  tous  pays  onl  montré  dans  les  forêts  une 
tendance  générale  à  abaisser  la  température.  Abritant  le  sol  contre 
rirradiation  solaire ,  elles  entretiennent ,  par  le  fait  de  la  transpiration 
des  feuilles,  une  grande  quantité  d'humidité  dans  l'atmosphère ,  et  mul- 
tiplient, par  l'expansion  des  branches,  l'étendue  des  surfaces  qui  se 
refroidissent  par  rayonnement.  Dans  nos  climats,  où  la  transpiration  et 
le  pouvoir  émissif  des  plantes  sont  moins  intenses  que  sous  les  tropiques, 
l'action  frigorifique  de  certaines  forêts  n'est  pas  aussi  prononcée. 
Toutefois  si  Ton  ne  peut  dire  d'une  manière  générale  quelles  seront  les 
conséquences  de  la  disparition  d'une  forêt  déterminée ,  il  est  certain 
que  si  nos  départements  méridionaux  étaient  plus  boisés ,  ils  seraient 
à  l'abri  des  sécheresses  qui  les  désolent  si  souvent.  M.  Becquerel ,  dans 
un  mémoire  lu  à  l'Académie  des  sciences  ' ,  rapporte  les  expérience.^ 
qu'il  a  faites  à  ce  sujet  et  montre  que  les  arbres  s'échauffent  et  se 
refroidissent  très -lentement,  que  par  conséfiuent  ils  prennent  à  l'air 
ambiant,  pendant  les  heures  les  plus  chaudes  de  la  journée,  une  partie 
de  sa  chaleur  pour  la  lui  rendre  quand  la  température  s'abaisse.  L(^ 
tronc  des  arbres  atteint^  seulement  après  le  coucher  du  soleil ,  la  tem- 
pérature maxima,  et  quand,  par  TefTet  du  rayonnement  nocturne,  les 
feuilles  se  refroidissent .  elles  reprennent  au  corps  de  l'arbre  ce  qu'elles 
avaient  perdu  et  rétablissent  ainsi  l'équilibre. 

Non  seulement  les  forêts  agissent  comme  cause  frigorifique  de  Tat- 
mosphëre;  elles  assainissent  certaines  contrées  en  les  abritant  contre 

'  Cofnpies-rendus  des  séances  de  l'Académie  des  sciences ,  4866  et  4866, 


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DE  l'influence  DES   FORÊTS,    ETC.  407 

les  vents  dangereux ,  en  décomposant  les  miasmes  que  dégage  le  sol  ; 
elles  préservent  contre  la  gr^le  les  zones  environnantes  soit  qu'en  occa- 
sionnant des  remous  atmosphériques  ' ,  elles  provoquent  la  résolution 
des  nuages  à  distance ,  soit  que  les  arbres,  agissant  comme  des  para- 
tonnerres, enlèvent  aux  nuages  leur  électricité  et  empêchent  la  formation 
de  la  grêle.  Tous  ces  faits  sont  certains.  L^influence  attribuée  aux  forêts 
sur  la  régularisation  des  cours  d'eau  est-elle  également  réelle  ? 

Dès  les  premières  années  de  ce  siècle  ujie  enquête  a  cherché  à  con- 
stater cette  influence  par  des  observations  directes  faites  dans  le  val  de 
la  Lièpvre  et  dont  malheureusement  je  n'ai  pu  trouver  les  résultais. 
En  1850 ,  un  ingénieur  des  ponts  et  chaussées  ,  M.  Belgrand ,  reprit  la 
question  dans  le  Morvan,  sur  le  bassin  du  Cousin,  torrent  dont  les  versants, 
de  formation  cristaline  imperméable,  sont  boisés  au  tiers ,  et  sur  le  ruis- 
seau de  la  Grenetière ,  dont  la  vallée ,  également  granitique ,  est  entiè- 
rement boisée.  Le  résultat  de  cette  expérience,  suivie  du  17  novembre 
1850  au  1^'  mai  1853,  parut  montrer  que  le  régime  des  deux  cours 
d'eau  est  le  même ,  quoique  ces  deux  bassins  soient  très-inégalement 
boisés  ;  que  l'eau  suit  la  même  marche  ascendante  et  descendante 
dans  les  pluies  et  les  sécheresses ,  en  hiver  et  en  été  ;  que  le  Cousin 
et  la  Grenetière  ont  un  régime  de  basses  eaux  d'hiver  beaucoup  plus 
abondant  que  celui  d'été;  que  dans  les  deux  bassins  une  forte  pluie 
d'hiver  produit  une  crue  subite  plus  ou  moins  élevée ,  mais  très-courte, 
suivie  d'une  longue  crue  moyenne.  En  conséciuence  M.  Belgrand  con- 
clut de  ces  observations  qu'on  ne  doit  pas  attendre  du  reboisement , 
entre  l'hiver  et  l'été ,  une  distribution  plus  régulière  des  eaux  dans  le 
Thalweg  '. 

Restées  quelque  temps  sans  contrôle,  les  conclusions  de  M.  Belgrand 
furent  infirmées  en  1860  par  les  observations  nouvelles  de  MM.  Jenndel, 
Cantégril  et  Bellaud.  Il  est  rare  de  trouver  deux  bassins  contigus  d'une 
même  étendue,  d'une  nature  géologique,  d'un  relief,  d'une  exposition 
et  d'une  déclivité  identiques,  différents  seulement  par  la  végétation. 
Ces  conditions  se  trouvèrent  sinon  absolument ,  du  moins  d'une  ma- 
nière satisfaisante  sur  deux  versants  opposés  des  Basses-Vosges.  Le 
bassin  boisé  situé  à  l'Est  du  bief  de  séparation  des  eaux  dans  la  forêt 
domaniale  de  Dabo ,  donne  naissance  h  deux  bras  de  la  Zorn ,  issus  , 

'  Becquerrl  ,  Comptes-rendus  de  l' Académie  des  sciences,  48SS.  T.  60,  p.  1049. 
*  Annales  des  ponts  et  chaussées ,  1854  ^  3«  série ,  tom.  vu  ,  p.  19. 


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408  REVUE  D'ALSACE. 

Tun,  du  Grossmanii,  vers  900  mètres  d'altilude,  Taulre,  du  Hengst- 
kopf,  donl  le  sommet  s'élève  à  889  mètres ,  et  qui  se  réunissent  à  la 
pointe  d*01)erzorn  après  quinze  kilomètres  de  parcours^  à  deux  kilo- 
mètres au-dessus  de  la  Kleinmùhl  de  Dabo.  De  belles  futaies  de  sapins, 
âgées  de  60  à  120  ans ,  couvrent  le  versant  septentrional  de  la  vallée  ; 
le  versant  méridional  est  formé  de  chaumes  ,  terrains  autrefois,  livrés  à 
des  incendies  périodiques  pour  être  convertis  en  pâturages ,  revêtus 
maintenant  de  jeunes  bois  et  de  quelques  vieux  chênes  épargnés  par  le 
feu  ,  à  Texceplion  de  70  hectares  de  rocailles  et  de  bruyères  à  la  partie 
supérieure  du  bassin  qui  n'ont  encore  pu  être  reboisés  à  cause  de  la 
rigueur  du  climat.  Le  second  bassin  appartient  au  versant  occidental 
de  la  chaîne  ;  il  est  alimenté  par  deux  ruisseaux  qui  forment  la  Bièvre, 
affluent  de  la  Sarre,  à  1  kilomètre  en  amont  de  Walscheid.  Cette  vallée 
est  boisée  seulement  sur  la  moitié  de  sa  surface ,  l'autre  moitié  ,  étant 
occupée  par  des  cultures  au  fond  et  sur  les  pentes  les  moins  rapides , 
alternant  avec  des  prairies  irriguées  que  suivent  ensuite  des  friches  et 
des  pâturages.  Le  bassin  boisé  a  une  étendue  de  4223  hectares ,  celui 
du  second  en  comprend  978.  Tous  deux  ont  pour  base  géologique  le 
grès  vosgien  qui  présente  parfois  des  escarpements  verticaux  et  ne 
porte  que  peu  d'humus  sur  un  tiers  de  sa  surface.  Les  pentes  transver- 
sales du  bassin  de  la  Zorn  varient  de  30  à  60  quelque  fois  mê  .le  80  pour 
cent  ;  celle  du  bassin  de  la  Bièvre  sont  un  peu  moindres.  Les  eaux 
météoriques  étaient  mesurées  à  l'aide  de  quatre  udomètres  placés,  l'un 
dans  le  bassin  de  la  Bièvre  au  village  de  Walscheid  ,  les  trois  autres 
dans  la  vallée  de  la  Zorn  ,  à  400 ,  500  et  889  mètres  d'altitude  ;  la 
quantité  d'eau  écoulée  à  la  surface  du  sol  était  mesurée  à  l'aide  de 
déversoirs.  On  a  consigné  sur  le  registre  d'observations  l'heure  du  com- 
mencement et  l'heure  de  la  fin  de  la  pluie,  ainsi  que  l'heure  des  mesu- 
rages  effectués  aux  déversoirs.  Le  calcul  des  observations  ainsi  faites  a 
donné  les  résultats  suivants  : 

I    Bassiu  boisé   .    .    0,07l> 
Cucfficienls  géiu^raux  d'écoulciucDl  i^uperflciel  . 

(    Bassin  déboisé    .    0J27 

I   Bassin  boisé   .   .  0,0215 
CocfYicieuls  généraux  d'action  inondante         •    •  { 

'   Bassiu  déboisé    .  0,0591 

iNous  allons  voir  qu'il  importe  beaucoup  pour  la  précision  des  obser- 
vations que  les  bassins  comparés  aient  la  même  étendue  ,  mais  encore 
dans  le  champ  de  l'expôrience  de  M.  Jeandel ,  le  bassin  de  la  Zorn, 


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DE   l'influence   DES   FOHÊTS  ,    ETC  409 

quoique  quatre  fois  supérieur  à  celui  de  la  Bièvre,  a  des  versants 
d'uue  largeur  égale  '  à  celle-ci  ;  la  nature  du  sol  étant  identique  et  la 
pente  sensiblement  la  même  ,  les  deux  bassins  peuvent  être  comparés 
entre  eux  sans  erreur  notable.  Or  le  bassin  de  la  Bièvre,  quoique  boisé 
à  moitié ,  laisse  écouler  une  quantité  d'eau  plus  considérable  que  celui 
de  la  Zorn  et  les  forêts  exercent  ici  une  infiuence  considérable  sur  la 
régularisation  des  eaux. 

Dans  TÂude  et  THéraull,  M.  Maistre  de  Villeneuve  s'est  également 
asîsuré  par  des  observations  pluviomélriques  el  des  jaugeages  répétés 
deux  fois  par  jour  que  le  bassin  boisé  de  Lampy  ,  dépendant  du  massif 
de  la  Montagne  Noire ,  sur  une  superficie  de  700  hectares ,  absorbe 
à  peu  près  la  moitié  de  Teau  pluviale  et  fournit ,  par  l'intermédiaire 
de  sources  nombreuses,  110  litres  d'eau  par  seconde  au  ruisseau  du 
Lampy,  tandis  que  le  bassin  voisin  déboisé  de  Salagou  écoule  superfi- 
ciellement la  majeure  partie  des  eaux  météoriques ,  et  bien  que  d'une 
superficie  six  fois  supérieure ,  fournit  seulement  un  débit  de  12  litres 
par  seconde.  Les  expériences  de  M.  Conle-Grandchamps  ont  reconnu 
ailleurs  l'existence  de  faits  semblables. 

Que  l'opinion  publique  ait  été  froissée  par  les  conclusions  négatives 
de  M.  Belgrand  sur  l'influence  des  furets  sur  la  régularisation  des  cours 
d'eau  ,  cela  ne  prouve  rien.  Mais  aujourd'hui  ces  conclusions  sont 
démenties  par  des  expériences  nouvelles ,  ce  qui  est  grave.  La  nature 
ne  se  contredit  pas.  Jamais  une  même  cause  ne  donne  des  résultats 
différents,  dans  des  conditions  identiques,  il  faut  donc  que  les  obser- 
vations de  M.  Belgrand  soient  incomplètes,  ou  plutôt  a  tiré  des  con- 
clusions erronées  de  prémisses  vraies. 

M.  Belgrand  compare  les  hauteurs  d'eau  pluviale  et  le  débit  par 
minute  et  par  kilomètre  carré  du  Cousin  et  de  la  Grenetière ,  deux 
cours  d'eau  du  Morvan  ^.  Le  Cousin  est  une  rivière  alimentée  par 
un  bassin  de  33,600  hectares  «  boisé  sur  un  tiers  de  sa  surface  ;  la 
vallée  de  la  Grenetière  est  boisé  presque  entièrement,  son  étendue 
est  de  250  hectares.  Le  Cousin  est  alimenté  par  de  nombreux  étangs, 
dont    M    Belgrand   ne    tient    pas   compte    dans    ses    appréciations 

t 

'  Rapport  du  maréchal  Vaillant  sur   les  études  de  MM.  Jcandcl  ,  GaDtcgril  et 
BHIaud.  Annules  forestières  el  métallurgiques.  Ann.  1861,  4«  série,  t.  vu»  p.  17^. 
'  Annales  des  ponts  el  chaussées  ,  48^ i,  3«  série  ,  tom.  vu  ,  p.  1 


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410  REVUE   DALSACE. 

actuelles ,  mais  sans  lesquels  il  a  reconnu  précédemment  que  le  Cousin 
cesserait  de  couler  lors  des  années  sèches  ^  Le  savant  ingénieur  dit 
aussi  que  les  eaux  d'une  rivière  s'écoulent  d'autant  moins  vite  que  le 
bassin  d'alimentation  est  plus  grand  ^,  et  pose  en  loi  que  la  crue  torren- 
tielle d'un  grand  cours  d'eau,  à  versants  imperméables,  se  compose  non 
pas  de  la  somme ,  mais  seulement  de  la  succession  des  crues  torren- 
tielles des  affluents  qui  passent  les  unes  à  la  suite  des  autres.  Toutes 
ces  causes  concourent  à  donner  à  la  Grenetière  un  cours  moins  régulier 
que  celui  du  Cousin.  Or  ces  deux  cours  d'eau  ont  un  régime  identique; 
le  bassin  de  la  Grenetière  est  très-boisé ,  le  Cousin  l'est  peu ,  l'influence 
des  forêts  n'est  donc  pas  nulle. 

Cependant  H.  Belgrand  ne  s'est  pas  borné  à  étudier  le  régime  du 
Cousin  et  de  la  Grenetière  ;  il  compare  aussi  le  débit  de  ce  dernier 
ruisseau  à  celui  du  Bouchât.  Le  débit  des  cours  d'eau  passant  sur  des 
versants  granitiques  est  essentiellement  variable  parce  que  le  sol  y  étant 
sablonneux  ne  retient  pas  longtemps  les  eaux  pluviales ,  parce  que  les 
sources  peu  profondes  tarissent  pendant  les  sécheresses  et  commu- 
niquent leur  régime  aux  ruisseaux  qu'elles  alimentent  ^.  Le  bassin  de 
la  Grenetière  est  formé  de  granit  sur  toute  son  étendue  de  250  hectares 
environ.  Le  bassin  du  Bouchât  au  contraire  ,  qui  comprend  2075  hec- 
tares .  consiste  en  terrains  liasiques  et  superliasiques  sur  une  surface  de 
1775  hectares.  Ces  terrains  très-argileux  absorbent  et  retiennent  avec 
plus  de  force  les  eaux  superficielles  Ils  en  accumulent  de  grandes 
quantités  au  contact  des  terrains  cristallins  et  dans  le  calcaire  à  gryphées 
arquées ,  qui  présente  souvent  à  sa  base  des  sources  très-abondantes  ; 
comme  le  calcaire  oolithique  dont  se  composent  les  300  hectares  res- 
tants du  Bouchât ,  ne  laisse  pas  s'écouler  une  seule  goutie  d'eau  ^  à 
leur  surface ,  il  faut  bien  que  cette  roche  absorbe  une  partie  des  eaux 
pluviales  pour  les  accumuler  dans  des  réservoirs  souterrains.  H.  Bel- 
grand  ne  lient  pas  compte  de  ces  300  hectares,  reconnaît  que  les  vallées 
granitiques  ont  une  pente  trois  fois  plus  forte  que  les  vallées  liasiques 
et  les  eaux  s'y  écoulent  plus  vite.  Ici  encore  la  Grenetière  devrait  jouir 
d'un  cours  moins  régulier  que  celui  du  Bouchât.  Toutefois  H.  Belgrand 


'  Belgrand,  Annales  des  potih  et  chaussées ,  ^846  ,  :^«  série  ,  loiu.  \ii ,  p.  152. 

'  Idem  ,  i852  .  5«  série,  lom.  ni ,  p.  29. 

'  Idem,  /«46\  lom.  XH ,  p.  UO. 

'  tdem ,  1864 ,  3«  série  ,  lom.  vn ,  p.  2. 


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DE   L*1NFLDENGE    DES  FORÊTS,    ETC.  411 

consiale  dans  ces  deux  ruisseaux  un  débit  journalier  identique  ,  si  ee 
u*est  que  la  Grenetière  a  un  débit  maximum  un  peu  plus  faible ,  un 
minimum  un  peu  plus  fort  que  le  Boucbat.  La  Grenetière  est  boisée ,  le 
Bouchât  ne  Test  pas.  Les  observations  de  H  Belgrand  établissent  donc, 
d'une  manière  éclatante,  la  puissante  influence  des  forêts  sur  la  régula- 
risation des  cours  d'eau  i. 

Cette  loi  est  générale  et  nous  avons  des  exemples  nombreux  pour 
en  preuver  la  vérité  manifeste.  Sans  parler  des  torrents  des  Alpes  qui 
ont  causé  de  si  déplorables  dénudations  arrêtées  seulement  par  les 
reboisements,  nous  signalerons  un  seul  fait  qui  donne  de  cette  influence 
une  démonstration  complète.  Le  ruisseau  du  Caunan ,  dans  le  Tarn , 
issu  de  la  forêt  déboisée  de  Labruguière ,  transformé  en  torrent  en  biver, 
sans  eau  en  été ,  laissait  chômer  depuis  longtemps  les  usines  qu'il  ali- 
mentait. A  partir  de  i840  y  la  forêt  mieux  soignée,  plus  respectée  s'est 
repeuplée  peu  à  peu.  En  même  temps  le  régime  du  cours  d'eau  s'est 
modiflé ,  les  crues  sont  devenues  moins  brusques ,  la  sécheresse  a  dis- 
paru ,  le  débit  s'est  régularisé  tellement  que  les  fabriques  de  drap  qui 
bordent  le  Caunan  n'ont  plus  à  soufl'rir  d'aucun  chômage.  Dans  les  Vosges 
au  contraire,  la  réduction ,  la  disparition  de  nos  belles  forêts  réagit 
d'une  manière  singulière  sur  le  régime  de  TIll  et  de  ses  tributaires.  La 
Fecht  qui  donnait,  au  commencement  de  ce  siècle,  des  eaux  abondantes 
même  en  été,  par  suite  du  déboisement  et  aussi  à  cause  du  progrès  des 
cultures  se  dessèche  maintenant  chaque  année  en  aval  de  Turckheim  , 
et  l'hiver  elle  est  tourmentée  par  des  crues  violentes. 

Ce  n'est  pas  seulement  dans  les  montagnes  que  s'exerce  l'action 
régulatrice  des  forêts.  On  a  constaté  une  diminution  du  débit  des  cours 
d'eau  dans  le  département  de  l'Oise.  Dans  son  rapport  adressé  au 
Conseil  général  du  Haut-Rhin  ,  au  sujet  du  défrichement  de  la 
Harth  ,  l'ingénieur  en  chef  des  ponts  et  chaussées  ,  H.  Mûntz  , 
affirme  que  cette  forêt  provoque  des  pluies  dont  la  plaine  a  si  grand 
besoin.  La  plaine  du  même  nom  qui  s'étend  au  nord  de  la  forêt ,  jadis 
couverte  de  bois,  aujourd'hui  presque  totalement  défrichée,  est  devenue 
stérile.  C'est  la  Harth  aride,  dûrre  Hahtb  ,  comme  on  dit  en  Alsace. 
Un  grand  nombre  de  cours  d'eau  qui  arrosaient  la  plaine  sont  mainte- 
nant à  sec.  Le  petit  réseau  anonyme  marqué  sur  la  carte  de  Spœcklin  , 


'  Voyez  dans  la  Revue  des  eaux  et  forêts  une  note  de  M.  d*Arbois  dt>  Jubainville 
sur  l'influence  des  forêts  sur  le  régime  des  eaux  ,  1866  ,  tom.  v ,  p.  65. 


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412  REVUE  D* ALSACE. 

en  1576,  composé  de  sept  ruisseaux  venant  des  collines  du  Sundgau, 
a  disparu  depuis  le  déboisement  des  forêts  qui  les  alimentaient.  Aussi 
la  présentation  récente  d'un  projet  de  loi  faite  au  Corps  législatif  sur 
Taliénation  de  la  forêt  domaniale  de  la  Harth  a-t-elle  provoqué  une  émo- 
tion générale.  Le  Conseil  général  du  Haut-Rhin,  sur  les  vives  instances 
de  H.  Herzog ,  a  demandé,  d'une  voix  unanime,  le  retrait  de  ce  projet 
dont  les  lecteurs  de  la  Revue  ont  pu  apprécier  ici  même  *  les  funestes 
conséquences  économiques. 

Charles  Grad. 

Turckbeim,  30  mars  1866. 


*  Voyez  rexcellent  mémoire  de  M.  Onimus  :  Sur  Valiénation  el  le  défrichement 
de  la  Harth,  -  Rsvue  d'Alsace ,  année  1865  el  1866. 


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JEAN  DE  DAMBACH  k  JEAN  TAULER. 


Nous  trouvons  dans  les  manuscrits  encore  inédits  de  Grandidier , 
cahier  seizième ,  à  la  fin  de  Tépiscopat  de  Jean  de  Liechtenherg ,  une 
courte  notice  qui  a  été  barrée  par  l'auteur ,  et  qui  concerne  Jean  de 
Dambach  et  Jean  Tauler.  Cette  notice ,  dont  Grandidier  a  probablement 
fait  usage  ailleurs  ,  car  il  barrait  tout  ce  qui  ne  devait  plus  lui  servir  , 
nous  paraît  mériter  d*étre  recueillie.  J.  L. 

L*Âlsace  vit  naître  .  sous  Tépiscopat  de  Conrad  (de  Liechtenherg) , 
deux  hommes  célèbres ,  tous  deux  de  Tordre  de  Saint-Dominique. 

L  Jean  de  Tambac  naquit  à  Dambach  en  Alsace  Tan  1288.  Il  prit 
riiabit  de  Saint  Dominique  dans  le  couvent  de  Strasbourg,  en  1308.  Il 
vint  à  Paris  et  il  y  commença  divers  ouvrages  dont  il  enrichit ,  dans  In 
suite,  la  République  des  lettres.  Le  pape,  Clément  VI,  lui  donna  le 
degré  de  Docteur  et  l'empereur,  Charles  IV,  l'tablit  premier  recteur  de 
rUniversité  qu'il  fonda  à  Prague.  Il  mourut  à  Fribourg ,  en  Brisgan  , 
le  3  janvier  1372  *. 

II.  Jean  Tauler  naquit  en  1274  et  prit  Thabit  de  Saint  Dominique  ,  à 
Strasbourg,  vers  Tan  1316.  Il  devint  Tun  des  plus  habiles  prédicateurs 
et  des  plus  grands  maîtres  de  la  vie  spirituelle  de  son  temps.  Il  mourut 
à  Strasbourg,  Je  17  de  mai  1361.  On  a  de  lui  plusieurs  sermons  et  ou- 
vrages de  spiritualité ,  entre  lesquels  on  estime  surtout  son  livre  alle- 
mand appelé  communément  :  les  Institutions ,  qui  a  été  traduit  en 
français  et  en  latin.  Tauler  était,  au  jugement  de  M.  Bossuet  /  un\ies 
plus  solides  et  des  plus  corrects  des  auteurs  mystiques.  11^  est  connu  , 
dans  les  écoles ,  sous  le  nom  de  Docteur  illuminé.  Le  cardinal  Belarm  in 
l'appelle  un  prédicateur  éminent  en  piété  et  en  savoir  ;  et  l'illustre 

*  Consultez,  à  son  sujet,  le  Père  Echard,  Script,  ord.  proBdical.,  lom.  i ,  p.  667, 
et  le  Père  ToOROff ,  Hist.  dt»  hommet  illusires  de  V ardre  de  Saint- Dominique, 


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414  RKVUE  n'ALSACR. 

évêque  de  Pamiers ,  Henri  de  Sponde ,  qui  a  continué  les  annales  de 
Baronius ,  ne  craint  pas  d'assurer  que  c'est  un  homme  digne  d'admi- 
ration et  que  ses  ouvrages  sont  pleins  de  l'onction  et  de  la  grâce  du 
Saint-Esprit  * .  Il  s'attacha  principalement  à  la  théologie  mystique  et , 
comme  on  le  crut  favorisé  de  révélations  ;  on  le  nomma  Théologien- 
illuminé.  Freherus  '  dit  que  son  épitaphe  porte  qu'il  mourut  le  15 
juillet  1379.  Mais  Bayle  ^  soutient  qu'on  y  lit  que  ce  fut  le  17  mai  1361. 
Ce  dernier  a  raison.  Il  mourut  et  fut  enterré  chez  les  Dominicains  de 
Strasbourg  avec  cette  épitaphe  :  Anno  Domini  M.CCC.LXI.  ,  XVI.  ral. 
JUN.  OBiiT  FRATER  JoHANNES  Tauler.  Tauler  mourut  subitement  à 
Strasbourg,  dans  le  jardin  des  religieuses  de  Saint-Nicolas  in  undis , 
ou  il  était  allé  voir  une  de  ses  sœurs  qui  y  était  religieuse. 

Voici  un  passage  de  Luther  au  sujet  de  Tauler  :  «  Si  te  delectat  pu- 
«  ram  ^  solidam  ,  antiqusB  simillimam  iheologiam  légère  in  germanicâ 
<t  linguâ  effusam ,  sermones  Joannis  Tauleri  praBdicatoriœ  confessionis 
«  tibi  coroparare  potes,  neque  enim  ego  vel  in  latinâ  vel  in  nostrâ  linguft 
«  theologiam  vidi  ^alubriorem,  et  cum  evangelio  consonantiorem  > 


*  Consultez .  k  sod  sujet ,  le  Père  Echard,  Script,  ord.  prœdicat. .  tom.  i , 
pag.  677;  le  Père  TOOROti,  Hùmmes  illustres  de  l'ordre  de  Saint-Dominique , 
tom.  Il ,  pag.  354  ;  le  Père  HoifOUÉ  de  St«-MARIB ,  dâas  sa  Tradition  dés  Pètes  et 
des  auteurs  eccUsiasliques  sur  la  contemplation ,  tom.  i ,  pag.  S8  ;  Hedion  ,  In 
Historié  tripartitâ,  pag.  398;  Bochholtzer  ,  »»/  Indice  chronoL  ,  et  Woi.ff  , 
Lectionum  memorabil. ,  tom.  i,  cant.  14,  fol.  669. 

*  !n  theatro ,  page  79. 
'  Dictionnaire  critique. 


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BniEHN  BIBUOGRAPHIQUE. 


Les  épopées  françaises  formeroni  trois  volumes  in*8*  de  700  pages 
chacun  ,  publiés  chez  V.  Palmé  ,  22 ,  rue  Sainl-Sulpice ,  au  prix  de 
10  fr.  chacun. 

L'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  vient  de  décerner  le 
second  prix  Gobert  à  un  ouvrage  qui  est  destiné  à  intéresser  tous  ceux 
qui  aiment  les  lettres ,  et  surtout  ceux  qui  aiment  la  littérature  fran- 
çaise. Nous  ne  craignons  pas  de  prédire  un  bon  accueil  aux  Epopées 
françaises,  étude  sur  les  origines  et  l'histoire  de  la  littérature  nationale, 

Cêi  ouvrage ,  dont  le  premier  volume  seul  a  paru ,  est  le  fruit  des 
patientes  recherches  de  1  un  de  ces  jeunes  érudits  dont  s'honore  TEcole 
des  chartes ,  cette  pépinière  des  bénédictions  laïques. 

H  L.  Gautier  a  voulu  prouver  que ,  contrairement  au  préjugé ,  la 
France  est  de  toutes  les  nations  modernes  celle  qui  possède  le  plus 
d'épopées  ;  qu'elle  avait  une  littérature  épique  des  plus  originales  et 
des  plus  riches  alors  que  les  autres  peuples  ne  possédaient  encore  que 
des  légendes  confuses  et  des  traditions  orales.  Pour  atteindre  son  but , 
M.  Gautier  a  courageusement  entrepris  un  travail  d'ensemble  sur  ces 
romans  de  chevalerie  qui ,  depuis  le  douxième  siècle^  ont  été  traduits 
dans  toutes  les  langues.  Le  premier  volume  montre  tour  à  tour  nos 
vieux  poèmes  sous  toutes  les  formes  qu'ils  ont  revêtues  depuis  leur 
origine  jusqu'à  nos  jours  :  c'est  Torigine  et  l'histoire  des  épopées  fran- 
çaises ;  à  lui  seul  il  forme  un  tout  complet.  Le  second  volume  contiendra 
une  analyse  de  chacun  de  nos  romans  cie  chevalerie  ;  le  troisième  volume 
sera  consacré  à  une  étude  philosophique  et  comparée  de  nos  épopées 
mises  en  regard  de  celles  des  autres  peuples  de  l'antiquité  et  du  moyen- 
âge,  de  l'Europe  et  de  l'Asie. 

Une  œuvre  de  ce  genre  ne  peut  manquer  d'être  goûtée ,  parce  qu'elle 
est  à  la  fois  savante  et  populaire.  Les  romans  de  chevalerie  se  com- 
posent de  milliers  de  vers  qui  peuvent  effrayer  beaucoup  de  personnes  : 
on  a  si  peu  de  loisirs  à  notre  époque  !  —  De  plus  ces  poèmes  sont  ré- 
digés dans  un  idiome  qui  est  souvent  difficile  à  comprendre  pour  ceux 
qui  n'ont  pas  fait  d'études  spéciales.  Ce  sera  donc  une  bonne  fortune 
que  d'avoir  en  trois  volumes ,  sous  la  main ,  le  moyen  de  connaître  et 
d'apprécier  l'ancienne  littérature  française.  La  haute  distinction  que 
que  vient  d'accorder  l'Académie  au  premier  volume  de  M.  Léon  Gautier 
est  la  meilleure  recommandation  que  l'ouvrage  puisse  avoir  auprès  du 
monde  savant.  Anatole  de  Barthélémy. 


Etude  sur  L'HiSToms  des  juifs  a  colmar  ,  par  X.  Mossmann  ,  archi- 
viste de  la  ville  de  Colmar.  —  Metz ,  typographie  Rousseau-Pallez , 
1866.  Extrait  de  la  Revue  de  l'Est.  —  Brochure  in-8«  de  52  pages. 
Prix  :  2  fr.  chez  Eug.  Barth ,  Grand'rue ,  à  Colmar  y  et  Ernest 
Thorin,  58,  boulevard  Saint-Michel  ^  à  Paris. 

On  peut  espérer  que  les  archives  de  Colmar  nous  fourniront  de  cu- 
rieuses révélations  sur  l'histoire  de  cette  ville ,  depuis  que  H.  X.  Moss- 


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416  REVUE   D'ALSACE. 

mann  est  préposé  à  leur  conservation.  Pour  commencer  voici  une  étude 
sur  la  condition  des  juifs  dans  ce  milieu  pendant  le  moyen-âge.  Si  le 
sort  de  la  nation  juive  en  Alsace  n'est  pas  précisément  le  côté  de  notre 
histoire  qui  soit  le  plus  obscur,  le  plus  ignoré,  grâce  aux  mémoires 
savants  et  nombreux  qui  ont  été  écrits  à  propos  de  contestations  judi- 
ciaires ,  grâce  encore  à  une  quantité  respectable  de  petits  livres  ou 
de  brochures  généralement  empreints  de  la  haine  enfantée  par  le  sen- 
timent religieux  ,  il  n'est  pas  moins  vrai  que  l'étude  de  M.  Mossmann 
nous  apprend  beaucoup  de  choses  sur  la  condition  qui  fut  faite  aux 
juifs,  dans  l'ancienne  ville  libre  de  Colmar  spécialement.  C'est  donc  un 
service  que  M.  l'archiviste  rend  à  l'histoire  particulière  de  la  ville  dont 
il  administre  le  dépôt ,  et  dont  on  ne  saurait  trop  Tencourapr  à  user 
pour  en  faire  jaillir  la  lumière  qu'il  est  susceptible  de  produire. 

On  suit  avec  intérêt  M.  Mossmann  dans  la  revue  qu'il  fait  d'actes  et 
.  de  circonstances  sur  lesquels  il  est  difficile ,  même  encore  aujourd'hui , 
à  une  critique  saine  et  impartiale  de  s'exercer.  C'est  une  histoire  lamen- 
table que  celle  des  juifs  en  Alsace  et  on  ne  trouve  peut-être  pas  dans  la 
notice  dont  nous  parlons  le  reflet  suflisammenl  accentué  des  violences 
(|ue  les  débris  de  cette  nation  durent  subir  dans  les  lieux  où  ils  trou- 
vaient un  refuge  ^  toujours  temporaire,  ni  surtout  des  causes  de  cet 
état  de  dégradation.  Il  est  vrai  que  M.  Mossmann  n'a  en  vue  que  l'histoire 
particulière  de  la  ville  de  Colmar  :  c'est  ce  qui  explique  pourquoi  le 
lecteur  ne  sera  peut-être  pas  toujours  d'accord  avec  lui  lorsqu'il  découvre, 
dans  des  circonstances  purement  locales  ,  l'explication  de  telle  ou  telle 
mesure  de  protection  ou  de  rigueur.  Ainsi ,  par  exemple  ,  on  admettra 
difficilement  que  les  figures  grimaçantes  des  juifs,  mêlées  «  aux  scènes 
pieuses  »  de  la  passion ,  peinte  dans  l'atelier  de  Schœngauer ,  c  ont 
eu  de  l'influence  sur  l'implacable  acharnement  de  la  ville  (de  Colmar) 
contre  les  juifs  et  sur  la  guerre  sans  trêve  qu'elle  leur  fit  jusqu'à  la 
Révolution,  i»  Nous  n'insistons  pas ,  car  nous  sommes  persuadé  que  si 
M.  Mossmann  veut  bien  jeter  un  coup-d'œil  sur  ce  qui  se  passait  ailleurs 
dans  le  même  temps ,  il  demeurera  convaincu  que  les  peintures  sorties  de 
l'atelier  du  Maître  ne  furent  pour  rien  dans  l'attitude  du  Magistrat  et  de 
la  population  de  Colmar  envers  les  juifs. 

Quoiqu'il  en  soit ,  la  notice  dont  il  s'agit  est  recommandable  comme 
document  à  consulter  lorsque  Ton  voudra,  une  bonne  fois,  écrire 
l'histoire  de  la  ville  ;  si  d'une  part  il  y  manque  le  lien  qui  rattache  aux 
événements  généraux  de  la  province  et  même  de  l'Empire ,  les  faits 
qu'elle  rapporte  ,  d'autre  part  elle  en  signale  qui  étaient  ignorés  jus- 
qu'à présent  et  à  l'appui  de  beaucoup  il  ne  manque  autre  chose 
que  rindication  des  sources  dont  M.  Mossmann  s'est  montré  un  peu 
trop  avare. 

Ces  réserves  faites  avec  franchise  et  sincérité,  nous  recommandons 
à  nos  lecteurs  l'étude  sur  l'histoire  des  juifs  à  Colmar,  par  M.  l'archi- 
viste de  cette  ville. 

FRÉDÉnir.  KuRTz. 


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UN  BAS-RELIEF  DE  MITHRA. 

URCODVKKT  A  STRASBOURG  ET  ACQUIS  PAR  LA  BIBLIOTHÈQUE  DE  CETTE  VILLE. 


Le  musée  lapidaire  de  la  Bibliothèque  de  Strasbourg  vient  de  s'enri- 
chir d'un  monument  intéressant  et  que  sa  rareté  rend  même  précieux. 
C*est  un  bas-relief  représentant  un  Mithra,  divinité  dont  le  culte,  né  en 
Perse  et  introduit  à  Rome  sous  Pompée ,  a  pénétré  successivement 
dans  la  Gaule  et  jusque  sur  les  deux  rives  du  Rhin  ,  où  Ton  a  déjà 
découvert  plusieurs  sanctuaires  qui  lui  étaient  consacrés.  Ce  monument 
a  été  trouvé  tout  récemment ,  par  hasard ,  au  centre  de  la  ville  ,  dans 
des  fouilles  effectuées  pour  Tapprofondissemenl  d'une  cave. 

Afin  de  mieux  faire  apprécier  la  valeur  de  celte  acquisition  et  de 
faire  connaître  la  signification  de  ce  bas-relief,  il  convient  d'exposer 
d'abord ,  dans  ses  grands  contours,  la  religion  mazdéenne ,  à  laquelle 
le  culte  de  Mithra  se  rattache ,  et  les  principaux  symboles  de  ce  culte 
mystérieux. 

Selon  les  croyances  primitives  des  Aryas  persans ,  au  commencement 
des  temps ,  un  être  plein  de  bonté ,  de  sagesse ,  éternel ,  vivait  au 
milieu  de  la  lumière  primordiale  ;  c'était  le  brillant  Ormuzd  {Ahouray 
le  vivant  ;  Mazda  ^  le  sage) ,  génie  du  bien  ,  dieu  suprême  qui ,  par 
sa  puissance  et  sa  volonté ,  a  créé  le  monde.  En  même  temps ,  au- 
dessous  de  lui ,  dans  les  ténèbres ,  s'agitait  le  génie  du  mal ,  immortel 
quoique  n'étant  pas  étemel ,  Ahriman  (i42/na  manyoun) ,  qui  intro- 
duisait dans  le  monde  tous  les  maux  qui  pèsent  sur  la  création. 

Autour  de  ces  deux  divinités  rivales  viennent  se  grouper  deux  armées. 
Du  côté  d'Ormuzd ,  ce  sont  les  sept  Amschapands ,  esprits  purs  ,  per- 
sonnification des  vertus  divines,  puis  les  Yzeds,  au  nombre  de  28 ,  qui 
personnifient  les  forces  de  la  nature,  et  enfin  les  Ferouers ,  les  âmes , 

*  D'où  vient  le  mot  de  matdéismt. 


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418  REVUE  D'ALSACE. 

espèce  d'anges  gardiens.  Du  côté  d'Ahriman  combattent  les  Dewas,  le 
mal  sous  toutes  les  formes ,  les  hommes  méchants ,  les  animaux  mal- 
faisants y  les  plantes  vén^peuses ,  les  mauvais  penchants ,  les  fléaux , 
les  maladies ,  etc. 

La  lutte  entre  ces  deux  puissances ,  ce  dualisme  du  bien  et  du  mal , 
constituent  la  doctrine  fondamentale 'du  mazdéisme,  tel  du  moins  que 
Ta  établi  Zoroastre,  le  fondateur  ou  plutôt  le  réformateur  de  l'antique 
religion  ^end:  et  celte  lutte  dure  et  durera  jusqu'à  la  consommation  des 
temps  pour  se  terminer  alors  par  la  défaite  et  la  rédemption  d'Âhriroan 
et  par  le  règne  calme  et  de  nouveau  glorieux  d'Ormuzd ,  rentré  ,  comme 
à  l'origine  des  choses,  dans  les  radieuses  splendeurs  de  la  lumière  éter- 
nelle. 

if/t/ftra, ''émanation  d'Ormuzd  ,  n'est  pas  un  dieu  lui-même,  quoique 
dans  le  culte  adopté  et  successivement  modifié  par  le  polythéisme 
romain  il  eût  pris  le  caractère  de  la  divinité  ;  il  n'est  qu'un  Ized^  mais 
le  premier  et  le  meilleur  de  ces  génies  bienfaisants ,  une  personnifica- 
tion du  soleil  et  du  feu ,  les  deux  formes  visibles  du  Dieu  suprême  ;  c'est 
lui  qui  chauffe ,  'qui  éclaire ,  vivifie  et  qui ,  infatigable  champion  du 
bien ,  combat  à  outrance  les  ténèbres  de  la  nuit ,  les  froids  de  l'hiver , 
les  principes  humides  des  brouillards  et  des  marais  ;  c'est  lui  qui  à 
chaque  renouvellement  des  saisons  rend  la  vie  à  la  nature  entière.  De 
plus ,  car  dans  ces  symbolismes  philosophiques ,  tout  est  multiple  et 
complexe  et  des  conceptions  accessoires  s'ajoutent  presque  toujours  à 
l'idée  principale ,  Hithra  est  en  même  temps  un  médiateur ,  d'une  part, 
entre  les  deux  principes  rivaux  ,  entre  Ormuzd  et  Ahriman  ;  d'autre  part, 
entre  Dieu  et  Thumanité.  C'est  lui  qui ,  agent  actif,  force  le  mal  lui- 
même  à  devenir  bien ,  qui ,  par  exemple  ,  en  fondant  les  froides  neiges 
de  l'hiver,  assure  l'alimentation  des  sources  fécondantes  de  l'été;  c'est 
lui  encore  qui,  forme  sensibh'  de  la  divinité,  reçoit  les  prières  des 
hommes  et  les  élève  vers  le  Dieu  suprême  et  qui  en  même  temps  répand 
sur  toute  laeréation  les  bienfaits  inépuisables  de  la  sagesse  éternelle, 
d'Âhoura  Mazda. 

Tçlle  est ,  dans  ses  grands  linéaments ,  cette  religion  antique  de 
l'Arya  persane ,  dont  les  croyance^,  quarante  fois  séculaires,  se  perpé- 
tuent jusqu'à  nos  jours  dans  le  Parsisme ,  la  religion  des  Guèbres , 
adorateurs  du  feu,  et  qui,  aux  environs  du  iip  sjècle  de  l'èfe  chrétienne, 
avait  pénétré  jusqu'à  la  lisière  des  pays  germaniques  ,«à  la  suite  des  légions 
romaines  et  sous  sa  forme  symbolique  et  niy^t^neu^  dti  cultç  de  l||i.t)ira. 


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UN  BASrI\|5L|FF  m  MITHRA.  449 

Il  est  inutile  sans  doute  de  faire  observer  qu'en  se  déplaçant  ainsi 
dans  Tespace  et  le  temps  ,  en  passpnt  d'Orient  en  Occident  et  aussi  en 
allant  à  travers  les  sièples  depuis  la  primitive  Arya  asiatique  jus :|u'à  la 
Rome  de  la  décadence ,  le  culte  de  Mitbra  dût  nécessairement  se  modi- 
fier ,  sinon  peut-âtre  dans  son  essence  même ,  en  tous  cas  du  moins 
dans  son  expression  et  dans  sa  forme.  C'est  ainsi  que ,  tandis  que  le 
caractère  de  ce  cn|t''  chez  les  anciens  Persans  étail  le  plaisir ,  la  joie  , 
la  volupté ,  et  avait  quelque  chose  de  chaud  et  de  radieux  comme  le 
soleil,  chez  les  Mithriaques occidentaux  c'étaient  plutôt  la  renonciation  , 
les  austérités ,  l'idée  de  sacrifice  qui  dominaient.  Les  imaginations  assom- 
bries du  Nord  s'y  reflétaient  et  l'on  y  sentait  en  outre  l'empreinte  attristée 
de  ce  malaise  qui ,  aux  temps  de  la  naissance  du  christianisme ,  existait 
au  fpnd  d'un  si  grand  nombre  de  consciences. 

Et  en  même  temps  encore  tandis  que  les  anciens  Perses  réprouvaient 
le  cult.e  des  idoles  ,  bien  que  leur  religion  fut  chargée  et  surchargée 
d'un  symbolisme  aussi  varié  que  complexe ,  le  polythéisme  romain  au 
contraire  imposait  une  figure  humaine  à  tous  ses  dieux  ;  et  il  résulte 
de  ce  dernier  fait  que  c'est  en  Asie  qu'il  faut  chercher  l'explicktiou  de 
tous  ces  symboles ,  de  toutes  ces  allégories  qui  cachaient  au](  profanes 
la  pensée  secrète ,  la  formule  mystique  révélée  aux  seuls  initiée ,  et  que 
c'est  en  Europe  que  l'on  rencontre  les  images  qui  représeatent  moins 
cette  conception  philosophique  que  le  dieu  lui-même. 

{jOS  monuments  mithriaques,  découverts  jusqu'ici  en  Europe,  sont 
répartis  en  plusieurs  groupes.  Il  y  en  a  un  certain  nombre  du  côté  du 
Bas-Danube,  en  Transilvanie  et  en  Valachie  ;  un  nombre  plus  considé- 
rable à  Rome  et  en  Italie  ;  quelques  uns  dans  la  vallée  du  Rhône ,  un 
b^-relief  à  Vienne  (Isère) ,  un  autre  à  Bourg-Saint-Andéol  (Ardèche) 
et  une  statue  à  Arles  ;  puis  dans  le  bassin  du  Rhin  ,  une  série  de  bas- 
reliefs ,  trouvés  à  diverses  époques  ,  à  Dormageo  ,  entre  Cologne  et 
Neuss  ;  à  Hedernheim  ,  près  de  Wiesbaden  *,  à  Neuenheim ,  ppès  de 
Heidelberg  ;  à  Ladenburg ,  sur  le  Neckar  ;  à  Fehlbarh  ,  dans  le  Wur- 
temberg ;  à  Mauls  ,  dans  le  Tyrol ,  et  plus  près  de  nous  à  Schwarzerd, 
dans  les  Vosges ,  entre  Lichtenberg  et  Deux-Ponts,  sans  oublier  un 
petit  bas-relief,  peu  caractérisé  il  est  vrai,  mais  que  cependant  le  savant 
professeur  Schweighseuser  a  attribué  au  même  culte,  et  qui,  découvert 
il  y  a  une  trentaine  d'années  dans  la  furet  de  Haguenau ,  fait  déjà  partie 
du  musée  deUa  BU)liothèque,  et  en  y  comprenant  encore  peut-être  une 
figure  de  lion  appuyé^contre  une  urne  ,  provenant  de  Brumatb  et  appar- 


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420  REVUE  D*ALSAGE. 

tenant  à  la  collection  de  la  Société  pour  la  conservation  des  monuments 
historiques  d'Alsace,  ûgure  qui  semble  se  rattacher  également  au  sym- 
bolisme mithriaque.  Ce  relevé  ne  mentionne  que  les  bas-reliefs  et  les 
statues  découverts  en  Europe.  Il  eut  été  trop  long  d'y  ajouter  encore 
l'indication  des  inscriptions  votives  ou  commémoratives  qui  sont  fort 
nombreuses. 

Ces  monuments  se  divisent  en  deux  sortes  ,  en  deux  représentations 
bien  distinctes,  bien  tranchées  de  la  figure  symbolique  du  dieu  soleil. 

Les  plus  communs ,  désignés  ordinairement  sous  le  nom  de  Tauro^ 
boleSy  montrent  le  Mithra  sous  les  traits  d'un  jeune  homme' imberbe, 
vêtu  à  la  persane  y  en  manteau  (lotlant ,  coiflfé  d'un  bonnet  phrygien  et 
plongeant  un  glaive  dans  l'épaule  d'un  taureau  qu'il  tient  terrassé  sous 
son  genou.  Diverses  autres  figures  allégoriques ,  parmi  lesquelles  l'on 
retrouve  presque  toujours  le  lion  ,  le  serpent ,  un  ou  plusieurs  vases, 
puis  encore  le  scorpion ,  un  chien ,  un  corbeau ,  des  grains  et  des 
épis ,  etc. ,  complètent  la  mise  en  scène  de  ce  sacrifice  symbolique  ;  le 
taureau  mystique  représentant  la  force  vitale  et  génératrice  qui  chaque 
année  succombe  avec  le  solstice  d'hiver  pour  renaître  de  nouveau  avec 
le  soleil  du  printemps.  Telle  est  du  moins  l'une  des  interprétations  de 
cette  scène. 

Les  autres  monuments  mithriaques  d'Europe  sont  infiniment  plus 
rares.  Lajard ,  dans  son  magnifique  ouvrage ,  dont  le  texte  est  malheu- 
sement  resté  incomplet ,  Lajard  n'en  indique  que  huit.  Ils  représentent 
habituellement  le  Mithra  avec  une  tète  de  lion ,  le  corps  nu  ou  presque 
nu ,  ayant  deux  paires  d'ailes  et  portant  en  mains ,  comme  attributs 
caractéristiques ,  toujours  une  clef  et  souvent  un  sceptre  ou  un  bâton 
pastoral.  Le  serpent  et  des  vases  accompagnent  ordinairement  cette 
figure  principale. 

C'est  à  cette  dernière  série  de  monuments  qu'appartient  celui  que  la 
Bibliothèque  vient  d'acquérir.  Une  courte  description  en  fera  connaître 
les  caractères  distinctifs  et  servira  à  justifier  cette  attribution  de  notre 
bas-relief  au  culte  de  Mithra. 

Les  dimensions  de  ce  monument  sont  fort  modestes ,  car  il  ne  se 
compose  que  d'une  simple  dalle  en  grès  ,  mesurant  69  centimètres  en 
hauteur  sur  40  centimètres  de  large.  A  sa  partie  inférieure  un  rebord 
en  saillie ,  haut  de  5  centimètres ,  forme  socle  et  sert  de  base  à  la  com- 
position. En  haut ,  au-dessus  des  figures ,  se  trouve  une  surface  lisse , 
haute  de  6  centimètres,  qui  est  de  niveau  avec  le  fond  du  bas-relief. 


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m  BAS-RRMEF  DE  MITHRA.  421 

Le  milieu  de  la  dalle  est  occupé  par  un  personnage  debout ,  trapu , 
ayant  pour  tout  vêtement  une  courte  tunique  ,  descendant  seule- 
ment jusque  vers  le  haut  des  cuisses  et  retenue  à  la  taille  par  une 
corde  formant  ceinture  avec  un  nœud  dont  les  bouts  retombent  sur  le 
bas-ventre.  Cette  figure  d'un  travail  grossier  quoiqu'assez  correct  »  est 
surmontée  d'une  tête  de  proportions  trop  fortes  pour  le  corps ,  et  qu'en- 
cadre un  collier  de  barbe  frisée  ,  simulant  quelque  peu  la  crinière 
d'un  lion.  Le  haut  du  crâne  manque  ;  le  front  entaillé  au-dessus  de  la 
racine  du  nez  s'arrête  brusquement  coupé  à  angle  droit  par  une  ligne 
horizontale  qui  va  rejoindre ,  au  niveau  plane  du  fond  de  la  dalle , 
cette  bande  lisse  haute  de  6  centimètres  qui  limite  le  haut  du  bas-relief. 
En  voyant  ainsi  celte  tête  tronquée  l'on  est  porté  à  penser  qu'une  coiffure, 
en  métal  sans  doute ,  devait  s'y  adapter,  une  tiare  ou  une  mitre  (ce  nom 
d'origine  persane  vient  de  Mithra).  La  figure  porte  quatre  ailes ,  deux  aux 
épaules,  deux  aux  hanches ,  toutes  quatre  semblables ,  petites ,  arrondies 
parle  haut ,  la  pointe  des  plumes  dirigée  vers  le  sol.  Dans  sa  main  droite, 
le  bras  étant  replié  extérieurement ,  elle  élève  vers  l'épaule  une  clef;  cette 
pièce  est  mutilée  mais  cependant  fort  aisée  h  reconnaître.  Le  bras  gauche 
abaissé  tient  obliquement  un  bâton.  Derrière  les  jambes  de  ce  person- 
nage qui  remplit  tout  le  milieu  de  la  dalle ,  est  un  lion  paraissant  mar- 
cher et  disposé  en  travers  de  telle  sorte  que  sa  croupe  et  sa  queue  se 
dessinent  à  gauche  des  jambes  de  l'homme  tandis  que  sa  tête  s'avance 
sous  le  coude  droit  qui  soutient  la  clef.  Tout  en  bas ,  sur  le  socle ,  aux 
deux  coins  inférieurs  de  la  d  ille,  se  trouvent  deux  vases  ;  l'un ,  celui  de 
gauche  par  rapport  à  la  figure  centrale ,  pansu  ,  presque  rond  ,  avec  un 
goulot  court  et  étroit  ;  celui  de  droite  par  contre  évasé  en  forme  de  bassin 
et  muni  de  deux  anses.  Une  cassure  de  la  pierre  laisse  quelques  doutes 
sur  les  détails  de  ce  dernier  vase  autour  duquel  paraît  s'enrouler  le 
corps  d'un  serpent  et  vers  lequel  le  lion  incline  sa  tête. 

En  récapitulant  ces  divers  signes ,  nous  voyons  donc  dans  notre  bas- 
relief  tous  les  principaux  attributs  qui  caractérisèrent  les  monuments 
du  culte  mithriaque ,  le  lion ,  les  quatre  ailes ,  la  clef,  le  bâton  ou 
sceptre ,  les  vases  liturgiques  et  sans  doute  même  le  serpent.  Tous  ces 
détails  s'y  trouvent  réunis  ;  et  si  aucune  des  figures  découvertes  jus- 
qu'ici ne  reproduit  exactement  le  même  ensemble,  il  y  a  lieu  de  remar- 
quer que  chacun  de  ces  traits  distinclifs  se  trouve  reproduit  dans  l'un 
ou  l'autre  des  monuments  connus  et  admis  sans  conteste  comme 
appartenant  au  culte  du  dieu  Soleil ,  au  Mithra  persan.  Un  examen 


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432  REWE  P* ALSACE. 

des  planches  de  Touvrage  déjà  cité  de  Lajard  ,  ne  laisse  abcun  doute  à 
ce  sujet. 

Ce  point  essentiel  établi  il  ne  reste  plus  qu'à  expliquer ,  autant  qu'il 
est  possible ,  la  signification  de  ces  divers  attributs  du  Mithra  représenté 
sur  notre  bas-relief.  Hais  il  convient  toutefois  de  faire  observer  que 
cette  interprétation  sera  forcément  vague  et  incomplète  tant  à  cause  du 
manque  de  documents  précis ,  par  suite  du  mystère  qui  autrefois  entou- 
rait ce  culte  dont  la  connaissance  n'était  graduellement  révélée  qu'aux 
initiés  et  qu'après  de  longues  et  sérieuses  épreuves ,  que  par  suite  aussi 
du  caractère  complexe  de  ce  symbolisme  lui-même ,  dans  lequel  le 
même  signe  exprimait  souvent  plusieurs  idées  et  la  même  idée  revêtait 
plusieurs  formes  différentes. 

Sur  le  monument  que  le  Bibliothèque  vient  d'acquérir  ne  figurent 
pas ,  nous  l'avons  indiqué ,  l'un  des  types  les  plus  ordinaires  du  culte 
mithriaque  européen  ,  le  taureau ,  à  la  fois  image  allégorique  et  signe 
zodiacal ,  ni  le  scorpion  ou  cancer  qui  raccompagne  presque  toujours 
et  qui  a  de  même  une  double  signification  symbolique  et  astronomique. 
Par  contre  le  lion  y  est  représenté  et  y  figure  même  deux  fois  en  pre- 
nant le  collier  de  barbe  qui  encadre  le  visage  pour  une  imitation  de  la 
crinière  léonine  que  Ton  retrouve  sur  d'autres  représentations  du  dieu 
Soleil.  Or  le  lion  est  le  symbole  spécial  du  Mithra.  Ardent  comme  la 
flamme ,  irrésistible  comme  le  soleil ,  tout  puissant ,  invaincu  (le  Soi 
invicius  des  monnaies  de  la  seconde  moitié  du  lu*  siècle)  ^  le  lion  fait 
fuir  devant  lui  tous  les  animaux,  comme  l'astre  solaire,  dissipant  la 
nuit ,  fait  pâlir  et  disparaître  devant  son  éclat  toutes  les  étoiles  du 
firmament.  De  plus ,  car  il  y  a  toujours  au  moins  une  double  signifi- 
cation dans  ces  figures ,  le  lion  est  également  un  signe  zodiacal  et  in- 
dique le  point  du  ciel  où  le  soleil  parvient  à  sa  plus  grande  hauteur. 

Les  ailes  symbolisent  la  rapidité  de  la  course  du  soleil  ;  leur  nombre 
de  quatre  faisant  allusion ,  soit  aux  quatre  saisons ,  soit  aux  quatre  élé- 
ments. Remarquons  d'ailleurs  en  passant  que  ce  chiffre  mystique  rap- 
pelle les  quatre  ailes  des  chérubins  figurés  au-dessus  de  l'arche  de 
l'alliance  et  tout  autour  du  sanctuaire  dans  le  temple  de  Jérusalem. 

La  clef,  attribut  que  l'on  retrouve  constamment  à  toutes  ces  images 
et  qui  n'est  pas  sans  analogie  avec  la  clef  du  Horus  égyptien ,  signifie 
que  le  soleil  ouvre  toute  chose ,  le  ciel  au  jour,  la  terre  fertilisée  à  la 
végétation  et  elle  fait  sans  doute  en  même  temps  allusion  aux  mystères 
du  culte  mithriaque. 


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UN  BAS-RELIEF   DE   MITHRA.  423 

Le  bftton  ou  sceptre  que  le  Mithra  tient  ea  mains  parait  être  simple- 
ment le  signe  de  la  suprématie,  quoique  diverses  autres  interprétations 
soient  données  à  cet  emblème  qui  joue  un  rdle  dans  plusieurs  mystères 
antiques. 

Les  deux  vases ,  qui  appartiennent  à  la  liturgie  non  seulement  mi- 
ihriaque  mais  mazdéenne ,  se  rapportent  aux  deux  éléments  fondamen- 
taux ,  le  feu  et  Teau  ;  celui  de  gauche ,  avec  sa  forme  pansue  et  son 
ouverture  étroite  comme  celle  d'une  lampe,  contenant  probablement  le 
feu  créateur  ;  Tautre ,  le  bassin  à  deux  anses ,  renfermant  Teau  pri- 
mordiale ,  principe  de  la  vie. 

Finalement  le  serpent  qui  paraît  entourer  de  ses  annearat  ce  dernier 
vase,  et  qui*,  à  en  juger  par  analogie  d'après  des  représentations  sem- 
blables ,  élevait  sans  doute  sa  tète  au-dessus  du  bassin  mystique  en  y 
plongeant  ses  regards  ;  le  serpent;  image  ordinaire  d'Abriman,  semble 
ici ,  par  Tune  de  ces  bizarreries  familières  au  symbolisme  mythologique, 
changer  de  rôle  et  de  caractère ,  et  prendre  non  fa  si|*nification  du 
génie  du  mal ,  mais  au  contraire  celle  d'un  génie  bienfaisant  comme 
Test  dans  d'autres  cultes  le  serpent  médecin  d'Isis  ou  J'Esculape.  C'est 
ainsi  du  moins  qu'il  figure  «  par  exemple,  dans  le  mîthraum  de 
Neuenheim. 

Une  dernière  remarque  encore  pour  faire  ressortir  la  valeur  de  notre 
bas-relief,  et  elle  est  empruntée  à  un  rare  expert  en  ces  matières ,  au 
savant  Visconti ,  c'est  qu'en  outre  des  images  ordinaires  qui  représen- 
taient Mithra  en  habit  persan  (le  Mithra  des  Tauroboles) ,  il  y  en  avait 
d  autres  plus  mystérieuses  que  l'on  ne  montrait  qu'aut  initiés ,  et  que 
ces  dernières  avaient ,  comme  attributs  distinctifs  ,  la  clef,  la  tète  de 
lion  ,  les  ailes ,  tous  les  signes  caractéristiques  que  nous  trouvons  sur 
notre  bas-relief.  Celui-ci  devait  être  par  conséquent  l'une  de  ces  repré- 
sentations mystérieuses  du  dieu  Soleil  qui ,  cachées  au  fond  du  sanc- 
tuaire ,  n'étaient  révélées  qu'au  petit  noinbre  d'adeptes  qui  avaient  subi 
les  épreuves  de  l'initiation. 

AuG.  SattU, 
Bibliothécaire  de  la  vilTe  de  Strasbourg 


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LE  MUSEE  DE  COLMAR 


SuiU.  '  — 


VH. 


C'est  comme  graveur,  surtout,  que  Martin  Schongauer  se  rendit 
célèbre.  Dispersées  dans  les  collections  publiques  et  privées  ,  ses 
estampes  sont  devenues  très-rares  et  atteignent,  de  nos  jours,  un  prix 
très-élevé.  Il  est  telle  épreuve  du  Portement  de  croix  qui,  il  y  a  quel- 
ques années ,  dans  une  vente  publique  à  Paris ,  a  été  poussée  par  les 
enchères  jusqu'à  1200  fr. 

Nourri  des  traditions  du  moyen-àge ,  imbu  de  ses  principes  sévères 
qui  faisaient  de  la  forme  humaine  une  abstraction ,  pour  concentrer 
l'expression ,  le  sentiment ,  dans  la  tète  des  personnages ,  Schongauer 
a  réalisé  dans  ses  leiravures ,  finement  burinées  du  reste ,  des  types 
étranges  de  maigreur  et  de  sécheresse.  Elles  sont  Tœuvre  d'un  véritable 
ascète  V  Ici ,  rien  de  cette  vie  exubérante  qui  galvanise  les  personnages 
d'Albert  Durer.  Un  abîme  semble  séparer  les  deux  maîtres.  Quoique 
presque  contemporains ,  l'un  plonge  en  plein  moyen  âge ,  l'autre  adore 
le  soleil  levant  de  la  renaissance.  Schongauer  semble  mépriser  le  corps 
humain  et  ne  chercher  dans  l'homme  que  Télément  purement  spirituel. 
Durer ,  au  contraire  ,  l'étudié  sous  ses  aspects  les  plus  originaux ,  se 
crée  un  fonds  immense  d'observations  et  réalise  des  chefs-d'œuvre  où 
la  vie  palpite  *. 

*  Voir  la  livraison  d'août,  page  369. 

'  V^'inckelinann ,  en  parlant  de  l'Apollon  du  Belvédère ,  a  dit  que  Tartiste ,  en 
créant  ce  chef-d'œuvre ,  n'a  emprunté  à  la  matière  que  ce  qui  était  absolumeot 
indispensable  pour  revêtir  l'esprit  d'une  forme  corporelle;  de  même,  l'aKiste  chré- 
tien du  XV'  siècle  ne  laisse  à  ses  créations  que  la  consistiince  corporelle  nécessaire 
pour  que  l'àine  puisse  s'y  attacher. 

(Df  A.  VON  Eye  ♦  Leben  und  Wirken  AUnechi  Durer's,) 

*  Dans  sa  notice  sur  Martin  Schongauer,  H.  Emile  Galicbon ,  en  mettant  ce 
maître  en   parallèle  avec  Albert  Durer ,  indique  les  différences  profondes  qui  les 


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LE   MrSÉE  OR   COLMAR.  435 

Ne  soyons  pas  trop  sévères  pour  notre  maître  colmarien.  Prenons-le 
tel  que  son  époque  Ta  fait.  Comme  je  Tai  dit  plus  haut ,  pour  juger  son 
œuvre ,  dépouillons  le  vêtement  de  nos  iJées  modernes  et  nous  aurons 
devant  nous  une  de  ces  puissantes  individualités  qui  commandent  le 
respect  »  par  l'eflort  concentré  qu'elle  a  dû  faire  pour  réaliser  des  œuvres 
durables.  Ces  œuvres  ont  subi  Tépreuve  du  temps ,  elles  ont  passé  au 
creuset  de  la  critique  et  en  sont  sorties  comme  la  personnification  vivante 
des  errements  d'une  époque  où  la  foi  naïve  parquait  Tartiste  dans  un 
cercle  infranchissable ,  où  la  formule  hiératique  tenait  son  imagination 
constamment  bridée. 

Dans  une  notice  remarquable  publiée  par  le  Kunstbtall  (Gazette  alle- 
mande des  Beaux- Arts),  en  septembre  1840,  H.  de  Quandt,  conser- 
vateur du  musée  de  Dresde ,  a  divisé  en  quatre  souches  principales  les 
tableaux  de  Técole  allemande  du  xv«  siècle. 

Selon  lui ,  les  caractères  physionoiniques  de  la  souche  la  plus  an- 
cienne se  révèlent  par  des  nez  courts  et  pointus,  affectant  la  forme  d'une 
pyramide  aiguë,  et  par  un  ovale  assez  large  de  la  figure,  ayant  pour 
base  des  os  jugulaires  très-proéminents.  Dans 'une  seconde  famille 
d'artistes  apparaissent  des  nez  plus  longs  et  d'i-plomb ,  des  yeux  large- 


séparent.  •  A  l'opposé  du  peinlre  de  Nurnberg ,  Schongauer  ,  dit-il ,  D*Aime  ni  la 
rêverie  ni  le  fantastique  ;  fortement  imbu  des  exemples  des  maîtres  flamands ,  dont 
iJ  égale  la  clarté  dans  ses  compositions ,  il  est  le  peintre  du  mouvement  ;  il  repro- 
duit la  nature  telle  qu'elle  se  présente ,  non  dans  son  ensemble ,  mais  dans  ses 
détails  et  anime  ses  personnages  d'un  sentiment  que  nul  n*a  dépassé.  » 

II  y  a  peut-être  des  réserves  à  faire  quant  à  la  dernière  partie  de  ce  jugement. 
Dans  l'imitation  de  la  nature,  Schongauer  fut  loin  d'être  un  réaliste.  11  s'était,  au 
contraire ,  créé  des  types  à  lui  qui  ne  procèdent  point  de  l'imitation  directe  de  la 
nature  et ,  sur  certains  points ,  s'en  éloignent  outre  mesure ,  comme ,  par  exemple, 
duns  l'anatoniie  des  mains  et  des  pieds  de  ses  personnages.  La  forme  maniérée  de 
ses  draperies  n'est  point  non  plus  une  reproduction  telle  quelle  de  la  nature. 

Nous  sommes  tout-à-fait  d'accord  avec  M.  Galichon  quand,  plus  loin,  il  dit  qu'il 
faut  savoir  surmonter  la  première  impression,  toujours  peu  favorable,  que  pro- 
duisent les  flgures  maigres  et  décharnées  de  Martin  Schongauer  ;  qu'il  n'a  pas  imité 
une  nature  de  choix  ;  que  ses  personnages  ont  des  membres  osseux ,  souvent  mal 
ai  lâchés,  des  doigts  crispés  et  des  pieds  qui  ressemblent  à  des  pieds  de  singe. 
(Galette  des  Beaux-Arts.  1859.  T.  m,  p.  264.) 

Acceptons  sans  conteste  cette  autre  opinion  du  savant  critique  qui  en  cela  est 
d'accord  avec  le  jugement  des  critiques  allemands ,  c'est  que  les  Vierges  de  Schongauer 
(liarment  par  leur  maintien  religieux  et  représentent  assez  bien  l'idéal  peu  élevé 
auquel  il  a  été  donné  à  l'école  de  Bruges  d'atteindre. 


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426  RRVUE  D'ALSACE. 

menl  fendus ,  mais  peu  ouverts,  des  visages  d'un  ovale  un  peu' allongé. 
Une  troisième  famille  se  distingue  par  des  figures  rondes,  à  l'expression 
douce  et  aimable  et  des  nez  écourtés.  La  quatrième  sè  caractérise  par 
un  ovale  plus  allongé  du  visage ,  par  la  forme  droite ,  noble  et  bien 
modelée  du  nez ,  par  des  yeux  médiocrement  fendus  mais  ouverts  daôs 
une  mesure  convenable. 

La  première  serait  la  souche  allemande  pure  ,  la  seconde  aurait  subi 
une  infusion  byzantino-italienne ,  la  troisième  révèle  sa  parenté  avec 
les  Pays-Bas ,  la  quatrième  serait  rHarquée  du  sceau  flamand  et  cette 
dernière  pourrait  bien  avoir  Jean  Van  Eyck  pour  patron. 

C'est  celle  dans  laquelle  la  critique  moderne  a  classé  Martin  Schon- 
gauer. 

Suivons  M.  de  Quandt  dans  son  appréciation  savante  des  caractères 
qui  permettent  de  reconnaître  les  œuvres  de  ce  maître.  C'est  un 
guide  sûr,  qui  fait  autorité  en  pareille  matière  et  dont  l'opinion 
se  fonde  sur  les  données  d'une  longue  et  judicieuse  observation. 
Il  reconnaît  dans  les  figures  de  Schongauer  deux  classes  bien  tran- 
chées de  physionomies,  dont  l'une  appartient  aux  natures  élevées, 
l'autre  aux  natures  ignobles  ou  triviales.  La  première  se  distingue  par 
la  forme  régulière  des  figures ,  où  le  visage  se  divise  en  trois  parties  de 
dimensions  à  peu  près  égales  ,  où  la  longueur  de  l'œil  représente  envi- 
ron le  quart  de  la  longueur  du  nez.  Ce  dernier ,  vu  de  face ,  a  très-peu 
de  largeur ,  à  peine  le  cinquième  de  la  longueur.  Il  va  de  soi  que  ces 
indications  doivent  être  considérées  comme  une  moyenne  et  qu'il  y  a 
pla'^e  pour  des  modifications  délicates  qui  échappent  à  l'appréciation 
géométrique.  Le  visage  est  un  ovale  qui ,  dans  les  têtes  d'enfant ,  se 
rapproche  du  cercle  et  s'allonge  dans  les  têtes  d'hommes. 

Dans  les  figures  d'anges  et  d'enfants  les  sourcils ,  délicatement  mo- 
delés ,  affectent  presque  la  forme  d'un  demi-cercle.  Vus  de  profil ,  les 
nez  sont  droits.  Lt^s  dégénérescences  do  ces  formes  idéales  ,  qui  se  tra- 
duisent en  nez  courts,  inclinés  ou  camards,  désignent  les  natures 
grossières. 

Une  autre  particularité  du  dessin  de  Schongauer  c'est  que  les  mains 
sont  toujours  très-osseuses.  Dans  les  épreuves  les  plus  vigoureuses  de 
ses  gravures,  la  forme  du  visage  n'est  souvent  indiquée  qu'au  trait, 
peu  relevé  d'ombres ,  tandis  que  les  ombres  des  draperies  et  accessoires 
sont  traitées  avec  vigueur ,  d'où  l'on  peut  conclure  à  une  carnation 
légère  et  délicate  des  peintures. 


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LE   MtlSÉE   DE  COillAR.  4^7 

Ce  f^mt  là  de^  indicatioirtâ  précises  qui  se  Tëriflènt  à  chaque  pas  dans 
rexameti  des  centres  attribuées  à  notre  riiattre.  Elles  ont  été  cotifirmées 
récemment  par  M.  Signer,  conservateur  du  musée  d'Augsbourg  qui , 
lui  aussi,  a  particulièrement  étudié  Schongauer  et  a  pu  ,  aidé  dé  ces 
données ,  nous  révéler  Texistence ,  au  musée  dé  Colmar ,  d'une  page 
pféeieuse  dont  Tauthenticité ,  comnfie  œuvre  de  maître  Martin  ,  lui  pa- 
rait incontestable.  C'est  le  Sainf  Jean- Baptiste  et  le  Saint  Georges  dont 
j'ai  parlé  plus  haut. 

MM.  de  Quandt  et  Ëigner  auraient  pu  classer  enco^e  parmi  les  traits 
distinctifs  de  la  manière  de  Scbongauer  le  fini  ()récieut  atec  lequel 
sent  traités  les  cheveux  de  ses  personnages.  Le  dessin  en  est  souple  et 
oBdOyant  «I  les  masses  sont  relevées  de  lignes  d'une  ténuité  extrême 
qui  rappellent  presque  le  pinceau  d'un  miniaturiste. 

vm. 

Lorsque  M.  de  Quandt  vint  visiter  les  collections  de  Colmar ,  alors 
eiicore  logées  dans  les  bâtiments  de  l'ancien  collège ,  il  fut  particuliè- 
rement frappé  du  mérite  d'un  tableau  formant  l'aile  d'un  triptyque i  sur 
lequel  le  peintre  a  représenté  une  Madone  à  genoux  Ml  y  trouva  réunis 
tous  les  traits  distinctifs  de  la  manière  de  Schongauer  et  fut  convaincu 
d^avoir  sous  les  yeux  un  tableau  authentique  du  maître.  Il  crut  devoir 
également  lui  attribuer  la  fameuse  Pietà  qui  est  une  des  pièces  capitales 
de  notre  collection  et  qu'on  avait  attribuée  tantôt  à  Ùolbein  ,  tantôt  à 
Albert  Durer,  Cette  Pietà  représente  la  Vierge  tenant  le  Christ  mort 
sur  ses  genoux. 

Laissons  parler  M.  de  Quandt  avant  de  hasarder  nous-méme  une 
appréciation.  Je  traduis  : 

<  Ce  tableau  dépasse  toute  idée  que  nous  nous  étions  formée  des 
<i  peintures  de  Martin ,  en  contemplant  ses  merveilleuses  gravures. 
<<  Pour  décrire  cette  image ,  il  faudrait  trouver  une  formule  qui  pût 
v(  exprimer  à  la  fois  sainteté ,  amour ,  tristesse  et  béatitude,  à  la  ma- 
<  nîère  du  peintre  qui  est  parvenu  à  fondre  tous  ces  sentiments  dans 

une  seule  expression  ;  car ,  dans  la  figure  de  la  Vierge  ^  sainteté 
«  devient  amour  ,  amour  devient  u^islesse  ,  tristesse  devient  ôéatilude , 

et  toute  cette  diversité  se  fusionne  en  une  seule  unité  {und  ailes  eins.) 

'  CeUe  vier(içe  est  »i^iiulée  $ou8  le  N**  201 ,  dans  le  livret  indicateur  publié  par 
M.  Hufot  en  1860. 


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428  REVrE  d' ALSACE. 

<(  Ce  beau  visage  est  comme  une  fleur  éclose  le  matin  et  trempée  de 
«  la  rosée  la  plus  pure.  Des  larmes  transparentes  tombent  abondam- 
a  ment  sur  ses  joues  et  calment  la  douleur  cuisante.  L'âme  du  specta- 
Q  teur  est  remplie  d'une  émotion  de  bonheur  à  côté  de  laquelle  il  n'y  a 
«  point  place  pour  un  autre  sentiment. 

«  La  couleur  de  la  chair  est  un  rose  doux  et  jaunâtre ,  et ,  presque 
«  sans  le  secours  des  ombres ,  tout  s'arrondit  par  l'effet  d'une  dégra- 
«  dation  souverainement  délicate  de  teintes  harmonieuses.  Les  larmes 

I  sont  peintes  de  main  de  maître ,  comme  les  gouttes  de  rosée  sur  les 
«  fleurs  d'un  artiste  hollandais.  Le  coloris  du  cadavre  du  Christ  a  quel- 
«  que  chose  de  plombé.  Le  dessin  du  nu  dénote  la  connaissance  du 
«  corps  humain  ,  mais  ne  révèle  pas  le  dessinateur  expérimente  et  ha- 
«  bile.  Les  formes  sont  une  traduction  imagée  de  la  nature ,  saus 
«  compréhension  suffisante.  9 

Dans  cette  description  on  sent  l'admirateur  convaincu  d'avoir  sous 
les  yeux  l'œuvre  d'un  maître  préféré.  Mais  la  forme  même  sous  laquelle 
se  traduit  cette  admiration  passionnée  du  célèbre  critique  n'est-elle  pas 
en  contraste  flagrant  avec  le  caractère  rigide  du  style  de  Schongauer? 
Le  tableau  lui  même ,  par  le  sentiment  qui  l'imprègne  ,  par  la  souplesse 
de  son  dessin  ,  par  le  parfum  exotique  qui  s'en  dégage  ,  révèle  une 
origine  étrangère  à  l'art  allemand  de  cette  époque.  Ce  tableau ,  placé 
dans  la  suite  des  œuvres  de  l'école  de  Martin  ,  tranche  trop  manifeste- 
ment avec  elles  pour  qu'il  soit  possible  de  le  ranger  dans  leur  famille. 

II  y  a,  dans  cette  page,  un  idéal  trop  élevé  que  Schongauer  n'a  jamais 
atteint  au  même  degré.  Placez-la  en  regard  de  la  Vierge  aux  roses  de 
l'église  Saint-Martin  et  jugez.  Le  type  de  celle-ci  est  flamand  ,  celui  de 
la  Pietà  est  italien.  Or ,  presque  tous  les  critiques  qui  ont  vu  et  étudié 
les  œuvres  de  Schongauer  semblent  d'accord  sur  ce  point ,  c'est  qu'il 
resta  étranger  à  l'influence  italienne  * . 

'  En  émettant  l'opinion  que  Martin  Schongauer  pourrait  être  un  élève  de  Jean 
Van  Eyck ,  M.  de  Quandt  ajoute  que ,  pour  lui ,  il  est  certain  que  ce  maître  eut 
une  influence  immédiate  su^le  plus  sentimental  des  peintres  aUemands ,  par  lequel 
cette  influence  s'étendit  alors  médiatement  sur  les  autres  peintres  en  Allemagne; 
que  H.  Schongauer  ne  doit  pas  seulement  à  l'école  de  Jean  Van  Eyck  la  connais- 
sance d'une  nouvelle  technique ,  mais  aussi  un  sentiment  de  la  beauté  des  physio- 
nomies qu'avant  lui  aucun  allemand  ne  possédait  au  môme  degré  -,  que  c'est  par 
lui  que ,  pour  la  première  fois  ,  la  vie  intérieure  se  traduisit  dans  les  figures  des 
tableaux  allemands. 

I  lus  loin  il  dit  :  «  Ueinecke  ,  qui  avait  vu  les  tableaux  de  Martin  Schongauer  à 


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LE  MUSÉE  DE   COLMAR.  429 

D'où  nous  vient  donc  ce  tableau  remarquable  ?  Les  documents  nous 
manquent  pour  résoudre  la  question.  Elle  semble  donc  devoir  rester 
indécise  jusqu'à  plus  ample  informé.  Cette  peinture ,  qui  parait  appar- 
tenir au  XVI*  siècle ,  est  à  classer  parmi  les  œuvres  de  ces  artistes  in- 
connus qui,  satisfaits  d'avoir  produit  une  page  émouvante ,  ont  dédaigné 
la  vaine  gloire  d'y  attacher  leur  nom ,  laissant  à  la  postérité  le  soin  de 
deviner  ,  à  la  touche  du  génie ,  la  personnalité  de  l'auteur  ^ 

Je  rappellerai ,  à  cet  égard  ,  que  M.  Hugot,  dans  ses  notes  si  substan- 
tielles sur  le  musée  de  Colmar,  n'a  point  non  plus  partagé  l'opinion  de 
M.  deQuandt,  tout  en  s'unissant  de  sentiment  à  la  vive  et  profonde 
admiration  du  célèbre  critique.  M.  Fôrster  ne  souscrit  non  plus  à  cette 
opinion.  D'après  lui ,  il  existe  un  certain  nombre  de  tableaux  se  ratta- 
chant à  la  seconde  manière  de  Schongauer ,  mais  qui  certainement  ne 
sont  pas  son  œuvre  :  d'abord ,  la  Pietà  de  la  collection  de  Colmar , 
tableau  fort  beau  d'ailleurs ,  ensuite  les  seize  tableaux  de  la  Passion  , 
de  la  même  collection  ,  puis  onze  tableaux  des  collections  de  Munich  , 
Schleiszheim  et  Nurnberg. 

Wimpfeling,  dans  son  Epitome  rerum  germanicarum  *,  dont  la  pre- 
mière édition  parut  à  Strasbourg  en  1505,  dit  que  les  peintures  de  Schon- 
gauer étaient  si  remarquables  qu'elles  étaient  recherchées  en  Italie ,  en 
Espagne ,  en  France ,  en  Angleterre  et  dans  tous  les  lieux  du  monde. 

Le  docteur  Heinecke ,  dans  ses  Netie  Nachrichten  von  Kûnstlem  und 
Kunstsachen  ,  page  403 ,  signale  les  tableaux  suivants  de  notre  maître  : 

Le  Crucifiement  du  Christ  y  dans  une  chapelle  latérale  de  Saint-Martin, 
de  Colmar.  Dans  la  même  église ,  le  remarquable  tableau  de  la  Vierge 
aux  roses ,  couronnée  par  des  anges.  Dans  l'église  de  la  Trinité ,  de  la 
même  ville ,  quelque?  bonnes  peintures  sur  bois  ,  mais  sans  indication 
de  sujets.  Passavant,  à  qui  j'emprunte  ces  détails,  ajoute  que,  malheu- 
reusement toutes  ces  peintures ,  à  l'exception  de  la  Vierge  aux  roses , 


Colmar,  a  senti  ce  au'il  y  a  en  eux  d'étranger  et  quel  contraste  ils  présentent  avec  la 
manière  allemande  ,  ce  qu'il  attribue  à  l'amitié  et  aux  relations  qui  auraient  existé 
entre  Martin  et  Pierre  Pérugin ,  ainsi  que  l'assurent  Sandrart  et  d'autres  écrivains.  > 

C'est  là  une  opinion  qui  demanderait  à  être  confirmée  par  des  preuves  tauthen- 
tiques ,  qui  malheureusement  nous  manquent  et  ne  peuvent  que  laisser  planer  le 
doute  sur  l'attribution  du  tableau  de  la  Pieià. 

'  Ce  tableau  provient  de  l'église  des  Antonites  d'Issenheim. 

'  Chap.  68    De  picturd  et  plastice. 


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430  açvpE  ^'AL^iep. 

o^(  été  détfuit^s ,  comme  Ta  été ,  à  la  suite  de  la  révolution  de  1830  , 
le  grand  triptyque  de  SouUzbach  ^ 

Passavaift  attrjt)ue  à  Schongauer  deux  autres  tableaux  de  la  collection 
de  Colmar ,  provenant  d'Issenheim  :  rinnonaajiton  de  ta  Vierge  >  dont 
le  Ciivifbe  contient  cette  inscription  ;  Eccevirgo  çonâfriet  et  parietfiUum 
et  vocabitur  nomen  eiw^  Emant^L  L'mi  des  revers  du  tripliqiae  repré- 
sente Marie  à  genoux  ,  les  mains  croisées  sur  h  poitrina ,  adorant  Ten- 
Tant  couché  à  terre.  Dieu  le  Père ,  portant  le  globe ,  co.ntemple  d'eu-haut 
et  bénit.  Vis-à-vis  se  trouvent  les  arm^s  de  Jean  d'Orliac  (d*Orly),  Tun 
de§  fpndatenrs  du  couvent.  L'autre  revers  représente  Saint  Antoine , 
ermite,  debout,  figure  souverainement  digne,  tenant  un  livre  et  le 
Tau.  Devant  lui  est  agenouillée  la  petite  ^ve  du  donateur  >  comte  de 
Bserenfels ,  ayant  ses  armoiries  à  son  cété. 

Parmi  les  œuvres  attribuées  par  Passavant  à  Schongauer  figurent 
V Entrée  triomphale  de  David  à  Jérusalem ,  avec  la  tête  de  Goliath  , 
placée  à  la  Pinacothèque  de  Munich  ;  la  Mort  de  la  Vierge ,  dans  la 
galerie  du  Palais  Sciarra  Colonna ,  à  Rome  ;  YEcce  homo  qui  se  trou- 
vait, en  1831  ,  dans  la  collection  Ader  à  Londres. 

L'historiographe  «lu  Peintre -graveur  ajoute  qu'il  existe  aussi  au 
Musée  de  Madrid  un  excellent  tableau  de  Martin  Schongauer  portant  tous 
les  caractères  de  l'authenticité. 

Fôrster  lui  attribue  un  petit  tableau ,  malheureusement  endommagé, 
représentant  V Annonciation ,  que  possède  le  comte  Franz  de  Pocci  h 
Munich  et  qui ,  par  son  style ,  se  rapproche  de  l'école  flamand^.  Il  en 
donp.e  une  gravure.  €  A  la  finesse  du  sentiment  et  à  la  pureté  des 
(  formes  ,  s'allie ,  dans  ce  tableau  ,  un  coloris  uniformément  soutenu , 
«  aux  lumières  grassement  peintes  et  aux  ombres  légères  >  saps  que  |e 
c  travail  du  pinceau  soit  visible  ,  dans  le  genrç  des  modèles  flamands 
«  qui  i[i'a  été  atteint  que  par  des  maîtres  fort  distingués  ^.  » 

A  en  juger  par  la  gravure ,  ce  tableau  n'a  qu'une  analogie  fort  loin- 
taine avec  ceux  du  Musée  de  Colmar  dont  l'attribution  est  incontestée. 
Elle  ne  parait  reposer  que  sur  une  coi^jecture  difficilement  souteoable 
quand  on  le  compare  à  Y  Annonciation ,  d'Issenheim  ,  peinte  tout-à-faîi 
dans  la  manière  du  maître* 

Les  dessins  originaux  de  Martin  Schongauer  sont  très- rares.  Le  plus 
grand  nombre  d'entr'eux  se  trouve  dans  la  collection  du  Musée  de  Bâle, 

*  J.  D.  Passavant  ,  KunUbkiil ,  Hs  41 ,  io  aoûi  1Si6. 
'  Ge^chichte  dtr  deutichen  Kumt ,  T.  il ,  p.  196. 


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LE  MPS^B  Di$  CQIjIfÀR.  431 

dans  celle  de  Tarchiduc  Charles  ^  Vienne.  On  en  voil  quelques  uns  dans 
les  cabinets  d'estampes  de  Berlin  et  de  Dresde. 

c  Ce  qui  prouve ,  dit  Passavant ,  que  les  élèves  et  imitateurs  de 
c  Martin  Schongauer  furent  très -nombreux^  ce  né  sont  paç  seulement 
c  les  nombreuses  gravures  de  son  école ,  mais  aussi  beaucoup  de  pein- 
«  tures  que  j*ai  encore  vues  en  1845 ,  dans  différentes  églises  de  TAl- 
<  sace.  Aujourd'hui  encore  (1846),  Saint-Pierre  de  Strasbourg  conserve 
«  d|x  de  ces  tableaux  représentant  la  Passion  du  Christ ,  qui  ont  été 
•  exécutés  par  divers  artistes  pour  divers  fondateurs. 

En  groupant  les  suffrages  des  juges  autorisés  dont  j'ai  cité  Topinion 
dans  le  cours  de  cette  notice^  on  peut  admettre  aujourd'hui  que  Tœuvre 
de  Schongauer,  au  Musée  de  Colmar ,  est  représenté  par  onze  tableaux 
originaux  dont  voici  l'indication  : 
No  123  (ancien  livret).  La  Desrenie  de  croix. 
N^  124.  La  Mise  au  tombeau. 
N*  133.  L'Annonciation. 

N«  134.  La  Vierge  et  Saint- Joseph  adorant  l'enfant  Jésus 
N*  135.  La  Vierge  et  Saint- Jean  adorant  le  (hrist  en  croix. 
iNo  136.  Le  Christ  en  croix. 
N^  168.  Saint  Jean  Baptiste  et  Saint-Georges. 
N»  201 .  La  Vierge  adorant  l enfant 
N®  202.  V Ange  de  l'Annonciation 
N»  203.  Saint  Antoine. 
N»  204.  La  Vierge  de  l'Annonciation. 

La  Vierge  aux  roses,  de  la  sacristie  de  Saint-Martin  ,  complète  ce 
précieux  ensemble. 

L'intéressante  étude ,  publiée^'en  1 859 ,  par  M.  E.  Galichon,  nous 
donne  la  gravure  d'un  autre  tableau  ,  La  Mort  de  la  Vierge ,  attribué  à 
Scfaongauer  par  MM  Crowe  et  Cavalcaselle ,  dans  leur  ouvrage  The 
early  flemish  pointers ,  p.  324 ,  et  que  je  n'ai  point  trouvé  mentionné 
dans  les  auteurs  allemands.  Ce  tableau  fait  partie  de  la  collection  de 
?J.  Beaucousin  à  Paris.  M.  Galichon  nous  apprend  qu'il  a  été  possédé 
par  deux  rois ,  Charles  I''  d'Angleterre  et  Louis  de  Hollande,  qui  étaient 
aussi  des  amateurs  distingués  :  «  Il  résume ,  ajoute-t-il ,  toutes  les 
€  qualités  du  peintre  et  du  graveur  :  sentiment  profond  et  vrai ,  com- 
«  position  pleine  de  vie ,  couleur  puissante  et  faire  précieux.  La  tête 
«  admirable  de  la  Vierge ,  qui  rappelle  ses  plus  beaux  types ,  celle  de 
«  Saint  Pierre  ,  le  grand  style  des  anges ,  le  desbin  des  extrémités ,  les 


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433  RBVUB  D'ALSACE. 

€  plis  cassés  des  draperies  ,  les  fabriques  qui  entourent  la  place  qu*on 
«  aperçoit  à  travers  la  fenêtre  ouverte ,  toute  cette  composition  aile- 
«  mande  et  Ûamaude  à  la  fois ,  trahit  ta  main  de  Schongauer.  Ajoutons 
«  que  le  faire,  plus  libre  et  plus  gras  que  dans  la  Vierge  de  Colmar, 
«  donne  à  cette  peinture  une  date  postérieure  ;  sans  doute  elle  fut  exé- 
«  cutée  à  une  époque  où  Schongauer  était  entièrement  maître  de  lui- 
t  même.  « 

FjB  Musée  du  Louvre  possède  aussi  un  tableau  attribué  à  notre  maître  : 
Les  hroéUtes  recueillafU  la  manne  dam  le  déserL 


IX. 


(1  me  reste  à  dire  un  mot  du  rôle  qu'on  attribue  à  Schongauer  dans 
l'invention  de  la  gravure  au  burin.  Peu  de  questions  d'art  ont  été  contro- 
versées autant  que  celle-ci.  Les  Flandres ,  l'Allemagne ,  l'Italie  se  dis- 
putent l'honneur  d'avoir  donné  naissance  à  cet  art  merveilleux  de  la 
gravure  qui  suivit  de  près  l'invention  de  l'imprimerie ,  qui  servit  à 
répandre  dans  le  monde  intellectuel ,  à  des  milliers  d'exemplaires  ,  la 
reproduction  des  tableaux  de  maîtres ,  qui  ajouta  un  fleuron  de  plus  à 
cette  couronne  ,  si  brillante  déjà ,  des  arts  plastiques.  L'amour-propre 
allemand  a  revendiqué  pour  son  pays  cette  gloire  que  l'abbé  florentin 
Zani  prétendit  avoir ,  définitivement  et  sans  conteste ,  attachée  au  nom 
de  son  compatriote ,  l'orfévre-nielleur  Tomaso  Finiguerra. 

11  est  curieux  d'étudier  les  pièces  du  procès.  L'intérêt  qui  s'y  attache 
est  trop  vif  pour  que  je  résiste  au  désir  de  les  mettre  sous  les  yeux  de 
mes  lecteurs. 

Ecoutons  d'abord  Passavant,  Vnixieixr  du  Peinlre-graveur  \  Après 
avoir  rappelé  l'opinion  fort  accréditée  et  fort  ancienne  que  Martin 
Schongauer  inventa  l'art  de  la  gravure  au  burin  en  1442 ,  que  peut-être 
il  le  rapporta  des  Pays-Bas  où  l'on  a  conservé ,  dans  l'ancienne  collec- 
tion des  Stadthouders  d'Amsterdam  ,  de  remarquables  gravures  de 
Van  Eyck ,  il  cite  le  passage  suivant  de  Bernard  lobin ,  de  Strasbourg , 
dont  l'ouvrage  :  Aœuralœ  effigies  ponlificum  maximorum ,  a  été  édité 
à  Strasbourg  en  1573  : 


*  Beitrœgt  %ur  Kennlnis%  der  alien  Maler-Schulen  Deutschlandt.  J.  D.  Passavant, 
KunalblaU  ,  N»  41  ,  20  août  1846. 


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LE  MUSÉE  DE   CoLMAR.  133 

.«  George  Vasari  a  attribué  Finvention  de  la  gravure  à  ua  Florentin, 
«  Maso  Finiguerra ,  qui  a  vécu  en  1470  (il  aurait  dû  dire  14()0) ,  alors 
H  pourtant  qu'il  est  plus  que  certain  qu*un  artiste  de  la  haute  Allemagne 
«r  {ein  HochdetUscher) ,  nommé  Martin  Schœn  ,  a  mis  cet  art  pour  la 
'<  première  fois  en  pratique  et  en  renom  ,  après  avoir  été  stimulé  vers 
«  fexercice  de  cet  art,  en  l'année  1430 ,  par  ses  deux  maîtres  dont  Tun 
«  s'appelait  Luprecht  Rûst.  >  (Voir  Fiorilla  ,  Petits  écrits,  ii,  p.  329). 

Je  dois  dire  que  Passavant  ne  semble  pas  avoir  une  foi  robuste  dans 
les  assertions  de  lobin  en  matière  d'histoire  artistique ,  et  que  surtout 
il  n'admet  point  que  le  Formschneider  Luprecht  Rûst  ait  été  professeur 
de  Schongauer  ;  mais  il  se  borne  à  noter  celte  circonstance  que  déjà  à 
répoque  où  vécut  cet  écrivain ,  s  était  accréditée  l'opinion  que  notre 
peintre  avait  inventé  l'art  de  la  gravure  au  burin  ;  qu'à  l'exemple  de 
Wimpheling  il  désigne  le  maître  sous  le  nom  de  Martin  Schcm  et  non 
point  Schofigauer ,  ce  qui  prouve  qu'on  le  désignait  tantôt  sous  l'un 
tantôt  sous  l'autre  de  ces  noms. 

U Artiste  {Revue  de  Paris),  publié  par  M.  Arsène  Houssaye,  contient 
dans  son  numéro  du  20  juillet  1845 ,  un  article  sur  les  nielles  qui  con- 
teste cette  invention  à  TAlleniagne  et  l'attribue  à  Torfévre  florentin 
Maso  Finiguerra.  €  C'était,  dit  l'auteur  de  l'article,  une  tradition  en 
Italie  que ,  dix  ans  environ  avant  que  les  estampes  de  Schœngauer 
eussent  vu  le  jour  en  Allemagne ,  l'art  de  Vimpression  avait  pris  nais- 
sance à  Florence ,  dans  l'atelier  du  plus  célèbre  orfèvre  de  l'époque , 
Tomaso  Finiguerra.  »  Cet  orfèvre  était,  à  la  fois,  dessinateur,  ciseleur 
et  sculpteur,  très-habile  surtout  dans  l'art  de  nieller,  c'est-à-dire  de 
graver  sur  or  et  argent  des  dessins  dans  le  creux  desquels  il  infusait  un 
émail  noirâtre  qui  faisait  ressortir  vivement  le  trait  et  lui  donnait  l'efTet 
d'un  dessin  au  crayon  noir.  Le  hasard  ,  ce  complice  ordinaire  des  in- 
venteurs ,  favorisa  la  découverte  de  l'impression  des  nielles  sur  papier. 
La  tradition  veut ,  que,  dans  l'atelier  de  Finiguerra ,  le  hasard  se  pré- 
senta sous  la  forme  d'une  blanchisseuse  qui  déposa  par  mégarde  un 
paquet  de  linge  humide  sur  une  planche  fraîchement  niellée  dont  l'em- 
preinte se  reproduisit  sur  le  linge.  L'artiste ,  frappé  à  la  vue  de  cette 
empreinte,  songea  que  le  papier  humide  ferait  le  même  effet,  et  l'im- 
pression de  la  gravure  sur  papier  fut  inventée.  La  légende ,  si  elle  n'est 
vraie,  est  au  moins  ingénieuse  et  nous  la  retrouvons,  un  peu  autrement 
habillée,  au  berceau  de  la  lithographie. 

La  preuve  authentique  manquait.  C'est  l'abbé  Zaïii ,  célèbre  amateur 

3*  Séria.  ~  17*  Annét.  ^^ 


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434  REVUE  n* ALSACE. 

iUlien  ,  qui  s'est  chargé  de  la  fournir.  Poussé  par  son  désir  d'élucider 
la  question ,  il  vint  à  Paris  en  1 797,  visiter  le  cabinet  des  estampes  et 
se  fil  représenter  les  portefeuilles  les  plus  précieux  de  la  collection. 
Ici.  laissons  parler  V Artiste ,  auquel  j'emprunte  ces  détails  :  <  Il  y  avait 
à  peine  quelques  jours  que  Zani  avait  commencé  ses  recherches  ,  lors- 
qu'au milieu  d'une  feuille  sur  laquelle  étaient  attachées  douze  ou  quinze 
gravures  fort  anciennes  ,  il  en  aperçoit  une  qui  ft'appe  particulièrement 
son  œil  exercé»  Il  croit  la  reconnaître  et  cependant  jamais  il  n'a  vu  sa 
pareille;  mais  tout  à  coup  un  trait  de  mémoire  vjent  l'éclairer.  Ce  n'est 
pas  en  estampe ,  ce  n'est  point  sur  le  papier  qu'il  a  vu  cette  Vierge 
agenouillée  recevant  une  couronne,  et  ces  figures  de  saints  rangées 
symétriquement  de  chaque  côté.  C'est  sur  une  plaque  d'argent,  sur  une 
Paie  *  gravée  et  niellée  par  Tomaso  Finiguerra  pour  l'église  Saint-Jean- 
Baptiste  de  Florence.  C'est  dans  cette  église  qu'il  a  vu ,  il  y  a  quelques 
années^  le  type  de  cette  gravure  qu'il  a  maintenant  sous  les  yeux.  Voilà 
donc  la  preuve  que  Finiguerra  a  imprimé  des  estampes  ;  voilà  la  tradi- 
tion italienne  justifiée  :  car ,  pour  comble  de  bonheur ,  cette  paix  de 
Finiguerra  se  trouve  avoir  une  date  certaine.  Le  registre  des  adminis- 
trateurs de  l'église  de  Saint-^Jean-Baptiste  atteste  qu'elle  fut  terminée , 
livrée  et  payée  60  florins  6  livres  et  1  denier,  l'an  1452.  La  découverte 
de  ce  petit  morceau  de  papier  allait^donc  mettre  à  néant  les  prétentions 
de  l'Allemagne.  » 

Suit  une  affirmation  catégorique  de  l'auteur  de  l'article  ainsi  formulée  : 
«  Toutes  les  incertitudes  sont  fixées ,  et  c'est  un  fait  officiel ,  depuis 
quelques  années ,  aux  yeux  de  tous  les  artistes  et  amateurs ,  que  l'art 
de  l'impression  a  pris  naissance  à  Florence,  l'an  1452  ,  dans  l'alelier 
de  Tomaso  Finiguerra  ^.  » 

Que  l'impression  de  cette  paix  de  Finiguerra  ait  été  le  premier  essai , 
le  premier  pas  fait  en  Italie  vers  l'impression  des  estampes  gravées ,  le 
doute  ne  parait  point  possible  ;  mais  la  priorité  de  l'invention  est  aujour- 


'  On  donne  le  nom  de  paix  à  de  petites  plaques  en  métal  qui  sont  en  usage  à  la 
messe  des  grandes  fêtes ,  pendant  qu'on  chante  VAgnu$  Dti.  Leur  nom  vient  de  ce 
que ,  baisée  d'abord  par  le  célébrant ,  cette  plaque  est  awuite  présentée  à  chacun 
des  ecclésiastiques  avec  ces  paroles  :  Pax  tecum. 

*  Une  autre  Paix  attribuée  à  Finiguerra  et  qui  représente  V Annonciation  et  V Ado- 
ration dès  mages  ,  a  été  reproduite  en  fac-simiie  par  la  Galette  des  Beaux- Arti 
(octobre  1865 ,  page  844).  C'est  un  spécimen  fort  curieux  de  la  manière  de  Torfévre 
florentin. 


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!.G  MT7SÉE  DE  caLlTAR.  tô5 

d'hui  «n  fait  défmhivemeiil  jugé  en  faveur  de  1* Allemagne ,  et  en  voici 
les  preavee  péremptoirement  rapportées  par  Passavant ,  dans  son 
Peintre-graveur, 

D'après  Yasari ,  il  se  passa  dix  ans  avant  que  Baccio  Baldini  y  le  plus 
ancien  des  graveurs  au  burin  d'Italie,  n'eut  l'idée  d'appliquer  ce  pro- 
cédé à  la  multiplication  des  épreuves  tirées  d'une  planche  gravée.  La 
plus  ancienne  épreuve  datée  que  l'on  connaisse  de  lui ,  est  de  1465  ^ 

Mais  te  hasard  a  fait  découvrir  récemment  une  série  d'estampes  alle- 
mandes portant  une  date  bien  antérieure.  Ainsi  M.  Renouvier,  de  Mont- 
pellier ,  possède  dans  sa  collectiofi  une  gravure  portant  le  millésime  de 
i446 ,  représentant  la  Flagellation  de  N.  S.  Elle  fait  partie  d'une  suite 
de  sept  estampes  de  la  Passion  exécutées  par  un  maître  de  la  Haute- 
Allemagne. 

Dans  la  collection  de  M.  T.  0.  Weigel ,  à  Leipzig ,  se  trouve  une 
estampe  avec  le  millésime  de  1451  ,  signée  P.  et  représentant  la  Vierge 
entourée  de  quatre  chœurs  d'anges. 

La  date  de  1457  se  trouve  empreinte  sur  une  gravure  de  la  Cène 
faisant  partie  d'une  série  de  37  pièces  de  la  Passion  conservées  au 
Musée  britannique. 

Dans  la  Bibliothèque  de  Dantzig  se  trouve  une  gravure  allemande  de 
1458  représentant  la  Décollation  de  Sainte  Catherine. 

Passavant  multiplie  les  citations  de  ce  genre  et  ajoute  qu'il  ne  peut 
y  avoir  de  doute ,  qu'à  côté  de  ces  gravures  il  n'en  existe  beaucoup 
d'autres  d'une  date  aussi  reculée ,  mais  dont  il  est  impossible  de  fixer 
l'époque  ,  dépourvues  qu'elles  sont  de  millésimes  ;  qu'à  ces  dernières 
appartiennent  notamment  plusieurs  gravures  de  Martin  Schongauer. 

Le  nom  de  notre  maître  colmarien  s'attache  donc  aux  origines  de  l'art 
de  la  gravure  au  burin.  Il  fut  un  de  ces  vaillants  lutteurs  qui  surgirent 
vers  le  milieu  du  quinzième  siècle ,  époque  féconde ,  période  de  mouve- 
ment irrésistible  où  le  génie  humain  ,  s' affranchissant  des  entraves  du 
passé  y  créa  ces  magnifiques  instruments  de  propagation  de  la  pensée 
qui  s'appellent  l'imprimerie  et  la  gravure. 

A  son  origine ,  l'art  de  la  gravure  s'était  renfermé  presque  exclusi- 
vement dans  le  cercle  des  sujets  religieux.  Martin  Schongauer  rompit 
rarement  avec  ces  traditions  pour  traiter  des  sujets  t>rofanes.  Une  de 
ses  estampes  représente  un  paysan  portant  des  œufs  au  marché  et 

'  Passavant  ,  Le  PeinlrC'Graveur  ,  tome  i ,  p.  197. 


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i36  REVUE  D* ALSACE 

traînant  sa  femme  et  ses  enfants  sur  une  charrette  ;  une  autre  nous 
montre  un  meunier  poussant  devant  lui  un  âne  bâté  ;  sur  une  troisième 
il  a  représenté  une  querelle  d*apprentis-orfévres  t. 

Dans  les  compositions  de  ce  genre  il  manifeste  une  certaine  prédi- 
leclion  pour  le  comique  un  peu  trivial,  et  cette  tendance  se  fait  jour 
aussi  dans  des  sujets  plus  sévères ,  par  exemple  dans  les  scènes  de  la 
Passion  où  il  représente  les  bourreaux  avec  des  mines  presque  carica- 
turales. A  ce  genre  se  rattache  le  tableau  de  la  Descente  aux  enfen, 
qui  fait  partie  de  la  collection  de  l'école  de  Schongauer ,  au  Musée  de 
Colmar  ;  nous  y  voyons  figurer  un  démon  vert ,  à  la  face  particulière- 
ment hideuse  et  qui ,  pour  comble  de  grotesque ,  porte  dans  sa  région 
caudale  une  figure  grimaçante  au  milieu  de  laquelle  la  queue  forme 
trompe. 

X. 

Schonpuer  devait  être  aussi  un  habile  nielleur.  A  Texenjple  des 
orfèvres  italiens ,  il  exécuta  pour  les  églises  des  plaques  d'argent  gra- 
vées ,  connues  sous  le  nom  de  paix  ou  A'Agnus  Dei.  Dans  son  rapport 
sur  les  opérations  de  la  Société  Schongauer ,  pendant  les  années  1848 
et  1849 ,  M.  Hugoi  nous  apprend  que  la  Bibliothèque  de  Bàle  possède 
deux  de  ces  agnus  ou  plaques  rondes  en  argent  provenant  du  trésor  de 
Tancienne  cathédrale  ;  que  Martin  Schongauer  les  avait  gravées  au 
burin  ,  vraisemblablement  pour  les  nieller ,  mais  que  rémail  noir  ou 
nigello  n'a  pas  été  incrusté  dans  les  sillons  de  la  gravure.  M.  le  docteur 
Gerlach ,  bibliothécaire  de  cette  ville ,  en  a  fait  tirer  des  exemplaires 
imprimés  en  noir  comme  une  gravure  ordinaire  ;  il  a  offert  à  la  Biblio- 
thèque de  Colmar  deux  de  ces  estampes  qui ,  ajoute  M.  Hugot ,  bien 
qu'elles  ne  soient  point  les  premières ,  ont  toute  la  fraîcheur  et  toute 
la  netteté  d'une  épreuve  avant  la  lettre. 

Passavant  parle  en  détail  de  ces  gravures  sur  plaques  d'argent,  con- 
servées dans  la  collection  de  Bâle  et  qui  sont  plus  nombreuses  que  ne 
rindîque  H.  Hugot.  <  Ces  gravures  qui ,  en  partie ,  semble  appartenir 
au  maître  lui-même  ou  ont  été,  du  moins,  faites  dans  son  atelier, 
d'après  ses  dessins  et  sous  sa  direction ,  sont  exécutées  sur  dûc-neuf 
planches  de  forme  ronde ,  deux  grandes  et  dix-sept  petites ,  dont  on  a 
tiré  quelques  épreuves  à  une  époque  très-récente.  » 

*  FôRATEB  ,  QeêchichU  der  deuUchen  Kuriêi,  T.  n  ,  p.  19i. 


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LE  MrSÉE  DE  GOIJfAR.  191 

Deux  de  ces  gravures ,  Jésus  sur  le  mont  des  olives  et  la  Prise  de 
Jésus -Christ ,  se  trouvent  sur  les  deux  côtés  d'un  médaillon  en  argent 
qui ,  d'après  Bartscb ,  aurait  contenu  le  sceau  de  la  ville  de  Colmar. 
Mais,  comme  le  fait  observer  M.  Passavant ,  ce  médaillon  ne  forme 
point  une  botte  ;  ce  sont  deux  plaques  jointes  par  un  cercle  orné  qui 
paraît  avoir  été  suspendu  à  un  ostensoir.  Peut-être  cette  pièce  d'orfè- 
vrerie était-elle  un  écrin  destiné  à  contenir  des  hosties. 

Les  dix-sept  petites  plaques  ou  médaillons  d'aïf  ent  gravés  sortent  de 
Fatelier  de  Schongauer  et  représentent  des  sujets  tirés  de  la  vie  du 
Christ ,  de  la  Vierge  et  des  apôtres.  Le  style  du  dessin  et  de  la  compo- 
sition ,  ainsi  que  le  gracieux  caractère  des  têtes  de  Vierges,  ne  laissent 
aucun  doute  à  cet  égard ,  toujours  d'après  l'opinion  du  célèbre  histo- 
riographe de  la  gravure. 

La  direction  du  Musée  de  Bftie  en  a  fait  tirer ,  en  1858 ,  quelques 
épreuves  sur  papier  de  Chine  qui  ont  été  données  aux  principales  col- 
lections de  gravures  de  l'Europe  :  elles  ne  sont  point  destinées  à  passer 
dans  le  commerce. 


XI. 


L'œuvre  gravé  de  Schongauer  est  considérable.  D'après  Barlsch,  les 
pièces  authentiques ,  relies  qui  peuvent  lui  être  attribuées  avec  certi- 
tude ,  sont  au  nombre  de  116 ,  dont  87  représentent  des  sujets  religieux, 
quatre  des  scènes  familières ,  quatre  des  animaux  et  21  des  motifs 
d'orfèvrerie  ou  d'ornements.  On  lui  attribue  encore  la  gravure  sans 
marque  le  Mari  subjugué  par  sa  fem^ne  y  qui  rentre  tout-à-fait  dans  sa 
manière ,  et  la  Décollation  de  Sainte  Catherine  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut. 

Les  estampes  du  maître  ont  été  décrites  par  H.  de  Heinecke ,  dans 
ses  Neue  Nachrichten  von  Kûnstkrn  und  Kunstsachen ,  par  MM.  de 
Bartscb  et  Passavant  dans  leur  Peintre-graveur.  Il  ne  peut  entrer  dans 
le  plan  de  cette  notice  de  reproduire ,  même  sommairement ,  les  des- 
criptions des  pièces  les  plus  intéressantes. 

Comme  tous  les  grands  artistes,  Schongauer  subit  l'influence  de 
modifications  successives  qui  se  reflètent  dans  ses  œuvres  aux  diverses 
époques  de  sa  vie.  Les  œuvres  de  sa  jeunesse  se  ressentent  des  influences 
d'écoles  oà  domine  le  goût  flamand  :  elles  sont  plus  froides  que  celles 


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i38  ReYUK  D'ALSACE. 

de  Tàge  mûr  où  le  burin ,  conduit  par  une  main  plus  libre  et  un  senti- 
ment plus  personnel ,  creuse  des  billes  plus  profondes ,  donne  plus  de 
valeur  aux  contrastes  d'ombre  et  de  lumière ,  et  affirme  nettement 
rittdividualité  de  l'artiste  maître  de  son  procédé. 

Parmi  les  pièces  capitales  de  notre  artiste ,  il  faut  citer  le  Poriememi 
de  croix ,  cette  page  magnifique  qui  a  inspiré  à  M.  Waagen ,  conser- 
vateur du  Musée  de  Berlin ,  la  réflexion  suivante  :  «  Je  suis  convaincu 
que  Rapbael  emprunta  au  beau  Martin,  pour  son  célèbre  tableau  le 
Spoêimo  y  la  figure  du  Christ  succombant  sous  le  poids  de  la  croix ,  et 
se  soutenant  sur  sa  main  droite.  Gomme  Raphaël  a  dû  connaître  de 
bonne  heure  les  gravures  de  Martin  Schœn ,  dans  l'atelier  de  son 
maitre  Le  Pérugin  »  il  est  naturel  de  supposer  que  cette  figure  a  dû 
frapper  son  esprit  encore  jeune  *.  »  Hais,  d'après  M.  Emile  Galiehon , 
cette  opinion  est  difficilement  soutenable ,  si  Ton  compare  les  deux 
Christs,  tels  que  Raphaël  et  Schongauer  les  comprirent^  dans  la  même 
position ,  on  sent  de  suite  combien  est  grande  la  diSërence  des  idées 
et  du  style  dans  les  deux  écoles.  «  Chez  le  maitre  allemand,  dit-il,  la 
figure  du  sauveur  du  monde  manque  de  cette  unité  qui  donne  tant  de 
grandeur  au  maitre  italien  ;  la  tête ,  vue  de  face ,  s'attache  mal  au 
corps  représenté  de  profil  ;  la  ligne  courbe  du  dos  donne  au  Christ 
quelque  chose  d'humble  et  de  trop  humain  qui  sied  mal  à  la  divinité. 
Chez  Raphaël ,  au  contraire ,  la  noble  figure  du  Christ  ^  admirable 
d'ensemble  y  se  présente  toute  de  trois  quarts  et  la  belle  ligne  droite 
du  dos  conserve  à  son  Christ  toute  la  dignité  d'un  Dieu  qui  se  sacrifie.» 

Il  faut  citer  encore,  parmi  les  meilleures  estampes  dumattre:  Le 
Christ  m  croix  (N<>  25  du  catalogue  de  Bartsch),  La  Mort  de  la  Vierge 
(N*"  33) ,  pièce  exécutée  dans  le  genre  du  tableau  possédé  par  H.  Beau- 
cousin  ;  Saint  Antoine  tourmenté  par  des  démons  (N<»  47).  Vasari  nous 
apprend  que  cette  estampe  fut  tellement  appréciée  par  Michel-Ange 
qu'il  la  reproduisit  sous  la  forme  d'un  dessin  colorié  ;  Saint  Jacques  le 
mineur  (N<*  53) ,  gravure  qui  passe  pour  être  la  dernière  du  maître  et 
qui  est  d'une  extrême  rareté  ;  Les  Vierges  sages  et  ks  Vierges  folles 
(N^*  77-86)  ,  qui  ont  été  copiées  par  Israël  Van  Mechenen. 

Plusieurs  graveurs  français  se  sont  inspirés  de  la  manière  de  Schon- 
gauer ou  ont  imité  ses  estampes  dans  la  gravure  des  sujets  qui  ornent 
les  livres  d'heures  édités  par  Gilles  Hardouin  et  Ambroise  GirauU. 

'  Waagen  ,  Trésors  de  l'wl  de  la  Grdmie-Uretagne. 


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LE  MIISÉK   l>E  GOMTAil.  496 

Albert  Darer  aussi ,  ie  grand  maître  allemand  ,  s'est  insfriré  quelqae 
fois  du  styie  de  Schongauer  :  il  lui  a  emprunté  ^  notamment ,  le  plus 
beau  type  de  vierge  que  le  mattre  colmarien  ait  conçu ,  eeile  qui  figure 
dans  son  estampe  La  Fuile  en  Egypte  (N^^  7*  Bartsch)  '. 

Faut-il  le  dire  ?  Le  Musée  de  Golmar ,  si  riche  en  œuvres  peintes  de 
Técole  de  Schongauer,  est  réduit  à  ne  pouvoir  exhiber  aux  curieux  que 
<{ualre  petites  estampes  portant  le  monogramme  du  maître.  Elles  sont 
réunies  dans  un  seul  cadre  ,  placé  au-dessous  du  portrait  de  Tartiste  , 
et  représentent  des  sujets  de  la  Passion.  Un  peu  de  bonne  volonté , 
doublée  d'une  certaine  dose  de  persévérance ,  suffirait  cependant  pour 
réunir  peu  à  peu  un  groupe  plus  nombreux.  Les  estampes  de  Schon- 
gauer ne  sont  pas  tellement  clairsemées  qu'il  ne  soit  pas  possible  de 
s'en  procurer  quelques  bonnes  épreuves ,  en  France  ou  en  Allemagne. 
C'est  là  une  question  de  dignité  pour  le  Musée  de  Golmar  qui  doit  tenir 
à  honneur  de  compléter  les  éléments  d'esthétique  qui  permettent  d'en- 
visager dans  tout  son  jour  l'œuvre  de  cet  homme  qui  a  laissé  une  trace 
si  brillante  dans  l'art. 

Je  crois  avoir  consciencieusement  analysé  les  opinions  et  les  recher^ 
ches  des  critiques  les  plus  autorisés  qui  ont  étudié  cette  personnalité 
d'artiste.  Mon  travail  n'a  pas  la  prétention  d'être  autre  chose  qu'un 
petit  résumé ,  un  guide  pour  les  personnes  qui  veulent  se  rendre  compte 
de  l'état  le  plus  récent  des  données  acquises  ,  des  notions  recueillies 
sur  le  maître  colmarien.  Passavant ,  cet  infatigable  mineur ,  qui  a 
découvert  tant  de  filons  précieux  dans  les  couches  historiques  de  l'art , 
a  élargi  la  voie  où  étaient  entrés  ses  émules.  A-t-ii  dit  le  dernier  mot? 
Il  faut  espérer  que  non.  Le  champ  d'exploration  sera  parcouru ,  sans 
doute,  par  d'autres  encore  et  le  hasard,  ce  puissant  auxiliaire  des 
chercheurs,  nous  réserve  peut-être  des  surprises,  des  données  nou- 
velles qui  dégageront  tout  entière  la  noble  figure  dont  j'ai  essayé  de 
crayonner  quelques  lignes. 

Nous  connaissons ,  de  l'œuvre  de  Schongauer ,  ce  qui  a  survécu  à 
faction  destructive  du  temps  et  des  hommes  :  de  sa  vie  intime  ,  rien 
n'a  transpiré  jusqu'à  nous.  Ce  grand  artiste  ,  qui  a  tant  produit,  a-t>il 
passé ,  comme  bien  d'autres  ,  et  des  plus  illustres  ,  par  les  épreuves 
navrantes  qui  sont  la  pierre  de  touche  du  génie  et ,  parfois ,  ie  calvaire 
du  talent  ?  Pas  une  chronique ,  pas  une  anecdote ,  pas  un  mot  de  cor- 

'  E.  Galichon  ,  Ga%eUe  det  Beaux-Aris ,  T.  ni ,  p.  828. 


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440  REVUE   D' ALSACE. 

respondance  émané  de  lui ,  pour  nous  découvrir  un  coin  de  son  existence 
privée.  Contenions-nous  du  rayonnement  de  sa  pensée  dans  ses  œuvres  : 
nous  nous  consolerons  de  n'y  point  trouver  le  repoussoir  d'une  vie 
agitée ,  à  Texemple  de  celui  qui  jette  une  ombre  si  mélancolique  sur  la 
carrière  d'Albert  Durer ,  cet  autre  grand  artiste  qui  vécut  martyr  d'une 
Xantippe 

Ch.  Goutzwiller  . 

Secrétaire  on  rhof  de  la  mairie  do  Golmar. 


{La  viUe  à  une  prochaine  livraison,} 


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ÉTUDES 

SUR  L'ÉLEVAGE,   L'ENTRETIEN   ET  L'AMELIORATION 
DE  LA  RACE  BOVINE  EN  ALSACE 

SITVIE8 

DE    QUELQUES    RÉFLEIiONS   SUR  LA  LOI  DU    11   FRIMAIRE  AN  VII 
RELATIVE  AUX  PATRES  ET  AUX  TROUPEAUX. 

Suite  tt  fin  *. 


Mais  la  position  du  vétérinaire ,  en  des  circonstances  pareilles ,  est 
souvent  trës-embarrassante.  Au  point  de  vue  de  Fart ,  il  est  vrai ,  son 
jugement  est  bien  vite  formé  ;  mais ,  le  plus  souvent ,  la  zootechnie  et 
toutes  les  autres  sciences ,  laborieusement  acquises  par  l'artiste ,  sont 
moins  consultées  que  ne  Test  l'usage  du  pays.  Le  gardien  fait  remarquer, 
au  vétérinaire,  que  le  taureau  en  litige  lui  a  coûté  la  même  somme  que 
le  précédent  qui  avait  duré  une  année  de  plus  ;  que  son  taureau  est  en 
tout  aussi  bon  état  que  ceux  des  villages  voisins ,  et  que  ,  si  l'animal  est 
maigre ,  c'est  parce  que  l'année  a  été  trop  sèche  ou  trop  humide  et  que 
les  fourrages  n'ont  pas  réussi ,  et  enfin  ,  il  déclare  que  si  la  commission 
municipale  a  l'inten'ion  de  le  ruiner ,  il  préfère  renoncer  immédiate- 
ment à  ses  fonctions. 

C'est  là,  comme  nous  venons  de  le  dire ,  que  commence  l'embarras 
du  vétérinaire ,  car ,  évidemment ,  tous  les  arguments  invoqués  par  le 
gardien  ne  sont  pas  du  domaine  de  la  science.  C'est  donc  en  vain  que 
le  vétérinaire  cherche  à  concilier  les  partis.  Les  délégués  municipaux  , 
à  leur  tour,  continuent  à  insister  sur  leur  réclamation ,  en  s'appuyant 
sur  le  cahier  des  charges  qui  stipule  le  renouvellement  du  taureau,  non 
pas  périodiquement,  mais  chaque  fois  que  c'est  jugé  nécessaire  par  la 
commune.  Le  gardien'  ne  persiste  pas  moins  à  soutenir  qu'on  le  pour- 

*  Voir  les  livraisons  de  janvier,  février ,  mars ,  avril ,  mai ,  juin  ,  juillet,  aoûi 
]8i>5,  pages  17  ,  m,  112 ,  155,  216,  265,  572,  372,  avril .  juin  et  août  186<s 
pag(*8  201 ,  28^  et  586. 


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442  REVUF    D*ALSACE. 

suit  par  des  chicanes ,  et  le  vélérioaire ,  voyant  parfaitement  que  la 
source  de  la  discussion  découle  du  trop  grand  nombre  de  tètes  de  bêtes 
femelles  qui  composent  le  troupeau  ,  signale  en  vain  la  cause  du  mal. 
Finalement  le  vétérinaire  se  retire  en  haussant  les  épaules;  le  gardien 
s'en  va  de  son  côté ,  en  jurant  les  grands  dieux  que  Ton  est  injuste  à 
son  égard ,  et  la  délégation  municipale  se  sépare  avec  la  résolution  bien 
arrêtée  de  remplacer  ou  de  desliluei  le  gardien. 

Mais ,  le  plus  souvent,  la  destitution  est  plus  facile  que  le  remplace- 
ment à  cause  des  motifs  que  le  lecteur  connaît.  Les  jour  n^  les  semaines, 
Tannée  entière  s'écoulent,  et  le  taureau ,  quoiqu'il  ait  laissé  stériles  la 
moitié  des  vaches  dans  la  commune  et  que  les  veaux  auxquels  il  a  donné 
le  jour  soient  de  constitution  chétive ,  sort  néanmoins  victorieusement 
de  la  lutte  parlementaire  que  nous  venons  de  décrire. 

En  théorie  il  y  a  un  moyen  bien  simple  de  remédier  à  Tétat  de  choses 
que  nous  signalons ,  ce  serait  d'obliger  l'entrepreneur  d'avoir  deux  ou 
trois  taureaux  au  lieu  d'un ,  et  de  payer  en  conséquence.  Mais ,  en  pra- 
tique ,  il  faut  avoir ,  à  cet  effet ,  le  consentement  des  contribuables  dont 
les  deux  tiers  sont  des  gens  peu  aisés  et  qui  gagnent  péniblement  le 
nécessaire  à  l'entretien  de  leurs  familles.  Ils  n'entendent  pas  voir  aug- 
menter leurs  contributions  ou  cotisations  et  sont ,  généralement ,  faute 
de  connaissances  suffisantes  ,  plutôt  disposés  à  mettre  le  mauvais  état 
du  taureau  communal  sur  le  compte  de  l'entrepreneur,  que  d'en  accuser 
le  trop  grand  nombre  de  têtes  composant  le  troupeau. 

A  différentes  reprises  déjà ,  cet  étal  de  choses  a  rendu  nécessaire 
rintervention  des  administrations  supérieures  des  départements  du  Haut 
et  du  Bas-Rhin.  Nous  avons  sous  les  yeux  divers  documents  relatifs  à 
ce  sujet ,  et  notamment  une  circulaire  de  H.  Migueret ,  datée  du  30 
janvier  i  864,  qui  est  de  nature  à  prouver  au  lecteur  combien  sont 
grandes  les  dissensions  fâcheuses  qui  surgissent,  à  tout  moment,  entre 
les  administrations  municipales ,  les  entrepreneurs  et  les  habitants  des 
communes. 

Cette  circulaire  est  adressée  par  M.  Migneret ,  ancien  préfet  du  Bas- 
Rhin  y  à  MM.  les  sous-préfets  et  maires  de  ce  département. 

Dans  la  question  qui  nous  occupe ,  ce  document  est  d'une  trop  haute 
importance  pour  ne  pas  être  reproduit  ici. 

Le  voici  textuellement  : 

M  Je  remarque  que ,  depuis  quelque  lemps  ,  4e  fréquenies  coDiestations  8*é- 
lèveut  daos  ies  commuues  à  ToccasioD  de  l*enlrelien  des  taureaux  baoaax ,  et 


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ÉTUDES  SUR  l'ÉLCVAGE  ,  L*E\TRETIKN  ,  ETC.  448 

qne  kss  tdmiiiistrttioBS  nmiiklpftles  se  troutenl  engigées  dus  des  cootesutions 
regrettables. 

m  Deux  cirettltires  insérées  tu  Recueil  dei  acte$  de  la  préfechirê ,  soos  les  dites 
du  42  mars  1944  et  du  16  féfiier  18S0 ,  cmt  eu  déjà  pour  but  de  rappeler  à 
MM.  les  maires  que  l'eutrelien  des  animaux  reproducteurs ,  taureaux  ,  verrats  et 
i«utr«>s,  n'était  pas  un  objet  dévolu  par  les  lois  aux  soins  des  administrations 
communales ,  que  rint«'rvenllon  des  communes  devait  se  borner  à  donner  des 
encouragements  aux  éleveurs ,  quand  les  ressources  budgétaires  le  permettaient. 

«  Malgré  les  recommandations  qui  ont  eu  lieu  à  ce  sujet ,  on  continue ,  dans  la 
plupart  des  localités ,  k  fiûre  de  l'entretien  des  taureaux  banaux  Pobjet  d*une 
entreprise  concédée  ,  au  nom  de  la  commune ,  par  voie  d'adjudication  publique. 
Dans  d'auues  locaUtés ,  le  maire  »  agissant  au  nom  de  la  commune,  passe  avec 
les  entrepreneurs,  des  marclés  à  l'amiable  ,  k  des  conditions  qui  conduisent  aux 
mêmes  inconvénients  qne  les  adiudications. 

«  En  effet ,  dans  les  deux  cas,  il  existe  entre  la  commune  et  rentreprenenr  un 
contrat  avec  des  engagements  réciproques.  Or,  que  Tune  ou  l'autre  des  clauses 
de  ce  contrat  donne  lieu  à  contestation ,  la  commune  se  trouve  entraînée  dans  un 
procès  »  et  cela ,  comme  je  l'ai  dit ,  pour  une  affaire  où  elle  n'avait  pas  i  Inter- 
venir ,  au  moins  comme  partie  contractante. 

«  Remarquez ,  Messieurs ,  que  je  ne  repousse  pas  absolument  l'Intervention 
administrative  en  cette  matière.  Les  intérêts  de  Tagriculture  sont  trop  étroite- 
ment liés  à  une  bonne  reproduction  du  bétail ,  et  à  l'amélioration  des  races,  pour 
que  les  administrations  des  communes  puissent  demeurer  indifférentes  à  ce 
résulut. 

«  Seulement ,  il  importe  que  leur  intervention  soit  contenue  dans  de  justes 
limites ,  et  il  est  certain  qu'on  n'a  pas  agi  toujours  k  cet  égard  avec  assez  de  pru- 
dence ni  avec  aasez  de  régularité.  11  en  est  résulié  ,  comme  je  l'ai  dit  plus  haut , 
de  nombreuses  difficultés.  Afin  d'en  prévenir  le  retour ,  je  Tiens  de  prendre  un 
arrêté  que  vous  trouver«^  à  la  suite  de  cette  circulaire  et  qui  établit  les  règles  à 
observer  par  les  communes  du  département,  lorsqu'elles  voudront,  dans  l'intérêt 
de  l'agricnltnre ,  encourager  l'élève  d'animaux  reproducteurs. 

«  J'appelle  tonte  votre  attention  sur  les  dispositions  de  cet  arrêté  et  je  vous 
invite  à  vous  5  conformer  à  l'avenir  rigoureusement.  • 

Voici  maintenant  le  texte  de  Tarrêté  : 

n  Nous  Préfet  du  Bas-Rbin  , 

0  Considérant  que  l'entretien  des  animaux  reproducteurs ,  laureaui ,  ver- 
rais ,  etc. ,  n'est  pas  un  service  communal  ;  que  c'est  par  conséquent  à  tort  quu  , 
«iaiis  un  grand  nombre  de  localités  du  département ,  les  administrations  munici- 
paies  concèdent  ces  sortes  d'entreprises ,  au  nom  de  la  commune ,  par  voie  d'en- 
chères au  rabais ,  ou  sous  forme  de  marchés  k  l'amiable. 

«  Cousuiéraut  d'ailleurs  que  cet  usage  a  pour  les  communes  de  funestes  con- 


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444  RFVUE   n*AL8ACE. 

séqueoces ,  d'une  pari ,  parce  qu'en  cas  de  non-valeurs  dues  par  les  habitants , 
c'est  la  commune ,  responsable  de  l'exécution  du  marché ,  qui  est  tenue  d'indem- 
niser l'entrepreneur  ;  d'autre  part ,  à  cause  des  contestations  nombreuses  aux- 
quelles le  service  ,  dont  il  s'agit ,  peut  donniT  lieu  entre  la  commune  et  l'entre'- 
preneur ,  contesta tions  qui  amènent  presque  toujours  des  procès  et  entraînent  à 
des  dépenses  que  les  caisses  municipales  ne  sont  pas  en  mesure  de  payer. 

ff  Considérant  toutefois  que ,  s'il  importe  de  faire  cesser  les  abus  résultant 
d'une  immixtion  exagérée  des  communes  dans  l'élève  du  bétail,  les  sacrifices  que 
les  administrations  municipales  seraient  disposées  à  faire ,  dans  de  justes  limites, 
en  faveur  d'un  objet  qui  intéresse  à  un  si  haut  degré  l'agriculture,  méritent 
d'être  encouragés ,  mais  qu'il  convient  de  faire  connaître  les  conditions  sous  les- 
quelles l'approbation  préfectorale  pourra  être  donnée  à  cette  dépense. 
«  Arrêtons  :  • 

€  Art.  1•^  A  partir  de  ce  jour,  ne  seront  plus  approuvées  par  nous  les  cou- 
cessions  faites  par  les  administrations  municipales ,  au  nom  des  communes ,  soit 
par  adjudication  au  rabais ,  soit  sous  formes  de  marchés  il  l'amiable  «  des  entre- 
prises dites  entretien  des  bêtes  mâles. 

«  Art.  2.  Les  communes ,  auxquelles  leurs  ressources  le  permettent,  pourront 
inscrire  annuellement  dans  leurs  budgets  une  certaine  somme  pour  encourage- 
ment aux  éleveurs  d'animaux  reproducteurs. 

a  Un  règlement ,  adopté  en  conseil  municipal  et  approuvé  par  nous ,  détermi- 
nera les  conditions  auxquelles  Tobtentioa  des  encouragements  sera  subordonnée. 

«  L'entrepreneur  du  service  des  bêtes  mfties  sera  tenu ,  pour  avoir  droit  aux 
primes  communales,  4®  de  se  faire  agréer  par  le  conseil  municipal ,  comme  étant 
en  état  de  pourvoir  à  un  bon  choix  et  à  un  bon  entretien  des  animaux  ;  2^  de  ne 
pas  exiger  par  saillie  un  prix  plus  élevé  que  celui  fixé  comme  maximum  par  le 
conseil  municipal  '  ;  3<>  de  se  soumettre ,  à  l'avance ,  à  la  décision  d'une  commis- 
sion dont  le  mode  de  nomination  sera  déterminée  par  le  conseil  municipal ,  et  qui 
sera  chargée  de  statuer ,  en  dernier  ressort ,  sur  l'allocation  des  primes. 

«  Art.  3.  Dans  les  communes  où  il  se  formerait  des  associations  syndicales 
ayant  pour  objet  l'entretien  d'animaux  reproducteurs  ,  la  recette  et  la  dépense 
seront  faites  par  le  syndicat  lui-même  et  pnr  le  membre  qu'il  aura  désigné.  Les 
comptes  relatifs  à  cet  obj«>t  seront  complèlcmimt  distinct  et  détachés  de  la  gestion 
communale. 

«  An.  4.  Dans  aucun  cas ,  les  dispositions  qui  seraient  prises  en  vertu  du  pré- 
sent arrêté  no  pourront  faire  obstacle  au  droit  qu'a  chaque  h^ibitant  d'entretenir 


'  L'usage  de  payer  par  saillie  n'a  généralement  lieu  que  dans  les  communes  oà 
l'entretien  du  taureau  est  un<i  entreprise  privée.  Ces  entreprisc^s  sont  fort  rares 
faute  de  grand<i$  exploitations.  DaiS  les  communes  où  il  existe  un  traité  qnel- 
conq  le  avec  l'entrepreneur,  le  prix  des  saillies  est  naturellement  compris  dans 
les  cotisations.  [Note  de  Vauteur.) 


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ÉTUT  ES  SUn  L*âLEVAGE  ,  L'BNTRETIEN  ,  ETC.  445 

des  aDfmaui  reprodactenrs  et  les  mettre  à  U  disposition  des  éleveurs  aux  condi- 
tions qu'il  juge  convenables. 

»  Signé  :  Mjgnebet.  » 

Ce  document  nous  fait  voir  que  malgré  les  circulaires  insérées  à  dif- 
férentes reprises  au  Recueil  des  actes  de  la  préfecture,  on  ne  continuait 
pas  moins  au  30  janvier  i864 ,  dans  la  plupartides  localités ,  à  faire  de 
Fentretien  des  taureaux  banaux  ou  communaux  ,  l'objet  d'entreprises 
concédées  au  nom  de  la  commi^ne. 

Suivant  ce  document  Tusage  dont  il  s'agit  auraH  pour  les  communes 
(le  funestes  conséquences ,  d'une  part ,  parce  qu'en  cas  de  non-valeurs 
sur  les  cotisations  dues  par  les  habitants,  c'est  la  commune  respon- 
sable de  l'exécution  du  marché ,  qui  est  tenue  d'indemniser  l'entre- 
preneur ;  d'autre  part  à  cause  des  contestations  nombreuses  auxquelles 
le  service  en  question ,  peut  donner  lieu  entre  la  commune  et  l'entre- 
preneur. 

Que  l'on  veuille  bien  nous  permettre  de  faire  quelques  observations 
au  sujet  de  ces  derniers  arguments.  Vivant  au  milieu  des  cultivateurs, 
nous  croyons  avoir  appris  à  connaître  une  partie  des  causes  qui  em- 
pêchent le  progrès  ,  tout  aussi  bien  que  nous  croyons  entrevoir,  d'un 
autre  côté,  les  nombreuses  difficultés  qui  se  présentent  dans  une  admi- 
nistration supérieure,  quelles  que  soient  d'ailleurs  et  la  bonne  volonté  et 
la  sollicitude  dont  elle  est  animée  l 

Les  observations  que  nous  nous  permettrons  de  faire  auront  donc 
moins  pour  but  de  combattre  des  arguments  ou  des  opinions  émises 
par  un  administrateur  qui  a  laissé  de  si  excellents  souvenirs  dans  notre 
province,  que  de  contribuer,  dans  la  limite  de  nos  moyens ,  à  éclairer 
une  question  dont  Timportance  n'est  contestée  par  personne. 

Nous  dirons  donc  que  les  conséquences  résultant  des  non-valeurs 
sur  les  cotisations  dues" par  les  habitants  de  la  commune,  nous 
paraissent  non-seulement  moins  funestes  qu'à  M.  Higneret,  mais 
qu'elles  nous  paraissent  avoir  peu  de  gravité ,  par  la  raison  toute 
simple  que ,  suivant  l'article  44  de  la  loi  municipale  du  18  juillet  1837 
ces  cotisations  ou  taxes  sont  perçues ,  comme  nous  l'avons  déjà  fait 
remarquer  plus  haut,  suivant  les  formes  établies  par  le  recouvrement 
des  contributions  publiques. 

c  Les  sommes  ainsi  réparties ,  disait  en  1848  M.  le  Ministre  de  Tin- 
térieur,  peuvent  être  portéen  en  recettes  et  en  dépenses  dans  les  budgets 
communatéx  et  versées  dans  la  caisse  communale  pour  être  appliquées 


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iM  nwrnt  d'alsagb. 

aux  dépenses  qtf  elles' cfmcement ,  puisgne  l'article  44  préeiié  fui  éÉi- 
blit  une  recette  autorise  implicitement  une  dépense   >• 

Les  arguments  invoqués  par  H.  Migneret,  et  basés  sur  les  difficultés 
que  présenteraient  le  recouvrement,  opéré  par  TinterveDlion  àes  rece- 
veurs municipaux  ou  percepteurs ,  nous  paraissent  donc  non-seulemenl 
peu  fondés,  mais  môme  contraires  à  rinstrucjion  que  nous  venAns  de 
signaler  et  qui  a  été  adressée ,  à  M.  le  Préfet  du  Haut-Rhin  ,  par  H.  le 
Ministre  de  Tlntérieur,  le  9  juin  1838  ^ 

Le  recouvrement  des  cotisations  nous  parait,  au  contraire,  présenter 
des  difficultés  réelles  lorsqu'il  est  privé  de  Fintervention  des  autorités, 
c'est-à-dire,  lorsqu'il  n'a  pas  lieu  suivant  les  formes  établies  pour  le 
recouvrement  des  contributions  publiques.  Dans  ce  cas,  il  n'^iste  natu- 
rellement point  de  traité  entre  la  cemnokune  et  l'entrepreneur,  el  ce 
dernier  n'a  d'autres  roeyens  légaux  à  sa  disposition  pour  la  récupéra- 
tion des  sommes  qui  lui  sont  dues ,  que  l 'assistance  que  peut  lui  offrir 
l'huissier  de  la  justice  de  paix.  Ce  sont,  du  reste,  les  conséquences 
fâcheuses  de  ce  mode  de  recouvrement  qui  ont  fait  foire ,  à  M.  Brel, 
contrairement  à  M.  Migneret ,  les  observations  suivantes  ;  <  Je  ne  me 
suis  pas  dissimulé,  disait-il  dans  une  circulaire  du  1 8  août  1 838,  les  incon- 
vénients du  mode  de  recouvrement  de  ces  taxes  ,  qui ,  ayant  lieu  sans 
Vinterventûm  êes  receveurs  municipaïux ,  doaiient  souvent  lieu  à  des 
difficultés ,  et  j'ai  cru  devoir  consulter  à  ce  sujet  M.  le  Ministre  de 
rintérieur.  Il  résulte  de  sa  réponse  du  9  juin  1838  :  qu'en  effet  les 
dépenses  relatives  à  la  garde  du  troupeau  coaimun  et  au  service  de  la 
reprodoelion  ne  sont  pas  municipales,  en  ce  sens  que  la  caisse  muni- 
cipale ne  fournit  pas  les  fonds  nécessaires  pour  y  subvenir,  mais  que, 
puisqu'aux  termes  de  Tarticle  6  de  la  loi  du  H  frimaire  an  VII ,  elles 
doivent  être  supportées  proportionnellement  par  ceux  qui  en  profitent, 
conformément  au  règlement  arrêté  par  les  administrations  municipales, 
rien  ne  s'opposerait  à  ce  que  les  sommes  auxquelles  les  habitants  ou 
propriétaires  auraient  été  taxés,  fussent  versées  dans  la  caisse  munici- 
pale pour  servir  au  paiement  des  dépenses  août  il  s'agit.  » 

Or,  si  l'artiele  44  de  la  loi  municipale  du  18  juillet  1837  établissant 
une  recette,  autorise  implicitement  une  dépense,  il  faut  nécessairement 


'  Vov.  Circulaire  adressée,  eo  4858,  par  M.  Bret,  aocleo  préfet  du  flaut-Rbin, 
k  Mil.  les  maires  du  département ,  et  relative  aux  dépenses  des  pèlivs  e(  det 
UHïttpeaQK  eonmanavx. 


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ÉTUDES  SUR  l'ÉLETAGE  ,  l'EITTRETIEN  ,  ETC.  447 

une  convenlion  quelconque  entre  la  commune  et  l'entrepreneur,  et  il 
devient  ainsi  difficile  à  s'expliquer,  en  vertu  de  quelle  loi ,  M.  Migneret 
prit  Tarrêté  selon  lequel  ne  seront  plus  approuvées ,  à  partir  du 
30  janvier  1864,  les  concessions  faites  par  les  administrations  munici- 
pales, au  nom  des  communes. 

Quoiqu'il  en  soit,  il  est,  d'un  autre  côté,  certain  que  si  Tentreprise 
est  privée  ou  particulière,  l'entrepreneur  est  seul  juge  et  du  eboix  et  de 
In  validité  du  reproducteur  communal.  Or,  si  au  lieu  d'être  animé  du 
désir  de  voir  prospérer  le  bétail  dans  la  commune ,  si  au  lieu  d'être 
pénétré  de  l'importance  qui  se  rattache  à  sa  mission  ,  il  se  laisse  ,  au 
contraire  ,  guider  par  la  perspective  du  bénéfice  qui  devra  résulter  de 
son  entreprise  ;  dans  ce  cas,  la  prospérité  du  troupeau  marchera  sûre- 
ment et  rapidement  vers  son  déclin. 

C'est ,  assurément ,  l'ensemble  de  ces  circonstances  qui  engage  à  la 
fois  l'entrepreneur  et  la  commune  à  persister  dans  l'usage ,  offrant  à 
l'un  la  garantie  quU  trouve  dam  le  recouvrement  opéré  mivanl  les 
formes  étabUes  pour  le  recouvrement  des  contributions  publiques ,  et  à 
Tautre ,  la  faculté  d'établir,  vis-à-vis  de  l'entrepreneur,  un  cahier  des 
charges  qui  répond  aux  besoins  et  aux  intérêts  de  la  commune. 

Le  principal  argument,  invoqué  par  l'ancien  Préfet  du  Bas-Rhin , 
semble  ainsi  disparaître  devant  un  examen,  tant  soit  peu  minutieux.  Il 
n'en  est  cependant  pas  de  même  du  second  argument,  relatif  aux  nom- 
breuses contestations  auxquelles  le  service,  dont  il  s'agit,  peut  dc^nnei* 
lieu  entre  la  commune  et  l'entrepreneur. 

Ce  sont  là  évidemment  des  contestations  très-regrettables  et  que  nous 
avons,  tout  d'abord,  signalées  nous-mème  au  lecteur.  Nous  les  avons 
signalées  ,  non-seulement  comme  fâcheuses  au  point  de  vue  adminis- 
tratif ,  mais  encore  et  principalement  au  point  de  vue  de  la  prospérité 
du  troupeau.  La  non-intenrention  de  l'administration  communale  entre 
les  détenteurs  de  bêtes  bovines  et  l'entrepreneur  des  reproducteurs 
serait,  à  coup  sûr,  le  moyen  le  plus  simple  et  le  plus  efficace  pour  fetre 
cesser  ces  inconvénients  car  rien  n'est  plus  logique  que  de  fiaire  dispa- 
raître la  cause  pour  éviter  son  effet. 

Mais  1::  cause  réside  ,  comme  le  dit  M.  Migneret  lui-même  dans  les 
intérêts  de  l'agricuUure  qui  sont  trop  étroitemeni  Ués  à  une  bofme 
reproduction  du  bétail  et  à  l'^amélioration  des  raceSy  pour  que  lês  oêmi- 
nislrations  des  communes  rurales  puissent  demeurer  indifférentes  à  ce 


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448  REVtJE  d'alsack. 

résultat.  A  ce  point  de  vae  la  cause  est  nécessairement  trop  importante 
pour  la  faire  disparaître  par  un  trait  de  plume. 

Aussi ,  M.  Migneret  ne  repousse-t-il  pas  absolument  Tintervention 
administrative  en  cette  matière;  seulement,  il  imporle,  dit-il .  queFin- 
tervention  soit  contenue  dans  de  justes  Imites  /...  et  les  communes  aux- 
quelles leurs  ressources  le  permettront,  pourront  inscrire  annuellement 
dans  leurs  budgets  une  certaine  somme  pour  encouragement  aux  éle- 
veurs d'animaux  reproducteurs. 

Mais  celte  faculté  d'accorder  des  primes  aux  éleveurs  d'animaux 
reproducteurs ,  n'esl-elle  pas  ,  elle-même ,  une  infraction  à  la  loi  du 
1i  frimaire  an  VU,  qui  dit  formellement  que  les  dépenses  relatives  à  la 
reproduction  ne  peuvent  pas  être  municipales  ?  —  A  son  tour,  M.  Mi- 
gneret, n'a-t-il  pas  éludé  la  loi  en  permettant  à  la  population  rurale  du 
département  du  Bas-Rbin  de  contribuer,  d'une  manière  indirecte ,  au 
service  de  la  reproduction  ?  —  Or,  si  une  intervention  quelconque  de 
l'administration  municipale  est  utile  ,  est  nécessaire  en  raison  des  con- 
sidérations signalées  dans  la  circulaire  même  de  M.  Mignei-et,  n'en 
résulie-t-il  pas  une  contradiction  fâcheuse  entre  les  intérêts  de  l'agri- 
culture et  la  loi  en  question  ? 

Et  d'ailleurs ,  ne  faut-il  pas  se  demander  où  sont  les  limites  dont 
parle  M.  Migneret  et  dans  lesquelles  les  encouragements  accordés  par 
les  administrations  municipales  doivent  se  contenir?  —  Où  est  la  com- 
mune qui  aurait  la  conscience  de  les  avoir  outrepassés?  —  Et  enfin,  ne 
faut-il  pas  également  se  demander  si  les  successeurs  de  M.  Migneret  ne 
seraient  pas  dans  le  cas  de  considérer  ces  limites  d'un  autre  point  de 
vue ,  ou  plus  étendu ,  ou  plus  restreint  ? 

Ce  qui  est  incontestable ,  c'est  que  les  communes  ne  se  font  pas  un 
cas  de  conscience  d'éluder  la  loi  chaque]  fois  que  l'occasion  se  présente, 
et  de  soustraire  à  la  surveillance  départementale  les  terrains  commu- 
naux.dont  nous  avons  parlé  plus  haut.  Ce  qui  est  certain  encore ,  c'est 
que  l'appréciation  des  limites  de  l'intervention  municipale  est  subor- 
donnée à  l'importance ,  attachée  par  l'administration  départementale , 
aux  intérêts  purement  agricoles ,  d'où  il  résulte  que  ces  appréciations 
seront  toujours  plus  ou  moins  arbitraires. 

Eh  bien,  c'est  précisément  dans  ces  appréciations  arbitraires,  provo- 
quées aujourd'hui  par  la  force  des  choses,  quoiqu'elles  soient  contraires 
à  la  loi  du  11  firimaire  an  VII;  que,  suivant  nous,  réside  la  cause 


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ÉTTBES  SUR  L*iLBVAGB  y  L'HUTRETIEN  ,  ETC.  449 

des  contestations  reg;rettables ,  qui  ont  été  indiquées  dans  la  circulaire 
de  M.  Migneret. 

En  effet ,  la  commune ,  ne  pouvant  donner  ni  le  logement  aux  bétes 
mâles ,  ni  leur  affecter  des  terrains  communaux  et ,  réduite  à  accorder 
de  simples  encouragements  à  l*entrèpreneur  du  service  des  bêtes 
mâles ,  est  nécessurement  obligée  de  se  plier  aux  exigences  d'un  très- 
petit  nombre  d'habitants ,  souvent  même  aux  exigences  d'un  seul  indi- 
vidu à  même  d'accepter  les  charges  qui  incombent  à  Tentrepreneur. 

Nous  ne  reproduirons  pas  l'énumération  des  conséquences  désastreuses 
qui  résultent  de  cet  état  de  choses  pour  les  troupeaux  communaux,  mais 
ce  que  nous  croyons  devoir  faire  observer  de  nouveau,  c'est  que  l'amé- 
lioration de  nos  races  bovines,  l'amélioration  qui  a  fait  l'objet  principal 
de  ces  études,  ne  sera  pas  possible  aussi  longtemps  qu'elle  aura  à  lutter 
contre  des  circonstances  si  contraires  à  sa  réalisation. 

Si  nous  avons  longuement  décrit  ces  inconvénients  et  ces  entraves  , 
nous  laisserons,  par  contre,  à  d'autres  plus  compétents  et  plus  expéri- 
mentais que  nous  en  matière  d'économie  sociale,  le  soin  d'y  trouver  des 
remèdes.  Un  mot,  toutefois,  nous  semble  encore  nécessaire  au  sujet  de 
la  circulaire  de  M.  Migneret. 

L'infatigable  activité  qui  distinguait  l'ancien  administrateur  du  Bas- 
Rhin  ainsi  que  la  sollicitude  affectueuse  que  témoignait  M.  Migneret  à 
ses  administrés,  lui  a  fait  gagner  une  place  dans  les  annales  de  ce 
département.  Ce  n'est  donc  pas  à  l'administrateur  que  nous  allons  faire 
l'observation  suivante  mais  bien  à  l'homme  qui  ne  peut  posséder,  au 
même  degré,  toutes  les  branches  des  connaissances  humaines. 

Dans  l'économie  du  bétail,  par  exemple,  il  faut  établir  une  distinction 
entre  les  difficultés  qui  entourent  l'élevage  et  l'entretien  des  animaux 
reproducteurs  d'espèces  différentes.  L'entretien  des  uns  exige ,  ou  de 
grandes  exploitations ,  ou  une  association  entre  les  moyens  et  les  petits 
cultivateurs  ;  l'entretien  des  autres ,  au  contraire ,  est  à  la  portée  de 
chaque  propriétaire ,  quelle  que  soit  l'étendue  de  ses  cultures.  Parmi  les 
reproducteurs  que  nous  venons  d'indiquer  en  premier  lieu,  il  faut 
compter  les  espèces  chevalines  et  bovines.  L'étalon,  dans  les  races 
bovines,  ne  peut  exister  ou  plutôt  ne  peut  prospérer  que  dans  des  con- 
ditions sur  lesquelles  nous  n'avons  pas  à  revenir,  et  qui  réclament  des 
capitaux  assez  considérables.  L'étalon  de  l'espèce  chevaline  est  placé 
dans  les  mêmes  conditions ,  et  c'est,  certainement ,  à  ce  titre  seul  que 
l'Etat  a  jugé  son  intervention  nécessaire.  Il  n'en  est  pas  de  même  des 

9*»éri«.- 17*  Année.  29 


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*50  wwfrm  p'AiMOIE. 

aMires  iDspàces  A'sif^m^m  domasliques,  le»  îa^,  Ie3  boucs,  les  héiws, 
les  verrats  sont  loin  de  présenter  les  mêmes  difficultés  d^QS  leur  mit^ 
tjen.et  djstns  iour  élefag^. 

Or,  M.  Migiieret,  an  rappetont  dans  sa  circulaire,  iidressée  a  MM.  les 
maires ,  qu^  l'entretien  des  aoimaiix  reproducteurs  tels  que  taureaux , 
mfrai^flimtr^,  n'était  pas  un  objet  déyolu  ^r  les  lois  aux  soins  des 
^dmiiûsir^lions  (»)frinu]nales ,  a  coaun^s  une  confusion ,  que  naus 
regr0UOi»8  d'ftutanA  plus ,  qu'elle  confond ,  an  quelque  âorte ,  ractioii 
privéa  avec  l'action  collective. 

Aui  yaux  dii  public,  c'est-àrdir^  aux  yepi  de  tous  ceux  qui  n'ont  pas 
étudié  spécialement  l'économie  du  bétail ,  il  n'y  aurait  aij)si  point  de 
raise^s  légitimes  pour  accorder  l'i^rvention  comnwnale  ,  plutôt  aux 
espaces  chevialinas  ei  bovines,  qu>uj^  i^spèces  porcines  et  ovines,  voire 
même  les  oiseaux  de  basse-cour.  Copendiant,  rinlerv^ntion  de  fUW. 
dmi  que  celle  des  départemi^nts  et  d^  grandes  villes,  en  £»veur  de  l'éle- 
vage descbevaux,  prouve  qu'il  n'^  est  p#s  ainsi. 

En  effet,  si  la  loi  du  il  frimairean  VII,  est  applicable  indistinctement 
à  toutes  tes  espèces  de  reproducteurs  ,  on  a  de  la  peine  à  conoprQudi'e 
en  vertu  de  quel  droit  le  conseil  général  du  Bas-Rhin  accarde ,  par 
■  exemple ,  une  somme  de  16,900  (r.  par  an ,  à  l'élevage  du  cheval.  On 
comprendrait  tout  aussi  peu  les  3,000  fr.  accordés  par  la  ville  de 
Strasbourg  et  les  2,000  fr.  accordés  par  la  ville  de  Wissembourg  au 
même  objet. 

Sans  nous  arrêter  à  des  considérations  que  ces  chiffras  poumienl 
nous  faire  faire,  nous  dirons  néanmoins  qu'ils  nous  rappellent  les  débals 
passionnés  qui  ont  eu  lieu,  il  y  a  quelques  années  à  peine ,  au  saifei  de 
l'intervention  de  l'Etat  dans  la  production  des  chevaux. 

On  ne  contesta  pas  alors  l'utilité  et  la  nécessité  de  l'intervention  de 
l'Etat,  mais  on  reprocha  à  l'intervention  de  trop  centraliser  son  action 
et  d'agir  trop  uniformément  sans  égard  pour  les  besoins  locaux.  Aux 
yeux  des  adversaires  des  haras  ,  ces  institutions  avaient,  pour  consé- 
quences inévitables ,  de  ne  présenter  aux  éleveurs  qu'un  seul  procédé 
d'amélioration,  celui  du  croisement V  Cette  uniformité  ,  suite  absolue 


*  Suivant  |1.  Sanaon  ,  le  croisement  a  été  une  eonséqueace  oorinale  et  rigou- 
reuse du  faux  principe  de  la  centralisation.  «  Ce  Taux  principe  ,  dit-il ,  au  lieu  de 
conduire  ,  comme  il  Ta  fait  jusqu'à  présent ,  Tadministration  à  ériger  le  croise- 
ment en  système  ,  Teut-il  conduite  h  en  foire  de  même  de  la  sélecUon  ,  pour  6tre 


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ÉTUDES  SDR  L'ÉLEVAGE  ,  l'ENTRETIEN  ,  ETC.         45i 

de  la  centralisation  ,  enlevait  aux  conseils  généraux  la  faculté  dïntro- 
d«ire  et  dVncourager  dans  leurs  déparlements  les  étalons,  soit  étrangers 
soit  indigènes ,  et  qui  leur  semblaient  répondre  le  plus  aux  cultures  et 
aux  besoins  des  localités. 

Eh  bien ,  ces  débats ,  comparés  à  la  question  qui  nous  occupe  ici , 
offrent  évidemment  une  analogie  frappante  avec  les  circonstances  qui 
nous  semblent  constituer  les  principaux  empêchements  à  l'amélioration 
des  races  bovines  de  notre  province.  Nos  administrations  supérieures, 
nos  sociétés  d'agriculture  et  nos  comices ,  accordent  bien  également  et 
annuellement,  quelques  faibles  encouragements  à  Famélioration  des 
races  dont  il  s'agit  ;  mais,  remarquons-le  bien,  c'est  à  condition  d'em- 
ployer des  reproducteurs  ou  de  la  Hollande  septentrionale  ou  du  Sim- 
methal ,  obligation  qui  force  nécessairement  nos  éleveurs  d'agir,  s'ils 
veulent  profiter  des  encouragements ,  également  et  uniquement  par  la 
voie  du  croisement.  Est-il ,  dès-lors ,  surprenant  de  voir  nos  deux 
départements  peuplés  de  Métis  qui,  le  plus  souvent,  ne  répondent  nul- 
lement aux  conditions  si  variées  que  nous  avons  démontrées  dans  le 
cours  de  ces  études. 

Nous  n'avons  pas,  nous  le  répétons,  la  prétention  d'indiquer  une 
une  voie  à  suivre  qui,  à  son  tour,  ne  présenterait  pas  également 
des  inconvénients  et  des  mécomptes;  mais,  ce  que  nous  croyons 
devoir  faire  remarquer  comme  conclusion  de  ce  travail,  c'est,  selon 
nous,  la  nécessité  de  laisser  une  part  d'action  plus  grande  aux  com- 
munes rurales,  en  leur  accordant  la  faculté  de  pouvoir  contribuer 
directement ,  et  autant  que  leurs  ressources  le  permettent ,  à  la  repro- 
duction et  à  l'amélioration  des  races  indigènes.  Dans  ce  but ,  les  com- 
munes ne  pourraient-elles  pas  former  des  groupes  soit  par  districts , 
soit  par  arrondissements ,  soit  même  par  cantons ,  en  d'autres  termes, 
les  communes  ne  pourraient-elles  pas  se  grouper  suivant  les  besoins 
locaux  et  créer  des  établissements  spéciaux  destinés  à  l'élevage  des 
reproducteurs  ?  L'administration  départementale ,  en  accordant  à  ces 
établissements  quelques  subsides ,  serait  eu  droit  de  les  mettre  sous  la 


moios  désastreuse ,  puisque  ta  sélection  ne  saurait  faire  du  mal  à  aucune  race  , 
ce  système  égalemeni  absolu  o*eD  eût  pas  pour  cela  été  moins  condamnable  , 
attendu  qu'il  nous  aurait  privés  d'un  moyen,  qui  a  sa  rèison  et  son  utilité  dans 
un  grand  nombre  de  cas. 

(Voy.  Livre  de  la  fer  nie ,  8<^  fascicule ,  page  4^iâ.) 


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452  RRWE  d' ALSACE. 

surveillance  des  vétérinaires,  des  sociétés  d'agriculture,  et  des  comices 
qui,  à  leur  tour,  pourraient  y  entreprendre  des  observations  suivies  sur 
la  consanguinité,  sur  le  croisement,  sur  la  sélection ,  etc.,  et  y  établir 
des  stulfboock,  sans  lesquels  des  expériences  sérieuses  sont  évidem- 
ment impossibles'. 

Relier  les  intérêts  épars  des  communes  situéesj[à  proximité  les  unes 
des  autres,  encourager  Faction  collective  et  modifier  la  loi  du  il  fri- 
maire an  VU  ;  telles  nous  semblent  être ,  à  part  la  propagation  des 
connaissances  zoolecbniques,  les  mesures  nécessaires  à  prendre,  pour 
surmonter  dans  notre  province  les  difficultés  créées  par  le  morcellement 
des  terres,  suite  inévitable ,  selon  Texpression  de  H.  Rouher,  des  dis- 
positions libérales  de  notre  législation. 

J.  F.  Flaxland. 


*  R  Dans  ceruines  communes  de  la  Suisse  ,  dit  M.  P.  Tscbudi,  des  corporatioDs 
se  chargent  de  Tenlretien  das  taureaux.  De  pareiUes  associations  offrent  d'ex- 
cellents résultats  aux  éleveurs  si  les  statuts  de  rassociatlon  sont  rédigés  d'une 
manière  sage  et  prudente ,  et  s'ils  sont  ponctuellement  exécutés.  Mais ,  ajoute 
M.  Tschudi,  si  nous  voulons  sûrement  atteindre  le  perfectionnement  de  nos  raci^ 
bovines,  il  fiaut  absolument  que  l'entretien  des  reproducteurs  niAles  soit  réglé  par  les 
autorités  {So  mm*  durckaus  wm  SUuUswegen  die  HaUung  der  Zuchtsliere  geordtiel 
werden,)  Il  faut  proportionner  les  troupeaux  aui  Uureaux  et  oiDrir  à  l'entrepreneur 
autant  d'avantages  que  possible ,  afin  qu'il  exécute  ,  avec  empressement ,  l'enga- 
geraeni  qu'il  a  coniraeté.  » 

^Voy.  Der  Schwei%er-Bmter  ,  4*  livraison  •  page  74.} 


Di^tizedbyCjOOQlC 


BIBLIOGRAPHIE. 


I.  Deux  premières  amnées  d'allemand  ,  par  //.  Schmidl ,  professeur 
d'allemand  au  lycée  Charlemague  ,  docteur  ès-lettres ,  agrégé  pour 
renseignement  des  langues  vivantes ,  officier  d'Académie.  —  Paris , 
eu  dépôt  chez  Hachette  et  Q\  1866 ,  in-12 ,  84  pages. 

II.  Notice  de  grammaire  et  d'orthographe,  choix  d'homonymes  et  de 
SYNONYMES ,  PROVERBES  EXPLIQUÉS ,  ETC. ,  par  Pk  H.  Bcck ,  profes- 
seur. —  Paris  et  Strasbourg,  chez  veuve  Berger-Levrault  et  fils, 
4866,  293  pages. 


S'il  s'agit  d'ouvrages  d'enseignement  élémentaire ,  comme  le  sont  les 
deux  livres  ci-dessus  indiqués ,  rappelons-nous  les  sages  paroles  de 
Quintilien  :  Ne  guis  iam  parva  fasiidiat  ekmenta ,  etc.  c  Ne  dédaignons^ 
pas  ces  petits  éléments  et  exercices.  >  C'est  avec  ces  éléments  que  se 
construit  l'édifice  d&la  science,  et  c'est  l'emploi  d'une  méthode  bonne 
ou  mauvaise  qui  rend  l'enseignement  facile  ou  difficile ,  et  donne  aux 
commençants  le  goût  ou  le  dégoût  pour  l'étude  des  langues.  A  l'ensei- 
gnement secondaire  du  grec ,  du  latin  et  du  français  est  venu  s'ajouter, 
récemment ,  celui  des  langues  modernes  étrangères  :  mesure  impor- 
tante commandée  par  les  besoins  intellectuels  de  notre  époque.  Si  dans 
ces  études  ainsi  élargies  on  emploie  la  bonne  méthode ,  elles  ne  seront 
pas  une  surcharge  pour  la  jeunesse,  elles  se  soutiendront  au  contraire 
réciproquement.  Disons  même  que  si ,  par  suite  du  maintien  de  l'an- 
cienne méthode ,  il  fallait  renoncer  à  l'un  ou  à  l'autre  enseignement , 
parce  que  le  temps  et  les  forces  manqueraient  aux  enfants  pour 
apprendre  plusieurs  langues  à  la  fois  ,  nous  croyons  qu'on  devrait 
laisser  plutôt  les  langues  anciennes  ou  mortes,  que  les  langues  mo- 
dernes ,  vivantes^  ;  car  celles-ci,  non  seulement  sont  d'une  plus  grande 
utilité  pratique  et  plus  généralement  indispensables  de  nos  jours  ,  mais 
elles  sont  aussi ,  bien  qu'on  prétende  le  contraire ,  plus  propres  à  déve- 
lopper les  facultés  intellectuelles  et  morales  de  l'enfance  et  de  la  jeu- 


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454  REVUE   D*ALSAGE. 

nesse.  Qu'on  ne  nous  dise  pas  ,  en  prenant  sur  le  (on  railleur  :  c  Voas 
êtes  orfèvre  Monsieur  Josse.  »  Le  rôle  de  H.  Josse ,  on  le  sait ,  n'est 
pas  le  nôtre  ;  il  appartient  plutôt  à  ceux  qui  ^  se  renfermant  exclusive* 
ment  dans  l'antiquité  classique  y  se  persuadent  trop  facilement  qu'en 
fait  de  langue  et  de  littérature ,  il  n'y  a  de  perfection  et  de  goût  que 
chez  les  Grecs  et  les  Latins. 

Pour  apprendre  les  langues  je  ne  connais  que  deux  vraies  méthodes  : 
la  méthode  maternelle  pratique  et  la  méthode  grammaticale  théorique. 
Celle-ci  devrait  toujours  être  précédée  de  l'autre  ;  et  dans  renseigne- 
ment  des  langues  ,  qui  s'adresse  aux  enfants ,  on  devrait  toujours ,  de 
préférence ,  employer  la  méthode  maternelle ,  d'après  laquelle  nous 
tous  nous  avons  appris ,  sans  peine  et  sans  ennui ,  la  langue  de  notre 
mère  et  celle  des  personnes  de  notre  entourage.  Aujourd'hui  l'enfant 
russe  de  bonne  maison  parle  quatre  ou  cinq  idiomes,  sans  avoir  jamais 
louché  à  une  grammaire,  sans  avoir  fait  ni  thèmes  ni  versions.  L'ensei- 
gnement analytique  et  grammatical  des  langues  ne  devrait  s'adresser 
qu'à  l'adolescence  qui,  par  goût  et  par  aptitude  d'esprit,  est  naturel* 
lement  portée  à  l'analyse  et  à  la  comparaison ,  et  dont  la  mémoire  est 
suffisamment  enrichie  de  faits  pour  qu'elle  soit  en  état  de  faire  conve- 
nablement des  comparaisons  et  des  analyses  grammaticales. 

Jusqu'ici  on  a  suivi  dans  les  écoles  de  tous  les  pays  de  l'Europe  une 
méthode  peu  conforme  à  la  nature  intellectuelle  des  enfants  et  des  ado- 
lescents. La  grammaire  analytique  et  plus  ou  moins  abstraite ,  qui 
répugne  au  genre  de  conception  propre  à  l'esprit  enfantin ,  a  dominé 
dans  l'enseignement  :  la  connaissance  des  mots  a  pris  le  dessus  sur  la 
connaissance  des  choses  ,  et ,  au  lieu  de  la  suivre ,  l'a  précédée.  Tout 
jeune  homme  sortant  de  l'enseignement  primaire  et  secondaire  a  passé 
par  dix  ans  d'études  grammaticales.  Est-ce  que  du  moins  il  y  a  acquis 
l'intelligence  de  la  grammaire  ?  est-ce  que  les  règles  grammaticales 
sont  pour  lui  autre  chose  qu'une  affaire  de  pure  mémoire,  qu'une  auto- 
rité qu'il  accepte  sans  réflexion ,  sans  en  comprendre  la  raison  ?  Com- 
bien y  a-t-il  de  bacheliers-és-lettres ,  combien  y  a-t-il  même  de 
grammairiens  qui  sachent  nous  expliquer,  par  exemple ,  pourquoi  en 
français,  comme  en  grec  et  en  latin,  l'adjectif,  bien  que  la  signification 
en  soit  abstraite,  s'accorde  en  genre  et  en  nombre  avec  le  substantif? 
pourquoi  il  faut  dire  roi  puissant ,  reine  puissante ,  héros  immortels , 
causes  inconnues?  Les  enfants  et  les  personnes  qui  apprennent  les 
langues  d'après  la  méthode  maternelle,  ne  demandent  pas  ces  explica- 


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mbuooraphie.  455 

\î9m  ;  ils  n*en  auraient  que  fwe  y  et  ne  seraient  pae  môme  en  étal  «le 
les  comprendre  :  mais  les  adolescents  s'intéresseraient  vivement  à  ces 
questions  et  en  comprendraient  facilement  la  solution.  Il  suffiraii  de 
letif  montrer  (toe,  dans  lorigifie,  Tadjectif  était^  aussi  bien  que  le  sub- 
stanlir,  un  nom  rùncrei;  que,  par  exemple,  le  père  est  bon  équivalaM  à 
le  père  est  un  bM^  de  la  mémo  manière  que  Cléopdlre  était  reine 
éqiri valait  à  Cléopéire  était  une  reine.  On  comprend  doue  que^  d'après 
la  conception  Ic^qne  naturelle  à  cette  époque  primitive ,  il  y  avait 
nécessité  de  dire  le  père  est  bon  (pour  un  bon),  la  mère  est  vigilante 
(pour  une  vigilante) ,  les  enfants  sont  turbulents  (pour  des  turbulents), 
les  filles  sont  coquettes  (pour  des  coquettes).  La  règle  de  l'accord  en 
genre  et  en  nombre  était  doue  nécessaire  d'après  la  conception  des* 
hommes  des  temps  anciens.  Mais  elle  n'avait  plus  la  même  raisofi  lors- 
que, plus  tard,  les  adjectifs  eurent  pris  une  signiftcation  abstraite^  plus 
conforme  à  leur  nature  de  noms  qualificatifs.  En  effet  la  qualité  comme 
telle,  n'est  pas  différente  dans  un  objet  et  dans  plusieurs  objets,  dans  un 
sujet  masculin  et  dans  un  sujet  féminin.  La  conception  logique  exige- 
rail  donc ,  de  nos  jours,  qu'on  dit  Phabit  est  vert,  la  prairie  ett  vert, 
les  rubans  sont  vert^  les  feuilles  sont  vert.  Celle  manière  de  s'énoncer 
fut  adoptée  dans  un  grand  nombre  de  langues  anciennes  et  modernes  : 
en  anglais ,  par  exemple ,  l'on  dit  thé  man  is  good  (l'homme  est  bon), 
the  wtman  is  good  (la  femme  est  bon)^  the  children  are  good  (les  en- 
fants sont  bon),  tlie  girls  are  good  (les  filles  sont  bon).  Cependant,  dans 
l'origine,  l'anglais  on  l'idiome  dont  iV  est  dérivé ,  suivait  également  la 
règle  de  l'accord  du  genre  et  du  nombre  ;  mais  cefle  r^gle,  n'étant  plus 
justifiée  dans  la  suite  par  la  logique ,  les  adjectifs  étant  devenus  des 
termes  abstraits,  la  langue  anglaise  ne  prit  aucun  soin  de  conserver  les 
terminaisons  des  adjectifs  par  lesquelles,  dans  l'origine.,  elle  avait 
exprimé  la  différence  da  genre  et  du  nombre  ;  elle  laissa  ces  terminai* 
sons  s'effacer,  et  par  conséquent»  les  forntôs  des  adjectifs,  antérieurement 
différenciées  entre  elles  quant  au  genre  et  au  nombre,  se  confondirent. 
D'autres  langues,  an  contraire,  comme,  par  exemple,  les  idiomes 
romans ,  bien  qu'elles  n'attachent  pas  non  plus  un  sens  concret  à  Tad- 
jectif.  ont  cependant  conservé  les  terminaisons  différentes^  indiquant  le 
genre  et  le  nombre ,  et  elles  l'ont  fait  uniquement  dans  l'intérêt  de  la 
clarté  de  la  phrase  ou  pour  éviter  l'ambiguïté  dans  la  construction  des 
mots  ;  de  sorte  que,  dans  ces  idiomes,  la  règle  de  la  concordance  est 
justifiée  d'abord  comme  conforme  à  l'usage  traditionnel  qui  avait  sa  rai- 


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456  REVUE  o'âlsàce. 

son  dans  le  mode  de  conception  de  l'époque  primitive,  et,  ensuite , 
comme  moyen  de  rendre  la  construction  de  la  phrase  plus  daire  et  plus 
précise. 

Les  jeunes  gens  auxquels  on  donnerait  eette  explication ,  compren-* 
draient  aussi,  d'après  elle,  la  règle  des  participes-régimes,  en  français. 
Ils  comprendraient  (et  s'ils  ont  appris  le  latin,  ils  n'en  compren- 
draient que  mieux),  pourquoi  il  faut  dire,  par  exemple ,  la  leUre  que 
fai  reçue;  ils  sauraient  que  cette  phrase  est  équivalente  à  la  l^tre  que 
fai  (pu  que  je  liens)  comme  lettre  reçue^  et  ils  la  traduiraient  en  basse 
latinité  par  epistola  quam  habeo  receptam.  De  même  ils  comprendraient 
pourquoi  il  faut  dire  les  sciences  que  fai  aimées  ;  car  ils  transcriraient 
'celte  phrase  en  cette  autre  :  les  sciences  que  je  tiens  comme  sciences 
aimées,  en  latin  :  scientiœ  quas  habeo  amatas. 

Mais  pourquoi  en  français  dit-on ,  par  exemple ,  ils  se  sont  baUus, 
tandis  qu'en  allemand  on  dit  ils  s'ont  battu  (sie  haben  sich  geschlagen). 
Dans  l'origine  il  est  vrai,  on  disait  en  allemand  sie  sich  haben  geschla- 
gène  (ils  s'ont  battus).  Hais  plus  tard  le  terme  concret  gescUagene 
(battus),  ayant  pris  la  signification  plus  abstraite  d'un  qualificatif,  la 
langue  a  laissé  s'effacer  la  terminaison  indiquant  le  pluriel,  et  a  dit  con- 
formément à  la  logique .  ils  s'ont  battu  \jsie  haben  sich  geschlagen). 
Pourquoi,  en  français,  dit-on  ils  se  sont  battus  et  non  pas,  ce  qui  sem- 
blerait plus  conforme  à  la  logique  et  à  la  règle  des  participes-régimes, 
ils  sont  battus?  Remarquons  que  ils  s'ont  battus  se  confondrait  pho- 
niquement  avec  ils  sont  battus.  Il  fallait  donc  éviter  cette  confusion  et 
amphibologie.  Pour  cela,  quel  moyen  a-t-on  choisi?  On  comprend  que 
ils  ont  battu  a  pu  être  remplacé  par  ils  sont  ayant  battu  ;  de  sorte  que 
ils  s'ont  battus ,  pouvait  aussi  être  remplacé  par  ils  sont  s' ayant  battus. 
Mais  dans  les  verbes  pronominaux  ou  réfléchis ,  bien  qu'ils  expriment 
à  la  fois  Taction  et  la  passion  unies  dans  le  même  sujet,  la  passion  est 
cependant  l'idée  prédominante,  de  sorte  que  ils  sont  s  ayant  battus  im- 
plique bien  qu'il  y  a  eu  des  battants ,  mais  énonce  plus  généralement 
qu'il  y  a  eu  des  battus.  L'idée  de  passion  prédominant  sur  l'idée  d'ac- 
tion dans  les  verbes  pronominaux  ^  on  y  a  remplacé,  pour  cette  raison, 
le  verbe  actif  avoir  par  le  verbe  passif  être;  mais  on  y  a  conservé,  con- 
trairement à  la  logique ,  les  pronoms  régimes  directs  qui  ne  sauraient 
se  construire  avec  le  verbe  être.  C'est  ainsi  qu'au  lieu  de  ils  sont 
s'ayant  battus  on  aurait  pu  dire  ils  sont  s'étant  battus,  puis  ils  se  sont 
étant  battus .  Mais  simplifiant  cette  construction  peu  élégante  et  embar- 


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BIBLIOGRAPHIE.  457 

rassée,  au  lieu  de  dire  :  tb  se  sont  étant  battus,  on  est  arrivé  à  la  locu- 
tion de  ils  se  sont  battus» 

En  expliquant  ainsi  aux  jeunes  gens  les  particularités  d*un  idiome  , 
on  est  naturellement  amené  à  leur  exposer  l'histoire  des  langues ,  sans 
laquelle  toute  étude  grammaticale  est  incomplète  et  insuffisante.  En 
effet,  toutes  les  choses  du  monde  physique  et  du  monde  intellectuel  et 
morah  manifestent  leur  nature  dans  une  successiou  de  phénomènes 
dont  Tensemble  constitue  l'histoire  de  la  nature  complète  et  véri* 
table  de  ces  choses.  On  ne  saurait  donc  comprendre  complètement 
la  nature  et  h  raison  des  phénomènes  et  des  faits,  si  l'on  en  ignorait 
l'histoire,  ou  si  l'on  ne  connaissait  qu'une  partie  de  cette  histoire.  Le 
grammairien  qui  s'en  tient  uniquement  à  l'état  actuel  d'un  idiome  sans 
remonter  à  ses  états  antérieurs ,  prendra  pour  une  règle  de  la  langue 
ce  qui  n'en  fut  qu'un  des  nombreux  phénomènes  transitoires;  il  res- 
semble  au  naturaliste  qui,  ignorant  le  développement  infini  delà  nature, 
croirait  que  les  formes,  les  dimensions,  les  proportions  des  plantes  et  des 
animaux  ont  toujours  été  identiques  à  ce  qu'elles  sont  aujourd'hui  ;  il 
se  trompera  comme  l'économiste  qui  croirait  que  les  formes  ou  règles 
sociales  actuelles  ont  existé  de  tout  temps  et  doivent  être  considérées 
comme  des  prin  ipes  et  rnels  et  immuables.  C'est  parce  qu'ils  ignorent 
l'histoire  de  leur  langue  que  certains  écrivains  et  grammairiens  ont 
établi  des  préceptes  qui  ne  sont  pas  fondés  en  raison ,  et  des  ^règles  qui 
devraient  être  formulées  d'une  manière  toute  différente.  L'histoire  de 
la  langue  française  prouve,  par  exemple ,  qu'il  y  avait  un  temps  où  l'on 
écrivait  et  prononçait  il  ainiet,  comme  on  écrivait  el  prononçait  il  fait. 
Plus  tard,  toutes  les  fois  que  la  consonne  finale  t  ne  s'appuyait  plus  sur 
une  voyelle  suivante,  elle  s'effaçait  dans  la  prononciation ,  et  l'on  pro- 
nonçait tl  aime  comme  on  disait  il  faù  Mais  tout  en  changeant  la  pro- 
nonciation ancienne,  on  aurait  dû  conserver  l'orthographe  traditionnelle 
il  aimet  comme  on  l'a  conservé  dans  il  (ait;  car  on  revient  à  la  pronon- 
ciation primitive  tl  aimet  toutes  les  fois  que  ce  verbe  est  suivi  d'un  mot 
commençant  par  une  voyelle ,  comme  dans  aimet-iL  Dans  ce  cas ,  les 
grammairiens,  ignorant  la  forme  primitive,  disent  qu'il  faut  insérer  entre 
(Urne  et  il  un  t  euphonique  ;  et ,  comme  si  ce  t  était  un  élément  tout 
nouveau  ,  ils  donn'^nt  la  règle  de  joindre  ce  t  au  mot  qui  précède  et  au 
mot  qui  suit  par  des  trails-d'union,  aime-t-il  :  ils  ne  s'aperçoivent  pas 
que  si  l'on  n'avait  pas  retranché  ce  t  dans  il  aimet ,  on  n'aurait  pas 
besoin  de  le  remettre  à  sa  place  dans  aimet4i;  et  que  si  Ton  écrit 


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4M  RETUE  D*ALBA<». 

aime-Uil ,  il  n'y  a  pas  de  raison  pourquoi  on  n'écrirait  pas  également 
fai't'iL 

De  tout  ce  qui  précède  nous  devons  conclure  d'abord  que  l'enspigne- 
ment  des  langues  devra  changer  de  méthode ,  et  ensuite  que  la  gram- 
maire elle-même  a  besoin  de  présenter  ses  règles  d'une  manière  pins 
natarolle  et  plus  rationnelle.  Ces  réformes ,  je  n'en  doute  pas,  s'opére- 
ront chez  nous ,  puisque  l'impulsion  vient  maintenant  d'en  haut.  Le 
programme  publié  par  le  Ministère  de  l'Instruelion  publique,  pour 
l'enseignement  spécial,  changera  la  méthode  actuelle  d'enseignement  i\es 
langues  dans  l'université.  J'y  trouve  cette  phrase  :  la  grammaire  abS' 
traite  n^est  pas  faite  pour  t enfant  ;  si  cette  phrase  n'est  pas  à  elle 
seule  une  nouvelle  méthode ,  du  moins  elle  en  renferme  la  promesse. 
Puisse  cette  promesse  se  réaliser  bientôt  et  délivrer  l'eniance  du  cauche- 
mar de  la  grammaire  qui  depuis  si  longtemps  pèse  sur  elle. 

Cependant  dans  tout  changement  à  opérer  il  iaut  ménager  les 
moyens  de  transition.  Dans  l'état  actuel  de  l'enseignement  des  langues, 
il  faudra ,  pendant  quelque  temps  encore,  employer  en  partie  l'ancienne 
méthode,  en  partie  la  nouvelle.  Enseignant  encore  la  grammaire  aux 
enfants ,  il  faudra  soulager  leur  mémoire ,  et  diminuer  leurs  tourments 
en  applanissant  les  difficultés  des  études  grammaticales.  C'est  ce 
qu'ont  entrepris  de  faire  MM.  Schmidt  et  Beck;  et  c'est  dans  la  manière 
heureuse  et  ingénieuse  dont  ils  l'ont  fait  que  consiste  le  mérite  de  leurs 
livres  élémentaires.  Les  ouvrages  de  ces  deux  professeurs  sont  peut- 
être  plus  utiles  encore  aux  maîtres  qu'aux  élèves  :  car  ils  montrent 
directement  à  ceux  qui  sont  chargés  d'enseigner  le  français  et  l'aile- 
mand^  de  quelle  manière  il  faut  procéder  pour  rendre  aux  enfants 
l'étude  grammaticale  de  ces  langues  moins  aride,  moins  difficile  et, 
autant  que  faire  se  peut,  plus  féconde  et  plus  attrayante. 

F.  G.  Bergmann. 


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MBMOGRAPHIR.  459 


RfiCHEACHES  SUR  LE  PLAN  DE  LA  CRÉATION  ET  LA  STRUCTURE  DE  L*AME  , 

par  //.  de  Madiis  {de  May).  1866.  ^  Paris  et  Strasbourg,  chez 
Berger-Levrault,  2  cabiers  grand  ia-8<>  formant  un  total  de  184  pages. 


Ces  caJiiers  substantiels  sont  le  produit  des  réflexions  d'un  solitaire , 
le  résultat  d'une  pensée  repliée  sur  elle-même  et  essayant  de  recon* 
straire  à  sa  foçon  le  monde  et  l'àme  humaine.  En  d'autros  termes,  nous 
nous  trouvons,  en  méditant  ces  pages,  en  face  d'un  système  métaphy- 
sique, en  grande  partie  original ,  basé  sur  des  études  physiologiques  et 
sur  des  convictions  spirïlualistes,  hardies,  mais  incorrectes  dans  la 
forme. 

Nous  conviendrons  franchement  que  ce  qui  nous  a  décidé  à  en  entre- 
tenir les  lecteurs  de  la  Becm  d'Akace,  c'est  bien  moins  le  système  que 
la  personne  de  l'auteur ,  bien  moins  l'édifice ,  que  l'architecte.  Saisi , 
tfès-jeune ,  par  une  cruelle  infirmité,  H.  de  May,  qui  appartient,  comme 
son  nom  l'indique ,  à  une  ancienne  famille  patricienne  de  la  Suisse ,  et 
qui  avait  une  belle  carrière  ouverte  devant  lui ,  s'est  réfugié ,  silencieux 
et  résigné ,  dans  le  monde  interne  ;  il  a  soumis  à  un  nouvel  examen  ses 
propres  facultés ,  et  à  une  nouvelle  enquête  l'ensemble  de  l'histoire 
naturelle.  Je  dois  ajouter  qu'il  procède  plutôt  par  synthèse  que  par  ana- 
lyse; il  cherche,  dans  la  nature  extérieure,  non  la  composition  chi- 
mique, mais  la  vie  et  les  fonctions  de  cette  nature  à  l'endroit  de 
l'homme  ;  il  s'applique  plutôt  à  scruter ,  à  deviner  les  intentions  du 
grand  compositeur  qu'à  détailler  la  qualité  des  couleurs  qui  ont  servi  à 
faire  le  tableau. 

Il  est  arrivé  à  M.  de  May  ce  qui  arrive  à  la  plupart  des  autodidactes  ; 
sans  être  le  moins  du  monde  épris  de  lui-même  ,  il  est  cependant  con- 
vaincu de  l'infaillibilité  de  son  système  appliqué  à  l'interprétation  de  la 
nature ,  et  de  l'esprit  de  l'homme.  El  s'il  ne  l'était ,  aurait-il  eu  la 
patience  de  le  construire  et  de  l'exposer?  Il  lui  a  fallu  d^ailleurs ,  pour 
en  réunir  les  matériaux ,  de  longues  études  préliminaires. 

Je  tâcherai ,  non  pas  de  le  suivre  dans  ses  développements,  —  les 
bornes  qui  me  sont  assignées ,  me  l'interdisent  —  mais  de  condenser 
en  quelques  pages  les  idées  fondamentales  de  sa  métaphysique.  J'aime 
à  penser  que  les  personnes  familiarisées  avec  ce  genre  d'études,  seront 


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460  RETUE  D*  ALSACE 

portées,  après  celte  lecture,  à  aborder  Toauvre  de  Fauteur  suisse;  il 
n'en  a  d'ailleurs  livré  jusqu'ici  que  la  première  partie ,  il  n'a  pas  encore 
dit  le  dernier  mot  de  l'énigme  ;  il  ne  nous  est  permis  que  d'entrevoir 
ses  conclusions  dernières. 

Comme , beaucoup  de  philosophes,  comme  Kant  surtout,  l'auteur 
attache  un  sens  particulier,  spécial  à  certains  termes,  tels  qu'dme, 
esprit ,  vie  ;  nous  demanderons  la  permission  de  le  suivre  d'abord  sur 
une  partie  de  ce  terrain  ;  cette  interprétation  préliminaire  facilitera 
{exposition  condensée  de  son  travail  d'ensemble. 

Par  €  âme  de  l'animal ,  »  l'auteur  entend  c  un  faisceau  de  forces ,  de 
\ies  »  (sic) ,  de  nature  immatérielle ,  tels  que  la  mémoire ,  les  instincts, 
l'intelligence  ;  malgré  cette  définition ,  il  déclare  que  dans  sa  convicticm 
l'âme  de  l'animal  est  périssable. 

L'âme  de  l'homme  est  formée  d'un  faisceau  pareil  à  celui  des  forces 
et  des  vies  qui  constituent  f  l'âme  de  l'animal ,  >  cette  âme  est  la  source 
même  de  la  vie.  Hais  l'homme  a  de  plus  un  esprit  immortel  c  composé 
d'un  corps  spirituel  et  d'une  âme  spirituelle;  >  en  d'autres  termes 
Tesprit ,  c'est  toute  la  partie  de  l'homme ,  qui  demeure  incorruptible 
après  sa  mort^  et  qui  constitue  le  corps  transfiguré  dont  parle  S^  Paul. 

Ces  distinctions,  quelqu'ingénieuses  qu'elles  soient,  ne' laissent  pas 
que  d'être  très-discutables.  Ce  ne  sont ,  à  tout  prendre ,  que  des  péti- 
tions de  principe.  On  objectera,  non  sans  raison,  à  l'auteur,  que  du 
moment  où  il  accorde  à  l'animal  la  jouissance  de  facultés  immatérielles, 
du  moment  où  il  lui  accorde  une  âme  psychique  —  c'est  l'expression 
dont  il  se  sert  —  on  ne  voit  pas  de  quel  droit  il  lui  refuse  la  persistance, 
même  après  ,1a  décomposition  du  corps. 

Je  sais  bien  ce  qu'il  me  répondra,  c  Je  ne  détruis  point ,  »  me  dira- 
t-il ,  c  les  forces  :  mais  je  n'admets  point  pour  les  animaux  la  persis- 
tance de  la  personnalité ,  de  l'individualité  ;  c'est  là  le  privilège  de 
l'esprit  de  l'homme,  véritable  souffle  de  Dieu.  » 

Hélas!  sur  le  seuil  même  de  Tédifice,  construit  par  l'auteur,  avant 
même  d'entrer,  je  ne  dirai  pas  dans  le  temple,  mais  dans  le  vestibule, 
nous  nous  heurtons  contre  l'un  de  ces  problèmes  insolubles ,  qui  feront 
à  la  fois  rélernel  orgueil  et  l'éternel  désespoir  des  penseurs  de  tous  les 
âges.  Chez  les  peuples  les  plus  barbares ,  une  croyance  instinctive  semble 
accorder  aux  animaux  —  du  moinsi  à  ceux  qui  vivent  dans  la  domesticité 
de  1  homme  —  une  vie  persistante  après  cette  courte  vie  terrestre.  Les 
coutumes  funéraires[^de  l'antiquité  antéhistorique  le  prouvent  surabon- 


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BIBLIOGRAPHIE.  461 

damment.  Et  pourquoi  reléguer,  au  nombre  des  superstitions  ridicules  j 
cette  foi  primitive ,  qui  fait  revivre  avec  le  maître  les  animaux  qu'il  a 
chéris ,  et  qui  formaient  une  partie  Je  son  existence  ?  Serait-ce  un 
blasphème  ou  une  absurdité  que  de  reconnaître  dans  l'âme  d'un  chien 
dévoué  une  puissance  d'affection  infiniment  plus  grande  et  plus  digne 
de  survivre ,  que  l'âme  d'un  méchant  et  d'un  être  radicalement  criminel  ? 

Mais  je  sens  que  je  m'engage  dans  un  inextricable  labyrinthe ,  sans 
avoir  indiqué  le  point  fondamental  du  système ,  sans  avoir  démontré 
ce  qui  fait  son  originalité  et  sa  nouveauté. 

M.  de  May  établit ,  en  dehors ,  où  plutôt  à  la  base  des  trois  règnes  de 
la  nature  admis  jusqu'ici ,  un  quatrième  qu'il  appelle  le  règne  éthérique, 
et  dans  lequel  il  range  l'électricité ,  le  galvanisme ,  le  magnétisme , 
«  l'éther  de  l'espace ,  >  avec  leurs  manifestations^  c'est-à-dire,  la  répul- 
sion ,  l'attraction ,  la  chaleur,  la  lumière  ,  les  couleurs. 

Pour  lui ,  l'introduction  de  ce  quatrième  règne  a  une  valeur  spéciale  ; 
il  en  fait  dériver  une  série  de  lois  nouvelles.  Il  commence  par  établir,  à 
l'aide  de  l'analogie  que  c  tous  les  règnes  sont  construits  sur  le  même 
plan  ,  soumis  aux  mêmes  lois  ;  la  matière  primitive  est  une  seule  et 
même  matière ,  mais  dans  leur  sein  il  se  rencontre  une  infinie  quantité 
de  forces  diversement  combinées.  Et  si  des  règnes  inorganiques  vous 
montez  aux  règnes  organiques ,  vous  retrouvez  la  même  loi.  Une  plante 
diffère  d'une  autre  plante,  non  par  la  diversité  de  la  matière,  mais  par 
une  autre  combinaison  de  ce  que  l'auteur,  dans  son  langage  hérissé  de 
néologismes ,  appelle  :  c  les  vies  et  les  âmes.  » 

Car  dans  son  système ,  basé  en  partie  sur  l'étude  attentive  de  la  phy- 
siologie végétale,  il  attache  une  importance  majeure  à  l'existence  de  la 
cellule  ;  la  construction  cellulaire  est ,  de  fait ,  pour  lui  le  vrai  fonde- 
ment de  son  édifice  moitié  métaphysique  moitié  réel  ;  chaque  cellule 
est  pour  lui  une  individualité ,  <  une  vie  ;  »  un  arbre,  pour  lui ,  n'est 
point  en  réalité  un  individu,  mais  une  communauté  d'individus ,  une 
association  de  forces  vivantes ,  une  espèce  de  phalanstère  naturel ,  si 
j'ai  bien  compris  sa  pensée.  La  fleur ,  la  feuille  constituent  une  com- 
munauté ,  comme  le  plus  grand  arbre.  Dans  l'un  des  tableaux  intéres- 
sants ,  intercalés  dans  le  texte,  M.  de  May  nous  présente  la  section  d'une 
reine-marguerite  de  grandeur  naturelle  ;  il  poursuit ,  au  microscope , 
Pexamen  des  diverses  parties  de  la  fleur;  les  petites  fleurs  dont  se  com- 
pose l'individu  principal ,  se  composent ,  à  l'entour ,  d'organes  sem- 
blables qui  se  subdivisent  de  nouveau  en  vaisseaux  et  en  cellules.  Arrivé 


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MB  RBWB  D'ALSACE. 

à  ce  point  rudimenUire  ,  robservaieur  à  àa  fin  s'arrête  ,  die  {pnè  ott  ëe 
force  ;  il  croit  tenir  ce  point  d'Arehimède ,  ce  levier  en  dehors  du 
monde  y  mais  qui  soulève  le  monde ,  et  il  s'écrie  à  son  tour  :  fi^pt ««  ! 
La  cellule ,  pour  lui ,  ne  se  subdivise  plus  ;  c'est  donc  elle  qui  cowtitee 
l'individu.  Il  admet  donc  coaiBe  une  vérité  fondamentale  ^  que  les 
plantes  ne  possèdent  pas  de  vie  générale^  unique,  mais  que  leur  vie  se 
compose  d'une  infinité  d'existences  subordonnées ,  qu'elles  soni  formées 
d'autant  de  vies  qu'elles  out  de  cellules  actives  et  vivantes. 

Ayant  ainsi  constaté ,  à  sa  aianière ,  le  pmnt  de  départ ,  il  arrive  à 
la  reproduction  de  la  cellule,  c'est-à-dire ,  à  l'apparition  d'un  nouveau 
principe ,  celui  des  sexes ,  puis  à  celui  de  la  communauté  ou  de 
l'association ,  qui  est  produite  par  la  réunion  d'un  grand  nombre  de 
fleurs  sur  une  tige  commune. 

Le  même  principe ,  il  rapplique  ensuite  au  règne  animal  ;  il  démontre, 
en  commençant  par  les  organismes  les  plus  simples ,  par  le  polype , 
par  exemple,  que  ia  vie  d'un  animal  se  compose  d'une  multitude  de 
petites  vies  cellulaires,  et  il  fait  passer  l'animal,  comme  la  plante ,  par 
trois  sortes  d'états  différents,  par  celui  de  Findividuaiité  (les  cellules, 
les  monades) ,  par  celui  de  la  dualité  (les  sexes) ,  qui  oarrespond  à  crini 
de  la  floraison  dans  le  règne  végétal ,  et  celui  de  la  commonaulé. 

Je  m'interdis  à  regret  les  divelop^meats.  Le  lecteur  attentif  a  dû 
entrevoir^  pourquoi  dans  ce  système ,  l'auimal  se  compose  —  je  me 
sers  du  langage  de  l'auteur  —  d'une  multitude  de  petites  âmes  ;  com- 
ment l'homme  possède,  outre  aon  Âme  aninaale,  une  Ame  spîrîiueUe,  à 
laquelle  l'auteur  superposa  encore  une  àme  divine  ;  et  comme  s'il 
n'avait  pas  sui&samment  doté  le  roi  de  le  créaiion ,  il  lui  prête ,  il  lui 
octroyé  ,  il  lui  impose  <  dee  vies  végétatives ,  »  des  vies  on  des  forces 
minérales  et  éthériques. 

Si ,  dans  cette  méthode  d'analyser  et  de  recaii&tiluer  la  nature  phy- 
sique et  spirituelle  de  l'homme ,  il  y  a  quelque  chose  d'ingénieux ,  on 
ne  peut  disconvenir  aussi  que  ces  distinctions  entre  les  diverses  Ames 
sont  subtiles.  Je  ne  veux  point  m'engager  avec  l'auteur  dans  une  con- 
troverse ,  qui  ressemblerait  un  peu  à  certaines  discussions  dans  les 
conciles  du  Bas-^Empire  ;  de  toute  nécessité  ,  je  dois  ici  me  borner  à 
des  indications  et  renvoyer  pour  les  développements  au  texte  même  de 
l'oeuvre ,  ou  plutêi  du  programme  que  j'annonce  ;  car  jusqu'ici  Fou- 
vrage  de  M.  de  May  n'est  qu'une  série  de  tètes  de  chapitres,  qu'il  com- 
plétera nécessairement  par  ia  suite. 


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MBLIOGRAPHIK.  463 

L'homme ,  tel  qii*il  le  conçoit ,  est  donc  un  assemblage ,  une  totalité 
4fi  forces  et  de  vies  ;  il  en  réunit,  il  en  contient  un  plus  grand  nombre 
<|ue  tout  autre  corps  ou  animal  terrestre  ;  il  est  Fétre  le  plus  parfait , 
i^ar  le  rang  d'un  corps  se  mesure  d'après  la  multiplication  de  «  ses 
vies.  Ji 

M.  de  May  ne  s'arrête  point  sur  la  route,  dont  il  a  suivi  le  long  par- 
cours depuis  le  règne  pondérable  ou  éthérique  jusqu'à  l'extrême  limite 
du  règne  animal.  L'être  le  plus  parfait  —  et  sur  ce  point  l'auteur  se 
rencontre  plus  que  l'on  ne  pense ,  avec  la  croyance  instinctive  de  tous 
.  les  peuples  —  peut  et  doit ,  d'après  les  lois  de  l'analogie ,  s'élever  en- 
core ;  mais  comment  parvenir  à  cet  état  supérieur,  sinon  par  l'acqui- 
sition d'une  nouvelle  vie,  d'une  nouvelle  àme,  d'une  âme  que  ue 
possède  point  l'homme  naturel.  C'est  cette  nouvelle  âme,  dont  leehris- 
tiaaisiBe  a  élé  le  parrain. 

fie  l'bomme  pris  individuellement,  l'auteur  s'élève  à  l'idée  de  l'hu- 
manité ,  qui  n'est  pas  une  simple  aggrégation  ,  mais  un  corps  organique 
ayant  ses  lois,  ses  fonctions,  ses  conditions  vitales,  une  analogie  com- 
plète avec  le  corps  humain. 

Nous  nMts  permettrons  seulement  de  faire  remarquer  que  celte  idée, 
bien  jopi'elle  s'encadre  convenablement  dans  le  système,  dont  nous  nous 
constituons  le  rapporteur,  n'est  point  propre  à  M.  de  May  ;  il  y  a  près 
de  cent  ans,  Herder  a  appuyé  sa  philosophie  deThistoire,  sur  ce  même 
fondement. 

D'après  ces  prémisses ,  il  serait  donc  permis  d'étudier  t'anetomie  de 
l'humanité  comme  celle  du  corps  humain  ;  caries  deux  sont  soumis  aux 
mêmes  lois  de  nutrition,  de  développement  et  de  dépérissement.  L^hy- 
giène  matérielle  est  l'image  de  l'hygiène  humanitaire ,  seulement  la 
première ,  celle  de  notre  corps ,  obéit  à  des  lois  physiques ,  celle  de 
l'autre  à  des  lois  morales. 

Ici ,  sans  le  vouloir  peut-être ,  l'auteur  est  ramené  sur  un  terrain 
pratique  et  politique.  Si  l'humanité,  comme  il  le  prouve,  est  soumise  à 
des  lois  nouvelles ,  la  prospérité  d'un  peuple  dépend  de  l'observation 
de  ces  lois  ;  les  mesures  arbitraires,  qui  empêcheraient  ou  entraveraient 
le  développement  normal  d'un  peuple ,  trouveraieut  leur  condamnation 
dans  le  dépérissement  de  cette  société ,  frappée  ainsi  dans  son  germe. 
De  là ,  nécessité  pour  l'homme  d'Etat  d'étudier  et  de  respecter  les  lois 
humanitaires. 
Si  j'ai  réussi ,  à  l'aide  de  ces  indications ,  à  appeler  l'attention  du 


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461  REVUP.  d'alsage. 

public  alsacien  sur  l'œuvre  qui  porte  le  titre  signiâcatif  mais  un  peu 
ambitieux  de  c  Plan  de  la  création  et  système  de  fàme,  »  je  dois  me 
tenir  pour  satisfait.  Donner  dans  quelques  pages  une  idée  adéquate , 
complète  d*un  système,  fruit  d'une  longue  et  lente  élaboration,  ce  serait 
une  prétention  absurde.  Jusqu'à  quel  point  M.  de  May  réussira-t-il  à 
se  faire  une  place  parmi  les  penseurs  contemporains ,  qui  se  donnent 
la  mission  de  débattre  les  intérêts  et  les  destinées  de  Thumanité ,  je 
n'oserais  non  plus  le  prédire.  Il  ne  flatte  aucune  passion  du  jour,  il  ne 
rentre  point  dans  tel  ou  tel  camp  aux  limites  et  aux  couleurs  déjà  con- 
nues ;  cette  neutralité  naturelle  n'est  point  un  titre  de  recommandation  ; 
sa  foi  naïvement  chrétienne  pourrait  même  lui  nuire,  je  veux  dire 
qu'elle  lui  sera  nuisible  auprès  des  libres  penseurs,  qui  ne  lui  pardon- 
neront pas  d'effleurer  l'école  atomiste ,  l'école  des  forces  et  de  la  ma- 
tière ,  d'avoir  le  même  point  de  départ  qu'elle ,  sans  s'y  arrêter. 
Franchir  les  limites  du  visible  et  chercher  à  deviner  les  destinées 
futures,  c'est  la  tendance  d'un  rêveur  incorrigible^  et  je  vois  tel  de  nos 
coryphées  qui  partirait  d'un  éclat  de  rire  homérique ,  pantagruélique  , 
si  c  le  plan  de  la  création  »  tombait  entre  ses  mains.  Pour  ma  part,  je 
préfère  former  des  vœux  en  faveur  d'un  homme  jeune  encore  et  rude- 
ment éprouvé  ,  lui  souhaiter  confiance  et  persévérance ,  lui  rappeler 
l'exhortation  que  Posa,  sur  le  point  de  périr^  adresse  au  fils  de  Phi- 
lippe II:  €  Reste  fidèle  aux  pensées  idéales  de  ta  jeunesse;  »  vers  que 
je  traduirais  ainsi  à  l'usage  de  notre  philosophe:  <  Ne  vous  laissez 
point  abattre  par  les  objections  ou  par  Tindifférence  plus  dangereuse 
que  les  adversaires  et  que  l'ironie.  > 

L.  Spagh, 

Archivitte  du  Bas-Rhin 


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GORDESPONDANGB 

DE  L'ABBÉ  GRANDIDIER 


ET  AUTRES  DOCUMENTS  RELATIFS  A  CET  HJSTORIEfT, 
A  SA  FAMILLE  ET  A  SES  OUVRAGES. 

—  SuU9.  *  — 

DBVXliME  PAITIB. 

Documents  extraits  de  la  correspondance  de  J.-J  Oberlin, 

Le  professeur  Oberlin ,  bibliothécaire  de  Funiversité  protestante  de 
Strasbourg,  avait  recueilli  un  grand  nombre  de  documents,  relatifs  en 
générai  à  l'Alsace.  Sa  collection ,  acquise  il  y  a  trente  ou  quarante  ans 
par  la  bibliothèque  royale ,  a  été  scindée  entre  deux  fonds  :  iHe  fonds 
latin ,  qui  comprend  388  chartes  du  th^  au  xvui«  siècle ,  des  fragments 
de  manuscrits ,  un  recueil  de  fac  simile  d'anciennes  écritures ,  et  une 
collection  de  sceaux  détachés  t  ;  2»  le  fonds  allemand  (autrefois  supplé- 
ment français)  y  qui  renferme  environ  400  chartes  en  allemand  et  i3 
volumes  in-4o  de  correspondance.  On  y  trouve  des  lettres  d'un  grand 
nombre  de  savants  et  d'hommes  illustres  français  et  étrangers,  tels  que 
Koch  y  Lamey,  l'abbé  Grégoire,  l'abbé  Grandidier,  dom  Sterque,  Tujk- 
heim  l'atné  ,  Sigismond  Billing  ,  les  deux  Pfeffel ,  Paul-Louis  Courier , 
Frédéric  Oberlin ,  etc.  Les  lettres  que  nous  publions  se  trouvent  dans 
les  tomes  4  et  i  2  de  la  correspondance  (Fonds  allemand ,  n**  195  et 
203).  Elles  complètent  les  renseignements  fournis  par  la  correspondance 
de  Moreau  sur  l'auteur  de  Y  Histoire  de  t  église  de  Strasbourg. 

AuG.  Krœber. 


*  Voir  les  livraisons  d'août ,  septembre ,  octobre ,  novembre  et  décembre  1865, 
pages  337,  385 ,  «33 ,  802  et  549. 

*  Voy.  rinventaire  des  manuseriu  du  fonds  lalln ,  pabUé  par  M.  Léop.  Dellsle 
dans  la  BibUoihéque  de  l'Ecole  des  chartes ,  5«  série ,  lom.  m. 

a*Séri«.— 17*  Auéê.  30 


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466  REVUE  D* ALSACE. 

Lettres  de  Grandidier  à  Oberlin. 

I. 

(Saos  (Ula.) 
Monsieur, 

Je  pars  à  une  heure  pour  Saverne ,  où  Mgr.  le  Cardinal  m'appelle 
S.  E.  me  charge  de  vous  témoigner  sa  reconnaissance  pour  tout  ce  que 
vous  avés  bien  voulu  faire  pour  lui.  Vous  en  jugerés  par  ce  passage  de 
la  lettre  de  Mgr.  d'Arath  *,  que  je  vous  transcris  ici ,  n*ayant  pas  eu 
l'honneur  de  vous  trouver  : 

<(  J'ai  rendu  compte  à  S.  A.  E.  du  travail  de  H.  Oberlin  sur  nos  ma- 
«  nuscrits  ;  elle  en  est  singulièrement  satisfaite ,  mais  encore  plus 
«  reconnaissante.  Elle  me  charge  de  vous  dire  de  voir  de  sa  part  cet 
(  officieux  professeur,  et  de  l'assurer  que  le  prince  sera  charmé  de  le 
«  voir  et  de  converser  avec  lui,  lorsqu'elle  viendra  à  Strasbourg,  ce  qui 
«  sera  dans  une  ou  deux  semaines.  • 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  parfait  attachement. 
Monsieur , 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur, 

L'abbé  GRAlfDIDIER. 


n. 

Saveme,  ce  16  juiUet  1775. 
Monsieur, 

J'ai  tardé  jusqu'ici  de  répondre  à  la  lettre  dont  vous  m'avés  honoré  : 
le  séjour  que  j'ai  fait  pendant  quelques  jours  à  Neuvillers ,  m'a  privé 
jusqu'à  présent  de  ce  plaisir.  Monseigneur  d'Arath  a  lu  les  extraits  des 
manuscrits  de  tf  olsheim  à  S.  A.  E.  Mgr.  le  Cardinal  :  S.  Ë.  a  été  fort 
satisfaite  de  votre  ouvrage,  et  Mgr.  d'Arath  a  fait  votre  éloge  en  pré- 
sence d'une  nombreuse  compagnie.  C'est  un  témoignage  qu'il  vous  a 
rendu  bien  sincèrement  et  qu'il  vous  devait  pour  tout  ce  que  vous  avés 
bien  voulu  faire  pour  l'évèché.  Sa  Grandeur  vous  écrira  elle-même  pour 
vous  marquer  toute  sa  reconnaissance  et  le  plaisir  que  Mgr.  le  Cardinal 
aurait  de  vous  voir  ici.  M.  de  Lancay  est  bien  sensible  à  votre  souve- 
nir, et  compte  à  son  premier  voyage  à  Strasbourg  vous  y  embrasser. 

*  Suffragant ,  viuiire-géoéral  et  offlcial  de  l*éf6ché  de  Straabourg. 


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CORRESPONDANCE  DE  l'aBBÉ  OflANDlDIER  ,  ETC.  467 

Je  sais  rintérèi  que  vous  prenés  à  tout  ce  qui  peut  me  regarder:  le 
Prince  a  rapporté  de  Paris  mon  manuscrit  de  Thistoire  des  évèques,  et 
sur  le  témoignage  favorable  qu'en  a  rendu  H.  Dupuy,  il  a  consenti  à 
rimpression.  Je  ne  désespère  pas  de  la  réussite,  si  vous  voulés  bien  me 
coDtinaer  toutes  vos  bontés  »  m'aider  des  livres  de  votre  bibliothèque , 
et  surtout  de  vos  lumières ,  auxquelles  de  tout  tems  j'aurai  la  plus 
grande  déférence.  Je  voudrais  trouver  un  moment  favorable  pour  vous 
en  témoigner  toute  ma  reconnaissance  ;  je  n'ai  à  moi  que  le  sentiment 
du  cœur,  et  si  celui-ci  peut  vous  suffire ,  vous  ne  trouvères  personne 
qui  n'ait  plus  de  respect  et  d'attachement  pour  vous  que  moi.  Ce  sont 
les  plus  vrais  de  mes  sentiments  que  je  vous  renouvelle ,  avec  lesquels 
j'ai  l'honneur  d'être , 


Monsieur , 


Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur , 
Grandidikr. 


nr. 

A  Saverne,  ce  11  octobre  1775. 
Monsieur, 

Je  vous  rends  mille  grâces  de  toutes  les  peines  que  vous  avés  prises 
pour  moi  :  c'est  la  suite  des  bontés  que  vous  m'avés  toujours  témoi- 
gnées, et  auxquelles  je  joins  toute  la  reconnaissance  possible,  en  y 
ajoutant  la  prière  de  me  les  continuer.  Je  ne  peux  que  me  louer  des 
journalistes  qui  ont  inséré  mes  prospectus  dans  leurs  journaux.  Je  n'ai 
à  me  plaindre  que  de  l'ex-jésuite  journaliste  de  Luxembourg ,  qui  s'est 
avisé  de  tronquer  et  corriger  mon  prospectus.  Il  y  a  surtout  une  correc- 
tion qui  est  impertinente ,  et  qui  me  fait  dire  plus  que  je  ne  veux  dire  ; 
le  prospectus  porte  :  Les  savants  et  illustres  d* Alsace,  qui  par  leurs 
écrits  ont  soutenu  la  religion  ou  se  sont  rendus  recommandabfes  dans 
l'église  pan*  d'autres  services....  Le  journaliste  généralise  cette  phrase  et 
dit  :  Les  savants  et  grands  hommes  en  tout  genre  que  l'Alsace  a  pro- 
duits... Il  finit  le  prospectus  par  me  laire  dire  une  sottise  ;  j'avais  mis  : 
aivantage  plus  précieux  et  plus  désirable  que  cette  réputation  souvetét 
frivole  qu'on  peut  acquérir  par  les  latents.  H.  le  conecteur  de  Luxem- 
bourg, en  changeant  la  phrase ,  m'attribue  un  tour  de  vanité  auquel  je 
ne  pensais  pas  ;  il  met  :  cette  r^jnUation  souvent  frivole  qu'on  acquiert 
par  des  talents  plus  bruyants.  Je  ne  vous  parlerai  pas  des  autres  cor- 


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468  REVUE  d'àlsage. 

rections  qu'il  a  faites  :  aussi  ridicules  que  les  premières  ,  elles  n'at- 
taquent pas  de  même  le  fonds. 

Je  compte  vous  revoir  bientôt  à  Strasbourg;  les  pièces  que  vous 
m'avés  promises  me  seront  d'une  grande  utilité.  J*ai  trouvé  dans  les 
aichives  de  la  collégiale  de  Neuvillers  une  donation  faite  en  1356  à 
l'église  de  S.  Adelphe  par  Albertus  de  Argentine,  cellerarius  ecclesie 
S.  Adelphi  Novillarensis.  Ne  serait-ce  peut-être  pas  le  même  qu'Albert 
de  Strasbourg ,  auquel  on  attribue  une  chronique  qui  porte  son  nom 
dans  le  recueil  d'Urstisius ,  et  qui  a  composé  la  vie  de  Bertholde  de 
Bucheck ,  évêque  de  Strasbourg^  dont  il  était  aumônier  ?  Elle  se  trouve 
dans  la  bibliothèque  de  Berne  sous  le  nom  de  Bertholde  de  Neubourg. 

M.  le  Baron  de  Zurlauben  ,  maréchal-de-camp ,  m'annonce  la  copie 
des  chroniques  de  Herman  Contract  el  de  Bertholde  de  Constance 
d'après  les  originaux  primitifs,  avec  des  variantes  et  des  augmentations 
qu'on  ne  trouve  pas  dans  les  imprimés ,  ainsi  que  différents  actes  con- 
cernant cette  province,  qu'il  n'a  pas  communiqués  à  M.  SchœpQin. 
J'attends  de  Richenau  une  copie  exacte  du  ms.  dont  Mabillon  a  donné 
une  partie  dans  ses  analectes ,  sous  le  titre  de  Societales  Augienses. 
M.  l'abbé  d'Ettenheimmunster  m'a  promis  un  ms.  qu*un  de  ses  pères 
aujourd'hui  mort  a  laissé  sous  le  titre  d'Antiquitates  Akaticœ  et  Bris- 
goicœ.  Il  y  a  dans  le  chartrier  de  Cluni  un  code  considérable  de  diplômes, 
bulles  et  actes  concernant  uniquement  les  évêchés  et  abbayes  d'Alle- 
magne. S.  A.  E.  Mgr.  le  Cardinal  en  fait  faire  la  recherche ,  pour  voir 
s'il  n'y  a  rien  qui  concerne  notre  province.  Ces  actes  doivent  être  ren- 
fermés dans  un  coffre  considérable  par  sa  grosseur  et  non  encore 
fouillé.  Il  a  été  vu  par  celui  qui  a  travaillé  par  ordre  du  ministre  à  Cluni 
pour  avoir  des  copies  authentiques  de  tout  ce  qui  s'est  passé  au  concile 
de  Lyon^  où  Frédéric  II  fut  excommunié.  Une  partie  de  ces  pièces 
pourra  peut-être  vous  être  de  quelque  utilité  pour  votre  Alsatia  litterata, 
el  je  m'empresserai  de  vous  les  communiquer,  dès  qu'elles  me  seront 
parvenues.  J'ai  fait  quelques  découvertes  sur  Kœnigshoven  et  Wimphe- 
lingue,  qui  pourraient  peut-être  vous  servir. 

Je  viens  de  recevoir  une  lettre  de  M.  Molter,  bibliothécaire  et  con- 
seiller de  S.  A.  S.  Mgr.  le  Margrave  de  Bade ,  qui  m^envoye  de  la  part 
de  son  maître  un  brevet  d'associé  honoraire  à  la  société  littéraire  de 
Carlsrouhe. 

Mon  oncle  est  bien. sensible  à  votre  souvenir  et  m'a  chargé  de  vous 
faire  agréer  ses  complimens  ;  mais  il  espère  vous  revoir  ici ,  et  il  croit 


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CORRESPONDANCE  DE  L'ABBÉ  GRANDIDIER  ,  ETC.  469 

que  vous  prendrés  un  lenis  ou  il  pourra  jouir  plus  longtemps  de  vous 
que  la  dernière  fois. 

Les  ross.  du  collège  de  Nolsheini  ne  pressent  pas ,  et  S.  A.  E.  m'a 
chargé  de  vous  dire  que  vous  pourrés  les  garder  encore  quatre  ou  cinq 
mois ,  s'ils  peuvent  vous  être  utiles.  Elle  a  une  autre  grâce  à  vous 
demander,  et  elle  vous  en  écrira  elle-même  :  c'est  de  vouloir  bien  pré- 
sider à  rimpression  d'un  ouvrage  auquel  elle  s'intéresse  un  peu.  J'y  ai 
aussi  quelque  intérêt  ;  celui  que  vous  y  prenés  vous-même^  l'amitié  dont 
vous  honorés  son  auteur,  et  la  part  même  que  vous  y  avés ,  en  faisant 
semblant  de  l'ignorer,  m'autorisent  peut-être  à  y  joindre  mes  prières. 
Elles  augmentent  en  moi  l'estime,  la  reconnaissance,  l'attachement,  que 
vous  connaisses  dans  celui  qui  est  pour  la  vie , 
Monsieur , 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur , 
L'abbé  Grandidier  , 


IV. 

A  Strasbourg,  ce  15  avril  1776. 
Monsieur, 

M.  l'évêque  d'Ârath  est  mortifié  de  ne  pas  avoir  des  connaissances 
particulières  dans  les  endroits  que  vous  lui  avés  indiqués.  Quant  à  Bor- 
deaux ,  si  le  Prince  Ferdinand  de  Rohan  archevêque  s'y  trouve ,  vous 
n'aurés  qu'à  y  réclamer  le  nom  de  son  oncle  M.  le  Cardinal  de  Rohan  ; 
vous  serés  sur  d'y  être  bien  reçu.  Vous  y  trouvères  aussi  l'abbé  de 
Londres.  Sa  Grandeur  vous  souhaite  un  heureux  voyage,  si  elle  n'a  pas 
4'bonneur  de  vous  voir  avant  votre  départ.  Elle  désirerait  fort  que  vos 
courses  littéraires  vous  mènent  en  Auvergne.  Vous  y  êtes  connu  par 
vos  ouvrages ,  et  vous  serés  sûrement  fêté  par  M.  Duvernin ,  son  frère , 
vice-directeur  de  l'Académie,  ainsi  que  par  M.  l'abbé  Micolon  de 
Blauval ,  grand-vicaire  de  Clermont  et  secrétaire  perpétuel  de  la  dite 
Académie. 

J'avais  demandé  à  M.  le  baron  de  Zurlauben  pour  vous  quelques 
éclaircissements  sur  les  canaux  navigables  de  la  Suisse.  La  feuille  ci- 
jointe  contient  l'histoire  du  canal  projeté  entre  le  lac  de  Genève  et  celui 
de  Neuchâtel.  M.  le  baron  ajoute  qu'il  a  en  Suisse  parmi  ses  mss.  un 
détail  de  tous  les  passages  de  la  Savoye  en  France ,  qui  n'a  jamais 
encore  été  imprimé ,  copié  d'après  l'original  et  tiré  du  Dépôt  de  la 


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470  RSVDE  D'ALSACE. 

Guerre.  Parmi  ces  notices,  il  y  a  le  pian  du  canal  projelé  du  Rhône  pour 
le  rendre  navigable  depuis  sa  sortie  du  lac  de  Genève  jusqu'à  Seissel , 
malgré  le  précipice  où  il  se  perd  entFe  Genève  et  Seissel ,  ce  qu'on 
pourrait  décliner  par  un  canal.  Ce  mémoire  renferme  aussi  le  délai!  des 
avantages  considérables  que  la  France  tirerait  du  Valais  par  le  transport 
des  mâts  de  vaisseau  jusqu'à  Versoy  en  tout  tems,  et  dans  le  tems  même 
qu'on  n'en  pourrait  tirer  de  la  Suède.  Si  vous  désirés ,  Monsieur,  l'ar- 
ticle de  ce  canal  projeté,  M.  de  Zurlauben  vous  le  fera  tenir  à  son  retour 
en  Suisse. 
Je  suis  avec  rattachement  le  plus  parfait , 
Monsieur , 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur , 
L'abbé  Grandidier. 


V. 

A  Saveroe,  ce  li  aoust  1777. 
Monsieur  et  très-cher  confrère  , 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  6  de  ce  mois,  qui  me  rappelle  les  deux  sen- 
timents d'attachement  et  de  reconnaissance  que  je  vou»'dois.  Il  faudrait 
être  bien  exempt  d'amour-propre,  pour  n'être  pas  sensible  à  tout  ce  que 
vous  voulés  bien  me  dire  de  flatteur. 

M.  le  conseiller  Lang  ne  me  doit  aucun  remerciment:  je  vous  en  dois 
plutôt  un ,  pour  m'avoir  mis  à  même  de  l'obliger.  Ce  sont  des  services 
qu'on  se  doit  réciproquement ,  et  je  vous  prie  de  l'assurer  que  je  lui 
communiquerai  toutes  les  pièces  qui  me  tomberont  entre  les  mains  con- 
cernant la  maison  d'Œtingue.  Je  me  crois  même  encore  assés  heureu» 
pour  lui  en  procurer  de  nouvelles. 

Je  reçois  dans  le  moment  la  lettre  de  M.  Haillet  de  Couronne  du  29  du 
mois  passé ,  qui  m'annonce  l'adoption  que  l'Académie  de  Rouen  a  bien 
voulu  faire  de  moi  Agréés-en  le  premier  hommage  de  n»a  reconnais- 
sance :  c'est  un  honneur  que  je  vous  doii^,  et  il  m'est  d'autant  plus  flat- 
teur qu'en  me  procurant  la  connaissance  d'une  personne  aussi  estimable 
que  M.  Haillet ,  elle  augmente  dans  moi  tous  les  sentiments  que  votre 
nouveau  confrère  vous  a  voués  depuis  longtemps. 

Mon  oncle  est  très-sensible  à  votre  souvenir  :  il  espère  vous  voir  cet 
été  dans  ce  pays- ci,  il  le  désire  même.  L'amitié  mérite  bien  qu'on 
donne  quelque  relâche  à  ses  travaux  littéraires. 


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CORRESPONDANCE  DE  L^ABBÉ  GR4MD1DIER  ,  ETC.  474 

Je  ne  vous  dirai  rien  du  plaisir  que  j*aurai  de  vous  voir  à  Saveriie. 
Vous  oonnaîssés  la  sincérité  de  tous  mes  sentiments.  C'est  Teffusion  du 
vrai  et  tendre  attachement  avec  lequel  je  ne  cesserai  d'dtre , 
Monsieur  et  très*cher  coafirère , 

Y.  T.  H.  Qt  T.  0.  S. 
L'abbé  Grammduer. 
P.  S.  J'ai  l'honneur  de  vous  adresser  des  pro^ammes  de  la  Société 
Patriotique  de  Hesse»Hombour|;.  Cet  institut  peut  devenir  utile  par 
les  correspondances  qu'elle  entretient  avec  différons  savans  dispersés 
en  Europe.  Si  vous  désirés  y  être  agrégé,  je  vous  prie,  Monsieur  et  cher 
confrère ,  de  me  le  marquer,  en  y  joignant  vos  noms  de  baptême  et  de 
famille ,  vos  titres  et  quaKtés  littéraires ,  la  liste  des  Académies  dont 
vous  êtes  membre^  et  le  catalogue  des  ouvrages  dont  vous  êtes  l'auteur. 
Je  ne  doute  pas  de  l'empressement  qu'aura  la  Société  de  vous  posséder. 

L.  G. 


VI. 

A  Saverne.  ce  10  mai  1778. 

Je  viens  de  recevoir,  Monsieur  et  très-cher  confrère ,  une  lettre  de 
M.  Dupuy,  qui  m'annonce  que  vous  allés  recevoir  incessamment  les 
volumes  36,  37,  38  et  39  des  Mémoires  de  l'Académie  des  belles- 
lettres,  qui  manquaient  à  votre  bibliothèque,  et  que  vous  m'aviés  chargé 
de  vous  faire  parvenir.  Le  volume  en  feuilles  revient  à  onze  livres ,  ce 
qui  fait  quarante-quatre  livres ,  que  je  ferai  passer  à  M.  Dupuy  par  les 
équipages  de  M.  le  Cardinal,  qui  doit  partir  sur  la  (in  du  mois.  M.  Dupuy 
me  charge  en  même  tems  de  vous  dire  bien  des  choses  de  sa  part. 

Je  vous  envoyé  le  serment  de  Louis-le-Germanique  traduit  en  bas- 
breton. 

Présentés,  s'il  vous  plaît,  l'hommage  de  mes  sentiments  à  H.  le  pro- 
fesseur Koch.  Mon  oncle  espère  enfin  avoir  le  bonheur  de  vous  posséder 
quelques  jours  chez  lui.  Je  le  désire  d'autant  plus  vivement ,  que  per- 
sonne ne  recherche  avec  plus  de  plaisir  que  moi  les  occasions  de  pou- 
voir vous  renouveler  les  sentiments  du  tendre  et  parfait  attachement, 
avec  lesquels  j'ai  l'honneur  d'être , 

Monsieur , 

V.  T.  H.  et  T.  0.  S. 

L'abbé  Grandwier. 


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472  REVUE  D'ilLSAGE. 

VII. 

A  Ssverae»  ce  26  ntti  ÏTIS. 
Monsieur  et  cher  confrère ,  ^ 

J'ai  reçu  la  lettre  dont  vous  m'avés  honoré  le  23  de  ce  mois.  JeTerai 
passer  à  M.  Dupuy  les  44  livres  des  Mémoires  par  les  équipages  de  M.  le 
Cardinal,  qui  partent  le  premier  du  mois  prochain.  Vous  pourrés  m'en- 
voyer  ladite  somme  à  loisir,  quand  l'occasion  se  présentera. 

Si  vous  désirés  quelque  chose,  relativement  au  patois,  de  M.  Tavocat 
Le  Brigant  de  Tréguier,  je  m'empresserai  de  vous  le  faire  parvenir.  Je 
connais  quelqu'un  à  Vannes^  qui  est  son  ami.  Il  ùkvki  au  reste  se  défier 
un  peu  du  système  singulier  de  M.  Le  Brigant ,  dont  les  opinions  sont 
quelquefois  outrées.  D  est  à  la  découverte  de  savoir  si  les  enfants  de 
Gomer  parlaient  celtique  :  car  ce  sont  eux,  selon  lui ,  qui  ont  peuplé  la 
Bretagne.  Le  comment  est  difficile  à  trouver. 

Mon  oncle  est  bien  sensible  à  l'honneur  que  vous  lui  ferés  de  passer 
quelques  jours  chez  lui.  La  diligence  continue  de  passer  une  fois  par 
semaine  de  Strasbourg  à  Saverne ,  et  cette  voiture  vous  y  rend  dans 
quelques  heures. 

Vous  connaissez  tous  les  sentiments  d'estime  particulière  et  du  tendre 
attachement,  avec  lesquels  je  suis  pour  la  vie  tout  à  vous,  eu  vous  em- 
brassant bien  sincèrement. 

L'abbé  Gramdidieh. 


VIU. 

A  Saverne ,  ce  6  septembre  i  778. 
Monsieur  et  très-cher  confrère, 

Votre  lettre  du  3  de  ce  mois  me  peine ,  puisqu'elle  m'apprend  que 
nous  n'aurons  pas  le  bonheur  de  vous  voir  dans  ce  pays.  Mon  oncle 
l'aurait  désiré  ardemment,  et  il  ne  désespère  pas  encore  de  jouir  de  ce 
plaisir  pendant  vos  vacances,  qui,  à  ce  que  je  crois,  commenceront 
bientôt. 

Vous  aurés  reçu  par  M.  Koch  l'extrait  de  la  lettre  de  M.  Dupuy,  qui 
vous  concerne.  Quant  aux  44  livres ,  cela  ne  presse  pas.  Si  cependant 
vous  voulés  bien  me  les  envoyer,  je  vous  prierai  de  les  faire  passer 
cachetées  à  mon  adresse  à  Madame  Grandidier,  rue  du  Poumon ,  près 
du  Marché  aux  Poi  ssons.  Ma  mère  doit  venir  ici  sur  la  fin  de  la  semaine, 
t  elle  pourra  me  les  remettre. 


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CORRESPONDANCE  DE  L*ABBÉ  ORANDIDIER  ,  ETC.  473 

Vous  connaissez  tous  les  sentiments  particuliers  du  tendre  et  invio- 
lable attachement,  avec  lesquels  je  suis  pour  la  vie  y 
Monsieur  et  très  cher  confrère , 

V.  T.  H.  et  T.  O.S. 
L'abbé  Grandidier. 

P.  S.  Je  rouvre  ma  lettre  pour  vous  annoncer  la  réception  de  celle 
de  H.  Le  Brigant ,  avocat  à  Tréguier.  Il  me  charge ,  Monsieur^  de  vous 
assurer  de  ses  respects,  en  vous  priant  de  lui  continuer  votre  bienveil- 
lance et  votre  amitié.  Il  doit  vous  envoyer  dans  peu  les  deux  derniers 
cahiers  de  ses  observations  sur  les  recherches  de  M.  Nitsidman. 

Il  m'a  fait  passer  aussi  un  petit  mémoire ,  par  lequel  il  veut  prouver 
que  la  langue  des  savans  de  Tlnde  nommée  samskrete  ou  hanscrite  a 
beaucoup  de  rapport  avec  l'ancienne  langue  celtique  des  Bas-Bretons. 
Il  désirerait  faire  connaître  ce  mémoire  traduit  en  allemand  dans 
quelques  gazettes  allemandes ,  comme  dans  celles  des  Deux-Ponts  ou 
de  Nuremberg.  Si  vous  pouvés  les  employer,  je  vous  prie  de  me  le 
marquer,  et  je  vous  enverrai  le  mémoire. 

Vous  obligerés  un  très  honnête  homme  en  obligeant  M.  Le  Briganl. 
C'est  un  homme  zélé  et  laborieux,  quoique  systématique.  Il  s'est  telle- 
ment occupé  de  son  système  qu'il  voit  dans  tous  les  idiomes  qu'on  lui' 
présente ,  la  langue  de  son  ami  Gomer,  comme  le  P.  Mallebranche 
voyait  tout  en  Dieu.  Mais  ce  qui  n'est  point  systématique  chés  lui,  c'est 
son  goût  pour  les  devoirs  maritaux.  Madame  Le  Brigant ,  dit-on,  ne  le 
trouve  point  mauvais,  et  elle  a  pondu  22  enfans,  dont  14  sont  encore 
vivants.  Vous  voyés  bien  qu'il  faut  autre  chose  qu'un  système,  qu'une 
profession  peu  lucrative  d'avocat  pour  alimenter  une  si  nombreuse 
progéniture. 

Beaucoup  d'amitiés  de  la  part  de  M.  le  marquis  de  Luchet,  qui  m'a 
écrit  ces  jours  derniers. 


IX. 

A  Saveroe ,  ce  30  septembre  1 778. 

Monsieur  et  très  cher  confrère; 

J'ai  reçu  et  la  lettre,  dont  vous  m'avés  honoré  le  15  de  ce  mois,  et 
les  quarante-quatre  livres  que  ma  mère  m'a  remis.  Je  joins  ici  le 
mémoire  sur  la  langue  sanskrete  ou  hanscrite ,  qui  pourra  vous  servir. 


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474  REVUE  D'ALSACE. 

ei  que  m*a  envoyé  M.  Le  Brigant ,  auquel  je  fais  part  de  ce  que  vous 
m'écrives  à  son  sujet. 

Continués-moi  votre  amitié  et  croyés  aux  sentimens  du  tendre  et 
inviolable  attachement  que  vous  a  voué  le  plus  fidèle  de  vos  serviteurs, 

*L'abbé  Grândidier. 


X. 

A  Sa?erne,  ce  16  octobre  1779. 
Monsieur  et  très  cher  confrère , 

Je  reçois  dans  le  moment  par  l'intendance  de  Strasbourg  le  paquet 
ci-inclus,  que  M.  Le  Brigant  m'a  adressé  pour  vous  ;  je  m'empresse  de 
vous  le  faire  parvenir. 

Je  n'ai  été  dernièrement  à  Strasbourg  que  pour  un  jour  :  sans  cela 
j'aurais  eu  l'honneur  de  vous  y  voir.  Je  compte  y  retourner  sur  la  fin 
du  mois.  Le  Prince-Cardinal  part  dans  le  courant  de  la  semaine  pro- 
chaine. 

Mon  oncle  aurait  été  très  charmé  de  vous  posséder  ici  pour  quelques 
jours  ;  mais  vous  avés  la  cruauté  de  nous  priver  toujours  de  ce  plaisir. 
Il  m'a  chargé  de  vous  faire  agréer  ses  hommages. 

J'ai  fait  circuler  les  annonces  de  votre  glossaire ,  qui  intéressera  bien 
des  savants  :  on  l'attend  avec  impatience.  A  mon  retour,  je  parcourerai 
mes  titres  allemands,  pour  en  extraire  les  passages  difficiles.  Vous  en 
trouvères  déjà  plusieurs  dans  le  Code  des  lois  de  la  ville  de  Strasbourg 
imprimé  dans  mon  second  volume.  Il  me  reste  encore  deux  autres  pos- 
térieurs, l'un  de  Fonzième  et  Tautre  du  treizième  siècle,  à  publier. 

Le  grand  sceau  de  l'Evéché  pour  le  nouveau  prince  n'est  pas  fait 
encore  ;  mais  il  sera  entièrement  conforme  aux  deux  empreintes  que  je 
vous  envoyé. 

Vous  connaisses  tous  les  sentiments  du  tendre  et  sincère  attachement 
avec  lesquels  je  suis  pour  la  vie  le  plus  fidèle  de  vos  confrères  et  amis. 

L'abbé  Graiyoidier.  . 


XL 

Saveroc,  ce  10  novembre  17S5'. 
Monsieur, 
Je  m'empresse  de  répondre  à  la  lettre  dont  vous  m'avés  hoa<Mré  le  9 
de  ce  mois.  Je  n'ai  point  vu  le  ms.  de  l'abbaye  de  S^-Gal,  d'après  lequel 


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CORRRSPONDANCJR  OË  L'ABBÉ  6RÂMD1DIER ,  ETC.  475 

j'ai  pMblié  lo  fii^éne  de  Tévèque  Baldram.  Mais  je  i*ai  donné  d'apfte  It 
copie  qui  m'a  été  envoyée  par  dom  Vandermeer,  qui  y  a  fait  qualqoes 
corrections  d'après  le  ms.,  qui  indique  souvent  des  mois  que  Canisins 
a  mal  lus  ou  oial  exprimés,  tant  &  cause  de  la  mauvaise  écriture  que  des 
abréviations  4^  il  fourmille.  Je  n'y  ai  fait  d'autres  corrections  que  les 
deux  vers,  que  Baldram  parait  avoir  empruntés  de  Fortunat.  Vous  trou- 
vères également  dans  mon  second  volume,  pag.  262  et  suiv.,  une  para- 
phrase de  cette  élégie  en  vers  français. 

Je  n'ai  aucune  connaissance  de  la  traduction  allemande  du  Psautier 
par  Baldram.  Si  cette  traduction  existe  encore ,  elle  doit  être  plutôt 
attribuée  à  Waldram  ou  Baldram,  moine  et  doyen  de  l'abbaye  de 
S*-Gal,  qui  vivait  dans  cette  abbaye  ep  Tan  925. 

Si  vous  publiés  les  vers  d'Erchambald,  je  vous  prierai  de  suivre  leur 
liste ,  telle  que  je  les  ai  fait  imprimer  à  la  suite  de  chaque  évéque.  A 
mon  retour  à  Strasbourg ,  je  vous  donnerai  les  autres  vers  particuliers 
composés  par  le  même  évéque ,  ainsi  que  tout  ce  qui  regarde  les  écri- 
vains du  x%  II*  et  xu«  siècles ,  dont  les  articlQS  sont  d^à  rédigés  dans 
mon  propre  manuscrit,  qu'on  vient  de  me  renvoyer  de  Paris. 

Agréés  de  la  part  de  mon  oncle  et  de  la  mienne  l'assurance  du  tendre 
attachement  avec  lequel  j'ai  l'honneur  d'être  pour  la  vie , 
Monsieur , 

V.  T.  H.  et  T.  0.  S. 
L'abbé  Grandwier. 


XII. 

Ce  28  février  1787. 
Monsieur  et  très  cher  confrère , 

Je  me  rappelle  toujours  avec  plaisir  les  sentiments  d'attachement  et 
de  reconnaissance  que  je  vous  dois ,  je  désirerais  être  à  même  de  vous 
en  prouver  la  vérité.  J'espère  que  vous  me  donnerés  une  marque  des 
vôtres  en  recevant  avec  indulgence  un  exemplaire  du  premier  volume 
de  l'Histoire  d'Alsace,  que  j'ai  l'honneur  de  vous  adresser.  J'ai  cru 
devoir  y  rappeler  les  secours  obligeans  que  vous  m'avés  fournis  de  tout 
tems  pour  la  perfection  de  ce  travail,  et  surtout  les  savans  ouvrages  que 
vous  avés  donnés  au  public.  En  remplissant  par  là  les  devoirs  de  la 
reconnaissance,  j'ai  suivi  en  même  tems  le  pins  cher  et  le  plus  vrai  des 


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476  REVUE  D*ALSAGE. 

sentimens  :  c'est  celai  du  lendre  et  inviolable  attachement  que  vous  a 
voué  pour  la  vie  , 
Monsieur, 

V.  T.  H.  E.  T.  0.  S. 

L'abbé  Grandumer. 


Lettre  de  dam  Sterque  *  à  Oberlin, 

Besançon,  9  mai  1786. 
Monsieur. 

L'absence  de  M.  l'intendant  de  Franche-Comté  a  seule  occasionné  le 
retard  de  la  réponse  que  je  devois  à  la  lettre  que  vous  m'avez  fait 
l'honneur  de  m'écrire.  Ce  magistrat  pouvoit ,  à  ce  qu'on  me  disoit, 
permettre  l'entrée  de  la  province  aux  livres  venus  de  l'étranger.  J'ai 
attendu  son  retour  pour  solliciter  son  agrément  ;  mais  depuis  quelque 
tems  la  librairie  n'est  plus  de  son  ressort.  M.  l'abbé  Grand-Didier  doit 
venir  à  Besançon  le  mois  prochain,  à  ce  que  m'a  dit  D.  Grappin.  Si 
vous  lui  proposiez ,  Monsieur,  de  mettre  ces  deux  volumes  dans  sa  voi- 
ture et  d'acquitter  vos  déboursés  !  Dans  le  cas  où  cet  arrangement  ne 
se  trouverait  pas  de  son  goût ,  je  vous  prie  de  les  donner  au  caresse  et 
de  les  adresser  à  M.  Bel- Ami ,  avocat  et  secrétaire  de  la  ville ,  rue  des 
Granges.  C'est  une  précaution  pour  les  empêcher  de  tomber  entre  les 
mains  de  la  Chambre  syndicale  de  la  librairie.  S'ils  sont  arrêtés  dans  la 
voiture  de  M.  Grand-Didier  ou  dans  le  caresse,  j'en  serai  quitte  pour 
les  faire  revenir  de  Paris,  où  ils  seront  retenus  quelque  tems.  C'est  le 
seul  danger  qu'ils  aient  à  courir.  Le  directeur  ou  le  conducteur  du 
caresse  voudra  bien,  je  pense,  vous  avancer  l'argent  qui  vous  est  dû. 

Recevez  mes  remercîmens  et  l'assurance  de  mon  respect.  J'ai  l'hon- 
neur d'être , 

Monsieur, 

V.  T.  H.  et  T.  0.  S 

D.  Sterque. 


*  Bibliothécaire  de  Saint- Vincent  de  Besançon.  La  bibliothèque  de  cette  abbaye 
était  une  propriété  publique.  Voy.  VEiude  de  M.  Gastan  sur  le  Froissart  du  Saiol 
Vincent.  {Bibl.  de  l'EcoU  des  chartes ,  6*  série,  ton.  i.) 


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GOBRESPONDANGB  Dfi  L'àBBÉ  GRANDIDIER  ,  ETC.  477 

Extrait  é^fme  lettre  de  dom  Sterque  à  Oberlin. 

Besançon,  24  août  1784. 

Monsieur, 

M.  Tabbé  Grand-Didier  m'a  remis  le  Glossaire  pour  lequel  avoit 
souscrit  D.  Rousseau  ,  mon  prédécess^eur  à  la  Bibliothèque  publique  de 
Besançon.  Il  voudra  bien  se  charger  encore  des  trente  livres  que  coûte 
cet  ouvrage ,  et  vous  les  faire  parvenir.  Je  vous  remercie ,  Monsieur, 
des  deux  petites  brochures  que  vous  avez  eu  la  bonté  d'y  ajouter,  etc. 


Billet  de  Grandidiery  sans  date. 

M.  le  Baron  de  Zurlauben  présente  à  M.  le  professeur  Oberlin  ses  très 
humbles  complimens,  et  il  le  prie  de  vouldir  bien  : 

i^  lui  indiquer  Tendroit  où  demeure  aujourd*huy  M.  Riegger,  ci- 
devant  professeur  à  Fribourg. 

2»  s'il  n'existe  pas  dans  la  bibliothèque  de  l'université  ou  de  h  ville 
Topuscule  suivant,  in-4^<^,  imprimé  sans  datte  d'année  ou  de  lieu ,  sous 
le  titre  de  Soliloqwum  Wimphelingii  pro  pace  christianorum  et  pro 
Helvetiis.  M.  de  Zurlauben  désirerait  en  donner  une  nouvelle  édition. 
Si  cet  opuscule  était  à  acheter,  il  en  ferait  l'acquisition  ;  sinon,  il  aurait 
beaucoup  d'obligation  à  M.  Oberlin  ,  s'il  voulait  bien  le  lui  prêter  pour 
quelques  semaines. 

L'Abbé  Grandidier  a  l'honneur  en  même  tems  de  présenter  ses 
hommages  à  M.  le  professeur. 


Lettre  du  frère  de  Vabbé  Grandidier. 

Saveroe,  ce  19  décembre  1790. 
Monsieur, 
  mon  dernier  voiage  à  Strasbourg  vous  avés  eu  la  bonté  de  me 
promettre  que  vous  m'enverriés  une  liste  de  médailles  romaines  avec 
le  prix  de  chacune.  Je  prens  la  liberté  de  vous  en  faire  ressouvenir  et  je 
vous  prie  de  me  l'envoier  avant  la  fin  du  mois  ;  n'étant  pas  sûr  que  mon 
régiment  restera  en  Lorraine ,  je  ne  pourrais  pas  profiter  de  l'occasion 


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à  rendre  service  par  cette  lîâte  à  làn  ôeitfh^tfr  de  oe  ptt^s.  J'ose  donc 
vous  prier  de  la  tenir  prette  avant  le  29  ou  30  de  ce  mois,  tems  auquel 
je  compte  passer  à  Strasboui^. 
J'ai  l'honneur  d'être  très  respertueusement , 
Monsieur , 

V.  T.  H.  et  T.  0.  S. 

L'abbé  GRANomiER, 
aumônier  du  régiment  de  Chamboranl 


(La  àuitB  à  un$  prochaine  Mtfràwon;. 


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LE  TRIBUNAL  CIVIL  DE  SAVERNE. 


A  l'aurdre  de  la  révolutioD,  la  principauté  épiscopale  de  Strasboarg, 
dont  radministration  ou  la  régence  était  établie  à  SuTcarne ,  périt  iam 
le  naufrage  commun  des  institutions  féodales.  Avec  l'abolition  des 
décastères  de  Téfèché  commença  pour  SaYcme  une  ère  nouvelle ,  ère 
d'épreuves  et  de  déchéance  politique  ;  la  nouvelle  organisation  tèrrito* 
riale  qu'adopta  l'Assemblée  nationale  fit  descendre  cette  ville  au  rang 
d'uti  simple  chef^-lieu  de  canton  du  district  de  Haguenau,  dans  le 
département  du  Bas-Rbini  et  effaça  les  derniers  vestiges  de  son 
ancientie  importance.  Saveme  subit  avec  résignation  toutes  les  grandes 
réformes  décrétées  par  l'Assemblée  nationale,  mais  en  1790,  lors  delà 
création  des  tribunaux  civils  de  district ,  cette  ville  où  vivait  tout  un 
monde  d'avocats,  de  procureurs,  de  grefiiers,  d'employés,  d'huissiers 
et  de  clercs  que  la  régence  avait  trainés  à  sa  suite ,  conçut  l'espoir 
d'obtenir  le  siège  du  tribunal  civil  du  district ,  comme  une  juste  com- 
pensation des  nombreux  sacrifices  que  la  révolution  avait  exigés  d'elle. 

Haguenau  el  Saveme,  les  deux  villes  les  plus  importantes  du  district, 
se  disputaient  le  siège  du  tribunal,  et  chacune  d'^es  rivalisait  d'efforts 
et  de  sacrifices  pour  sortir  victorieuse  de  la  lutte.  Le  bailli  de  Flachs- 
landen*,  originaire  de  Saveme,  l'un  des  députés  de  l'Alsace,  usa  de 

*  Le  disirict  de  Haguenau  se  composaii  de  neuf  ciUUnis  :  Poit-ViUlMai ,  Ha* 
gnenau ,  Brumath ,  Truchienbdm ,  Marmotttier ,  Saveme ,  Booiwiller,  Hbchfeldea 
el  Uiaehwiller. 

'  JeaD-Baptiste^Antoiiie  de  Plachslanden  vit  le  Jour  I  Saverae ,  te  tO  juillet 
1739 ,  et  fut  destiné  par  sa  fitmille  ii  entrer  dans  Tordre  de  SaSnt>leaD-de-léra« 
salem.  Il  fut  reçu  chevalier  de  Halte  de  mlaorlté,  pourm  Jeune  eacore  de  la  dignilé 
de  kMUli  qui  lui  donnait  séance  après  le  grand-prieur  dans  ie  chapitre  provincial , 
et  de  celle  da  turcopoliar  de  Tordre.  Il  làt  gratifié  des  oetuttÉnderiea  de  Rohr- 


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480  REVUE  D^ALSACE. 

toute  son  influence  pour  doter  la  irille  qui  l'avait  vu  naître,  du  siège  dn 
tribunal  du  district.  La  ville  de  Saverne  adressa  à  rAssemblée  natio- 
nale un  long  mémoire  où  elle  énumérait  tous  les  motifs  qui  devaient 
lui  donner  la  préférence  sur  sa  rivale.  La  municipalité  vota,  malgré  la 
pénurie  de  ses  finances,  un  don  patriotique  de  six  mille  livres  ^  et  invita 
tous  les  citoyens  de  la  ville  à  seconder  ses  efforts  par  des  dons  volon- 
taires tant  en  argent  qu*en  vaisselle  d'or  et  d'argent  ;  mais  en  ce  moment 
de  disette  et  de  pénurie ,  c'était  trop  présumer  de  leur  patriotisme  ;  la 
liste  de  souscription  produisit  toutefois  la  somme  de  seize-  cent  trente- 
trois  livres.  Le  maire ,  François-Léopold  de  Hayerhoffer ,  se  rendit  à 
Paris,  au  printemps  de  l'année  1790,  accompagné  d'un  officier  muni- 
cipal ,  pour  solliciter  de  la  bienveillance  et  de  la  justice  de  l'Assemblée 
nationale  l'établissement  du  tribunal  du  district  à  Saverne;  l'accueil 
cordial  qu'il  reçut  de  tous  les  députés  de  l'Alsace  lui  fit  présager  im 
heureux  résultat  de  sa  mission.  Mais  les  députés  de  la  province ,  quel- 
ques bienveillantes  que  fussent  leurs  intentions  à  l'égard  de  la  ville  de 
Saverne,  devaient  chercher  à  concilier  les  vœux  et  les  intérêts  particu- 
liers avec  l'intérêt  général  et  faire  présider  l'équité  la  plus  stricte  à  leur 
choix  ;  ils  se  réunirent  pour  entendre  et  discuter  les  réclamations  et  les 
prétentions  des  deux  villes  contendantes,  et  transmettre  leurs  observa- 
tions et  leurs  propositions  au  comité  de  constitution ,  auquel  l'Assem- 
blée nationale  avait  laissé  le  soin  de  fixer  le  siège  du  tribunal  du 
district  de  Haguenau.  Dans  cette  réunion ,  le  sieur  Kauffmann'  prit  la 
parole  pour  éclairer  ses  collègues  et  fit  observer  qu'il  fallait  conserver 
à  Saverne  l'influence  que  lui  avait  acquise  l'ancienne  régence  de 
l'évêché  de  Strasbourg  et  établir  une  juste  réciprocité  d'avantages  entre 
cette  ville  et  le  chef-lieu  du  district  ;  il  démontra  clairement  que  l'heu- 
reuse situation  de  Saverne  sur  plusieurs  grandes  routes  en  facilitait 


dorf ,  de  Delzingen  et  d'Oberhausudt  ;  il  fat  Tud  des  adjoints  au  directoire  de  la 
noblesse  de  la  Basse-Alsace  et  président  de  l'Assemblée  provinciale  d'Alsace  en 
1787.  Appelé  aux  éuts-généraux  de  i 789  par  le  tien^tat  des  batlUages  de  Ha- 
guenau et  de  Wissembouig ,  il  se  fit  peu  remarquer  dans  cette  célèbre  Assemblée  ; 
il  donna  sa  démission  ^  la  suite  du  décret  du  19  juin  1790  qui  abolissait  la  noblesse, 
et  les  événements  politiques  le  forcèrent  à  émigrer  peu  de  temps  après  ;  il  mourut 
sur  la  terre  étrangère. 

'  Protocole  de  la  municipalUé ,  vol.  u ,  p.  ââ6. 

'  Le  sieur  Kauffmann ,  prévôt  de  Hatzenheim  (canton  de  Benfeld) ,  anit  èlé  élu 
par  le  tiers^état  des  bailliages  de  Golmar  et  de  Scblestad^. 


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LE  TR1BUNA.L  CIVIL  DE  SAVERNE.  481 

Taccës  en  tout  temps  et  que  cette  ville  présentait  à  Timinense  majorité 
des  communes  du  district  moins  d'inconvénients  pour  rétablissement 
d*un  tribunal  que  la  ville  de  Haguenau  sa  rivale  ;  il  termina  en  deman- 
dant que  l'on  devait  s'entendre  avec  le  comité  de  constitution  pour  doter 
Saveme  du  siège  du  tribunal  du  district.  Cette  proposition  fut  aussitôt 
examinée ,  vivement  appuyée  par  Victor  de  Broglie  '  et  adoptée  sans 
opposition.  Le  comité  de  constitution  qui  penchait  pour  la  ville  de 
Haguenau )  céda  au  vœu  unanime  de  la  députation  alsacienne  et  proposa 
à  la  sanction  de  l'Assemblée  nationale  un  projet  de  décret  qui  plaça  le 
siège  du  tribunal  du  district  de  Haguenau  dans  la  ville  de  Saveme.  Ce 
projet  fut  définitivement  adopté  le  23  août  1790. 

La  nouvelle  organisation  judiciaire  dont  la  France  fut  redevable  à 
l'Assemblée  constituante  laissa  la  nomination  des  juges  à  l'élection 
populaire ,  mais  l'élection  était  à  deux  degrés  :  les  citoyens  actifs  nom- 
maient les  électeurs  qui  eux-mêmes  choisissaient  les  magistrats  appelés 
à  rendre  la  justice  ;  le  nombre  des  juges  était  fixé  à  cinq  et  la  durée  de 
leurs  fonctions  était  de  six  années  ;  ils  étaient  tenus  de  résider  dans  la 
ville  où  siégeait  le  tribunal,  leur  traitement  était  de  dix-huit  cents 
livres.  Nul  ne  pouvait  être  juge  s'il  n'était  âgé  de  trente  ans  et  s'il  n'avait 
été  pendant  cinq  ans  juge  ou  homme  de  loi  ayant  exercé  publiquement 
près  d'un  tribunal.  Les  fonctions  de  président  étaient  dévolues  à  celui 
des  juges  qui  avait  obtenu  le  plus  grand  nombre  de  suffrages.  Le  gref- 
fier du  tribunal  était  élu  par  les  juges ,  il  avait  un  traitement  f\\e  de 
six  cents  livres.  Il  n'y  avait  que  l'officier  du  ministère  public  qui  fut 
nommé  directement  par  le  roi  ;  il  portait  le  titre  de  commissaire  du  roi 
et  son  traitement  était  égal  à  celui  des  juges.  Le  nombre  des  juges  sup- 
pléants était  de  quatre;  dont  deux  devaient  être  pris  dans  le  chef-lieu 
judiciaire  du  district.  Les  suppléants  étaient  appelés  selon  l'ordre  de 
leur  nomination  à  rempla<  er  les  juges  dont  les  places  viendraient  à 
vaquer,  soit  par  mort,  soit  par  démission.  Comme  les  juges  de  district 

*  Le  prJDce  Victor  de  Broglie  fut  Dommé  député  aux  états-généraux  de  1789 
par  la  noblesse  des  bailliages  de  Colmar  et  de  Schlestadt  ;  il  voua  ses  services  ï 
la  cause  populaire ,  se  réunit  à  la  minorité  de  son  ordre  et  appuya  tons  les  projets 
de  réforme  et  de  liberté  ;  il  fiit  employé  comme  chef  d'état-magor  dans  Tarmée  du 
Rhin  ;  après  que  le  roi  eût  été  suspendu  de  ses  fonctions  »  il  donna  sa  démission 
et  quitta  Tarmée  ;  il  fut  arrêté  et  traduit  ensuite  au  tribunal  révolutionnaire  qui  le 
condamna  à  mort,  le  37  juin  1794;  il  était  seulement  âgé  de  54  ans  et  bien  digne 
d*an  meUlear  sort. 

3«  Séria.  — 17*  Aanét.  31 


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482  RÉvuÉ:  D'ALSAcne. 

étaient  juges  d^appef  les  xifis  k  regard  dés  aftff^es,  les  septtribunauiles 
plus  voisins  de  Saverne  furent  désignés  comme  tribunaux  auxquels  la 
connaissance  des  appels  était  dévolue  ;  c'étaient  les  tribunaux  de  Sarre- 
bourg  ,  Dieuze ,  Bitsche*,  Wissembourg,  Strasbourg,  Schlestadt*  et 
Golmar.  L'appelant  pouvait  exclure  péremptoirement  trois  de  ces  tribu- 
naux et  il  était  libre  à  Fintimé  de  proposer  une  pareille  exclusion. 

Le  choix  des  électeurs  du  district  de  Haguenau  tomba  sur  les  sienrs 
Joseph-André  Horrer,  André  Feltmesser,  Marie-François  Gérard, 
Nicolas-Joseph  Knœpfler  et  Théodore-Dominique  Donnât  ;  c'étaient 
d'anciens  et  honorables  magistrats  qui  recueillirent  partout  les  témoi- 
gnages de  l'estime  et  du  respect  dont  les  citoyens  étaient  pénétrés  pour 
leur  caractère  ;  le  sieur  Jean-François  Martinez  fut  appelé  à  occuper 
provisoirement  le  siège  du  ministère  public. 

Ce  fut  le  29  décembre  1 790  que  la  municipalité  de  Saverne  procéda 
solennellement  à  l'installation  du  nouveau  tribunal  3«  Introduits  dans 
l'intérieur  du  parquet  de  l'ancienne  salle  d'audience  de  la  régence  de 
révêchéy  les  juges  prêtèrent  devant  le  conseil  général  de  la  commune 
le  serment  d'être  fidèles  à  la  nation,  à  la  loi  et  au  roi  ;  après  cette  céré- 
monie, le  conseil  général  les  installa  et  prononça  au  nom  du  peuple, 
l'engagement  de  porter  au  tribunal  et  à  ses  jugements  le  respect  que 
tout  citoyen  doit  à  la  loi  et  à  ses  organes  ;  il  remit  ensuite  à  chacun 
d'eux  les  patentes  royales  qui  leur  conféraient  la  qualité  de  juge  du 
district  de  Haguenau.  Les  juges  reçurent  ensuite  le  serment  du  com- 
missaire du  roi;  l'ancien  secrétaire  du  conseil  de  la  régence  de 
l'évêché ,  le  sieur  François-Dagobert  Behr^  réunit  en  sa  faveur  leurs 
suffrages,  fut  proclamé  greffier  et  admis  à  fournir  le  cautionnement  que 
la  loi  exigeait  de  lui  ^.  Le  tribunal  s'adjoignit  le  sieur  Jean-Baptiste 
Pardiellan ,  ancien  avocat  au  conseil  de  la  régence  et  lui  confia  les 
fonctions  d'accusateur  public,  chargé  de  l'instruction  des  procès  crimi- 
nels jusqu'à  l'établissement  du  tribunal  criminel  et  de  la  procédure  par 
jurés;  il  lui  était  alloué  une  indemnité  annuelle  de  neuf  cents  livres, 
égale  à  la  moitié  du  traitement  du  commissaire  du  roi. 


*  Les  tribunaux  de  Dieuze  et  de  Bitcbe  ne  sabâistent  plus. 

*  Le  siège  du  tribunal  du  district  de  Benfeld  était  à  Schlestadt. 
'  Registre  de  la  municipalité ,  vol.  in ,  p.  484. 

'  Ce  cantiQnoement  consistait  en  immeubles  d'une  valeur  de  42,000  livres- 


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LE  TRIBUNAL  GiyiL  DE  SAVERNE.  ^^3 

yr\  des  premierst  ré^lUts  de  rétablissement  du  tribunal  du  district 
à  Saverne  fut  d'assurer  Texistence  des  nombreux  pères  de  famille  , 
avocats,  procureurs,  jurisconsultes  et  écrivains  que  cette  ville  renfer- 
mait ,  et  de  les  affranchir  des  soucis  et  des  inquiétudes  dont  ils  étaient 
dévorés ,  depuis  que  la  révolution  était  venue  balayer  les  dicastères  de 
la  principauté  épiscopale  de  Strasbourg. 

Cependaet  la  ville  de  Haguens^u  voyait  d*un  œil  jaloux  les  avantages 
que  le  siège  du  tribunal  du  district  procurait  à  sa  rivale,  elle  renouvela 
des  tentatives  pour  se  réunir  àTadministration  du  district^  elle  s'efforça 
()e  répandre  dans  le  département  les  attaques  les  plus  vives  et  les 
plus  exagérées  contre  l'intégrité  d^  jug€s  et  l'équité  de  leurs  jugements. 
La  calomnie  fut  l'arme  redqutable  au  moyen  dOxlaquelle  elle  'spérait 
aupfUant^r  la  ville  de  Saverne  ;  elle  n'béaita  pfis  à  avancer  que  la  classe 
aristocraliqtie  y  exerçait  une  funeste  influence  sur  les  jugements ,  et  à 
ftccusef  ses  habitants  d'incivisme,  dans  l'espoir  d'insinuer  par  cette 
inculpation  vague  et  calomnieuse  que ,  si  le  siège  du  tribunal  était 
.maintenu  dans  leurs  murs ,  les  délits  contre  la  constitution  resteraient 
impunis.  Hais  ces  calomnies  et  ces  imputations  absurdes  eurent  un 
résultat  diamétralement  opposé  à  celui  que  la  ville  de  Haguenau  en 
avait  attendu ,  elles  consolidèrent  le  jeune  tribunal  ;  la  réputation  sans 
tache  et  Tintégrité  notoire  des  juges  étaient  de  sûrs  garants  que  leurs 
jugements  seraient  toujours  basés  sur  la  justice  et  l'observation  des  lois. 
La  ville  de  Saverne  se  lava  sans  peine  du  reproche  d'incivisme ,  elle 
conserva  le  siège  du  tribunal  que  les  convenances  générales,  l'intérêt 
publie,  la  proximité  de  435  communes  sur  21 3,  qui  composaient  le  dis- 
trict ,  l'érudition  et  le  zèle  infatigable  des  hoiqmes  de  loi  qui  y  rési- 
daient et  le  bien  individuel  des  habitants  avaient  déterminé  l'Assemblée 
nationale  à  placer  dans  ses  murs;  d'ailleurs  les  avantages  qui  pouvaient 
en  résulter  pour  cette  ville,  n'étaient  qu'une  juste  indemnité  des  pertes 
considérables  que  la  révolution  lui  avait  fait  essuyer  i.  Le  commissaire 
du  roi  était  un  homme  modéré  et  franchement  dévoué  à  la  nouvelle 
constitution,  aussi  ne  resta-t-il  que  peu  de  temps  en  fonctions  *  ;  dès  le 
mois  de  novembre  1791,  il  fut  remplacé  par  l'avocat  Pierre  BentaboUe, 


*  Reffistre  de  la  nmnieipalité  de  Saverne ,  vol  v ,  p.  59. 

*  Les  coDcitoyens  du  sieur  Martioez  le  nommèrent ,  le  ^  juin  1799  ,  juge  de 
paix  de  la  première  section  du  canton  de  Sayerne. 


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484  REWE  d' ALSACE. 

qui  professait  les  opinions  les  plus  avancées  ^ .  Tandis  que  le  nouveau 
commissaire  du  roi  rêvait  l'établissement  de  la  république,  les  juges  se 
montraient  les  plus  chauds  partions  de  la  monarchie  ;  aussi  ne  tardèrent- 
ils  pas  à  apprendre  qu'ils  ne  devaient  pas  compter  sur  sa  bienveillance. 
La  mésintelligence  qui  existait  entre  eux  prenait  chaque  fois  un  carac- 
tère plus  hostile  et  l'incompatibilité  entre  eux  venait  se  révéler  à  chaque 
instant,  au  grand  détriment  de  la  justice.  Le  citoyen  Bentabolle  se 
rendit  le  5  avril  1 792  au  club  des  Jacobins  de  Strasbourg ,  ou  il  lut  un 
long  mémoire  contre  l'établissement  du  tribunal  du  district  de  Haguenau 
dans  les  murs  de  Saverne  ;  il  y  dit  que  c'était  le  citoyen  Broglio  qui, 
par  suite  de  considérations  particulières,  avait  fait  6xer  le  siège  du  tri- 
bunal à  Saverne ,  contrairement  au  bien  public  et  à  la  détermination 
qui  avait  été  prise  dans  l'origine  par  \e  comité  de  constitution  pour  le 
placer  à  Haguenau.  L'exaltation  de  ses  opinions  politiques  lui  valut,  en 
juillet  1792  ,  la  place  de  procureur-général-syndic  du  département  du 
Bas-Rhin.  L'accusateur  public,  Jean-Baptiste  Pardiellan,  fut  appelé  aux 
fonctions  de  commissaire  national  près  le  tribunal  civil  de  Saverne;  il 
ne  les  exerça  que  depuis  le  i'^  août  au  30  septembre,  où  il  eut  pour 
successeur  Tun  des  juges  du  tribunal ,  le  citoyen  Théodore-Dominique 
Donnât.  Celui-ci  fut  remplacé  comme  juge  par  le  premier  juge  sup- 
pléant, le  citoyen  Félix-Louis  Ârth  ,  et  remplit  ses  nouvelles  fonctions 
avec  autant  de  sagesse  que  de  modération. 

A  peine  constituée,  la  Convention  nationale  déclara  que  le  choix  des 
électeurs  pour  les  emplois  judiciaires  pouvait  être  porté  sur  tous  les 
citoyens  indistinctement  et  que  l'obligation  de  ne  choisir  les  juges  que 
parmi  les  hommes  de  loi  était  abolie;  un  décret  du  19  octobre  1792 
ordonna  le  renouvellement  des  tribunaux  civils.  Les  résultats  des  élec- 
tions faites  vers  la  fin  du  mois  de  novembre  suivant,  en  conformité  à  ce 
décrit ,  ne  furent  pas  également  heureux  pour  le  district  de  Haguenau. 
Si  le  choix  des  électeurs  se  fixa  sur  d'anciens  magistrats,  il  tomba  aussi 
sur  des  citoyens  qui  étaient  plus  connus  par  leur  ardent  patriotisme  et 


*  Pierre  Bentabolle ,  ayant  été  nommé  député  à  la  convention  nationale  par  le 
Bas-Rbin ,  se  monUra  Ton  des  plus  fongueux  démagogues  ;  il  vota  la  mort  du  roi , 
se  prononça  avec  rigueur  contre  les  Girondins ,  puis  contre  Robespierre  qu'il  bais- 
sait depuis  la  mort  de  son  ami  Danton.  Devenu ,  en  1795,  membre  du  Conseil  des 
Cinq-Cents,  il  resta  fidèle  à  ses  nouveUes  idées  de  modération  et  à  ses  principes 
républicains  ;  il  mourut  è  Paris,  le  i2  avril  1798. 


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LE  TRIBUNAL  CIVIL   DE   SAYERNE.  485 

leur  énergie  républicaine  que  par  leurs  connaissances  juridiques.  Les 
citoyens  qui  réunirent  les  suffrages  des  électeurs  furent  :  Jean-Baptiste 
Rubin,  commissaire  municipal  à  Saverne  >,  François-Joseph  Pettmesser, 
ci-devant  juge  de  paix  à  la  Wantzenau,  Joseph  Ebener,  brasseur  à 
Saverne,  Marie-François  Gérard,  ci-devant  juge  et  Ignace  Hauswald ,  de 
Strasbourg ,  commissaire  municipal  à  Saverne.  Le  citoyen  Théodore- 
Dominique  Donnât  fut  nommé  commissaire  national  par  la  majorité  des 
électeurs  ;  le  citoyen  Behr  réunit  aussi  en  sa  faveur  la  majorité  des  suf- 
frages et  resta  attaché  au  tribunal  comme  greffier. 

Le  4  janvier  1793,  «  sur  l'invitation  faite  au  conseil  général  de 
«  Saverne  par  le  citoyen  Donnât,  commissaire  du  pouvoir  exécutif  près 
c  du  tribunal  en  cette  ville,  pour  être  procédé  à  Tinstallation  des  juges 
c  nommés  par  le  corps  électoral  à  la  fin  du  mois  de  novembre  dernier, 

<  et  sur  le  jour  convenu  avec  le  citoyen  maire,  le  conseil  général  s'est 
€  assemblé  à  la  maison  commune  et  s'est  rendu  à  neuf  heures  du  matin 
c  à  la  salle  d'audience  dudit  tribunal ,  où  après  avoir  pris  séance  et  fait 
c  avertir  de  sa  présence  les  juges  nouvellement  élus  et  assemblés  dans 

<  la  salle  des  rapports ,  les  citoyens  Rubin ,  Pettmesser,  Ebener  et 
c  Gérard  sont  entrés  dans  la  salle  d'audience ,  et  se  tenant  debout  en 
«  costume  dans  l'intérieur  du  parquet ,  ils  ont  prêté  le  serment  pres- 
«  crit  par  la  loi ,  en  présence  dudit  conseil  général  qui  s'est  de  suite 
«  retiré*.  » 

Le  4  février  suivant,  le  conseil  général  de  Saverne  se  rendit  au  pré- 
toire du  tribunal  et  après  avoir  pris  séance  à  la  salle  d'audience ,  il 
procéda  à  l'installation  du  citoyen  Hauswald ,  cinquième  juge  et  des 
suppléants  ^. 

La  chute  de  Robespierre  amena  une  modification  dans  le  personnel 
du  tribunal.  Les  éléments  hétérogènes  dont  il  était  composé,  avaient 


'  La  manicipaUlé  de  Saverne  ajant  été  suspendue  par  arrêté  du  département , 
du  29  août  1792 ,  avait  été  obligée  de  céder  ki  place  à  une  commisiion  munici- 
pale ,  à  la  tête  de  laquelle  se  trouvait  le  citoyen  Robin ,  de  Strasbourg  ;  cette 
commission  cessa  ses  fonctions  le  12  décembre  suivant,  où  une  nouvelle  munici- 
palité élue  fut  installée  ;  celle-ci  fut  suspendue  par  arrêté  du  département ,  en 
date  du  20  février  1793 ,  et  le  surlendemain  une  municipalité  provisoire  fut 
nommée  et  iostallée  par  le  citoyen  Louis  Edelmann  ,  qui  avait  été  nommé  com- 
missaire à  cet  effet. 

*  Registre  de  la  municipalité ,  vol.  vi ,  p.  503. 

'  Ibid. ,  p.  585. 


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486  REVUE  D* ALSACE. 

transformé  le  sanctuaire  de  la  justice  en  une  sorte  d*arèn<>  politique,  où 
les  opinions  et  les  passions  du  moment  créaient  une  foule  d'embarras 
préjudiciables  aux  intérêts  des  justiciables.  Le  représentant  du  peuple 
Foussedoire,  que  la  Convention  nationale  avait  été  envoyé  en  mission  dans 
les  départements  du  Haut  et  du  Bas-Rbin ,  se  rendit  le  5  brumaire  de 
Tan  m  à  Saverne,  pour  procéder  à  l'épuration  des  autorités  eobstiluées, 
et  après^  avoir  <  consulté  le  peuple  et  la  société  populaire  sur  chacun 
des  individus  en  place  ou  proposés  en  remplacement,  i  il  maintint  dans 
le  tribunal  les  citoyens  Ebener  et  Hauswald,  ainsi  que  tes  citoyens  Jean- 
Baptiste  Pardiellan  et  Arsène  Didier,  qui  de  juges  suppléants  étaient 
devenus  juges  effectifs,  et  leur  adjoignit  un  nouveau  collègue,  lé  citoyen 
Dominique  Piva,  ancien  procureur.  Le  commissaire  national  fut  révoqué 
et  remplacé  par  le  citoyen  François-Joseph  Schœn ,  ancieb  magistrat  ; 
quatre  nouveaux  juges  suppléants  complétèrent  le  tribunal.  Dès  le  sur- 
lendemain^ l'installation  des  citoyens  nouvellement  nommés  eut  lieu  de 
la  manière  accoutumée. 

Cette  épuration,  qui  n'avait  pas  un  car)àctùre  trop  contre-révolution- 
naire, fut  loin  de  satisfaire  le  parti  modéré  ;  aussi,  lorsque  peu  de  temps 
après,  le  représentant  du  peuple  Bailly  vint  dans  le  département  chargé 
de  la  mission  d'épurer  les  municipalités  et  les  administrations ,  s'em- 
pressa-t-il  de  lui  $ignaler  les  fonctionnaires  démocrates  qu'il  fallait 
remplacer  par  des  créatures  appartenant  au  parti  qui  avait  triomphé  en 
thermidor.  Bailly  se  rendit  à  leurs  désirs  et  prit  le  iO  pluviôse  un 
arrêté  par  lequel  il  nomma  le  citoyen  Neumann ,  membre  du  directoire 
du  district  de  Haguenan ,  «  commissaire  à  Feffel  de  recevoir  le  vœu  des 
a  citoyens  de  Saverne  sur  les  individus  désignés  pour  remplir  les  places 
«  des  autorités  constituées ,  et  dans  le  cas  où  quelques-uns  ne  réuni- 
a  raient  pas  la  confiance,  d'inviter  le  peuple  assemblé  à  indiquer  les 
a  citoyens  qu'il  croirait  les  plus  dignes  des  susdites  fonctions.  > 

Le  surlendemain  le  commissaire  se  rendit  à  Saverne,  réunit  les 
citoyens  de  la  ville  et  les  invita  à  exprimer  leurs  sentiments  sur  les 
divers  fonctionnaires.  Le  résultat  de  cette  réunion  fut  de  modifier  le 
tribunal  ;  on  en  élimina  les  citoyens  Ebener  et  Piva,  et  on  les  remplaça 
par  André  Petlmesser,  ancien  juge  et  François-Dagobert  Behr  ;  il  fut 
décidé  en  outre  que  les  fonctions  de  greffier  que  celui-ci  avait  remplies 
jusqu'ici  seraient  données  au  citoyen  Jean-Baptiste  KnœpiBer,  que  le 
citoyen  Arsène  Didier,  remplacerait  comme  commissaire  na(sonal  le 
citoyen  Schœn  et  que  celui-ci  serait  nommé  juge  au  lieu  et  pTace  du 


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LE  TRIBtWAL  CIVJL  .PE  SÀVERNE.  487 

citoyen  Didier.  Un  {urooës-verbftl  de  ces  diverses  propositions  fui  redisse 
et  transmis  au  représentant  du  peuple  Ballly,  qui  s*enipressa  de  les 
approuver  et  de  les  ratifier. 

La  constitution  de  Tan  111  ne  laissa  subsister  qu^un  tribunal  civil  par 
département  ;  un  tribunal  de  police  correctionnelle  Tut  établi  à  Saverne 
par  le  décret  que  rendit  la  Conveation  nationale ,  le  19  vendémiaire  de 
Fan  IV  (11  octobre  1795)»  sur  la  division  du  territoire  de  la  France,  le 
placement  et  Torganisation  des  autorités  administratives  et  judiciaires. 
Sa  juridiction  comprenait  les  cantons  de  Bischwiller,  Bouxwiller,  Bru- 
matb,  Diemeringen,  i)rulingen,  FortrYauban,  Haguenau  intra  et  extra- 
muros ,  Harskirchen ,  Hochfelden ,  Marmoutier,  Saar-Union ,  Saverne , 
Truchtersheim  et  Woliskirchen.  Il  était  composé  d'un  président  qui 
était  pris  tous  les  six  mois  parmi  les  Juges  du  tribunal  civil ,  de  deux 
jqges  de  paix  ou  assesseurs  déjuges  de  paix,  d'un  commissaire  du  pou- 
voir.exécutif  et  d'un  greffier.  Le  président  faisait  en  même  .temps  les 
fonctions  du  directeur  du  jury  d'accusation  en  matière  de  délits  empor- 
tant peine  alHictive  ou  infamante.  Les  juges  de  paix  ou  assesseurs  de 
juges  de  paix  devaient  être  de  la  commune  où  le  tribunal  était  établi.  Le 
greffier  était  noipmé  et  révocable  par  le  tribunal.  Les  fonctions  de  com- 
missaire du  pouvoir  exécutif  furent  conférées  au  citoyen  Piva  et  le 
citoyen  Jcan-André-Clément  Knœpffler,  fut  appelé  aux  fonctions  de 
^effier. 

Un  tribunal  de  police  correctionnelle  ayant  été  établi  à  Saar-Union 
en  exéculion  de  la  loi  du  7  ventôse  de  Tan  VU  (25  février  1799) ,  on 
détacha  pour  le  former  les  cantons  de  Saar-Union,  Harskirchen,  Wolfs- 
kirchen  ,  Diemeringen  et  Drulingen  de  l'arrondissement  judiciaire  de 
Saverne,  et  le  canton  de  la  Petite-Pierre  de  l'arrondissement  judiciaire 
de  Wissembourg.  L'installation  de  ce  tribunal  eut  lieu  le  29  ventôse 
(19  mars  suivant). 

La  ville  de  Saverne  fut  élevée  au  rang  de  chef-lieu  d'arrondissement, 
siège  d'une  sous-préfecture,  par  la  loi  du  17  ventôse  de  l'an  VIII 
(8  mars  1800).  Le  siège  du  tribunal  civil  de  première  instance  fut 
établi  dans  ses  murs  ;  sa  circonscription  s'étendait  sur  les  cantons  de 
Saar-Union,  Drulingen,  la  Petite-Pierre,  Bouxwiller,  Hochfelden ,  Mar- 
moutier  et  Saverne  et  les  cantons  de  Diemeringen ,  Harskirchen 
Wolfskircben  et  Ingwiller,  qui  furent  supprimés  depuis  et  réunis  aux 
autres  cantons  de  l'arrondissement. 

La  ville  de  Bouxwiller,  ancien  chef-lieu  des  possessions  des  land- 


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488  REYUE  D' ALSACE. 

graves  de'Hesse-Darmstadt,  avait  sollicité  l'établissement  dans  ses  murs 
du  iribunal  civil  de  l'arrondissement  de  Saverne^  tant  pour  lui  con- 
server l'influence  que  lui  avait  acquise  le  siège  des  dicastères  de  soi 
princes,  que  pour  établir  une  juste  réciprocité  d'avantages  entre  elle  et 
le  chef-lieu  de  la  sous-préfecture  ;[mais  toutes  ses  sollicitations ,  toutes 
ses  démarches  ne  purent  déterminer  le  gouvernement  à  détacher  le 
siège  du  tribunal  du  chef-lieu  de  l'arrondissement.  La  situation  géogra- 
phique de  Saveme  sur  la  route  de  Paris ,  plusieui^  grandes  routes  qui 
y  aboutissent',  les  facilités  heureuses  que  cette  ville  présente  pour  les 
communications ,  l'existence  dans  son  enceinte  du  palais  de  l'ancienne 
régence  de  l'évéché  de  Strasbourg,  qui  ajété  de  tout  temps  approprié  et 
consacré  à  l'usage  d'un' tribunal  et  d'une'^maison'  d'arrêt  et  entretenu  à 
cet  effet  par  le  département  y[  le  grand  [nombre  de  citoyens  et  de  pères 
de  famille ,  hommes  de  loi  d'une  probité  reconnue  que  celte  ville  ren- 
fermait, et  qui,  par  l'éducation  et  .l'instruction  qu'ils  avaient  reçues, 
s'étaient  voués  à  la  défense  des  droits  et  des  propriétés ,  et  à  la  protec- 
tion de  l'opprimé  et  étaient  à  même  de  servir  utilement  le  public;  telles 
étaient  les  considérations  générales  qui  déterminèrent  le  gouvernement 
consulaire  à  placer  et  à  maintenir  le  siège  du  tribunal  à  Saverne  et  à  y 
établir  la  sous-préfecture.  Bouxwiller  qui  ne  pouvait  offrir  au  gouver- 
nement tous  ces  avantages  et  dont  les  démarches  n'avaient  pour  but 
qu'un  intérêt  particulier,  succomba  dans  sa  lutte  avec  Saverne,  Tandis 
que  cette  ville  se  félicitait  d'avoir  été  préservée  d'une  ruine  presque 
certaine ,  celle  de  Bouxwiller  épia  l'occasion  de  renouveler  ses  préten- 
tions. Encouragée  par  M.  Shéé,  préfet  du  département,  elle  réclama  eo 
1806  la  translation  dans  son  enceinte  de  la  sous- préfecture  ou  du  tri- 
bunal defpremière  instance  de  l'arrondissement  de  Saverne,  en  s'effor- 
çant  de  démontrer  que  les  pertes  que  la  révolution  lui  avait  fait 
éprouver,  lui  donnaient  droit  à  une  juste  compensation.  Mais  la  ville  de 
Saverne  démontra  jusqu'à  l'évidence  que  la  demande  de  Bouxvriller, 
inspirée  par  un  intérêt  privé ,  était  coniraire^.à  l'intérêt  de  l'Etat  et  au 
bien  générai  de  l'arrondissement. 

Les  pertes  de  Bouxwiller,  disaient  les  représentants  de  Saverne ,  ne 
pouvaient  être  mises  en  parallèle  avec  celles  que  Saveme  avait  essuyées. 
Bouxwiller  avait  à  la  vérité  un  château  où  résidaient  quelques  fuis  les 
princes  de  Hesse-Darmstadt ,  qui  y  avaient  une  régence,  une  chambre 
des  comptes  et  une  cour  féodale;  mais  la  résidence  habituelle  de  ces 
princes  était  la  ville  de^Pirmasens,  à  laquelle  ils  avaient  voué  toute  leur 


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LE  TRIBUNAL  CIVIL  DE  SAVERNE.  489 

sollicitude.  Saverne  était  depuis  un  siècle  Tapanage  et  la  résidence  des 
cardinaux  de  Rohan ,  dont  le  luxe  et  l'opulence ,  connus  de  toute  la 
France,  répandaient  tous  les  ans  parmi  ses  habitants  plus  de  trois  cent 
mille  francs  ;  cette  ville  était  encore,  pendant  le  séjour  de  ces  princes, 
le  rendez-vous  de  toute  la  noblesse  d'Alsace  et  le  lieu  de  réunion  du 
grand-chapitre  de  Strasbourg;  elle  était  le  siège  de  la  régence  de 
révèché  ,  d'une  chambre  des  comptes  et  d'une  chambre  féodale  ;  il  y 
avait,  outre  le  vice-dôme  de  l'évéché,  le  vice-chancelier,  le  procureur- 
général,  ses  substituts  et  les  conseillers,  une  foule  de  jurisconsultes  et 
d'employés  jouissant  tous  d'une  honnête  aisance  et  alimentant  l'indu- 
strie de  leurs  concitoyens.  Saverne  avait  encore  un  chapitre  riche,  une 
maison  d'éducation  pour  quatre-vingts  demoiselles  et  une  école  latine. 
Tous  ces  établissements,  qui  y  attiraient  un  nombre  infini  d'étrangers , 
ont  été  anéantis  par  la  révolution.  L'Assemblée  nationale  avait  déjà 
reconnu  que  Saverne  méritait  des  égards  particuliers  et  que  sa  situation 
géographique,  qui  pouvait  lui  servir  à  réparer  ses  pertes,  présentait  en 
même  temps  des  avantages  pour  le  public ,  qu'il  n'y  avait  rien  à  créer  et 
que  cette  ville  pouvait  tirer  un  parti  précieux  pour  les  habitants  de  l'ar- 
rondissement, des  anciens  hommes  de  loi  et  fonctionnaires  attachés  aux 
autorités  abolies  par  la  révolution ,  tous  également  versés  dans  la  con- 
naissance des  lois  et  de  la  jurisprudence,  tandis  que  tous  les  employés 
de  Bouxwiller  ont  suivi  leur  prince  à  l'étranger;  d'ailleurs  la  justice  y 
était  toujours  rendue  en  langue  allemande  et  toutes  les  formes  de  la  jus- 
tice française  y  étaient  aussi  ignorées  que  dans  le  cœur  de  l'Allemagne. 

L'empereur  Napoléon  à  son  passage  par  Saverne ,  en  1805  *,  a  lui- 
même  apprécié  les  avantages  que  présentait  Saverne  par  sa  position 
géographique  pour  le  siège  des  autorités  ;  il  a  dit,  du  ton  le  plus  gracieux, 
au  maire  et  à  la  députation  des  citoyens  qui  étaient  venus  pour  lui  pré- 
senter leurs  hommages  d'admiration  et  de  fidélité:  c  je  sais  que 
c  Saverne  a  fait  de  grandes  pertes,  mais  je  les  réparerai.  >  Ces  paroles 
précieuses  qui  ont  cicatrisé  toutes  les  plaies ,  devaient  garantir  la  ville 
de  Saverne  des  nouveaux  malheurs  dont  elle  se  voyait  menacée. 

Les  représentants  de  Saverne  ne  pouvaient  nier  que  cette  ville  ne  se 
trouve  pas  absolument  au  centre  topograpbique  de  l'arrondissement, 

'  NapoléoD  {"  ne  fit  que  traverser  Safeme  avec  Timpératrice  Joséphine ,  le  26 
septembre  ;  U  y  fut  reçu  au  milieu  des  acclamations  les  plus  vives  ;  il  se  rendit  à 
Strasbourg,  suivi  des  hommages  des  Savernois,  qui  regrettaient  de  n'avoir  pas 
pu  le  posséder  plus  longtemps  au  milieu  d'eux. 


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44d  REVUE  D' ALSACE. 

€  mais,  disaient-ils,  Bouxwiller  s'y  trouve  encore  moins  ;  de  165  com- 
(L  oHuies  éL  de  80,000  habitante  que  contient  Tarrondissemeat  de 
ft  Saverne,  100  communes  au  moins  et  53^000  habitants  sont  plus 
((  rapprochés  de  Saverne  que  de  Bouxwiller.  Saverne  présente  en  tout 
4  temps  à  tous  les  habitants  de  l'arrondissement  un  accès  facile  ;  les 
«  routes  de  Holsheim ,  de  Strasbourg  et  de  Haguenau ,  les  chemins  de 
«  BouxwiUer  et  de  Neuwiller  s'y  réunissent  d'un  côté,  et  de  l'autre,  les 
((  routes  de  Nancy,  de  Metz  et  de  Saar-Unian  ;  il  en  coûterait  au  gou- 
<ji  vernement  des  sommes  immenses  pour  établir  une  communication 
n  aussi  facile  avec  Bouxwiller,  pour  convertir  ses  voies  publiques  ,  ses 
«  chemins  vicinaux  qui,  la  plupart  du  temps,  celui  de  Saverne  excepté, 
^  ne  peuvent  être  fréquentés.  » 

Telles  furent  les  justes  remontrances  que  Saverae  crut  davoirfaire  au 
gouvernemetit>et  ces  remontrances  bsdancàrent  l'influence  de  M.  Shée, 
préfet  du  dé-pertement  du  Bas-Rhin,  qui  penchait  «n  faveur  de  la  traos- 
latien  du  chef-^lieu  d'arrondissement  dans  l'anctenae  résidence  des 
princes  de  Hesse*Darmstadt ,  et  firent  rejeter  à  tout  jamais  la  demande 
de  Bouxwiller,  \m  ne  tendait  rien  moins  qu'à  compromettre  l'exiateoce 
•politique  de  Saverne  et  à  anéantir  sa  prospérité. 

^Le  tribunal  civil  de  première  instance  de  Saverne,  dont  les  appels  se 
portent  devant  la  cour  impériale  de  Colmar,  est  rangé  dans  la  sixième 
ou  dernière  classe  ;  il  n'était  composé  dans  l'origine  que  d'un  président, 
de  deux  juges,  de  deux  suppléants,  d'un  commissaire  du  gouvernement, 
de  son  substitut ,  d'un  greffier  et  d'un  commis-greffier.  En  1804,  le 
commissaire  prit  le  titre  de  procureur  impérial.  La  loi  du  18  août  1810 
porta  le  nombre  des  juges  suppléants  à  trois.  Comme  il  était  impossible 
à  trois  magistrats  de  suffire  à  la  masse  des  affaires  qui  étaient  pendantes 
devant  le  tribunal,  sans  que  radministralion  de  la  justice  éprouvât  des 
retards,  le  gouvernement  reconnut  la  nécessité  d'en  augmenter  le  per- 
sonnel, et  en  .1838,  le  nombre  .des  juges  fut  porté  à  trois. 

Le  tribunal  civil  de  l'arrondissement  de  Saverne  a,  depuis  son  instal- 
lation en  1800 ,  poursuivi  sa  laborieuse  carrière  sans  interruption , 
même  dans  les  années  néfastes  (i  814-181 5),  où  le  sol  de  la  France  était 
souillé  par  l'étranger  ;  en  1814  ,  il  rendit  la  justice  au  nom  de  l'empe- 
reur Napoléon,  jusqu'à  ce  que  les  funestes  événements  d'avril,  c'est-à- 
dire  la  déchéance  du  chef  de  l'Etat  et  l'installation  du  gouvernement 
provisoire  lui  fussent  connus,  sans  que  l'ennemi  y  mît  aucune  entrave. 

Dagobërt  Fischer. 


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HISTOIRE  D£  LA  VILLE  DE  SOULTZ. 


—  Suite  *.  — 

EDIFICES  Religieux  de  soultz. 

CHAPELLE  DE  SALNT-PIERRE.    (CELLA  S.   PETRI.) 

Du  temps  tte  ColofVibe ,  qui  éteiit  dbbé  d'Eberstmitister,  sow  te 
règne  de  Pepfn ,  vivail  un  prêtre ,  nommé  (fin ,  qui  bàtil  à  Svitz , 
près  de  la  poirte ,  réglîse  de  Saint*Pierre.  Eectesiam ,  que  eélla  BtHMii 
t^etri  iicUfùr,  dltTauteur  de  la  chronique  d*&berstmûnâ(er ;  il  ajoute, 
que  cette  égKsefut  consacrée  par  Saint-^Pirmin  ,  abbé  de  Reiohenau  . 
lequel  vint  se  rétirer  en  Alsace  en  Tan  727  *. 

'En  818 y  Louis-^le^Débounaire  '  parie  aussi,  dans  un  diplônte,  de 
ce  cette  chapelle  située  dans  la  cour  de  la. porte;  en  1022, le 4  jaftviar , 
rempereur  Henri  la  mentionne  également  et  enfin  ^  après  1224, 
TaUbalye  d'Ebersmûnsteî  ▼endît  pour  cent  mares ,  la  chapelle  de  Suitz 
et  la  eour  qui  l'entourait  ^. 

Ce  petit  temple  était  «âtué  dans  la  cour  près  de  la  porte ,  mais  de 
quel  <^t6  se  trouvait  cette  cour?  Il  y  avait  à  Sultz  une  cour  éfemtnîcaie, 
^eigneurûAe  qui  n^était  pas  la  mèm«  que.la  0O(irpr4<  de  \apofie\  la 
cour  dominicale,,  d'après  nos  recherches ,  existait  là  eu  s'éleva  plus 
tard  la  commaiiderîe  (S.  hhanser^hof) ,  et  la  cour  pf es  de i la  porte 
fut  appelée  plus  tard  le  Capellhof,  la  cour  de  la  chapelle.  C'est  donc 

'^  Voir  les  Kvraidonas  de  novembre  et  décembre  1861  ,  pages  499  et  989 ,  mars 
1862,  page  135,  novembre  1863,  page  496,  mai ,  jnin  etaofti  1866,  p.  249, 
297  et  395. 

'  Notice  sur  Ober-Sul% ,  par  le  docteur  Héglin  ,  page  9.  —  Grandidier  ,  Histoire 
de  Véglise  de  Strasbourg ,  tom.  i.  p.  66. 

'  MéGLiN  ,  p.  10.  Curtis  porte  mm  omni  dedma  Sulice  terra.  Capella  etiam  que 
cella  S.  Pétri  dicitur  in  suprà  dictûm  curtum  parte  ewn  omnibus  ad  se  pertinen- 
tibus  pertinet,  et  GitAifDtDiER ,  tome  ii ,  page  CLin. 

'  HÉGLiN  ,  page  ih. 


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492  REVUE  d' ALSACE. 

dans  le  quartier  de  la  ville  appelé  la  cappel ,  qu'il  faut  chercher  rem- 
placement de  la  chapelle  d'Irin.  Or,  ce  quartier  touche  à  la  porte  de 
Bollwiller,  et  aux  remparts;  les  vestiges  du  Capelihof  s'y  voient  encore, 
c'est  le  quartier  le  plus  ancien  de  Soultz ,  et  la  maison  n®  42  de  la  rue 
dite  du  temple ,  porte  actuellement  encore  le  nom  de  Heidentempel , 
temple  des  païens.  Ce  nom  d'où  vient-il  ?  A  force  de  recherches  et  de 
comparaison  nous  sommes  conduits  à  penser  qu'un  temple  païen 
existait  en  ces  lieux  à  l'époque  romaine ,  et  même  après  l'invasion  des 
barbares  *  ;  que  ce  temple  fut  renversé  par  le  prêtre  Irin ,  qui ,  pour 
christianiser  ^  les  lieux,  y  éleva  la  chapelle  de  Saint-Pierre ,  que  plus 
tard  ,  par  suites  de  dons  el  de  largesses ,  cette  chapelle  augmentant 
ses  richesses ,  s'appropria  une  cour  spacieuse,  agricole ,  une  véritable 
cour  colongère  —  Cette  cour  fut  vendue  après  1200  probablement 
à  révêque  de  Strasbourg ,  qui  la  donna  en  fief  en  1208  à  Frédéric  II  y 
comte  de  Ferrette,  lequel  la  céda  en  1210,  aux  moines  du  Lieu- 
Croissant  ,  qui  conservèrent  ce  domaine  jusqu'après  1550.  Dans  le 
courant  de  ce  siècle,  on  la  retrouve  incorporée  dans  les  biens  de 
l'évêque  de  Bâle  ,  qui  en  resta  propriétaire  jusqu'à  la  révolution. 

Feu  le  docteur  Méglin  pensait  que  la  chapelle  de  Saint^Pierre  se 
trouvait  dans  la  cour  de  la  commanderie  de  Malte  (page  10,  note  3). 
C'est  là  une  grave  erreur.  La  chapelle  d'Irin  se  trouvait  dans  la  cour 
de  la  porte  et  non  dans  la  cour  dominicale;  l'évêque  de  Baie  n'a 
jamais  rien  possédé  du  côté  de  la  cour  dominicale  (cour  de  la  com- 
manderie ou  cour  de  Saint-Jean ,  porte  de  Guebwiller).  M.  le  docteur, 
à  la  page  14  de  sa  notice  ,  dit  que  cette  chapelle  et  ses  biens  consti- 
tuaient le  domaine  que  possédait  autrefois  à  Soultz  l'évêque  de  Bàle  ; 
mais  il  est  à  la  connaissance  de  tout  Soulzien,  que  l'intendant  de 
révêché  de  Bàle  résidait  au  Capellhof  et  non  à  Saint- Jean. 


*  La  voie  romaine ,  venant  de  Gernay  et  que  M.  de  Golbéry  a  signalée ,  passait 
par  Soultz  -,  d'un  autre  côté  la  présence  de  la  villa  du  Schimmelrain  et  celle  de  la 
tour  d'observation  de  Saint-Georges  ,  tour  probablement  construite  vers  Tan  30 0 
après  le  Christ ,  nous  portent  à  croire  à  un  établissement  romain  à  Soultz  ;  un 
temple  païen  a  donc  pu  y  exister.  Ce  n'est  pas  là  sans  doute  une  certitude ,  mais 
une  probabilité  qui  a  sa  valeur. 

*  Saint  Augustin  et  beaucoup  de  Pères  d'église  ont  conseillé  aux  prêtres  de 
conserver  l'emplacement  des  temples  païens ,  et  de  christianiser  les  lieux  que  U 
foule  était  accoutumée  de  fréquenter. 


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HISTOIRE  DE  LA  VILLE  DE  SOULTZ.  493 

Autre  erreur  de  Héglin  :  c  D  y  eut  à  Sultz ,  dit-il ,  près  de  la  porte 
de  Gebwiller,  une  maison  de  chevaliers  du  s.  sépulcre,  autrement  dits 
Templiers  ;  ces  chevaliers  s'établirent  probablement  à  Sultz,  comme 
dans  le  reste  de  l'Alsace,  vers  Tan  1260.  (Woogs-Ehàssiche  Schath 
bûhne  p.  239).  Lors  de  leur  fatale  catastrophe  (1312),  leurs  possessions 
furent  données  en  France  à  Tordre  de  Malte  ;  de  là  Torigine  de  la 
commanderie  de  Soultz.  » 

Si  des  Templiers  avaient  existé  à  Soultz  en  13i2  ,  les  chevaliers  de 
Malte  n*auraient  pu  leur  succéder  qu'après  cette  époque;  déjà  en  1287, 
Jacques  de  Neufchàtel  était  commandeur  de  Saint-Jean  dans  cette 
localité,  le  baron  de  Mulheim  en  1300,  et  Rodolphe  de  Massevaux 
en  1311  \ 

NOUVELLE  CHAPELLE  OFTE  DE  LA  VIERGE. 

En  Fan  1253 ,  Bertholde  de  Ferrctte ,  évêque  de  Bàle ,  permet  aux 
religieux  du  Lieu-Croissant  de  fonder  une  chapelle  dans  la  ville  de 
Soultz  et  en  1254,  il  consacra  cettp  chapelle  en  Thonneur  de  la  Vierge. 
En  1255,  le  même  évéque  permit  à  ces  religieux  d'adjoindre  un 
cimetière  à  la  chapelle. 

Le  temple  d'Irin,  sans  doute,  avait  disparu.  En  effet,  en  1255, 
le  30  mars,  Pierre,  légat  apostolique,  accorde  une  indulgence  de 
quarante  jours  aux  fidèles  qui  aideront  de  leurs  aumônes  Tabbaye  du 
Lieu-Croissant  à  rebâtir  une  chapelle  à  Soultz  ' ,  dans  le  diocèse  de 
Bàle.  Rebâtir  inciperent  œdificare  de  novo,  tel  est  le  texte,  rebâtir 
de  nouveau  ,  la  lumière  se  fait  ici  ;  Thistorien  fait  allusion  à  l'antique 
chapelle  d'Irin  située  près  de  la  porte ,  que  les  Citerciens  voulurent 
remplacer;  ils  réussirent,  et  accumulèrent  par  là  une  immense 
fortune. 

Nous  ignorons  à  qu'elle  époque  (probablement  après  le  xiv  siècle) 
cette  chapelle  fut  remplacée  par  une  église  fort  belle  et  très-spacieuse , 
succursale  de  Saint-Maurice,  et  placée  sous  le  patronage  des  trois  rois. 
Ce  temple,  qui  a  disparu  au  18*  siècle ,  avait  un  maltre-autel ,  deux 
autels  latéraux,  une  nef  et  deux  bas-côtés  avec  voûtes  ogivales,  des 

*  Cartulaire  de  la  commanderie  en  ma  possession  ,  page  3  i  3  et  suivantes. 

*  Trouillat  ,  Monuments  de  l'évéehé  de  Bàle  ,  tom.  i ,  p.  596 ,  et  Schobpflin  , 
tom.  IV ,  p.  i08. 


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niÉra»  colonés  repréaentmrt  ies  ovjels  4e  la  ^Ma  «  das  évMvia«  fiV  du 
nMityiologe.  Le  btliaient  était  snroiooté  d'une  loue  qu9dra«c^l9Îc• 
portant  deux  cloohes.  Déjà  bien  avant  1789  ^  il  n'existait  plu^  que  la 
pefte  dn  ehœur.  Le  couvent ,  qui  jadis  en  dépendait  y  était  occiipé.  par 
des  moines  citerciens  qui  relevaient  de  l'abbaye  du  Ueu-Çroissaat  ^ 

CITATIONS  HISTORIQUES. 

a  Fpédérie  II ,  comte  de  Ferrette .  donne  à  l'abbaye  du  Uea^CpoU* 
saot ,  penr  oompenser  les  dommages  qu'il  lui  a  causés,  un  fief  sis  sur 
le  territonre  de  Soulla,  en  Alsaoe.  (1210.  Trouillal,  t,  i,  p.  45&) 

Par  cette  donation ,  les  moines  de  cette  abbaye  devinrent  propriéteires 
du  Gapellhof  et  de  l'Ollwillerhof  ;  ils  vendirent  ce  dernier  aux  Waldner , 
en  1260,  cette  dernière  eonsawaat  pcéckieusement  le  domaine  de  la 
chapelle,  qui,  à  cette  époque  probablement,  gisaît  en  ruines. 

b  Ulric  comte  de  Ferrette  (eomes  Phirre^fisis)  confirme  i  l'abbaye 
du  Lieu-Croissant  la  donation  faite  (par  son  père  Frédéric ,  d'un  fief 
sis  à  Olhi'iHer  (Curia  sua  de  OHewihr.  1349.)  Treuillat ,  p.  591  1. 1. 

c  Bertholde  de  Ferrette ,  évéqne  de  Bftle ,  permet  aux  religieux  du 
Lieu-Croissant  de  fonder  une  chapelle  dans  la  vilk  de  Sulxa.  1263. 
Trouillat ,  t.  i ,  p.  596. 

d  Procès-verbal  de  consécration  d'une  chapelle  fondée  àSouMa,  en 
Alsace .  dépendant  de  l'abbaye  du  Lieu-Croissaot.  {Looi  cresceniis 
dsterciensis  ordinis  Bimntinensisdi&eem)^  par  BerthoMe  de  Ferrette, 
évéque  deBâle.  1254,  le  19  juillet.  Tr. ,  t.  i ,  p.  605. 

e  Guillaume ,  archevêque  de  Besançon ,  confirme  l'autorisation 
accordée  par  Bertholde  de  Ferrette  à  raUmyo  du  Lieu-Croissapt  de 
fonder  une  chapelle  à  Senllz.  1254.  Tr. ,  p.  i ,  p.  616. 

f  Bertholde ,  évëque  de  Bâle ,  donne  à  Tabba^e  du  Lieu-CraîssMit 
l'autorisation  d^établir  un  cimetière  dépendant  de  la  chapeUe,  que 
cette  abbaye  possédait  à  Soultz ,  en  Aisace ,  90  mars  1955.  Tr. ,  1. 1 , 
p.  618. 

g^  Pierre,  légat  apostolique  confirme  cette  auterisation.  1255, 30 mars. 
Tr.,t.  i,  p.  620. 

h  1255 ,  30  mars.  Pierre ^  légat  apostolique,  accorde  une  indulgence 


'  Cette  abbaye  s'appelait  en  allemand  Wachstatt  ;  elle  était  près  de  Baume-les* 
Dames.  (ScBOBprLiN ,  tom.  iv  ,  p.  SIS). 


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HISTOIRE   ElE  L4  TiLLtf  tË  SOULTZ.  Mft 

de  quafratite  jours  anx  fidèles  qai  aideront,  de  leiHTS  mmtmêê,  l'aMMiye 
du  Lieu^Cfeîssant ,  à  rebâtir  une  chapelte  à  Soulls ,  diooèse  ée  BMe. 
Tr. ,  1. 1,  p.  621,  (indperint  adificare  de  novo,) 

Une  chapelle  avait  été  détruite  en  ces  Nèmc ,  puisqu'il  est  queflMon 
de  la  rebâtir,  et  cette  chapelle  ne  pouvait  être  une  autre  qve  celle 
dlrin  ;  or,  si  cette  chapelle  était  dans  la  cour  près  de  la  porte , 
cette  coor  forcément  devait  exister  près  de  la  porte  de  BoHwiller  et 
non  près  de  celle  de  Guebwiiler. 

f  1355.  Transaction  entre  les  moines  du  Lieu^iMssaiit  et  le  caré 
de  Seultz ,  relativement  à  la  portion  canoniqne  des  testaments  et  des 
aumônes  des  paroissiens  dudil  lieu ,  réclamée  par  ce  damier.  Tr. ,  1. 1, 
p.  69e. 

k  1255.  L*évèque  de  Bâie  confirme  celte  transaction.  Tr. ,  1. 1,  p.  683. 

/  1260,  juin  L'abbaye  du  Lieu-Croissant  vend  à  Conrand  Waldner, 
de  Guebwiiler,  et  à  ses  trois  frères  ,  son  domaine  d'OlIwiller,  près  de 
Souitz ,  i  l'exception  de  la  chapelle  qui  dépendait  dudit  domaine , 
(eoscipta  capeUa  rita  indicto  municipio  Sultz).  Tr.  >  1. 1,  p.  99. 

m  1282,  13  décembre.  Grégoire  X  confirme  à  l'abbaye  du  Lieu- 
Croissaut  la  (acuité  détablir  une  chapelle  et  un  cimetière  à  Souitz , 
en  Alsace. 

n  1291 ,  24  Juillet.  Echange  de  dîmes  entre  l'abbaye  du  Lieu-Crois- 
sant et  tes  frères  de  Saint-Jean  de  Jérusalem .  au  lieu  de  Soult;. 
Jaeobus  commendaiar  in  Sulze.  Tr. ,  t.  ii ,  p.  508. 

Donc  la  commanderie  existait  déjà  à  cette  époque  et  avant  la 
destruction  de  l'ordre  des  Templiers. 

Si  nous  avons  tant  insisté  sur  l'origine  du  Capeilhof,  c'est  que  là 
se  trouvait  le  noyau  primitif  de  notre  ville  ;  c'est  autour  de  la  chapelle 
d'Irin  que  se  groupa  la  communauté  chrétienne  qui  fonda  SouUb  ,  et 
qui ,  en  s' étendant  peu-à-peu  el  en  s'assimilant  les  habitants  d'Alsch- 
willer,  forma  notre  rilé  actuelle. 

Les  paysans  révoltés  ayant  dévasté  l'établissement  de  la  chapelle  de 
concert  avec  des  bourgeois  de  la  ville ,  cette  dernière  fut  obligée  de 
solder  aux  moines  du  Lieu-Croissant  35  livres  stebier ,  en  compen- 
sation des  dégâts  causés. 

Voici  la  quittance  que  le  magistrat  reçut  du  gouverneur  du  couvent  : 

c  Ich  bruder  Anthonius  Fabri ,  des  ordens  von  Cisterciens ,  diser  zit 
«  Capellmeister  der  Capell  zu  Sultz  Bekenne  das  mir  der  ersame  und 
u  Nvise  scbultheis  und  rai  und  ganz  gemein  au  Sulto,  guelUoh  efntrtohlet 


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496  REVUE  D'ALSACE. 

€  ond  bezahlt  liand ,  iunf  und  drissig  pfund  stebier,  so  sîe  mir  von 
a  wegen  dem  schaden...  im  fûaf  und  zwenrig  ior  der  niederen  zel... 
«  purisches  Uffrur  durch  Inlassen  diesen  genossen  puren  huffen  zugefugi, 
«  und  durch  dero  aïs  umberss  gemeltete  Summa  durch  die  Edlen  Christian 
«  Junckherr  Welf  zur  Rhein  so  nun  dieser  zit  zu  SuUz  und  Albrecht  von 
«  Regisheim,  daruf  und  derohalb  so  sag  ich  voll  bidmenlicher  Gewalt  mir 
<  von  minem  herrn  dem  apt  und  ganz  gemein  des  Klosters  zu  Wachstatt 
«  dieser  apprifllich  zu  geben  hernach  als  Kapellmeister  minem  heim 
1  den  apt  und  ganzen  Conwent  des  Kloster  zu  Wachstatt  etc.  —  der 
«  geben  war  noch  uf  zinstag  nâchts  nach  sang  Martinstag',  als  man 
€  zablt  nach  der  geburt  Christi  funfzehnhundert  zwenzig  und  sechs 
€  ior.  »  (Pièce  en  ma  possession  sur  parchemin ,  les  sceaux  manquent, 
cette  pièce  tronquée  renferme  des  passages  illisibles  '.) 

NOTICE  SUR  l'église  PAROISSIALE  DE  SOULTZ  (SAINT-MAURICe)  . 

De  tous  les  édifices  religieux  qui  jadis  existaient  à  Soultz ,  Téglise 
Saint-Maurice  est  le  seul  qui  ait  échappé  à  la  tourmente  révolutionnaire. 
Saint-Jean  a  été  détruit  il  y  a  passé  un  siècle ,  Saint-Georges ,  Saint- 
Sébastien  et  Sainte-Marie  ont  disparu  en  1789;  Saint-Maurice  seul  jette 
encore  dans  les  airs  sa  flèche  hardie  et  élégante. 

Les  fondements  de  cette  église  semblent  avoir  été  posés  vers  la  fin 
du  13*  siècle  (1277) ,  à  l'époque  où  l'évêque  Conrad  de  Lichtenberg 
bénissait  la  première  pierre  du  magnifique  portail  d'Ervin.  Les  annales 
des  dominicains  de  Colmar  nous  révèlent  à  cette  datte  l'accroissement 
de  la  commune  de  Soultz  '. 

*  Les  Citeaux  ou  Cisterciens  qui  occupèrent  le  KaptUhof  dès  Tannée  ISiO  , 
observaient  la  règle  de  Saint  Benoit  ;  Saint  Bernard  réforma  cet  ordre  qui  comptait 
5000  maisons  ou  communautés.  Ces  religieux  étaienl  très-renommés  pour  leur 
savoir  ;  ils  cultivaient  les  lettres  et  instruisaient  '  la  jeunesse  ;  ils  portaient  une 
longue  chape  blanche  recouverte  d'un  capuchon  noir. 

Le  cimetière  du  Kapellhof  existait  sur  l'emplacement  de  Thôte!  et  du  jardin  de 
la  Belle-Vue ,  maison  Weinbrachtiger.  En  creusant  les  fondements  de  ce  b&tîment, 
on  déterra  beaucoup  de  cr&nes  et  d'ossements  humains.  Il  paraît  qu'on  cessa  d'y 
faire  des  inhumations  vers  la  fin  du  seizième  siècle ,  à  l'époque  où  l'évêque  de  B&le 
acheta  le  KapeUhof.  Une  petite  chapelle ,  adossée  à  la  maison  Weinbrœchtiger , 
rappelle  l'existence  de  ce  cimetière. 

*  Ann.  Dominic, ,  p.  65.  L'évêque  de  Strasbourg  exigea  80  marcs  des  habitants  de 
Soultz  qui  en  payaient  à  peine  soixante  et  en  murmurant  à  ses  prédécesseurs.  La 
population  parut  donc  avoir  augmenté. 


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HISTOIRE  DE  LA  VIDLE   DE   SOULTZ.  49l 

La  riche  efDorescence  et  les  formes  sveltes  des  parties  avoisinant  le 
chœur  qui  se  confond  avec  elles ,  accusent  la  fin  du  13*  ou  le  com- 
mencement du  14e  siècle  *.  Mais  les  choses  n'allaient  pas  vite  dans  ces 
temps  de  lutte  ;  il  y  eut  une  interruption ,  et  ce  n*est  que  plus  tard 
que  la  construction  paraît  avoir  été  reprise.  On  trouve  l'explication  de 
ce  fait  dans  l'histoire  de  la  province.  Les  terribles  irruptions  des  rou- 
tiers, qui,  à  dix  ans  d'intervalle,  ont  accumulé  sur  notre  Alsace  un 
monceau  de  ruines,  avaient  fait  disparaître  le  village  d'Alschwiller 
situé  dans  le  voisinage  de  Soultz.  La  population  du  village  détruit  se 
réfugia  dans  la  ville ,  et  c'est  sans  doute  peu  de  temps  après  que 
furent  élevées  les  parties  de  Saint -Maurice  qui  respirent  si  complè- 
tement la  dégénérescence  du  xv«  siècle  ^.  A  cette  dernière  époque 
appartiennent  deux  chapelles  et  une  fort  remarquable  sacristie. 

Enfin ,  et  c'est  par  là  que  le  monument  fut  clos,  on  ajouta,  en  1489, 
une  travée  dans  toute  la  largeur,  avec  le  porche  du  portail  principal 
qui ,  par  un  travail  alambiqué  et  sans  importance ,  parfaitement  con- 
forme à  cette  période  finale  de  l'ogive  ,  contraste  péniblement  avec  ce 
que  promettaient  les  premières  parties  de  l'édifice. 

M.  de  Golbéry  range  avec  raison  Péglise  de  Soullz  parmi  les  monu- 
ments du  style  gothique  de  la  seconde  époque.  Son  plan  figure  une 
croix  latine  régulièrement  orientée;  l'abside  est  coupée  carrément; 
la  chapelle  de  droite  était  jadis  occupée  par  la  famille  Waldener  ;  elle 
leur  servait  de  sépulture  et  l'autel  qu'elle  renfermait  fut  fondé  en  1340, 
par  le  chevalier  Berthold ,  dont  on  admirait  encore  la  tombe  dans  la 
même  chapelle  à  la  fin  du  dernier  siècle  ^.  Saint-Maurice  est  repré- 
senté armé  de  toutes  pièces  en  chevalier  du  xiv  siècle  sur  tympan  de 
la  porte  latérale  du  sud ,  qui  présente  aussi  l'adoration  des  mages. 

A  la  gauche  de  cette  porte  se  voient  une  règle  en  fer  et  une  rainure 
longue  l'une  de  0^,5485 ,  l'autre  0^,545 ,  anciens  étalons  de  l'aune 
de  Soulz. 

A  l'adgle  sud-ouest  on  remarque  le  Klapperstein  que  les  femmes 


'  La  pierre  employée  pour  la  construction  du  chœur  est  jaun&tre ,  tandis  que  le 
reste  de  l'édifice  est  en  grès  rott|;e  vosgien  ;  les  six  premières  colonnes  ont  des 
chapiteaux ,  les  autres  n'en  ont  pas  du  tout. 

*  NoHee  iw  r église  Saint-Mauriee  de  SouU% ,  par  M.  Ed  BavclâEe  de  Golmar. 

'  Une  reproduction  fidèle  de  cette  pierre  tomhale  se  voit  dans  Schœpflin. 

3-S«rw.~17';auié«.  32 


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498  BBAUE  D* ALSACE. 

condamnées  comme  médisantes  élaîent  obligées  de  porter  à  travers 
toute  la  ville. 

Saint-Maurice  était  le  patron  de  Tabbaye  d'Ebersmiuister  ;  il  est 
aussi  celui  de  Soults ,  ce  qui  prouve  la  filiation  de  ces  deux  ^lises. 
D'un  autre  côté ,  les  armes  de  la  ville  de  Soultz  sont  presque  les  mêmes 
que  celles  de  Savoie,  de  gueules  à  croix  d'argent  »  avec  cette  seule 
différence ,  que  la  croix  est  cantonnée  d'une  so  rte  de  brisure. 

Le  clocher ,  assis  au  centre  de  la  croix  que  forme  Téglise,  est  oct^ 
gone;  il  est  ceint  d'une  double  galerie  avec  balustrade  et  jette  dans 
les  airs ,  comme  le  dit  si  bien  M.  Mossmann ,  une  élégante  toiture  en 
forme  d'aiguille.  Il  mesure  63^,06  de  la  base  au  sommet  de  la  croû, 
lesquels  se  décomposent  de  la  manière  qui  suit  :  Hauteur  de  Téglise 
IT^^^SO,  la  voûte  du  clocher  i^Ji,  la  façade  de  l'horloge  jusqu'à 
la  i^*"  galerie  S^^yST,  de  la  i'*  galerie  à  la  seconde  6^,15  La  toiture 
de  la  galerie  supérieur  au  sommet  de  ta  croix  26  métrés  \ 

Celle  tour  en  grès  vosgien  rouge ,  comme  du  reste  tout  le  monument, 
ne  fut  terminée  qu'en  1610 ,  ainsi  ,que  le  prouvent  et  l'inscription  de 
la  galerie  supérieure  et  le  parchemin  qui  se  trouve  dans  la  coupole  et 
dont  nous  donnons  plus  loin  l'analyse. 

La  boule  ou  coupole  placée  au  sommet  du  clocher  est  une  sphère 
creuse  en  cuivre  doré  ;  elle  a  O^^i&i  de  diamètre  latéral ,  et  O^^H 
diamètre  supero-inférieur  ;  elle  contiendrait  facilement  deux  hectolitres. 
La  croix  qui  la  surmonte  est  en  fer,  elle  a  deux  mètres  de  haut  et  2>»,03 
d'envergure,  elle  porte  le  millésime  1738;  plus  haut  est  placé  la 
demi-lune  qui  a  0,>»30  de  longueur  et  l'étoile  ou  le  soleil  ayant  0°^,50 
de  diamètre.  Une  boite  soudée  en  fer  blanc  existe  dans  la  boule  ;  on  y 
a  trouvé  trois  parchemins ,  l'un  datant  de  1611  ^  le  second  de  1628  et 
le  troisième  de  1738  ;  de  plus  un  procès  verbal  de  descente  de  1819. 
On  a  joint  à  ces  pièces  le  procès-^verbal  de  descente  de  4863  et  une 
courte  notice  sur  l'état  actuel  de  notre  ville ,  fournie  par  nous. 

L'église  Saint-Maurice  fut  commencée  en  1277  ou  1290.  En  1S30  )a 
partie  avoisinant  du  chœur  fut  construite;  les  travaux  qui  furent 
suspendus  à  l'arrivée  des  routiers  (1370)  furent  repris,  et  le  monu- 
ment fut  achevé  en  1489  i  date  qui  se  trouve  à  l'intérieur  de  la  grande 


*  Ces  chiffres  trè»-exact8  nous  ont  été  fournis  ,  le  6  nevembre  ItSa  ,  par  l'ou- 
vrier qui  a  pUcô  les  ardoises  et  la  croix.  Nous  avons  nous««iD6inea  touché  la  sphère 
creuse  promenée  en  ville  par  les  ouvriers,  le  18  octobre  iS68. 


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HISTOIRE  DE  Ul  YVLVR   DE  SOULTZ.  499 

porte  d'entrée ,  et  sur  le  contrefort  de  droite  oA  est  appendu  le  Klap- 
perstein.  Qaant  à  la  tour  elle  a  dû  être  achevée  jusqu'à  la  première 
galerie  en  1489;  la  vieille  cloche  porte  le  millésime  1452.  En  1611 
fut  construit  le  second  étage  de  la  tour,  car  l'inscription  de  1610  nous 
fait  supposer  qu'il  n'y  avait  auparavant  qu'un  étage  et  que  la  toiture 
était  assise  sur  le  rebord  de  la  galerie  inférieure.  Comment  expliquer 
autrement  la  présence  de  la  grande  cloche  de  1452 ,  qui  a  dû  être 
hissée  en  haut  avant  que  la  voûte  du  chœur  ne  fut  fermée. 

L'édifice  que  nous  venons  de  décrire  n'est  point  Téglise  paroissiale 
primitive  de  la  ville  ;  sans  doute  qu'elle  a  remplacé  un  temple  qui  a 
dû  exister  au  11*  siècle.  En  effet  en  1079  il  en  est  question  ;  en  1138 
le  recteur  Diethelm,  avec  tous  les  habitants,  fait  un  vœu  à  Thierenbach. 
En  1 9S5  nous  trouvons  un  Berthold  plebanus  in  Sultz  (Tr . ,  1. 1,  p .  61 8)  ; 
En  1902  un  Baldemarus  curé  à  Soultz ,  qui  signa  une  charte  de  Conrad, 
évèqne  de  Strasbourg ,  en  faveur  du  monastère  de  Schwarzenthann. 
(Méglin  ,  notice  p.  13.) 

Tout  nous  porte  à  croire ,  qu'à  côté  de  l'établissement  si  important 
de  la  Kappel ,  il  y  avait  à  Soultz  une  petite  église  paroissiale  dédiée  à 
Saint-Maurice  ,  peut-être  construite  en  bois ,  occupant  l'emplacement 
de  l'église  actuelle  ;  il  a  dû  en  être  ainsi  car  eu  1316  (Tr. ,  t.  3,  p.  700) 
il  est  question  de  Thomas  vicaire  de  Sultz  et  en  1255  de  Bertold 
plebanus. 

Le  vieux  chroniqueur  de  RonfTach ,  Materne  Berler ,  (code  diplo- 
matique et  historique  de  Strasbourg  p.  20)  dit,  que  l'église  paroissiale 
de  Soultz  est  une  filiale  de  celle  d'Âischwiller  ;  que  cette  église  était 
administrée  par  des  recteurs  de  souche  noble  :  tel  le  comte  Hermann 
de  Dierstein  qui  fit  don  à  cette  cour  rectoriale  de  prés  et  de  champs , 
situés  à  Herkersheim;  tels  Henri  de  Hohenstein  qui  mourut  en  1440; 
Rudolf  d'Oberkirch  qui  mourut  1460,  et  Jean-Jacques  d'AndIau  qui 
fut  enterré  en  1520.  Le  recteur  de  Soultz,  continue  Berler  ,  avait  le 
droit  de  porter  un  bonnet  (Chorcopp)  avec  un  cordon  rouge  et  vert  ; 
ce  privilège  fut  accordé  par  le  pape  Félix  au  concile  de  Bâle;  le  recteur 
qui  avait  obtenu  cette  distinction  se  nommait...  moi  Materne  Berler 
j'ai  vu  cette  bulle  papale  et  je  l'ai  lue  de  mes  yeux  ^ 


'  Revue  d'AUace,  décembre  1867  ,  Origine  de  Suullz ,  par  Cb.  Knoll 


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500  REVUE  D* ALSACE. 

ANALYSE  DU  MANUSCRITS   TROUVÉS  DANS  LA  BOULE   DB  LA  TOUR 
SAINT-MAURICE. 

(Texte  allemand  mr  parchemin.) 

164.  Ce  document  signale  la  construction  du  2*  étage  de  la  tour  et 
rachèvement  du  clocher  tel  qu'il  est  actuellement.  Thiébaud  Wendt, 
était  Schultheis  ,  Pierre  Schlitzweck ,  greffier ,  Pierre  de  Landsbei^ , 
bailli. 

1628.  A  cette  époque ,  par  suite  d'une  grande  tempête ,  la  croix  de 
la  tour  fut  jetée  dans  cour  du  presbytère  (maison  Bind  nord-est);  elle 
ne  fut  remise  en  place  qn'en  1639;  ce  retard  s'explique  par  l'arrivée 
des  Suédois. 

1738.  Â  cette  date  on  fit  des  réparations  au  clocher.  La  croix  et  la 
boule  furent  descendues ,  le  tout  fut  de  nouveau  réparé  et  remis  en 
place  le  31  octobre  après  avoir  été  béni  par  Cristophe  Rieden ,  recteur. 
La  dorure  de  la  sphère  creuse  avail  coûté  400  livres  tournois  ;  le  chef 
politique  de  l'obermundat  était  le  cardinal  de  Rohan  évéque  de 
Strasbourg  ;  le  bailli ,  Christophe  André  Nessel,  Wend  était  Schultheis, 
Philipp  Remy ,  notaire ,  Bouat  procureur  fiscal ,  Larger  bourgueroattre. 
Le  manuscrit  porte  que  le  fuder  de  vin  (20  à  24  mesures  ou  lOOOUtres) 
valait  240  livres  tournois  ou  13  liv.  la  mesure  ;  le  froment  12  liv. ,  le 
seigle  9  liv. ,  l'orge  6  liv.  Ce  document  nous  donne  des  renseignements 
précieux  sur  l'église  Saint-Sébastien,  édifiée  par  suite  d'une  maladie 
pestilentielle.  Belz  Tobie  a  doré  la  boule  ;  il  a  glissé  dans  le  dossier  de 
la  sphère  quelques  faits  curieux  ;  après  avoir  parlé  de  la  peste  et  de 
Louis  [XV  ,  il  ajoute  :  <  tout  est  sans  sus  dessous ,  le  magistrat  déteste 
la  bourgeoisie  :  et  celle-ci  le  lui  rend  en  plein.  »  — -  C'est  peu ,  mais 
c'est  un  nuage  précurseur  de  1789. 

Le  cadran  de  l'ancienne  horloge  portant  la  date  de  i  610  est  appendu 
dans  l'église  actuelle. 

Charles  Knoll. 


[La  suite  à  fa  prochaine  iwraison). 


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BIBLIOGRAPHIE. 


I. 

Histoire  de  la  ville  d'Obernai  et  de  ses  rapports  avec  les  autres  villes 
ci-devant  impériales  d'Alsace  et  avec  les  seigneuries  voisines ,  com- 
prenant rhistoire  du  Mont  Sainte-Odile ,  des  anciens  monastères  de 
la  contrée  et  des  localités  limitrophes ,  par  H.  Fabbé  J.  Gyss  ,  ancien 
aumônier  du  collège  d'Obernai  y  membre  de  la  Société  pour  la  con- 
servation des  monuments  historiques  d'Alsace.  —  Strasbourg  ,  im- 
primerie d'Ed.  Huder.  —  1866.  —  Un  volume  in-8»  de  510  pages, 
tome  i«'.  Prix  :  6  francs ,  chez  H.  Salomon^  libraire  à  Strasbourg. 


Voici  une  histoire  particulière  qui  ne  peut  manquer  d'avoir  un  grand 
intérêt  ;  le  tome  primer  l'atteste ,  le  second  ,  qui  est  sous  presse  et 
qui  sera ,  croyons^nous ,  le  dernier ,  confirmera  notre  allégation.  La 
présence  de  cette  mystérieuse  charte,  en  pierres  gigantesques ,  connue 
sous  le  nom  de  mur  païen ,  la  parenté  étroite  d'Obernai  avec  le  monl 
Sainte^Odile,  l'origine  même  de  la  ville ,  le  rôle  que  les  fondateurs  et 
les  habitants  de  ces  monuments  ont  joué  dans  les  différents  âges  ,  voilà 
certes  de  quoi  exercer  le  talent  de  l'historien  qui  a  voué  ses  loisirs  à 
retracer  le  passé  d'un  intéressant  coin  du  pays. 

Nos  savants  devanciers  ,  qui  ont  étudié  les  monuments  de  toute  sorte, 
concernant  ces  lieux  célèbres ,  nous  ont-ils  donné  le  demiet  mol  qu'il 
soit  possible  d'apprendre  sur  les  temps  anté-historiques  ?  M.  l'abbé  Gyss 
ne  le  pense  probablement  pas  ;  mais  il  sait  que  la  science  moderne  n'a 
ajouté  que  peu  de  chose  à  ce  qu'ils  nous  apprennent.  Aussi  se  bome-t-il 
à  résumer ,  en  une  dixaine  de  pages  y  tout  ce  que  l'on  sait  sur  les  ori- 
gines qui  se  perdent  dans  la  nuit  des  temps.  Cependant  il  a  bien  fait  de 
tenir  compte  de  l'opinion  exprimée  par  H.  L.  Levrault  au  sujet  des 
découvertes  faites  en  1863  et  dont  ce  dernier  a  été  le  sagace  rapporteur. 
Cette  circonstance  et  d'autres ,  qui  offrent  plus  ou  moins  d'analogie  , 
nous  portent  à  croire  que  le  sol  alsacien  recèle  aussi  des  archives  et 


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502  REVUE  D'ALSAGE. 

qu'elle^  permettront,  un  jour  ou  l'autre  «  d'apporter  moins  de  réserve 
dans  les  conclusions  tirées  habituellement  des  pièces  que  le  hasard 
place  sous  nos  yeux.  La  seule  chose  qui  est  à  désirer,  c'est  que  partout 
l'on  conserve  religieusement  ces  débris  et  que  l'on  en  forme  de  petits 
musées  de  localité  dont  la  vue  et  l'étude  aideront  nos  contemporains  ou 
nos  descendants  à  aller  un  peu  plus  loin  que  nous  sommes  dans  la 
connaissance  du  pays  natal. 

Ce  désir  n'est  pas  formulé  à  l'intention  des  hommes  qui«  à  Obemai. 
professent  la  doctrine  <  que  le  respect  du  passé  est  une  garantie  de 
progrès  pour  l'avenir.  >  Nous  sommes  convaincu  que  rien  ne  se  perd 
dans  ce  petit  centre  où  la  vie  intellectuelle  a  conservé  ses  droits  ;  nous 
en  avons  la  preuve  dans  les  mesures  que  son  administration  a  prises 
pour  rendre  possible  la  publication  du  travail  de  M.  l'abbé  Gyss.  Le 
conseil  municipal  a ,  en  effet ,  voté  une  somme  de  2000  fr.  pour  foire 
face  à  la  majeure  partie  des  frais  d'impression.  Ce  n'est  pas  le  premier 
exemple ,  en  Alsace ,  d'une  décision  dé  cette  nature.  Dans  un  temps , 
déjà  éloigné  de  nous ,  la  ville  de  Strasbourg  prit  une  détermination 
semblable  en  vue  de  la  publication  des  chroniques  inédites  dont  sa 
bibliothèque  renferme  les  manuscrits.  C'était  en  1843.  Deux  tomes 
parurent  et  on  en  demeura  là ,  assez  médiocrement  satisfait  du  résultat 
qui  fut  considéré  comme  étant  en  disproportion  avec  la  dépense ,  iné- 
vitable conséquence  de  la  méthode  vicieuse  dont  celle  bonne  pensée  de 
l'administration  fut  servie.  Quelques  années  plus  tard ,  sinon  presque 
en  môme  temps ,  la  ville  de  Haguenau  voulut  marcher  dans  la  même 
voie ,  entraînée  par  un  érudit  qui  se  chargea  d'écrire ,  pour  le  compte 
de  la  ville  qui  en  fut  le  chef-lieu,  l'histoire  de  la  décapole.  Soit  qu'il 
comptât  trop  sur  ses  propres  forces»  soit  pour  toute  autre  cause,  le 
projet  demeura  en  chemin  ;  il  fallut  y  renoncer,  non  sans  avoir  éprouvé 
de  grands  désagréments  et  fait  d'assez  notables  sacrifices.  Postérieure- 
ment encore ,  à  Mulhouse ,  un  homme  dévoué  à  sa  ville  et  laborieux , 
éditait ,  avec  le  concours  de  tous ,  le  c  Livre  d'or  »  de  la  bourgeoisie 
de  l'ancienne  République ,  livre  estimable  et  que  nous  achetâmes  tous 
parce  que ,  sans  grands  efforts .  nous  pouvions  lire  dans  ce  nobiliaire 
démocratique  une  partie  fort  intéressante  de  la  vie  particulière  à  ce 
petit  Etat.  Plus  récemment  un  obscur  citoyen  de  Belfort  réunit ,  dans 
un  petit  volume  dont  il  fut  à  la  fin  obligé  de  se  faire  le  colporteur 
estampillé,  tout  ce  qu'il  était  parvenu  à  rassembler  concernant  les 
annales  de  sa  ville.  Il  y  a  trois  ou  quatre  ans,  l'autorité  municipale  de 


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BIBIJ06RAPHIE.  503 

Thann  adoptait,  sous  le  patronage  de  son  secrétaire  en  chef,  feu 
M.  Hereklen ,  la  chronique  des  Dominicains  de  cette  ville  sauvée  de 
rottbH ,  pent-^e  de  la  destruction  par  un  prêtre  honorable ,  H.  Zim-* 
berlin^  dont  les  dernières  années  se  consument  dans  la  Sibérie  du 
diocèse ,  et  en  âaôsait  la  spiendide  édition  qui  a  paru  en  1864.  Enfin  au 
commencement  de  cette  année,  sur  la  proposition  de  son  maire, 
M.  Blandin,  le  conseil  municipal  d'Obernai  votait,  avec  un  entrain 
dont  les  lettres  doivent  lui  savoir  gré  et  qui  mérite  les  éloges  de  tout 
homme  ayant  la  religion  du  devoir,  la  subvention  dont  nous  avons 
parlé  précédemment ,  laquelle  nous  vaut  le  livre  que  nous  annonçons 
et  dont  la  un  va  paraître  au  premier  jour.  Cette  détermination  de  Tau- 
torité  munidpale  d'Obernai  vivra  alors  qu'il  ne  sera  plus  question  des 
enfantements  positifs  auxquels  la  plupart  des  conseils  croiraient  dérober 
la  miette  qu'ils  accorderaient  aux  travaux  de  l'esprit.  Cet  acte  fait  hon- 
neur à  l'autorité  municipale  d'Obernai  et  nous  pensons  qu'elle  ne  pou^ 
vait  faire  moins  pour  son  historiographe ,  M.  Gyss ,  dont  le  travail  nous 
parait  assez  complet  et  consciencieux. 

Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut ,  H.  l'abbé  Gyss  s'est  montré  plein 
de  réserve  pour  la  période  qui  concerne  les  origines  de  la  ville ,  celle 
qui  précède  l'établissement  du  monastère  de  Sainte-Odile ,  Hohenbourg 
et  la  maison  hospitalière  du  bas  de  la  montagne ,  Niedermunster.  C'est 
â  partir  de  là ,  en  effet ,  que  les  documents  certains  commencent  à 
apparaître  et  que  la  vie  d'Obernai  est  étroitement  liée  à  celle  des  deux 
monastères.  Son  autonomie  pendant  le  temps  de  première  prospé- 
rité de  ces  abbayes  s'efface  ou  plutôt  se  confond  dans  l'histoire  de 
Hohenbourg  et  n'apparaît  d'une  façon  définitive  que  sous  le  règne  de 
Frédéric  ii ,  au  commencement  du  treizième  siècle.  Toute  celte  partie 
des  origines  est  traitée  avec  méthode  et  beaucoup  de  circonspection  par 
H.  Gyss  et  ces  qualités ,  que  le  lecteur  reconnaîtra  dans  les  soixante 
premières  pages  du  livre  ,  il  les  retrouvera  dans  les  suivantes  où  com- 
mence ,  à  vrai  dire ,  la  production  originale ,  le  travail  propre  de 
l'historien. 

Nous  ne  pouvons ,  dans  une  simple  annonce ,  suivre  M.  Gyss  dans 
toutes  les  parties  de  sa  monographie.  Il  faut  nous  borner  à  en  faire  la 
description  la  plus  succincte  et  nous  ne  voyons  de  meilleur  moyen  d'y 
parvenir  que  de  transcrire  les  têtes  de  chapitres  qui  la  composent.  Le 
premier  embrasse  l'époque  gallo-romaine ,  le  second  la  période  franque, 
le  troisième  celle  des  ducs  et  des  Hohenstauffen ,  le  quatrième  l'inler- 


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504 


REVUE  D'AL8AGB 


règne ,  le  cinquième  le  quatorzième  siècle ,  le  sixième  le  quinzièroe  et 
le  septième,  qui  termine  le  tome  premier,  retrace  la  part  prise  ou  subie 
par  la  ville  d'Obemai  dans  le  travail  de  transformation  da  seisième 
siècle  qui  clôt  le  moyen^àge. 

Le  tome  ii  qui  est  annoncé  pour  paraître  très-prochainement ,  com- 
prendra ,  sans  doute ,  «  l'histoire  du  mont  Sainte*Odile  »  celle  des  an- 
ciens monastères  et  châteaux  de  la  contrée  et  des  localités  limitrophes.  » 
Ce  sera  une  occasion  de  revenir  sur  l'ensemble  de  la  publication  favo- 
risée ,  sinon  déterminée ,  par  le  patriotisme  de  Tautorité  municipale 
d'Obemai.  En  attendant  nous  ne  résistons  pas  au  désir  de  placer  ici 
quelques  lignes  extraites  d'un  travail,  encore  inédit ,  émanant  d'un  histo- 
rien dont  le  passé  des  mêmes  lieux  fit  vivement  battre  le  cœur,  au  siècle 
dernier. 

Dans  une  de  ses  excursions ,  en  1786 ,  il  rencontra  aux  portes  d'O- 
bemai ,  «  un  militaire  respectable ,  décoré  des  marques  distinctives  de 
la  bravoure  et  du  patriotisme ,  retiré  à  la  campagne  où  il  consacrait  ses 
derniers  jours  à  la  bienfaisance.  »  C'est  là,  dit  le  militaire  au  touriste 
historien ,  que 

Loin  d'ua  monde  vain  et  trompeur  ^ 

Loin  du  bigot ,  loin  du  critique  , 

Du  petit-maitre  parasite. 

De  l'Agnès  à  fausse  pudeur  ; 

Loin  du  Grand  tristement  stupide , 

Loin  de  nos  abbés  sémillants  , 

De  nos  barons  à  tôte  vuide , 

De  nos  Robins  à  froid  bon  sens  \ 

Sans  besoins ,  comme  sans  envie , 

Je  sens  les  charmes  de  la  vie. 

C'est  là  que  je  sais  vivre  heureux , 
£n  banissant  de  ma  pensée 
Et  l'ambition  insensée 
Et  les  projets  tumultueux. 
Douces  erreurs  de  ma  jeunesse  , 
Où  se  livrait  mon  cœur  séduit , 
Votre  charme  est  enfln  détruit 
Par  le  flambeau  de  la  sagesse. 
La  vanité  n'est  qu'uu  tourment  , 
La  gloire  une  vaine  fumée 
Et  les  douceurs  du  sentiment 
Valent  mieux  que  la  renommée  '. 

'  Bérenger. 


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BlBLIOCRAPfllB.  505 

Nous  ignorons  le  nom  du  militaire  qui  tenait  ce  langage  à  Grandidier. 
A  Obemai  on  se  le  rappellera.  Us  étaient  arrivés  à  mi-bauteur  de  la 
montagne  lorsque  Tabbé  répliqua  en  ces  termes  à  son  compagnon. 

€  Que  sont  devenues ,  me  demandez- vous,  en  considérant  tristement 
ces  débris  de  la  piété  de  nos  ancêtres ,  que  sont  devenues  ces  utiles 
fondations  du  sexe ,  ces  belles  et  riches  abbayes  de  chanoinesses  nobles 
fondées  autrefois  dans  la  Basse-Alsace  par  des  empereurs ,  des  impé- 
ratrices ,  des  ducs  ,  des  évêques?  Hélas  !  elles  n'existent  presque  plus 
que  dans  Thistoire.  Elles  disparurent  toutes  dans  le  cours  du  xvi*  siècle. 
Andiau  seule ,  ce  chapitre  noble  et  princier ,  qui  n'est  éloigné  d'ici  que 
d'une  lieue  et  demie ,  a  subsisté  et  subsiste  encore  dans  l'éclat  de  son 
origine  et  la  régularité  de  son  institut  primitif.  Hais  c'est  aussi  à  cette 
régularité  que  celte  abbaye ,  au  milieu  des  guerres  de  l'empire  et  des 
troubles  de  religion ,  dut  son  bonheur  et  sa  conservation.  Andiau ,  au 
témoignage  d'un  historien  du  temps  (Wimpfeling) ,  était ,  sur  la  fin  du 
quinzième  siècle  et  au  commencement  du  seizième ,  l'exemple  et  l'édi- 
fication de  la  province ,  tandis  que  les  cinq  autres  abbayes  canoniales 
du  même  sexe  et  du  même  état ,  Hohenbourg ,  Niedermunster ,  Saint- 
Etienne  de  Strasbourg ,  Escbau ,  Ërstein  en  étaient  devenues  le  scan- 
dale. Ces  asiles  de  la  piété  et  de  la  pudeur  étaient  alors  changés ,  sui- 
vant les  expressions  tranchantes  du  même  écrivain ,  en  un  temple  de 
licence  et  de  prostitution.  Voilà  la  véritable  cause  des  ruines  d'une 
église  sur  lesquelles  vous  gémissez  et  que  je  vais  vous  faire  connaître 
dans  les  temps  d'une  existence  plus  heureuse.  Asseyons-nous  près  de 
ce  tilleul ,  arbre  bien  respectable  par  son  antiquité ,  puisqu'on  prétend 
que  ce  fut  un  des  trois  que  Sainte  Odile  avait  plantés  elle-même  à  côté 
de  réglise  de  Niedermunster  ;  nous  pourrons  ici  philosopher  à  notre 
aise  sur  Tinstabilité  des  choses  humaines.  » 

Après  avoir  assez  longuement  retracé  à  son  compagnon  l'histoire  des 
abbayes  dont  il  est  parlé,  Grandidier  allait  pousser  plus  loin  ses 
recherches  lorsque  l'heure  les  força  à  se  séparer,  c  Nous  quittâmes  ces 
lieux  avec  regret,  dit  Grandidier ,  et  nous  nous  embrassâmes  tendrement, 
bien  résolus  de  nous  revoir  dans  peu  pour  examiner  les  débris  d'un 
mur  romain ,  les  ruines  du  monastère  de  Trutenhusen  et  celles  des 
châteaux  d' Andiau ,  de  Landsberg ,  de  Lucelbourg ,  de  Rathsamhausen 
et  de  Spesbourg  que  nous  avions  sous  les  yeux.  > 

Nous  ne  trouvons  nulle  part  trace  de  la  réalisation  de  ce  projet.  II  est 
probable  que  le  tilleul  de  Niedermunster  fut  témoin  de  la  dernière 


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506  REVUS  D* ALSACE. 

accolade  que  les  deux  amis  éehangàrent  en  oe  monde.  Mais  le  fti  de 
cetie  histoire  a  été  repris ,  à  son  insu ,  par  i'abbé  Gy&s  et  nous  souhai- 
tons que  son  travail  forme  le  trait-d'union  ftoçre  à  rattacher  le  présent 
à  la  bonne  tradition  du  siècle  dernier. 

Ce  qui  précède  allait  être  mis  sous  presse  lorsque  nous  avons  reçu 
le  dernier  tome  de  Touvrage.  Il  nous  reste  à  peine  le  temps  de  le  par- 
courir et  d'en  donner  une  description  succincte.  Il  se  compose  de  470 
pages  et  d'un  troisième  tableau  comprenant  la  liste  des  autorités  de  la 
ville  d'Obernai  au  xvn®  siècle  et  pendant  la  période  française.  Ce  tome 
est  divisé  en  cinq  chapitres  dont  le  premier  (vm*  de  Fou? rage)  réca- 
pitule l'histoire  de  la  ville  jusqu'avant  la  guerre  de  trente  ans  ;  le 
second  et  le  troisième  concernent  les  périodes  pendant  et  après  la  même 
guerre  ;  le  quatrième  traite  de  la  période  sous  le  régime  français  »  et 
enûn  le  dernier  contient  spécialement  l'histoire  d'Obernai  pendant  la 
Révolution. 

On  lira  avec  intérêt  ces  divers  chapitres  qui  nous  paraissent  fort  bien 
traités  ;  celui  de  la  période  française  »  écrit  avec  modération  et  avec 
impartialité  >  initie  le  lecteur  aux  procédés  de  la  politique  française 
pour  arriver,  petit  à  petit,  à  faire  disparaître  les  droits  et  privilèges 
garantis  par  le  traité  de  paix  ;  on  y  apprend  que  les  candidatures 
recommandées  ne  sont  pas  une  invention  moderne  et  que  de  ce  temps* 
là ,  comme  plus  tard  encore ,  on  eut  plus  d'une  fois  occasion  de  s'élevw 
contre  les  pratiques  qui  avaient  pour  conséquence  de  perpétuer  les 
fonctions  dans  une  même  famille ,  de  les  rendre  en  quelque  sorte  héré* 
ditaires.  En  lisant  ce  chapitre  on  sent  que  M.  l'abbé  Gyss  l'a  écrit  avec 
le  désintéressement  qui  permet  à  l'écrivain  d'être  équitable,  parce  qu'il 
s'agit  de  temps  trop  éloignés  de  l'époque  où  il  écrit  pour  que  les  idées 
du  moment  s^y  rattachent  directement.  Nous  voudrions  pouvoir  en  dire 
autant  de  l'histoire  d'Obernai  pendant  la  Révolution.  On  y  sent ,  un  peu 
trop ,  l'homme  d'il  y  a  quinze  ans ,  voire  même  l'homme  d'aujourd'hui. 
Ce  n'est  pas  toujours  le  langage  de  l'historien  qui  en  fait  les  frais.  11  y 
règne  une  préoccupation  trop  constante,  trop  exclusive  peut-être  de  la 
condition  que  s'était  faite ,  dirons-nous ,  une  partie  du  clergé  et  noa 
pas  que  la  Révolution  lui  avait  «Téée.  De  cette  tendance  même ,  il  a  dé 
nécessairement  résulter  une  certaine  réminiscence  du  langage  militaui 
dont  nous  percevons  encore ,  de  temps  à  autre ,  quelques  échos  de  la 
part  de  ceux  qui  ne  tiennent  aucun  compte  des  temps  et  n'oublient 
pas. 


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MBLIOGBAPHIB.  S07 

Semme  leole  la  monographie  de  M.  l'abbé  Gysa  est  im  ouvrage  qui 
iait  boMiûiir  à  son  auteur  et  à  la  ville  (pii  a  eu  le  bon  esprit  d'en  faci- 
liter la  publication. 

M.  Salomon^  libraire-éditeur ,  s'est  bien  acquitté  de  la  tHUîbe  qu'il  a 
aceeptée.  Nous  recommandons  ses  deux  volumes,  dont  te  prix  est  de 
18  francs ,  aux  lecteurs  de  la  R$vue. 


U. 

Des  Vosgbs  au  Rhin.  Excursions  et  causeries  alsaciennes^  par  Paul 
HuoT ,  conseiller  à  la  cour  impériale  de  Colmar,  membre  du  comité 
de  la  société  des  monuments  historiques  d* Alsace.  1  vol.  in-l'^  de 
597  pages.  Imprimerie  de  veuve  Berger-Levrault  et  fils.  Paris  et 
Strasbourg.  —  1866.  Prix  5  francs. 

On  ne  lit  pas  les  préfaces ,  dit  l'auteur.  Il  n'en  écrit  pas  une ,  car 
les  quelques  lignes  qu'il  place  en  tête  de  son  volume ,  ne  sont  qu'une 
justification  des  citations  allemandes  répandues  dans  le  cours  de  l'ou- 
vrage afin  de  rendre  compréhensibles,  pour  les  lecteurs  de  l'autre  côté 
des  Vosges ,  les  passages  sur  lesquels  sont  basées  les  courtes  et  spiri- 
tuelles dissertations  que  M.  Huot  a  dû  écrire  pour  éclairer  un  point  de 
l'histoire ,  combattre  une  erreur  ou  dissiper  des  préjugés.  Cette  expli- 
cation étant  donnée ,  M.  Huot  c  abandonne  complètement  son  modeste 
«  volume  à  la  critique,  n'ayant  eu  la  prétention  d'écrire  ni  une 

<  description  ,  ni ,  encore  moins  ,  une  histoire  de  TAlsace  ,  mais  seu- 
«  lement  de  liver  au  public  une  sorte  de  manuel ,  portatif,  d'un  prix 
«  modique  et  pouvant,  néanmoins^  suppléer,  dans  une  certaine  mesure, 

<  les  volumineux  et  coûteux  ouvrages  où  il  a  largement  puisé.  > 
c  Ignari  Hscant,  ament  meminisK  periti.  » 

Voilà  toute  la  préface ,  voilà  aussi  toute  la  pensée ,  ou  mieux  encore 
toute  la  définition  du  livre.  On  pourrait ,  après  cela ,  si  l'on  avait  bâte 
d'en  finir,  déposer  la  plume  et  dire  au  lecteur  qu'il  a  une  idée  générale 
de  l'ouvrage  signalé  à  son  attention.  Mais  M.  Huot  a  droit  à  plus 
d'égards  :  bien  que  son  t  modeste  volume  »  —  c'est  ainsi  qu'il  le 
qualifie  —  se  présente  sous  les  apparences  d'une  composition  purement 
littéraire  et  agréable ,  le  fond  n'est  pas  moins  instructif  et  sérieux. 


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508  REVUR  D*ALSACE. 

Dans  un  cadre  toujours  élfi%mi ,  souvent  original ,  l'auteur  enchâsse 
une  quantité  de  faits  plus  ou  moins  connus  de  notre  histoire  locale  , 
les  soumet  à  une  critique  sobre  et  hardie  »  révélant  une  étude  soutenue 
et  des  connaissances  très- variées.  Ce  n'est  peut-être  pas  un  des 
moindres  mérites  de  Tauteur,  d'avoir  su  dégager,  des  ouvrages  qu'il  a 
consultés ,  les  principaux  traits  historiques  pour  les  faire  entrer  dans 
son  livre,  en  élucider  de  la  signification ,  en  déduire  le  sens  philosophique^ 
les  compléter  quelquefois  ou  rectifier  les  opinions  qu'ils  ont  en- 
gendrées. Disons  le ,  à  l'honneur  de  l'écrivain ,  il  le  fait  avec  une 
sagacité  qui  est  rarement  en  défaut  et  surtout  avec  une  indépendance 
que  l'on  aime  d'autant  plus  à  reconnaître  qu'elle  est  plus  rare  dans 
beaucoup  de  publications  modernes  émanant  de  plumes  qui  pourraient , 
sans  danger  d'aucune  sorte ,  se  dispenser  de  sacrifier  la  conviction , 
et  y  à  plus  forte  raison ,  la  science ,  à  la  pression  éphémère  du  courant 
des  idées  ou  mieux  des  conventions  du  moment. 

Ce  n'est  pas  à  dire  que  ça  et  là  on  ne  rencontre  dans  le  volume  de 
M.  Huot^  nous  ne  dirons  pas  des  transactions ,  mais  des  argumnnts  d'une 
certaine  faibles&e  pour  arriver  plus  facilement  à  des  conclusions  qui 
ne  sont  p«s  entièrement  justifiées.  Nous  nous  garderons  d'en  faire 
l'objet  d'un  reproche ,  car,  si  fort  et  si  indépendant  que  l'on  soit ,  la 
pensée ,  l'expression  subissent ,  même  à  l'insu  de  celui  qui  écrit ,  une 
part  quelconque  de  l'influence  du  milieu  dans  lequel  on  vit;  il  y  a  plus  : 
l'homme  ne  parvient  jamais ,  môme  dans  l'ordre  des  idées,  à  dépouiller 
absolument  le  caractère  de  la  position  qu'il  occupe  ;  il  en  reste  toujours 
quelques  vestiges  reconnaissabbs ,  soit  par  la  tournure  de  la  pensée , 
soit  par  le  jugement  qu'il  porte  sur  les  événements  et  les  choses.  Cette 
observation  n'a  rien  de  particulièrnment  applicable  aux  causeries  de 
M.  Huot  ;  elle  peut ,  tout  au  pins ,  se  rapporter  à  des  nuances  qui  ont 
été ,  pour  nous ,  plus  sensibles  peut-élre  qu'elles  ne  le  seront  pour 
le  commun  des  lecteurs. 

Mais  ce  n'est  pas  à  ce  point  de  vue  que  veut  élre  appréciée  la  pro- 
duction qui  nous  occupe  :  il  ne  s'agit,  répétons-le,  (  ni  d'une  descrip- 
tion ni ,  encore  moins,  d'une  histoire  de  l'Alsace ,  »  il  s'agit  tout  sim- 
plement «  d'un  mauml  portatif  et  d'un  prix  modique,  pouvant 
néanmoins  suppléer,  dans  une  certaine  mesure  des  ouvrages  chers  et 
volumineux.  »  Or,  après  avoir  lu  en  entier  ce  manuel ,  nous  devons 
avouer  que  Tauteur  nous  a  paru  avoir  atteint  le  but  qu'il  se  proposait. 
Diverses  tentatives  de  ce  genre  ont  été  faites  antérieurement  pour 


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iHBLiOGRAPine.  509 

cerlaines  contrées  de  notre  province  ;  aucune  ne  nous  semble  digne 
d'élre  citée  comme  exemple.  Il  n'y  avait  donc,  avant  M.  Huot, 
aucun  modèle  à  recommander.  Cependant  il  y  avait ,  épars  cà  et  là  , 
dans  des  livres  et  des  écrits  spéciaux ,  de  nombreux  matériaux  jetant 
la  lumière  sur  quelques  points  restreints  d'histoire  et  de  connaissances 
usuelles.  H.  Huot ,  qui  habite  l'Alsace  depuis  quelques  années  seu- 
lement ,  n'a  pas  tardé  à  découvrir  le  défaut  de  cette  situation  et  à 
rassembler  les  matériaux  qui  devaient  lui  permettre  d'y  remédier.  Il 
s'est  donc  mis  en  mesure  de  parcourir  le  pays  en  tous  les  sens ,  c'est- 
à-dire  d'aller  chercher,  sur  les  lieux  mêmes  ^  les  informations 
qu'aucun  livre  ne  lui  aurait  fournies  avec  assez  de  détails  pour  écrire 
les  excursions  et  les  causeries  que  M^^  veuve  Berger-Levrault  et  fils 
ont  élégamment  et  correctement  éditées.  On  comprend ,  dès  ce  moment , 
qu'outre  les  matériaux  essentiels  empruntés  à  d'autres ,  l'auteur  a  mis 
beaucoup  du  sien  dans  le  travail  qu'il  produit,  et  qu'avec  un  style 
élégant  et  facile ,  son  savoir  et  sa  critique ,  il  a  composé  un  manuel 
très-recommandable . 

Hais  nous  avoils  d'autres  motifs  à  faire  valoir  en  faveur  de  cette 
agréable  production.  Le  principal  est  tiré  du  sentiment  d'où  elle 
dérive.  Elle  est  incontestablement  le  fruit  d'un  amour  sincère ,  d'une 
affection  vive  pour  le  pays  qui  en  est  l'objet.  M.  Huot  aime  l'Alsace 
parce  qu'il  sait  l'apprécier  ;  et  il  l'estime  à  sa  juste  valeur  parce  que , 
étant  en  mesure  de  juger  sainement  par  voie  de  comparaisons ,  il  a 
assez  de  franchise  et  de  désintéressement  pour  exprimer,  sansambage, 
le  sentiment  qu'elle  lui  inspire.  Ce  n'est  pas  chose  si  commune  que 
de^  rencontrer  justice  équitable ,  pour  notre  province ,  de  la  part  de 
personnes  qui  lui  sont  étrangères.  Notre  dialecte ,  notre  langue  mère , 
conséquemment  notre  origine  sont ,  pour  la  plupart  de  ces  personnes, 
la  cause  d'un  sentiment  différent  de  celui  de  M.  Huot.  Comme  lui ,  elles 
savent  le  latin ,  le  grec  et  Montaigne  par  cœur,  mais  elles  ne  sauront 
jamais  un  mot  d'allemand.  M.  Huot  au  contraire  veut  savoir  quelque 
chose  de  cette  langue  et  sa  première  préoccupation,  lorsqu'il  débarque 
de  ce  cAté-ci  des  Vosges ,  qui  n'est  plus  un  pays  conquis ,  c'est  d'en 
apprendre  autant  qu'il  lui  sera  possible.  Il  faut  bien  que  l'allemand  ne 
lui  ait  point  paru  si  barbare  pour  être  arrivé ,  en  quelques  années,  à 
tirer  des  titres  et  des  «textes  consultés ,  les  mots  nombreux  et  les  cita- 
tionsVréquentes  qui  émaillent  chaque  page  de  ses  causeries  y  et  à 
l'endroit  desquels  il  s'est  cru  obligé  de  produire  une  {ustification.  On 


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540  KBfVn  D*AU4I». 

serait  donc  mal  veau  de  lui  chercher  querelle  àâ  déUU  sur  ce  aqel  ; 
il  Gatut  plutôl  l'applaudir  et  le  louer  de  n'avoir  pas  reculé  devant  une 
tâche  aussi  intéressante  que  difficile  et  de  l'avoir  accomplie  avec  la 
patience  que  Térudii  apporte  dans  ses  recherches  et  l'amour  de 
l'artiste  dans  l'exécution  de  son  œuvre. 

Nous  n'aurions  pas  intégralement  payé  notre  dette  envers  M.  Hnotsi, 
après  avoir  dit  l'impression  générale  que  nous  avons  perçue  à  la  lecture 
de  son  volume ,  nous  ne  dirions  pas  aussi  les  regrets  que  cette  lecture 
nous  a  feit  éprouver.  Nous  aurions  aimé  moins  de  sobriété  dans  l'in- 
dication des  sources.  Justice  est  rendue  à  tous,  il  est  vrai,  maîsi 
quelques-uns  avec  plus^de  libéralité  qu'à  d'autres.  Or^  dans  la  répu- 
blique des  lettres ,  on  est ,  à  juste  titre ,  amoureux  de  l'égalité  et  le 
plus  mince  ouvrier  revendique  les  égards  que  l'on  a  pour  les  plus  forts. 
C'est  Tensemble  des  idées  ^  l'ensemble  des  recherches  qui  fait  la  vie  de 
la  république  et  c'est  pour  cela  que  chacun  de  ses  citoyens  est  jaloux 
de  la  part  qu'il  y  apporte. 

Cette  remarque,  que  nous  avons  voulu  faire  pour  user  du  droit  de 
critique  dont  M.  Huot|a  un  sentiment  très-élevé,  ne  porte  aucune 
atteinte  au  fond  de  l'ouvrage  que  nous  estimons  très-haut  et  que 
recommandons  on  ne  peutl^plus  chaudement  au  public  et  aux  lecteurs 
de  la  Revue. 


m. 

Mélanges  D'msTomE  bt  de  critiqtje  triTÉRAmE  ^  par  Louis  Spagh  , 
archiviste  du  département  du  Bas-Rhin.  —  Troisième  série.  — 
Strasbourg,  typographie  de  G.  Silbermann.  —  1866.  —  Un  volume 
in-12  de  ?18  pages. 

C'est  d'une  œuvre  plus  modeste  que  les  précédentes  dont  nous  avons 
à  dire  quelques  mots  en  cette  occasion.  Elle  eet  la  troisième  série  des 
éudee  auxquelles  se  li/vre  notre  gracieux  et  libéral  pivot  de  la  vie  litté- 
raire en  Alsace ,  pour  recommander  et  encourager  les  travaux  de  tout 
genre.  Si  le  r6le  qu'il  consent  à  remplir  n'est  pas  toujours  facile»  s'il 
est  escorté  de  difficultés  déticates ,  si  enfin  il  est  quelque  foie  suivi  de 
déboires  aussi  iniustes  qu'inattendus ,  il  n'en  demeure  pas  moins  le 


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BIfiUOGBAFIIIE.  5H 

r6Ie  principal  de  la  naanifeslation  dé  notre  vie  intellectuelle  ;  celui  qui 
le  remplit ,  avec  un  savoir  et  un  talent  qu'aucun  autre  n'égalerait ,  peut 
être  convaincu  que  l'on  fait  le  plus  grand  cas  des  services  qu'il  rend  et 
que  tout  le  monde  lui  en  tient  compte.  Nous  disons  cela  au  risque  de 
blesser  la  modestie  de  M.  Spach ,  car  personne,  mieux  que  nous,  n'est 
initié  aux  véritables  mobiles  de  ses  actes  :  ils  procèdent  des  inspirations 
d'une  conscience  portée  à  faire  le  bien  et  à  trouver  sa  récompense  dans 
la  satisfaction  qu'elle  se  procure. 

C'est  du  menu  produit  littéraire  de  l'écrivain  que  cette  note  doit  faire 
mention.  Mais ,  même  dans  ce  menu  ,  il  y  a  de  quoi  enrichir  la  science, 
étendre  les  connaissances  des  lecteurs ,  épurer  nos  sentiments.  Ainsi , 
la  biographie  alsacienne  sera  tributaire  de  cette  troisième  série  des 
Mélanges, ,  au  même  titre  que  les  travaux  historiques  le  sont  des  ou- 
vrages plus  considérables  du  même  auteur  et  de  ses  publications  dissé- 
minées. Lereboullet,  Paul  Lehr,  David  Richard,  trois  noms  qui  ont 
conquis  une  place  dans  la  mémoire  des  contemporains ,  y  sont  l'objet 
de  biographies  que  liront  avec  reconnaissance  ceux  pour  qui  elles  ont 
passé  inaperçues  et  que  l'on  consultera  nécessairement  quand  on  voudra 
écrire  notre  histoire  scientifique  et  littéraire.  C'est  ainsi  qu'en  suivant 
infatigablement  la  voie  dans  laquelle  il  s'est  engagé  pour  être  agréable 
d'abord ,  pour  remplir  ensuite  ce  qu'il  considère ,  à  d'autres  égards , 
comme  un  devoir ,  H.  Spach  est  assuré  que ,  même  ses  travaux  les 
moins  importants ,  ne  seront  pas  rangés  parmi  ceux  qui  ont  une  exis- 
tence éphémère.  On  ne  lira  pas  avec  moins  de  plaisir  ni  moins  de 
profit  que  les  biographies ,  le  texte  de  trois  conférences  publiques  tenues 
à  Strasbourg  dans  les  mois  de  mars  et  d'avril  4865.  Le  sujet  traité  est 
familier  à  M.  Spach  ;  ce  sont  les  œuvres  de  Schiller  qui  en  ont  fourni 
la  matière  et  l'on  pense  bien  que  ce  n'est  pas  aux  moindres  chefs- 
d'œuvre  du  grand  poète  que  le  critique  a  demandé  ses  inspirations. 
Jeanne  d'Arc  dont  il  a  vengé  la  pureté  quelque  peu  ternie  par  les  har- 
diesses du  poète;   Guillaume  Tell,  dont  il  a  essayé  de  réhabiliter 
l'existence  et  le  rôle  que  la  science  ou  le  scepticisme  lui  contestent  et 
que ,  c  ombre  idéale  ou  homme  pétri  du  même  limon  que  nous  ,  »  il 
salue  avec  enthousiasme;  Wallenstein  ,  ce  duc  de  Finlande  qui  a  pris 
une  4  iT^nde  pUce  dans  la  guerre  de  trente  ans,  voilà  les  sujets 
esquissés  par  M.  Spach  et  qu'on  lira  toujours  avec  intérêt  dans  le  petit 
volume  que  nous  nous  faisons  un  véritable  plaisir  de  signaler. 


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512  ,  RBVUE  D* ALSACE. 

IV. 

Pour  terminer  ce  bulletin  nous  mentionnerons  un  petit  travail  de 
M.  Henri  Bardy ,  de  48  pages  in-8<*,  et  renfermant  de  curieuses  infor- 
mations météorologiques  c  sur  le  xiii*  siècle  et  les  années  1755  et  sui- 
vantes. >  On  comprend  que  des  recherches  de  ce  genre  ne  peuvent  avoir 
d'autre  but  que  celui  de  la  composition*  pure  et  simple  d'un  document 
préparé  à  Tusage  de  celui  ou  de  ceux  qui  s'occuperont ,  un  jour,  d'é- 
tudes climatériques  et  qui  seront  bien  aise  de  trouver  rassemblées ,  dans 
un  cadre  aussi  restreint,  les  observations  recueillies  par  Jqi  chroni- 
queurs ,  pendant  tout  un  siècle.  C'est  ce  travail  de  compilation  que 
M.  Bardy  a  eu  l'attention  du  faire  pour  le  xiii*  siècle  en  groupant  les 
remarques  du  Dominicain  de  Colmar ,  d'après  l'édition  de  1854,  dont 
notre  aimable  compilateur  dit  beaucoup  de  bien  et  dont  un  débutant 
ecclésiastique  s'est  évertué  ^  huit  ans  après  la  publication ,  à  dire  beau- 
coup de  mal.  Ces  extraits  sont  précédés  de  renseignements  analogues , 
mais  inédits ,  que  M.  Bardy  a  trouvés  au  verso  de  la  couverture  du 
Journal  de  rhôtel-de-ville  de  Belfort  de  1749  à  1774,  Inutile  de  faire 
remarquer  que  ces  renseignements  atmosphériques  concernent  spécia- 
lement l'Alsace.  Comme  nous  l'avons  dit ,  notre  collaborateur  n'a  eu 
d'autre  but  que  de  grouper  dans  un  cadre  restreint  des  notes  recueillies 
sur  notre  climat  au  xiii®  siècle ,  laissant  à  d'autres  le  soin  de  les  dis- 
cuter et  de  dire  si  ce  climat  s'est  détérioré  ou  amélioré  depuis.  La  petite 
brochure  en  question  est  un  extrait  des  Annale$  de  la  Société  d^émulaiûm 
des  Vosges. 

Frédéric  Kurtz. 


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J        k' 


GOftRESPONDANGE 

DE  L'ABBÉ  GRANDIDIER 


ET  AUTRES  DOCUMENTS  RELATIFS  A  CET  HISTORIEN , 
A  SA  FAMILLE  ET  A  SES  OUVRAGES. 


—  Suite  01  fin.  *  — 

Extrait  dune  lettre  de  Grandidier  à  Le  Brigant , 
en  date  du  29  décemltre  1779  \ 

M.  Oberlin  vous  aura  sans  doute  répondu  ;  comme  cet  ouvrage  lui 
est  dédié  et  qu'il  en  a  fait  les  frais ,  je  ne  crois  pas  qu'il  soit  pressé 
pour  le  remboursement.  Il  trouvera  certainement  de  quoi  les  remplir 
par  le  débit;  ainsi  n'aies  aucune  inquiétude  pour  le  paiement.  M.  Oberlin 
ne  le  pressera  pas.  Je  Facquitterai  dans  le  moment  où  je  pourrai  le 
soupçonner  pressé  de  retirer  les  deux  louis  qu'il  a  avancés  pour  vous. 

Je  ne  doute  pas  de  l'honneur  que  vous  procurera  cet  ouvrage.  Vous 
n'en  acquerrerés  pas  moins  de  celui  qui  traitera  de  la  maison  de  R.  ' 

Croies  qu'entre  toys  vos  amis  vous  n'en  trouvères  pas  de  plus  fidèle 
et  de  plus  dévoué  que 

L'abbé  Grandidier. 


*  Voir  les  livraisons  d*août ,  septembre ,  oaobre ,  novembre  et  décembre  1865, 
pages  357 ,  585  ,  453 ,  502 ,  549,  et  octobre  1866 ,  page  465. 

*  Cet  extrait,  qui  a  été  adressé  à  Oberlin  par  Le  Brigant,  le  iâ!  avril  1780, 
se  trouve  dans  le  lome  6  de  la  correspondance  d'Oberlin. 

'  Rohaa. 
jaUérie.-  17*  Année.  <^3 


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5U  REVUK  d' ALSACE. 

Extrait  ttme  lettre  de  Champlain  de  la  Blaneherie  à  OberUn. 

Paris,  le 37 mai 4778. 
Mes  très-humbles  respects ,  s'il  vous  piait,  à  M.  l'abbé  Grandidier. 
J'ai  reçu  avec  beaucoup  de  reoosnoissance  l'ouvrage  que  H.  Becker  m'a 
apporté  de  lui  :  il  est  mis  sous  les  yeux  du  public  tous  les  jeudis,  el 
j'ai  eu  le  plaisir  d'eu  entendre  faire  l'éloge. 
Expliquez-vous ,  etc. 

La  Blangherie. 


Extrait  d'une  lettre  de  Ch.  delà  Blaneherie  à  Oberlin. 

Le  18  novembre  1779. 

Je  vous  prie  de  vouloir  bien  présenter  à  H.  l'abbé  Grandidier  mes 
très-respectueux  hommages ,  et  lui  faire  part  des  mêmes  sentiments 
qui  m'animent  à  son  égard.  Je  comprends  que  l'incendie  du  château 
de  Saverne  vous  a  beaucoup  occupé  ^  ainsi  que  lui.  C'est  un  malhear 

d'autant  plus  triste  qu'il  n'y  a  pas  plus  de  remède  qu'à  la  mort 

Où  en  sont  vos  ouvrages  à  l'un  et  à  l'autre? 

Je  vous  prie ,  H.  l'abbé  Grandidier  et  vous ,  de  me  procurer  souvent 
l'occasion  de  vous  être  utile  et  agréable ,  etc. 

La  Blangherie. 


Extrait  Sune  lettre  de  Ch.de  la  Blaneherie  à  OberUn. 

Paris,  le  14  Janvier  1780. 

J'ai  reçu  le  second  volume  de  Y  Histoire  de  V Eglise  de  Strasbmrg\ 
j'attends  avec  grande  impatience  que  H.  l'abbé  Grandidier  m'ait  fait 
passer  le  premier.  Je  vous  prie  de  le  remercier  de  toutes  les  choses 
tendres  qu'il  a  la  bonté  de  me  dire  dans  ses  deux  dernières  lettres. 

La  Blangherie. 


Extrait  d'une  lettre  de  Ch.de  la  Blaneherie  à  Oberlin. 

Paris,  leS5JaiUeti787. 

Je  n'entends  plus  parler  du  chanoine  historiographe,  ni  de  H.  Spiel- 
man.  Mille  complimens ,  si  vous  les  voyez. 

La  BLAifCHEmE. 


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CORRESPONDANCE  DE  L'ABBÉ  GRANDIDIER  ,  ETC.  515 

Extrait  S  une  lettre  de  dom  Maurice  Rïbbelé  à  Oberlin. 

St.  Blasien,  d.  il  nov.  1787. 

Ja  !  Yfir  haben  hier  die  lelze  Tage  des  besten  Abbé  Grandidier 

gefeyrel! 

Hauriz  Kibbele;. 


Lettres  du  baron  de  Zur-Lauben  à  Oberlin  '. 

1. 

Zug ,  le  5i  octobre  1787. 

Monsieur , 

Vous  m'annonces  la  mort  de  notre  ami  H.  Fabbé  Grandidier,  et 
reloge  que  vous  en  faites  me  rend  d'autant  plus  chère  sa  mémoire.  Je 
le  regrette  infiniment  ;  c'est  une  vraie  perte  pour  ses  amis,  pour  Thu- 
manité  et  les  lettres.  Son  second  volume  de  l'histoire  d'Alsace  était 
très  avancé  pour  l'impression  :  c'est  un  enfant  orphelin  qui  demande  un 
père.  Le  défunt  aura  laissé  les  matériaux  nécessaires  ;  ce  seroit  un 
meurtre  de  les  soustraire  au  public ,  etc. 


IL 

Zug  Jt>  i!»  mai  1788. 

Je  regrette  toujours  vivemenl  notre  ami  M.  Grandidier  ;  c'est  un 
meurtre  si  on  ne  publie  pas  ses  chartes ,  dont  une  grande  partie  l'étoit 
déjà  pour  le  2<^  volume ,  lorsque  la  mort  nous  l'a  ravi ,  ce  précieux 
littérateur.  On  m'a  dit  qu'un  libraire  de  Strasbourg  possédait  son  ma- 
nuscrit du  texte  historique  ;  j'ose  donc  encore  espérer  que  ce  texte 
qu'on  croioit  perdu  paraîtra  malgré  l'envie  qui  sembloil  l'avoir  con- 
damné aux  ténèbres ,  etc. 


'  Ces  lettres  se,  trouvent  dans  le  tome  13  de  la  correspondance  d'Oberlin. 


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516  REVUE  D* ALSACE. 

m. 

Zng,  le  91  août  1788. 

J*ai  été  enchanté  d'apprendre  que  M.  de  Turckheim ,  ammestre  de 
Strasbourg ,  avoit  acquis  les  manuscrits  de  notre  bon  ami  M.  Fabbé 
Grandidier.  M.  de  Turckheim  seroit-il  le  même  a^ec  qui  j'ai  été  pen- 
sionnaire, en  1731-1735,  au  Collège  royal  des  Quatre-Nations ,  à 
Paris  ?  Ou  seroit-il  noTeu  ou  fils  du  même ,  mon  ancien  et  cher  cama- 
rade du  Collège  Mazarin?  Si  cela  étoit,  je  prendrois  la  liberté  de  lai 
écrire  pour  hâter  la  suite  de  l'édition  du  diplomatarium  de  M.  6ran- 
didier,  etc. 

Le  Baron  de  Zur-Lauben. 


Extrait  (Tune  lettre  de  Melchior  Rangon  à  Oberlin  ». 

Tario  ,  91  avril  1790. 

Peu  de  tems  me  reste  à  m'entretenir  avec  vous  dans  cette  journée  de 
courrier,  mais  permettez  que  je  vous  demande  si  les  ouvrages  posthumes 
de  M.  Grandidier  se  publient  ou  non 


Melchior  Rangon. 


Corresp.  d'Oberlio ,  tome  9. 


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ÉTUDES  D'HISTOIRE  GONTBMPORAINB. 


DU  MOUVEMENT  RELIGIEUX 

PARMI     LE8     PK0TE8TANTS     d' A  LLEIVI AGN  E. 


Il  ne  sera  peut-être  pas  sans  intérêt  pour  les  lecteurs  de  la  Revue 
d'Akace  d'avoir  quelques  données  sur  le  mouvement  qui  agite  en  ce 
moment  le  protestantisme  allemand.  On  sait  comment  la  dissidence  a 
éclaté  il  y  a  quelques  trente  ans  dans  le  monde  théologique  par  la 
publication  de  la  Vie  de  Jésus  du  D'  Strauss  ;  mais  en  dehors  des  uni* 
versités  Tinfluence  dominante  est  restée  à  la  tradition.  Surtout  depuis 
le  triomphe  de  la  réaction  sur  les  mouvements  de  1848  et  1849,  le 
parti  rétrograde,  en  religion  comme  en  politique,  a  joui  plus  que  jamais 
de  la  faveur  exclusive  des  gouvernements.  C*est  à  partir  de  1859  seule- 
ment qu'un  courant  contraire  se  déclara  sur  le  terrain  de  la  pratique , 
et  c'est  dans  le  pays  le  plus  voisin  de  la  France  et  de  l'Alsace,  le  grand 
duché  de  Bade,  qu'il  a  pris  naissance.  Il  se  manifesta  par  la  convocation 
des  protestants  de  ce  pays  à  Durlach  où  furent  agitées ,  dans  six  confé- 
rences successives ,  d'année  en  année ,  les  questions  les  plus  vitales  du 
temps  en  matière  de  religion.  Par  l'influence  prépondérante  qu'elles 
exercèrent  sur  l'opinion  publique ,  ces  conférences  déterminèrent  la 
révocation  du  concordat  et  posèrent  les  bases  de  la  législation ,  éminem- 
ment libérale ,  qui  régit ,  dans  ce  petit  mais  intéressant  pays ,  les  rap- 
ports de  l'Etat  avec  les  différents  cultes.  Tout  le  monde  sait  quels  con- 
flits cette  législation ,  dans  son  application  aux  écoles,  a  soulevées  avec 
le  clergé  catholique ,  qui  fait  encore  aujourd'hui  une  opposition  à  ou- 
trance à  l'organisation  de  l'enseignement  laïque.  La  constitution  inté- 
rieure de  l'Eglise  protestante  fut  abandonnée  à  un  synode  qui ,  sous 
l'influence  des  principes  discutés  et  votés  à  Durlach,  confia  la  direction 
des  affaires  ecclésiastiques  à  des  autorités  où  dominait  l'élément 
laïque. 


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5i8  REVUE  d' ALSACE. 

C'est  dans  la  cinquième  des  conférences  de  Durlach  ,  tenue  le  3  août 
1863,  que  fut  décidée  la  fondation  d'une  Union  protestante  {Proies- 
tantenverein)  embrassant  toute  l'Allemagne.  Cette  association  a  tenu 
ses  premières  assises  à  Eisenach ,  le  7  et  le  8  juin  4865.  Ses  travaux 
ont  été  publiés  en  brochure ,  sous  le  titre  de  :  Der  erste  detUsche 
Protestantentag  gehalten  zu  Eisenach.  Pour  mettre  ses  lecteurs  à 
même  de  juger  de  l'intérêt  qu'ils  offrent,  la  Revue  va  donner  ici 
l'énoncé  des  différentes  questions  traitées  et  les  thèses  dans  lesquelles 
les  rapporteurs,  chargés  de  préparer  les  décisions  de  l'assem- 
blée ,  ont  résumé  leurs  propositions.  Ces  thèses  proclament  plutôt  des 
principes  qu'elles  ne  recommandent  des  mesures.  C'est  que ,  d'après 
les  statuts  de  l'association ,  les  mesures  d'exécution  sont  confiées  à  un 
comité  permanent  et  que  les  assemblées  générales  se  bornent  à  expri- 
mer l'esprit  dont  le  comité  devra  s'inspirer. 

La  première  question  discutée  était  celle-ci  ;  Par  quels  moyens  peut- 
on  regagner  à  l'Eglise  ceux  de  ses  membres  qui  s'en  sont  éloignés? 
Elle  a  fait  l'objet  d'un  rapport  de  la  part  du  conseiller  ecclésiastique 
D'  Rothe  de  Heidelbeif ,  se  résumant  dans  les  thèses  suivantes  : 

I.  L'éloignement ,  malheureusement  incontestable ,  que  des  masses 
et  des  classes  entières  de  notre  population  évangélique  allemande 
témoignent  pour  les  choses  de  l'Eglise ,  n'est  pas ,  chez  la  plupart 
de  ces  indifférents  ^  éloignement  pour  le  christianisme ,  moins  encore 
pour  toute  croyance  religieuse  ;  beaucoup  d'entre  eux  sont  morale- 
ment et  chrétiennement  bien  au-dessus  des  chrétiens  d'habitude, 
même  les  plus  assidus  à  l'église.  On  n'est  donc  nullement  autorisé  à 
conclure  du  fait  dont  il  s'agit  que  les  sentiments  chrétiens  de  nos  con- 
temporains soient  moindres  que  ceux  de  la  chrétienté  des  siècles  pré- 
cédents. Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ce  fait  constitue  un  grand  danger 
tant  pour  les  indifférents  eux-mêmes  que  pour  l'Eglise.  Pour  celle-ci  le 
danger  est  d'autant  plus  grand  que  l'éloignement  dont  elle  est  l'objet 
règne  précisément  dans  les  classes  les  plus  honorables  et  les  plus 
influentes^  parmi  ce  qu'on  appelle  les  personnes  éclairées.  C'est  donc 
un  devoir  impérieux  pour  l'Eglise  d'aviser  à  ce  mal,  auquel  tout 
chrétien  sincère  doit  d'ailleurs  avoir  à  cœur  de  trouver  un  remède. 

II.  Ce  mal  ne  peut  pas  être  guéri  par  des  mesures  isolées  ;  il  exige 
une  cure  radicale ,  dont  la  première  condition  est  le  discernement  de  la 
cause  de  la  maladie.  Et  cette  cause  n'est  pas  à  chercher  dans  une  pro- 
fonde corruption  morale  de  nos  contemporains.  D'après  la  nature  même 


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ÉTUDBS  DHISTOIRE  CONTEMPORAINE.  510 

de  la  chose ,  le  mal  ne  peut  qu'être  principalement  imputable  à  l'Eglise 
elle-même.  Car  celle-ci  n'est  bonne  à  rien  dès  qu'elle  ne  possède  pas 
la  puissance  morale  nécessaire  pour  gagner  et  pour  s'attacher  les  cœurs 
de  ses  fidèles. 

m.  Si  l'on  consulte  l'histoire»  la  cause  du  phénomène  se  révèle  clai- 
rement dans  cette  circonstance  qu'il  est  contemporain  de  la  grande 
révolution  historique  par  laquelle ,  dans  le  peuple  allemand  et  pendant  la 
seconde  moitié  du  siècle  dernier,  la  conscience  moderne  et  la  civilisation 
moderne  se  sont  fait  jour  et  ont  amené  à  leur  suite  la  manière  de  voir 
et  les  maximes  qui  leur  sont  particulières  ;  elle  se  révèle  encore  en  ce 
que  l'indifférence  règne  surtout  dans  les  classes  de  la  société  qui  sont 
le  plus  pénétrées  de  cet  esprit  moderne.  L'église  n'a  pas  su  prendre  à 
l'égard  du  monde  nouveau  la  position  convenable  et  finalement  la  tendance 
dominante  dans  son  sein  a  fait  une  opposition  de  principe  à  ce  monde 
qu'elle  a  déclaré  non  chrétien  ou  même  anti-chrétien.  De-là^  comme 
conséquence  inévitable,  le  profond  éloignement  qu'à  inspiré  l'Eglise  à 
tous  ceux  dont  l'esprit  moderne  s'était  emparé.  C'est  pourquoi  l'éloi- 
gnement  dont  il  s'agit  ne  peut  être  surmonté  que  par  un  seul  moyen , 
c'est  que  l'Eglise  soit  retirée  de  la  fausse  position  qu'elle  affecte  envers 
le  développement  de  la  culture  moderne  et  remise  dans  la  position  juste 
qui  lui  convient  à  cet  égard. 

IV.  Le  moment  actuel  offre ^  autant  qu'il  le  faut,  les  conditions 
nécessaires  pour  faire  avec  espoir  de  succès  une  tentative  dans  ce  sens. 
Cette  tentative  toutefois  ne  peut  réussir  que  si  les  deux  parties  mettent 
la  main  à  l'œuvre,  l'Eglise  et  ceux  qui  sont  éloignés  d'elle. 

|o  L'Eglise  doit  d*abord  conclure  sincèrement  et  en  toute  connais- 
sance de  cause  un  traité  de  paix  et  d'amitié  avec  la  civilisation  moderne. 
Mais  elle  doit  le  faire  sous  la  réserve  formelle  que  la  civilisation  mo- 
derne se  soumettra  à  l'influence  éducatrice  de  Tesprit  de  Christ. 
L'Eglise  doit  elle-même  concourir  sans  arrière-pensée  à  construire 
cette  civilisation ,  mais  en  s'efforçant  constamment  de  la  purifier  et  de 
la  sanctifier.  Elle  doit  ensuite  régler  ses  rapports  intérieurs  d'une  ma- 
nière qui  réponde  aux  besoins  réels  des  chrétiens  d'aujourd^hui ,  c'est- 
à-dire  des  chrétiens  modernes,  notamment  dans  sa  doctrine  et  sa 
constitution.  En  ce  qui  concerne  la  doctrine,  elle  doit  annoncer  Christ 
à  la  génération  présentement  vivante ,  dans  la  langue  de  celle-ci ,  c'est- 
à-dire  eu  faisant  appel  aux  sentiments,  aux  pensées  et  en  employant 
les  expressions  propfes  à  cette  génération.  Elle  ne  doit  pas  emprunter 


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520  REVUE  D'ALSACE. 

sa  langue  à  une  forme  dogmatique  qui  appartient  à  un  temps  depuis 
longtemps  passé  e(  qui  n*a  plus  guère  qu'une  valeur  historique.  Géné- 
ralement parlant ,  elle  ne  doit  pas  imposer  de  croyances.  Le  besoin 
réel  des  hommes  du  présent  en  ce  point ,  c'est  l'étude  des  grands 
faits  historiques ,  uniques  dans  leur  espèce ,  qui  ont  donné  une  ré^la- 
tien  au  monde.  S'assurer  de  leur  réalité  et  s'en  rendre  un  compte  aussi 
juste  et  aussi  complet  que  le  comportent  les  moyens  du  temps ,  voilà 
ce  qu'il  faut  à  ces  hommes  ;  voilà  le  travail  dans  lequel  l'Eglise  doit  les 
aider ,  selon  ses  forces.  Elle  ne  peut  le  faire  que  si ,  d'une  part ,  con- 
fiante dans  la  bonté  de  sa  cause ,  elle  accorde  sans  crainte  la  pleine 
liberté  de  recherche ,  et  si  de  l'autre  elle  fait  en  sorte  que  les 
résultats  de  son  travail  théologique  ne  soient  pas  cachés  à  la  com- 
munauté laïque ,  et  deviennent  autant  que  possible  un  bien  commun. 
Dans  ce  dernier  but  il  faudra ,  outre  la  nouvelle  direction  à  imprimer 
aux  publications  littéraires ,  recourir  à  des  institutions  particulières , 
principalement  à  des  conférences  libres  et  indépendantes  du  service 
divin ,  pour  lesquelles  on  devra  demander  le  concours  de  personnes 
autres  que  les  théologiens.  Tout  cela ,  sans  doute ,  augmente  considé- 
rablement les  devoirs  que  l'Eglise  impose  à  ses  serviteurs.  La  comli- 
tîUion  de  l'Eglise  elle-même  doit  ôtre  réformée  en  ce  sens ,  que  le 
christianisme  non  théologique  ou  mondain  obtienne  et  qu'on  lui  assure 
dans  l'Eglise  l'influence  et  la  part  de  direction  à  laquelle  il  a  droit  ;  en 
d'autres  termes ,  l'Eglise  ne  doit  pas  être  cléricale  ;  elle  doit  se  consti- 
tuer en  Eglise  de  comrnunavté.  Ceci  implique  la  nécessité  que  la  con- 
stitution donne  autant  de  jeu  que  possible  à  la  liberté  des  simples 
fidèles  et  qu'elle  leur  procure  l'occasion  de  concourir  à  son  œuvre ,  en 
travaillant  spontanément  à  réveiller  l'esprit  public  et  le  patriotisme. 

^  Les  personnes  éloignées  de  l'Eglise  y  les  hommes  de  la  culture 
moderne ,  doivent  de  leur  côté  sortir  de  leur  indifférence.  Ils  ont  besoin 
d'apprécier  à  leur  juste  valeur  la  puissance  effective  de  la  religion ,  du 
christianisme  et  de  l'Eglise  ^  ce  que  si  souvent  encore  ils  ne  savent  pas 
faire.  Us  doivent  tout  d'abord  apprendre  combien  ces  choses  sont  im- 
portantes ,  bien  plus  sont  indispensables  pour  les  intérêts  mêmes  qui 
forment  les  puissances  dominantes  de  la  vie  moderne  y  et  en  général 
pour  les  intérêts  moraux.  Il  faut  qu'ils  comprennent  que  sans  la  religion 
l'esprit  public  n'a  ni  fondement  ni  âme ,  que  notre  vie  morale  en 
particulier  repose  sur  le  christianisme  comme  sur  sa  base ,  qu'elle  y 
tient  comme  à  sa  racine.  D'un  autre  cêté,  ils  ont  à  comprendre  l'ini* 


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ÉTUDES  O'BISTOIRE  CONTEMPORAINE.  5ii 

portauce  de  ces  puissances  et  le  besoin  qu'ils  en  ont  pour  eux-mêmes 
perionneUemmt.  En  le  comprenant ,  ils  surmonteront  leur  répugnance 
invétérée  pour  TEglise,  répugnance  qu'ils  doivent  courageusement 
sdtjurer ,  s'ils  veulent  que  les  choses  s'améliorent.  Car  ce  sera  précisé- 
ment leur  retour  qui  sera  pour  TEglise  l'un  des  motifs  les  plus  puis- 
sants de  se  décider  à  la  réforme  qui  vient  d'être  indiquée. 

V.  Mais  afin  d'arriver  à  ce  que  les  deux  parties  mettent  réellement 
la  main  à  la  réalisation  de  ces  conditions  indispensables  ,  il  faut  l'union 
de  tous  ceux  qui  sont  vivement  pénétrés  de  leur  urgente  nécessité ,  à 
cette  fin  de  travailler ,  de  toutes  leurs  forces  réunies  et  d'après  un  plan 
bien  rétléchi^  à  réveiller  dans  TËglise  le  sentiment  toujours  plus  général 
et  plus  fort  des  conditions  du  progrès ,  telles  qu'elles  viennent  d'être 
définies.  L'Union  protestante  veut  être  une  association  semblable. 

Toutes  ces  thèses ,  qui  sout  développées  dans  un  discours  du  D' Roth 
(dont  le  Disciple  de  Jésus-Christ  a  donné  une  traduction  dans  ses  N«* 
du  31  octobre  et  du  15  novembre  1865),  ont  été,  après  de  courtes 
observations ,  adoptées  à  l'unanimité  par  l'assemblée. 

Venait  ensuite  la  question  des  mariages  mixtes.  Elle  fut  traitée  par 
le  professeur  de  Holtzendorff  de  Berlin  dans  un  rapport  dont  voici  les 
thèses  ou  conclusions. 

I.  L'Eglise  protestante  ne  doit  ni  désapprouver  les  mariages  mixtes 
ni  en  entraver  la  conclusion. 

IL  Le  clergé  catholique,  en  exigeant  du  fiancé  protestant  la  promesse 
de  faire  élever  ses  enfants  dans  la  religion  catholique ,  en  se  faisant 
donner  cette  promesse  par  serment,  par  écrit  ou  dans  toute  autre  forme , 
avant  la  conclusion  du  mariage ,  viole  le  principe  légalement  reconnu 
de  l'égalité  des  cultes ,  met  en  danger  la  paix  confessionnelle ,  trouble  la 
vie  commune  au  sein  tant  de  la  famille  que  de  la  nation ,  extorque  enfin 
aux  membres  de  l'Eglise  protestante  une  renonciation  illégale  à  la  liberté 
de  conscience  qui  leur  appartient. 

in.  L'Eglise  protestante  doit  s'abstenir  de  toutes  représailles  contre 
cet  injuste  procédé  et  ne  doit  de  son  côté  exiger  aucune  promesse  au 
sujet  de  l'éducation  confessionnelle  des  enfants  de  mariae[es  mixtes  ; 
mais  elle  fait  à  ses  membres  une  obligation  morale  de  refuser  toute 
demande  semblable  faite  par  l'Eglise  catholique. 

IV.  Elle  regarde  les  promesses  faites  à  l'Eglise  catholique  au  sujet  de 
l'éducation  des  enfants  comme  étant,  de  la  part  du  fiancé  protestant, 


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5!22  REVUE  d' ALSACE. 

une  marque  d'indifférence  pour  sa  propre  Eglise ,  un  abandon  anticipé 
de  sa  liberté ,  une  faiblesse  morale  et  un  manque  d*honneur. 

V.  L'Eglise  protestante  considère  de  telles  promesses  comme  non 
obligatoires  ;  elle  estime  qu'elle  doivent  céder  à  une  conviction  mieux 
réOécbie  et  que  la  législation  doit  en  prononcer  ia*nullité. 

VI.  L'Eglise  protestante  peut  abandonner  à  la  conscience  individuelle 
la  célébration  ecclésiastique  du  mariage ,  sans  craindre  que  celui-ci 
perde  pour  cela  de  sa  dignité  religieuse ,  et  elle  reconnaît  que  pour 
assurer  le  droit  des  relations  conjugales ,  garantir  Tégalité  des  confes- 
sions et  mettre  la  liberté  personnelle  à  l'abri  des  entreprises  du  clergé, 
le  seul  moyen  efficace  est  d'introduire  la  célébration  civile  du  mariage. 

La  discussion  s'établit  exclusivement  sur  la  thèse  VL  Tout  le  monde 
à  peu  près  veut  le  mariage  civil ,  mais  les  uns  demandent  qu'il  soit 
facultatif ,  les  autres  veulent  le  rendre  obligatoire.  Pour  calmer  l'orage 
qui  commençait  à  s'élever,  le  président  Bluntschli  propose  d'adopter 
les  thèses ,  en  renvoyant  au  comité  la  question  du  mariage  civil  obliga- 
toire touchée  dans  la  thèse  VI ,  afin  qu'il  en  soit  fait  rapport  à  la  pro- 
chaine assemblée.  Cette  proposition  est  adoptée  à  l'unanimité. 

Le  second  jour,  8  juin  1865 ,  s'ouvre  par  le  rapport  du  D'  Scbvrarz , 
prédicateur  de  la  cour  de  Gotha ,  sur  la  liberté  de  doctrine  et  ses  limites. 
Les  thèses  qui  résument  son  travail  sont  les  suivantes  : 

I.  Les  limites  de  la  liberté  de  doctrine ,  dans  le  protestantisme ,  ne 
sont  pas  marquées  par  les  confessions  de  foi,  qui  ont,  au  contraire, 
besoin  de  se  continuer  et  qui  ne  sont  autre  chose  que  les  documents 
historiques  des  croyances  du  temps  de  la  réformation  et  de  l'interpré- 
tation qui  était  alors  donnée  à  l'Ecriture. 

II.  Les  confessions  de  l'Eglise  protestante  ne  ferment  les  portes  que 
sur  le  passé,  elles  les  ouvrent  au  développement  à  venir.  L'exigence 
d'un  serment  à  prêter  sur  ces  confessions  est  anti-protestante  et  immo- 
rale. Là  où  elles  font  encore  l'obiel  d'un  engagement ,  celui-ci  ne  doit 
pas  se  rapporter  à  leurs  statuts  dogmatiques ,  mais  ne  peut  consister 
que  dans  l'abjuration  des  erreurs  fondamentales  de  l'Eglise  romaine. 

III.  Les  limites  de  la  liberté  de  doctrine  dans  le  protestantisme  ne 
sont  pas  marquées  par  l'autorité  de  la  lettre  de  l'Ecriture.  Loin  de  là , 
la  libre  recherche  dans  l'Ecriture  est  la  condition  fondamentale  do 
protestantisme. 

IV.  La  libre  recherche  dans  l'Ecriture  conduit  nécessairement  au 
libre  examen  de  l'Ecriture  elle-même»  de  l'authenticité  ou  de  l'inau- 


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ÉTUDES   D^HISTOIRE  CONTEMPORAINE.  523 

thenticité ,  de  Tàge  et  de  l'origine  de  ses  différentes  parties ,  de  ce  qui 
est  ou  non  historique  dans  ses  récits  ,  de  ce  qui  est  la  substance  et  de 
ce  qui  est  Fenveloppe  des  vérités  qu'elle  contient. 

V.  La  liberté  de  doctrine  n'est  pas  l'arbitraire  en  doctrine ,  elle  est 
limitée  par  les  bornes  mêmes  du  christianisme.  Ces  bornes  ne  sont  pas 
ce  qu'on  appelle  les  vérités  fondamentales  et  les  faits  fondamentaux , 
mais  la  vérité  fondamentale  unique  du  christianisme ,  de  telle  sorte  que 
tout  homme  qui  se  trouve  dans  le  cercle  de  cette  vérité  fondamentale 
et  de  son  développement  historique  conserve  le  droit  d'enseigner  dans 
l'Eglise  protestante. 

VI.  La  vérité  fondamentale  unique  du  christianisme  n'est  pas  de 
nature  dogmatique ,  mais  de  nature  religieuse  et  morale.  Elle  est  le 
christianisme  de  Christ,  l'Evangile  de  l'amour  et  de  la  filiation  divine , 
tel  qu'il  a  été  non  seulement  enseigné  par  Christ  lui-même ,  mais  ma- 
nifesté dans  sa  personne  et  tel  qu'il  l'a  scellé  de  sa  vie  et  de  sa  mort. 

VU.  La  liberté  du  docteur  de  la  science  théologique  est  en  outre 
limitée  par  le  sérieux  et  la  dignité  de  la  science  ;  elle  cesse  là  où  une 
raillerie  frivole  usurpe  la  chaire  scientifique. 

Vin.  De  même  encore  la  liberté  de  l'instituteur  du  peuple  et  du 
père  spirituel  est  limitée  par  la  nécessité  pédagogique  d'avoir  égard  au 
degré  d'intelligence  et  aux  besoins  de  la  communauté  et  par  cette  loi 
invariable  :  de  ne  jamais  démolir  sans  reconstruire  ,  de  n'employer  la 
négation  que  comme  un  moyen  de  rectifier  les  idées  matérielles  et  gros- 
sières et  de  les  élever  jusqu'à  une  vérité  supérieure. 

Comme  appendice  à  son  travail  le  rapporteur  caractérise  sévèrement 
la  levée  de  boucliers  contre  le  D' Schenkel  ;  il  flétrit  les  clameurs  soule- 
vées par  son  livre  sur  le  caractère  de  Jésus  {Charakterbild  Jesu)  et  les 
protestations  qui  se  sont  élevées  contre  la  sage  décision  du  conseil 
ecclésiastique  de  Bade. 

Après  une  discussion  dans  laquelle  les  contradicteurs  n'ont  pas 
manqué  y  les  thèses  sont  adoptées  dans  leur  partie  essentielle ,  au  con- 
tentement même  des  orateurs  de  la  droite.  L'un  de  ceux-ci  vote  ainsi  : 
€  La  tournure  que  la  discussion  a  prise  me  réjouit  bien  plus  que  si  ma 
motion  additionnelle  avait  été  adoptée.  >  Toutefois  les  deux  importantes 
questions  de  savoir  s'il  faut  établir  des  règles  pour  l'enseignement  et 
comment  l'Eglise  peut  en  assurer  l'observation  sont  réservées  à  une 
délibération  à  venir. 

La  quatrième  question  relative  aux  différends  qui  se  sont  élevés  dans 


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524  REVUE  D*ÀLSACE. 

l'Eglise  du  Mecklembourg  est  d'un  intérêt  trop  éloigné  pour  trouver 
place  ici.  Disons  seulement  que  le  gouvernement  de  cette  Eglise  a ,  par 
sa  rigidité ,  causé  une  telle  désaffection  que  dans  maiules  localités  te 
service  divin  ne  peut  plus  être  célébré  faute  d'auditeurs  ;  que  les  écoles 
sont  tombées  fort  bas  ;  qu'enfin  l'assemblée  a  déclaré  c  reconnaître 
c  dans  la  situation  de  l'Eglise  mecklembourgeoise  un  danger  imminent 
c  pour  toute  l'Eglise  évangélique  et  considérer  comme  un  devoir  de 
€  V Union  protestante  de  s'efforcer  de  la  changer.  » 

Il  y  a  lieu  de  penser  que  les  principes  posés  dans  cette  assemblée , 
composée  de  plus  de  cinq  cents  personnes  venues  de  tous  les  points 
de  l'Allemagne ,  ne  resteront  pas  stériles.  Espérons  qu*ils  influeront , 
non  seulement  sur  les  doctrines  qui  sont  présentées  à  l'assentiment  du 
siècle,  mais  encore  et  surtout  sur  la  manière  de  pratiquer  la  charité 
chrétienne.  Quand  les  gens  d'église  seront  bien  convaincus  que  la 
charité  du  moyen-âge ,  celle  qui  s'exerce  par  des  aumônes ,  est  aujour- 
d'hui insuffisante  ;  que  l'amour  chrétien  doit  se  transformer  selon  les 
exigences  du  temps  et  prendre  sa  place  dans  le  grand  mouvement  de 
l'association  et  du  développement  spontané  des  forces  individuelles  ; 
quand  ils  auront  résolu  ce  grand  problème  et  créé  les  œuvres  nouvelles 
que  cette  solution  comprend ,  ils  gagneront  les  cœurs  à  la  religion 
bien  plus  sûrement  que  par  tous  les  discours  du  monde. 

Ch.  Kûss. 


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HISTOIRE  DE  LA  VILLE  DE  SOULTZ. 

—  Suiiêêt  fin  ♦.  — 

EDIFICES  RELIGIEUX  DE  SOULTZ. 

SAINT-SÉBASTIEN. 

Cette  petite  église  faisait  Tangle  près  de  la  porte  du  faubourg  Saiat- 
Jean  ;  elle  occupait  remplacement  de  la  maison  Brihner ,  ferblantier. 
On  ne  connaît  pas  précisément  l'origine  de  sa  fondation  ;  il  est  à  pré- 
sumer qu'elle  fut  l'œuvre  de  quelques  âmes  pieuses ,  lors  de  quelque 
effrayante  mortalité.  Nous  pensons  qu'elle  fut  édifiée  à  l'occasion  de  la 
grande  peste  qui  régnait  en  1535  ^  et  dont  le  souvenir  est  .consacré 
dans  l'église  de  Saint-Martin  de  Colmar  par  une  inscription  en  hébreu , 
en  grec  el  en  latin.  Du  reste,  dans  un  document  écrit  en  allemand  et 
trouvé  en  1864  dans  la  boule  du  clocher  de  Soultz  on  lit,  qu'il  y  a  cent 
ans  ou  plus  que  la  peste  avait  tellement  sévi  à  Soultz,  que  les  habitants  se 
mirent  sous  la  protection  de  Saint  Sébastien ,  et  lui  élevèrent  une  cha- 
pelle attenante  à  l'hôpital.  Chaque  semaine  on  y  disait  une  messe  ;  une 
confrérie  fut  organisée  ,  et  on  y  établit  aussi  un  chapelain  qui ,  en 
1738 ,  se  nommait  Bernhard  Schmitt.  En  1663  un  nouvel  autel  y  fut 
dressé ,  autel  dont  l'exécution  fut  confiée  aux  sculpteurs  Georges  Muller 
de  Thann  et  Pierre  Amplatz  de  Soultz.  La  commission  municipale . 
préposée  à  cet  effet,  se  composait  de  Jean-Conrad  Jœger,  prévôt, 
Nicolas  Witschger ,  bourguemaître ,  Michel  Zipfel ,  Gabriel  Schnei- 
derlin ,  conseillers  ;  Ferdinand  Bautenmuhler ,  greffier  syndic ,  et  de 
Pierre  Lorenz ,  chef  de  la  confrérie  appelé  Buttmeister.  On  y  disait  la 
messe  tous  les  jeudis;  l'église  n'avait  qu'une  cloche,  elle  fut  confisquée 
en  1790  et  vendue. 

*  Voir  les  UYraisons  de  novembre  et  décembre  1861 ,  pages  499  et  £{29 ,  mars 
1862,  pige  13S ,  novembre  1865,  page  496,  mai ,  juin,  août  et  octobre  1866, 
p.  249.  ^7,  395  et  491. 

'  AN.  M.  D.  XLl.  Hominum  CIRGITER  III  et  D  GOLMARIS  PESTILENTIA 
PERIERE.  L'an  do  Gbrist  1541 ,  environ  3500  personnes  périrent  à  Colmar  par 
la  peste. 


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526  REVUE  D' ALSACE. 

COUVENT   DES  CAPUCINS. 

Cette  maison  religieuse  prit  naissance  en  1632  ;  elle  ne  fut  achevée 
qu'après  la  guerre  des  Suédois.  Rebâtie  à  neuf  un  siècle  après  (1732) , 
la  révolution  de  1789  en  fit  une  propriété  nationale  achetée  d'abord 
par  M.  Bemhard  et  plus  tard  vendue  à  M.  Magniëre.  Celui-ci  acheva  la 
construction  actuelle.  Vendue  en  1821  à  la  ville ,  elle  fut  transformée 
en  hôpital.  L'évéque  de  Strasbourg,  Jean-Pierre  Saurine,  en  tournée 
pastorale ,  y  succomba  d'une  attaque  d'apoplexie  foudroyante  au  mois 
de  mars  1813.  Le  mur  de  clôture,  la  cour  et  le  jardin  du  couvent 
avaient  absolument  la  même  conûguration  qu'aujourd'hui,  l'entrée 
était  où  elle  se  trouve  actuellement,  seulement  à  côté  de  la  grille  s'éle- 
vait une  petite  chapelle  avec  un  christ  et  deux  larrons  en  croix ,  dus  au 
ciseau  d'un  habile  sculpteur  \ 

L'église  longeait  la  route  de  Guebwriller  ;  le  cloître  donnait  vers  le 
chemin  et  les  jardins  du  Wolfhag.  L'église ,  d'une  architecture  toute 
simple ,  présentait  un  plan  rectangi\laire,  plus  long  que  large  en  regard 
de  la  ville  ;  elle  avait  une  façade  avec  portail  cintré ,  sans  ornement 
aucun ,  couvert  d'un  appentis  détruit  en  1 732  et  surmonté  d'une  ouver- 
ture ronde  en  forme  de  rosace  pratiquée  là  où  le  pignon  commençait  à 
se  rétrécir.  Chacun  des  côtés  recevait  le  jour  par  quatre  fenêtres 
arquées  d'après  une  gravure  de  1680;  à  linteaux  droits,  suivant  une 
gravure  du  dernier  siècle;  preuve  que  les  constructions  primitives 
avaient  été  changées. 

Le  toit  était  couronné  d'un  petit  clocher  pointu  assis  presque  immé- 
diatement au-dessus  de  la  naissance  du  chœur. 

Les  capucins  suivaient  la  règle  austère  de  Saint  François ,  créée  par 
Hathao  de  Bosco ,  en  1525 ,  et  confirmée  par  le  pape  Paul  III  en  1535. 

Ces  religieux  portaient  une  capote  brune  d'un  drap  très-grossier,  un 
capuchon  long  et  pointu  de  la  même  étoffe  ;  une  corde  en  crin  filé 
leur  ceignait  le  corps,  et  pour  toute  chaussure,  ils  n'avaient  que  des 
sandales  en  bois. 

La  prédication  et  la  mission  de  préparer  à  la  mort  les  condamnés , 
leur  étaient  spécialement  dévolues.  Jamais  l'exécuteur  de  Soultz  n'ac- 
complissait son  horrible  ministère  sans  rencontrer,  entre  lui  et  la 
victime ,  un  de  ces  Pères  qui  ne  délaissaient  pas ,  dans  ce  moment 

*  Rirbard  préund  que  c*est  le  même  ChrisC  qu*on  voit  dans  ane  chapelle  à 
Wui'nheim  ,  à  droite  en  entrant  au  village. 


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HISTOIRE   DR  LA  VILLE  DE  SOULTZ.  5Î7 

suprême,  Tinfortuné  retranché  de  la  société.  La  chaire,  cette  tribune 
chrétienne,  leur  était  principalement  confiée,  rarement  elle  était 
abordée  par  le  recteur  ou  le  chapelain  de  Saint-Maurice.  Les  capucins 
prêchaient  les  dimanches  et  les  jours  fériés. 

Le  supérieur  du  couvent  portait  le  titre  de  :  Quartian^  Père  gardien. 

Une  nouvelle  chapelle  vient  d'y  être  construite  par  les  soins  de  quel- 
ques personnes  pieuses  de  Soullz.  Elle  est  fort  jolie  ;  Ton  y  voit  un 
tableau  représentant  Napoléon  IIL 


SAINT-GEORGES.    SANCT  JÔRGEN. 

La  chapelle  de  Saint-Georges  était  assise  dans  la  prairie ,  en-deçà  du 
monticule  du  même  nom ,  vers  la  bifurcation  de  deux  chemins ,  dont 
l'un  conduit  à  la  section  cadastrale  appelé  le  Gehag,  et  Tautre  vers 
VOrschwillerburg.  Son  origine  ne  nous  est  pas  connue.  Méglin  y  fait 
entrevoir  le  lieu  de  sépulture  du  village  détruit  d'Alschwiller.  Le  char- 
nier qui  était  adossé  à  la  chapelle  donne  du  poids  cette  supposition. 
Du  reste  Saint  Georges  était  le  patron  d'Alschwiller.  La  population  de 
Soultz  se  rendait  chaque  année  (avant  1789)  en  procession  à  ce  petit 
temple,  détruit  lors  de  la  terreur.  A  Saint  Georges  étaient  affectés 
beaucoup  de  biens  qui  relevaient  de  la  cure  de  Soultz  ;  ces  terres ,  avec 
le  monticule,  turent  vendus  comme  biens  nationaux.  Le  tableau  repré- 
sentant Saint  Georges  et  provenant  de  Tantique  chapelle  fut  sauvée  par 
la  famille  Blumstein ,  qui  en  fit  cadeau  à  la  ville  pour  être  déposé  dans 
la  chapelle  du  cimetière  actuel ,  ou  il  existe  encore.  Les  anciens  de 
Soultz  se  rappellent  aussi  avoir  vu  ,  à  la  fin  du  dernier  siècle ,  et  près 
du  monticule  ,  une  statue  équestre  du  même  saint  en  pierre. 

Il  est  fait  mention  de  cette  chapelle  dans  Trouillat ,  tom.  ii ,  p.  524 , 
Capellanus  in  Akwilr  sancti  Geargii  III  marcis  (paie  trois  marcs  à 
révêché  de  Bâie.) 

Rodolphe  Kaldahusli ,  citoyen  de  BâIe ,  donne  à  l'église  de  Saint- 
Léonard  en  cette  ville ,  trois  schatz  de  vignes  sur  le  ban  d'Alschv^iller , 
près  de  la  chapelle  de  Saint-Georges ,  le  trois  mai  1792  * . 


*  Voyez  Histoire  de  SouU% ,  ptr  Ch.  Knoll  ,  feuille  il  ,  et  Bulletin  de  la  Société 
pour  la  eomerviUUm  deê  monumentê  hintoriques  d' Alsace,  4858,  lom.  n, 
livraison  .1 ,  page  141. 


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528  REVUE  D'ALSACE. 

OMBTI&RE  GATHOUQDE. 

L'ancien  cimetière  catholique  comprenait  tout  l'espace  situé  entre 
l'église  et  les  maisons  bâties  à  l'entour ,  la  place  de  Bouat  et  rempla- 
cement des  écoles  des  filles.  U  y  avait  jadis  en  ces  lieui  un  magnifique 
ossuaire  ;  les  crânes  y  étaient  symétriquement  empilés  ;  un  autel  s'y 
trouvait  et  l'on  y  célébrait  la  messe  le  3  novembre.  La  tradition  raconte 
que  lors  de  la  guerre  des  Suédois ,  quand  toute  la  population  avait  fui , 
soit  en  Suisse ,  soit  dans  les  forêts  du  Freundstein ,  Gros-Stall  et  Gros- 
Offen,  deux  femmes  s'étaient  cachées  dans  cet  endroit  et  y  ont  vécu 
trois  jours  sans  manger  ni  boire ,  pendant  que  les  vainqueurs  pillaient 
la  ville. 

Ce  charnier  fut  supprimé  avec  le  cimetière  en  1819.  C'est  dans  le 
courant  de  cette  année  que  se  firent  les  premiers  enterrements  sur  le 
cimetière  actuel ,  établi  â  l'angle  formé  par  la  route  de  BoUwiller  et  le 
chemin  de  grande  communication  menant  â  Ensisheim.  L'augmentatios 
continuelle  de  la  population  soultzienne  nécessita  son  agrandissement 
qu'on  réalisa  en  1852.  Cette  terre  funèbre  est  peuplée  de  beaux  mau- 
solées,  et  une  chapelle  spacieuse  y  fut  construite  en  1855  par  les  dons 
des  bourgeois.  C'est  dans  cette  chapelle  que  se  trouve  le  tableau  de 
Saint  Georges  qui  provient  du  petit  temple  attenant  â  la  butte  du  même 
nom. 


I 
I 
I 
I 

CIMETIÈRE   DES  PROTESTANTS.    *  i 


Ce  cimetière ,  qui  touche  à  celui  des  catholiques ,  date  également  de 
l'année  1819;  fermé  d'abord  seulement  en  partie,  il  fut  clos  «itière- 
ment  en  1851. 

CIMETIÈRE  DES  ISRAÉLITES. 

Il  est  aux  pieds  des  ruines  de  l'antique  manoir  de  Jungholtz.  Le 
terrain  appartenait  aux  Schauenbourg.  Au  dernier  siècle  les  Israéhtes 
en  firent  l'acquisition.  On  y  amène  les  morts  de  quatre  lieues  â  la 
ronde.  Jadis  il  y  avait  aussi  une  synagogue  dans  le  hameau  de  Jung- 
holtz. 

SYNAGOGUE. 

La  première  synagogue  que  les  Israélites  possédaient  en  ville  est  ce 
bâtiment  qui ,  de  nos  jours ,  leur  sert  d'école ,  de  logement  aux  pré- 
posés du  culte  et  de  bains  pour  les  femmes. 


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HISTOIRB  DE  LA  VILLE  DE  SOULTZ.  529 

En  i343 ,  lors  de  l'histoire  des  puits  empoisonnés ,  elle  fut  confisquée 
et  devint  propriété  particulière.  Proscrits  de  Soultz  ^  les  Israélites  y 
rentrèrent  plus  tard  au  nombre  de  sept  ménages  d'abord ,  plus  tard 
tolérés  jusqu'à  onze.  Us  ne  purent  toutefois  se  procurer  une  autre 
synagogue  que  vers  la  fin  du  dernier  siècle.  Ils  convertirent  en  temple 
une  maison  située  au  fond  d'une  impasse ,  entre  la  rue  des  Juifs  et 
celle  des  Vignerons.  Mis  en  jouissance  des  droits  civils  par  la]révoltttion 
française ,  et  ayant  beaucoup  augmenté  en  nombre  y  ils  cherchèrent  un 
local  plu3  vaste  pour  célébrer  leur  culte.  Une  maison  était  à  vendre . 
précisément  celle  qui  cinq  cents  ans  auparavant  avait  eu  la  même  des- 
tination -,  une  foule  d'inscriptions  hébraïques  y  déchiffréesjsur  les  linteaux 
des  fenêtres ,  sur  des  plaques  en  pierre  et  même  sur  les  murs  ne  lais- 
saient subsister  aucun  doute  à  cet  égard.  Us  'empressèrent  de  l'acheter 
et  de  lui  rendre  sa  forme  et  sa  destination  primitives  ;  mais  ce  local 
étant  encore  trop  peu  spacieux ,  ils  construisirent^en  1837  la  synagogue 
actuelle  qui  Ait  achevée  et  inaugurée  au  mois  de  juillet  1838. 

QUELQUES  DATES  DES  VIEILLES  CONSTRUCTIONS 
QUI  SE  TROUVENT  A  SOULTZ. 

1471.  Moulin  du  faubourg  de  Guebwiller.  Cet  édifice,  actuellement 
démoli,  appartenait  primitivement  à  la  commanderie.  Dès  l'année  1622 
il  fut  entre  les  mains  d'une  famille  Akermann. 

1489.  Eglise  Saint-Maurice ,  à  la  face  interne  de  la  grande  porte 
d'entrée. 

1510.  Maison  curiale. 

1550.  Maison  Quinfe.  On  lit  sur  le  contrefort  extérieur  :  Markard 
Deblin,  Bûrger  in  Basel ,  hat  dies  Bus  gebauven. 

1576.  Maison  Akermann ,  Grégoire. 

1575.  Maison  Risacher  y  brasseur. 

1574.  Maison  veuve  Schelbaum. 

1582.  Maison  Jacquet. 

1582.  Commanderie,  maison  KnoU  et  Stokart. 

1554.  Maison  Salm,  Louis. 

1587.  Maison  Riber. 

1587   Maison  Schneiderlin. 

1588.  Maison  MuUer^tein. 

1605.  Maison  d'Anlhès  et  de  Heekeren. 

3«Séri«.^l7*AjiBéc.  34 


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530  REVUE  d' ALSACE. 

1622.  Maison  Lévy-HoffmannV 

16  .  .  Moulin  Wilhelm. 

1661.  Cette  date  se  voit  sur  une  poutre  du  passage  de  la  Hôll ,  près 
de  la  synagogue.  La  date  de  la  vieille  maison  manque  ;  sans  doute 
qu'elle  remonte  aussi  au  16'' siècle,  vu  sa  cage  d'escalier.  J'ai  remarqué 
et  non  seulement  à  Souitz,  mais  dans  presque  tout  le  département  que 
les  constructions  du  16«  siècle  sont  toutes  munies  d'une  cage  o'escalier 
en  pierre,  surmontée  d'une  petite  tourelle.  Cet  escalier  en  spirale  et 
en  pierre  massive ,  donnant  issue  sur  chaque  étage ,  devait  être  d'une 
grande  ressource  lors  d'un  incendie. 

Le  puits  de  la  maison  Hudel  porte  le  millésime  1593. 

Charlrs  Knoll. 


*  iDscripUoa  en  allemand  sous  la  statue  Saint  Michel  (traducUon). 

ff  L*an  i6â2,  le  célèbre  et  renommé  Jean  Bail ,  capitaine  dans  le  régiment  de 
Son  Excellence  Impériale  Léopold ,  archiduc  d'Autriche  ,  premier  mestrc-de-camp 
de  la  ville  et  forteresse  de  Brisach  ,  a  édifié  cette  maison ,  placée  sous  la  sauve- 
garde de  Saint  Michel.  (Amen.) 

«  Les  présentes  assez  fidèlement  oopplé  de  son  original  (plutôt  traduit)  déposé 
au  greff'e  du  soussigné  notaire  et  greffier  de  la  ville  et  prévôté  de  Soultz  ,  pour  y 
avoir  recours  le  cas  échéant. 

«r  Soultz ,  ce  12  janvier  1771. 

«  Remy  ,  not.  et  greffier.  » 

En  1762  le  notaire  Remy  avait  acheté  cette  maison  de  feu  François  Gérard  , 
huissier ,  sergent  royal  ^  la  résidence  de  la  dite  ville  de  SouUz. 

Le  5  novembre  Remy  vend  l'hôtel  de  Saint-Michel  avec  grange,  jardin  ,  droit, 
appartenances ,  etc. ,  à  messire  Balthasar  de  Bergeret ,  seigneur  de  RicbwiUer 
et  de  Niedermorschwiller  et  autres  li^ux  ,  chevalier  de  Tordre  royal  et  militaire 
de  Saint-Louis,  pour  et  moyennant  la  somme  de  6500  livres  tournois  et  six  louis 
d'épingles.  Cat  hôtel  passa  entre  les  mains  d'un  M.  de  Nambsheim  et  en  dernier 
lieu  fut  acquis  par  des  fabricants  de  Bâle  qui  la  convertirent  en  rubanuerie. 


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LE  ONZIÈME  PLAIDOYER 

DE  L'AVOCAT  PATRU. 


Tout  le  monde  sait  que  Boileau ,  qui  prenait  fort  au  sérieux  le  titre 
de  Législateur  du  ParfMsse  dont  le  gratifiaient  ses  amis ,  ne  soumettait 
pas  volontiers  ses  œuvres ,  ses  vers  surtout,  à  leur  censure.  Il  faisait 
cependant  une  exception  en  faveur  de  Pavocat  Patru ,  surnommé  par 
ses  contemporains  :  le  Quiniilien  moderne,  et  qui,  né  en  1604,  acadé- 
micien dès  16409  pouvait,  par  son  âge  et  sa  haute  position  dans  le 
monde  lettré ,  servir  de  guide  à  un  jeune  robin  qui  avait  déserté  t  le 
culte  de  Thémis  pour  celui  d* Apollon,  ]»  ainsi  que  Von  disait  alors. 

En  1666 ,  Boileau  ,  âgé  de  29  ans,  avait  déjà  publié  les  sept  premières 
de  ses  satires  dans  lesquelles  il  traite ,  de  la  façon  que  chacun  sait , 
Quinault,  Colletet,  Cottin,  Saint-Amand  et  tant  d'autres.  Les  aménités 
qu'il  leur  adresse  le  conduiraient ,  de  nos  jours ,  en  police  correction- 
nelle; à  cette  époque  elles  ne  donnaient  lieu  qu'à  une  polémique  plus 
ou  moins  vive.  Les  amis  des  victimes  du  satirique  prirent  fait  et  cause 
pour  celles-ci  et  Boileau  leur  répliqua  par  la  satire  IX  qu'il  fit  précéder 
d'une  préface^en  prose  où  il  appuyait  sur  les  exemples  les  plus  célèbres 
de  l'antiquité  le  droit*dont  il  avait  usé  dans  ses  satires  précédentes. 

On  raconte ,  à  ce  sujet ,  qu'attachant  une  certaine  importance  à  cette 
préface ,  il  la  soumit  à  Patru  et  qu'arrivé  à  ce  passage  :  <  Je  pense 
avoir  montré passez  clairement  que,  sans  blesser  l'Etat  et  sa  conscience, 
on  peut|trouver  de  méchants  vers  méchants ,  et  s'ennuyer  de  plein 
droit  en  lisant  un  sot  livre  ;  »  Patru  arrêta  l'auteur  sur  ce  dernier 
membre  de  phrase ,  en  disant  :  «  Il  faut  changer  ceci  ;  c^est  un  alexan- 
drin, ce  qui ,  en  prose,  est  aussi  choquant  qu'un  vers  faux  en  poésie. j» 
Boileau  objectant  que  cela  est  impossible  à  éviter  d'une  manière  absolue , 
Patru  répliqua  :  «  Rien  n'est  impossible  a  qui  sait  écrire  ;  et  tenez  ! 
voici  le  recueil  de  mes  meilleurs  plaidoyers ,  de  ceux  que  je  destine  à 


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532  REVUE  D* ALSACE. 

rimpression  ;  je  vous  défie  d'y  trouver  un  seul  vers  !  >  Boileau  ouvre  le 
manuscrit  au  hasard  et  pose  un  doigt  triomphant  sur  un  titre  ainsi 
conçu  : 

<c  Onzième  plaidoyer.  —  Pour  un  Prince  allemand.  > 

Voilà  l'anecdote  ,  telle  qu'elle  a  été  racontée  par  les  contemporains . 
elle  doit  être  vraie.  D'abord ,  dans  la  préface  de  Boileau ,  le  vers 
proscrit  par  Patru  a  disparu  ;  on  y  lit  :  €  S'ennuyer  de  plein  droit  à  la 
lecture  d'un  sot  livre.  »  En  outre ,  le  titre  du  onzième  plaidoyer  ,  dans  le 
recueil  imprimé ,  forme ,  en  effet,  un  alexandrin ,  seulement  celui  qui 
a ,  le  premier ,  raconté  l'anecdote ,  citait  probalement  de  mémoire ,  et 
s'est  trompé  ;  le  véritable  titre  est  : 

(  Onzième  plaidoyer.  Pour  un  jeune  Allemand.  » 

En  effet  y  loin  d'être  un  prince,  le  client  de  Patru  était  ce  qu'on 
appelait  alors  un  petit  laquais  y  et  ce  petit  laquais  était  Alsacien ,  né  à 
Strasbourg ,  ce  qui  ne  l'empêchait  pas  d'être  Allemand ,  le  plaidoyer 
dont  il  s'agit  ayant  été  prononcé  en  1639. 

On  ne  lit  plus  guère  les  plaidoyers ,  ni  les  autres  écrits  de  Patru  ;  il 
paraît  même  qu'ils  n'étaient  guère  lus,  de  son  temps,  si  ce  n'est  par 
les  beaux  esprits  et  les  écrivains  de  profession ,  et  que  les  plaideurs 
préféraient  confier  leurs  causes  à  des  avocats  moins  lettrés  et  plus 
hommes  dC affaires  ;  témoin  ce  vers  de  la  première  satire  dans  lequel 
Boileau  parlant  du  palais  où.  lui-même  avait  vu  la  clientèle  briller  par 
son  absence ,  le  qualifie  de  :  €  pays  barbare 

«  Où  Patru  gagne  moins  qu'Huot  et  Le  Mazier.  » 

Cet  Huot  et  ce  Le  Mazier  devaient  être  deux  vieux  praticiens ,  rompus 
aux  roueries  du  métier,  sachant  se  reconnaître  €  dans  les  détours  d'un 
dédale  de  lois 

«  Et  dans  l'amas  confus  de  chicanes  énormes.  » 
Plus  envieux  des  gros  honoraires  que  des  brillants  succès ,  ils  aban- 
donnaient sans  regrets  à  leur  pompeux  confrère  les  palmes  de  l'élo- 
quence et  les  lauriers  académiques. 

Encore  cette  éloquence ,  remplie  de  beautés  de  convention ,  nous 
semble- t-elle  aujourd'hui  bien  froide  et  bien  compassée  dans  sa  ma- 
jestueuse correction ,  lorsque  nous  la  comparons  aux  brillantes  impro- 
visations ,  parfois  inégales ,  mais  où  l'inégalité  est  souvent  une  grâce 
déplus,  desDupin,  des  Berryer,  des  Jules  Favre  et  autres  illustrations 
du  barreau  moderne 


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LE  ONZIÈME  PLAIDOYER  DE  L*AVOCAT  PATRD.  533 

Si  un  homme  digne  de  foi  m'affirmait  avoir  lu  d'un  bout  à  l'autre  les 
deux  volumes  in-quarto  qui  contiennent  les  plaidoyers  de  Patru ,  je 
serais  bien  forcé  de  le  croire  sur  son  affirmation ,  mais  j'avoue  que  je 
serais  plus  tenté  d'admirer  sa  patience  que  d'imiter  son  exemple. 

Il  suffit  de  les  feuilleter  pour  reconnaître  que ,  quant  à  la  forme ,  ce 
sont,  en  général,  des  harangues  plutôt  que  des  plaidoyers^  et  quant  au 
fond  ,  des  questions  de  préséance,  de  dîmes ,  de  privilèges  entre  com- 
munautés ou  corporations  plaidant  les  unes  contre  les  autres  ou  contre 
leurs  supérieurs  ;  de  longues  citations  et  discussions  tirées  des  conciles, 
des  pères,  des  constitutions ,  des  bulles  et  décrétâtes  ;  ici  la  conciliation 
ou  l'antinomie  entre  le  chapitre  de  indemnitatibus  du  concordat  de 
François  I«r,  et  le  chapitre  five propter  an  concile  de  Latran  ;  ailleurs  la 
question  de  savoir  si  on  doit  dire  malines  le  matin ,  comme  l'indique 
l'étymologie ,  ou  le  soir,  comme  le  permettent  les  nouvelles  constitu- 
tions ,  ou  si  la  décision  de  Pie  lY,  en  faveur  des  chanoines  réguliers  ^ 
constitue  une  sentence  et  non  un  privilège.  En  un  root,  c'est  un  autre 
temps ,  ce  sont  d'autres  lois,  d'autres  mœurs  que  les  nôtres,  déjà  trop 
loin  de  nous  pour  offrir  un  intérêt  pratique ,  et  trop  rapprochés  encore 
pour  offrir  un  intérêt  historique  proprement  dit. 

Or,  au  milieu  de  ces  pages  pompeuses ,  de  ces  arides  et  fatiguantes 
citations,  ce  onzième  plaidoyer,  sans  en  être  complètement  exempt,  fait 
une  heureuse  diversion  ;  la  matière  en  est  un  peu  scabreuse  sans  pour- 
tant exiger  le  huis  clos  ;  le  fait  qualifié  de  rapt  n'est  en  réalité  qu'une 
séduction  ;  la  fille  est  ros^eure  ,  aucun  acte  de  violence  n'est  allégué , 
ce  n'est  donc  ni  l'attentat ,  ni  le  détournement  de  mineure  de  notre 
code ,  mais  un  acte  qui  n'est  plus  puni  par  nos  lois.  Du  reste ,  la  plai- 
doierie  de  Patru  commence  par  un  exposé  de  faits  si  simple ,  si  clair , 
si  bref  et  en  même  temps  d'un  style,  si  correct  quoique  mêlé  d'une 
légère  teinte  d'archaïsme  qui,  poumons,  en  augmente  la  saveur,  qu'il 
pourrait  servir  de  modèle  à  plus  d'un  avocat  de  nos  jours  ;  nos  lecteurs 
ne  nous  sauront  pas  mauvais  gré  de  le  citer  textuellement. 

€  Messieurs,  ce  pauvre  garçon  ,  que  la  cour  voit  à  ses  pieds ,  et  qui 
est  né  à  Strasbourg,  vint  en  France  il  y  a  environ  deux  ans,  et  s'arrêta 
à  Chàlons  au  service  d'un  gentilhomme  qui  avait ,  en  sa  jeunesse , 
autrefois  porté  les  armes  en  Allemagne.  Depuis ,  et  après  la  mort  de  ce 
gentilhomme  qui  ne  vécut  guère ,  il  est  venu  en  cette  ville  où  il  a  trouvé 
un  nouveau  maître  qui  maintenant  est  son  seul  appui.  Or ,  tandis  qu'il 
demeurait  à  Chàlons ,  il  fréquentait  au  logis  de  l'intimé  (le  père  de  la 


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534  REVUE  d'alsage. 

prétendue  victime  ,  partie  civile)  qui  pour  laquais  et  autres  semblables 
gens  lient  le  cabaret  le  plus  fameux  de  la  ville.  On  sait  combien  les 
valets  aiment  la  taverne.  Je  ne  prétends  point  excuser  ce  dérèglement 
qui ,  pour  être  universel ,  n'en  est  pas  moins  condamnable  ;  mais  il  est 
en  quelque  sorte  à  pardonner ,  si  dans  une  grande  jeunesse  on  n'a  pu 
se  garantir  du  venin  ou  de  la  contagion  des  mauvais  exemples.  L'ap- 
pelant allait  donc  avec  les  autre»  assez  souvent  chez  l'intimé,  mais 
sans  dessein,  comme  il  est  aisé  de  le  présumer  d'un  Allemand,  jeune, 
en  l'âge  alors  de  15  à  16  ans,  sorti  tout  nouvellement  de  son  pays  et 
qui  ne  pouvait  qu'à  peine  se  faire  entendre  en  notre  langue  pour  les 
choses  les  plus  ordinaires.  Cependant,  l'intimé,  vers  le  mois  de  juin 
de  l'année  dernière,  rend  sa  plainte  au  lieutenant  criminel  de  Cbâlons, 
demande  permission  d'informer  du  rapt  de  sa  fille  commis ,  à  ce  qu'il 
expose ,  par  ma  partie  ;  obtient  un  décret  de  prise  de  corps ,  ensuite  il 
se  rend  en  cette  ville  et  prenant  un  parecUis ,  fait  mettre  en  prison  ce 
pauvre  étranger  qui  ne  devait  apparemment  rien  moins  craindre  qu'une 
calomnie  si  peu  vraisemblable. 

«  Hais ,  Messieurs ,  comme  il  importe  que  la  cour  connaisse  et  la 
fille  qu'on  a  ravie  et  le  père  qui  nous  accuse ,  permettez-moi ,  s'il  vous 
plaît,  de  vous  en  dire  ici  quelque  chose.  Je  passe  les  taches  delà 
famille.  Je  ne  dis  point  que  le  frère  de  l'intimé ,  par  sentence  que  j'ai 
dans  mon  sac ,  fut  banni ,  il  y  a  quelques  années ,  pour  un  crime  de 
recelé.  Il  serait  à  plaindre  en  cela ,  s'il  s'était  d'ailleurs  montré  digne 
d'un  frère  qui  fût  homme  de  bien.  Mais  il  n'est  à  plaindre  ni  pour  son 
frère ,  ni  pour  sa  fille.  De  marchand  de  serge  qu'il  fut  autrefois ,  il  est 
depuis  neuf  à  dix  ans  devenu  maître  tavernier.  On  ne  l'a  presque  jamais 
vu  qu'avec  des  femmes  et  des  filles  de  très-mauvais  nom.  Il  se  vante 
de  savoir  l'art  de  suborner  les  plus  retenues.  Cependant  il  ne  s'est  pas 
autrement  enrichi  à  ce  commerce  ;  car ,  après  tout,  le  désordre  de  ses 
affaires  l'a  réduit  au  métier  qu'il  fait  aujourd'hi.  Sa  fille  n'a  démenti  ni 
la  nourriture  ni  les  bons  exemples  que  son  père  lui  a  donnés.  Elle  est 
âgée  de  22  ans  et  davantage  ;  elle  est  célèbre  dans  Chàlons ,  on  l'appelle 
la  Suzon  ;  il  n'y  a  personne  dans  le  pays  à  qui  ce  nom  ne  soit  connu  , 
et  si  ses  couches  de  l'an  passé  sont  en  effet  ses  premières  couches  ,  de 
la  manière  dont  elle  a  vécu  il  faut  que  par  accident  ou  par  nature  elle 
ne  soit  pas  autrement  féconde.  ]» 

Entrant  dans  la  discussion  du  fond ,  il  établit  par  divers  arguments 
rinvraisemblance  de  l'accusation ,  et  il  insiste  particulièrement  sur  la 


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LE  ONZIÈME  PLAIDOYER  DE  l'aVOCAT  PATRU.  535 

diificulié  qu'éprouve  son  client  pour  s'exprimer  en  français  ;  cette  partie 
du  plaidoyer  n'est  plus  de  notre  temps  ;  c'est  un  peu  le  langage  précieux 
de  Vhôiel  de  Rambouillet ,  la  phraséologie  sentimentale  de  C^frus  et  de 
rAstrée  ;  mais  il  en  devait  plaire  davantage  à  ceux  qui  l'écoutaient  : 

«  Messieurs ,  on  sait  combien  une  fille,  qui  a  quelqu*honneur ,  a  de 
résistance  pour  le  vice  ;  que  pour  la  vaincre,  il  faut  ^  en  toute  condition, 
au  moins  un  peu  de  dextérité ,  qu'il  faut  de  grands  soins  et  de  longues 
assiduités.  Hais  tout  cela  est  inutile  sans  le  discours.  Les  protestations, 
les  promesses,  les  sermons,  tout  ce  qu'il  y  a  de  plus  venimeux ,  de 
plus  mortel,  dans  la  funeste  science  d^ aimer ,  c'est  l'usage  de  la  parole. 
En  vain  un  amant  soupire ,  ou  tremble  auprès  de  ce  cher  objet  qui  le 
tue ,  en  vain  ses  yeux ,  en  vain  son  visage  témoignent  l'émotion  de  son 
cœur,  en  tout  ce  langage  muet  il  n'y  a  rien  d'intelligible  pour  une  fille 
innocente  ;  il  faut  s'expliquer ,  il  faut  parler^  ou  toiUe  sa  vie  languir 
sans  remède.  »  Il  était  à  craindre ,  en  effet ,  que  le  jeune  Allemand , 
s'il  eût  compté  sur  son  éloquence ,  languît  toute  sa  vie  sans  remède. 
Mais  il  avait  un  talisman  plus  dangereux  que  l'éloquence  :  Il  avait 
dix-huit  ans. 

Abordant  ensuite  la  question  de  droit ,  Patru ,  comme  tous  les  avo- 
cats de  son  temps  ,  cite  le  digeste ,  le  code ,  les  novelles ,  la  loi  de 
*  Htu  nuptiarum,  la  loi  JuliadeadulteriiSy  la  loi  de  receptis  et  plusieurs 
autres  qui  n'ont  qu'un  rapport  très-problématique  à  l'affaire.  Cet  abus 
des  citations  commençait  déjà  à  choquer  les  gens  de  goût  et  Racine 
allait  lui  porter  le  premier  coup  dans  sa  comédie  des  Plaideurs  : 

«  Qui  ne  sait  que  la  loi  siquiscanis  digeste 
De  vi  paragrapho ,  Messieurs ,  caponibm 
Est  manifestemeot  contraire  à  cet  abus  !  *> 

Passant  enfin ^  toujours  selon  l'usage  du  temps,  des  lois  romaines 
à  l'Ecriture  sainte,  il  invoque  Josué,  Saint  Paul,  Saint  Jacques  y 
Saint  Jérôme ,  Saint  Grégoire  de  Naziance ,  etc. ,  pour  établir  que  les 
mots  cauponaria  et  meretrix  (tavernière  et  courtisane)  sont  synonimes, 
et  joignant  l'argument  de  fait  à  l'argument  de  droit,  que  toutes  les 
filles  de  la  partie  adverse,  servantes  dans  son  cabaret ,  ont  fait  le  même 
métier  ;  alors  il  serre  davantage  son  argumentation  ,  il  s'anime ,  et  ses 
accents  ont  quelque  chose  de  l'improvisation. 

€  Mais  laissons-là  les  autres  filles  de  l'intimé,  laissons-en  parler 
tout  Chàlons  et  pour  revenir  à  notre  cause ,  il  ne  s'est  donc  pu  rien 
faire  ici  de  punissable  par  les  lois.  Cependant ,  voici  un  père  qui  se 


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536  REVUE  D*ÀLS4C£. 

plaint  d'un  rapt  ;  voici  un  juge  qui  nous  traite  en  ravisseur.  La  Suzon 
par  son  baptistaire  a  vingt-deux  ans  et  davantage  ;  ce  pauvre  gai^on  à 
peine  en  a*t-il  dix-huit  et  s'il  est  vrai  qu'il  y  ait  ici  rapt ,  qui  est-ce , 
dans  cette  inégalité  d'âge,  qu'on  en  doit  probablement  accuser?  Car 
enfin  »  que  partout  ailleurs  on  opine  favorablement ,  que  partout  ailleurs 
la  présomption  soit ,  si  l'on  veut ,  pour  le  sexe  le  plus  faible ,  à  la  bonne 
heure ,  quand  cela  se  peut  sans  heurter  le  sens  commun.  Mais  dans 
cette  cause ,  dans  toutes  les  circonstances  que  la  cour  a  pu  observer  : 
Cabaret ,  quatre  ans  de  plus ,  père,  oncle,  sœurs ,  couverts  ou  de  crime 
ou  d'infamie ,  qui  ne  voit,  qui  ne  croira  qu'un  étranger ,  presqu'encore 
enfant ,  a  plutôt  été  la  proie  que  le  ravisseur  de  cette  fille  ?  c 

Le  recueil  des  plaidoyers  de  Patru  ne  /ait  pas  connaître  le  résultat 
de  l'affaire ,  mais ,  en  général ,  les  avocats  ne  tiennent  pas  à  conserver 
le  souvenir  des  procès  qu'ils  perdent  ;  il  est  probable  que  la  sentence 
de  Cbâlons  fut  réformée  ,  d'autant  qu'en  bonne  conscience  c'était 
justice. 

L'arrêt  fut  rendu  séance  tenante  le  27  juillet  1639,  à  la  chambre  de 
VEdit  ;  on  sait  qu'on  appelait  ainsi  une  chambre  spéciale  créée  dans 
certains  parlements  par  VEdit  de  Nantes  pour  juger  les  affaires  où 
étaient  intéressés  des  protestants ,  et  dans  laquelle  devait  siéger  au 
moins  un  magistrat  professant  ce  culte  ;  on  doit  en  conclure  que  le 
client  de  Patru  appartenait  à  cette  communion;  cependant,  comme  il 
s'appelait ,  de  son  prénonm ,  Daniel  y  il  se  pourrait  bien  qu'il  eât  caché, 
comme  cela  se  faisait  souvent  alors ,  la  qualité  d'israélite  sous  celle  de 
dissident  ;  il  en  résulterait  que ,  le  prince  alletnand  dont  parlent  les 
mémoires  du  xvii*  siècle  était  tout  simplement  un  petit  juif  d'Alsace. 

Maintenant,  comment  Patru  qui,  tout  en  gagnant  moins  c  qu'Huotet 
Lemazier  >  ,  occupait  cependant  une  grande  position  au  barreau ,  s'était- 
il  chargé  d'une  petite  affaire  correctionnelle  digne  d'un  stagiaire  ?  Il  le 
laisse  entrevoir  dans  son  exorde  en  disant  que  son  client  a  trouvé  à 
Paris  un  nouveau  maître  <  qui  est  maintenant  son  seul  appui.  >  Patru , 
en  sa  qualité  de  bel  esprit  et  d'académicien  ,  était  reçu  et  recherché 
dans  la  plus  haute  société  ;  le  maître  du  pauvre  Daniel  le  voyait  sans 
doute  dans  le  monde  et  lui  avait  exposé  le  cas  piteux  de  son  serviteur 
en  le  priant  de  lui  indiquer  un  jeune  avocat  pour  plaider  sa  cause ,  et 
soit  courtoisie ,  soit  humanité ,  Patru  s'était  chargé  de  la  plaider  lui- 
même.  L'affaire  l'avait  intéressé ,  amusé ,  il  l'avait  soignée ,  arrangée 
avec  art ,  polie  avec  amour ,  et  en  définitive  avait  été  content  de  son 


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LE  ONZIÈME  PLAIDOYER  DE  L'AVOGAT  PATRU.  537 

œuvre  puisqu'il  Fa  jugée  digne  de  la  publicité  «  et  en  cela  il  eut  raison  ; 
l'élégante  sobriété  de  son  exorde ,  notamment ,  forme  un  heureux  con- 
traste avec  celui  de  son  plaidoyer  dans  Vaffaire  des  pàlisHen  cofUre  les 
bùukmgers  où  il  n'avait  pas  craint  d'emprunter  celui  de  Cicéron  dans  son 
oraison  pro  QuifUio  :  c  Qwb  res  in  dvitate  plurimum  passunt  y  etc.  » 
C'est,  dit-on  y  à  ce  malencontreux  exorde  que  Racine  fait  allusion 
lorsqu'il  en  met  la  paraphrase  dans  la  bouche  de  Ylntimé  : 

ff  Messieurs  «  toot  ce  qui  peut  étODDer  un  coupable. 
«  Tout  ce  que  les  mortels  ont  de  plus  redoutable 
«  Semble  s'fttre  assemblé  contre  nous  par  hasard 
«  Je  veux  dire  la  brigue  et  l'éloquence  car 
«  D'un  cèté  le  crédit  du  déftint  m'épouvante 
«  Et  de  l'autre  côté  l'éloquence  éclatante 
«  De  mattre  Petit-Jean  m'éblouit » 

Ici  j  du  moins ,  Patru  n'a  pas  attendu  que  son  juge  lui  criftt  : 

«  De  votre  ton ,  TOUA-méme ,  adoucissez  l'éclat.  » 

Le  ton  comme  le  style  sont  en  accord  parfait  avec  la  nature  de  la 

cause. 

Paul  Huot  , 

Gonseill«r  k  U  Cour  impériale  de  Golmir. 


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AKMOIKIËS 

DES  ÉVÊQUKS  DK  STRASBOUKli 


{Extrait  des  manuscrits  inédits  de  Grandidier.) 


WERNER  I-  ou  GAUTHIER  DE  ALTEMBOURG.  1001— 1028. 
Il  porte  écartelé  au  1^'  et  4«  d'argent  à  une  rose  de  gueules  bordée 
d*or  et  ornée  de  quelques  feuilles  de  sinople ,  qui  sont  les  armes 
d'Altembourg;  au  2«  et  3«  d^or  à  un  lion  de  gueules,  couronné  et  lam- 
passé  d*azur,  qui  sont  les  armes  d'Habsbourg. 

GUILLAUME  !•'  DE  SOUABE.  1029-1047. 
Il  porte  écartelé  au  1"  et  4*  de  sable  au  lion  rampant  d'or,  couronné 
lampassé  et  armé  de  gueules ,  comme  comte  palatin  du  Rhin  ;  au  2*  et 
3*  d'or  à  trois  lions  de  sable  passants  l'un  sur  l'autre,  oreilles,  lampassés 
et  armés  de  gueules,  qui  sont  les  armoiries  des  anciens  ducs  de 
Souabe. 

(a) 

WERNER  n  ou  GAUTHIER  DE  THURINGE.  1065-1079. 

D'or  au  lion  passant  contourné  et  fascé  d'argent  et  de  gueules;  au  2* 
et  3*  de  sable,  à  l'aigle  éployée  d'or. 

OTHON  DE  BUREN  ou  HOHEiNSTAUFFEN.  1082-1100. 

Il  porte  écartelé  au  1^^  et  4''  d'or  k  trois  lions  de  sable  passants  l'un 
sur  l'autre,  oreilles ,  lampassés  et  armés  de  gueules ,  qui  sont  les 
anciennes  armoiries  des  ducs  de  Souabe  ;  au  2^  et  3«  de  gufules  à  une 
bande  d'argent ,  accostée  de  branches  ou  feuilles  de  rue  de  même  cou- 
leur, armes  des  anciens  ducs  d'Alsace;  sur  le  tout ,  d'or  à  un  château 
élevé  de  sable,  donjonné  de  deux  tourelles  de  gueules ,  à  la  porte  d'ar- 
gent, qui  sont  les  armes  propres  de  la  famille  de  Ilohenstauflen. 

(a)  Celle  première  lacune  concerne  Hetzclon  ou  Hereniaii.  Voy.  Œuv.  hist,  inétf., 
totn.  II,  pag.  iU  à  55. 


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ARMOIRIES  DES  ÉVÊQUES  DE  STRASBOURG.  539 

UEJSRl  le'  DE  HASEMBERG.  1180-1190. 

D'or,  au  lièvre  passant  de  sable ,  sur  un  tertre  de  sinople  à  la  pointe 
de  reçu 

CONRAD  m  DE  HUNENBURG.  1190—1202. 

L'écu  coupé ,  au  premier  de  sable  à  deux  têtes  de  cygnes  d'argent 
adossées,  et  au  second  d'or. 

HENRI  II  DE  VERINGEN.  1202-1223. 
De  sinople,  à  trois  cœurs  d'argent,  deux  et  un. 

BERTHOLD  I«  DE  TECK.  1223—1244. 
Losange  d'or  et  de  sable. 

HENRI  ni  DE  STALECK.  1244-1260. 

Il  porte  écartelé  au  l*r  et  4*  de  sable ,  au  lion  rampant  d'or,  cou- 
ronné ,  [lampassé  et  armé  de  gueules  ;  au  2<'  et  3*  d'azur  à  un  cerf 
d'argent,  montant  sur  une  colline  de  sinople. 

GAUTHIER  DE  GEROLDSECK.  1260—1263. 
D'or,  à  la  fasce  de  gueules. 

HENRI  IV  DE  GEROLDSECK.  1263-1273. 

D'argent,  à  neuf  billettes  d'azur,  rangées  trois,  trois  et  trois,  au  lion 
rampant  de  gueules,  couronné  d'or,  brochant  sur  le  tout. 


{b)  La  deuxième  lacune  que  Grandidier  a  laissé  subsister,  concerne  l'époque  du 
schisme  et  Tépiscopat  des  évèques  : 

1.  BAUDOUIN.  1100—1100.  (Œuv.  hist.  inéd.,  tum.  Il,  pag.  210  à  300.) 

2.  CUNON  DE  MICHELBACH.  1100-1123.  (Œfiv.  hist.  ined,,  tom.  lï.pag.  S07 
à  S46.) 

3.  BRUNON  DE  HOHBNBERG.  1123-1131.  (Œuu.  hist.  inéd.,  tom.  Il,  pag.  349 
à  368.) 

4.  GEBEHARD  D'URAGH.  1131— llit.   {(Euv.  hist.  inéd.,  tom.  U,  pag.  369 
à  390.) 

5.  BURCHARD.  1141—1162.  (Œuv.  hist,  inéd.,  tom.  II,  pag,  391  à  Ut.) 

6.  RODOLPHE.  1163—1179.  {(Euv.  hist.  inéd.,  tom.  U,  pag.  U5  à  469.) 

7.  CONRAD  DE  GEROLDSECK.  1179.  (Œuv.  hist.  inèd.,  tom.  III,  pa.  4  à  8.) 

(Note  de  l'Editeur.) 


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540  REVUE  D* ALSACE. 

CONRAD  IV  DE  LIECHTENBERG.  1273-1299. 

D'argent^  au  lion  rampant  de  sable,  la  qaeue  fourchée  et  passée  en 
sautoir,  à  la  bordure  de  gueules. 

FRÉDÉRIC  l"  DE  LIECHTENBERG.  1299-1306. 
Les  mêmes  que  celles  du  précédent. 

JEAN  I".  1306—1328. 
De  gueules,  à  la  crosse  d'argent  mise  en  pal. 

BERTHOLD II  DE  BUCHECK.  1328—1353. 

Il  porte  écartelé  au  1''  et  4«,  bande  d'or  et  d*azur  de  six  pièces 
enfermé,  à  la  bordure  de  gueules,  armes  de  Fancienne  Bourgogne  ;  au 
2*  et  3*  d'or,  à  trois  roses  de  gueules,  boutonnées  d'or  mises  en  pal. 

JEAN  II  DE  LIECHTENBERG.  1353—1365. 
Les  mêmes  que  celles  de  Conrad  lY  de  Liechtenberg. 

JEAN  m  DE  LITZELB0UR6  ou  LINIE.  1365-1371 . 
D'or,  à  une  bande  de  gueules. 

LAMBERT  DE  BURNE.  1371-1375. 

De  sable ,  au  lion  d'or,  au  chef  cousu  de  gueules ,  chargé  de  trois 
roses  d'argent. 

FRÉDÉRIC  U  DE  BLANCKENHEIM.  1375-1393. 
Il  porte  écartelé  au  1''  et  i^  d'argent,  à  la  bande  ondée  de  gueules, 
i'écu  semé  d'étoiles  de  même  ;  au  2«  et  3<»  d'or  au  lion  rampant  de  sable, 
chargé  d'un  lambel  de  gueules  de  quatre  pièces. 

LOUIS  DE  THIERSTEIN.  1393—1393. 
D'or,  à  sept  losanges  de  gueules,  trois,  trois  et  un. 

BURCHARD  DE  LUTZELSTEIN.  1393-1394. 

L'écu  coupé  au  premier  de  gueules ,  à  un  chevron  d'argent  ;  au 
second  d'or. 

GUmLAUME  H  DE  DIETSCH.  1394-1439. 
De  gueules,  à  deux  lions léopardés  d'or,  armés  et .lampassés  d'azur, 
passant  l'un  sur  l'autre. 


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ARMOIRIES  DE8  ÉVÊQUES  DB  STRASBOURG.  541 

CONRAD  V  DE  BUSNANG.  U39-1471. 

Bandé  d'or  et  de  sable  de  dix  pièces^  au  pal  d*aif  ent  brochant  sur  le 
tout. 

ROBERT  DE  BAVIÈRE.  1471  ^1«8. 

Il  porte  écartelé  au  !•'  et  4«  de  sable  y  au  lion  rampant  d'or,  cou- 
ronné)  lampassé  et  armé  de  gueules ,  comme  palatin  du  Rhin  ;  au  2'  et 
3*  d'or,  au  lion  rampant  de  gueules,  lampassé  et  armé  d*azur,  comme 
duc  de  Deux-Ponts  ;  sur  le  tout ,  losange  ou  plutôt  fuselé  d'argent  et 
d'azur,  de  vingt-une  pièces  mises  en  bande,  armes  de  Bavière. 

ALBERT  DE  BAVIÈRE.  1478—1506. 

Il  porte  écartelé  au  1"  et  4®,  les  armes  palatines  du  Rhin  ;  au  2«  et 
3*  d'argent,  à  une  colonne  de  sable,  chargé  de  trois  écussons  de 
gueules,  deux  et  un ,  comme  duc  de  Mosbach;  sur  le  tout ,  armes  de 
Bavière. 

GUILLAUME  III  DE  HOHENSTEIN.  1506-1541. 

Echiqueté  d'argent  et  de  gueules  au  1*'  et  4*  ;  coupé  d'azur  au  lion 
rampant  d'or  et  burelé  en  pointe  d'or  et  de  gueules  de  huit  pièces  ;  au 
2"  et  3« ,  d'argent  au  cerf  de  sable  sur  le  tout. 

ÉRASME  DE  LIMBOURG.  1541—1568. 
Il  porte  écartelé  au  l^'  d'argent,  à  la  fasce  de  gueules,  chargée  de  trois 
pals  d'or  ;  au  2*  de  gueules ,  au  lion  d'argent ,  couronné ,  lampassé  et 
armé  d'or,  à  la  queue  fourchue  et  passée  en  sautoir;  au  3*  d'or,  à  deux 
lions  de  gueules  passant  l'un  sur  l'autre  ;  au  4*  de  gueules ,  à  trois 
besans  d'or,  deux  et  un  ;  sur  le  tout ,  d'argent  au  lion  rampant  de 
gueules ,  couronné  et  armé  d'or,  lampassé  d'azur,  à  la  queue  nouée , 
fourchue  et  passée  en' sautoir. 

JEAN  IV  DE  MANDERSCHEIDT.  1568-1592. 
Il  porte  parti  d'un  et  coupé  de  deux,  au  1*'  d'or,  à  la  bande  virrée  de 
gueules  ;  au  2*  d'or,  au  lion  rampant  de  sable ,  chargé  d'un  lambel  de 
gueules  de  quatre  pièces  ;  au  3«  d'or,  au  lion  rampant  de  gueules  ;  au 
4«  d'argent ,  à  l'aigle  éployée ,  de  gueules  ;  au  5«  d'argent ,  à  la  bande 
ondée  de  gueules ,  l'écu  semé  d'étoiles  de  même  ;  au  6«  d'or,  fretté  de 
gueules. 


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542  REVUE  D*ALSâGE. 

CHARLES  DE  LORRAINE.  1592—1601. 
D'or^  à  la  bande  de  gueules,  chargée  de  trois  alerions  d'argent. 

JEAN-GEORGES  DE  BRANDEBOURG,  évéque  luthérien. 
Il  porte  écartelé ,  au  1<'  et  i^  d'argent ,  à  Taigle  éployée  de  gueules  , 
dont  les  ailes  sont  chargées  de  demi-cercles  d'or  ;  au  2«  et  3«  d'ai^ent , 
à  une  aigle  éployée  de  sable ,  colletée  d'utoe  couronne  d'or,  aux  ailes 
chargées  de  petits  annelets  de  même. 

LÉOPOLD  I*'  D'AUTRICHE.  1607-1625. 
De  gueules ,  à  la  fasce  d'argent. 

LÉOPOLD  II  D'AUTRICHE.  1625-1662. 
Les  mêmes. 

FRANÇOIS  DE  FURSTEMBERG.  1662-^1682. 
Il  porte  d'or,  à  l'aigle  éployée  de  gueules,  becquée  et  membréed'anir, 
à  la  bordure  ondée  d'argent  et  d'azur;  l'aigle  de  Furstemberg  est  chargée 
en  cœur  d'un  écu  écartelé,  au  i^  et  4«  de  gueules ,  à  une  bannière 
d'église  ou  gonfanon  d'ai^ent  ;  au  2''  et  3*  de  sable^  à  la  barre  engoulée 
d'argent. 

GUILLAUME  DE  FURSTEMBERG.  1682—1704. 
Les  mêmes. 

ARMAND  DE  ROHAN.  1704—1749. 

4  11  porte  écartelé  au  !«'  et  4'  d'hermine ,  qui  sont  les  armes  des 
anciens  ducs  de  Bretagne  ;  au  2«  et  3«  de  gueules  «  à  neuf  macles  d'or 
accolées  et  aboutées  trois  et  trois  en  trois  faces,  armes  de  Rohan. 

FRANÇOIS  DE  ROHAN.  1749-1756. 
Les  mêmes. 

LOUIS-CONSTANTIN  DE  ROHAN.  1756-1779. 
Les  mêmes. 


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ARMOIRIES   DES  ÉVÊQUES   DE  STRASBOURG  543 


GRANDES  ÂRMOmiES 


fiVfiQUES  DE  8TRA8B01R6  DE  LA  FAMILLE  DES  ROHAN. 


Ils  portent  écartelé  au  i^^  et  4'  de  gueules,  à  la  bande  d'argent , 
comme  évêques  de  Strasbourg  ;  au  2«  et  3"  de  gueules ,  à  une  bande 
d'argent ,  bordée  de  feuilles  de  rue  d'or  et  entrelacée  de  petits  globes 
de  même,  comme  landgraves  de  la  Basse-Alsace;  sur  le  tout  est  un 
autre  écu  de  huit  quartiers,  coupé  d'un  et  parti  de  trois.  Au  1"  au  chef 
d'azur,  semé  de  fleurs  de  lis  d'or,  à  la  bande  de  gueules ,  brochant  sur 
le  tout,  qui  sont  les  armes  des  comtes  d'Evreux  ;  au  â^  de  gueules,  aux 
raies  d'escarboucle  ou  chênes ,  accolées  et  pommelées  d'or,  armes  des 
rois  de  Navarre  ;  au  d^  d'or,  à  quatre  pals  de  gueules,  qui  est  d'Aragon; 
au  A^  d'or,  au  lion  de  gueules,  enfermé  dans  un  double  trecheur  fleur- 
delisé et  contre-fleurdelisé  de  même ,  armes  d'Ecosse  ;  au  5®  qui  est  le 
i*r  de  la  pointe,  d'hermine,  armes  de  Bretagne  ;  au  6*  d'argent,  à  une 
guivre,  ou  bisse,  ou  vipère  d'azur,  couronnée  d'or,  à  Tissant  de  gueules, 
armes  de  Milan  ;  au  7'  d'argent,  à  la  fasce  de  gueules,  à  la  bordure  d'azur, 
qui  est  Saint-Severin  ;  au  8^  à  la  bande  de  gueules ,  chargée  de  trois 
alerions  d'argent ,  armes  de  Lorraine  ;  sur  le  tout  du  tout  brochaut  un 
autre  écu  parti  au  premier  de  Rohan  ;  au  second  de  Bretagne. 


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RELIEFS  ET  CARTES  DES  VOSGES. 


Quiconque  s'intéresse  à  Tétude  de  la  physique  du  globe  ou  des 
sciences  naturelles  ne  peut  manquer  de  saluer  comme  un  heureux 
événement  la  publication  récente  d'une  série  de  reliefs  et  de  cartes  des 
montagnes  françaises  qui  réalisent  en  tous  points  la  perfection  passible. 
Cette  belle  œuvre  y  fruit  d'un  long  travail  d'un  de  nos  professeurs  de 
l'Ecole  polytechnique,  M.  Bardin  ,  repose  sur  des  documents  d'une 
valeur  scientifique  sans  pareille  :  les  minutes  du  Dépôt  de  la  guerre. 
Elle  embrasse  les  principales  chaînes  de  la  France  :  les  Alpes ,  les 
Pyrénées ,  les  Vosges ,  le  Jura ,  les  montagnes  d'Auvergne.  On  com- 
prend l'impossibilité  et  mieux  l'inutilité  de  construire  le  relief  de  tout 
le  pays;  aussi  l'auteur  reproduit  non  pas  les  chaînes  entières  avec  tout 
leur  développement  horizontal ,  mais  il  donne  le  plan  de  certains  frag- 
ments construits  à  une  échelle  commune  afin  de  les  rendre  comparables 
dans  leurs  formes  et  dans  leurs  hauteurs  respectives.  Assez  petite  pour 
embrasser  de  grandes  étendues,  Péchelle  de  réduction  de  ces  plans  «  le 
quarante-millième ,  sufSt  néanmoins  pour  faire  ressortir  les  détaUs 
essentiels  du  relief.  Cette  échelle ,  en  outre ,  est  la  même  pour  les  hau- 
teurs et  les  surfaces  horizontales  ;  on  a  donc  sous  les  yeux  des  plans 
naturels ,  d'une  réalité  saisissante  y  bien  différents  des  reliefs  mons- 
trueux ,  véritables  anamorphoses  que  produit  si  souvent  l'exagération 
des  hauteurs  et  par  lesquelles  des  chaînes  à  peine  perceptibles  devien- 
nent des  Cordillières  d'une  saillie  contre  nature  ;  les  cimes  isolées  des 
pics  énormes;  les  collines,  des  montagnes  abruptes.  Comme  M.  Bardin 
la  fort  bien  fait  remarquer  à  l'Académie  des  sciences ,  en  présence  de 
ces  images  Vraies  où  les  rapports  des  hauteurs  sont  conservés  sans 


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REUCFS  ET  GiRTES  DES  VOSGES.  545 

altération,  où  les  pentes  du  sol  sont  naturelles,  l'observateur  le 
plus  novice  ne  confond  plus  entre  eux  des  phénomènes  orograpbiques 
r|ui  n'ont  de  commun  que  leur  nom  générique.  L'arête  étroite  et  en 
bayonnette  des  Pyrénées,  l'aspect  chaotique  des  Alpes,  les  formes 
arrondies  des  Vosges,  les  combes  jurassiques ,  les  pustules  volcaniques 
de  l'Auvergne,  si  semblables  aux  cirques  de  la  lune,  le  frappent  au 
premier  abord  et  communiquent  des  impressions  ineffaçables  ^  laissant 
la  connaissance  précise  de  faits  difficiles  à  saisir  sans  le  secours  de  ces 
images. 

Ne  pouvant  examiner  séparément  chaque  partie  de  cet  immense  tra- 
vail ,  je  me  bornerai  à  quelques  détails  sur  les  Vosges  dont  la  connais- 
sance nous  touche  d'une  manière  plus  intime.  Le  plan-relief  des  Vosges 
a  été  traité  complètement  au  point  de  vue  topographique  et  les  détails 
de  sa  surface  dessinés  à  quatre  crayons  :  les  eaux  en  bleu ,  la  végétation 
en  vert ,  les  lieux  habités  en  rouge  ,  les  courbes  de  niveau  centisimales 
et  les  écritures  à  la  mine  de  plomb.  Comme  le  relief,  à  cause  de  ses 
dimensions  considérables ,  serait  d'une  reproduction  coûteuse ,  l'auteur 
a  dressé  à  la  môme  échelle  une  carte  orographique  où  la  forme  du 
terrain  est  représentée  non  par  des  hachures ,  mais  par  des  courbes 
de  niveau  tracées  de  dix  en  dix  mètres  de  hauteur  verticale.  Cette  carte 
ne  peut  manquer  de  fixer  l'attention  des  ingénieurs  chargés  des  grands 
travaux  publics  et  nous-mêmes  en  avons  constaté  l'extrême  utilité 
comme  guide  dans  nos  courses  vosgiennes. 

Après  avoir  fait  des  plans  avec  des  cartes ,  H.  Bardin  a  eu  l'idée 
ingénieuse  de  faire  des  cartes  avec  ses  plans.  La  photographie  lui  a 
permis  de  reproduire  le  plan  topographique  et  le  plan  stéréotomique  à 
gradins  réduits  de  moitié.  La  carte  stéréotomique  —  dont  six  feuilles 
sont  publiées  jusqu'à  présent  ainsi  que  pour  le  plan  topographique  — 
est  d'une  vérité  tefle  que  tous  les  détails  du  relief  semblent  palpables  ; 
on  croit  voir  les  objets  mêmes ,  non  leur  image ,  et  un  œil  exercé 
reconnaît,  sous  les  aspérités  apparentes,  la  nature  même  du  terrain. 
Le  Bàlon  —  et  non  le  ballon.  Nulle  part  dans  les  Vosges ,  dans  le 
Schv^artzwald  et  même  dans  le  Jura ,  je  n'ai  pu  voir  dans  les  formes 
qurique  fois  arrondies  des  montagnes  qui  portent  ce  nom  de  l'analogie 
avec  un  aérostat.  —  De  Guebwiller,  le  Rossberg,  le  BsBrenkopf  qui 
forment  dans  la  chaîne  des  massifs  distincts  ou  des  rameaux  d'inégale 
grandeur,  rayonnant  autour  d'un  cône  central,  décèlent  sur  la  carte 
des  formations  curitiques  ;  on  y  reconnaît  aussi  la  falaise  escarpée  du 

9*  Série. -17*  Année.  35 


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546  REVUE  D'ALSACE. 

grès  des  Vosges  et  les  contreforts  allongés  de  calcaire  adossés  contre  la 
chaîne  vers  la  plaine  d'Alsace  ,  et  les  alluvions  dessinées  par  des 
courbes  serrées ,  nombreuses  à  Torigine  des  vallées ,  descendant  en 
ondes  plus  amples ,  plus  espacées  au  débouché  et  à  la  surface  de  la 
plaine  Les  photographies  du  plan  topographique  sont  également  supé- 
rieures aux  feuilles  correspondantes  gravées  de  la  carte  du  Dépôt  de  la 
guerre  au  Vseooo  \  '^  figure  du  terrain  y  est  plus  nette ,  ses  détails  plus 
saisissants.  Eaux  courantes ,  végétation  naturelle ,  grandes  cultures , 
chemins  de  fer,  canaux ,  routes ,  groupement  des  populations ,  tout  est 
exprimé  avec  une  précision  extrême ,  et  un  coup-d'œil  suffit  pour 
reconnaître  à  ces  signes  la  richesse  y  la  beauté ,  la  nature  d*un  pays. 
Si  Ton  a  appelé  les  cartes  des  livres  en  une  page ,  cette  définition  s^ap- 
plique  surtout  aux  tableaux  que  j*ai  sous  les  yeux ,  et  qui  unissent  le 
mérite  d'une  belle  œuvre  d'art  à  la  supériorité  magistrale  d'un  travail 
scientifique. 

Les  photographies  réddtes  des  plans-reliefs  sont  dues  à  H.  Bisson. 
A  ces  feuilles  détachées  il  faut  ajouter  une  carte  d'ensemble  de  la  partie 
française  du  système  des  Vosges  à  l'échelle  du  Vsaoooo  4^'^^  ^^^  ^^^ 
préférable  de  prolonger  jusqu'à  Mayence;  elle  se  serait  ainsi  étendue  à 
toute  la  chaîne ,  depuis  Belfort  jusqu'au  confluent  de  la  Nahe  et  du 
Rhin  avec  ses  limites  naturelles  que  ne  doivent  pas  faire  supprimer 
les  divisions  politiques.  Quoiqu'il  en  soit  de  cette  omission  ^  M.  Bardin 
s'efforce  de  rendre  les  parties  achevées  de  son  œuvre  aussi  complètes 
que  possible  avec  le  concours  de  savants  spéciaux.  Déjà  il  a  pu  y  ajouter 
des  cartes  botaniques  et  géologiques  construites  à  l'échelle  de  la  carte 
générale ,  l'une  par  M.  CoUomb,  l'autre  par  le  D'  Kirschleger  à  qui  ses 
savants  travaux  sur  la  Flore  de  notre  pays  ont  fait  une  réputation  bien 
méritée. 

En  même  temps  que  M.  Bardin  achevait  ses  beaux  travaux,  la 
Société  industrielle  de  Mulhouse  ,  dans  des  proportions  plus  modestes , 
faisait  exécuter ,  par  un  instituteur  suisse ,  H.  Bûrgi ,  un  relief  du 
massif  des  Hautes- Vosges.  Cette  carte ,  dressée  à  l'échelle  de  Viooom  ' 
comprend  les  parties  de  la  chaîne  comprises  entre  Allkirch  et  Ron- 
champ ,  Schlestadt  et  Saint-Dié  et  la  proportion  des  hauteurs  est  exa- 
gérée ;  mais  comme  elle  n'a  pas ,  comme  les  cartes  de  M.  Bardin ,  un 
caractère  exclusivement  scientifique  elle  est  néanmoins  d'une  grande 
utilité  pour  les  écoles  primaires  et  se  trouve  à  la  portée  de  toutes  par 
la  modicité  de  son  prix.  Tous  les  détails  topograpbiques,  les  forêts ,  le 


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RELIEFS  ET  CARTES  DBS  VOSGES.  547 

cours  d'eaux,  les  lieux  habités,  les  routes,  les  lignes  de  chemins  de 
fer  rectifiées  avec  le  concours  de  M.  Jundt ,  ingénieur  des  ponts-et* 
chaussées ,  se  trouvent  représentés  avec  une  précision  remarquable  et 
quMl  est  plus  aisé  de  saisir  que  sur  le  dessin  très- compliqué  d*une 
carte  plane.  Ce  relief,  malgré  son  mérite  très-réel ,  est  loin  de  valoir,  au 
point  de  vue  de  la  science ,  les  magnifiques  tableaux  de  M.  Bardin  qui 
resteront  le  plus  beau  monument  élevé  à  Torographie  de  la  France  et 
portent  tous  le  cachet  d'une  œuvre  définitive. 

ê 

CUAHLES  GRAD  , 
membre  de  la  Société  de  Géographie. 


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BIBLIOGRAPHIE. 


L 

Recherches  anthropologiques  sur  le  pays  de  Montbéliard,  par 
H.  le  Docteur  Muston.  —  Première  partie.  — -  Imprimerie  et  librairie 
de  Henri  Barbier.  —  Montbéliard  ^  1866.  —  Un  vol.  grand  in-8<>  de 
456  pages. 

Quand  des  sociétés  se  fondent  à  Montbéliard  pour  des  travaux  inteU 
lectuels ,  les  efforts  se  concentrent  sur  l'étude  du  pays.  Cela  ne  veut 
pas  dire  que  Ton  fait  divorce  avec  les  différentes  branches  de  la 
science  j  dans  son  acception  générale  ;  loin  de  là.  Hais  on  n'y  a  pas , 
comme  ailleurs,  comme  presque  partout  en  province ,  la  prétention  de 
former  des  académies  savantes ,  qui  n'en  ont ,  la  plupart  du  temps,  que 
le  titre,  ni  des  collections  visant  à  égaler,  sinon  à  surpasser  celles 
des  grandes  villes  ;  noscere  se  ipsum,  telle  semble  être  la  devise  des 
Sociétés  scientifiques  de  l'ancienne  principauté  ,  et  c'est  en  lui  demeu- 
rant fidèles  qu'elles  arrivent ,  insensiblement ,  à  prouver  que  de  ce 
point  de  départ,  on  parvient  à  rattacher  toutes  les  recherches  spéciales, 
tous  les  travaux  aux  points  culminants  de  la  science  proprement  dite. 
Lisez,  je  vous  prie,  les  deux  pages  d'introduction  du  livre  de  H.  Muston, 
et  vous  verrez  comment ,  sans  franchir  les  frontières  de  ce  petit  pays , 
la  Société  d^émulatian  étend  le  cercle  de  ses  études  jusqu'aux  limites 
les  plus  reculées. 

Si  notre  temps  se  distingue  par  un  côté ,  c'est  incontestablement  par 
les  travaux  qui  ont  pour  objet  la  recherche  des  origines.  A  aucune 
époque  on  n'a  tant  creusé ,  tant  fouillé  cette  matière  qui ,  au-delà  des 
temps  historiques ,  paraissait  jusqu'alors  aussi  insondable  que  le  mys- 
tère de  la  Trinité.  Aux  imaginations  dites  aventureuses  ont  succédé 
des  esprits  calmes,  réfléchis  et  cultivés  qui  ont  voulu  vérifier  les  hypo- 
thèses ,  et  qui  ont  été  conduits ,  quelque  fois  sans  le  savoir ,  au-delà 
de  la  limite  que  les  premiers  voulaient  atteindre.  Ça  été  un  peu  l'œuvre 
delà  philosophie  positive  ou  mieux  de  la  science  pure.  Or,  devant 
celle-là  il  n'y  a  pas  à  se  cabrer;  elle  se  présente  avec  les  preuves  en 


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BIRLIOGRAPHIR.  519 

mains ,  et  le  plus  sceptique ,  le  plus  incrédule  comme  le  mystagogue  le 
plus  fieffé  s'inclineront ,  s'ils  sont  de  bonne  foi ,  avec  autant  d'empres- 
sement devant  la  preuve  administrée  par  la  nature  dite  inerte ,  que 
devant  la  signature  et  le  sceau  de  Saint  Louis. 

Les  sciences  en  général  subissent  une  évolution  qui  paraît  étrange 
et  qui  est  pourtant  fort  simple ,  essentiellement  logique.  Il  n'y  a  pas 
vingt  ans  ,  le  naturaliste  de  province  professait  un  superbe  dédain  pour 
les  travaux  historiques  ;  le  plus  mince  herboriste ,  en  possession  du 
bagage  technologique ,  faisait  acte  de  savant  en  se  bouchant  les  oreilles 
à  la  lecture  d'une  production  littéraire  quelconque  et  en  lui  opposant 
une  composition  de  cryptographie  apprise  à  l'école  ou  élaborée  dans 
l'arriëre-boutique.  Ce  genre  devient  un  peu  plus  rare  depuis  que  les 
Maîtres ,  qui  n'ont  jamais  donné  dans  ce  ridicule  ^  leur  enseignent  que 
toutes  les  sciences  sont  solidaires  et  que  les  travaux  de  l'une  peuvent 
aider  à  l'avancement  de  l'autre.  Il  y  a ,  en  effet ,  entre  toutes  les 
branches  des  connaissances  humaines  des  points  de  contact  si  nom- 
breux ,  qu'une  intelligence  saine  les  aperçoit  et  se  garde  de  ravaler 
l'une  au  profit  de  l'autre. 

Voyez  plutôt  :  au  sein  de  la  Société  d'émulalion  de  Montbéliard , 
peuplée  comme  partout  d'hommes  adonnés  aux  éludes  les  plus  diverses, 
on  s'occupe  de  chronologie,  d'histoire  particulière,  d'archéologie, 
d'art  et  d'autres  choses  encore ,  en  même  temps  que  de  sciences  natu- 
relles dont  l'arrondissement  est  le  champ  d'exploration.  Le  terrain  est 
à  peine  effleuré  que  l'on  aperçoit  les  liens  intimes  qui  rattachent  l'un 
à  l'autre  des  travaux  si  divergents  en  apparence.  Partout  ailleurs  il  y 
aurait  tendance  à  considérer  semblable  association  comme  une  affreuse 
cacophonie.  Ici  point.  Des  intelligences  d'élite  mettent  en  évidence  les 
points  de  contact  et  abandonnent  au  plus  dévoué  ,  ou  au  plus  capable 
le  soin  de  mettre  le  bart  autour  de  la  gerbe. 

En  examinant  les  épis  de  cette  gerbe  on  reconnaît  bien  vîte  que  rien 
de  disparate ,  rien  d'inutile  n'est  entré  dans  sa  formation  ;  que  chaque 
moissonneur  y  a  contribué  dans  la  mesure  que  comportait  sa  tâche  et 
que  l'ensemble  s'élève  au  niveau  du  dernier  état  de  la  science.  Dans  ce 
champ  circonscrit  on  a  récolté  tous  les  fruits  qu'il  fallait  pour  se  mettre 
à  la  hauteur  du  savoir  des  Lyel ,  des  Boucher  de  Perthes ,  des  d'Archiac 
et  des  Louis  Figuier  ;  d^s  Trogon  ,  des  Pictet,  des  Fournet ,  des  Broca, 
des  Flourens,  des  Amédé  Thierry,  des  Quiquerez,  des  Moreau  de 
JonnèSj  des  Ghiflet  et  des  Schœpflin  ;  des  Grandidier ,  des  de  Golbéry , 


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550  REVUK  o'alsage. 

des  Napoléon  P"  et  III  et  de  tant  d'autres  qu'il  serait  trop  long  de 
dénommer  ici.  Tant  il  est  vrai  de  dire  que  le  véritable  homme  de 
science  trouve  dans  son  propre  pays  le  sujet  de  ses  études  expérimen- 
tales et  qu'il  fait  bien  de  laisser  à  celui  qui  veut  jeter  de  la  poudre  aux 
yeux  de  ses  concitoyens ,  le  privilège  de  chercher  au-dehors  des  maté-  * 
riaux  que  ceux-ci  ne  connaissent  pas  et  qu'il  ne  connaît  guère  mieux. 
Il  paraît  prétentieux  le  livre  de  M.  Muston  après  les  citations  que  nous 
venons  de  produire  ;  et  pourtant  rien  n'est  plus  modeste.  Il  est  d'une 
extrême  simplicité  et  ne  dédaigne  pas  de  quitter  les  hauteurs  où  il  se 
place  au  début  pour  descendre  jusqu'à  la  bonhommie  de  la  statistique. 
Nous  aimons  y  nous  estimons  des  travaux  de  ce  genre  ;  on  n'y  trouve 
pas  d'afféterie  y  point  de  faits  ni  d'opinions  hasardés.  Il  y  a  ce  que  l'au- 
teur sait ,  et  ce  qu'il  sait ,  il  le  sait  bien.  Nous  allons  essayer  de  rendre, 
en  aussi  peu  de  mots  que  possible ,  les  contours  généraux  de  cette 
anthropologie  locale. 

On  a  trouvé  dans  le  sol  du  pays  de  Montbéliard  les  preuves  de  Texis* 
tence  de  Thomme  à  l'époque  de  la  formation  quaternaire  du  globe. 
Soumises  à  l'examen  de  la  science  anthropologique  »  ces  preuves  ont 
démontré  que  l'homme,  qui  habitait  notre  contrée  à  cette  époque, 
était  brackycéphak  et  appartenait  à  la  race  lapone^  ramification  extrême 
de  la  race  mongole.  Semblable  découverte  a  été  faite  récemment  à 
Eguisheim  ,  dans  le  terrain  diluvien ,  au  milieu  d'ossements  d'animaux 
disparus.  H.  le  docteur  Faudel  en  fait  le  rapport  dans  le  Bulletin  de  la 
Société  d'histoire  naturelle  de  Colmar«  qui  paraîtra  très-prochainement. 

C'est  à  cette  époque  que  remonte  Vige  de  pierre.  H.  Huston  le  divise 
en  trois  périodes  :  celle  des  haches  ébauchées ,  celles  des  temps  gla- 
ciaires et  celle  des  habitations  lacustres.  Â  l'appui  de  cette  thèse ,  les 
sciences  naturelles  fournissent  des  preuves  qui  ne  sont  pas  moins  con- 
cluantes que  les  premières  ;  elles  donnent  l'explication  de  l'anéantisse- 
ment partiel  des  êtres  vivants  dans  le  sens  prévu  par  Humbolt  et  nié  par 
les  défenseurs  de  l'unité  de  race  ;  du  phénomène  des  blocs  erratiques 
et  de  ces  habitations  étranges  dont  la  récente  découverte  a  tant  préoccupé 
le  monde  savant.  Pendant  la  première  période,  Thomme  a  vécu  à  l'état 
sauvage  et  s'est  fait  de  la  pierre  des  instruments  ébauchés ,  tels  que 
haches  rudimentaires,  pointes  de  flèches  dont  on  retrouve  des  échan- 
tillons dans  le  terrain  quaternaire.  Il  va  sans  dire  que  la  faune  de  cette 
période  est  reconstituée  par  les  mêmes  indications  et  les  mêmes  preuves. 
La  période  glaciaire  qui  succéda  est  également  prouvée  par  des  faits 


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BIBLIOGRAPHIE.  551 

aussi  incontestables  que  les  premiers.  Le  centre  de  l'Europe  a  été  cou- 
vert de  glaciers  semblables  à  ceux  des  pôles.  Le  mouvement  de  ces 
immenses  mers  de  glace  expliquent  le  transport  de  ces  énormes  blocs 
de  granité  des  Alpes  jusque  sur  les  flancs  des  plus  hautes  montagnes 
du  Jura.  Les  cavernes  que  Ton  rencontre  dans  ce  terrain  de  formation 
postérieure  fournissent ,  à  leur  tour ,  la  preuve  que  la  période  glaciaire 
fut  mortelle  pour  le  lion ,  Téléphant-mammouth  ,  le  rhinocéros ,  l'hip- 
popotame ,  le  renne ,  le  grand  cerf  d'Irlande  qui  disparurent  et  dont 
ces  cavernes  renferment  des  débris  fossiles  eu  grandes  quantité ,  asso- 
ciés d'ailleurs  à  des  ossements  humains  et  à  des  débris  de  son  industrie 
primitive,  tels  que  silex  taillés  en  couteaux,  pointes  de  flèches^  instru- 
ments en  bois  de  cerf  et  renne  appointés  d'un  bout  et  taillés  en  biseau 
de  l'autre.  A  la  période  glaciaire  succède  la  période  lacustre  ou  anté- 
celtique ,  qui  est  la  dernière  de  l'âge  de  pierre ,  car  les  recherches  et 
les  études  faites  sur  cet  élément  nouveau  pour  l'histoire  de  nos  origines, 
démontrent  que  les  peuplades  qui  cherchaient ,  au  milieu  des  eaux  ou 
des  marais ,  un  abri  sûr  pour  y  établir  leurs  huttes ,  ne  connnaissaient 
point  encore  l'usage  des  métaux.  Ce  fait ,  comme  le  remarque  H.  Muston, 
a  en  effet  une  haute  importance  puisqu'il  sépare  d'une  façon  tranchée 
l'âge  de  pierre  de  l'âge  de  bronze.  Ces  peuplades  descendaient  du  type 
lapon  de  la  première  période  et  les  découvertes  prises  dans  le  terrain 
artificiel  sur  lequel  elles  établirent  leurs  habitations,  permettent  à  fauteur 
d'esquisser  avec  sûreté  leurs  mœurs  et  leur  civilisation.  Il  faut  lire  dans 
l'ouvrage  les  divers  chapitres,  très-sobres  du  reste,  où  ces  différents 
points  sont  traités  ,  pour  avoir  une  idée  bien  nette  du  secours  que  la 
science  apporte  à  l'histoire  des  origines. 

En  sortant  de  cette  longue  époque  d'enfance  de  notre  humanité ,  on 
entre  dans  Vdge  de  bronze ,  c'est-à-dire  dans  une  civilisation  toute 
nouvelle  importée  par  des  tribus  aryennes  venues  de  TAsie ,  sortes  de 
Kabyles  qui  émigrèrent  de  la  Bactriane  vers  Toccident  de  l'Europe  où 
elles  formèrent,  avec  les  débris  échappés  au  massacre  des  peuplades 
primitives  qui  l'habitaient ,  le  peuple  celtique  et  inaugurèrent  l'd^^  de 
bronze.  Cette  époque,  quoiquo  très-reculée,  est  un  fait  acquis  à  la 
science  et  contre  lequel  personne  ne  s'élève  plus  de  nos  jours,  parce 
que  les  retardataires  trouvent  moyen  de  le  concilier  avec  la  chronologie 
sur  laquelle  ils  basent  leur  infaillibilité  de  croyance.  Or,  M.  Adolphe 
Pictet,  dans  ses  Origines  indo-européennes  ^  a  jeté  une  lumière  très- 
vive  sur  les  Aryas  primitifs,  leurs  moeurs,  leur  civilisation  et  les  causes 


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552  REVUE  D'ALSACE 

de  leur  immigration  dans  l'Europe  occidentale.  Ceux-là  sont  nos  véri- 
tables ancêtres  et  si  leur  histoire  était  encore  lettre  morte  au  pays  dont 
ils  prirent  possession ,  H.  Pictet  nous  la  ferait  connaître  en  allant  Fétu- 
dierenAsie,  c'est-à-dire  à  leur  berceau.  C'est  sur  cette,  autorité , 
acceptée  de  tout  le  monde ,  que  M.  Muston  se  base  pour  nous  parler 
de  l'époque  celtique  dans  nos  contrées.  Si  les  Celtes  nous  apportèrent , 
comme  cela  n'est  pas  douteux ,  la  civilisation  de  la  Bactriane  au  mo- 
ment de  leur  émigration ,  on  est  forcé  d'avouer  que  de  nos  jours  encore 
subsistent^  dans^J'agriculture  tout  au  moins,  non  pas  des  restes ,  mais 
des  procédés  tout  entiers  au  perfectionnement  desquels  les  comicps 
croient  travailler  efficacement ,  tandis  que  notre  industrie  moderne , 
que  l'on  peut  appeler  Vâge  de  F  acier ,  les  bat  en  brèche  avec  plus  ou 
moins  de  succès. 

De  même  que  Yàge  de  pierre  avait  fini  par  l'invasion  des  Celtes ,  de 
même  aussi  Vdge  de  bronze  devait  succomber  devant  l'invasion  des 
Kimris ,  autre  peuplade  de  l'Asie  refoulée  en  Crimée  d'abord ,  se  répan- 
dant ensuite  jusqu'à  la  mer  Baltique  d'où  elle  partit,  beaucoup  plus 
tard ,  pour  envahir  les  terres  situées  entre  le  Rhin  et  l'Océan,  se  con- 
fondre avec  les  Celtes ,  inaugura  Vâge  de  fer  et  former  la  nation 


Arrivé  au  galop  à  ce  point  de  notre  résumé,  nous  pourrions  nous 
arrêter  sans  scrupule ,  parce  que  nous  en  avons  dit  assez  pour  piquer 
la  curiosité  du  lecteur ,  conséquemment  pour  recommander  un  livre 
qui  nous  intéresse  au  plus  haut  degré.  Nous  touchons  d'ailleurs  à  une 
époque  dont  l'histoire  est  écrite  par  Pelloutier  et  une  foule  d'autres 
qui  ont  suivi  ses  traces  ou  l'ont  complété.  Mais  nous  ne  sommes  pas  au 
tiers  du  livre  et  si  pour  l'épuiser  il  nous  faut  mesurer  la  place  qui  nous 
reste ,  nous  devons  procéder  par  enjambées  plus  grandes  encore  que 
les  précédentes. 

Avec  le  fer  nous  ne  sommes  pas  à  Jules-César  et  jusqu'à  l'acier 
obtenu  régulièrement  nous  devons  arriver  au  dix-septième  siècle  de 
notre  ère,  ainsi  que  le  démontre,  par  l'histoire  et  la  géologie, 
M.  Quiquerez  dans  un  travail  avec  lequel  nous  sommes  en  retard  et 
que  nous  nous  proposons  de  faire  prochainement  connaître  à  nos  lec- 
teurs. Notre  computation  est  rapide ,  comme  on  le  voit ,  car  dans  cette 
nouvelle  époque  nous  embrassons  la  période  celtique ,  la  période  gallo- 
romaine,  la  période  franque  et  burgonde  ainsi  que  toute  celle  du 
moyen-àge.  Sommes-nous  encore  dans  Vâge  de  faâer  et  de  la  fonte , 


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BIBLIOGRAPHIE.  553 

OU  bien  avons-nous  déjà  un  pied  dans  Vâge  d'or?  Nous  voudrions 
pouvoir  l'affirmer.  Quoiqu'il  en  soit  nous  avons  fait  beaucoup  de  che- 
min vers  un  âge  meilleur ,  malgré  ce  qu'en  écrit  l'évêque  d'Orléans , 
et  pour  ef  être  convaincu  il  suffit  de  suivre  l'étude  de  H.  Muston  dans 
son  paisible  développement.  Toutefois  il  est  probable  que  l'âge  dans 
lequel  nous  sommes  se  prolongera  encore  si  la  durée  de  la  période  doit 
égaler  celles  qui  l'ont  précédée. 

Combien  de  siècles  se  sont  écoulés  depuis  le  commencement  de 
Vdge  de  pierre  jusqu'à  sa  fin  ?  C'est  ce  que  la  géologie  n*a  pu  encore 
nous  apprendre.  Elle  prouve  seulement  l'existence  de  l'homme  pendant 
l'époque  tout  entière  de  la  formation  quaternaire ,  mais  elle  n'a  pu 
jusqu'à  présent  en  indiquer  la  durée  d'après  la  mesure  des  révolutions 
sidérales.  Elle  est  moins  circonspecte  pour  les  âges  suivants.  Tandis 
que  l'acier  coupe  en  deux  parts  des  collines  entières  pour  livrer  passage 
à  nos  voies  ferrées,  la  science  recueille,  aux  divers  étages  de  leur 
formation,  les  preuves  de  la  présence  de  l'homme  et  en  déduit  la  durée 
des  époques.  En  partant  des  mesures  faites  dans  une  semblable  cir- 
constance aux  environs  de  Genève,  et  en  admettant  une  antiquité  de 
treize  siècles  au  moins  et  de  dix-huit  au  plus  pour  la  couche  romaine 
au-delà  de  laquelle  on  ne  fera  pas  remonter  Vâge  de  fer  bien  qu'il  lui 
soit  antérieur,  on  arrive  à  une  antiquité  de  29  siècles  au  moins  à  42 
siècles  au  plus  pour  Y  âge  de  bronze  ;  de  47  siècles  au  moins  à  70 
siècles  au  plus  pour  la  fin  de  Y  âge  de  pierre  et  pour  la  formation  totale 
de  la  colline  éventrée,  à  un  âge  de  74  siècles  au  moins  à  ilO  siècles  au 
plus.  Si  l'on  admet  ces  données ,  qui  ne  sont  pas  faites  pour  contrarier 
la  version  des  Septante  quant  au  déluge  (3716  ans  avant  notre  ère) , 
l'accord  cesse  de  régner  entre  les  constatations  arrachées  à  la  nature 
par  l'intelligence  humaine  et  les  révélations  enseignées  par  l'exclusi- 
visme de  la  tradition. 

'  Nous  pouvons  nous  borner  à  ce  qui  précède  pour  donner  au  lecteur 
une  idée  concise  de  la  première  partie  du  livre  de  H.  Muston.  Pour  le 
surplus  nous  pouvons ,  sans  inconvénient ,  être  plus  bref  encore ,  car 
nous  sommes  arrivé  à  la  partie  statistique  dont  nous  avons  parlé  en 
commençant.  Le  chapitre  II  est  consacré  à  la  description  des  diverses 
régions  du  pays  de  Montbéliard  avec  quelques  pages  accordées  à  son 
hydrographie  et  à  sa  faune.  Le  chapitre  lil  est  tout  entier  à  la  statistique 
agricole  et  le  chapitre  IV  à  la  statistique  industrielle.  Mais  il  ne  faut 
pas  que  ce  mot  de  statistique  effraie  les  esprits  qui  ont  horreur  des 


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554  REVUE  D'ALSACE. 

chiffres  et  qui  leur  accordent  peu  de  créance.  Ils  n'y  trouveront  que 
très-peu  de  chiffres ,  mais  beaucoup  de  récits ,  de  raisonnements  et  de 
descriptions  intéressantes;  c'est  un  genre  de  statistique  auquel  on 
donne  ordinairement  un  nom  moins  modeste  Nous  regrettoos  de  man- 
quer de  la  place  nécessaire  pour  en  fournir  un  exemple.  On  nous  croira 
sur  parole  et  cela  suffit  au  but  que  nous  nous  proposons.  Nous  dirons 
seulement  que  dans  cette  dernière  partie ,  comme  dans  la  précédente, 
l'auteur  s'est  appuyé  sur  des  travaux  originaires  du  pays  et  dus ,  pour 
la  géologie,   à   HM.  Thurmann,   Thirria,  Kœcfalin-Schlumberger, 
Contejean ,  Parisot ,  Résal ,  Fournet ,  etc.  ;  pour  la  botanique ,  à 
HM.  Thurmann,  Contejean^  Parisot,  Grenier,  Kirschleger ,  Quailet , 
Friche- José  et  Hontandon;  pour  la  statistique,  à  H.  PaulLaurens, 
rédacteur  des  annuaires  du  Doubs,  et  à  H.  Résal ,  ingénieur  des  mines  ; 
pour  la  faune ,  à  plusieurs  naturalistes  franc-comtois  et  particulièrement 
à  Frère  Ogérien ,  auteur  de  l'histoire  naturelle  du  Jura  et  des  départe- 
ments voisins.  Rien  n'est  oublié  de  ce  qui  a  rapport  au  pays  de  Mont- 
béiiard ,  et  l'on  présume  de  reste  que  le  présent  est  rattaché  au  passé 
dans  chacune  des  matières  qui  le  comporte,  c'est-à-dire  qui  a  des 
racines  dans  les  temps  éloignés  de  nous.  C'est  une  particularité  qu'il 
convient  de  faire  ressortir ,  une  fois  de  plus^  en  faveur  du  naturaliste 
que  la  routine  de  la  spécialité  n'éblouit  pas  au  point  de  le  convaincre 
qu'en  dehors  de  sa  visée,  il  n'y  a  plus  rien.  Dans  certains  endroits  on 
pourrait  reprocher  à  M.  Huston  trop  de  laconisme  ;  mais  cela  doit  être 
excusé ,  parce  que  le  plan  môme  de  Touvrage  commande  cette  sobriété. 
La  première  partie  a  le  caractère  d'une  œuvre  scientifique  en  même  temps 
que  historique  ;  la  suite  devait  se  maintenir  autant  que  possible  dans  ce 
plan  afin  de  respecter  l'unité  de  la  conception  ;  ce  qui  n'empêche  pas  l'au- 
teur de  tirer  çà  et  là  des  conclusions  justifiées  par  les  faits  mis  en  évi- 
dence ,  comme  par  exemple  lorsqu'il  dit  que  «  la  domination  des  Francs 
<  fut,  pour  la  Gaule,  une  véritable  calamité,  t  Que  la  période  mérovin- 
gienne fut  «  une  période  d'anarchie ,  d'ignorance  et  d'atrocités  »  mar- 
quée par  <  les  forfaits  des  princes  de  cette  dynastie  exécrable  ;  »  qu'à 
l'avènement  des  Capétiens ,  bien  que  les  Francs  se  fussent  fondus  dans 
la  nationalité  gauloise  à  laquelle  ils  donnèrent  leur  nom,  ils  n'en 
retardèrent  pas  moins,  c  pendant  des  siècles,  le  progrès  des  Gaulois 
«  dans  la  civilisation  ;  que  leur  c  aristocratie  féodale  pesa  sur  eux  jus- 
«  qu'à  la  grande  Révolution  française,  qui  fut  le  réveil  définitif  de 
«  l'esprit  gaulois,  »  c'est-à-dire  de  l'esprit  des  tribus  aryennes,  les 


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BIBLIOGRAPHnS.  555 

Celtes  et  les  Kimris ,  dont  les  Francs  saiiens  et  les  Francs  ripuaires 
devinrent  les  dominateurs  après  avoir  été  les  mercenaires  des  Romains 
et  les  avoir  trahb  à  la  décadence  de  Tempire.  A  cette  seule  citation  y 
comme  à  beaucoup  d'autres  qu'il  nous  faut  passer ,  le  lecteur  recon- 
naîtra Texcelleni  esprit  qui  règne  dans  ce  livre ,  au  sujet  duquel  nous 
ne  dirons  plus  qu'un  mot  qui  sera  notre  conclusion. 

Il  est  louable  de  mettre  son  savoir  et  ses  loisirs  au  service  de  la 
science  et  de  son  pays  natal.  En  creusant  la  terre  pour  refeire  ses 
annales  on  lui  donne  un  blason  qui  vaut  celui  que  beaucoup  rappor- 
tèrent  de  la  Palestine  à  la  suite  de  Pierre  Termite ,  et  H.  Huston,  qui 
nous  promet  pour  paraître  prochainement  le  dernier  tome  de  son 
anthropologie  locale ,  s'est  assuré  une  des  premières  places  parmi  cette 
pléiade  d'hommes  distingués  qui  sont  les  dépositaires  de  la  bonne  tradi- 
tion au  pa;s  de  Montbéliard. 

II. 
Questions  sur  la  chasse.  Jurisprudence  de  la  Cmir  de  Coltnar  en 
cette  matière ,  par  M.  de  Neyremand  ,  conseiller  à  la  cour  impériale 
de  Colroar.  —  Colmar ,  imprimerie  de  Ch.-M.  Hoffmann  — 1866.  — 
Une  brochure  in-S^"  de  148  pages.  Prix  :  2  fr.  50  c.  Chez  Eug.  Barth 
et  Held-Baltzinger ,  libraires  à  Colmar. 

Il  y  a ,  près  la  cour  impériale  de  Colmar,  un  recueil  de  soixante-six 
volumes  contenant  les  arrêts  les  plus  notables  de  cette  cour  en  toutes 
les  matières.  C'est  une  collection  rare  et  coûteuse ,  outre  qu'elle  tient 
beaucoup  de  place  dans  le  cabinet  d'un  homme  de  loi  ;  de  plus  elle 
renferme  une  foule  do  décisions  qui  ont  perdu  à  peu  près  tout  l'intérêt 
juridique  qu'elles  présentaient  dans  le  temps  où  elles  ont  été  rendues. 
Cette  seule  considération  motiverait ,  pour  diverses  matières  ,  un  travail 
semblable  à  celui  que  M.  le  conseiller  de  Neyrenfand  vient  de  faire 
paraître  pour  les  questions  relatives  au  droit  de  chasse.  C'est  bien  le 
juriste  qui  se  révèle  dans  les  cent  quarante-huit  pages  qui  forment  ce 
premier  essai  spécial  de  la  tradition  jurisprudencielle  de  la  cour  de 
Colmar  en  fait  de  droit  de  chasse  ;  mais  nous  soupçonnons  —  et  M.  de 
Neyremand  nous  pardonnera  cet  aveu  —  que  le  chasseur  y  est  aussi 
pour  quelque  chose.  Si  la  plupart  de  Messieurs  les  conseillers  ne  prati- 
quent la  chasse  que  sur  l'étalage  du  revendeur ,  il  est  bon  qu'il  y  en 
ait  aussi  quelques  uns  qui  trouvent  le  gibier  qu'ils  abattent  meilleur 
que  celui  du  restaurateur.  Voici  pourquoi  :  Nous  posons  en  fait  qu'il 
n'est  pas  un  seul  chasseur  qui  n'ait,  plus  ou  moins  fréquemment ,  con- 


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556  RBTUB  d' ALSACE. 

trevenu  à  la  loi  et  aux  règleroenls ,  tant  Texercice  du  droit  que  Ton 
achète  est  semé  de  difficultés  el  d'écueils.  M.  de  Neyremand ,  qui  se 
livre ,  avec  une  modération  tout-à-fait  magistrale ,  au  délassement  de 
la  chasse ,  s'est  sans  doute  trouvé  plus  d'une  fois ,  comme  nous  tous , 
aux  prises  avec  ces  difficultés ,  embarrassé  dans  ces  écueiis.  De  là 
l'opportunité  de  faire  la  reconnaissance  juridique  du  terrain.  Si  c'était, 
en  effet ,  sous  l'habit  'du  chasseur  que  le  légiste  a  senti  la  nécessité  de 
se  révéler ,  nous  ne  devrions  pas  regretter  la  mauvaise  chicane  qu'un 
garde  champêtre  lui  aurait  cherchée  puisqu'elle  nous  aurait  valu  le 
petit  manuel  qui  permet  à  chaque  chasseur  d'apprendre ,  par  des  arrêts 
de  la  cour  de  Colmar ,  où  commence  et  s'arrête  son  droit,  où  commence 
et  finit  celui  du  briquet  rural.  Le  fait  est  que  si,  pour  notre  part,  nous 
avions  su  ce  que  nous  apprend  H.  de  Neyremand ,  nous  aurions ,  plus 
d'une  fois,  invité  ce  fonctionnaire  à  aller  se  promener ,  au  lieu  de  nous 
livrer  à  des  explications  diplomatiques  qui  portaient  quelqu'atteinte  à 
notre  dignité  de  disciple  en  Saint  Hubert.  Nous  conseillons  à  nos  con- 
frères de  se  munir  des  armes  que  H.  de  Neyremand  met  à  leur  dispo- 
sition ,  d'en  étudier  un  peu  le  mécanisme  et  la  portée  et  de  s'en  servir 
impitoyablement  lorsqu'une  plaque  malencontreuse  vient  troubler  in- 
tempestivement  leurs  exercices.  Il  n'est  pas  besoin  d'avoir  passé  quatre 
années  dans  une  université  à  ne  pas  suivre  l'école  de  droit  pour  en  faire 
usage  ;  il  suffit  de  savoir  lire  pour  comprendre  les  termes  d'un  arrêt. 
D'ailleurs ,  quand  cela  est  nécessaire ,  M.  de  Neyremand  fait  suivre  la 
glosse  et  ce  qu'il  y  a  surtout  de  bon  dans  ce  manuel ,  c'est  que  l'auteur 
ne  craint  pas  de  critiquer  les  décisions  de  la  Compagnie  à  laquelle  il 
appartient,  lorsqu'il  ne  partage  pas  son  avis  ou  celui  de  la  majorité  ; 
c'est-à-dire  que^  s'il  est  respectueux  pour  ses  décisions  ,  cela  ne  l'em- 
pêche pas  de  revendiquer  le  droit  quand  il  le  croit  méconnu.  Nous 
pourrions  en  donner  plus  d'une  preuve ,  mais  nous  lais&ons  à  l'homme 
de  loi  et  au  chasseur  la  satisfaction  de  les  découvrir.  Présentée  à  coups 
d'arrêts,  la  matière  nous  semble  si  complexe  qu'elle  mérite  d'être 
étudiée ,  dans  la  brochure  de  M.  de  Neyremand ,  par  les  hommes  qui 
sont  chargés  de  défendre ,  devant  le  siège ,  le  contrevenant  ou  le  délin- 
quant ,  par  ceux  qui  doivent  appliquer  la  loi  et  surtout  par  la  classe . 
assez  nombreuse  dans  le  ressort^  que  la  loi  concerne  spécialement , 
c'est-à-dire  les  chasseurs. 

Une  chose  noys  a  frappé  à  la  lecture  de  cette  série  de  décisions  judi- 
ciaires. La  jurisprudence  de  la  cour  impériale  de  Colmar  élève  presqu'à 


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BIBLIOGRAPHIB.  557 

la  haateur  d'un  principe  que  la  bonne  foi ,  en  matière  de  contra- 
vention ou  de  délit  de  chasse,  ne  peut  être  admise.  Cela  nous  a  paru 
être  d*une  rigueur  extrême.  En  toute  autre  matière,  beaucoup  plus 
grave  et  qui  intéresse  Tordre  social  à  un  plus  haut  degré  ^  la  bonne  foi 
est  un  élément  constitutif  du  fuit  incriminé ,  et  la  décision  qui  inter- 
vient en  tient  compte.  On  peut  dire  que  c'est  aussi ,  jusqu'à  un  certain 
point ,  dans  ce  sens  que  les  tribunaux  correctionnels  de  première  in- 
stance jugent  la  contravention  ou  le  délit  de  chasse ,  car ,  si  dans  les 
motifs  du  jugement  la  bonne  foi  n'est  pas  explicitement  retenue ,  il 
n'en  parait  pas  moins  certain  que  l'acquittement ,  basé  sur  l'insuffisanse 
de  preuves ,  en  est  déduit.  Plus  rigide  sur  les  principes ,  la  Cour  semble 
placer  au-dessus  de  l'intention ,  au-dessus  de  la  bonne  foi ,  le  fait 
matériel  établi  au  procès-verbal  et  appliquer  la  loi  presque  comme  en 
matière  de  délit  forestier  ;  de  sorte  que  les  éclaircissements  versés  au 
débat  demeurent ,  pour  ainsi  dire,  sans  effet  quant  à  la  pénalité  et  ne 
peuvent  avoir  d'autre  conséquence  que  d'atténuer  la  portée  morale  qui 
résulte  à  rencontre  du  prévenu  par  le  fait  de  la  prévention  et  de  la 
condamnation.  Nous  nous  élèverions  contre  cette  doctrine  juridique  si , 
par  profession ,  nous  étions  autorisé  à  le  faire.  Comme  chasseur  nous 
pouvons  dire ,  sans  manquer  le  respect  pour  la  chose  jugée ,  que  dans 
l'exercice  du  droit  de  chasse  on  est  souvent ,  sans  le  savoir ,  exposé 
a  être  constitué  en  contravention  ou  en  délit.  Que  le  procès-verbal  fasse 
foi ,  rien  de  mieux  ;  mais  s'en  suit-il  que  son  effet  juridique  ne  puisse 
être  infirmé?  cela  se  comprend  difficilement  alors  qu'en  matière  crimi- 
nelle la  procédure  écrite ,  elle-même ,  est  corrigée ,  aggravée  ou  anéan- 
tie quelques  fois  par  de  nouvelles  explications  de  l'accusé  ou  par  la 
déposition  orale  des  témoins  entendus  devant  le  juge-instructeur  et  son 
greffier. 

Hais  nous  mettons  le  pied  sur  un  terrain  qui  n'est  pas  le  nôtre  et 
l'on  voudra  bien  ne  pas  nous  en  faire  un  grief,  n'ayant  en  vue  que  de 
justifier  ce  que  nous  voulons  alléguer  :  Pour  être  chasseur ,  on  est  pas 
essentiellement  de  mauvaise  foi  dans  l'exercice  du  droit  que  l'on  paie; 
on  peut  être  amené  à  la  barre  de  la  justice  étant  innocent  moralement 
du  fait  qui  est  reproché  ;  bref,  nous  aurions  jugé  comme  le  tribunal  de 
police  correctionelle  de  Colmar  dans  la  cause  des  oiseatêx  aquatiques , 
pages  ii9  à  129  des  excerpta  de  M.  de  Neyremand. 

Ne  semble-t-il  pas  ,  d'après  ce  qui  précède ,  qu'il  s'agit  d'un  sujet 
bien  sévère ,  bien  ardu  dans  la  brochure  que  nous  signalons  ?  Nous 


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558  mWE  D* ALSACE. 

prions  le  lecteur  de  n'en  rien  croire.  Si  la  matière  est  un  peu  sèche , 
d'un  caractère  tant  soit  peu  subtil ,  elle  devient  attrayante  et  instructive 
sous  la  plume  de  H.  de  Neyremand.  Le  chasseur  ne  s'ennuie  pas  en  la 
lisant.  Sa  curiosité  est  excitée  au  plus  haut  degré  par  la  variété  des  cas 
soumis  à  l'appréciation  de  la  Cour  depuis  plus  d'un  demi-siècle ,  et  son 
esprit  est  singulièrement  reposé  par  l'exposition  des  faits  soit  dans  le 
texte  des  arrêts ,  soit  par  H.  de  Neyremand  quand  le  rédacteur  de 
l'arrêt  s'est  montré  trop  discret.  La  brochure  a  donc  aussi  sa  partie 
amusante  et  nous  pouvons ,  en  toute  sûreté  de  conscience ,  la  recom- 
mander aux  chasseurs ,  voire  même  aux  braconniers  du  pays. 

m. 

Le  Bib'  iographe  alsacien.  Ga%ette  littéraire ,  historique ,  artvttique.  Strasbourg, 
îir.primeric  de  veave  Berger-Levrault  et  fils.  —  M.D.GCG.LXVI.  —  Prix  : 
6  francs  par  an.  On  s'abonne  chez  les  principaux  .libraires  d* Alsace ,  et  au 
bureau  de  la  Rédaction  ,  chez  M.  Ch  M<b1  ,  23,  rue  de  l'Arc-en-Giel  I  Stras- 
bourg. 

Nous  aimerions  que  tous  les  lecteurs  de  la  Revue  connussent  cet 
intéressant  recueil.  lien  est  à  sa  troisième  année  d'existence  et  il  forme 
jusqu'à  présent  une  collection  d'une  homogénéité  remarquable.  Son 
Directeur ,  M.  Hehl ,  est  un  homme  de  savoir  et  un  homme  de  goût  : 
il  a  su  maintenir  le  Bibliographe  dans  le  programme  de  son  début , 
réveiller  chez  beaucoup  de  nos  compatriotes  l'amour  du  livre ,  le  goût 
de  l'art  et  Tardeur  des  études  sur  un  terrain  beaucoup  trop  négligé  en 
Alsace.  La  tâche  qu'il  s'est  imposée  et  qu'il  accomplit  avec  une  entière 
indépendance  mérite  des  encouragements  qu'il  ne  faut  pas  marchander. 
C'est  quelque  chose  pour  une  province  que  d'avoir  une  publication  qui 
mette  en  relief  toutes  les  productions  de  sa  vie  artistique  dans  les  temps 
anciens  comme  dans  les  temps  modernes.  Le  Bibliographe  ne  faillit 
pas  à  cette  mission  et  pour  s'en  convaincre ,  il  suiBt  de  parcourir  ses 
tables  de  matières.  Le  plus  indifférent  y  trouvera  de  quoi  l'intéresser , 
le  distraire  et  l'instruire.  Si  occupé ,  si  pressé  de  vivre  que  l'on  soit , 
l'esprit  veut  aussi  avoir  des  satisfactions  qu'on  ne  lui  refuse  pas  im- 
punément ,  car  la  vie  n'est  pas  seulement  confinée  dans  la  préoccupa- 
tion des  jouissances  matérielles,  des  absorptions  du  mouvement  poli- 
tique. Il  y  a  temps  pour  tout  et  quand  l'esprit  demande  satisfaction  ce- 
n'est  pas  pour  détourner  l'homme  des  choses  positives ,  mais  bien  pour 
le  reposer,  le  retremper  aux  véritables  sources  d'où  procèdent  les 
sociétés  civilisées  et  le  rendre  plus  apte  à  bien  remplir  le  réie  auquel  il 


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BIBLIOGRAPHIE.  559 

est  appelé.  En  nulle  autre  province  mieux  qu*en  Alsace ,  on  n*a  con- 
science de  cette  vérité  ;  aussi  la  vie  intellectuelle  y  est  active ,  constante, 
même  sous  Tempire  des  circonstances  les  plus  propres  à  la  paralyser. 
Rien  n'arrive  au  jour  en  Alsace  sans  y  rencontrer  de  Tappui  el  des  sym- 
pathies ;  c'est  que  TAlsace  toute  française  qu'elle  est  ^  toute  archî- 
française  que ,  de  temps  à  autre ,  on  se  croit  obligé  de  la  proclamer , 
n'en  conserve  pas  moins  sa  vie  propre  et  tient  à  la  cultiver  à  côté  du 
mouvement ,  du  tourbillon  général  en  dehors  duquel  on  a  le  tort  de 
croire  qu'il  n'y  a  plus  rien  Dans  cette  vie  de  famille ,  le  Bibliographe 
a  pris  une  place  inoccupée  depuis  trop  longtemps  y  comme  nous  l'avons 
déjà  dit.  Il  y  figure  avec  honneur.  Nous  serions  heureux,  si  la  justice 
que  nous  nous  plaisons  à  lui  rendre  pouvait  contribuer  à  lui  assurer  de 
plus  en  plus  le  succès  dont  il  jouit.  Ceux  de  nos  lecteurs  qui  ne  con- 
naissent pas  encore  le  Bibliographe  et  qui  se  décideraient  à  lui  accorder 
une  petite  part  de  leur  attention  ^  nous  sauront  gré ,  nous  n'en  doutons 
pas  ,  de  le  leur  avoir  signalé. 

La  cinquième  livraison,  du  Z^*  volume  commencé ,  paraîtra  du  15  au 
20  de  ce  mois. 

IV. 

Exposition  des  beaux-arts  de  paris.  V Alsace  et  ses  artisêes, 
par  Ad.  Morpain.  —  Strasbourg ,  imprimerie  d'Ad.  Christophe  — 
ig66.  —  Une  brochure  petit  in-S**  de  40  pages. 

M.  Morpain  nous  a  fait  Thonneur  de  nous  envoyer  sa  brochure;  nous 
devons  l'en  remercier  et  en  dire  quelques  mots.  C'est  la  troisième  année 
des  comptes-rendus  du  salon  de  peinture,  publiés,  si  nous  ne  nous 
trompons,  dans  le  Moniteur  du  Bas- Rhin. 

Pourquoi  ne  dirions-nous  pas  tout  d'abord  que  nous  regrettons  les 
quatre  pages  d'introduction  dont  l'autour  a  cru  bon  de  faire  précéder 
sa  critique'^du  salon  ?  Nous  ne  pensons  pensons  pas  que  la  bouflbnnerie 
Lischen  et  Fritzchen  soit  une  peinture  exacte  des  mœurs  alsaciennes 
et  M.  Morpain  nous  paraît  mériter  le  reproche  de  l'avoir  prise  au  sérieux. 
Les  balais  de  Brumath  et  d'autres  choses  n'ont  pas  besoin  d'être  vengés. 
On  sait  à  Paris,  aussi  bien  que  partout  ailleurs  «  que  l'Alsace  fait  partie 
(lu  territoire  français  depuis  1648,  Strasbourg  depuis  1681;  qu'on  y 
parle  et  qu'on  y  écrit ,  tant  bien  que  mal ,  les  deux  langues ,  mais  qu'on 
y  est  d'origine  allemande  ce  qui ,  n'en  déplaise  à  l'auteur,  n'est  nulle- 


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560  REVUE  D'ALSACE. 

ment  un  déshonneur.  Aujourd'hui  que  la  Société  des  amis  des  arts  a 
rompu  avec  €  l'école  de  Dusseldorff  »  s'en  trouve-t-elle  mieux?  Quelques 
uns  disent  oui,  d'autres  disent  non.  L'important  est  de  savoir  qui  a 
raison ,  mais  ce  qui  est  certain  c'est  qu'une  Société  s'amoindrit  en'jetant 
par-dessus  bord  un  des  éléments  qui  constituent  sa  richesse  et  son  ori- 
ginalité. Pour  être  Français  et  bon  Français ,  est-il  absolument  indis- 
pensable de  renier  l'ancienne  parenté  et  de  n'avoir  plus  rien  de  commun 
avec  elle ,  ni  dans  la  langue ,  ni  dans  la  science*,  ni  dans  l'art  ?  Nous 
ne  le  pensons  pas ,  ce  qui  veut  dire  que  nous  sommes  d'un  avis  contraire 
à  celui  de  H.  Horpain.  Mais  nous  n'insistons  pas ,  car  nous  croyons 
que  cette  espèce  de  croisade ,  dont  M.  Morpain  est  l'éloquent  apôtre , 
n'a  au  fond  rien  de  sérieux  et  qu*elle  cessera  dès  que  le  prétexte  sur 
lequel  elle  se  fonde  sera  usé.  Il  est  bien  près  de  l'être ,  car  aujourd'hui 
on  ne  nous  conteste  plus  que  nous  sommes  Français ,  bons  Français , 
mais  nous  ne  pensons  pas  qu'on  aille,  comme  M.  Morpain,  jusqu'à 
prétendre  que  nous  sommes  meilleurs  Français  que  les  Bretons ,  les 
Gascons  où  les  Marseillais. 

Ce  qui  est  louable  dans  la  brochure  de  M.  Horpain  c'est  l'intention. 
Il  revendique ,  au  profit  de  la  réputation  du  pays ,  les  œuvres  de  tous 
ses  artistes.  Il  distribue  à  ces  derniers  l'éloge  et  la  critique  dans  une 
mesure  qu'il  ne  nous  est  pas  permis  d'apprécier ,  car  nous  ne  connais- 
sons que  très-superficiellement  les  œuvres  qu'il  examine.  La  critique  « 
en  matière  d'art ,  est  fort  difficile  et  scabreuse.  On  a  vu  les  œuvres  les 
plus  dénigrées  reprendre  leurs  droits  et  arriver,  quelquefois  grâce  à  ce 
dénigrement ,  à  obtenir  très-promptement  bonne  et  équitable  justice. 
Quand  la  critique  a  ce  résultat,  il  ne  faut  pas  trop  s'en  plaindre ,  car 
c'est  une  des  voies  indirectes  par  lesquelles  l'écrivain  peut  encore 
rendre  service.  Nous  ne  faisons  pas  cette  remarque  à  l'intention  de  tel 
ou  tel  chapitre  de  la  brochure  de  M.  Morpain  :  si  l'auteur  est  hardi,  vif^ 
un  peu  pressé  en  beaucoup  d'endroits ,  il  ne  va  pas ,  ou  il  n'a  jamais 
voulu  aller  jusqu'à  «  détruire  d'un  seul  trait  les  illusions  de  l'artiste,  i 
Il  est  (  de  ceux,  au  contraire^  qui  croient  que  devant  n'importe  quelle 
(  œuvre  d'art ,  soit  de  peinture  ou  de  sculpture ,  fut-elle  même  mau- 
c  vaise,  il  faut  toujours  faire  une  large  part  au  sentiment  qui  l'a  créée.» 
M.  Morpain  a  raison  et  nous  sommes  persuadé  qu'en  restant  fidèle  à  ce 
précepte  il  nous  donnera ,  l'an  prochain  ,  une  revue  de  plus  en  plus 
intéressante  des  œuvres  par  lesquelles  l'Alsace  artistique  se  distinguera 
à  l'exposition  universelle.  Frédéric  Kurtz. 


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PERSÉCUTIONS  DES  VAUDOIS 

A  STRASBOURG. 


{Extrait  des  manutcrits  inédits  de  Grandidier,) 


C'est  sous  Fépiscopat  de  Henri  de  Veringue  que  com- 
mencèrent les  persécutions  :  le  temps  était  arrivé  où  les 
infortunés ,  mais  trop  opiniâtres ,  Vaudois  devaient  être  la 
victime  de  leur  erreur.  Qu'il  nous  soit  permis  d'en  rap- 
porter les  différentes  circonstances:  cette  digression  ne 
sera  pas  un  objet  indigne  de  la  curiosité  des  lecteurs. 
Indépendamment  qu'elle  appartient  à  l'histoire  du  siècle  et 
de  la  province  ,  elle  nous  fait  connaître  les  ressorts  hon- 
teux qu'une  fausse  piété ,  la  ven{^eance ,  l'avarice  ,  l'esprit 
persécuteur  mirent  en  usage  pour  y  exterminer  des  sec- 
taires dont  le  crime  était  de  ne  pas  être  de  la  même 
croyance.  Ce  n'est  point  à  Saint-Dominique,  ce  n'est  point 
à  son  ordre  qu'on  doit  imputer  de  pareils  traits  et  de 
pareilles  persécutions.  C'est  en  général  à  la  perversité  des 
hommes,  toujours  fanatiques,  toujours  cruels ,  lorsqu'ils 
n'écoutent  que  la  voix  de  leurs  passions  ,  ou  le  cri  de  la 
superstition.  Nous  oserons  dire  des  vérités  que  des  pré- 
jugés populaires  auraient  proscrites  dans  des  temps  anté- 
rieurs mais  qui ,  grâces  aux  lumières  d'un  siècle  où  la 
raison,  trop  longtemps  captive,  se  perfectionne  et  se  fortifie 
tous  les  jours  ,  n'ont  plus  rien  d'offensant.  Nous  sommes 

8*Sérit.— 17*  Année.  36 

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562  REVUE  D' ALSACE. 

à  présent  convaincus  que  ce  n'est  pas  en  déguisant  les 
fautes  des  personnages  sacrés  que  nous  parviendrons  à 
nous  instruire.  Au  reste  Tordre  de  Saint-Dominique  ,  qui 
a  produit  tant  d'hommes  savants  et  tant  de  pieux  person- 
nages ,  n'a  plus  rien  de  commun  que  le  nom  avec  quel- 
ques-uns de  leurs  confrères  qui  poussèrent  le  peuple  à  la 
barbarie  et  à  la  cruauté. 

Les  Vaudois,  qui  en  furent  la  victime,  étaient  une  secte 
formée,  en  1160,  par  un  marchand  de  Lyon,  nommé 
Pierre  Yaldo ,  qui  leur  donna  son  nom.  On  les  appela 
aussi  les  Pauvres  de  Lycm,  à  cause  qu'ils  prirent  naissance 
dans  cette  ville  et  à  cause  de  la  pauvreté  qu'ils  affectaient*. 
Pierre  \aldo  étant,  selon  sa  coutume,  dans  une  assemblée 
de  riches  commerçants ,  un  des  plus  apparents  de  la 
troupe  mourut  subitement.  Ce  coup  le  frappa  :  un  de  ces 
événements  eflfrayants  pour  les  imaginations  vives  et 
sombres ,  que  le  commun  des  hommes  voit  tous  les  jours 
avec  indifférence ,  lui  donna  naissance*  Une  pareille  avan- 
ture  jeta  dans  la  suite  Luther  dans  le  cloître.  Valdo  ne  se 
fit  pas  moine ,  mais  il  étudia  l'évangile.  Il  y  vit  partout 
l'éloge  de  la  pauvreté  ;  il  jugea  que  la  vie  apostolique  avait 
disparu  de  la  terre  ;  il  voulut  la  renouveler.  Il  distribua 
aussitôt  aux  pauvres  tout  son  bien,  qui  était  grand,  et,  en 
ayant  ramassé  par  ce  moyen  un  grand  nombre ,  il  leur 
apprit  la  pauvreté  volontaire  et  à  imiter  la  vie  de  J.-C.  et 
de  ses  apôtres. 

Mais  on  va  voir  ce  que  peut  la  piété  mal  conduite  :  au 
commencement ,  cette  secte  obscure  et  timide  n'avait 
encore  aucun  dogme  particulier,  ou  ne  se  déclarait  pas  ; 
leurs  mœurs  étaient  irréprochables,  ils  n'opprimaient  per- 

'  Voyei  Waldenter-Chronick,  imprimée  à  Schaffhausen,  en  1655. 


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PERSÉCUTION  DES  VAUDOIS.  563 

sonne ,  leurs  visages  étaient  mortifiés  ou  abattus  pai*  le 
jeûne.  On  ne  remarquait  dans  eux  que  Tafiectation  d'une 
superbe  et  oisive  pauvreté.  On  les  voyait  avec  de  certains 
souliers  d'une  forme  particulière,  coupés  par-dessus  pour 
faire  paraître  les  pieds  nus,  à  l'exemple  des  apôtres,  à  ce 
qu'ils  disaient  ;  on  les  voyait  affecter  cette  chaussure  pour 
marque  de  leur  pauvreté  apostolique ,  attendre  l'aumône 
et  ne  vivre  que  de  ce  qu'on  leur  donnait.  Cette  chaussure 
singulière  les  fit  nommer  insabbatés^  (insabbatati).  On 
reprocha  quelque  orgueil  à  ces  insabbatés,  qui  se  piquaient 
fort  d'humilité  ;  des  sandales  portées  par  une  pauvreté 
forcée  peuvent  humilier,  mais  on  sait  que  portées  par  une 
pauvreté  volontaire  et  théologique  ,  elles  peuvent  enor- 
gueillir. 

Les  Vaudois,  après  avoir  vécu  quelque  temps  dans  cette 
pauvreté  prétendue  apostolique,  s'avisèrent  que  les  apôtres 
n'étaient  pas  seulement  pauvres ,  mais  aussi  les  prédica- 
teurs de  l'évangile.  Ils  se  mirent  donc  à  prêcher,  à  leur 
exemple,  afin  d'imiter  en  tout  la  vie  apostolique.  Mais  les 
apôtres  étaient  envoyés ,  et  ceux-ci ,  que  leur  ignorance 
rendait  incapables  de  cette  mission  ,  furent  exclus  par  les 
évêques  d'un  ministère  qu'ils  avaient  usurpé  sans  leur 
permission.  Ils  ne  laissèrent  pas  de  continuer  secrètement 
et  de  murmurer  contre  le  clergé  qui  les  empêchait  de 
prêcher,  à  ce  qu'ils  disaient ,  par  jalousie  et  à  cause  que 
leur  doctrine  et  leur  sainte  vie  confondaient  ses  mœurs 
corrompues. 

Les  progrès  que  faisaient  les  Vaudois,  obligèrent  le  pape 
Luce  m,  vers  l'an  1183,  de  condamner  leurs  observances 


*  Un  véritable  Vaudois  était  un  homme  revêtu  d'un  froc  avec  une  longue  barbe, 
un  capuchon»  les  pieds  nus.  Ce  sont  ces  sectaires  qui  ont  donné  à  plusieurs  moines 
le  modèle  de  leurs  vêtements. 


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564  REVUE  D'ALSACE. 

superstitieuses  et  leurs  affectations  bizarres  ;  mais,  irrités 
par  cette  juste  sévérité  du  pontife  et  bravant  les  anathèmes 
de  l'église,  ils  s'élevèrent  avec  encore  plus  d'audace  contre 
le  pouvoir  qui  sévissait  contre  eux.  Leur  audace  s'accrût 
de  plus  en  plus:  leur  doctrine  devint  une  espèce  de  Dona- 
tisme  ,  qui  faisait  dépendre  l'effet  des  sacrements  de  la 
vertu  des  ministres.  Un  mauvais  prêtre  ne  pouvait  ni 
absoudre  ,  ni  consacrer  ;  un  mauvais  prêtre  n'était  point 
un  prêtre.  En  revanche ,  tout  laïque  vertueux  était  prêtre 
essentiellement ,  mais  pour  être  vertueux  il  fallait  être 
pauvre.  Tout  prêtre  qui  conservait  quelque  propriété,  était 
déchu  du  sacerdoce  ;  les  biens  devaient  être  communs.  Ils 
avaient  encore  une  autre  erreur,  qu'il  n'appartient  pas  à 
tout  le  monde  d'avoir  :  ils  ne  croyaient  pas  qu'il  fût  permis 
de  punir  de  mort  les  criminels  ;  ils  ne  fondaient  cette  idée 
sur  aucun  motif  philosophique  ou  politique ,  mais  sur 
l'évangile.  Dieu  a  dit:  je  ne  veux  point  la  mort  du  pécheur, 
il  fallait  donc  le  laisser  vivre  ;  la  vengeance  m'appartient, 
il  fallait  donc  la  lui  réserver  ;  laissez  croître  l'ivraie  jus- 
qu'à la  moisson ,  il  ne  fallait  donc  pas  prévenir  ce  temps. 
Le  reste  de  leurs  erreurs  est  resté  assez  obscur ,  et  peut- 
être  leur  a-t-on  imposé  plus  de  crimes  qu'ils  n'en  étaient 
coupables  ^  Pour  éviter  la  persécution,  ils  se  mêlaient 
parmi  les  catholiques  ,  ils  assistaient  à  leurs  assemblées , 
ils  y  recevaient  les  sacrements  de  la  main  des  prêtres, 


*  On  qualifiait  les  Vaudois  d'un  nom  très-infftme ,  qui  prouverait  qu'ils  étaient 
sujets  à  cette  impureté  abominable  que  la  nature  outragée  rejette  avec  horreur,  et 
qui  attira  le  feu  du  ciel  sur  Sodome  et  Gomorrhe.  Ils  étaient  appelés  P'**,  dénomina- 
tion honteuse,  que  le  respect  dû  à  la  modestie  ne  permet  pas  d'écrire  en  entier,  bien 
loin  d'en  donner  l'interprétation.  Le  P.  Daniel ,  tom.  5,  pag.  409 ,  et  l'abbé  Velli, 
tom.  Sy  pag,  484,  assurent  qu'on  lisait  ce  mot  entier  sur  le  tombeau  d'Alix,  com- 
tesse de  Bigorre  ;  qu'elle  était  fille  de  Gui  de  Montfort ,  qui  pour  la  foi  mourut 
contre  les  P*"  et  les  Albigeois. 


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PERSÉCUTIONS   DES  VAUDOIS.  565 

mais  leurs  ministres  leur  faisaient  demander  pardon  à  Dieu 
de  cette  faiblesse. 

Plus  on  examine  la  secte  des  Yaudois,  plus  on  reconnaît 
que  les  chefs  avaient  eu  Fart  d'opposer  au  faste  de  Féglise 
romaine  une  simplicité  adroite.  Le  vulgaire ,  toujours 
avide  de  ce  qui  parait  au-dessus  de  lui,  et  les  grands,  qui 
sont  si  souvent  plus  peuple  que  le  peuple  lui-même  ,  flé- 
chissaient le  genou  devant  des  prédicants  austères ,  qui 
semblaient  vouloir  simplifier  le  dogme  pour  l'accommoder 
davantage  à  la  faiblesse  humaine.  La  sobriété  dans  les 
plaisirs  de  la  table  et  la  privation  absolue  de  ceux  de 
Famour,  étaient  les  deux  objets  principaux  des  engage- 
ments des  dames;  en  ajoutant  qu'elles  promettaient  de  ne 
se  jamais  permettre  un  mensonge  ,  ou  aura  une  idée  des 
lois  rigoureuses  que  le  beau  sexe  s'imposait  à  lui-même. 
La  répugnance  que  les  Vaudois  témoignaient  pour  leurs 
femmes,  les  fit  dans  la  suite  accuser  de  crimes  dont  peut- 
être  ils  n'ont  jamais  été  coupables.  L'on  sait  combien  les 
préjugés  populaires  leur  ont  toujours  attribué  d'infamies. 

Après  tout  c'était  l'orgueil ,  c'était  l'ostentation  d'une 
prétendue  pauvreté  apostolique,  qui  faisait  le  fond  de  cette 
secte.  C'était  la  présomption  à  vanter  leurs  vertus  ;  c'était 
la  haine  contre  le  clergé ,  poussée  jusqu'à  mépriser  les 
sacrements  dans  leurs  mains  ;  c'était  l'aigreur  contre  leurs 
frères  ,  portée  jusqu'à  la  rupture  et  jusqu'au  schisme.  On 
mène  où  l'on  veut  un  peuple  ignorant,  lorsqu'après  avoir 
allumé  dans  son  cœur  une  passion  violente  et  surtout  la 
haine  contre  ses  conducteurs,  on  s'en  sert  comme  d'un  lien 
pour  l'entraîner.  S'il  y  avait  dans  les  villes  des  gens  retirés 
et  paisibles ,  c'était  dans  leurs  maisons  que  les  Vaudois 
s'introduisaient  avec  leur  simplicité  apparente.  Assez  sem- 
blables à  ces  faux  cénobites ,  qui  s'introduisent  dans  les 


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566  REVUE  d'àlsace. 

maisons  particulières  pour  y  décrier  les  légitimes  pasteurs, 
pour  y  porter  la  discorde  entre  les  époux,  y  corrompre  la 
vertu  de  jeunes  innocentes ,  les  Vaudois  paraissent  leur 
avoir  donné  cet  exemple  à  certains  points  ;  à  peine  osaient- 
ils  élever  la  voix,  tant  ils  étaient  doux,  mais  les  richesses 
du  clergé  qui  opprimait  le  peuple,  l'incontinence  des  mau- 
vais ecclésiastiques,  étaient  mis  aussitôt  sur  le  tapis  :  une 
satire  subtile  ,  impitoyable ,  prenait  la  forme  du  zèle.  Les 
bonnes  gens  qui  les  écoutaient,  étaient  pris  et  transportés 
de  ce  zèle  amer,  ils  s'imaginaient  encore  devenir  plus  gens 
de  bien  en  devenant  hérétiques. 

Telles  étaient  les  voies  par  lesquelles  les  Vaudois  s'in- 
troduisirent dans  Strasbourg.  Cachés  dans  leur  origine, 
ils  ne  commencèrent  à  y  paraître  que  vers  l'an  1205. 
L'amour  de  la  nouveauté  leur  attacha  dans  cette  ville  des 
partisans ,  non-seulement  entre  le  menu  peuple ,  mais 
aussi  entre  la  noblesse,  ils  n'eurent  point  de  peine  à  s'in- 
sinuer dans  des  esprits  attirés  par  l'appât  de  la  liberté  et 
prévenus  contre  le  clergé  ;  mais ,  faibles  dans  les  commen- 
cements ,  ils  ne  se  conservèrent  que  par  le  silence  et  la 
dissimulation.  Cependant  ces  visionnaires  enthousiastes, 
entêtés  d'une  chimère  de  perfection  chrétienne  ,  ennemis 
des  cérémonies  religieuses  ,  soulevés  contre  le  pouvoir  et 
les  richesse»  du  clergé,  se  multiplièrent  insensiblement  et 
formèrent  une  secte  nombreuse.  La  fureur,  avec  laquelle 
ces  fanatiques  s'efforçaient  d'étendre  leurs  erreurs ,  excita 
le  zèle  de  l'évêque  de  Strasbourg.  Henri ,  dont  la  charité 
égalait  la  vertu,  fit  arrêter  les  chefs  de  ces  nouveaux  héré- 
tiques ;  mais  ce  prélat  bienfaisant,  loin  de  les  efii*ayer  par 
des  menaces  et  des  supplices  ,  les  interrogea  ,  leur  parla 
avec  tant  de  zèle  et  les  instruisit  avec  tant  de  bonté,  qu'il 
fit  entendre  raison  aux  plus  sensés ,  quoique  le  grand 


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PERSÉCUTIONS  DES  VAUDOIS.  567 

nombre  des  Vaudois  s'obstinât  dans  Thérésie.  L'évéque 
Henri  eut  cependant  le  bonheur  d'opérer  plusieurs  con- 
versions par  la  douceur  et  la  parole  ;  quelques-uns  abju- 
rèrent leurs  erreurs  et  les  détestèrent,  et  il  les  déroba  aux 
poursuites  vigoureuses  que  quelques  zélateurs  de  son 
clergé  et  du  magistrat  commençaient  à  faire  contre  eux. 
Tant  il  est  vrai  que  ce  ne  sont  pas  les  échafauds  qui  font 
triompher  la  vérité  :  la  violence  révolte  les  esprits,  la  dou- 
ceur les  subjugue.  Mais  malheureusement  les  convertis- 
seurs furent  suivis  de  trop  près  des  persécuteurs  ,  qui  ne 
convertissent  pas  toujours. 

Ce  fut,  dit-on,  pour  opposer  aux  Vaudois,  a  ces  pauvres 
orgueilleux,  des  pénitents  vraiment  pauvres  et  humbles  de 
cœur,  qu'Innocent  III  approuva  ,  au  concile  de  Latran , 
l'institut  des  frères  Mineurs  ou  Cordeliers.  Ce  fut  appa- 
remment aussi  pour  opposer  à  ces  prédicateurs  sans  mis- 
sion ,  des  prédicateurs  envoyés  ,  qu'il  approuva  au  même 
concile  l'ordre  des  frères  Prêcheurs  ou  Dominicains.  Une 
société  de  religieux  tellement  occupés  de  leur  sanctifica- 
tion personnelle  qu'ils  travaillassent  en  même  temps 
par  état  à  la  sanctification  du  prochain  ,  parut  à  l'évéque 
de  Strasbourg  un  établissement  d'autant  plus  nécessaire 
que  l'ordre  des  frères  Prêcheurs  était  particulièrement 
destiné  pour  défendre  la  religion  contre  les  efforts  des 
hérétiques.  Saint  Dominique  ,  leur  fondateur,  n'employait 
pour  les  convertir  que  des  moyens  conformes  à  l'esprit  de 
la  religion  ;  il  persuadait  les  esprits  par  la  force  du  rai- 
sonnement ,  il  gagnait  les  cœurs  par  les  charmes  d'une 
vertu  sublime.  Mais  ses  disciples  passèrent  les  bornes  de 
leur  mission  ;  ils  employèrent  le  bras  de  la  puissance  tem- 
porelle contre  des  infortunés  qu'ils  n'avaient  pu  convaincre, 
ne  connaissant  pas  cette  indulgence ,  ni  cette  charité  mu- 


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568  REVUE  D' ALSACE.  * 

tuelle  que  le  christianisme  recommande  avec  tant  de 
chaleur. 

Dès  Tan  1212,  l'évéque  Henri  avait  admis  des  religieux 
de  cet  ordre  naissant  dans  sa  ville  épiscopale ,  pour  les 
opposer  aux  Vaudois.  Ils  bâtirent  d'abord,  en  1224 ,  un 
hospice  et  une  église  à  Thonneur  de  sainte  Elisabeth ,  dans 
les  faubourgs  de  la  ville  ,  entre  la  Porte-Blanche  et  celle 
de  l'hôpital  »  dans  un  canton  qui  porte  encore  de  nos  jours 
le  nom  de  Finckweiler.  Ce  couvent  et  cette  église  ftirent 
accordés  dans  la  suite  à  des  religieuses  dominicaines, 
lorsque ,  par  la  libéralité  des  Rebstock  et  de  plusieurs 
autres  nobles  de  Strasbourg,  on  leur  accorda,  en  1254,  un 
ample  emplacement  au  milieu  de  la  ville  ,  où  ils  bâtirent 
un  couvent  plus  spacieux  et  une  église  plus  vaste,  que  les 
protestants  occupent  aujourd'hui  sous  le  nom  du  Temple- 
Neuf- 

Le  pieux  motif  qui  avait  engagé  l'évéque  Henri  à  appe- 
ler les  Dominicains  dans  Strasbourg ,  ne  dura  pas  long- 
temps. Se  voyant  considérés  chez  le  peuple ,  ils  devinrent 
persécuteurs:  le  nombre  des  Vaudois  s'augmentait  mal- 
heureusement; c'était  une  raison  de  tâcher  de  les  convertir, 
les  Dominicains  trouvèrent  plus  simple  et  plus  court  de 
les  brûler.  La  persécution  éclata  en  1215  ^  L'inquisition 
confiée  à  ces  religieux  en  avait  fait  un  tribunal  de  sang , 
en  prétendant  maintenir  la  pureté  de  la  croyance  par  la 
terreur  des  supplices.  Ce  tribunal ,  heureusement  oublié 
parmi  nous,  fouillait  dans  les  pensées,  persécutait  sur  des 
soupçons.  Il  faisait  un  devoir  de  l'infâme  métier  de  déla- 
teur, il  forçait  de  violer  la  nature  sous  prétexte  de  servir 
la  foi,  il  transformait  en  crimes  atroces  les  simples  égare- 

*  Annales  Golmarienses ,  ad  an.  1215,  «  haeretici  comburuntur.  > 


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PERSÉCUTIONS  DES  VAUBOIS.  569 

ments  de  l'esprit  humain.  C'est  à  regret  que  je  présente 
ici  au  lecteur  des  crimes  qu'on  devrait  couvrir  des  ténèbres 
d'un  silence  étemel.  Mais  il  est  des  vérités  dures  que  le 
devoir  d'un  historien  ne  permet  pas  de  passer  sous  silence. 
L'inquisition  se  saisit  d'un  grand  nombre  de  Yaudois: 
comme  on  accusait  les  uns  à  faux  et  qu'il  n'y  avait  aucune 
preuve  certaine  qu'on  pût  alléguer  contre  les  autres,  puis- 
qu'ils niaient  tout  ce  qu'on  disait  contre  eux ,  les  inquisi- 
teurs s'avisèrent  d'un  singulier  moyen  pour  découvrir  les 
coupables.  Ce  fut  en  ordonnant  à  tous  les  accusés  de 
manier  un  fer  chaud  ^  Il  n'est  pas  étonnant  que  ce  secret 
ne  réussit  pas ,  et  qu'il  n'y  eut  presque  aucun  qui  en 
échappa.  Tous  les  accusés  n'ayant  pu  résister  à  l'épreuve 
du  fer  ardent ,  eurent  les  mains  entièrement  brûlées. 
  cette  marque ,  qui  passait  chez  le  peuple  pour  le  juge- 
ment de  Dieu ,  ils  furent  déclarés  coupables  ,  et  l'inquisi- 
tion »  chargée  de  leur  procès ,  les  condamna  au  feu.  Au 
milieu  de  ces  bourreaux  fanatiques  et  de  ces  victimes 
immolées ,  l'évéque  Henri  parut  encore  comme  un  dieu 
envoyé  du  ciel  pour  faire  du  bien  :  il  contint  les  persécu- 
teurs, il  consola  les  persécutés,  mais  en  vain.  Les  inqui- 
siteurs, impatients  de  venger  Dieu ,  irritèrent  le  peuple  et 
pressèrent  l'exécution.  Avides  des  biens  et  des  dépouilles 
des  Vaudois ,  dont  quelques-uns  malgré  leurs  principes 
s'étaient  enrichis ,  ils  couvrirent  leurs  intérêts  et  leur 
cruauté  du  masque  d'un  faux  zèle  pour  la  défense  de  la 
religion.  Le  jugement  fut  exécuté  et  plus  de  quatre-vingts 
personnes  de  tout  âge,  de  tout  état  et  de  tout  sexe  furent 
brûlées  publiquement  ^.  L'exécution  se  fit  dehors  la  ville  , 


*  Fragmentum  historicum  Urstisii  ;  Cesarius  de  Heisierbach ,  miracul.,  lib,  3, 
cap.  4Sy  pag.  89. 

*  Kœnigshovius ,  in  Chronico,  pag.  S98. 


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570  REVUE  D'ALSACE. 

près  du  cimetière  de  Saint-Gall ,  et  Tendroit  où  ils  furent 
brûlés  porte  encore  de  nos  jours  le  nom  de  fosse  des  héré- 
tiques ^  (Kesergrub).  Les  biens  des  suppliciés  furent 
vendus  à  l'encan  et  la  moitié  accordée  aux  juges  et  aux 
dénonciateurs  :  terribles  exécutions,  dont  une  triste  expé- 
rience et  des  réflexions  trop  tardives ,  nous  ont  donné  de 
justes  horreurs.  Toutes  les  sectes ,  toutes  les  hérésies  ont 
cela  de  commun  avec  la  véritable  religion ,  qu'elles  se  sont 
accrues  et  fortifiées  par  la  persécution. 

Celle  qu'on  exerça  à  Strasbourg  contre  les  Yaudois ,  fit 
bien  voir  que  le  bûcher  n'était  pas  le  meilleur  argument 
pour  convertir  les  hérétiques ,  car  les  flammes  où  l'on 
jetait  les  uns  ,  allumaient  l'enthousiasme  des  autres.  Les 
supplices ,  au  lieu  de  les  affaiblir,  semblaient  leur  donner 
une  nouvelle  vigueur.  La  constance  que  ces  prétendus 
martyrs  montraient  sur  l'échafaud  et  au  milieu  des 
flammes,  insinuait  leurs  sentiments  dans  les  cœurs  par  la 
compassion.  Le  mobile  de  toutes  ces  exécutions  était  un 
certain  frère  Prêcheur,  nommé  Conrad  de  Marbourg, 
vicaire-général  de  l'inquisition  de  Strasbourg*.  Il  s'était 
trompé  en  se  faisant  prêtre,  il  devait  être  bourreau  ,  du 
moins  saisissait- il  l'occasion  de  l'être.  C'était  un  fanatique, 
qui,  à  un  rare  talent  pour  la  prédication,  joignait  une 
grande  apparence  de  piété  ,  un  hypocrite  qui  abusa  long- 
temps de  la  confiance  que  le  peuple  avait  en  lui  ;  il  faisait 
brûler  indistinctement  innocent  et  coupable.  Le  plus  léger 
soupçon  d'hérésie  lui  suffisait  pour  faire  conduire  au  sup- 
plice un  riche  particulier,  dont  la  moitié  des  dépouilles 


'  Kleinlauel,  in  Chron.  Argent.,  pag,  t8. 

'  Crois  comme  nous,  ou  tu  seras  brûlé  ;  c'était  le  grand  argument  de  Conrad  de 
Marbourg,  qui  se  disait  cependant  ministre  d'une  religion  qui  ne  prêche  qu*amour, 
douceur,  humilité,  bienfaisance. 


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PERSÉCUTIONS  DES  VAUDOIS.  571 

était  adjugée  à  son  ordre.  Un  bourgeois  de  Strasbourg, 
nommé  Guldin,  qui,  par  sa  créance,  s'était  rendu  suspect 
à  rinquisition  ,  fut  arrêté  ;  ses  richesses  et  son  crédit  ne 
purent  le  sauver  du  feu  ,  et  il  fut  exécuté  en  1229  ^  La 
persécution  recommença  en  i231  ^  et  un  grand  nombre 
de  Vaudois  n'échappèrent  pas  encore  aux  recherches 
redoutables  des  inquisiteurs.  Ils  portèrent  leur  intolérance 
à  de  si  grandes  extrémités ,  que  Tévéque  de  Strasbourg , 
de  concert  avec  le  magistrat ,  fut  obligé  de  leur  défendre 
d'informer  sur  la  religion  de  quelqu'un  ,  s'ils  n'en  étaient 
requis.  L'inquisiteur,  Conrad  de  Marbourg,  Ait  lui-même  la 
victime  de  ses  cruautés,  et  il  fut  assassiné  le  2  des  calendes 
d'août  1233,  de  retour  du  concile  de  Mayence,  où  il  avait 
fait  approuver  sa  cruelle  doctrine^,  par  quelques  gentils- 
hommes outrés  de  ses  délations  *.  Drason ,  son  digne 
collègue,  et  également  affamé  de  sang  ,  avait  péri  l'année 
précédente  de  la  même  façon.  Il  avait  cité  au  tribunal  de 
l'inquisition ,  Henri  de  Mullenheim ,  seigneur  distingué 
dans  la  province,  et  s'y  était  rendu  son  accusateur  comme 
favorisant  les  erreurs  des  Vaudois.  Celui-ci  ne  trouva 
d'autre  moyen  d'échapper  aux  recherches  de  ce  terrible 
inquisiteur,  qu'en  le  tuant  *.  L'hérésie  parut  enfin  éteinte 
dans  le  sang  des  hérétiques  et  dans  celui  de  leurs  persé- 
cuteurs, mais  elle  resta  dans  les  cœurs.      , 


*  Annales  Colmariciisos. 

*  Ibidem. 

^  TriUieniius,  Annal.  Hirsaug.,  tom.  /,  pag.  5S8. 

*  Annales  Coloiarienses  ;   voyez  Hartzhein  ,  Concil.   germ.,  tom.  3,  pag.  543 
el  seq, 

^  Schœpflinus,  Alsal.  iUust.,  tom.  J8,  pag,  340. 


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MUSICIENS    D'ALSACE 


(Extrait  des  manuicriU  inédits  de  Gratididier.) 


Le  titre  de  Roi  des  musiciens  répandus  dans  FÂlsace, 
est  depuis  plusieurs  siècles  un  fief  de  l'empire,  héréditaire 
dans  la  maison  des  seigneurs  de  Rappolstein  et  remontant 
au-delà  du  quatorzième  siècle.  Schmassman  ou  Maximin 
de  Ribeaupierre ,  qui  nomma  en  1400,  en  son  nom  et  en 
celui  d'Ulric,  son  frère,  le  sieur  Heuselin,  son  fifre,  à  la 
place  de  son  vicaire  dans  cette  fonction ,  qu'on  nomme 
aujourd'hui  le  Pfeiffei^-Kœnig,  vacante  par  la  démission 
de  Heintzman  Gerwer,  qui  y  avait  été  nommé  par  feu 
Brunon,  son  père,  dit  dans  ses  lettres  de  1400,  que  cet 
office  avait  été  possédé  à  titre  de  fief  de  l'empire ,  par 
ledit  Brunon ,  son  père  et  ses  ancêtres  de  la  maison  de 
Rappolstein,  depuis  un  temps  immémorial.  On  lit  dans  les 
lettres  d'investiture  accordées,  en  1481  ,  par  l'empereur 
Frédéric  III ,  à  Guillaume  de  Rappolstein  et  à  Schmass- 
man ,  son  frère  *,  que  ses  ancêtres  de  la  maison  de  Rap- 
polstein possédaient  ledit  office  à  titre  de  fief  de  l'empire. 

La  nature  de  ce  fief,  suivant  ces  lettres  d'investiture  de 
1481  ,  consistait  dans  les   services   que   ces  musiciens 


*  Publiées  par  Lunig,  Spidl.  sœcuL,  tom.  2,  pag,  i7i0. 


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MUSICIENS  D' ALSACE.  573 

deyaient  rendre  aux  seigneurs  de  Rappolstein  et  dans  la 
juridiction  qu'ils  avaient  sur  eux.  Die  Dinsten  und  Ober- 
keit  der  Spilleut ,  juridiction  indiquée,  quoique  impropre- 
ment ,  par  ces  mots  de  Kunigrich  varender  Lute ,  qu'on 
trouve  dans  les  lettres  de  Schmassman  de  Rappolstein,  de 
1400  et  i434  et  dont  on  se  sert  encore  aujourd'hui.  Cette 
juridiction  donne  droit  aux  possesseurs  de  ce  fief  de  don- 
ner des  statuts  aux  musiciens,  de  les  changer  ou  abroger, 
de  nommer  un  chef  ou  vicaire  à  leur  place,  d'imposer  des 
amendes ,  de  prononcer  et  faire  exécuter  des  sentences 
dans  toutes  les  affaires  qui  concernent  leur  art  ou  métier. 
Ainsi ,  tout  musicien  qui  exerce  son  art  publiquement  et 
en  retire  de  l'argent ,  est  sujet  à  sa  juridiction  dans  toutes 
les  affaires  qui  regardent  le  fait  de  leur  métier^  comme  l'a 
décidé  un  arrêt  du  Conseil  souverain  d'Alsace,  de  1700. 

Le  mot  allemand  Spilleut ,  ne  signifie  pas  seulement 
ceux  qui  jouaient  des  instruments  de  musique,  mais  on  y 
comprenait  aussi  tous  les  jongleurs,  bouffons,  baladins,  etc., 
qui  couraient  les  villes  et  les  campagnes  pour  amuser  le 
public  et  en  retirer  de  l'argent  ;  voyez  les  statuts  anciens 
de  la  ville  de  Strasbourg. 

Les  lettres  de  Schmassman,  de  1400  et  1434,  les 
nomment  varender  Lute  ;  c'est  le  nom  qu'on  donnait  aux 
jongleurs  ,  parce  qu'ils  étaient  des  vagabonds  qui  allaient 
de  côté  et  d'autre  ;  Scherzii  Glossarium,  tom.  i,  pag.  372 
et  373.  Ils  sont  appelés  Spilluten  und  farenden  Luten,  par 
Kœnigshoven,  in  Chronico,  pag.  ii2  et  i35. 

Dans  cette  société  étaient  compris  non-seulement  les  mu- 
siciens ,  mais  aussi  les  baladins,  comme  le  prouvent  les 
lettres  de  Caspar,  évêque  de  Bâle ,  du  11  mars  1480, 
adressées  dilectis  nobis  in  christo  fistulatoribus  ,  tubicinis 
et  minis  societatis  et  confratemiœ  villœ  alten  Thann  nun- 


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574  REVUE  d'alsace. 

cupatœ  atque  cœteris  in  instrumentis  musicalibus^  lusoribus 
societatis  et  confraterniœ  ejusdem  iam  in  dicta  villa  quam 
in  civitatibus  et  diœces.  liasiliensis  et  Argentinensis  conr 
stitutis ,  qui  ratifient  les  lettres  du  cardinal  Julien ,  nonce 
du  Saint-Siège  en  Allemagne ,  qui  leur  avait  permis  de 
communier  une  fois  par  an,  au  temps  de  Pâques,  dummodo 
per  quindedm  ante  hujus  sacramenti  perceptionem  et  post 
illam  per  totidem  alios  dies  ab  offidorùm  vestrorum  et 
scurrilium  operum  exercitiis  abstineatis.  On  voit  aussi 
par  là  que  l'assemblée  des  musiciens  de  la  Haute-Alsace 
se  tenait  alors  au  Vieux-Thann. 

La  juridiction  des  seigneurs  de  Rappolstein  s'étend  non 
pas  sur  tous  les  musiciens  indifféremment,  mais  sur  ceux 
seulement  qui  sont  mercenaires  et  que  l'arrêt  du  Conseil 
souverain,  de  1700,  nomme  les  joueurs  de  violons  et  autres 
instruments.  Eberhard,  seigneur  de  Rappolstein ,  dans  ses 
statuts  de  iOOl ,  les  fait  connaître  ainsi  :  welcherley  Spiel 
sie  mit  Pfeiffenr,  Trommen,  Drometern,  Seitenspiel,  und  was 
dergleichen  zu  offenen  Dantzen  gebraucht  worden ,  c'est-à- 
dire  de  quelque  instrument  qu'Us  jouent,  soit  flûtes,  tam- 
bours, trompettes  ou  autre  instrument  de  musique  à  corde 
dont  on  se  sert  dans  les  danses  publiques. 

Cette  juridiction,  avec  les  droits  y  attachés,  s'étend  dans 
presque  toute  l'Alsace  et  le  Sundgau.  Les  lettres  de 
Schmassman  de  Rappolstein  ,  de  1400  ,  portent:  entre  la 
forêt  de  Haguenau  et  la  rivière  de  Birsch,  entre  le  Rhin  et 
les  montagnes  dites  Virst.  Le  diplôme  de  Frédéric ,  de 
1481,  porte:  depuis  la  montagne  de  Hauenstein,  qui  est 
située  au-delà  de  Bâle ,  jusqu'à  la  forêt  de  Haguenau  et 
entre  le  Rhin  et  la  Virst.  Sa  juridiction  s'étendait  donc  en 
longueur,  depuis  la  montagne  de  Hauenstein  et  comprenait 
le  Sundgau  et  l'Alsace  jusqu'à  la  forêt  de  Haguenau  et  en 


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MUSIGlKlfS  D*ALSACE.  575 

largeur,  depuis  le  Rhin  jusqu'au  haut  des  montagnes  dites 
Fûrst,  qui  séparent  l'Alsace  de  la  Lorraine.  De  là  vient  que 
les  musiciens  de  Bàle  et  ceux  de  Lorraine,  qui  avoisinent 
TAlsace,  se  font  aussi  inscrire  dans  la  confraternité ,  pour 
pouvoir  exercer  partout  leur  métier. 

Egenolphe  de  Kappolstein  ,  par  son  mandat  et  instruc- 
tion de  1577,  adressé  à  son  vicaire  ou  Pfeiffer-^Kônig , 
ordonna  qu'aucun  musicien,  soit  Auteur,  tambour,  violon 
ou  d'autre  instrument  à  corde  et  à  vent,  ne  put  jouer  dans 
toutes  les  villes ,  bourgs  et  villages  de  son  district,  tant 
aux  danses  publiques,  sociétés,  confrairies,  fêtes  d'arque- 
buse et  autres  assemblées,  s'il  n'est  reçu  dans  la  société. 
Ainsi  tout  musicien  qui  y  est  reçu ,  peut  jouer  non-seule- 
ment dans  le  lieu  de  son  domicile  ,  mais  aussi  dans  tous 
les  endroits  du  district,  sans  qu'il  puisse  être  empêché 
par  ceux  qui  y  demeurent. 

Les  lettres  de  1400  et  1434  parlent  du  vicaire  nommé 
par  le  seigneur  de  Rappolstein  ,  sous  le  titre  de  Pfeiffer- 
Konig.  GeluL-ci  représente  le  seigneur,  exerce  en  son  nom 
et  à  sa  place  tout  ce  qui  lui  compète  au  titre  de  ce  droit, 
et  administre  la  justice  suivant  les  ordonnances  et  statuts, 
qui  existent  des  années  1601,  1649,  1674  et  1718.  De  là 
sa  fonction  est  nommée  dans  les  anciens  titres  :  dos  Am- 
bacht  des  Kunigrichs  varender  Lute.  Ce  chef  a  quelques 
assesseurs,  qu'on  nomme  das  Gericht ,  qui  sont  élus  par 
l'ordre  même  des  musiciens,  mais  dont  l'élection  doit  être 
confirmée  par  le  seigneur.  Les  membres  du  Gericht  de  la 
mittlere  Bruderschaft  sont  :  un  schulteiss,  quatre  maîtres, 
dont  un  est  porte-étendard  ,  de  douze  autres  hommes  et 
d'un  sergent. 

Lesdits  joueurs  de  violons  et  autres  instruments  de  la 
province,  suivant  l'arrêt  de  1700,  sont  tenus  de  s'assem- 


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576  REYUC  D'ALSACE. 

bler  une  fois  par  chaque  année,  à  tels  jour  et  lieu  qui  leur 
est  indiqué  par  le  seigneur.  C'est  ce  qu'on  nomme  le 
Pfeiffertag,  où  chaque  musicien  est  obligé  de  se  présenter 
pour  acquitter  la  redevance  annuelle  due  au  seigneur  et  où 
Ton  termine  toutes  les  difficultés  élevées  au  sujet  de  leur 
art  et  métier.  Ce  lieu  dépend  uniquement  du  seigneur. 
En  1480,  elle  se  tenait  au  Vieux-Thann.  En  1624, 
toute  la  société  s'assembla  le  même  jour  à  Ribeauvillé. 
Depuis  ce  temps  elle  a  été ,  à  cause  du  nombre ,  partagée 
en  trois  corps  ou  Bruderschafft.  La  première,  du  Sundgau, 
dite  die  obère  Bruderschaft ,  qui  comprend  tous  les  musi- 
ciens depuis  la  montagne  de  Hauenstein  jusqu'à  VOUmars- 
buhl,  au-delà  de  Colmar,  s'assemble  le  mardi  après  la 
nativité  de  la  Sainte- Vierge  ,  au  village  voisin  de  Thann, 
qu'on  nomme  Alt-Thann.  La  seconde,  de  la  Haute-Âlsace, 
dite  die  mittlere  Bruderschafft ,  comprend  tous  les  musi- 
ciens depuis  les  limites  de  la  première  jusqu'à  Epfich. 
Leur  assemblée  se  tient  à  Ribeauvillé  ,  le  jour  de  la  nati- 
vité de  la  Sainte-Vierge.  La  troisième,  de  la  Basse-Âlsace, 
dite  die  untere  Brudei'schafft ,  comprend  tous  les  autres 
musiciens  jusqu'à  la  forêt  de  Haguenau.  Depuis  l'an  1686, 
leur  assemblée  ,  depuis  que  la  seigneurie  de  Rappolstein 
appartient  à  la  maison  palatine ,  se  tient  le  jour  de  l'As- 
somption ,  à  Bischweyler,  en  Basse-Alsace  ;  avant  elle  se 
tenait  tantôt  à  Rosheim,  tantôt  à  Mutzig. 

Entre  les  cérémonies  qu'on  fait  dans  ces  assemblées , 
on  doit  remarquer:  !<>  chaque  associé  doit  prendre  et 
porter  avec  lui,  une  marque  ou  pièce  d'argent,  qui  est  le 
symbole  de  la  confraternité  ,  pesant  environ  deux  drach- 
mes ,  qui  à  sa  mort  est  partagé  ,  ainsi  que  son  meilleur 
instrument ,  entre  le  Pfeiffer-Kônig  et  la  Bruderschafft  ; 
2o  après  l'office  divin,  célébré  dans  l'église ,  les  musiciens 


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MDSICIENS  d' ALSACE.  577 

vont  en  procession  avec  leur  roi  et  les  autres  membres  du 
Geric/U,  accompagnés  de  leur  étendard  et  des  autres  ins- 
truments et  se  présentent  devant  le  château  ou  maison 
du  seigneur,  où,  pour  acquitter  leurs  services,  ils  font  des 
symphonies  et  des  concerts  ;  3^  ils  se  retirent  ensuite  en 
ordre  et  vont  se  mettre  ensemble  à  table,  à  frais  communs, 
à  l'exception  du  roi,  qui  ne  paye  rien,  et  des  quatre  mattres, 
qui  ne  payent  que  la  moitié.  Le  seigneur  y  fait  d'ordinaire 
distribuer  du  vin.  Tous  les  musiciens  inscrits  dans  la 
société  doivent  y  comparaître  en  personne ,  à  moins  qu'ils 
ne  puissent  proposer  d'empêchements  légitimes.  Ceux  qui 
n'y  comparaissent  pas,  sans  avoir  porté  d'excuses  légitimes, 
sont  condamnés  ,  non-seulement  aux  frais  ,  mais  aussi  à 
une  amende  de  cent  livres.  Ceux  qui  sont  reçus ,  sont 
obligés  de  prêter  un  serment  corporel  entre  les  mains  du 
seigneur  ou  du  Pfeiffer-Kônig. 

Les  droits  du  seigneur,  sur  les  musiciens  d'Alsace,  con- 
sistent en  partie  dans  certaines  redevances  et  en  partie 
dans  la  perception  des  amendes.  Chaque  musicien ,  tant  à 
sa  réception  dans  la  société  que  dans  l'abdication  ,  est 
obligé  de  payer  un  ou  deux  florins.  De  plus,  il  est  obligé 
de  payer  à  l'assemblée  générale  de  chaque  année ,  das 
Jahr-Bec/it ,  somme  qui  n'est  pas  considérable.  De  plus, 
les  juifs  doivent  payer  au  seigneur  un  florin  d'or,  ou  Gold- 
Gulden.  Sans  ce  payement,  les  musiciens  n'osent  pas  jouer 
à  leurs  danses  ou  à  leurs  repas.  Les  amendes  sont  ou 
ordonnées  par  les  statuts,  ou  elles  sont  arbitraires,  suivant 
l'exigence  des  cas. 

Voyez ,  sur  ces  musiciens ,  les  Notes  d'arrêts  du  Conseil 
souverain  d'Alsace  ,  yag,  203  et  204 ,  et  le  Recueil  des 
ordonnances  d'Alsace ,  tom,  i  ,  pag.  166  et  295-298  et 
tom.  2,  pag.  382, 

«•Série,  "i  7- Année,  37 

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ÉTUDES  SUR  LES  VOSGES. 


LES  BASSES-VOSGES. 

Tout  le  caractère  de  la  chaîne  se  transforme  quand  du  massif  des 
Hautes-Vos«:es  on  passe  à  la  partie  septentrionale  du  système  <.  For- 
mées par  un  immense  dépôt  arénacé  ces  montagnes  se  distinguent  de 
celles  du  midi  par  leur  nature  géologique  autant  ()ue  par  leur  hauteur, 
et  la  figure  de  leur  relief  revêt  des  formes  nouvelles.  Elles  s'étendent 
de  Saales  et  Saint-Dié  à  Kayserslautern ,  vers  la  base  du  Mont  Tonnerre. 
Appuyées  sur  le  Donon ,  qui  est  leur  point  culminant,  les  Basses- 
Vosges  suivent  la  direction  générale  de  la  chaîne  jusqu'au-delà  de 
Bilcbe.  Puis,  en-dehors  de  nos  frontières  actuelles,  elles  s'inflé- 
chissent vers  le  Sud-Ouest  pour  circonscrire  le  pays  de  Deux-Ponts  et 
par  une  autre  courbe ,  en  sens  inverse  de  la  première ,  contournent  au 
Sud  le  massif  du  Hundsruck ,  rentrent  en  France  à  quelques  lieues  de 
Forbach ,  pour  en  ressortir  définitivement  à  Willing  et  remonter  vers 
le  Nord.  Cette  partie  moyenne  du  système ,  assez  développée  au  nord 
du  Donon  et  s'étendant  sur  une  largeur  de  18  à  20  kilomètres,  se 
rétrécit  beaucoup  à  la  hauteur  de  Saverne ,  puis  s'élargît  de  nouveau 
plus  au  Nord  et  atteint  son  plus  grand  développement  dans  le  Palatinat. 
Le  versant  alsacien  des  Basses-Vosges  est  abrupt ,  elles  constituent  des 
plateaux  à  pente  occidentale.  Â  leur  base  la  plaine  lorraine  s'incline  à 
la  fois  au  Nord  et  à  l'Ouest ,  mais  ondulée,  parcourue  par  de  nombreux 
amas  d'eau ,  bornée  à  l'occident  par  une  ligne  de  coteaux  à  profil  rec- 
tiligne  et  horizontale ,  de  la  falaise  oolithique  qui  règne  de  Langres  à 
Longwy. 

'  Voyez  notre  Elude  sur  kt  massif  des  Vos($os  daos  les  Annales  des  Voyages  , 
1866 ,  tome  n ,  p.  530. 


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ÉTUDES  SUR  LES  VOSGES  579 

Après  avoir  en  quelque  sorte  disparu  au  point  de  jonction  des  vallées 
de  la  Fave  et  de  la  Bruche ,  la  chaîne  forme  un  large  plateau  offrant 
des  communications  faciles  entre  la  Lorraine  et  la  plaine  d'Alsace.  Elle 
se  relève  immédiatement  au-dessus  de  Saint-Dié.  La  montagne  d'Or- 
mont  porte  son  bord  méridional  à  une  altitude  de  890  mètres  et  se 
maintient  à  600  mètres  jusqu'au  bois  de  la  Barre ,  sur  une  étendue 
transversale  de  plusieurs  lieues.  Ce  rameau  verse  sea  eaux  dans  la 
Meurthe  et  la  vallée  de  la  Fave  ;  il  passe  ensuite  entre  Senones  et 
Fouday ,  entre  le  bassin  du  Rabodeau  et  celui  de  la  Bruche ,  pour  se 
rattacher  au  Donon  sous  le  nom  de  Hautes-Chaumes.  Le  Sapt  s'élève  là 
à  833  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  et  plusieurs  routes  fran- 
chissent le  petit  massif  des  Hautes-Chaumes  qui  s'appuie  vers  la  Bruche 
sur  le  contrefort  de  la  Chatte- pendue ,  en  forme  de  nd,  à  9  mètres  de 
hauteur. 

Le  grès  vosgien  domine  dans  cette  partie  de  la  chaîne  ,  les  roches 
plus  anciennes  ne  se  montrent  plus  qu'au  fond  des  vallées  Surnombre 
de  points  du  versant  gauche  de  la  Bruche  le  terrain  cristallin  passe  un 
schiste  de  transition  sur  des  roches  intermédiaires  d'une  étendue  peu 
considérable,  mais  très-variées.  Tantôt  les  schistes  se  transforment  en 
syénite ,  tantôt  le  granité  porphyroïde  passant  au  porphyre  est  encaissé 
dans  le  schiste.  Le  contact  du  granité  porphyroïde  et  du  porphyre  avec 
le  schiste  ne  se  fait  pas  directement,  mais  par  l'intermédiaire  d'une 
sorte  de  pétrosilex^  comme  à  la  Claquette,  près  Rothau  '.  Au  sud  de 
Schirmeck  la  syénite  et  le  schiste  forment  aussi  de  nombreux  passages 
fondus  les  uns  dans  les  autres  sur  une  étendue  de  100  mètres  ^.  On  y 
voit  une  carrière  classique  dont  parlent  tous  les  géologues  qui  se  sont 
occupés  des  Vosges  :  c'est  un  calcaire  fossilifère  traversé  par  des  masses 
de  porphyre  et  que  le  porphyre  recouvre.  Ailleurs ,  comme  à  Framonl, 
dans  le  vallon  de  Rinières  ;  à  Urmatt  ;  près  de  Lutzêlhausen  ,  toujours 
sur  la  rive  gauche  de  la  Bruche ,  le  sol  schisteux  est  pénétré  par  des 
roches  dioritiques ,  par  diverses  variétés  de  porphyre  quartzifère  pas- 
sant à  un  pétrosilex  verdâtre ,  soit  à  du  granité  à  petits  grains  Près  de 
Schirmeck ,  des  diorites  bien  caractérisés  se  réduisent  par  la  disparition 
de  cristaux  d'albite  à  une  pâte  homo8;ène  plus  ou  moins  compacte ,  noi- 
râtre ou  verdâtre ,  parfois  d'un  gris  blanc ,  et  qui ,  selon  la  judicieuse 

*  Delesse  ,  Métamorphiime  des  roches ,  p.  31!(. 

'  KœcHLiN-ScHLDMiiEKGER ,   Mémoire  sur  le  terrain  de  transilion  des  Vosges , 
page  259. 


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580  RETUE  D* ALSACE. 

remarque  de  M.  Calmelot ,  offre  l'aspect  des  cornéennes  et  du  pétro- 
sjlex  *.  Il  est  impossible  de  relever  tous  ces  passages  et  ces  accidents 
dans  le  cadre  de  notre  étude  ;  la  thôorie  du  métamorphisme  y  a  trouvé 
et  y  trouvera  encore  une  ample  moisson  de  faits  moins  simples  que  la 
théorie. 

Une  bande  de  hauteurs  abruptes  ,  boisées  ,  de  nature  porphyrique , 
comprise  entre  Oberhaslach  et  Vische,  suit  la  limite  du  terrain  de  tran- 
sition et  sépare  le  bassin  supérieur  de  la  Bruche  du  vallon  de  Haslach. 
Ces  montagnes  s'élèvent  à  une  hauteur  de  600  mètres ,  dominées  par 
les  cîmes  de  grès  du  Kohlberg  et  du  Ratzenberg  qui  sont  formées  de 
grès  vosgien.  Par  la  décomposition  de  son  feldspath ,  ce  nouveau  por- 
phyre se  distingue  nettement  de  celui  du  Champ-du-Feu  ;  il  est  réduit 
à  uu  état  terreux  ,  de  couleur  rouge  ou  rose  identique  à  Targilophyre. 
Le  porphyre  forme  néamoins  sur  cette  rive  des  conglomérats  contenant 
des  fragments  de  schiste.  Il  se  présente  aussi  sur  les  bords  du  Baeren- 
baechel ,  en  brèches  parsemées  de  grains  de  quartz  hyalin  incolore  et 
que  réunit  une  pâte  très-dure  criblée  d'une  multitude  de  petits  trous. 
Enfin  le  même  terrain  renferme  encore  une  roche  ordinairement  rouge, 
parfois  d'un  gris  blanchâtre  qui  a  tous  les  caractères  du  porphyre  avec 
cette  différence  qu'il  manque  de  cristaux  de  feldspath.  On  l'appelle 
argilolilhe.  M.  Daubrée  la  montre  dans  la  colline  de  Clintz,  parsemée 
de  boursouflures ,  entre  les  couches  inférieures  du  grès  rouge  ei  un 
dépôt  d'argilophyre  qui  recouvre  le  grès.  Le  porphyre  brèchiforme 
existe  en  prismes  hauts  de  30  mètres ,  mais  d'une  épaisseur  variable , 
à  la  chute  de  Nideck.  La  cascade  se  précipite  par-dessus  ces  colonnes 
blanches  d'écume  et  réduite  en  fine  poussière  au  pied  d'une  vieille  tour 
féodale.  Selon  la  tradition  populaire  une  race  de  géants  habitait  là. 
C'est  un  des  plus  beaux  sites  des  Vosges.  D'un  accès  facile,  on  y  monte 
par  un  chemin  de  schlitte  qui  serpente  à  l'ombre  d'une  haute  futaie  de 
sapins  3.  La  forêt  environnante  réunit  toutes  les  essences  vosgiennes  :  Tif 
s'élance  sur  les  rochers  les  moins  accessibles ,  l'épicéa  et  le  pin  poussent 
sur  des  rocailles  où  jamais  une  plante  ne  devrait  végéter.  Pour  élever 


*  Calmelot  ,  Journal  des  mines ,  lom.  xxxv ,  p.  250,  ei  Elib  de  Bbaumont  , 
Explication  de  la  carte  géologique  de  France,  tom.  i ,  p.  5i5.  Paris,  1841. 

'  A.  Dacbréf. ,  Description  géologique  et minéralogique du  Bas-Rhin,  page 42. 
Strasbourg,  1852. 

'  EiRSCHLLGbH  ,  t'loi$  d'Alsace  ,  loin,  m  ,  p.  348. 


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ÉTUDKS   SITR    LE?   VOSGES.  581 

ces  jeunes  plants  il  a  fallu  les  semer  dans  la  terre  végétale  apportée  de 
loin  et  retenue  avec  la  plus  grande  peine  à  la  surface  d'unsol  dénudé. 
Des  lunaires  vivaces*,  au  limbe  en  cœur  couvrent  les  abords  du  sentier 
et  une  belle  végétation  de  fougères ,  de  graminées  revêt  la  base  des 
escarpements  ,  dans  les  moindres  fentes  poussent  la  bisentelle  l'arabide 
du  grès  et  Torpin. 

Les  habitations  manquent  sur  toute  l'étendue  du  terrain  porphyrique, 
nous  y  trouvons  à  peine  de  rares  maisons  forestières  disséminées  dans 
les  forêts.  Quant  au  relief  de  ce  terrain  ,  il  est  aujourd'hui  découpé  en 
nombreuses  collines  à  cimes  aplaties,  dont  tous  les  sommets  sont  à  peu 
près  situés  dans  un  même  plan  très-faiblement  incliné  à  Thorizon.  Les 
p;)rois  des  vallons  qui  séparent  les  collines  sont  très-abruptes  ;  leurs 
pentes  atteignent  souvent  5  et  dépassent  même  30  degrés ,  ainsi  qu'on 
l'observe  dans  le  vallon  de  Nideck ,  au-dessus  et  au-dessous  de  la  cas- 
cade. La  puissance  de  ce  terrain  atteint,  au  pied  du  Schneeberg,  150 
à  180  mètres  d'épaisseur.  Au  nord  du  vieux  château  de  Nideck  recom- 
mencent les  montagnes  de  grès  qui  rejoignent  celles  situées  sur  le 
penchant  nord-ouest  de  la  formation  porphyrique.  Le  grès  vosgien 
s'abaisse  en  s'approchantde  la  plaine  lorraine  sur  les  bords  de  laquelle 
il  y  a  des  escarpements  sensibles  ,  moins  considérables  cependant  que 
sur  le  flanc  oriental.  Ce  terrain  se  relève  doucement  vers  l'intérieur  de 
la  région  montagneuse  ,  où  il  constitue  ,  presque  jusqu'à  son  centre , 
de  hautes  cimes  détachées ,  telles  que  le  Haut-du-Tault  qui  a  980 
mètres  et  le  Haut-du-Boc  qui  en  a  1016.  Entre  ces  montagnes  ser- 
pentent des  vallées  d'un  caractère  tout  particulier  dont  les  voyageurs  ne 
se  lassent  pas  d'admirer  les  points  de  vue  pittoresques.  Telle  est  €  la 
paisible  vallée  de  Celles,  près  Raon-l'Etape,  qui  se  prolonge ,  gracieuse 
et  variée ,  entre  des  pentes  douces ,  où  la  tendre  verdure  du  hêtre  se 
marie  à  la  teinte  sombre  des  sapins.  Elle  s'entr'ouvre  par  intervalle 
pour  faire  place  à  de  beaux  villages ,  puis  se  ferme  au  pied  du  Donon  , 
dont  le  sommet  nous  offre  ses  souvenirs  et  son  magnifique  panorama  *.> 

Le  grand  Donon  passait  encore ,  au  dernier  siècle ,  pour  la  plus 
haute  cime  des  Vosges ,  présomption  qui  explique  l'étymologie  celtique 
de  son  nom  Don ,  élévation  .  avec  le  superlatif  aon ,  on ,  d'où  Donon  , 
la  plus  haute  élévation.  On  substitue  quelquefois  à  ce  nom  celui  de 
Framont.  La  montagne  présente  à  sa  cîme  deux  mamelons  peu  étendus 
dont  le  plus  élevé  atteint  1010  mètres  d'altitude. 

'  E.  DE  BE%ozELAinc,  Pramenades  dans  les  Vosges ,  p.  31. 


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582  REVUE  D'ALSACE. 

Le  28  août  1734,  Cassini  observa  sur  le  Donon  :  c  Sor  les  dem 
heures  de  l'après-midi ,  la  hauteur  du  mercure  dans  le  baromètre  qui 
fut  trouvée,  par  deux  fois ,  de  24  pouces  6  lignée;  moins  grande  de  3 
pouces  et  demi  que  sa  hauteur  moyenne  au-dessus  du  niveau  de  la  mer, 
d'où  il  résulte ,  suivant  la  règle  que  l'on  a  donnée  dans  les  Mémoires 
de  l'Académie  des  sciences  de  1 703  à  1705 ,  que  su  hauteur  est  de  570 
toises  au-dessus  du  niveau  de  la  mer  *.  »  Ces  observations  donnent  une 
hauteur  supérieure  de  101  mètres  au  chifTre  obtenu  par  les  officiers 
d'état-major  chargés  du  levé  de  la  carte  topographique  de  France.  Far 
son  élévation  comme  par  la  nature  géologique  de  sa  base  le  Donon 
semble  devoir  partager  les  caractères  des  dômes  des  Hautes-Vosges. 
Il  n'en  est  rien  cependant.  Sa  cime  n'est  pas  arrondie  ni  gazonoée ,  elle 
porte  une  couronne  de  blocs  énormes  semblables  à  des  tours  carrées , 
presque  nus,  de  difficile  accès ,  qui  entourent  un  cône  de  grès  tronqué, 
plane  à  sa  surface  comme  une  dalle  homogène.  Un  nivellement  de 
M.  JoUois  place  la  dalle  du  sommet  à  40  mètres  au-dessus  d'une  pre* 
mière  plate-forme  longue  de  350  mètres  sur  une  largeur  moyenne  de 
80  à  100  mètres.  En  suite  de  leur  faible  cohésion  ,  les  couches  infé* 
Heures  du  grès  se  délitent  rapidement  sous  l'influence  de  l'atmosphère 
et  produisent  des  éboulements  fréquents.  S'il  faut  en  croire  une  tradi- 
tion très-conteslable ,  Pharamond ,  le  chef  présumé  de  la  dynastie  méro- 
vingienne y  a  été  enterré  ^.  Une  chose  reste  certaine .  c'est  que  la 
pierre  plate  du  sommet  est  à  la  fois  un  monument  de  la  nature  et  un 
monument  religieux.  Elle  a  conservé  les  vestiges  d'un  temple  dédié  à 
Mercure ,  et  les  blocs  carrés  qui  se  dressent  sur  son  pourtour  ressem- 
blent beaucoup  aux  pierres  levées  des  Celtes  que  nous  avons  vues  au 
haut  de  tant  de  cimes  des  Vosges. 

C'est  le  grès  vosgien  qui  constitue  la  tête  du  Donon ,  mais  on  trouve 
le  grès  rouge  au  pied  de  ses  escarpements  à  Raon-en- Plaine,  comme 
aussi  dans  la  vallée  de  Nideck  et  près  des  ruines  du  vieux  château  de  la 
Muraille.  Il  y  a  près  du  grand  Donon  une  cime  du  même  nom  et  de 
même  nature,  quoique  moins  élevée,  et  couverte ,  comme  le  Kohlberg, 
de  blocs  éboulés.  Divers  contreforts  rayonnent  autour  de  leurs  pentes. 
Le  plus  étendu  de  ces  rameaux  se  dirige  au  sud-ouest  terminé  en 
fourche  entre  les  vallées  du  Rabodeau  et  de  la  Plaine.  Le  chaînon  se 


*  Mémoires  de  V Académie  des  sciences  ,  Paris  ,  i772. 

'  ScHOEPFLiN,  L'Alsace  illustrée.  TraductioB  de  L.  Ravenez ,  tom.  u,  p.  508. 


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ÉTUDES  SUR  LES  VOSGES.  583 

maintient  à  une  hauteur  constante  de  800  mètres  jusqu'à  sa  bifurcation 
en  deux  branches  séparées  par  la  profonde  coupure  où  coule  le  ruis- 
seau des  Ravines,  affinent  du  Rabodeau.  Il  porte  sur  la  crête  d*énormes 
sapins  et  sa  forme  est  régulière^  sans  vallons  sur  la  pente  orientale, 
appuyée  vers  Touest  sur  les  con'reforts  de  Vexaincourt ,  d'Alarmont , 
de  In  tète  des  Herrins.  Le  petit  lac  de  la  Maix  se  trouve  là  à  une  altitude 
de  663  mètres. 

Le  relief  des  montagnes  situées  sur  la  rive  droite  de  la  Plaine  est 
moins  saillant  que  celui  du  rameau  qui  finit  brusquement  à  Raon- 
TËtape.  Elles  forment  un  massif  triangulaire  dont  le  sommet  s'appuie 
à  son  point  culminant  au  Chaume  de  Réquival  et  rappelle  la  forme  du 
Bâlon,  entre  les  bassins  de  la  Fecht  et  de  la  Thur.  Ce  massif  s'incline 
vers  la  Lorraine  en  pente  douce ,  creusé  de  gouttières  où  coulent  les 
torrents  qui  forment  ensemble  la  Vezouse ,  au-dessus  de  Cirey ,  et  la 
Blatte.  La  Vezouse  reçoit  la  Blatte  près  Blâment  pour  recueillir  ensuite 
les  eaux  de  l'Âlbe,  de  la  Verdurette,  de  la  rivière  de  l'Etang  et  celle 
des  Amis  à  son  débouché  dans  la  Meurthe,  en  aval  de  Lunéville.  Sur  la 
limite  septentrionale  du  massif  coûIe  la  Sarre  qui ,  née  au  pied  du  châ- 
teau de  Salm,  occupe  le  fond  de  la  vallée  de  Blanc-Ropt,  reçoit  la 
Sarre-Blanche  vers  Hérinelange ,  passe  à  Saar-Union  et  se  jette  dans  la 
Moselle  vers  Trêves ,  après  avoir  reçu  successivement  TEischel ,  l'Isch- 
bach  et  la  Rose.  Toutes  ces  rivières  ne  coulent  pas  plus  bas  que  le  dépôt 
du  grès  rouge ,  sauf  le  vallon  de  la  Crache  qui  est  creusé ,  près  de 
Raon-sur-Plaine ,  dans  une  grauwacke  schisteuse  liée  à  des  schistes 
argileux  formant  la  prolongation  de  ceux  de  Framont  et  de  Bruche.  \ 
Certaines  couches  de  cette  grauwacke  schisteuse  sont  grises  ;  d'autres 
sont  rouges ,  bariolées  de  gris  bleuâtre  et  contiennent  des  strates  très- 
chargés  de  mica.  Ces  parties  micacées  rappellent  complètement  quelques 
unes  des  couches  qui  alternent  avec  les  quarzites  du  Hundsruck  et  de 
TArdenne.  Lors  des  explorations  de  Dufrénoy  et  de  M.  de  Beaumont , 
en  1 830 ,  on  exploitait  la  grauwacke  rouge  pour  en  tirer  des  ardoises 
grossières. 

Nous  avons  vu  les  liantes  montagnes  du  grès  vosgien  :  les  deux 
Donon  ,  le  Kohlberg ,  le  cap  avancé  du  château  de  la  Muraille  entourer 
en  demi-cercle  les  c!mes  arrondies  du  Ban-de-la-Roche.  Réunie  à  la 
bande  orientale  des  dépôts  arénacés ,  cette  formation  se  prolonge  jus- 

'  E.  DE  Beaumont  i  Explication  de  la  carte  géologique  de  France,  T.  i ,  p.  321. 


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584  REVUE   U' ALSACE. 

qu'au  parallèle  de  Manheim  eo  décroissant  du  Sud  au  Nord.  Le  Hengst 
atteint  encore  890  mètres  d'altitude  ;  le  Schneeberg  963  ;  le  Prancey 
983  ;  mais  le  sommet  des  montagnes  de  Dabo  n'a  plus  que  532  mètres 
et  au-delà  la  chaîne  s'abaisse  de  plus  en  plus  ;  le  col  de  la  montée  de 
Saveme  n'est  plus  qu'à  428  mètres  et  le  fort  de  Bitsche  à  320.  (Le  Rhin 
coule  en  face  à  130  mètres  au-dessus  du  niveau  de  la  mer).  Cette  chaîne 
s'abaisse  également  d'orient  en  occident  vers  les  plaines  de  la  Lorraine. 
Au-delà  du  Donon  la  ligne  de  faîte  passe  au  petit  plateau  du  Peug  et 
au  Monacker  pour  se  diriger  ensuite  droit  au  Nord ,  suivant  la  direction 
du  méridien  jusqu'à  Waldenbourg.  Elle  laisse  à  droite  le  chaînon  tra- 
versé par  la  montée  de  Saveme  et  qui  est  compris  entre  les  vallées  de 
la  Zorn  et  de  la  Zinzel.  Puis  ces  montagnes  vont  se  déprimant  toujours, 
perdant  en  hauteur  ce  qu'elles  gagnent  en  étendue.  Tout  devient  uni- 
forme. A  la  place  des  puissantes  sommités  des  Hautes-Vosges  il  ne 
reste  plus  que  des  crêtes  basses,  larges,  horizontales,  monotones 
d'aspect. 

Un  rameau  qui  se  détache  du  Kohlberg  s'élève  entre  la  vallée  de  la 
Mossig  et  un  bras  de  la  Bruche.  Il  atteint  672  mètres  à  la  censé  du 
Breitberg  ;  712  à  la  Haute-Struth  ,  se  dirige  a  l'Est  et  se  penche  entre 
Heiligenberg  et  Geierstein  vers  la  plaine  d'Alsace.  Une  autre  branche 
partie  du  Schneeberg  suit  la  rive  gauche  de  la  Mossig  pour  se  diriger 
ensuite  vers  Saveme ,  à  une  hauteur  de  500  à  600  mètres ,  envoyant 
dans  la  Zorn  les  eaux  de  son  versant  occidental.  La  Zorn  elle*ffiéme 
reste  encaissée  sur  une  étendue  de  20  kilomètres  dans  une  gui^e  paral- 
lèle à  la  ligne  de  séparation  des  eaux  entre  la  Lorraine  et  l'Alsace , 
jusqu'aux  environs  de  Saint-Louis.  Sur  la  rive  droite  les  montagnes 
arrivent  à  une  plus  grande  élévation  que  sur  la  rive  gauche.  Parvenues 
à  Rheinhardsmunster ,  elles  se  dépriment  pour  livrer  passage  aux  eaux 
de  la  Moselle  et  ne  forment  plus,  sur  la  rive  opposée  que  des  réunions 
de  collines,  traversées  aussi  par  le  ruisseau  de  Thaï.  Quant  aux  contre- 
forts de  l'Ouest  ils  n'ont  plus  d'importance.  La  chaîne  se  réduit  à  la 
latitude  de  Saveme  à  une  falaise  de  grès  et  les  Vosges  se  confondent 
presque  avec  le  niveau  des  plateaux  lorrains.  L'altitude  moyenne  de  ces 
plateaux  s'arrête  à  300  mètres ,  mais  certaines  cîmes  parviennent  plus 
haut.  L'AUenberg  qui  porle  le  fort  de  la  Petite-Pierre  a  428  mètres;  le 
fort  de  Lichtenberg  359  ;  le  Wasenbei^ ,  près  Niederbronn  ,  528  ;  le 
Pigeonnier  ou  Scherholl,  à  Wissembourg ,  507.  A  son  entrée  dans  le 
Palatinal  la  chaîne  prend  le  nom  de  Hardt  jusqu'à  Kayserslautern  et 


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ÉTUDE8  SUR  LES  VOSGES.  585 

NeasUdt  au  pied  du  Donnersberg.  Ses  sommités  qui  conservent  leur 
constitution  archacée  s'élèvent  à  577  mètres  au  Wieselberg,  près 
Oberkirchen  ;  563  mètres  au  Polzberg ,  entre  Cassel  et  Wolfstein  ;  477 
mètres  au  Wackenberg  ;  542  mètres  au  Kœnigsberg  ;*  675  mètres  au 
Kahlrouck  qui  est  le  point  culminant  de  cette  zone  ;  enfin  570  mètres 
au  Bloskei.  Un  rameau  qui  se  détache  entre  la  Nahe  et  la  Moselle  forme 
le  groupe  du  Hundsruck.  Les  roches  constituantes  du  Hundsruck  sont 
la  grauwacke  et  le  schiste  métamorphique,  au  Donnersberg  nous  trou- 
vons le  métaphyre  et  dans  les  collines  qui  s'étendent  de  là  à  Hayence , 
le  calcaire.  • 

Les  Vosges  présentent  à  la  hauteur  de  Saverne  au  passage  fameux 
dans  les  annales  de  la  guerre.  Défendue  depuis  Belfort  par  un 
rempart  naturel  la  France  est  ouverte  ici  aux  invasions  d'Outre-Rhin. 
Arioviste  y  a  passé  avec  ses  Suèves  après  avoir  franchi  le  Rhin  sur  le 
territoire  des  Trévires^  pour  la  conquête  de  Séquanie  \  Au  point  de 
vue  physique  cette  contrée  a  des  sites  d'une  beauté  ravissante ,  car  la 
chaîne ,  bien  qu'elle  forme  une  série  de  plateaux  ,  ne  se  termine  pas 
cependant  par  une  surface  unie.  C'est  une  succession  de  collines ,  de 
vallées ,  de  ravins ,  de  dépressions.  Les  limites  des  massifs  sont  moins 
indiquées  par  leurs  crêtes  que  par  leurs  rivières  qui  les  sillonnent ,  par 
la  Sarre  et  ses  affluents ,  par  la  Uièvre  et  la  Rouge-Eau.  Des  forêts 
profondes  couvrent  les  hauteurs  à  perte  de  vue  ;  le  fond  des  vallées  est 
revêtu  de  prairies  et  de  pâturages,  coupés  d'eaux  dormantes,  d'étangs, 
de  chétives  plantations.  Si  la  formation  du  grès  vosgien  présente  des 
paysages  charmants  et  variés ,  le  sol  est  pauvre ,  presque  stérile  ;  sa 
flore  rare  en  espèces ,  les  cultures  misérables ,  la  population  clair- 
semée. 

En  général  les  vallées  des  Vosges  arénacées  étroites ,  profondes , 
toujours  remarquablement  pittoresques ,  apparaissent  flanquées  de 
pentes  abruptes  se  terminant  par  escarpements  Lorsqu'elles  sont 
entièrement  creusées  dans  le  grès,  on  ne  voit  jamais  au  fond  des  rochers 
isolés  ni  des  blocs  épars.  Partout  le  sol  est  composé  de  sable.  Les  cou- 
rants d'eau  attaquent  aisément  les  grès ,  le  creusement  des  vallées  a 
atteint  une  limite  telle,  que  leur  fond  est  très-peu  incliné.  Le  ruisseau 
y  serpente  au  milieu  d'une  prairie  unie  ;  jamais  son  lit  n'est  jonché  de 
cailloux  roulés  comme  dans*  les  terrain?  cristallins  ;  ses  eaux  glissent 

'  L'abbé  Martin  ,  Le$  deux  Germantes  cis-^hénanes ,  p.  2i.  Paris ,  ISU3. 


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586  REVUE  D'ALSACE. 

saus  bruit  sur  le  sable  fin.  Comme  le  grès  vosgien  laisse  filtrer  ses  eaux 
on  n'y  voit  presque  pas  de  sources  sortir  des  flancs  des  montagnes ,  et 
celles  qui  coulent  à  leur  pied  sont  extrêmement  limpides.  Cette  filtra- 
tion  rapide  des'  eaux  contribue  peu  à  la  fécondité  du  sol ,  surtout  sur 
les  pentes  un  peu  inclinées  dont  la  plupart  sont  arides  ou  couvertes  de 
bruyères.  A  travers  les  forêts  qui  descendent  des  plateaux  sur  le  flanc 
des  vallées ,  des  escarpements  presque  verticaux  laissent  souvent  aper- 
cevoir des  couches  de  grès.  La  couche  la  plus  élevée  est  fréquemment 
plus  saillante  que  les  autres  et  semble  protéger  celle&-ci  par  sa  solidité. 
Cette  espèce  de  corniche  est  en  général  un  poudingue. 

Dans  sa  belle  étude  sur  les  Vosges,  M.  de  Beaumont  a  fait  remarquer 
que  lorsqu'une  vallée  présente  des  escarpements  sur  les  deux  flancs , 
les  couches  qui  s'y  dessinent  par  leur  saiUie  se  correspondent  à  peu 
près  par  la  hauteur.  On  ne  peut  douter  qu'elles  aient  formé  continuité 
autrefois  ;  l'ouverture  de  la  vallée  les  a  séparées.  Des  rochers  minces , 
posés  d'aplomb  à  côté  des  escarpements ,  semblables  à  des  colonnes 
grossièrement  taillées,  paraissent  avoir  été  laissés  comme  des  témoins 
de  l'ancienne  étendue  des  couches  de  la  montagne.  Ces  couches  se 
dessinent  sur  la  surface  du  rocher  par  leur  plus  ou  moins  de  saillie  de 
sorte  qu'il  semble  composé  de  blocs  inégaux  placés  horizontalement  les 
uns  sur  les  autres  ;  mais  la  correspondance  des  couches  avec  celles  de 
l'escarpement  montre  qu'il  est  encore  en  place,  et  n'est  séparé  de  la 
montagne  que  par  une  fissure  graduellement  agrandie.  Parfois  les 
escarpements  montent  jusqu'au  sommet  de  la  montagne  et  forment  un 
angle  droit  avec  le  plateau  qui  le  couronne.  Ce  fait  n'est  pas  habituel. 
L'escarpement  se  termine  plus  souvent  par  un  talus  en  pente  dont  le 
sol  est  formé  de  débris  de  grès  désagrégé. 

Le  sommet  de  la  montagne  peut  être  tout-à-fait  arrondi  On  le  voit 
aussi  couvert  de  blocs  amoncelés  fournis  par  les  parties  les  plus  solides 
du  grès ,  qui  atteignent  un  niveau  supérieur  et  dont  les  parties  les 
moins  solidement  agglutinées  ont  été  entraînées  par  les  eaux.  Très- 
souvent  encore  les  agents  destructeurs,  en  arrondissant  et  en  abaissant 
la  cime  y  ont  laissé  un  rocher  stable  et  taillé  à  pic ,  pareil  à  ceux  qui 
s'élèvent  le  long  des  escarpements.  Les  formes  carrées  de  ces  rochers, 
les  lignes  horizontales  qui  s'y  dessinent  leur  donnent  un  aspect  de  ruines 
qui  s'allie  heureusement  avec  les  ruines  féodales ,  dont  plusieurs  sont 
couronnés.  Leur  position  dominante  et  leurs  flancs  taillés  à  pic  les  ren- 
daient faciles  à  fortifier.  Aussi ,  dans  la  vallée  du  Rhin  ,  de  tels  rochers 


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ÉTITDKS  SUR   LES  VOSGKS.  587 

ont  fourni  les  fondements ,  et ,  pour  ainsi  dire ,  l^esquisse  de  tous  les 
châteaux  qu'on  a  taillés  en  grande  partie  dans  leur  masse.  On  en  peut 
juger  par  les  belles  photographies  alsaciennes ,  publiées  par  M.  Braun , 
de  Mulhouse.  D'une  partie  détâchée  etMa  plus  élevée  du  roc,  on  a  fait 
une  tour,  dans  Tintérieur  de  laquelle  se  taillait  un  escalier  tournant. 
Dans  une  portion  plus  massive  on  a  ouvert  des  salles  et  des  chambres. 
Avec  les  pierres  qui  en  furent  extraites  on  a  construit  Tétage  supérieur 
et  formé  les  créneaux  de  la  plate-  forme.  Un  petit  nombre  de  fenêtres , 
entourées  d'ornements  contournés  et  délicats ,  percent  les  flancs  du 
rocher ,  qui  conserve  entr' elles  sa  partie  brute  et  allie  aux  décorations 
légères  et  maniérées  de  Tarchitecture  gothique  des  lignes  horizontales 
et  des  corniches  naturelles  d'un  style  plus  élevé.  <  Le  grès  des  Vosges 
est  si  durable ,  que  ces  monuments  des  siècles  de  la  chevalerie  sont 
souvent  très-bien  «onservés,  et  ne  semblent  être  abandonnés  que 
depuis  peu  de  temps.  Ils  forment  un  des  traits  marquants  de  ces  con- 
trées pittoresques.  On  les  aperçoit  surtout,  en  grand  nombre,  sur  les 
promontoires  escarpés  que  forment  les  montagnes  de  grès  tout  le  long 
de  la  plaine  du  Rhin.  La  maison  de  Habsbourg ,  la  maison  de  Salm , 
plusieurs  familles  princières  ont  vu  commencer  leur  existence  politique 
dans  quelques-uns  de  ces  vieux  manoirs  actuellement  inhabités.  Lorsque, 
d'un  point  découvert ,  l'œil  embrasse  dans  son  ensemble  cette  longue 
file  d'antiques  résidences,  l'imagination  se  reporte  toujours  avec  plaisir 
aux  temps  où ,  toutes  habitées ,  bien  entretenues  ,  entourées  des  attri- 
buts de  la  richesse,  brillantes  du  luxe  d'alors,  pavoisées  dans  un  jour 
de  fête  des  bannières  et  des  écussons  de  leurs  seigneurs ,  on  voyait  ces 
fleurs  de  la  civilisation  du  moyeu-àge  s'élever  et  s'épanouir  au  milieu 
de  la  verdure  des  forêts  *.  » 

Toutes  les  vallf'^es  du  grès  vosgien  présentent  des  rochers  caracté- 
ristiques  pareils  à  ceux  qui  viennent  d'être  décrits  On  en  voit  au  Kam- 
berg  près  Saint-Dié;  au  Tœnnicbel ,  au-dessus  de  Ribeau ville;  au  mont 
S^''-Odile,  dans  la  vallée  du  Graufthal ,  sur  les  bords  de  la  Mossig ,  à  la 
grotte  de  Saint-Vit  et  au  Karlspning  dans  les  environs  de  Saverne  ; 
surtout  enfin  à  Ânnweiler  et  a  Dahn  en  Bavière.  Ces  rochers  afl'ectent 
toutes  les  formes.  Il  y  en  a  qui  représentent  des  miches  empilées  tels 
que  le  Bseckerfels  3  Sainte-Odile  ;  d'autres  ont  la  figure  de  batraciens 


*  Elie  de  Bbaumont  ,  Explication  de  la  carte  géologique  de  France ,   loine  1 , 
pages  1286  à  288. 


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588  REVUE  d'alsacf. 

comme  le  rocher  de  la  Grenouille,  près  la  Petile-Picrre ;  d'autres 
encore  sont  évasés  en  chaudières,  témoin  la  roche  des  Fées  au 
Hobnack.  Bien  des  fois  de  simples  accidents ,  naturelle  conséquence  de 
la  désagrégation  facile  du  grès,  ont  provoqué  de  longues  controverses 
archéologiques  ^ 

Le  grès  est  la  roche  vosgienne  par  excellence.  Aucune  formation  ne 
s'est  développée  à  la  surface  de  nos  montagnes  sur  une  étendue  aussi 
importante.  Dans  le  Bas-Rhin  seulement  le  grès  des  Vosges  occupe  une 
superficie  de  617  kilomètres  carrés ,  de  200  dans  le  Haut-Rhin  et  sur 
le  versant  occidental  de  la  chaîne ,  il  forme  une  vaste  barde  qui ,  partant 
de  Lure  et  de  Luxeuil ,  passe  à  Epinal ,  dans  la  Meurthe ,  dans  la  Mo- 
selle et  couvre  encore  une  aire  considérable  dans  la  Hardt.  Dans  les 
Hautes- Vosges  cette  roche  commence  à  paraître  aux  environs  de  Gueb- 
willer  et  passe  derrière  Soultzmatt ,  Pfaffenheim  et  Gueberschwihr  à 
des  altitudes  de  300  à  500  mètres.  Il  constitue  les  sommets  des  mon- 
tagnes granitiques  sur  la  rive  gauche  de  la  Fecht  entre  700  et  iOOO 
mètres  de  hauteur ,  forme  plusieurs  cônes  dans  le  bassin  de  la  Weiss 
jusqu'à  Âubure  pour  reparaître  sur  le  bief  de  séparation  entre  les 
vallées  du  Strengbach  et  de  la  Lièpvrette.  On  le  trouve  ensuite  au 
Taennichel,  à  une  élévation  de  910  mètres;  au  Hoh-Kœni^sbourg,  à  560 
mètres  ;  au  Climont;  à  rUngersberg;  au  mont  S^^-Odile  ;  dans  la  vallée 
de  la  Bruche.  Puis,  à  partir  des  deux  Donon,  il  constitue  à  lui  seul 
tous  les  rameaux  des  Basses- Vosges  jusqu'à  Kayserslautern,  dominant 
presque  toujours  la  formation  plus  récente  du  grès  bigarré.  Le  grès 
des  Vosges  a  été  parfaitement  décrit  par  MM.  Daubrée  et  Elie  de  Beau- 
mont  ^  ;  je  ne  puis  mieux  signaler  ses  caractères  qu'en  faisant  des  em- 
prunts aux  observations  de  ces  savants,  observations  si  complètes, 
qu'elles  n'ont  pas  laissé  découvrir  ici  un  seul  fait  nouveau. 

Essentiellement  formé  de  grains  de  quartz  dont  la  grosseur  varie 

.depuis  celle  d'un  grain  de  millet  jusqu'à  celle  d'un  grain  de  chenevis , 

le  grès  vosgien  atteint  quelquefois  une  puissance  énorme  allant  jusqu'à 

400  mètres  d'épaisseur  au  Katzenberg  et  à  500  mètres  près  Rapn- 

'  Ceroios  savants  ont  ainsi  constaté  ,  à  la  vue  des  i  assins  «les  Caveaux  ,  près 
Kioyrs  »  que  n  l(>s  Gaulois  en  creusant  ces  bassins  dans  le  grè^  faii^aient  preuve 
•  de  leurs  connaissances  physiques  ;  ci'Ue  substance  contribuant  à  maintenir  la 
«  pureté  de  l'eau.  »  Gkaviër,  Histoire  de  SainUlHé  ,  page  9. 

*  Elie  db  Bëaumont  ,  Explication  de  la  carte  géologique  de  Fra  lee ,  tom.  i , 
p.  373.  —  A.  Dadbréb,  Description  géologique  du  Bas-Rhin,  p.  84. 


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ÉTUDES  SUR  LES  VOSGES.  589 

l'Etape.  Cette  composition  varie  peu  sur  toute  l'étendue  du  terrain.  La 
surface  extérieure  des  grains  présente  souvent  des  facettes  cristallines 
qui  réfléchissent  la  lumière  du  soleil.  Us  sont  mêlés  aussi  à  de  petites 
masses  d'argiles  et  d'autres  grains  formés  de  feldspath  en  décomposition» 
ceux-ci  peu  abondants  ,  poudreux ,  anguleux  ,  d'un  blanc  mat ,  non 
translucides.  En  général  les  grains  quartzeux  restent  incolores  et  même 
translucides  ;  mais  ils  sont  habituellement  recouverts  par  un  très-léger 
enduit  coloré ,  soit  en  rouge  par  le  peroxide  de  fer  anhydre ,  soit  en 
jaune  par  le  peroxide  hydraté.  L'enduit  ferrugineux  contribue  sans 
doute  à  faire  adhérer  les  grains  les  uns  aux  autres.  L'adhérence  est  le 
plus  souvent  assez  faible  ,  d'où  il  résulte  que  la  roche  s'égraine  facile- 
ment et  mérite  bien  le  nom  de  Sandsteiriy  pierre  de  sable ,  sous  lequel 
on  la  désigne  en  Alsace. 

La  couleur  du  grès  ,  résultat  de  l'enduit  qui  cimente  les  grains  ,  est 
habituellement  rouge  de  brique  pâle.  Dans  quelques  variétés  des  teintes 
rouges,  violacées,  brunâtres,  jaunes  ou  blanches  forment  dans  la 
pierre  des  teintes  parallèles  ou  des  taches.  Mais  ces  couleurs  ne  sont 
que  superficielles  puisque  Taclion  de  l'acide  hydrochlorique  les  décolore 
rapidement. 

De  nombreux  galets  sont  disséminés  dans  le  grès  vosgien  et  le  font 
passer  souvent  à  un  véritable  poudingue.  Comme  les  moindres  grains 
la  plupart  des  galets  sont  quartzeux.  Les  uns  consistent  en  un  quartz 
gris  ,  brun  ou  rougeâtre ,  à  cassure  un  peu  schisteuse  ;  les  autres  sont 
formés  d'un  quartz  blanc ,  à  éclat  gras,  presque  opaque  ;  enfin  d'autres 
encore  ,  les  moins  nombreux  ,  proviennent  de  quartz  noir ,  de  Horn- 
stein  ,  comme  au  Katzenberg  près  Lutzelhausen.  Les  galets  de  granité 
et  de  gneiss  sont  excessivement  rares  dans  le  grès  vosgien  ;  quant  au 
quartz  qui  a  fourni  de  si  nombreux  cailloux  à  ce  terrain  ,  il  se  trouve 
en  veines  ou  en  rognons  dans  le  terrain  métamorphique  des  Hautes- 
Vosges  et  surtout  du  Hundsruck.  Dans  le  grès  du  Jsegerthàl ,  on  a  trouvé 
un  galet  de  quartzite  renfermant  dans  son  intérieur  une  empreinte 
parfaitement  nette  de  spirifèrCy  fossile  qui  appartient  au  terrain  de 
transition.  La  surface  des  galets ,  quoique  plus  ou  moins  arrondie ,  n'est 
pas  unie.  De  petites  facettes  cristallines  très-brillantes  recouvrent  la 
surface  d'un  grand  nombre  d'entre  eux,  soit  en  totalité,  soit  en  partie, 
Cet  enduit,  identique  à  celui  des  petits  grains  ,  n'existe  pas  dans  les 
poiidingues  des  autres  terrains  ,  non  plus  que  dans  le  gravier  des  allu  - 
vious  anciennes  et  modernes.  Dans  le  grès  vosgien  il  se  retrouve  par 


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590  REVUE  D' ALSACE. 

toute  la  formation  à  toutes  les  hauteurs.  M.  Daubrée  l'attribue  è  un 
dépôt  siliceux  qui  s* est  précipité  et  fixé  en  cristalisant  sur  la  surface 
des  cailloux  et  des  grains  de  sable ,  tout  en  abandonnant  ça  et  là  des 
cristaux  isolés  de  quartz.  Peut-être  aussi  Tinfluence  chimique  à  laquelle 
ce  iait  est  dû  a  contribué  à  Textrème  rareté  des  restes  organiques  dans 
ce  puissant  dépôt.  On  n'y  a  observé  de  débris  animaux  que  quelques 
empreintes  de  coquilles  contenues  dans  les  galets  de  quartzite  du  pou- 
dingue^ et,  par  conséquent,  étrangères  à  sa  formation.  Les  débris 
végétaux  eux-mêmes  y  sont  excessivement  rares  :  nous  n'en  connaissons 
que  des  empreintes  de  calamités  arenacem  trouvées  par  le  docteur 
Mougeot  dans  les  poudingues  de  Boreroont  et  différentes  tiges  du  même 
genre  recueillies  à  Bains  et  à  Plombières  par  M.  Hogard,  dans  une 
arène  qu'il  rapporte  au  grès  vosgien  ^  Ajoutons  que  les  lits  minces  de 
ce  grès  de  Kronthal  outre  des  rides  et  des  bourrelets  polygonaux  des 
aspérités  circulaires  tellement  nombreux  que  la  surface  en  est  comme 
chagrinée  et  semblables  aux  empreintes  de  gouttes  de  pluie  trouvées 
par  Lyell  dans  le  limon  de  la  baie  de  Fundy ,  dans  la  Nouvelle-Ecosse  '. 
Les  aspérités  du  grès  correspondent  à  de  petits  bourrelets  attachés  à  la 
surface  de  l'argile  sous-jacente. 

Le  grès  vosgi«  n  touche  vers  sa  base  des  couches  de  compositions 
différentes  auxquelles  il  se  lie  cependant  par  une  dégradation  insensible 
de  caractères  et  par  la  continuité  de  la  stratification.  Les  éléments  de 
ces  couches  sont  plus  grossiers ,  composés  de  grains  de  quartz  arrondis 
de  dimensions  variables ,  de  feldspath ,  de  mica ,  de  menus  galets  de 
granité ,  de  gneiss ,  de  porphyre  et  plus  rarement  de  schiste ,  le  tout 
aggloméré  par  un  ciment  argileux.  C'est  le  roth  lodt  liegende  des  mi- 
neurs allemands ,  connu  communément  sous  le  nom  de  grès  rouge.  La 
coloration  rouge  que  son  nom  implique  n'est  pas  générale  au  terrain 
qui  présente  également  des  teintes  jaunes  et  d'un  gris  bleuâtre.  Cer- 
taines couches,  sont  presque  argileuses ,  et  présentent  des  strates  fossiles 
couverts  de  paillettes  de  mica  blanchâtre ,  communes  dans  le  grès 
bigarré ,  mais  très-rares  dans  la  formation  intermédiaire.  Outre  ces 
argilolithes  on  trouve  encore  dans  le  grès  rouge  des  lits  minces  de 


*  Henri  Hogard  ,   Description  minéralogigtie  el  géologique  du  système  des 
Vosges  ,  page  230.  Epinal,  1837. 

*  Cu.  Lyell.  Oo  fossil  raio  mark*.  Journal  ofthe  geologicat  Society  ,  lom  vin, 
page  238. 


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ÉTUDES  SUR  LES  VOSGES.  591 

dolomies ,  notamment  entre  Forbach  et  Sarreguemines ,  ainsi  que  des 
poudingues  formés  de  gneiss,  de  micaschiste  et  de  granité.  Située  à  la 
base  du  grès  vosgien ,  cette  formation  plus  ancienne  est  concentrée  en 
général  dans  certaines  dépressions  et  apparaît  seulement  dans  l'inté- 
rieur de  la  chaîne  et  au  fond  des  vallées.  Nous  l'avons  vu  entre  Belfort 
et  Giromagny ,  dans  la  vallée  du  Rhin ,  entre  Ribeauvillé  et  Saint- 
Hypolite ,  dans  le  val  de  Ville ,  dans  le  bassin  de  la  Lièpvrette ,  au 
JsBgerthal ,  dans  le  bassin  supérieur  de  la  Bruche ,  sur  les  bords  de  la 
Fave ,  du  Rabodeau  et  de  la  Plaine. 

Si  la  nature  minérale  et  Tâge  géologique  établissent  une  séparation 
réelle  mais  peu  prononcée  entre  les  étages  du  grès  rouge  et  du  grès 
vosgien ,  la  distinction  entre  celte  formation  et  le  grès  bigarré  ne  paraît 
pas  plus  nette.  Loin  d'être  exclusivement  quartzeuse  le  dépôt  du  grès 
bigarré  superposé  au  grès  des  Vosges  est  formé  de  grains  de  quartz 
fins  et  réguliers ,  mêlés  de  paillettes  de  mica  argentin  qui  donnent  à 
certaines  assises  la  structure  bcliisteuse ,  le  tout  réuni  par  un  ciment 
argileux.  Cette  roche  est  donc  plutôt  un  psamnite  qu'un  grès  véritable. 
Sa  couleur  varie  du  rouge  lie-de-vin  au  blanc  sale  et  sont  souvent 
zébrées  de  jaune  ou  de  brun.  Ses  strates  n'ont  pas  la  continuité  habi- 
tuelle des  terrains  sédimentaires ,  ils  affectent  la  forme  de  lentilles  de 
dimensions  variables ,  superposées  les  unes  aux  autres.  On  peut  facile- 
ment observer  cette  disposition  près  de  Gresswiller ,  dans  la  colline 
Dreyspitze ,  où  des  carrières  presque  contiguês  ne  présentent  pas  la 
même  disposition  de  couches  \  Puissantes  vers  la  base  du  dépôt ,  les 
couches  du  grès  bigarré  deviennent  plus  minces  en  s'élevant  et  n'at- 
teignent plus  que  quelques  centimètres.  Le  grès  alterne  alors  avec  des 
couches  argileuses  en  général  mélangées  de  sable ,  quelque  fois  bario- 
lées et  suivies  elles-mêmes  de  lits  minces  de  dolomie  qui  forment  la 
transition  du  grès  bigarré  au  muscheikalk. 

Au  contraire  de  ce  que  nous  avons  observé  dans  le  grès  vosgien ,  les 
débris  organiques  se  trouvent  en  grande  quantité  sur  toute  l'étendue 
de  la  formation  du  grès  bigarré.  MM.  Mougeot  et  W.  Ph.  Schimper, 
professeur  à  la  faculté  des  sciences  de  Strasbourg  et  correspondant  de 
rinstitut  ont  donné  une  excellente  monographie  *  des  plantes  fossiles 


**  Daubrée  ,  Description  géologique  du  Bas^Rhin  ,  p.  i05. 
'  W.  Ph.  ScfliMPER  eiANT.  Mougbot,  Monographie  despUmles  fossiles  du  grèt 
bigarré  des  Vosges,  Leipzig»  1844. 


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592  REVUE  D'ALS4GE. 

trouvées  dans  ce  dépôt ,  surtout  à  SouItz-ies-Bains.  Ce  sont  surtout  des 
équisétacées ,  des  calamités ,  des  fougères  dont  plusieurs  espèces  arbo- 
rescentes ;  df  s  conifères  appartenant  aux  genres  Voitzia  ,  Âlbertia  et 
dont  les  graines,  les  écailles  abondent  dans  les  assises  marneuses. 
Cependant  les  empreintes  de  plantes  fossiles  ne  sont  pas  indistinctement 
disséminées  dans  toutes  les  couches.  Les  couches  supérieures  recou- 
vrant le  premier  banc  à  Soultz-les-Bains  en  contiennent  fort  peu ,  mais 
en  revanche  elles  renferment  en  abondance  des  coquilles  marines  et 
des  restés  de  sauriens.  En  allant  de  haut  en  bas  le  premier  banc  de 
grès  contient  des  débris  de  bois  fossiles  et  des  calamités ,  la  couche 
marneuse  suivante  renferme  quelques  empreintes  de  fougères  et  de 
conifères  et  c*est  seulement  dans  les  couches  marneuses  recouvrant  le 
troisième  banc  qu'on  rencontre  les  empreintes  les  mieux  conservées. 
Dans  ces  marnes  les  parties  les  plus  délicates  des  plantes  sont  dessinées 
d'une  manière  admirable. 

Répandu  sur  les  deux  versants  des  Vosges  ,  le  grès  bigarré  forme  en 
Lorraine  et  eu  Bavière  une  bande  continue  appuyée  sur  le  grès  vosgien, 
en  Alsace  il  n'apparaît  qu'en  lambeaux  à  Osenbach  ,  entre  Riquewihr 
et  Ribeauvillé ,  au  Klingenthal  et  à  Otrott  ;  devient  plus  puissant  vers 
Haslach  ,  Mutzig  et  Molsheim ,  sur  les  rives  de  la  Mossig  au  Kronthal  et 
s'étend  jusqu'à  Neusladt ,  sur  la  Hardt  dans  le  Palatinat.  La  bande 
continue  du  versant  occidental  se  moule  autour  du  promontoire  de  grès 
vosgien  de  la  forêt  d'Hérival  et  suit  une  direction  parallèle  à  la  ligne 
de  faite  des  Vosges.  Elle  va  du  val  d'Ajol  vers  le  Nord  en  touchant  le 
grès  vosgien  sur  les  plateaux  entre  Plombières  et  Saint-Bresson , 
à  Hadol ,  à  Menenil ,  à  Autrey ,  à  Menil ,  à  Baccarat.  Sa  largeur , 
inférieure  à  celle  du  grès  vosgien ,  atteint  50  kilomètres  en  face 
du  val  d'Ajol ,  9  à  Domptail ,  3  à  Nossemont ,  4  à  Grandvillers ,  et 
seulement  un  kilomètre  près  d'Epinal.  Sa  puissance  varie  de  20  à  30 
mètres  à  l'Est ,  et  à  l'Ouest  elle  s'élève  au  double. 

A  Touest  des  Vosges  le  terrain  du  grès  bigarré  se  présente  sous 
forme  de  plateaux ,  généralement  arrondis  sur  les  bords ,  à  pentes 
douces ,  sans  escarpements  vers  le  Nord  ,  mais  coupés  par  intervalles , 
au  Midi,  de  ravines  profondes.  La  végétation  est  à  la  fois  plus  vigou- 
reuse et  plus  variée  que  sur  le  grès  vosgien^  ce  qui  tient  sans  doute  à 
la  présence  de  l'argile.  Cette  roche ,  située  à  uue  altitude  de  300 
mètres  à  Rambervillers ,  s'élève  à  400  mètres  au  Million,  près  de 
Bains  ;  à  621  à  la  Sentinelle ,  entre  Plombières  et  le  val  d'Ajol  ;  et 


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ÉTUDES  SUR  LES  VOSGES.  593 

même  à  750  mètres  vers  Haxonchamp  ,  près  du  bassin  supérieur  de  la 
Moselle.  Quoique  d'une  origine  plus  récente  et  placé  à  un  niveau  géné- 
ralement inférieur  à  celui  du  grès  vosgien^  le  grès  bigarré  atteint,  sur 
les  pentes  des  Hautes-Vosges,  des  altitudes  supérieures  à  un  grand 
nombre  de  collines  de  grès  vosgien  sur  lesquelles  ce  grès  n'existe  pas. 
Il  y  serait  arrivé  cependant  s'il  avait  été  déposé  au  niveau  qu'il  atteint 
au  val  d'Ajol. 

Comment  finit  le  grès  bigarré?  On  le  sait ,  ce  dépôt  ne  constitue  pas 
un  terrain  distinct  ;  il  appartient  à  la  formation  du  lias  qui  comprend , 
en  outre ,  les  deux  étages  du  muschelkalk  et  des  marnes  irisées.  Les 
trois  dépôts  du  trias  se  redressent  en  Alsace  contre  les  Vosges  ;  mais 
en  lambeaux  séparés  par  des  roches  plus  récentes.  En  Lorraine ,  au 
contraire ,  ils  forment  des  bandes  continues ,  à  peu  près  horizontales. 
Ni  le  muschelkalk ,  ni  les  marnes  irisées  influent  sur  le  relief  de  la 
chaîne  ;  la  séparation  des  différents  étages  se  manifeste  seulement  par 
des  ressauts  à  peine  saisissables ,  pareils  à  des  lignes  de  dunes.  En 
réalité  ces  ondulations  n'appartiennent  plus  aux  Vosges ,  les  rivières 
issues  de  ces  chaînes  les  traversent  successivement  jusqu'au  pied  de  la 
falaise  oolithique  qui  sépare  la  Moselle  de  la  Meuse.  Les  couches  du 
grès  bigarré  plongent  sous  le  muschelkalk  et  un  lit  de  dolomies  cris- 
tallines lie  les  deux  étages.  Les  dolomies  alternent  avec  des  couches 
marneuses  suivies  de  calcaire.  La  marne  prédomine  surtout  dans  les 
assises  supérieures  du  muschelkalk.  D'abord  schisteuse  et  grise,  on  la 
voit  prendre  en  s'élevant  une  teinte  de  plus  en  plus  décidée  qui  forme 
la  transition  aux  marnes  irisées. 

Charles  Grad  , 

membre  de  l'Association  scientiilque  de  France. 


(La  fn  à  la  prochaine  livraison,) 


3*Série.— 17*  Année.  38 

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L'ANNIVERSAIRE 


DE  MARTIN  SCHONGAUER. 


Parmi  les  documents  inléressants  qui  se  rattachent  à  la  biographie , 
assez  obscure ,  du  peintre-graveur  Martin  Schongauer  ,  figure  la  fon- 
dation de  l'anniversaire  du  célèbre  artiste.  Cet  acte,  dont  il  existe  un 
fac-similé  au  musée  de  Colmar ,  est  extrait  d*un  ancien  registre  des 
anniversaires  de  la  paroisse  Saint-Martin  de  Colmar ,  déposé  à  la  Biblio- 
thèque de  la  ville.  Les  mentions  relatives  à  plusieurs  membres  de  la 
famille  des  Schongauer  ont  été  découvertes  le  6  décembre  1840.  Elles 
assignent  à  la  mort  du  peintre  une  date  antérieure  de  onze  ans  à  celle 
que  l'histoire  avait  enregistrée  jusque-là ,  sur  la  foi  d'un  écriteau  placé 
au  dos  du  portrait  que  possède  le  musée. 

M.  Hugot,  alors  bibliothécaire-archiviste  de  la  ville ,  s'empressa  de  faire 
part  de  cette  découverte  à  M.  Gesscrt ,  conservateur  du  musée  de  Munich , 
par  une  lettre  datée  du  7  décembre  1840,  qui  a  été  traduite  in  extenso 
dans  le  Kunstblatt  du  23  février  1 841  («<>  15).  Cette  lettre,  qui  renferme 
des  détails  précis  et  curieux,  présente  un  intérêt  trop  évident  pour  que 
nous  ne  nous  fassions  pas  un  devoir  de  la  reproduire.  Nous  en  donnons 
une  transcription  littérale ,  d'après  la  minute  déposée  à  la  Bibliothèque 
et  nous  sommes  heureux  de  pouvoir ,  ainsi ,  attribuer  à  qui  de  droit  le 
mérite  d'avoir  mis  ce  document  historique  en  lumière. 

Ch.    GOUTZWILLER. 

«  Colmar,  le  7  décembre  1840 
€  Monsieur , 

a  Je  m'empresse  de  vous  écrire  pour  vous  faire  une  heureuse  commu- 
nication (  t  je  voudrais  que  ma  lettre  vout  fût  déjà  parvenue  ,  tant  j'é- 
prouve de  plaisir  à  vous  l'adresser. 

€  Hier  au  soir,  6  décembre,  un  volume  manuscrit  qui  se  trouvait, 
à  mon  arrivée,  déposé  dans  les  greniers  de  la  Bibliothèque  de  la  ville 


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l'anniversaire  de   MARTIN  SGHONGAUER.  595 

et  que  j'en  avais  fait  descendre ,  nous  a  fourni  la  plus  précieuse  décou- 
verte. C'est  un  registre  in  fo)^  composé  de  53  feuillets  de  parchemin , 
relié  en  bois  et  recouvert  de  peau  de  truie ,  à  compartiments  en  fers  à 
froid.  Il  contient  le  relevé  des  anniversaires  fondés  en  l'église  parois- 
siale de  Saint-Martin  de  Colroar,  depuis  et  y  compris  l'année  i39i 
jusque  1539  inclusivement.  Dès  que  je  l'eus  ouvert ,  je  ne  doutai  point 
un  seul  instant  qu'il  ne  dût  renfermer  des  indications  extrêmement 
précieuses  sur  la  famille  de  Schongauer  et  je  m'empressai  de  le  confier 
à  M.  X.  Mossmann ,  jeune  homme  aussi  distingué  par  son  zèle  que  par 
son  instruction,  qui  veut  bien  me  seconder  au  milieu  de  mes  occupa- 
tions, en  le  priant  de  parcourir  le  volume  avec  une  scrupuleuse  atten- 
tion. Arrivé  au  verso  du  folio  35  M.  X.  Mossmann  trouva  la  mention 
suivante  que  je  transcris  littéralement  ainsi  que  les  deux  autres  : 

«  Anno  dm  (domini)  m«  cccc^  LXVIW 
Caspar  Schongauwer  aurifaber  le.  (legavit)  XlIIId.  (denarios)p  (pro) 
$e  Gertrude  uxore  et  liberis  eor.  (eorum). 

€  Au  recto  du  29*  feuillet ,  dans  le  bas  de  la  page  : 

€  .yiarting  (Marlinus)  Schongouwer  Pictor  (Pictorum)  gloria  legauit 
V  S  (solidos)  p  (pro^  aniver^  (anniversario)  suo  et  addiditÇ)  19  (unus) 
s  (solidum)  /  (unum)  denarium  ad  an^  (anniversarium)  patemtTCpa- 
ternum)  a9<^  (à  quo)  habuitmig  (minus)  A  (anniversarium)  Obijt  (obiit) 
m  die  Purificatos  (Purificatiohis)  Marie. 

€  Anno ,  etc.  {M'  cccc)  LXXXVIIL 

c  Au  bas  du  35*  feuillet  : 

c  Mgr  (Magister)  Paulus  Schongotmer  legauit  V  S  pro  te  uxore  et 
liberis  mis  qui  obijt  XXIX  Apprilis.  Anno  etc.  (4f'  D)  XVI .  (C'est-à- 
dire  1516). 

{*)  M.  X.  MoflsmaiiD  nous  a  fait  remarquer  que  les  signes  1*  oot  été  considérés 
par  erreur  comme  exprimant  une  unité.  Gela  provient  de  ce  que  le  chiffre  arabe 
9  a  la  même  forme  que  le  signe  abréviatif  us  employé  dans  les  anciens  manu- 
scrits. La  comparaison  des  chiffres  avec  ceux  employés  dans  d'autres  mentions 
similaires  dans  le  même  registre,  confirme  la  justesse  de  Tobservation  de 
M.  Mossmann.  Il  faut  donc  lire  49  solidos.  M.  Hugot  a  rectifié  plus  tard  cette 
petite  erreur  dans  le  Catalogue  du  Musée  qu'il  a  publié  en  1860  (voir  page  47). 
11  £ïui  rectifier  le  chiffre  des  deniers  qui ,  au  lieu  de  représenter  une  uoiié , 
représente  réellement  le  chiffre  1 ,  et  lire  49  soltdos  7  denaria.  Bien  que  ces 
chiffres  n*affectent  que  fort  peu  le  fond  même  du  documeni ,  il  est  bon  de  réla- 
tilir  sa  véritable  signification  et  nous  remercions  M.  Mussmann  de  nous  avoir 
fourni  le  moyen  de  le  faire. 


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5%  REYUE  d' ALSACE. 

c  Le  registre  de  Colmar  est  parfaitement  conservé.  Il  a  été  exécuté 
en  1507  par  les  ordres  de  Grégoire  Bescherer,  chanoine  de  S'-Martia 
de  Colmar  ,  sur  les  originaux  marnes  des  fondations  et  sous  le  décanat 
de  Jacobus  Carpentarius,  doyen  de  ladite  église.  Il  se  continue  jusqu'en 
1539.  L'attitude  de  récriture ,  jusques  en  1499  particulièrement,  prouve 
que  le  copiste  a  voulu  apporter  dans  sa  transcription  un  soin  religieux. 
Le  parchemin  en  est  fort  beau  et  ce  monument  présente  tous  les  carac- 
tères désirables  d'aulhenticilé. 

«  Je  crois  devoir  vous  communiquer  également,  Monsieur,  un  extrait 
du  préambule  qui  ouvre  le  volume.  Les  motif  qui  ont  déterminé  la 
formation  du  registre  s'y  trouvent  exprimés.  L'un  d'entre  eux  est  trop 
curieux  pour  être  négligé.  Après  avoir  rapporté  les  paroles  de  Saint 
Grégoire  sur  l'efficacité  des  prières  pour  les  morts ,  le  préambule 
ajoute  : 

€  Quare  pr^ulenter  sibi  consulunt  ex  subdilis  nostris  nanntUli  sepul- 
turam  non  passim  nec  vulgarem  diligmtes  ;  sed  in  cimelerio  et  amUtu 
ecclesie  nostre  collégiale  Sancti  Martini  colmariensis.  Unde  pie  credi- 
mus  illorum  animas  tranquillius  sub  umbra  pallii  Domini  Martini 

Patroni  ab  estu  cruente  bestie  animas  vorare  querentis  quiescere 

Cum  et  perpétua  hebdomadarum  sic  vigiliœ  noctumorum  intègre  hoc 
est  cum  tribus  noctvrnis  et  novem  lectoribus  lunœ  et  sabbato  et  missœ 
pro  defunctis  quœ  anniversaria  nominantur  ordinaria ,  illis  videlicet 
quorum  corpora  in  dicto  ambitu  inhumata  et  animœ  Dominorum  cano- 
nicorum  precibus  commendatœ  dévote  et  reverenter  in  dicta  ecclesia 
Sancti  Martini  Colmariensis  decantentur  et  celebrentur. 

«  Quorumquidem  memoria  ne  pereat  cum  sonitu ,  vigilanti  indus- 
tria  venerabilis  viri  magistri  Gregorii  Bechererus  (sic)  9(q[fe  dictœ 
ccclesiœ  canonici  sparsim  e  pulvere  collectis  et  excussis  in  hanc  quam  (sic) 
cernitur  formam  excuterentur  duraturam  sub  anno  domini  M*  D^  VU*" 
die  octava  aprilis  Jacobo  Carpentario  Hyppolitano  (vraisemblablement 
de  Saint-Hippolyte ,  petite  commune  du  département  du  Haut- Rhin) 
dictœ  (jBdis  Martinianœ  decano. 

€  Telle  est ,  Monsieur,  la  communication  que  j'aurais  eu  l'honneur 
de  vous  adresser  dès  hier  au  soir ,  si  l'heure  me  l'avait  permis.  Les 
indications  du  registre  de  Colmar  ne  s'accordent  avec  aucune  des  dates 
assignées  à  la  mort  de  Martin  Schongauer.  Elle  diffère  de  onze  ans 
avec  la  date  qui  se  trouve  sur  le  portrait  attribué  à  Jean  Largkmair  ^  ; 

*  C'est  BarglLmatr  qa'il  fout  lire. 


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l'anniversaire  de  MARTIN   SCUO.NGAUER.  597 

mais  il  me  semble  peu  probable  qu'à  uae  distance  de  8  ans ,  une  erreur 
de  11  années  ait  pu  se  commettre  à  Golmar  par  un  homme  qui  parail  avoir 
su  apprécier  le  mérite  du  grand  artiste  et  qui  peut-être  Tavait  même 
connu  personnellement.  Vous  déciderez ,  Monsieur ,  mille  fois  mieux 
que  moi ,'  cette  grave  question ,  et  si  quelques  nouveaux  documents ,  les 
manuscrits  entre  autres  que  M.  Lersé  avait  vus  à  Golmar ,  au  dire  de 
M.  Huber,  venaient  à  me  tomber  entre  les  mains,  je  m'empresserai 
également  de  vous  faire  part  du  résultat  de  mes  recherches, 
c  J'ai  encore  à  vous  remercier ,  etc •    . 

c  Veuillez  agréer,  etc. 

c  L.   HUGOT  y 
bibliothécaire-archiviste  de  la  ville  de  Golmar.  » 


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BIBLIOGRAPHIE. 


1. 

L'Empereur  Sigismond  a  Strasbourg  ,  Opéra  historique  en  dtiq  actes  ^ 
par  Louis  Spach.  —  Strasbourg ,  imprimerie  de  G.  Silbormann  — 
1866.  —  Brochure  in-12  de  88  pages. 

L'évêque  de  Strasboui^ ,  Frédéric  de  Blaackenbeim ,  s'étant  déclaré 
Tennemi  du  magistrat  de  sa  ville  épiscopale^  fut  à  la  fio  obligé  de  quitter 
révêché.  Il  permuta  avec  Guillaume  de  Dietsch ,  évèque  d'Utrecht.  Le 
pape,  BooifacelX,  avait  ratifié  cet  arrangement;  mais  le  chapitre  de  la 
cathédrale  ne  voulut  pas  s'y  soumettre  et  il  donna ,  pour  sucesseur  à 
Frédéric  de  Blanckenheim,  Louis  de  Thierstein,  qui  fut  frappé  de  mort 
subite  au  moment  où  il  allait  se  mettre  en  route  pour  venir  prendre 
possession  de  Tévêché.  Le  chapitre  élut  à  sa  place  Burcard  de  Lucel- 
stein  que  le  pape  excommunia  et  qui ,  dès  ce  moment ,  fut  abandonné 
de  ses  partisans.  Burcard  en  vint  à  un  accommodement  avec  Guillaume 
et  la  possession  viagère  du  Haut-Mundat  par  Burcard  de  Luceistein  fut 
le  prix  de  cette  Iransaclion. 

Guillaume  de  Oietsch  prit  donc  possession  du  siège  épiscopal  les 
armes  à  la  main.  Le  nouvel  évêque  ne  tarda  pas  à  faire  argent  des 
revenus  de  Téglise,  qu'il  engagea  à  tort  et  à  travers.  La  ville  de  Stras- 
bourg et  le  chapitre  se  coalisèrent  pour  arrêter  ces  aliénations  et 
racheter  celles  qui  avaient  été  faites.  De  là  conflit  entre  la  ville,  alliée 
du  chapitre ,  et  Févêque.  L'empereur  Robert-le-Palatin ,  sollicité  d'in- 
tervenir, écouta  les  plaintes  des  deux  parties,  mais  se  garda  d^engager 
son  autorité  dans  le  différend.  Les  choses  demeurèrent  en  cet  état 
jusqu'à  la  mort  de  l'empereur  Robert^  arrivée  en  1410.  Sigismond,  roi 
de  Hongrie,  lui  ayant  succédé,  vint  à  Strasbourg  en  1414,  pour  récon- 
cilier la  ville  et  le  chapitre  avec  l'évèque.  C'est  le  séjour  que  l'empereur 
fit  à  Strasbourg,  dans  cette  occasion ,  qui  a  fourni  le  thème  de  l'opéra 
que  M.  Spach  a  écrit  en  langue  allemande,  et  dont  nous  allons  esquisser 
très-rapidement  la  combinaison  scénique. 


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BIBLIOGRAPHIB.  599 

Le  premier  acte  est  rempli  par  diverses  scènes  dont  l'intérieur  de 
Maître  Nibelung ,  cordonnier,  est  le  théâtre  à  Toccasion  de  la  nouvelle 
de  Tarrivée  de  Tempereur.  Salomé ,  la  femme  de  H*  Nibelung ,  veut 
des  vacances  pour  ses  ouvrières  avec  salaire  de  la  journée  ;  Nibelung 
s*y  refuse  et  Salomé  porte  le  différend  devant  Tammeistre  Bock ,  qui 
doit  le  vider.  L'ammeislre  est  embarrassé  du  cas,  mais  il  a  derrière  lui 
Ulrich  Meyer,  le  greffier,  qui ,  comme  tous  les  greffiers  ,  anciens  et 
modernes ,  le  tire  d'embarras  en  lui  indiquant  le  chemin  ou  les  échap- 
patoires. Simultanément  il  faut  songer  où  loger  Fempereur  et  c'est 
encore  Ulrich  qui  tranche  la  question  ,  en  décidant  que  Madame  Bock 
cédera  ses  appartements  au  Souverain.  Dans  cette  seule  donnée ,  il  y  a 
matière  è  six  scènes  des  plus  amusantes  que  M.  Spach  a  remplies  avec 
un  talent  fort  apprécié  des  personnes  quelque  peu  initiées  aux  mœurs 
de  l'ancienne  Alsace  et  au  génie  de  sa  langue. 

Le  deuxième  acte  est  tout  entier  à  l'arrivée  et  à  la  réception  de  l'em- 
pereur. On  a  bien  fait  les  choses  et  l'empereur  ne  veut  p^as  rester  en 
retard  de  gracieuseté.  Il  accorde  à  Tammeistre  les  grâces  qu'il  lui 
demandera.  Comme  toujours,  malheureusement,  l'ammeistre  n'est  pas 
préparé.  Cependant  un  trait  de  lumière  frappe  son  imagination  :  il 
demande  la  liberté  des  jeux  de  carte  ;  le  conseil  approuve  ,  mais  il  y 
met  la  restriction  qu'on  doit  en  user  modérément.  Ce  sont  les  sages  de 
la  cité ,  et  l'affaire  en  serait  restée  là  si  Ulric  Meyer,  le  greffier,  n'eût 
pas  apporté  son  appoint  aux  lumières  de  l'ammeistre  et  du  conseil. 
L'Alsace  est  une  terre  bénie  qui  produit  du  blé  et  du  vin  en  abondance, 
mais  l'homme  ne  vit  pas  seulement  de  pain;  il  faut  à  Strasbourg  la 
foire  de  la  Saint-Jean  ,  c'est-à-dire  la  liberté  ou  plutôt  des  avantages 
pour  le  commerce ,  les  draps  du  Brabant ,  les  laines  d'Angleterre ,  les 
toiles  blanches  de  Cologne  et  de  Trêves  et  les  épices  du  midi. 

L'empereur.  Eh  bien ,  faites  les  venir. 

Ulrich.  Voilà  justement  le  point,  Majesté  !  Accordez  la  sécurité  au 
commerce.  L'acheteur  quittera  avec  plaisir  de  lointains  pays  pour  venir 
en  notre  ville,  et  ce  sera  pour  elle  une  source  de  prospérité. 

L'empereur,  Voilà  qui  est  parler.  Vous  voulez  des  privilèges  pour  les 
commerçants  qui  fréquentent  votre  ville  ;  ils  doivent  être  exempts  des 
droits.  Je  vous  l'accorde. 

Les  conseillers  expriment  tout  naturellement  leur  reconnaissance 
pour  tant  de  bienfaits. 

A  cette  scène  succède  l'invitation  au  bal  historique  qui  doit  avoir  lieu 


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600  REVUB  d'alsacs. 

à  la  Haute-Montée ,  le  lendemain  malin ,  parce  qu'à  Strasbourg  on  s'y 
prend  de  bonne  heure  pour  finir  tard.  C'est  Dîna  Zorn  qui  fait  l'invita- 
tion en  présentant  à  l'empereur,  pour  l'impératrice ,  une  rose  d'argent 
artistement  ciselée.  L'empereur  accepte,  rend  un  baiser  et  prend 
rendez-vous  au  lendemain  matin ,  à  la  condition  que  Madame  Zorn  et 
Dina ,  avec  leurs  amies ,  viennent  le  réveiller  par  un  petit  coup  frappé 
à  sa  porte. 

Le  troisième  acte  commence  par  la  retraite  de  l'empereur  dans  sa 
chambre  à  coucher;  mais  avant  de  pénétrer  dans  ses  appartements, 
l'empereur  est  instruit,  par  le  greffier  Ulric,  de  la  division  qui  partage 
Strasbourg  en  deux  camps ,  le  parti  des  Zorn  et  celui  des  Mullenbeim , 
en-dehors  desquels  se  tient  l'ammeistre  Bock ,  ce  qui  fait  sa  force.  La 
nuit  se  fait,  la  voix  du  veilleur  de  nuit  retentit ,  l'empereur  dort ,  et  à 
l'aurore  Dina  Zorn  et  d'autres  jeunes  filles,  conduites  par  Catherine  Zorn, 
mère  de  Dina ,  arrivent  pour  le  réveiller  et  l'accompagner  au  bal.  C'est 
en  robe  de  chambre  et  en  pantoufles  que  l'empereur  paraît  et  qu'il  est 
entraîné  jusqu'à  la  maison  du  cordonnier  Nibelung ,  où  des  souliers  de 
bal  lui  sont  chaussés  par  Dame  Salomé.  Le  bruit  a  réveillé  Nibelung , 
qui  se  confond  en  excuses  auprès  dLe  l'empereur  et  lui  dit  son  nom.  Ce 
nom  illustre  cause  de  la  surprise  à  l'empereur  qui  invite  le  cordonnier 
à  faire  vérifier  son  état  civil  et  à  l'accompagner,  lui  et  sa  femme,  au 
bal  de  la  Haute- Montée ,  car  quiconque  porte  le  nom  de  cette  ancienne 
race  est  noble ,  fût-il  cordonnier.  Les  bagages  arrivent ,  mais  les  bottes 
espagnoles  qu'ils  apportent  sont  dédaignées  pour  les  souliers  de  Stras- 
bourg dont  l'empereur  introduira  la  mode  à  la  cour  de  Prague.  L'acte 
se  termine  par  la  présentation  de  l'ancien  Stettmeistre  Zorn  qui  invite 
l'empereur  au  bal ,  où  Tattendent  cent  cinquante  hommes  de  noble 
qualité ,  tous  bourgeois  de  la  ville. 

Le  quatrième  acte  se  passe  à  la  Haute-Montée  ;  le  greffier  Ulrich  Mey er 
en  sera  le  héros.  Son  cœur  est  à  Marguerite  de  Neunstein  ,  sœur  de 
la  dame  de  l'ammeistre  Bock.  On  voudrait  en  faire  une  dame  d'hon- 
neur de  l'impératrice ,  afin  d'éviter  une  union  contraire  aux  volontés  de 
Rodolphe,  père  de  Marguerite.  Cette  faveur  est  obtenue,  mais  accueillie 
avec  douleur  par  la  jeune  fille  et  son  prétendant.  Pendant  le  bal  un 
orage  éclate  et  met  le  feu  au  Pfenninglhurm  ;  le  tocsin  retentit ,  la 
confusion  envahit  le  bal ,  on  court  au  feu ,  Ulric  Meyer  se  distingue 
et  est  gravement  blessé.  Des  lansquenets  le  rapportent  sur  une  civière 
et  le  déposent  dans  une  gloriette  de  la  Haute-Montée.  Au  bruit  de  sa 


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«BLIOGRAPHnS.  601 

mort ,  Marguerite  de  Neunstein  accourt  éplorée  et  s'agenouille  près  de 
lui.  Ou  est  unanime  à  dire  que  les  plus  grands  honneurs  sont  dus  à  son 
courage  civique ,  s'il  revient  à  la  vie.  L'empereur  s'associe  à  l'opinion , 
un  chirurgien  est  appelé  et  Ulric  revient  à  la  vie. 

Le  cinquième  et  dernier  acte  est  rempli  par  le  diner  d'adieu  donné  à 
l'empereur  dans  une  Ile  du  Rhin.  C'est  le  dénouement  qui  fait  des  heu- 
reux par  le  mariage  d'Ulric  avec  Marguerite,  par  l'intendance  des 
troupes  à  cheval  de  Bohème  accordée  à  Mattre  Nibel...  et  par  des  assu- 
rances d'amitié  et  de  protection  au  magistrat  et  à  toute  la  population  de 
la  ville  libre. 

Voilà  le  canevas  du  poème;  il  ne  devait  pas  empiéter  sur  la  négocia- 
tion qui  avait  pour  but  de  réconcilier  la  ville  et  le  chapitre  avec 
Févèque.  Si  l'on  devait  continuer  l'historique  de  l'épisode ,  il  faudrait 
dire  que  la  réconciliation  ne  dura  pas  et  que  la  ville  fut,  quelques 
années  après ,  mise  au  ban  de  l'empire  par  le  même  Sigismond  pour 
avoir,  de  concert  avec  le  chapitre,  retenu  prisonnier  l'évèque  Guil- 
laume de  Dietsch  ;  grosse  ajBTaire  qui  subit  un  instant  la  terreur  qu'ins- 
pira le  bûcher  de  Jean  Huss ,  et  qui  ne  se  termina  que  laborieusement 
au  concile  de  Constance ,  mais  en  définitive  au  profit  et  à  l'honneur  de 
la  République  strasbourgeoise. 

En  localisant  la  visite  de  l'empereur,  M.  Spach  a  écrit  un  chef- 
d'œuvre^  auquel  il  ne  manque  plus ,  pour  être  complet ,  que  la  traduc- 
tion lyrique  par  un  Lorzing  alsacien. 


II. 

De  l'état  actuel  des  prisons  civiles  de  Strasbourg  ,  au  point  de 
vue  sanitaire  ei  médical ,  par  H.  d'EoGS ,  médecin  en  chef.  —  Stras- 
bourg, imprimerie  de  G.  Silbermann ,  i866.  —  Brochure  in-8^  de 
64  pages. 

La  question  pénitentiaire  n'a  pas  d'attrait  pour  les  esprits  livrés  à 
des  études  moins  tristes.  Cependant  quand  elle  est  traitée  par  un  homme 
expérimenté,  on  se  laisse  entraîner  dans  l'exposé  concis  des  règlements, 
et  quand  on  a  parcouru  cette  longue  série  de  prescriptions  minutieuses , 
on  veut  savoir  comment  le  médecin ,  par  exemple ,  en  règle  l'applica- 
tion au  point  de  vue  sanitaire  et  médical.  Dans  la  prison  comme  ailleurs, 


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602  REVUE  d'alsace 

el  peut-être  plus  que  partout  ailleurs,  Phomme  de  Part  est  la  bienfai- 
sante providence  de  celui  qui  souffre.  C'est  lui  qui  ramène  la  société 
aux  règles  humanitaires  que  ses  agents  seraient  trop  souvent  portés  à 
oublier.  Et  quand ,  comme  d'Eggs  ,  il  ne  craint  de  confier  ces  règles  à 
l'impression  ,  il  rend  un  véritable  service ,  car  les  bonnes  choses  que 
l'opinion  épouse  sont  autant  de  conquêtes  pour  la  civilisation. 

Si  l'on  devait  comparer  notre  régime  pénitentiaire  moderne  au  régime 
d'avant  quatre-vingt-neuf,  il  serait  aisé  de  démontrer  que  la  Révolution 
a  eu  d'heureuses  conséquences ,  même  pour  ceux  que  la  société  doit 
punir.  Quelque  considérable  que  soit  le  progrès  accompli ,  il  n'en  est 
pas  moins  resté  un  grain  de  barbarie  dans  notre  législation  pénale,  et , 
comme  nous  l'avons  dit ,  le  médecin  des  établissements  pénitentiaires 
est  la  providence  pratique  qui  lutte  ,  à  côté  de  la  philosophie ,  pour  en 
adoucir  l'application  et  même  en  extirper  les  dernières  racines. 

«  La  perte  de  la  liberté ,  l'abattement  qui  en  est  l'inévitable  consé- 
«  quence ,  certaines  habitudes  vicieuses  que  la  détention  engendre  ou 
<  perpétue  y  l'absence  d'affections  de  famille ,  le  silence  réglementaire, 
c  antipathique  à  l'homme  en  général  ,  la  discipline ,  le  manque 
«  d'exercices  variés ,  souvent  le  défaut  de  lumière ,  d'aération  suffi- 
«  santé,  etc. ,  etc.  >  sont  autant  de  causes ,  dit  avec  raison  M.  d^Eggs, 
qui  agissent  d'une  manière  fJkcheuse  sur  la  santé  du  prisonnier  et  com- 
mandent une  sollicitude  compatissante  et  un  examen  attentif  des  ques- 
tions relatives  à  sa  santé. 

Ce  sont  ces  questions  que  M.  d'Eggs  passe  en  revue  et  qu^l  traite 
dans  la  deuxième  partie  de  son  opuscule  au  point  de  vue  général  et  au 
point  de  vue  des  prisons  de  Strasbourg.  L'aération,  l'influence  des 
fosses  d'aisance,  la  propreté  générale  ,  celle  du  corps,  les  vêtements  , 
le  régime  alimentaire  et  l'infirmerie  lui  fournissent  la  matière  d'autant 
de  chapitres  où  l'homme  de  savoir  et  l'homme  de  cœur  se  montrent 
sous  les  plus  beaux  côtés. 

Cette  dernière  partie  prend  moins  de  place  que  la  première,  et  comme 
c'est  le  médecin  qui  parle,  non  le  règlement ,  elle  est  plus  substantielle» 
plus  attrayante.  Dans  ces  quelques  pages,  M.  d'Eggs  expose,  en  un 
langage  précis ,  les  mesures  prises,  dans  les  prisons  de  Strasbourg , 
sur  les  avis,  quelque  fois  sur  les  ordres  du  médecin,  pour  soustraire  la 
population  des  prisons  à  l'influence  délétère  du  milieu  dans  lequel  elle 
est  condamnée  à  vivre.  11  lui  arrive  souvent  de  justifier  ses  prescriptions 
sanitaires  par  des  considérations  d'un  ordre  tout  différent  de  la  pratique 


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BlfiL10GRAPBI£.  603 

médicale.  11  a  à  cœur  de  préserver  le  prisonnier  des  ulcérations  de 
Tàme  autant  que  de  celles  du  corps  ;  il  revendique  son  droit  à  une 
nourriture  salubre,  afin  quHl  ue  prenne  pas  en  haine  celui  qui  le  nourrit 
mal ,  afin  que  son  cœur  ne  soit  pas  fermé  à  la  morale,  car,  dit  Fauteur, 
€  comment  serait-il  touché  de  vos  préceptes  »  lorsque  vous  ne  Têtes  pas 
€  de  sa  misère?  >  En  le  lisant,  on  sympathise  avec  le  docteur  parce 
qu*il  est  lui-même  plein  de  sympathie  pour  les  malheureux  confiés  à 
ses  soins.  Son  exposé  de  la  question  pénitentiaire  est  una  bonne  œuvre, 
nou«  nous  plaisons  à  lui  rendre  ce  témoignage. 


III. 

Les  animaux  peints  pah  eux-mêmes,  de  Granville;  Les  voyages 
EXTRAORDINAIRES,  de  JuLES  Verne,  illustrés  parRiou,  et  Les  contes 
de  Perrault,  illustrés  par  Gustave  Dore.  —  Paris,  librairie  de 
J.  Hetzel,  18,  me  Jacob. 

Ces  trois  ouvrages  sont  en  cours  de  publication  ;  ils  seront  achevés 
très-prochainement;  peut-être  même  auront-ils  paru  lorsque  l'annonce 
que  nous  tenons  à  leur  consacrer  arrivera  à  nos  lecteurs. 

En  mettant  la  Revue  à  la  disposition  des  livres  que  H.  Hetzel  édite ^ 
nous  ne  nous  écartons  pas  absolument  de  notre  programme.  M.  Hetzel 
est  un  enfant  de  FÂIsace  et  presque  tous  ses  collaborateurs  y  tiennent 
aussi  par  des  liens  plus  ou  moins  étroits.  C'est  de  la  librairie  Hetzel  que 
sont  sortis,  illustrés,  lesAomansnaa'onauosd'Erckmann-Chatrian;  c'est 
elle  qui  nous  a  donné  Thisloire  d'une  Bottchée  de  pain ,  née  en  Alsace  ; 
les  Contes  et  le  Théâtre  du  petit  château ,  ainsi  que  V Arithmétique  du 
grand  papa ,  qui  ont  la  même  origine  ;  c'est  elle  encore  qui  a  mis  à  la 
portée  de  toutes  les  bourses  les  Misérables  el  Notre-Dame  de  Paris  ^ 
qui  sont  universels ,  et  enfin  c'est  elle  qui,  reprenant  une  à  une  les 
publications  importantes  antérieures  à  l'Empire,  poursuit  avec  une 
constance  rare  l'exécution  d'une  bonne  pensée  dont  M.  Hetzel,  notre 
compatriote ,  est  le  patron.  Tout  ce  qui  sort  de  l'association  libre  dont 
il  est  le  prévôt  est  digne  du  succès  donl  jouissent  les  meilleures  entre- 
prises, car  rien  n'est  épargné  pour  rendre  les  reproductions  irrépro- 
chables et  les  entourer  du  cortège  artistique  qifi  en  fait  des  livres  de 
luxe.  Il  n'est  aucun  des  livres  que  nous  avons  nommés  qui  ne  l'attestent. 


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604  REVUE  D'ALSACE. 

Ceux  qui  sont  en  cours  de  publication  surpassent  encore  les  précédents 
et  prouvent  que  la  pensée  de  M.  Hetzel  est  bonne ,  puisqu*à  mesure 
qu'elle  avance  dans  sa  voie  elle  se  perfectionne  encore  s'il  est  possible , 
loin  de  se  ressentir  d'une  sorte  de  fatigue  qui  est  Tindice  certain  d'une 
fin  prochaine.  Des  collaborateurs  comme  ceux  dont  H.  Hetzel  sait 
s'entourer  sont  capables  de  fournir  une  longue  et  brillante  carrière , 
parce  qu'ils  sont  tous  des  hommes  de  mérite.  L'illustration  en  général 
est  tombée  dans  un^  décadence  déplorable  :  elle  s'est  mise  au  service 
des  choses  les  plus  vulgaires  et  l'art  est  naturellement  tombé  au  niltou 
de  cette  littérature.  Les  efforts  de  M.  Hetzel  et  de  ses  collaborateurs 
sont  une  protestation  contre  cette  décrépitude,  une  réhabilitation 
nécessaire  de  notre  époque  en  la  ramenant  aux  dernières  étapes  où  les 
anciens  se  sont  arrêtés  et  que  les  jeunes  n'ont  pas  su  continuer,  car 
tous  ceux  qui  reviennent  avec  M.  Hetzel  à  ce  point  d'arrêt  sont  élèves 
d'une  génération  qui  ne  savait  pas  le  chemin  de  la  Bourse.  Leur  sera-t- 
il  donné  d'approcher  du  but  ?  C'est  ce  que  nous  espérons  fermement , 
car  il  est  certain  que  la  satiété  des  choses  mauvaises  finira  par  faire 
revenir  les  esprits  vers  les  choses  de  meilleur  aloi. 

L'abaissement  littéraire  et  artistique  de  ces  derniers  temps  aura  eu 
quelque  chose  de  bon.  Après  s'être  introduits  dans  toutes  les  maisons, 
sous  une  robe  brillante  et  frelatée ,  on  voudra  nécessairement  remplacer 
des  hôtes  fftcheux  par  des  hôtes  recommandables.  Or,  prenez  au  hasard 
dans  la  collection  de  M.  Hetzel  :  le  premier  livre  qui  vous  tombera  sous 
la  main  sera  de  bonne  compagnie  ;  il  sera  mieux  que  cela ,  un  ami  du 
foyer  que  l'on  chérira  jusqu'au  dernier  moment.  Si  nous  disons  beau- 
coup de  bien  de  ses  publications ,  c'est  parce  que  nous  le  pensons  ; 
c'est  parce  que  nous  les  considérons  comme  un  contrepoids  indispen- 
sable dans  la  balance  qui  menace  de  donner  gain  de  cause  à  l'industrie 
qui  s'est  emparée  du  livre  pour  en  faire  exclusivement  un  négoce  de 
pacotille. 

Jusqu'à  ce  que  notre  temps  ait  produit  de  bonnes  œuvres,  M.  Hetzel 
a  raison  de  lui  faciliter  la  connaissance  de3  anciennes.  Il  compte , 
nous  assure-t-on ,  donner  un  pendant  aux  Animaux  peints  par  eux- 
mêmes  ,  en  éditant ,  dans  le  même  format  et  illustré  par  un  peintre 
allemand,  Kaulbach  ,  le  renard  de  Gœthe.  Ce  n'est  pas  pour  jeter  un 
défi  au  génie  français  qu'il  associe  à  cette  œuvre  un  artiste  allemand  ; 
c'est  parce  qu'en  homoM  de  sens,  M.  Hetzel  sait  que  l'œuvre  ne  peut 
être  illustrée  ,  dans  le  sens  vraiment  artistique,  que  par  un  homme 


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BIBLIOGRAPHIE.  605 

qui  parle  la  langue  de  Gœthe  et  qui  est ,  mieux  que  ne  pourrait  Fétre 
un  Français ,  initié  au  génie  du  poème. 

M.  Hetzel  s'est  déjà  attaché  à  un  autre  chef-d'œuvre  qui  para!t«^ 
prochainement ,  ou  même  qui  a  déjà  paru  :  Les  contes  de  Perrault , 
illustrés  par  Gustave  Doré.  Comme  toujours  y  c'est  pour  les  mettre  à  la 
portée  de  toutes  les  bourses  qu'il  a  fait  cette  nouvelle  édition  dont  le 
prix  ne  dépassera  pas  35  ou  30  fr.  au  lieu  de  70  fr.  que  coûtait  la  pré- 
cédante. Au  moyen  de  la  galvanoplastie  la  première  gravure  reste 
vierge  des  presses  et  les  clichés  dont  on  se  sert  pour  ce  tirage .  la  repro- 
duisent  dans  sa  plus  grande  pureté  ;  ajoutons  que  la  typographie  en 
sera  soignée  comme  tout  ce  qui  sort  d'une  imprimerie  modèle,  le 
Magasin  d'éducation ,  par  exemple ,  qui  est  véritablement  un  chef- 
d'œuvre  de  typographie ,  de  jour  en  jour  plus  partiale. 

Si  tous  ces  livres  ne  sont  pas  des  publications  de  circonstance ,  il 
peuvent  néanmoins ,  et  mieux  que  beaucoup  d'autres,  en  tenir  lieu.  Ce 
sont  de  belles  et  bonnes  étrennes  qui  peuvent  être  mises  entre  toutes 
les  mains ,  que  l'on  conserve  et  que  Von  veut  augmenter.  A  cOté  d'un 
bon  livre  et  d'un  beau  livre  on  a  l'ambition  d'en  placer  un  nouveau  de 
même  qualité  et  nous  soupçonnons  que  ce  soit  là  le  secret  de  M.  Hetzel, 
comme  éditeur.  Il  pense  ,  avec  raison ,  que  là  où  le  premier  de  sa  col- 
lection a  conquis  une  place  les  autres  viendront  fatalement  se  grouper 
On  ne  peut  que  le  souhaiter  avec  lui. 

Frédéric  Kurtz. 


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TABLE  DES  MATIÈRES.--  3"'  SÉRIE.  I?*»'  ANNÉE. 


HISTOIRE.  —  ARCHÉOLOGIE. 

Paro- 
le. Chauffour.  —  Quelques  mots  sur  les  cours  colongères  d'Alsace.    ...  5 

—  —     —     —  '  Suite  et  fin 65 

—  —     —     —    Même  sujel.  RépobS9  à  une  critique 154 

—  —    —    —    Même  sujel.  Résumé  et  conclusions 305 

—  ___-.    Suite  et  fin 3ÎI 

AUG.  Stqeber.   —  Note  sur  le  lieu  de  naissance  de  Jean  Geiler,  dit  de 

Kaisersberg 59 

Dag.  Fischer.  —  Etude  sur  l'organisation  municipale  de  Saverne  sous  la 

dominalion  des  évêques  de  Strasbourg 199 

—  —    —    —    Le  tribunal  civil  de  Saverne 479 

Joles-Frédéric  Puthod.  —  Expédition  du  baron  Nicolas  de  Polweiler  en 

Rresse  ,  siège  de  Bourg  ,  1557 144 

As  QoiQiiERKZ.  —  La  pierre  des  mauvaises  langues 171 

—  —     —     —    Landskron 477 

—  —     —     —    Suite  et  fin 873 

Ed.  Goguel.  —  Les  confréries  «te  métiers 188 

—  -    —    —    Suite  et  fin 257 

L'abbé  Grakdidier.  —  Abjuration 213 

—  »     —     —    Armoiries  des  évèques  de  Strasbourg .%38 

—  —    —     —    Persécution  des  Vaudois  à  Strasbourg 561 

—  —    __     —    Les  musiciens  d'Alsace 572 

Gh.  Knoll.  —  Histoire  de  la  fille  de  Soultz 249 

—  —    —    —    i^  suite 297 

—  _    _     _.    2e  suite 395 

—  —    —    —    5«m/e 491 

_-__-    —    4*  suite  et  fin 525 

P.  G   Bergmann.  —  Origine  et  signiûcalion  du  nom  de  Franc 225 

Ch.  GOUTZWILLEI;. — Le  musée  de  Golmar 369 

—  —    —    —    limite kU 

—  —    —    —    Anniversaire  de  Martin  Scbongauer 594 

AiiG.  Saum.  -  Un  bas-relief  de  Mitbra ,  découvert  à  Strasbourg 417 

AuG.  Krceber.  —  Correspondance  de  l'abbé  Grandidier  et  autres  documents 

relatifs  à  cet  histonen,  à  sa  famille  et  à  ses  ouvrages 465 

«._-«     —     Suite  et  fin 513 


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TABLE  DES   MATIÈRES.  607 

Pages. 
Gh.  KÛSs.  —  Etudes  d^bistoire  contemporaine.  -—  Do  mouvement  religieux 

parmi  les  protestants  d'Allemagne 517 

Paul  Huot.  —  Le  onzième  plaidoyer  de  l'avocat  Patru 551 

NOTES  ET  DOCUMENTS  HISTORIQUES. 

J.  L.  ...  —  Notes  et  documents  pour  servir  à  Thistoire  religieuse  en  Alsace  .    121 

—  -     —     \'e  suite 475 

—  -     -     —    '2^  suite 215 

BIOGRAPHIE. 

L'abbé  Grandidier.  —  Daniel  Specklé 118 

__     _     „.      -    Jean  de  Dambacb  et  Jean  Tauler 415 

ÉCONOMIE  SOCIALE.  —  AGRICULTURE. 

Ommds.  —  De  Taliénation  et  du  défriclieœcnt  de  la  forêt  et  des  irrigations 
du  territoire  de  la  Harth il 

—  —     —     —    Suite  et  fin 99 

J.  F.  Plaxlakd.  —  Etudes  sur  l'élevage,  rontretien  et  l'amélioration  de  la 

race  bovine  en  Alsace 201 

—  —     ~     —     1'^  8uiU 28i 

—  —     —     —    2«  suite 38ô 

—  —     ~     —    ^  suite  et  fin 441 

Charles  Grau.  —  De  l'influence  des  forêts  sur  la  distribution  des  eaux  .   .   .  407 

SCIENCES  NATURELLES. 

Cu.  Grad   —  Reliefs  et  cartes  des  Vosg  s «^4i 

—.—      ._-    Etudes  sur  les  Vosges 378 

CRITIQUE  LITTÉRAIRE. 

Louis  Spach.  —  Histoire  d'un  homme  bcureux ,  par  Adolphe  Sehœffer  ...      62 

—  —     ~     —     Recherches  sur  le  plan  de  la  création  et  la  structure  de 
r&me ,  par  //.  de  Madiis  (de  May) 4.^9 

J.  QuiCHERAT.  —  Liste  des  noms  de  lieux  inscrits  sur  les  monnaies  méro- 
vingiennes ,  par  Anatole  de  Barthélémy 220 

Anatole  de  Barthélémy.  —  Les  épopées  françaises  ,  par  M.  L.  Gauthier  .    .    415 
F.  G.  Bergma^in.  —  Deux  premières  années  d'allemand  ,  par  H.  Schmidt  .    455 

—  —     —    —     Noticedegritmmaireetd'orthograpbe,  choix  d'homonymes 

et  de  synonymes,  proverbes  expliqués  ,  etc. ,  par  Ph.  H,  Beck     ....    458 
Frédéric  Kuktz.   —  Les  coutumes  du  val  de  Rosemont ,  publiées  pour  la 
première  fois ,  avec  introduction  et  notes ,  par  Ed,  Bonvalot iW 

—  —     ~     —     Annales  de  l'association  philomatique  vogeso-rhénane , 
faisant  suite  à  la  Flore^d'Alsace,  par  F.  Kirschleger 222 


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008  REVUE  D'ALSACE. 

Frédéric  Kortz.  —  Notice  sur  l'hôpiul  et  la  toar  de  l'élise  de  Benfeld  , 
par  Nap.  NiekUs .223 

—  —    —    --    Nolioe  sur  la  famille  de  Rosen ,  par  Emetl  Lehr  •  .   .  .   225 

—  —    ^    —    Promenade  de  Colmar  k  Aispacb  ,  par  Paul  Huot   .   .  .    224 

—  —  —  —  Georges  V/ickram  ,  écrivaiD  populaire  el  fondateur  de  ia 
oorporaiion  des  cbao  leurs  de  Coiroar,  au  xvi*  siède,  par  Aug.  Stœber.  .    269 

—  —    —    —    Légendes  du  Floriyal ,  par  M.  l'abbé  Broun 270 

—  ^    —    —    Histoire  des  juifs  à  Colmar ,  par  X,  Mossmann    ....    4iti 

—  —  —  —  Histoire  de  la  ville  d'Obemai  et  de  ses  rapports  avec  les 
autres  villes  ci-devani  impériales  d*Alsace  et  avec  les  seigneuries  voisines , 
comprenant  Thistoire  du  mont  Sainte-Odile ,  des  anciens  monastères  de  la 
contrée  et  des  localités  limitrophes,  par  M.  Tabbé  /.  Gyss SOi 

—    —    —    Des  Vosges  au  Rbin.  Excursions  et  causeries  alsaciennes, 
par  Paul  Huoi Wl 

—  —    — -    —    Mélanges  d'histoire  et  de  critique  littéraire ,  par  L.  Spaeh  SIO 

—  —  —  •—  Renseignements  météorologiques  sur  le  xiii*  siècle ,  par 
Henri  Bardy Si2 

—  —    —    _    Recherches  anthropologiques  sur  le  pays  de  Monibéliard , 

par  le  D'  Mustm 548 

~  —  —  _  Questions  sur  la  chasse.  Jurisprudence  de  la  Cour  de 
Colmar  en  ce i te  matière,  par  U*  de  Neyremand 5!S5 

—  ~    —    —    Le  Bibliographe  alsacien  ,  par  Ch,  Mehl •   558 

—  ~    —     —    L'Alsace  et  ses  artistes,  pur  Ad,  Morpain 559 

—  —    —    —    L'empereur  Sigismond  à  Strasbourg,  opéra  historique, 

par  L,  Spach 598 

—  ~    —    —    Les  prisons  de  Strasbourg,  par  M.  d'£y9« 605 

->  —  —  —  Récentes  publications  de  Hetzel  —  Les  voyages  extraor- 
dinaires de  Jule9  Verne ,  illustrés  par  Riou  ;  les  animaux  peints  par  eux- 
mêmes  ,  de  GranviUe ,  et  les  contes  de  Perrault ,  illustrés  par  Gustave  Doré  606 


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