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Full text of "Revue d'Alsace"

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REVUE    D'ALSACE 


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COLLABORATEURS 

DE    LA    REVUE    D'ALSACE 


H.  Bardy;  Berdellé;  Tabbé  I.  Beuchot;  J.  Bourgeois 
Charpentier-Page;  A.  Chauvin,  supérieur  de  récole  Mas- 
sillon:  Mgr.  Chèvre,  curé-doyen  de  Porrentruy;  A.  Chuquet, 
professeur  au  collège  de  France;  Dom  G.  de  Dartein; 
Adrien  Dollfuss;  Dubail-Roy;  D^  L.  Ehrkard;  Engel; 
A.  Gasser,  directeur  de  la  Revue;  Ed.  Gasser;  A.  Gendre  ; 
Mgr.  Guthlin;  R.  Guyot;  Pabbé  Hanauer;  P.  E.  Helmer; 
V.  Henry,  professeur  à  la  Sorbonne;  AngelIngold,  directeur 
delà  Revue;  A.  M.  P.  Ingold  ;  E.  Kellbr,  ancien  député; 
Ch.  Kœnig;  Ans.  Laugel;  Léon  Lefébure,  membre  de  l'Insti- 
tut; M.  le  pasteur  Lehr;  J.Lévy;  C.  Oberrbiner;  Ch.  Pfister, 
professeur  à  TEcole  normale  supérieure  de  Paris;  R.  Reuss, 
professeur  à  la  Sorbonne  ;  Vicomte  de  Reiset;  Th.  Schœll; 
G.  Schlumberger,  membre  de  l'Institut;  Jules  Schwartz; 
G.  Spetz;  l'abbé  Jules  Wagner;  Th.  Walter;  A.  Waltz, 
bibliothécaire  de  Colmar  ;  D'  Weisgerber;  E.  Wetterlê, 
député  au  Reichstag  ;  J.  Wirth,  etc» . . .,  etc. . . . 


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REVUE 

D'ALSACE 


Fondateur  :  JOSEPH  LIBLIN 

DIRECTEURS  : 

A.    GASSER    ET    A.    INGOLD 


QUATRIÈME  SÉRIE  :  HUITIÈME  ANNÉE 

TOME  LVIII"  DE  LA   COLLECTION 


PARIS 

A.  Picard,  rue  Bonaparte^  82 

Mantoche 

COLMAR 

^HauU- Saône) 

Place  neuve,  8 

1907 


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77^ 


Han-ard  Col!e;.^e  Library 

APR  18  1908 

Holicnzol'ici-n  CnDection 
Giftof  A.  f,.  C.:---".K!sçe 


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LES  TROUBLES  DE  1789 

DANS  LA  HAUTE -ALSACE 


CHAPITRE    PREMIER 

Fermentation  générale.  —  Le  maréchal  de  Stainville.  —  Les  impositions 
seigneuriales.  —  La  Commission  dénonce  publiquement  Piantililé 
des  Bureaux.  —  Réflexions  du  Bureau  de  Colmar.  —  L'autorité 
est  déconsidérée.  —  Insurrection.  —  Arrêt  du  3  juin.  —  Récla- 
mations des  Bureaux.  —  Intervention  de  Renbell  et  des  dépntés 
d*  Alsace. 

Ce  n'était  pas  seulement  dans  les  classes  supérieures 
^e  la  société  que  Ton  dénonçait  c  le  despotisme  ministé- 
riel >,  que  l'on  s'élevait  contre  c  le  régime  vicieux 
«t  l'administration  arbitraire  »  de  Flntendant,  que  l'on 
condamnait  les  <  vexations  >  des  seigneurs  et  de  leurs 
officiers.  L'Administration  provinciale,  qui  s'était  donné 
la  mission  de  redresser  tous  les  torts,  avait  beaucoup 
-contribué,  par  ses  excitations,  à  vulgariser  ces  idées,  à 
les  répandre  parmi  le  peuple  ;  de  sorte  que  le  paysan, 
devenu  défiant,  voyait  des  abus  partout.  Il  avait  entendu 
•et  retenu  le  chiffre  énorme  des  Impositions  et  des  taxes 
«qu'il  payait  seul.  Aussi  les  droits  seigneuriaux,  les  privi- 
lèges et  les  exemptions,  qu'il  ne  pouvait  s'expliquer, 
lui  paraissaient  plus  clairement  que  jamais  comme  autant 
<i*injustices,  même  d^iniquités,  rendant  plus  intolérables 
les  charges  qu'il  supportait.  Et  comme  le  fardeau,  qui 
lui  pesait  si  lourd,  était  le  même  dont  souffraient  ses 
pareils,  il  s'ébaucha  chez  cet  homme  c  une  idée  neu^ne. 


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6  REVUE  D  ALSACE 

celle  d'une  multitude  opprimée,  dont  il  fait  partie,  d'un, 
grand  troupeau  épars  bien  loin  au-delà  de  Thorizon 
visible,  partout  malmené,  affamé,  écorché  >  »)  par  tous 
ceux,  quels  qu'ils  fussent,  qui  lui  paraissaient  vivre  à 
ses  dépens. 

Cet  homme,  d'abord  ombrageux,  devint  bientôt 
injuste  et  violent.  On  lui  avait  donné  l'espoir  d'un 
prompt  changement,  d'un  soulagement  très  prochain; 
il  se  persuade,  on  lui  a  persuadé  qu'il  y  a  droit;  et, 
comme  la  nouvelle  administration  lui  offrait  le  moyen 
d'en  hâter  l'avènement,  il  attaqua  sans  ménagement  ses 
contradicteurs  immédiats  et  intéressés,  les  prévôts,  les 
préposés  et  leurs  soi-disant  complices,  les  officiers  de 
justice.  Ce  ne  furent  plus,  depuis  ce  moment,  que  des- 
dissensions dans  toutes  les  communautés,  entre  les  anciens 
et  les  nouveaux  administrateurs,  nous  l'avons  vu  précé- 
demment; et  les  esprits  échauffés,  passionnés,  poursui- 
vaient leur  querelle  avec  toute  l'ardeur,  l'acharnement, 
l'obstination,  mais  aussi  avec  toute  la  ruse  du  paysan. 

C'était  au  plus  fort  de  la  lutte  qu'eurent  lieu  les 
élections  aux  Etats  généraux  et  que  chaque  assemblée 
de  communauté  rédigea  son  cahier  de  doléances.  Dès 
lors  plus  d'hésitation,  ni  de  doute.  Si  le  Roi  lui-même 
convoquait  toutes  les  communautés,  les  consultait,  les 
invitait  à  lui  faire  parvenir  <  leurs  vœux  et  leurs  récla- 
mations >,  c'est  parce  qu'il  avait  la  ferme  intention  de 
les  soulager,  c'est  parce  qu'il  voulait  faire  droit  à  leurs 
justes  revendications,  et  entendait  officiellement  les 
encourager  à  poursuivre  la  voie  dans  laquelle  elles 
s'étaient  engagées,  malgré  les  difficultés  et  les  obstacles^ 
que  les  représentants  ordinaires  de  l'autorité,  en  oppo- 
sition évidente  avec  la  pensée  du  maître,  n'avaient 
cessé  de  leur  susciter.  Aussi  les  communautés  conti- 
nuèrent à  s'assembler  sans  la  permission  de  l'Intendant 
comme  l'eussent  exigé  les  ordonnances,   bien   que   les 


i)  Taine,  Les  origines  de  ia  France  contemporaine;  la  Révolution  y, 
I,  chap.   1. 


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LES   TROUBLES   DE    I789 

Opérations  électorales  fussent  terminées  dès  longter 
Les  plaintes  et  les  récriminations  de  chacune  d*e 
très  diverses  dans  la  forme,  étaient  à  peu  près  ic 
tiques  au  fond  ;  et,  comme  il  n'y  a  rien  qui  un 
les  hommes  autant  que  la  communauté  d'intérêts,  i 
se  mirent  en  relation  les  unes  avec  les  autres  et  s'e 
taient  mutuellement  à  faire  valoir  et  à  soutenir  h 
réclamations  :  de  là  une  fermentation  générale. 

Dès  le  30  avril,  quelques  semaines  à  peine  aj 
les  élections,  le  maréchal  de  Stainville,  commanc 
supérieur  de  la  province,  fit  publier  et  afficher  pari 
une  ordonnance  dans  les  deux  langues,  renouvelant 
défenses  de  son  prédécesseur,  en  date  du  24  juin  i; 
contre  les  assemblées  illicites.  Il  était  informé,  disai 
de  l'esprit  d'insubordination  qui  se  répandait  parte 
sous  prétexte  d'assemblées  permises  par  le  Roi  p 
l'élection  des  députés,  on  excite  le  trouble  et  la 
mentation  dans  les  communautés.  Aussi  il  interdit  t 
attroupement,  rassemblement  ou  réunion  quelcon* 
sans  passe-port  signé  de  lui  ou  de  l'Intendant,  à  pe 
d'arrestation  immédiate  pour  les  contrevenants')- 

Le  maréchal  ne  se  borna  pas  à  faire  publier  C( 
ordonnance;    il   crut   devoir    payer   de  sa  personne 
visiter  lui-même  son  commandement.  Nous  n'avons 
de  renseignements  très  précis  sur  sa  tournée  d'insp 
tion  ;    nous   savons  seulement  que  le   1 5  mai  il  étai 


1)  •  Etant  informé  que  l'esprit  de  mutinerie  et  d'insubordinatio 
répand  depuis  quelque  temps    dans    plusieurs    endroits    et    que    sou 
prétexte  des  assemblées  qui  ont  été  autorisées  par  le  Roi  pour  Vélet 
des  députés  aux  Etats  généraux,  des  malintentionnés  se  croient  pe 
de  les  continuer  pour  exciter  le  trouble  et  la  fermentation,  étant  n^ 
saire  pour  le  bon  ordre  et  la  tranquillité  publique  de  prévenir  les  pro 
•  de  tels  abus,    renouvelons    les    défenses    précédemment    faites   par 
donnance    de   notre  .prédécesseur,    en    date  du  24  juin    1777,    de 
attroupements    ou    assemblées    illicites,   ainsi    que    de    toute    députi 
quelconque  par  troupe  ou  autrement,  soit  en  Alsace,  soit  ailleurs, 
y    être   duement    autorisés,    ou    munis   de   passe-port    de    nous,    ou 
l^Intendant  de  la  province,  sous  peine  d*étre  arrêtés  et  remis  aux  j 
qui  en  doivent  connaître,,  pour  être  punis  suivant  l'exigence  du  es 
a  rigueur  des  ordonnances  ».  (30  avril   i  789). 


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O  REVUE  D  ALSACE 

Neuf-Brisach;  le  r/  il  arriva  à  Colmar,  refusa  les  hon- 
neurs militaires  dûs  à  son  rang  et  se  contenta  d'un 
piquet  de  dragons  qui  lui  servit  d'escorte.  Le  i8,  le 
maréchal  se  rendit  à  Munster  et  sans  doute  à  Turck- 
heim  •),  où  sa  présence  ne  dut  pas  être  inutile  pour  le 
rétablissement  de  la  paix.  Il  revint  le  même  soir  à 
Colmar  et  repartit  précipitamment  pour  Strasbourg  où 
le  rappelaient  des  affaires  pressantes,  car  il  ne  rendit 
pas  même  à  Messieurs  de  la  Cour  la  visite  qu'il  en 
avait  reçue,  mais  pria  le  premier  Président  de  leur 
exprimer  tous  ses  regrets  et  se  promit  de  les  en  dédom- 
mager à  son  prochain  retour.  Malheureusement  il  ne 
put  tenir  sa  promesse,  parce  qu'il  mourut  subitement 
à  Strasbourg,  le  i"  juin,  à  deux  heures  du  matin  2). 

Cependant,  ni  l'ordonnance,  ni  les  efforts  personnels 
du  maréchal  ne  produisirent  grand  effet.  Le  bruit  s'était 
en  effet  répandu  et  avait  été  favorablement  accueilli 
partout  que  désormais  on  n'était  plus  obligé  de  payer 
aucun  impôt,  jusqu'à  ce  que  les  députés,  envoyés  à 
Versailles,  fussent  de  retour  dans  leurs  foyers.  Comme 
on  assurait  avec  persistance  que  telles  étaient  les  véri- 
tables intentions  de  Sa  Majesté,  et  qu'on  refusait,  surtout 
à  la  campagne,  d'acquitter  les  dîmes  et  les  impositions, 
la  Commission  intermédiaire  crut  devoir  donner  le 
démenti  le  plus  catégorique  à  ce  bruit,  dans  un  arrêté 
en  date  du  20  mai  1789.  Elle  fit  observer  que  les 
besoins  de  l'Etat  n'avaient  pas  diminué  par  le  seul  fait 


i)  Car  il  profita  de  cette  occasion  pour  visiter  les  dis  villes  dont 
il  était  grand-préfet,  visite  qu*il  avait  dû  remettre  jusque-lè. 

2)  Le  maréchal  logea  chez  Madame  de  Boug,  femme  de  feu  le 
premier  Président.  Dèt  son  arrivée  il  fit  visite  à  M.  de  Spon.  A  l'assem- 
blée des  Chambres  du  1  5  mai,  la  Cour  avait  décidé  qn*on  recevrait  le 
maréchal  de  Stain ville  comme  on  avait  reçu  autrefois  le  maréchal  des 
Contadts  :  visite  en  robe  de  tous  Messieurs  dans  la  matinée,  après  que 
le  commandant  aurait  envoyé  ou  se  serait  rendu  en  personne  ehex  le 
premier  Président,  et  à  condition  qu*il  rendit  lui-même  visite  pea  après 
à  tous  Messieurs.  La  Cour  décida  à  ce  propos  qa^on  ne  ferait  plus 
de  visite  en  robe,  ni  aux  évèques,  ni  aux  commandants,  et,  sans  vouloir 
se  lier  à  ce  cérémonial,  elle  adopta  pour  Tavenir  le  petit  costume  :  petit 
manteau  et  cravate,  que  Ton  avait  revêtu  en  1770,  lors  du  passage  de 
la  Dauphine  à  Colmar. 


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LES   TROUBLES   DE    I789  9 

<les  élections  et  qu'ils  exigeaient  impérieusement  le 
recouvrement  immédiat  de  l'impôt.  Sans  doute  on  devait 
-espérer  que  les  Etats  généraux  soulageraient  efficace- 
ment les  maux  dont  on  se  plaignait  partout;  mais  il 
fallait  attendre  ce  résultat  avec  confiance  et  soumission. 
C'est  pourquoi,  selon  les  instructions  qu'elle  avait  reçues, 
elle  enjoignit  aux  collecteurs  d'employer  <  les  moyens 
les  plus  rigoureux  >  contre  ceux  qui  montreraient  de 
la  mauvaise  volonté,  et  ordonnait  aux  municipalités,  à 
peine  d'être  l'objet  de  la  plus  grande  sévérité,  de  ne 
retarder  la  répartition  sous  aucun  prétexte.  Le  22  du 
même  mois,  le  Bureau  de  Colmar  stimula  le  zèle  des 
syndics  par  une  circulaire  spéciale  :  il  apprenait,  disait-il, 
que  l'assiette  et  le  recouvrement  des  impositions  avaient 
éprouvé  de  si  grands  retards  que  les  communautés  et 
même  les  syndics  personnellement  étaient  menacés  de 
poursuites  de  la  part  des  baillis  de  département.  11 
ordonnait  en  conséquence  que  les  syndics,  ou,  à  leur 
défaut,  un  membre  de  la  municipalité  présentassent 
aux  baillis  dans  la  huitaine,  au  plus  tard,  les  rôles  pour 
les  rendre  exécutoires,  et  vérifiassent  désormais  de 
quinzaine  en  quinzaine  les  registres  des  collectes  pour 
•constater  l'état  des  recouvrem-^nts.  De  plus,  afin  de 
-dissiper  tous  les  doutes,  il  alïirma  dans  l'arrêté  du  28 
que  convocation  aux  Etats  généraux  ne  signifiait  pas 
du  tout  permission,  autorisation  de  ne  plus  payer  l'impôt. 
Il  est  probable  que  les  autres  Bureaux  de  la  province 
prirent  des  mesures  analogues  pour  activer  le  recouvre- 
ment des  contributions  en  retard  et  vaincre  la  mauvaise 
volonté,  l'inertie  des  contribuables  et  peut-être  la  conni- 
vence des  municipalités.  Toutefois  leurs  efforts  échouèrent 
•complètement,  en  grande  partie,  on  peut  le  croire  du 
moins,  par  la  faute  de  la  Commission  intermédiaire. 

Nous  avons  suffisamment  fait  connaître  précédemment 
les  nombreux  et  puissants  adversaires  de  la  nouvelle 
Administration  provinciale.  L'Intendant  la  voyait  d'un 
mauvais  œil,  parce  qu'elle  amoindrissait  son  pouvoir  ; 
le  Conseil  souverain  s'était  refroidi  à  son  égard,  parce 


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lO  REVUE  1>ALSâCK 

qw^ene  30  souciait  assez  peu  de  la  légalité;  les  seigneurs 
et  les  piinces  la  combattaient  ouvertement,  parce  qu'elle 
ne  respectait  pas  les  droits  qu'ils  prétendaient  tenir  des 
traités  publics;  les  prévôts,  préposés,  magistrats  des 
villes  lui  étaient  hostiles,  parce  qu'elle  réduisait  leurs 
attributions  en  leur  opposant  des  municipalités;  et  tous 
ces  adversaires  réunis  cherchaient  à  lui  aliéner  les  sym- 
pathies de  l'opinion,  en  l'accusant  à  tort  ou  à  raison, 
dans  une  foule  d'écrits,  de  brochures  et  même  de 
pamphlets,  de  ruiner  la  province  par  une  mauvaise 
administration,  ou  tout  au  moins  par  une  administration 
mal  entendue,  et  de  grever  annuellement  le  budget 
d'une  somme  assez  ronde,  parce  qu'elle  coûtait  fort 
cher,  tout  en  prétendant  administrer  à  bon  marché  et 
pour  ainsi  dire  gratuitement. 

Dans  ces  conditions,  il  semble  réellement  que  la 
Commission  intermédiaire  ait  été  prise  de  vertige  en 
publiant,  à  la  veille  des  élections  pour  les  Etats  géné- 
raux, son  projet  d'établissement  des  Etats  provinciaux 
en  Alsace.  Au  lieu  de  réunir  comme  en  un  faisceau 
les  différents  corps  qui  composaient  l'Administration, 
afin  de  combattre  avec  plus  de  facilités  les  ennemis 
communs,  elle  jetait  de  propos  délibéré  la  division  dans 
son  propre  camp,  en  dénonçant  linutiiité  des  Bureaux 
de  district,  dont  elle  demandait  la  suppression!  Car 
prétendre  que  les  Bureaux  coûtaient  cher^  qu'ils  étaient 
un  rouage  inutile  et  dispendieux^  c'était  non  seulement 
.  discréditer  l'Administration  tout  entière,  puisqu'on  tenait 
tant  à  passer  pour  une  administration  gratuite,  mais 
encore  déconsidérer  particulièrement  les  Bureaux  aux 
yeux  de  ceux-là  mêmes  sur  lesquels  ils  avaient  quelque 
influence,  paralyser  leur  action,  surtout  les  blt^sser  eux- 
mêmes  au  vif  et  cimenter  d'une  singulière  façon  la  paix, 
l'union,  l'harmonie  qu'elle  leur  recommandait  sans  cesse 
avec  tant  d'instance. 

La  Commission  s'était  hâté  de  mettre  au  jour  son 
projet,  pour  deux  raisons.  D'abord  elle  voulait  préparer 
de  loin  les  esprits    à  la   suppression   des  Bureaux,    les 


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LES   TROUBLES    DE    1789 

habituer  à  cette  idée,  afin  d'éviter  le  mauvais  effet 
la  secousse  que  cause  toujours  la  surprise  ;  puis  < 
pensait  que  les  assemblées,  convoquées  pour  élire 
députés  aux  Etats  généraux,  auraient  également  à 
prononcer  sur  l'établissement  des  futurs  Ktats  pro\ 
ciaux  d'Alsace.  Mais  sur  ce  dernier  point,  du  mo 
elle  se  trompa,  nous  le  savons.  Au  surplus,  les  préoc 
pations  du  moment  et  la  nouveauté  d'élections  (|uc  l 
voyait  pour  la  première  fois,  avaient  quelque  \ 
détourné  pour  Tinstant  l'attention  publique  de  ce 
question. 

Cependant  les  six  Bureaux  de  la  province  n'oublier 
rien  ;  et,  aussitôt  qu'ils  en  trouvèrent  l'occasion  ou 
moment,  ils  protestèrent  contre  le  Mémoire  de 
Commission  et  les  accusations  dirigées  contre  eux. 
paraissent  tous  avoir  approuvé  les  Réflexions  du  Bun 
de  Colmar,  dont  ils  avaient  reçu  communication,  d' 
on  envoya  un  exemplaire  à  Neckcr  (24  avril)  et  c 
l'on  fit  imprimer  pour  être  répandues  dans  le  pub 
après  en  avoir  retranché  toutefois  <  tout  ce  qui  é 
trop  vif>.  Elles  sont  datées  du  28  mars;  en  voici  i 
courte  analyse  :  La  Commission,  dit  le  Bureau,  vi 
encore  une  fois  un  article  fondamental  des  Instructi 
du  Roi  qui  lui  interdit  de  rien  prescrire,  de  r 
faire,  si  ce  n'est  par  la  voie  des  Bureaux,  ou  les  J 
reaux  entendus;  parce  que  ceux-ci  sont  le  lien  nécessî 
qui  relie  les  municipalités  à  l'Assemblée  provinciale, 
sorte  que  toute  la  province  doit  tenir  les  projets  « 
a:tes  émanés  de  la  Commission,  pour  «le  résultat  ce 
biné  des  vœux  des  différents  Bureaux».  La  Commissi 
si  scrupuleuse  à  exiger  l'observation  des  rcglemc 
quand  il  s'agit  des  districts,  s'en  affranchit  elle-mé 
«  avec  une  continuité  qui  a  dû  affecter  ses  colla 
rateurs  >  >). 


1)  Le  Bureau  publia  ses  Réflexions  (qui  renfermaient  ses  vues 
Torganisation  à  donner  aux  futurs  Etais  provinciaux)^  sans  prei 
l'avis,  ou  demander  l'autorisation  de  la  Commission  intermédiaire,  p 


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12  REVUE    D  ALSACE 

Si  elle  avait  simplement  proposé  la  suppression  des 
Bureaux,  on  aurait  pu  lui  démontrer  qu'elle  se  tompait 
-dans  ses  calculs  et  qu'elle  ouvrait  la  porte  à  Tintrigue; 
mais,  elle  va  plus  loin,  elle  dénonce  publiquement  à 
la  province  leur  inutilité  et  les  frais  qu'ils  occasionnent. 
Les  Bureaux  avaient  le  droit  d'attendre  une  tout  autre 
récompense  de  leur  zèle  et  de  leur  patriotisme  ;  et  la 
Commission  aurait  dû  se  souvenir  que,  sans  leur  con- 
cours, elle  n'aurait  jamais  pu  instruire  sérieusement  les 
affaires  qui  lui  étaient  soumises.  D'ailleurs  quoi  qu'elle 
fasse,  quoi  qu'elle  dise,  elle  ne  peut  en  aucune  façon 
leur  refuser  <  quelque  part  à  la  gloire  que  ses  premiers 
travaux  lui  ont  acquise  >. 

D'autres  voix,  après  elle,  ont  depuis  réclamé  avec 
énergie  leur  suppression.  Mais  est-il  vrai  qu'ils  soient 
inutiles.^  Veut-on  obliger  les  particuliers  à  faire  le  voyage 
de  Strasbourg  pour  y  traiter  chaque  affaire  qui  les 
-concerne  et  à  constituer  dans  cette  ville  des  solliciteurs.^ 
Veut-on  envoyer  de  Strasbourg,  jusque  dans  les  parties 
•de  la  province  les  plus  reculées,  des  commissaires- 
enquêteurs,  ou  suivre  les  errements  tant  critiqués  de 
l'Intendance  qui  fait  instruire  par  le  canal  des  baillis 
de  département,  même  quand  il  s'agit  d'affaires  qui 
ne  souffrent  aucun  retard  ^  Les  membres  des  nouveaux 
'bureaux  de  district,  dont  vous  proposez  la  création, 
ne  seront  à  vrai  dire  que  des  facteurs  chargés  de  rece- 
voir les  requêtes  des  parties  et  de  distribuer  les  arrêtés 
-de  la  Commission.  Assurément,  dans  les  Bureaux  actuels, 
personne  ne  voudrait  de  cette  commission  que  remplira 
•bien  mieux  le  premier  venu  des  commis  des  postes,  à 
lui  tout  seul  ;  de  sorte  que  quatre  personnes  pour  com- 
poser ces  bureaux  de  création  nouvelle,  sont  tout  au 
-moins  un  vrai  superflu. 


-que,  on  chacun,  tout  sujet  du  Roi,  avait  été  invité  par  le  Roi  lui-même 
À  publier  librement  ses  idées  sur  le  bien  général,  en  particulier  du 
-royaume  comme  de  la  province.  (Registres  du  district,  28  mars  1789). 
Mais  pourquoi  le  Bureau  ne  voulait-il  pas  reconnaître  k  la  CommissioA 
•^ie  même  droit  ? 


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LES   TROUBLES   DE    1789 

La  répartition  des  impositions  exige  la  connaissan 
<  de  la  force  des  communautés  et  de  la  relation  da 
laquelle  elles  se  trouvent  avec  celles  qui  concoure 
pour  le  même  pied  de  lOO  livres»  i).  Si  vous  voul 
revenir  à  l'ancien  système,  une  seule  personne  sufiS 
pour  faire  toute  la  besogne,  et  les  injustices,  dont  ( 
se  plaint  si  vivement,  se  reproduiront  nécessairemer 
Pour  les  chemins,  ponts  et  chaussées,  canaux,  digue 
rivières,  églises,  presbytètes,  édifices  publics,  etc., 
faut  constater  les  besoins  et  les  ressources  des  localité 
la  fidélité  des  devis,  il  faut  surveiller  les  architecte 
entrepreneurs,  employés,  et  contrôler  les  travaux,  et 
Vous  avez  supprimé  les  inspecteurs  de  bâtiments,  q\ 
quelques  Bureaux  avaient  créés,  sous  prétexte  qu' 
coûtaient  trop  cher.  Or  sous  peine  de  rendre  tou 
surveillance,  tout  contrôle  impossible,  vous  serez  oblig 
de  vous  fier  aveuglement  à  tout  le  monde,  ou  ( 
rétablir  sur  un  large  échelle  le  système  des  inspecteui 
L'administration  des  forêts  communales  exige  une  co 
naissance  des  lieux,  du  sol  des  localités  que  jamais  1 
nouveaux  commiasaires  ne  pourront  acquérir,  et  voi 
n'ignorez  pas  les  embarras  qu'ont  causés  et  que  cause 
encore  les  forêts  !  Poiytr  examiner  avec  fruit  les  compt 
des  communautés,  au  nombre  de  1200  au  moins  da 
la  province,  il  faut  entrer  dans  le  détail  des  baux,  d 
adjudications,  etc.^  or  la  nouvelle  commission  ne 
pourra  pas  évidemment,  et  devra  tout  abandonner 
des  employés  qui  feront  ce  qu'ils  voudront.  D'aut 
part  les  membres  des  futurs  Etats,  comme  ceux  c 
leur  Commission,  ne  pouvant  s'éclairer  par  le  moy< 
des  districts  ou  des  Bureaux  que  l'on  supprime,  sero 
toujours  à  la  merci  des  commissaires  de  district,  do 
le  rôle  sera  tout  à  fait  passif,  des  baillis  de  départ 
ment  et  surtout  des  employés  du  secrétariat,  alo 
véritablement  tout-puissants. 


i)  Voir    tnr    le    pied -cent   :   L'Alsaa    au   xviii*   tsècU,    tome 
p^  431   et  9^ 


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14  ,  RKVUE   D  ALSACE 

Le  Bureau  expose  alors  ses  vues  sur  Torganisation 
à  donner  aux  futurs  Etats  provinciaux,  vues  que  nous 
analysons  en  note  pour  plus  de  brièveté,  et  termine 
en  rappelant  les  services  qu'a  rendus  l'Administration 
actuelle,  telle  qu'elle  est  composée,  surtout  en  ce  qui 
regarde  les  forêts  et  les  impositions.  Il  remarque  que 
le  projet  de  la  Commission  rend  complètement  inutile 
le  travail  déjà  fait  en  vue  de  la  confection  d'un  nouveau 
-cadastre,  si  nécessaire  pour  une  répartition  équitable  des 
contributions.  Enfin  il  n'oublie  pas  d'observer  que  les 
membres  des  Bureaux  ont  payé  de  leurs  personnes  à 
l'occasion,  et  que  la  confiance  personnelle  a  levé  les 
plus  grosses  difficultés  «  dans  un  temps  ou  les  chocs 
•d'autorité,  l'intrigue,  les  intérêts  particuliers,  et  tout  en 
un  mot  a  concouru  à  croiser  l'Administration  •.  Suppri- 
mer les  Bureaux,  c'est  donc  détacher  une  roue  de 
TAdministration,  une  roue  qui  n'embarasse  jamais,  mais 
<jui  ralentit  seulement  une  marche  trop  précipitée  «). 


i)  Les  manicipalités  devraient  remplaber  purement  et  simplement  les 
Gerickts.  Le  prévôt  les  présiderait  et  le  syndic  n*aurait  pliis  le  droit  que 
-de  requérir  et  de  (aire  exécuter  les  arrêtés  sous  la  surveillance  des 
prévôts,  qui  auront  de  plus  la  police  et  veilleront  aux  intérêts  des 
seigneurs.  La  province  restait  divisée  en  six  districts,  subdivisés  chacun 
en  six  arrondissements,  subdivisés  eux-mêmes  chacun  en  quatre  divisions 
égales  sous  le  rapport  de  la  population.  Chaque  division  nommait  on 
délégué  par  loo  feux;  ces  délégués,  réunis  au  cheMieu  de  l'arron* 
•dissement,  se  réduiraient  par  la  voix  du  scrutin  au  dixième,  lequel 
dixième  élirait  deux  députa  du  tiers.  Le  clergé  et  la  noblesse  de  Tarron- 
dissement  éliraient  également  un  député  de  chaque  ordre.  Tous  ces 
députés  des  trois  ordres  se  réuniraient  au  chef-lieu  du  district  et  choi- 
siraient parmi  eux  les  députés  aux  Etats  provinciaux  en  se  réduisant 
à  la  moitié,  de  sorte  que  les  Etats  compteront  \%  memlM-es,  savoir  3 
<de  Tordre  du  clergé,  3  de  la  noblesse  et  6  du  tiers  pour  chaque  district. 
Les  Etats  nommeront  la  Commission  intermédiaire  et  les  Bureaux;  la 
première  sera  présidée  par  le  président  des  Etats  et  comptera  orne 
membres  et  quatre  adjoints;  les  seconds  seront  composés  de  quatre 
membres  et  choisiront  leur  président  et  leurs  procureurs  syndics.  Les 
"Etats,  comme  la  Commission  et  les  Bureaux,  resteront  di*alM>rd  trois 
années  en  fonction,  puis  se  renouvelleront  par  tiers  tous  les  ans.  Les 
memiN-es  sortants  de  la  Commission  seront  remplacés  par  des  membres 
sortant  de  Bureaux.  Les  frais  de  cette  administration  (traitements,  indemni- 
tés, frais  de  bureaux  et  de  déplacement,  etc.)  étaient  estimés  à  la  somme 
ronde  de  1 33.000  livres.  Les  attributions  rei^>ectives  des  Bureaux  et  de 
4a  Commission  demeuraient  telles  que  les  avaient  déterminées  les  édita 


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LES  TROVVLWS  DE    1789  15 

La  scission  qui  s'était  produite  au  sein  de  l'Admi- 
mistration  provinciale,  ainsi  devenue  notoire,  publique, 
ne  pouvait  que  déconsidérer  aux  yeux  de  tous,  les 
Bureaux  comme  la  Commission,  et  ruiner  le  peu  de 
■crédit  qui  leur  restait.  On  s'explique  donc  que  leurs 
ordres,  malgré  les  menaces  de  rigueur  qui  les  accom* 
pagnaient,  aient  été  moins  respectés  que  jamais,  et  que 
4'invitation  de  procéder  sans  délai  au  recouvrement  des 
impositions  en  retard  ne  produisît  à  peu  près  aucun 
résultat.  A  cette  époque  de  surexcitation  et  de  trouble,' 
il  eût  fallu  à  la  tête  des  affaires  des  hommes  unis  de 
•cœur  et  d'idées,  mus  par  une  seule  volonté  et  ne  pour- 
suivant qu'un  seul  but.  Mais  alors  ^autorité  incertaine 
et  flottante  était  avilie  et  méprisée,  et  tous  ses  repré- 
sentants, aux  degrés  inférieurs  surtout,  jaloux  les  uns 
des  autres,  ne  songeaient  à  se  servir  de  leur  pouvoir 
que  pour  se  faire  valoir  et  se  contrarier  mutuellement. 

Sur  la  demande  de  la  Commission  intermédiaire, 
l'Intendant  venait  de  prononcer  les  condamnations  dont 
nous  avons  parlé  parlé  précédemment,  dans  l'intention 
'de  statuer  quelque  exemple,  mais  bien  inutilement, 
nous  le  savons;  et  le  Bureau  de  Colmar,  découragé, 
-avait  supplié  la  Commission  de  venir  au  secours  des 
municipalités,  tellement  abandonnées,  que  leur  existence 
tenait  du  prodige  :  on  ne  croyait  plus,  disait-il,  à  l'appui 
de  l'autorité  supérieure,  dont  les  arrêtés,  «  même  les 
plus  forts  > ,  pouvaient  être  impunément  foulés  aux 
pieds  !  Mais  ce  fut  pis  encore  après  que  le  malencon- 
>treux  projet  de  la  Commission  et  les  Réflexions  des 
Bureaux,  répandues  partout,  eurent  dévoilé  au  public 
4es  divisions  intestines  de  l'Administration.  Ainsi  le 
Bureau  de  Colmar,  se  sentant  désarmé  et  sans  force 
ven  présence  de  délits  forestaux  qui  se  multipliaient 
dans   le   district  d'une   manière   inquiétante,    réclamait 


de  1787.  Nous  ne  voulons  pas  dire  qae  ce  projet  fût  irréprochable; 
maU  U  avait  da  moins  cet  avantage,  qu'en  modifiant  la  composition  des 
«municipalités  et  les  attributions  des  syndics,  il  semblait  pouvoir  ramener 
»la  paix  dans  les  communautés. 


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l6  REVUE  D'ALSACE 

instamment,  le  29  avril,  Tintervention  du  Procureur 
général  en  des  termes  qui  étaient  l'aveu  de  son  impuis- 
sance :  <  Les  désordres  qui  se  commettent  dans  les^ 
forêts  avec  une  licence  qui  tient  de  la  révolte  contre 
l'autorité,  ne  sauraient  être  arrêtés  sans  employer  des 
moyens  extraordinaires.  Nous  réclamons  ceux  que  votre 
sagesse  trouvera  efficaces».  Le  même  Bureau  fut  insulté 
et  bravé  en  face  par  les  gens  de  Pfaffenheim  san»^ 
obtenir  jamais  la  moindre  satisfaction.  Le  prévôt  et  le 
Gertcht  de  cette  communauté  prétendaient  à  l'adminis- 
tration exclusive  des  forêts  communales;  ils  avaient 
confié  les  fonctions  de  garde-marteau  provisoire  à  l'un 
des  préposés,  nommé  Sébastien  Kueny,  et  ne  recon- 
naissaient point  le  sieur  Frick  qu'avait  nommé  à  titre 
définitif  la  municipalité  et  confirmé  la  Commission.  Ils 
marquaient  donc  les  arbres  du  marteau  forestal  qu'ils 
avaient  enlevé  de  force,  ordonnaient  des  coupes  à  leur 
gré,  et,  de  plus,  refusaient  absolument  d'extrader  les- 
papiers  de  la  municipalité  encore  entre  les  mains  de 
l'ancien  syndic  ').  Toute  l'habileté  et  toute  la  fermeté  du 


1)  Depuis  l'établissement  de  la  municipalité,  Pfaffen*'  nm  était  pro- 
fondément divisé.  Le  premier  syndic  élu,  nous  l'avons  dii,  savait  à  peine 
lire  et  écrire.  Dénoncé  pour  ce  fait  par  le  prévôt  et  la  municipalité,  il 
fnt  d'abord  sommé  par  le  Bureau  de  se  démettre  de  ses  fonctions  sans 
délai.  Cependant,  pour  ménager  son  amour-propre,  on  lui  permit  de- 
ooBtinner  et  de  terminer  Tannée.  U  avait  paru  sensible  à  cette  attention 
et  promit  de  donner  sa  démission  au  bout  de  l'an.  En  septembre  \  788^ 
lorsque  le  Bureau  l'avertit  que  le  moment  de  tenir  parole  était  venu, 
il  s'y  refusa  formellement,  de  sorte  qu'il  dut  être  révoqué.  Deux  com- 
missaires furent  envoyé  sur  les  lieux  pour  lui  faire  élire  un  successeur 
plus  capable,  et  l'on  profita  de  cette  circonstance  pour  renouveler  en 
partie  la  municipalité  qui  était  composé  de  parents.  Les  élections  eurent 
lieu  le  19  décembre,  non  sans  difficulté.  Mais  peu  après,  le  prévôt  Bussy 
et  le  Gericht  se  réconcilièrent  avec  l'ancien  syndic  et  firent  depuis  ce 
temps  une  guerre  acharnée  à  la  municipalité  et  au  nouveau  syndic.  Le 
bourguemestre  de  l'année  précédente,  qui  était  du  parti  du  prévôt,  refusa^ 
même  de  rendre  ses  comptes  à  la  nouvelle  municipalité.  L'intervention 
personnelle  du  général  de  VietiogoGF  ne  ramena  le  calme  qu'en  appa- 
rence, car,  aux  élections  de  février  1790,  le  prévôt  Bussy  devint  maire,  et 
le  premier  acte  de  son  administration  fut  de  destituer  le  garde-marteau 
Frick,  que  l'administration  supérieure  avait  toujours  maintenu,  malgré  la 
violente  opposition  qu'elle  avait  rencontrée  et  les  offres  réitérées  de 
démission  du  sieur  Frick.  Ce  n'était  donc  pas  la  paix  1  Au  surplus- 
Pfaffenheim  fut  sans  cesse  agité  durant  toute  la  Révolution. 


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LES   TROUBLES    DB    I789 


17 


Bureau  avaient  échoué  jusque-là  devant  l'obstination  de 
ces  gens.  II  ne  lui  restait  plus  d'autre  ressource  que  de 
citer  à  sa  barre  les  principaux  opposants  :  le  fils  du 
prévôt  et  le  préposé  Kueny.  Ceux-ci  comparurent,  mais 
ils  refusèrent  insolemment  de  livrer  les  papiers  dont  on 
leur  réclamait  la  restitution,  et  le  préposé  Kueny,  bran- 
dissant entre  ses  mains  la  clé  du  marteau  forestal  qu'un 
arrêté  lui  avait  enjoint  de  remettre  à  la  municipalité, 
menaça  même  de  faire  sonner  le  tocsin  si  Ton  tentait 
d'exécuter  les  ordres  du  Bureau,  ajoutant  qu'aussitôt 
les  habitants  se  rendraient  en  force  dans  les  forêts  pour 
les  mettre  «  à  blanc  estoc  >  !  C'était  en  quelque  sorte 
défier  le  Bureau  !  Aussi,  le  8  avril,  celui-ci  écrivit  à  la 
Commission  que  si,  dans  quinze  jours  les  entreprises 
de  Pfaffenheim  et  autres  lieux^  où  des  abus  analogues 
dans  les  forêts  s'étaient  produits"),  et  avaient  été  déférés 
à  la  Commission,  n'étaient  pas  sévèrement  punis,  il  se 
verra  forcé  d'abandonner  cette  partie  de  l'administration 
et  délaisser  le  tout  à  la  merci  du  plus  fort.  La  Com- 
mission ne  sut  que  recourir  à  l'Intendant  et  appela  la 
sévérité  de  ce  fonctionnaire  surtout  sur  le  prévôt  et  le 
Gericht  de  Pfaffenheim  ;  mais  ce  fut  en  vain  !  Le  8  juin, 
le  Bur^u  se  lamentait  encore  amèrement  que  les 
<  désordres  atroces  »  de  cette  communauté  n'étaient 
pas  réprimés;  et,  le  i8  juin,  une  nouvelle  dénonciation 
à  l'Intendant  fut  tout  aussi  inutile  que  les  précédentes 2). 

Du  reste  ce  n'était  pas  à  PfafTenheim  seulement  que 
soufflait  de  plus  en  plus  cet  esprit  de  révolte  et  d'in- 
subordination. Nous  n'avons  voulu  que  citer  un  exemple. 


1)  Par  exemple  à  Gueberschwihr,  où  le  prévôt  prétendait  que  ni  muni- 
cipalité, ni  Bureau  n'avaient  à  se  mêler  de  l'administration  des  forêts 
de  1*  communauté.  Aussi  il  faisait  couper  du  bois  à  sa  guise,  et  ses 
fils  maltraitaient  nn  jour  le  garde-marteau  qui  tenta  de  s'opposer  à  leurs 
entreprises.  Dans  une  visite  de  la  forêt,  la  municipalité  fut  même 
attaquée  par  les  gens  de  Pfaflfenheim,  qui  étaient  armés  de  haches  et 
de  couteaux. 

2)  Cependant  le  Bureau  obtint  une  légère  satisfaction  par  le  moyen 
du  président  de  Salomon,  qui  fit  extrader  à  la  municipalité  les  titres  et 
les  papiers  détenus  par  le  sieur  Runner. 

nvovn  d'Alêoce,  1907  2 


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l8  REVUE   D'aLSACE 

De  tous  côtés  les  nouvelles  les  plus  affligeantes  assaillaient 
le  Bureau.  C'était  journellement  des  conflits  à  Ribeau- 
villé,  à  Riquewihr,  à  Eguisheim,  à  Jebsheira,  etc.;  à 
Soultzbach  on  ne  voulait  plus  obéir  ni  au  prévôt  ni 
au  syndic,  et  le  Bureau  dut  avoir  recours  à  la  maré- 
chaussée (5  juin  1789).  A  Rouffach  la  municipalité 
demanda  la  révocation  immédiate  de  tous  les  employés 
de  la  ville,  afin  de  rétablir  la  tranquillité  et  de  mettre 
un  terme  à  l'insubordination  <  qui  est  arrivée  à  son 
comble»  (21  mai  1789).  A  Fortschwihr  le  syndic  refusa 
de  se  soumettre  même  à  l'Administration,  et  le  Bureau 
dut  lui  enjoindre  de  se  conformer  à  ses  -ordres,  «  de 
prêcher  d'exemple  de  déférence  et  de  subordination 
vis-à-vis  de  ses  chefs,  sous  les  peines  de  droit»») 
(juin  1789),  etc.  En  soumettant  les  doléances  de  la 
municipalité  de  Soultz  contre  le  magistrat  de  cette  ville 
à  la  Commission,  le  Bureau  supplia  celle-ci,  plus  instam- 
ment que  jamais,  d'obtenir  enfin  du  Roi  ou  des  Etats 
généraux,  une  ordonnance  qui  ne  permettait  plus  de 
contester  les  droits  de  l'Administration;  car  tous  les 
arrêtés  sont  littéralement  lettre  morte,  et  les  obstacles 
que  rencontre  le  Bureau  dans  sa  mission  étaient  si 
grands  et  si  nombreux  qu'il  se  verrait  sous  peu  contraint 
de  tout  abandonner  (17  juin  1789). 

A  cette  date,  au  17  juin,  le  vœu  si  pressant  du 
Bureau  était  satisfait,  mais  d'une  manière  qui  n'était 
guère  de  nature  à  le  contenter.  Le  Bureau  de  Colmar, 
en  effet,  pas  plus  que  les  autres  Bureaux  de  la  province, 
ne  se  doutaient  pas  encore  qu'ils  avaient  dans  la  Com- 
mission intermédiaire  une  ennemie  irréconciliable,  tant 
le  secret  avait  été  bien  gardé  jusque-là.  Ils  ne  savaient 
pas  qu'elle  les  regardait  comme  la  cause  principale  de 
l'inefficacité  et  de  l'inutilité  de  ses  arrêtés,  et  qu'elle 
avait  demandé  et  obtenu  leur  suppression  par  un  arrêt 
du  Conseil  d'Etat  en  date  du  3  juin.  Son  Mémoire  sur 


i)  Le  prévit,   les  préposés  et  U  municipalité  avaient  porté  piminte 
contre  lai  et  dénoncé  les  mbas  d*autorité  quMl  se  permettait. 


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LES  TROUBLES   DE    1789  I9 

l'établissement  des  Etats  provinciaux  avait  sans  doute 
exprimé  sa  pensée  et  émis  discrètement  ce  vœu.  Mais 
l'opinion  publique  s'était  prononcée  en  faveur  de  leur 
•conservation,  après  la  publication  de  leurs  communes 
Réflexions  \  on  assurait  même  que  quelques  membres 
-de  la  Commission  partageaient  pleinement  cet  avis.  Ils 
étaient  tous  si  convaincus  que  ce  petit  différend,  tout 
à  fait  clos,  n'aurait  aucune  suite,  que,  le  i*^  juin,  le 
Bureau  de  Colmar  n^hésita  pas  à  envoyer  à  la  Com- 
mission copie  de  la  lettre  par  laquelle  Necker  lui 
accusait  réception  de  leurs  Réflexions,  ajoutant  qu'il 
avait  trouvé  un  encouragement  sérieux  dans  les  termes 
sympathiques  dans  lesquels  s'exprimait  le  ministre, 
€  lorsque  tout  concourt  à  croiser  ses  efforts  et  à  contrarier 
ses  desseins.  Necker,  disait-il,  promet  un  règlement 
-d'autant  plus  urgent  que  le  dégoût  se  manifeste  partout 
et  que  les  Bureaux  n'ont  plus  aucun  moyen  de  soutenir 
leur  zèle  ».  Et  précisément,  le  17  juin,  il  invitait  la  Com- 
iBission  à  joindre  ses  efforts  aux  siens  pour  hâter  la 
publication  de  ce  règlement  tant  désiré  !  Hélas  !  le 
Bureau  se  faisait  illusion  ;  et  il  ne  tarda  pas  à  s'aper- 
cevoir combien  il  fallait  se  défier  même  des  siens  et 
faire  peu  de  cas  des  promesses  ministérielles  ! 

Un  arrêt  du  Conseil  d'Etat,  rendu  en  commandement 
■le  3  juin  1789,  prétendait  donner  à  l'Administration 
provinciale,  qui  n'était  que  provisoire  jusque-là,  sa  forme 
définitive.  Le  Roi,  est-il  dit  dans  le  préambule,  s'est 
fait  représenter  les  édits  et  règlements  de  création,  les 
délibérations  de  l'Assemblée  provinciale  des  i*'  et 
-6  décembre  1787,  les  arrêtés  de  la  Commission  des 
II  et  22  mars  1788;  et,  comme  l'Assemblée  provin- 
ciale, à  laquelle  il  eût  appartenu  de  présenter  un  vœu 
<léfinitif,  n'a  pas  pu  être  convoquée.  Sa  Majesté  a  fait 
examiner  par  son  Conseil  les  Mémoires  et  représen- 
tations des  princes  et  des  seigneurs  de  la  province,  les 
observations  du  directoire  de  la  noblesse  de  la  Basse- 
Alsace,  du  comte  de  Hanau,  de  la  régence  de  Saverne, 
-etc.   Après  un  an  d'expérience  et  d'observation,   Elle 


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20  REVUE  D' ALSACE 

pense  maintenant  pouvoir  concilier  l'ancienne  constitu- 
tion de  la  province  avec  le  régime  nouveau  ainsi  qu'il 
suit  :  Sa  Majesté  a  reconnu  que  les  magistrats  des  Villes- 
impériales  peuvent  être  regardés  comme  de  véritables 
municipalités,  aux  termes  du  règlement  du  12  juillet. 
Il  en  est  de  même  de  tous  les  magistrats  des  villes  et 
Gerichts  des  villages  qui  sont  élus  par  la  communauté,- 
sauf  à  leur  adjoindre  <  un  syndic  municipal»;  les  magis- 
trats et  les  Gerichts  qui  se  régénèrent  eux-mêmes,  ou 
qui  sont  nommés  par  les  seigneurs,  devront  être  rem- 
placés par  une  assemblée  élective.  Sa  Maje3té  conserve 
les  régences  et  le  directoire  de  la  noblesse  et  a  réglé 
d'une  manière  spéciale  leurs  rapports  avec  la  nouvelle 
Administration,  mais  Elle  voit  avec  regret  la  nécessité 
de  supprimer  les  Bureaux  intermédiaires  et  les  Assem- 
blées de  district  ;  car,  placés  entre  l'Assemblée  provin- 
ciale et  les  régences,  ils  ne  serviraient  qu'à  entraver 
le  service  et  retarder  inutilement  la  marche  des  affaires.. 
Pour  plus  de  brièveté,  nous  donnons  en  note  une  courte 
analyse  de  cet  arrêt').  Disons  seulement  que  les  Bureaux- 


1)  L*arrét  se  divisait  en  deux  sections.  La  première  section  contenait 
30  articles.  Après  avoir  déclaré  quMl  n*était  rien  innové  à  la  constitution 
des  villes  impériales  (l),  le  Roi  promet  un  nouveau  règlement  spécial 
aux  quatre  villes  royales  (2)  et  décide  que  partout  ailleurs  il  doit  être 
établi  d2t  municipalités  composées  du  nombre  de  membres  fixé  par  le 
règlement  du  12  juiUet;  cependant  dans  les  villes  chef^-lieux  de  bailliage 
il  permet  d'élire  une  municipalité  de  douze  membres,  plus  le  syndic,. 
lorsqu'elles  ont  plus  de  500  feux  (3).  Les  seigneurs  conserveront  le 
droit  de  nommer  les  prévôts,  lieutenants  de  prévôt,  officiers  composant 
le  Gtricht  des  villages  ou  le  magistrat  des  villes,  en  tant  que  ces  officiers- 
ou  ces  assemblées  administrent  la  justice  ou  veillent  à  la  police  (5). 
Les  magistrats  ou  Gethhts  électifs  seront  en  même  temps  municipalités 
à  la  condition  de  ne  comprendre  que  le  nombre  de  membres  déterminé 
par  le  règlement  du  12  juillet,  et  de  s'adjoindre  le  seigneur  ou  Bon^ 
'  représentant,  le  curé  ou  le  ministre,  et  un  syndic  élu  comme  il  sera 
dit  plus  loin.  Si  le  nombre  de  leurs  membres  était  supérieur  à  celui 
fixé  par  le  règlement  du  12  juillet,  les  derniers  nommés  devraient  se 
retirer;  s'il  était  moins  fort,  on  lui  adjoindrait  ceux  qui  auraient  obtenu 
le  plus  de  voix  dans  les  dernières  élections  (6-10)  Ils  ne  resteront 
jamais  que  trois  ans  en  fonction,  quand  même  ils  étaient  d'ordinaire 
élus  à  vie  (13).  Dans  les  communautés  dans  lesquelles  le  seigneur  a  le 
droit  de  confirmer  les  membres  des  Gerichts  ou  magistrats,  on  lui  pré- 
sentera une  liste  de  trois  sujets,  s'il  doit  en  choisir  un,  de  quatre  s'il 
doit  en    choisir   deux,   ou    de   huit   s'il   doit   en    conErmer   quatre.    Le* 


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LES   TROUBLES   DE    I789 


31 


-étaient  remplacés  par  deux  ou  plusieurs  <  correspon- 
dants, nommés  par  la  Commission  dans  chaque  district 
*(qui  recevaient  désormais  le  nom  d'arrondissement)  ;  ils 
-devaient  transmettre  aux  municipalités  les  ordres  et  les 
instructions  de  la  Commission,  faire  les  enquêtes,  sur- 
veiller et  recevoir  les  travaux  publics,  etc.  La  Com- 
-mission  conservait  néanmoins  le  droit  de  déléguer  des 
<commissaires  spéciaux,  si  elle  le  jugeait  à  propos. 


-seigneur  devra  désigner  dan^  la  quinza'ne  celui  ou  ceux  qu*il  aura 
choisis,  à  défaut  de  quoi  celui  ou  ceux  qui  auront  obtenu  la  majorité 
-seront  membres  de  la  municipalité  ipso  facto  (14015).  Les  Gérichts  et 
les  magistrats  qui  se  régénèrent  eux-mêmes  et  ceux  qui  sont  nommés 
par  les  seigneurs,  perdront  toute  fonction  administrative,  à  partir  de  la 
publication  du  présent  arrêt  et  seront  rempUcés  par  une  municipalité 
élue  conformément  aux  prescriptions  de  l'édit  de  juillet  1787.  Le  syndic 
-sera  élu  chaque  année,  le  premier  dimanche  de  septembre,  par  une 
assemblée  présidée  par  le  syndic  sortant,  et  à  laquelle  n'assisteront  ni 
le  seigneur,  ni  le  curé  ;  cependant  dans  les  communautés  dans  lesquelles 
4a  même  assemblée  était  à  la  fois  magistrat,  ou  Geticht  et  municipalité, 
la  présidence  appartiendra  au  bailli  et  à  son  défaut  au  prévôt  (18).  Le 
-seigneur  présidera  toujours  la  municipalité;  il  aura  à  sa  droite  le  curé 
et  à  sa  gauche  le  syndic.  En  cas  d'absence  du  seigneur,  son  siège 
restera  vide  et  le  syndic  proposera  et  recueillera  les  voix.  Si  le  seigneur 
-se  fait  représenter,  son  fondé  de  pouvoir,  s'il  est  son  fils,  son  gendre, 
«an  gentilhomme  sujet  du  Roi,  un  membre  de  régence,  un  bailli  ou  un 
prévôt,  occuperont  son  siège  et  présideront  à  sa  place.  Tout  autre 
-fondé  de  pouvoir  se  placera  à  la  droite  du  curé  (19-20).  Le  prévôt 
-sera  de  droit  le  représentant  du  seigneur,  à  moins  que  celui-ci  ne 
•donne  sa  procuration  à  quelqu'autre  (21).  Les  papiers  et  titres  seront 
remis  aux  municipalités;  si  cependant  un  titre  a  de  l'intérêt  pour  le 
-se  gneur,  celui-ci  le  conservera  à  son  greffe,  sauf  à  en  faire  délivrer 
«copie  à  la  municipalité  (26-28).  Tous  les  membres  des  municipalités^ 
'des  Gerichts  et  des  magistrats  éligibles,  auront  l'exemption  de  la  collecte, 
•de  tout  autre  recouvrement,  du  guet,  de  la  garde  et  autres  services 
4>ersonnels  (30). 

La  deuxième  section  réglait  les  relations  des  municipalités  avec 
l'Assemblée  provinciale  ou  la  Commission  intermédiaire  et  les  attributions 
-de  celle-ci  :  elle  comprenait  38  articles.  Les  Bureaux  et  les  Assemblées 
^es  districts  étaient  supprimés;  le  Roi  conservait  cependant  les  districti 
comme  division  territoriale  sous  le  nom  d'arrondissements.  Dans  chaque 
arrondissement,  la  Commission  aura  deux  ou  plusieurs  correspondants, 
•dont  les  fonctions  seront  de  transmettre  aux  municipalités  les  ordres  et 
4e8  instructions  de  la  Commission,  de  faire  les  enquêtes,  surveiller  et 
■recevoir  les  travaux  publics,  etc.  Cependant  la  Commission  pourrait 
-toujours,  en  cas  de  besoin,  nommer  et  envoyer  des  commissaires  spéciaux* 
Les  procureurs-syndics  actuels  des  districts  feront  fonction  de  correspon- 
<lants,  en  vertu  d'une  commission  qui  devra  être  renouvelée  tous  les 
4ins  (1-6).  Le  directoire  de  la  noblesse  et  les  régences  de  Saverne  et 
^e  Bouxwiller  recevront  communication  pour  avis  de  tout  mémoire, 
•requête,  etc.,  des  municipalités  de  leur  ressort  (7).  Seront  de  la  compé- 


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«a  REVUE  D  ALSACE 

Cet  arrêt,  qui  porte  la  date  du  3  juin,  ne  fut  expédié 
à  rintendant  que  le  19;  et  comme  alors  ce  fonction- 
naire se  trouvait  absent,  l'ordonnance  de  publication 
qu'il'  avait  à  rendre  ne  put  être  signée  que  le  29  juin» 
Jusque-là  cet  arrêt  demeura  secret.  Dans  les  derniers 
moments  cependant  on  en  apprit  l'existence,  mais  on 
n'en  connut  jamais  que  vaguement  les  dispositions. 
Toutefois,  sur  les  sollicitations  de  qui  avait-il  été  rendu  f 
Personne  ne  se  doutait  que  c'était  sur  les  sollicitations 
de  la  Commission  intermédiaire.  Sans  doute  les  nom- 
breuses réclamations  des  seigneurs  et  des  villes  contre 
l'Administration  provinciale,  adressées  soit  au  Conseil 
d'Etat,  soit  directement  en  Cour,  exigeaient  une  réponse» 
Mais  cette  réponse  fut  telle  que  la  Commission  la 
souhaitait,  ou  à  peu  près  :  ce  sont  ses  idées  qui  triom- 
phèrent, en  très  grande  partie  du  moins  '). 


tence  de  rAssemblée  provinciale  les  impositions,  les  ponts  et  chaussées, 
les  travaux  publics,  et  cela  dans  toutes  les  communautés  et  toutes  les 
villes  sans  exception.  La  répartition  se  fera  par  les  magistrats  ou  muni- 
cipalités sur  le  reçu  des  mandements  de  la  Commission,  qui  leur  arri- 
veront directement,  excepté  dans  les  régences,  lesquelles  recevront  les 
mandements  de  la  Commission  et  les  distribueront  à  leurs  communautés 
(9).  L'art.  23  établissait  la  responsabilité  des  magistrats  des  villes  impé- 
riales, corps  municipaux  des  villes  royales,  et  municipalités,  pour  tout 
fait  de  leur  gestion.  L'art.  26  attribuait  à  l'Administration  provinciale 
la  police,  administration  et  la  direction  de  toutes  les  forêts  communales 
et  mettait  sous  ses  ordres  tous  les  employés.  Les  articles  suivants 
défendaient  de  faire  des  coupes  dans  les  quarts  de  réserve  sans  la 
permission  du  Roi,  fixaient  les  manières  dont  se  feraient  les  adjudica- 
tions, supprimaient  les  caisses  forestales  auxquelles  étaient  substituées 
les  caisses  des  revenus  patrimoniaux  de  chaque  communauté.  L'art.  31 
maintenait  les  Chambres  forestales  que  certains  seigneurs  avaient  le 
droit  d'établir,  à  charge  par  elles  de  soumettre  aux  règlements  d^ 
l'Administration,  règlements  qui  leur  seront  toujours  communiqués  pour 
«vis,  avant  d'être  rendus.  Enfin  l'art.  37  rendait  aux  juges  seigneuriaux, 
avec  appel  au  Conseil  souverain,  la  jurisdiction  forestale  pour  tous  délits 
commis  dans  les  forêts  communales,  délits  qui  devaient  être  poursuivis 
provisoirement,  selon  les  règles  prescrites  par  les  ordonnances  aux  maî- 
trises. Sa  Majesté  promettant  sous  peu  un  règlement  spécial  qui  fixerait 
la  procédure  à  suivre,  les  peines  et  amendes  à  infliger,  etc.  Dès  mainte; 
nant  il  était  décidé  que  les  amendes  appartiendraient  aux  seigneurs  et 
les  dommages-intérêts  aux  villes  et  communautés. 

1)  Nous  disons  à  peu  prh^  parce  que,  dans  une  lettre  du  l«'  juillet,. 
la  Commission  se  plaint  À  Necker  que  l'arrêt  fait  la  part .  des  prévôts 
trop  belle,  leur  donne  trop  de  droits  et  par  conséquent  d'importance, 
attendu    qu'elle   les  regardait    comme    la    véritable    cause   de    tous  -les 


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LES   TROUBLES   DE    I789  2$ 

Nous  avons  vu  précédemment  le  rôle  modeste  que 
les  édits  de  création  faisaient  à  l'Administration  provin- 
ciale. En  ne  lui  attribuant  que  la  répartition  et  le 
recouvrement  des  impositions,  les  travaux  communaux, 
l'administration  des  revenus  des  communautés  et  de 
leurs  propriétés,  les  forêts  exceptées,  en  lui  refusant 
expressément  toute  <  autorité  exécutrice  »  et  toute 
<  juridiction  >,  la  loi,  évidemment,  entendait  la  maintenir 
dans  une  position  en  quelf|uo  sorte  subordojmée,  et  la 
mettre  tout  au  moins  sous  la  haute  surveillance  de 
l'Intendant,  auquel  elle  réservait  d'ailleurs  le  contentieux 
sans  exception.  Or  la  Commission  intermédiaire  ne 
s'accommoda  jamais  de  cette  espèce  d'infériorité,  et 
tout  en  invoquant  hautement  et  à  tout  propos  la  pureté 
de  ses  vues  patriotiques,  son  zèle  généreux  pour  le 
service  du  Roi  et  les  intérêts  de  la  province,  son 
désintéressement  à  toute  épreuve,  elle  ne  perdit  jamais 
de  vue  son  intérêt  personnel  et  n'omit  rien  pour  faire 
agrandir  ses  attributions,  secouer  la  tutelle  importune 
de  l'Intendant  et  se  créer  une  position  indépendante. 
Cest  ainsi  que  dans  une  lettre  au  Contrôleur  général, 
du  10  juin  1788,  elle  se  plaint  amèrement  du  rôle  effacé 
qu'on  veut  lui  assigner  :  «...  Nous  éprouvons  jour- 
nellement des  contrariétés  sans  nombre  de  la  part  des 
subordonnés  de  M.  l'Intendant.  Une  grande  partie  des 
baillis  de  département,  en  méconnaissant  nos  attributions 
et  nos  arrêtés,  n'entendent  pas  s'écarter  de  l'ancien 
régime.  Il  en  naît  des  conflits  qui  produisent  le  plus 
mauvais  effet,  mettant  les  municipalités  et  les  habitants 


désordres  q'u*oii  avait  eu  à  déplorer.  D^autre  part  nous  savons  que  le 
ministre  avait- communiqué,  pour  avis,  à  la  Commission,  les  mémoires  et 
les  plaintes  des  villes  et  des  seigneurs  le  1 1  août  1 788.  La  Commission 
y  répondit  par  un  long  mémoire  en  décembre  1788,  et  le  ministre 
préparait  alors  un  rapport  général  sur  la  question.  D'après  une  lettre 
de  l'avocat  an  Conseil  d'Etat,  Parent,  à  la  chancellerie  de  Ribeauvillé, 
en  date  du  28  décembre  1788,  il  se  proposait  de  déclarer  véritables 
municipalités  les  villes  impériales,  prétoriennes  royales  (c'est-à-dire  les 
villes  royales)  ^t  les  villes  seigneuriales.  Comment  et  pour  quelles  raisons. 
le  gouvernement  changea-t-il  d'avis  et  adopta-t-il  les  théories  de  la 
Commission  intermédiaire  ?  Nous  l'ignorons. 


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24  REVUE    d'aLSACE 

dans  Tincertitude  de  savoir  à  qui  s'adresser  et  à  qui 
obéir.  Elles  se  trouvent  entre  deux  espèces  d'autorités 
qui  les  laissent  dans  une  incertitude  dangereuse  ;  et, 
comme  nous  n'avons  pour  ainsi  dire  aucun  pouvoir 
exécutif,  il  ne  peut  qu'en  résulter  de  grands  inconvé- 
nients pour  TAdministration  et  des  plaintes  continuelles, 
qui,  fatigantes  par  elles-mêmes,  nous  ôtent  l'espèce  de 
considération  qui  peut  seule  flatter  ».  Et  comme  ses 
réclamations  n'avaient  été  écoutées  qu'en  partie  par  le 
Gouvernement  :  <  Si  nous  n'avons  rien  à  dire  aux 
adjudications  des  revenus  patrimoniaux  des  villes,  oa 
nous  considérera  évidemment  «comme  des  subordonnés» 
de  l'Intendant,  <  et  cette  qualité  ne  petit  nous  convenir 
à  aucun  éçard!>  Le  3  janvier  1789,  à  propos  des 
travaux  du  Rhin,  elle  fait  à  cœur  ouvert  ses  doléances 
à  Necker  et  implore  l'appui  de  ce  ministre  pour  arriver 
à  ses  fins  :  <  Depuis  quinze  mois,  dit-elle,  le  Gouver- 
nement n'a  prononcé  définitivement  sur  aucune  de  nos 
réclamations.  La  ligne  de  démarcation  entre  l'Intendant 
et  l'Administration  provinciale  n'est  pas  encore  fixée. 
Il  en  résulte  une  lutte  fatigante  pour  nous  et  une 
anarchie  qui|  met  tout  en  souffrance.  Chaque  attribu- 
tion, que  la  sagesse  du  Gouvernement  nous  a  confiée, 
nous  est  contestée.  La  décision  provisoire  et  tronquée 
sur  les  forêts  «)  est  une  augmentation  de  désordres, 
parce  que  les  subordonnés  cherchent  à  multiplier  les 
embarras  pour  se  conserver  une  autorité  dont  ils  ont 
tous  abusé.  Les  municipalités,  contre  lesquelles  le  despo- 
tisme des  grands  propriétaires  et  l'intérêt  des  baillis 
de  justice  et  de  département  sont  conjurés,  sont  encore 
incertaines  de  leur  existence.  Les  efforts  qu'on  leur 
oppose  prouvent  mieux  que  tous  les  raisonnements 
l'utilité  de  leur  création;  et  elles  seraient  le  gage  de  la 


i)  Cédant  aux  importunités  de  la  Commission,  le  g^oavernement 
avait  attribué  à  TAdministration  provinciale  Padministration  des  forêt» 
communales,  à  la  réserve  des  celles  des  ville»,  réserve  qui  mécoutenta 
la.  Commission  :  de  là  Tezpression  de  <  décision  ironquU  »• 


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LES   TROUBLES    DE    1  789  «5 

;félicité  publique  si  elles  n'étaient  pas  troublées  sans 
cesse  dans  leurs  fonctions.  Le  zèle  avec  lequel  nous  avons 
•concouru  aux  vues  bienfaisantes  du  Gouvernement 
devient  un  motif  de  tracasserie  personnelle,  fâcheuses 
pour  des  gens  qui  donnent  gratuitement  leur  temps  et 
leurs  soins  à  la  chose  publique.  Mais  ce  qui  est  plus 
essentiel,  les  retards  qu'éprouve  Tarrêt  des  municipalités 
(il  est  question  de  l'arrêt  qui  fut  rendu  le  3  juin,  et 
qu'elle  sollicitait  avec  importunité  depuis  longtemps). 
•  donnent  lieu  à  une  incertitude  qui  ouvre  la  porte  à 
l'intrigue ...  En  sollicitant  ces  différentes  attributions, 
nous  n'avons  en  vue  que  le  bien  du  service  du  Roi 
et  des  peuples,  et  non  l'ambition  puérile  de  nous  mêler 
indéfiniment  de  tout...  Tant  que  nous  ne  serons  en  der- 
nière analyse  que  les  délégués  d'un  Intendant;  que 
nous  n'aurons  aucune  autorité  ;  que  nos  opérations 
seront  dépendantes  de  l'approbation  qu'il  voudra  bien, 
ou  ses  bureaux,  y  donner;  que  le  pouvoir  exécutif  de 
l'Administration  ne  nous  sera  pas  attribué,  il  devient 
impossible  que  des  citoyens  honnêtes  continuent  à  se 
dévouer  au  bien  de  la  chose  publique  qu'ils  pourraient 
faire,  et  qui  est  la  seule  récompense  qu'ils  puissent 
attendre  du  sacrifice  de  leur  repos.  La  franchise  avec 
laquelle  nous  vous  confions  nos  embarras,  doit  vous 
prouver.  Monsieur,  la  sincérité  de  notre  zèle  et  la 
•confiance  que  nous  avons  dans  vos  vues  et  dans  votre 
justice.  Les  Assemblées  provinciales  sont  votre  ouvrage, 
vous  les  soutiendrez  !...>. 

La  Commission  se  persuadait  que  l'extension  de 
ses  attributions,  qu'elle  sollicitait  avec  tant  d'ardeur  et 
à  tout  propos,  lui  était  réellement  dîie  et  ne  pouvait 
faire  question.  <  Nous  avons  cru,  écrivait-elle  à  Necker, 
-que  c'étaient  les  conséquences  nécessaires  de  ce  que  le 
•Gouvernement  avait  voulu,  en  établissant  les  Assemblées 
provinciales...».  Aussi  quand  il  lui  arrivait  d'outrepasser 
ses  pouvoirs  et  de  franchir  les  limites  que  les  lois  lui 
imposaient,  elle  s'imaginait  toujours  ne  tirer  que  ces  <  con- 
:séquences  nécessaires  »  et  agir  conformément  aux  pré- 


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26  REVUE  D'aLSACE 

tendues  intentions  qu'elle  supposait  au  Gouvernement 
en  vue  du  bien  public.  Nous  nous  flattons  que  nousr 
avons  €  Tapprobation  du  Gouvernement  >,  que  nous- 
sommes  soutenus  par  <  les  suffrages  de  la  plus  saine 
partie  de  la  province».  Et  puisqu'elle  ne  comprenait  pas 
comment  l'opposition  qu'elle  rencontrait  pouvait  être- 
fondée  sur  la  justice  et  le  droit,  elle  imputait  toujours, 
à  ses  adversaires  des  vues  intéressées  et  malhonnêtes^ 
On  a  vu  précédemment  de  quelle  manière  elle  soutenait 
que  les  droits  des  seigneurs  n'étaient  nullement  blessés 
par  les  nouveaux  édits.  Elle  ne  trouva  jamais  d'autres 
arguments  à  faire  valoir  •).  C'est  l'Intendant  cependant 
qui  excitait  plus  particulièrement  sa  mauvaise  humeur. 
Aussi,  non  seulement  elle  le  harcelle  sans  cesse,  le- 
menace  de  porter  ses  plaintes  en  Cour,  s'il  ne  consent 
pas  à  devenir  l'instrument  docile,  passif,  aveugle  de- 
toutes  ses  volontés,  lui  qui,  d'après  les  édits,  devait 
être  le  tuteur,  ou  tout  au  moins  le  guide  de  la  nou- 
velle Administration,  mais  encore  elle  le  dénonce  jour- 


i)  Voici  comment  la  Commission  elle-même  les  résume  dans  une 
lettre  à  Necker  du  6  décembre  1 788  :  L^établissement  des  municipalités- 
<  contrarie  des  intérêts  particuliers.  Les  grands  propriétaires,  ou  plutôt 
leurs  sous'ordres,  be  voient  avec  peine  dépouillés  du  droit  d^administrer 
les  communautés  dans  Pobscurité.  Le  contrôle  d'une  administration 
publique  les  eiïraye.  Il  en  résulte  des  réclamations  de  tous  genres.  On 
invoque  des  traités,  des  lettres  patentes,  auxquels  on  donne  un  sena 
forcé,  n'osant  pas  convenir  du  véritable  motif  d'opposition.  Les  magis- 
trats des  villes,  accoutumés  à  disposer  arbitrairement  du  ban  de  leurs- 
communes,  préfèrent  Tadministration  de  l'Intendant,  qui  ne  -pouvait  les 
surveiller  que  par  ses  subordonnés,  dont  ils  savaient  se  concilier  la 
surveillance.'  Les  municipalités  que  nous  avons  établies  malgré  les  pré- 
jugés et  les  intérêts  qui  semblaient  les  proscrire,  sont  le  seul  moyen^ 
pour  détruire  les  vices  de  Tadministration  intérieure  des  provinces,  et 
il  n^est  peut-être  aucune  parUe  du  royaume  où  il  soit  plus  nécessaire 
de  les  introduire  généralement.  Mais  si  le  Gouvernement  ne  les  soutient 
pas  d*une  main  ferme,  sans  considération  pour  des  droits  imaginaires  et 
dont  nous  avons  démontré  la  frivolité,  elles  seront  une  source  de 
désordres  intolérables,  et  il  vaudrait  mieux  y  renoncer.  Déjà  les  princes 
te  prévalent  de  la  lenteur  des  déterminations  de  la  Cour,  et  défendent 
aux  municipalités  Pexercîce  de  leurs  fonctions.  L'es  villes  en  font  de 
même.  Les*  baillis  de  justice  et  de  département,  dont  les  émoluments  se 
trouvent  restreints  et  la  conduite  éclairée,  y  mettent  une  oppositioiv 
sourde,  et  l'on  se  flatte  de  fatiguer  PAdministration;  le  dégoût  et 
le  découragement  sont  général  ;  dans  les  départements  tout  est  en^ 
souffrance  >. 


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LES   TROUBLES   DE    I789  2J 

nellement  pour  ainsi  dire  aux  ministres,  et  va  même 
jusqu'à  suspecter  sa  bonne  foi  ').  Le  but  qu'elle  pour- 
suit est  évident  ;  la  Commission  ne  craignit  pas  de  s'en 
ouvrir  franchement  au  maréchal  de  Stainville,  espérant 
le  gagner  en  s'adressant  à  sa  vanité  :  c  Messieurs  les 
Intendants,  lui  disait-elle  le  27  septembre  1788,  doivent 
être  réduits  (si  leur  puissance  ei^t  encore  jugée  néces- 
saire), aux  fonctions  de  commissaires  du  Roi,  qu'un 
commandant  de  province  pourrait  aussi  bien  remplir!» 
La  Commission  ne  pouvait  supporter  aucune  résis- 
tance, aucune  opposition,  pas  même  la  moindre  critique. 
Et,  comme  les  Bureaux,  nous  l'avons  vu,  ne  s'accom- 
modaient pas  de  ses  lenteurs,  qu'ils  considéraient  comme 
de  la  négligence,  se  permettaient  assez  souvent  de  la 
rappeler  au  respect  de  la  loi  dont  elle  avait  l'habitude 
de  s'écarter  trop  facilement,  et  n'acceptaient  pas  tou- 
jours de  bonne  grâce  les  observations  qu'elle  leur 
adressait,  elle  se  persuada  sans  peine  qu'ils  étaient  un 
obstacle  au  but  qu'elle  poursuivait,  au  bien  qu'elle  se 
promettait  de  réaliser.  Dans  son  Projet  sur  l'établisse- 
ment des  Etats  provinciaux  elle  avait  pour  la  première 
fois  fait  entendre  publiquement,  mais  encore  discrète- 
ment, qu'à  son  avis  les  Bureaux  n'étaient  point  néces- 
saires, que  l'Administration,  à  la  rigueur,  pouvait  se 
passer  de  ce  rouage,  plus  embarrassant  qu'utile.  Elle 
voulait  préparer  l'opinion  à  leur  suppression.  Mais  lors- 
qu'elle écrivait  à  Necker,  elle  n'avait  aucune  précaution 


i)  Foor  ne  pas  trop  multiplier  les  citations,  voici  en  quels  termes 
la  Commission  s'exprime  au  sujet  de  l'Intendant  dans  une  lettre  à  Necker 
du  6  décembre  1788  :  «...  Le  recours  au  commissaire  dépatti  multiplie 
les  embarras.  Cette  autorité  n'est  plus  respectée.  D'ailleurs  comment 
espérer  qu'un  homme  que  la  nouvelle  Administration  a  dépouillé  de  sa 
vice-royauté,  soit  de  bonne  foi  avec  elle?  Et  en  supposant  qu'il  le  fût, 
ses  subordonnés  ne  sont-ils  pas  intéressés  à  lui  mettre  des' entraves,  et 
le  désir  d'aller  d'anciennes  et  de  nouvelles  formes,  retarde  la  marche 
(des  affaires)  particulièrement  dans  cette  province,  où  les  Intendants  ont 
réuni  entre  leurs  mains  tous  les  geni-es  d'autorité  et  usurpé  les  pi'o- 
priétés  même,  en  se  donnant  des  arrêts  d'attribution  sur  des  parties 
d'administration  qui  ne  devaient  pas  les  concerner  si  on  avait  conservé 
quelque  respect  pour  les  droits  des  habitants  >. 


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28  REVUE   D'ALSACE 

-à  prendre,  et  exposait  franchement  à  ce  ministre  ses 
desseins  et  ses  vues.  Elle  le  fit  d'abord  en  lui  envoyant 
un  exemplaire  de  son  Projet;  elle  le  fit  une  seconde 
fois  en  lui  soumettant  ses  comptes,  d'août  1787  à  jan- 
vier 1789  :  €  Notre  opinion  particulière,  écrivit-elle  le 
27  janvier  1789,  est  que  la  province  pourrait  écono- 
miser en  totalité  les  frais  qu'occasionnent  les  districts, 
ou  au  moins  n'en  supporter  que  la  moitié  en  en  réunis- 
sant deux  sous  une  même  administration  >.  Nous  croyons 
que  la  province  demandera  cette  suppression,  ou  cette 
réduction,  par  l'organe  des  futurs  Etats  provinciaux  ; 
<  nous  avons  déjà  eu  l'honneur  de  vous  adresser  un 
projet  à  ce  sujet,  en  vous  faisant  connaître  que  l'Ad- 
ministration ne  pouvait  être  que  gênée  par  cette  con- 
currence d'autorités,  et  nous  en  sommes  d'autant  plus 
persuadés  que  les  prétentions  que  les  Bureaux  élèvent 
contrarient  essentiellement  nos  opérations.  D'un  autre 
côté,  nous  ne  pouvons  nous  dissimuler  que  les  admi- 
nistrateurs sont  trop  multipliés  et  accroissent  les  charges 
, publiques  >. 

Si  les  Bureaux  fatiguaient  la  Commission  par  leurs 
représentations,  ils  la  sollicitaient  d'un  autre  côté  d'agir 
en  Cour,  afin  d'obtenir  dans  le  plus  bref  délai  possible 
une  loi,  un  édit,  un  arrêt,  qui  mît  fin  à  cette  espèce 
^'anarchie  qui  désolait  la  province  et  que  nous  avons 
suffisamment  fait  connaître  d'ailleurs.  La  Commission, 
de  son  côté,  ne  cessait  d'importuner  le  Ministère  et  ne 
manquait  jamais  l'occasion  de  lui  représenter  combien 
il  serait  nécessaire  de  faire  exécuter  les  règlements 
jusque  dans  leurs  conséquences,  c'est-à-dire  d'agrandir 
les  attributions  de  l'Administration  provinciale,  de  lui 
soumettre  expressis  verbis  toutes  les  branches  de  l'Ad- 
ministration pour  ramener  la  confiance  et  la  paix,  rejetant 
sur  ses  adversaires  la  responsabilité  des  désordres,  dont 
-elle  était  la  cause,  par  elle-même  ou  par  ses  subordonnés, 
au  moins  pour  une  grande  partie.  Elle  avait  l'oreille 
de  Necker,  nous  l'avons  déjà  remarqué,  et  comme  elle 
^regardait  c  les   Assemblées  provinciales  >    comme  soa 


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LES  TROUBLES  DE   1789  29 

<  ouvrage  >,  elle  le  croyait  personnellement  intéressé  à 
procurer  le  développement  et  la  prospérité  d'une  œuvre 
ou  d'une  institution  qui  rencontrait  tant  d'oppositions. 
Elle  ne  se  trompa  pas  beaucoup.  Tout  d'abord  Necker 
lui  fournit  fidèlement  pour  avis  toutes  les  nombreuses 
requêtes  que  les  villes  et  les  seigneurs  avaient  adressées 
en  Cour,  pour  protester  contre  les  abus  d'autorité  de 
l'Administration  et  ses  empiétements.  Et,  dans  ses 
réponses,  la  Commission  ne  se  fit  pas  faute  de  vanter, 
selon  son  habitude,  la  pureté  de  ses  intentions,  la  sagesse 
de  ses  combinaisons,  son  amour  extrême  pour  le  bien 
public,  mais  malheureusement  contrariés  et  réduits  à 
l'impuissance  par  la  conjuration  de  ses  adversaires  aux- 
quels elle  prêtait,  nous  le  savons,  des  vues  du  plus 
sordide  intérêt').  Bien  plus,  en  décembre  1788  et  en 
mars  1789,  le  ministre  lui  communiqua  le  projet  même 
d'arrêt  sur  lequel  elle  lui  fit  faire  ses  observations  par 
M.  de  Dietrich,  son  agent  à  Paris,  trouvant  que  le 
second  projet,  déjà  remanié  une  première  fois  d'après 
son  avis,  s'écartait  encore  par  trop  des  principes  posés 
par  les  édits  de  1787,  et  usait  de  tels  ménagements 
envers  ses  adversaires  qu'il  ne  pouvait  en  naître  que 
de  nouveaux  désordres.  Tout  son  espoir  est  dans  le 
ministre  !  c  Cette  année  s'est  passée  dans  une  lutte 
fatigante,  et  nous  aurions  désespéré  de  la  chose  publique 
si  le  bonheur  de  la  France  ne  nous  avait  appelé  à  la 
tête  de  l'Administration  !  >  Il  semble  bien  que  le  projet 
fut  encore  corrigé,  au  moins  quelque  peu,  d'après  ses 
désirs  2),  non  pas  sans  doute  autant  qu'elle  l'eut  désiré. 


i)  C'est  à  cette  occasion  qae  U  Commission  composa  son  Mémoire 
de  décembre  1 788.  Le  Ministère  préparait  alors  un  rapport  général  sur 
la  question. 

3)  D'après  une  lettre  de  l'avocat  au  Conseil  d'Etat,  Parent,  à  la 
chancellerie  de  Ribèauvillé,  en  date  du  38  décembre  1 788,  il  était  admis 
en  principe  à  ce  moment,  que  l'on  déclarerait  véritables  municipalités 
les  villes  impériales,  prétoriennes  royales  (c'est-à-dire  les  villes  royales) 
et  les  villes  seigneuriales.  L'arrêt  du  3  juin  ne  consacra  pas  ces  prin- 
cipes. Toutefois  lorsque  la  Commission  eut  pris  connaissance  de  cet 
arrêt,  elle  ne  s'en  montra  que  médiocrement  satisfaite  et  fit  faire  dès- 
représentations  à  Necker,  comme  il  sera  dit  plus  loin. 


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30  REVUE  D'aLSACE 

mais  du  moins  les  plaintes  réitérées  de  la  Commission 
finirent  encore  pour  trouver  quelque  écho,  de  telle 
sorte  que,  le  23  mai  1789,  Necker  fut  heureux  de 
pouvoir  prévenir  la  Commission  que  l'arrêt  tant  désiré 
allait  incessamment  paraître.  Elle  l'en  remercia  vivement, 
le  3  juin,  et,  bien  persuadée  que  tous  ses  vœux  avaient 
été  entièrement  exaucés,  elle  ajoutait  que  tous  ses  efforts 
pour  rétablir  le  calme  seront  infructueux,  tant  que  ce 
nouveau  règlement  c  n'aura  pas  démontré  que  toute 
résistance  serait  désormais  vaine,  et  que  le  Gouverne- 
ment revêtît  d'une  sanction  légale  ce  que  nous  avons 
fait  par  ses  ordres  précis  >.  L'arrêt  fut  en  effet  rendu 
le  3  juin  suivant,  et  envoyé  à  l'Intendance  le  19,  avec 
prière  d'en  communiquer  une  copie  à  la  Commission, 
copie  qui  ne  lui  fut  remise  que  le  29,  nous  avons  vu 
précédemment  pourquoi. 

Dans  le  public  on  ignorait  complètement  les  solli- 
citations incessantes  de  la  Commission  auprès  du  Gou- 
vernement. Si  les  Bureaux  en  savaient  quelque  chose, 
ils  étaient  très  persuadés  que  ses  démarches  n'avaient 
d'autre  objet  que  de  procurer  à  l'Administration  pro- 
vinciale les  armes  nécessaires  pour  combattre  avec  avan- 
tage ses  adversaires  :  ils  ne  se  doutaient  pas  que  la 
Commission  les  mettait  eux-mêmes  au  nombre  de  ses 
adversaires  et  demandait  leur  suppression.  Ils  en  furent 
avertis,  fin  de  juin,  par  des  lettres  particulières  qui  leur 
faisaient  connaître  sommairement  le  contenu  de  l'arrêt 
encore  inconnu.  Le  Bureau  de  Colmar  en  fut  consterné! 
n  ne  se  sentit  même  pas  touché  des  profonds  change- 
ments que  l'Administration  allait  subir  à  tous  ses  degrés 
et  de  l'extension  donnée  à  ses  attributions.  Il  ne  fut 
affecté  que  d'une  seule  chose,  de  la  suppression  des 
Bureaux  intermédiaires.  Sans  tarder,  à  la  date  du  25  juin, 
il  demanda  des  explications  à  la  Commission.  D  a  peine 
à  se  persuader,  disait*!!,  qu*un  arrêt  si  important  ait 
été  rendu,  au  moins  sans  la  participatioa  de  la  Com- 
mission, D'un  autre  coté  il  ne  peut  se  figurer  que 
celle-ci  y  ait  prêté  les  mains  et  qu'elle  ait  jeté  dehors 


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LES   TROUBLES  DE    1 7  89  3I 

Jes  hommes  auxquels  elle  est  redevable  des  heureux 
résultats  de  son  administration.  Ce  serait  bien  mal 
récompenser  le  dévouement  de  ceux  qui  se  sont  véri- 
tablement sacrifié  au  bien  public,  que  de  les  remercier 
avec  un  tel  sans  façon  au  bout  de  deux  ans.  Toutefois  il 
espère  que  la  Commission  refusera  de  se  passer  du 
concours  si  précieux  des  districts  et  des  Bureaux;  car 
on  ne  conçoit  pas  qu'une  organisation  établie  par  une 
loi,  puisse  être  modifiée  ou  détruite  par  un  simple  arrêt, 
même  rendu  en  commandement.  Il  est  singuHer  que 
le  Ministère  lui-même  se  soit  porté  de  lui-même  à 
dénaturer  ainsi  l'Administration  csi  bien  accueillie  dans 
cette  province  >,  avant  qu'elle  eût  eu  son  assemblée 
générale,  qu'elle  ait  rendu  compte  de  ses  travaux  et 
<lonné  son  avis  sur  le  présent  et  l'avenir,  en  attendant 
les  Etats  provinciaux  dont  tout  le  monde  désire  le 
prochain  établissement.  Le  Bureau  espère  que  la  Com- 
4nission  fera  ses  réclamations  auprès  de  qui  de  droit, 
tout  en  assurant  que  lui-même  n'aspire  qu'au  repos  et 
ne  reste  en  fonction  que  pour  maintenir  c  la  subordi- 
nation et  la  tranquillité  publique  »,  dont  on  lui  est 
redevable  en  grande  partie  dans  le  district. 

En  même  temps  copie  de  cette  lettre  fut  envoyée 
-au  cinq  Bureaux  de  la  province  avec  prière  de  donner 
connaissance  à  celui  de  Colmar  des  réflexions  et  des 
résolutions  que  leur  inspirait  cet  incident  tout  à  fait 
inattendu.  Après  quelques  pourparlers,  on  décida  à 
l'unanimité,  sauf  Haguenau,  dont  l'attitude  fut  hésitante, 
•que  les  délégués  de  chaque  Bureau  se  rendraient  à 
Strasbourg  et  feraient  en  commun  les  démarches  dont 
l'arrêté  suivant,  qui  déterminait  la  mission  et  les  pouvoirs 
-des  deux  députés  de  Colmar,  fait  suffisamment  connaître 
l'importance  et  la  gravité,  t  Le  Bureau,  disait-il,  ne  peut 
plus  douter  de  l'existence  d'un  arrêt  du  Conseil  qui 
introduit  dans  l'organisation  de  l'Administration  provin- 
•ciale  des  changements  malheureux  et  influera  certaine- 
ment sur  la  composition  des  futurs  Etats  provinciaux. 
"Considérant   que   les  districts  sont  les   seub  liens  qui 


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32  REVUE  d'aLSACE 

par  la  volonté  du  Roi,  rattachent  les  municipalités  à. 
l'Administration  générale  ;  considérant  que  les  Bureaux 
actuels  ont  beaucoup  contribué  au  maintien  de  la  tran- 
quillité publique;  considérant  que  le  vœu  unanime  des 
Bureaux  (sauf  peut-être  Haguenau)  est  d'éclairer  la 
religion  du  Roi  et  de  l'Assemblée  nationale  sur  les 
dangers  de  ces  innovations  menaçant  la  province,  et 
de  reqtierir  officiellement  la  Commission  intermédiaire 
de  faire,  à  qui  de  droit,  les  représentations,  protestations,^, 
oppositions  nécessaires  pour  résister  à  cet  arrêt  surpris 
par  intrigue,  qui  ne  peut  ni  ne  doit  recevoir  quelque 
exécution  contre  la  teneur  d'une  loi  publique,  vérifiée 
par  la  Cour  souveraine  ;  considérant  que  ce  n'est  point 
au  moment  où  la  Nation  assemblée  proscrit  les  abus,, 
qu'il  faut  craindre  de  s'opposer  à  des  arrêts  qui  dans 
les  temps  les  plus  fâcheux  ont  toujours  été  regardés 
comme  des  actes  de  despotisme  ;  qu'il  n'est  permis  ni 
aux  Bureaux,  ni  aux  districts,  ni  à  la  Commission  inter- 
médiaire, ni  à  l'Assemblée  provinciale,  de  désobéir  à 
l'édit  du  Roi  pour  obéir  à  un  arrêt  rendu  en  commande- 
ment, sans  s'exposer  à  la  juste  animad version  de  l'As- 
semblée nationale;  il  a  été  arrêté  :  i®  que  MM.  Mueg 
et  Metzger,  accompagnés  du  secrétaire,  se  rendront  à 
Strasbourg  sans  délai,  pour  se  réunir  aux  députés  des 
autres  districts  et  se  concerter  sur  la  conduite  à  tenir 
en  cette  circonstance;  2**  que  ces  députés  se  présen- 
teront à  la  Commission  et  demanderont  communication 
et  copie  dudit  arrêt  ;  3**  qu'ils  proposeront  d'envoyer 
une  députation  à  TAssemblée  nationale,  afin  que  celle-ci 
protège  les  Bureaux  contre  les  abus  d'autorité  et  les 
défende  contre  des  innovations  qui  troubleraient  la  paix 
et  le  bon  ordre  dans  c  une  province  qui  a  été  jusqu'ici 
la  plus  tranquille  du  Royaume  >  ;  4**  ils  proposeront 
également  de  se  rendre  chez  M.  de  Chaumont  pour  le 
prévenir  de  leur  mission  et  le  prier  de  seconder  leurs 
vues  patriotiques,  l'avertissant  que  son  refus  pourrait 
entraîner  des  conséquences  qu'il  importe  d'éviter;  5®  ea 
tout  cas  lesdits  députés  protesteront  contre  tout  change- 


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LES   TROUBLES    DR    I789  ^;^ 

ment  qu'on  tenterait  d'apporter  à  l'édit  de  création  de 
l'Administration,  autrement  que  par  une  loi  duement 
sanctionnée  ;  et,  s'ils  le  jugent  à  propos,  ils  provoque- 
ront une  assemblée  générale  des  districts  et  inviteront 
la  Commission  à  ne  se  prêter  à  aucune  modification 
avant  que  l'Assemblée  provinciale  et  les  assemblées  de 
district  n'aient  été  convoquées  ». 

Bien  que  Ton  s'explique  l'irritation  des  Bureaux, 
les  résolutions  auxquelles  ils  s'arrêtent  et  l'attitude  qu'ils 
prennent  ne  peuvent  guère  se  justifier.  C'est  le  ren- 
versement des  règles  de  la  hiérarchie  ;  c'est  en  quelque 
sorte  l'Administratien  en  état  d'insubordination  vis-à-vis 
d'elle-même,  (^uoi  qu'il  en  soit,  le  programme  qu'avait 
tracé  le  Bureau  de  Colmar  à  ses  délégués  fut  exacte- 
ment rempli,  au  moins  dans  ses  points  essentiels.  Nous 
savons  en  effet  par  une  lettre  de  la  Commission  à 
Necker,  que  les  députés  des  Bureaux  se  rendirent  à 
Strasbourg  et  vinrent  signifier  à  la  Commission  le  refus 
des  Bureaux  de  se  dissoudre,  et  le  refus  des  procureurs- 
syndics  d'accepter  une  commission  quelconque,  fût-ce 
celle  de  correspondants;  au  premier  moment  on  n'av^ait 
pas  voulu  leur  donner  communication  de  l'arrêt,  mais 
après  quelque  hésitation  on  leur  permit  même  d'en 
prendre  copie. 

Pendant  que  ses  délégués  étaient  à  Strasbourg,  le 
Bureau  de  Colmar,  qui  parait  en  toute  cette  affaire  le 
mandataire  officieux  de  ses  collègues,  mit  le  député 
Reubell,  avec  il  était  en  relation  très  suivie,  au  courant 
de  ce  qui  venait  de  se  passer  et  lui  envoya  un  Mémoire 
en  vue  d'obtenir  de  rAssemhlêe  nationale,  s'il  était 
besoin,  le  rapport  de  cet  arrêt  du  3  juin.  Après  lui 
avoir  exprimé  la  joie  qu'il  ressentait  de  la  réconciliation 
des  trois  ordres  et  de  leur  réunion  sous  le  nom  d'As- 
semblée nationale  '),  le  Bureau  l'entretenait  de  ses  propres 


I)  Le  Bureau  chargeait  Reubell  de  remettre  au  Président  de  l'Assem- 
blée nationale,  s'il  le  jugeait  à  propos,   l'adresse  suivante  :  c  Le  Bureau 
intermédiaire  de  Colmar  manquerait  à  la   conlîance    dont    il    est   honoré 
Rtvut  d'Alsace,  1907  n 


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34  REVUE   D'ALSACK 

préoccupations.  Nos  ennemis,  dit-il,  veulent  renverser 
les  Assemblées  qui  sont  le  berceau  de  la  liberté.  L'In- 
tendant d'Alsace  a  dû  recevoir  un  arrêt  qui  supprime 
les  districts  et  les  Bureaux;  et  ceux-ci  ont  fait  leurs 
représentations  à  la  Commission  intermédiaire.  Les 
municipalités  ne  soupçonnent  pas  encore  l'existence 
de  ce  fatal  arrêt  ;  mais  elles  seront  c  attérées  >  aussitôt 
qu'elles  en  auront  connaissance.  De  plus  le  peuple 
croira  voir  dans  cette  modification  les  Etats  qu'on  lui 
promet  depuis  si  longtemps  et  il  estimera  certainement 
que  la  nouvelle  organisation,  tout  à  fait  aristocratique, 
qu'on  lui  impose,  est  beaucoup  plus  vicieuse  que 
l'ancien  régime.  On  se  sait  au  juste  sur  les  démarches 
de  qui  fut  rendu  cet  arrêt  ;  on  nomme  tout  haut  le 
bailli  de  Flachslanden,  MM.  de  Turckheim,  Schwendt 
et  Hell  ;  mais  le  Bureau  a  peine  à  le  croire.  Comme 
ledit  arrêt  est  formellement  contraire  à  l'une  des  décla- 
rations royales  lues  en  séance  publique,  on  pourrait 
peut-être  obtenir  de  l'Assemblée  nationale  la  défense 
de  ne  rien  innover  jusqu^à  ce  qu'elle  ait  achevé  la 
Constitution  dont  elle  promet  de  doter  la  France? 

Au  reçu  de  cette  lettre,  Reubell  soumit  la  question 
aux  députés  alsaciens  des  trois  ordres  réunis  en  con- 
férence. On  conclut  sans  contradictoire  que  cet  arrêt 
ne  pouvait  recevoir  aucune  exécution  dans  les  cir- 
constances actuelles,  c  Si  vous  deviez  éprouver  quelques 
difficultés  à  continuer  vos  fonctions,  disait-il  en  faisant 


par  ses  concitoyens,  s'il  ne  s'empressait  de  témoigner  en  leur  nom  à 
PAssemblée  nationale  les  sentiments  profonds  de  respect,  d*admiration 
et  de  reconnaissance,  dont  la  nouvelle  de  la  glorieuse  et  immortelle 
journée  du  27  juin  les  a  pénétrés.  Mais,  Nosseigneurs,  en  quels  termes 
pourrions-nous  vou^  exprimer  ces  sentiments  dont  ]*objet  n'a  point 
d'exemples  dans  les  fastes  de  l'Univers  et  dont  les  transports  surpassent 
tous  les  tableaux  de  l'imagination.  Nous  ne  pouvons  que  recommander 
cette  partie  de  l'Alsace  au  souvenir  et  à  la  protection  des  grands  hommes 
que  la  Providence  a  rassemblés  et  réunis  pour  restaurer  la  monarchie 
et  opérer  le  bonheur  commun  de  tous  les  Français  »,  L'Assemblée  fit 
répondre  en  termes  flatteurs.  Par  une  circulaire  spéciale  le  Bureau  de 
Colmar  donna  connaissance  de  cette  adresse  aux  autres  Bureaux  de  la 
province  et  les  invita  à  imiter  son  exemple. 


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LES  TROUBLES   DE    1789  35 

part  au  Bureau  de  cette  décision,  le  23  juillet,  aver- 
tissez-moi sans  délai;  je  n'ai  pas  dissimulé  à  la 
conférence  que  si  j'y  étais  forcé,  je  n'hésiterai 
pas  à  demander  à  l'Assemblée  elle-même  l'anéantisse- 
ment d'un  arrêt,  dont  la  seule  date  emporte  la  répro- 
bation >. 

L'arrêt  en  question,  qui  avait  été  remis  à  la  Com- 
mission intermédiaire,  le  i"  juillet,  par  M.  de  Chaumont 
{remplaçant  provisoirement  son  père  retenu  à  Paris 
pour  le  service  du  Roi),  mit  la  Commission  dans  le 
plus  grand  embarras.  D'un  côté  elle-même  fut  très 
surprise  de  ce  que  ses  vœux  n'avaient  pas  été  com- 
plètement exaucés;  elle  en  était  donc  très  peu  satisfaite; 
de  l'autre  elle  fut  effrayée  du  vif  mécontentement  que  cet 
arrêt  souleva  et  n'osa  pas  le  faire  exécuter,  c  L'arrêt 
favorise  trop  les  prévôts  qui  sont  la  cause  de  tout  le 
mal,  écrivait-elle  à  Necker  le  10  juillet,  et  par  consé- 
quent ne  produira  pas  grand  effet;  puis  il  modifie 
si  profondément  l'organisation  des  municipalités  qu'il 
nous  parait  difficile,  même  dangereux  de  le  faire  exé- 
cuter au  milieu  de  la  fermentation  générale,  d'autant 
plus  que  les  Bureaux  refusent  catégoriquement  de  se 
dissoudre,  et  leurs  membres  refusent  toute  commission, 
comme  celle  de  correspondant  par  exemple.  D'autre 
part,  certaines  dispositions,  comme  celles  qui  regardent 
les  forêts,  les  comptes  des  villes  et  communautés,  etc., 
devraient  recevoir  immédiatement  leur  application.  Pour 
les  forêts  cependant,  il  faudrait  un  arrêt  enregistré  du 
Conseil.  Bref,  autorisez-nous  à  différer  la  publication 
de  cet  arrêt  et  mettre  quand  même  en  exécution  ses 
prescriptions  au  fur  et  à  mesure  que  les  circonstances 
l'exigeront  ou  le  permettront  ». 

Les  Bureaux,  de  leur  côté,  sous  la  menace  d'une 
suppression  toujours  imminente,  sentaient  par  la  force 
des  choses  leur  zèle  se  refroidir.  Ils  devenaient  plus 
réservés,  plus  circonspects,  en  quelque  sorte  plus 
timides,    tandis    que    l'agitation,    la    fermentation    qui 


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36  RFA'UE  D'ALSACE 

augmentait  sans  cesse,  eut  exigé  de  leur  part  une 
plus  grande  ériergie.  Ce  ne  fut  donc  pas  trop  pour 
les  rassurer,  de  Tappui  d'un  homme,  qui  alors  déjà 
avait  quelque  influence  dans  l'Assemblée  nationale. 
Aussi,  le  30  juillet,  reçurent -ils  tous  copie  de  la 
lettre  de  Reubell  qui  releva  quelque  peu  leur  courage 
abattu. 

(A  suivre).  Ch.  HOFFMANN. 


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LES 

faïenciers  de  haguenau 

Suite  i) 


V. 
Joseph  Adam  Hannong  (i  761-1782). 

Après  le  décès  de  Paul  la  manufacture  de  Haguenau 
•demeura  unie  à  celle  de  Strasbourg,  entre  les  mains 
-de  ses  héritiers.  Joseph  nous  apprend  dans  une  de  ses 
lettres  que  la  gestion  en  fut  confiée,  d'abord  à  sor 
frère  —  Pierre  sans  aucun  doute  —  puis  à  Madame 
de  Lôwenfinck. 

Lui-même  se  trouvait  alors  à  Frankenthal.  Son  père 
lui  avait  cédé  cet  établissement  en  1759,  lors  de  son 
mariage,  Testimant  au  prix  de  125.273  liv.  Après  la 
cnort  de  Paul  il  commença  par  prétendre  que  cette 
•évaluation  était  exagérée  et  la  fit  réduire  par  ses  cohéri- 
tiers à  73.000  liv.  Puis,  comme  le  succès  répondait  fort 
peu  à  ses  espérances,  il  vendit  cette  usine  en  1761  au 
«comte  palatin  pour  la  somme  de  50.000  fl.  d'empircj 
-qu'il  employa  en  majeure  partie  à  Tacquisition  des  deux 
maisons  de  Strasbourg  et  de  Haguenau,  qui  devinrent 
:sa  propriété  exclusive.    D'après  une  requête  présentée 

1)  Voir  U  livraison  de  novembre*décembre  1906. 


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38  REVUE  D'ALSACE 

au  magistrat  de  notre  ville,  le  13  décembre  1762,  la 
part  qu'il  reconnaissait  à  ses  frères  et  à  ses  sœurs  dans 
l'héritage  paternel  se  réduisait  à  24.000  liv. 

Ses  débuts  furent  donc  loin  d'être  brillants.  A  Hague- 
nau  même,  il  rencontrait  les  conditions  relativement 
amoindries  que  présageait  l'arrêté  du  7  janvier  1760: 
obligation  de  payer  un  droit  de  sortie,  \o  pour  cent 
de  la  valeur  des  marchandises  exportées;  défense  de 
transporter  hors  du  ban  les  terres  propres  à  la  faïence, 
et  —  ce  qui  pouvait  devenir  plus  grave  encore  — 
concurrence  d'une  fabrique  rivale  que  son  frère  Pierre 
Antoine  installait  à  Haguenau  au  commencement  de 
Tannée  1762. 

Il  essaya  d'abord  d'échapper  à  ces  dernières  diffi- 
cultés en  se  faisant  recevoir  bourgeois  de  Haguenau  et 
en  sollicitant  directement  la  faveur  c  de  faire  enlever 
de  la  terre  glaise  de  cette  ville  pour  l'exploitation  de 
sa  fabrique  de  Strasbourg  ».  Le  droit  de  bourgeoisie  lui 
fut  accordé  sans  hésitation  (24  juin  1762);  mais  le  traité 
conclu  avec  lui  demeura  littéralement  conforme  à  celui 
qu'avait  obtenu  son  frère: 

Art.  I**  Il  aura  la  faculté  de  tirer  dans  l'étendue 
du  ban  les  terres  servant  à  l'usage  de  la  fayence; 

2**  Pour  raison  de  la  terre  qu'il  voudra  prendre  sur 
les  héritages  des  particuliers  propriétaires,  il  s'arrangera, 
avec  eux  de  gré  à  gré;  de  celle  qu'il  voudra  prendre 
sur  les  communaux,  il  payera  à  la  ville  un  droit  de 
vingt  sols  par  chaque  chariot  attelé  de  quatre  chevaux  ; 

3®  Il  luy  est  défendu,  ainsi  qu'à  tous  autres,  de 
transporter  ou  faire  transporter  de  ladite  terre  hors  du 
ban,  sous  peine  de  500  liyres  d^amende  et  de  plus 
forte  s'il  y  échet  en  cas  de  récidive,  se  réservant  le 
magistrat  la  faculté  exclusive  d'en  permettre  la  vente 
et  l'exportation  le  cas  échéant; 

4**  Il  se  fera  recevoir  au  serment  des  bourgeois  de 
cette  ville  et  comme  tel  jouira  des  privilèges  et  suppor- 
tera  les  charges  ordinaires,  excepté  le  logement  des- 
gens  de  guerre,  excepté  le  cas  de  foule; 


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LRS   FAÏENCIERS   DE   HAGUENAU  39 

S*  A  regard  du  bois  de  chauffage,  le  suppliant  s'en 
pourvoira  en  payant,  à  l'instar  des  autres  bourgeois  et 
habttans  de  la  ville  ; 

6**  Il  lui  sera  permis  d'acheter  où  bon  lui  semblera 
pour  l'usage  de  sa  manufacture  le  plomb,  étain  ou  autres 
ingrédients,  en  en  payant  les  droits  d'entrée  usités  et 
sera  tenu  de  prendre  le  sel  dans  les  magasins  de  la 
ville  ; 

7**  Sa  marchandise  de  fayence  sera  sujette  au  pfund-- 
zùll  pour  la  sortie,  suivant  le  tarif  qui  est  i  â  par  fl. 
pour  celle  qu'il  fera  sortir  luy-même  et  le  double  payable 
par  les  étrangers  qui  en  exportent; 

8®  Les  ouvriers  qui  s'établissent  en  ville  seront  obligés 
de  se  faire  recevoir  en  la  commune  de  ladite  ville  et 
en  supporteront  les  charges. 

Le  suppliant  ne  se  soumit  qu'en  apparence  à  ces 
conditions,  s'efforçant  de  renverser  les  barrières  qu'on 
dressait  devant  lui.  Il  revendiqua  la  jouissance  exclusive 
des  terres  glaises  qui  se  trouvaient  sur  les  prés  de 
rhôpital  et  en  fit  transporter  plus  ou  moins  clandestine- 
ment à  Strasbourg.  Mal  lui  en  prit.  Le  sénat  déclara 
que  ces  terres  étaient  communes  aux  deux  manufactures 
de  la  ville  et  c  pour  leur  nsage  axclusif»,  nonobstant 
toute  convention  contraire  faite  avec  les  fermiers  de 
rhôpital.  En  conséquence  Joseph  fut  condamné  (3  août} 
à  500  liv.  d'amende  et  au  paiement  de  98  fl.  pour  les 
terres  exportées.  98  florins  ou  196  livres!  A  20  sols 
la  voiture,  cela  lait  196  voitures  à  quatre  chevaux, 
enlevées  dans  l'espace  de  peu  de  semaines.  Cette  ques- 
tioa  de  terres  glaises  n'était  point,  on  le  voit,  un  détail 
de  miniine  importance. 

Les  archives  se  taisent  ensuite  pendant  plusieurs 
annéesr  sur  les  destinées  de  notre  manufacture  :  elle 
partagea  sans  doute  avec  celle  de  Strasbourg  la  bonne 
et  la  mauvaise  fortune  de  leur  propriétaire  commun,. 
complètement  rassuré,  en  1766,  par  la  suppression 
définitive  du  monopole  de  Sèvres.  Voici  les  résultats 
des  inventaires  que  Hannong  dressa  vers  cette  époque^ 


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40  REVUE    d'ALSACE 

d'après  les  renseignements  fournis  par  lui-même  dans 
son  Mémoire  à  consulter  ')  : 

1766: 
actif:  152.265  liv.  ;    passif:  99.937  Hv.  ;   actif  réel  :  52.328  liv, 

1767: 
actif:  1Q5.489  liv.;  passif:  93.961  liv.;  actif  réel  :  101.528  liv. 

177O: 
actif:  253.441  liv.;  passif:  131.951  liv.;  actif  réel  :  12 1.490  liv. 

sans  compter  les  matériaux,  ustensiles  et  marchandises 
inachevées. 

A  ne  voir  que  ces  chiffres  —  s'ils  sont  exacts  — 
on  peut  trouver  que  la  situation  de  nos  manufactures 
n'était  pas  trop  mauvaise.  Mais  elle  ne  suffisait  point 
à  l'ambition  de  Joseph.  Il  se  croyait  appelé  à  de  grandes 
et  précieuses  découvertes.  La  porcelaine,  se  disait-il, 
par  sa  solidité,  vaut  dix  fois  plus  que  la  faïence  fine  et  ne 
coûte  que  le  triple;  même  dans  les  circonstances  actuelles 
les  consommateurs  intelligents  la  doivent  préférer.  Ce 
mouvement  deviendra  irrésistible,  universel,  le  jour  où 
le  prix  des  deux  marchandises  sera  le  même.  Or  ce 
jour  ne  saurait  être  éloigné,  ce  n'est  qu'une  question 
de  combinaisons  chimiques  et  de  pyrotechnie. 

Joseph  se  mit  donc  à  combiner,  composant  3600  diffé- 
rentes pâtes  qui,  soumises  c  chacune  à  lO  opérations 
pyrotechniques  »,  donnèrent  lieu  à  36.000  essais.  Il  y 
dépensa  beaucoup  de  temps,  d'intelligence  et  de  tra- 
vail, des  sommes  considérables  d'argent  qui  déjà  en 
1773  dépassaient  les  lOO.ooo  liv.,  sans  rencontrer  ce 
qu'il  cherchait.  Mais  s'il  n'atteignit  point  le  but  visé, 
il  croyait  le  serrer  de  près  et  comptait  sur  un  succès  aussi 
prochain  qu'infaillible,  lorsqu'éclata  tout  à  coup  un  orage 
inattendu,  soulevé  par  les  receveurs  de  la  Ferme  royale. 

Ceux-ci  s'avisèrent,  en  1774,  que  le  droit  de  3  liv.  par 
quintal,  que  depuis  cinquante  ans  nos  faïences  payaient  à 


l)  Adressé  au  Roi  le  22  février  1780.  Malheureusement  les  Piéceg 
justificatives  manquent  dans  Tezemplaire  dont  nous  disposons,  et  nous 
les  avous  vainement  cherchées  ailleurs.  Nous  siipprimon«  rindication 
des  sous  e:  deniers  qui  ne  servirait  qu*à   charger   inutilement   le  -texte. 


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LES   FAÏENCIERS    DE    HAGUEXAU  41 

leur  entrée  en  France,  n'était  qu'un  criant  abus.  Répudiant 
la  thèse  naguère  défendue  par  les  partisans  du  monopole, 
ils  prétendaient  que  si  l'Alsace  était  française,  ses  manu- 
factures n'en  étaient  pas  moins  effectivement  étrangères. 
Par  suite,  leurs  produits  devaient  être  considérés  comme 
étrangers,  et,  conformément  aux  arrêtés  des  26  février 
1692,  10  juillet  1696  et  12  septembre  1714,  payer  par 
quintal,  la  faïence  20  liv.  et  la  porcelaine  ichd  liv.,  soit, 
avec  la  surtaxe  de  8  sols  par  livre,  28  et  140  liv.  Le 
chiffre  élevé  de  ces  nouveaux  droits,  qui  dépassait  sou- 
vent la  valeur  des  marchandises,  avait  une  portée  prohi- 
bitive, qui  fermait  à  Hannong  et  à  ses  produits  le  marché 
de  la  France. 

Il  en  résulta  une  polémique  assez  vive  au   premier 
moment.  Les  deux  parties  trouvaient  dans  la  situation 
exceptionnelle  de  la  province  des  arguments  en  laveur 
de  leurs  prétentions  respectives.  Hannong  pouvait  invo- 
quer en  outre  Tarrêt  non  révoqué  de  1696,  obtenu  par 
Dumontet  pour  les  faïences  de  Haguenau,  la  longue  et 
paisible  possession  du  privilège  dont  il  jouissait  depuis 
-cinquante  ans.    Tous  ses  protecteurs  de  Paris  et  de  la 
province  s'accordaient  à  lui  annoncer  le  succès  certain 
de  ses  efforts.    L'administration   centrale  lui  était  favo- 
rable.   L'intendant  d'Alsace,    consulté    par  le   ministre, 
-comte  de  Saint-Germain,  s'était  prononcé  chaleureuse- 
ment pour  sa  cause.    Bien  plus,    c  les  manufactures  de 
Niderviller,  Saint-Clément,  Bellevue  et  Maïeux,  sises  aussi 
dans  des  provinces  réputées  étrangères,  auxquelles  on 
avait   égalemeut  contesté    cette    liberté  de    commerce, 
réussirent   à    obtenir,    dès    1775,    une    diminution    con- 
sidérable sur  les  droits  demandés,    réduits  à  8  liv.  par 
quintal.   En  l'absence   de   renseignements   plus  directs, 
•on  est  forcé  d'admettre  que  si  Hannong  n'a  pas  eu  dès 
lors  la  même  faveur,   c'est  qu'il  ne  l'a   point  sollicitée 
sérieusement,   réclamant   le  maintien  pur  et  simple  du 
statu  quo  ante  bellum^  ou  retardant  de  propos  délibéré 
la  fin  du  conflit  pour  des  raisons  financières  que  Ton 
-comprendra  plus  tard. 


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42  REVUE  d'aLSACE 

C'est  néanmoins  par  une  transaction  du  même  genre- 
que  la  question  finit  par  être  réglée  à  Haguenau  comme- 
ailleurs.  Apostillant,  en  1788,  une  requête  du  faïencier 
Volet  qui  demandait  entre  autres  l'entrée  en  franchise 
de  ses  marchandises  en  France,  le  préteur  royal  de- 
Haguenau,  de  Cointoux,  écrivait  à  l'intendant  de  la 
Galaizière  :  c  Personne  ne  sait  mieux  que  vous  combien 
il  est  malheureux  pour  cette  province  d'être  regardée 
tantôt  comme  étrangère  effective^  tantôt  comme  réputée 
étrangère^  tantôt  pour  province  ordinaire,  et  toujours 
pour  payer.  Le  sieur  Hannong,  d'après  la  protection 
qu'il  vous  avait  plu  lui  accorder  vous-même,  avait 
obtenu,  si  ce  71  est  une  exemption  totale^  du  moins^ 
une  réduction  notable  de  ces  droits  >.  Hannong  dit  lui- 
même  dans  son  Mémoire  que  le  c  cardinal  de  Rohan 
obtint  la  modération  de  ces  droits  en  très  peu  de  temps 
et  dès  qu'il  l'a  sollicitée  en  son  nom  ».  Les  pièces 
justificatives  42  et  55,  auxquelles  il  renvoie,  nous  édi- 
fieraient complètement  à  cet  égard.  Mais  faute  de  les- 
pouvoir  consulter,  je  me  bornerai  à  noter,  d'après  une 
autre  de  ses  publications,  que  la  concession  fut  faite, 
non  à  lui,  mais  à  son  concierge  Dietrich,  ce  qui  sup- 
pose qu'elle  a  eu  lieu  pendant  sa  détention  au  Fort  Blanc. 

La  crise  dura  de  la  sorte  ici  plusieurs  années.  Qu'a 
pu  faire  pendant  cette  épreuve  notre  industriel,  gêné- 
,dans  le  placement  de  ses  marchandises?  Quelle  question! 
sera  tenté  de  s'écrier  plus  d'un  de  mes  lecteurs.  Il  aura- 
fait  ce  que  les  circonstances  exigeaient  de  lui.  Tout 
en  luttant  contre  les  prétentions  de  la  ferme,  il  aura 
cherché  à  se  créer  de  nouveaux  débouchés,  à  restreindre- 
sa  fabrication  au  strict  nécessaire,  à  éviter  toute  dépense 
purement  facultative,  attendant  avec  patience  le  retour 
de  jours  meilleurs.  Si  naturelle  qu'elle  paraisse,  cette 
réponse  serait  à  cent  lieues  de  la  vérité.  Joseph  réali- 
sait alors  un  plan  grandiose,  que  jusque-là  il  n'avait 
osé  entrevoir  que  dans  ses  rêves,  concentrant  ses  usines- 
à  Haguenau  et  les  réorganisant,  personnel  et  mécaniques^ 
sur  un  pied  complètement  nouveau. 


:A 


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LES   FAÏENCIERS   DE    HAGUENAU  4 J  . 

Haguenau  lui  présentait,  dit-il,  sur  Strasbourg  plu- 
sieurs avantages,  c  Le  magistrat,  pour  favoriser  mon 
établissement,  accordait  quelques  immunités.  Le  bois  y 
est  à  meilleur  prix;  les  terres  ordinaires  se  trouvent 
ou  sur  les  lieux,  ou  beaucoup  plus  près;  la  main-d'œuvre 
promettait  quelque  économie  >.  Enfin  son  esprit  spécu- 
latif pensait  que  les  barrières  industrielles,  qui  séparaient 
l'Alsace  de  la  France,  ne  tarderaient  pas  à  tomber,  sauf 
pour  Strasbourg,  «  excepté  à  cause  de  la  navigation 
du  Rhin  et  l'expédition  à  l'étranger  >. 

Quoique  indiquée  à  grands  traits  dans  son  Mémoire^ 
cette  translation  semble  inconnue  de  Tainturier  et  de 
ses  émules.  Nos  archives  renferment  de  nombreuses 
et  intéressants  documents  qui  s'y  rattachent. 

Le  plus  ancien  de  ces  documents  est  un  traité  conclu 
avec  notre  magistrat  le  ii  janvier  1776.  Cet  acte  assez 
long  comprend  17  articles.  Je  laisserai  de  côté  ceux 
qui  stipulent  pour  le  manufacturier  et  ses  ouvriers  des 
exemptions  de  charges  (impositions,  corvées,  tutelles^ 
logements  militaires)  plus  ou  moins  complètes,  transi- 
toires ou  permanentes.  Voici  ceux  qui  se  rapportent  à 
l'industrie  elle-même  »). 

Art.  X.  Le  magistrat  permet  au  sieur  Hannong  la 
fouille  du  communal  dans  la  banlieue  de  cette  ville  à 
charge  de  combler  et  applanir  les  trous  qu'il  pourra 
faire.  En  cas  de  découverte  de  quelques  matériaux  utiles 
pour  la  fabrication,  il  pourra  s'en  servir  en  payant  la 
redevance  de  4  sols  par  chariot,  avec  défense  d'en 
vendre,  se  réservant  expressément  le  magistrat  ce  droit. 
En  conséquence  défend  à  tout  bourgeois  possesseur 
propriétaire  des  communaux  défrichés  de  vendre  et 
exporter  au  dehors  de  la  banlieue  de  la  ville  aucune  terre 
ou  matière  propre  à  la  fabrication  de  la  porcelaine,  sans 
en  payer  à  la  ville  4  liv.  par  chariot,  sous  les    peines 


I)  V.  Reg,  de  déliàératioHS^  U  II,  p.  176.  Propositions  faites  par  le 
iienr  Hannonn^  poor  rétablissement  d*une  manufacture  de  porcelaine  et 
l'augmentation  de  celle  de  fayence.  A  été  convenu.... 


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44  REVUE   D  ALSACE 

A^  ^^^;#.    ^^.jf  a^   sieur   Hannong  à  s'arranger  avec  les 
des  communaux  défrichée  ou  autres  terres 
1er  et  tirer  des  matériaux. 
Il  sera  défendu  à  tous   manufacturiers  du 

e,  potiers,  tuiliers,  fouleurs  et  autres,  de 
ndre  des  terres  ou  autres  matériaux  de  la 
re  que  led.  fabricant  exploite  ;  et  celle  qu'ils 
ivrir  sera  éloignée  de  la  sienne  au  moins 
.  Par  contre  led.  sieur  Hannong  ne  pourra 
rendre  des  terres  ou  autres  matériaux  d'une 
exploitation  que  du  gré  de  l'exploitant,  et 
areillement  en  ouvrir  une  nouvelle  à  côté 
ince  au  moins  aussi  de  40  pieds,  sans  pré- 
ble  blanc  propre  aux  verreries,  pour  lequel 
■  Hannong  en  a  besoin,  il  s'arrangera  avec 
les  revenus  de  la  ville). 

Toutes  marchandises  achevées  ou  non  ache- 
té faïence  ou  de  porcelaine,  les  rtioules, 
subies  et  ustensiles  (transportés)  pour  le 
sieur  Hannong ...  ne  payeront  aucun  droit 
de  sortie,  ny  pontenage,  lorsqu'ils  seront 
les  propres  chevaux;  mais  lorsqu'ils  seront 
des  chevaux  ou  voituriers  étrangers,  ceux-ci 
droit  de    pontenage    ordinaire.    De    même 

rres    importées Les    autres    matériaux 

ivant  le  tarif. 

f.  Les  porcelaines  passant  à  l'étranger  et 
de  Haguenau  payeront  10  sols  de   sortie 

.  La  fayence  payera  à  l'avenir  cinq  sols 
ce    qui    n'aura    cependant   lieu    qu'après 

du  présent  bail  (à  partir  de   1782). 

L  Les  fayences  et  porcelaines  étrangères 
l'avenir   pour   droit   d'entrée,    scavoir  les 

iv.  et  les  porcelaines  9  liv.  par  quintal. 

[.    Il  sera  permis   au   proposant   de  mettre 

'  la  ville  sur  les  porcelaines  qu'il  fera  fabri- 

ienau. 


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LES    FAÏENCIERS    DE    HAGUENAU 

Le  magistrat  promet  aussi  (art.  XII)  —  non  p 
d'interdire  tout  établissement  similaire,  mais  —  de  ne  1 
accorder  pendant  i8  ans  «aucun  privilège  ou  immunité 
mêm'e  de  révoquer,  sous  condition,  la  permission  auti 
fois  octroyée  à  Pierre  Hannong. 

La  disposition  la  plus  inattendue  de  ce  traité  ( 
l'intervention  de  la  ville  dans  les  rapports  futurs  ent 
Joseph  Hannong  et  ses  ouvriers. 

Art.  VI.  «  Les  apprentifs  et  ouvriers  constitués  po 
les  fours  et  autres  manœuvres  secrètes  prêteront 
magistrat  serment  de  fidélité  et  de  discrétion  et  Tobsc 
vance  de  leurs  engagements.  Le  magistrat  tiendra 
main  et  prêtera  son  assistance  pour  que  les  engagemer 
desdits  ouvriers  s'exécutent,  tels  qu'ils  auront  été  rédig 
avec  eux  sous  seing  privé  et  présentés  au  magistrat 

D'après  Tart.  VII  un  ouvrier  quittant  la  fabrique  i 
pouvait  travailler  en  ville  dans  un  établissement  ( 
même  genre  qu'après  une  année  d'absence. 

Le  lecteur  ne  tardera  pas  à  s'expliquer  ces  dernier 
dispositions. 

Ses  mesures  prises  avec  la  ville,  Joseph  passa  out 
avec  l'exécution  de  son  plan  qui,  tout  en  laissant 
Strasbourg  le  centre  commercial  de  son  entrepris 
concentrait  à  Haguenau  son  organisation  industriel 
Cela  ressort  d'une  espèce  de  budget  qu'il  a  lui-mêr 
dressé,  en  1780,  et  qui  répond  aux  réformes  projeté 
par  lui  et  presque  entièrement  réalisées  avant  s 
désastres. 

Ce  budget  prévoit  pour  Strasbourg  à  côté  du  ch 
du  commerce  :  2°  un  commis  chargé  de  la  vent 
3®  un  comptable  ;  4®  un  contrôleur  qui  note  l'entn 
et  la  sortie  des  marchandises  ;  5°  un  ou  deux  comn 
voyageurs,  chargés  non  seulement  de  placer  ses  pr 
duits,  mais  aussi  d'étudier  les  goûts  changeants  ( 
public. 

A  Haguenau,  «  chef-lieu  de  la  fabrication  >,  depi 
le  19  mars  1776,  se  trouvaient  6°  un  caissier;  7®  i 
ou  deux  commis  qui   surveillaient  les   ouvriers   et  1 


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46  REVUE    d'aLSACE 

matériaux  ;  8**  un  magasinier,  avec  des  attributions 
analogues  à  celles  du  commis  vendeur  de  Strasbourg; 
9°  un  teneur  de  livres;  lO^  deux  numéroteurs  qui 
numérotaient  et  taxaient  les  pièces;  ii*»  un  directeur 
général. 

Dans  la  pensée  de  Hannong  la  manufacture  de 
Haguenau  devait  produire  annuellement  pour  250.000  liv. 
de  marchandises.  Considérablement  agrandie,  plus  que 
doublée,  cette  manufacture  avait  besoin  de  locaux  plus 
vastes  et  plus  spacieux.  Joseph  y  pourvut  en  achetant 
(juin  1776),  dans  la  même  rue,  le  Zinshof  (cour  des 
rentes),  ainsi  nommé  parce  qu'il  avait  renfermé  le  loge- 
ment et  les  bureaux  du  zinsmeister  ou  receveur  de  la 
Préfecture,  compris  dans  les  dépendances  de  Thôtel 
préfectoral  que  le  duc  de  Mazarin  s'était  fait  construire 
sur  le  Grabcfi  (maison  Ehrenfurt). 

Puis  il  soumit  à  l'approbation  du  magistrat  un  c  Projet 
d'engagement  d'un  ouvrier  de  la  manufacture  de  porce- 
laine de  Haguenau  >,  qui  reçut  la  sanction  de  l'autorité 
municipale  le  30  juillet  1776.  Cet  engagement  ne  con- 
cernait que  les  affidés,  ceux  que  leurs  travaux  initiaient 
à  une  connaissance  plus  ou  moins  étendue  des  secrets 
professionnels,  regardés  comme  la  fortune  de  la  maison. 
Pour  empêcher  la  divulgation  de  ces  secrets,  les  garan- 
ties morales,  les  promesses,  même  les  plus  solennelles, 
ne  semblaient  point  suffisantes.  Hannong  voulut  y  joindre 
des  garanties  matérielles. 

La  première  de  ces  garanties  était  fournie  par  un 
cautionnement  de  400  ou  600  liv.,  imposé  à  chaque 
ouvrier.  Comme  tous  n'étaient  pas  en  état  de  verser 
cette  somme  ou  d'en  assurer  le  paiement  éventuel,  à 
l'aide  de  cautions  ou  d'hypothèques,  on  leur  permit  de 
la  consituer  petit  à  petit,  à  l'aide  de  retenues  hebdo- 
madaires. 

La  rémunération  des  ouvriers  comprenait  deux  parts 

distinctes  :  un  salaire,  qui,  dans  une  trentaine   d'actes 

notariés,  conservés  dans  les  archives,  flotte  entre  4  et 

.7  liv.  par  semaine,  et  en  sus  une  gratification,  qui  varie 


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LES    FAÏENCIERS   DE   HAGUF.NAU  47 

•de  2  à  2  ï/2  livres.  Le  salaire  est  toujours  intégralemeut 
payé  ;  la  gratification  peut  être  supprimé,  en  tout  ou 
-en  partie,  à  la  suite  de  manquements  graves.  C'est  aussi 
^ur  elle  que  Ton  retient  lO,  20,  30  sols  par  semaine, 
selon  les  conventions,  jusqu'au  jour  où  ces  retenues 
avec  les  intérêts  échus  forment  le  capital  demandé. 
XJuoique  déposé  entre  les  mains  du  fabricant,  le  cau- 
tionnement appartient  à  l'ouvrier. 

Une  seconde  garantie  se  trouvait  dans  la  pension 
-alimentaire  que  l'ouvrier  fidèle  à  ses  devoirs  devait 
obtenir  en  cas  de  maladie,  de  vieillesse  ou  d'infirmité. 
-Cette  pension  équivalait  dès  la  première  année  au 
vingtième  du  salaire  et  augmentait  ensuite  chaque  année 
-d'un  vingtième,  si  bien  qu'au  bout  de  vingt  ans  elle 
répondait  au  salaire  complet.  La  même  pension  est 
promise  aux  veuves,  seulement  pour  elles  les  vingtièmes 
ne  se  comptent  qu'à  partir  de  la  sixième  année  de  ser- 
-vice.  Les  orphelins  au-dessous  de  dix  ans  avaient  aussi 
droit  à  une  pension  jusqu'au  jour  où  ils  atteignaient 
•cet  âge. 

Cet  engagement  fut  signé  par  12  ouvriers  en  1777, 
18  en  1778  et  4  en  1779.  Le  plus  récent  de  ces 
contrats  date  du  2  mars  de  cette  dernière  année. 
Pourquoi  cessent-ils  alors  brusquemment  .'*  On  va  le 
comprendre. 

Huit  jours  plus  tard,  le  1 1  mars,  mourait  l'évêque 
<ie  Strasbourg,  le  cardinal  Constantin  de  Rohan,  et, 
-quand  les  héritiers  de  ce  prince  firent  l'inventaire  de 
sa  succession,  ils  constatèrent  un  déficit  de  445.359  liv. 
dans  la  caisse  de  son  receveur  Schmit.  Ce  déficit  pro- 
venait d'avances  faites  à  Hannong  dans  les  années  1778 
-et  1779  I),   remboursables   par  ce   dernier    «  lorsque  le 


l)  Mais  ces  dettes  remontaient  beaucoup  plus  haut  et  n^étaient  point 
étrangères  aux  réformes  industrielles  qu'il  réalisa  peu  après.  Déjà  en 
1775  Hannong  faisait,  dit-il  p.  32,  «  les  réflexions  les  plus  sérieuses  sur  la 
restitution  d'une  somme  déjà  très  forte,  que  je  devais  à  mon  ami  et 
^ui  grossissait  de  jour  en  jour Pour  me  tirer  d'embarras,  je  n'entre- 
vois d'autres  moïens  que  d'exécuter  un  projet  conçu  de  longue  main^», 
At  développement  de  sa  fabrication  et  sa  concentration  à  Haguenau. 


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48  REVUE  d'alsace 

gouvernement  lui  aura  permis  de  faire  librement  le 
commerce  de  la  faïence  dans  l'intérieur  du  royaume». 

Gette  révélation  dissipe  le  mystère  qui  depuis  quel- 
que temps  couvrait  les  faits  et  gestes  de  notre  faïencier. 
Elle  explique  comment,  au  milieu  d'une  crise  qui  devait 
le  réduire  à  l'impuissance,  il  avait  entrepris  et  créé  à 
Haguenau  une  manufacture  nouvelle,  avec  des  déve- 
loppements aussi  dispendieux  qu'inattendus.  Les  Rohan 
payaient  les  frais  de  toutes  ces  innovations. 

Le  savaient-ils.»^  Evidemment  non.  Des  avances  faites 
sur  Tordre,  avec  l'assentiment  du  cardinal,  étaient  inscrites 
sur  les  livres  de  comptes  et  ne  donnaient  lieu  à  aucun 
déficit  décaisse.  Frustrés  dans  leurs  légitimes  espérances, 
les  héritiers  Rohan  se  trouvaient  de  la  sorte  en  droit 
de  poursuivre,  d'abord  le  comptable  infidèle  qui  avait 
ainsi  disposé  des  fonds  confiés  à  sa  garde,  puis  l'in- 
dustriel qui  était  probablement  son  instigateur,  tout 
au  moins  son  complice.  Schmit  et  Hannong  furent 
arrêtés. 

Hannong,  en  efi'et,  n'ignorait  point  et  ne  pouvait 
ignorer  que  l'argent  qu'il  recevait  était  pris  clandestine- 
ment dans  la  caisse  de  l'évéque.  Schmit  était  son  ami 
et  il  appuie  avec  insistance  sur  cette  qualification.  Il 
devait  donc  être  fixé  sur  la  fortune  de  cet  ami,  savoir 
qu'elle  ne  lui  permettait  point  de  faire  sans  intérêt  et 
pour  un  temps  indéfini  une  avance  de  445.359  liv.,  ua 
million  au  pouvoir  actuel  de  l'argent.  Aussi  raconte-t-ii 
lui-même  que  quand  on  lui  demanda  un  jour  pendant 
sa  détention  c  si  je  savais  que  les  fonds  venaient  de 
la  caisse  de  M.  le  cardinal,  je  répliquai  qu'il  (Schmit) 
ne  me  l'avait  jamais  dit,  mais  que  je  pouvais  vi  en 
douter  depuis  que  la  somme  s  était  augmentée  ».  Par  le 
même  fondement  il  devait  non  seulement  soupçonner 
mais  comprendre  que  la  générosité  de  son  ami  ne 
reposait  que  sur  une  longue  série  d'abus  de  confiance, 
périodiquement  renouvelés. 

Mais  ces  abus  de  confiance  il  en  profitait  sans 
scrupule,   et,   quand  ils  devinrent  l'objet  de  poursuites 


Ed 


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LES    FAÏENCIERS    DR    HAGUENAU  49 

judiciaires,  il  persista  dans  cette  trop  complaisante  atti- 
tude. «  Si  la  dette  de  Schmit,  dit-il  dans  une  autre  de 
ses  publications,  était  extraordinaire^  la  nature  de  la 
mienne  était  civile  et  loyale.  La  gêne  de  la  ferme, 
ma  situation,  mon  travail,  tout  rendait  mon  emprunt 
licite  >.  En  d'autres  termes  il  a  emprunté  comme  le  fait 
tout  industriel  aux  prises  avec  des  difficultés  financières. 
Mais  il  n'a  pas  emprunté  chez  les  Rohan,  qui  par  suite 
n'ont  aucun  droit  contre  lui.  Schmit  lui-même,  son 
unique  créancier,  ne  peut  le  poursuivre  que  s'il  ne 
tient  pas  compte  du  terme  indiqué  pour  l'échéance  de 
ses  emprunts  :  la  permission  de  faire  librement  le  com- 
merce de  la  faïence  dans  l'intérieur  du  royaume. 

Placé  sur  ce  terrain  sophistique,  Hannong  croyait 
que  Vhonneur  (!)  lui  défendait  de  se  reconnaître  aucun 
tort.  Il  ne  voyait  dans  le  procès  qu'on  lui  intentait  que 
chicanes  arbitraires  et  persécutions  passionnées,  qui 
l'autorisaient  à  accabler  d'invectives  des  hommes  qui 
ne  demandaient  au  fond  qu'à  lui  tendre  une  main 
secourable. 

Le  plus  important  de  ses  créanciers,  le  prince  Louis 
de  Rohan,  avait  été  son  protecteur.  A  part  les  saignées 
subreptices  faites  à  son  héritage,  il  n'avait  aucun  grief 
contre  lui;  il  était  même  directement  intéressé  au  salut 
de  son  débiteur,  ne  pouvant  rentrer  dans  ses  fonds, 
en  tont  ou  en  partie,  que  si  le  malheureux  naufragé 
revenait  lui-même  sur  l'eau.  Aussi  le  voyons-nous  occupé, 
pendant  la  détention  de  Hannong,  à  terminer  le  diffé- 
rend avec  la  ferme,  puis  à  ménager  une  transaction 
qui  accordait  sur  le  montant  de  sa  créance  une  remise 
de  200.000  liv.  et  pour  le  remboursement  du  reste  un 
délai  de  dix  ans  —  transaction  dont  Ducher,  l'avocat 
même  de  Joseph,  a  pu  dire  publiquement  (au  grand 
scandale  de  son  aveugle  client],  qu'elle  sacrifiait  les 
droits  les  plus  justes  au  plaisir  d'exercer  un  acte  de 
bienfaisance  >. 

Enfin,  pour  en  finir  avec  cette  question  particulière, 
lorsque  les  syndics  de  la  faillite   se   trouvèrent  à  bout 

Bevut  d'Alêoce,  1907  •  4 


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50  KEVUK    D  ALSACE 

de  ressources,  l'intendant  d'Alsace  leur  écrivait,  le  30  juin 
178 1,  de  ce  prétendu  ennemi  de  notre  faïencerie  :  cM.  le 
cardinal  de  Rohan,  qui  désire  qu*on  conserve  les  ouvriers 
et  qu'on  pourvoie  à  leur  subsistance  en  attendant  que 
le  sort  de  cet  établissement  soit  entièrement  décidé, 
veut  bien  avoir  la  bonté  de  fournir  lui-même  les  fonds 
nécessaires  pour  acquitter  leurs  salaires  sur  le  pied  où 
ils  l'ont  été  jusqu'à  présent  >.  Il  limita,  il  est  vrai,  plus 
tard  (lettre  du  4  septembre)  cette  charge  qu'il  ne  pou- 
vait accepter  pour  un  temps  indéfini;  mais  il  n'en  sacrifia 
pas  moins  de  c^  chef  une  somme  de  14.000  liv.  qu'il 
envoya  à  Haguenau  en  espèces  sonnantes. 

La  transaction  mentionée  ci -dessus,  confirmée  le 
4  août  1780  par  un  arrêt  de  surséance,  mit  fin  à  la 
détention  deHannong,  qui  durait  depuis  le  30  mai  1779. 
Il  reprit  alors  la  direction  de  ses  ouvriers,  qui  n'avaient 
du  reste  jamais  interrompu  leur  travail,  et  surtout  le 
placement  de  ses  marchandises. 

Cette  situation  durait  à  peine  depuis  trois  mois,  pen- 
dant lesquels  Joseph  remboursa  à  divers  petits  créan- 
ciers une  somme  de  20.000  liv.,  lorsqu'un  arrêt  du 
Conseil  d'Etat  (25  novembre  1780)  la  vint  modifier  de 
nouveau.*  Sa  Majesté,  dit-on,  est  informée  que  le  sieur 
Hannong  c  ne  se  sert  du  bénéfice  de  sa  surséance  que 
pour  faire  vendre  ou  faire  passer  ses  marchandises  à 
l'étranger  >.  Dans  de  pareilles  circonstances  il  était  de 
la  justice  de  pourvoir  à  la  sécurité  des  objets  qui  sont 
l'hypothèque  de  ses  créances.  Elle  ordonne  donc  l'éta- 
blissement de  commissaires  gardiens,  lesquels,  sans  gêner 
en  rien,  n'auront  d'autre  objet  que  d'assurer  le  rem- 
boursement des  créanciers  >. 

Vendre  était  évidemment  le  droit  et  même  le  devoir 
de  notre  manufacturier.  Mais  dans  cette  vente  sacrifiait-il 
les  intérêts  de  ses  créanciers  à  ses  intérêts  particuliers.^ 
Le  Conseil  d'Etat  l'affirme,  et,  quand  on  considère  la 
situation  et  les  principes  sur  lesquels  se  réglait  Joseph, 
on  est  forcé  de  croire  que  l'affirmation  était  fondée. 


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LES   FAÏENCIERS   DE  HAGUENAU  51 

Dans  un  inventaire  établi  après  la  mort  du  cardinal, 
«n  mai  1779,  Hannong  estimait  son  actif  à  949.632  liv. 
14  s.  I  d.,  son  passif  à  624.257  liv.  14  s.,  descendu 
ensuite  à  424.257  liv.  14  s.  par  la  générosité  des  héri- 
tiers Rohan.  Cette  question  d'hypothèque,  qu'il  croyait 
plus  qu'assurée,  devait  le  préoccuper  médiocrement. 
Aussi  ne  craint-il  pas  de  reconnaître  dans  un  état  du 
9  février  1781,  signé  par  lui,  qu'il  a  de  sa  propre  auto- 
rité réduit  la  valeur  de  son  mobilier,  de  101.318  liv.  à 
50.000  liv.,  diminué  de  6000  liv.  l'importance  de  ses 
immeubles,  aliéné  plus  que  la  moitié  de  son  outillage 
et  de  ses  matériaux. 

Les  mêmes  errements  continuèrent  encore  dans  la 
suite.  Lorsque  le  subside  fourni  par  le  cardinal  fut 
épuisé,  les  ouvriers  et  quelques  créanciers  firent  saisir 
les  marchandises  non  inventoriées,  celles  évidemment 
-qui  avaient  été  achevées  depuis  la  confection  de  l'in- 
ventaire. Le  préteur  royal  de  Haguenau,  de  Cointoux, 
remarque  à  ce  propos  :  «  La  précaution  est  devenue 
nécessaire,  car  le  sieur  Hannong,  depuis  son  retour 
de  Paris,  ne  cessait  de  vendre  tout  ce  qu'il  pouvait  et 
avait  ». 

L'homme  qui  parlait  ainsi  n'était  point  le  premier 
venu,  un  témoin  distrait  et  indifférent  du  drame  qui 
se  déroulait  sous  ses  yeux.  Il  clôt  la  série  de  ces  per- 
sonnages aussi  respectables  que  respectés  qui  remplissent 
tour  à  tour,  à  Haguenau,  la  charge  ingrate  de  commis- 
saires gardiens.  Comme  ses  devanciers,  Hager,  Barth, 
Hallez,  il  ne  professait  qu'une  admiration  réservée  pour 
le  caractère  de  Joseph  Hannong  ;  mais  il  sentait  toute 
l'importance  patriotique  et  humanitaire  de  sa  mission, 
que  Barth  exposait  en  ces  termes  dès  le  22  janvier 
1781  :  €  Je  vois  avec  chagrin  que  cet  établissement  si 
avantageux  à  notre  ville  va  tomber,  faute  de  moïens 
pour  le  soutenir  ;  mais  ce  qui  excite  encore  plus  mat 
compassion,  ce  sont  les  pauvres  ouvriers,  tous  chargés 
de  familles  et  absolument  dépourvus  d'argent  et  de 
crédit  ;  il  y  en  a  deux  qui  sont  hier  tombés  d'inanition». 


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5a  REVUE  d'alsace 

Enfin  la  masse  des  créanciers  se  décida  pour  une 
liquidation  générale,  autorisée  par  le  Conseil  Souverain.. 
Elle  fut  préparée  à  Haguenau  par  une  estimation  à  dire 
d'experts  (20  avril  au  16  mai  1782)  et  terminée  par 
une  enchère  (15  juillet  au  2  octobre  1782).  Ces  deux 
actes,  conservés  dans  nos  archives,  présentent  une  foule 
de  chiffres  intéressants  par  eux-mêmes  et  par  leur  com- 
paraison avec  une  estimation  similaire  faite  par  Hannong, 
lui-même  le  9  février  1781. 

Dans  ce  dernier  acte  notre  manufacturier  évalue  : 

Les  faïences  inachevées  à 1 5. 376  liv.  10  s^ 

Les  porcelaines  inachevées  à 179  019  liv.    8  s.- 

Les  matériaux  de  tout  genre,  de  50.000  à   .  65.000  liv. 

Le  mobilier  et  Toutiliage  à 82.400  liv. 

Les  immeubles  (maisons,  jardins  et  champs)  à  145.670  liv.  17  s^. 

Soit  un  total  de  472.466  liv.  15  s.  à  487  466  liv.  15  s.. 

Les  marchandises  terminées,  prêtes  pour  la  vente, 
ne  figurent  pas  ici;  elles  occupaient  un  tableau  spécial 
dressé  par  la  saisie,  et  le  but  de  Hannong  était  précisé* 
ment  de  montrer  combien  serait  fausse  et  incomplète 
ridée  que  ce  tableau  donnerait  de  sa  situation  finan- 
cière. 

Les  experts,  tous  spécialistes,  estiment  à: 

22.181  liv.  les  marchandises  finies. 

217  liv.  13  s.  4  d.  les  marchandises  non  achevées.. 
889  liv.  12  s.  les  matériaux  (terres  et  bois. 

905  liv.  le  mobilier  et  l'outillage. 

60.842  liv.  les  immeubles,  maisons,  jardins^ 

et  champs. 

Total  :  85.035  liv.  5  s    4  d.,  un  peu  plus  que  le  sixième  de- 
l'estimation  Hannong. 

Ces  résultats  furent  encore  diminués,  à  la  vente,, 
malgré  la  hausse  obtenue  par  quelques  détails.  Les 
acheteurs  sont  tous  indiqués  par  leurs  noms,  et  les 
collectionneurs  y  trouveraient  matière  à  d'intéressants 
rapprochements.   Le   frère  de  Joseph,   Pierre  Antoine^ 


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LES   FAÏENCIERS   DE   HAGUENAU  53 

acquit  les  pièces  inachevées  et  partagea  avec  Anstett 
Je  mobilier  et  l'outillage.  Les  terres  de  Limoges,  7  à  800 
quintaux,  furent  adjugées  à  Niderwiller  »).  La  vente 
produisit: 

26  373  liv.  pour  les  marchandises  terminées. 
638  liv.  pour  les  marchandises  inachevées. 

3.562  liv.  pour  les  terres  et  les  bois. 

1.283  l'v*  ponr  le  mobilier  et  Toutillage. 
30.000  liv.  pour  les  immeubles. 


61.856  liv.  en  tout. 

Cet  exposé  diffère  beaucoup,  je  le  sais,  des  récits 
qui  se  font  d'ordinaire  sur  la  catastrophe  des  Hannong. 
Sans  trouver  la  conduite  de  Joseph  irréprochable,  Tain- 
turier,  dans  son  admiration  pour  Tartiste,  glisse  d'une 
main  légère  sur  les  faiblesses  de  l'industriel  et  de 
l'homme  d'affaire,  pour  appuyer  sur  la  prétendue  hosti- 
lité du  prince  Louis.  Schricker  trouve  plus  commode, 
-et  peut-être  aussi  plus  agréable  à  une  partie  de  ses 
lecteurs,  de  se  borner  à  une  boutade  de  chauvinisme: 
il  rejette  tous  les  torts,  en  bloc  et  sans  discussion,  sur 
l'administration  française,  qui  ruina  de  gaîté  de  cœur 
la  faïencerie  alsacienne  jusqu'alors  si  prospère.  En 
réalité  Joseph  fut  la  cause  principale,  on  pourrait  pres- 
que dire  unique,  de  son  désastre.  Il  le  provoqua  d'abord 
par  ses  dispendieux  et  interminables  essais,  puis  par 
des  dépenses  exagérées  faites  au  moment  même  où 
tout  lui  commandait  une  sage  et  prudente  réserve; 
■enfin  par  sa  participation  à  des  manœuvres  coupables 
qui  lui  enleva  les  sympathies  du  public,  l'empêcha 
d'accepter  la  main  que  lui  tendait  son  créancier  prin- 
-cipal,  le  lança  dans  toute  une  série  d'irrégularités  plus 
-ou  moins  frauduleuses.   Les  exigences  de  la  ferme  — 


i)  La  présence  de  ces  terres  et  leur  quantité  — •  qui  montait  à 
près  de  5000  quintaux  en  1779  —  prouvent  que  Joseph,  bien  qu'il 
-se  prétende  dans  ses  lettres  en  état  de  faire  de  la  porcelaine  avec 
le  Rintel  de  Haguenaui  ne  refusait  pas  en  pratique  de  recourir  aa 
Kaolin. 


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54  REVITE    D  ALSACE 

qui  n'est  pas  Tadministration  française  —  n'étaient 
qu'une  entrave  momentanée,  que  l'on  pouvait  évidem- 
ment écarter  à  Haguenau,  comme  cela  se  fit  à  Saint- 
Clément  et  ailleurs,  dès  le  premier  jour,  dès  1775. 
Pourquoi  dura-t-elle  ici  jusqu'en  1779,  tant  que  Hannong 
fut  le  maître  de  son  usine?  Elle  était  pour  lui  un 
moyen  commode  de  reculer  l'échéance  de  ses  billets,^ 
le  jour  fatal  où  il  aurait  à  la  fois  à  renoncer  aux 
avances  ultérieures  de  son  ami  Schmit  et  à  le  rembourser. 

Hannong  n'assista  point  à  sa  désastreuse  liquidation. 
Il  s'était  t  retiré  à  l'étranger»,  le  24  novembre  1781, 
et  séjourna  d'abord  à  Munich.  Des  ennuis  domestiques 
l'amenèrent  ensuite  à  quitter  cette  ville  pour  se  rendre 
à  Paris  où  il  se  rencontra  avec  son  frère;  mais  il  retourna 
en  Bavière,  peu  avant  la  Terreur.  Il  dut  y  mener  une 
existence  assez  précaire,  car  dans  une  lettre  écrite  en 
l'année  1800  il  reconnut  que  depuis  seize  ans  sa  fille 
Adélaïde  était  c  son  seul  appui  ».  Pour  soutenir  son 
père  elle  était  entrée  comme  gouvernante  dans  une 
grande  maison  russe,  puis  avait  fini  par  fonder  un 
lycée  de  jeunes  filles,  à  l'exemple  d'une  sœur  plus 
âgée,  qui  dirigeait  déjà  un  établissement  de  ce  genre. 

On  ignore  la  date  de  sa  mort.  Mais  jusqu'à  la  fin 
de  ses  jours  il  ne  cessa  de  revendiquer  un  mérite  qui 
était  pour  lui,  à  la  fois,  un  titre  de  gloire  et  un  motif 
à  d'amères  récriminations  :  c  Cet  art,  disait-il,  cette 
nouvelle  branche  de  commerce  que  les  manufactures 
de  l'intérieur  exploitent  avec  tant  de  succès,  fut  origi- 
nairement mon  secret,  mon  bien,  mon  patrimoine. 
Chacun  en  jouit,  moi  seul,  ^son  auteur  (!),  je  suis  exclu 
du  bénéfice  commun  de  le  faire  valoir  ». 

Je  ne  m'arrêterai  point  aux  marques  adoptées  par 
Joseph  et  les  autres  v^^'T^s.  Hannong  :  elles  se 
rencontrent  partout,  f^^^^X^  chez  Graesse, Jacque- 
mart, etc.  En  voici  |^(;'i0^>)  une  cependant  qui 
n'est  mentionnée  V^iSj^Jv  nulle  part.  C'est 
celle  qu'autorisait  ^^-*&-3^  V^xX,.  XIII  du  traité 
de  janvier  1776  :  les  armes  de  la  ville  de  Haguenau.. 


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LES    FAÏENCIERS   DE    HAGURNAU  5 

VI. 

Pierre  Antoine  Hannong  (i  761-1785). 

Les  revers  de  fortune  frappèrent  surtout  Josepl 
Hannong  pendant  le  derniers  tiers  de  sa  vie,  aprè 
quelques  années,  de  gloire  et  de  prospérité  relative 
Son  puîné,  Pierre  Antoine,  les  connut  dès  les  début 
de  sa  carrière,  et,  grâce  à  son  humeur  vagabonde  e 
folâtre,  ne  réussit  jamais  à  s'y  soustraire  complètement 

Tainturier  nous  le  montre  se  rendant  à  Paris  de 
1761,  vendant  à  Sèvres  (29  juillet)  les  secrets  de  soi 
père  pour  une  somme  de  6000  liv.  et  une  rente  viagèri 
de  30c;o  liv.  réduites  peu  après  à  200(3  et  1200  liv 
Joseph  prétend  dans  son  Mémoire  ati  Roi  (p.  5)  qui 
ces  secrets,  connus  de  son  frère  par  Tindiscrétion  de 
liquidateurs  de  la  succession  paternelle,  ne  furent  divul 
gués  qu'en  1763.  C'est  aussi  cette  dernière  date  qu 
semblent  résulter  des  négocations  dont  nous  allon 
parler. 

A  la  mort  du  père,  comme  son  aîné  se  trouvait  alor 
à  Frankenthal,  Pierre  fut  placé  par  les  cohéritiers  à  1 
tête  de  ses  usines  alsaciennes.  Mais  ils  ne  tardèren 
point  à  récarter  pour  le  remplacer  par  Madame  d< 
Lôwenfinck.  Il  se  présenta  alors  devant  le  sénat  d< 
Haguenau  (22  avril  1762),  exposant  que  les  deux  éta 
blissements  alsaciens  des  Hannong  n'avaient  pu  étn 
partagés  entre  les  sept  héritiers  encore  vivants  de  Paul 
et  seraient  mis  en  vente  au  grand  sénat  de  Strasbourg 
Il  avait  rintention  d'acquérir  celui  de  Haguenau,  et  01 
lui  avait  même  reconnu  à  cet  égard  un  droit  de  préfé 
rence.  Mais  certaines  rumeurs  lui  font  craindre  qu'oi 
ne  veuille  rendre  ce  droit  illusoire,  en  poussant  rusin< 
à  un  prix  ruineux  pour  lui.  Ils  préférerait  en  conséquenci 
obtenir  la  permission  d'établir  ici  une  faïencerie  nou 
velle  et  la  jouissance  exclusive  des  terres  de  la  banlieu( 
quî^  seraient  propres  à  cette  fabrication. 


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56  REVUE    D'aLSACE 

La  permission  demandée  lui  fut  accordée  (26  avril), 
et  il  fut  reçu  bourgeois  dans  la  même  séance.  Mais 
les  conditions  stipulées,  littéralement  reproduites  quel- 
ques jours  plus  tard  en  faveur  de  Joseph  ne  lui  réser- 
vaient aucune  jouissance  exclusive  ci-dessus  (p.       ). 

Muni  de  cette  autorisation,  Pierre  acquit  la  maison 
d'Antoine  Labastrone,  aubergiste  de  l'Ange,  et  y  installa 
sa  nouvelle  manufacture.  Il  n'y  resta  pas  longtemps. 
Dès   1763  il  quittait  Haguenau. 

Voici  comment  il  rappelle  dans  une  requête  lue  au 
sénat  le  i"  octobre  1764  les  causes  et  les  conséquences 
de  ce  départ.  Il  y  a  deux  ans  environ  qu'il  a  établi 
une  fabrique  de  faïence  en  cette  ville,  mais  comme  ses 
propres  moyens  n'y  suffisaient  pas,  il  a  dû  faire  des 
emprunts.  Puis,  ayant  ouvert  des  négociations  avec 
M.  Boilleau,  directeur  général  des  fabriques  royales  de 
porcelaine  à  Sèvres,  pour  lui  donner  les  secrets  de  la 
porcelaine,  il  était  parti  par  ordre  de  la  cour.  Pendant 
son  absence,  un  de  ses  créanciers,  le  sieur  Sarcelle,  a 
fait  saisir  et  emporter  ses  meubles  et  ses  effets.  Entraînés 
par  cet  exemple,  les  autres  créanciers  ont  saisi  la  fabrique, 
tout  en  conservant  l'exploitation  qu'ils  continuent  encore 
pour  se  faire  payer  de  leurs  prétentions.  11  ne  demande 
qu'à  se  libérer  de  ses  engagements  et  prie  le  magistrat 
de  faire  dresser  d'office  un  état  de  ses  dettes.  La  requête 
fut  admise  et  le  stettmeister  de  Wimpfen  fut  chargé 
de  recevoir  les  créanciers. 

Celui-ci  dressa  l'état  demandé ...  et  les  choses  en 
restèrent  là. 

Le  16  janvier  1765  arrive  une  nouvelle  requête. 
<  Le  suppliant  ayant  vendu  au  Roy  le  secret  de  la 
porcelaine,  Sa  Majesté  l'auroit  gratifié  d'un  brevet  et 
lui  auroit  en  outre  donné  un  emplacement  qui  servoit 
autrefois  pour  la  manufacture  royale  de  porcelaine, 
située  dans  le  château  royal  de  Vincennes,  pour  y 
ériger  une  manufacture  de  fayence».  Mais  avant  d'entre- 
prendre cette  œuvre,  il  voudrait  li:|uider  ses  dettes  de 
Haguenau.    Dans   ce   but   il  demande  la  permission  de 


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LRS    FAÏENCIERS    DE    HAGUENAU  57 

vendre  ses  meubles  et  effets,  ainsi  que  la  fayance 
émaillée  de  sa  fabrique,  «  à  l'exception  toutefois  de  ce 
<iui  est  utile  pour  la  fabrication,  comme  meules,  mou- 
lins et  fayances  non  émaillées  qu'il  voudroit  conserver 
et  faire  venir  é  Vincennes  >.  Cette  fois  le  sénat,  éclairé 
sans  doute  par  Texpérience,  refusa  de  se  mêler  de 
l'affaire  et  ordonna  «  que  sera  mis  néant  à  la  requête*. 

Pour  les  années  suivantes  on  rencontre  au  greffe  et 
dans  les  minutes  des  notaires  une  foule  de  contrats 
conclus  entre  Pierre  et  ses  créanciers,  promesses  et 
transactions,  même  un  arrangement  général  ménagé  par 
un  officier  d'invalides,  nommé  Jean  Meister.  Mais  rien 
ne  fut  payé,  comme  le  prouve  une  nouvelle  requête 
présentée  au  sénat  vingt  ans  après^  le  ii  janvier  1786. 

Pierre  y  rappelle  qu'il  était  parti  pour  Paris  après 
avoir  établi  sa  manufacture  «  dans  la  maison  portant 
l'enseigne  de  l'Ange,  en  société  avec  le  sieur  Deiss, 
alors  conseiller  intime  de  S.  A.  S.  le  prince  de  Hohen- 
lohe.  En  son  absence,  Deiss  et  son  cousin  Charles 
Hannong  (fils  de  Balthasar)  avaient  fait  force  dépenses 
<  pour  soi-disant  le  soutien  dud.  établissement  >,  dépenses 
acceptées  ensuite  par  lui  avec  la  légèreté  de  son  âge. 
Il  en  résulta  «qu'il  se  trouva  chargé  d'environ  18.000  liv. 
-de  dettes  envers  différents  particuliers  et  principalement 
envers  le  sieur  Deiss  d'une  somme  de  8040  liv.».  Cette 
dernière  créance  s'est  ensuite  notablement  accrue,  sans 
-qu'il  sache  comment.  Elle  forme  aujourd'hui  une  somme 
de  18.000  liv.  en  litige  à  Colmar,  et  il  prie  le  magistrat 
•de  la  régler  avec  les  fonds  (20.193  liv.)  que  le  sénat 
<le  Strasbourg  lui  avait  colloques  dans  la  faillite  de 
5on  frère. 

L'humeur  inconstante  et  aventureuse  qui  signale 
toute  la  carrière  de  notre  Pierre  l'avait  poussé  de  Vin- 
cennes à  Paris  (faubourg  Saint-Denis),  puis  en  Italie  où 
Il  installa  (1776)  à  Vinovo  près  de  Turin  >)  une  faïencerie 


1)  LbhnrRT,  Das  Por%tîlan.  Bielefeld,   1902,  p.  90. 


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58  REVUE  d'alsace 

aussi  éphémère  que  toutes  ses  autres  fondations,  et  finit 
par  le  ramener  en  Alsace  à  la  première  nouvelle  de  la 
catastrophe  de  son  frère,  dans  Tespoir  sans  doute  de 
sauver  quelques  épaves  de  ce  naufrage  de  sa  famille. 
Fondé  sur  la  permission  obtenue  en  1762,  il  ouvrit  une 
nouvelle  manufacture. 

Comme  la  maison  de  TAnge,  acquise  à  crédit,  était 
retombée,  le  25  juin  1 766,  entre  les  mains  des  Labastrone 
qui  en  vendirent  les  matériaux  en  1771,  Pierre  dut 
chercher  un  autre  local.  Il  crut  le  trouver  dans  le  voi- 
sinage. En  septembre  178c  on  le  voit  demander  à  la 
ville  le  résultat  d'une  enquête  municipale  sur  les  fours 
et  les  cheminées  qu'il  avait  installés  dans  une  vieille 
tour  derrière  le  Saumon.  Cette  installation  ne  le  satisfit 
toutefois  que  médiocrement.  Dès  le  5  octobre  1781  il 
acheta  le  Petit  Château  dont  il  sera  question  plus  loin 
et  n'y  renonça  que  par  respect  pour  un  droit  de 
préachat  que  son  concurrent  Anstett  avait  sur  cet 
immeuble.  Elnfin,  quand  la  faillite  de  Joseph  amena  la 
vente  des  bâtiments  voisins  de  la  Porte  Rouge  qui 
depuis  une  cinquantaine  d'années  constituaient  la  manu- 
facture Hannong;  il  les  acheta  ([4  août   1783). 

Cette  acquisition  se  fit  sans  aucun  doute  avec  l'argent 
du  notaire,  Fr.  X.  Hallez,  qui  avait  conclu  avec  lui  un 
traité  dont  le  texte  signé  par  les  deux  parties  se  trouve 
sous  nos  yeux.  Il  a  pour  objet  la  mise  en  état  de  toutes 
les  faïences  et  porcelaines  inachevées,  que  Pierre  s'était 
fait  adjuger  à  la  liquidation  des  marchandises  saisies. 
Dans  ce  but  les  deux  parties  mettent  en  commun,  l'un 
son  argent,  l'autre  son  travail  et  ses  connaissances 
techniques.  La  fabrication  de  pièces  neuves  n'était  pas 
interdite,  mais  elles  ne  se  faisaient  aux  frais  de  l'asso- 
ciation que  lorsqu'elles  servaient  à  assortir  des  pièces 
anciennes.  Tout  ce  que  nous  savons  du  reste  sur  les 
destinées  de  l'entreprise,  c'est  qu'en  fin  de  compte 
Hallez  resta  créancier  de  quelques  milliers  de  livres,  et 
quand  il  en  réclama  le  solde,  l'avocat  de  Pierre,  fidèle 
à  la  tradition  connue,    l'envoya   se  faire   payer  sur  les 


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LES    FAÏENCIERS    DE   HAGUENAU  5<> 

fonds  légendaires  que  son  client,  disait-il,   avait  à  pré- 
tendre sur  la  succession  de  son  frère  (6  juin   1785). 

Au  moment  où  se  faisait  cette  réclamation,  notre 
remuant  manufacturier  se  trouvait  de  nouveau  en  France. 
Avant  de  quitter  Haguenau,  il  y  avait  organisé  une 
petite  loterie,  dont  la  mise  en  scène  est  décrite  en  détail 
dans  le  registre  des  audiences  municipales.  Pierre  émettait 
avec  l'assentiment  du  magistrat  182  billets  à  6  livres 
chacun,  et  le  tirage  fixé  au  19  septembre  1784,  offrait 
comme  appâts  les  lots  suivants  : 

I"  lot  (valeur  350  liv.)  :  un  déjeuner  de  porcelaine 
bleue  du  Roi  ; 

2*  lot  (valeur  350  liv.)  :  un  déjeuner  pareil,  à  deux 
tasses,  cafetière,  pot  au  lait,  sucrier  et  plateau,  à  fond 
noir,  contenant  dans  les  médaillons  des  sujets  d'animaux 
domestiques  enrichis  d'or; 

3*  lot  (valeur  144  liv.)  :  un  grand  vase  antique 
découpé  en  forme  de  pot  pourri  de  1 5  pouces  de  haut^ 
enrichi  d'or  et  de  couleurs; 

4*  lot  (valeur  1 20  liv.)  :  une  grande  tasse  à  bouillon 
en  or,  dans  le  fonds  de  paysages,  de  bouquets  en  or, 
de  couleur,  gravé  et  bord  doré; 

5*  lot  (valeur  80  liv.)  :  une  tasse  à  café,  dite  à  la 
reine  à  deux  anses  avec  couvercle  et  soucoupe,  fond 
bleu  à  médaillons,  dans  lesquels  il  y  a  des  enfants  et 
mignatures,  bouquets  en  or  de  couleur,  gravé,  bordé 
en  or; 

6*  lot  (valeur  48  liv.)  :  une  petite  tasse  et  soucoupe, 
fond  noir  à  6  médaillons  peints  en  enfants  entremêlés 
de  bouquets  d'or,  gravé  à  double  bord; 

7*  lot  (valeur  36  liv.)  :  une  garniture  de  cheminée, 
composée  de  deux  figures,  d'un  vase  de  milieu  ou  pot 
pourri  avec  piédestal,  le  vase  peint  en  oiseaux,  le 
tout  doré. 

Pierre  s'était  fixé  à  Verneuil.  C'est  du  moins  de  là 
qu'il  écrivait  à  son  cousin,  le  9  juillet  1786.  Il  y  avait 
créé   une  manufacture;    mais    elle    n'était    pas    encore 


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6o  REVUE  d'aLSACE 

roulante  et  en  attendant  que  la  vente  fut  ouverte,  il 
tirait  le  diable  par  la  queue.  Il  se  montre  toutefois  bon 
parent  et  communique  fraternellement  une  bonne  recette 
de  terre  blanche,  qui  servira  peut-être  à  son  correspon- 
dant, désireux  de  se  lancer  à  son  tour  dans  l'arène. 

En  attendant  il  en  tira  lui-même  quelque  parti.  Dans 
une  lettre  écrite  une  vingtaine  d'années  plus  tard,  sa 
fille  Rossette,  femme  Giveze,  nous  apprend  que  «  son 
père  en  mourant  l'a  laissée  dépositaire  d'un  procédé 
dont  il  était  inventeur  et  qui  dans  le  cours  de  l'an  II 
de  la  République,  quelque  temps  avant  sa  mort,  lui 
avait  fait  obtenir  dans  cette  partie  la  place  de  directeur 
à  Sèvres ...  Ce  procédé  consiste  dans  une  vaisselle 
blanche  qui  approche  beaucoup  de  la  porcelaine,  qui 
est  susceptible  des  mêmes  ornements,  qui  va  au  feu 
et  dont  les  frais  de  confection  n'excèdent  pas  ceux  de 
la  terre  anglaise».  Mais,  faute  de  capitaux,  ce  précieux 
secret  ne  rapporte  rien  à  la  pauvre  dame,  bien  qu'elle 
soit  aussi  du  métier  et  y  travaille  de  son  mieux.  «  Je 
peins,  dit-elle,  dore,  cuis  la  porcelaine  et  la  mets  en 
état  de  vente;  mais  les  affaires  sont  si  mauvaises  ici 
qu'on  ne  gagne  presque  rien  >. 

fA  suivre),  A.  Hanauer. 


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SOUVENIRS 


DUN 

MÉDECIN    STRASBOURGEOIS 
DU    XVIIP    SIÈCLE 


Introduction. 

Le  praticien  strasbourgeois  dont  voici  les  souvenirs 
est  à  peu  près  inconnu.  Il  n'a  pas  fait  partie  du  corps 
enseignant  de  la  faculté  de  médecine  de  Strasbourg,  et 
son  bagage  scientifique  se  réduit  à  une  mince  disser- 
tation inaugurale. 

Les  Almanachs  d* Alsace  de  1 782  à  1 789  nous  donnent 
l'adresse  de  M.  Doldé  avec  celle  des  autres  praticiens 
de  Strasbourg,  et  nous  apprennent  qu'en  1782  il  était 
sous-doyen  du  Collège  de  médecine,  c'est-à-dire  de  la 
Corporation  des  médecins  strasbourgeois.  Le  docteur 
Bourguignon  fait  le  récit  de  la  prestation  de  sermeht 
de  fidélité  à  Charles  II,  duc  de  Deux-Ponts  et  seigtieur 
de  Bîsichwiller,  par  les  fonctionnaires  de  la  seigneurie; 
et  parmi  ces  fonctionnaires  figure  M.  Doldé,  docteur 
en  médecine,  physicien  de  Bischwiller  i). 


i)  Bourguignon   (Eug.),   Bùchwiller  depuis  cent  ans,   Bischwiller, 
1875,  «n-S». 


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62  REVUE   D'aLSACE 

C'est  tout.  Notre  héros  n'a  pas  laissé  d'autres  traces 
dans  la  littérature  imprimée  alsacienne. 

Les  souvenirs  de  Doldé  sont  avant  tout  des  récits 
de  voyage.  Le  jeune  garçon,  qui,  le  15  juin  1736, 
franchit  le  seuil  de  la  maison  paternelle,  ne  déposera 
le  bâton  de  voyageur  que  le  24  décembre  1750.  Né 
en  Pologne  en  1717,  il  mourra  en  Alsace  en  1789, 
après  avoir  parcouru  l'Europe  de  Saint-Pétersbourg  à 
Paris,  et  de  Zurich  à  Stockholm.  Il  a  habité  la  Prusse 
-et  la  Livonie,  la  Suède  et  la  Russie,  la  France  et  la 
Suisse.  Il  était  en  Pologne,  lorsqu' Auguste  III  et  Sta- 
nislas se  disputaient  ce  malheureux  royaume;  en  Prusse 
lorsque  Frédéric  bat  les  troupes  impériales  à  Molwitz  ; 
en  Russie  lorsqu'une  révolution  de  palais  place  la  prin- 
cesse Elisabeth  sur  le  trône  occupé  un  instant  par  un 
czar  enfant.  A  Strasbourg,  avant  de  mourir,  il  assista 
aux  premières  troubles  révolutionnaires  de   1789. 

Sa  vie  universitaire  le  met  en  contact  avec  bien 
des  savants.  Il  a  connu  Nordenheim,  l'archiâtre  de  la 
cour  de  Suède,  Bittner  (de  Kœnigsberg),  un  des  créa- 
teurs de  la  médecine  légale,  le  théologien  Quandt, 
Kau-Boerhoave,  Winslow,  Astruc,  Bernouilli,  pour  ne 
citer  que  les  plus  grands. 

Des  faits  historiques  auxquels  il  a  assisté,  Doldé 
n'en  mentionne  aucun.  Des  savants  qu'il  a  connus,  il 
fait  une  énumération  consciencieuse  mais  sèche,  et  sans 
donner  plus  de  détails  que  lorsqu'il  consigne  des  noms 
d'hôteliers  ou  de  conducteurs  de  diligences.  Des  sites 
et  des  monuments  qu'il  a  vus,  le  musée  de  Berlin,  la 
galerie  verte  de  Dresde,  Zurich  et  son  lac,  semblent 
seuls  avoir  frappé  son  attention.  Aucun  cri  d'admiration 
ni  pour  les  fontaines  de  Nuremberg,  ni  pour  le  Louvre 
de  Paris,  ni  pour  le  parc  de  Versailles,  ni  pour  la  mon- 
tagne, ni  pour  la  mer.  Peu  d'anecdotes  :  l'auteur  a 
mangé  de  fort  bon  poisson  dans  une  île  où  le  jeta  la 
tempête,  et  a  failli  être  assassiné  dans  une  forêt  de  la 
Suisse.  Voilà  toutes  ses  aventures  de  voyage. 


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SOUVENIRS    d'un    MÉDECIN    STRASBOUUOEOIS  63 

Pourtant  c'est  sans  ennui  qu'on  lit  les  feuillets  jaunis 
sur  lesquels  ont  été  recopiés  ces  souvenirs,  par  une 
main  pieuse,  celle  sans  cloute  de  la  fille  du  vieux 
docteur. 

L'auteur,  avec  une  candeur  charmante,  s'y  montre 
à  nous  sans  fard.  Nous  lui  découvrons  des  déi'auts, 
nous  sentons  un  esprit  trop  fermé  aux  belles  choses 
de  la  nature  et  de  l'art,  nous  le  voyons  accepter  trop 
aisément  un  ducat  d'une  belle-mère  qu'il  déteste,  nous 
lui  trouvons  un  peu  trop  d'amour  pour  l'argent,  qui 
lui  manqua  si  souvent,  hélas  !  Nous  lui  reconnaissons 
aussi  des  qualités.  Travailleur  et  persévérant,  il  obéit 
à  sa  vocation  médicale,  malgré  les  obstacles  qui  en- 
combrent sa  route.  Ses  qualités  de  cœur  ne  sont  pas 
moins  réelles,  car  partout  où  il  va  il  se  crée  de  solides 
amitiés.  C'est  un  excellent  chrétien.  Il  a,  à  un  haut 
degré,  le  culte  de  sa  famille  ;  aucun  effort  ne  lui  coûte 
pour  en  recueillir  les  plus  lointaines  traditions. 

Mais  autre  chose  encore  nous  intéresse  en  cette 
histoire.  Au  XV*  siècle,  au  xvi«  siècle  peut-être,  une 
famille  alsacienne  s'établit  à  Stuttgart.  De  là  elle  va  en 
Silésie,  en  Pologne,  à  Fraustadt  <  au  milieu  des  dunes 
où  s'agitent  les  ailes  des  moulins  à  vent>.  Deux  siècles 
se  passent,  puis  son  dernier  rejeton  regagne  le  pays 
d^origine.  Des  raisons  professionnelles,  je  ne  sais  quels 
conseils  reçus  à  Saint-Pétersbourg,  suffisent-ils  à  expliquer 
ce  retour  au  sol  des  aïeux .^  Penserons-nous  plutôt  que 
La  voix  mystérieuse  de  ses  morts  d'Alsace  y  a  rappelé 
ce  déraciné  ^  Quoi  qu'il  en  soit,  Jean-Jacques  Doldé  ira 
mourir  à  l'ombre  de  l'église  Saint-Thomas,  où  depuis 
si  longtemps  dort  un  de  ses  ancêtres. 

Il  nous  a  été  facile  d'identifier  la  plupart  des  per- 
sonnages de  quelque  notoriété  cités  ici.  Les  biographies 
Didot  et  Michaud  malgré  leurs  inexactitudes,  le  diction- 
naire Dechambre,  les  monographies  de  Hjelt,  de  Stetti- 
ner,  de  Richter  et  de  Wieger,  l'index-catalogue  de  la 
bibliothèque  des  chirurgiens  militaires  de  Washington, 
nous  ont  été  très  utiles. 


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04  REVUE  d'aLSACE 

Je  dois  à  Tobligeance  de  M*"*  Dobelmann-Kampmann,. 
arrière-petite-nièce  du  docteur  Doldé,  la  communication 
du  manuscrit  de  ces  souvenirs. 

Er.   W. 


Histoire  de  la  vie  de  feu  M.  Jean- Jacques 

Doldéy   de  son   vivant  docteur  en 

médecine  à  Strasbourg. 

Jean-Jacques  Doldé,  docteur  en  médecine,  bourgeois- 
et  praticien  à  Strasbourg  en  Alsace,  en  même  temps 
que  physicien  à  Bischwiller,  a  laissé  cet  écrit  en  sou- 
venir à  ses  enfants. 

Aujourd'hui,  ce  17  août  1777,  m'étant  au  point  du 
jour  réveillé  en  bonne  santé,  et  ayant  par  la  grâce  de 
Dieu  atteint  la  soixantième  année  de  mon  âge,  j'écrivis- 
ces  lignes  :  tout  d'abord  pour  remercier  mon  Créateur^ 
qui  dans  sa  haute  sagesse  m'a  gouverné  et  dirigé  jus- 
qu'à ce  jour,  ensuite  pour  rappeler  à  mes  enfants,, 
lorsque  je  ne  serai  plus  de  ce  monde,  le  lieu  de  ma 
naissance  et  les  souvenirs  que  j'ai  conservés  de  mes- 
parents,  de  mes  grands-parents  et  arrière-grands-parents- 
J'ai  également  noté  ici  comment  Dieu  me  dirigea  dans 
le  monde,  depuis  ma  naissance,  c'est-à-dire  depuis  le- 
17  août  17 17  jusqu'à  la  soixantième  année  de  mon  âge- 
Cet  écrit  n'est  qu'un  souvenir  que  je  laisse  à  mes 
enfants. 

Ma  naissance,  mon  éducation,  mes  voyages. 

L'an  1717,  le  17  août,  je  naquis  à  Schlichtingsheim,. 
petite  ville  voisine  de  Groszglogau,  située  sur  la  frontière 
de  Pologne,  et,  le  19  du  même  mois,  je  fus  baptisé 
dans  l'église  évangélique  luthérienne   (Schlichtingsheim. 


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SOUVENIRS   d'un   MÉDECIN    STRASBOURGEOIS  65 

n*a  qu'une  église  et  ses  habitants  sont  tous  luthériens)  i). 
Jean  et  Jacques  furent  mes  noms  de  baptême.  Mon 
père  s^appelait  Jean-Jacques  Doldé;  il  était  baigneur- 
chirurgien  et  bourgeois  dudit  endroit;  ma  mère  s'appe- 
lait Anne-Sabine  D.,  née  Degner,  et  était  native  de 
Fraustadt.  Tous  ces  renseignements  figurent  sur  mon 
billet  de  baptême. 

Dès  que  mon  âge  le  permit,  je  fréquentai  l'école 
de  Schlichtingsheim,  mais  des  maladies  telles  que  la 
petite  vérole  et  d'autres  affections  de  l'enfance  m'en 
écartèrent  maintes  fois  jusque  vers  l'âge  de  sept  ans, 
âge  auquel  j'avais  éprouvé  toutes  les  maladies  habi- 
tuelles aux  enfants.  A  part  ces  maLidies,  grâce  à  la 
bonne  constitution  dont  j'avais  hérité  de  mes  parents, 
j'étais  un  enfant  bien  portant,  autant  que  j'en  puisse 
juger  par  mes  propres  souvenirs  et  par  les  récits  de 
mes  parents. 

J'avais  huit  ans  quand  mon  père  vendit  sa  maison 
et  son  jardin  de  Schlichtingsheim,  pour  aller  habiter 
Fraustadt,  ville  qui,  plus  importante  et  plus  peuplée, 
lui  promettait  des  ressources  plus  grandes  ;  peut-être 
avait-il  été  poussé  à  prendre  ce  parti  par  ma  mère 
dont  les  parents  habitaient  Fraustadt  2).  Mon  père  acheta 
à  Fraustadt  une  belle  maison,  et  obtint  les  privilèges 
nécessaires  pour  être  autorisé  à  soigner  son  prochain 
dans  ses  maladies  tant  internes  qu'externes.  Il  ouvrit 
dans  sa  maison  une  boutique  d'apothicaire  aussi  bien 
aménagée  que  peut  Têtre  une  officine  dans  une  petite 
ville,  mais  n'exploita  guère  l'étuve  installée  auprès  de 
chez  lui,  tirant  sa  subsistance  de  rexerci:e  de  la  chirurgie 


1)  Schlichtingsheiin,  bourg  du  canton  de  Fraustadt,  fait  aujourd'hui 
partie  de  la  province  prussienne  de  Posen.  Fondé  en  1642  par  des 
réfugiés  silésiens,  il  appartint  au  royaume  de  Pologne  jusqu'en  1772.  — 
Gro&zglogâu,  cheMieu  d'arrondissement  de  la  Silésie  prusienne,  appartint 
à  l'Autriche  jusqu'en   1741,  date  à  laquelle  il  fut  pris  parles  Prussiens. 

a)  Fraustadt  (en  polonais  Wszowa),  chef-lieu  d'arrondissement  de  la 
province  de  Posen,  appartint  i  la  Pologne  jusqu'en   1772. 

Sarne  d'Alêoce,  1907  6 


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66  REVUE  d'alsace 

et  de  la  médecine  interne  dans  la  ville  et  dans  ses 
environs. 

Nous  habitions  Fraustadt  depuis  peu,  lorsque  ma 
mère  tomba  malade  :  son  état  empira  peu  à  peu,  une 
maladie  consomptive  la  cloua  au  lit  pendant  de  longues 
semaines,  et  Dieu  finit  par  me  l'enlever.  J^avais  alors 
à  peu  près  neuf  ans.  Cette  mort  me  laissa  très  isolé: 
je  n'avais  plus  de  mère  et  mon  père  était  rarement  à 
la  maison.  Au  bout  d'un  peu  plus  de  deux  ans  mon 
père  se  remaria,  épousant  une  demoiselle  Eckart  dont 
le  père  avait  été  pasteur  dans  une  localité  des  environs. 
En  me  donnant  cette  belle-mère.  Dieu  me  fit  un  don 
aussi  précieux  que  s'il  m'eût  envoyé  une  mère  véritable. 
Elle  me  montra  autant  d'amour,  autant  de  tendresse, 
qu'une  mère  peut  en  avoir  pour  son  enfant.  J'étais 
d'ailleurs  le  seul  enfant  que  mon  père  lui  avait  apporté 
de  son  premier  mariage.  Je  continuais  à  fréquenter  les 
classes  du  gymnase  ;  de  plus  mon  nouveau  grand-père, 
en  sa  qualité  de  savant,  me  donnait  des  leçons  de 
latin,  et  je  m'exerçais  à  écrire  et  à  compter. 

Là-dessus  le  désir  me  vint  d'étudier  la  médecine,  et 
il  était  à  peu  près  décidé  que  j'obéirais  à  mon  penchant. 
Mon  père  toutefois  n'était  guère  de  cet  avis,  je  ne  sais 
trop  pourquoi,  soit  à  cause  de  l'insuffisance  de  ses 
ressources,  soit  pour  toute  autre  raison.  Nous  étions 
alors  trois  frères  et  sœur,  le  second  mariage  de  mon 
père  lui  ayant  donné  un  fils  et  une  fille.  Aussi  grande 
avait  été  ma  joie  de  retrouver  une  mère  aussi  aimable, 
aussi  grande  fut  ma  douleur,  lorsque  quelques  années 
après  Dieu  me  la  reprit.  Elle  mourut,  et  de  ce  temps 
je  désespérai  de  jour  en  jour  davantage  de  jamais  pou- 
voir étudier  la  médecine. 

Mon  père  m'engageait  de  plus  en  plus  à  l'aider, 
par  conséquent  à  borner  mes  ambitions  à  l'état  de 
chirurgien.  Connaissant  les  simples  usuels,  il  les  récoltait 
lui-même  chaque  année,  et  c'est  ainsi  qu'il  m'amena  à 
approvisionner  d'herbes  notre  grenier.  Mon  père  m'apprit 
à  distiller,  à  faire  des  préparations  chimiques.  Au  point 


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SOUVENIRS  d'un   MÉDECIN   STRASBOURGEOIS  67 

de  vue  chirurgical,  il  était  aussi  expérimenté  que  peut 
rêtre  un  chirurgien  dans  une  petite  ville.  Usant  des 
qualités  dont  Dieu  l'avait  doué,  il  mettait  à  profit  les 
entretiens  et  la  correspondance  d'habiles  médecins, 
d'apothicaires  et  de  jardiniers.  Il  aimait  à  lire  et  à  écrire, 
<:e  qui  lui  fut  d'autant  plus  utile  qu'il  n'eut  jamais 
roccasion  de  fréquenter  des  écoles  bien  savantes.  Le 
petit  jardin  qu'il  possédait  auprès  de  sa  maison,  était 
rempli  d'herbes  utiles  et  de  fleurs  qu'il  cultivait  tant 
pour  son  utilité  que  pour  son  agrément. 

M'exerçant  journellement  de  la  sorte,  et  bien  que 
ne  possédant  pas  les  principes  exacts  de  la  science, 
j'acquis  bien  des  connaissances  utiles.  En  pesant  avec 
soin  des  médicaments  j'appris  à  connaître  le  poids  médi- 
cinal; en  mélangeant  les  médicaments  externes  ou 
internes,  j'appris  quelles  étaient  leurs  propriétés,  toutes 
choses  que  négligent  beaucoup  de  ceux  qui  étudient 
la  chirurgie,  en  chambre,  mais  dont  j'appréciai  plus 
tard  l'utilité  lorsque  je  suivis  les  cours  des  universités. 
Mon  père  me  conseillait  de  devenir  chirurgien  comme 
Jui;  pourtant  il  me  promit  que  si  un  jour  je  me  trouvais 
dans  une  ville  d'université  et  que  si  je  m'y  faisais 
connaître,  rien  ne  s'opposerait  à  ce  que  j^étudie  ensuite 
la  médecine;  il  m'y  aiderait  autant  que  le  lui  permettrait 
sa  fortune.  Sur  cette  promesse,  je  continuai  à  étudier 
la  chirurgie. 

J'avais  dix-sept  ans  lorsque  mon  père  se  remaria  à 
nouveau,  épousant  cette  fois  une  veuve  Eve-Catherine 
Masculius.  Elle  fut  pour  moi  une  vraie  marâtre,  pour 
mon  père  une  épouse  désagréable;  comme  dit  le  pro- 
verbe, chacun  des  deux  mariés  comptait  se  chauffer 
auprès  de  l'autre,  espérant  faire  un  riche  mariage.  Cette 
femme  était  sensiblement  plus  âgée  que  mon  père,  dont 
le  choix  malheureux  avait  été  sans  douté  dicté  par  le 
désir  d'obtenir  une  belle  dot  et  de  ne  plus  avoir  d'en- 
fants. Elle  vécut  douze  ans  encore  au  grand  déplaisir 
de  mon  père,  qui  apprit  ainsi  combien  on  a  tort  de 
ne  songer  qu'à  la  question  d'argent.  Ce  mariage  réduisit 


H 


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68  REVUE  d'alsace 

notre  fortune  plus  qu'il  ne  l'accrut,  et  porta  préjudice 
à  mes  intérêts  aussi  bien  qu'à  ceux  de  mon  frère  et 
de  ma  sœur. 

Enfin  arriva  l'époque  où  je  terminai  mon  appren-^ 
tissage  de  chirurgien.  Je  restais  encore  quelque  temps 
à  la  maison  auprès  de  mon  père.  On  chercha  une  occa-^ 
sion  de  m'établir  au  loin  ;  cette  occasion  se  trouva  à 
Thorn,  et  tel  fut  le  but  de  mon  premier  voyage. 
Thorn  possède  un  gymnase,  dont  j'espérais  pouvoir 
tirer  parti  »). 

Mon  départ  fut  fixé  au  15  juin  1736.  Ce  jour-là 
mon  père  me  donna  deux  ducats  que  je  joignis  à  trois- 
ducats,  fruit  de  mes  économies  et  de  la  libéralité  de 
quelques  amis.  De  la  sorte  je  possédais  pour  mon  voyage- 
une  somme  correspondant  environ  à  cinquante  livres 
de  monnaie  française. 

Je  partis  de  Fraustadt  sur  une  voiture  de  roulage,, 
et,  grâce  à  Dieu,  j'arrivai  heureusement  le  2t  du  même 
mois  à  Thorn,  ville  de  la  Pologne  prusienne,  située  à 
trente  milles  d'Allemagne,  c'est-à-dire  à  soixante  lieues^ 
de  Fraustadt.  Je  ne  dis  rien  des  villes  et  des  villages 
que  je  traversai  au  cours  de  mon  voyage;  ils  ne  me- 
montrèrent  rien  de  remarquable. 

A  Thorn  je  me  rendis  chez  M.  Illing,  dans  la  maison 
duquel  j'exerçais  la  chirurgie,  j'y  trouvai  les  rudiments 
d'un  hôpital,  car,  après  le  siège  de  Danzig,  un  chirur- 
gien français  avait  installé  dans  la  maison  de  M.  Illing 
un  grand  nombre  de  blessés  dont  quelques-uns  étaient 
encore  en  traitement  lors  de  mon  arrivée  2).  Après  avoir 
passé    quelque    temps  à   Thorn,   je    m'aperçus   que  le* 


i)  Thorn,  en  même  temps  qu'un  gymnase  protestant,  possédait  un- 
collège  de  Jésuites,  et  les  élèves  des  deux  établissements  en  étant  venus- 
aux  mains  en  1724,  le  gouvernement  polonais  prit  des  mesures  draco- 
niennes pour  rétablir  Tordre.  Le  maire  et  neuf  bourgeois  eurent  la  tête* 
tranchée.  Thorn  était  encore  à  la  Pologne  à  Tépoque  où  y  passa  Doldé,. 
qui  place  à  tort  cette  ville  en  Prusse. 

2)  Danzig,  qui  resta  à  la  Pologne  pendant  la  plus  grande  partie  du 
xvni*  siècle,  servit  en  1734  de  refuge  à  Stanislas  Leczinski.  Assiégée- 
par  les  Russes  et  les  Saxons,  elle  capitula  le  9  juillet. 


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SOUVENIRS   d'un   MÉDECIN    STRASBOUkGEOÎS  69 

séjour  dans  cette  ville  ne  m'était  guère  profitable.  Le 
désir  me  vint  de  voyager,  et,  ayant  réuni  quelques 
•économies,  je  quittai  Thorn  le  3  mai  1737  et  partis 
pour  Danzig  en  bateau  sur  la  Vistule.  (Danzig  est 
éloignée  de  Thorn  de  vingt-quatre  milles,  c'est-à-dire 
de  quarante-huit  lieues  ;  par  bateau  la  distance  est  de 
trente  milles).  A  deux  milles  de  Thorn,  notre  bateau 
prit  l'eau  à  la  suite  d'un  choc,  et  c'est  à  grand'peine 
•que  nous  nous  tirâmes  de  là.  Quelqu'un  de  nous  fut 
envoyé  à  la  ville  pour  demander  qu'on  nous  porte 
secours;  nous  dûmes  nous  arrêter  pendant  deux  jours, 
le  temps  de  réparer  Tavarie,  puis  nous  poursuivîmes 
notre  voyage,  et  le  8  mai  nous  abordions  heureusement 
à  Danzig. 

A  Danzig,  deux  maisons  étaient  prêtes  à  m'accueillir, 
mais  une  querelle  ayant  éclaté  entre  deux  messieurs 
chez  qui  je  devais  séjourner,  querelle  assez  grave  pour 
les  conduire  devant  les  juges,  l'existence  à  Danzig  me 
devint  insupportable,  et  je  décidai  de  quitter  cette  ville 
pour  aller  à  Stockholm  ;  je  me  félicitai  plus  tard  d'avoir 
■eu  cette  idée.  Au  bout  de  cinq  semaines  à  peine  de 
séjour  à  Danzig,  d'abord  chez  M.  Lamprecht  dans  le 
faubourg  d'Ecosse"),  puis  chez  M.  Falck  dans  la  ville 
même,  je  m'embarquai  sur  le  bateau  Saint-André^  dont 
■le  capitaine  s'appelait  Rickerlille,  le  15  juin  1737,  et, 
le  24  du  même  mois,  malgré  la  tempête  et  le  mauvais 
temps,  j'atterrissais  heureusement  à  Stockholm. 

Je  me  rendis  à  Ladugartsland,  chez  M.  Gœdecke, 
afin  d'y  exercer  la  chirurgie  sous  sa  maîtrise  2).  J'y 
passai  trois  ans  pendant  lesquels  je  pus  faire  quelques 
économies.  De  plus  j'avais  le  bonheur  de  rencontrer 
plusieurs  fois  par  semaine  l'archiâtre  Nordenheim,  méde- 


i)  Deux  faubourgs  de  Danzig  portent  le  nom  d^Ecosse  :  AU*Schott- 
4and  (la  vieille  Ecosse),  au  sud,  et  Neu-Sctiottland  (la  nouvelle  Ecosse), 
■à  4  km.  au  nord-ouest  de  la  ville. 

2)  Ladugartsland,  faubourg  de  Stockholm,  occupé  aujourd'hui  surtout 
{>ar  des  casernes. 


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70  REVUE   D  ALSACE 

cin  privé  de  la  reine  et  je  soignais  des  malades  sous 
sa  haute  direction  ;  M.  Nordenheim,  qui  en  même  temps 
que  M.  Van  Horn  avait  été  chargé  de  renseignement 
des  sages-femmes,  contribua  à  me  donner  le  désir  d'étu- 
dier l'art  des  accouchements,  qui  jusque-là  m'était  totale- 
ment inconnu  »). 

Ce  maître  me  montra  beaucoup  d'amitié,  et  je 
cherchai  à  profiter  le  plus  possible  de  son  enseigne- 
ment. 

Ayant  passé  trois  ans  à  Stockholm  et  M.  Norden- 
heim étant  mort,  je  résolus  d'aller  à  Riga.  Je  m'em- 
barquai le  1 1  mai  1 740  (vieux  style),  sur  un  bateau 
chargé  de  pierres  et  de  sable.  Ce  voyage  était  fort 
périlleux,  la  mer  étant  encore  couverte  de  glaçons 
provenant  des  fleuves  qui  s'y  déversent.  A  quelques 
milles  de  Riga,  on  nous  parqua  au  fond  du  bateau, 
nous  recommandant  de  nous  mettre  en  prières  et  de 
nous  préparer  à  la  mort;  le  danger  était  grand  et  le 
bateau  menaçait  de  sombrer.  Toutefois  Dieu  nous 
secourut,  et,  le  18  mai,  nous  débarquâmes  heureusement 
à  Riga. 

N'ayant  aucun  motif  de  m'arrêter  à  Riga,  je  n'y 
demeurai  que  seize  jours,  chez  M.  Erxleben.  Le  3  juin 
je  partis  sur  une  voiture  de  roulage,  conduite  par  un 
voiturier  nommé  Will,  pour  me  rendre  à  Kœnigsberg, 
et,  voyageant  ainsi  à  travers  la  Courlande,  je  passai 
par  Mitau,  Libau  et  Memel.  Là  je  m'embarquai  sur  un 
bateau,  qui  par  le  golfe  de  Courlande  me  conduisit  à 
Kœnigsberg,  où  j'arrivai  heureusement  le  18  du  même 
mois. 


i)  Jean-Christophe  Nordenheim  (ou  Heyn)  naquit  en  1681.  Il  fut 
médecin  des  armées  suédoises,  puis  médecin  du  roi  de  Suède.  Il  mourut 
en  1740.  —  Jean  Van  Horn  (1662-1724)  était  mort  lors  du  séjour  de 
Doldé  à  Stockholm.  Premier  médecin  du  roi,  il  avait  été  chargé  par  le 
Gouvernement  de  régler  tout  ce  qui  concerne  rétablissement  des  sages- 
femmes.  (HjBLT  (O.  E.  A.),  Svtnska  ock  finska  médicinal  vtrktts  kistO"- 
fia.,.  Helsingfors,  1893,  3  vol.  in.8«). 


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SOUVENIRS    d'un    MÉDECIN    STRASBOURGEOIS  7I 

A  Kœnigsberg,  un  certain  M.  Brodhag  m'offrit  un 
logis  dans  sa  maison;  je  vins  habiter  chez  lui  le  3  juillet 
1740,  ne  connaissant  d'ailleurs  personne  dans  la  ville, 
et  je  recommençai  à  exercer  mon  métier  de  chirurgien. 
Avec  quelques  amis,  je  suivis  les  cours  d*ostéoIogie  de 
M.  le  docteur  Bittner,  et  ainsi  je  nouai  des  relations 
avec  de  nombreux  étudiants  >).  J'appris  à  connaître  aussi 
M.  le  professeur  Keszelring,  qui  était  professeur  dana- 
tomie  et  qui  faisait  en  même  temps  un  cours  d'ostéo- 
logie  2).  Un  de  mes  bons  amis  m'ayant  plusieurs  fois 
emmené  à  ce  cours,  j'entrai  peu  à  peu  dans  l'intimité 
du  professeur,  je  lui  dévoilai  mes  projets  d'avenir;  il 
se  prit  daff'ection  pour  moi  et  m'admit  gratuitement  à 
ses  leçons.  Au  bout  de  trois  mois  je  quittai  la  maison 
de  M.  Brodhag  et  pris  pension  chez  un  serrurier.  Je 
fréquentai  avec  assiduité  les  cours  d'ostéologie  de  M.  le 
professeur  Keszelring,  et  enfin  j'entrepris  l'étude  de 
l'anatomie.  Ce  maître,  devenu  pour  moi  un  véritable 
ami,  me  proposa  au  bout  de  quelques  semaines  de 
m'héberger  sous  son  toit,  et  promit  de  me  venir  en 
aide  en  toute  occasion  jusqu'au  jour  où  je  serais  promu 
docteur.  Riche  et  sans  enfants,  il  était  fort  aff'able  et 
aimé  de  tout  le  monde.  Le  7  mars  1741,  M.  J.-J.  Quant, 
professeur  de  théologie,  me  fit  immatriculer  à  l'univer- 
sité3).  Je  crus  qu'une  étoile  de  félicité  s'était  levée  pour 
moi.  Je  pensai  aux  paroles  de  mon  père,  qui  m'avait 
promis  que  si  un  jour  je  venais  à  suivre  les  cours  d'une 


1)  BiUner  (ou  BueUner),  qui  a  laissé  un  nom  dans  la  médecine 
légale,  était  an  des  six  professeurs  de  la  faculté  médecine  de  Kœnigs» 
berg.  Cette  faculté  avait  été  complètement  réorganisée  en  1738.  La 
chaire  de  botanique  avait  été  séparée  de  la  chaire  d^anatomie;  on  avait 
introduit  dans  l'enseignement  Tétude  de  certaines  spécialités  telles  que 
la  gynécologie.  Enfin  Bittner  avait  fait  édifier  à  ses  frais  un  théâtre 
anatomique.  (Stettineb,  Aus  der  Geschichu  der  Albirtina  :  iS44'i8g4, 
Kœnigsberg.   1894,  in-S"). 

2)  Jean-Henri  Keszelring  (1713-1741),  auteur  de  quelques  écrits 
historiques  et  pratiques  sur  la  lithotomie,  quitta  probablement  Halle  pour 
Kœnigsberg  en   1 738  ou  en   1 739. 

3)  Qnandt  (Jean-Jacques),  chef  des  luthériens  orthodoxes  à  Kœnigs- 
berg. Homme  d'une  grande  érudition,  son  éloquence  était  fort  prisée 
par  le  grand  Frédéric.  (Stbttiner,  op.  cit.). 


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72  REVUE   D'ALSACE 

université,  il  me  viendrait  en  aide.  Comme  mes  écono- 
mies de  Stockholm  diminuaient,  je  lui  demandai  du 
secours,  tout  en  lui  donnant  de  mes  nouvelles.  Afin 
de  ne  causer  à  mon  père  aucune  privation,  je  le  priai 
seulement  de  m'envoyer  le  montant  d'une  vieille  dette 
dont  ma  mère  avait  été  la  créancière,  et  c'est  ainsi  que 
je  reçus  quelque  argent.  L'époque  était  venue  où  je 
devais  m'installer  dans  ma  nouvelle  demeure,  et  je 
croyais  pouvoir  enfin  atteindre  à  ce  que  je  considérais 
comme  mon  bonheur,  lorsque  le  professeur  tomba 
malade  et  mourut;  je  dus  encore  dire  adieu  à  tous 
mes  beaux  projets.  Les  vœux  anciens  de  mon  père 
semblaient  sur  le  point  de  se  réaliser,  et  voilà  que  mes 
espérances  étaient  si  tôt  anéanties. 

Mes  ressources  étaient  trop  modestes,  et  mon  père 
m'envoyait  trop  peu  d'argent,  pour  que  je  pusse  songer 
à  continuer  mes  études  ;  aussi  je  ne  restai  plus  que  peu 
de  temps  à  Kœnigsberg.  Ayant  fait  connaissance  avec 
des  Livoniens  et  des  Courlandais,  nobles  et  bourgeois, 
je  m'étais  créé  quelques  relations  à  Riga.  On  m'écrivit 
de  cette  ville  pour  me  demander  d'y  revenir.  Je  m'y 
décidai,  et,  conduit  par  le  voiturier  Reisz,  je  partis  de 
Kœnigsberg,  le  26  avril  1741,  à  destination  de  Riga. 
Après  avoir  traversé  en  bateau  le  golfe  de  Courlande 
et  débarqué  à  Memel,  je  voyageai  par  terre  et  passai 
par  les  villes  de  Libau  et  de  Mitau,  pour  arriver  heu- 
reusement, le  12  mai,  à  Riga.  Là  je  me  rendis  chez 
M.  Staehiin,  afin  d'excercer  la  chirurgie.  Je  prenais 
plaisir  à  parcourir  les  environs  de  la  ville,  et  il  m'arri- 
vait  de  séjourner  une  ou  deux  semaines,  parfois  plus 
longtemps,  chez  des  gentilshommes  campagnards,  car 
M.  Staehiin  connaissait  beaucoup  de  monde  à  la  cam- 
pagne, et  l'âge  l'empêchait  de  parcourir  le  pays  »). 


1)  De  ce  pasvage  un  peu  obscur,  il  Remble  résulter  que  Stsehlia 
étrfii  médecin  ou  chirurgien.  Dans  ce  ca«  D^Mo  n*aurait  pan  été  «eule» 
jnenl  bon  iochtaire,    mais  aussi  en  quelque  soi  le  «tau  aïkbisUiil. 


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SOUVENIRS    D*UN   MÉDECIT   STRASBOURGEOIS  73 

En  ville  j*eus  Toccasion  de  visiter  des  malades  en 
compagnie  de  M.  le  docteur  Stimsel.  J'acquis  quelque 
réputation;  je  pus  économiser  deux  cents  ducats  et 
renouveler  ma  garde-robe.  Je  restai  trois  ans  à  Riga; 
au  bout  de  ce  temps  M.  Staehlin  mourut.  Aucun  motif 
ne  me  retenait  plus  à  Riga,  et  ma  fortune  était  trop 
mince  pour  me  permettre  d'aller  suivre  les  cours  d'une 
université.  Je  résolus  donc  d'aller  à  Saint-Pétersbourg 
et  partis^  le  19  mai  1744  (vieux  style),  avec  un  gemschick 
russe.  (C'est  ainsi  qu'on  appelle  là-bas  les  voituriers). 
Je  lui  donnai  pour  ce  voyage  dix  roubles;  je  n'en 
dépensai  en  route  que  deux  pour  mon  entretien,  le 
voyageur  n'ayant,  dans  ces  contrées,  guère  d'occasions 
de  dépenser  son  argent.  Je^ traversai  Wollmar,  Walk, 
Dorpat  et  Narva.  Les  routes  sont  sûres  en  Livonie, 
mais  entre  Narva  et  Saint-Pétersbourg  j'étais  moins 
rassuré.  J'arrivai  pourtant  sain  et  sauf,  le  28  mai  au 
matin,  à  Saint-Pétersbourg.  Je  logeai  à  \ hôtellerie  de 
Riga  trois  journées  durant,  puis  chez  un  sellier  nommé 
Segelin. 

Mon  dessein  était  de  chercher  un  emploi  au  collège 
de  médecine,  ou  de  demander  un  privilège  dont  je  me 
servirais  pour  m'établir  en  Livonie  ;  cependant  mes 
roubles  diminuaient  et  je  ne  voyais  rien  venir,  la  cour 
étant  alors  à  Moscou.  Je  m'abstins  donc  de  faire  aucune 
demande,  des  amis  me  conseillant  de  me  livrer  à  la 
pratique  de  mon  art.  Je  suivis  leurs  conseils  et  m'ea 
trouvai  bien. 

Quand  la  cour  fut  re/enue  à  Saint-Pétersbourg,  j'eus 
'le  bonheur  de  m'approcher  de  quelques  personnes  de 
la  suite  de  l'ambassadeur  de  Prusse,  qui  eurent  assez 
de  crédit  pour  m'introduire  chez  lui.  J'eus  aussi  l'occa- 
sion d'être  employé  à  l'ambassade  de  l'empire  alle- 
mand ;  ma  clientèle  s'étendit  et  j'exerçai  la  médecine 
interne  aussi  bien  que  la  chirurgie.  Enfin  je  fis  la 
connaissance  de  l'archiâtre  Kau-Bcerhaave,  médecin 
privé  de  l'impératrice,   qui   m'introduisit  auprès  de  ses 


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74  REVUE  d'alsace 

clients').  Saizer,  le  chirurgien  en  chef  de  l'hôpital 
maritime,  me  prit  aussi  en  amitié,  et,  grâce  à  son 
amitié,  mes  allaires  devenaient  de  jour  en  jour  plus 
prospères  ;  je  me  rencontrais  avec  lui  chez  des  malades 
de  ma  clientèle,  et,  comme  son  nom  était  estimé  de 
tous,  un  peu  de  sa  réputation  rejaillissait  sur  moi  2). 

Mes  affaires  étant  satisfaisantes,  je  changeai  de  domi- 
cile  et  alla  habiter  chez  M.  le  lieutenant  Wonneberg. 
Là  ma  clientèle  s'accrut  encore.  M.  Saizer  me  fit  faire 
la  connaissance  de  ^I.  le  professeur  Schreiber,  dont  je 
suivis  les  cours  de  chirurgie,  puis  de  physiologie  3). 

Le  réputation  de  ce  savant  était  universelle.  Deux 
étrangers  vinrent  suivre  ses  leçons;  Tun  d'eux  se  trouva 
être  de  mes  vieux  amis,  nommé  Simmerling,  qui  avait 
été  premier  commis  chez  un  apothicaire  de  Riga.  11 
me  rendit  visite  aussitôt  arrivé,  suivit  les  cours  du 
professeur  Schreiber,  et  fréquenta  avec  assiduité  l  hôpi- 
tal de  terre  et  Thôpital  maritime  4).  Lorsque  les  cours 
qu'il  suivait  eurent  cessé,  Simmerling,  sur  le  conseil  de 
M.  le  professeur  Schreiber,  décida  de  se  rendre  à  Stras- 
bourg. Il  me  demanda  si  je  ne  voulais  pas  l'y  accom- 
pagner, ajoutant  que  c'était  pour  y  apprendre  les 
accouchements  qu'il  voulait  se  rendre  dans  cette  ville^ 
J'examinai  ma   fortune,   je   pensai  que  je   ne  pourrais 


i)  Hermano  Kau-Boerhaave,  souvent  confondu  par  les  biographes 
avec  son  frère  Abraham,  était  le  neveu  du  grand  Boerhaave.  Docteur 
de  l'université  de  Leyde,  depuis  1 729,  il  devint  médecin  de  la  cour  de 
la  Russie  en  1740,  puis  conseiller  privé,  premier  archiâtre,  directeur 
du  collège  de  médecine,  et  membre  de  l'Académie  impériale  des  sciences. 
Il  mourut  à  Moscou  en  1753.  (V.  Richtbr,  GeschichU  der  Médian  m 
Russland,  Moskwa,  1815-17,  3  vol.  in-8<»). 

3)  Il  s'agit  sans  doute  de  David-Christian  Saltzer,  qui  fut  nommé 
chirurgien  de  la  cour  en   1749.  (V*  RiCHTER,  op.  cit.). 

3)  Schreiber  (Jean -Frédéric),  né  à  Kœnigsberg  en  1705,  mort  à 
Saint-Péter>bourg  en  1760.  Médecin  de  l'armée  russe  en  1731,  il  fit  la 
guerre  de  Turquie;  en  1742,  il  fut  nommé  professeur  d'anatomie  el 
de  chirurgie  à  Saint-Pétersbourg  et,  en  1757,  médecin-conseiller  de 
l'impératrice  (DfiZEiMRRis). 

4)  L'hôpital  de  terre  (ou  de  l'armée  de  terre)  et  l'hôpital  maritime 
furent  fondés  en  1715  par  Fierre-le-Grand  sur  la  rive  droite  de  la  Neva» 
Deux  théâtres  anatomiques  étaient  annexées  à  cen  superbes  édifices  qu» 
pouvaient  contenir  plus  de  cinq  cents  malades.   (V.  RiCHTSR,  op,  cit.). 


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SOUVENIRS   d'un    MEDECIN    STRASBOURGEOIS  75 

indéfiniment  rester   à  Saint-Pétersbourg,    et,    d'ailleurs, 
je  désirais  aussi  apprendre  Tart  des  accouchements. 

Comme  j'avais  fait  quelques  économies  et  que  je 
pouvais  me  dispenser  d'avoir  recours  aux  envois  d'argent 
de  mon  père,  je  répondis  à  mon  ami  que  j'étais  tout 
disposé  à  partir  avec  lui.  Je  réalisai  mes  créances  dans 
la  mesure  du  possible;  plusieurs  notes,  bien  entendu, 
restèrent  impayées.  Avant  mon  départ  je  confiai  mes 
économies  à  un  négociant,  en  échange  d'une  lettre  de 
crédit  payable  à  Hambourg. 

Le  9  juillet  1747  (vieux  style)  nous  partîmes  donc 
tous  deux  en  bateau  de  Saint-Pétersbourg  pour  Cronstadt 
où  nous  arrivâmes  le  même  jour.  Le  16  juillet  nous 
nous  embarquâmes  sur  un  bateau  de  voiles,  dont  le 
capitaine  s'appelait  Dehtloff  Baur,  à  destination  de 
Lûbeck.  Une  forte  tempête  nous  força  à  jeter  l'ancre 
dans  l'île  de  Bornholm,  où  nous  débarquâmes  et  où 
nous  mangeâmes  du  fort  bon  poisson.  Après  avoir  passé 
un  jour  et  une  nuit  dans  cette  île,  qui  appartient  au 
Danemark,  nous  poursuivîmes  notre  route.  Ballottés  par 
les  vents  nous  fûmes  en  grand  danger  dans  les  parages 
de  l'île  de  Semens.  Enfin,  grâce  à  Dieu,  nous  débar- 
quâmes le  15  août  à  Travemuende.  Il  faisait  déjà  nuit; 
le  lendemain  16  nous  en  partîmes  en  voiture  de  poste 
pour  Hambourg,  où  nous  arrivâmes  le  même  jour.  A 
Hambourg  je  touchai  le  montant  de  ma  lettre  de  crédit, 
et  en  outre  sept  ducats,  le  cours  de  l'argent  en  roubles 
étant  alors  fort  élevé. 

Nous  visitâmes  Hambourg  et  y  prîmes  de  l'agré- 
ment, et,  le  30  août,  la  même  voiture  de  poste  qui 
nous  y  avait  amenés,  nous  ramena  à  Lubeck. 

Le  I®'  septembre,  nous  partîmes  dans  la  voiture  de 
poste  ordinaire  pour  Schwerin,  ville  natale  de  mon 
camarade  Simmerling,  et  nous  y  arrivâmes  heureuse- 
ment le  2  septembre.  Nous  nous  arrêtâmes  jusqu'au 
14  septembre  chez  des  personnes  de  sa  famille,  puis- 
nous  repartîmes  tous  deux  en  voiture  de  poste.  Il  fut 


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76  REVUE   d'aLSACE 

convenu  alors  entre  nous  deux  que  Simmerling  m'accom- 
pagnerait à  Fraustadt  et  que,  comme  il  faisait  ce  détour 
par  pure  complaisance  pour  moi  et  afin  que  nous  ne 
nous  séparions  durant  notre  voyage,  je  le  défrayerais 
de  toutes  les  dépenses  jusqu'à  Fraustadt;  à  partir  de 
là,  nous  voyagerions  de  nouveau  chacun  à  nos  frais. 
Nous  traversâmes  donc  Neustadt,  Grabau,  Perlberg, 
Kiritz,  Fehrbellin  et  Berlin  où  nous  nous  arrêtâmes 
quelques  jours,  afin  d'en  visiter  les  curiosités,  princi- 
palement le  musée  d'art.  Nous  traversâmes  ensuite 
Francfort-sur-l'Oder,  Crossen,  Griinberg,  Kontup,  et 
arrivâmes  le  21  septembre  1737  de  nuit  à  Fraustadt. 
Je  trouvai  mon  père  et  ma  sœur  en  bonne  santé,  mais 
mon  frère  était  mort.  Ma  seconde  belle-mère  vivait 
encore,  mais  elle  était  malade  et  n'habitait  plus  avec 
père.  Je  lui  rendis  visite  et  elle  me  donna  un  ducat. 

Le  30  septembre  1747,  mon  compagnon  et  moi, 
flous  partîmes  de  Fraustadt  pour  Dresde.  C'était  la 
seconde  fois  que  je  quittais  Fraustadt,  et  je  ne  devais 
plus  revoir  ni  mon  père,  ni  ma  sœur,  ni  aucun  des 
miens.  Ma  belle-mère  mourut  peu  de  temps  après  mon 
départ. 

Je  ne  dois  pas  oublier  ici  de  rapporter  qu'à  mon 
arrivée  j'avais  montré  à  mon  père  la  somme  rondelette 
que  j'avais  amassée,  toutes  en  pièces  d'or.  Il  me  demanda 
quelles  étaient  mes  intentions.  Je  lui  répondis  que  je 
comptais  aller  à  Strasbourg,  à  Paris,  etc.,  afin  de  com- 
pléter mes  études.  Tel  n'était  pas  son  avis  :  t  N'as-tu 
donc  pas  assez  voyagé.'^»  me  dit-il.  Il  regrettait  l'argent 
que  coûtaient  ces  voyages,  tout  en  me  souhaitant  bien 
du  bonheur.  J'avais  aussi  une  petite  somme  à  recueillir 
d'une  créance  de  ma  mère,  créance  dont  j'avais  déjà 
touché  une  partie  à  Kœnigsberg;  je  l'ajoutai  à  mon 
argent  de  route. 

De  Fraustadt  à  Dresde  la  route  traverse  Beuthen, 
Sagan,  Sorau,  la  petite  bourgade  de  Mosgau,  Hœgers- 
werda  et  Kœnigsbriiclc    Nous  arrivâmes  heureusement 


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SOUVENIRS    d'un    MÉDECIN    STRASBOURGEOIS  ']^ 

à  Dresde,  et  nous  nous  y  arrêtâmes  quelques  jours 
pour  en  voir  les  curiosités,  la  galerie  verte  entre  autres  i). 
Nous  partîmes  ensuite  pour  Nuremberg,  et  nous  traver- 
sâmes Freyberg,  Oedern,  Chemnitz,  Zwickau  et  Reichen- 
bach.  Là  nous  dûmes  nous  arrêter  pendant  une  journée, 
car  j'étais  fatigué  et  indisposé  par  ce  voyage  continuel 
de  jour  et  de  nuit.  De  fortes  pluies  tombaient  presque 
toutes  les  nuits,  et  les  voitures  de  poste,  n'étant  guère 
plus  confortables  que  des  chariots  découverts  à  ridelles, 
nous  laissaient  exposés  à  toutes  les  intempéries.  Mon  ami 
eut  la  complaisance  de  ne  pas  m'abandonner,  et  au  moyen 
d'une  voiture  particulière,  nous  pûmes,  au  bout  de  deux 
jours,  repartir  pour  Nuremberg  et  rattraper  ainsi  le  temps 
perdu.  Nous  traversâmes  Plauen,  Hoff,  Miinchberg, 
Penick,  Bayreuth,  Truppach,  Streitberg,  Erlangen,  et 
arrivâmes  heureusement  à  Nuremberg.  Nous  nous  y 
arrêtâmes  quelques  jours  pour  y  visiter  tout  ce  qui  en 
vaut  la  peine,  et  nous  partîmes  en  voiture  de  poste 
pour  Strasbourg.  Nous  traversâmes  Firth,  Garnbach, 
Daberndorf,  Oberzehn,  Rothenburg-sur-Tauber,  Blaufeld, 
Hall  ou  Guntzelsau,  Œhringen,  Heilbronn,  Eppingen, 
Bretten,  Durlach,  Carlsruhe,  Rastadt,  Biihl,  Appenweyer, 
Offenburg,  Kehl,  et  nous  arrivâmes  enfin  à  Strasbourg^ 
le  21  octobre  1747.  Notre  logis  fut  pendant  quelques 
jours  l'auberge  des  Trois-Maures,  dans  la  Grand'rue^ 
puis  nous  allâmes  habiter  chez  un  sellier  dans  les- 
environs  de  l'église  Saint-Nicolas,  non  loin  du  théâtre 
anatomique  2).  Nous  avions  parcouru  cet  été-là  760  ou 
780  lieues,  dont  400  environ  par  mer  de  Saint-Péters- 
bourg à  Lûbeck,  et  364  en  voiture  de  poste.  Les  400 
lieues  de  voyage  par  mer  ne  m'avaient  guère  coûté 
plus  d'un  louis  d'or,  mais  le  voyage  par  terre  avait  été 
plus  cher,    de  sorte  que,    tout   compris,    mon    voyage 


i)  La  galerie  verte  (griine  Ctw'ôlb)^  salle  du  château  de  Dresde, 
célèbre  pour  ses  collections  artistiques. 

2)  L'auberge  des  Trois-Maures  était  dans  la  maison  qui  porte  aujour- 
d'hui le  numéro  77  de  la  Grand'rue.  —  Le  théfttre  anatomique  était 
annexé  à  Phôpital  civil. 


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78  RKVUE  d'alsace 

tn'avait  coûté  environ  cent  cinquante  thalers.  Sitôt  après 
notre  arrivée,  nous  nous  informâmes  de  ce  que  nous 
pourrions  étudier  cet  hiver.  Mon  dessin  était  d'étudier 
les  accouchements  et  Tanatomie.  J'avais  l'intention  de 
revenir  plus  tard  à  Saint-Pétersbourg,  mais  je  voulais 
aller  à  Paris  et  à  Jéna,  avant  de  choisir  un  endroit  pour 
m^  installer  définitivement. 

Nous  assistâmes  tous  deux  aux  leçons  d'accouche- 
ment de  M.  le  docteur  Fried  et  aux  leçons  d'anatomie 
de  M.  le  professeur  Eisenmann  dans  le  théâtre  anato- 
mique  >).  Nous  fréquentions  aussi  l'hôpital  allemand  et 
l'hôpital  français  2).  M.  Eisenmann  faisait  suivre  ses  leçons 
d'anatomie  d'un  cours  de  médecine  opératoire,  le  tout 
en  langue  allemande.  Nous  prenions  aussi  des  leçons 
de  français,  car  ni  M.  Simmerling  ni  moi  ne  connais- 
sions cette  langue. 

Nous  journées  furent  donc  bien  remplies  cet  hiver  : 
l'étude  tant  théorique  que  pratique  de  l'anatomie,  de 
l*ostéologie,  de  l'art  des  accouchements  qui  nous  faisait 
fréquenter  la  Maternité,  les  leçons  de  français,  ne  nous 
laissaient  guère  d'heures  de  loisir.  Quand  les  cours  furent 
terminés,  le  23  avril  1748,  M.  Simmerling  et  moi  nous 
partîmes  par  la  voiture  de  poste  ordinaire  pour  Paris, 
où  nous  arrivâmes  heureusement  le  4  mai.  Nous  logeâmes 
quelques  jours  dans  le  faubourg  Saint-Antoine,  puis  rue 
<ie  Seine  dans  le  faubourg  Saint-Germain.    Enfin  nous 


i)  Fried  père  réorganisa  renseignement  de  robstétrique  à  Strasbourg. 
Il  ne  doit  pas  être  confondu  avec  son  fils  qui  fut  également  médecin- 
accoucheur.  —  Georges  Henri  Eisenmann  (1693-1768),  professeur  à  la 
faculté  de  médecine  de  Strasbourg,  y  enseigna  Tanatomie  et  la  chirurgie 
de  1734  à  1756,  puis  il  occupa  la  chaire  de  pathologie.  La  publication 
d*observations  d'utérus  doubles  lui  valut  de  son  temps  une  certaine 
notoriété.  (Fr,  Wibgbr,  Geschichie  der  Mtdicin  und  tarer  Lehranstalten 
in  Strassburg  vont  Jahre  l4ç^  bis  %um  Jahre  1872.  Strasbourg,  1885, 
ln.8«). 

2)  L'hôpital  allemand  ou  hôpital  civil  avait  été  construit  de  1718 
à  1724  sur  l'emplacement  de  l'ancien  hôpital  détruit  par  l'incendie  de 
1716.  L'hôpital  français  ou  hôpital  militaire  avait  été  construit  en  1692 
à  l'entrée  du  canal  du  Rhin.  (A.  SbybotH|  Strasbourg  historique  et 
pittoresque,  Strasbourg,  1894,  in-40). 


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SOUVENIRS    d'un    MÉDECIN    STRASBOURGEOIS  79 

allâmes  habiter  chacun  de  notre  côté,  car  pour  bien 
apprendre  le  français  il  était  préférable  que  nous  ne 
fussions  pas  tentés  de  causer  ensemble  en  allemand. 

Durant  mon  séjour  à  Paris,  je  fréquentai  presque 
tous  les  jours  THôtel-Dieu  ou  la  Charité.  Je  suivis  les 
leçons  de  l'habile  M.  Winslow,  De  actione  musculorumy 
et  les  leçons  de  botanique  et  de  chimie  du  même 
professeur  au  Jardin  royal  public  »).  J'assistais  aussi  au 
cours  De  morbis  Veneris  que  le  célèbre  Astruc  faisait 
dans  un  autre  collège  »).  Le  reste  du  temps  je  parcou- 
rais Paris  et  ses  environs.  J'eus  un  instant  envie  de 
prolonger  mon  séjour  à,  Paris',  et  je  songeai  à  me  faire 
envoyer  la  malle  que  j'avais  laissée  à  Strasbourg  chez 
M.  Lœchner;  mais,  comme  cette  malle  devait  être  visitée 
en  cours  de  route,  je  craignis  que  la  visite  de  mes 
bagages  ne  me  coûtât  cher;  je  changeai  d'avis  et 
résolus  de  revenir  à  Strasbourg.  M.  Simmerling  avait 
déjà  quitté  Paris  pour  Strasbourg  depuis  quelques 
semaines.  Je  ne  sais  pas  ce  qu'il  est  devenu  depuis 
son  départ,  ce  qui  m'a  souvent  causé  du  chagrin;  et 
aujourd'hui  encore,  je  ne  sais  que  penser  de  ce  silence. 
Nous  nous  étions  quitté  très  amicalement  ;  il  m'avait 
prêté  quelques  louis  d'or,  en  échange  desquels  je  lui 
avais  donné  un  reçu.  A  Strasbourg  M.  Lœchner  lui 
rendit  cet  argent,  non  sans  y  ajouter  un  louis  d'or.  A 
mon  retour  je  lui  en  remboursai  l'équivalent  et  rentrai 
en  possession  du  reçu  que  j'avais  donné  à  M.  Simmer- 
ling. Comme  il  était  de  santé  délicate,  il  se  peut  qu'il 
soit  mort  peu  de  temps  après.  Quoi  qu'il  en  soit  je  n'ai 
plus  jamais  eu  de  nouvelles  de  lui. 

Après  le  départ  de  M.  Simmerling,  je  fis  la  con- 
naissance de  trois  jeunes  Strasbourgeois,  qui  se  propo- 


i)  Winslow  était  professeur  d'anatomie  et  de  physiologie  au  Jardin 
du  Roi,  ety  depuis  1745,  f^is^^t  des  démonstrations  anatomiques  dans 
l'amphithéâtre  de  la  rue  de  la  Bûcherie, 

2)  Astruc  était  professeur  au  Collège  de  France  (Collège  royal) 
•depuis  1731. 


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8o  REVUE   D'aLSACK 

saient  de  rentrer  à  pied  dans  leur  ville  natale.  Comme 
je  n'avais  jamais  voyagé  à  pied,  je  résolus  de  me 
joindre  à  leur  société,  pensant  que  ce  mode  de  voyage,, 
mieux  que  tout  autre,  permet  de  bien  connaître  les 
contrées  qu'on  traverse.  Nous  partîmes  donc  à  pied 
tous  quatre,  le  26  septembre  1748,  de  Paris.  Notre 
voyage  fut  des  plus  agréables  et,  le  6  octobre,  nous 
arrivâmes  heureusement  à  Strasbourg.  Cet  hiver- là 
j'habitai  la  maison  de  M.  Lœchner. 

Je  me  perfectionnai  dans  l'art  des  accouchements, 
en  suivant  le  cours  de  M.  le  docteur  Fried  et  en  fré- 
quentant la  Maternité.  J'assistai  au  cours,  en  langue 
latine,  de  M.  Eisenmann  sur  l'anatomie  et  la  médecine 
opératoire,  et  aux  démonstrations  de  M.  Leriche  sur 
les  opérations  chirurgicales  que  je  m'habituai  à  répéter 
moi-même  i).  M.  le  professeur  Grauel  m'enseigna  la 
physique  expérimentale,  et  M.  le  professeur  Bracken- 
hoffer  la  mathésiologie  2). 

En  suivant  ces  cours,  et  principalement  le  cours 
d'accouchement,  je  fis  la  connaissance  de  quatre  Suisses, 
Messieurs  Dolfus,  Socin,  Hess  et  Thurneysen  3).  Les 
voyant  chaque  jour,  je  devins  leur  intime  ami.  Quand 
les  cours  d'hiver  eurent  cessé,  ces  messieurs,  et  surtout 
M.  Thurneysen,  me  proposèrent  de  les  accompagner 
à  Bàle,  promettant  de  ne  pas  insister  pour  m'y  retenir 
et  de  me  laisser  revenir  à  Strasbourg.  Voir  Bàle,  voya- 
ger avec  des  amis,    de  telles  propositions  m'agréaient. 


1)  Leriche,  dtmonstrator  in  nosocomio  regioy  meilleur  anatomiste 
que  chirurgien.  (Wibger,  op.  cit.). 

2)  Grauel,  professeur  de  la  faculté  de  philosophie,  ainsi  que  Bracken- 
hoffer,  qui  en  même  temps  quMl  faisait  des  cours  de  mathésiologie 
(science  de  l'enseignement  en  général)  était  un  mathématicien  distingué. 

3)  II  s'agit  sans  doute  d'Abel  Socin  (1729-1808),  qui  passa  sa  thèse 
de  doctorat  à  Bàle  en  1751,  enseigna  de  1761  à  1778  la  médecine  et 
la  physique  au  gymnase  de  Hanau,  fut  nommé  médecin  particulier  du 
prince-électeur  de  Hesse,  puis  revint  se  fixer  dans  sa  ville  natale.  U  a 
laissé  quelques  ouvrages  sur  l'électricité  (Dictionnaire  Dechamàre),  — 
Jean-Jacques  Thurneysen  fut  reçu  docteur  à  Bâle  en  1751,  après  avoir 
présenté  une  thèse  sur  les  causes  des  hémorragies  utérines  pendant  la. 
grossesse. 


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SOUVENIRS   d'un    MÉDECIN    STRASBOURGEOIS  8ï 

J'acceptai  leur  offre,  et  nous  voici  le  1 7  avril  1 749  sur 
la  grande  route  de  Bâle.  Nous  traversâmes  successive- 
ment Sélestat,  Colmar  et  Mulhouse.  M.  Dolfus  nous 
quitta  à  Mulhouse,  sa  patrie,  et  mes  trois  autres  com- 
pagnons et  moi  nous  arrivâmes  heureusement  à  Bâle 
le  19  avril. 

A  Bâle  je  logeai  chez  les  parents  de  M.  Thurneysen. 
Son  père  était  absent,  mais  sa  mère  était  là.  La  chère 
femme  m'accueillit  aussi  aimablement  que  si  j^avais  été 
son  fils.  Lorsque  le  p'ère  de  M.  Thurneysen,  ou  plutôt 
son  beau-père  (il  s'appelait  M.  Passavant),  fut  revenu 
de  la  foire,  je  lui  fus  présenté,  et  il  me  témoigna  aussi 
beaucoup  d'amitié.  Quelques  jours  après,  je  partis  à 
pied  pour  Montbéliard,  à  quinze  lieues  de  Bâle,  pour 
rendre  visite  à  la  belle-fille  de  Lœchner,  une  demoiselle 
Schwartz,  qui,  quelques  années  après,  devint  mon  épouse. 
Je  la  trouvai  en  bonne  santé,  m'arrêtai  quelques  jours 
à  Montbéliard,  puis  je  revins  à  pied  par  Belfort  à  Bâle. 
J'allai  de  nouveau  loger  chez  mon  ami  M.  Thurneysen. 
Il  me  demanda  un  jour  quels  étaient  mes  projets 
d'avenir.  Comme  je  lui  disais  que  je  reviendrais  à  Stras- 
bourg, et  qu'ensuite  j'irais  peut-être  à  Jéna  ou  dans 
une  autre  ville  (j'avais  toujours  l'arrière-pensée  de  me 
fixer  à  Saint-Pétersbourg),  il  m'engagea  vivement  à 
rester  à  Bâle  et  ne  pas  aller  à  Jéna,  ville  misérable  où, 
à  coup  sûr,  je  me  déplairais.  Il  n'eut  pas  de  peine  à 
me  persuader  et  je  me  rendis  à  son  avis.  Sans  que  j'en 
susse  rien,  il  avait  déjà  parlé  de  moi  à  M.  le  professeur 
Kœnig,  me  faisant  passer  pour  un  de  ses  parents,  et 
s'était  entendu  avec  lui  pour  me  faire  suivre  ses  cours»). 
Quand  je  lui  eus  promis  de  rester  à  Bâle,  il  me  fit 
connaître  les  dispositions  qu'il  avait  prises,  me  décou- 
vrant ainsi  tout  l'intérêt  qu'il  me  portait,  intérêt  qui  ne 
s'est  jamais  démenti. 


i)  Emmanuel  Kœnig  ('.698-1752)  a  laissé  une  édition    des    œuvre» 
de  Félix  Plater. 

Bévue  d'Alsace,  1907  6 


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82  REVUE  D'ALSACE 

Je  me  fis  envoyer  de  Strasbourg  la  malle  que  j*avats 
laissée  chez  M.  Lœchner.  M.  Thurneysen  me  présenta 
à  M.  le  professeur  Kœnig,  et  il  fut  décidé  que  ce  pro* 
fesseur  me  donnerait  des  leçons,  ainsi  qu'à  un  jeune 
homme,  M.  Mieg,  fils  d'un  chirurgien  de  Baie  »).  Ce 
jeune  homme,  mon  condisciple,  devint  bientôt  mon  ami, 
et  son  amitié  pour  moi,  ainsi  que  celle  de  son  vénérable 
père  et  des  autres  personnes  de  sa  famille,  fut  si  grande 
depuis  le  début  de  nos  relations  jusqu'à  mon  départ 
de  Bâle,  que  je  ne  saurais  assez,  la  célébrer.  Elle  se 
manifesta  par  des  actes  en  maintes  circonstances. 

Tout  d'abord,  sur  le  conseil  de  M.  Thurneysen, 
j'allai  habiter  chez  M.  le  candidat  Lichtenhan  «).  Je  n'y 
demeurai  pas  longtemps,  et  je  trouvai  une  pension 
plus  agréable  chez  un  tailleur  nommé  Roth,  voisin  du 
sacristain  de  la  cathédrale,  le  prix  de  cette  pension  étant 
payable  au  sacristain.  J'y  suis  resté  jusqu'à  l'époque  de 
mon  départ  de  Bâle. 

M.  le  professeur  Kœnig  nous  enseignait  les  Institua 
tiones  medicœ^  la  Materia  medica  et  un  Casuale.  Je 
suivais  aussi  le  cours  public  de  M.  le  professeur  Zwingler 
(sic)  l'aîné  sur  la  praxis  medica^  et  le  cours  public  de 
physique  de  M.  le  professeur  Bernouilli  3).  On  faisait 
peu  de  démonstrations  anatomiques,  mais  nous  accom- 


i)  Probablement  Achille  Mieg  (1731  -?),  auteur  d'une  thèse  éU  fiatibus^ 
-soutenue  à  Bâle  en   1752. 

3)  On  appelle  candidat,  dans  les  pays  protestants  de  lan^e  alle- 
mande, le  gradué  en  théologie  qui  n'est  pas  pourvu  d'une  foncUon 
•ecclésiastique. 

3)  Jean-Rodolphe  Zwinger,  et  non  Zwingler  (Doldé  rectifias  lui-même 
son  erreur  quelques  lignes  plus  ba»),  né  à  Kâle.  en  1692,  d^une  familte 
qui  depuis  le  xvi*  siècle  fournissait  des  savants  éminents,  suivit  des 
cours  à  Strasbourg,  à  Lausanne  et  à  Genève.  Revenu  dans  ta  ville 
natale,  il  y  fut  professeur  de  logique,  puis  d'anatomie  et  de  botanique, 
et,  en  1725,  il  remplaça  son  père  dans  la  chaire  de  médecine  théorique 
et  pratique»  qu'il  occupa  jusqu'à  sa  mort,  c'est-à-dire  jusqu'en  I777« 
:Son  frère  Frédéric  fut  aussi  professeur  à  la  faculté  de  médecine  de  Bâle, 
à  partir  de  I75i.  —  Daniel  Bernouilli,  né  à  Groningue  en  1700,  mort 
à  Bâle  en  1782,  fils  d'un  mathématicien  célèbre,  fut  lui-même  plus 
mathématicien  que  médecin.  A  l'université  de  Bâle,  il  occupa  successive- 
ment la  chaire  d'anatomie  et  de  botanique,  et  la  chaire  de  physique  tt 
-de  philosophie.  {Biographit  Michaud), 


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SOUVENIRS  d'un   MÉDECIN  STRASBOURGEOIS  83 

pagnions  parfois  M.  Kœnig  dans  ses  excursions  bota- 
niques. Je  fréquentais  aussi  Thôpital  sous  la  directioa 
-de  M.  le  professeur  Kœnig  et  de  M.  le  professeur 
Zwinger,  les  services  hospitaliers  étant  dirigés  à  tour 
■de  rôle  par  les  différents  professeurs.  Entre  temps,  M.  le 
•candidat  Bachove  nous  expliquait  les  classiques,  Térence 
par  exemple.  M.  le  candidat  Bachove  était  alors  recteur 
du  gymnase  de  Bâle. 

En  juin  1750,  mes  cours  étant  terminés,  je  me  pré- 
parai aux  examens.  Mes  examinateurs  étaient  M.  le 
professeur  Zwinger  Taîné,  M.  le  professeur  Kœnig,  mon 
excellent  maître,  et  M.  le  professeur  Daniel  Bernouillî. 
Quand  j*eus  passé  mes  examens  (examina  tentamina  in 
medicina)^  je  choisis  pour  sujet  de  ma  thèse  le  colostrum. 
J'avais  l'intention  d'exercer  l'art  des  accouchements,  qui 
est  du  ressort  de  la  chirurgie  plutôt  que  de  celui  de 
la  médecine.  Je  ne  savais  pas  encore  dans  quel  endroit 
je  m'installerais;  aussi,  afin  d'être  sûr  de  ne  jamais  me 
voir  créer  de  diflScultés  ni  d'empêchements  de  la  part 
des  chirurgiens,  qui  verraient  d'un  mauvais  œil  un 
médecin  se  livrer  à  l'exercice  de  l'art  des  accouchements 
et  à  celui  de  la  chirurgie,  comme  de  plus  il  se  pouvait 
que  je  m*installasse^  dans  un  endroit  où  j'aurais  besoin 
d'exercer  la  chirurgie,  je  résolus  d'affronter  les  examens 
•chirurgicaux.  Je  me  présentai  donc  aux  examina  tenta* 
mina  de  chirurgie.  On  m'argumenta  et  on  me  fit  résoudre 
des  propositions  diverses.  Ceci  fait,  ma  dissertation  étant 
prête  à  être  imprimée,  j'y  ajoutai  une  observation  chirur- 
gicale, et  j'inscrivis  sur  la  feuille  de  titre  les  mots  : 
'Dissertatio  inauguralis  medico-chirur^ica . . ,  in  fnedicina 
et  chirurgia  honorib,^  etc.  >),  afin  que,  quelque  fut  la 
ville  où  je  m'installerais,  je  puisse  librement  et  sans 
■aucune  entrave  pratiquer  des  opérations  chirurgicales, 


1)  Une  observation  chirarfpcale  est  annexée  à  cette  thèie,  omis  son 
titre  n'est  pas  conforme  à  celui  qu*indiqae  ici  Doldé.  La  dissertation 
n*y  est  pas  qualifiée  d  s  medUo-chiturgica^  mais  simplement  de  mtdum* .  • 
^o  summis  in  medicina  honoribus. 


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84  REVUE   D' ALSACE 

étant  docteur  en  médecine  et  en  chirurgie.  Je  ne 
regrettai  pas  les  frais  et  les  labeurs  que  me  coûta  ce 
double  titre. 

J'avais  donc  passé  tous  mes  examens,  et  comme  je 
ne  devais  soutenir  ma  thèse  qu'au  mois  d'octobre,  j'avais 
alors  quelques  loisirs.  C'était  à  la  Saint-Michel  de  1750; 
M.  Passavant  me  fît  l'honneur  de  me  demander  de 
l'accompagner  à  la  foire  de  Zurzach.  Sur  le  conseil  de 
M.  Thurneysen,  j'acceptai  son  offre.  Je  fis  donc  un 
voyage  d'agrément;  de  Zurzach  j'allai  à  Schaffhouse,. 
à  Riesenhorn,  à  Winterthur  et  à  Zurich.  Là  j'eus  l'hon- 
neur de  faire  la  connaissance  de  M.  le  professeur  Gesner, 
qui  me  montra  les  beaux  appareils  de  physique  de  son 
cabinet  et  bien  d'autres  curiosités,  et  me  fit  visiter  le 
jardin  botanique;  bref  ce  grand  savant  me  reçut  avec 
beaucoup  d'hospitalité»).  Je  séjournai  trois  jours  à  Zurich,- 
dont  j'admirai  le  lac,  l'église,  les  arsenaux  et  les  fabriques, 
puis  je  m'embarquai  sur  la  rivière  de  la  Limmat  à  desti- 
nation de  Baden,  dont  jç  visitai  les  sources  chaudes. 
De  Baden  à  Zurzach,  il  y  a  à  peu  près  une  lieue  et 
demie  que  je  fis  à  pied.  Je  devais  franchir  une  mon- 
tagne et  traverser  une  forêt  longue  d'une  lieue.  Comme 
c'était  l'époque  de  la  foire,  j'étais  fort  peu  rassuré.  La 
première  personne  que  je  rencontrai  fut  un  garçon 
boucher,  à  qui  je  demandai  si  j'arriverais  bientôt  au 
bout  de  la  forêt;  il  me  répondit  que  j^en  avais  parcouru 
la  moitié  de  la  longueur.  Je  pressai  le  pas.  Presque 
parvenu  à  la  lisière  de  la  forêt,  je  rencontrai  quelques 
Juifs,  dont  l'un  me  lança  un  regard  terrible,  grinça  des 
dents  et  me  menaça.  Je  crus  comprendre  à  ses  paroles, 
que  la  proximité  de  la  ville,  et  la  présence  de  passants 
à  peu  de  distance  de  là,  l'empêchèrent  seules  de  m'atta- 
quer.  Plein  de  terreur,  je  passai  mon  chemin  et  arrivai 


i)  Jean  Gesner,  né  à  Ziirich  en  1709,  mort  dans  cette  ville  en 
1790,  étudia  la  médecine  à  Leyde  et  à  Paris,  les  mathématiques  à  Bâle,. 
fat  professeur  de  mathématiques,  puis  de  physique  au  gymnase  de  Zurich 
et  8*occupa  aussi  d^histoire  naturelle,  11  légua  ses  collections  à  sa  ville 
natale.  {^Biographie  Michaud). 


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SOUVENIRS   d'un   MÉDECIN    STRASBOURGEOIS  85 

-lieureusement  à  Zurzach.  Si  ce  Juif  m'avait  rencontré 
au  milieu  de  la  forêt,  nul  doute  que  je  n'eusse  perdu 
la  vie.  Au  moment  de  la  foire,  bien  des  voyageurs  ne 
rentrent  pas  sains  et  saufs  chez  eux. 

Je  logeai  à  Zurzach  chez  M.  Welti  père,  qui  était 
.hôtelier.  J'y  fus  traité  avec  beaucoup  d'égards,  car  j'avais 
Jfait  à  Bàle  la  connaissance  de  son  fils,  étudiant  en 
médecine.  A  Zurzach  habitait  un  bourgeois  du  nom  de 
Doldy.  Je  lui  rendis  visite,  pensant  que  c'était  un  de 
mes  parents,  et  je  crois  encore  aujourd'hui  qu'il  descen- 
dait des  Doldé  d'Alsace,  l'orthographe  de  son  nom  ne 
différant  que  légèrement  du  mien  par  la  substitution 
-d'un  y  à  Xe  terminal.  Je  me  serais  volontiers  entretenu 
avec  lui  de  ces  choses,  mais  il  crut  sans  doute  avoir  à 
faire  à  un  aventurier,  notre  entrevue  fut  courte,  et  je 
partis  en  lui  donnant  ma  bénédiction. 

Au  bout  de  quelques  jours  je  repartis  avec  M.  Passa- 
vant pour  Bâle.  A  mon  retour  de  ce  voyage  d'agrément 
je  m'occupai  de  faire  imprimer  ma  thèse  De  colostro. 
.Le  26  novembre  eut  lieu  la  soutenance,  et  sitôt  après 
Ja  discussion  je  fus  promu  au  grade  de  docteur  par 
M.  le  professeur  Daniel  Bernouilli.  Un  certain  M.  Schim- 
,per  fut  reçu  docteur  en  même  temps  que  moi,  ce  qui 
Jious  permit  à  tous  deux  de  réaliser  une  légère  écono- 
mie »).  Mon  argent  avait  diminué,  et  M.  Thurneysen  s'en 
étant  aperçu,  me  prêta  cent  thalers,  soit  six-cents  livres. 
Je  ne  pus  lui  rendre  cette  somme  que  plusieurs  années 
après.  Il  ne  m'avait  demandé  en  gage  que  quelques 
lignes  de  mon  écriture,  et  il  me  laissa  librement  quitter 
Bàle,  sans  savoir  quand  il  rentrerait  en  possession  de 
cette  somme,  sans  même  que  je  pusse  assigner  une 
-date  quelconque  à  sa  restitution. 

Je  partis  donc  de  Bàle,  le  23  décembre  1750,  en  dili- 
gence; le  lendemain  j'arrivai  heureusement  à  Strasbourg 


l)  La  thèse  de  Jean-Conrad  Schimper  est  intitulée  :  De  signes  gravie 
JUtatis  vera  et  cautelis^  exinde  cognosàbilibus. 


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t6  mK\x'B  d'alsack 

et  aDai  habiter  chez  M.  Lœchner.  Pour  la  troisième  fois^ 
je  revoyais  Strasboui^.  Je  me  demandai  alors  sur  quel 
champ  j'allai  faire  ma  moisson.  Mon  avoir  était  mince 
et  j'écrivis  à  mon  père  de  m'envoyer  quelque  aident, 
ce  qu'il  fit.  J'appris  qu'il  s'était  remarié  pour  la  quatrième 
fois,  ce  qui  diminuait  sensiblement  notre  fortune  à  ma 
sœur  et  à  moi.  Pourtant  il  avait  marié  ma  sœur  aupa- 
ravant, et  moyennant  une  pension  lui  assurait  ainsi  qu'à 
son  mari  le  vivre  et  le  couvert,  ce  qui  lui  rapportait 
un  peu  d'argent  chaque  année.  De  la  sorte  il  passa. 
les  dernières  années  de  sa  vie  sous  le  même  toit  que 
son  gendre. 

J'étais  toujours  indécis  sur  le  lieu  de  ma  future 
installation.  Je  ne  désirais  pas  particulièrement  rester  à 
Strasbourg;  je  décidai  toutefois  d'y  faire  encore  un 
court  séjour,  et  dans  ces  conditions  il  m'était  difficile 
de  ne  pas  exercer  quelque  peu  mon  art.  Je  rendais^ 
souvent  visite  à  M.  le  professeur  Grauel  et  suivais  son 
cours  de  physique.  Enfin  je  fus  mis  en  relations  avec 
le  docteur  Kœnig  <  «,  par  M.  Lemp,  apothicaire,  ou  plutôt 
par  son  apprenti  M.  Rothbeck.  M.  le  docteur  Kœnig 
m'envoyait  de  temps  en  temps  auprès  de  ses  clients- 
malades,  et  me  présenta  à  M.  le  professeur  Jean  Bœckler 
dont  je  suivis  les  cours  de  botanique  au  jardin  médici- 
nal, et  le  cours  de  chimie,  ce  dernier  gratuitement^ 
grâce  à  la  protection  de  M.  le  docteur  Kœnig». 

Peu  à  peu  j'acquis  quelques  clients,  dans  la  maison 
de  M.  Lcechner  tout  au  moins,  car  ailleurs  j'en  eus  bien 


Taipt  prv**Ab«V23«nC  d«  Samu^l-Fr^iierc   Kcea  ç.    né    à    Hanaa^ 
ua«    thés*    Oi    .«/w.v    i'.mLi^    q^M    »oct:nt    à    S:rast>oar^    le 

pfof«s»<ar  Teao  B«-w:k.>r,  oa  Foev^rr  .'i  710-1750"^  ■«  doit  p^s 
?ri«îu  Avec  d^ux  de  s<«  hoc:ccyin«?->  qj  fureu:  e:c3i«a»eac  des^ 
srm*tcurgeo  «se*.  A  paj-'r  de  173^  ^  occupa  a  ch^re  d«  ch  mie, 
;ae  et  de  nw  ère  mecica'e  'A  îf  .f  r.  op.  ci:.''.  —  Le  iardia 
,  :jttr  rempjc«s:eat  »iu.:^-eî  ^Vi-e^e  ALx>crd*h^t  Teccie  des  arts 
^  noa  Ictn  de  l'egrse  SA'a'-otti  iau'T:^?.  avAir  e*"*  crée  eai  f^i^ 
1  en  173*?-  Ll  pas»a:t  au  XMii*  s.«èv:>  pour  le  pii»  retsarjiaabl^- 
ap'è»  ciîax  de  Leyùe  <t  de  Fan*    »S4\3'^iH,  up.  c:". 


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SOUVENIRS   d'un   MÉDECIN   STRASBOURGEOIS  87 

peu.  M.  le  docteur  Kœnig  cherchait  à  me  faire  conn?**-^ 
mais  malgré  cela,  il  n'y  avait  guère  d'apparence  q 
pusse  jamais  gagner  ma  vie  à  Strasbourg.  Au  temf 
j'habitais  chez  M.  Lœchner  se  présenta  pour  moi 
occasion  de  revenir  à  Saint-Pétersbourg,  un  négo 
de  cette  ville,  sur  le  point  d'y  retourner  lui-même,  s'< 
arrêté  quelques  jours  à  Strasbourg.  Un  de  mes 
amis,  un  horloger,  M.  Himii,  lui  ayant  parlé  de 
il  crut  que  je  désirais  aussi  retourner  à  Saint-Pétersbc 
Il  m'offrit  de  m'emmener  librement  avec  lui;  maû 
le  connaissant  pas,  je  craignis  qu'il  ne  me  tint  en 
vage;  je  déclinai  ses  offres  et  résolus  de  rester  en 
à  Strasbourg.  J'avais  écrit  à  M.  Thurneysen  à  q 
devais  encore  six-cents  livres,  qu'on  m'avait  ofîei 
me  ramener  à  Saint-Pétersbourg.  Cet  excellent  am 
répondit  que,  comme  je  connaissais  cette  ville  m 
que  lui-même,  il  ne  pouvait  me  conseiller  à  cet  é[ 
me  souhaita  bon  voyage  au  cas  où  je  me  décid 
à  partir,  regrettant  pour  notre  amitié  une  pareille  s 
ration,  mais  ne  soufflant  pas  mot  de  ma  dette,  ce 
était  fort  aimable  de  sa  part.  Peu  de  personnes 
auraient  agi  ainsi  à  sa  place.  Dès  la  première  heur 
nos  relations,  il  me  montra  une  bonté  paternelle, 
ne  s'est  jamais  démentie  par  la  suite,  et  dont  je  four 
plus  bas  de  nouvelles  preuves. 

Mon  projet  de  voyage  à  Saint-Pétersbourg  était  < 
tombé  à  l'eau,  et  je  ne  connaissais  pas  d'autre  en 
où  aller.  Là-dessus,  si  médiocre  que  fût  ma  clien 
elle  excita  la  jalousie  de  mes  confrères;  je  fus  ci 
l'hôtel-de- ville  et  averti  que  je  ne  serais  désor 
autorisé  à  pratiquer  mon  art  que  lorsque  j'aurais  ac 
le  droit  de  bourgeoisie').  Le  coup  était  parti  du  col 


1)  L*hôte]-de-viile  ou  Pfalz  (/*alaiium  civitaiis)  était  place  C 
berg,  U  comprenait  l'ancien  hôtel-de-viile  (aite  J'/ait)  et  le  n 
h6tel-de-vilie  \ntue  /fait),  \Jaiee  Pfalz  fut  démolle  en  1781  ;  to 
service»  de  la  municipalité  furent  transféré»  dana  la  ntut  tfal%^ 
i-dire  dans  la  maison  qu'on  appelle  aujourd'hui  VhôUl  du  co?n 
dont  la  construction  remonte  à  1582,  et  ils  y  restèrent  jusqu'en 
(Seyboth,  op.  cit). 


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88  REVUE   D' ALSACE 

des  médecins  •).  Il  était  temps  de  prendre  une  décision» 
Je  devins  donc,  en  1755,  bourgeois  de  Strasbourg.  Je 
me  fis  immatriculer  au  collège  de  médecine  et  fus  reçu 
aussitôt  :  j'étais  donc  bourgeois  et  docteur  de  Stras- 
bourg. 

Chacun  me  disait  que  je  ne  pourrais  étendre  ma 
clientèle  qu'à  la  condition  d'être  marié,  les  femmes 
surtout  hésitant  à  se  confier  à  un  médecin  célibataire. 
Je  fis  donc  le  dernier  pas,  comme  on  dit,  et  j'épousai 
l'aînée  des  belles-filles  de  M.  Lœchner,  Catherine-Salomé, 
demoiselle  Schwartz,  fille  de  feu  M.  Schwartz,  de  son 
vivant  bourgeois  et  batteur  d'or  à  Strasbourg.  Tous  ces 
événements  s'accomplirent  en   1755. 

J'habitai  encore  quelque  temps  avec  ma  femme  dans 
la  maison  de  M.  Lœchner,  où  nous  eûmes  notre  premier 
enfant,  une  fille.  Ma  clientèle  était  encore  médiocre. 
Pour  étendre  le  cercle  de  mes  relations,  et  aussi  pour 
avoir  un  logis  plus  confortable,  je  décidai  de  démé- 
nager. 

Je  me  mis  en  quête  d'un  logement  dans  la  ville,  et 
•en  ayant  trouvé  un  qui  me  convenait,  je  m'y  installai 
avec  ma  femme.  Je  me  félicitai  plus  tard  de  ce  démé- 
nagement et  rendis  grâces  àr  Dieu  de  me  l'avoir  inspiré, 
car  je  n'aurais  jamais  réussi  dans  ma  profession  si  j'étais 
resté  plus  longtemps  dans  la  maison   de  M.   Lœchner, 

Ma  clientèle  s'accrut  ;  on  commença  à  me  connaître. 
Pourtant  nous  ne  restâmes  qu'un  an  ou  deux  dans  cette 
maison  qui  était  dans  la  rue  de  l'Ecurie  (Stallgasse)^ 
et  appartenait  à  M.  Stamer  (.^),  négociant  en  vins.  Puis 
nous  allâmes  habiter  quatre  ans  dans  la  Grand'rue 
{Lange  Strass)  et  onze  ans  dans  la  rue  des  Dentelles 
(Spitsengasse)  dans  la  maison  de  M.  Rœderer.  Mes  clients 
devenaient  peu  à  peu  plus  nombreux.  Enfin,  en  1771, 
j'achetai  à  MM.  Kornmann  et  aux  frères  et  sœurs  Lem- 


1)  C'est-à'dire  de  la  corporation  des  médecins  de  Strasbourg,  et  non 
pas  de  la  faculté. 


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SOUVENIRS    d'un   MÉDECIN    STRASBOURGEOIS  89 

pisch   la   maison    de    la   rue  de  la  Lie   (Drusengœsset)^ 
<iue  j'habite  aujourd'hui  et  où  j'écris  ces  lignes. 

La  seconde  année  de  mon  mariage,  M.  le  docteur 
Fried  reçut  de  M.  le  docteur  Pappelbaum,  de  Berlin  «), 
une  lettre  où  il  était  question  de  moi.  On  m'y  proposait 
d'aller  à  Saint-Pétersbourg  pour  y  exercer  et  enseigner 
4'art  des  accouchements;  on  me  demandait  de  faire 
connaître  d'avance  le  chiffre  du  traitement  annuel  que 
j'exigeais  pour  cela,  de  façon  à  pouvoir  m'envoyer  un 
engagement  en  règles.  J'étais  perplexe  :  d'abord  à  cause 
-de  mon  mariage  qu'on  ignorait  peut-être  là-bas,  puis 
parce  que  j'étais  père  d'un  enfant,  et  enfin  parce  que 
je  ne  savais  pas  si  ce  n'était  pas  en  langue  russe  que 
devait  être  fait  le  cours  de  ces  élèves  sages- femmes. 
Comme  je  devais  faire  ce  voyage  avec  ma  femme  et 
mon  enfant,  je  dus  prendre  l'avis  de  la  famille  de  ma 
femme.  Le  temps  de  réfléchir  à  ces  offres  et  plusieurs 
-semaines  s'étaient  passés;  et  lorsque  je  me  fus  décidé 
à  y  répondre,  je  reçus  une  lettre  de  M.  le  docteur 
Pappelbaum,  où  ce  dernier  m'informait  que  la  place 
avait  trouvé  un  titulaire  en  Russie,  tout  en  s'excusant 
du  dérangement  qu'il  m'avait  causé.  Je  dis  donc  adieu 
-à  ces  projets  et  continuai  l'exercice  de  ma  profession 
à  Strasbourg. 

En  1 766,  on  offrit  à  M.  le  docteur  Roth  «),  ou  à  son 
défaut  à  moi-même,  une  charge  de  médecin  à  la  cour 
de  Nassau-Saarbriick.  J'espérais  l'obtenir,  lorsqu'au  der- 
nier moment  M.  le  docteur  Roth,  ayant  vu  lui  échapper 
june  autre  position  qu'il  attendait  à  Strasbourg,  alla 
Jui-même  à  Saarbriick. 

Peu  de  temps  après,  on  m'offrit  le  physicat  de  Wies- 
l)aden  en  même  temps  que  la  charge  de  médecin  de 


1)  Il  8*agit  probtblement  de  Georges-Christophe  Pappelbaum,  qui 
«n  1743  soutint  une  thèse  devant  la  faculté  de  médecine  de  Gëttingue. 

2)  Probablement  Jean-Jacques  Roth,  Strasbourgeois,  auteur  d*nne 
<4hèse  présentée  à  Strasbourg  le  30  décembre  1748  :  Dt  facundationt 
^squi  consuetudine  viri. 


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90  REVUE   D'ALSACE 

la  cour  de  Nassau-Usingen.  Mais  la  vie  de  cour  ne  me 
convenait  pas,  un  changement  de  résidence  était  difficile 
à  cause  de  ma  nombreuse  petite  famille,  et  d'ailleurs 
mon  ami  M.  le  docteur  Ehrmann  me  dissuadait  d'accep- 
ter »).  Je  déclinai  donc  cet  offre  qui  me  valut  l'honneur 
de  correspondre  avec  M.  de  Spacht,  maréchal  de  la  cour^ 

En  1770  j'obtins  le  physicat  de  Bischwiller^).  Cette 
charge  consistait  à  visiter  tous  les  ans  les  pharmacies 
de  l'endroit,  à  faire  passer  leurs  examens  aux  apothi- 
caires, et  à  rédiger  un  rapport  [visum  repertiim)  sur  les 
faits  particuliers  que  j'avais  pu  remarquer  au  cours  de 
ma  mission.  Cela  ne  m'empêcha  pas  d'ailleurs  de  rester 
praticien  à  Strasbourg. 

De  1755  à  1775  nous  eûmes  dix  enfants,  trois  filles 
et  sept  garçons.  La  première  fille  fut  Marguerite-Salomé,. 
la  seconde  Anne-Dorothée,  la  troisième  Régina-Cléophée»^ 
Après  ces  trois  filles  nous  eûmes  Jacques-Guillaume  et 
Jean-Frédéric  ;  ce  dernier  mourut  âgé  de  moins  de  deux 
ans.  Puis  vinrent  Charles-Auguste,  Jean-Louis,  Frédéric- 
Eberhard  qui  mourut  neuf  jours  après  sa  naissance, 
Georges -Frédéric  et  François -Ehrenfried.  Dieu  nous 
donna  ces  dix  enfants  en  vingt  ans;  huit  sont  encore 
vivants  à  l'heure  où  j'écris  ces  lignes,  et  ils  vivront 
aussi  longtemps  qu'il  plaira  à  Dieu. 

Le  23  décembre  1763  mon  père  quitta  ce  bas  monde^ 
après  avoir  vécu  soixante-dix  ans.  Sa  mort^^avait  été 
causée  surtout  par  les  infirmités  de  la  vieillesse;  à  vrai 
dire  je  n'ai  jamais  été  renseigné  exactement  à  ce  sujet. 
Il  laissait  quelques  économies  qui  furent  partagées  entre 
ma  sœur  et  moi;  notre  belle-mère  en  eut  aussi  quelque 


1)  Jean-Frédéric  Ehrmann  (1739-1794)  ne  doit  pas  être  confondu 
avec  sou  père  Jean -Chrétien  qui  fut  aus»i  médec.n  à  Strasbourg.  U  fît 
des  cours  priven  à  la  faculté  de  médecine  et,  en  1770-71,  eut  Phonneur 
de  compter  Goethe  parmi  ses  auditeur».  En  1 782  il  devint  professeur 
titulaire.  (Wirger,  op.  cit.). 

2)  Doldé  n^occupa  pas  cette  fonction  jusqn*à  sa  mort.  Dès  «782. 
VAlmanach  d* Alsace  indique  seuls  MM.  Suizer  et  Horn,  comme  titulaires- 
de  la  charge  de  médecin  de  la  seigneurie  de  Bischwiller. 


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SOUVENIRS  d'un  médecit  strasbourgeois  qi 

chose,  et  la  part  qui  me  revint  me  fut  envoyée  à  Stras- 
bourg. Cela  me  permit  de  m' acquitter  de  ma  dette 
envers  M.  Thurneysen. 

A  ma  connaissance  je  ne  devais  plus  rien  à  personne 
et  ne  comptais  plus  rien  recevoir.  Ma  femme  ne  m'avait 
rien  apporté,  et  je  doutais  fort  qu'elle  eût  elle-même 
quelque  chose  à  recueillir.  Pour  ma  part  je  ne  comptais 
rien  recevoir  de  son  côté,  car  on  s'évertuait  à  réduire 
à  néant  la  part  d'héritage  des  enfants  Schwartz.  Je 
pouvais  d'ailleurs  mourir  avant  l'ouverture  de  cette 
succession,  aussi  je  préférais  renoncer  à  toute  espérance. 

Ma  profession  était  donc  mon  seul  moyen  d'existence  j . 
elle  seule,  avec  l'aide  de  Dieu,  me  permettait  de  subve- 
nir aux  besoins  des  miens,  et  il  faut  avoir  été  praticien 
à  Strasbourg  pour  savoir  combien  triste  et  combien 
misérable  est  l'exercice  de  la  profession  médicale  dans 
cette  ville.  Au  nouvel  an  je  me  demandais  avec  terreur 
comment  l'année  finirait,  car  je  n'avais  aucune  situation 
assurée  ;  la  confiance  en  Dieu  était  mon  seul  avoir.  Je 
ne  saurais  retracer  ici  quels  étaient  les  soucis  qui  parfois 
nous  rongeaient  ma  femme  et  moi,  lorsque  le  soir  nous 
regagnions  notre  lit.  Qu'il  me  suffise  de  dire  que  le 
praticien  strasbourgeois,  qui  n'a  que  sa  clientèle  pour 
vivre,  doit  endurer  bien  des  tourments,  d'autant  plus 
qu'il  n'y  a  guère  de  concorde  à  Strasbourg  entre  les 
médecins,  et  que  plus  d'un  donnerait  volontiers  un  œil 
pour  que  ses  confrères  deviennent  aveugles. 

A  ces  soucis  et  à  ces  chagrins  matériels  vinrent  s'en 
ajouter  d'autres,  causés  par  l'attitude  que  prit  vis-à-vis  de 
nous  le  beau-père  de  ma  femme.  Douze  années  de  me- 
naces et  de  citations  suivirent  notre  mariage,  puis  vinrent 
neuf  années  de  procès.  La  cause  du  premier  procès  fut 
qu'il  voulait,  en  se  servant  de  mon  nom,  me  soustraire 
une  somme  qui  m'avait  été  confiée.  J'aurais  été  obligé 
de  la  restituer,  si  je  ne  m'étais  pas  aperçu  à  temps  de 
ces  machinations.  La  somme  était  de  mille  soixante 
livres  françaises.  Le  procès  dura  trois  ans,  je  le  gagnai 
et  il  fut  condamné  aux  frais.   Le   second  procès  avait 


/^*^ 


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92  REVUE   D  ALSACE 

éclaté  à  la  suite  de  mensonges  et  de  diverses  fripon- 
neries ;  je  le  gagnai  encore.  Tl  fit  appel  du  jugement, 
«t  l'affaire  n'est  pas  encore  terminée. 

Je  fus  pendant  dix-huit  ans  le  médecin  des  parents 
de  ma  femme,  mais  à  la  suite  de  ces  friponneries  et 
de  ces  procès,  je  cessai  toute  relation  avec  eux  et  ne 
remis  plus  les  pieds  dans  leur  maison  ». 

Cette  autobiographie  se  termine  par  les  notes  que 
voici  : 

€  Par  les  lignes  qui  suivent  je  veux  transmettre  à  mes 
-enfants  les  renseignements  que  j'ai  pu  recueillir  sur  la 
vie  et  sur  l'origine  de  mes  parents  et  de  mes  ancêtres 
Doldé,  ainsi  que  sur  mes  ancêtres  du  côté  de  ma  mère. 

Les  Doldé,  d'après  les  témoignages  les  plus  anciens, 
sont  originaires  de  l'Alsace,  de  Haguenau  ou  de  Stras- 
bourg. 

En  1474,  un  M.  Hanusz  Doldé  était  attaché  aux 
écuries  municipales  de  Strasbourg  ;  je  ne  sais  s'il  occu- 
pait encore  un  autre  emploi  dans  la  ville  »).  Strasbourg 
était  alors  une  ville  libre  impériale,  et  il  est  possible 
que  ce  Doldé  ait  aussi  fait  partie  du  Magistrat.  Certains 
de  ses  enfants  ou  de  ses  frères  ont  aussi  vécu  à 
Haguenau. 

Léonhard  Doldé,  né  à  Haguenau  en  1565,  fut  reçu 
docteur  à  Bâle  (j'obtins  moi-même  à  Bâle  la  dignité 
doctorale),  alla  à  Nuremberg  où  il  se  fit  agréger,  en 
1594,  au  Collège  de  médecine  et  exerça  la  profession 
médicale.  Il  mourut  dans  cette  ville  en  161 1,  à  l'âge 
'  de  quarante-sept  ans  *). 


i)  Les  écuries  de  la  ville    {Herrensiall)   s^élevaient   dans   la  nie  du 
.Finckwiller.    En    1468    elles   comptèrent   jusqu^à    tro^s    cents    chevaux. 
(Sbyboth,  op.  cit  ). 

3)  Léonard  Doldius,  né  à  Hagu<^nau  le  25  février  156^1  reçu  docteur 

\  Bâle  en   1594,    ne   fut   agrégé    que   l'année  suivante   au   collège  des 

médecins  de  Nuremberg.  Mort  à  Nuremberg  le  22  août  1611,  il  a  laissé 

une  dissertation  dt  omni  sanguinis  proflituîo^  une  traduction  de  Talchimie 

'de  Libavius,  et  plusieurs  lettres  que  Hornung  a  insérées  dans  son  recueil 

^publié  à  Bâle  en   1625.  {Dictionnaire  Dechambn)^ 


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SOUVENIRS   D*UN   MÉDECIN   STRASBOURGEOIS  95 

Un  Doldé,  probablement  un  fils  ou  un  frère  de 
Hanusz  Doldé  de  Strasbourg,  se  fixa  près  de  Stuttgart; 
je  ne  sais  quelle  fut  sa  profession.  C'est  de  lui  que 
naquit  mon  grand-père  à  Nirtlingen  où  Nirlingen,  d'après 
ce  que  j'ai  entendu  dire.  Ce  dernier  exerça  la  profession 
de  chirurgien  à  Esslingen,  et  comme  c'est  la  coutume 
dans  ces  pays,  y  ouvrit  également  une  étuve,  (Je  crois 
avoir  encore  des  parents  à  Nirtlingen). 

Mon  grand-père  voyagea.  II  alla  en  Silésie  et  s'installa 
à  Rauden  où  mon  père  est  né.  Soit  que  Rauden  lui 
ait  déplu,  soit  pour  tout  autre  raison,  il  quitta  cet  endroit 
pour  se  fixer  à  cinq  milles  de  là,  à  Schlichtingsheimy 
sur  la  frontière  de  Pologne,  non  loin  de  Groszglogau. 
Il  fut  marié  deux  fois,  mais  n'eut  qu'un  fils  de  son 
premier  mariage.  Ce  fils  était  mon  père  ;  il  se  maria  à 
l'âge  de  vingt-trois  ans.  Son  père  lui  avait  fait  faire 
son  apprentissage  chirurgical,  et  lui  avait  transmis  son 
privilège  de  chirurgien.  Lui-même  faisait  partie  du 
Magistrat  de  la  ville,  en  qualité  de  bourgmestre.  Mon 
père  épousa  une  demoiselle  Degner,  et  je  naquis  à 
Schlichtingsheim,  comme  en  témoigne  mon  billet  de 
baptême.  Mon  grand-père  est  mort  à  Schlichtingsheim 
où  il  est  enterré ...  ». 

Le  manuscrit  s'arrête  ici.  L'auteur  s'éteignit  douce- 
ment et  mourut  en  chrétien  le  22  décembre  1789  dans 
la  soixante-treizième  année  de  son  âge. 

Note  du  beau-frère  du  défunt: 

On  a  découvert  par  hasard  que  l'aïeul  (dont  il  a  été 
question  plus  haut)  Hanusz  Doldé,  est  enterré  à  l'église 
Saint-Thomas  de  Strasbourg,  derrière  la  chaire.  Une 
pierre  tombale  désigne  le  lieu  de  sa  sépulture  ï). 

l)  Schneegans  ne  fait  pas  mention  de  cette  pierre  tombale  dans  sa 
monographie  de  Péglise  Sain>Thomas. 


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VARIÉTÉS 


A  propos  des  Lettres  de  Schœpflin^). 

Tout  ce  qui  se  rapporte  à  Schœpflin  ou  nous  vient 
célèbre  historiographe  de  l'Alsace  ne  peut  manquer 
itéresser  nos  lecteurs.  Après  la  magistrale  étude  que 
a  consacrée,  dans  les  Annales  de  V Esty  M.  Ch.  Pfister; 
es  divers  fragments  de  sa  Correspondance,  publiés 
t  ici,  soit  dans  d'autres  recueils,  voici  tout  un  gros 
iume  de  lettres,  presque  toutes  inédites,  que  vient 
faire  paraître  un  professeur  de  l'université  d'Erlangen 
Bavière,  M.  Richard  Pester. 

Cette  collection  contient  en  tout  289  lettres.  Près  de 
moitié  sont  adressées  à  Lamey,  l'un  des  disciples  pré- 
és  de  Schœpflin.  M.  Spach  avait  déjà  annoncé  la 
blication  de  ces  pièces,  mais,  je  ne  sais  pourquoi, 
mit  jamais  ce  projet  à  exécution.  Bon  nombre  d'autres 
t  été  écrites  par  Schœpflin,  qui  était  d'origine  badoise, 
divers  membres  de  la  famille  de  Baden-Durlach, 
tamment  à  la  c  markgrâfin  »  Caroline-Louise,  et  ce 
sont  pas  les  moins  curieuses.  Toutes  ont  du  reste 
r  intérêt,  d'abord  pour  l'histoire  d'Alsace,  cela  va 
is  dire,  mais  même  pour  l'histoire  générale  de  l'époque, 
particulièrement  pour  l'histoire  littéraire.  Pour  ne  citer 
'un   ou    deux  exemples,   voici  quelques   détails  sur 


i)  Joh,  Daniel  Schapfiins  briefiicher  Vetkthr  mit  G'ànnern^  FrtuntUn 
'  Schùlern^  heraïugegeben  von  Richard  Pester.  TUbingen,  1906. 
0  de  XXIV.426  pages. 


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VARIÉTÉS  95 

le  séjour  de  Voltaire  à  Colmar  (p.  53),  sur  celui  de 
J.-J.  Rousseau  à  Strasbourg  (187,  189);  sur  l'Université 
<ie  Louvain  (p.  233)  que  Schœpflin  fut  chargé  de  réor- 
ganiser en  1767.  L'historien  des  familles  de  notre  pays 
trouvera  aussi  de  quoi  glaner  dans  ce  volume  :  ainsi 
(p.  177,  182...)  on  y  trouve  divers  renseignements  sur 
les  de  Dietrich  et  leurs  procès  au  sujet  du  partage  de 
la  seigneurie  de  Niederbronn,  etc. . .  . 

La  publication  de  M.  Fester  est  faite  avec  le  plus 
grand  soin  i).  De  plus  de  très  copieuses  notes,  qu*on 
regrette  cependant  d'être  obligé  d'aller  chercher  à  la  fin 
du  volume,  font  honneur  à  l'érudition  de  l'éditeur,  qui 
termine  ce  beau  volume  par  quelques  annexes  :  testa- 
ment de  Schœpflin,  notices  sur  quelques-uns  de  ses  élèves 
(Lamey,  Rivé,  Koch,  etc. . . .),  et  par  une  bonne  table» 

M.  Fester  n'a  pas  manqué  de  nous  donner  aussi  les 
lettres  adressées  à  Schœpflin  qu'il  a  pu  trouver,  et 
même  quelques  autres  pièces  qui  le  concernent  moins 
directement.  Ce  qui  m'engage  à  tirer  de  mes  cartons 
les  quelques  documents  qu'on  va  lire,  qui  auraient  pu 
figurer  aussi  dans  le  recueil  publié,  dans  la  Bibliothek 
-des  litterarischen  Vereins  de  Stuttgart  2).  Le  premier 
-est  du  reste  une  lettre  de  Schœpflin  3). 

I.   Lettre  de  Schœpflin  au  R,  P,  Barre,  ^énovéfain  K), 

Strasbourg,  Je  30  août  1759. 
Mon  très  révérend  Père, 
Une  des  principales  attentions  des  voyageurs  allemands 
«lettrés  doit  être  de  faire  la  cour  à  l'illustre  auteur  de  X! Histoire 


i)  Puisque  le  volume  se  termine  par  ua  errata,  ajoutons-y  cet 
minuties  :  P.  79,  lettre  S3,  je  doute  que  Schœpflin  ait  pu  écrire  GuiMUr; 
-4).  loi,  vrayé  pour  vraye  ;  p.  251,  ligne  17,  choes  pour  choses;  p.  261, 
ligne  23,  à  me  paroit  au  Heu  de  11  me  paraît. 

2)  Dont  les  lettres  de  Schœpflin  forment  le  CCXL*  volume. 

3)  Autographe.  Collection  Wilhelm  (Bibl.  de  Colmar). 

4)  Le  nom  du  destinataire  que  ne  porte  pas  Pautographe,  nous  est 
fourni  par  le  texte  même  de  la  lettre  où  il   est   question   de   Vllhtêin 

-d'Allemagne^  le  principal  ouvrage  de  Pillnstre  génovéfain. 


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)6  REVUE  d'aLSACE 

V Allemagne  en  arrivant  à  Paris.  Messieurs  les  barons  de 
îeust,  gentilshonames  de  la  chambre  du  Roi  de  Danennark^ 
nais  d'origine  saxons,  désirent  beaucoup  de  connaître  votre 
Révérence,  et  leur  désir  me  sert  d'occasion  de  vous  les  recom- 
nander.  Us  ont  étudié  chez  moi  *)  et  leur  père  est  fort  de 
nés  amis. 

L'impression  du  second  tome  de  mon  Alsatia  illustrata 
ire  vers  sa  fin. 

J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  respectueux  attachement 

Mon  très  Révérend  Père 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

SCHŒPFLIN. 

Le  second  document  est  relatif  à  la  nomination  d'un 
:uré  luthérien  pour  Munster.  C'est  une  lettre  adressée 
L  ce  sujet  à  Tabbé  du  célèbre  monastère  dont  il  fallait 
'agrément.  Comme  on  va  le  voir,  le  principal  titre  du 
landidat  était  sa  proche  parenté  avec  Schœpflin^). 

IL  Lettre  du  chanoine  Duconte  à  M,  de  Rutant,  abbé 
de  Munster, 

Strasbourg,  23  mars  1735. 
Monsieur, 

Je  suis  fort  prié  de  vous  demander  votre  protection  pour 
a  cure  luthérienne  de  Munster  vacante  par  la  mort  de 
d.  Eckart*)  pour  son  fils  ministre  à  Richewir.  Monsieur  Doyen 
lOtre  curé  *)  joint  ici  ses  prières  pour  le  même  sujet.  11  me 


i)  Il  est  question  de  ces  élèves  de  Schœpflin  dans  le  volume  de 
f.  Fester  (p.  97  et  351). 

2)  Cette  lettre  se  trouve  aux  Archives  départementales  de  la  Haute- 
ilsace,  f.  de  Munster,  carton  25. 

3)  Léonard  E,  de  Franconie,  pasteur  à  Munster  depuis  1687.  (Ibid.,. 
arton  26). 

4)  De  Saint-Pierre-le-Jeune,  où  M.  Duconte  était  chanoine.  Cette 
îttre  se  trouve  aussi  au  carton  25.  En  voici  un  passage  :  c  Vous  ferez, 
laisir  en  même  temps  à  Mgr.  Pévèque  de  Paros  et  à  M.  Riccius  notre 
oyen  qui  estiment  ledit  sieur  Schœpflin  ». 


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q8  revue  d'alsace 


5?  B.  de  Ferrette  a  Schœpjlin. 

\o  Joanni  Danieli  Schœpflino  hist.  et  elo- 
ublico,  Achati  suo  individuo,  Bernardus 


raesidium  et  dulce  decus  meum!  seriem 
intum  mancam  abbatum  Lutrcnsium  ex 
imi  hujus  archisterii  depromptam.  Cœtera 
juos  in  ipso  limine  vides,  locupïetissimi 
nae  vel  totalis  et  omnimodae  per  incen- 
ec  enim  adducor,  ut  credam,  ab  incuna- 
1  progrcssum  et  jam  adultum  sseculum 
sque  abbates  istheic  fuisse.  Et  hoc  ipsa 
jam  plusculis  abhinc  annis,  quo  tempore 
itrae  fungebar,  chartas  et  scrinia  omnia 
tassis  aut  alterum  arbitratus  praesulem  in 
confusione  iatitantem  intuitum  oculosve 
im  operamque,  id  quod  aliis  postmodum 
omnibus  junxi  epitomen  vitae  Divi  Dei- 
nbani  discipulum  et  primum  monasterii 
Late  viduae  Verfarii,  praepolentis  iilis  in 
torem  fuisse,  apud  omnes  in  confesse  est. 
m  1.  Annalium  Bened.  doctissimi  Ma- 
îiaudatus  Deicola  sub  finem  vitae  Romam 
itur^  in  medio  relinquo;  at  enim  quod  a 
omnimodam  ab  episcopali,  imo  a  regum 
pum  electorum  potestate  impetravit,  — 
gisse  in  pervetusta  charta  memini,  —  ad 

3rum  amicissime,  hac  qualicumque  lubra- 
|ue  sed  vel  maxime  appendicem  benigno 
dignare,  ac  de  catero  veniam  tardiori 
ratas  tuas  easque  humanissimas,  responso 
dventum  ciarissimi  viri  Schwendii  illus- 
satiam  inferiorem  nobilitatis  syndici,  sed 
imestris  inutili  spe  destitutus  praesentes 
^rincipi  commendo,  qui  easdem  rite  tibi 
Ipromisit. 

îiihi  catalogo  salis  superque  vidi,  quae- 
nonumcnta  apud  clariss.  Lunig  reperire 


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X)  REVUE   d'aLSACE 

lient  de  voir  les  curiosités  aussi  bien  que  des  environs.  Je  saisis 
îtte  occasion  pour  vous  renouveler  les  sentimens  d'amitié  et 
î  considération  parfaite  avec  lesquels  je  ne  cesserai  d'être, 
[onsieur ... 

KocH. 

M"«  Schœpflin  vous  fait  ses  r.omplimcns.  Nous  parlons 
rt  de  vous  et  nous  serions  charmés  de  vous  revoir  dans 
3tre  ville. 

A.  M.  P.  INGOLD. 


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[Oa  REVUE  d' ALSACE 

Ub,  Trombert,    Souvenirs  d^ Alsace.   Paris,  Cbaix,  rue  Ber- 
gère, 20. 

Voici  un  livre  à  visées  modestes.  Nous  ne  disons  pas  pré^ 
mtions,  qu'on  le  remarque  bien,  car  ce  mot  détonnerait  appli- 
|ué  à  une  œuvre  si  ingénuement  présentée,  et  aussi  parce  que 
a  valeur  est  supérieure  à  Testime  que  Fauteur  confesse  avoir 
>our  son  travail.  En  le  composant  au  hnsard  de  ses  souvenirs, 
t  selon  ses  dispositions  du  moment,  il  n^a  fait  que  céder  au 
►esoin  de  revivre,  par  la  pensée  et  par  le  cœur,  les  années 
coulées  de  son  existence.  Mais,  comme  il  a  vécu  dans  une 
période  tourmentée  et  tragique,  son  œuvre  emprunte  aux  cir- 
onstances  une  portée  plus  haute  que  s*il  avait  coulé  ses  jours 
lans  le  calme  béat  d'une  époque  fortunée.  On  ne  s'étonnera 
lonc  pas  de  rencontrer  dans  ce  volume  plus  d^une  page  trem- 
lée  de  larmes,  ou  du  moins  marquée  de  l'empreinte  d'une 
lélandolie  profonde;  on  y  trouvera  des  passages  vibrants  du 
lus  pur  patriotisme,  des  récits  poignants  dans  leur  simplicité 
t  l'écho  plaintif  des  douleurs  d'une  âme  qui  a  beaucoup 
ouffert  des  malheurs  de  la  patrie;  et  môme,  malgré  son  allure 
énéralement  modérée  et  retenue,  des  enseignements  féconds 
>our  qui  les  saura  comprendre.  M.  Trombert  pensait  garder 
es  notes  à  l'abri  de  tout  regard  étranger,  dans  quelque  recoin 
liscret,  ou  en  réserver  la  confidence  à  quelques  intimes.  Cepen- 
lant,  il  se  laissa  forcer  la  main  et  quelques  extraits  en  parurent 
lans  le  Temps^  qui  attirèrent  l'attention  d'amis  dont  les  pres- 
antes  sollicitations  le  décidèrent  à  livrer  le  tout  au  grand 
mblic. 

A  toute  âme  bien  née  la  patrie  est  chère.  Cette  vérité  trouve 
on  application  tous  les  jours.  Il  en  est  qui  le  démontrent  en 
oupirant,  à  l'instar  des  captifs  de  Babylone;  d'autres,  mieux 
ispirés  et  plus  pratiques,  en  écrivant  leurs  souvenirs.  En  cela 
Is  font  besogne  utile,  car  ils  préparent  et  facilitent  le  travail 
les  historiens  futurs,  qui,  sans  eux,  n'auraient  pour  évoquer  le 
lassé  que  les  froides  paperasses  des  archives  officielles.  En 
lOtant  leurs  impressions  sur  l'heure  et  sur  place,  ils  rendent 
écho  vibrant  des  sentiments  éveillés  par  ce  qui  s'est  passé 
ous  leurs  yeux,  ils  dessinent  sur  le  modèle  vivant,  pour  ainsi 
lire,  et  il  en  résulte  des  récits  éclataiïts  de  vérité,  des  détails 
olorés,  et  le  tout  est  dit  avec  un  accent  de  sincérité  qui  saisit 
t  lecteur.  Le  livre  de  M.  Trombert  a  tout  l'air  d'avoir  été 
omposé  d'après  ce  procédé,  et  s'il  l'intitule  c  Souvenirs  »,  la 


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Livres  nouveaux  103 

réflexion  du  passé  sur  le  présent  est  si  vive  qu'il  semble  avoir 
été  composé  au  moment  même  des  événements  et  des  inci- 
dents qu'il  raconte.  Ah!  ces  appels  du  tambour,  ces  claires 
sonneries,  et  le  claquement  du  drapeau  flottant  au  vent,  comme 
ils  animent  pour  nous  les  visions  du  passé!  Pour  fond  à  ses 
récits,  Pauteur  donne  les  vieux  monuments  de  sa  ville  natale, 
la  collégiale  de  Saint-Martin,  les  bâtiments  de  la  police,  la 
maison  Pfister,  etc.;  sa  plume  reproduit  des  échappées  de  rues, 
et  peuple  la  place  des  Dominicains  de  la  foule  grouillante  de 
paysans  affairés  à  la  vente  de  leurs  produits.  Il  sait  mettre  la 
vie  partout,  et  c'est  un  des  secrets  du  plaisir  que  chacun  aura 
à  le  lire.  A,  I. 

Christian  Friedrich  Pfeffels  politische  Tàtigkeit  in  franzâ'^ 
sischem  Dienste  (17  58-1 784),  par  Ludwig  Bergstr^esser. 
Heidelberg,  1906.  ln-8<*  de  95  pages.  Prix  :  2  M.  40. 

Das  verschwundene  Dorf  Mauchenheim  bei  Markûisheim^  par 
M.  l'abbé  LÉvv.  Rixheim,  Sutter,  1906.  In-12  de  50  pages* 

11  ne  reste  plus  de  ce  village  disparu  qu'une  chapelle  cachée 
dans  les  bois  à  quelques  kilomètres  au  sud  de  Markolsheim* 
M.  Lévy  a  recueilli  sur  son  histoire,  dans  les  archives  du  pays, 
nombre  de  détails  inédits  qu'il  nous  résume  dans  cette  intéres- 
sante brochure. 

Orschweier.  Ein  Beitrag  zur  Geschichte  der  Dorfschaften  in 
der  ehemaligen  Obermundat,  par  Th.  Walter.  Strasbourg, 
Heitz,  1906.  In-80  de  28  pages. 

Excellent  travail  qui  fait  bien  désirer  la  publication  de  l'on* 
vrage  que  prépare  l'auteur  sur  tout  le  canton  de  Rouffach. 
Comme  dans  la  brochure  précédente,  aucune  source  n'a  été 
négligée  par  M.  Walter  qui  donne  encore  en  appendice  un 
document  nouveau  sur  la  fondation  du  couvent  de  Klingenthal. 

Alsacc^Lorraine^  par  Maurice  Barrés.  Paris,  Sansot,  IQ06, 
In-i2  de  97  pages.  1  fr. 

Petit  volume  exquis  où  l'éminent  et  courageux  auteur  a 
réuni  diverses  conférences  ou  études  sur  le  problème  alsacien- 
lorrain.  On  y  retrouvera  les  idées,  le  profond  esprit  d'observ^* 


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4ô4  ReVuE  d'aLSACÊ 

>n  et  le  style  si  savoureux  dans  son  originalité  qu'on  a  admi- 
s  dans  Au  service  de  l'Allemagne. 


:s  Correspondants  de  Grandidier,  XIII.  Le  marquis  d'Ande- 
larre.  Lettres  inédites  publiées  par  le  chanoine  Louvot^ 
curé  de  Gray.  Paris,  Picard,  1907.  In-8*  de  16  pages. 


Articles  de  journaux  et  de  revues. 

Revue  alsacienne  illustrée.  1996.  N«  IV.  L.  O.  Faller,  par 
ndré  Girodie.  —  Ittenwiller,  par  Valentine  Kastner. 


Images  du  Musée  alsacien.  1906.  V.  Girsberg.  —  Dévidoir 
1  bois  peint.  —  Coin  du  Musée  alsacien.  —  Le  maire  d'Issen- 
luscn.  —  VI.  Procession  de  la  Fête-Dieu  à  Geispolsheim.  — 
auteuils  alsaciens  Renaissance.  —  Ferme  à  Ringendorf.  — 
agues  alsaciennes. 

Le  Messager  d'* Alscue- Lorraine.  8  décembre.  La  garde 
honneur  de  Strasbourg  (1805-18 13),  par  A.  Dépréaux.  — 
'Alsace-Lorraine  et  la  cavalerie  française  au  xviii«  siècle.  — 
^  décembre.  Le  monument  du  roi  de  Rome  à  Wissembourg.  — 
janvier  1907.  Les  Hautes-Chaumes. 


RixHBiM  (Alsace).  —   Typooraphib  F\  Sottbr  k  CiB 


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!06  REVUE    d'aLSACE 

/ 

I.    1632.    Prise  de  Cernay  par  les  Suédois. 

omte  de  Mansfeld  c  porta  le  fer  et  le 
l'Alsace  >  '),  et  son  second,  Michel 
avoir  fait  des  courses  du  coté  de 
ns  doute  dans  les  environs  de  Cernay 
le  Sundgau  jusque  Bàle.  Mais  vrai- 
le  tua  et  pilla  pas  grand'chose  dans 
frnay,  ville  fortifiée  à  cette  époque, 
iuette  à  ce  sujet. 

es  la  mort  de  Gustave-Adolphe  que 
is  les  mémoires  du  temps  mention 
r  de  Cernay,    ou  plutôt  de  la   prise 

maître  de  Sélestat  (6  décembre  1632) 
ite  l'Alsace  2),  ne  devait  pas  avoir 
re  Cernay.  Obligé  de  quitter  TAlsace 
mrs  du  général  Baunier,  il  laissa  le 
ouis  pour  commander  l'Alsace.  C'est 
rit  successivement  Cernay,  Thann, 
et  Belfort. 

mbre  1632,  au  commencement  jan- 
hingrave  prit  Cernay?  Avec  JoanneJ) 
c'est  en  décembre   1632. 

ges  de  troupes  et  escarmouches. 

ly  pris,  les  passages  de  troupes  se 
pour  les  Suédois  un  excellent  point 
ville  bien  fortifiée, 
lui,  au  mois  de  janvier  1633,  était 
ayant  appris  le  massacre  par  les 
LU,  à  Ferrette,  de  son  lieutenant,  le 
regorgement  des  troupes  du  colonel 


'i   de  la  province   (fAlsace^    II,   p.  84.    Strat- 
Ï894,  p.   195- 


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108  REVUE   D'aLSACE 

aller  au-devant  d'un  renfort  qui  lui  venait  de  la  Franche- 
Comté  >  »),  il  prit  même  Belfort  et  Altkirch,  puis,  après- 
avoir  laissé  garnison  à  Altkirch,  Rouffach,  etc.,  il  se 
rendit  au  secours  d'Altringer,  mais  dut  se  retirer  par 
Fribourg  2). 

III.    1634.    Combat  entre  le  Rhingrave  Otton- Louis  et 
les  troupes  du  duc  Charles  de  Lorraine. 

C'est  en  1634  que  se  livra  près  de  Cernay  le  pre- 
mier grand  combat  qui  soit  digne  d'être  raconté  dans- 
les  détails  3). 

Le  comte  de  Salm,  pour  rejoindre  le  duc  Charles- 
de  Lorraine  qui  était  en  Franche-Comté,  était  parti  des- 
environs  de  Saverne,  dont  on  lui  avait  refusé  l'entrée,, 
pour  la  Haute-Alsace,  avec  le  peu  de  troupes  qui  lui 
restaient  4).  dl  se  retira  à  Thann  où  il  joignit  ses  troupes- 
à  celles  du  duc  de  Lorraine  et  aux  nouvelles  levées- 
que  le  baron  de  Schwenbourg  avait  faites  dans  le 
Sundgau.  Elles  étaient  au  nombre  de  7000  hommes^^ 
qui  se  flattaient  de  faire  le  siège  de  Colmar.  En  atten- 
dant, cette  petite  armée  se  cantonna  à  Soultz,  Gueb- 
willer,  Rouff"ach  et  dans  toits  les  lieux  d'alentour  S).  Le 
Rhingrave  ne  les  laissa  pas  longtemps  en  repos;  car^^ 
dès  le  2  février,  il  se  présenta  devant  Soultz,  que  le 
comte  de  Lichtenstein  abandonna,  pour  se  retirer  à 
Thann  à  la  tête  de  4  cornettes  de  cavalerie.  Mercy,. 
qui  commandait  dans  Guebwiller,    suivit   cet  exemple.. 


1)  Laouille,  ibid. 

2)  Il  mourut  de  chagrin  quelque  temps  après  et  Altringer  fut  tué  àr 
Landbhut.  (Laguillb,  ibid.). 

3)  Cfr.  pour  cette  bataille  que  beaucoup  d^auteurs  appellent  bataille 
de  Wattwiller  :  A.  1.  Ingold,  dans  la  Feuille  iCannomes  de  Thann  et 
de  Cernai^  l849«  p*  127  et  131,  et  H.  Bardv,  dans  la  Revue  (TAlsacty 
1853,  p.  562-566.  —  Voir  aussi,  pour  les  batailles  de  i634,etde  163^ 
les  récits  du  Mercure  frartçais  et  du  Theatrum  Europaum^  publiés  par 
A.  1.  Ingold,  avec  de  savantes  observations,  dans  le  Journal  de  Cernay, 

4)  Laguillb,  p.   118  et   120. 

5)  Peut-être  aussi  à  Cernay,  qui  avait  sans  doute  été  repris  en  1633. 
par  le  duc  de  Féria. 


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LES   COMBATS   DE   CERNAY  IO9 

Xe  Rhingrave,  maître  de  ces  deux  petites  villes,  marcha 
à  Rouffach  qu'il  emporta...  Les  pluies  continuelles  et 
la  rigueur  de  la  saison  retardèrent  pendant  quelques 
jours  les  desseins  du  Rhingrave  et  donnèrent  aux  Impé- 
riaux le  loisir  de  rassembler  leurs  troupes  ;  elles  se 
mirent  en  campagne  le  3  mars  et  vinrent  se  poster 
entre  Thann  et  Ccrnay^  à  une  lieue  des  quartiers  du 
Rhingrave,  sous  le  commandement  du  marquis  de  Bade 
-et  du  marquis  de  Bassompierre. 

t  A  peine  eurent-ils  le  loisir  de  se  ranger.  Le  Rhin- 
grave Jean-Philippe  ayant  eu  ordre  de  venir  les  attaquer 
fit  d'abord  plier  Tinfanterie  impériale  ;  la  cavalerie  tint 
plus  ferme,  mais  Otton-Louis^)  étant  lui-même  survenu 
avec  son  régiment  et  le  canon,  il  mit  les  ennemis  en 
fuite  après  quelque  résistance. 

€  Les  Impériaux  perdirent  dans  cette  action  quinze 
cents  hommes  et  plusieurs  officiers,  parmi  lesquels  se 
•trouva  le  colonel  Philippe^  qui  s'était  acquis  une  grande 
réputation  dans  les  troupes  lorraines.  Le  nombre  des 
prisonniers  montait  à  cinq  ccnts^  entre  lesquels  étaient 
le  comte  de  Salm,  autrefois  gouverneur  de  Saverne,  qui 
fut  pris  combattant  à  pied,  son  cheval  ayant  été  tué 
rsous  lui  ;  le  marquis  de  Bassompierrc^  lieutenant-général 
de  la  cavalerie  lorraine,  blessé  au  bras  d'un  coup  de 
pistolet,  le  colonel  Mercy  et  quelques  autres  officiers  de 
distinction. 

€  Le  duc  de  Lorraine  ne  se  trouva  pas  a  ce  combat  *), 
^t  le  marquis  de  Bade  eut  le  bonheur  d'échapper  et  de 
-courir  à  Thann,  où  ayant  fait  monter  à  cheval  la  prin- 
cesse son  épouse,  il  se  retira  à  Lure3). 


1)  Nous  avons  vu  que  les  deux  Rhin^rives  étaient   cousins. 

2)  Dom  Calmet,  Histoire  de  Lorraine^  VI,   118,  dit  également  qu*il 
s^était  retiré  à  Besançon,  après  avoir  laissé  la  cavalerie  sous  le  commande* 

'Aient  du  marquis  de  Bassompierre,  lui-même  sous  les  ordres  du  marquis 
•de  Bade. 

3)  Dom  Calmbt  (ib.)  donne  également  ce  détail. 


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IIO  REVUE   D  .ALSACE 

€  Le  Rhingrave,  poursuivant  sa  victoire,  prit  à  dis- 
crétion Wattwiller  et  Cernay^),  força  Thann  de  se  rendre 
\  après  une  défense  d'un  seul  jour,  prit  Ensisheim,  Bel- 

i  fort,  etc.  >  2). 

;.  Dom  Calmet3)  est  plus  sobre  de  détails  que  Laguille- 

;  Il  se  contente  de  dire  que  c  dans  les  plaines  de  Cernay 

les  trouoes  de  Charles  furent  entièrement   défaites   par 

I,    nonobstant    la    vigoureuse   résistance- 

raines,    qui    soutiennent    tout    le    choc, 

re  ayant  lâché  le  pied  dès  le  commence- 

lis  de  Bassompierre,  ajoute-t-il,  blessé  en 

ne  laissa   pas   de   se   battre   comme  ua 

que  son  cheval  ayant  été  tué  sous  lui,. 

nier  >. 

;ure  vraiment  intéressante  que  ce  mar- 
lierre.  Aussi  nous  permettons-nous  d'em- 
icle,  le  maréchal  de  Bassompierre  4),  qui 
?me  de  €  l'excellente  mémoire  que  1». 
)artie>,  et  qui  écrivit  du  reste  peu  après 
ernay,  quelques  détails  sur  le  marquis 
:onduite  à  Cernay. 

is  de  Bassompierre  5),  fils  de  Georges 
îompierre  et  d'Henriette  de  Tornielle^. 
[6i2;  élevé  chez  son  père,  il  fut  envoyé 
1624;  il  apprit  lallemand  à  Fribourg 
;  alla  avec  son  oncle  à  Soleure,  où  le 
mbassadeur  du  roi  de  France,  assista 
.a  Rochelle,  de  Bois-le-Duc,  fut  à  la 
gne.  Son  père  étant  mort,  il  lui  succéda 
de  bailli  des  Vosges  et  de  grand  écuyer 


iclure    que   Cernay   «vait   été   repris    après    1632;.. 

1633  par  le  duc  de  Féria. 

1. 


\  vùy  conforme  au  manuscrit  original,  par  le  marqui»- 
},  J.  Renouard,   1870;  passim. 
été  fait  par  C.  Wideman,  en   1646.  Voir,  dans  li^ 
la  liste  des  portraits  des  Français  illustres). 


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f  12  REVUE   D'aLSACE 

Fulminât,  et  cuncos  findens,  fundens  que  decoro 

Vulnere,  dextra  decus  saucia  grande  refert. 

Utraque  vcra  canit,  nec  dissona  fabula  narrât  : 

Otia  agit  palruus,  militât  inde  nepos. 

Pugnat  utcrquc  tamen;  gcnerosâ  in  mrnie  nepotis 

Bassompicrii  mens  gencrosa  viget; 

Corpore  quaeqae  nepos  excepit  vulncra  nuper, 

Haec  cadem  patruus  vulnera  mente  geril. 

Sed  decus  hinc  magnum  surgit  :  nam  saucia  dextra 

Plus  laudis,  quam  si  plus  valuisset,  babct. 

Comme  nous  le  verrons  plus  loin,  le  marquis  de 
Lssompierre  fut  encore  fait  prisonnier  une  fois  àCernay, 

1638,  par  le  duc  de  Weimar,  mais  fut  échangé. 
DUS  ne  le  suivrons  pas  dans  ses  aventures;  contentons- 
us  de  dire  qu'il  fut  tué  en  duel  en  mai  1646,  sans 
oir  été  marié  "j. 

Le  comte  de  Salm,  ancien  gouverneur  de  Saverne, 
►yen  de  Strasbourg,  c  qui  dans  les  temps  les  plus 
alheureux  avait  soutenu  les  intérêts  de  la  religion  et 
î  révéché  de  Strasbourg  avec  beaucoup  d'intrépidité, 
t  échangé  en  1635;  il  retourna  à  Strasbourg  et  passa 
ins  la  tranquillité  d'une  vie  privée  le  peu  d'années 
li  lui  restaient  :  il  mourut  îe   13  janvier   1637  »  ^). 

Quant  au  colonel  Mercy,  autre  prisonnier  du  Rhin- 
ave,  nous  le  retrouverons  en   1638. 

Le  Rhingrave  Othon-Louis  ne  survécut  au  contraire 
is  longtemps  à  sa  victoire  ;  il  passa  le  Rhin  et  mourut 

6  octobre  1634  à  Spire  ou  à  Worms,  c  peut-être 
t-il  tué  en  assiégeant  une  bicoque  3)  >.  Rendons-lui 
stice  et  disons  avec  Laguille  qu'il  fut  c  heureux  et 
ave  >  4). 

Peu  de  temps  après  sa  mort,  le  1"  novembre  1634, 
t    signé    le    traité    de    Paris,    par    lequel    les  Suédois 


i)  P.  Anselme,  t.  vu,  p.  468.  Not.  hist.  et  bibiiogr.  xxiii.  Bissom- 
erre-Betstein. 

2)  Laglille,  II,  p.  120. 

3)  Ibd. 
4f  Ibid. 


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LES   COMBATS    DE   CERNAY  .II3 

-cédaient    à   la    France    tout    ce    qu'ils    possédaient    en 
Alsace  :  Cernay  était  compris  dans  la  cession. 

€  A  la  fin  de  Tannée,  dit  Laguille'),  les  maréchaux 
de  Brézé  et  de  la  Force  mettent  lO.ooo  hommes  en 
quartier  dans  les  Vosges,  pour  border  TAIsace.  Malgré 
cela,  les  Lorrains  surprirent  la  garnison  suédoise  de 
Thann  et  massacrèrent  quelques  Français  qui  voulaient 
s'y  jeter.  Le  sieur  des  Roches,  avec  quelques  compa- 
gnies, fut  envoyé  de  Colmar  par  le  marquis  de  la 
Force  et  força  les  ennemis  de  faire  retraite  et  d'aban- 
donner leur  canon.  La  ville  se  soumit  au  roi  de  France». 
C'était  encore  un  passage  de  troupes  pour  les  Cernéens, 
le  premier  que  nos  braves  Cernéens,  devenus  Français, 
pussent  voir. 

IV.  1638.  Belle  retraite  du  duc  Charles  IV  de  Lorraine, 
enveloppé  par  le  duc  de  Weimar. 

Cernay,  se  trouvant  à  la  bifurcation  des  routes  de 
Lorraine  à  Bàle,  de  Belfort  à  Colmar,  n'eut  sans  doute 
-pas  à  s'en  louer  entre  1634  et  1638.  Mais  nous  n'avons 
pas  de  détails  à  ce  sujet. 

Le  duc  Bernard  de  Saxe-Weimar  ayant  investi 
Brisach  aux  mois  d'août  et  septembre  1638,  le  duc 
Charles  IV  va  au  secours  de  cette  place"),  venant  de 
Bourgogne.  Il  s'avance  lui-même  jusqu'à  Thann  c  avec 
I  500  chevaux,  2000  hommes  de  pied  et  beaucoup  de 
blé.  Au  premier  avis  qu'en  reçut  le  duc  Bernard,  il 
sortit  de  Colmar,  malgré  la  faiblesse  où  sa  maladie 
t'avait  réduit,  et  marcha  pendant  la  nuit  du  13  octobre 
^vec  le  colonel  de  Rosen  et  le  5^  régiment  de  cavalerie 
jusqu'à  Sainte-Croix.  Le  comte  de  Nassau  vint  le  lende- 
main joindre  ce  petit  corps  avec  2  régiments,  600  hommes 
-ïde  pied  et  4  pièces  de  canon. 


1)  Làguillb,  h.  p.  120. 

2)  Ibid.,  p.  143. 


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114  REVUE  d' ALSACE 

€  De  là  cette  petite  armée  passa  sous  Ensisheim  et,, 
s' avançant  toujours  à  travers  les  bois  et  sans  bruit,  elle 
rentra  avant  le  jour  dans  une  grande  plaine  qui  touche 
Cernay,  nommée  Ochsenfeld  :  elle  s'y  arrêta  en  atten- 
dant l'ennemi. 

€  Le  duc  Charles  ')  ne  tarda  pas  de  paraître.  On  se 
canonna  quelque  temps,  mais  le  colonel  de  Rosen  ayant 
attaqué  la  cavalerie  ennemie,  il  la  mit  en  fuite  après 
une  légère  résistance  >.  L'infanterie,  c  animée  par  la 
présence  de  son  prince  >,  se  retrancha  derrière  les  cha- 
riots  et  les  bagages,  mais  l'infanterie  du  duc  de  Weimar 
avec  le  secours  de  son  artillerie  2)  parvint  à  la  forcer. 
Le  duc  Charles  dut  se  retirer  du  côté  de  Thann,  mais 
il  le  fit  en  bon  ordre.  Bassompierre,  Mercy,  capitaine 
des  gardes,  le  colonel  Vernier  et  le  lieutenant-colonel 
de  Fleckenstein  furent  faits  prisonniers  3).  c  Weimar 
perdit  le  colonel  Wittersheim,  gentilhomme  d'une  des 
plus  nobles  familles  d'Alsace  et  très  estimé  du  duc. 
Les  comtes  de  Nassau  et  de  Wittgenstein  furent  blessés  >• 

Comme  on  le  voit,  Laguille  distingue  nettement 
trois  phases  dans  la  lutte  :  la  déroute  de  la  cavalerie 
lorraine,  la  défaite  de  son  infanterie,  à  la  suite  de  laquelle 
le  duc  Charles  bat  en  retraite.  Mais  généralement  les 
historiens  ne  sont  pas  aussi  nets;  ils  insistent  sur  l'une 
ou  l'autre  de  ces  phases  et  passent  presque  sous  silence 
celle  qui  ne  les  intéresse  sans  doute  pas. 


1)  Le  duc  Charles  IV  (voir  son  médaillon  dans  D.  Calmet,  VI,  p.  37), 
dont  d'Haussonville  a  tracé  un  portrait  habile  dans  son  Histoire  de  la 
réunion  de  la  Lorraine  à  la  France^  a  été  un  des  plus  fermes  soutiens- 
de  PAutriche  et  des  princes  catholiques  allemands  pendant  la  guerre 
de  Trente  ans.  Il  a  été  mêlé  à  trop  d'événements  pour  que  nous  puissions  • 
ici  donner  sa  biographie.  Nous  renvoyons  le  lecteur  à  Dom  Calmet. 

2)  Augmentée  de  5  canons  que  sa  cavalerie  avait  prise  sur  Tennemi. 
(Mercure  français^  t.  xxii.>.  Ce  récit  du  Mercure  a  été  reproduit  par 
M.  A.  I.  Ingold  dans  la  Feuille  d'annonces  de  Thann  et  Cernay  de» 
23,  30  mars,  6  et  20  avril.  —  Pufendorf,  1.  10  par.  54.  (Note  de 
Laguille). 

3)  La  chose  n'est  pan  Riire  pour  Mercy  et  Vernier;  mais  plusieurs- 
auteurs  Paflfirment.  D'api  es  Forjet,  on  ne  peut  croire  que  Mercy  fut  fail 
prisonnier,  et  il  est  probable  qu'au  contraire  Vernier  fut  pris. 


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LES   COMBATS    DE   CERN.AY  I  1  5, 

Forjet,  médecin  du  duc  Charles,  qui  se  trouvait  au 
premier  choc  et  qui  a  pu  interroger  des  témc* 
laires,  sinon  son  royal  client,  sur  les  événem 
ont  suivi  la  déroute  de  la  cavalerie  avec  laqu 
laissa  entraîner,  est  beaucoup  plus  explicite 
autres  historiens.  Il  parle  longuement  des  préli 
du  combat,  de  la  déroute  de  la  cavalerie,  de 
de  l'infanterie  qui,  entraînée  par  Charles,  se  ( 
et  finit  par  obliger  le  duc  de  Weimar  à  se  re 

Son  récit,  que  donne  Dom  Calmet  d'après  soi 
crit  même'),  étant  sans  doute  le  plus  exact,  n< 
faisons  un  devoir  de  le  reproduire  dans  ses 
lignes.  Nous  n'y  ajouterons  que  quelques  dét 
pruntés  à  la  Vie  de  Guébriant  et  aux  mém 
Bassompierre  et  de  Beauvau. 

a)  Veille  de  la  bataille,  —  Quand  le  14  oct 
bon  matin,  Charles  arriva  à  Cernay,  où  se  trc 
quartier  général,  et  apprit  d'un  cavalier  désert 
le  duc  de  Weimar  avait  franchi  le  Rhin,  il  ne 
pas  à  marcher  contre  lui  :  il  avait  à  peine  3000 
à  lui  opposer.  11  dut  même  réprimer  l'ardeur  { 
du  colonel  Mercy  et  de  quelques  capitaines 
voulaient  entendre  parler  d'aucun  délai.  Il  leur  ( 
autres  :  «  S'il  fallait,  pour  satisfaire  à  mes  enga^ 
que  j'eusse  autant  de  monde  que  l'ennemi,  quel 
mériterait  cette  action }  J'en  connais  l'importan 
hasard  :  je  le  courrai  ;  je  suis  résolu  de  coml 
Mais,  je  veux  m'assurer  de  leur  route,  pour 
tout  l'avantage  que  les  circonstances  me  pe 
d'en  tirer  >. 

A  cet  effet,  il  envoya  un  parti  de  12  cavî 
régiment  de  Mercy  vers  Brisach,  et  un  autr 
cavaliers,  tirés  de  l'escadron  de  Maillard,  et  co 
par  le  petit  Gaspard,  c  qui  connaissait  parfaitei 
routes  d'Alsace»  vers  Colmar.  cPuis  il  logea  ses 


1)  Dom  Calmet,  édition   1757,  t.  vi,  p.  242. 


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Il6  REVUE   d'ALSACK 

-^-^  manière-  qu'avec  un  peu  de  vigilance   il  leur   était 
îé  de  se  garantir  de  surprise  >,    et  leur  assigna  pour 
ace  d'armes,  en  cas  d'alarme  pendant  la  nuit,  u?i  lieu 
il  était  presque  impossible  de  les  attaquer. 
Cela  fait,  il  se  retira  à  Thann,    <  aussi  gai  et  aussi 
mquille  que  s'il  n'avait  eu   aucune   affaire   dans  l'es- 
it  >  ;    il  savait,    disait -il,    à    présent   les  desseins    de 
nnemi,    qu'il    ne   serait    pas    obligé    d'aller    chercher 
en  loin. 
Le  petit  Gaspard,  revenu  dans  la  nuit,  donna  l'alarme 
rapporta    que    toute    l'armée    de    Weimar    était    en 
arche.    Dès  quatre  heures   du    matin    la   cavalerie    et 
nfanterie  lorraine  sont  en  bataille  dans  la  place  d*armes; 
six  heures  Charles  va  les  rejoindre. 

b)  Journée  du  15  octobre  :  Préliminaires  de  combat,  — 
ercy,  toujours  impatient  de  combattre,  crut  qu'un  corps 
ï  cavalerie,  qui,  s'étant  approché  de  Cernay  pour  sur- 
endre  les  troupes  lorraines,  s'était  retiré  dans  les  bois 
►rès  s'être  vu  découvert,  n'était  qu'un  parti;  il  voulut 
ncer  dessus,  mais  le  duc  de  Lorraine,  ne  tenant  pas 
l'engager  dans  un  péril  si  évident,  préféra  passer  en 
DUt  de  bataille  la  lisière  du  bois  et  de  là  il  envoya 
connaître  l'ennemi. 

Celui-ci  se  trouvait  effectivement  dans  le  bois  avec 
Lvalerie,  infanterie  et  canons.  Il  fut  bien  surpris  de  la 
mtenance  des  Lorrains  :  il  s'était  imaginé  que  ceux-ci 
îfileraient  et  qu'il  pourrait  les  attaquer  dans  leur  marche, 
ussi  voulut-il  se  retirer  quand  il  vit  qu'il  n*y  avait 
3n  à  faire;  mais  les  Lorrains  le  serrèrent  de  si  près 
le  le  combat  fut  inévitable. 

c)  Fuite  de  la  cavalerie  lorraine.  —  Les  dragons  du 
ic  Charles  se  postèrent  dans  c  un  buisson  qui  était  à 
)té  de  l'ennemi  >.  Trois  volées  de  canon  sont  tirées 
?  part  et  d'autre.  Le  régiment  de  Nicolas  fut  le  premier 
impu  par  un  escadron  ennemi  et  renversé  sur  les 
giments  de  Vernier  et  de  Preslay.  Ceux-ci  lâchent 
imédiatement  pied,  sans  se  défendre.  Le  régiment  de 
onzague  ne  résiste  pas  davantage. 


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LES   COMBATS   DE   CERNA  Y  II7 

Encouragé  par  ce  succès,  Weimar  fait  partir  trois 
autres  régiments  de  cavalerie,  qui  fondent  sur  le  régi- 
ment de  Saint-Martin,  c  bien  monté  et  bien  cuirassé  »  ; 
ils  eurent  même  la  hardiesse  de  l'attaquer  en  montrant 
le  flanc.  Le  lieutenant-colonel  Saint-Germain,  à  qui  le 
duc  Charles  avait  commandé  de  les  charger,  avança  à 
peine  de  dix  ou  douze  pas,  puis,  tournant  la  tête,  il 
prend  également  la  fuite. 

Cependant  le  seul  Maillard  soutient  le  choc  et  se 
mêle  avec  les  Suédois.  Mais  son  régiment  fut  aussi 
rompu.  On  ne  put  que  rallier  40  ou  50  chevaux,  avec 
lesquels  on  retourna  sur  le  champ  de  bataille. 

Le  régiment  du  colonel  Mercy  ne  fut  pas  attaqué, 
et  pourtant  plusieurs  lâchèrent  pied. 

Bassompierre  fut  fait  prisonnier  t  en  retournant  de 
poster  les  dragons  >  •). 

C'est  en  un  clin  d'œil  qu'eut  lieu  cette  fuite  de  la 
cavalerie  lorraine. 

d)  Charles  avec  l'infanterie  résiste  intrépidement.  — 
Nullement  ému,  Charles  répond  à  Mercy,  qui  vient  le 
prier  de  mettre  sa  personne  en  sûreté,  pour  se  con- 
server à  tous  ceux  dont  il  est  le  soutien  :  c  II  faut 
sauver  ces  braves  gens  qui  demeurent  ferme  (il  ne  lui 
restait  plus  que  1400  hommes  d'infanterie),  je  compte 
sur  eux;  quant  à  ceux  qui  s'en  sont  enfuis,  c'est  une 
mauvaise  compagnie  dont  je  suis  heureux  d'être  défait»» 

Puis  t  il  appelle  Varloski  par  trois  fois,  d'une  voix 
tonnante,  capable  d'inspirer  du  courage  aux  plus 
timides  >,  et  lui  dit  :  c  Je  désire  de  vous  une  action 
hardie  et  généreuse ...  Il  faut  que  vous  attaquiez  ce 
bataillon  de  1200  hommes,  soutenu  de  4  escadrons  et 
6  pièces  de  canon.  C'est  le  seul  moyen'de  conserver 
l'honneur  de  cette  journée  ;  la  gloire  vous  en  demeurera. 
Je  veux  moi-même  en  personne  vous  y  conduire  >. 


i)  C'est  le  même  Bassompierre,  dont  il  s'agit  dans  la  bataille  de  1634. 


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-Il8  REVUE   d'ALSACE 

Il  laisse  trois  bataillons  sous  le   commandement  de 

Mercy,    puis,    mettant   pied   à  terre  et  ayant    pris  une 

-demi-pique  en  main  '),  il  en  tua  son  cheval  pour  faire 

voir  à  son  infanterie,    à  la   tête  de   laquelle  il  se  mit, 

qu'il  voulait  vaincre  ou  mourir  avec  elle. 

Il  se  mit  en  mouvement  avec  Varloski  et  Flecke- 
stein;  mais  à  peine  furent-ils  avancés  de  50  pas,  que 
2  escadrons  weimariens  viennent  les  choquer;  ils  furent 
bien  reçus  :  le  duc  Charles  et  son  vaillant  bataillon 
blessèrent  ou  tuèrent  plusieurs  officiers  et  mirent  un 
grand  nombre  de  cavaliers  hors  de  combat  ;  ils  furent 
même  obligés  de  se  retirer  en  désordre  dans  la  campagne, 
•quoiqu'ils  fussent  soutenus  par  deux  autres  escadrons; 
ceux-ci  furent  d'ailleurs  encore  plus  maltraités  que  les 
deux  premiers. 

Son  Altesse  le  duc  Charles  c  anime  son  infanterie 
de  la  voix  et  de  la  main,  lui  commande  de  recharger 
en  marchant,  pour  ne  pas  donner  lieu  aux  Weimariens 
de  se  reconnaître  et  lui  défend  de  tirer  sans  un  com- 
mandement exprès». 

€  On  s'approche;  l'ennemi  fait  sa  décharge».  Résul- 
tat :  un  de  nos  capitaines  et  c  quelques  moindres  offi- 
'  ciers  »  tués.  Mais  quand  l'infanterie  lorraine  est  à  deux 
piques  de  Tennemi,  c  elle  fait  un  feu  terrible  et  jette 
Ja  frayeur  dans  son  bataillon  ».  Fleckestein  «  pousse 
après  eux  pour  leur  passer  sur  le  ventre  »  ;  malheu- 
reusement €  son  cheval  qui  avait  beaucoup  ('e  feu 
s'étant  abattu  sous  lui  dans  une  broussaille  au  milieu 
des  ennemis,  il  y  fut  fait  prisonnier  t.  Le  duc  Charles 
fut  attaqué  par  quatre  soldats,  qui  voulaient  l'obliger 
-à  demander  quartier;  mais  le  capitaine  Christian,  du 
régiment  de  Fleckestein,  l'aida  à  s'en  dégager. 

Pendant  que  le  duc  de  Lorraine  avec  son  bataillon 
■relevait  l'honneur  de  la  journée,  le  reste  de  son  infan- 
terie,   €  où  était  Saint-Balmont  »,   fut  attaqué  par  cinq 

0  Le  p.  Donat. 


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I20  REVUE  d'aLSACE 

dans  un  bois  voisin  :  la  crainte  de  voir  l'ennemi  pro- 
fiter de  la  pluie  qui  menaçait  pour  fondre  sur  ses  troupes- 
fatiguées  lui  fit  prendre  cette  décision. 

On  proposa  d'envoyer  quelque  personne  de  crédit 
à  Thann,   pour  en  ramener  quelque  cavalerie  et   faire- 
venir   au  camp   du    pain   et   du  vin,    car  les  Lorrains 
n'avaient  pas  mangé  de  tout  le  jour,   les  équipages  et 
les  valets  s'étant  sauvés  avec  la  cavalerie. 

Mercy  se  serait  chargé  de  la  commission,  mais  il 
avait  demandé  comme  escorte  le  peu  de  cavalerie  qui 
était  resté;  l'ennemi,  disait-il,  devait  avoir  envoyé  de 
gros  partis  sur  le  chemin  de  Thann.  Le  duc  demanda 
alors  à  aller  lui-même  à  Thann  avec  7  ou  8  gentils- 
hommes fidèles.  On  fit  des  difficultés,  car  le  duc,  disait-on, 
était  Tunique  ressource  des  Lorrains.  Mais  il  leur  promit 
d'être  de  retour  le  lendemain  du  matin,  dût-il  revenir 
seul. 

On  le  laissa  donc  partir.  Il  prit  différents  détours  et 
à  minuit  il  était  à  Thann.  Il  fit  venir  les  colonels  et 
les  officiers  et  leur  dit  qu'il  fallait  que  le  lendemain  la 
cavalerie  réparât  son  honneur,  que  pour  peu  qu'elle 
fît  son  devoir,  avant  dix  heures  il  battrait  l'ennemi  à 
plate-couture. 

h)  A  son  retour  de  Thann^  le  duc  Charles  apprend' 
la  retraite  de  Weiinar,  —  Le  duc  put  les  disposer  à 
retourner.  Avec  quantité  d'officiers  et  400  chevaux  il 
marche,  avant  le  lever  du  jour,  vers  le  champ  de 
bataille.  Mais,  au  sortir  de  Thann,  des  fantassins  déser- 
teurs de  l'armée  de  Weimar  l'assurent  que  ce  dernier 
s'est  retiré.  Arrivé  près  de  son  infanterie,  il  apprend 
également  que  l'ennemi  ne  parait  plus.  C'était  donc 
bien  Weimar  qui  avait  été  obligé  de  faire  sa  retraite. 

La  cavalerie  lorraine  fut  naturellement  reçue  avec 
des  marques  de  mépris.  Les  officiers  qui  avaient  fui 
furent  désarmés  et  mis  en  arrêt  à  Thann,  après  avoir 
été  déclarés  sckelmSy  à  la  demande  de  Mercy. 

i)  La  cavalerie  lorraine  répare  sa  faute,  —  Mais  le 
duc  Charles  ayant  fait  savoir  «  qu'il  permettrait  à  ceux- 


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LES  COMBATS  DE  CERNAY  121 

qui  se  piquaient  de  générosité  de  faire  voir  par  quelque 
action  signalée  qu'ils  n'avaient  fui  que  par  un  pre- 
mier mouvement,  plusieurs  entreprirent  d'aller  visiter 
l'ennemi  >.  C'est  ainsi  que  sept  officiers  du  régiment 
de  Maillard  battirent  un  parti  de  dix-sept  cavaliers  et 
en  prirent  des  chevaux  et  des  prisonniers  »).  D'autres 
s'en  allèrent  du  côté  de  Munster,  où  ils  remportèrent 
des  succès. 

Variantes.  —  Un  historien  bavarois  de  la  Guerre 
de  Trente  ans,  contemporain  de  l'action,  Adlzreit, 
prétend  2)  que  le  duc  Charles  passa  la  nuit  sur  le  champ 
de  bataille,  dont  il  était  resté  maître,  et  que  le  duc  de 
Weimar  se  retira  du  côté  d'Ensisheim. 

Nous  préférons  croire  avec  le  médecin  de  Charles 
que  celui-ci,  après  une  vigoureuse  résistance,  que  Forjet 
aurait  pu  appeler  une  belle  retraite,  n'a  pas  voulu  passer 
la  nuit  sur  le  champ  de  bataille  bien  que  ce  fût  en  son 
pouvoir;  que,  pendant  le  repos  de  ses  troupes  dans  le 
bois  voisin  du  champ  de  bataille,  il  passa  plutôt  une 
nuit  blanche  à  aller  à  Thann  et  à  en  revenir,  après  avoir 
ramené  de  la  cavalerie.  Quant  au  duc  de  Weimar, 
c'est  bien  pendant  la  nuit  qu'il  se  retira,  à  Tinsu  de 
Charles. 

L'historien  bavarois  n'a  donc  qu'à  moitié  raison. 

Baleicourt3)  n'insiste  pas  plus  que  Forjet  sur  la 
retraite  elle-même;  son  récit  est  plus  court,  mais  ne 
contredit  en  rien  celui  du  médecin  du  duc  Charles.  Il 
accentue  peut-être  davantage  le  déshonneur  de  la  cava- 
lerie lorraine  :  c  La  cavalerie  du  duc  de  Weimar,  dit-il, 
ayant  seulement  fait  semblant  d'attaquer  celle  du   duc 


1)  Forjet  ajoute  que,  neuf  jours  après  le  combat,  Ton  trouva  sur  le 
chaoDp  de  t>atail]e  un  fantassin  lorrain,  qui  avait  eu  la  moitié  de  la 
jambe  emportée  par  un  coup  de  canon.  Il  était  encore  en  vie.  Trans- 
porté sur  un  cheval  à  Thann,  la  jambe  lui  fut  coupée  au-dessous  du 
genoo,  et  Forjet  le  guérit  parfaitement. 

2)  Adlzibit,  1.  23  n.  31.    Cité  par  Laguille. 

3)  Histoire  du  duc  de  Guébriant^  p.  261.  Cité  par  Dom  Calmet, 
VI,  248. 

JZevae  d^AUacit,  1907  9 


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122  REVUE   D  ALSACE 

Charles,  celle-ci  s'enfuit  sans  attendre  le  choc  et  aban* 
donna  l'infanterie  avec  les  chariots  à  la  merci  des  enne- 
mis . . .  Mais  le  duc  soutint  si  vigoureusement  la  charge 
de  Weimar  qu'il  fit  tourner  tête  à  sa  cavalerie,  tailla 
son  infanterie  en  pièces,  se  rendit  maître  du  champ  de 
bataille  et  de  deux  pièces  de  canon».  II  fit  alors  sa 
retraite,  et  Weimar  eut  beau  revenir  à  Tattaque;  c  par 
toutes  ses  escarmouches  il  ne  put  ni  rompre,  ni  enta- 
mer >  l'armée  lorraine. 

Dans  la  Vie  du  maréchal  de  Guébriant^  nous  trouvons 
ce  détail')  :  «Le  duc  de  Weimar  défit  entièrement  la 
cavalerie  lorraine  et  chassa  les  troupes  du  duc  Charles 
dans  les  bois,  prit  s  pièces  de  canon,  25  cornettes  et 
tout  le  bagage  >. 

Seuls,  Bassompierre  2)  et  Beauvau  3),  que  cite  Dom 
Calmet,  parlent  plus  longuement  de  la  retraite,  <  Ils 
disent  que  le  duc  de  Lorraine,  abandonné  de  sa  cava- 
lerie, conduisit  avec  beaucoup  de  jugement  et  de  fermeté 
la  retraite  qu'il  fut  obligé  de  faire.  Il  descend  de  cheval, 
rassure  les  gens,  se  met  à  la  tête  de  son  infanterie, 
l'enferme  entre  les  chariots  de  bagage  et  se  retire  à 
Thann,  éloignée  de  2  lieues,  en  bon  ordre. 

<  Environ  40  cavaliers,  qui  n'avaient  pas  voulu  fuir 
avec  les  autres,  demeurèrent  au  dehors  de  l'enceinte 
des  chariots.  De  ce  nombre  était  le  jeune  Bassompierre, 
dont  le  cheval  fut  tué  sous  lui,  et  qui  demeura  prison- 
nier 4).  Le  duc  de  Weimar  ne  put  jamais  enlever  un 
chariot,  ni  tuer  un  soldat  du  duc,  dans  tout  ce  long 
trajet  ». 

Le  duc  de  Weimar  reconnut  <  que  c^ était  la  plus  belle 
action  quil  eut  encore  vue  dans  le  métier  des  armes  ^^ 


i)  L.  3,  c.  4,  7.    Cité  par  D.  Calmbt,  ib. 

2)  Journal  dt  Bassompterr^^  t.  il. 

3)  Mémoires  de  Beauvau^  1.  I,  p.  61. 

4)  Est-ce  en  voulant  poster  des  dragons,  après  la  déroute  de  la 
cavalerie  lorraine,  ou  est-ce  seulement  parce  qu'il  était  en  dehors  de 
l'enceinte  des  chariots  que  fut  pris  Bassompierre?  Ce  qu'il  y  a  de  cer* 
tain,  c'est  que  (les  auteurs  sont  ici  d'accord)  Bassompierre  s'était  éloigné 
du  bataillon  du  duc  Charles  et  fut  pris. 


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LES   COMBATS  DE  CERNA  Y  I23 

-«  il  eut  bien  souhaité  acquérir  une  gloire  pareille  >. 
Xe  Grand  Condé  égalait  cette  glorieuse  retraite  h  la  plus 
•  signalée  de  ses  victoires  i),  et  le  vainqueur  de  Rocroy 
s'y  connaissait. 

Conclusion.  —  Nous  avons  essayé  de  concilier  les 
différents  récits  de  cette  journée  qui,  somme  toute,  fait 
honneur  au  duc  de  Lorraine  comme  au  duc  Bernard 
<ie  Weimar.  En  en  considérant  les  phases  successives 
et  en  ne  s'arrêtant  pas  à  un  point  de  vue  exclusif 
•comme  l'ont  fait  la  plupart  des  historiens,  on  la  com- 
prend mieux. 

Le  duc  de  Weimar  ne  survécut  pas  longtemps  à 
-ce  combat  :  le  i8  juillet  1639,  il  mourut  à  Neubourg, 
►à  l'âge  de  35  ans. 

Quant  au  duc  de  Lorraine,  resté  quelque  temps  à 
Thann,  il  ne  put  couper  à  Weimar  les  vivres  qui  lui 
venaient  de  la  Suisse  et  il  fut  obligé  de  renoncer  à 
•recourir  Brisach  :  Mercy  avait  été  vaincu  près  d'Ensis- 
.heim  par  le  colonel  de  Rosen  le   i*'  novembre    1638. 

C.   Oberreiner. 


i)  Dictionnaire  de  Bbuzbn  db  la  MartiniÈrb,  X  vi;  Supplément 
•4tu  manuscrit  de  Corberon,  p.  il.  Paris,  1741.  C'est  sur  TOcbsenfeld 
qu'a  eu  lieu  la  bataille,  dit-il.  —  Voir  :  Ingold,  VOchsenfeld^  ton 
antiquité ^  ses  traditions^  etc. 


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LES  TROUBLES  DE  1789 

DANS  LA  HAUTE -ALSACE 

Suite  >) 


CHAPITRE    II 

Les  événements  de  Paris.  —  L'insurrf  et  on  dmr  s  le   Royaume.    —   Le»^ 
brigands.  —  L'insurrection  en  Alsace.  ~  Les  vrais  coupables.  — 
Ses  causes  imméd  ates. 

Au  surplus  les  graves  événements  qui  se  passèrent 
à  Paris,  tirèrent  la  Conr) mission  et  les  Bureaux  de  leur 
perplexité  :  ils  permirent  à  celle-ci  d  oublier  l'arrêt  dont 
l'exécution  lui  était  confiée,  et  fournirent  à  ceux-là 
l'occasion  de  démontrer  qu'ils  n'étaient  pas  un  rouage 
inutile. 

Les  15,  16  et  17  juillet,  on  apprit  coup  sur  coup 
le  renvoi  de  Necker,  la  révolte  de  Paris,  la  prise  de 
la  Bastille  et  les  excès  qui  en  furent  la  suite;  on  savait 
que  les  troubles  avaient  été  apaisés  dans  la  capitale 
par  la  présence  du  Roi,  et  en  Alsace,  dans  les  villes 
et  dans  les  campagnes,  chacun  s'était  paré  comme  à 
Paris  de  la  cocarde  verte,  symbole  de  la  liberté  recon- 
quise. Mais  on  savait  aussi  que  les  désordres  de  la 
capitale  avaient  provoqué  d'autres  désordres  dans  les 
provinces  et  qu'une  quantité  de  châteaux  avaient  été 
dévastés  et  incendiés. 

1)  Voir  la  livraison  de  janvier-février. 


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LES   TROUBLES   DE    I789 

En  effet,  le  royaume  tout  entier  était  en 
•<  Dans  les  quatre  mois  qui  précèdent  la  p 
Bastille,  on  peut  compter  plus  de  trois  cent 
-en  France  >,  à  grand'peine  comprimées.  D 
^récoltes  avaient  été  mauvaises;  dans  la  cra 
disette  les  paysans  commencèrent  à  s'insu 
avoir  le  blé  et  le  pain  à  bas  prix.  Puis,  comr 
avait  dit  «que  les  Etats  généraux  allaient  opér 
nération  du  Royaume,  ils  en  ont  conclu  qu 
-de  la  convocation  devait  être  celle  d'un  cl 
-entier  et  absolu  dans  les  conditions  et  dans  les 
Enfin,  <  l'imagination  populaire  est  allé  dr 
comme  un  enfant  :  les  réformes  étant  annoi 
.les  croit  venues,  et,  pour  plus  de  sûreté,  elle  1 
.à  l'instant  :  puisqu'on  doit  nous  soulager,  s 
nous  ! . . .  Les  principes  donnés  au  peuple  s 
Roi  veut  que  tout  soit  égal,  qu'il  ne  vei 
-seigneurs  et  d'évêques,  plus  de  rang,  poini 
-et  droits  seigneuriaux.  Aussi  ces  gens  égai 
user  de  leur  droit  et  suivre  la  volonté  du  Roi 
pourquoi  le  paysan,  dès  qu'il  apprit  que  F 
révolté,  courut,  sans  hésiter,  sus  aux  château 
le  sot  espoir  de  se  soustraire  aux  corvées  e 
vances  qui  lui  pesaient,  s'empressa  de  saisi 
et  de  les  livrer  aux  flammes  avec  les  demeur 
^u'il  considérait  comme  ses  oppresseurs.  Ce 
pérait  surtout,  c'étaient  les  bruits  sinistres 
faisait  courir,  très  certainement  à  dessein,  sur 
-de  vengeance    que   nourrissaient   les    seigne 


i)  Tains,  Réuoluihn^  I,  p.  13,  20,  24. 

3)  Ou  plutôt  les  aristocrates.  Telle  est,  d'après  M.  d 
^'l'ongine  de  la  signification  odieuse  qui  s'attacha  au  mot 
On  les  accusait,  non  seulement  de  soudoyer  des  brigand <i 
4es  moissons,  mais  encore  d'accaparer  tes  blés,  de  vouloi 
4' Assemblée  nationale,  de  prendre  à  leur  solde  des  troup< 
•«nfin  d'incendier  eux-mêmes  leurs  propres  châteaux  dans  le 
-odieux  le  régime  actuel  et  de  ré  luire  par  la  famine  le  \ 
-^léfenseurs.  (Cfr.  Btrickt  an  dit  Gemeine  von  Strasskurg^ 
•«t  suiv. 


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126  REVUE  d'ALSACE 

racontait  que  des  légions  de  brigands  à  leur  solde* 
avaient  été  déchaînées  sur  le  pays,  avec  ordre  de- 
détruire  partout  les  moissons,  le  seul  espoir  de  raffame- 
et  souvent  le  seul  bien  du  paysan.  De  là  de  folles 
terreurs  qui  faisaient  place  bientôt  à  des  accès  de  rage 
frénétiques.  Les  brigands^  dont  on  annonçait  l'arrivée 
partout,  ne  furent  jamais  vus  de  personne  ;  aussi  Ton^ 
finit  par  appeler  de  ce  nom  les  bandes  armées  qui 
parcouraient  les  campagnes,  même  celles  qui  avaient  la^ 
prétention  de  se  défendre  contre  les  soi-disants  brigands^ 
Tous  les  écrits  du  temps  en  témoignent,  et  c'est  ainsr' 
que  le  mot  brigand^  détourné  de  sa  signification  habi- 
tuelle, désigna  tous  ceux  qui  prirent  une  part  quelconque 
à  l'insurrection,  dont  le  plus  grand  nombre  certainement 
étaient  plutôt  des  égarés,  que  des  gens  faisant  leur  métier 
de  piller  et  de  voler  à  main  armée. 

Bien  qu'en  Alsace  on  appelât  du  nom  de  brigandy, 
Raubgesindely  Banditen^  tous  les  insurgés  indistinctement^ 
il  ne  parait  pas  que  la  terreur  de  ces  brigands  fantas- 
tiques, sous  Tempire  de  laquelle  se  trouvait  une  grande 
partie  de  la  France,  eut  quelque  influence  sur  le  sou- 
lèvement de  notre  province.  On  peut  en  dire  autant 
de  la  faim,  La  récolte  de  1789  sans  doute  ne  donnait 
pas  de  grandes  espérances;  mais  avec  le  reliquat  de 
1788,  qui  avait  été  une  année  commune,  une  disette^ 
prochaine  n'était  pas  à  redouter  »).  La  cause  première 
de  tous  ces  désordres,  indépendamment  de  la  contagioa 
de  l'exemple,  se  trouvait  dans  la  fermentation,  la  surexci- 
tation générale.  Sans  doute  cette  surexcitation  était 
excitée  et  entretenue  par  la  conviction  que  paysans 
et  bourgeois,  depuis  longtemps  des  victimes,  devaient 
profiter  du   moment  pour  redresser   les   abus   dont  ils- 


1)  Cfr.   L* Alsace  au  xviii*  tlhle^    tome  ir,    p.  434.    c  Le  comman» 
dant  de  Lorraine  m*astura  que...   nous  y  avions  au  moins   abondance 
de  grains,  puisque  c'était  cette  province  qui  lui  fournissait  des  secours^ 
dans    le    besoin    pressant   qui   affligeait   la    Lorraine   et   les    Evéchés  >^ 
(Mimoifts  du  maréchal  di  Rochambeau,  P^ris,  1809). 


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LES   TROUBLES   DE    1789  I27 

souffraient  et  reprendre  les  droits  dont  on  les  avait 
injustement  dépouillés.  Mais  cette  conviction  elle-mêmej 
si  Ton  en  croit  un  député  alsacien,  était  le  résultat  de 
coupables  excitations,  de  la  séduction,  et  surtout  de 
Tassurance  satanique  que  le  Roi,  mécontent  des  classes 
privilégiées,  autorisait  le  peuple  à  les  piller  ').  Il  y  eut 
évidemment  des  gens  sans  aveu,  qui  cherchaient  dans 
le  désordre  et  l'incendie  une  occasion  de  voler  et  qui 
faisaient  réellement  acte  de  brigandage.  Mais  le  plus 
grand  nombre  des  insurgés  étaient  persuadés  que  le 
Roi  et  l'Assemblée  nationale  permettaient  à  chacun  de 
se  faire  justice  à  soi-même.  Ils  montraient  même  des 
placards,  signés  Louis,  qui  les  y  autorisaient  2).  Aussi 
ne  se  firent-ils  aucun  scrupule  d'employer  la  violence 
dans  le  but  d'obtenir  libération  de  leurs  obligations 
envers  l'Etat,  les  seigneurs  et  leurs  créanciers. 

L'Etat  était  hors  de  leur  atteinte,  mais  ils  pouvaient 
refuser  l'acquittement  des  impositions,  dont  au  surplus 
il  était  absolument  impossible  dans  ces  circonstances 
d'opérer  le  recouvrement;  ils  pouvaient  encore  déchar- 
ger toute  leur  mauvaise  humeur  sur  les  fonctionnaires- 
de  l'Etat  et  se  venger  sur  leurs  personnes  et  sur  leurs 
biens  de  toutes  les  injustices  dont  ils  se  prétendaient  les 
victimes  3).   Les  seigneurs  et  les  créanciers,  qui  étaient 


1)  c  In  allen  Provinzen  loderte  nun  bald  das  Feuer  der  Unruhen^ 
Das  Volk  brach  in  Gewalithïtigkeiten  aus,  nicht  aat  Abscheu  gegen 
zu  farig  erlittene  Unterdrilckungen,  wie  man  es  ôfTentlich  ausgab,  son- 
dern  durch  allgemeine  Aafwiegeiung  in  den  Krmsten  Klassen  des  Volkes;. 
durch  Bektechnngen,  durch  glMnzende  Verheissungen,  seibst  durch  die 
teufliiche  Erfindung  dass  der  Kong,  tiber  die  privilegierten  StMnde 
missveignikgt,  dem  Volke  «rlaube  sie  zu  Uberfallen  und  zu  pHindern  >. 
(BtrUht  an  dû  Gemeine  von  Strassburg^  par  J.  DB  TuBCKHSiM,  député 
de  Strasbourg,  1789,  p.  15).  —  «  Zu  diesem  allgemeinen  Au^tandt 
^cug  gar  vieles  bey,  dasz  mUndIich  und  schriftiich  ausgestrait  wurde,  es» 
sey  Befehl  vom  Hofe  angelangt  dasz  die  Juden  und  die  Herrschaften 
sollten  verfolgt  werden  *,  (M.  MiSG,  Hisi,  de  Mulhouse). 

a)  Tainb,  Révolution^  I,  p.  98  et  note  4.  — -  Dominique  Schmutz» 
Billing,  etc.  . 

3)  C'est  ainsi  que  Tadjudicataire  des  fermes  du  Roi  se  plaignit  de- 
ce  qu'on  avait  enlevé  plusieurs  poteaux  de  recette,  refusé  de  payer  les 
droits  et  menacé  les  préposés  :  c  ...  les  enlèvements  (en  particulier  dfr 
sel  et  de  tabac)  se  font  à  force  ouverte  et  par  chariot  », 


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REVUE   d' ALSACE 

juifs,  se  trouvaient  à  leur  portée, 
d'acquitter  la  dîme  et  les  droits  sei- 
respectait  plus  ni  le  droit  de  chasse, 
he,  ni  les  propriétés  du  seigneur,  et 
lit  les  forêts  ;  on  s'insurgeait  contre 
uriaU),  et,  si  toutefois  ses  biensiet  sa 
lent  aucun  dommage,  on  l'obligeait 
v^iolence  et  les  dernières  menaces,   à 

son  maître  qu'on  détruisait  par  le 
efois  à  signer  au  nom  de  son  maître, 
[>ar  lur,  une  renonciation  authentique 
>n  considérait  comme  des  usurpations, 
que  Ton  regardait  comme  abusives  : 
5  droits,  nos  anciens  droits,  nos  droits 
écriaient  les  émeutiers  ').  Quant  au 
ïtait  traité  avec  plus  de  sans  façon, 
maison  était  mise  au  pillage,  quelque- 
être  incendiée,  tous  ses  titres  brûlés, 

toute  sa  famille,  obligé  de  s'enfuir, 
er  aux  mauvais  traitements, 
înt  les  vrais  coupables?  <  Vous  voulez 
irs  des  troubles,  écrit  un  homme  de 
;  recherches,  vous  les  trouverez  parmi 
rs . . .  Ils  écrirent  à  leurs  commettants 
aires  ;  ces  lettres  sont  reçues  par  les 
1  les  lit  tout  haut  sur  la  place  princi- 
îs  en  sont  envoyées  dans  tous  les 
n   effet    parmi  les  députés  du  Tiers 

les  véritables  auteurs  des   troubles 


rs  seigneuriaux  n^étaient  guère  en  sikreté.  Voici 
ncellerie  de  Ribfauvillé,  le  sieur  Maire,  receveur- 

à  la  date  du  9  Aars  1 790  :  «  Je  voudlrais  bien 
lent  bientôt  aux  Etats  généraux;  car  les  officiers 
[ue   tous    regardés    comme    de    au   val 

assurément  pas  plaisir  aux  honnêtes  gens  ». 
s  vêriiés,    1792,  p.  94. 

»,  I,  p.  94  et  notes  p.  95.  —  C^p^ndant  il  faut 
t  de  responsabilité  qui  incombe  au  Gotiveraeaent 
iriaétHaire.  ' 


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130  RKVUE   d' ALSACE 

:onstitution  de  notre  province;  mais  elles  sont  fomeir- 
s  encore  par  ceux,  qui,  accusés  et  convaincus  déjà 
voir  excité  au  pillage  et  à  Tincendie  des  châteaux 
des  monastères,  continuent  apparemment  d'aussi  cou- 
ples manœuvres».  M.  deTurckheim,  député  de  Stras- 
arg,  dans  ses  explications  à  ses  commettants,  accuse 
s  nettement,  sans  toutefois  les  nommer  par  leurs 
ms,  ses  collègues  alsaciens  de  TAssemblée,  ou  quel- 
3s-uns  d'entre  eux,  d'avoir  provoqué  ces  désordres^ 
i  l'on  avait  voulu  véritablement  venir  au  secours  des- 
sses  nécessiteuses,  dit-il,  on  n'aurait  pas  requis  en 
elque  sorte  les  provinces  de  se  soulever,  même  avant 
4  août,  répandu  avec  une  célérité  incroyable,  par  le- 
lyen  d'affiches  séditieuses  et  surtout  inexactes,  les- 
olutions  votées  durant  cette  nuit,  avant  même  qu'elles 
îsent  été  formulées  ;  on  n'aurait  pas  envoyé  dans  les 
évinces  depuis  Versailles  des  lettres  qui  portaient  le- 
ibre  de  la  poste  de  cette  ville  (j'en  ai  eu  moi-même- 
:re  les  mains  qui  avaient  été  retournées),  par  lesquelles- 
sommait  les  syndics  de  notre  province  <  de  com- 
ttre  de  toutes  leurs  forces  les  seigneurs  et  les  prêtres,- 
is  quoi  tout  serait  perdu  >.  Mais  on  aurait  suivi  la. 
ie  de  la  modération  !  >  »)• 


1)  «  Man  hlitte  nicht,  noch  vor  dem  4.  August,  die  Provinzen  zao» 
stand  gleichsam  aufgefordert,  die  SchiUsse  jener  Nacht,  nocb  vor 
T  Abfassung,  durch  aufrUhrische  und  seibst  ungetreue  angeschiagene 
tter,  mit  einer  unbeschreiblichen  Eilfertigkeit  verbreitet;  man  bStte- 
it  durcb  Briefe,  mit  dem  Poststempel  von  Versailles  bezeichnet,  aus- 
ter  Residenzstadt  in  die  Provinzen  geschrieben  (deren  ich  einige,  die 
ilckgeschickt  worden,  seibst  in  Hânden  batte),  welche  die  Syndicke» 
erer  Provinz  aufgefordert  c  sicb  aus  allen  Kràften  g''gen  die  Herr- 
ïften  und  Geistlicben  zu  wehren,  sonst  sey  ailes  verioren  »,  (Berithf 
die  Gemeinde  vcn  Strassburg^  1 789,  p.  33).  —  La  brochure  intitulée 

Pourquoi  du  peuple  à  ses  représentants  reproduit  les  mêmes  accusa- 
is, notamment  contre  Lavie  :  c  Pourquoi,  lorsque  le  sieur  Lavie  a 
accusé  et  convaincu  en  pleine  Assemblée  nationale,  d'avoir  répandu 
ait  afficher  des  placards  séditieux,  a-t-on  passé  a  Pordre  du  jour^  ai»> 

de  sévir  contre  ce  séditieux?»  —  Le  Mémoire  de  droit  public^  etc.,. 
state  également  que  c*est  ce  peuple  «  naturellement  si  doux  et  s» 
iquille,  qu^on  a  soulevé  par  des  placards,  des  lettres  anonymes  timbrées- 
Versailles,  qu*on  a  excité  par  des  mensonges  et  des  imputations- 
;ses,  qu'on  a  armé  contre  tous  les  pouvoirs...  >  (p.  »34).  —  Cfr- 
citoyen  contemplateur^   ï790»  p.  25,  30,  etc.. 


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LES   TROUBLES   DE    1789  13»' 

Les  municipalités  et  surtout  leurs  syndics  étaient  tout 
naturellement  disposés  à  céder   aux   conseils,   ou   aux- 
injonctions  qu'ils  recevaient  ainsi  de  la  capitale.  C'était 
pour  eux  le  moyen  tout  trouvé  de  jouer  le  maître  :  ils^ 
ne  firent  pas  faute  d'en  profiter.  Le  2  octobre,  le  Bureau 
de  Huningue  adressait  à  la  Commission    intermédiaire- 
la  lettre  suivante  du  sieur  Ostertag,  curé  de  Steinsouitz,. 
en  date  du  28  septembre,    ajoutant  que  dès  le   15  du 
même  mois  il  avait  dénoncé  à  la  Commission  les  mêmes 
faits  et  qu'il  devenait  plus   pressant   que  jamais    d'agir 
avec  vigueur,  si  on  voulait  empêcher  le  renouvellement^ 
de  l'insurrection  :   «  Est-il  possible.    Messieurs,    que  les 
membres  aussi  prudents  qu'éclairés  du  district  de  Hu- 
ningue   ne    commencent    pas    à   voir    clair   quant   aux 
municipalités  de  leur  ressort  .^^  Je  suis  sujet  du  Roi  ;  je 
me  flatte  d'être  zélé  patriote  :  je   suis  prêtre   et   curé,, 
et  toutes  ces  qualités  me  disent  que  je  commettrais  un 
crime  impardonnable  si  je  ne  vous  déclarais  point  que- 
dans  les  tristes  circonstances  où  nous  avons  le  malheur 
de  nous  trouver  aujourd'hui,  Messieurs  les  syndics,  avec 
les  autres  suppôts  des  municipalités  respectives,  posent 
comme  principe  :   i**  qu'ils  sont  despotes  quant  à  l'ad-^ 
ministration   des  communautés;    2®    qu'il  ne  faut  plus^. 
payer  les  impositions    du  Roi;    3®  que  tout  créancier 
doit  perdre  sa  dette  active;  4**  que  les  Juifs  sont  payés- 
par  les  titres  qu'on  leur  a  volés;  5**  qu'on  doit  absolu-^ 
ment  chasser  cette  nation  de  la  province  ;  6**  qu'on  ne 
doit  plus  rien  aux  seigneurs;  7*  qu'on  n'a  plus  besoin 
de  juges,  chaque  municipalité  étant  le  juge  naturel  des 
sujets  de  son  ressort.  Voilà,  Messieurs,  à  peu  près  leur 
système,  qui,  couvant  sous  la  cendre,    éclatera  bientôt 

si  l'on  néglige  les  moyens  propres  à  le   renverser. 

On  se  plaint  que  les  autorités  sont  vilipendées.  Voict 
les  raisons  :  i*  la  plupart  des  syndics,  auxquels  elles- 
sont  envoyées,  savent  à  peine  l'allemand,  quoique  leur 
langue  maternelle;  2®  la  plupart  ne  lit  qu'en  bégayant 
et  est  hors  d'état  de  pouvoir  expliquer  la  force  du 
terme.  Par  exemple,  Getrcîd,  les  syndics  l'ont  expliqué 


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•132  RBVUE   DALSACK 

par  toute  sorte  de  denrées  nécessaires  à  la  consomma- 
^*  '    droit  cT avoir  exclusive tnefit  des  colombiers  aboliy 

ics  l'ont  expliqué  qu'à  Tavenir  il  est  défendu 
s  monde  d'avoir  des  colombiers,  etc.;  ainsi  de 
e,  de  la  pêche,  des  dîmes,  etc.  ;  3°  la  plupart 
Messieurs  s'érigent  au  moins  indirectement  en 
parti  ;  4**  si  eux-mêmes  n'ont  pas  volé,  saccagé 
,    leurs  parents  les  plus   proches  ont  fort  bien 

à  ces  trois  métiers.  Et  vous  voudriez  alors, 
•s,  que  soient  confiées  aux  syndics  des  ordon- 
^ui  culbutent  de  fond  en  comble  leur  façon  de 
et  d'agir?  Croyez-moi,  Messieurs,  autant  de 
alités,  autant  de  centres  de  révolte  !  > 
bureau  de  Colmar  était  du  même  avis.  C'est  la 
jntre  les  anciens  et  les  nouveaux  administrateurs, 
il  à  la  Commission  le  i"  septembre,  et  la  jalou- 
ins  contre  les  autres,  qui  entretiennent  la  fermen- 
:tuelle  et  empêchent  le  calme  de  renaître  !  Voici 
de  qu'il  voudrait  voir  employer.  Comme  les 
s,  dit-il,  paraissent  avoir  renoncé  au  droit  de 
[u'ils  exerçaient  sur  l'administration  des  revenus 
liaux,  on  pourrait  profiter  de  la  circonstance 
idre  en  un  seul  corps  ces  deux  corps  rivaux, 
mmer  partout  de  nouvelles  municipalités,  «  dont 
oir  exécutif   appartiendrait  aux   prévôts  >  :  ce 

moyen  de  remédier  à  cette  <  anarchie  >,  dont 
uiTrons!  La  Commission  intermédiaire  elle-même 
:,  et  l'avoue  dans  sa  lettre  du  8  septembre  à 
blée  nationale  :  «Les  communautés,  vexées  par 
iers  seigneuriaux,  dit-elle,  ont  élu  dans  les  muni- 
,  non  les  plus  sages,  mais  les  plus  remuants, 
les  plus  capables  de  tenir  tête  aux  officiers 
iaux;  il  y  a  donc  dans  chaque  commune  deux 
^n  présence,  deux  corps  doqt  les  pouvoirs  ne 
î  exactement  limités.  Ce  furent  donc  de  part  et 
des  prétentions  exagérées,  des  chocs  qui  mirent 
de  grands  abus  :  de  là  l'origine  des  troubles! 
ans  bien  des  endroits,  dès  le  commencement,  les 


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LES  TROUBLES   DE    1789  135.: 

prévôts  durent   prendre   la   fuite,    les   municipalités   sp^ 
mettre  à  la  tête  de  la  communauté,  d^abord  volontaire 
ment,  puis  forcément  ...>•). 

On  comprend  la  raison  pour  laquelle  on  refusait  d< 
payer  les  impositions  royales,  ou  d'acquitter  les  dîme 
et  les  redevances  seigneuriales;  mais  pour  quel  mot! 
s'attaquait-on  à  tous  les  créanciers,  et  surtout  au  créan 
cier  juif?  Une  petite  brochure  anonyme  de  l'époque 
intitulée  Révolutions  d'Alsace^  dont  l'auteur  est  bien  loii 
d'être  partisan  de  l'ancien  ordre  de  choses,  dit  à  ce  sujet 
<  Nous  savons  encore  que  dans  ces  endroits  de  la  Haute 
Alsace  ...  on  a  massacré  tous  les  juifs  2).  Ici  les  âme 
des  Parisiens  seraient  saisies  d'eflroi;  ils  se  croiron 
transportés  au  x«  siècle.  Il  faut  leur  apprendre  que  1; 
religion  probablement  n'y  a  pas  eu  de  part  et  que  le: 
juifs  sont  un  des  moyens  tyranniques  dont  se  serven 
les  seigneurs  de  ce  pays  pour  vexer  les  peuples.  Ili 
exercent  l'usure  ;  ils  réduisent  les  paysans  à  la  mendi 
cité  ;  ils  citent  l'Ancien  testament  pour  justifier  leur 
vexations  et  ils  partagent  tranquillement  avec  les  sei 
gneurs  les  fruits  de  leurs  crimes  >.  Nous  examineroni 
ailleurs  ce  que  cette  allégation  a  de  fondé,  et  nou! 
étudierons  plus  en  détail  les  motifs  de  la  haine  du  paysai 
contre  le  créancier  juif  3).  Qu'il  nous  suffise,  pour  h 
moment,  de  connaître  sur  ce  sujet  le  sentiment  dei 
administrateurs  composant  le  département  du  Haut 
Rhin: 


i)  L'aateu)  des  Instructions  au  chapitre  de  X^  est  du  même  avis 
nous  l'avons  vu  précédemment.  Et  cependant  la  Commission,  dans  %\ 
lettre  à  l'Assemblée  nationale  du  8  septembre,  a  tout  lieu  de  vouloii 
sinon  innocenter,  au  moins  d'excuser  les  municipalités,  qui  étaient  soi 
œuvre  après  tout  :  <  Presque  jamais  une  municipalité  ne  requerera;  ell 
laissera  commettre  les  plus  grands  excès,  plutôt  que  de  faire  um 
démonstration,  dont  ses  concitoyens  pourront,  tôt  ou  tard,  chercher  i 
la  rendre  responsable...  Les  municipalités  ns  sont  plus  maîtresses  d< 
se  refuser  à  rien...  >. 

2)  C'est  une  erreur.  Il  n*y  a  eu  aucun  massacre  de  Juifs  duran 
l'insurrection  ;  il  n'y  a  pas  même  eu  de  sang  versé  :  nous  avons  à  c< 
sujet  les  témoignages  les  plus  positifs. 

3)  Dans  DAlsace  au  xviu«  siUle^  IV,  livre  xii. 


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-134  RRVUE   D'ALSACE 

<  Caractérisé  par  une  nonchalance,  par  une  apathie 
pour  tout  genre  de  travail  manuel,  ce  peuple  (le  peuple 
juif)  s'est  créé  Thabitude  de  ne  se  procurer  ses  premiers 
besoins  que  par  des  simulations  de  contrat,  des  usures, 
-des  extorsions  de  toute  espèce. ..  L'inconvénient  d'une 
manière  de  subsister  aussi  peu  utile,  on  peut  même 
dire  aussi  contraire  aux  intérêts  politiques  de  toute 
société ...  ne  se  borna  pas  seulement  à  faire  acheter 
.au  laboureur  et  à  l'artisan  le  secours  du  moment  au 
triple  et  au  quadruple  du  réel  qu'il  a  reçu,  il  entraîne 
celui  d'une  foule  immense  de  procès  et  de  discussions 
qui  finissent  toujours  par  la  ruine  d'une  famille  de 
cultivateur.  Le  sentiment  public  que  cet  état  de  chose 
-  a  fait  naître  dans  ce  département  depuis  nombre  d'an- 
nées, est  celui  d'une  haine  entre  juifs  et  chrétiens  qu'un 
siècle  ne  suffirait  pas  pour  effacer.  A  peine  les  pre- 
miers rayons  d'un  nouveau  gouvernement  avaient-ils 
lui  sur  cette  partie  du  royaume,  que  l'on  a  vu  dans 
presque  toutes  les  communautés  le  paysan  opprimé 
par  une  longue  suite  de  vexations  et  d'usures,  se 
soulever  contre  les  Juifs  ;  partout  s'est  manifesté  le 
ressentiment  le  plus  implacable;  et,  si  des  voies  de 
fait  sanglantes  n'en  ont  pas  été  la  suite,  c'a  été  parce 
que  toute  l'attention  des  chefe  civils  et  militaires  s'est 
^portée  à  les  arrêter  et  que  partout  11  a  été  interposé 
une  mesure  proportionnée  de  force  publique  >  i). 

Le  Conseil  général  du  district  d'Altkirch  atteste 
aussi,  en  1 790,  que  <  l'énormité  de  l'usure  qu'elle  a 
exercée  sur  le  peuple  et  les  vexations  inouïes  qu'elle 
a  exercée  sur  lui  n'ont  pas  moins  contribué  à  l'animad- 
version  et  aux  maux  que  cette  nation  a  éprouvés  dans 
-ces  temps  d'insurrection  >. 

On  s'explique  maintenant  pourquoi   chaque   village 
-dans  lequel  les  Juifs  étaient  domiciliés,  chaque  chef-lieu 


1)  Adresse  à  l'Assemblée  nationale  au  sujet  des  Juifs  (31  décembre 
€  790). 


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LES   TROUBLES   DR    1789  135 

-de  recette  seigneuriale,  ou  royale,  eut  sa  petite  insur- 
rection. Comme  ce  furent  partout  les  mêmes  violences 
^t  les  mêmes  excès,  le  récit  circonstancié  en  devien- 
drait long  et  fastidieux.  Nous  nous  bornerons  donc  aux 
faits  principaux  et  nous  ne  nous  étendrons  quelque  peu 
•que  lorsque  l'insurrection  elle-même  prendra  une  gra- 
-vité  exceptionnelle. 

{A  suivre),  CH.  HOFFMANN. 


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LES 

NCIERS  DE  HAGUENAU 

Suite  et  Fin  i) 


VIL 
$8  François  Hannong  (i 788-1 789). 

de  suivre  un  ordre  rigoureusement  chrono- 
uisons  d'abord  ce  qui  nous  reste  à  dire  de 
ssante  famille  des  Hannong. 
r  avait  laissé  un  fils,  Charles  François,  né  le 
14.  Comme  son  père  dirigea  la  manufacture 
au  jusqu'en  1751  et  l'habita  jusqu'en  1753, 
tier  dans  sa  première  jeunesse  aux  détails 
sortants  de  la  fabrication.  Plus  tard  les  dissen- 
i  l'éloignèrent  de  son  oncle  Paul  et  de  son 
ph,  le  maintinrent  dans  une  autre  voie.  Mais 
l  devait  chasser  de  race,  c'est-à-dire  conserver,, 
t,    dans  un  recoin   de  son   cœur,    un  faible 

pour  la  faïence  et  la  porcelaine. 

Pierre  vint  s'établir  à  Haguenau,  en  1762, 
.  dans  la  famille  de  Charles  l'accueil  le  plus 
e.  Le  Labastrou,  qui  lui  vendit  les  bâtiments 
où  il  installa  sa  première  usine,  avait  épousé- 
livraison  de  janvier-février  1907. 


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LES    FAÏENCIERS    DE   HAGUENAU  137 

la  veuve  de  Balthasar.  Quand  il  partit  ensuite  pour  la 
France,  c'est  à  Charles  que,  par  traité  du  7  mai  1764, 
il  confia  la  direction  intérimaire  de  son  établissement. 
A  son  retour,  en  1780,  il  retrouva  le  même  appui. 
L'emplacement  pour  sa  seconde  usine  fut  fourni  par 
les  Kuntzenknecht,  aubergistes  du  Saumon,  parents  de 
la  femme  de  Charles. 

Celui-ci  intervint  aussi  dans  la  vente.  On  le  voit 
écrire  à  la  ville  qu'il  €  a  trouvé  l'occasion  de  vendre 
de  la  porcelaine  et  de  la  fayence  >,  mais  il  n'a  pas  de 
magasin.  Sur  quoi  le  magistrat  lui  perrnet  (23  novembre 
1780)  «de  bâtir  et  construire  à  ses  frais  une  boutique 
entre  la  porte  d'entrée  de  la  maison  qu'il  occupe  et  la 
grande  porte  de  l'hôtel  de  ville  > ,  à  charge  d'en  payer 
une  redevance  de  18  liv.  à  la  caisse  des  pauvres  et  de 
démolir  la  boutique,  quand  il  en  sera  requis.  La  bou- 
tique fut  construite,  nous  le  savons  par  les  factures  des 
ouvriers.  Mais  soti  approvisionnement  dut  se  trouver 
compromis  par  la  nouvelle  fugue  de  l'aventureux  cousin. 

Alors  se  réveilla  chez  lui  plus  vif  que  jamais  le 
désir  d'avoir  sa  manufacture  à  lui.  Il  commença  par 
chercher  un  bailleur  de  fonds  et  le  trouva  un  instant 
dans  un  avocat  de  Haguenau,  Joseph  François  Schuster; 
mais  celui-ci  se  ravisa  ensuite,  et  l'association  fut  rompue 
avant  d'entrer  en  vigueur.  Il  s'adressa  aussi  à  ses  deux 
cousins,  alors  présents  à  Paris,  pour  leur  demander  des 
conseils,  et  surtout  des  secrets.  Pierre  Antoine  lui  envoya 
une  recette  pour  faire  de  la  terre  blanche,  mais  ren- 
gageait en  même  temps  à  se  tenir  sur  la  réserve.  Joseph 
n'osait  trop  donner  des  avis,  il  aurait  besoin  pour  cela 
de  connaître  les  proportions  et  les  dispositions  de  ses 
fours,  les  terres  dont  il  pense  se  servir,  etc.  En  fait  de 
terre  il  recommande  celle  du  Gutleuthaus  de  Haguenau. 

Mais  ni  le  manque  de  fonds,  ni  les  avis  défavorables 
de  ses  cousins,  ne  pouvaient  arrêter  notre  faïencier 
in  spe.  Il  finit  par  présenter  au  magistrat  (1788)  deux 
requêtes  qui  furent  toutes  deux  agréées.  Par  la  première 
il  obtenait  pour  son  fils  Stanislas  la  survivance   de  ses 

Btvut  d*Al8ace,  1907  lO 


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138  REVUE   d'aLSACE 

deux  chargés,  celle  de  quartier-maître  qu'il  possédait 
depuis  22  ans,  et  celle  de  tabellion  occupée  depuis 
19  ans.  Dans  la  seconde,  il  sollicitait  pour  lui-même 
l'autorisation  d'ouvrir  une  nouvelle  fabrique  de  faïence, 
avec  les  privilèges  accordés  à  son  grand-père  en  1724. 
Son  cousin  Joseph,  dit-il,  eût  fait  sur  ce  terrain  €  les 
progrès  les  plus  fortunés,  s'il  s'en  fût  tenu  uniquement 
à  la  fayence  et  n'eût  pas  voulu  tenter  différents  essais 
également  ruineux».  Lui-même  connaît  cette  fabrication 
pour  le  moins  aussi  bien  que  ses  concurrents  (dont  il 
sera  question  plus  loin),  Volet  et  Anstett.  Cette  manu- 
facture fera  du  reste  le  bien  de  la  cité  et  lui  assurera 
à  lui-même  des  ressources  que  son  étude  de  tabellion 
ne  lui  donne  point. 

Charles  ne  jouit  pas  longtemps  du  succès  de  ses 
démarches.  L'autorisation  obtenue  est  datée  du  21  avril 
1788,  et,  le  2  octobre,  la  mort  mettait  un  terme  à  sa 
carrière  industrielle  à  peine  commencée. 

Par  l'inventaire  de  sa  succession,  on  voit  qu'il  avait 
établi  son  usine  dans  la  maison  féodale  des  Vorstadt, 
à  quelques  pas  de  l'ancienne  manufacture  Hannong  ; 
son  moulin  à  émail  se  trouvait  à 'la  burgmûhlc.  Il  ne 
semble  avoir  fabriqué  que  de  la  faïence,  mais,  malgré 
le  caractère  prudent  et  pratique  de  son  entreprise,  les 
affaires  ne  furent  pas  brillantes.  Le  passif  dépassait  de 
beaucoup  son  actif,  et  ses  héritiers  durent  déclarer  qu^l 
leur  était  impossible  d'accepter  sa  succession  autrement 
que  sous  bénéfice  d'inventaire. 

Vin. 
Stanislas  Charles  Constantin  Hannong 

(1789-1812). 

Stanislas,  qui  comptait  alors  19  ans,  remplaça  sans 
doute  son  père  à  la  tête  de  sa  petite  manufacture,  mais 
il  ne  tarda  pas  à  en  être  écarté  par  les  événements  de 
la  Révolution. 


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LES   FAÏENCIERS   DE  HAGUENAU  I39 

Il  émigra  et  Vécut  pendant  plusieurs  années  à  Baden- 
ïaden,  employé  ou  même  directeur  d'une  fabrique  de 
faïence  et  de  terre  de  pipe.  Il  entretenait  à  cette  époque 
une  correspondance  plus  ou  moins  suivie  avec  son 
cousin  Joseph,  alors  retiré  à  Munich.  Ses  lettres  ont 
disparu,  mais  la  famille  a  conservé  en  partie  les  réponses 
qu'il  reçut.  Elles  roulent  surtout  sur  cette  carrière 
céramique,  dans  laquelle  Stanislas  débutait  avec  l'ar- 
deur et  les  illusions  de  la  jeunesse,  où  l'autre  le 
raisonnait  avec  le  calme  sceptique,  qu'il  devait  à  ses 
quarante  ans  de  travail  et  d'épreuves. 

Joseph  voyait  avec  déplaisir  son  parent  s'occuper 
-de  terre  de  pipe.  Il  n'en  voulait  à  aucun  prix,  même 
sous  le  nom  de  steingut,  <  Mon  sentiment  serait,  dit-il, 
<\\XQ  vous  tourniez  cette  usine  vers  la  porcelaine  com- 
mune, qui  ne  vous  coûterait,  ni  plus  de  façon,  ni  plus 
de  matériaux,  que  la  terre  de  pipe  >.  Il  s'offre  même 
{1798)  à  l'organiser  en  personne  et  à  la  diriger  pendant 
que  les  circonstances,  fort  difficiles  alors  pour  les  émi- 
grés dans  le  grand-duché  de  Bade,  forçaient  son  jeune 
cousin  à  quitter  momentanément  le  pays.  Mais  Stanislas 
refusa  ses  offres  au  premier  abord,  et,  quand  il  se 
montra,  deux  ans  plus  tard,  disposé  à  les  accepter, 
Joseph  avait  pris  des  engagements  qui  le  retinrent  à 
Munich.  Il  n'en  est  pas  moins  heureux  de  la  conversion 
de  son  cousin  et  applaudit  aux  essais  dont  il  a  reçu 
•communication.  La  faïence  est  moins  blanche  que  celle 
de  Strasbourg,  mais  belle  néanmoins,  plus  légère,  et, 
ce  qui  est  très  important  pour  la  situation  économique 
•de  l'Europe  contemporaine,  beaucoup  moins  coûteuse. 
Ce  prix  de  revient,  ajoute-t-il,  sera  particulièrement 
réduit,  si  l'on  renonce  au  préjugé,  qu'il  a  lui-même 
longtemps  partagé  avec  tous  les  Hannong,  que  «leurs 
fours  étaient  les  meilleurs  fours  à  fayence  qui  existent 
sur  le  globe  terrestre  >.  Les  fours  français  valent  mieux. 
Mais  pour  en  tirer  parti,  il  faut  <  un  enfourneur  qui 
puisse  suivre  les  errements  qu'on  suit  dans  les  manu- 
factures de  l'intérieur  . . .  Leur  manière  d'enfourner  par 


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I40  REVUE  D'ALSACE 

échapate  est  bien  plus  lucrative  que  ne  peut  Têtre  nôtre- 
manière  d'enfourner  par  gazettes  >. 

Il  est  probable  qu'on  ne  saura  jamais  si  Stanislas- 
suivit  ces  conseils.  L'histoire  se  contente  de  nous 
apprendre  que  l'occasion  de  le  faire  ne  tarda  point  à 
se  présenter  pour  lui.  Pendant  son  séjour  à  Bade,  en 
1799,  il  avait  épousé  une  compatriote,  Cunégonde  Jersé, 
que  l'émigration  avait  jetée,  comme  lui,  sur  la  rive 
droite  du  Rhin.  Dès  que  l'amnistie  lui  permit  de  rentrer 
à  Haguenau,  il  y  revint  avec  sa  petite  famille  et  installa 
une  faïencerie  dans  la  propriété  que  son  beau-père 
possédait  dans  la  Betzheimergasse.  Il  y  travailla,  d'après 
une  lettre  d'un  de  ses  fils,  jusque  vers  18 12.  Puis,  «des 
revers  de  fortune  l'obligèrent  de  cesser  les  travaux  de 
cette  industrie  et  d'accepter  une  perception  dans  l'ouest 
de  la  France.  Après  la  Restauration  jusqu'à  sa  mort,, 
survenue  en  1832,  il  fut  directeur  de  l'hôpital  de 
Haguenau  >  •). 

IX. 
François  Joseph  Lorentz  et  Zacharias  Pfaitzer 

(«778-1779). 

Dans  le  traité  de  1776,  la  ville  promettait  à  Joseph 
Hannong  c  de  n^accorder  aucun  privilège  ni  immunité 
à  une  seconde  manufacture  du  même  genre  pendant 
l'espace  de  dix -huit  ans».  On  éprouve  par  suite 
quelque  surprise  en  rencontrant  une  nouvelle  faïencerie 
à  Haguenau,  établie  en  1778,  peut-être  déjà  en  1777. 
Mais  Tétonnement  cesse  quand  on  constate  que  celle-ci 
n'ouvre  aucune  négociation  avec  l'autorité  municipale, 
n'obtient  d'elle  ni  privilège,  ni  immunité  d'aucune  sorte. 


1)  Nous  avons  reproduit  cette  note  sans  chicaner  sur  sa  teneur. 
Mats  nous  devons  remarquer  que  dans  le  recensement  fait  à  Haguenau 
en  1819,  Stanislas  e^t  encore  noté  comme  fabricant  de  fayence.  Les 
fonctions  qu'il  remplit  à  Thôpital,  furent  celles  de  secrétaire  et  non  de- 
directeur. 


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LES  FAÏENCIERS   DE  HAGUEXAU  I41 

Collègue  et  ami  particulier  du  tabellion  Charles 
IHannong,  le  procureur  Lorentz  avait  sans  doute  puisé 
-dans  ces  relations  le  culte  de  la  faïencerie.  Ses  embarras 
financiers  et  un  procès  malheureux  qu'il  venait  de 
perdre  contre  sa  belle-fille,  le  poussaient  d'ailleurs  à 
-<:hercher  dans  quelque  spéculation  industrielle  les  res- 
sources qui  lui  manquaient. 

Il  avait  songé  d'abord  à  une  manufacture  de  marbre 
«t  en  avait  même  obtenu  la  concession  (1776);  mais  le 
directeur,  sur  lequel  il  comptait  pour  cette  entreprise, 
Joseph  Schôffter,  l'obligea  par  sa  conduite  à  y  renoncer* 
Il  se  retourna  alors  vers  la  faïencerie,  qui,  à  en  juger 
par  les  dépenses  que  faisait  Joseph  Hannong,  assurait 
en  ce  moment  à  ses  adeptes  de  jolis  bénéfices. 

Le  24  avril  1778,  il  se  rencontra  dans  Tétude  du 
notaire  Hannong  avec  le  Strasbourgeois  Z.  Pfaltzer, 
-domicilié  ici,  fabricant  de  faïence  et  de  porcelaine.  Ce 
dernier  s'engageait  à  lui  préparer,  dans  sa  fabrique 
installée  à  Haguenau,  <  de  la  faïence  à  l'épreuve  du  feu 
,{feiurfest)y  ainsi  que  de  la  porcelaine  en  couleur  et 
-dorée  [so  wohl  in  der  grosse  als  in  der  kleine  fi?ur). 
L'engagement  doit  durer  6  ans>.  Pfaltzer  touchera  7  fl, 
5  ytf  les  trois  premières  semaines,  9  fl.  ou  36  m.  par 
semaine  dans  la  suite.  Un  cahier  renfermant  les  arcana 
-de  Pfaltzer  était  déposé  chez  un  tiers,  et  Lorentz 
^pouvait  le  consulter,  s'il  voulait  s'initier  aux  secrets 
-de  la  fabrication,  en  payant  500  fl.  pour  cette  com- 
munication 1). 

Pfaltzer  avait  aussi  un  petit  fonds  de  marchandises^ 
-estimé  à  1200  liv.,  que  Lorentz  prend  à  sa  charge, 
•dont  l'inventaire  avec  évaluation  détaillée  de  chaque 
pièce  est  joint  au  traité.  Ce  sont  surtout  des  objets  d'un 
«sage  ordinaire,  tasses,  cafetières,  théières,  vases,  pots 
«de  toute  grandeur,  pommadiers,  salières,  poivriers,  taba- 


i)  Ce  cahier  fut  remis,  en  1790,  par  Pfaltzer  à  Stanislas  Hannong, 
«qui  reconnut  la  gracieuseté  de  son  vray  ami  en  y  inscrivant  la  note  pea 
•courtoise  :  <  Tout  ce  qui  est  inséré  dans  ce  livre,  ne  vaut  rien  ». 


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142  REVUE  D'aLSACE 

tières,  têtes  de  pipes,  etc.  On  n'y  rencontre  qu'en  petit 
nombre  les  groupes  et  les  figurines^  destinés  à  la  déco- 
ration. Au  mois  de  juin  1779,  une  partie  de  ces  mar- 
chandises, qui  n'avait  pas  été  vendue,  fut  restituée  à 
Pfaltzer. 

A  ce  moment  du  reste  la  fabrication  était  suspendue 
depuis  plusieurs  mois  ;  ses  produits  avaient  été  saisis  et 
mis  à  l'enchère  (février  et  mars  1779),  à  la  demande  de 
Pfaltzer  lui-même  et  d'une  douzaine  d'ouvriers.  C'est 
que  pour  gagner  de  l'argent,  il  ne  suffit  pas  d'en  désirer 
et  d'en  avoir  besoin.  Il  faut  tout  d'abord  en  avoir  soi- 
même  et  en  faire  un  judicieux  emploi.  Or  Lorentz  ne 
possédait,  ni  capitaux,  ni  le  crédit  nécessaire  pour  s'en 
procurer.  Il  ne  possédait  pas  davantage  les  connaissances 
spéciales,  indispensables  au  succès,  malgré  la  consul- 
tation facultative  du  fameux  recueil  A'arcana,  en  dépit 
des  conseils  du  tabellion  Hannong  que  Volet  appelle 
son  associé. 

Et,  de  fait,  notre  tabellion  figure  à  ce  titre  dans  un 
procès  que  Volet,  le  nouvel  acquéreur  du  Petit  Château,, 
eut,  en  juin  1780,  avec  un  de  ses  locataires,  Jean  Moll, 
dit  Catalan.  Celui-ci  avait  loué  son  logement  de  l'ancien 
propriétaire,  Nicolas  Richer,  et  en  avait  sousloué  une 
partie  aux  faïenciers  Winckler  et  Pfaltzer,  c  pour  loger 
leurs  marchandises  et  faire  travailler  leurs  ouvriers  !• 
Ce  renseignement  ne  laisse  aucun  doute  sur  l'emplace- 
ment qu'occupait  l'usine  de  Lorentz.  Elle  se  trouvait 
dans  les  mêmes  bâtiments  où  nous  allons  rencontrer 
ses  successeurs. 

X. 

Ambroise  Volet,  Joseph  Barth,  François  Antoine 
Anstett  et  sa  veuve,  Rozé  Joseph  et  Pierre 

(1780-1834). 

Ambroise  Volet,  chevalier  de  Saint-Louis,  officier 
dans  les  dragons  de  Custines,  avait  quitté  le  service 
en  suite  de  ses  blessures  et  s'était  retiré  à  Haguenau^ 


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344  REVUE   D  ALSACE 

d'une  rente  annuelle  de  3  liv.  pour  droit  de  cours  d'eau, 

au  profit  de  la  ville». 

Le  5  septembre  1 780  fut  signé,  par  Volet  et  Barth, 
irtiste  strasbourgeois  François  Antoine  Anstett, 
î  de  société,  dans  lequel  les  deux  premiers 
lient  leurs  capitaux,  le  dernier  son  art  et  son 
e.  Volet  se  chargeait  en  outre  de  la  comptabi- 
3arth  de  la  correspondance.  Le  traité  était  conclu 
îuf  ans,  mais  pouvait  être  résilié  plus  tôt,  si  les 
trouvaient  <  que  cette  fabrication  tournait  à 
.  En  cas  de  vente  de  ladite  usine,  le  sieur 
avait  la  préférence  sur  tout  étranger  >. 
entualité  prévue  ne  tarda  pas  longtemps,  parait-il, 
ésenter.  Dès  le  5  octobre  1781,  le  Petit  Château 
ndu  à  Pierre  Antoine  Hannong,  mais  rétrocédé 
îtt,  qui,  appuyé  sur  son  droit  de  préférence, 
'annulation  du  contrat,  en  remboursant  à  Han- 
îs  frais  de  notaire  et  de  Welnkauf. 
Lett  ne  conserva  point  longtemps  l'usine  devenue 
riété  exclusive.  Il  mourut  le  6  juillet  1783  et 
placé  par  sa  veuve  Anne  Elisabeth  née  Boura. 
s'acquitta  pas  mal  de  sa  tâche,  à  en  croire 
ition  qu'elle  adressait  au  sénat  le  5  mars  1785. 
s  deux  fours  de  fayence  qu'elle  a  actuellement 
pas  suffisants,  dit-elle,  pour  fabriquer  la  moitié 
1  missions  qu'elle  reçoit  de  la  province,  de  la 
;t  d  ailleurs.  Elle  se  voit  contrainte,  pour  pouvoir 
î  à  ses  engagements,  d'en  construire  trois  nou- 
Je  la  même  grandeur  >.  Vu  la  perte  de  son 
s  malheurs  de  l'hiver  précédent  et  les  charges 
snt  sur  elle,  elle  demande  à  obtenir  de  la  ville 
de  revient  les  briques  qui  lui  sont  nécessaires. 
ois  ces  fours  en  valeur,  sa  manufacture,  au  lieu 
rir  quarante  pères  de  famille,  comme  elle  le  fait 
lient,  en  nourrira  cent . . .  Les  marchands  de 
•ovince  et  autres,  qui  abondent  actuellement, 
Duvé  que  les  fayences  fines  et  communes  qui 
riquées  avec  les  moyens  et  matières   que  Ton 


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LES   FAÏENCIERS   DE   HAGUENAU  I45 

emploie  dans  cette  manufacture,  sont  bien  supérieures 
en  tout  genre  à  celles  qui  ont  été  fabriquées,  et  par 
-conséquent  bien  au  dessus  de  toutes  les  manufactures 
de  Lorraine,  qui  en  général  viennent  chercher  leurs 
matières  premières  dans  les  environs  de  Haguenau  et 
Jes  mêlent  La  fayence  fabriquée  au  Petit  Château,  par 
la  façon  dont  les  terres  sont  préparées,  a  un  émail  qui 
s'incorpore  et  ne  se  détache  que  très  difficilement,  et 
elle  ne  s'écorne  qu'en  frappant  contre  quelque  chose  ; 
-xlans  ce  cas  la  terre  reste  blancheàtre,  et  non  d'un  rouge 
noir,  comme  on  l'a  toujours  vu  dans  les  autres  fayences, 
ce  qui  rend  le  coup  d'oeil  défectueux;  en  outre  cette 
fayence  résiste  au  feu,  pourvu  que  tout  de  suite  on  ne 
l'expose  pas  à  un  feu  trop  vif,  et  qu'on  ne  la  mette 
jamais  au  feu  sans  avoir  du  beurre,  graisse  ou  huile. 
Elle  joint  à  toutes  ces  qualités  une  légèreté  qui  n'a 
jamais  été  connue,  ce  qui  facilite  les  moyens  de  charger 
les  voitures  avec   un  tiers  de   plus  de   marchandises  >. 

Madame  Anstett  obtint  ses  briques  et  construisit 
les  fours  projetés.  Mais  l'événement  ne  répondit  pas, 
semble-t-il,  à  ses  espérances.  L'année  suivante,  elle 
vendit  sa  manufacture  à  MM.  Volet  et  Barth. 

L'inventaire  dressé  à  cette  occasion  (juillet  1786), 
note  un  actif  de  61.618  liv.,  immeubles,  outillage  et 
marchandises  plus  ou  moins  achevées,  et  un  passif  de 
70.468  liv.,  dont  57.227  liv.  appartenaient  à  Barth  et 
Volet.  L'écart  fut  soldé  à  l'aide  de  quelques  biens, 
estimés  à  8035  liv.,  que  les  Anstett  possédaient  à  Nider- 
vriller,  ce  qui  laisse  croire,  soit  dit  en  passant,  qu'ils 
ne  devaient  pas  être  étrangers  à  la  faïencerie  de  cette 
-dernière  localité. 

Le  même  inventaire  nous  a  conservé  d'autres  détails 
«qui  ne  sont  pas  sans  intérêt.  La  fabrique  a  cent  moules 
-et  modèles  pour  porcelaines,  le  double  pour  faïences. 
Xes  experts  évaluent  à  : 

417  liv.  les  figures  en  porcelaine; 
600  liv.  les  biscuits  en  porcelaine; 

1117  liv.  la  porcelaine  peinte  ; 


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146  REVUE   d'ALSACE 

625  liv.  la  porcelaine  blanche; 
2920  liv.  la  fayence  fine  et  mi-fine  ; 

505  liv.  le  japon  ; 
3084  liv.  la  fayence  blanche  ou  peinte  commune; 

I  502  liv.  les  fayences  inachevées  ; 
1410  liv.  les  porcelaines  inachevées; 

690  liv.  diverses  marchandises  notées  plus  tard. 

En  fait  de  terres  on  rencontre  à  Tusine: 

Terre  de  Limoge  :  30  '/2  quintaux,  à  24  liv.  le- 
quintal  ; 

Terre  de  pipe  :    i    quintal  à   12  liv.; 

Terre  de  Cologne,  non  préparée  :  4  quintaux,  à 
5  liv.  le  quintal  ; 

Terre  mi-Cologne,  mi-Riedseltz  :  13  quintaux,  à 
4  Hv.  le  quintal  ; 

Terre  de  Haguenau,  préparée  :  46  voitures,  à  7  liv. 
la  voiture  ; 

Terre  de  Haguenau,  non  préparée  :  25  voitures,  à 
3  liv.  la  voiture. 

Volet  reprit  alors  la  direction  de  la  manufacture, 
avec  le  concours  d'un  fils  Anstett,  et  voici  comment 
il  en  parle  en  1788  (7  avril)  dans  un  Mémoire,  dans 
lequel  il  voulait  empêcher  la  concession  que  Ton  devait 
faire,  quelques  jours  plus  tard,  à  Charles  Hannong: 

II  a  commencé  son  entreprise  en  1780,  avec  Barth, 
comme  placement  de  fonds,  mais  surtout  pour  aider  à 
quantité  de  gens  que  la  faillite  Hannong  réduisait  à  la 
misère.  Les  débuts  furent  difficiles  par  suite  de  la, 
quantité  considérable  de  marchandises,  que  la  liquida- 
tion de  cette  faillite  jeta  sur  le  marché  à  des  prix 
notablement  réduits,  et  aussi  à  cause  de  la  concurrence 
que  lui  firent  les  deux  cousins  Hannong,  Pierre  et 
Charles  associés.  Mais  avec  le  temps  la  liquidation  cessa 
et  la  société  rivale  s'éteignit  au  milieu  des  dettes. 

Il  y  a  deux  ans,  Volet,  pour  donner  plus  d'essor 
à  cette  manufacture  souffrante  depuis  6  ans,  s'est  mis 
à  la  tête  de  l'entreprise  et  a  sacrifié  beaucoup  d'argent 


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148  REVUE   D'aLSACE 

<lonnées  sommaires  laborieusement  recueillies  de  part 
et  d'autre. 

Catherine,  la  fille  de  Volet,  prit  la  succession  de 
son  père  et  acquit  même  la  propriété  complète  du  Petit 
Château,  lorsque  la  portion  de  Barth,  après  son  émi- 
gration, fut  vendue  comme  bien  national.  Vers  le  même 
moment  elle  épousa  un  officier  français,  originaire  de 
Troyes,  nommé  Rozé.  Elle  semble  toutefois  avoir  con- 
servé au  début  la  direction  au  moins  nominale  de  la 
fabrique,  malgré  ce  mariage,  malgré  la  démission  donnée 
plus  tard  par  son  mari,  devenu,  Tan  IX,  c  adjoint  au 
maire  de  la  ville  >.  C'est  du  moins  avec  <  la  dame 
Rozé  >  que  s'associait,  l'an  XI,  le  sieur  Joseph  Rumi, 
fils  d'un  négociant  de  Haguenau,  qui  avait  établi  une 
petite  faïencerie  dans  l'ancien  couvent  des  Prémontrés. 

Deux  recensements,  faits  en  1802  et  1804,  nous 
révèlent  à  Haguenau  la  présence  d'une  trentaine  de 
faïenciers,  la  plupart  pères  de  famille.  Plusieurs  d'entre 
«ux  sont  des  vétérans  de  la  faïence  haguenauienne, 
-appelés  Winkler,  Gusi,  Walter,  Wild,  Rœsch,  Wersing; 
d'autres  portent  des  noms  complètement  nouveaux.  A 
-côté  de  vieillards  septuagénaires  se  rencontrent  des 
hommes  dans  la  force  de  Tàge,  des  jeunes  gens  qui 
débutent  dans  la  carrière,  fraîchement  débarqués  du 
•  dehors.  11  est  évident  que  les  fours  Volet-Rozé  n'avaient 
Jamais  éteint  leurs  feux. 

Mais  il  est  évident  aussi  que  leur  activité  avait 
baissé,  et  elle  ne  se  releva  point  lorsque  cessa  la 
modeste  concurrence  que  Stanislas  Hannong  avait  un 
instant  essayé  de  leur  faire.  Cela  ressort  de  la  vente 
<Ie  son  moulin  que  Rozé  fit,  en  18 19,  au  meunier  de 
la  burginiihle^  Joseph  Jenner.  Celui-ci  resta  toutefois 
chargé,  comme  travail  secondaire,  de  broyer  l'émail  des 
faïenciers. 

Dans  les  mêmes  conditions  fonctionnait  une  nou- 
velle usine  que  le  frère  cadet  de  Joseph,  Pierre  Rozé, 
Jongtemps  son  collaborateur,  installa,  en  1824,  au  n*  3 
«de  la  Rosengasse. 


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LES   FAÏENCIERS   DE   HAGUENAU  I49r 

Vers  1835  les  deux  établissements  passèrent  à  des- 
étrangers qui  renoncèrent  peu  de  temps  après  à  la 
fabrication  de  la  faïence.  Le  nouveau  propriétaire  du 
Petit  Château,  le  marchand  de  bois  Bopp  Adolphe, 
liquida  son  entreprise.  La  succession  de  Pierre  Rozé,, 
Antoine  Joseph  Ruh,  l'un  de  ses  anciens  ouvriers,. 
s*adonna  de  préférence  à  la  fabrication  des  poêles  en 
faïence,  qui  devint  Tunique  préoccupation  de  son  fils, 
remplacé  plus  tard  par  Cyrille  Meyer.  Le  propriétaire 
actuel  (le  l'établissement  fait  venir  ses  poêles  du  dehors  ;> 
il  se  contente  de  les  monter  et  de  les  réparer  au  besoin^ . 

XL 
Les  artistes. 

Dans  une  manufacture  à  allure  artistique,  l'œil  et 
la  main  du  maître  ne  suffisent  point  à  tout.  11  faut  qu'il 
soit  soutenu,  souvent  même  complété,  par  des  hommes> 
de  talent  et  de  goût,  cherchés  au  dehors,  ou  formés 
avec  soin  dans  l'intérieur  même  de  la  maison.  Associés 
au  travail  de  leur  patron,  ces  auxiliaires  précieux  et 
indispensables  ont  aussi  le  droit  de  partager  sa  gloire. 

Les  historiens  de  la  céramique  ont  compris  et  reconnu 
ce  droit;  aux  noms  des  fabricants  ils  joignent  volontiers,- 
quand  ils  le  peuvent,  ceux  des  artistes  qui  les  ont 
secondés.  Quand  Tainturier  et  ses  émules  omirent  de 
le  faire,  ce  n'était  point  par  dédain  :  ils  sentaient  fort 
bien  que  si  les  décorations  de  nos  faïences  et  de  nos 
porcelaines  méritaient  d'être  signalées  à  l'admiration 
publique,  les  hommes  à  qui  l'on  doit  ces  petits  chefs 
d'oeuvre,  ne  méritaient  pas  moins  d'être  sauvés  de  l'oublL 
Ils  ont  cité  Bingler  et  Lôwenfinck  qui  leur  étaient  indi- 
qués par  la  correspondance  de  Joseph  Hannong.  Ils 
n'ont  point  parlé  des  autres,  parce  qu'ils  ne  les  con- 
naissaient point  et  qu'il  leur  paraissait  trop  pénible  de 
parcourir  à  leur  recherche  une  grande  ville  comme 
Strasbourg.    Placé  dans  une  sphère  plus  étroite,  réduit 


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-150  REVHE    D  ALSACE 

^à  compulser  quelques  registres  paroissiaux,  j'eusse  été 
moins  excusable  de  reculer  devant  ce  labeur. 

Ce  qui  manque  dans  les  données  fournies  par  ces 
registres,  c'est  moins  leur  nombre  que  leur  clarté  et 
leur  précision.    On    comprend    en   effet   que   parmi  les 

-artistes  qui  travaillaient  pour  nos  faïenceries,  beaucoup 
sont  morts  à  Haguenau,  d'autres  s'y  sont  mariés  ou 
remariés,  plus  nombreux  sont  encore  ceux  qui  y  célé- 
brèrent des  baptêmes,  ou  qui  assistèrent  leurs  collègues 

-comme  parrains,  comme  témoins  de  leurs  noces  ou  de 
leurs  enterrements.  Tout  en  admetta  it  la  probabilité  de 
quelques  lacunes,  on  reconnaîtra  qu'elles  doivent  être 
assez  rares. 

Ailleurs  se  trouve  la  principale  difficulté  de  cette 
-enquête.  Mon  intention  ne  pouvait  être  de  dresser  la 
liste  de  tous  les  ouvriers  qui  traversèrent  nos  manufac- 
tures pendant  le  cours  de  tout  un  siècle,  à  des  titres 
divers  et  avec  des  fonctions  quelconques.  Mes  recherches 
devaient  se  borner  à  ceux  qui  avaient  des  droits  ou 
àes  prétentions  artistiques.  Mais  sur  quoi  baser  le  choix? 
Dans  les  actes  qui  sont  sous  mes  yeux,  ni  les  rédac- 
teurs, ni  ceux  qui  les  renseignaient,  ne  se  piquaient 
point  d'ordinaire  d'une  rigoureuse  exactitude.  Le  même 
personnage  y  est  appelé  tour  à  tour,  selon  les  caprices 
du  moment  figulus^  porcellaniuSy  operarius  in  fabrica^ 
vasorum  porcellaneorum  ou  murrheorum  confectOTy  fabri- 
cator^  flpifex,  pictor.  Après  mûre  réflexion  j'ai  écarté 
de  mon  catalogue  tous  ceux  qui  ne  portèrent  jamais 
cette  dernière  qualification  ;  même  les  pictor  es  et  les 
sculptures  ont  été  éliminés,  quand  rien  n'indiquait  dans 
le  contexte  que  leurs  peintures  ou  leurs  sculptures  se 
rapportaient  à  la  céramique.  Une  exception  n'a  été  faite 
que  pour  quelques  hommes,  qualifiés  artifex  ou  magister, 
qui  semblent  avoir  eu  une  part  prépondérante  dans  la 
préparation  technique  de  la  porcelaine. 

Ce  catalogue  fut  d'abord  rédigé  par  ordre  alphabé- 
tique. C'est  le  seul  qui  soit  complètement  exact.  Nous 


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152  REVUE  D'aLSACE 

Particulièrement  précieux  pour  le  perfectionnement^ 
de  la  porcelaine  alsacienne  durent  être: 

De  Lùwenfinck  Adam  Frédéric,  Saxon  d'origine^ 
déjà  mentionné  plus  haut,  et  son  proche  parent,  Chré- 
tien de  Lôwenfinck,  appelé  comme  lui  artifex.  Chrétien 
habitait  Strasbourg  et  y  mourut  le  19  lévrier  1753;  sa 
veuve  Anne  Magdeleine  von  Sachsen  se  retira  à  Hague- 
nau  en  1754. 

Webcr  Bernard,  qui  n'apparaît  ici  qu'en  1752,  et  y 
mourut  en  1758.  Mais  il  devait  être  dès  lors  d'un  âge 
assez  avancé,  car  il  a  deux  fils  peintres  :  Weber  Joseph^, 
marié  en  1755  et  nommé  jusqu'en  1771;  Weber  Jeait 
Geor^Cy  marié  en   1757  et  mort  en   1768. 

Walter  Jean  Christophe,  originaire  de  la  Misnie,  se 
marie  ici  en  1754  et  se  rencontre  encore  en  178g.  Oa 
l'appelle  peintre. 

Joseph  Hannong  nous  dit  dans  son  Mémoire  au  Rot 
(p.  9)  s'être  occupé  d'une  façon  spéciale  de  la  peinture^ 
<  l'art  le  plus  ingénieux,  le  plus  long,  le  plus  nécessaire 
à  ma  partie.  Je  choisis  parmi  les  anciens  peintres  qui 
avaient  du  talent  ceux  qui  avaient  de  la  disposition,.- 
pour  en  former  des  chefs.  Par  eux  je  comptais  diriger 
les  élèves  que  je  formerais  par  la  suite.  Je  n'étais  pas 
assés  riche,  ni  ne  voulais  faire  la  dépense  d'appointer 
un  maître  es  arts.  Je  me  servais  donc  de  mes  lumières 
et  de  mes  connaissances  pour  corriger  et  démontrer  le 
mieux  que  je  pouvais  ».  La  translation  décidée,  il  ferma 
l'école  de  Strasbourg  et  en  transféra  les  chefs  à  Hague- 
nau.  «J'eus  pour  principe  d'y  former  une  nouvelle 
pépinière  d'élèves  que  je  poussais  jusqu'à  30  appointés^ 
sans  compter  les  postulants...  En  1779,  je  m'attachais 
un  maître  habile,  professeur  de  l'Académie  de  M.  le 
duc  de  Wurtemberg,  auquel  je  confiais  l'avancement 
et  la  continuation  de  cette  école  (p.  26)  >. 

En  dehors  des  peintres  que  Joseph  hérita  de  son- 
père,  on  trouve  associés  à  sa  fortune: 


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LES   FAÏENCIERS   DE   HAGUENAU  1  55 

Destois  Bernard,  de  Strasbourg,   marié  ici  en  1765. 
Fretz  Jean  Henri,  nommé  en   1765  et  1767. 
Bertsch  Félix,  nommé  de  1765  à  1778,  marié  en  1773. 
Bretz  Philippe,  nommé  de   1765  à  1768. 
Tuischer  François  fils,  mort  en   1772. 
Bammer  George,  nommé  de   1776  à   1802. 
Apel  Michel,  nommé  en   1777. 
Schubhari  Nicolas,   de    Munich,    nommé   en    1779^ 
remarié  en   17^2. 

Rossel  Viexxey  1779  et  1780. 
Webcr  Nicolas,  1779  et  1781. 

Dfmmer  Joseph,  né  en  1739,  nommé  de  1779  à  1804^ 
Dos^  Ignace,  1780. 
Simon  Joseph  était  apprenti  peintre  en  1780. 

Ne  figurent  point  parmi  les  auxiliaires  de  Joseph 
Hannong,  arrivés  sans  doute  à  Haguenau  après  sa 
catastrophe  : 

Schlosser  Jean  George,  ici  depuis  1783,  marié 
en  1788. 

Winkler  Michel,  blaumaler,  déjà  ici  en  1784,  mort 
en  1791. 

Paulîis  Je^n  Blasius,  mort  en   1785. 

Gluck  Michel,  employé  par  Volet  en   1787. 

Reinboldt  Sébastien,  né  en  1758,  marié  en  1788,. 
encore  nommé  en  1804. 

Weissang  François,  nommé  en  1802. 

Dans  cette  énumération  je  n'ai  compris  ni  Kuncket 
Aloyse  (1776-1777),  ni  Risieux  Joseph  (1777-1778),  ni 
Gusi  François,  indiqués  comme  directeurs  de  la  faïen- 
cerie :  rien  ne  nous  autorise  à  croire  qu'ils  aient  eu 
une  valeur  artistique.  J'ignore  de  même  quelles  étaient 
les  attributions  spéciales  de  Notalet  Martin,  commissaire 
de  la  fabrique  en  1777,  buchhalter  en  1779,  ou  celles 
de  Tauber  Erasme,  déjà  nommé  en  1762,  mort  en  1767 
comme  inspector  in  fabrica. 


Bevuê  d'AlêOoe,  1907 


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154  REVUE  d'alsace 

Fidèle  au  programme  que  je  me  suis  tracé  au  début,  — 
le  seul  d'ailleurs  que  je  fusse  en  état  de  remplir  avec 
quelque  succès  —  j'ai  concentré  mon  attention  sur  le 
côté  historique  de  la  céramique  haguenauienne  et  stras- 
bourgeoise.  Sur  les  hommes  placés  en  scène,  j'ai  réuni 
tout  ce  que  les  documents,  mis  à  ma  portée,  m'appre- 
naient de  leurs  caractères  et  de  leurs  destinées.  A 
d'autres  plus  heureux  que  moi  est  réservée  la  tâche, 
moins  ingrate,  et  mieux  goûtée  du  public,  de  revenir 
sur  leurs  œuvres,  de  les  signaler  à  l'admiration  des 
connaisseurs,  d'insister  sur  leurs  mérites  artistiques. 

A.  Hanauer. 


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156  REVUE  d' ALSACE 

vécu  que  pour  les  lettres.  Nous  renvoyons  nos  lecteurs^ 
à  cette  brochure!). 

Quant  à  la  bibliothèque  Wilhelm,  se  composant 
environ  de  12.000  volumes,  elle  est  installée  au  rez-de- 
chaussée  du  côté  nord  d'Unterlinden;  c'est  aussi  M.  Ingold 
qui  en  a  dirigé  le  classement.  Nous  avons,  à  notre  tour, 
parcouru  cette  riche  collection.  Ce  qui  frappe  tout  de 
suite,  c'est  que  presque  tous  les  volumes  sont  annotés.. 
<  M.  Wilhelm  complète  l'auteur,  redresse  ses  erreurs^ 
ou  encore  mentionne  ce  que  lui-même,  dans  ses  lectures 
si  étendues  et  si  variées,  avait  trouvé  sur  le  même  sujet. 
Ces  annotations,  écrites  de  sa  fine  petite  écriture  sur 
les  pages  blanches  du  commencement  et  souvent  encore 
à  la  fin  du  volume,  donnent  aux  livres  de  M.  Wilhelm 
un  prix  incomparable  >  2).  Et  ces  annotations,  écrites 
toujours  sans  aucune  retouche  ou  rature,  nous  révèlent 
un  savant  qui  est  chez  lui  dans  presque  tous  les  domaines 
de  la  science.  Que  de  richesses  se  trouvent  dans  cette- 
précieuse  collection!  Abstraction  faite  des  alsatiques, 
elle  l'emporte  encore  comme  valeur  scientifique  sur 
celle  d'Tgnace  Chauffour.  M.  Wilhelm,  en  formant  sa 
bibliothèque,  a  fait  preuve  d'un  esprit  critique  très  fin 
et  d'une  intelligence  supérieure.  Il  ne  reculait  d'ailleurs 
devant  aucun  sacrifice  pour  entrer  dans  la  possession 
d'un  livre  rare  ou  précieux.  En  veut -on  quelques 
exemples?  Dans  l'ouvrage  de  J.  Munk  :  Mélanges  de 
philosophie  jmve  et  arabe  y  i  in-8**,  1859,  il  a  noté  ce 
qui  suit  :  <J'ai  fait  acheter  ce  volume  extrêmement 
rare  à  la  vente  de  la  bibliothèque  du  prince  Balthasar 
Baoncompagni,  qui  a  eu  lieu  à  Rome,  le  7  novembre 
1898,  et  inscrit  sous  le  numéro  4053  du  tome  V  du 
catalogue  de  cette  précieuse  bibliothèque».  —  L'ouvrage 
de  Seb.  Tengnagel  :  Vetera  monutnenta  contra  schis- 
maticosy  161 2,  porte  :  «Acheté  à  Rome,  le  7  octobre 
1866».  Des  notes  de  ce  genre  se  rencontrent  fréquem- 


i)  A.  M.  p.  Ingold,  Henry   Wilhelm,  Colmar,  1899,  in-8»  de  44  p. 
a)  Ibid,,  p.  15. 


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MÉLANGES   BIBUOGRAPHIQUES  157 

fnent.  Pour  mieux  faire  ressortir  la  valeur  de  cette 
'i>ibliothèque  peut-être  unique  en  Alsace,  citons  quelques 
noms  d'auteurs  dont  les  ouvrages  y  figurent  et  qui  cal 
illustré  tout  particulièrement  la  science  française  moderne: 
Arbois  (d*)  de  Jubainville,  Boislile,  G.  Boissier,  L.  Delîsle, 
Mgr.   Duchesne,   Gebhard,    Giry,   J.    Havet,    Luchaire, 

Monod,  G.  Paris,  Viollet,  etc 

Donnons  quelques  spécimens  de  ces  annotations  de 
M.  Wilhelm  qui  feront  juger  de  leur  intérêt 

i<»  Bach  (G.  Henry).  De  l'état  de  Pâme  depuis  le  jour  de  Ha 
mort  jusqu'à  celui  du  jugement  dernier ,  d'après  Dante  et  sami 
Thomas,  Thèse  de  littérature  soutenue  à  l'Université  de  Fiam 
-en  1835.  i  in-8®  de  91  pages.  —  De  quibusdam  philosûpkkis 
quesiionibus  et  prœsertim  de  philosophia  morali.  Thèse  d« 
philosophie  soutenue  à  l'Université  de  Paris  en  1836,  l  in-d* 
de  66  p. 

«  Thèses  aussi  remarquables  que  rares  et  recherchées. 
L'auteur,  Henri  Bach,  que  j'ai  connu  personnellement  dans 
mon  adolescence,  bien  que  né  à  Paris,  était  d'origine  alsa- 
cienne. Etant  professeur  de  philosophie  au  Collège  royal  de 
Rouen,  il  avait  épousé  sa  cousine  germaine,  Justine  Bach,  (ilte 
de  M.  Bach,  juge  de  paix  du  canton  de  Soultz  (Haut-Rhin)  et 
<îevint  ainsi  le  beau-frère  de  ses  cousins  Dagobert  Bach,  doyen 
-de  la  faculté  des  sciences  de  Strasbourg,  et  Jose]:^  Bach^  pro- 
fesseur à  la  faculté  de  médecine  de  la  même  ville.  Vers  la  6b 
-d'octobre  1837,  je  vis  pour  la  dernière  fois  Henri  Bach,  qui 
venait  habituellement  passer  ses  vacances  dans  la  famille  de 
sa  femme  à  Soultz.  Un  matin,  me  trouvant  près  de  la  pKMte 
aux  chevaux  à  Isenheim,  où  j'étais  également  en  vacances,  je 
le  rencontrai  accompagné  de  ses  deux  beaux-frères,  venant 
prendre  la  diligence  qui  devait  le  conduire  à  Besançon,  où  il 
venait  d'être  nommé  professeur  de  philosophie  à  la  faculté  des 
«lettres.  Il  semblait  gai  et  dispos  dans  sa  petite  taille  et  avec  ta 
physionomie  éveillée.  Peu  de  jours  après  son  arrivée  à  Betaa- 
«çon,  il  prononça,  à  la  faculté  des  lettres,  le  discours  d'ouverture 
-de  son  cours  qui  fut  imprimé,  et,  le  même  jour,  se  suicida  par  la 
pendaison.  Bach,  comme  quelques  années  après  Le  Hueroui), 


i)  Le  HUeroQ  Jul.  Mtrie,  historiea  français,  né  ea  1807.  11  se  doaa» 
:jia8si  la  mort,  près  de  Nantes,  le  39  octobre  1843. 


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158  REVUE  d' ALSACE 

était  une  victime  des  caprices  de  Cousin  qui  lui  avait  promis- 
de  l'appeler  à  PEcole  normale  supérieure  comme  maître  de 
conférences;  il  regarda  sa  nomination  à  Besançon  comme  une 
disgrâce  et  un  déni  de  justice,  et  n'eut  pas  la  force  de  résister 
à  un  mouvement  d'égarement.  Ainsi  finit,  à  l'âge  de  29  ans,  ce 
jeune  professeur  de  si  grande  distinction  et  de  si  bel  avenir. 
Quelques  années  après  ce  tragique  événement,  sa  veuve  épousa- 
son  ami  et  ancien  collègue  du  collège  de  Rouen,  M.  Chéruel, 
qui  s'illustra  par  ses  beaux  travaux  historiques  et  comme  der- 
nier recteur  français  de  l'Académie  de  Strasbourg.  Après  la 
mort  de  Henri  Bach,  sa  famille  me  donna,  en  souvenir  de  la 
bienveillance  affectueuse  qu'il  avait  eue  pour  moi,  quelques^ 
volumes  de  sa  bibliothèque,  entre  autres  la  Philosophie  du 
christianisme  y  de  Bautain,  et  V Essai  sur  la  philosophie  de 
Vhistoirey  de  Bûchez  >. 

2<»  Baluzii,  Stephani  disseriaiio  de  episcopatu  Egarensù 

€  Pièce  de  toute  rareté  qui  n'existe  pas  à  la  Bibliothèque 
nationale  et  qui  n'a  pas  paru  encore  ni  dans  les  ventes  publiques- 
ni  sur  les  catalogues  à  prix  marqués.  C'est  un  tirage  à  part 
sous  forme  de  brochure  in-S"  de  7  pages,  sans  date  et  sans 
nom  d'imprimeur,  du  tome  V,  col.  1645  de  la  collection  des- 
Conciles  de  Labbe  (voy.  la  page  17  des  œuvres  de  Baluze,  cata- 
loguées et  décrites  par  René  Fage.  Tulle,  1882)». 

3*  Goschler  (Isidore),  abbé.  Du  Panthéisme.  Thèse  de  phi- 
losophie, i  in-S»,  142  pages.  Strasbourg,  1839  *)• 

€  Extrêmement  rare.  J'étais  étudiant  en  droit  à  Strasbourg 
quand  fut  soutenue  cette  thèse,  dont  je  connaissais  l'auteur,, 
que  je  voyais  tous  les  dimanches  aux  réceptions  de  M.  Bautain,. 


1)  Goscbler,  né  à  Strasbourg,  au  commencement  du  XIX*  siècle,  de 
parents  Israélites.  Après  avoir  fréquenté  les  classes  du  collège  royal  de 
sa  ville  natale,  il  suivit,  à   18  ans,  les  cours  de  philosophie  de  Pillustre 

'Bautain.  Celui-ci,  suspendu  de  ses  fonctions,  s'installa  dans  une  maison 
sise  rue  de  la  Toussaint  et  ayant  appartenu    à    M"»  Humann   de  Stras- 

.  bourg.    Bientôt    se    forma  autour    du    maître   un   groupe  de  dix  élèves,, 
dont  plusieurs  étaient  Israélites  :  Th.  Raiisbonne,  Jules  Lewel  et  Isidore 

'  Goschler.  Ces  jeunes  gens  assistaient  avec  empressement  aux  conférences 
.intimes  du  philosophe  chrétien,  qui  sut  si  bien  leur  communiquer  ses 
idées,  que  les  Israélites  manifestèrent  le  désir  de  se  convertir,  embras- 
sèrent le  catholicisme  et  devinrent  prêtres.  Goschler,  lui,  reçut  le  baptême 
le  2  février  1827,  et  les  ordres  en  1830.  Il  fut  appelé  à  la  chaire  de 
philosophie  de  Besançon,  et  enseigna  ensuite  au  petit  séminaire  de^ 
Strasbourg,  puis  fut  directeur  du  collège  Stanislas  à  Paris. 


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MELANGES   BIBLIOGRAPHIQUES  159^ 

doyen  de  la  faculté  des  lettres,  et  j'y  assistai.  La  soutenance  a 
été  très  brillante  et  débattue  entre  le  candidat  et  MM.  Bautain, 
Cuvier,  professeur  d'histoire,  Delcasso,  professeur  de  littérature 
latine,  Génin,  professeur  de  littérature  française,  Colin,  chargé 
du  cours  de  littérature  grecque,  et  Bergmann,  chargé  du  cours 
de  littérature  étrangère.  Je  me  rappelle  qu'à  la  grande  stupé- 
faction de  tous,  Bergmann,  avec  une  fatuité  risible  sinon  révol- 
tante, commença  ainsi  sa  discussion  :  <  Monsieur  le  candidat, 
je  dois  vous  dire,  tout  d'abord,  que  je  ne  suis  satisfait  de  votre 
travail,  ni  pour  la  forme  ni  pour  le  fond  >.  Quand  vint  le  tour, 
d'argumentation  de  Génin,  qui,  comme  chacun  sait,  était  un 
homme  très  remarquable  et  d'infiniment  d'esprit,  il  débuta 
ainsi  ;  t  Je  veux,  avant  tout,  vous  dire,  M.  le  candidat,  que  je 
suis  très  satisfait  de  votre  travail,  et  pour  la  forme  et  pour  le 
fond  >.  Tous  les  professeurs  regardent  en  souriant  le  cuistre 
Bergmann,  et  les  applaudissements  éclatent  dans  toute  la 
salle ...  ». 

4*  Histoire  de  l'esprit  révolutionnaire  des  nobles  en  France 
sous  les  soixante-huit  rois  de  la  Monarchie,  i  in-8<*  de  xvi-345^ 
pages.  Paris,  1818. 

€  Curieux  ouvrage,  original  et  écrit  avec  esprit,  devenu 
très  rare.  Il  a  eu  pour  auteur  M.  Giraud,  ci-devant  oratorien,. 
ou  capucin  selon  d'autres,  puis,  pendant  la  Révolution^  accu- 
sateur public  à  Avignon.  Giraud  est  mort  en  1844  ou  1845. 
conseiller  à  la  cour  royale  de  Colmar  ^).  J'ai  assisté,  comme, 
jeune  avocat,  à  son  enterrement  avec  la  députation  du  barreau^ 
J'ai  connu  personnellement  le  père  Giraud,  comme  on  l'appe- 
lait; c'était  un  vieux  cynique  resté  jacobin,  du  reste  pleia 
d'esprit  et  très  bienveillant  pour  les  débutants  du  barreau.  Je 
le  vois  encore  enveloppé  dans  sa  douillette  de  soie  brune,, 
coiffé  d'une  perruque  noire  à  la  Titus  et  dardant,  pendant  leS' 
audiences,  ses  pelits  yeux  noirs,  pleins  de  vivacité  et  de  malice, 
sur  la  solennelle  somnolence  de  ses  vieux  collègues  de  la  cour. 
D'après  ce  que  m'a  dit  un  jour  Ignace  Chauffour,  cet  ouvrage 


i)  M.  Giraud  est  mort  probablement  en  1842.  Dans  son  discours  de 
rentrée,  prononcé  à  la  cour  royale  le  10  novembre  1843,  M.  Camille 
de  Sèae,  avocat  général,  dit  de  lui  :  «  M.  Giraud  fut  un  de  ces  hommes,, 
ardents  sans  doute,  mais  profondément  honnêtes,  qui  s*attachèrent  géné- 
reusement à  tempérer  et  à  adoucir  des  lois  sévères  dont  Texécution  leur 
était  confiée». 


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f  6o  REVUE  D' ALSACE 

valut  à  Giraud  la  protection  du  célèbre  M.  de  Serres,  premier 
président  de  la  cour  de  Colmar  et  alors  le  chef  le  plus  illustre 
■de  l'opinion  monarchique  libérale  contre  les  prétentions  du 
parti  nobiliaire  et  ultra,  qui  usa  de  sa  haute  influence  pour  le 
faire  nommer  conseiller  à  la  cour  de  Colmar. 

En  1819,  M.  de  Mary,  référendaire  de  la  commission  du 
«ceau  public  a  (publié)  à  la  librairie  Lenormant  sous  les  ini- 
tiales M.  du  M.  un  petit  écrit  de  108  pages  in-8*,  intitulé: 
Réfutation  de  l'écrit  intitulé  :  Histoire  de  r esprit  révolution^ 
naire  des  nobles  en  France. 

5^  Heureuse  (L')  victoire  obtenue  par  Mgr,  le  duc  de  Lût- 
raine  sur  les  Reistres  et  Lansquenets  ennemis^  qui  estaient  ja 
^dvenuz  en  la  plaine  de  Strasbourg,  pour  venir  joindre  les 
trouppes  du  Prince  de  Béarn,  i  in-12,  16  pagos.  Paris  1589. 

«  Pièce  de  toute  rareté,  inconnue  en  Alsace.  Mossmann  a 
publié,  il  y  a  quelques  années,  chez  Bader  à  Mulhouse,  un 
mémoire  sur  les  événements  qui  y  sont  relatés,  intitulé  :  Un 
-échec  militaire  de  Henri  IV  en  Alsace^  d"* après  des  documents 
inédits  tirés  des  archives  du  Vatican,  Le  nriémoire  de  Moss- 
mann a  relevé  un  fait  important  qui  paraît  avoir  été  ignoré 
par  les  historiens  même  en  Alsace,  mais  il  n'a  pas  connu  cette 
pièce,  ainsi  que  les  mémoires  de  Saucy  qui  ont  été  si  bien 
édités  par  Poirson  dans  le  volume  devenu  rare  qu'il  a  publié 
sous  le  titre  de  :  Mémoires  et  documents  nouveaux  relatifs  à 
l'histoire  de  France  à  la  fin  du  xvi«  siècle.  Saucy  parle  de 
l'échec  de  ses  Lansquenets  aux  $$  xxiv  et  xxv  de  son  discours 
sur  l'occurence  de  ses  affaires,  et  dit  qu'il  lui  fit  perdre  auprès 
des  princes  allemands  la  grande  réputation,  qu'il  s'était  acquise 
auparavant,  encore,  ajoutet-il,  qu'il  n'y  eût  point  faute  de  sa 
part  (il  était  à  Nuremberg  au  moment  du  désastre  des  reîtres 
^t  lansquenets,  qu'il  avait  recrutés  en  Allemagne). 

Cette  pièce  imprimée  à  Paris  au  nom  de  la  Sainte  Union 
avait  certainement  pour  but  d'être  répandue  dans  le  public 
pour  réchauffer  le  zèle  des  Ligueurs,  en  les  tenant  au  courant 
des  échecs  éprouvés  par  le  roi  de  Navarre  >. 

6*  Le  Hir  *),  Etudes  bibliques^  2  vol.  in-8<»,  1869. 

f  Ouvrage  devenu  très  rare.  —  t  Tout  ce  que  je  suis  conime 
savant,  je  le  suis  par  M.  Lehir.  11  me  semble  même  parfois  que 


i)  Professeur  mu  séminaire  de  Saint-Snlpice,  mort  à  Paris  le  13  jan- 
vier 1868. 


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MÉLANGES    BIBLIOGRAPHIQUES  l6l 

tout  ce  que  je  n'ai  pas  appris  de  lui,  je  ne  Vai  jamais  bien  su 
(Renan,  Souvenirs  d^  enfance  et  de  jeunesse)  »  '). 

70  Loisy  (A.),  Histoire  du  canon  de  l'ancien  testament. 
1  in-8^  259  pages,  1890  *). 

«  Cet  ouvrage,  qui  a  été  très  loué,  môme  par  la  critique 
indépendante,  ne  fait  pas  oublier  le  savant  volume  que  Dom 
Martianay  a  publié  en  1703  sous  le  titre  de  :  Traité  historique 
du  canon  des  livres  de  l'Ecriture  sainte  depuis  leur  première 
publication  jusqu'au  concile  de  Trente^  que  Tabbé  Loisy  ne  cite 
jamais,  soit  volontairement,  soit  qu'il  ne  Tait  pas  connu.  Dans 
les  chapitres  II  et  III  de  la  deuxième  partie  du  traité  de  Mar- 
tianay on  trouve  beaucoup  plus  de  renseignements  sur  les 
opinions  contradictoires  des  docteurs  du  moyen-âge,  notam- 
ment en  ce  qui  concerne  la  canonicité  ou  la  deutéro-canonicité 
<le  certains  livres  de  la  sainte  Ecriture,  que  dans  cet  ouvrage, 
qui  les  expose  très  sommairement  et  sans  entrer  dans  le 
<iétail  ». 

60  Martin  (Th.  Henri).  La  vie  future^  suivant  la  foi  et 
suivant  la  raison,  1858.  i  in-8«>,  xi-660  pages  •). 

f  Sur  le  chapitre  2  §  v,  il  faut  lire  la  dissertation  de  Le 
Blant  :  Uune  représentation  inédite  de  Job  sur  un  sarcophage 
d'' Arles ^  Paris,  1860,  chez  Didier.  Le  Blant,  qui  est  un  chrétien 
très  ferme,  est  arrivé  par  Tétude  des  monuments,  des  inscrip- 
tions et  des  textes  des  premiers  siècles  à  démontrer  que  Tanti- 
■quité  chrétienne  était  loin  de  considérer  unanimement,  avec 
saint  Jérôme,  Job  comme  ayant  formellement  prophétisé  la  vie 
-et  la  résurrection  futures  (scio  quia  redemptor  meus  vivit . . .). 
Les  Pères,  qui  ont  invoqué  l'autorité  de  Job  en  faveur  de  la 
croyance  à  la  vie  future,  sont,  indépendammont  de  saint  Jérôme 


i)  Tranicrit  par  M.  Wilhelm.  Sa  collection  renferme  aussi  les  ouvrages 
-suivants  de  cet  auteur  :  Le  Ivurc  de  Joà,  —  Les  trois  grands  pro» 
phetes,  —  Les  psaumes, 

2)  La  bibliothèque  Wilhelm  contient  également  les  autres  ouvrages 
•de  cet  écrivain,  dont  il  a  été  tant  question  dans  ces  derniers  temps. 

3)  Martin  Thomas  Henry,  philosophe  français,  mort  à  Rennes,  le 
-9  février  1884,  à  Tige  de  71  ans;  il  fut  doyen  de  la  faculté  de  cette 
ville  depuis  1845  jusqu'à  1880.  Il  paraît  qu'il  avait  été  amené  à  écrire 
la  Vie  future  par  le  chagrin  que  lui  avait  causé  la  mort  de  sa  femme. 
Martin,  dont  les  ouvrages,  très  savants.  6gurent  tous  dans  la  bibliothèque 

•<le  M.  Wilhelm,  a  été  an  ami  de  ce  dernier.  Nous  avons  vu  des  lettres 
qu'ils  se  sont  adressées. 


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102  REVUE   d' ALSACE 

(contra  Johannem  Jerosolymitanum^  §  30),  saint  Clément  Ro- 
main  {epist  ad  Cor.  i,  26),  saint  Ambroise  (de  fide  résurrection 
nis,   c.LXvii,    De   interpellaiione  Job,    v,    15),    saint   Cyrille 
{Cathech,  xviii,  15).  En  général,  les  autres  Pères,  qui  cherchent 
dans  l'antiquité  la  croyance  à  la  résurrection  et  à  la  vie  futures^ 
I,  Ezéchiel  et  îsaïe.  Saint  Chrysostome 
Job  comme  d'un  malheureux,  ignorant 
t  la  résurrection  à   venir  (In  Matth, 
st.  ad  Olympiadem  diaconissam,  %  8). 
tiquité  chrétienne  un  antagonisme  sur 
Job  avait  connu  la  résurrection  et  la 
:  dont  saint  Jérôme  et  saint  Chrysos- 
leux  extrêmes.  Il  est  même  possible 
l'opinion  de   saint  Chrysostome   ait 
:ar  les  anciens  sarcophages  présentent, 
j  sacrés  qui,  d'après  les  Pères,  attestent 
rrection  future  :  Jonas,  Lazare,  Daniel,. 
Hébreux  dans  la  fournaise;    tandi»^ 
très  petit  nombre  d'exemples  de  la 
ic  de  Job.  L'infériorité  numérique  de 
marque   Le  Blant,   accuse  peut-être 
timent  commun  à  Popinion  de  saint 
fameux  texte  de  Job  comme  la  pins- 
on divines  annonçant  la  résurrection- 

|ue  Renan,  qui  a  donné  à  sa  versioD 
îssion  d'une  vague  attente,  d'une  espé- 
î,  a  fait  également  la  part  des  deux 
s  et  s'est  montré  moins  négatif  que 
^^oir  cependant  l'article  Job  dans  le 
es  chrétiennes,  de  Pabbé  Martigny).  — 

une  note  sur  un  passage  d'Origène^ 
lu  christianisme  dans  la  Grande-Bre- 
page  26  de  l'appendice  à  la  vie  future^ 
tence  du  texte  d'Origène  in  Ezéchiel, 
terait  que  la  prédication  chrétienne 
is   la  Grande-Bretagne,   grâce   à    la 

avaient  toujours  enseigné  le  Mono- 
faut  remarquer  que  ce  même  texte 
lans  l'introduction  à  ^Histoire  de  la 
er,  pages  260-261.  Le  passage  d'Ori* 
ier,  porte  :  Britannos  in  fidem  consens 


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MÉLANGES    BIBLIOGRAPHIQUES  l6j. 

sisse  et  ad  Dcum  per  Druidas  viam  sibi  munivtsse^  qui  unum 
Deum  setnper  inculcarunt  Beugnot  {Histoire  de  la  destruction 
du  paganisme  en  Occident^  tome  i,  p.  292),  sans  traiter  cette 
question,  paraît  penser  que  le  druidisme,  comme  système  reli- 
gieux, a  combattu  avec  succès  les  progrès  du  christianisme 
dans  les  Gaules  ». 

7.  Rabanis.  Les  Mérovingiens  d^ Aquitaine,  Essai  historique 
et  critique  de  la  charte  d'Alaon.  i  vol.  in-8®  de  254  pages. 
Paris,  1856. 

t  Voyez  sur  la  charte  d'Alaon  la  page  884  des  Eléments  de 
diplomatique^  de  Giry.  Il  remarque  que  bien  que  les  démons- 
trations, les  preuves  et  les  arguments  se  soient  accumulés,  les 
textes  faux,  lorsqu'ils  sont  intéressants,  ont  la  vie  dure,  si  bien 
que  nombre  d'historiens,  qui  même  reconnaissent  la  fausseté 
de  cette  fameuse  charte,  ne  se  résignent  pas  à  rejeter  de  l^his- 
toire  les  noms  et  les  faits  qu'elle  y  a  introduits  :  il  traîne,  dit-il, 
des  lambeaux  de  la  charte  d'Alaon  dans  nombre  d'écrits  histo- 
riques récents. 

On  peut  citer  dans  ce  nombre  V Essai  sur  le  caractère  de  la 
lutte  entre  P Aquitaine  et  l'Austrasie  sous  les  Mérovingiens  et 
les  Carolingiens,  de  Drapeyron,  et  d'après  la  note  2  de  la  page 
68  de  ce  Mémoire  peut-être  aussi  Charles  Giraud  qui  disait  à 
rinstitut  (14  août  1875)  <iu'un  document  aussi  bourré  d'histoire 
ne  saurait  être  sans  valeur. 

On  disait  que  les  textes  fournis  au  cardinal  d'Aguirre,  qui 
le  premier  a  publié  en  1694  le  texte  de  la  charte  d'Alaon,  pro- 
venaient des  Archives  de  la  Seo  d'Urgel.  M.  Bladé  a  voulu 
voir  s'ils  y  avaient  laissé  trace  et  les  a  explorées  deux  fois,  en 
1869  et  en  1875,  et,  non  seulement  il  n'y  a  pas  trouvé  les 
chartes  apocryphes,  mais  il  a  pu  constater  qu'elles  n'y  ont 
jamais  été  à  aucun  moment;  il  n'y  a  donc  plus  aucun  doute 
sur  l'abus  de  confiance  dont  fut  victime  l'éminent  cardinaU 
{y oy.  Bulletin  critique ^  1891,  p.  418)  ». 

8.  Pf effet  Lud.  Aug,  Jurisprudentice  diplomaticœ  Speci- 
mina,  1  in-i2<>  de  80  p.  Thèse  soutenue  à  Strasbourg  en  1779. 

«  Exemplaire  bien  complet  avec  la  dédicace  gravée,  et,  à 
la  fin  du  volume,  les  deux  sceaux  gravés,  dont  le  premier  se 
rapporte  à  la  preuve  (spécimen)  III  de  la  jurisprudence  diplo- 
matique, commençant  à  la  page  44  et  finissant  à  la  page  58  ; 
le  second,  à  la  preuve  ou  exemple  VI,  commençant  à  la  page 


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104  REVUE  d'ALSACE 

78.  Pfeffel,  dans  le  cours  de  ses  exemples  ou  échantillons  de 
j  "-'omatique,  ne  renvoie  qu'aux  deux  sceaux 

ii'il  est  certain  que  ce  volume  est  complet 
|ue  les  specimina  111  et  VI  renvoient  seuls 
avés  qui  y  correspondent.  On  peut  voir,  à 
cteur,  le  bel  hommage  que  rend  Pfeffel  au 
irecteur  du  trésor  des  chartes  de  Lille. 

;  Pfeffel,  l'auteur  de  cette  thèse,  était  l'un 
historien  et  diplomate  Chrétien  Frédéric 
î  du  Roi  au  département  des  affaires  étran- 
et  le  frère  aîné  de  Chrétien.  Hubert  Pfeffel, 
Strasbourg,  en  1785,  sa  fameuse  thèse  inti- 
ii  de  limite  Galliae,  dédiée,  comme  celle  de 
:omte  de  Vergennes,  ministre  des  Affaires 
lit  par  cette  thèse  que  Louis  Auguste  était 
et  c'est  en  termes  bien  émus  que  Chrétien 
iter  à  la  page  37  de  ses  Commentarii  lés 
dentiae  diplomaticae^  déplore  cette  fin  pré- 

rubricatis  quitus  martyrum   romanornm 
dicuntur   observationes    V,  D,  B,    1855. 

plus  grande  rareté,  n'ayant  été  tiré  qu'à 
Edmond  Le  Blant  ne  le  connaissait  pas, 
1859,  son  Mémoire  sur  la  question  du  vase 
second  Mémoire,  publié,  en  1869,  dans  la 
f,  après  avoir  cité  quelques  manuscrits,  où 
roblème,  il  ajoute  :  C'est  encore,  pour  ainsi 
nuscrits  qu'il  faut  ranger  une  œuvre  ano- 
mise  sous  presse,  dit  son  auteur,  parce  qu'à 
pression  en  Belgique  coûte  moins  que  la 

iplaire  vient  de  la  bibliothèque  de  l'érudit 
Witte  ». 


trouve  dans  lâ  collection  de  M.  Wilhelm,  qai  lai 
t  reliare,  dont  le  dot  est  marqné  de  nombreutas 


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MÉLANGES    BIBLIOGRAPHIQUES  165^ 

C'est  ainsi  qu'on  pourrait  tirer  de  la  collection. 
Wilhelm  des  centaines  et  des  centaines  d'annotations^ 
Il  nous  semble  voir  notre  bibliophile,  tranquillement 
installé  chez  lui,  lisant,  confrontant,  et,  tout  en  fumant 
sa  pipe,  écrivant  et  méditant  avec  une  ardeur  digne 
des  savants  de  la  glorieuse  congrégation  bénédictine  de 
Saint-Maur  dont  il  fut,  on  le  sait,  un  si  grand  admira*- 
teur.  Loin  du  bruit  des  passions  du  monde,  il  était» 
pour  ainsi  dire,  lui-même  un  bénédictin  laïc,  vivant 
uniquement  absorbé  par  les  choses  de  l'esprit. 

E.  Rodé, 


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CORRESP.    ENTRE   d'aIGUILLON    ET    DE   ROHAN  167 

Jeu  pour  ne  pas  donner  de  la  défiance  aux  puissances 
qui  désapprouvent  le  démembrement  et  afin  de  retarder 
les  opérations  du  congrès;  il  est  sûr  en  effet  que  le 
plan  des  trois  puissances  n'est  point  encore  arrêté  »). 
<  Ce  serait  bien  ici  le  moment  d*ameuter  TEurope  contre 
le  développement  de  ce  dangereux  système  ;  c'est  peut- 
être  le  seul  moyen  d^arracher  mille  germes  de  dissensions 
-et  de  guerres  et  de  se  procurer  une  paix  durable». 

Il  n'y  a  pas  de  doute  qu'on  ne  transporte  de  l'ar- 
tillerie et  des  munitions  de  guerre  en  Hongrie.  Le 
prince  de  Kaunitz  pense  que  les  Turcs  seront  forcés 
de  faire  des  sacrifices.  <Je  me  contentai  de  dire  que 
la  Russie  aurait  été  très  embarrassée  et  très  intriguée, 
^i  la  Porte  s'était  refusée  à  l'armistice  et  au  congrès, 
x^ue  cet  embarras  n'annonçait  pas  une  supériorité  telle 
qu'on  fût  obligé  de  se  plier  à  toutes  ses  volontés  ». 

La  cour  de  Vienne  n'a  pas  encore  reçu  de  réponse 
satisfaisante  de  la  Russie  au  sujet  des  prisonniers  français. 
M.  de  Kaunitz  croit  qu'ils  ne  seront  pas  relâchés.  <  Il 
parait  très  étonnant  que  la  cour  de  Pétersbourg  se 
rjrefuse  avec  cette  opiniâtreté  aux  désirs  de  celle  de 
Vienne.  Quand  on  veut  s'unir  pour  les  mêmes  intérêts, 
il  semble  que  la  complaisance  et  les  égards  devraient 
précéder.  J'ai  l'honneur,  etc.  ». 

Lettre  «**  XLIII  du  duc  d'Aiguillon  en  réponse  aux 
lettres  «°*  ^/  et  42  du  prince  de  Rohan.  <  Compiègne, 
le  17  juillet  1772...  Il  reste  à  éclaircir  pourquoi  le  roi 
<le  Prusse  a  différé  ses  prises  de  possession,  dont  les 
-époques  paraissaient  déterminées  et  quelles  peuvent  être 
effectivement  les  causes  auxquelles  il  faut  attribuer  ce 
-délai . . .  Nous  ne  pouvons.  Monsieur,  qu'attendre  la 
^réponse  de  l'impératrice  de  Russie  sur  le  compte  que 
M.  de  Panin  a  promis  de  lui  rendre  de  la  démarche 
-de  Leurs  Majestés  Impériales  en  faveur  de  nos  officiers, 
<t  nous  nous  interdirons  toute  autre  démarche  sur  cet 

i)  Cfr.  DB  Smitt,  Frédéric  II.., ^  op.  cit.,  p.  149. 


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i68  REVUE  d'alsace 

objet.  Le  Roi  désire,  Monsieur,  que  de  votre  côté  vous- 

vous  teniez  dans  une  inaction  absolue   à  cet   égard . . . 

Si  on  se  portait  à  leur  faire  éprouver   des   traitements 

durs  et  injustes,   les  voyageurs  russes  qui  se  trouvent 

s  en  foule  dans  le  royaume  en  répondraient  », 

ministre  ne  veut  pas  que  l'ambassadeur   envoie 

grès  M.  Lasocki  ni  M.  de   La  Roche,    mais    un 

subalterne,  s'il  en  trouve  un  qui  veuille  donner 

ment  avis  de  ce  qui  se  passera. 

is  une  lettre  écrite  par  M,  de  Choisy  de  Léopol, 
juillet  1772,  au  prince  de  Rohan,  il  annonce  que 
ses  compagnons  vont  être  conduits  à  Kiew,  de 
étersbourg  et  peut-être  en  Sibérie;  la  comtesse 
ska  lui  a  avancé   1200  ducats  1). 

tre  «**  46  du  prince  de  Rohan  au  duc  d'Aiguillon. 
?,  le  18  juillet  1772.  L'ambassadeur  envoie  la 
d'une  déclaration  et  d'un  mandement  publiés  en 
e  depuis  l'entrée  des  troupes  autrichiennes  pour 
'  aux  habitants  leur  état  et  leur  tranquillité,  aux 
s  autrichiennes  leurs  subsistances  en  payant  au 
ourant.  Les  directeurs  des  douanes  doivent  rendre 
e  de  leur  administration  aux  commandants  autri- 

tre  «**  ^7  du  prince  de  Rohan  au  duc  d'Aiguillon^ 
ne,  le  22  juillet  1772.  Comme  vous  m'avez  auto- 
î  ne  rien  épargner  pour  pénétrer  dans  le  secret 
ireaux,  j'ai  usé  de  cette  liberté.  On  m'a  déjà 
le  précis  que  vous  trouverez  ci-joint  des  conven- 
/^erbales  et  secrètes  faites  à  Neisse  (entre  le  roi 
isse  et  l'Empereur)  et  qui  ont  été  renouvelées  et 
ugmentées  à  Neustadt.  J'espère  par  la  même  voie 
jcurer  des  renseignements  ultérieures  sur  cet  objet 
cat  et  si  important. 

)n  m'a  dit.  Monsieur  le  Duc,  que  le  roi  de  Prusse 
aillé   efficacement    à   inspirer   à  l'Empereur   des- 

\  DR  Broglib,  Le  secret  du  Roi^  II,  p.  379. 


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CORRESP.    ENTRE   D'aIGUILLON    ET    DE    ROHAN  169 

défiances  contre  la  France,  que  quand  il  nous  a  recherchée 
ce  n*a  été  que  pour  persuader  à  ce  jeune  prince  que 
nous  pouvions  être  ébranlés  et  que  nous  ne  regardions 
pas  Talliance  comme  une  chose  solide,  que  c'est  lui 
qui  propose  actuellement  un  traité  d*alliance,  par  lequel 
les  trois  cours,  qui  sauraient  entraîner  la  Suède  et 
TEmpire  et  y  associer  peut-être  l'Angleterre,  feraient 
contrepoids  avec  le  pacte  de  famille  et  empêcher  les 
puissances  du  Midi  de  se  mêler  jamais  des  affaires  du 
Nord.  Je  vous  avoue  que  je  crains  beaucoup  cette 
association,  dont  les  suites  pourraient  être  très  critiques. 

<  Il  est  très  certain  que  l'Empereur  ne  nous  aime 
pas  et  que  sa  modération  actuelle  n'est  due  qu'à  l'attache- 
ment réel  de  l'Impératrice  à  l'alliance').  Je  sais  très 
certainement  que  dans  un  mouvement  de  dépit  contre 
nous  au  sujet  des  affaires  de  San-Remo,  il  a  dit  :  <Je 
saurai  m'en  venger  tôt  ou  tard  ».  Le  maréchal  de  Lacy 
a  grand  soin  de  nourrir  ce  sentiment.  Le  prince  de 
Kaunitz  ne  l'approuve  pas  ;  mais  il  est  obligé  de  céder. 
Je  sais  encore  que  l'Empereur  s'est  plaint  de  ce  qu'il 
trouvait  toujours  la  France  en  son  chemin,  quand  il  se 
présentait  des  occasions  de  rendre  à  la  dignité  impé- 
riale son  lustre  et  sa  splendeur.  On  ne  cesse  de  prédire 
qu'il  y  a  de  la  faiblesse  à  rester  ainsi  sous  la  tutelle 
d'une  puissance  rivale  et  étrangère  et  que  l'Allemagne 
est  intéressée  à  briser  les  fers  dont  la  France  l'a  chargée 
par  les  traités  de  Munster  et  d'Osnabruck  2).  Si,  comme 
les  faits  l'assurent,  la  czarine  n'est  pas  mieux  disposée 
en  notre  faveur,  voilà  de  prompts  moyens  de  rapproche- 
ment, et  si  le  roi  de  Prusse  y  trouve  son  intérêt,  il  saura 
bien  en  tirer  parti. 


1)  «  On  ne  eesse  »,  écrivit  Marie-Thérèse  à  Mercy  le  3  février 
1774,  *  ^^  prévenir  l'Empereur  contre  la  nation  française....  Le 
général  comte  de  Nostiiz,  qui  se  trouvera  à  la  suite  de  l'Empereur,  est 
anli  français  juré  ;  les  sentiments  du  maréchal  de  Lacy  n'en  diffèrent 
guère,  et  il  pourrait  bien  tâcher  de  les  inspirer  encore  à  l'Empereur  *^ 

2)  Cfr.  notre  travail  :  La  question  d"* Alsace- Lorraine  et  Frédéric  le 
Grand,  p^ge  22. 

Bamt  d'Alêoce,  1907  i2 


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170  REVUE   D  ALSACE 

<Je  n'ai  pas  cru,  Monsieur  le  Duc,  devoir  vous  taire 
toutes  ces  réflexions  que  ma  position  et  mes  découvertes 
me  mettent  à  portée  de  faire.  Vous  saurez  les  apprécier. 
Il  est  des  circonstances  où  Ton  ne  pèche  jamais  par 
trop  de  précautions  et  de  prévoyance.  Je  puis  me  tromper 
dans  ma  manière  de  voir,  mais  je  dois  toujours  vous  la 
<:ommuniquer.  Il  peut  se  faire  que  je  regarde  comme 
très  importantes  des  choses  que  vous  ne  jugerez  pas 
telles,  parce  que  vous  êtes  placé  pour  voir  l'objet  sous 
tous  ses  rapports  et  qu'ici  je  ne  puis  l'apercevoir  que 
^ous  l'aspect  qui  m'est  présenté, 

<  Ce  qui  est  un  fait  et  non  une  conjecture,  c'est 
que  la  cour  de  Vienne  joue  le  rôle  de  suppliante  à 
Pétersbourg  et  à  Berlin,  On  y  prend  avec  elle  un  ton 
<le  supériorité  qui  devrait  bien  l'humilier;  ses  mesures 
-et  ses  démarches  sont  absolument  dépendantes  des  désirs 
<le  ces  deux  cours.  La  czarine  vient  encore  tout  récem- 
ment de  lui  refuser  la  liberté  des  officiers  français  que 
-cette  cour  avait  cependant  paru  solliciter  avec  les  plus 
vives  instances.  Voici  la  réponse  que  le  chancelier  de 
■cour  et  d'Etat  m'a  communiquée  :  l'Impératrice  de 
toutes  les  Russies  se  serait  fait  un  plaisir  de  rendre  les 
officiers  français  faits  prisonniers  en  Pologne  par  con- 
sidération personnelle  pour  les  vives  instances  de  Leurs 
Majestés  Impériales  et  pour  se  prêter  aux  désirs  de  Sa 
Majesté  très  chrétienne.  Mais  n'ayant  point  à  se  louer 
Kies  procédés  de  la  France  et  pouvant  se  trouver  dans 
des  circonstances  telles  qu'il  lui  serait  utile  de  les  garder, 
.surtout  tant  que  le  pavillon  russe  paraîtra  dans  l'Archipel, 
^lle  croit  qu'il  est  de  sa  prudence  de  ne  point  les 
relâcher,  que  cependant  elle  a  donné  les  ordres  les  plus 
précis  pour  que  ces  officiers  soient  traités  avec  tous  les 
égards  possibles.  Il  fallait  que  M.  de  Kaunitz  fût  bien 
persuadé  du  peu  de  crédit  de  sa  cour  à  Pétersbourg; 
-car  il  m'a  constamment  prédit  qu'on  n'obtiendrait  rien. 

«  Il  ne  m'a  pas  été  difficile,  Monsieur  le  Duc,  de 
remonter  à  l'avis,  dont  Tabbé  vous  a  parlé  dans  sa 
-dépêche  n**  39  et  que  vous  dites  avoir  surpris  le  Roi» 


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CORRESP.   ENTRE  d'aIGUILLOX   ET   DE   ROHAN  17I 

La  lenteur  du  roi  de  Prusse  et  son  retard  inattendu  de 
^e  mettre  en  possession  des  nouvelles  acquisitions  qu'il 
doit  s'approprier,  ont  occassionné  des  calculs  divers. 
Le  prince  de  Saxe-Hildburghausen  fondait  cette  con- 
<luite  du  monarque  prussien  sur  la  mobilité  de  sa  politique 
^t  sur  la  certitude  où  il  disait  être  que  Berlin  n'aurait 
jamais  de  liaison  sincère  et  durable  avec  Vienne,  qu'il 
savait  par  des  lettres  de  Berlin  qu'on  soupçonnait  actuelle- 
-ment  un  nouveau  retour  de  ce  monarque  vers  la  France 
et  que  c'était  sans  doute  la  raison  qui  avait  suspendu 
sa  prise  de  possession  en  Pologne.  «Je  vois»,  a-t-il 
ajouté  à  la  personne  de  qui  on  tient  ces  faits,  «qu'on 
est  inquiet  ici  et  j'imagine  que  cette  inquiétude  vient 
de  la  crainte  bien  fondée  que  la  France  mécontente  ne 
change  d'allié»  «).  On  n'a  pas  cru  devoir  taire  des  propos 
lenus  par  des  personnes  si  considérables,  et  il  peut  arriver 
x^u'il  soit  très  important  de  les  communiquer,  et  je  vous 


i)  «  Relativement  à  U  façon  9,  écrivit  le  comte  de  Mercy  à  Maries 
'Thérèse  le  i§  mai  1772,  c  dont  le  ministère  de  France  envisage  les 
•objets  pulitiques.  Votre  Majesté  aura  daigné  voir  dans  mes  dernières 
dépêches  la  sensation  qu*â  produite  ici  la  nouvelle  des  arrangemente 
qui  sont  sur  le  point  d^étre  conclus  en  Pologne.  Sans  s'arrêter  au  Ungag« 
du  duc  d'Aiguillon,  il  est  certain  que  son  caractère  méfiant  et  plus  encore 
son  ignorance  en  affaires  confondent  les  idées  qu'il  se  forme  des  con- 
jonctures actuelles,  qu'il  ne  sait  ni  les  apprécier  ni  les  juger,  et  que, 
dans  son  incertitude,  il  est  probable  qu'il  s'arrêtera  au  système  de  blâmer 
toutes  les  mesures  prises  par  Votre  Maiesté,  et  de  les  interpréter  de  la  façon 
la  plus  défavorable  ;  mais  il  est  également  certain  que  toute  la  mauvaise 
volonté  du  ministre  ne  persuadera  pas  le  roi  son  maître»  qui  personnelle- 
ment et  plus  fortement  que  jamai«  tient  à  se^  sentiments  pour  Votre 
Majesté  et  à  ceux  de  l'alliance.  Je  crois  pouvoir  répondre  que  tous  les 
efforts  du  duc  d'Aiguillon  pour  faire  varier  son  maître  à  cet  égard 
n'at)outi raient  qu'à  perdre  le  ministre,  et  je  répondrais  pareillement  que 
ia  favorite  ne  s'ingérerait  pas  à  vouloir  appuyer  les  démarches  que  le  duc 
4>ourrait  se  proposer  pour  altérer  la  solidité  du  Kystème.  Une  Kuite  d*ob8er- 
vations  ne  me  laissent  pas  le  moindre  doute  à  cet  égard.  Je  vois  clairement 
que  les  arrangements  projetés  en  Pologne  n'ont  point  personnellement 
affecté  le  roi,  quM  croit  que  Votre  Majesté  ne  pouvait  pas  se  dispenser 
xle  donner  les  mains  aux  arrangements  susdits  et  qu'ils  sont  une  suite 
inévitable  des  circonstances.  La  seule  chose  qui  pourrait  peiner  le 
monarque  serait  d'être  dans  le  cas  de  croire  que  l'amitié  de  Votre  Ma- 
jesté  s'est  refroidie  pour  lui;  mais  le  remède  à  cet  inconvénient  serait 
'  que,  selon  les  conjonctures,  il  plût  à  Votre  Majesté  de  donner  au  roi 
une  marque  directe  et  purement  personnelle  de  sa  confiance,  soit  par 
-«ne  lettre,   soit  en  m'ordonnant  de  dire  de  sa  part    et   dans  l'occasion 


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172  REVUE   D  ALSACE 

prie  de  vous  souvenir,  Monsieur  le  Duc,  que  je  suis^ 
dans  une  espèce  de  nuit  politique;  le  ministère  de  cette 
cour  rend  mon  travail  très  difficile,  son  existence  n'étant 
que  précaire  et  sa  discrétion  me  paraissant  forcée  j 
cependant  il  nous  est  intéressant  de  découvrir  le  point 
vrai  ;  je  donc  rassembler  tout  ce  qui  vient  à  ma  con- 
naissance, ne  rien  laisser  échapper,  vous  donner  pour 
certain  ce  que  je  sais  pour  certain,  vous  présenter 
comme  douteux  ce  que  je  regarde  comme  tel  et  qui 
par  rapport  à  vous  peut  prendre  un  degré  de  solidité 
par  la  comparaison  que  vous  pouvez  en  faire  avec  les 
éclaircissements  qui  vous  arrivent  d'ailleurs  ». 

L'ambassadeur  annonce  ensuite  que  le  roi  de  Prusse 
a  évacué  la  Grande  Pologne  et  la  Posnanie.  Il  en  a 
exigé  des  contributions  exorbitantes.  Il  a  cessé  toute 
vexation  dans  la  Prusse  polonaise.  Il  a  soin  de  la  ménager 
comme  son  domaine.  Déclaration  publiée  par  le  général 
d'Alton.  M.  de  Choisy  et  les  autres  officiers  français 
sont  transférés  de  Léopol  à  Smolensk.  La  czarine  a 
refusé  de  les  mettre  en  liberté  sous  prétexte  que  la 
flotte  de  Toulon  devait  aller  dans  TArchipel  et  y  attaquer 
peut-être  le  pavillon  russe. 

L'ambassadeur  Louis  de  Rohan  joignit  à  la  lettre 
n**  47  le  Précis  des  conventions  verbales  et  secrètes  entre 
la  Majesté  V Empereur  et  le  roi  de  Prusse  à  l'entrevue 
de  Neisse  '); 

i)  Que  la  cour  de  Vienne  et  celle  de  Berlin  offri- 
raient conjointement  leur  médiation  à  la  Russie  et  à  la 
Porte  pour  moyenner  la  paix  entre  elles. 

2)  Qu'on  aviserait  de  concert  avec  la  Russie  des 
moyens    les   plus  propres  pour  pacifier  la  Pologne  et 


quelque  chose  qui  pût  flatter  le  roi  et  lui  marquer  que  Votre  Majesté 
8*en  repose  toujours  sur  la  solidité  de  ses  sentiments».  (Arneth-Gkffboy, 
Marie  Antoinette^  Correspondance  secrète,  I,  p.  305  ;  cfr.  les  lettres  de 
Mercy  à  Marie-Thérèse  du  15  juin  1772  et  du  18  juillet  1772,  op.  cit., 
p.  3ï5  «t  330). 

i)  Cfr.  Armxth,   Geschichte  Maria  Theresias,   VIII,    p.   183;    Emile 
Bourgeois,  Manuel  historique  de  politique  étrangère,  I,  374. 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET   DE   ROHAN  I73 

•pour  empêcher  l'extension  des  maladies  contagieuses 
<iui  s*y  étaient  manifestées,  qu'à  cet  effet  on  y  ferait 
entrer  des  troupes  tant  autrichiennes  que  prussiennes, 
-qui  formeraient  des  cordons  dont  on  conviendrait  et 
<ians  des  lieux  fixés  de  part  et  d'autre. 

3)  Que  la  susdite  médiation  serait  armée.  A  cette  fin 
ia  cour  de  Vienne  devait  assembler  une  armée  en 
Hongrie  toute  prête  à  se  porter  où  les  circonstances 
l'exigeraient,  soit  sur  le  Danube  ou  vers  TEsclavonie, 
frontières  des  Turcs,  mais  que  le  roi  de  Prusse  tiendrait 
une  armée  en  Pologne  pour  tenir  en  bride  les  Con- 
fédérés. L'Empereur  s'est  aussi  obligé  de  faire  construire 
nombre  de  saïques  armées  et  pontons  dont  l'usage  ne 
peut  avoir  lieu  que  sur  le  Danube,  tout  cela  apparem- 
ment ayant  été  adapté  à  une  guerre  avec  les  Turcs, 
au  cas  qu'on  y  fût  forcé  par  leur  opiniâtreté  à  conti- 
.nuer  la  guerre  avec  la  Russie. 

4)  L'Empereur  et  le  roi  de  Prusse  se  sont  obligés 
réciproquement  à  l'accord  le  plus  parfait  dans  toutes 
les  affaires  qui  regardent  Tempire  romain,  sa  dignité  et 
ses  prérogatives;  et,  comme  l'Empereur  venait  tout 
récemment  d'endurer  un  sanglant  affront  par  les  Génois 
qui  avaient  eu  la  témérité  de  faire  arracher  ses  patentes 
publiées  et  affichées  dans  l'affaire  de  San-Remo,  le  roi 
'de  Prusse  a  saisi  cette  occasion  pour  animer  l'Empereur 
à  une  vengeance  qui  était  due  à  sa  dignité  et  aux 
devoirs  de  l'empire  en  promettant  d'y  concourir  par 
tous  les  moyens  possibles.  Ayant  été  informé  que  la 
France  et  l'Espagne  avaient  fait  des  représentations  très 
^ives  dans  l'affaire  de  San-Remo  en  faveur  des  Génois, 
il  était  fort  étonné  que  ces  deux  couronnes  avaient 
voulu  entrer  dans  une  affaire  qui  était  uniquement  clv 
ressort  de  l'empire  et  où  les  puissances  étrangèir^ 
n'avaient  absolument  rien  à  voir,  et  que  ces  influence? 
étaient  aussi  humiliantes  que  désagréables  pour  tous 
Jes  princes  de  l'empire  en  général  ;  qu'à  la  vérité  l^ 
Prance  et  la  Suède  avaient  acquis  ui>  droit  incoatestaW^ 


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174  REVUE  d'alsace 

de  se  mêler  dans  les  affaires  de  l'empire,  pour  tout  ce 
qui  regarde  Texécution  et  le  maintien  du  traité  de 
Westphalie,  surtout  à  Tégard  de  la  sûreté  de  la  religion 
protestante  et  pour  obvier  à  tout  ce  qui  se  faisait  de 
contraire;  mais  aujourd'hui,  ces  anciens  préjugés  que 
faisait  naître  la  différence  des  religions  n'existant  plus^ 
il  n'est  plus  question  de  toutes  ces  affaires  odieuses»^ 
L'Empereur  avec  les  Electeurs  peut  prendre  des  arrange- 
ments par  rapport  à  tous  ces  objets  qui  pourraient 
exclure  ces  deux  puissances  de  s'y  ingérer;  ce  serait 
un  moyen  de  réduire  la  constitution  de  l'empire  à  une 
forme  convenable  et  propre  à  l'exempter  dans  la  suite 
de  toute  influence  étrangère. 

5)  Que  comme  des  arrangements  pris  actuellement 
entre  l'Empereur  et  le  roi  de  Prusse  il  pourrait  résulter 
des  méfiances  de  la  part  de  la  France,  il  conviendrait 
de  penser  à  temps  à  la  sécurité  des  Pays-Bas,  il  parais- 
sait au  roi  de  Prusse  nécessaire  de  convenir  avec  les 
deux  puissances  maritimes  sur  une  barrière  à  former 
dans  les  susdits  Pays.  De  cet  arrangement  il  en  résulterait 
encore  un  autre  avantage  qui  serait  d'associer  ces  puis- 
sances au  plan  actuel,  afin  qu'elles  n'apportassent  pas- 
des  obstacles  pour  en  empêcher  l'exécution. 

6)  Le  roi  de  Prusse  s'engageait  à  porter  la  Russie  à 
combiner  ses  intérêts  avec  ceux  de  la  Maison  d'Autriche,, 
à  la  conclusion  de  la  paix  future  avec  la  Porte,  pourvu 
que  cette  Maison  se  prêtât  aux  vues  de  la  Russie  et 
qu'elle  ne  la  gênât  ni  à  l'égard  des  conditions  qu'elle 
pourrait  accepter  et  qui  seraient  celles  quelle  jugerait 
convenable  à  ses  intérêts. 

7)  Q^^  pour  le  moment  présent  il  ne  serait  question 
que  de  la  pacification  de  la  Pologne  et  de  la  paix  entre 
les  deux  parties  belligérantes,  qu'on  s'attacherait  unique- 
ment à  ces  deux  objets,  qu'après  les  avoir  terminés  à 
la  satisfaction  des  cours  intéressées,  on  conviendrait  des 
mesures  à  prendre  pour  l'avenir  et  pour  le  soutien  de 
ce  qui  aurait  été  effectué  par  leurs  soins  communs. 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET   DE  ROHAN  175 

8)  Que  par  rapport  à  l'affaire  de  San-Remo,  il  serait 
convenable  que  l'agent  de  San-Remo  qui  est  à  Ratis- 
bonne  portât  à  la  diète  de  l'Empire  de  nouvelles  plaintes 
de  la  conduite  des  Génois  à  Tégard  des  habitants  de 
cette  ville,  que  par  là  les  Etats  de  l'empire  auraient 
une  occasion  de  réveiller  cette  affaire,  et,  par  une 
nouvelle  présentation  à  l'Empereur,  l'engager  à  agir 
contre  les  Génois  conformément  aux  intérêts  de  l'Empire 
et  à  la  dignité  de  son  chef  suprême». 

Lettre  n^  48  du  prince  de  Roka?t  au  duc  d' Aiguillon^ 
<  Vienne,  le  29  juillet  1772.  J'ai  parlé  ensuite  au  nonce 
Garambi  des  affaires  de  Pologne.  Il  m'a  dit  qu'il  avait 
tâché  d'intéresser  la  religion  de  l'Empereur  et  celle  de 
rimpératrice-Reine  en  leur  représentant  le  tableau  affli- 
geant de  tout  ce  pays  catholique  qui  va  devenir  la 
proie  des  hérétiques,  si  le  partage  de  la  Pologne  a  lieu^ 
Il  n'a  pas  trouvé  que  cette  considération  produisît  l'effet 
qu'il  avait  pu  espérer,  et  en  général  le  tableau  qu'il  a 
fait  du  danger  que  courait  la  religion  dans  ce  malheu-^ 
reux  pays,  s'il  n'a  pu  émouvoir  la  pitié  de  Sa  Majesté 
l'Empereur,  n'a  certainement  pas  influé  sur  les  déter- 
minations politiques. 

«  Ce  partage  c'e  la  Pologne  parait  si  monstrueux 
qu'il  y  a  des  ministres  étrangers  qui  n'y  veulent  pas 
encore  croire.  Celui  même  de  Pologne  m'a  avoué,  il  y 
a  quelques  jours,  son  ignorance  sur  cet  objet  et  son 
incrédulité  en  me  priant  instamment  de  dissiper  son 
incertitude.  Je  ne  lui  ai  point  fait  mystère  que  j'étais 
sûr  que  le  partage  était  arrêté  entre  les  trois  puissances;. 
mais  je  croyais  être  sûr  aussi  qu'elles  n'étaient  point 
encore  d'accord  sur  le  quantum.  Il  a  reçu  cette  asser- 
tion  affligeante  en  s'écriant  à  l'injustice.  J'ai  encore 
appris  du  ministre  de  Varsovie  qu'ayant  porté  ses 
plaintes  de  ce  que  le  roi  de  Pologne  était  réduit  à 
jmanquer  dans  peu  du  nécessaire,  puisque  la  Maison 
d'Autriche,  à  l'instar  des  deux  autres  puissances,  s'em- 
parait d'une  grande  partie  de  ses  revenus,  il  avait  reçu 
de  cette  cour  une  réponse  fort  laconique  er  fort  dure. 


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176  REVUE   d'ALSACE 

On    peut    conclure   de   tout   ceci    que   la  politique  de 
Vienne  est  bien  fine  ou  bien  fausse. 

«  L'on  a,  m*assure-t-on,  des  indices  qu'il  7  a  un  peu 
?froidissement  avec  la  Russie,  mais  je  ne  suis  pas 
re  assez  instruit  de  cet  objet  pour  vous  l'assurer, 
icherai  de  découvrir  la  vérité  de  ce  point  très 
essant.  Cependant  les  Russes  ont  enfin  évacué 
)o],  et  les  Autrichiens  ont  dû  y  entrer  le  ï8  de 
lois ...»'). 

^'iire  «®  XLIX  du  duc  d' Aiguillon  en  réponse  a  la 
'  n""  4J  du  prince  de  Rokan.  —  «Compiègne,  le 
ût  1772...  Nous  voyons  avec  plaisir  que  la  pre- 
e  tentative  que  vous  avez  faite  pour  vous  ouvrir 
ques  canaux  secrets  ait  eu  un  succès  aussi  prompt 
issi  heureux.  Nous  nous  reposons  sur  votre  zèle 
ir  votre  dextérité  pour  vous  assurer  de  cette  voie, 
que  votre  correspondant  vous  a  procuré  une  pièce 
secrète  et  aussi  ignorée  que  Test  le  résultat  de 
revue  de  Neisse,  vous  en  obtiendrez  sans  doute 
choses    plus    récentes    et    d'une    utilité   plus    pré- 

\ettre  n"*  5/  du  prince  de  Rokan  au  duc  d'Aiguillon. 
înne,  le  9  août  1772.  Le  moment  actuel,  Monsieur 
uc,  est  un  véritable  état  de  crise  pour  l'Europe  : 
rmentation  d'une  politique  nouvelle  se  fait  sentir 
activité  dans  le  Nord;  trois  puissances  que  les 
êts  mutuels  de  leur  gloire  semblaient  devoir  tenir 
ées,  travaillent  sans  relâche  à  se  rapprocher  et  à 
er  des  liens  dont  la  nature  et  les  vues  peuvent  être 
blés  à  la  tranquillité  générale. 

L'étroite  alliance  de  Pétersbourg  et  de  Berlin, 
que  contraire  aux  vrais  intérêts  de  la  Russie,  deve- 
une  nécessité  pour  cette  dernière,  lorsqu'elle  a  pu 
e  que  la  Maison  d'Autriche   allait   s'élever   contre 


Cfr.  AtNETH,  GtschichU  Maria  Tkensiat^  VIll,  3^9. 


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CORRESP.    ENTRE   D'AIGUILLON    ET   DE   ROHAN  177 

^es  succès  et  réunir  ses  forces  à  celles  des  Turcs  et  des 
Polonais  Confédérés.  La  crainte  de  succomber  et  de  se 
^oir  isolés  a  dû  lui  faire  accepter  toutes  les  conditions 
•du  roi  de  Prusse. 

«  Si  Ton  voulait  juger  aujourd'hui  moins  défavorable- 
ment le  ministère  autrichien,  on  croirait  ce  qu'il  s'efforce 
<en  vain  de  nous  persuader,  que  la  mauvaise  conduite 
de  la  Porte  et  son  inertie,  que  Texécution  prochaine 
des  dangereux  projets  du  roi  de  Prusse  en  Pologne, 
que  l'impossibilité  de  se  procurer  des  secours  pour  s'y 
opposer  efficacement  l'ont  enfin  forcé  à  prendre  le  seul 
moyen  qui  pouvait  entretenir  l'équilibre  et  empêcher 
Ja  trop  grande  prépondérance  de  Pétersbourg  et  de 
Berlin;  et  ce  seul  moyen,  qui  l'aurait  cru,  a  été  d'aban- 
donner le  Turc,  à  qui  la  Maison  d'Autriche  devait  être 
unie  par  les  liens  de  reconnaissance  et  d'un  engagement 
sacré,  de  négliger  la  France,  son  alliée,  qui  a  fait  tous 
les  frais  de  la  dernière  guerre,  de  sacrifier  la  Pologne 
qu'elle  s'était  engagée  de  protéger  et  de  s'unir  aux 
•ennemis  de  cette  république  pour  concourir  avec  eux 
à  une  usurpation  dont  l'injustice  et  les  sinistres  consé- 
quences doivent  exciter  les  cris  et  l'indignation  des 
autres  puissances. 

€  Mille  raisons  me  font  suspecter  la  bonne  foi  de  la 
cour  de  Vienne  dans  l'exposé  de  la  conduite  qu'elle 
nous  dit  avoir  été  forcée  de  tenir,  et  j'ai  lieu  de  croire 
que  c'est  par  d'autres  voies  et  par  d'autres  motifs  qu'elle 
est  parvenue  à  cette  triple  union.  Des  calculs  fondés 
sur  des  faits  actuels  et  des  connaissances  acquises  et 
•combinées  d'après  les  circonstances  qui  ont  précédé  et 
préparé  ce  que  nous  voyons  s'effectuer  me  persuadent 
que  le  système  de  cette  étrange  union  a  été  imaginé, 
rédigé  et  développé  aux  entrevues  de  Neisse  et  de 
Neustadt.  C'était  donc  pour  donner  le  change  et  pour 
se  jouer  de  la  loyauté  de  ses  alliés  que  la  Maison 
d'Autriche  avait  rassemblé  avec  éclat  et  dépense  une 
.armée  en  Hongrie.  C'était  sans  doute  pour  tromper  la 
Porte  et  mieux  abuser  de  sa  crédulité  qu'on  a  transigé 


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178  REVUE   d'aLSACK 

avec  elle  le  6  juillet  1771  et  qu'on  en  a  tiré  des  sommes^ 
considérables.  Comment  caractériser  une  si  étrange  poli- 
tique?») 

«  Quoi  qu'il  en  soit,  la  triple  union  existe.  Toute 
combinaison  sur  la  manière  dont  cette  étonnante  fédé- 
ration s'est  formée  devient  inutile  ;  il  s'agirait  d'en 
pénétrer  les  vues  et  d'en  prévoir  les  effets,  et,  si  son 
but  est  pernicieux,  de  multiplier  les  obstacles  pour  la 
faire  échouer  et  l'empêcher  d'y  parvenir. 

«  Les  vues  actuelles  des  trois  puissances  ne  me 
semblent  plus  équivoques  :  elles  vont  s'agrandir  aux 
dépens  du  Turc  et  de  la  Pologne;  elles  se  garantiront 
mutuellement  leur  nouvelles  acquisitions;  de  là  naîtra 
cette  triple  alliance  dont  les  suites  très  dangereuses  sont 
faciles  à  prévoir.  La  Porte,  affaiblie  par  les  sacrifices 
qu'on  en  exigera,  ne  pourra  plus  former  de  contrepoids- 
à  l'Orient;  le  Danemark  et  la  Suède,  vu  l'état  où  ils 
se  trouvent,  seront  aisément  contraints  à  se  plier  aux 
volontés  des  trois  puissances;  l'Empire  sera  entraîné 
par  son  chef  et  ses  deux  alliés;  on  promettra  à  l'Angle- 
terre et  à  la  Hollande  tous  les  avantages  du  commerce 
de  la  Baltique  et  du  Levant,  pour  les  engager  à  ne 
point  traverser  le  système  de  la  nouvelle  alliance  ;  la 
Maison  de  Bourbon,  forcée  peut-être  d'être  tranquille 
spectatrice  des  effets  de  cette  révolution,  n'aura  plus- 
dès  lors  cette  influence  qui  la  rendait  la  première  puis- 
sance de  l'Europe.  Que  sait-on,  et,  sans  former  les 
conjectures,  n'est-il  pas  à  présumer  qu'outre  le  démem- 
brement de  la  Pologne  et  de  plusieurs  provinces  de  la 
domination  ottomane  on  cherchera  à  réaliser  le  premier 
projet  du  maréchal  de  Lacy  et  qu'on  réduira  à  très- 
peu  de  chose  la  puissance  du  Turc  en  Europe?  Cette 
perspective  doit  paraître  colossale,  mais  naturellement 
elle  n'est  ni  chimérique,    ni    imaginée   par   une  crainte- 


1)  Cfr.  LAVI^SE•RAMBAUD,  Histoire  génircUe  du  iv  siecte  a  nos  jours  ^ 
t.  VII,   p.    5 1 2. 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET   DE    ROHAN  179^ 

excessive.  Tout  concourt  à  développer  les  ressorts  qui 
doivent  donner  l'impulsion  nécessaire  pour  exécuter 
ce  plan. 

«  Un  autre  eftet  qui  doit  encore  en  résulter,  c'est 
de  donner  plus  d'étendue  à  la  prérogative  impériale  et 
d'enchaîner  les  Etats  de  l'Empire  par  des  liens  qu'on 
aura  soin  de  colorer  pour  en  mieux  couvrir  le  danger. 
Je  sais  que  le  roi  de  Prusse  ne  cesse  de  flatter  par  là 
l'amour-propre  de  l'Empereur  et  qu'il  lui  promet  des 
facilités  pour  écarter  tout  ce  qui  pourrait  obscurcir 
l'éclat  qui  doit  environner  le  trône  impérial.  Ce  projet 
même  est  de  consulter  et  de  convoquer  les  Electeurs,, 
de  les  engager  à  s'affranchir  de  toute  inspection  de 
puissance  étrangère,  de  les  associer  au  plan  adopté  par 
les  trois  puissances  et  de  former  de  concert  une  barrière 
impénétrable  contre  quiconque  voudrait  rompre  les 
mesures  que  la  politique  des  trois  cours  aura  cru  devoir 
prendre  pour  la  tranquillité  et  la  gloire  des  deux  empires. 
On  m'a  même  dit  qu'en  se  soustrayant  à  ce  qu'on 
appelle  le  joug  des  garants  du  traité  de  Westphalie, 
on  devait  réunir  la  Poméranie  à  la  domination  prussienne 
et  que  cette  acquisition  serait  le  prix  des  mouvements 
que  la  cour  de  Berlin  se  sera  donnés  pour  libérer 
l'empire  de  ses  chaînes  et  lui  donner  une  existence 
nouvelle.  Telle  est  la  conjecture  du  ministre  de  Suède, 
fondée  sur  les  effets  qui  doivent  probablement  résulter 
d'une  alliance  entre  l'Empereur  et  le  roi  de  Prusse, 
et  ce  ministre  est  un  homme   mesuré    et  très  réfléchi. 

€  Tous  ces  inconvénients  majeurs  m'avaient  intrigué 
sans  m'effrayer,  tant  que  j'en  croyais  apercevoir  le 
remède  dans  la  mobilité  du  caractère  de  Sa  Majesté 
prussienne.  J'imaginais  que,  les  intérêts  de  sa  politique 
et  de  son  ambition  devant  le  rendre  habituellement  le 
rival  et  l'ennemi  de  la  Maison  d'Autriche,  il  nous  serait 
sans  doute  aisé  de  le  détacher  des  cours  de  Vienne  et 
de  Pétersbourg  pour  en  faire  l'appui  de  notre  prépon- 
dérance en  Allemagne.  Ce  que  j'apprenais  de  ses  ouver- 
tures avec  nous  me  persuadait  que  nous  pourrions  ndus^ 


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l8o  REVUE   d' ALSACE 

en  servir  pour  mettre  des  bornes  aux  succès  de  la 
Russie  et  des  entraves  aux  vues  quelconques  de  la 
cour  de  Vienne.  Je  m'étais  même  proposé  de  vous 
faire  part  d*un  projet  que  j'avais  minuté  d'après  ma 
persuasion  :  en  détachant  le  roi  de  Prusse,  tout  rentrait 
'dans  Tordre.  Mais,  depuis  que  je  ne  puis  plus  douter 
de  ce  qui  s'est  fait  à  Neisse  et  à  Neustadt,  que  je  ne 
puis  plus  me  refuser  à  l'évidence  des  liaisons  intimes 
et  très  étroites  du  monarque  prussien  avec  la  cour  de 
Vienne,  qu'il  lui  fait  même  confidence  de  ses  tentatives 
pour  nous  détacher  de  l'alliance,  afin  de  mieux  con- 
vaincre la  Maison  d'Autriche  qu'elle  ne  doit  pas  beau- 
coup compter  sur  la  France,  depuis  que  je  sais  qu'il 
est  l'âme  et  le  promoteur  du  nouveau  système,  que 
-c'est  lui  qui  dissipe  à  Pétersbourg  les  nuages  qui  s'y 
élèvent  de  temps  eu  temps  contre  le  ministère  autrichien, 
qu'il  fait  actuellement  mouvoir  des  ressorts  à  Londres 
pour  entraîner  l'Angleterre  et  détruire  les  batteries  que 
nous  y  avons  ménagées,  qu'il  se  charge,  pour  ainsi  dire, 
<le  rassembler,  de  préparer  les  matériaux  qui  doivent 
servir  de  base  au  nouvel  édifice,  je  vous  avoue.  Mon- 
sieur le  Duc,  que  mes  inquiétudes  ofit  redoublé,  et 
vous  verrez  par  la  pièce  ci-jointe  que  j'ai  su  me  pro- 
curer, si  je  suis  fondé  à  vous  communiquer  mes  craintes 
-et  à  désirer  qu'on  mette  tout  en  œuvre  pour  former 
^ne  contre-ligue.  Le  grand  coup  de  parti  serait  d'en- 
gager l'Angleterre  à  se  liguer  avec  l'Espagne  et  nous 
jjour  contrebalancer  la  prépondérance  des  trois  cours. 
'<^uels  que  puissent  être  les  avantages  que  pourront  lui 
promettre  la  Prusse  et  la  Russie  pour  son  commerce, 
ils  ne  doivent  point  lui  faire  perdre  de  vue  les  suites 
inévitables  d'un  trop  grand  accroissement  de  forces,  de 
ressources  et  de  puissance  dans  le  Nord,  dont  l'Angle- 
terre aura  tôt  ou  tard  à  se  plaindre  et  auquel  elle  ne 
serait  peut-être  plus  en  état  de  remédier.  Son  union 
.avec  la  France  et  l'Espagne,  qui  entraînerait  sûrement 
celle  de  la  Hollande,  en  imposerait  nécessairement,  et, 
jp*iisque  l'amour  de  la  paix  a  gagné,  dit-on,  la  cour  et 


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CORRESP.   ENTRE  D'aIGUILLON    ET    DE   ROHAN  l8l 

le  peuple  de  Londres,  ce  serait  peut-être  le  seul  moyen 
d'empêcher  une  guerre  générale  et  d'assurer  le  repos 
de  TEuropc.  Cette  ligue  pourrait  avoir  lieu  sans  briser 
les  liens  de  notre  alliance  avec  Vienne.  Une  fois  connue 
ou  annoncée,  il  serait  plus  facile  de  ranimer  le  Turc 
par  le  tableau  effrayant  des  dangers  qui  le  menacent; 
la  Suède  ne  deviendrait  pas  si  aisément  la  proie  de  la 
faction  russe,  les  Electeurs  et  princes  de  l'Empire  qui 
sont  nos  amis  auraient  plus  de  force  pour  résister  aux 
insinuations  et  aux  tentatives  qui  pourraient  les  gagner. 
On  n'aurait  sans  doute  pas  de  peine  à  y  réunir  le  roi 
de  Sardaigne.  Quand  les  puissances  ainsi  liguées  auraient 
manifesté  leurs  vues  pour  le  maintien  de  l'équilibre  et 
pour  s'opposer  à  tout  agrandissement  qui  tiendrait  à  le 
rompre,  la  triple-alliance  contrebalancée  par  cette  ligue 
cesserait  sans  doute  d'alimenter  son  ambition;  elle  serait 
forcée  de  ne  point  outrepasser  les  limites  qu'elle  se 
propose  de  franchir,  et  la  Maison  d'Autriche  en  parti- 
culier n'oserait  y  donner  atteinte;  les  Pays-Bas,  le 
Luxembourg,  et  même  ses  possessions  d'Italie  seraient 
trop  à  portée  de  servir  d'otages  et  de  garants;  le  congrès 
n'aurait  point  une  issue  si  brillante  pour  la  Russie;  la 
Pologne  ne  serait  point  démembrée;  les  vastes  projets 
de  l'Empereur,  du  roi  de  Prusse,  de  la  czarine  ne 
seraient  plus  que  de  belles  spéculations;  la  France  aurait 
toute  la  gloire  d'un  arrangement  qui  serait  le  plus  grand 
bien  de  l'humanité. 

<  Tel  est.  Monsieur  le  Duc,  le  résultat  des  combi- 
naisons que  les  circonstances  actuelles  m'ont  mis  à 
portée  de  faire.  Je  sentais  le  besoin  de  vous  faire  part 
de  mes  inquiétudes  et  de  m'entretenir  avec  vous  de 
nos  ressources  dans  ces  moments  si  critiques  et  si  impor- 
tants. J'oserais  même  presque  dire  que  mon  zèle  acquiert 
tous  les  jours  plus  d'activité,  à  mesure  que  les  affaires 
deviennent  plus  épineuses  et  plus  décisives  :  je  sens 
alors  tout  ce  que  peuvent  sur  une  âme  française  et  la 
gloire  du  Roi  et  l'honneur  de  la  Nation.  C'est  à  vous. 
Monsieur  le   Duc,   à   éclairer  ma   marche  et  à  guider 


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482  REVUE   D*ALSACE 

4nes  pas  dans  ma  carrière,  où  Ton  multiplie  sans  cesse 
ies  pièges  et  les  embarras. 

€  La  lettre  particulière  que  je  joins  à  cette  dépêche 
vous  fera  mieux  connaître  Tétat  pénible  de  ma  position. 
Mon  rôle  doit  toujours  être  digne,  et  j'ai  à  traiter  avec 
une  cour  qui  semble  s'être  fait  une  loi  de  nous  dérober 

Ja  connaissance  de  ses  projets,  qui  voile  avec  soin  ses 
liaisons  nouvelles,  qui  s'imagine  que  beaucoup  de  morgue 
■et  de  hauteur  est  le  moyen  d'en  imposer  et  de  se  faire 
respecter,  qui,  sentant  qu'elle  a  manqué  d'égards  pour 
Ain  allié  qui  pourrait  se  faire  craindre,  espère  apaiser 
ses  justes  murmures  en  lui  faisant  de  tardives  et  d'inu- 
tiles confidences;  et  telle  est  sa  conduite  présente,  qu'on 

--dirait  qu'elle  croit  s'acquitter  envers  nous  en  continuant 
à  nous  regarder  comme  son  allié.  On  m'a  assuré  qu'une 
de  ses  réponses  au  roi  de  Prusse,  qui  voulait  la  décider 
il  quelque  démarche  d'éclat,  a  été  :  «  Nous  avons 
encore  des  ménagements  à  garder  avec  la  France  >. 
Une  pareille  réponse  dit  beaucoup  dans  l'état  actuel 
des  choses.  J'ai  l'honneur,  etc.  >. 

P,  S,  du  1 1  août.  —  «11  est,  je  crois,  essentiel.  Mon- 
sieur le  Duc,  que  vous  soyez  instruit  même  des  parti- 
cularités qui,  nous  paraissant  peu  vraisemblables,  peuvent 
peut-être  vous  faire  mieux  apprécier  les  renseignements 
qui  nous  arrivent  d'ailleurs.  Depuis  ma  dépêche  écrite, 
*in  bruit  commence  à  se  répandre  sourdement,  que 
Berlin,  après  avoir  tout  employé  pour  concilier  les  deux 
cours  de  Vienne  et  de  Pétersbourg  et  y  avoir  réussi, 
^e  plaint  actuellement  de  l'une  et  de  Tautre.  Pour 
appuyer   ce  fait,    on    nous   dit    que  le  roi   de  Prusse, 

-craignant   que   la  nouvelle   union   ne    puisse   avoir   le 

..succès  qu'on  en  avait  d'abord  espéré,  enlève  de  la 
Grande  Pologne  et  même  de  la  Prusse  polonaise  la 
récolte,  les  hommes  et  l'argent.  On  ajoute  que  la  czarine 

-  a  dû  signifier  qu'elle  ne  pouvait  se  prêter  aux  préten- 

-tions  trop  étendues  des  deux  autres  cours,  qu'il  fallait 
les  resteindre.  Ce  qui  ne  paraît  pas  douteux,  c'est  que 

%les  Russes  sont  en  force  dans  la  Lithuanie  et  aux  envi- 


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CORRESP.    ENTRE   D*AIGUILLON    ET   DE    ROHAN  183 

'Tons  de  Varsovie,  que  les  Autrichiens  font  passer  deux 
nouveaux  régiments  en  Pologne.  Cependant  le  moment 
du  congrès  ne  paraît  pas  celui  où  Pétersbourg  doive 
indisposer  les  deux  cours  médiatrices.  Son  triomphe 
dépendra  en  partie  de  leurs  bons  offices,  et  elle  est 
4rop  intéressée  à  hâter  ce  moment  pour  faire  naître 
•des  obstacles.  Je  croirais  plutôt  que  ces  sortes  de  bruits 
sont  semés  à  dessein,  pour  que  le  démembrement  qui 
-est  le  but  des  trois  puissances  ne  rencontre  pas  de  diffi- 
-cultés  qui  pourraient  frustrer  leur  ambition.  Je  vous  fais 
part  de  ces  bruits,  Monsieur  le  Duc,  comme  une  preuve 
de  mon  attention  à  ne  rien  laisser  ignorer  au  Roi  de 
tout  ce  qui  peut  avoir  quelque  rapport  essentiel  au 
plan  qu'on  jugera  à  propos  d*adopter,  et  je  vous  répé- 
terai encore.  Monsieur  le  Duc,  que  je  ne  dois  juger 
îes  choses  qu'au  degré  de  vérité  qu'elles  offrent  d'où 
je  puis  les  voir,  parce  que  je  ne  suis  chargé  que  d'un 
point  ». 

A  la  lettre  n®  5 1  est  joint  un  Extrait  (Vwi  Mémoire 

^  envoyé  de  Berlin  à  Vienne  par  le  vtinistre  impérial  van 

Swieten^   il  y  a  six  semaines.   Ce  dernier  énumère  les 

points  du  plan  proposé  par  le  roi  de  Prusse  pour  tran- 

.quilliser  l'Angleterre  sur  le  partage  de  la  Pologne  et 

lui  faire  des  avantages  de  commerce   auxquels  elle  ne 

puisse  pas  se  refuser,  pour  amener  l'Empire  à  applaudir 

-au  plan  de  pacification  entre  la  Russie   et  la  Porte  et 

pour  maintenir  la  tranquillité  en  Allemagne,  enfin  pour 

faire  accéder  les  Hollandais  aux  mêmes  conditions  que 

.l'Angleterre  et  pour  mettre  en  sûreté  les  places-barrières 

dans  les  Pays-Bas. 

Lettre  n^  L  du  duc  d* Aiguillon  en  réponse  à  la  lettre 
n""  48  du  prince  de  Rohan,  —  «Compiègne,  le  11  août 
1772.  J'ai  reçu,  Monsieur,  la  lettre  n<»  48  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m^'écrire  le  29  du  mois  passé... 
Nous  ne  sommes  point  étonnés,  Monsieur,  que  le 
jtninistre  de  Pologne  et  sa  cour  même  ignorent  le  projet 
de  partage  de  ce  malheureux  royaume.  On  n'aura 
besoin  de  la  nation  pour  consommer   cette    opération 


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i84  REVUE  d'alsace 

inique  que  lorsque  tout  sera  terminé  entre  les  trois- 
cours  et  peut-être  après  cela,  et  ce  ne  sera  qu'alors^ 
probablement,  que  le  roi  de  Pologne  sera  formellement 
recherché  sur  cet  objet.  Il  paraîtrait  d'après  des  avis- 
qui  nous  reviennent  que  la  conciliation  des  cours  de 
Vienne  et  de  Berlin  sur  leurs  acquisitions  respectives 
éprouvent  des  obstacles  assez  forts,  tant  pour  la  fixation 
des  limites  en  Pologne  que  pour  certaines  contrées 
voisines  de  l'Etat  autrichien  qu'on  suppose  que  la  cour 
de  Vienne  voudrait  se  faire  adjuger  aux  dépens  des 
Turcs  par  le  traité  de  paix.  Je  crois,  Monsieur,  devoir 
faire  part  de  cette  notion  pour  vous  mettre  sur  la  voie 
de  l'approfondir.  Celle  qu'on  vous  a  donnée  concernant 
le  refroidissement  qu'on  soupçonne  survenu  entre  les 
deux  cours  impériales  mérite  aussi  sans  doute  l'atten- 
tion que  vous  y  donnez ...  Je  joins  ici,  Monsieur,  les 
lettres  de  notification  de  la  naissance  de  M.  le  duc 
d'Enghien  »)  que  M.  le  prince  de  Condé  a  l'honneur 
d'écrire  à  Leurs  Majestés  Impériales.  Vous  voudrez, 
bien  les  remettre  selon  l'usage  et  celle  sur  le  même 
objet  pour  le  roi  de  Pologne  au  ministre  de  ce  prince 
à  Varsovie  >. 

Lettre  n?  5^  du  prince  de  Rohan  au  duc  d'Aiguillon» 
«Château  impérial  d'Eckartsau,  le  22  août  1772.  J'ai 
cru.  Monsieur  le  Duc,  pouvoir  quitter  Vienne  dans 
ce  moment  pour  passer  quelques  jours  au  château 
d'Eckartsau,  dont  Leurs  Majestés  Impériales  ont  bien 
voulu  me  donner  la  jouissance.  Il  ne  me  faut  que  trois 
heures  pour  aller  à  Vienne.  Je  m'y  rendrai  après-demain^ 
Il  y  aura  appartement  à  Schœnbrunn  pour  l'heureux 
accouchement  de  la  grande-duchesse.  Je  ne  reviendrai 
pas  sans  avoir  fait  la  démarche  que  le  Roi  désire^ 
auprès  du  vice- chancelier  de  l'Empire  pour  la  confir- 
mation   de  la    convention    que    vous    avez    signée    le 


i)  Le  même  qui  pendant  la  Révolution  se  réfugia  à  Ettenheim,   ]» 
'résidence  du  cardinal  de  Rohan,    d^où   il    ifut    enlevé    le   15  mars   1804. 
pour  être  fusillé  à  Vincennes  le  20  du  même  mois. 


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CORRESP.   ENTRE  d'aIGUILLON    ET   DE   ROHAN  185. 

24  mai  dernier,  que  je  viens  de  recevoir  avec  la  lettre 
n**  XLVIII,  que  vous  m'avez  fait  Thonneur  de  m'écrire 
le  s  de  ce  mois.  (Il  s'agit  des  limites,  du  commerce 
mutuel  et  de  la  liberté  des  communications  entre  la 
France  et  le  territoire  du  prince-évéque  de  Liège). 
J'espère  que  cette  confirmation  ne  souffrira  point  de 
difficulté.  Je  ferai  usage  de  toutes  les  raisons  détaillées 
dans  votre  lettre  pour  l'expédition  de  cette  affaire  qui 
est  également  utile  à  l'Empire,  au  pays  de  Liège  et  à 
la  France.  J'ai  Thonneur,  etc.  >. 

Lettre  n^  55  du  prince  de  Rohan  au  duc  d' Aiguillon^ 
Vienne,  le  29  août  1772.  L'ambassadeur  ne  pouvant 
pas  fournir  au  ministre  tous  les  renseignements  que  ce 
dernier  désirait,  il  ajoute  :  «  Malgré  mes  liaisons  multi- 
pliées et  mes  perquisitions,  on  ne  découvre  que  Pincer- 
titude  et  souvent  que  l'inquiétude.  J'ai  employé  et 
j'emploie  encore  tous  les  moyens  possibles  pour  pénétrer 
les  vues  de  la  politique  autrichienne.  Tout  continue  à 
me  persuader  que  les  trois  cours  unies  ont  bien  des 
projets,  mais  aucun  plan  arrêté,  et  que  ce  ministère 
ne  sait  pas  encore  lui-même  quelle  pourra  être  l'issue 
de  ses  vues  nouvelles  et  de  ses  nouvelles  liaisons». 

Lettre  tt^  §6  du  i>rince  de  Rohan  au  duc  d'Aiguillon^ 
€  Vienne,  le  3  septembre  1772.  La  malheureuse  Po- 
logne, Monsieur  le  Duc,  est  donc  aujourd'hui  la  proie 
des  trois  puissances  qui  se  sont  concertées  pour  la 
démembrer  »).  Les  discussions  pour  arriver  enfin  au  plan 
qui  vient  d'être  arrêté  ont  été   vives.    Il   a  fallu   toute 


l)  Le  traité  de  partage  fut  définitivement  signé  à  Saint-Pétersbourg- 
Je  5  août  1772.  Cfr.  Abneth,  Geschichte  Maria  Theresias^  VIII,  p.  389;. 
Ad.  Bber,  du  ersU  Theilung  l'oiens^  II,  p.  191  ;  Fréoéric  II,  Mémoires 
depuis  la  paix  de  Hubertsbourg,  H^J^  jusqu'à  la  fin  du  partage  de  Ut 
J*ologney  mSt  dans  les  œuvres  historiques  de  Frédéric  II,  roi  de 
Prusse,  éd.  Preuss.,  VI,  p.  46;  Manso,  Geschichte  des  preussischen  Staates^ 
I,  p.  35;  DK  Smitt,  Frédéric  //.  . .  Collection  de  documents,  p.  160- 
166;  SCHLOSSFR,  Geschichte  des  achtzehnten  Jahrhunderts,  III,  p.  243;. 
Martens,  Recueil  des  principaux  traités^  t.  II,  p.  93  ;  Angbberg,. 
A'ecueil  des  traités  et  conventions  concernant  la  /'ologne^  P-  97;  l-^ttrer 
particulières  du  baron  de  Vioménil  sur  les  affaires  de  Pologne^  p.  137» 
ReoM  d'AUace,  1907  18 


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l86  REVUE   d' ALSACE 

l'activité  du  roi  de  Prusse  et  toute  son  habileté  pour 
dissiper  les  nuages  qui  s'élevaient  sans  cesse  à  Péters- 
bourg  et  qui  ont  quelquefois  fait  craindre  un  orage. 
Le  partage  décidé  à  Berlin  et  à  Pétersbourg  vient  d'être 
ratifié  par  Vienne.  Le  prince  de  Kaunitz  dépêche  un 
■courrier  à  M.  de  Mercy  pour  vous  l'annoncer,  et  ce 
ministre  m'a  témoigné  en  me  l'apprenant  qu'il  désirait 
que  leur  ambassadeur  eût  le  mérite  de  cette  annonce. 
J'ai  mandé  avant-hier  la  nouvelle  de  ce  démembrement 
à  Constantinople,  à  Stockholm  et  à  Danzig.  L'inaction 
<ies  cours  intéressées  à  empêcher  cette  usurpation  a 
sans  doute  décidé  les  trois  puissances  à  ne  plus  la 
différer.  Ce  que  vous  voulez  bien  me  dire  dans  votre 
lettre  particulière  sur  la  manière  dont  vous  envisagez 
par  rapport  à  nous  le  démembrement  ou  l'intégrité  de 
la  Pologne  ne  me  tranquillise  pas  encore  sur  les  suites 
dangereuses  de  cet  accroissement  de  puissance  qui 
rendra  nécessairement  les  trois  cours  plus  prépondé- 
rantes et  plus  redoutables.  Je  ne  répéterai  point  ici 
toutes  les  réflexions  détaillées  que  j'ai  eu  Thonneur  de 
vous  communiquer  depuis  les  premiers  jours  de  mars 
sur  les  conséquences  de  cette  triple  union,  et  je  crains 
toujours  la  réalité  des  projets  dont  j'ai  parlé  dans  ma 
lettre  n'*  51  du  9  août  dernier.  Depuis  la  publicité  de 
-ce  concert  si  étrange  et  qui  doit  tôt  ou  tard  donner 
atteinte  à  l'équilibre,  je  n'ai  pu  vous  rien  dire  de  positif 
sur  les  portions  qui  seraient  assignées  à  chaque  puis- 
sance :  elles  ne  le  savaient  pas  elles-mêmes.  D'ailleurs 
rien  ne  s'est  traité  ici.  Les  décisions  sont  toujours 
venues  de  Pétersbourg  et  de  Berlin,  et  je  crois  pouvoir 
assurer  que  j'ai  mandé  tout  ce  qu'il  était  possible  de 
savoir  du  point  où  je  suis.  Le  ministère  autrichien 
s'étant  fait  une  loi  de  nous  voiler  ses  démarches  et  de 
nous  garder  le  secret  de  sa  nouvelle  politique,  j'ai 
<:herché  à  y  suppléer  par  le  rapprochement  et  la  com- 
binaison des  faits  dont  je  me  procurais  la  connaissance, 
■et  vous  avez  bien  voulu.  Monsieur  le  Duc,  me  dire 
plusieurs  fois,  et  même  tout  récemment,  que  mes  notions 


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CORRESP.   ENTRE   d'aIGUILLOîI   ET   DE   ROHAN  lS^ 

étaient  intéressantes,  qu'elles  serviraient  à  guider  vos 
démarches  et  que  le  Roi  était  content  de  mon  activité 
-et  de  mon  zèle . . .  Sans  doute  que  M.  de  Mercy,  comme 
me  Ta  dit  le  prince  de  Kaunitz,  est  chargé,  Monsieur 
le  Duc,  de  vous  faire  part  du  traité  de  partage  qui 
vient  d'être  conclu  et  ratifié.  Malgré  le  secret  que  le 
ministre  m'a  prié  de  garder  encore  quelque  temps  sur 
cette  ratification,  il  se  répand  déjà  que  le  roi  de  Prusse 
doit  avoir  la  Prusse  polonaise,  le  palatinat  de  Culm, 
Danzig  et  Thorn  exceptés,  qui  resteront  libres,  la  War- 
mie  et  cette  partie  de  la  Grande  Pologne  ou  du  palatinat 
de  Posnanie  qui  se  trouve  entre  la  Poméranie  brande- 
bourgeoise  et  la  rivière  de  Netze;  que  les  frontières  de 
la  Russie  vers  la  Lithuanie  seront  la  rivière  de  Wilia 
qui  passe  à  Wilna,  depuis  sa  source  jusqu'à  sa  chute 
<ians  le  Niémen  et  la  rivière  de  Bérésina  depuis  sa 
source  jusqu'à  son  confluent  dans  le  Dnieper.  On  ajoute 
que  tout  ce  nouveau  pays  doit  s'appeler  Nouvelle 
Russie  et  que  le  gouvernement  sera  à  Mohilew.  On 
donne  à  la  Maison  d'Autriche  les  salines,  toute  la  rive 
droite  de  la  Vistule  depuis  Biala  jusqu'au  confluent  du 
Wieprz  dans  la  Vistule,  les  palatinats  de  Lublin,  de 
Belcz,  une  partie  de  celui  de  Volhynie  jusqu'à  la  rivière 
de  Slutsch,  une  partie  de  la  Podolie  jusqu'à  Kami- 
niek  >  i). 

Le  4  septembre  l'ambassadeur  continue  la  lettre 
précédente  et  annonce  que  la  cour  de  Vienne  fait 
passer  des  troupes  sur  les  frontières  de  la  Hongrie: 
elle  veut  ou  faire  de  nouvelles  acquisitions  ou  décider 
les  Turcs  à  donner  satisfaction  à  la  Russie.  Les  maré- 
chaux polonais  ont  recouvré  leur  liberté  sans  condition. 
On  a  même  rendu  à  M.  de  Pac  les  effets  qu'on  lui 
avait  saisis.  L'Empereur  doit  faire  un  voyage  en  Flandre 
ou  ailleurs.  «  Le  prince  de  Kaunitz  est  parti  hier  pour 
Austerlitz.   Il  compte  y  passer  le  reste  de  ce  mois.    Il 


l)  Cfr.  HiMLY,  Formation  UrritoriaU  des  Etats  de  C Europe  centrait^ 
p.  4S9. 


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i88  REVUE  d'alsace 

m'a  fait  entendre  que  son  cab'net  ne  l'occuperait  pas^ 
beaucoup  pendant  son  séjour.  La  cour  va  à  Laxem-^ 
bourg;  les  ministres  sont  tous  dispersés  dans  leurs- 
impagnes.  J'irai  à  Austerlitz  pour  ne  pas  perdre  le  fil 
es  affaires,  et  de  là  je  profiterai  de  l'occasion  pour 
3ir  la  Bohême  et  aller  chez  les  princes  de  Paar  et 
'Auersperg,  dont  les  terres  ne  sont  qu'à  une  journée- 
Austerlitz  >  »).  Le  comte  Dietrichstein  2)  est  parti  pour 
erlin.  Le  prétexte  est  de  remercier  le  roi  de  Prusse 
e  4  chevaux  que  ce  prince  lui  a  envoyés,  mais  on 
)upçonne  qu'il  est  chargé  d'une  commission  secrète3). 
.vant  de  partir  il  est  resté  enfermé  toute  une  journée- 
rec  le  maréchal  de  Lacy.  «  Cette  petite  anecdote  qui 
araît  peu  intéressante,  pourrait  servir  à  prouver  l'in- 
fUigence  qui  continue  à  régner  entre  l'Empereur  et  le 
►i  de  Prusse  >. 

L'ambassadeur  joint  à  cette  lettre  les  Réflexions  qui' 
li  ont  été  remises  par  l'envoyé  de  Pologne  sur  le  lot 
ni  doit  écheoir  au  roi  de  Prusse  dans  le  partage. 

Lettre  «°   LUI  du  duc  d' Aiguillon  en  réponse  à  la 

ttre  n^   5/   du  prince   de    Rokan,    —    «  Versailles,   le 

septembre  1772.  Votre  courrier,  Monsieur,  m'a  remis,^ 

20  du  mois  dernier,    l'expédition    dont   vous   l'aviez 

large,    et   notamment   la   dépêche  n°  51   du  9  de  ce 

ois  et  votre  lettre  particulière  du   13. 

«  Le  Roi  et  son  conseil   ont  applaudi   au  zèle  que- 

Dus  manifestez  dans  la   manière  dont  vous   établissez 

position  actuelle  des  affaires  générales,  conformément 

votre  façon  de  les  envisager,  ainsi  que  dans  l'exposé 

îs  moyens  que  vous  proposez  pour  empêcher  l'exé- 


1)  Cfr.  ZORN   DE  BULACH,    D Ambassade    du  prince   de   Rohan,., 
72-78. 

2)  Grandécuyer  de  Joseph  II. 

3)  <  Il  y  a  quelques  jours,    écrivit    Frédéric    II    lui-même    au  comte 
Solms  le  30  août   1772,  «  que  j*ai  vu  à  Neisse  le  comte  Dietrichstein, 

li,  à  ce  que  je  crois,  y  a  été  envoyé  pour   me  sonder  >.  (Db  SmitT,. 
'edéric  II. ,,  Collection  de  documents,  p.   168). 


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CORRESP.   ENTRE   d' AIGUILLON   ET   DE   ROHAN  189 

•cution  du  concert  qui  subsiste  entre  les  cours  de  Vienne, 
•de  Saint-Pétersbourg  et  de  Berlin. 

<  Sa  Majesté  trouve  bon  que  ses  ambassadeurs  fassent 
.à  sa  sagesse  Thommage  des  réflexions,  des  vues  et  des 

projets  que  peut  leur  inspirer  l'observation  attentive  et 
suivie  des  événements  qui  se  passent  sous  leurs  yeux  ; 
mais  ce  qu'Elle  désire  principalement  de  leur  part,  c'est 
de  constater  les  faits,    ainsi  que  les  desseins  des  cours 

-où  ils  se  trouvent;  ce  n'est  que  par  ces  découvertes 
que  Sa  Majesté  peut  avoir  une  base  solide,  sur  laquelle 
il  soit  possible  d'appuyer  des  résolutions  vraiment  utiles 

-à  sa  gloire  et  au  bonheur  de  ses  peuples. 

«  Si  cette  marche,  Monsieur,  fut  jamais  sage  et 
nécessaire,  c'est  dans  l'état  critique  où  se  trouve  toute 
la  partie  orientale  de  l'Europe.  Quelques  faits  publics 
-et  quelques  demi-confidences  mettent  bien  sur  là  voie 
-des  projets  que  l'union  surprenante  des  trois  cours 
^réciproquement  rivales  peut  avoir  pour  objet;  mais 
notre  allié  même  s'obstinant  à  s'envelopper  dans  un 
profond  mystère,  tous  nos  soins  doivent  tendre  à  le 
pénétrer.  C'est  par  cette  raison.  Monsieur,  que  nous 
n'avons  cessé  de  vous  inviter  à  faire  usage  de  tous  les 
moyens  possibles  pour  constater  la  nature  et  Tétendue 
•du  concert  particulier  et  commun  des  trois  cours,  soit 
;par  rapport  à  la  paix  entre  la  Russie  et  la  Porte,  soit 
par  rapport  à  toutes  les  branches  qui  peuvent  tenir  au 
système  monstrueux  de  politique  que  l'union  de  ces 
cours  parait  sur  le  point  de  réaliser,  soit  enfin  sur  les 
semences  de  division  et  de  brouillerie  que  la  discussion 
-d'intérêts  si  compliqués,  si  délicats  et  si  importants 
^semble  devoir  faire  éclore. 

<  En  cherchant.  Monsieur,  des  points  d'appui  pour 
.asseoir  votre  jugement  sur  tant  d'objets  d'une  impor- 
tance majeure,  nous  voyons  dans  votre  dernière  dépêche 
Je  développement  d'un  système  conjectural  qui  se  trou- 
vait déjà  annoncée  dans  la  lettre  du  sieur  abbé  Georgel 

ji'*  40  du  27  juin  et  que  vous  appuyez  aujourd'hui  sur 


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IÇO  REVITE    D'ALSACE 

plusieurs  faits  présupposés.  Leur  importance  exige  que^ 

nous  reprenions  ici  les  principaux. 

«  1°  Vous  dites  que  des  calculs  fondés  sur  des  faits^ 

actuels  et  des  connaissances  acquises  et  combinées^ 
rès  les  circonstances  qui  ont  précédé  et  préparé  ce- 
nous  voyons  s'effectuer  vous  persuadent  que  le 
?me  de  cette  étrange  union  a  été  imaginé,  rédigé 
éveloppé  aux  entrevues  de  Neisse  et  de  Neustadt. 
i  Vous  remarquez  ensuite  que  la  triple  unioa 
tant,  toute  combinaison  sur  la  manière  dont  elle 
formée  devient  inutile.  Mais  le  Roi  n'en  juge  pas- 
i,  Monsieur,  et  Sa  Majesté  croit  qu'il  importe  autant 
lus  de  connaître  les  procédés  secrets  qui  constatent 
principes  de  ses  alliés  et  qui  peuvent  seuls  fonder 
onfiance  et  sa  sécurité  que  de  découvrir  leurs  vues 
îurs  projets  actuels.  Sa  Majesté  désire  en  consé- 
ice,  Monsieur,  que  vous  mettiez  sous  ses  yeux  le 
eau  détaillé  des  faits  actuels  et  des  connaissances 
lises  et  combinées  qui  fondent  votre  assertion  sur 
►oint. 

[  Nous  n'avons  à  la  vérité  point  perdu  de  vue 
trait  des  conventions  arrêtées  à  la  conférence  de  Neisse ^ 
vous  avez  fait  passer  en  dernier  lieu;  mais  tant 
probabilités  se  réunissent  pour  en  combattre  le  con- 
[,  que  le  Roi  ne  pourra  prendre  une  opinion  arrêtée 
ît  égard  que  lorsque  vous  lui  aurez  indiqué  la  source 
laquelle  cette  pièce  importante  vous  est  parvenue 
3  degré  de  croyance  qu'elle  peut  mériter, 
f  2®  Je  dois,  Monsieur,  vous  répéter  la  même  obser- 
Dn  relativement  à  X Extrait  d'un  mémoire  du  baron 
^wietefi^  que  vous  avez  joint  à  vos  dépêches  et  dont 
ontenu  paraît  fonder  vos  conjectures  ou  plutôt  votre 
ment,  lorsque  vous  dites  que  les  vues  actuelles  des 
r  puissances  que  vous  détaillez  ne  vous  paraissent 
équivoques. 

i  y  Vous  dites  ensuite,   Monsieur,   que  vous  save^ 

le  roi  de  Prusse  ne  cesse  de  flatter  l'amour-propre 

l'Empereur    et   qu'il   lui    promet  des  facilités   pour 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET   DE   ROHAN  I91 

écarter  tout  ce  qui  pourrait  obscurcir  l'éclat  qui  doit 
environner  le  trône  impérial,  et  vous  ajoutez  que  le 
projet  même  est  de  consulter  et  de  convoquer  les  Elec- 
teurs, de  les  engager  à  s'affranchir  de  toute  inspection 
étrangère,  de  les  associer  au  plan  adopté  par  les  trois 
puissances  et  de  récompenser  le  roi  de  Prusse  par 
l'acquisition  de  la  Poméranie. 

t  Un  plan  aussi  étendu  et  aussi  rempli  de  difficultés 
et  d'invraisemblance  dans  son  ensemble  et  dans  ses 
détails  ne  peut  être  envisagé  comme  réel  que  sur  des 
preuves  positives,  et  la  manière  dont  vous  l'annoncez 
semble  les  présupposer.  Le  Roi  a  le  plus  grand  intérêt 
et  le  plus  grand  désir  de  connaître  en  détail  le  motif 
de  vos  assertions. 

€  4®  Enfin,  Monsieur,  un  autre  passage  de  votre 
lettre  porte  que  vous  savez  que  c'est  le  roi  de  Prusse 
qui  est  Tàme  et  le  promoteur  du  nouveau  système,, 
que  c'est  lui  qui  dissipe  à  Pétersbourg  les  nuages  qui 
s'élèvent  contre  le  ministère  autrichien  et  qu'il  fait 
actuellement  mouvoir  des  ressorts  à  Londres  pour  entraî- 
ner l'Angleterre.  Ce  sont  encore  des  faits,  sur  lesquels 
vous  voudrez  bien  fixer  notre  jugement  de  la  manière 
la  plus  positive  qu'il  vous  sera  possible.  Vous  jugerez. 
aisément.  Monsieur,  que  les  bruits  dont  vous  rendez 
compte  par  \o\xe  post  scriptum  et  dont  vous  ne  paraissez 
pas  rejeter  la  probabilité,  achèvent  de  rendre  indispen- 
sables les  éclaircissements  que  nous  vous  demandons,, 
afin  de  n'être  pas  détournés  par  de  fausses  nouvelles,, 
semées  peut-être  à  dessein,  ainsi  que  vous  le  remarquez,. 
de  la  croyance  de  faits  qui  seraient  constatés  et  sur 
lesquels  les  parties  intéressées  pourraient  s'efforcer  de 
donner  le  change. 

«  Nous  connaissons,  Monsieur,  votre  zèle,  et  votre 
application  est  garante  que  vous  remplirez  une  tâche 
aussi  intéressante  et  aussi  nécessaire,  à  la  satisfaction 
de  Sa  Majesté. 

<  Quant  au  système  quElIe  peut  suivre  dans  la 
crise  actuelle.  Elle  n'a  rien  à  changer  aux  instructions 


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192  REVUE  D  ALSACE 

purement  passives  dont  Elle  vous  a  jusqu'ici  muni* 
Vous  êtes  d'ailleurs  déjà  prévenu  que  la  base  de  Sa 
conduite  porte  sur  la  conservation  de  la  tranquillité 
générale  et  sur  celle  de  son  alliance  avec  la  cour  de 
Vienne.  Je  ne  puis,  Monsieur,  que  vous  répéter  qu'Elle 
persiste  dans  cette  façon  de  penser.  Il  est  essentiel  que 
vous  veuilliez  bien  l'avoir  continuellement  présente,  afin 
que,  quelles  que  puissent  être  intérieurement  vos  con- 
jectures et  vos  spéculations  politiques,  votre  conduite 
et  votre  langage  ne  s'écartent  jamais  extérieurement 
du  but  que  la  sagesse  et  Thumanité  du  Roi  l'engagent 
à  se  marquer  à  lui-même. 

«  J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  sincère  attachement, 
Monsieur,  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

Le  duc  d'Aiguillon  ». 

Lettre  «°  ^j  du  prince  de  Rohan  au  duc  d^ Aiguillon^ 
€  Austerlitz,  le  9  septembre  1772.  On  parle  peu  affaire 
ici.  Monsieur  le  Duc  ;  le  prince  de  Kaunitz  parait  n'avoir 
que  celle  d'amuser  ses  hôtes  et  de  présider  aux  embel- 
lissements de  sa  terre.  Je  crois  en  effet  que  depuis  la 
ratification  du  traité  de  partage,  ce  ministre  croit  pou- 
voir donner  à  ses  délassements  le  temps  qui  sera  néces- 
saire à  M.  le  baron  de  Binder  •)  pour  rédiger  le  manifeste 
que  la  Maison  d'Autriche  doit  oublier  incessamment  2)« 
C'est  M.  le  comte  de  Pergen  qui  doit  être  député  pour 
prendre  possession  du  nouveau  pays  et  qui  résidera, 
-dit-on,  à  Léopol  avec  la  qualité  de  gouverneur  3).  J'ai 
tenté  plusieurs  fois,  comme  par  manière  de  conver- 
sation, de  faire  parler  M.  de  Kaunitz  sur  ce  singulier 
partage.  Il  faut  que  la  matière  ne  lui  plaise  pas;  car 
il   l'a   toujours    éludée,    il    m'a    seulement  répété   qu'il 


1)  Sous-chef  de  la  chancellerie  d^Etat  à  Vienne. 

2)  Cfr.  Ad.  BSER,  Die  ersU  Thiilung  t^oUns^  II,  p.  198;  NUkTkNS, 
Recueil  des  principaux  traités^  t.  il,  p.  97. 

3)  Cfr.  Ad.  Bebr,  op.  cit.,  p.  204  ;  Gfôrbr,  Geschichte  dis  achttehn' 
Un  Jahrhunderts^  IV,  zweite  Abtheilung,  p.  148;  Arnkth,  GetckickU 
Maria  Theresias^  VIII,  p.  396. 


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CORRESP.   ENTRE  D'AIGUILLON   ET   DE  ROHAN  I93 

jx'avait  encore  confié  qu'à  nous  la  ratification.  Je  n'ai 
pu  m'empêcher  de  lui  dire  que  c'était  une  nouvelle 
publique.  Ce  ne  peut-être,  a-t-il  ajouté,  qu'un  soupçon, 
qui,  à  la  vérité,  s^est  fort  accrédité  ;  mais  on  ne  sait 
-sûrement  pas  les  détails  que  M.  de  Mercy  a  commu- 
niqués- > . 

L'ambassadeur  croit  que  la  triple  union  ne  durera 
pas  ;  €  et  il  est  certainement  à  désirer  pour  le  système 
-de  l'équilibre  et  pour  la  liberté  du  Nord  que  ces  trois 
puissances  se  divisent  plutôt  que  de  rester  trop  étroite- 
•ment  unies  >  >). 

fA  suivre).  D^  L.  Ehrhard. 


1)  C'était  aussi    l'avis   da   roi    Louis   XV»    Cfr.    Flassan,    Histoire 
générale  et  raisonnét  di  la  diplomatie  française^  VII,  p.  90. 


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NÉCROLOGIE  195. 

la  langue  pittoresque  et  savoureuse  du  terroir.  Entre  autres  le 
juge  de  paix  et  la  directrice  des  écoles  normales  de  Colmar^ 
qui  fréquentaient  assidûment  notre  maison,  y  apportaient  sou- 
vent, comme  regain  de  leurs  pénibles  fonctions,  quelque  anec- 
dote naïve  ou  piquante,  qu'ils  contaient  et  mimaient  avec  une 
verve  communicative.  C'est  dans  ce  milieu  que  j'ai  grandi . . . 
Tels  furent  mes  premiers  témoins,  morts  depuis  longtemps  à 
l'heure  où  j'ai  formé  le  projet  d'utiliser  mes  souvenirs ...  ». 
Dans  la  préface  de  sa  Grammaire  comparée  de  f  allemand  et 
de  r anglais  il  disait  déjà  :  «J'aime  à  me  souvenir  que  la  notioD 
inconsciente  des  lois  phonétiques  s'est  éveillée  chez  moi  dès 
l'enfance,  par  le  seul  fait  que  j'apprenais  l'allemand  à  l'école 
et  que  j'entendais  parler  autour  de  moi  le  patois  colmarien  ». 

Si  nous  avons  cru  devoir  insister  sur  ces  premières  années,, 
c'est  qu'elles  nous  livrent  le  secret  de  ses  aptitudes  et  nous 
révèlent  les  premiers  balbutiements  de  ce  maître  passé  en  fait 
de  linguistique.  Elles  nous  expliquent  également  le  retour 
constant  de  sa  pensée  vers  le  pays  d'Alsace,  si  nous  ne  savions 
.  d'autre  part  de  quel  amour  passionné  il  lui  était  attaché.  IL 
lui  en  donna  mainte  preuve,  le  jour  surtout  où  il  dédia  à  sa 
ville  natale  Touvrage  qui  porte  pour  titre  :  Grammaire  et 
Lexique  du  dialecte  de  Colmar  (1900).  Cette  œuvre  est  un 
modèle  du  genre  et  restera  comme  un  document  précieux 
pour  la  linguistique  en  général  et  l'Alsace  en  particulier.  Les 
notes  qu'il  y  a  semées  montrent  d'une  façon  touchante  com- 
bien  il  avait  la  religion  du  souvenir.  Son  patriotisme  rappelait 
celui  des  anciens  Romains  :  il  était  farouche.  Depuis  la  guerre 
il  n'avait  franchi  les  Vosges  qu'une  ou  deux  fois,  et  encore 
était-ce  pour  des  cas  de  force  majeure.  L'inattention  qu'il 
affectait  quand  on  venait  à  lui  parler  de  la  situation  politique^ 
lui,  l'homme  courtois  et  attentif  par  excellence,  prouvait  com- 
bien ce  sujet  de  conversation  le  peinait. 

Cependant  Henry  ne  s'en  tenait  pas  à  l'étude  des  formes 
de  langage  du  terroir.  Nous  avons  dit  que  dès  ses  premières 
années  et  parallèlement  au  français  et  à  l'allemand,  il  appre- 
nait l'allemand  et  l'anglais  ;  il  n'avait  pas  tardé  à  y  ajouter^ 
avec  le  latin  et  le  grec,  l'italien  et  l'espagnol  qu'il  apprit  e» 
se  jouant  et  qu'il  parlait  en  quittant  les  bancs  du  collège.  Aa 
sortir  du  lycée  il  commença  ses  études  de  droit  à  Strasbourg. 

Sa  situation  de  famille  le  dispensait  du  service  militaire;. 
mais,  au  moment  de  la  guerre,  il  pensa  s'acquitter  de  scs- 


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196  REVUE   D'ALSACE 

<ievoirs  envers  la  patrie  sous  une  autre  forme,  en  se  chargeant, 
à  la  rentrée  du  lycée,  de  la  chaire  d'histoire  que  l'absence  du 
titulaire  rendait  vacante.  Mais  au  bout  de  quelques  semaines 
l'établissement  fut  fermé  par  ordre,  et  tout  le  personnel  dut 
prendre  le  chemin  de  l'exil,  sans  excepter  le  jeune  professeur 
bénévole,  l'unique  consolation  de  sa  mère  infirme.  Après  la 
paix,  il  se  fit  inscrire  au  barreau  de  Saint-Etienne.  Au  mois 
-d'août  1872,  il  fut  reçu  docteur  en  droit  à  Dijon,  avec  sa  thèse: 
De  la  possession  prétorienne  et  les  Interdits  possessoires.  Etude 
^sur  les  actions  dans  les  sociétés  commerciales.  Il  se  rendit  alors 
-à  Paris  pour  préparer  son  agrégation  ;  mais  il  finit  par  recon- 
naître que  sa  vocation  ne  le  portait  pas  vers  la  jurisprudence, 
-et,  en  décembre,  il  accepta  un  modeste  poste  de  professeur 
•d'économie  politique,  de  géographie  commerciale  et  de  légis- 
lation usuelle  à  l'Institut  industriel  du  Nord  de  la  France  à 
Lille. 

Dès  qu'il  fut  maître  de  son  enseignement,  il  revint  à  l'étude 
'des  langues;  il  apprit,  au  simple  point  de  vue  de  la  grammaire, 
Je  néerlandais,  les  langues  romanes  qui  lui  manquaient  encore, 
les  langues  Scandinaves  et  le  russe,  même  quelque  peu  les 
.langues  sémitiques,  les  idiomes  ouralo-altaïques  et  ceux  de 
l'Asie  orientale.  Tout  en  grossissant  son  trésor,  le  jeune  poly- 
.^lotte  se  doutait  à  peine  alors  de  l'objet  de  la  linguistique  : 
l'étude  comparée  de  la  structure  des  langues.  Un  travail  inces- 
sant et  ses  relations  avec  quelques  savants,  entre  autres  avec 
M.  Lucien  Adam,  le  promoteur  des  Congrès  américanistes  à 
î^ancy,  lui  montrèrent  sa  voie  définitive.  Depuis  lors,  c'est  une 
^uite  ininterrompue  de  publications,   dont   le  titre  seul  suffit 
pour   montrer  l'étonnante   variété   des   aptitudes  de  Henry. 
Après  une  Note  sur  les  possessions  anglaises  et  françaises  de 
Ja   Sénégambie  et  de  la  Guinée  (1876),    il   fit  paraître  :  Le 
Quichua  est-il  une  langue  aryenne  è  Examen  critique  du  livre 
uie  D,  V.  F.  lopez  :  •  Les  races  aryennes  du  Pérou  »  (1878)  ; 
Esquisse  d'une  grammaire  de  la  langue  Innok  (eskimo)  (1878); 
Esquisse  d'une  grammaire   raisonnée  de  la   langue   aléoute 
v^i879);  Les  trois  racines  du  verbe  t  être  *  dans  les  langues 
indo-européennes  (1878);    en   collaboration   avec   M.   Adam, 
Arte  y  vocabulario  de  la  langua  Chiquita  (1880)  ;  Note  sur  le 
parler  des  hommes  et  le  parler  des  femmes  dans  la  langue 
Chiquita  (1882);    Etudes  afghanes  (1882);    La  distribution 
géographiques  des  langues  (1882).  En  même  temps  il  composait 


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NÉCROLOGIE  I97 

la  première  série  de  ses  Esquisses  morphologiques  qui  parurent 
simultanément  à  Louvain  et  à  Lille  ou  Douai.  En  1877,  ^^ 
titre  de  membre  de  la  Société  des  sciences  de  Lille  Tavait 
encouragé  à  poursuivre  ses  travaux. 

£n  1879,  ""  changement  dans  les  programmes  menaçant 
sa  position  à  l'Institut  industriel,  Victor  Henry  songea  à  tirer 
parti  de  ses  études  linguistiques  pour  entrer  dans  l'Université, 
et,  en  1880,  il  passa  sa  licence  ès-lettres  à  Douai.  Presque  en 
même  temps  la  ville  de  Lille  le  nommait  son  bibliothécaire. 
En  mai  1883,  il  fut  reçu  à  l'unanimité  docteur  ès-lettres  à  Paris. 
La  thèse  latine  était  intitulée  :  De  sermonis  humani  origine  et 
natura  M,  Terentius  Varro  quid  senserit;  la  thèse  française  : 
Etude  sur  ^analogie  en  général  et  sur  les  formations  analo^ 
giques  de  la  langue  grecque.^  fit  aussitôt  connaître  l'auteur  au 
loin  ;  en  Allemagne,  il  est  vrai,  les  critiques  se  mêlèrent  aux 
éloges,   mais  en  Angleterre  l'applaudissement  fut  général. 

En  France  l'Académie  des  inscriptions  et  belles-lettres  lui 
décerna,  en  1884,  le  prix  Volney,  et  son  livre  fut  également 
couronné  par  l'Association  pour  l'encouragement  des  études 
grecques.  A  la  rentrée,  Henry  fut  chargé  d'un  cours  complé- 
mentaire de  philologie  classique  et,  en  1886,  nommé  pro- 
fesseur-adjoint à  la  faculté  des  Lettres  de  Douai,  qu'il  suivit 
en  1887  quand  elle  fut  transférée  à  Lille.  Mais  ce  qui,  pour 
lui,  l'emportait  sur  tous  ces  succès,  ce  fut  l'amitié  d'un  de  ses^ 
examinateurs,  Abel  Bergaigne,  le  professeur  de  sanscrit  et  de 
philologie  comparée  à  la  Sorbonne.  Ce  fut  sous  ses  auspices 
qu'il  publia  diverses  traductions  du  sanscrit  et  du  prâcrit: 
Trente  stances  du  Bhâmini- Vilâsa  (1885);  Le  Sceau  de 
Râckasa^  drame  en  sept  actes  par  Viçakpadatta  (1888);  Agni- 
mitra  et  Afàlavikâ,  comédie  en  cinq  actes  par  Kâlidasa  (1889). 
Ce  fut  également  avec  Bergaigne  qu'il  ébaucha  le  plan  d'une 
Chrestomathie  védique. 

Cette  activité  n'empêchait  nullement  Victor  Henry  de  se 
livrer  à  d'autres  recherches  non  moins  fécondes.  11  publia  sou» 
le  titre  de  :  Contribution  à  l'étude  des  origines  du  décasyllabe 
roman  (1885),  un  opuscule  où  il  émit  sur  l'origine  du  ver» 
français  de  dix  syllabes  et  de  l'alexandrin  des  vues  qui  sont 
bien  près  de  devenir  définitives.  Mais  son  œuvre  maîtresse, 
c'est  le  Précis  de  grammaire  comparée  du  grec  et  du  latin 
(1888),  qui  a  trouvé  en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Italie, 
l'accueil  le  plus  chaleureux;  en  France,  il  valut  au  jeune  pro- 


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JÇS  REVUE    d' ALSACE 

fesseur  Thonncur  de  remplacer,  co  ^^mc  chargé  de  cours,  son 
regretté  maître,  Abel  Bergaigne,  dans  la  glorieuse  chaire  que 
sa  mort  tragique  avait  rendue  vacante. 

Victor  Henry  était  une  nature  sensible  et  fidèle  dans  ses 
affections.  Il  se  montrait  à  toute  occasion  passionné  pour  le 
droit  et  la  vérité,  mais  jamais  jugement  plus  sûr  ne  défendit 
ses  points  de  vue  avec  une  courtoisie  plus  exquise.  Or  il  arriva 
que  ce  passionné  de  vérité  fut  un  jour  victime  d'un  bruit  con- 
trouvé  et  affreusement  macabre.  Le  28  juillet  1903,  une  feuille 
publique  annonçait  qu'il  était  mort  d'un  accident  de  mon- 
tagnes, en  Savoie,  et  tous  les  journaux  reproduisaient  la  nou- 
velle, à  grand  renfort  de  notices  nécrologiques.  La  rumeur  en 
impressionna  douloureusement  notre  compatriote,  peut-être 
même  avança-t-elle  la  date  de  sa  dernière  heure. 

La  profonde  érudition  de  Henry  était  rehaussée  par  une 
modestie  rare,  et  ce  fut  là  un  des  traits  dominants  de  cette 
belle  figure.  C'est  par  les  journaux  que  ses  nombreux  admira- 
teurs et  disciples  ont  appris  son  décès,  et  au  bas  de  la  lettre 
de  décès  qui  en  faisait  part,  on  lit  :  «  Conformément  aux  inten- 
tions du  défunt,  les  obsèques  ont  été  célébrées  dans  la  plus 
stricte  intimité  le  9  février  1907  >.  11  n'y  est  pas  dit  qu'Henry 
était  chevalier  de  la  Légion  d'honneur. 


II.   Alfred  Touchemolin. 

Le  4  janvier  1907  s'est  éteint  à  Brighton  un  de  nos 
meilleurs  artistes  d'Alsace,  dont  tout  le  monde  a  pu  estimer  le 
talent  de  dessinateur  et  de  peintre. 

Charles-Alfred  Touchemolin  naquit  à  Strasbourg  le  9  no- 
vembre 1829.  Destiné  au  commerce  par  ses  parents,  il  fut 
placé  à  sa  sortie  du  collège  dans  le  magasin  de  tapis  et  dra- 
peries de  M.  Nicolas  Karth,  mais,  au  bout  d'un  an,  son  manque 
de  dispositions  pour  les  affaires  le  décida  à  quitter  cette  maison 
pour  aller  étudier  le  dessin  sous  la  direction  de  Gabriel  Guérin, 
l'artiste  strasbourgeois  si  renommé  comme  professeur  et  chez 
qui  se  sont  formés  la  plupart  des  artistes  alsaciens  de  la  pre- 
mière partie  du  xrx«  siècle. 

Chose  curieuse,  son  patron  M.  N,  Karth  abandonna  bientôt 
-également  son  commerce  pour  se  consacrer  à  l'art  et  devenir 
, peintre  paysagiste  à  Strasbourg. 


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NECROLOGIE  IÇÇ 

En  1847,  Touchemolin  vint  à  Paris  et  entra  à  l'atelier  de 
DroUing,  mort  en  1851,  après  avoir  tenu  une  école  très  suivie 
-et  d'où  sont  sortis  une  foule  de  peintres  distingués.  Admis  à 
l'école  des  Beaux- Arts,  il  en  suivit  les  cours  et  resta  à  Paris 
jusqu'en  1852.  Pendant  cette  période  révolutionnaire  il  entra 
•dans  la  garde  nationale  parisienne  et  y  fit  son  service  au 
3«  bataillon  de  la  ri«  légion. 

Après  le  coup  d'Etat  il  retourna  à  Strasbourg  pour  y 
ouvrir  un  atelier  et  se  consacrer  au  professorat.  Ses  cours 
furent  très  fréquentés  et  jamais  professeur  ne  fut  plus  sym- 
pathique et  plus  aimé  des  nombreux  élèves  qui  profitèrent  de 
ses  excellentes  leçons.  C'est  à  cette  époque  qu'il  produisit  de 
nombreux  tableaux  représentant  principalement  des  épisodes 
militaires  :  sa  Bataille  de  Solférino  et  son  Attaque  de  la 
gare  de  Magenta^  furent  tous  deux  reçus  et  admirés  au  Salon 
-de  1867. 

Pendant  la  guerre  franco -allemande,  Touchemolin  se 
trouva  mêlé  à  la  défense  des  intérêts  de  sa  ville  natale  en 
la  qualité  de  conseiller  municipal.  C*est  à  la  suite  du  rapport 
<ie  l'artiste  que  cette  assemblée  vota  l'exécution  des  admirables 
portes  de  bronze  qui  décorent  aujourd'hui  le  grand  portail  de 
âa  cathédrale. 

Après  la  paix  il  opta  pour  la  nationalité  française,  mais 
cesta  à  Strasbourg,  malgré  le  départ  de  ses  nombreux  amis. 
L'annexion,  en  effet,  brisa  ses  meilleures  relations.  L'armée 
française,  qu'il  avait  étudiée  de  près,  pendant  ses  quatre 
séjours  au  camp  de  Châlons,  avait  toujours  été  l'objet  de  ses 
travaux  de  prédilection  ;  nul  ne  la  connaissait  mieux  et  ne 
l'aimait  davantage;  aussi  le  peintre  avait-il  gardé,  de  ses 
amitiés  avec  les  officiers  français,  une  franche  cordialité  et  une 
tournure  toute  militaire. 

Touchemolin  finit  par  quitter  Strasbourg  pour  se  fixer  à 
Paris,  mais  la  nostalgie  le  fit  revenir  à  Strasbourg.  «J'ai  la 
tiostalgie  de  la  France,  écrivait-il  à  un  ami,  quand  je  suis  en 
Alsace,  et  celle  de  l'Alsace  quand  je  suis  en  France  •.  Ce  ne 
fut  qu'en  1883  qu'il  se  fixa  à  Versailles  d'abord,  puis  à  Paris, 
-et  vingt  ans  plus  tard  il  s'installa  k  Brighton  dans  un  cottage 
baptisé  Alsacehûuse^  auprès  de  sa  fille  mariée  en  Angleterre, 
pour  collaborer  par  ses  illustrations  aux  nombreux  articles 
littéraires  publiés  par  Madame  Castel  Leaver  dans  différentes 
drevues  anglaises. 


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200  REVUE  D*ALSACE 

L'œuvre  de  Touchemolin  est  considérable  et  très  appré- 
ciée; sa  première  exposition  date  de  1863,  c'est  un  dessi» 
rehaussé,  Batterie  de  siège  au  Moyen- Age,  appartenant  actuelle- 
ment au  Musée  de  Strasbourg,  puis  la  Gare  de  Magenta,  la 
Bataille  de  SolferinOy  une  Section  de  fuséens  Autrichiens,  le» 
Manteaux-Rouges  en  Alsace,  etc. 

Depuis  1870  Touchemolin  a  peint  encore  bien  d'autre»^ 
tableaux  et  produit  un  grand  nombre  de  dessins,  la  plupart 
relatifs  à  la  guerre.  Il  avait  déjà  fait  d'autres  illustrations,, 
notamment  pour  le  grand  ouvrage  de  son  beau-père,  Frédéric 
Piton,  intitulé  Strasbourg  illustré,  pour  le  Strasbourg  histo- 
rique et  pittoresque  de  Seyboth,  etc. 

Nous  citerons  encore  :  Ruines  de  la  Bibliothèque  de  Stras- 
bourg en  iS'jo,  —  Le  dessinateur  Zix  à  P armée  d'Helvétie,  — 
Arrivée  des  délégués  suisses  à  Strasbourg,  —  Evacuation  des 
blessés,  —  L incendie  du  théâtre,  —  La  place  du  Broglie,  etc^ 

En  outre  l'artiste  fit  paraître  :  en  1877,  Album  de  notes  et 
croquis  sur  le  mont  Sainte-Odile;  en  1895,  l'important  ouvrage 
historique  Strasbourg  militaire;  en  1900,  Histoire  du  Régi- 
ment d' Alsace  ;  en  1902,  le  Journal  d'un  assiégé;  en  1903,  le 
Vieux  Strasbourg  ;  en  1905,  V  Album  Touchemolin,  etc. 

On  lui  doit  encore  plusieurs  recueils  de  costumes  alsaciens 
ou  badois,  de  costumes  militaires,  un  album  de  croquis  du 
champ  de  bataille  de  Frœschwiller,  une  collection  de  vues  des- 
châteaux d'Alsace,  etc.  11  a  collaboré  en  outre  aux  Maîtres 
alsaciens,  par  F.  Reiber,  à  Y  Art  en  Alsace-Lorraine,  par  René 
JViénard  ;  aux  journaux  :  Le  Temps,  Les  Annales  politiques  et 
littéraires,  La  Critique,  Le  Journal  d' Alsace,  à  plusieurs  revues 
anglaises,  etc. 

Malgré  son  âge  avancé,  Touchemolin  était  resté  très  actifs 
lorsque  la  mort  est  venue  le  surprendre.  Nous  adressons  ici 
nos  plus  sincères  compliments  de  condoléance  à  cette  famille 
éplorée,  que  deux  cruels  deuils  viennent  d'accabler  en  quel- 
ques jours. 

H.  Weisgerber. 


RlXHBIM  (AlBAOB).  —   TtPOGBAPHIB  F.  SUTTBB   &   CiB 


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UNE  RIVALITÉ  ÉPHÉMÈRE 


BELFORT   ET    THANN   EN   1815 


Dans  les  premiers  jours  qui,  en  1815,  suivirent  la 
rentrée  de  Louis  XVIII  aux  Tuileries,  pendant  que 
l'Alsace,  occupée  par  les  troupes  alliées,  ne  savait  quel 
serait  son  sort,  il  se  passait  dans  la  partie  méridionale 
de  cette  province  des  événements  d'un  genre  particulier. 
C'est  ainsi  que  des  Bàlois,  sous  prétexte  que  les  gens 
de  Mulhouse  avaient  été  des  leurs,  demandaient  que 
l'arrondissement  d'Altkirch,  dont  dépendait  la  ville  de 
Mulhouse,  fut  cédé  au  canton  de  Bàle. 

Dans  la  même  région,  les  habitants  de  la  petite 
ville  de  Thann  intriguaient  pour  avoir  désormais  la 
sous-préfecture  de  l'arrondissement  et  le  tribunal  civil, 
au  détriment  de  Belfort.  Et  l'instigateur  de  ces  menées 
n'était  autre  que  le  sous-préfet  lui-même  qui  gardait 
rancune  aux  Belfortains  et  voulait  profiter  de  la  situa- 
tion troublée  où  l'on  se  trouvait  pour  se  venger  d'eux. 

Voici  pourquoi.  Louis  Prudhomme  avait  été  appelé 
à  la  sous-préfecture  de  Belfort  par  ordonnance  royale 
du  22  août  18 14.  Au  bout  de  très  peu  de  temps,  il 
s'était  fait  détester  par  la  plus  grande  partie  des  habi- 
tants du  pays.  On  ne  parlait  de  lui  que  pour  s'en 
moquer;  le  public  ne  le  désignait  que  par  le  nom  de 
manchot   à   cause   d'un    bras  infirme.    Il  s'était  si  bien 

Rewt  d'AUace,  1907  li 


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UNE  RIVALITÉ   ÉPHÉMÈRE  ^03 

avait  trouvé  quelqu'écho  à  Thann,  à  Saint-Amarin  et 
à  Cernay.  Aussi  se  flattait-il  d'arriver  vite  à  son  but. 

On  conçoit  l'effet  que  ces  rumeurs  produisirent  dans 
la  population  belfortaine.  Aussitôt  la  protestation  suivante 
fut  rédigée  ')  : 

€  Enfermés  pour  la  seconde  fois  dans  une  ville  tou- 
jours fidèle,  nous  étions  loin  de  soupçonner  qu'on  profitât 
-de  notre  détresse  pour  élever  contre  nous  des  prétentions 
absurdes  et  déloyales. 

€  La  ville  de  Thann  s'agite  en  tout  sens  pour  attirer 
à  elle  le  siège  du  tribunal  et  de  la  sous-préfecture  dont 
Belfort  est  le  chef-lieu. 

<  Notre  position  topographique  n'est  point  changée. 
Les  raisons  qui  nous  ont  fait  obtenir  la  préférence 
durant  vingt-cinq  ans  subsistent  encore.  Que  peut-on 
nous  opposer?  Qu*a-t-on  à  reprocher  à  ceux  qui  mou- 
raient de  faim  en  1814  et  qui  ont  aidé  à  nourrir  une 
armée  française  en  181 5? 

<  Les  habitants  de  Thann  comptent  sur  des  intrigues: 
ils  ignorent  que  Louis  XVIII  et  ses  ministres  ne  sont 
accessibles  qu'à  la  justice,  et,  si  le  malheur  pouvait 
faire  pencher  la  balance  dans  leurs  mains,  c'est  pour 
jious  qu'elle  pencherait  2). 


1)  La  minute  existe  aux  archives  de  BeUbrt. 

2)  Quelques  Thannois  espéraient  bien  que  les  sentiments  ultra- 
royalistes dont  était  empreinte  l'adresse  envoyée  au  roi  à  la  fin  d'avril 
1814  ne  seraient  pas  oubliés  en  haut  lien  et  plaideraient  victorieusement 
■en  fkveur  de  leurs  prétentions.  Voici  cette  adresse  d'après  le  MonUtur 
Univtrsil: 

«  Sire, 
«  Les  habitants  de  la  ville  et  du  canton  de  Thann,  département  du 
Haut-Rhin,  n'ont  pu  apprendre  les  événements  à  jamais  mémorables  qui 
viennent  de  se  passer  dans  votre  capitale  sans  partager,  avec  toute  la 
France,  l'allégresse  générale  que  la  fin  de  ses  maux  et  le  retour  heureux 
de  Votre  Majesté  au  milieu  de  ses  fidèles  sujets  répand  sur  tous  les 
points  de  son  vaste  royaume.  Jamais,  Sire,  nos  cœurs  ne  furent  plus 
émus  que  dans  ce  moment  où,  après  vingt  ans  de  guerre  et  de  oudheurs 
tant  nombre,  nous  renaissons  à  l'espoir  subit  de  jouir  longtemps,  à 
l'ombre  tutéUire  du  trône  des  Bourbons,  de  cette  félicité  que  le  retour 
d'un  descendant  de  saint  Loutt  et  de  Henri  IV  pouvait  teul  nous  pro* 
mettre.   Si   nous  manquons  d'expression  pour  peindre   à  Votre  Majesté 


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204  REVUE  d'aLSACK 

€  Cependant  le  collège  d'arrondissement  se  réunira* 
le  14  du  courant,  et,  comme  il  a  plu  à  M.  le  sous-préfet 
Prudhomme,  réintégré,  d'établir  à  Thann  ses  bureaux^ 
nul  doute  qu'il  ne  convoque  près  de  lui  l'assemblée- 
des  électeurs.  C'est  ainsi  que  par  un  abus  de  pouvoir 
les  espérances  de  nos  adversaires  seront  exaltées. 

€  On  objectera  sans  doute  que  Belfort  est  encore 
en  état  de  siège.  Mais  la  paix  la  plus  profonde  règne 
dans  nos  murs;  les  communications  sont  libres  par  le* 
fait,  et  cette  liberté  peut  recevoir  un  accroissement 
indéfini. 

€  Nous  dirons,  à  notre  tour,  qu'ici  les  élections  seront 
débarrassées  de  toute  espèce  d'influence,  les  électeurs 
seuls  pénétrant  dans  une  enceinte  exclusivement  peuplée 
de  Français. 

€  Peut-être  avons-nous  donné  trop  d'importance  aux 
manœuvres  qui  se  pratiquent  dans  notre  arrondissement; 
aux  signatures  qu'on  mendie,  qu'on  extorque  de  toutes^ 
parts;  à  la  députation  pompeusement  envoyée  à  Paris. 
Mais  nous  sommes  attaqués  dans  nos  intérêts  les  plus 
chers,  et  le  coup  qu'on   veut  frapper  est  si  révoltant î 

€  Le  moment  est  venu  où  signaler  une  menée,  c'est 
la  déjouer;  où  demander  justice  est  un  moyen  sûr  de 
l'obtenir. 

€  Nous  sollicitons  donc  avec  la  confiance  la  plus 
illimitée  le  maintien  parmi  nous  des  administrations  et 
des  tribunaux,  qui  vivifient  en  temps  de  paix  notre 
ville,  à  la  satisfaction  de  tous  les  administrés,  et  com- 
pensent en  quelque  sorte  la  stérilité  de  ce  point  du. 
département. 


toute  notre  ivresse  et  celle  de  nos  concitoyens  dont  nous  nous  félicitons- 
d'être  en  ce  moment  les  organes,  vous  ne  daignerez  pas  moins,  Sire, 
agréer  et  distinguer  parmi  les  nombreuses  félicitations  déposées  at»- 
pied  du  trône  l'hommtge  de  notre  plus  profond  respect  de  fidélité  et 
d'amour  ». 

La  réponse  du  roi,  insérée  dans  le  Moniteur  du  2 1  mai,  était  ainsf- 
conçue : 

«Je  reçois  avec  plaisir  l'expression  de  vos  sentiments;  j'y  réponds» 
par  les  miens  t. 


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UNE   RIVALITÉ  ÉPHÉMÈRE  205 

«  Nous  attendons  avec  la  même  confiance  la  pro- 
-chaine  arrivée  d'un  sous-préfet  en  vertu  d'ordres  supé- 
rieurs, que  nous  sollicitons  avec  instance,  avant  la 
réunion  du  collège  électoral  d'arrondissement. 

€  Cette  confiance  nous  persuade  même  que  la  réunion 
des  électeurs  s'opérera  prochainement  à  Belfort,  comme 
par  le  passé,  et  que  la  brièveté  du  temps  concourra  à 
•dissiper  plus  promptement  les  inquiétudes  de  nos  con- 
citoyens et  les  nôtres. 

€  C*est  ainsi  que,  sous  un  Gouvernement  réparateur, 
<iouter  du  triomphe  d'une  cause  essentiellement  juste, 
•ce  serait  outrager  la  Majesté  du  Souverain,  les  vertus 
de  ceux  qui  l'entourent  et  qu'il  a  chargé  de  ses  pou- 
voirs 1. 

A  la  Préfecture  du  Haut-Rhin  "),  on  parut  ne  pas 
attacher  grande  importance  aux  menées  du  sous-préfet, 
-«t  Ton  rassura  les  Belfortains  sur  les  suites  de  cette 
affaire. 

En  effet,  le  collège  électoral,  convoqué  pour  le 
14  août,  se  réunit  à  Belfort,  sous  la  présidence  de 
Homan,  fabricant  à  Wesserling,  nommé  par  ordonnance 
Toyale  du  26  juillet.  Quant  à  l'instigateur  de  cette 
K:abale,  il  en  fut  pour  ses  frais.  Une  ordonnance  du 
5  septembre  181 5  nomma  sous-préfet  de  l'arrondisse- 
tinent  de  Belfort  le  comte  Waldemar  de  Brancas  en 
remplacement  de  Louis  Prudhomme.  Celui-ci  décampa 
sans  tambour  ni  trompette,  ne  laissant  aucun  regret, 
*bien  au  contraire...,  et,  du  coup,  cessa  la  rivalité  qu'un 
aussi  déplorable  administrateur  avait  fait  naître  entre 
Jes  villes  de  Thann  et  de  Belfort. 

Henri  Bardy. 

j)  Le  Préfet  était  à  ce  moment  le  comte  de  Castéja. 


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LES  TROUBLES  DE    I789  207 

à  se  mettre  à  leur  tête  pour  envahir  et  ravager  les 
forêts  du  duc  de  Valentinois.  Mais  le  syndic  était  un 
honnête  homme;  il  s'y  refusa  catégoriquement,  et,  après 
des  menaces  de  mort  réitérées,  se  démit  d'une  fonction 
qui,  sans  lui  donner  la  moindre  autorité,  l'exposait  au 
contraire  à  de  grands  dangers,  s'il  ne  consentait  à  obéir 
à  ceux  auxquels  il  devait  commander.  Il  est  vrai  que 
cette  démission  ne  sauva  pas  les  forêts  du  duc,  lequel, 
le  28  août  suivant,  dénonça  au  Bureau  de  Belfort  les 
excès  qu'y  commettaient  les  habitants,  excès  auxquels 
le  Bureau  ne  put  remédier.  Le  même  Bureau,  pour 
éviter  le  désordre,  dut  permettre  à  plusieurs  commu- 
nautés, entre  autres  à  Rougemont,  Offemont,  etc.,  de 
se  réunir  pour  faire  des  suppléments  à  leurs  doléances. 
La  ville  de  Belfort  n'eut  pas  à  soufftir.  A  l'exemple 
de  Paris,  la  plupart  des  villes  d'Alsace  formèrent  entre 
bourgeois  une  milice  bourgeoise;  et  à  Belfort,  cette 
milice,  de  concert  avec  l'armée,  suffit  pour  empêcher 
tout  désordre  >).  La  surexcitation  néanmoins  était  très 
grande;  elle  était  entretenue  par  les  nombreux  fugitifs 
de  Franche-Comté,  qui  cherchaient  un  asile  en  ville, 
et  par  les  bruits  les  plus  sinistres  qui  s'accréditaient 
avec  une  étrange  facilité.  Voici  ce  que  raconte  un 
témoin  oculaire  :  «  ...23  juillet...  Les  auberges  étaient 
remplies  des  malheureux  habitants  de  Franche-Comté. 
Le  reste  du  jour  il  en  arriva  tant  que  les  voitures  se 
succédaient,  comme  lors  d'un  voyage  de  la  Cour.  Tout 
y  paraissait  fort  tranquille;  la  bourgeoisie,  qui  s'était 
enrégimentée,  faisait  le  service  avec  le  régiment  de  la 
Vieille-Marine.  Les  villages  voisins  s'y  étaient  rendus 
dans  le  plus  grand  ordre  avec  des  drapeaux,  marchant 
au  bruit  de  leur  musique  champêtre.  La  garnison  leur 
accordant  les  honneurs,  un  détachement  allait  hors  de 


1)  A  c6té  de  cetfe  milice,  il  y  avait  à  Belforf  une  compagnie  de 
chasse  ors  à  cheval,  composée  surtout  de  fils  de  famille,  d'avocats,  etc. 
(Cfr.  ^evfte  d'A/ittee,  1863  (p.  224^  Les  volontaires  a  cheval  de  Belfort 
tn  il89^  par  H.  Babdy). 


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208  RKVUE   D'aLSACE 

la  ville  les  chercher  et  les  reconduire.  Cet  accord  durait 
depuis  trois  jours,-  où,  malgré  la  nécessité  de  moissonner, 
ils  passaient  le  temps  à  la  ville  pour  attendre  sous  les 
armes  M.  Necker  »),  qui  était  annoncé,  et  au  devant 
duquel  les  troupes  nationales  ne  cessaient  de  marcher. 
Afin  d'en  être  instruits,  deux  magistrats  étaient  à  Baie, 
députés  de  la  ville,  pour  qu'au  moment  où  son  départ 
serait  arrêté,  ils  partissent  et  vinssent  en  donner  avis» 2). 

Dans  l'après-midi  du  24,  3  à  4000  paysans,  <  qui 
n'étaient  armés  que  de  fourches  et  de  bâtons,  deman- 
dèrent des  armes  en  promettant  de  les  rendre  après  le 
passage  de  leur  dieu  tutélaire  (Necker).  M.  du  Lau, 
lieutenant-général,  inspecteur  de  la  division,  eut  la  com- 
plaisance de  les  promettre.  Sans  doute  il  en  sentit  la 
conséquence  et  ne  les  fit  point  délivrer.  Quelques 
mutins  coururent  à  l'arsenal;  ils  cassèrent  les  fenêtres 
et  essayaient  de  le  forcer  quand  on  donna  ordre  au 
régiment  de  la  Marine  de  tomber  dessus.  Ils  furent 
arrêtés  et  conduits  en  prison;  les  chasseurs  d'Alsace 
balayèrent  le  reste.  Ils  ont  menacé  de  mettre  le  feu  à 
la  ville,  alors  on  a  fermé  les  portes.  Puis,  pendant 
plus  d'une  heure,  il  ne  fut  pas  possible  d'entrer  en 
ville,  la  consigne  étant  seulement  d'en  laisser  sortir» 3). 

<  Peu  de  temps  après  cette  expédition,  quarante- 
huit  jeunes  gens  de  la  ville,  à  cheval,  toujours  pour  le 
même  objet,  vêtus  de  vert  et  imitant  les  troupes  légères, 
arrivèrent  sur  la  place  au  galop  4);  en  même  temps  le 
tocsin  sonna,  les  portes  se  refermèrent,  et  Ton  apprit 
que  les  brigands  en  petit  nombre  s'approchaient.  Des 
détachements  furent  envoyés  pour  les  disperser,  ce  qui 


i)  Necker   avait   été   rappelé  au    ministère;    il   se   trouvait  alor^  à 
Bàle  avec  sa  famille  et  devait  passer  par  Belfort  pour  retourner  à  Paris. 

2)  Voyage  ttune  Française  (Madame  Gauthier),  lettre  viii,  p.  i6« 
Cité  par  Stœbbr,  page  223. 

3)  Voyage  dune  Française^  1.  c  —  A,  YoONO,  Voyages  en  France^ 
I,  p.  251. 

•  4)  C'étaient  des  chasseurs  à  cheval;  ils  portaient  un  habit  vert  à 
passe-poil  rouge,  un  gilet  blanc  et  des  culottes  jaunes.  (JUvne  d'Alsace^ 
1863,  1.  c). 


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LES   TROUBLES   DE    1789  2O9 

ne  fut  pas  long.  Les.  dragons  de  la  ville  se  mirent  en 
route  pour  empêcher  les  communautés  voisines  d'aller 
plus  avant.  Elles  avaient  entendu  le  tocsin  et  venaient 
-au  secours  des  habitants  et  de  la  garnison  de  Belfort, 
qui  n'a  point  hésité  pour  exécuter  les  ordres  du  chef». 

La  princesse  de  Montbéliard,  ses  enfants  et  partie 
-de  la  Cour,  s'étaient  réfugiés  à  Belfort,  tandis  que  le 
prince  était  demeuré  à  Etupe,  avec  son  artillerie  et  un 
détachement  de  la  garnison  de  Belfort,  pour  faire  face 
aux  brigands  qui  n'osèrent  approcher,  ni  même  se 
faire  voir. 

Le  lendemain  25,  dès  6  heures  du  matin,  «  les 
troupes  étaient  sous  les  armes  ;  nous  rencontrâmes  des 
piquets  de  chasseurs  qu'on  avait  fait  sortir  pour  obser- 
ver les  brigands  que  Ton  annonçait  être  au  nombre  de 
cinq  ou  six  cents  >  <).  Ce  jour-là.  Monsieur  et  Madame 
Necker,  avec  deux  voitures  de  suite,  passèrent  par 
Belfort.  <  Quatre-vingt  bourgeois  les  escortaient  à  cheval, 
et  les  musiques  de  régiment  les  ont  accompagnés  pen- 
dant qu'ils  traversaient  la  ville  >  ^), 

Ce  qui  explique  les  alarmes  de  la  garnison  de  Bel- 
fort,  c'est  qu'à  ce  moment  même  tout  le  Sundgau, 
jusqu'à  la  vallée  de  Saint-Amarin,  était  en  combustion. 

Depuis  le  commencement  de  juillet,  les  bruits  les 
plus  sinistres  n'avaient  cessé  de  succéder  les  uns  aux 
-autres  dans  cette  partie  de  l'Alsace.  Les  maisons  des 
officiers  de  justice,  disait-on,  étaient  menacées  de  pillage 
et  d'incendie  ;  on  voulait  même  mettre  le  feu  aux  villes 
et  aux  villages  qu'ils  habitaient.  Toutefois  ces  officiers 
eux-mêmes,  dans  les  commencements,  avaient  méprisé 
toutes  ces  rumeurs,  lorsque  quelques  scènes  de  désordre 
•éveillèrent  leur  attention. 

Le  mardi  2 1  juillet  3),  le  sieur  Hell  le  jeune,  greffier 
du  bailliage  de  Hirsingue,  frère  du  procureur-syndic  et 


1)  Voyagt  d'une  Français t,  1.  c. 

2)  A.  YoUKG,   Voyages  en  France^  1.  c. 

3)  C'est  par  erreur  que  Mathieu  Mieg,  dans  sa  chronique,  donne  la 
^ate  du  27  juillet. 


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LES  TROUBLES  DE    I789  211» 

Le  lendemain,  mercredi  22,  tout  le  monde  en  ville- 
fut  consterné  en  apprenant  ce  départ  précipité;  les  uns 
blâmèrent  M.  Gérard  de  n'avoir  pas  méprisé  des  rumeurs» 
que  sa  fuite  allait  accréditer;  d'autres,  plus  prudents, 
suivirent  son  exemple  sur  l'heure.  Le  magistrat,  ému 
lui-même,  convoqua  d'urgence  la  bourgeoisie  à  l'hôtet 
de  ville.  Mais  on  ne  parvint  pas  à  s'entendre,  et  il  ne 
fut  pris  aucune  mesure  effective.  La  majorité  fut  d'avis 
que  Ferrette  n'avait  rien  à  craindre,  parce  qu'on  ne 
menaçait  que  les  Juifs,  à  cause  de  leurs  créances  usu- 
raires,  et  les  seigneurs,  pour  anéantir  les  titres  des  droits 
seigneuriaux;  d'ailleurs,  ajoutait-on,  les  émeutiers  seraient 
de  toute  manière  beaucoup  trop  nombreux  pour  pou- 
voir leur  résister  avec  quelque  chance  de  succès! 

Cependant,  dès  10  heures  du  matin,  on  vit  des  gens 
de  villages  environnants  passer  et  repasser  dans  les 
rues  de  la  ville  avec  une  certaine  affectation.  Peu  à  peu 
leur  nombre  s'augmenta  d'étrangers  au  bailliage;  puis 
on  cessa  de  circuler.  On  se  plantait  aux  avenus,  et  il 
devenait  facile  de  s'apercevoir  que  la  maison  Gérard 
était  particulièrement  observée.  La  foule  grossissait 
d'heure  en  heure,  lorsque,  vers  8  heures  et  demie  du 
soir,  des  gens  avinés  enfoncent  la  porte  de  la  cour; 
puis,  excités  par  les  fumées  de  la  boisson,  envahissent,, 
pillent  les  appartements  et  la  cave,  forcent  le  greffe,, 
dont  les  papiers,  titres,  registres,  jetés  dans  la  rue, 
formèrent  un  tas  énorme    auquel  on  mit  le  feu  »).   La 


l)  En  détruisant  les  titres,  les  paysans  croyaient  se  libérer  de  leurs 
obligations  ;  aussi  ils  avaient  arrêté  entre  eux  que  quiconque  essayerait 
de  retirer  quelque  chose  du  feu,  y  serait  jeté.  Cependant  le  plus  jeune 
des  fonctionnaires  du  lieu,  connaissant  Timportance  des  titres  de  pro* 
priété,  de  partage,  de  l'état  civil,  etc.,  que  ces  forcenés  prenaient  tous 
pour  des  créances  ou  des  obligations,  réussit  à  en  sauver  deux  ou  trois 
voitures.  Sept  conjurés  avaient  emporté  le  coffre-fort  de  M.  Gérard; 
l'un  d'eux,  un  charpentier,  y  fit  une  ouverture,  et  les  sept  décidèrent 
que  chacun  y  puiserait  à  son  tour  et  que,  si  l'un  d*eux  tentait  de  le 
faire  deux  fois  de  suite,  il  aurait  la  main  coupée.  Le  plus  jeune,  pré- 
tendant ne  pouvoir  saisir  de  la  main  autant  de  pièces  que  les  autres, 
ne  voulut  pas  se  soumettre  ;  il  eut  le  poignet  coupé  au  moment  où  il-^ 
plongeait  la  main  une  seconde  fois  dans  le  coffre. 


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212  REVUE   D  ALSACE 

maison  elle-même  fut  allumée  en  plusieurs  endroits  à 
la  fois,  après  avoir  été  complètement  dévastée.  Mais 
les  flammes,  et  surtout  le  danger  qui  menaçait  la  ville, 
<:ar  il  y  avait  vingt  cordes  de  bois  dans  le  bûcher, 
reveillèrent  les  bourgeois  de  leur  torpeur  égoïste.  Ils 
s'armèrent,  attaquèrent  les  émeutiers,  se  saisirent  de 
-ceux  qui  v^oulaient  résister  et  mirent  les  autres  en  fuite, 
malgré  leur  nombre  »), 

La  lueur  de  l'incendie,  au  milieu  des  ombres  de  la 
nuit,  redoubla  la  folle  terreur  qui  s'était  répandue  aux 
environs,  et  fut,  d'un  autre  côté,  comme  le  signal  depuis 
longtemps  attendu  du  soulèvement  de  tout  le  Sundgau; 
<:ar,  au  même  moment,  ou  peu  après,  les  châteaux  de 
Hirsingue  «),  Hirtzbach  et  Carspach  étaient  attaqués, 
pillés  et  détruits  en  partie.  A  Courtavon,  les  paysans 
poursuivirent,  sans  l'atteindre,  l'agent  seigneurial  qui 
voulait  mettre  ses  archives  en  sûreté  à  Porrentruy.  A 
Landser,  ils  assaillirent  avec  fureur  le  greffe  du  bailliage, 
^t,  comme  à  Ferrette,  firent  flamber  tous  les  papiers 
qu'il  contenait  :  l'intensité  du  feu,  que  Ton  voyait 
depuis  Belfort,  fut  telle  qu'elle  fit  croire  que  la  ville 
elle-même  avait  été  livrée  aux  flammes.  Partout  les 
officiers  de  justice  étaient  observés  de  près;  souvent, 
pour  sauver  leurs  personnes  et  leurs  biens,    ils  durent 


i)  Parmi  les  émeutiers  il  n'y  eut  aucun  habitant  de  Ferrette.  Les 
domestiques  de  la  famille  de  Gérard  firent  tous  leur  devoir  ;  c  leur  zélé 
à  cet  égard  n'a  pas  été  en  défaut  » .  Monsieur  et  Madame  Gérard  se 
réfug^ièrent  à  Soleure  et  revinrent,  au  commencement  d'août,  à  Huningue. 

.(Lettres  de  M.  A.  Moil  sur  les  événements  de  Ferrette  du  22  juillet 
1789;  Apologie  du  général  de  Vietingoff,  etc.).  Plus  tard,  M.  Gérard 
réclama  une  indemnité  pour  le  pillage  et  l'incendie  de  sa  maison;  le 
Département,  consulté  par  l'Assemblée  nationale,  fut  d'avis  que  la  nation 
devait  en  être  chargée,  car  les  coupables  étaient  tous  des  habitants  des 

'•communautés  voisines  de  Ferrette,  et  la  plupart  fort  peu  à  leur  aise. 
M.  Gérard  fut  nommé  c  commissaire  ou  inspecteur  des  limites  en  Alsace  9 
(nous  ignorons  en  quoi  consistaient  ces  fonctions),  et^  commissaire  du 
Roi  au  tribunal  de  Belfort  (1790).  II  obtint  de  la  Commission  inter- 
médiaire, par  le  canal  du  Bureau  de  Huningue,  l'exemption  de  toute 
imposition   quelconque   pendant    3   ans   et    celle   des   guets,    gardes  et 

-corvées  (16  décembre   1789). 

2)  Sur  le  sac  du  château  de  Hirsingue,  cfr.  Dû  Pfarrgtmeînden 
'da  Cantons  Hirsingen^  von  F.  J.  FuRS.  Rizheim,   1879. 


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LES   TROUBLES   DE    I789  213 

livrer  les  titres  dont  la  garde  leur  était  confiée»);  les 
fugitifs,  ou  ceux  que  Ton  supposait  tels,  étaient  pour- 
suivis, injuriés,  maltraités;  on  les  empêchait  de  gagner 
la  Suisse,  et  Ton  menaçait  de  mort  ou  d'incendie  ceux 
qui  auraient  voulu  leur  donner  asile. 

Quelques  aventuriers  avaient  formés  une  bande  assez 
nombreuse  et  s'étaient  donné  pour  chef  un  ouvrier 
tisserand  qu'ils  avaient  affublé  d'un  cordon  bleu  et  d'une 
décoration.  Ils  le  faisaient  passer  pour  le  comte  d'Artois,, 
second  frère  du  Roi.  La  présence  dans  leurs  rangs 
d'un  prince  du  sang,  fascina,  pour  ainsi  dire,  le  paysan, 
d'ailleurs  très  facile  à  gagner,  puisqu'ils  s'en  prenaient 
spécialement  aux  Juifs.  Le  soi-disant  comte  d'Artois 
prétendait  avoir  des  ordres  du  Roi  et  assurait  les  gens 
que  «tout  ce  qu'ils  pourraient  avoir  (c'est-à-dire  voler) 
dans  les  quarante  jours  est  à  leur  possession  et  droit  >  *). 
Aussi  «à  Sierentz  et  dans  tous  les  villages  du  SundgauS), 
ils  pillèrent  entièrement  les  Juifs  et  les  chassèrent,  de 
telle  sorte  que  beaucoup  d'entre  eux  durent  se  réfugier 
à  Bâle;  ils  abîmèrent  leurs  maisons  et  arrachèrent  jus- 
qu'aux planchers  des  chambres,  enlevèrent  leurs  titres 
et  leurs  obligations  qu'ils  déchirèrent  ou  brûlèrent;  ils 
laissèrent  couler  dans  les  caves  les  meilleurs  vins  qu'ils 
n'avaient  pu  boire,  s'emparèrent  de  l'argent  qui  leur 
tombait  sous  la  main  et  le  partageaient  eiitre  eux  >  4). 
«  Pendant  tout  le  trajet,  dit  un  témoin  oculaire  5),  le 
spectacle  le  plus  contristant  vint  frapper  nos  yeux  le 
long  du  chemin.  Des  familles  entières  de  4a  population 
juive  de  Durmenach  campaient  sur  les  bords   et   dans 


i)  «Aile  Schreibereyen,  so  zu  sagen,  in  dem  ganzen  Bezirck^ 
musten  den  Bauern  ihre  Scbriften  beraasgeben. . .  t.  (M.  MiEG,  Histoire 
de  Mulhouse), 

2)  Lettre  dn  brigadier  de  la  maréchaussée  Boob,  lo  août  1789» 
(Cfr.  Die  jyarrgemcinden  des  Cantons  Hirsingen, .,,  p.  382). 

3)  Surtout  à  Blotzheim,  Hegenheim,  Hagenthal,  Sierentz,  Uffheim,  . 
Habsheim,  Rixheim,  Kembs,  DUrmenach,  Luemschwiller,  Frôningen,  . 
Zillisheim,  Obersteinbrunn,  etc.   (M.  MiRG). 

4)  D.   SCHMUTZ,  p.   87. 

5)  A.  MoLL,  1.  c. 


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•214  REVUE   D  ALSACE 

âes  fossés.  Elles  venaient  d'abandonner  leurs  demeures 
spoliées  et  saccagées  par  une  bande  d'insurgés.  Des 
enfants  à  la  mamelle,  des  femmes,  des  vieillards,  des 
berceaux,  des  meubles,  de  la  literie,  tout  cela  se  trouvait 
pêle-mêle  étendu  à  terre.  Les  enfants  criaient,  les  adultes 
gémissaient  ;  heureusement  le  temps,  qui  était  propice, 
semblait  protéger  cet  tristes  caravanes  >.  Tant  que  les 
^meutiers  servaient  la  haine  et  les  rancunes  des  paysans, 
-ceux-ci  les  soutinrent  de  tout  leur  pouvoir.  Mais  lors- 
que, <  après  avoir  dépouillé  les  Juifs,  ils  voulurent  s'en 
prendre  aux  chrétiens»,  les  paysans,  se  sentant  menacés 
•<ians  leurs  biens,  se  retournèrent  contre  eux  et  les 
dispersèrent  >). 

Du  Sundgau,  le  mouvement  insurrectionnel  s'étendit 
«rapidement  de  tous  côtés.  Dans  la  montagne  cependant, 
les  désordres  furent  beaucoup  plus  graves  que  dans  la 
plaine.  <  Les  brigandages,  qui  se  sont  commis  dans  la 
Franche-Comté,  commencent  à  gagner  notre  partie, 
écrivait  à  la  Commission  intermédiaire,  le  29  juillet, 
M.  Boyer,  membre  du  Bureau  de  Belfort.  La  vallée  de 
Masevaux,  celle  de  Saint-Amarin  se  sont  attroupées. 
Les  dames  du  noble  chapitre  de  ce  premier  lieu  ont 
quitté  leur  domicile  ;  toutes,  à  l'exception  de  deux,  se 
-sont  absentées  a).  Madame  l'abbesse  est  arrivée  ici  à 
huit  heures  du  matin,  et  les  autres  l'ont  suivie  au  quart 
-d'heure  »  3).  Cependant  les  émeutiers  ne  paraissent  avoir 
fait  aucun  mal  à  l'abbaye;  ils  s'attroupèrent  devant  la 
.maison  du  receveur  du  chapitre,  le  forcèrent  par  leurs 


i)  D.  ScHMUTZ,  I.  c.  —  Le  prétenda  comte  d'Artois  et  qaelques-OQS 
de  ses  plas  chauds  partisans,  quMls  avaient  fieiit  prisonniers,  allèrent 
expier  aux  galères  les  crimes  qu'ils  avaient  commis.  Le  comte  au  ruban 
bleu  fut  emprisonné  à  Sélestat  le  10  août  pour  y  être  jugé  prév6tale- 
ment.  c  On  a  arrêté  «n  Haute-Alsace  et  conduit  aujourd'hui  (10  août) 
à  Sélestat  le  comte  d'Artois,  avec  le  ruban  bleu  qui  a  fait  croire  au 
monde  que  tout  ce  qu'il  pouvait  avoir  dans  quarante  jours  est  à  sa 
.possession  et  droit  ;  (Lettre  du  brigadier  Boob  à  Radius). 

2)  C'est-à-dire  ont  fui,  en  laissant  la  garde  de  Tabbaye  à  deux  de 
-<:e8  dames.   Un   détachement   du   régiment  de  la  Marine  fut  envoyé  de 

Belfort  à  Masevaux  pour  y  rétablir  l'ordre. 

3)  Lettre  de  M.  Boyer  du  Bureau  de  Belfort  à  la  Commission  inter- 
Amédiaire,  29  juillet  1789. 


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LES   TROUBLES   DE    1 7 89  215 

menaces  à  détruire  les  rapports  pour  délits  forestaux 
•«t  même  à  restituer  les  amendes  déjà  payées  ').  Puis 
<  la  troupe  des  brigands  s'est  portée  sur  Thann  >,  où 
elle  fit  sa  jonction  avec  celle  qui  venait  de  la  vallée  de 
Saint-Amarin. 

Pendant  de  longues  années,  les  gens  de  cette  der- 
nière vallée  avaient  été  en  contestations  avec  leur 
seigneur,  l'abbaye  de  Murbach,  au  sujet  de  leurs  droits 
dans  les  forêts  seigneuriales;  et  les  deux  cantonnements 
<ie  1770,  qui  mirent  fin  au  différend,  excitèrent  leur 
ressentiment  au  lieu  de  ramener  la  paix,  parce  qu'ils 
prétendaient  avoir  été  lésés.  Leurs  voisins,  les  Lorrains 
ou  les  Vosgiens,  qui  étaient  parvenus  à  s'affranchir  depuis 
-quelque  temps  des  taxes  sur  le  sel  et  le  tabac,  étaient 
de  fervents  partisans  des  théories  du  jour,  et,  comme 
ils  venaient  habituellement  faire  leurs  provisions  dans 
4a  vallée,  ils  inculquaient  ou  avaient  inculqué  à  ses  habi- 
tants les  nouvelles  idées  d'émancipation  et  de  liberté. 
Aussi  la  conviction  de  ceux-ci  dans  la  justice  de  leurs 
prétentions  crût-elle  dans  la  même  proportion  que  leur 
x:olère  contre  le  seigneur,  et  ils  saisirent  la  première 
x>ccasion  pour  essayer  de  se  remettre  par  la  force  en 
possession  de  leurs  droits,  dont  ils  croyaient  avoir  été 
illégitimement  dépouillés.  A  la  nouvelle  des  événements 
de  Paris,   le    25   ou  plutôt  le  dimanche  2ô  juillet 2),  ils 


i)  Nous  savons  aussi  que  sous  la  pression  de  l'émeute,  Pabbaye  dut 
tfaire  défenses  à  Tadjudicataire  de  ses  dîmes  de  pommes  de  terre,  d*en 
iaire  la  levée  à  l'avenir,  avec  offre  de  l'indemniser  par  le  temps  de  son 
bail  qui  restait  à  courir  (25  juillet  1789).  —  Sur  les  démêlés  de  l'abbaye 
■avec  les  communautés  de  la  vallée  à  propos  de  la  dlme  des  pommes 
de  terre,  cfr.  L'Alsaci  au  xviu*  sikU^    tome  11. 

3)  Seul  M.  MiBG,  dans  sa  Chronique,  indique  le  25  juillet;  mais 
les  dates  qu'il  donne  ne  sont  pas  toujours  exactes.  —  A.  Gatrio,  DU 
Abus  Murbach  (II,  p.  698),  raconte  qu'un  voyageur  arrivé  ce  jour-là 
-avec  le  courrier  à  Malmerspach,  portait  avec  lui  la  proclamation  rela- 
tive à  la  prise  de  la  Bastille.  Après  la  messe  qui  venait  d'être  dite  à 
la  chapelle  de  saint  Maximin,  il  en  fit  la  lecture  publiquement;  mais, 
•comme  il  ne  savait  pas  bien  lire,  un  habitant  le  remplaça,  et,  pour  être 
mieux  compris,  se  plaça  sur  l'autel,  et  s'écria,  après  qu'il  eut  achevé 
«a  lecture  :  c  Ce  qu'ont  fait  les  Parisiens,  nous  pouvons  le  faire  aussi  1 1 
Ce  fut  le  signal  de  l'insurrection.  Cfr.  Notice  historique  sur  Wesserling^ 
*par  C.  SoRG,  Revue  tt Alsace^  i862« 


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2)6  REVUE   D'aLSACE 

s'attroupèrent  en  grande  masse,  et  se  rendirent,  vers^ 
lO  heures  du  matin,  devant  la  maison  du  receveur  de 
Tabbaye  à  Saint-Amarin,  et  réclamèrent  à  grands  cris 
livraison  immédiate  de  tous  les  registres  de  condamna- 
tion et  des  titres  qui  consacraient  les  prétendues  usur- 
pations dont  ils  étaient  les  victimes.  Comme  le  receveur 
ne  voulut  point  leur  abandonner  le  dépôt  dont  il  avait 
la  garde,  ou  ne  put  point  les  satisfaire  parce  que  les 
pièces  réclamées  n'étaient  pas  en  sa  possession,  ils  assail- 
lirent sa  demeure  et  la  saccagèrent,  après  avoir  vidé  le 
meilleur  vin  de  sa  cave.  Ils  firent  subir  le  même  sort 
aux  maisons  du  fermier  des  impositions,  de  l'huissier 
seigneurial  J.  Bruder  et  du  débitant  de  tabac  et  poudres 
du  Roi  »).  Pendant  ce  temps,  d'autres  forcenés  se  met- 
taient à  la  poursuite  des  agents  forestiers  et  démolirent 
leurs  maisons.  Ils  parvinrent  à  se  saisir  du  garde-marteaa 
Breymann.  «  Cet  homme  de  soixante  ans  fut  excédé  de 
coups  ;  on  Ta  promené  dans  le  village  en  lui  arrachant 
les  cheveux ...  ;  tous  ses  meubles  ou  effets  ont  été 
brisés,  brûlés  ou  volés;  on  l'a  forcé  à  signer,  avec  sa 
femme,  un  acte  par  lequel  il  s'engage  à  restituer  toutes 
les  amendes  qu'il  a  fait  prononcer  et  donne  quittance 
de  tous  les  dégâts  qu'il  vient  de  subir.  Puis  on  le  jeta 
en  prison  où  il  demeura  cinq  jours,  et  les  émeutiers 
n^épargnèrent  les  mauvais  traitements,  les  injures  et 
les  menaces,  ni  à  sa  femme,  ni  à  ses  trois  enfants  >  a). 


1)  Le  sieur  Pistenon,  marchand  et  débitant  de  tabac,  privilégié  à 
Saint-Amarin  pour  toute  la  vallée,  selon  commission  du  32  août  1782.. 
Il  put  sauver  à  grand'peine  quelques  petites  choses  dans  la  nuit  du 
36  juillet.  Il  fut  pillé  complètement;  on  lui  vola  la  poudre  du  Roi  et 
le  tabac  dont  il  était  dépositaire,  son  linge,  ses  provisions  de  bouche, 
son  vin;  il  avait  caché  dans  sa  cave  900  liv.  d*argent  blanc  qui  furent 
découvertes  et  volées;  le  pistolet  sur  la  gorge,  on  l'obligea  à  donner 
de  l'argent  à  qui  il  n'en  devait  pas.  11  put  s'échapper  enfin  et  demeura 
trois  jours  et  trois  nuits  sans  oser  rentrer  chez  lui.  11  estima  ses  pertes 
à  2000  livres.  Il  porta  plainte  au  prévôt  général  de  la  maréchaussée 
Naquart;  mais  l'Assemblée  nationale  arrêta  les  informations  par  une 
mesure  générale.  Alors  il  fit  requête  à  l'Assemblée  elle-même  et  n'obtint 
aucune  réponse.  En  1792,  il  s'adressa  au  Département;  il  avait  52  ans, 
était  marié  et  ,père  de  quatre  enfants,   sans   fortune  et  sans  ressources. 

2)  Taine,   dévolutions   1,   p.  72.    —    Le  garde-marteau  Jean  Brey- 
mann,   également    garde  -  général    des   forêts   communales,   préposé   au^ 


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LES   TROUBLES   DR    1789  21 7 

Outre  les  forestiers,  il  y  eut  des  curés,  des  préposés, 
et  même  quelques  syndics  »)  qui  furent  obligé  de  fuir 
et  de  chercher  un  refuge,  soit  dans  les  forêts,  soit  dans 
les  localités  voisines  moins  troublées. 

Enhardis  par  ce  premier  succès,  les  insurgés  se  por- 
tèrent vers  Thann,  où  le  garde  général  des  forêts  avait 
son  domicile.  Ils  ne  craignaient  rien,  car  ils  avaient  des 
intelligences  dans  la  ville,  et  grossirent  leurs  rangs  de 
toute  la  troupe  venue  de  Masevaux  qui  marchait  sur 
Thann,  peut-être  pour  la  même  raison. 

Aussi  bien,  à  Thann,  le  terrain  était  bien  préparé. 
Le  25  juillet,  le  sieur  J.  Thiébaut  Ganger,  garde  du 
clocher,  avait  trouvé  devant  la  porte  du  prévôt  du 
chapitre  un  certain  nombre  de  lettres  anonymes  qu'il 
remit  à  leur  adresse.  La  Municipalité,  qui  en  fut  avisée, 
s'assembla  en  toute  hâte,  prit  connaissance  de  ces  lettres, 
et,  attendu  qu'elles  contenaient  des  excitations  à  la 
révolte,  les  remit  aux  officiers  de  justice  pour  en  pour- 
suivre les  auteurs.  Dans  l'anonyme  que  le  syndic  Monnin 
avait  reçu,  on  l'invitait  à  se  trouver  le  lendemain,  26, 
après  vêpres,  devant  la  maison  du  sieur  Marandet, 
devant  laquelle  la  bourgeoisie  et  les  communautés  voi- 


bureau  des  marques  pour  les  manufactures  et  chargé  du  bureau  de  poste 
de  Saint-Amarin,  dut  rester  huit  jours  à  Thann  pour  recevoir  les  premiers 
soins;  puis,  pendant  un  mois,  il  revenait  tous  les  deux  jours  en  cette 
ville,  depuis  Geishausen  où  il  avait  établi  son  domicile,  pour  faire 
renouveler  les  pansements.  Cependant  il  mourut  des  suites  de  ses  blessures. 
Les  autres  agents  forestiers  trouvèrent  leur  salut  dans  les  forêts.  Quel- 
ques-uns d'entre  eux  réclamèrent  une  indemnité  à  PAsseroblée  nationale. 
Le  District  de  Belfort  et  le  Département  ne  jugèrent  pas  exagérée  la 
somme  de  46.401  liv.  4  s.,  repartie  de  la  manière  suivante  :  Les  héri- 
tiers de  Jean  Breymann,  garde-marteau  :  24.273  liv.  10  s.;  J.  Bap.  Brey- 
mann  fils,  inspecteur-adjoint  :  3166  liv.  i  s.;  Joseph  Brueder,  procureur: 
14.974  liv.  8  s.;  Jean  Iggart,  garde  principal  1342  liv.  16  s.;  les  trois 
gardes  :  Jean  Luthringer  de  Geishausen  1025  liv.  il  s.;  Jean  Walter 
de  Moosch  877  liv.  10  s.,  et  Antoine  Humbrecht  de  Willer  741  liv,  i  s. 
Total  :  46.401  liv.  4  s.,  qui,  d'après  le  Département,  devait  être  à  la 
charge  de  la  nation,  attendu  que  la  vallée,  trop  pauvre  pour  supporter 
ce  surcroît  d'impôt,  s'en  prendrait  nécessairement  aux  forêts  nationales. 
(Dép.   I"  fév,   1791.  N.  1398.   Arch.  nat.  F  7,  3253). 

1)  C'était  le  petit  nombre  sans  doute,   car   il    résulte   d'un   procès- 
verbal  du  greffier  de  la  maîtrise,  procès-verbal  dont  on  trouvera  le  texte 
plus  loin,   que   les    syndics   étaient  en  réalité  les  chefs  du  mouvement. 
Bévue  d'AUace,  1907  15 


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LES  TROUBLES   DE    1 789  219 

Les  bourgeois  avaient  fait  cause  commune  avec  les 
émeutiers  de  la  vallée,  pour  se  venger  du  Magistrat. 
Ils  lui  reprochaient  en  eflfet  depuis  longtemps  le  retard 
aflfecté  qu'il  mettait  dans  la  reddition  de  ses  comptes ')> 
retard  au  moyen  duquel  il  cherchait,  disait-on,  à  couvrir 
ses  malversations  dans  l'administration  des  finances; 
et,  comme  les  bourgeois  ne  recevaient  plus  de  bois 
d'affouage,  tandis  que  le  Magistrat  continuait  à  percevoir 
sa  compétence  ordinaire,  ils  accusaient  celui-ci,  et  en 
particulier  le  garde  général  Adel,  qui  en  faisait  partie, 
de  faire  leur  profit  personnel  des  meilleurs  revenus  de 
la  ville  2).  Ces  accusations  étaient  anciennes.  En  1779, 
elles  étaient  devenues  si  pressantes  que  l'Intendant  crut 
devoir  faire  informer.  M.  de  Bellonde,  subdélégué  de 
Belfort,  fut  chargé  dans  le  principe  de  cette  commission. 
Mais  sur  sa  demande  on  lui  substitua  M.  de  MuUer, 
subdélégué  de  Colmar  ;  et,  comme  celui-ci  était  momen- 
tanément absent,  M.  Munck,  bailli  de  Guebwiller,  dut 
faire  une  première  enquête  dont  le  résultat  ne  fut  pas 
défavorable  aux  chefs  de  tribus  de  Thann  plaignants. 
La  seconde  enquête,  à  laquelle  procéda  M.  de  MuUer 
à  son  retour,  était  tout  à  fait  le  contre-pied  de  la  précé- 
dente :  l'une  ne  pouvait  contredire  l'autre  plus  positive- 
ment. M.  de  MuUer  ne  découvrit  pas  la  plus  légère 
irrégularité  à  la  charge  du  Magistrat  :  celui-ci,  d'après 
lui,  se  composait  d'hommes  instruits  et  intègres;  tous 
les  actes  de  leurs  gestions  étaient  conformes  aux  ordon- 
nances; et  on  voulait  faire  d'eux  les  victimes  d'une 
odieuse  machination.  Cependant,  pour  calmer  les  esprits, 


réclamèrent  les  titres  en  vertu  desquels  le  graad  chapitre  d'Arlesheiiu 
levait  la  dime  dans  ce  village  et  menaçaient  en  cas  de  refus  de  démolir 
les  maisons  du  chapitre.  Le  syndic  Monnin,  qui  était  receveur  du  cha- 
pitre à  Thann,   parvint  à  les  calmer. 

4)  Les  comptes  n^avaient  pas  été  rendus  depuis  1768. 
2)  On  accusait  en  particulier  Adel  de  s^approprier  les  dommages- 
ntérêts  quM  aurait  dû  verser  à  la  caisse  patrimoniale,  de  les  recouvrer 
■en  employant  la  contrainte  de  son  autorité  privée,  d'en  faire  autant 
pour  les  amendes,  de  s'être  approprié  du  bois  à  sa  guise,  d'avoir  vendu 
pour  presque  rien  une  coupe  très  importante,  moyennant  gratification, 
-etc.. 


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2  20  REVUE   D  ALSACE 

M.  de  Muller  proposa  «avec  douleur»,  ce  sont  ses;^ 
expressions,  de  réduire  quelque  peu  les  compétences- 
en  bois  qu'ils  percevaient. 

La  contradiction  devenait  encore  plus  flagrante  dans- 
le   jugement  qu'il   portait  sur  le  garde   général    Adel,. 
le  seul  qui  fut  nommément  inculpé.  «Il  était  un  homme 
aisé  avant  d'avoir  été  fait  garde  général  » ,    disait-il,   et 
n'a  pas  augmenté  sa  fortune  par  des  gratifications  reçues- 
en  fraude.  Les  délinquants  le  haïssent  et  le  poursuivent 
de  leurs  calomnies,    à    cause  de  sa  fermeté  et  de  son 
énergie  :  sans  le  zèle  qu'il  a  déployé,   les  forêts  de  la 
ville,  en  excellent  état,   auraient    été   dévastées'),    etc^ 
Le  rapporteur  de  la  cause,  très  embarrassé  devant  ces 
contradictions,   ne  sachant  à  quel  parti  s'arrêter,   con* 
cluait  que  pour  savoir   la    vérité  sur  Adel,   il   faudrait 
commencer   une  procédure   en   régle^   ce   qui    était  un 
moyen    extrême    qu'il    n'osait    conseiller.    Cependant,^ 
ajoutait-il,    deux  faits  peuvent  être  considérés   comme 
acquis  :  d'abord   on    a    trouvé  dans  les  vignes  d'Adel 
1800  échalas,    coupés  par  son  ordre,    sans  qu'il  ait  pu 
donner  de  leur  présence  aucune  explication  satisfaisante  ;- 
ensuite    il    a   vendu    pour    150  liv.  une  coupe  de  bois 
qui  valait  au  moins  1900  livres,  selon  les  témoins.  Aussh 
l'Intendant,  à  la  date  du  19  août  1781  réduisit  les  com- 
pétences du  Magistrat  et  ordonna  un  supplément  d'en- 
quête  sur  Adel  2).   Il    est  clair  que  le  résultat  de    ces- 


1)  M.  Munck  prétendait,  au  contraire,  que  les  forêts  étaient  presque 
rainées,  et  qu'Adel  ne  comprenait  rien  à  la  culture  qui  leur  convenait. 

2)  Nous  en  ignorons  le  résultat.  Il  ne  dut  pas  lut  être  défavorable,, 
parce  que  le  garde  général  demanda,  en  1789,  au  district  de  Belfort, 
de  reprendre  les  fonctions  qu'il  avait  dû  abandonner  à  la  suite  de* 
l'Insurrection.  On  ne  le  lui  permit  pas  cependant,  par  crainte  de  nou- 
veaux troubles,  et  non  pas  parce  qu'il  avait  été  reconnu  coupable  de 
faits  déshonorants,  plus  que  suffisants  pour  lui  valoir  la  disgrâce  de  la 
nouvelle  administration.  —  Voici  ce  que  dit  d'Aigrefeuille  sur  (a  manière- 
de  faire  les  enquêtes  de  M.  de  Muller  :  •  Quant  à  M.  de  Muller,  il  est 
dans  l'usage  de  traiter  les  affaires  légèrement  et  en  poste,  en  sorte  que- 
cenx  qui  l'ont  comme  commissaire,  tremblent  »  (20  novembre  1 765).. 
D'autre  part,  l'Intendant  écrivit  depuis  Paris  à  M.  Munck  :  c  J'aurais- 
pu  penser,  ainsi  que  vous,  Monsisur,  que  la  plupart  des  faits  mis  à  la* 


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LES   TROUBLES   DE    1 7 89  221 

►deux  enquêtes  ne  demeura  pas  secret  de  chancellerie. 
Et  si  les  chefs  de  tribus  n'obtinrent  pas  absolument 
gain  de  cause,  le  Magistrat  du  moins,  et  surtout  Adel, 
ravaient  perdu  leur  procès  devant  Topinion  publique»). 
De  là  cette  irritation  parmi  les  bourgeois,  qui  fit  alors 
explosion. 

Le  garde  général  ne  s'était  pas  seulement  aliéné  la 
bourgeoisie  de  Thann;  ce  beau  zèle,  qui  lui  valut  les 
éloges  de  M.  de  Muller,  avait  exaspéré  contre  lui  tous 
les  habitants  de  la  vallée.  Les  règlements  forestaux  de 
1761,  1772  et  1783,  avaient  soulevé  dans  toute  la 
province  les  plus  vives  réclamations;  on  se  plaignait 
:^urtout,  et  avec  raison,  comme  nous  l'avons  dit  plus 
au  long  ailleurs»),  des  amendes  excessives  qu'ils  infli- 
-geaient  et  du  retard  incroyable  que  mettait  l'Intendant 
.3  prononcer  les  condamnations.  Jean  Adel  parait  avoir 
-été  d'une  rigueur  inflexible  dans  l'application  de  ces 
Tèglements,  exagérant  leur  sévérité  sans  ménagements, 
au  lieu  d'adoucir  en  pratique  ce  que  leurs  prescriptions 
pouvaient  avoir  eu  de  dur  et  d'odieux  :  on  peut  le 
'Conclure  d'un  mémoire  qu'il  adressa  lui-même  à  l'In- 
•tendant  pour  sa  défense.  Ainsi,  depuis  le  jour  de  sa 
nomination,  en  1767,  le  total  des  condamnations  qu'il 
avait  fait  prononcer  s'élevait  à  la  somme  de  45.000  liv.  ! 
Et  ces  condamnations,  évidemment,  ne  frappaient  pas 
«•la  partie  la  plus  opulente  de  la  population  !  De  là  des 
-exécutions  forcées  en  si  grand  nombre  qu'il  finit  par 
ne  plus  pouvoir  compter,  dit-il,  ni  sur  la  garde,  ni 
même  sur  les  cavaliers  de  la  maréchaussée.  On  ne  lui 
-obéissait  plus  lorsqu'il  ordonnait  l'arrestation  d'un  délin- 


-«cbmrge  d'Adel  et  des  forestiers,  pouvaient  être  regardés  comme  prouvés 
par  le  grand  nombre  des  dépositions,  si  la  qualité  de  délinquants,  com- 
mune à  tous  leurs  accusateurs,  n^affaiblissait  pas  infiniment  leurs  dépo* 
'Sitions,  au  point  même  de  les  rendre  suspectes»  (33  avril  1781). 

i)  Aussi  la  Commission  intermédiaire   permit   à   la   municipalité   de 

^>ayer  les  1378  liv.,  montant  des  frais  du  procès  contre  le  Magistrat  de 

Thann,  qui  étaient  restées  à  la  charge  des  maîtres-jurés   des   corps   de 

■métiers  de  cette  ville.    (Arrêté  du  Bureau  de  Belfort,   15  février  1790). 

2)  Dans  D Alsace  au  xvui^  siUUy  tome  i,  livre  iv. 


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222  REVUE  D'ALSACK 

quant,  qui  essayait  par  exemple  d'introduire  en  ville 
du  bois  coupé  en  délit.  Bien  plus,  les  geôliers  eux-mêmes 
mettaient  en  liberté  de  leur  propre  chef  ceux  qu'il 
avait  fait  emprisonner,  de  telle  sorte  que  souvent  il 
surprenait  en  délit  tel  homme  qui  était  censé  en  prison»). 
On  conçoit  donc  que  ce  ièle,  ou  plutôt  ces  excès  de 
zèle,  aient  excité  parmi  les  populations  une  colère 
longtemps  contenue,  dont  nous  venons  de  raconter  les 
éclats. 

La  plus  petite  partie  des  émeutiers  seulement  était 
rentrée  à  Thann  ;  le  gros  de  la  troupe  avait  passé  devant 
la  ville  et  se  dirigeait  sur  Guebwiller,  chef-lieu  de  la 
seigneurie  et  résidence  du  chapitre  de  Murbach.  A 
peine  quelques  centaines  au  point  de  départ,  ils  étaient 
maintenant  trois  ou  quatre  milieu).  11  leur  fallait  un 
chef;  sans  plus  de  façon,  ils  mettent  à  leur  tête 
M.  Johannot,  directeur  de  la  fabrique  d'indiejine  à 
Wesserling,  qui  se  laissa  faire,  et  devint  ainsi  chef  de 
brigands,  mais  évidemment  chef  plus  nominal  que 
réel  3).  Ils  traversèrent  Cernay  sans  faire  le  moindre 
mal.  Mais  ils  ne  quittèrent  pas  Uffholtz,  Wattwiller  et 
OUwiller  sans  de  copieuses  libations   aux  dépens   des 


i)  Les  geôliers  furent  condamnés  deux  fois  de  ce  chef  par  l'Intendant^ 
en  1777  «t  en  1782. 

3)  M.  SORG  (I^tvue  cT Alsace^  1862,  p.  524),  dit  6000  hommes;, 
d^autret  vont  jusqu^à  8000  (Revue  (f  Alsace^  1901,  p.  391).  Mais  le 
chiffre  de  3  è  4000  est  donné  par  le  syndic  de  Souitz.  M.  de  Roche- 
lambert,  aide  de  camp  du  général  Vietinghoff,  les  chanoines  de  Berol* 
diogen  et  de  Rodmann,  le  subdélégué  FronhofTer,  ainsi  que  Madame  de 
Neuenstein'Beroldingen.  Ces  derniers  indiquent  également  comme  date 
de  l'invasion  de  Guebwiller  le  28  juillet,  tandis  que  M.  de  la  Roche- 
lambert  parle  du  26.  (Cfr.  D.  Schmutz,  p.  88). 

'3)  Lts  véritables  chefs,  nous  Tavons  déjà  remarqué,  diaprés  le 
ftubdélégné  FronhoflTer,  étaient  les  syndics  de  la  vallée.  On  connaissait 
le  sieur  Johannot  pour  ses  opinions  avancées,  et  c'est  là  probablement 
ce  qui  le  désigna  au  choix  des  émeutiers.  11  ne  parait  pas  s'être  mal 
trouvé  de  cette  aventure,  car  il  ne  fut  Tobjet  d'aucune  poursuite  ;  et, 
an  lieu  de  modérer  son  ardeur  pour  les  idées  nouvelles,  son  zèle  ne 
lit  -que  s'accroître,  si  bien  qu'en  1791  il  fut  l'ami,  le  conseil  et  le  guide 
des  trois  commissaires  du  Roi,  envoyés  par  l'Assemblée  dans  les  deux 
départements  du  Rhin,  puis  fut  élu  député  à  la  Constituante,  mai» 
quitta  le  pajrs,  ce  semble,  en  1795.  Ajoutons  que  Johannot  était  Genevois. 
dWigine  et  parent  du  m*nibtre  Necker,  alors  l'idole  de  la  France. 


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LES   TROUBLES   DE    1 7 89  223 

caves  seigneuriales  et  sans  avoir  commis  toute  sorte 
d'excès  contre  les  Juifs  qui  habitaient  ces  localités.  La 
synagogue  d'Uffholtz  notamment  fut  tellement  abîmée 
qu'il  n'en  resta  plus  que  les  gros  murs.  A  leur  approche, 
Soultz  se  mit  en  état  de  leur  résister.  Le  syndic  avait 
organisé  la  milice  bourgeoise  et  pris  des  mesures  pour 
repousser  la  force  par  la  force.  Mais  les  paysans  n'en 
voulaient  pas  à  Soultz  ;  ils  tournèrent  la  ville. 

A  Guebwiller  la  situation  était  à  peu  près  la  même 
qu'à  Thann.  La  bourgeoisie  et  la  municipalité  d'un 
côté,  le  magistrat  et  le  chapitre  de  l'autre  se  faisaient 
une  guerre  acharnée  depuis  longtemps  »).  Dans  ces 
conditions,  il  ne  pouvait  y  avoir  guère  de  sûreté  à 
Guebwiller  pour  les  chanoines.  Aussi  à  la  première 
nouvelle  de  l'insurrection  songèrent-ils  à  soustraire  au 
pillage  dont  ils  étaient  menacés  ce  qu'ils  avaient  de 
plus  précieux.  Les  archives  de  l'abbaye,  soigneusement 
emballées  dans  22  caisses,  furent  chargés,  avec  le  plus 
grand  secret  dans  la  nuit  du  26  au  27  juillet,  conduites 
hors  ville  entre  11  heures  et  minuit,  et  dirigées  sur 
Brisach  avec  l'intention  de  les  mettre  en  sûreté  sur 
la  rive  droite  du  Rhin  2).  Les  chanoines  eux-mêmes 
paraissent  avoir  pris  la  fuite  et  s'être  réfugiés  à  Colmar; 
du  moins  à  la  date  du  30  juillet.  MM.  de  Beroldingen 
doyen  et  de  Bodmann  chanoine,  se  trouvaient  dans 
cette  ville  3). 


1)  Les  doléances  de  la  bourgeoisie  contre  le  seigneur  ont  été  publiées 
par  M.  Mosmann,  parmi  les  pièces  justificatives  de  la  Chronique  des 
Dominùains  de  Guebwiller,  Diaprés  uue  lettre  du  bailli  d'OlIwiller,  Bach, 
en  date  du  20  avril  1 790,  c'est  le  bailliage  de  Guebwiller  c  qui  a  donné 
le  branle  aux  troubles  de  la  Haute-Alsace,  ainsi  qu'il  sVn  est  vanté  et 
a* en  vante  entière  ». 

2)  M.  Véron-Réville  (Révolution  dans  le  Haut-Rhin)^  prétend  que 
les  archives  furent  sauvées,  grâce  à  la  présence  d^sprit  des  chanoines 
de  Reutner  et  de  Gohr.  C'est  un  mérite  que  ces  Messieurs  semblent 
avoir  partagé  avec  tout  le  Chapitre. 

3)  Sauf  M.  de  Reichenstein,  malade  qui  dut  rester  à  Guebwiller. 
TGatrio,  Die  Abtei  Murback^  H,  p.  698).  11  courut  les  plus  grands 
dangers  (Sorg,  1.  c).  Le  prince-abbé  était  à  TAssemblée  nationale.  Le 
chanoine  de  Beroldingen  se  réfugia  plus  tard  chez  sa  nièce  M"**  de 
NeueDstein. 


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2  24  REVUE    D  ALSACE 

Le  27  juillet,  à  leur  arrivée,  les  insurgés  allèrent 
droit  à  la  demeure  de  MM.  Reichstetter,  chancelier  et 
bailli,  et  Meister,  receveur  du  Chapitre,  et  les  forcèrent, 
sous  la  menace  des  dernières  violences,  à  signer  au 
nom  du  Chapitre,  puis  à  faire  signer  ensuite  par  les 
chanoines,  un  cahier  contenant  leurs  doléances  et  l'en- 
gagement de  leur  donner  pleine  et  entière  satisfaction 
dans  le  plus  bref  délai.  C'était  en  réalité  une  renonciation 
à  tous  les  droits  quelconques  du  Chapitre  dans  la  vallée  »). 
Le  chancelier  et  le  receveur  cédèrent  à  la  force  et 
dépêchèrent  à  Colmar  un  exprès,  porteur  de  ce  docu- 
ment. Le  doyen  de  Beroldingen  et  le  chanoine  de 
Bodmann,  au  nom  du  Chapitre  et  du  prince-abbé,  don- 
nèrent leur  signature  le  30,  <  afin  de  garantir  ces  deux 
officiers  contre  des  éventualités  malheureuses  »,  que  la 
fermentation  générale  faisait  redouter;  mais  ils  eurent 
soin  de  protester  contre  la  violence  qui  leur  était  faite, 
déclarant  réserver  tous  leurs  droits  et  considérer  comme 
de  nulle  valeur  une  signature  extorquée  les  armes  à 
la  main.  Les  autres  chanoines,  cosignataires,  s'associèrent 
certainement  à  cette  protestation  2). 

Les  insurgés  avaient  réclamé,  outre  la  signature  de 
leurs  cahiers,  livraison  immédiate  de  tous  les  titres 
relatifs  aux  droits  auxquels  ils  avaient  exigé  renoncia- 
tion. Mais,  comme  on  ne  put  les  satisfaire,  on  en  sait 
la  raison,  ils  crurent  qu'on  ne  voulait  pas  les  satisfaire, 
et  de  colère  d'éprouver  un  refus,  ils  saccagèrent  le 
château  du  prince-abbé  et  les  maisons  canoniales.  Voici 
ce  que  raconte  M.  Mieg  :  <  Ils  (les  paysans)  demandèrent 
livraison  des  archives;  et,  comme  on  ne  put  les  satis- 
faire, ils  forcèrent  le  château  seigneurial,  saccagèrent 
toutes  les  chambres,  jetèrent  les  meubles  dans  la  cour. 


I  )  Le  document,  qui  regarde  plus  particulièrement  la  vallée  inférieure 
(paroisse  de  Willer),  est  imprimé  en  entier  dans  Cuiiurhisioriscki  Skiue 
tiâer  das  obère  Sankl-Amaritethal,  de  A,  Ehrbt,  page  93;  il  comprend 
ai  articles  et  porte  la  date  du  28  juillet  1789;  nous  nous  atistenont 
de  le  reproduire. 

2)  C'étaient  les  chanoines  de  Weyl,  de  SchÔnau  et  de  Gohr. 


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LES   TROUBLES   DE    I  789  225 

-ouvrirent  par  eflractîon  la  grande  cave,  burent  jusqu'à 
ne  plus  pouvoir  se  tenir  debout  et  laissèrent  couler  le 
reste  du  vin,  pillèrent  la  maison  du  doyen,  et  ainsi  se 
conduisirent  si  mal  toute  la  journée  du  mardi  jusqu'au 
mercredi  après-midi,  que  les  peuplades  les  plus  sauvages 
n'auraient  pas  pu  faire  pis.  Aussi  bien  il  sembla  que 
4es  habitants  du  lieu  ne  virent  pas  précisément  la  chose 
d'un  mauvais  œil»»).  Dom.  Schmutz  dit  également: 
<  Les  paysans  de  la  vallée  de  Saint-Amarin . . .  arrivèrent 
le  matin  de  bonne  heure  à  Guebwiller  et  saccagèrent 
-complètement  le  château  seigneurial.  Toutes  les  fenêtres 
avec  leurs  châssis  furent  brisés;  les  commodes,  buffets 
et  armoires,  comme  les  tuiles  du  toit,  furent  jetés  sur 
le  sol;  dans  les  chambres,  sur  le  beau  parquet,  on 
alluma  des  feux  et  on  y  brûla  toute  la  bibliothèque  et 
Jes  titres ...  ;  les  tapisseries,  les  glaces,  les  beaux  bois 
-de  lit  furent  mis  en  morceaux  et  brûlés;  dans  les  caves 
le  vin  fut  gâté;  on  laissa  couler  à  moitié  un  tonneau 
-de  1600  mesures;  les  têtes  de  bouteilles  de  vin  étranger, 
dont  les  bouchons  ne  cédaient  pas,  étaient  cassées;  les 
fruits  furent  jetés  hors  des  armoires;  la  belle  voiture 
de  gala  du  prince,  comme  les  autres  voitures,  fut  brisée 
en  petits  morceaux  :  il  n'y  eut  pas  même  une  roue 
qui  demeura  entière.  Ce  n'est  pas  seulement  le  château 
•du  Prince  qu'ils  maltraitèrent  ainsi;  ils  firent  subir  le 
même  sort  aux  maisons  des  chanoines  :  l'argenterie  et 
le  linge  blanc  qu'on  n'avait  pu  mettre  en  sûreté,  fut 
volé;  ils  brisèrent  les  appuis  de  fer  qui  se  trouvaient 
-aux  fenêtres,  même  les  pierres  dans  lesquelles  ils  étaient 
fixés;  tout  a  été  détruit;  plusieurs . bourgeois  de  Gueb- 
willer ont  aussi  enlevé  dans  leurs  cuveaux  de  vendange 
Je  vin  qui  se  trouvait  dans  les  caves».  Madame  de 
Neuenstein,  nièce  du  chanoine  de  Beroldingen,  écrivait 
le  8  août  :  <  3000  paysans  de  Saint-Amarin,  des  sujets 
<ie   ces   Messieurs   les   chanoines   de   Guebwiller,   sont 


1)  Hisioirt  de  Mulhouse^  p.  84. 


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226  REVUE   D'ALSACE 

venus  le  27  juillet  les  assiéger  à  Guebwiller,  et  ont 
pillé  toutes  les  maisons  des  chanoines.  Il  ne  leur  reste 
plus  que  les  murs,  plus  une  tuile  sur  le  toit,  ni  porte 
ni  fenêtre,  tous  les  meubles  cassés,  brisés  et  jetés  par 
les  fenêtres,  tous  les  vins  bus  et  coulés  dans  la  cave»  «)• 
€  Je  n'ai  pas  le  temps  de  vous  dire  le  désordre  affreux 
qui  se  commet  à  Guebwiller,  écrivait-on  le  27  juillet 
au  greffier  de  la  maîtrise  d'Ensisheim;  il  n'y  a  plus  rien 
absolument  dans  aucun  des  maisons  des  chanoines: 
tout  est  brûlé  et  haché  ». 

Parmi  les  titres  dont  les  insurgés  réclamaient  la 
livraison,  se  trouvaient  les  pièces  relatives  aux  deux 
cantonnements  faits  dant  les  forêts  seigneuriales  de  la. 
haute  et  basse  vallées  de  Saint-Amarin,  en  17702),  par 
les  officiers  de  la  maîtrise  des  eaux  et  forêts  d'Ensis- 
heim. Comme  ils  ne  les  avaient  pas  obtenues,  ils  réso- 
lurent de  se  rendre  en  masse  le  29  au  matin  à  Ensis- 
heim,  de  s'emparer  des  originaux  conservés  au  greffe 
de  la  maîtrise,  et  de  faire  subir  à  la  maison  du  greffier 
le  même  sort  qu'aux  maisons  canoniales  de  Guebwiller. 
Le  greffier,  averti  aussitôt,  en  fut  effrayé;  mais  il  se 
tranquillisa  lorsqu'il  eut  reçu  de  l'assemblée  des  bour- 
geois l'assurance  que  l'on  ferait  bonne  garde  et  que 
l'on  empêcherait,  au  besoin  par  la  force,  les  insurgés 
d'approcher.  On  lui  conseilla  cependant,  pour  enlever 
à  ces  derniers  tout  prétexte  d'attaquer  la  ville,  de  leur 
envoyer  sans  délai  à  Guebwiller  toutes  les  pièces  récla- 
mées. Dans  des  circonstances  aussi  critiques,  le  greffier 
considéra  ce  conseil  comme  un  ordre  ;  il  livra  sur-le- 
champ   les   titres,    papiers,    registres    et   plans   de    ces- 


i)  D*après  les  renseignements  recueillia  par  la  Chambre  de  Ribeau- 
villé,  on  aurait  fait  couler  ainsi  plus  de  12.000  mesures  de  vin  !  (Lettre 
au  duc  de  Deux-Ponts  du  2  août   1789). 

2)  C'est  à  cette  date  que  commencèrent  les  opérations  préliminaires. 
Le  cantonnement  lui-même  ne  fut  définitivement  achevé  et  arrêté  qu'en 
vertu  de  deux  arrêts  du  Conseil  du  Roi,  l'un  du  26  mai  1772,  l'autre 
du  20  avril  1779,  spécial  au  val  de  Saint-Amarin  et  interprétatif  du. 
premier. 


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LES   TROUBLES   DE    I789  227 

cantonnements,  que  trois  bourgeois  de  la  communauté 
d'Ensisheim  furent  chargés  de  remettre  le  soir  même 
entre  les  mains  des  syndics  et  députés  de  la  vallée  de 
Saint-Amarin  à  Guebwiller.  C'est  ainsi  qu'Ensisheim 
échappa  au  pillage  i). 


i)  Voici  le  procès-verbal,  dressé  à  cette  occasion  par  le  greffier  de 
la  maîtrise  FronhofTer,  auquel  on  donnait  le  titre  de  subdélégué  de 
rintendant  : 

€  L*an  1789,  le  28  juillet,  à  4  heures  de  relevé,  étant  en  mon  greffe 
de  la  maîtrise  particulière  des  eaux  et  forêts  de  la  Haute-Alsace  séante 
en  cette  ville  d'Ensisheim,  il  m'a  été  rapporté  par  différents  particuliers 
de  cette  ville  venant  aujourd'hui  de  Guebwiller,  qu'il  se  trouvait  audit 
Guebwiller  une  bande  de  3  à  4000  habitants  de  la  vallée  de  Saint- 
Amarin,  qui  avec  fureur  dévastaient,  dégradaient  et  anéantissaient,  non 
seulement  les  meubles  et  effets  qui  se  trouvent  dans  les  maisons  du 
prince  et  des  chanoines  de  l'illustre  chapitre  éqnestral,  seigneurs  de 
ladite  vallée  de  Saint-Amarin,  mais  aussi  leurs  maisons  et  jardins,  et  ce 
pour  n'avoir  pas  trouvé  aux  archives  dudit  illustre  chapitre  les  titres 
et  papiers  qu'ils  s'étaient  proposés  d'en  retirer  avee  force  et  violence, 
notamment  ceux  concernant  les  cantonnements  des  bourgeois  et  habitant» 
des  vallées  haute  et  basse  dudit  Saint-Amarin,  faits  dans  les  forêts  seigneu- 
riales dans  les  années  1770,  par  les  officiers  de  la  maîtrise  d^Ensisheim  ;,. 
que  ces  gens  furieux  auraient  ouvertement  dit  que  demain,  tous  rassem- 
blés, ils  viendraient  en  cette  ville  d'Ensishcim,  avec  toute  violence, 
retirer  de  mon  greffe  de  la  maîtrise  tous  les  titres  et  papiers  concernant 
lesdits  cantonnements  et  m'anéantir,  ainsi  que  ma  maison  et  tout  ce  qui 
s'y  trouvera.  —  Vu  aussi  une  lettre  à  moi  adressée  le  jour  d'hier  par 
un  ami  demeurant  à  Soultz,  qui  est  à  proximité  dudit  Guebwiller,  qui- 
restera  jointe  au  présent  procès-verbal,  je  me  suis  transporté  près  les 
chefs  de  la  bourgeoisie  de  cette  ville  quasi  toute  assemblée  pour  aviser 
au  parti  à  prendre  pour  la  tranquillité  de  cette  ville.  Iceux  ayant  aussi 
été  instruits  du  téméraire  projet  des  gens  de  Saint-Amarin,  ils  m'ont 
assuré  qu'ils  ne  laisseraient  entrer  en  cette  ville  aucune  personne  attroupée, 
que  la  bourgeoisie  sera  jour  et  nuit  sous  les  armes  pour,  au  prix  de 
son  sang,  si  nécessaire  il  était,  empêcher  tous  troubles  et  vexations  que 
l'on  pouvait  vouloir  tenter;  que  cependant»  connaissant  la  fureur  avec 
laquelle  les  turbulents  de  Saint-Amarin  prétendent  se  procurer  les  titre»- 
et  papiers  concernant  leurs  cantonnements,  l'on  pensait  que,  pour  éviter 
tout  trouble  et  carnage,  que  la  fureur  de  l'arrivée  de  ceux  de  Saint- 
Amarin  aux  portes  de  cette  ville  pourrait  occasionner,  il  serait  de  la 
prudence  que  moi,  greffier,  j'envoyasse  demain  de  grand  matin  toutes 
les  pièces  concernantes  ces  deux  cantonnements  à  Guebwiller  aux  chefs 
de  la  troupe  de  Saint-Amarin,  ce  qui  garantirait  cette  ville,  ainsi  que 
moi  et  les  miens  de  toute  vexation;  que  cet  envoi  serait  escorté  par 
une  députation  de  bourgeois  de  cette  ville  qui  en  feraient  la  remise 
aux  chefs  de  ceux  de  Saint-Amarin  et  en  retireraient  récipissé.  —  En 
conséquence  de  cet  arrêté,  je,  greffier,  ai  de  suite  mis  en  malle  tous  les 
titres,  papiers,  registres  et  plans  des  cantonnements  dont  est  question, 
sans  avoir  eu  le  temps  d'en  dresser  procès-verbal  et  ai  fait  mettre  la 
malle  sur  une  charette  en  présence  des  sieurs  Ig.  Schmidlin,  Louis 
Sauthier  et  J.-B.  Brosé,  députés  de  la  communauté  de  cette  ville,  qui 
de  suite  se  sont,    avec  ces  pièces,    transportés  à  Guebwiller,   où,  à  ce 


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.'2  28  REVUE  D'aLSACE 

Pendant  que  les  paysans  de  Saint-Amarin  saccageaient 
le  château  du  prince-abbé  et  les  maisons  canoniales, 
ceux  de  la  vallée  de  Lautenbach  revendiquèrent  à  leur 
exemple,  et  à  peu  près  de  la  même  façon,  leurs  pré- 
tendus droits  que  leur  avait  ravis  le  chapitre  de  Lauten- 
bach leur  seigneur.  Ce  même  27  juillet,  vers  2  heures 
de  l'après-midi,  le  chanoine  de  Bergeret  sortait  à  cheval, 
accompagné  de  son  domestique,  lorsqu'il  rencontra, 
entre  Schweighausen  et  Buhl,  environ  200  hommes  de 
ce  dernier  village,  armés  de  fusils,  de  haches  et  de 
bâtons.  On  l'arrêta,  l'accusant  d'enlever  les  titres  des 
archives.  Comme  il  protestait  et  voulait  passer  outre, 
on  lui  appuya  sur  la  poitrine  un  fusil  chargé  avec 
-«lenace  de  le  tuer,  s'il  refusait  de  rentrer  à  Lautenbach 
avec  les  émeutiers.  A  l'approche  de  cette  petite  troupe 


-qu^ils  ont  rapporté,  ils  en  ont  fait  la  remise  aux  syndics  et  dépotés  de 
4a  vallée  de  Saint-Amarin,  qui  ont  refusé  d^en  donner  récépissé,  de  tout 
quoi  j'ai  dressé  le  présent  procès-verbal,  que  les  chefs  des  bouigeois, 
•ainsi  que  les  députés  susdits  de  la  communauté,  ont  signé  avec  moi. 
.i^'ait  à  Ensisheim  le  29  juillet  17S9  >.  S  gné  :  Fronhoffer,  plus  vingt- 
trois  signatures  environ. 

Voici  quel  fut  le  sort  des  archives  de  Tabbaye.  Les  voitures  qui  les 
transportaient  arrivèrent  le  27  juillet,  sans  encombre,  jusqu'à  Dessenheim. 
Là  une  troupe  de  paysans  ameutée,  soupçonnant  que  ces  caisses  renfer- 
maient des  armes  à  destination  de  Neuf-Brisach,  les  arrêta  et  se  disposait 
à  les  piller,  lorsque  survint  à  propos  une  patrouille  de  la  garnison  de 
cette  ville  qui  n'eut  pas  de  peine  à  disperser  les  émeutiers  ;  elle  fit  main 
basse  sur  les  voitures,  les  conduisit  à  Brisach  et  mit  en  dépôt   chez   le 

"Commandant  de  Rocques  les  22  caisses  qu^elles  contenaient.  Lorsque 
le  calme  fut  un  peu  rétabli,  le  Chapitre  réclama  ses  archives  et  donna 

•-commission  aux  chanoines  de  Reutner  et  de  Gohr  de  les  retirer  ou  de 
prendre  des  arrangements  pour  leur  conservation.  Le   12  août  1790,  le 

f Département,  après  avis  du  District,  ordonna  qu'un  commissaire  nommé 
par  le  District  (ce  (ut  M.  Metzger),  se  rendra  à  Brisach,  apposera  sur 
les  32  caisses  le  grand  sceau  du  District,  en  présence  des  délégués  du 
Chapitre,  des  notaliles  et  des  officiers  municipaux  de  la  ville,  et  les 
déposera  à  Thôtel  de  ville  sous  la  garde  de  la  Municipalité.  Le  1 5  avril 
1791  enfin,  sur  les  réquisitions  du  Procureur  général  syndic,  pour  satis- 
faire à  la  loi  du  5  novembre,  tit.  9  et  10,  ainsi  qu'aux  nombreuses 
réclamations  des  communautés  du  val  de  Saint-Amarin,  le  Département 
ordonna  que  les  archives  de  Murbach  seraient  réunies  à  celles  du  District, 
«près  que  le  même  commissaire  aurait  reconnu  les  scellés,  en  présence 
•des  notables  et  des  officiers  municipaux  qui  avaient  assisté  à  leur  appo- 
sition, et  aurait  fait  dresser  un  inventaire  préalable.  Aujourd'hui  ces 
archives  se   trouvent  au   dépôt   de   la  Haute-Alsace.  {Dép,   205,   2523. 

.F.  de  Murbach). 


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LES   TROUBLES   DE    1789  229 

on  sonna  le  tocsin  au  village.  Après  avoir  placé  des 
sentinelles  autour  de  l'église  et  devant  chaque  maison 
de  chanoine,  le  prévôt,  le  syndic  et  les  préposés  de 
Biihl  firent  signer,  d'abord  par  le  chanoine-curé  Meistrez- 
heim,  puis  par  le  doyen  Gœtzmann,  chez  lequel  s'étaient 
réunis  tous  les  capitulaires,  un  écrit  renfermant  cession 
à  la  communauté  d'un  canton  considérable  de  forêt 
qu'ils  accusaient  le  Chapitre  d'avoir  usurpé  au  mépris 
de  leurs  droits.  Ils  ne  s'étaient  pas  plutôt  retirés  que 
les  gens  de  la  vallée  même  de  Lautenbach  se  présen- 
tèrent et  menacèrent  l'église  et  les  maisons  du  prévôt 
et  du  doyen.  On  ne  put  les  calmer  qu'en  invitant  leurs 
préposés  à  rédiger  un  cahier  de  doléances  qu'ils  devaient 
fournir  le  lendemain.  Le  lendemain  28  les  préposés  de 
Lautenbach  et  de  Linthal  exigèrent  avec  fureur  qu'on 
leur  rendît  les  droits  sur  les  forêts  dont  leur  commu- 
nauté jouissait  depuis  plus  de  400  ans  et  dont  un  arrêt 
de  1748  l'avait  injustement  dépouillé.  Le  Chapitre  dut 
leur  promettre  entière  satisfaction  et  s'engager  par  écrit 
à  leur  extrader  l'après-midi  même  les  titres  qu'ils  récla- 
maient. Par  surcroît  de  précaution,  on  fut  obligé  de 
remettre  immédiatement  à  leur  syndic  une  clé  des 
archives.  Néanmoins  ils  ne  furent  pas  encore  satisfaits, 
car,  à  l'issue  des  vêpres,  la  salle  du  Chapitre  fut  envahie 
tout  à  coup  par  une  foule  en  désordre,  armée  de  haches, . 
de  sabres,  de  bâtons  ferrés,  insultant  les  chanoines  et 
leur  faisant  les  menaces  les  plus  atroces.  Sous  le  coup 
de  la  violence,  les  chanoines  furent  contraints  de  faire, 
encore  d'autres  concessions  fort  importantes  et  ne  purent 
se  retirer  qu'après  un  véritable  supplice  qui  avait  duré 
trois  heures.  Mais  alors  ils  trouvèrent  installés  dans 
leurs  maisons  ces  mêmes  paysans,  qui  les  forcèrent  à 
leur  servir  à  boire  et  à  manger  jusque  bien  avant  dans 
la  nuit.  Le  lendemain,  29,  dès  8  heures  du  matin,  les 
gens  de  Linthal  revinrent  plus  nombreux  que  la  veille. 
Le  28  au  soir,  ils  avaient  envoyé  au  prévôt  du  Chapitre,, 
alors  à  BoUwiller,  trois  délégués,  afin  de  faire  ratifier 
par  lui  les  concessions  qu'ils  avaient  arrachées  au  Cha- 


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230  REVUE   D'aLSACE 

pitre,  sous  la  menace,  en  cas  de  refus,  de  saccager  et 
de  démolir  la  prévôté  et  les  maisons  canoniales  de 
Lautenbach.  Bien  que  le  prévôt  eut  signé  sans  difficulté, 
les  émeutiers  exigeaient  maintenant  qu'il  vînt  à  Lauten- 
bach en  personne  ratifier  publiquement  la  signature 
qu'il  avait  donnée,  et  se  firent  servir  du  vin  à  discrétion 
en  attendant  le  retour  des  nouveaux  députés  qu'ils 
avaient  envoyé  à  Bollwiller.  Ceux-ci  revinrent  vers  les 
1 1  heures  annonçant  l'arrivée  immédiate  du  prévôt. 
Alors  les  insurgés,  au  lieu  de  se  calmer,  firent  sonner 
4e  tocsin  et  excitèrent  la  foule  au  pillage  et  à  la  dévas- 
tation. Le  chanoine  Gabert,  qui  voulut  essayer  d'apaiser 
le  tumulte,  fut  saisi  par  les  plus  mutins,  emprisonné 
dans  la  prévôté,  et,  pendant  trois  quarts  d'heure,  demeura 
exposé  à  la  fureur  de  cette  populace  à  moitié  ivre, 
sous  le  coup  de  menaces  de  mort  continuelles.  Il  ne 
put  obtenir  quelque  trêve  qu'en  écrivant  de  sa  main 
au  prévôt  une  invitation  très  pressante  de  ne  pas  retarder 
son  arrivée  s'il  voulait  éviter  les  plus  grands  malheurs. 
Cinquante  hommes  furent  chargés  de  porter  ce  billet 
à  son  adresse,  et  ils  promirent  de  ramener  le  prévôt 
mort  ou  vif.  Cette  petite  troupe  n'eut  pas  cependant 
à  aller  fort  loin,  car  elle  rencontra  le  prévôt  accom- 
pagné du  chanoine  Bouat,  non  capitulaire,  au  milieu 
de  Guebwiller.  Arrivé  à  Lautenbach,  le  prévôt  assembla 
le  Chapitre,  et,  sous  la  pression  de  la  violence,  on 
souscrivit  à  toutes  les  prétentions  des  gens  de  Linthal 
et  de  Lautenbach  qui  exigeaient  avec  opiniâtreté  l'aban- 
don de  vastes  forêts,  la  renonciation  à  des  rentes  fon- 
cières, droits  ou  revenus  considérables  :  c'était,  en  un 
mot,  consentir  à  la  ruine  complète  du  Chapitre  i).  Ils 
venaient  d'être  satisfaits,  lorsqu'une  députation  armée 
de  Lautenbach-Zell  se  présenta,  tambours  en  tête,  à  la 
porte  de  la  salle  capitulaire,  réclamant  impérieusement 
-la  cession  d'un  terrain  en  nature  de  jardin.   Le  prévôt 


1)  F.    de   Lautenbach.   —    Cfr.  Revue  cTAhace^    1863,   p.   183.    — 
Journal  de  jurisprudente. 


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LES   TROUBLES   DE    I789  23I 

veut  les  renvoyer  aux  tribunaux;  mais  un  nommé 
Rieser  lui  répond  qu'ils  ne  connaissaient  d'autres  juges 
que  le  Roi  et  eux-mêmes.  Devant  leurs  menaces,  on 
consent  à  l'abandon  du  jardin,  si  dans  huit  jours  le 
Chapitre  ne  peut  représenter  le  titre  d'acquisition.  Enfin, 
le  31,  les  gens  de  Buhl  revinrent  en  masse.  Craignant 
qu'on  arguât  de  nullité  la  cession  d'un  canton  de  forêt, 
qui  leur  avait  été  faite  le  27,  à  cause  des  violences 
dont  le  Chapitre  avait  été  l'objet,  ils  exigèrent  un  nouvel 
acte,  muni  de  nouvelles  signatures,  déclarant  expressé- 
ment que  cette  cession  leur  avait  été  faite  de  bon  gré 
et  à  Tamiable.  Le  même  jour,  une  députation  de  Soultz- 
matt  vint  réclamer  l'abandon  d'une  portion  de  dîme 
appartenant  au  Chapitre  :  on  l'accorda  sans  difficulté, 
parce  que  la  communauté  tout  entière  se  disposait  à 
venir  appuyer  les  réclamations  de  ses  députés. 

Au  même  moment  les  deux  vallées  de  Munster, 
-celle  de  Sainte-Marie-aux-Mines  et  le  comté  de  Ribeau- 
pierre  s'étaient  également  soulevés  :  nous  ferons  plus 
loin  le  récit  de  ces  scènes  tumultueuses.  Le  reste  de 
la  Haute-Alsace,  et  particulièrement  la  plaine,  ne  fut 
pas  exempt  de  troubles.  Partout  on  s'en  prenait  aux 
gens  de  justice  et  de  finance  des  seigneurs  »).  Dans  les 
environs  d'Ensisheim,  leurs  bureaux  ou  leurs  greffes 
furent  envahis  et  les  papiers  qu'on  y  trouva  brûlés  ou 
lacérés.  A  Bollwiller,  le  29  juillet,  la  maison  du  bailli 
Jacquot  fut  pillée  et  dévastée,  et  le  bailli  lui-même  dut 
se  cacher.  Le  sieur  Thiébaud,  avocat  au  Conseil,  pro- 
cureur fiscal  du  comté  de  Horbourg,  fut  obligé  de 
suspendre  trois  procédures  criminelles  à  l'extraordinaire, 
à  cause  des  dangers  qui  couraient  les  officiers  de  jus- 
tice; mais  il  se  déclarait  prêt  à  les  reprendre  dès  que 
l'ordre  serait  rétabli.    A  Reguisheim,    le  30  juillet,    on 


i)  €  Dieser  Auszug  bewegte  aber  auch  andere  Gemeinden,  dass  aie 
aufrlihrich  wurden,  und  von  ihren  Herrschaften  die  Titres  herausbegerten, 
80  dass  fast  keine  Herrschaft  mehr  sicher  war . . .  ».  (M.  MiEG,  Histoire 
-de  Mulhouse)» 


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232  REVUE  D'ALSACE 

maltraita  le  receveur  du  prince  de  Broglie  et  sa  femme^ 
auxquels  on  réclamait  en  vain  quelques  titres  qui 
n'étaient  pas  en  leur  possession  1).  La  ferme  du  Roi  n'était 
pas  ménagée;  on  refusait  de  payer  les  droits  sous 
prétexte  que  l'Assemblée  allait  les  abolir;  on  enlevait 
les  poteaux  et  les  placards,  et  même  on  mit  à  contri- 
bution quelques  bureaux,  etc. 

Comme  à  toutes  les  époques  de  désordres,  il  y  eut 
des  bandes  de  pillards  et  de  gens  sans  aveu,  qui  sillon- 
naient le  pays  en  tout  sens,  et  pillaient  les  endroits 
ou  les  habitations  isolées  et  sans  défense.  Billing  les 
appelle  streifende  Gesiitdel^  et  l'on  pouvait  en  toute^ 
vérité  leur  donner  le  nom  de  bandits  ou  brigands.  C'est 
pour  se  garantir  de  leurs  surprises  que  les  religieux  de 
Marbach  résolurent,  le  30  juillet,  de  mettre  leurs  biens 
les  plus  précieux  en  sûreté  dans  leur  hôtel  de  Colmar»), 
C'est  pour  la  même  raison  que  le  couvent  de  Schônen- 
steinbach  fut  gardé  pendant  plus  d'un  mois  par  des 
hommes  de  bonne  volonté,  qui  faisaient  le  guet  nuit 
et  jour  3).  La  ville  de  Mulhouse  elle-même,  bien  que 
ne  faisant  pas  partie  de  la  province,  eut  aussi  sa  panique- 
Le  31  juillet  on  répandit  le  bruit  que  les  brigands 
voulaient  s'emparer  de  la  ville  et  la  piller.  Le  Magistrat 
arma  en  toute  hâte  120  hommes,  se  mit  sur  la  défen- 
sive et  fit  faire  des  patrouilles;  mais  les  insurgés  ne^ 
parurent  point  4). 


i)  Quelque  temps  après  la  communauté  prit  une  délibération  qui 
réclamait  ni  plus  ni  moins  que  la  propriété  de  toutes  les  forêts  de  son* 
ban.  Pour  la  faire  signer,  on  envoyait  chercher  les  gens  de  force,  oii> 
en  fit  même  jeter  plusieurs  qui  s*y  refusaient  en  prison.  Le  baillr 
Jacques,  en  transmettant  cette  délibération  à  PAdministration,  priait 
celle  -  ci  de  c  ramener  à  la  raison  les  gens  qui  l'avaient  perdue  ».. 
«  On  peut  mieux  sentir,  disait-il,  qu'exprimer  jusqu'où  peuvent  aller  les- 
excès,  avec  des  voies  et  des  dispositions  pareilles  !  »  (20  septembre  1 789). 

2)  BiLLiNO,  p»  7.  —  Cfr.  V Abbaye  de  Marbach^ 

3)  L'arsenal  de  Sélestat  leur  avait  délivré  quatre  mousquetons,  sur 
récépissé  du  père  confesseur.  Plus  tard,  et  pour  la  même  raison,  oiy 
réclama  un  détachement  de  l'autorité  militaire. 

4)  M.  MiBG,  1.  c,  p.  350. 


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LES   TROUBLES   DE    1789  233 

Les  Juifs,  cet  autre  objet  de  la  haine  populaire, 
furent  beaucoup  moins  nnaltraités  dans  le  district  de 
Colmar  que  dans  le  Sundgau.  Nous  n'avons  trouvé  la 
mention  de  voies  de  fait  sérieuses  contre  eux  qu'à 
Bergheim  et  surtout  à  Wintzenheim.  Peut-être  cepen- 
dant y  eut-il  quelques  mouvements  dans  le  comté  de 
Horbourg,  où  déjà  on  se  plaignait  amèrement  de  leur 
excessive  multiplication  en  1756  et  en  1786.  Sans  doute, 
à  Bollwiller  les  Juifs  ne  durent  pas  être  ménagés,  pen- 
dant que  les  insurgés  de  Saint-Amarin  étaient  maîtres 
du  pays.  Toutefois  nous  n'avons  aucuns  renseignements 
à  ce  sujet  •), 

A  Bergheim,  écrivait  de  Ribeauvillé  M.  de  Berck- 
heim  au  Bureau  de  Colmar,  <  on  est  après  les  Juifs 
pour  les  chasser,  piller  et  tuer.  Comme  les  préposés 
de  Bergheim  sont  aujourd'hui  à  Colmar,  je  vous  prie 
de  leur  représenter  et  de  faire  que  tout  se  remette; 
car,  si  on  chasse  les  Juifs,  on  ne  fait  qu'augmenter  les 
bandits  et  les  vagabonds  ».  Il  semble  que  l'intervention 
de  M.  de  Salomon,  second  président  du  Conseil  souve- 
rain et  colonel  de  la  milice  bourgeoise  de  Colmar,  suffit 
pour  arrêter  les   violences   et  empêcher  tout    excès  2). 

A  Wintzenheim,  on  ne  paraît  pas  avoir  été  d'aussi 
bonne  composition.  Les  Juifs  habitaient  alors  déjà  ce 
village  en  grand  nombre,  et  l'on  peut  se  figurer  les 
excès  dont  ils  furent  victimes  par  le  sort  de  deux  des 
principaux  d'entre  eux. 

Le  26  juillet,  à  9  heures  du  soir,  trois  bourgeois, 
armés  de  tricots,  pénétrèrent  dans  la  demeure  de  Judel 
Bloch  et  se  firent  servir  à  boire  et  à  manger  en  pro- 
férant des  menaces  ;  ils  ne  se  retirèrent  qu'à  1 1  heures 
et  demie,   non  sans  avoir   brisé  avec  leurs   tricots  les 


1)  Diaprés  une  motion  faite  en  faveur  des  Juifi  aux  Amis  de  la 
C^nsiiiuiion  à  Strasbourg  (2  mars  1790)  sur  1S2  communautés  habi- 
tées par  des  Juifs  en  Alsace,  il  n^y  en  a  eu  que  20  dans  lesquelles  ils 
furent  maltraités,  et  principalement  dans  le  Sundgau. 

2)  Le  Bureau  le  prie  le  f  août  de  faire  venir  chez  lui  trois  ou 
quatre  des  délégués  de  Bergheim  et  de    leur   faire   ses   représentations. 

Remit  d*Alêace,  1907  16 


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234  REVUE   d'ALSACE 

objets  à  leur  portée.  Ce  n'était  qu'an  prélude,  car  vers 
I  heure  et  demie  du  matin,  cinquante  à  soixante  habi- 
tants de  Wintzenheim  se  présentèrent  tout  à  coup  et, 
sans  plus  de  façon,  enfoncèrent  avec  fracas  les  portes 
de  la  maison.  Réveillés  par  le  tapage,  environ  onze 
voisins,  qui  n'étaient  pas  du  complot,  accoururent  au 
secours  de  Bloch;  de  là  une  véritable  bagarre,  au  milieu 
de  laquelle  Pun  de  ceux  qui  soutenaient  le  juif  fut 
blessé  et  tomba  évanoui.  Pendant  qu'on  était  occupé 
à  le  soigner,  les  émeutiers  allumèrent  quinze  livres  de 
chandelles  qu'ils  avaient  trouvées,  six  par  six,  afin  de 
bien  éclairer  tous  les  recoins  de  la  maison  au  risque 
d'y  mettre  le  feu.  Puis  le  pillage  commença  avec  menace 
de  mort.  Tout  fut  enlevé  ou  détruit.  Des  bijoux  de  la 
valeur  de  6  ducats,  mis  en  gage  chez  le  juif,  furent 
volés  ;  30  livres  d'étain,  la  batterie  de  cuisine,  trois  ou 
quatre  mesures  de  vin  disparurent,  etc. 

Le  même  26  juillet,  vers  3  heures  de  l'après-midi, 
le  bourgmestre  fit  réclamer  à  un  nommé  Hirtz  Moïse  i) 
1 80  liv.  montant  des  frais  que  la  communauté  avait  dû 
payer  au  sieur  Gérard,  procureur  au  Conseil  pour  avoir 
occupé  pour  elle  dans  un  procès  qu'elle  perdit  contre 
le  juif,  il  y  avait  25  ans.  En  cas  de  refus,  Hirtz  était 
prévenu  que  les  bourgeois  avaient  résolu  de  s'emparer 
des  échelles  à  incendie,  d'attaquer  et  de  détruire  sa 
maison.  Comme  on  exigeait  le  paiement  immédiat,  il 
remit  192  liv.  au  messager,  pensant  qu'on  lui  rendrait 
le  surplus.  Il  se  trompait.  Pour  toute  réponse,  une 
demi-heure  plus  tard,  cinquante  à  soixante  personnes 
enfoncent  les  portes  de  sa  maison,  saisissent  tout  ce  qui 
leur  tombe  sous  la  main,  volent  et  vendent  son  vin, 
s'emparent  de  ses  meubles,  de  son  linge,  de  son  argen- 
terie, de  ses  bijoux  :  le  pillage  dura  jusqu'au  27  à 
7  heures  du  matin,   heure   à  laquelle  le   tocsin   sonna 


1)  Cette  famille  paraît  avoir  été  très  riche,    car  elle  avait  pour  set 
enfants  un  précepteur,  nommé  Hirsch,  natif  de  Prague. 


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LES  TROUBLES   DE    1789  235 

<  pour  annoncer  une  révolte  parfaite  »♦  A  9  heures  on 
mande  Hirtz  à  Thôtel  de  ville;  mais,  comme  il  avait 
disparu  dès  5  heures  du  matin,  de  crainte  qu'on  attentat 
à  sa  vie,  son  fils  qui  portait  le  même  prénom  que  lui 
se  rendit  à  la  commune  à  la  place  de  son  père.  Il  reçoit 
l'ordre  de  déménager  et  de  vider  sa  propre  maison, 
épargnée  jusque-là,  dans  le  délai  de  trois  heures.  Il  se 
hâte  d'obéir,  mais  il  était  à  peine  occupé  à  ce  travail 
pénible  depuis  une  demi-heure,  que  la  foule  devint  si 
nombreuse  et  grossit  au  point  de  ne  plus  permettre 
de  se  remuer.  De  plus  l'horloge  du  village  fut  avancée 
d'une  heure,  de  sorte  qu'il  sonna  midi  à  onze  heures; 
et  au  coup  de  midi  le  pillage  commença,  après  qu'on 
eut  chassé  du  village  Hirtz  fils,  sa  femme,  ses  enfants 
et  ses  domestiques.  Sa  maison,  et  celle  de  son  père, 
furent  à  peu  près  détruites  ;  et,  d'après  son  estimation, 
les  meubles  qui  furent  volés,  avaient  seuls  une  valeur 
de  22.740  liv.,  dont  17.100  pour  son  pèrei). 

Il  est  très  probable  que  d'autres  Juifs  subirent  le 
même  sort,  ou  un  sort  analogue.  Ainsi  nous  savons, 
•cependant  sans  détaik,  que  Wormbser,  aubergiste  des 
Deux  Clefs  pour  sa  nation  à  Wintzenheim,  se  réfugia 
à  Colmar  et  demanda  la  permission  de  rester  hors  ville 
(l'entrée  à  Colmar  était  de  tout  temps  interdit  aux  juifs) 
jusqu'à  la  cessation  des  troubles.  Moïse  Heitzel,  juif  de 
Wintzenheim,  voulut  de  même  chercher  un  asile  à 
Ribeauvillé,  mais  n'obtint  pas  la  permission  de  s'établir 
dans  cette  ville;  nous  en  ignorons  le  motif,  etc. 


i)  Hirtz  Moïse  revint  à  WintzeDheim  après  les  troubles.  Le  directoire 
du  District  mit  sous  la  protection  de  la  loi  sa  personne,  sa  famille  ei 
ses  biens,  quMl  ordonna  spécialement  à  la  municipAlité  et  à  la  Garde 
nationale  de  protéger  (3  octobre  1 790).  Hirtz  se  vit  néanmoins  dans  la 
nécessité  de  requérir  la  maréchaussée  de  Colmar  et  de  Munster  pour 
se  défendre;  il  appela  même  à  son  secours  la  Garde  nationale  de  Col- 
mar, laquelle  obtint  les  éloges  du  District  pour  son  zèle  à  rétablir 
l'ordre.  On  fut  encore  obligé  pour  le  protéger,  de  cantonner  à  Wintzen- 
heim un  détachement  du  régiment  de  la  Fère  (octobre  1790),  tant  la 
disposition  des  esprits  était  peu  rassurante!  Ce  détachement  fut  retiré 
à  la  suite  d'une  bagarre  où  il  y  eut  deux  morts,  etc . . . 


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2^6  REVUE   D^ALSACE 

Sauf  Wintzenheim,  la  plupart  des  environs  de  Colmar 
jouirent  d'une  tranquillité  relative,  grâce  à  la  milice  bour- 
geoise de  cette  ville.  C'est  ce  que  constatait  le  colonel, 
M.  de  Salomon,  dans  une  circulaire  imprimée  qu'il  adressa, . 
le  2g  juillet,  aux  communautés  d'alentour  :  €  Tous  les- 
ordres  de  la  ville,  dit-il,  sans  exception,  ni  distinction^ 
se  sont  ensuite  formés  en  milice  bourgeoise,  tant  pour 
contenir  ceux  qui  pourraient  jeter  les  semences  de 
desordre  dans  l'intérieur,  que  pour  se  tenir  sans  cesse 
en  état  de  repousser  les  brigands ...  et  pour  porter 
secours  a  leurs  voisins^  ce  qu'ils  ont  déjà  eu  le  bonheur 
de  faire  utilement  >  ').  Puis  il  conviait  les  communautés- 
voisines  à  s'armer,  à  s'organiser,  tant  pour  contenir 
les  ennemis  du  dedans,  que  pour  se  garantir  contre 
ceux  du  dehors,  «  de  concert  avec  vos  voisins,  par  la 
communication  convenue  d'un  secours  mutuel  ».  Cette 
invitation  du  colonel  fut  certainement  entendue,  car  la 
municipalité  de  Colmar  assure,  à  la  date  du  ii  juin 
1790,  que  grâce  aux  «soins  infatigables  et  la  sage 
modération  »  de  M.  de  Salomon,  «  non  seulement  la 
ville  de  Colmar  jouissait  alors  du  calme  le  plus  parfait, 
mais  qu'elle  était  même  parvenue  à  se  rendre  l'arbitre 
de  ses  voisins,  qui  déféraient  à  ses  conseils,  parce  qu'elle 
les  avait  édifiés  par  son  exemple.  Voilà  pourquoi  les- 
environs  de  Colmar  furent  beaucoup  moins  agités  que 
le  reste  de  la  province  2).  Aussi  lorsque  le  Conseil  général 


1)  Ce  fut  une  compagnie  de  la  milice  bourgeoise  de  Colmar,  qui 
contint  les  émeutiers  aux  environs  de  Marbach,  et  ramena  quelque  pei> 
la  sécurité  dans  cette  abbaye.  (Cfr.  D Abbaye  de  Marbach^  et  Le  der- 
nier abbé  de  Marbach^  p.  37).  La  milice  bourgeoise,  ou  Garde  nationale,. 
ne  rendit  pas  partout  les  mêmes  services.  A  Sainte-Marie,  par  exemple, 
elle  arrêtait  à  tort  et  à  travers  des  poudres,  des  grains,  de  Tamidon  et 
d'autres  marchandises.  Le  Bureau  de  Colmar  dut  la  blâmer  le  28  septembre 
et  lui  rappeler  qu'elle  était  établie  pour  faire  la  chasse  aux  brigands, 
prêter  main  forte  à  la  justice  et  protéger  les  c.toyentt.  Un  de  ceux  dont 
elle  avait  illégalement  arrêté  les  marchandises,  se  pourvut  en  dommages- 
intérêts  contre  elle,  par  devant  Tlntendant. 

2)  Grâce  également  aux  efforts  du  Bureau.  Voici  comment  s^exprime 
le  baron  de  Schauenbourg  dans  la  lettre  par  laquelle  il  le  remercie 
d'avoir  contribué  à  la  pacification  de  sa  seigneurie  et  de  celle  de  son 
frère,  c  C'est  à  la  confiance  si  justement  méritée  dont  vous  jouissez, 
elles,  que  nous   sommes   redevables   de   la  tranquillité  qui  règne  dans 


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LES   TROUBLES    DE    I789  237 

-de  la  commune  de  cette  ville  supplia  l'Assemblée  natio- 
nale, le  24  février  1790,  de  maintenir  les  établissements 
publics  de  Colmar,  que  les  décrets  supprimaient,  voulut-il 
*que  ses  deux  députés  fissent  valoir  les  services  rendus 
-durant  les  troubles  de  1789,  €  où  Ton  a  conservé  la  paix 
en  ville  et  dans  les  environs  •. 

Les  nombreuses  victimes  de  cette  insurrection  trou- 
vèrent la  plupart  un  asile  dans  les  communautés  moins 
^troublées  <),  et  surtout  dans  les  villes,  ou  du  moins  le 
pillage  du  peu  que  Ton  avait  soustrait  à  la  rapacité 
des  émeutiers  n'était  pas  à  redouter,  bien  qu'elles  fussent 
-à  peu  près  toutes  très  agitées.  Mulhouse,  qui  ne  faisait 
pas  partie  de  la  province,  offrit  à  ces  malheureux  une 
généreuse  hospitalité.  Beaucoup  de  nobles  des  environs 
y  trouvèrent  un  refuge  assuré.  Une  quantité  de  Juifs 
vinrent  chercher  un  abri  derrière  ses  murs,  et  les  plus 
«misérables  d'entre  eux,  quarante  à  cinquante  environ, 
-se  virent  défrayés  pendant  quelques  jours  à  l'hôpital 
<le  cette  ville  2).  La  Suisse  ne  fut  pas  aussi  hospitalière. 
Au  premier  moment  les  nombreux  fugitifs  du  Sundgau 
j)urent  s'y   réfugier   en    toute   liberté.    Le    subdélégué 


votre  district  et  dont  lui  seul  peut  se  glorifier.  Agréez  me-*  bien  inncères 
remerciements;  les  expressions  manquent  à  ma  bouche;  mats  le  souvenir 

de  vos  soins  paterneU  est  aussi  ineffaçable  que  celui  des  désastres  dont 
^Is  nous  sauvent.  Daignez  continuer  votre  vigilance  salutaire  et,  pilotes 
•infatifçables,  n^abandonnez  pas  vos  concitoyens  dans  la  cruelle  tempête 

qui  tourmente  notre  malheureuse  patrie  %. 

I  )  Quelquefois  dans  les  forêts,  comme  nous  l'avons  vu  précédemment. 

2)  Les   Juifs    compo«èrent    plus    tard    la    prière    d*action    de    grâce 

-suivante  qu^ils  envoyaient  au  Magistrat,  avec  une  lettre  de  remerciement: 

Geàett^ 

-welches    wir   an   jeden    Sabbat    f{ir   die   WoKart    der   Stadt   MltUbausen 

absprechen,  nach  dem  Gebett  :  Du  Herr  gibst  Heil  den  Kônigen!  and 
'welches  wir  verrichten  fUr    unsern  Herrn,   den   Ktfnig,   dessen  MajestXt 

immer  erhôhet  werdel 

Unser  Gott,  du  Gott  nnsrer  VjCter  Abrahams,  Isakt  und  Jacobs!  es 
Qnommt    vor   dich   das   grosse  Elend   und   die  vielfache  Angst,   wetcbe 

deinem  Volke  hrael  wiederfahren  ist;   pldtzlicb    und   anversehent  sind 

RHalier  Uber  uns  gekommen,  und  nichts  ist  uns  ilbrig  geblieben,  als 
•  unsre  ganz  entbldszte  und  aller  Nothwendigkeiten  beraubte  Leiber;  wir 
'Sind  ihnen  zur  Beute  geworden.  O  dass  unser  Haupt  zu  Wasser  und 
•onsre  Augen  zu  einem  Thranenbrnnnen  wnrden,  damit  wir  die  Plage 
diniers  Volkes  Tag  und  Nacht  genug  beweinen  kSnnten.  Dein  heiliges 
^Vort,    das   du   uns   dnrch    deinen  Knecht  Mose    auf  dem  Berge  Sinaï 


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238  REVUE  d' ALSACE 

Gérard  se  rendit  à  Soleure  sans  être  inquiété;  plusieurs 
curés  s'étaient  soustraits  sur  le  territoire  de  Porrentrujr 
aux  poursuites  des  émeutiers.  Mais  bientôt  la  frontière 
fut  fermée  et  sévèrement  gardée,  de  sorte  qu'il  ne  devint 
plus  possible  de  la  franchir  :  le  séjour  dans  les  commu- 
nautés voisines  de  l'Alsace  était  même  absolument  inter- 
dit à  tout  étranger.  L'Etat  de  Bâle  cependant  accueillit 
beaucoup  de  Juifs,  selon  Dom.  Schmutz,  et  permit  à 
plusieurs  propriétaires  d'Alsace  de  mettre  en  sûreté 
c  leur  argent  et  leurs  effets  les  plus  précieux  >  dans 
une  ancienne  commanderie  de  l'ordre  de  Malte.  Aussi 
l'on  répandit  le  bruit  que  les  brigands,  attirés  par  l'es- 
poir du  butin,  se  répandaient  autour  de  la  ville  et  se 
disposaient  à  profiter  de  l'occasion  pour  faire  une  riche 
capture  i).  Mais  ce  ne  fut  qu'un  vain  bruit. 

(A  suivre).  CH.  HOFFMANN. 


gegeben,  haben  unsre  Feinde  zerrissi^n  und  zu  Boden  getretten.  Wer 
hat  je  80  etwas  gehtfrt  oder  gesehen  ?  Wehe  uns,  denn  unsre  Woh- 
nungen  sind  verwUstet  I  Du  Herr  bist  gerecht  in  allem  dem,  was  un»- 
begegnet  ist;  du  bast  dich  aber  treu  erzeiget,  obschon  wir  getUndiget 
haben;  denn  du  hast  uns  nach  deiner  grossen  Barmberzigkeit  docb- 
nicht  gMnzlich  vertilge^,  nocb  uns  verlassen,  sondern  uns  Gunst,  Gnade 
und  Barmherzigkeit  verscbaffet  bey  den  Hifuptern,  dem  Rathe,  den* 
Weisen  und  Erlaucbten,  den  Lebrem  und  Predigern,  den  mitleidigen 
Fraoen,  JUnglingen  und  Jung frauen,  der  berUbmten  Stadt  •  MUllbausen^ 
welcbe  uns  unter  ihre  FlUgel  aufgenommen.  Denn  da  sie  unsre  TrUb- 
salen  gesehen,  gaben  sie  uns  bey  ihnen  Zuflucht  vor  unsern  Feinden,. 
die  uns  bedrilngten;  sie  nahmen  uns  auf  in  ihre  Httuser;  den  Hungrigei> 
gaben  sie  von  ihrem  Brod  ;  sie  bedeckten  unsere  Nackenden  ;  ihr  Geld 
liessen  sie  httufig  den  Armen  unsers  Voiks  zufliessen.  Acb,  unser  Gott,„ 
du  Gott  unserer  Vâter  Abrahams,  Isaks  und  Jacobsl  lass  docb^  wir 
hitten  dich,  ihr  Allmusen  und  was  sie  den  Kindern  unsers  Volks^  un> 
sie  bey  Leben  zu  erhalten,  gegeben  haben,  vor  dich  kommen!  Siehe- 
an  ihre  Recbtschaflenheit  und  die  Treue  ihres  Herzens;  denn  weni» 
dièse  Stadt  MUllhausen  nicht  unsre  Zuflucht,  dahin  wir  hiitten  fliehen 
kônnen,'  gewesen  wflre,  so  wûiren  wir,  unsre  Weiber  und  Kinder  im^ 
Etend  vergangen.  Derowegen,  unser  Vater,  der  du  im  Himmel  wohnest, 
seh  von  deiner  heiiigen  Wohnung,  dem  Himmel,  herab  und  gib  ihnen, 
ihren  Frauen  und  Kindern  den  Thau  des  Himmels  und  die  Féttigkeit 
der  Erde;  segne  und  bfgldcke  ail  ihr  Thun;  lass  sie  ihre  Jahre  lang 
und  vergniigt  zubringen;  sSttige  sie  mit  vieler  Freude  und  gib  ihnen 
den  Reichthum  des  Guten,  das  du  den  Frommen  aufbewahret  hast  r. 
befreye  sie  von  aller  Angst,  von  aller  Orangsal,  voii  aller  Plage,  und 
Krankheit  in  Zeit  und  Ewigkeit,  wïr  sprechen  Amen! 

(Imprimé  à  BAle  chez  G.  Haas,  iseptembie   17S9  . 
1)   Voyage  d'uni  Française^  U  c. 


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CORRESPONDANCE 

ENTRE 

LE  DUC  D*AIGUILLON  ET  LE  PRINCE-COADJUTEUR 
LOUIS  DE  ROHAN 

(Suite  «) 


Lettre  tP  XV  du  duc  d'Aiguillon  au  prince  de  Rohan. 
«Versailles,  le  ii  septembre  1772.  Nous  apprenons, 
Monsieur,  de  Pétersbourg  et  de  Berlin  que  le  concert 
relatif  au  démembrement  de  la  Pologne  doit  avoir  été 
arrêté  définitivement  dans  la  première  de  ces  villes  les 
premiers  jours  du  mois  d'août  >.  Le  roi  est  impatient 
d'en  connaître  les  détails. 

Lettre  »®  §8  du  prince  de  Rohan  au  duc  d* Aiguillon. 
De  Bohême,  le  13  septembre  1772.  Il  annonce  la  nou- 
velle de  la  rupture  du  congrès  de  Fokschani»).  Il  la 
tient  du  prince  de  Kaunitz  qui  est  aussi  sur  les  terres 
du  prince  de  Paar  près  d'Austerlitz. 

Lettre  »®  LVII  du  duc  d'Aiguillon  au  Prince  de 
Rohan.  Versailles,  le  16  septembre  1772.  Le  ministre 
annonce  qu'il  a  reçu  la  lettre  n**  56  du  3  et  du  4  septembre 


1)  Voir  la  livraison  dr  mars-avril   1907. 

2)  Cfr.  De  SiiiTT,  Frédéric  II, . .  Collection  de  documents,  p.  175  ; 
Abnbth,  Geschichte  Maria  Theresias^  VIII,  p.  453;  Ad.  BxBB,  Dit  trsU 
Theilung  PoUns^  II,  p.  254. 


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240  REVUE   D'ALSACE 

et  qu'il  Ta  lue  au  Roi.  €  Sa  Majesté,  continue-t-il,  ne 
peut  qu'attendre  que  le  comte  de  Mercy  exécute  les 
ordres  dont  il  doit  être  chargé  selon  ce  que  M.  le  prince 
de  Kaunitz  vous  a  annoncé,  et  il  serait  superflu  de 
prévenir  par  des  conjectures  les  faits  dont  cet  ambassa- 
deur doit  nous  donner  communication  >. 

Lettre  n^  sç  écrite  de  Bohème  par  le  prince  de  Rohan 
au  duc  d'Aiguillon  le  17  septembre  1772.  Il  annonce 
que  le  prince  de  Kaunitz  lui  a  montré  sur  la  carte  de 
Pologne  les  lots  échus  à  l'Autriche,  à  la  Russie  et  à 
la  Prusse.  <  On  convient,  ajoute  l'ambassadeur,  que  le 
meilleur  lot  est  au  roi  de  Prusse».  11  fait  ensuite  la 
remarque  que  c'est  ce  dernier  qui  <  donnait  la  loi  et 
il  n'est  pas  oublié  ».  Les  trois  puissances  doivent  pré- 
senter au  roi  de  Pologne  le  plan  de  partage,  et  leurs 
manifestes  seront  ensuite  publiés. 

Lettre  n^  60  au  duc  d'Aiguillon  écrite  de  Vienne  par 
Fabbé  Georgel  le  21  septembre  1772.  Il  envoie  le  mani- 
feste que  les  trois  cours  de  Vienne,  de  Pétersbourg  et 
de  Berlin  vont  publier  en  Pologne  »)  et  le  mandement 
de  l'Impératrice-Reine  pour  la  prise  de  possession  des 
provinces  qui  forment  son  lot.  L'Empereur  doit  avoir 
une  entrevue  avec  le  roi  de  Prusse  à  Troppau.  Le 
comte  de  Clary,  qui  arrive  du  Banat  de  Ternes var, 
rapporte  qu'on  fait  passer  de  l'artillerie  et  des  munitions 
de  guerre  vers  Belgrade  et  qu'il  y  a  un  mouvement 
de  troupes  en  Hongrie. 

Lettre  «•  61  au  duc  d'Aiguillon  écrite  de  Vienne 
Jfar  l'abbé  Georgel  le  26  septembre  17722).  Le  prince 
de  Kaunitz  a  dit  à  l'ambassadeur  que  la  révolution  de 
Suède    peut    entraîner    une    guerre    générale,    que    la 


1)  Cfr, .  Flassan,  Histoire  générale  et  raisonnéè  de  la  diplomatie 
Jrançaise^  VII,  p.  88;  Angibbeg,  Recueil  des  traités  et  conventions 
concernant  la  Pologne ^  p.  106. 

2)  Noos  Pavons  publiée  en  entier  dans  notre  travail  :  La  question 
4^ Alsace' Lorraine  et  Frédéric  le  Grande  p.  il.  Un  extrait  de  cette  lettre 
se  trouve  aussi  dans  Louis  Bobt^bvillr  dk  Marsangv,  Le  comte  de 
Vergenna^  son  ambassade  en  Suède^  p.  314. 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET   DE    ROHAN  24 1 

France  devrait  Tempécher  en  engageant  le  roi  Gustave 
à  céder  aux  exigences  de  la  Russie.  Réflexions  de 
4*ambassadeur. 

Lettre  n?  LIX  du  duc  d' Aiguillon  en  réponse  a  la 
.lettre  «"  jp  du  prince  de  Rohan.  —  <  Versailles,  le 
V^  octobre  1772.  Les  détails  que  vous  nous  donnez 
sur  les  lots  que  les  trois  puissances  copartageantes  se 
sont  adjugées  en  Pologne  nous  ont  été  confirmées  par 
M.  de  Mercy.  Cet  ambassadeur  avait  assuré  précédem- 
ment sur  la  foi  de  la  convention  signée  à  Pétersbourg 
que  cette  cour  ne  prenait  rien  dans  les  dépouilles  de 
4a  Pologne.  Mais  il  paraît  que  le  cabinet  russe  s'est 
ravisé  et  que  la  facilité  d'une  acquisition  certaine, 
-quoiqu'assurément  modique,  l'a  emporté  sur  les  vues 
de  gloire  et  sur  la  fidélité  à  ses  promesses  solennelles 
qui  l'avaient  d'abord  engagé  à  ne  pas  toucher  au  terri- 
toire de  Pologne.  Elle  espérait  probablement  alors  de 
se  dédommager  aux  dépens  des  Turcs,  espoir  que  la 
rupture  du  congrès  rend  désormais  moins  certain.  M.  de 
Mercy,  le  ministre  de  Prusse  et  le  chargé  d'affaires  de 
Russie  m'ont  remis  bien  séparément  la  copie  de  la 
déclaration  uniforme  de  leurs  cours.  Cette  pièce  est 
-également  remarquable  par  cette  circonstance  et  par  la 
forme  et  par  le  fonds  de  son  contenu.  Nous  avons 
d'ailleurs  reçu  un  exemplaire  de  la  proclamation  du  roi 
-de  Prusse  pour  annoncer  sa  prise  de  possession  à  ses 
nouveaux  sujets  et  le  mémoire  expositif  de  ses  droits 
-doit  nous  parvenir  incessamment.  Comme  la  cour  de 
Vienne  doit  de  son  côté  publier  des  pièces  semblables, 
nous  vous  prions,  Monsieur,  de  vouloir  bien  nous  les 
envoyer  dans  leur  langue  originale  et  même  dY  ajouter 
Jes  écrits  de  la  Russie  sur  le  même  objet  qui  se  répan- 
dront sans  doute  à  Vienne  ».  Le  ministre  ajoute  qu'il 
désire  être  renseigné  sur  les  mouvements  de  troupes 
•en  Hongrie  et  sur  l'entrevue  de  l'Empereur  avec  le  roi 
Kie  Prusse. 

Lettre  «"  LX  du  duc  d* Aiguillon  en  réponse  à  la 
Jeitre   «®   60  écrite  par   l'abbé  GeorgeL    Versailles,    le 


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242  REVUE  D'aLSACE 

4  octobre  1772.  11  annonce  que  le  comte  de  Mercjr 
lui  avait  déjà  remis  la  déclaration  commune^des  trois- 
cours,  et  il  continue  :  «  Les  trois  cours  annoncent  des^ 
déductions  raisonnées  sur  les  droits  et  les  prétentions 
dont  elles  ont  envahi,  disent-elles,  l'équivalent.  On  ne 
peut  être  que  très  curieux  de  les  voir  paraître.  Si  le 
système  de  ces  déductions  ressemble  à  celui  que  le 
manifeste  du  roi  de  Prusse  annonce,  on  ne  fera  illusioa 
ni  aux  jurisconsultes,  ni  au  public  éclairé  >. 

Lettre  «°  6^  du  prince  de  Rohari  au  duc  d^ Aiguillon. 
Vienne,  le  7  octobre  1772.  Il  envoie  le  mémoire  du 
comte  Oginski,  envoyé  extraordinaire  de  Pologne,  par 
lequel  le  roi  Stanislas- Auguste  demande  les  bons  offices 
du  Roi  de  France  pour  empêcher  le  démembrement 
de  la  Pologne»).  Les  résidents  d'Angleterre 2),  de  Dane- 
mark et  de  Hollande  ont  dressé  procès-verbal  contre 
les  droits  de  douane  que  le  roi  de  Prusse  exige  des 
bâtiments  étrangers  venant  à  Danzig.  Au  sujet  du 
mouvement  des  troupes  en  Hongrie,  le  prince  de 
Kaunitz  a  dit  à  l'ambassadeur  :  «  Que  la  volonté  de 
Leurs  Majestés  Impériales  était  de  ne  prendre  aucun 
parti  dans  le  démêlé  de  la  Russie  avec  la  Porte  et 
qu'elles  se  contenteraient  de  continuer  leurs  bons  offices 
pour  accélérer  la  pacification.  La  conduite  actuelle  du 
roi  de  Prusse  avec  les  villes  de  Danzig  et  de  Thorn,. 
les  mesures  que  la  Maison  d'Autriche  prend  pour  en 
imposer  sur  les  frontières  de  Hongrie  pourraient  fournir 
matière  à  des  réflexions  intéressantes  >. 

Lettre  «°  6 s  du  prince  de  Rohan  au  duc  d' Aiguillon. 
«Vienne,  le  10  octobre  1772.  Le  retard  de  mon 
courrier.  Monsieur  le  Duc,  et  l'inaction  du  moins  appa- 
rente qui  règne  aujourd'hui  dans  la  politique  de  la  cour 


1)  Cfr.  Adolf  Brbb,  Dit  erste  Theilung  PoUns^  II,  p.  206;  Arveth^ 
GesckichU  Maria  Theresias^  VIII,  p  399;  Wolf,  Oerterrtitk  unier  Maria 
Therisia^  p.  532. 

2)  Cfr.  DR  Smitt,  Frédéric  II, . .  Collection  de  documents,  pages- 
181-191.    . 


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CORRESP.    ENTRE  D'AIGUILLON   ET   DE   ROHAN  243- 

de  Vienne  ne  me  mettent  point  à  portée  de  vous  donner 
des  renseignements  tels  que  vous  les  désirez.  Il  faudrait 
des  détails  positifs,  et  on  ne  pourrait  que  vous  envoyer 
des  conjectures.  Ce  qui  cependant  paraît  mériter  atten- 
tion, c'est  le  silence  même  de  cette  cour,  comme  les 
moyens  très  visibles  qu'emploie  le  roi  de  Prusse  pour 
forcer  Thorn  et  Danzig  à  se  soumettre  au  sort  des 
territoires  qui  les  environnent.  Un  pareil  acte  de  com- 
plaisance à  la  vue  d^une  infraction  formelle  du  traité 
de  partage  qui  vient  d'être  ratifié  ne  doit  pas  être 
supposé  commandé  par  la  seule  crainte;  il  faut  qu'on 
espère  de  la  réciprocité,  lorsqu'on  voudra  effectuer 
quelque  projet.  Malgré  les  aveux  et  les  assurances  du 
prince  de  Kaunitz,  je  crois  que  le  ministère  autrichien 
profitera  des  circonstances  pour  se  faire  rendre  Bel- 
grade >.  L'ambassadeur  mande  ensuite  la  disgrâce  des 
comtes  Grégoire  et  Alexis  Orlow. 

Lettre  n^  LXI  du  duc  d* Aiguillon  en  réponse  à  la; 
lettre  »"  6i  de  Vabbé  Georgeh).  Fontainebleau,  le 
15  octobre  1772.  Si  la  Suède  était  attaquée  par  la 
Russie,  elle  serait  soutenue  par  la  France.  Le  ministre 
se  plaint  de  la  conduite  tenue  par  la  cour  de  Vienne 
à  l'égard  de  la  France.  Le  roi  de  France  reste  attaché 
à  l'alliance. 

Lettre  «**  68  du  prince  de  Rohan  au  duc  d^ Aiguillon, . 
Vienne,  le  21  octobre  1772.  11  annonce  l'entrée  solen- 
nelle du  comte  de  Pergen  à  Léopol  pour  prendre 
possession  des  districts  de  Pologne  occupés  par  les 
troupes  autrichiennes.  Le  magiçtrat  et  la  ville  ont  refusé 
d'assister  à  cette  prise  de  possession  2).  Le  clergé  s'est 
prêté  à  tout  ce  qu'on  a  exigé.  Le  comte  de  Pergen  a. 
fait  chanter  le  Te  Deum  à  la  cathédrale.  Le  jour  de  la 


1)  Publiée  dans  la  Question  it Alsace- Lorraine  et  Frédéric  le  Gtand, 
p.   1 3.    Cfr.  DE  Saint-Pkibst,  Le  partage  de  la  Pologne^  p.  282. 

2)  Selon  Gfrôrer,  Geschichte  des  achtzehnten  Jahrhundertt^  IV, 
zweite  Abtheiluog,  p.  148,  tout  le  magistrat,  excepté  le  staroste  Kicki,. 
un  ami  personnel  du  roi  de  Pologne,  aurait  assisté  à  la  cérémonie. 


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344  REVUE   D  ALSACE 

Station  du  serment  n'est  point  encore  fixé.  Les  trois 
ssances  s'occupent  à  gagner  des  voix  pour  faire 
Itimer  par  la  Diète  le  traité  de  partage.  On  prodigue 
gent  et  les  promesses.  Le  comte  de  Pergen  distribue 
bijoux  et  des  diamants  aux  dames  polonaises  qui 
du  crédit  sur  Tesprit  de  leurs  maris.  Le  roi  de 
ogne  est  toujours  décidé  à  ne  se  prêter  à  rien  de 
[traire  aux  droits  de  la  république.  On  croit  que  le 
de  Prusse,  assuré  de  ne  pas  être  inquiété,  cherchera 
'agrandir  encore.  Les  cours  de  Vienne  et  de  Péters- 
irg  ne  doivent  pas  avoir  cette  complaisance  sans  être 
urées  d'être  dédommagées. 

L'ambassadeur  parle  ensuite  du  danger  qui  menace 
Suède  et  de  la  nécessité  de  former  une  ligue  contre 
ennemis  de  ce  royaume  •). 

iMtre  «•*  6q  du  prince  de  Rohan  au  duc  d" Aiguillon, 
;nne,  le  24  octobre  1772.  L'ambassadeur  donne 
3ord  des  détails  sur  les  positions  des  troupes  autri- 
înnes  en  Pologne,  et  il  continue  :  «  Les  affaires  de 
îde  occupent  beaucoup  le  ministère  autrichien.  L'im- 
atrice,  qui  ne  respire  que  tranquillité  et  paix,  voudrait 
on  pût  éteindre  le  plus  tôt  possible  l'étincelle  qui 
tiace  l'Europe  d'un  embrasement  général.  C'est  ainsi 
elle  s'est  exprimée.  Elle  a  ajouté  ce  qui  m'avait 
k  été  dit  par  M.  le  prince  de  Kaunitz  que  la  czarine 
le  roi  de  Prusse  étaient  absolument  décidés  à  ne  pas 
Ter  la  nouvelle  forme  de  gouvernement.  Ce  ministre 
parlait  encore  avant-hier  de  ses  appréhensions  ;  je 
!  actuellement  occupé,  me  dit-il,  à  trouver  les  moyens 
calmer  Pétersbourg  et  Berlin  et  à  les  amener,  s^il 
t  possible  à  des  arrangements  pacifiques  ;  mais  pour 
i  il  faudrait  nécessairement  des  modifications  dans 
îouvelle  constitution  de  Gustave.  Je  demandai  ce 
il  fallait  entendre  par  ces  modifications  et  je  repré- 


[)  V.  dans   notre    Question  it Alsace* Lorraini  et  Frédéric  U  Grand^ 
9,  le  texte  de  U  lettre  de  TambaRsadeur. 


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CORRESP.   ENTRE  D  AIGUILLON    ET   DE   ROHAN  245. 

sentai  qu'il  paraissait  bien  difficile  d'apporter  aucun 
changement  à  ce  qui  venait  de  se  passer.  Alors  M.  de- 
Kaunitz  me  reprenait  qu'on  agissait  auprès  du  roi  de 
Prusse  et  de  la  czarine  pour  porter  ces  deux  cours  à 
des  tempéraments  de  douceur.  Je  lui  ai  objecté  que  si 
le  roi  de  Prusse  avait  en  vue  un  appas  aussi  attrayant 
que  la  Poméranie  et  d'autres  objets  comme  l'île  de 
Rugen,  il  ne  serait  pas  aisé  de  Vy  faire  renoncer  par 
de  simples  observations  et  de  bons  procédés.  Le  ministre 
me  répéta  qu'il  serait  pour  lors  nécessaire  que  le  roi 
de  Suède,  son  neveu,  se  prêtât  aux  propositions  qui 
lui  seraient  faites  et  que  ses  amis  devraient  l'y  en- 
gager. 

€  Il  est  facile  de  voir  les  motifs  de  cette  conduite  du 
ministère  autrichien.  La  Maison  d'Autriche  est  notre 
alliée,  elle  sait  l'intérêt  que  nous  prenons  à  la  Suède 
et  l'influence  que  nous  avons  eue  dans  la  dernière 
révolution.  Elle  voudrait  ne  pas  se  trouver  dans  le  cas 
de  prendre  parti  contre  nous  ou  contre  ses  nouveaux 
amis,  ou  même  de  rester  neutre  dans  une  telle  alter- 
native. Son  but  est  peut-être  de  chercher  à  effacer 
l'impression  de  ce  qui  vient  de  se  passer  en  Pologne 
par  l'avantage  qui  résulterait  de  ses  bons  offices  en 
cette  occasion.  J'ai  l'honneur,  etc.  >. 

Lettre  n""  jo  du  prince  de  Rohan  au  duc  d'Aiguillon, 
«Vienne,  le  28  octobre  1772.  Le  ministère  de  Péters- 
bourg  emploie  tous  les  moyens  propres  à  captiver 
l'attachement  de  ses  nouveaux  sujets.  On  les  traite 
avec  humanité  et  douceur,  on  leur  laisse  tous  leurs 
privilèges;  on  travaille  avec  succès  à  les  rassurer  sur 
les  craintes  excessives  qu'on  leur  avait  inspirées  contre 
la  domination  des  Moscovites.  Les  grands  seigneurs 
retirés  dans  leurs  terres  voient,  dit-on,  avec  chagrin 
qu'il  ne  leur  serait  pas  facile  de  soulever  le  peuple 
gagné  par  des  bienfaits  journaliers  et  par  les  promesses 
les  plus  séduisantes.  Ainsi  la  nouvelle  domination  s'éta- 
blira insensiblement,  et  les  Lithuaniens  subjugués  par 
l'amour  de  la  tranquillité  et  d'un  bien-être,  plus  à  l'abri 


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246  REVUE   D'aLSACE 

des  revers,  s'habitueront  à  devenir  russes .. .  La  czarine 
lent  d'écrire  de  sa  propre  main  à  l'Empereur  et  à 
Impératrice-Reine  des  lettres  de  félicitations  sur  les 
ouvelles  acquisitions  de  la  Maison  d'Autriche  en  Pologne 
n  se  félicitant  elle-même  de  ce  que  cette  circonstance 
enouvelait  et  resserrait  les  liens  de  l'ancienne  alliance 
t  de  l'étroite  amitié  qu'il  était  bien  essentiel  de  rendre 
urable.  Leurs  Majestés  Impériales  ont  dépêché  samedi 
ernier  un  courrier  pour  porter  à  Pétersbourg  leurs 
èponses  qui  sont  dans  le  même  esprit.  Il  est  certain  i) 
ue  l'Empereur,  par  un  article  séparé,  a  accédé  au  traité 
t  l'a  ratifié.  Ce  fait  ne  doit  laisser  aucun  doute  sur  la 
art  très  active  que  ce  prince  a  eue  au  démembrement, 
'ar,  à  quel  titre  pourrait-il  accéder  à  ce  traité  et  le 
atifier.^  Il  n'est  point  encore  roi  de  Hongrie,  et  la 
^ologne  n'a  aucun  rapport  avec  le  chef  de  l'empire, 
"out  concourt.  Monsieur  le  Duc,  à  me  persuader  la 
érité  des  faits  détaillés  et  consignés  dans  ma  lettre 
**  51  du  9  août  dernier. 

«J'ai  l'honneur  d'être  avec  un  sincère  attachement, 
lonsieur  le  Duc,  votre  très  humble  et  très  obéissant 
erviteur  >. 

Lettre  ;/®  7/  du  prince  de  Rohan  au  duc  d' Aiguillon. 
tienne,  le  3  novembre  17722).  L'ambassadeur  a  eu 
eux  entretiens  avec  le  prince  de  Kaunitz  :  les  deux 
ours  de  Versailles  et  de  Vienne  doivent  empêcher  que 
1  guerre  n'éclate  à  propos  de  la  question  de  Suède, 
our  gagner  l'Empereur  à  ses  vues,  le  roi  de  Prusse 
li  a,  dit-on,  promis  de  leur  aider  à  recouvrer  l'Alsace 
t  la  Lorraine. 

Lettre  «°  7J  du  prince  de  Rohan  au  duc  d' Aiguillon, 
Vienne,  le  9  novembre  1772.  Cette  dépêche,  Monsieur 


1)  Les  trois  phrases  suivantes  sont  aussi  citées  par  Vatkl,  Histoirt 
i  madame  de  Barry^  H,  p.  460.  Vatel  les  fait  suivre  d'un  extrait  de 
,  lettre  no  71  du  prince  de  Rohan  au  duc  d'Aiguillon. 

2)  Publiée  dans  notre  Question  d^ Alsace- Lorraine  et  Frédéric  le 
rand,  p.   20. 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET   DE  ROHAN  247 

le  Duc,  devant  être  très  longue  et,  je  crois,  très  impor- 
tante pour  le  moment,  je  ne  dois  pas  Texposer  même 
-en  chiffre  à  Tinquisition  des  déchiflfreurs.  Le  sieur  Barth, 
avant  de  partir,  m*a  encore  répété  combien  on  était 
habile  ici  dans  cet  art.  D'ailleurs  il  me  semble  que, 
quelqu'économe  que  je  sois  de  Targent  du  Roi,  quelques 
>courriers  de  plus  ou  de  moins  dans  une  année  ne  font 
pas  un  objet,  quand  il  s'agit  de  la  sûreté  du  service. 
Du  reste,  si  je  ne  me  trompe,  je  me  conformerai  à  ce 
que  vous  me  prescrirez. 

€  En  conséquence  des  ordres  du  Roi,  après  m'être 
bien  pénétré  de  Tobjet  dont  j'avais  à  parler  au  prince 
de  Kaunitz,  je  me  suis  rendu  chez  ce  ministre;  il  était 
prévenu  des  choses  que  j'avais  à  lui  dire,  lui  en  ayant 
parlé  sommairement  la  veille.  J'avais  cru  cette  précau- 
tion nécessaire,  afin  qu'ayant  le  temps  de  penser  à  la 
matière  de  notre  entretien,  ses  réponses  en  devinssent 
.plus  intéressantes,  plus  décisives,  lui  étant  par  là 
.la  réserve  qu'inspire  souvent  l'embarras  du  premier 
moment  ». 

L'ambassadeur  parla  d'abord  de  l'ambition  du  roi 
de  Prusse,  qui  n'étant  pas  encore  satisfait  des  nouvelles 
acquisitions,  menaçant  d'attaquer  la  Suède.  Il  insista 
ensuite  sur  la  nécessité  de  maintenir  l'équilibre  dans 
le  Nord  et  de  ne  pas  laisser  écraser  le  roi  de  Suède. 
Il  rappela  la  résolution  du  roi  de  France  de  soutenir 
ce  prince  par  tous  les  moyens  possibles.  Il  montra  le 
désir  du  roi  Louis  XV  de  savoir  la  façon  de  penser 
de  Leurs  Majestés  Impériales  à  cet  égard  ainsi  que  le 
parti  qu'elles  prendraient,  si  la  ville  de  Danzig  réclamait 
leur  protection  contre  le  roi  de  Prusse.  Le  prince  de 
Kaunitz  répondit  que  l'Autriche  suivait  à  l'égard  de  la 
Suède  une  politique  plus  réservée  que  la  France,  que 
Leurs  Majestés  Impériales  accorderaient  à  la  Suède  leurs 
bons  offices  en  prêchant  la  modération  vis-à-vis  d'elle, 
que  les  menaces  du  roi  de  Prusse  n'étaient  peut-être 
qu'affectées  pour  plaire  à  la  Russie,  qu'en  supposant 
4a  guerre  inévitable  l'Autriche  n'y  prendrait  pas  d'intérêt 


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248  REVUE  d'aLSACE 

if  et  se  bornerait  à  une  neutralité  parfaite,  enfin  que- 
Danzigois  devaient  s'attendre  à  obtenir  la  protection 
>  cours  de  Vienne  et  de  Pétersbourg,  s'ils  étaient  en 
de  la  requérir. 

€  Notre  entretien  allait  finir,  mais  je  priai  le  prince 
Kaunitz  de  vouloir  bien  m'expliquer  ce  qu'il  avait 
jIu  dire  en  jetant  de  l'incertitude  sur  le  fondement 
ide  que  l'on  peut  donner  aux  démarches  du  roi  de 
isse  vis-à-vis  la  Suède  et  d'un  autre  côté  en  regar- 
it  comme  nécessaire  de  prendre  des  précautions,  en 
que  ses  menaces  eussent  leur  effet.  Je  lui  observai 
5  de  pareilles  précautions  étaient  onéreuses  et  dange- 
ises  à  prendre  de  la  part  d'une  puissance  protectrice^ 
?  ce  qui  n'était  que  précaution  pouvait  porter  des 
sins  mal  intentionnés  et  méfiants  à  prêter  des  vues 
s  étendues  et  que  je  le  priais,  s'il  savait  quelque 
)se  de  plus,  de  vouloir  me  le  dire  et  m'expliquer 
qu'il  entendait  par  les  précautions  qu'il  croyait  pru- 
ît  de  prendre.  Il  répondit  que  son  amitié  personnelle 
igageait  à  me  développer  son  idée,  mais  qu'il  s'en 
ait  beaucoup  qu'il  eût  l'intention  de  blâmer  ce  que 
1  avait  jugé  à  propos  de  faire  ou  de  vouloir  avoir 
r  de  donner  des  conseils,  rendant  trop  de  justice  au 
rite  et  aux  lumières  de  Monsieur  le  duc  d'Aiguillon^ 
?  du  reste  sa  façon  de  penser  était  que  la  France 
is  la  question  actuelle  devait  combiner  la  ?nasse  des 
ours  dont  la  Suède  aurait  besoin  si  elle  était  attaquée,. 
r  ce  qu'elle  peut  fournir  elle-même,  faire  attention 
le  peu  de  ressources  que  peuvent  lui  donner  d'autres 
ssances,  au  nombre  desquelles  il  croit  qu'il  ne  faut 
;  compter  le  Danemark,  par  conséquence  que  toute 
charge  retomberait  sur  la  France;  que  l'Angleterre 
verrait  point  tranquillement  nos  démarches  et  que 
ministres  de  cette  puissance,  sans  en  être  priés, 
lient  déjà  signifié  que,  s'il  sortait  une  escadre  de  nos 
ts  pour  aller  dans  la  Baltique,  sur-le-champ  ils  en 
leraient  une  autre  pour  s'opposer  à  nos  vues,  qu'ainsi 
)ersistait  à  penser  qu'il  fallait  porter  le  roi  de  Suède 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET   DE   ROHAN  249 

plutôt  à  faire  quelques  sacrifices  que  de  s'exposer  à 
tout  perdre  en  voulant  trop  conserver,  et  il  finit  en 
me  répétant  qu'il  n'y  avait  que  son  attachement  pour 
la  France  et  son  amitié  personnelle  pour  moi  qui 
eussent  pu  l'engager  à  s'exprimer  avec  cette  simplicité. 

«  Le  1 1  novembre.  Quelqu'essentielle  qu'ait  été  la 
conversation  du  prince  de  Kaunitz,  et  quoiqu'elle  répande 
beaucoup  de  lumière  sur  la  politique,  j'ai  cru  que  de  me 
ménager  dans  ce  moment  un  entretien  avec  Sa  Majesté 
l'Impératrice  pouvait  ajouter  ou  au  moins  confirmer  les 
notions  que  j'avais  acquises  de  son  ministre.  En  consé- 
quence de  cette  réflexion  j'ai  profité  des  facilités  que 
me  donnent  les  bontés  de  Sa  Majesté  pour  lui  demander 
un  entretien  particulier  sans  me  servir  des  formes  de 
l'audience.  Après  quelques  objets  personnels  qui  for- 
mèrent le  commencement  de  l'entretien  et  dont  je 
prendrai  aussi  la  liberté  de  rendre  compte  succincte- 
ment, étant  fait  pour  dissiper  tous  les  nuages,  si  la 
calomnie  avait  osé  faire  parvenir  le  mensonge  jusqu'au 
Roi,  Sa  Majesté  l'Impératrice  me  parla  des  affaires  de 
Pologne  et  me  dit»)  combien  ce  partage  lui  avait  déplu, 
qu'elle  y  avait  été  forcée  par  les  circonstances,  qu'elle 
avait  espéré  longtemps  que  les  discussions  qui  auraient 
pu  naître  en  auraient  empêché  l'exécution,  mais  que 
l'accord  et  le  traité  avaient  été  faits  entre  la  Russie  et 
le  roi  de  Prusse  à  son  insu,  et  que,  lorsqu'on  lui  en 
avait  donné  communication,  elle  y  avait  vu  un  article 
particulier  où  il  était  dit  :  Nous  inviterons  aussi  la 
Maison  d'Autriche,  et,  si  elle  refuse  de  se  joindre  à 
nous,  ce  refus  ne  nous  empêchera  pas  d'exécuter  notre 
projet  et  d'aller  en  avant.  Sa  Majesté  ajouta  qu'elle 
avait  ensuite  longtemps  ignoré  tous  les  arrangements 
subséquents  et  que  ne  pouvant  naturellement  nous 
instruire  de  cette  incertitude  de  sa  part  et  de  cette 
position  embarrassante,    elle  avait  pris   le  parti  de  se 


I)  Cité  dans  V/nlrotiiuiion^  p.  61. 
Rtmu  d'AUace,  1907 


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250  REVUE   d'aLSACE 

vouer  au  silence  le  plus  impénétrable  et  que  le  prince 
Hf^  îCaunitz  avait  tenu  cette  conduite,  la  seule  qui  pût 
nir  dans  une  telle  occurenee  de  choses,  avec  le 
ère  de  vérité.  Le  silence  de  Sa  Majesté  me  pér- 
it de  reprendre  la  parole,  je  lui  avouai  que  ce 
nt  m'avait  paru  pénible  à  supporter,  qu'il  m'avait 
ipossible  d'imaginer  que,  le  roi  de  Prusse  et  la 
I  paraissant  d'accord  avec  la  Maison  d'Autriche 
chant  conséquemment  au  but  qu'ils  se  proposaient, 
marche  n'eut  point  été  annoncée  à  Sa  Majesté 
iale  et  concertée  avec  elle,  que  la  suite  avait 
:i  ce  mystère»),  qui,  j'ose  dire,  était  impénétrable 
>litique,  que  même  je  lui  faisais  l'aveu  d'avoir 
t  le  Roi  de  mes  vives  inquiétudes  et  que  sans 
ir  rendre  compte  de  l'impression  qu'elles  avaient 
ur  son  esprit,  je  pouvais  seulement  certifier  avec 
5  exacte  vérité  que  Sa  Majesté  toujours  attachée 
iance  avait  conservé  le  sentiment  le  plus  invio- 
l'amitié  pour  l'Impératrice-Reine  «). 
impératrice  parut  très  sensible  à  cette  expression; 
e  chargea  de  témoigner  au  Roi  combien  elle  en 
ivement  touchée,  mais  que  ce  silence  de  sa  part 
:  porté  que  sur  des  choses  qu'elle  avait  ignorées 
ême.  Alors  je  crus  que  c'était  l'instant  d'amener 
aires  de  Suède  et  celles  de  Danzig  en  disant  que 
me  intérêt  et  ce  même  attachement  de  la  part 
i  pour  Leurs  Majestés  Impériales  lui  faisaient  voir 
nquiétude  pour  leur  sûreté  future  l'agrandissement 
lu  roi  de  Prusse  ;  que  ce  monarque,  non  content 
part  considérable  en  Pologne,  de  Danzig  dont  il 


Jté  dans  Y  Introduction^  p.  63. 

Je  vois  clairement,  écrivit  Mercy  à  Marie-Thérèse  le  1 5  mai 
le  les  arrangements  projetés  en  Pologne  n*ont  point  personnelle- 
ecté  le  roi  (Louis  XV),  qu'il  croit  que  Votre  Majesté  ne  pouvait 
lispenser  de  donner  les  mains  aux  arrangements  susdits  et  qu'ils 
(  suite  inévitable  des  circonstances.  La  seule  chose  qui  pourrait 
t  monarque  serait  d'être  dans  le  cas  de  croire  que  Pamitié  de 
ajesté  s'est  refroidie  pour  lui  ».  Cfr.  la  lettre  de  Mercy  à  Marie- 
du   14  novembre   1772. 


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CORRESP.    ENTRE   d'aIGUILLON   ET   DE   ROHAN  25 1 

fera  bientôt  sa  proie,  de  la  Poméranie  suédoise  qu'il 
semble  dédaigner,  mais  que  peut-être  malheureusement 
il  ne  dédaignera  pas  de  prendre,  joint  à  tout  cela 
l'agrandissement  que  pourrait  lui  donner  la  mort  du 
margrave  de  Bayreuth,  deviendrait  >)  dans  le  Nord  la 
puissance  principale  ;  que  par  conséquent  tout  ce  qui 
pouvait  lui  donner  des  entraves  devait  être  saisi;  qu'il 
s'en  présentait  une  occasion  favorable  et  que  la  Suède 
délivrée  des  oppresseurs  qui  voudraient  l'asservir  devien- 
drait une  puissance  qui  servirait  de  digue  dans  l'occa- 
sion ;  mais  que  les  menaces  que  le  roi  de  Prusse  faisait 
en  annonçant  déjà  la  guerre  comme  inévitable,  mar- 
quaient qu'il  était  instant  de  donner  du  secours  à 
Gustave  III  et  que,  si  les  raisons  politiques  empêchaient 
Sa  Majesté  de  concourir  à  cette  bonne  œuvre,  j'étais 
bien  persuadé  que  son  cœur  serait  touché  et  affecté 
<le  la  situation  où  se  trouve  ce  jeune  roi,  adoré  de  son 
peuple,  prudent,  intrépide  et  malheureux;  d'ailleurs  que 
les  sentiments  élevés  de  Sa  Majesté  et  connus  à  toute 
TEurope  étaient  un  sûr  garant  qu^elle  n'oubliait  point 
l'époque  de  1757  où  la  Suède,  malgré  le  risque  qu'elle 
courait,  n'hésita  pas  à  lui  donner  preuve  de  son  attache- 
ment. J'ajoutai  promptement  que  le  Roi,  touché  de  la 
situation  cruelle  de  Gustave,  peiné  de  le  voir  à  la  veille 
-de  devenir  la  victime  d'ennemis  dangereux,  était  déter- 
miné par  sa  bonté  et  sa  justice  à  donner  tous  les  secours 
■que  les  circonstances  lui  permettraient.  L'Impératrice 
qui  m'avait  écouté  avec  une  grande  attention  me  dit 
que,  quand  même  la  situation  de  la  Suède  ne  serait 
pas  par  elle-même  aussi  touchante,  il  suffisait  de  voir 
l'intérêt  que  la  F'rance,  sa  bonne  alliée,  y  prenait  pour 
lui  souhaiter  les  succès  les  plus  favorables,  mais  qu'elle 
craignait  bien  que  les  Anglais  ne  nous  laissassent  pas 
agir  tranquillement.  Elle  répéta  encore  plusieurs  fois 
combien  cet  objet  la  tourmentait,  et  ensuite  me  parla 
■de  Parme . . . 

l)  Dans  Toriginal  il  y  a  :  le  rendrait. 


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352  REVUE   D  ALSACE 

Si  à  cet  instant  la  Grande-Maîtresse  n'était  point 
venue  avertir  Sa  Majesté  qu'elle  était  servie  depuis- 
longtemps,  je  crois  que  cette  conversation  qui  durait 
déjà  depuis  une  heure  et  demie  aurait  été  encore  pro- 
longée. En  me  retirant  je  demandai  la  permission  à 
l'Impératrice  de  rendre  compte  au  Roi  en  détail  de 
tout  ce  qu'elle  m'avait  fait  l'honneur  de  me  dire.  Je 
pensai  que  je  lui  devait  cette  marque  de  respect,  l'entre- 
tien qu'elle  venait  de  m'accorder  n'étant  point  minis- 
térial. 

J'ai  cru  nécessaire  d'ajouter  aux  réponses  qui  m'ont 
été  données  les  questions  et  les  réflexions  que  j'ai  faites^ 
afin  que  Sa  Majesté  juge  si  la  manière  dont  je  traite 
les  affaires  qu'Elle  m'a  fait  l'honneur  de  me  confier 
mérite  son  approbation,  et,  quoiqu'il  ne  soit  peut-être 
pas  en  mon  pouvoir  d'approcher  de  la  dignité  qu'exige 
son  ministère,  puisque  je  suis  chargé  de  parler  au  nom 
du  plus  grand  roi,  je  supplie  sa  bonté  de  regarder  mes 
efforts  avec  indulgence. 

Quant  à  ce  qui  me  regarde  particulièrement,  j'avais- 
remercié  Sa  Majesté  de  ce  qu'elle  avait  bien  voulu  faire 
grâce  à  quelques-uns  de  mes  gens  qui  avaient  été 
accusés  d'avoir  fait  la  contrebande  et  que  j'avais  fait 
punir  très  sévèrement  pour  servir  d'exemple,  quoique 
Tobjet  fut  peu  important.  Sa  Majesté  voulut  bien  me 
dire  qu'elle  avait  été  sensible  à  cette  exactitude  de 
ma  part.  Je  lui  ajoutai  que  le  comte  de  Wrbna,  vice- 
président  de  la  douane,  et  le  comte  de  Seilern,  chargé 
des  affaires  de  police,  m'avaient  souvent  dit  tous  les 
deux  qu'il  n'y  avait  point  de  maison  d'ambassadeur 
où  il  y  eut  autant  d'ordre  et  d'exactitude  pour  les 
règlements.  Sa  Majesté  dit  que  c'était  vrai  et  prit  de 
là  occasion  pour  me  dire  les  choses  les  plus  honnêtes 
et  les  plus  flatteuses  »).  Je  dois  compte  au  Roi  des 
choses  personnelles  qui   m'intéressent  sous  le  rapport 


1}  Cité  dans  \' Introduction^  p.  81. 


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CORRESP.    ENTRE   D'AIGUILLON    ET   DE   ROHAN  253 

<le  son  service  et  qui  peuvent  lui  faire  croire   que  je 
suis  digne  de  la  confiance  dont  il   m'a   honoré,    et    ce 
ne  sera  jamais  que  sous  ce  rapport  que  j'oserai  prendre 
Jla  liberté  de  lui   parler  des  agréments   per 
j'éprouve  ici. 

L'Impératrice,  dans  le  même  entretien, 
part  de  ses  vives  alarmes  sur  les  tristes  nouv 
avait  reçues  des  frontières  de  la  Moldavie, 
fait,  m'a-t-elle  dit,  des  ravages  effrayants  ; 
.russes  en  sont  déjà  attaquées,  et  je  crains  bien 
que  ce  fléau  ne  s'étende  jusqu'à  notre  cor 

Le  1 2.  <  Le  Roi,  comme  vous  me  le  ditei 
par  votre  lettre  n**  Lxn,  ayant  désiré  que 
<iui  intéresse  les  affaires  de  Suède  fût  trait 
que  je  cherchasse  à  constater  de  la  mar 
positive  et  la  plus  détaillée  qu'il  me  serait 
-dispositions  de  Leurs  Majestés  Impériales  e 
duite  éventuelle  relativement  aux  détermin 
cour  de  Berlin,  l'exposé  que  je  viens  de  f 
-conversations  avec  l'Impératrice  et  le  prince 
ne  doit,  ce  me  semble,  laisser  aucun  do 
objet.  Il  en  résulte  ce  que  mes  lettres  précé 
xDnt  déjà  appris,  que  la  cour  de  Vienne  ei 
bons  offices  pour  inspirer  aux  cours  de  Pé 
^e  Berlin  des  voies  de  justice  et  de  modéra 
<:raint  cependant  de  ne  pas  réussir,  qu'elle 
à  la  neutralité  de  l'Angleterre  et  du  Danen 
dans  le  cas  d'une  rupture,  elle  ne  prendra 
active  dans  ce  démêlé.  D'où  il  est  facile  ( 
que  la  czarine  et  le  roi  de  Prusse  pourront 
la  Suède  sans  que  la  Maison  d'Autriche  s' 
■cacement  à  leurs  projets.  Cette  singulière 
Monsieur,  dans  des  circonstances  où  une  pan 
favorisera  nécessairement  l'agrandissement 
Prusse  en  Allemagne  et  la  prépondérance 
.dans  le  Nord,  ne  décèle-t-elle  pas  le  plan  de 
si  dangereux  et  qui  a  dû  paraître  si  invr 
lorsque  j'en  ai  donné  l'éveil  dans  mes  n**» 


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«54  REVUE  D'aLSACE 

que  j'en  ai  en  quelque  sorte  prévu  le  tissu  et  renchaîne- 
ment  dans  mon  n**  37.  Si  je  reviens  souvent  sur  cet 
objet,  c'est  que  rien  ne  dissipe  mes  craintes  et  que 
tout  les  augmente.  Chaque  jour,  pour  ainsi  dire,  déchire 
un  coin  du  voile  qui  couvre  les  trames  secrètes  des 
puissances  intéressées.  Je  puis  me  tromper  et  je  le  désire 
pour  le  bien  de  l'humanité  et  la  tranquillité  de  l'Europe^ 
mais  dans  la  position  des  choses  je  dois  au  Roi  Thom- 
mage  de  mes  doutes  et  de  ma  façon  de  voir.  Je  répé- 
terai donc  encore  que  les  conférences  de  Neisse  et  de 
Neustadt  ont  fait  naître  entre  l'Empereur  et  le  roi  de 
Prusse  une  intimité  dont  les  suites  ne  sont  que  trop 
annoncées  par  les  pièces  intéressantes  que  je  vous  ai 
fait  passer  avec  les  numéros  dont  je  viens  de  parler. 
Ce  qui  me  confirme  toujours  dans  cette  façon  de  penser, 
c'est  qu'en  se  rappelant  le  passé  et  en  le  combinant 
avec  ce  qui  arrive,  tout  annonce  l'avenir  qu'on  a  prévu- 
Il  doit  paraître  très  probable  aujourd'hui  que  toutes  les 
démonstrations  de  la  Maison  d'Autriche  antérieures  au 
démembrement  de  la  Pologne  n'ont  été  que  pour  faire 
illusion  et  pour  en  imposer  peut-être  à  l'Impératrice 
dont  on  craignait  alors  de  ne  pouvoir  vaincre  la  repu- 
gnance.  Il  était  question  d'entraîner  et  de  forcer  son 
consentement,  et,  ppur  y  réussir,  on  a  fait  mouvoir 
tous  les  ressorts  de  la  crainte  d'une  guerre  dont  l'issue^ 
lui  assurait-on,  ne  pouvait  que  faire  le  malheur  de  ses^ 
peuples,  le  triomphe  de  ses  ennemis  et  la  diminution 
sensible  de  sa  prépondérance  en  Allemagne.  Quand 
l'armée  autrichienne  s'est  rassemblée  en  Hongrie,  on 
n'a  pas  douté  qu'elle  ne  dût  agir  hostilement  contre  la 
Russie;  cependant  ni  Pétersbourg,  ni  Berlin,  son  allié,, 
n'en  ont  paru  intrigués.  Cette  montre  entrait  dans  le 
plan  concerté  et  elle  a  effectivement  produit  tout  ce 
qu'on  en  attendait,  puisqu'elle  a  servi  à  détourner 
l'attention  qu'on  pouvait  donner  au  développement  du 
système  d'union,  dont  les  effets  viennent  d'étonner 
l'Europe.  Je  dois  croire  rimpératrice  vraie  et  sincère^ 
La  manière  dont  le  partage  de  la  Pologne  (sic)  l'affecte- 


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CORRPSP.    ENTRE  D  AIGUILLON    ET    DE   ROHAN  255 

encore,  l'aveu  si  souvent  répété  d'en  avoir  ignoré  le 
projet  jusqu'au  moment  où  elle  a  été  nécessitée  d'y 
concourir  tout  me  persuade  :  i)  que  Tlmpératrice-Reine, 
comme  elle  la  avoué,  avait  été  séduite  et  entraînée 
(n**  37  du  17  juin);  2)  que  le  prince  de  Kaunitz  qui 
m'a  dit  plusieurs  fois  :  «  Il  faut  me  plaindre,  je  n'ai 
aucune  part  à  tout  ce  qui  arrive»  (n®  37  du  17  juin)»), 
a  été  obligé  de  se  plier  aux  désirs  de  l'Empereur  et 
qu'en  ministre  docile  il  opère  en  conséquence  des  vues 
décidées  de  l'héritier  de  la  monarchie  autrichienne  ; 
3)  que  le  roi  de  Prusse  a  su  subjuguer  l'Empereur  et 
sp  l'attacher  par  des  vues  qui  peuvent  sans  doute  nourrir 
l'ambition  de  ce  jeune  prince  et  flatter  sa  vanité;  car, 
enfin.  Monsieur,  on  ne  peut  plus  se  dissimuler  l'étroite 
liaison  de  ces  deux  monarques.  Leur  correspondance 
secrète  n'est  que  trop  vraie,  et  le  ministre  de  Suède 
est  venu  m'assurer  qu'il  ne  fallait  plus  douter  du  con- 
tenu de  la  lettre  dont  j'ai  rendu  compte  dans  mon 
n**  71;  seulement,  au  lieu  de  cent  mille  hommes  2),  il 
y  a  soixante  mille  hommes  de  mes  meilleures  troupes 
et  mes  vieux  os^  s'il  en  est  besoin.  Le  roi  de  Prusse 
insinue  encore  à  l'Empereur,  à  ce  qu'on  sait  des  mêmes 
sources,  qu*il  est  très  essentiel  que  la  Suède  ne  reprenne 
point  son  ancienne  considération  dans  la  balance  du 
Nord,  si  on  veut  efficacement  empêcher  la  France  de 
s'immiscer  dorénavant  dans  les  affaires  de  l'Allemagne 
et  quMI  a  trop  à  cœur  l'exécution  de  ce  projet  utile  et 
glorieux  pour  laisser  prendre  racine  à  là  nouvelle  consti- 
tution. Cette  insinuation  ressemble  trop  à  ce  que  le 
prince  Henri,  d'après  l'extrait  dont  vous  avez  bien  voulu 
me  faire  part,  a  mandé  à  la  reine  de  Suède,  sa  sœur, 
pour  ne  pas  mériter  une  attention  particulière . . . 

€  Voilà,    Monsieur,    mes  observations  et   l'ensemble 
des  combinaisons  que  fournit  le  moment  actuel.  11  vous 


1)  Ces  paroles  ne  se  trouvent  pas  dans  la  lettre  no  37. 
2)  Cfr.  La  question  (TAlsate^ Lorraine  it  Frédéric  U  Grand,   p.  22, 


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256  REVUE  d'aLSACE 

sera  aisé  de  faire  voir  au  Roi  combien  ma  mission 
devient  pénible  et  délicate.  J'ose  espérer  de  ses  bontés 
qu'il  voudra  rendre  justice  au  zèle  qui  dans  ces  cir- 
constances critiques  redouble  mes  soins  et  ma  vigilance. 
«J'ai  l'honneur  d'être,  avec  un  sincère  et  parfait 
attachement,  Monsieur  le  Duc,  votre  très  humble  et 
très  obéissant  3erviteur  ». 

Lettre  w°  LXVIII  du  duc  d'Aiguillon  en  réponse  à 
la  lettre  fi""  7/  du  prince  de  Rohan  1).  —  Versailles,  le 
21  novembre  1772.  Le  Roi  recommande  à  l'ambassa- 
deur d'employer  tous  les  moyens  imaginables  pour 
sayoir  ce  qu'il  y  a  de  fondé  dans  le  projet  de  l'Em- 
pereur et  du  roi  de  Prusse  d'envahir  l'Alsace  et  la 
Lorraine. 

Lettre  n"*  yj  du  prince  de  Rohan  au  duc  d' Aiguillon, 
«  Vienne,  le  25  novembre  1772.  Vous  avez  vu,  Mon- 
sieur, par  mes  dépêches  subséquentes  à  votre  lettre 
n**  LXVi  que,  quoique  l'on  dût  croire  que  la  Maison 
d'Autriche  ne  souffrirait  ni  l'invasion  de  Danzig,  ni  les 
vues  du  roi  de  Prusse  sur  la  Poméranie  suédoise,  que 
même  en  conséquence  des  traités  de  garantie,  elle 
devrait  en  outre  de  son  intérêt  particulier  prévenir  et 
réprimer  un  pareil  attentat,  cependant  elle  est  très 
décidée  à  laisser  faire  à  ce  monarque  ce  qu'il  jugera 
à  propos  et  à  ne  jouer  qu'un  rôle  passif,  sans  accorder 
aucun  secours,  sinon  ses  bons  offices  et  ses  conseils  de 
modération  aux  cours  de  Pétersbourg  et  de  Berlin.  Je 
dois  croire  à  cette  résolution,  puisque  M.  le  prince  de 
Kaunitz  me  l'a  dit  et  que  l'Impératrice  me  l'a  confirmé. 
Le  roi  de  Prusse  connaissant  cette  détermination  se 
trouvera  plus  libre  de  concevoir  et  d'exécuter  ses  plans 
d'ambition.  11  me  paraît  donc  nécessaire  pour  le  moment 
actuel  de  tâcher  de  jeter  une  pomme  de  discorde  entre 
la  Maison  d'Autriche,  la  Russie  et  le  roi  de  Prusse... 


i)  Publiée  dans  notre  Question  éÛ Alsace» Lorraine ,,  ,^  p.  23;  VàTBL, 
Histoire  de  madame  du  Barry^  p.  461. 


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CORRESP.   ENTRE  D  AIGUILLON    ET    DE   ROHAN  257 

Je  pense  que  cette  source  de  division  pourrait  mener 
les  choses  beaucoup  plus  loin,  et  si  je  dois  croire  ce 
que  m*a  dit  l'Impératrice  elle-même  sur  la  peine  que 
lui  fait  le  partage  de  la  Pologne  en  m*ajoutant,  tant  elle 
était  aflfectée,  qu'elle  ferait,  s'il  était  nécessaire,  quel- 
ques sacrifices  de  la  Hongrie,  qui  pourtant  lui  est  si 
<:hère,  pour  voir  rétablir  les  choses  dans  Tordre  anté- 
rieur, peut-être  verrions-nous  restituer  à  la  république 
-ce  qui  lui  a  été  si  injustement  enlevé ...  Je  ne  fais, 
Monsieur  le  Duc,  que  vous  tracer  une  idée;  c'est  au 
ministre  plus  instruit  ou  à  la  rejeter  ou  à  en  faire  un 
plan  suivi.  J'use  dans  le  moment  de  la  permission  que 
Sa  Majesté  a  bien  voulu  me  donner  de  lui  communi- 
quer mes  pensées  et  ma  manière  de  voir.  J'ai  l'hon- 
neur, etc. 

P.  S,  «L'envoyé  de  Pologne,  Monsieur,  qui  a  pris 
^es  audiences  de  congé  pour  retourner  à  Varsovie,  vient 
<le  me  faire  part  des  dernières  nouvelles  que  lui  mande 
Stanislas-Auguste.  En  voici  la  substance  :  <  Le  ministre 
de  Russie  (ce  sont  les  paroles  de  Stanislas)  m'ayant 
demandé  une  audience,  m'a  dit  qu'il  venait  au  nom 
des  trois  cours  me  déclarer  qu'elles  désiraient  la  con- 
vocation d'une  diète  générale  et  que,  si  je  l'exigeais, 
le  ministre  de  Vienne  et  de  Berlin  me  feraient  eux- 
mêmes  la  même  proposition,  qu'il  avait  ordre  de 
«n'ajouter  qu'en  cas  de  refus  on  se  verrait  forcé  de 
-s'assurer  de  ma  personne,  et  que  je  serais  alors  respon- 
sable des  malheurs  qui  ne  pouvaient  manquer  de  fondre 
-sur  la  Pologne;  que  les  trois  cours  de  concert,  afin  de 
hâter  l'effet  d'une  diète  qui  devenait  nécessaire  pour 
terminer  les  troubles  de  la  Pologne,  avaient  fait  marcher 
des  troupes  en  avant  de  leurs  limites,  et  que  ces  troupes 
-agiraient  hostilemeut  partout  où  on  ne  trouverait  pas 
de  dispositions  pour  cette  convocation.  J'ai  répondu: 
vous  avez  traité  jusqu'ici  par  écrit,  continuez  cette 
forme,  je  demanderai  l'avis  des  sénateurs  et  je  vous 
répondrai  aussi  par  écrit».  Le  roi  de  Pologne  ajoutait: 
Il  me  parait  très  instant  que  la  cour  de  Versailles,  en 


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258  REVUE  d'Alsace 

qui  j'ai  mis  toute  ma  confiance,  sache  le  plus  tôt  pos- 
sible Textrémité  où  je  me  trouve.  Voyez  le  prince  de 
Rohan  et  peignez-lui  ma  position  en  le  priant  de  la 
mander  à  sa  cour  ».  Quand  l'envoyé  de  Pologne  a  pris 
congé  de  l'Empereur,  Sa  Majesté  Impériale  lui  a  dit"): 
<  Tout  bon  citoyen  polonais  doit  conseiller  au  roi 
Stanislas-Auguste  de  faciliter  plutôt  la  convocation  de 
la  diète  que  nous  désirons  que  de  s'y  opposer.  Sa 
Majesté  polonaise  ne  peut  plus  faire  de  bien,  et  elle 
ferait  beaucoup  de  mal,  si  elle  s^obstinait  ;  elle  serait 
alors  responsable  de  tout  ce  qu^on  serait  nécessité 
d'entreprendre  pour  pacifier  enfin  une  république  dont 
les  troubles  intéressent  trop  essentiellement  ses  voisins, 
pour  qu'ils  ne  cherchent  point  à  les  faire  cesser  par 
tous  les  moyens  possibles. 

<  Si  Pétersbourg  changeait  de  système,  si  Vienne 
était  sincère  dans  tout  ce  qu'elle  nous  a  dit  de  ce 
démembrement,  cette  diète  pourrait  opérer  un  bien. 
Les  nonces  n'étant  ni  forcés,  ni  gagnés,  ni  sollicités 
par  ces  deux  cours  pour  acquiescer  au  partage,  il  s'en- 
suivrait un  refus  authentique  qui  mettrait  les  puissances 
garantes  plus  à  portée  de  signaler  l'intérêt  qu'elles- 
prennent  à  l'intégrité  de  la  Pologne.  Si  au  contraire 
les  trois  cours  ne  désirent  cette  convocation  que  pour 
faire  approuver  leur  invasion,  voilà  le  système  de 
l'oppression  consommé.  Cependant  je  ne  conçois  pas 
encore  pourquoi  les  cours  de  Vienne,  de  Pétersbourg 
et  de  Berlin  exigent  une  diète  ;  elle  ne  peut  être  censée- 
légale  qu'autant  qu'elle  sera  libre  et  générale.  Elle  ne 
sera  pas  libre,  puisqu'on  la  convoque  les  armes  à  la 
main  et  que  la  violence  arrachera  le  suffrage  des  nonces; 
elle  ne  sera  plus  générale,  puisque  les  nonces  des  pala- 
tinats  de  Pologne  et  de  Lithuanie  qui  ont  prêté  serment  à 
des  souverains  étrangers  ne  doivent  plus  y  avoir  séance^)». 


1)  Cfr.  Vatel,  Histoire  de  madame  Du  Barry^  II,  p.  462. 

2)  Cfr.  Ad.  Bekr,  Die  erste  THeilung  Poieru,  II,  p.  214;  SCHLOSSBR^ 
GeschichU  des  cuhttehnten  Jahrhunderts^  II,  p.  246. 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET   DE    ROHAN  25<>- 

11  me  semble  que  ces  réflexions  viennent  à  l'appui  de 
celles'  qui  sont  contenues  dans  ma  dépêche  ...  ». 

Lettre  n^  LXXI  du  duc  d* Aiguillon  au  prin 
Rohan  en  réponse  à  la  lettre  fi"^  7j  du   ç,    du  ii 

12  ftovembre.  c  Versailles,  le  3  décembre  1772.  L 
a  écouté  avec  attention  et  une  satisfaction  marqu 
lecture  de  la  dépêche  intéressante  dont  j*ai  l'hoi 
de  vous  accuser  la  réception.  Sa  Majesté  a  trouvé 
votre  relation  et  dans  les  réflexions  dont  vous  Tac 
pagnez  les  lumières  qu'elle  désirait  d'acquérir  su 
objets  importants  qui  y  sont  traités  et  sur  lesque 
été  chargé  plusieurs  fois  de  vous  marquer  ses  i 
titudes.  Elle  a  paru  également  contente  et  de  la  subs 
du  compte  que  vous  lui  rendez  et  de  la  conduite 
vous  avez  tenue  dans  cette  conjoncture  délicate  1 
votre  manière  de  voir  et  de  présenter  les  objets 
vous  traitez.  C'est,  Monsieur,  avec  une  satisfaction 
et  sincère  que  je  vous  transmets  ces  témoignagi 
la  manière  flatteuse  dont  votre  expédition  a  été  r 

€  Le  Roi  ne  se  trouvera  plus  désormais  expi 
établir  sur  de  faux  calculs  les  mesures  qu'exij 
système  qu'il  a  adopté  relativement  à  la  Suèd< 
Majesté  ne  comptera  plus  sur  l'assistance  que  Tii 
évident  de  la  monarchie  autrichienne  semblait  lui 
mettre  de  la  part  de  l'Impératrice-Reine;  mais  ElU 
d'un  autre  côté  que  cette  princesse  n'assisterait  pas  i 
manière  active  les  alliés  auxquels  elle  fait  le  sa( 
de  cet  intérêt.  Le  Roi  pense  même,  Monsieur,  q 
emploiera  ses  bons  offices  les  plus  pressants  pour  c; 
le  ressentiment  de  la  Russie  et  pour  contenir  l'ami 
du  roi  de  Prusse.  La  crainte  de  la  guerre,  qui  j 
un  des  plus  puissants  mobiles  de  sa  politique,  se 
garantir  à  cet  égard  la  sincérité  des  promesse 
Monsieur  le  prince  de  Kaunitz  ». 

Le  ministre  continue  que  les  nouvelles  venai 
Russie  et  d'Angleterre  sont  pacifiques.  11  n'y  a  q 
roi  de  Prusse  qui  cause  des   inquiétudes   à   cause 


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vaôo  REVUE  d'alsace 

vues  qu'il  pourrait  avoir  sur  la  Poméranie.  L'ambassa- 
deur doit  sonder  les  dispositions  de  la  cour  de  Vienne 
par  rapport  à  la  question  de  la  Poméranie  suédoise, 
si  elle  permettrait  que  le  roi  de  Prusse  s'en  emparât. 
<  Voilà,  Monsieur,  le  point  sur  lequel  il  nous  reste  à 
constater  les  dispositions  de  la  cour  où  vous  êtes . . . 
Au  surplus,  Monsieur,  le  Roi  vous  autorise  à  témoigner 
au  prince  de  Kaunitz  en  son  nom  le  gré  que  Sa  Majesté 
sait  à  sa  cour  de  s'être  expliquée  sans  détour.  Le 
premier  devoir  de  l'alliance  doit  être  en  effet  la  franchise 
et  la  bonne  foi.  Vous  ajouterez  d'ailleurs  à  ces  témoi- 
gnages les  protestations  les  plus  fortes  du  désir  constant 
de  Sa  Majesté  à  maintenir  et  à  cultiver  l'union  dont 
Leurs  Majestés  Impériales  paraissent  de  leur  côté  prendre 
la  conservation  si  fort  à  cœur. 

«Tels  sont  en  effet.  Monsieur,  les  sentiments  du  Roi, 

-et  Sa  Majesté  m'a  chargé  de  vous  réitérer  les  instruc- 
tions qu'EUe  vous  a  ci-devant  transmises  à  cet  égard. 
Vous  jugez  aisément  qu'Elle  n'en  est  pas  moins  atten- 
tive à  l'intelligence  étroite  établie  entre  l'Empereur  et 

Je  roi  de  Prusse  et  aux  suites  qu'elle  peut  produire. 
Les  détails  dans  lesquels  vous  entrez  ont  fait  une  forte 
impression  sur  son  esprit  et  Elle  parait  disposée  à 
s'occuper  des  vues  nouvelles  que  cette  position  pourra 

Jui  inspirer.  Elle  pense  néanmoins  que  l'Impératrice- 
Reine  est  trop  attachée  au  système  auquel  elle  doit  le 
maintien   de   la   paix  qu'elle  chérit  sans   mesure  pour 

-être  accessible  aux  moyens  qu'on  pourrait  employer 
pour  l'entraîner  dans  des  projets  contraires.  Sa  Majesté 
a  remarqué  avec  satisfaction  l'opinion  que  vous  avez 
vous-même  de  la  constance  des  sentiments  de  cette 
princesse.  Il  serait  superflu,  Monsieur,  de  vous  répéter 

.à  quel  point  le  Roi  désire  d'être  informé  des  moindres 
particularités  qui  concernent  l'intelligence  de  ces  deux 

.  monarques. 

«Sa  Majesté  a  vu  avec  plaisir  la  justice  que  l'Impé- 
o-atrice-Reine  a  rendue  à  vos  sentiments  par  rapport  à 


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CORRESP.   ENTRE  D* AIGUILLON    ET   DE   ROHAN  26 1 

la  contrebande  dont  quelques-uns  de  vos  gens  s'étaient 
rendus  coupables.  Elle  y  a  fort  applaudi  Elle-même  et 
Elle  a  paru  bien  persuadée  que  la  noblesse  de  votre 
façon  de  penser  personnelle,  d'accord  avec  la  dignité 
du  caractère  dont  vous  est  revêtu,  ne  vous  permettrait, 
jamais  d'user  d'une  connivence  toujours  odieuse  et  pré- 
judiciable à  la  considération  d'un  ministre  public  <). 

«Je  ne  dois  point  terminer  ma  lettre  sans  vous  trans- 
mettre, Monsieur,  les  témoignages  de  la  sensibilité  avec 
laquelle  le  Roi  a  reçu  tout  ce  que  l' Impératrice-Reine 
vous  a  dit  pour  lui  dans  l'audience  que  vous  vous  étiez 
ménagée  de  cette  princesse.  Vous  voudrez  bien  la  lui 
témoigner  à  la  première  occasion  qui  s'en  présentera. 
Les  détails  où  je  suis  entré  sur  les  dispositions  des 
puissances  dont  la  Suède  pourrait  avoir  quelque  chose 
à  craindre  vous  mettront  en  état  de  calmer  les  inquié- 
tudes obligeantes  de  Sa  Majesté  Impériale.  J*ai  l'hon- 
neur, etc.  ». 

Lettre  n^  LXXIII  du  duc  d* Aiguillon  en  réponse  h 
la  lettre  n"*  jj  du  prince  de  Rohan'^).  <  Versailles,  le 
8  décembre  1772.  J'ai  donné  lecture  au  Roi  dans  son 
conseil  des  réflexions  que  vous  faites  sur  la  situation, 
et  les  dispositions  des  cours  de  Vienne,  de  Pétersbourg 
et  de  Berlin,  ainsi  que  le  plan  que  vous  croyez  propre 
à  conserver  Danzig  dans  sa  liberté  et  empêcher  les 
envahissements  ultérieurs  du  roi  de  Prusse  en  Pologne 
et  dont  l'exécution  vous  paraît  même  capable  de  pro- 
duire des  eff"ets  encore  plus  importants.  Je  ne  puis  que- 
vous  confirmer.  Monsieur,  les  assurances  que  j'ai  déjà 
eu  l'honneur  de  vous  transmettre  du  gré  que  Sa  Ma- 
jesté vous  sait  des  preuves  du  zèle  que  vous  lui  donnez. 
Elle  n'a  point  encore  pris  de  jugement  sur  ce  qu'il 
convient  de  faire  dans  une  situation  aussi  compliquée 
et  jusqu'ici  aussi   peu    développée  que  l'est  celle  des^ 


1)  Cité  dans  V Introduction^  p.   8i,  note   i. 

2)  V.  Vatbl,  Histoire  de  madame  Du  Barty^  H,  p.  462. 


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-202  REVUE   d'aLSACE 

puissances  copartageantes  et  de  toutes  celles  qui  peuvent 
et  doivent  s'intéresser  directement  ou  indirectement  à 
leur  union.  Il  n'est  sans  doute  pas  de  système  qui  dans 
ces  circonstances  n'offre  de  grandes  difficultés;  mais  la 
prudence  peut  les  surmonter;  il  faut  croire  que  le  Roi 
saura  en  trouver  les  moyens. 

<  Le  propos  que  l'Impératrice-Reine  vous  a  tenu 
prouve  bien  l'opinion  qu'elle  veut  qu'on  ait  de  sa 
manière  d'envisager  cette  œuvre  d'iniquité;  mais  ses 
regrets  sont-ils  assez  vifs  pour  la  porter  à  renverser  un 
ouvrage  presque  consommé?  Le  Roi  désire,  Monsieur, 
que  vous  tâchiez  de  constater  le  plus  particulièrement 
qu'il  vous  sera  possible  la  force  de  ce  sentiment  de 
cette  princesse.  Sa  Majesté  présume  bien  que  ce  qui 
lui  serait  peut-être  le  plus  difficile,  c'est  de  résister  à 
l'ascendant  de  l'Empereur  et  à  l'intérêt  que  les  exhor- 
tations de  ce  prince  au  comte  Oginski  prouvent  assez 
qu'il  prend  à  la  conservation  de  ses  nouvelles  acquisi- 
tions et  à  l'espèce  de  légitimation  qu'il  paraît  d'accord 
avec  le  roi  de  Prusse  d'extorquer  à  la  malheureuse. 
Pologne.  Les  diètes  qui  se  sont  tenues  depuis  l'avène- 
ment de  Stanislas -Auguste  au  trône  sous  les  armes 
russes  et  au  résultat  desquelles  la  violence  donnait  une 
sanction  irrésistible  offrent  des  exemples  trop  analogues 
aux  vues  des  deux  monarques,  pour  qu'ils  négligent 
de  les  imiter,  et  la  précipitation,  avec  laquelle  on  veut 
contraindre  le  roi  de  Pologne  à  convoquer  la  diète, 
laisse  très  peu  de  moyens  pour  s'opposer  à  la  consom- 
mation de  cette  nouvelle  violence. 

<  Nous  n'avons  rien  à  ajouter.  Monsieur,  aux  instruc- 
tions que  vous  avez  sur  les  affaires  de  Suède.  Le  Roi 
attend  avec  impatience  les  éclaircissements  qu'il  vous 
a  chargé  de  lui  procurer  sur  la  façon  de  penser  de  la 
cour  de  Vienne  relativement  aux  droits  que  la  Suède 
aurait  de  réclamer  l'assistance  de  l'Empereur,  de  l'Em- 
pire et  de  tous  ses  membres,  si  la  Poméranie  suédoise 
était  attaquée.  J'ai  l'honneur,  etc.  ». 


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CORRESP.    ENTRE    D* AIGUILLON    ET    DE   ROHAN  263 

Lettre  n^  jç  du  prince  de  Rohan  au  duc  d* Aiguillon  •). 
Vienne,  le  lO  décembre  1772.  L'ambassadeur  rend 
compte  d'un  entretien  qu'il  a  eu  avec  l'Empereur  au 
sujet  des  affaires  de  Pologne  et  de  Suède.  L'Empereur 
ne  songe  pas  à  recouvrer  l'Alsace  et  la  Lorraine.  «  Cer- 
tainement, lui  dis-je  (à  l'Empereur  Joseph  II),  continue 
le  prince  de  Rohan,  <  Vous  êtes  assez  fort  pour  écraser 
un  homme  (le  roi  de  Pologne)  qui  est.  sans  défense;  il 
ne  peut  lutter,  mais  de  son  sang  il  naîtra  des  défen- 
seurs et  de  ses  Etats  dévastés  peut-être  un  peuple  de 
guerriers,  c'est-à-dire  que  la  Pologne  peut  devenir  tôt 
ou  tard  pour  la  Maison  d'Autriche  une  source  de  mal- 
heurs ;  car  j'ai  peine  à  croire  que  les  puissances  inté- 
ressées à  la  balance  du  Nord  laissent  opérer  la  destruc- 
tion totale  de  la  Pologne,  et,  encore  plus,  qu'elles 
laissent  tranquillement  les  possesseurs  jouir  de  ce  nouvel 
agrandissement  et  qu'elles  n'aient  pas  toujours  le  projet 
de  ramener  à  peu  près  les  choses  dans  l'état  où  elles 
étaient  auparavant,  projet  qui  me  paraît  très  conforme 
à  la  répugnance  que  Votre  Majesté  et  Sa  Majesté  l'Im- 
pératrice ont  bien  voulu  me  témoigner  par  les  expres- 
sions les  plus  fortes  et  les  plus  justes  d'avoir  été  nécessités 
à  prendre  part  à  ce  démembrement.  —  Et,  qui  voulez- 
vous,  dit  l'Empereur,  qui  exécute  ce  projet .^^  Les  autres 
puissances  ont  aussi  leur  occupation  particulière.  — 
Oui,  Sire,  lui  dis-je;  mais  Votre  Majesté  et  l'impératrice 
de  Russie  connaissent  leurs  intérêts  et  le  caractère  du 
roi  de  Prusse;  il  n'en  faut  pas  davantage  pour  devoir 
tout  attendre. 

<  Comme  je  craignais  de  m'expliquer  davantage  et 
xjue  j'étais  bien  aise  d'en  rester  là  pour  mes  projets 
ultérieurs,  je  pris  la  liberté  de  lui  représenter  qu'on 
avait  ouvert  deux  fois  la  porte  du  côté  de  l'Impératrice 
et  que  toute  la  cour  qui  était  rassemblée  dans  l'apparte- 


l)  Publiée  dans  notre  travail  :  La  question  et Alsace^Lorraint  et 
l'rédénc  le  Grandy  p.  24.  Voir  VateL,  Histoire  de  madame  Du  Barry^ 
II,  p.  463;  DR  Saint-Pbibst,   lu  partage  de  la  Pologne^  p.  276. 


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264  REVUE  d'aLSACE 

ment  attendait  depuis  plus  d'une  heure.  Adieu,  dit-il, 
puisqu'il  faut  nous  quitter;  mais  c'est  à  regret,  et  je 
souhaite  que  nous  puissions  nous  retrouver  prompte- 
ment.  J'ai  Thonneur,  etc.  ». 

Lettre  n^  80  du  prince  de  Rohan  au  duc  d* Aiguillon. 
€  Vienne,  le  16  décembre  1772.  Mon  courrier.  Monsieur 
le  Duc,  a  trouvé  les  chemins  si  mauvais,  surtout  en 
Souabe,  qu'il  n'a  pu  arriver  ici  que  le  12  au  soir.  Il 
m'a  remis  les  lettres  n*»»  LXXI  et  LXXii  et  la  lettre  parti- 
culière que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  le 
3  de  ce  mois.  Je  vous  prie  de  mettre  aux  pieds  du 
Roi  l'hommage  de  ma  respectueuse  sensibilité  et  de  ma 
reconnaissance.  Je  suis  pénétré  de  la  satisfaction  que 
Sa  Majesté  a  la  bonté  de  témoigner  de  mon  travail. 
Je  désire  que  tous  les  jours  de  ma  vie  soient  consacrés^^ 
à  lui  donner  des  preuves  de  la  constance  de  mon  zèle  r 
c'est  mon  seul  but,  c'est  ma  seule  gloire  »  »). 

L'ambassadeur  parle  ensuite  des  affaires  de  Suède- 
qui  vont  s'arranger.  Les  ministres  de  Vienne,  de  Péters- 
bourg  et  de  Berlin  ont  présenté  un  Mémoire  à  Varsovie 
pour  exiger  la  convocation  d'une  diète  avec  menace 
en  cas  de  refus  de  faire  dévaster  la  Pologne  par  leurs 
troupes  2).  Traitements  inouïs  que  la  cour  de  Vienne 
l^it  éprouver  aux  Confédérés  au  préjudice  des  promesses 
qu'elle  leur  avait  laites.  On  croit  que  les  Turcs  consen- 
tiront à  l'élection  Hbre  du  Khan  des  Tartares,  sauf  la 
confirmation  du  Grand -Seigneur  3).  La  Porte  pourra 
aussi  accorder  à  la  Russie  dix  à  douze  millions  de 
roubles   pour  les  frais   de  la  guerre  4).    Le   Danemark 


1)  Cité  dans  ^Introduction^  p.  45. 

2)  Cfr.  Arnbth,  Gcschichte  Maria  Theresias^  VIII,  p.  397-40I  > 
WoLF,  Oesterrcich  unter  Maria  Theruia^  ?.  532;  DR  Smitt,  Frédé- 
ric II,,, y  op.  cit.,  p.  193;  Ad.  Bbrb,  Die  erste  Teilung  PoUns^  II, 
p.  201  ;  Fbbdbric  lb  Grand,  Mémoires  depuis  la  paix  de  Huberts^ 
bourg,,.  Oeuvres  historiques  de  Frédéiic  II,  roi  de  Prusse,  éd.  Preuss^ 
VI,  p.   58. 

3)  Cfr.  Ad.  Bekr,  op.  cit.,  p.  254. 

4}  Frédébic  lb  Grand,  op.  cit.,  p.  69. 


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CORRESP.    ENTRE   D' AIGUILLON    ET    DE    ROHAN  265 

va  faire  négocier  un  emprunt  de  deux  millions  de 
florins  à  Gênes.  L'ambassadeur  de  Suède  tâchera  de 
Tempêcher. 

Lettre  n^  8^  du  prince  de  Rohan  au  duc  d^ Aiçuillon, 
«Vienne,  le  26  décembre  1772.  Une  méprise  dont  je 
viens  d'être  instruit  me  persuade  de  plus  en  plus  qu'on 
ne  saurait  trop  prendre  de  précautions  pour  dérober  à 
ce  ministère  le  contenu  des  dépèches  et  que  des  cour- 
riers deviennent  nécessaires,  lorsque  les  matières  exigent 
du  secret.  Je  sais  déjà  qu'on  décachetait  tous  mes 
paquets  et  qu'on  en  transcrivait  le  chiffre.  En  recache- 
tant dernièrement  au  bureau  du  déchiffrement  une  de 
mes  lettres  à  Danzig,  comme  on  a  ici  votre  cachet  et 
le  mien,  au  lieu  de  mettre  l'empreinte  du  mien,  ils  se 
sont  servis  du  vôtre.    M.    Gérard    m'en   a  prévenu»»). 

Lettre  du  prince  de  Rohan  ait,  duc  d'Aiguillon  2). 
«  Vienne,  le  9  janvier  1773.  Je  vous  ai  prévenu.  Mon- 
sieur le  Duc,  au  commencement  de  Tannée  dernière, 
que  j'avais  distribué  à  MM.  de  Naillac,  de  Parcieux, 
de  Bulach  et  de  la  Mirandole  différents  objets  de  tra- 
vail. M.  de  Naillac,  comme  ayant  voyagé  dans  le  Nord, 
était  chargé  de  ce  qui  pouvait  intéresser  ce  pays  rela- 
tivement aux  circonstances  actuelles.  MM.  de  Parcieux 
et  de  Bulach  ont  été  occupés  du  militaire  autrichien  et 
des  changements  qui  pourraient  y  survenir.  M.  de  la 
Mirandole  doit  tracer  le  tableau  de  la  constitution  civile. 
Ces  trois  derniers  veulent  encore  ajouter  quelques  obser- 
vations au  travail  qu'ils  ont  fait.  Je  ne  vous  fais  donc 
passer  aujourd'hui  que  le  mémoire  que  m'a  remis  le 
chevalier  de  Naillac.  Je  désire  qu'il  ait  votre  approba- 
tion et  qu'il  puisse  être  un  titre  pour  lui  mériter  les 
bontés  du  Roi.  J'ai  l'honneur,  etc.  ». 

A  cette  lettre  est  joint  le  mémoire  du  chevalier  de 
Naillac,  qui  a  pour  titre  :  Réflexions  politiques  sur  la 
Suède  et  sur  l'état  présent  du  Nord. 


1)  Cité  dans  V Introduction^  p.   54.. 

2)  Citée  en  partie  dans»  V  Introduction  y  p.  46. 

Rtmu  d*Aliact,  1907  18 


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266  REVUE   D'aLSACE 

Les  lettres  suivantes  traitent  surtout  des  affaires  de 
Liège,  de  Suède  (ce  pays  sera-t-il  attaqué  par  les  Russes 
ou  non  ?)  et  de  Pologne  (convocation  de  la  Diète,  guerre 
entre  la  Russie  et  la  Turquie,  congrès  de  Bucharest, 
voyage  de  Joseph  II  en  Transylvanie  et  en  Pologne), 
et  des  réformes  militaires  en  Autriche. 

Lettre  «**  çj  au  prince  de  Rokan  au  duc  d* Aiguillon, 
Vienne,  le  19  février  1773.  L'ambassadeur  parle  d*abord 
d'une  convention  qu'il  a  eue  avec  l'Empereur.  Celui-ci 
affirme  qu'il  n'y  a  point  entre  lui  et  le  roi  de  Prusse 
de  correspondance  soit  secrète,  soit  indirecte;  il  repré- 
sente le  roi  de  Prusse  comme  étant  redoutable  par  son 
génie,  ses  ressources  et  ses  talents  militaires.  Sa  puis- 
sance est  très  difficile  à  détruire.  La  cour  de  Vienne 
souhaite  que  le  roi  de  Prusse  ne  soit  pas  attaqué. 

«  11  me  reste,  Monsieur,  à  répondre  à  un  article  de 
votre  lettre  (n**  LXXXii)  du  25  janvier  dernier,  où  vous 
vous  exprimez  ainsi  :  Je  vous  observerai  que  toutes 
les  conjectures  se  trouvent  depuis  longtemps  épuisées, 
ce  sont  des  faits  que  le  Roi  désire  avoir  désormais 
pour  base  de  son  jugement  définitif  et  que  c'est  à 
tâcher  de  lui  en  fournir  que  Sa  Majesté  compte  que 
vous  emploierez  toutes  les  ressources  de  votre  zèle  et 
de  votre  activité  »). 

cje  pourrais.  Monsieur,  me  borner  à  une  seule 
observation.  Certainement  si  j'avais  des  faits  plus  positifs, 
je  ne  les  tairais  pas  pour  y  substituer  quelquefois  des 
présomptions,  et  je  crois  qu'on  ne  me  soupçonnera  pas 
de  manquer  d'activité  pour  découvrir  tous  les  faits  qui 
peuvent  intéresser  ma  mission  et  le  service  du  Roi  ; 
mais,  comme  vous  me  répétez  souvent  cet  avis  et  que 
dans  plusieurs  de  vos  dépêches  vous  me  donnez  à 
entendre  que  cet  hommage  de  mes  réflexions  et  de 
ma  manière  de  voir  ne  plaît  pas,  je  crois  devoir  y 
répondre.  Un  avis  répété  plusieurs  fois  tient  du  reproche; 


l)  Cité  dans  V Introduction^  P<  31* 


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CORRESP.   ENTRE  d'aIGUILLON   ET   DE   ROHAN  267 

«n  reproche  suppose  une  faute;  si  elle  existe,  il  faut 
s'en  corriger;  si  elle  n'existe  pas,  il  faut  se  justifier. 
C'est  pourquoi  je  vous  demande,  Monsieur,  de  mettre 
<ette  réponse  sous  les  yeux  du  Roi. 

J'ai  toujours  cru,    comme  je  vous  l'ai  déjà  marqué 
par    ma  lettre   n*»   63   du    2    octobre,    que  le  principal 
devoir  d'un  ambassadeur  était  d'offrir  à  sa  cour  le  tableau 
de  celle  où  il  est,  de  tâcher  de  pénétrer  dans  le  secret 
<le  sa  politique  pour  en  connaître  et  démêler  les  ressorts 
^t  le  but.   Quand  cette  politique   est  décidée,   que   le 
le  plan  est  connu,  tout  va  de  soi-même;  des  conjectures 
-deviennent  superflues;    mais  quand  elle  est  probléma- 
tique, que  sa  marche  est  compliquée,  qu'elle  prend  des 
voies  détournées  et  secrètes  pour  parvenir  à   ses   fins 
et  que  l'ordre  des  choses  reçoit  une  nouvelle  impulsion, 
un   ambassadeur   zélé   et   attentif  doit   alors  suivre  la 
«léthode  la  plus  utile,  qui  est  de  partir  des  événements 
-connus   pour   découvrir  ce   qui   peut   ou  doit  arriver. 
Telle  est  celle  que  j'ai  constamment  suivie,  depuis  que 
je  suis  à  Vienne;    et  qui  mieux  que  vous,    Monsieur, 
peut  me  rendre  la  justice  que  la  plupart  de  mes  con- 
jectures ne  se  sont  que   trop   vérifiées?  Je   serais   très 
fâché  aujourd'hui  de  n'avoir  pas  conjecturé  dès  le  2  mars 
de   l'année   dernière   que   les   trois   puissances   allaient 
.s'unir  pour  démembrer  la  Pologne,    de  n'en  avoir  pas 
donné  l'avis  dans  ma  dépêche  n°  1 1  et  de  n'avoir  pas 
par  conséquent  prévu  le  traité  ou  plutôt  la  convention 
particulière  qui  n'a  été  consommée  que  six  mois  après. 
Il  ne  pouvait  qu'être  utile  que  je  n'attendisse  pas  le 
fait  pour  en  donner  l'éveil.  Je  serais  très  fâché,  lorsqu'on 
le  pouvait  encore  avec  avantage,  de  n'avoir  point  indiqué 
les  moyens  de  réunir  la  Confédération  au  roi  de  Pologne: 
je  conjecturais  alors  la  dévastation  actuelle  de  ce  mal- 
heureux royaume.   Je  serais   très  fâché  de  n'avoir  pas 
proposé,  il  y  a  plusieurs  mois,  de  séparer  la  Russie  du 
roi  de  Prusse  et  de  se  concerter  avec  la  cour  de  Vienne 
pour   un   objet  si   essentiel   au   bien    de    l'Europe.   Je 
conjecturais   que   ce   plan   qui  devait  être  tôt  ou  tard 


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268  REVUE   D'aLSACE 

adopté,  différé  plus  longtemps  deviendrait  d'une  exécu- 
tion plus  difficile.  Je  conjecturais  encore  les  usurpations- 
journalières  du  roi  de  Prusse  et  l'ascendant  presque 
irrésistible  qui  le  rend  aujourd'hui  puissance  dominante 
dans  le  Nord.  Je  ne  puis  être  fâché  d'avoir  conjecture 
que  les  cours  de  Pétersbourg,  de  Berlin,  de  Copen- 
hague, malgré  leurs  déclarations,  se  disposaient  à  atta- 
quer la  Suède.  Ces  conjectures,  qui  ont  encore  donné 
lieu  à  l'avis  contenu  dans  votre  dernière  dépêche 
n**  LXXXIV  du  31  janvier,  étaient  cependant  appuyées 
sur  plusieurs  faits  : 

<  Premier  fait.  L'Angleterre  ne  souffrira  pas  de  flotte 
française  dans  la  Baltique. 

«Second  fait.  Le  Danemark  continue  à  faire  des 
préparatifs  de  guerre  et  à  ne  point  désarmer  en  Nor- 
vège, où  il  entretient  toujours  une  armée  de  20.000- 
hommes. 

«  Troisième  fait.  Le  roi  de  Prusse  reprend  son  ton 
dur  et  menaçant. 

<  Quatrième  fait.  La  Russie  assemble  une  armée  de 
près  de  30.000  hommes  sur  les  frontières  de  Finlande. 

<  Cinquième  fait.  Le  prince  de  Kaunitz  a  dit  qu'il 
fallait  se  précautionner,  ne  pas  trop  se  fier  au  roi  de 
Prusse,  qu'il  existait  toujours  à  Berlin  et  à  Pétersbourg 
des  méfiances  contre  la  Suède,  qu'on  y  craignait  les 
suites  de  la  nouvelle  constitution,  etc 

<  C'est  ainsi.  Monsieur,  que  j'ai  conjecturé  et  que 
j'ai  cru  donner  au  Roi  des  preuves  de  zèle,  ne  laissant 
rien  ignorer  à  son  ministre  de  tout  ce  qui  pouvait 
fonder  mes  craintes  et  mes  inquiétudes.  Je  n'y  attache 
que  la  valeur  que  les  choses  ont  en  elles-mêmes;  c'est 
au  ministre  qui  est  placé  au  centre  de  la  négociation 
à  les  apprécier;  mais  quand  une  suite  de  conjectures 
appuyées  sur  des  faits  sont  devenues  des  faits  elles- 
mêmes,  on  est  autorisé  à  croire  qu'on  a  bien  fait  de 
les  présenter.  Ainsi,  Monsieur,  je  continuerai  cette 
marche,    à   moins  que   vous   ne  me  marquiez  que   le 


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CORRESP.    ENTRE   D*AIGUILLON    ET    DE   ROHAN  269 

Roi  me  l'interdit.  Pour  lors  je  me  bornerai  à  ne  parler 
•que  des  faits;  mais  il  me  faut  un  ordre  pour  me  croire 
dispensé  de  faire  ce  que  je  pense  être  mon  devoir. 

€  J'ai  l'honneur  d'être,  avec  un  sincère  attachement, 
Monsieur  le  Duc,  votre  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur  >. 

Lettre  «®  Qç  du  prince  de  Rohan  au  duc  d' Aiguillon. 
<  Vienne,  le  27  février  1773.  Vous  me  demandez,  Mon- 
sieur le  Duc,  par  votre  dernière  lettre  n^  LXXXV  du 
7  de  ce  mois  de  nouveaux  éclaircissements  qui  cons- 
tatent d'une  manière  plus  décisive  les  notions  et  les 
faits  que  vous  me  dites  différer  essentiellement  des 
notions  et  des  faits  que  Sa  Majesté  a  sur  des  points 
aussi  importants.  J'aurais  désiré.  Monsieur  le  Duc,  pour 
m'éclairer  moi-même  et  pour  me  guider  plus  sûrement 
<ians  les  recherches  qui  pourraient  ou  me  confirmer 
dans  mon  opinion  ou  la  détruire  que  vous  eussiez  bien 
voulu  m'indiquer  ces  ftotions  et  ces  faits  qui  diffèrent 
essentiellement. 

«J'ai  dit,  il  est  vrai,  1)  que  l'attaque  de  la  Suède 
-n'avait  été  que  différée;  2)  que  l'indifférence  simulée 
■des  Anglais  était  un  secours  réel  promis  aux  ennemis 
■de  la  Suède  ;  3)  que  le  ton  naturel  du  roi  de  Prusse 
renouvelait  des  craintes  qu'on  avait  d'abord  dissipées; 
mais,  Monsieur,  je  crois  avoir  déjà  montré  la  vérité  de 
•ces  trois  assertions  dans  mes  n"  90,  95,  97,  et,  comme 
je  continue  à  être  persuadé,  ce  serait  contribuer  au 
i3ien  du  service  que  de  me  mettre  à  portée  d'être 
dissuadé,  si  vous  croyez  devoir  ajouter  plus  de  foi  aux 
notions  et  aux  faits  qui  diffèrent  essentiellement  >. 

La  cour  de  Vienne  négocie  vivement  à  Berlin  pour 
•se  faire  adjuger  les  villes  de  Cracovie  et  de  Kaminiek 
qui  lui  sont  nécessaires  pour  la  conservation  de  ses 
•nouveaux  domaines.  Le  roi  de  Prusse  ne  fait  sans  doute 
"des  difficultés  que  pour  obtenir  d'autres  complaisances, 
•c'est-à-dire  Danzig  et  Thorn.  L'Empereur  doit  faire  un 
voyage  en  Pologne  après  les  fêtes  de  Pâques.  La  Diète 


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«7^  REVUE  d' ALSACE 

de  Pologne  est  fixée  aux  termes  exigés  par  la  décla- 
ration  uniforme  des  trois  puissances  remise  à  Var- 
sovie i). 

€  Soyez  sûr,  Monsieur,  que  je  ne  perds  pas  de  vue 
l'objet  dont  le  sieur  Brunck  est  chargé;  une  affaire  qui 
intéresse  M.  le  duc  d'Orléans  et  qui  est  recommandée- 
par  le  Roi  ne  peut  que  mériter  tous  mes  soins  et  toute 
ma  vigilance.  On  travaille  dans  la  chancellerie  d'Etat  à 
une  réponse  au  Mémoire  qui  a  été  présenté  sur  cet 
objet.  De  nouvelles  pièces  survenues  au  sieur  Brunck 
l'ont  engagé  à  se  désister  sur  certains  points  et  l'ont 
mis  à  portée  d'en  consolider  d'autres.  J'ai  l'honneur,, 
etc.  >. 

Lettre  «°  XC  du  duc  d'Aiguillon  en  réponse  à  la 
lettre  n"*  çç  du  prince  de  Rohan.  <  Versailles,  le  1 1  mars^ 
^17 i'  J'^i  reçu.  Monsieur,  la  lettre  n^  99  que  vous- 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  le  27  du  mois  passe 
avec  le  paquet  de  Constantinople  que  vous  avez  bien 
voulu  y  faire  joindre.  Les  lettres,  Monsieur,  que  vous- 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  sous  les  n°»  95  et  97 
et  postérieures  à  celle  par  laquelle  je  vous  marquais  le 
désir  que  le  Roi  aurait  de  recevoir  des  éclaircissements- 
plus  positifs  sur  des  faits  et  des  notions  énoncées  dans 
votre,  lettre  n**  95  me  sont  parvenues  successivement^ 
ainsi  que  j'ai  l'honneur  de  vous  le  mander.  J'ai  eu  la 
plus  grande  attention  de  les  mettre  sous  les  yeux  di:^ 
Roi,  afin  d'aider  Sa  Majesté  à  fixer  son  jugement  sur 
ces  objets  importants.  Elle  m'a  chargé  à  cette  occasion 
de  Vous  assurer  qu'Elle  ne  vous  laisserait  jamais  manquer 
des  instructions  nécessaires  pour  diriger  vos  démarches- 
au  plus  grand  bien  de  son  service.  Les  vues  que  la. 
cour  de  Vienne  forme  sur  les  villes  de  Cracovie  et  de 
Kaminiek  faciliteront  probablement  celles  du  roi  de 
Prusse  sur  Danzig  et  sur  Thorn.  Le  Roi  est  persuadé^ 


1)  Le    19  avril   1773.    Cfr,   Arnrth,   GeschUhU  Maria    Theresùts^ 
VIII,  p    406;    Ad.  BEER,  />/>  erste  Teilung  PoUns,  II,  p.  221. 


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CORRESP.    ENTRE   D'AIGUILLON    ET    D  E    ROH.AN  27  I 

Monsieur,  de  votre  attention  à  l'informer  de  la  suite 
de  la  négociation  que  vous  mandez  être  établie  entre 
les  trois  cours  sur  cet  objet.. .  ». 

Lettre  «°  //j  du  prince  de  Rohan  au  duc  d' Aiguillon, 
Vienne,  le  28  avril  1773.  La  cour  de  Vienne  veut 
assimiler  la  constitution  de  ses  Etats  à  celle  de  Russie, 
c'est-à-dire  établir  une  constitution  toute  militaire.  Or- 
donnance pour  la  constitution  militaire. 

€  Je  tiens  de  bonne  source  et  de  la  personne  même 
à  laquelle  l'Impératrice  Ta  dit,  un  propos  dont  vous 
apprécierez.  Monsieur,  toute  la  valeur,  mais  que  j'ai 
cru  essentiel  de  vous  rapporter. 

«  L'Impératrice  se  plaignit,  il  y  a  quelques  jours, 
de  tous  les  désagréments  que  lui  causaient  ses  enfants. 
Elle  excepta  néanmoins  Naples  et  Florence.  Ils  devraient, 
disait-elle,  faire  ma  joie  et  ma  consolation,  et  on  dirait 
qu'ils  ont  conspiré  contre  la  tranquillité  de  mes  jours. 
Elle  ajouta  :  Cette  malheureuse  affaire  de  Pologne  con- 
tinue à  m'affliger  ;  c'est  en  conséquence,  dit-on,  que  la 
France,  l'Espagne  et  la  Sardaigne  s'unissent  à  notre 
insu  par  un  traité  particulier?  quel  peut-être,  ajouta-t-elle, 
le  but  de  cette  ligue!  Celle  que  nous  avons  faite  avec 
Berlin  et  Pétersbourg,  était  nécessité  par  les  circons- 
tances et  bien  contre  mon  gré  ;  cependant,  si  on  avait 
bien  voulu,  elle  n'aurait  pas  eu  lieu  ;  nous  le  demandions, 
mais  j'espère  toujours  que  rien  ne  rompra  notre  alliance 
avec  la  France.  Quand  M.  le  prince  de  Kaunitz,  Mon- 
sieur, me  parla  de  ce  traité  avec  la  cour  de  Turin, 
vous  savez  la  réponse  que  j'y  fis,  et,  quand  sans  mar- 
quer d'inquiétude,  on  est  encore  par  forme  d'entretien 
revenu  sur  cet  objet,  je  m'en  suis  tenu  littéralement  à 
ce  que  vous  m'avez  mandé  par  votre  lettre  n**  lxxxvii 
du  27  février  dernier.  Ce  bruit  néanmoins  commence  à 
se  répandre  et  à  s'accréditer  même  dans  le  corps  diplo- 
matique . . .  >. 

Lettre  ft*  C  du  duc  d^ Aiguillon  en  réponse  à  la  lettre 
nP  113  du  prince  de  Rohan,  Versailles,  le  12  mai  1773. 


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272  REVUE    D  ALSACE 

Le  roi  Louis  XV  désire  être  instruit  de  la  manière  dont 
la  conscription  militaire  sera  exécutée  en  Autriche  et 
de  sa  réussite. 

<  Le  Roi  est  toujours  fort  aise,  Monsieur,  d'apprendre 
par  des  anecdotes  particulières  comment  l'Impératrice- 
Reine  peut  s'expliquer  dans  ses  entretiens  familiers  sur 
tous  les  objets  qui  peuvent  intéresser  Sa  Majesté,  et 
Elle  vous  sait  gré  de  la  relation  que  vous  faites  de  quel- 
ques discours  de  cette  nature.  Elle  me  charge  de  vous 
marquer  qu'Elle  a  été  vivement  frappée  de  la  phrase 
où  cette  princesse  dit  que  si  on  avait  bien  voulu,  la 
ligue  avec  la  cour  de  Berlin  et  de  Pétersbourg  n'aurait 
pas  eu  lieu.  Cette  espèce  de  reproche  ne  peut  regarder 
que  la  France,  et  le  Roi  en  est  d'autant  plus  touché 
qu'il  semble  que  la  cour  de  Vienne  y  fonde  toute  sa 
justification;  mais,  pour  que  ce  reproche  fût  mérité,  il 
faudrait  que  Leurs  Majestés  Impériales  eussent  fait  à 
Sa  Majesté  quelque  proposition  ou  quelque  ouverture 
tendant  à  prévenir  cette  alliance  ou  à  détourner  les 
circonstances  par  lesquelles  la  cour  de  Vienne  prétend 
avoir  été  nécessitée  de  la  conclure.  Or,  Monsieur,  depuis 
que  je  suis  dans  le  ministère,  rien  de  semblable  ne  m'est 
venu  de  sa  part.  Vous  savez  vous-même  que,  depuis 
l'époque  de  votre  séjour  à  Vienne,  le  ministère  autri- 
chien ne  vous  a  fait  aucune  ouverture,  et  j'ai  vérifié 
par  une  recherche  exacte  dans  mes  bureaux  que  dans 
les  années  antérieures  à  mon  ministère  jusqu'à  l'époque 
de  l'origine  des  troubles  de  Pologne,  elle  n'en  avait 
pas  fait  davantage.  Le  Roi  désirerait.  Monsieur,  que 
vous  pussiez  dans  un  de  vos  entretiens  avec  l'Impéra- 
trice-Reine  amener  sans  affectation  la  conversation  sur 
cet  objet  et  fixer  la  façon  de  penser  et  les  notions  de 
cette  princesse  d'une  manière  conforme  à  la  vérité  des 
faits  en  articulant  positivement  que  jamais  le  Roi  n'a 
reçu  de  sa  part  aucune  espèce  d'ouverture  ni  même 
de  confidence  sur  cet  objet.  Sa  Majesté  s'en  rapporte 
à  votre  zèle  et  à  votre  circonspection  sur  la  manière 
d'établir   cette   assertion  et  de  l'accompagner  de  tout 


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CORRESP.    ENTRE   D  AIGUILLON    ET    DE   ROHAN  273 

-ce  qui  peut  caractériser  le  ton  de  ramitié  qu*Elle  veut 
conserver  en  détruisant  un  reproche  injuste. 

c  Quant  au  prétendu  traité  avec  le  roi  de  Sardaigne, 
Sa  Majesté  me  charge  de  vous  répéter  ce  que  j'ai  eu 
J'honneur  de  vous  mander  de  sa  part  sur  cet  objet,  et 
Elle  vous  autorise  à  dire  et  déclarer  hautement  en  toute 
occasion  que  ce  bruit  est  destitué  de  tout  fondement, 
comme  de  toute  vraisemblance  et  que  tout  ce  qui  se 
débite  à  cet  égard  est  absolument  et  entièrement  faux. 
J'ai  l'honneur,  etc.  >. 

Lettre  n""  CXII  du  duc  d'Aiguillon  au  prince  de 
Rohan.  <  Versailles,  le  27  juin  1773.  J'ai  reçu.  Monsieur, 
la  lettre  n°  126  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire,  le  12  de  ce  mois,  et  j'en  ai  fait  lecture 
^u   Roi. 

t  Sa  Majesté  vous  sait  gré  de  l'avoir  instruite  de  la 
population  de  la  partie  de  la  Pologne  que  la  cour  de 
Vienne  a  fait  occuper.  Elle  sera  fort  aise  d'être  égale- 
jTient  informée  des  autres  détails  qui  pourront  en 
-constater  la  valeur,  à  mesure  que  vous  vous  trouverez 
-à  portée  de  les  recueillir. 

f  Le  Roi  trouve  bon.  Monsieur,  que  vous  alliez 
jjasser  aux  bains  de  Tœplitz  le  temps  qu'exigera  le 
rétablissement  de  votre  santé  et  que  vous  choisissiez 
pour  cet  effet  le  moment  qui  vous  paraîtra  le  plus 
-convenable.  Sa  Majesté  est  bien  persuadée  que  vous 
prendrez  des  mesures  pour  la  faire  instruire  de  ce  qui 
se  passera  d'intéressant  pendant  votre  absence.  J'ai 
J'honneur,  etc.  ». 

Lettre  n^  133  du  prince  de  Rohan  au  duc  d' Aiguillon, 
Vienne,  le   10  juillet  1773... 

P,  S,  Il  y  a  quelque  temps  que  j'ai  trouvé  le  moyen 
d'être  exactement  averti  de  tout  ce  qui  émane  du 
-conseil  des  guerres,  et  ce  n'est  pas  chose  aisée,  car  on 
ne  peut  rien  ajouter  à  la  vigilance  du  maréchal  de  Lacy 
-et  à  sa  sévérité  >. 

Lettre  «°  /j^  du  prince  de  Rohan  au  duc  d* Aiguillon. 
-€  Vienne,   le    15  juillet  1773...    J'ai  promesse  d'avoir 


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274  REVUE   D'ALSACB 

le  nouveau  règlement  militaire  annoncé  par  mon  n**  131^ 
On  me  remit  hier  la  table  des  chapitres,  il  sera  volu- 
mineux et  bien  intéressant.  Je  vous  observerai,  Monsieur^ 
que  le  chapitre  IX  joint  à  n**  133,  intitulé  :  <  De  la 
manière  de  faire  la  guerre  contre  les  Turcs  »,  est  le- 
seul  en  ce  genre,  c'est-à-dire  qu'aucune  autre  nation 
de  l'Europe  n'y  est  ainsi  désignée  en  particulier.  J'ai 
l'honneur,  etc.  ». 

Lettre  n?  ij6  du  prince  de  Rohan  au  duc  d'Aiguillon^. 
«Je  compte  partir  incessamment  pour  Tœplitz»),  car 
je  sens  la  nécessité  de  céder  à  l'avfs  des  médecins,, 
souffrant  un  peu  dans  les  changements  de  temps.  J'ai 
pris  auprès  du  prince  de  Kaunitz  la  même  précaution 
que  l'année  dernière  en  le  priant  de  vouloir  bien  parler 
avec  confiance  à  l'abbé  Georgel  pendant  ma  courte- 
absence.  Je  puis  dire  que  ce  ministre  a  accueilli  ma 
demande  avec  la  meilleure  volonté  en  m'ajoutant  qu'il 
m'avait  donné  preuve  de  faire  tout  ce  qui  pouvait 
m'être  agréable  et  que  dans  toutes  les  occasions  il 
agirait  de  même;  que  d'ailleurs  il  était  porté  d'inclina- 
tion pour  le  personnel  de  l'abbé  Georgel. 

«  Je  crois  important,  Monsieur,  de  recueillir  avec 
soin  tout  ce  qui  caractérise  l'opposition  qui  règne  entre 
la  manière  de  penser  de  l'Impératrice-Reine  et  celle  de 
l'Empereur.  Je  tiens  tout  ce  que  je  vais  tracer  de  la- 
personne  même  à  qui  cette  princesse  a  parlé  ainsi,  il 
y  a  peu  de  jours.  Elle  versait  encore  des  larmes  et 
elle  dit  :  t  Cest  de  cette  façon  que  je  passe  et  mes- 
jours  et  mes  nuits,  lorsque  je  suis  seule.  Les  inquié-: 
tudes  journalières  que  me  cause  le  caractère  de  l'Em- 
pereur,  donnent  des  atteintes  mortelles  à  ma  santé  ^ 
c'est  en  vain  que  j'ai  tout  employé  pour  empêcher  ce 
voyage  en  Pologne;  je  ne  suis  plus  écoutée;  on  voit 
mieux  que    moi   ce    qui    devient    nécessaire    pour    le 


i)  Cfr.  ZotN  DR  BULACH,  V Ambassade  du  frinu  de  Rohan,.. ^ 
p.  100.  Ceit  le  ao  juillet  que,  diaprés  le  baron  Antoine*Jo8eph  Zor»» 
de  Bulach,  le  prince  de  Rohan  se  mit  en  route. 


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CORRESP.   ENTRE   D  AIGUILLON   ET   DE  ROHAN  275. 

bonheur  de  mes  sujets  et  la  gloire  de  la  monarchie. 
J'aurais  pu  m'y  opposer;  mais  c'eût  été  un  éclat,  et 
une  pareille  scission  ne  pourrait  qu'entraîner  des  suites 
fâcheuses.  Plût  à  Dieu  que  mon  fils  ne  vit  jamais  la 
Pologne  et  que  même  il  ne  l'eût  jamais  vu  sur  les 
cartes  »  i).  L'Impératrice  parla  ensuite  de  la  guerre 
présente.  Il  parut  par  tout  ce  qu'elle  dit  des  Russes 
qu'elle  ne  désirait  ni  leur  succès  ni  leur  voisinage. 
Elle  en  marqua  avec  beaucoup  de  précision  et  de  justesse 
tous  les  dangers;  «j'aime  bien  mieux,  ajouta-t-elle^ 
mes  bons  amis  les  Turcs,  mais  je  ne  fais  pas  tout  ce 
que  je  désirais». 

«Il  vous  sera  facile,  Monsieur,  de  comparer  les 
sentiments  de  la  mère  avec  ceux  du  fils  et  d'en  tirer 
les  conséquences  propres  à  éclairer  ma  conduite  dans 
des  moments  si  critiques.  J'ai  l'honneur,  etc.  ». 

Lettre  n"*  144  du  prince  de  Rohan  au  duc  d* Aiguillon. 
«Vienne,  le  21  août  1773.  Je  suis  arrivé,  Monsieur, 
depuis  quelques  jours  2).  Deux  orages  considérables 
ayant  fait  grossir  les  torrents  dans  les  montagnes,  je 
n'ai  pas  pu  prendre  le  même  chemin  pour  revenir. 
J'ai  fait  un  détour  de  40  lieues  en  passant  par  la  Silésie. 
En  faisant  ce  peu  de  chemin  de  plus  j'ai  abrégé  le 
temps;  mon  absence  n'a  été  que  de  dix-sept  jours. 
Cependant  cet  intervalle  m'a  paru  long,  quoique  je  sois 
sûr  que  le  service  du  Roi  n'en  a  point  langui,  comme- 
vous  êtes  à  portée  d'en  juger  à  présent  par  les  choses 
intéressantes  qui  vous  ont  été  marquées...». 

Lettre  n^  14c  du  prince  de  Rohan  au  duc  d"" Aiguillon. 
«Vienne,  le  11  septembre  1773.  Le  bref  de  Rome,, 
Monsieur,  qui  supprime  la  société  des  Jésuites,  a  eu 
ici  son  exequatur.  En  conséquence  on  avait  annoncé 
avant-hier  aux  supérieurs  des  différentes  maisons  de 
cette  capitale  qu'on  ne  leur  signifierait  le  bref  de  suppres- 


*.)  Cfr.  ZOBN  DK  BULACH,  Op.  Cit.,  p.  ItÇ. 

a)  Cfr.  ARNKTH,  GeschUhit  Maria   Theresias,  VIII,  p.  415. 


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1276  REVUE   d'aLSACE 

sion  que  le  17  de  ce  mois.  De  nouveaux  ordres  ont 
accéléré  cette  publication  qui  a  été  faite  hier  par  le 
cardinal-archevêque  et  un  commissaire  de  la  cour.  On 
^ait  aujourd'hui  que  cette  signification  n'a  été  si  préci- 
pitée que  parce  qu'on  avait  persuadé  que  les  Jésuites 
profiteraient  de  ce  délai  pour  faire  rentrer  des  capitaux 
considérables.  Le  comte  de  Hatzfeld,  chargé  de  vérifier 
Ce  fait,  vient  d'assurer  l'Impératrice  qu'après  les  plus 
exactes  perquisitions  il  se  trouvait  que  cette  prétendue 
rentrée  de  capitaux  n'était  qu'un  bruit  faux  et  calom- 
nieux. Quand  la  cour  de  Vienne  promit  au  roi  d'Es- 
pagne de  faire  exécuter  le  bref  dans  tous  les  pays  de 
sa  domination,  ce  fut  à  condition  que  la  libre  disposi- 
tion des  biens  de  la  Société  serait  dans  la  maison  du 
souverain.  Cette  condition  essentielle  avait  sans  doute 
été  oubliée  à  Rome  ;  la  lettre  encyclique  adressée  aux 
archevêques  et  évêques  de  la  domination  autrichienne, 
Jeur  donne  le  pouvoir  de  s'emparer  de  ces  biens.  On 
-a  défendu  à  ces  prélats  d'user  de  ce  pouvoir;  on  a 
dépêché  un  courrier  à  Rome  pour  rectifier  cette  méprise. 
La  réponse  du  pape,  arrivée  mercredi  dernier,  a  remis 
les  choses  dans  l'état  où  on  les  désirait.  L'Impératrice- 
Reine  sera  maîtresse  absolue  des  biens  des  Jésuites  de 
ses  Etats.  Elle  se  charge  en  conséquence  de  pourvoir 
à  l'entretien  des  nouveaux  collèges  et  à  la  subsistance 
des  individus  qui  doivent  incessamment  vider  leurs 
-maisons  et  changer  d'habit.  Le  pape  a  aussi  donné  des 
reversales  pour  certaines  expressions  du  bref  qui  pour- 
raient être  interprétées  au  désavantage  de  la  plénitude 
de  la  puissance  temporelle. 

«  Lorsque  j'enverrai  un  courrier  ou  que  j'aurai  une 
occasion  sûre,  je  vous  communiquerai  les  preuves  de 
la  manière  dont  l'Empereur  s'y  est  pris  pour  décider 
sa  mère  à  consentir  à  la  suppression  des  Jésuites.  Il  y 
a  eu  entre  ce  prince  et  le  pape  une  correspondance 
secrète  qui  a  enfin  amené  la  chose  au  point  où  elle 
se  trouve  ici  aujourd'hui.  C'est  ainsi  qu'il  agit,  quand 
il  prévoit  que  ses  représentations  n'auront  pas  d'effet. 


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CORRESP.    ENTRE   D* AIGUILLON    ET   DE  ROHAN  277 

Vous  verrez  encore  que  ce  sont  les  biens  de  la  Société 
qui  ont  décidé  ce  prince  à  en  désirer  Textinction . .  . 
On  disait  hier  que  l'Empereur  ne  retournait  plus  à 
Léopol  »)  et  qu'il  devait  se  rendre  incessamment  ici. 
Si  ce  retour  inopiné  a  lieu,  je  tâcherai  de  savoir  pour 
le  premier  ordinaire  quel  peut  en  être  l'objet.  J'ai 
l'honneur,  etc.  >. 

Lettre  «®  CXXVI  du  duc  d'Aiguillon  au  prince  de 
Rohan.  «  Versailles,  le  25  septembre  1773.  J'ai  mis, 
Monsieur,  la  lettre  n°  149  du  11  de  ce  mois  sous  les 
yeux  du  Roi.  Sa  Majesté  était  instruite  des  clauses  que 
la  congrégation  des  cardinaux  avait  fait  insérer  dans  la 
lettre  encyclique  adressée  à  tous  les  évêques  avec  le 
bref  concernant  l'extinction  de  l'ordre  des  Jésuites, 
ainsi  que  de  la  déclaration  que  le  pape  a  faite,  dès 
qu'il  en  a  été  instruit,  que  ces  expressions  s'étaient 
glissées  par  erreur  dans  les  expéditions  de  cette  lettre 
qui  étaient  destinées  pour  les  pays  étrangers,  les  clauses 
en  question  ne  devant  regarder  que  les  évêques  de 
l'Etat  ecclésiastique.  Le  Roi  pense  en  conséquence, 
Monsieur,  que  cette  erreur  n'aura  pas  tardé  à  être  recti- 
fiée pour  Vienne,  comme  elle  l'a  été  pour  les  autres  pays, 

«  Sa  Majesté  sera  toujours  fort  aise  de  recevoir  les 
notions  et  tous  les  renseignements  que  vous  aurez  à 
lui  donner  relativement  à  la  manière  d'être  de  l'Em- 
pereur avec  sa  mère  et  aux  moyens  qu'il  emploie  pour 
surmonter  les   obstacles  qu'elle  oppose  à  ses   projets. 

<  Quant  au  consentement  de  cette  princesse  à  l'ex- 
tinction des  Jésuites,  le  Roi  me  permet  de  vous  mander 
que  c'est  le  roi  d'Espagne  qui  a  sollicité  le  consente- 
ment, que  Sa  Majesté  a  été  instruite  de  cette  négociation 
qui  a  été  conduite  sous  ses  yeux  et  qu'il  y  a  près  de 
trois  mois  qu'elle  est  terminée.  Le  Roi  désire  fort  de 
connaître  les  lettres  que  l'Empereur  a  écrites  à  sa  mère 
sur  l'administration  de  la  Pologne  autrichienne ...  >  «). 


1)  Cfr.  Arneth,  op.  cit.,  413. 

2)  Ibid. 


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278  REVUE   d'aLSACE 


>  du  prince  de  Rohan  au  duc  d^ Aiguillon, 
octobre  1773.  La  cour  de  Vienne  ne 
activité  pour  rendre  formidable  le  cordon 
sur  les  frontières  de  la  Turquie.  Avis 
ssadeur  que  TEmpereur  demandait  à  la 
Qunication  de  son  plan  de  campagne 
ips  prochain. 

que  malgré  les  marques  extérieures 
n  continue  à  me  donner  ici,  on  ne  me 
>n  gré  de  ce  que  par  mes  moyens  on 
j'ai  découvert  ce  qu'on  avait  soin  de 
Lien  ne  pourra  ralentir  ma  vigilance;  les 
3nt  trop  critiques  et  trop  intéressantes 
voir  sacrifier  mon  agrément  particulier, 
même  tout  ce  que  je  pourrai  éprouver 
ienne,  lorsque  mes  démarches  et  mes 
Tont  contribuer  au  plus  grand  bien   du 

J'ai  l'honneur,  etc.  >. 

xinement),  D'  L.  Ehrhard. 


ntroduction^  p.   5S. 


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SOUVENIRS  DE  1816 


JOURNAL 
O'UN   HABITANT  DE  CERNAY  :  M.   DE   LATOUCHE 

Suite  «) 


Mai  /j.  Le  nommé  Bellai,  horloger,  dont  la  con- 
<iuite  irrégulière  a  été  déjà  mentionnée,  reparaît  encore 
-derechef  sur  la  scène.  Voici  le  fait.  Cet  horloger,  à 
5  heures  du  matin,  était  dans  une  taverne  derrière  la 
poste,  où,  s'y  étant  enivré,  il  chercha  dispute  à  un 
caporal  du  régiment  de  Lindenau  qui  y  entra  pour 
y  boire,  ("e  caporal,  pour  éviter  la  querelle,  quitta  ce 
<:abaret  et  alla  boire  dans  un  bouchon  vis-à-vis  du  pres- 
bytère; pendant  cet  intervalle,  l'hôte  de  la  taverne 
chassa  ledit  Bellai  comme  un  perturbateur.  Le  hasard 
voulut  que  cet  horloger  entra  dans  le  bouchon  vis-à-vis 
du  presbytère  et  y  voyant  ce  caporal  il  tomba  sur  lui 
comme  un  furieux  et  voulut  le  tuer,  mais  ce  caporal 
se  défendit  vigoureusement  et  terrassa  ledit  Bellai.  Sur 
-ces  entrefaites  arriva  un  sergent-major  pour  séparer  les 
-combattants,  mais  l'horloger  toujours  furieux  ne  voulait 
pas  céder;  alors  ce  sergent-major  chercha  la  garde, 
-laquelle   arrêta   les   deux  délinquants  et   les    conduisit 

i)  Voir  U  livraison  de  mai-juin   1906. 


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aSo  REVUE  d'alsace 

vers  la  prison;  mais  en  chemin  ledit  Bellai  ramassa 
une  grosse  pierre  dans  la  rue  et  la  jeta  avec  violence 
contre  la  tête  de  ce  caporal  et  lui  fendit  la  paupière, 
au  point  qu'on  voyait  l'intérieur  de  l'œil.  Alors  les- 
soldats  de  la  garde  le  conduisirent  au  corps  de  garde 
de  la  maison  de  ville,  où  leurs  camarades  se  trouvaient, 
lesquels,  voyant  leur  caporal  si  mal  traité,  tombèrent 
à  coups  redoublés  sur  ledit  Bellai,  lequel,  pour  parer 
les  coups,  se  réfugia  sous  le  lit  de  camp  et  invectiva 
tous  ces  soldats  par  les  plus  infâmes  injures.  Le  sergent- 
major  fit  de  suite  le  rapport  de  cet  accident  à  M,  de 
Betch,  capitaine  du  régiment  et  commandant  de  la 
ville,  lequel  fit  transporter  ce  caporal  blessé  à  l'hôpital 
de  Thann  où  le  chirurgien-major,  après  l'avoir  pansé,- 
opina  qu'il  pourrait  perdre  l'œil. 

Quant  à  l'horloger  Bellai,  le  commandant  ordonna 
qu'il  fut  gardé  à  vue  jusqu'à  ce  qu'il  eût  rendu  un 
compte  exact  à  son  colonel,  lequel  doit  en  avoir  écrit 
au  général  Frimont,  qui  doit  prononcer  la  sentence  sur 
cet  événement  qui  est  une  suite  de  l'insouciance  des 
agents  de  police  de  la  ville  de  Cernay,  lesquels,  par 
leur  conduite,  paraissent  soutenir  les  coquins.  Il  est  k 
observer  que  voici  déjà  la  cinquième  aventure  que  cet 
horloger  a  eue  avec  toutes  les  troupes  alliées  qui  étaient 
en  garnison  à  Cernay,  sans  compter  les  horreurs  de  sa 
conduite  qui  est  infâme,  laquelle  Ta  déjà  fait  chasser 
des  communes  de  Rouffach  et  de  Guebwiller,  avant 
qu'il  vint  s'établir  à  Cernay,  où  il  est  domicilié  depuis 
trois  ans  à  y  faire  le  vagabond.  Enfin  aujourd'hui  le 
sieur  Zurcher,  maire,  a  promis  à  M.  le  commandant 
M.  de  Betch  de  faire  chasser  ledit  Bellai  de  la  ville, 
après  qu'il  sera  rétabli  des  blessures  qu'il  a  reçues  dans 
cette  circonstance. 

Mai  i8,  M.  Falck,  maréchal  des  logis  de  la  gendar- 
merie, a  reçu  du  maire  de  la  commune  de  Staffelfelden 
la  déclaration  ci-après: 

Proces-verbaL  —  Sur  la  plainte  rendue  par  Catherine 
Hiltenhrandty  épouse  de  Joseph  Gibo,  contre  le  sieur  Jean- 


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SOUVENIRS    DE    1816  281 

Baptiste  Gilg^  prêtre^  desservant  la  cure  de  Staffelfelden* 
Savoir  : 

Ladite  Catherine  Hiltenbrandt  a  déclaré  devant  moi, 
maire,  ce  qui  suit  en  ces  propres  termes. 

I**  A  Eguisheim,  le  ii  mars  1803,  j*ai  mis  au  monde 
deux  enfants,  un  garçon  et  une  fille,  que  ledit  Gilg  a 
reçus  lui-même,  et  que  personne  autre  s'est  trouvé  à 
mon  accouchement  que  lui  seul,  n'y  ayant  pas  d'autres 
sages-femmes  que  lui  Gilg;  qu'ensuite  le  susdit  Gilg  a 
privé  ces  deux  enfants  de  nourriture,  et  qu'ensuite  ils 
sont  morts  par  la  faim;  qu'après  la  mort  de  ces  deux 
enfants  ledit  Gilg  les  a  enlevés  dans  la  nuit  et  les  a 
brûlés  dans  un  four  de  la  maison  de  Joseph  Horber 
du  susdit  lieu. 

2°  A  Soppe-le-Haut  en  l'an  1807,  je  suis  accouchée 
d'un  garçon  ;  dans  l'enfantement  s'était  montré  le  bras 
de  cet  enfant  que  ledit  Gilg  a  eu  la  cruauté  de  couper 
à  Pentrée  de  la  matri:e;  et,  après  la  naissance  de  cet 
enfant,  ledit  Gilg  a  pris  ce  bras  coupé  et  Ta  jeté  au 
feu  avec  l'enfant,  dans  le  fourneau  de  la  chambre  que 
j'habitais;  telle  est  la  vérité  de  ce  que  je  déclare. 

La  présente  déclaration  faite  à  Staffelfelden ,  le 
17  mai  1816. 

Mai  2j.  L'on  a  appris  qu'un  nommé  Haas,  écrivain 
de  la  sous-préfecture,  s'est  pendu  avec  son  mouchoir 
sur  les  greniers  de  l'hôtel  de  ville  de  ladite  sous-préfec- 
ture de  Belfort. 

Mai  28.  11  y  a  eu  une  grande  rixe  entre  les  troupes 
du  régiment  de  Lindenau,  en  quartier  à  Soultz,  et  les 
bourgeois  de  cette  ville.  Les  soldats  étaient  furieux; 
ils  ont  blessés  plusieurs  habitants,  parmi  lesquels  se 
trouvent  les  nommés  Morice  et  son  fils,  fondeurs  de 
cloches,  et  le  nommé  Bechelé  fils.  Ces  trois  blessés  ont 
été  se  plaindre  au  major  de  ce  régiment,  lequel  se 
transporta  de  suite  au  corps  de  garde  et  fit  arrêter 
dix  de  ses  soldats,  qu'il  fit  mettre  de  suite  en  prison 
en  attendant  qu'il  eût  examiné  lui-même  le  fond  de 
cette  affaire. 

Revue  d*AUace,  1907  1» 


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282  REVUE   D*ALSACE 

Le  lendemain  29,  M.  Wilhelm,  juge  de  paix  de 
Soultz,  fit  une  information  de  cette  rixe  qui  fut  entière- 
ment reconnue  au  désavantage  de  ces  militaires,  et  Ton 
croit  qu'il  en  a  instruit  directement  le  préfet  du  dépar- 
tement 

Mai  2ç.  La  gendarmerie  de  Cernay  a  arrêté  à  une 
heure  du  matin  un  homme  qui  traversait  le  pont  de 
ia  rivière  avec  un  sac  sur  le  dos;  après  lui  avoir 
demandé  son  passe-port,  il  dit  qu'il  n'en  avait  pas, 
parce  qu'il  était  de  Wittelsheim,  et  à  l'instant  il  jeta 
son  sac  à  terre  et  voulut  s'enfuir,  mais  l'ayant  saisi  au 
collet,  les  gendarmes  visitèrent  ce  sac,  et  il  s'y  trouva 
cinq  poules  et  un  coq,  ce  qui  prouve  qu'il  avait  volé 
ces  volailles.  Il  fut  de  suite  conduit  dans  la  prison  de 
la  ville  pour  y  rester  jusqu'à  ce  qu'on  soit  informé  de 
sa  demeure. 

Juin  /.  Le  curé  Thaler  a  été.  prendre  possession 
de  la  maison  curiale  à  Thann,  où  il  a  été  nommé  par 
l'évêque,  et,  le  surlendemain,  ce  curé  trouva  dans  sa 
chambre  une  lettre  à  son  adresse,  et,  l'ayant  décachetée 
pour  la  lire,  il  s'y  trouva  les  mots  suivants  en  langue 
allemande  :  <  Wir  haben  ein  getreuer  Weis  verloren 
und  ein  falscher  Thaler  dafûr  gefunden^  und  wir  haben 
ein  getreuer  Weis  gegeben  fur  ein  falscher  Thaler  >. 
Cela  veut  dire  en  français  :  Nous  avons  donné  la  sagesse 
pour  un  écu  faux. 

Juin  2.  Le  susdit  curé  Thaler  prêcha  le  jour  de  la 
Pentecôte  dans  la  grande  %lise  à  Thann.  Son  sermon 
fut  si  pathétique  que  les  bourgeois  en  partie  ont  dit 
qu'ils  avaient  été  si  édifiés  qu'on  peut  assurer  qu'il 
n'aurait  plus  la  moitié  de  ses  auditeurs  la  seconde  fois 
qu'il  prêcherait. 

Le  même  jour,  vers  dix  heures  du  soir,  un  nommé 
Christ,  garçon  de  fabrique,  est  allé  dans  la  maison  d'un 
nommé  Kleindienst,  où  il  prit  querelle  avec  ce  dernier 
au  sujet  d'un  enfant.  Ledit  Kleindienst  finît  par  passer 
son  sabre  audit  Christ  à  travers  du  corps  et  lui  perça 
la  rate. 


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SOUVENIRS  DE   1816  283 

yiiin  jo.  M.  Senolka,  cadet  dans  le  régiment  de 
Lindenau,  natif  d'Eisgrub  en  Moravie,  est  venu  prendre 
-congé  de  moi;  c'est  un  jeune  homme  qui  a  fait  ses 
études  et  est  très  amateur  de  livres  latins.  Je  lui  en  ai 
donné  trois  de  cette  langue  qui  lui  ont  fait  un  plaisir 
infini;  il  est  parti  d*ici  au  grand  regret  de  tous  ceux 
qui  l'ont  connu,  et  est  allé  à  Soultzmatt,  où  il  sera  logé 
avec  sa  compagnie. 

Juillet  2,  Le  tambour  de  la  ville  de  Cernay  a  publié, 
par  ordre  du  maire  Ziircher,  que  tous  les  habitants 
domiciliés  doivent  signer  leurs  noms  chez  le  sieur  Weiss, 
secrétaire  de  la  commune,  sur  une  liste  qu'il  leur  pré- 
sentera de  la  part  dudit  maire,  et  que  tous  ceux  qui 
refuseront  de  signer  seront  contraints  d'avoir  des  soldats 
à  loger  chez  eux  jusqu'à  ce  qu'ils  aient  signé  ladite 
liste;  que  cette  liste  partirait  le  4  pour  être  envoyée 
au  sous-préfet  de  Belfort  et  que,  si  dans  cet  intervalle 
on  différait  de  la  signer,  que  jeudi  prochain,  4  dudit 
mois,  on  enverrait  des  garnisaires  dans  les  maisons  de 
tous  ceux  qui  n'auront  pas  signé.  Il  faut  observer  que 
trois  heures  après  cette  publication  le  sieur  Weiss  a 
remis  au  messager  Schuler  cette  liste  qu'il  a  de  suite 
portée  le  même  jour  à  la  poste  d'Aspach-le-Bas  pour 
la  transporter  à  Belfort. 

Juillet  5.  La  nouvelle  caserne  dont  l'entrepreneur 
était  le  nommé  Mosbrucker,  s*est  écroulée  à  7  heures 
<Ju  matin,  à  cause  que  les  murailles  étaient  pourries  de 
vétusté,  car  ce  bâtiment  appartenait  originairement  aux 
comtes  de  Ferrette  et  subsistait  depuis  plus  de  400  ans. 
Heureusement  que  personne  n'a  été  tué  ;  il  n^y  a  eu 
que  le  nommé  Bernard  Ley,  menuisier,  qjii  a  été 
blessé,  mais  non  dangereusement. 

Août  4.  Le  nommé  Dominique  Elser,  écrivain  du 
logement  des  troupes,  délivra  plusieurs  billets  de  loge- 
ment à  un  feldweibel  du  régiment  de  Lindenau,  en  lui 
disant  qu*il  avait  le  choix  de  loger  où  il  lui  conviendrait 
te   mieux;    en    conséquence   ce  feldweibel  choisit   dé 


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284  REVUE    d'aLSACE 

préférence  le  logement  de  M.  de  Latouche.  Ce  dernier 
alla  de  suite  faire  ses  représentations  au  sieur  Ziirchery- 
maire,  mais  au  lieu  d'en  recevoir  justice,  ce  maire  lui 
dit  d'avoir  encore  patience  jusqu'à  ce  que  les  casernes 
soient  achevées.  Il  est  à  observer  que  malgré  cela  le 
maire  Ziircher  a  disposé  de  la  maison  numéro  54,  aussi* 
appartenant  à  M.  de  Latouche,  pour  y  établir  une 
école  militaire;    enfin   l'injustice   est   à  l'ordre  du  jour. 

Août  ç.  La  femme  du  juif  Dreyfus  a  été  battue  et 
ensanglantée  par  un  caporal  du  régiment  de  Lindenau, 
parce  qu'elle  ne  lui  a  pas  fait  de  soupe  à  son  goût;, 
en  conséquence  son  mari  a  été  porter  ses  plaintes  au 
capitaine  commandant,  lequel  a  donné  de  suite  des 
ordres  pour  faire  arrêter  le  délinquant  qui  s'est  caché. 

Le  nommé  Dominique  Elser,  sous-secrétaire  de  la* 
mairie  de  Cernay,  a  été  trouvé  étendu  par  terre  sur 
la  grande .  route  de  Belfort.  Ce  drôle  était  ivre-mort,  au. 
point  que  les  voisins  de  la  chaussée  l'ont  traîné  jusqu^à 
l'auberge  du  Liofi  cVor^  où  ils  l'ont  ensuite  couché 
dans  une  écurie  sur  une  botte  de  paille  où  il  a  cuvé 
son  vin. 

Nota,  Cette  dernière  anecdote  a  été  certifiée  par 
M.  Michel  Fautsch,  adjoint  de  la  commune  de  Cernay, 
le  13  août  18 16  dans  le  presbytère,  en  présence  de 
M.  Ziireher  maire,  M.  Ziircher  le  fils,  le  curé  d'Uffholtz, 
le  curé  de  Hartmannswiller,  le  curé  de  Thann,  le  curé 
de  Cernay  et  le  curé  de  Wittelsheim.  Il  faut  avouer 
que  la  conduite  d'un  secrétaire  de  cette  espèce  fait 
bien  peu  d'honneur  à  la  mairie  de  Cernay. 

Août  IQ,  Les  nommés  Maurice  Schneiderle,  garçon 
menuisier,  et  Joseph  Schwartz,  menuisier,  ont  été  arrêtés- 
par  la  gendarmerie,  ainsi  que  Paul  Grien,  le  fils,  et 
plusieurs  autres  pour  des  cris  séditieux;  ces  mauvais 
sujets  ont  été  conduits  devant  le  juge  de  paix  de 
Cernay,  qui  les  a  interrogés  et  les  a  fait  conduire  en 
prison,  d'où  ils  seront  transférés  devant  le  tribunal 
correctionnel  de  Belfort  qui  doit  statuer  en  conséquence. 


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SOUVENIRS   DE    1816  285 

Septembre  ij.  Le  duc  de  Wellington,  général  com- 
mandant de  toute  l'armée  des  alliés  en  France,  arriva 
-à  Cernay  vers  les  9  heures  du  matin,  accompagné  de 
deux  aides  de  camp,  dont  l'un  n'avait  qu'un  bras.  Ils 
étaient  en  uniforme  rouge  écarlate  et  portaient,  ainsi 
-que  le  duc,  de  tout  petits  chapeaux  noirs,  garnis  d'un 
-bouton  de  diamant  encadré  dans  un  feuillage  d'or  massif. 
Le  duc  de  Wellington  avait  sa  décoration  avec  un  ruban 
•rayé  en  long  de  rouge  et  blanc;  il  était  dans  son 
carrosse  qui  était  carré  et  à  huit  places;  le  fond  était 
peint  de  couleur  chocolat;  les  armes  de  l'alliance  d'An- 
.^leterre  et  d'Espagne  sur  chaque  panneau  étaient  peintes 
et  les  ordres  dont  il  était  revêtu  avec  des  inscriptions 
en  latin.  Cette  voiture  était  attelée  de  six  chevaux 
blancs  et  conduite  par  deux  postillons  habillés  en  blanc 
avec  des  collets  et  parements  jaunes. 

Le  duc  de  Wellington  descendit  de  sa  voiture  sur 
la  chaussée  de  Belfort  qui  traverse  celle  de  Mulhouse, 
^t  à  l'instant  on  lui  amena  deux  chevaux  de  monture, 
J'un  gris-pommelé  et  l'autre  bai-noir.  Le  duc  monta 
ce  dernier  de  préférence,  et,  pendant  qu'il  mit  le  pied 
■dans  rétrier,  un  général  autrichien  tenait  la  bride  de 
son  cheval,  ce  qui  a  étonné  la  gendarmerie  française 
qui  l'escortait.  De  là  le  duc  alla,  suivi  des  généraux 
Latour,  Letterer  et  autres,  se  présenter  devant  les  troupes 
-qui  l'attendaient  et  qui  étaient  déjà  rangé  en  bataille 
«ur  la  plaine  dite  VOchsenfeld,  entre  le  village  d'Aspach- 
le-Bas  et  la  ferme  de  Heilmann.  Ces  troupes  étaient 
-composées  des  régiments  de  hussards  hongrois,  des 
chasseurs  de  Wolf,  et  des  régiments  de  Hohenlohe- 
Bartenstein  et  de  Lindenau.  Le  duc,  les  ayant  passés 
scn  revue,  les  fit  manœuvrer;  après  ces  manœuvres  on 
fit  la  petite  guerre,  les  chasseurs  commencèrent  à  tirer, 
'et,  dans  la  fusillade,  il  y  eut  un  de  ces  chasseurs,  nommé 
Fegelmiller,  de  blessé  à  mort.  L'on  prétend  que  c'est 
un  de  ses  camarades  qui  lui  a  donné  ce  coup  de  fusil 
dont  la  balle  lui  est  entrée  dans  le  bas-ventre  du  côté 
gauche.    Ce    nommé   Fegelmiller    est    un    homme    âgé 


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«86  RRVUE  D'ALSACE 

d*environ  i8  à  20  ans;  on  prétend  qu'il  est  fils  unique 
d'une  bonne  famille,  et  que  c'est  par  une  espèce  de 
vengeance  qu'il  a  reçu  cet  accident,  parce  qu'il  avait 
eu  dispute  avec  ce  camarade  à  Masevaux  pour  cause 
de  jalousie. 

Nota,  Fegelmiller  est  mort  sept  jours  après  à  Œlen- 
berg.  Cette  petite  guerre  se  finit  vers  midi,  et  alors  le 
duc  renvoya  les  troupes  dans  leurs  cantonnements.  Il 
ne  remonta  plus  dans  son  carrosse  et  s'en  fut  à  Thann 
dîner  dans  une  tente  que  le  maire  avait  fait  dresser 
devant  la  ville. 

Septembre  22,  Le  feldwebel  Klinger  du  régiment  de 
Lindenau  a  dit  que  ce  même  jour  deux  feldwebel  en 
quartier  à  Souitz  avaient  été  attaqués  par  vingt  garçons 
sur  une  promenade  des  environs  de  Wattwiller  ;  que 
ces  garçons,  qui  avaient  été  militaires,  en  avaient 
assommé  un  à  coups  de  trique  et  lui  avaient  cassé  les- 
deux  bras. 

Le  susdit  Klinger  a  raconté  que  le  22  il  y  a  eu 
une  révolte  au  village  de  Willer,  vallée  de  Saint- 
Amarin,  où  il  y  avait  la  Kilbe  \  qu'une  rixe  s'était 
engagée  entre  les  soldats  de  Lindenau  et  les  paysans 
de  l'endroit  à  cause  de  la  danse. 

Octobre  ç.  Le  nommé  Jean-Baptiste  Berger,  membre 
du  Conseil  de  la  municipalité  de  Cernay,  a  déclaré  en 
présence  du  sieur  Fautsch,  adjoint,  et  du  nommé  Frasse 
le  brasseur,  que  le  nommé  Dominique  EItzer,  distri- 
buteur des  logements  militaires,  est  entré  dans  la  maison 
du  berger,  vers  minuit,  étant  ivre  à  tomber;  que  dans 
cet  état  il  s'en  fut  avec  une  chandelle  allumée  visiter 
le  grenier  qui  est  garni  de  paille;  que  sa  belle-sœur^ 
nommée  Marguerite  Delerse,  ayant  aperçu  le  danger,, 
accourut  et  lui  arracha  la  chandelle  des  mains;  alors 
ledit  EItzer,  furieux,  vint  fondre  sur  elle  avec  un  sabre 
nu  en  main  et  l'aurait  tuée,  si  le  susdit  berger  n'était 
pas  venu  à  son  secours. 

Octobre  10.  Il  y  eut  une  émeute  du  peuple  à  Colmar 
à  cause  de  la  cherté  du  blé  au    marché,    la   populace 


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SOUVENIRS  DE    1816  287 

criait  ouvertement  que  M.  le  comte  de  Castéja,  préfet 
du  Haut-Rhin,  s'était  associé  aux  fournisseurs  de  blés; 
le  sieur  Mathieu,  commissaire  de  police,  alla  de  suite 
chez  le  préfet  pour  le  prévenir  de  cette  rumeur.  Le 
préfet  lui  dit  :  «Que  voulez-vous  que  je  fasse?» 
M.  Mathieu  lui  répondit  :  <  Donnez-moi  plein  pouvoir 
d'agir  pendant  quinze  jours  et  je  vous  promets  que  le 
blé  qui  est  à  50  francs  le  sac,  sera  diminué  jusqu'à 
30  francs  >.  M.  de  Castéja  lui  refusa  ce  pouvoir,  et  alors 
le  sieur  Mathieu  lui  observa  qu'il  serait  dénoncé  indu- 
bitablement. M.  d'Argenson  doit  avoir  aussi  dit  à  ce 
même  préfet,  qu'il  le  dénoncerait  lui-même  au  gouver- 
nement, d'autant  plus  qu'il  est  soupçonné  d'avoir  fait 
passer  déjà  plus  de  2000  sacs  de  farine  de  l'autre  côté 
du  Rhin. 

Octobre  13,  L'on  a  annoncé  que  le  sieur  Ignace 
Mouflf,  percepteur  du  canton  de  Cernay,  est  destitué  et 

que  M ,  de  Paris,  devait  le  remplacer,  ayant  déjà 

été  nommé  par  le  ministre. 

Octobre  20.  Après  9  heures  du  soir,  deux  soldats 
logés  chez  le  fermier  de  M.  de  Latouche,  prirent  que- 
relle avec  leur  hôte,  auquel  ils  cassèrent  les  fenêtres. 
Cet  homme  fut  contraint  de  se  sauver  par  dessus  le 
mur  de  la  ferme;  il  se  transporta  au  corps  de  garde 
pour  y  chercher  secours.  Pendant  cet  intervalle  M.  de 
Latouche  entendit  de  sa  maison  la  voix  d'un  de  ces 
soldats,  qui  menaçait  de  tirer  un  coup  de  fusil  à  travers 
leurs  fenêtres  brisées;  alors  M.  de  Latouche  alla  lui- 
même  en  prévenir  le  chef  de  la  garde  qui  vint  de  suite 
l'accompagner  et  s'informa  du  sujet  de  cette  querelle, 
et,  ayant  aperçu  qu'un  de  ces  soldats  était  ivre,  il 
ordonna  à  ce  dernier  de  le  suivre  et  ensuite  dit  à  l'hôte 
et  à  l'hôtesse  qu'il  examinerait  cette  affaire  scrupu- 
leusement. 

Octobre  21,  Vers  8  heures  du  matin  le  sieur  Falck, 
maréchal  des  logis  de  la  gendarmerie,  se  transporta 
chez   M.   de  Latouche    pour  lui    demander  de    quelle 


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288  REVUE    D'aLSACE 

manière  cette  affaire  s'était  passée.  M.  de  Latouche, 
pour  mieux  lui  en  donner  des  éclaircissements,  le  con- 
duisit directement  à  la  maison  du  fermier,  où  il  vit  le 
désastre  que  ces  soldats  avaient  commis.  Alors  ce  maré- 
chal des  logis  s'en  fut  faire  son  rapport  au  maire  du 
lieu  et  au  commandant  en  chef  qui  est  un  capitaine 
du  régiment  de  Lindenau,  nommé  M.  le  baron  de  Metz, 
Ce  commandant  se  transporta  lui-même  chez  le  fermier, 
auquel  il  demanda  le  sujet  de  sa  plainte.  Ce  fermier 
lui  ayant  dit  que  ces  soldats  voulaient  le  tuer  et  que 
l'un  d'eux  avait  déjà  chargé  son  fusil  pour  cet  objet; 
alors  ce  commandant,  accompagné  d'un  feldweibeL  dit 
à  ce  dernier  de  le  conduire  dans  le  logement  des  délin- 
quants, et,  n'y  voyant  pas  leurs  fusils  parce  qu'ils  les 
avaient  caché  à  cause  qu'ils  étaient  ensanglantés,  il  dit 
audit  feldwelbel  de  compter  le  nombre  des  cartouches 
qui  étaient  dans  les  gibernes;  il  se  trouva  qu'une  car- 
touche y  manquait,  ce  qui  prouva  le  mauvais  dessein 
de  celui  qui  avait  menacé  de  tuer  le  fermier  ;  en  con- 
séquence, ce  commandeur  en  prit  note  et  dit  ensuite 
à  M.  de  Latouche  de  dire  à  ce  fermier  de  faire  un  état 
spécifié  des  fenêtres  qui  ont  été  cassées,  afin  qu'il  puisse 
en  rendre  compte  au  régiment,  et  que  son  régiment 
payerait  le  dégât.  Ledit  fermier  a  fait  faire  l'estimation 
par  le  vitrier  nommé  Christen,  qui  en  a  donné  Tétat 
du  montant  à  45  francs  audit  Joseph  Munsch,  et  ce 
dernier  l'a  porté  à  M.  le  baron  de  Metz,  commandant 
de  la  ville  de  Cernay.  Le  lendemain,  le  commandant 
écrivit  à  M.  de  Latouche  que  le  soldat  avait  payé  ce 
mémoire  et  que  l'argent  était  entre  ses  mains;  qu'en 
conséquence  le  vitrier  devait  se  dépécher  à  racom- 
moder  ces  fenêtres  cassées,  mais  ce  vitrier  n'a  voulu 
y  travailler  que  sur  le  cautionnement  de  M.  de  Latouche; 
ce  dernier  a  de  suite  acquiescé  à  sa  demande  sans 
difficulté. 

Nota.  Ce  soldat,  après  avoir  payé  le  dégât,  a  reçu 
en  outre  40  coups  de  bâton  sur  les  fesses  par  ordre 
du  commandant. 


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SOUVENIRS   DE    1816  289 

Octobre  2ç,  M.  Zurcher  le  maire  se  plaignit  à  M.  Falck, 
chef  de  police,  que  dans  la  nuit  du  28  on  lui  avait  volé 
deux  pièces  de  mouchoirs  de  sa  fabrique.  En  consé- 
quence on  fit  des  recherches  scrupuleuses,  et  l'objet  de 
ce  vol  fut  découvert  chez  un  habitant  du  lieu,  maison 
n°  15,  qui  logeait  deux  soldats  du  régiment  de  Linde- 
nau.  On  trouva  dans  la  paillasse  de  ces  soldats  plusieurs 
mouchoirs  de  cette  espèce,  qui  furent  reconnus.  En 
conséquence  le  commandant,  M.  le  baron  de  Metz,  fit 
arrêter  à  l'instant  ces  deux  soldats,  lesquels,  après  avoir 
été  très  sévèrement  interrogés,  avouèrent  qu'ils  avaient 
volé  ces  mouchoirs  et  qu'ils  en  avaient  vendu  et  dis- 
tribué à  plusieurs  de  leurs  camarades  qu'ils  nommèrent  ; 
sur  cet  aveu  M.  le  commandant  ordonna  aux  caporaux 
d'en  arrêter  quinze,  lesquels  furent  de  suite  conduits 
au  corps  de  garde  et  enchaînés  en  croix  en  attendant 
le  résultat  de  cette  affaire. 

Novembre  ir,  M.  Henriet,  contrôleur  des  contribu- 
tions, est  venu  à  Cernay  pour  installer  M.  Hicar  en 
quaUté  de  percepteur  en  place  du  sieur  Ignace  Mouff, 
lequel  a  été  destitué  par  ordre  du  ministre.  En  consé- 
quence M.  Henriet  a  dressé  un  procès-verbal  relatif  à 
cette  destitution  et  a  fait  remettre  les  livres  de  per- 
ception par  ledit  destitué   à  M.  Hicar  son   remplaçant. 

Ce  M.  Hicar  est  un  ancien  militaire,   décoré   de   la 
croix  d'honneur,   duquel  toutes  les  personnes  qui  l'ont 
connu  à  Belfort,  en  font  un  grand  éloge  comme  étant 
porté  pour  la  justice,   et   ayant   de   l'humanité   et  des 
-égards  pour  les  personnes  oppressées,  au  lieu  que  son 
prédécesseur  Mouff  était  de  turc  à  maure  avec  les  hon- 
nêtes gens,   leur  envoyait  ses  contraintes  avant  de  les 
prévenir,  et  se  faisant  en  outre  payer  sur  les  mandats 
•tles  pensionnaires,  auxquels  il  a  demandé  depuis  30  sols 
<le  pertes  jusqu'à  6  francs  :  cela   seul   est   un  cas   de 
<lestitution,    non  compris  son  ton  insolent  et  arrogant, 
avec  lequel  il  renvoyait  les  gens   qu'il  devait   payer; 
joint  à  cela  il  n'a  pas  encore  rendu  compte  à  aucune 


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290  REVUE   D  ALSACE 

commune  dont  il  faisait  la  recette  des  deniers  patrimo- 
niaux ou  rentes  communales. 

Décembre  12,  A  huit  heures  du  soir,  on  a  vu  tomber 
du  ciel  une  masse  de  feu  de  la  largeur  de  dix  pieds 
au  moins,  qui  a  tombé  proche  de  l'église  de  Cernay. 
Ce  phénomène,  ayant  causé  une  alerte  aux  maisons 
voisines,  les  habitants  d'icelles  ont  visité  les  matières 
de  ce  feu,  qui  n'était  qu'un  tas  de  braises  et  de  bois 
allumés,  qui  avait  été  jeté  par  la  fenêtre  par  une  vieille 
femme  en  colère  contre  sa  fille,  parce  qu'elle  avait  fait 
trop  de  feu  dans  le  fourneau. 

Le  même  jour,  à  neuf  heures  du  soir,  la  nouvelle 
caserne  s'est  écroulée  en  partie. 

Décembre  /j.  Un  débordement  causé  par  la  fonte 
des  neiges  et  par  une  pluie  continuelle  a  causé  de 
grands  malheurs  :  trois  charpentiers  de  Masevaux  se 
sont  noyés  en  voulant  raccommoder  un  pont  que  les 
grands  eaux  avaient  enlevé.  Un  de  ces  charpentiers  a 
été  trouvé  mort  à  Schweighouse,  où  le  sieur  Falk, 
maréchal  des  logis  de  la  gendarmerie,  s'est  transporté 
et  l'a  fait  enterrer  de  suite,  après  avoir  fait  dresser  un 
procès-verbal  en  conséquence. 

Décembre  22,  La  ci-devant  veuve  Saner,  née  Gouli^ 
de  Ranspach,  a  été  arrêtée  par  le  même  maréchal  des 
logis  de  la  gendarmerie  à  Burnhaupt-le-Bas.  Cette  femme 
était  porteuse  de  fausse  monnaie.  En  la  visitant  on  a 
trouvé  dans  un  papier  roulé  sept  écus  de  5  francs  à 
l'effigie  de  Napoléon,  quatre  pièces  de  4  sols,  deux 
pièces  de  20  sols  et  une  de  lO;  une  fiole  de  vif  argent. 
En  conséquence  elle  a  été  conduite  ce  même  jour  dans- 
la  prison  de  Cernay  avec  son  deuxième  mari,  nommé 
Aler,  pour  être  transportés  au  tribunal  criminel  à  Belfort.. 

Le  même  jour,  les  sieurs  Ziegler  et  Compagnie,, 
fabricants  à  Guebwiller,  ont  été  volés;  et,  après  avoir 
fait  des  informations  sur  ce  vol,  la  gendarmerie  a  arrêté^ 
une  femme  suspecte,  dont  le  mari  absent  est  Suisse 
d'origine.  Cette  femme,  qui  a  un  petit  enfant  avec  elle^ 
a  déclaré  que  la  bande  des  voleurs  avait  son  rassem- 


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SOUVENIRS   DE    1816 


291^ 


blement  chez  le  berger  des  cochons  à  Vieux-Thann; 
en  conséquence  la  gendarmerie  se  saisit  de  suite  de  ce 
berger,  lequel  déclara  qu'on  trouverait  les  vols  enterrés 
dans  la  cave  du  nommé  Wagner,  habitant  à  Burnhaupt- 
le-Bas;  alors  la  gendarmerie  conduisit  le  déclarant  dans 
la  maison  dudit  Wagner,  lequel  ne  se  montra  pas,  se 
faisant  dire  absent  ;  mais,  en  visitant  sa  cave,  on  y 
trouva  non  seulement  les  marchandises  de  la  manufac- 
ture de  Guebwiller,  mais  encore  des  effets  volés  de  la 
boutique  du  sieur  Bernoud,  marchand  épicier  audit 
Burnhaupt. 

Décembre  2^.  Le  1"  de  ce  mois,  M.  Ziircher  envoya 
le  sieur  Dominique  Eltzer,  valet  de  Técrivain  des  loge- 
ments, chez  M.  de  Latouche,  et  lui  faisait  dire  qu'il 
devait  loger,  pendant  quinze  jours,  le  sieur  Eger,  aide- 
chirurgien  du  régiment  de  Lindenau;  ledit  Eltzer  dit 
en  outre  à  M.  de  Latouche  que  pendant  que  cet  aide- 
chirurgien  serait  logé  chez  lui,  il  serait  exempt  de  loger 
d'autres  militaires.  M.  de  Latouche,  se  fiant  à  la  parole 
du  maire,  comptait  comme  de  juste  rester  tranquille 
chez  lui;  mais  il  fut  très  étonné  de  recevoir,  le  24 
dudit  mois,  un  billet  de  logement  portant  trois  personnes 
et  trois  chevaux,  savoir  le  trésorier,  sa  femme  et  une 
ordonnance  des  hussards  du  Haut-Rhin.  Sur  cela  M.  de 
Latouche  envoya  sa  cuisinière  à  la  maison  de  ville,, 
laquelle  dit  audit  Eltzer  que,  sans  doute,  il  s'était 
trompé,  puisque  leur  maison  logeait  déjà  un  Autrichien, 
et  que  Tordre  défendait  de  les  loger  avec  les  Français; 
qu'en  conséquence  il  devait  donner  un  autre  billet  de 
logement  à  ce  trésorier  et  à  sa  suite.  Mais  le  sieur 
Eltzer,  au  lieu  d'y  obtempérer,  dit  à  la  cuisinière  de 
M.  de  Latouche  :  «  Allez-vous-en  et  dites  à  votre  maître 
que  s'il  n'est  pas  content  qu'il  n'a  qu'à  écrire  au  roi,, 
afin  qu'il  chasse  les  Allemands  de  la  France».  Ce  propos 
inconsidéré  dudit  Eltzer  a  été  prononcé  en  présence 
d'un  ouvrier  de  M.  Schwartz,  fabricant. 

Ladite  cuisinière  rapporta  cette  réponse  à  M.  de 
Latouche,  lequel,  se  trouvant  malade,   envoya  sa  gou— 


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2Q2  RKVUE   D  ALSACE 

vernante  chez  M.  Ziircher,  maire  ;  celui-ci  donna  de 
suite  ordre  par  écrit  de  loger  le  trésorier  et  sa  suite 
-ailleurs;  la  gouvernante  alla  trouver  ledit  Eltzer  à  la 
maison  de  ville  et  lui  remit  cet  ordre  ;  mais  cet  insolent 
refusa  d'exécuter  Tordre  de  son  maître  et  dit  qu'il  n'y 
avait  plus  d'autre  logement,  ce  qui  est  faux,  puisqu'il 
y  avait  encore  plus  de  six  logements  vacants. 

Ne  trouvant  donc  aucune  justice,    M.  de  Latouche 

alla  se  coucher  ;  pendant  cet  intervalle  l'aide-chirurgien 

•<lu  régiment  de  Lindenau  revint  à  son  logement,  à  côté 

duquel  se  trouvait  alors  le  susdit  trésorier  des  hussards 

<lu  Haut-Rhin.  Ce  dernier  apostropha  le  corps  des  Alle- 

iinands  d'une  manière  humiliante,  et  cela  dans  l'intention 

de  chercher  querelle   avec  ledit   aide-chirurgien;    mais 

-ce  dernier  montra  beaucoup  de  prudence  et  ne  répondit 

pas  un  mot,    mais   s'en    fut  le  lendemain   chez   M.  de 

Metz,  capitaine  commandant  du  régiment  de  Lindenau, 

4ui  porter  ses  plaintes  sur  les  insultes  de   ce  trésorier. 

Le  commandant  lui  reprocha  de  ne  pas  l'avoir  prévenu 

la   veille,    car   il   aurait   envoyé   pour   faire    arrêter  te 

-coupable. 

iSiota.  Si  malheureusement  la  garde  autrichienne 
:  avait  exécuté  l'ordre  de  son  commandant,  le  plus  grand 
^malheur  serait  arrivé  dans  la  ville,  car  les  400  hussards 
'.français  qui  s'y  trouvaient  seraient  tombés  sur  les 
Autrichiens,  et  il  en  serait  résulté  une  affaire  qui  aurait 
«rois  le  feu  à  la  ville,  et  cela  à  canse  de  la  cochonnerie 
<lu  sieur  Eltzer. 


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VARIÉTÉS 


Une  lettre  de  Victor  Henry. 

Cest  avec  raison  que  Fauteur  de  l'article  nécrologique  *)  con- 
sacré à  Victor  Henry  a  insisté  sur  la  modestie  et  la  serviabilité 
de  notre  regretté  collaborateur. 

Il  tC était  pas  de  ces  savants  qui  gardent  jalousement  leur 
science;  volontiers  il  se  mettait  à  la  disposition  de  ses  plus 
humbles  collègues  et  leur  donnait  de  précieuses  consultations. 

Voici  une  lettre  qu'il  adressa  à  un  jeune  professeur  alsacien 
sur  une  question  d^étymologie  qui  intéressera  certainement  nos 
lecteurs, 

Uaprïs  la   nouvelle  orthographe  allemande^   imposée  en 
France  depuis  quelques  années  seulement^  le  mot  epheu  {lierre)^ 
doit  s'écrire  désormais  efeu. 

Et  pourtant  on  prononce  encore  à  présent  dans  le  Haut-' 
Rhin  aphaï,  en  distinguant  nettement  les  deux  syllabes  ap  et 
haï  !  Et  pourtant,  à  ne  considérer  que  Vétymologie,  la  partie 
haï,  foin,  herbe,  devrait  être  maintenue,  puisque  le  lierre  est 
bien  une  esplce  d^ herbe. 

M.  Henry  voulut  bien  répondre  au  professeur  embarrassé  : 

Sceaux  (Seine),  a8  octobre  1905. 

Monsieur  et  cher  compatriote. 
Je  prends  la  liberté  de  vous  féliciter  vivement  de  l'intérêt 
que  vous  portez  à  nos  études  alsatiques  et  m'empresse  de  vous- 
adresser  le  renseignement  que  vous  me  faites  ^honneur  de  me 


1)  Paru  dans  le  dernier  numéro  de  la  Revut  (fAliote. 


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294  REVUE  D'aLSACE 

demander.  Votre  question  comporte  une  double  réponse  : 
fiistoriauement,  vous  avez  raison  contre  l'orthographe  actuelle; 
îment,  c'est  celle-ci  qui  a  raison  contre  vous. 
l  n'est  pas  sûr  que  la  seconde  syllabe  de  epheu  con- 
le  mot  heu  :  foin,  herbe  ;  cependant  je  le  tiens  pour 
e,  au  moins  du  fait  d'une  fausse  étymologie  qui  a 
en  epheu  le  mot  attesté  en  vicux-haut-allemand  sous  la 
bawi. 

lais  ce  qui  est  sûr  du  moins,  c'est  que  le  mot  devrait 
oncer  et  s'est  partout  prononcé  jadis  ep-heu,  à  telles 
es  qu'il  devrait  même  s'écrire  eb-heu^  témoin  l'ortho- 
ci-dessus  et  autres  du  vieux-haut-allemand,  èbehàu^ 
:,  etc.,  encore  en  1561  abhduWy  etc;  comparer  l'anglo- 
îg^  où  r/est  un  z/,  comme  le  montre  l'anglais  actuel  ivy, 
-»a  prononciation  correcte  ep-heu  est  restée  celle,  non 
ïnt  de  toute  PAlsace  (colmarien  hapay  par  métathèse  de 
tion,  mais  de  toute  l'Alémanie  et  Souabe,  et  même  du 
mconien. 

dais  la  prononciation  efeu  est  attestée  ailleurs  dès  1686; 
>artient  au  domaine  saxon-thuringien,  qui^  comme  vous 
;,  a  exercé  une  influence  tout  à  fait  prépondérante  sur 
étisme  allemand  à  partir  du  xvi«  siècle. 
Un  conséquence,  le  nouveau  règlement,  en  prescrivant 
efeuy  n'a  fait  que  mettre  l'orthographe  en  harmonie 
prononciation  officiellement  consacrée  par  l'usage  de 
agne  centrale. 

ous  remercie  d'avoir  appelé  mon  attention  sur  ce  cas 
ant,  et  suis,  Monsieur  et  cher  compatriote. 

Votre  tout  dévoué 

V.  Henry. 


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LIVRES  NOUVEAUX 


Répertoire  biographique  de  l'Episcopat  constitutionnel  iJQl- 
lSo2,  par  l'abbé  P.  Pisani.  (Paris,  Picard,  1907).  — 
(Bas-Rhin,  pages  342-50  ;  Haut-Rhin»  pages  256-60). 

bibliographie  des  Chants  populaires  français,  par  de  Beaure- 
paire-Froment.  (Paris,  édition  de  la  Revue  du  Tradition^ 
nisme,  60,  quai  des  Orfèvres  (!«')•    *  fr«  5o)« 
On  sait  qu3  chez  de  Beaurepaire-Froment  l'écrivain  à  la 
^orte  personnalité  se  double  d*un  érudit.  Nous  n'avons  pas  en 
France  de  bibliographie  générale  traditionniste.  Beaurepaire- 
Froment  vient  de  combler  cette  lacune,  en  ce  qui  concerne 
les  chansons  populaires.  La  très  sérieuse  Bibliographie  des 
Chants  populaires  français,  qu'il  nous  donne,  est  indispensable 
aux  érudits,  aux  lettrés,  aux  artistes,  aux  curieux,  à  tous  ceux 
<]u'intéressent  nos  merveilleuses  chansons  populaires. 

La  bibliographie  des  chants  d'Alsace  et  de  Lorraine  occupe 
4es  page»  17  et  18.  Il  y  avait  lieu  d'ajouter  à  cHle  de  l'Alsace 
les  JahrbUcher  fUr  Geschichte,  Sfrache  u,  Litteratur  in  Elsass- 
Lothringen,  publiés  par  le  Vogesen-Club  depuis  1885. 


Articles  d«  Jownaux  tt  d*  revuM. 

Bulletin  médical  (de  Paris),  5  janvier.  Pierre  Merklen, 
par  le  D'  Siredey. 

Le  Messager  (f  Alsace^Lor raine,  a6  janvier.  Alfred  Touche- 
molin. —  23  février.  Henri  Welschinger,  par  Jean  d'Alsace.  — 
<)  mars.  La  Garde  d'honneur  de  Saverne,  par  A.  Dépréaux* 
L^e  ravitaillement  de  Colmar  et  de  Haguenau  en  1636. 


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296  REVUE   D*ALSACE 

Revue  Mabillon.  Novembre  1906  et  février  1907.  Un  cisio 
janus  cistercien  de  Pairis  du  xiii«  siècle,  par  D.  de  Dartein. 


Revue  politique  et  parlementaire,  10  février.  L'idée  de 
patrie  en  Alsace,  par  Jos.  Fleurent. 

La  Tradition,  Novembre-décembre  1906,  L'Ochsenfeld, 
ses  légendes,  ses  traditions,  par  A.  I.  Ingold. 

Journal  des  Débats,  22  et  29  mars.  A.  Hallays  :  En  flânant. 
Le  château  des  Rohan  à  Strasbourg. 

Images  du  Musée  alsacien.  i«f  fascicule  1907  :  Chaumières 
de  la  vallée  de  la  Brusche.  —  Costumes  de  bourgeoises,  époque 
de  Louis  XVL  —  Cour  de  ferme  à  Schalkendorf.  —  Sortie  de 
l'église  de  Mietesheim. 

Revue  alsacienne  illustrée.  Mars.  L'organisation  adminis- 
trative de  l'Alsace-Lorraine,  par  F.  Eccard.  —  Maison  d'art 
alsacienne  à  Strasbourg.  —  La  cathédrale  de  Strasbourg  et  la 
pyramide  de  Chéops,  par  J.  Knauth. 

Courrier  alsacien-lorrain,  2  décembre  et  suivants.  Va- 
riétés dialectales,  par  E.  Clarac.  —  S'  Nicolas,  poésie,  pat 
E.  Hinzelin.  —  9  décembre.  Kléber  et  Bonaparte,  par  E.  Hin- 
zelin.  —  La  licorne,  par  le  D' Bertrand.  —  Der  Barrer  Hutschel- 
merk.  —  16  décembre.  M.  Alfred  Blech,  avec  portrait.  —  La 
licorne  (suite  et  fin).  —  23  décembre.  Le  Christkindelmerk, 
par  G.  Acker,  avec  planches  par  Touchemolin.  —  13  janvier 
et  suivants.  Les  Pandours  en  Alsace,  par  Ch.  Lecomte.  — 
A.  Touchemolin,  nécrologie.  —  10  février.  Ch.  Amann,  nécro- 
logie. —  Au  Collège,  par  le  D'  Bertrand. 


RlXHSlM  (ALSACB).  —   TtPOORAPHIS  F.  SUTTBR  &   Cis 


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PRO    DOMO 


Dans  un  article  anonyme  (naturellement  :  les  faiseurs 
de  vilaine  besogne  ont  Thabitude  de  se  cacher),  la 
Strassbnrgcr  Post  du  5  juin  dernier  part  en  guerre 
contre  notre  Revue,  laquelle  serait,  à  son  avis,  depuis 
l'annexion  de  TAlsace  à  l'Allemagne  et  surtout  depuis 
la  moit  de  Liblin,  en  totale  décadence,  et  aurait  tout 
à  fait  dévié  de  son  esprit  primitif. 

Il  y  a  là  deux  accusations,  auxquelles  nous  tenons 
à  répondre  aussitôt,  du  moins  sommairement,  quitte  à 
y  revenir  plus  tard  :  la  bataille  ne  nous  ayant  jamais 
déplu. 

Pour  réfuter  la  première,  nous  prierons  les  gens 
sérieux  d'examiner  simplement  la  liste  des  collaborateurs 
de  la  nouvelle  direction  de  la  Revue.  A  moins  de  les 
fermer  systématiquement,  il  saute  aux  yeux  qu'un 
recueil  qui  a  publié  des  articles  de  MM.  Chuquet,. 
Victor  Henry,  Auaiole  de  Barthélémy,  Eugène  MiintZy 
l'abbé  Hanauer,  Bardy,  A,  Benoit,  Charles  Hoffmann^ 
Beuchot,  Nerlinger,  Schœll,  J.-B.  Fleurent,  Blech,  Bour- 
geois,  Laugel,   Helmer,   Lehr,   etc.  . . .,  etc ,   ne  fait 

vraiment  pas  mauvaise  figure.  Quels  sont  donc  les 
littérateurs  alsaciens  contemporains  de  quelque  valeur 
qui  nous  manquent.'^ 

Et  cette  simple  énumération  fournit  aussitôt  la 
réponse  à  la  seconde  critique  de  la  Strassburger  Post. 
On  y  remarque,  en  effet,  —  nous  les  avons  soulignés 
à  dessein  —  les  noms  de  bon  nombre  de  collaborateurs 

Revue  d'AUace,  t9u7  20 


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298  RFA'UE   d' ALSACE 

des  directeurs  actuels  de  la  Revue  qui  l'ont  été  aussi 
<ie  M.  Liblin,  quelques-uns  dès  le  commencement. 
Alors  quoi?  n'est-il  donc  pas  tromper  le  public,  nous 
n'hésitons  pas  à  le  dire,  que  de  venir  affirmer  sans 
preuves  que  Pesprit  de  la  Revue  d' Alsace  a  changé? 

A  voir  se  coudoyer  fraternellement  dans  nos  livrai- 
sons prêtres  et  laïcs,  pasteurs  et  curés,  voire  même 
libres-penseurs  et  ultramontains,  et  vivre  dans  une  bonne 
harmonie  que  des  articles  comme  celui  de  la  Post  ne 
troublera  pas,  ne  pourrait-on  pas  plutôt  nous  accuser 
de  trop  de  libéralisme? 

A  tous  nos  collaborateurs,  à  ceux  que  Liblin  avait 
groupés  autour  de  lui  comme  à  ceux  qui  se  sont  joints 
à  nous  depuis,  nous  continuons,  comme  le  fondateur 
de  la  Revue^  à  ne  demander  qu'une  chose  :  d'être  fidèles 
à  la  vraie  tradition  alsacienne,  celle  qui  s'abstenant  de 
politique  moderne  défend  les  vrais  intérêts  de  notre 
petite  patrie  et  prétend  avoir  le  droit  de  dire  haute- 
ment, le  prouvant  par  des  études  historiques,  que 
l'époque  où  l'Alsace  a  eu  son  sort  lié  à  celui  de  la 
France  n'a  pas  été  sans  gloire,  ni  surtout  sans  utilité 
pour  nous  ;  —  on  ne  voit  guère  ce  que,  jusqu'ici  du 
moins,  elle  a  gagné  au  change,  ni  même  en  quoi  l'Alle- 
magne en  a  profité. 

Nous  avons,  croyons-nous,  rempli  notre  programme 
et  nous  pouvons  redire  ce  que  nous  écrivions  au  début 
de  notre  direction  :  c  Le  passé  de  la  Revue  d'Alsace 
nous  engage  pour  l'avenir.  Elle  sera  continuée  dans  le 
même  esprit  largement  libéral.  Elle  maintiendra  impar- 
tialement ses  relations  sur  le  terrain  scientifique  et 
littéraire  d'autrefois.  Tout  en  laissant  liberté  absolu  de 
jugement  et  d'appréciation,  elle  évitera  avec  soin  les 
polémiques  aggressives  et  se  réservera  à  la  science,  à 
la  littérature,  à  l'art  alsatiques  >.  Nous  ajoutions,  ce 
qui  est  aussi  à  considérer,  qu'  c  au  point  de  vue  matériel 
nous  chercherions  à  améliorer  la  Revue  dans  la  mesure 
de  nos  ressources  et  du  nombre  de  nos  abonnés».  Ici 


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PRO   DOMO  299 

•encore  nous  avons  tenu  parole  :  la  comparaison,  qui 
est  facile,  est  certes  à  notre  avantage. 

On  ne  sait  où  le  critique  de  la  Post  s'est  renseigné 
sur  le  petit  nombre  de  nos  abonnés  pour  prendre  le 
ton  d'un  prophète  de  malheur  :  qu'il  se  rassure.  Nous 
n'avons  aucune  envie  de  mourir,  et  à  moins  qu'on  ne 
nous  étrangle,  —  procédé  quelquefois  employé  par  les 
libéraux  d'une  certaine  espèce,  —  nous  comptons  bien 
^naintenir  haut  et  ferme,  de  longues  années  encore,  s*il 
plaît  à  Dieu,  notre  drapeau. 

Un  mot  encore  pour  terminer  :  nous  disions  en 
commençant  que  l'article  de  la  Strassburger  Post  est 
anonyme.  Hélas  !  le  style  c'est  Phomme^  et  on  n'a  pas 
eu  de  peine,  à  Colmar  où,  pour  cause,  il  est  connu, 
-à  reconnaître  de  quelle  plume  sont  sortis  ces  phrases 
lourdes  et  embarrassées,  aussi  boursouflées  que  préten- 
tieuses. Gageons  que  si  la  Revtie  d'Alsace  avait  ouvert 
-ses  portes  à  ce  double  renégat,  il  n'aurait  eu  que  des 
éloges  pour  elle  !  Quoi  qu'il  en  soit,  traître  à  la  foi  de 
^es  pères  et  traître  à  la  patrie  alsacienne,  c'est  bien  à 
Jui  qu'il  convenait  de  prendre  la  défense  de  Dreyfus! 

La  Direction. 


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L'ŒUVRE  DE  CHARLES  DULAC 


ET 


LE    MYSTICISME   EN   ART») 


II  suffit  de  jeter  un  regard,  même  superficiel,  sur 
Tœuvre  de  Marie-Charles  Dulac,  qui  mourut,  hélas!  si 
jeune,  pour  se  rendre  compte  que  cet  artiste  réunissait 
en  lui  les  plus  rares  qualités,  et  qu'il  joignait  à  une 
exquise  sensibilité  la  plus  absolue  et  la  plus  entière 
bonne  foi. 

Nous  sommes  loin  ici  de  ces  œuvres  tapageuses  que 
créent  quelquefois,  de  nos  jours,  le  besoin  de  réclame 
et  la  soif  des  succès  mondains.  Dulac  n'était  pas  de 
ces  peintres  qui  aiment  à  ^'entendre  appeler  <  cher 
maître  >  par  une  cour  de  jolies  femmes,  et  qui  mettent 
leur  ambition  à  décrocher  des  œillades  et  des  récom- 
penses. Dans  une  lettre  adressée  à  un  de  ses  amis  il 
écrivait  :  <  Pour  moi,  vous  le  savez,  je  n'ai  pas  besoin 
d'être  compris  ni  approuvé  de  personne,  du  moment 
que  je  plais  à  Dieu,  cela  me  suffit  >.  Et,  un  an  avant 
sa  mort,  il  écrivait  encore  :  <  Je  me  contente  de  pour- 
suivre tranquillement   mon   affaire;   et   mon    affaire    ne 


i)  Conférence  faite,  le  13  avril  dernier,  à  la  Maison  <Vart  alsacienne 
de  Strasbourg,  où  ont  été  expobés  récemment,  grâce  au  dévouement  de 
M,   Girodie,  cinquante  tableaux  et  dessins  de  Ch.  Dulac.  (N.  d.  I.   D.). 


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302  REVUE   D'aLSACE 

charmant  :  «  On  n^est  pas,  disait-il,  ému  quand  on  le- 
vetut,  au  spectacle  de  la  nature,  et  il  y  a  malheureuse- 
ment  des  jours  où  les  arbres  ne  sont  que  des  bûches  •. 
Comme  c'est  vrai!  Ne  vous  est-il  jamais  arrivé  d'être^ 
un  beau  jour,  frappé  de  la  beauté  d'un  paysage  qui 
vous  était  familier  et  auquel  vous  n'aviez  jamais  accordé 
la  moindre  attention.  Par  suite  d'une  disposition  spéciale 
de  votre  esprit,  d'un  miroitement  particulier  de  la 
lumière,  d'une  transparence  plus  subtile  de  Tair,  vos 
yeux  se  sont,  tout-à-coup,  ouverts,  et  les  arbres  ont 
cessé  d'être  des  bûches. 

Pour  Dulac,  la  force  mystérieuse  qui,  déchirant  le 
voile,  découvrait  l'essence  éternelle  des  choses,  c'était 
la  grâce  divine,  la  grâce  sans  laquelle  il  déclarait 
modestement  n'être  rien;  et  c'est  de  ce  sentiment  si 
profondément  religieux  qu'est  née  la  suite  des  litho- 
graphies, où  Dulac  chantait  la  gloire  de  Dieu  en  tradui- 
sant avec  quelques  traits  empruntés  à  la  nature,  les 
enthousiasmes  dont  son  âme  était  pleine. 

Les  motifs  d'où  naquirent  ses  compositions,  Dulac 
les  avait  recueillis  un  peu  partout  :  la  planche  du. 
Ventj  par  exemple,  qui  est  intitulée  :  Spiriius  sancte^, 
DeuSy  lui  a  été  inspirée  par  la  vue  de  la  terrasse  de 
Vézelay,  Vézelay  si  célèbre  par  l'abbatiale  dont  les- 
curieuses  sculptures  excitaient  si  fort  les  colères  de 
saint  Bernard;  et  pour  la  planche  du  Feu  et  F  Eau,  — 
Jesu  puritas  virginum,  —  Jesu  lux  vera,  il  a  utilisé  un 
souvenir  qu'il  avait  conservé  des  bords  du  Rhin,  au 
pont  de  Kehl.  Ce  bateau  qui  porte  une  cahute  d'une 
silhouette  si  particulière,  je  me  souviens  parfaitement 
l'avoir  vu  amarré  à  la  berge  du  fleuve,  servant,  je  crois, 
de  bureau  à  l'ingénieur  chargé  de  diriger  les  travaux 
d'endiguement.  C'est  qu'en  effet  Dulac  a  longtemps 
habité  l'Alsace,  nous  pouvons  même  le  revendiquer 
comme  l'un  des  nôtres,  non  seulement  parce  qu'il  aimait 
notre  pays,  mais  parce  que  sa  mère,  à  l'affection  de- 
laquelle  il  a  été  si  prématurément  ravi,  est  Alsacienne- 
et  demeure  encore  à  Strasbourg.  Puisse  l'hommage  que- 


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304  RKVUE   D  ALSACE 

un  des  plus  nobles  artistes  de  notre  temps,  et  qu'il  n'y 
a  pas,  dans  toute  son  œuvre,  un  morceau  qui  ne  soit 
sincère,  sérieux  et  réfléchi,  un  morceau  qui  ne  soit 
imprégné  du  sentiment  le  plus  pur  et  le  plus  élevé. 
Et  c'est  pour  cela  que  ces  peintures  et  ces  lithographies 
s'imposeront  à  notre  estime,  en  nous  reposant  de  toutes 
les  œuvres  tapageuses,  banales  et  vides  qui  se  partagent, 
aux  Salons  y  la  faveur  de  la  foule.  N'est-ce  pas,  d'ailleurs, 
un  spectacle  singulièrement  réconfortant  que  de  voir 
un  homme  éviter  la  multitude  fiévreuse,  s'isoler  dans 
son  idéal,  et  ne  travailler  qu'en  vue  de  satisfaire  aux 
plus  pures  aspirations  de  son  âme.  Ceux  qui  prétendent 
qu'un  tel  homme  est  un  fou,  un  irresponsable,  un 
imbécile,  ne  prononcent-ils  pas  contre  eux-mêmes  un 
terrible  jugement  en  se  montrant  incapables  de  com- 
prendre ce  qu'il  y  a  de  plus  distingué  et  de  plus  élevé 
dans  notre  nature? 

Mais  si  l'indifférence  vis-à-vis  de  l'opinion  élève 
l'artiste  et  lui  donne  une  originalité  et  un  prestige 
singuliers,  elle  ne  laisse  pas  que  d'offrir  pour  lui  un 
danger  :  en  dédaignant  de  travailler  pour  le  public,  en 
se  concentrant  dans  la  recherche  de  sa  propre  satis- 
faction, en  se  confinant  dans  l'expression  de  sa  pensée 
sans  se  préoccuper  comment  elle  sera  comprise,  l'artiste, 
en  effet,  risque  de  tomber  dans  le  vague  et  dans 
l'obscurité.  S'il  se  place  au-dessus  du  jugement  de  la 
foule,  s'il  se  retranche  dans  son  orgueil  ou  dans  sa 
soumission  à  la  grâce  divine,  l'artiste  est  trop  souvent 
tenté  de  se  créer  une  petite  chapelle,  de  se  concilier 
des  admirateurs  plus  ou  moins  sincères  qui  ne  con- 
sentiront à  Tencenser  que  s'il  consent,  lui-même,  à  les 
faire  passer  pour  les  pontifes  prédestinés  d'une  nouvelle 
religion  esthétique. 

Dulac  a  su  éviter  tous  ses  écueils.  Sa  modestie  le 
rendait  incapable  de  s'affilier  à  une  de  ces  sectes  où 
l'on  ne  reçoit  que  des  demi-dieux;  et,  d'autre  part, 
son  bon  sens,  ce  bon  sens  naturel  qu'on  se  plaît  à 
reconnaître  aux  Alsaciens,  l'empêchait  de  tomber  dans 


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3o6  REVUE  d'alsace 

un  talent  semblable  à  celui  dont  je  viens  de  vous  décrire 
les  traits  généraux  peut  arriver  à  se  produire.  Ne 
devons-nous  voir  là  qu'un  phénomène  fortuit,  ou,  au 
contraire,  avons-nous  affaire  avec  une  manifestation  qui 
se  produit  à  son  heure  et  en  vertu  d'une  loi  générale 
et  nécessaire  ? 

Telles  sont  les  questions  que  nous  allons  examiner 
successivement. 

Si  nous  nous  donnons  la  peine  d'étudier  les  mani- 
festations intellectuelles  de  notre  temps,  nous  découvrons- 
sans  peine  un  certain  nombre  de  faits  importants  : 

Le  premier  fait  nous  est  fourni  par  l'incertitude  et 
le  trouble  qui  gouvernent  les  théories  philosophiques 
et  sociales. 

Le  second  fait  est  constitué  par  les  progrès  consi- 
dérables réalisés  dans  les  sciences  naturelles  et  physiques 
et  dans  leurs  applications  industrielles. 

Un  troisième  fait  c'est  l'avènement  du  régime  démo- 
cratique qui  semble  devenir,  de  plus  en  plus,  l'idéal 
vers  lequel  tendent  nos  institutions  politiques. 

Enfin  nous  constaterons  encore  que,  de  toute  part, 
des  forces  nouvelles  et  mystérieuses  commencent  à 
s'affirmer  dans  les  manifestations  relatives  à  l'hypnotisme, 
à  la  suggestion  et  à  toutes  ces  causes  encore  mal  défi- 
nies qui  se  révèlent  à  nous  csous  la  forme  de  pressen- 
timents, de  sympathies  ou  de  répulsions  inexpliquées 
et  de  ces  sensations  étranges  qui  constituent  des  ressou- 
venirs  de  vies  déjà  vécues  ou  de   choses  déjà   vues  >^ 

Je  pourrais  prendre,  l'un  après  Tautre,  tous  ces  faits, 
et  vous  montrer  comment  ils  exercent  leur  influence 
dans  les  arts;  je  pourrais  vous  exposer  quelle  est,  à 
mon  avis,  la  forme  que  prendra  l'art  dans  l'avenir  pour 
correspondre  à  notre  état  d'esprit  et  aux  nécessités  que 
nous  impose  l'état  démocratique  vers  lequel  nous  mar- 
chons, je  pourrais  vous  expliquer  pourquoi  ce  sera 
probablement  la  musique  et  le  théâtre  qui  nous  donne- 
ront les   formules    capables    de    fournir   la   solution  da 


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3o8  REVUE  d'alsace 

loi  universelle,  toute  action  amène  une  réaction.  Ce 
principe  n'a  pas  que  des  applications  physiques,  il  se 
vérifie  aussi  en  politique  et  en  art.  La  vie  est  un  éternel 
-recommencement  des  choses,  et  il  n*est  pas  difficile  de 
constater  qu'au  cours  des  âges  Tart  s'est,  tour  à  tour, 
rapproché  et  éloigné  de  la  nature  comme  la  mer  se 
rapproche  et  s^éloigne  des  côtes  par  le  jeu  périodique 
de  la  marée.  Avec  l'art  byzantin  on  était  aussi  loin  que 
possible  de  la  vie  :  souvenez-vous  des  mosaïques  de 
Ravenne  et  des  vierges  de  Cima-Buë.  Giotto  produit 
une  première  réaction;  contemporain  du  Dante  dont 
il  était  lami,  il  secoue  les  vieilles  formules  et  s'affran- 
chit des  conventions.  Depuis  lors  des  théories  contra- 
dictoires se  sont  toujours  partagé  le  monde  des  artistes, 
dont  les  uns  prétendaient  qu'il  fallait  tout  se  devoir  à 
soi-même,  et  ne  se  servir  de  la  nature  que  pour  assurer 
la  correction  du  dessin,  et  dont  les  autres  soutenaient, 
an  contraire,  que  la  réalité  seule  est  aimable,  et  que 
i'art  n'a  d'autre  but  que  de  rendre,  d'une  façon  com- 
plète, l'impression  produite  par  une  vision  extérieure 
et  réelle.  Et,  par  une  curieuse  coïncidence,  c'est  au 
moment  où,  vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  les  ten- 
dances réalistes  s'affirmaient  avec  la  force  que  vous 
savez,  qu'on  vit  apparaître  cette  invention  admirable 
de  la  photographie  qui  sait  ouvrir  un  œil  merveilleuse- 
ment vigilant  sur  tout  ce  qui  existe.  Sans  scrupule, 
sans  vergogne,  la  photographie  attache  une  valeur  iden- 
tique à  tout  ce  qui  passe  à  portée  de  son  infatigable 
jjrunelle,  et  elle  a  singulièrement  contribué  à  documenter 
le  réalisme. 

A  côté  de  l'école  réaliste  contemporaine  qui  nous 
a  donné  tant  de  chefs-d'œuvre,  qui  va  de  Balzac  et  de 
Delacroix  jusqu'à  Guy  de  Maupassant  et  à  Manet,  nous 
•en  distinguons,  sans  peine,  une  seconde  pour  laquelle 
lia  nature  n'est  que  le  canevas  sur  quoi  on  brode  et 
qui  va  de  Lamartine  et  d'Ingres  jusqu'à  Puvis  de 
Chavannes  et  à  Coppée.  La  peinture  idéaliste  moderne 
semble  avoir  pris  naissance  en  Angleterre  avec  Walter- 


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3IO  REVUE    d'aLSACE 

liens  qui  nous  tirent  vers  la  terre,  qu'il  faut  chercher 
la  cause  de  la  faveur  de  plus  en  plus  grande  qu'a 
trouvée,  en  notre  siècle,  la  musique;  car  c'était  en 
somme  de  la  musique  que  faisaient  les  Décadents  et 
les  Symbolistes,  musique  parlée,  ou  musique  peinte,  si 
j'ose  m'exprimer  ainsi.  Mais  tandis  que  la  peinture 
poussée  à  cette  extrémité  ne  constitue  plus  que  de 
vagues  jeux  de  couleurs,  et  des  assemblages  de  formes 
incapables  d'éveiller  aucun  sentiment  précis,  et  que  les 
vers  des  Décadents  ne  sont  plus  que  des  arrangements 
mélodieux  de  mots,  dont  le  sens  échappe  aux  profanes 
et  probablement  aussi  aux  initiés,  la  musique,  plus 
puissante,  tire  d'elle-même  tous  ses  moyens,  et,  par  la 
seule  force  de  l'harmonie,  provoque  en  nous  les  émo- 
tions les  plus  délicates  ou  les  plus  poignantes.  Il 
importe  donc  de  laisser  à  chacun  des  arts  son  domaine 
propre,  ses  moyens  d'action  particuliers;  et  maintenant 
que  nous  possédons  la  musique  pour  interprêter  les 
pures  conceptions  de  Tesprit,  pour  correspondre  aux 
rêves  mystérieux  qui  hantent  notre  fantaisie,  pour  don- 
ner à  notre  idéal  une  expression  plus  souple  et  plus 
dégagée  de  la  réalité,  laissons  la  littérature  demeurer 
Tart  de  gouverner  les  mots,  de  bien  dire  ce  qui  est 
clairement  pensé,  laissons  la  peinture  demeurer  Fart  de 
traduire  par  des  combinaisons  de  formes  et  de  couleurs 
les  sentiments  qu'éveille  en  nous  le  spectacle  des 
hommes  et  des  choses,  ne  leur  demandons  pas  plus 
qu'elles  ne  sont  capables  de  nous  donner.  Et,  à  mon 
avis,  Dulac  a  été  aussi  loin  que  Ton  peut  aller  en 
peinture  ;  vouloir  aller  plus  loin  c'est  faire  fausse  route 
«t  pousser  un  art  d'imitation  dans  une  voie  où  il  est 
incapable  d'avancer. 

Mais   si    l'on    doit,    par   dessus   tout,    se   garder  de 

tomber  dans  les  exagérations  que  je  viens  de  signaler, 

cela   ne    veut   pas   dire   que  le   mysticisme  doive  être 

impitoyablement  banni  de  la   peinture,    ni    qu'il   faille, 

-  de  parti-pris,  refuser  à  la  peinture  le  droit  de  se  servir 


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312  REVUE   D. ALSACE 

ain,  Gebhardt,  dont  l'œuvre  presque  exclu- 
eligieuse  présente  un  caractère  si  personnel^ 
ais  un  mystique.  Fils  d*un  pasteur,  Gebhardt 
vie  du  Christ  les  sujets  de  la  plupart  de  ses 
ns,  et  s'entendit  merveilleusement  à  réaliser 
[u'il  voulait  peindre.  Son  esprit  puritain,  tout  ea 
t  plein  de  respect  pour  la  doctrine  évangélique, 
t  toutefois  qu'à  illustrer,  de  la  façon  la  plus- 
es  récits  des  Livres  Saints,  et  il  n'a  pas  hésité, 
e  d'ailleurs  des  vieux  maitres,  à  nous  montrer 
ntouré  de  personnages  qui,  par  la  costume,. 
3mie  et  l'attitude,  figuraient  des  bourgeois  et 
is  allemands,  et  n'avaient  rien  de  commuiv 
lifs  de  la  Palestine.  Mais,  à  part  cet  anachro- 
u,  il  n'y  a  dans  l'œuvre  de  Gebhardt  rien, 
le,  rien  de  symbolique,  bien  qu'elle  soit  pro- 
religieuse et  convaincue. 
s  peintres  ont,  dans  ces  derniers  temps,  repris 
des  maitres  anciens,  et  un  artiste  français, 
?raud,  nous  a  montré  des  scènes  de  la  vie 
»e  passant  à  la  moderne.  Je  me  souviens, 
)le,  d'un  tableau  intitulé  :  Jésus  chez  les 
dans  lequel  les  Pharisiens  que  nous  a  peints 
ne  sont  que  de  simples  Parisiens  en  habit 
ate  blanche,  confortablement  installés  dans 
Is  et  écoutant  la  parole  divine  en  fumant 
îs.  C'est  là,  à  mon  sens,  une  exagération,. 
eau  qui  n'est  qu'une  sorte  de  calembourg 
c  beaucoup  de  talent  et  d'esprit,  ne  s'impose 
en  tien  que  par  sa  singularité.  C'est  encore, 
9e  erreur  qu'a  commise  M.  Béraud  lorqu'il 
ntré,  dans  un  second  tableau,  la  croix  du 
essce  sur  la  butte  Montmartre  et  le  divin 
entouré  d'une  foule  d'ouvriers  en  casquette 
alons  de  velours. 

œuvres  de  M.  Béraud,  je  rapprocherai  main- 
tableau  d'un  artiste  allemand,    M.   de  Uhde. 
est  intitulé  :  Laissez  venir  a  moi  les  petits 


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l'œuvre  de  CHARLES   DULAC  315 

enfants^  et  représente  le  Christ  installé  dans  une  de 
nos  écoles  de  village,  parlant  aux  enfants  groupés  autour 
de  lui,  à  la  grande  stupéfaction  d*un  brave  instituteur. 
La  manière  dont  les  gamins  et  les  gamines  se  pressent 
autour  du  Christ,  le  sentiment  recueilli  qui  se  dégage 
du  tableau  nous  donnent  une  impression  saine  et  tran- 
quille sans  rien  de  choquant. 

D'où  vient  donc  que  nous  fassions  une  différence 
entre  les  tableaux  de  M.  Béraud  et  celui  de  M.  Uhde,. 
bien  que  ces  artistes  s'inspirent  tous  deux  du  même 
principe?  D'où  vient  que  les  tableaux  de  M.  Béraud 
nous  paraissent  étranges,  tandis  que  nous  contemplons 
avec  intérêt  celui  de  M.  Uhde?  C'est  que  le  Christ  se 
révèle  à  nous  de  deux  façons  différentes  :  d'abord  par 
sa  doctrine,  puis,  en  second  lieu,  par  l'histoire  de  sa- 
vie.  Quand  un  peintre  veut  nous  montrer  une  scène 
de  la  vie  du  Christ,  comme  Tentrée  à  Jérusalem,  par 
exemple,  ou  la  Crucifixion,  il  doit  tenir  compte  de 
certaines  convenances  suffisamment  imposées  par  la 
dignité  du  sujet,  et,  sans  tomber  dans  les  scrupules  de 
l'archéologie,  composer,  en  s'inspirant  d'un  passé  loin- 
tain, les  costumes  de  ses  personnages.  Quand,  au  con- 
traire, un  artiste  s'attache  à  illustrer  la  doctrine  même 
du  Christ  qui  s'étend  à  tous  les  âges  et  à  tous  les 
temps,  il  peut  faire  abstraction  de  la  vérité  historique, 
voire  même  des  conventions  reçues  ;  et  c'est  pour  cela 
que  la  composition  de  M.  Uhde  ne  nous  blesse  pas, 
puisque  la  bienveillance  que  le  Sauveur  daigne  montrer 
aûx  enfants  est  universelle. 

Je  sais  bien  qu'en  se  plaçant  au  point  de  vue  pure-^ 
ment  religieux,  on  peut  prétendre  que  la  vie  du  Christ 
se  recommence  constamment  et  que,  par  exemple,  le 
Christ  est  mis  à  mort  tous  les  jours  par  les  hommes 
qui,  connaissant  sa  doctrine,  n'en  suivent  pas  les  pré- 
ceptes. Mais  nous  tombons  alors  précisément  dans  le 
mysticisme,  et,  pour  exprimer  cette  idée  vraie,  que  la 
conduite  des  pécheurs  est,  pour  le  Christ,  comme  le 
renouvellement  de  sa  passion  douloureuse,  la  peinture 

Rtvvit  d'Alêocê,  1907  SI 


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314  REVUE  d'à LS ACE 

réaliste  de  M.  Béraud  ne  suffit  pas,  il  faut  d'autres 
accents.  De  même  que  les  mots  sont  pris  tantôt  au 
propre,  tantôt  au  figuré,  pour  parler  comme  les  gram- 
mairiens, et  que  le  style  général  d'un  morceau  littéraire 
nous  indique  le  sens  que  l'écrivain  aura  voulu  donner 
à  ses  expressions,  de  même  la  manière  dont  un  tableau 
5era  peint  et  composé  doit  nous  renseigner  avec  soin 
sur  le  sentiment  de  son  auteur.  Et  il  est  d'autant  plus 
important  que  l'artiste  trouve  moyen  de  nous  éclairer, 
qu'une  des  formes  du  burlesque,  en  art,  consiste  pré- 
-cisément  à  se  servir  du  style  mystique  pour  interprêter 
des  idées  réalistes,  ou  réciproquement  à  se  servir  du 
style  réaliste  pour  interpréter  des  idées  mystiques.  Les 
fêtes  des  fous,  qui  se  célébraient  au  Moyen-Age,  pro- 
cédaient de  cette  idée  :  on  y  voyait  des  enfants, 
revêtus  d'ornements  pontificaux,  parodier  les  cérémonies 
du  culte,  et  le  grotesque  naissait  de  cette  étroite  com- 
binaison du  sacré  et  du  profane,  ou,  si  vous  le  préférez, 
•du  mystique  et  du  réel. 

Cette  digression  n'aura  pas  été  tout  à  fait  inutile  à 
mon  sujet,  parce  qu'elle  m'aura  procuré  l'occasion  de 
montrer,  par  un  exemple,  en  quoi  consiste  le  mysti- 
•cisme  religieux. 

Il  existe  d^ailleurs  différentes  formes  du  mysticisme 
-en  peinture,  car  Bœcklin,  lui  aussi,  a  quelquefois  été 
un  mystique  :  le  Bois  sacré  et  Vile  des  morts  procèdent 
du  même  sentiment  que  certaines  compositions  de  Dulac 
telles  que  le  Vent  et  la  Terre^  et  si  l'on  voulait  établir 
une  différence  entre  ces  deux  artistes  il  faudrait  dire 
que  le  mysticisme  de  Bœcklin  est  essentiellement  païen, 
tandis  que  le  mysticisme  de  Dulac  est  foncièrement 
-chrétien  et  que  ces  deux  mysticismes  se  distinguent 
l'un  de  l'autre  de  toute  la  différence  qui  existe  entre 
le  paganisme  et  le  christianisme.  Il  y  a  aussi  une  sorte 
-de  mysticisme,  voire  même  de  symbolisme,  dans  quel- 
ques-uns des  dessins  de  Joseph  Sattler,  dont  le  talent 
Si  original  et  si  riche  vous  est  certainement  connu. 
Dans  une  des  planches  qui  forment  le  recueil  Die  Quelle^ 


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3i6  RRVUE  d'alsace 

mêmes,  capables  de  comprendre.   Corot,  par  exemple^ 
était  un  poète  —  un  poète  bucolique  —  qui  savait  k 
merveille  rendre  l'âme  d'un  paysage,  ou  qui,  si  vous  le- 
préférez,  savait  mettre  de  son  âme  dans  les  paysages  qu'i^ 
aimait  à  peindre.  Un  peu  d'eau  où  se  reflétaient  quelques- 
arbres   et    un    coin    de   ciel    vaporeux   ou    limpide   lui 
suffisaient  pour  traduire  le  calme  et  la  joie  de  la  cam- 
pagne, et,  s'il  a  été  si  longtemps  méconnu,    c'est  que 
l'on  n'entendait  pas  la  langue   qu'il   parlait   et   que  le 
public  ne  comprenait  rien  à  ses  accents.  —  cDerrière- 
le  tronc  de  ce  peuplier-  blanc,   disait   un  jour  Corot  à. 
M.  Emile  Michel,   en   lui   montrant  une   de   ses  toiles- 
derrière  le  tronc  de  ce  peuplier  blanc,    il   y  avait  uty 
merle  qui  chantait  pendant  tout  le  temps  que  je  peignais,- 
Je  l'entends  encore.  Et  j'ai  essayé  de  le  faire  entendre- 
dans  mon  tableau,  quoique  ce  soit  bien  difficile,  puisque 
le  peintre  ne  peut  donner  l'idée  ni  des  bonnes  senteurs^ 
ni   des   chants   répandus   dans    l'air    qui   annoncent    la 
prochaine  venue  du   printemps  >.    Corot   déplore   l'im- 
puissance de  la  peinture,  et  il  nous  dit  naïvement  qu'il' 
est   difficile  de  rendre,    dans    un   tableau,    l'impression- 
causée  par  le  chant  d'un  oiseau.    Mais  un  homme  qui 
cherche  à  faire  passer,  dans  sa  peinture,  un  peu  de  la. 
gaité  que  donne  à  un  paysage  les  amusantes  roulades 
d'un    merle   ne    peint-il   pas  tout  autrement  que  celui 
pour  qui  les  arbres  ne  sont   que  des    bûches,    comme- 
disait  Dulac?  Et  cette  idée  des  petits  oiseaux,  voletant 
dans  l'espace  hantait  Corot,   car  j'ai   eu  l'honneur   de- 
l'entendre    moi-même,    quand    il    avait   déjà    près    de 
quatre-vingts  ans,  dire  à  un  de  ses  élèves  :  cMon  cher 
ami,  lorsque  vous  peindrez  des  arbres,  cherchez  avant 
tout  à  faire  comprendre  que  les  moineaux  pourraient . 
passer  à  travers  sans  se  casser  le  bec  >. 

Et,  abordant  un  autre  ordre  d'idées,  n'était-il  pas 
aussi  un  poète,  ce  délicieux  Watteau,  qui  contait,  d'un- 
si  agréable  pinceau,  les  grâces  légères ,  le  badinage- 
amoureux  et  le  charme  troublant  d'un  plaisir  insouciant 
et  facile  : 


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l'œuvre  de  CHARLES   DULAC  317 


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31 8  REVUE   d' ALSACE 

ce  qui  nous  occupe,   à   tout  ce  que   nous  ressentons^ 
Le  mysticisme  ciirétien  c'est  cette  force  secrète  qui  fait 
chérir  la  souffrance  à  sainte  Lydwine,  qui  pousse  saint 
François  d'Assise  à  parler  aux  poissons  et  aux  oiseaux, 
qui  conduit  les  ermites  au   désert,   sainte  Thérèse   au 
Carmel  et  les  Martyrs  aux  arènes.  Quand  le  mysticisme 
traduit  dans  les  actes  de  la  vie,  il  forme  les  saints^ 
telle  est  son  excellence  que  les  artistes  eux-mêmes, 
atnd  il  les  inspire,  ont  besoin  de  donner  aux  choses 
lUes    une    signification    spéciale    qui    leur    permette 
lever  le  diapason  de  leurs  idées,   de  les  transposer 
is  un  ton  capable  d'accords  plus  exquis,  d'harmonies^ 
ts  rares.  Cette  signification  spéciale  nous  est  fournie 
r  le  symbolisme.    Le   symbolisme   nous   apprend   la 
igue  qui  devient  familière  aux  mystiques  assez  inspirés 
ur  pouvoir  exprimer  l'extase  religieuse  dans  laquelle 
vivent,  le  symbolisme  consiste  à  ne  considérer  les- 
Dses  que  comme  des  moyens  d'élever  nos  âmes  vers 
divinité,   et  la  nature   tout   entière   que   comme  le 
bicule  de  l'idée  du  Créateur.  cLe  symbole,  dit  Huys- 
ms,  existe  depuis  le  commencement  du  monde.  Toutes 
religions  l'adoptèrent,   et,    dans  la  nôtre,    il  pousse 
ec  l'arbre  du  Bien  et  du  Mal  dans  le  premier  chapitre 
la  Genèse,   et  il  s'épanouit  encore  dans  le  dernier 
apitre  de  l'Apocalypse».  ' 

Voici  quelques  exemples  de  symbolisme: 
Celui  des  nombres  d'abord.  Les  nombres  ont  toujours^ 
î  considérés  comme  des  pensées  de  Dieu.  La  sagesse 
rine,  dit  saint  Augustin,  se  reconnaît  aux  nombres- 
primes  en  toute  chose;  le  monde  physique  et  le 
^nde  moral  sont  construits  sur  des  nombres  éternels.. 
)us  sentons  que  le  charme  de  la  danse  réside  daAs 
L  rythme,  c'est-à-dire  dans  un  nombre,  et  la  beauté 
e-même  est  une  cadence,  un  nombre  harmonique. 

Or,  depuis  saint  Augustin,  tous  les  théologiens,  écrit 

.    Mâle    dans   son    ouvrage    sur    l'Art    religieux    du 

ir  siècle  en  France,    expliquent    de   la   même  façon 

sens   du    nombre   douze,    c  Douze  est  le  chiffre   de 


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320  REVUE   d'aLSACE 

térieur  du  monument,  c'est  pour  nous  apprendre  que 
nous  devons  être  plus  ouverts  aux  choses  de  Fàme 
qu'aux  choses  du  monde,  et  si,  la  construction  une  fois 
terminée,  tout  entre  dans  le  calme,  sans  qu'on  n'entende 
plus  ni  les  coups  répétés  des  outils,  ni  les  cris  des 
ouvriers,  cela  signifie  que  TEglise  chrétienne  est  née 
dans  la  douleur,  mais  que  la  persécution  n'a  qu'un  temps. 
Nos  vieilles  basiliques  contiennent  donc  tout  un  ensei- 
gnement et  forment  une  sorte  d'encyclopédie  où  nous 
retrouvons  renonciation  de  tous  les  dogmes  et  de  toutes 
les  vérités  morales  que  nous  enseigne  le  christianisme. 

De  nos  jours  l'art  de  bâtir  est,  malheureusement, 
devenu  trop  positif  pour  se  prêter  à  de  nouvelles  inter- 
prétations symboliques,  et,  s'il  se  trouve  encore  des 
peintres  qui,  comme  Corot,  cherchent  à  remplir  les 
paysages  qu'ils  peignent  du  chant  des  oiseaux,  et  de 
la  bonne  odeur  des  fleurs  printannières,  il  n'y  a  plus 
d'architectes  qui,  en  construisant  des  églises,  pensent 
que  le  mortier  est  l'image  du  lien  qui  unit  les  âmes  à 
Dieu,  et  il  est  difficile  de  faire  entrer  les  raffinements 
du  symbolisme  dans  des  devis  ou  les  poutres  de  fer  et 
le  ciment  armé  prennent  une  place  de  plus  en  plus 
prépondérante. 

Aussi  le  mysticisme  et  le  symbolisme  se  sont-ils 
plus  spécialement  réfugiés  dans  la  peinture,  et  c'est  à 
des  artistes  tels  que  Dulac  qu'est  échu  Thonneur  de  con- 
tinuer, tout  en  tenant  compte  des  idées  d'art  modernes, 
les  traditions  des  Primitifs.  Voyez,  par  exemple,  la 
planche  que  Dulac  a  intitulé  La  Lune,  A  peine  peut^on 
imaginer  quelque  chose  de  plus  simple  :  une  grande 
iiappe  d'eau  tranquille  où  se  reflète,  au  loin,  un  groupe 
d'arbres  touffus.  Le  ciel  est  d'une  uniforme  clarté,  et, 
à  l'horizon,  une  légère  bande  lumineuse  donne  à  toute 
Ja  composition  une  impression  crépusculaire,  l'impression 
<i*un  vague  clair  de  lune,  sans  lune  apparente.  Ce  n'est 
rien,  et  cependant  il  s'exhale  de  ce  paysage  quelque 
^hose  de  si  grave   et  de  si   doux    qu'involontairement 


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322  REVURjiD'aLSACE 

Mais  je  suis  obligé  de  reconnaître  ici  qu'il  est  plus- 
simple  pour  exprimer  ces  idées  abstraites  de  recourir 
à  d'autres  procédés  qu'à  ceux  de  la  peinture,  et  que 
les  formules  littéraires  et  surtout  musicales  sont  plus- 
capables  de  les  interprêter  que  les  formules  colorées 
ou  sculptées.  Je  suis,  quant  à  moi,  d'avis  qu'il  ne  faut 
pas  faire  sortir  les  différents  arts  du  rôle  qu'ils  peuvent 
et  qu'ils  doivent  jouer.  C'est  déjà  bien  assez  difficile 
de  faire  de  bonne  peinture,  sans  encore  s'évertuer  à 
lui  faire  dire  des  choses  qu'elle  est  incapable  d'ex- 
primer. 


IL 

Et  maintenant  j'en  arrive  à  la  dernière  partie  de* 
mon  étude,  et  j'examinerai  ce  que  nous  sommes  en 
droit  d'exiger  de  Tart  religieux,  et,  en  particulier,  de  la 
peinture  religieuse. 

Après  avoir  dit  du  mysticisme  chrétien  qu^il  était^ 
en  quelque  sorte,  la  poésie  de  la  religion,  c'est-à-dire 
cette  force  qui,  mettant  en  œuvre  des  mots,  des  formes,, 
des  couleurs  ou  des  sons,  ajoute  à  leur  signification 
vulgaire  qui  n'éveille  en  nous  que  des  sensations,  une 
signification  idéale  qui  éveille  en  nous  des  sentiments^ 
après  avoir  dit  du  mysticisme  qu'il  était  la  poésie  de 
la  religion,  je  suis  bien  obligé  de  conclure  que  Tart 
religieux  doit  contenir  forcément  un  brin  de  mysticisme» 
Et  je  suis  d'autant  plus  autorisé  à  émettre  cette  opinion 
que  la  peinture  religieuse  des  anciens  artistes,  de  ceux 
que  nous  désignons  sous  le  nom  de  Primitifs  était  toute 
débordante  de  mysticisme.  Voyez,  par  exemple,  au 
musée  de  Colmar,  les  tableaux  de  Grunewald,  de  ce 
peintre  que  Huysmans  appelle  avec  raison  un  sauvage 
de  génie.  Peut-on  trouver  quelque  chose  de  plus  âpre,, 
de  plus  farouche,  parfois  de  plus  gracieux,  et  toujours 
de  plus  poétique,  que  les  volets  de  ce  merveilleux  autel 
des   Antonites  d'Isenheim?    c  L'art   de    Grunewald   est 


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_324  REVUE  D  ALSACE 

-dessin  exprimassent  le  plus  simplement  et  le  plus  claire- 
ment possible  les  idées  qu'on  leur  demandait  d'inter- 
, prêter,  et  il  n*eût  pas  été  nécessaire  qu'ils  recourussent 
aux  délicatesses  du  mysticisme  pour  parler  à  l'imagina- 
tion d'un  public  peu  raffiné  et  naturellement  crédule  ; 
et  cependant,  par  une  singulière  ironie,  il  s'est  trouvé 
que  la  plupart  des  Primitifs  ont  mis  dans  leurs  com- 
positions quelque  chose  de  ce  sentiment  qui  fait  trop 
souvent  défaut  aux  Modernes.  C'est  qu'alors  les  artistes 
faisaient  de  la  poésie  sans  le  savoir,  comme  le  Bourgeois- 
gentilhomme  a  fait,  depuis,  de  la  prose  sans  le  savoir  ; 
et,  peignant  avec  tout  leur  cœur,  il  suffisait  qu'ils 
eussent  du  talent  pour  faire  des  chefs-d'œuvre.  Aujour- 
d'hui, malheureusement,  il  n'en  est  plus  ainsi  :  les 
peintres  ont  tous  du  talent,  mais  c'est,  hélas!  le  cœur 
qui  souvent  leur  fait  défaut. 

Voilà  donc  une  chose  bien  étrange  !  Autrefois,  au 
moment  où,  les  arts  étant  un  moyen  d'instruction,  il 
eût  suffi  qu'ils  traduisissent  mot  à  mot  les  Livres  saints, 
les  peintres  et  les  sculpteurs  mettaient  dans  leurs  com- 
positions plus  que  de  l'intelligence  et  du  talent,  ils  y 
mettaient  de  la  grâce  et  de  la  poésie.  Et  aujourd'hui 
que  le  livre  est  devenu  d'un  usage  courant,  que  les 
arts  du  dessin  n'ont  plus  besoin  d'instruire,  que,  par 
conséquent,  on  serait  en  droit  d'exiger  d'eux  autre 
chose  que  de  la  description  pure  et  simple,  la  plupart 
des  peintres  et  des  sculpteurs  qui  s'occupent  d'art 
fieligieux  ne  nous  donnent  plus  que  de  froides  et 
ennuyeuses  compositions,  où  ils  ne  mettent  que  du 
savoir,  quand  c'est  de  la  chaleur  et  du  sentiment  que 
nous  leur  demandons. 

Le  talent  seul  n'est  rien,  c'est  une  outre  remplie 
de  vent  et  qu'une  piqûre  d'épingle  suffit  à  dégonfler. 
A  quoi  bon  peindre  des  scènes  dont  je  lis  la  description 
dans  les  livres,  si  la  peinture  ne  donne  pas  quelque 
chose  de  plus  que  le  livre?  11  faut  que,  par  le  jeu  des 
> couleurs  et  des  formes,  la  peinture  procure  à  mon  âme 
-un  frisson  particulier,   un  tressaillement  spécial  que  le 


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320  REVUE   D'aLSACE 

Notre  siècle  est  malheureusement  le  siècle  de  la 
-<:amelote,  l'Eglise  même  n'est  pas  préservée  :  on  voit 
maintenant  des  tableaux  de  sainteté  peints  à  la  grosse 
et  à  prix  réduit.  Quand  donc  comprendra-t-on  enfin  de 
nouveau  que  Fart  religieux  doit  s'imposer  doublement 
à  notre  respect,  parce  que,  venant  de  Dieu  il  doit 
mener  à  Dieu,  et  que,  comme  le  disait  Dulac,  Dieu 
qui  est  la  perfection  même,  demande  de  nous  d'être 
aussi  parfaits  que  possible  ? 

L'art  religieux  moderne  est  encore,  en  grande  partie, 
dominé  par  Raphaël  d'une  part  et  par  David  d'autre 
part,  et  il  n'a  malheureusement  su  retenir  de  ces  peintres 
que  leurs  défauts.  A  Raphaël  nous  devons  cette  expres- 
sion fade  et  béate  qui  distingue  si  souvent  les  Christs, 

>  les  Vierges,  les  Anges  et  autres  personnages  des  tableaux 
pieux;  à  David  nous  devons  les  compositions  poncives 
et  froides  où  tout  rappelle  le  modèle  banal  et  le  manne- 
quin. Il  y  a  des  tableaux  de  Raphaël  qui  sont  médiocres 
et  que  leur  auteur  brossait  à  la  légère,  et  avec  une 
facilité  surprenante;  et  ce  qu'il  faut  le  plus  admirer 
dans  ce  maître,  ce  n'est  pas  d'avoir  peint  la  Vierge  à 

«  la  Chaise^  la  Belle  Jardinière  et  tant  d'autres  madones, 
c'est  d'avoir  su  s'imposer  à  notre  estime  malgré  ces 
tableaux  et  malgré  les  exagérations  de  ses  élèves.    Si 

•  l'on  n'a  imité  de  Raphaël  et,  plus  tard,  de  David  que 
leurs  défauts,  c'est  que  ces  défauts  étaient  plus  faciles 

-  à  imiter  que  les  rares  qualités  de  ces  artistes. 

11  conviendrait  donc  de  débarrasser  l'art   religieux 

'  de  toutes  ces  conventions  qui  l'ont  fait  retomber  dans 

un  byzantinisme   dégradant  et  de  lui  rendre  les   ailes 

que  lui  ont  coupées  plusieurs  siècles  de  veulerie  et  de 

routine.   Retournons  de  temps  en  temps  nous  inspirer 

-  de  Griinewald  dont  les  œuvres  hurlent  de  sentiment, 
si  j'ose  m'exprimer  ainsi,   et  débordent  de  passion  et 

-  d'enthousiasme. 

L'art  religieux,   d'ailleurs,    n'est  pas  près  de  dispa- 

>  raître,  quoique  notre  temps  ne  semble  pas,  au  premier 


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CORRESPONDANCE 

ENTRE 

LE  DUC  D* AIGUILLON  ET  LE  PRINCE-COADJUTEUR 
LOUIS  DE  ROHAN 

Fin  I) 


Lettre  «**  CXXXI  du  duc  d'Aiguillon  ait  prince  de 
Rohan.  «Versailles,  le  15  novembre  1773.  De  toutes^ 
les  lettres,  Monsieur,  que  vous  m'avez  adressées  succes- 
sivement, il  ne  me  reste  à  vous  accuser  la  réception 
de  celle  du  29  octobre,  n**  161,  que  votre  courrier  m'a 
remise  le  7  du  courant. 

«Je  vais  traiter  dans  cette  dépêche  les  différents, 
objets  que  j*ai  réservés  pour  une  voie  sûre  et,  afin  de 
vous  faire  connaître  avec  plus  de  précision  et  de  clarté 
les  intentions  du  Roi,  je  me  bornerai  à  résumer  l'en-^ 
semble  des  différentes  impressions  que  lui  ont  faites 
vos  informations  successives  et  à  vous  instruire  du 
jugement  qu'il  en  a  porté;  mais  je  dois  avant  tout^ 
Monsieur,  vous  transmettre  les  éloges  que  Sa  Majesté 
a  donnés  au  zèle,  à  l'activité  et  à  la  dextérité  que 
vous  avez  employés  pour  vous  ouvrir  des  canaux 
secrets. 

t  Les  pièces  que  vous  avez  envoyées  et  les  notions- 
dont  vous  rendez  compte  prouvent  bien  leur  utilité  et 

1)  Voir  la  livraison  de  mai-juin. 


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S30  REVUE  D  ALSACE 

trop  de  justice  à  votre  attachement  et  à  votre  façon 
de  penser  pour  n'être  pas  persuadée  que  son  estime 
et  son  approbation  font  les  seuls  objets  de  votre  ambi- 
tion et  que,  content  de  plaire  au  Roi,  le  sacrifice  de 
quelques  agréments  personnels  ne  vous  coûte  rien, 
lorsqu'il  s'agit  de  ses  intérêts . . .  >  »). 

Leitre  «**  i6ç  du  prince  de  Rohan  au  duc  d" Aiguillon. 
«Vienne,  le  27  novembre  1773.  Je  n'ai  pu,  Monsieur, 
Tordinaire  dernier,  que  vous  accuser  la  réception  de  la 
lettre  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  le  1 5 
de  ce  mois  et  qui  venait  de  m'être  remise  par  le  courrier 
Laurent;  mais  je  saisis  avec  empressement  cette  première 
occasion  pour  vous  prier  de  renouveler  au  Roi  Thom- 
mage  de  ma  respectueuse  reconnaissance.  La  bonté, 
avec  laquelle  Sa  Majesté  veut  bien  accueillir  mon  tra- 
vail et  me  faire  transmettre  le  témoignage  flatteur  de 
sa  satisfaction,  fait  mon  bonheur  et  ma  gloire.  Oui, 
Monsieur,  \ estime  de  Sa  Majesté,  comme  vous  le  dites, 
et  son  approbation  sont  et  feront  sans  cesse  les  seuls 
objets  de  mon  ambition,  et  je  ne  vois  plus  rien  d'épi- 
neux dans  ma  carrière  2).  Je  sais,  Monsieur,  tout  ce  que 
je  vous  dois  de  reconnaissance  particulière  pour  avoir 
bien  voulu  me  faire  valoir  mon  travail  et  je  suis  très 
sensible  à  tout  ce  que  vous  me  dites  d'honnête  à  cette 
occasion  . . .  >. 

Confirmation  des  premiers  succès  des  Russes  sur  le 
Danube.  On  ne  sait  rien  de  Silistrie;  on  ne  peut  pas 
compter  sur  les  relations  exagérées  des  Russes . . . 

Lettre  n"^  176  du  prince  de  Rohan  au  duc  d* Aiguillon. 
Vienne,  le  5  janvier  1774.  Les  Russes  ont  échoué  dans 
leur  deuxième  tentative  sur  Silistrie.  Ils  ont  repassé  le 
Danube  et  leur  cavalerie  a  dû  faire  une  perte  consi- 
dérable . . .  Réflexions  sur  la  mauvaise  conduite  de  la 
Russie  pour  parvenir  à  la  paix  ;    «  car  la  Russie  perd 


1)  Cité  dans  V Introduction ^  p.  90. 

2)  Cité  ibid.,  p.  91. 


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332  REVUE  D'ALSACE 

Lettre  «**  CLIV  du  duc  d'Aiguillon  au  prince  dr 
Rohan,  «Versailles,  le  24  mars  1774.  J'ai  reçu  succes- 
sivement, Monsieur,  les  lettres  que  vous  m'avez  fait 
l'honneur  de  m'écrire  jusqu'au  n**  192  du  9  de  ce  mois 
inclusivement.  Je  n'y  ai  pas  répondu  exactement,  parce 
qu'elles  n'exigeaient  aucune  décision  du  Roi  et  que 
vous  m'aviez  annoncé  un  nouveau  courrier,  à  l'arrivée 
duquel  je  me  proposais  de  renvoyer  un  de  ceux  qui 
sont  ici. 

«  J'ai  rendu  compte  au  Roi  du  désir  que  vous  avec 
de  faire  un  voyage  en  France.  Sa  Majesté  a  bien  voulu 
vous  en  accorder  la  permission.  Je  ne  perds  pas  un 
moment  pour  avoir  l'honneur  de  vous  l'annoncer.  Vous 
serez  le  maître  d'en  profiter  quand  vous  le  jugerez  à 
propos.  Le  Roi  se  repose  entièrement  sur  votre  zèle 
du  soin  de  prendre  les  mesures  nécessaires,  pour  que 
ses  affaires  ne  souffrent  pas  de  votre  absence  et  qu'elle 
n'interrompe  pas  la  correspondance.  Sa  Majesté  vous 
laisse  le  choix  de  la  personne  que  vous  en  char- 
gerez . . .  >. 

Lettre  «®  CLVIII  du  duc  d'Aiguillon  au  prince  de 
Rohan,  «Versailles,  le  24  avril  1774.  J'ai  reçu,  Monsieur,. 
par  le  courrier  que  vous  m'avez  dépêché  le  14  de  ce 
mois  la  lettre  n*»  198  que  vous  m'avez  fait  l'honneur 
de  m'écrire  le  9  et  le  14,  ainsi  que  tout  ce  qui  com- 
posait votre  expédition.' 

<  Le  Roi  vous  laissant  le  maître  de  déterminer  vous- 
même  le  moment  d'user  du  congé  que  Sa  Majesté  vous- 
a  accordé,  était  bien  persuadé  que  vous  consulteriez 
le  bien  de  son  service  et  que  votre  zèle  dirigerait 
votre  résolution  d'après  la  connaissance  des  circons- 
stances,. .  >. 

Lettre  «**  CLIX  du  duc  d'Aiguillon  au  prince  de 
Rohan,  <  Versailles,  le  i"  mai  1774-  J'ai  reçu,  Monsieur, 
la  lettre  n°  199  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de- 
m'écrire  le  19  de  ce  mois.  J'ai  rendu  compte  au  Roi 
de  son  contenu.    Sa  Majesté   m'a  chargé   de  vous   en. 


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334  REVUE  d' ALSACE 

dont  l'effet  a  été  considérable;  cependant  la  fièvre  a 
repris  avec  Taccableraent  et  s'est  soutenue  à  un  degré 
plus  fort  que  les  jours  précédents.  La  langue  et  le  palais 
sont  extrêmement  secs.  La  suppuration  n'a  pas  fait  de 
progrès  depuis  ce  matin.  Les  vésicatoires  ont  moins 
rendu  qu'à  l'ordinaire.  Signé  :  Le  Monnier,  Lassone, 
Lorry,  Bordeu,  de  Lassaigne,  La  Martinière,  Andouillé^ 
Boiscaillaud,  Lamarque,  Colon  ». 

Lettre  du  duc  d'Azguillofi  au  prince  de  Rohan  »)• 
€  Versailles,  le  lO  mai  1774.  Nous  venons,  Monsieur, 
de  perdre  le  Roi.  Depuis  plusieurs  jours  son  état  a 
toujours  été  en  empirant,  et  Sa  Majesté  est  expirée 
aujourd'hui  à  trois  heures  et  demie  après  midi.  C'est 
pénétré  de  la  douleur  la  plus  vive  que  je  vous  donne 
le  premier  avis  de  ce  funeste  événement.  Vous  voudrez 
bien  en  informer  Leurs  Majestés  Impériales,  en  atten- 
dant que  la  notification  formelle  puisse  leur  être  envoyée. 
Pai  l'honneur,  etc.  >. 

Lettre  n^  20J  du  prince  de  Rohan  au  duc  d'Aiguillon^)^ 
W  Vienne,  le  11  mai  1774.  Jugez,  Monsieur,  la  positioa 
cruelle  dans  laquelle  je  suis  de  savoir  le  Roi  attaqué  de 
la  petite  vérole  et  de  ne  point  recevoir  de  nouvelles* 
Sans  les  bontés  de  l'Empereur  et  de  l'Impératrice  qui 
ont  bien  voulu  me  communiquer  tous  les  détails  qu'ils 
ont  reçus,  j'aurais  été  livré  à  toute  l'horreur  de  l'incer- 
titude. J'attends  à  chaque  instant  un  courrier.  Puisse-t-il 
apporter  l'heureuse  nouvelle  que  je  désire  avec  plus 
d'ardeur  que  je  ne  puis  exprimer  !  Je  ne  dois  pas  taire 
au  Roi  l'extrême  sensibilité  qu'ont  marquée  Leurs  Ma- 
jestés Impériales ...  ». 

Lettre  du  duc  d'Aiguillon  au  prince  de  Rohan^ 
€  Versailles,  le  13  mai  1774.  L'événement  que  je  vous 
annonce.  Monsieur,  par  ma  lettre  politique  de  ce  jour 
et  qui  vient  de  répandre  le  deuil  sur  tout  le  royaume^ 


i)  Cité  dans  V  Introduction  y  p.  88. 
2)  Ibid. 


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SZ^  REVUE    d'aLSACE 

rétat  de  Sa  Majesté!   Jugez  avec  quelle  impatience  je 
dois  l'attendre  ! . . .  ». 

Lettre  du  duc  d' Aiguillon  au  prince  de  Rohan,  <  Ver- 
sailles, le  14  mai  1774.  La  lettre  que  j'ai  eu  l'honneur 
de  vous  écrire,  le  10  de  ce  mois,  vous  a  mis  en  état 
de  prévenir  la  cour  où  vous  êtes  de  la  mort  du  feu 
Roi.  Le  Roi  régnant  la  lui  notifie  lui-même  par  les 
lettres  ci-jointes  et  lui  annonce  son  avènement  au  trône. 
Sa  Majesté  a  bien  voulu  vous  confirmer  dans  les  fonc- 
tions que  vous  avez  exercées  jusqu'ici;  l'autorisation 
nécessaire  est  contenue  dans  les  lettres  ci-jointes.  Vous 
voudrez  bien  les  remettre  selon  l'usage.  J'ai  l'hon- 
neur, etc. 

«Je  joins  également  ici,  Monsieur,  la  lettre  du  Roi 
pour  Sa  Majesté  polonaise.  Je  vous  prie  de  la  faire 
parvenir  à  ce  prince  >. 

Lettre  «**  210  du  prince  de  Rohan  aji  duc  d'Aiguillon. 
«Vienne,  le  25  mai  1774.  Le  courrier  Dupont  m'a 
apporté,  le  21  de  ce  mois,  toutes  les  pièces  qui  accom- 
pagnaient la  dépêche  n**  CLX  du  13,  et,  en  conséquence 
des  ordres  du  Roi  contenus  dans  la  lettre  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire  le  14,  j'ai  remis  hier 
dans  la  forme  d'usage  les  lettres  de  notification  et  mes 
nouvelles  lettres  de  créance.  Leurs  Majestés  Impériales 
m'ont  renouvelé  en  cette  occasion  la  sensibilité  dont 
Elles  avaient  déjà  donné  des  marques  à  l'époque  qui 
vient  de  plonger  la  France  dans  le  deuil,  et  dans  la 
lettre  ci-jointe,  que  je  vous  prie  de  remettre  au  Roi, 
je  rends  un  compte  plus  particulier  à  Sa  Majesté  des 
sentiment  d'attachement  personnel  que  l'Empereur  et 
rimpératrice-Reine  m'ont  chargé  d'exprimer  de  leur  part. 

€  Le  comte  Oginski  fera  parvenir  au  roi  de  Pologne 
la  lettre  du  Roi  que  vous  m'avez  adressée.  J'ai  l'hon- 
neur, etc.  >. 

Lettre  du  prince  de  Rohan  au  roi  Louis  XVI y  du 
25  mai.  <  Sire,  En  conséquence  des  ordres  de  Votre 
Majesté  qui  m'ont  été  adressés  par  M.  le  duc  d'Aiguillon 


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SSS  REVÏTE   D'ALSACE 

respectifs  ne  peuvent  que   donner   un  nouveau    degré 

d'intimité  et  de  solidité. 

«  Le  Roi  aime  à  penser,  Monsieur,  que  les  insinua- 
is du  roi  de  Prusse  ou  le  désir  de  ne  point  l'alarmer 
it  eu  aucune  part  à  la  résolution  que  l'Empereur  a 
e  de  ne  point  exécuter  son  voyage  en  France.  Il 
certain  que  les  objets  majeurs  qui  doivent  dans  ce 
ment-ci  fixer  l'attention  de  ce  prince  lui  en  fournissent 
motifs  suffisants. 

€  La  fermeté,  avec  laquelle  la  cour  de  Vienne  déclare 
loir  s'en  tenir  aux  stipulations  du  traité  de  partage 
rra  en  imposer  au  roi  de  Prusse,  qui  ne  doit  pas 
érer  d'entraîner  Catherine  II  dans  ses  vues  à  cet  égard, 
tournure  que  cette  affaire  prend  pourra  cependant 
longer  les  discussions  et  peut-être  les  aigrir.  Le  Roi 
ipte.  Monsieur,  sur  votre  attention  à  en  observer 
tes  les  circonstances.  Il  faut  convenir  que  l'occu- 
on  de  Brody  et  des  districts  au-delà  du  Podhorze») 
iblait  autoriser  les  nouvelles  invasions  du  roi  de 
sse. 

€  Les  avis  que  nous  recevons  de  plusieurs  côtés- 
firment,  Monsieur,  ce  que  vous  mandez  de  la  négo- 
ion  que  les  cours  de  Vienne  et  de  Berlin  ont  entamée 
c  la  Porte  pour  la  paix.  Il  sera  sans  doute  bien  diffi- 
que  la  balance  se  soutienne  à  tous  égards  égale 
re  les  deux  médiateurs  2).  H  paraît  que  l'Angleterre 
saisi  que  faiblement  les  idées  de  M.  Narray  pour 
"  être  associée. 

€  11  serait  bien  important  de  découvrir  si  les  média- 
rs  se  sont  déjà  fixés  à  un  projet  de  conditions,, 
illes  elles  peuvent  être  et  s'il  n'y  en  a  point  d'autres 
?  celles  dont  vous  faites  mention.  Le  Roi  ne  doute 
,  Monsieur,  que  vous  ne  fassiez  tous  vos  efforts 
ir  tâcher  de  l'en  instruire.    Sa  Majesté  désire  aussi 


[)  Cfr.    Arnbth,    GisehichU  Maria   Theresias,  VIII,  p.  424. 

i)  Cfr.  Arnkth,  op.  cit.,  464;  Ad.  Bker,  Die  ersU  Teilung  l'oUns^ 

.265. 


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CORRESP.    ENTRE    D'aIGUILLON    ET   DE   ROHAN  339 


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_340  REVUE   D  ALSACE 

cj'ai  rhonneur  d'être,  avec  un  très  parfait  attache- 
ment. Monseigneur,  votre  très  humble  et  très  obéissant 
serviteur.    BERTIN  ». 

Lettre  de  Louis  XVI  au  prince  de  Rohan  i).  <  Mon 
cousin,  J'ai  vu  avec  la  plus  vive  satisfaction  par  la  lettre 
que  vous  m'avez  écrite,  le  25  du  mois  passé,  que 
l'Empereur  et  l'Impératrice-Reine  rendent  justice  à  mes 
sentiments,  et  ceux  que  Leurs  Majestés  Impériales  vous 
ont  témoignés  pour  ma  personne  et  pour  le  maintien 
de  l'alliance  remplissent  mes  vœux  les  plus  chers.  Je 
vous  charge  de  ne  négliger  aucune  occasion  de  leur 
donner  les  plus  fortes  apparences  de  la  confiance  entière 
que  j'y  prends.  Votre  attachement  pour  ma  personne 
et  votre  zèle  pour  mon  service  me  sont  garants  de 
votre  attention  à  remplir  cet  objet  essentiel  de  votre 
.  mission  ». 

Lettre  «**  2/5  du  prince  de  Rohan  au  secrétaire  d'Etat 
Bertift,  c  Vienne,  le  18  juin  1774.  J'avais  déjà  appris, 
Monsieur,  plusieurs  jours  avant  l'arrivée  de  la  lettre 
'  circulaire  et  sans  date  qui  m'est  parvenue  hier,  la 
retraite  de  M.  le  duc  d'Aiguillon  et  la  nomination  de 
M.  le  comte  de  Vergennes  au  département  des  affaires 
étrangères. 

€  Si  vous  voulez  bien,  Monsieur,  vous  faire  rendre 
compte  de  mes  dernières  dépêches,  et  surtout  de  mes 
lettres  particulières  et  secrètes,  vous  jugerez  que  je  dois 
attendre  avec  impatience  le  courrier  qui  m'apportera 
des  instructions  relatives  aux  objets  importants  qui  y 
sont  traités  et  qu'il  est  essentiel  pour  la  sûreté  de  mes 
démarches  ultérieures  que  je  sache  les  intentions  de 
Sa  Majesté.  M.  le  duc  d'Aiguillon  n'avait  sans  doute 
différé  à  m'en  instruire  que  parce  que  je  devais  me 
Tendre  incessamment  à  la  cour  et  y  donner  au  Roi  des 
détails  très  intéressants  sur  la  position  actuelle  des 
choses  que  je  me  suis  trouvé  à  portée  d'observer   et 

l)  Citée  dans  \^ Introduction^  p.   89. 


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CORRESP.    ENTRE   D' AIGUILLON    ET   DE  ROHAN  341 


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342  REVUE  D*ALSACE 

ment  possible  de  la  permission  que  Sa  Majesté  a  la 
bonté  de  m'accorder.  La  position  actuelle  des  choses 
est  telle  que  mon  absence,  par  les  précautions  que  j*ai 
prises,  ne  pourra  point  nuire  aux  objets  essentiels  de 
ma  correspondance  politique. 

«  J'avais  marqué  à  M.  le  duc  d'Aiguillon  qu'à  mon 
départ  je  chargerais  l'abbé  Georgel  de  la  suite  de  la 
correspondance,  le  jugeant  le  seul  capable,  et  parce  qu'il 
est  le  seul  au  courant  des  affaires  et  parce  que  le  prince 
de  Kaunitz  lui  témoigne  une  amitié  personnelle.  Il  m'a 
paru  bien  de  laisser  ici  par  préférence  une  personne 
qui  fût  agréable  à  ce  respectable  ministre.  M.  le  duc 
d'Aiguillon  m'ayant  répondu  que  le  Roi  voulait  s'en 
rapporter  à  moi,  je  suivrai  ce  même  arrangement. 

«  Les  troupes  russes  qui  ont  passé  le  Danube  ne 
sont  point  assez  considérables  pour  tenter  une  affaire 
d'éclat.  Elles  sont  aux  ordres  des  généraux  Kamensky 
et  Suwarow,  et  leur  but  n'est  sans  doute  que  d'être 
plus  en  état  de  donner  au  maréchal  Rumanzow  des 
avis  certains  sur  la  position  et  les  mouvements  de 
l'armée  ottomane.  Peut-être  aussi  que  ce  maréchal 
voudrait  par  quelques  faits  d'armes  accélérer  les  succès 
des  nouvelles  négociations  pour  la  paix.  J'ai  appris  hier 
qu'un  détachement  russe  avait  attaqué  et  fait  reculer 
les  Turcs  à  Karasow;  qu'en  conséquence  l'aga  des 
janissaires  avait  reçu  ordre  de  se  tenir  prêt  à  s'y  porter 
avec  20.000  hommes  pour  se  joindre  au  pacha  de 
Karassow  et  s'opposer  de  concert  aux  progrès  ulté- 
rieurs des  Russes.  Telles  sont.  Monsieur,  les  dernières 
nouvelles  du  Danube  qui  m'ont  été  confirmées  ce  matin 
par  une  note  de  la  chancellerie  d'Etat.  J'ai  l'honneur, 
etc.  >. 

Lettre  n^  218  du  Prince  de  Rohan  au  secrétaire  d'Etat 
Bertin,  «  Vienne,  le  29  juin  1774.  Vous  verrez.  Mon- 
sieur, par  les  lettres  ci-jointes  de  Constantinople  que 
le  crédit  prédominant  du  muphti  et  des  gens  de  loi 
l'emporte  sur  le  penchant  du  visir  pour  la  paix.  Le  roi 
de  Prusse,   sur  les  promesses  trop  prématurées  de  ce 


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CORRESP.    ENTRE  D  AIGUILLON    ET   DE   ROHAN  343 

premier  ministre,    s'est   vanté   trop  tôt  d'être  parvenu 
:seul  et  sans  la  médiation  de  Vienne  à  faire  agréer  les 


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344  REVUE   D  ALSACE 

Vienne;    elle   ne   laisse  aucun  doute  sur  le  parti  pris 
par  Leurs  Majestés  Impériales  de  s'en  tenir  pour  leur 
démarcation  au  traité  conclu  d'après  la  convention  de 
sbourg. 

Je  compte  prendre  demain  congé  de  Leurs  Majestés 
jriales,  et  sous  peu  de  jours  je  me  mettrai  en  route, 
ipereur  part  après-demain  pour  assister  aux  exer- 
d'un  camp  d'artillerie  établi  à  Budweis  en  Bohême, 
loit  y  faire  les  manœuvres  des  pièces  construites 
l'exercice  de  la  cavalerie  légère.  Aucun  étranger 
îra  admis. 

J'ai  envoyé,  il  y  a  plusieurs  mois,  par  un  de  mes 
iers,  la  construction  et  le  profil  de  ces  pièces  qui 
ent  tant  la  curiosité  du  roi  de  Prusse  et  que  son 
;tre  ici,  malgré  toutes  ses  tentatives,  n'a  encore  pu 
•ocurer  >).  J'ai  l'honneur,  etc.  ». 

£ttre  //**  CLXXV  du  comte  de  Vergennes  a  F  abbé 
^<?/2).  Compiègne,  le  19  août  1774.  </*.  5.  Monsieur 
ince  Louis  de  Rohan  ayant  désiré  pour  des  con- 
ations  personnelles  de  ne  plus  retourner  à  Vienne, 
DÎ  a  bien  voulu  agréer  qu'il  se  démît  des  fonctions 
stte  ambassade,  et  Sa  Majesté  a  nommé  pour  le 
ilacer  M.  le  baron  de  Breteuil  ». 

^ttre  n^  23c  de  l'abbé  Georçel  au  comte  de  Ver- 
es  3),  €  Vienne,  le  3  septembre  1774.  Monseigneur, 
es  plusieurs  lettres  de  Son  Altesse  le  prince  Louis 
.ohan,  je  m'attendais  à  la  nouvelle  que  vous  avez 
voulu  me  marquer  de  votre  main  dans  la  dépêche 
Lxxv,  dont  vous  m'avez  honoré  le  19  du  mois 
er.  C'est  une  perte  pour  Vienne,  où  ce  prince  est 
ilièrement  aimé,  estimé  et  révéré.  J'ai  été  témoin 
ette  sensation,   lorsqu'au  sortir  d'une  conversation. 


Au  mois  de  février  1774  le  prince  ambassadeur  envoya  en  France 
n  et  les  détails  relatifs  à  un  nouvel  obus  qu'on  fabriquait  en* 
he. 

Citée  dans  V Introduction^  p.  94. 

Citée  presqu'en  entier  dans  V Introduction^  p.  94. 


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346  REVUE  D'ALSACE 

€  J'ai  rendu  compte  au  Roi  dans  son  conseil  de  la 
sensation  qui  a  causée  à  Vienne  le  rappel  de  M.  le 
prince  Louis  de  Rohan  et  de  tous  les  éloges  que  les 
ministres  et  le  public  lui  ont  prodigués  à  cette  occasion. 
Personne  n'est  plus  persuadé  que  moi  combien  ils  sont 
justement  mérités,  et  je  v^ois  avec  une  satisfaction  parti- 
culière qu'on  lui  rend  ici  la  même  justice. 

€  Il  paraît,  Monsieur,  que  la  raison  qui  empêche  la 
Russie  de  publier  l'instrument  de  la  paix  réside  dans 
la  rédaction  louche  et  inexacte  de  plusieurs  articles, 
dont  l'exécution,  à  ce  qu'on  assure,  ne  pourra  être 
fixée  que  par  une  nouvelle  négociation.  L'astuce  assez 
ordinaire  des  Turcs  peut  s'être  ménagé  cette  ressource. 

€  Les  circonstances,  que  vous  avez  recueillies  sur  la 
manière  dont  la  paix  de  Kainardsche  s'est  faite,  justi- 
fient l'opinion  que  nous  en  avions  conçue.  Il  est  très 
probable  qu'elle  n'aurait  pas  lieu,  si  la  mort  du  grand- 
visir  eût  précédé  cette  époque.  Cet  événement  arrivé 
dans  les  circonstances  actuelles  ne  paraîtra  pas  naturel, 
et  on  l'attribuera  sans  doute  à  la  honte  que  ce  ministre 
aura  éprouvée  en  faisant  un  retour  sur  une  opération 
aussi  déshonorante  . . ,  ». 

Lettre  «°  250  de  tabbé  Georgel  au  comte  de  Ver- 
gennes^).  Vienne,  le  12  octobre  1774.  Il  parle  d'abord 
de  la  paix  de  Kainardsche  et  dit  ensuite  que  les  ministres 
d'Angleterre  et  de  Prusse  accusent  M.  de  Saint-Priest 
et  l'envoyé  de  Suède  d'avoir  proposé  à  la  Porte  de 
rompre  la  paix.  La  Porte  désire  que  la  cour  de  Vienne 
suggère  les  moyens  de  contrebalancer  la  prépondérance 
dangereuse  que  le  traité  donne  à  la  Russie.  Le  prince 
de  Kaunitz  méprise  trop  les  Turcs  pour  former  un 
concert  avec  eux.  Le  ministère  autrichien  n'est  pas 
fâché  de  voir  les  Turcs  hors  d'état  de  nuire.  Il  croit 
avoir  des  moyens  d'arrêter  les  progrès  de  la  Russie. 


i)  Citée  en  partie  dans  V  Introduction  y  p.  96. 


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LES  ARMOIRIES  DE  LA  VILLE 

DE    ROUFFACH 

(AVEC   DEUX   dessins) 


Il  y  a  peu  de  mois,  les  journaux  ont  annoncé  que- 
le  Hcroldsamt  avait  accordé  à  la  ville  de  Kaysersberg 
de  nouvelles  armoiries.  On  s'était  demandé  laquelle  des 
deux  figures  traditionnelles  de  la  tour  et  de  la  carnas- 
sière ornait  le  champ  primitif. 

Le  Heroldsamt  a  décidé  que  désormais  le  blason 
serait  divisé  par  parties  égales,  dont  Tune  porterait  la 
tour  et  l'autre  la  carnassière. 

Autrefois  on  trouvait  aussi  de  ces  doubles  figures^ 
dans  les  armoiries  de  beaucoup  d'autres  villes  de  notre 
Alsace.  Et  voici  par  exemple  ce  que  nous  apprennent 
à  ce  sujet  la  tradition  et  les  archives  de  Tancienne 
ville  épiscopale  de  Rouffach. 

Les  documents  prouvent  que,  dès  le  commencement 
du  XIII*'  siècle,  la  ville  s'était  formée  sur  les  rives  de 
rOmbach  en  se  groupant,  de  par  la  volonté  de  Tévêque 
de  Strasbourg,  son  maître,  autour  d'une  colonge  de 
l'ancienne  villa  mérovingienne  de  Rubeaca,  En  tous  cas, 
c'est  en  1209  Q"^»  autant  que  nous  sachions,  pour  la 
première  fois  le  sigillum  civium  Rubiacensium  fut  apposé 
sur  une  charte  réglant  les  droits  respectifs  de  l'évêque 
de  Constance  et  des  bourgeois  de  Rouffach  dans  la- 
vallée  de  Soultzbach  <). 

l)  WiiRDTWBlN,  Nova  subsidia^  X,  250. 


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350  REVUE   D  ALSACE 

la  ville,    porte   du   côté  de  Pfaffenheim  la   crosse,    du 
côté  de  Rouffach  ce  même  écusson. 

Il  en  reste  un  troisième  exemplaire,  de  1490,  aux 
arcades  aujourd'hui  murées  de  la  maison  Liodaui)  près- 
de  l'ancien  hôtel  de  ville  et  de  la  tour  de  sainte  Ca- 
therine. Dès  ce  temps,  la  muni- 
cipalité s'en  sert  presque  partout 
comme  simple  marque  de  pro- 
priété. Les  fon-  taines  publiques 
et  les  maisons  •  communes,  les 
bornes,  les  usten.  siles  de  l'hôtel 
de  ville,  etc.,  en  furent  ornés 
d'une  façon  plus  ou  moins  artistique,  jusque  vers  la 
fin  du  xvii«  siècle. 

A  cette  époque  l'Alsace  passa  de  la  domination 
allemande  à  la  France,  et  un  édit  du  roi  Louis  XIV, 
du  mois  de  novembre  1696,  fonda,  comme  on  sait,  la 
grande  maîtrise,  où  une  cour  héraldique  était  chargée 
d'enregistrer  après  vérification  les  blasons  de  toutes  les 
personnes  et  de  toutes  les  corporations  2).  C'est  ainsr 
que  la  France  a  formé  son  grand  armoriai  général, 
dont  la  partie  concernant  l'Alsace  a  été  publiée  en  1861 
par  A(natole)  de  B(arthélemy),  sous  le  titre  :  Armoriai 
de  la  Généralité  (T Alsace, 

C'est  ce  moment  que  la  municipalité  de  Rouffach 
voulut  choisir  pour  changer  et  modifier  ses  armoiries,. 
en  réunissant  l'ancienne  figure  du  sceau  et  l'écusson 
de  la  ville.  Car  telle  est  l'ébauche  en  arcannée  encore 
conservée  aux  archives  de  la  ville.  Et  de  fait,  par 
brevet  du  24  juillet  1699,  la  maîtrise  confirma  à  la 
ville  de  Rouffach  les  armoiries  suivantes: 

Porte  d'azur  à  une  Vierge  de  carnation,  assise  de 
front  dans  un  trône  d'or,    vêtue   de  gueules  et  d'azur 


1)  Cest  sous  les  voûtes  de  cette  maison  que    pendant   des   siècles- 
les  délinquants  furent  soumis  à  la  torture. 

2)  Avant-propos  de  V  Armoriai  de  la  Généralité  if  Alsace, 


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352  RKVUE   D  ALSACE 

La  ville  de  Rouffach  n'ayant  envoyé  sa  déclaration 
que  par  délibération  du  Conseil  municipal  en  date  du 
3  février  1824,  ne  reçut  la  confirmation  demandée  qu'à 
la  date  du  24  janvier  1825.  Comme  cette  confirmation 
est  encore  aujourd'hui  en  pleine  vigueur,  nous  la  repro- 
duisons in  extenso  ci-après: 

€  Charles,  par  la  grâce  de  Dieu  Roi  de  France. et 
de  Navarre,  à  tous  présents  et  à  venir,  salut. 

€  Le  Roi,  notre  auguste  Frère  et  prédécesseur,  vou- 
lant donner  aux  fidèles  sujets  des  Villes  et  Communes 
du  Royaume  un  témoignage  de  son  affection  et  per- 
pétuer le  souvenir  des  services  que  leurs  ancêtres  ont 
rendus  aux  Rois  nos  prédécesseurs,  services  consacrés 
par  les  armoiries  qui  furent  anciennement  accordées 
auxdites  Villes  et  Communes  et  dont  elles  sont  l'em- 
blème, a,  par  son  Ordonnance  du  26  septembre  18 14, 
autorisé  les  Villes,  Communes  et  Corporations  du 
Royaume  à  reprendre  leurs  anciennes  armoiries  à  la 
charge  de  se  pourvoir  à  cet  effet  par  devant  la  Com- 
mission du  Sceau;  se  réservant  d'en  accorder  à  celles 
des  Villes,  Communes  et  Corporations  qui  n'en  auraient 
pas  obtenu  des  Rois  nos  prédécesseurs  ;  Par  autre  ordon- 
nance du  26  décembre  suivant,  lesdites  Villes,  Com- 
munes et  Corporations  ont  été  divisées  en  trois  classes* 

«  En  conséquence  le  Maire  de  la  Ville  de  Rouflfach, 
arrondissement  de  Colmar,  Département  du  Haut-Rhin, 
autorisé  à  cet  effet  par  délibération  du  Conseil  Muni- 
cipal du  3  février  mil  huit  cent  vingt-quatre,  s'est  retiré 
par  devant  notre  Garde  des  Sceaux,  Ministre  et  Secré- 
taire d'Etat  au  Département  de  la  Justice,  lequel  a  fait 
vérifier  en  sa  présence  par  la  commission  du  Sceau, 
que  le  Conseil  Municipal  de  ladite  Ville  de  Rouffach 
a  émis  le  vœu  d'obtenir  de  notre  grâce  des  Lettres 
patentes  portant  Confirmation  des  Armoiries  suivantes: 
D'azur  à  une  Vierge  de  carnation  assise  de  front  dans 
un  Trône  d'or,  vêtue  de  gueules  et  d'azur  et  couronnée 
d'or  tenant  sur  ses  genoux  son  enfant  JÉSUS  aussi  de 
carnation  ayant  la  tête  entourée  d'une  Gloire  d'or;  et 


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LES  TROUBLES  DE  1789 

DANS  LA  HAUTE -ALSACE 

Suite  ') 


CHAPITRE    QUATRIÈME 

du  premier  moment.  —  Troupes  en  garnison  en  Alsace.  — 
ectif  des  régimî^nls.  —  Esprit  des  troupes.  —  Proclamation  de» 
'eaux.  —  Le  générai  de  Castéja.  —  Le  général  de  VietinghoflT 
}uebwiller,  Oilwiller,  BoUwilier,  Wattwiller,  Uffholtz,  Cernay  et 
ann.  —  Recrudescence  de  l'insurrection;  sa  cause.  —  Ordon- 
ice  du  comte  de  Rochambeau.  —  Mesures  à  Huningue.  — 
nitoire  de  Tévèque  de  Bâle.  —  Mesures  dans  le  district  de 
Imar.  —  Seconde  ordonnance  du  comte  de  Rochambeau.  — 
)cIamation  de  la  Commission  intermédiaire.  —  Intervention  du 
fiseil  souverain. 

US  les  événements  que  nous  venons  de  raconter 
nt  produits  à  peu  près  au   même   moment,    à  la 

heure  pour  ainsi  dire.  Lorsque  la  nouvelle  en 
coup  sur  coup,  il  y  eut  un  moment  d'étonne- 
de  surprise  extrême.  «  Dans  bien  des  endroits 
Haute- Alsace,  écrivait  le  Bureau  de  Colmar  à 
ésident  le  2  août,  et  à  Colmar  en  particulier,  on 
es  prières  publiques  avec  exposition  du  saint 
nent  ou  du  Ciboire,  à  la  réquisition  des  préposés 
icipaux  habitants  >.  Les  deux  autorités,  auxquelles 
appartenu  d'agir  avec  vigueur,  paraissaient  hési- 

sous  le  coup  de  la  stupeur. 


^oir  la  livraison  de  mai-juin. 


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35^  REVUE  d'alsace 

infanterie;  colonels-propriétaires,  le  prince  d'Aremberg 
et  le  comte  de  la  Marck  ;  colonel,  le  baron  de  Hahn  ; 
2®  le  régiment  des  chasseurs  de  Champagne  (quatre 
escadrons);  colonel,  le  comte  de  Loménie,  neveu  du 
cardinal.  Le  régiment  des  dragons  de  Monsieur,  colonel 
comte  Charles  de  Damas,  tenait  garnison  à  Colmar  »). 
Mentionnons  encore  les  deux  compagnies  d'invalides 
qui  occupaient  le  Landskron  et  le  Fort-Mortier  2). 

Toutes  ces  troupes  formaient  la  division  de  la  Haute- 
Alsace  3)  et  étaient  alors  placées  par  intérim  sous  le 
commandement  du  baron  de  Vietinghoff,  maréchal  des 
camps  et  armées  du  Roi,  commandeur  de  Tordre  du 
mérite,  commandant  la  brigade  de  la  Marck,  remplaçant 
le  baron  de  Falckenhayn,  lieutenant-général,  comman- 
dant la  division  de  la  Haute-Alsace,  absent  4).  Il  était 
en  résidence  à  Sélestat. 

Il  semble  qu'avec  des  forces  aussi  considérables, 
c'eût  été  un  jeu  de  rétablir  Tordre.  Mais  la  province 
était  alors  sans  commandant  en  chef.  Le  marquis  de 
Stainville  mourut  le  i"  juin  et  son  successeur,  le  comte 
de  Rochambeau,  nommé  le  18  juin,  ne  put  faire  enre- 
gistrer sa  commission  que  le  i"  août^).   En  supposant 


1)  A  Colmar,  ville  ouverte,  il  y  avait  ordinairement  en  garnison, 
d'après  d'Aigrefeuille,  ou  bien  un  régiment  de  cavalerie  ou  deux  batail- 
lons d*infanterie.  (20  février   1766). 

2)  Peut-être  faudrait-il  encore  ajouter  le  bataillon  de  la  milice  pro* 
vinciale,  dont  le  lieu  de  réunion  était  Colmar  et  qui  comptait  720  hommes, 
•ans  les  officiers,  selon  Billing,  mais  il  D*était  plus  convoqué  depuis 
longtemps. 

3)  Sauf  sans  doute  Belfort,  qui  était  commandé  par  un  lieutenant* 
général.  —  Diaprés  un  Mémoire  de  1737,  il  y  avait  ou  devait  y  avoir 
en  temps  de  paix  de  23  à  25.000  hommes  en  garnison  dans  la  provinte, 
C*est  aussi  le  chiffre  que  donne  Billing  (fiesthreiàun^  des  Misasses^  1781, 
p.  46)  :  21.660  hommes  de  pied  et  2300  cavaliers,  plus  les  deux 
bataillons  de  la  milice  provinciale  de  720  hommes  chacun,  sans  les 
officiers. 

4)  11  était  de  retour  à  son  poste  fin  juillet,  ou  commencement  d'août. 

5)  Au  commencement  de  juillet,  le  baron  de  Flachsianden  écrivait 
<depuis  Paris  à  M.  Chauffour  que  le  comte  de  Rochambeau  ne  pouvant 
se  rendre  à  son  poste  à  cause  de  ses  affaires,  il  allait  être  nommé 
commandant  en  second,   afin    que   la  province  ne  restât  pas  sans  chef 

•-dans  ces  mcm^nts  difficiles.  Cependant  il  paraît  que  le  comte  de  Rocham- 
beau prit   possession  de   son    commandement   vers    le    18  juillet,   tans 


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LES   TROUBLES   DE    I789  357 


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358  REVUE   d'aLSACE 

de  la  province  >.  Il  n*y  avait  donc  que  peu  de  troupes 
disponibles  :  ce  qui  ne  peut  guère  s'entendre  que 
d'effectifs  incomplets.  Dans  quelle  niesure  étaient-ils 
incomplets?  Nous  l'ignorons;  nous  savons  seulement 
que  les  deux  bataillons  du  régiment  de  Boulonais,  qui 
remplacèrent  à  Sélestat  les  deux  bataillons  du  régiment 
de  la  Marck,  en  octobre  1 790,  ne  comptaient  que  608 
hommes.  D'après  le  curé  de  la  Rue,  la  garnison  habi- 
tuelle de  Huningue  :  deux  régiments  d'infanterie,  un 
régiment  de  cavalerie,  les  dépôts  de  sept  régiments 
suisses,  plus  de  l'artillerie  et  du  génie,  nous  l'avons  dit, 
ne  formait  ordinairement  qu'un  effectif  de  1760  à  1800 
hommes,  qui  cependant,  en  1791,  fut  élevé  à  2100 
hommes.  —  En  1793,  le  vicaire  de  Huningue,  J.  A.  Sôhn- 
lin,  prétendait  que  depuis  dix  ans,  la  moyenne  des  troupes 
de  cette  ville  fut  de  IÇ46  hommes. 

Enfin,  l'esprit  de  la  troupe  laissait  fort  à  désirer. 
Les  illusions  et  les  théories  du  jour  comptaient  de 
fervents  partisans,  non  seulement  parmi  les  officiers 
supérieurs,  au  fond  plus  sympathiques  qu'hostiles  au 
mouvement  actuel  »),  mais  encore  les  soldats  en  étaient 
si  fortement  imbus,  que  la  discipline  en  souffrait.  Lors 
de  l'insurrection  de  Strasbourg,  les  soldats  disaient  tout 
haut  :  «  Nous  sommes  bons  pour  le  soutenir  (le  peuple) 
et  le  contenir,  mais  non  pour  l'assassiner  *  »).  C'était 
évidemment  une  phrase  à  effet,  destinée  à  couvrir  une 
infraction  à  la  discipline,  qu'ils  étaient  décidés  à  com- 
mettre :  le  refus  de  faire  usage  de  leurs  armes,  s'ils  en 
avaient  été  requis.  On  sait  d'ailleurs  comment  ils  ont 
contenu  la  populace  de  cette  ville  3);    et   la  scène   qui 


1)  Le  maréchal  de  Klioglin  en  est  un  exemple.  II  était  président 
du  district  de  Colmar;  le  Bureau  le  félicita  chaudement  d'avoir  sauvé 
Strasbourg  en  juillet  1  Tandis  qu^aujourd^hui  on  lui  reproche  sa  mollesse, 
son  irrésolution,  et  qu'on  l'accuse  de  s'être  bien  plus  soucié  de  ses  intérêts 
personnels  ou  de  famille  que  de  ceux  des  habitants  de  Strasbourg.  — 
Cfr.  Taink,  Révolution^  I,  p.  49-50  ;  Hermànn,  Notices  historiques  sur 
Strasbourg^  I,  1819;  Révolutions  d* Alsace^  1789,  etc. 

2)  Révolutions  (fAlsace^  1789. 

3)  D'après  Arthur  VuNG  (I,  p.  249),  plusieurs  soldats  excitaient  la 
foule  sous  les  yeux  de  leurs  chefs  qui  restaient  impassibles  1 


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360  REVUE  d'aLSACE 

au  baron  de  Klinglin,  le  30  décembre  1789.  La  Com- 
mission intermédiaire  voulait  supprimer  la  haute  paie 
qu'elle  avait  accordée  aux  troupes  cantonnées,  nous 
dirons  plus  loin  à  quelle  occasion  :  c  II  faudrait  au  moins 
maintenir  le  peu  de  calme  qui  existe  à  la  faveur  des 
troupes  cantonnées,  pour  ne  pas  voir  une  seconde 
représentation  des  horreurs  qui  se  sont  commises.  Mes 
inquiétudes  augmentent  en  pensant  au  peu  de  subordi*^ 
nation  qui  existe  encore  dans  mon  régiment.  Les  détache- 
ments accoutumés  à  cette  haute  paie  demanderont 
vraisemblablement  à  rentrer  dans  leur  garnison;  et 
ceux  qu'on  enverrait  pour  les  relever,  supposé  qu'ils 
marchent  sur  mon  ordre,  se  joindront  peut-être  aux 
brigands,  qui  attendent  avec  impatience  le  moment  où 
ils  seront  les  plus  forts  pour  faire  une  nouvelle  insur- 
rection ...  Je  préférerais  autant  que  cette  petite  ville 
(Huningue,  ce  semble),  quoique  menacée  par  toutes  les 
communautés  voisines,  reste  absolument  sans  troupes 
que  d^en  avoir,  avec  la  crainte  de  les  voir  neutres, 
désobéissantes,  ou  peut-être  contre  les  bons  citoyens  >, 
Aussi  ce  n'est  pas  un  médiocre  éloge  que  Madame 
Gauthier  fait  de  la  garnison  de  Belfort,  dans  la  lettre 
que  nous  avons  transcrite,  lorsqu'elle  dit  que  la  troupe 
«n'a  pas  hésité  pour  exécuter  les  ordres  du  chef». 

L'administration  provinciale,  elle  aussi,  n'était  pas 
prête.  Nous  avons  raconté  précédemment,  et  la  scission 
profonde  qui  s'était  produite  entre  les  Bureaux  et  la 
Commission,  et  la  lutte  que  les  uns  et  les  autres,  de 
concert  avec  les  municipalités,  soutenaient  contre  tant 
d'adversaires  coalisés.  Il  en  était  résulté  un  décourage- 
ment, une  lassitude  qui  tenait  presque  du  dégoût  et 
qui  atteignit  son  apogée,   précisément  à  cette  époque. 


enfui  par  la  route  de  Kehl,  la  seule,  dit-il,  qui  fut  libre.  Passe  pour 
la  c  divine  compagne  >;  mais  comprend-on  un  officier  général  qui  déserte 
son  poste  au  moment  du  danger  ?  —  Cfr.  sur  cette  affaire  les  Mémoires 
du  comte  de  Rochambtau^  dans  la  Revue  (C Alsace  1887,  p.  491  (article 
de  A.  Bbnoit). 


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362  REVUE   d' ALSACE 

euerer  billigen  Forderungen  gefunden.  Wir  beschwôren 
euch  bei  Gott,  der  das  Bôse  straft,  bei  dein  lieben 
Vaterland,  das  die  Augen  auf  euch  gerichtet  hat,  und 
bei  euerem  eigenen  WohI  und  Ehre,  erhaltet  die  Ruhe 
und  Friede,  auf  dass  euere  Enckel  in  Segen  sich  noch 
eurer  erinnern.  Ruft  an  die  Barmherzigkeit  Gottes,  dass 
Er  von  uns  wende  das  Ungliick  das  so  viele  Provinzen 
bedroht!  Wir  sind,  mit  der  wârmsten  Vaterlandsliebe, 
euere  treue  und  liebe  Mitburger.  —  Les  députés  du 
district  de  Colmar,  etc.  >  «). 

Cependant  Tordre  était  trop  profondément  troublé, 
pour  que  l'autorité  civile  eût  pu  le  rétablir  sans  le 
secours  de  Tarmée.  Nous  avons  déjà  vu  que  la  garnison 
de  Belfort  maintenait  la  tranquillité  publique,  ou  mieux 
empêchait  les  plus  grands  excès  de  se  produire,  par 
des  sorties  et  des  patrouilles  fréquentes,  tant  en  ville 
que  dans  les  environs.  Le  comte  de  Castéja,  de  concert 
avec  le  Bureau  de  Huningue,  prit  également  des  mesures 
pour  la  repression  de  Témeute  dans  le  Sundgau.  Il 
envoya  des  détachements  du  régiment  de  Bourgogne, 
sous  ses  ordres,  dans  les  communautés  les  plus  éprou- 
vées, comme  àFerrette2),  Landser,  Ottmarsheim,  Ley- 
men,  Sierentz,  Steinbrunn,  Blotzheim,  etc.,  trop  tard 
sans  doute  pour  empêcher  le  mal  dont  personne  ne 
pouvait  avoir  même  soupçonné  toute  la  gravité,  mais 
du  moins  assez  à  temps  pour  arrêter  le  pillage  et 
rassurer  quelque  peu  les  honnêtes  gens.  Des  patrouilles 
organisées  par  ses  soins  sillonnaient  le  pays  et  allaient 
de  village  en  village  avec  la  consigne  d'employer  la 
force  au  besoin  pour  faire  respecter  les  ordres  de  l'au- 
torité. A  la  date  du  i"  août,  avec  l'assentiment  du 
Bureau,  le  général  fit  ordonner  par  le  canal  des  maires, 


1)  La  même  proclamation  fut  affichée  dans  le  district  de  Huningue^ 
mais  avec  la  date  du  30  juillet  et  la  substitution  du  mot  Huningue  à 
celui  de  Colmar. 

2)  Il  y  eut  deux  compagnies  à  Ferrelte  ;  elles  y  arrivèrent  vers  le 
25  juillet. 


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364  REVUE  d'aLSACE 

Tordre  au  second  bataillon  du  régiment  des  Deux-Ponts^ 
en  garnison  à  Neuf-Brisach,  de  le  rejoindre  à  Rouffach. 
Le  lendemain,  la  cavalerie  était  prête  dès  7  heures  du 
matin;  mais  le  bataillon  des  Deux-Ponts,  parti  de  Brisacb 
à  3  heures  du  matin,   n'arriva   qu'à  9  heures  à  cause 
de  la  pluie  et  des  mauvais  chemins.  Après  une  heure 
de   repos,   le    général   donna  Tordre    du    départ.    Soa 
avant-garde  était  déjà  à  Isenheim,    lorsqu'il  apprit  que 
les  insurgés,  contents  des  titres  que  leur  avait  livré  la 
Maîtrise  d'Ensisheim,  avaient  évacué  Guebwiller,  s'étaient 
fractionnés  en  deux  bandes  et  se  dirigeaient,    les   uns 
sur  Ollwiller  et  Wattwiller,   les   autres   sur   Uflfholtz  et 
Cernay  par  les  chemins  de  la   montagne.    Aussitôt    il 
détacha  une  compagnie   du   régiment  des  Deux-Ponts,, 
avec .  ordre   de   se   rendre  à  Guebwiller,    de   saisir  les 
traînards,  de  rétablir  Tordre,  de  faire  restituer  au  Cha- 
pitre les  meubles  et  les  autres  objets   qui    avaient    été 
soustraits.  Lui-même  devançant  le  reste  de  Tinfanterie,. 
à  la  tête  des  chasseurs  de  Champagne,    se  dirigea   en 
toute  hâte  sur  Ollwiller.  Le  château  de  ce  village  venait 
d*être  forcé  par  une  partie  des  émeutiers,  tant  de  Saint- 
Amarin  que  des  villages  voisins,    et  ils  s'apprêtaient  à 
le  piller  et  à  Tincendier,  tandis  que  les  autres  marchaient 
sur  les  châteaux  des  environs  pour  leur  faire  subir  le 
même    sort.    Sans    hésiter,    le    général   ordonne    à    un 
peloton  de  chasseurs  de  mettre  pied  à  terre,  d'entourer 
et  d'attaquer  le  château  du  côté  de  la  plaine,  en  même 
temps    que   le   reste    de  la  cavalerie,    lancé   au  grand 
galop  entre  le  château,  la  forêt  et  la  montagne,  occu- 
pait tous  les  chemins  qui  aboutissaient  vers  la   plaine. 
Les  émeutiers,  surpris,  voulurent  tout  d'abord  chercher 
leur  salut  dans  la  fuite,    mais   lorsqu'ils    virent   que  la 
retraite  leur  était  coupée,  ils  firent  usage  de  leurs  armes; 
alors  les  chasseurs  les  chargèrent  avec  tant  de  vigueur 
qu'ils  leur  firent  une  quantité  de  prisonniers  et  disper- 
sèrent le  restant  dans  les  bois. 

A  ce  moment  arrivait  Tinfanterie.  Le  général,  sans 
perdre  de  temps,  laissa   un    détachement   au  château^ 


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366  REVUE  d'aLSACE 

La  veille,  sous  la  pression  de  Témeute,  le  Magistrat 
avait  dû  donner  sa  démission.  Le  général,  à  son  arrivée,, 
se  rendit  à  T hôtel  de  ville,  écouta  les  plaintes  de  tous 
ceux  qui  croyaient  avoir  quelque  sujet  de  mécontente- 
ment du  Magistrat,  de  la  Municipalité;  car  la  Munici- 
palité dut  se  défendre  :  elle  avait  aussi  ses  ennemis, 
et  elle  fut  accusée,  ainsi  que  sou  >yndic,  de  négligence 
et  même  quelque  puii  de  connivence  avec  les  émeutiers. 
Cependant  la  communauté  ayant  été  assemblée  devant 
rhôtel  de  ville,  le  j^éncrnl  lui  adressa  la  parole  et  lui 
donna  ses  avis  que  le  syndic  îslonnin  traduisit  en  langue 
vulgaire.  Il  était  venu,  disait-il,  dans  l'intention  de  réta- 
blir la  paix;  son  désir  formel  était  que  le  Magistrat 
rendît  ses  comptes  jusqu'au  i"  octobre  prochain  et  que 
Ton  se  conformât  pour  l'administration  des .  revenus 
patrimoniaux  de  la  ville  aux  instructions  de  la  Com- 
mission intermédiaire  et  aux  prescriptions  des  Ordon- 
nances, Il  exhorta  tout  le  monde  à  la  concorde  et  au 
calme  jusqu'à  ce  que  l'Assemblée  nationale  eût  statué 
sur  les  doléances  de  chacun  et  menaça  de  sévir  avec 
toute  la  rigueur  des  lois  de  la  guerre,  contre  tous  ceux 
qui  refuseraient  à  l'avenir  de  se  soumettre,  ou  qui 
troubleraient  encore  la  paix  publique.  Ce  discours  fut 
applaudi.  Sur  la  demande  des  bourgeois,  le  général 
promit  d'envoyer  à  Thann  une  compagnie  du  bataillon 
des  Deux-Ponts;  puis  il  revint  à  Cernay  et  s'efforça 
de  ramener  le  calme  et  de  rétablir  la  tranquillité  aux 
environs. 

Cependant  ses  efforts  n'eurent  aucun  succès;  l'in- 
surrection abattue  semblait  de  nouveau  relever  la  tête, 
malgré  la  puissance  des  troupes;  l'exaltation  des  esprits 
était  telle  que  Ton  pouvait  redouter  à  tout  moment  de 
nouveaux  excès.  Aussi  le  général,  avant  de  quitter 
Cernay,  crut-il  devoir  statuer  un  exemple  de  justice  et 
de  sévérité  ;  il  traduisit  devant  un  conseil  de  guerre  et 
fit  exécuter  deux  de  ses  prisonniers  les  plus  gravement 
compromis  dans  le  pillage  et  les  incendies  de  Gueb- 
willer,   d'Ollwiller  et  d'Uffholtz,    «  les  esprits  de  parti 


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368  REVUE   D'aLSACE 

de  ce  terrible  contre-sens»).  La  proclamation,  datée  du 
31  juillet,  fut  imprimée  à  la  hâte  et  expédiée  aux 
Bureaux  avec  ordre  de  lui  donner  la  plus  grande  publi- 
cité, de  l'afficher  dans  toutes  les  communautés  et  d'en 
faire  faire  la  lecture  au  prône  de  toutes  les  églises. 
L'effet  que  produisit  cette  publication  fut  désastreux. 
Les  paysans,  ne  comprenant  pas  le  texte  français,  trou- 
vaient dans  la  traduction  allemande  un  encouragement 
officiel  à  l'insurrection.  Ils  avaient  été  unanimes  à  se 
soulever,  parce  qu'on  les  avait  formellement  assurés 
que  le  Roi  et  l'Assemblée  les  avaient  autorisés  à  se 
rendre  justice.  Les  mesures  de  répression  prises  contre 
eux  commençaient  à  leur  faire  sentir  qu'on  les  avait 
trompés,  lorsqu'ils  lurent  de  leurs  yeux,  dans  une  pro- 
clamation de  la  Commission  intermédiaire,  qu'ils  n'étaient 
nullement  dans  l'erreur  et  que   le  Roi  les  invitait  lui- 


1)  Tout  le  monde  ne  fut  pas  précisément  convaincu  que  ce  contre- 
sens était  bien  involontaire.  L*auteur  des  Comidérations  (p.  88,*  dit  à 
ce  sujet  :  c  Eh  1  comment  notre  peuple  d'Alsace  a-t-il  pu  se  laisser 
séduire  et  tromper  par  cette  affiche  infernale^  qui  portait  avec  elle-même 
la  conviction  du  mensonge,  et  le  caractère  abo(x.inable  de  la  sédition  ? 
Comment  a-t-il  pu  croire  que  le  plus  juste,  le  meilleur  des  rois,  ait 
voulu  permettre  à  son  peuple  de  se  rendre  justice  à  lui-même,  d'être 
partie  et  juge,  dans  les  temps  que  les  représentants  les  plus  éclairés 
•et  les  plus  sages  de  la  nation  travaillent  à  lui  rendre  la  justice  la  plus 
efficace  selon  les  lois?  Comment  a-t-il  pu  concevoir  Tidée  criminelle 
qu'un  monarque,  père,  ait  voulu  jeter  le  trouble  et  le  désordre  parai 
■ses  enfantp,  les  détruire  les  uns  par  les  autres,  les  armer  contre  leuit 
seigneurs  it  leurs  supérieurs  légitimes,  les  autoriser  aux  brigandagef-| 
aux  meuitres,  aux  incendies,  aux  excès  les  plus  affreux?  Quel  opprobre 
ineffaçable  pour  la  génération  présente,  de  n'avoir  pas  rejeté  avec  horreur 
-cet  infâme  avertissement,  comme  la  production  de  Pesprii  le  plus  noir 
et  le  comble  de  la  méchanceté!  9  Toutes  ces  expressions  ne  se  compren- 
draient pas  si  dans  l'esprit  de  l'auteur  il  ne  s'agissait  pas  de  bien  autre 
•chose  que  d*une  faute,  grave  sans  doute,  mais  qui  aurait  été  le  résultat 
d'une  simple  inadvertance.  Dans  d'autres  brochures  de  l'époque  il  y  a 
-des  réflexions  analogues.  Ainsi  le  Citoyen  contemplateur^  \  790,  page  30, 
disait  :  c  Je  ne  finirais  pas  si  je  voulais  citer  les  exactions,  les  dégâts, 
les  vols,  les  crimeti  et  les  atrocités  de  tout  genre  auxquels  la  publication 
des  4  août  et  jours  suivants,  et  particulièrement  la  traduction  allemande 
(faite  par  le  secrétaire  adjoint  de  la  Commission  intermédiaire,  les  placards 
datés  de  Versailles,  les  lettres  de  nos  députés...  ont  donné  lieu».  Et 
dans  la  préface,  il  Invile  ironiquement  à  souscrire  dans  les  bureaux  de 
la  Commission  à  la  traduction  allemande  de  sa  brochure  faite  ptr  le 
secrétaire  adjoint,  —  toutefois,  dit-il,  corrigée  par  une  personne  sachant 
i'allemandi  etc. . . 


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S^O  REVUE   D  ALSACE 

est  inconnu  du  peuple  ...  Si,  malgré  mes  observations,, 
vous  croyez  nécessaire  que  cet  ordre  soit  publié  au 
prône  et  affiché,  je  n'attends  que  vos  ordres».  Le 
Bureau,  loin  de  blâmer  le  syndic,  loua  sa  prudence  et 
le  félicita  d'avoir  retenu  une  proclamation  dont  un 
simple  contre- sens  rendait  inutiles  tous  les  pénibles 
efforts  qui  avaient  été  faits  jusque-là  pour  le  rétablisse- 
ment de  la  paix.  Dans  une  pareille  extrémité  la  sévé- 
rité dont  le  général  de  Vietinghoff  venait  de  donner 
Texemple  était  le  seul  moyen  qui  pût,  avec  quelque 
efficacité,  assurer  le  respect  des  troupes  dont  il  avait  le 
commandement,  et  le  maintien  au  moins  apparent  de 
l'ordre  autour  de  lui. 

La  Commission  elle-même,  qui  ne  se  doutait  pas 
encore  de  l'effet  désastreux  qu'avait  produit  sa  procla- 
mation, avait  compris  que  des  promesses,  des  discours, 
des  proclamations,  même  des  menaces,  lorsqu'elles 
n'avaient  aucune  sanction,  étaient  tout  à  fait  impuissants 
à  réprimer  une  insurrection  d'une  telle  gravité  :  la  force 
seule  pouvait  en  triompher.  Aussi  ce  fut  sur  ses  pres- 
santes sollicitations  que  le  comte  de  Rochambeau  rendit 
l'ordonnance  suivante  le  2  août,  c'est-à-dire  au  moment 
où  il  venait  de  faire  enregistrer  sa  commission  et  de 
prendre  possession  de  son  commandement  en  chef: 
«  De  par  le  Roi.  Il  est  ordonné  aux  officiers  de  la 
maréchaussée,  ainsi  qu'aux  troupes  qui  leur  prêtent 
main  forte,  d'arrêter  quiconque  troublera  l'ordre  public 
et  de  le  livrer  sur-le-champ  à  la  justice.  Il  est  également 
ordonné  de  dissiper  tous  les  attroupements  séditieux 
et  tous  ceux  qui  veulent  se  faire  justice  à  eux-mêmes»^ 
Le  3  août  la  Commission  expédia  cette  ordonnance^ 
imprimée  dans  les  deux  langues,  aux  trois  Bureaux  de 
la  Haute- Alsace  avec  '  ordre  d'en  faire  afficher  trois 
exemplaires  dans  les  villes  et  deux  dans  les  autres 
communautés.  Mais  quel  effet  pouvait  produire  cet 
affichage.^  On  opposait  évidemment  à  cette  ordonnance 
la  proclamation  précédente  de  la  Commission  et  on  la 
considérait  comme  tout  à  fait  contraire   aux  véritables. 


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372  REVUE  D' ALSACE 

Le  Bureau  de  Colmar,  de  son  côté,  prit,  le  6  août, 
l'arrêté  suivant  :  <  Le  Bureau  ordonne  que  les  prévôts 
et  les  syndics  portent  la  plus  grande  attention  à  ce 
que  les  gardes  soient  régulièrement  montées  par  tous 
et  un  chacun,  même  les  fils  de  veuves  et  autres  per- 
sonnes capables  de  porter  les  armes,  sans  exception, 
hors  les  infirmes  et  ceux  que  les  préposés  et  munici- 
palités jugeraient  devoir  être  exemptés  par  les  circons- 
tances particulières,  le  tout  pour  empêcher  tout  espèce 
de  désordre  et  d'entreprises  contraires  au  repos  public. 
Les  communautés  se  tiendront  en  outre  pour  averties 
que  les  juifs,  vivant  aussi  sous  la  protection  du  Roi  et 
de  la  Nation,  ne  pourront  pas  plus  que  d'autres  per- 
sonnes être  inquiétés  ou  maltraités  impunément;  que 
ceux  qui  leur  auraient  enlevé  ou  déplacé  de  l'argent 
ou  des  effets,  aient  à  les  rendre  dans  le  jour  entre  les 
mains  des  préposés,  auxquels  il  est  enjoint  de  faire  les 
/recherches  les  plus  exactes;  tiendront  au  surplus  les 
préposés  et  les  Municipalités  exactement  la  main  à  ce 
que  les  arrêtés  du  Bureau,  publiés  et  affichés  en  exé- 
-cution  des  ordres  du  Roi  et  de  l'Assemblée  nationale, 
soient  strictement  observés  ;  à  eux  enjoint  de  dénoncer 
les  contrevenants  à  peine  de  demeurer  personnellement 
responsables  de  ce  qui  pourrait  arriver  par  leur  négli- 
gence, connivence,  ou  inaction  >.  De  plus,  le  Bureau 
profita  du  mandement  de  l'évêque  de  Baie  pour  prier 
instamment  les  curés  du  district  d'exhorter  leurs  parois- 
siens à  rétablir  l'ordre  et  surtout  de  leur  expliquer  au 
prône  comment  il  fallait  comprendre  la  proclamation 
de  la  Commission. 

Lorsque  la  Commission  fut  avertie  de  la  manière 
dont  le  peuple  interprêtait  sa  proclamation,  elle  essaya, 
par  tous  les  moyens,  d'arrêter  les  désastreux  effets  de 
son  malencontreux  contre-sens.  Le  comte  de  Rocham- 
beau,  très  probablement  sur  ses  instances,  rendit  l'or- 
donnance suivante  à  la  date  du  6  août  :  «Il  nous 
revient  que  des  monstres  dignes  d'être  sortis  des  enfers 
xépandent  faussement  et  méchamment  le  bruit  que  le 


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374  REVUE  d'alsace 

conséquent  être  livres  à  la  justice  prévôtale  aux  termes 
de  Tordonnance  précédente  du  commandant  en  chef. 
Le  Conseil  souverain,  de  son  côté,  n'était  pas  resté 
r.  Il  est  évident  que  Bureaux  et  Commission  inter- 
lire,  même  jusqu'à  un  certain  point  commandant 
province,  avaient  rendu  des  ordonnances  et  pris 
frétés  sur  des  matières  qui  n'étaient  aucunement 
ur  compétence.  Sans  parler  des  ordres  et  des 
:tions  aux  prévôts  et  aux  préposés  qui  ne  dépen- 
t  d'elle  en  aucune  façon,  il  n'appartenait  pas  à 
linistration  provinciale  de  faire  par  exemple  des 
nents  de  police  générale,  de  prescrire  des  perqui- 
5,  des  visites  domiciliaires,  des  arrestations,  d'or- 
îr  la  saisie  et  la  restitution  d'objets  volés,  etc., 
cune  loi  ne  donnait  au  commandant  le  droit  de 
instruire  prévôtalement  telle  affaire  qui  lui  semblait 
Mais  le  6  août  le  Conseil  souverain,  seule  autorité 
étente^  avait  déjà  définitivement  réglé  ces  difïé- 
;  questions.  Le  i"  août,  sur  la  requête  du  sieur 
pe  Yves,  conseiller  du  Roi  et  son  procureur  au 
de  la  Maréchaussée  générale  d'Alsace  à  la  rési- 
de Colmar,  et  conformément  aux  conclusions  du 
reur  général,  il  avait  déclaré  le  prévôt  de  la  Maré- 
sée  compétent  pour  connaître  des  crimes  et  des 
commis  durant  les  troubles  »).  Comme  l'insurrèc- 
'était  étendue  à  toute  la  Haute-Alsace,  et  que  le 
re  des  accusés  était  considérable,  le  Conseil,    sur 


^e    31    juillet    quelques    prisonniers    du    général    de    Vietinghoff 

été  écroués    à   Colmmr;    ils   étaient    au    nombre    de    17    diaprés 

(p.  7).    Après   un    interrogatoire    sommaire   quatre   d'eux  furent 

n  liberté.    Quant    aux   autres,    la    Cour    ordonna,    par    ce    même 

[ue,  vu  le  mauvais  état  des  prisons  de  Colmar,    ils    seraient  dès 

transférés  aux  prisons  de  Sélestat  et  jugés  prévôtalement  et  en 

ressort  par  le  juge  de  la  maréchaussée  de   cette    ville.    D'après 

ils  furent  tous  reconnus  coupables,  condamnés  à  mort  et  pendus 

leur  propre  maison  au  lieu  de  leur  domicile.  Au  siècle  dernier, 

t  convaincu  que  la  vue  d'un  condamné   inspirait    nécessairement 

r  du  crime;   de   là   des    rigueurs   dans    les    peines  que  le  Code 

d'aujourd'hui ,    sous    l'empire    d'autres    idées ,    a    complètement 


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LES   TROUBLES   DE    I789  375 


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37^  REVUE  d'alsace 

tion  générale.  Dans  les  communautés  les  plus  mutins 
s'arrogent  l'autorité,  jusqu'à  ce  qu'il  ait  été  statué  sur 
leurs  réclamations.  On  force  l'entrée  des  dépôts  pour 
déchirer  les  titres  qui  assurent  l'état  et  la  fortune  des 
citoyens,  cumulativement  avec  ceux  dont  on  redoute 
l'effet  passager.  On  détruit,  pour  le  seul  plaisir  de 
détruire,  des  monuments  antiques  et  respectables,  élevés- 
à  grands  frais.  Le  peuple  a  été  trompé,  parce  qu'on 
lui  a  donné  le  fol  espoir  d'obtenir  par  la  violence  ce 
qu'il  ne  doit  attendre  que  de  la  justice  et  de  la  bien- 
veillance de  Sa  Majesté. 

Sur  cet  exposé,  la  Cour  décida  que  les  édits,  décla- 
rations, arrêts  du  Conseil  sur  les  assemblées  illicites,, 
séditions,  attroupements  seront  exécutés  en  leur  forme 
et  teneur;  en  conséquence  il  était  fait  de  nouveau 
défense  expresse  d'y  contrevenir  ;  ordre  était  donné 
aux  chefs,  prévôts,  syndics  et  préposés,  sous  leur  res- 
ponsabilité, de  surveiller  les  malveillants,  surtout  ceux 
qui  par  des  écrits  ou  des  discours  excitaient  à  la  révolte; 
d'empêcher  que  dans  les  assemblées  pour  les  affaires 
communes,  on  ne  fit  des  propositions  qui  troublassent 
l'ordre  public,  de  dénoncer  et  d'arrêter  les  coupables 
avec  l'assistance  de  la  Maréchaussée  et  de  la  force 
armée  au  besoin,  pour  être  dans  tous  les  cas  pour- 
suivis à  l'extraordinaire  et  jugés  prévôtalement,  con- 
formément à  l'arrêt  du  i"  août;  enfin  défense  était  faite 
aux  Weibels  et  valets  de  ville,  de  battre  la  caisse,  de 
sonner  le  tocsin,  ou  d'assembler  les  bourgeois  sans- 
permission  écrite  des  chefs  de  la  communauté. 

Enfin,  le  1 8  août,  le  premier  Président  sur  l'avis  de 
la  première  Chambre,  consulta  les  Chambres  assemblées 
sur  la  question  suivante  :  convenait-il,  vu  les  tristes 
circonstances  où  se  trouve  la  province,  à  la  suite  d'un 
hiver  rigoureux  et  des  troubles  qui  s'y  sont  élevés^ 
de  rendre  des  arrêts  de  passer  outre  à  F  exécution  des 
sentences  et  des  arrêts  de  condamnation  en  faveur  des 
procureurs  et  des  huissiers  ?  A  la  majorité,  il  fut  décidé 
que  de  ce  jour  à  la  Saint-Martin,  il  ne  serait  plus  renda 


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,37 8  REVUE  D' ALSACE 

Tout  le  monde  connaît  l'histoire  de  la  nuit  du  4  août, 
où  le  sacrifice  de  ce  régime  et  de  tous  les   privilèges 
fut  résolu  en  principe;   nous  ne  nous  arrêterons  pas  à' 
la    raconter;    nous    nous    bornerons    à    reproduire    les 
impressions  de  nos  députés  et  à  marquer  quelle  fut  leur» 
attitude. 

€  . . .  Après  avoir  employé  trois  mois  à  détruire  tous 
les  obstacles  qui  paraissaient  s'opposer  invinciblement; 
au  bonheur  de  la  France,  écrivait,  le  8  août,  NL  Pinelle, 
curé  de  Hiiltzheim,  à  M.  ChaufFour,  nous  venons  de  poser» 
les  premières  grandes  bases  de  la  félicité  publique ^  en- 
déclarant  la  nation  française  une  nation  franche  et  libre  ;  * 
en  conséquence  nous  avons  supprimé,  par  un  décret 
solennel,  tout  le  régime  féodal  et  les  droits  qui  en' 
résultaient,  toute  mainmorte  et  mainmortable,  person- 
nelle ou  réelle;  toutes  les  corvées  ou  autres  servitudes 
personnelles  et  leur  prestation  en  argent  sont  abolies, 
sans  indemnité;  les  cens  ou  rentes  réelles  quelconques 
sont  toutes  rachetables  au  taux  qui  sera  fixé  par  l'Assem- 
blée; les  droits  exclusifs  de  chasse,  de  garenne,  de 
colombiers  sont  détruits,  les  justices  seigneuriales  quel- 
conques sont  supprimées  et  resteront  seulement  en  fonc- 
tion jusqu'à  l'établissement  des  justices  royales;  enfin 
tous  les  vestiges  de  la  féodalité  sont  effacés  au  point 
qu'on  a  voulu  mettre  en  délibération  si  les  droits  pure- 
ment honorifiques  des  seigneurs  se  sont  conservés,  et 
je  ne  sais  pas  encore  ce  qu'il  en  arrivera;  les  annates 
du  Pape,  la  pluralité  des  bénéfices,  le  casuel  des  curés 
de  campagne,  tout  est  supprimé  et  proscrit  à  jamais; 
et  dans  l'enthousiasme  que  ces  suppressions  si  géné- 
reusement votées  et  consenties  par  le  Clergé  et  la 
Noblesse  ont  excitées  dans  l'Assemblée  nationale,  elle 
a  proclamé  Louis  XVI  restaurateur  de  la  liberté  de  la 
France  et  ordonné  qu'il  sera  frappé  des  médailles  avec 
cette  exergue;  et  tous  les  membres  se  livrant  au  plus 
vif  sentiment  du  patriotisme  le  plus  pur,  ont  oublié 
pour  toujours  qu'ils  étaient  les  uns  Bretons,  Bourgui- 
gnons, Languedociens  et  Provençaux;  les  autres  Contois, 


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380  REVUE   d'aLSACK 

à  rAssemblée.  Là,  le  prince  de  Broglie,  au  nom  de  la 
Noblesse  et  du  Clergé  d'Alsace,  adhéra  conditionnelle- 
ment  à  la  renonciation  qui  venait  d'être  faite  la  veille^ 
ajoutant  que  ses  collègues  et  lui  allaient  <  se  pourvoir 
de  pouvoirs  moins  impératifs  ».  Puis  Reubell,  au  nom 
du  Tiers-Etat,  fit  la  même  déclaration  à  laquelle  se 
rallièrent  à  leur  tour  les  députés  des  Villes  impériales,, 
promettant  «  de  se  retirer  par  devers  leurs  commettants^ 
pour  en  obtenir  le  consentement  et  le  pouvoir». 

Ce  même  5  août,  encore  sous  le  coup  de  Témotion, 
Reubell  informait  le  Bureau  de  Colmar,  en  termes  enthou- 
siastes, de  ce  qui  venait  de  se  passer  :  Tous  les  privi-^ 
lèges  étaient  abolis;  l'Assemblée  était  restée  en  séance 
jusqu'à  I  heure  après  minuit;  sa  mémoire  n'a  pu  retenir 
tout  ce  qui  avait  été  décrété.  Puis,  selon  l'engagement 
qu'il  avait  pris,  il  conjurait  le  Bureau  de  solliciter  de 
la  part  de  ses  commettants  le  sacrifice  public  des  privi- 
lèges de  TAlsace  c  déjà  fait  dans  le  cœur  des  députés.- 
Le  nom  des  Français  sera  si  glorieux  «)  et  la  constitu- 
tion si  bien  faite  que  personne  ne  voudra  plus  de 
régime  particulier  >.  Et  d'ailleurs,  ajoutait-il,  ce  serait 
bien  en  vain  qu'une  province  refuserait  de  suivre  l'im- 
pulsion générale  «).  L'abbé  Pinelle  avait  de  même  averti 
ses  commettants  de  l'inutilité  et  de  l'inefficacité  d'uiv 
refus;  et  il  faut  croire  que  cette  conviction  avait  fait 
impression  sur  plus  d'un  député  et  peut-être  déterminé  soa 
enthousiasme.  *  Si,  contre  toute  attente,  ils  n'approuvent 
pas  ma  renonciation  conditionnelle,  disait-il,  qu'ils  me 
tracent  une  ligne  de  conduite,  ne  voulant  et  ne  pouvant 


1)  c  Le  plus  beau  qu^on  puisse  porter  sur  la  terre!  Il  est  permi» 
aux  amis  de  la  nouvelle  constitution  de  le  croire.  Mais  il  est  également 
permis  aux  autres  peuples  de  la  terre  de  n*en  rien  croire.  Et  les  récep» 
tioos  qu'on  fait  en  Espagne,  en  Italie,  en  Allemagne,  en  Brabant,  eoi 
Hollande,  en  Suisse,  aux  Français  qui  se  mêlent  de  la  propagation  de 
la  nouvelle  constitution  française,  ne  sont  pas  une  preuve  de  la  supé- 
riorité d'estime  qu'elle  a .  acquise,  quant  à  présent,  au  nom  français, 
puisqu'on  lui  donne  la  qualification  de  mal  français  >-.  {Histoire  ttAlsacty. 
du  syndic  Chauffour). 

2)  Cette  lettre  a  été  publiée  dans  la  Revue  <f  AUace^  l868,  p.  530t. 


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382  REVUE   d'aLSACE 

à  rUnivers  le  code  parfait  de  la  monarchie  ou  d'une 
grande  nation  qui  a  le  bonheur  de  vivre  sous  le  doux 
empire  de  l'autorité  paternelle.  Vos  principes  de  consti- 
tution seront  la  base  de  cet  édifice  dont  les  siècles 
reculés  béniront  les  architectes,  en  admirant  sa  beauté. 
Notre  district  que  l'auguste  Assemblée  a  déjà  honoré 
d'une  réponse  gwcieuse,  saisit  avec  empressement  cette 
nouvelle  occasion  de  lui  offrir  ses  très  humbles  hom- 
mages. Nous  sommes,  avec  le  plus  profond  respect...  >. 

Cet  enthousiasme  de  nos  députés  certainement  n'était 
pas  de  commande,  et  Ton  ne  peut  suspecter  la  sincérité 
de  cette  joie  et  de  ces  espérances  que  partageaient 
beaucoup  de  leurs  commettants. 

Il  y  eut  cependant  des  hommes  plus  froids,  sur 
lesquels  tous  ces  événements  firent  une  impression  bien 
différente  :  de  ce  nombre  était  J.  de  Turckheim,  député 
de  Strasbourg.  M.  de  Turckheim  prétend  que  les  clubs,, 
et  particulièrement  le  Palais  royal,  exerçaient  sur  l'As- 
semblée une  pression  de  plus  en  plus  irrésistible  '). 
Bientôt  il  n'y  eut  plus  de  liberté  pour  quiconque  ne 
partageait  pas  leur  manière  de  voir;  et  même  un  député 
qui  n'était  pas  de  leur  bord  courait  de  réels  dangers, 
s'il  venait  à  prendre  la  parole.  Aussi,  dans  la  nuit  du 
4  août  et  dans  les  séances  suivantes,  si  beaucoup,  si 
le  grand  nombre  des  députés  subirent  l'entraînement  de 
l'enthousiasme,  beaucoup  d'autres  au  contraire  cédèrent 
à  l'intimidation  et  à  la  pression.  Lui-même,  lorsqu'il 
parvint  à  monter  à  la  tribune,  après  bien  des  efforts 
inutiles ,  et  qu'il  voulut  expliquer  à  l'Assemblée  la 
situation  particulière  et  peu  connue  de  l'Alsace  et 
invoquer  des  traités  de  paix  solennels,  sur  lesquels  elle 
se  fondait,  fut  si  mal  accueilli,  si  peu  écouté,  inter- 
rompu, par  quelques  députés  de  la  province,  d'une 
manière  si   inconvenante    qu'il    n'osa   plus   prendre    la 


1)  Bericht  an  dit  Gemeindt  von  Strassburg  uber  du  Lagt  dtr- 
National-  Vtrsammlung^  ini  Monat  Octohtr  diests  '  JaKres  1 7<f  ç>.  — 
Taine,  La  Kivoluiion^   I,  liv.   1   passim. 


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384  REVUE   d'aLSACE 

gées  d*y  veiller  et  recevaient  le  droit  de  requérir  les 
milices,  la  maréchaussée  et  les  troupes;  les  personnes 
arrêtées  devaient  être  jugées  de  suite,  mais  il  était 
sursis  à  l'exécution  des  condamnations;  les  pièces  de 
procédure  contre  les  principaux  coupables  devaient 
être  envoyées  à  réassemblée,  afin  qu'elle  put  remonter 
à  la  source  et  frapper  les  chefs  de  ces  complots  d'une 
manière  exemplaire");  tout  attroupement  séditieux,  sous 
prétexte  de  chasse,  devait  être  dispersé  par  la  force; 
dans  toutes  les  communautés  il  était  dressé  un  rôle 
des  gens  sans  aveu  et  sans  domicile  constant,  lesquels 
seront  désarmés  et  surveillés  par  les  milices  nationales 
et  les  maréchaussées.  Enfin,  comme  mesure  suprême, 
TAssemblée  ordonnait  aux  milices  et  aux  troupes  de 
prêter  un  nouveau  serment  solennel  de  fidélité  de  la 
manière  suivante  :  Les  milices  nationales  jureront  entre 
les  mains  de  leurs  commandants  c  de  bien  et  fidèlement 
servir  pour  le  maintien  de  la  paix,  pour  la  défense  des 
citoyens,  et  contre  les  perturbateurs  de  Tordre  public  >• 
Les  troupes  devront  à  leur  tour  prêter  serment  c  de  la 
manière  la  plus  auguste  >  ;  les  soldats,  en  présence  du 
régiment  sous  les  armes,  de  ne  jamais  abandonner  leurs 
drapeaux,  d'être  fidèles  à  la  Nation,  au  Roi  et  à  la 
Loi,  et  de  se  conformer  aux  prescriptions  de  la  disci- 
pline militaire;  les  officiers  ensuite,  à  la  tête  des  troupes, 
en  présence  des  officiers  municipaux,  d'être  fidèles  à  la 
Nation,  au  Roi,  à  la  Loi,  de  ne  jamais  employer  leurs 
subordonnés  contre  les  citoyens,  si  ce  n'est  sur  réqui- 
sition des  officiers  civils  ou  municipaux,  laquelle  sera 
toujours  lue  aux  troupes  assemblées  2).  Puis  l'Assemblée 


1)  Cest-à-dire  é'oufTer  l'affaire,  si  da  moins  il  était  constant  que 
les  vrais  coapables  étaient  les  députés  eux-mêmes.  (Cfr.  Tai.vb,  Rèvo» 
luiion,  I,  p.  94). 

2)  Le  texte  primitif  p>rtait  c  è-i  mains  des  officiers  municipiux  et 
en  présence  des  troupes  »,  mais  c^eût  été  trop  humilier  Parmée.  — 
Pour  se  faire  une  idée  de  cette  cérémonie,  nous  transcrivons  le  procès- 
verbal  de  la  prestation  du  arment  ch'ique  à  Colmar,  exigé  plus  tard, 
non  seulement  des  solJats  et  de«  milices,  mais  encore  de  tout  citoyea^ 


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386  REVUE  d'alsace 

Parmi  les  nombreuses  victimes  de  Tinsurrection  : 
officiers  seigneuriaux  et  royaux,  officiers  de  justice  et 
d'administration,  employés  des  forêts,  seigneurs,  ecclé- 
siastiques et  religieux,  les  juifs  furent  les  seuls  auxquels 
TAssemblée  nationale  manifesta  un  intérêt  particulier. 
A  la  date  du  28  septembre  1789,  elle  rendit  le  décret 
suivant  :  <  Sur  le  récit  des  violences  exercées  contre 
les  juifs  d'Alsace  et  les  dangers  qu'ils  coururent,  l'As- 
semblée a  chargé  son  président  d'écrire  aux  officiers 
publics  de  l'Alsace  que  les  juifs  sont  sous  la  sauvegarde 
de  la  loi  et  de  réclamer  du  Roi  la  protection  dont  ils 
ont  besoin  >  '). 

€  Les  Juifs  d'Alsace  ont  mérité  la  sauvegarde  de 
l'Assemblée  nationale  contre  les  entreprises  du  peuple. 
Et  on  a  gardé  un  profond  silence  sur  la  dévastation 
des  châteaux  de  la  noblesse  et  des  maisons  du  chapitre 
noble  de  Murbach  à  Guebwiller  dans  le  même  temps». 
(Statuts  de  Colmar), 

(A  suivre),  Ch.  HOFFMANN. 


i)  Les  juifs  demandaient  mu  Gouvernement  remise  totale  de  leurs- 
impositions  pour  les  six  derniers  mois  de  Pann^e.  et  Remploi  du  surplus 
au  soulagement  de  leurs  coreligionnaires  malheureux.  La  Commission 
intermédiaire  consultée  fit  observer  au  Ministre  que  la  persécution  contre 
les  juifs  n'a  pas  été  aussi  générale  qu'ils  veulent  bien  le  prétendre;, 
dans  toute  la  Basse^^lsace  c  ils  ont  été  parfaitement  tranquilles;  mais 
dans  environ  vingt  villages  de  la  Haute-Alsace  ils  ont  été  chassés,  pillés 
et  traités  avec  la  plus  grande  barbarie  :  on  ne  peut  porter  le  nombre 
de  ces  malheureux  à  .plus  de  30cx>  ».  (Il  y  avait  des  juifs  en  Alsace 
dans  182  localités).  La  déchatge  accordée  aux  juifs  serait  supportée 
nécessairement  par  la  province.  Or  ils  n'ont  pas  plus  de  droit  d'ètie 
dédommagés  que  les  seigneurs  et  les  particuliers  dont  les  châteaux  et 
les  maisons  ont  été  pilles  et  saccagés,  et  c  les  facultés  de  la  province 
ne  suffiraient  pas  à  toutes  ces  indemnités,  si  elle  devait  les  accorder  *. 
Si  donc  la  justice  porte  le  gouvernement  à  soulager  des  malheureux  qui 
s^nt  sans  ressources,  «  elle  lui  fera  sentir  aussi  que  les  secours  qui  leur 
seront  accordés  ne  peuvent  tomber  à  la  charge  de  ceux  qui  n'étant  pa» 
cause  de  leur  malheur  en  deviendraient  la  victime  >  (4  novembre  17S9).. 


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388  REVUE  d'alsace 

travailler  trop  vite,  et  il  en  résulte  que  je  laisse  fréquemment 
passer  dans  mes  publications  des  fautes  d'impression.  Elles  ont 
du  reste  une  autre  explication  que  mes  amis  connaissent  et 
dont,  vraiment,  je  serais  plutôt  fier,  si  je  l'osais.  Mais  j'ai  sous 
les  yeux  ^errata  de  ces  deux  volumes  et  je  puis  affirmer 
que  ces  fautes  n'ont  pas  l'importance  que  prétend  M.  Berg- 
stràsser,  et  qu'il  n'en  est  point  qui  arrête  à  la  lecture,  et  qu'on 
ne  corrige  spontanément,  au  moins  quand  on  sait  le  français  »). 
Alors  comment  se  justifient  les  hauts  cris  de  ce  chercheur  de 
petites  bêtes  qu'est  mon  critique?  X'est-il  pas  particulièrement 
malheureux  dans  Texemple  qu'il  donne  de  ces  «  si  nom- 
breuses >  fautes  d'impression?  Qu'on  en  juge.  C'est  page  95 
du  second  volume  que,  dit -il,  sur  10  lignes  il  a  trouvé 
14  erreurs.  Les  voici  :  il  y  a  Hiende«  pour  Haende,  Offis/ren 
au  lieu  de  Offizieren,  \om  pour  von,  nié  einen  pour  keinen 
(ceci  a  en  effet  une  certaine  importance,  mais  les  autres?) 
Gerechtigkeit  sans  /,  personnel  pour  personnel,  et  le  reste  à 
l'avenant.  Il  n'y  a  pas  là,  on  le  voit,  de  quoi  fouetter  un  chat, 
comme  on  dit  vulgairement,  et  c'est  en  imposer  aux  lecteurs 
que  de  prétendre  le  contraire. 

M.  Bergstrâsser  n'est  pas  plus  heureux  au  sujet  des  indica- 
tions de  sources  ;  sur  des  milliers  qu'en  contient  l'ouvrage,  il 
en  cite  une  où  un  5  est  mis  pour  un  3  !  La  belle  affaire,  et 
était-ce  la  peine  de  pousser  des  cris  de  paon  ? 

Si  la  bienveillance,  terminerai-je,  n'étouffe  pas  M.  B.,  que 
dire  des  contradictions  de  sa  critique  ?  11  commence  par 
déclarer  solennellement,  —  on  voit  se  dresser  ce  jeune  savant 
sur  ses  ergots!  —  que  der  Nutzen  de  l'ouvrage  de  Hoff- 
mann est  ein  verhàltnismàsslg  ganz  minimaUr.  Puis,  entrant 
quelque  peu  dans  le  détail,  il  revient  à  un  peu  plus  de  sens 
droit  et  répète  jusqu'à  satiété  que  l'ouvrage  contient  une 
Unmenge  interessanten  zum  grossen  Tcil  unbekanntcn  Stoffes^ 
qu'il  donne  viel  Materiai,  que  tel  chapitre  est  particulièrement 
intéressant^  tel  autre  intéressant  genug  ou  nicht  weniger 
£harakteristisch.  Ici  se  trouvent  d^ intéressante  Angaben^  là  de 
sehr  intéressante  Nachrichten,  Enfin  partout  ce  livre  est  reich 
xin  neuem  Material.  Mais  alors  que  devient  le  jugement 
a  priori  du  début?  Au  risque  d'avoir  pour  les  deux  derniers 


1)  Aussi    me   décidé-je    à    ne   pas    ajouter    cet    errata    à    la    fin  da 
^-quatrième  volume  comme  jVn  avais  d'abord  l'intention. 


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390  RF.vuE  d'alsace 

Cerna  y  et  son  canton,  ou  du  moins  la  plus  grande  partie 
de  son  canton,  étant  situés  à  cette  époque  soit  dans  le  Sund- 
gau,  soit  dans  le  pays  de  la  Tbur,  la  question  nous  intéresse. 
La  guerre  que  se  firent  les  deux  frères  au  sujet  de  ce  territoire 
fut  d'ailleurs  assez  sanglante  pour  que  le  prétexte  invoqué 
retienne  quelque  peu  notre  attention. 

C'est  en  596  que  Cbildebert,  roi  d'Austrasie,  mourant  laissa 
ses  Etats  à  ses  deux  fils  Théodebert  et  Thierry.  Théodebert 
eut  TAustrasie,  dont  le  siège  était  à  Metz  ;  Thierry  la  Bour- 
gogne, dont  le  siège  était  à  Orléans,  et  l'Alsace  détachée  du 
royaume  d'Austrasie  par  clause  spéciale. 

D'abord  unis  contre  leur  oncle  Lothaire,  roi  de  Neustrie, 
les  deux  frères  ne  tardèrent  pas  à  se  quereller.  Brunehaut,  leur 
grand'mère,  débarrassée  de  Frédégonde  qui  venait  de  mourir, 
profita  de  l'ascendant  qu'elle  avait  sur  Thierry  pour  l'exciter 
contre  Théodebert. 

De  son  côté  ce  dernier,  mécontent  de  ce  que  son  frère 
croyait  qu'il  n'était  pas  le  fils  de  Childéric,  mais  d'un  jardinier, 
et  ayant  réclamé  du  reste  à  plusieurs  reprises  les  cantons  de 
l'Alsace  dont  nous  parlons,  fit  la  guerre  à  son  frère  Thierry 
en  610. 

11  fut  vainqueur  et  l'Alsace  lui  échut. 

Jusqu'à  Laguille,  les  historiens,  comme  nous  Pavons  dit, 
pensaient  que  les  cantons  vainement  réclamés  par  Théodebert 
étaient  le  Sundgau,  la  Thurgovie  et  une  partie  de  la  Cham- 
pagne. 

Nous  estimons  avec  le  P.  Laguille  que  la  Champagne  était 
un  peu  éloignée  des  confins  du  territoire  d'Austrasie,  qu'il  est 
donc  inutile  de  chercher  en  dehors  de  l'Alsace  des  cantons 
répondant  aux  dominations  indiquées.  La  Thurgovie  est  un 
peu  moins  éloignée  que  la  Champagne,  mais  nous  pensons 
néanmoins  qu'il  s'agit  plutôt  du  pays  de  la  Thur. 

Le  territoire  du  canton  de  Cernay  a  donc  fait  partie  (pour 
le  Sundgau  il  n'y  a  pas  de  doute)  peut-être  dans  son  ensemble 
du  territoire  réclamé  par  Théodebert  à  son  frère  Thierry. 

C.  Oberrkiner. 


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392  REVUE  D'ALSACE 

Catalogue  des  ColéopÛres  de  la  chaîne  des  Vosges  et  des  régions 
limitrophes^  par  J.  Bourgeois.  5*  fascicule.  Colmar,  impr. 
Decker,  in-8^   i  fr.  25. 

Alsace  champêtre.  Le  parfait  village^  par  Carlos  Fischer* 
Paris,  Sansot,  1907.  ln-32  de  95  pages. 
Charmante  petite  fantaisie  sur  un  village  perdu  dans  la 
montagne  qui  n'a  et,  souhaitons-le  lui,  n'aura  jamais  d'autre 
histoire.  La  Revue  d'Alsace  est  bien  en  communauté  d'idée» 
avec  l'auteur,  mais  proteste  cependant  contre  ce  qu'il  dit  de 
la  langue  française  qu'on  parle  chez  nous.  Est-ce  vrai  pour 
Strasbourg?  C'est  possible^  mais  point  à  Colmar,  ni  à  Mul- 
house, ni  dans  bien  d'autres  de  nos  villes,  où,  généralement 
du  moins,  on  parle  aussi  correctement  qu'à  Belfort  et  à  Nancy» 
et  plus  peut-être  qu'à  Toulouse  et  qu'à  Marseille. 


Revues  et  journaux. 

Annales  de  VEst  et  du  Nord,  Avril.  Deux  documents- 
relatifs  à  Catherine  de  Bourgogne,  comtesse  de  Ferrette  et 
d'Alsace  (1421-1422),  par  L.  Stouff. 

Le  fifessager  d^ Alsace-Lorraine.  18  mai.  L'idée  de  patrie 
en  Alsace.  —  25  mai.  Nécrologie  :  J.  Hergott,  par  M.  Gross.  — ' 
29  juin.  Les  Alsaciens  dans  les  armées  lorraines  au  xiv^  siècle», 
par  J.  Donon. 

Revue  alsacienne  illustrée^  N<*  2.  L.  A.  Himly,  par  Roche- 
blanc.  —  L'Alsace  au  musée  de  Versailles,  par  A.  Girodie. 

Revue  catholique  d'Alsace  Mai.  La  patrie  alsacienne^  par 
Ars.  Legrand.  (Bonne  réponse  à  M.  Fleurent).  ^-^tJfi'document 
inédit  sur  l'histoire  religieuse  d'Alsace  pendant  la  Révolution^ 

Images  du  Musée  alsacien.  3«  livraison  de  1907  :  Uhrwiller 
(eau-forte).  —  Costumes  de  la  vallée  de  Munster.  —  Enseigne» 
de  maisons  à  Riquewihr.  —  Pipe  d'Ingersheinu 

Strassburger  Diàzesanblatt.  Juillet.  Die  ehemaligen  Wall* 
fahrtsorte  im  Elsass,  par  J.  Lévy. 

RlXHBOC  (AlBACB).  —  TtPOOBAPHIB  F.  SUTTBB  &  CiB 


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394  REVUE  d'alsack 

Ce  dernier  autel  sera  placé  dans  la  chapelle  actuelle 
de  la  Vierge,  largement  ouverte  sur  le  transept  droit 
par  trois  grandes  baies  :  restauration  tout  à  fait  heureuse, 
nous  semble-t-il,  et  qui  facilitera  le  rétablissement  de 
la  belle  porte  de  ce  transept,  aujourd'hui  encore 
maçonnée. 

On  remarquera  aussi  sur  le  dessin  de  M.  Knauth 
que  Tautei  actuel  de  la  Vierge,  adossé  à  Tangle  droit 
de  l'entrée  du  chœur,  sera  remplacé  par  un  autel  du 
style  de  l'église,  qui  encadrera,  idée  également  excel- 
lente, le  beau  tableau  de  Schongauer,  la  Vierge  au 
buisson  de  roses,  encore  caché  dans  la  sacristie. 

Peut-être  trouvera-t-on  la  décoration  proposée  par 
M.  Knauth  un  peu  surchargée?  Quoi  qu'il  en  soit,  on 
ne  peut  qu'approuver  l'ensemble  du  projet,  et  surtout 
féliciter  la  ville  de  Colmar  d'avoir  à  la  tête  de  son 
clergé  Thomme  éminent  dont  le  zèle,  aussi  industrieux 
que  généreux,  ne  recule  devant  aucun  obstacle,  et  qui, 
sans  parler  de  ses  autres  œuvres,  après  avoir  mené  à 
bonne  fin  la  fondation  de  la  paroisse  de  Saint-Joseph 
et  la  restauration  de  l'église  des  Dominicains,  donne 
maintenant  tous  ses  soins  à  l'embellissement  de  l'an- 
cienne église  collégiale  de  Saint-Martin. 

A.  M.  P.    I. 


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SOUVENIRS  DE  1817-1824 


JOURNAL 
D'UN   HABITANT  DE  CERNAY  :  M.   DE   LATOIJCHE 

Fin  i) 


1817.  Janvier  7.  La  nommée  Catherine  Jehlé,  sœur 
de  la  Deva  Lisiy  a  été  arrêtée  par  la  gendarmerie  pour 
avoir  volé  Bernhard  Mambré  et  le  nommé  Vogel.  Tous 
les  effets  qu'elle  leur  a  volés,  ont  été  trouvés  chez  la 
voleuse,  et  la  fille  de  cette  dernière  a  pris  la  fuite  avec 
son  enfant  dans  le  moment  que  sa  mère  fut  arrêtée. 
Ce  vol  consiste  en  deux  pots  de  beurre  et  de  graisse. 
Le  soir,  cette  fugitive  fut  prise  en  rentrant  furtivement 
dans  la  maison  de  sa  mère,  et  le  lendemain,  on  la 
mena  au  juge  de  paix  Bâchlin,  qui  la  condamna  à  être 
conduite  par  un  sergent  de  garde  dans  toutes  les  rues 
de  la  ville  de  Cernay,  après  lui  avoir  attaché  sur  les 
épaules  les  deux  pots  qu'elle  avait  volés;  ce  qui  fut 
exécuté  le  8  à  midi  précis,  avec  une  huée  des  plus 
clamantes. 

Janvier  24,  A  huit  heures  du  soir  le  feu  a  pris  dans 
le  séchoir  de  toiles  des  sieurs  Engel  et  Witz  et  a  causé 

1)  Voir  là  livraison  de  mai>juin   1907. 


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396  REVUE  D  ALSACE 

un  grand  incendie,  dans  lequel  le  sieur  Engel  a  eu  ses 
vêtements  brûlés  sur  le  corps,  et  trois  de  ses  ouvriers 
ont  été  à  moitié  consumés  par  les  flammes  :  ils  ont 
été  mis  en  pension  chez  un  nommé  Glady  et  seront 
estropiés  pour  toute  leur  vie,  et  cela  par  la  faute  de 
leur  maître. 

Le  jour  de  la  Saint-Sébastien,  M.  Thaler,  curé  de 
Thann,  a  fait  un  affront  à  M"*  Humberger,  qui  était 
avec  d'autres  demoiselles  dans  un  banc  à  Téglise;  il  y 
faisait  la  procession,  et,  tout  à  coup,  il  s'arrêta  devant 
le  banc  de  cette  demoiselle  et  lui  ordonna  d'en  sortir 
pour  aller  dans  la  procession;  elle  lui  dit  qu'elle  ne 
pouvait  y  assister  à  cause  qu'elle  était  un  peu  incom- 
modée, mais  le  curé  persista  dans  son  commandement, 
et  la  pauvre  demoiselle  fut  obligée  d'obéir.  Après  la 
procession  elle  eut  tant  de  chagrin  de  cette  avanie 
qu'elle  alla  tout  en  pleurant  chez  son  père,  se  mit  au 
lit  et  tomba  sérieusement  malade;  le  père,  ayant  appris 
cette  insolence,  s'en  fut  trouver  le  curé,  auquel  il  fit 
les  plus  vifs  reproches  et  lui  dit  que  s'il  ne  respectait 
pas  son  caractère,  il  lui  donnerait  une  volée  de  coups 
de  bâton  pour  lui  apprendre  à  vivre.  On  dit  qu'il  en 
a  fait  ses  plaintes  au  sous-préfet,  mais  on  ignore  quel 
en  sera  le  résultat. 

Février  <?.  Après  lO  heures  du  soir,  on  a  vu  à 
Cernay  le  ciel  tout  en  feu  depuis  Steinbach  jusqu'à 
Uffholtz;  depuis  Steinbach  jusqu'aux  montagnes  de 
Thann  le  ciel  était  pâle  avec  dès  rayons  blancs,  et, 
depuis  Uffholtz  vers  Colmar,  il  était  couvert  de  nuées 
noires.  Les  habitants  qui  l'ont  vu  ont  prétendu  que  cela 
annonce  un  événement  particulier. 

Le  sieur  Jacques  Ôhl,  papetier,  après  avoir  fait 
recueillir  par  ses  ouvriers  les  pommes  de  terre  qu'il  a 
fait  planter  dans  ses  champs  sans  augmenter  leur  salaire, 
a  eu  la  cruauté  de  refuser  à  leur  en  vendre  dans  la 
disette,  quoique  ces  ouvriers  lui  offraient  de  les  payer 
au  prix  qu'on  les  avait  vendues  au  marché,  en  disant 
à  ces  pauvres  gens  qu'il   n'en  avait   pas   plus  que   sa 


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SOUVENIRS   DE    1817-Ï834  39; 

provision  pour  son  ménage,  et,  le  lendemain,  ledit  Ôhl 
a  envoyé  vingt  sacs  de  ses  pommes  de  terre  pour  les 
vendre  au  marché  de  Thann. 

Le  sieur  Christophe  Heuchel,  hôte  du  Cheval  blanc^ 
a  refusé  de  même  de  vendre  aux  pauvres  gens  de  ses 
pommes  de  terre,  dont  le  prix  courant  au  marché  était 
de  14  francs  le  sac,  parce  que  sa  femme  a  dit  qu'elle 
Vi(i\\  vendrait  que  quand  il  serait  à  20  francs  le  sac; 
et,  pour  éloigner  les  chalands,  elle  leur  dit  qu'elle  n'en 
avait  plus  à  vendre,  et  elle  fit  enterrer  une  centaine 
de  sacs  dans  la  cour  ;  cela  fut  découvert  par  son  domes- 
tique, qui  sauta  par  hasard  sur  le  trou  où  ils  étaient 
enterrés;  le  terrain  s'enfonça  sous  ses  pieds,  parce  que 
ces  pommes  de  terre  s'y  étaient  pourries,  ce  qui  lui 
attira  le  blâme  de  tous  les  honnêtes  gens. 

Un  paysan  des  environs  de  Mulhouse,  homme  riche, 
avait  un  journalier,  qui  le  servait  fidèlement  depuis  vingt 
ans;  ce  dernier  demanda  à  son  maître  de  lui  vendre 
des  pommes  de  terre;  qu'il  devait  lui  retenir  sur  son 
salaire,  et  quand  même  ce  serait  une  année,  et  cela  à 
quel  prix  qu'il  jugerait  à  le  taxer  ;  qu'il  ne  devait  pas 
refuser  cette  demande,  puisqu'il  n'avait  jamais  eu  de 
reproche  à  lui  faire.  Mais  cet  inhumain  lui  refusa  tout 
court  et  lui  dit  qu'il  n'en  avait  pas  à  vendre  et  qu'il 
en  avait  besoin  pour  son  ménage,  malgré  qu'il  en  avait 
pour  le  triple  de  sa  consommation.  Sur  cela  le  pauvre 
journalier  lui  exposa  douloureusement  sa  misère  et  lui 
dit  qu'il  serait  forcé  de  mourir  de  faim,  s'il  lui  refusait 
sa  demande;  à  cela  le  paysan  lui  dit  :  «Je  ne  te  don- 
nerai rien,  et  si  tu  n'a  rien,  va-t-en  voler  où  tu  pourras 
pour  calmer  ta  faim  >.  Ce  pauvre  journalier  ne  se  le  fit 
pas  répéter  et  alla  dans  la  nuit  voler  un  cochon  dans 
les  étables  de  ce  barbare  paysan.  Le  lendemain  ce 
dernier  voyant  qu'il  y  manquait  un  de  ses  cochons, 
conçut  de  suite  le  soupçon  que  son  journalier  l'avait 
volé  et  fut  porter  ses  plaintes  au  maire  de  l'endroit, 
lequel  fit  venir  le  pauvre  homme  et  le  questionna  en 
présence  du  plaignant.  Le  journalier  lui  dit  franchement 


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398  REVUE   D  ALSACE 

qu'îl  avait  volé  ce  cochon,  parce  que  son  maître  lui 
avait  dit  lui-même  d'aller  voler  où  il  trouverait,  et  qu'il 
ne  pouvait  le  nier  s'il  voulait  convenir  de  la  vérité.  Le 
maire  alors  demanda  ce  riche  paysan  si  cela  était  vrai. 
Celui-ci  convint  qu'effectivement  il  avait  tenu  ce  propos, 
mais  qu'il  n'aurait  jamais  cru  qu'il  fut  exécuté  à  son 
détriment.  Alors  le  maire  dressa  procès-verbal  en  leur 
présence  de  la  relation  du  fait,  et  l'envoya  de  suite  au 
juge  de  paix  du  lieu,  lequel,  après  les  avoir  encore 
interrogé  de  même,  envoya  le  tout  au  tribunal  d'Alt- 
kirch,  qui  condamna  le  journalier  à  dix  jours  de  prison 
pour  avoir  volé  le  cochon  et  condamna  aussi  le  riche 
paysan  à  vingt  jours  de  prison,  et  en  outre  de  payer 
pendant  ces  vingt  jours  12  francs  par  jour  au  pauvre 
journalier,  parce  qu'il  lui  avait  donné  lui-même  le  conseil 
de  voler. 

Février  11.  Depuis  le  jour  de  la  Saint-Louis  jusqu'au- 
jourd'hui une  chouette  avec  son  jeune  sortent  du  clocher 
de  la  grande  église  de  Mulhouse  toutes  les  fois  que  la 
cloche  de  l'heure  sonne,  et  vont  se  percher  sur  les 
drapeaux  qui  y  sont  plantés  et  samusent  à  déchirer  le 
taffetas  de  ces  drapeaux. 

Le  sieur  Mertian,  curé  à  Bergheim,  a  été  étranglé 
dans  son  presbytère  ;  ce  prêtre  était  fortuné  et  avait 
de  l'argent  chez  lui,  ce  qui  a  été  cause  de  sa  mort 
qu'on  attribue  à  sa  cuisinière,  qui  a  été  arrêtée  de  suite 
et  conduite  en  prison  aux  Augustins  à  Colmar,  d'où 
elle  sera  traduite  au  tribunal  criminel  pour  y  être  inter- 
rogée. 

Un  paysan  de  Wolfersdorf  fut  volé  pendant  la  nuit; 
on  lui  enleva  de  son  écurie  une  vache  avec  son  veau. 
Ce  vol  constaté,  le  maire  de  l'endroit  lui  permit  de  faire 
faire  une  visite  domiciliaire  par  la  gendarmerie,  et,  en 
suivant  la  piste  on  arriva  au  village  d'Angeot,  où  l'on 
entoura  la  maison  des  voleurs  qui  étaient  au  nombre 
de  quatre,  savoir  le  père  et  ses  trois  fils,  lesquels  avaient 
disparu  à  l'arrivée  de  la  force  armée.  Alors  le  maire 
entra  avec  les  gendarmes  dans  la  maison,  et  ils  visitèrent 


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SOUVENIRS   DE    1816-1824  39g 

toutes  les  chambres,  ainsi  que  les  greniers  à  foin,  où 
ils  trouvèrent  le  père  caché  et  deux  de  ses  fils;  après 
avoir  arrêté  ces  trois  sujets,  ils  enfoncèrent  la  porte 
d'une  chambre  fermée  et  y  trouvèrent  des  traces  de 
sang  répandus  jusqu'à  un  lit,  où  ils  trouvèrent  le  troi- 
sième fils  qui  s'était  coupé  la  gorge  près  du  lit;  alors 
on  dressa  procès-verbal  du  tout,  et  le  père  et  ses  deux 
fils  furent  conduits  par  la  gendarmerie  à  Relfort,  où  ils 
resteront  en  prison  jusqu'à  ce  que  le  tribunal  aura 
prononcé. 

Avril  5.  Un  paysan  de  Reiningen,  nommé  Sébastien 
Guerber,  homme  riche  et  insigne  accapareur  de  comes- 
tibles, vendit  au  marché  de  Thann  dix  sacs  de  pommes 
de  terre  à  19  francs  le  sac.  Les  pauvres  gens  qui  les 
avaient  achetés  y  trouvèrent  des  pierres  enveloppées 
dans  de  guenilles  et  d'autres  vieilleries  qui  servaient  à 
grossir  les  sacs.  Ces  pauvres,  se  voyant  trompés,  arrê- 
tèrent ledit  paysan  et  le  traduisirent  devant  le  maire, 
qui  ordonna  audit  paysan  de  leur  rendre  leur  argent 
et  fit  confisquer  toute  sa  marchandise  au  profit  des 
pauvres,  lesquels,  conjointement  avec  la  populace,  tom- 
bèrent sur  lui  à  coups  de  poing  et  l'auraient  exterminé 
sans  l'arrivée  de  la  garde.  Le  lendemain,  jour  de  Pâques, 
ce  scélérat  fit  ses  dévotions  et  communia  à  l'église  de 
Reiningen  :  tous  les  paroissiens  le  huèrent. 

La  veuve  Krœner  a  été  étranglée  dans  sa  maison 
à  Heimsbrunn,  à  9  heures  et  demie  du  soir,  et  cela 
pendant  l'office  de  la  Résurrection,  par  des  voleurs  qui 
lui  ont  enlevé  12.000  francs  on  argent.  L'on  a  dit  que 
trois  de  ces  scélérats  ont  été  arrêtés  par  des  hussards 
qui  y  sont  cantonnés. 

Avril  7.  Une  fille  de  Burnhaupt  a  tué  son  enfant 
et  enterré  dans  une  étable  de  cochons;  elle  se  nomme 
Madelon  Schafner.  Elle  a  été  arrêtée  par  la  gendarmerie 
de  Cernay  et  conduite  à  Belfort. 

Avril  iS.  Le  nommé  Dominique  Eltzer,  secrétaire 
des  logements  militaires,    qui   vexait   les   habitants   qui 


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400  REVUE   D  ALSACE 

ne  lui  payaient  pas  à  boire,  a  été  destitué  de  sa  place 
et  remplacé  par  le  nommé  Humel,  gendarme  retiré  à 
Cernay.  Ce  susdit  Eltzer  vomit  toutes  les  horreurs, 
insulta  le  conseil  général  de  la  commune  et  menaça 
les  membres  de  les  dénoncer  au  ministre,  en  les  apos- 
trophant de  coquins.  L'audace  du  drôle  alla  plus  loin, 
car  il  se  transporta  chez  M.  le  maire  Ziircher  et  l'in- 
sulta par  des  épithètes  inconvenantes  qui  forcèrent  le 
maire  à  le  faire  jeter  hors  de  la  porte.  Il  est  inconce- 
vable que  ce  M.  Ziircher  n'a  pas  dressé  procès-verbal 
en  le  faisant  arrêter  et  le  faire  conduire  au  tribunal 
correctionnel,  afin  de  statuer  exemple  pour  faire  res- 
pecter l'autorité  constituée;  mais  le  maire  a  démontré 
sa  grande  faiblesse,  car  ledit  Eltzer  lui  avait  dit  \  Ziircher^ 
du  Ziirchcriey  ich  scheis  dich  voll^  und  du  must  ?ioch 
cher  gehcn  betlen  als  ichy  et  malgré  cette  impertinence, 
qui  méritait  de  le  faire  arrêter,  M.  Ziircher  a  encore 
eu  la  bonté  de  donner  un  certificat  de  bonne  conduite 
audit  Eltzer,  afin  qu'il  puisse  être  reçu  instituteur  au 
Thillot,  village  dans  la  Lorraine. 

Avril  23,  Le  jour  de  la  Saint-George,  à  2  heures 
après  midi,  le  feu  prit  à  une  grange  couverte  de  paille 
à  Aspach-le-Bas  et  produisit  par  le  vent  un  incendie 
terrible,  car  huit  granges  et  trois  maisons  ont  été  la 
proie  des  flammes. 

Mai  4,  Le  nommé  Gutchera,  soldat  du  régiment 
d'infanterie  de  Bartenstein,  dont  M.  le  baron  de  Moser 
est  major,  est  venu  voir  M.  de  Latouche  en  lui  faisant 
des  compliments  de  M.  Stentels,  lieutenant  de  l'artillerie 
autrichienne;  ledit  Gutchera  y  était  avec  lui  en  18 [5, 
mais  il  a  déserté  de  l'artillerie,  où  il  avait  9  sols  par 
jour  de  salaire,  et  par  punition  ou  Ta  mis  dans  l'infan- 
terie, où  il  n'a  que  3  sols;  mais  il  se  tire  d'affaire, 
parce  qu'il  est  horloger.  Il  est  Bohémien,  natif  de 
Prague. 

Mai  //.  Le  sieur  Moser,  premier  lieutenant  du  régi- 
ment de  Bartenstein,  est  venu  à  9  heures  du  soir  après 


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SOUVENIRS    DE    1817-1824  4OI 

la  retraite  à  la  caserne  et  a  donné  trois  coups  de  sabre 
sur  la  tête  du  sergent-major  et  cela  si  violemment  que 
ce  sergent-major,  décoré  de  la  médaille  d'honneur,  en 
a  été  grièvement  blessé  et  qu'il  a  été  transporté  le 
lendemain  au  matin  sur  une  charette  à  l'hôpital  d'ŒIen- 
berg  pour  se  faire  guérir  de  ses  blessures;  sa  femme 
l'a  suivi  trois  heures  après.  Ce  lieutenant,  dans  sa 
fureur,  a  fait  battre  la  générale,  et  tous  les  soldats  se 
sont  mis  sous  les  armes  devant  la  caserne. 

Mai  16,  Le  sergent-major  a  été  mandé  de  compa- 
raître devant  son  colonel  à  Mulhouse,  lequel,  après  avoir 
écouté  ses  plaintes,  a  ordonné  au  lieutenant  Moser  de 
quitter  Ccrnay  pour  se  rendre  aux  arrêts  à  Mulhouse, 
ainsi  que  le  sous-lieutenant  Portzer,  ce  dernier  pour 
avoir  aussi  maltraité  ledit  sergent-major  en  lui  donnant 
des  soufflets  sur  ses  blessures.  Ces  deux  officriers  sont 
partis  sur-le-champ  pour  leur  destination. 

Ledit  Moser  a  été  ensuite  obligé  de  se  rendre  à 
Guebwillcr  par  ordre  du  général  Latour,  en  attendant 
que  le  procès  de  cette  affaire  soit  jugé  définitivement 
par  le  conseil  de  guerre  qui  demande  encore  des  infor- 
mations ultérieures  avant  le  jugement  définitif  En  atten- 
dant le  lieutenant  Lipert  de  Mulhouse  a  reçu  Tordre 
de  se  rendre  à  Cernay  pour  remplacer  ledit  Moser. 
Ledit  Lipert  est  natif  de  Prague  en  Bohême.  C'est  un 
bel  homme  d'une  taille  de  près  de  six  pieds,  de  belle 
figure,  malgré  qu'il  a  reçu  une  balafre  au  côté  gauche 
de  la  joue  en  combat  singulier  avec  M.  Kochlin,  fabri- 
cant de  Mulhouse,  à  cause  d'une  dispute  qui  y  a 
eu  lieu. 

Le  sieur  Clavé  de  Didenheim,  juge  de  paix  du 
canton  de  Mulhouse,  eut  l'insolence  d'insulter  le  sieur 
Hoffmann,  curé  à  Reiningen,  lequel  était  allé  voir  une 
vieille  femme  qu'il  avait  administrée  six  jours  aupara- 
vant à  cause  des  infirmités  de  sa  vieillesse,  ayant 
80  ans.  Le  susdit  Clavé,  ayant  été  chez  cette  vieille 
femme  pour  raison  de  procès  dans  sa  famille,  dit  à 
cette  femme  qu'elle  n'avait   pas   besoin   d'un  pfaff  ou 


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02  RKVUE   D  AI^SACE 

>restolet  et  dit  au  curé,  en  le  poussant  dans  le  côté, 
[ue  la  présence  d*un  prestolet  lui  était  de  trop.  Ce 
►rétre  lui  répondit  poliment  que  sa  présence  était 
lécessaire  à  cette  femme  malade  qu'il  venait  d'admi- 
listrer.  Ledit  Clavé  ne  se  contenta  pas  de  cette  réponse 
t  repoussa  encore  une  fois  avec  le  poing  ce  prêtre 
n  présence  du  maire  et  de  l'adjoint  dudit  lieu.  Le 
•rêtre  lui  dit  :  «  Monsieur  le  juge  de  paix,  je  connais 
ion  devoir  et  je  vous  avertis  actuellement  de  ne  pas 
le  pousser  une  troisième  fois».  Alors  ledit  Clavé  revint 

la  charge  et  le  poussa  à  le  faire  reculer,  mais  pour 
)rs  le  curé  saisit  le  juge  de  paix  par  les  cheveux 
'une  main,  et  de  l'autre  il  prit  une  trique  avec  laquelle 

le  rossa  maîtrement.  Celui-ci  se  mit  à  crier  de  toute 
orge,  et  le  curé  dit  alors  auxdits  maire  et  adjoint  : 
Messieurs,  vous  avez  été  témoins  comment  le  tout 
est  passé;  dressez-en  procès-verbal,  et  ensuite  j'y 
îpondrai  en  justice  ».  Mais  ledit  Clavé  s'est  contenté 
e  garder  ses  coups  de  bâton  et  n'a  exigé  aucune 
itisfaction  dudit  curé. 

Juillet  j.  Le  pauvre  Gutchera,  dont  il  a  été  parlé 
î-dessus,  est  mort  à  Thôpital  d'CElenberg  par  suite 
'avoir  passé  par  les  verges  pour  punition  de  désertion, 
yant  reçu  6000  coups  sur  son  corps. 

Juillet  27.  Un  incendie  a  éclaté  dans  la  nuit  à 
Lmmertswiller  ;  le  feu  a  été  mis  aux  quatre  coins  de 
L  caserne  des  hussards  autrichiens. 

Août  5.  Le  berger  de  Thann  a  été  trouvé  mort  sur 
L  plaine  de  TOchsenfeld. 

Septembre  3,  Un  assassinat  horrible  s'est  commis  à 
hann  par  un  chasseur  du  corps  franc  de  Wolff,  sur 
\  nommé  Frick,  gendre  du  sieur  Seitz,  brasseur.  Ce 
îldat  furieux,  qui  est  Bavarois  de  nation,  lançait  des 
ierres  aux  passants,  et  ledit  Frick  lui  ayant  dit  que 
ela  ne  convenait  pas,  il  tombn  sur  lui  à  coups  de 
ibrc.  Frick  fut  se  plaindre  à  l'officier  de  cette  troupe, 
t,  pendant  qu'il  lui  montrait  ses  blessures,  le  chasseur 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  403 

se  glissa  derrière  lui  et  lui  enfonça  par  derrière  le  dos 
son  sabre  à  travers  le  corps  et  aurait  pu  tuer  l'officier 
s'il  avait  été  d'un  pouce  plus  avancé;  le  sabre  resta 
dans  le  corps  dudit  Frick  qui  fit  encore  quelques  pas 
dans  cet  état  en  tenant  de  ses  mains  la  lame  du  sabre; 
un  garçon  meunier  lui  retira  ce  sabre  du  corps  et  à 
Tinstant  ledit  Frick  tomba  raide  mort,  car  le  sabre  lui 
avait  percé  le  cœur.  Cet  assassin  a  été  arrêté  à  l'instant, 
et,  le  lendemain,  l'auditeur  étant  venu  pour  juger  ce 
criminel,  il  a  dit  que,  pour  le  mieux  punir,  on  le  laissera 
mourir  en  prison.  Cette  troupe  doit  quitter  Thann  le 
10  dudit  mois  pour  aller  passer  la  revue  par  le  duc  de 
Wellington  à  Sainte-Croix. 

Septembre  //.  Le  sieur  Mathis  Wilhelm,  maire  d'Isen- 
heim,  a  été  battu  par  un  caporal  du  régiment  de  Bender. 
Ce  caporal,  un  Polonais,  était  ivre  et  insulta  ce  maire 
en  lui  disant  qu'il  était  un  Scheisskerl;  puis  il  lui  donna 
non  seulement  des  soufflets,  mais  tomba  sur  lui  à  coups 
de  canne.  Le  maire  porta  de  suite  ses  plaintes  à  M,  Bilars, 
chef  de  bataillon  dudit  régiment,  lequel  se  transporta 
de  suite  à  Isenheim  et  fit  arrêter  ce  caporal;  dans  cet 
intervalle,  le  maire  dressa  procès-verbal  du  fait  et  l'en- 
voya au  général  Frimont,  lequel  ordonna  que  ce  caporal 
fut  passé  par  les  verges  jusqu'à  ce  que  la  mort  s'en 
suive. 

Septembre  i8.  Le  tribunal  de  Belfort  envoya  une 
commission  avec  deux  médecins  juristes  à  Thann  pour 
vérifier  l'assassinat  commis  le  3  septembre  sur  la  per- 
sonne dudit  Frick;  l'on  déterra  son  cadavre  en  présence 
de  la  commission  et  l'un  des  deux  médecins,  en  le 
visitant,  tomba  en  faiblesse  par  l'odeur  de  la  putréfac- 
tion ;  l'autre  dressa  un  procès-verbal,  qui  se  trouva  tout 
contraire  à  celui  que  le  major  des  chasseurs  tivait  dressé; 
on  a  dit  que  le  criminel  devait  être  pendu  dans  l'en- 
droit du  délit,  mais  qu'on  ne  savait  trouver  un  bourreau 
qui  sache  pendre,  parce  qu'il  y  a  environ  trente  ans 
qu'on  n'a  plus  pendu  en  France, 


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404  RRVUE   D' ALSACE 

Membre  22,  Le  feu  du  ciel  est  tombé  à  Oberherg- 
Drès  du  château,  sur  la  grange  d'un  paysan,  où  il 
imé  plus  de  6000  gerbes  de  blcs,  que  Ton  pré» 
roir  été  accaparées. 

^embre  30.  A  onze  heures  du  matin  une  juive 
iltz,  nommée  Caroline  Wurmser,  a  été  assassinée 
fils  du  boucher  Kast.  Ce  dernier  s'étant  caché 
)   la    maison   de    Christophe    Heuchel,    hôte   du 

blanc,  tomba  sur  cette  juive  avec  un  gros  bâton 
lonna  un  coup  sur  la  tête  près  de  la  tempe  qui 
er  un  torrent  de  sang;  elle  fut  s'en  plaindre  au 
e  paix  de  Cernay  qui  doit  avoir  fait  dresser 
verbal  à  cet  effet;  mais  avant  cela  il  a  conseillé 

juive  de  se  faire  panser  par  le  chirurgien  nommé 
é  et  de  lui  dire  qu'il  dresse  procès-verbal  de  la 
3,  ce  que  le  chirurgien  lui  refusa  en  lui  disant 
t  objet  n'en  valait  pas  la  peine;  l'indifférence  de 

urgien  n'était  pas  sans  raison,  parce  qu'on  a 
que  les  parents  de  l'assassin  lui  avait  déjà  graissé 

^bre  26,  Le  chasseur  assassin  du  3  septembre  a 
illé   à   Thann  dans   le   quartier  des  casernes,   et 

grand  matin  dans  la  crainte  de  causer  un  mouve- 

armi  les  habitants.  La  veille  de  son  exécution 
t  que  boire  et  jouer  et  demanda  de   le   laisser 

faire  un  tour  en  ville  pour  tuer  plusieurs  bour- 
et,    lorsqu'il   fut   mené  sur  la  place  pour  y  être 

il  s'opposa  à  avoir  les  yeux  bandés  et  refusa 
nettre  à  genoux  ;  il  dit  qu'il  voulait  commander 
le  ceux  qui  devaient  le  fusiller. 
^brc  j/.  La  juive  d'Uffholtz,  qui  avait  été  battue 
1  sang  sur  la  chaussée,  le  30  septembre  dernier, 
>mbé  au  tribunal  de  correction  à  Belfort,  parce 
;  témoins  n'ont  pu  déposer  en  sa  faveur;  elle  a 
routée  de  sa  demande  et  condamnée  à  payer  tous 
>  de  la  procédure. 

cnibrc  22,  M""'  Moser,  épouse  de  M.  Moser,  major 
ment  Bender,  est  morte  à  3  heures  du  matin  à 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  ^    465 

Cernay  ;  elle  a  été  enterrée  pompeusement  le  23  après 
les  vêpres,  et  le  24  on  a  célébré  le  service  funèbre 
par  une  messe  de  requiem^  et  après  la  messe  ledit  major 
avec  tous  ses  officiers  sont  allés  sur  le  cimetière  prier 
sur  la  tombe. 

Novembre  2j.  Le  régiment  suisse,  qui  était  en  garni- 
son à  Besançon,  a  passé  par  Cernay  pour  aller  à  Stras- 
bourg en  garnison.  Le  chef  de  bataillon,  nommé  M.  de 
Lentulus,  logea  chez  M.  de  Latouche  avec  2  domestiques 
et  6  chiens.  M.  de  Lentulus  est  de  Berne  en  Suisse; 
son  père  y  était  sénateur  et  ses  ancêtres  avaient  fait 
partie  du  sénat  de  Rome  du  temps  de  César. 

Décembre  2.  Le  nommé  Jean  Baptiste  Serodino  fils 
et  sa  sœur  ayant  donné  2  francs  d'arrhes  à  la  nommée 
Marie-Anne  IseUn,  cette  dernière  s'étant  repenti  d'entrer 
à  leur  service,  leur  envoya  les  deux  francs  qu'elle  avait 
reçus  huit  jours  après  la  Saint- Martin,  tel  qu'il  est 
d'usage;  mais  ledit  Serodino  refusa  de  reprendre  les 
2  francs  et  exigea  qu'elle  lui  en  donna  encore  2  francs 
en  outre  de  sa  poche.  Cette  pauvre  fille  craignit  qu'il 
lui  fit  un  procès  et  envoya  audit  Serodino  les  autres 
2  francs  par  son  frère  en  lui  disant  qu'un  juif  quel- 
conque ne  serait  pas  capable  de  pareille  bassesse. 

Décembre  6,  Le  curé  d'UfFholtz  Filler  a  insulté  à 
l'hôtel  de  ville  M.  Rayber,  curé  cantonal  de  Cernay, 
en  présence  du  juge  de  paix  de  Cernay,  du  maître  de 
poste,  de  M.  Breimann  le  percepteur,  et  encore  devant 
plusieurs  paysans  d'Aspach-le-Bas,  en  lui  disant  en  outre 
qu'il  n'était  pas  fait  pour  être  curé  cantonal.  Ce  dernier 
en  a  écrit  aujourd'hui  à  ses  supérieurs,  et  l'on  attend 
la  réponse  dans  cette  semaine. 

Décembre  ij.  Le  serrurier  Christen  eut  une  dispute 
avec  George  Beck,  son  voisin,  à  cause  d'une  latrine 
que  ce  premier  avait  fait  construire  au  bord  de  la 
grand'rue  ;  de  paroles  injurieuses  ils  en  vinrent  aux 
coups,  et  ledit  Christen  frappa  avec  une  pierre  tran- 
chante ledit  Beck  à  la  tête  et  le  blessa  dangereusement, 


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4o6  REVUE  d'alsace 

au  point  qu'on  craint  pour  la  vie  de  ce  dernier.  Là 
chose  a  été  portée  devaat  le  juge  de  paix  qui  a  requis 
le  commandant  de  la  gendarmerie  d'en  dresser  procès- 
verbal.  Huit  jours  avant,  le  garçon  serrurier  de  Christen 
avait  mordu  le  nommé  Thiébaut  Schnebelé,  auquel  il 
a  emporté  avec  les  dents  la  moitié  de  la  lèvre  infé- 
rieure, de  sorte  que  ledit  Schnebelé  reste  défiguré  pour 
le  reste  de  sa  vie. 

1818 Le   baron  de  Hilbert,   lieutenant  du 

régiment  de  Bartenstein,  en  quartier  à  Cernay,  s'est 
battu  au  sabre  avec  un  autre  lieutenant  du  même  régi- 
ment, qui  était  venu  de  Mulhouse;  ce  dernier  ayant 
pris  dispute  avec  le  premier  la  veille  chez  le  nommé 
Brunner,  aubergiste  du  Lion  d*or\  en  conséquence  ils 
se  sont  donné  rendez-vous  sur  la  hauteur  des  vignes 
près  de  Steinbach,  où  ledit  baron  Hilbert  a  coupé  le 
nez  au  second,  et  cela  à  8  heures  du  matin;  l'après- 
midi  la  voiture  du  major  Moser  a  transporté  le  blessé 
à  son  quartier  à  Mulhouse. 

Avril  25,  -La  procession  de  Steinbach  pour  le  jour 
de  saint  Marc,  est  venue  à  Cernay.  En  entrant  dans 
l'église,  des  pierres  jetées  du  clocher  par  des  polissons 
de  Cernay  atteignirent  les  habitants  de  Steinbach  ;  lors- 
que le  curé  eut  fini  sa  messe,  il  s'en  retourna  avec  ses 
paroissiens,  lesquels,  en  sortant  par  la  grande  porte  de 
l'église,  furent  aspergés  de  pissat  du  haut  du  clocher 
par  les  mêmes  polissons,  ce  qui  irrita  tellement  les 
habitants  de  Steinbach  qu'Us  menacèrent  les  habitants 
de  Cernay  de  prendre  leur  revanche  en  temps  et  lieu. 

Mai  12,  M.  Falck,  maréchal  de  gendarmerie  de  la 
brigade  de  Cernay,  a  arrêté  à  6  heures  et  demie  du 
matin  un  individu  nommé  Epiphane  Delaguette  qui, 
suivant  son  extrait  baptistaire,  était  de  Fontainebleau  ; 
après  avoir  été  visité  en  présence  de  M.  Baudry  adjoint, 
il  s'est  trouvé  des  pièces  qui  constatent  qu'il  est  faiseur 
de  fausses  lettres  de  change,  dont  il  avait  plusieurs 
centaines,   et  cela  sur  les  plus  fortes  maisons  de  com- 


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Souvenirs  de  1817-1824  407 

mérce  de  Lyon,  Besançon,  Belfort,  Mirecourt,  Strasbourg, 
Mulhouse,  etc.  Toutes  ces  lettres  de  change  ont  été 
présentées  à  M.  le  maire,  lequel  les  a  déclaré  fausses 
et  a  averti  de  suite  toutes  les  maisons  de  commerce 
avec  lesquelles  il  correspond.  Le  susdit  Delaguette  avait 
un  camarade  qui  était  allé  à  Mulhouse  pour  y  trafiquer 
pour  20.000  francs  de  lettres  de  change,  mais  après 
l'arrestation  dudit  Delaguette  on  envoya  un  gendarme 
avec  le  fils  du  sieur  Brunner,  chez  qui  cet  individu  avait 
logé,  afin  qu'il  puisse  le  désigner  au  gendarme.  L'ayant 
donc  reconnu,  il  fut  de  suite  arrêté  et  visité;  mais  en 
voulant  le  transporter  à  Cernay,  cet  individu,  qu'on 
croit  être  le  chef  d'une  bande  de  fripons,  s'est  évadé 
en  chemin  ;  après  cet  accident  le  gendarme  a  été  obligé 
d'aller  à  Colmar  pour  y  rendre  compte  au  capitaine  de 
gendarmerie  de  son  malheur. 

Septembre  26,  Le  feu  du  ciel  est  tombé  à  8  heures 
du  matin  à  Schweighausen  sur  une  grange  couverte  de 
paille,  appartenant  au  nommé  Griinisen,  et  lui  a  con- 
sumé 4000  gerbes  de  blé  et  son  fourage;  le  domes- 
tique se  trouvait  dans  l'écurie  et  a  encore  pu  sauver 
le  bétail. 

Octobre  //.  Le  feu  a  pris  dans  la  maison  du  nommé 
Serodino,  marchand  italien,  et  cela  à  1 1  heures  du 
matin  ;  son  père  vieillard  impotent  a  été  enlevé  sur  les 
épaules  par  le  nommé  Christen  vitrier,  qui  l'a  transporté 
à  l'auberge  des  Deux  clefs.  Ensuite  on  est  entré  par 
des  échelles  dans  la  maison  pour  éteindre  le  feu  qui 
avait  été  occasionné  par  l'inadvertance  du  frère  du 
marchand,  qui  avait  été  avec  une  chandelle  allumée 
dans  le  magasin  d'huile  et  de  vitriol  ;  ce  dernier,  ayant 
été  allumé  par  la  chandelle,  s'était  communiqué  à  l'huile 
qui  a  causé  une  fumée  noire  et  chaude,  qui  a  fondu 
toutes  les  chandelles  qui  se  trouvaient  dans  la  boutique. 
Heureusement  que  cet  incendie  a  été  vite  éteint;  le 
maire  et  l'adjoint  se  sont  transportés  après  dans  la 
maison  pour  estimer  le  dégât,  qu'ils  ont  évalué  à  environ 
2000  francs.  Il  faut  observer  que  ledit  Serodino   méri- 


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4o8  REVtJE   D*ALSACË 

terait  encore  d'être  puni  par  une  forte  amende,  puisqu'il 
est  lui-même  cause  de  l'incendie. 

Le  sieur  Joseph  Bâchlin,  forestier  de  la  vallée  de 
Saint-Amarin,  s'était  absenté  pour  faire  sa  tournée; 
pendant  cet  intervalle  sa  femme  s'amusa  à  recevoir  un 
galant  chez  elle,  avec  lequel  elle  partagea  son  lit.  Le 
lendemain  matin,  son  mari  l'ayant  surpris  en  flagrant 
délit,  la  voulut  corriger,  mais  le  couple  amoureux  fit 
cause  commune,  tomba  sur  le  mari  et  le  frappa  avec 
tant  de  violence  qu'il  eut  la  tête  enflée  comme  un 
boisseau  et  fut  obligé  de  se  sauver  à  Cernay,  pour  y 
porter  ses  plaintes  à  son  père.  Le  surlendemain  ce 
dernier  vit  arriver  le  délinquant  chez  lui  pour  s'excuser; 
mais  le  père  lui  dit  qu'il  ne  pouvait  juger  comme  juge 
de  paix  à  cause  de  la  parenté,  et,  de  suite,  appela  son 
fils  Philibert,  qui  fondit  sur  l'excusant  avec  une  trique 
et  le  poursuivit  à  coups  redoublés  jusque  dans  la  rue. 
Par  ce  moyen  il  vengea  son  frère  complètement,  mais 
il  ne  put  cependant  lui  ôter  son  cocuage. 

Octobre  //.  La  compagnie  du  régiment  Bender  est 
partie  de  Cernay  à  3  heures  du  matin  pour  se  rendre 
à  RoufFach,  lieu  du  rassemblement  de  toutes  les  troupes 
alliées,  qui  doivent  passer  une  revue  et  ensuite  quitter 
la  France  pour  s'en  retourner  dans  leur  pays.  Cette 
compagnie  a  été  pendant  son  séjour  ici  un  exemple  de 
bonne  discipHne. 

Octobre  23.  C'était  le  jour  du  recrutement;  le  tirage 
des  conscrits  qui  eut  lieu  à  la  maison  de  ville  à  Cernay, 
était  présidé  par  M.  le  comte  de  Brancas,  sous-préfet, 
et  de  M.  Ziircher,  maire.  Le  nommé  Seckler  de  Watt- 
willer  tomba  au  sort  pour  être  soldat,  ainsi  que  le  valet 
du  sieur  Zimmermann,  maître  de  poste  d'Aspach;  ces 
deux  individus  devinrent  furieux  et  cassèrent  les  vitres 
du  péristyle  de  la  maison  de  ville,  ce  qui  obligea  la 
gendarmerie  de  les  arrêter  et  les  emprisonner;  mais  en 
les  conduisant  à  la  prison,  ils  se  révoltèrent  contre  la 
gendarmerie  et  le  nommé  Seckler  empoigna  au  collet 
M.  Faick,   maréchal   des    logis  ^de   la  gendarmerie,   et 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  409 

voulût  l'étrangler,  tandis  que  ledit  valet  l'avait  empoigné 
par  derrière,  ce  qui  obligea  le  maréchal  des  logis  à  tirer 
son  sabre  pour  se  défendre,  mais  ces  deux  drôles,  au 
lieu  de  se  rendre,  empoignèrent  la  lame  du  sabre  qui 
se  cassa  en  deux;  néanmoins  les  gendarmes  parvinrent 
à  les  maîtriser  et  les  enfermèrent  dans  la  prison,  mais 
ils  n*y  restèrent  que  deux  heures,  parce  que  les  cama- 
rades dudit  Seckler,  qui  est  ouvrier  de  M.  Ziircher  le 
maire,  vinrent  chez  ce  dernier  solliciter  son  élargisse- 
ment, M.  Ziircher  pria  le  sous-préfet  de  vouloir  bien 
y  consentir,  alléguant  que  cela  pouvait  donner  une 
émeute  parmi  les  conscrits.  Le  sous-préfet,  ne  pouvant 
rien  refuser  à  M.  Ziircher,  fit  venir  le  maréchal  des 
logis  et  lui  dit  de  relâcher  ledit  Seckler,  à  condition 
cependant  qu'il  lui  paye  la  lame  de  son  sabre.  A  cela 
M.  Falck  lui  répondit  :  <  M.  le  Préfet,  faites-moi  donner 
un  autre  sabre  et  je  ne  demande  rien  pour  le  reste». 
En  conséquence  le  révolutionnaire  a  été  relâché  par 
ordre  du  sous-préfet  sans  la  moindre  punition. 

Le  nommé  Preisler,  négociant  à  Cernay,  a  été  volé 
avec  effraction  pendant  la  nuit.  Les  voleurs  sont  entrés 
par  un  soupirail  de  la  cave  et  ont  ouvert  la  porte  de 
la  boutique  avec  une  pince  à  tourniquet  et  lui  ont 
enlevé  pour  environ  9000  francs  de  marchandises,  suivant 
la  déclaration  dudit  Preisler.  Il  est  à  présumer  que  ces 
voleurs  étaient  au  moins  au  nombre  d'une  bande  et 
que  depuis  longtemps  ils  avaient  connaissance  de  Tin- 
térieur  de  cette  maison  qui  en  même  temps  est  un 
cabaret. 

1819.  Octobre  j/.  Le  sieur  Philibert  Bâchlin,  fils  du 
juge  de  paix  de  Cernay,  a  insulté  le  sieur  Erasme  Witz, 
commandant  des  pompiers,  en  lui  disant  qu'il  lui  arra- 
cherait ses  épaulettes  de  commandant.  Sur  cela  ledit 
commandant  a  dressé  son  procès-verbal,  et  l'on  en  attend 
jusqu'ici  le  résultat. 

Le  sieur  Hillenmeyer,  maire  de  la  commune  de 
Wattwiller,  en  se  transportant  sur  la  rue  pour  rétablir 

Rvaut  d'AUace,  1907  ïl 


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410  REVUE  d'aLSACE 

Tordre,  a  été  assailli  par  plusieurs  mauvais  sujets,  auteurs 
du  vacarme,  lesquels  Tont  saisi  par  les  cheveux  et  cul- 
buté par  terre  en  le  maltraitant.  Sur  cela  ledit  maire 
envoya  au  commandant  de  la  gendarmerie  à  Cernay, 
lequel  s'est  transporté  de  suite  sur  sa  plainte,  et,  après 
avoir  pris  les  informations  chez  ledit  maire,  ce  dernier 
Ta  prié  de  ne  pas  envoyer  son  procès-verbal  à  Belfort 
en  lui  disant  qu'il  préférerait  que  cette  insulte  soit  punie 
par  deux  jours  de  prison  à  Cernay. 

Novembre  j.  Le  juge  de  paix  a  fait  défendre  aux 
pompiers  de  dresser  procès-verbal  sur  les  délits  qu'ils 
trouveraient  dans  leur  patrouille;  en  conséquence  lesdits 
pompiers  orit  déclaré  de  ne  plus  faire  de  patrouille 
jusqu'à  nouvel  ordre. 

Novembre  4.  M.  Baudry,  adjoint  de  la  commune  de 
Cernay,  doit  avoir  porté  ses  plaintes  à  M.  le  Préfet  de 
Colmar  et  envoya  son  procès-verbal  au  procureur  impé- 
rial à  Belfort,  contre  le  juge  de  paix  de  Cernay. 

Novembre  13.  Un  accident  inattendu  est  arrivé  dans 
les  étables  de  M.  de  Latouche  :  sa  meilleure  vache  y 
a  été  trouvé  morte  et  enflée  horriblement.  On  envoya 
de  suite  chez  le  nommé  Ostertag  qui  vint  chercher  cet 
animal,  et,  après  l'avoir  ouvert  sur  la  voirie,  il  n'y  a 
trouvé  aucun  signe  de  maladie,  non  plus  qu'au  veau 
qu'elle  portait. 

Décembre  /*^  Un  cordonnier  de  Vieux-Thann  a  tué 
un  menuisier  et  blessé  trois  autres  hommes  avec  le 
tranchoir  (en  allemand  Knipeh]  et  s'est  ensuite  promené 
devant  la  maison  du  maire  et  a  crié  qu'il  avait  déjà 
tué  trois  hommes  et  qu'il  tuerait  encore  dix  le  même 
jour.  Sur  cela  le  maire  l'a  fait  arrêter  et  conduire  par 
la  gendarmerie  à  Belfort. 

Décembre  26.  Le  curé  de  Giromagny  ayant  invité 
plusieurs  personnes  de  ses  amis  et  parents  à  venir 
célébrer  le  jour  de  sa  fête,  la  Sainte-Etienne,  M.  Keller, 
avoué  de  Belfort,  vint  le  voir.  11  y  trouva  le  curé  d'un 
village  appelé  Le  Puy,  qui  est  encore  un  jeune  homme 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  4II 

qui  a  beaucoup  de  prétention.  Pendant  que  la  compagnie 
était  assemblée,  ce  jeune  prêtre  s'avisa  de  dire  que  la 
porte  de  Tenfer  engloutirait  tous  ceux  qui  ont  acquis 
des  biens  nationaux,  s'ils  ne  les  rendent  pas  à  leurs 
propriétaires  primitifs  et  s'ils  ne  payent  pas  la  dîme 
aux  ecclésiastiques.  Sur  ce  discours  M.  Keller  lui  tourna 
le  dos  pour  lui  témoigner  son  mépris;  mais  ce  jeune 
prestolet  continua  son  plat  discours  en  se  mettant  devant 
ledit  Keller,  lequel  perdit  patience  en  lui  disant  qu'il 
devait  se  taire  et  ne  pas  chercher  à  mettre  la  désunion 
dans  l'esprit  des  citoyens;  que  cela  convenait  nullement 
au  caractère  d'un  prêtre.  Ce  discours  offensa  tellement 
le  jeune  curé  qu'il  s'emporta  en  paroles  contre  ledit 
Keller  au  point  de  lui  dire  des  grossièretés.  Celui-ci  le 
prit  par  la  gorge  et  le  cogna  contre  la  cheminée  d'une 
force  à  le  faire  crier  au  secours;  mais  après  l'avoir 
relâché  il  invectiva  de  nouveau  ledit  Keller,  tellement 
que  celui-ci  voulant  lui  donner  un  soufflet  de  toutes 
ses  forces,  se  donna  le  poing  contre  le  coin  de  la 
cheminée,  parce  que  le  prestolet  avait  esquivé  le  coup* 
M.  Keller  se  fit  si  mal  à  la  main  qu'il  fut  obligé  de  la 
mettre  en  écharpe  pendant  quinze  jours. 

1820.  Février  6,  Le  nommé  Sifferlen,  cordonnier 
à  Vieux-Thann,  qui,  le  i"  décembre  dernier,  avait  tué 
un  menuisier  de  la  fabrique  dudit  lieu  et  avait  été 
condamné  aux  galères,  s'est  sauvé  de  la  prison  de 
Colmar  avec  six  autres  criminels,  lesquels  ont  percé  la 
muraille  de  ladite  prison,  d'où  ils  sont  sortis,  malgré  la 
sentinelle  qui  était  tout  proche. 

Février  12.  La  nommée  Agathe  Gissy,  femme  de 
Baptiste  Guttenbacher  du  village  d'Odern,  a  été  con- 
damnée à  dix-huit  mois  d'emprisonnement,  à  25  francs 
d'amende  et  aux  frais  de  toute  la  procédure,  pour  avoir 
menacé  d'incendier  deux  maisons,  si  on  la  faisait  sortir 
de  la  sienne  par  voie  de  justice. 

Féifrier  13,  Les  gazettes  ont  annoncé  par  une  feuille 
particulière  que  M.  le  duc  de  Berry  avait  reçu  un  coup 


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2  REVUE   d'aLSACE 

Stylet,  en  sortant  de  l'Opéra,  par  un  nommé  Louvel^ 
rçon  sellier  de  la  sellerie  royale,  lequel  a  déclaré  de 
ïg- froid  que  ce  coup  était  déjà  prémédité  depuis- 
atre  ans. 

Mars  26.  Le  jour  du  dimanche  des  Rameaux,  les 
vriers  qui  gardaient  la  manufacture  de  Morschwiller, 
mandèrent  à  leur  maître  la  permission  d'aller  à  la 
isse,  ce  qui  leur  fut  accordé.  Pendant  qu'ils  étaient 
'église,    des  jeunes  gens  de   17  à   18  ans  profitèrent 

leur  absence,  entrèrent  dans  le  corps  de  garde,  y 
rent  les  fusils  et  jouèrent  avec  ces  armes  qu'ils  igno-^ 
ent  être  chargées.  Un  coup  part  et  tue  un  jeune 
[Time  de   17  ans,  fils  unique  du  frère  de  la  cuisinière 

curé  de  Reiningen  ;    on   fit   de  suite  le  rapport  de 

accident  au  juge  de  paix,  lequel  dit  qu'on  ne  pouvait, 
n  faire  à  celui  qui  Ta  tué,  parce  que  le  fait  était 
olontaire. 

Avril  21.  Les  juifs  ayant  tiré  à  la  conscription  avec 

chrétiens,  allèrent  dîner  à  lauberge  des  juifs  à  Alt- 
ch,  et  les  chrétiens  de  leur  côté  furent  dîner  au  cabaret 
;  chrétiens  qui  se  trouvait  placé  vis-à-vis  de  l'auberge 
>  juifs.  Ces  derniers,  s'ctant  sans  doute  enivrés,  sor- 
jnt  et  allèrent  au  cabaret  des  chrétiens  pour  chercher 
?rclle  avec  ces  derniers  qui  étaient  en  moins  grand 
nbre,  et  tombèrent  sur  eux  à  coups  de  poing  et  de 
on.    Ces  chrétiens  ayant  été  cruellement   battus  par 

juifs,  le  moins  maltraité  se  sauva  du  cabaret  et  alla 
îrcher  du  secours  chez  les  habitants  chrétiens,  les- 
îls  s'assemblèrent  de  suite  au  nombre  d  environ  6oo>. 
nmes,  femmes  et  garçons,   pour  les  secourir.    Alors 

juifs  quittèrent  et  se  réfugièrent  dans  l'auberge  juive,. 

ils  fermèrent  la  porte  et  la  barricadèrent;  mais  les 
étiens  enfoncèrent  la  porte  et  tombèrent  sur  les  juifs 
iC  une  telle  furie  de  coups  que  le  sang  ruisselait  à 
/ers  le  seuil  de  la  porte  de  cette  auberge.  Sur  cela 

le  Préfet  accourut  avec  la  gendarmerie  pour  arrêter 
tumulte,  mais  la  fureur  était  si  grande  qu'il  fut  impos- 
e  aux  gendarmes  de   l'arrêter.    Alors    M.   le   Préfet 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  413 

■dit  aux  gendarmes  de  dresser  procès-verbal  sur  cette 
émeute,  afin  de  punir  les  coupables. 

Avril  24.  La  femme  du  nommé  Henri  Uri,  cabaretier 
<iu  Soleil^  et  son  fils,  ont  tué  ensemble  sa  fille  aînée, 
propre  sœur  du  fils,  parce  que  cette  fille  voulait  se 
marier  avec  son  amant,  qui  était  charpentier  de  pro- 
fession. Cette  fille  fut  tellement  maltraitée  par  sa  mère 
-et  son  frère  qu'elle  mourut  deux  jours  après;  son  amant 
l'ayant  été  voir  dans  son  lit,  elle  ne  put  plus  parler, 
mais  elle  lui  donna  son  mouchoir  qui  était  encore  tout 
ensanglanté  et  lui  fit  un  signe  significatif  du  mauvais 
traitement  qu'elle  avait  subi.  Elle  mourut  le  lendemain 
•et  on  l'enterra  en  disant  qu'elle  était  morte  d'une 
maladie  prompte;  mais  l'amant  et  la  servante  allèrent 
faire  leur  déclaration  à  la  justice,  laquelle  fit  déterrer 
ie  cadavre  de  cette  pauvre  victime  en  présence  des 
médecins,  lesquels,  en  faisant  l'ouverture  du  corps  de 
•cette  fille,  trouvèrent  qu'elle  était  enceinte  d'un  enfant 
de  5  mois,  qu'on  lui  avait  écrasé  les  reins  à  coups  de 
pied  et  fendu  la  tête,  et  qu'elle  avait  été  martyrisé  des 
plus  cruellement.  Sur  le  témoignage  de  ce  charpentier 
^t  de  la  servante,  la  mère  et  le  frère  de  la  victime 
ont  été  arrêtés  et  conduits  en  prison  à  Mulhouse. 

Avril  26,  Le  nommé  Thiébaud  Schnebelé,  serrurier 
de  profession,  et  la  nommée  Appolonie  Hortel,  sa  ser- 
vante, ont  été  convaincus  de  faire  de  la  fausse  monnaie. 
•Ce  serrurier  avait  envoyé  sa  servante  à  Thann  avec 
un  écu  faux  de  six  francs.  La  servante  alla  chez  un 
juif,  nommé  Daniel  Blum,  marchand  d'étoffes,  acheta 
de  la  cotonnade  avec  ledit  écu  de  six  francs;  ce  juif 
l'ayant  reconnu  faux,  fit  chercher  le  sergent  de  garde 
pour  arrêter  la  servante,  laquelle  fut  interrogée  et  déclara 
que  son  maître  lui  avait  donné  une  pièce  de  vingt  francs; 
qu'elle  avait  fait  changer  cette  pièce  chez  un  particulier 
à  Cernay  pour  de  la  monnaie  et  que  sans  doute  cet 
écu  s'y  était  trouvé.  Sur  cette  déclaration  le  maréchal 
des  logis  de  la  gendarmerie  qui  était  alors  à  Thann, 
l'arrêta   pour  la  conduire  à  Cernay  et  lui  demanda  le 


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414  REVUE  d'alsace 

nom  de  celui  qui  lui  avait  échangé  la  pièce  de  vingt 
francs.  Pour  s'en  tirer,  elle  dit  au  maréchal  des  logis 
que  sa  première  déclaration  était  fausse,  qu'elle  avait 
reçu  ledit  écu  d'un  jeune  ecclésiastique,  qui  avait  cherché 
à  la  séduire,  et  qu'elle  y  avait  consenti,  dans  l'intention 
de  pouvoir  en  habiller  ses  enfants,  et  que  c'était  la 
pudeur  qui  l'avait  empêché  de  dire  la  vérité.  Sur  cette 
seconde  déclaration  ledit  maréchal  des  logis  la  mena  à 
Cernay  dans  son  domicile  pour  la  confronter  avec  son 
maître  qui  demeurait  dans  une  baraque  de  planches 
vis-à-vis  de  la  tuilerie;  mais  en  approchant  de  cette 
demeure,  ils  en  trouvèrent  toutes  les  portes  ouvertes: 
le  susdit  Schnebelé  avait  pris  la  fuite.  Alors  le  maréchal 
des  logis  demanda  à  la  servante  si  elle  savait  encore 
le  nom  du  prêtre  qui  l'avait  séduite.  A  cette  dernière 
question  elle  lui  répondit  que  sa  seconde  déclaration  était 
encore  fausse  et  qu'elle  allait  actuellement  lui  avouer 
la  vérité,  puisque  son  maître  s'était  sauvé.  Elle  avoua 
donc  que  son  maître  fabriquait  depuis  quatre  ans  de 
la  fausse  monnaie,  et,  pour  en  constater  la  vérité,  elle 
montra  tous  les  ustensiles  propres  à  cette  fabrication. 
Sur  cela  la  gendarmerie  la  mena  à  Belfort  avec  ses 
trois  enfants. 

Mai  5.  Ledit  Thiébaud  Schnebelé,  serrurier,  qui 
s'était  sauvé,  a  été  arrêté  par  la  gendarmerie  d'Altkirch 
comme  vagabond.  Il  s'était  travesti  en  mendiant  avec 
un  habit  tout  en  lambeaux.  Son  projet  était  de  deman- 
der un  passe-port  pour  passer  le  Rhin.  Il  a  été  conduit 
à  Belfort  dans  la  même  prison  où  se  trouve  ladite 
Appolonie  Hortel,  sa  concubine,  et  ses  enfants. 

Mai  6,  Le  procureur  du  roi,  accompagné  du  tribu- 
nal de  Belfort,  sont  venus  à  Cernay  et  ont  requis  la 
gendarmerie  pour  se  transporter  avec  eux  à  la  baraque 
dudit  Schnebelé  et  y  firent  fouiller  dans  l'espoir  de 
trouver  de  la  fausse  monnaie,  parce  que  ladite  concu- 
bine avait  dit  que  son  maître  en  avait  caché  jusqu'au 
fond  du  puits  ;  en  conséquence  on  fit  une  nouvelle 
recherche,  mais  on  n'y  a  rien  trouvé. 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  415 

Mai  10.  Le  susdit  Thiébaud  Schnebelé  a  été  absous 
et  acquitté  par  le  tribunal  de  Belfort,  et,  le  même  jour 
de  sa  libération,  il  est  revenu  à  Cernay  dans  un  char- 
à-banc  avec  sa  concubine  et  ses  bâtards,  et  a  laissé 
marcher  sa  première  femme  qui  avait  été  solliciter 
elle-même  avec  son  fils  sa  mise  en  liberté  à  Belfort. 

1821.  Avril  6,  On  a  volé  à  M.  de  Latouche  son 
cadran  solaire  dans  son  jardin.  Il  était  fait  de  plomb, 
les  chiffres  étaient  romains  avec  la  date  de  1756.  La 
.valeur  de  cet  objet  pouvait  être  d'environ  30  sols. 

Avril  14,  Il  a  été  volé  dans  cette  nuit  sur  le  cime- 
tière de  Cernay  la  croix  qui  se  trouvait  sur  la  tombe 
de  feu  M°**  Moser,  épouse  de  M.  Moser,  major  du 
régiment  de  Bartepstein.  Ce  major  avait  fait  faire  cette 
croix  en  fer  à  Cernay  et  l'avait  payée  300  francs. 

Mai  4,  Le  nommé  Bernard  Heuchel,  adjoint  de 
Cernay,  a  été  appelé  à  la  maison  commune  par  ordre 
du  maire,  lequel  lui  annonça  sans  autre  formalité  que 
"M.  le  Préfet  avait  nommé  le  sieur  Nachbauer  l'aîné 
adjoint  à  sa  place.  Ledit  Heuchel  lui  ayant  demandé 
la  raison  de  sa  destitution,  le  maire  lui  répondit  qu'il 
devait  continuer  ses  fonctions  d'adjoint,  et  qu'il  se  faisait 
fort  d'arranger  le  reste. 

Juin  /j.  Joseph  Hummel,  gendarme  retraité,  est 
mort  à  Cernay  de  maladie  de  langueur.  Il  était  sergent 
de  ville  et  secrétaire  des  logements  militaires,  et  il  avait 
rempli  cette  place  avec  probité  et  intelligence  à  la 
satisfaction  de  tous  les  habitants  de  la  commune;  il  a 
été  enterré  le  lendemain  avec  les  honneurs  militaires,, 
accompagné  de  tous  les  pensionnaires  qui  ont  assisté 
à  son  convoi  funèbre.  Il  est  généralement  regretté  de 
toutes  les  personnes  honnêtes,  qui  craignent  qu'il  ne 
soi:  plus  remplacé   par  son   mérite  d'honnête   homme. 

Juillet  2.  M.  Bourgeat,  contrôleur  de  l'enregistre- 
ment, s^étant  promené  le  soir  vers  dix  heures  à  Uff  holtz, 
avec  M"*  sa  sœur   et   M"*  Nachbauer  avec  son  frère. 


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4l6  REVUE  D'ALSACE 

accompagnés  des  deax  frères  nommés  Bordes,  graveurs 
en  acier  à  la  fabrique  des  sieurs  Witz,  forent  attaqués 
par  le  fils  du  nommé  Zinniger,  tisserand  de  Steinbach, 
et  cela  sur  le  grand  chemin  près  de  la  tuilerie  d'Uff- 
holtz  ;  ledit  Zinniger  avait  dit  i  deux  de  ses  camarades 
de  débauche  de  mettre  bas  leurs  culottes  au  passage 
de  ces  personnes,  pour  qu'elles  fussent  contraintes  de 
les  voir  ch. . . .  Comme  les  promeneurs  voulurent  se 
détourner  pour  éviter  ce  spectacle,  ledit  Zinniger  s*opposa 
à  leur  passage.  M.  Bourgeat  lui  dit  alors  :  «  Mon  ami, 
laissez-nous  continuer  notre  chemin  >.  Mais  Zinniger, 
au  lieu  de  déférer  à  cette  demande,  se  jeta  comme  un 
furieux  sur  M.  Bourgeat  en  le  prenant  par  le  collet 
d'une  main  et  ayant  un  couteau  dans  Tautre  pour 
réventrer.  M.  Bourgeat  ayant  heureusement  paré  le 
coup,  l'assasîn  tomba  sur  le  sieur  Nachbauer  et  avec 
le  même  couteau  porta  à  ce  dernier  une  entaillade 
jusqu'à  l'omoplate.  Ensuite  ce  scélérat  jeta  son  couteau 
et  s'en  fut  au  cabaret  du  Soleil  boire.  Pendant  cet 
intervalle  arriva  la  gendarmerie  qui  l'arrêta  et  le  con- 
duisît dans  la  prison  à  Cernay,  où  son  père  s*est  trans- 
porté et  a  offert  audit  Nachbauer  fils  une  somme  de 
600  francs  pour  sa  blessure.  Actuellement  on  est  dans 
l'attente  de  voir  la  tournure  que  prendra  ce  délit  et  si 
on  le  laisse  ignorer  au  procureur  du  roi. 

Août  2£.  Ce  même  jour  il  arriva  quatre  malheurs, 
savoir  :  à  Cernay,  Thann,  Vieux-Thann  et  Michelbach. 
A  Cernay  un  ouvrier  de  la  fabrique  d'en  haut  a  été 
bouilli  dans  une  chaudière  et  mourut  le  lendemain.  A 
Mariahilf  une  fille  s'est  cassée  le  col  en  tombant  d'un 
cerisier.  A  Michelbach  une  femme  s'est  pendue,  et  à 
Thann  le  nommé  Gaspard  Natter,  maçon,  est  tombé 
du  haut  du  clocher  de  la  maison  de  ville  en  voulant 
allumer  les  lampions  en  l'honneur  de  la  fête  de  saint 
Louis.  On  l'a  transporté  mort  à  l'hôpital. 

Septembre  iç.  Le  sieur  Kuenemann,  ci-devant  maire 
de  Vieux-Thann,  a  été  volé  dans  la  nuit  sans  avoir 
entendu  le  moindre  bruit.  L'effraction  s'est  faite  par  un 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  417 

•carreau  de  vitre,  que  les  voleurs  ont  enlevé  avec  un 
diamant.  Par  cette  ouverture  ils  sont  entrés  dans  le 
salon,  y  ont  ouvert  Tarmoire  à  linge  de  table  et  ont 
enlevé  tout  ce  qui  s'y  trouvait;  ensuite  ils  sont  allés 
dans  une  autre  chambre,  ont  ouvert  une  commode  où 
se  trouvaient  les  chemises  et  hardes  de  M.  Kuenemann 
•et  ont  tout  enlevé.  M.  Kuenemann  a  fait  la  déclaration 
de  ce  vol,  qu'il  estime  à  plus  de  4000  francs,  à  la  bri- 
.gade  de  gendarmerie  à  Cernay. 

Quatre  jours  après  ce  vol  on  a  soupçonné  la  femme 
-d'un  nommé  Bruckert,  dont  le  mari  a  été  condamné 
aux  galères,  d'être  complice;  en  conséquence  la  gen- 
-darmerie  a  arrêté  cette  femme  et  Ta  conduite  à  Belfort, 
où,  après  avoir  été  interrogée  par  le  procureur  du  roi, 
elle  fut  déclarée  innocente  et  renvoyée  absoute. 

Octobre  22,  Le  sieur  Xavier  Altheimer  fils,  aubergiste 
-et  brasseur,  a  été  volé  à  cinq  heures  du  matin.  Après 
que  ledit  Altheimer  est  parti  pour  Colmar,  les  voleurs 
sont  entrés  dans  sa  chambre  à  coucher,  y  ont  enlevé 
1200  francs  d'argent  et  se  sont  saisi  aussi  de  tous  ses 
Jivres  journaux.  Ces  voleurs  avaient  eu  la  précaution 
-d'enfermer  la  femme  qui  couchait  à  côté  de  cette 
chambre  en  s'y  emparant  de  la  clef  qu'elle  avait  laissée 
-en  dehors,  pendant  qu'elle  était  encore  au  lit.  Ils  l'en- 
fermèrent à  double  tour  pour  l'empêcher  de  pouvoir 
en  sortir,  et  alors  pillèrent  à  leur  aise  sans  obstacle, 
parce  que  tous  les  garçons  brasseurs  étaient  à  un   bal. 

Décembre  S,  Le  nommé  Geîger,  beau-frère  de  Gas- 
pard Weiss,  curé  de  Steinbach,  a  été  trouvé  à  cinq 
heures  du  soir  baigné  dans  son  sang  par  la  gendarmerie 
de  Cernay,  qui  l'a  conduit  dans  la  caserne  des  gen- 
darmes, où  il  a  déclaré  qu'il  avait  été  attaqué  par  quatre 
ferblantiers  italiens  qui  demeuraient  à  Cernay  chez 
Martin  Schnebelé.  Sur  cette  déclaration  on  arrêta  de 
«uite  ces  quatre  ferblantiers  et  les  mit  en  prison;  on 
-dressa  procès-verbal  en  prévenant  le  juge  de  paix.  Mais 
ie  lendemain  ledit  Geiger  consentit  à  un  arrangement: 


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4i8  REVUE  d'alsace 

il  fut  convenu  que  ces  quatre  individus  lui  payeraient 
200  francs  pour  ses  blessures,  plus  80  francs  au  chirur- 
gien et  tous  les  frais. 

1822.  Janvier  /".  Le  commandant  de  Belfort  a  reça. 
un  coup  de  pistolet  d'un  individu  inconnu,  qu'on  a 
supposé  d'être  d'une  conspiration  contre  le  gouverne- 
ment, et  s'est  sauvé  ensuite  avec  un  officier  qu'on  a^ 
dit  d'être  de  la  garnison  et  avec  un  sergent  du  même 
régiment. 

Janvier  2,  La  garde  de  Thann  a  arrêté  deux  indi- 
vidus à  l'auberge  du  Lion  d*or\  ils  avaient  voulu  y 
pernocter.  L'officier  de  police  leur  ayant  demandé  leur 
passe-port,  ils  prirent  la  fuite  et  voulurent  passer  la 
rivière;  mais  la  garde  les  arrêta  et  les  conduisit  chez 
le  maire.  Lesdits  individus,  dont  l'un  se  disait  colonel 
(on  trouva  sur  celui-ci  un  poignard  et  sur  l'autre  deux 
pistolets  de  poche),  lurent  le  lendemain  conduits  à  la 
gendarmerie  de  Cernay,  qui  les  transporta  de  suite  à 
Belfort  pour  être  interrogés  par  le  procureur  général. 
Dans  cet  intervalle  la  gendarmerie  arrêta  un  jeune 
homme  nommé  Girard,  se  disant  être  de  Lyon,  lequel 
fut  conduit  lié  et  enchaîné  à  Cernay,  où  le  lieutenant 
de  la  gendarmerie  se  mit  dans  la  voiture,  escorté  par 
six  gendarmes  et  six  uhlans,  pour  le  transférer  à 
Colmar. 

Janvier  ç,  La  gendarmerie  a  encore  conduit  à  Bel- 
fort  un  individu  arrêté  comme  suspect  d'être  de  la 
bande  des  individus  ci-dessus  énoncés  et  l'a  conduit 
jusqu'à  Cernay;  de  cet  endroit  le  brigadier  de  Cernay 
l'a  accompagné  jusqu'à  la  brigade  de  Rouffach,  qui  a 
continué  de  l'escorter  jusqu'à  Colmar,  où  il  doit  être 
jugé. 

Janvier  //.  La  gendarmerie  a  conduit  le  fils  de 
Tavocat  Petit-Jean  de  Belfort  à  Colmar,  comme  soup- 
çonné de  complot  et  avoir  des  cocardes  tricolores;  il 
a  passé  à  Cernay  dans   un   carrosse  qui  s'est  arrêté    à. 


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SOUVENIRS    DE    1812-1824  419- 

l'auberge  des  Deux  clefs,   où   le    brigadier  Ta    escorté 
avec  deux  chasseurs  de  la  garnison  de  Sélestat. 

Janvier  12,  On  a  dit  que  le  nommé  Ruier,  brigadier 
de  la  gendarmerie  de  Masevaux,  avait  donné  sa  démis- 
sion pour  avoir  la  place  de  secrétaire  de  la  mairie  di^ 
lieu,  et  que  deux  jours  après  est  venu  l'ordre  de  l'arrê- 
ter et  de  le  transporter  par  sûre  escorte  à  Colmar.  Le 
maire  de  Masevaux  a  été  destitué  en  même  temps,, 
ainsi  que  l'adjoint  et  le  notaire  dudit  lieu  ;  ce  dernier 
a  encore  été  suspendu  de  toutes  les  fonctions  de  sa 
charge. 

Janvier  14,  La  gendarmerie  a  encore  arrêté  trois 
habitants  de  Belfort  et  les  a  conduits  à  Colmar;  parmi 
eux  se  trouvait  le  nommé  Netzer,  organiste  de  la  grande 
église  de  Belfort,  avec  ses  deux  compagnons.  Ils  étaient 
tous  les  trois  dans  une  belle  voiture  peinte  en  jaune; 
ils  ont  dîné  à  Cernay  à  l'auberge  des  Deux  clefs^  ont 
chanté  avec  gaieté  et  ensuite  sont  remontés  en  voiture, . 
où  le  brigadier  de  la  gendarmerie  les  a  enchaînés  tous 
les  trois  par  le  col  et  ensuite  est  parti  avec  eux  pour 
les  conduire  à  Colmar. 

Janvier  15,  Il  est  passé  par  Cernay  encore  un 
carrosse  plein  de  personnes  arrêtées  de  Belfort,  parmi- 
lesquelles  se  trouvait  M*"*  Hubery,  fille  dudit  sieur  Netzer,, 
organiste  à  Belfort.  Cette  dame  a  été  arrêtée  pour  avoir 
dit  :  €  Nous  dançerons  sans  violons  >. 

Janvier  16,  La  gendarmerie  a.  encore  conduit  de 
Belfort  à  Colmar  des  étudiants  qui  voyageaient  pour 
retourner  dans  leur  pays. 

Janvier  Jj,  La  gendarmerie  a  encore  amené  trois 
personnes  arrêtés  à  Belfort,  parce  qu'ils  étaient  étrangers^ 
sans  être  munis  de  passeports. 

Les  deux  individus,  qui  ont  été  arrêtés  à  Thann  le 
I"  janvier,  étaient  un  colonel  du  6i«  régiment,  et  l'autre- 
un  petit  jeune  homme.  On  croit  qu'ils  avaient  été  signa- 
lés comme  ayant  été  compris  dans  la  conspiration  dtk 
15  août  dernier;  en  fouillant  ce  premier,  on  trouva  sur 


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420  REVUE  d'aLSACE 

lui  un  beau  poignard,  dont  le  manche  était  en  écaille 
garni  en  perles  et  extrêmement  pointu,  et  son  com- 
pagnon avait  une  paire  de  pistolets  de  poche  qu'il  avait 
<:achés  dans  Tétable  des  porcs,  où  il  s'était  caché  avant 
qu'il  fut  arrêté  par  le  sergent  de  police  de  Thann, 
-auquel  la  ville  doit  avoir  donné  une  gratification  de 
lOO  francs  pour  récompenser  sa  bravoure. 

Janvier  20.  Deux  voitures  remplies  de  prisonniers, 
escortés  par  12  gendarmes  et  20  cavaliers,  sont  venus 
de  Belfort  et  ont  passé  par  le  faubourg  de  Cernay  pour 
aller  à  Colmar.  L'on  a  dit  que  c'étaient  les  chefs  de 
la  conspiration  de  Belfort,   lesquels  avaient  été  arrêtés 

■  en  Suisse,  et  dont  l'un  s'est  brûlé  la  cervelle  avec  un 
pistolet  au  moment  de  son  arrestation. 

Mars  j.    La  gendarmerie  a   escorté    un    trésor  de 

•  cinq  millions,  qui  a  été  saisi  à  Vesoul  dans  la  maison 
du  général  Berton,  qui  s'est  évadé  avec  sa  femme, 
mais   ses   deux   domestiques    ont   été   arrêtés    avec    la 

:iemme   de   chambre   et    conduits   avec    ledit    trésor    à 

-  Colmar. 

Mars  17,  Le  curé  de  Cernay,  nommé  Thomas 
'  d' Aquin  Rayber,  est  mort  à  Tàge  de  66  ans.  Il  a  légué 
par  son  testament  tout  son  bien  à  ses  deux  servantes 
et  n'a  rien  donné  à  sa  sœur  Angélique.  Ses  paroissiens 
ne  l'ont  nullement  regretté,  car  c'était  un  insigne  mar- 
chand de  procès  et  amateur  de  chicanes. 

Mai  II.  La  patache  de  Colmar  a  annoncé  à  Cernay 
que  M.  d'Anthès  de  Soultz  a  été  nommé  député  du 
Haut-Rhin  pour  aller  à  Paris. 

Mai  16.  Un  roulier  conduisant  une  guimbarde  attelée 

-de  huit  chevaux  a   versé  par  négligence  sur  la  route 

croisée  de  Mulhouse  à  Thann.  La  voiture  toute  chargée 

•  de    marchandises    est    tombée    sur    le    voiturier   et   l'a 

-  écrasé. 

Juin  7*^  M.  le  baron  de  Gail  avait  conclu  un  marché 

•  de  50.000  francs  plus   1200  francs  d'épingles  pour  son 

■  épouse,  et  cela  pour  sa  part  de  forêt  à  Sfâffelfelden,  avec 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  42  f 

le  sieur  Witz;  mais  deux  jours  après  ledit  Witz  eut 
regrets  et  ne  lui  offrit  que  48.000  francs.  Ledit  Gail 
refusa  ladite  offre  et  lui  dit  qu'il  allait  s'en  retourner  à 
Martinsbourg.  Le  lendemain,  au  moment  qu'il  monta 
dans  la  diligence,  il  reçut  une  lettre  de  M.  Nachbauer 
l'aîné  qui  lui  mandait  que  M.  Witz  s'était  ravisé  et  qu'il 
lui  offrait  actuellement  1000  francs  de  plus  à  condition, 
que  les  1200  francs  d'épingles  seraient  supprimés;  de 
cette  manière  il  lui  a  offert  encore  200  francs  de  moins 
qu'auparavant;  cela  s'appelle  se  ficher  du  monde  avec 
une  distinction  sublime. 

Juin  2.  M.  Philibert  Bâchlin,  fils  du  juge  de  paix 
à  Cernay,  a  eu  l'honneur  d'être  mis  en  prison  par  la 
gendarmerie  à  cause  qu'il  a  insulté  le  commandant  de 
la  brigade,  nommé  Rémi,  lequel  porta  de  suite  ses 
plaintes  au  sous-préfet.  Ce  dernier,  après  l'avoir  écouté, 
dit  au  brigadier  :  c  Foutez-moi-le  en  prison  sur  ma 
parole  ».  Cet  ordre  ayant  été  exécuté,  le  brigadier  en 
fit  le  rapport  au  juge  de  paix,  qui  lui  dit  :  c  Vous 
m'auriez  encore  fait  plus  de  plaisir,  si  vous  aviez  laissé 
mon  fils  longtemps  en  prison  >. 

Juin  j.  Le  nommé  François  Cremstein,  forestier,, 
m*a  apporté  quatre  petits  loups  dans  un  sac.  Ils  étaient 
âgé  d'environ  8  jours.  Il  les  a  trouvés  dans  le  creux 
d'un  vieux  tronc  de  chêne.  Ledit  forestier  les  a  ensuite 
montrés  à  M.  le  maire  qui  en  a  dressé  procès-verbal 
et  a  fait  couper  les  quatre  pattes  aux  louveteaux  pour 
les  envoyer  à  M.  de  Puymaigre,  préfet  du  département 
du  Haut-Rhin.  Parmi  ces  quatre  petits  loups  il  y  avait 
deux  mâles  et  deux  femelles. 

Juillet  j.  Il  y  a  eu  une  grande  rumeur  à  Colmar: 
le  général  major  Caron  y  est  venu,  a  persuadé  cent 
hommes  de  la  garnison  à  quitter  leur  régiment.  Il  était 
accompagné  d'un  nommé  Roche,  ci-devant  percepteur, 
qui  avait  été  destitué  à  cause  d'inconduite.  Ce  dernier 
débauchait  les  militaires  en  leur  prodiguant  de  l'argeat» 
Ledit  Caron  se  présenta  dans  la  ville  d'Ensisheim  avec 


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-42  2  REVUE   D  ALSACE 

^sa  petite  troupe  et  fit  demander,  au  commandant  des 
militaires  qui  surveillaient  le  dépôt  des  détenus,  le 
passage  libre  par  cette  ville;  mais  ce  commandant  lui 
refusa  sa  demande  et  lui  fit  dire  que  s'il  s*avisait  d'y 
contrevenir,  il J  ferait  faire  une  décharge  complète  sur 
lui  et  ses  brigands.  Alors  ledit  Caron  prit  un  autre 
<:hemin  avec  sa  petite  troupe  et  poussa  sa  marche  jus- 
qu'au village  de  Battenheim,  où  il  demanda  au  maire 
du  lieu  le  logement.  Mais  ce  maire,  lui  ayant  demandé 
*par  quel  ordre,  il  lui  répondit  qu'il  l'avait  perdu  en 
chemin;  qu'en  attendant  il  demandait  trois  mesures  de 
vin  avec  de  la  viande  et  du  pain.  Ce  dernier  article 
lui  fut  délivré,  mais  il  coucha  avec  son  monde  hors 
du  village. 

Pendant  cet  intervalle  il  arriva  de  Brisach  et  de 
Colmar  deux  escadrons  du  même  régiment  qu'il  avait 
<iébauchés,  qui  dirent  à  Caron  qu'ils  venaient  grossir 
sa  troupe.  Alors  Caron  leur  dit  qu'il  attendait  de  l'argent 
que  le  percepteur  de  Habsheim  lui  avait  promis,  et 
que,  voyant  qu'il  n'en  arrivait  point,  il  voulait  y  aller 
lui-même;  alors  un  des  maréchaux  des  logis  lui  dit  qu'il 
ne  fallait  pas  y  aller  seul  et  qu'on  l'accompagnerait; 
sur  ce  mot  un  officier  déguisé  de  la  même  troupe 
arrêta  ledit  Caron,  lequel  fut  de  suite  lié  et  garrotté 
aux  pieds  et  aux  mains,  ainsi  que  le  susdit  Roche,  et 
conduits  tous  deux  sur  une  charrette  ^  Colmar,  escortés 
par  la  gendarmerie,  ainsi  que  par  la  cavalerie  de  la 
garnison  de  Brisach  et  de  Colmar. 

Juillet  8.  Un  nommé  Adolphe  Carel  et  un  autre 
ont  été  arrêtés  par  la  gendarmerie  à  Saint-Amarin  dans 
un  café  où  ils  jouaient  au  billard.  Ces  deux  individus 
•étant  suspects,  puisqu'ils  ont  refusé  d'exhiber  leur  passe- 
port, le  brigadier,  qui  arrêta  le  premier  en  le  prenant 
-par  le  collet,  y  trouva  une  chaînette  au  bout  de  laquelle 
était  attaché  un  poignard,  dont  la  pointe  était  aussi 
effilée  qu'une  aiguille.  Après  les  avoir  liés  et  garrottés, 
ils  déclarèrent  qu'ils  étaient  natifs  de  Remiremont  et 
qu'ils  voyageaient  pour  leur  bon  plaisir;    sur   cela  ils 


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SOUVENIRS    DE    1817-1824  423 

-furent  conduits  à  Cernay,  où  ils  dînèrent  à  Tauberge 
des  Deux  clefs^  tous  deux  enchaînés  au  col,  sous  la 
surveillance  des  gendarmes  de  Saint- A  marin.  Ensuite 
ils  furent  transportés  par  la  brigade  de  Cernay  à  celle 
de  Rouffach,  qui  les  a  conduits  à  Colmar,  où  ils  doivent 
-être  confrontés  avec  les  sieurs  Caron  et  Roche. 

Septembre  ç.  On  a  commencé  à  vendanger  à  Cernay, 
^t  les  vignes  portaient  des  raisins  magnifiques  et  excel- 
lents. L'abondance  était  remarquable,  car  un  particulier, 
nommé  Jean  Jacques  Resch,  tisserand,  a  fait  13  bittigs 
•dans  un  schatz. 

Septembre  22.  M.  Witz  meunier  a  été  volé  dans  la 
nuit;  on  lui  a  brisé  les  barres  de  fer  de  son  bureau 
^u  rez-de-chaussée  avec  un  grand  levier  carré  et  enlevé 
deux  sacs  de  nuit  qui  y  étaient  déposés  par  des  voya- 
:geurs  ;  on  lui  a  volé  son  épée  et  jeté  le  fourreau  par 
•terre.  La  valeur  de  ce  vol  tant  en  meubles  qu'en  argent 
a  été  estimé  à  500  francs. 

Septembre  2ç.  Le  nommé  George  Négele  et  son  père 
Jacques  ont  été  tous  deux  maltraités  par  des  ouvriers 
-de  fabrique  ;  ces  derniers  ont  brisé  la  porte  du  rempart 
de  M.  de  Latouche,  y  ont  pris  des  bûches  de  bois, 
avec  lesquelles  ils  ont  assommé  ledit  George  Négele 
qui  a  été  dangereusement  blessé.  Ces  ouvriers  étaient 
-de  la  fabrique  de  MM.  Sandoz  et  Baudry.  La  suite  de 
cet  événement  s'est  terminée  à  Belfort  par  un  arrange- 
ment qui  a  coûté  aux  délinquants  plus  de  cinq  cents 
irancs. 

Décembre  12.  A  Burnhaupt-le-Bas,  à  cinq  heures  du 
soir,  le  feu  a  pris  dans  une  maison  où  on  avait  séché 
•du  chanvre  près  d'un  fourneau  en  fer;  les  gens  de 
«cette  maison  avaient  jeté  ce  chanvre  allumé  dans  le 
jardin  qui  se  trouvait  derrière,  malheureusement  il  vint 
un  grand  vent  qui  enleva  ce  chanvre  brûlant  en  Tair, 
lequel  tombait  sur  une  grange  couverte  de  paille,  qui 
«étant  enflammée  produisit  un  terrible  incendie,  qui  a 
consumé  dix  maisons  et  six  granges  remplies  de  grains, 
<ie  fourrages  et  de  bestiaux. 


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424  REVUE  D'aLSACE 

1823.    Avril  2.    Un  incendie  est  arrivé  à  Wattwiller 

chez  un  nommé ,    qui   s'est   manifesté  à  dix 

heures  du  matin,  par  des  vagabonds  que  le  propriétaire 
avait  logés  dans  sa  maison  pendant  plusieurs  jours  sans- 
en  prévenir  le  maire.  Ces  drôles  ayant  été  obligés  de 
déloger  par  force,  mirent  secrètement  le  feu  dans  l'écurie 
qui  fut  consumée,  ainsi  que  la  grange.  Sur  cette  action 
on  avertit  de  suite  la  gendarmerie  de  Cernay  qui  pour- 
suivit les  délinquants  et  en  arrêta  un  avec  sa  femme 
au  Pont  d'Aspach,  où  ils  avaient  fait  donner  de  l'avoine 
à  leur  cheval  devant  l'auberge  du  sieur  Stemmelé.  Ces- 
deux  individus  étaient  des  rouliers  se  disant  Suisses;, 
ils  étaient  encore  accompagnés  d'un  autre  de  cette 
bande;  mais  ce  dernier  voyant  arriver  la  gendarmerie^ 
s'est  sauvé  en  franchissant  un  mûr  du  jardin  de  l'au- 
berge, et  la  gendarmerie  n'a  plus  pu  le  rattraper,  mal- 
gré qu'elle  a  requis  les  paysans  pour  l'aider  dans  sa 
recherche. 

Avril  II,  M.  Treffa,  négociant  à  Cernay,  a  été  volé 
dans  cette  nuit  avec  effraction  dans  sa  maison  à  trois- 
heures  du  matin.  Pour  y  entrer  les  voleurs  ont  enlevé 
la  pierre  du  lavoir  de  la  cuisine,  sont  entrés  par  le 
trou  de  la  pierre  dans  la  cuisine  avec  une  petite 
bougie,  ensuite  se  sont  transportés  à  sa  boutique  oà 
ils  ont  ouvert  le  tiroir  qui  contenait  de  l'argent  mon- 
nayé, dont  ils  ont  enlevé  la  majeure  partie,  ainsi  que 
quelques  jeux  de  cartes. 

Cette  effraction  s'est  faite  par  l'aide  d'un  soc  de^ 
charrue  que  le  boulanger  nommé  Bollinger  a  reconnu 
être  le  sien. 

Avril  12,  Des  voleurs  de  nuit  se  sont  introduits 
dans  la  maison  commune  à  Thann;  ils  y  sont  montés 
par  les  latrines  et  ensuite  sont  parvenus  à  ouvrir  la 
porte  du  bureau  de  recette  et  y  ont  enlevé  une  somme 
de  600  francs. 

Le  sieur  Rémi,  brigadier  de  la  gendarmerie  de  Cer- 
nay, a  reçu  un  ordre  du  préfet  du  Haut-Rhin,  émané- 
du  ministre  de  l'Intérieur,  d'aller  chez  tous  les  électeurs 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  425 

votants  pour  saisir  des  lettees  circulaires  qu'on  croyait 
avoir  été  écrites  par  les  députés  nommés  d'Argenson, 
Georges  Lafayette,  Bignon  et  Kœchlin. 

Avril  75.  Dans  la  nuit  du  14  au  15  de  ce  mois 
on  a  volé  deux  cordes  de  bois  c^ans  la  forêt  basse  de 
M.  de  Latouche.  On  présume  que  ce  bois  a  été  trans- 
porté à  Eguisheim  près  de  Colmar  sur  deux  chariots; 
M.  de  Latouche  a  fait  de  suite  la  déclaration  de  ce  vol 
au  brigadier  de  la  gendarmerie. 

Avril  21.  Dans  la  nuit  du  2 1  on  a  coupé  50  pieds 
dd  vignes  au  nommé  Mathias  Muringer,  menuisier  de 
Steinbach. 

Avril  23.  Le  père  Thiébaut  Haas,  ci-devant  corde- 
lier  du  couvent  de  Thann,  est  mort  à  Cernay  à  deux 
heures  et  demie  du  matin,  âgé  de  87  ans.  Il  a  été 
enterré  le  lendemain  à  côté  de  l'église  paroissiale  dudit 
lieu.  Cet  ecclésiastique  était  très  caduc  dans  ses  jambes, 
mais  ses  bras  et  seé  mains  étaient  d'une  grande  force, 
car  se  trouvant  attaqué  par  un  taureau  à  Thann,  il  prit 
cet  animal  par  les  cornes  et  le  renversa  sur  la  rue 
devant  le  mur  du  couvent  des  cordeliers. 

Avril  2j.  A  huit  heures  et  demie  du  soir  un  voleur 
est  entré  dans  la  maison  de  la  veuve  Martin  Witz  par 
le  soup^ail  de  la  cave  vis-à-vis  de  l'église  à  Cernay,  a 
forcé  le  secrétaire  de  ladite  veuve  et  a  enlevé  une 
somme  de  600  francs  avec  une  montre  en  or  et  trois 
couverts  d'argent;  ledit  secrétaire  a  été  forcé  par  un 
instrument  de  menuisier,  sur  lequel  les  voleurs  ont 
frappé  trois  coups  de  marteau  suivant  le  dire  de  la 
servante  de  la  maison  qui  s'était  couchée  pendant  l'ab- 
sence de  sa  maîtresse  qui  était  à  la  veillée  chez  son 
frère,  l'ancien  maitre  de  poste,  chez  lequel  un  imbécile 
nommé  Wittmann  est  venu  l'avertir  qu'il  y  avait  des 
voleurs  dans  sa  maison  ;  alors  M.  Baudry  est  accouru 
avec  une  lanterne  pour  vérifier  le  fait,  et  en  entrant 
dans  la  maison  de  ladite  veuve  il  y  trouva  encore  une 
cuillère  d'argent  que  les  voleurs  avaient  laissé  tomber 

Rtout  d^AUace,  I9a7  S8 


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426  REVUE  d'ALSACE 

par  terre  en  s'enfuyant  par  le  même  soupirail  par  lequel 
ils  étaient  entrés  sans  effraction,  parce  que  le  trou  dudit 
soupirail  était  sans  barreaux  de  fer  et  fermé  seulement 
par  un  volet  qu'on  attachait  en  dehors. 

Avril  2ç,  A  six  heures  et  demie  le  nommé  Antoine 
Beck,  ferblantier,  allant  dans  sa  cave  chercher  du  vin, 
fut  très  étonné  d'y  trouver  un  homme  étranger  qui  s'y 
était  caché;  il  l'arrêta  et  envoya  chercher  le  brigadier 
de  la  gendarmerie,  qui,  après  avoir  interrogé  cet  indi- 
vidu, ne  put  rien  savoir  de  lui,  sinon  qu'il  se  disait 
être  de  Toulon  et  qu'il  avait  perdu  ses  papiers  et 
son  passeport.  En  conséquence  il  fut  arrêté  et  conduit 
en  prison. 

Avril  30,  La  servante  de  M.  Thiébaut  Witz,  en 
piochant  le  champ  de  son  maître  dans  le  canton  dit 
Pfosen^  y  trouva  enterré  des  pièces  de  deux  francs, 
un  franc  et  cinquante  centimes  en  nombreuse  quantité, 
lesquelles  furent  remises  à  M.  Rémi,  brigadier  de  la 
gendarmerie,  pour  en  faire  la  recherche  des  auteurs  ou 
faux  monnayeurs. 

Mai  /".  Dans  la  gazette  de  Strasbourg  n°  52,  à 
l'article  de  Paris  du  26  avril,  on  lit  qu'on  vient  de 
signifier  à  tous  les  Espagnols  résidant  à  Paris  l'ordre 
de  quitter  la  capitale  dans  les  vingt-quatre  heures  et 
de  sortir  immédiatement  de  la  France.  Ce  qu'il  y  a  de 
plus  remarquable  c'est  que  cette  mesure  a  été  étendue 
aux  Espagnols  américains,  sans  en  excepter  même  ceux 
qui  appartiennent  à  des  pays  entièrement  détachés  de 
la  métropole. 

Il  faut  observer  que  quinze  jours  avant  le  gouverne- 
ment a  retiré  aux  prêtres  espagnols  l'autorisation  de 
faire  des  prières  publiques  dans  les  églises  qu'ils  avaient 
choisies  eux-mêmes  pour  faire  ces  prières. 

Mai  7.  Le  sieur  Legrand,  fils  de  Legrand,  ancien 
commandant  de  Belfort,  allant  à  Mulhouse  et  passant 
par  une  petite  broussaille  qui  se  trouve  entre  Pfastatt 
et  la  tuilerie  de  Mulhouse,  fut  attaqué  par  trois  indivi- 


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SOUVENIRS  DE   1817-1824  427 

dus,  dont  Tun  tirait  sur  lui  un  coup  de  pistolet  qui  lui 
perça  la  cuisse.  Ce  jeune  homme,  se  voyant  blessé, 
prit  son  mouchoir  pour  étancher  sa  plaie,  mais  dans 
cet  intervalle  les  deux  autres  assassins  l'assaillirent  dere- 
chef, et  il  ne  put  se  défendre  contre  eux  qu'en  parant 
avec  sa  canne  les  coups  qu'ils  lui  portaient  ;  mais  enfin 
ayant  perdu  ses  forces  par  sa  blessure,  il  succomba  et 
tomba  par  terre.  Alors  ces  scélérats  l'achevèrent  et  lui 
enlevèrent  200  francs  qu'il  avait  dans  ses  poches,  et, 
après  l'avoir  laissé  mort  sur  la  place,  'A  s'enfuirent.  On 
est  maintenant  à  leur  poursuite. 

Mai  22.  Le  garde  forestier  nommé  Gall  Schnebelé 
a  arrêté  un  individu  qui  s'était  furtivement  caché  dans 
un  champ  de  blés  proche  de  la  forêt  basse.  Il  a  trouvé 
chez  lui  une  marmite  de  cuivre  de  la  contenance  d'en- 
viron un  hectolitre,  une  lime  et  plusieurs  fausses  clefs 
et  passe-partout  de  différents  espèces.  L'ayant  interpellé 
sur  son  nom  et  domicile,  il  lui  dit  se  nommer  Wibrecht 
de  Guewenheim,  ce  que  le  forestier  trouva  faux,  car 
il  a  été  reconnu  être  de  Thann  et  déserteur  de  la 
maison  de  force  d'Ensisheim,  où  il  avait  été  condamné 
pour  six  ans. 

Mai  24,  Un  pauvre  enfant  travaillant  à  la  fabrique 
de  M.  Witz-Blech,  trouva  sur  le  chemin  devant  leur 
maison  un  petit  cornet  de  papier,  dans  lequel  il  y  avait 
des  bonbons  en  forme  de  dragées  de  Verdun.  Il  en 
donna  à  son  frère  et  ce  dernier  à  un  autre  de  ses 
camarades.  Le  premier  est  mort  dans  les  vingt-quatre 
heures.  On  l'a  ouvert  devant  la  justice  de  paix  et  le 
médecin  et  l'apothicaire,  lequel  a  reconnu  que  c'était 
du  pur  arsenic  sucré.  Le  médecin  Meglin  a  donné  des 
remèdes  aux  deux  autres  qui  jusqu'ici  vomissent  fré- 
quemment. On  prétend  que  des  malveillants  ont  fait 
cette  scélératesse. 

Outre  celui  qui  est  mort,  il  s'est  trouvé  encore  trois 
autres  enfants,  dont  deux  d'Ufïholtz,  qui  sont  aussi 
morts  le  lendemain  de  cet  événement. 


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428  REVUE   D'ALSACE 

Juin  /j.  Le  nomme  Georges  Heuchel,  boucher  de 
Cernay,  a  été  attaqué  sur  le  chemin  de  Vieux-Thann 
à  six  heures  du. soir  par  un  petit  homme  habillé  en 
blanc,  lequel  le  frappa  d'une  pierre  à  la  tête  qui  le 
renversa  du  coup,  et,  voyant  sa  victime  par  terre,  il 
voulut  le  tuer  en  lui  appliquant  encore  d'autres  meur- 
trissures sur  la  tête.  Mais  ledit  Heuchel  put  encore  se 
défendre  en  empoignant  l'assassin  par  une  jambe,  lequel 
en  se  débattant  s'enfuit  et  n'a  pu  être  rattrapé  depuis. 

Juin  14.  Un  phénomène  inattendu  est  arrivé  :  la 
rivière  d'Ill  s'est  tellement  gonflée  près  des  villages  de 
Gildwiller  et  Balschwiller  que  les  habitants  ont  vu  venir 
les  eaux  comme  la  mer  e\\  vagues;  plusieurs  maisons 
y  ont  été  emportées  des  fondements  et  cette  rivière  en 
passant  par  Mulhouse  charriait  des  étables  entières  de 
cochons  avec  leurs  jeunes,  une  vache,  sur  laquelle  se 
tenait  un  chat  vivant,  un  berceau,  dans  lequel  se  trou- 
vait un  enfant  mort,  et  enfin  une  quantité  d'autres 
meubles  et  ruines  de  bâtiments. 

Un  nommé  Bordes,  graveur  en  acier,  monté  sur  un 
cheval,  fut  se  promener  à  Steinbach  pour  faire  une 
commission,  et,  dans  cet  intervalle  son  cheval,  ayant 
été  épouvanté  par  des  polissons,  s'emballa,  parcourut 
les  rues  du  village,  sauta  sur  un  enfant  de  trois  ans  qui 
se  trouva  dans  la  rue  et  lui  enleva  toute  la  chair  des 
côtes  du  côté  gauche.  Cet  accident  étant  venu  à  la 
connaissance  du  brigadier  de  la  gendarmerie  à  Cernay, 
celui-ci  se  transporta  de  suite  à  Steinbach  et  dressa  un 
procès-verbal  du  fait,  certifié  par  plusieurs  témoins,  et 
l'envoya  au  tribunal  de  Belfort. 

Juin  //.  La  femme  du  nommé  Paul  Griin  de  Cernay 
est  sauté  dans  l'eau  de  l'étang  de  M.  Witz-Blech,  et 
cela  dans  l'intention  de  s'y  noyer,  car  elle  dit  aux 
ouvriers  qui  la  retirèrent  de  l'eau  de  la  laisser  se  noyer, 
afin  d'être  délivrée  de  la  vie,  puisqu'elle  était  pauvre 
et  qu'elle  n'avait  plus  rien  à  espérer  dans  ce  monde. 

Juin  22,  L'entrepreneur  de  l'hôpital  de  Belfort  ayant 
fait  des  reproches  à  un  infirmier  au  sujet  de  son  ser- 


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SOUVENIRS   DE    1817-1824  429 

vice,  cet  infirmier  s'en  fut  et  chercha  deux  pistolets, 
avec  lesquels  il  revint  dans  la  chambre  dudit  entre- 
preneur et  tira  sur  lui;  mais  l'ayant  simplement  blessé 
à  répaule,  ledit  infirmier  mit  Tautre  pistolet  dans  sa 
bouche  et  se  brûla  la  cervelle. 

Juillet  12.  Dans  la  nuit  les  mânes  du  cimetière  à 
Masevaux  ont  été  troublées  :  toutes  les  croix  à  fleurs 
de  lis  ont  été  enlevées  et  arrachées,  et  un  mausolé  où 
se  trouvaient  deux  figures  représentant  deux  saints,  a 
subi  le  même  sort.  Cette  anecdote  est  tirée  du  Courrier 
du  Haut-Rhin. 

Juillet  24.  M.  d'Anthès,  député  du  Haut-Rhin,  ayant 
couché  à  Masevaux  chez  le  sieur  Ley,  aubergiste  du 
Lion  (Tory  et  voulant  repartir  le  lendemain  pour  s'en 
retourner  à  Soultz,  au  moment  qu*il  monta  dans  son 
carosse,  une  des  soupentes  s'affaissa,  et  alors  il  vit  seule- 
ment qu'elle  avait  été  coupée  par  dessous,  ainsi  que 
les  moyeux  des  deux  roues  de  derrière.  Alors  il  em- 
prunta un  char-à-banc  et  s'en  retourna  à  Soultz  avec 
M"*  son  épouse. 

Juillet  26.  Le  sieur  Larger  de  Bollwiller,  étant  allé 
avec  son  épouse  à  six  heures  du  matin  en  pèlerinage 
à  Thierenbach  et  n'ayant  laissé  pour  garde  de  sa  mai- 
son que  son  frère  malade  avec  une  vieille  femme,  des 
voleurs  profitèrent  de  son  absence  et  s'introduisirent 
dans  sa  maison  avec  de  fausses  clefs;  ils  ont  ouvert 
le  secrétaire,  y  ont  pris  l'argent  et  encore  plusieurs 
effets,  ainsi  que  du  liflg^.  Ledit  Larger  a  évalué  ce  vol 
à  1800  francs. 

Septembre  p.  Les  brigades  de  gendarmerie  de  Bel- 
fort,  de  Giromagny,  de  Lachapelle  et  de  Masevaux  se 
sont  transportées  à  la  fabrique  de  M.  Kôchlin  à  Mase- 
vaux et.  y  ont  enlevé  lôs  petits  canons  de  fonte  ou 
fauconnaux,  petites  pièces  qui  servaient  simplement  à 
garder  leur  enceinte,  afin  de  se  préserver  des  voleurs 
de  nuit;  cette  expédition  s'est  faite  sous  prétexte  de 
conspiration.  Après  que  lesdites  brigades  eurent  enlevé 


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430  REVUE  d'alsace 

ces  petites  pièces,  on  les  a  conduites  de  suite  à  Belfort, 
où  la  garnison  se  trouvait  sous  les  armes  et  cela  dans 
la  crainte  d'une  révolte  ;  cette  garnison  était  composée 
de  chasseurs  à  cheval  et  à  pied. 

Septembre  2Ç.  Les  enfants  du  nommé  François  Joseph 
Ley,  menuisier,  Fautsch,  boulanger,  Joseph  Meyer,  tein- 
turier, et  celui  d'une  pauvre  veuve  et  un  autre,  ont  été 
arrêtés  et  conduits  à  la  gendarmerie  par  soupçon  d'avoir 
enlevé  400  francs  déposés  dans  le  cabinet  des  archives 
de  la  maison  commune  de  Cernay.  Le  lendemain  ils 
furent  conduits  à  Belfort  par  ladite  gendarmerie  devant 
le  tribunal  de  police  correctionnel,  lequel,  après  les 
avoir  interrogés,  les  a  renvoyés  chez  leurs  parents, 
auxquels  il  en  a  coûté  près  de  90  francs  pour  les  frais 
d'escorte  et  de  nourriture. 

Octobre  5.  Le  nommé  Jean  Meyer,  marqueur  de  la 
société  des  tireurs  à  la  Kilbe^  a  reçu  un  coup  de  fusil 
du  nommé  Jacques  Ôhl,  papetier.  La  balle  lui  a  fracassé 
la  cheville  du  pied  gauche.  En  conséquence  la  com- 
pagnie a  fait  une  quête  entre  les  tireurs  pour  lui,  qui 
s'est  montée  à  plus  de  300  francs.  Mais  sur  cet  acci- 
dent le  maire  a  fait  défendre  de  ne  plus  tirer  dans  la 
suite. 

Octobre  ç.  Le  sieur  Bâchlin,  juge  de  paix  de  la  ville 
de  Cernay,  a  reçu,  en  date  du  mois  d'août,  ordre  de 
sa  cessation  des  fonctions  de  juge  de  paix.  M.  Graft 
le  notaire  siège  comme  juge  de  paix  provisoire  ou 
suppléant. 

Octobre  28.  M.  Kôchlin  fils,  de  Mulhouse,  étant  allé 
aux  vignes  s'amuser  à  la  vendange  avec  MM.  Risler 
et  Schwartz,  eut  le  malheur  de  se  brûler  le  visage  par 
l'explosion  d'une  livre  de  poudre  qu'il  a  eu  l'impru- 
dence de  tenir  ouverte  à  côté  du  feu  qu'ils  avaient 
allumé  pour  se  chauffer  les  mains. 

1824.  Janvier  2.  Le  baron  Pharavadal  est  mort  et 
a  été  enterré  au  coin  du  cimetière. 


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SOUVENIRS  DE    1817-1824  43I 

Janvier  6.  Une  femme  juive  a  volé  trois  couverts 
d'argent  à  M.  Grau,  directeur  de  la  fabrique  à  Watt- 
willer.  Comme  elle  a  été  trouvée  sur  le  fait  et  avait 
fracturé  une  commode  dans  une  chambre  où  elle  s'était 
cachée  furtivement,  elle  a  été  conduite  à  Cernay  par 
la  gendarmerie  qui  l'a  mise  en  prison  en  attendant  le 
rapport  fait  au  juge  de  paix;  dans  cet  intervalle  elle  a 
dit  au  brigadier  qu'elle  était  de  Hagenthal  et  que,  si 
M"**  Grau  s'avisait  de  la  dénoncer  à  la  justice,  elle  la 
ferait  repentir  de  sa  dénonciation.  Cette  menace  doit 
avoir  été  mentionnée  dans  le  procès-verbal  d'arrestation. 
On  croit  qu'elle  sera  condamné  à  être  enfermée  dans 
la  maison  de  détention  de  Haguenau. 

Janvier  7.  Le  nommé  Jean  Baptiste  Hoog  et  un 
homme  de  Steinbach,  en  se  promenant  sur  un  pré 
appartenant  au  sieur  Obrist,  ont  trouvé  mort  le  nommé 
Joseph  HofTschir,  fils  du  maréchal  ferrant  de  Cernay,  qui 
Tavait  envoyé  la  veille  à  Masevaux  pour  y  faire  un 
paiement.  Ce  jeune  homme  s'étant  trop  retardé  pour 
revenir  chez  son  père,  fut  surpris  par  la  nuit  et  s'égara 
en  chemin  ;  enfin  la  lassitude  Tayant  forcé  à  se  reposer^ 
il  s'était  couché  dans  un  fossé  ayant  son  chien  barbet 
blanc  à  côté  de  lui  ;  s'étant  sans  doute  endormi,  le  froid 
le  saisit  et  il  mourut.  Le  juge  de  paix  se  transporta 
de  suite  avec  son  greffier  et  M.  Meider,  docteur  en 
médecine,  sur  le  lieu  et  dressa  procès-verbal  sur  l'en- 
lèvement du  cadavre,  qui  fut  enterré  le  lendemain  avec 
les  cérémonies  ordinaires  de  l'Eglise  catholique. 

* 
Rappelons  que  fauteur  de  ces  curieux  Mémoires  mourut 
à  Cernay  le  3  mai  1828,  sans  héritiers  directs^  à  Page 
de  Si  ans  et  S  mois. 

A.    L    INGOLD. 


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LES  TROUBLES  DE  1789 

DANS  LA  HAUTE- ALSACE 

Fin  I) 


CHAPITRE    SIXIÈME 

La  Commission  publie  les  décrets  du  4  août  exactement.  —  l^e  frénéral 
de  Vietinghoflf.  —  Les  Bureaux  et  les  communautés.  —  Partage 
des  communaux.  —  Le  Bureau  de  Colmar  pnt>lie  les  décrets  des 
5  et  10  août.  -^  La  Commission  établit  des  municipalités  dans 
toutes  les  villes  jusqu*aK>rs  exceptées.  —  Neuf*Briaa'ch.  -^  Ensib- 
heim.  —  Belfort.  —  Ammerschwihr. 


La  Commission  intermédiaire,  toujours  désireuse  de 
réparer  le  mal  qu'elle  avait  involontairement  occasionné, 
nous  le  pensons,  fit  publier,  le  1 1  août,  les  décrets  du 
4  et  jours  suivants,  mais  alors  exactement  rej^roduits 
et  tels  qu'ils  avaient  été  soumis  à  la  sanction  du  Roi. 
Elle  en  prit  occasion  pour  inviter  de  nouveau  les  habi- 
tants à  rétablir  la  paix;  elle  leur  rappella  qu'elle  cleur 
a  fait  connaître  récemment  que  les  intentions  du  Roi 
n'avaient  jamais  été  que  ses  peuples  se  missent  en 
possession  de  leurs  droits  par  aucuns  moyens  violents, 
ni  qu'ils  se  permissent  de  se  rendre  justice  à  eux- 
mêmes  »  ;    et,  pour  enlever  tout  prétexte  au  désordre, 

t)  Voir  la  livraison  de  juillet-août. 


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LES   TROUBLES  DE    1789  433 

•elle  s'était  elle-même  offerte  à  transmettre  toutes  leurs 
Téclamations  à  l'Assemblée  nationale.  Elle  n'oublia  pas 
en  terminant  de  célébrer  dans  une  hymne  emphatique 
•ceux  qui  venaient  d'abolir  le  régime  féodal.  Mais,  loin 
de  réparer  le  mal,  la  Commission  Taggravait;  car  le 
.peuple  ne  voyait  dans  les  décrets  de  l'Assemblée  que 
la  confirmation  pure  et  simple  de  la  proclamation  du 
31  juillet,  et,  sans  ajouter  de  valeur  aux  commentaires 
•et  aux  explications  de  la  Commission,  se  persuada  plus 
fortement  que  jamais  qu'il  exécutait  purement  et  sim- 
plement les  volontés  du  Roi  et  celles  de  l'Assemblée. 
Aussi  l'incendie  que  l'on  était  parvenu  à  circonscrire, 
•était  bien  loin  d'être  éteint. 

Le   général   de  Vietinghoff  s'efforçait  nuit  et  jour, 
mais  sans  résultat  sérieux,  de  rétablir  la  paix  dans  les 
bourgs  et  les  villages  voisins  de  Cernay,  puis  de  Rouffach. 
Le  général,   malgré  son  grand  âge  et  la  chaleur  de  la 
saison,   dit  son    panégyriste,    «  s'est   transporté   de   sa 
personne   dans   une   grande  partie   du    Sundgau    pour 
arrêter  la  fermentation  des  esprits  et  les  vexations  contre 
les  juifs;  il  a  engagé  les  habitants  à  payer  la  dîme  et 
les  redevances  aux  seigneurs  laïcs  et  ecclésiastiques,  et 
il  a  exhorté  tout  le  monde  à  être  juste  et  à  attendre 
ie  moment  où  l'Assemblée  nationale  aura  prononcé  sur 
le  sort  de  chaque  individu ...  Il  a  exhorté ...  au  réta- 
blissement de  la  paix,  du  bon  ordre  et  de  la  tranquillité 
publique,   et   enfin  à  l'exécution  ponctuelle  des  ordres 
<lu   Roi  et   des   détrets   de  l'Assemblée   nationale,   en 
particulier  de  ceux  concernant  l'exportation  des  grains, 
ie  pillage  des  maisons  des  seigneurs,  des  ecclésiastiques 
^t  des  juifs,   et  la  restitution  des  effets  volés  pendant 
les  troubles  qui  ont  désolé  la   province  ».    Il   parut   à 
Huningue,   où   il    profita    de    son    passage    pour    faire 
prêter  à  la  milice  bourgeoise  et  aux  troupes  le  serment 
prescrit   par  le   décret  du    lo   août;   il   parcourut   les 
communautés  voisines,   cherchant  partout  à  calmer  les 
esprits,  à  ramener  le  bon  ordre,  la  concorde  et  la  paix. 
A    Rouffach    même,    dont   il    avait    fait    son    quartier 


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434  REVUE  d'alsack 

général  »),  il  parvint  à  empêcher  le  tumulte  que  la- 
conduite  inconsidérée  de  l'huissier  Monin  avait  pro- 
voqué eau  sujet  du  renvoi  des  effets  d'un  juif  que  cet 
huissier  avait  reçus  en  dépôt,  après  s'être  opposé  lui- 
même  avec  beaucoup  d'éclat  à  la  conservation  des 
malles  que  Madame  la  baronne  de  Landenberg  avait 
réfugiées  audit  Rouffach  >.  Même  durant  une  maladie^ 
qui  le  surprit  dans  cette  ville,  malgré  ses  souffrances» 
♦  il  n'a  pas  discontinué  une  minute  ses  audiences  et 
recevait  à  son  lit  tous  ceux  qui  avaient  à  se  plaindre 
et  à  lui  parler.  Le  moyen  qu'il  employait  d'ordinaire 
pour  calmer  une  communauté,  c'était  de  faire  dresser 
un  cahier  de  doléances  qu'il  se  chargeait  lui-même  de- 
transmettre  à  l'administration  »).  D'un  autre  côté,  les 
troupes  de  son  commandement,  cantonnées  dans  les 
différents  villages,  ne  restaient  pas  inactives.  Elles  fai- 
saient assiduement  la  patrouille  d'une  communauté  à. 
l'autre,  et,  par  ses  ordres,  toujours  disposées  à  prêter 
main  forte  en  cas  de  besoin,  tantôt  elles  fournissaient 
de  petites  escortes  aux  voyageurs,  car  il  n'y  avait 
aucune  sécurité  sur  les  routes,  tantôt  elles  doublaient 
les  postes  dans  les  points  qui  semblaient  plus  particu- 
lièrement menacés  3).  «  Il  y  eut  des  moments,  dit  M.  de 
la  Rochelambert,  où  à  peine  les  hommes  et  les  chevaux 
pouvaient  se  reposer  et  se  rafraîchir  »,  car  le  général 
ne  refusait  jamais  aucun  secours,  sauf  cep'endant  c  à  ua 
seul  juif,  qui  eut  l'audace  de  lui  offrir  50  louis  d'or;, 
mais  il  lui  en  a  fait  fournir  un  détachement  par  le 
commandant  de  Huningue  ». 

De  leur  côté,  les  trois  Bureaux  de  la  Haute-Alsace 
travaillaient  avec  la  même  ardeur,  mais  avec  aussi  peu. 


i)  Il  établit  son  quartier  général  dans  la  maison  de  TOrdre  tento- 
nique   et  resta  près  d'un  mois  dans  cette  ville. 

2)  C'est  ainsi  qu'il  parvint  de  rétablir  la  paix  à  Pfaffenheim,  moyen- 
nant des  conditions  que  le  Bureau  de  Colmar  déclarait  inadmissit>let. 
Le  Bureau  prétendait  que  le  général  s'était  laissé  circonvenir  par  Tancien- 
syndic  et  le  prévôt,  malgré  ses  avertissement. 

3)  Cest  ainsi  que  le  détachement  du  château  d'Ollwiller  fut  plus'ienrs- 
fois  renforcé. 


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LES   TROUBLES   DE    I789  435: 

de  succès,  à  la  pacification  du  pays.  Comme  le  général,, 
ils  permettaient  aux  communautés  de  se   réunir    pour 
dresser  un  cahier  de  doléances  ').  Le  Bureau  de  Colmar 
ne  se  dissimulait  pas  le  danger  de  ces  assemblées  dans^ 
un  moment  de  fermentation  et  ne   les  permettait  qu'à. 
contre-cœur.    Mais   c'était  le  seul   moyen  d*éviter,    en 
gagnant  du  temps,  des  excès  et  des  violences  toujours^ 
à  redouter.    Ainsi,    le    19    août,    il   recommandait  à  la^ 
Commission  les  cahiers  de  dix-neuf  communautés  contre 
leurs  seigneurs  ou  leurs  décimateurs').  Maison  ne  s'ea 
prenait  pas  seulement  aux  seigneurs.  Le  plus  souvent 
les  habitants  d'une  communauté  étaient   divisés   entre- 
eux;  car  personne  ne  se  désintéressait  dans  la  querelle 
entre  les  municipalités  et   les   anciens    administrateurs.. 
En  ce  cas,  il  était  beaucoup  plus  difficile  de  maintenir 
la  paix,  parce  qu'alors  les  Bureaux,   dans  les  matières 
de  la  compétence  de  l'Administration,  devaient  statuer* 
sans  grand  délai  et  ne  pouvaient  plus   renvoyer  à   un- 
autre  temps  la  solution   des  difficultés   pendantes.    Par 
exemple,  la  question  des  communaux  partageait  depuis- 
longtemps  les  esprits  dans  un  grand  nombre  de   com- 
munautés.   En  effet,    dès  qu'il  fut    admis    comme   une 
vérité  incontestable  que  tous  les  revenus  patrimoniaux, 
et  en  particulier  les  bons  communaux,  tournaient  tou- 
jours au  profit  exclusif  des  anciens  administrateurs   ou 
de  quelques  privilégiés,    le   seul   moyen,    disait-on,    de 
faire  cesser  cet  abus  et  d'empêcher  qu'il  se  reproduisît 
à  l'avenir,  était  de  partager  les  communaux  entre  tous 
les  ayants  droit,  y  compris  ceux  qui  jusqu'alors  en  avaient: 


i)  11  semble  qu'un  arrêté  de  la  Commistion  du  31  juillet  a  prescrit 
cette  mesure. 

2)  C'étaient  le  duc  des  Deux-Ponts,  le  duc  de  Wurtemberg,  Tévéque- 
de  Strasbourg,  Pabbé  de  Klinglin,  le  baron  de  Klinglin,  le  baron  de 
Schauenbourg,  le  baron  de  Cointet,  le  baron  d'Anthès,  le  seigneur  de 
Landser,  le  baron  de  Waldner»  l'Ordre  teutonique,  Colmar,  Vieuz- 
Brisach,  Alspach,  Marbach,  Murbach,  etc.  On  accordait  tout  ce  que 
demandaient  les  communautés  arec  la  plus  grande  facilité  :  on  lira  ai». 
livre  suivant  les  conseils  que  donnait  maître  Chauffbur  le  jeune  à  Radius* 
sur  ce  point. 


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436  REVUE  D'aLSACE 

été  frustrés.  Mais  quels  étaient  les  ayants  droit,  et  dans 
quelle  mesure  chacun  devait-il  être  gratifié?  La  difficulté 
avait  été  soulevé  dès  rétablissement  des  municipalités. 
"Comme  les  premiers  arrêtés  de  la  Commission  étaient 
contradictoires,  le  Bureau  de  Colmar,  comme  sans  doute 
*les  autres  Bureaux  de  la  province,  renvoyait  d'habitude 
.leà  parties  à  plus  tard,  sous  prétexte  qu'il  fallait  attendre 
à  ce  sujet  la  décision  de  la  prochaîne  Assemblée  pro- 
vinciale. Mais  depuis  lors,  la  situation  avait  bien  changée. 
On  ne  se  contentait  plus  d'une  telle  échappatoire.  Les 
journaliers,  excités  par  les  théories  du  jour,  réclamaient 
>à  grands  cris,  comme  un  droit,  le  partage  égal  par  tête; 
les  laboureurs,   au  contraire,   qui  supportaient  les  plus 
lourdes  charges,  exigeaient  le  maintien  de  l'ancien  état 
de  choses.   Les  têtes   s'échauffaient,  et   tous  les  partis 
attendaient  la  solution  des  difficultés  qui  les  divisaient 
avec  une  anxiété  fiévreuse,  qui  faisait  craindre  le  plus 
.grands  excès,  s'il  n'y  était  fait  droit  sur-le-champ  et  à 
tout  prix.    Le  Bureau    de   Colmar  était   «  assailli  »  de 
-requêtes  à  ce  sujet.   Le  6  août,  à  propos  des  troubles 
vd'0beren2en,-il  supplia  la  Commissiorf'de 't'autoriser  à 
accorder  le  partage  des  communaux  sur  la  demande  de 
4a  pluralité  des  intéressés,  ou  de  faire  publier  que,  soit 
X Assemblée  nationale,  soit  l'Assemblée  provinciale,  allait 
prochainement  mettre   fin  à  toute  incertitude  par   un 
règlement  général  sur  la  matière,  parce   que,   disait-il, 
4a  crise  s'accentue  ;    c  les  journaliers  vexés  demandent 
une  co-jouissance  qui   nous  parait  juste  >  ;   les  esprits 
sont  exaltés  cet  vont  se  rendre  justice  à  eux-mêmes»  »). 

Ailleurs,  par  la  force  des  choses,  les  Bureaux  furent 
-obligés  de  passer  par  dessus  les  prescriptions  formelles 
Kie  la  loi  et  à  faire  de  l'arbitraire.  Lorsque  les  commu- 
nautés avaient  à  se  plaindre  de  leurs  municipalités,  ils 
cherchaient  bien  à  se  tirer  d'embarras  et  à  gagner  du 


i)  Cfr.  V Alsace  au  xviti*  sièLie,   I,   livre  il,  ch.  4,  où  la  question 
«st  traitée  avec  plus  de  détails. 


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LES   TROUBLES   DE    1789  437 

temps,  en  les  autorisant  à  faire  des  cahiers  de  doléances^ 
Mais  ce  moyen  ne  suffisait  pas  toujours.  Ainsi,  le  lôaoût,, 
le  Bureau  de  Colmar  fut  obligé  de  suspendre  de  ses 
fonctions  le  syndic  d'Isenheim  jusqu*au  i"  octobre,  jour 
fixé  pour  les  prochaines  élections,  parce  que  sa  conduite 
peu  mesurée  fermentait  le  désordre.  A  Hirtzfelden,  il 
y  eut  des  troubles  que  le  Bureau  parvint  à  apaiser  en 
ordonnant  au  syndic  de  faire  élire  par  la  communauté 
deux  ou  trois  députés  qui  se  réunirent  à  la  municipa- 
lité pour  rédiger  lin  cahier  de  doléances  et  assister  à 
la  reddition  des  comptes.  A  Blodelsheim  et  à  Réguis- 
heim,  il  dut  aller  plus  loin.  Pour  calmer  la  fermentation^ 
il  fallut  suspendre  la  municipalité  tout  entière,  lui  ordon- 
ner de  s'abstenir  de  toute  fonction  et  faire  élire  sept 
commissaires  dans  le  premier  de  ces  villages  et  six 
dans  le  second,  chargés  d'administrer,  en  attendant  que 
la  Commission  statuât  sur  la  requête  des  habitants  qui 
exigeaient  la  dissolution  et  le  remplacement  immédiat 
des  municipalités  actuelles,  etc.  Chacun  de  ces  arrêtés 
se  terminait  par  des  menaces  sévères,  qui  n'effrayaient 
plus  personne,  parce  qu'on  savait,  à  n'en  point  douter, 
qu'elles  resteraient  lettre  morte. 

Malgré  tant  d'efforts,  la  tranquillité  qu'on  cherchait^ 
à  rétablir,  n'existait  qu'à  la  surface;  le  calme  n'était 
qu'apparent,  de  telle  sorte  qu'à  la  moindre  occasion, 
au  moindre  mécontentement,  on  pouvait  à  juste  titre 
redouter  les  plus  grands  malheurs.  Dans  ces  conjonc- 
tures, le  Bureau  de  Colmar,  sur  l'avis  du  premier  Prési- 
dent et  le  conseil  d'un  député  du  c.istrict,  fit  imprimer^ 
sans  retard,  dans  les  deux  langues,  les  décrets  de  l'As- 
semblée nationale  des  5  et  lO  août  relatifs  à  la  repression 
des  troubles  actuels  et  les  fit  afficher  dans  toutes  les 
communautés  :  cela  paraissait  à  tous  le  seul  moyen  de 
détromper  efficacement  ceux  qui  se  persuadaient  avec 
obstination  que  l'Assemblée  autorisait  chacun  à  se  rendre 
justice  à  lui-même.  Le  Bureau  commettait  évidemment 
une  infraction  aux  règles  de  la  hiérarchie,  puisqu'il  ne^ 
devait   rien    publier   sans    l'attache   de   la   Commission^ 


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438  REVUE   d'à  LS  A  CE 

intermédiaire.  Aussi  crut-il  devoir  le  jour  même,  le 
17  août,  prévenir  la  Commission  de  l'initiative  qu'il 
avait  prise  sans  attendre  ses  ordres  dans  un  cas  d'extrême 
nécessité.  Mais  celle-ci,  qui  croyait  avoir  assez  fait  pour 
le  rétablissement  de  la  paix  et  qui  sans  doute  ne  se 
rendait  pas  un  compte  exact  de  l'effet  désastreux  pro- 
duit par  ses  proclamations,  se  plaignit  amèrement  de 
ce  que  le  Bureau  eut  pris  sur  lui  de  publier  ces  décrets 
sans  attendre  qu'ils  lui  fussent  parvenus  par  la  voie 
hiérarchique.  Le  Bureau  ne  voulut  pas  rester  sous  le 
coup  de  reproches  qu'il  ne  croyait  pas  avoir  mérités. 
Il  répondit  le  23  août  par  une  longue  lettre  à  laquelle 
nous  avons  déjà  emprunté  d  intéressants  détails.  Après 
avoir  établi  que  la  cause  de  ce  redoublement  d'agita- 
tion est  en  réalité  la  traduction  malheureuse  de  l'arrêté 
de  la  Commission  du  31  juillet,  dont  jusqu'ici  le  peuple 
n'a  pas  pu,  ou  n'a  pas  voulu,  comprendre  le  véritable 
sens,*  il  ajoute  :  c  II  a  fallu  un  remède  prompt  à  ces 
maux  et  nous  nous  sommes  empressés  de  saisir  celui 
qui  nous  était  offert  par  les»deux  décrets  de  l' Assem- 
blée nationale  des  5  et  10,  que  nous  avons  publiés  à 
la  réquisition  d'un  député  du  District  qui  nous  l'avait 
adressé,  et  de  l'avis  du  premier  Président...  Nous 
avons  cru  rendre  un  service  signalé  à  notre  District, 
en  lui  faisant  part  quelques  jours  plus  tôt  de  l'ouvrage 
de  l'Assemblée  nationale  pour  le  rétablissement  de  la 
tranquillité  publique  ;  en  quoi  nous  n'avons  certaine- 
ment pas  prétendu  renverser  l'ordre  des  choses  et  nous 
arroger  les  droits  de  la  Commission  intermédiaire,  mais 
.  simplement  céder  à  la  voix  impérieuse  des  circonstances. 
Il  est  des  moments  où  il  faut  s'écarter  de  la  règle  pour 
y  revenir  avec  plus  de  succès,  et  quand  le  feu  éclate 
quelque  part,  les  formes  ne  sont  pas  de  saison.  Et 
nonobstant  les  vifs  reproches  que  renferme  votre  lettre, 
et  la  loi  que  vous  nous  avez  faite  de  ne  point  impri- 
mer, vous  ne  trouverez  jamais  sérieusement  mauvais 
que  nous  usions  de  la  liberté  de  la  presse  pour  le  salut 
de  notre  District  :  la  lettre  tue  et  l'esprit  vivifie,  sa/us 


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LES   TROUBLES   DE    I789  439 

populi  suprcma  lex  esta.  Nous  devons  ajouter  que  hier 
-encore  M.  le  premier  Président  a  invité  M.  Mueg, 
procureur  syndic,  de  faire  part  au  Bureau  du  mauvais 
effet  qu'avait  produit  la  publication  faite  par  la  Com- 
-«lission  intermédiaire  des  articles  non  encore  sanction- 
nés, afin  qu'il  lui  représente  combien  il  est  pressant 
de  rectifier  Terreur  en  ce  qui  regarde  la  pêche  qui  est 
abîmée  ». 

On  peut  croire  cependant  que  le  Bureau  saisit  avec 
un  certain  empressement  cette  occasion  de  faire  acte 
•d'indépendance  et  de  démontrer  par  les  faits  l'utilité 
de  son  existence  qui  était  toujours  menacée.  Bien  qu'il 
s'en  défendit,  il  gardait  néanmoins  au  fond  du  cœur 
une  certaine  aigreur  contre  les  membres  de  la  Com- 
mission que  l'on  accusait,  à  tort  ou  à  raison,  d'avoir 
sollicité  l'arrêt  de  suppression.  Dans  la  minute  d'une  lettre 
écrite  à  Reubell  le  1 8  août,  lettre  dans  laquelle  il  racon- 
tait les  conséquences  déplorables  de  l'arrêté  de  la  Com- 
-mission  du  31  juillet,  on  lit  les  mots  Suivants,  qui  sont 
^ayés,  il  est  vrai  :  «  C'est  ainsi  que  les  bonnes  intentions 
de  l'Assemblée  nationale  manquent  leur  but  par  l'impru- 
-dence  des  personnes  qui  se  rendent  ses  organes  sans 
-être  en  état  de  combiner  la  sagesse  de  ses  décisions, 
et  peut-être  aussi  par  le  dessein  prémédité  de  ceux 
qui  croient  se  rendre  intéressants  aux  yeux  de  leurs 
concitoyens  en  favorisant  les  entreprises  d'insubordina- 
tion ».  On  conçoit  aisément  la  raison  pour  laquelle  ces 
-mots  furent  supprimés;  mais  on  en  peut  conclure  que 
toute  rancune,  ou  tout  mécontentement  contre  la  Com- 
mission intermédiaire,  n'avait  pas  disparu,  et  que  dans 
ces  dispositions  le  Bureau  ne  fut  pas  trop  fâché  de 
iaire  sentir  à  la  Commission  les  malheureuses  consé- 
-quences  de  la  faute  qu'elle  avait  commise. 

Néanmoins  la  publication  même  anticipée  de  ces 
décrets  ne  produisit  pas  grand  effet  :  tant  il  est  difficile 
d'éclaircir,  de  détromper  l'opinion  publique,  lorsqu'elle 
trouve  intérêt  à  se  laisser  égarer. 


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440  REVUE  D'ALSACE 

D'autre  part,  il  était  alors  reconnu  par  tout  le  monde 
que  la  rivalité  entre  les  nouvelles  municipalités  et  les 
anciens  administrateurs  avait  fortement  contribué  à  don- 
ner aux  troubles  actuels  un  caractère  de  gravité  tout  à. 
fait  exceptionnel.  Il  eût  donc  fallu  dans  Tintérét  de  la 
paix  publique  empêcher  ou  éviter  toute  occasion  de 
conflit,  ou  tout  au  moins  n'en  point  faire  naître  lors- 
qu'il n'en  existait  pas.  Nous  avons  vu  qu'en  1788^ 
découragée  par  l'opposition  qu'elle  rencontrait  de  toute 
part,  la  Commission  avait  ordonné  aux  Bureaux  de  ne 
pas  poursuivre  l'établissement  de  municipalités  dans  les- 
villes  et  «  de  tout  suspendre  relativement  aux  villes 
qui  opposaient  de  la  résistance  jusqu'à  la  réponse  du 
Gouvernement  »  à  son  Mémoire.  Quelque  temps  après 
cependant,  on  s'en  ressouvient,  elle  reprit  son  ouvrage 
en  sous-œuvre  et,  le  12  février  1729,  elle  sommait. 
l'Intendant  de  statuer  enfin  sur  les  nombreuse^  récla- 
mations qu'elle  lui  avait  soumises,  le  menaçant  d'en 
adresser  la  liste  au  Ministre,  s'il  ne  lui  restait  d'autre 
ressource  pour  faire  respecter  ses  arrêtés.  Mais  ce  fut 
peine  perdue  ;  car,  le  1 2  avril  encore,  le  Bureau  de 
Colmar,  se  plaignant  de  ce  que  le  magistrat  de  Rique- 
wihr  continuait  l'exploitation  de  ses  forêts  au  mépris 
des  arrêtés  de  l'Administration,  faisait  la  réflexion  sui- 
vante :  «  Cela  prouve  combien  la  Commission  intermé- 
diaire et  les  Bureaux  ont  peu  d'influence,  surtout  dans^ 
les  villes,  »  Or,  deux  ou  trois  mois  plus  tard,  lorsque 
toute  la  province  était  en  ébullition,  la  Commission 
jugeait  le  moment  opportun,  non  pas  de  modérer  ces^ 
exigences  dans  l'intérêt  de  la  tranquillité  publique,  mais 
au  contraire  de  donner  le  couronnement  à  son  œuvre. 
Sans  doute  le  malencontreux  arrêt  du  3  juin,  que  l'oa 
gardait  secret  i),  tranchait  la  question,  sans  doute  la 
Commission    pouvait   compter    dans    chaque    ville    sur 


1)  Cet  arrêt  demeura  si  peu  connu  qu'en  septembre  1789  le  Magistrat 
de  Belfort  prétendait  que  la  question  qu'il  résolvait  était  encore  pen-- 
dante  à  cette  date. 


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Les  troubles  dr  1789  441 

Tappui  de  ceux  qui  partageaient  ses  opinioas  et  for- 
maient partout  le  parti  le  plus  remuant,  le  plus  audacieux, 
celui-là  même  qui  avait  fourni  un  fort  appoint  à  Vift- 
surrection.  Mais  n'eût-ce  pas  été  une  preuve  de  sagesse, 
même  une  obligation,  de  renvoyer  à  des  temps  plu» 
calmes  l'exécution  de  ses  desseins  quelque  légitimes 
qu'ils  lui  parussent?  Une  administration  véritablement 
désireuse  d'assurer  la  paix  publique,  devait-elle  donc  à 
ce  moment  donner  l'occasion  et  fournir  les  moyens  de 
la  troubler  ?  On  savait  déjà  trop  bien  qu'elle  patronnait 
et  propageait  de  son  mieux  les  nouvelles  idées  d'éman-» 
cipation  et  de  liberté  universelle,  au  nom  desquelles  il 
se  commettait  tant  d'excès  qu'elle  condamnait,  il  est 
vrai.  Mais  à  quoi  bon  réprouver  publiquement  ces 
excès,  lorsqu'elle  jetait  de  la  paille  sur  le  brasier? 
N'était-ce  pas  ranimer  l'incendie  qu'elle  voulait  éteindre, 
au  lieu  de  faire  œuvre  d'apaisement?  La  Commissioa 
ne  pouvait  pas  prétexter  son  ignorance;  elle  avait  été 
dûment  avertie.  Un  an  avant  les  troubles,  jour  pour 
jour  à  peu  près,  le  23  juillet  1788,  le  Bureau  de  Colmar 
lui  avait  écrit  :  c  .  .  .  Dans  l'état  actuel  des  choses,  ta 
conservation  des  Gerichts  et  l'établissement  des  munici- 
palités dans  les  mêmes  endroits  forment  double  emploi 
qX,  fomentent  la  division  .  .  .  >•  Le  même  Bureau,  au 
moment  de  l'insurrection,  le  i"  septembre  1789,  lui 
recommandait  comme  le  moyen  de  mettre  un  terme  à 
€  r anarchie  t  actuelle,  de  fondre  en  un  corps  nouveau 
les  municipalités  et  les  anciens  administrateurs,  dont  la 
rivalité  avait  engendré  tant  de  maux.  Le  15  du  même 
mois,  nous  l'avons  dit,  le  Bureau  de  Huningue,  sans 
indiquer  le  remède,  lui  dénonçait  le  même  fait  et 
renouvelait  ses  représentations  le  20  octobre  en  lui 
recommandant  la  lettre  du  curé  Ostertag  que  nous 
avons  reproduite  précédemment  :  «  Se  peut-il  que  vous 
ne  voyez  pas  clair?»  demandait  le  curé  au  Procureur 
syndic,  comme  s'il  s'agissait  d'un  fait  patent,  évident 
pour  tout  le  monde,  et  il  terminait  par  ces  mots,  dont 
toute  sa  lettre  n'était  que  le   commentaire  :  «  Croyez* 

BAwt  d'Alêoce,  1907  99 


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44^  REVUE  D'ALSACE 

moi,  Monsieur,  autant  de  municipalités,  autant  de  centres 
de  révolte  / 1  Et,  à  ce  point  de  vue,  il  ne  pouvait  pas 
en  être  autrement  des  villes  que  des  campagnes.  Cepen- 
dant, malgré  tous  ces  avertissements  réitérés,  la  Com- 
mission ne  voulut  voit  ni  comprendre! 

Quoique  l'arrêt  du  3  juin  exceptât  expressément  de 
l'application  des  édits  les  villes  royales,  jusqu'à  l'appa- 
rition d'un  règlement  spécial  que  le  Gouvernement  se 
proposait  de  publier  sous  peu,  néanmoins  la  Commision 
passa  outre  et  commença  par  Neuf-Brisach  «).  Le  17  août, 
le  Bureau  de  Colmar  renvoyait  à  sa  décision  une  péti- 
tion d'un  groupe  d'habitants  de  cette  ville  qui  récla- 
maient rérection  d'une  municipalité.  La  Commission, 
qui  fit  preuve  en  cette  circonstance  d'une  célérité 
surprenante,  se  rendit  à  leurs  vœux  par  arrêté  du  19, 
et  le  Bureau  chargea  le  20  M.  de  Zaiguelius,  commis- 
saire des  guerres  à  Brisach  et  membre  de  l'Assemblée 
provinciale,  de  présider  à  l'élection  du  syndic  et  des 
neuf  membres  qui  devaient  la  composer  2).  Toutefois, 
comme  le  scrutin  secret  eût  exigé  trop  de  temps,  le 
Bureau  autorisa  son  commissaire  à  se  faire  déclarer  à 
voix  basse  par  chaque  électeur  le  nom  de  ses  candi- 
dats, et,  puisqu'on  ne  comptait  à  Brisach  que  trois 
bourgeois  payant  30  livres  d'imposition,  il  permit  aux 
électeurs  de  choisir  leurs  élus  parmi  tous  ceux  qui 
payaient  une  cote  de  15  livres  :  c'était  dans  les  deux 
cas  la  violation  flagrante  des  prescriptions  de  la  loi,  et 
très  certainement   il   n'appartenait   pas   au   Bureau   ou 


i)  A  Brisach,  comme  partout,  la  bourgeoisie  était  hostile  au  Magistrat. 
L*huissier  Court  écrivait,  le  30  juillet,  à  la  Chambre  de  Ril>eauvillé  : 
c  M.  le  Prévôt  royal  a  été  cruellement  humilié  en  bien  des  occasions, 
et  le  corps  du  Magistrat  Ta  été  par  rapport  à  lui  :  il  n*a  pas  été  invité 
au  feu  de  joie,  ni  aux  cérémonies  d^église  qui  se  sont  pratiqués  en  celte 
ville;  les  propos  et  les  menaces  n^ont  pas  été  ménagés  contre  ce  chef 
du  corps  municipal;  on  lui  a  dit  parlant  à  sa  personne  les  choses  les 
plus  dures  ;  le  cri  est  universel  contre  lui  et  la  majeure  partie  demande 
sa  démission...  J'ai  bien  servi  M.  le  Prévôt  dans  cette  occasion;  il 
était  heureux  pour  lui  qu*il  n'y  ait  pas  eu  plus  de  mal  ». 

2)  L*élection  eut  lieu  le  22. 


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LES   TROUBLES   DE    1789  44  j 

d'en  dispenser,  ou  de  les  modifier,  d'autant  plus  qu'il 
n'y  avait  aucunement  péril  en  la  demeure.  Aussi  huit 
jours  ne  s'étaient  pas  encore  écoulés,  que  déjà  la  soi- 
disant  municipalité  entrait  en  guerre  avec  le  Magistrat 
et  invoquait  l'assistance  du  Bureau. 

A  Ensisheim,  la  bourgeoisie  se  réunit  le  28  juillet', 
imposa  ses  volontés  au  Magistrat,  prit  diverses  mesures 
d'administration  et  corrigea  plusieurs  abus,  c  qui  paraissent 
n'avoir  été  que  trop  réels  »  »).  Voici  le  préambule  de 
la  délibération  qu'elle  prit  à  ce  sujet  :  «  . . .  Pour  se 
soustraire  à  l'oppression  sous  laquelle  elle  gémit,  ruinée 
d'ailleurs  par  les  vexations  et  menées  odieuses  et  crimi- 
nelles de  quelques  personnes  qui  se  sont  enrichies  sous 
l'administration  vicieuse  et  repréhensible  des  préteurs 
et  magistrats,  lesquels,  sans  avoir  égard  aux  représen- 
tations de  quelques  membres  bien  intentionnés  n'ont 
cessé  de  vexer  et  de  molester  la  bourgeoisie;  la  com- 
munauté donc,  pour  arrêter  les  désordres  et  les  criantes 
injustices   qui   se   commettent  journellement   sous   ses 

yeux. . .  a  résolu,  etc ».  Par  l'article  2  elle  exigeait 

qu'à  l'avenir  douze  bourgeois,  présidés  par  un  membre 
du  Magistrat,  tous  élus  par  elle,  distribuassent  les  bons 
communaux,  et  nommassent  à  toutes  les  places  vacantes, 
même  du  Magistrat,  pour  éviter  clés  intrigues  mises  en 
œuvre  par  les  Magistrats  pour  avoir  de  vils  complaisants 
et  adhérents  et  le  plus  souvent  des  sujets  incapables  ». 
Tout  en  modifiant  aussi  profondément  la  constitution 
de  leur  ville,  les  bourgeois  laissaient  subsister  le  Magis- 
trat et  ne  lui  opposèrent  de  municipalité  que  lorsque, 
par  arrêté  du  1 5  octobre,  la  Commission  les  eut  auto- 
risés à  élire  un  syndic  et  neuf  membres  2).  Le  Bureau 


1)  MbrcKLKN,  Histoire  tT Ensiskeim^  II,  p.    358. 

2)  M.  Mercklen  dit  que  la  bourgeoisie  créa  d'elle-même  une  munici* 
palité,  composée  d'un  syndic  et  de  hîx  membres  et,  le  1 1  octobre, 
envoya  deux  députés  à  Strasbourg  pour  la  faire  confirmer.  Sans  doute 
ceux-ci  échouèreAt  dans  leur  mission  et  n'obtinrent  que  l'arrêté  du 
15  octobre  permettant  à  la  communauté  de  procéder  à  de  nouvel'es 
élections;  c'est  du  moins  la  seule  man  ère  de  concilier  les  affirmations 
de  cet  auteur  avec  Texistence  des  arrêtés  des  15  et   16  octobre. 


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REVUE  d'aLSACE 

Colmar  nomma  le  lendemain,  i6,  commissaire  aux 
tions  le  baron  de  Cointet,  membre  de  l'Assemblée 
mciale  :  nous  ignorons  la  manière  dont  il  procéda, 
s  lors  même  que  tout  fut  régulier,  il  est  très  certain, 
ime  on  le  verra  plus  tard,  que  la  municipalité  devint 
r  Ensisheim  une  cause  de  désordres,  et  aggrava  la 
sion,  au  lieu  de  ramener  la  concorde  et  la  paix 
ni  les  bourgeois  i). 

Dans  les  villes  seigneuriales,  jusqu'alors  réfractaires 
3S  arrêtés,  la  Commission  suivit  la  même  ligne  de 
duite.  Ainsi  à  Belfort,  le  Magistrat,  après  s'être 
rvu  en  ("onseil  d'Etat  contre  l'arrêté  de  la  Commission 
ordonnait  l'érection  d'une  municipalité  en  cette  ville, 
it  conservé,  on  s'en  souvient,  au  vu  et  au  su  de 
ministration,  l'entier  exercice  de  ses  attributions,  bien 

des  élections  eussent  eu  lieu  le  lO  mai  1788.  La 
nmission  elle-même  lui  envoyait  régulièrement  ses 
îtés  pour  en  faire  la  publication,  les  mandats  d'im- 
ition,  les  requêtes  des  particuliers  pour  avis,  etc., 
c'était  en  présence  du  Magistrat  et  non  de  la  munici- 
té  que  les  milices  et  l'armée  avaient  prêté  le  serment 
uis  par  le  décret  du  10  août.  La  tranquillité  régnait 
is  la  ville,  malgré  les  troubles  du  dehors,  lorsque, 
septembre  1789,  les  procureurs  syndics  provinciaux 
icitèrent  de  l'Intendant  une  ordonnance  portant 
►nction  au  Magistrat  d'extrader  à  la  municipalité  les 
îs  et  les  papiers  concernant  l'administration  des  reve- 

patrimoniaux.  A  Belfort,  comme  partout,  on  se 
ignait  beaucoup  du  Magistrat,  de  sa  mauvaise  admi- 
ration, des  charges  exorbitantes  qu'il  imposait  aux 
ûtants,  etc.,  mais  du  moins  jusqu'alors  il  n'y  avait 
dans  cette  ville  ni  trouble,    ni  excès,   ni   désordre 


i)  Nous  n'avons  trouvé  aucun  document  relatif  k  Térection  d'une 
licipalité  à  Huningue.  Cependant  il  est  certain  que  cette  petite  ville 
Et  pas  exception,  et  bien  que  nous  ne  sachions  pas  la  date  précise 
quelle  elle  fut  soumise  au  nouveau  régime,  nous  pouvons  présumer 
ce  fut  à  répoque  à  laquelle  nous  sommes  parvenus. 


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LES  TROUBLES  DE    1 7  89  445 

d'aucune  sorte,  parce  qu'il  n'y  avait  pas  deux  autorités 
rivales  dont  l'une  cherchait  à  supplanter  l'autre.  Le 
Magistrat,  qui  ne  connaissait  pas  Tarrêt  du  3  juin  et 
se  prétendait  toujours  véritable  municipalité  existante, 
aux  termes  de  l'article  i"  du  règlement  de  1787,  se 
porta  évidemment  opposant  à  cette  ordonnance  et  fit 
remarquer  à  l'Intendant  que  la  mise  en  activité  d'une 
municipalité  illégalement  élue  créerait  à  Belfort,  comme 
partout,  un  véritable  dualisme  et  serait  inévitablement 
une  cause  de  désordre  et  une  source  de  division.  La 
Commission,  sans  tenir  compte  des  tristes  expériences 
qu'elle  avait  faites,  consulta  la  municipalité  elle-même, 
c'est-à-dire  la  principale  intéressée,  le  Comité  perma- 
nent »)  et  le  Bureau  de  Belfort.  Tous  trois,  en  parfaite 
communauté  de  sentiments,  furent  évidemment  d'avis 
que  l'ordre  public  ne  courrait  aucun  risque;  le  Bureau 
assurait  même  qu'il  était  't.  urgent  >  de  mettre  la  munici- 
palité en  activité  2).  Aussi,  par  arrêté  du  26  novembre 
1789,  elle  décida  que  l'ordonnance  du  12  septembre 
devait  être  exécutée  suivant  sa  forme  et  teneur,  après 
avoir,  le  12  novembre,  prié  l'Intendant  de  débouter  le 
Magistrat  de  son  opposition.  Les  registres  du  Magistrat 
n'existent  plus  et  ceux  du  district  de  Belfort,  beaucoup 
trop  laconiques,  ne  nous  permettent  pas  d'affirmer  posi- 
tivement que  l'arrêté  de  la  Commission  fut  le  commence- 
ment du  désordre  à  Belfort;  mais  il  est  plus  que  probable 
que  cette  municipalité  ne  copia  que  trop  fidèlement 
ses   voisines,    qu'elle   usa   des    mêmes   procédés,    ren- 


i)  Le  Comité  permanent  n^avait  aucun  caractère  officiel;  il  était 
composé  d\m  certain  nombre  de  membres  élus  par  les  bourgeois  et 
avait  pour  but  de  seconder,  dVssister  la  municipalité,  surtout  dans  les 
affaires  qui  regardaient  la  police.  Faut-il  dire  de  lui  ce  que  le  syndic 
ChaufTour  nous  apprend  des  r  Amis  de  la  Constitution  >  ?  Ces  comités, 
dit-il,  créés  dans  chaque  ville  du  royaume  à  l'image  du  comité  de 
recherche  de  l'Assemblée,  étaient  c  dans  la  réalité  des  espions  de  Tin- 
quisition  ». 

2)  Parce  que  le  Magistrat,  disait-il,  serait  à  la  fois  juge  et  partie 
dans  toutes  les  poursuites  que  les  décrets  chargent  les  municipalités 
d'intenter,  et  dans  la  faculté  qu'ils  leur  accordent  de  nommer  des  adjoints 
pour  l'instruction  des  procès  criminels  ! 


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446  REVUE  d'alsace 

contra  les   mêmes  résistances   et   provoqua  la    même 
agitation. 

11  en  fut  certainement  ainsi  à  Anamerschwihr.  Le 
4  avril  1788,  lorsque  les  commissaires  du  district, 
MM.  de  Berckheim  et  Metzger,  s'étaient  présentés  dans 
cette  petite  ville  seigneuriale  pour  y  faire  élire  une 
municipalité,  le  Magistrat  leur  avait  exhibé  six  diplômes 
impériaux,  dont  Tun  de  1388  et  l'autre  de  1432,  assimi- 
laient expressément  Ammerschwihr  aux  villes  impériales, 
et,  sans  lui  en  conférer  le  titre,  lui  en  assuraient  tous 
les  privilèges.  Ces  diplômes  avaient  été  confirmés  par 
l'arrêt  du  Conseil  souverain  de  1781,  qui  attribuait  au 
Magistrat  la  juridiction  en  matière  criminelle,  et  par 
une  ordonnance  de  l'Intendant  en  date  du  6  mai  1783. 
Grâce  à  ces  titres,  Ammerschwihr  fut  alors  traité  comme 
les  villes  impériales,  et  l'Administration  considéra  le 
Magistrat  comme  une  municipalité  existante  que  les 
règlements  entendaient  respecter.  Cette  décision  ne 
satisfit  pas  tout  le  monde.  Le  11  juin  1788,  quelques 
bourgeois  mécontents  adressèrent  une  requête  au  Bureau: 
le  Magistrat,  disaient-ils,  met  le  plus  grand  retard  dans 
la  reddition  de  ses  comptes;  il  entoure  son  administra- 
tion de  profonds  mystères  et  en  écarte  systématiquement 
la  bourgeoisie  :  de  là  un  mécontentement  que  l'érection 
d'une  municipalité  pourra  seule  calmer  ').  Le  Bureau 
cependant  reconnut  que  le  règlement  du  12  juillet  1787 
ne  paraissait  pas  pouvoir  être  appliqué;  aussi  pria-t-il 
la  Commission  d'obtenir  une  décision  particulière  du 
Gouvernement  qui  accordât  à  la  bourgeoisie  une  plus 
large  part  aux  affaires.  Le  13  novembre,  nouvelles 
plaintes  des  chefs  de  tribus  et  des  notables  d'Ammer- 
schwihr  que  le  Bureau  appuya  comme  la  première  fois. 
Mais  la  Commission  ne  répondit  pas,  soit  qu'elle  se 
crut  encore  les  mains  liées,  soit  plutôt  qu'elle  sentit  son 


1)  Les  difficultés  entre  le  Magi  trat  et  la  boorgeoisie  dataient  de 
plusieurs  amiées,  à  Ammerschwihr,  comme  dans  la  plupart  des  villes 
d^Alaace. 


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LES  TROUBLES  DE    1789  447 

-impuissance  à  la  suite  de  la  résistance  que  toutes  les 
villes  opposaient  à  ses  arrêtés.  Aussi  le  13  août  178g, 
au  plus  fort  de  l'insurrection,  la  bourgeoisie  d'Ammer- 
schwihr  crut  le  moment  venu  de  faire  elle-même  acte 
d'autorité,  en  quelque  sorte  un  petit  coup  d'état.  Elle 
se  ruinit  donc  spontanément,    et  après  que   le  bourg- 
mestre-régent Schielé,  au  nom  du  Magistrat,  eut  refusé 
d'assister  à  l'assemblée,  elle  nomma  vingt-quatre  députés 
qu'elle  chargea  de  préparer  ^'élection   d'une   municipa- 
lité.   Le    18,   qui   était  le  jour  fixé  pour  l'élection,    le 
Magistrat  assembla  la  bourgeoisie  au  son  de  la  cloche 
et  demanda  que  ses  membres  fussent  déclarés  éligibles, 
et   que   l'un    ou   l'autre    pût    poser  sa  candidature  au 
syndicat  »).    Sur   le   refus   de    la  majorité   il   se   retira. 
Alors  les  bourgeois  élurent  syndic,  par  227  voix  contre 
^jj   le  sieur  Hamberger,    avocat  au  Conseil  souverain, 
puis    donnèrent   pouvoir    aux  vingt-quatre  députés   de 
désigner   eux-mêmes   les    neuf   membres  qui   devaient 
composer   la   municipalité  parmi   un   comité   de  douze 
membres  qu'ils  avaient  précédemment  élus  2).  Le  procès- 
verbal  fut  dressé  par  le  notaire  royal  en  résidence    à 
Ammerschwihr,    assisté  de  six  assesseurs   spécialement 
désignés  comme  ténroins.    Remarquons  que  le  greffier, 
nommé  Giroud  (de  Brosse),  était  beau-frère  du  syndic. 
La  Commission,   par  arrêté  du  25  août,    confirma  pro- 
visoirement la  municipalité  élue  le  18,  et  en  attendant 
que  le  Roi  approuvait  sa  formation,  elle  lui  recommanda 
de  se  conformer  aux  Instructions   et  aux   Règlements 
comme  le   plus   sûr    moyen    de   rétablir   l'ordre   et    de 
conserver  la  tranquillité.  Aux  yeux  du  Magistrat,  cette 
confirmation  n'avait  évidemment  aucune   valeur,    et  la 
Commission  avait  d'autant^  moins  le  droit  de  la  donner 
que  la  municipalité  était  illégale  au  premier  chef.  Quel- 


1)  Le  Magistrat  avait  écrit  au  Bureau  pour  quMl  envoyftt  des  com- 
missaires chargés  de  présider  les  élections  ;  mais  le  Bureau  lui  répondit, 
le   1 7  août,  quMl  ne  pouvait  rien  faire  sans  les  ordres  de  la  Commission. 
2)  Toutefois,    aux    termes   du    procès«verbal,    la    municipalité  n'était 
I    ue  que  par  provision.  Ammerschwihr  comptait  380  feux. 


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530  REVUE   D'ALSACE 

XXXIX.   Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  4  mars  1785.  «J'envoie  procuration  à 
M.  Ingold  pour  liquider  la  succession  de  feu  mon  fils 
vis-à-vis  de  tous  les  débiteurs  ;  il  m'a  requis  de  deman- 
der votre  assistance,  secondez-le  dans  tout  ce  qui  sera 
conforme  à  la  justice  et  à  l'équité.  Il  vous  aura  instruit 
de  ce  que  je  me  propose  de  faire  pour  son  affaire. 
J'irai  demain  à  Paris  et  j'ai  envie  de  porter  Taffaire  au 
Conseil  des  dépêches  et  j'espère  obtenir  un  sursis  à 
l'arrêt  de  Colmar,  que  je  craindrais  de  ne  pas  obtenir 
au  Conseil  des  parties.  Mais  j'ai  demandé  à  M.  Ingold 
quelques  fonds  pour  aller  en  avant  et  pour  preuve  de 
mon  amitié  je  lui  ai  proposé  de  prendre  à  mon  compte 
l'argent  qu'il  m'enverra  si  je  ne  réussissais  pas,  et  je  me 
flatte  que  vous  l'engagerez  à  faire  les  avances  néces- 
saires pour  ouvrir  l'accès  au  Conseil  des  dépêches  par 
le  moyen  du  secrétaire  d'Etat  de  la  province  >. 

XL.   Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  le  18  mai  1785.  <  Votre  lettre  du  30  avril 
m'est  arrivée  il  y  a  peu  de  jours;  écrivez-moi  donc 
désormais  à  l^adresse  donnée  à  M.  Ingold.  Je  lui  envoie 
une  longue  instruction  avec  le  modèle  d'un  mémoire  à 
faire  au  ministre  de  la  province.  Je  mets  à  vos  intérêts 
et  à  ceux  de  votre  parti  qui  est  celui  de  la  décence 
et  de  la  probité  le  même  zèle  qu'à  mes  affaires;  mais 
vous  êtes  entouré  de  pièges,  et  il  faut  prendre  les  voies- 
les  plus  fines.  La  route  ordinaire  de  la  cassation  serait 
hérissée  de  longueur  et  de  chicanes,  vous  approuverez 
donc  le  plan  conçu  ici.  Je  consens  à  vous  vendre  la- 
dîme  de  Sausheim  au  prix  que  vous  fixerez;  je  vais- 
faire  faire  procuration  qui  je  pense  sera  pour  Ingold 
que  j'ai  prié  de  me  faire  passer  un  à- compte  dont 
j'aurai  besoin  pressant  au  commencement  du  mois- 
prochain  à  cause  de  mes  courses  et  sollicitations  qui 
grâces  à  Dieu  prennent  une  tournure  favorable». 


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LES   TRIBULATIONS   d'UN    SOLLICITEUR  531^ 

XLI.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  2  juin  1785.  «J'ai  reçu  votre  lettre  du. 
16  avec  le  nouvel  acte  de  vexation  y  joint.  Je  prie 
Dieu  de  vous  couvrir  de  son  bouclier.  Je  rougis  pour 
mes  compatriotes  de  l'affreuse  réputation  qu'ils  se  sont 
faite  dans  ce  pays-ci,  où  ils  passent  pour  être  les  plus 
grands  chicaneurs  du  royaume;  je  sais  bien  que  ce  sont 
les  Frafiçais  eux-mêmes  qui  ont  porté  la  contagion 
parmi  eux,  mais  elle  n'aurait  pas  dû  faire  de  pareils^ 
progrès  chez  une  nation  germanique.  Ce  polisson  de 
Biechy  vous  a  manqué  pour  faire  sa  cour  à  M.  de 
Spon  ;  mais  la  signature  de  M.  Holdt  au  bas  de  l'exé- 
cutoire qui  vous  a  été  signifié,  est  le  plus  indécent  \- 
cela  est  indigne.  Vous  avez  bien  fait  de  payer  en  pro- 
testant. J'ai  adressé  à  M.  Ingold  une  lettre  consolante 
contresignée  du  ministre.  La  requête  va  être  donnée 
au  Conseil  des  dépêches,  nous  aurons  le  Toutes  choses  ^ 
demeurantes  en  état.  J'attends  avec  impatience  le  mémoire 
de  M.  Ingold,  tel  que  j'en  ai  envoyé  le  modèle  au 
ministre;  cela  fera  le  plus  grand  effet,  car  le  ministre 
sera  le  rapporteur  de  votre  affaire  au  Conseil  des  dépêches. 
M.  Ingold  m'a  demandé  s'il  devait  venir  à  Paris  avec 
vous,  mais  vous  ne  feriez  que  dépenser  votre  argent 
inutilement;  je  désapprouve  ce  parti  entièrement.  Toutes 
les  voies  sont  préparées,  je  voudrais  pouvoir  vous  pro- 
curer le  succès  au  dépens  d'une  pinte  de  mon  sang. 
Mais  c'est  le  moment  de  ne  rien  épargner  en  frais  de 
sollicitations;  il  y  va  de  votre  honneur,  de  votre  tran- 
quillité et  de  la  fortune  du  pauvre  Ingold.  Soyez  bien 
persuadés  que  par  le  moyen  de  mes  alentours  je  vous 
épargnerai  à  Tun  et  à  l'autre  bien  des  frais  ;  mais  il  en 
est  d'indispensables,  si  on  veut  réussir,  et  j'en  ai  déjà, 
fait  de  cette  espèce;  je  n'en  donnerai  l'état  qu'après  le 
succès.  Mais  pour  pousser  avec  vigueur  dans  un  moment 
où  on  tient  chez  vous  le  couteau  sur  la  gorge  au  pauvre 
Ingold,  il  me  faut  de  nouveaux  fonds,  et  j'en  ai  demandé 
à   celui-ci   par   ma    dernière  lettre  le   plus  instamment  . 


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532  REVUE   D'ALSACE 

possible  >.  Vous  avez  reçu  procuration  pour  la  vente 
des  dîmes  de  Sausheim  que  je  vous  fais.  M.  de  Wider- 
spach  a  des  protections  puissantes  qu'il  emploiera  pour 
nous,  j'en  suis  sûr.  Je  me  persuade  que  vous  avez  chargé 
M.  Ingold  de  ma  procuration  pour  cette  vente;  je  pense 
que  vous  lui  avez  remis  ou  qu'il  avancera  de  ses  deniers 
4e  premier  terme  ou  un  fort  à-compte  au  moins  pour 
faire  face  aux  dépenses  indispensables  auxquelles  je  suis 
engagé  pour  la  suite  et  le  bien  de  nos  affaires  com- 
munes. Je  lui  ai  mandé  que  j'en  avais  un  besoin  pressant 
pour  le  commencement  de  ce  mois-ci.  Dès  que  l'affaire 
sera  engagée  au  Conseil  des  dépêches,  je  vous  y  ferai 
intervenir  pour  avoir  raison  de  cette  condamnation  de 
dépens  qu'on  vous  a  fait  subir  personnellement,  et  de 
l'insolence  du  huissier.  Je  vous  embrasse,  mon  cher  frère, 
de  tout  mon  cœur.  Des  nouvelles  et  des  fonds  sur-le- 
champ,  s'il  vous  plaît  >.  (Sans  signature,  il  n'y  avait 
^plus  de  place  au  bas  du  papier). 


Pour  copie  conforme: 

A.  DE  Saint-Antoine. 


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UN  AMI  DU  ROI  DE  PRUSSE. 

A  SAINTE-MARIE-AUX-MINES 

EN    1758 

(Deux  lettres  inédites  de  Schœpflin). 


On  était  en  pleine  guerre  de  Sept  Ans.  «Le  troi- 
sième jour  de  Pâques  >,  28  mars  de  Tan  de  grâces 
1758,  «un  cabaretier  >  de  Sainte-Mnrie-aux-Mines,. 
«  nommé  Steinhilbert >,  laissa  «deux  garçons  de  métier 
représenter  dans  un  cabaret  une  comédie  irrévérente 
et  condamnable,  dans  laquelle  ils  (firent)  entrer  en  lice 
la  personne  de  notre  sacré  monarque  avec  celle  du  roi 
de  Prusse  et  (lancèrent)  des  traits  indécents  et  criminels 
contre  Sa  Majesté  >. 

Cette  «  sale  aflfaire  >,  comme  dit  Schœpflin  dans  la 
première  des  deux  curieuses  lettres  qu'on  va  lire,  eut 
aussitôt  un  grand  retentissement.  Avec  plus  ou  moins 
de  raison  on  accusait  un  peu  partout  en  Alsace  les 
protestants  de  faire  des  vœux  pour  le  succès  des  armes 
du  roi  de  Prusse.  Le  cabaretier  et  les  deux  garçons  de 
métier  furent  aussitôt  arrêtés.  Très  inquiets  de  la  mau- 
vaise tournure  que  prenait  l'incident.  Messieurs  du 
Magistrat  de  Sainte-Marie  écrivirent  à  Schœpflin,  fort 
bien   en  Cour   comme   l'on  sait,   pour  lui   exposer   la 


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534  REVUE   D'ALSACE 

chose  et  lui   demander   son   appui.    Schœpflin  le  leur 
^promit  par  les  deux  lettres  suivantes  »). 


I. 

Strasbourg,  le  22  apr.   1758. 
Messieurs, 

Après  la  réception  de  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  Thon- 
oeur  de  m'écrire,  je  me  suis  transporté  dans  le  bureau  et 
ensuite  chez  M.  de  S.  André  •)  lui-même,  pour  prendre  con- 

^naissance  de  toute  Taffaire  en  question.  M.  le  ministre  de 
Sainte-Marie-aux-Mines  n'a  rien  à  craindre;  on  n'a  pas  fait 
attention  aux  plaintes  qui  le  regardent  et  tout  ce  qui  s'est  passé 
à  l'occasion  de  la  bénédiction  de  l'Eglise.  Mais  l'affaire  du 
cabaretier  et  des  deux  garçons  est  très  sale.  On  ne  la  traitera 
pas  juridiquement.  M.  de  S.  André  a  écrit  à  la  Cour  qui 
décidera. 

On  n'a  pas  donné  les  couleurs  les  plus  odieuses  au  délit. 
Aussi  le  cabaretier  est  dans  une  prison  honnête,  au  lieu  que 
les  garçons  sont  dans  le  cachot.  C'est  un  bonheur  pour  eux 

-qu'ils  sont  étrangers;  cela  rendra  leur  sort  moins  rigoureux.  11 
y  a  longtemps  qu'on  est  mécontent  ici  de  toutes  sortes  d'indé- 
eences  qui  se  passent  par  ci  par  là  dans  la  province,  à  l'occasion 
de  la  présente  guerre,  où  on  ne  marque  pas  assez  de  zèle  pour 

Je  bien  de  PEtat.  A  l'égard  de  Sainte-Marie-aux-Mines^  il  serait 
bon  d'avertir  les  habitants  d'être  sages  et  circonspects,  parce 

>qu'on  les  observera  de  près.   Antérieurement  à  la  dernière 

-scène,  il  s'est  passé  une  autre  au  sujet  de  la  reine  d'Hongrie 
qui  a  aggravé  celle  qui  vient  de  se  passer. 

Vous  connaissez,  Messieurs,  les  sentiments  et  le  zèle  avee 

w lesquels  j'ai  l'honneur  d'être  de  tout  mon  cœur, 

Messieurs, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 
Schœpflin. 


1)  Originaux    aux    Archives    départementales    de    la    Haute-Alsace, 
-"Supplément  de  Ribeaupierre,  V,  bailliage  de  Sainte-Marie. 

2)  Qui  commandait  en  Alsace  en  Pabsence  du  maréchal  de  Coigny. 


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UN    AMI   DU   ROI    DE   PRUSSE   EN    1758  535 

II. 

Strasbourg,  le  13  may  1758. 
Messieurs, 

Je  veux  bien  croire  que  dans  le  fait  du  cabaretier  en 
-question  il  y  a  plus  d'imprudence  que  de  méchanceté,  mais 
comme  cette  imprudence  lui  a  attiré  la  prison,  il  faut  penser 
de  l'en  retirer.  Or  les  bureaux  de  la  guerre  étant  accablé 
d'affaires  et  personne  n'ayant  informé  M.  le  maréchal  de 
Beirisle  qui  a  le  département  de  la  Province,  des  circonstances 
du  fait  qui  pourraient  être  favorables  au  prisonnier,  son  affaire 
pourrait  traîner  et  prendre  un  mauvais  tour  si  Ton  n'instruit 
pas  son  juge.  Dans  ces  circonstances  vous  ne  sauriez  vous 
dispenser,  Messieurs,  de  vous  intéresser  pour  un  sujet  de  votre 
prince,  qui  est  d'ailleurs  un  homme  de  bien,  qui  se  trouve  dans 
le  malheur  et  jusqu'ici  sans  protection  à  la  Cour.  Vous  expo- 
serez tout  succinctement  le  fait  à  M.  le  maréchal  qui  finira 
^lors  l'affaire. 

Vous  connaissez  les  sentimens  d'amitié  avec  lesquels  j'ai 
J'honneur  d'être  de  tout  mon  cœur. 
Messieurs, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

SCHŒPFLIN. 

A.  M.  p.   I. 


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L'EMPLACEMENT 

DE  LA  RENCONTRE   DE  CÉSAR  ET  D'ARIOVISTE 

ET   LE  CHAMP   DU   MENSONGE 


Encore  qu'il  y  ait  des  problèmes  historiques  plus 
ou  moins  iftsolublcs^  il  serait  fâcheux  de  renoncer  à. 
chercher  la  solution  la  plus  vraisemblable  de  questions 
telles  que  celle  de  l'emplacement  de  la  bataille  livrée 
par  César  à  Arioviste  ou  celle  du  Champ  du  mensonge. 
Il  n'est  pas  dit  d'ailleurs  que  nos  arrière-neveux  ne 
disposeront  pas  de  moyens  d'information  que  nous  ne 
soupçonnons  nullement. 

Nous  nous  permettons  donc  de  présenter  quelques 
arguments  nouveaux  en  faveur  de  l'opinion  que  nous 
soutenons  :  l'Ochsenfeld  est  le  lieu  où  le  gros  de  l'armée 
d' Arioviste  a  été  vaincu  par  César;  l'Ochsenfeld  est 
l'endroit  où  Louis-le-Débonnaire  a  été  trahi  par  ses  fils^ 

I. 

Parmi  les  plus  récentes  solutions  donn,ées  à  la 
question  de  la  rencontre  de  César  et  d' Arioviste,  il  en 
est  une  qui  paraît  avoir  gagné  le  terrain. 

M.  Colomb  I)  suppose  que  César  et  Arioviste  ne  se 
rencontrèrent  pas  en  Alsace.  César,  dit-il,  s'était  fortifie 

l)  Revue  archéologique,  3«  série,  xxxili,    1898,  21-62. 


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538  REVUE  d'alsace 

Certains  auteurs  ne  veulent  pas  admettre  que  des 
fuyards  aient  pu  longer  le  Rhin  sans  essayer  de  le 
passer.  Les  Germains  pouvaient  cependant  en  suivant 
cette  tactique  songer  aux  secours  postés  au  nord  vers 
Strasbourg,  et  c'est  une  explication  suffisante. 

Le  gros  de  l'armée  suève  a  sans  doute  parcouru 
environ  50.000  pas;  car,  nous  écrit  M.  Aug.  Gasser, 
le  Rhin  étant  difficile  à  traverser,  il  fallait  qu'Arioviste 
laissât  une  distance  assez  grande  entre  lui  et  César  pour 
essayer  de  prendre  les  dispositions  nécessaires  au  pas- 
sage, ce  qui  ne  lui  était  guère  possible  au  bout  de 
5.000  pas. 

D'un  autre  côté,  il  est  improbable  qu'Arioviste  en 
s'avançant  vers  la  Capitale  des  Séquanes,  ait  reculé 
jusqu'à  l'extrême  limite  de  ses  possessions.  Est-ce  là  le 
fait  d'un  homme  qui  ose  dire  à  César  quil  vienne  le 
trouver  chez  lui? 

Se  tenir  dans  l'expectative,  au  beau  milieu  du  tiers 
de  la  Séquanie,  occupée  par  lui  après  sa  victoire  sur 
les  Eduens,  est  au  contraire  le  parti  que  dut  prendre 
Arioviste  :  d'une  part  il  laissait  le  temps  aux  renforts 
suèves  de  venir  le  rejoindre  pendant  la  marche  de 
César  contre  lui,  et  d'autre  part,  en  cas  de  retraite,  i 
pouvait  reculer  sur  le  Rhin  ou  vers  le  Nord. 

Ce  tiers  de  la  Séquanie,  pense  M.  Gasser,  compre- 
nait certainement  la  Haute- Alsace,  peut-être  encore 
l'Ajoie,  Arioviste  ayant  sans  doute  voulu  conserver  cette 
porte  de  la  Bourgogne.  Nous  croyons  que  M.  Siebecker 
a  tort,  dans  son  Histoire  de  F  Alsace^  d'étendre  les  termes 
<  optimum  totius  Galliœ  »,  au  Donon  et  à  ses  environs»). 
Or  l'Ochsenfeld  occupe  à  peu  près  le  milieu  de  ce  tiers. 

Nous  pensons  donc  que  l'identification  topographique 
que  nous  avons  adoptée  à  la  suite  de  Laguille,  de 
Napoléon   III    et   d'autres   historiens,    bien   qu*elle    ne 


i)  Nous  ne  voyons  pas  comment  M.  Siebecker,  qui  place  le  champ 
de  bataille  aux  environs  de  Colmar,  peut  parler  d^une  fuite  vers  le 
sud-est. 


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LA  RENCONTRE  DE  CÉSAR  ET  d'aRIOVISTE  $39 

repose  sur  aucune  preuve  positive,  est  la  plus  vraisem- 
tblable  et  que  la  plaine  de  Cemay  a  été  le  théâtre  de 
l'action  principale  de  la  rencontre  de^César  et  d'Ariovîste. 


Un  mot  sur  une  autre  opinion.  D'après  M.  Poly  «), 
«César  aurait  campé  au-dessus  de  Champagney,  et  Ario- 
viste  à  Frahier,  et  la  bataille  aurait  été  livrée  aux 
'Champs-Belin.  L'argument  invoqué  par  M.  Poly  ne  nous 
parait  guère  probant.  Du  fait  que  c'est  à  Frahier  qu'on 
a  découvert  la  légende  d'Ernest,  roi  de  Belfort,  il  ne 
résulte  nullement  que  la  rencontre  a  eu  lieu  près  de 
Frahier.  Et  même  le  lieu  du  combat  serait-il  plus 
-ou  moins  clairement  désigné  dans  la  légende,  ce  ne 
serait  encore  qu'une  présomption  et  non  une  preuve 
^n  faveur  de  cette  hypothèse. 


IL 

Dans  la  question  du  Champ  du  mensonge  il  est 
impossible  de  négliger  une  difficulté  d'interprétation  de 
texte  très  importante  :  d'après  les  Annales  de  Saint- 
Bertin,   la   trahison   eut   lieu   dans   un  endroit  nommé 

<  Rothfeld^  id  est  rubens  Campus  ».  Faut-il  lire  rubens 
ou  n'est-il  pas  préférable  de  lire  rubeus?  Dans  le  premier 
cas,  le  nom  primitif  du  Champ  du  mensonge  est  bien 
Champ  rouge.  Mais  de  nos  jours  on  tend  à  croire  que 
le  Champ  maudit  s'appelait  d'abord  Rottfeld^  champ 
•dénudé,  en  friche  (comparez  l'allemand  atisrotten)  >),  et 
<lès  lors  il  faudrait  lire  rubens^   qui   signifie  aussi   bien 

<  de  ronces  >  que  <  rouge  >. 

Or  précisément  l'Ochsenfeld,  plus  que  toute  autre 
plaine  d'Alsace,  est  un  champ  infertile  en  grande  partie 


1)  Li  Ballon  (TAlsiUi.  Belfort«  Pilot,   1887. 

3)  Jules  Zbllir,  Fondation  dt  C Empire  girmaniqut^  Charlema^ne, 
OttoD,  etc.  3«  édition.  Paris,  1886.  p.  79. 


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44^  REVUE  D* ALSACE 

qae  justifiées  que  l'on  se  figure  les  plaintes  des  bour- 
geois, il  n*est  pas  moins  vrai  que  la  manière  dont  ils 
>avaient  procédé,  était  absolument  arbitraire,  lors  même 
qu'Ammerschwihr  eut  été  dans  le  cas  de  recevoir  une 
municipalité.  Encore  s'ils  avaient  trouvé  un  remède  à 
leurs  maux  imaginaires  ou  réels,  on  pourrait  les  excu- 
ser et  même  excuser  la  Commission  jusqu'à  un  certain- 
point.  Mais  le  remède  fut  pire  que  le  mal,  car  l'oppo- 
sition contre  le  Magistrat  trouvait  un  chef,  un  organe, 
et  là-bas,  comme  partout  ailleurs,  elle  eut  bientôt  franchi 
les  limites  de  la  modération.  Aussi,  dès  le  mois  d'oc- 
tobre, la  nouvelle  municipalité  voulut  faire  des  coupes 
de  bois  à  sa  guise  dans  les  forêts  de  la  ville,  et,  en 
novembre,  elle  entendit  supprimer  les  compétences 
du  Magistrat,  bien  que  certainement  elle  n'en  eut  pas 
le  droit.  Ce  fut  dès  lors  une  lutte  ardente  et  passionnée  '), 
lutte  qui  fut  la  cause  de  bien  des  désordres  et  de  bien 
des  excès  et  qui  se  continua  et  s'aggrava,  en  se  trans- 
formant, durant  toute  •la  Révolution. 

Ainsi  la  Commission  condamnait  l'insurrection  dans 
ses  proclamations  officielles,  mais  lui  donnait  en  quelque 
sorte  des  encouragements  indirects,  en  soutenant  les 
municipalités,  et  surtout  en  dotant  à  ce  moment  de  cette 
nouvelle  institution  toutes  les  villes  qui  jusqu'alors  en 
étaient  dépourvues.  Ce  fut  évidemment  une  des  raisons 
pour  lesquelles  le  général  de  Vietinghoff  et  les  Bureaux, 
malgré  leurs  efforts,  ne  réussirent  qu'à  ramener  le  calme 
en  apparence. 


i)  Le  4  décembre,  le  Bureau  dut  envoyer  un  commissaire  pour  faire 
cesser  la  guerre  que  les  exigences  de  la  municipalité  avaient  allumée, 
dit-il,  entre  elle  et  le  Magistrat,  parce  qu'elle  c  oVn  use  pas  avec  les 
égards  convenables  avec  le  Magistrat  >. 


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LES  TROUBLES  DB   I789  449 


CHAPITRE    SEPTIEME 

Pacification  du  val  de  Saint-Amarin.  —  Défaut  de  sûreté  et  de  sécu- 
rité. —  Arrêt  du  23  septembre.  —  Les  juifs.  —  Arrêté  du 
38  août.  —  Les  impositions  ne  sont  pas  payées.  —  Dégradations 
des  forêts.  —  L'Ordre  teutonique.  —  L'abbaye  de  Marbach  à 
Colmar.  —  Le  chapitre  de  Lautenhach  veut  se  retirer  soit  à 
Colmar,  soit  à  Sélestat. 

Toutefois  le  Général,  si  Ton  en  croit  son  panégyriste, 
remporta  un  véritable  triomphe  dans  la  vallée  de  Saint- 
Amarin,  un  des  foyers  de  Tinsurrection. 

Dans  le  commencement  d'août,  il  avait  reçu  l'ordre 
€  de  faire  enlever  par  la  maréchaussée,  soutenue  du 
militaire,  quelques  instigateurs  de  la  vallée  de  Saint- 
Amarin;  cette  opération,  très  aisée  à  calculer  dans  un 
cabinet,  avait  plus  de  difficultés  qu'on  ne  pourrait  le 
croire;  le  Général  prévit  tout»;  ses  ordres  furent  si 
bien  exécutés  par  le  commandant  du  détachement  «que 
les  coupables  dénoncés  furent  enlevés  sans  violence 
au  milieu  d'un  peuple  armé  et  sans  la  moindre  résis- 
tance ».  Il  semble  que  cet  acte  d'énergie  frappa  les 
insurgés  et  contribua  efficacement  à  les  faire  rentrer 
en  eux-mêmes.  Quoi  qu'il  en  soit,  lorsque  les  habitants 
de  la  vallée  apprirent  que  le  Général  devait  se  rendre 
à  Huningue,  ils  prièrent  le  bailli  de  Guebwiller,  Reich- 
stetter,  de  l'assurer  en  leur  nom  que  sa  seule  présence 
au  milieu  d'eux  suffirait  au  rétablissement  de  la  paix. 
Aussi,  le  jeudi  20  août,  après  avoir  encouragé  et  con- 
solé les  nombreux  fugitifs  de  la  vallée  qui  se  trouvaient 
à  Thann,  il  se  rendit,  l'après-midi,  à  Saint-Amarin,  sans 
escorte,  accompagné  seulement  de  son  aide  de  camp, 
M.  de  la  Rochelambeirt,  du  bailli  de  Guebwiller  Reich- 
stetter,  du  commandant  de  la  milice  bourgeoise  de 
Thann,  de  Schwilgué,  ancien  lieutenant-colonel  de  cava- 
lerie, et  de  quelques  notables  de  Thann,  malgré  les 
instances  les  plus  vives  et  le  danger  de  s'exposer  tout 
seul  au  milieu  d'un  peuple  armé,  dont  les  dispositions 
douteuses  inspiraient  encore  de  sériçusçs  inquiétudes. 


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•l 


450  RRVUE  D* ALSACE 

€  Il  trouva  le  curé  de  l'endroit  avec  plusieurs  autres  et 
vicaires  de  la  vallée,  accompagnés  de  tous  les  habitants, 
environ  au  nombre  de  mille,  venant  au  devant  de  lui. 
Il  mit  pied  à  terre  et  rentra  dans  Saint-Amarin  avec 
eux  ;  les  fugitifs  s'y  étaient  rendus  aussi.  Il  s'arrêta 
dans  la  rue,  et,  sur  une  petite  place  qui  pouvait  con- 
tenir tout  ce  monde,  il  les  harangua.  Enfin  il  eut  le 
plaisir  le  plus  doux  à  son  cœur  de  voir  ces  malheureux 
qui  s'étaient  laissés  emporter  à  la  fureur,  répandre  des 
larmes,  jeter  armes  et  bâtons  et  se  prosterner  devant 
lui  et  sur  son  passage . . .  J'aurais  presque  oublié  de 
vous  dire  qu'après  qu'il  avait  parlé  au  peuple  pour 
l'engager  à  payer  au  Roi,  à  la  noblesse  et  au  clergé 
ce  qui  leur  revenait  de  droit,  jusqu'à  ce  que  l'Assem- 
blée nationale  eût  prononcé,  il  se  retourna  du  côté 
des  curés  et  vicaires  et  leur  prêcha  une  si  bonne  et 
excellente  morale  qu'un  d'eux,  dont  je  ne  me  rappelle 
plus  le  nom,  prit  le  général  par  la  main,  et,  ayant  la 
larme  à  l'œil,  lui  assura  que  si  tous  les  habitants,  et 
même  ses  chers  confrères,  avaient  été  pénétrés  de 
pareils  sentiments,  la  paix  aurait  régné  dans  toute  la 
vallée  de  Saint-Amarin  >. 

Nous  ne  contestons  pas  la  parfaite  sincérité  du 
comte  de  la  Rochelamberf!  Mais  une  lettre  du  bailli 
du  département  d'OlIwiller,  Bach,  au  Bureau,  ou  à  la 
Commission  intermédiaire,  en  date  du  20  avril  1790, 
semble  bien  insinuer  que  le  succès  du  Général  fut  tout 
à  fait  momentané  et  de  bien  courte  durée,  car,  d'après 
le  bailli,  le  détachement  de  Cernay  ne  resta  pltisieurs 
mois  dans  cette  ville,  que  parce  que  la  vallée  de 
Saint-Amarin  t  menaçait  à  tout  instant  de  revenir  a  la 
charge  l^  »)    En  tout  cas,   il    est   certain    que  jusqu'au 


l)  La  Gimmission  avait  mis  à  la  charge  des  communautés  les  frais 
des  troupes  employées  à  la  repression  de  Tinsurrection.  Or,  en  mars 
1790,  les  maires  du  bailliage  d*011willer  déclaraient  que  «la  crainte  de 
supporter  des  frais  considérables,  est  peui-Ure^  aujour^hui  encort^  U 
seul  /rein  de  retenir  dans  le  devoir  les  communautés  qui  voudraient 
8* en  écarter  ». 


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LES   TROUBLES  DE    1 7 89  45 1 

3 1  août,  le  malheureux  garde  général  de  Saint-Amarin, 
Breymann,  ne  trouva  aucun  ouvrier  qui  voulut,  non 
pas  rebâtir,  mais  simplement  recouvrir  sa  maison  à 
moitié  démolie,  on  le  sait,  t  dans  la  crainte  de  s'ex- 
poser à  /a  fureur  des  habitants^  ce  qui  occasionna  la 
ruine  totale  des  murs  encore  existants  »  »). 

Quoi  qu'il  en  soit,  à  part  cette  exception,  si  toute- 
fois exception  il  y  eut,  tout  se  trouvait  encore  en 
fermentation.  On  sentait  bien  que  l'insurrection  était 
contenue,  comprimée,  mais  nullement  étouffée.  Un 
nombre  si  considérable  de  gens  sans  aveu,  de  pillards, 
de  maraudeurs  infestait  toujours  la  province,  que  le 
Bureau  de  Colmar,  dans  un  document  de  1790,  put 
qualifier  l'insurrection  de  178g,  d'insurrection  t,  des 
vagabonds  >.  Mais  comme  il  était  difficile  de  tenter 
quelque  coup  de  main  dans  les  communautés  à  cause 
de  la  présence  des  soldats,  on  se  divisait  en  petites 
bandes,  car  les  grands  attroupements  étaient  impossibles  ; 
on  attaquait  les  maisons,  même  les  hameaux  isolés,  et 
il  n'y  avait  plus  aucune  sécurité  sur  les  chemins  et  les 
routes.  Les  habitants  du  bailliage  de  Heiteren,  écrivait 
l'huissier  Court  à  la  chancellerie,  ne  sont  pas  seuls  à 
craindre,  <  mais  plus  qu'eux  encore^  les  brigands  qui  se 
sont  attroupés  et  roulent  les  chaussées  pour  exécuter 
des  mauvais  coups,  surtout  nuitamment  >.  <  Il  n'y  a  plus 
à  craindre  que  les  brigands  de  Lorraine,  disait  le  bri- 
gadier de  la  maréchaussée  Boob  au  conseiller  Radius; 
ils  ont  volé  vendredi  dernier  un  censier  et  maltraité  sa 
femme;  ils  étaient  seize  hommes  bien  armés;  samedi 
j'ai  fait  une  traque  avec  plus  de  400  hommes  et  n'ai 
rien  découvert.  Je  prendrai  des  mesures  pour  les  chasser 
et  arrêter  les  mutins  des  communautés  qui   pourraient 


i)  Le  23  février  1791,  le  directoire  du  district  d*AItkirch,  sur  les 
réquisitions  du  procureur  de  la  commune  de  Saint-Amarin,  estima  qu^il 
y  avait  lieu  d'envoyer  un  détachement  de  30  hommes  dans  la  vallée, 
pour  mettre  un  terme  à  la  dévastation  des  forêts,  veiller  à  la  siïreté 
de«  personnes  et  empêcher  «  te  renouvellement  des  scènes  fâcheuses 
dont  les  citoyens  de  cette  vallée  ont  présenté  le  tableau   scaqdaleux  >, 


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453  REVUE  D' ALSACE 

avoir  la  velléité  de  se  joindre  à  eux  (lO  août)».  Depuis 
que  r Assemblée  nationale  avait  aboli  le  droit  de  chasse 
exclusif,  tout  le  monde  pouvait  être  armé,  et,  sous 
prétexte  de  tuer  ou  de  détruire  le  gibier  sur  son  propre 
fonds,  droit  reconnu  à  chacun  par  les  décrets,  il  se 
commettait  journellement  des  violences,  même  des 
meurtres  ;  on  ravageait  la  campagne,  on  n'épargnait 
pas  la  récolte,  surtout  dans  le  vignoble,  où  Ton  anéan- 
tissait sans  scrupule  <  le  peu  d'espérance  des  cultiva- 
teurs» »).  Le  danger  que  courraient  ainsi  les  récoltes  était 
si  sérieux  qu'il  éveilla  la  sollicitude  du  Procureur  géné- 
ral. Celui-ci  dénonça,  le  25  septembre,  au  Conseil  sou- 
verain les  excès  qui  se  commettaient  partout  sous 
prétexte  de  chasse  et  représentait  que  «pour  parvenir 
à  l'impunité  de  pareils  désordres,  on  se  porte  à  employer 
des  menaces  contre  les  gardes-chasse  assermentés  et  à 
les  empêcher  de  faire  leur  rapport  des  délits  qu'ils 
pourraient  découvrir  dans  leurs  tournées»;  que  cepen- 
dant les  gardes-chasse  ne  devenaient  pas  inutiles,  mais 
avaient  été  expressément  maintenus  par  le  décret  du 
10  août  ;  car  ils  devaient  désormais  veiller  à  ce  que 
la  chasse  fut  exercée  de  la  manière  et  dans  les  temps 
permis,  etc.  *).  La  Cour,  sur  ce  réquisitoire,  enjoignit  aux 
gardes-chasse  de  continuer  leurs  tournées  et  de  veiller 
spécialement  à  la  conservation  des   fruits   de   la   terre. 


i)  «  Nombre  d^habitants  de  cette  province,  abusant  de  la  faculté 
accordée  à  un  chacun  de  détruire  le  gibier  sur  ses  propres  fonds,  com> 
mettent,  sous  prétexte  de  la  chasse,  toute  sorte  de  dégâts  et  de  violences 
dans  les  campagnes,  au  point  quMl  en  est  résulté  des  meurtres  et  des 
dégradations  qui  détruisent,  dans  le  vignoble  surtout,  le  peu  d'espérance 
des  cultivateurs».  (Arrêt  du  25  septembre   1789). 

2)  La  chasse  fut  pendant  longtemps  encore  une  cause  de  désordre. 
Le  18  novembre  1790  le  Conseil  général  du  département  prit  l'arrêté 
suivant  :  Considérant  <  qu'il  est  notoire  que  bien  des  gens  se  livrent 
à  la  chasse  par  fainéantise  et  abandonnent  ou  négligent  des  travaux 
utiles;  que  d'autres  plus  criminels,  de  ceux-là  surtout  qui  n'ont  rien 
ou  peu  de  chose  à  perdre,  ne  vont  à  la  chasse  que  pour  piller  les 
forêts  et  quelquefois  les  passagers...;  que,  sans  contrevenir  aux 
décrets...,  remédiant  au  contraire  au  plus  fort  des  abus,  et  notamment 
à  la  liberté  des  courses  vagabondes  dans  les  forêts...»,  le  Conseil 
décrête  que  les  chasses  et  pêches  communales  seront  lonées  par  adju- 
dication pour  trois  ans. 


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LES  TROUBLES  DE   1789  4$j 

leur  ordonna  de  déposer  les  rapports  aux  greftes  ou 
notariats  dans  les  vingt-quatre  heures,  défendit  de  les 
troubler  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  à  peine 
d'être  poursuivi  à  l'extraordinaire,  et  ordonna  aux 
magistrats,  juges,  baillis,  prévôts,  syndics  et  commu- 
nautés, d'observer  et  de  faire  observer  cet  arrêt  sous 
leur  propre  responsabilité. 

Les  juifs  eux-mêmes  étaient  devenus  dangereux 
pour  la  tranquillité  publique.  Chassés  de  leurs  domiciles, 
ils  erraient  (Je  tous  côtés,  mendiant  leur  pain,  lorsqu'ils 
n'avaient  pas  trouvé  refuge  et  asile  dans  quelque  loca- 
lité; et  l'on  sait  de  quoi  sont  capables  les  mendiants 
dans  la  nécessité  »).  L'administration  leur  avait  bien 
ordonné  de  rentrer  dans  *leurs  foyers,  mais  les  commu-* 
nautés  ne  voulaient  plus  les  recevoir.  Le  14  août,  le 
Bureau  de  Colmar  fut  obligé  de  sommer  la  municipalité 
de  Wintzenheim  de  ne  pas  s'opposer  au  retou^  des 
juifs  aux  termes  de  l'injonction  expresse  qu'elle  en 
avait  reçue,  et  la  déclara  responsable  d'avoir  désobéi 
aux  arrêtés  de  la  Commission.  Dans  le  Sundgau  où  le 
nombre  des  juifs  était  considérable,  le  maréchal  de 
Castéja  dut  faire  imprimer  des  circulaires  avec  le  nom 
de  la  communauté  en  blanc,  dans  lesquelles  il  rappelait 
que  les  juifs,  comme  les  autres  citoyens,  étaient  sous 
la  protection  du  Roi,  que  toute  assistance  leur  était  due 
pour  assurer  la  sécurité  de  leurs  personnes  et  de  leurs 
biens;  en  conséquence  il  enjoignait  aux  prévôts,  syndics 
et  municipalités  de  recevoir  tous  les  juifs  qui  habitaient 
la  communauté  avant  l'insurrection  et  de  leur  prêter 
secours  en  cas  de  besoin,  le  tout  sous  leur  propre 
responsabilité.  Le  20  août  les  syndics  généraux  de  la 
nation  juive  présentèrent  une  requête  au  comte  de 
Rochambeau,  requête  par  laquelle  ils  demandaient  qu'on 


I)  Le  20  août  le  Bureau  de  Colmar  proposait  à  la  Commission  le 
maintien  des  différents  détachements  de  troupes  qui  se  trouvaient  dans 
la  province;  «ce  coidon  éloignerait  les  Jui/s  mendiants^  gens  sans  aveu 
et  les  bandits  qui  ne  manqueront  dMnfester  le  pays  •. 


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454  REVUE   D* ALSACE 

fît  rentrer  les  juifs  réfugiés  à  Bâle  et  à  Mulhouse,  et 
pour  ce  qu'on  déclarât  les  communautés  solidairement 
responsables  de  tout  délit  et  de  tout  crime  qui  seraient 
commis  contre  les  juifs.  Comme  il  n'appartenait  ni  au 
commandant  ni  à  la  Commission  de  décréter  une  pareille 
mesure,  la  Commission  se  contenta  de  rendre,  le  28  août, 
l'arrêté  suivant,  qu'elle  jfit  afficher  dans  toutes  les  com- 
munautés :  La  Commission  a  appris  avec  douleur  les 
violences  dont  les  juifs  ont  été  victimes.  On  frémit  de 
voir  des  chrétiens  agir  c  avec  autant  de  barbarie  >  contre 
des  hommes  qui  ont  droit  à  la  protection  des  lois.  Le 
mal  est  fait;  t  des  familles  entières,  vieillards,  femmes, 
enfants,  sont  dispersés  ;  ils  errent  sans  doriiicile  et  sans 
ressource  >.  La  Commission  se  persuade  <  qu'il  n'y  a 
que  les  gens  sans  aveu  qui  se  soient  livrés  à  ces  excès  ». 
Aussi  elle  ordonne  aux  municipalités  de  veiller  à  ce 
que  les  juifs,  restés  ou  rentrés,  ne  soient  plus  inquiétés, 
de  dénoncer  à  la  justice  ceux  qui  chercheraient  à  leur 
nuire,  et  de  prêter  main  forte  aux  opprimés.  Elle  déclare 
qu'en  cas  de  nouveaux  excès,  les  communautés  où  ils 
se  produiraient  seraient  traitées  comme  séditieuses  et 
tenues  de  réparer  tous  les  dommages. 

Toutes  ces  mesures  ne  calmèrent  point  la  colère 
populaire  contre  les  juifs  et  ne  garantirent  pas  ces 
derniers  contre  les  aggressions  violentes  dont  ils  étaient 
souvent  les  victimes,  surtout  quand  ils  s'avanturaient  isolé- 
ment sur  les  chemins  et  les  grand'routes.  Un  moment 
même  on  craignit  le  renouvellement  des  désordres  que 
l'on  avait  si  péniblement  pu  réprimer  »).  Aussi,  le 
10  septembre,  le  Bureau  de  Colmar  intervint  en  faveur 
des  juifs  à  Wintzenheim,  où  l'on  cherchait  à  soulever 
de  nouveau  la  population  contre  eux. 

Au  milieu  de  cette  «  anarchie  >,  selon  l'expression 
du  Bureau  de  Colmar,  le  recouvrement  des  impositions 


1)  Le  ((énéral  de  Flachsianden  écrivit  à  M.  Chauffour  depuis  Paris, 
le  ai  septembre  1789  :  cj^ai  bien  peur,  et  ce  n^est  pas  sans  quelques 
raisons,  qu^on  ne  renouvelle  les  insurrections  dans  notre  malheureuse 
province;  je  crois  être  sûr  qu^on  y  travaille  >. 


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tHS  TROUBLES  DE    1789  455 

royales  était  à  peu  près  impossible.  Le  bailli  Reiset 
se  plaignit  amèrement  de  la  situation  alarmante  des 
départements  qui  lui  étaient  confiés,  et  le  Bureau  de 
Colmar,  en  en  prévenant  la  Commission,  ajoutait:  «C'est 
à  peu  près  la  même  chose  partout  ».  Cependant  il  ne 
ménageait  pas  les  menaces  au  besoin,  dans  l'espoir  de 
hâter  quelque  peu  la  rentrée  des  impositions  en  retard. 
Ainsi,  le  15  septembre,  il  écrivait  à  Guebwiller  :  «Ne 
pas  payer  les  impositions  royales,  est  le  fait  de  gens 
révoltés  ;  on  a  dénoncé  au  Bureau  les  auteurs  de  propos 
séditieux  tendant  à  en  empêcher  le  recouvrement;  ils 
seront  poursuivis  avec  la  plus  grande  rigueur,  et  désor- 
mais la  municipalité  sera  elle-même  responsable  de  tout 
retard  >.  Nous  ne  savons  pas  si  le  Bureau  put  tenir 
parole  ;  mais  il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  ses  menaces 
demeurèrent  lettre  morte"). 

On  peut  s'imaginer  quel  devait  être  alors  l'état  des 
forêts!  Lorsque  les  gardes,  chargés  de  veiller  à  leur 
conservation,  n'étaient  pas  de  connivence  avec  les 
émeutiers,  ils  ne  pouvaient  que  fermer  les  yeux  et 
laisser  faire;  car  dans  l'impossibilité  de  s'opposer  par 
la  force  aux  entreprises  des  délinquants,  ils  eussent 
payé  de  leur  vie  la  simple  menace  de  verbaliser  et 
ne  pouvaient  pas  compter  sur  l'appui  et  le  secours  de 
l'autorité  supérieure,  qui  était  absolument  incapable  de 
les  soutenir;  ce  qui  s'était  passé  à  Thann  et  dans  la 
vallée  de  Saint-Amarin  leur  avait  servi  de  leçon.  Aussi 
les  forêts  étaient  à  peu  près  livrées  sans  défense  aux 
incursions  des  paysans.  Dans  les  trois  districts,  on  se 
plaignit  des  dévastations  dont  elles  étaient  journellement 
l'objet,  et  les  bureaux  s'efforçaient  d'y  remédier  selon 
leur  pouvoir,  mais  bien  inutilement.  Le  district  de  Col- 
mar, dans  lequel  se  trouvait  les  plus  belles  forêts,  avait 
plus    particulièrement    à   souffrir.    Ainsi    les   forêts    de 


1)  On  ne  payait  pas  plus  tes  droits  seigneuriaux.  Le  3  novembre 
la  municipalité  de  Sainte-Marie  6t  publier  à  son  de  caisse  qu*on  n'avait 
plus  h  les  acquitter. 


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45^  REVUE  D^ ALSACE 

Roilifach,  Wettolsheim,  Pfaffenheim,  toute  la  vallée  de 
Munster,  Ammerschwihr,  Lautenbach,  Ribeauvillé,  Berg- 
beim,  Sainte-Marie,  etc.,  étaient  littéralement  saccagées; 
les  forêts  seigneuriales  du  prince  de-Wiirtemberg  étaient 
ravagées  t  avec  fureur  >  ;  et  il  se  commettait  des  dégra- 
dations €  énormes  >  dans  le  val  d'Orbey.  Le  Bureau 
faisait  de  son  mieux  pour  réprimer  ces  désordres.  Ainsi, 
le  3  août,  il  permit  le  port  d'armes  aux  sept  gardes 
forestiers  de  Wasserbourg  t  jusqu'à  nouvel  ordre  en 
ces  temps  difficiles  >.  Le  19  novembre,  il  écrivit  à 
M.  de  Montbello,  commandant  de  Sélestat,  que  la  muni- 
cipalité d'Orbey  était  impuissante  à  empêcher  les  dégra- 
dations des  forêts  du  Val,  signalées  depuis  le  4  août; 
il  priait  le  commandant  d'ordonner  au  détachement  de 
Lapoutroie  de  diriger  ses  patrouilles  jusque  dans  ces 
forêts,  situées  tout  au  plus  à  une  lieue  du  village;  et, 
si  ce  moyen  était  inefficace,  il  se  proposait  de  deman- 
der au  commandant  supérieur  l'établissement  d'un  poste 
de  dix  hommes  à  Orbey  même  »).  Mais  des  mesures 
de  ce  genre  étaient  exceptionnelles  et  ne  pouvaient 
être  prises  partout  ;  et  trop  souvent  le  Bureau,  sentant 
son  impuissance,  dut  renoncer  à  réprimer  les  délits 
qu'on  lui  dénonçait.  Ainsi  il  avoua  qu'il  ne  pouvait 
rien  contre  les  nombreux  vols  de  bois  commis  jour- 
nellement à  Bennwihr  2). 

C'est  dans  des  circonstances  aussi  critiques  que  le 
baron  de  Stirtzel,  commandeur  de  l'Ordre  teutonique, 
fit  mettre  en  sûreté  de  l'autre  côté  du  Rhin  les  valeurs, 
l'argenterie,  les  documents  les  plus  importants,  surtout 
les   titres  de  propriété  de  l'Ordre  en  Alsace  3).    C'est 


i)  Les  dégâts  commis  dans  les  seules  forêts  seigneuriales  du  comté 
de  Ribeauvillé  furent  estimés,  le  23  janvier  1791,  à  *.5.493  liv.  18  s. 
Dans  le  bailliage  de  Ferrette  les  dégradations  furent  tell^  qu'on  8*en 
ressentait  encore  en  1839,  dUprès  un  Mémoire  de  la  ville  de  Ferrette 
au  sous-préfet. 

3)  Nous  n'insistons  pas,  parce  qu'on  trouve  de  plus  amples  détails 
sur  ce  sujet  dans  V Alsace  au  xviii»  silcU^  IV,  chap.  2%  11  en  était  de 
même  des  pâturages  seigneuriaux. 

3)  Les  18  et  26  août,  le  baron  ordonna  au  receveur  de  l'Ordre  à 
Rouffach  de  faire  transporter  dans  le  plus  grand  secret  â  Fribourg   en 


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LES  TROUBLES  DE    1789  457 

alors  aussi  que  les  religieux  de  Marbach,  dont  Tabbaye 
était  tout  à  fait  isolée,  durent  chercher  un  refuge  à  Col- 
mar.  Leurs  forêts  et  leurs  propriétés  étaient  ravagées  et 
les  murs  de  leur  abbaye  ne  les  défendaient  pas  contre  les 
émeutiersi).  Aussi  leurs  biens  et  même  leur  vie  était 
en  danger,  ils  se  rendirent  à  l'invitation  des  chefs  et 
représentants  de  la  bourgeoisie  de  Colmar,  et  vinrent 
occuper  leur  hôtel  en  cette  ville,  en  attendant  que  Ton 
pût  faire  prononcer  par  Tautorité  compétente  leur  sécu- 
larisation et  leur  union  au  chapitre  Saint-Martin  2). 

Le  chapitre  de  Lautenbach,  qui  avait  toujours  tout 
à  craindre  de  Tanimosité  des  gens  de  la  vallée,  prit 
une  résolution  analogue  pour  les  mêmes  raisons.  Le 
14  septembre,  sur  l'invitation  du  prévôt  Antoine  Gérard, 
conseiller-clerc  au  Conseil  souverain,  tous  les  chanoines 
et   bénéficiers   du  chapitre   se  réunirent  à  Isenheim3). 


Brisgaa  les  objets  précieaz  de  la  Commanderie.  (Après  le  départ  de 
Rouffach  du  général  de  Vietinghoff,  on  craignit  de  voir  se  reproduire 
dans  cette  ville  les  excès  qui  avaient  désolé  Guebwiller).  Il  est  probable 
que  pareil  ordre  fut  donné  aux  autres  maisons  d'Alsace. 

I  )  C'était  des  menaces  <  qu'on  renouvelle  sans  cesse  et  qu'on  cherche 
à  exécuter,  même  en  forçant  l'abbaye  k  souscrire  à  bien  des  objets 
qu'on  demandait  d'elle  à  force  ouverte,  si  les  malintentionnés  n'en 
avaient  pas  été  empêchés  par  l'arrivée  d'un  prompt  secours  fourni  par 
la  ville  de  Colmar  >.  —  «  Dangers  multipliés  que  l'abbaye  de  Marbach 
a  encourus»  au  point  qu'à  plusieurs  reprises  elle  est  venue,  même  an 
milieu  de  la  nuit,  solliciter  des  secours  des  habitants  de  Colmar  ti 
^At/e  des  représentants  de  Colmar,  i6  septembre  17H9;  Réfltxhns 
sommaires  sur  la  réunion  de  l'abbaye  de  Marbach  au  chapitre  Saint- 
Martin), 

2)  Pour  plus  de  détails,  voir  :  Le  dernier  abbé  de  Marbach^  et 
V Abbaye  de  Marbach  et  le  Nécrologe  de  1241, 

3)  Etaient  présents  :  Pierre  Félix  Antoine  Gérard,  prévôt;  Prosper 
de  Bergeret,  custos;  Jean  Meistertzheim,  curé  de  Lautenbach;  Maurice 
Gabert,  écolâtre;  Jean  Michel  Schoff,  Joseph  du  Rost  de  Boisvert,  George 
Philippe  Bouat,  tous  chanoines,  le  dernier  cependant  non  capilulaire; 
Françoig  Ignace  Baccara,  Antoine  Knôpffler,  chapelains.  Le  doyen  Goetz* 
mann,  le  chanoine  Meffert  et  le  chapelain  Ingold  ne  répondirent  pas  à 
la  convocation  qu'ils  avaient  reçue.  M.  Véron-Reville  prétend  que  les 
troubles  de  la  vallée  forcèrent  tous  les  chanoines  à  se  réfugier  à  Colmar; 
c'est  une  erreur.  Trois  chanoines  seulement,  l'écolâtre  Gabert  certaine- 
ment, et  très  probablement  MM.  de  Bergeret  et  de  Boisvert,  cherchèrent 
un  refuge  dans  cette  ville,  les  autres  demeurèrent  à  Lautenbach;  le 
choix  d'Inenheim,  situé  à  mi-chemin  entre  Colmar  et  Lautenbach,  ferait 
à  lui  seul  supposer  que  la  plupart  n'avait  pas  encore  quitté  alors  le  lieu 
de  leur  résidence. 

Rtwt  d*Al$aee,  1907  80 


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45^  REVUE  d' ALSACE 

Le  prévôt  représenta  tout  le  danger  qu'il  y  avait  pour 
le  chapitre  de  rester  à  Lautenbach;  il  y  allait  de  sa 
conservation  comme  corps  ecclésiastique,  autant  que 
de  la  sécurité  de  ses  membres.  Il  mit  donc  en  délibé- 
ration la  question  de  savoir  s'il  y  avait  lieu  ou  non 
d'opérer  sans  retard  une  translation  qui  paraissait  urgente 
et  nécessaire.  L'affirmative  fut  adoptée;  toutefois  les 
deux  chapelains  déclarèrent  que  les  raisons  qui  avaient 
fait  impression  sur  l'assemblée,  n'étaient  pas  déter- 
minantes pour  eux  et  qu'ils  réservaient  leur  opinion. 
Alors  le  prévôt  proposa  trois  partis  :  se  réunir  au  cha- 
pitre Saint-Martin  de  Colmar,  se  réfugier  à  Sélestat,  ou 
enfin  chercher  un  asile  à  Brisach.  Tous  les  capitulaires 
furent  d'avis  de  se  rendre  à  Brisach,  sauf  à  se  décider 
pour  Sélestat  en  cas  de  difficulté  de  la  part  des  évêques 
diocésains»),  de  la  bourgeoisie  ou  du  chapitre  Saint- 
Martin.  Le  chanoine  Bouat,  qui  n'était  pas  capitulaire^ 
consentait  à  la  translation  à  Colmar,  mais  ne  voulait 
pas  entendre  parler  de  Sélestat.  Les  chapelains  deman- 
dèrent un  délai  pour  faire  connaître  leur  avis.  En  con- 
séquence de  cette  délibération,  les  capitulaires,  qui 
avaient  éprouvé  <  des  violences  qui  ont  menacé  leurs 
jours  et  les  ont  forcé  de  souscrire  à  des  capitulations 
honteuses»,  violences  dont  ils  redoutaient  à  tout  moment 
le  retour,  décidèrent  que  s'ils  étaient  obligés  par  les 
circonstances  à  opérer  leur  translation  avant  qu'elle  ne 
fût  autorisée  par  les  supérieurs  civil  et  ecclésiastique,  ils 
rempliraient  après  coup  les  formalités  nécessaires  en  vue 
de  ladite  réunion  et  translation,  et  donnèrent  dès  à 
présent  au  prévôt  pouvoir  de  négocier  avec  la  bour- 
geoisie et  le  chapitre  de  Colmar,  ou  avec  la  bourgeoisie 
de  Sélestat  leur  admission  dans  l'une  de  ces  deux  villes, 
ainsi  qu'il  avait  été  résolu.  Nous  ignorons  si  le  prévôt 
s'acquitta  du  mandat  qu'il  avait  reçu;  mais  les  nouvelles 
lois  religieuses,   dont  l'Assemblée  nationale  allait  sous 


i)  Lautenbftch  était  soiw  la  juridiction   de   Tévèque   de   Strasbourg, 
bien  qu'enclavé  dans  le  diocèse  de  Bftle. 


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LES  TROUBLES  DE    1789  459 

peu  doter  la  France,  furent  certainement  un  obstacle 
à  ses  démarches,  ou  rendirent  complètement  inutiles 
toutes  celles  qu'il  avait  déjà  faites. 

D'ailleurs  d'autres  préoccupations  très  graves  com- 
mençaient à  se  faire  jour  dans  le  pays  et  menaçaient 
de  reculer  bien^loin  encore  le  rétablissement  de  la  paix. 
D'un  côté  on  parlait  beaucoup  de  disette;  la  récolte 
avait  manqué  ;  les  troubles  n'avaient  pas  été  un  encou- 
ragement à  la  culture,  les  blés  et  la  vigne  avaient  beaucoup 
souffert  des  intempéries  de  la  saison  :  de  là  de  sérieuses 
inquiétudes.  D'un  autre  côté,  les  nouvelles  lois  orga- 
niques, soit  civiles,  soit  religieuses,  lorsqu'elles  furent 
exécutées,  achevèrent  de  bouleverser  une  province  que 
la  guerre  civile  avait  déjà  si  fortement  troublée. 

Ch.  Hoffmann. 


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ENCORE  GRANDIDIER  POÈTE 


Grâce  à  une  bienveillante  communication  de  Mgr.  Mar- 
bach,  nous  avons  la  bonne  fortune  de  pouvoir  publier 
de  nouveau  plusieurs  petites  pièces  de  vers  inédites  de 
Grandidier  »). 

Comme  Sa  Grandeur  Mgr.  l'évêque  de  Paphos  veut 
bien  nous  l'écrire,  cette  publication  n'ajoutera  pas 
grand'chose  à  la  gloire  de  l'illustre  historien  de  l'Eglise 
de  Strasbourg.  Mais,  je  l'ai  dit  autre  part  2),  elle  a 
incontestablement  son  intérêt.  Nous  donnons  ces  pièces 
dans  leur  ordre  chronologique. 

Enigme. 

Pour  remplir  un  certain  vide 

Précaution  m'a  posté 

Près  d'un  réduit  où  réside 

L'agent  de  la  volupté* 
âans  moi,  dans  ce  réduit  où  certain  dieu  préside, 

L'ennemi  subtil  entrerait. 

L'ami  du  cœur  en  sortirait. 

Si  je  n'en  gardais  bien  la  porte. 
Mais,  hélas  I  un  brutal,  pourtant  industrieux, 
Joignant  l'effort  à  l'art  me  chasse  avec  main-forte 

De  ce  poste  délicieux. 


1)  Mgr.  Marbach,  on  se  le  rappelle,  avait  déjà  communiqué  à  la 
Revue  catholique  (T Alsace  (1891)  deux  pièces  de  vers  de  Grandidier.  — 
Toutes  ces  pièces  sont  publiées  d'après  les  autographes. 

2)  Grandidier  puete^  page   1 6. 


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ENCORE  GRANDIDIBR  POÈTE  46 1 

Son  fer  me  fait  une  blessure  ; 

Je  cède  ;  il  faut  enfin  contenter  son  désir. 
Alors  un  bruit  d'un  bon  augure, 
S'il  est  suivi  d'un  doux  murmure, 

Au  fripon,  qui  me  force,  annonce  du  plaisir. 

1772  »). 


Portrait  d'un  moine. 

Parodie  de  V homme  de  Rousseau, 

Qu'un  moine  est  bien  pendant  sa  vie 
'    Un  parfait  miroir  de  douleur. 
Au  cloître  il  rencontre  l'envie, 
Et  dans  chaque  frère  un  censeur. 

Fait-il  dans  sa  jeunesse 
Quelque  chose  mal  à  propos, 
Jusque  dans  l'extrême  vieillesse 
On  lui  reproche  mot  pour  mot. 

Il  ne  peut  démasquer  le  erime, 
Ni  du  cloître  être  le  censeur. 
Il  est  tenu,  c'est  la  maxime, 
A  bien  parler  de  son  prieur. 

Dans  un  couvent  le  maître  impose. 
Il  faut  toujours  baisser  le  ton  : 
f  Eussiez-vous  seize  ans  avec  quatorze, 

Le  prieur  a  toujours  raison. 

Il  faut  être  uniforme  et  nôtre, 
Sans  cela  tout  serait  perdu. 
S'il  a  du  bon  sens  plus  qu'un  autre^ 
Pour  le  coup  le  moine  est  tondu. 

Unis  par  la  même  promesse, 
Désunis  de  cœurs,  d'intérêts. 
On  vit  ensemble,  sans  tendresse, 
Et  l'on  se  quitte  sans  regrets. 

i)  J'fti  trouvé  le  mot  de  l'énigme,  a-t-on  ajouté  au  rayon  sur  Pauto- 
graphe;  c'est  Bouchon  d'aune  bouteille,  Grandidier  Pavait  indiqué  en 
caractères  cryptographique  a. 


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462  REVUE  D'aLSACE 

En  accomplissant  ce  système, 
Un  moine  certes  a  fait  grand  bien, 
Quand  on  n'est  propre  qu'à  soi-même, 
Ici-bas  l'on  n'est  propre  à  rien. 

1773. 


Epigramme. 

A  votre  cœur,  Iris,  il  ne  faut  plus  prétendre  : 
C'en  est  donc  fait,  perfide  :  un  autre  est  votre  amant. 
Ah!  vous  me  rejetez  bien  précipitamment! 
J'aurais  plus  hésité,  croyez-moi,  pour  le  prendre. 

1778. 

Autre  epigramme. 

On  prétend  qu'en  tous  lieux  Baudcton  me  décric. 
Bien  loin  de  m'offusquer  de  tes  mauvais  propos, 

Baudcton,  je  te  remercie. 
Car,  mon  ami,  la  censure  des  sots 

Vaut  la  meilleure  apologie. 

1778. 


Fable  allégorique. 

V aigle,  le  serin  et  le  chat-huant. 

Dans  un  grand  bois,  fermé  de  fossés  et  de  haies, 

Régnait  un  aigle  en  souverain  puissant. 
Dans  le  creux  d'un  rocher  ombragé  de  futaies 

Etait  son  trône  :  un  serin  fort  savant. 
En  affaires  surtout,  avait  sa  confiance. 
De  ce  monarque  il  soutenait  les  droits. 

Faisait  la  paix,  donnait  des  lois. 

En  un  mot,  sa  rare  science 
Le  faisait  estimer  de  tous  les  aigles  rois. 

Bon  citoyen,  éclairé,  juste,  affable, 

Il  gouvernait  l'état  et  les  cœurs. 
Les  animaux  en  briguaient  les  faveurs. 

Surpris  de  voir  un  grand  affable. 


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ENCORE  GRANDIDIER  POÈTE  463 

Sur  le  chemin  du  ténébreux  palais, 
Dans  un  buisson  épineux,  noir,  épais, 

Un  chat-huant  rendait  la  justice. 

Il  voilait  avec  artifice 

De  ses  projets  les  dangereux  ressorts. 

Le  matois  avait  les  dehors 
De  la  bonté  :  c'était  là  son  adresse. 

Toujours  surtout  avec  bassesse 
Il  vantait  du  serin  l'esprit  et  les  talents. 
La  flatterie,  hélas!  amuse  tous  les  grands. 

Le  serin,  par  reconnaissance. 
De  son  ami  voulut  augmenter  la  puissance. 
Un  grand  emploi  vaquait,  et  l'aigle  consulta 

Le  serin,  qui  lui  proposa 
D'y  nommer  le  chat-huant. . .  11  vanta  ses  services. 

Et  bientôt  l'aigle  l'accepta. 
Malgré  les  dignités,  on  conserve  ses  vices, 

Voilà  le  chat-huant  en  faveur. 

Mais  oubliant  son  bienfaiteur. 

Et  la  reconnaissance  et  les  lois  de  l'honneur. 

Il  prétend  désormais  gouverner  sans  partage. 
Quels  furent  ses  moyens?  C'est  ce  qu'il  faut  cacher... 
L'ambitieux  est  vil  ;  en  faut-il  davantage  ? 

Il  réussit  :  on  vit  congédier 

Le  bon  serin.  Une  terre  étrangère 

Fut  sa  retraite,  et  tous  les  serinaux 

Furent  contraints  de  gémir,  de  se  taire. 

Obligez  aujourd'hui,  tel  est  votre  salaire, 
Les  grands  emplois  sont  de  pesants  fardeaux, 
Souvent  très  dangereux  à  l'humaine  faiblesse. 

Illustres  favoris  même  du  meilleur  roi, 

Craignez  la  main  qui  vous  caresse  : 

On  ne  vous  aime  que  pour  soi. 

1781. 


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SOLDATS  ALSACIENS 


X.  Le  capitaine  Richard  (1810-1875). 

Le  capitaine  Richard  doit  sa  notoriété  surtout  au 
rôle  qu'il  a  joué  dans  un  événement  politique  et  dont 
il  a  été  la  victime.  Il  paraît  du  reste  traditionnel  dans 
sa  famille  d'être  victime  de  son  devoir. 

Marie-Charles  Richard  est  né  à  Soultz  (Haute- Alsace), 
le  21  mars  18 10,  d'une  famille  qui  a  occupé  une  situa- 
tion importante  dans  cette  ville  au  début  de  la  grande 
Révolution.  Son  grand-père  Joseph  Virgile,  capitaine 
dans  les  grenadiers  du  Roi,  ayant  pris  sa  retraite,  fut 
nommé  lieutenant  du  Roi  à  Soultz  vers  1769.  Cette 
charge  correspondait  à  celle  de  commandant  de  place 
dans  les  villes  fortes  déclassées,  mais  dont  les  fortifi- 
cations subsistaient  encore,  comme  c'était  le  cas  à  Soultz. 
Le  lieutenant  du  roi  commandait  en  même  temps  les 
milices  bourgeoises.  Virgile  Richard  avait  épousé  une 
demoiselle  appartenant  à  une  famille  de  Soultz  qui  a 
donné  plusieurs  personnes  remarquables,  surtout  dans 
les  ordres  religieux.  Marie  Barbe  Ebelin  était  fille  d'un 
prévôt  de  Hirtzfelden;  de  son  mariage  avec  Virgile 
Richard  elle  eut  plusieurs  enfants,  dont  l'aîné  fut  Jean- 
Baptiste  Séraphin,  né  le  3  septembre  1770,  père  du 
capitaine. 

Le  lieutenant  du  Roi  Richard  usant  du  crédit  dont 
il  jouissait  près  de  MM.  de  Waldner,   fit  nommer   son 


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r 


SOLDATS   ALSACIENS  465 

frère  Vincent,  ci-devant  greffier  de  Meyenheim,  à  la 
charge  de  procureur  fiscal  de  la  seigneurie  de  Hart- 
manswiller  qui  appartenait  aux  Waldner.  Vincent  et 
Virgile  firent  tous  deux  partie  de  la  première  munici- 
palité de  Souitz,  élue  le  20  avril  1788.  Puis  Vincent 
fut  le  premier  maire  de  Souitz,  élu  le  29  janvier  1 790. 
Le  lendemain  éclata  une  émeute,  un  citoyen  de  la 
Garde  nationale  fut  tué  d'un  coup  de  pistolet  tiré  du 
couloir  de  la  maison  du  procureur  fiscal  postulant 
Chambé,  où  s'étaient  réfugiés  des^  contre-révolutionnaires. 
La  foule  se  rua  sur  cette  maison  et  y  porta  le  pillage 
et  l'incendie.  Vincent  Richard  s'interposa  en  vain,  il  ne 
put  que  donner  asile  à  la  malheureuse  femme  de  Chambé 
qui  mit  au  monde  un  enfant  cette  même  nuit  dans  le 
grenier  du  maire  où  on  Tavait  cachée.  Vincent  Richard 
paya  cet  acte  d'humanité  ;  il  devint  bientôt  suspect  et 
fut  révoqué  le  8  novembre  suivant.  Il  s'effaça  alors 
devant  la  Révolution,  ainsi  que  son  frère;  peut-être 
ont-ils  émigré,  dans  tous  les  cas  on  ne  les  retrouve 
plus  dans  l'histoire  de  Souitz.  Le  petit-fils  de  Virgile 
devait  à  son  tour  illustrer  sa  ville  natale. 

Jean-Baptiste  Séraphin  Richard  avait  épousé  Fran- 
çoise Monique  Richer,  fille  de  Nicolas  Richer,  inspecteur 
général  du  domaine  royal  en  Alsace  et  de  Marguerite 
Françoise  Bouat,  qui  était  elle-même  d'une  vieille  famille 
patricienne  de  Souitz.  Son  père  Antoine  Bouat  avait 
été  en  effet  procureur  fiscal  à  Souitz  et  receveur-greffier 
de  la  seigneurie  de  Jungholtz.  Le  général  Bouat,  mort 
à  Suze  en  1859,  était  de  la  même  famille.  C'est  de 
cette  union  que  naquit  le  capitaine  Richard  '). 

On  voit  que  le  capitaine  avait  de  qui  tenir  et  que 
le  sang  de  soldat  qui  coulait  dans  ses  veines  était  de 
bonne  souche.  Simple  engagé  dans  le  46*  d'infanterie 
le  8  mars  183 1,  il  était  sergent-major  deux  ans  après 
et  tenait  garnison  à  Strasbourg  en  cette   qualité,   lors- 


i)  Il  était  aussi  parent  du  maréchal  Lefebvre  par  ton  oncle  Augustin 
Richer,  qui  avait  épousé  une  nièce  du  raarécl>al. 


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466  revued'alsace 

qu'eut  lieu  l'équipée  du   prince  Napoléon   dans  cette 
ville. 

Le  prince  Louis  Napoléon,  prétendant  à  la  succession 
de  l'empereur  Napoléon  P^  s'était  ménagé  des  intelli- 
gences à  Strasbourg  avec  le  colonel  Vaudrey  du  4*  régi- 
ment d'artillerie,  le  lieutenant  Laity  et  d'autres  oflBciers 
de  la  garnison.  Avec  l'entraînement  irraisonné  et  le  goût 
d'aventure  qui  devait  caractériser  tous  les  actes  du  futur 
Napoléon  III,  celui-ci  crut  le  moment  favorable  pour 
renverser  d'un  coup  de  main  le  gouvernement  de  Louis 
Philippe  et  accaparer  le  pouvoir.  Il  s'introduisit  à  Stras- 
bourg le  30  octobre  1836,  comptant  s'emparer  de  la 
place  en  renouvelant  le  débarquement  de  Fréjus,  et  de 
là  marcher  sur  Paris.  Mais  le  général  Voirol  qui  com- 
mandait dans  le  Bas-Rhin,  ne  se  laissa  pas  séduire.  Au 
moment  où  le  prince  Napoléon  sortait  de  la  caserne 
de  la  Finckmatt  à  la  tête  des  artilleurs  pour  se  diriger 
vers  la  ville,  il  fut  cerné  et  pris  par  l'infanterie  de 
ligne.  C'est  le  sergent-major  Richard  qui  le  reconnut 
sous  l'uniforme  dont  il  s'était  déguisé  et  lui  mit  la  main 
au  collet.  Richard  reçut  pour  ce  fait  la  croix  de  che- 
valier de  la  Légion  d'honneur  le  22  novembre.  Le 
18  septembre  1839  il  fut  promu  sous-lieutenant,  le 
21  juillet  1849  lieutenant,  et  capitaine  le  19  décembre 
1848.  Cet  avancement  rapide  devait  le  mener  aux  hauts 
grades,  d'autant  plus  qu'il  allait  prendre  part  à  toutes 
les  campagnes  de  l'armée  française.  Il  fit  en  effet  les 
campagnes  d'Orient  et  d'Italie.  Blessé  par  un  éclat 
d'obus  devant  Sébastopol  et  cité  à  l'ordre  du  jour  de 
l'armée  d'Orient  pour  sa  belle  conduite  dans  les  com- 
bats du  I"  au  3  mai  1855,  il  fut  nommé  sur  le  champ 
de  bataille  officier  de  la  Légion  d'honneur  par  le  général 
Canrobert.  Mais  Louis  Napoléon,  devenu  empereur,  ne 
sut  pas  oublier  les  griefs  du  conspirateur;  il  ne  voulut 
jamais  ratifier  cette  décoration  et  s'opposa  à  l'avance- 
ment du  capitaine  Richard,  malgré  toutes  les  instances 
qui  furent  faites  auprès  de  lui.  Victime  de  la  rancune 
du  souverain,  pour  n'avoir  fait  que  son  devoir,  Richard 


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SOLDATS   ALSACIENS  467 

prit  sa  retraite  avec  le  seul  grade  de  capitaine  en  1863. 
11  était  titulaire  de  la  croix  du  Medjidié  de  Turquie, 
des  médaille  de  Crimée,  d'Italie  et  de  la  valeur  militaire 
de  Sardaigne. 

Le  capitaine  Richard  se  retira  à  Colmar  où  il  épousa 
sa  cousine,  M*'*  Renaud.  Lorsqu' éclata  la  guerre  de  1870, 
il  trouva  de  nouveau  l'occasion  de  servir  sa  patrie. 
Après  les  premiers  désastres  on  essaya  d'organiser  la 
Garde  nationale  de  Colmar,  mais  cette  organisation  ne 
fut  réellement  terminée  que  le  7  septembre  187O;  le 
capitaine  Richard  fut  appelé  au  commandement  de  la 
3*  compagnie  du  i"  bataillon  et  nommé  commandant 
de  la  place.  On  avait  des  fusils  mais  point  de  cartouches, 
et  la  plupart  des  soldats  n'avaient  même  pas  encore  appris 
le  chargement  de  leur  arme,  lorsque,  le  13  septen^bre, 
l'ennemi  fut  signalé  aux  environs  de  Jebsheim.  Un  con- 
seil se  tint  à  la  préfecture,  le  capitaine  Richard  y  assistait. 
Il  fut  décidé  qu'on  organiserait  une  résistance  pour 
sauver  l'honneur  tout  en  tâchant  d'éviter  des  malheurs 
dans  la  ville  même.  On  se  bornerait  à  la  défense  du 
pont  de  riU  à  Horbourg  avec  l'aide  des  francs-tireurs 
présents  à  Colmar  et  des  gardes  nationaux  qui  auraient 
quelque  expérience  militaire.  Le  lendemain  matin  on 
annonça  les  ennemis  ;  dans  la  nuit  on  avait  pris  à  Colmar 
les  mesures  nécessaires  pour  la  défense.  Les  francs-tireurs 
comprenant  deux  compagnies  avaient  été  placés  de  garde 
au  pont  de  Horbourg,  mais  l'une  des  compagnies,  celle 
de  Lyon,  commandant  Teinturier,  s'esquiva  à  6  heures 
du  matin.  Il  ne  resta  que  la  compagnie  de  Saint-Denis, 
à  laquelle  vinrent  s'ajouter  un  certain  nombre  de  gardes 
nationaux  de  Colmar.  Le  capitaine  Richard  en  civil  et 
la  canne  à  la  main  dirigeait  la  défense.  Les  ennemis  se 
présentèrent  vers  8  heures  du  matin;  la  résistance  fut 
la  plus  honorable,  elle  coûta  la  vie  à  plusieurs  hommes, 
mais  le  canon  des  ennemis  la  brisa;  passant  par  le  pont 
de  Sundhofen  ils  firent  un  mouvement  enveloppant  qui 
força  les  défenseurs  à  se  retirer.  Le  rapport  de  l'adjudant- 
major  Bartholdi    constate   que   dans  cette  occasion  le 


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468  REVUE  D* ALSACE 

capitaine  Richard,  indépendamment  de  son  rôle  de  com- 
mandant de  place,  s'est  multiplié  et  a  rendu  de  grands 
services  par  ses  conseils  et  son  énergie.  (Jotirtial  cTun 
habitant  de  Calmar  y  par  Julien  Sée,  page  127). 

Le  capitaine  Richard,  réduit  désormais  à  l'inaction, 
dut  assister  à  l'envahissement  du  pays,  puis  à  son 
annexion  à  l'Allemagne.  En  1875,  des  démarches  Furent 
faites  auprès  du  gouvernement  de  la  République  fran- 
çaise pour  le  dédommager  de  l'injustice  dont  il  avait 
été  victime,  mais  le  vieux  militaire  mourut  le  26  octobre 
de  la  même  année,  avant  que  ces  généreux  efforts 
eussent  abouti. 

A.  Casser, 


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LES  TRIBULATIONS  DW  SOLLICITEUR 

OU 

GŒTZMANN 

D'APRÈS  QUELQUES-UNES  DE  SES  LETTRES  INÉDITES  0 


I.  Le  chanoine  de  Lautenbach^  Gœtzmann^  invoque  la 
protection  du  ministre  en  faveur  de  son  frire  et  de 
son  neveu  qui  veut  embrasser  Vétai  militaire. 

15  janvier  1774.  A  Mgr*  le  duc  d'Aiguillon,  ministre 
et  secrétaire  d'Etat  du  département  des  affaires  étran* 
gères,  à  la  Cour. 

Si  c'est  une  témérité  d'oser  interrompre  pour  un 
moment  le  précieux  de  votre  tems,  c'en  est  une  de 
toute  une  famille,  dont  je  sers  d*organe  et  en  particulier 
de  mon  oncle  commandeur  de  l'ordre  de  Malte  à 
Strasbourg  dont  l'âge  très  avancé  doit  et  peut  luy  servir 
de  juste  raison  de  ne  le  faire  par  luy-même  au  nom 
d'icelle  pour  prendre  la  liberté  d'avoir  nôtre  recours 
aux  bontés  de  vôtre  charitable  et  vigilant  gouverneur 
de  province  dans  un  objet  qui  est  de  nature  à  inspirer 
votre  gracieuse   indulgence;    nous   avons   apris,    Mgr., 


1)  Nous  publions   C(>s    très    curieuses    lettres   d'après    les   originaux 
conservés  aux  Archives  départementales  de  la  Haute-Alsace* 


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47^  REVUE  D*ALSACÊ 

par  voye  indirecte  que  mon  frère,  qui  a  été  honoré 
par  notre  inestimable  monarque  d'une  charge  de  con- 
seiller en  la  grand-chambre  au  parlement  de  Paris  et 
du  depuis  de  Finspection  de  la  caisse  des  amortisse- 
ments, est  bien  vivement  attaqué  dans  un  objet,  qui 
autant  que  nous  en  connaissons,  mondit  frère  ne  nous 
ayant  pas  fait  part  soit  qu*il  connut  sa  réputation  et 
innocence  établies  ou  pour  ne  nous  point  allarmer,  ne 
paroit  pas  en  avoir  ou  du  moins  de  personnel  ou  des 
siens  éloignés  de  tout  resentiment,  nous  convenons 
facilement  que  c'est  de  l'humanité  de  manquer;  mais 
dès  qu'il  n'y  a  pas  de  malice  et  que  la  faulte  n'est 
point  grossière,  que  n'a-t-on  pas  à  attendre  de  la  com- 
missération  et  bontés  de  ses  supérieurs.  Il  paroit  même 
indubitable  que  plus  le  personnage  est  élevé  dont  l'on 
réclame  les  bienfaits,  plus  on  a  la  douce  consolation 
de  pouvoir  s'en  promettre  d'heureux  effets.  Que  n'avons- 
nous  donc  à  espérer,  Mgr,  de  vôtre  puissante  protec- 
tion, si  tant  est  que  mon  frère  ait  manqué  en  quelque 
chose  dans  son  devoir  et  que  nous  pouvons  d'autant 
moins  nous  figurer  que  son  nom  et  sa  réputation  sont 
trop  bien  établies  dans  nôtre  province  que  l'envie  puisse 
les  détruire  dans  le  publique;  s*il  nous  étoit  permis  de 
vous  supplier,  Mgr.,  de  nous  faire  la  grâce  de  vouloir 
vous  en  informer  surtout  près  de  notre  Conseil  souve- 
rain d'Alsace  séant  à  Colmar  où  mon  frère  a  eu  l'hon- 
neur d'y  faire,  pendant  différentes  années,  membre 
parmi  les  juges  qui  le  composent,  nous  osons  nous 
flatter,  Mgr,  que  le  témoignage  répondroit  à  notre 
attente;  nous  ne  dirons  pas  qu'il  y  a  peut-être  du  regret 
de  l'avoir  perdu;  aussi  mon  frère  n'a-t-il  regretté  ni 
talents,  ni  travail,  pour  s'en  rendre  digne  et  util  au 
publique;  ses  ouvrages  mis  au  jour  peuvent  être  garants. 
Ou  la  faulte  aeroit-elle  telle,  ce  que  nous  ne  pensons 
point,  que  par  «a  punition  l'honneur  de  toutte  une 
famille  seroit  atteinte,  nous  nous  fondons  trop  sur 
l'hummanité  et  pénétration  de  ses  juges  pour  avoir 
une  tele  crainde.   Mon  frère  vous  aura  peut-être,  Mgr, 


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Les  tRIBULATIÔNS  D*UN   SOLLITEUR  47* 

déjà  prié  de  prendre  sous  votre  protection  tant  luy 
que  ses  enfants,  qu'il  a  près  de  luy  à  Paris,  ainsi  que 
celuy  de  sa  première  femme,  fille  de  lieutenant  colonel 
du  régiment  suisse,  cy  devant  de  Karrer  et  mort  dans 
les  isles  dans  le  service  de  sa  majesté  qu'il  a  laissé  en 
notre  province  et  à  nos  soins.  Nous  n'avons  rien  négligé 
pour  luy  donner  une  éducation  digne  de  son  extraction. 
C'est  un  jeune  homme  de  16  ans  qui  promet  beaucoup 
avec  une  belle  et  rare  taille  pour  sa  grandeur;  sorti  à 
peu  près  de  ses  études,  nous  luy  avons  fait  entrevoir 
des  exemples  de  la  famille  à  suivre  dans  tous  les  état^; 
permetteries-vous,  Mgr,  cette  petite  digression  de  nôtre 
part,  qui  peut-être  fera,  comme  nous  l'espérons,  une 
légère  sensation;  dans  l'église  des  prévôts  et  doyen  de 
Chapitre  et  encore  les  deux  grands  vicaires  de  l'Evêché 
de  Basle  dont  l'un  est  suftragant  et  chanoine  de  ladite 
cathédrale;  le  prince-évêque  lui-même  nous  étant  allié 
à  en  consulter  l'usage  de  la  province.  Dans  le  militaire 
il  a  le  propre  autheur  de  sa  mère,  ainsi  que  différents 
des  plus  proches  tant  lieutenants  colonels  que  capitaines 
et  tous  décorés  de  la  Croix  de  S.  Louis,  dont  deux 
servent  encore,  l'un  lieutenant  colonel  dans  le  régiment 
de  Bavière,  l'autre  major  dans  un  régiment  de  huzards. 
Nous  montrerions  peut  être  de  la  vanité  en  nommant 
feu  Mgr  le  maréchal  du  Bour  gouverneur  de  notre 
province  et  M.  le  baron  d'Andlau  exempt  des  gardes 
du  corps  de  notre  très-cher  Monarque.  Enfin  nous  luy 
avons  mis  sous  les  yeux  dans  la  robe  l'exemple  de  son 
père  et  de  nos  ancêtres  dans  les  premières  places  de 
la  judicature  non  seulement  à  compter  de  l'époque  où 
l'Alsace  a  été  réunie  à  la  courrone  jusqu'icy  mais  encore 
lorsqu'elle  étoit  sous  la  domination  de  l'empire.  Il  est 
vrai  que  mes  autheurs  soit  par  jalousie  ou  par  attache^ 
ment  pour  le  service  de  Sa  Majesté  ont  essuyées  des 
pertes  très-considérables  par  les  troupes  ennemies  en 
tems  de  guères;  ces  pertes  ont  été  reconnues  par 
M^  les  Intendants  alors  en  place  avec  promesse  d'in- 
demnization  à  venir.    Nous  pourrions  encore  nommer 


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47  ii  REVUE  D^ALSACB 

feu  M.  le  préteur  royal  de  Strasbourg  qui  a  reçues  de 
Sa  majesté  même  tant  de  traits  de  bienveillance  lors 
de  son  séjour  dans  la  dite  ville;  ce  chef  de  la  ville 
quelque  malheureux  qu'il  fut  à  la  fin  de  ses  jours  y 
est  encore  regretté  et  le  sera  peut-être  de  longtemps. 
Il  en  est  de  même  de  M.  son  frère  premier  président 
en  vôtre  Conseil  Souverain  et  de  son  oncle  et  père 
l'un  et  l'autre  dans  les  mêmes  places  respectives.  Je 
passe  sous  silence  quantité  de  parents,  les  uns  audit 
conseil,  les  autres  dans  la  magistrature  de  Strasbourg 
ou  autres  charges  de  judicatures,  une  grande  partie 
morts  les  autres  encore  vivants.  Mon  neveu  réfléchissant 
sur  tout  cecy  s'est  enfin  déterminé  pour  le  militaire,  et 
a  paru  prendre  un  goût  particulier  pour  le  régiment 
d'Alsace»  Quelque  bonne  volonté  que  nous  ayons  à 
nous  prêter  de  nôtre  mieux;  en  mon  particulier  je  ne 
desirerois  rien  tant  que  de  pouvoir  soulager  la  nom- 
breuse famille  mais  malheureusement  mes  faibles  reve- 
nus ne  peuvent  y  atteindre  quoique  j'aie  par  devers 
moy  quinze  ans  de  services  pour  les  intérêts  de  mon 
corps  pour  les  objets  tant  internes  qu*externes.  Vues 
touttes  ces  circonstances  vous  suppliant  Mgr  d'en  supor- 
ter  le  récita  Tunique  bût  de  la  famille  est  d'implorer 
votre  secours  tant  pour  le  bien  et  tranquillité  de  mon 
frère,  qui  sans  relâche  occupé  de  sa  pénible  fonction 
ne  désire  autre  chose  que  de  n*y  être  pas  troublé; 
daignés  Mgr  par  vôtre  protection  rendre  le  calme  à 
luy  et  toutte  sa  famille  affligée,  daignés  jeter  un  œil  de 
commisération  sur  l'innocence  de  ses  enfants.  Daignés 
nous  donner  l'intime  consolation  que  vous  voulés  bien 
avoir  égard  à  notre  demande  et  à  nos  désirs.  Qu'il 
nous  soit  donné  de  vous  en  supplier  de  vive  voix! 
nous  oserions  même  espérer  que  par  votre  grand  apuy 
il  nous  arriverait  l'insigne  faveur  de  nous  jetter  aux 
pieds  de  notre  tendre  monarque  pour  implorer  son 
authorité  et  charité  paternelle  ;  à  ce  déff'aut  nous  osons 
également  élever  nos  voix  pour  en  espérer  un  heureux 
effets»  Tous  nos  vœux  et  principalement  les  miens  près 


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Les  tribulations  dW  soLLiciTEÙk  41^4 

du  tout-puissant  seront  toujours  pour  teconnaitre  une 
telle  faveur,  et  pour  la  conservation  de  vos  précieux 
jours.  C'est  dans  ses  sentiments  que  par  la  bouche  de 
la  fammille  osant  rénouveller  mes  vives  instances  rela- 
tivement à  nos  désirs,  j*ay  l'honneur  d'être  avec  le  plus 
profond  respect,  Mgr. 
Ce  15  janvier  1774. 

(Sans  signature^  mais  de  Picriture  du  chanoine)» 

IL   Gœtzmann^  commandeur  de  V  Ordre  de  Malte ^  au 
chanoine  Gœtzmann, 

23  juillet  1772.  A  M.  Gœtzmann,  chanoine  de 
Lauttenbach.  L'abbé  Morlais  i)  a  obtenu  du  S.  Siège 
par  dévolut  la  prévôté  de  S.  Valentin  à  Rouflac  dont 
les  jésuites  étaient  pourvus  :  il  a  été  mis  en  pos- 
session du  temporel.  L'abbé  Duffort  a  obtenu  par  la 
même  voie  le  prieuré  ou  la  prévôté  de  S.  Morand. 
La  prévoté  de  S**  Foye,  ad  Sanctam  Fidem,  ici  dont 
les  jésuites  étaient  aussi  pourvus.  Il  y  a  3  jours  j'ai 
écrit  à  mon  agent  à  Rome  de  me  faire  obtenir  cette 
prévôté  pour  vous  et  de  me  faire  nommer  commissaire 
par  les  Bulles.  Vous  vous  chargerez  des  lettres  d'attaches 
et  d'enregistrement  à  Colmar  et  des  frais  des  bulles. 
La  prévôté  rapporte  18000  liv.  avec  obligation  défaire 
dire  tous  les  jours  une  messe.  Un  ex-jesuite  la  dit  et 
reçoit  du  Cardinal  100  écus.  M.  le  marquis  de  Castries 
a  répondu  à  M.  de  Cicati  au  sujet  du  congé  de  votre 
neveu  Sieur  Neuberg  a  Luneville  (il  veut  embrasser 
l'état  ecclésiastique).  Vous  pouvez  engager  un  ex-jésuite 
de  Guebwiller  pour  être  son  régent  jusqu'aux  ordres 
et  le  mettre  en  pension  chez  votre  sœur  moyennant 
100  écus  dont  je  prendrai  50  à  ma  charge. 

Gœtzmann,  comand. 

P.  S.  Si  la  prévôté  ne  vous  convient  pas,  donnez 
contre  ordre  à  mon  agent  à  Rome  l'abbé  Coster. 

Schlestadt  23  juillet  1775  (cachet  défectueux). 

1)  Le  célèbre  académicien  MorelleL 

EtxvLt  d'Alioce,  1907  81 


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i74  REVCE  d'aLSACE 

III.  Le  conseiller  Gœtzmann  à  son  frère  le  chanoine. 

20  mai  1780. 
A  M.  de  Gœtzmann,  doyen  de  Lautenbach. 
La  noblesse  de  la  haute  Alsace,  mon  très  cher 
rère,  est  occupée  d'un  grand  projet,  dont  je  vous 
mtretiendrai  dez  qu  il  sera  parvenu  à  sa  maturité,  avec 
jriere  cependant  de  n'en  pas  parler  avant  le  tems,  elle 
n'a  cru  des  connaissances  et  des  lumières  propres  au 
mccès,  c'est  ce  qui  a  donné  lieu  à  la  correspondance 
^ue  M.  de  Waldner  a  ouvert  avec  moi  depuis  environ 
quatre  mois.  Les  services  que  je  suis  en  état  de  rendre 
\  cette  noblesse  pourront  nous  la  rendre  utile  à  nous 
;ous,  mais  singulièrement  à  mes  enfans,  à  commencer 
par  l'aîné  :  en  voilà  plus  qu'il  n'en  faut,  je  crois,  pour 
iTOus  engager  à  me  seconder.  J'ai  un  grand  nombre  de 
pièces  et  de  renseignemens  qui  sont  nécessaires  à  la 
loblesse  pour  le  succès  de  ses  vues  et  vous  croiez 
[)ien  que  je  ferai  mes  conditions  avant  de  l'aider;  il  me 
nanque  une  pièce  très  intéressante,  qui  doit  se  trouver 
parmi  les  papiers  délaissés  par  feu  notre  cher  frère... 
Cet  acte  est  décrit  dans  une  de  ses  lettres  du  2  avril 
1 768  :  Compte  d'Eucharius  Harst,  landweibel  et  directeur 
de  la  seigneurie  de  Landser,  à  l'occasion  de  la  foret  de  la 
Hart  I"  janv*  au  dernier  dec.  1626,  etc.,  volume  de 
160  pages.  Il  prie  instamment  son  frère  de  faire  les 
recherches  nécessaires  pour  retrouver  ce  volume,  et 
termine  ainsi)  :  «Avez  (sic)  pensé  à  mon  cher  Bavarois? 
il  me  mande  qu'il  quitte  Sarre  Louis  pour  retourner  à 
Nanci  et  que  ses  forces  ne  sont  pas  encore  revenus». 
Gœzmann,  20  mai  1780, 
rue  du  faubourg  du  temple  en  deçà  de  la 
barrière,  Paris. 

IV.  Le  conseiller  Gœts^nann  à  son  frère  le  chanoine. 

«Je  suis  arrivé  ici,  Mon  très  cher  frère,  en  bonne 
îanté  Dieu  merci,  depuis  4  jours;  je  saisis  le  premier 
nstant  que  je  trouve  pour  vous  donner  de  mes   nou- 


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Les  tribulations  d*un  soluciteur  4)5 

velles.  J'ai  vu  les  principaux  personnages  ;  on  me  paroit 
content  de  moi,  jusqu'à  présent,  et  je  crois  qu'on  me 
destine  à  une  nouvelle  mission.  Je  vous  prie  de  garder 
la-dessus  le  secret.  La  chose  sera  résolue  dans  peu,  et 
je  vous  en  donnera  avis.  Ce  qu'il  y  a  de  sur,  c'est  que 
j'ai  été  utile;  mais  souvent  dans  ce  pays  surtout,  la 
reconnaissance  n'est  point  à  la  suite  des  services.  Lais- 
sons faire  la  providence. 

Vous  avez  sans  doute  reçue  la  lettre  que  je  vous 
ai  écrite  d'Ostende,  et  dans  laquelle  je  vous  accusai  la 
réception  de  la  votre  du  4  juillet  dernier.  Vous  ne  me 
mandez  pas  si  notre  oncle  le  Commandeur  est  encore 
en  vie  ou  comment  va  sa  santé  dans  le  grand  âge  où 
il  est.  Je  voudrais  bien  que  voulussiez  vous  charger 
d'une  commission  pour  lui. 

Il  serait  utile  pour  le  succès  même  de  la  mission 
dont  je  serai  probablement  chargé  que  j'eusse  une 
décoration;  et  plus  utile  encore  que  cette  décoration 
ne  me  fit  pas  dépendre  d'une  nation  plutôt  que  d'une 
autre  ;  rien  ne  rempliroit  mieux  mon  objet  que  la  croix 
de  dévotion  de  Tordre  de  Malthe  ;  le  Grand  maître  peut 
l'accorder  aux  gens  mariés,  aux  femmes  mêmes,  le  seul 
obstacle  se  trouverait  peut-être  dans  ma  naissance;  car 
quoique  nous  ayons  des  preuves  multipliées  de  la 
noblesse  de  notre  origine,  vous  scavez  que  je  n'ai  pas 
pu  rassembler  toutes  nos  filiations.  Il  s'agit  donc  de 
questionner  notre  oncle,  si  la  constitution  de  l'ordre  de 
Malthe  permet  au  grand  maître  d'accçrder  la  croix  de 
dévotion  à  des  personnes  de  mon  rang  et  de  ma  nais- 
sance, et  surtout  s'il  connoit  soit  à  Malthe,  soit  ailleurs 
des  exemples  d'une  pareille  concession.  J'ai  lieu  de 
présumer  que  s'il  se  trouve  de  pareils  exemples,  les 
protections  ne  me  manqueront  pas  pour  réussir;  on 
pourra  peut-être  y  intéresser  M.  le  Comte  d'Artois,  père 
du  grand  prieur  de  France;  mais  je  ne  veux  ni  faire, 
ni  faire  faire  une  fausse  démarche  ». 

Il  le  prie  ensuite  d'écrire  à  sa  sœur  de  Strasbourg,  car 
la  chose  presse,  demande  des  nouvelles  de  son  frère,  et 


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47^  REVUE  d'alsace 

de  sa  sœur,  voisine  d'ici,   qui  ne  jouit  pas  d'une  très- 
bonne  santé  .  .  . 

Signé  :  G.  de  Thurme,  Paris, 
rue  du  fauxbourg  S'  Denis  N.  31. 
6  sept.  1781. 

V.   Le  conseiller  Gœizntann  à  son  frère  le  chanoine, 

31  octobre  1780. 
Il  a  auprès  de  lui,  depuis  près  d'un  mois,  son  fils  le 
Bavarois,  pour  lequel  il  a  demandé  un  congé,  à  cause 
d'un  voyage  t  qui  peut  devenir  très  intéressant  pour 
sa  fortune  et  son  avancement  ».  Il  a  promis  le  secret 
sous  serment.  <  Nous  partons  sous  de  bons  auspices  ; 
priez  Dieu  qu'il  y  mette  sa  main  toute  puissante,  c'est 
de  lui  seul  que  dépendent  les  succès  qui  peuvent  nous 
être  réellement  profitables  ...» 

Gœtzmann, 
rue  des  petites  écuries  du  Roi, 
faubourg  S'-Denis. 

{Ce  fils  paraît  être  celui  laissé  par  lui  in  Alsace  et  élevé  par  PoncU), 

VI.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine. 

Paris,  2  décembre  1781.  Il  ne  part  que  demain  et 
pense  que  son  frère,  le  croyant  déjà  parti,  ne  lui  a  pas 
écrit  ni  à  lui  ni  à  son  fils  à  cause  de  cela.  Il  lui  demande 
de  prier  Dieu  de  bénir  son  voyage,  ses  intentions  et 
son  zèle,  et  attend,  sans  les  désirer  trop  fortement,  les 
récompenses  temporelles  et  sans  en  craindre  la  priva- 
tion. Il  joint  un  billet  pour  sa  sœur  et  exhorte  le  cha- 
noine à  la  soulager  dans  ses  besoins  et  incommodités. 
€  Mes  vœux  se  portent  toujours  vers  une  retraite  et  je 
prefererois  les  montagnes  et  les  vallées  à  la  plaine  ». 

Gœtzmann  de  Thurme. 

P.  S,  <  Les  renseignements  que  mon  oncle  vous  a 
donnés  touchant  la  croix  de  Malthe  sont  si  vagues  et 


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LES   TRIBULATIONS   d'uN    SOLLICITEUR  477 

si  imparfaits  que  je  n*en  ai   pu  faire  aucun   usage  :  il 
faut  avoir  patience  ». 


VIL   Gœtzmann  fils  à  son  oncle  le  chanoine, 

18  décembre  1781.  Mon  très  cher  oncle.  Mon  papa 
m'a  dit  que  vous  auriez  quelque  plaisir  à  recevoir  de 
mes  nouvelles;  mon  regret  est  que  je  ne  puisse  pas 
personnellement  encore  vous  assurer  de  mon  tendre  et 
sincère  attachement.  Je  suis  encore  très-peu  avancé 
dans  récriture  et  dans  la  lecture,  les  agittations  de  la  vie 
de  mon  papa  dont  j*ai  toujours  suivi  le  sort  en  sont 
la  cause.  D'ailleurs. il  y  a  des  esprits  tardifs;  sans  doute 
je  suis  de  ce  nombre;  mon  cœur  n'y  perd  rien  et  c'est 
lui  qui  me  dicte  les.  sentiments  avec  lesquels  j'ai  l'hon^ 
neur  d'être 

Le  chev.  de  Thurme. 


VIIL   Madame  Gœtzmann  à  son  beau-frère  le  chanoine. 

Paris  ce  21  août  178  .  .  Monsieur  et  chère  frère. 
J'oroit  répondue  avec  plus  d'ampresement  à  la  lettre 
que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  mé  crire  si  je  n'avais 
pas  atendue  des  nouvelles  de  mon  mary  de  jours  en 
jours;  mais  comme  je  craindroit  qu'un  plus  long  silence 
de  ma  part  ne  vous  parut  un  manque  de  respect  ses 
ce  qui  me  détermine  à  vous  répondre  et  à  vous  a  surer 
qu'il  y  a  l'on  tems  que  je  desirait  de  pouvoir  trouver 
l'aucasion  de  faire  connaissance  avec  vous.  —  Mais  j'oroit 
désirée  que  ce  fut  une  autre  aucasion  que  celle  de  la 
mort  de  mon  Beaux  fils;  Je  ne  puis  vous  dire  combien 
je  le  regrette  Et  combien  il  m'était  chère;  tout  le  tems 
qu'il  a  Eté  a  paris  il  ne  n'ous  a  pas  quitté  d'un  moment, 
une  fille  ne  pouvoit  pas  Etre  plus  sage  qu'il  l'Etoit 
l'amitié  qui  marqu'oit  a  son  frère  sembloit  Etre  pour 
lui  un  second  père,  enfins  je  ne  soroit  trop  vous  dire, 
Monsieur,  combien  je  crois  avoir  perdue  moi-même 
d'ans  ce  chère  enfans  d'ont  je  porterez  toute  ma  vie 


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4^S  REVUE  D'aLSACK 

le  resouvenir  d'ans  mon  cœure  comme  si  Etoit  mon 
propre  enfans;  —  trouvez  bon  mon  chère  frère  que  je 
prie  tout  les  jours  de  ne  pas  oublier  de  prier  dieux 
pour  lui  ;  Et  de  vouloir  bien  vous  informer  si  ne  devoit 
rien  ou  il  etoit  au  cas  que  son  père  est  oublier  de 
vous  en  priez  au  si  tout  que  j'oroi  des  nouvelles  de 
mon  mary  j'oroi  l'honneur  de  vous  en  faire  part  Et 
suis  Monsieur  Et  chère  frère  avec  les  sentiments  d'Estime 
et  de  respect  que  mon  fils  mavoit  inspirer  pour  vous; 
qu'ar  le  chère  enfant  me  parloit  bien  souvent  de  vous  ; 
Et  de  toute  sa  famille  Et  ses  avec  ses  mement  senti- 
ment que  je  suis  .  .  . 

Jamart  de  Gôesmann, 
grande  rue  du  Fauxb.  S*  Denis, 
maison  de   M.  Carpentier,   jantil   homme  de 
Mg.  le  Comte  d'artois  N**  31. 


IX.   Madame  Gœtzmann  a  son  beau-frère  le  chanoine. 

Paris,  20  janvier.  Elle  dcsu^ait  donner  des  nouvelles 
du  frère  son  époux.  C'est  pourquoi  elle  a  tant  différé 
à  écrire.  Il  écrira  à  la  première  occasion  et  il  la  charge 
d'écrire  à  sa  sœur  la  religieuse.  Souhaits  de  nouvel  an. 
Sans  doute  <  jusque  a  présent  il  n'est  pas  enqu'or  men- 
sion  de  la  paix  mais  que  tout  le  monde  la  désire  ». 
Elle  mène  une  vie  retirée  comme  à  la  campagne.  — 
€  Monsieur  et  très  chère  frère  je  rouvre  ma  lettre  pour 
vous  mander  que  je  vient  daprendre  de  cher  un  ministre 
à  qui  je  vient  de  faire  ma  cour  que  la  paix  est  signée 
d'avantier,  l'or  ce  que  je  sorez  les  détail  je  vous  les 
mendrée  ». 

Jamart  de  Gôesmann. 


X.   Madame  Gœtzmann  à  son  beau-frère  le  chanoine. 

Paris,  17  février  1783.  La  même  envoie  une  lettre 
de  son  mari  au  chanoine  à   laquelle  il  doit   répondre 


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.      LES  TRIBULATIONS  d'uN  SOLLICITEUR  479 

tout  de  suite  sans  mettre  d'adresse  et  lui  envoyer 
sa  réponse  à  elle  à  Paris.  <  Vous  ne  direz  à  personne 
au  monde  que  vous  scaves  ou  il  est  Et  vous  prendres 
bien  garde  que  Ton  ne  voye  pas  d'où  il  vous  Ecrie 
ce  la  est- de  la  dernière  conséqu'ance».  Elle  lui  a  écrit 
ainsi  qu'à  la  sœur  la  religieuse  le  20  du  mois  dernier, 
t  P.  S.  Il  ne  faut  pas  signer  votre  réponse  du  nom 
de  Gôesmann  ». 

Londre,  7  février  1783. 

Mon  très  cher  frère.  Je  prie  ma  femme  de  vous 
faire  passer  ce  billet  comme  une  nouvelle  marque  de 
mon  tendre  attachement  pour  vous,  et  nos  frères  et 
sœurs.  —  Nous  avons  la  paix  :  ses  conditions  ont  causé 
ici  un  mécontentement  universel  et  il  est  difficile  qu'elle 
soit  longue.  —  J'ai  formé  ici  une  spéculation  de  com- 
merce qui  peut  nous  faire  la  fortune  à  tous,  et  singu- 
lièrement au  pauvre  enfant  qui  me  reste  et  au  sort 
duquel  vous  vous  intéressez  fortement.  Cette  spécula- 
tion roule  sur  les  bons  vins  d'Alsace.  Ce  pays-ci  ne 
ne  produisant  point  de  vin,  on  y  paye  le  gros  vin  de 
Portugal  la  valeur  de  3  liv.  de  france  la  bouteille;  c'est 
à  dire  environ  le  demi-pot  d'Alsace.  Un  calcul  très- 
simple  vous  fera  voir  qu'en  payant  dix  louis  d'or  la 
mesure  de  votre  meilleur  vin,  et  en  déduisant  deux 
louis  d'or  par  mesure  pour  les  frais  de  transport,  la 
compagnie  qui  est  prête  à  se  former  ici  sous  ma  direc- 
tion, aurait  encore  un  bénéfice  de  plus  de  huit  louis 
d'or  par  mesure  sur  lequel  bénéfice  on  m'abandonneroit 
un  huitième.  Ce  bénéfice  ne  pourrait  qu'augmenter  en 
portant  nos  spéculation  jusqu'en  amérique  et  aux  indes, 
ou  ce  que  l'on  vendroit  ici  la  valeur  d'un  écu  se  ven- 
droit  celle  d'un  louis.  Nos  vins  du  margraviat  et  d'Al- . 
sace  rempliraient  l'objet  mieux  que  tout  autre  vin, 
parce  que  sa  qualité  devient  meilleure  en  raison  de  ce 
qu'on  le  conserve  et  de  ce  qu'il  est  voiture.  En  con- 
séquence la  seule  chose  qu'il  y  a  à  faire  de  votre  part, 
c'est  de  nous  faire  passer  ici  par  Strasbourg  et  la  Hollande 


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48o.  RBVUE  D^ALSACB 

des  échantillons  de  vos  vins  de  Giiebwiller,  rouge  et 
blanc»  de  ceux  dé  Richewir,  Kintzheim,  Katzenthal,  etcf, 
et  s'il  çst  possible,  de  ceux  du  margraviat  Travaillez 
augsijtôt  la  présente  reçue,  il  y  va  de  notre  fortune. 
Foripez  de  tous  ces  échantillons  un  bon  pannier,  sem- 
blable aux  panniers  de  vin  de  Champagne;  un  bon 
tonnpiier  vous  empaquetera  cela  comme  il  faut;  ayez 
à  Strasbourg  un  commissionnaire  qui  veuille  bien  moien- 
nant  des  frais  de  commission  qu'on  lui  pziiera  faire  passer 
promptement  ce  pannier  à  Rotterdam  en  Hollande  à 
l'adresse  que  voici  :  à  Mr.  Schmidt  courtier  et  facteur 
de  vaissçau  au  café  anglaisy  Rotterdam^  pour  Le  faire 
passer  à  M,  Boissière  à  Londres.  Je  ne  vous  demande, 
mon  cher  frère,  que  de  la  promptitude  et  une  réponse 
aussitôt.  Adieu,  vous  voyez  que  le  papier  me  manque, 
mais  non  le  désir  de  m'entretenir  avec  vous;  mon  fils 
vous  assure  de  son  respect  et  nous  vous  embrassons 
tous  deu^.    De  Th. 

Note  sur  papier  séparé.  Vin  de  Kitterle  blanc  du 
fiscal  N.  I,  30  liv.  —  Vin  de  hâring  blanc  du  doyen 
de  Guebwiller  N.  2,  24  liv.  —  Vin  de  hâring  blanc  de 
Ml  de  Rayber  N.  3,  entre  20  et  24  liv. 

(Sans  date). 

XL  Le  conseilllr  à  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  le  22  septembre  1783.  Il  a  dû  écrire  de 
nouyeau  à  son  frère,  le  curé  d'Ungersheim,  forcément, 
voici  pourquoi  :  «  D'après  le  compte  que  j'ai  rendu  à 
M^  le  comte  de  Vergennes  de  ma  mission,  ce  ministre 
m'a  donné  l'assurance  du  roi  que  pries  services  seraient 
recompensés  et  que  S.  M.  pourvoirait  à  mon  sort,  mais 
qu'il  fallait  prendre  un  peu  de  patience  attendu  que 
cet  objet  étant  compris  dans  les  affaires  secrètes  pour 
lesquelles  il  n'y  a  que  deux  ou  trois  travaux  particu- 
liers par  an  avec  le  roi,  on  ne  pourrait  pas  pour  une 
seule  affaire  déranger  Tordre  des  choses  >.  Il  a  pris 
langue   dans   le   bureau  du  secret,    un  de  ces  travaux 


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LES  TRIBULATIONS  d'uN  SOLLICITEUR  48 1 

n'est  pas  éloigné,  mais  il  est  essentiel  qu'il  ne  quitte 
pas  la  Cour.  On  lui  fait  espérer  quelque  somme  par 
provision;  mais  trop  presser  déplairait  au  ministre,  et 
il  a  dû  faire  une  demande  d'argent  à  son  frère  sur  les 
revenus  de  la  succession  de  son  pauvre  cher  enfant, 
car  il  espère  conserver  les  capitaux  et  fonds  à  son  frère. 
«Accélérez,  ne  perdez  pas  un  instant».  Il  espère  que  son 
affaire  sera  résolue  à  Fontainebleau  où  la  Cour  va  se 
rendre.  Il  a  demandé  25  louis  à  son  frère  lequel  lui 
disait  qu'il  y  avait  de  l'argent  déposé  à  Hegenheim, 
sur  lequel  celui-ci  pourra  se  récupérer,  t  Faites  vite. 
J'ai  ajouté  à  mon  frère  que  je  serai  bien  flatté  de 
pouvoir  faire  entrer  dans  le  plan  de  récompense  qui 
m'est  promise,  l'obtention  de  quelque  grâce  ecclésias- 
tique pour  lui  :  je  vous  en  dis  autant  mon  cher  frère». 
.Comme  il  n'y  a  pas  de  banquiers  qui  ait  des  remises 
à  faire  à  Paris,  le  maître  de  poste  de  Rouff^ach  lui  fera 
passer  l'argent.  «  Dites-moi  ce  que  vous  avez  fait  au  sujet 
des  vins  pour  que  j'écrive.    G.  de  Th.  > 

XII.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  2  octobre  1783.  J'approuve  votre  lettre 
du  20.  J'approuve  d'autant  plus  l'idée  que  vous  avez 
eu  d'associer  M.  Payen,  notre  neveu  à  la  mode  de 
Bretagne,  à  notre  projet  de  commerce  de  vin,  que  je 
lui  ai  toujours  été  fort  attaché,  et  que  je  crois  qu'en 
général  les  sociétés  de  pareas  valent  mieux  que  les 
autres  >.  Il  faut  i*»  prier  un  solide  négociant  de  Stras- 
bourg d'écrire  à  ce  M.  Schmidt,  pour  savoir  s'il  veut 
expédier  promptement  à  Londres  un  panier  de  vin.  La 
voie  la  plus  courte  est  le  Rhin  qui  baigne  Rotterdam, 
demander  le  prix  et  faire  espérer  que  ce  n'est  qu'un 
commencement,  sans  ébruiter  notre  entreprise.  2**  Il 
écrit  à  son  ami  de  Londres  pour  former  la  société 
d'après  les  échantillons  qu'il  recevra,  t  d'après  les  prix 
que  nous  y  mettrons  et  à  la  charge  en  outre  d'un  droit 
de  commission  convenable  pour  nous».   3®  Remplir  Iç 


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482  REVUE   D*ALSACE 

panier  des  meilleurs  échantillons.  4**  S'informer  si  les 
vins  sont  sujets  à  des  droits  de  sortie,  il  demandera 
remise  ou  privilège  exclusif.  5®  S'informer  si  les  vins 
paient  des  droits  passant  sur  le  Rhin  dans  les  territoires 
des  électeurs  de  Mayence,  Trêves,  Cologne  et  autres 
princes,  il  essaiera  d'en  obtenir  remise  par  le  gouver- 
nement d'ici.  M.  Payen  pourra  s'informer  de  tout  à 
Strasbourg.  Vite,  ne  rien  négliger.  Les  vins  d'Alsace  sont 
plus  spiritueux  que  ceux  du  Neckar,  or  ces  derniers 
se  vendent  3  shelings  la  bouteille,  et  le  sheling  vaut 
24  sols  de  France. 

P.  S.  La  Cour  va  lundi  à  Fontainebleau,  je  l'accom- 
pagne; la  Reine  est  décidément  enceinte. 


XIIL  Le  conseiller  a  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  4  octobre  1783.  Il  a  reçu  une  pension 
de  2000  livres  sur  les  fonds  des  affaires  étrangères  :  le^ 
comte  de  Vergennes  a  ajouté  indépendamment  du  pre- 
mier bon  de  S.  M.  Prévenir  son  frère  et  ses  sœurs. 
On  ne  paie  pas  d*avance  ces  sortes  de  pension  et  il 
persiste  à  demander  au  curé  le  secours  nécessaire  à 
Fontainebleau  où  il  va  après -demain.  Il  a  envoyé 
procuration  au  curé.  Se  hâter.  Il  faut  battre  le  fer 
pendant  qu'il  est  chaud,  et  il  veut  rien  négliger  pour 
s'assurer  un  sort  convenable.  Ne  négliger  rien  de  votre 
côté  pour  l'affaire  des  vins;  si  elle  réussit  ils  seront 
tranquilles  sur  le  sort  de  ce  fils  qui  restera  à  Paris  où 
on  lui  a  trouvé  une  bonne  pension  où  il  a  à  répondre 
à  4  maîtres  par  jour  :  un  d'écriture  et  de  lecture,  et 
d'arithmétique,  un  de  dessin,  un  de  danse  et  un  d'armes, 
mais  «  il  est  très-tardif».  II  a  écrit  hier  à  Londres.  «  Mettez 
les  fers  au  feu  >.  Combien  de  mesures  pourrait-on 
rassembler  par  années  pour  l'exportation?  Votre  mesure 
n'a-t-elle  pas  60  pintes  ? 


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LES  TRIBULATIONS   D*UN   SOLLICITEUR  483 

XIV.  Le  conseiller  à  son  frire  le  chanoine. 

Fontainebleau,  le  31  octobre  1783.  Pas  de  nouvelles 
de  M.  Payen,  ni  du  frère  d'Ungersheim  qui  a  depuis 
un  mois  procuration  notariée  pour  recevoir  la  somme 
demandée.  Tourmenter  encore  c'est  se  rendre  importun 
et  il  faut  ménager  les  gens  avec  qui  il  a  à  faire  :  Reçis 
ad  exemplar  totus  componitur  orbis.  Il  taut  donc  se  gêner, 
il  aura  des  appuis.  Mais  il  ne  pouva  voir  M.  de  Sarti- 
nes  qu'à  la  S.  Martin  à  Paris.  Presser  donc  le  curé  ;  ne 
pas  perdre  un  instant.  La  vie  est  chère  à  Fontainebleau 
et  il  faut  qu^l  y  reste.  Il  veut  demander  quelque  chose 
pour  le  chanoine.  Y  a-t-il  une  abbaye  vacante  en  Al- 
sace ?  L'esprit  actuel  veut  détruire  les  Ordres  religieux, 
mais  on  emploie  une  méthode  plus  cachée  qu'ailleurs. 
«Je  ne  peut  rien  vous  dire  la-dessus  par  écrit  de  peur 
d'accident». 

Fontainebleau,  21  novembre  1783.  Il  ne  s'explique 
pas  le  silence  du  chanoine  ni  du  curé  à  qui  il  a  fait 
connaître  son  besoin  d'argent  là  ou  tout  est  cher.  On 
aliénerait  le  ministre  en  le  pressant,  il  veut  avoir  l'air 
de  tout  acorder  sans  sollicitation.  «  D'ailleurs  tout  est 
ici  en  combustion  et  je  crois  qu'avant  la  fin  de  l'année 
vous  entendrez  parler  d'autres  changements  que  de  celui 
du  Contrôleur  général  ;  les  affaires  et  le  crédit  public 
sont  en  mauvais  état;  il  y  a  bien  des  gens  dont  la 
phisionomie  s'allonge  et  qui  font  le  malade  sans  l'être 
en  effet  >.  Il  faut  qu'il  mené  sa  petite  barque  à  travers 
les  rochers  jusqu'à  décision  sur  le  traitement  qu'il  a  à 
attendre.  Après  sa  pension  de  2000  liv.  le  ministre  des 
Affaires  Etrangères  lui  a  dit  de  faire  valoir  le  bon  du 
Roi  accordé  sous  M.  de  Sartines.  Le  Maréchal  de  Castrie 
lui  en  a  donné  copie,  mais  le  ministre  des  finances  doit 
l'exécuter  et  M.  de  Galonné  ne  vient  que  d'entrer  en 
place.  Selon  la  maxime  «  de  notre  ancien  ami  d'école 
Horace  :  Duruml  —  sed  fit  patientia  levius  —  quidqtUd 
corriçere  est  nefas,    11  presse  son  frère  d'Ungersheim. 


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484  REVUE   d'aLSACE 

Il  a  écrit  deux  lettres  à  M.  Payen.  €  Que  Dieu  bénisse 
cette  utile  entreprise  >. 


XVI.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  31  décembre  1783.  Pas  de  nouvelles  du 
curé.  Dès  le  30  septembre  il  a  envoyé  procuration  :  tantôt 
les  débiteurs  ne  paient  pas,  tantôt  il  dit  que  lui  peut 
emprunter,  mais  il  ne  le  peut  sur  ses  pensions  et  du 
reste  on  lui  doit.  Il  est  arriéré  envers  son  hôte  et  dans 
l^embarras.  Il  a  écrit  poliment  à  son  frère  dont  il  ne 
veut  pas  suspecter  la  probité.  Il  ne  demande  que  le 
sien.  Voila  3  années  de  revenus  de  son  fils  arriérés!  il 
est  rentré  des  capitaux  et  c'est  à  lui  que  compte  est 
dû.  «  Ecrivez  vous-même  dans  le  sens,  pour  que  le  Curé 
s'exécute  enfin». 


XVII.'  Le  conseiller  a  son  frire  le  chanoine, 

Versailles,  3  janvier  1784.  II  est  désolé  des  nouvelles 
que  le  chanoine  lui  donne  du  curé.  Il  se  verra  donc 
ravir  ce  qui  lui  appartient  devant  Dieu  et  les  hommes 
«  et  engloutir  la  subsistence  du  pauvre  enfant  qui  me 
reste  si  je  venais  à  mourir  >.  Pourquoi  l'avoir  laissé 
ignorer  «  Vhorible  situation  »  du  curé  qui  a  en  main 
tous  ses  biens  .^  et  lui  laisser  envoyer  procuration  de 
toucher  même  les  capitaux  .^^  Il  demande  un  compte  au 
curé  et  lui  écrit  qu'il  désire  que  tout  soit  enterré  dans 
le  sein  de  la  famille  et  que  par  conséqu  jnt  il  doit  arrêter 
le  compte  avec  le  chanoine,  «  qu'il  sj  concerte  avec 
vous  sur  les  moyens  de  sauver  du  goaftre  dont  il  est 
menacé  toute  la  succession  de  feu  mon  fils  et  qu'en 
conséquence  on  fasse  en  mon  nom  des  oppositions  aux 
saisies  et  arrêts  qui  peuvent  avoir  été  faites  sur  lui  >, 
Si  dans  15  jours  il  n'a  rien  de  satisfaisant,  avant  d'écla- 
ter publiquement,  il  écrira  en  secret  à  son  Evêque,  il 
espère  que  ces  tristes  démarches  lui  seront  épargnées. 
Il  est  troublé  et  fait  appel  à  l'amitié  qui  a  existé  avec 


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LES   TRIBULATIONS   d'uN   SOLLICITEUR  485 

le  chanoine  depuis  leur  enfance.  «Je  suis  occupé  nuit 
et  jour  de  travail,  de  peines,  et  de  combinaisons,  sou- 
lagez-moi de  votre  côté  >. 


XVIII.  Le  conseiller  à  son  frire  le  chanoine. 

Versailles,  i"  février  1784.  «Dans  votre  lettre  du 
14  janvier,  vous  me  priez  de  suspendre  mes  démarches 
contre  mon  frère  le  curé.  Je  ne  veux  pas  faire  de  la 
peine;  mais  vous  ne  me  dites  pas  ce  qui  a  été  fait 
pour  mettre  mes  affaires  en  règle.  Le  curé  ne  me  répond 
même  pas  et  vous  ne  me  dites  pas  le  véritable  état 
de  ses  affaires  ;  car  si  dans  les  contrats  il  n*a  pas  mis  : 
payé  des  deniers  appartenant  à  feu  mon  fik,  il  n'aura 
pas  de  privilège,  ni  de  préférence  s'il  y  a  déjà  des  saisies. 
Tranquillisez-moi  et  vous  me  donnerez  une  preuve 
d'affection  en  vous  chargeant  de  la  procuration  pour 
tout  terminer.  Je  suspendrai  d'écrire  à  son  évêque  jus- 
qu'à votre  réponse»,  mais  ce  qu'il  doit  à  son  fils  le 
forcera  de  prendre  un  parti  extrême,  quoiqu'il  répugne 
à  son  cœur.  Il  se  faisait  une  fête  de  revenir  en  Alsace; 
mais  il  est  dégoûté  de  voir  un  pays  où  il  faudra  peut- 
être  se  disputer  avec  un  frère  >  dont  je  n'ai  jamais  sus- 
pecté la  probité  •.  Il  a  écrit  2  fois  à  M.  Payen  qu'une 
solide  et  puissante  maison  de  banque  attendait  avec 
impatience  les  échantillons  de  vin;  pas  de  réponse;  «ce 
silence  m'afflige,  écrivez-le  lui  >. 

{A  suivre). 


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LIVRES  NOUVEAUX 


Vogesenbilder^  lO  Ziichnungen  von  Hansi.  2«  édition.  Mul- 
house, Bah  y.  —  In-f^  Prix  :  6  fr.  50. 
Le  succès  obtenu  par  la  première  édition  de  ces  dessins,  a 
engagé  l'éditeur  à  nous  en  donner  une  seconde,  dont  Texécu- 
tion  typographique  est  très  remarquable.  A  ceux  qui  voudraient 
prétendre  que  l'Alsace  se  germanise,  le  malin  crayon  qui  signe 
Hansi  prouve  suffisamment  qu'il  est  emmanché  de  l'esprit  le 
plus  fin,  d'un  esprit  dont  la  légèreté  de  touche  n'a  rien  de 
commun  avec  celui  d'Outre-Rhin.  Avant  1870  nos  Vosges 
étaient  parcourues  par  des  touristes  d'un  genre  bien  différent 
de  ceux  qui  les  visitent  aujourd'hui,  si  l'on  en  croit  Hansi.  11 
suffit  de  relire  par  exemple  les  excursions  botaniques  du  bon 
père  Kirschleger  et  de  ses  élèves  dans  les  Annales  de  la  Société 
philomatique  vogeso-rhénane^  excursions  si  pleines  de  bonhomie 
où  la  science  la  plus  réelle  et  la  plus  profonde  apparaissait  en 
se  jouant  au  milieu  des  sentiments  les  plus  artistiques  et  les 
plus  aimables.  Voyez  au  contraire  ce  long  échalas  de  Professor 
qni  vient  de  dédier  à  Schiller  un  embryon  de  chêne  avec  la 
prétention  que  l'arbre  dépassera  bientôt  la  croupe  des  Vosges 
pour  représenter  au  voisin  de  l'autre  côté  une  image  des  mœurs, 
de  la  foi  et  de  la  force  allemandes  !  Mais  surtout  Hansi  en  veut 
à  ceux  qui  détruisent  le  charme  de  nos  vieilles  ruines  sous 
prétexte  de  restauration  et  dans  le  but  de  rappeler  de  soi-disant 
souvenirs  germaniques.  Après  la  restauration  du  Hoh-K0nig8« 
bourg  viendra  sans  doute  celle  du  mur  payen.  Le  nouvel  aspect 
du  Storchenthor  de  TUrckheim  mis  en  regard  de  sa  pittoresque 
silhouette  d'autrefois  nous  en  donne  un  avant-goût.  Nous  signa- 
lons tout  particulièrement  les  détails  de  la  planche  VU  et 
l'esprit  de  la  IX*.  Bravo  Hansi  ! 

A.  G. 


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488  REVtjÊ  D^ALSAÔtt 

comptes  de  Dijon  ont  conservé  quelques  épaves'  de  la  compta- 
bilité de  Catherine  en  Alsace.  Elles  appartiennent  aux  der 
nières  années  de  son  règne.  M.  Stouff  publie  en  ce  volume  les 
comptes  des  recettes  et  dépenses,  rendus  par  les  châtelains  ou 
receveurs  de  Belfort,  de  Délie,  de  Ferrette,  d'Altkirch,  de 
Masevaux,  de  Landser  et  de  Thann.  Ces  comptes  vont  de  1424 
à  1426.  Ils  renferment  certains  détails  pittoresques  et  ren- 
seignent sur  plusieurs  événements  auxquels  la  veuve  de  Léo- 
pold  a  été  mêlée.  Ils  jettent  aussi  du  jour  sur  la  consistance 
de  son  domaine  et  sur  son  administration.  Un  index  des  noms 
de  lieux  et  de  personnes  termine  Pouvrage.  Alsata. 


Articles  de  journaux  et  de  revues. 

Le  Messager  (V Alsace-Lorraine,  13  juillet.  (Intéressants 
détails  biographiques  sur  le  colonel  Blumenstihl,  à  propos  du 
titre  de  comte  que  vient  de  lui  conférer  Pie  X.) 

Bulletin  des  missions  des  Augustins  de  r Assomption. 
Juillet.  Notice  (avec  portrait)  sur  le  P.  Meinrad  Sauter,  (de 
Dinsheim),  mort  en  Chili  le  2  avril  dernier. 

Bulletin  du  Musée  historique  de  Mulhouse.  XXX.  année 
1906.  La  cour  de  Lorraine  à  Mulhouse,  par  E.  Benner.  — 
Notice  sur  des  statues  du  xvi«  siècle  provenant  de  Péglise  de 
Cernay,  par  A.  Hânsler.  —  Fragment  de  chronique  mulhou- 
sienne  (1694-1727)  parj.  H.  Gœtz.  —  Louis  d'or  strasbour- 
geois  à  légende  injurieuse,  par  G,  A.  Schœn.  —  Notice  nécro- 
logique sur  A.  I.  Ingold,  par  A.  Waltz  (avec  portrait).  —  Table 
générale  des  bulletins  XXI  à  XXX  (1897  à  1906). 

Analecta  bollandiana.  25  juillet.  Récit  de  la  mort  du  pape 
saint  Léon  IX.  Note  complémentaire,  par  Alb.  Poncelet. 

Bulletin  monumental^  n®*  5-6  de  1906.  Lefebvre-Pontalis  : 
Comment  doit-on  rédiger  la  monographie  d'une  église? 


RlXHBlM  (ALBACB).  —   TtPOOBAPHIB   F.  SUTTBR  &  CUB 


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REVUE   D'ALSACE 

chères  et  Guntscherach,  Mumpelgart  et  Mont- 
pt  et  Seppois,  Soppe  et  Sulzbach,  etc. 
X  systèmes  concourent  parfois  et  interviennent 
lent,  comme  à  Vescemont  ou  Wessenberg, 
t  ou  Luffendorf,  Liebsdorf  ou  Lebeucourt,  etc. 
^ontreux  (Monasteriolum)  ne  sont-ils  pas  dis- 
français par  les  suffixes  —  vieux,  —  jeune  et 
,  en  allemand  Alt-Miinsterol,  Jung-Miinsterol 
rol-die-Burg  ?  De  même  les  trois  Chavannes 
att  sont  déterminés  en  allemand  par  les  mots 
-,  Gross  et  Klein,  en  français  par  Chavannes- 
,   Chavannes-les-Grands  et  le  diminutif  Cha- 

par   un    homme    maître    non    seulement    de 

et   du    français,    mais   aussi    et   surtout   des 

tois  du  pays,  des  identifications  de  ce  genre 

reraient  que  rarement  des  difficultés  insurmon- 

lais  pour  le   moment  cette  question  ne  me 

point.  Je  ne  me  propose  ici  que  d'indiquer 

les  principe  sur  lesquels  se  réglait  le  peuple, 

ateur  de  ces  mots. 

îmes  principes  ont  dû  jouer  leur  rôle  dans 
même  de  la  province,  lorsque  la  conquête  y 
î  nouveaux  maîtres, 

jation  du  pays  par  les  Romains  fut  avant  tout 
Is  le  couvrirent  de  leurs  légions,  s'installèrent 
rteresses,  en  fondèrent  au  besoin  de  nouvelles, 
lières  ils  donnèrent  naturellement  des  noms 
crîiœ  (Saverne),  Augusta  Rauracorum  (Augst). 
èrent  aux  autres  leurs  dénominations  celtiques, 
;  à  ajouter  des  terminaisons  latines,   en  um^ 


t  par  exemple,  affirme  catégoriquement  {Rçvm  tP Alsace^ 
)  qu'il  n'y  a  aucune  analogie  entre  Pont-la-vilU  et  Bonen- 
^nent  une  même  localité.  Cela  est-il  bien  sûr  ?  Les  dernières 
(  noms  {Ja  ville  et  dorf)  ne  sont  qu'une  traductioa  Tune  de 
lant  aux  premières  {Ponl  et  âonen),  lerait-il  bien  diflficile 
ntre  elles  quelque  analogie  de  prononciation,  en  tenant 
confusion  faite  d'ordinaire  dans  le  pays  entre  le/  et  le  i. 


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ARGENTORAT,  ARGENTOVAR  49I 

usy  a^  cœ,  etc.  Grâce  à  cela,  le  monde  romain  accorda 
droit  de  cité  à  toutes  ces  localités  celtiques  qui  nous 
sont  connues  par  les  cartes,  les  itinéraires,  les  géographes 
de  l'antiquité,  Grammatww,  Larga,  AvxdXbmum,  Urun^c?, 
CamWj,  Brisiacw;«,  Argentovar/Vz,  Helvet^^j,  Argentora- 
tum,  Brocomagwj,  Salet/^. 

Avec  l'invasion  des  Germains  ces  terminaisons,  qui 
n'avaient  sans  doute  jamais  prévalu  dans  le  langage  popu- 
laire, disparurent  de  nouveau.  Plusieurs  noms  subirent 
même  dans  leur  corps  des  altérations  plus  ou  moins  sen- 
sibles, qui,  sans  être  difficiles  à  expliquer,  n'en  trahissent 
pas  moins  l'intervention  de  mains  étrangères.  C'est  ainsi 
que  l'on  fit  Seltz  de  Saletio,  Brumat  de  Brocomagus, 
Augst  d'Augusta,  Zabern  de  Tabernae,  Ehl  de  Helvet 
ou  Hellet. 

Dans  ce  court  résumé  emprunté  à  Schœpflin  et  à 
ses  émules,  la  traduction  complète  ou  partielle  des 
noms  primitifs  ne  joue  aucun  rôle,  contrairement  à  la 
pratique  populaire  signalée  au  début  de  ces  notes  :  on 
se  contente  de  relever  des  analogies  phonétiques. 

Faut-il  croire  que  les  Francs  et  les  Allemans,  les 
premiers  successeurs  des  Romains  en  Alsace,  n'usèrent 
qu'en  partie  des  procédés  philologiques  que  le  peuple 
applique  d'ordinaire  en  pareil  cas.^  Ou  bien  doit-on 
admettre  que  nos  historiens  alsaciens  négligèrent  étourdi- 
xnent  de  s'arrêter  à  ce  problème.'* 

Cette  dernière  hypothèse,  la  plus  vraisemblable  en 
«Ile-même,  se  trouve  confirmée  inopinément  par  deux 
des  noms  celto-romains  cités  plus  haut  :  Argentoratum, 
identifié  par  tout  le  monde  avec  Strasbourg,  et  Argen- 
tovaria,  identifié  par  la  plupart  des  commentateurs  avec 
H^rbourg,  forme  ancienne  de  H^rbourg.  Une  partie 
commune  se  trouve  dans  les  expressions  celtiques, 
argent,  et,  dans  leurs  équivalents  modernes,  burg.  On 
est  donc  en  droit  de  se  demander  si  bourg,  qui  n'a 
aucun  rapport  phonétique  avec  Argent,  n'en  serait  pas 
la  traduction. 


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492  REVUE   D  ALSACE 

.  '  La  question  se  posa  pour  la  première  fois  à  mon- 

;  esprit  il  y  a  cinquante  ans,   à  l'époque  où  femplace- 

'k  ment  d*Argentovaria  était  si  vivement  discuté  dans  la 

I  presse  alsacienne  et  surtout  autour  de  moi.  Mon  bagage 

I  celtique  était  trop  léger  pour  me  permettre  d'y  répondre- 

I  par  moi-même.  Je  recourus  donc  à  un  ouvrage  que  le 

i  savant  Mone  venait  de  publier  sur  la  place  du  celtique 

^  dans  la  géographie  allemande  »).  J'y  rencontrai  (p.  222)^ 

f  les  indications  suivantes: 

t  §^anc/,  forteresse  (festung),  ir.  gann; 

^  gaun^  forteresse  (veste),  ir.  gann; 

l.  gauUy  gonn^  forteresse  (barg,  veste),  ir.  gann. 

\  Elles  me  parurent  décisives  2)  et  je  ne  cherchai  pas- 

plus  loin.    La   fin   des    mots  cités   me  sembla  loin  d'y 
f  contredire.    D'après  Schœpflin,   rat  veut  dire   passage^ 

>  route  par  conséquent,    Ar-gen-to-rat  sera  le  fort  de  la 

\  route  et  les  Germains  n'auront  pas  à  se  creuser  la  tête 

pour  y  trouver  leur  Strassburg,  dénomination  qui  con- 
tinuait d'ailleurs  à  rester  exacte;  car,  après  l'invasioa 
comme  avant,  la  place  est  sise  sur  la  grande  voie  de 
communication  entre  les  Gaules  et  la  Germanie. 

Quant  à  la  finale  d'Argentovar,  qu'il  faille  en  recher- 
cher l'origine  dans  le  varen  (p.  144,  bach^  la  rivière  de- 
rill?),  ou  dans  la  forêt  de  la  Hardt,  qui  se  rencontrait 
dans  le  voisinage;  ou  recourir  à  quelque  autre  étymo- 
logie,  peu  importe;  il  sera  toujours  facile  de  reconnaître 
le  rapport  d'assonnance  qu'elle  présente  avec  le  début 
de  Harburg. 

Cette  dernière  assimilation  se  heurtera,  je  le  sais,  à- 
des  contradictions  qui  remontent  jusqu'au  XVi*  siècle,. 
V  nombreuses   surtout   depuis  la  campagne  entreprise  à 

ce  sujet  par  le  président  CosteS). 

Lui  et  ses  adhérents  basaient  leurs  attaques  contre- 
Harbourg  sur  les   distances   marquées   dans  les  cartes- 


1)  CeUiuhe Forschungtnzur  Geschtchte  Mtttd'Europas,  Fri bourg,  1857.. 

2)  Ar^  on  le  sait,  n'est  que  l'article  celtique. 

3)  Revue  cTAlsau^  1858,  1862. 


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ARGENTORAT,  ARGENTOVAR  493 

romaines,  entre  leurs  diverses  stations.  Mais  ces  distances 
ont-elles  été  notées  ou  copiées  avec  assez  de  précision 
-pour  l'emporter  sur  toute  autre  considération?  L'itiné- 
raire d'Antonin  place  Bàle  à  142  kilomètres  de  Stras- 
l)ourg,  et  la  carte  de  Peutinger  réduit  cette  somme  à 
122  kilomètres,  même  si  Ton  supplée  les  six  lieues 
qu'elle  a  oubliées  entre  Cambete  et  Stabula.  Ehl  est 
«itué  ici  à  18,  là  à  30,  ailleurs  à  12  lieues  de  Strasbourg. 
En  vérité,  comme  le  remarque  le  D'  Pfannenschmidt, 
auquel  sont  empruntés  ces  chiffres  «),  ils  ne  possèdent 
pas  une  valeur  digne  de  toute  notre  confiance,  kein 
unbedingter  Wert.  Aussi  Coste  et  ses  partisans  ont-ils 
beaucoup  varié  dans  leurs  conclusions,  supposant  leur 
Argento varia  d'abord  à  Ohnenheim,  puis  à  Grussenheim, 
revenant  de  nouveau  à  Ohnenheim,  etc.,  etc. 

Peu  de  temps  après,  Horbourg  regagna  une  bonne 
partie  du  terrain  que  ces  attaques  lui  avaient  enlevé.  Grâce 
aux  fouilles  si  intelligentes  et  si  heureuses  à  la  fois  du 
pasteur  Herrenschneider,  on  y  découvrit  non  seulement 
d'innombrables  vestiges  du  séjour  des  Romains,  mais 
aussi  et  surtout  les  vastes  et  imposantes  substructions 
de  leur  castel.  Horbourg  avait  évidemment  constitué 
l'une  des  plus  importantes  stations  que  les  conquérants 
•de  la  Gaule  aient  occupées  en  Alsace. 

Le  triomphe  de  Herrenschneider  ne  parut  pas  toute- 
fois complet  au  D'  Pfannenschmidt.  Peu  rassuré  par  les 
<:alculs  kilométriques  essayés  avant  lui,  notre  docte 
archiviste  suppose  en  principe  que  toutes  les  forteresses 
gauloises  étaient  établies  sur  le  parcours  de  la  plus 
importante  de  nos  voies  romaines.  Les  Celtes  avaient 
occupé  dès  le  principe  les  positions  que. celle-ci  devait 
relier  dans  la  suite,  ou,  en  d'autres  termes,  celle-ci  ne 
se  permit  jamais  de  faire  ce  que  font  si  souvent  nos 
<:hemins  de  fer  modernes,  par  amour  de  la  ligne  droite 
ou  pour  d'autres  considérations,  techniques  ou  non,  de 

l)  Zettsckrifi  fur  Gachichit  des  Oberrheins^  N.  F.,  IX,  500. 


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ARGENTORAT,  ARGENTOVAR  495 

sur  ce  terrain  »).  Mais  on  me  permettra  d'avouer  que 
le  concours  prêté  ici  par  les  oies  de  l'ancienne  Gaule 
ne  satisfait  que  médiocrement  ma  curiosité.  Je  ne  m'ex- 
plique point  comment  les  Germains  ont  pu  trouver  leur 
Strassburg  aux  pieds  d'une  colline  des  oies  dont  cette 
ville  ne  conserve  aucune  trace.  Je  ne  m'explique  pas 
davantage  comment  les  mêmes  Germains  ont  tiré  leur 
Harbourg  de  l'Argentaria  latin.  Doit-on  croire  ensuite 
que  deux  localités  importantes,  ddrnt  l'une  s'est  perpé- 
tuée de  l'aveu  de  tous  sur  le  même  emplacement,  dont 
l'autre  n'a  été  déplacée  que  par  une  hypothèse  pure- 
ment conjecturale,  n'ont  laissé  dans  le  langage  populaire 
du  pays,  aucun  souvenir  de  leur  signification  ou  de  leur 
prononciation  primitive  ? 

Tout  autre  serait  la  situation,  si  —  sans  contester 
aux  oies  blanches  de  l'ancienne  Gaule,  ce  nom  de  gent 
qu'elles  reçurent  de  leurs  contemporains  —  vous  pré- 
férez accepter  parmi  les  sens  multiples  de  ce  mot  celui 
de  forteresse.  De  la  sorte  tout  s'explique  sans  peine. 
Les  Germains  du  v*  siècle  n'exclueront  plus  la  traduc- 
tion du  recrutement  de  leur  répertoire  géographique. 
Le  fort  de  la  route,  Argentorat,  le  fort  du  Har  ou  de 
la  Hardt,  Argentovar,  si  bien  justifiés  en  eux-mêmes, 
nous  conduiront  directement  au  Strassburg  et  au  Harburg 
tudesques,  reliant  le  passé  de  ces  places  à  leurs  destinées 
ultérieures. 

11  n*eût  pas  été  bien  difficile  d'entourer  ces  notes 
d'un  appareil  scientifique  plus  imposant;  mais  leur  but 
est  moins  de  prouver,  que  d'indiquer  le  point  de  vue 
pratique  où  se  placerait  volontiers  un  étymologiste  de 
circonstance  et  sans  mission, 

A.  H. 


1)  Comme  celle  de  Ristelhuelier,  carcan^   rivière,   dur^  eau,   et  rn/, 
fort  =  U  forteresse  du  bord  de  Peau  courante,  etc . . . 


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UNE  ACCUSATION 

CONTRE  LES  JÉSUITES  DE  STRASBOURG 

EN  1705 


Le  13  mai  1705,  une  lettre  était  adressée  de  Stras- 
bourg au  ministre  Chamillart,  dans  laquelle  les  Jésuites 
de  Strasbourg  étaient  accusés  de  toucher  depuis  dix-huit 
ans  une  pension  de  1600  livres,  fondée  par  Louis  XIV, 
afin  de  prêcher  des  missions  en  Alsace  et  de  ne  pas 
s'acquitter  de  cette  fondation.  Personne,  disait  l'auteur 
de  la  dénonciation,  n*ose  se  plaindre,  car  les  Jésuites 
soiit  trop  puissants.  Il  faut  au  moins  les  obliger  à  faire 
un  bon  usage  de  cet  argent  ;  c  qu'il  soit  employé  aux 
pauvres  abandonnés,  aux  Eglises  dépouillées,  à  achepter 
des  livres  pour  les  nouveaux  convertis.  On  espère  cela 
de  la  piété  de  Sa  Majesté  »  »). 

Le  ministre  chargea  La  Houssaye,  intendant  d'Alsace, 
de  faire  une  enquête  sur  les  faits  qui  lui  étaient  dénoncés. 
L'intendant  s'adressa  directement  aux  Jésuites  de  Stras- 
bourg pour  leur  demander  de  se  justifier,  et  il  ne  semble 
.pas  s'être  adressé  aux  évêques  de  Strasbourg  et  de  Baie 
ou  à  leurs  grands-vicaires.  Les  Jésuites  ne  se  conten- 
tèrent pas  de  fournir  à  de  La  Houssaye  des  explications 
verbales;   ils   exigèrent  qu'il   consultât   leurs  registres, 


I)  Archives  de  U  Guerre,  vol.   1S49,  p.   145. 


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498  REVUE   D*ALSACE 

recteur  de  Strasbourg,  mais  l'abbé  la  céda  à  la  Société 
de  JÉSUS  contre  une  rente  de  30CX)  livres.  A  cause  de 
la  guerre,  les  revenus  de  cette  dernière  abbaye  furent 
payés  avec  beaucoup  d'irrégularité. 

Le  nombre  des  Jésuites  de  Strasbourg  semble  avoir 
été  assez  considérable,  à  cause  du  double  enseignement 
qu'ils  donnaient  au  séminaire  épiscopal  et  à  leur  collège. 
L'intendant  La  Grange,  dans  son  Mémoire  de  1697,  dit 
qu'ils  fournissaient  quatre  prédicateurs  à  la  cathédrale: 
trois  prêchaient  en  allemand  et  un  en  français.  Il  résulte 
évidemment  du  Mémoire  justificatif  des  Jésuites  que  les- 
1600  livres,  payées  d'ailleurs  si  peu  régulièrement  par  le 
trésor  royal,  étaient  bien  insuffisantes  pour  faire  face 
aux  dépenses  d'un  nombreux  personnel.  Malheureuse- 
ment, nous  ne  pouvons  indiquer  quel  était  l'appoint 
fourni  par  les  abbayes  de  Seltz  et  de  Sainte-Walburge^ 
et  le  Mémoire  du  P.  Dez  est  muet  sur  la  façon  dont 
le  budget  de  la  maison  de  Strasbourg  s'équilibrait. 

Mémoire 

sur  la  lettre  qu'on  a  écrite  contre  les  Jésuites  de  Strasbourg,, 
comme  s'ils  manquoient  depuis  dix-huit  ans  à  faire  les 
Missions  que  Sa  Majesté  leur  a  fondées  dans  l'Alsace, 

Il  y  a  près  de  dix-huit  ans  que  le  Roy  a  fondé 
quatre  Missionnaires  dans  le  Collège  de  Strasbourg,  et 
Sa  Majesté  leur  fait  donner  tous  les  ans  seize  cens  livres 
pour  cela.  On  a  affecté  de  faire  tomber  la  plainte  qu'on 
fait  des  Jésuites  sur  le  Père  Dez  »)  en  la  formant  pen- 
dant son  second  Rectorat.  Il  est  néanmoins  de  notoriétp^ 
publique  qu'il  y  a  près  de  dix-huit  mois  qu'on  n'a  rien 
reçu  de  ces  i6cK)  livres  et  qu'il  n'y  en  a  que  sept  que 
ce  Père  est  Recteur  de  Strasbourg.  Jusques  là  il  ne  peut 
pas  être  coupable. 


1)  Berger-Levr«ult,  dans  les  Annalts  du  pfofessiurs  dis  académies 
et  universités  nisaciennes,  Nancy,  1892,  indique  par  erreur  l'année  1684. 
comme  la  première  du  rectorat  du  F.  Dez. .il  fut  recteur  de  Strast>ourg^ 
une  seconde  fois  de  1704  à  1708  et  mourut  en  1712,  figé  d*enviroi> 
70  ans. 


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UNE   ACCUSATION   CONTRE   LES  JESUITES  499- 

Mais  comme  on  accuse  les  Jésuites  d'avoir  manqué 
depuis  dix-huit  ans  à  ces  obligations-là,  c'est-à-dire  qu'on 
remonte  jusqu'à  1687  pour  les  rendre  coupables  et  que 
le  Père  Dez  a  été  Recteur  de  Strasbourg  en  ce  temps-là 
depuis  1683  jusqu'à  1691,  voilà  cinq  ans  qui  roulent 
sur  son  compte.  Ce  Père  ne  se  serait  jamais  imaginé 
qu'après  dix-huit  ans  il  se  verrait  obligé  de  rendre 
compte  des  missions  que  le  Roy  avoit  bien  voulu 
confier  à  ses  soins,  Sa  Majesté  ayant  eu  la  bonté  de 
luy  faire  écrire  et  même  ayant  daigné  luy  dire  elle- 
même  en  ce  temps-là  qu'elle  étoit  fort  contente  de  ses 
services,  en  particulier  sur  cet  article-là,  et  des  béné- 
dictions que  Dieu  répandoit  sur  les  travaux  des  Mission- 
naires Jésuites  de  Strasbourg  qui  ont  été  suivis  d'une 
foule  de  conversions  à  la  Ville  et  à  la  Campagne  comme 
tout  le  monde  le  sçait  en  ce  pays-cy.  Mais  il  faut  venir 
au  fait. 

Il  est  constant  par  les  comptes  de  ce  temps-là  qui  sont 
très  exacts,  i*  qu'en  l'année  1687,  qui  est  la  première 
des  dix-huit,  le  Collège  ne  reçut  du  Roy  pour  les 
Missions  que  800  livres. 

Et  que  le  Père  Dez  employa  pour  les  seules  mis- 
sions 3.147  liv.  85,  à  cause  des  besoins  pressants  qui 
se  présentoient  alors  et  qui  regardoient  la  conversion 
des  hérétiques, 

Sçavoir  : 
i'»  en  argent  déboursé  et  délivré  aux  Mis- 
sionnaires       1797  ÏÏ  8  s.- 

2®  pour  la  nourriture  et  l'entretien  du  Mis- 
sionnaire controversiste  qu'on  a  tou- 
jours retenu  dans  la  Ville 400  ÏÏ  — 

y  pour  les   habits  des  Missionnaires   tant 

d'hy ver  que  d'été î  50  î?  — 

4**  pour  la  mission  à  60  officiers  qui  firent 

la  retraite  chez  nous 200  ÏÏ  — 

S'»  pour  la  retraite  à   140  Ecclésiastiques, 

auxquels  on  fit  la  mission 6cK)  t(  — 

Total  de  la  dépense    .     .     .    3147  S^  8  s.. 


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-50O  REVUED  ALSACE 

2°  qu'en  Tannée  1688  on  a  reçu  du  Roi  pour  les 
Missions  1600  ff,  sçavoir  onze*  cens  au  mois  d'octobre 
et  500  ÏÏ  au  mois  de  mars  de  Tannée  suivante. 

Le  Père  Dez  dépensa  cette  année-là  même  pour 
Jes  missions, 

Sçavoir  : 

I**  en  argent  déboursé  pour  les  Missionnaires  .  2101  ff 

2^  pour  le  Missionnaire  controversiste     .     .     .  400  tt 

3®  pour  les  habits  des  Missionnaires  ....  1 50  S" 
4"  pour  la  mission  à  50  officiers  qui  firent  la 

retraite 160  ff 


Total  de  la  dépense.     .     .     .    2811   î« 

En  Tannée  1689 
-on   reçut   du  Roy    pour    cinq    Missionnaires    2000    ff, 
payées    au   mois    d'avril,    de  juillet,    d'octobre    et    de 
décembre. 

Le  Père  Dez  dépensa  cette  année-là  pour  les  Mis- 
-sions  2786  ff, 

Sçavoir  : 

I*  en  argent  déboursé  pour  les  Missionnaires  .  2236  fi 
.'2®  pour  le  Missionnaire  controversiste  .  .  .  400  "S 
y  pour  les  habits  des  Missionnaires  ....      1 50  ff 


Total  de  la  dépense.     •     .     .    2786  If 

En   1690 
-on  reçut  du  Roi   pour   les   Missions    1600   ff,    payées 
800  au  mois  d'aoust  et  800  au  mois  de  juin   suivant. 
Le  Père  Dez  dépensa  pour  les  Missions  2413  ff, 

Sçavoir  : 

!•  en  argent  déboursé  pout  les  Missionnaires  .  1863  ff 

-2**  pour  le  Missionnaire  controversiste    .     •     .  400  ff 

,3®  pour  les  habits  des  Missionnaires.     ...  150  ff 


Total  de  la  dçp^nse.     ,^  .    24J3  U 


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UNE   ACCUSATION   CONTRE    LES  JESUITES  5OI4 

En  Tannée  1691, 
quand    le    Père   Dez  quitta   le   Rectorat    au    mois    de- 
septembre,   on  n'avoit  encore  rien  reçu  du  tout  pour 
les  Missions  de  cette  année-là. 

Le  Père  Dez   avoit   néanmoins   dépensé   au   même 
mois  de  septembre  pour  les  Missions  1967  ÏÏ, 

Sçavoir  : 

i^  en  argent  déboursé 1417  E 

2®  pour  le  Missionnaire  controversiste    .     .     .  400  % 

3**  pour  les  habits  des  Missionnaires  •     .     •     .  1 50  ff 


Total  de  la  dépense.     «     .     .    1967  ff 

On  voit  par  là  que  pendant  les  cinq  années  du. 
Rectorat  du  Père  Dez  où  on  l'accuse  d'avoir  manqué 
à  faire  les  missions,  on  n'a  reçu  pour  cela  que  6000  K 
et  que  le  Père  Dez  .a  dépensé  pour  les  mêmes  missions 
13.125  U  14  s. 

Ce  Père  n'a  donc  pas  mérité  qu'on  attendit  son  retour 
à  Strasbourg  où  il  n'est  que  depuis  sept  mois,  pour 
faire  des  plaintes  au  Collège  de  Strasbourg  au  sujet  des 
missions,  puisqu'il  y  en  a  dix-huit  que  le  Collège  n'a. 
rien  reçu  pour  les  missions,  et  il  a  encore  moins  mérité 
qu'on  fist  tomber  sur  luy  ces  plaintes-là,  pour  ce  qui 
regarde  les  cinq  dernières  années  de  son  premier 
Rectorat. 

Au  reste  on  doit  remarquer  icy  que  le  Missionnaire 
controversiste  est  celuy  qui  prêche  la  controverse  en 
Allemagne  et  qui  a  soin  des  conversions  et  qu'il  est 
différent  du  controversiste  scripturaire  qui  est  un  des 
cinq  Régents  de  Théologie.  Le  premier  n'est  fondé  ny 
dans  le  Collège,  ny  dans  le  Séminaire,  mais  dans  la 
seule  fondation  des  Missionnaires.  Le  second  est  fondé 
dans  les  revenus  de  l'abbaye  de  Valbourg. 

On  doit  encore  remarquer  que  loin  qu'on  fasse 
monter  trop  haut  la  dépense  ci-dessus  exprimée  en 
danrées,   il   est   évident   qu'y   ayant   eu  la  plupart  du^ 


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502  REVUE   D  ALSACE 

temps  cinq,  six  et  sept  Missionnaires  au  Collège,  au 
lieu  de  mettre  pour  leurs  habits  d*hyver  et  d'esté 
150  tt,  on  en  pourroit  mettre  sans  exagérer  300  ff, 
d'autant  plus  qu'on  les  fournissait  encore  la  pluspart 
du  temps  de  matelats,  de  draps,  de  couvertes  et  de 
beaucoup  d'autres  choses. 

De  plus  la  maladie  du  Père  Osbourg,  missionnaire, 
qui  fut  longue  dans  les  premières  années,  coûta  au 
Collège  plus  de  600  ÏÏ,  qui  ne  se  mirent  pas  sur  la 
dépense  des  missions,  mais  sur  celle  du  Collège  en 
général. 

On  n'y  a  pas  non  plus  renfermé  la  dépense  de  tous 
ces  Missionnaires-là,  quand  ils  venoient  prendre  du  repos 
à  Strasbourg,  où  ils  demeuroient  8  jours,  15  jours,  un 
mois,  six  mois  quelquefois,  lorsque  Messieurs  les  Grands- 
Vicaires  les  arrestoient  pour  les  accompagner  dans  leurs 
visites;  cela  alloit  à  plus  de   150  ff  par  an. 

Les  deux  retraites  des  officiers  pendant  plusieurs 
jours  qu'on  a  mis  à  350  S*,  en  a  coûté  au  Collège  plus 
de  500  ÏÏ. 

La  retraite  de  140  Ecclésiastiques  pendant  six  ou 
sept  jours  \qu'on  note  à  600  ÏÏ,  en  a  coûté  plus  de 
800  ÏÏ. 

Combien  de  chapelets,  de  médailles,  de  livrets  de 
missions,  d'images  et  d'autres  choses  pareilles  qui  coûtent 
de  l'argent,  n'a-t-il  pas  fallu  acheter  pour  les  Missionnaires 
pendant  ces  cinq  années-là. 

On  doit  ajouter  qu'avant  même  que  le  Roi  eust 
fondé  des  Missionnaires,  le  Père  Dez,  comme  il  est 
évident  par  les  comptes,  avait  fait  faire  des  missions 
pour  plus  de  six  cens  livres. 

Toutes  ces  sommes  jointes  ensemble,  monteroient 
encore  à  plus  de  3000  ÏÏ,  qui  font  tout  ce  que  Ton 
doit  donner  en  cinq  ans  aux  deux  missionnaires  de 
Valbourg. 

Ainsi  tout  l'excédant  de  la  somme  de  13.125  ÏÏ  14  s. 
sur  celle  de  6000  ïï  a  été  à  la  charge  du   Collège   et 


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UNE   ACCUSATION    CONTRE   LES  JÉSUITES  503 

-une  espèce  d^avance  qu'on  se  voit  obligé  de  faire  à 
•cause  des  besoins  pressants  où  Ton  se  trouvoit  pour 
les  conversions.  Cet  excédant  ou  cette  avance  se  monte 
à  7125  ÏÏ  14  s. 

Voilà  ce  qui  regarde  la  pleine  et  entière  justification 
<lu  Père  Dez,  qu'il  semble  cependant  qu'on  ait' en  vue 
particulièrement,  puisqu'on  fait  tomber  sur  lui  la  haine 
des  plaintes  et  de  l'accusation. 

Ses  successeurs  ont  été  le  P.  Daubenton  '),  lé 
P.  Verri  2)  et  le  P.  Robinet  3).  Ils  sont  tous  trois,  grâces 
k  Dieu,  pleins  de  vie  et  tout  prêts  à  se  justifier,  si  on 
l'ordonne.  On  peut  en  juger  par  ce  qu'on  en  va  dire 
en  général. 

1*^  Ils  ont  droit  en  toute  rigueur  de  mettre  en 
compte  les  avances  que  le  Père  Dez  a  faites  sur  les 
revenus  du  Collège  pour  les  missions.  Cela  monte  à 
7125  ÏÏ  12  s. 

2<*  Ils  ont  toujours  eu  à  Strasbourg,  comme  le  Père 
Dez,  le  missionnaire  controversiste.  Sa  dépense  à  400  ÏÏ 
par  an  en   13  ans  va  à  5200  ÏÏ. 

3**  Ils  ont  fait  au  moins  deux  missions  à  près  de 
cent  ecclésiastiques  pendant  leur  retraite  au  Séminaire. 
Outre  le  peu  qu'ils  ont  reçu  pour  cela,  ils  y  ont  mis 
du  leur  plus  de  6(X)  ÏÏ. 

4°  On  a  continué  les  missions  stables  pendant  quel- 
ques années,  comme  du  temps  du  Père  Dez,  et  on 
a  bien  dépensé  pour  cela  en  argent  comptant  45CX)  ÏÏ. 

5**  On  a  fait  vingt-sept  missions  volantes  dans  plu- 
sieurs villes  et  villages  de  l'Alsace,  les  Missionnaires 
travaillant  tous  ensemble  et  retournant  après  leurs  Mis- 
sions au  Collège  de  Strasbourg,  où  ils  continuoient  de 
travailler  au  salut  des  âmes  et  où  ils  étaient  nourris  et 


i)  GuilUome  Daubenton  fut  deux  fois  recteur,  de  1691   à  1694,  et 
de  1698  à   1701. 

2)  Pierre  Verry,  recteur  de  1695  ^   1698, 

3)  Robinet  (de  Cléry),   recteur  de  1701  à  fin   1704.,    remplacé   par 
Àe  P.  Dez. 


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UNE   ACCUSATION   CONTRE   LES  JÉSUITES  505 

pour  y  mettre-  Du  temps  du  Père  Dez,  comme  il  y 
avoit  une  grande  disette  de  curés,  toutes  les  missions 
étoient  stables,  et  il  y  a  des  Jésuites  missionnaires  qui 
ont  été  trois  et  quatre  ans  de  suite  dans  les  Cures  dont 
ils  avoient  soin.  On  leur  donnoit  leur  pension  en  argent, 
afin  qu'ils  ne  fussent  à  charge  à  personne,  et  on  voioit 
sans  peine  de  cette  sorte  ce  qu'ils  dépensoient  tout  étant 
spécifié  distinctement  dans  les  comptes. 

On  appelle  Aîissions  volantes  celles  que  font  tous 
les  Missionnaires  ensemble,  trois  semaines  ou  un  mois 
dans  un  lieu,  autant  dans  un  autre  lieu,  tantost  dans 
des  Villes,  tantost  dans  des  Villages;  après  quoy  ils 
retournent  au  Collège  où  ils  vivent  et  travaillent  avec 
les  autres.  On  dispute  laquelle  de  ces  deux  sortes  de 
Missions  est  la  meilleure,  et  il  y  a  des  raisons  de  part 
et  d'autre. 

6**  On  a  recommencé  des  missions  stables  depuis 
trois  ans.  Les  trois  Missionnaires  Jésuites  ayant  été 
envoyés  dans  la  Haute-AUace  aux  deux  Prieurés  de 
Saint-Morand  et  d'Qilenberg,  que  le  Roy  a  eu  la  bonté 
de  faire  donner  aux  Jésuites  de  Strasbourg  par  confis- 
cation pour  les  dédommager  de  la  perte  des  abbayes 
de  Selss  et  de  Valbourg  que  les  ennemis  occupent. 
Outre  ces  trois  Missionnaires  il  y  en  a  un  quatrième 
qui  dessert  une  cure.  On  a  été  nécessité  d'en  user  de 
la  sorte,  les  Jésuites  allemands  sujets  de  l'Empereur 
s'étant  retirés.  Au  lieu  d'amodier  à  des  séculiers,  comme 
on  auroit  pu  le  faire,  ces  deux  prieurés-là,  on  a  cru 
qu'il  valoit  mieux  y  envoyer  nos  Missionnaires,  qui 
font  de  très  grands  biens  dans  ces  quartiers-là.  Au  reste 
ils  dépensent  là  plus  de  deux  fois  la  pension  du  Roy, 
faisant  venir  à  leurs  frais  des  Ecclésiastiques  et  des 
Religieux  pour  les  aider  dans  leurs  fonctions  spiri- 
tuelles. 

Ce  qui  n'a  pas  empêché  qu'on  ait  encore  fait  l'an 
passé  une  mission  volante  à  Landau,  de  quatre  Jésuites. 
A  la  paix  que  nous  espérons  avoir  bientost,  ces  trois 
Missionnaires  reviendront  à  Strasbourg.    Leur    dépense 

RevM  d'AUace,  1007  SS 


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506  REVtTE  D'aLSACB 

depuis  deux  ans  et  demi,  va  selon  la  pensioa  du  Roy 
de  400  a  pour  chacun  par  an  à  3000  tt,  le  Bilission- 
naire  controversiste  qui  est  le  quatrième  demeurant 
toujours  à  Strasbourg  comme  il  a  été  dit 

Sur  ce  pied'là  la  recette  de  la  pension  des  Mission- 
naires du  Roy  a  été  depuis  18  ans  de  25.200  ff,  les 
années  de  1704  et  de  1705  n'étant  pas  payées,  et  la 
dépense  totale  a  été  de  36.025  ». 

Partant  plus  dépensé   10.825  «. 

On  est  persuadé  que  si  les  trois  Recteurs  successeurs 
du  Père  Dez  étoient  ici,  comme  ils  connaissent  mieux 
ce  qui  s'est  passé  de  leur  temps,  cette  même  dépense 
monteroit  encore  plus  haut. 

Il  y  a  eu  des  cures  desservies  aux  environs  de 
Strasbourg  dont  on  n'a  pas  parlé. 

M.  le  grand-vicaire  sçait  que  le  Père  Dez  encore 
tout  récemment  a  fait  une  aumône  de  deux  cens  livres 
au  curé  de  Roderen,  pour  l'arrester  là,  sans  parier  de 
sa  compétance  de  400  ff,  qu'il  luy  fait  avancer  quoyque 
ce  soit  du  Roy  qu'il  doive  la  recevoir  et  que  cela  ne 
regarde  pas  le  Collège. 

Au  reste  c'est  le  Père  Dez  lui-même  qui  a  examiné 
les  comptes  des  cinq  années  de  son  premier  Rectorat 
depuis  1087  jusqu'à  1691,  et  c'est  le  Père  Dauburtin, 
Procureur  du  Collège,  qui  a  examiné  les  comptes  des 
treize  années  suivantes  depuis  1692  jusqu'à  1705,  ayant 
été  Procureur  de  cette  maison  pendant  tout  ce  temps-là. 

Quand  aux  deux  Missionnaires  fondés  sur  Sainte- 
Valbourg  à  cent  écus  chacun  par  an  aux  deux  Régents 
de  Théologie  et  six  séminaristes  françois,  tout  Stras- 
bourg et  toute  la  Basse-Alsace  sçait  qu'il  y  a  cinq  ou 
six  ans  qu'on  fist  connoitre  aux  Jésuites  que  plus  de 
la  moitié  des  revenus  qui  composoient  la  fondation  de 
ces  dix  personnes,  n'appartenoit  point  à  l'abbaye  de 
Valbourg  comme  on  le  croioit,  lorsque  la  fondation  fut 
faite,  et  on  sçait  aussi  que  les  Jésuites  rendirent  aussi- 
tost  de  bonne  foy  à  Monseigneur  l'électeur  de  Trêves, 


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UNE   ACCUSATION  CONTRE  LES  lésUITES  507 

comme  prevost  de  Wissembourg,  cette  moitié  des  reve- 
nus de  leur  fondation. 

Les  Jésuites  sembloient  avoir  droit  de  demander 
diminution  de  la  moitié  des  charges  :  ils  ont  néanmoins 
continué  à  entretenir  les  deux  Régents  de  Théologie 
et  les  six  Séminaristes  françois,  c'est-à-dire  huit  personnes 
de  dix  qui  étaient  fondées  sur  ces  revenus  dont  ils  ont 
rendu  la  moitié.  On  ne  pense  pas  qu'on  doive  les 
inquiéter  d'avoir  cru  n'être  point  obligé  depuis  ce 
temps-là  entretenir  encore  les  deux  missionnaires. 

Pendant  les  cinq  années  du  Père  Dez  il  y  a  eu  dans 
la  Basse-Alsace  plutost  trois  et  quatre  Missionnaires  que 
deux,  sans  parler  de  ceux  du  Roy  fondés  sur  les 
i6(X)  ÏÏ. 

On  voit  enfin  par  l'excédant  de  la  dépense  totale 
pour  les  Missions  sur  la  recette  totale  depuis  i8  ans, 
qu'en  prenant  mille  ou  douze  cens  écus  pour  les  dits 
Missionnaires  de  Valbourg  pendant  les  cinq  ou  six  autres 
années  des  successeurs  du  Père  Dez,  il  ne  laissera  pas 
de  rester  encore  sept  ou  huit  mille  livres  de  plus  dépensé 
que  reçu  pour  les  missions. 

Fait  à  i^trasbourg  ce  7^  de  Juin  1705, 

Jean  Dez, 
Recteur  du  Collège  des  Jésuites  de  Strasbourg. 

Jean  d'AuBURTiN, 
Procureur  du  Collège  des  Jésuites  de  Strasbourg. 


En  transmettant  à  Chamillart  ce  Mémoire  justificatif, 
l'intendant  La  Houssaye  annonce  qu'il  est  conforme 
aux  résultats  donnés  par  les  vérifications  faites  sur  les 
registres  des  Jésuites.  A  son  avis,  l'auteur  de  la  lettre 
de  dénonciation  c  ne  peut  estre  regardé  que  comme 
un  méchant  esprit,  ou  un  étourdy,  emporté,  ou  par 
une  malice  grossière,  ou  par  un  faux  zèle  sans  avoir 
suffisamment  approfondy  ce  qu'il  a  voulu  dénoncer  >« 


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5o8  REVUE  d'alsace 

Après  avoir  défendu  les  Jésuites  en  termes  si  vigoureux^ 
La  Houssaye  ajoute  en  parlant  de  leurs  missions  :  cLe 
trouble  des  derniers  temps  a  empesché  le  cours  de  ces 
Missions  avec  tout  Téclat  qu'elles  avoient  auparavant. 
Mais  outre  que  les  Jésuites  sont  en  avance  par  rapport 
à  l'argent  qu'ils  ont  touché,  ils  attendent  avec  impatience 
des  conjonctures  plus  favorables . . .  Cependant  leurs 
Missionnaires  travaillent  utilement  dans  des  Paroisses 
où  ils  sont  employez  en  Haute-Alsace  à  ce  qu'on  appelle 
Missions  stables  à  la  différence  des  Missions  dites  volantes 
de  cantons  en  cantons  que  Monsieur  l'Evesque  de  Basle 
refusait  d'admettre  dans  son  Diocèse  qui  s'étend  jusques 
à  Colmar  ». 

Le  ministre  adopta  les  conclusions  de  l'intendant 
d'Alsace  et  les  Jésuites  de  Strasbourg  purent  en  toute 
tranquillité  continuer  leurs  prédications  et  leur  enseigne- 
ment  jusqu'à  la  suppression  de  leur  ordre  en  France 
par  arrêt  du  Parlement  de  Paris  du  6  août   1762. 

Jules  Schwartz. 


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LES  PROVINCES  PERDUES'' 


Au  moment  où  je  ferme  le  deuxième  et  dernier 
volume  de  M.  Ardouin-Dumazet  sur  l'Alsace,  ma  pensée 
s'élève  vers  l'auteur,  au  plus  haut  sommet  de  ces  Vosges 
qu'il  a  décrit  avec  tant  de  charme.  Elle  le  voit  cram- 
ponné aux  barreaux  de  la  grille  entourant  le  massif 
qui  supporte  la  table  d'orientation  du  Ballon  et,  en 
dépit  de  la  tempête  d'air,  dont  le  souffle  le  transperce 
-et  le  glace,  promenant  son  regard  émerveillé  sur  l'im- 
mense tableau  qui  se  développe  à  ses  pieds.  La  bour- 
rasque passe  sur  lui,  t  avec  des  hurlements  et  des 
sanglots,  âmes  des  géomètres  qui  ont  trompé  les  clients 
sur  la  réelle  étendue  de  leurs  terres  »,  à  en  croire  la 
légende.  Et  ma  pensée  lui  est  reconnaissante  pour  le 
plaisir  que  me  cause  la  lecture  de  son  ouvrage,  à  telles 
enseignes  qu'elle  souhaiterait  qu'un  coup  de  baguette 
magique  transportât  —  devant  la  table  que  l'on  est  en 
besogne  de  dresser  pour  lui,  à  cette  heure,  dans  le 
chalet  hospitalier  de  la  montagne,  —  la  fontaine  de 
Wangen,  dont,  à  certain  anniversaire,  on  détourne  l'onde 
pour  la  remplacer  par  des  flots  de  vin,  coutume  établie 
pour  commémorer  le  gain  d'un  ancien  procès. 


i)  VoVAGB  EN  Fban'CB.  La  provinces  perdues,  I.  Haute- Aliace. 
lU  Basse-Alsace.  Paris-Nancy,  Berger- l.ev raidit  et  Cie,  éditeors.  a  vol. 
in*  12  de  440  et  484  pages.  Prix  du  volume  :  3  fr.  50.  (En  vente  dans 
toutea  (es  librairies  d'Alaace).  —  A  Pinstant  nous  arrive  le  troisième 
-volume  (in- 12  de  473  pages},  consacré  à  la  Lorraine  annexée. 


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5  lO  REVUE  d'aLSACK 

La  plupart  des  livres  consacrés  à  l'Alsace  depuis 
1870  étaient  des  études  psychologiques.  Pour  répondre 
au  besoin  de  connaître  l'état  des  esprits  en  pays  annexés, 
les  écrivains  ont  plutôt  employé  la  fornie  du  roman  ou 
du  pamphlet.  Aussi,  de  leur  œuvre,  il  ne  se  détache  pas 
un  tableau  complet  de  l' Alsace-Lorraine,  de  sa  physio- 
nomie générale,  de  son  existence  matérielle.  M.  Ardouin 
Dumazet  comble  cette  lacune  de  nos  connaissances. 
L'auteur  du  Voyage  en  France  a  pensé  que  son  œuvre 
ne  serait  pas  achevée  si  elle  ne  s'étendait  aux  provinces 
perdues.  En  suivant  le  même  plan  que  dans  ses  quarante- 
sept  premiers  volumes  il  pouvait,  pensait-il,  faire  con- 
naître et  aimer  davantage  notre  sol,  sans  chercher  à 
faire  œuvre  de  polémique  et  de  passion.  11  n'a  rien 
voulu  laisser  dans  l'ombre  :  c'est  TAlsace  toute  entière 
qu'il  nous  présente.  Comme  les  autres  séries  de  son 
entreprise,  ces  deux  volumes  ne  sont  pas  des  œuvres 
de  géographie,  au  sens  scientifique  du  mot,  encore 
moins  des  manuels  de  touriste.  Ce  sont  des  livres  qui 
se  lisent  avec  l'intérêt  captivant  d'un  roman;  la  préci- 
sion des  tableaux,  la  richesse  de  la  documentation,  les 
études  de  science  sociale  perdent,  grâce  à  la  clarté  du 
style,  tout  ce  qu'elles  pourraient  avoir  de  rébarbatif. 
A  une  époque  où  les  géographes,  les  économistes,  les 
sociologies  affectent  de  donner  une  plus  haute  idée  de 
leur  savoir  en  créant  un  langage  spécial  et  quelque 
peu  mystérieux  pour  le  grand  public,  l'auteur  a.  su 
aborder  bien  des  sujets  d'aspect  sévère  en  conservant 
à  son  œuvre  un  caractère  littéraire  et  vivant. 

Le  voyageur  aurait  pu  pénétrer  sur  nos  terres  par 
quelque  col  célèbre  pomme  la  Schlucht  ou  Bussang, 
qui  prêtent  si  bien  à  la  description  pittoresque.  Il  a 
préféré  présenter  d'abord  les  paysages  calmes  et  doux 
de  la  trouée  de  Belfort,  dont  les  placides  campagnes 
séduisent  le  passant  entramé  vers  Mulhouse  et  Bâle. 
En  remontant  la  vallée  de  la  Largue,  molle  comme  un 
pli  de  Touraine,  il  parvient  dans  le  Jura  alsacien,  r^ion 
aimable   et  peu   fréquentée   encore,    riche   en    beaux 


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LES    PROVINCES   PERDUES  511 

tableaux  et  en  ruines  superbes.  La  course  se  poursuit 
jusqu'à  Bàle  où  l'auteur,  rencontrant  le  Rhin,  nous  fait 
un  moment  descendre  le  grand  fleuve  et  assister  aux 
beaux  travaux  de  correction  qui  ont  transformé  le  torrent 
indompté  en  un  large  chenal  où,  bientôt,  les  grands 
vapeurs  monteront  vers  la  Suisse. 

Plusieurs  chapitres  sont  consacrés  à  Mulhouse,  la 
grande  cité  manufacturière,  à  laquelle  se  rattache  toute 
une  vaste  région  vosgienne  où  l'abondance  des  eaux, 
la  rapidité  de  leur  chute  ont  fait  naître  tant  de  satellites 
mulhousiens.  Ici,  le  paysage  prend  la  part  prépondérante 
sous  la  plume  du  voyageur.  La  vie  économique  n'est 
pas  négligée;  mais  on  nous  la  montre  dans  son  décor 
de  monts,  de  lacs,  de  forêts,  de  prairies  verdoyantes, 
de  chaumes  rases.  Des  environs  d'Altkirch,  au  sommet 
des  Vosges,  toute  une  suite  de  pages  captivent  :  vallées 
de  la  Thur  et  de  la  Doller,  sommets  du  Ballon,  pentes 
opulentes  du  vignoble  bordant  la  plaine.  C'est  une  succes- 
sion de  tableaux  d'une  vie  intense  et  d'une  vérité  que 
tous  les  Alsaciens  reconnaîtront.  Ce  sont  ensuite  Colmar, 
le  pauvre  Neuf-Brisach,  en  létargie  entre  les  murailles 
de  Vauban  ;  Turckheim  et  les  souvenirs  de  Vauban  ; 
l'Alsace  romane  du  val  d'Orbey  ;  le  vignoble  de  Ribeau- 
villé,  et,  enfin,  l'active  vallée  à  laquelle  Sainte-Marie- 
aux-Mines  donne  la  vie. 

La  Basse-Alsace  offre  peut-être  des  aspects  plus 
variés  encore.  Si  la  grande  montagne  a  tait  place  à 
des  sommets  secondaires,  il  y  a  là  tant  de  vallées  riantes, 
la  plaine  a  une  richesse  si  exubérante,  le  Rhin  prend 
si  bien  le  caractère  de  grand  fleuve,  les  basses  Vosges 
ont  de  si  curieux  paysages  que  les  larges  tableaux  s'y 
pressent. 

Ce  second  volume  s'ouvre  par  une  ascension  au 
Haut-Kœnigsbourg,  la  forteresse  géante  dressée  sur  un 
promontoire  au-dessus  de  la  plaine  et  qui  commande 
des  hofizons' infinis.  A  travers  les  campagnes  opulentes 
du  Ried,  l'auteur  nous  amène  à  Strasbourg,  qu'il  a  décrit 
avec  cette  affection  que  la  noble  ville   inspire    à   tous 


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512  REVUE   D  ALSACE 

ceux  qui  la  visitent,  Strasbourg,  dont  le  souvenir  se 
résume  et  se  précise,  pour  ainsi  dire,  dans  un  mot: 
la  cathédrale. 

€  Il  est  d'autres  grandes  cathédrales  que  celle  de 
Strasbourg,  il  n'en  est  de  plus  belles,  offrant  davantage 
d'unité,  une  perfection  plus  absolue  dans  l'art  du  sculp- 
teur. Chartres,  Amiens,  Reims  sont  des  œuvres  plus 
parfaites,  mais  aucune  n'a  été  louée,  exaltée  comme 
le  puissant  Munster  des  bords  de  TIll;  les  artistes  et 
les  archéologues  connaissent  les  grandes  églises  fran- 
çaises, la  majorité  du  public  les  ignore,  mais  partout 
on  exalte  celle  de  Strasbourg.  C'est  un  des  édifices 
qu'il  faut  avoir  vus,  pour  lesquels  on  se  dérange  de  sa 
route,  véritable  pèlerinage  sans  cesse  fréquenté. 

•  Je  crois  qu'il  faut  l'attribuer  au  prestige  du   nom 
du  Rhin,  à  ce  patriotisme  local  de  l'Alsace  qui   a    fait 
du  superbe  édifice  le  monument  national  de  la   petite 
patrie;    puis  à  l'effet  vraiment  sublime  de  cette  flèche 
élancée,  au-dessus  d'une  façade  elle-même  colossale  que 
l'on  aperçoit  de  bien  des  lieues  avant  de  parvenir  à  la 
ville.  Pour  le  voyageur  arrivant  par  la  plaine  ou  par  la 
montagne,    la   cathédrale   de  Strasbourg  prend   l'aspect 
fantastique  d'un  temple  de  rêve,  elle  se  détache  sur  le 
ciel  comme  un  décor   d'apothéose.    Le  cadre   lointain, 
les  Vosges,  la  Forêt-Noire,  la  plaine  immense  et  superbe, 
tout  concourt  à  donner  une  impression  inoubliable.  J'ai 
vu  la  cathédrale  de  Reims  depuis  les  plaines  lointaines 
ou  du  bord  de  la  €  montagne  >,  j'ai  eu  la  sainte  obses- 
sion de  la  cathédrale  de  Chartres  pendant  mes  longues 
courses  en  France,    et  elles  ne  m'ont  pas  imposé  une 
telle  sensation. 

<  Le  défaut  de  Notre-Dame  de  Strasbourg  (car  tel 
est  le  vocable  de  l'église,  ignoré  de  bien  des  Strasbour- 
geois),  l'étroitesse  de  sa  façade  comparée  à  la  hauteur, 
contribue  à  accroître  le  sentiment  d'écrasante  grandeur 
éprouvé  en  arrivant  en  face  du  chef-d'œuvre  d'Erwin 
de  Steinbach.  On  peut  regretter  que  Tédifice  n'ait  pas 
été  terminé  et,  pourtant,  on  le  préfère  ainsi,  avec  son 


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LES   PROVINCES   PERDUES  513 

unique  flèche.  Si  la  seconde  avait  été  construite,  la 
•cathédrale  eût  ressemblé  à  tant  d'autres,  elle  n'aurait 
pas  une  personnalité  aussi  nette . . .  >. 

De  Strasbourg,  dont  il  nous  dit  les  ambitions,  l'es- 
poir, en  partie  réalisé,  de  devenir  un  grand  port  intérieur, 
grâce  à  l'amélioration  du  Rhin,  M.  Ardouin-Dumazet 
nous  fait  pénétrer  dans  les  vallées  vosgiennes;  nous 
faisons  avec  lui  la  classique  ascension  du  Donon,  nous 
parcourons  le  Ban-de-la-Roche,  sur  lequel  plane  le  sou- 
venir d'Oberlin,  le  Champ-du-Feu,  où  la  rencontre  d'une 
schlite  fournit  matière  à  d'intéressantes  pages.  Puis,  ce 
sont  le  gracieux  val  de  Ville  ;  Barr  et  son  vignoble  ;  la 
montagne  vénérée  de  Sainte-Odile  qui,  dans  son  cercle 
de  ruines,  manoirs  et  couvents,  incarne  l'Alsace,  et  les 
-vieilles  cités  qui  en  bordent  le  pied  ;  enfin  le  Kochers- 
berg,  où  les  anciennes  coutumes  se  sont  pieusement 
maintenues. 

Notre  guide  nous  conduit  un  instant  au-delà  du 
Rhin,  dans  le  domaine  exigu  de  Sassbach,  que  la  France 
rs'est  réservée  pour  honorer  Turenne  qui  y  tomba;  de 
là,  revenant  en  Alsace  par  les  houblonnières  et  la  vaste 
forêt  de  Haguenau,  où  sourdent  des  fontaines  de  pétrole, 
il  accomplit  le  pèlerinage  douloureux  des  Champs  de 
bataille  d'août  1870,  de  Wissembourg  à  Frœschwiller. 
Je  montrai  au  début  de  ces  lignes,  l'auteur  juché  au 
plus  haut  sommet  des  Vosges,  dans  le  ravissement  du 
spectacle  qui  s'étalait  sous  ses  yeux.  Il  est  une  autre 
vision,  tragique  celle-là,  qui  me  poursuit  et  m'obsède, 
depuis  que  je  suis  arrivé  au  terme  de  mon  intéressante 
lecture  :  c'est  l'apparition  soudaine  et  fantastique  du 
^colonel  de  cuirassiers  de  Lacarre.  Son  cadavre  décapité 
par  un  obus  passe  dans  un  galop  infernal,  à  travers  les 
plaines  de  Frœschwiller,  la  main  crispée  tenant  encore 
son  sabre  :  symbole  terrifiant  et  prophétique  de  la  patrie 
•qui  allait  être  mutilée  ! 

A.  d'Ochsenfeld. 


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LES   TRIBULATIONS   D*UN   SOLLICITEUR  5  I  5. 

rhonneur  de  m'inviter  au  partage?  et  depuis  m'a-t-elle 
donné,  dans  le  plus  fort  des  persécutions  inouïes  que- 
j'ai  essuyées,  la  moindre  marque  d'intérêt?  Si  elle  me 
traite  en  étranger,  dois-je  espérer  qu'elle  aurait  plus 
d'entrailles  pour  le  pauvre  enfant  qui  me  reste  ?  >  II 
ne  peut  rien  arracher  de  M.  Payen.  Il  lui  demande 
d*envoyer  les  échantillons  à  Londres  au  négociant  indiqué 
qui  pourra  en  cas  lui  rendre  d'autres  services;  €je  lui 
ai  même  offert  ainsi  qu'à  vous  de  payer  ces  .essayes 
de  vin,  ainsi  que  tous  les  frais  de  port  >,  et  pas  de 
réponse,  c  Dites  une  bonne  foi  oui  q\x  non.  Je  vais  faire 
un  mémoire  des  faits  relatés  dans  votre  lettre  par  votre 
chapitre  et  le  remettre  à  un  avocat  aux  conseils  de- 
ses  amis». 

XX.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  27  mai  1784.  Depuis  plus  d'un  mois  il 
attend  ce  que  le  chanoine  a  promis  par  lettre  du  21  avriL 
Faute  de  ressources,  il  lui  faudrait  abandonner  toutes 
ses  espérances  qui  reposent  sur  un  Bon  signé  du  Roi 
en  1780  portant  :  c  i«  sur  le  prix  d'une  charge  au  Grand 
Conseil;  2"  sur  la  continuation  de  mon  ancien  traite- 
ment; 3**  sur  une  indemnité.  Mon  sort  actuel  est  pure- 
ment précaire,  puisqu'il  ne  consiste  qu'en  4000  livres 
de  pension  pour  tout  potage,  sur  quoi  il  faut  entretenir 
ma  femme  et  mon  fils  ;  vous  voyez  donc  combien  il 
importe  que  je  ne  néglige  pas  l'occasion;  carjeserois 
bientôt  entièrement  oublié  dans  un  pays  qui  est  la 
patrie  de  l'ingratitude  et  le  siège  de  la  folie  et  de 
l'extravagance».  Plainte  contre  son  frère  le  curé  qui 
n'a  pas  vendu  au  juif  ses  prétentions  à  Hegenheim  ;: 
il  offre  au  chanoine  la  dîme  de  Sausheim,  car  il  lui 
f  iut  des  moyens  ;  «  vous  n'avez  point  d'idée  de  la« 
méfiance  qui  règne  ici  entre  tous  ceux  qui  composent 
le  ministère,  ni  par  conséquent  des  pièges  dont  sont 
environnés  ceux  qui  ne  scavent  pas  se  conduire  avec 
assés  de  circonspection  pour   ménager  tout  le   monde: 


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5l6  REVUE   D* ALSACE 

-et  n*offenser  personne  >.  Il  a  évité  les  pièges,  mais  il 
faut  aller  jusqu'au  bout.  II  ira  la  semaine  prochaine  à 
Paris  <  pour  voir  si  Tavocat  a  rédigé  le  mémoire  touchant 
la  décoration  que  vous  désirez .  pour  votre  chapitre. 
On  attend  ici  le  roi  de  Suède  et  on  prépare  des  fêtes; 
il  vaudrait  je  crois  mieux  payer  les  dettes  et  s'acquitter 
de  ses  promesses  >.  M.  Payen  lui  a  écrit. 

XXI.  I^  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  20  juin  1784.  <  Vous  n'avez  pas  répondu 
à  mes  deux  dernières  lettres;  si  vous  êtes  malade,  dites 
à  ma  sœur  de  m'ccrire,  et  je  n'attribue  ce  silence  qu'aux 
courses  que  vous  faites  pour  me  procurer  les  fonds  que 
je  vous  ai  demandés  et  me  sont  si  nécessaires  pour  les 
sollicitations  qui  doivent  me  conduire  à  un  sort  plus 
heureux.  Je  croirais  vous  faire  injure  en  vous  pensant 
indifférent  à  ma  destinée  et  à  celle  du  pauvre  enfant 
-qui  me  reste,  seul  rejetton  d'une  famille  honorable, 
mais  malheureuse  >.  Il  a  4000  livres  de  pension  dont 
2000  sur  les  Affaires  Etrangères,  accordées  lors  de  son 
retour  d'Angleterre.  «Ce  don  prouve  qu'on  a  été  content 
de  mes  services.  Puis-je  donc  abandonner  le  Bon  signé 
du  Roi?  Cela  doit  se  faire  dans  le  département  de  la 
finance.  Le  comte  de  Vergenne  m'a  promis  son  appui 
au  Conseil,  mais  je  l'indisposerai  par  trop  d'empresse- 
ment :  il  faut  ronger  son  mors.  C'est  pour  me  soutenir 
jusque-là  que  je  vous  ai  mandé,  ainsi  qu'à  notre  frère, 
de  recouvrer  tout  ce  qu'il  serait  possible  à  Hegenheim, 
ou  à  défaut  de  vendre  la  portion  de  bien  qui  produi- 
rait le  plus  promptement  de  l'argent.  Je  pense  que 
vous  en  êtes  occupés  les  deux».  La  circonstance  où  il 
-se  trouve  est  telle  qu'il  donnerait  pour  1/2  ce  qui  lui 
revient  pour  n'être  pas  obligé  de  brusquer  et  de  tout 
gâter.  Il  permet  au  chanoine  de  se  rembourser  sur  ses 
biens  de  tout  l'argent  qu'il  lui  avancera.  L'avocat,  pour 
une  marque  de  décoration^  désireroit  une  note  chrono- 
-ogique   des   titres    et   documents  justificatifs  des  faits 


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LES   TRIBULATIONS   D  CN   SOLLICITEUR  517 

contenus  dans  votre  lettre.  <  Le  roi  de  Suède  est  ici 
depuis  une  quinzaine  de  jours;  on  lui  donne  beaucoup 
de  fêtes;  avant-hier  j*ai  assisté  avec  mon  fils  à  un  bal 
paré  que  le  Roi  lui  a  donné  dans  la  grande  salle  de 
l'opéra  du  château  qui  était  magnifiquement  décorée 
et  illuminée  :  il  y  avait  1800  bougies;  la  reine  était 
couverte  de  diamants,  elle  en  avait  sur  elle  pour  la 
valeur,  dit-on,  de  1 1  millions  500  mille  livres.  Demain 
elle  donne  au  roi  de  Suède  une  fête  dans  son  château 
de  Trianon,  et  mercredi  prochain  on  lancera  en  leur 
présence  dans  In  grande  cour  du  château  un  ballon 
aérostatique,  dans  lequel  plusieurs  personnes  se  pro- 
posent de  monter.  Quelle  extravagance  !  Suivant  tout 
ce  que  je  vois,  il  se  négocie  une  alliance  entre  la  France, 
là  Suède  et  la  Prusse;  il  loge  dans  mon  hôtel  un  ancien 
ministre  prussien  qui  n*est  pas  ici  pour  des  prunes.  On 
veut  balancer  l'alliance  contractée  par  les  deux  Cours 
impériales  >. 

XXII.  Le  conseiller  a  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  22  février  1 784.  «Je  ne  sais  plus  que  penser 
de  mon  frère  le  curé,  d'après  votre  lettre  je  croyais 
que  ses  affaires  étaient  dérangées,  que  la  succession 
de  mon  fils  courrait  risque  d'être  absorbée.  Aujourd'hui 
il  me  mande  que  sauf  la  conduite  scandaleuse  de  ses 
servantes  qu'il  a  mises  à  la  porte,  tout  le  reste  est  faux, 
qu'il  n'a  pas  de  dettes  et  qu'il  n'a  emprunté  que  les 
100  écus  qu'il  m'a  envoyés  il  y  a  deux  mois.  Cepen- 
dant sa  lettre  n'est  pas  du  tout  le  compte  que  je  lui 
demandais,  aussi  j'ai  recours  à  vous  avant  d'agir  plus 
loin  avec  rigueur.  Demandez-lui  compte  détaillé  de  ce 
qu'il  a  reçu  des  biens  de  feue  ma  première  femme,  de 
ceux  de  M"*  Ammann  et  de  ceux  de  ma  sœur,  la 
dépense  faite  pour  feu  mon  fils.  Faites-moi  payer  à 
Paris  l'argent  rentré  depuis  que  les  assignations  ont  été 
données  à  Hegenheim  par  le  curé.  M.  Payen  ne  me 
répond    pas    à    deux    lettres  ;    il    n'observe    pas    les  - 


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5i8  REVUE  d'alsace 

décences  >.  Il  offre  de  payer  tous  les  frais  et  la  valeur 
<les  échantillons  et  demande  prompte  réponse. 

XXllI.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  27  juin  1784.  cje  viens  de  donner  requête 
en  forme  au  Roi  en  son  Conseil,  pour  réclamer  l'exé- 
cution du  Bon  de  1780,  et  je  demande  que  si  Tun  ou 
l'autre  objet  souffrait  difficulté  le  Roi  accorde  une  grâce 
ecclésiastique  à  mon  frère,  doyen  du  chapitre  de  Lauten- 
bach,  en  compensation.  Il  est  donc  essentiel  de  me 
procurer  les  moyens  de  suivre  cette  affaire  avec   assi- 

•<iuité.  Mon  frère  n'a-t-il  donc  pas  fait  consigner  les 
débiteurs  de  Hegenheim?  Grand  Dieu,  quel  frère!» 
Cela  aurait  pu  se  faire  sur  simple  arrêt  pris  à  Colmar 
en  mon  nom  et  rendu  sans  difficulté.  On  aurait  choisi 
les  vacations  ou  le  pr.  président  rend  ces  arrêts  seul  sur  le 
rapport  d'un  conseiller,  etc.  Il  est  très  embarrassé  et  il 
n'hésite  plus  à  donner  à  un  juif  dont  il  a  été  déjà 
question,  mes  prétentions  à  Hegenheim  pour  moitié, 
€  Prévenez  mon  frère;  il  ne  s'agit  pas  de  savoir  si  mon 
fils  arriverait  à  retrouver  cela  ;  notre  subsistance  actuelle 
l'emporte  sans  contredit  sur  nos  désirs  futurs  >  ;  le  besoin 

-actuel  marche  avant  tout.  Ce  maudit  bien  de  Hegen- 
heim, depuis  dix  mois  que  les  assignations  sont  données, 
ne  laisse  d'autre  alternative,  ou  de  faire  payer  avec  un 
procès,  ou  de  transiger  avec  un  juif,  h  moitié  perte  (sic), 
€  Je  ne  puis  hésiter,  car  le  but  principal  est  la  récompense 

.que  le  Roi  m'a  promises.  Il  y  va  de  l'intérêt  de  son  fils. 
< Procurez-moi  de  l'argent  par  vous,  votre  chapitre;  le 
moyen  ou  le  crédit  de  votre  receveur,  . . .  c'est  à  lui  par 
exemple  qu'il  faudrait  proposer  l'acquisition  des  mes 
prétentions  à  Hegenheim  moiennant  »/4  ou  1/3  de  béné- 
fice; comme  c*est  un  homme  d'affaires,  il  trouverait  bien 
le  moien  de  faire  rentrer  des  deniers  dûs  aussi  légitime- 
ment. Je  consens  à  conserver  la  dîme  de  Sausheim 
dans  la  famille  et  vous  l'abandonne  à  1/3  au-dessous  de 

rson  estimation  ;    vous   pouvez   donc   vous  intéresser  à 


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LES    TRIBULATIONS   D  UN   SOLLICITEUR  519 

mes  affaires.  Je  fais  des  démarches  pour  obtenir  du 
^ministre  de  la  marine  le  certificat  sur  la  mort  de  mon 
fils  aîné...  Mercredi  dernier  on  a  tiré  ici  dans  une  des 
cours  du  château  en  présence  de  la  cour  un  ballon 
-aérostatique;  il  faisait  du  vent  et  un  peu  de  pluye  ; 
le  feu  a  manqué  d'y  prendre  et  les  voyageurs  ont 
manqué  d'être  rôtis.  Et  avant-hier,  le  comte  de  la 
Marck  a  repris  une  ancienne  querelle  qu'il  avait  avec  le 
premier  gentilhomme  du  roi  de  Suède;  ils  se  sont  battus 
au  bois  de  Boulogne;  le  Suédois  a  reçu  un  coup  d'épée 
dans  la  bouche  et  est  mort  sur  place;  le  comte  de  la 
Marck  est  d?  son  côté  blessé  mortellement;  il  avait 
pour  témoin  le  marquis  de  Noailles  ;  cette  affaire  fait 
beaucoup  de  bruit;  le  roi  de  Suède  en  est  si  affecté 
qu'il  précipite  son  départ.  Ne  perdez  pas  un  instant, 
secondez  mes  intentions». 

XXIV.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  29  février  1784.  «Votre  lettre  du  18  et 
une  du  curé  qui  n'a  pas  de  dettes  me  prouvent  qu'il 
y  a  de  sa  part  négligence  et  obstination.  J'aime  mieux 
faire  des  sacrifices  que  de  scandaliser  la  province  en 
le  forçant  par  arrêt  à  rendre  le  compte  que  je  réclame. 
C'est  à  moi  seul  qu'il  appartient  de  régler  l'emploi  de 
•<:es  fonds.  Parmi  les  biens  de  ma  sœur  dont  mon  fils 
était  héritier  testamentaire,  se  trouve  une  dîme  de  Saus- 
heim,  évaluée  à  3000  livres;  ne  pouvant  surveiller  ce 
bien  sans  des  frais  immenses,  je  veux  le  vendre  et  vous 
4'offre.  Si  vous  ne  le  voulez  pas,  j'espère  que  vous  ferez 
effort  pour  me  trouver  un  acquéreur,  et  vous  enverrai 
procuration.  Prompte  réponse.  Dites  à  ma  sœur  que  je 
ne  veux  pas  par  cette  vente  révoquer  les  bonnes  dis- 
positions que  j'aie  pour  elle  ;  j'espère  le  faire  par  d'autres 
moyens  si  le  Ciel  seconde  mes  intentions.  Faites  donc 
vite.  J'aurai  vers  Pâques  une  commission  importante  à 
^•emplir  qui  sera  pour  mon  sort  de  grande  conséquence  ; 
-c'est  donc  important  que  cette  vente  me  mette  à  même 


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520  REVUE  D  ALSACE 

de  pouvoir  la  remplir  avec  plus  de  liberté  d'esprit  et 
plus  honorablement.  J'espère  également  une  grâce  pour 
vous  de  la  Cour»  Vous  me  mandez  que  M.  de  Cicaty 
a  passé  chez  vous  partie  de  son  semestre;  demandez- 
lui  s'il  pourrait  placer  mon  fils  dans  son  régiment,, 
serait-ce  comme  officier  surnuméraire.  Il  est  temps  de 
songer  à  un  état.  Il  a  plus  d'aptitude  pour  les  exercices- 
du  corps  que  pour  ceux  de  l'esprit;  d'après  cela  l'état 
militaire  lui  conviendrait  le  mieux.  Il  est  ici  dans  une 
académie  où  il  fait  plus  de  progrès  que  partout  ailleurs^ 
Il  ne  s'agit  que  d'avoir  une  ouverture  dans  le  corps 
où  son  frère  a  servi.  L'agrément  du  ministre  ne  man- 
quera pas;  il  m'en  donne  une  preuve  en  me  faisant 
payer  les  appointements  de  feu  mon  fils  depuis  son 
congé  à  celui  de  son  remplacement  sans  même  l'avis 
du  colonel  selon  l'usage  général  >. 

XXV.   Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  28  juillet  1784.  «La  fermeté  de  mon  âme, 
à  laquelle  vous  m'engagez,  est  insuffisante  sans  les^ 
moyens  physiques.  Le  goût  du  moment  est  une  éco- 
nomie qui  tient  de  la  lésine;  il  serait  inutile  et  même 
dangereux  de  vouloir  brusquer.  Il  faut  coûte  que  coûte- 
les  moyens  d'attendre.  Envoyez-moi  tout  ce  que  vous 
pourrez  et  récupérez-vous  sur  ce  qui  m'est  dû  là-haut*. 
J'ai  fait  quelques  dettes  auprès  de  mon  hôte  et  du 
maître  de  mon  fils,  ...si  donc  le  sort  de  cet  enfant  et 
ma  tranquillité  vous  sont  chers,  agissez  promptement». 
Vous  avez  bien  fait  de  proposer  à  votre  receveur  un 
quart  de  bénéfice,  pourvu  qu'il  soit  prompt.  Envoyez 
au  moins  un  à  compte.  Comment  mon  frère  peut-il 
dire  que  mes  débiteurs  ne  veulent  pas  payer }  N'y  a-t-il 
pas  la  justice?  Je  serai  dans  la  joie  de  mon  cœur^ 
toutes  mes  affaires  étant  finies  ici  de  chercher  un  asile 
auprès  de  vous,  mon  cher  frère,  après  tant  d*orages 
dont  ma  pauvre  vie  a  été  assaillie.  Cet  intervalle  entre 
elle  et  la  mort  me  fera  tout  oublier  >.  Vite  donc.  *  J'ak 


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LES   TRIBULATIONS   d'UN   SOLLITEUR  52 1 

eu  avis  que  les   échantillons   de  vin    étaient    arrivés  à 
Rotterdam  et  j'attends  l'avis  qu'ils  sont  arrivés  à  Londres». 


XXVI.  Le  conseiller  a  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  4  août  1784.  «Pardon  de  revenir  à  la 
charge.  Un  ministre  étranger  réclame  mon  entremise 
dans  une  affaire  importante;  précieuse  récompense  à 
espérer,  mais  courses  et  dépenses  actuelles.  J^ai  déjà 
manqué  une  Commission  à  Pâques,  qui  eût  pu  être 
pour  moi  d'une  grande  valeur,  faute  de  moyens  pour 
un  certain  voyage  peu  long.  Vous  savez  que  je  ne 
demande  de  secours  que  si  cela  m'est  nécessaire.  J^ai 
abandonné  à  ma  sœur  les  revenus  des  biens  de  mon 
fils  tant  que  j'ai  pu  m'en  passer  :  si  elle  ne  les  a  pas 
touchés,  ce  n'est  pas  ma  faute.  Aujourd'hui  j'ai  besoin 
pour  améliorer  le  sort  de  mon  fils,  et  j'espère  plus  tard 
dédommager  ma  sœur.  Envoyez  de  suite  un  à-compte 
sans  tarder,  sur  l'heure  ». 

P,  S.  «La  reine  se  dit  de  nouveau  enceinte». 


XX VIL   Le  conseiller  a  son  frère  le  chanoine.    , 

Versailles,  8  août  1784.  «Nouveau  motif  de  vous 
presser.  Un  ministre  que  vous  verrez  bientôt  prendre 
la  plus  grande  influence  dans  les  affaires,  m'a  amicale- 
ment prévenu  de  ne  pas  trop  presser  d'autres  personnes 
dont  les  intérêts  baissent  et  de  cultiver  sans  trop  le 
faire  remarquer  M.  de  Sartines,  qui  est  comme  vous 
savez  mon  ancien  ami.  Il  faut  donc  que  je  ne  brusque 
rien.  Je  me  saigne  par  toutes  les  veines  pour  contiftJier 
ici  ma  subsistance  d'une  manière  honorable.  Aller  et 
venir  chez  M.  de  Sartines  qui  passe  l'été  à  dix  lieues 
d'ici  est  un  surcroit  de  dépenses.  Au  moins  un  à-compte! 
Je  n'ai  rien  à  toucher  sur  mes  pensions  jusqu'en  octobre. 
Si  vous  m'aimez  et  mon  fils,  aidez-moi!» 

Rtvut  d'Alsace,  1907  34 


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RF.VUE   D  ALSACE 

VIII.   Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

ailles,  i8  août  1784.  €  Voici  la  procuration  deman- 
•  vous  le  10.  J'espérais  un  à-compte».  Besoin 
t  <  par  le  manque  de  conduite  d'attention  et  de 
Je  son  frère  le  Curé.  Je  compte  donc  sur  un 
e  mes  créances  de  Hegenheim,  au  reçu  de  la 
3  et  vous  conviendrez  avec  Ingold  de  payer  le 
î  deux  en  deux  mois.    Ingold   me  rendrait  ser- 

envoyant.  de  suite  la  moitié.  Mon  fils  coûte 
pension,  il  vous  supplie  comme  moi.  Dépêchez- 
i  vous  ne  voulez  que  je  perde  la  tête;  car  enfin 
st  pas  de  fer  et  commence  à  être  bien  affectée, 
touché  des  traverses  qu*a  votre  corps  ;  mais  vous 
icore  des  juges ...  Si  cela  arrive  dans  un  corps 
stique,  jugez  quelle  fureur,  l'envie,  cette  passion 
e,  a  déployé  contre  moi  dans  le  temps  dans  un 
omposé  de  gens  de  sac  et  de  cordes!  Je  suis 
d'apprendre  en  même  temps  qu'on  est  plus 
ivers  vous  qu'on  ne  Ta  été  envers  moi.  Vous 
m'envoyer  les  fonds  par  la  poste  aux  lettres 
au  de  Rouffach  contre  mandat  imprimé  que  vous 
rez  à  Paris,  le  port  est  un  sol  par  livre,  c'est 
u  bien  vous  prendrez  une  lettre  de  change  sur 
s  bourgeois  ou  trésorier  de  Paris;    allez  voir  à 

On  dit  qu'un  bureau  de  correspondance  a  un 
Colmar.  Le  plus  court  serait  la  poste.  Ne  perdez 
instant  ». 

CIX.   Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

►ailles,  27  septembre  1784.  c  Votre  secours  est 
:emps;  j'ai  été  indisposé  trois  semaines.  La  Cour 
e  depuis  six  semaines  est  revenue  à  demeure, 
grossesse  de  la  reine  continuant  il  n'y  aura  plus 
voyage  cette. année,  ce  qui  est  un  grand  bien 
î  pauvres  solliciteurs,  obligés  de  se  consumer  à 
d'une  Cour  qui  ne  s'occupe  guères  de   ceux 


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LES  TRIBULATIONS   D'UN  SOLLICITEUR  523 

qui  n'ont  point  d'intrigues  à  faire  valoir  >.  Les  ministres 
ne  seront  rassemblés  que  vers  le  8  du  mois  prochain; 
jusque-là  on  ne  peut  rien  atttendre  d'eux.  Il  dit  la  joie 
qu'il  a  prise  du  triomphe  que  le  chanoine  a  remporté 
sur  la  cabale  qui  le  vexait,  c  Vous  n'estes  pas  d'avis  que 
je  songe  au  régiment  de  Hesse  pour  mon  fils,  mais  que 
faire  de  lui.^^  Attendons  encore  un  peu  les  effets  de  la 
Providence.  M.  Ingold  aura  fait  diligence  pour  se  rem- 
bourser sur  mes  débiteurs  de  Hegenheim  et  me  faire 
payer  le  surplus,  sauf  à  déduire  la  portion  que  vous 
lui  avez  abandonnée  pour  ses  peines  et  soins;  vous 
devez  être  bien  persuadé  que  la  plus  grande  économie 
préside  à  ma  dépense;  je  me  borne  au  simple  néces- 
saire et  me  passe  de  domestique;  mais  la  nécessité  de 
paraître  chez  les  ministres,  d'aller  et  venir  à  Paris,  ici 
et  ailleurs,  tout  cela  est  indispensable,  joint  à  l'éduca- 
tion de  mon  fils,  l'entretien  de  ma  femme  que  je  ne 
puis  abandonner.  Vous  sentez  combien  tout  cela  est 
privilégié.  Vous  déterminerez  Ingold  à  me  faire  un 
nouvel  envoi  vers  le  mois  de  novembre,  les  besoins 
se  multiplient  à  l'entrée  de  Thyver.  J'espère  que  d'ici 
mes  affaires  s'éclairciront  >. 


XXX.   Le  conseiller  à  son  frire  le  chanoine. 

Paris,  i6  octobre  1784.  Enchanté  du  triomphe  du 
chanoine  sur  ses  ennemis.  €  Depuis  longtemps  j'ai  eu 
avis  de  Londres  de  l'arrivée  de  nos  échantillons  de  vin; 
on  me  mandait  en  même  temps  que  les  frais  du  trans- 
port étaient  si  considérables  que  chacune  de  ces  petites 
bouteilles  était  revenue  à  3  livres  de  France  ;  qu'au  reste 
le  vin  qui  y  est  contenu  avait  été  très  fatigué  par  la 
route  et  qu'il  lui  fallait  du  temps  pour  se  refaire; 
qu'alors  on  verroit  s'il  est  possible  d'asseoir  une  spécu- 
lation lucrative  sur  le  commerce  projeté;  voilà  où  j'en 
suis;  je  n'en  ai  plus  eu  de  nouvelles  depuis,  mais  je 
vais  récrire.  Au  surplus  il  est  bon  de  vous  dire  qu'on 
est  occupé  à  Londres  de  différents  traités  de  commerce. 


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524  RKVUE   D  ALSACE 

particulièrement  pour  ce  qui  concerne  les  vins  de  France 
et  d'Allemagne,  ce  qui  influera  nécessairement  sur  les 
droits  de  transport  et  d'entrée  qu'ils  auront  à  payer 
et  par  conséquent  sur  leur  prix.  La  Cour  est  en 
vacances,  et  le  roi  lui-même  s'amuse  à  la  chasse  ;  il 
faut  prendre  patience.  J'aurai  obligation  à  M.  Ingold  de 
réaliser  ses  bonnes  intentions  promptement;  poussez-le, 
la  saison  où  nous  entrons,  les  retards  que  j'éprouve 
à  la  Cour,  même  pour  le  payement  de  mes  pensions 
(ce  qui  m'est  commun  avec  tous  ceux  qui  en  ont), 
l'éducation  de  mon  fils  pour  lequel  je  crois  devoir  ne 
rien  négliger  de  ce  qui  est  en  mon  pouvoir,  multiplie 
mes  soucis.  J'espère  recevoir  un  envoi  dans  le  mois 
où  nous  sommes  comme  vous  le  dites.  J'ai  été  sensible 
à  la  perte  de  M.  de  Cicaty,  attendu  la  cessation  de  ses 
pensions  pour  sa  famille.  Vous  n'avez  donc  pas  pu 
écrire  à  M.  de  Valcourt  depuis  mes  précédentes  lettres .'^ 
Par  un  singulier  concours  de  circonstances,  je  pourrai 
dans  peu  me  trouver  à  portée  de  demander  avec  succès 
quelque  chose  à  l'Empereur;  je  voudrais  donc  scavoir 
si  par  sa  protection  je  pourrois  être  agrégé  au  corps 
équestre  de  TOrtenau,  afin  d'en  porter  la  décoration. 
Réponse  prompte,  s'il  vous  plait  >. 

XXXI.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  7  novembre  1784.  €  J'ai  reçu  votre  lettre 
du  26  octobre  avec  la  lettre  de  change.  Remerciez 
M.  Ingold,  mais  j'apprends  avec  peine  qu'il  n'a  fait 
aucune  diligence  pour  se  rembourser  sur  Hegenheim; 
Ingold  peut  retirer  les  consignations  qui  auraient  été 
faites,  ou  poursuivre  ceux  qui  n'ont  lien  payé.  Il  doit 
demander  au  curé  les  titres  nécessaires  à  cela;  s'il  ne 
les  a  pas,  se  rembourser  et  me  remettre  le  surplus.  Il 
ne  faut  pas  laisser  accumuler  les  intérêts.  Quant  à  la 
guerre,  malgré  le  secret  dont  les  ministres  se  couvrent, 
toutes  les  disposition  qu'on  voit  faire  semblent  l'annoncer 
comme  certaine  à  l'égard  des  ordres  religieux;    il  ne 


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LES   TRIBULATIOXS   D'UN  SOLLICITEUR  525 

paraît  pas  qu'on  suivra  absolument  l'exemple  de  l'Em- 
pereur; mais  entre  nous  (je  vo*is  prie  pourtant  de  ne 
pas  me  citer  à  personne),  je  seais  que  dans  la  vue  de 
les  commettre  les  uns  avec  les  autres,  et  par  conséquent 
de  les  détruire  les  uns  avec  les  autres,  l'intention  est 
de  jeter  parmi  eux  le  trouble  et  la  zizanie;  et  je  crois 
que  c'est  pour  mieux  réussir  dans  cette  politique  sourde 
qu'on  a  conçu  le  projet  d'éloigner  de  la  Cour  et  de  la 
ville  tous  les  évêques  et  de  les  renvoyer  chacun  dans 
son  diocèse  >.  —  Billet  séparé,  sans  date,  mais  même 
papier  et  écriture  :  Faites-moi  passer  par  la  diligence 
de  Belfort  ou  de  Strasbourg  c  quelques  bouteilles  de 
Kirschenwasser  \  je  sais  que  c'est  le  restaurant  dont 
vous  faites  usage . . .  On  est  fort  trompé  ici  sur  la 
qualité,  vous  me  rendez  un  vrai  service,  et  ma  santé 
s'en  trouvera  beaucoup  mieux;  je  vous  aurai  double 
obligation  d'y  joindre  une  couple  de  flacons  de  vin  de 
paille  pour  une  personne  de  grande  considération». 

XXXII.    Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  i"  novembre  1784.  «J'attends  les  fonds 
annoncés  par  Ingold».  Il  a  pris  ses  arrangements  en  con- 
séquence. «Comme  les  facultés  intellectuelles  de  mon  fils 
sont  en  ce  moment  tardives,  ce  que  j'ai  observé  pen- 
dant tout  le  temps  qu'il  ne  m'a  pas  quitté,  j'ai  cru  devoir 
préférer  son  bien  futur  à  ma  propre  satisfaction  et  l'ai 
mis  dans  une  bonne  pension  avec  des  camarades  plus 
avancés  :  de  là  émulation.  C'est  une  éducation  très  coû- 
teuse, et  cependant  je  n'hésite  pas  à  me  sacrifier  pour 
cet  unique  enfant  qui  me  reste  et  que  j'ai  toujours 
porté  dans  mon  sein  depuis  qu'il  existe.  J'attends  avec 
confiance  et  chaque  jour  les  fonds  annoncés  dans  votre 
dernière  lettre,  si  nécessaires  dans  le  commencement 
de  la  mauvaise  saison.  Quelqu'un  qui  jouit  dé  la  plus 
haute  faveur  en  Cour  projette  le  mariage  de  son  fils 
avec  la  fille  d'un  ministre  en  faveur  et  a  des  vues  sur 
des  fiefs  d'Alsace.    On   a  su  que  j'étais  possesseur  de 


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526  REVUE   d'aLSACE 

pièces,  titres  et  documents,  de  manière  à  remplir  ces- 
vues  d'une  manière  très  éclatante;  le  notaire  m'a  fait 
des  propositions  et  sur  la  demande  de  ce  que  j'exigeais 
en  cas  d'arrangement,  je  dis  rien  que  l'exécution  du 
bon  du  Roi,  qu'il  a  signé  en  ma  faveur  lors  de  ma 
mission  en  Angleterre,  et  une  grâce  ecclésiastique  pour 
un  frère  que  j'ai,  qui  depuis  dix  ans  est  à  la  tête  d'un 
chapitre  distingué  de  la  province,  j'ose  dire  par  son 
mérite,  puisque  c'est  le  choix  de  ses  confrères,  le  con- 
cordat germanique  ayant  lieu  dans  cette  province.  Je 
crois  que  ce  sera  le  moyen  de  terminer  mes  sollici- 
tations». 

XXXIII.  Le  conseiller  a  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  24  novembre  1784.  cj'ai  remercié  M.  In- 
gold  et  le  prie  d'achev^er  ce  qu'il  a  si  bien  commencé. 
Rédigez  de  suite  un  état  et  mémoire  de  vos  services; 
le  notaire  dit  qu'on  est  occupé  de  l'affaire  et  qu'il  faudra 
produire  de  quoi  fonder  la  demande  d'une  grâce  ecclé- 
siastique pour  vous,  afin  que  votre  affaire  marche  de 
front  avec  la  mienne . . .  Ces  jours  passés  on  parlait  ici 
de  paix  et  d'un  arrangement  avec  l'Empereur;  mais  il 
y  a  apparence  que  le  bruit  qu'on  faisait  courir,  n'était 
qu'une  feinte,  tout  annonce  que  l'Empereur  ne  veut 
pas  en  avoir  le  démenti,  de  manière  qu'il  faudra  ou 
que  les  Hollandais  cèdent  ou  l'épée  sera  tirée.  Le 
cabinet  d'ici  n'est  pas  peu  embarrassé  ;  lorsqu'il  y  aura 
quelque  chose  d'important  je  vous  en  informerai». 


XXXIV.   Le  conseiller  a  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  le  18  décembre  1784.  «J'ai  reçu  votre 
lettre  du  4  de  ce  mois  et  le  certificat  de,  vos  services, 
auquel  je  donnerai  la  forme  convenable  pour  en  faire 
usage  en  temps  opportun.  L'afïaire  regarde  le  ministre 
de  la  guerre  dans  le  département  duquel  est  l'Alsace, 
et  tout  le  temps  du  ministre  est  absorbé...  Tout  annonce 


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LES   TRIBULATIONS    D  UN   SOLLICITEUR  527 

que  l'empereur  ne  veut  pas  en  démordre,  et  que  la 
France  rassemblera  au  moins  deux  armées  d'observation, 
si  d'abord  elle  ne  prend  pas  dans  la  contestation  une 
part  active;  car,  quoiqu'il  paraisse  décidé  qu'on  veut 
soutenir  les  Hollandais,  cependant  on  n'a  pas  été  una- 
nime au  Conseil  à  cet  égard  et  quelqu'un  de  bien  * 
instruit  m'a  assuré  qu'il  y  a  eu  deux  voix,  pour  que 
la  France  ne  se  mêle  pas  de  cette  affaire;  en  sorte 
que  l'avis  contraire  n'a  passé  que  de  trois  voix;  mais 
ne  me  citez  pas ...  11  va  avoir  ici  un  nouvel  emprunt 
de  125  millions  . . .  S'il  est  question  de  l'érection  d'une 
Chambre  des  comptes  à  Colmar,  il  y  a  apparence  qu'on 
n'aura  pas  pris  l'avis  du  Conseil,  puisque  ce  nouveau 
tribunal  restreindra  beaucoup  sa  juridiction,  en  lui  enle- 
vant les  affaires  domaniales  et  féodales;  en  sorte  que 
si  la  chose  a  lieu,  elle  n'aura  été  conçue  que  dans  la 
vue  d'avoir  de  l'argent  par  la  vente  de  nouveaux  offices. 
Quant  à  l'Intendance,  je  doute  qu'elle  soit  transférée  à 
Colmar,  et  plus  encore  qu'elle  soit  réunie  à  la  première 
présidence  ;  indépendant  de  ce  que  les  maîtres  des 
requêtes  s'y  opposeraient,  c'est  que  vous  scavez  que 
le  ministère  a  un  grand  intérêt  à  observer  continuelle- 
ment les  démarches  des  Cours  supérieures  qui  ne  songent 
qu'à  étendre  leur  autorité,  en  prenant  souvent  connais- 
sance des  affaires  d'Etat  ;  et  il  ne  peut  prévenir  les 
entreprises  que  par  le  moyen  des  intendants  qui  sont 
tous  observateurs  nés.  Je  vois  toujours  ici  M.  Hermann; 
son  affaire  n'est  donc  pas  finie  avec  M.  de  Spon  ;  je 
crois  que  vous  m'avez  écrit  que  ce  dernier  est  marié 
depuis  peu  ;  qui  a-t-il  épousé  ^  Est-ce  une  Parisienne } 
C'est,  je  crois,  le  cardinal  de  Rohan  qui  l'a  poussé 
aussi  loin  que  cela  ;  je  ne  doute  pas  qu'il  n'ait  eu  bien 
des  jaloux  à  Colmar,  où  l'on  a  toujours  été  en  posses- 
sion de  caresser  et  de  se  haïr.  Secondez-moi  auprès 
d'Ingold  pour  avoir  d'ici  au  15  un  envoi  d'argent 
ayant  un  paiement  assez  pressé  à  faire  et  beaucoup 
d'étrennes  à  faire  suivant  l'usage  de  ce  pays  auprès 
des  ministres  >. 


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538  REVUE  d'aLSACE 

XXXV.   Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 
Versailles,  30  décembre   1784.  Il  souhaite  le  nouvel 
an,  de  concert  avec  son  fils,    et  espère  arriver  au  but 
de  ses  démarches. 

XXXVÏ.  Gœtzmann  fils  à  son  oncle  le  chanoine, 

«  Mon  très  cher  oncle.  Entraîné  depuis  que  je  me 
connais  par  les  affaires  et  les  voiages  de  mon  papa, 
dont  j'ai  toujours  été  le  fidèle  compagnon,  je  n'ai  pas 
encore  pu  me  livrer  à  mon  inclination  à  vous  assurer 
par  moi-même  de  mon  respect,  je  saisis  avec  empresse- 
ment Toccasion  que  m'en  offre  le  renouvellement  de 
l'année,  et  vous  prie  de  recevoir  avec  bonté  les  vœux 
que  je  forme  pour  votre  entière  satisfaction;  les  miens 
seront  comblés  si  je  parviens  à  vous  faire  agréer  l'hom- 
mage de  mes  sentiments,  et  si  vous  mettez  quelque 
prix  à  l'envie  que  j'ai  de  vous  plaire  à  toute  occasion. 
J'ai  rhonneur . . . 

€  Gœtzmann  de  Thurme  ». 

XXXVII.    Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine. 

Paris,  1 1  janvier  1785.  cje  n'ai  reçu  vos  lettres  qu'hier, 
parce  que  la  moitié  du  temps  je  suis  à  Versailles.  J'ai 
écrit  à  M.  Ingold  que  le  court  intervalle  ne  me  permettra 
peut-être  pas  de  le  servir  au  gré  de  mes  désirs,  et  je 
lui  donne  mon  avis  sincère  ayant  beaucoup  d'expérience 
des  affaires.  Je  pense  qu'outre  la  sentence  de  l'officia- 
lité  de  Strasbourg  il  devrait  m'envoyer  l'acte  capitulaire 
qui  le  maintient  dans  son  poste  de  receveur  du  Chapitre, 
Tune  des  pièces  prouvera  une  cabale  et  manœuvre 
odieuse,  l'autre  est  son  titre  à  demander  protection  du 
Gouvernement.  Il  faut  des  actes  authentiques  pour  agir 
auprès  des  ministres  et  non  des  signatures  privées 
comme  les  pièces  qu'il  m*a  envoyées.  Je  ferai  démarche 
soit  auprès  du  Garde  des  sceaux,  soit  auprès  de  M.  de 
Ségur.  En  attendant  qu'il  cherche  à  gagner  du  temps 
en    incidentant  par  une  demande  de    mise   en   cause 


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LES   TRIBULATIONS   D*UN   SOLLICITEUR  529 

OU  autrement.  Il  me  parait  fort  étrange  que  M.  de 
Spon  cherche  à  faire  agir  son  influence  dans  une  affaire 
^e  cette  nature  et  contrairement  à  un  acte  capitulaire. 
Je  ne  savais  pas  son  mariage,  et,  d'après  le  nom  de  la 
.personne  qu'il  a  épousée,  je  crois  que  c'est  la  fille  de 
M.  Quatreson  de  la  Mothe  qui  pendant  que  j'étais  au 
Parlement  avait  sollicité  des  lettres  de  noblesse  qui,  à 
mon  rapport,  ont  été  refusées  à  l'enregistrement  ;  je  me 
rappelle  en  effet  que  la  qualité  qu'il  avait  alors  était 
-celle  de  porte  manteau  de  M.  le  comte  de  Provence, 
frère  du  Roi  actuel.  Je  prie  Ingold  de  faire  affranchir 
-son  paquet,  parce  que  ma  femme  reçoit  les  lettres  en 
mon  absence  et  ne  cesse  de  se  plaindre  des  ports  de 
lettre,  quoique  je  fasse  tout  ce  que  je  peux  pour  l'en 
indemniser;  mais  que  faire,  il  est  dans  mon  étoile  de 
.n'être  pas  heureux  en  mariage.  J'ai  prié  M.  Ingold  de 
faire  partir  sans  perdre  de  temps  le  secours  demandé 
pour  le  15,  à  cause  du  paiement  que  j'ai  à  faire,  et  je 
pense  qu'il  aura  pris  ses  mesures  pour  se  couvrir  sur 
4nes  débiteurs  de  Hegenheim.  Tout  va  bien  pour  l'objet 
de  mes  sollicitations  personnelles;  il  ne  faut  plus  que 
patience;  le  Dieu  des  opprimés  me  soutient,  m'a  soutenu 
«t  me  soutiendra,  j'espère  encore  >. 

XXXVIII.  Le  curé  Gœtzmann  à  son  frère  le  chanoine, 

Ungersheim,  le  23  avril  1785.  «Vous  avez  notre 
partage,  mais  les  estimations  sont  trop  fortes.  Vous 
pouvez  offrir  à  notre  frère  loc  louis  pour  la  dîme  de 
Sausheim ...  Je  suis  surpris  qu'un  riche  bénéficier  comme 
vous  demande  un  présent  d'un  pauvre  curé.  D'ailleurs 
je  vous  ai  dit  Tan  passé  que  vous  aviez  été  le  mieux 
partagé  de  nous  tous  par  le  prix  modique  de  vos  vignes 
de  Guebwiller.  Si  je  veux  gratifier  notre  sœur  je  le  ferai 
directement  à  elle ...  Je  ne  puis  satisfaire  aux  impor- 
tunités  de  notre  frère  avant  d'avoir  fait  un  voyage  à 
Landser . . .  assurément  le  créancier  le  plus  cruel  ne 
j)resserait  pas  davantage  :  il  n'y  gagnera  pas  grand'chose. 

<  Gœtzmann  ». 


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530  REVUE  D  ALSACE 

XXXIX.   Le  conseiller  a  son  frère  le  -chanoine, 

Versailles,  4  mars  1785.  c  J'envoie  procuration  à 
M.  Ingold  pour  liquider  la  succession  de  feu  mon  fils 
vis-à-vis  de  tous  les  débiteurs  ;  il  m'a  requis  de  deman- 
der votre  assistance,  secondez-le  dans  tout  ce  qui  sera 
conforme  à  la  justice  et  à  l'équité.  Il  vous  aura  instruit 
de  ce  que  je  me  propose  de  faire  pour  son  affaire. 
J'irai  demain  à  Paris  et  j'ai  envie  de  porter  l'affaire  au 
Conseil  des  dépêches  et  j'espère  obtenir  un  sursis  à 
l'arrêt  de  Colmar,  que  je  craindrais  de  ne  pas  obtenir 
au  Conseil  des  parties.  Mais  j'ai  demandé  à  M.  Ingold 
quelques  fonds  pour  aller  en  avant  et  pour  preuve  de 
mon  amitié  je  lui  ai  proposé  de  prendre  à  mon  compte 
l'argent  qu'il  m'enverra  si  je  ne  réussissais  pas,  et  je  me 
flatte  que  vous  l'engagerez  à  faire  les  avances  néces- 
saires pour  ouvrir  l'accès  au  Conseil  des  dépêches  par 
le  moyen  du  secrétaire  d'Etat  de  la  province  ». 

XL.   Le  conseiller  a  son  frère  le  chanoine. 

Versailles,  le  18  mai  1785.  c  Votre  lettre  du  30  avril 
m'est  arrivée  il  y  a  peu  de  jours;  écrivez-moi  donc 
désormais  à  l'adresse  donnée  à  M.  Ingold.  Je  lui  envoie 
une  longue  instruction  avec  le  modèle  d'un  mémoire  à 
faire  au  ministre  de  la  province.  Je  mets  à  vos  intérêts 
et  à  ceux  de  votre  parti  qui  est  celui  de  la  décence 
et  de  la  probité  le  même  zèle  qu'à  mes  affaires;  mais 
vous  êtes  entouré  de  pièges,  et  il  faut  prendre  les  voies- 
les  plus  fines.  La  route  ordinaire  de  la  cassation  serait 
hérissée  de  longueur  et  de  chicanes,  vous  approuverez 
donc  le  plan  conçu  ici.  Je  consens  à  vous  vendre  la 
dîme  de  Sausheim  au  prix  que  vous  fixerez;  je  vais 
faire  faire  procuration  qui  je  pense  sera  pour  Ingold 
que  j'ai  prié  de  me  faire  passer  un  à- compte  dont 
j'aurai  besoin  pressant  au  commencement  du  mois, 
prochain  à  cause  de  mes  courses  et  sollicitations  qui 
grâces  à  Dieu  prennent  une  tournure  favorable». 


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LES   TRIBULATIONS   d'UN   SOLLICITEUR  531. 

XLI.  Le  conseiller  à  son  frère  le  chanoine, 

Versailles,  2  juin  1785.  cj'ai  reçu  votre  lettre  du. 
16  avec  le  nouvel  acte  de  vexation  y  joint.  Je  prie 
Dieu  de  vous  couvrir  de  son  bouclier.  Je  rougis  pour 
mes  compatriotes  de  l'affreuse  réputation  qu'ils  se  sont 
faite  dans  ce  pays-ci,  où  ils  passent  pour  être  les  plus 
grands  chicaneurs  du  royaume;  je  sais  bien  que  ce  sont 
les  Français  eux-mêmes  qui  ont  porté  la  contagion 
parmi  eux,  mais  elle  n'aurait  pas  dû  faire  de  pareils^ 
progrès  chez  une  nation  germanique.  Ce  polisson  de 
Biechy  vous  a  manqué  pour  faire  sa  cour  à  M.  de 
Spon  ;  mais  la  signature  de  M.  Holdt  au  bas  de  l'exé- 
cutoire qui  vous  a  été  signifié,  est  le  plus  indécent  \ 
cela  est  indigne.  Vous  avez  bien  fait  de  payer  en  pro- 
testant. J'ai  adressé  à  M.  Ingold  une  lettre  consolante 
contresignée  du  ministre.  La  requête  va  être  donnée 
au  Conseil  des  dépêches,  nous  aurons  le  Toutes  choses • 
demeurantes  en  état.  J'attends  avec  impatience  le  mémoire 
de  M.  Ingold,  tel  que  j'en  ai  envoyé  le  modèle  au 
ministre;  cela  fera  le  plus  grand  effet,  car  le  ministre 
sera  le  rapporteur  de  votre  affaire  au  Conseil  des  dépêches. 
M.  Ingold  m'a  demandé  s'il  devait  venir  à  Paris  avec 
vous,  mais  vous  ne  feriez  que  dépenser  votre  argent 
inutilement;  je  désapprouve  ce  parti  entièrement.  Toutes 
les  voies  sont  préparées,  je  voudrais  pouvoir  vous  pro- 
curer le  succès  au  dépens  d'une  pinte  de  mon  sang. 
Mais  c'est  le  moment  de  ne  rien  épargner  en  frais  de 
sollicitations;  il  y  va  de  votre  honneur,  de  votre  tran- 
quillité et  de  la  fortune  du  pauvre  Ingold.  Soyez  bien 
persuadés  que  par  le  moyen  de  mes  alentours  je  vous 
épargnerai  à  Tun  et  à  l'autre  bien  des  frais  ;  mais  il  en 
est  d'indispensables,  si  on  veut  réussir,  et  j'en  ai  déjà., 
fait  de  cette  espèce;  je  n'en  donnerai  l'état  qu'après  le 
succès.  Mais  pour  pousser  avec  vigueur  dans  un  moment 
où  on  tient  chez  vous  le  couteau  sur  la  gorge  au  pauvre 
Ingold,  il  me  faut  de  nouveaux  fonds,  et  j'en  ai  demandé 
à   celui-ci   par   ma   dernière  lettre   le   plus  instamment 


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l  REVUE   d'aLSACE 

ssible  >.  Vous  avez  reçu  procuration  pour  la  vente 
5  dîmes  de  Sausheim  que  je  vous  fais.  M.  de  Wider- 
ich  a  des  protections  puissantes  qu'il  emploiera  pour 
LIS,  j'en  suis  sûr.  Je  me  persuade  que  vous  avez  chargé 

Ingold  de  ma  procuration  pour  cette  vente;  je  pense 
e  vous  lui  avez  remis  ou  qu'il  avancera  de  ses  deniers 
premier  terme  ou  un  fort  à-compte  au  moins  pour 
•e  face  aux  dépenses  indispensables  auxquelles  je  suis 
^agé  pour  la  suite  et  le  bien  de  nos  affaires  com- 
ines.  Je  lui  ai  mandé  que  j'en  avais  un  besoin  pressant 
ur  le  commencement  de  ce  mois-ci.  Dès  que  l'affaire 
a  engagée  au  Conseil  des  dépêches,  je  vous  y  ferai 
ervenir  pour  avoir  raison  de  cette  condamnation  de 
pens  qu'on  vous  a  fait  subir  personnellement,  et  de 
solence  du  huissier.  Je  vous  embrasse,  mon  cher  frère, 

tout  mon  cœur.  Des  nouvelles  et  des  fonds  sur-le- 
imp,  s'il  vous  plaît  >.  (Sans  signature,  il  n'y  avait 
is  de  place  au  bas  du  papier). 

Pour  copie  conforme  : 

A.  DE  Saint-Antoine. 


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UN  AMI  DU  ROI  DE  PRUSSE 

A  SAINTE-MARIE-AUX-MINES 

EN    1758 

(Deux  lettres  inédites  de  Schœpflin). 


On  était  en  pleine  guerre  de  Sept  Ans.  c  Le  troi- 
sième jour  de  Pâques  »,  28  mars  de  Fan  de  grâces 
1758,  «un  cabaretier  »  de  Sainte-Mnrie-aux-Mines, 
«  nommé  Steinhilbert  »,  laissa  cdeux  garçons  de  métier 
représenter  dans  un  cabaret  une  comédie  irrévérente 
et  condamnable,  dans  laquelle  ils  (firent)  entrer  en  lice 
la  personne  de  notre  sacré  monarque  avec  celle  du  roi 
de  Prusse  et  (lancèrent)  des  traits  indécents  et  criminels 
contre  Sa  Majesté  >. 

Cette  «sale  affaire»,  comme  dit  Schœpflin  dans  la 
première  des  deux  curieuses  lettres  qu'on  va  lire,  eut 
aussitôt  un  grand  retentissement.  Avec  plus  ou  moins 
de  raison  on  accusait  un  peu  partout  en  Alsace  les 
protestants  de  faire  des  vœux  pour  le  succès  des  armes 
du  roi  de  Prusse.  Le  cabaretier  et  les  deux  garçons  de 
métier  furent  aussitôt  arrêtés.  Très  inquiets  de  la  mau- 
vaise tournure  que  prenait  l'incident.  Messieurs  du 
Magistrat  de  Sainte-Marie  écrivirent  à  Schœpflin,  fort 
bien   en  Cour   comme   Ton  sait,   pour  lui   exposer   la 


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534  REVUE   D  ALSACE 

chose  et  lui   demander    son    appui.    Schœpflin   le  leur 
, promit  par  les  deux  lettres  suivantes  »). 

I. 

Strasbourg,  le  22  apr.   1758. 
Messieurs, 

Après  la  réception  de  la  lettre  que  vous  m'avez  fait  Thon- 
neur  de  m'écrire,  je  me  suis  transporté  dans  le  bureau  et 
ensuite  chez  M.  de  S.  André  ')  lui-même,  pour  prendre  con- 
•^naissance  de  toute  l'affaire  en  question.  M,  le  ministre  de 
Sainte-Marie-aux-Mines  n'a  rien  à  craindre  ;  on  n'a  pas  fait 
attention  aux  plaintes  qui  le  regardent  et  tout  ce  qui  s'est  passé 
à  roccasion  de  la  bénédiction  de  TEglise.  Mais  l'affaire  du 
cabaretier  et  des  deux  garçons  est  très  sale.  On  ne  la  traitera 
pas  juridiquement.  M.  de  S.  André  a  écrit  à  la  Cour  qui 
décidera. 

On  n'a  pas  donné  les  couleurs  les  plus  odieuses  au  délit. 
Aussi  le  cabaretier  est  dans  une  prison  honnête,  au  lieu  que 
les  garçons  sont  dans  le  cachot.  C'est  un  bonheur  pour  eux 
qu'ils  sont  étrangers;  cela  rendra  leur  sort  moins  rigoureux.  11 
y  a  longtemps  qu'on  est  mécontent  ici  de  toutes  sortes  d'indé- 
cences qui  se  passent  par  ci  par  là  dans  la  province,  à  l'occasion 
de  la  présente  guerre,  où  on  ne  marque  pas  assez  de  zèle  pour 
>  le  bien  de  PEtat.  A  l'égard  de  Sainte-Marie-aux-Mines^  il  serait 
bon  d'avertir  les  habitants  d'être  sages  et  circonspects,  parce 
vqu'on  les  observera  de  près.  Antérieurement  à  la  dernière 
-scène,  il  s'est  passé  une  autre  au  sujet  de  la  reine  d'Hongrie 
qui  a  aggravé  celle  qui  vient  de  se  passer. 

Vous  connaissez,  Messieurs,  les  sentiments  et  le  zèle  avee 
desquels  j'ai  l'honneur  d'être  de  tout  mon  cœur, 

Messieurs, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

Schœpflin. 


i)  Originaux    aux    Archives    départementales    de    la    Haute-Alsace, 
"Supplément  de  Ribeaupierre,  V,  bailliage  de  Sainte-Marie. 

2)  Qui  commandait  en  Alsace  en  l'absence  du  maréchal  de  Coigny. 


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UN    AMI  DU   ROI   DE  PRUSSE   EN    1758  535 

IL 

Strasbourg,  le  13  may  1758. 
Messieurs, 

Je  veux  bien  croire  que  dans  le  fait  du  cabaretier  en 
-question  il  y  a  plus  d'imprudence  que  de  méchanceté,  mais 
comme  cette  imprudence  lui  a  attiré  la  prison,  il  faut  penser 
de  l'en  retirer.  Or  les  bureaux  de  la  guerre  étant  accablé 
d'affaires  et  personne  n'ayant  informé  M.  le  maréchal  de 
Bell'Isle  qui  a  le  département  de  la  Province,  des  circonstances 
du  fait  qui  pourraient  être  favorables  au  prisonnier,  son  affaire 
pourrait  traîner  et  prendre  un  mauvais  tour  si  l'on  n^instruit 
pas  son  juge.  Dans  ces  circonstances  vous  ne  sauriez  vous 
dispenser,  Messieurs,  de  vous  intéresser  pour  un  sujet  de  votre 
prince,  qui  est  d'ailleurs  un  homme  de  bien,  qui  se  trouve  dans 
le  malheur  et  jusqu'ici  sans  protection  à  la  Cour.  Vous  expo- 
serez tout  succinctement  le  fait  à  M.  le  maréchal  qui  finira 
^lors  l'affaire. 

Vous  connaissez  les  sentimens  d'amitié  avec  lesquels  j'ai 
J'honneur  d'être  de  tout  mon  cœur. 
Messieurs, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

SCHŒPFLIN. 

A.  M.  P.  I. 


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L'EMPLACEMENT 

DE  LA  RENCONTRE    DE  CÉSAR  ET  D'ARIOVISTE 

ET   LE  CHAMP   DU   MENSONGE 


Encore  qu'il  y  ait  des  problèmes  historiques  plus 
ou  moins  insolubles^  il  serait  fâcheux  de  renoncer  à. 
chercher  la  solution  la  plus  vraisemblable  de  questions 
telles  que  celle  de  l'emplacement  de  la  bataille  livrée 
par  César  à  Arioviste  ou  celle  du  Champ  du  mensonge. 
Il  n'est  pas  dit  d'ailleurs  que  nos  arrière-neveux  ne 
disposeront  pas  de  moyens  d'information  que  nous  ne 
soupçonnons  nullement. 

Nous  nous  permettons  donc  de  présenter  quelques 
arguments  nouveaux  en  faveur  de  l'opinion  que  nous 
soutenons  :  l'Ochsenfeld  est  le  lieu  où  le  gros  de  Tarmée 
d' Arioviste  a  été  vaincu  par  César;  l'Ochsenfeld  est 
l'endroit  où  Louis-le-Débonnaire  a  été  trahi  par  ses  fils^ 

I. 

Parmi  les  plus  récentes  solutions  donn.ées  à  la 
question  de  la  rencontre  de  César  et  d' Arioviste,  il  en 
est  une  qui  paraît  avoir  gagné  le  terrain. 

M.  Colomb  I)  suppose  que  César  et  Arioviste  ne  se 
rencontrèrent  pas  en  Alsace.  César,  dit-il,  s'était  fortifié 

l)  Revue  archéologique^  3«  série,  xxxiii,   189S,  21-62. 


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LA    RENCONTRE    DE   CESAR    ET    D'aRIOVJSTE  537 

sur  le  plateau  d'Arcey,  entre  Sémondans  et  Désandans, 
et  Arioviste  s'était  placé  près  de  Danjoutin,  à  l'origine 
de  la  trouée  de  Belfort.  L'entrevue  eut  lieu  sur  le  tertre 
de  la  Chaux,  au  nord-ouest  de  Montbéliard.  En  se 
postant  à  Arcey,  Arioviste  interrompit  les  communi- 
cations de  César;  mais  celui-ci  les  rouvrit  en  établissant 
son  petit  camp  à  Fontainepré,  en  face  du  campement 
des  Germains.  Ceux-ci  s'enfuirent  par  la  gorge  de 
Présentevillers  et  passèrent  le  Rhin  près  de  Bàle,  à 
75  kilomètres  du  champ  de  bataille. 

L*abbé  Lejay,  en  se  faisant  Técho  de  cette  opinion 
dans  l'édition  classique  des  Commentaires  sur  la  Guerre 
des  Gaules^  publiée  à  la  librairie  Hachette,  la  vulgarise 
trop  pour  que  nous  ne  nous  permettions  pas  de  la 
critiquer  brièvement. 

€  Aucun  point  de  l'Alsace,  dit-il  «),  n'est  à  75  kilo- 
mètres, soit  50  milles,  du  Rhin;  donc  l'hypothèse  de 
M.  Colomb  est  plus  rationnelle  que  le  système  de 
M.  Stoffel^)  admis  par  Dosson  et  la  plupart  des  com- 
mentateurs >. 

Distinguons  :  si  nous  admettions  comme  distance  du 
champ  de  bataille  au  Rhin  une  perpendiculaire  de 
75  kilomètres,  abaissée  du  lieu  de  rencontre  sur  ce 
fleuve,  nous  serions  forcés  de  reconnaître  que  la  bataille 
décisive  a  eu  lieu  en  dehors  de  l'Alsace;  mais  il  nous 
est  loisible,  le  texte  des  Commentaires  et  celui  des 
autres  historiens  nous  laissant  toute  latitude,  de  con- 
sidérer cette  distance  de  75  kilomètres  comme  une 
oblique.  Dès  lors  le  champ  de  bataille  peut  être  placé 
en  Haute-Alsace. 

Et  rien  ne  nous  empêche  de  le  situer  sur  l'Ochsen- 
feld,  comme  nous  avons  essayé  de  l'établir. 


1)  Edition  Benoist  et  Dosson,  Avertissement  de  la  5*  édition,  juillet 
1903,  p.  vil. 

2)  Stoffel  (Gftcrrt  de  César  et  (C Arioviste^  Paris  1890),  place  le  lieu 
de  rencontre  au  pied  des  hauteurs  de  Mittelwihr,  Bebeinheim  et  Zellen- 
berg. 

Rtmt  d'Âlioce,  1907  85 


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538  REVUE  d'alsace 

Certains  auteurs  ne  veulent  pas  admettre  que  des 
fuyards  aient  pu  longer  le  Rhin  sans  essayer  de  le 
passer.  Les  Germains  pouvaient  cependant  en  suivant 
cette  tactique  songer  aux  secours  postés  au  nord  vers 
Strasbourg,  et  c'est  une  explication  suffisante. 

Le  gros  de  Tarmée  suève  a  sans  doute  parcouru 
environ  50.CKX)  pas;  car,  nous  écrit  M.  Aug.  Gasser, 
le  Rhin  étant  difficile  à  traverser,  il  fallait  qu'Arioviste 
laissât  une  distance  assez  grande  entre  lui  et  César  pour 
essayer  de  prendre  les  dispositions  nécessaires  au  pas- 
sage, ce  qui  ne  lui  était  guère  possible  au  bout  de 
S.OCX)  pas. 

D'un  autre  côté,  il  est  improbable  qu'Arioviste  en 
s' avançant  vers  la  Capitale  des  Séquanes,  ait  reculé 
jusqu'à  l'extrême  limite  de  ses  possessions.  Est-ce  là  le 
fait  d'un  homme  qui  ose  dire  à  César  quil  vienne  le 
trouver  chez  lui? 

Se  tenir  dans  l'expectative,  au  beau  milieu  du  tiers 
de  la  Séquanie,  occupée  par  lui  après  sa  victoire  sur 
les  Eduens,  est  au  contraire  le  parti  que  dut  prendre 
Arioviste  :  d'une  part  il  laissait  le  temps  aux  renforts 
suèves  de  venir  le  rejoindre  pendant  la  marche  de 
César  contre  lui,  et  d'autre  part,  en  cas  de  retraite,  i 
pouvait  reculer  sur  le  Rhin  ou  vers  le  Nord. 

Ce  tiers  de  la  Séquanie,  pense  M.  Gasser,  compre- 
nait certainement  la  Haute-Alsace,  peut-être  encore 
l'Ajoie,  Arioviste  ayant  sans  doute  voulu  conserver  cette 
porte  de  la  Bourgogne.  Nous  croyons  que  M.  Siebecker 
a  tort,  dans  son  Histoire  de  V Alsace^  d'étendre  les  termes 
<  optimus  totius  Galliœ  >,  au  Donon  et  à  ses  environs  »). 
Or  rOchsenfeld  occupe  à  peu  près  le  milieu  de  ce  tiers. 

Nous  pensons  donc  que  l'identification  topographique 
que  nous  avons  adoptée  à  la  suite  de  Laguille,  de 
Napoléon   III    et   d'autres   historiens,    bien  qu*elle    ne 


i)  Nous  ne  voyons  pas  comment  M.  Siebecker,  qui  place  le  champ 
de  bataille  aux  environ»  de  Colmar,  peut  parler  d'une  fuite  vers  le 
sud-est. 


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LA   RENCONTRE  DE  CÉSAR   ET   D'ARIOVISTE  531^ 

repose  sur  aucune  preuve  positive,  est  la  plus  vraisem- 
tblable  et  que  la  plaine  de  Cernay  a  été  le  théâtre  de 
Faction  principale  de  la  rencontre  d^César  et  d'Arioviste. 


Un  mot  sur  une  autre  opinion.  D'après  M.  Poly  <), 
*César  aurait  campé  au-dessus  de  Champagney,  et  Ario- 
viste  à  Frahier,  et  la  bataille  aurait  été  livrée  aux 
'Champs-Belin.  L'argument  invoqué  par  M.  Poly  ne  nous 
parait  guère  probant.  Du  fait  que  c'est  à  Frahier  qu'on 
a  découvert  la  légende  d'Ernest,  roi  de  Belfort,  il  ne 
résulte  nullement  que  la  rencontre  a  eu  lieu  près  de 
Frahier.  Et  même  le  lieu  du  combat  serait-il  plus 
•ou  moins  clairement  désigné  dans  la  légende,  ce  ne 
serait  encore  qu'une  présomption  et  non  une  preuve 
^n  faveur  de  cette  hypothèse» 


II. 

Dans  la  question  du  Champ  du  mensonge  il  est 
impossible  de  négliger  une  difficulté  d'interprétation  de 
texte  très  importante  :  d'après  les  Annales  de  Saint- 
Bertin,  la  trahison  eut  lieu  dans  un  endroit  nommé 
«  Rothfeldy  id  est  rubens  Campus  >.  Faut-il  lire  rubens 
ou  n'est-il  pas  préférable  de  lire  rubeus?  Dans  le  premier 
-cas,  le  nom  primitif  du  Champ  du  mensonge  est  bien 
•Champ  rouge.  Mais  de  nos  jours  on  tend  à  croire  que 
le  Champ  maudit  s'appelait  d'abord  Rottfeld,  champ 
dénudé,  en  friche  (comparez  l'allemand  atisrotten)  2),  et 
dès  lors  il  faudrait  lire  rubeus^  qui  signifie  aussi  bien 
<  de  ronces  >  que  c  rouge  ». 

Or  précisément  l'Ochsenfeld,  plus  que  toute  autre 
plaine  d'Alsace,  est  un  champ  infertile  en  grande  partie 


1)  Le  Ballon  d^ Alsace.  Belfort,  Pilot,  1887. 

a)  Jules  Zbllrr,  Fondation  de  (^Empire  germanique^  Charlemagoe, 
Otton,  etc.  3«  édition.  Paris,  1886.  p.  79. 


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54 o  REVUE  d'alsace 

et  était  sans  doute  encore  plus  dénudé  au  temps  de- 
Louis  le  Pieux. 

Qu'on  adopte  donc  la  manière  de  voir  de  M.  Zeller, 
ou  qu'on  s'en  tienne  à  la  tradition,  peu  nous  importe  : 
dans  les  deux  cas  rOchsenfeld  peut  être  le  Champ  du 
mensonge. 

De  plus,  l'Alsace  étant  déjà  bien  défrichée  au 
IX*  siècle,  la  plupart  des  localités  dans  les  environs 
desquelles  on  situe  le  Champ  maudit  n'étaient  plus 
dénudées  »). 

Les  environs  de  Logelbach  seuls  pourraient  peut-être- 
disputer  à  l'Ochsenfeld  le  privilège  d'avoir  été  à  cette 
époque  un  champ  en  friche,  car  il  s'y  trouve  un  canton 
de  vignes  appelé  Diirrlogel '^), 

C.  Oberreixer. 


i)  Même  SigoUheim  oii,  après  Grandidier,  M.  Pfister  {Mélanges  Paut 
Favrif  1902,  p.  106  :  L'archevêque  de  Metz  Dro^on)  place  le  Cham(> 
du  mensonge. 

2)  X.  BovSR,  Méfftoires  'de  P Académie  dis  Inscriptions  et  Belles* 
Lettres  y  1861. 


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PROJET  DE  VENTE 

d'une  charge 
DE  <  CHEVALIER  D'HONNEUR  D'ÉGLISE 

AU  CONSEIL  SOUVERAIN  D'ALSACE 

AU   XVIIl*   SIÈCLE 


Temporairement,  ou  à  titre  définitif,  chacun  des 
chefs  de  nos  trois  abbayes  cisterciennes  d'hommes, 
Lucelle,  Pains,  Neubourg  »),  eut  à  ajouter,  à  sa  signa- 
ture d*abbé,  celle  de  conseiller  chevalier  d'honneur 
d'Eglise  au  Conseil  Souverain  cT Alsace'^), 

A  Lucelle,  Bernardin  Buchinger  fut,  comme  Ton 
sait  3),  l'un  des  membres  les  plus  importants  de  ce 
'<^onseil,  dès  sa  fondation  4),  et  son  successeur,  Edmond 
»Quiquerez,  hérita  de  cette  charge  honorable. 


i)  La  quatrième,   Baumgarten,  n^existait  plus  depuis  le  xvi«  siècle. 
,i^Alsa/ia  sacra^  I,  358). 

a)  Primitivement    il   iCy    eut   qu*un    conseiller   d^Eglise   au  Conseil 
Souverain.  Un  second  lui  fut  adjoint  en   1695.  Il  y  avait  en  outre  deux 
'<onseilltrt  clercs,  quMl  ne  faut  pas  confotidre  avec  les  conseillers  d'hon- 
neurs d'Eglise.  (Cfr.  Pillot  et  Nbybbmand,    Histoire  du  Conseil  Sou^ 
tferain  d^Àlsace,  chap.  I"). 

3)  Moines  et  religieuses  et  Alsace^  II.  Bernardin  Buchinger^  p.  70 
«t  seq. 

4)  En  réalité  Buchinger  fut  cgnsetUer  tout  court^  si  je  puis  m*ex* 
primer  ainsi,  et  au  même  titre  que  les  premiers  conseillers  laïques, 
G.  Frédéric  d'AndIau,  Bénigne  Bossuet,  etc.  Ce  n'est  que  lors  de 
l'organisation  définitive  du  Conseil,  et  à  la  fin  du  xvii*  siècle,   que  les 

«charges  de  conseillers  d'honneur  d'Eglise  et  d'épée  furent  créées. 


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REVUE  D'ALSACE 

A  Neubourg  ce  ne  fut  qu'au  xviir  siècle  que 
n  Gassier  d'Anvilliers  acheta  la  charge  de  conseiller 
appartenait  jusque-là  à  l'abbaye  de  Munster»).  Après 
ses  successeurs  devaient  la  conserver  jusqu'à  la 
olution. 

C'est  Dom  Claude  de  £eauquemare  qui  fut  le  premier 
é  de  Pairis  honoré  de  ce  titre,  «  charge  attachée 
uis  à  ses  successeurs  »,  dit  Grandidier >).  Le  taux 
la  finance  à  laquelle  cette  charge  fut  fixée,  était, 
►rès  un  état  publié  par  Pillot  et  Neyremand  3),  de- 
;30  livres,  somme  relativement  très  élevée. 

Après  Dom  de  Beauquemare,  Dom  Tribolet  et  Dom 
)out4)  portèrent  ce  titre  en  même  temps  que  celui 
►baye  de  Pairis.' 

Or  cette  abbaye  étant  pauvre  S)  et  chargée  de  dettes, 
n  Tribout  songea  à  se  défaire  du  titre  de  conseiller: 
qui  donna  lieu  à  la  curieuse  correspondance  que 
5  publions. d'après  les  originaux^). 


L'affaire  souffrit  des  difficultés  :  les.  religieux  de  la 
son,  dont  le  consentement  était  nécessaire,  refusèrent 
le  donner.  Leur  abbé  s'adressa  alors  à  l'abbé  de 
aux,  général  de  l'Ordre,  qui  lui  répondit  en  ces 
les  le  15  juillet  1757  : 


)  c  Dignitatem  consiliarii  et  equitis  honorarii  paucit  abhinc  annis^ 
onsensu  illorum  quorum  tntererat,  abbatiee  Neoburgensi  apud  Hage- 
I  ord.  Cistercientis  vendidit  >,  dit  Bernard  de  Ferrette  (Diarimm^  III, 
)6),  de  Dom  Gabriel  de  Ratant,  71*  abbé  de  Munster.  —  Dom- 
er  ne  fut  donc  pas  €  le  premier  »  conseiller  d^Eglise,  comme 
oce  Grandidier  (Ah,  sacra^  J,  371). 
)  Aisatia  sacta^  I,  381. 
)  Op.  cit.,  p.  56. 

)  Ce  dernier  est  omis  dans  la  liste  de    VHiUoite  du  Conseil  Sou- 
H  (p.  548),   dont   les   auteurs   l'auront   sans   doute  confondu  avec- 
prédécesseur  à  cause  de  la  ressemblance  des  noms. 
)  Hoffmann,  L'Alsace  au  xviii*  siècle^  passim. 
)  De  ma  collection. 


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PROJET   DB   VENTE   d'UNE   CHARGE  543 

Cîteaux,  15  juillet  1757. 
Monsieur, 

Le  zèle  que  vous  montrez  pour  les  intérêts  de  votre  maison 
ne  peut  être  que  loué  et  approuvé.  Je  me  ferai  un  vrai  plaisir, 
Monsieur,  de  vous  seconder  dans  tout  ce  qui  pourra  dépendre 
de  moi.  Conformément  à  vos  désirs  j'écris  par  ce  même  ordi- 
naire à  M.  l'abbé  de  Lucelle  pour  le  prier  de  vouloir  bien  se 
rendre  à  notre  abbaye  de  Pairis  pour  demander  à  vos  religieux 
les  raisons  qu'ils  peuvent  avoir  de  s'opposer  à  la  vente  de 
votre  charge  de  conseiller;  sur  le  rapport  qu'il  m'en  fera,  il 
me  sera  facile  de  me  décider. 

J'ai  l'honneur  d'être,  avec  un  dévouement  toujours  bien 
respectueux. 

Monsieur, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 
François,  abbé  général  de  Cîteaux  *). 

L'abbé  de  Lucelle,  chargé  par  cette  lettre  de  faire 
Tenquête  en  question,  était  Dom  Grégoire  Girardin. 
L'enquête  dut  être  favorable  à  Dom  Tribout,  d'après 
une  secohde  lettre  du  général  : 

Cîteaux,  22  août  1757. 
Monsieur, 

Je  suis  plus  que  persuadé  de  la  droiture  de  vos  bonnes 
intentions  pour  le  bien  de  la  maison  qui  vous  est  confiée,  et  je 
ne  puis  que  louer  votre  empressement  à  vouloir  en  éteindre 
les  dettes.  La  vente  de  votre  charge  vous  en  faciliterait  les 
moyens.  Avec  un  peu  de  patience,  Monsieur,  nous  viendrons 
peut-être  à  bout  de  vaincre  la  répugnance  qu'out  vos  religieux 
à  y  donner  leur  consentement.  Je  ferai  tout  mon  possible  pour 
les  y  déterminer;  je  vous  prie  d'en  être  persuadé  et  de  me 
croire  toujours  avec  un  dévouement  bien  respectueux. 
Monsieur,  4 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 
François,  abbé,  général  de  Cîteaux. 


l)  La  èfgnature  seule    est    autographe.    —   J'ai    modernisé    l'orlho- 
graphe,  ici  et  dans  les  documents  suivants. 


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544  REVL'E  d'alsace 

Les  moines  de  Pains,  tout  à  fait  à  tort,  semble-t-O 
bien,  suspectaient  la  droiture  et  le  désintéressement  de 
leur  abbé  dans  cette  affaire.  Celui-ci  se  défend  éoer- 
^iquement  contre  leurs  odieuses  imputations  dans  sa 
réponse  à  Fabbé  de  Cîteaux,  datée  de  Colmar  da 
28  août  de  la  même  année  et  que  je  reproduis  d'après 
le  brouillon  original  : 

Colmar,  le  28  août  1757. 
Monseigneur, 

j^ai  reçu  avec  les  sentiments  de  la  plus  respectueuse  recon- 
naissance la  lettre  gracieuse  que  Votre  Grandeur  m'a  fait 
rhonneur  de  m'écrire  le  22  de  ce  mois:  si  son  contenu  a  été 
pour  moi  un  sujet  de  consolation  dans  Tétat  et  l'âge  avancé 
où  je  me  trouve,  les  expressions  souslignécs  de  celle  dont  j'ai 
celui  de  joindre  copie,  ne  peuvent  que  me  causer  la  douleur  la 
plus  amère.  Qu'il  est  dur,  Monseigneur,  pour  un  homme  carac- 
térisé et  qui  n'a  jamais  eu  pour  objet  que  le  bien  et  l'avantage 
de  sa  maison,  de  se  voir  soupçonné  par  ses  religieux  de  ce  qui 
déshonorerait  le  plus  simple  particulier,  tandis  que  j'ose  attester 
devant  Dieu  qu'en  toutes  choses  je  me  suis  toujours  fait  un 
devoir  de  ne  demander  que  ce  que  je  ne  pouvais  négliger  sans 
manquer  à  ma  dignité,  ayant  toujours  vécu  avec  eux  et  comme 
eux.  Mais,  Monseigneur,  si  la  religion  veut  que  je  dissimule 
sur  des  suggestions  injurieuses,  et  qui  ne  peuvent  qu'avoir 
scandalisé  Messieurs  d'£bersmUnster,  ainsi  que  Monsieur  l'abbé 
de  Lucelle,  j'ai  l'honneur  de  supplier  Votre  Grandeur  d'être 
persuadée  que  mes  intentions  pour  la  vente  de  ma  charge 
n'ayant  jamais  eu  pour  objet  que  la  libération  de  mon  abbaye, 
ce  sera  avec  le  plus  grandi  plaisir  du  monde  que  je  consentirai 
que  le  contrat  contienne  délégation  des  sorom^  que  nous 
devons,  au  moyen  de  quoi  les  appréhensions  déplacées  de 
mes  religieux  tombent,  ce  qui  me  fait  espérer  que  Votre  Gran- 
deur voudra  bien  m'accorder  ce  que  j'ai  eu  Thonneur  de  lui 
demander.  J'ai  toujours  celui  d'être  avec  le  plus  profond  respect. 
Monseigneur,  etc. . .  • 

A  cette  lettre  était  joint  l'état  suivant  de  la  situation 
financière  de  Pairis  qui  justifie  Tabbé. 


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PROJET   DE   VENTE   D'UNE  CHARGE  545 

Xa  charge  rapporte 743  liv.  7  s.  10  d. 

Le  remboursement  de  la  première  finance  de  cette  charge 
est  à  craindre,  attendu  quMl  y  a  une  personne  qui  a  du  crédit 
en  Cour  qui  la  vise. 

L'abbaye  doit 29  000  liv. 

Je  demande  le  compte  général  de  1755  P^""^  pouvoir  ache- 
ver celui  do  1758. 

L'on  a  tous  mes  comptes  entre  les  mains  depuis  dix-huit 
fnois  sans  pouvoir  parvenir  à  la  clôture. 

L'on  est  obligé  de  payer  les  intérêts  de  la 

somme  ci-dessus  qui  font  celle  de     .     .  1450  liv. 

Pour  le  vingtième 1814    » 

Pour  les  pensionnaires 2400    » 

Pour  les  invalides 150    » 

5814  liv. 
«ans  compter  mil  autres  frais. 

Au  lieu  qu'en  vendant  cette  charge  qui  ne  fait  que  des 
-envieux,  Ton  se  mettra  à  l'aise,  et  l'on  aura  encore  de  Pargent 
-de  reste,  pour  pouvoir  subveuir  aux  autres  impositions  dont 
l'on  est  menacé. 

Un  des  religieux  de  la  maison,  un  certain  Dom 
Moureau  «),  semble  avoir  voulu  travailler  à  la  pacification 
-des  esprits  et  à  faciliter  la  réalisation  cîu  projet  du 
P.  Abbé,  d'après  le  billet  ci-joint  de  l'abbé  de  Cîteaux 
qui  lui  est  adressé: 

Cîteaux,  19  septembre  1757. 

Dom  Moureau, 

J'ai  reçu  votre  lettre  et  j'y  vois  avec  un   vrai  plaisir  vos 

'bons  sentiments  pour  Monsieur  votre  abbé.  Vous  pouvez  être 

tranquille  sur  ce  que  vous  me  demandez,  j'y  donnerai  toute 

mon  attention.  Je  serais  charmé  de  pouvoir  prouver  à  M.  votre 


OU  ett  poMible  que  ce  soit  Dom  Marcel  Moreau.  entré  dans 
^f ordre  en  i7SSi  lar  lequel  j*ai  publié  dans  la  /^tvit€  catholique  (T Alsace 
•  en   1900  ^p.  940)  un  articulet. 


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54^  REVUE  d'alsace 

abbé  tout  mon  attachement  pour  lui  et  trouver  les  occasions^ 
de  vous  donner  des  marques  de  Tamitié  sincère  avec  laquelle 
je  suis, 

Dom  Moureau, 

Votre  bien  humble  et  affectionné  confrère 
François,  abbé  général  de  Cîteaux. 

Enfin  notre  dernière  pièce  est  une  lettre  de  Fabbé 
de  Lucelle,  Dom  Grégoire  Girardin,  adressée  à  Don> 
Tribout. 

A  Lucelle,  le  1 8  janvier  1758. 

Monsieur  et  très  respectable  Prélat, 

Je  suis  extrêmement  sensible  à  Thonneur  de  votre  souvenir 
et  des  vœux  que  vous  voulez  bien  faire  pour  moi  avec  Mon- 
sieur Stetfan  à  ce  renouvellement  d'année;  je  vous  prie  d'être 
persuadés  de  toute  la  vivacité  de  ceux  que  je  ne  cesse  de 
former  pour  tout  ce  qui  peut  vous  rendre  parfaitement  heu- 
reux; je  le  serais  moi-même,  si  je  pouvais  y  contribuer.  Mes- 
sieurs les  Commissaires  dans  l'affaire  de  la  paternité  immédiate 
sur  votre  abbaye  m'ont  promis  une  prompte  lecture  de  mon- 
Mémoire  et  des  pièces  y  jointes  à  ces  fins,  et  la  communication 
d'icelles  à  M.  de  Morimond;  il  y  a  toute  apparence  que  cet 
abbé  suivra  les  traces  de  son  devancier,  qui  ne  donna  ses- 
réponses  à  notre  premier  Mémoire  qu'après  l'espace  de  six  ans, 
et  que  celui-ci  ne  donnera  les  siennes  qu'après  le  jugement  de 
cette  dernière  affaire,  qui  est  au  grand  Conseil  et  remise  au 
semestre  prochain.  J'en  écrirai  à  M.  Carnot  et  le  prierai  d'accé- 
lérer au  possible. 

Une  partie  de  vos  religieux  est  imbue  de  sentiments  à  votre 
égard  très  opposés  à  ceux  que  j'ai  toujours  eus  pour  vous;  je 
les  ai  mandés  à  Mgr.  de  Cîteaux  et  lui  ai  très  loué  la  droiture 
et  l'équité  des  vôtres  pour  votre  maison.  Ils  s'opposent  à  la 
vente  de  votre  charge;  permettez,  Monsieur  et  très  respectable 
Prélat,  que  je  vous  dise  qu'à  votre  place  je  n'y  penserais  plus 
et  leur  laisserais  le  soin  d'éteindre  les  dettes  que  vous  voulier 
acquitter  par  ce  moyen,  qui  paraît  être  l'unique;  qu'ils  trouvent 
après  cela  un  meilleur  expédient.  Il  me  paraît  que  par  là  vous 
auriez  beaucoup  moins  de  chagrins  ;  je  voudrais  de  tout  mon 
cœur  vous  en  délivrer  entièrement,  et  qu'il  fût  en  mon  pouvoir 


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PROJET   DE  VENTE  D'UNE  CHARGE  547 

de  le  faire,  vous  seriez  convaiDCu  du  parfait  dévouement  et  du 
respect,  avec  lequel  j'ai  l'honneur  d'être. 

Monsieur  et  très  respectable  Prélat, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 
Fr.  Grégoire,  abbé. 

Autant  que  je  puis  le  savoir,  le  vénérable  abbé  de 
Pairis  »)  se  rangea  à  l'avis  de  son  confrère  de  Lucelle, 
car  nous  voyons  que  ses  successeurs  gardèrent  la  charge 
de  conseiller  jusqu'à  la  Révolution,  laquelle  l'emporta 
dans  son  tourbillon  avec  l'abbaye  de  Pairis  elle-même, 
et  mille  autres  bonnes  choses  qu'il  eût  été  plus  sage 
de  réformer  si  elles  en  avaient  besoin  que  de  détruire 
complètement.  Mais,  sunt  fata  reruml  et  rien  n'instruit 
et  rien  ne  corrige  les  méchants  :  ne  retombent-ils  pas 
aujourd'hui  dans  les  fatales  erreurs  qui  ont  fait  tant  de 
mal  à  la  France  à  la  fin  du  xviu*  siècle? 

A.  M.  P.  INGOLD. 


l)  Il    devait    mourir    moinn   d'un    an    après,    le     16    janvier    I7§^. 
(Ahatia  sàcra^  I,  382). 


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SOLDATS  ALSACIENS 


XI.  Le  général  Parmentier. 

Parmentier  Joseph-Charles-Théodore,  est  né  à  Barr 
(Basse-Alsace),  le  14  mars  1821.  Il  était  le  sixième  enfant 
'de  Joseph  Parmentier  et  de  Marie -Barbe -Charlotte 
Casser. 

Entré  à  l'Ecole  Polytechnique,  le  14  novembre  1840, 
il  est  appelé  à  Metz,  le  i"  octobre  1842,  comme  chef 
de  la  promotion  du  génie,  à  l'Ecole  d'application  de 
Tartillerie  et  du  génie,  et  franchit  rapidement  les  divers 
échelons  de  la  hiérarchie  militaire. 

Lieutenant,  le  i*'  octobre  1844,  au  premier  régiment 
du  génie,  promu  capitaine,  au  choix,  à  l'Etat  major  du 
génie,  le  28  février  1847,  i'  ^st  appelé  en  cette  qualité 
au  Dépôt  des  fortifications  à  Paris,  le  i"  janvier  1853. 

Aide  de  camp  du  général  Niel,  commandant  le 
génie  à  l'expédition  de  la  Baltique,  le  capitaine  Par- 
mentier assiste,  le  4  juillet  1854,  au  siège  et  à  la 
destruction  de  Bomarsund  (îles  d'Aland)  et  est  nommé 
chevalier  de  la  Légion  d'honneur  le  21  octobre  de  la 
même  année.  De  mai  à  novembre  1855,  î'  ^st  devant 
Sébastopol. 

Le  capitaine  Parmentier,  décoré  de  la  médaille 
anglaise  de  Crimée,  le  30  janvier  1856,  de  l'ordre  du 
Medjidié,  s«  classe,  le  6  mai  1856,  et  de  la  médaille 
-anglaise  de  la  Baltique  le   17   février    1857,  épouse,  le 


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SOLDATS    ALSACIENS  549- 

16  avril  1857,  la  célèbre  violoniste  Terésa  MilanoUo, 
née  à  Savigliano  (Piémont)  le  28  avril  1827,  et  est 
promu  chef  de  bataillon  au  choix  le  24  décembre  de 
la  même  année» 

Membre  de  la  mission  envoyée  en  Italie  pour  la 
demande  en  mariage  de  la  princesse  Clotilde  de  Savoie, 
fille  du  roi  de  Piémont  Victor  Emmanuel,  par  le  prince 
Napoléon,  fils  de  Tancien  roi  de  Westphalie  Jérôme 
Bonaparte,  le  chef  de  bataillon  Parmentier,  à  l'occasion 
de  ce  mariage  qui  resserrait  les  liens  de  la  France  et 
de  ritalie,  est  promu  officier  de  Tordre  des  Saints  Maurice 
et  Lazare  (31  janvier  1859). 

A  la  bataille  de  Solférino  (juin  1859),  brillant  épi- 
sode de  la  guerre  de  l'émancipation  italienne,  le  chef 
de  bataillon  Parmentier,  après  avoir  rempli  plusieurs 
missions  périlleuses,  nous  apparaît  dans  un  beau  geste, 
jetant  aux  pieds  de  l'Empereur,  sept  drapeaux  que  le 
4*  corps  (général  Niel),  venait  de  prendre  aux  Au- 
trichiens. 

Pour  sa  belle  conduite  à  cette  bataille,  le  chef  de 
bataillon  Parmentier,  fut  promu  officier  de  la  Légion 
d'honneur  (25  juin   1859). 

Le  général  Niel  avait  pu,  pendant  l'expédition  de 
la  Baltique  et  la  guerre  d'Italie,  apprécier  la  science  et 
les  hautes  qualités  militaires  du  chef  de  bataillon  Par- 
mentier. Aussi,  quand,  nommé  maréchal  de  France,  il 
fut  désigné  pour  le  commandement  du  6*  territoire  à 
Toulouse,  Parmentier  l'accompagna  comme  aide  de 
camp.  Le  18  novembre  1861,  il  est  nommé  chef  da 
génie  à  Toulouse. 

Lieutenant-colonel  le  18  décembre  1865,  il  est  chef 
du  génie  à  Constantine,  puis  directeur  des  fortifications 
le  21  juin  1868.  Il  est  promu  colonel  le  5  avril  1869. 
En  février  1870,  le  colonel  Parmentier  est  appelé  au 
poste  de  directeur  des  fortifications  au  Havre. 

La  guerre  qui  éclatait  peu  après,  trouva  le  colonel 
dans  un  état  de  santé  très  précaire.  Pourtant  le  colonet 


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550  REVUE  d'alsace 

rejoint  rarmée  du  Rhin  en  qualité  de  chef  d'étàt-major 
du  génie  du  i"  corps. 

A  Reichshoffen,   il   a   deux  chevaux  tués  sous  lui. 

Fait  prisonnier  à  Sedan,  il  est  interné  à  Bonn  jusqu'en 

avril  187 1.    De  retour  de  captivité,  le  colonel  reprend 

son  poste  de  directeur  des  fortifications  au  Havre.    Il 

-est  envoyé  à  Lyon  en  la  même  qualité  en  1873. 

Directeur  supérieur  du  génie  des  9*  et  12*  corps 
<l'armée  le  i"  mars  1875,  il  est  nommé  général  de 
brigade,  le  3  septembre  suivant,  et  membre  du  Comité 
des  fortifications  à  Paris,  le  i"  mai  1878. 

Gouverneur  éventuel  de  Dunkerque,  inspecteur  de 
la  défense  des  places  du  premier  groupe  Dunkerque, 
Bergny,  Graveline,  Saint-Omer,  Aire  et  Calais,  le  i"  juin 
1878,  inspecteur  permanent  du  génie  pour  l'armement 
des  Côtes,  et  membre  de  la  Commission  de  la  défense 
des  Côtes,  le  18  février  1881,  il  est  nommé  général  de 
division  le  30  mars  1881  et  grand-officier  de  la  Légion 
d'honneur  le  14  juillet  1885. 

Le  général,  atteint  par  la  limite  d*âge,  passe  dans 
la  section  de  réserve  en  1886,  et  prend  sa  retraite 
Tannée  suivante. 

Le  général  Parmentier  n'est  pas  seulement  un  ofl&cier 
général  distingué  et  un  héroïque  soldat.  C'est  aussi  un 
un  savant  et  un  écrivain,  dont  les  nombreux  travaux 
lui  ont  acquis  une  haute  réputation. 

Lors  de  son  mariage  avec  Terésa  Milanollo,  la 
Gazette  de  Cologne  écrivait  : 

c  Théodore  Parmentier  est  un  dilettante  accompli, 
-€  il  est  en  même  temps  compositeur  ;  c'est  un  officier 
€  de  génie  encore  jeune  et  très  distingué,  ancien  élève 
<de  l'école  polytechnique  .... 

<  Nous  avons  reçu  de  Parmentier  quelques  poésies 
€  composées  par  lui.  Ces  poésies,  écrites  en  langue 
€  allemande,  sont  très  intéressantes,  d'abord  parce  qu'elles 
-c  sont  l'œuvre  d'un  officier  français,  ensuite  parce  que 


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SOLDATS   ALSACIENS  55 1 

•€  la  délicatesse  des  sentiments  qu'elles  expriment  con- 
€  traste  singulièrement  avec  le  tumulte  guerrier  et  les 
c  batailles  sanglantes  au  milieu  desquelles  elles  ont  été 

<  inspirées  à  leur  auteur  ». 

Nous  empruntons  au  Dictionnaire  biographique  des 
Jtommes  de  V Est  la  liste  fort  longue  des  travaux  du 
général  Parmentier  : 

<  Comme  mathématicien,    le  général  Parmentier  est 

<  l'auteur   de  r  Comparaison   de   quelques    méthodes   de 

<  quadrature   et  formule   nouvelle  pour    la    quadrature 

<  des  courbes  planes.  Ce  travail  a  paru  dans  les  Nouvelles 
€  Annales  de  Mathématiques  (t.  xiv,  1855,  et  2*  série,  t.  XV, 
€  1876).  La  formule  de  Parmentier,  beaucoup  plus  simple, 
€  et  d'une  approximation  de  même  ordre  que  celle  de 
-<  la  célèbre  formule  de  Thomas   Simpson,  peut  avan- 

<  tageusement  remplacer  cette  dernière.  On  lui  doit 
-€  aussi   des   travaux   intéressants   sur  la  géométrie   de 

<  position  ;  les  Carrés  magiques  ;  le  Problème  des  huit 
€  reines  sur  V échiquier  ;   le   Problème  du   cavalier   aux 

<  échecs^  et  les  carrés  magiques  obtenus  par  la  marche 

<  du  cavalier. 

€  En   astronomie,   le    généra.    Parmentier   s'est    fait 

<  connaître  par  ses  recherches  sur  la  distribution  des 
"€  petites  planètes  entre  Mars  et  Jupiter. 

€  Le  général  Parmentier  a  publié  de  très  utiles  tra- 
c  ductions  d'ouvrages  techniques  allemands  :  Eléments 

<  de  l'art  de  fortifier ^  de  Schwinck  (1846-47);   Exposi- 

<  tion  et  description  d'un  système  de  fortification  poly- 
^  gonale  et  h  caponnières  (1850,  2*  édit.  1881);  Description 

<  topographique  et  stratégique  du  théâtre  de  la  guerre 
€  turco^usse  (Paris,  1854);  Expériences  de  tir  faites  à 
<Juliers  en  septembre  1860^  compte  rendu  (1862),  et 
-€  un  Vocabulaire  des  termes  de  fortification  allemand- 
€  françcUs  (1849).  M  a  collaboré  à  la  rédaction,  par  le 
-c  général  Niel,  des  relations  des  sièges  de  Bomarsund 
"€  et  de  Sébastobol. 

«  On  sait  l'intérêt  que  le  général  Parmentier  porte 
«  aux  recherches  géographiques  et  aux  questions  colo- 


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552  REVUE   D  ALSACE 

€  niales.    Il    a    publié    les    Vocabulaires   des  principaux 

<  termes  de  géographie  et  des  mots  qui  entrent  le  plus 
€  fréquemmcfU  dans  la  composition  des  noms  de   lieux  y 

<  en  arabe  (1882),  magyar  (1883),  turc  (1884),  Scandinave 
«(1887),  et  rhétoraman  (1896);  Quelques  observations 
1  sur  l'orthographe  des  noms  géographiques  (1870); 
«  De  la  transcription  des  noms  arabes  en  caractères 
€  latins  (1880). 

€  Fait  très  curieux,  le  général  Parmentier  est  un 
€  critique  d'art  et  un  compositeur  de  musique  des  plus 
€  distingués.  Il  a  donné  des  articles  de  critique  musî- 
«  cale  dans  plusieurs  journaux  :  la  Gazette  musicale  de 
€  Paris  (1849-60),  la  Frafice  musicale  (1860),  la  Presse 
€  théâtrale,  la  Critique  musicale,  le  Courrier  du  Bas- 
€  Rhin  (Strasbourg),  le  Journal  de  Toulouse,  le  Ménestrel  y 

<  etc. . . . 

«  Il  a  écrit  un  certain  nombre  de  compositions  pour 
€  piano,  orgue,  violon,  chant  et  orchestre,  parmi  les- 
€  quelles  il  convient  de  citer  :  Sept  canons  d'un  genre 
«  particulier,  pour  piano  à  quatre  mains,  qui  présentent 
€  des  combinaisons  tout  à  fait  nouvelles  et  curieuses  et 
€  qui  ont  été  appréciées  des  connaisseurs. 

€  Le   général  Parmentier  a  collaboré  aux  bulletins 

<  et  mémoires  des  sociétés  savantes  auxquelles  il  appar- 

<  tient,  ainsi  qu'à  plusieurs  recueils  techniques. 

€  Il  est  membre  de  X Alliance  française  pour  la  pro- 
€  pagation  de  notre  langue  aux  colonies  et  à  l'étranger 
«  (président),    membre   fondateur  de   la    Société  astrono- 

<  mique  de^  France   et  de    X Association  française  pour 

<  V avancement  des  sciences;  membre  perpétuel  de  XAsso^ 
«  dation  pour  V encouragement  des  études  grecques,  et  de 
€  la  Société  de  Linguistique  ;  membre  de  la  Société  matké^ 
€  mathique  de  France,    des   Sociétés   de   Géographie   de 

<  Paris,  de  Lyon,  de  Toulouse  ;  membre  honoraire  ou 
€  correspondant  des  Sociétés  de  Géographie  de  Roche- 
«  fort,  de  TEst  (Nancy),  de  Neuchâtel  (Suisse),  d'Anvers, 
«  etc. . . .,  du  Comité  de  V Afrique  française,  des  Sociétés 


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SOLDATS    ALSACIENS  553 

€  topographique  de  France  y  de  Navigation  aérienne ^ 
•  rhétoromane  de  Coire  (Suisse),  etc. . . . 

€  Enfin  pour  être  complets,  disons  que,  dans  sa 
«  jeunesse,  le  général  Parmentier  a  publié  des  poésies 
€  en  langue  allemande  dans  des  revues  et  recueils  alsa- 
«  ciens,  puis  en  français  quelques  poésies,  soit  origi- 
«  nales,  soit  traduites  de  l'allemand  ou  de  l'anglais 
€  (ancienne  Revue  de  Paris j  1856;  Revue  de  Toulouse ^ 
<  1860-63)  ». 

Bibliographie 

(Supplément  aux  ouvrages  cités). 

I.  Art  militaire  :  Cours  élémentaire  de  fortification 
passagère,  suivi  de  quelques  notions  de  fortification 
permanente,  à  Tusage  des  sous-officiers  de  Tarmée. 
(Paris,  1855). 

II.  Sciences  :  Comparaison  analytique  des  diffé- 
rentes méthodes  d'approximation  pour  la  quadrature 
des  courbes  planes  et  formule  nouvelle  (Compte  rendu 
de  V Association  française  pour  l'avancement  des  sciences^ 
congrès  de  Nantes,  1875).  —  Simplification  de  la  méthode 
d'interpolation  de  Thomas  Simpson  (Nouv,  Annales  de 
mathématiques^  2*  série,  t.  xv,  1876).  —  Sur  la  quadra- 
ture des  paraboles  du  3*=  degré  (Compte  rendu  de 
X Association  française  pour  V  avancement  des  sciences^ 
congrès  de  Montpellier,  1879).  —  Nouvelles  formules 
de  quadrature  (Id.,  congrès  de  la  Rochelle,  1882).  — 
Problème  des  reines  (Id.,  congrès  de  Rouen,  1883).  — 
Note  sur  la  quadrature  des  courbes  planes  (Mémorial 
de  r officier  du  génie ^  n°  26,  1885).  —  Sur  les  carrés 
magiques  (Compte  rendu  de  X Association  française  pour 
V avancement  des  sciences  (publication  à  parr,  1891),  et 
complément    du    travail    précédent    (congrès    de    Pau, 

1892).  —  Chronologie  des  marches  du  cavalier  aux 
échecs  conduisant  à  des  carrés  semi-magiques,  présenté 
au  congrès  de  Caen,  1894,  de  XAssoc,  franc,  pour 
C avancement  die  la  science  (publication  à  part).  —  Lettre 

Rtwut  d' Alsace,  1907  86 


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554  RF-VUE  d'alsace 

sur  le  magnétisme  animal,  à  propos  du  défi  proposé 
aux  magnétiseurs  par  M.  Pouchet  {Annales  des  sciences 
psychoLy  1893).  —  Distribution  des  petites  planètes  entre 
Mars  et  Jupiter  (dans  plusieurs  numéros  de  la  revue 
\ Astronomie  et  les  bulletins  de  la  Société  astronomique 
de  France^  1883  ^  1896).  —  Les  dépêches  chiffrées 
indéchiffrables  (Revue  scientifique^  1887). 

III.  Géographie  et  Linguistique  :  Sur  Tétymologie 
de  l'expression  tEtre  dans  la  nasse»  [Recréât.  philoL  de 
F.  Génin,  1856).  —  A  propos  de  l'origine  des  anciens 
peuples  du  Mexique;  dissertation  linguistique  (Bulletin 
de  la  Soc.  de  Géographie  de  Lyon^  ^875).  —  Quelques 
observations  sur  l'orthographe  des  noms  géographiques 
{Compte  rendu  de  VAssoc.  franc,  pour  ^avancement  des 
sciences^  congrès  du  Havre,  1877),  —  L'Alphabet  géo- 
graphique international  (Revue  de  Géographie^  Paris, 
1887).  —  Les  Emphatiques  arabes  {Mém.  de  la  Soc.  de 
Linguistique  de  Paris^  t.  IX,  1896).  —  Etude  sur  les 
langues  rhétoromanes  :  frioulan,  ladin  du  Tyrol,  ladin 
et  romanche  des  Grisons  (Compte  rendu  du  premier 
congrès  international  des  langues  romanes.  Bordeaux, 
1897). 

IV.  Musique  :  i**  Nombreux  articles  de  critique 
musicale  (voir  plus  haut).  —  2*  Compositions  musicales. 
Pour  piano  :  six  Mélodies,  op.  i  ;  deux  Polkas  pour 
musique  militaire,  réduites  pour  piano  ;  deux  Morceaux 
de  salon,  op.  2  ;  BarcaroUe  et  Gondoline,  op.  3  ;  Fugue 
à  quatre  mains,  extraite  de  Top.  5  ;  Nocturne,  op.  9  ; 
Etude,  op.  12.  —  Pour  violon  avec  accompagnement 
de  piano  :  Sur  le  fleuve,  barcaroUe,  op.  14.  —  Pour 
grand  orgue  :  quatre  pièces  et  une  fugue;  quatre-vingt- 
seize  petits  préludes  et  versets  dans  tous  les  tons  majeurs 
et  mineurs,  op.  6.  —  Pour  chant  :  quatre  Romances, 
op.  4;  la  Sérénade,  op.  7  (texte  allemand  et  français); 
Litanies  de  la  Sainte  Vierge,  pour  chœur  mixte.  —  Pour 
orchestre  :  transcription  à  grand  orchestre  de  la  Polo- 
naise en  mi-bémol,  pour  piano,  de  Weber. 


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SOLDATS   ALSACIENS  555 

Pour  mémoire  (essais  littéraires)  :  quelques  Poésies 
'éparses  ;  Poésies  allemandes,  dans  Y Elsàssisches  Samstags- 
blatt  (1857  et  1863),  dans  le  Pfeffel-Album,  recueil  de 
poésies  d'auteurs  alsaciens  (1859),  et  dans  X Album 
lyrischer  Originalien^  publié  par  Oser  (Bàle,  1858); 
Ephémérides  littéraires  pour  tous  les  jours  de  Tannée 
{Revîie  de  Toulouse ^  1860);  Poésies  traduites  de  l'anglais, 
de  Moore,  Byron  et  Kirke-Withe  (ib.  1860);  Poésies 
traduites  de  l'allemand  (ib.,  1861);  deux  Epîtres  en  vers 
à  M™*  Desbordes- Valmore  (ib.  1863);  Discours  (sur  le 
rôle  de  la  science  au  xix*  siècle,  et  l'œuvre  de  vulgari- 
sation de  M.  Flammarion),  prononcé  au  banquet  des 
fêtes  de  Montigny-le-Roi  en  l'honneur  de  M.  Camille 
Flammarion  le  6  avril  1891  (voir  C.  Flammarion^  sa 
fvie  et  son  œuvre ^  par  Sylvio  Hugo,  Paris,  1891). 


Le  17  décembre  1902,  le  général  Parmentier  assistait, 
-à  l'église  Saint-Louis  des  Invalides,  au  mariage  d'un 
petit-cousin.  Voici  ce  qu'écrivait,  quelques  jours  plus 
tard,  M.  G.  Gasser,  le  père  du  marié: 

€  Il  était  beau  de  voir  ce  vieillard  à  cheveux  blancs, 
encore  bien  droit,  conservant  la  vivacité  d'esprit  et  de 
corps  d'un  âge  moins  avancé,  entrer  dans  cette  chapelle 
où,  en  levant  les  yeux,  il  pouvait  remarquer  à  la  voûte 
sept  drapeaux  autrichiens  qu'il  avait  été  remettre  à 
l'empereur  le  jour  de  la  bataille  de  Solférino  ». 

Depuis  plusieurs  années,  le  général  vit  retiré  à  Paris. 
Malgré  son  grand  âge,  il  cultive  les  sciences  qu'il  n'a 
jamais  abandonnées,  et  cette  fleur  rare,  le  plus  bel 
ornement  d'une  vie  toute  de  dévouement  et  de  modestie: 
la  charité. 

Le  25  octobre  1904,  il  a  eu  la  douleur  de  perdre 
la  fidèle  compagne  de  sa  vie,  décédée  à  Paris  à  l'âge 
de  ^^  ans. 


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556  REVUE  d'aLSACE 

èse  Milanolo,  dont  le  nom  est  inséparable  de 
i  général  Parmentier,  laisse  une  réputation, 
violoniste  qui  n'est  pas  encore  effacée.  Mais 
on  mariage  elle  ne  s'était  plus  fait  entendre 
c,  sinon  à  de  rares  intervalles,  pour  des  œuvres 
aisance;  elle  s'était  réservée  exclusivement  à. 
Dsition  musicale. 

M.  LORTET. 


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VARIÊTÉ'S 


I.  Un  Eyx(ûf4ioy  f4(ûQiag  è  Ersteifi  en  1704» 

Le  curieux  document  qu'on  va  lire  est  tiré  d 
précieux  recueils  intitulés  Affaires  d* Alsace^  conserv 
-à  la  bibliothèque  de  Trêves.  Cette  oraison  funèbre  d'i 
curé  d'Erstein  qui  s'était  pendu,  rappelle  en  effet  XElo. 
.de  la  folie  d'Erasme,  comme  le  vicaire  général  du  di 
cèse  l'écrivait  au  premier  président  du  Conseil  souvera 

d'Alsace. 

A.  M.  P.  I. 

Strasbourg,  ce  20  juin  1705. 
Monsieur, 
Je  me  donne  l'honneur  de  vous  écrire  à  l'occasion  de 
-que  je  viens  d'apprendre  qu'à  la  requête  de  M.  le  procure 
.général  vous  avez  nommé  un  commissaire  pour  aller  inform 
à  Erstein  au  sujet  du  curé  de  ce  lieu  qu'on  vous  a  dit  s'être  t 
lui-même,  pour  vous  supplier  très  humblement,  Monsieur, 
vouloir  bien  consentir  à  ce  qu'on  n'informe  pas  davantage  î 
ce  fait.  J'ai  l'honneur  d'en  écrire  aussi  à  M.  le  procureur  gêné 
que  je  le  prie  de  vouloir  cesser  ses  poursuites  à  cet  égard, 
pour  le  porter  à  m'accorder  cette  grâce  je  lui  envoie  un  pré< 
de  l'information  qui  a  déjà  été  faite  à  la  requête  du  sieur  pi 
-moteur,  par  laquelle  il  conste  que  ce  curé  était,  sinon  tout 
ifait  fol,  au  moins  si  fort  blessé  que  cela  suffit  pour  l'excusa 
•en  conséquence  de  quoi  on  a  permis  qu'on  l'enterrât,  et  on 
:fait  faire  un  discours  ou  oraison  funèbre  que  l'on  pourrait  co 
parer  en  quelque  manière  à  VEncomium  moriae  d'Ër^iJHI/ds 
.lequel,  en  rapportant  toutes  les  actions  extraordinaires  de 
-curé,    on  a  tâché  de  calmer  le  scandale  que  sa  mort  av 


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REVUE  D'ALSACE 

t  prouvé  que  cela  ne  diminuait  point  le  mérite  de  ce- 
ait  fait  étant  dans  un  parfait  bon  sens.  En  sorte  que 
lation  qu*on  pourrait  faire  maintenant  ne  pourrait  faire 
très  mauvais  effet  et  remuer  sans  aucun  succès  les 
;  de  ce  pauvre  prêtre,  dont  la  cervelle  était  si  facile  à 
er  qu'étant  accusé  il  y  a  trois  ans  d'avoir  fait  un  mariage 
les  règles,  cette  accusation  lui  avait  tellement  brouillé^ 
qu'on  fut  obligé  de  lui  faire  dire  qu'il  n'avait  fait  aucun 
ioique  par  la  suite  on  ait  cassé  ce  mariage.  Vous  pouvez^ 
Lir,  faire  fond  sur  ce  que  j'ai  l'honneur  de  vous  dire 
si  vous  l'aviez  vu  vous-même,  car  je  serais  bien  fâché 
»  avancer  un  fait  dont  je  douterais  moi-même  en  quel- 
nière.  Comme  il  est  presque  inouï  qu'un  prêtre  se  soit 
ré,  je  vous  prie,  Monsieur,  pour  l'honneur  du  sacerdoce,, 
entir  à  ce  qu'on  ne  réveille  pas  cette  action  qui  corn- 
à  s'assoupir.  On  vous  aura  peut-être  ajouté  que  ce 
Lvait  abusé  d'une  sienne  parente  qui  se  trouve  effective- 
rosse.  Mais  ce  fait  n'est  pas  certain.  Au  contraire  on 
uellement  le  procès  à  l'officialité  à  celui  qui  est  cou- 
t  qui  a  déjà  avoué  sa  faute  dans  la  première  interroga- 
e  vous  supplie  de  m'accorder  la  grâce  que  je  vous- 
ie  en  cette  rencontre  et  de  me  croire  avec  beaucoup  de 
et  d'attachement. 
Monsieur, 

Votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur 

Le  Laboureur, 

faisant  les  fonctions  de  grand  vicaire  de  l'évêchè 

de  Strasbourg. 

fragment  suivant  du  brouillon  (autographe)  de  la 
;e  de  M.  de  Corberon  montre  que  celui-ci  tint 
e  de  la  requête  du  vicaire  général: 

«  A  l'égard  de  l'autre  affaire  ne  soyez  pas  en  peine, 
mation  ne  se  fera  pas  sitôt  nonobstant  les  mouvements 
r^est  donné  inutilement  pour  . . .  forcer  M.  le  pr.  général 
plir  son  ministère  malgré  lui  en  cette  occasion.  Il  est 
î  sage  et  ne  fera  rien  qui  puisse  diminuer  le  respect  que 
pies  doivent  conserver  pour  leurs  pasteurs,  et  de  ma» 
contribuerai  toujours  à  ce  que  vous  pourrez  désirer  de- 
pareille  occasion  ...  ». 


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VARIETES  559 

IL  A  propos  du  c  Livre  d*or  »  de  Souitzi). 

Tout  a-t-il  été  dit  sur  la  •  manie  »  des  généalogies  ? 
Je  n'oserais  Tatlirmer.  Sans  doute,  les  uns  ont  crié  à 
la  prétention,  à  la  vanité,  s'efforçant  de  faire  croire 
qu'on  a  surtout  en  vue  le  c  moi  »,  —  ce  c  haïssable 
moi  »,  pour  employer  le  mot  de  Pascal  —  quand  on 
se  mêle  d'établir  la  série  de  ses  ancêtres.  D'autres  se 
contentent  d'y  voir  une  innocente  lubie,  assez  excusable. 

Parmi  ceux  que  volontiers  j'appellerais  les  c  utili- 
taires »,  il  en  est  qui  insinuent  que  les  quartiers  de 
noblesse  ne  sont  plus  exigibles  pour  les  couvents  et  les 
abbayes;  il  en  est  aussi  qui  estiment  que  les  bourses 
de  famille  dans  les  collèges  de  Jésuites 2)  ou  autres  ont 
fait  leur  temps  ;  il  en  est  encore  aux  yeux  desquels  le 
généalogiste  doit  disparaître  dès  qu'il  ne  s'agit  pas  de 
questions  d'héritage. 

Et  pourtant,  ne  sont-elles  pas  réellement  utiles  à 
l'histoire  d'une  localité,  ces  généalogies  que  sous  le 
titre  de  t  Livre  d'or  »,  de  «  Tablettes  d'or  >  on  tend 
de  nos  jours  à  dresser,  d'une  façon  sommaire  du  moins, 
à  la  suite  des  histoires  locales?  Plus  d'une  fois  un  point 
obscur  d'histoire  n'a-t-il  pas  été  éclairci  grâce  à  l'inter- 
vention des  généalogistes? 

Sans  parler  des  services  que  des  généalogies  ainsi 
établies  avec  méthode  rendent  à  la  statistique,  n'est-il 
pas  vrai  qu'il  est  intéressant  pour  tout  le  monde  de 
pouvoir  remonter  la  série  de  ses  ancêtres,  au  plus  grand 
nombre  de  degrés,  à  toutes  les  branches,  possible? 

N'est-il  pas  vrai  que  cela  contribue  à  créer  l'union 
dans  les  familles,  la  solidarité  parmi  ceux  qui  sont  nés 
sur  le  même  sol? 


1)  Qui.   si   nous  sommes  bien  informé,    doit  paraître  prochainement. 

2)  C^est  ainsi  que,  pour  établir  les  droits  des  divers  membres  de  la 
famille  Krust  aux  deux  bourses  fondées  par  les  Pères  Krust  au  collège 
de  Porrentrny,  on  a  dressé  la  généalogie  de  cette  famille.  Si  l'on 
voulait  bien  la  compléter,  elle  deviendrait  une  des  plus  intéressantes 
généalogies  d'Alsace. 


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560  REVUE    d'aLSACK 

Maintenant  que  les  c  déracinés  »  abondent,  il  est 
grand  temps  peut-être  que  les  familles,  ou  à  leur  défaut 
les  historiens  locaux,  fixent  la  généalogie  de  ceux  qui 
les  intéressent. 

Nous  ne  pouvons  donc  qu'être  vivement  reconnais- 
sant, envers  les  infatigables  chercheurs  qui,  comme 
va  le  faire  M.  Gasser,  loin  de  dédaigner  les  généa- 
logies, s'efforcent  de  les  établir  avec  une  science 
accomplie. 

Son  Livre  d'or  de  Souliz  méritera  à  plus  d'un  titre 
la  place  enviée  qu'il  occupera  dans  nos  Alsatiques. 
Puisse-t-il  servir  de  modèle  aux  historiens  de  nos  com- 
munes d'Alsace! 

C.  O. 


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LIVRES  NOUVEAUX 


Verôffentlichungen  aus  dem  Stadtarchiv  zu  Colmar . . .  von 
dem  Stadtarchivar  D'  Eugen  Waldner.  Colmar,  Strass- 
burger  Druckerei,  1907.  Grand  in-8**  de  177  pages. 

Sous  ce  titre  général,  —  à  la  suite  duquel  il  semble  qu'il 
-eût  été  bon  de  donner  un  titre  plus  spécial  à  chaque  fasci- 
cule, —  M.  Waldner  commence  la  publication  de  documents 
>tirés  des  archives  confiées  à  sa  garde.  Cette  publication  a  été 
décidée  par  l'administration  actuelle  de  la  ville  de  Colmar.  On 
a  si  peu  souvent  l'occasion  de  la  féliciter  qu'il  ne  faut  pas,  cette 
Tare  fois,  manquer  de  le  faire. 

Le  premier  fascicule  orné  d^une  gravure  qui  aurait  pu  être 
meilleure  (par  contre  l'impression  du  volume  est  excellente), 
contient  trois  parties  tout  à  fait  distinctes. 

La  première  (p.  1-13)  est  une  histoire  du  dépôt  d'archives 

•de  Colmai,  où  M.  Waldner  rend  un  particulier  hommage  â 

plusieurs  de  ses  prédécesseurs  :  Huffel  qui  confectionna  de 

1719  à  1733  un  très  précieux  inventaire  encore  toujours  utile; 

Birkel  qui  sauva  les  Archives  pendant  la  Révolution;  Hugot,  le 

fondateur  du  musée  Schongauer;  enfinMossmann  àqui  l'histoire 

•de  Colmar  doit  tant  d'excellents  travaux.  L'auteur  termine  cette 

première  étude  par  un  rapide  aperçu  sur  ce  que  contiennent 

les  Archives  de  Colmar  et  répète  cette  appréciation,  écrite  er 

1867  :  Le  dépôt  de  Colmar  compte  au  nombre  des  plus  riches 

M  des  plus  importants  de  la  France^  ce  que  l'on  peut,  dil 

M.  Waldner,  dire  aussi  relativement  à  l'Allemagne. 

Dans  la  seconde  partie  (p.  13  à  85),  l'auteur  nous  donne 
-d'importants  extraits  des  délibérations  et  ordonnsM^ces  du  Con- 
-seil  de  Colmar  pour  les  années  1362  à  1432,  c'est-à-dire  poui 


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562  REVUE  d'aLSACE 

le  premier  siècle  qui  a  suivi  la  constitution  de  la  commune  à 
Colmar.  Une  table  des  matières  et  des  noms  termine  cette 
seconde  partie. 

Enfin,  en  troisième  lieu  (de  la  page  85  à  la  page  177),  le 
volume  nous  donne  une  étude  originale  sur  Taftaire  des  dix 
villes  libres  impériales  d'Alsace  après  la  paix  de  WestphaJie, 
snr  laquelle  l'auteur  utilise  de  nombreux  matériaux  inédits, 
découverts  par  lui  dans  les  archives  de  Colmar,  et  que  ni 
Bardot  ni  Rocholl  n'avaient  pu  consulter. 

En  somme  excellente  publication  qui  fait  honneur  à  son 
auteur  et  est  d'excellent  présage  pour  la  collection  qu'elle 
inaugure. 

_^_^  A.  M.  P.  1. 

Alte  BUcher  und  Papiere  aus  detn  Claris  s  enkloster  Alspach, 
von  D'  J.  Gass,  Strasbourg,  Le  Roux,  1907.  In- 12  de 
68  pages. 

Une  récente  donation  faite  à  la  bibliothèque  du  Grand- 
Séminaire  de  Strasbourg  par  l'arrière-petit-neveu  d'une  des 
dernières  religieuses  d'Alspach,  morte  seulement  en  1842,  à 
Ammerschwihr,  a  permis  à  l'auteur  de  cette  curieuse  brochure 
de  nous  donner  toutes  sortes  de  renseignements  intéressants 
sur  la  vie  liturgique  de  ce  monastère.  Ce  qui  donne  à  ce 
nouveau  travail  du  savant  bibliothécaire  du  Grand-Séminaire 
un  prix  particulier,  c'est  la  gravure  qui  l'accompagne,  seule  vue 
connue  de  l'intérieur  de  l'église  d'Alspach.  Signalons  aussi  la 
notice  biographique  de  Déicole  de  Ligertz,  bénédictin  de 
Murbach,  l'auteur  de  trois  des  livres  liturgiques  décrits  par 
M.  Gass. 

_^  A.  M.  P.  I. 

L.  Stolff.  Deux  documents  relatifs  à  Catherine  de  'Saur- 
gogne^  duchesse  d'Autriche^  comtesse  de  Ferrette  et  d^Al- 
^a^^(  142 1-1424).  Nancy,  Berger-Levrault,  1907.  i  brochure 
in-8°  de  24  pages. 

Dans  le  dernier  numéro  de  la  Revue  nous  avons  présenté 
à  nos  lecteurs  la  publication  de  M.  Stoufï  relative  aux  comptes 
de  Catherine  de  Bourgogne  pour  son  domaine  d'Alsace,, 
extraite  du  trésor  de  la  Cour  des  comptes  de  Dijon.  Le  même 
auteur  vient  d'extraire  du  même  dépôt  deux  documents  nou- 
veaux, non  moins  intéressants  sur  le  même  sujet. 


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LIVRES   NOUVEAUX  563 

Après  la  mort  de  son  époux  Léopold  d'Autriche,  en  141 1^ 
Catherine  de  Bourgogne  eut  à  subir  de  la  part  de  son  beau- 
frère  Frédéric  de  longues  difficultés  pour  la  conservation  du 
domaine  d'Alsace  qui  constituait  son  douaire.  Les  documents 
publiés  par  M.  Stouff  ont  trait  à  ces  difficultés.  Le  premier  est 
un  mémoire  en  français  pour  Catherine  contre  les  héritiers  de 
Léopold  son  mari,  relatif  à  ses  conventions  matrimoniales;  il 
est  daté  du  6  décembre  1421.  Le  second  est  un  compte  alle- 
mand des  dépenses  qu'elle  fit  à  Ensisheim  du  21  septembre 
1423  au  10  janvier  1424,  lors  de  son  retour  en  Alsace,  après 
avoir  définitivement  recouvré  ses  possessions. 

Alsata. 


Der  deutsch'franz'ôsische  Krieg  von  i6j4'l6j§,  Nach  urkund- 
lichen  Quellen  bearbeitet  von  K.  Tschamber.  HQningen, 
Weber,  1906,  268  pages  in-8°,  cartes'). 

L'auteur,  instituteur  à  Huningue  et  auteur  d'une 
histoire  de  cette  petite  ville  de  la  Haute-Alsace,  parue 
il  y  a  quelques  années,  a  voulu  raconter  dans  le  présent 
volume  la  célèbre  campagne  de  Turenne  en  Alsace  et 
sur  les  bords  du  Rhin,  depuis  les  préliminaires  de  la 
campagne  dans  la  province  jusqu'à  la  mort  du  grand 
général.  Tentative  un  peu  ambitieuse  peut-être,  après 
les  très  nombreux  travaux  spéciaux  consacrés  à  cette 
campagne  en  général  ou  à  des  épisodes  particuliers  de 
cette  lutte  qui  dura  de  1674  à  1675,  et  dont  beaucoup 
ont  une  valeur  scientifique  durable  et  plusieurs  des  dimen- 
sions plus  considérables  que  l'ouvrage  de  M.  Tschamber. 
Peu  de  périodes  de  Thistoire  d'Alsace  ont  été  aussi  dis- 
cutées que  celle-ci,  tant  au  point  de  vue  politique  que 
militaire,  par  les  historiens  du  pays,  comme  par  ceux 
de  la  France  et  de  l'Allemagne,  par  les  civils  comme 
par  les  militaires.  Après  Beaurain  et  Peter,  Gérard 
et  Choppin,  Pastenacci,  Liimkemann,  Kortzfleisch  et 
P.  Muller,  il  était  difficile  de  trouver  du  nouveau,  qui 


i)  Nous  empruntons  cet  intéressant  article    (qui   est,    croyons-nous, 
de  notre  éniinent  compatriote  M.  R.  Reuxo,    professeur   à   la  Sorbonne)< 
à  la  Revue  critique  du  30  septembre  dernier. 


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564  REVUE  d' ALSACE 

fût  à  la  fois  exact  et  intéressant.  Ce  n'est  pas  que  Fauteur 
ne  se  soit  mis  consciencieusement  à  l'ouvrage  ;  s'il  a 
réellement  parcouru  tous  les  volumes  et  les  brochures 
énumérées  dans  sa  Bibliographie  —  et  nous  n'avons 
aucune  raison  d'en  douter  —  on  ne  peut  que  louer 
son  zèle  et  sa  patience,  encore  que  bon  nombre  des 
écrits  qui  y  sont  cités,  ne  puissent  à  aucun  titre  figurer 
parmi  les  sources  d'une  étude  scientifique.  M.  T.  a  même 
consulté  quelques  dossiers  dans  certaines  archives  alle- 
mandes, par  exemple  à  Ludwigsburg  et  Stuttgart,  mais 
je  crains  bien  que  ses  trouvailles  sur  ce  point  n'aient 
été  plutôt  fâcheuses  pour  lui,  car  trouvant  parmi  des 
papiers  sans  grand  intérêt  (états  de  présence  de  certains 
régiments,  comptes  militaires),  d'autres  pièces  de  nature 
différente,  telles  que  gazettes  et  feuilles  volantes,  expé- 
diées par  des  fonctionnaires  subalternes,  bruits,  vrais 
ou  faux,  circulant  dans  le  public,  il  s'est  imaginé  un 
peu  naïvement  qu'il  y  avait  là  des  renseignements  iné- 
dits de  haute  importance,  encore  qu'il  n'en  retrouvait 
pas  la  trace  ailleurs.  Il  aurait  dû  se  dire  qu'une  Zeitung 
saugrenue,  pour  être  déposée  dans  un  Staatsarchiv,  n'est 
pas  forcément  un  document  historique  probant;  il  n'aurait 
pas  relevé  par  exemple,  comme  un  fait  particulièrement 
curieux  à  mentionner,  la  fuite  panique  de  Louis  XIV 
et  de  sa  cour  vers  Brisach,  à  la  suite  d'un  raid  inopiné 
'des  Impériaux  et  des  Espagnols  dans  la  Haute-Alsace. 
Je  veux  bien  admettre  que  le  bailli  de  Hornberg  a  cru 
réellement  ce  racontar,  inséré  dans  son  rapport  du 
9  septembre  (p.  22),  mais  qui  n'est  pas  plus  vrai  que 
celui  du  bailli  de  Bretten,  qui,  le  13  septembre,  mande 
que  les  Français  «  ont  rasé  Colmar  jusqu'aux  fonde- 
ments »,  alors  qu'ils  n'avaient  fait  qu'en  démolir  l'en- 
ceinte. Mais  M.  T.,  avec  un  peu  de  réflexion,  aurait 
constaté  qu  aucune  source  —  je  ne  dis  pas  française, 
mais  même  les  sources  allemandes  les  plus  hostiles  au 
roi  de  France  —  ne  sait  rien  d'un  fait  pareil,  ni  les 
Notes  de  Reisseissen,  ni  la  Chronique  de  Walter,  ni 
Jes  chroniques   colmariennes    extraites   par    Rathgeber, 


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LIVRES   NOUVEAUX  565 

ni  la  grande  compilation  du  Tkeatrum  Europœum^  dont 
le  volume  XI,  paru  à  Francfort  en  1682,  raconte  avec 
tous  les  détails  Thistoire  des  années  1672-1679,  et  spé- 
cialement l'itinéraire  de  Louis  XIV  en  août  et  septembre, . 
à  travers  l'Alsace  (p.  530-531),  et  qui  est  dédié  à  l'Elec- 
teur de  Brandebourg,  Frédéric-Guillaume,  le  grand  adver- 
saire de  la  France  à  ce  moment  et  le  héros  de  M.  T. 
Comment  a-t-il  pu  s'imaginer  qu'un  fait  aussi  glorieux 
pour  les  troupes  alliées,  aussi  mortifiant  pour  le  Grand 
Roi,  n'eût  pas  été  raconté  partout,  s'il  s'était  vraiment 
produit?  Il  devra  se  résigner  à  rayer  de  son  récit  de 
la  campagne  ce  fameux  Vorstoss  qui  mit  en  fuite  la 
cour  royale,  et  amena  sa  retraite  nocturne  derrière  les 
murs  de  Brisach.  Au  point  de  vue  de  l'histoire  poli- 
tique, il  y  aurait  plus  d'une  observation  à  faire  sur  ce 
que  dit  l'auteur  de  l'attitude  des  princes  allemands  et 
des  petits  Etats  de  l'Alsace.  Tout  le  récit  s'inspire  trop 
des  tendances  néo-patriotiques  qui  ne  cadrent  pas  tou- 
jours avec  la  réalité  et  même  avec  ce  que  M.  T.  avoue 
lui-même  quand  il  dit  par  exemple  que  la  plupart 
des  Etats  de  l'Empire  ne  se  joignirent  que  contraints 
(gczwungm)  à  l'Empereur  pour  cette  campagne  de  1675 
(p.  213).  L'impression  produite  par  la  conduite  des  alliés,. 
Brandebourgeois,  Hessois,  Brunswickois,  Impériaux,  etc., 
ne  fut  rien  moins  que  favorable,  même  auprès  des  cités 
alsaciennes  les  moins  sympathiques  à  Louis  XIV,  et  les 
chroniqueurs  contemporains  du  pays  ne  se  sont  pas 
fait  faute  de  la  marquer  dans  leurs  écrits. 

Sur  bien  des  points  de  détail  j'aurais  à  présenter 
des  observations  à  l'auteur  dont  je  ne  méconnais  pas 
le  désir  sincère  d'arriver  à  la  vérité,  mais  qui  manque 
de  sens  critique.  C'est  une  légende  apocryphe  que  celle^ 
du  Grand  Electeur  jetant  dans  le  Rhin  l'épée  du  prince 
Emile,  son  fils,  mort  à  Strasbourg  pendant  la  campagne, 
en  repassant  ce  fleuve;  c'est  une  excentricité  de  faire 
dire  à  Louis  XIV,  d'après  je  ne  sais  quel  pamphlet 
contemporain  :  0  wie  beisset  mich  der  Tod  des  Turennel 
au  moment  où  il  apprend  la  catastrophe  de  Sassbach. 


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3  REVUE   D  ALSACE 

r  contre,  il  lui  arrive  de  traiter  de  légende  fabuleuse 
trahison  de  Contarini  à  Dachstein  (p.  194),  alors 
'elle  seule  explique  son  suicide  à  Strasbourg,  raconté 
r  Walter  dans  sa  Chronique  strasboiirgeoisc^  p.  123. 
lis  il  est  inutile  de  s'arrêter  à  ces  menus  détails,  le 
vail  de  M.  T.,  quelque  consciencieux  qu'il  soit,  ne 
uvant  remplacer  ses  nombreux  prédécesseurs  et  ne 
irquant  pas,  à  mon  avis,  un  pas  sérieux  en  avant 
ns  l'historiographie  de  cette  époque  ')• 

R. 


Articles  de  journaux  et  de  revues. 

Revue  catholique  d'Alsace.  Projet  d'une  création  de  faculté 
théologie  à  Strasbourg  en  1823,  par  Laborie. 


Images  du  Musée  alsacien.  IV.  Costumes  de  maîtres  de 
ste  et  de  bourgeoise,  époque  Louis  XVI.  —  Barettes  en 
Te.  —  Schiîlersdorf.  <% 


Annuaire-bulletin  de  la  Société  de   l'histoire  de  France. 

Notice  sur  M.  Himly,  par  le  baron  de  Courcel.  (Avec  de 
îs  remarquables  observations  sur  le  rôle  anti-français  de  la 
ience  allemande). 

Le  Messager  d^ Alsace- Lorraine.  28  septembre.  L'annexion 
Strasbourg  à  la  France  :  un  document  oublié.  —  2  novembre. 
[1  philologue  alsacien  à  ^exposition  de  reliures.  (Le  savant 
chard  Brunck). 


i)  Disons  seulement  encore  que  les  Mémoires  de  deux  voyages  en 
sace  que  Tauteur  cite  sous  le  titre  bizarre  de  c  Memoiren  Engeî- 
yllfus  »  ont  été  édités  par  M.  Joseph  Coudre  et  non  par  M.  Eogel- 
>Iifu8;  que  Fauteur  cité  p.   7  s'appelle  HunkUr  et  non  Hungltr\  que, 

63,  c'est  S.  Altesse  de  Trêves  et  non  pas  S,  A.  de  Treviri  qu'il 
it  lire,  etc. 


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LIVRES   NOUVEAUX  567 

U Autorité  du  2  octobre.  France  et  Allemagne,  par  le 
-général  Grandin.  (Remarquable  article  sur  la  question  d'Alsace- 
Lorraine). 


La  Revue  de  Part  ancien  et  moderne.  T.  XXII  et  XXIII. 
Les  musées  d'Alsace.  —  Les  musées  de  Strasbourg,  par 
A.  Girodie.  (Fragment  du  grand  ouvrage  que  prépare  l'auteur 
sur  l'art  en  Alsace.  En  souscription  chez  Staat,  rue  des 
Serruriers/  Strasbourg). 

Annales  de  PEst  et  du  Nord.  Octobre  1907.  R.  Reuss. 
Notes  sur  l'instruction  primaire  en  Alsace  pendant  la  Révolu- 
tion. (Très  intéressant  article  que  nous  envions  à  nos  confrères 
de  Nancy). 

Revue  alsacienne  illustrée.  III.  1907.  Charles  Dulac,  par 
A.  Girodie.  —  L'Alsace  vue  du  dehors  en  1780.  —  Maison 
d'art  alsacienne. 


Le  Gaulois  du  5  novembre.  A  Sainte-Odile,  par  Fr.  Funck- 
Brentano. 

Signalons  une  nouvelle  publication,  dirigée  par  notre  com- 
patriote, M.  Pierre  de  Thann,  intitulée  :  Notre  Ecole.  Revue 
hebdomadaire  d'enseignement  pour  les  enfants  dans*  leur 
famille.  (Paris,  Rousseau,  rue  Soufflot,  14). 


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TABLE  ANALYTIQUE 

ET  ALPHABÉTIQUE 

DU  TOME  S8«  (1907),   8«   DE  LA   NOUVELLE  SÈME 

DE    LA    REVUE    D'ALSACE 


Nota.  —  Les  noms  en  caractères  gras  sont  ceax  des  anteara  des 
artictes  ;  les  autres,  ceux  des  objets  dont  il  est  question  dans  ces  articles 
ou  des  auteurs  des  ouvrages  analysés,  dont  les  titres  sont  mentionnés 
aussi  à  part  en  italique. 

Abréviatiom  :  C.  R.,  compte  rendu.  — -  Art.,  article.  —  V.,  voyez. 


Une  accusation  contre  les  Jé- 
suites de  Strasbourg  en  1705. 
Art.  par  Jules  Schwartz.  496. 

Alsact'Larraifu^  par  M.  Barrés. 
C.  R.  103. 

Alsace  champêtre.  Le  parfait 
village^  par  C.  Fischer.  C.  R. 

35^- 
Un  ami  du   roi   de   Prusse  à 

Sainte -Marie -aux -Mines  en 

1758.  Art.  par  A.  M,  P.  In- 

goW.'533. 
A   propos   du   Livre  d^or   de 

Soultz.  Art.  par  C.  O.  559. 
Argentorat,   Argentovar.    Art. 

par  A.  Hanauer.  489. 

Les  armoiries  de  la  ville  de 
Rouffach,  art.  par  Th.Walter. 
348. 

Revue  d*Altace,  1907 


M.  Barrés.  Alsace  ^  Lorraine 
C.  R.  103. 

H.  Bardy.  Une  rivalité  éphé- 
mère :  Belfort  et  Thann  en 
1815.  Art.  201. 

De  Beaurepaire-Froment.  Bi- 
bliographie des  chants  popu- 
lair es  français,  C.  R.  295. 

Bibliographie  des  chants  popu- 
laires français^  p.  de  Beaure- 
paire-Froment. C.  R.  295. 

Cernay  sous  les  Mérovingiens. 
Art.  par  C.  Oberreiner.  389. 

Les  combats  de  Cernay  pen- 
dant la  guerre  de  Trente  Ans. 
Art.  par  C.  Oberreiner.  105. 

Comptes  du  domaine  de  Cathe- 
rine  de  Bourgogne  en  Haute- 
Alsaccy  p.  L.  Stouff.  C.R.  487. 

8T 


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S70 


REVUE  D'aLSACE 


Correspondance  entre  le  duc 
d'Aiguillon  et  le  prince  de 
Rohan.  Art.  par  L.  ^hrhard. 
i66,  239,  328. 

Une  critique  de  V Alsace  au 
XVIII*'  sûcie,  de  Ch.  Hoff- 
mann. Art.  par  A.  iM.  P.  In- 
gold.  387. 

La  Direction.    Pro  domo.    Art 

297-  ( 

Der  deutsch'franzos.  Krieg  von  » 

7^7^-75,  par  A.  Tschamber. 

C.  R.  563- 
L.    Ehrhard.     Correspondance 

entre  le  duc  d'Aiguillon  et 

le  coadjuteur  L.  de  Rohan. 

Art.  166,  239,  328. 
L'emplacement  de  la  rencontre 

de  César  et  d'Arioviste  et  le 

Champ  du   Mensonge.    Art. 

par  C.  Oberreiner.  536. 
Un  Encomion  marias  à  Erstein 

en  J704.  Art.  par  A.  M.  P.  1.^ 

557. 
Encore  Grandidier  poète.  Art. 

par  A.  M.  P.  Ingold.  460. 
Les   faïenciers    de   Haguenau. 

Art.  par  A.  Hanauer.  37,  136. 
C.  Fischer.  Le  parfait  village, 

C.  R.  352. 
Mgr,   Freppel,   par  X.  Pavie. 

C.  R.  loi. 
A.  Gasser.    Soldats    alsaciens. 

X.    Le    capitaine    Richard 

Art.  464. 
A.  Hanauer.  Argentorat,  Argen 

tovar.  Art.  489. 
A.  Hanauer.   Les  faïenciers  de 

Haguenau.  Art.  37,  136. 
Hansi.  "  Vogesenbilder,    C.    R. 

486.  \ 

Victor  Henry.    Art.   par   X***< 

194. 
Ch.  Hoffmann.  Les  troubles  de 

1789  dans  la  Haute-Alsace. 

Art.  5,  124,  206,  354,  432. 
A.  I.  Ingold.  Souvenirs  de  M.  de 

Latouche.  Art.  179,  395. 
A.  M.  P.  Ingold.    A  propos  des 

Lettres  de  Schœpflin.  Art.  94. 


A.  M.  I.  Ingold.  Une  critique  de 
V Alsace  au  xviii"  silcle  de 
Ch.  Hoflfmann.  Art.  387. 

A.  M.  P.  Ingold.  Encore  Gran- 
didier poète.  Art.  460. 

A.  M.  P.  Ingold.  Projet  de  vente 
d'une  charge  de  chevalier 
d'honneur  d'église  au  Conseil 
Souverain  d^Alsace.  Art.  541. 

A.  M.  P.  I.  La  restauration  de 
réglise  Saint-Martin  de  Col- 
mar.  Art.  393. 

—  Un  ami  du  roi  de  Prusse  à 
Sainte- Marie- aux- Mines  en 
1758.  Art.  533. 

—  Un  Encomion  morias  à 
Erstein  en  1704.  Art.  557. 

A.  M.  P.  Ingold.    Dom  Lamey. 

C.  R.  487. 
A.  Laugel.  L'œuvre  de  Charles 

Dulac   et   le   mysticisme  en 

art.  Art.  300. 
Une   lettre   de  Victor   Henry. 

Art.  par  (C.  O.).  293. 
J.    Lévy.    Bas    verschwundené 

Dorf  Mauchenheim,     C.   R. 

103. 
M.    Lortet.    Soldats    alsaciens. 

XL  Le  général  Parmentier. 

Art.  548. 
Mélanges   tirés    de    la    biblio- 
thèque H.  Wilhelm.  Art.  par 

E.  Rodé.  155. 
C.  Oberreiner.  Les  combats  de 

Cernay  pendant  la  guerre  de 

Trente  Ans.  Art.  105. 

C.  Oberreiner.  Cernay  sous  les 
Mérovingiens.  Art.  389. 

—  L'emplacement  de  la  ren- 
contre de  César  et  d'Arioviste 
et  le  Champ  du  Mensonge. 
Art.  536. 

(C.  0.).  Une  lettre  de  Victor 
Henry.  Art.  293. 

—  A  propos  du  Livre  (for  de 
Soultz.  Art.  559. 


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TABLE   ANALYTIQUE   ET   ALPHABÉTIQUE 


571 


A.  d'Ochsenfeld.  Les  provinces 
perdues.  Art.  509. 

L'œuvre  de  Ch.  Dulac  et  le 
mysticisme  en  art.  Art.  par 
A.  Laugel.  300. 

Orschweier^  par  Th.  VValther. 
C.  R.  103. 

A.  Pavie.  Afgr,  FreppeL  C  R. 

lOI. 

Pro  Domo,  Art.  par  la  Direc- 
tion. 297. 

Projet  de  vente  d'une  charge  de 
chevalier  d'honneur  d'église 
au  Conseil  Souverain  d'Al- 
sace. Art.  p  A.  M.  P.  Ingold., 

541. 

A  propos  des  Lettres  de 
Schœpflin.  Art.  par  A.  M.  P. 
Ingold.  94. 

Les  provinces  perdues.  Art  par 
A.  d'Ochsenfeld.  509. 

La  restauration  de  réglise  Saint-  ; 
Martin   à  Colmar.    Art.   par 
A.  M.  P.  L  353. 

Une  rivalité  éphémère  :  Bel  fort 
et  Thann  en  1815.  Art  par 
H.  Bardy.   201. 

E.  Rodé.  Mélanges  bibliogra- 
phiques tirés  de  la  biblio- 
thèque H.  Wilhelm.  Art.  15s 

A.  de  Saint-Antoine.  Les  tribu- 
lations d'un  solliciteur,  ou 
Gœtzmann,  d'après  quelques- 
unes  de  ses  lettres  inédites. 
Art.  469,  514. 

Jules  Schwartz.  Une  accusation 
contre  les  Jésuites  de  Stras- 
bourg. Art.  496. 

Soldats  alsaciens.  X.  Le  capi- 
taine Richard.  Art  p.  A.  Cas- 
ser. 464. 

Soldats  alsaciens.  XI.  Le  géné- 
ral Parmentier.  Art.  p.  M  Lor- 
tet.  548. 


Souvenirs  (C Alsace^  p.  A.  Trom- 

bert.  C.  R.  102. 
Souvenirs  de  M.  de  Latouche. 

Art.  par  A.  L  Ingold.   279, 

365- 

Souvenirs  d'un  médecin  stras- 
bourgeois.  Art.  p.E.Wickers- 
heimer.  61. 

Louis  Stouff.  Comptes  du  do- 
maine de  Catherine  de  Bour- 
gogne dans  la  Haute-Alsace 
C.  R  487. 

Les  tribulations  d'un  solliciteur, 
ou  Gœtzmann,  d'après  ses 
lettres  inéaites.  Art.  p.  A.  de 
Saint-Antoine.  469,  514. 

A.  Tschamber.  Der  deutsch- 
franzos,  Krieg  von  iôj^-yj. 
c.  R.  563. 

A.  Trombert.  Souvenirs  d'Al- 
sace. C.  R.  102. 

A.  Touchcmoulin.  Art.  par 
H.  Wcisgerbcr.   198. 

Les  troubles  de  1789  dans  la 
Haute- Alsace.  Art.  par  Ch. 
Hoffmann.  5,  124,  206,  354, 
432. 

Das  verschwundene  Dorf  Aîau- 
c/ienheim^  par  Pabbé  Lc\  y. 
C.  R.    lo^î. 

Vogesenbilder^  par  Hansi.  C.  R. 
486. 

Th  Walter.  Les  armoiries  de  la 
ville  de  Rouffach.    Art.  341. 

Walter.  Orschweier.  C.  R.  103. 

H.  Weisgerber.  Alfred  Touche- 
moulin.  Art.  198. 

E.  Wickersheimer.  Souvenirs 
d'un  médecin  slrabbourgeois 
du  xvui'^  siècle.  Art.  61. 

X***  Nécrologie.  Victor  Henry. 
164. 


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TABLE  DES  SOMMAIRES 

DU  TOME  B8«  (1907),  8«  DE  LA  NOUVELLE  SÉRIE 


DE   LA    REVUE    D'ALSACE 


Première  livraison.  —  Janvier-Février. 

Pi 

Ch.  HOFFMANN.  Le8  troubles  de  1789  dans  la  Haute- 
Alsace  5 

A.  HANAUER.    Les  Faïenciers  de  Haguenau  (suite) 37 

Er.  WICKERSHEIMER.  Souvenirs  d*un  médecin  straahourgeois 

du  XVIII»  siècle 61 

A.  M.  P,    INGOLD.     Variété»  :    A    propos    des    Lettres    de 

Scbœpflin 94- 

Livres  nouveaux.  Les  grands  hommes  de  TEglise  au  Xix*  siècle  : 
X.  Mgr.  Freppel  (A.  M.  H.  1.).  —  Souvenirs  dV  Isuce 
(A.  I.).  —  Das  ver^chwundene  ni»rf  Mauchenheim  bei 
Markolsheim.  —  Orschweier  :  Ein  Beitrag  zur  Gescbichte 
der  Dorfschaften  in  der  ehemaligen  Obermundat.  — 
Alsace- Lorraine.   —  Articles  de  revues  et  de  journaux..    10 1- 


Deuxième  livraison.  ^  Hars^AvriL 

C.  OBERREINER.    Les  combats  de  Cernay  pendant  la  Guerre 

de  Trente  ans 1 05- 

Ch.  HOFFMANN.    Les  troubles  de  17S9  dans  la  Haute- Alsace 

(suite) 124. 

A.  HANAUER.    l^ee  Faïenciers  de  Haguenau  (suite  et  fin)..    136* 

E.  RODE.    Mélanges  bibliographiques  tirées  de  la  bibliothèque 

Henry  Wilhelm 1 55. 

D^  L.  EHRHARD.    Correspondance  entre  le  duc  d'Aiguillon 

et  le  prince-coadjuteur  Louis  de  Rohan  (suite) i66-i 

Nécrologie,     I.  Victor  Henry  (X***).  —  II.  Alfred  Touchemolin 

(H.  Weisgerber) 1 94-: 


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REVUE  d' ALSACE 

Troisième  livraison.  —  Mai-Juin. 

Page» 
ARDY/   Une    rivalité    éphémère  :  Belfort    et   Thann 

815 201-205 

FMANN     Les  troubles  de  1 789  dans  la  HauteAlsace 

e) 206238 

iRHARD.    Correspondance    entre  le  duc  d^Aiguillon 

I  prince-coadjuteur  Louis  de  Rohan  (suite) 239-278 

jOLD.    Souvenirs  de    1816.  Journal  d'un  habitant  de 

lay    (suite) 279-292 

Une  lettre  de  Victor  Henry 293-294 

ouveanx.  Répertoire  biographique  de  PEpiscopat 
titutionnel  (1791-1802).  —  Bibliographie  des  Chants 
ilaires  français.  —  Articles  de  revues  et  de  journaux.    295-296 


Quatrième  livraison.  —  Juillet-Août. 

:tion.    Pro  Domo 297-299 

UOEL.     L'œuvre  de  Charles  Dulac  et  le    mysticisme 

rt 300-327 

iRHARD.    Correspondance  entre  le  duc    d'Aiguillon 

;  prince-coadjuieur  Louis  de  Rohan  (fin) 328-347 

..TER.     Les  armoiries  de  la  ville  de  Rouffach    (avec 

ss'ns) 348-353 

^FMANN.  Les  troubles  de  1 7S9  dans  la  Haute- 
ce  (suite) 254-386 

I.    Une    critique    de    V  4isace    nu    xviii"    siicU    de 
Hoffmann  (A  M  P.   Ingold).    —    II.  Cernay  sous  les 

►vingiens  (C.  Oberreiner) 387-390 

uueiux,  Sarreguemines  au  xvn«  s  ècle.  —  Un  peintre 
lien  :  Clément  Falier.  —  Notice  biographique  hur 
st  Blech.  —  Spéculum  humana  saivalionis^  etc.  — 
logue  dt3  Coléoptères  de  la  chaîne  des  Vosges  et  des 
)n8  limitrophes.  —  Alsace  champêtre  :  Le  parfait 
ge.  —  Articles  de  revues  et  de  journaux 39i"392 


Cinquième  livraison.   -  Septembre-Octobre. 

I.    La    restauration    de    Péglise    de    Saint-Martin    de 

jar  (avec  une  gravure) 393"394 

jOLD.  Souvenirs  de  1817-1824.  Journal  d'un  habitant 

:ernay  (fin) 395-431 

FMANN.    Les  troubles  de  1 789  dans  la  Haute-Alsace 

432-459 

Encore  Grandidier  poète 460-463 

ER.    Soldats    alsaciens    :    X.    Le    capitaine    Richard 

0-1875) <••    464-468 

,,,     Les    tribulations    d'un    solliciteur,    ou    Gœtzmann, 

rès   quelques-unes  de  ses  lettres  inédites  . .  . , 469-485 


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TABLE  DES   SOMMAIRES  '^'^•^ 

Pi 
Ltxffes  nouveaux,  Vogesenbilder,  lo  Zeicbnnngen  von  Hansi 
(A.  G.).  —  Dom  Mayeul  Lamey,  prieur  majeur  de  Cluny 
(Alsata).  —  Comptes  du  domaine  de  Catherine  de  Bour- 
gogne, duchesse  d'Autriche,  dans  la  Haute-Alsace.  — 
Articles  de  revues  et  de  journaux 486' 


Sixième  livraison.  —  Novembre-Décembre. 

A.  HAXAUER.    Argentorat,  Argentovar 489 

Jules  SCHWA^TZ.    Une   accusation    contre    les  Jésuites  de 

Strasbourg  en   1 705 496 

A.  d'OCHSENFELD.    Les  provinces  perdues 509 

^     *     «      Les  tribulations  d'un   solliciteur,    ou  Gœtzmann, 
d'après  quelques-unes  de  ses  lettres  inéd.tes  (6n) $'.4 

A.  M.  P.  I.    Un  ami  du  roi  de  Prusse  à  Sainte-Marie-aux-Mines 

en   1758  (3  lettres  inédites  de  Schœpflin) 533 

C.  OBERREINER.    L'emplacement   de    la   rencontre  de  César 

et  d'Arioviste  et  le  Champ  du  mensonge 536' 

A.  M,  P.  INGOLD.    Projet   de   vente* d'une  charge  de  cheva- 
lier d'honneur  d'Eglise  au  Conseil  Souverain  d'Alsace  au 
XVIII*  siècle 541- 

M.  LORTET.   Soldats  alsaciens  :  XL  Le  général  Parmentier.    548- 
Variétés,    1.  Un  Encomion  marias  à  Erstein  en  1 704  (A.  M.  P.  I.). 

IL  A  propos  du  €  Livre  d'or  »  de  Soultz  (C.  O  ) 557- 

Livres  nouveaux,  Verôffentlichungen  aus  dem  Stadtarchiv  zu 
Colmar  (A.  M.  P.  L).  —  Alte  BUcher  und  Papiere  aus 
dem  Clarissenkloster  AIspach  (A.  M.  P.  l.)>  —  Deux  docu- 
ments relatifs  à  Catherine  de  Bourgogne  (Alsata).  — 
Der  deutsch-franzôsische  Krieg    von    1674-1675   (R.).   — 

Articles  de  journaux  et  de  revues 56 1  • 

Table  analytique  et  alphabétique  de  l'année 569 

Table  des  sommaires,  des  gravures  et  du  Supplément 573- 


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TABLE  DES  GRAVURES 


Marque  du  faïencier  Hannong,  page  54. 
armoiries  de  Rouffach,  pages  300  et  351. 
ntérieur  de  l'église  de  Colmar,  page  393. 


TABLE  DU  SUPPLÉMENT 


de  Holdt,  tome  III. 

't  de  Trente  Ans  à  HaguenaUy  feuilles  i  à  8. 


»IM  (ALSACI).   —   TyPOOBAPHIB   F.   SOTTBR   &   CiB 


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