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REVUE D'ALSACE
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COLLABORATEURS
DE LA REVUE D'ALSACE
H. Bardy; Berdellé; Tabbé I. Beuchot; J. Bourgeois
Charpentier-Page; A. Chauvin, supérieur de récole Mas-
sillon: Mgr. Chèvre, curé-doyen de Porrentruy; A. Chuquet,
professeur au collège de France; Dom G. de Dartein;
Adrien Dollfuss; Dubail-Roy; D^ L. Ehrkard; Engel;
A. Gasser, directeur de la Revue; Ed. Gasser; A. Gendre ;
Mgr. Guthlin; R. Guyot; Pabbé Hanauer; P. E. Helmer;
V. Henry, professeur à la Sorbonne; AngelIngold, directeur
delà Revue; A. M. P. Ingold ; E. Kellbr, ancien député;
Ch. Kœnig; Ans. Laugel; Léon Lefébure, membre de l'Insti-
tut; M. le pasteur Lehr; J.Lévy; C. Oberrbiner; Ch. Pfister,
professeur à TEcole normale supérieure de Paris; R. Reuss,
professeur à la Sorbonne ; Vicomte de Reiset; Th. Schœll;
G. Schlumberger, membre de l'Institut; Jules Schwartz;
G. Spetz; l'abbé Jules Wagner; Th. Walter; A. Waltz,
bibliothécaire de Colmar ; D' Weisgerber; E. Wetterlê,
député au Reichstag ; J. Wirth, etc» . . ., etc. . . .
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REVUE
D'ALSACE
Fondateur : JOSEPH LIBLIN
DIRECTEURS :
A. GASSER ET A. INGOLD
QUATRIÈME SÉRIE : HUITIÈME ANNÉE
TOME LVIII" DE LA COLLECTION
PARIS
A. Picard, rue Bonaparte^ 82
Mantoche
COLMAR
^HauU- Saône)
Place neuve, 8
1907
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77^
Han-ard Col!e;.^e Library
APR 18 1908
Holicnzol'ici-n CnDection
Giftof A. f,. C.:---".K!sçe
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LES TROUBLES DE 1789
DANS LA HAUTE -ALSACE
CHAPITRE PREMIER
Fermentation générale. — Le maréchal de Stainville. — Les impositions
seigneuriales. — La Commission dénonce publiquement Piantililé
des Bureaux. — Réflexions du Bureau de Colmar. — L'autorité
est déconsidérée. — Insurrection. — Arrêt du 3 juin. — Récla-
mations des Bureaux. — Intervention de Renbell et des dépntés
d* Alsace.
Ce n'était pas seulement dans les classes supérieures
^e la société que Ton dénonçait c le despotisme ministé-
riel >, que l'on s'élevait contre c le régime vicieux
«t l'administration arbitraire » de Flntendant, que l'on
condamnait les < vexations > des seigneurs et de leurs
officiers. L'Administration provinciale, qui s'était donné
la mission de redresser tous les torts, avait beaucoup
-contribué, par ses excitations, à vulgariser ces idées, à
les répandre parmi le peuple ; de sorte que le paysan,
devenu défiant, voyait des abus partout. Il avait entendu
•et retenu le chiffre énorme des Impositions et des taxes
«qu'il payait seul. Aussi les droits seigneuriaux, les privi-
lèges et les exemptions, qu'il ne pouvait s'expliquer,
lui paraissaient plus clairement que jamais comme autant
<i*injustices, même d^iniquités, rendant plus intolérables
les charges qu'il supportait. Et comme le fardeau, qui
lui pesait si lourd, était le même dont souffraient ses
pareils, il s'ébaucha chez cet homme c une idée neu^ne.
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6 REVUE D ALSACE
celle d'une multitude opprimée, dont il fait partie, d'un,
grand troupeau épars bien loin au-delà de Thorizon
visible, partout malmené, affamé, écorché > ») par tous
ceux, quels qu'ils fussent, qui lui paraissaient vivre à
ses dépens.
Cet homme, d'abord ombrageux, devint bientôt
injuste et violent. On lui avait donné l'espoir d'un
prompt changement, d'un soulagement très prochain;
il se persuade, on lui a persuadé qu'il y a droit; et,
comme la nouvelle administration lui offrait le moyen
d'en hâter l'avènement, il attaqua sans ménagement ses
contradicteurs immédiats et intéressés, les prévôts, les
préposés et leurs soi-disant complices, les officiers de
justice. Ce ne furent plus, depuis ce moment, que des-
dissensions dans toutes les communautés, entre les anciens
et les nouveaux administrateurs, nous l'avons vu précé-
demment; et les esprits échauffés, passionnés, poursui-
vaient leur querelle avec toute l'ardeur, l'acharnement,
l'obstination, mais aussi avec toute la ruse du paysan.
C'était au plus fort de la lutte qu'eurent lieu les
élections aux Etats généraux et que chaque assemblée
de communauté rédigea son cahier de doléances. Dès
lors plus d'hésitation, ni de doute. Si le Roi lui-même
convoquait toutes les communautés, les consultait, les
invitait à lui faire parvenir < leurs vœux et leurs récla-
mations >, c'est parce qu'il avait la ferme intention de
les soulager, c'est parce qu'il voulait faire droit à leurs
justes revendications, et entendait officiellement les
encourager à poursuivre la voie dans laquelle elles
s'étaient engagées, malgré les difficultés et les obstacles^
que les représentants ordinaires de l'autorité, en oppo-
sition évidente avec la pensée du maître, n'avaient
cessé de leur susciter. Aussi les communautés conti-
nuèrent à s'assembler sans la permission de l'Intendant
comme l'eussent exigé les ordonnances, bien que les
i) Taine, Les origines de ia France contemporaine; la Révolution y,
I, chap. 1.
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LES TROUBLES DE I789
Opérations électorales fussent terminées dès longter
Les plaintes et les récriminations de chacune d*e
très diverses dans la forme, étaient à peu près ic
tiques au fond ; et, comme il n'y a rien qui un
les hommes autant que la communauté d'intérêts, i
se mirent en relation les unes avec les autres et s'e
taient mutuellement à faire valoir et à soutenir h
réclamations : de là une fermentation générale.
Dès le 30 avril, quelques semaines à peine aj
les élections, le maréchal de Stainville, commanc
supérieur de la province, fit publier et afficher pari
une ordonnance dans les deux langues, renouvelant
défenses de son prédécesseur, en date du 24 juin i;
contre les assemblées illicites. Il était informé, disai
de l'esprit d'insubordination qui se répandait parte
sous prétexte d'assemblées permises par le Roi p
l'élection des députés, on excite le trouble et la
mentation dans les communautés. Aussi il interdit t
attroupement, rassemblement ou réunion quelcon*
sans passe-port signé de lui ou de l'Intendant, à pe
d'arrestation immédiate pour les contrevenants')-
Le maréchal ne se borna pas à faire publier C(
ordonnance; il crut devoir payer de sa personne
visiter lui-même son commandement. Nous n'avons
de renseignements très précis sur sa tournée d'insp
tion ; nous savons seulement que le 1 5 mai il étai
1) • Etant informé que l'esprit de mutinerie et d'insubordinatio
répand depuis quelque temps dans plusieurs endroits et que sou
prétexte des assemblées qui ont été autorisées par le Roi pour Vélet
des députés aux Etats généraux, des malintentionnés se croient pe
de les continuer pour exciter le trouble et la fermentation, étant n^
saire pour le bon ordre et la tranquillité publique de prévenir les pro
• de tels abus, renouvelons les défenses précédemment faites par
donnance de notre .prédécesseur, en date du 24 juin 1777, de
attroupements ou assemblées illicites, ainsi que de toute députi
quelconque par troupe ou autrement, soit en Alsace, soit ailleurs,
y être duement autorisés, ou munis de passe-port de nous, ou
l^Intendant de la province, sous peine d*étre arrêtés et remis aux j
qui en doivent connaître,, pour être punis suivant l'exigence du es
a rigueur des ordonnances ». (30 avril i 789).
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O REVUE D ALSACE
Neuf-Brisach; le r/ il arriva à Colmar, refusa les hon-
neurs militaires dûs à son rang et se contenta d'un
piquet de dragons qui lui servit d'escorte. Le i8, le
maréchal se rendit à Munster et sans doute à Turck-
heim •), où sa présence ne dut pas être inutile pour le
rétablissement de la paix. Il revint le même soir à
Colmar et repartit précipitamment pour Strasbourg où
le rappelaient des affaires pressantes, car il ne rendit
pas même à Messieurs de la Cour la visite qu'il en
avait reçue, mais pria le premier Président de leur
exprimer tous ses regrets et se promit de les en dédom-
mager à son prochain retour. Malheureusement il ne
put tenir sa promesse, parce qu'il mourut subitement
à Strasbourg, le i" juin, à deux heures du matin 2).
Cependant, ni l'ordonnance, ni les efforts personnels
du maréchal ne produisirent grand effet. Le bruit s'était
en effet répandu et avait été favorablement accueilli
partout que désormais on n'était plus obligé de payer
aucun impôt, jusqu'à ce que les députés, envoyés à
Versailles, fussent de retour dans leurs foyers. Comme
on assurait avec persistance que telles étaient les véri-
tables intentions de Sa Majesté, et qu'on refusait, surtout
à la campagne, d'acquitter les dîmes et les impositions,
la Commission intermédiaire crut devoir donner le
démenti le plus catégorique à ce bruit, dans un arrêté
en date du 20 mai 1789. Elle fit observer que les
besoins de l'Etat n'avaient pas diminué par le seul fait
i) Car il profita de cette occasion pour visiter les dis villes dont
il était grand-préfet, visite qu*il avait dû remettre jusque-lè.
2) Le maréchal logea chez Madame de Boug, femme de feu le
premier Président. Dèt son arrivée il fit visite à M. de Spon. A l'assem-
blée des Chambres du 1 5 mai, la Cour avait décidé qn*on recevrait le
maréchal de Stain ville comme on avait reçu autrefois le maréchal des
Contadts : visite en robe de tous Messieurs dans la matinée, après que
le commandant aurait envoyé ou se serait rendu en personne ehex le
premier Président, et à condition qu*il rendit lui-même visite pea après
à tous Messieurs. La Cour décida à ce propos qa^on ne ferait plus
de visite en robe, ni aux évèques, ni aux commandants, et, sans vouloir
se lier à ce cérémonial, elle adopta pour Tavenir le petit costume : petit
manteau et cravate, que Ton avait revêtu en 1770, lors du passage de
la Dauphine à Colmar.
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LES TROUBLES DE I789 9
<les élections et qu'ils exigeaient impérieusement le
recouvrement immédiat de l'impôt. Sans doute on devait
-espérer que les Etats généraux soulageraient efficace-
ment les maux dont on se plaignait partout; mais il
fallait attendre ce résultat avec confiance et soumission.
C'est pourquoi, selon les instructions qu'elle avait reçues,
elle enjoignit aux collecteurs d'employer < les moyens
les plus rigoureux > contre ceux qui montreraient de
la mauvaise volonté, et ordonnait aux municipalités, à
peine d'être l'objet de la plus grande sévérité, de ne
retarder la répartition sous aucun prétexte. Le 22 du
même mois, le Bureau de Colmar stimula le zèle des
syndics par une circulaire spéciale : il apprenait, disait-il,
que l'assiette et le recouvrement des impositions avaient
éprouvé de si grands retards que les communautés et
même les syndics personnellement étaient menacés de
poursuites de la part des baillis de département. 11
ordonnait en conséquence que les syndics, ou, à leur
défaut, un membre de la municipalité présentassent
aux baillis dans la huitaine, au plus tard, les rôles pour
les rendre exécutoires, et vérifiassent désormais de
quinzaine en quinzaine les registres des collectes pour
•constater l'état des recouvrem-^nts. De plus, afin de
-dissiper tous les doutes, il alïirma dans l'arrêté du 28
que convocation aux Etats généraux ne signifiait pas
du tout permission, autorisation de ne plus payer l'impôt.
Il est probable que les autres Bureaux de la province
prirent des mesures analogues pour activer le recouvre-
ment des contributions en retard et vaincre la mauvaise
volonté, l'inertie des contribuables et peut-être la conni-
vence des municipalités. Toutefois leurs efforts échouèrent
•complètement, en grande partie, on peut le croire du
moins, par la faute de la Commission intermédiaire.
Nous avons suffisamment fait connaître précédemment
les nombreux et puissants adversaires de la nouvelle
Administration provinciale. L'Intendant la voyait d'un
mauvais œil, parce qu'elle amoindrissait son pouvoir ;
le Conseil souverain s'était refroidi à son égard, parce
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lO REVUE 1>ALSâCK
qw^ene 30 souciait assez peu de la légalité; les seigneurs
et les piinces la combattaient ouvertement, parce qu'elle
ne respectait pas les droits qu'ils prétendaient tenir des
traités publics; les prévôts, préposés, magistrats des
villes lui étaient hostiles, parce qu'elle réduisait leurs
attributions en leur opposant des municipalités; et tous
ces adversaires réunis cherchaient à lui aliéner les sym-
pathies de l'opinion, en l'accusant à tort ou à raison,
dans une foule d'écrits, de brochures et même de
pamphlets, de ruiner la province par une mauvaise
administration, ou tout au moins par une administration
mal entendue, et de grever annuellement le budget
d'une somme assez ronde, parce qu'elle coûtait fort
cher, tout en prétendant administrer à bon marché et
pour ainsi dire gratuitement.
Dans ces conditions, il semble réellement que la
Commission intermédiaire ait été prise de vertige en
publiant, à la veille des élections pour les Etats géné-
raux, son projet d'établissement des Etats provinciaux
en Alsace. Au lieu de réunir comme en un faisceau
les différents corps qui composaient l'Administration,
afin de combattre avec plus de facilités les ennemis
communs, elle jetait de propos délibéré la division dans
son propre camp, en dénonçant linutiiité des Bureaux
de district, dont elle demandait la suppression! Car
prétendre que les Bureaux coûtaient cher^ qu'ils étaient
un rouage inutile et dispendieux^ c'était non seulement
. discréditer l'Administration tout entière, puisqu'on tenait
tant à passer pour une administration gratuite, mais
encore déconsidérer particulièrement les Bureaux aux
yeux de ceux-là mêmes sur lesquels ils avaient quelque
influence, paralyser leur action, surtout les blt^sser eux-
mêmes au vif et cimenter d'une singulière façon la paix,
l'union, l'harmonie qu'elle leur recommandait sans cesse
avec tant d'instance.
La Commission s'était hâté de mettre au jour son
projet, pour deux raisons. D'abord elle voulait préparer
de loin les esprits à la suppression des Bureaux, les
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LES TROUBLES DE 1789
habituer à cette idée, afin d'éviter le mauvais effet
la secousse que cause toujours la surprise ; puis <
pensait que les assemblées, convoquées pour élire
députés aux Etats généraux, auraient également à
prononcer sur l'établissement des futurs Ktats pro\
ciaux d'Alsace. Mais sur ce dernier point, du mo
elle se trompa, nous le savons. Au surplus, les préoc
pations du moment et la nouveauté d'élections (|uc l
voyait pour la première fois, avaient quelque \
détourné pour Tinstant l'attention publique de ce
question.
Cependant les six Bureaux de la province n'oublier
rien ; et, aussitôt qu'ils en trouvèrent l'occasion ou
moment, ils protestèrent contre le Mémoire de
Commission et les accusations dirigées contre eux.
paraissent tous avoir approuvé les Réflexions du Bun
de Colmar, dont ils avaient reçu communication, d'
on envoya un exemplaire à Neckcr (24 avril) et c
l'on fit imprimer pour être répandues dans le pub
après en avoir retranché toutefois < tout ce qui é
trop vif>. Elles sont datées du 28 mars; en voici i
courte analyse : La Commission, dit le Bureau, vi
encore une fois un article fondamental des Instructi
du Roi qui lui interdit de rien prescrire, de r
faire, si ce n'est par la voie des Bureaux, ou les J
reaux entendus; parce que ceux-ci sont le lien nécessî
qui relie les municipalités à l'Assemblée provinciale,
sorte que toute la province doit tenir les projets «
a:tes émanés de la Commission, pour «le résultat ce
biné des vœux des différents Bureaux». La Commissi
si scrupuleuse à exiger l'observation des rcglemc
quand il s'agit des districts, s'en affranchit elle-mé
« avec une continuité qui a dû affecter ses colla
rateurs > >).
1) Le Bureau publia ses Réflexions (qui renfermaient ses vues
Torganisation à donner aux futurs Etais provinciaux)^ sans prei
l'avis, ou demander l'autorisation de la Commission intermédiaire, p
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12 REVUE D ALSACE
Si elle avait simplement proposé la suppression des
Bureaux, on aurait pu lui démontrer qu'elle se tompait
-dans ses calculs et qu'elle ouvrait la porte à Tintrigue;
mais, elle va plus loin, elle dénonce publiquement à
la province leur inutilité et les frais qu'ils occasionnent.
Les Bureaux avaient le droit d'attendre une tout autre
récompense de leur zèle et de leur patriotisme ; et la
Commission aurait dû se souvenir que, sans leur con-
cours, elle n'aurait jamais pu instruire sérieusement les
affaires qui lui étaient soumises. D'ailleurs quoi qu'elle
fasse, quoi qu'elle dise, elle ne peut en aucune façon
leur refuser < quelque part à la gloire que ses premiers
travaux lui ont acquise >.
D'autres voix, après elle, ont depuis réclamé avec
énergie leur suppression. Mais est-il vrai qu'ils soient
inutiles.^ Veut-on obliger les particuliers à faire le voyage
de Strasbourg pour y traiter chaque affaire qui les
-concerne et à constituer dans cette ville des solliciteurs.^
Veut-on envoyer de Strasbourg, jusque dans les parties
•de la province les plus reculées, des commissaires-
enquêteurs, ou suivre les errements tant critiqués de
l'Intendance qui fait instruire par le canal des baillis
de département, même quand il s'agit d'affaires qui
ne souffrent aucun retard ^ Les membres des nouveaux
'bureaux de district, dont vous proposez la création,
ne seront à vrai dire que des facteurs chargés de rece-
voir les requêtes des parties et de distribuer les arrêtés
-de la Commission. Assurément, dans les Bureaux actuels,
personne ne voudrait de cette commission que remplira
•bien mieux le premier venu des commis des postes, à
lui tout seul ; de sorte que quatre personnes pour com-
poser ces bureaux de création nouvelle, sont tout au
-moins un vrai superflu.
-que, on chacun, tout sujet du Roi, avait été invité par le Roi lui-même
À publier librement ses idées sur le bien général, en particulier du
-royaume comme de la province. (Registres du district, 28 mars 1789).
Mais pourquoi le Bureau ne voulait-il pas reconnaître k la CommissioA
•^ie même droit ?
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LES TROUBLES DE 1789
La répartition des impositions exige la connaissan
< de la force des communautés et de la relation da
laquelle elles se trouvent avec celles qui concoure
pour le même pied de lOO livres» i). Si vous voul
revenir à l'ancien système, une seule personne sufiS
pour faire toute la besogne, et les injustices, dont (
se plaint si vivement, se reproduiront nécessairemer
Pour les chemins, ponts et chaussées, canaux, digue
rivières, églises, presbytètes, édifices publics, etc.,
faut constater les besoins et les ressources des localité
la fidélité des devis, il faut surveiller les architecte
entrepreneurs, employés, et contrôler les travaux, et
Vous avez supprimé les inspecteurs de bâtiments, q\
quelques Bureaux avaient créés, sous prétexte qu'
coûtaient trop cher. Or sous peine de rendre tou
surveillance, tout contrôle impossible, vous serez oblig
de vous fier aveuglement à tout le monde, ou (
rétablir sur un large échelle le système des inspecteui
L'administration des forêts communales exige une co
naissance des lieux, du sol des localités que jamais 1
nouveaux commiasaires ne pourront acquérir, et voi
n'ignorez pas les embarras qu'ont causés et que cause
encore les forêts ! Poiytr examiner avec fruit les compt
des communautés, au nombre de 1200 au moins da
la province, il faut entrer dans le détail des baux, d
adjudications, etc.^ or la nouvelle commission ne
pourra pas évidemment, et devra tout abandonner
des employés qui feront ce qu'ils voudront. D'aut
part les membres des futurs Etats, comme ceux c
leur Commission, ne pouvant s'éclairer par le moy<
des districts ou des Bureaux que l'on supprime, sero
toujours à la merci des commissaires de district, do
le rôle sera tout à fait passif, des baillis de départ
ment et surtout des employés du secrétariat, alo
véritablement tout-puissants.
i) Voir tnr le pied -cent : L'Alsaa au xviii* tsècU, tome
p^ 431 et 9^
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14 , RKVUE D ALSACE
Le Bureau expose alors ses vues sur Torganisation
à donner aux futurs Etats provinciaux, vues que nous
analysons en note pour plus de brièveté, et termine
en rappelant les services qu'a rendus l'Administration
actuelle, telle qu'elle est composée, surtout en ce qui
regarde les forêts et les impositions. Il remarque que
le projet de la Commission rend complètement inutile
le travail déjà fait en vue de la confection d'un nouveau
-cadastre, si nécessaire pour une répartition équitable des
contributions. Enfin il n'oublie pas d'observer que les
membres des Bureaux ont payé de leurs personnes à
l'occasion, et que la confiance personnelle a levé les
plus grosses difficultés « dans un temps ou les chocs
•d'autorité, l'intrigue, les intérêts particuliers, et tout en
un mot a concouru à croiser l'Administration •. Suppri-
mer les Bureaux, c'est donc détacher une roue de
TAdministration, une roue qui n'embarasse jamais, mais
<jui ralentit seulement une marche trop précipitée «).
i) Les manicipalités devraient remplaber purement et simplement les
Gerickts. Le prévôt les présiderait et le syndic n*aurait pliis le droit que
-de requérir et de (aire exécuter les arrêtés sous la surveillance des
prévôts, qui auront de plus la police et veilleront aux intérêts des
seigneurs. La province restait divisée en six districts, subdivisés chacun
en six arrondissements, subdivisés eux-mêmes chacun en quatre divisions
égales sous le rapport de la population. Chaque division nommait on
délégué par loo feux; ces délégués, réunis au cheMieu de l'arron*
•dissement, se réduiraient par la voix du scrutin au dixième, lequel
dixième élirait deux députa du tiers. Le clergé et la noblesse de Tarron-
dissement éliraient également un député de chaque ordre. Tous ces
députés des trois ordres se réuniraient au chef-lieu du district et choi-
siraient parmi eux les députés aux Etats provinciaux en se réduisant
à la moitié, de sorte que les Etats compteront \% memlM-es, savoir 3
<de Tordre du clergé, 3 de la noblesse et 6 du tiers pour chaque district.
Les Etats nommeront la Commission intermédiaire et les Bureaux; la
première sera présidée par le président des Etats et comptera orne
membres et quatre adjoints; les seconds seront composés de quatre
membres et choisiront leur président et leurs procureurs syndics. Les
"Etats, comme la Commission et les Bureaux, resteront di*alM>rd trois
années en fonction, puis se renouvelleront par tiers tous les ans. Les
memiN-es sortants de la Commission seront remplacés par des membres
sortant de Bureaux. Les frais de cette administration (traitements, indemni-
tés, frais de bureaux et de déplacement, etc.) étaient estimés à la somme
ronde de 1 33.000 livres. Les attributions rei^>ectives des Bureaux et de
4a Commission demeuraient telles que les avaient déterminées les édita
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LES TROVVLWS DE 1789 15
La scission qui s'était produite au sein de l'Admi-
mistration provinciale, ainsi devenue notoire, publique,
ne pouvait que déconsidérer aux yeux de tous, les
Bureaux comme la Commission, et ruiner le peu de
■crédit qui leur restait. On s'explique donc que leurs
ordres, malgré les menaces de rigueur qui les accom*
pagnaient, aient été moins respectés que jamais, et que
4'invitation de procéder sans délai au recouvrement des
impositions en retard ne produisît à peu près aucun
résultat. A cette époque de surexcitation et de trouble,'
il eût fallu à la tête des affaires des hommes unis de
•cœur et d'idées, mus par une seule volonté et ne pour-
suivant qu'un seul but. Mais alors ^autorité incertaine
et flottante était avilie et méprisée, et tous ses repré-
sentants, aux degrés inférieurs surtout, jaloux les uns
des autres, ne songeaient à se servir de leur pouvoir
que pour se faire valoir et se contrarier mutuellement.
Sur la demande de la Commission intermédiaire,
l'Intendant venait de prononcer les condamnations dont
nous avons parlé parlé précédemment, dans l'intention
'de statuer quelque exemple, mais bien inutilement,
nous le savons; et le Bureau de Colmar, découragé,
-avait supplié la Commission de venir au secours des
municipalités, tellement abandonnées, que leur existence
tenait du prodige : on ne croyait plus, disait-il, à l'appui
de l'autorité supérieure, dont les arrêtés, « même les
plus forts > , pouvaient être impunément foulés aux
pieds ! Mais ce fut pis encore après que le malencon-
>treux projet de la Commission et les Réflexions des
Bureaux, répandues partout, eurent dévoilé au public
4es divisions intestines de l'Administration. Ainsi le
Bureau de Colmar, se sentant désarmé et sans force
ven présence de délits forestaux qui se multipliaient
dans le district d'une manière inquiétante, réclamait
de 1787. Nous ne voulons pas dire qae ce projet fût irréprochable;
maU U avait da moins cet avantage, qu'en modifiant la composition des
«municipalités et les attributions des syndics, il semblait pouvoir ramener
»la paix dans les communautés.
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l6 REVUE D'ALSACE
instamment, le 29 avril, Tintervention du Procureur
général en des termes qui étaient l'aveu de son impuis-
sance : < Les désordres qui se commettent dans les^
forêts avec une licence qui tient de la révolte contre
l'autorité, ne sauraient être arrêtés sans employer des
moyens extraordinaires. Nous réclamons ceux que votre
sagesse trouvera efficaces». Le même Bureau fut insulté
et bravé en face par les gens de Pfaffenheim san»^
obtenir jamais la moindre satisfaction. Le prévôt et le
Gertcht de cette communauté prétendaient à l'adminis-
tration exclusive des forêts communales; ils avaient
confié les fonctions de garde-marteau provisoire à l'un
des préposés, nommé Sébastien Kueny, et ne recon-
naissaient point le sieur Frick qu'avait nommé à titre
définitif la municipalité et confirmé la Commission. Ils
marquaient donc les arbres du marteau forestal qu'ils
avaient enlevé de force, ordonnaient des coupes à leur
gré, et, de plus, refusaient absolument d'extrader les-
papiers de la municipalité encore entre les mains de
l'ancien syndic '). Toute l'habileté et toute la fermeté du
1) Depuis l'établissement de la municipalité, Pfaffen*' nm était pro-
fondément divisé. Le premier syndic élu, nous l'avons dii, savait à peine
lire et écrire. Dénoncé pour ce fait par le prévôt et la municipalité, il
fnt d'abord sommé par le Bureau de se démettre de ses fonctions sans
délai. Cependant, pour ménager son amour-propre, on lui permit de-
ooBtinner et de terminer Tannée. U avait paru sensible à cette attention
et promit de donner sa démission au bout de l'an. En septembre \ 788^
lorsque le Bureau l'avertit que le moment de tenir parole était venu,
il s'y refusa formellement, de sorte qu'il dut être révoqué. Deux com-
missaires furent envoyé sur les lieux pour lui faire élire un successeur
plus capable, et l'on profita de cette circonstance pour renouveler en
partie la municipalité qui était composé de parents. Les élections eurent
lieu le 19 décembre, non sans difficulté. Mais peu après, le prévôt Bussy
et le Gericht se réconcilièrent avec l'ancien syndic et firent depuis ce
temps une guerre acharnée à la municipalité et au nouveau syndic. Le
bourguemestre de l'année précédente, qui était du parti du prévôt, refusa^
même de rendre ses comptes à la nouvelle municipalité. L'intervention
personnelle du général de VietiogoGF ne ramena le calme qu'en appa-
rence, car, aux élections de février 1790, le prévôt Bussy devint maire, et
le premier acte de son administration fut de destituer le garde-marteau
Frick, que l'administration supérieure avait toujours maintenu, malgré la
violente opposition qu'elle avait rencontrée et les offres réitérées de
démission du sieur Frick. Ce n'était donc pas la paix 1 Au surplus-
Pfaffenheim fut sans cesse agité durant toute la Révolution.
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LES TROUBLES DB I789
17
Bureau avaient échoué jusque-là devant l'obstination de
ces gens. II ne lui restait plus d'autre ressource que de
citer à sa barre les principaux opposants : le fils du
prévôt et le préposé Kueny. Ceux-ci comparurent, mais
ils refusèrent insolemment de livrer les papiers dont on
leur réclamait la restitution, et le préposé Kueny, bran-
dissant entre ses mains la clé du marteau forestal qu'un
arrêté lui avait enjoint de remettre à la municipalité,
menaça même de faire sonner le tocsin si Ton tentait
d'exécuter les ordres du Bureau, ajoutant qu'aussitôt
les habitants se rendraient en force dans les forêts pour
les mettre « à blanc estoc > ! C'était en quelque sorte
défier le Bureau ! Aussi, le 8 avril, celui-ci écrivit à la
Commission que si, dans quinze jours les entreprises
de Pfaffenheim et autres lieux^ où des abus analogues
dans les forêts s'étaient produits"), et avaient été déférés
à la Commission, n'étaient pas sévèrement punis, il se
verra forcé d'abandonner cette partie de l'administration
et délaisser le tout à la merci du plus fort. La Com-
mission ne sut que recourir à l'Intendant et appela la
sévérité de ce fonctionnaire surtout sur le prévôt et le
Gericht de Pfaffenheim ; mais ce fut en vain ! Le 8 juin,
le Bur^u se lamentait encore amèrement que les
< désordres atroces » de cette communauté n'étaient
pas réprimés; et, le i8 juin, une nouvelle dénonciation
à l'Intendant fut tout aussi inutile que les précédentes 2).
Du reste ce n'était pas à PfafTenheim seulement que
soufflait de plus en plus cet esprit de révolte et d'in-
subordination. Nous n'avons voulu que citer un exemple.
1) Par exemple à Gueberschwihr, où le prévôt prétendait que ni muni-
cipalité, ni Bureau n'avaient à se mêler de l'administration des forêts
de 1* communauté. Aussi il faisait couper du bois à sa guise, et ses
fils maltraitaient nn jour le garde-marteau qui tenta de s'opposer à leurs
entreprises. Dans une visite de la forêt, la municipalité fut même
attaquée par les gens de Pfaflfenheim, qui étaient armés de haches et
de couteaux.
2) Cependant le Bureau obtint une légère satisfaction par le moyen
du président de Salomon, qui fit extrader à la municipalité les titres et
les papiers détenus par le sieur Runner.
nvovn d'Alêoce, 1907 2
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l8 REVUE D'aLSACE
De tous côtés les nouvelles les plus affligeantes assaillaient
le Bureau. C'était journellement des conflits à Ribeau-
villé, à Riquewihr, à Eguisheim, à Jebsheira, etc.; à
Soultzbach on ne voulait plus obéir ni au prévôt ni
au syndic, et le Bureau dut avoir recours à la maré-
chaussée (5 juin 1789). A Rouffach la municipalité
demanda la révocation immédiate de tous les employés
de la ville, afin de rétablir la tranquillité et de mettre
un terme à l'insubordination < qui est arrivée à son
comble» (21 mai 1789). A Fortschwihr le syndic refusa
de se soumettre même à l'Administration, et le Bureau
dut lui enjoindre de se conformer à ses -ordres, « de
prêcher d'exemple de déférence et de subordination
vis-à-vis de ses chefs, sous les peines de droit»»)
(juin 1789), etc. En soumettant les doléances de la
municipalité de Soultz contre le magistrat de cette ville
à la Commission, le Bureau supplia celle-ci, plus instam-
ment que jamais, d'obtenir enfin du Roi ou des Etats
généraux, une ordonnance qui ne permettait plus de
contester les droits de l'Administration; car tous les
arrêtés sont littéralement lettre morte, et les obstacles
que rencontre le Bureau dans sa mission étaient si
grands et si nombreux qu'il se verrait sous peu contraint
de tout abandonner (17 juin 1789).
A cette date, au 17 juin, le vœu si pressant du
Bureau était satisfait, mais d'une manière qui n'était
guère de nature à le contenter. Le Bureau de Colmar,
en effet, pas plus que les autres Bureaux de la province,
ne se doutaient pas encore qu'ils avaient dans la Com-
mission intermédiaire une ennemie irréconciliable, tant
le secret avait été bien gardé jusque-là. Ils ne savaient
pas qu'elle les regardait comme la cause principale de
l'inefficacité et de l'inutilité de ses arrêtés, et qu'elle
avait demandé et obtenu leur suppression par un arrêt
du Conseil d'Etat en date du 3 juin. Son Mémoire sur
i) Le prévit, les préposés et U municipalité avaient porté piminte
contre lai et dénoncé les mbas d*autorité quMl se permettait.
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LES TROUBLES DE 1789 I9
l'établissement des Etats provinciaux avait sans doute
exprimé sa pensée et émis discrètement ce vœu. Mais
l'opinion publique s'était prononcée en faveur de leur
•conservation, après la publication de leurs communes
Réflexions \ on assurait même que quelques membres
-de la Commission partageaient pleinement cet avis. Ils
étaient tous si convaincus que ce petit différend, tout
à fait clos, n'aurait aucune suite, que, le i*^ juin, le
Bureau de Colmar n^hésita pas à envoyer à la Com-
mission copie de la lettre par laquelle Necker lui
accusait réception de leurs Réflexions, ajoutant qu'il
avait trouvé un encouragement sérieux dans les termes
sympathiques dans lesquels s'exprimait le ministre,
€ lorsque tout concourt à croiser ses efforts et à contrarier
ses desseins. Necker, disait-il, promet un règlement
-d'autant plus urgent que le dégoût se manifeste partout
et que les Bureaux n'ont plus aucun moyen de soutenir
leur zèle ». Et précisément, le 17 juin, il invitait la Com-
iBission à joindre ses efforts aux siens pour hâter la
publication de ce règlement tant désiré ! Hélas ! le
Bureau se faisait illusion ; et il ne tarda pas à s'aper-
cevoir combien il fallait se défier même des siens et
faire peu de cas des promesses ministérielles !
Un arrêt du Conseil d'Etat, rendu en commandement
■le 3 juin 1789, prétendait donner à l'Administration
provinciale, qui n'était que provisoire jusque-là, sa forme
définitive. Le Roi, est-il dit dans le préambule, s'est
fait représenter les édits et règlements de création, les
délibérations de l'Assemblée provinciale des i*' et
-6 décembre 1787, les arrêtés de la Commission des
II et 22 mars 1788; et, comme l'Assemblée provin-
ciale, à laquelle il eût appartenu de présenter un vœu
<léfinitif, n'a pas pu être convoquée. Sa Majesté a fait
examiner par son Conseil les Mémoires et représen-
tations des princes et des seigneurs de la province, les
observations du directoire de la noblesse de la Basse-
Alsace, du comte de Hanau, de la régence de Saverne,
-etc. Après un an d'expérience et d'observation, Elle
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20 REVUE D' ALSACE
pense maintenant pouvoir concilier l'ancienne constitu-
tion de la province avec le régime nouveau ainsi qu'il
suit : Sa Majesté a reconnu que les magistrats des Villes-
impériales peuvent être regardés comme de véritables
municipalités, aux termes du règlement du 12 juillet.
Il en est de même de tous les magistrats des villes et
Gerichts des villages qui sont élus par la communauté,-
sauf à leur adjoindre < un syndic municipal»; les magis-
trats et les Gerichts qui se régénèrent eux-mêmes, ou
qui sont nommés par les seigneurs, devront être rem-
placés par une assemblée élective. Sa Maje3té conserve
les régences et le directoire de la noblesse et a réglé
d'une manière spéciale leurs rapports avec la nouvelle
Administration, mais Elle voit avec regret la nécessité
de supprimer les Bureaux intermédiaires et les Assem-
blées de district ; car, placés entre l'Assemblée provin-
ciale et les régences, ils ne serviraient qu'à entraver
le service et retarder inutilement la marche des affaires..
Pour plus de brièveté, nous donnons en note une courte
analyse de cet arrêt'). Disons seulement que les Bureaux-
1) L*arrét se divisait en deux sections. La première section contenait
30 articles. Après avoir déclaré quMl n*était rien innové à la constitution
des villes impériales (l), le Roi promet un nouveau règlement spécial
aux quatre villes royales (2) et décide que partout ailleurs il doit être
établi d2t municipalités composées du nombre de membres fixé par le
règlement du 12 juiUet; cependant dans les villes chef^-lieux de bailliage
il permet d'élire une municipalité de douze membres, plus le syndic,.
lorsqu'elles ont plus de 500 feux (3). Les seigneurs conserveront le
droit de nommer les prévôts, lieutenants de prévôt, officiers composant
le Gtricht des villages ou le magistrat des villes, en tant que ces officiers-
ou ces assemblées administrent la justice ou veillent à la police (5).
Les magistrats ou Gethhts électifs seront en même temps municipalités
à la condition de ne comprendre que le nombre de membres déterminé
par le règlement du 12 juillet, et de s'adjoindre le seigneur ou Bon^
' représentant, le curé ou le ministre, et un syndic élu comme il sera
dit plus loin. Si le nombre de leurs membres était supérieur à celui
fixé par le règlement du 12 juillet, les derniers nommés devraient se
retirer; s'il était moins fort, on lui adjoindrait ceux qui auraient obtenu
le plus de voix dans les dernières élections (6-10) Ils ne resteront
jamais que trois ans en fonction, quand même ils étaient d'ordinaire
élus à vie (13). Dans les communautés dans lesquelles le seigneur a le
droit de confirmer les membres des Gerichts ou magistrats, on lui pré-
sentera une liste de trois sujets, s'il doit en choisir un, de quatre s'il
doit en choisir deux, ou de huit s'il doit en conErmer quatre. Le*
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LES TROUBLES DE I789
31
-étaient remplacés par deux ou plusieurs < correspon-
dants, nommés par la Commission dans chaque district
*(qui recevaient désormais le nom d'arrondissement) ; ils
-devaient transmettre aux municipalités les ordres et les
instructions de la Commission, faire les enquêtes, sur-
veiller et recevoir les travaux publics, etc. La Com-
-mission conservait néanmoins le droit de déléguer des
<commissaires spéciaux, si elle le jugeait à propos.
-seigneur devra désigner dan^ la quinza'ne celui ou ceux qu*il aura
choisis, à défaut de quoi celui ou ceux qui auront obtenu la majorité
-seront membres de la municipalité ipso facto (14015). Les Gérichts et
les magistrats qui se régénèrent eux-mêmes et ceux qui sont nommés
par les seigneurs, perdront toute fonction administrative, à partir de la
publication du présent arrêt et seront rempUcés par une municipalité
élue conformément aux prescriptions de l'édit de juillet 1787. Le syndic
-sera élu chaque année, le premier dimanche de septembre, par une
assemblée présidée par le syndic sortant, et à laquelle n'assisteront ni
le seigneur, ni le curé ; cependant dans les communautés dans lesquelles
4a même assemblée était à la fois magistrat, ou Geticht et municipalité,
la présidence appartiendra au bailli et à son défaut au prévôt (18). Le
-seigneur présidera toujours la municipalité; il aura à sa droite le curé
et à sa gauche le syndic. En cas d'absence du seigneur, son siège
restera vide et le syndic proposera et recueillera les voix. Si le seigneur
-se fait représenter, son fondé de pouvoir, s'il est son fils, son gendre,
«an gentilhomme sujet du Roi, un membre de régence, un bailli ou un
prévôt, occuperont son siège et présideront à sa place. Tout autre
-fondé de pouvoir se placera à la droite du curé (19-20). Le prévôt
-sera de droit le représentant du seigneur, à moins que celui-ci ne
•donne sa procuration à quelqu'autre (21). Les papiers et titres seront
remis aux municipalités; si cependant un titre a de l'intérêt pour le
-se gneur, celui-ci le conservera à son greffe, sauf à en faire délivrer
«copie à la municipalité (26-28). Tous les membres des municipalités^
'des Gerichts et des magistrats éligibles, auront l'exemption de la collecte,
•de tout autre recouvrement, du guet, de la garde et autres services
4>ersonnels (30).
La deuxième section réglait les relations des municipalités avec
l'Assemblée provinciale ou la Commission intermédiaire et les attributions
-de celle-ci : elle comprenait 38 articles. Les Bureaux et les Assemblées
^es districts étaient supprimés; le Roi conservait cependant les districti
comme division territoriale sous le nom d'arrondissements. Dans chaque
arrondissement, la Commission aura deux ou plusieurs correspondants,
•dont les fonctions seront de transmettre aux municipalités les ordres et
4e8 instructions de la Commission, de faire les enquêtes, surveiller et
■recevoir les travaux publics, etc. Cependant la Commission pourrait
-toujours, en cas de besoin, nommer et envoyer des commissaires spéciaux*
Les procureurs-syndics actuels des districts feront fonction de correspon-
<lants, en vertu d'une commission qui devra être renouvelée tous les
4ins (1-6). Le directoire de la noblesse et les régences de Saverne et
^e Bouxwiller recevront communication pour avis de tout mémoire,
•requête, etc., des municipalités de leur ressort (7). Seront de la compé-
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«a REVUE D ALSACE
Cet arrêt, qui porte la date du 3 juin, ne fut expédié
à rintendant que le 19; et comme alors ce fonction-
naire se trouvait absent, l'ordonnance de publication
qu'il' avait à rendre ne put être signée que le 29 juin»
Jusque-là cet arrêt demeura secret. Dans les derniers
moments cependant on en apprit l'existence, mais on
n'en connut jamais que vaguement les dispositions.
Toutefois, sur les sollicitations de qui avait-il été rendu f
Personne ne se doutait que c'était sur les sollicitations
de la Commission intermédiaire. Sans doute les nom-
breuses réclamations des seigneurs et des villes contre
l'Administration provinciale, adressées soit au Conseil
d'Etat, soit directement en Cour, exigeaient une réponse»
Mais cette réponse fut telle que la Commission la
souhaitait, ou à peu près : ce sont ses idées qui triom-
phèrent, en très grande partie du moins ').
tence de rAssemblée provinciale les impositions, les ponts et chaussées,
les travaux publics, et cela dans toutes les communautés et toutes les
villes sans exception. La répartition se fera par les magistrats ou muni-
cipalités sur le reçu des mandements de la Commission, qui leur arri-
veront directement, excepté dans les régences, lesquelles recevront les
mandements de la Commission et les distribueront à leurs communautés
(9). L'art. 23 établissait la responsabilité des magistrats des villes impé-
riales, corps municipaux des villes royales, et municipalités, pour tout
fait de leur gestion. L'art. 26 attribuait à l'Administration provinciale
la police, administration et la direction de toutes les forêts communales
et mettait sous ses ordres tous les employés. Les articles suivants
défendaient de faire des coupes dans les quarts de réserve sans la
permission du Roi, fixaient les manières dont se feraient les adjudica-
tions, supprimaient les caisses forestales auxquelles étaient substituées
les caisses des revenus patrimoniaux de chaque communauté. L'art. 31
maintenait les Chambres forestales que certains seigneurs avaient le
droit d'établir, à charge par elles de soumettre aux règlements d^
l'Administration, règlements qui leur seront toujours communiqués pour
«vis, avant d'être rendus. Enfin l'art. 37 rendait aux juges seigneuriaux,
avec appel au Conseil souverain, la jurisdiction forestale pour tous délits
commis dans les forêts communales, délits qui devaient être poursuivis
provisoirement, selon les règles prescrites par les ordonnances aux maî-
trises. Sa Majesté promettant sous peu un règlement spécial qui fixerait
la procédure à suivre, les peines et amendes à infliger, etc. Dès mainte;
nant il était décidé que les amendes appartiendraient aux seigneurs et
les dommages-intérêts aux villes et communautés.
1) Nous disons à peu prh^ parce que, dans une lettre du l«' juillet,.
la Commission se plaint À Necker que l'arrêt fait la part . des prévôts
trop belle, leur donne trop de droits et par conséquent d'importance,
attendu qu'elle les regardait comme la véritable cause de tous -les
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LES TROUBLES DE I789 2$
Nous avons vu précédemment le rôle modeste que
les édits de création faisaient à l'Administration provin-
ciale. En ne lui attribuant que la répartition et le
recouvrement des impositions, les travaux communaux,
l'administration des revenus des communautés et de
leurs propriétés, les forêts exceptées, en lui refusant
expressément toute < autorité exécutrice » et toute
< juridiction >, la loi, évidemment, entendait la maintenir
dans une position en quelf|uo sorte subordojmée, et la
mettre tout au moins sous la haute surveillance de
l'Intendant, auquel elle réservait d'ailleurs le contentieux
sans exception. Or la Commission intermédiaire ne
s'accommoda jamais de cette espèce d'infériorité, et
tout en invoquant hautement et à tout propos la pureté
de ses vues patriotiques, son zèle généreux pour le
service du Roi et les intérêts de la province, son
désintéressement à toute épreuve, elle ne perdit jamais
de vue son intérêt personnel et n'omit rien pour faire
agrandir ses attributions, secouer la tutelle importune
de l'Intendant et se créer une position indépendante.
Cest ainsi que dans une lettre au Contrôleur général,
du 10 juin 1788, elle se plaint amèrement du rôle effacé
qu'on veut lui assigner : «... Nous éprouvons jour-
nellement des contrariétés sans nombre de la part des
subordonnés de M. l'Intendant. Une grande partie des
baillis de département, en méconnaissant nos attributions
et nos arrêtés, n'entendent pas s'écarter de l'ancien
régime. Il en naît des conflits qui produisent le plus
mauvais effet, mettant les municipalités et les habitants
désordres q'u*oii avait eu à déplorer. D^autre part nous savons que le
ministre avait- communiqué, pour avis, à la Commission, les mémoires et
les plaintes des villes et des seigneurs le 1 1 août 1 788. La Commission
y répondit par un long mémoire en décembre 1788, et le ministre
préparait alors un rapport général sur la question. D'après une lettre
de l'avocat an Conseil d'Etat, Parent, à la chancellerie de Ribeauvillé,
en date du 28 décembre 1788, il se proposait de déclarer véritables
municipalités les villes impériales, prétoriennes royales (c'est-à-dire les
villes royales) ^t les villes seigneuriales. Comment et pour quelles raisons.
le gouvernement changea-t-il d'avis et adopta-t-il les théories de la
Commission intermédiaire ? Nous l'ignorons.
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24 REVUE d'aLSACE
dans Tincertitude de savoir à qui s'adresser et à qui
obéir. Elles se trouvent entre deux espèces d'autorités
qui les laissent dans une incertitude dangereuse ; et,
comme nous n'avons pour ainsi dire aucun pouvoir
exécutif, il ne peut qu'en résulter de grands inconvé-
nients pour TAdministration et des plaintes continuelles,
qui, fatigantes par elles-mêmes, nous ôtent l'espèce de
considération qui peut seule flatter ». Et comme ses
réclamations n'avaient été écoutées qu'en partie par le
Gouvernement : < Si nous n'avons rien à dire aux
adjudications des revenus patrimoniaux des villes, oa
nous considérera évidemment «comme des subordonnés»
de l'Intendant, < et cette qualité ne petit nous convenir
à aucun éçard!> Le 3 janvier 1789, à propos des
travaux du Rhin, elle fait à cœur ouvert ses doléances
à Necker et implore l'appui de ce ministre pour arriver
à ses fins : < Depuis quinze mois, dit-elle, le Gouver-
nement n'a prononcé définitivement sur aucune de nos
réclamations. La ligne de démarcation entre l'Intendant
et l'Administration provinciale n'est pas encore fixée.
Il en résulte une lutte fatigante pour nous et une
anarchie qui| met tout en souffrance. Chaque attribu-
tion, que la sagesse du Gouvernement nous a confiée,
nous est contestée. La décision provisoire et tronquée
sur les forêts «) est une augmentation de désordres,
parce que les subordonnés cherchent à multiplier les
embarras pour se conserver une autorité dont ils ont
tous abusé. Les municipalités, contre lesquelles le despo-
tisme des grands propriétaires et l'intérêt des baillis
de justice et de département sont conjurés, sont encore
incertaines de leur existence. Les efforts qu'on leur
oppose prouvent mieux que tous les raisonnements
l'utilité de leur création; et elles seraient le gage de la
i) Cédant aux importunités de la Commission, le g^oavernement
avait attribué à TAdministration provinciale Padministration des forêt»
communales, à la réserve des celles des ville», réserve qui mécoutenta
la. Commission : de là Tezpression de < décision ironquU »•
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LES TROUBLES DE 1 789 «5
;félicité publique si elles n'étaient pas troublées sans
cesse dans leurs fonctions. Le zèle avec lequel nous avons
•concouru aux vues bienfaisantes du Gouvernement
devient un motif de tracasserie personnelle, fâcheuses
pour des gens qui donnent gratuitement leur temps et
leurs soins à la chose publique. Mais ce qui est plus
essentiel, les retards qu'éprouve Tarrêt des municipalités
(il est question de l'arrêt qui fut rendu le 3 juin, et
qu'elle sollicitait avec importunité depuis longtemps).
• donnent lieu à une incertitude qui ouvre la porte à
l'intrigue ... En sollicitant ces différentes attributions,
nous n'avons en vue que le bien du service du Roi
et des peuples, et non l'ambition puérile de nous mêler
indéfiniment de tout... Tant que nous ne serons en der-
nière analyse que les délégués d'un Intendant; que
nous n'aurons aucune autorité ; que nos opérations
seront dépendantes de l'approbation qu'il voudra bien,
ou ses bureaux, y donner; que le pouvoir exécutif de
l'Administration ne nous sera pas attribué, il devient
impossible que des citoyens honnêtes continuent à se
dévouer au bien de la chose publique qu'ils pourraient
faire, et qui est la seule récompense qu'ils puissent
attendre du sacrifice de leur repos. La franchise avec
laquelle nous vous confions nos embarras, doit vous
prouver. Monsieur, la sincérité de notre zèle et la
•confiance que nous avons dans vos vues et dans votre
justice. Les Assemblées provinciales sont votre ouvrage,
vous les soutiendrez !...>.
La Commission se persuadait que l'extension de
ses attributions, qu'elle sollicitait avec tant d'ardeur et
à tout propos, lui était réellement dîie et ne pouvait
faire question. < Nous avons cru, écrivait-elle à Necker,
-que c'étaient les conséquences nécessaires de ce que le
•Gouvernement avait voulu, en établissant les Assemblées
provinciales...». Aussi quand il lui arrivait d'outrepasser
ses pouvoirs et de franchir les limites que les lois lui
imposaient, elle s'imaginait toujours ne tirer que ces < con-
:séquences nécessaires » et agir conformément aux pré-
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26 REVUE D'aLSACE
tendues intentions qu'elle supposait au Gouvernement
en vue du bien public. Nous nous flattons que nousr
avons € Tapprobation du Gouvernement >, que nous-
sommes soutenus par < les suffrages de la plus saine
partie de la province». Et puisqu'elle ne comprenait pas
comment l'opposition qu'elle rencontrait pouvait être-
fondée sur la justice et le droit, elle imputait toujours,
à ses adversaires des vues intéressées et malhonnêtes^
On a vu précédemment de quelle manière elle soutenait
que les droits des seigneurs n'étaient nullement blessés
par les nouveaux édits. Elle ne trouva jamais d'autres
arguments à faire valoir •). C'est l'Intendant cependant
qui excitait plus particulièrement sa mauvaise humeur.
Aussi, non seulement elle le harcelle sans cesse, le-
menace de porter ses plaintes en Cour, s'il ne consent
pas à devenir l'instrument docile, passif, aveugle de-
toutes ses volontés, lui qui, d'après les édits, devait
être le tuteur, ou tout au moins le guide de la nou-
velle Administration, mais encore elle le dénonce jour-
i) Voici comment la Commission elle-même les résume dans une
lettre à Necker du 6 décembre 1 788 : L^établissement des municipalités-
< contrarie des intérêts particuliers. Les grands propriétaires, ou plutôt
leurs sous'ordres, be voient avec peine dépouillés du droit d^administrer
les communautés dans Pobscurité. Le contrôle d'une administration
publique les eiïraye. Il en résulte des réclamations de tous genres. On
invoque des traités, des lettres patentes, auxquels on donne un sena
forcé, n'osant pas convenir du véritable motif d'opposition. Les magis-
trats des villes, accoutumés à disposer arbitrairement du ban de leurs-
communes, préfèrent Tadministration de l'Intendant, qui ne -pouvait les
surveiller que par ses subordonnés, dont ils savaient se concilier la
surveillance.' Les municipalités que nous avons établies malgré les pré-
jugés et les intérêts qui semblaient les proscrire, sont le seul moyen^
pour détruire les vices de Tadministration intérieure des provinces, et
il n^est peut-être aucune parUe du royaume où il soit plus nécessaire
de les introduire généralement. Mais si le Gouvernement ne les soutient
pas d*une main ferme, sans considération pour des droits imaginaires et
dont nous avons démontré la frivolité, elles seront une source de
désordres intolérables, et il vaudrait mieux y renoncer. Déjà les princes
te prévalent de la lenteur des déterminations de la Cour, et défendent
aux municipalités Pexercîce de leurs fonctions. L'es villes en font de
même. Les* baillis de justice et de département, dont les émoluments se
trouvent restreints et la conduite éclairée, y mettent une oppositioiv
sourde, et l'on se flatte de fatiguer PAdministration; le dégoût et
le découragement sont général ; dans les départements tout est en^
souffrance >.
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LES TROUBLES DE I789 2J
nellement pour ainsi dire aux ministres, et va même
jusqu'à suspecter sa bonne foi '). Le but qu'elle pour-
suit est évident ; la Commission ne craignit pas de s'en
ouvrir franchement au maréchal de Stainville, espérant
le gagner en s'adressant à sa vanité : c Messieurs les
Intendants, lui disait-elle le 27 septembre 1788, doivent
être réduits (si leur puissance ei^t encore jugée néces-
saire), aux fonctions de commissaires du Roi, qu'un
commandant de province pourrait aussi bien remplir!»
La Commission ne pouvait supporter aucune résis-
tance, aucune opposition, pas même la moindre critique.
Et, comme les Bureaux, nous l'avons vu, ne s'accom-
modaient pas de ses lenteurs, qu'ils considéraient comme
de la négligence, se permettaient assez souvent de la
rappeler au respect de la loi dont elle avait l'habitude
de s'écarter trop facilement, et n'acceptaient pas tou-
jours de bonne grâce les observations qu'elle leur
adressait, elle se persuada sans peine qu'ils étaient un
obstacle au but qu'elle poursuivait, au bien qu'elle se
promettait de réaliser. Dans son Projet sur l'établisse-
ment des Etats provinciaux elle avait pour la première
fois fait entendre publiquement, mais encore discrète-
ment, qu'à son avis les Bureaux n'étaient point néces-
saires, que l'Administration, à la rigueur, pouvait se
passer de ce rouage, plus embarrassant qu'utile. Elle
voulait préparer l'opinion à leur suppression. Mais lors-
qu'elle écrivait à Necker, elle n'avait aucune précaution
i) Foor ne pas trop multiplier les citations, voici en quels termes
la Commission s'exprime au sujet de l'Intendant dans une lettre à Necker
du 6 décembre 1788 : «... Le recours au commissaire dépatti multiplie
les embarras. Cette autorité n'est plus respectée. D'ailleurs comment
espérer qu'un homme que la nouvelle Administration a dépouillé de sa
vice-royauté, soit de bonne foi avec elle? Et en supposant qu'il le fût,
ses subordonnés ne sont-ils pas intéressés à lui mettre des' entraves, et
le désir d'aller d'anciennes et de nouvelles formes, retarde la marche
(des affaires) particulièrement dans cette province, où les Intendants ont
réuni entre leurs mains tous les geni-es d'autorité et usurpé les pi'o-
priétés même, en se donnant des arrêts d'attribution sur des parties
d'administration qui ne devaient pas les concerner si on avait conservé
quelque respect pour les droits des habitants >.
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28 REVUE D'ALSACE
-à prendre, et exposait franchement à ce ministre ses
desseins et ses vues. Elle le fit d'abord en lui envoyant
un exemplaire de son Projet; elle le fit une seconde
fois en lui soumettant ses comptes, d'août 1787 à jan-
vier 1789 : € Notre opinion particulière, écrivit-elle le
27 janvier 1789, est que la province pourrait écono-
miser en totalité les frais qu'occasionnent les districts,
ou au moins n'en supporter que la moitié en en réunis-
sant deux sous une même administration >. Nous croyons
que la province demandera cette suppression, ou cette
réduction, par l'organe des futurs Etats provinciaux ;
< nous avons déjà eu l'honneur de vous adresser un
projet à ce sujet, en vous faisant connaître que l'Ad-
ministration ne pouvait être que gênée par cette con-
currence d'autorités, et nous en sommes d'autant plus
persuadés que les prétentions que les Bureaux élèvent
contrarient essentiellement nos opérations. D'un autre
côté, nous ne pouvons nous dissimuler que les admi-
nistrateurs sont trop multipliés et accroissent les charges
, publiques >.
Si les Bureaux fatiguaient la Commission par leurs
représentations, ils la sollicitaient d'un autre côté d'agir
en Cour, afin d'obtenir dans le plus bref délai possible
une loi, un édit, un arrêt, qui mît fin à cette espèce
^'anarchie qui désolait la province et que nous avons
suffisamment fait connaître d'ailleurs. La Commission,
de son côté, ne cessait d'importuner le Ministère et ne
manquait jamais l'occasion de lui représenter combien
il serait nécessaire de faire exécuter les règlements
jusque dans leurs conséquences, c'est-à-dire d'agrandir
les attributions de l'Administration provinciale, de lui
soumettre expressis verbis toutes les branches de l'Ad-
ministration pour ramener la confiance et la paix, rejetant
sur ses adversaires la responsabilité des désordres, dont
-elle était la cause, par elle-même ou par ses subordonnés,
au moins pour une grande partie. Elle avait l'oreille
de Necker, nous l'avons déjà remarqué, et comme elle
^regardait c les Assemblées provinciales > comme soa
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LES TROUBLES DE 1789 29
< ouvrage >, elle le croyait personnellement intéressé à
procurer le développement et la prospérité d'une œuvre
ou d'une institution qui rencontrait tant d'oppositions.
Elle ne se trompa pas beaucoup. Tout d'abord Necker
lui fournit fidèlement pour avis toutes les nombreuses
requêtes que les villes et les seigneurs avaient adressées
en Cour, pour protester contre les abus d'autorité de
l'Administration et ses empiétements. Et, dans ses
réponses, la Commission ne se fit pas faute de vanter,
selon son habitude, la pureté de ses intentions, la sagesse
de ses combinaisons, son amour extrême pour le bien
public, mais malheureusement contrariés et réduits à
l'impuissance par la conjuration de ses adversaires aux-
quels elle prêtait, nous le savons, des vues du plus
sordide intérêt'). Bien plus, en décembre 1788 et en
mars 1789, le ministre lui communiqua le projet même
d'arrêt sur lequel elle lui fit faire ses observations par
M. de Dietrich, son agent à Paris, trouvant que le
second projet, déjà remanié une première fois d'après
son avis, s'écartait encore par trop des principes posés
par les édits de 1787, et usait de tels ménagements
envers ses adversaires qu'il ne pouvait en naître que
de nouveaux désordres. Tout son espoir est dans le
ministre ! c Cette année s'est passée dans une lutte
fatigante, et nous aurions désespéré de la chose publique
si le bonheur de la France ne nous avait appelé à la
tête de l'Administration ! > Il semble bien que le projet
fut encore corrigé, au moins quelque peu, d'après ses
désirs 2), non pas sans doute autant qu'elle l'eut désiré.
i) C'est à cette occasion qae U Commission composa son Mémoire
de décembre 1 788. Le Ministère préparait alors un rapport général sur
la question.
3) D'après une lettre de l'avocat au Conseil d'Etat, Parent, à la
chancellerie de Ribèauvillé, en date du 38 décembre 1 788, il était admis
en principe à ce moment, que l'on déclarerait véritables municipalités
les villes impériales, prétoriennes royales (c'est-à-dire les villes royales)
et les villes seigneuriales. L'arrêt du 3 juin ne consacra pas ces prin-
cipes. Toutefois lorsque la Commission eut pris connaissance de cet
arrêt, elle ne s'en montra que médiocrement satisfaite et fit faire dès-
représentations à Necker, comme il sera dit plus loin.
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30 REVUE D'aLSACE
mais du moins les plaintes réitérées de la Commission
finirent encore pour trouver quelque écho, de telle
sorte que, le 23 mai 1789, Necker fut heureux de
pouvoir prévenir la Commission que l'arrêt tant désiré
allait incessamment paraître. Elle l'en remercia vivement,
le 3 juin, et, bien persuadée que tous ses vœux avaient
été entièrement exaucés, elle ajoutait que tous ses efforts
pour rétablir le calme seront infructueux, tant que ce
nouveau règlement c n'aura pas démontré que toute
résistance serait désormais vaine, et que le Gouverne-
ment revêtît d'une sanction légale ce que nous avons
fait par ses ordres précis >. L'arrêt fut en effet rendu
le 3 juin suivant, et envoyé à l'Intendance le 19, avec
prière d'en communiquer une copie à la Commission,
copie qui ne lui fut remise que le 29, nous avons vu
précédemment pourquoi.
Dans le public on ignorait complètement les solli-
citations incessantes de la Commission auprès du Gou-
vernement. Si les Bureaux en savaient quelque chose,
ils étaient très persuadés que ses démarches n'avaient
d'autre objet que de procurer à l'Administration pro-
vinciale les armes nécessaires pour combattre avec avan-
tage ses adversaires : ils ne se doutaient pas que la
Commission les mettait eux-mêmes au nombre de ses
adversaires et demandait leur suppression. Ils en furent
avertis, fin de juin, par des lettres particulières qui leur
faisaient connaître sommairement le contenu de l'arrêt
encore inconnu. Le Bureau de Colmar en fut consterné!
n ne se sentit même pas touché des profonds change-
ments que l'Administration allait subir à tous ses degrés
et de l'extension donnée à ses attributions. Il ne fut
affecté que d'une seule chose, de la suppression des
Bureaux intermédiaires. Sans tarder, à la date du 25 juin,
il demanda des explications à la Commission. D a peine
à se persuader, disait*!!, qu*un arrêt si important ait
été rendu, au moins sans la participatioa de la Com-
mission, D'un autre coté il ne peut se figurer que
celle-ci y ait prêté les mains et qu'elle ait jeté dehors
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LES TROUBLES DE 1 7 89 3I
Jes hommes auxquels elle est redevable des heureux
résultats de son administration. Ce serait bien mal
récompenser le dévouement de ceux qui se sont véri-
tablement sacrifié au bien public, que de les remercier
avec un tel sans façon au bout de deux ans. Toutefois il
espère que la Commission refusera de se passer du
concours si précieux des districts et des Bureaux; car
on ne conçoit pas qu'une organisation établie par une
loi, puisse être modifiée ou détruite par un simple arrêt,
même rendu en commandement. Il est singuHer que
le Ministère lui-même se soit porté de lui-même à
dénaturer ainsi l'Administration csi bien accueillie dans
cette province >, avant qu'elle eût eu son assemblée
générale, qu'elle ait rendu compte de ses travaux et
<lonné son avis sur le présent et l'avenir, en attendant
les Etats provinciaux dont tout le monde désire le
prochain établissement. Le Bureau espère que la Com-
4nission fera ses réclamations auprès de qui de droit,
tout en assurant que lui-même n'aspire qu'au repos et
ne reste en fonction que pour maintenir c la subordi-
nation et la tranquillité publique », dont on lui est
redevable en grande partie dans le district.
En même temps copie de cette lettre fut envoyée
-au cinq Bureaux de la province avec prière de donner
connaissance à celui de Colmar des réflexions et des
résolutions que leur inspirait cet incident tout à fait
inattendu. Après quelques pourparlers, on décida à
l'unanimité, sauf Haguenau, dont l'attitude fut hésitante,
•que les délégués de chaque Bureau se rendraient à
Strasbourg et feraient en commun les démarches dont
l'arrêté suivant, qui déterminait la mission et les pouvoirs
-des deux députés de Colmar, fait suffisamment connaître
l'importance et la gravité, t Le Bureau, disait-il, ne peut
plus douter de l'existence d'un arrêt du Conseil qui
introduit dans l'organisation de l'Administration provin-
•ciale des changements malheureux et influera certaine-
ment sur la composition des futurs Etats provinciaux.
"Considérant que les districts sont les seub liens qui
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32 REVUE d'aLSACE
par la volonté du Roi, rattachent les municipalités à.
l'Administration générale ; considérant que les Bureaux
actuels ont beaucoup contribué au maintien de la tran-
quillité publique; considérant que le vœu unanime des
Bureaux (sauf peut-être Haguenau) est d'éclairer la
religion du Roi et de l'Assemblée nationale sur les
dangers de ces innovations menaçant la province, et
de reqtierir officiellement la Commission intermédiaire
de faire, à qui de droit, les représentations, protestations,^,
oppositions nécessaires pour résister à cet arrêt surpris
par intrigue, qui ne peut ni ne doit recevoir quelque
exécution contre la teneur d'une loi publique, vérifiée
par la Cour souveraine ; considérant que ce n'est point
au moment où la Nation assemblée proscrit les abus,,
qu'il faut craindre de s'opposer à des arrêts qui dans
les temps les plus fâcheux ont toujours été regardés
comme des actes de despotisme ; qu'il n'est permis ni
aux Bureaux, ni aux districts, ni à la Commission inter-
médiaire, ni à l'Assemblée provinciale, de désobéir à
l'édit du Roi pour obéir à un arrêt rendu en commande-
ment, sans s'exposer à la juste animad version de l'As-
semblée nationale; il a été arrêté : i® que MM. Mueg
et Metzger, accompagnés du secrétaire, se rendront à
Strasbourg sans délai, pour se réunir aux députés des
autres districts et se concerter sur la conduite à tenir
en cette circonstance; 2** que ces députés se présen-
teront à la Commission et demanderont communication
et copie dudit arrêt ; 3** qu'ils proposeront d'envoyer
une députation à TAssemblée nationale, afin que celle-ci
protège les Bureaux contre les abus d'autorité et les
défende contre des innovations qui troubleraient la paix
et le bon ordre dans c une province qui a été jusqu'ici
la plus tranquille du Royaume > ; 4** ils proposeront
également de se rendre chez M. de Chaumont pour le
prévenir de leur mission et le prier de seconder leurs
vues patriotiques, l'avertissant que son refus pourrait
entraîner des conséquences qu'il importe d'éviter; 5® ea
tout cas lesdits députés protesteront contre tout change-
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LES TROUBLES DR I789 ^;^
ment qu'on tenterait d'apporter à l'édit de création de
l'Administration, autrement que par une loi duement
sanctionnée ; et, s'ils le jugent à propos, ils provoque-
ront une assemblée générale des districts et inviteront
la Commission à ne se prêter à aucune modification
avant que l'Assemblée provinciale et les assemblées de
district n'aient été convoquées ».
Bien que Ton s'explique l'irritation des Bureaux,
les résolutions auxquelles ils s'arrêtent et l'attitude qu'ils
prennent ne peuvent guère se justifier. C'est le ren-
versement des règles de la hiérarchie ; c'est en quelque
sorte l'Administratien en état d'insubordination vis-à-vis
d'elle-même, (^uoi qu'il en soit, le programme qu'avait
tracé le Bureau de Colmar à ses délégués fut exacte-
ment rempli, au moins dans ses points essentiels. Nous
savons en effet par une lettre de la Commission à
Necker, que les députés des Bureaux se rendirent à
Strasbourg et vinrent signifier à la Commission le refus
des Bureaux de se dissoudre, et le refus des procureurs-
syndics d'accepter une commission quelconque, fût-ce
celle de correspondants; au premier moment on n'av^ait
pas voulu leur donner communication de l'arrêt, mais
après quelque hésitation on leur permit même d'en
prendre copie.
Pendant que ses délégués étaient à Strasbourg, le
Bureau de Colmar, qui parait en toute cette affaire le
mandataire officieux de ses collègues, mit le député
Reubell, avec il était en relation très suivie, au courant
de ce qui venait de se passer et lui envoya un Mémoire
en vue d'obtenir de rAssemhlêe nationale, s'il était
besoin, le rapport de cet arrêt du 3 juin. Après lui
avoir exprimé la joie qu'il ressentait de la réconciliation
des trois ordres et de leur réunion sous le nom d'As-
semblée nationale '), le Bureau l'entretenait de ses propres
I) Le Bureau chargeait Reubell de remettre au Président de l'Assem-
blée nationale, s'il le jugeait à propos, l'adresse suivante : c Le Bureau
intermédiaire de Colmar manquerait à la conlîance dont il est honoré
Rtvut d'Alsace, 1907 n
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34 REVUE D'ALSACK
préoccupations. Nos ennemis, dit-il, veulent renverser
les Assemblées qui sont le berceau de la liberté. L'In-
tendant d'Alsace a dû recevoir un arrêt qui supprime
les districts et les Bureaux; et ceux-ci ont fait leurs
représentations à la Commission intermédiaire. Les
municipalités ne soupçonnent pas encore l'existence
de ce fatal arrêt ; mais elles seront c attérées > aussitôt
qu'elles en auront connaissance. De plus le peuple
croira voir dans cette modification les Etats qu'on lui
promet depuis si longtemps et il estimera certainement
que la nouvelle organisation, tout à fait aristocratique,
qu'on lui impose, est beaucoup plus vicieuse que
l'ancien régime. On se sait au juste sur les démarches
de qui fut rendu cet arrêt ; on nomme tout haut le
bailli de Flachslanden, MM. de Turckheim, Schwendt
et Hell ; mais le Bureau a peine à le croire. Comme
ledit arrêt est formellement contraire à l'une des décla-
rations royales lues en séance publique, on pourrait
peut-être obtenir de l'Assemblée nationale la défense
de ne rien innover jusqu^à ce qu'elle ait achevé la
Constitution dont elle promet de doter la France?
Au reçu de cette lettre, Reubell soumit la question
aux députés alsaciens des trois ordres réunis en con-
férence. On conclut sans contradictoire que cet arrêt
ne pouvait recevoir aucune exécution dans les cir-
constances actuelles, c Si vous deviez éprouver quelques
difficultés à continuer vos fonctions, disait-il en faisant
par ses concitoyens, s'il ne s'empressait de témoigner en leur nom à
PAssemblée nationale les sentiments profonds de respect, d*admiration
et de reconnaissance, dont la nouvelle de la glorieuse et immortelle
journée du 27 juin les a pénétrés. Mais, Nosseigneurs, en quels termes
pourrions-nous vou^ exprimer ces sentiments dont ]*objet n'a point
d'exemples dans les fastes de l'Univers et dont les transports surpassent
tous les tableaux de l'imagination. Nous ne pouvons que recommander
cette partie de l'Alsace au souvenir et à la protection des grands hommes
que la Providence a rassemblés et réunis pour restaurer la monarchie
et opérer le bonheur commun de tous les Français », L'Assemblée fit
répondre en termes flatteurs. Par une circulaire spéciale le Bureau de
Colmar donna connaissance de cette adresse aux autres Bureaux de la
province et les invita à imiter son exemple.
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LES TROUBLES DE 1789 35
part au Bureau de cette décision, le 23 juillet, aver-
tissez-moi sans délai; je n'ai pas dissimulé à la
conférence que si j'y étais forcé, je n'hésiterai
pas à demander à l'Assemblée elle-même l'anéantisse-
ment d'un arrêt, dont la seule date emporte la répro-
bation >.
L'arrêt en question, qui avait été remis à la Com-
mission intermédiaire, le i" juillet, par M. de Chaumont
{remplaçant provisoirement son père retenu à Paris
pour le service du Roi), mit la Commission dans le
plus grand embarras. D'un côté elle-même fut très
surprise de ce que ses vœux n'avaient pas été com-
plètement exaucés; elle en était donc très peu satisfaite;
de l'autre elle fut effrayée du vif mécontentement que cet
arrêt souleva et n'osa pas le faire exécuter, c L'arrêt
favorise trop les prévôts qui sont la cause de tout le
mal, écrivait-elle à Necker le 10 juillet, et par consé-
quent ne produira pas grand effet; puis il modifie
si profondément l'organisation des municipalités qu'il
nous parait difficile, même dangereux de le faire exé-
cuter au milieu de la fermentation générale, d'autant
plus que les Bureaux refusent catégoriquement de se
dissoudre, et leurs membres refusent toute commission,
comme celle de correspondant par exemple. D'autre
part, certaines dispositions, comme celles qui regardent
les forêts, les comptes des villes et communautés, etc.,
devraient recevoir immédiatement leur application. Pour
les forêts cependant, il faudrait un arrêt enregistré du
Conseil. Bref, autorisez-nous à différer la publication
de cet arrêt et mettre quand même en exécution ses
prescriptions au fur et à mesure que les circonstances
l'exigeront ou le permettront ».
Les Bureaux, de leur côté, sous la menace d'une
suppression toujours imminente, sentaient par la force
des choses leur zèle se refroidir. Ils devenaient plus
réservés, plus circonspects, en quelque sorte plus
timides, tandis que l'agitation, la fermentation qui
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36 RFA'UE D'ALSACE
augmentait sans cesse, eut exigé de leur part une
plus grande ériergie. Ce ne fut donc pas trop pour
les rassurer, de Tappui d'un homme, qui alors déjà
avait quelque influence dans l'Assemblée nationale.
Aussi, le 30 juillet, reçurent -ils tous copie de la
lettre de Reubell qui releva quelque peu leur courage
abattu.
(A suivre). Ch. HOFFMANN.
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LES
faïenciers de haguenau
Suite i)
V.
Joseph Adam Hannong (i 761-1782).
Après le décès de Paul la manufacture de Haguenau
•demeura unie à celle de Strasbourg, entre les mains
-de ses héritiers. Joseph nous apprend dans une de ses
lettres que la gestion en fut confiée, d'abord à sor
frère — Pierre sans aucun doute — puis à Madame
de Lôwenfinck.
Lui-même se trouvait alors à Frankenthal. Son père
lui avait cédé cet établissement en 1759, lors de son
mariage, Testimant au prix de 125.273 liv. Après la
cnort de Paul il commença par prétendre que cette
•évaluation était exagérée et la fit réduire par ses cohéri-
tiers à 73.000 liv. Puis, comme le succès répondait fort
peu à ses espérances, il vendit cette usine en 1761 au
«comte palatin pour la somme de 50.000 fl. d'empircj
-qu'il employa en majeure partie à Tacquisition des deux
maisons de Strasbourg et de Haguenau, qui devinrent
:sa propriété exclusive. D'après une requête présentée
1) Voir U livraison de novembre*décembre 1906.
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38 REVUE D'ALSACE
au magistrat de notre ville, le 13 décembre 1762, la
part qu'il reconnaissait à ses frères et à ses sœurs dans
l'héritage paternel se réduisait à 24.000 liv.
Ses débuts furent donc loin d'être brillants. A Hague-
nau même, il rencontrait les conditions relativement
amoindries que présageait l'arrêté du 7 janvier 1760:
obligation de payer un droit de sortie, \o pour cent
de la valeur des marchandises exportées; défense de
transporter hors du ban les terres propres à la faïence,
et — ce qui pouvait devenir plus grave encore —
concurrence d'une fabrique rivale que son frère Pierre
Antoine installait à Haguenau au commencement de
Tannée 1762.
Il essaya d'abord d'échapper à ces dernières diffi-
cultés en se faisant recevoir bourgeois de Haguenau et
en sollicitant directement la faveur c de faire enlever
de la terre glaise de cette ville pour l'exploitation de
sa fabrique de Strasbourg ». Le droit de bourgeoisie lui
fut accordé sans hésitation (24 juin 1762); mais le traité
conclu avec lui demeura littéralement conforme à celui
qu'avait obtenu son frère:
Art. I** Il aura la faculté de tirer dans l'étendue
du ban les terres servant à l'usage de la fayence;
2** Pour raison de la terre qu'il voudra prendre sur
les héritages des particuliers propriétaires, il s'arrangera,
avec eux de gré à gré; de celle qu'il voudra prendre
sur les communaux, il payera à la ville un droit de
vingt sols par chaque chariot attelé de quatre chevaux ;
3® Il luy est défendu, ainsi qu'à tous autres, de
transporter ou faire transporter de ladite terre hors du
ban, sous peine de 500 liyres d^amende et de plus
forte s'il y échet en cas de récidive, se réservant le
magistrat la faculté exclusive d'en permettre la vente
et l'exportation le cas échéant;
4** Il se fera recevoir au serment des bourgeois de
cette ville et comme tel jouira des privilèges et suppor-
tera les charges ordinaires, excepté le logement des-
gens de guerre, excepté le cas de foule;
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LRS FAÏENCIERS DE HAGUENAU 39
S* A regard du bois de chauffage, le suppliant s'en
pourvoira en payant, à l'instar des autres bourgeois et
habttans de la ville ;
6** Il lui sera permis d'acheter où bon lui semblera
pour l'usage de sa manufacture le plomb, étain ou autres
ingrédients, en en payant les droits d'entrée usités et
sera tenu de prendre le sel dans les magasins de la
ville ;
7** Sa marchandise de fayence sera sujette au pfund--
zùll pour la sortie, suivant le tarif qui est i â par fl.
pour celle qu'il fera sortir luy-même et le double payable
par les étrangers qui en exportent;
8® Les ouvriers qui s'établissent en ville seront obligés
de se faire recevoir en la commune de ladite ville et
en supporteront les charges.
Le suppliant ne se soumit qu'en apparence à ces
conditions, s'efforçant de renverser les barrières qu'on
dressait devant lui. Il revendiqua la jouissance exclusive
des terres glaises qui se trouvaient sur les prés de
rhôpital et en fit transporter plus ou moins clandestine-
ment à Strasbourg. Mal lui en prit. Le sénat déclara
que ces terres étaient communes aux deux manufactures
de la ville et c pour leur nsage axclusif», nonobstant
toute convention contraire faite avec les fermiers de
rhôpital. En conséquence Joseph fut condamné (3 août}
à 500 liv. d'amende et au paiement de 98 fl. pour les
terres exportées. 98 florins ou 196 livres! A 20 sols
la voiture, cela lait 196 voitures à quatre chevaux,
enlevées dans l'espace de peu de semaines. Cette ques-
tioa de terres glaises n'était point, on le voit, un détail
de miniine importance.
Les archives se taisent ensuite pendant plusieurs
annéesr sur les destinées de notre manufacture : elle
partagea sans doute avec celle de Strasbourg la bonne
et la mauvaise fortune de leur propriétaire commun,.
complètement rassuré, en 1766, par la suppression
définitive du monopole de Sèvres. Voici les résultats
des inventaires que Hannong dressa vers cette époque^
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40 REVUE d'ALSACE
d'après les renseignements fournis par lui-même dans
son Mémoire à consulter ') :
1766:
actif: 152.265 liv. ; passif: 99.937 Hv. ; actif réel : 52.328 liv,
1767:
actif: 1Q5.489 liv.; passif: 93.961 liv.; actif réel : 101.528 liv.
177O:
actif: 253.441 liv.; passif: 131.951 liv.; actif réel : 12 1.490 liv.
sans compter les matériaux, ustensiles et marchandises
inachevées.
A ne voir que ces chiffres — s'ils sont exacts —
on peut trouver que la situation de nos manufactures
n'était pas trop mauvaise. Mais elle ne suffisait point
à l'ambition de Joseph. Il se croyait appelé à de grandes
et précieuses découvertes. La porcelaine, se disait-il,
par sa solidité, vaut dix fois plus que la faïence fine et ne
coûte que le triple; même dans les circonstances actuelles
les consommateurs intelligents la doivent préférer. Ce
mouvement deviendra irrésistible, universel, le jour où
le prix des deux marchandises sera le même. Or ce
jour ne saurait être éloigné, ce n'est qu'une question
de combinaisons chimiques et de pyrotechnie.
Joseph se mit donc à combiner, composant 3600 diffé-
rentes pâtes qui, soumises c chacune à lO opérations
pyrotechniques », donnèrent lieu à 36.000 essais. Il y
dépensa beaucoup de temps, d'intelligence et de tra-
vail, des sommes considérables d'argent qui déjà en
1773 dépassaient les lOO.ooo liv., sans rencontrer ce
qu'il cherchait. Mais s'il n'atteignit point le but visé,
il croyait le serrer de près et comptait sur un succès aussi
prochain qu'infaillible, lorsqu'éclata tout à coup un orage
inattendu, soulevé par les receveurs de la Ferme royale.
Ceux-ci s'avisèrent, en 1774, que le droit de 3 liv. par
quintal, que depuis cinquante ans nos faïences payaient à
l) Adressé au Roi le 22 février 1780. Malheureusement les Piéceg
justificatives manquent dans Tezemplaire dont nous disposons, et nous
les avous vainement cherchées ailleurs. Nous siipprimon« rindication
des sous e: deniers qui ne servirait qu*à charger inutilement le -texte.
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LES FAÏENCIERS DE HAGUEXAU 41
leur entrée en France, n'était qu'un criant abus. Répudiant
la thèse naguère défendue par les partisans du monopole,
ils prétendaient que si l'Alsace était française, ses manu-
factures n'en étaient pas moins effectivement étrangères.
Par suite, leurs produits devaient être considérés comme
étrangers, et, conformément aux arrêtés des 26 février
1692, 10 juillet 1696 et 12 septembre 1714, payer par
quintal, la faïence 20 liv. et la porcelaine ichd liv., soit,
avec la surtaxe de 8 sols par livre, 28 et 140 liv. Le
chiffre élevé de ces nouveaux droits, qui dépassait sou-
vent la valeur des marchandises, avait une portée prohi-
bitive, qui fermait à Hannong et à ses produits le marché
de la France.
Il en résulta une polémique assez vive au premier
moment. Les deux parties trouvaient dans la situation
exceptionnelle de la province des arguments en laveur
de leurs prétentions respectives. Hannong pouvait invo-
quer en outre Tarrêt non révoqué de 1696, obtenu par
Dumontet pour les faïences de Haguenau, la longue et
paisible possession du privilège dont il jouissait depuis
-cinquante ans. Tous ses protecteurs de Paris et de la
province s'accordaient à lui annoncer le succès certain
de ses efforts. L'administration centrale lui était favo-
rable. L'intendant d'Alsace, consulté par le ministre,
-comte de Saint-Germain, s'était prononcé chaleureuse-
ment pour sa cause. Bien plus, c les manufactures de
Niderviller, Saint-Clément, Bellevue et Maïeux, sises aussi
dans des provinces réputées étrangères, auxquelles on
avait égalemeut contesté cette liberté de commerce,
réussirent à obtenir, dès 1775, une diminution con-
sidérable sur les droits demandés, réduits à 8 liv. par
quintal. En l'absence de renseignements plus directs,
•on est forcé d'admettre que si Hannong n'a pas eu dès
lors la même faveur, c'est qu'il ne l'a point sollicitée
sérieusement, réclamant le maintien pur et simple du
statu quo ante bellum^ ou retardant de propos délibéré
la fin du conflit pour des raisons financières que Ton
-comprendra plus tard.
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42 REVUE d'aLSACE
C'est néanmoins par une transaction du même genre-
que la question finit par être réglée à Haguenau comme-
ailleurs. Apostillant, en 1788, une requête du faïencier
Volet qui demandait entre autres l'entrée en franchise
de ses marchandises en France, le préteur royal de-
Haguenau, de Cointoux, écrivait à l'intendant de la
Galaizière : c Personne ne sait mieux que vous combien
il est malheureux pour cette province d'être regardée
tantôt comme étrangère effective^ tantôt comme réputée
étrangère^ tantôt pour province ordinaire, et toujours
pour payer. Le sieur Hannong, d'après la protection
qu'il vous avait plu lui accorder vous-même, avait
obtenu, si ce 71 est une exemption totale^ du moins^
une réduction notable de ces droits >. Hannong dit lui-
même dans son Mémoire que le c cardinal de Rohan
obtint la modération de ces droits en très peu de temps
et dès qu'il l'a sollicitée en son nom ». Les pièces
justificatives 42 et 55, auxquelles il renvoie, nous édi-
fieraient complètement à cet égard. Mais faute de les-
pouvoir consulter, je me bornerai à noter, d'après une
autre de ses publications, que la concession fut faite,
non à lui, mais à son concierge Dietrich, ce qui sup-
pose qu'elle a eu lieu pendant sa détention au Fort Blanc.
La crise dura de la sorte ici plusieurs années. Qu'a
pu faire pendant cette épreuve notre industriel, gêné-
,dans le placement de ses marchandises? Quelle question!
sera tenté de s'écrier plus d'un de mes lecteurs. Il aura-
fait ce que les circonstances exigeaient de lui. Tout
en luttant contre les prétentions de la ferme, il aura
cherché à se créer de nouveaux débouchés, à restreindre-
sa fabrication au strict nécessaire, à éviter toute dépense
purement facultative, attendant avec patience le retour
de jours meilleurs. Si naturelle qu'elle paraisse, cette
réponse serait à cent lieues de la vérité. Joseph réali-
sait alors un plan grandiose, que jusque-là il n'avait
osé entrevoir que dans ses rêves, concentrant ses usines-
à Haguenau et les réorganisant, personnel et mécaniques^
sur un pied complètement nouveau.
:A
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU 4 J .
Haguenau lui présentait, dit-il, sur Strasbourg plu-
sieurs avantages, c Le magistrat, pour favoriser mon
établissement, accordait quelques immunités. Le bois y
est à meilleur prix; les terres ordinaires se trouvent
ou sur les lieux, ou beaucoup plus près; la main-d'œuvre
promettait quelque économie >. Enfin son esprit spécu-
latif pensait que les barrières industrielles, qui séparaient
l'Alsace de la France, ne tarderaient pas à tomber, sauf
pour Strasbourg, « excepté à cause de la navigation
du Rhin et l'expédition à l'étranger >.
Quoique indiquée à grands traits dans son Mémoire^
cette translation semble inconnue de Tainturier et de
ses émules. Nos archives renferment de nombreuses
et intéressants documents qui s'y rattachent.
Le plus ancien de ces documents est un traité conclu
avec notre magistrat le ii janvier 1776. Cet acte assez
long comprend 17 articles. Je laisserai de côté ceux
qui stipulent pour le manufacturier et ses ouvriers des
exemptions de charges (impositions, corvées, tutelles^
logements militaires) plus ou moins complètes, transi-
toires ou permanentes. Voici ceux qui se rapportent à
l'industrie elle-même »).
Art. X. Le magistrat permet au sieur Hannong la
fouille du communal dans la banlieue de cette ville à
charge de combler et applanir les trous qu'il pourra
faire. En cas de découverte de quelques matériaux utiles
pour la fabrication, il pourra s'en servir en payant la
redevance de 4 sols par chariot, avec défense d'en
vendre, se réservant expressément le magistrat ce droit.
En conséquence défend à tout bourgeois possesseur
propriétaire des communaux défrichés de vendre et
exporter au dehors de la banlieue de la ville aucune terre
ou matière propre à la fabrication de la porcelaine, sans
en payer à la ville 4 liv. par chariot, sous les peines
I) V. Reg, de déliàératioHS^ U II, p. 176. Propositions faites par le
iienr Hannonn^ poor rétablissement d*une manufacture de porcelaine et
l'augmentation de celle de fayence. A été convenu....
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44 REVUE D ALSACE
A^ ^^^;#. ^^.jf a^ sieur Hannong à s'arranger avec les
des communaux défrichée ou autres terres
1er et tirer des matériaux.
Il sera défendu à tous manufacturiers du
e, potiers, tuiliers, fouleurs et autres, de
ndre des terres ou autres matériaux de la
re que led. fabricant exploite ; et celle qu'ils
ivrir sera éloignée de la sienne au moins
. Par contre led. sieur Hannong ne pourra
rendre des terres ou autres matériaux d'une
exploitation que du gré de l'exploitant, et
areillement en ouvrir une nouvelle à côté
ince au moins aussi de 40 pieds, sans pré-
ble blanc propre aux verreries, pour lequel
■ Hannong en a besoin, il s'arrangera avec
les revenus de la ville).
Toutes marchandises achevées ou non ache-
té faïence ou de porcelaine, les rtioules,
subies et ustensiles (transportés) pour le
sieur Hannong ... ne payeront aucun droit
de sortie, ny pontenage, lorsqu'ils seront
les propres chevaux; mais lorsqu'ils seront
des chevaux ou voituriers étrangers, ceux-ci
droit de pontenage ordinaire. De même
rres importées Les autres matériaux
ivant le tarif.
f. Les porcelaines passant à l'étranger et
de Haguenau payeront 10 sols de sortie
. La fayence payera à l'avenir cinq sols
ce qui n'aura cependant lieu qu'après
du présent bail (à partir de 1782).
L Les fayences et porcelaines étrangères
l'avenir pour droit d'entrée, scavoir les
iv. et les porcelaines 9 liv. par quintal.
[. Il sera permis au proposant de mettre
' la ville sur les porcelaines qu'il fera fabri-
ienau.
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU
Le magistrat promet aussi (art. XII) — non p
d'interdire tout établissement similaire, mais — de ne 1
accorder pendant i8 ans «aucun privilège ou immunité
mêm'e de révoquer, sous condition, la permission auti
fois octroyée à Pierre Hannong.
La disposition la plus inattendue de ce traité (
l'intervention de la ville dans les rapports futurs ent
Joseph Hannong et ses ouvriers.
Art. VI. « Les apprentifs et ouvriers constitués po
les fours et autres manœuvres secrètes prêteront
magistrat serment de fidélité et de discrétion et Tobsc
vance de leurs engagements. Le magistrat tiendra
main et prêtera son assistance pour que les engagemer
desdits ouvriers s'exécutent, tels qu'ils auront été rédig
avec eux sous seing privé et présentés au magistrat
D'après Tart. VII un ouvrier quittant la fabrique i
pouvait travailler en ville dans un établissement (
même genre qu'après une année d'absence.
Le lecteur ne tardera pas à s'expliquer ces dernier
dispositions.
Ses mesures prises avec la ville, Joseph passa out
avec l'exécution de son plan qui, tout en laissant
Strasbourg le centre commercial de son entrepris
concentrait à Haguenau son organisation industriel
Cela ressort d'une espèce de budget qu'il a lui-mêr
dressé, en 1780, et qui répond aux réformes projeté
par lui et presque entièrement réalisées avant s
désastres.
Ce budget prévoit pour Strasbourg à côté du ch
du commerce : 2° un commis chargé de la vent
3® un comptable ; 4® un contrôleur qui note l'entn
et la sortie des marchandises ; 5° un ou deux comn
voyageurs, chargés non seulement de placer ses pr
duits, mais aussi d'étudier les goûts changeants (
public.
A Haguenau, « chef-lieu de la fabrication >, depi
le 19 mars 1776, se trouvaient 6° un caissier; 7® i
ou deux commis qui surveillaient les ouvriers et 1
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46 REVUE d'aLSACE
matériaux ; 8** un magasinier, avec des attributions
analogues à celles du commis vendeur de Strasbourg;
9° un teneur de livres; lO^ deux numéroteurs qui
numérotaient et taxaient les pièces; ii*» un directeur
général.
Dans la pensée de Hannong la manufacture de
Haguenau devait produire annuellement pour 250.000 liv.
de marchandises. Considérablement agrandie, plus que
doublée, cette manufacture avait besoin de locaux plus
vastes et plus spacieux. Joseph y pourvut en achetant
(juin 1776), dans la même rue, le Zinshof (cour des
rentes), ainsi nommé parce qu'il avait renfermé le loge-
ment et les bureaux du zinsmeister ou receveur de la
Préfecture, compris dans les dépendances de Thôtel
préfectoral que le duc de Mazarin s'était fait construire
sur le Grabcfi (maison Ehrenfurt).
Puis il soumit à l'approbation du magistrat un c Projet
d'engagement d'un ouvrier de la manufacture de porce-
laine de Haguenau >, qui reçut la sanction de l'autorité
municipale le 30 juillet 1776. Cet engagement ne con-
cernait que les affidés, ceux que leurs travaux initiaient
à une connaissance plus ou moins étendue des secrets
professionnels, regardés comme la fortune de la maison.
Pour empêcher la divulgation de ces secrets, les garan-
ties morales, les promesses, même les plus solennelles,
ne semblaient point suffisantes. Hannong voulut y joindre
des garanties matérielles.
La première de ces garanties était fournie par un
cautionnement de 400 ou 600 liv., imposé à chaque
ouvrier. Comme tous n'étaient pas en état de verser
cette somme ou d'en assurer le paiement éventuel, à
l'aide de cautions ou d'hypothèques, on leur permit de
la consituer petit à petit, à l'aide de retenues hebdo-
madaires.
La rémunération des ouvriers comprenait deux parts
distinctes : un salaire, qui, dans une trentaine d'actes
notariés, conservés dans les archives, flotte entre 4 et
.7 liv. par semaine, et en sus une gratification, qui varie
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LES FAÏENCIERS DE HAGUF.NAU 47
•de 2 à 2 ï/2 livres. Le salaire est toujours intégralemeut
payé ; la gratification peut être supprimé, en tout ou
-en partie, à la suite de manquements graves. C'est aussi
^ur elle que Ton retient lO, 20, 30 sols par semaine,
selon les conventions, jusqu'au jour où ces retenues
avec les intérêts échus forment le capital demandé.
XJuoique déposé entre les mains du fabricant, le cau-
tionnement appartient à l'ouvrier.
Une seconde garantie se trouvait dans la pension
-alimentaire que l'ouvrier fidèle à ses devoirs devait
obtenir en cas de maladie, de vieillesse ou d'infirmité.
-Cette pension équivalait dès la première année au
vingtième du salaire et augmentait ensuite chaque année
-d'un vingtième, si bien qu'au bout de vingt ans elle
répondait au salaire complet. La même pension est
promise aux veuves, seulement pour elles les vingtièmes
ne se comptent qu'à partir de la sixième année de ser-
-vice. Les orphelins au-dessous de dix ans avaient aussi
droit à une pension jusqu'au jour où ils atteignaient
•cet âge.
Cet engagement fut signé par 12 ouvriers en 1777,
18 en 1778 et 4 en 1779. Le plus récent de ces
contrats date du 2 mars de cette dernière année.
Pourquoi cessent-ils alors brusquemment .'* On va le
comprendre.
Huit jours plus tard, le 1 1 mars, mourait l'évêque
<ie Strasbourg, le cardinal Constantin de Rohan, et,
-quand les héritiers de ce prince firent l'inventaire de
sa succession, ils constatèrent un déficit de 445.359 liv.
dans la caisse de son receveur Schmit. Ce déficit pro-
venait d'avances faites à Hannong dans les années 1778
-et 1779 I), remboursables par ce dernier « lorsque le
l) Mais ces dettes remontaient beaucoup plus haut et n^étaient point
étrangères aux réformes industrielles qu'il réalisa peu après. Déjà en
1775 Hannong faisait, dit-il p. 32, « les réflexions les plus sérieuses sur la
restitution d'une somme déjà très forte, que je devais à mon ami et
^ui grossissait de jour en jour Pour me tirer d'embarras, je n'entre-
vois d'autres moïens que d'exécuter un projet conçu de longue main^»,
At développement de sa fabrication et sa concentration à Haguenau.
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48 REVUE d'alsace
gouvernement lui aura permis de faire librement le
commerce de la faïence dans l'intérieur du royaume».
Gette révélation dissipe le mystère qui depuis quel-
que temps couvrait les faits et gestes de notre faïencier.
Elle explique comment, au milieu d'une crise qui devait
le réduire à l'impuissance, il avait entrepris et créé à
Haguenau une manufacture nouvelle, avec des déve-
loppements aussi dispendieux qu'inattendus. Les Rohan
payaient les frais de toutes ces innovations.
Le savaient-ils.»^ Evidemment non. Des avances faites
sur Tordre, avec l'assentiment du cardinal, étaient inscrites
sur les livres de comptes et ne donnaient lieu à aucun
déficit décaisse. Frustrés dans leurs légitimes espérances,
les héritiers Rohan se trouvaient de la sorte en droit
de poursuivre, d'abord le comptable infidèle qui avait
ainsi disposé des fonds confiés à sa garde, puis l'in-
dustriel qui était probablement son instigateur, tout
au moins son complice. Schmit et Hannong furent
arrêtés.
Hannong, en efi'et, n'ignorait point et ne pouvait
ignorer que l'argent qu'il recevait était pris clandestine-
ment dans la caisse de l'évéque. Schmit était son ami
et il appuie avec insistance sur cette qualification. Il
devait donc être fixé sur la fortune de cet ami, savoir
qu'elle ne lui permettait point de faire sans intérêt et
pour un temps indéfini une avance de 445.359 liv., ua
million au pouvoir actuel de l'argent. Aussi raconte-t-ii
lui-même que quand on lui demanda un jour pendant
sa détention c si je savais que les fonds venaient de
la caisse de M. le cardinal, je répliquai qu'il (Schmit)
ne me l'avait jamais dit, mais que je pouvais vi en
douter depuis que la somme s était augmentée ». Par le
même fondement il devait non seulement soupçonner
mais comprendre que la générosité de son ami ne
reposait que sur une longue série d'abus de confiance,
périodiquement renouvelés.
Mais ces abus de confiance il en profitait sans
scrupule, et, quand ils devinrent l'objet de poursuites
Ed
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LES FAÏENCIERS DR HAGUENAU 49
judiciaires, il persista dans cette trop complaisante atti-
tude. « Si la dette de Schmit, dit-il dans une autre de
ses publications, était extraordinaire^ la nature de la
mienne était civile et loyale. La gêne de la ferme,
ma situation, mon travail, tout rendait mon emprunt
licite >. En d'autres termes il a emprunté comme le fait
tout industriel aux prises avec des difficultés financières.
Mais il n'a pas emprunté chez les Rohan, qui par suite
n'ont aucun droit contre lui. Schmit lui-même, son
unique créancier, ne peut le poursuivre que s'il ne
tient pas compte du terme indiqué pour l'échéance de
ses emprunts : la permission de faire librement le com-
merce de la faïence dans l'intérieur du royaume.
Placé sur ce terrain sophistique, Hannong croyait
que Vhonneur (!) lui défendait de se reconnaître aucun
tort. Il ne voyait dans le procès qu'on lui intentait que
chicanes arbitraires et persécutions passionnées, qui
l'autorisaient à accabler d'invectives des hommes qui
ne demandaient au fond qu'à lui tendre une main
secourable.
Le plus important de ses créanciers, le prince Louis
de Rohan, avait été son protecteur. A part les saignées
subreptices faites à son héritage, il n'avait aucun grief
contre lui; il était même directement intéressé au salut
de son débiteur, ne pouvant rentrer dans ses fonds,
en tont ou en partie, que si le malheureux naufragé
revenait lui-même sur l'eau. Aussi le voyons-nous occupé,
pendant la détention de Hannong, à terminer le diffé-
rend avec la ferme, puis à ménager une transaction
qui accordait sur le montant de sa créance une remise
de 200.000 liv. et pour le remboursement du reste un
délai de dix ans — transaction dont Ducher, l'avocat
même de Joseph, a pu dire publiquement (au grand
scandale de son aveugle client], qu'elle sacrifiait les
droits les plus justes au plaisir d'exercer un acte de
bienfaisance >.
Enfin, pour en finir avec cette question particulière,
lorsque les syndics de la faillite se trouvèrent à bout
Bevut d'Alêoce, 1907 • 4
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50 KEVUK D ALSACE
de ressources, l'intendant d'Alsace leur écrivait, le 30 juin
178 1, de ce prétendu ennemi de notre faïencerie : cM. le
cardinal de Rohan, qui désire qu*on conserve les ouvriers
et qu'on pourvoie à leur subsistance en attendant que
le sort de cet établissement soit entièrement décidé,
veut bien avoir la bonté de fournir lui-même les fonds
nécessaires pour acquitter leurs salaires sur le pied où
ils l'ont été jusqu'à présent >. Il limita, il est vrai, plus
tard (lettre du 4 septembre) cette charge qu'il ne pou-
vait accepter pour un temps indéfini; mais il n'en sacrifia
pas moins de c^ chef une somme de 14.000 liv. qu'il
envoya à Haguenau en espèces sonnantes.
La transaction mentionée ci -dessus, confirmée le
4 août 1780 par un arrêt de surséance, mit fin à la
détention deHannong, qui durait depuis le 30 mai 1779.
Il reprit alors la direction de ses ouvriers, qui n'avaient
du reste jamais interrompu leur travail, et surtout le
placement de ses marchandises.
Cette situation durait à peine depuis trois mois, pen-
dant lesquels Joseph remboursa à divers petits créan-
ciers une somme de 20.000 liv., lorsqu'un arrêt du
Conseil d'Etat (25 novembre 1780) la vint modifier de
nouveau.* Sa Majesté, dit-on, est informée que le sieur
Hannong c ne se sert du bénéfice de sa surséance que
pour faire vendre ou faire passer ses marchandises à
l'étranger >. Dans de pareilles circonstances il était de
la justice de pourvoir à la sécurité des objets qui sont
l'hypothèque de ses créances. Elle ordonne donc l'éta-
blissement de commissaires gardiens, lesquels, sans gêner
en rien, n'auront d'autre objet que d'assurer le rem-
boursement des créanciers >.
Vendre était évidemment le droit et même le devoir
de notre manufacturier. Mais dans cette vente sacrifiait-il
les intérêts de ses créanciers à ses intérêts particuliers.^
Le Conseil d'Etat l'affirme, et, quand on considère la
situation et les principes sur lesquels se réglait Joseph,
on est forcé de croire que l'affirmation était fondée.
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU 51
Dans un inventaire établi après la mort du cardinal,
«n mai 1779, Hannong estimait son actif à 949.632 liv.
14 s. I d., son passif à 624.257 liv. 14 s., descendu
ensuite à 424.257 liv. 14 s. par la générosité des héri-
tiers Rohan. Cette question d'hypothèque, qu'il croyait
plus qu'assurée, devait le préoccuper médiocrement.
Aussi ne craint-il pas de reconnaître dans un état du
9 février 1781, signé par lui, qu'il a de sa propre auto-
rité réduit la valeur de son mobilier, de 101.318 liv. à
50.000 liv., diminué de 6000 liv. l'importance de ses
immeubles, aliéné plus que la moitié de son outillage
et de ses matériaux.
Les mêmes errements continuèrent encore dans la
suite. Lorsque le subside fourni par le cardinal fut
épuisé, les ouvriers et quelques créanciers firent saisir
les marchandises non inventoriées, celles évidemment
-qui avaient été achevées depuis la confection de l'in-
ventaire. Le préteur royal de Haguenau, de Cointoux,
remarque à ce propos : « La précaution est devenue
nécessaire, car le sieur Hannong, depuis son retour
de Paris, ne cessait de vendre tout ce qu'il pouvait et
avait ».
L'homme qui parlait ainsi n'était point le premier
venu, un témoin distrait et indifférent du drame qui
se déroulait sous ses yeux. Il clôt la série de ces per-
sonnages aussi respectables que respectés qui remplissent
tour à tour, à Haguenau, la charge ingrate de commis-
saires gardiens. Comme ses devanciers, Hager, Barth,
Hallez, il ne professait qu'une admiration réservée pour
le caractère de Joseph Hannong ; mais il sentait toute
l'importance patriotique et humanitaire de sa mission,
que Barth exposait en ces termes dès le 22 janvier
1781 : € Je vois avec chagrin que cet établissement si
avantageux à notre ville va tomber, faute de moïens
pour le soutenir ; mais ce qui excite encore plus mat
compassion, ce sont les pauvres ouvriers, tous chargés
de familles et absolument dépourvus d'argent et de
crédit ; il y en a deux qui sont hier tombés d'inanition».
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5a REVUE d'alsace
Enfin la masse des créanciers se décida pour une
liquidation générale, autorisée par le Conseil Souverain..
Elle fut préparée à Haguenau par une estimation à dire
d'experts (20 avril au 16 mai 1782) et terminée par
une enchère (15 juillet au 2 octobre 1782). Ces deux
actes, conservés dans nos archives, présentent une foule
de chiffres intéressants par eux-mêmes et par leur com-
paraison avec une estimation similaire faite par Hannong,
lui-même le 9 février 1781.
Dans ce dernier acte notre manufacturier évalue :
Les faïences inachevées à 1 5. 376 liv. 10 s^
Les porcelaines inachevées à 179 019 liv. 8 s.-
Les matériaux de tout genre, de 50.000 à . 65.000 liv.
Le mobilier et Toutiliage à 82.400 liv.
Les immeubles (maisons, jardins et champs) à 145.670 liv. 17 s^.
Soit un total de 472.466 liv. 15 s. à 487 466 liv. 15 s..
Les marchandises terminées, prêtes pour la vente,
ne figurent pas ici; elles occupaient un tableau spécial
dressé par la saisie, et le but de Hannong était précisé*
ment de montrer combien serait fausse et incomplète
ridée que ce tableau donnerait de sa situation finan-
cière.
Les experts, tous spécialistes, estiment à:
22.181 liv. les marchandises finies.
217 liv. 13 s. 4 d. les marchandises non achevées..
889 liv. 12 s. les matériaux (terres et bois.
905 liv. le mobilier et l'outillage.
60.842 liv. les immeubles, maisons, jardins^
et champs.
Total : 85.035 liv. 5 s 4 d., un peu plus que le sixième de-
l'estimation Hannong.
Ces résultats furent encore diminués, à la vente,,
malgré la hausse obtenue par quelques détails. Les
acheteurs sont tous indiqués par leurs noms, et les
collectionneurs y trouveraient matière à d'intéressants
rapprochements. Le frère de Joseph, Pierre Antoine^
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU 53
acquit les pièces inachevées et partagea avec Anstett
Je mobilier et l'outillage. Les terres de Limoges, 7 à 800
quintaux, furent adjugées à Niderwiller »). La vente
produisit:
26 373 liv. pour les marchandises terminées.
638 liv. pour les marchandises inachevées.
3.562 liv. pour les terres et les bois.
1.283 l'v* ponr le mobilier et Toutillage.
30.000 liv. pour les immeubles.
61.856 liv. en tout.
Cet exposé diffère beaucoup, je le sais, des récits
qui se font d'ordinaire sur la catastrophe des Hannong.
Sans trouver la conduite de Joseph irréprochable, Tain-
turier, dans son admiration pour Tartiste, glisse d'une
main légère sur les faiblesses de l'industriel et de
l'homme d'affaire, pour appuyer sur la prétendue hosti-
lité du prince Louis. Schricker trouve plus commode,
-et peut-être aussi plus agréable à une partie de ses
lecteurs, de se borner à une boutade de chauvinisme:
il rejette tous les torts, en bloc et sans discussion, sur
l'administration française, qui ruina de gaîté de cœur
la faïencerie alsacienne jusqu'alors si prospère. En
réalité Joseph fut la cause principale, on pourrait pres-
que dire unique, de son désastre. Il le provoqua d'abord
par ses dispendieux et interminables essais, puis par
des dépenses exagérées faites au moment même où
tout lui commandait une sage et prudente réserve;
■enfin par sa participation à des manœuvres coupables
qui lui enleva les sympathies du public, l'empêcha
d'accepter la main que lui tendait son créancier prin-
-cipal, le lança dans toute une série d'irrégularités plus
-ou moins frauduleuses. Les exigences de la ferme —
i) La présence de ces terres et leur quantité — • qui montait à
près de 5000 quintaux en 1779 — prouvent que Joseph, bien qu'il
-se prétende dans ses lettres en état de faire de la porcelaine avec
le Rintel de Haguenaui ne refusait pas en pratique de recourir aa
Kaolin.
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54 REVITE D ALSACE
qui n'est pas Tadministration française — n'étaient
qu'une entrave momentanée, que l'on pouvait évidem-
ment écarter à Haguenau, comme cela se fit à Saint-
Clément et ailleurs, dès le premier jour, dès 1775.
Pourquoi dura-t-elle ici jusqu'en 1779, tant que Hannong
fut le maître de son usine? Elle était pour lui un
moyen commode de reculer l'échéance de ses billets,^
le jour fatal où il aurait à la fois à renoncer aux
avances ultérieures de son ami Schmit et à le rembourser.
Hannong n'assista point à sa désastreuse liquidation.
Il s'était t retiré à l'étranger», le 24 novembre 1781,
et séjourna d'abord à Munich. Des ennuis domestiques
l'amenèrent ensuite à quitter cette ville pour se rendre
à Paris où il se rencontra avec son frère; mais il retourna
en Bavière, peu avant la Terreur. Il dut y mener une
existence assez précaire, car dans une lettre écrite en
l'année 1800 il reconnut que depuis seize ans sa fille
Adélaïde était c son seul appui ». Pour soutenir son
père elle était entrée comme gouvernante dans une
grande maison russe, puis avait fini par fonder un
lycée de jeunes filles, à l'exemple d'une sœur plus
âgée, qui dirigeait déjà un établissement de ce genre.
On ignore la date de sa mort. Mais jusqu'à la fin
de ses jours il ne cessa de revendiquer un mérite qui
était pour lui, à la fois, un titre de gloire et un motif
à d'amères récriminations : c Cet art, disait-il, cette
nouvelle branche de commerce que les manufactures
de l'intérieur exploitent avec tant de succès, fut origi-
nairement mon secret, mon bien, mon patrimoine.
Chacun en jouit, moi seul, ^son auteur (!), je suis exclu
du bénéfice commun de le faire valoir ».
Je ne m'arrêterai point aux marques adoptées par
Joseph et les autres v^^'T^s. Hannong : elles se
rencontrent partout, f^^^^X^ chez Graesse, Jacque-
mart, etc. En voici |^(;'i0^>) une cependant qui
n'est mentionnée V^iSj^Jv nulle part. C'est
celle qu'autorisait ^^-*&-3^ V^xX,. XIII du traité
de janvier 1776 : les armes de la ville de Haguenau..
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LES FAÏENCIERS DE HAGURNAU 5
VI.
Pierre Antoine Hannong (i 761-1785).
Les revers de fortune frappèrent surtout Josepl
Hannong pendant le derniers tiers de sa vie, aprè
quelques années, de gloire et de prospérité relative
Son puîné, Pierre Antoine, les connut dès les début
de sa carrière, et, grâce à son humeur vagabonde e
folâtre, ne réussit jamais à s'y soustraire complètement
Tainturier nous le montre se rendant à Paris de
1761, vendant à Sèvres (29 juillet) les secrets de soi
père pour une somme de 6000 liv. et une rente viagèri
de 30c;o liv. réduites peu après à 200(3 et 1200 liv
Joseph prétend dans son Mémoire ati Roi (p. 5) qui
ces secrets, connus de son frère par Tindiscrétion de
liquidateurs de la succession paternelle, ne furent divul
gués qu'en 1763. C'est aussi cette dernière date qu
semblent résulter des négocations dont nous allon
parler.
A la mort du père, comme son aîné se trouvait alor
à Frankenthal, Pierre fut placé par les cohéritiers à 1
tête de ses usines alsaciennes. Mais ils ne tardèren
point à récarter pour le remplacer par Madame d<
Lôwenfinck. Il se présenta alors devant le sénat d<
Haguenau (22 avril 1762), exposant que les deux éta
blissements alsaciens des Hannong n'avaient pu étn
partagés entre les sept héritiers encore vivants de Paul
et seraient mis en vente au grand sénat de Strasbourg
Il avait rintention d'acquérir celui de Haguenau, et 01
lui avait même reconnu à cet égard un droit de préfé
rence. Mais certaines rumeurs lui font craindre qu'oi
ne veuille rendre ce droit illusoire, en poussant rusin<
à un prix ruineux pour lui. Ils préférerait en conséquenci
obtenir la permission d'établir ici une faïencerie nou
velle et la jouissance exclusive des terres de la banlieu(
quî^ seraient propres à cette fabrication.
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56 REVUE D'aLSACE
La permission demandée lui fut accordée (26 avril),
et il fut reçu bourgeois dans la même séance. Mais
les conditions stipulées, littéralement reproduites quel-
ques jours plus tard en faveur de Joseph ne lui réser-
vaient aucune jouissance exclusive ci-dessus (p. ).
Muni de cette autorisation, Pierre acquit la maison
d'Antoine Labastrone, aubergiste de l'Ange, et y installa
sa nouvelle manufacture. Il n'y resta pas longtemps.
Dès 1763 il quittait Haguenau.
Voici comment il rappelle dans une requête lue au
sénat le i" octobre 1764 les causes et les conséquences
de ce départ. Il y a deux ans environ qu'il a établi
une fabrique de faïence en cette ville, mais comme ses
propres moyens n'y suffisaient pas, il a dû faire des
emprunts. Puis, ayant ouvert des négociations avec
M. Boilleau, directeur général des fabriques royales de
porcelaine à Sèvres, pour lui donner les secrets de la
porcelaine, il était parti par ordre de la cour. Pendant
son absence, un de ses créanciers, le sieur Sarcelle, a
fait saisir et emporter ses meubles et ses effets. Entraînés
par cet exemple, les autres créanciers ont saisi la fabrique,
tout en conservant l'exploitation qu'ils continuent encore
pour se faire payer de leurs prétentions. 11 ne demande
qu'à se libérer de ses engagements et prie le magistrat
de faire dresser d'office un état de ses dettes. La requête
fut admise et le stettmeister de Wimpfen fut chargé
de recevoir les créanciers.
Celui-ci dressa l'état demandé ... et les choses en
restèrent là.
Le 16 janvier 1765 arrive une nouvelle requête.
< Le suppliant ayant vendu au Roy le secret de la
porcelaine, Sa Majesté l'auroit gratifié d'un brevet et
lui auroit en outre donné un emplacement qui servoit
autrefois pour la manufacture royale de porcelaine,
située dans le château royal de Vincennes, pour y
ériger une manufacture de fayence». Mais avant d'entre-
prendre cette œuvre, il voudrait li:|uider ses dettes de
Haguenau. Dans ce but il demande la permission de
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LRS FAÏENCIERS DE HAGUENAU 57
vendre ses meubles et effets, ainsi que la fayance
émaillée de sa fabrique, « à l'exception toutefois de ce
<iui est utile pour la fabrication, comme meules, mou-
lins et fayances non émaillées qu'il voudroit conserver
et faire venir é Vincennes >. Cette fois le sénat, éclairé
sans doute par Texpérience, refusa de se mêler de
l'affaire et ordonna « que sera mis néant à la requête*.
Pour les années suivantes on rencontre au greffe et
dans les minutes des notaires une foule de contrats
conclus entre Pierre et ses créanciers, promesses et
transactions, même un arrangement général ménagé par
un officier d'invalides, nommé Jean Meister. Mais rien
ne fut payé, comme le prouve une nouvelle requête
présentée au sénat vingt ans après^ le ii janvier 1786.
Pierre y rappelle qu'il était parti pour Paris après
avoir établi sa manufacture « dans la maison portant
l'enseigne de l'Ange, en société avec le sieur Deiss,
alors conseiller intime de S. A. S. le prince de Hohen-
lohe. En son absence, Deiss et son cousin Charles
Hannong (fils de Balthasar) avaient fait force dépenses
< pour soi-disant le soutien dud. établissement >, dépenses
acceptées ensuite par lui avec la légèreté de son âge.
Il en résulta «qu'il se trouva chargé d'environ 18.000 liv.
-de dettes envers différents particuliers et principalement
envers le sieur Deiss d'une somme de 8040 liv.». Cette
dernière créance s'est ensuite notablement accrue, sans
-qu'il sache comment. Elle forme aujourd'hui une somme
de 18.000 liv. en litige à Colmar, et il prie le magistrat
•de la régler avec les fonds (20.193 liv.) que le sénat
<le Strasbourg lui avait colloques dans la faillite de
5on frère.
L'humeur inconstante et aventureuse qui signale
toute la carrière de notre Pierre l'avait poussé de Vin-
cennes à Paris (faubourg Saint-Denis), puis en Italie où
Il installa (1776) à Vinovo près de Turin >) une faïencerie
1) LbhnrRT, Das Por%tîlan. Bielefeld, 1902, p. 90.
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58 REVUE d'alsace
aussi éphémère que toutes ses autres fondations, et finit
par le ramener en Alsace à la première nouvelle de la
catastrophe de son frère, dans Tespoir sans doute de
sauver quelques épaves de ce naufrage de sa famille.
Fondé sur la permission obtenue en 1762, il ouvrit une
nouvelle manufacture.
Comme la maison de TAnge, acquise à crédit, était
retombée, le 25 juin 1 766, entre les mains des Labastrone
qui en vendirent les matériaux en 1771, Pierre dut
chercher un autre local. Il crut le trouver dans le voi-
sinage. En septembre 178c on le voit demander à la
ville le résultat d'une enquête municipale sur les fours
et les cheminées qu'il avait installés dans une vieille
tour derrière le Saumon. Cette installation ne le satisfit
toutefois que médiocrement. Dès le 5 octobre 1781 il
acheta le Petit Château dont il sera question plus loin
et n'y renonça que par respect pour un droit de
préachat que son concurrent Anstett avait sur cet
immeuble. Elnfin, quand la faillite de Joseph amena la
vente des bâtiments voisins de la Porte Rouge qui
depuis une cinquantaine d'années constituaient la manu-
facture Hannong; il les acheta ([4 août 1783).
Cette acquisition se fit sans aucun doute avec l'argent
du notaire, Fr. X. Hallez, qui avait conclu avec lui un
traité dont le texte signé par les deux parties se trouve
sous nos yeux. Il a pour objet la mise en état de toutes
les faïences et porcelaines inachevées, que Pierre s'était
fait adjuger à la liquidation des marchandises saisies.
Dans ce but les deux parties mettent en commun, l'un
son argent, l'autre son travail et ses connaissances
techniques. La fabrication de pièces neuves n'était pas
interdite, mais elles ne se faisaient aux frais de l'asso-
ciation que lorsqu'elles servaient à assortir des pièces
anciennes. Tout ce que nous savons du reste sur les
destinées de l'entreprise, c'est qu'en fin de compte
Hallez resta créancier de quelques milliers de livres, et
quand il en réclama le solde, l'avocat de Pierre, fidèle
à la tradition connue, l'envoya se faire payer sur les
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU 5<>
fonds légendaires que son client, disait-il, avait à pré-
tendre sur la succession de son frère (6 juin 1785).
Au moment où se faisait cette réclamation, notre
remuant manufacturier se trouvait de nouveau en France.
Avant de quitter Haguenau, il y avait organisé une
petite loterie, dont la mise en scène est décrite en détail
dans le registre des audiences municipales. Pierre émettait
avec l'assentiment du magistrat 182 billets à 6 livres
chacun, et le tirage fixé au 19 septembre 1784, offrait
comme appâts les lots suivants :
I" lot (valeur 350 liv.) : un déjeuner de porcelaine
bleue du Roi ;
2* lot (valeur 350 liv.) : un déjeuner pareil, à deux
tasses, cafetière, pot au lait, sucrier et plateau, à fond
noir, contenant dans les médaillons des sujets d'animaux
domestiques enrichis d'or;
3* lot (valeur 144 liv.) : un grand vase antique
découpé en forme de pot pourri de 1 5 pouces de haut^
enrichi d'or et de couleurs;
4* lot (valeur 1 20 liv.) : une grande tasse à bouillon
en or, dans le fonds de paysages, de bouquets en or,
de couleur, gravé et bord doré;
5* lot (valeur 80 liv.) : une tasse à café, dite à la
reine à deux anses avec couvercle et soucoupe, fond
bleu à médaillons, dans lesquels il y a des enfants et
mignatures, bouquets en or de couleur, gravé, bordé
en or;
6* lot (valeur 48 liv.) : une petite tasse et soucoupe,
fond noir à 6 médaillons peints en enfants entremêlés
de bouquets d'or, gravé à double bord;
7* lot (valeur 36 liv.) : une garniture de cheminée,
composée de deux figures, d'un vase de milieu ou pot
pourri avec piédestal, le vase peint en oiseaux, le
tout doré.
Pierre s'était fixé à Verneuil. C'est du moins de là
qu'il écrivait à son cousin, le 9 juillet 1786. Il y avait
créé une manufacture; mais elle n'était pas encore
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6o REVUE d'aLSACE
roulante et en attendant que la vente fut ouverte, il
tirait le diable par la queue. Il se montre toutefois bon
parent et communique fraternellement une bonne recette
de terre blanche, qui servira peut-être à son correspon-
dant, désireux de se lancer à son tour dans l'arène.
En attendant il en tira lui-même quelque parti. Dans
une lettre écrite une vingtaine d'années plus tard, sa
fille Rossette, femme Giveze, nous apprend que « son
père en mourant l'a laissée dépositaire d'un procédé
dont il était inventeur et qui dans le cours de l'an II
de la République, quelque temps avant sa mort, lui
avait fait obtenir dans cette partie la place de directeur
à Sèvres ... Ce procédé consiste dans une vaisselle
blanche qui approche beaucoup de la porcelaine, qui
est susceptible des mêmes ornements, qui va au feu
et dont les frais de confection n'excèdent pas ceux de
la terre anglaise». Mais, faute de capitaux, ce précieux
secret ne rapporte rien à la pauvre dame, bien qu'elle
soit aussi du métier et y travaille de son mieux. « Je
peins, dit-elle, dore, cuis la porcelaine et la mets en
état de vente; mais les affaires sont si mauvaises ici
qu'on ne gagne presque rien >.
fA suivre), A. Hanauer.
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SOUVENIRS
DUN
MÉDECIN STRASBOURGEOIS
DU XVIIP SIÈCLE
Introduction.
Le praticien strasbourgeois dont voici les souvenirs
est à peu près inconnu. Il n'a pas fait partie du corps
enseignant de la faculté de médecine de Strasbourg, et
son bagage scientifique se réduit à une mince disser-
tation inaugurale.
Les Almanachs d* Alsace de 1 782 à 1 789 nous donnent
l'adresse de M. Doldé avec celle des autres praticiens
de Strasbourg, et nous apprennent qu'en 1782 il était
sous-doyen du Collège de médecine, c'est-à-dire de la
Corporation des médecins strasbourgeois. Le docteur
Bourguignon fait le récit de la prestation de sermeht
de fidélité à Charles II, duc de Deux-Ponts et seigtieur
de Bîsichwiller, par les fonctionnaires de la seigneurie;
et parmi ces fonctionnaires figure M. Doldé, docteur
en médecine, physicien de Bischwiller i).
i) Bourguignon (Eug.), Bùchwiller depuis cent ans, Bischwiller,
1875, «n-S».
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62 REVUE D'aLSACE
C'est tout. Notre héros n'a pas laissé d'autres traces
dans la littérature imprimée alsacienne.
Les souvenirs de Doldé sont avant tout des récits
de voyage. Le jeune garçon, qui, le 15 juin 1736,
franchit le seuil de la maison paternelle, ne déposera
le bâton de voyageur que le 24 décembre 1750. Né
en Pologne en 1717, il mourra en Alsace en 1789,
après avoir parcouru l'Europe de Saint-Pétersbourg à
Paris, et de Zurich à Stockholm. Il a habité la Prusse
-et la Livonie, la Suède et la Russie, la France et la
Suisse. Il était en Pologne, lorsqu' Auguste III et Sta-
nislas se disputaient ce malheureux royaume; en Prusse
lorsque Frédéric bat les troupes impériales à Molwitz ;
en Russie lorsqu'une révolution de palais place la prin-
cesse Elisabeth sur le trône occupé un instant par un
czar enfant. A Strasbourg, avant de mourir, il assista
aux premières troubles révolutionnaires de 1789.
Sa vie universitaire le met en contact avec bien
des savants. Il a connu Nordenheim, l'archiâtre de la
cour de Suède, Bittner (de Kœnigsberg), un des créa-
teurs de la médecine légale, le théologien Quandt,
Kau-Boerhoave, Winslow, Astruc, Bernouilli, pour ne
citer que les plus grands.
Des faits historiques auxquels il a assisté, Doldé
n'en mentionne aucun. Des savants qu'il a connus, il
fait une énumération consciencieuse mais sèche, et sans
donner plus de détails que lorsqu'il consigne des noms
d'hôteliers ou de conducteurs de diligences. Des sites
et des monuments qu'il a vus, le musée de Berlin, la
galerie verte de Dresde, Zurich et son lac, semblent
seuls avoir frappé son attention. Aucun cri d'admiration
ni pour les fontaines de Nuremberg, ni pour le Louvre
de Paris, ni pour le parc de Versailles, ni pour la mon-
tagne, ni pour la mer. Peu d'anecdotes : l'auteur a
mangé de fort bon poisson dans une île où le jeta la
tempête, et a failli être assassiné dans une forêt de la
Suisse. Voilà toutes ses aventures de voyage.
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOUUOEOIS 63
Pourtant c'est sans ennui qu'on lit les feuillets jaunis
sur lesquels ont été recopiés ces souvenirs, par une
main pieuse, celle sans cloute de la fille du vieux
docteur.
L'auteur, avec une candeur charmante, s'y montre
à nous sans fard. Nous lui découvrons des déi'auts,
nous sentons un esprit trop fermé aux belles choses
de la nature et de l'art, nous le voyons accepter trop
aisément un ducat d'une belle-mère qu'il déteste, nous
lui trouvons un peu trop d'amour pour l'argent, qui
lui manqua si souvent, hélas ! Nous lui reconnaissons
aussi des qualités. Travailleur et persévérant, il obéit
à sa vocation médicale, malgré les obstacles qui en-
combrent sa route. Ses qualités de cœur ne sont pas
moins réelles, car partout où il va il se crée de solides
amitiés. C'est un excellent chrétien. Il a, à un haut
degré, le culte de sa famille ; aucun effort ne lui coûte
pour en recueillir les plus lointaines traditions.
Mais autre chose encore nous intéresse en cette
histoire. Au XV* siècle, au xvi« siècle peut-être, une
famille alsacienne s'établit à Stuttgart. De là elle va en
Silésie, en Pologne, à Fraustadt < au milieu des dunes
où s'agitent les ailes des moulins à vent>. Deux siècles
se passent, puis son dernier rejeton regagne le pays
d^origine. Des raisons professionnelles, je ne sais quels
conseils reçus à Saint-Pétersbourg, suffisent-ils à expliquer
ce retour au sol des aïeux .^ Penserons-nous plutôt que
La voix mystérieuse de ses morts d'Alsace y a rappelé
ce déraciné ^ Quoi qu'il en soit, Jean-Jacques Doldé ira
mourir à l'ombre de l'église Saint-Thomas, où depuis
si longtemps dort un de ses ancêtres.
Il nous a été facile d'identifier la plupart des per-
sonnages de quelque notoriété cités ici. Les biographies
Didot et Michaud malgré leurs inexactitudes, le diction-
naire Dechambre, les monographies de Hjelt, de Stetti-
ner, de Richter et de Wieger, l'index-catalogue de la
bibliothèque des chirurgiens militaires de Washington,
nous ont été très utiles.
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04 REVUE d'aLSACE
Je dois à Tobligeance de M*"* Dobelmann-Kampmann,.
arrière-petite-nièce du docteur Doldé, la communication
du manuscrit de ces souvenirs.
Er. W.
Histoire de la vie de feu M. Jean- Jacques
Doldéy de son vivant docteur en
médecine à Strasbourg.
Jean-Jacques Doldé, docteur en médecine, bourgeois-
et praticien à Strasbourg en Alsace, en même temps
que physicien à Bischwiller, a laissé cet écrit en sou-
venir à ses enfants.
Aujourd'hui, ce 17 août 1777, m'étant au point du
jour réveillé en bonne santé, et ayant par la grâce de
Dieu atteint la soixantième année de mon âge, j'écrivis-
ces lignes : tout d'abord pour remercier mon Créateur^
qui dans sa haute sagesse m'a gouverné et dirigé jus-
qu'à ce jour, ensuite pour rappeler à mes enfants,,
lorsque je ne serai plus de ce monde, le lieu de ma
naissance et les souvenirs que j'ai conservés de mes-
parents, de mes grands-parents et arrière-grands-parents-
J'ai également noté ici comment Dieu me dirigea dans
le monde, depuis ma naissance, c'est-à-dire depuis le-
17 août 17 17 jusqu'à la soixantième année de mon âge-
Cet écrit n'est qu'un souvenir que je laisse à mes
enfants.
Ma naissance, mon éducation, mes voyages.
L'an 1717, le 17 août, je naquis à Schlichtingsheim,.
petite ville voisine de Groszglogau, située sur la frontière
de Pologne, et, le 19 du même mois, je fus baptisé
dans l'église évangélique luthérienne (Schlichtingsheim.
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 65
n*a qu'une église et ses habitants sont tous luthériens) i).
Jean et Jacques furent mes noms de baptême. Mon
père s^appelait Jean-Jacques Doldé; il était baigneur-
chirurgien et bourgeois dudit endroit; ma mère s'appe-
lait Anne-Sabine D., née Degner, et était native de
Fraustadt. Tous ces renseignements figurent sur mon
billet de baptême.
Dès que mon âge le permit, je fréquentai l'école
de Schlichtingsheim, mais des maladies telles que la
petite vérole et d'autres affections de l'enfance m'en
écartèrent maintes fois jusque vers l'âge de sept ans,
âge auquel j'avais éprouvé toutes les maladies habi-
tuelles aux enfants. A part ces maLidies, grâce à la
bonne constitution dont j'avais hérité de mes parents,
j'étais un enfant bien portant, autant que j'en puisse
juger par mes propres souvenirs et par les récits de
mes parents.
J'avais huit ans quand mon père vendit sa maison
et son jardin de Schlichtingsheim, pour aller habiter
Fraustadt, ville qui, plus importante et plus peuplée,
lui promettait des ressources plus grandes ; peut-être
avait-il été poussé à prendre ce parti par ma mère
dont les parents habitaient Fraustadt 2). Mon père acheta
à Fraustadt une belle maison, et obtint les privilèges
nécessaires pour être autorisé à soigner son prochain
dans ses maladies tant internes qu'externes. Il ouvrit
dans sa maison une boutique d'apothicaire aussi bien
aménagée que peut Têtre une officine dans une petite
ville, mais n'exploita guère l'étuve installée auprès de
chez lui, tirant sa subsistance de rexerci:e de la chirurgie
1) Schlichtingsheiin, bourg du canton de Fraustadt, fait aujourd'hui
partie de la province prussienne de Posen. Fondé en 1642 par des
réfugiés silésiens, il appartint au royaume de Pologne jusqu'en 1772. —
Gro&zglogâu, cheMieu d'arrondissement de la Silésie prusienne, appartint
à l'Autriche jusqu'en 1741, date à laquelle il fut pris parles Prussiens.
a) Fraustadt (en polonais Wszowa), chef-lieu d'arrondissement de la
province de Posen, appartint i la Pologne jusqu'en 1772.
Sarne d'Alêoce, 1907 6
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66 REVUE d'alsace
et de la médecine interne dans la ville et dans ses
environs.
Nous habitions Fraustadt depuis peu, lorsque ma
mère tomba malade : son état empira peu à peu, une
maladie consomptive la cloua au lit pendant de longues
semaines, et Dieu finit par me l'enlever. J^avais alors
à peu près neuf ans. Cette mort me laissa très isolé:
je n'avais plus de mère et mon père était rarement à
la maison. Au bout d'un peu plus de deux ans mon
père se remaria, épousant une demoiselle Eckart dont
le père avait été pasteur dans une localité des environs.
En me donnant cette belle-mère. Dieu me fit un don
aussi précieux que s'il m'eût envoyé une mère véritable.
Elle me montra autant d'amour, autant de tendresse,
qu'une mère peut en avoir pour son enfant. J'étais
d'ailleurs le seul enfant que mon père lui avait apporté
de son premier mariage. Je continuais à fréquenter les
classes du gymnase ; de plus mon nouveau grand-père,
en sa qualité de savant, me donnait des leçons de
latin, et je m'exerçais à écrire et à compter.
Là-dessus le désir me vint d'étudier la médecine, et
il était à peu près décidé que j'obéirais à mon penchant.
Mon père toutefois n'était guère de cet avis, je ne sais
trop pourquoi, soit à cause de l'insuffisance de ses
ressources, soit pour toute autre raison. Nous étions
alors trois frères et sœur, le second mariage de mon
père lui ayant donné un fils et une fille. Aussi grande
avait été ma joie de retrouver une mère aussi aimable,
aussi grande fut ma douleur, lorsque quelques années
après Dieu me la reprit. Elle mourut, et de ce temps
je désespérai de jour en jour davantage de jamais pou-
voir étudier la médecine.
Mon père m'engageait de plus en plus à l'aider,
par conséquent à borner mes ambitions à l'état de
chirurgien. Connaissant les simples usuels, il les récoltait
lui-même chaque année, et c'est ainsi qu'il m'amena à
approvisionner d'herbes notre grenier. Mon père m'apprit
à distiller, à faire des préparations chimiques. Au point
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 67
de vue chirurgical, il était aussi expérimenté que peut
rêtre un chirurgien dans une petite ville. Usant des
qualités dont Dieu l'avait doué, il mettait à profit les
entretiens et la correspondance d'habiles médecins,
d'apothicaires et de jardiniers. Il aimait à lire et à écrire,
<:e qui lui fut d'autant plus utile qu'il n'eut jamais
roccasion de fréquenter des écoles bien savantes. Le
petit jardin qu'il possédait auprès de sa maison, était
rempli d'herbes utiles et de fleurs qu'il cultivait tant
pour son utilité que pour son agrément.
M'exerçant journellement de la sorte, et bien que
ne possédant pas les principes exacts de la science,
j'acquis bien des connaissances utiles. En pesant avec
soin des médicaments j'appris à connaître le poids médi-
cinal; en mélangeant les médicaments externes ou
internes, j'appris quelles étaient leurs propriétés, toutes
choses que négligent beaucoup de ceux qui étudient
la chirurgie, en chambre, mais dont j'appréciai plus
tard l'utilité lorsque je suivis les cours des universités.
Mon père me conseillait de devenir chirurgien comme
Jui; pourtant il me promit que si un jour je me trouvais
dans une ville d'université et que si je m'y faisais
connaître, rien ne s'opposerait à ce que j^étudie ensuite
la médecine; il m'y aiderait autant que le lui permettrait
sa fortune. Sur cette promesse, je continuai à étudier
la chirurgie.
J'avais dix-sept ans lorsque mon père se remaria à
nouveau, épousant cette fois une veuve Eve-Catherine
Masculius. Elle fut pour moi une vraie marâtre, pour
mon père une épouse désagréable; comme dit le pro-
verbe, chacun des deux mariés comptait se chauffer
auprès de l'autre, espérant faire un riche mariage. Cette
femme était sensiblement plus âgée que mon père, dont
le choix malheureux avait été sans douté dicté par le
désir d'obtenir une belle dot et de ne plus avoir d'en-
fants. Elle vécut douze ans encore au grand déplaisir
de mon père, qui apprit ainsi combien on a tort de
ne songer qu'à la question d'argent. Ce mariage réduisit
H
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68 REVUE d'alsace
notre fortune plus qu'il ne l'accrut, et porta préjudice
à mes intérêts aussi bien qu'à ceux de mon frère et
de ma sœur.
Enfin arriva l'époque où je terminai mon appren-^
tissage de chirurgien. Je restais encore quelque temps
à la maison auprès de mon père. On chercha une occa-^
sion de m'établir au loin ; cette occasion se trouva à
Thorn, et tel fut le but de mon premier voyage.
Thorn possède un gymnase, dont j'espérais pouvoir
tirer parti »).
Mon départ fut fixé au 15 juin 1736. Ce jour-là
mon père me donna deux ducats que je joignis à trois-
ducats, fruit de mes économies et de la libéralité de
quelques amis. De la sorte je possédais pour mon voyage-
une somme correspondant environ à cinquante livres
de monnaie française.
Je partis de Fraustadt sur une voiture de roulage,,
et, grâce à Dieu, j'arrivai heureusement le 2t du même
mois à Thorn, ville de la Pologne prusienne, située à
trente milles d'Allemagne, c'est-à-dire à soixante lieues^
de Fraustadt. Je ne dis rien des villes et des villages
que je traversai au cours de mon voyage; ils ne me-
montrèrent rien de remarquable.
A Thorn je me rendis chez M. Illing, dans la maison
duquel j'exerçais la chirurgie, j'y trouvai les rudiments
d'un hôpital, car, après le siège de Danzig, un chirur-
gien français avait installé dans la maison de M. Illing
un grand nombre de blessés dont quelques-uns étaient
encore en traitement lors de mon arrivée 2). Après avoir
passé quelque temps à Thorn, je m'aperçus que le*
i) Thorn, en même temps qu'un gymnase protestant, possédait un-
collège de Jésuites, et les élèves des deux établissements en étant venus-
aux mains en 1724, le gouvernement polonais prit des mesures draco-
niennes pour rétablir Tordre. Le maire et neuf bourgeois eurent la tête*
tranchée. Thorn était encore à la Pologne à Tépoque où y passa Doldé,.
qui place à tort cette ville en Prusse.
2) Danzig, qui resta à la Pologne pendant la plus grande partie du
xvni* siècle, servit en 1734 de refuge à Stanislas Leczinski. Assiégée-
par les Russes et les Saxons, elle capitula le 9 juillet.
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOUkGEOÎS 69
séjour dans cette ville ne m'était guère profitable. Le
désir me vint de voyager, et, ayant réuni quelques
•économies, je quittai Thorn le 3 mai 1737 et partis
pour Danzig en bateau sur la Vistule. (Danzig est
éloignée de Thorn de vingt-quatre milles, c'est-à-dire
de quarante-huit lieues ; par bateau la distance est de
trente milles). A deux milles de Thorn, notre bateau
prit l'eau à la suite d'un choc, et c'est à grand'peine
•que nous nous tirâmes de là. Quelqu'un de nous fut
envoyé à la ville pour demander qu'on nous porte
secours; nous dûmes nous arrêter pendant deux jours,
le temps de réparer Tavarie, puis nous poursuivîmes
notre voyage, et le 8 mai nous abordions heureusement
à Danzig.
A Danzig, deux maisons étaient prêtes à m'accueillir,
mais une querelle ayant éclaté entre deux messieurs
chez qui je devais séjourner, querelle assez grave pour
les conduire devant les juges, l'existence à Danzig me
devint insupportable, et je décidai de quitter cette ville
pour aller à Stockholm ; je me félicitai plus tard d'avoir
■eu cette idée. Au bout de cinq semaines à peine de
séjour à Danzig, d'abord chez M. Lamprecht dans le
faubourg d'Ecosse"), puis chez M. Falck dans la ville
même, je m'embarquai sur le bateau Saint-André^ dont
■le capitaine s'appelait Rickerlille, le 15 juin 1737, et,
le 24 du même mois, malgré la tempête et le mauvais
temps, j'atterrissais heureusement à Stockholm.
Je me rendis à Ladugartsland, chez M. Gœdecke,
afin d'y exercer la chirurgie sous sa maîtrise 2). J'y
passai trois ans pendant lesquels je pus faire quelques
économies. De plus j'avais le bonheur de rencontrer
plusieurs fois par semaine l'archiâtre Nordenheim, méde-
i) Deux faubourgs de Danzig portent le nom d^Ecosse : AU*Schott-
4and (la vieille Ecosse), au sud, et Neu-Sctiottland (la nouvelle Ecosse),
■à 4 km. au nord-ouest de la ville.
2) Ladugartsland, faubourg de Stockholm, occupé aujourd'hui surtout
{>ar des casernes.
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70 REVUE D ALSACE
cin privé de la reine et je soignais des malades sous
sa haute direction ; M. Nordenheim, qui en même temps
que M. Van Horn avait été chargé de renseignement
des sages-femmes, contribua à me donner le désir d'étu-
dier l'art des accouchements, qui jusque-là m'était totale-
ment inconnu »).
Ce maître me montra beaucoup d'amitié, et je
cherchai à profiter le plus possible de son enseigne-
ment.
Ayant passé trois ans à Stockholm et M. Norden-
heim étant mort, je résolus d'aller à Riga. Je m'em-
barquai le 1 1 mai 1 740 (vieux style), sur un bateau
chargé de pierres et de sable. Ce voyage était fort
périlleux, la mer étant encore couverte de glaçons
provenant des fleuves qui s'y déversent. A quelques
milles de Riga, on nous parqua au fond du bateau,
nous recommandant de nous mettre en prières et de
nous préparer à la mort; le danger était grand et le
bateau menaçait de sombrer. Toutefois Dieu nous
secourut, et, le 18 mai, nous débarquâmes heureusement
à Riga.
N'ayant aucun motif de m'arrêter à Riga, je n'y
demeurai que seize jours, chez M. Erxleben. Le 3 juin
je partis sur une voiture de roulage, conduite par un
voiturier nommé Will, pour me rendre à Kœnigsberg,
et, voyageant ainsi à travers la Courlande, je passai
par Mitau, Libau et Memel. Là je m'embarquai sur un
bateau, qui par le golfe de Courlande me conduisit à
Kœnigsberg, où j'arrivai heureusement le 18 du même
mois.
i) Jean-Christophe Nordenheim (ou Heyn) naquit en 1681. Il fut
médecin des armées suédoises, puis médecin du roi de Suède. Il mourut
en 1740. — Jean Van Horn (1662-1724) était mort lors du séjour de
Doldé à Stockholm. Premier médecin du roi, il avait été chargé par le
Gouvernement de régler tout ce qui concerne rétablissement des sages-
femmes. (HjBLT (O. E. A.), Svtnska ock finska médicinal vtrktts kistO"-
fia.,. Helsingfors, 1893, 3 vol. in.8«).
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 7I
A Kœnigsberg, un certain M. Brodhag m'offrit un
logis dans sa maison; je vins habiter chez lui le 3 juillet
1740, ne connaissant d'ailleurs personne dans la ville,
et je recommençai à exercer mon métier de chirurgien.
Avec quelques amis, je suivis les cours d*ostéoIogie de
M. le docteur Bittner, et ainsi je nouai des relations
avec de nombreux étudiants >). J'appris à connaître aussi
M. le professeur Keszelring, qui était professeur dana-
tomie et qui faisait en même temps un cours d'ostéo-
logie 2). Un de mes bons amis m'ayant plusieurs fois
emmené à ce cours, j'entrai peu à peu dans l'intimité
du professeur, je lui dévoilai mes projets d'avenir; il
se prit daff'ection pour moi et m'admit gratuitement à
ses leçons. Au bout de trois mois je quittai la maison
de M. Brodhag et pris pension chez un serrurier. Je
fréquentai avec assiduité les cours d'ostéologie de M. le
professeur Keszelring, et enfin j'entrepris l'étude de
l'anatomie. Ce maître, devenu pour moi un véritable
ami, me proposa au bout de quelques semaines de
m'héberger sous son toit, et promit de me venir en
aide en toute occasion jusqu'au jour où je serais promu
docteur. Riche et sans enfants, il était fort aff'able et
aimé de tout le monde. Le 7 mars 1741, M. J.-J. Quant,
professeur de théologie, me fit immatriculer à l'univer-
sité3). Je crus qu'une étoile de félicité s'était levée pour
moi. Je pensai aux paroles de mon père, qui m'avait
promis que si un jour je venais à suivre les cours d'une
1) BiUner (ou BueUner), qui a laissé un nom dans la médecine
légale, était an des six professeurs de la faculté médecine de Kœnigs»
berg. Cette faculté avait été complètement réorganisée en 1738. La
chaire de botanique avait été séparée de la chaire d^anatomie; on avait
introduit dans l'enseignement Tétude de certaines spécialités telles que
la gynécologie. Enfin Bittner avait fait édifier à ses frais un théâtre
anatomique. (Stettineb, Aus der Geschichu der Albirtina : iS44'i8g4,
Kœnigsberg. 1894, in-S").
2) Jean-Henri Keszelring (1713-1741), auteur de quelques écrits
historiques et pratiques sur la lithotomie, quitta probablement Halle pour
Kœnigsberg en 1 738 ou en 1 739.
3) Qnandt (Jean-Jacques), chef des luthériens orthodoxes à Kœnigs-
berg. Homme d'une grande érudition, son éloquence était fort prisée
par le grand Frédéric. (Stbttiner, op. cit.).
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72 REVUE D'ALSACE
université, il me viendrait en aide. Comme mes écono-
mies de Stockholm diminuaient, je lui demandai du
secours, tout en lui donnant de mes nouvelles. Afin
de ne causer à mon père aucune privation, je le priai
seulement de m'envoyer le montant d'une vieille dette
dont ma mère avait été la créancière, et c'est ainsi que
je reçus quelque argent. L'époque était venue où je
devais m'installer dans ma nouvelle demeure, et je
croyais pouvoir enfin atteindre à ce que je considérais
comme mon bonheur, lorsque le professeur tomba
malade et mourut; je dus encore dire adieu à tous
mes beaux projets. Les vœux anciens de mon père
semblaient sur le point de se réaliser, et voilà que mes
espérances étaient si tôt anéanties.
Mes ressources étaient trop modestes, et mon père
m'envoyait trop peu d'argent, pour que je pusse songer
à continuer mes études ; aussi je ne restai plus que peu
de temps à Kœnigsberg. Ayant fait connaissance avec
des Livoniens et des Courlandais, nobles et bourgeois,
je m'étais créé quelques relations à Riga. On m'écrivit
de cette ville pour me demander d'y revenir. Je m'y
décidai, et, conduit par le voiturier Reisz, je partis de
Kœnigsberg, le 26 avril 1741, à destination de Riga.
Après avoir traversé en bateau le golfe de Courlande
et débarqué à Memel, je voyageai par terre et passai
par les villes de Libau et de Mitau, pour arriver heu-
reusement, le 12 mai, à Riga. Là je me rendis chez
M. Staehiin, afin d'excercer la chirurgie. Je prenais
plaisir à parcourir les environs de la ville, et il m'arri-
vait de séjourner une ou deux semaines, parfois plus
longtemps, chez des gentilshommes campagnards, car
M. Staehiin connaissait beaucoup de monde à la cam-
pagne, et l'âge l'empêchait de parcourir le pays »).
1) De ce pasvage un peu obscur, il Remble résulter que Stsehlia
étrfii médecin ou chirurgien. Dans ce ca« D^Mo n*aurait pan été «eule»
jnenl bon iochtaire, mais aussi en quelque soi le «tau aïkbisUiil.
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SOUVENIRS D*UN MÉDECIT STRASBOURGEOIS 73
En ville j*eus Toccasion de visiter des malades en
compagnie de M. le docteur Stimsel. J'acquis quelque
réputation; je pus économiser deux cents ducats et
renouveler ma garde-robe. Je restai trois ans à Riga;
au bout de ce temps M. Staehlin mourut. Aucun motif
ne me retenait plus à Riga, et ma fortune était trop
mince pour me permettre d'aller suivre les cours d'une
université. Je résolus donc d'aller à Saint-Pétersbourg
et partis^ le 19 mai 1744 (vieux style), avec un gemschick
russe. (C'est ainsi qu'on appelle là-bas les voituriers).
Je lui donnai pour ce voyage dix roubles; je n'en
dépensai en route que deux pour mon entretien, le
voyageur n'ayant, dans ces contrées, guère d'occasions
de dépenser son argent. Je^ traversai Wollmar, Walk,
Dorpat et Narva. Les routes sont sûres en Livonie,
mais entre Narva et Saint-Pétersbourg j'étais moins
rassuré. J'arrivai pourtant sain et sauf, le 28 mai au
matin, à Saint-Pétersbourg. Je logeai à \ hôtellerie de
Riga trois journées durant, puis chez un sellier nommé
Segelin.
Mon dessein était de chercher un emploi au collège
de médecine, ou de demander un privilège dont je me
servirais pour m'établir en Livonie ; cependant mes
roubles diminuaient et je ne voyais rien venir, la cour
étant alors à Moscou. Je m'abstins donc de faire aucune
demande, des amis me conseillant de me livrer à la
pratique de mon art. Je suivis leurs conseils et m'ea
trouvai bien.
Quand la cour fut re/enue à Saint-Pétersbourg, j'eus
'le bonheur de m'approcher de quelques personnes de
la suite de l'ambassadeur de Prusse, qui eurent assez
de crédit pour m'introduire chez lui. J'eus aussi l'occa-
sion d'être employé à l'ambassade de l'empire alle-
mand ; ma clientèle s'étendit et j'exerçai la médecine
interne aussi bien que la chirurgie. Enfin je fis la
connaissance de l'archiâtre Kau-Bcerhaave, médecin
privé de l'impératrice, qui m'introduisit auprès de ses
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74 REVUE d'alsace
clients'). Saizer, le chirurgien en chef de l'hôpital
maritime, me prit aussi en amitié, et, grâce à son
amitié, mes allaires devenaient de jour en jour plus
prospères ; je me rencontrais avec lui chez des malades
de ma clientèle, et, comme son nom était estimé de
tous, un peu de sa réputation rejaillissait sur moi 2).
Mes affaires étant satisfaisantes, je changeai de domi-
cile et alla habiter chez M. le lieutenant Wonneberg.
Là ma clientèle s'accrut encore. M. Saizer me fit faire
la connaissance de ^I. le professeur Schreiber, dont je
suivis les cours de chirurgie, puis de physiologie 3).
Le réputation de ce savant était universelle. Deux
étrangers vinrent suivre ses leçons; Tun d'eux se trouva
être de mes vieux amis, nommé Simmerling, qui avait
été premier commis chez un apothicaire de Riga. 11
me rendit visite aussitôt arrivé, suivit les cours du
professeur Schreiber, et fréquenta avec assiduité l hôpi-
tal de terre et Thôpital maritime 4). Lorsque les cours
qu'il suivait eurent cessé, Simmerling, sur le conseil de
M. le professeur Schreiber, décida de se rendre à Stras-
bourg. Il me demanda si je ne voulais pas l'y accom-
pagner, ajoutant que c'était pour y apprendre les
accouchements qu'il voulait se rendre dans cette ville^
J'examinai ma fortune, je pensai que je ne pourrais
i) Hermano Kau-Boerhaave, souvent confondu par les biographes
avec son frère Abraham, était le neveu du grand Boerhaave. Docteur
de l'université de Leyde, depuis 1 729, il devint médecin de la cour de
la Russie en 1740, puis conseiller privé, premier archiâtre, directeur
du collège de médecine, et membre de l'Académie impériale des sciences.
Il mourut à Moscou en 1753. (V. Richtbr, GeschichU der Médian m
Russland, Moskwa, 1815-17, 3 vol. in-8<»).
3) Il s'agit sans doute de David-Christian Saltzer, qui fut nommé
chirurgien de la cour en 1749. (V* RiCHTER, op. cit.).
3) Schreiber (Jean -Frédéric), né à Kœnigsberg en 1705, mort à
Saint-Péter>bourg en 1760. Médecin de l'armée russe en 1731, il fit la
guerre de Turquie; en 1742, il fut nommé professeur d'anatomie el
de chirurgie à Saint-Pétersbourg et, en 1757, médecin-conseiller de
l'impératrice (DfiZEiMRRis).
4) L'hôpital de terre (ou de l'armée de terre) et l'hôpital maritime
furent fondés en 1715 par Fierre-le-Grand sur la rive droite de la Neva»
Deux théâtres anatomiques étaient annexées à cen superbes édifices qu»
pouvaient contenir plus de cinq cents malades. (V. RiCHTSR, op, cit.).
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SOUVENIRS d'un MEDECIN STRASBOURGEOIS 75
indéfiniment rester à Saint-Pétersbourg, et, d'ailleurs,
je désirais aussi apprendre Tart des accouchements.
Comme j'avais fait quelques économies et que je
pouvais me dispenser d'avoir recours aux envois d'argent
de mon père, je répondis à mon ami que j'étais tout
disposé à partir avec lui. Je réalisai mes créances dans
la mesure du possible; plusieurs notes, bien entendu,
restèrent impayées. Avant mon départ je confiai mes
économies à un négociant, en échange d'une lettre de
crédit payable à Hambourg.
Le 9 juillet 1747 (vieux style) nous partîmes donc
tous deux en bateau de Saint-Pétersbourg pour Cronstadt
où nous arrivâmes le même jour. Le 16 juillet nous
nous embarquâmes sur un bateau de voiles, dont le
capitaine s'appelait Dehtloff Baur, à destination de
Lûbeck. Une forte tempête nous força à jeter l'ancre
dans l'île de Bornholm, où nous débarquâmes et où
nous mangeâmes du fort bon poisson. Après avoir passé
un jour et une nuit dans cette île, qui appartient au
Danemark, nous poursuivîmes notre route. Ballottés par
les vents nous fûmes en grand danger dans les parages
de l'île de Semens. Enfin, grâce à Dieu, nous débar-
quâmes le 15 août à Travemuende. Il faisait déjà nuit;
le lendemain 16 nous en partîmes en voiture de poste
pour Hambourg, où nous arrivâmes le même jour. A
Hambourg je touchai le montant de ma lettre de crédit,
et en outre sept ducats, le cours de l'argent en roubles
étant alors fort élevé.
Nous visitâmes Hambourg et y prîmes de l'agré-
ment, et, le 30 août, la même voiture de poste qui
nous y avait amenés, nous ramena à Lubeck.
Le I®' septembre, nous partîmes dans la voiture de
poste ordinaire pour Schwerin, ville natale de mon
camarade Simmerling, et nous y arrivâmes heureuse-
ment le 2 septembre. Nous nous arrêtâmes jusqu'au
14 septembre chez des personnes de sa famille, puis-
nous repartîmes tous deux en voiture de poste. Il fut
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76 REVUE d'aLSACE
convenu alors entre nous deux que Simmerling m'accom-
pagnerait à Fraustadt et que, comme il faisait ce détour
par pure complaisance pour moi et afin que nous ne
nous séparions durant notre voyage, je le défrayerais
de toutes les dépenses jusqu'à Fraustadt; à partir de
là, nous voyagerions de nouveau chacun à nos frais.
Nous traversâmes donc Neustadt, Grabau, Perlberg,
Kiritz, Fehrbellin et Berlin où nous nous arrêtâmes
quelques jours, afin d'en visiter les curiosités, princi-
palement le musée d'art. Nous traversâmes ensuite
Francfort-sur-l'Oder, Crossen, Griinberg, Kontup, et
arrivâmes le 21 septembre 1737 de nuit à Fraustadt.
Je trouvai mon père et ma sœur en bonne santé, mais
mon frère était mort. Ma seconde belle-mère vivait
encore, mais elle était malade et n'habitait plus avec
père. Je lui rendis visite et elle me donna un ducat.
Le 30 septembre 1747, mon compagnon et moi,
flous partîmes de Fraustadt pour Dresde. C'était la
seconde fois que je quittais Fraustadt, et je ne devais
plus revoir ni mon père, ni ma sœur, ni aucun des
miens. Ma belle-mère mourut peu de temps après mon
départ.
Je ne dois pas oublier ici de rapporter qu'à mon
arrivée j'avais montré à mon père la somme rondelette
que j'avais amassée, toutes en pièces d'or. Il me demanda
quelles étaient mes intentions. Je lui répondis que je
comptais aller à Strasbourg, à Paris, etc., afin de com-
pléter mes études. Tel n'était pas son avis : t N'as-tu
donc pas assez voyagé.'^» me dit-il. Il regrettait l'argent
que coûtaient ces voyages, tout en me souhaitant bien
du bonheur. J'avais aussi une petite somme à recueillir
d'une créance de ma mère, créance dont j'avais déjà
touché une partie à Kœnigsberg; je l'ajoutai à mon
argent de route.
De Fraustadt à Dresde la route traverse Beuthen,
Sagan, Sorau, la petite bourgade de Mosgau, Hœgers-
werda et Kœnigsbriiclc Nous arrivâmes heureusement
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS ']^
à Dresde, et nous nous y arrêtâmes quelques jours
pour en voir les curiosités, la galerie verte entre autres i).
Nous partîmes ensuite pour Nuremberg, et nous traver-
sâmes Freyberg, Oedern, Chemnitz, Zwickau et Reichen-
bach. Là nous dûmes nous arrêter pendant une journée,
car j'étais fatigué et indisposé par ce voyage continuel
de jour et de nuit. De fortes pluies tombaient presque
toutes les nuits, et les voitures de poste, n'étant guère
plus confortables que des chariots découverts à ridelles,
nous laissaient exposés à toutes les intempéries. Mon ami
eut la complaisance de ne pas m'abandonner, et au moyen
d'une voiture particulière, nous pûmes, au bout de deux
jours, repartir pour Nuremberg et rattraper ainsi le temps
perdu. Nous traversâmes Plauen, Hoff, Miinchberg,
Penick, Bayreuth, Truppach, Streitberg, Erlangen, et
arrivâmes heureusement à Nuremberg. Nous nous y
arrêtâmes quelques jours pour y visiter tout ce qui en
vaut la peine, et nous partîmes en voiture de poste
pour Strasbourg. Nous traversâmes Firth, Garnbach,
Daberndorf, Oberzehn, Rothenburg-sur-Tauber, Blaufeld,
Hall ou Guntzelsau, Œhringen, Heilbronn, Eppingen,
Bretten, Durlach, Carlsruhe, Rastadt, Biihl, Appenweyer,
Offenburg, Kehl, et nous arrivâmes enfin à Strasbourg^
le 21 octobre 1747. Notre logis fut pendant quelques
jours l'auberge des Trois-Maures, dans la Grand'rue^
puis nous allâmes habiter chez un sellier dans les-
environs de l'église Saint-Nicolas, non loin du théâtre
anatomique 2). Nous avions parcouru cet été-là 760 ou
780 lieues, dont 400 environ par mer de Saint-Péters-
bourg à Lûbeck, et 364 en voiture de poste. Les 400
lieues de voyage par mer ne m'avaient guère coûté
plus d'un louis d'or, mais le voyage par terre avait été
plus cher, de sorte que, tout compris, mon voyage
i) La galerie verte (griine Ctw'ôlb)^ salle du château de Dresde,
célèbre pour ses collections artistiques.
2) L'auberge des Trois-Maures était dans la maison qui porte aujour-
d'hui le numéro 77 de la Grand'rue. — Le théfttre anatomique était
annexé à Phôpital civil.
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78 RKVUE d'alsace
tn'avait coûté environ cent cinquante thalers. Sitôt après
notre arrivée, nous nous informâmes de ce que nous
pourrions étudier cet hiver. Mon dessin était d'étudier
les accouchements et Tanatomie. J'avais l'intention de
revenir plus tard à Saint-Pétersbourg, mais je voulais
aller à Paris et à Jéna, avant de choisir un endroit pour
m^ installer définitivement.
Nous assistâmes tous deux aux leçons d'accouche-
ment de M. le docteur Fried et aux leçons d'anatomie
de M. le professeur Eisenmann dans le théâtre anato-
mique >). Nous fréquentions aussi l'hôpital allemand et
l'hôpital français 2). M. Eisenmann faisait suivre ses leçons
d'anatomie d'un cours de médecine opératoire, le tout
en langue allemande. Nous prenions aussi des leçons
de français, car ni M. Simmerling ni moi ne connais-
sions cette langue.
Nous journées furent donc bien remplies cet hiver :
l'étude tant théorique que pratique de l'anatomie, de
l*ostéologie, de l'art des accouchements qui nous faisait
fréquenter la Maternité, les leçons de français, ne nous
laissaient guère d'heures de loisir. Quand les cours furent
terminés, le 23 avril 1748, M. Simmerling et moi nous
partîmes par la voiture de poste ordinaire pour Paris,
où nous arrivâmes heureusement le 4 mai. Nous logeâmes
quelques jours dans le faubourg Saint-Antoine, puis rue
<ie Seine dans le faubourg Saint-Germain. Enfin nous
i) Fried père réorganisa renseignement de robstétrique à Strasbourg.
Il ne doit pas être confondu avec son fils qui fut également médecin-
accoucheur. — Georges Henri Eisenmann (1693-1768), professeur à la
faculté de médecine de Strasbourg, y enseigna Tanatomie et la chirurgie
de 1734 à 1756, puis il occupa la chaire de pathologie. La publication
d*observations d'utérus doubles lui valut de son temps une certaine
notoriété. (Fr, Wibgbr, Geschichie der Mtdicin und tarer Lehranstalten
in Strassburg vont Jahre l4ç^ bis %um Jahre 1872. Strasbourg, 1885,
ln.8«).
2) L'hôpital allemand ou hôpital civil avait été construit de 1718
à 1724 sur l'emplacement de l'ancien hôpital détruit par l'incendie de
1716. L'hôpital français ou hôpital militaire avait été construit en 1692
à l'entrée du canal du Rhin. (A. SbybotH| Strasbourg historique et
pittoresque, Strasbourg, 1894, in-40).
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 79
allâmes habiter chacun de notre côté, car pour bien
apprendre le français il était préférable que nous ne
fussions pas tentés de causer ensemble en allemand.
Durant mon séjour à Paris, je fréquentai presque
tous les jours THôtel-Dieu ou la Charité. Je suivis les
leçons de l'habile M. Winslow, De actione musculorumy
et les leçons de botanique et de chimie du même
professeur au Jardin royal public »). J'assistais aussi au
cours De morbis Veneris que le célèbre Astruc faisait
dans un autre collège »). Le reste du temps je parcou-
rais Paris et ses environs. J'eus un instant envie de
prolonger mon séjour à, Paris', et je songeai à me faire
envoyer la malle que j'avais laissée à Strasbourg chez
M. Lœchner; mais, comme cette malle devait être visitée
en cours de route, je craignis que la visite de mes
bagages ne me coûtât cher; je changeai d'avis et
résolus de revenir à Strasbourg. M. Simmerling avait
déjà quitté Paris pour Strasbourg depuis quelques
semaines. Je ne sais pas ce qu'il est devenu depuis
son départ, ce qui m'a souvent causé du chagrin; et
aujourd'hui encore, je ne sais que penser de ce silence.
Nous nous étions quitté très amicalement ; il m'avait
prêté quelques louis d'or, en échange desquels je lui
avais donné un reçu. A Strasbourg M. Lœchner lui
rendit cet argent, non sans y ajouter un louis d'or. A
mon retour je lui en remboursai l'équivalent et rentrai
en possession du reçu que j'avais donné à M. Simmer-
ling. Comme il était de santé délicate, il se peut qu'il
soit mort peu de temps après. Quoi qu'il en soit je n'ai
plus jamais eu de nouvelles de lui.
Après le départ de M. Simmerling, je fis la con-
naissance de trois jeunes Strasbourgeois, qui se propo-
i) Winslow était professeur d'anatomie et de physiologie au Jardin
du Roi, ety depuis 1745, f^is^^t des démonstrations anatomiques dans
l'amphithéâtre de la rue de la Bûcherie,
2) Astruc était professeur au Collège de France (Collège royal)
•depuis 1731.
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8o REVUE D'aLSACK
saient de rentrer à pied dans leur ville natale. Comme
je n'avais jamais voyagé à pied, je résolus de me
joindre à leur société, pensant que ce mode de voyage,,
mieux que tout autre, permet de bien connaître les
contrées qu'on traverse. Nous partîmes donc à pied
tous quatre, le 26 septembre 1748, de Paris. Notre
voyage fut des plus agréables et, le 6 octobre, nous
arrivâmes heureusement à Strasbourg. Cet hiver- là
j'habitai la maison de M. Lœchner.
Je me perfectionnai dans l'art des accouchements,
en suivant le cours de M. le docteur Fried et en fré-
quentant la Maternité. J'assistai au cours, en langue
latine, de M. Eisenmann sur l'anatomie et la médecine
opératoire, et aux démonstrations de M. Leriche sur
les opérations chirurgicales que je m'habituai à répéter
moi-même i). M. le professeur Grauel m'enseigna la
physique expérimentale, et M. le professeur Bracken-
hoffer la mathésiologie 2).
En suivant ces cours, et principalement le cours
d'accouchement, je fis la connaissance de quatre Suisses,
Messieurs Dolfus, Socin, Hess et Thurneysen 3). Les
voyant chaque jour, je devins leur intime ami. Quand
les cours d'hiver eurent cessé, ces messieurs, et surtout
M. Thurneysen, me proposèrent de les accompagner
à Bàle, promettant de ne pas insister pour m'y retenir
et de me laisser revenir à Strasbourg. Voir Bàle, voya-
ger avec des amis, de telles propositions m'agréaient.
1) Leriche, dtmonstrator in nosocomio regioy meilleur anatomiste
que chirurgien. (Wibger, op. cit.).
2) Grauel, professeur de la faculté de philosophie, ainsi que Bracken-
hoffer, qui en même temps quMl faisait des cours de mathésiologie
(science de l'enseignement en général) était un mathématicien distingué.
3) II s'agit sans doute d'Abel Socin (1729-1808), qui passa sa thèse
de doctorat à Bàle en 1751, enseigna de 1761 à 1778 la médecine et
la physique au gymnase de Hanau, fut nommé médecin particulier du
prince-électeur de Hesse, puis revint se fixer dans sa ville natale. U a
laissé quelques ouvrages sur l'électricité (Dictionnaire Dechamàre), —
Jean-Jacques Thurneysen fut reçu docteur à Bâle en 1751, après avoir
présenté une thèse sur les causes des hémorragies utérines pendant la.
grossesse.
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 8ï
J'acceptai leur offre, et nous voici le 1 7 avril 1 749 sur
la grande route de Bâle. Nous traversâmes successive-
ment Sélestat, Colmar et Mulhouse. M. Dolfus nous
quitta à Mulhouse, sa patrie, et mes trois autres com-
pagnons et moi nous arrivâmes heureusement à Bâle
le 19 avril.
A Bâle je logeai chez les parents de M. Thurneysen.
Son père était absent, mais sa mère était là. La chère
femme m'accueillit aussi aimablement que si j^avais été
son fils. Lorsque le p'ère de M. Thurneysen, ou plutôt
son beau-père (il s'appelait M. Passavant), fut revenu
de la foire, je lui fus présenté, et il me témoigna aussi
beaucoup d'amitié. Quelques jours après, je partis à
pied pour Montbéliard, à quinze lieues de Bâle, pour
rendre visite à la belle-fille de Lœchner, une demoiselle
Schwartz, qui, quelques années après, devint mon épouse.
Je la trouvai en bonne santé, m'arrêtai quelques jours
à Montbéliard, puis je revins à pied par Belfort à Bâle.
J'allai de nouveau loger chez mon ami M. Thurneysen.
Il me demanda un jour quels étaient mes projets
d'avenir. Comme je lui disais que je reviendrais à Stras-
bourg, et qu'ensuite j'irais peut-être à Jéna ou dans
une autre ville (j'avais toujours l'arrière-pensée de me
fixer à Saint-Pétersbourg), il m'engagea vivement à
rester à Bâle et ne pas aller à Jéna, ville misérable où,
à coup sûr, je me déplairais. Il n'eut pas de peine à
me persuader et je me rendis à son avis. Sans que j'en
susse rien, il avait déjà parlé de moi à M. le professeur
Kœnig, me faisant passer pour un de ses parents, et
s'était entendu avec lui pour me faire suivre ses cours»).
Quand je lui eus promis de rester à Bâle, il me fit
connaître les dispositions qu'il avait prises, me décou-
vrant ainsi tout l'intérêt qu'il me portait, intérêt qui ne
s'est jamais démenti.
i) Emmanuel Kœnig ('.698-1752) a laissé une édition des œuvre»
de Félix Plater.
Bévue d'Alsace, 1907 6
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82 REVUE D'ALSACE
Je me fis envoyer de Strasbourg la malle que j*avats
laissée chez M. Lœchner. M. Thurneysen me présenta
à M. le professeur Kœnig, et il fut décidé que ce pro*
fesseur me donnerait des leçons, ainsi qu'à un jeune
homme, M. Mieg, fils d'un chirurgien de Baie »). Ce
jeune homme, mon condisciple, devint bientôt mon ami,
et son amitié pour moi, ainsi que celle de son vénérable
père et des autres personnes de sa famille, fut si grande
depuis le début de nos relations jusqu'à mon départ
de Bâle, que je ne saurais assez, la célébrer. Elle se
manifesta par des actes en maintes circonstances.
Tout d'abord, sur le conseil de M. Thurneysen,
j'allai habiter chez M. le candidat Lichtenhan «). Je n'y
demeurai pas longtemps, et je trouvai une pension
plus agréable chez un tailleur nommé Roth, voisin du
sacristain de la cathédrale, le prix de cette pension étant
payable au sacristain. J'y suis resté jusqu'à l'époque de
mon départ de Bâle.
M. le professeur Kœnig nous enseignait les Institua
tiones medicœ^ la Materia medica et un Casuale. Je
suivais aussi le cours public de M. le professeur Zwingler
(sic) l'aîné sur la praxis medica^ et le cours public de
physique de M. le professeur Bernouilli 3). On faisait
peu de démonstrations anatomiques, mais nous accom-
i) Probablement Achille Mieg (1731 -?), auteur d'une thèse éU fiatibus^
-soutenue à Bâle en 1752.
3) On appelle candidat, dans les pays protestants de lan^e alle-
mande, le gradué en théologie qui n'est pas pourvu d'une foncUon
•ecclésiastique.
3) Jean-Rodolphe Zwinger, et non Zwingler (Doldé rectifias lui-même
son erreur quelques lignes plus ba»), né à Kâle. en 1692, d^une familte
qui depuis le xvi* siècle fournissait des savants éminents, suivit des
cours à Strasbourg, à Lausanne et à Genève. Revenu dans ta ville
natale, il y fut professeur de logique, puis d'anatomie et de botanique,
et, en 1725, il remplaça son père dans la chaire de médecine théorique
et pratique» qu'il occupa jusqu'à sa mort, c'est-à-dire jusqu'en I777«
:Son frère Frédéric fut aussi professeur à la faculté de médecine de Bâle,
à partir de I75i. — Daniel Bernouilli, né à Groningue en 1700, mort
à Bâle en 1782, fils d'un mathématicien célèbre, fut lui-même plus
mathématicien que médecin. A l'université de Bâle, il occupa successive-
ment la chaire d'anatomie et de botanique, et la chaire de physique tt
-de philosophie. {Biographit Michaud),
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 83
pagnions parfois M. Kœnig dans ses excursions bota-
niques. Je fréquentais aussi Thôpital sous la directioa
-de M. le professeur Kœnig et de M. le professeur
Zwinger, les services hospitaliers étant dirigés à tour
■de rôle par les différents professeurs. Entre temps, M. le
•candidat Bachove nous expliquait les classiques, Térence
par exemple. M. le candidat Bachove était alors recteur
du gymnase de Bâle.
En juin 1750, mes cours étant terminés, je me pré-
parai aux examens. Mes examinateurs étaient M. le
professeur Zwinger Taîné, M. le professeur Kœnig, mon
excellent maître, et M. le professeur Daniel Bernouillî.
Quand j*eus passé mes examens (examina tentamina in
medicina)^ je choisis pour sujet de ma thèse le colostrum.
J'avais l'intention d'exercer l'art des accouchements, qui
est du ressort de la chirurgie plutôt que de celui de
la médecine. Je ne savais pas encore dans quel endroit
je m'installerais; aussi, afin d'être sûr de ne jamais me
voir créer de diflScultés ni d'empêchements de la part
des chirurgiens, qui verraient d'un mauvais œil un
médecin se livrer à l'exercice de l'art des accouchements
et à celui de la chirurgie, comme de plus il se pouvait
que je m*installasse^ dans un endroit où j'aurais besoin
d'exercer la chirurgie, je résolus d'affronter les examens
•chirurgicaux. Je me présentai donc aux examina tenta*
mina de chirurgie. On m'argumenta et on me fit résoudre
des propositions diverses. Ceci fait, ma dissertation étant
prête à être imprimée, j'y ajoutai une observation chirur-
gicale, et j'inscrivis sur la feuille de titre les mots :
'Dissertatio inauguralis medico-chirur^ica . . , in fnedicina
et chirurgia honorib,^ etc. >), afin que, quelque fut la
ville où je m'installerais, je puisse librement et sans
■aucune entrave pratiquer des opérations chirurgicales,
1) Une observation chirarfpcale est annexée à cette thèie, omis son
titre n'est pas conforme à celui qu*indiqae ici Doldé. La dissertation
n*y est pas qualifiée d s medUo-chiturgica^ mais simplement de mtdum* . •
^o summis in medicina honoribus.
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84 REVUE D' ALSACE
étant docteur en médecine et en chirurgie. Je ne
regrettai pas les frais et les labeurs que me coûta ce
double titre.
J'avais donc passé tous mes examens, et comme je
ne devais soutenir ma thèse qu'au mois d'octobre, j'avais
alors quelques loisirs. C'était à la Saint-Michel de 1750;
M. Passavant me fît l'honneur de me demander de
l'accompagner à la foire de Zurzach. Sur le conseil de
M. Thurneysen, j'acceptai son offre. Je fis donc un
voyage d'agrément; de Zurzach j'allai à Schaffhouse,.
à Riesenhorn, à Winterthur et à Zurich. Là j'eus l'hon-
neur de faire la connaissance de M. le professeur Gesner,
qui me montra les beaux appareils de physique de son
cabinet et bien d'autres curiosités, et me fit visiter le
jardin botanique; bref ce grand savant me reçut avec
beaucoup d'hospitalité»). Je séjournai trois jours à Zurich,-
dont j'admirai le lac, l'église, les arsenaux et les fabriques,
puis je m'embarquai sur la rivière de la Limmat à desti-
nation de Baden, dont jç visitai les sources chaudes.
De Baden à Zurzach, il y a à peu près une lieue et
demie que je fis à pied. Je devais franchir une mon-
tagne et traverser une forêt longue d'une lieue. Comme
c'était l'époque de la foire, j'étais fort peu rassuré. La
première personne que je rencontrai fut un garçon
boucher, à qui je demandai si j'arriverais bientôt au
bout de la forêt; il me répondit que j^en avais parcouru
la moitié de la longueur. Je pressai le pas. Presque
parvenu à la lisière de la forêt, je rencontrai quelques
Juifs, dont l'un me lança un regard terrible, grinça des
dents et me menaça. Je crus comprendre à ses paroles,
que la proximité de la ville, et la présence de passants
à peu de distance de là, l'empêchèrent seules de m'atta-
quer. Plein de terreur, je passai mon chemin et arrivai
i) Jean Gesner, né à Ziirich en 1709, mort dans cette ville en
1790, étudia la médecine à Leyde et à Paris, les mathématiques à Bâle,.
fat professeur de mathématiques, puis de physique au gymnase de Zurich
et 8*occupa aussi d^histoire naturelle, 11 légua ses collections à sa ville
natale. {^Biographie Michaud).
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 85
-lieureusement à Zurzach. Si ce Juif m'avait rencontré
au milieu de la forêt, nul doute que je n'eusse perdu
la vie. Au moment de la foire, bien des voyageurs ne
rentrent pas sains et saufs chez eux.
Je logeai à Zurzach chez M. Welti père, qui était
.hôtelier. J'y fus traité avec beaucoup d'égards, car j'avais
Jfait à Bàle la connaissance de son fils, étudiant en
médecine. A Zurzach habitait un bourgeois du nom de
Doldy. Je lui rendis visite, pensant que c'était un de
mes parents, et je crois encore aujourd'hui qu'il descen-
dait des Doldé d'Alsace, l'orthographe de son nom ne
différant que légèrement du mien par la substitution
-d'un y à Xe terminal. Je me serais volontiers entretenu
avec lui de ces choses, mais il crut sans doute avoir à
faire à un aventurier, notre entrevue fut courte, et je
partis en lui donnant ma bénédiction.
Au bout de quelques jours je repartis avec M. Passa-
vant pour Bâle. A mon retour de ce voyage d'agrément
je m'occupai de faire imprimer ma thèse De colostro.
.Le 26 novembre eut lieu la soutenance, et sitôt après
Ja discussion je fus promu au grade de docteur par
M. le professeur Daniel Bernouilli. Un certain M. Schim-
,per fut reçu docteur en même temps que moi, ce qui
Jious permit à tous deux de réaliser une légère écono-
mie »). Mon argent avait diminué, et M. Thurneysen s'en
étant aperçu, me prêta cent thalers, soit six-cents livres.
Je ne pus lui rendre cette somme que plusieurs années
après. Il ne m'avait demandé en gage que quelques
lignes de mon écriture, et il me laissa librement quitter
Bàle, sans savoir quand il rentrerait en possession de
cette somme, sans même que je pusse assigner une
-date quelconque à sa restitution.
Je partis donc de Bàle, le 23 décembre 1750, en dili-
gence; le lendemain j'arrivai heureusement à Strasbourg
l) La thèse de Jean-Conrad Schimper est intitulée : De signes gravie
JUtatis vera et cautelis^ exinde cognosàbilibus.
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t6 mK\x'B d'alsack
et aDai habiter chez M. Lœchner. Pour la troisième fois^
je revoyais Strasboui^. Je me demandai alors sur quel
champ j'allai faire ma moisson. Mon avoir était mince
et j'écrivis à mon père de m'envoyer quelque aident,
ce qu'il fit. J'appris qu'il s'était remarié pour la quatrième
fois, ce qui diminuait sensiblement notre fortune à ma
sœur et à moi. Pourtant il avait marié ma sœur aupa-
ravant, et moyennant une pension lui assurait ainsi qu'à
son mari le vivre et le couvert, ce qui lui rapportait
un peu d'argent chaque année. De la sorte il passa.
les dernières années de sa vie sous le même toit que
son gendre.
J'étais toujours indécis sur le lieu de ma future
installation. Je ne désirais pas particulièrement rester à
Strasbourg; je décidai toutefois d'y faire encore un
court séjour, et dans ces conditions il m'était difficile
de ne pas exercer quelque peu mon art. Je rendais^
souvent visite à M. le professeur Grauel et suivais son
cours de physique. Enfin je fus mis en relations avec
le docteur Kœnig < «, par M. Lemp, apothicaire, ou plutôt
par son apprenti M. Rothbeck. M. le docteur Kœnig
m'envoyait de temps en temps auprès de ses clients-
malades, et me présenta à M. le professeur Jean Bœckler
dont je suivis les cours de botanique au jardin médici-
nal, et le cours de chimie, ce dernier gratuitement^
grâce à la protection de M. le docteur Kœnig».
Peu à peu j'acquis quelques clients, dans la maison
de M. Lcechner tout au moins, car ailleurs j'en eus bien
Taipt prv**Ab«V23«nC d« Samu^l-Fr^iierc Kcea ç. né à Hanaa^
ua« thés* Oi .«/w.v i'.mLi^ q^M »oct:nt à S:rast>oar^ le
pfof«s»<ar Teao B«-w:k.>r, oa Foev^rr .'i 710-1750"^ ■« doit p^s
?ri«îu Avec d^ux de s<« hoc:ccyin«?-> qj fureu: e:c3i«a»eac des^
srm*tcurgeo «se*. A paj-'r de 173^ ^ occupa a ch^re d« ch mie,
;ae et de nw ère mecica'e 'A îf .f r. op. ci:.''. — Le iardia
, :jttr rempjc«s:eat »iu.:^-eî ^Vi-e^e ALx>crd*h^t Teccie des arts
^ noa Ictn de l'egrse SA'a'-otti iau'T:^?. avAir e*"* crée eai f^i^
1 en 173*?- Ll pas»a:t au XMii* s.«èv:> pour le pii» retsarjiaabl^-
ap'è» ciîax de Leyùe <t de Fan* »S4\3'^iH, up. c:".
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 87
peu. M. le docteur Kœnig cherchait à me faire conn?**-^
mais malgré cela, il n'y avait guère d'apparence q
pusse jamais gagner ma vie à Strasbourg. Au temf
j'habitais chez M. Lœchner se présenta pour moi
occasion de revenir à Saint-Pétersbourg, un négo
de cette ville, sur le point d'y retourner lui-même, s'<
arrêté quelques jours à Strasbourg. Un de mes
amis, un horloger, M. Himii, lui ayant parlé de
il crut que je désirais aussi retourner à Saint-Pétersbc
Il m'offrit de m'emmener librement avec lui; maû
le connaissant pas, je craignis qu'il ne me tint en
vage; je déclinai ses offres et résolus de rester en
à Strasbourg. J'avais écrit à M. Thurneysen à q
devais encore six-cents livres, qu'on m'avait ofîei
me ramener à Saint-Pétersbourg. Cet excellent am
répondit que, comme je connaissais cette ville m
que lui-même, il ne pouvait me conseiller à cet é[
me souhaita bon voyage au cas où je me décid
à partir, regrettant pour notre amitié une pareille s
ration, mais ne soufflant pas mot de ma dette, ce
était fort aimable de sa part. Peu de personnes
auraient agi ainsi à sa place. Dès la première heur
nos relations, il me montra une bonté paternelle,
ne s'est jamais démentie par la suite, et dont je four
plus bas de nouvelles preuves.
Mon projet de voyage à Saint-Pétersbourg était <
tombé à l'eau, et je ne connaissais pas d'autre en
où aller. Là-dessus, si médiocre que fût ma clien
elle excita la jalousie de mes confrères; je fus ci
l'hôtel-de- ville et averti que je ne serais désor
autorisé à pratiquer mon art que lorsque j'aurais ac
le droit de bourgeoisie'). Le coup était parti du col
1) L*hôte]-de-viile ou Pfalz (/*alaiium civitaiis) était place C
berg, U comprenait l'ancien hôtel-de-viile (aite J'/ait) et le n
h6tel-de-vilie \ntue /fait), \Jaiee Pfalz fut démolle en 1781 ; to
service» de la municipalité furent transféré» dana la ntut tfal%^
i-dire dans la maison qu'on appelle aujourd'hui VhôUl du co?n
dont la construction remonte à 1582, et ils y restèrent jusqu'en
(Seyboth, op. cit).
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88 REVUE D' ALSACE
des médecins •). Il était temps de prendre une décision»
Je devins donc, en 1755, bourgeois de Strasbourg. Je
me fis immatriculer au collège de médecine et fus reçu
aussitôt : j'étais donc bourgeois et docteur de Stras-
bourg.
Chacun me disait que je ne pourrais étendre ma
clientèle qu'à la condition d'être marié, les femmes
surtout hésitant à se confier à un médecin célibataire.
Je fis donc le dernier pas, comme on dit, et j'épousai
l'aînée des belles-filles de M. Lœchner, Catherine-Salomé,
demoiselle Schwartz, fille de feu M. Schwartz, de son
vivant bourgeois et batteur d'or à Strasbourg. Tous ces
événements s'accomplirent en 1755.
J'habitai encore quelque temps avec ma femme dans
la maison de M. Lœchner, où nous eûmes notre premier
enfant, une fille. Ma clientèle était encore médiocre.
Pour étendre le cercle de mes relations, et aussi pour
avoir un logis plus confortable, je décidai de démé-
nager.
Je me mis en quête d'un logement dans la ville, et
•en ayant trouvé un qui me convenait, je m'y installai
avec ma femme. Je me félicitai plus tard de ce démé-
nagement et rendis grâces àr Dieu de me l'avoir inspiré,
car je n'aurais jamais réussi dans ma profession si j'étais
resté plus longtemps dans la maison de M. Lœchner,
Ma clientèle s'accrut ; on commença à me connaître.
Pourtant nous ne restâmes qu'un an ou deux dans cette
maison qui était dans la rue de l'Ecurie (Stallgasse)^
et appartenait à M. Stamer (.^), négociant en vins. Puis
nous allâmes habiter quatre ans dans la Grand'rue
{Lange Strass) et onze ans dans la rue des Dentelles
(Spitsengasse) dans la maison de M. Rœderer. Mes clients
devenaient peu à peu plus nombreux. Enfin, en 1771,
j'achetai à MM. Kornmann et aux frères et sœurs Lem-
1) C'est-à'dire de la corporation des médecins de Strasbourg, et non
pas de la faculté.
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SOUVENIRS d'un MÉDECIN STRASBOURGEOIS 89
pisch la maison de la rue de la Lie (Drusengœsset)^
<iue j'habite aujourd'hui et où j'écris ces lignes.
La seconde année de mon mariage, M. le docteur
Fried reçut de M. le docteur Pappelbaum, de Berlin «),
une lettre où il était question de moi. On m'y proposait
d'aller à Saint-Pétersbourg pour y exercer et enseigner
4'art des accouchements; on me demandait de faire
connaître d'avance le chiffre du traitement annuel que
j'exigeais pour cela, de façon à pouvoir m'envoyer un
engagement en règles. J'étais perplexe : d'abord à cause
-de mon mariage qu'on ignorait peut-être là-bas, puis
parce que j'étais père d'un enfant, et enfin parce que
je ne savais pas si ce n'était pas en langue russe que
devait être fait le cours de ces élèves sages- femmes.
Comme je devais faire ce voyage avec ma femme et
mon enfant, je dus prendre l'avis de la famille de ma
femme. Le temps de réfléchir à ces offres et plusieurs
-semaines s'étaient passés; et lorsque je me fus décidé
à y répondre, je reçus une lettre de M. le docteur
Pappelbaum, où ce dernier m'informait que la place
avait trouvé un titulaire en Russie, tout en s'excusant
du dérangement qu'il m'avait causé. Je dis donc adieu
-à ces projets et continuai l'exercice de ma profession
à Strasbourg.
En 1 766, on offrit à M. le docteur Roth «), ou à son
défaut à moi-même, une charge de médecin à la cour
de Nassau-Saarbriick. J'espérais l'obtenir, lorsqu'au der-
nier moment M. le docteur Roth, ayant vu lui échapper
june autre position qu'il attendait à Strasbourg, alla
Jui-même à Saarbriick.
Peu de temps après, on m'offrit le physicat de Wies-
l)aden en même temps que la charge de médecin de
1) Il 8*agit probtblement de Georges-Christophe Pappelbaum, qui
«n 1743 soutint une thèse devant la faculté de médecine de Gëttingue.
2) Probablement Jean-Jacques Roth, Strasbourgeois, auteur d*nne
<4hèse présentée à Strasbourg le 30 décembre 1748 : Dt facundationt
^squi consuetudine viri.
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90 REVUE D'ALSACE
la cour de Nassau-Usingen. Mais la vie de cour ne me
convenait pas, un changement de résidence était difficile
à cause de ma nombreuse petite famille, et d'ailleurs
mon ami M. le docteur Ehrmann me dissuadait d'accep-
ter »). Je déclinai donc cet offre qui me valut l'honneur
de correspondre avec M. de Spacht, maréchal de la cour^
En 1770 j'obtins le physicat de Bischwiller^). Cette
charge consistait à visiter tous les ans les pharmacies
de l'endroit, à faire passer leurs examens aux apothi-
caires, et à rédiger un rapport [visum repertiim) sur les
faits particuliers que j'avais pu remarquer au cours de
ma mission. Cela ne m'empêcha pas d'ailleurs de rester
praticien à Strasbourg.
De 1755 à 1775 nous eûmes dix enfants, trois filles
et sept garçons. La première fille fut Marguerite-Salomé,.
la seconde Anne-Dorothée, la troisième Régina-Cléophée»^
Après ces trois filles nous eûmes Jacques-Guillaume et
Jean-Frédéric ; ce dernier mourut âgé de moins de deux
ans. Puis vinrent Charles-Auguste, Jean-Louis, Frédéric-
Eberhard qui mourut neuf jours après sa naissance,
Georges -Frédéric et François -Ehrenfried. Dieu nous
donna ces dix enfants en vingt ans; huit sont encore
vivants à l'heure où j'écris ces lignes, et ils vivront
aussi longtemps qu'il plaira à Dieu.
Le 23 décembre 1763 mon père quitta ce bas monde^
après avoir vécu soixante-dix ans. Sa mort^^avait été
causée surtout par les infirmités de la vieillesse; à vrai
dire je n'ai jamais été renseigné exactement à ce sujet.
Il laissait quelques économies qui furent partagées entre
ma sœur et moi; notre belle-mère en eut aussi quelque
1) Jean-Frédéric Ehrmann (1739-1794) ne doit pas être confondu
avec sou père Jean -Chrétien qui fut aus»i médec.n à Strasbourg. U fît
des cours priven à la faculté de médecine et, en 1770-71, eut Phonneur
de compter Goethe parmi ses auditeur». En 1 782 il devint professeur
titulaire. (Wirger, op. cit.).
2) Doldé n^occupa pas cette fonction jusqn*à sa mort. Dès «782.
VAlmanach d* Alsace indique seuls MM. Suizer et Horn, comme titulaires-
de la charge de médecin de la seigneurie de Bischwiller.
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SOUVENIRS d'un médecit strasbourgeois qi
chose, et la part qui me revint me fut envoyée à Stras-
bourg. Cela me permit de m' acquitter de ma dette
envers M. Thurneysen.
A ma connaissance je ne devais plus rien à personne
et ne comptais plus rien recevoir. Ma femme ne m'avait
rien apporté, et je doutais fort qu'elle eût elle-même
quelque chose à recueillir. Pour ma part je ne comptais
rien recevoir de son côté, car on s'évertuait à réduire
à néant la part d'héritage des enfants Schwartz. Je
pouvais d'ailleurs mourir avant l'ouverture de cette
succession, aussi je préférais renoncer à toute espérance.
Ma profession était donc mon seul moyen d'existence j .
elle seule, avec l'aide de Dieu, me permettait de subve-
nir aux besoins des miens, et il faut avoir été praticien
à Strasbourg pour savoir combien triste et combien
misérable est l'exercice de la profession médicale dans
cette ville. Au nouvel an je me demandais avec terreur
comment l'année finirait, car je n'avais aucune situation
assurée ; la confiance en Dieu était mon seul avoir. Je
ne saurais retracer ici quels étaient les soucis qui parfois
nous rongeaient ma femme et moi, lorsque le soir nous
regagnions notre lit. Qu'il me suffise de dire que le
praticien strasbourgeois, qui n'a que sa clientèle pour
vivre, doit endurer bien des tourments, d'autant plus
qu'il n'y a guère de concorde à Strasbourg entre les
médecins, et que plus d'un donnerait volontiers un œil
pour que ses confrères deviennent aveugles.
A ces soucis et à ces chagrins matériels vinrent s'en
ajouter d'autres, causés par l'attitude que prit vis-à-vis de
nous le beau-père de ma femme. Douze années de me-
naces et de citations suivirent notre mariage, puis vinrent
neuf années de procès. La cause du premier procès fut
qu'il voulait, en se servant de mon nom, me soustraire
une somme qui m'avait été confiée. J'aurais été obligé
de la restituer, si je ne m'étais pas aperçu à temps de
ces machinations. La somme était de mille soixante
livres françaises. Le procès dura trois ans, je le gagnai
et il fut condamné aux frais. Le second procès avait
/^*^
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92 REVUE D ALSACE
éclaté à la suite de mensonges et de diverses fripon-
neries ; je le gagnai encore. Tl fit appel du jugement,
«t l'affaire n'est pas encore terminée.
Je fus pendant dix-huit ans le médecin des parents
de ma femme, mais à la suite de ces friponneries et
de ces procès, je cessai toute relation avec eux et ne
remis plus les pieds dans leur maison ».
Cette autobiographie se termine par les notes que
voici :
€ Par les lignes qui suivent je veux transmettre à mes
-enfants les renseignements que j'ai pu recueillir sur la
vie et sur l'origine de mes parents et de mes ancêtres
Doldé, ainsi que sur mes ancêtres du côté de ma mère.
Les Doldé, d'après les témoignages les plus anciens,
sont originaires de l'Alsace, de Haguenau ou de Stras-
bourg.
En 1474, un M. Hanusz Doldé était attaché aux
écuries municipales de Strasbourg ; je ne sais s'il occu-
pait encore un autre emploi dans la ville »). Strasbourg
était alors une ville libre impériale, et il est possible
que ce Doldé ait aussi fait partie du Magistrat. Certains
de ses enfants ou de ses frères ont aussi vécu à
Haguenau.
Léonhard Doldé, né à Haguenau en 1565, fut reçu
docteur à Bâle (j'obtins moi-même à Bâle la dignité
doctorale), alla à Nuremberg où il se fit agréger, en
1594, au Collège de médecine et exerça la profession
médicale. Il mourut dans cette ville en 161 1, à l'âge
' de quarante-sept ans *).
i) Les écuries de la ville {Herrensiall) s^élevaient dans la nie du
.Finckwiller. En 1468 elles comptèrent jusqu^à tro^s cents chevaux.
(Sbyboth, op. cit ).
3) Léonard Doldius, né à Hagu<^nau le 25 février 156^1 reçu docteur
\ Bâle en 1594, ne fut agrégé que l'année suivante au collège des
médecins de Nuremberg. Mort à Nuremberg le 22 août 1611, il a laissé
une dissertation dt omni sanguinis proflituîo^ une traduction de Talchimie
'de Libavius, et plusieurs lettres que Hornung a insérées dans son recueil
^publié à Bâle en 1625. {Dictionnaire Dechambn)^
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SOUVENIRS D*UN MÉDECIN STRASBOURGEOIS 95
Un Doldé, probablement un fils ou un frère de
Hanusz Doldé de Strasbourg, se fixa près de Stuttgart;
je ne sais quelle fut sa profession. C'est de lui que
naquit mon grand-père à Nirtlingen où Nirlingen, d'après
ce que j'ai entendu dire. Ce dernier exerça la profession
de chirurgien à Esslingen, et comme c'est la coutume
dans ces pays, y ouvrit également une étuve, (Je crois
avoir encore des parents à Nirtlingen).
Mon grand-père voyagea. II alla en Silésie et s'installa
à Rauden où mon père est né. Soit que Rauden lui
ait déplu, soit pour tout autre raison, il quitta cet endroit
pour se fixer à cinq milles de là, à Schlichtingsheimy
sur la frontière de Pologne, non loin de Groszglogau.
Il fut marié deux fois, mais n'eut qu'un fils de son
premier mariage. Ce fils était mon père ; il se maria à
l'âge de vingt-trois ans. Son père lui avait fait faire
son apprentissage chirurgical, et lui avait transmis son
privilège de chirurgien. Lui-même faisait partie du
Magistrat de la ville, en qualité de bourgmestre. Mon
père épousa une demoiselle Degner, et je naquis à
Schlichtingsheim, comme en témoigne mon billet de
baptême. Mon grand-père est mort à Schlichtingsheim
où il est enterré ... ».
Le manuscrit s'arrête ici. L'auteur s'éteignit douce-
ment et mourut en chrétien le 22 décembre 1789 dans
la soixante-treizième année de son âge.
Note du beau-frère du défunt:
On a découvert par hasard que l'aïeul (dont il a été
question plus haut) Hanusz Doldé, est enterré à l'église
Saint-Thomas de Strasbourg, derrière la chaire. Une
pierre tombale désigne le lieu de sa sépulture ï).
l) Schneegans ne fait pas mention de cette pierre tombale dans sa
monographie de Péglise Sain>Thomas.
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VARIÉTÉS
A propos des Lettres de Schœpflin^).
Tout ce qui se rapporte à Schœpflin ou nous vient
célèbre historiographe de l'Alsace ne peut manquer
itéresser nos lecteurs. Après la magistrale étude que
a consacrée, dans les Annales de V Esty M. Ch. Pfister;
es divers fragments de sa Correspondance, publiés
t ici, soit dans d'autres recueils, voici tout un gros
iume de lettres, presque toutes inédites, que vient
faire paraître un professeur de l'université d'Erlangen
Bavière, M. Richard Pester.
Cette collection contient en tout 289 lettres. Près de
moitié sont adressées à Lamey, l'un des disciples pré-
és de Schœpflin. M. Spach avait déjà annoncé la
blication de ces pièces, mais, je ne sais pourquoi,
mit jamais ce projet à exécution. Bon nombre d'autres
t été écrites par Schœpflin, qui était d'origine badoise,
divers membres de la famille de Baden-Durlach,
tamment à la c markgrâfin » Caroline-Louise, et ce
sont pas les moins curieuses. Toutes ont du reste
r intérêt, d'abord pour l'histoire d'Alsace, cela va
is dire, mais même pour l'histoire générale de l'époque,
particulièrement pour l'histoire littéraire. Pour ne citer
'un ou deux exemples, voici quelques détails sur
i) Joh, Daniel Schapfiins briefiicher Vetkthr mit G'ànnern^ FrtuntUn
' Schùlern^ heraïugegeben von Richard Pester. TUbingen, 1906.
0 de XXIV.426 pages.
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VARIÉTÉS 95
le séjour de Voltaire à Colmar (p. 53), sur celui de
J.-J. Rousseau à Strasbourg (187, 189); sur l'Université
<ie Louvain (p. 233) que Schœpflin fut chargé de réor-
ganiser en 1767. L'historien des familles de notre pays
trouvera aussi de quoi glaner dans ce volume : ainsi
(p. 177, 182...) on y trouve divers renseignements sur
les de Dietrich et leurs procès au sujet du partage de
la seigneurie de Niederbronn, etc. . . .
La publication de M. Fester est faite avec le plus
grand soin i). De plus de très copieuses notes, qu*on
regrette cependant d'être obligé d'aller chercher à la fin
du volume, font honneur à l'érudition de l'éditeur, qui
termine ce beau volume par quelques annexes : testa-
ment de Schœpflin, notices sur quelques-uns de ses élèves
(Lamey, Rivé, Koch, etc. . . .), et par une bonne table»
M. Fester n'a pas manqué de nous donner aussi les
lettres adressées à Schœpflin qu'il a pu trouver, et
même quelques autres pièces qui le concernent moins
directement. Ce qui m'engage à tirer de mes cartons
les quelques documents qu'on va lire, qui auraient pu
figurer aussi dans le recueil publié, dans la Bibliothek
-des litterarischen Vereins de Stuttgart 2). Le premier
-est du reste une lettre de Schœpflin 3).
I. Lettre de Schœpflin au R, P, Barre, ^énovéfain K),
Strasbourg, Je 30 août 1759.
Mon très révérend Père,
Une des principales attentions des voyageurs allemands
«lettrés doit être de faire la cour à l'illustre auteur de X! Histoire
i) Puisque le volume se termine par ua errata, ajoutons-y cet
minuties : P. 79, lettre S3, je doute que Schœpflin ait pu écrire GuiMUr;
-4). loi, vrayé pour vraye ; p. 251, ligne 17, choes pour choses; p. 261,
ligne 23, à me paroit au Heu de 11 me paraît.
2) Dont les lettres de Schœpflin forment le CCXL* volume.
3) Autographe. Collection Wilhelm (Bibl. de Colmar).
4) Le nom du destinataire que ne porte pas Pautographe, nous est
fourni par le texte même de la lettre où il est question de Vllhtêin
-d'Allemagne^ le principal ouvrage de Pillnstre génovéfain.
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)6 REVUE d'aLSACE
V Allemagne en arrivant à Paris. Messieurs les barons de
îeust, gentilshonames de la chambre du Roi de Danennark^
nais d'origine saxons, désirent beaucoup de connaître votre
Révérence, et leur désir me sert d'occasion de vous les recom-
nander. Us ont étudié chez moi *) et leur père est fort de
nés amis.
L'impression du second tome de mon Alsatia illustrata
ire vers sa fin.
J'ai l'honneur d'être avec un respectueux attachement
Mon très Révérend Père
Votre très humble et très obéissant serviteur
SCHŒPFLIN.
Le second document est relatif à la nomination d'un
:uré luthérien pour Munster. C'est une lettre adressée
L ce sujet à Tabbé du célèbre monastère dont il fallait
'agrément. Comme on va le voir, le principal titre du
landidat était sa proche parenté avec Schœpflin^).
IL Lettre du chanoine Duconte à M, de Rutant, abbé
de Munster,
Strasbourg, 23 mars 1735.
Monsieur,
Je suis fort prié de vous demander votre protection pour
a cure luthérienne de Munster vacante par la mort de
d. Eckart*) pour son fils ministre à Richewir. Monsieur Doyen
lOtre curé *) joint ici ses prières pour le même sujet. 11 me
i) Il est question de ces élèves de Schœpflin dans le volume de
f. Fester (p. 97 et 351).
2) Cette lettre se trouve aux Archives départementales de la Haute-
ilsace, f. de Munster, carton 25.
3) Léonard E, de Franconie, pasteur à Munster depuis 1687. (Ibid.,.
arton 26).
4) De Saint-Pierre-le-Jeune, où M. Duconte était chanoine. Cette
îttre se trouve aussi au carton 25. En voici un passage : c Vous ferez,
laisir en même temps à Mgr. Pévèque de Paros et à M. Riccius notre
oyen qui estiment ledit sieur Schœpflin ».
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q8 revue d'alsace
5? B. de Ferrette a Schœpjlin.
\o Joanni Danieli Schœpflino hist. et elo-
ublico, Achati suo individuo, Bernardus
raesidium et dulce decus meum! seriem
intum mancam abbatum Lutrcnsium ex
imi hujus archisterii depromptam. Cœtera
juos in ipso limine vides, locupïetissimi
nae vel totalis et omnimodae per incen-
ec enim adducor, ut credam, ab incuna-
1 progrcssum et jam adultum sseculum
sque abbates istheic fuisse. Et hoc ipsa
jam plusculis abhinc annis, quo tempore
itrae fungebar, chartas et scrinia omnia
tassis aut alterum arbitratus praesulem in
confusione iatitantem intuitum oculosve
im operamque, id quod aliis postmodum
omnibus junxi epitomen vitae Divi Dei-
nbani discipulum et primum monasterii
Late viduae Verfarii, praepolentis iilis in
torem fuisse, apud omnes in confesse est.
m 1. Annalium Bened. doctissimi Ma-
îiaudatus Deicola sub finem vitae Romam
itur^ in medio relinquo; at enim quod a
omnimodam ab episcopali, imo a regum
pum electorum potestate impetravit, —
gisse in pervetusta charta memini, — ad
3rum amicissime, hac qualicumque lubra-
|ue sed vel maxime appendicem benigno
dignare, ac de catero veniam tardiori
ratas tuas easque humanissimas, responso
dventum ciarissimi viri Schwendii illus-
satiam inferiorem nobilitatis syndici, sed
imestris inutili spe destitutus praesentes
^rincipi commendo, qui easdem rite tibi
Ipromisit.
îiihi catalogo salis superque vidi, quae-
nonumcnta apud clariss. Lunig reperire
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X) REVUE d'aLSACE
lient de voir les curiosités aussi bien que des environs. Je saisis
îtte occasion pour vous renouveler les sentimens d'amitié et
î considération parfaite avec lesquels je ne cesserai d'être,
[onsieur ...
KocH.
M"« Schœpflin vous fait ses r.omplimcns. Nous parlons
rt de vous et nous serions charmés de vous revoir dans
3tre ville.
A. M. P. INGOLD.
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[Oa REVUE d' ALSACE
Ub, Trombert, Souvenirs d^ Alsace. Paris, Cbaix, rue Ber-
gère, 20.
Voici un livre à visées modestes. Nous ne disons pas pré^
mtions, qu'on le remarque bien, car ce mot détonnerait appli-
|ué à une œuvre si ingénuement présentée, et aussi parce que
a valeur est supérieure à Testime que Fauteur confesse avoir
>our son travail. En le composant au hnsard de ses souvenirs,
t selon ses dispositions du moment, il n^a fait que céder au
►esoin de revivre, par la pensée et par le cœur, les années
coulées de son existence. Mais, comme il a vécu dans une
période tourmentée et tragique, son œuvre emprunte aux cir-
onstances une portée plus haute que s*il avait coulé ses jours
lans le calme béat d'une époque fortunée. On ne s'étonnera
lonc pas de rencontrer dans ce volume plus d^une page trem-
lée de larmes, ou du moins marquée de l'empreinte d'une
lélandolie profonde; on y trouvera des passages vibrants du
lus pur patriotisme, des récits poignants dans leur simplicité
t l'écho plaintif des douleurs d'une âme qui a beaucoup
ouffert des malheurs de la patrie; et môme, malgré son allure
énéralement modérée et retenue, des enseignements féconds
>our qui les saura comprendre. M. Trombert pensait garder
es notes à l'abri de tout regard étranger, dans quelque recoin
liscret, ou en réserver la confidence à quelques intimes. Cepen-
lant, il se laissa forcer la main et quelques extraits en parurent
lans le Temps^ qui attirèrent l'attention d'amis dont les pres-
antes sollicitations le décidèrent à livrer le tout au grand
mblic.
A toute âme bien née la patrie est chère. Cette vérité trouve
on application tous les jours. Il en est qui le démontrent en
oupirant, à l'instar des captifs de Babylone; d'autres, mieux
ispirés et plus pratiques, en écrivant leurs souvenirs. En cela
Is font besogne utile, car ils préparent et facilitent le travail
les historiens futurs, qui, sans eux, n'auraient pour évoquer le
lassé que les froides paperasses des archives officielles. En
lOtant leurs impressions sur l'heure et sur place, ils rendent
écho vibrant des sentiments éveillés par ce qui s'est passé
ous leurs yeux, ils dessinent sur le modèle vivant, pour ainsi
lire, et il en résulte des récits éclataiïts de vérité, des détails
olorés, et le tout est dit avec un accent de sincérité qui saisit
t lecteur. Le livre de M. Trombert a tout l'air d'avoir été
omposé d'après ce procédé, et s'il l'intitule c Souvenirs », la
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Livres nouveaux 103
réflexion du passé sur le présent est si vive qu'il semble avoir
été composé au moment même des événements et des inci-
dents qu'il raconte. Ah! ces appels du tambour, ces claires
sonneries, et le claquement du drapeau flottant au vent, comme
ils animent pour nous les visions du passé! Pour fond à ses
récits, Pauteur donne les vieux monuments de sa ville natale,
la collégiale de Saint-Martin, les bâtiments de la police, la
maison Pfister, etc.; sa plume reproduit des échappées de rues,
et peuple la place des Dominicains de la foule grouillante de
paysans affairés à la vente de leurs produits. Il sait mettre la
vie partout, et c'est un des secrets du plaisir que chacun aura
à le lire. A, I.
Christian Friedrich Pfeffels politische Tàtigkeit in franzâ'^
sischem Dienste (17 58-1 784), par Ludwig Bergstr^esser.
Heidelberg, 1906. ln-8<* de 95 pages. Prix : 2 M. 40.
Das verschwundene Dorf Mauchenheim bei Markûisheim^ par
M. l'abbé LÉvv. Rixheim, Sutter, 1906. In-12 de 50 pages*
11 ne reste plus de ce village disparu qu'une chapelle cachée
dans les bois à quelques kilomètres au sud de Markolsheim*
M. Lévy a recueilli sur son histoire, dans les archives du pays,
nombre de détails inédits qu'il nous résume dans cette intéres-
sante brochure.
Orschweier. Ein Beitrag zur Geschichte der Dorfschaften in
der ehemaligen Obermundat, par Th. Walter. Strasbourg,
Heitz, 1906. In-80 de 28 pages.
Excellent travail qui fait bien désirer la publication de l'on*
vrage que prépare l'auteur sur tout le canton de Rouffach.
Comme dans la brochure précédente, aucune source n'a été
négligée par M. Walter qui donne encore en appendice un
document nouveau sur la fondation du couvent de Klingenthal.
Alsacc^Lorraine^ par Maurice Barrés. Paris, Sansot, IQ06,
In-i2 de 97 pages. 1 fr.
Petit volume exquis où l'éminent et courageux auteur a
réuni diverses conférences ou études sur le problème alsacien-
lorrain. On y retrouvera les idées, le profond esprit d'observ^*
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4ô4 ReVuE d'aLSACÊ
>n et le style si savoureux dans son originalité qu'on a admi-
s dans Au service de l'Allemagne.
:s Correspondants de Grandidier, XIII. Le marquis d'Ande-
larre. Lettres inédites publiées par le chanoine Louvot^
curé de Gray. Paris, Picard, 1907. In-8* de 16 pages.
Articles de journaux et de revues.
Revue alsacienne illustrée. 1996. N« IV. L. O. Faller, par
ndré Girodie. — Ittenwiller, par Valentine Kastner.
Images du Musée alsacien. 1906. V. Girsberg. — Dévidoir
1 bois peint. — Coin du Musée alsacien. — Le maire d'Issen-
luscn. — VI. Procession de la Fête-Dieu à Geispolsheim. —
auteuils alsaciens Renaissance. — Ferme à Ringendorf. —
agues alsaciennes.
Le Messager d'* Alscue- Lorraine. 8 décembre. La garde
honneur de Strasbourg (1805-18 13), par A. Dépréaux. —
'Alsace-Lorraine et la cavalerie française au xviii« siècle. —
^ décembre. Le monument du roi de Rome à Wissembourg. —
janvier 1907. Les Hautes-Chaumes.
RixHBiM (Alsace). — Typooraphib F\ Sottbr k CiB
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!06 REVUE d'aLSACE
/
I. 1632. Prise de Cernay par les Suédois.
omte de Mansfeld c porta le fer et le
l'Alsace > '), et son second, Michel
avoir fait des courses du coté de
ns doute dans les environs de Cernay
le Sundgau jusque Bàle. Mais vrai-
le tua et pilla pas grand'chose dans
frnay, ville fortifiée à cette époque,
iuette à ce sujet.
es la mort de Gustave-Adolphe que
is les mémoires du temps mention
r de Cernay, ou plutôt de la prise
maître de Sélestat (6 décembre 1632)
ite l'Alsace 2), ne devait pas avoir
re Cernay. Obligé de quitter TAlsace
mrs du général Baunier, il laissa le
ouis pour commander l'Alsace. C'est
rit successivement Cernay, Thann,
et Belfort.
mbre 1632, au commencement jan-
hingrave prit Cernay? Avec JoanneJ)
c'est en décembre 1632.
ges de troupes et escarmouches.
ly pris, les passages de troupes se
pour les Suédois un excellent point
ville bien fortifiée,
lui, au mois de janvier 1633, était
ayant appris le massacre par les
LU, à Ferrette, de son lieutenant, le
regorgement des troupes du colonel
'i de la province (fAlsace^ II, p. 84. Strat-
Ï894, p. 195-
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108 REVUE D'aLSACE
aller au-devant d'un renfort qui lui venait de la Franche-
Comté > »), il prit même Belfort et Altkirch, puis, après-
avoir laissé garnison à Altkirch, Rouffach, etc., il se
rendit au secours d'Altringer, mais dut se retirer par
Fribourg 2).
III. 1634. Combat entre le Rhingrave Otton- Louis et
les troupes du duc Charles de Lorraine.
C'est en 1634 que se livra près de Cernay le pre-
mier grand combat qui soit digne d'être raconté dans-
les détails 3).
Le comte de Salm, pour rejoindre le duc Charles-
de Lorraine qui était en Franche-Comté, était parti des-
environs de Saverne, dont on lui avait refusé l'entrée,,
pour la Haute-Alsace, avec le peu de troupes qui lui
restaient 4). dl se retira à Thann où il joignit ses troupes-
à celles du duc de Lorraine et aux nouvelles levées-
que le baron de Schwenbourg avait faites dans le
Sundgau. Elles étaient au nombre de 7000 hommes^^
qui se flattaient de faire le siège de Colmar. En atten-
dant, cette petite armée se cantonna à Soultz, Gueb-
willer, Rouff"ach et dans toits les lieux d'alentour S). Le
Rhingrave ne les laissa pas longtemps en repos; car^^
dès le 2 février, il se présenta devant Soultz, que le
comte de Lichtenstein abandonna, pour se retirer à
Thann à la tête de 4 cornettes de cavalerie. Mercy,.
qui commandait dans Guebwiller, suivit cet exemple..
1) Laouille, ibid.
2) Il mourut de chagrin quelque temps après et Altringer fut tué àr
Landbhut. (Laguillb, ibid.).
3) Cfr. pour cette bataille que beaucoup d^auteurs appellent bataille
de Wattwiller : A. 1. Ingold, dans la Feuille iCannomes de Thann et
de Cernai^ l849« p* 127 et 131, et H. Bardv, dans la Revue (TAlsacty
1853, p. 562-566. — Voir aussi, pour les batailles de i634,etde 163^
les récits du Mercure frartçais et du Theatrum Europaum^ publiés par
A. 1. Ingold, avec de savantes observations, dans le Journal de Cernay,
4) Laguillb, p. 118 et 120.
5) Peut-être aussi à Cernay, qui avait sans doute été repris en 1633.
par le duc de Féria.
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LES COMBATS DE CERNAY IO9
Xe Rhingrave, maître de ces deux petites villes, marcha
à Rouffach qu'il emporta... Les pluies continuelles et
la rigueur de la saison retardèrent pendant quelques
jours les desseins du Rhingrave et donnèrent aux Impé-
riaux le loisir de rassembler leurs troupes ; elles se
mirent en campagne le 3 mars et vinrent se poster
entre Thann et Ccrnay^ à une lieue des quartiers du
Rhingrave, sous le commandement du marquis de Bade
-et du marquis de Bassompierre.
t A peine eurent-ils le loisir de se ranger. Le Rhin-
grave Jean-Philippe ayant eu ordre de venir les attaquer
fit d'abord plier Tinfanterie impériale ; la cavalerie tint
plus ferme, mais Otton-Louis^) étant lui-même survenu
avec son régiment et le canon, il mit les ennemis en
fuite après quelque résistance.
€ Les Impériaux perdirent dans cette action quinze
cents hommes et plusieurs officiers, parmi lesquels se
•trouva le colonel Philippe^ qui s'était acquis une grande
réputation dans les troupes lorraines. Le nombre des
prisonniers montait à cinq ccnts^ entre lesquels étaient
le comte de Salm, autrefois gouverneur de Saverne, qui
fut pris combattant à pied, son cheval ayant été tué
rsous lui ; le marquis de Bassompierrc^ lieutenant-général
de la cavalerie lorraine, blessé au bras d'un coup de
pistolet, le colonel Mercy et quelques autres officiers de
distinction.
€ Le duc de Lorraine ne se trouva pas a ce combat *),
^t le marquis de Bade eut le bonheur d'échapper et de
-courir à Thann, où ayant fait monter à cheval la prin-
cesse son épouse, il se retira à Lure3).
1) Nous avons vu que les deux Rhin^rives étaient cousins.
2) Dom Calmet, Histoire de Lorraine^ VI, 118, dit également qu*il
s^était retiré à Besançon, après avoir laissé la cavalerie sous le commande*
'Aient du marquis de Bassompierre, lui-même sous les ordres du marquis
•de Bade.
3) Dom Calmbt (ib.) donne également ce détail.
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IIO REVUE D .ALSACE
€ Le Rhingrave, poursuivant sa victoire, prit à dis-
crétion Wattwiller et Cernay^), força Thann de se rendre
\ après une défense d'un seul jour, prit Ensisheim, Bel-
i fort, etc. > 2).
;. Dom Calmet3) est plus sobre de détails que Laguille-
; Il se contente de dire que c dans les plaines de Cernay
les trouoes de Charles furent entièrement défaites par
I, nonobstant la vigoureuse résistance-
raines, qui soutiennent tout le choc,
re ayant lâché le pied dès le commence-
lis de Bassompierre, ajoute-t-il, blessé en
ne laissa pas de se battre comme ua
que son cheval ayant été tué sous lui,.
nier >.
;ure vraiment intéressante que ce mar-
lierre. Aussi nous permettons-nous d'em-
icle, le maréchal de Bassompierre 4), qui
?me de € l'excellente mémoire que 1».
)artie>, et qui écrivit du reste peu après
ernay, quelques détails sur le marquis
:onduite à Cernay.
is de Bassompierre 5), fils de Georges
îompierre et d'Henriette de Tornielle^.
[6i2; élevé chez son père, il fut envoyé
1624; il apprit lallemand à Fribourg
; alla avec son oncle à Soleure, où le
mbassadeur du roi de France, assista
.a Rochelle, de Bois-le-Duc, fut à la
gne. Son père étant mort, il lui succéda
de bailli des Vosges et de grand écuyer
iclure que Cernay «vait été repris après 1632;..
1633 par le duc de Féria.
1.
\ vùy conforme au manuscrit original, par le marqui»-
}, J. Renouard, 1870; passim.
été fait par C. Wideman, en 1646. Voir, dans li^
la liste des portraits des Français illustres).
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f 12 REVUE D'aLSACE
Fulminât, et cuncos findens, fundens que decoro
Vulnere, dextra decus saucia grande refert.
Utraque vcra canit, nec dissona fabula narrât :
Otia agit palruus, militât inde nepos.
Pugnat utcrquc tamen; gcnerosâ in mrnie nepotis
Bassompicrii mens gencrosa viget;
Corpore quaeqae nepos excepit vulncra nuper,
Haec cadem patruus vulnera mente geril.
Sed decus hinc magnum surgit : nam saucia dextra
Plus laudis, quam si plus valuisset, babct.
Comme nous le verrons plus loin, le marquis de
Lssompierre fut encore fait prisonnier une fois àCernay,
1638, par le duc de Weimar, mais fut échangé.
DUS ne le suivrons pas dans ses aventures; contentons-
us de dire qu'il fut tué en duel en mai 1646, sans
oir été marié "j.
Le comte de Salm, ancien gouverneur de Saverne,
►yen de Strasbourg, c qui dans les temps les plus
alheureux avait soutenu les intérêts de la religion et
î révéché de Strasbourg avec beaucoup d'intrépidité,
t échangé en 1635; il retourna à Strasbourg et passa
ins la tranquillité d'une vie privée le peu d'années
li lui restaient : il mourut îe 13 janvier 1637 » ^).
Quant au colonel Mercy, autre prisonnier du Rhin-
ave, nous le retrouverons en 1638.
Le Rhingrave Othon-Louis ne survécut au contraire
is longtemps à sa victoire ; il passa le Rhin et mourut
6 octobre 1634 à Spire ou à Worms, c peut-être
t-il tué en assiégeant une bicoque 3) >. Rendons-lui
stice et disons avec Laguille qu'il fut c heureux et
ave > 4).
Peu de temps après sa mort, le 1" novembre 1634,
t signé le traité de Paris, par lequel les Suédois
i) P. Anselme, t. vu, p. 468. Not. hist. et bibiiogr. xxiii. Bissom-
erre-Betstein.
2) Laglille, II, p. 120.
3) Ibd.
4f Ibid.
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LES COMBATS DE CERNAY .II3
-cédaient à la France tout ce qu'ils possédaient en
Alsace : Cernay était compris dans la cession.
€ A la fin de Tannée, dit Laguille'), les maréchaux
de Brézé et de la Force mettent lO.ooo hommes en
quartier dans les Vosges, pour border TAIsace. Malgré
cela, les Lorrains surprirent la garnison suédoise de
Thann et massacrèrent quelques Français qui voulaient
s'y jeter. Le sieur des Roches, avec quelques compa-
gnies, fut envoyé de Colmar par le marquis de la
Force et força les ennemis de faire retraite et d'aban-
donner leur canon. La ville se soumit au roi de France».
C'était encore un passage de troupes pour les Cernéens,
le premier que nos braves Cernéens, devenus Français,
pussent voir.
IV. 1638. Belle retraite du duc Charles IV de Lorraine,
enveloppé par le duc de Weimar.
Cernay, se trouvant à la bifurcation des routes de
Lorraine à Bàle, de Belfort à Colmar, n'eut sans doute
-pas à s'en louer entre 1634 et 1638. Mais nous n'avons
pas de détails à ce sujet.
Le duc Bernard de Saxe-Weimar ayant investi
Brisach aux mois d'août et septembre 1638, le duc
Charles IV va au secours de cette place"), venant de
Bourgogne. Il s'avance lui-même jusqu'à Thann c avec
I 500 chevaux, 2000 hommes de pied et beaucoup de
blé. Au premier avis qu'en reçut le duc Bernard, il
sortit de Colmar, malgré la faiblesse où sa maladie
t'avait réduit, et marcha pendant la nuit du 13 octobre
^vec le colonel de Rosen et le 5^ régiment de cavalerie
jusqu'à Sainte-Croix. Le comte de Nassau vint le lende-
main joindre ce petit corps avec 2 régiments, 600 hommes
-ïde pied et 4 pièces de canon.
1) Làguillb, h. p. 120.
2) Ibid., p. 143.
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114 REVUE d' ALSACE
€ De là cette petite armée passa sous Ensisheim et,,
s' avançant toujours à travers les bois et sans bruit, elle
rentra avant le jour dans une grande plaine qui touche
Cernay, nommée Ochsenfeld : elle s'y arrêta en atten-
dant l'ennemi.
€ Le duc Charles ') ne tarda pas de paraître. On se
canonna quelque temps, mais le colonel de Rosen ayant
attaqué la cavalerie ennemie, il la mit en fuite après
une légère résistance >. L'infanterie, c animée par la
présence de son prince >, se retrancha derrière les cha-
riots et les bagages, mais l'infanterie du duc de Weimar
avec le secours de son artillerie 2) parvint à la forcer.
Le duc Charles dut se retirer du côté de Thann, mais
il le fit en bon ordre. Bassompierre, Mercy, capitaine
des gardes, le colonel Vernier et le lieutenant-colonel
de Fleckenstein furent faits prisonniers 3). c Weimar
perdit le colonel Wittersheim, gentilhomme d'une des
plus nobles familles d'Alsace et très estimé du duc.
Les comtes de Nassau et de Wittgenstein furent blessés >•
Comme on le voit, Laguille distingue nettement
trois phases dans la lutte : la déroute de la cavalerie
lorraine, la défaite de son infanterie, à la suite de laquelle
le duc Charles bat en retraite. Mais généralement les
historiens ne sont pas aussi nets; ils insistent sur l'une
ou l'autre de ces phases et passent presque sous silence
celle qui ne les intéresse sans doute pas.
1) Le duc Charles IV (voir son médaillon dans D. Calmet, VI, p. 37),
dont d'Haussonville a tracé un portrait habile dans son Histoire de la
réunion de la Lorraine à la France^ a été un des plus fermes soutiens-
de PAutriche et des princes catholiques allemands pendant la guerre
de Trente ans. Il a été mêlé à trop d'événements pour que nous puissions •
ici donner sa biographie. Nous renvoyons le lecteur à Dom Calmet.
2) Augmentée de 5 canons que sa cavalerie avait prise sur Tennemi.
(Mercure français^ t. xxii.>. Ce récit du Mercure a été reproduit par
M. A. I. Ingold dans la Feuille d'annonces de Thann et Cernay de»
23, 30 mars, 6 et 20 avril. — Pufendorf, 1. 10 par. 54. (Note de
Laguille).
3) La chose n'est pan Riire pour Mercy et Vernier; mais plusieurs-
auteurs Paflfirment. D'api es Forjet, on ne peut croire que Mercy fut fail
prisonnier, et il est probable qu'au contraire Vernier fut pris.
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LES COMBATS DE CERN.AY I 1 5,
Forjet, médecin du duc Charles, qui se trouvait au
premier choc et qui a pu interroger des témc*
laires, sinon son royal client, sur les événem
ont suivi la déroute de la cavalerie avec laqu
laissa entraîner, est beaucoup plus explicite
autres historiens. Il parle longuement des préli
du combat, de la déroute de la cavalerie, de
de l'infanterie qui, entraînée par Charles, se (
et finit par obliger le duc de Weimar à se re
Son récit, que donne Dom Calmet d'après soi
crit même'), étant sans doute le plus exact, n<
faisons un devoir de le reproduire dans ses
lignes. Nous n'y ajouterons que quelques dét
pruntés à la Vie de Guébriant et aux mém
Bassompierre et de Beauvau.
a) Veille de la bataille, — Quand le 14 oct
bon matin, Charles arriva à Cernay, où se trc
quartier général, et apprit d'un cavalier désert
le duc de Weimar avait franchi le Rhin, il ne
pas à marcher contre lui : il avait à peine 3000
à lui opposer. 11 dut même réprimer l'ardeur {
du colonel Mercy et de quelques capitaines
voulaient entendre parler d'aucun délai. Il leur (
autres : « S'il fallait, pour satisfaire à mes enga^
que j'eusse autant de monde que l'ennemi, quel
mériterait cette action } J'en connais l'importan
hasard : je le courrai ; je suis résolu de coml
Mais, je veux m'assurer de leur route, pour
tout l'avantage que les circonstances me pe
d'en tirer >.
A cet effet, il envoya un parti de 12 cavî
régiment de Mercy vers Brisach, et un autr
cavaliers, tirés de l'escadron de Maillard, et co
par le petit Gaspard, c qui connaissait parfaitei
routes d'Alsace» vers Colmar. cPuis il logea ses
1) Dom Calmet, édition 1757, t. vi, p. 242.
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Il6 REVUE d'ALSACK
-^-^ manière- qu'avec un peu de vigilance il leur était
îé de se garantir de surprise >, et leur assigna pour
ace d'armes, en cas d'alarme pendant la nuit, u?i lieu
il était presque impossible de les attaquer.
Cela fait, il se retira à Thann, < aussi gai et aussi
mquille que s'il n'avait eu aucune affaire dans l'es-
it > ; il savait, disait -il, à présent les desseins de
nnemi, qu'il ne serait pas obligé d'aller chercher
en loin.
Le petit Gaspard, revenu dans la nuit, donna l'alarme
rapporta que toute l'armée de Weimar était en
arche. Dès quatre heures du matin la cavalerie et
nfanterie lorraine sont en bataille dans la place d*armes;
six heures Charles va les rejoindre.
b) Journée du 15 octobre : Préliminaires de combat, —
ercy, toujours impatient de combattre, crut qu'un corps
ï cavalerie, qui, s'étant approché de Cernay pour sur-
endre les troupes lorraines, s'était retiré dans les bois
►rès s'être vu découvert, n'était qu'un parti; il voulut
ncer dessus, mais le duc de Lorraine, ne tenant pas
l'engager dans un péril si évident, préféra passer en
DUt de bataille la lisière du bois et de là il envoya
connaître l'ennemi.
Celui-ci se trouvait effectivement dans le bois avec
Lvalerie, infanterie et canons. Il fut bien surpris de la
mtenance des Lorrains : il s'était imaginé que ceux-ci
îfileraient et qu'il pourrait les attaquer dans leur marche,
ussi voulut-il se retirer quand il vit qu'il n*y avait
3n à faire; mais les Lorrains le serrèrent de si près
le le combat fut inévitable.
c) Fuite de la cavalerie lorraine. — Les dragons du
ic Charles se postèrent dans c un buisson qui était à
)té de l'ennemi >. Trois volées de canon sont tirées
? part et d'autre. Le régiment de Nicolas fut le premier
impu par un escadron ennemi et renversé sur les
giments de Vernier et de Preslay. Ceux-ci lâchent
imédiatement pied, sans se défendre. Le régiment de
onzague ne résiste pas davantage.
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LES COMBATS DE CERNA Y II7
Encouragé par ce succès, Weimar fait partir trois
autres régiments de cavalerie, qui fondent sur le régi-
ment de Saint-Martin, c bien monté et bien cuirassé » ;
ils eurent même la hardiesse de l'attaquer en montrant
le flanc. Le lieutenant-colonel Saint-Germain, à qui le
duc Charles avait commandé de les charger, avança à
peine de dix ou douze pas, puis, tournant la tête, il
prend également la fuite.
Cependant le seul Maillard soutient le choc et se
mêle avec les Suédois. Mais son régiment fut aussi
rompu. On ne put que rallier 40 ou 50 chevaux, avec
lesquels on retourna sur le champ de bataille.
Le régiment du colonel Mercy ne fut pas attaqué,
et pourtant plusieurs lâchèrent pied.
Bassompierre fut fait prisonnier t en retournant de
poster les dragons > •).
C'est en un clin d'œil qu'eut lieu cette fuite de la
cavalerie lorraine.
d) Charles avec l'infanterie résiste intrépidement. —
Nullement ému, Charles répond à Mercy, qui vient le
prier de mettre sa personne en sûreté, pour se con-
server à tous ceux dont il est le soutien : c II faut
sauver ces braves gens qui demeurent ferme (il ne lui
restait plus que 1400 hommes d'infanterie), je compte
sur eux; quant à ceux qui s'en sont enfuis, c'est une
mauvaise compagnie dont je suis heureux d'être défait»»
Puis t il appelle Varloski par trois fois, d'une voix
tonnante, capable d'inspirer du courage aux plus
timides >, et lui dit : c Je désire de vous une action
hardie et généreuse ... Il faut que vous attaquiez ce
bataillon de 1200 hommes, soutenu de 4 escadrons et
6 pièces de canon. C'est le seul moyen'de conserver
l'honneur de cette journée ; la gloire vous en demeurera.
Je veux moi-même en personne vous y conduire >.
i) C'est le même Bassompierre, dont il s'agit dans la bataille de 1634.
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-Il8 REVUE d'ALSACE
Il laisse trois bataillons sous le commandement de
Mercy, puis, mettant pied à terre et ayant pris une
-demi-pique en main '), il en tua son cheval pour faire
voir à son infanterie, à la tête de laquelle il se mit,
qu'il voulait vaincre ou mourir avec elle.
Il se mit en mouvement avec Varloski et Flecke-
stein; mais à peine furent-ils avancés de 50 pas, que
2 escadrons weimariens viennent les choquer; ils furent
bien reçus : le duc Charles et son vaillant bataillon
blessèrent ou tuèrent plusieurs officiers et mirent un
grand nombre de cavaliers hors de combat ; ils furent
même obligés de se retirer en désordre dans la campagne,
•quoiqu'ils fussent soutenus par deux autres escadrons;
ceux-ci furent d'ailleurs encore plus maltraités que les
deux premiers.
Son Altesse le duc Charles c anime son infanterie
de la voix et de la main, lui commande de recharger
en marchant, pour ne pas donner lieu aux Weimariens
de se reconnaître et lui défend de tirer sans un com-
mandement exprès».
€ On s'approche; l'ennemi fait sa décharge». Résul-
tat : un de nos capitaines et c quelques moindres offi-
' ciers » tués. Mais quand l'infanterie lorraine est à deux
piques de Tennemi, c elle fait un feu terrible et jette
Ja frayeur dans son bataillon ». Fleckestein « pousse
après eux pour leur passer sur le ventre » ; malheu-
reusement € son cheval qui avait beaucoup ('e feu
s'étant abattu sous lui dans une broussaille au milieu
des ennemis, il y fut fait prisonnier t. Le duc Charles
fut attaqué par quatre soldats, qui voulaient l'obliger
-à demander quartier; mais le capitaine Christian, du
régiment de Fleckestein, l'aida à s'en dégager.
Pendant que le duc de Lorraine avec son bataillon
■relevait l'honneur de la journée, le reste de son infan-
terie, € où était Saint-Balmont », fut attaqué par cinq
0 Le p. Donat.
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I20 REVUE d'aLSACE
dans un bois voisin : la crainte de voir l'ennemi pro-
fiter de la pluie qui menaçait pour fondre sur ses troupes-
fatiguées lui fit prendre cette décision.
On proposa d'envoyer quelque personne de crédit
à Thann, pour en ramener quelque cavalerie et faire-
venir au camp du pain et du vin, car les Lorrains
n'avaient pas mangé de tout le jour, les équipages et
les valets s'étant sauvés avec la cavalerie.
Mercy se serait chargé de la commission, mais il
avait demandé comme escorte le peu de cavalerie qui
était resté; l'ennemi, disait-il, devait avoir envoyé de
gros partis sur le chemin de Thann. Le duc demanda
alors à aller lui-même à Thann avec 7 ou 8 gentils-
hommes fidèles. On fit des difficultés, car le duc, disait-on,
était Tunique ressource des Lorrains. Mais il leur promit
d'être de retour le lendemain du matin, dût-il revenir
seul.
On le laissa donc partir. Il prit différents détours et
à minuit il était à Thann. Il fit venir les colonels et
les officiers et leur dit qu'il fallait que le lendemain la
cavalerie réparât son honneur, que pour peu qu'elle
fît son devoir, avant dix heures il battrait l'ennemi à
plate-couture.
h) A son retour de Thann^ le duc Charles apprend'
la retraite de Weiinar, — Le duc put les disposer à
retourner. Avec quantité d'officiers et 400 chevaux il
marche, avant le lever du jour, vers le champ de
bataille. Mais, au sortir de Thann, des fantassins déser-
teurs de l'armée de Weimar l'assurent que ce dernier
s'est retiré. Arrivé près de son infanterie, il apprend
également que l'ennemi ne parait plus. C'était donc
bien Weimar qui avait été obligé de faire sa retraite.
La cavalerie lorraine fut naturellement reçue avec
des marques de mépris. Les officiers qui avaient fui
furent désarmés et mis en arrêt à Thann, après avoir
été déclarés sckelmSy à la demande de Mercy.
i) La cavalerie lorraine répare sa faute, — Mais le
duc Charles ayant fait savoir « qu'il permettrait à ceux-
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LES COMBATS DE CERNAY 121
qui se piquaient de générosité de faire voir par quelque
action signalée qu'ils n'avaient fui que par un pre-
mier mouvement, plusieurs entreprirent d'aller visiter
l'ennemi >. C'est ainsi que sept officiers du régiment
de Maillard battirent un parti de dix-sept cavaliers et
en prirent des chevaux et des prisonniers »). D'autres
s'en allèrent du côté de Munster, où ils remportèrent
des succès.
Variantes. — Un historien bavarois de la Guerre
de Trente ans, contemporain de l'action, Adlzreit,
prétend 2) que le duc Charles passa la nuit sur le champ
de bataille, dont il était resté maître, et que le duc de
Weimar se retira du côté d'Ensisheim.
Nous préférons croire avec le médecin de Charles
que celui-ci, après une vigoureuse résistance, que Forjet
aurait pu appeler une belle retraite, n'a pas voulu passer
la nuit sur le champ de bataille bien que ce fût en son
pouvoir; que, pendant le repos de ses troupes dans le
bois voisin du champ de bataille, il passa plutôt une
nuit blanche à aller à Thann et à en revenir, après avoir
ramené de la cavalerie. Quant au duc de Weimar,
c'est bien pendant la nuit qu'il se retira, à Tinsu de
Charles.
L'historien bavarois n'a donc qu'à moitié raison.
Baleicourt3) n'insiste pas plus que Forjet sur la
retraite elle-même; son récit est plus court, mais ne
contredit en rien celui du médecin du duc Charles. Il
accentue peut-être davantage le déshonneur de la cava-
lerie lorraine : c La cavalerie du duc de Weimar, dit-il,
ayant seulement fait semblant d'attaquer celle du duc
1) Forjet ajoute que, neuf jours après le combat, Ton trouva sur le
chaoDp de t>atail]e un fantassin lorrain, qui avait eu la moitié de la
jambe emportée par un coup de canon. Il était encore en vie. Trans-
porté sur un cheval à Thann, la jambe lui fut coupée au-dessous du
genoo, et Forjet le guérit parfaitement.
2) Adlzibit, 1. 23 n. 31. Cité par Laguille.
3) Histoire du duc de Guébriant^ p. 261. Cité par Dom Calmet,
VI, 248.
JZevae d^AUacit, 1907 9
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122 REVUE D ALSACE
Charles, celle-ci s'enfuit sans attendre le choc et aban*
donna l'infanterie avec les chariots à la merci des enne-
mis . . . Mais le duc soutint si vigoureusement la charge
de Weimar qu'il fit tourner tête à sa cavalerie, tailla
son infanterie en pièces, se rendit maître du champ de
bataille et de deux pièces de canon». II fit alors sa
retraite, et Weimar eut beau revenir à Tattaque; c par
toutes ses escarmouches il ne put ni rompre, ni enta-
mer > l'armée lorraine.
Dans la Vie du maréchal de Guébriant^ nous trouvons
ce détail') : «Le duc de Weimar défit entièrement la
cavalerie lorraine et chassa les troupes du duc Charles
dans les bois, prit s pièces de canon, 25 cornettes et
tout le bagage >.
Seuls, Bassompierre 2) et Beauvau 3), que cite Dom
Calmet, parlent plus longuement de la retraite, < Ils
disent que le duc de Lorraine, abandonné de sa cava-
lerie, conduisit avec beaucoup de jugement et de fermeté
la retraite qu'il fut obligé de faire. Il descend de cheval,
rassure les gens, se met à la tête de son infanterie,
l'enferme entre les chariots de bagage et se retire à
Thann, éloignée de 2 lieues, en bon ordre.
< Environ 40 cavaliers, qui n'avaient pas voulu fuir
avec les autres, demeurèrent au dehors de l'enceinte
des chariots. De ce nombre était le jeune Bassompierre,
dont le cheval fut tué sous lui, et qui demeura prison-
nier 4). Le duc de Weimar ne put jamais enlever un
chariot, ni tuer un soldat du duc, dans tout ce long
trajet ».
Le duc de Weimar reconnut < que c^ était la plus belle
action quil eut encore vue dans le métier des armes ^^
i) L. 3, c. 4, 7. Cité par D. Calmbt, ib.
2) Journal dt Bassompterr^^ t. il.
3) Mémoires de Beauvau^ 1. I, p. 61.
4) Est-ce en voulant poster des dragons, après la déroute de la
cavalerie lorraine, ou est-ce seulement parce qu'il était en dehors de
l'enceinte des chariots que fut pris Bassompierre? Ce qu'il y a de cer*
tain, c'est que (les auteurs sont ici d'accord) Bassompierre s'était éloigné
du bataillon du duc Charles et fut pris.
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LES COMBATS DE CERNA Y I23
-« il eut bien souhaité acquérir une gloire pareille >.
Xe Grand Condé égalait cette glorieuse retraite h la plus
• signalée de ses victoires i), et le vainqueur de Rocroy
s'y connaissait.
Conclusion. — Nous avons essayé de concilier les
différents récits de cette journée qui, somme toute, fait
honneur au duc de Lorraine comme au duc Bernard
<ie Weimar. En en considérant les phases successives
et en ne s'arrêtant pas à un point de vue exclusif
•comme l'ont fait la plupart des historiens, on la com-
prend mieux.
Le duc de Weimar ne survécut pas longtemps à
-ce combat : le i8 juillet 1639, il mourut à Neubourg,
►à l'âge de 35 ans.
Quant au duc de Lorraine, resté quelque temps à
Thann, il ne put couper à Weimar les vivres qui lui
venaient de la Suisse et il fut obligé de renoncer à
•recourir Brisach : Mercy avait été vaincu près d'Ensis-
.heim par le colonel de Rosen le i*' novembre 1638.
C. Oberreiner.
i) Dictionnaire de Bbuzbn db la MartiniÈrb, X vi; Supplément
•4tu manuscrit de Corberon, p. il. Paris, 1741. C'est sur TOcbsenfeld
qu'a eu lieu la bataille, dit-il. — Voir : Ingold, VOchsenfeld^ ton
antiquité ^ ses traditions^ etc.
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LES TROUBLES DE 1789
DANS LA HAUTE -ALSACE
Suite >)
CHAPITRE II
Les événements de Paris. — L'insurrf et on dmr s le Royaume. — Le»^
brigands. — L'insurrection en Alsace. ~ Les vrais coupables. —
Ses causes imméd ates.
Au surplus les graves événements qui se passèrent
à Paris, tirèrent la Conr) mission et les Bureaux de leur
perplexité : ils permirent à celle-ci d oublier l'arrêt dont
l'exécution lui était confiée, et fournirent à ceux-là
l'occasion de démontrer qu'ils n'étaient pas un rouage
inutile.
Les 15, 16 et 17 juillet, on apprit coup sur coup
le renvoi de Necker, la révolte de Paris, la prise de
la Bastille et les excès qui en furent la suite; on savait
que les troubles avaient été apaisés dans la capitale
par la présence du Roi, et en Alsace, dans les villes
et dans les campagnes, chacun s'était paré comme à
Paris de la cocarde verte, symbole de la liberté recon-
quise. Mais on savait aussi que les désordres de la
capitale avaient provoqué d'autres désordres dans les
provinces et qu'une quantité de châteaux avaient été
dévastés et incendiés.
1) Voir la livraison de janvier-février.
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LES TROUBLES DE I789
En effet, le royaume tout entier était en
•< Dans les quatre mois qui précèdent la p
Bastille, on peut compter plus de trois cent
-en France >, à grand'peine comprimées. D
^récoltes avaient été mauvaises; dans la cra
disette les paysans commencèrent à s'insu
avoir le blé et le pain à bas prix. Puis, comr
avait dit «que les Etats généraux allaient opér
nération du Royaume, ils en ont conclu qu
-de la convocation devait être celle d'un cl
-entier et absolu dans les conditions et dans les
Enfin, < l'imagination populaire est allé dr
comme un enfant : les réformes étant annoi
.les croit venues, et, pour plus de sûreté, elle 1
.à l'instant : puisqu'on doit nous soulager, s
nous ! . . . Les principes donnés au peuple s
Roi veut que tout soit égal, qu'il ne vei
-seigneurs et d'évêques, plus de rang, poini
-et droits seigneuriaux. Aussi ces gens égai
user de leur droit et suivre la volonté du Roi
pourquoi le paysan, dès qu'il apprit que F
révolté, courut, sans hésiter, sus aux château
le sot espoir de se soustraire aux corvées e
vances qui lui pesaient, s'empressa de saisi
et de les livrer aux flammes avec les demeur
^u'il considérait comme ses oppresseurs. Ce
pérait surtout, c'étaient les bruits sinistres
faisait courir, très certainement à dessein, sur
-de vengeance que nourrissaient les seigne
i) Tains, Réuoluihn^ I, p. 13, 20, 24.
3) Ou plutôt les aristocrates. Telle est, d'après M. d
^'l'ongine de la signification odieuse qui s'attacha au mot
On les accusait, non seulement de soudoyer des brigand <i
4es moissons, mais encore d'accaparer tes blés, de vouloi
4' Assemblée nationale, de prendre à leur solde des troup<
•«nfin d'incendier eux-mêmes leurs propres châteaux dans le
-odieux le régime actuel et de ré luire par la famine le \
-^léfenseurs. (Cfr. Btrickt an dit Gemeine von Strasskurg^
•«t suiv.
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126 REVUE d'ALSACE
racontait que des légions de brigands à leur solde*
avaient été déchaînées sur le pays, avec ordre de-
détruire partout les moissons, le seul espoir de raffame-
et souvent le seul bien du paysan. De là de folles
terreurs qui faisaient place bientôt à des accès de rage
frénétiques. Les brigands^ dont on annonçait l'arrivée
partout, ne furent jamais vus de personne ; aussi Ton^
finit par appeler de ce nom les bandes armées qui
parcouraient les campagnes, même celles qui avaient la^
prétention de se défendre contre les soi-disants brigands^
Tous les écrits du temps en témoignent, et c'est ainsr'
que le mot brigand^ détourné de sa signification habi-
tuelle, désigna tous ceux qui prirent une part quelconque
à l'insurrection, dont le plus grand nombre certainement
étaient plutôt des égarés, que des gens faisant leur métier
de piller et de voler à main armée.
Bien qu'en Alsace on appelât du nom de brigandy,
Raubgesindely Banditen^ tous les insurgés indistinctement^
il ne parait pas que la terreur de ces brigands fantas-
tiques, sous Tempire de laquelle se trouvait une grande
partie de la France, eut quelque influence sur le sou-
lèvement de notre province. On peut en dire autant
de la faim, La récolte de 1789 sans doute ne donnait
pas de grandes espérances; mais avec le reliquat de
1788, qui avait été une année commune, une disette^
prochaine n'était pas à redouter »). La cause première
de tous ces désordres, indépendamment de la contagioa
de l'exemple, se trouvait dans la fermentation, la surexci-
tation générale. Sans doute cette surexcitation était
excitée et entretenue par la conviction que paysans
et bourgeois, depuis longtemps des victimes, devaient
profiter du moment pour redresser les abus dont ils-
1) Cfr. L* Alsace au xviii* tlhle^ tome ir, p. 434. c Le comman»
dant de Lorraine m*astura que... nous y avions au moins abondance
de grains, puisque c'était cette province qui lui fournissait des secours^
dans le besoin pressant qui affligeait la Lorraine et les Evéchés >^
(Mimoifts du maréchal di Rochambeau, P^ris, 1809).
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LES TROUBLES DE 1789 I27
souffraient et reprendre les droits dont on les avait
injustement dépouillés. Mais cette conviction elle-mêmej
si Ton en croit un député alsacien, était le résultat de
coupables excitations, de la séduction, et surtout de
Tassurance satanique que le Roi, mécontent des classes
privilégiées, autorisait le peuple à les piller '). Il y eut
évidemment des gens sans aveu, qui cherchaient dans
le désordre et l'incendie une occasion de voler et qui
faisaient réellement acte de brigandage. Mais le plus
grand nombre des insurgés étaient persuadés que le
Roi et l'Assemblée nationale permettaient à chacun de
se faire justice à soi-même. Ils montraient même des
placards, signés Louis, qui les y autorisaient 2). Aussi
ne se firent-ils aucun scrupule d'employer la violence
dans le but d'obtenir libération de leurs obligations
envers l'Etat, les seigneurs et leurs créanciers.
L'Etat était hors de leur atteinte, mais ils pouvaient
refuser l'acquittement des impositions, dont au surplus
il était absolument impossible dans ces circonstances
d'opérer le recouvrement; ils pouvaient encore déchar-
ger toute leur mauvaise humeur sur les fonctionnaires-
de l'Etat et se venger sur leurs personnes et sur leurs
biens de toutes les injustices dont ils se prétendaient les
victimes 3). Les seigneurs et les créanciers, qui étaient
1) c In allen Provinzen loderte nun bald das Feuer der Unruhen^
Das Volk brach in Gewalithïtigkeiten aus, nicht aat Abscheu gegen
zu farig erlittene Unterdrilckungen, wie man es ôfTentlich ausgab, son-
dern durch allgemeine Aafwiegeiung in den Krmsten Klassen des Volkes;.
durch Bektechnngen, durch glMnzende Verheissungen, seibst durch die
teufliiche Erfindung dass der Kong, tiber die privilegierten StMnde
missveignikgt, dem Volke «rlaube sie zu Uberfallen und zu pHindern >.
(BtrUht an dû Gemeine von Strassburg^ par J. DB TuBCKHSiM, député
de Strasbourg, 1789, p. 15). — « Zu diesem allgemeinen Au^tandt
^cug gar vieles bey, dasz mUndIich und schriftiich ausgestrait wurde, es»
sey Befehl vom Hofe angelangt dasz die Juden und die Herrschaften
sollten verfolgt werden *, (M. MiSG, Hisi, de Mulhouse).
a) Tainb, Révolution^ I, p. 98 et note 4. — - Dominique Schmutz»
Billing, etc. .
3) C'est ainsi que Tadjudicataire des fermes du Roi se plaignit de-
ce qu'on avait enlevé plusieurs poteaux de recette, refusé de payer les
droits et menacé les préposés : c ... les enlèvements (en particulier dfr
sel et de tabac) se font à force ouverte et par chariot »,
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REVUE d' ALSACE
juifs, se trouvaient à leur portée,
d'acquitter la dîme et les droits sei-
respectait plus ni le droit de chasse,
he, ni les propriétés du seigneur, et
lit les forêts ; on s'insurgeait contre
uriaU), et, si toutefois ses biensiet sa
lent aucun dommage, on l'obligeait
v^iolence et les dernières menaces, à
son maître qu'on détruisait par le
efois à signer au nom de son maître,
[>ar lur, une renonciation authentique
>n considérait comme des usurpations,
que Ton regardait comme abusives :
5 droits, nos anciens droits, nos droits
écriaient les émeutiers '). Quant au
ïtait traité avec plus de sans façon,
maison était mise au pillage, quelque-
être incendiée, tous ses titres brûlés,
toute sa famille, obligé de s'enfuir,
er aux mauvais traitements,
înt les vrais coupables? < Vous voulez
irs des troubles, écrit un homme de
; recherches, vous les trouverez parmi
rs . . . Ils écrirent à leurs commettants
aires ; ces lettres sont reçues par les
1 les lit tout haut sur la place princi-
îs en sont envoyées dans tous les
n effet parmi les députés du Tiers
les véritables auteurs des troubles
rs seigneuriaux n^étaient guère en sikreté. Voici
ncellerie de Ribfauvillé, le sieur Maire, receveur-
à la date du 9 Aars 1 790 : « Je voudlrais bien
lent bientôt aux Etats généraux; car les officiers
[ue tous regardés comme de au val
assurément pas plaisir aux honnêtes gens ».
s vêriiés, 1792, p. 94.
», I, p. 94 et notes p. 95. — C^p^ndant il faut
t de responsabilité qui incombe au Gotiveraeaent
iriaétHaire. '
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130 RKVUE d' ALSACE
:onstitution de notre province; mais elles sont fomeir-
s encore par ceux, qui, accusés et convaincus déjà
voir excité au pillage et à Tincendie des châteaux
des monastères, continuent apparemment d'aussi cou-
ples manœuvres». M. deTurckheim, député de Stras-
arg, dans ses explications à ses commettants, accuse
s nettement, sans toutefois les nommer par leurs
ms, ses collègues alsaciens de TAssemblée, ou quel-
3s-uns d'entre eux, d'avoir provoqué ces désordres^
i l'on avait voulu véritablement venir au secours des-
sses nécessiteuses, dit-il, on n'aurait pas requis en
elque sorte les provinces de se soulever, même avant
4 août, répandu avec une célérité incroyable, par le-
lyen d'affiches séditieuses et surtout inexactes, les-
olutions votées durant cette nuit, avant même qu'elles
îsent été formulées ; on n'aurait pas envoyé dans les
évinces depuis Versailles des lettres qui portaient le-
ibre de la poste de cette ville (j'en ai eu moi-même-
:re les mains qui avaient été retournées), par lesquelles-
sommait les syndics de notre province < de com-
ttre de toutes leurs forces les seigneurs et les prêtres,-
is quoi tout serait perdu >. Mais on aurait suivi la.
ie de la modération ! > »)•
1) « Man hlitte nicht, noch vor dem 4. August, die Provinzen zao»
stand gleichsam aufgefordert, die SchiUsse jener Nacht, nocb vor
T Abfassung, durch aufrUhrische und seibst ungetreue angeschiagene
tter, mit einer unbeschreiblichen Eilfertigkeit verbreitet; man bStte-
it durcb Briefe, mit dem Poststempel von Versailles bezeichnet, aus-
ter Residenzstadt in die Provinzen geschrieben (deren ich einige, die
ilckgeschickt worden, seibst in Hânden batte), welche die Syndicke»
erer Provinz aufgefordert c sicb aus allen Kràften g''gen die Herr-
ïften und Geistlicben zu wehren, sonst sey ailes verioren », (Berithf
die Gemeinde vcn Strassburg^ 1 789, p. 33). — La brochure intitulée
Pourquoi du peuple à ses représentants reproduit les mêmes accusa-
is, notamment contre Lavie : c Pourquoi, lorsque le sieur Lavie a
accusé et convaincu en pleine Assemblée nationale, d'avoir répandu
ait afficher des placards séditieux, a-t-on passé a Pordre du jour^ ai»>
de sévir contre ce séditieux?» — Le Mémoire de droit public^ etc.,.
state également que c*est ce peuple « naturellement si doux et s»
iquille, qu^on a soulevé par des placards, des lettres anonymes timbrées-
Versailles, qu*on a excité par des mensonges et des imputations-
;ses, qu'on a armé contre tous les pouvoirs... > (p. »34). — Cfr-
citoyen contemplateur^ ï790» p. 25, 30, etc..
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LES TROUBLES DE 1789 13»'
Les municipalités et surtout leurs syndics étaient tout
naturellement disposés à céder aux conseils, ou aux-
injonctions qu'ils recevaient ainsi de la capitale. C'était
pour eux le moyen tout trouvé de jouer le maître : ils^
ne firent pas faute d'en profiter. Le 2 octobre, le Bureau
de Huningue adressait à la Commission intermédiaire-
la lettre suivante du sieur Ostertag, curé de Steinsouitz,.
en date du 28 septembre, ajoutant que dès le 15 du
même mois il avait dénoncé à la Commission les mêmes
faits et qu'il devenait plus pressant que jamais d'agir
avec vigueur, si on voulait empêcher le renouvellement^
de l'insurrection : « Est-il possible. Messieurs, que les
membres aussi prudents qu'éclairés du district de Hu-
ningue ne commencent pas à voir clair quant aux
municipalités de leur ressort .^^ Je suis sujet du Roi ; je
me flatte d'être zélé patriote : je suis prêtre et curé,,
et toutes ces qualités me disent que je commettrais un
crime impardonnable si je ne vous déclarais point que-
dans les tristes circonstances où nous avons le malheur
de nous trouver aujourd'hui, Messieurs les syndics, avec
les autres suppôts des municipalités respectives, posent
comme principe : i** qu'ils sont despotes quant à l'ad-^
ministration des communautés; 2® qu'il ne faut plus^.
payer les impositions du Roi; 3® que tout créancier
doit perdre sa dette active; 4** que les Juifs sont payés-
par les titres qu'on leur a volés; 5** qu'on doit absolu-^
ment chasser cette nation de la province ; 6** qu'on ne
doit plus rien aux seigneurs; 7* qu'on n'a plus besoin
de juges, chaque municipalité étant le juge naturel des
sujets de son ressort. Voilà, Messieurs, à peu près leur
système, qui, couvant sous la cendre, éclatera bientôt
si l'on néglige les moyens propres à le renverser.
On se plaint que les autorités sont vilipendées. Voict
les raisons : i* la plupart des syndics, auxquels elles-
sont envoyées, savent à peine l'allemand, quoique leur
langue maternelle; 2® la plupart ne lit qu'en bégayant
et est hors d'état de pouvoir expliquer la force du
terme. Par exemple, Getrcîd, les syndics l'ont expliqué
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•132 RBVUE DALSACK
par toute sorte de denrées nécessaires à la consomma-
^* ' droit cT avoir exclusive tnefit des colombiers aboliy
ics l'ont expliqué qu'à Tavenir il est défendu
s monde d'avoir des colombiers, etc.; ainsi de
e, de la pêche, des dîmes, etc. ; 3° la plupart
Messieurs s'érigent au moins indirectement en
parti ; 4** si eux-mêmes n'ont pas volé, saccagé
, leurs parents les plus proches ont fort bien
à ces trois métiers. Et vous voudriez alors,
•s, que soient confiées aux syndics des ordon-
^ui culbutent de fond en comble leur façon de
et d'agir? Croyez-moi, Messieurs, autant de
alités, autant de centres de révolte ! >
bureau de Colmar était du même avis. C'est la
jntre les anciens et les nouveaux administrateurs,
il à la Commission le i" septembre, et la jalou-
ins contre les autres, qui entretiennent la fermen-
:tuelle et empêchent le calme de renaître ! Voici
de qu'il voudrait voir employer. Comme les
s, dit-il, paraissent avoir renoncé au droit de
[u'ils exerçaient sur l'administration des revenus
liaux, on pourrait profiter de la circonstance
idre en un seul corps ces deux corps rivaux,
mmer partout de nouvelles municipalités, « dont
oir exécutif appartiendrait aux prévôts > : ce
moyen de remédier à cette < anarchie >, dont
uiTrons! La Commission intermédiaire elle-même
:, et l'avoue dans sa lettre du 8 septembre à
blée nationale : «Les communautés, vexées par
iers seigneuriaux, dit-elle, ont élu dans les muni-
, non les plus sages, mais les plus remuants,
les plus capables de tenir tête aux officiers
iaux; il y a donc dans chaque commune deux
^n présence, deux corps doqt les pouvoirs ne
î exactement limités. Ce furent donc de part et
des prétentions exagérées, des chocs qui mirent
de grands abus : de là l'origine des troubles!
ans bien des endroits, dès le commencement, les
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LES TROUBLES DE 1789 135.:
prévôts durent prendre la fuite, les municipalités sp^
mettre à la tête de la communauté, d^abord volontaire
ment, puis forcément ...>•).
On comprend la raison pour laquelle on refusait d<
payer les impositions royales, ou d'acquitter les dîme
et les redevances seigneuriales; mais pour quel mot!
s'attaquait-on à tous les créanciers, et surtout au créan
cier juif? Une petite brochure anonyme de l'époque
intitulée Révolutions d'Alsace^ dont l'auteur est bien loii
d'être partisan de l'ancien ordre de choses, dit à ce sujet
< Nous savons encore que dans ces endroits de la Haute
Alsace ... on a massacré tous les juifs 2). Ici les âme
des Parisiens seraient saisies d'eflroi; ils se croiron
transportés au x« siècle. Il faut leur apprendre que 1;
religion probablement n'y a pas eu de part et que le:
juifs sont un des moyens tyranniques dont se serven
les seigneurs de ce pays pour vexer les peuples. Ili
exercent l'usure ; ils réduisent les paysans à la mendi
cité ; ils citent l'Ancien testament pour justifier leur
vexations et ils partagent tranquillement avec les sei
gneurs les fruits de leurs crimes >. Nous examineroni
ailleurs ce que cette allégation a de fondé, et nou!
étudierons plus en détail les motifs de la haine du paysai
contre le créancier juif 3). Qu'il nous suffise, pour h
moment, de connaître sur ce sujet le sentiment dei
administrateurs composant le département du Haut
Rhin:
i) L'aateu) des Instructions au chapitre de X^ est du même avis
nous l'avons vu précédemment. Et cependant la Commission, dans %\
lettre à l'Assemblée nationale du 8 septembre, a tout lieu de vouloii
sinon innocenter, au moins d'excuser les municipalités, qui étaient soi
œuvre après tout : < Presque jamais une municipalité ne requerera; ell
laissera commettre les plus grands excès, plutôt que de faire um
démonstration, dont ses concitoyens pourront, tôt ou tard, chercher i
la rendre responsable... Les municipalités ns sont plus maîtresses d<
se refuser à rien... >.
2) C'est une erreur. Il n*y a eu aucun massacre de Juifs duran
l'insurrection ; il n'y a pas même eu de sang versé : nous avons à c<
sujet les témoignages les plus positifs.
3) Dans DAlsace au xviu« siUle^ IV, livre xii.
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-134 RRVUE D'ALSACE
< Caractérisé par une nonchalance, par une apathie
pour tout genre de travail manuel, ce peuple (le peuple
juif) s'est créé Thabitude de ne se procurer ses premiers
besoins que par des simulations de contrat, des usures,
-des extorsions de toute espèce. .. L'inconvénient d'une
manière de subsister aussi peu utile, on peut même
dire aussi contraire aux intérêts politiques de toute
société ... ne se borna pas seulement à faire acheter
.au laboureur et à l'artisan le secours du moment au
triple et au quadruple du réel qu'il a reçu, il entraîne
celui d'une foule immense de procès et de discussions
qui finissent toujours par la ruine d'une famille de
cultivateur. Le sentiment public que cet état de chose
- a fait naître dans ce département depuis nombre d'an-
nées, est celui d'une haine entre juifs et chrétiens qu'un
siècle ne suffirait pas pour effacer. A peine les pre-
miers rayons d'un nouveau gouvernement avaient-ils
lui sur cette partie du royaume, que l'on a vu dans
presque toutes les communautés le paysan opprimé
par une longue suite de vexations et d'usures, se
soulever contre les Juifs ; partout s'est manifesté le
ressentiment le plus implacable; et, si des voies de
fait sanglantes n'en ont pas été la suite, c'a été parce
que toute l'attention des chefe civils et militaires s'est
^portée à les arrêter et que partout 11 a été interposé
une mesure proportionnée de force publique > i).
Le Conseil général du district d'Altkirch atteste
aussi, en 1 790, que < l'énormité de l'usure qu'elle a
exercée sur le peuple et les vexations inouïes qu'elle
a exercée sur lui n'ont pas moins contribué à l'animad-
version et aux maux que cette nation a éprouvés dans
-ces temps d'insurrection >.
On s'explique maintenant pourquoi chaque village
-dans lequel les Juifs étaient domiciliés, chaque chef-lieu
1) Adresse à l'Assemblée nationale au sujet des Juifs (31 décembre
€ 790).
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LES TROUBLES DR 1789 135
-de recette seigneuriale, ou royale, eut sa petite insur-
rection. Comme ce furent partout les mêmes violences
^t les mêmes excès, le récit circonstancié en devien-
drait long et fastidieux. Nous nous bornerons donc aux
faits principaux et nous ne nous étendrons quelque peu
•que lorsque l'insurrection elle-même prendra une gra-
-vité exceptionnelle.
{A suivre), CH. HOFFMANN.
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LES
NCIERS DE HAGUENAU
Suite et Fin i)
VIL
$8 François Hannong (i 788-1 789).
de suivre un ordre rigoureusement chrono-
uisons d'abord ce qui nous reste à dire de
ssante famille des Hannong.
r avait laissé un fils, Charles François, né le
14. Comme son père dirigea la manufacture
au jusqu'en 1751 et l'habita jusqu'en 1753,
tier dans sa première jeunesse aux détails
sortants de la fabrication. Plus tard les dissen-
i l'éloignèrent de son oncle Paul et de son
ph, le maintinrent dans une autre voie. Mais
l devait chasser de race, c'est-à-dire conserver,,
t, dans un recoin de son cœur, un faible
pour la faïence et la porcelaine.
Pierre vint s'établir à Haguenau, en 1762,
. dans la famille de Charles l'accueil le plus
e. Le Labastrou, qui lui vendit les bâtiments
où il installa sa première usine, avait épousé-
livraison de janvier-février 1907.
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU 137
la veuve de Balthasar. Quand il partit ensuite pour la
France, c'est à Charles que, par traité du 7 mai 1764,
il confia la direction intérimaire de son établissement.
A son retour, en 1780, il retrouva le même appui.
L'emplacement pour sa seconde usine fut fourni par
les Kuntzenknecht, aubergistes du Saumon, parents de
la femme de Charles.
Celui-ci intervint aussi dans la vente. On le voit
écrire à la ville qu'il € a trouvé l'occasion de vendre
de la porcelaine et de la fayence >, mais il n'a pas de
magasin. Sur quoi le magistrat lui perrnet (23 novembre
1780) «de bâtir et construire à ses frais une boutique
entre la porte d'entrée de la maison qu'il occupe et la
grande porte de l'hôtel de ville > , à charge d'en payer
une redevance de 18 liv. à la caisse des pauvres et de
démolir la boutique, quand il en sera requis. La bou-
tique fut construite, nous le savons par les factures des
ouvriers. Mais soti approvisionnement dut se trouver
compromis par la nouvelle fugue de l'aventureux cousin.
Alors se réveilla chez lui plus vif que jamais le
désir d'avoir sa manufacture à lui. Il commença par
chercher un bailleur de fonds et le trouva un instant
dans un avocat de Haguenau, Joseph François Schuster;
mais celui-ci se ravisa ensuite, et l'association fut rompue
avant d'entrer en vigueur. Il s'adressa aussi à ses deux
cousins, alors présents à Paris, pour leur demander des
conseils, et surtout des secrets. Pierre Antoine lui envoya
une recette pour faire de la terre blanche, mais ren-
gageait en même temps à se tenir sur la réserve. Joseph
n'osait trop donner des avis, il aurait besoin pour cela
de connaître les proportions et les dispositions de ses
fours, les terres dont il pense se servir, etc. En fait de
terre il recommande celle du Gutleuthaus de Haguenau.
Mais ni le manque de fonds, ni les avis défavorables
de ses cousins, ne pouvaient arrêter notre faïencier
in spe. Il finit par présenter au magistrat (1788) deux
requêtes qui furent toutes deux agréées. Par la première
il obtenait pour son fils Stanislas la survivance de ses
Btvut d*Al8ace, 1907 lO
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138 REVUE d'aLSACE
deux chargés, celle de quartier-maître qu'il possédait
depuis 22 ans, et celle de tabellion occupée depuis
19 ans. Dans la seconde, il sollicitait pour lui-même
l'autorisation d'ouvrir une nouvelle fabrique de faïence,
avec les privilèges accordés à son grand-père en 1724.
Son cousin Joseph, dit-il, eût fait sur ce terrain € les
progrès les plus fortunés, s'il s'en fût tenu uniquement
à la fayence et n'eût pas voulu tenter différents essais
également ruineux». Lui-même connaît cette fabrication
pour le moins aussi bien que ses concurrents (dont il
sera question plus loin), Volet et Anstett. Cette manu-
facture fera du reste le bien de la cité et lui assurera
à lui-même des ressources que son étude de tabellion
ne lui donne point.
Charles ne jouit pas longtemps du succès de ses
démarches. L'autorisation obtenue est datée du 21 avril
1788, et, le 2 octobre, la mort mettait un terme à sa
carrière industrielle à peine commencée.
Par l'inventaire de sa succession, on voit qu'il avait
établi son usine dans la maison féodale des Vorstadt,
à quelques pas de l'ancienne manufacture Hannong ;
son moulin à émail se trouvait à 'la burgmûhlc. Il ne
semble avoir fabriqué que de la faïence, mais, malgré
le caractère prudent et pratique de son entreprise, les
affaires ne furent pas brillantes. Le passif dépassait de
beaucoup son actif, et ses héritiers durent déclarer qu^l
leur était impossible d'accepter sa succession autrement
que sous bénéfice d'inventaire.
Vin.
Stanislas Charles Constantin Hannong
(1789-1812).
Stanislas, qui comptait alors 19 ans, remplaça sans
doute son père à la tête de sa petite manufacture, mais
il ne tarda pas à en être écarté par les événements de
la Révolution.
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU I39
Il émigra et Vécut pendant plusieurs années à Baden-
ïaden, employé ou même directeur d'une fabrique de
faïence et de terre de pipe. Il entretenait à cette époque
une correspondance plus ou moins suivie avec son
cousin Joseph, alors retiré à Munich. Ses lettres ont
disparu, mais la famille a conservé en partie les réponses
qu'il reçut. Elles roulent surtout sur cette carrière
céramique, dans laquelle Stanislas débutait avec l'ar-
deur et les illusions de la jeunesse, où l'autre le
raisonnait avec le calme sceptique, qu'il devait à ses
quarante ans de travail et d'épreuves.
Joseph voyait avec déplaisir son parent s'occuper
-de terre de pipe. Il n'en voulait à aucun prix, même
sous le nom de steingut, < Mon sentiment serait, dit-il,
<\\XQ vous tourniez cette usine vers la porcelaine com-
mune, qui ne vous coûterait, ni plus de façon, ni plus
de matériaux, que la terre de pipe >. Il s'offre même
{1798) à l'organiser en personne et à la diriger pendant
que les circonstances, fort difficiles alors pour les émi-
grés dans le grand-duché de Bade, forçaient son jeune
cousin à quitter momentanément le pays. Mais Stanislas
refusa ses offres au premier abord, et, quand il se
montra, deux ans plus tard, disposé à les accepter,
Joseph avait pris des engagements qui le retinrent à
Munich. Il n'en est pas moins heureux de la conversion
de son cousin et applaudit aux essais dont il a reçu
•communication. La faïence est moins blanche que celle
de Strasbourg, mais belle néanmoins, plus légère, et,
ce qui est très important pour la situation économique
•de l'Europe contemporaine, beaucoup moins coûteuse.
Ce prix de revient, ajoute-t-il, sera particulièrement
réduit, si l'on renonce au préjugé, qu'il a lui-même
longtemps partagé avec tous les Hannong, que «leurs
fours étaient les meilleurs fours à fayence qui existent
sur le globe terrestre >. Les fours français valent mieux.
Mais pour en tirer parti, il faut < un enfourneur qui
puisse suivre les errements qu'on suit dans les manu-
factures de l'intérieur . . . Leur manière d'enfourner par
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I40 REVUE D'ALSACE
échapate est bien plus lucrative que ne peut Têtre nôtre-
manière d'enfourner par gazettes >.
Il est probable qu'on ne saura jamais si Stanislas-
suivit ces conseils. L'histoire se contente de nous
apprendre que l'occasion de le faire ne tarda point à
se présenter pour lui. Pendant son séjour à Bade, en
1799, il avait épousé une compatriote, Cunégonde Jersé,
que l'émigration avait jetée, comme lui, sur la rive
droite du Rhin. Dès que l'amnistie lui permit de rentrer
à Haguenau, il y revint avec sa petite famille et installa
une faïencerie dans la propriété que son beau-père
possédait dans la Betzheimergasse. Il y travailla, d'après
une lettre d'un de ses fils, jusque vers 18 12. Puis, «des
revers de fortune l'obligèrent de cesser les travaux de
cette industrie et d'accepter une perception dans l'ouest
de la France. Après la Restauration jusqu'à sa mort,,
survenue en 1832, il fut directeur de l'hôpital de
Haguenau > •).
IX.
François Joseph Lorentz et Zacharias Pfaitzer
(«778-1779).
Dans le traité de 1776, la ville promettait à Joseph
Hannong c de n^accorder aucun privilège ni immunité
à une seconde manufacture du même genre pendant
l'espace de dix -huit ans». On éprouve par suite
quelque surprise en rencontrant une nouvelle faïencerie
à Haguenau, établie en 1778, peut-être déjà en 1777.
Mais Tétonnement cesse quand on constate que celle-ci
n'ouvre aucune négociation avec l'autorité municipale,
n'obtient d'elle ni privilège, ni immunité d'aucune sorte.
1) Nous avons reproduit cette note sans chicaner sur sa teneur.
Mats nous devons remarquer que dans le recensement fait à Haguenau
en 1819, Stanislas e^t encore noté comme fabricant de fayence. Les
fonctions qu'il remplit à Thôpital, furent celles de secrétaire et non de-
directeur.
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LES FAÏENCIERS DE HAGUEXAU I41
Collègue et ami particulier du tabellion Charles
IHannong, le procureur Lorentz avait sans doute puisé
-dans ces relations le culte de la faïencerie. Ses embarras
financiers et un procès malheureux qu'il venait de
perdre contre sa belle-fille, le poussaient d'ailleurs à
-<:hercher dans quelque spéculation industrielle les res-
sources qui lui manquaient.
Il avait songé d'abord à une manufacture de marbre
«t en avait même obtenu la concession (1776); mais le
directeur, sur lequel il comptait pour cette entreprise,
Joseph Schôffter, l'obligea par sa conduite à y renoncer*
Il se retourna alors vers la faïencerie, qui, à en juger
par les dépenses que faisait Joseph Hannong, assurait
en ce moment à ses adeptes de jolis bénéfices.
Le 24 avril 1778, il se rencontra dans Tétude du
notaire Hannong avec le Strasbourgeois Z. Pfaltzer,
-domicilié ici, fabricant de faïence et de porcelaine. Ce
dernier s'engageait à lui préparer, dans sa fabrique
installée à Haguenau, < de la faïence à l'épreuve du feu
,{feiurfest)y ainsi que de la porcelaine en couleur et
-dorée [so wohl in der grosse als in der kleine fi?ur).
L'engagement doit durer 6 ans>. Pfaltzer touchera 7 fl,
5 ytf les trois premières semaines, 9 fl. ou 36 m. par
semaine dans la suite. Un cahier renfermant les arcana
-de Pfaltzer était déposé chez un tiers, et Lorentz
^pouvait le consulter, s'il voulait s'initier aux secrets
-de la fabrication, en payant 500 fl. pour cette com-
munication 1).
Pfaltzer avait aussi un petit fonds de marchandises^
-estimé à 1200 liv., que Lorentz prend à sa charge,
•dont l'inventaire avec évaluation détaillée de chaque
pièce est joint au traité. Ce sont surtout des objets d'un
«sage ordinaire, tasses, cafetières, théières, vases, pots
«de toute grandeur, pommadiers, salières, poivriers, taba-
i) Ce cahier fut remis, en 1790, par Pfaltzer à Stanislas Hannong,
«qui reconnut la gracieuseté de son vray ami en y inscrivant la note pea
•courtoise : < Tout ce qui est inséré dans ce livre, ne vaut rien ».
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142 REVUE D'aLSACE
tières, têtes de pipes, etc. On n'y rencontre qu'en petit
nombre les groupes et les figurines^ destinés à la déco-
ration. Au mois de juin 1779, une partie de ces mar-
chandises, qui n'avait pas été vendue, fut restituée à
Pfaltzer.
A ce moment du reste la fabrication était suspendue
depuis plusieurs mois ; ses produits avaient été saisis et
mis à l'enchère (février et mars 1779), à la demande de
Pfaltzer lui-même et d'une douzaine d'ouvriers. C'est
que pour gagner de l'argent, il ne suffit pas d'en désirer
et d'en avoir besoin. Il faut tout d'abord en avoir soi-
même et en faire un judicieux emploi. Or Lorentz ne
possédait, ni capitaux, ni le crédit nécessaire pour s'en
procurer. Il ne possédait pas davantage les connaissances
spéciales, indispensables au succès, malgré la consul-
tation facultative du fameux recueil A'arcana, en dépit
des conseils du tabellion Hannong que Volet appelle
son associé.
Et, de fait, notre tabellion figure à ce titre dans un
procès que Volet, le nouvel acquéreur du Petit Château,,
eut, en juin 1780, avec un de ses locataires, Jean Moll,
dit Catalan. Celui-ci avait loué son logement de l'ancien
propriétaire, Nicolas Richer, et en avait sousloué une
partie aux faïenciers Winckler et Pfaltzer, c pour loger
leurs marchandises et faire travailler leurs ouvriers !•
Ce renseignement ne laisse aucun doute sur l'emplace-
ment qu'occupait l'usine de Lorentz. Elle se trouvait
dans les mêmes bâtiments où nous allons rencontrer
ses successeurs.
X.
Ambroise Volet, Joseph Barth, François Antoine
Anstett et sa veuve, Rozé Joseph et Pierre
(1780-1834).
Ambroise Volet, chevalier de Saint-Louis, officier
dans les dragons de Custines, avait quitté le service
en suite de ses blessures et s'était retiré à Haguenau^
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344 REVUE D ALSACE
d'une rente annuelle de 3 liv. pour droit de cours d'eau,
au profit de la ville».
Le 5 septembre 1 780 fut signé, par Volet et Barth,
irtiste strasbourgeois François Antoine Anstett,
î de société, dans lequel les deux premiers
lient leurs capitaux, le dernier son art et son
e. Volet se chargeait en outre de la comptabi-
3arth de la correspondance. Le traité était conclu
îuf ans, mais pouvait être résilié plus tôt, si les
trouvaient < que cette fabrication tournait à
. En cas de vente de ladite usine, le sieur
avait la préférence sur tout étranger >.
entualité prévue ne tarda pas longtemps, parait-il,
ésenter. Dès le 5 octobre 1781, le Petit Château
ndu à Pierre Antoine Hannong, mais rétrocédé
îtt, qui, appuyé sur son droit de préférence,
'annulation du contrat, en remboursant à Han-
îs frais de notaire et de Welnkauf.
Lett ne conserva point longtemps l'usine devenue
riété exclusive. Il mourut le 6 juillet 1783 et
placé par sa veuve Anne Elisabeth née Boura.
s'acquitta pas mal de sa tâche, à en croire
ition qu'elle adressait au sénat le 5 mars 1785.
s deux fours de fayence qu'elle a actuellement
pas suffisants, dit-elle, pour fabriquer la moitié
1 missions qu'elle reçoit de la province, de la
;t d ailleurs. Elle se voit contrainte, pour pouvoir
î à ses engagements, d'en construire trois nou-
Je la même grandeur >. Vu la perte de son
s malheurs de l'hiver précédent et les charges
snt sur elle, elle demande à obtenir de la ville
de revient les briques qui lui sont nécessaires.
ois ces fours en valeur, sa manufacture, au lieu
rir quarante pères de famille, comme elle le fait
lient, en nourrira cent . . . Les marchands de
•ovince et autres, qui abondent actuellement,
Duvé que les fayences fines et communes qui
riquées avec les moyens et matières que Ton
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU I45
emploie dans cette manufacture, sont bien supérieures
en tout genre à celles qui ont été fabriquées, et par
-conséquent bien au dessus de toutes les manufactures
de Lorraine, qui en général viennent chercher leurs
matières premières dans les environs de Haguenau et
Jes mêlent La fayence fabriquée au Petit Château, par
la façon dont les terres sont préparées, a un émail qui
s'incorpore et ne se détache que très difficilement, et
elle ne s'écorne qu'en frappant contre quelque chose ;
-xlans ce cas la terre reste blancheàtre, et non d'un rouge
noir, comme on l'a toujours vu dans les autres fayences,
ce qui rend le coup d'oeil défectueux; en outre cette
fayence résiste au feu, pourvu que tout de suite on ne
l'expose pas à un feu trop vif, et qu'on ne la mette
jamais au feu sans avoir du beurre, graisse ou huile.
Elle joint à toutes ces qualités une légèreté qui n'a
jamais été connue, ce qui facilite les moyens de charger
les voitures avec un tiers de plus de marchandises >.
Madame Anstett obtint ses briques et construisit
les fours projetés. Mais l'événement ne répondit pas,
semble-t-il, à ses espérances. L'année suivante, elle
vendit sa manufacture à MM. Volet et Barth.
L'inventaire dressé à cette occasion (juillet 1786),
note un actif de 61.618 liv., immeubles, outillage et
marchandises plus ou moins achevées, et un passif de
70.468 liv., dont 57.227 liv. appartenaient à Barth et
Volet. L'écart fut soldé à l'aide de quelques biens,
estimés à 8035 liv., que les Anstett possédaient à Nider-
vriller, ce qui laisse croire, soit dit en passant, qu'ils
ne devaient pas être étrangers à la faïencerie de cette
-dernière localité.
Le même inventaire nous a conservé d'autres détails
«qui ne sont pas sans intérêt. La fabrique a cent moules
-et modèles pour porcelaines, le double pour faïences.
Xes experts évaluent à :
417 liv. les figures en porcelaine;
600 liv. les biscuits en porcelaine;
1117 liv. la porcelaine peinte ;
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146 REVUE d'ALSACE
625 liv. la porcelaine blanche;
2920 liv. la fayence fine et mi-fine ;
505 liv. le japon ;
3084 liv. la fayence blanche ou peinte commune;
I 502 liv. les fayences inachevées ;
1410 liv. les porcelaines inachevées;
690 liv. diverses marchandises notées plus tard.
En fait de terres on rencontre à Tusine:
Terre de Limoge : 30 '/2 quintaux, à 24 liv. le-
quintal ;
Terre de pipe : i quintal à 12 liv.;
Terre de Cologne, non préparée : 4 quintaux, à
5 liv. le quintal ;
Terre mi-Cologne, mi-Riedseltz : 13 quintaux, à
4 Hv. le quintal ;
Terre de Haguenau, préparée : 46 voitures, à 7 liv.
la voiture ;
Terre de Haguenau, non préparée : 25 voitures, à
3 liv. la voiture.
Volet reprit alors la direction de la manufacture,
avec le concours d'un fils Anstett, et voici comment
il en parle en 1788 (7 avril) dans un Mémoire, dans
lequel il voulait empêcher la concession que Ton devait
faire, quelques jours plus tard, à Charles Hannong:
II a commencé son entreprise en 1780, avec Barth,
comme placement de fonds, mais surtout pour aider à
quantité de gens que la faillite Hannong réduisait à la
misère. Les débuts furent difficiles par suite de la,
quantité considérable de marchandises, que la liquida-
tion de cette faillite jeta sur le marché à des prix
notablement réduits, et aussi à cause de la concurrence
que lui firent les deux cousins Hannong, Pierre et
Charles associés. Mais avec le temps la liquidation cessa
et la société rivale s'éteignit au milieu des dettes.
Il y a deux ans, Volet, pour donner plus d'essor
à cette manufacture souffrante depuis 6 ans, s'est mis
à la tête de l'entreprise et a sacrifié beaucoup d'argent
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148 REVUE D'aLSACE
<lonnées sommaires laborieusement recueillies de part
et d'autre.
Catherine, la fille de Volet, prit la succession de
son père et acquit même la propriété complète du Petit
Château, lorsque la portion de Barth, après son émi-
gration, fut vendue comme bien national. Vers le même
moment elle épousa un officier français, originaire de
Troyes, nommé Rozé. Elle semble toutefois avoir con-
servé au début la direction au moins nominale de la
fabrique, malgré ce mariage, malgré la démission donnée
plus tard par son mari, devenu, Tan IX, c adjoint au
maire de la ville >. C'est du moins avec < la dame
Rozé > que s'associait, l'an XI, le sieur Joseph Rumi,
fils d'un négociant de Haguenau, qui avait établi une
petite faïencerie dans l'ancien couvent des Prémontrés.
Deux recensements, faits en 1802 et 1804, nous
révèlent à Haguenau la présence d'une trentaine de
faïenciers, la plupart pères de famille. Plusieurs d'entre
«ux sont des vétérans de la faïence haguenauienne,
-appelés Winkler, Gusi, Walter, Wild, Rœsch, Wersing;
d'autres portent des noms complètement nouveaux. A
-côté de vieillards septuagénaires se rencontrent des
hommes dans la force de Tàge, des jeunes gens qui
débutent dans la carrière, fraîchement débarqués du
• dehors. 11 est évident que les fours Volet-Rozé n'avaient
Jamais éteint leurs feux.
Mais il est évident aussi que leur activité avait
baissé, et elle ne se releva point lorsque cessa la
modeste concurrence que Stanislas Hannong avait un
instant essayé de leur faire. Cela ressort de la vente
<Ie son moulin que Rozé fit, en 18 19, au meunier de
la burginiihle^ Joseph Jenner. Celui-ci resta toutefois
chargé, comme travail secondaire, de broyer l'émail des
faïenciers.
Dans les mêmes conditions fonctionnait une nou-
velle usine que le frère cadet de Joseph, Pierre Rozé,
Jongtemps son collaborateur, installa, en 1824, au n* 3
«de la Rosengasse.
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU I49r
Vers 1835 les deux établissements passèrent à des-
étrangers qui renoncèrent peu de temps après à la
fabrication de la faïence. Le nouveau propriétaire du
Petit Château, le marchand de bois Bopp Adolphe,
liquida son entreprise. La succession de Pierre Rozé,,
Antoine Joseph Ruh, l'un de ses anciens ouvriers,.
s*adonna de préférence à la fabrication des poêles en
faïence, qui devint Tunique préoccupation de son fils,
remplacé plus tard par Cyrille Meyer. Le propriétaire
actuel (le l'établissement fait venir ses poêles du dehors ;>
il se contente de les monter et de les réparer au besoin^ .
XL
Les artistes.
Dans une manufacture à allure artistique, l'œil et
la main du maître ne suffisent point à tout. 11 faut qu'il
soit soutenu, souvent même complété, par des hommes>
de talent et de goût, cherchés au dehors, ou formés
avec soin dans l'intérieur même de la maison. Associés
au travail de leur patron, ces auxiliaires précieux et
indispensables ont aussi le droit de partager sa gloire.
Les historiens de la céramique ont compris et reconnu
ce droit; aux noms des fabricants ils joignent volontiers,-
quand ils le peuvent, ceux des artistes qui les ont
secondés. Quand Tainturier et ses émules omirent de
le faire, ce n'était point par dédain : ils sentaient fort
bien que si les décorations de nos faïences et de nos
porcelaines méritaient d'être signalées à l'admiration
publique, les hommes à qui l'on doit ces petits chefs
d'oeuvre, ne méritaient pas moins d'être sauvés de l'oublL
Ils ont cité Bingler et Lôwenfinck qui leur étaient indi-
qués par la correspondance de Joseph Hannong. Ils
n'ont point parlé des autres, parce qu'ils ne les con-
naissaient point et qu'il leur paraissait trop pénible de
parcourir à leur recherche une grande ville comme
Strasbourg. Placé dans une sphère plus étroite, réduit
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-150 REVHE D ALSACE
^à compulser quelques registres paroissiaux, j'eusse été
moins excusable de reculer devant ce labeur.
Ce qui manque dans les données fournies par ces
registres, c'est moins leur nombre que leur clarté et
leur précision. On comprend en effet que parmi les
-artistes qui travaillaient pour nos faïenceries, beaucoup
sont morts à Haguenau, d'autres s'y sont mariés ou
remariés, plus nombreux sont encore ceux qui y célé-
brèrent des baptêmes, ou qui assistèrent leurs collègues
-comme parrains, comme témoins de leurs noces ou de
leurs enterrements. Tout en admetta it la probabilité de
quelques lacunes, on reconnaîtra qu'elles doivent être
assez rares.
Ailleurs se trouve la principale difficulté de cette
-enquête. Mon intention ne pouvait être de dresser la
liste de tous les ouvriers qui traversèrent nos manufac-
tures pendant le cours de tout un siècle, à des titres
divers et avec des fonctions quelconques. Mes recherches
devaient se borner à ceux qui avaient des droits ou
àes prétentions artistiques. Mais sur quoi baser le choix?
Dans les actes qui sont sous mes yeux, ni les rédac-
teurs, ni ceux qui les renseignaient, ne se piquaient
point d'ordinaire d'une rigoureuse exactitude. Le même
personnage y est appelé tour à tour, selon les caprices
du moment figulus^ porcellaniuSy operarius in fabrica^
vasorum porcellaneorum ou murrheorum confectOTy fabri-
cator^ flpifex, pictor. Après mûre réflexion j'ai écarté
de mon catalogue tous ceux qui ne portèrent jamais
cette dernière qualification ; même les pictor es et les
sculptures ont été éliminés, quand rien n'indiquait dans
le contexte que leurs peintures ou leurs sculptures se
rapportaient à la céramique. Une exception n'a été faite
que pour quelques hommes, qualifiés artifex ou magister,
qui semblent avoir eu une part prépondérante dans la
préparation technique de la porcelaine.
Ce catalogue fut d'abord rédigé par ordre alphabé-
tique. C'est le seul qui soit complètement exact. Nous
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152 REVUE D'aLSACE
Particulièrement précieux pour le perfectionnement^
de la porcelaine alsacienne durent être:
De Lùwenfinck Adam Frédéric, Saxon d'origine^
déjà mentionné plus haut, et son proche parent, Chré-
tien de Lôwenfinck, appelé comme lui artifex. Chrétien
habitait Strasbourg et y mourut le 19 lévrier 1753; sa
veuve Anne Magdeleine von Sachsen se retira à Hague-
nau en 1754.
Webcr Bernard, qui n'apparaît ici qu'en 1752, et y
mourut en 1758. Mais il devait être dès lors d'un âge
assez avancé, car il a deux fils peintres : Weber Joseph^,
marié en 1755 et nommé jusqu'en 1771; Weber Jeait
Geor^Cy marié en 1757 et mort en 1768.
Walter Jean Christophe, originaire de la Misnie, se
marie ici en 1754 et se rencontre encore en 178g. Oa
l'appelle peintre.
Joseph Hannong nous dit dans son Mémoire au Rot
(p. 9) s'être occupé d'une façon spéciale de la peinture^
< l'art le plus ingénieux, le plus long, le plus nécessaire
à ma partie. Je choisis parmi les anciens peintres qui
avaient du talent ceux qui avaient de la disposition,.-
pour en former des chefs. Par eux je comptais diriger
les élèves que je formerais par la suite. Je n'étais pas
assés riche, ni ne voulais faire la dépense d'appointer
un maître es arts. Je me servais donc de mes lumières
et de mes connaissances pour corriger et démontrer le
mieux que je pouvais ». La translation décidée, il ferma
l'école de Strasbourg et en transféra les chefs à Hague-
nau. «J'eus pour principe d'y former une nouvelle
pépinière d'élèves que je poussais jusqu'à 30 appointés^
sans compter les postulants... En 1779, je m'attachais
un maître habile, professeur de l'Académie de M. le
duc de Wurtemberg, auquel je confiais l'avancement
et la continuation de cette école (p. 26) >.
En dehors des peintres que Joseph hérita de son-
père, on trouve associés à sa fortune:
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LES FAÏENCIERS DE HAGUENAU 1 55
Destois Bernard, de Strasbourg, marié ici en 1765.
Fretz Jean Henri, nommé en 1765 et 1767.
Bertsch Félix, nommé de 1765 à 1778, marié en 1773.
Bretz Philippe, nommé de 1765 à 1768.
Tuischer François fils, mort en 1772.
Bammer George, nommé de 1776 à 1802.
Apel Michel, nommé en 1777.
Schubhari Nicolas, de Munich, nommé en 1779^
remarié en 17^2.
Rossel Viexxey 1779 et 1780.
Webcr Nicolas, 1779 et 1781.
Dfmmer Joseph, né en 1739, nommé de 1779 à 1804^
Dos^ Ignace, 1780.
Simon Joseph était apprenti peintre en 1780.
Ne figurent point parmi les auxiliaires de Joseph
Hannong, arrivés sans doute à Haguenau après sa
catastrophe :
Schlosser Jean George, ici depuis 1783, marié
en 1788.
Winkler Michel, blaumaler, déjà ici en 1784, mort
en 1791.
Paulîis Je^n Blasius, mort en 1785.
Gluck Michel, employé par Volet en 1787.
Reinboldt Sébastien, né en 1758, marié en 1788,.
encore nommé en 1804.
Weissang François, nommé en 1802.
Dans cette énumération je n'ai compris ni Kuncket
Aloyse (1776-1777), ni Risieux Joseph (1777-1778), ni
Gusi François, indiqués comme directeurs de la faïen-
cerie : rien ne nous autorise à croire qu'ils aient eu
une valeur artistique. J'ignore de même quelles étaient
les attributions spéciales de Notalet Martin, commissaire
de la fabrique en 1777, buchhalter en 1779, ou celles
de Tauber Erasme, déjà nommé en 1762, mort en 1767
comme inspector in fabrica.
Bevuê d'AlêOoe, 1907
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154 REVUE d'alsace
Fidèle au programme que je me suis tracé au début, —
le seul d'ailleurs que je fusse en état de remplir avec
quelque succès — j'ai concentré mon attention sur le
côté historique de la céramique haguenauienne et stras-
bourgeoise. Sur les hommes placés en scène, j'ai réuni
tout ce que les documents, mis à ma portée, m'appre-
naient de leurs caractères et de leurs destinées. A
d'autres plus heureux que moi est réservée la tâche,
moins ingrate, et mieux goûtée du public, de revenir
sur leurs œuvres, de les signaler à l'admiration des
connaisseurs, d'insister sur leurs mérites artistiques.
A. Hanauer.
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156 REVUE d' ALSACE
vécu que pour les lettres. Nous renvoyons nos lecteurs^
à cette brochure!).
Quant à la bibliothèque Wilhelm, se composant
environ de 12.000 volumes, elle est installée au rez-de-
chaussée du côté nord d'Unterlinden; c'est aussi M. Ingold
qui en a dirigé le classement. Nous avons, à notre tour,
parcouru cette riche collection. Ce qui frappe tout de
suite, c'est que presque tous les volumes sont annotés..
< M. Wilhelm complète l'auteur, redresse ses erreurs^
ou encore mentionne ce que lui-même, dans ses lectures
si étendues et si variées, avait trouvé sur le même sujet.
Ces annotations, écrites de sa fine petite écriture sur
les pages blanches du commencement et souvent encore
à la fin du volume, donnent aux livres de M. Wilhelm
un prix incomparable > 2). Et ces annotations, écrites
toujours sans aucune retouche ou rature, nous révèlent
un savant qui est chez lui dans presque tous les domaines
de la science. Que de richesses se trouvent dans cette-
précieuse collection! Abstraction faite des alsatiques,
elle l'emporte encore comme valeur scientifique sur
celle d'Tgnace Chauffour. M. Wilhelm, en formant sa
bibliothèque, a fait preuve d'un esprit critique très fin
et d'une intelligence supérieure. Il ne reculait d'ailleurs
devant aucun sacrifice pour entrer dans la possession
d'un livre rare ou précieux. En veut -on quelques
exemples? Dans l'ouvrage de J. Munk : Mélanges de
philosophie jmve et arabe y i in-8**, 1859, il a noté ce
qui suit : <J'ai fait acheter ce volume extrêmement
rare à la vente de la bibliothèque du prince Balthasar
Baoncompagni, qui a eu lieu à Rome, le 7 novembre
1898, et inscrit sous le numéro 4053 du tome V du
catalogue de cette précieuse bibliothèque». — L'ouvrage
de Seb. Tengnagel : Vetera monutnenta contra schis-
maticosy 161 2, porte : «Acheté à Rome, le 7 octobre
1866». Des notes de ce genre se rencontrent fréquem-
i) A. M. p. Ingold, Henry Wilhelm, Colmar, 1899, in-8» de 44 p.
a) Ibid,, p. 15.
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MÉLANGES BIBUOGRAPHIQUES 157
fnent. Pour mieux faire ressortir la valeur de cette
'i>ibliothèque peut-être unique en Alsace, citons quelques
noms d'auteurs dont les ouvrages y figurent et qui cal
illustré tout particulièrement la science française moderne:
Arbois (d*) de Jubainville, Boislile, G. Boissier, L. Delîsle,
Mgr. Duchesne, Gebhard, Giry, J. Havet, Luchaire,
Monod, G. Paris, Viollet, etc
Donnons quelques spécimens de ces annotations de
M. Wilhelm qui feront juger de leur intérêt
i<» Bach (G. Henry). De l'état de Pâme depuis le jour de Ha
mort jusqu'à celui du jugement dernier , d'après Dante et sami
Thomas, Thèse de littérature soutenue à l'Université de Fiam
-en 1835. i in-8® de 91 pages. — De quibusdam philosûpkkis
quesiionibus et prœsertim de philosophia morali. Thèse d«
philosophie soutenue à l'Université de Paris en 1836, l in-d*
de 66 p.
« Thèses aussi remarquables que rares et recherchées.
L'auteur, Henri Bach, que j'ai connu personnellement dans
mon adolescence, bien que né à Paris, était d'origine alsa-
cienne. Etant professeur de philosophie au Collège royal de
Rouen, il avait épousé sa cousine germaine, Justine Bach, (ilte
de M. Bach, juge de paix du canton de Soultz (Haut-Rhin) et
<îevint ainsi le beau-frère de ses cousins Dagobert Bach, doyen
-de la faculté des sciences de Strasbourg, et Jose]:^ Bach^ pro-
fesseur à la faculté de médecine de la même ville. Vers la 6b
-d'octobre 1837, je vis pour la dernière fois Henri Bach, qui
venait habituellement passer ses vacances dans la famille de
sa femme à Soultz. Un matin, me trouvant près de la pKMte
aux chevaux à Isenheim, où j'étais également en vacances, je
le rencontrai accompagné de ses deux beaux-frères, venant
prendre la diligence qui devait le conduire à Besançon, où il
venait d'être nommé professeur de philosophie à la faculté des
«lettres. Il semblait gai et dispos dans sa petite taille et avec ta
physionomie éveillée. Peu de jours après son arrivée à Betaa-
«çon, il prononça, à la faculté des lettres, le discours d'ouverture
-de son cours qui fut imprimé, et, le même jour, se suicida par la
pendaison. Bach, comme quelques années après Le Hueroui),
i) Le HUeroQ Jul. Mtrie, historiea français, né ea 1807. 11 se doaa»
:jia8si la mort, près de Nantes, le 39 octobre 1843.
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158 REVUE d' ALSACE
était une victime des caprices de Cousin qui lui avait promis-
de l'appeler à PEcole normale supérieure comme maître de
conférences; il regarda sa nomination à Besançon comme une
disgrâce et un déni de justice, et n'eut pas la force de résister
à un mouvement d'égarement. Ainsi finit, à l'âge de 29 ans, ce
jeune professeur de si grande distinction et de si bel avenir.
Quelques années après ce tragique événement, sa veuve épousa-
son ami et ancien collègue du collège de Rouen, M. Chéruel,
qui s'illustra par ses beaux travaux historiques et comme der-
nier recteur français de l'Académie de Strasbourg. Après la
mort de Henri Bach, sa famille me donna, en souvenir de la
bienveillance affectueuse qu'il avait eue pour moi, quelques^
volumes de sa bibliothèque, entre autres la Philosophie du
christianisme y de Bautain, et V Essai sur la philosophie de
Vhistoirey de Bûchez >.
2<» Baluzii, Stephani disseriaiio de episcopatu Egarensù
€ Pièce de toute rareté qui n'existe pas à la Bibliothèque
nationale et qui n'a pas paru encore ni dans les ventes publiques-
ni sur les catalogues à prix marqués. C'est un tirage à part
sous forme de brochure in-S" de 7 pages, sans date et sans
nom d'imprimeur, du tome V, col. 1645 de la collection des-
Conciles de Labbe (voy. la page 17 des œuvres de Baluze, cata-
loguées et décrites par René Fage. Tulle, 1882)».
3* Goschler (Isidore), abbé. Du Panthéisme. Thèse de phi-
losophie, i in-S», 142 pages. Strasbourg, 1839 *)•
€ Extrêmement rare. J'étais étudiant en droit à Strasbourg
quand fut soutenue cette thèse, dont je connaissais l'auteur,,
que je voyais tous les dimanches aux réceptions de M. Bautain,.
1) Goscbler, né à Strasbourg, au commencement du XIX* siècle, de
parents Israélites. Après avoir fréquenté les classes du collège royal de
sa ville natale, il suivit, à 18 ans, les cours de philosophie de Pillustre
'Bautain. Celui-ci, suspendu de ses fonctions, s'installa dans une maison
sise rue de la Toussaint et ayant appartenu à M"» Humann de Stras-
. bourg. Bientôt se forma autour du maître un groupe de dix élèves,,
dont plusieurs étaient Israélites : Th. Raiisbonne, Jules Lewel et Isidore
' Goschler. Ces jeunes gens assistaient avec empressement aux conférences
.intimes du philosophe chrétien, qui sut si bien leur communiquer ses
idées, que les Israélites manifestèrent le désir de se convertir, embras-
sèrent le catholicisme et devinrent prêtres. Goschler, lui, reçut le baptême
le 2 février 1827, et les ordres en 1830. Il fut appelé à la chaire de
philosophie de Besançon, et enseigna ensuite au petit séminaire de^
Strasbourg, puis fut directeur du collège Stanislas à Paris.
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MELANGES BIBLIOGRAPHIQUES 159^
doyen de la faculté des lettres, et j'y assistai. La soutenance a
été très brillante et débattue entre le candidat et MM. Bautain,
Cuvier, professeur d'histoire, Delcasso, professeur de littérature
latine, Génin, professeur de littérature française, Colin, chargé
du cours de littérature grecque, et Bergmann, chargé du cours
de littérature étrangère. Je me rappelle qu'à la grande stupé-
faction de tous, Bergmann, avec une fatuité risible sinon révol-
tante, commença ainsi sa discussion : < Monsieur le candidat,
je dois vous dire, tout d'abord, que je ne suis satisfait de votre
travail, ni pour la forme ni pour le fond >. Quand vint le tour,
d'argumentation de Génin, qui, comme chacun sait, était un
homme très remarquable et d'infiniment d'esprit, il débuta
ainsi ; t Je veux, avant tout, vous dire, M. le candidat, que je
suis très satisfait de votre travail, et pour la forme et pour le
fond >. Tous les professeurs regardent en souriant le cuistre
Bergmann, et les applaudissements éclatent dans toute la
salle ... ».
4* Histoire de l'esprit révolutionnaire des nobles en France
sous les soixante-huit rois de la Monarchie, i in-8<* de xvi-345^
pages. Paris, 1818.
€ Curieux ouvrage, original et écrit avec esprit, devenu
très rare. Il a eu pour auteur M. Giraud, ci-devant oratorien,.
ou capucin selon d'autres, puis, pendant la Révolution^ accu-
sateur public à Avignon. Giraud est mort en 1844 ou 1845.
conseiller à la cour royale de Colmar ^). J'ai assisté, comme,
jeune avocat, à son enterrement avec la députation du barreau^
J'ai connu personnellement le père Giraud, comme on l'appe-
lait; c'était un vieux cynique resté jacobin, du reste pleia
d'esprit et très bienveillant pour les débutants du barreau. Je
le vois encore enveloppé dans sa douillette de soie brune,,
coiffé d'une perruque noire à la Titus et dardant, pendant leS'
audiences, ses pelits yeux noirs, pleins de vivacité et de malice,
sur la solennelle somnolence de ses vieux collègues de la cour.
D'après ce que m'a dit un jour Ignace Chauffour, cet ouvrage
i) M. Giraud est mort probablement en 1842. Dans son discours de
rentrée, prononcé à la cour royale le 10 novembre 1843, M. Camille
de Sèae, avocat général, dit de lui : « M. Giraud fut un de ces hommes,,
ardents sans doute, mais profondément honnêtes, qui s*attachèrent géné-
reusement à tempérer et à adoucir des lois sévères dont Texécution leur
était confiée».
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f 6o REVUE D' ALSACE
valut à Giraud la protection du célèbre M. de Serres, premier
président de la cour de Colmar et alors le chef le plus illustre
■de l'opinion monarchique libérale contre les prétentions du
parti nobiliaire et ultra, qui usa de sa haute influence pour le
faire nommer conseiller à la cour de Colmar.
En 1819, M. de Mary, référendaire de la commission du
«ceau public a (publié) à la librairie Lenormant sous les ini-
tiales M. du M. un petit écrit de 108 pages in-8*, intitulé:
Réfutation de l'écrit intitulé : Histoire de r esprit révolution^
naire des nobles en France.
5^ Heureuse (L') victoire obtenue par Mgr, le duc de Lût-
raine sur les Reistres et Lansquenets ennemis^ qui estaient ja
^dvenuz en la plaine de Strasbourg, pour venir joindre les
trouppes du Prince de Béarn, i in-12, 16 pagos. Paris 1589.
« Pièce de toute rareté, inconnue en Alsace. Mossmann a
publié, il y a quelques années, chez Bader à Mulhouse, un
mémoire sur les événements qui y sont relatés, intitulé : Un
-échec militaire de Henri IV en Alsace^ d"* après des documents
inédits tirés des archives du Vatican, Le nriémoire de Moss-
mann a relevé un fait important qui paraît avoir été ignoré
par les historiens même en Alsace, mais il n'a pas connu cette
pièce, ainsi que les mémoires de Saucy qui ont été si bien
édités par Poirson dans le volume devenu rare qu'il a publié
sous le titre de : Mémoires et documents nouveaux relatifs à
l'histoire de France à la fin du xvi« siècle. Saucy parle de
l'échec de ses Lansquenets aux $$ xxiv et xxv de son discours
sur l'occurence de ses affaires, et dit qu'il lui fit perdre auprès
des princes allemands la grande réputation, qu'il s'était acquise
auparavant, encore, ajoutet-il, qu'il n'y eût point faute de sa
part (il était à Nuremberg au moment du désastre des reîtres
^t lansquenets, qu'il avait recrutés en Allemagne).
Cette pièce imprimée à Paris au nom de la Sainte Union
avait certainement pour but d'être répandue dans le public
pour réchauffer le zèle des Ligueurs, en les tenant au courant
des échecs éprouvés par le roi de Navarre >.
6* Le Hir *), Etudes bibliques^ 2 vol. in-8<», 1869.
f Ouvrage devenu très rare. — t Tout ce que je suis conime
savant, je le suis par M. Lehir. 11 me semble même parfois que
i) Professeur mu séminaire de Saint-Snlpice, mort à Paris le 13 jan-
vier 1868.
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MÉLANGES BIBLIOGRAPHIQUES l6l
tout ce que je n'ai pas appris de lui, je ne Vai jamais bien su
(Renan, Souvenirs d^ enfance et de jeunesse) » ').
70 Loisy (A.), Histoire du canon de l'ancien testament.
1 in-8^ 259 pages, 1890 *).
« Cet ouvrage, qui a été très loué, môme par la critique
indépendante, ne fait pas oublier le savant volume que Dom
Martianay a publié en 1703 sous le titre de : Traité historique
du canon des livres de l'Ecriture sainte depuis leur première
publication jusqu'au concile de Trente^ que Tabbé Loisy ne cite
jamais, soit volontairement, soit qu'il ne Tait pas connu. Dans
les chapitres II et III de la deuxième partie du traité de Mar-
tianay on trouve beaucoup plus de renseignements sur les
opinions contradictoires des docteurs du moyen-âge, notam-
ment en ce qui concerne la canonicité ou la deutéro-canonicité
<le certains livres de la sainte Ecriture, que dans cet ouvrage,
qui les expose très sommairement et sans entrer dans le
<iétail ».
60 Martin (Th. Henri). La vie future^ suivant la foi et
suivant la raison, 1858. i in-8«>, xi-660 pages •).
f Sur le chapitre 2 § v, il faut lire la dissertation de Le
Blant : Uune représentation inédite de Job sur un sarcophage
d'' Arles ^ Paris, 1860, chez Didier. Le Blant, qui est un chrétien
très ferme, est arrivé par Tétude des monuments, des inscrip-
tions et des textes des premiers siècles à démontrer que Tanti-
■quité chrétienne était loin de considérer unanimement, avec
saint Jérôme, Job comme ayant formellement prophétisé la vie
-et la résurrection futures (scio quia redemptor meus vivit . . .).
Les Pères, qui ont invoqué l'autorité de Job en faveur de la
croyance à la vie future, sont, indépendammont de saint Jérôme
i) Tranicrit par M. Wilhelm. Sa collection renferme aussi les ouvrages
-suivants de cet auteur : Le Ivurc de Joà, — Les trois grands pro»
phetes, — Les psaumes,
2) La bibliothèque Wilhelm contient également les autres ouvrages
•de cet écrivain, dont il a été tant question dans ces derniers temps.
3) Martin Thomas Henry, philosophe français, mort à Rennes, le
-9 février 1884, à Tige de 71 ans; il fut doyen de la faculté de cette
ville depuis 1845 jusqu'à 1880. Il paraît qu'il avait été amené à écrire
la Vie future par le chagrin que lui avait causé la mort de sa femme.
Martin, dont les ouvrages, très savants. 6gurent tous dans la bibliothèque
•<le M. Wilhelm, a été an ami de ce dernier. Nous avons vu des lettres
qu'ils se sont adressées.
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102 REVUE d' ALSACE
(contra Johannem Jerosolymitanum^ § 30), saint Clément Ro-
main {epist ad Cor. i, 26), saint Ambroise (de fide résurrection
nis, c.LXvii, De interpellaiione Job, v, 15), saint Cyrille
{Cathech, xviii, 15). En général, les autres Pères, qui cherchent
dans l'antiquité la croyance à la résurrection et à la vie futures^
I, Ezéchiel et îsaïe. Saint Chrysostome
Job comme d'un malheureux, ignorant
t la résurrection à venir (In Matth,
st. ad Olympiadem diaconissam, % 8).
tiquité chrétienne un antagonisme sur
Job avait connu la résurrection et la
: dont saint Jérôme et saint Chrysos-
leux extrêmes. Il est même possible
l'opinion de saint Chrysostome ait
:ar les anciens sarcophages présentent,
j sacrés qui, d'après les Pères, attestent
rrection future : Jonas, Lazare, Daniel,.
Hébreux dans la fournaise; tandi»^
très petit nombre d'exemples de la
ic de Job. L'infériorité numérique de
marque Le Blant, accuse peut-être
timent commun à Popinion de saint
fameux texte de Job comme la pins-
on divines annonçant la résurrection-
|ue Renan, qui a donné à sa versioD
îssion d'une vague attente, d'une espé-
î, a fait également la part des deux
s et s'est montré moins négatif que
^^oir cependant l'article Job dans le
es chrétiennes, de Pabbé Martigny). —
une note sur un passage d'Origène^
lu christianisme dans la Grande-Bre-
page 26 de l'appendice à la vie future^
tence du texte d'Origène in Ezéchiel,
terait que la prédication chrétienne
is la Grande-Bretagne, grâce à la
avaient toujours enseigné le Mono-
faut remarquer que ce même texte
lans l'introduction à ^Histoire de la
er, pages 260-261. Le passage d'Ori*
ier, porte : Britannos in fidem consens
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MÉLANGES BIBLIOGRAPHIQUES l6j.
sisse et ad Dcum per Druidas viam sibi munivtsse^ qui unum
Deum setnper inculcarunt Beugnot {Histoire de la destruction
du paganisme en Occident^ tome i, p. 292), sans traiter cette
question, paraît penser que le druidisme, comme système reli-
gieux, a combattu avec succès les progrès du christianisme
dans les Gaules ».
7. Rabanis. Les Mérovingiens d^ Aquitaine, Essai historique
et critique de la charte d'Alaon. i vol. in-8® de 254 pages.
Paris, 1856.
t Voyez sur la charte d'Alaon la page 884 des Eléments de
diplomatique^ de Giry. Il remarque que bien que les démons-
trations, les preuves et les arguments se soient accumulés, les
textes faux, lorsqu'ils sont intéressants, ont la vie dure, si bien
que nombre d'historiens, qui même reconnaissent la fausseté
de cette fameuse charte, ne se résignent pas à rejeter de l^his-
toire les noms et les faits qu'elle y a introduits : il traîne, dit-il,
des lambeaux de la charte d'Alaon dans nombre d'écrits histo-
riques récents.
On peut citer dans ce nombre V Essai sur le caractère de la
lutte entre P Aquitaine et l'Austrasie sous les Mérovingiens et
les Carolingiens, de Drapeyron, et d'après la note 2 de la page
68 de ce Mémoire peut-être aussi Charles Giraud qui disait à
rinstitut (14 août 1875) <iu'un document aussi bourré d'histoire
ne saurait être sans valeur.
On disait que les textes fournis au cardinal d'Aguirre, qui
le premier a publié en 1694 le texte de la charte d'Alaon, pro-
venaient des Archives de la Seo d'Urgel. M. Bladé a voulu
voir s'ils y avaient laissé trace et les a explorées deux fois, en
1869 et en 1875, et, non seulement il n'y a pas trouvé les
chartes apocryphes, mais il a pu constater qu'elles n'y ont
jamais été à aucun moment; il n'y a donc plus aucun doute
sur l'abus de confiance dont fut victime l'éminent cardinaU
{y oy. Bulletin critique ^ 1891, p. 418) ».
8. Pf effet Lud. Aug, Jurisprudentice diplomaticœ Speci-
mina, 1 in-i2<> de 80 p. Thèse soutenue à Strasbourg en 1779.
« Exemplaire bien complet avec la dédicace gravée, et, à
la fin du volume, les deux sceaux gravés, dont le premier se
rapporte à la preuve (spécimen) III de la jurisprudence diplo-
matique, commençant à la page 44 et finissant à la page 58 ;
le second, à la preuve ou exemple VI, commençant à la page
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104 REVUE d'ALSACE
78. Pfeffel, dans le cours de ses exemples ou échantillons de
j "-'omatique, ne renvoie qu'aux deux sceaux
ii'il est certain que ce volume est complet
|ue les specimina 111 et VI renvoient seuls
avés qui y correspondent. On peut voir, à
cteur, le bel hommage que rend Pfeffel au
irecteur du trésor des chartes de Lille.
; Pfeffel, l'auteur de cette thèse, était l'un
historien et diplomate Chrétien Frédéric
î du Roi au département des affaires étran-
et le frère aîné de Chrétien. Hubert Pfeffel,
Strasbourg, en 1785, sa fameuse thèse inti-
ii de limite Galliae, dédiée, comme celle de
:omte de Vergennes, ministre des Affaires
lit par cette thèse que Louis Auguste était
et c'est en termes bien émus que Chrétien
iter à la page 37 de ses Commentarii lés
dentiae diplomaticae^ déplore cette fin pré-
rubricatis quitus martyrum romanornm
dicuntur observationes V, D, B, 1855.
plus grande rareté, n'ayant été tiré qu'à
Edmond Le Blant ne le connaissait pas,
1859, son Mémoire sur la question du vase
second Mémoire, publié, en 1869, dans la
f, après avoir cité quelques manuscrits, où
roblème, il ajoute : C'est encore, pour ainsi
nuscrits qu'il faut ranger une œuvre ano-
mise sous presse, dit son auteur, parce qu'à
pression en Belgique coûte moins que la
iplaire vient de la bibliothèque de l'érudit
Witte ».
trouve dans lâ collection de M. Wilhelm, qai lai
t reliare, dont le dot est marqné de nombreutas
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MÉLANGES BIBLIOGRAPHIQUES 165^
C'est ainsi qu'on pourrait tirer de la collection.
Wilhelm des centaines et des centaines d'annotations^
Il nous semble voir notre bibliophile, tranquillement
installé chez lui, lisant, confrontant, et, tout en fumant
sa pipe, écrivant et méditant avec une ardeur digne
des savants de la glorieuse congrégation bénédictine de
Saint-Maur dont il fut, on le sait, un si grand admira*-
teur. Loin du bruit des passions du monde, il était»
pour ainsi dire, lui-même un bénédictin laïc, vivant
uniquement absorbé par les choses de l'esprit.
E. Rodé,
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CORRESP. ENTRE d'aIGUILLON ET DE ROHAN 167
Jeu pour ne pas donner de la défiance aux puissances
qui désapprouvent le démembrement et afin de retarder
les opérations du congrès; il est sûr en effet que le
plan des trois puissances n'est point encore arrêté »).
< Ce serait bien ici le moment d*ameuter TEurope contre
le développement de ce dangereux système ; c'est peut-
être le seul moyen d^arracher mille germes de dissensions
-et de guerres et de se procurer une paix durable».
Il n'y a pas de doute qu'on ne transporte de l'ar-
tillerie et des munitions de guerre en Hongrie. Le
prince de Kaunitz pense que les Turcs seront forcés
de faire des sacrifices. <Je me contentai de dire que
la Russie aurait été très embarrassée et très intriguée,
^i la Porte s'était refusée à l'armistice et au congrès,
x^ue cet embarras n'annonçait pas une supériorité telle
qu'on fût obligé de se plier à toutes ses volontés ».
La cour de Vienne n'a pas encore reçu de réponse
satisfaisante de la Russie au sujet des prisonniers français.
M. de Kaunitz croit qu'ils ne seront pas relâchés. < Il
parait très étonnant que la cour de Pétersbourg se
rjrefuse avec cette opiniâtreté aux désirs de celle de
Vienne. Quand on veut s'unir pour les mêmes intérêts,
il semble que la complaisance et les égards devraient
précéder. J'ai l'honneur, etc. ».
Lettre «** XLIII du duc d'Aiguillon en réponse aux
lettres «°* ^/ et 42 du prince de Rohan. < Compiègne,
le 17 juillet 1772... Il reste à éclaircir pourquoi le roi
<le Prusse a différé ses prises de possession, dont les
-époques paraissaient déterminées et quelles peuvent être
effectivement les causes auxquelles il faut attribuer ce
-délai . . . Nous ne pouvons. Monsieur, qu'attendre la
^réponse de l'impératrice de Russie sur le compte que
M. de Panin a promis de lui rendre de la démarche
-de Leurs Majestés Impériales en faveur de nos officiers,
<t nous nous interdirons toute autre démarche sur cet
i) Cfr. DB Smitt, Frédéric II.., ^ op. cit., p. 149.
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i68 REVUE d'alsace
objet. Le Roi désire, Monsieur, que de votre côté vous-
vous teniez dans une inaction absolue à cet égard . . .
Si on se portait à leur faire éprouver des traitements
durs et injustes, les voyageurs russes qui se trouvent
s en foule dans le royaume en répondraient »,
ministre ne veut pas que l'ambassadeur envoie
grès M. Lasocki ni M. de La Roche, mais un
subalterne, s'il en trouve un qui veuille donner
ment avis de ce qui se passera.
is une lettre écrite par M, de Choisy de Léopol,
juillet 1772, au prince de Rohan, il annonce que
ses compagnons vont être conduits à Kiew, de
étersbourg et peut-être en Sibérie; la comtesse
ska lui a avancé 1200 ducats 1).
tre «** 46 du prince de Rohan au duc d'Aiguillon.
?, le 18 juillet 1772. L'ambassadeur envoie la
d'une déclaration et d'un mandement publiés en
e depuis l'entrée des troupes autrichiennes pour
' aux habitants leur état et leur tranquillité, aux
s autrichiennes leurs subsistances en payant au
ourant. Les directeurs des douanes doivent rendre
e de leur administration aux commandants autri-
tre «** ^7 du prince de Rohan au duc d'Aiguillon^
ne, le 22 juillet 1772. Comme vous m'avez auto-
î ne rien épargner pour pénétrer dans le secret
ireaux, j'ai usé de cette liberté. On m'a déjà
le précis que vous trouverez ci-joint des conven-
/^erbales et secrètes faites à Neisse (entre le roi
isse et l'Empereur) et qui ont été renouvelées et
ugmentées à Neustadt. J'espère par la même voie
jcurer des renseignements ultérieures sur cet objet
cat et si important.
)n m'a dit. Monsieur le Duc, que le roi de Prusse
aillé efficacement à inspirer à l'Empereur des-
\ DR Broglib, Le secret du Roi^ II, p. 379.
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CORRESP. ENTRE D'aIGUILLON ET DE ROHAN 169
défiances contre la France, que quand il nous a recherchée
ce n*a été que pour persuader à ce jeune prince que
nous pouvions être ébranlés et que nous ne regardions
pas Talliance comme une chose solide, que c'est lui
qui propose actuellement un traité d*alliance, par lequel
les trois cours, qui sauraient entraîner la Suède et
TEmpire et y associer peut-être l'Angleterre, feraient
contrepoids avec le pacte de famille et empêcher les
puissances du Midi de se mêler jamais des affaires du
Nord. Je vous avoue que je crains beaucoup cette
association, dont les suites pourraient être très critiques.
< Il est très certain que l'Empereur ne nous aime
pas et que sa modération actuelle n'est due qu'à l'attache-
ment réel de l'Impératrice à l'alliance'). Je sais très
certainement que dans un mouvement de dépit contre
nous au sujet des affaires de San-Remo, il a dit : <Je
saurai m'en venger tôt ou tard ». Le maréchal de Lacy
a grand soin de nourrir ce sentiment. Le prince de
Kaunitz ne l'approuve pas ; mais il est obligé de céder.
Je sais encore que l'Empereur s'est plaint de ce qu'il
trouvait toujours la France en son chemin, quand il se
présentait des occasions de rendre à la dignité impé-
riale son lustre et sa splendeur. On ne cesse de prédire
qu'il y a de la faiblesse à rester ainsi sous la tutelle
d'une puissance rivale et étrangère et que l'Allemagne
est intéressée à briser les fers dont la France l'a chargée
par les traités de Munster et d'Osnabruck 2). Si, comme
les faits l'assurent, la czarine n'est pas mieux disposée
en notre faveur, voilà de prompts moyens de rapproche-
ment, et si le roi de Prusse y trouve son intérêt, il saura
bien en tirer parti.
1) « On ne eesse », écrivit Marie-Thérèse à Mercy le 3 février
1774, * ^^ prévenir l'Empereur contre la nation française.... Le
général comte de Nostiiz, qui se trouvera à la suite de l'Empereur, est
anli français juré ; les sentiments du maréchal de Lacy n'en diffèrent
guère, et il pourrait bien tâcher de les inspirer encore à l'Empereur *^
2) Cfr. notre travail : La question d"* Alsace- Lorraine et Frédéric le
Grand, p^ge 22.
Bamt d'Alêoce, 1907 i2
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170 REVUE D ALSACE
<Je n'ai pas cru, Monsieur le Duc, devoir vous taire
toutes ces réflexions que ma position et mes découvertes
me mettent à portée de faire. Vous saurez les apprécier.
Il est des circonstances où Ton ne pèche jamais par
trop de précautions et de prévoyance. Je puis me tromper
dans ma manière de voir, mais je dois toujours vous la
<:ommuniquer. Il peut se faire que je regarde comme
très importantes des choses que vous ne jugerez pas
telles, parce que vous êtes placé pour voir l'objet sous
tous ses rapports et qu'ici je ne puis l'apercevoir que
^ous l'aspect qui m'est présenté,
< Ce qui est un fait et non une conjecture, c'est
que la cour de Vienne joue le rôle de suppliante à
Pétersbourg et à Berlin, On y prend avec elle un ton
<le supériorité qui devrait bien l'humilier; ses mesures
-et ses démarches sont absolument dépendantes des désirs
<le ces deux cours. La czarine vient encore tout récem-
ment de lui refuser la liberté des officiers français que
-cette cour avait cependant paru solliciter avec les plus
vives instances. Voici la réponse que le chancelier de
■cour et d'Etat m'a communiquée : l'Impératrice de
toutes les Russies se serait fait un plaisir de rendre les
officiers français faits prisonniers en Pologne par con-
sidération personnelle pour les vives instances de Leurs
Majestés Impériales et pour se prêter aux désirs de Sa
Majesté très chrétienne. Mais n'ayant point à se louer
Kies procédés de la France et pouvant se trouver dans
des circonstances telles qu'il lui serait utile de les garder,
.surtout tant que le pavillon russe paraîtra dans l'Archipel,
^lle croit qu'il est de sa prudence de ne point les
relâcher, que cependant elle a donné les ordres les plus
précis pour que ces officiers soient traités avec tous les
égards possibles. Il fallait que M. de Kaunitz fût bien
persuadé du peu de crédit de sa cour à Pétersbourg;
-car il m'a constamment prédit qu'on n'obtiendrait rien.
« Il ne m'a pas été difficile, Monsieur le Duc, de
remonter à l'avis, dont Tabbé vous a parlé dans sa
-dépêche n** 39 et que vous dites avoir surpris le Roi»
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CORRESP. ENTRE d'aIGUILLOX ET DE ROHAN 17I
La lenteur du roi de Prusse et son retard inattendu de
^e mettre en possession des nouvelles acquisitions qu'il
doit s'approprier, ont occassionné des calculs divers.
Le prince de Saxe-Hildburghausen fondait cette con-
<luite du monarque prussien sur la mobilité de sa politique
^t sur la certitude où il disait être que Berlin n'aurait
jamais de liaison sincère et durable avec Vienne, qu'il
savait par des lettres de Berlin qu'on soupçonnait actuelle-
-ment un nouveau retour de ce monarque vers la France
et que c'était sans doute la raison qui avait suspendu
sa prise de possession en Pologne. «Je vois», a-t-il
ajouté à la personne de qui on tient ces faits, «qu'on
est inquiet ici et j'imagine que cette inquiétude vient
de la crainte bien fondée que la France mécontente ne
change d'allié» «). On n'a pas cru devoir taire des propos
lenus par des personnes si considérables, et il peut arriver
x^u'il soit très important de les communiquer, et je vous
i) « Relativement à U façon 9, écrivit le comte de Mercy à Maries
'Thérèse le i§ mai 1772, c dont le ministère de France envisage les
•objets pulitiques. Votre Majesté aura daigné voir dans mes dernières
dépêches la sensation qu*â produite ici la nouvelle des arrangemente
qui sont sur le point d^étre conclus en Pologne. Sans s'arrêter au Ungag«
du duc d'Aiguillon, il est certain que son caractère méfiant et plus encore
son ignorance en affaires confondent les idées qu'il se forme des con-
jonctures actuelles, qu'il ne sait ni les apprécier ni les juger, et que,
dans son incertitude, il est probable qu'il s'arrêtera au système de blâmer
toutes les mesures prises par Votre Maiesté, et de les interpréter de la façon
la plus défavorable ; mais il est également certain que toute la mauvaise
volonté du ministre ne persuadera pas le roi son maître» qui personnelle-
ment et plus fortement que jamai« tient à se^ sentiments pour Votre
Majesté et à ceux de l'alliance. Je crois pouvoir répondre que tous les
efforts du duc d'Aiguillon pour faire varier son maître à cet égard
n'at)outi raient qu'à perdre le ministre, et je répondrais pareillement que
ia favorite ne s'ingérerait pas à vouloir appuyer les démarches que le duc
4>ourrait se proposer pour altérer la solidité du Kystème. Une Kuite d*ob8er-
vations ne me laissent pas le moindre doute à cet égard. Je vois clairement
que les arrangements projetés en Pologne n'ont point personnellement
affecté le roi, quM croit que Votre Majesté ne pouvait pas se dispenser
xle donner les mains aux arrangements susdits et qu'ils sont une suite
inévitable des circonstances. La seule chose qui pourrait peiner le
monarque serait d'être dans le cas de croire que l'amitié de Votre Ma-
jesté s'est refroidie pour lui; mais le remède à cet inconvénient serait
' que, selon les conjonctures, il plût à Votre Majesté de donner au roi
une marque directe et purement personnelle de sa confiance, soit par
-«ne lettre, soit en m'ordonnant de dire de sa part et dans l'occasion
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172 REVUE D ALSACE
prie de vous souvenir, Monsieur le Duc, que je suis^
dans une espèce de nuit politique; le ministère de cette
cour rend mon travail très difficile, son existence n'étant
que précaire et sa discrétion me paraissant forcée j
cependant il nous est intéressant de découvrir le point
vrai ; je donc rassembler tout ce qui vient à ma con-
naissance, ne rien laisser échapper, vous donner pour
certain ce que je sais pour certain, vous présenter
comme douteux ce que je regarde comme tel et qui
par rapport à vous peut prendre un degré de solidité
par la comparaison que vous pouvez en faire avec les
éclaircissements qui vous arrivent d'ailleurs ».
L'ambassadeur annonce ensuite que le roi de Prusse
a évacué la Grande Pologne et la Posnanie. Il en a
exigé des contributions exorbitantes. Il a cessé toute
vexation dans la Prusse polonaise. Il a soin de la ménager
comme son domaine. Déclaration publiée par le général
d'Alton. M. de Choisy et les autres officiers français
sont transférés de Léopol à Smolensk. La czarine a
refusé de les mettre en liberté sous prétexte que la
flotte de Toulon devait aller dans TArchipel et y attaquer
peut-être le pavillon russe.
L'ambassadeur Louis de Rohan joignit à la lettre
n** 47 le Précis des conventions verbales et secrètes entre
la Majesté V Empereur et le roi de Prusse à l'entrevue
de Neisse ');
i) Que la cour de Vienne et celle de Berlin offri-
raient conjointement leur médiation à la Russie et à la
Porte pour moyenner la paix entre elles.
2) Qu'on aviserait de concert avec la Russie des
moyens les plus propres pour pacifier la Pologne et
quelque chose qui pût flatter le roi et lui marquer que Votre Majesté
8*en repose toujours sur la solidité de ses sentiments». (Arneth-Gkffboy,
Marie Antoinette^ Correspondance secrète, I, p. 305 ; cfr. les lettres de
Mercy à Marie-Thérèse du 15 juin 1772 et du 18 juillet 1772, op. cit.,
p. 3ï5 «t 330).
i) Cfr. Armxth, Geschichte Maria Theresias, VIII, p. 183; Emile
Bourgeois, Manuel historique de politique étrangère, I, 374.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN I73
•pour empêcher l'extension des maladies contagieuses
<iui s*y étaient manifestées, qu'à cet effet on y ferait
entrer des troupes tant autrichiennes que prussiennes,
-qui formeraient des cordons dont on conviendrait et
<ians des lieux fixés de part et d'autre.
3) Que la susdite médiation serait armée. A cette fin
ia cour de Vienne devait assembler une armée en
Hongrie toute prête à se porter où les circonstances
l'exigeraient, soit sur le Danube ou vers TEsclavonie,
frontières des Turcs, mais que le roi de Prusse tiendrait
une armée en Pologne pour tenir en bride les Con-
fédérés. L'Empereur s'est aussi obligé de faire construire
nombre de saïques armées et pontons dont l'usage ne
peut avoir lieu que sur le Danube, tout cela apparem-
ment ayant été adapté à une guerre avec les Turcs,
au cas qu'on y fût forcé par leur opiniâtreté à conti-
.nuer la guerre avec la Russie.
4) L'Empereur et le roi de Prusse se sont obligés
réciproquement à l'accord le plus parfait dans toutes
les affaires qui regardent Tempire romain, sa dignité et
ses prérogatives; et, comme l'Empereur venait tout
récemment d'endurer un sanglant affront par les Génois
qui avaient eu la témérité de faire arracher ses patentes
publiées et affichées dans l'affaire de San-Remo, le roi
'de Prusse a saisi cette occasion pour animer l'Empereur
à une vengeance qui était due à sa dignité et aux
devoirs de l'empire en promettant d'y concourir par
tous les moyens possibles. Ayant été informé que la
France et l'Espagne avaient fait des représentations très
^ives dans l'affaire de San-Remo en faveur des Génois,
il était fort étonné que ces deux couronnes avaient
voulu entrer dans une affaire qui était uniquement clv
ressort de l'empire et où les puissances étrangèir^
n'avaient absolument rien à voir, et que ces influence?
étaient aussi humiliantes que désagréables pour tous
Jes princes de l'empire en général ; qu'à la vérité l^
Prance et la Suède avaient acquis ui> droit incoatestaW^
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174 REVUE d'alsace
de se mêler dans les affaires de l'empire, pour tout ce
qui regarde Texécution et le maintien du traité de
Westphalie, surtout à Tégard de la sûreté de la religion
protestante et pour obvier à tout ce qui se faisait de
contraire; mais aujourd'hui, ces anciens préjugés que
faisait naître la différence des religions n'existant plus^
il n'est plus question de toutes ces affaires odieuses»^
L'Empereur avec les Electeurs peut prendre des arrange-
ments par rapport à tous ces objets qui pourraient
exclure ces deux puissances de s'y ingérer; ce serait
un moyen de réduire la constitution de l'empire à une
forme convenable et propre à l'exempter dans la suite
de toute influence étrangère.
5) Que comme des arrangements pris actuellement
entre l'Empereur et le roi de Prusse il pourrait résulter
des méfiances de la part de la France, il conviendrait
de penser à temps à la sécurité des Pays-Bas, il parais-
sait au roi de Prusse nécessaire de convenir avec les
deux puissances maritimes sur une barrière à former
dans les susdits Pays. De cet arrangement il en résulterait
encore un autre avantage qui serait d'associer ces puis-
sances au plan actuel, afin qu'elles n'apportassent pas-
des obstacles pour en empêcher l'exécution.
6) Le roi de Prusse s'engageait à porter la Russie à
combiner ses intérêts avec ceux de la Maison d'Autriche,,
à la conclusion de la paix future avec la Porte, pourvu
que cette Maison se prêtât aux vues de la Russie et
qu'elle ne la gênât ni à l'égard des conditions qu'elle
pourrait accepter et qui seraient celles quelle jugerait
convenable à ses intérêts.
7) Q^^ pour le moment présent il ne serait question
que de la pacification de la Pologne et de la paix entre
les deux parties belligérantes, qu'on s'attacherait unique-
ment à ces deux objets, qu'après les avoir terminés à
la satisfaction des cours intéressées, on conviendrait des
mesures à prendre pour l'avenir et pour le soutien de
ce qui aurait été effectué par leurs soins communs.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 175
8) Que par rapport à l'affaire de San-Remo, il serait
convenable que l'agent de San-Remo qui est à Ratis-
bonne portât à la diète de l'Empire de nouvelles plaintes
de la conduite des Génois à Tégard des habitants de
cette ville, que par là les Etats de l'empire auraient
une occasion de réveiller cette affaire, et, par une
nouvelle présentation à l'Empereur, l'engager à agir
contre les Génois conformément aux intérêts de l'Empire
et à la dignité de son chef suprême».
Lettre n^ 48 du prince de Roka?t au duc d' Aiguillon^
< Vienne, le 29 juillet 1772. J'ai parlé ensuite au nonce
Garambi des affaires de Pologne. Il m'a dit qu'il avait
tâché d'intéresser la religion de l'Empereur et celle de
rimpératrice-Reine en leur représentant le tableau affli-
geant de tout ce pays catholique qui va devenir la
proie des hérétiques, si le partage de la Pologne a lieu^
Il n'a pas trouvé que cette considération produisît l'effet
qu'il avait pu espérer, et en général le tableau qu'il a
fait du danger que courait la religion dans ce malheu-^
reux pays, s'il n'a pu émouvoir la pitié de Sa Majesté
l'Empereur, n'a certainement pas influé sur les déter-
minations politiques.
« Ce partage c'e la Pologne parait si monstrueux
qu'il y a des ministres étrangers qui n'y veulent pas
encore croire. Celui même de Pologne m'a avoué, il y
a quelques jours, son ignorance sur cet objet et son
incrédulité en me priant instamment de dissiper son
incertitude. Je ne lui ai point fait mystère que j'étais
sûr que le partage était arrêté entre les trois puissances;.
mais je croyais être sûr aussi qu'elles n'étaient point
encore d'accord sur le quantum. Il a reçu cette asser-
tion affligeante en s'écriant à l'injustice. J'ai encore
appris du ministre de Varsovie qu'ayant porté ses
plaintes de ce que le roi de Pologne était réduit à
jmanquer dans peu du nécessaire, puisque la Maison
d'Autriche, à l'instar des deux autres puissances, s'em-
parait d'une grande partie de ses revenus, il avait reçu
de cette cour une réponse fort laconique er fort dure.
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176 REVUE d'ALSACE
On peut conclure de tout ceci que la politique de
Vienne est bien fine ou bien fausse.
« L'on a, m*assure-t-on, des indices qu'il 7 a un peu
?froidissement avec la Russie, mais je ne suis pas
re assez instruit de cet objet pour vous l'assurer,
icherai de découvrir la vérité de ce point très
essant. Cependant les Russes ont enfin évacué
)o], et les Autrichiens ont dû y entrer le ï8 de
lois ...»').
^'iire «® XLIX du duc d' Aiguillon en réponse a la
' n"" 4J du prince de Rokan. — «Compiègne, le
ût 1772... Nous voyons avec plaisir que la pre-
e tentative que vous avez faite pour vous ouvrir
ques canaux secrets ait eu un succès aussi prompt
issi heureux. Nous nous reposons sur votre zèle
ir votre dextérité pour vous assurer de cette voie,
que votre correspondant vous a procuré une pièce
secrète et aussi ignorée que Test le résultat de
revue de Neisse, vous en obtiendrez sans doute
choses plus récentes et d'une utilité plus pré-
\ettre n"* 5/ du prince de Rokan au duc d'Aiguillon.
înne, le 9 août 1772. Le moment actuel, Monsieur
uc, est un véritable état de crise pour l'Europe :
rmentation d'une politique nouvelle se fait sentir
activité dans le Nord; trois puissances que les
êts mutuels de leur gloire semblaient devoir tenir
ées, travaillent sans relâche à se rapprocher et à
er des liens dont la nature et les vues peuvent être
blés à la tranquillité générale.
L'étroite alliance de Pétersbourg et de Berlin,
que contraire aux vrais intérêts de la Russie, deve-
une nécessité pour cette dernière, lorsqu'elle a pu
e que la Maison d'Autriche allait s'élever contre
Cfr. AtNETH, GtschichU Maria Tkensiat^ VIll, 3^9.
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CORRESP. ENTRE D'AIGUILLON ET DE ROHAN 177
^es succès et réunir ses forces à celles des Turcs et des
Polonais Confédérés. La crainte de succomber et de se
^oir isolés a dû lui faire accepter toutes les conditions
•du roi de Prusse.
« Si Ton voulait juger aujourd'hui moins défavorable-
ment le ministère autrichien, on croirait ce qu'il s'efforce
<en vain de nous persuader, que la mauvaise conduite
de la Porte et son inertie, que Texécution prochaine
des dangereux projets du roi de Prusse en Pologne,
que l'impossibilité de se procurer des secours pour s'y
opposer efficacement l'ont enfin forcé à prendre le seul
moyen qui pouvait entretenir l'équilibre et empêcher
Ja trop grande prépondérance de Pétersbourg et de
Berlin; et ce seul moyen, qui l'aurait cru, a été d'aban-
donner le Turc, à qui la Maison d'Autriche devait être
unie par les liens de reconnaissance et d'un engagement
sacré, de négliger la France, son alliée, qui a fait tous
les frais de la dernière guerre, de sacrifier la Pologne
qu'elle s'était engagée de protéger et de s'unir aux
•ennemis de cette république pour concourir avec eux
à une usurpation dont l'injustice et les sinistres consé-
quences doivent exciter les cris et l'indignation des
autres puissances.
€ Mille raisons me font suspecter la bonne foi de la
cour de Vienne dans l'exposé de la conduite qu'elle
nous dit avoir été forcée de tenir, et j'ai lieu de croire
que c'est par d'autres voies et par d'autres motifs qu'elle
est parvenue à cette triple union. Des calculs fondés
sur des faits actuels et des connaissances acquises et
•combinées d'après les circonstances qui ont précédé et
préparé ce que nous voyons s'effectuer me persuadent
que le système de cette étrange union a été imaginé,
rédigé et développé aux entrevues de Neisse et de
Neustadt. C'était donc pour donner le change et pour
se jouer de la loyauté de ses alliés que la Maison
d'Autriche avait rassemblé avec éclat et dépense une
.armée en Hongrie. C'était sans doute pour tromper la
Porte et mieux abuser de sa crédulité qu'on a transigé
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178 REVUE d'aLSACK
avec elle le 6 juillet 1771 et qu'on en a tiré des sommes^
considérables. Comment caractériser une si étrange poli-
tique?»)
« Quoi qu'il en soit, la triple union existe. Toute
combinaison sur la manière dont cette étonnante fédé-
ration s'est formée devient inutile ; il s'agirait d'en
pénétrer les vues et d'en prévoir les effets, et, si son
but est pernicieux, de multiplier les obstacles pour la
faire échouer et l'empêcher d'y parvenir.
« Les vues actuelles des trois puissances ne me
semblent plus équivoques : elles vont s'agrandir aux
dépens du Turc et de la Pologne; elles se garantiront
mutuellement leur nouvelles acquisitions; de là naîtra
cette triple alliance dont les suites très dangereuses sont
faciles à prévoir. La Porte, affaiblie par les sacrifices
qu'on en exigera, ne pourra plus former de contrepoids-
à l'Orient; le Danemark et la Suède, vu l'état où ils
se trouvent, seront aisément contraints à se plier aux
volontés des trois puissances; l'Empire sera entraîné
par son chef et ses deux alliés; on promettra à l'Angle-
terre et à la Hollande tous les avantages du commerce
de la Baltique et du Levant, pour les engager à ne
point traverser le système de la nouvelle alliance ; la
Maison de Bourbon, forcée peut-être d'être tranquille
spectatrice des effets de cette révolution, n'aura plus-
dès lors cette influence qui la rendait la première puis-
sance de l'Europe. Que sait-on, et, sans former les
conjectures, n'est-il pas à présumer qu'outre le démem-
brement de la Pologne et de plusieurs provinces de la
domination ottomane on cherchera à réaliser le premier
projet du maréchal de Lacy et qu'on réduira à très-
peu de chose la puissance du Turc en Europe? Cette
perspective doit paraître colossale, mais naturellement
elle n'est ni chimérique, ni imaginée par une crainte-
1) Cfr. LAVI^SE•RAMBAUD, Histoire génircUe du iv siecte a nos jours ^
t. VII, p. 5 1 2.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 179^
excessive. Tout concourt à développer les ressorts qui
doivent donner l'impulsion nécessaire pour exécuter
ce plan.
« Un autre eftet qui doit encore en résulter, c'est
de donner plus d'étendue à la prérogative impériale et
d'enchaîner les Etats de l'Empire par des liens qu'on
aura soin de colorer pour en mieux couvrir le danger.
Je sais que le roi de Prusse ne cesse de flatter par là
l'amour-propre de l'Empereur et qu'il lui promet des
facilités pour écarter tout ce qui pourrait obscurcir
l'éclat qui doit environner le trône impérial. Ce projet
même est de consulter et de convoquer les Electeurs,,
de les engager à s'affranchir de toute inspection de
puissance étrangère, de les associer au plan adopté par
les trois puissances et de former de concert une barrière
impénétrable contre quiconque voudrait rompre les
mesures que la politique des trois cours aura cru devoir
prendre pour la tranquillité et la gloire des deux empires.
On m'a même dit qu'en se soustrayant à ce qu'on
appelle le joug des garants du traité de Westphalie,
on devait réunir la Poméranie à la domination prussienne
et que cette acquisition serait le prix des mouvements
que la cour de Berlin se sera donnés pour libérer
l'empire de ses chaînes et lui donner une existence
nouvelle. Telle est la conjecture du ministre de Suède,
fondée sur les effets qui doivent probablement résulter
d'une alliance entre l'Empereur et le roi de Prusse,
et ce ministre est un homme mesuré et très réfléchi.
€ Tous ces inconvénients majeurs m'avaient intrigué
sans m'effrayer, tant que j'en croyais apercevoir le
remède dans la mobilité du caractère de Sa Majesté
prussienne. J'imaginais que, les intérêts de sa politique
et de son ambition devant le rendre habituellement le
rival et l'ennemi de la Maison d'Autriche, il nous serait
sans doute aisé de le détacher des cours de Vienne et
de Pétersbourg pour en faire l'appui de notre prépon-
dérance en Allemagne. Ce que j'apprenais de ses ouver-
tures avec nous me persuadait que nous pourrions ndus^
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l8o REVUE d' ALSACE
en servir pour mettre des bornes aux succès de la
Russie et des entraves aux vues quelconques de la
cour de Vienne. Je m'étais même proposé de vous
faire part d*un projet que j'avais minuté d'après ma
persuasion : en détachant le roi de Prusse, tout rentrait
'dans Tordre. Mais, depuis que je ne puis plus douter
de ce qui s'est fait à Neisse et à Neustadt, que je ne
puis plus me refuser à l'évidence des liaisons intimes
et très étroites du monarque prussien avec la cour de
Vienne, qu'il lui fait même confidence de ses tentatives
pour nous détacher de l'alliance, afin de mieux con-
vaincre la Maison d'Autriche qu'elle ne doit pas beau-
coup compter sur la France, depuis que je sais qu'il
est l'âme et le promoteur du nouveau système, que
-c'est lui qui dissipe à Pétersbourg les nuages qui s'y
élèvent de temps eu temps contre le ministère autrichien,
qu'il fait actuellement mouvoir des ressorts à Londres
pour entraîner l'Angleterre et détruire les batteries que
nous y avons ménagées, qu'il se charge, pour ainsi dire,
<le rassembler, de préparer les matériaux qui doivent
servir de base au nouvel édifice, je vous avoue. Mon-
sieur le Duc, que mes inquiétudes ofit redoublé, et
vous verrez par la pièce ci-jointe que j'ai su me pro-
curer, si je suis fondé à vous communiquer mes craintes
-et à désirer qu'on mette tout en œuvre pour former
^ne contre-ligue. Le grand coup de parti serait d'en-
gager l'Angleterre à se liguer avec l'Espagne et nous
jjour contrebalancer la prépondérance des trois cours.
'<^uels que puissent être les avantages que pourront lui
promettre la Prusse et la Russie pour son commerce,
ils ne doivent point lui faire perdre de vue les suites
inévitables d'un trop grand accroissement de forces, de
ressources et de puissance dans le Nord, dont l'Angle-
terre aura tôt ou tard à se plaindre et auquel elle ne
serait peut-être plus en état de remédier. Son union
.avec la France et l'Espagne, qui entraînerait sûrement
celle de la Hollande, en imposerait nécessairement, et,
jp*iisque l'amour de la paix a gagné, dit-on, la cour et
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CORRESP. ENTRE D'aIGUILLON ET DE ROHAN l8l
le peuple de Londres, ce serait peut-être le seul moyen
d'empêcher une guerre générale et d'assurer le repos
de TEuropc. Cette ligue pourrait avoir lieu sans briser
les liens de notre alliance avec Vienne. Une fois connue
ou annoncée, il serait plus facile de ranimer le Turc
par le tableau effrayant des dangers qui le menacent;
la Suède ne deviendrait pas si aisément la proie de la
faction russe, les Electeurs et princes de l'Empire qui
sont nos amis auraient plus de force pour résister aux
insinuations et aux tentatives qui pourraient les gagner.
On n'aurait sans doute pas de peine à y réunir le roi
de Sardaigne. Quand les puissances ainsi liguées auraient
manifesté leurs vues pour le maintien de l'équilibre et
pour s'opposer à tout agrandissement qui tiendrait à le
rompre, la triple-alliance contrebalancée par cette ligue
cesserait sans doute d'alimenter son ambition; elle serait
forcée de ne point outrepasser les limites qu'elle se
propose de franchir, et la Maison d'Autriche en parti-
culier n'oserait y donner atteinte; les Pays-Bas, le
Luxembourg, et même ses possessions d'Italie seraient
trop à portée de servir d'otages et de garants; le congrès
n'aurait point une issue si brillante pour la Russie; la
Pologne ne serait point démembrée; les vastes projets
de l'Empereur, du roi de Prusse, de la czarine ne
seraient plus que de belles spéculations; la France aurait
toute la gloire d'un arrangement qui serait le plus grand
bien de l'humanité.
< Tel est. Monsieur le Duc, le résultat des combi-
naisons que les circonstances actuelles m'ont mis à
portée de faire. Je sentais le besoin de vous faire part
de mes inquiétudes et de m'entretenir avec vous de
nos ressources dans ces moments si critiques et si impor-
tants. J'oserais même presque dire que mon zèle acquiert
tous les jours plus d'activité, à mesure que les affaires
deviennent plus épineuses et plus décisives : je sens
alors tout ce que peuvent sur une âme française et la
gloire du Roi et l'honneur de la Nation. C'est à vous.
Monsieur le Duc, à éclairer ma marche et à guider
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482 REVUE D*ALSACE
4nes pas dans ma carrière, où Ton multiplie sans cesse
ies pièges et les embarras.
€ La lettre particulière que je joins à cette dépêche
vous fera mieux connaître Tétat pénible de ma position.
Mon rôle doit toujours être digne, et j'ai à traiter avec
une cour qui semble s'être fait une loi de nous dérober
Ja connaissance de ses projets, qui voile avec soin ses
liaisons nouvelles, qui s'imagine que beaucoup de morgue
■et de hauteur est le moyen d'en imposer et de se faire
respecter, qui, sentant qu'elle a manqué d'égards pour
Ain allié qui pourrait se faire craindre, espère apaiser
ses justes murmures en lui faisant de tardives et d'inu-
tiles confidences; et telle est sa conduite présente, qu'on
--dirait qu'elle croit s'acquitter envers nous en continuant
à nous regarder comme son allié. On m'a assuré qu'une
de ses réponses au roi de Prusse, qui voulait la décider
il quelque démarche d'éclat, a été : « Nous avons
encore des ménagements à garder avec la France >.
Une pareille réponse dit beaucoup dans l'état actuel
des choses. J'ai l'honneur, etc. >.
P, S, du 1 1 août. — «11 est, je crois, essentiel. Mon-
sieur le Duc, que vous soyez instruit même des parti-
cularités qui, nous paraissant peu vraisemblables, peuvent
peut-être vous faire mieux apprécier les renseignements
qui nous arrivent d'ailleurs. Depuis ma dépêche écrite,
*in bruit commence à se répandre sourdement, que
Berlin, après avoir tout employé pour concilier les deux
cours de Vienne et de Pétersbourg et y avoir réussi,
^e plaint actuellement de l'une et de Tautre. Pour
appuyer ce fait, on nous dit que le roi de Prusse,
-craignant que la nouvelle union ne puisse avoir le
..succès qu'on en avait d'abord espéré, enlève de la
Grande Pologne et même de la Prusse polonaise la
récolte, les hommes et l'argent. On ajoute que la czarine
- a dû signifier qu'elle ne pouvait se prêter aux préten-
-tions trop étendues des deux autres cours, qu'il fallait
les resteindre. Ce qui ne paraît pas douteux, c'est que
%les Russes sont en force dans la Lithuanie et aux envi-
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CORRESP. ENTRE D*AIGUILLON ET DE ROHAN 183
'Tons de Varsovie, que les Autrichiens font passer deux
nouveaux régiments en Pologne. Cependant le moment
du congrès ne paraît pas celui où Pétersbourg doive
indisposer les deux cours médiatrices. Son triomphe
dépendra en partie de leurs bons offices, et elle est
4rop intéressée à hâter ce moment pour faire naître
•des obstacles. Je croirais plutôt que ces sortes de bruits
sont semés à dessein, pour que le démembrement qui
-est le but des trois puissances ne rencontre pas de diffi-
-cultés qui pourraient frustrer leur ambition. Je vous fais
part de ces bruits, Monsieur le Duc, comme une preuve
de mon attention à ne rien laisser ignorer au Roi de
tout ce qui peut avoir quelque rapport essentiel au
plan qu'on jugera à propos d*adopter, et je vous répé-
terai encore. Monsieur le Duc, que je ne dois juger
îes choses qu'au degré de vérité qu'elles offrent d'où
je puis les voir, parce que je ne suis chargé que d'un
point ».
A la lettre n® 5 1 est joint un Extrait (Vwi Mémoire
^ envoyé de Berlin à Vienne par le vtinistre impérial van
Swieten^ il y a six semaines. Ce dernier énumère les
points du plan proposé par le roi de Prusse pour tran-
.quilliser l'Angleterre sur le partage de la Pologne et
lui faire des avantages de commerce auxquels elle ne
puisse pas se refuser, pour amener l'Empire à applaudir
-au plan de pacification entre la Russie et la Porte et
pour maintenir la tranquillité en Allemagne, enfin pour
faire accéder les Hollandais aux mêmes conditions que
.l'Angleterre et pour mettre en sûreté les places-barrières
dans les Pays-Bas.
Lettre n^ L du duc d* Aiguillon en réponse à la lettre
n"" 48 du prince de Rohan, — «Compiègne, le 11 août
1772. J'ai reçu, Monsieur, la lettre n<» 48 que vous
m'avez fait l'honneur de m^'écrire le 29 du mois passé...
Nous ne sommes point étonnés, Monsieur, que le
jtninistre de Pologne et sa cour même ignorent le projet
de partage de ce malheureux royaume. On n'aura
besoin de la nation pour consommer cette opération
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i84 REVUE d'alsace
inique que lorsque tout sera terminé entre les trois-
cours et peut-être après cela, et ce ne sera qu'alors^
probablement, que le roi de Pologne sera formellement
recherché sur cet objet. Il paraîtrait d'après des avis-
qui nous reviennent que la conciliation des cours de
Vienne et de Berlin sur leurs acquisitions respectives
éprouvent des obstacles assez forts, tant pour la fixation
des limites en Pologne que pour certaines contrées
voisines de l'Etat autrichien qu'on suppose que la cour
de Vienne voudrait se faire adjuger aux dépens des
Turcs par le traité de paix. Je crois, Monsieur, devoir
faire part de cette notion pour vous mettre sur la voie
de l'approfondir. Celle qu'on vous a donnée concernant
le refroidissement qu'on soupçonne survenu entre les
deux cours impériales mérite aussi sans doute l'atten-
tion que vous y donnez ... Je joins ici, Monsieur, les
lettres de notification de la naissance de M. le duc
d'Enghien ») que M. le prince de Condé a l'honneur
d'écrire à Leurs Majestés Impériales. Vous voudrez,
bien les remettre selon l'usage et celle sur le même
objet pour le roi de Pologne au ministre de ce prince
à Varsovie >.
Lettre n? 5^ du prince de Rohan au duc d'Aiguillon»
«Château impérial d'Eckartsau, le 22 août 1772. J'ai
cru. Monsieur le Duc, pouvoir quitter Vienne dans
ce moment pour passer quelques jours au château
d'Eckartsau, dont Leurs Majestés Impériales ont bien
voulu me donner la jouissance. Il ne me faut que trois
heures pour aller à Vienne. Je m'y rendrai après-demain^
Il y aura appartement à Schœnbrunn pour l'heureux
accouchement de la grande-duchesse. Je ne reviendrai
pas sans avoir fait la démarche que le Roi désire^
auprès du vice- chancelier de l'Empire pour la confir-
mation de la convention que vous avez signée le
i) Le même qui pendant la Révolution se réfugia à Ettenheim, ]»
'résidence du cardinal de Rohan, d^où il ifut enlevé le 15 mars 1804.
pour être fusillé à Vincennes le 20 du même mois.
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CORRESP. ENTRE d'aIGUILLON ET DE ROHAN 185.
24 mai dernier, que je viens de recevoir avec la lettre
n** XLVIII, que vous m'avez fait Thonneur de m'écrire
le s de ce mois. (Il s'agit des limites, du commerce
mutuel et de la liberté des communications entre la
France et le territoire du prince-évéque de Liège).
J'espère que cette confirmation ne souffrira point de
difficulté. Je ferai usage de toutes les raisons détaillées
dans votre lettre pour l'expédition de cette affaire qui
est également utile à l'Empire, au pays de Liège et à
la France. J'ai Thonneur, etc. >.
Lettre n^ 55 du prince de Rohan au duc d' Aiguillon^
Vienne, le 29 août 1772. L'ambassadeur ne pouvant
pas fournir au ministre tous les renseignements que ce
dernier désirait, il ajoute : « Malgré mes liaisons multi-
pliées et mes perquisitions, on ne découvre que Pincer-
titude et souvent que l'inquiétude. J'ai employé et
j'emploie encore tous les moyens possibles pour pénétrer
les vues de la politique autrichienne. Tout continue à
me persuader que les trois cours unies ont bien des
projets, mais aucun plan arrêté, et que ce ministère
ne sait pas encore lui-même quelle pourra être l'issue
de ses vues nouvelles et de ses nouvelles liaisons».
Lettre tt^ §6 du i>rince de Rohan au duc d'Aiguillon^
€ Vienne, le 3 septembre 1772. La malheureuse Po-
logne, Monsieur le Duc, est donc aujourd'hui la proie
des trois puissances qui se sont concertées pour la
démembrer »). Les discussions pour arriver enfin au plan
qui vient d'être arrêté ont été vives. Il a fallu toute
l) Le traité de partage fut définitivement signé à Saint-Pétersbourg-
Je 5 août 1772. Cfr. Abneth, Geschichte Maria Theresias^ VIII, p. 389;.
Ad. Bber, du ersU Theilung l'oiens^ II, p. 191 ; Fréoéric II, Mémoires
depuis la paix de Hubertsbourg, H^J^ jusqu'à la fin du partage de Ut
J*ologney mSt dans les œuvres historiques de Frédéric II, roi de
Prusse, éd. Preuss., VI, p. 46; Manso, Geschichte des preussischen Staates^
I, p. 35; DK Smitt, Frédéric //. . . Collection de documents, p. 160-
166; SCHLOSSFR, Geschichte des achtzehnten Jahrhunderts, III, p. 243;.
Martens, Recueil des principaux traités^ t. II, p. 93 ; Angbberg,.
A'ecueil des traités et conventions concernant la /'ologne^ P- 97; l-^ttrer
particulières du baron de Vioménil sur les affaires de Pologne^ p. 137»
ReoM d'AUace, 1907 18
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l86 REVUE d' ALSACE
l'activité du roi de Prusse et toute son habileté pour
dissiper les nuages qui s'élevaient sans cesse à Péters-
bourg et qui ont quelquefois fait craindre un orage.
Le partage décidé à Berlin et à Pétersbourg vient d'être
ratifié par Vienne. Le prince de Kaunitz dépêche un
■courrier à M. de Mercy pour vous l'annoncer, et ce
ministre m'a témoigné en me l'apprenant qu'il désirait
que leur ambassadeur eût le mérite de cette annonce.
J'ai mandé avant-hier la nouvelle de ce démembrement
à Constantinople, à Stockholm et à Danzig. L'inaction
<ies cours intéressées à empêcher cette usurpation a
sans doute décidé les trois puissances à ne plus la
différer. Ce que vous voulez bien me dire dans votre
lettre particulière sur la manière dont vous envisagez
par rapport à nous le démembrement ou l'intégrité de
la Pologne ne me tranquillise pas encore sur les suites
dangereuses de cet accroissement de puissance qui
rendra nécessairement les trois cours plus prépondé-
rantes et plus redoutables. Je ne répéterai point ici
toutes les réflexions détaillées que j'ai eu Thonneur de
vous communiquer depuis les premiers jours de mars
sur les conséquences de cette triple union, et je crains
toujours la réalité des projets dont j'ai parlé dans ma
lettre n'* 51 du 9 août dernier. Depuis la publicité de
-ce concert si étrange et qui doit tôt ou tard donner
atteinte à l'équilibre, je n'ai pu vous rien dire de positif
sur les portions qui seraient assignées à chaque puis-
sance : elles ne le savaient pas elles-mêmes. D'ailleurs
rien ne s'est traité ici. Les décisions sont toujours
venues de Pétersbourg et de Berlin, et je crois pouvoir
assurer que j'ai mandé tout ce qu'il était possible de
savoir du point où je suis. Le ministère autrichien
s'étant fait une loi de nous voiler ses démarches et de
nous garder le secret de sa nouvelle politique, j'ai
<:herché à y suppléer par le rapprochement et la com-
binaison des faits dont je me procurais la connaissance,
■et vous avez bien voulu. Monsieur le Duc, me dire
plusieurs fois, et même tout récemment, que mes notions
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CORRESP. ENTRE d'aIGUILLOîI ET DE ROHAN lS^
étaient intéressantes, qu'elles serviraient à guider vos
démarches et que le Roi était content de mon activité
-et de mon zèle . . . Sans doute que M. de Mercy, comme
me Ta dit le prince de Kaunitz, est chargé, Monsieur
le Duc, de vous faire part du traité de partage qui
vient d'être conclu et ratifié. Malgré le secret que le
ministre m'a prié de garder encore quelque temps sur
cette ratification, il se répand déjà que le roi de Prusse
doit avoir la Prusse polonaise, le palatinat de Culm,
Danzig et Thorn exceptés, qui resteront libres, la War-
mie et cette partie de la Grande Pologne ou du palatinat
de Posnanie qui se trouve entre la Poméranie brande-
bourgeoise et la rivière de Netze; que les frontières de
la Russie vers la Lithuanie seront la rivière de Wilia
qui passe à Wilna, depuis sa source jusqu'à sa chute
<ians le Niémen et la rivière de Bérésina depuis sa
source jusqu'à son confluent dans le Dnieper. On ajoute
que tout ce nouveau pays doit s'appeler Nouvelle
Russie et que le gouvernement sera à Mohilew. On
donne à la Maison d'Autriche les salines, toute la rive
droite de la Vistule depuis Biala jusqu'au confluent du
Wieprz dans la Vistule, les palatinats de Lublin, de
Belcz, une partie de celui de Volhynie jusqu'à la rivière
de Slutsch, une partie de la Podolie jusqu'à Kami-
niek > i).
Le 4 septembre l'ambassadeur continue la lettre
précédente et annonce que la cour de Vienne fait
passer des troupes sur les frontières de la Hongrie:
elle veut ou faire de nouvelles acquisitions ou décider
les Turcs à donner satisfaction à la Russie. Les maré-
chaux polonais ont recouvré leur liberté sans condition.
On a même rendu à M. de Pac les effets qu'on lui
avait saisis. L'Empereur doit faire un voyage en Flandre
ou ailleurs. « Le prince de Kaunitz est parti hier pour
Austerlitz. Il compte y passer le reste de ce mois. Il
l) Cfr. HiMLY, Formation UrritoriaU des Etats de C Europe centrait^
p. 4S9.
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i88 REVUE d'alsace
m'a fait entendre que son cab'net ne l'occuperait pas^
beaucoup pendant son séjour. La cour va à Laxem-^
bourg; les ministres sont tous dispersés dans leurs-
impagnes. J'irai à Austerlitz pour ne pas perdre le fil
es affaires, et de là je profiterai de l'occasion pour
3ir la Bohême et aller chez les princes de Paar et
'Auersperg, dont les terres ne sont qu'à une journée-
Austerlitz > »). Le comte Dietrichstein 2) est parti pour
erlin. Le prétexte est de remercier le roi de Prusse
e 4 chevaux que ce prince lui a envoyés, mais on
)upçonne qu'il est chargé d'une commission secrète3).
.vant de partir il est resté enfermé toute une journée-
rec le maréchal de Lacy. « Cette petite anecdote qui
araît peu intéressante, pourrait servir à prouver l'in-
fUigence qui continue à régner entre l'Empereur et le
►i de Prusse >.
L'ambassadeur joint à cette lettre les Réflexions qui'
li ont été remises par l'envoyé de Pologne sur le lot
ni doit écheoir au roi de Prusse dans le partage.
Lettre «° LUI du duc d' Aiguillon en réponse à la
ttre n^ 5/ du prince de Rokan, — « Versailles, le
septembre 1772. Votre courrier, Monsieur, m'a remis,^
20 du mois dernier, l'expédition dont vous l'aviez
large, et notamment la dépêche n° 51 du 9 de ce
ois et votre lettre particulière du 13.
« Le Roi et son conseil ont applaudi au zèle que-
Dus manifestez dans la manière dont vous établissez
position actuelle des affaires générales, conformément
votre façon de les envisager, ainsi que dans l'exposé
îs moyens que vous proposez pour empêcher l'exé-
1) Cfr. ZORN DE BULACH, D Ambassade du prince de Rohan,.,
72-78.
2) Grandécuyer de Joseph II.
3) < Il y a quelques jours, écrivit Frédéric II lui-même au comte
Solms le 30 août 1772, « que j*ai vu à Neisse le comte Dietrichstein,
li, à ce que je crois, y a été envoyé pour me sonder >. (Db SmitT,.
'edéric II. ,, Collection de documents, p. 168).
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CORRESP. ENTRE d' AIGUILLON ET DE ROHAN 189
•cution du concert qui subsiste entre les cours de Vienne,
•de Saint-Pétersbourg et de Berlin.
< Sa Majesté trouve bon que ses ambassadeurs fassent
.à sa sagesse Thommage des réflexions, des vues et des
projets que peut leur inspirer l'observation attentive et
suivie des événements qui se passent sous leurs yeux ;
mais ce qu'Elle désire principalement de leur part, c'est
de constater les faits, ainsi que les desseins des cours
-où ils se trouvent; ce n'est que par ces découvertes
que Sa Majesté peut avoir une base solide, sur laquelle
il soit possible d'appuyer des résolutions vraiment utiles
-à sa gloire et au bonheur de ses peuples.
« Si cette marche, Monsieur, fut jamais sage et
nécessaire, c'est dans l'état critique où se trouve toute
la partie orientale de l'Europe. Quelques faits publics
-et quelques demi-confidences mettent bien sur là voie
-des projets que l'union surprenante des trois cours
^réciproquement rivales peut avoir pour objet; mais
notre allié même s'obstinant à s'envelopper dans un
profond mystère, tous nos soins doivent tendre à le
pénétrer. C'est par cette raison. Monsieur, que nous
n'avons cessé de vous inviter à faire usage de tous les
moyens possibles pour constater la nature et Tétendue
•du concert particulier et commun des trois cours, soit
;par rapport à la paix entre la Russie et la Porte, soit
par rapport à toutes les branches qui peuvent tenir au
système monstrueux de politique que l'union de ces
cours parait sur le point de réaliser, soit enfin sur les
semences de division et de brouillerie que la discussion
-d'intérêts si compliqués, si délicats et si importants
^semble devoir faire éclore.
< En cherchant. Monsieur, des points d'appui pour
.asseoir votre jugement sur tant d'objets d'une impor-
tance majeure, nous voyons dans votre dernière dépêche
Je développement d'un système conjectural qui se trou-
vait déjà annoncée dans la lettre du sieur abbé Georgel
ji'* 40 du 27 juin et que vous appuyez aujourd'hui sur
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IÇO REVITE D'ALSACE
plusieurs faits présupposés. Leur importance exige que^
nous reprenions ici les principaux.
« 1° Vous dites que des calculs fondés sur des faits^
actuels et des connaissances acquises et combinées^
rès les circonstances qui ont précédé et préparé ce-
nous voyons s'effectuer vous persuadent que le
?me de cette étrange union a été imaginé, rédigé
éveloppé aux entrevues de Neisse et de Neustadt.
i Vous remarquez ensuite que la triple unioa
tant, toute combinaison sur la manière dont elle
formée devient inutile. Mais le Roi n'en juge pas-
i, Monsieur, et Sa Majesté croit qu'il importe autant
lus de connaître les procédés secrets qui constatent
principes de ses alliés et qui peuvent seuls fonder
onfiance et sa sécurité que de découvrir leurs vues
îurs projets actuels. Sa Majesté désire en consé-
ice, Monsieur, que vous mettiez sous ses yeux le
eau détaillé des faits actuels et des connaissances
lises et combinées qui fondent votre assertion sur
►oint.
[ Nous n'avons à la vérité point perdu de vue
trait des conventions arrêtées à la conférence de Neisse ^
vous avez fait passer en dernier lieu; mais tant
probabilités se réunissent pour en combattre le con-
[, que le Roi ne pourra prendre une opinion arrêtée
ît égard que lorsque vous lui aurez indiqué la source
laquelle cette pièce importante vous est parvenue
3 degré de croyance qu'elle peut mériter,
f 2® Je dois, Monsieur, vous répéter la même obser-
Dn relativement à X Extrait d'un mémoire du baron
^wietefi^ que vous avez joint à vos dépêches et dont
ontenu paraît fonder vos conjectures ou plutôt votre
ment, lorsque vous dites que les vues actuelles des
r puissances que vous détaillez ne vous paraissent
équivoques.
i y Vous dites ensuite, Monsieur, que vous save^
le roi de Prusse ne cesse de flatter l'amour-propre
l'Empereur et qu'il lui promet des facilités pour
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN I91
écarter tout ce qui pourrait obscurcir l'éclat qui doit
environner le trône impérial, et vous ajoutez que le
projet même est de consulter et de convoquer les Elec-
teurs, de les engager à s'affranchir de toute inspection
étrangère, de les associer au plan adopté par les trois
puissances et de récompenser le roi de Prusse par
l'acquisition de la Poméranie.
t Un plan aussi étendu et aussi rempli de difficultés
et d'invraisemblance dans son ensemble et dans ses
détails ne peut être envisagé comme réel que sur des
preuves positives, et la manière dont vous l'annoncez
semble les présupposer. Le Roi a le plus grand intérêt
et le plus grand désir de connaître en détail le motif
de vos assertions.
€ 4® Enfin, Monsieur, un autre passage de votre
lettre porte que vous savez que c'est le roi de Prusse
qui est Tàme et le promoteur du nouveau système,,
que c'est lui qui dissipe à Pétersbourg les nuages qui
s'élèvent contre le ministère autrichien et qu'il fait
actuellement mouvoir des ressorts à Londres pour entraî-
ner l'Angleterre. Ce sont encore des faits, sur lesquels
vous voudrez bien fixer notre jugement de la manière
la plus positive qu'il vous sera possible. Vous jugerez.
aisément. Monsieur, que les bruits dont vous rendez
compte par \o\xe post scriptum et dont vous ne paraissez
pas rejeter la probabilité, achèvent de rendre indispen-
sables les éclaircissements que nous vous demandons,,
afin de n'être pas détournés par de fausses nouvelles,,
semées peut-être à dessein, ainsi que vous le remarquez,.
de la croyance de faits qui seraient constatés et sur
lesquels les parties intéressées pourraient s'efforcer de
donner le change.
« Nous connaissons, Monsieur, votre zèle, et votre
application est garante que vous remplirez une tâche
aussi intéressante et aussi nécessaire, à la satisfaction
de Sa Majesté.
< Quant au système quElIe peut suivre dans la
crise actuelle. Elle n'a rien à changer aux instructions
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192 REVUE D ALSACE
purement passives dont Elle vous a jusqu'ici muni*
Vous êtes d'ailleurs déjà prévenu que la base de Sa
conduite porte sur la conservation de la tranquillité
générale et sur celle de son alliance avec la cour de
Vienne. Je ne puis, Monsieur, que vous répéter qu'Elle
persiste dans cette façon de penser. Il est essentiel que
vous veuilliez bien l'avoir continuellement présente, afin
que, quelles que puissent être intérieurement vos con-
jectures et vos spéculations politiques, votre conduite
et votre langage ne s'écartent jamais extérieurement
du but que la sagesse et Thumanité du Roi l'engagent
à se marquer à lui-même.
« J'ai l'honneur d'être avec un sincère attachement,
Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur
Le duc d'Aiguillon ».
Lettre «° ^j du prince de Rohan au duc d^ Aiguillon^
€ Austerlitz, le 9 septembre 1772. On parle peu affaire
ici. Monsieur le Duc ; le prince de Kaunitz parait n'avoir
que celle d'amuser ses hôtes et de présider aux embel-
lissements de sa terre. Je crois en effet que depuis la
ratification du traité de partage, ce ministre croit pou-
voir donner à ses délassements le temps qui sera néces-
saire à M. le baron de Binder •) pour rédiger le manifeste
que la Maison d'Autriche doit oublier incessamment 2)«
C'est M. le comte de Pergen qui doit être député pour
prendre possession du nouveau pays et qui résidera,
-dit-on, à Léopol avec la qualité de gouverneur 3). J'ai
tenté plusieurs fois, comme par manière de conver-
sation, de faire parler M. de Kaunitz sur ce singulier
partage. Il faut que la matière ne lui plaise pas; car
il l'a toujours éludée, il m'a seulement répété qu'il
1) Sous-chef de la chancellerie d^Etat à Vienne.
2) Cfr. Ad. BSER, Die ersU Thiilung t^oUns^ II, p. 198; NUkTkNS,
Recueil des principaux traités^ t. il, p. 97.
3) Cfr. Ad. Bebr, op. cit., p. 204 ; Gfôrbr, Geschichte dis achttehn'
Un Jahrhunderts^ IV, zweite Abtheilung, p. 148; Arnkth, GetckickU
Maria Theresias^ VIII, p. 396.
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CORRESP. ENTRE D'AIGUILLON ET DE ROHAN I93
jx'avait encore confié qu'à nous la ratification. Je n'ai
pu m'empêcher de lui dire que c'était une nouvelle
publique. Ce ne peut-être, a-t-il ajouté, qu'un soupçon,
qui, à la vérité, s^est fort accrédité ; mais on ne sait
-sûrement pas les détails que M. de Mercy a commu-
niqués- > .
L'ambassadeur croit que la triple union ne durera
pas ; € et il est certainement à désirer pour le système
-de l'équilibre et pour la liberté du Nord que ces trois
puissances se divisent plutôt que de rester trop étroite-
•ment unies > >).
fA suivre). D^ L. Ehrhard.
1) C'était aussi l'avis da roi Louis XV» Cfr. Flassan, Histoire
générale et raisonnét di la diplomatie française^ VII, p. 90.
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NÉCROLOGIE 195.
la langue pittoresque et savoureuse du terroir. Entre autres le
juge de paix et la directrice des écoles normales de Colmar^
qui fréquentaient assidûment notre maison, y apportaient sou-
vent, comme regain de leurs pénibles fonctions, quelque anec-
dote naïve ou piquante, qu'ils contaient et mimaient avec une
verve communicative. C'est dans ce milieu que j'ai grandi . . .
Tels furent mes premiers témoins, morts depuis longtemps à
l'heure où j'ai formé le projet d'utiliser mes souvenirs ... ».
Dans la préface de sa Grammaire comparée de f allemand et
de r anglais il disait déjà : «J'aime à me souvenir que la notioD
inconsciente des lois phonétiques s'est éveillée chez moi dès
l'enfance, par le seul fait que j'apprenais l'allemand à l'école
et que j'entendais parler autour de moi le patois colmarien ».
Si nous avons cru devoir insister sur ces premières années,,
c'est qu'elles nous livrent le secret de ses aptitudes et nous
révèlent les premiers balbutiements de ce maître passé en fait
de linguistique. Elles nous expliquent également le retour
constant de sa pensée vers le pays d'Alsace, si nous ne savions
. d'autre part de quel amour passionné il lui était attaché. IL
lui en donna mainte preuve, le jour surtout où il dédia à sa
ville natale Touvrage qui porte pour titre : Grammaire et
Lexique du dialecte de Colmar (1900). Cette œuvre est un
modèle du genre et restera comme un document précieux
pour la linguistique en général et l'Alsace en particulier. Les
notes qu'il y a semées montrent d'une façon touchante com-
bien il avait la religion du souvenir. Son patriotisme rappelait
celui des anciens Romains : il était farouche. Depuis la guerre
il n'avait franchi les Vosges qu'une ou deux fois, et encore
était-ce pour des cas de force majeure. L'inattention qu'il
affectait quand on venait à lui parler de la situation politique^
lui, l'homme courtois et attentif par excellence, prouvait com-
bien ce sujet de conversation le peinait.
Cependant Henry ne s'en tenait pas à l'étude des formes
de langage du terroir. Nous avons dit que dès ses premières
années et parallèlement au français et à l'allemand, il appre-
nait l'allemand et l'anglais ; il n'avait pas tardé à y ajouter^
avec le latin et le grec, l'italien et l'espagnol qu'il apprit e»
se jouant et qu'il parlait en quittant les bancs du collège. Aa
sortir du lycée il commença ses études de droit à Strasbourg.
Sa situation de famille le dispensait du service militaire;.
mais, au moment de la guerre, il pensa s'acquitter de scs-
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196 REVUE D'ALSACE
<ievoirs envers la patrie sous une autre forme, en se chargeant,
à la rentrée du lycée, de la chaire d'histoire que l'absence du
titulaire rendait vacante. Mais au bout de quelques semaines
l'établissement fut fermé par ordre, et tout le personnel dut
prendre le chemin de l'exil, sans excepter le jeune professeur
bénévole, l'unique consolation de sa mère infirme. Après la
paix, il se fit inscrire au barreau de Saint-Etienne. Au mois
-d'août 1872, il fut reçu docteur en droit à Dijon, avec sa thèse:
De la possession prétorienne et les Interdits possessoires. Etude
^sur les actions dans les sociétés commerciales. Il se rendit alors
-à Paris pour préparer son agrégation ; mais il finit par recon-
naître que sa vocation ne le portait pas vers la jurisprudence,
-et, en décembre, il accepta un modeste poste de professeur
•d'économie politique, de géographie commerciale et de légis-
lation usuelle à l'Institut industriel du Nord de la France à
Lille.
Dès qu'il fut maître de son enseignement, il revint à l'étude
'des langues; il apprit, au simple point de vue de la grammaire,
Je néerlandais, les langues romanes qui lui manquaient encore,
les langues Scandinaves et le russe, même quelque peu les
.langues sémitiques, les idiomes ouralo-altaïques et ceux de
l'Asie orientale. Tout en grossissant son trésor, le jeune poly-
.^lotte se doutait à peine alors de l'objet de la linguistique :
l'étude comparée de la structure des langues. Un travail inces-
sant et ses relations avec quelques savants, entre autres avec
M. Lucien Adam, le promoteur des Congrès américanistes à
î^ancy, lui montrèrent sa voie définitive. Depuis lors, c'est une
^uite ininterrompue de publications, dont le titre seul suffit
pour montrer l'étonnante variété des aptitudes de Henry.
Après une Note sur les possessions anglaises et françaises de
Ja Sénégambie et de la Guinée (1876), il fit paraître : Le
Quichua est-il une langue aryenne è Examen critique du livre
uie D, V. F. lopez : • Les races aryennes du Pérou » (1878) ;
Esquisse d'une grammaire de la langue Innok (eskimo) (1878);
Esquisse d'une grammaire raisonnée de la langue aléoute
v^i879); Les trois racines du verbe t être * dans les langues
indo-européennes (1878); en collaboration avec M. Adam,
Arte y vocabulario de la langua Chiquita (1880) ; Note sur le
parler des hommes et le parler des femmes dans la langue
Chiquita (1882); Etudes afghanes (1882); La distribution
géographiques des langues (1882). En même temps il composait
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NÉCROLOGIE I97
la première série de ses Esquisses morphologiques qui parurent
simultanément à Louvain et à Lille ou Douai. En 1877, ^^
titre de membre de la Société des sciences de Lille Tavait
encouragé à poursuivre ses travaux.
£n 1879, "" changement dans les programmes menaçant
sa position à l'Institut industriel, Victor Henry songea à tirer
parti de ses études linguistiques pour entrer dans l'Université,
et, en 1880, il passa sa licence ès-lettres à Douai. Presque en
même temps la ville de Lille le nommait son bibliothécaire.
En mai 1883, il fut reçu à l'unanimité docteur ès-lettres à Paris.
La thèse latine était intitulée : De sermonis humani origine et
natura M, Terentius Varro quid senserit; la thèse française :
Etude sur ^analogie en général et sur les formations analo^
giques de la langue grecque.^ fit aussitôt connaître l'auteur au
loin ; en Allemagne, il est vrai, les critiques se mêlèrent aux
éloges, mais en Angleterre l'applaudissement fut général.
En France l'Académie des inscriptions et belles-lettres lui
décerna, en 1884, le prix Volney, et son livre fut également
couronné par l'Association pour l'encouragement des études
grecques. A la rentrée, Henry fut chargé d'un cours complé-
mentaire de philologie classique et, en 1886, nommé pro-
fesseur-adjoint à la faculté des Lettres de Douai, qu'il suivit
en 1887 quand elle fut transférée à Lille. Mais ce qui, pour
lui, l'emportait sur tous ces succès, ce fut l'amitié d'un de ses^
examinateurs, Abel Bergaigne, le professeur de sanscrit et de
philologie comparée à la Sorbonne. Ce fut sous ses auspices
qu'il publia diverses traductions du sanscrit et du prâcrit:
Trente stances du Bhâmini- Vilâsa (1885); Le Sceau de
Râckasa^ drame en sept actes par Viçakpadatta (1888); Agni-
mitra et Afàlavikâ, comédie en cinq actes par Kâlidasa (1889).
Ce fut également avec Bergaigne qu'il ébaucha le plan d'une
Chrestomathie védique.
Cette activité n'empêchait nullement Victor Henry de se
livrer à d'autres recherches non moins fécondes. 11 publia sou»
le titre de : Contribution à l'étude des origines du décasyllabe
roman (1885), un opuscule où il émit sur l'origine du ver»
français de dix syllabes et de l'alexandrin des vues qui sont
bien près de devenir définitives. Mais son œuvre maîtresse,
c'est le Précis de grammaire comparée du grec et du latin
(1888), qui a trouvé en Angleterre, en Allemagne, en Italie,
l'accueil le plus chaleureux; en France, il valut au jeune pro-
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JÇS REVUE d' ALSACE
fesseur Thonncur de remplacer, co ^^mc chargé de cours, son
regretté maître, Abel Bergaigne, dans la glorieuse chaire que
sa mort tragique avait rendue vacante.
Victor Henry était une nature sensible et fidèle dans ses
affections. Il se montrait à toute occasion passionné pour le
droit et la vérité, mais jamais jugement plus sûr ne défendit
ses points de vue avec une courtoisie plus exquise. Or il arriva
que ce passionné de vérité fut un jour victime d'un bruit con-
trouvé et affreusement macabre. Le 28 juillet 1903, une feuille
publique annonçait qu'il était mort d'un accident de mon-
tagnes, en Savoie, et tous les journaux reproduisaient la nou-
velle, à grand renfort de notices nécrologiques. La rumeur en
impressionna douloureusement notre compatriote, peut-être
même avança-t-elle la date de sa dernière heure.
La profonde érudition de Henry était rehaussée par une
modestie rare, et ce fut là un des traits dominants de cette
belle figure. C'est par les journaux que ses nombreux admira-
teurs et disciples ont appris son décès, et au bas de la lettre
de décès qui en faisait part, on lit : « Conformément aux inten-
tions du défunt, les obsèques ont été célébrées dans la plus
stricte intimité le 9 février 1907 >. 11 n'y est pas dit qu'Henry
était chevalier de la Légion d'honneur.
II. Alfred Touchemolin.
Le 4 janvier 1907 s'est éteint à Brighton un de nos
meilleurs artistes d'Alsace, dont tout le monde a pu estimer le
talent de dessinateur et de peintre.
Charles-Alfred Touchemolin naquit à Strasbourg le 9 no-
vembre 1829. Destiné au commerce par ses parents, il fut
placé à sa sortie du collège dans le magasin de tapis et dra-
peries de M. Nicolas Karth, mais, au bout d'un an, son manque
de dispositions pour les affaires le décida à quitter cette maison
pour aller étudier le dessin sous la direction de Gabriel Guérin,
l'artiste strasbourgeois si renommé comme professeur et chez
qui se sont formés la plupart des artistes alsaciens de la pre-
mière partie du xrx« siècle.
Chose curieuse, son patron M. N, Karth abandonna bientôt
-également son commerce pour se consacrer à l'art et devenir
, peintre paysagiste à Strasbourg.
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NECROLOGIE IÇÇ
En 1847, Touchemolin vint à Paris et entra à l'atelier de
DroUing, mort en 1851, après avoir tenu une école très suivie
-et d'où sont sortis une foule de peintres distingués. Admis à
l'école des Beaux- Arts, il en suivit les cours et resta à Paris
jusqu'en 1852. Pendant cette période révolutionnaire il entra
•dans la garde nationale parisienne et y fit son service au
3« bataillon de la ri« légion.
Après le coup d'Etat il retourna à Strasbourg pour y
ouvrir un atelier et se consacrer au professorat. Ses cours
furent très fréquentés et jamais professeur ne fut plus sym-
pathique et plus aimé des nombreux élèves qui profitèrent de
ses excellentes leçons. C'est à cette époque qu'il produisit de
nombreux tableaux représentant principalement des épisodes
militaires : sa Bataille de Solférino et son Attaque de la
gare de Magenta^ furent tous deux reçus et admirés au Salon
-de 1867.
Pendant la guerre franco -allemande, Touchemolin se
trouva mêlé à la défense des intérêts de sa ville natale en
la qualité de conseiller municipal. C*est à la suite du rapport
<ie l'artiste que cette assemblée vota l'exécution des admirables
portes de bronze qui décorent aujourd'hui le grand portail de
âa cathédrale.
Après la paix il opta pour la nationalité française, mais
cesta à Strasbourg, malgré le départ de ses nombreux amis.
L'annexion, en effet, brisa ses meilleures relations. L'armée
française, qu'il avait étudiée de près, pendant ses quatre
séjours au camp de Châlons, avait toujours été l'objet de ses
travaux de prédilection ; nul ne la connaissait mieux et ne
l'aimait davantage; aussi le peintre avait-il gardé, de ses
amitiés avec les officiers français, une franche cordialité et une
tournure toute militaire.
Touchemolin finit par quitter Strasbourg pour se fixer à
Paris, mais la nostalgie le fit revenir à Strasbourg. «J'ai la
tiostalgie de la France, écrivait-il à un ami, quand je suis en
Alsace, et celle de l'Alsace quand je suis en France •. Ce ne
fut qu'en 1883 qu'il se fixa à Versailles d'abord, puis à Paris,
-et vingt ans plus tard il s'installa k Brighton dans un cottage
baptisé Alsacehûuse^ auprès de sa fille mariée en Angleterre,
pour collaborer par ses illustrations aux nombreux articles
littéraires publiés par Madame Castel Leaver dans différentes
drevues anglaises.
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200 REVUE D*ALSACE
L'œuvre de Touchemolin est considérable et très appré-
ciée; sa première exposition date de 1863, c'est un dessi»
rehaussé, Batterie de siège au Moyen- Age, appartenant actuelle-
ment au Musée de Strasbourg, puis la Gare de Magenta, la
Bataille de SolferinOy une Section de fuséens Autrichiens, le»
Manteaux-Rouges en Alsace, etc.
Depuis 1870 Touchemolin a peint encore bien d'autre»^
tableaux et produit un grand nombre de dessins, la plupart
relatifs à la guerre. Il avait déjà fait d'autres illustrations,,
notamment pour le grand ouvrage de son beau-père, Frédéric
Piton, intitulé Strasbourg illustré, pour le Strasbourg histo-
rique et pittoresque de Seyboth, etc.
Nous citerons encore : Ruines de la Bibliothèque de Stras-
bourg en iS'jo, — Le dessinateur Zix à P armée d'Helvétie, —
Arrivée des délégués suisses à Strasbourg, — Evacuation des
blessés, — L incendie du théâtre, — La place du Broglie, etc^
En outre l'artiste fit paraître : en 1877, Album de notes et
croquis sur le mont Sainte-Odile; en 1895, l'important ouvrage
historique Strasbourg militaire; en 1900, Histoire du Régi-
ment d' Alsace ; en 1902, le Journal d'un assiégé; en 1903, le
Vieux Strasbourg ; en 1905, V Album Touchemolin, etc.
On lui doit encore plusieurs recueils de costumes alsaciens
ou badois, de costumes militaires, un album de croquis du
champ de bataille de Frœschwiller, une collection de vues des-
châteaux d'Alsace, etc. 11 a collaboré en outre aux Maîtres
alsaciens, par F. Reiber, à Y Art en Alsace-Lorraine, par René
JViénard ; aux journaux : Le Temps, Les Annales politiques et
littéraires, La Critique, Le Journal d' Alsace, à plusieurs revues
anglaises, etc.
Malgré son âge avancé, Touchemolin était resté très actifs
lorsque la mort est venue le surprendre. Nous adressons ici
nos plus sincères compliments de condoléance à cette famille
éplorée, que deux cruels deuils viennent d'accabler en quel-
ques jours.
H. Weisgerber.
RlXHBIM (AlBAOB). — TtPOGBAPHIB F. SUTTBB & CiB
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UNE RIVALITÉ ÉPHÉMÈRE
BELFORT ET THANN EN 1815
Dans les premiers jours qui, en 1815, suivirent la
rentrée de Louis XVIII aux Tuileries, pendant que
l'Alsace, occupée par les troupes alliées, ne savait quel
serait son sort, il se passait dans la partie méridionale
de cette province des événements d'un genre particulier.
C'est ainsi que des Bàlois, sous prétexte que les gens
de Mulhouse avaient été des leurs, demandaient que
l'arrondissement d'Altkirch, dont dépendait la ville de
Mulhouse, fut cédé au canton de Bàle.
Dans la même région, les habitants de la petite
ville de Thann intriguaient pour avoir désormais la
sous-préfecture de l'arrondissement et le tribunal civil,
au détriment de Belfort. Et l'instigateur de ces menées
n'était autre que le sous-préfet lui-même qui gardait
rancune aux Belfortains et voulait profiter de la situa-
tion troublée où l'on se trouvait pour se venger d'eux.
Voici pourquoi. Louis Prudhomme avait été appelé
à la sous-préfecture de Belfort par ordonnance royale
du 22 août 18 14. Au bout de très peu de temps, il
s'était fait détester par la plus grande partie des habi-
tants du pays. On ne parlait de lui que pour s'en
moquer; le public ne le désignait que par le nom de
manchot à cause d'un bras infirme. Il s'était si bien
Rewt d'AUace, 1907 li
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UNE RIVALITÉ ÉPHÉMÈRE ^03
avait trouvé quelqu'écho à Thann, à Saint-Amarin et
à Cernay. Aussi se flattait-il d'arriver vite à son but.
On conçoit l'effet que ces rumeurs produisirent dans
la population belfortaine. Aussitôt la protestation suivante
fut rédigée ') :
€ Enfermés pour la seconde fois dans une ville tou-
jours fidèle, nous étions loin de soupçonner qu'on profitât
-de notre détresse pour élever contre nous des prétentions
absurdes et déloyales.
€ La ville de Thann s'agite en tout sens pour attirer
à elle le siège du tribunal et de la sous-préfecture dont
Belfort est le chef-lieu.
< Notre position topographique n'est point changée.
Les raisons qui nous ont fait obtenir la préférence
durant vingt-cinq ans subsistent encore. Que peut-on
nous opposer? Qu*a-t-on à reprocher à ceux qui mou-
raient de faim en 1814 et qui ont aidé à nourrir une
armée française en 181 5?
< Les habitants de Thann comptent sur des intrigues:
ils ignorent que Louis XVIII et ses ministres ne sont
accessibles qu'à la justice, et, si le malheur pouvait
faire pencher la balance dans leurs mains, c'est pour
jious qu'elle pencherait 2).
1) La minute existe aux archives de BeUbrt.
2) Quelques Thannois espéraient bien que les sentiments ultra-
royalistes dont était empreinte l'adresse envoyée au roi à la fin d'avril
1814 ne seraient pas oubliés en haut lien et plaideraient victorieusement
■en fkveur de leurs prétentions. Voici cette adresse d'après le MonUtur
Univtrsil:
« Sire,
« Les habitants de la ville et du canton de Thann, département du
Haut-Rhin, n'ont pu apprendre les événements à jamais mémorables qui
viennent de se passer dans votre capitale sans partager, avec toute la
France, l'allégresse générale que la fin de ses maux et le retour heureux
de Votre Majesté au milieu de ses fidèles sujets répand sur tous les
points de son vaste royaume. Jamais, Sire, nos cœurs ne furent plus
émus que dans ce moment où, après vingt ans de guerre et de oudheurs
tant nombre, nous renaissons à l'espoir subit de jouir longtemps, à
l'ombre tutéUire du trône des Bourbons, de cette félicité que le retour
d'un descendant de saint Loutt et de Henri IV pouvait teul nous pro*
mettre. Si nous manquons d'expression pour peindre à Votre Majesté
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204 REVUE d'aLSACK
€ Cependant le collège d'arrondissement se réunira*
le 14 du courant, et, comme il a plu à M. le sous-préfet
Prudhomme, réintégré, d'établir à Thann ses bureaux^
nul doute qu'il ne convoque près de lui l'assemblée-
des électeurs. C'est ainsi que par un abus de pouvoir
les espérances de nos adversaires seront exaltées.
€ On objectera sans doute que Belfort est encore
en état de siège. Mais la paix la plus profonde règne
dans nos murs; les communications sont libres par le*
fait, et cette liberté peut recevoir un accroissement
indéfini.
€ Nous dirons, à notre tour, qu'ici les élections seront
débarrassées de toute espèce d'influence, les électeurs
seuls pénétrant dans une enceinte exclusivement peuplée
de Français.
€ Peut-être avons-nous donné trop d'importance aux
manœuvres qui se pratiquent dans notre arrondissement;
aux signatures qu'on mendie, qu'on extorque de toutes^
parts; à la députation pompeusement envoyée à Paris.
Mais nous sommes attaqués dans nos intérêts les plus
chers, et le coup qu'on veut frapper est si révoltant î
€ Le moment est venu où signaler une menée, c'est
la déjouer; où demander justice est un moyen sûr de
l'obtenir.
€ Nous sollicitons donc avec la confiance la plus
illimitée le maintien parmi nous des administrations et
des tribunaux, qui vivifient en temps de paix notre
ville, à la satisfaction de tous les administrés, et com-
pensent en quelque sorte la stérilité de ce point du.
département.
toute notre ivresse et celle de nos concitoyens dont nous nous félicitons-
d'être en ce moment les organes, vous ne daignerez pas moins, Sire,
agréer et distinguer parmi les nombreuses félicitations déposées at»-
pied du trône l'hommtge de notre plus profond respect de fidélité et
d'amour ».
La réponse du roi, insérée dans le Moniteur du 2 1 mai, était ainsf-
conçue :
«Je reçois avec plaisir l'expression de vos sentiments; j'y réponds»
par les miens t.
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UNE RIVALITÉ ÉPHÉMÈRE 205
« Nous attendons avec la même confiance la pro-
-chaine arrivée d'un sous-préfet en vertu d'ordres supé-
rieurs, que nous sollicitons avec instance, avant la
réunion du collège électoral d'arrondissement.
€ Cette confiance nous persuade même que la réunion
des électeurs s'opérera prochainement à Belfort, comme
par le passé, et que la brièveté du temps concourra à
•dissiper plus promptement les inquiétudes de nos con-
citoyens et les nôtres.
€ C*est ainsi que, sous un Gouvernement réparateur,
<iouter du triomphe d'une cause essentiellement juste,
•ce serait outrager la Majesté du Souverain, les vertus
de ceux qui l'entourent et qu'il a chargé de ses pou-
voirs 1.
A la Préfecture du Haut-Rhin "), on parut ne pas
attacher grande importance aux menées du sous-préfet,
-«t Ton rassura les Belfortains sur les suites de cette
affaire.
En effet, le collège électoral, convoqué pour le
14 août, se réunit à Belfort, sous la présidence de
Homan, fabricant à Wesserling, nommé par ordonnance
Toyale du 26 juillet. Quant à l'instigateur de cette
K:abale, il en fut pour ses frais. Une ordonnance du
5 septembre 181 5 nomma sous-préfet de l'arrondisse-
tinent de Belfort le comte Waldemar de Brancas en
remplacement de Louis Prudhomme. Celui-ci décampa
sans tambour ni trompette, ne laissant aucun regret,
*bien au contraire..., et, du coup, cessa la rivalité qu'un
aussi déplorable administrateur avait fait naître entre
Jes villes de Thann et de Belfort.
Henri Bardy.
j) Le Préfet était à ce moment le comte de Castéja.
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LES TROUBLES DE I789 207
à se mettre à leur tête pour envahir et ravager les
forêts du duc de Valentinois. Mais le syndic était un
honnête homme; il s'y refusa catégoriquement, et, après
des menaces de mort réitérées, se démit d'une fonction
qui, sans lui donner la moindre autorité, l'exposait au
contraire à de grands dangers, s'il ne consentait à obéir
à ceux auxquels il devait commander. Il est vrai que
cette démission ne sauva pas les forêts du duc, lequel,
le 28 août suivant, dénonça au Bureau de Belfort les
excès qu'y commettaient les habitants, excès auxquels
le Bureau ne put remédier. Le même Bureau, pour
éviter le désordre, dut permettre à plusieurs commu-
nautés, entre autres à Rougemont, Offemont, etc., de
se réunir pour faire des suppléments à leurs doléances.
La ville de Belfort n'eut pas à soufftir. A l'exemple
de Paris, la plupart des villes d'Alsace formèrent entre
bourgeois une milice bourgeoise; et à Belfort, cette
milice, de concert avec l'armée, suffit pour empêcher
tout désordre >). La surexcitation néanmoins était très
grande; elle était entretenue par les nombreux fugitifs
de Franche-Comté, qui cherchaient un asile en ville,
et par les bruits les plus sinistres qui s'accréditaient
avec une étrange facilité. Voici ce que raconte un
témoin oculaire : « ...23 juillet... Les auberges étaient
remplies des malheureux habitants de Franche-Comté.
Le reste du jour il en arriva tant que les voitures se
succédaient, comme lors d'un voyage de la Cour. Tout
y paraissait fort tranquille; la bourgeoisie, qui s'était
enrégimentée, faisait le service avec le régiment de la
Vieille-Marine. Les villages voisins s'y étaient rendus
dans le plus grand ordre avec des drapeaux, marchant
au bruit de leur musique champêtre. La garnison leur
accordant les honneurs, un détachement allait hors de
1) A c6té de cetfe milice, il y avait à Belforf une compagnie de
chasse ors à cheval, composée surtout de fils de famille, d'avocats, etc.
(Cfr. ^evfte d'A/ittee, 1863 (p. 224^ Les volontaires a cheval de Belfort
tn il89^ par H. Babdy).
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208 RKVUE D'aLSACE
la ville les chercher et les reconduire. Cet accord durait
depuis trois jours,- où, malgré la nécessité de moissonner,
ils passaient le temps à la ville pour attendre sous les
armes M. Necker »), qui était annoncé, et au devant
duquel les troupes nationales ne cessaient de marcher.
Afin d'en être instruits, deux magistrats étaient à Baie,
députés de la ville, pour qu'au moment où son départ
serait arrêté, ils partissent et vinssent en donner avis» 2).
Dans l'après-midi du 24, 3 à 4000 paysans, < qui
n'étaient armés que de fourches et de bâtons, deman-
dèrent des armes en promettant de les rendre après le
passage de leur dieu tutélaire (Necker). M. du Lau,
lieutenant-général, inspecteur de la division, eut la com-
plaisance de les promettre. Sans doute il en sentit la
conséquence et ne les fit point délivrer. Quelques
mutins coururent à l'arsenal; ils cassèrent les fenêtres
et essayaient de le forcer quand on donna ordre au
régiment de la Marine de tomber dessus. Ils furent
arrêtés et conduits en prison; les chasseurs d'Alsace
balayèrent le reste. Ils ont menacé de mettre le feu à
la ville, alors on a fermé les portes. Puis, pendant
plus d'une heure, il ne fut pas possible d'entrer en
ville, la consigne étant seulement d'en laisser sortir» 3).
< Peu de temps après cette expédition, quarante-
huit jeunes gens de la ville, à cheval, toujours pour le
même objet, vêtus de vert et imitant les troupes légères,
arrivèrent sur la place au galop 4); en même temps le
tocsin sonna, les portes se refermèrent, et Ton apprit
que les brigands en petit nombre s'approchaient. Des
détachements furent envoyés pour les disperser, ce qui
i) Necker avait été rappelé au ministère; il se trouvait alor^ à
Bàle avec sa famille et devait passer par Belfort pour retourner à Paris.
2) Voyage ttune Française (Madame Gauthier), lettre viii, p. i6«
Cité par Stœbbr, page 223.
3) Voyage dune Française^ 1. c — A, YoONO, Voyages en France^
I, p. 251.
• 4) C'étaient des chasseurs à cheval; ils portaient un habit vert à
passe-poil rouge, un gilet blanc et des culottes jaunes. (JUvne d'Alsace^
1863, 1. c).
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LES TROUBLES DE 1789 2O9
ne fut pas long. Les. dragons de la ville se mirent en
route pour empêcher les communautés voisines d'aller
plus avant. Elles avaient entendu le tocsin et venaient
-au secours des habitants et de la garnison de Belfort,
qui n'a point hésité pour exécuter les ordres du chef».
La princesse de Montbéliard, ses enfants et partie
-de la Cour, s'étaient réfugiés à Belfort, tandis que le
prince était demeuré à Etupe, avec son artillerie et un
détachement de la garnison de Belfort, pour faire face
aux brigands qui n'osèrent approcher, ni même se
faire voir.
Le lendemain 25, dès 6 heures du matin, « les
troupes étaient sous les armes ; nous rencontrâmes des
piquets de chasseurs qu'on avait fait sortir pour obser-
ver les brigands que Ton annonçait être au nombre de
cinq ou six cents > <). Ce jour-là. Monsieur et Madame
Necker, avec deux voitures de suite, passèrent par
Belfort. < Quatre-vingt bourgeois les escortaient à cheval,
et les musiques de régiment les ont accompagnés pen-
dant qu'ils traversaient la ville > ^),
Ce qui explique les alarmes de la garnison de Bel-
fort, c'est qu'à ce moment même tout le Sundgau,
jusqu'à la vallée de Saint-Amarin, était en combustion.
Depuis le commencement de juillet, les bruits les
plus sinistres n'avaient cessé de succéder les uns aux
-autres dans cette partie de l'Alsace. Les maisons des
officiers de justice, disait-on, étaient menacées de pillage
et d'incendie ; on voulait même mettre le feu aux villes
et aux villages qu'ils habitaient. Toutefois ces officiers
eux-mêmes, dans les commencements, avaient méprisé
toutes ces rumeurs, lorsque quelques scènes de désordre
•éveillèrent leur attention.
Le mardi 2 1 juillet 3), le sieur Hell le jeune, greffier
du bailliage de Hirsingue, frère du procureur-syndic et
1) Voyagt d'une Français t, 1. c.
2) A. YoUKG, Voyages en France^ 1. c.
3) C'est par erreur que Mathieu Mieg, dans sa chronique, donne la
^ate du 27 juillet.
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LES TROUBLES DE I789 211»
Le lendemain, mercredi 22, tout le monde en ville-
fut consterné en apprenant ce départ précipité; les uns
blâmèrent M. Gérard de n'avoir pas méprisé des rumeurs»
que sa fuite allait accréditer; d'autres, plus prudents,
suivirent son exemple sur l'heure. Le magistrat, ému
lui-même, convoqua d'urgence la bourgeoisie à l'hôtet
de ville. Mais on ne parvint pas à s'entendre, et il ne
fut pris aucune mesure effective. La majorité fut d'avis
que Ferrette n'avait rien à craindre, parce qu'on ne
menaçait que les Juifs, à cause de leurs créances usu-
raires, et les seigneurs, pour anéantir les titres des droits
seigneuriaux; d'ailleurs, ajoutait-on, les émeutiers seraient
de toute manière beaucoup trop nombreux pour pou-
voir leur résister avec quelque chance de succès!
Cependant, dès 10 heures du matin, on vit des gens
de villages environnants passer et repasser dans les
rues de la ville avec une certaine affectation. Peu à peu
leur nombre s'augmenta d'étrangers au bailliage; puis
on cessa de circuler. On se plantait aux avenus, et il
devenait facile de s'apercevoir que la maison Gérard
était particulièrement observée. La foule grossissait
d'heure en heure, lorsque, vers 8 heures et demie du
soir, des gens avinés enfoncent la porte de la cour;
puis, excités par les fumées de la boisson, envahissent,,
pillent les appartements et la cave, forcent le greffe,,
dont les papiers, titres, registres, jetés dans la rue,
formèrent un tas énorme auquel on mit le feu »). La
l) En détruisant les titres, les paysans croyaient se libérer de leurs
obligations ; aussi ils avaient arrêté entre eux que quiconque essayerait
de retirer quelque chose du feu, y serait jeté. Cependant le plus jeune
des fonctionnaires du lieu, connaissant Timportance des titres de pro*
priété, de partage, de l'état civil, etc., que ces forcenés prenaient tous
pour des créances ou des obligations, réussit à en sauver deux ou trois
voitures. Sept conjurés avaient emporté le coffre-fort de M. Gérard;
l'un d'eux, un charpentier, y fit une ouverture, et les sept décidèrent
que chacun y puiserait à son tour et que, si l'un d*eux tentait de le
faire deux fois de suite, il aurait la main coupée. Le plus jeune, pré-
tendant ne pouvoir saisir de la main autant de pièces que les autres,
ne voulut pas se soumettre ; il eut le poignet coupé au moment où il-^
plongeait la main une seconde fois dans le coffre.
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212 REVUE D ALSACE
maison elle-même fut allumée en plusieurs endroits à
la fois, après avoir été complètement dévastée. Mais
les flammes, et surtout le danger qui menaçait la ville,
<:ar il y avait vingt cordes de bois dans le bûcher,
reveillèrent les bourgeois de leur torpeur égoïste. Ils
s'armèrent, attaquèrent les émeutiers, se saisirent de
-ceux qui v^oulaient résister et mirent les autres en fuite,
malgré leur nombre »),
La lueur de l'incendie, au milieu des ombres de la
nuit, redoubla la folle terreur qui s'était répandue aux
environs, et fut, d'un autre côté, comme le signal depuis
longtemps attendu du soulèvement de tout le Sundgau;
<:ar, au même moment, ou peu après, les châteaux de
Hirsingue «), Hirtzbach et Carspach étaient attaqués,
pillés et détruits en partie. A Courtavon, les paysans
poursuivirent, sans l'atteindre, l'agent seigneurial qui
voulait mettre ses archives en sûreté à Porrentruy. A
Landser, ils assaillirent avec fureur le greffe du bailliage,
^t, comme à Ferrette, firent flamber tous les papiers
qu'il contenait : l'intensité du feu, que Ton voyait
depuis Belfort, fut telle qu'elle fit croire que la ville
elle-même avait été livrée aux flammes. Partout les
officiers de justice étaient observés de près; souvent,
pour sauver leurs personnes et leurs biens, ils durent
i) Parmi les émeutiers il n'y eut aucun habitant de Ferrette. Les
domestiques de la famille de Gérard firent tous leur devoir ; c leur zélé
à cet égard n'a pas été en défaut » . Monsieur et Madame Gérard se
réfug^ièrent à Soleure et revinrent, au commencement d'août, à Huningue.
.(Lettres de M. A. Moil sur les événements de Ferrette du 22 juillet
1789; Apologie du général de Vietingoff, etc.). Plus tard, M. Gérard
réclama une indemnité pour le pillage et l'incendie de sa maison; le
Département, consulté par l'Assemblée nationale, fut d'avis que la nation
devait en être chargée, car les coupables étaient tous des habitants des
'•communautés voisines de Ferrette, et la plupart fort peu à leur aise.
M. Gérard fut nommé c commissaire ou inspecteur des limites en Alsace 9
(nous ignorons en quoi consistaient ces fonctions), et^ commissaire du
Roi au tribunal de Belfort (1790). II obtint de la Commission inter-
médiaire, par le canal du Bureau de Huningue, l'exemption de toute
imposition quelconque pendant 3 ans et celle des guets, gardes et
-corvées (16 décembre 1789).
2) Sur le sac du château de Hirsingue, cfr. Dû Pfarrgtmeînden
'da Cantons Hirsingen^ von F. J. FuRS. Rizheim, 1879.
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LES TROUBLES DE I789 213
livrer les titres dont la garde leur était confiée»); les
fugitifs, ou ceux que Ton supposait tels, étaient pour-
suivis, injuriés, maltraités; on les empêchait de gagner
la Suisse, et Ton menaçait de mort ou d'incendie ceux
qui auraient voulu leur donner asile.
Quelques aventuriers avaient formés une bande assez
nombreuse et s'étaient donné pour chef un ouvrier
tisserand qu'ils avaient affublé d'un cordon bleu et d'une
décoration. Ils le faisaient passer pour le comte d'Artois,,
second frère du Roi. La présence dans leurs rangs
d'un prince du sang, fascina, pour ainsi dire, le paysan,
d'ailleurs très facile à gagner, puisqu'ils s'en prenaient
spécialement aux Juifs. Le soi-disant comte d'Artois
prétendait avoir des ordres du Roi et assurait les gens
que «tout ce qu'ils pourraient avoir (c'est-à-dire voler)
dans les quarante jours est à leur possession et droit > *).
Aussi «à Sierentz et dans tous les villages du SundgauS),
ils pillèrent entièrement les Juifs et les chassèrent, de
telle sorte que beaucoup d'entre eux durent se réfugier
à Bâle; ils abîmèrent leurs maisons et arrachèrent jus-
qu'aux planchers des chambres, enlevèrent leurs titres
et leurs obligations qu'ils déchirèrent ou brûlèrent; ils
laissèrent couler dans les caves les meilleurs vins qu'ils
n'avaient pu boire, s'emparèrent de l'argent qui leur
tombait sous la main et le partageaient eiitre eux > 4).
« Pendant tout le trajet, dit un témoin oculaire 5), le
spectacle le plus contristant vint frapper nos yeux le
long du chemin. Des familles entières de 4a population
juive de Durmenach campaient sur les bords et dans
i) «Aile Schreibereyen, so zu sagen, in dem ganzen Bezirck^
musten den Bauern ihre Scbriften beraasgeben. . . t. (M. MiEG, Histoire
de Mulhouse),
2) Lettre dn brigadier de la maréchaussée Boob, lo août 1789»
(Cfr. Die jyarrgemcinden des Cantons Hirsingen, .,, p. 382).
3) Surtout à Blotzheim, Hegenheim, Hagenthal, Sierentz, Uffheim, .
Habsheim, Rixheim, Kembs, DUrmenach, Luemschwiller, Frôningen, .
Zillisheim, Obersteinbrunn, etc. (M. MiRG).
4) D. SCHMUTZ, p. 87.
5) A. MoLL, 1. c.
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•214 REVUE D ALSACE
âes fossés. Elles venaient d'abandonner leurs demeures
spoliées et saccagées par une bande d'insurgés. Des
enfants à la mamelle, des femmes, des vieillards, des
berceaux, des meubles, de la literie, tout cela se trouvait
pêle-mêle étendu à terre. Les enfants criaient, les adultes
gémissaient ; heureusement le temps, qui était propice,
semblait protéger cet tristes caravanes >. Tant que les
^meutiers servaient la haine et les rancunes des paysans,
-ceux-ci les soutinrent de tout leur pouvoir. Mais lors-
que, < après avoir dépouillé les Juifs, ils voulurent s'en
prendre aux chrétiens», les paysans, se sentant menacés
•<ians leurs biens, se retournèrent contre eux et les
dispersèrent >).
Du Sundgau, le mouvement insurrectionnel s'étendit
«rapidement de tous côtés. Dans la montagne cependant,
les désordres furent beaucoup plus graves que dans la
plaine. < Les brigandages, qui se sont commis dans la
Franche-Comté, commencent à gagner notre partie,
écrivait à la Commission intermédiaire, le 29 juillet,
M. Boyer, membre du Bureau de Belfort. La vallée de
Masevaux, celle de Saint-Amarin se sont attroupées.
Les dames du noble chapitre de ce premier lieu ont
quitté leur domicile ; toutes, à l'exception de deux, se
-sont absentées a). Madame l'abbesse est arrivée ici à
huit heures du matin, et les autres l'ont suivie au quart
-d'heure » 3). Cependant les émeutiers ne paraissent avoir
fait aucun mal à l'abbaye; ils s'attroupèrent devant la
.maison du receveur du chapitre, le forcèrent par leurs
i) D. ScHMUTZ, I. c. — Le prétenda comte d'Artois et qaelques-OQS
de ses plas chauds partisans, quMls avaient fieiit prisonniers, allèrent
expier aux galères les crimes qu'ils avaient commis. Le comte au ruban
bleu fut emprisonné à Sélestat le 10 août pour y être jugé prév6tale-
ment. c On a arrêté «n Haute-Alsace et conduit aujourd'hui (10 août)
à Sélestat le comte d'Artois, avec le ruban bleu qui a fait croire au
monde que tout ce qu'il pouvait avoir dans quarante jours est à sa
.possession et droit ; (Lettre du brigadier Boob à Radius).
2) C'est-à-dire ont fui, en laissant la garde de Tabbaye à deux de
-<:e8 dames. Un détachement du régiment de la Marine fut envoyé de
Belfort à Masevaux pour y rétablir l'ordre.
3) Lettre de M. Boyer du Bureau de Belfort à la Commission inter-
Amédiaire, 29 juillet 1789.
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LES TROUBLES DE 1 7 89 215
menaces à détruire les rapports pour délits forestaux
•«t même à restituer les amendes déjà payées '). Puis
< la troupe des brigands s'est portée sur Thann >, où
elle fit sa jonction avec celle qui venait de la vallée de
Saint-Amarin.
Pendant de longues années, les gens de cette der-
nière vallée avaient été en contestations avec leur
seigneur, l'abbaye de Murbach, au sujet de leurs droits
dans les forêts seigneuriales; et les deux cantonnements
<ie 1770, qui mirent fin au différend, excitèrent leur
ressentiment au lieu de ramener la paix, parce qu'ils
prétendaient avoir été lésés. Leurs voisins, les Lorrains
ou les Vosgiens, qui étaient parvenus à s'affranchir depuis
-quelque temps des taxes sur le sel et le tabac, étaient
de fervents partisans des théories du jour, et, comme
ils venaient habituellement faire leurs provisions dans
4a vallée, ils inculquaient ou avaient inculqué à ses habi-
tants les nouvelles idées d'émancipation et de liberté.
Aussi la conviction de ceux-ci dans la justice de leurs
prétentions crût-elle dans la même proportion que leur
x:olère contre le seigneur, et ils saisirent la première
x>ccasion pour essayer de se remettre par la force en
possession de leurs droits, dont ils croyaient avoir été
illégitimement dépouillés. A la nouvelle des événements
de Paris, le 25 ou plutôt le dimanche 2ô juillet 2), ils
i) Nous savons aussi que sous la pression de l'émeute, Pabbaye dut
tfaire défenses à Tadjudicataire de ses dîmes de pommes de terre, d*en
iaire la levée à l'avenir, avec offre de l'indemniser par le temps de son
bail qui restait à courir (25 juillet 1789). — Sur les démêlés de l'abbaye
■avec les communautés de la vallée à propos de la dlme des pommes
de terre, cfr. L'Alsaci au xviu* sikU^ tome 11.
3) Seul M. MiBG, dans sa Chronique, indique le 25 juillet; mais
les dates qu'il donne ne sont pas toujours exactes. — A. Gatrio, DU
Abus Murbach (II, p. 698), raconte qu'un voyageur arrivé ce jour-là
-avec le courrier à Malmerspach, portait avec lui la proclamation rela-
tive à la prise de la Bastille. Après la messe qui venait d'être dite à
la chapelle de saint Maximin, il en fit la lecture publiquement; mais,
•comme il ne savait pas bien lire, un habitant le remplaça, et, pour être
mieux compris, se plaça sur l'autel, et s'écria, après qu'il eut achevé
«a lecture : c Ce qu'ont fait les Parisiens, nous pouvons le faire aussi 1 1
Ce fut le signal de l'insurrection. Cfr. Notice historique sur Wesserling^
*par C. SoRG, Revue tt Alsace^ i862«
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2)6 REVUE D'aLSACE
s'attroupèrent en grande masse, et se rendirent, vers^
lO heures du matin, devant la maison du receveur de
Tabbaye à Saint-Amarin, et réclamèrent à grands cris
livraison immédiate de tous les registres de condamna-
tion et des titres qui consacraient les prétendues usur-
pations dont ils étaient les victimes. Comme le receveur
ne voulut point leur abandonner le dépôt dont il avait
la garde, ou ne put point les satisfaire parce que les
pièces réclamées n'étaient pas en sa possession, ils assail-
lirent sa demeure et la saccagèrent, après avoir vidé le
meilleur vin de sa cave. Ils firent subir le même sort
aux maisons du fermier des impositions, de l'huissier
seigneurial J. Bruder et du débitant de tabac et poudres
du Roi »). Pendant ce temps, d'autres forcenés se met-
taient à la poursuite des agents forestiers et démolirent
leurs maisons. Ils parvinrent à se saisir du garde-marteaa
Breymann. « Cet homme de soixante ans fut excédé de
coups ; on Ta promené dans le village en lui arrachant
les cheveux ... ; tous ses meubles ou effets ont été
brisés, brûlés ou volés; on l'a forcé à signer, avec sa
femme, un acte par lequel il s'engage à restituer toutes
les amendes qu'il a fait prononcer et donne quittance
de tous les dégâts qu'il vient de subir. Puis on le jeta
en prison où il demeura cinq jours, et les émeutiers
n^épargnèrent les mauvais traitements, les injures et
les menaces, ni à sa femme, ni à ses trois enfants > a).
1) Le sieur Pistenon, marchand et débitant de tabac, privilégié à
Saint-Amarin pour toute la vallée, selon commission du 32 août 1782..
Il put sauver à grand'peine quelques petites choses dans la nuit du
36 juillet. Il fut pillé complètement; on lui vola la poudre du Roi et
le tabac dont il était dépositaire, son linge, ses provisions de bouche,
son vin; il avait caché dans sa cave 900 liv. d*argent blanc qui furent
découvertes et volées; le pistolet sur la gorge, on l'obligea à donner
de l'argent à qui il n'en devait pas. 11 put s'échapper enfin et demeura
trois jours et trois nuits sans oser rentrer chez lui. 11 estima ses pertes
à 2000 livres. Il porta plainte au prévôt général de la maréchaussée
Naquart; mais l'Assemblée nationale arrêta les informations par une
mesure générale. Alors il fit requête à l'Assemblée elle-même et n'obtint
aucune réponse. En 1792, il s'adressa au Département; il avait 52 ans,
était marié et ,père de quatre enfants, sans fortune et sans ressources.
2) Taine, dévolutions 1, p. 72. — Le garde-marteau Jean Brey-
mann, également garde - général des forêts communales, préposé au^
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LES TROUBLES DR 1789 21 7
Outre les forestiers, il y eut des curés, des préposés,
et même quelques syndics ») qui furent obligé de fuir
et de chercher un refuge, soit dans les forêts, soit dans
les localités voisines moins troublées.
Enhardis par ce premier succès, les insurgés se por-
tèrent vers Thann, où le garde général des forêts avait
son domicile. Ils ne craignaient rien, car ils avaient des
intelligences dans la ville, et grossirent leurs rangs de
toute la troupe venue de Masevaux qui marchait sur
Thann, peut-être pour la même raison.
Aussi bien, à Thann, le terrain était bien préparé.
Le 25 juillet, le sieur J. Thiébaut Ganger, garde du
clocher, avait trouvé devant la porte du prévôt du
chapitre un certain nombre de lettres anonymes qu'il
remit à leur adresse. La Municipalité, qui en fut avisée,
s'assembla en toute hâte, prit connaissance de ces lettres,
et, attendu qu'elles contenaient des excitations à la
révolte, les remit aux officiers de justice pour en pour-
suivre les auteurs. Dans l'anonyme que le syndic Monnin
avait reçu, on l'invitait à se trouver le lendemain, 26,
après vêpres, devant la maison du sieur Marandet,
devant laquelle la bourgeoisie et les communautés voi-
bureau des marques pour les manufactures et chargé du bureau de poste
de Saint-Amarin, dut rester huit jours à Thann pour recevoir les premiers
soins; puis, pendant un mois, il revenait tous les deux jours en cette
ville, depuis Geishausen où il avait établi son domicile, pour faire
renouveler les pansements. Cependant il mourut des suites de ses blessures.
Les autres agents forestiers trouvèrent leur salut dans les forêts. Quel-
ques-uns d'entre eux réclamèrent une indemnité à PAsseroblée nationale.
Le District de Belfort et le Département ne jugèrent pas exagérée la
somme de 46.401 liv. 4 s., repartie de la manière suivante : Les héri-
tiers de Jean Breymann, garde-marteau : 24.273 liv. 10 s.; J. Bap. Brey-
mann fils, inspecteur-adjoint : 3166 liv. i s.; Joseph Brueder, procureur:
14.974 liv. 8 s.; Jean Iggart, garde principal 1342 liv. 16 s.; les trois
gardes : Jean Luthringer de Geishausen 1025 liv. il s.; Jean Walter
de Moosch 877 liv. 10 s., et Antoine Humbrecht de Willer 741 liv, i s.
Total : 46.401 liv. 4 s., qui, d'après le Département, devait être à la
charge de la nation, attendu que la vallée, trop pauvre pour supporter
ce surcroît d'impôt, s'en prendrait nécessairement aux forêts nationales.
(Dép. I" fév, 1791. N. 1398. Arch. nat. F 7, 3253).
1) C'était le petit nombre sans doute, car il résulte d'un procès-
verbal du greffier de la maîtrise, procès-verbal dont on trouvera le texte
plus loin, que les syndics étaient en réalité les chefs du mouvement.
Bévue d'AUace, 1907 15
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LES TROUBLES DE 1 789 219
Les bourgeois avaient fait cause commune avec les
émeutiers de la vallée, pour se venger du Magistrat.
Ils lui reprochaient en eflfet depuis longtemps le retard
aflfecté qu'il mettait dans la reddition de ses comptes ')>
retard au moyen duquel il cherchait, disait-on, à couvrir
ses malversations dans l'administration des finances;
et, comme les bourgeois ne recevaient plus de bois
d'affouage, tandis que le Magistrat continuait à percevoir
sa compétence ordinaire, ils accusaient celui-ci, et en
particulier le garde général Adel, qui en faisait partie,
de faire leur profit personnel des meilleurs revenus de
la ville 2). Ces accusations étaient anciennes. En 1779,
elles étaient devenues si pressantes que l'Intendant crut
devoir faire informer. M. de Bellonde, subdélégué de
Belfort, fut chargé dans le principe de cette commission.
Mais sur sa demande on lui substitua M. de MuUer,
subdélégué de Colmar ; et, comme celui-ci était momen-
tanément absent, M. Munck, bailli de Guebwiller, dut
faire une première enquête dont le résultat ne fut pas
défavorable aux chefs de tribus de Thann plaignants.
La seconde enquête, à laquelle procéda M. de MuUer
à son retour, était tout à fait le contre-pied de la précé-
dente : l'une ne pouvait contredire l'autre plus positive-
ment. M. de MuUer ne découvrit pas la plus légère
irrégularité à la charge du Magistrat : celui-ci, d'après
lui, se composait d'hommes instruits et intègres; tous
les actes de leurs gestions étaient conformes aux ordon-
nances; et on voulait faire d'eux les victimes d'une
odieuse machination. Cependant, pour calmer les esprits,
réclamèrent les titres en vertu desquels le graad chapitre d'Arlesheiiu
levait la dime dans ce village et menaçaient en cas de refus de démolir
les maisons du chapitre. Le syndic Monnin, qui était receveur du cha-
pitre à Thann, parvint à les calmer.
4) Les comptes n^avaient pas été rendus depuis 1768.
2) On accusait en particulier Adel de s^approprier les dommages-
ntérêts quM aurait dû verser à la caisse patrimoniale, de les recouvrer
■en employant la contrainte de son autorité privée, d'en faire autant
pour les amendes, de s'être approprié du bois à sa guise, d'avoir vendu
pour presque rien une coupe très importante, moyennant gratification,
-etc..
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2 20 REVUE D ALSACE
M. de Muller proposa «avec douleur», ce sont ses;^
expressions, de réduire quelque peu les compétences-
en bois qu'ils percevaient.
La contradiction devenait encore plus flagrante dans-
le jugement qu'il portait sur le garde général Adel,.
le seul qui fut nommément inculpé. «Il était un homme
aisé avant d'avoir été fait garde général » , disait-il, et
n'a pas augmenté sa fortune par des gratifications reçues-
en fraude. Les délinquants le haïssent et le poursuivent
de leurs calomnies, à cause de sa fermeté et de son
énergie : sans le zèle qu'il a déployé, les forêts de la
ville, en excellent état, auraient été dévastées'), etc^
Le rapporteur de la cause, très embarrassé devant ces
contradictions, ne sachant à quel parti s'arrêter, con*
cluait que pour savoir la vérité sur Adel, il faudrait
commencer une procédure en régle^ ce qui était un
moyen extrême qu'il n'osait conseiller. Cependant,^
ajoutait-il, deux faits peuvent être considérés comme
acquis : d'abord on a trouvé dans les vignes d'Adel
1800 échalas, coupés par son ordre, sans qu'il ait pu
donner de leur présence aucune explication satisfaisante ;-
ensuite il a vendu pour 150 liv. une coupe de bois
qui valait au moins 1900 livres, selon les témoins. Aussh
l'Intendant, à la date du 19 août 1781 réduisit les com-
pétences du Magistrat et ordonna un supplément d'en-
quête sur Adel 2). Il est clair que le résultat de ces-
1) M. Munck prétendait, au contraire, que les forêts étaient presque
rainées, et qu'Adel ne comprenait rien à la culture qui leur convenait.
2) Nous en ignorons le résultat. Il ne dut pas lut être défavorable,,
parce que le garde général demanda, en 1789, au district de Belfort,
de reprendre les fonctions qu'il avait dû abandonner à la suite de*
l'Insurrection. On ne le lui permit pas cependant, par crainte de nou-
veaux troubles, et non pas parce qu'il avait été reconnu coupable de
faits déshonorants, plus que suffisants pour lui valoir la disgrâce de la
nouvelle administration. — Voici ce que dit d'Aigrefeuille sur (a manière-
de faire les enquêtes de M. de Muller : • Quant à M. de Muller, il est
dans l'usage de traiter les affaires légèrement et en poste, en sorte que-
cenx qui l'ont comme commissaire, tremblent » (20 novembre 1 765)..
D'autre part, l'Intendant écrivit depuis Paris à M. Munck : c J'aurais-
pu penser, ainsi que vous, Monsisur, que la plupart des faits mis à la*
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LES TROUBLES DE 1 7 89 221
►deux enquêtes ne demeura pas secret de chancellerie.
Et si les chefs de tribus n'obtinrent pas absolument
gain de cause, le Magistrat du moins, et surtout Adel,
ravaient perdu leur procès devant Topinion publique»).
De là cette irritation parmi les bourgeois, qui fit alors
explosion.
Le garde général ne s'était pas seulement aliéné la
bourgeoisie de Thann; ce beau zèle, qui lui valut les
éloges de M. de Muller, avait exaspéré contre lui tous
les habitants de la vallée. Les règlements forestaux de
1761, 1772 et 1783, avaient soulevé dans toute la
province les plus vives réclamations; on se plaignait
:^urtout, et avec raison, comme nous l'avons dit plus
au long ailleurs»), des amendes excessives qu'ils infli-
-geaient et du retard incroyable que mettait l'Intendant
.3 prononcer les condamnations. Jean Adel parait avoir
-été d'une rigueur inflexible dans l'application de ces
Tèglements, exagérant leur sévérité sans ménagements,
au lieu d'adoucir en pratique ce que leurs prescriptions
pouvaient avoir eu de dur et d'odieux : on peut le
'Conclure d'un mémoire qu'il adressa lui-même à l'In-
•tendant pour sa défense. Ainsi, depuis le jour de sa
nomination, en 1767, le total des condamnations qu'il
avait fait prononcer s'élevait à la somme de 45.000 liv. !
Et ces condamnations, évidemment, ne frappaient pas
«•la partie la plus opulente de la population ! De là des
-exécutions forcées en si grand nombre qu'il finit par
ne plus pouvoir compter, dit-il, ni sur la garde, ni
même sur les cavaliers de la maréchaussée. On ne lui
-obéissait plus lorsqu'il ordonnait l'arrestation d'un délin-
-«cbmrge d'Adel et des forestiers, pouvaient être regardés comme prouvés
par le grand nombre des dépositions, si la qualité de délinquants, com-
mune à tous leurs accusateurs, n^affaiblissait pas infiniment leurs dépo*
'Sitions, au point même de les rendre suspectes» (33 avril 1781).
i) Aussi la Commission intermédiaire permit à la municipalité de
^>ayer les 1378 liv., montant des frais du procès contre le Magistrat de
Thann, qui étaient restées à la charge des maîtres-jurés des corps de
■métiers de cette ville. (Arrêté du Bureau de Belfort, 15 février 1790).
2) Dans D Alsace au xvui^ siUUy tome i, livre iv.
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222 REVUE D'ALSACK
quant, qui essayait par exemple d'introduire en ville
du bois coupé en délit. Bien plus, les geôliers eux-mêmes
mettaient en liberté de leur propre chef ceux qu'il
avait fait emprisonner, de telle sorte que souvent il
surprenait en délit tel homme qui était censé en prison»).
On conçoit donc que ce ièle, ou plutôt ces excès de
zèle, aient excité parmi les populations une colère
longtemps contenue, dont nous venons de raconter les
éclats.
La plus petite partie des émeutiers seulement était
rentrée à Thann ; le gros de la troupe avait passé devant
la ville et se dirigeait sur Guebwiller, chef-lieu de la
seigneurie et résidence du chapitre de Murbach. A
peine quelques centaines au point de départ, ils étaient
maintenant trois ou quatre milieu). 11 leur fallait un
chef; sans plus de façon, ils mettent à leur tête
M. Johannot, directeur de la fabrique d'indiejine à
Wesserling, qui se laissa faire, et devint ainsi chef de
brigands, mais évidemment chef plus nominal que
réel 3). Ils traversèrent Cernay sans faire le moindre
mal. Mais ils ne quittèrent pas Uffholtz, Wattwiller et
OUwiller sans de copieuses libations aux dépens des
i) Les geôliers furent condamnés deux fois de ce chef par l'Intendant^
en 1777 «t en 1782.
3) M. SORG (I^tvue cT Alsace^ 1862, p. 524), dit 6000 hommes;,
d^autret vont jusqu^à 8000 (Revue (f Alsace^ 1901, p. 391). Mais le
chiffre de 3 è 4000 est donné par le syndic de Souitz. M. de Roche-
lambert, aide de camp du général Vietinghoff, les chanoines de Berol*
diogen et de Rodmann, le subdélégué FronhofTer, ainsi que Madame de
Neuenstein'Beroldingen. Ces derniers indiquent également comme date
de l'invasion de Guebwiller le 28 juillet, tandis que M. de la Roche-
lambert parle du 26. (Cfr. D. Schmutz, p. 88).
'3) Lts véritables chefs, nous Tavons déjà remarqué, diaprés le
ftubdélégné FronhoflTer, étaient les syndics de la vallée. On connaissait
le sieur Johannot pour ses opinions avancées, et c'est là probablement
ce qui le désigna au choix des émeutiers. 11 ne parait pas s'être mal
trouvé de cette aventure, car il ne fut Tobjet d'aucune poursuite ; et,
an lieu de modérer son ardeur pour les idées nouvelles, son zèle ne
lit -que s'accroître, si bien qu'en 1791 il fut l'ami, le conseil et le guide
des trois commissaires du Roi, envoyés par l'Assemblée dans les deux
départements du Rhin, puis fut élu député à la Constituante, mai»
quitta le pajrs, ce semble, en 1795. Ajoutons que Johannot était Genevois.
dWigine et parent du m*nibtre Necker, alors l'idole de la France.
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LES TROUBLES DE 1 7 89 223
caves seigneuriales et sans avoir commis toute sorte
d'excès contre les Juifs qui habitaient ces localités. La
synagogue d'Uffholtz notamment fut tellement abîmée
qu'il n'en resta plus que les gros murs. A leur approche,
Soultz se mit en état de leur résister. Le syndic avait
organisé la milice bourgeoise et pris des mesures pour
repousser la force par la force. Mais les paysans n'en
voulaient pas à Soultz ; ils tournèrent la ville.
A Guebwiller la situation était à peu près la même
qu'à Thann. La bourgeoisie et la municipalité d'un
côté, le magistrat et le chapitre de l'autre se faisaient
une guerre acharnée depuis longtemps »). Dans ces
conditions, il ne pouvait y avoir guère de sûreté à
Guebwiller pour les chanoines. Aussi à la première
nouvelle de l'insurrection songèrent-ils à soustraire au
pillage dont ils étaient menacés ce qu'ils avaient de
plus précieux. Les archives de l'abbaye, soigneusement
emballées dans 22 caisses, furent chargés, avec le plus
grand secret dans la nuit du 26 au 27 juillet, conduites
hors ville entre 11 heures et minuit, et dirigées sur
Brisach avec l'intention de les mettre en sûreté sur
la rive droite du Rhin 2). Les chanoines eux-mêmes
paraissent avoir pris la fuite et s'être réfugiés à Colmar;
du moins à la date du 30 juillet. MM. de Beroldingen
doyen et de Bodmann chanoine, se trouvaient dans
cette ville 3).
1) Les doléances de la bourgeoisie contre le seigneur ont été publiées
par M. Mosmann, parmi les pièces justificatives de la Chronique des
Dominùains de Guebwiller, Diaprés uue lettre du bailli d'OlIwiller, Bach,
en date du 20 avril 1 790, c'est le bailliage de Guebwiller c qui a donné
le branle aux troubles de la Haute-Alsace, ainsi qu'il sVn est vanté et
a* en vante entière ».
2) M. Véron-Réville (Révolution dans le Haut-Rhin)^ prétend que
les archives furent sauvées, grâce à la présence d^sprit des chanoines
de Reutner et de Gohr. C'est un mérite que ces Messieurs semblent
avoir partagé avec tout le Chapitre.
3) Sauf M. de Reichenstein, malade qui dut rester à Guebwiller.
TGatrio, Die Abtei Murback^ H, p. 698). 11 courut les plus grands
dangers (Sorg, 1. c). Le prince-abbé était à TAssemblée nationale. Le
chanoine de Beroldingen se réfugia plus tard chez sa nièce M"** de
NeueDstein.
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2 24 REVUE D ALSACE
Le 27 juillet, à leur arrivée, les insurgés allèrent
droit à la demeure de MM. Reichstetter, chancelier et
bailli, et Meister, receveur du Chapitre, et les forcèrent,
sous la menace des dernières violences, à signer au
nom du Chapitre, puis à faire signer ensuite par les
chanoines, un cahier contenant leurs doléances et l'en-
gagement de leur donner pleine et entière satisfaction
dans le plus bref délai. C'était en réalité une renonciation
à tous les droits quelconques du Chapitre dans la vallée »).
Le chancelier et le receveur cédèrent à la force et
dépêchèrent à Colmar un exprès, porteur de ce docu-
ment. Le doyen de Beroldingen et le chanoine de
Bodmann, au nom du Chapitre et du prince-abbé, don-
nèrent leur signature le 30, < afin de garantir ces deux
officiers contre des éventualités malheureuses », que la
fermentation générale faisait redouter; mais ils eurent
soin de protester contre la violence qui leur était faite,
déclarant réserver tous leurs droits et considérer comme
de nulle valeur une signature extorquée les armes à
la main. Les autres chanoines, cosignataires, s'associèrent
certainement à cette protestation 2).
Les insurgés avaient réclamé, outre la signature de
leurs cahiers, livraison immédiate de tous les titres
relatifs aux droits auxquels ils avaient exigé renoncia-
tion. Mais, comme on ne put les satisfaire, on en sait
la raison, ils crurent qu'on ne voulait pas les satisfaire,
et de colère d'éprouver un refus, ils saccagèrent le
château du prince-abbé et les maisons canoniales. Voici
ce que raconte M. Mieg : < Ils (les paysans) demandèrent
livraison des archives; et, comme on ne put les satis-
faire, ils forcèrent le château seigneurial, saccagèrent
toutes les chambres, jetèrent les meubles dans la cour.
I ) Le document, qui regarde plus particulièrement la vallée inférieure
(paroisse de Willer), est imprimé en entier dans Cuiiurhisioriscki Skiue
tiâer das obère Sankl-Amaritethal, de A, Ehrbt, page 93; il comprend
ai articles et porte la date du 28 juillet 1789; nous nous atistenont
de le reproduire.
2) C'étaient les chanoines de Weyl, de SchÔnau et de Gohr.
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LES TROUBLES DE I 789 225
-ouvrirent par eflractîon la grande cave, burent jusqu'à
ne plus pouvoir se tenir debout et laissèrent couler le
reste du vin, pillèrent la maison du doyen, et ainsi se
conduisirent si mal toute la journée du mardi jusqu'au
mercredi après-midi, que les peuplades les plus sauvages
n'auraient pas pu faire pis. Aussi bien il sembla que
4es habitants du lieu ne virent pas précisément la chose
d'un mauvais œil»»). Dom. Schmutz dit également:
< Les paysans de la vallée de Saint-Amarin . . . arrivèrent
le matin de bonne heure à Guebwiller et saccagèrent
-complètement le château seigneurial. Toutes les fenêtres
avec leurs châssis furent brisés; les commodes, buffets
et armoires, comme les tuiles du toit, furent jetés sur
le sol; dans les chambres, sur le beau parquet, on
alluma des feux et on y brûla toute la bibliothèque et
Jes titres ... ; les tapisseries, les glaces, les beaux bois
-de lit furent mis en morceaux et brûlés; dans les caves
le vin fut gâté; on laissa couler à moitié un tonneau
-de 1600 mesures; les têtes de bouteilles de vin étranger,
dont les bouchons ne cédaient pas, étaient cassées; les
fruits furent jetés hors des armoires; la belle voiture
de gala du prince, comme les autres voitures, fut brisée
en petits morceaux : il n'y eut pas même une roue
qui demeura entière. Ce n'est pas seulement le château
•du Prince qu'ils maltraitèrent ainsi; ils firent subir le
même sort aux maisons des chanoines : l'argenterie et
le linge blanc qu'on n'avait pu mettre en sûreté, fut
volé; ils brisèrent les appuis de fer qui se trouvaient
-aux fenêtres, même les pierres dans lesquelles ils étaient
fixés; tout a été détruit; plusieurs . bourgeois de Gueb-
willer ont aussi enlevé dans leurs cuveaux de vendange
Je vin qui se trouvait dans les caves». Madame de
Neuenstein, nièce du chanoine de Beroldingen, écrivait
le 8 août : < 3000 paysans de Saint-Amarin, des sujets
<ie ces Messieurs les chanoines de Guebwiller, sont
1) Hisioirt de Mulhouse^ p. 84.
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226 REVUE D'ALSACE
venus le 27 juillet les assiéger à Guebwiller, et ont
pillé toutes les maisons des chanoines. Il ne leur reste
plus que les murs, plus une tuile sur le toit, ni porte
ni fenêtre, tous les meubles cassés, brisés et jetés par
les fenêtres, tous les vins bus et coulés dans la cave» «)•
€ Je n'ai pas le temps de vous dire le désordre affreux
qui se commet à Guebwiller, écrivait-on le 27 juillet
au greffier de la maîtrise d'Ensisheim; il n'y a plus rien
absolument dans aucun des maisons des chanoines:
tout est brûlé et haché ».
Parmi les titres dont les insurgés réclamaient la
livraison, se trouvaient les pièces relatives aux deux
cantonnements faits dant les forêts seigneuriales de la.
haute et basse vallées de Saint-Amarin, en 17702), par
les officiers de la maîtrise des eaux et forêts d'Ensis-
heim. Comme ils ne les avaient pas obtenues, ils réso-
lurent de se rendre en masse le 29 au matin à Ensis-
heim, de s'emparer des originaux conservés au greffe
de la maîtrise, et de faire subir à la maison du greffier
le même sort qu'aux maisons canoniales de Guebwiller.
Le greffier, averti aussitôt, en fut effrayé; mais il se
tranquillisa lorsqu'il eut reçu de l'assemblée des bour-
geois l'assurance que l'on ferait bonne garde et que
l'on empêcherait, au besoin par la force, les insurgés
d'approcher. On lui conseilla cependant, pour enlever
à ces derniers tout prétexte d'attaquer la ville, de leur
envoyer sans délai à Guebwiller toutes les pièces récla-
mées. Dans des circonstances aussi critiques, le greffier
considéra ce conseil comme un ordre ; il livra sur-le-
champ les titres, papiers, registres et plans de ces-
i) D*après les renseignements recueillia par la Chambre de Ribeau-
villé, on aurait fait couler ainsi plus de 12.000 mesures de vin ! (Lettre
au duc de Deux-Ponts du 2 août 1789).
2) C'est à cette date que commencèrent les opérations préliminaires.
Le cantonnement lui-même ne fut définitivement achevé et arrêté qu'en
vertu de deux arrêts du Conseil du Roi, l'un du 26 mai 1772, l'autre
du 20 avril 1779, spécial au val de Saint-Amarin et interprétatif du.
premier.
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LES TROUBLES DE I789 227
cantonnements, que trois bourgeois de la communauté
d'Ensisheim furent chargés de remettre le soir même
entre les mains des syndics et députés de la vallée de
Saint-Amarin à Guebwiller. C'est ainsi qu'Ensisheim
échappa au pillage i).
i) Voici le procès-verbal, dressé à cette occasion par le greffier de
la maîtrise FronhofTer, auquel on donnait le titre de subdélégué de
rintendant :
€ L*an 1789, le 28 juillet, à 4 heures de relevé, étant en mon greffe
de la maîtrise particulière des eaux et forêts de la Haute-Alsace séante
en cette ville d'Ensisheim, il m'a été rapporté par différents particuliers
de cette ville venant aujourd'hui de Guebwiller, qu'il se trouvait audit
Guebwiller une bande de 3 à 4000 habitants de la vallée de Saint-
Amarin, qui avec fureur dévastaient, dégradaient et anéantissaient, non
seulement les meubles et effets qui se trouvent dans les maisons du
prince et des chanoines de l'illustre chapitre éqnestral, seigneurs de
ladite vallée de Saint-Amarin, mais aussi leurs maisons et jardins, et ce
pour n'avoir pas trouvé aux archives dudit illustre chapitre les titres
et papiers qu'ils s'étaient proposés d'en retirer avee force et violence,
notamment ceux concernant les cantonnements des bourgeois et habitant»
des vallées haute et basse dudit Saint-Amarin, faits dans les forêts seigneu-
riales dans les années 1770, par les officiers de la maîtrise d^Ensisheim ;,.
que ces gens furieux auraient ouvertement dit que demain, tous rassem-
blés, ils viendraient en cette ville d'Ensishcim, avec toute violence,
retirer de mon greffe de la maîtrise tous les titres et papiers concernant
lesdits cantonnements et m'anéantir, ainsi que ma maison et tout ce qui
s'y trouvera. — Vu aussi une lettre à moi adressée le jour d'hier par
un ami demeurant à Soultz, qui est à proximité dudit Guebwiller, qui-
restera jointe au présent procès-verbal, je me suis transporté près les
chefs de la bourgeoisie de cette ville quasi toute assemblée pour aviser
au parti à prendre pour la tranquillité de cette ville. Iceux ayant aussi
été instruits du téméraire projet des gens de Saint-Amarin, ils m'ont
assuré qu'ils ne laisseraient entrer en cette ville aucune personne attroupée,
que la bourgeoisie sera jour et nuit sous les armes pour, au prix de
son sang, si nécessaire il était, empêcher tous troubles et vexations que
l'on pouvait vouloir tenter; que cependant» connaissant la fureur avec
laquelle les turbulents de Saint-Amarin prétendent se procurer les titre»-
et papiers concernant leurs cantonnements, l'on pensait que, pour éviter
tout trouble et carnage, que la fureur de l'arrivée de ceux de Saint-
Amarin aux portes de cette ville pourrait occasionner, il serait de la
prudence que moi, greffier, j'envoyasse demain de grand matin toutes
les pièces concernantes ces deux cantonnements à Guebwiller aux chefs
de la troupe de Saint-Amarin, ce qui garantirait cette ville, ainsi que
moi et les miens de toute vexation; que cet envoi serait escorté par
une députation de bourgeois de cette ville qui en feraient la remise
aux chefs de ceux de Saint-Amarin et en retireraient récipissé. — En
conséquence de cet arrêté, je, greffier, ai de suite mis en malle tous les
titres, papiers, registres et plans des cantonnements dont est question,
sans avoir eu le temps d'en dresser procès-verbal et ai fait mettre la
malle sur une charette en présence des sieurs Ig. Schmidlin, Louis
Sauthier et J.-B. Brosé, députés de la communauté de cette ville, qui
de suite se sont, avec ces pièces, transportés à Guebwiller, où, à ce
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.'2 28 REVUE D'aLSACE
Pendant que les paysans de Saint-Amarin saccageaient
le château du prince-abbé et les maisons canoniales,
ceux de la vallée de Lautenbach revendiquèrent à leur
exemple, et à peu près de la même façon, leurs pré-
tendus droits que leur avait ravis le chapitre de Lauten-
bach leur seigneur. Ce même 27 juillet, vers 2 heures
de l'après-midi, le chanoine de Bergeret sortait à cheval,
accompagné de son domestique, lorsqu'il rencontra,
entre Schweighausen et Buhl, environ 200 hommes de
ce dernier village, armés de fusils, de haches et de
bâtons. On l'arrêta, l'accusant d'enlever les titres des
archives. Comme il protestait et voulait passer outre,
on lui appuya sur la poitrine un fusil chargé avec
-«lenace de le tuer, s'il refusait de rentrer à Lautenbach
avec les émeutiers. A l'approche de cette petite troupe
-qu^ils ont rapporté, ils en ont fait la remise aux syndics et dépotés de
4a vallée de Saint-Amarin, qui ont refusé d^en donner récépissé, de tout
quoi j'ai dressé le présent procès-verbal, que les chefs des bouigeois,
•ainsi que les députés susdits de la communauté, ont signé avec moi.
.i^'ait à Ensisheim le 29 juillet 17S9 >. S gné : Fronhoffer, plus vingt-
trois signatures environ.
Voici quel fut le sort des archives de Tabbaye. Les voitures qui les
transportaient arrivèrent le 27 juillet, sans encombre, jusqu'à Dessenheim.
Là une troupe de paysans ameutée, soupçonnant que ces caisses renfer-
maient des armes à destination de Neuf-Brisach, les arrêta et se disposait
à les piller, lorsque survint à propos une patrouille de la garnison de
cette ville qui n'eut pas de peine à disperser les émeutiers ; elle fit main
basse sur les voitures, les conduisit à Brisach et mit en dépôt chez le
"Commandant de Rocques les 22 caisses qu^elles contenaient. Lorsque
le calme fut un peu rétabli, le Chapitre réclama ses archives et donna
•-commission aux chanoines de Reutner et de Gohr de les retirer ou de
prendre des arrangements pour leur conservation. Le 12 août 1790, le
f Département, après avis du District, ordonna qu'un commissaire nommé
par le District (ce (ut M. Metzger), se rendra à Brisach, apposera sur
les 32 caisses le grand sceau du District, en présence des délégués du
Chapitre, des notaliles et des officiers municipaux de la ville, et les
déposera à Thôtel de ville sous la garde de la Municipalité. Le 1 5 avril
1791 enfin, sur les réquisitions du Procureur général syndic, pour satis-
faire à la loi du 5 novembre, tit. 9 et 10, ainsi qu'aux nombreuses
réclamations des communautés du val de Saint-Amarin, le Département
ordonna que les archives de Murbach seraient réunies à celles du District,
«près que le même commissaire aurait reconnu les scellés, en présence
•des notables et des officiers municipaux qui avaient assisté à leur appo-
sition, et aurait fait dresser un inventaire préalable. Aujourd'hui ces
archives se trouvent au dépôt de la Haute-Alsace. {Dép, 205, 2523.
.F. de Murbach).
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LES TROUBLES DE 1789 229
on sonna le tocsin au village. Après avoir placé des
sentinelles autour de l'église et devant chaque maison
de chanoine, le prévôt, le syndic et les préposés de
Biihl firent signer, d'abord par le chanoine-curé Meistrez-
heim, puis par le doyen Gœtzmann, chez lequel s'étaient
réunis tous les capitulaires, un écrit renfermant cession
à la communauté d'un canton considérable de forêt
qu'ils accusaient le Chapitre d'avoir usurpé au mépris
de leurs droits. Ils ne s'étaient pas plutôt retirés que
les gens de la vallée même de Lautenbach se présen-
tèrent et menacèrent l'église et les maisons du prévôt
et du doyen. On ne put les calmer qu'en invitant leurs
préposés à rédiger un cahier de doléances qu'ils devaient
fournir le lendemain. Le lendemain 28 les préposés de
Lautenbach et de Linthal exigèrent avec fureur qu'on
leur rendît les droits sur les forêts dont leur commu-
nauté jouissait depuis plus de 400 ans et dont un arrêt
de 1748 l'avait injustement dépouillé. Le Chapitre dut
leur promettre entière satisfaction et s'engager par écrit
à leur extrader l'après-midi même les titres qu'ils récla-
maient. Par surcroît de précaution, on fut obligé de
remettre immédiatement à leur syndic une clé des
archives. Néanmoins ils ne furent pas encore satisfaits,
car, à l'issue des vêpres, la salle du Chapitre fut envahie
tout à coup par une foule en désordre, armée de haches, .
de sabres, de bâtons ferrés, insultant les chanoines et
leur faisant les menaces les plus atroces. Sous le coup
de la violence, les chanoines furent contraints de faire,
encore d'autres concessions fort importantes et ne purent
se retirer qu'après un véritable supplice qui avait duré
trois heures. Mais alors ils trouvèrent installés dans
leurs maisons ces mêmes paysans, qui les forcèrent à
leur servir à boire et à manger jusque bien avant dans
la nuit. Le lendemain, 29, dès 8 heures du matin, les
gens de Linthal revinrent plus nombreux que la veille.
Le 28 au soir, ils avaient envoyé au prévôt du Chapitre,,
alors à BoUwiller, trois délégués, afin de faire ratifier
par lui les concessions qu'ils avaient arrachées au Cha-
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230 REVUE D'aLSACE
pitre, sous la menace, en cas de refus, de saccager et
de démolir la prévôté et les maisons canoniales de
Lautenbach. Bien que le prévôt eut signé sans difficulté,
les émeutiers exigeaient maintenant qu'il vînt à Lauten-
bach en personne ratifier publiquement la signature
qu'il avait donnée, et se firent servir du vin à discrétion
en attendant le retour des nouveaux députés qu'ils
avaient envoyé à Bollwiller. Ceux-ci revinrent vers les
1 1 heures annonçant l'arrivée immédiate du prévôt.
Alors les insurgés, au lieu de se calmer, firent sonner
4e tocsin et excitèrent la foule au pillage et à la dévas-
tation. Le chanoine Gabert, qui voulut essayer d'apaiser
le tumulte, fut saisi par les plus mutins, emprisonné
dans la prévôté, et, pendant trois quarts d'heure, demeura
exposé à la fureur de cette populace à moitié ivre,
sous le coup de menaces de mort continuelles. Il ne
put obtenir quelque trêve qu'en écrivant de sa main
au prévôt une invitation très pressante de ne pas retarder
son arrivée s'il voulait éviter les plus grands malheurs.
Cinquante hommes furent chargés de porter ce billet
à son adresse, et ils promirent de ramener le prévôt
mort ou vif. Cette petite troupe n'eut pas cependant
à aller fort loin, car elle rencontra le prévôt accom-
pagné du chanoine Bouat, non capitulaire, au milieu
de Guebwiller. Arrivé à Lautenbach, le prévôt assembla
le Chapitre, et, sous la pression de la violence, on
souscrivit à toutes les prétentions des gens de Linthal
et de Lautenbach qui exigeaient avec opiniâtreté l'aban-
don de vastes forêts, la renonciation à des rentes fon-
cières, droits ou revenus considérables : c'était, en un
mot, consentir à la ruine complète du Chapitre i). Ils
venaient d'être satisfaits, lorsqu'une députation armée
de Lautenbach-Zell se présenta, tambours en tête, à la
porte de la salle capitulaire, réclamant impérieusement
-la cession d'un terrain en nature de jardin. Le prévôt
1) F. de Lautenbach. — Cfr. Revue cTAhace^ 1863, p. 183. —
Journal de jurisprudente.
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LES TROUBLES DE I789 23I
veut les renvoyer aux tribunaux; mais un nommé
Rieser lui répond qu'ils ne connaissaient d'autres juges
que le Roi et eux-mêmes. Devant leurs menaces, on
consent à l'abandon du jardin, si dans huit jours le
Chapitre ne peut représenter le titre d'acquisition. Enfin,
le 31, les gens de Buhl revinrent en masse. Craignant
qu'on arguât de nullité la cession d'un canton de forêt,
qui leur avait été faite le 27, à cause des violences
dont le Chapitre avait été l'objet, ils exigèrent un nouvel
acte, muni de nouvelles signatures, déclarant expressé-
ment que cette cession leur avait été faite de bon gré
et à Tamiable. Le même jour, une députation de Soultz-
matt vint réclamer l'abandon d'une portion de dîme
appartenant au Chapitre : on l'accorda sans difficulté,
parce que la communauté tout entière se disposait à
venir appuyer les réclamations de ses députés.
Au même moment les deux vallées de Munster,
-celle de Sainte-Marie-aux-Mines et le comté de Ribeau-
pierre s'étaient également soulevés : nous ferons plus
loin le récit de ces scènes tumultueuses. Le reste de
la Haute-Alsace, et particulièrement la plaine, ne fut
pas exempt de troubles. Partout on s'en prenait aux
gens de justice et de finance des seigneurs »). Dans les
environs d'Ensisheim, leurs bureaux ou leurs greffes
furent envahis et les papiers qu'on y trouva brûlés ou
lacérés. A Bollwiller, le 29 juillet, la maison du bailli
Jacquot fut pillée et dévastée, et le bailli lui-même dut
se cacher. Le sieur Thiébaud, avocat au Conseil, pro-
cureur fiscal du comté de Horbourg, fut obligé de
suspendre trois procédures criminelles à l'extraordinaire,
à cause des dangers qui couraient les officiers de jus-
tice; mais il se déclarait prêt à les reprendre dès que
l'ordre serait rétabli. A Reguisheim, le 30 juillet, on
i) € Dieser Auszug bewegte aber auch andere Gemeinden, dass aie
aufrlihrich wurden, und von ihren Herrschaften die Titres herausbegerten,
80 dass fast keine Herrschaft mehr sicher war . . . ». (M. MiEG, Histoire
-de Mulhouse)»
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232 REVUE D'ALSACE
maltraita le receveur du prince de Broglie et sa femme^
auxquels on réclamait en vain quelques titres qui
n'étaient pas en leur possession 1). La ferme du Roi n'était
pas ménagée; on refusait de payer les droits sous
prétexte que l'Assemblée allait les abolir; on enlevait
les poteaux et les placards, et même on mit à contri-
bution quelques bureaux, etc.
Comme à toutes les époques de désordres, il y eut
des bandes de pillards et de gens sans aveu, qui sillon-
naient le pays en tout sens, et pillaient les endroits
ou les habitations isolées et sans défense. Billing les
appelle streifende Gesiitdel^ et l'on pouvait en toute^
vérité leur donner le nom de bandits ou brigands. C'est
pour se garantir de leurs surprises que les religieux de
Marbach résolurent, le 30 juillet, de mettre leurs biens
les plus précieux en sûreté dans leur hôtel de Colmar»),
C'est pour la même raison que le couvent de Schônen-
steinbach fut gardé pendant plus d'un mois par des
hommes de bonne volonté, qui faisaient le guet nuit
et jour 3). La ville de Mulhouse elle-même, bien que
ne faisant pas partie de la province, eut aussi sa panique-
Le 31 juillet on répandit le bruit que les brigands
voulaient s'emparer de la ville et la piller. Le Magistrat
arma en toute hâte 120 hommes, se mit sur la défen-
sive et fit faire des patrouilles; mais les insurgés ne^
parurent point 4).
i) Quelque temps après la communauté prit une délibération qui
réclamait ni plus ni moins que la propriété de toutes les forêts de son*
ban. Pour la faire signer, on envoyait chercher les gens de force, oii>
en fit même jeter plusieurs qui s*y refusaient en prison. Le baillr
Jacques, en transmettant cette délibération à PAdministration, priait
celle - ci de c ramener à la raison les gens qui l'avaient perdue »..
« On peut mieux sentir, disait-il, qu'exprimer jusqu'où peuvent aller les-
excès, avec des voies et des dispositions pareilles ! » (20 septembre 1 789).
2) BiLLiNO, p» 7. — Cfr. V Abbaye de Marbach^
3) L'arsenal de Sélestat leur avait délivré quatre mousquetons, sur
récépissé du père confesseur. Plus tard, et pour la même raison, oiy
réclama un détachement de l'autorité militaire.
4) M. MiBG, 1. c, p. 350.
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LES TROUBLES DE 1789 233
Les Juifs, cet autre objet de la haine populaire,
furent beaucoup moins nnaltraités dans le district de
Colmar que dans le Sundgau. Nous n'avons trouvé la
mention de voies de fait sérieuses contre eux qu'à
Bergheim et surtout à Wintzenheim. Peut-être cepen-
dant y eut-il quelques mouvements dans le comté de
Horbourg, où déjà on se plaignait amèrement de leur
excessive multiplication en 1756 et en 1786. Sans doute,
à Bollwiller les Juifs ne durent pas être ménagés, pen-
dant que les insurgés de Saint-Amarin étaient maîtres
du pays. Toutefois nous n'avons aucuns renseignements
à ce sujet •),
A Bergheim, écrivait de Ribeauvillé M. de Berck-
heim au Bureau de Colmar, < on est après les Juifs
pour les chasser, piller et tuer. Comme les préposés
de Bergheim sont aujourd'hui à Colmar, je vous prie
de leur représenter et de faire que tout se remette;
car, si on chasse les Juifs, on ne fait qu'augmenter les
bandits et les vagabonds ». Il semble que l'intervention
de M. de Salomon, second président du Conseil souve-
rain et colonel de la milice bourgeoise de Colmar, suffit
pour arrêter les violences et empêcher tout excès 2).
A Wintzenheim, on ne paraît pas avoir été d'aussi
bonne composition. Les Juifs habitaient alors déjà ce
village en grand nombre, et l'on peut se figurer les
excès dont ils furent victimes par le sort de deux des
principaux d'entre eux.
Le 26 juillet, à 9 heures du soir, trois bourgeois,
armés de tricots, pénétrèrent dans la demeure de Judel
Bloch et se firent servir à boire et à manger en pro-
férant des menaces ; ils ne se retirèrent qu'à 1 1 heures
et demie, non sans avoir brisé avec leurs tricots les
1) Diaprés une motion faite en faveur des Juifi aux Amis de la
C^nsiiiuiion à Strasbourg (2 mars 1790) sur 1S2 communautés habi-
tées par des Juifs en Alsace, il n^y en a eu que 20 dans lesquelles ils
furent maltraités, et principalement dans le Sundgau.
2) Le Bureau le prie le f août de faire venir chez lui trois ou
quatre des délégués de Bergheim et de leur faire ses représentations.
Remit d*Alêace, 1907 16
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234 REVUE d'ALSACE
objets à leur portée. Ce n'était qu'an prélude, car vers
I heure et demie du matin, cinquante à soixante habi-
tants de Wintzenheim se présentèrent tout à coup et,
sans plus de façon, enfoncèrent avec fracas les portes
de la maison. Réveillés par le tapage, environ onze
voisins, qui n'étaient pas du complot, accoururent au
secours de Bloch; de là une véritable bagarre, au milieu
de laquelle Pun de ceux qui soutenaient le juif fut
blessé et tomba évanoui. Pendant qu'on était occupé
à le soigner, les émeutiers allumèrent quinze livres de
chandelles qu'ils avaient trouvées, six par six, afin de
bien éclairer tous les recoins de la maison au risque
d'y mettre le feu. Puis le pillage commença avec menace
de mort. Tout fut enlevé ou détruit. Des bijoux de la
valeur de 6 ducats, mis en gage chez le juif, furent
volés ; 30 livres d'étain, la batterie de cuisine, trois ou
quatre mesures de vin disparurent, etc.
Le même 26 juillet, vers 3 heures de l'après-midi,
le bourgmestre fit réclamer à un nommé Hirtz Moïse i)
1 80 liv. montant des frais que la communauté avait dû
payer au sieur Gérard, procureur au Conseil pour avoir
occupé pour elle dans un procès qu'elle perdit contre
le juif, il y avait 25 ans. En cas de refus, Hirtz était
prévenu que les bourgeois avaient résolu de s'emparer
des échelles à incendie, d'attaquer et de détruire sa
maison. Comme on exigeait le paiement immédiat, il
remit 192 liv. au messager, pensant qu'on lui rendrait
le surplus. Il se trompait. Pour toute réponse, une
demi-heure plus tard, cinquante à soixante personnes
enfoncent les portes de sa maison, saisissent tout ce qui
leur tombe sous la main, volent et vendent son vin,
s'emparent de ses meubles, de son linge, de son argen-
terie, de ses bijoux : le pillage dura jusqu'au 27 à
7 heures du matin, heure à laquelle le tocsin sonna
1) Cette famille paraît avoir été très riche, car elle avait pour set
enfants un précepteur, nommé Hirsch, natif de Prague.
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LES TROUBLES DE 1789 235
< pour annoncer une révolte parfaite »♦ A 9 heures on
mande Hirtz à Thôtel de ville; mais, comme il avait
disparu dès 5 heures du matin, de crainte qu'on attentat
à sa vie, son fils qui portait le même prénom que lui
se rendit à la commune à la place de son père. Il reçoit
l'ordre de déménager et de vider sa propre maison,
épargnée jusque-là, dans le délai de trois heures. Il se
hâte d'obéir, mais il était à peine occupé à ce travail
pénible depuis une demi-heure, que la foule devint si
nombreuse et grossit au point de ne plus permettre
de se remuer. De plus l'horloge du village fut avancée
d'une heure, de sorte qu'il sonna midi à onze heures;
et au coup de midi le pillage commença, après qu'on
eut chassé du village Hirtz fils, sa femme, ses enfants
et ses domestiques. Sa maison, et celle de son père,
furent à peu près détruites ; et, d'après son estimation,
les meubles qui furent volés, avaient seuls une valeur
de 22.740 liv., dont 17.100 pour son pèrei).
Il est très probable que d'autres Juifs subirent le
même sort, ou un sort analogue. Ainsi nous savons,
•cependant sans détaik, que Wormbser, aubergiste des
Deux Clefs pour sa nation à Wintzenheim, se réfugia
à Colmar et demanda la permission de rester hors ville
(l'entrée à Colmar était de tout temps interdit aux juifs)
jusqu'à la cessation des troubles. Moïse Heitzel, juif de
Wintzenheim, voulut de même chercher un asile à
Ribeauvillé, mais n'obtint pas la permission de s'établir
dans cette ville; nous en ignorons le motif, etc.
i) Hirtz Moïse revint à WintzeDheim après les troubles. Le directoire
du District mit sous la protection de la loi sa personne, sa famille ei
ses biens, quMl ordonna spécialement à la municipAlité et à la Garde
nationale de protéger (3 octobre 1 790). Hirtz se vit néanmoins dans la
nécessité de requérir la maréchaussée de Colmar et de Munster pour
se défendre; il appela même à son secours la Garde nationale de Col-
mar, laquelle obtint les éloges du District pour son zèle à rétablir
l'ordre. On fut encore obligé pour le protéger, de cantonner à Wintzen-
heim un détachement du régiment de la Fère (octobre 1790), tant la
disposition des esprits était peu rassurante! Ce détachement fut retiré
à la suite d'une bagarre où il y eut deux morts, etc . . .
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2^6 REVUE D^ALSACE
Sauf Wintzenheim, la plupart des environs de Colmar
jouirent d'une tranquillité relative, grâce à la milice bour-
geoise de cette ville. C'est ce que constatait le colonel,
M. de Salomon, dans une circulaire imprimée qu'il adressa, .
le 2g juillet, aux communautés d'alentour : € Tous les-
ordres de la ville, dit-il, sans exception, ni distinction^
se sont ensuite formés en milice bourgeoise, tant pour
contenir ceux qui pourraient jeter les semences de
desordre dans l'intérieur, que pour se tenir sans cesse
en état de repousser les brigands ... et pour porter
secours a leurs voisins^ ce qu'ils ont déjà eu le bonheur
de faire utilement > '). Puis il conviait les communautés-
voisines à s'armer, à s'organiser, tant pour contenir
les ennemis du dedans, que pour se garantir contre
ceux du dehors, « de concert avec vos voisins, par la
communication convenue d'un secours mutuel ». Cette
invitation du colonel fut certainement entendue, car la
municipalité de Colmar assure, à la date du ii juin
1790, que grâce aux «soins infatigables et la sage
modération » de M. de Salomon, « non seulement la
ville de Colmar jouissait alors du calme le plus parfait,
mais qu'elle était même parvenue à se rendre l'arbitre
de ses voisins, qui déféraient à ses conseils, parce qu'elle
les avait édifiés par son exemple. Voilà pourquoi les-
environs de Colmar furent beaucoup moins agités que
le reste de la province 2). Aussi lorsque le Conseil général
1) Ce fut une compagnie de la milice bourgeoise de Colmar, qui
contint les émeutiers aux environs de Marbach, et ramena quelque pei>
la sécurité dans cette abbaye. (Cfr. D Abbaye de Marbach^ et Le der-
nier abbé de Marbach^ p. 37). La milice bourgeoise, ou Garde nationale,.
ne rendit pas partout les mêmes services. A Sainte-Marie, par exemple,
elle arrêtait à tort et à travers des poudres, des grains, de Tamidon et
d'autres marchandises. Le Bureau de Colmar dut la blâmer le 28 septembre
et lui rappeler qu'elle était établie pour faire la chasse aux brigands,
prêter main forte à la justice et protéger les c.toyentt. Un de ceux dont
elle avait illégalement arrêté les marchandises, se pourvut en dommages-
intérêts contre elle, par devant Tlntendant.
2) Grâce également aux efforts du Bureau. Voici comment s^exprime
le baron de Schauenbourg dans la lettre par laquelle il le remercie
d'avoir contribué à la pacification de sa seigneurie et de celle de son
frère, c C'est à la confiance si justement méritée dont vous jouissez,
elles, que nous sommes redevables de la tranquillité qui règne dans
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LES TROUBLES DE I789 237
-de la commune de cette ville supplia l'Assemblée natio-
nale, le 24 février 1790, de maintenir les établissements
publics de Colmar, que les décrets supprimaient, voulut-il
*que ses deux députés fissent valoir les services rendus
-durant les troubles de 1789, € où Ton a conservé la paix
en ville et dans les environs •.
Les nombreuses victimes de cette insurrection trou-
vèrent la plupart un asile dans les communautés moins
^troublées <), et surtout dans les villes, ou du moins le
pillage du peu que Ton avait soustrait à la rapacité
des émeutiers n'était pas à redouter, bien qu'elles fussent
-à peu près toutes très agitées. Mulhouse, qui ne faisait
pas partie de la province, offrit à ces malheureux une
généreuse hospitalité. Beaucoup de nobles des environs
y trouvèrent un refuge assuré. Une quantité de Juifs
vinrent chercher un abri derrière ses murs, et les plus
«misérables d'entre eux, quarante à cinquante environ,
-se virent défrayés pendant quelques jours à l'hôpital
<le cette ville 2). La Suisse ne fut pas aussi hospitalière.
Au premier moment les nombreux fugitifs du Sundgau
j)urent s'y réfugier en toute liberté. Le subdélégué
votre district et dont lui seul peut se glorifier. Agréez me-* bien inncères
remerciements; les expressions manquent à ma bouche; mats le souvenir
de vos soins paterneU est aussi ineffaçable que celui des désastres dont
^Is nous sauvent. Daignez continuer votre vigilance salutaire et, pilotes
•infatifçables, n^abandonnez pas vos concitoyens dans la cruelle tempête
qui tourmente notre malheureuse patrie %.
I ) Quelquefois dans les forêts, comme nous l'avons vu précédemment.
2) Les Juifs compo«èrent plus tard la prière d*action de grâce
-suivante qu^ils envoyaient au Magistrat, avec une lettre de remerciement:
Geàett^
-welches wir an jeden Sabbat f{ir die WoKart der Stadt MltUbausen
absprechen, nach dem Gebett : Du Herr gibst Heil den Kônigen! and
'welches wir verrichten fUr unsern Herrn, den Ktfnig, dessen MajestXt
immer erhôhet werdel
Unser Gott, du Gott nnsrer VjCter Abrahams, Isakt und Jacobs! es
Qnommt vor dich das grosse Elend und die vielfache Angst, wetcbe
deinem Volke hrael wiederfahren ist; pldtzlicb und anversehent sind
RHalier Uber uns gekommen, und nichts ist uns ilbrig geblieben, als
• unsre ganz entbldszte und aller Nothwendigkeiten beraubte Leiber; wir
'Sind ihnen zur Beute geworden. O dass unser Haupt zu Wasser und
•onsre Augen zu einem Thranenbrnnnen wnrden, damit wir die Plage
diniers Volkes Tag und Nacht genug beweinen kSnnten. Dein heiliges
^Vort, das du uns dnrch deinen Knecht Mose auf dem Berge Sinaï
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238 REVUE d' ALSACE
Gérard se rendit à Soleure sans être inquiété; plusieurs
curés s'étaient soustraits sur le territoire de Porrentrujr
aux poursuites des émeutiers. Mais bientôt la frontière
fut fermée et sévèrement gardée, de sorte qu'il ne devint
plus possible de la franchir : le séjour dans les commu-
nautés voisines de l'Alsace était même absolument inter-
dit à tout étranger. L'Etat de Bâle cependant accueillit
beaucoup de Juifs, selon Dom. Schmutz, et permit à
plusieurs propriétaires d'Alsace de mettre en sûreté
c leur argent et leurs effets les plus précieux > dans
une ancienne commanderie de l'ordre de Malte. Aussi
l'on répandit le bruit que les brigands, attirés par l'es-
poir du butin, se répandaient autour de la ville et se
disposaient à profiter de l'occasion pour faire une riche
capture i). Mais ce ne fut qu'un vain bruit.
(A suivre). CH. HOFFMANN.
gegeben, haben unsre Feinde zerrissi^n und zu Boden getretten. Wer
hat je 80 etwas gehtfrt oder gesehen ? Wehe uns, denn unsre Woh-
nungen sind verwUstet I Du Herr bist gerecht in allem dem, was un»-
begegnet ist; du bast dich aber treu erzeiget, obschon wir getUndiget
haben; denn du hast uns nach deiner grossen Barmberzigkeit docb-
nicht gMnzlich vertilge^, nocb uns verlassen, sondern uns Gunst, Gnade
und Barmherzigkeit verscbaffet bey den Hifuptern, dem Rathe, den*
Weisen und Erlaucbten, den Lebrem und Predigern, den mitleidigen
Fraoen, JUnglingen und Jung frauen, der berUbmten Stadt • MUllbausen^
welcbe uns unter ihre FlUgel aufgenommen. Denn da sie unsre TrUb-
salen gesehen, gaben sie uns bey ihnen Zuflucht vor unsern Feinden,.
die uns bedrilngten; sie nahmen uns auf in ihre Httuser; den Hungrigei>
gaben sie von ihrem Brod ; sie bedeckten unsere Nackenden ; ihr Geld
liessen sie httufig den Armen unsers Voiks zufliessen. Acb, unser Gott,„
du Gott unserer Vâter Abrahams, Isaks und Jacobsl lass docb^ wir
hitten dich, ihr Allmusen und was sie den Kindern unsers Volks^ un>
sie bey Leben zu erhalten, gegeben haben, vor dich kommen! Siehe-
an ihre Recbtschaflenheit und die Treue ihres Herzens; denn weni»
dièse Stadt MUllhausen nicht unsre Zuflucht, dahin wir hiitten fliehen
kônnen,' gewesen wflre, so wûiren wir, unsre Weiber und Kinder im^
Etend vergangen. Derowegen, unser Vater, der du im Himmel wohnest,
seh von deiner heiiigen Wohnung, dem Himmel, herab und gib ihnen,
ihren Frauen und Kindern den Thau des Himmels und die Féttigkeit
der Erde; segne und bfgldcke ail ihr Thun; lass sie ihre Jahre lang
und vergniigt zubringen; sSttige sie mit vieler Freude und gib ihnen
den Reichthum des Guten, das du den Frommen aufbewahret hast r.
befreye sie von aller Angst, von aller Orangsal, voii aller Plage, und
Krankheit in Zeit und Ewigkeit, wïr sprechen Amen!
(Imprimé à BAle chez G. Haas, iseptembie 17S9 .
1) Voyage d'uni Française^ U c.
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CORRESPONDANCE
ENTRE
LE DUC D*AIGUILLON ET LE PRINCE-COADJUTEUR
LOUIS DE ROHAN
(Suite «)
Lettre tP XV du duc d'Aiguillon au prince de Rohan.
«Versailles, le ii septembre 1772. Nous apprenons,
Monsieur, de Pétersbourg et de Berlin que le concert
relatif au démembrement de la Pologne doit avoir été
arrêté définitivement dans la première de ces villes les
premiers jours du mois d'août >. Le roi est impatient
d'en connaître les détails.
Lettre »® §8 du prince de Rohan au duc d* Aiguillon.
De Bohême, le 13 septembre 1772. Il annonce la nou-
velle de la rupture du congrès de Fokschani»). Il la
tient du prince de Kaunitz qui est aussi sur les terres
du prince de Paar près d'Austerlitz.
Lettre »® LVII du duc d'Aiguillon au Prince de
Rohan. Versailles, le 16 septembre 1772. Le ministre
annonce qu'il a reçu la lettre n** 56 du 3 et du 4 septembre
1) Voir la livraison dr mars-avril 1907.
2) Cfr. De SiiiTT, Frédéric II, . . Collection de documents, p. 175 ;
Abnbth, Geschichte Maria Theresias^ VIII, p. 453; Ad. BxBB, Dit trsU
Theilung PoUns^ II, p. 254.
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240 REVUE D'ALSACE
et qu'il Ta lue au Roi. € Sa Majesté, continue-t-il, ne
peut qu'attendre que le comte de Mercy exécute les
ordres dont il doit être chargé selon ce que M. le prince
de Kaunitz vous a annoncé, et il serait superflu de
prévenir par des conjectures les faits dont cet ambassa-
deur doit nous donner communication >.
Lettre n^ sç écrite de Bohème par le prince de Rohan
au duc d'Aiguillon le 17 septembre 1772. Il annonce
que le prince de Kaunitz lui a montré sur la carte de
Pologne les lots échus à l'Autriche, à la Russie et à
la Prusse. < On convient, ajoute l'ambassadeur, que le
meilleur lot est au roi de Prusse». 11 fait ensuite la
remarque que c'est ce dernier qui < donnait la loi et
il n'est pas oublié ». Les trois puissances doivent pré-
senter au roi de Pologne le plan de partage, et leurs
manifestes seront ensuite publiés.
Lettre n^ 60 au duc d'Aiguillon écrite de Vienne par
Fabbé Georgel le 21 septembre 1772. Il envoie le mani-
feste que les trois cours de Vienne, de Pétersbourg et
de Berlin vont publier en Pologne ») et le mandement
de l'Impératrice-Reine pour la prise de possession des
provinces qui forment son lot. L'Empereur doit avoir
une entrevue avec le roi de Prusse à Troppau. Le
comte de Clary, qui arrive du Banat de Ternes var,
rapporte qu'on fait passer de l'artillerie et des munitions
de guerre vers Belgrade et qu'il y a un mouvement
de troupes en Hongrie.
Lettre «• 61 au duc d'Aiguillon écrite de Vienne
Jfar l'abbé Georgel le 26 septembre 17722). Le prince
de Kaunitz a dit à l'ambassadeur que la révolution de
Suède peut entraîner une guerre générale, que la
1) Cfr, . Flassan, Histoire générale et raisonnéè de la diplomatie
Jrançaise^ VII, p. 88; Angibbeg, Recueil des traités et conventions
concernant la Pologne ^ p. 106.
2) Noos Pavons publiée en entier dans notre travail : La question
4^ Alsace' Lorraine et Frédéric le Grande p. il. Un extrait de cette lettre
se trouve aussi dans Louis Bobt^bvillr dk Marsangv, Le comte de
Vergenna^ son ambassade en Suède^ p. 314.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 24 1
France devrait Tempécher en engageant le roi Gustave
à céder aux exigences de la Russie. Réflexions de
4*ambassadeur.
Lettre n? LIX du duc d' Aiguillon en réponse a la
.lettre «" jp du prince de Rohan. — < Versailles, le
V^ octobre 1772. Les détails que vous nous donnez
sur les lots que les trois puissances copartageantes se
sont adjugées en Pologne nous ont été confirmées par
M. de Mercy. Cet ambassadeur avait assuré précédem-
ment sur la foi de la convention signée à Pétersbourg
que cette cour ne prenait rien dans les dépouilles de
4a Pologne. Mais il paraît que le cabinet russe s'est
ravisé et que la facilité d'une acquisition certaine,
-quoiqu'assurément modique, l'a emporté sur les vues
de gloire et sur la fidélité à ses promesses solennelles
qui l'avaient d'abord engagé à ne pas toucher au terri-
toire de Pologne. Elle espérait probablement alors de
se dédommager aux dépens des Turcs, espoir que la
rupture du congrès rend désormais moins certain. M. de
Mercy, le ministre de Prusse et le chargé d'affaires de
Russie m'ont remis bien séparément la copie de la
déclaration uniforme de leurs cours. Cette pièce est
-également remarquable par cette circonstance et par la
forme et par le fonds de son contenu. Nous avons
d'ailleurs reçu un exemplaire de la proclamation du roi
-de Prusse pour annoncer sa prise de possession à ses
nouveaux sujets et le mémoire expositif de ses droits
-doit nous parvenir incessamment. Comme la cour de
Vienne doit de son côté publier des pièces semblables,
nous vous prions, Monsieur, de vouloir bien nous les
envoyer dans leur langue originale et même dY ajouter
Jes écrits de la Russie sur le même objet qui se répan-
dront sans doute à Vienne ». Le ministre ajoute qu'il
désire être renseigné sur les mouvements de troupes
•en Hongrie et sur l'entrevue de l'Empereur avec le roi
Kie Prusse.
Lettre «" LX du duc d* Aiguillon en réponse à la
Jeitre «® 60 écrite par l'abbé GeorgeL Versailles, le
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242 REVUE D'aLSACE
4 octobre 1772. 11 annonce que le comte de Mercjr
lui avait déjà remis la déclaration commune^des trois-
cours, et il continue : « Les trois cours annoncent des^
déductions raisonnées sur les droits et les prétentions
dont elles ont envahi, disent-elles, l'équivalent. On ne
peut être que très curieux de les voir paraître. Si le
système de ces déductions ressemble à celui que le
manifeste du roi de Prusse annonce, on ne fera illusioa
ni aux jurisconsultes, ni au public éclairé >.
Lettre «° 6^ du prince de Rohari au duc d^ Aiguillon.
Vienne, le 7 octobre 1772. Il envoie le mémoire du
comte Oginski, envoyé extraordinaire de Pologne, par
lequel le roi Stanislas- Auguste demande les bons offices
du Roi de France pour empêcher le démembrement
de la Pologne»). Les résidents d'Angleterre 2), de Dane-
mark et de Hollande ont dressé procès-verbal contre
les droits de douane que le roi de Prusse exige des
bâtiments étrangers venant à Danzig. Au sujet du
mouvement des troupes en Hongrie, le prince de
Kaunitz a dit à l'ambassadeur : « Que la volonté de
Leurs Majestés Impériales était de ne prendre aucun
parti dans le démêlé de la Russie avec la Porte et
qu'elles se contenteraient de continuer leurs bons offices
pour accélérer la pacification. La conduite actuelle du
roi de Prusse avec les villes de Danzig et de Thorn,.
les mesures que la Maison d'Autriche prend pour en
imposer sur les frontières de Hongrie pourraient fournir
matière à des réflexions intéressantes >.
Lettre «° 6 s du prince de Rohan au duc d' Aiguillon.
«Vienne, le 10 octobre 1772. Le retard de mon
courrier. Monsieur le Duc, et l'inaction du moins appa-
rente qui règne aujourd'hui dans la politique de la cour
1) Cfr. Adolf Brbb, Dit erste Theilung PoUns^ II, p. 206; Arveth^
GesckichU Maria Theresias^ VIII, p 399; Wolf, Oerterrtitk unier Maria
Therisia^ p. 532.
2) Cfr. DR Smitt, Frédéric II, . . Collection de documents, pages-
181-191. .
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CORRESP. ENTRE D'AIGUILLON ET DE ROHAN 243-
de Vienne ne me mettent point à portée de vous donner
des renseignements tels que vous les désirez. Il faudrait
des détails positifs, et on ne pourrait que vous envoyer
des conjectures. Ce qui cependant paraît mériter atten-
tion, c'est le silence même de cette cour, comme les
moyens très visibles qu'emploie le roi de Prusse pour
forcer Thorn et Danzig à se soumettre au sort des
territoires qui les environnent. Un pareil acte de com-
plaisance à la vue d^une infraction formelle du traité
de partage qui vient d'être ratifié ne doit pas être
supposé commandé par la seule crainte; il faut qu'on
espère de la réciprocité, lorsqu'on voudra effectuer
quelque projet. Malgré les aveux et les assurances du
prince de Kaunitz, je crois que le ministère autrichien
profitera des circonstances pour se faire rendre Bel-
grade >. L'ambassadeur mande ensuite la disgrâce des
comtes Grégoire et Alexis Orlow.
Lettre n^ LXI du duc d* Aiguillon en réponse à la;
lettre »" 6i de Vabbé Georgeh). Fontainebleau, le
15 octobre 1772. Si la Suède était attaquée par la
Russie, elle serait soutenue par la France. Le ministre
se plaint de la conduite tenue par la cour de Vienne
à l'égard de la France. Le roi de France reste attaché
à l'alliance.
Lettre «** 68 du prince de Rohan au duc d^ Aiguillon, .
Vienne, le 21 octobre 1772. 11 annonce l'entrée solen-
nelle du comte de Pergen à Léopol pour prendre
possession des districts de Pologne occupés par les
troupes autrichiennes. Le magiçtrat et la ville ont refusé
d'assister à cette prise de possession 2). Le clergé s'est
prêté à tout ce qu'on a exigé. Le comte de Pergen a.
fait chanter le Te Deum à la cathédrale. Le jour de la
1) Publiée dans la Question it Alsace- Lorraine et Frédéric le Gtand,
p. 1 3. Cfr. DE Saint-Pkibst, Le partage de la Pologne^ p. 282.
2) Selon Gfrôrer, Geschichte des achtzehnten Jahrhundertt^ IV,
zweite Abtheiluog, p. 148, tout le magistrat, excepté le staroste Kicki,.
un ami personnel du roi de Pologne, aurait assisté à la cérémonie.
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344 REVUE D ALSACE
Station du serment n'est point encore fixé. Les trois
ssances s'occupent à gagner des voix pour faire
Itimer par la Diète le traité de partage. On prodigue
gent et les promesses. Le comte de Pergen distribue
bijoux et des diamants aux dames polonaises qui
du crédit sur Tesprit de leurs maris. Le roi de
ogne est toujours décidé à ne se prêter à rien de
[traire aux droits de la république. On croit que le
de Prusse, assuré de ne pas être inquiété, cherchera
'agrandir encore. Les cours de Vienne et de Péters-
irg ne doivent pas avoir cette complaisance sans être
urées d'être dédommagées.
L'ambassadeur parle ensuite du danger qui menace
Suède et de la nécessité de former une ligue contre
ennemis de ce royaume •).
iMtre «•* 6q du prince de Rohan au duc d" Aiguillon,
;nne, le 24 octobre 1772. L'ambassadeur donne
3ord des détails sur les positions des troupes autri-
înnes en Pologne, et il continue : « Les affaires de
îde occupent beaucoup le ministère autrichien. L'im-
atrice, qui ne respire que tranquillité et paix, voudrait
on pût éteindre le plus tôt possible l'étincelle qui
tiace l'Europe d'un embrasement général. C'est ainsi
elle s'est exprimée. Elle a ajouté ce qui m'avait
k été dit par M. le prince de Kaunitz que la czarine
le roi de Prusse étaient absolument décidés à ne pas
Ter la nouvelle forme de gouvernement. Ce ministre
parlait encore avant-hier de ses appréhensions ; je
! actuellement occupé, me dit-il, à trouver les moyens
calmer Pétersbourg et Berlin et à les amener, s^il
t possible à des arrangements pacifiques ; mais pour
i il faudrait nécessairement des modifications dans
îouvelle constitution de Gustave. Je demandai ce
il fallait entendre par ces modifications et je repré-
[) V. dans notre Question it Alsace* Lorraini et Frédéric U Grand^
9, le texte de U lettre de TambaRsadeur.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 245.
sentai qu'il paraissait bien difficile d'apporter aucun
changement à ce qui venait de se passer. Alors M. de-
Kaunitz me reprenait qu'on agissait auprès du roi de
Prusse et de la czarine pour porter ces deux cours à
des tempéraments de douceur. Je lui ai objecté que si
le roi de Prusse avait en vue un appas aussi attrayant
que la Poméranie et d'autres objets comme l'île de
Rugen, il ne serait pas aisé de Vy faire renoncer par
de simples observations et de bons procédés. Le ministre
me répéta qu'il serait pour lors nécessaire que le roi
de Suède, son neveu, se prêtât aux propositions qui
lui seraient faites et que ses amis devraient l'y en-
gager.
€ Il est facile de voir les motifs de cette conduite du
ministère autrichien. La Maison d'Autriche est notre
alliée, elle sait l'intérêt que nous prenons à la Suède
et l'influence que nous avons eue dans la dernière
révolution. Elle voudrait ne pas se trouver dans le cas
de prendre parti contre nous ou contre ses nouveaux
amis, ou même de rester neutre dans une telle alter-
native. Son but est peut-être de chercher à effacer
l'impression de ce qui vient de se passer en Pologne
par l'avantage qui résulterait de ses bons offices en
cette occasion. J'ai l'honneur, etc. >.
Lettre n"" jo du prince de Rohan au duc d'Aiguillon,
«Vienne, le 28 octobre 1772. Le ministère de Péters-
bourg emploie tous les moyens propres à captiver
l'attachement de ses nouveaux sujets. On les traite
avec humanité et douceur, on leur laisse tous leurs
privilèges; on travaille avec succès à les rassurer sur
les craintes excessives qu'on leur avait inspirées contre
la domination des Moscovites. Les grands seigneurs
retirés dans leurs terres voient, dit-on, avec chagrin
qu'il ne leur serait pas facile de soulever le peuple
gagné par des bienfaits journaliers et par les promesses
les plus séduisantes. Ainsi la nouvelle domination s'éta-
blira insensiblement, et les Lithuaniens subjugués par
l'amour de la tranquillité et d'un bien-être, plus à l'abri
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246 REVUE D'aLSACE
des revers, s'habitueront à devenir russes .. . La czarine
lent d'écrire de sa propre main à l'Empereur et à
Impératrice-Reine des lettres de félicitations sur les
ouvelles acquisitions de la Maison d'Autriche en Pologne
n se félicitant elle-même de ce que cette circonstance
enouvelait et resserrait les liens de l'ancienne alliance
t de l'étroite amitié qu'il était bien essentiel de rendre
urable. Leurs Majestés Impériales ont dépêché samedi
ernier un courrier pour porter à Pétersbourg leurs
èponses qui sont dans le même esprit. Il est certain i)
ue l'Empereur, par un article séparé, a accédé au traité
t l'a ratifié. Ce fait ne doit laisser aucun doute sur la
art très active que ce prince a eue au démembrement,
'ar, à quel titre pourrait-il accéder à ce traité et le
atifier.^ Il n'est point encore roi de Hongrie, et la
^ologne n'a aucun rapport avec le chef de l'empire,
"out concourt. Monsieur le Duc, à me persuader la
érité des faits détaillés et consignés dans ma lettre
** 51 du 9 août dernier.
«J'ai l'honneur d'être avec un sincère attachement,
lonsieur le Duc, votre très humble et très obéissant
erviteur >.
Lettre ;/® 7/ du prince de Rohan au duc d' Aiguillon.
tienne, le 3 novembre 17722). L'ambassadeur a eu
eux entretiens avec le prince de Kaunitz : les deux
ours de Versailles et de Vienne doivent empêcher que
1 guerre n'éclate à propos de la question de Suède,
our gagner l'Empereur à ses vues, le roi de Prusse
li a, dit-on, promis de leur aider à recouvrer l'Alsace
t la Lorraine.
Lettre «° 7J du prince de Rohan au duc d' Aiguillon,
Vienne, le 9 novembre 1772. Cette dépêche, Monsieur
1) Les trois phrases suivantes sont aussi citées par Vatkl, Histoirt
i madame de Barry^ H, p. 460. Vatel les fait suivre d'un extrait de
, lettre no 71 du prince de Rohan au duc d'Aiguillon.
2) Publiée dans notre Question d^ Alsace- Lorraine et Frédéric le
rand, p. 20.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 247
le Duc, devant être très longue et, je crois, très impor-
tante pour le moment, je ne dois pas Texposer même
-en chiffre à Tinquisition des déchiflfreurs. Le sieur Barth,
avant de partir, m*a encore répété combien on était
habile ici dans cet art. D'ailleurs il me semble que,
quelqu'économe que je sois de Targent du Roi, quelques
>courriers de plus ou de moins dans une année ne font
pas un objet, quand il s'agit de la sûreté du service.
Du reste, si je ne me trompe, je me conformerai à ce
que vous me prescrirez.
€ En conséquence des ordres du Roi, après m'être
bien pénétré de Tobjet dont j'avais à parler au prince
de Kaunitz, je me suis rendu chez ce ministre; il était
prévenu des choses que j'avais à lui dire, lui en ayant
parlé sommairement la veille. J'avais cru cette précau-
tion nécessaire, afin qu'ayant le temps de penser à la
matière de notre entretien, ses réponses en devinssent
.plus intéressantes, plus décisives, lui étant par là
.la réserve qu'inspire souvent l'embarras du premier
moment ».
L'ambassadeur parla d'abord de l'ambition du roi
de Prusse, qui n'étant pas encore satisfait des nouvelles
acquisitions, menaçant d'attaquer la Suède. Il insista
ensuite sur la nécessité de maintenir l'équilibre dans
le Nord et de ne pas laisser écraser le roi de Suède.
Il rappela la résolution du roi de France de soutenir
ce prince par tous les moyens possibles. Il montra le
désir du roi Louis XV de savoir la façon de penser
de Leurs Majestés Impériales à cet égard ainsi que le
parti qu'elles prendraient, si la ville de Danzig réclamait
leur protection contre le roi de Prusse. Le prince de
Kaunitz répondit que l'Autriche suivait à l'égard de la
Suède une politique plus réservée que la France, que
Leurs Majestés Impériales accorderaient à la Suède leurs
bons offices en prêchant la modération vis-à-vis d'elle,
que les menaces du roi de Prusse n'étaient peut-être
qu'affectées pour plaire à la Russie, qu'en supposant
4a guerre inévitable l'Autriche n'y prendrait pas d'intérêt
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248 REVUE d'aLSACE
if et se bornerait à une neutralité parfaite, enfin que-
Danzigois devaient s'attendre à obtenir la protection
> cours de Vienne et de Pétersbourg, s'ils étaient en
de la requérir.
€ Notre entretien allait finir, mais je priai le prince
Kaunitz de vouloir bien m'expliquer ce qu'il avait
jIu dire en jetant de l'incertitude sur le fondement
ide que l'on peut donner aux démarches du roi de
isse vis-à-vis la Suède et d'un autre côté en regar-
it comme nécessaire de prendre des précautions, en
que ses menaces eussent leur effet. Je lui observai
5 de pareilles précautions étaient onéreuses et dange-
ises à prendre de la part d'une puissance protectrice^
? ce qui n'était que précaution pouvait porter des
sins mal intentionnés et méfiants à prêter des vues
s étendues et que je le priais, s'il savait quelque
)se de plus, de vouloir me le dire et m'expliquer
qu'il entendait par les précautions qu'il croyait pru-
ît de prendre. Il répondit que son amitié personnelle
igageait à me développer son idée, mais qu'il s'en
ait beaucoup qu'il eût l'intention de blâmer ce que
1 avait jugé à propos de faire ou de vouloir avoir
r de donner des conseils, rendant trop de justice au
rite et aux lumières de Monsieur le duc d'Aiguillon^
? du reste sa façon de penser était que la France
is la question actuelle devait combiner la ?nasse des
ours dont la Suède aurait besoin si elle était attaquée,.
r ce qu'elle peut fournir elle-même, faire attention
le peu de ressources que peuvent lui donner d'autres
ssances, au nombre desquelles il croit qu'il ne faut
; compter le Danemark, par conséquence que toute
charge retomberait sur la France; que l'Angleterre
verrait point tranquillement nos démarches et que
ministres de cette puissance, sans en être priés,
lient déjà signifié que, s'il sortait une escadre de nos
ts pour aller dans la Baltique, sur-le-champ ils en
leraient une autre pour s'opposer à nos vues, qu'ainsi
)ersistait à penser qu'il fallait porter le roi de Suède
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 249
plutôt à faire quelques sacrifices que de s'exposer à
tout perdre en voulant trop conserver, et il finit en
me répétant qu'il n'y avait que son attachement pour
la France et son amitié personnelle pour moi qui
eussent pu l'engager à s'exprimer avec cette simplicité.
« Le 1 1 novembre. Quelqu'essentielle qu'ait été la
conversation du prince de Kaunitz, et quoiqu'elle répande
beaucoup de lumière sur la politique, j'ai cru que de me
ménager dans ce moment un entretien avec Sa Majesté
l'Impératrice pouvait ajouter ou au moins confirmer les
notions que j'avais acquises de son ministre. En consé-
quence de cette réflexion j'ai profité des facilités que
me donnent les bontés de Sa Majesté pour lui demander
un entretien particulier sans me servir des formes de
l'audience. Après quelques objets personnels qui for-
mèrent le commencement de l'entretien et dont je
prendrai aussi la liberté de rendre compte succincte-
ment, étant fait pour dissiper tous les nuages, si la
calomnie avait osé faire parvenir le mensonge jusqu'au
Roi, Sa Majesté l'Impératrice me parla des affaires de
Pologne et me dit») combien ce partage lui avait déplu,
qu'elle y avait été forcée par les circonstances, qu'elle
avait espéré longtemps que les discussions qui auraient
pu naître en auraient empêché l'exécution, mais que
l'accord et le traité avaient été faits entre la Russie et
le roi de Prusse à son insu, et que, lorsqu'on lui en
avait donné communication, elle y avait vu un article
particulier où il était dit : Nous inviterons aussi la
Maison d'Autriche, et, si elle refuse de se joindre à
nous, ce refus ne nous empêchera pas d'exécuter notre
projet et d'aller en avant. Sa Majesté ajouta qu'elle
avait ensuite longtemps ignoré tous les arrangements
subséquents et que ne pouvant naturellement nous
instruire de cette incertitude de sa part et de cette
position embarrassante, elle avait pris le parti de se
I) Cité dans V/nlrotiiuiion^ p. 61.
Rtmu d'AUace, 1907
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250 REVUE d'aLSACE
vouer au silence le plus impénétrable et que le prince
Hf^ îCaunitz avait tenu cette conduite, la seule qui pût
nir dans une telle occurenee de choses, avec le
ère de vérité. Le silence de Sa Majesté me pér-
it de reprendre la parole, je lui avouai que ce
nt m'avait paru pénible à supporter, qu'il m'avait
ipossible d'imaginer que, le roi de Prusse et la
I paraissant d'accord avec la Maison d'Autriche
chant conséquemment au but qu'ils se proposaient,
marche n'eut point été annoncée à Sa Majesté
iale et concertée avec elle, que la suite avait
:i ce mystère»), qui, j'ose dire, était impénétrable
>litique, que même je lui faisais l'aveu d'avoir
t le Roi de mes vives inquiétudes et que sans
ir rendre compte de l'impression qu'elles avaient
ur son esprit, je pouvais seulement certifier avec
5 exacte vérité que Sa Majesté toujours attachée
iance avait conservé le sentiment le plus invio-
l'amitié pour l'Impératrice-Reine «).
impératrice parut très sensible à cette expression;
e chargea de témoigner au Roi combien elle en
ivement touchée, mais que ce silence de sa part
: porté que sur des choses qu'elle avait ignorées
ême. Alors je crus que c'était l'instant d'amener
aires de Suède et celles de Danzig en disant que
me intérêt et ce même attachement de la part
i pour Leurs Majestés Impériales lui faisaient voir
nquiétude pour leur sûreté future l'agrandissement
lu roi de Prusse ; que ce monarque, non content
part considérable en Pologne, de Danzig dont il
Jté dans Y Introduction^ p. 63.
Je vois clairement, écrivit Mercy à Marie-Thérèse le 1 5 mai
le les arrangements projetés en Pologne n*ont point personnelle-
ecté le roi (Louis XV), qu'il croit que Votre Majesté ne pouvait
lispenser de donner les mains aux arrangements susdits et qu'ils
( suite inévitable des circonstances. La seule chose qui pourrait
t monarque serait d'être dans le cas de croire que Pamitié de
ajesté s'est refroidie pour lui ». Cfr. la lettre de Mercy à Marie-
du 14 novembre 1772.
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CORRESP. ENTRE d'aIGUILLON ET DE ROHAN 25 1
fera bientôt sa proie, de la Poméranie suédoise qu'il
semble dédaigner, mais que peut-être malheureusement
il ne dédaignera pas de prendre, joint à tout cela
l'agrandissement que pourrait lui donner la mort du
margrave de Bayreuth, deviendrait >) dans le Nord la
puissance principale ; que par conséquent tout ce qui
pouvait lui donner des entraves devait être saisi; qu'il
s'en présentait une occasion favorable et que la Suède
délivrée des oppresseurs qui voudraient l'asservir devien-
drait une puissance qui servirait de digue dans l'occa-
sion ; mais que les menaces que le roi de Prusse faisait
en annonçant déjà la guerre comme inévitable, mar-
quaient qu'il était instant de donner du secours à
Gustave III et que, si les raisons politiques empêchaient
Sa Majesté de concourir à cette bonne œuvre, j'étais
bien persuadé que son cœur serait touché et affecté
<le la situation où se trouve ce jeune roi, adoré de son
peuple, prudent, intrépide et malheureux; d'ailleurs que
les sentiments élevés de Sa Majesté et connus à toute
TEurope étaient un sûr garant qu^elle n'oubliait point
l'époque de 1757 où la Suède, malgré le risque qu'elle
courait, n'hésita pas à lui donner preuve de son attache-
ment. J'ajoutai promptement que le Roi, touché de la
situation cruelle de Gustave, peiné de le voir à la veille
-de devenir la victime d'ennemis dangereux, était déter-
miné par sa bonté et sa justice à donner tous les secours
■que les circonstances lui permettraient. L'Impératrice
qui m'avait écouté avec une grande attention me dit
que, quand même la situation de la Suède ne serait
pas par elle-même aussi touchante, il suffisait de voir
l'intérêt que la F'rance, sa bonne alliée, y prenait pour
lui souhaiter les succès les plus favorables, mais qu'elle
craignait bien que les Anglais ne nous laissassent pas
agir tranquillement. Elle répéta encore plusieurs fois
combien cet objet la tourmentait, et ensuite me parla
■de Parme . . .
l) Dans Toriginal il y a : le rendrait.
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352 REVUE D ALSACE
Si à cet instant la Grande-Maîtresse n'était point
venue avertir Sa Majesté qu'elle était servie depuis-
longtemps, je crois que cette conversation qui durait
déjà depuis une heure et demie aurait été encore pro-
longée. En me retirant je demandai la permission à
l'Impératrice de rendre compte au Roi en détail de
tout ce qu'elle m'avait fait l'honneur de me dire. Je
pensai que je lui devait cette marque de respect, l'entre-
tien qu'elle venait de m'accorder n'étant point minis-
térial.
J'ai cru nécessaire d'ajouter aux réponses qui m'ont
été données les questions et les réflexions que j'ai faites^
afin que Sa Majesté juge si la manière dont je traite
les affaires qu'Elle m'a fait l'honneur de me confier
mérite son approbation, et, quoiqu'il ne soit peut-être
pas en mon pouvoir d'approcher de la dignité qu'exige
son ministère, puisque je suis chargé de parler au nom
du plus grand roi, je supplie sa bonté de regarder mes
efforts avec indulgence.
Quant à ce qui me regarde particulièrement, j'avais-
remercié Sa Majesté de ce qu'elle avait bien voulu faire
grâce à quelques-uns de mes gens qui avaient été
accusés d'avoir fait la contrebande et que j'avais fait
punir très sévèrement pour servir d'exemple, quoique
Tobjet fut peu important. Sa Majesté voulut bien me
dire qu'elle avait été sensible à cette exactitude de
ma part. Je lui ajoutai que le comte de Wrbna, vice-
président de la douane, et le comte de Seilern, chargé
des affaires de police, m'avaient souvent dit tous les
deux qu'il n'y avait point de maison d'ambassadeur
où il y eut autant d'ordre et d'exactitude pour les
règlements. Sa Majesté dit que c'était vrai et prit de
là occasion pour me dire les choses les plus honnêtes
et les plus flatteuses »). Je dois compte au Roi des
choses personnelles qui m'intéressent sous le rapport
1} Cité dans \' Introduction^ p. 81.
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CORRESP. ENTRE D'AIGUILLON ET DE ROHAN 253
<le son service et qui peuvent lui faire croire que je
suis digne de la confiance dont il m'a honoré, et ce
ne sera jamais que sous ce rapport que j'oserai prendre
Jla liberté de lui parler des agréments per
j'éprouve ici.
L'Impératrice, dans le même entretien,
part de ses vives alarmes sur les tristes nouv
avait reçues des frontières de la Moldavie,
fait, m'a-t-elle dit, des ravages effrayants ;
.russes en sont déjà attaquées, et je crains bien
que ce fléau ne s'étende jusqu'à notre cor
Le 1 2. < Le Roi, comme vous me le ditei
par votre lettre n** Lxn, ayant désiré que
<iui intéresse les affaires de Suède fût trait
que je cherchasse à constater de la mar
positive et la plus détaillée qu'il me serait
-dispositions de Leurs Majestés Impériales e
duite éventuelle relativement aux détermin
cour de Berlin, l'exposé que je viens de f
-conversations avec l'Impératrice et le prince
ne doit, ce me semble, laisser aucun do
objet. Il en résulte ce que mes lettres précé
xDnt déjà appris, que la cour de Vienne ei
bons offices pour inspirer aux cours de Pé
^e Berlin des voies de justice et de modéra
<:raint cependant de ne pas réussir, qu'elle
à la neutralité de l'Angleterre et du Danen
dans le cas d'une rupture, elle ne prendra
active dans ce démêlé. D'où il est facile (
que la czarine et le roi de Prusse pourront
la Suède sans que la Maison d'Autriche s'
■cacement à leurs projets. Cette singulière
Monsieur, dans des circonstances où une pan
favorisera nécessairement l'agrandissement
Prusse en Allemagne et la prépondérance
.dans le Nord, ne décèle-t-elle pas le plan de
si dangereux et qui a dû paraître si invr
lorsque j'en ai donné l'éveil dans mes n**»
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«54 REVUE D'aLSACE
que j'en ai en quelque sorte prévu le tissu et renchaîne-
ment dans mon n** 37. Si je reviens souvent sur cet
objet, c'est que rien ne dissipe mes craintes et que
tout les augmente. Chaque jour, pour ainsi dire, déchire
un coin du voile qui couvre les trames secrètes des
puissances intéressées. Je puis me tromper et je le désire
pour le bien de l'humanité et la tranquillité de l'Europe^
mais dans la position des choses je dois au Roi Thom-
mage de mes doutes et de ma façon de voir. Je répé-
terai donc encore que les conférences de Neisse et de
Neustadt ont fait naître entre l'Empereur et le roi de
Prusse une intimité dont les suites ne sont que trop
annoncées par les pièces intéressantes que je vous ai
fait passer avec les numéros dont je viens de parler.
Ce qui me confirme toujours dans cette façon de penser,
c'est qu'en se rappelant le passé et en le combinant
avec ce qui arrive, tout annonce l'avenir qu'on a prévu-
Il doit paraître très probable aujourd'hui que toutes les
démonstrations de la Maison d'Autriche antérieures au
démembrement de la Pologne n'ont été que pour faire
illusion et pour en imposer peut-être à l'Impératrice
dont on craignait alors de ne pouvoir vaincre la repu-
gnance. Il était question d'entraîner et de forcer son
consentement, et, ppur y réussir, on a fait mouvoir
tous les ressorts de la crainte d'une guerre dont l'issue^
lui assurait-on, ne pouvait que faire le malheur de ses^
peuples, le triomphe de ses ennemis et la diminution
sensible de sa prépondérance en Allemagne. Quand
l'armée autrichienne s'est rassemblée en Hongrie, on
n'a pas douté qu'elle ne dût agir hostilement contre la
Russie; cependant ni Pétersbourg, ni Berlin, son allié,,
n'en ont paru intrigués. Cette montre entrait dans le
plan concerté et elle a effectivement produit tout ce
qu'on en attendait, puisqu'elle a servi à détourner
l'attention qu'on pouvait donner au développement du
système d'union, dont les effets viennent d'étonner
l'Europe. Je dois croire rimpératrice vraie et sincère^
La manière dont le partage de la Pologne (sic) l'affecte-
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CORRPSP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 255
encore, l'aveu si souvent répété d'en avoir ignoré le
projet jusqu'au moment où elle a été nécessitée d'y
concourir tout me persuade : i) que Tlmpératrice-Reine,
comme elle la avoué, avait été séduite et entraînée
(n** 37 du 17 juin); 2) que le prince de Kaunitz qui
m'a dit plusieurs fois : « Il faut me plaindre, je n'ai
aucune part à tout ce qui arrive» (n® 37 du 17 juin)»),
a été obligé de se plier aux désirs de l'Empereur et
qu'en ministre docile il opère en conséquence des vues
décidées de l'héritier de la monarchie autrichienne ;
3) que le roi de Prusse a su subjuguer l'Empereur et
sp l'attacher par des vues qui peuvent sans doute nourrir
l'ambition de ce jeune prince et flatter sa vanité; car,
enfin. Monsieur, on ne peut plus se dissimuler l'étroite
liaison de ces deux monarques. Leur correspondance
secrète n'est que trop vraie, et le ministre de Suède
est venu m'assurer qu'il ne fallait plus douter du con-
tenu de la lettre dont j'ai rendu compte dans mon
n** 71; seulement, au lieu de cent mille hommes 2), il
y a soixante mille hommes de mes meilleures troupes
et mes vieux os^ s'il en est besoin. Le roi de Prusse
insinue encore à l'Empereur, à ce qu'on sait des mêmes
sources, qu*il est très essentiel que la Suède ne reprenne
point son ancienne considération dans la balance du
Nord, si on veut efficacement empêcher la France de
s'immiscer dorénavant dans les affaires de l'Allemagne
et quMI a trop à cœur l'exécution de ce projet utile et
glorieux pour laisser prendre racine à là nouvelle consti-
tution. Cette insinuation ressemble trop à ce que le
prince Henri, d'après l'extrait dont vous avez bien voulu
me faire part, a mandé à la reine de Suède, sa sœur,
pour ne pas mériter une attention particulière . . .
€ Voilà, Monsieur, mes observations et l'ensemble
des combinaisons que fournit le moment actuel. 11 vous
1) Ces paroles ne se trouvent pas dans la lettre no 37.
2) Cfr. La question (TAlsate^ Lorraine it Frédéric U Grand, p. 22,
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256 REVUE d'aLSACE
sera aisé de faire voir au Roi combien ma mission
devient pénible et délicate. J'ose espérer de ses bontés
qu'il voudra rendre justice au zèle qui dans ces cir-
constances critiques redouble mes soins et ma vigilance.
«J'ai l'honneur d'être, avec un sincère et parfait
attachement, Monsieur le Duc, votre très humble et
très obéissant 3erviteur ».
Lettre w° LXVIII du duc d'Aiguillon en réponse à
la lettre fi"" 7/ du prince de Rohan 1). — Versailles, le
21 novembre 1772. Le Roi recommande à l'ambassa-
deur d'employer tous les moyens imaginables pour
sayoir ce qu'il y a de fondé dans le projet de l'Em-
pereur et du roi de Prusse d'envahir l'Alsace et la
Lorraine.
Lettre n"* yj du prince de Rohan au duc d' Aiguillon,
« Vienne, le 25 novembre 1772. Vous avez vu, Mon-
sieur, par mes dépêches subséquentes à votre lettre
n** LXVi que, quoique l'on dût croire que la Maison
d'Autriche ne souffrirait ni l'invasion de Danzig, ni les
vues du roi de Prusse sur la Poméranie suédoise, que
même en conséquence des traités de garantie, elle
devrait en outre de son intérêt particulier prévenir et
réprimer un pareil attentat, cependant elle est très
décidée à laisser faire à ce monarque ce qu'il jugera
à propos et à ne jouer qu'un rôle passif, sans accorder
aucun secours, sinon ses bons offices et ses conseils de
modération aux cours de Pétersbourg et de Berlin. Je
dois croire à cette résolution, puisque M. le prince de
Kaunitz me l'a dit et que l'Impératrice me l'a confirmé.
Le roi de Prusse connaissant cette détermination se
trouvera plus libre de concevoir et d'exécuter ses plans
d'ambition. 11 me paraît donc nécessaire pour le moment
actuel de tâcher de jeter une pomme de discorde entre
la Maison d'Autriche, la Russie et le roi de Prusse...
i) Publiée dans notre Question éÛ Alsace» Lorraine ,, ,^ p. 23; VàTBL,
Histoire de madame du Barry^ p. 461.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 257
Je pense que cette source de division pourrait mener
les choses beaucoup plus loin, et si je dois croire ce
que m*a dit l'Impératrice elle-même sur la peine que
lui fait le partage de la Pologne en m*ajoutant, tant elle
était aflfectée, qu'elle ferait, s'il était nécessaire, quel-
ques sacrifices de la Hongrie, qui pourtant lui est si
<:hère, pour voir rétablir les choses dans Tordre anté-
rieur, peut-être verrions-nous restituer à la république
-ce qui lui a été si injustement enlevé ... Je ne fais,
Monsieur le Duc, que vous tracer une idée; c'est au
ministre plus instruit ou à la rejeter ou à en faire un
plan suivi. J'use dans le moment de la permission que
Sa Majesté a bien voulu me donner de lui communi-
quer mes pensées et ma manière de voir. J'ai l'hon-
neur, etc.
P. S, «L'envoyé de Pologne, Monsieur, qui a pris
^es audiences de congé pour retourner à Varsovie, vient
<le me faire part des dernières nouvelles que lui mande
Stanislas-Auguste. En voici la substance : < Le ministre
de Russie (ce sont les paroles de Stanislas) m'ayant
demandé une audience, m'a dit qu'il venait au nom
des trois cours me déclarer qu'elles désiraient la con-
vocation d'une diète générale et que, si je l'exigeais,
le ministre de Vienne et de Berlin me feraient eux-
mêmes la même proposition, qu'il avait ordre de
«n'ajouter qu'en cas de refus on se verrait forcé de
-s'assurer de ma personne, et que je serais alors respon-
sable des malheurs qui ne pouvaient manquer de fondre
-sur la Pologne; que les trois cours de concert, afin de
hâter l'effet d'une diète qui devenait nécessaire pour
terminer les troubles de la Pologne, avaient fait marcher
des troupes en avant de leurs limites, et que ces troupes
-agiraient hostilemeut partout où on ne trouverait pas
de dispositions pour cette convocation. J'ai répondu:
vous avez traité jusqu'ici par écrit, continuez cette
forme, je demanderai l'avis des sénateurs et je vous
répondrai aussi par écrit». Le roi de Pologne ajoutait:
Il me parait très instant que la cour de Versailles, en
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258 REVUE d'Alsace
qui j'ai mis toute ma confiance, sache le plus tôt pos-
sible Textrémité où je me trouve. Voyez le prince de
Rohan et peignez-lui ma position en le priant de la
mander à sa cour ». Quand l'envoyé de Pologne a pris
congé de l'Empereur, Sa Majesté Impériale lui a dit"):
< Tout bon citoyen polonais doit conseiller au roi
Stanislas-Auguste de faciliter plutôt la convocation de
la diète que nous désirons que de s'y opposer. Sa
Majesté polonaise ne peut plus faire de bien, et elle
ferait beaucoup de mal, si elle s^obstinait ; elle serait
alors responsable de tout ce qu^on serait nécessité
d'entreprendre pour pacifier enfin une république dont
les troubles intéressent trop essentiellement ses voisins,
pour qu'ils ne cherchent point à les faire cesser par
tous les moyens possibles.
< Si Pétersbourg changeait de système, si Vienne
était sincère dans tout ce qu'elle nous a dit de ce
démembrement, cette diète pourrait opérer un bien.
Les nonces n'étant ni forcés, ni gagnés, ni sollicités
par ces deux cours pour acquiescer au partage, il s'en-
suivrait un refus authentique qui mettrait les puissances
garantes plus à portée de signaler l'intérêt qu'elles-
prennent à l'intégrité de la Pologne. Si au contraire
les trois cours ne désirent cette convocation que pour
faire approuver leur invasion, voilà le système de
l'oppression consommé. Cependant je ne conçois pas
encore pourquoi les cours de Vienne, de Pétersbourg
et de Berlin exigent une diète ; elle ne peut être censée-
légale qu'autant qu'elle sera libre et générale. Elle ne
sera pas libre, puisqu'on la convoque les armes à la
main et que la violence arrachera le suffrage des nonces;
elle ne sera plus générale, puisque les nonces des pala-
tinats de Pologne et de Lithuanie qui ont prêté serment à
des souverains étrangers ne doivent plus y avoir séance^)».
1) Cfr. Vatel, Histoire de madame Du Barry^ II, p. 462.
2) Cfr. Ad. Bekr, Die erste THeilung Poieru, II, p. 214; SCHLOSSBR^
GeschichU des cuhttehnten Jahrhunderts^ II, p. 246.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 25<>-
11 me semble que ces réflexions viennent à l'appui de
celles' qui sont contenues dans ma dépêche ... ».
Lettre n^ LXXI du duc d* Aiguillon au prin
Rohan en réponse à la lettre fi"^ 7j du ç, du ii
12 ftovembre. c Versailles, le 3 décembre 1772. L
a écouté avec attention et une satisfaction marqu
lecture de la dépêche intéressante dont j*ai l'hoi
de vous accuser la réception. Sa Majesté a trouvé
votre relation et dans les réflexions dont vous Tac
pagnez les lumières qu'elle désirait d'acquérir su
objets importants qui y sont traités et sur lesque
été chargé plusieurs fois de vous marquer ses i
titudes. Elle a paru également contente et de la subs
du compte que vous lui rendez et de la conduite
vous avez tenue dans cette conjoncture délicate 1
votre manière de voir et de présenter les objets
vous traitez. C'est, Monsieur, avec une satisfaction
et sincère que je vous transmets ces témoignagi
la manière flatteuse dont votre expédition a été r
€ Le Roi ne se trouvera plus désormais expi
établir sur de faux calculs les mesures qu'exij
système qu'il a adopté relativement à la Suèd<
Majesté ne comptera plus sur l'assistance que Tii
évident de la monarchie autrichienne semblait lui
mettre de la part de l'Impératrice-Reine; mais ElU
d'un autre côté que cette princesse n'assisterait pas i
manière active les alliés auxquels elle fait le sa(
de cet intérêt. Le Roi pense même, Monsieur, q
emploiera ses bons offices les plus pressants pour c;
le ressentiment de la Russie et pour contenir l'ami
du roi de Prusse. La crainte de la guerre, qui j
un des plus puissants mobiles de sa politique, se
garantir à cet égard la sincérité des promesse
Monsieur le prince de Kaunitz ».
Le ministre continue que les nouvelles venai
Russie et d'Angleterre sont pacifiques. 11 n'y a q
roi de Prusse qui cause des inquiétudes à cause
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vaôo REVUE d'alsace
vues qu'il pourrait avoir sur la Poméranie. L'ambassa-
deur doit sonder les dispositions de la cour de Vienne
par rapport à la question de la Poméranie suédoise,
si elle permettrait que le roi de Prusse s'en emparât.
< Voilà, Monsieur, le point sur lequel il nous reste à
constater les dispositions de la cour où vous êtes . . .
Au surplus, Monsieur, le Roi vous autorise à témoigner
au prince de Kaunitz en son nom le gré que Sa Majesté
sait à sa cour de s'être expliquée sans détour. Le
premier devoir de l'alliance doit être en effet la franchise
et la bonne foi. Vous ajouterez d'ailleurs à ces témoi-
gnages les protestations les plus fortes du désir constant
de Sa Majesté à maintenir et à cultiver l'union dont
Leurs Majestés Impériales paraissent de leur côté prendre
la conservation si fort à cœur.
«Tels sont en effet. Monsieur, les sentiments du Roi,
-et Sa Majesté m'a chargé de vous réitérer les instruc-
tions qu'EUe vous a ci-devant transmises à cet égard.
Vous jugez aisément qu'Elle n'en est pas moins atten-
tive à l'intelligence étroite établie entre l'Empereur et
Je roi de Prusse et aux suites qu'elle peut produire.
Les détails dans lesquels vous entrez ont fait une forte
impression sur son esprit et Elle parait disposée à
s'occuper des vues nouvelles que cette position pourra
Jui inspirer. Elle pense néanmoins que l'Impératrice-
Reine est trop attachée au système auquel elle doit le
maintien de la paix qu'elle chérit sans mesure pour
-être accessible aux moyens qu'on pourrait employer
pour l'entraîner dans des projets contraires. Sa Majesté
a remarqué avec satisfaction l'opinion que vous avez
vous-même de la constance des sentiments de cette
princesse. Il serait superflu, Monsieur, de vous répéter
.à quel point le Roi désire d'être informé des moindres
particularités qui concernent l'intelligence de ces deux
. monarques.
«Sa Majesté a vu avec plaisir la justice que l'Impé-
o-atrice-Reine a rendue à vos sentiments par rapport à
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CORRESP. ENTRE D* AIGUILLON ET DE ROHAN 26 1
la contrebande dont quelques-uns de vos gens s'étaient
rendus coupables. Elle y a fort applaudi Elle-même et
Elle a paru bien persuadée que la noblesse de votre
façon de penser personnelle, d'accord avec la dignité
du caractère dont vous est revêtu, ne vous permettrait,
jamais d'user d'une connivence toujours odieuse et pré-
judiciable à la considération d'un ministre public <).
«Je ne dois point terminer ma lettre sans vous trans-
mettre, Monsieur, les témoignages de la sensibilité avec
laquelle le Roi a reçu tout ce que l' Impératrice-Reine
vous a dit pour lui dans l'audience que vous vous étiez
ménagée de cette princesse. Vous voudrez bien la lui
témoigner à la première occasion qui s'en présentera.
Les détails où je suis entré sur les dispositions des
puissances dont la Suède pourrait avoir quelque chose
à craindre vous mettront en état de calmer les inquié-
tudes obligeantes de Sa Majesté Impériale. J*ai l'hon-
neur, etc. ».
Lettre n^ LXXIII du duc d* Aiguillon en réponse h
la lettre n"* jj du prince de Rohan'^). < Versailles, le
8 décembre 1772. J'ai donné lecture au Roi dans son
conseil des réflexions que vous faites sur la situation,
et les dispositions des cours de Vienne, de Pétersbourg
et de Berlin, ainsi que le plan que vous croyez propre
à conserver Danzig dans sa liberté et empêcher les
envahissements ultérieurs du roi de Prusse en Pologne
et dont l'exécution vous paraît même capable de pro-
duire des eff"ets encore plus importants. Je ne puis que-
vous confirmer. Monsieur, les assurances que j'ai déjà
eu l'honneur de vous transmettre du gré que Sa Ma-
jesté vous sait des preuves du zèle que vous lui donnez.
Elle n'a point encore pris de jugement sur ce qu'il
convient de faire dans une situation aussi compliquée
et jusqu'ici aussi peu développée que l'est celle des^
1) Cité dans V Introduction^ p. 8i, note i.
2) V. Vatbl, Histoire de madame Du Barty^ H, p. 462.
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-202 REVUE d'aLSACE
puissances copartageantes et de toutes celles qui peuvent
et doivent s'intéresser directement ou indirectement à
leur union. Il n'est sans doute pas de système qui dans
ces circonstances n'offre de grandes difficultés; mais la
prudence peut les surmonter; il faut croire que le Roi
saura en trouver les moyens.
< Le propos que l'Impératrice-Reine vous a tenu
prouve bien l'opinion qu'elle veut qu'on ait de sa
manière d'envisager cette œuvre d'iniquité; mais ses
regrets sont-ils assez vifs pour la porter à renverser un
ouvrage presque consommé? Le Roi désire, Monsieur,
que vous tâchiez de constater le plus particulièrement
qu'il vous sera possible la force de ce sentiment de
cette princesse. Sa Majesté présume bien que ce qui
lui serait peut-être le plus difficile, c'est de résister à
l'ascendant de l'Empereur et à l'intérêt que les exhor-
tations de ce prince au comte Oginski prouvent assez
qu'il prend à la conservation de ses nouvelles acquisi-
tions et à l'espèce de légitimation qu'il paraît d'accord
avec le roi de Prusse d'extorquer à la malheureuse.
Pologne. Les diètes qui se sont tenues depuis l'avène-
ment de Stanislas -Auguste au trône sous les armes
russes et au résultat desquelles la violence donnait une
sanction irrésistible offrent des exemples trop analogues
aux vues des deux monarques, pour qu'ils négligent
de les imiter, et la précipitation, avec laquelle on veut
contraindre le roi de Pologne à convoquer la diète,
laisse très peu de moyens pour s'opposer à la consom-
mation de cette nouvelle violence.
< Nous n'avons rien à ajouter. Monsieur, aux instruc-
tions que vous avez sur les affaires de Suède. Le Roi
attend avec impatience les éclaircissements qu'il vous
a chargé de lui procurer sur la façon de penser de la
cour de Vienne relativement aux droits que la Suède
aurait de réclamer l'assistance de l'Empereur, de l'Em-
pire et de tous ses membres, si la Poméranie suédoise
était attaquée. J'ai l'honneur, etc. ».
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CORRESP. ENTRE D* AIGUILLON ET DE ROHAN 263
Lettre n^ jç du prince de Rohan au duc d* Aiguillon •).
Vienne, le lO décembre 1772. L'ambassadeur rend
compte d'un entretien qu'il a eu avec l'Empereur au
sujet des affaires de Pologne et de Suède. L'Empereur
ne songe pas à recouvrer l'Alsace et la Lorraine. « Cer-
tainement, lui dis-je (à l'Empereur Joseph II), continue
le prince de Rohan, < Vous êtes assez fort pour écraser
un homme (le roi de Pologne) qui est. sans défense; il
ne peut lutter, mais de son sang il naîtra des défen-
seurs et de ses Etats dévastés peut-être un peuple de
guerriers, c'est-à-dire que la Pologne peut devenir tôt
ou tard pour la Maison d'Autriche une source de mal-
heurs ; car j'ai peine à croire que les puissances inté-
ressées à la balance du Nord laissent opérer la destruc-
tion totale de la Pologne, et, encore plus, qu'elles
laissent tranquillement les possesseurs jouir de ce nouvel
agrandissement et qu'elles n'aient pas toujours le projet
de ramener à peu près les choses dans l'état où elles
étaient auparavant, projet qui me paraît très conforme
à la répugnance que Votre Majesté et Sa Majesté l'Im-
pératrice ont bien voulu me témoigner par les expres-
sions les plus fortes et les plus justes d'avoir été nécessités
à prendre part à ce démembrement. — Et, qui voulez-
vous, dit l'Empereur, qui exécute ce projet .^^ Les autres
puissances ont aussi leur occupation particulière. —
Oui, Sire, lui dis-je; mais Votre Majesté et l'impératrice
de Russie connaissent leurs intérêts et le caractère du
roi de Prusse; il n'en faut pas davantage pour devoir
tout attendre.
< Comme je craignais de m'expliquer davantage et
xjue j'étais bien aise d'en rester là pour mes projets
ultérieurs, je pris la liberté de lui représenter qu'on
avait ouvert deux fois la porte du côté de l'Impératrice
et que toute la cour qui était rassemblée dans l'apparte-
l) Publiée dans notre travail : La question et Alsace^Lorraint et
l'rédénc le Grandy p. 24. Voir VateL, Histoire de madame Du Barry^
II, p. 463; DR Saint-Pbibst, lu partage de la Pologne^ p. 276.
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264 REVUE d'aLSACE
ment attendait depuis plus d'une heure. Adieu, dit-il,
puisqu'il faut nous quitter; mais c'est à regret, et je
souhaite que nous puissions nous retrouver prompte-
ment. J'ai Thonneur, etc. ».
Lettre n^ 80 du prince de Rohan au duc d* Aiguillon.
€ Vienne, le 16 décembre 1772. Mon courrier. Monsieur
le Duc, a trouvé les chemins si mauvais, surtout en
Souabe, qu'il n'a pu arriver ici que le 12 au soir. Il
m'a remis les lettres n*»» LXXI et LXXii et la lettre parti-
culière que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le
3 de ce mois. Je vous prie de mettre aux pieds du
Roi l'hommage de ma respectueuse sensibilité et de ma
reconnaissance. Je suis pénétré de la satisfaction que
Sa Majesté a la bonté de témoigner de mon travail.
Je désire que tous les jours de ma vie soient consacrés^^
à lui donner des preuves de la constance de mon zèle r
c'est mon seul but, c'est ma seule gloire » »).
L'ambassadeur parle ensuite des affaires de Suède-
qui vont s'arranger. Les ministres de Vienne, de Péters-
bourg et de Berlin ont présenté un Mémoire à Varsovie
pour exiger la convocation d'une diète avec menace
en cas de refus de faire dévaster la Pologne par leurs
troupes 2). Traitements inouïs que la cour de Vienne
l^it éprouver aux Confédérés au préjudice des promesses
qu'elle leur avait laites. On croit que les Turcs consen-
tiront à l'élection Hbre du Khan des Tartares, sauf la
confirmation du Grand -Seigneur 3). La Porte pourra
aussi accorder à la Russie dix à douze millions de
roubles pour les frais de la guerre 4). Le Danemark
1) Cité dans ^Introduction^ p. 45.
2) Cfr. Arnbth, Gcschichte Maria Theresias^ VIII, p. 397-40I >
WoLF, Oesterrcich unter Maria Theruia^ ?. 532; DR Smitt, Frédé-
ric II,,, y op. cit., p. 193; Ad. Bbrb, Die erste Teilung PoUns^ II,
p. 201 ; Fbbdbric lb Grand, Mémoires depuis la paix de Huberts^
bourg,,. Oeuvres historiques de Frédéiic II, roi de Prusse, éd. Preuss^
VI, p. 58.
3) Cfr. Ad. Bekr, op. cit., p. 254.
4} Frédébic lb Grand, op. cit., p. 69.
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CORRESP. ENTRE D' AIGUILLON ET DE ROHAN 265
va faire négocier un emprunt de deux millions de
florins à Gênes. L'ambassadeur de Suède tâchera de
Tempêcher.
Lettre n^ 8^ du prince de Rohan au duc d^ Aiçuillon,
«Vienne, le 26 décembre 1772. Une méprise dont je
viens d'être instruit me persuade de plus en plus qu'on
ne saurait trop prendre de précautions pour dérober à
ce ministère le contenu des dépèches et que des cour-
riers deviennent nécessaires, lorsque les matières exigent
du secret. Je sais déjà qu'on décachetait tous mes
paquets et qu'on en transcrivait le chiffre. En recache-
tant dernièrement au bureau du déchiffrement une de
mes lettres à Danzig, comme on a ici votre cachet et
le mien, au lieu de mettre l'empreinte du mien, ils se
sont servis du vôtre. M. Gérard m'en a prévenu»»).
Lettre du prince de Rohan ait, duc d'Aiguillon 2).
« Vienne, le 9 janvier 1773. Je vous ai prévenu. Mon-
sieur le Duc, au commencement de Tannée dernière,
que j'avais distribué à MM. de Naillac, de Parcieux,
de Bulach et de la Mirandole différents objets de tra-
vail. M. de Naillac, comme ayant voyagé dans le Nord,
était chargé de ce qui pouvait intéresser ce pays rela-
tivement aux circonstances actuelles. MM. de Parcieux
et de Bulach ont été occupés du militaire autrichien et
des changements qui pourraient y survenir. M. de la
Mirandole doit tracer le tableau de la constitution civile.
Ces trois derniers veulent encore ajouter quelques obser-
vations au travail qu'ils ont fait. Je ne vous fais donc
passer aujourd'hui que le mémoire que m'a remis le
chevalier de Naillac. Je désire qu'il ait votre approba-
tion et qu'il puisse être un titre pour lui mériter les
bontés du Roi. J'ai l'honneur, etc. ».
A cette lettre est joint le mémoire du chevalier de
Naillac, qui a pour titre : Réflexions politiques sur la
Suède et sur l'état présent du Nord.
1) Cité dans V Introduction^ p. 54..
2) Citée en partie dans» V Introduction y p. 46.
Rtmu d*Aliact, 1907 18
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266 REVUE D'aLSACE
Les lettres suivantes traitent surtout des affaires de
Liège, de Suède (ce pays sera-t-il attaqué par les Russes
ou non ?) et de Pologne (convocation de la Diète, guerre
entre la Russie et la Turquie, congrès de Bucharest,
voyage de Joseph II en Transylvanie et en Pologne),
et des réformes militaires en Autriche.
Lettre «** çj au prince de Rokan au duc d* Aiguillon,
Vienne, le 19 février 1773. L'ambassadeur parle d*abord
d'une convention qu'il a eue avec l'Empereur. Celui-ci
affirme qu'il n'y a point entre lui et le roi de Prusse
de correspondance soit secrète, soit indirecte; il repré-
sente le roi de Prusse comme étant redoutable par son
génie, ses ressources et ses talents militaires. Sa puis-
sance est très difficile à détruire. La cour de Vienne
souhaite que le roi de Prusse ne soit pas attaqué.
« 11 me reste, Monsieur, à répondre à un article de
votre lettre (n** LXXXii) du 25 janvier dernier, où vous
vous exprimez ainsi : Je vous observerai que toutes
les conjectures se trouvent depuis longtemps épuisées,
ce sont des faits que le Roi désire avoir désormais
pour base de son jugement définitif et que c'est à
tâcher de lui en fournir que Sa Majesté compte que
vous emploierez toutes les ressources de votre zèle et
de votre activité »).
cje pourrais. Monsieur, me borner à une seule
observation. Certainement si j'avais des faits plus positifs,
je ne les tairais pas pour y substituer quelquefois des
présomptions, et je crois qu'on ne me soupçonnera pas
de manquer d'activité pour découvrir tous les faits qui
peuvent intéresser ma mission et le service du Roi ;
mais, comme vous me répétez souvent cet avis et que
dans plusieurs de vos dépêches vous me donnez à
entendre que cet hommage de mes réflexions et de
ma manière de voir ne plaît pas, je crois devoir y
répondre. Un avis répété plusieurs fois tient du reproche;
l) Cité dans V Introduction^ P< 31*
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CORRESP. ENTRE d'aIGUILLON ET DE ROHAN 267
«n reproche suppose une faute; si elle existe, il faut
s'en corriger; si elle n'existe pas, il faut se justifier.
C'est pourquoi je vous demande, Monsieur, de mettre
<ette réponse sous les yeux du Roi.
J'ai toujours cru, comme je vous l'ai déjà marqué
par ma lettre n*» 63 du 2 octobre, que le principal
devoir d'un ambassadeur était d'offrir à sa cour le tableau
de celle où il est, de tâcher de pénétrer dans le secret
<le sa politique pour en connaître et démêler les ressorts
^t le but. Quand cette politique est décidée, que le
le plan est connu, tout va de soi-même; des conjectures
-deviennent superflues; mais quand elle est probléma-
tique, que sa marche est compliquée, qu'elle prend des
voies détournées et secrètes pour parvenir à ses fins
et que l'ordre des choses reçoit une nouvelle impulsion,
un ambassadeur zélé et attentif doit alors suivre la
«léthode la plus utile, qui est de partir des événements
-connus pour découvrir ce qui peut ou doit arriver.
Telle est celle que j'ai constamment suivie, depuis que
je suis à Vienne; et qui mieux que vous, Monsieur,
peut me rendre la justice que la plupart de mes con-
jectures ne se sont que trop vérifiées? Je serais très
fâché aujourd'hui de n'avoir pas conjecturé dès le 2 mars
de l'année dernière que les trois puissances allaient
.s'unir pour démembrer la Pologne, de n'en avoir pas
donné l'avis dans ma dépêche n° 1 1 et de n'avoir pas
par conséquent prévu le traité ou plutôt la convention
particulière qui n'a été consommée que six mois après.
Il ne pouvait qu'être utile que je n'attendisse pas le
fait pour en donner l'éveil. Je serais très fâché, lorsqu'on
le pouvait encore avec avantage, de n'avoir point indiqué
les moyens de réunir la Confédération au roi de Pologne:
je conjecturais alors la dévastation actuelle de ce mal-
heureux royaume. Je serais très fâché de n'avoir pas
proposé, il y a plusieurs mois, de séparer la Russie du
roi de Prusse et de se concerter avec la cour de Vienne
pour un objet si essentiel au bien de l'Europe. Je
conjecturais que ce plan qui devait être tôt ou tard
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268 REVUE D'aLSACE
adopté, différé plus longtemps deviendrait d'une exécu-
tion plus difficile. Je conjecturais encore les usurpations-
journalières du roi de Prusse et l'ascendant presque
irrésistible qui le rend aujourd'hui puissance dominante
dans le Nord. Je ne puis être fâché d'avoir conjecture
que les cours de Pétersbourg, de Berlin, de Copen-
hague, malgré leurs déclarations, se disposaient à atta-
quer la Suède. Ces conjectures, qui ont encore donné
lieu à l'avis contenu dans votre dernière dépêche
n** LXXXIV du 31 janvier, étaient cependant appuyées
sur plusieurs faits :
< Premier fait. L'Angleterre ne souffrira pas de flotte
française dans la Baltique.
«Second fait. Le Danemark continue à faire des
préparatifs de guerre et à ne point désarmer en Nor-
vège, où il entretient toujours une armée de 20.000-
hommes.
« Troisième fait. Le roi de Prusse reprend son ton
dur et menaçant.
< Quatrième fait. La Russie assemble une armée de
près de 30.000 hommes sur les frontières de Finlande.
< Cinquième fait. Le prince de Kaunitz a dit qu'il
fallait se précautionner, ne pas trop se fier au roi de
Prusse, qu'il existait toujours à Berlin et à Pétersbourg
des méfiances contre la Suède, qu'on y craignait les
suites de la nouvelle constitution, etc
< C'est ainsi. Monsieur, que j'ai conjecturé et que
j'ai cru donner au Roi des preuves de zèle, ne laissant
rien ignorer à son ministre de tout ce qui pouvait
fonder mes craintes et mes inquiétudes. Je n'y attache
que la valeur que les choses ont en elles-mêmes; c'est
au ministre qui est placé au centre de la négociation
à les apprécier; mais quand une suite de conjectures
appuyées sur des faits sont devenues des faits elles-
mêmes, on est autorisé à croire qu'on a bien fait de
les présenter. Ainsi, Monsieur, je continuerai cette
marche, à moins que vous ne me marquiez que le
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CORRESP. ENTRE D*AIGUILLON ET DE ROHAN 269
Roi me l'interdit. Pour lors je me bornerai à ne parler
•que des faits; mais il me faut un ordre pour me croire
dispensé de faire ce que je pense être mon devoir.
€ J'ai l'honneur d'être, avec un sincère attachement,
Monsieur le Duc, votre très humble et très obéissant
serviteur >.
Lettre «® Qç du prince de Rohan au duc d' Aiguillon.
< Vienne, le 27 février 1773. Vous me demandez, Mon-
sieur le Duc, par votre dernière lettre n^ LXXXV du
7 de ce mois de nouveaux éclaircissements qui cons-
tatent d'une manière plus décisive les notions et les
faits que vous me dites différer essentiellement des
notions et des faits que Sa Majesté a sur des points
aussi importants. J'aurais désiré. Monsieur le Duc, pour
m'éclairer moi-même et pour me guider plus sûrement
<ians les recherches qui pourraient ou me confirmer
dans mon opinion ou la détruire que vous eussiez bien
voulu m'indiquer ces ftotions et ces faits qui diffèrent
essentiellement.
«J'ai dit, il est vrai, 1) que l'attaque de la Suède
-n'avait été que différée; 2) que l'indifférence simulée
■des Anglais était un secours réel promis aux ennemis
■de la Suède ; 3) que le ton naturel du roi de Prusse
renouvelait des craintes qu'on avait d'abord dissipées;
mais, Monsieur, je crois avoir déjà montré la vérité de
•ces trois assertions dans mes n" 90, 95, 97, et, comme
je continue à être persuadé, ce serait contribuer au
i3ien du service que de me mettre à portée d'être
dissuadé, si vous croyez devoir ajouter plus de foi aux
notions et aux faits qui diffèrent essentiellement >.
La cour de Vienne négocie vivement à Berlin pour
•se faire adjuger les villes de Cracovie et de Kaminiek
qui lui sont nécessaires pour la conservation de ses
•nouveaux domaines. Le roi de Prusse ne fait sans doute
"des difficultés que pour obtenir d'autres complaisances,
•c'est-à-dire Danzig et Thorn. L'Empereur doit faire un
voyage en Pologne après les fêtes de Pâques. La Diète
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«7^ REVUE d' ALSACE
de Pologne est fixée aux termes exigés par la décla-
ration uniforme des trois puissances remise à Var-
sovie i).
€ Soyez sûr, Monsieur, que je ne perds pas de vue
l'objet dont le sieur Brunck est chargé; une affaire qui
intéresse M. le duc d'Orléans et qui est recommandée-
par le Roi ne peut que mériter tous mes soins et toute
ma vigilance. On travaille dans la chancellerie d'Etat à
une réponse au Mémoire qui a été présenté sur cet
objet. De nouvelles pièces survenues au sieur Brunck
l'ont engagé à se désister sur certains points et l'ont
mis à portée d'en consolider d'autres. J'ai l'honneur,,
etc. >.
Lettre «° XC du duc d'Aiguillon en réponse à la
lettre n"* çç du prince de Rohan. < Versailles, le 1 1 mars^
^17 i' J'^i reçu. Monsieur, la lettre n^ 99 que vous-
m'avez fait l'honneur de m'écrire le 27 du mois passe
avec le paquet de Constantinople que vous avez bien
voulu y faire joindre. Les lettres, Monsieur, que vous-
m'avez fait l'honneur de m'écrire sous les n°» 95 et 97
et postérieures à celle par laquelle je vous marquais le
désir que le Roi aurait de recevoir des éclaircissements-
plus positifs sur des faits et des notions énoncées dans
votre, lettre n** 95 me sont parvenues successivement^
ainsi que j'ai l'honneur de vous le mander. J'ai eu la
plus grande attention de les mettre sous les yeux di:^
Roi, afin d'aider Sa Majesté à fixer son jugement sur
ces objets importants. Elle m'a chargé à cette occasion
de Vous assurer qu'Elle ne vous laisserait jamais manquer
des instructions nécessaires pour diriger vos démarches-
au plus grand bien de son service. Les vues que la.
cour de Vienne forme sur les villes de Cracovie et de
Kaminiek faciliteront probablement celles du roi de
Prusse sur Danzig et sur Thorn. Le Roi est persuadé^
1) Le 19 avril 1773. Cfr, Arnrth, GeschUhU Maria Theresùts^
VIII, p 406; Ad. BEER, />/> erste Teilung PoUns, II, p. 221.
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CORRESP. ENTRE D'AIGUILLON ET D E ROH.AN 27 I
Monsieur, de votre attention à l'informer de la suite
de la négociation que vous mandez être établie entre
les trois cours sur cet objet.. . ».
Lettre «° //j du prince de Rohan au duc d' Aiguillon,
Vienne, le 28 avril 1773. La cour de Vienne veut
assimiler la constitution de ses Etats à celle de Russie,
c'est-à-dire établir une constitution toute militaire. Or-
donnance pour la constitution militaire.
€ Je tiens de bonne source et de la personne même
à laquelle l'Impératrice Ta dit, un propos dont vous
apprécierez. Monsieur, toute la valeur, mais que j'ai
cru essentiel de vous rapporter.
« L'Impératrice se plaignit, il y a quelques jours,
de tous les désagréments que lui causaient ses enfants.
Elle excepta néanmoins Naples et Florence. Ils devraient,
disait-elle, faire ma joie et ma consolation, et on dirait
qu'ils ont conspiré contre la tranquillité de mes jours.
Elle ajouta : Cette malheureuse affaire de Pologne con-
tinue à m'affliger ; c'est en conséquence, dit-on, que la
France, l'Espagne et la Sardaigne s'unissent à notre
insu par un traité particulier? quel peut-être, ajouta-t-elle,
le but de cette ligue! Celle que nous avons faite avec
Berlin et Pétersbourg, était nécessité par les circons-
tances et bien contre mon gré ; cependant, si on avait
bien voulu, elle n'aurait pas eu lieu ; nous le demandions,
mais j'espère toujours que rien ne rompra notre alliance
avec la France. Quand M. le prince de Kaunitz, Mon-
sieur, me parla de ce traité avec la cour de Turin,
vous savez la réponse que j'y fis, et, quand sans mar-
quer d'inquiétude, on est encore par forme d'entretien
revenu sur cet objet, je m'en suis tenu littéralement à
ce que vous m'avez mandé par votre lettre n** lxxxvii
du 27 février dernier. Ce bruit néanmoins commence à
se répandre et à s'accréditer même dans le corps diplo-
matique . . . >.
Lettre ft* C du duc d^ Aiguillon en réponse à la lettre
nP 113 du prince de Rohan, Versailles, le 12 mai 1773.
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Le roi Louis XV désire être instruit de la manière dont
la conscription militaire sera exécutée en Autriche et
de sa réussite.
< Le Roi est toujours fort aise, Monsieur, d'apprendre
par des anecdotes particulières comment l'Impératrice-
Reine peut s'expliquer dans ses entretiens familiers sur
tous les objets qui peuvent intéresser Sa Majesté, et
Elle vous sait gré de la relation que vous faites de quel-
ques discours de cette nature. Elle me charge de vous
marquer qu'Elle a été vivement frappée de la phrase
où cette princesse dit que si on avait bien voulu, la
ligue avec la cour de Berlin et de Pétersbourg n'aurait
pas eu lieu. Cette espèce de reproche ne peut regarder
que la France, et le Roi en est d'autant plus touché
qu'il semble que la cour de Vienne y fonde toute sa
justification; mais, pour que ce reproche fût mérité, il
faudrait que Leurs Majestés Impériales eussent fait à
Sa Majesté quelque proposition ou quelque ouverture
tendant à prévenir cette alliance ou à détourner les
circonstances par lesquelles la cour de Vienne prétend
avoir été nécessitée de la conclure. Or, Monsieur, depuis
que je suis dans le ministère, rien de semblable ne m'est
venu de sa part. Vous savez vous-même que, depuis
l'époque de votre séjour à Vienne, le ministère autri-
chien ne vous a fait aucune ouverture, et j'ai vérifié
par une recherche exacte dans mes bureaux que dans
les années antérieures à mon ministère jusqu'à l'époque
de l'origine des troubles de Pologne, elle n'en avait
pas fait davantage. Le Roi désirerait. Monsieur, que
vous pussiez dans un de vos entretiens avec l'Impéra-
trice-Reine amener sans affectation la conversation sur
cet objet et fixer la façon de penser et les notions de
cette princesse d'une manière conforme à la vérité des
faits en articulant positivement que jamais le Roi n'a
reçu de sa part aucune espèce d'ouverture ni même
de confidence sur cet objet. Sa Majesté s'en rapporte
à votre zèle et à votre circonspection sur la manière
d'établir cette assertion et de l'accompagner de tout
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 273
-ce qui peut caractériser le ton de ramitié qu*Elle veut
conserver en détruisant un reproche injuste.
c Quant au prétendu traité avec le roi de Sardaigne,
Sa Majesté me charge de vous répéter ce que j'ai eu
J'honneur de vous mander de sa part sur cet objet, et
Elle vous autorise à dire et déclarer hautement en toute
occasion que ce bruit est destitué de tout fondement,
comme de toute vraisemblance et que tout ce qui se
débite à cet égard est absolument et entièrement faux.
J'ai l'honneur, etc. >.
Lettre n"" CXII du duc d'Aiguillon au prince de
Rohan. < Versailles, le 27 juin 1773. J'ai reçu. Monsieur,
la lettre n° 126 que vous m'avez fait l'honneur de
m'écrire, le 12 de ce mois, et j'en ai fait lecture
^u Roi.
t Sa Majesté vous sait gré de l'avoir instruite de la
population de la partie de la Pologne que la cour de
Vienne a fait occuper. Elle sera fort aise d'être égale-
jTient informée des autres détails qui pourront en
-constater la valeur, à mesure que vous vous trouverez
-à portée de les recueillir.
f Le Roi trouve bon. Monsieur, que vous alliez
jjasser aux bains de Tœplitz le temps qu'exigera le
rétablissement de votre santé et que vous choisissiez
pour cet effet le moment qui vous paraîtra le plus
-convenable. Sa Majesté est bien persuadée que vous
prendrez des mesures pour la faire instruire de ce qui
se passera d'intéressant pendant votre absence. J'ai
J'honneur, etc. ».
Lettre n^ 133 du prince de Rohan au duc d' Aiguillon,
Vienne, le 10 juillet 1773...
P, S, Il y a quelque temps que j'ai trouvé le moyen
d'être exactement averti de tout ce qui émane du
-conseil des guerres, et ce n'est pas chose aisée, car on
ne peut rien ajouter à la vigilance du maréchal de Lacy
-et à sa sévérité >.
Lettre «° /j^ du prince de Rohan au duc d* Aiguillon.
-€ Vienne, le 15 juillet 1773... J'ai promesse d'avoir
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274 REVUE D'ALSACB
le nouveau règlement militaire annoncé par mon n** 131^
On me remit hier la table des chapitres, il sera volu-
mineux et bien intéressant. Je vous observerai, Monsieur^
que le chapitre IX joint à n** 133, intitulé : < De la
manière de faire la guerre contre les Turcs », est le-
seul en ce genre, c'est-à-dire qu'aucune autre nation
de l'Europe n'y est ainsi désignée en particulier. J'ai
l'honneur, etc. ».
Lettre n? ij6 du prince de Rohan au duc d'Aiguillon^.
«Je compte partir incessamment pour Tœplitz»), car
je sens la nécessité de céder à l'avfs des médecins,,
souffrant un peu dans les changements de temps. J'ai
pris auprès du prince de Kaunitz la même précaution
que l'année dernière en le priant de vouloir bien parler
avec confiance à l'abbé Georgel pendant ma courte-
absence. Je puis dire que ce ministre a accueilli ma
demande avec la meilleure volonté en m'ajoutant qu'il
m'avait donné preuve de faire tout ce qui pouvait
m'être agréable et que dans toutes les occasions il
agirait de même; que d'ailleurs il était porté d'inclina-
tion pour le personnel de l'abbé Georgel.
« Je crois important, Monsieur, de recueillir avec
soin tout ce qui caractérise l'opposition qui règne entre
la manière de penser de l'Impératrice-Reine et celle de
l'Empereur. Je tiens tout ce que je vais tracer de la-
personne même à qui cette princesse a parlé ainsi, il
y a peu de jours. Elle versait encore des larmes et
elle dit : t Cest de cette façon que je passe et mes-
jours et mes nuits, lorsque je suis seule. Les inquié-:
tudes journalières que me cause le caractère de l'Em-
pereur, donnent des atteintes mortelles à ma santé ^
c'est en vain que j'ai tout employé pour empêcher ce
voyage en Pologne; je ne suis plus écoutée; on voit
mieux que moi ce qui devient nécessaire pour le
i) Cfr. ZotN DR BULACH, V Ambassade du frinu de Rohan,.. ^
p. 100. Ceit le ao juillet que, diaprés le baron Antoine*Jo8eph Zor»»
de Bulach, le prince de Rohan se mit en route.
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 275.
bonheur de mes sujets et la gloire de la monarchie.
J'aurais pu m'y opposer; mais c'eût été un éclat, et
une pareille scission ne pourrait qu'entraîner des suites
fâcheuses. Plût à Dieu que mon fils ne vit jamais la
Pologne et que même il ne l'eût jamais vu sur les
cartes » i). L'Impératrice parla ensuite de la guerre
présente. Il parut par tout ce qu'elle dit des Russes
qu'elle ne désirait ni leur succès ni leur voisinage.
Elle en marqua avec beaucoup de précision et de justesse
tous les dangers; «j'aime bien mieux, ajouta-t-elle^
mes bons amis les Turcs, mais je ne fais pas tout ce
que je désirais».
«Il vous sera facile, Monsieur, de comparer les
sentiments de la mère avec ceux du fils et d'en tirer
les conséquences propres à éclairer ma conduite dans
des moments si critiques. J'ai l'honneur, etc. ».
Lettre n"* 144 du prince de Rohan au duc d* Aiguillon.
«Vienne, le 21 août 1773. Je suis arrivé, Monsieur,
depuis quelques jours 2). Deux orages considérables
ayant fait grossir les torrents dans les montagnes, je
n'ai pas pu prendre le même chemin pour revenir.
J'ai fait un détour de 40 lieues en passant par la Silésie.
En faisant ce peu de chemin de plus j'ai abrégé le
temps; mon absence n'a été que de dix-sept jours.
Cependant cet intervalle m'a paru long, quoique je sois
sûr que le service du Roi n'en a point langui, comme-
vous êtes à portée d'en juger à présent par les choses
intéressantes qui vous ont été marquées...».
Lettre n^ 14c du prince de Rohan au duc d"" Aiguillon.
«Vienne, le 11 septembre 1773. Le bref de Rome,,
Monsieur, qui supprime la société des Jésuites, a eu
ici son exequatur. En conséquence on avait annoncé
avant-hier aux supérieurs des différentes maisons de
cette capitale qu'on ne leur signifierait le bref de suppres-
*.) Cfr. ZOBN DK BULACH, Op. Cit., p. ItÇ.
a) Cfr. ARNKTH, GeschUhit Maria Theresias, VIII, p. 415.
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1276 REVUE d'aLSACE
sion que le 17 de ce mois. De nouveaux ordres ont
accéléré cette publication qui a été faite hier par le
cardinal-archevêque et un commissaire de la cour. On
^ait aujourd'hui que cette signification n'a été si préci-
pitée que parce qu'on avait persuadé que les Jésuites
profiteraient de ce délai pour faire rentrer des capitaux
considérables. Le comte de Hatzfeld, chargé de vérifier
Ce fait, vient d'assurer l'Impératrice qu'après les plus
exactes perquisitions il se trouvait que cette prétendue
rentrée de capitaux n'était qu'un bruit faux et calom-
nieux. Quand la cour de Vienne promit au roi d'Es-
pagne de faire exécuter le bref dans tous les pays de
sa domination, ce fut à condition que la libre disposi-
tion des biens de la Société serait dans la maison du
souverain. Cette condition essentielle avait sans doute
été oubliée à Rome ; la lettre encyclique adressée aux
archevêques et évêques de la domination autrichienne,
Jeur donne le pouvoir de s'emparer de ces biens. On
-a défendu à ces prélats d'user de ce pouvoir; on a
dépêché un courrier à Rome pour rectifier cette méprise.
La réponse du pape, arrivée mercredi dernier, a remis
les choses dans l'état où on les désirait. L'Impératrice-
Reine sera maîtresse absolue des biens des Jésuites de
ses Etats. Elle se charge en conséquence de pourvoir
à l'entretien des nouveaux collèges et à la subsistance
des individus qui doivent incessamment vider leurs
-maisons et changer d'habit. Le pape a aussi donné des
reversales pour certaines expressions du bref qui pour-
raient être interprétées au désavantage de la plénitude
de la puissance temporelle.
« Lorsque j'enverrai un courrier ou que j'aurai une
occasion sûre, je vous communiquerai les preuves de
la manière dont l'Empereur s'y est pris pour décider
sa mère à consentir à la suppression des Jésuites. Il y
a eu entre ce prince et le pape une correspondance
secrète qui a enfin amené la chose au point où elle
se trouve ici aujourd'hui. C'est ainsi qu'il agit, quand
il prévoit que ses représentations n'auront pas d'effet.
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CORRESP. ENTRE D* AIGUILLON ET DE ROHAN 277
Vous verrez encore que ce sont les biens de la Société
qui ont décidé ce prince à en désirer Textinction . . .
On disait hier que l'Empereur ne retournait plus à
Léopol ») et qu'il devait se rendre incessamment ici.
Si ce retour inopiné a lieu, je tâcherai de savoir pour
le premier ordinaire quel peut en être l'objet. J'ai
l'honneur, etc. >.
Lettre «® CXXVI du duc d'Aiguillon au prince de
Rohan. « Versailles, le 25 septembre 1773. J'ai mis,
Monsieur, la lettre n° 149 du 11 de ce mois sous les
yeux du Roi. Sa Majesté était instruite des clauses que
la congrégation des cardinaux avait fait insérer dans la
lettre encyclique adressée à tous les évêques avec le
bref concernant l'extinction de l'ordre des Jésuites,
ainsi que de la déclaration que le pape a faite, dès
qu'il en a été instruit, que ces expressions s'étaient
glissées par erreur dans les expéditions de cette lettre
qui étaient destinées pour les pays étrangers, les clauses
en question ne devant regarder que les évêques de
l'Etat ecclésiastique. Le Roi pense en conséquence,
Monsieur, que cette erreur n'aura pas tardé à être recti-
fiée pour Vienne, comme elle l'a été pour les autres pays,
« Sa Majesté sera toujours fort aise de recevoir les
notions et tous les renseignements que vous aurez à
lui donner relativement à la manière d'être de l'Em-
pereur avec sa mère et aux moyens qu'il emploie pour
surmonter les obstacles qu'elle oppose à ses projets.
< Quant au consentement de cette princesse à l'ex-
tinction des Jésuites, le Roi me permet de vous mander
que c'est le roi d'Espagne qui a sollicité le consente-
ment, que Sa Majesté a été instruite de cette négociation
qui a été conduite sous ses yeux et qu'il y a près de
trois mois qu'elle est terminée. Le Roi désire fort de
connaître les lettres que l'Empereur a écrites à sa mère
sur l'administration de la Pologne autrichienne ... > «).
1) Cfr. Arneth, op. cit., 413.
2) Ibid.
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278 REVUE d'aLSACE
> du prince de Rohan au duc d^ Aiguillon,
octobre 1773. La cour de Vienne ne
activité pour rendre formidable le cordon
sur les frontières de la Turquie. Avis
ssadeur que TEmpereur demandait à la
Qunication de son plan de campagne
ips prochain.
que malgré les marques extérieures
n continue à me donner ici, on ne me
>n gré de ce que par mes moyens on
j'ai découvert ce qu'on avait soin de
Lien ne pourra ralentir ma vigilance; les
3nt trop critiques et trop intéressantes
voir sacrifier mon agrément particulier,
même tout ce que je pourrai éprouver
ienne, lorsque mes démarches et mes
Tont contribuer au plus grand bien du
J'ai l'honneur, etc. >.
xinement), D' L. Ehrhard.
ntroduction^ p. 5S.
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SOUVENIRS DE 1816
JOURNAL
O'UN HABITANT DE CERNAY : M. DE LATOUCHE
Suite «)
Mai /j. Le nommé Bellai, horloger, dont la con-
<iuite irrégulière a été déjà mentionnée, reparaît encore
-derechef sur la scène. Voici le fait. Cet horloger, à
5 heures du matin, était dans une taverne derrière la
poste, où, s'y étant enivré, il chercha dispute à un
caporal du régiment de Lindenau qui y entra pour
y boire, ("e caporal, pour éviter la querelle, quitta ce
<:abaret et alla boire dans un bouchon vis-à-vis du pres-
bytère; pendant cet intervalle, l'hôte de la taverne
chassa ledit Bellai comme un perturbateur. Le hasard
voulut que cet horloger entra dans le bouchon vis-à-vis
du presbytère et y voyant ce caporal il tomba sur lui
comme un furieux et voulut le tuer, mais ce caporal
se défendit vigoureusement et terrassa ledit Bellai. Sur
-ces entrefaites arriva un sergent-major pour séparer les
-combattants, mais l'horloger toujours furieux ne voulait
pas céder; alors ce sergent-major chercha la garde,
-laquelle arrêta les deux délinquants et les conduisit
i) Voir U livraison de mai-juin 1906.
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aSo REVUE d'alsace
vers la prison; mais en chemin ledit Bellai ramassa
une grosse pierre dans la rue et la jeta avec violence
contre la tête de ce caporal et lui fendit la paupière,
au point qu'on voyait l'intérieur de l'œil. Alors les-
soldats de la garde le conduisirent au corps de garde
de la maison de ville, où leurs camarades se trouvaient,
lesquels, voyant leur caporal si mal traité, tombèrent
à coups redoublés sur ledit Bellai, lequel, pour parer
les coups, se réfugia sous le lit de camp et invectiva
tous ces soldats par les plus infâmes injures. Le sergent-
major fit de suite le rapport de cet accident à M, de
Betch, capitaine du régiment et commandant de la
ville, lequel fit transporter ce caporal blessé à l'hôpital
de Thann où le chirurgien-major, après l'avoir pansé,-
opina qu'il pourrait perdre l'œil.
Quant à l'horloger Bellai, le commandant ordonna
qu'il fut gardé à vue jusqu'à ce qu'il eût rendu un
compte exact à son colonel, lequel doit en avoir écrit
au général Frimont, qui doit prononcer la sentence sur
cet événement qui est une suite de l'insouciance des
agents de police de la ville de Cernay, lesquels, par
leur conduite, paraissent soutenir les coquins. Il est k
observer que voici déjà la cinquième aventure que cet
horloger a eue avec toutes les troupes alliées qui étaient
en garnison à Cernay, sans compter les horreurs de sa
conduite qui est infâme, laquelle Ta déjà fait chasser
des communes de Rouffach et de Guebwiller, avant
qu'il vint s'établir à Cernay, où il est domicilié depuis
trois ans à y faire le vagabond. Enfin aujourd'hui le
sieur Zurcher, maire, a promis à M. le commandant
M. de Betch de faire chasser ledit Bellai de la ville,
après qu'il sera rétabli des blessures qu'il a reçues dans
cette circonstance.
Mai i8, M. Falck, maréchal des logis de la gendar-
merie, a reçu du maire de la commune de Staffelfelden
la déclaration ci-après:
Proces-verbaL — Sur la plainte rendue par Catherine
Hiltenhrandty épouse de Joseph Gibo, contre le sieur Jean-
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SOUVENIRS DE 1816 281
Baptiste Gilg^ prêtre^ desservant la cure de Staffelfelden*
Savoir :
Ladite Catherine Hiltenbrandt a déclaré devant moi,
maire, ce qui suit en ces propres termes.
I** A Eguisheim, le ii mars 1803, j*ai mis au monde
deux enfants, un garçon et une fille, que ledit Gilg a
reçus lui-même, et que personne autre s'est trouvé à
mon accouchement que lui seul, n'y ayant pas d'autres
sages-femmes que lui Gilg; qu'ensuite le susdit Gilg a
privé ces deux enfants de nourriture, et qu'ensuite ils
sont morts par la faim; qu'après la mort de ces deux
enfants ledit Gilg les a enlevés dans la nuit et les a
brûlés dans un four de la maison de Joseph Horber
du susdit lieu.
2° A Soppe-le-Haut en l'an 1807, je suis accouchée
d'un garçon ; dans l'enfantement s'était montré le bras
de cet enfant que ledit Gilg a eu la cruauté de couper
à Pentrée de la matri:e; et, après la naissance de cet
enfant, ledit Gilg a pris ce bras coupé et Ta jeté au
feu avec l'enfant, dans le fourneau de la chambre que
j'habitais; telle est la vérité de ce que je déclare.
La présente déclaration faite à Staffelfelden , le
17 mai 1816.
Mai 2j. L'on a appris qu'un nommé Haas, écrivain
de la sous-préfecture, s'est pendu avec son mouchoir
sur les greniers de l'hôtel de ville de ladite sous-préfec-
ture de Belfort.
Mai 28. 11 y a eu une grande rixe entre les troupes
du régiment de Lindenau, en quartier à Soultz, et les
bourgeois de cette ville. Les soldats étaient furieux;
ils ont blessés plusieurs habitants, parmi lesquels se
trouvent les nommés Morice et son fils, fondeurs de
cloches, et le nommé Bechelé fils. Ces trois blessés ont
été se plaindre au major de ce régiment, lequel se
transporta de suite au corps de garde et fit arrêter
dix de ses soldats, qu'il fit mettre de suite en prison
en attendant qu'il eût examiné lui-même le fond de
cette affaire.
Revue d*AUace, 1907 1»
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282 REVUE D*ALSACE
Le lendemain 29, M. Wilhelm, juge de paix de
Soultz, fit une information de cette rixe qui fut entière-
ment reconnue au désavantage de ces militaires, et Ton
croit qu'il en a instruit directement le préfet du dépar-
tement
Mai 2ç. La gendarmerie de Cernay a arrêté à une
heure du matin un homme qui traversait le pont de
ia rivière avec un sac sur le dos; après lui avoir
demandé son passe-port, il dit qu'il n'en avait pas,
parce qu'il était de Wittelsheim, et à l'instant il jeta
son sac à terre et voulut s'enfuir, mais l'ayant saisi au
collet, les gendarmes visitèrent ce sac, et il s'y trouva
cinq poules et un coq, ce qui prouve qu'il avait volé
ces volailles. Il fut de suite conduit dans la prison de
la ville pour y rester jusqu'à ce qu'on soit informé de
sa demeure.
Juin /. Le curé Thaler a été. prendre possession
de la maison curiale à Thann, où il a été nommé par
l'évêque, et, le surlendemain, ce curé trouva dans sa
chambre une lettre à son adresse, et, l'ayant décachetée
pour la lire, il s'y trouva les mots suivants en langue
allemande : < Wir haben ein getreuer Weis verloren
und ein falscher Thaler dafûr gefunden^ und wir haben
ein getreuer Weis gegeben fur ein falscher Thaler >.
Cela veut dire en français : Nous avons donné la sagesse
pour un écu faux.
Juin 2. Le susdit curé Thaler prêcha le jour de la
Pentecôte dans la grande %lise à Thann. Son sermon
fut si pathétique que les bourgeois en partie ont dit
qu'ils avaient été si édifiés qu'on peut assurer qu'il
n'aurait plus la moitié de ses auditeurs la seconde fois
qu'il prêcherait.
Le même jour, vers dix heures du soir, un nommé
Christ, garçon de fabrique, est allé dans la maison d'un
nommé Kleindienst, où il prit querelle avec ce dernier
au sujet d'un enfant. Ledit Kleindienst finît par passer
son sabre audit Christ à travers du corps et lui perça
la rate.
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SOUVENIRS DE 1816 283
yiiin jo. M. Senolka, cadet dans le régiment de
Lindenau, natif d'Eisgrub en Moravie, est venu prendre
-congé de moi; c'est un jeune homme qui a fait ses
études et est très amateur de livres latins. Je lui en ai
donné trois de cette langue qui lui ont fait un plaisir
infini; il est parti d*ici au grand regret de tous ceux
qui l'ont connu, et est allé à Soultzmatt, où il sera logé
avec sa compagnie.
Juillet 2, Le tambour de la ville de Cernay a publié,
par ordre du maire Ziircher, que tous les habitants
domiciliés doivent signer leurs noms chez le sieur Weiss,
secrétaire de la commune, sur une liste qu'il leur pré-
sentera de la part dudit maire, et que tous ceux qui
refuseront de signer seront contraints d'avoir des soldats
à loger chez eux jusqu'à ce qu'ils aient signé ladite
liste; que cette liste partirait le 4 pour être envoyée
au sous-préfet de Belfort et que, si dans cet intervalle
on différait de la signer, que jeudi prochain, 4 dudit
mois, on enverrait des garnisaires dans les maisons de
tous ceux qui n'auront pas signé. Il faut observer que
trois heures après cette publication le sieur Weiss a
remis au messager Schuler cette liste qu'il a de suite
portée le même jour à la poste d'Aspach-le-Bas pour
la transporter à Belfort.
Juillet 5. La nouvelle caserne dont l'entrepreneur
était le nommé Mosbrucker, s*est écroulée à 7 heures
<Ju matin, à cause que les murailles étaient pourries de
vétusté, car ce bâtiment appartenait originairement aux
comtes de Ferrette et subsistait depuis plus de 400 ans.
Heureusement que personne n'a été tué ; il n^y a eu
que le nommé Bernard Ley, menuisier, qjii a été
blessé, mais non dangereusement.
Août 4. Le nommé Dominique Elser, écrivain du
logement des troupes, délivra plusieurs billets de loge-
ment à un feldweibel du régiment de Lindenau, en lui
disant qu*il avait le choix de loger où il lui conviendrait
te mieux; en conséquence ce feldweibel choisit dé
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284 REVUE d'aLSACE
préférence le logement de M. de Latouche. Ce dernier
alla de suite faire ses représentations au sieur Ziirchery-
maire, mais au lieu d'en recevoir justice, ce maire lui
dit d'avoir encore patience jusqu'à ce que les casernes
soient achevées. Il est à observer que malgré cela le
maire Ziircher a disposé de la maison numéro 54, aussi*
appartenant à M. de Latouche, pour y établir une
école militaire; enfin l'injustice est à l'ordre du jour.
Août ç. La femme du juif Dreyfus a été battue et
ensanglantée par un caporal du régiment de Lindenau,
parce qu'elle ne lui a pas fait de soupe à son goût;,
en conséquence son mari a été porter ses plaintes au
capitaine commandant, lequel a donné de suite des
ordres pour faire arrêter le délinquant qui s'est caché.
Le nommé Dominique Elser, sous-secrétaire de la*
mairie de Cernay, a été trouvé étendu par terre sur
la grande . route de Belfort. Ce drôle était ivre-mort, au.
point que les voisins de la chaussée l'ont traîné jusqu^à
l'auberge du Liofi cVor^ où ils l'ont ensuite couché
dans une écurie sur une botte de paille où il a cuvé
son vin.
Nota, Cette dernière anecdote a été certifiée par
M. Michel Fautsch, adjoint de la commune de Cernay,
le 13 août 18 16 dans le presbytère, en présence de
M. Ziireher maire, M. Ziircher le fils, le curé d'Uffholtz,
le curé de Hartmannswiller, le curé de Thann, le curé
de Cernay et le curé de Wittelsheim. Il faut avouer
que la conduite d'un secrétaire de cette espèce fait
bien peu d'honneur à la mairie de Cernay.
Août IQ, Les nommés Maurice Schneiderle, garçon
menuisier, et Joseph Schwartz, menuisier, ont été arrêtés-
par la gendarmerie, ainsi que Paul Grien, le fils, et
plusieurs autres pour des cris séditieux; ces mauvais
sujets ont été conduits devant le juge de paix de
Cernay, qui les a interrogés et les a fait conduire en
prison, d'où ils seront transférés devant le tribunal
correctionnel de Belfort qui doit statuer en conséquence.
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SOUVENIRS DE 1816 285
Septembre ij. Le duc de Wellington, général com-
mandant de toute l'armée des alliés en France, arriva
-à Cernay vers les 9 heures du matin, accompagné de
deux aides de camp, dont l'un n'avait qu'un bras. Ils
étaient en uniforme rouge écarlate et portaient, ainsi
-que le duc, de tout petits chapeaux noirs, garnis d'un
-bouton de diamant encadré dans un feuillage d'or massif.
Le duc de Wellington avait sa décoration avec un ruban
•rayé en long de rouge et blanc; il était dans son
carrosse qui était carré et à huit places; le fond était
peint de couleur chocolat; les armes de l'alliance d'An-
.^leterre et d'Espagne sur chaque panneau étaient peintes
et les ordres dont il était revêtu avec des inscriptions
en latin. Cette voiture était attelée de six chevaux
blancs et conduite par deux postillons habillés en blanc
avec des collets et parements jaunes.
Le duc de Wellington descendit de sa voiture sur
la chaussée de Belfort qui traverse celle de Mulhouse,
^t à l'instant on lui amena deux chevaux de monture,
J'un gris-pommelé et l'autre bai-noir. Le duc monta
ce dernier de préférence, et, pendant qu'il mit le pied
■dans rétrier, un général autrichien tenait la bride de
son cheval, ce qui a étonné la gendarmerie française
qui l'escortait. De là le duc alla, suivi des généraux
Latour, Letterer et autres, se présenter devant les troupes
-qui l'attendaient et qui étaient déjà rangé en bataille
«ur la plaine dite VOchsenfeld, entre le village d'Aspach-
le-Bas et la ferme de Heilmann. Ces troupes étaient
-composées des régiments de hussards hongrois, des
chasseurs de Wolf, et des régiments de Hohenlohe-
Bartenstein et de Lindenau. Le duc, les ayant passés
scn revue, les fit manœuvrer; après ces manœuvres on
fit la petite guerre, les chasseurs commencèrent à tirer,
'et, dans la fusillade, il y eut un de ces chasseurs, nommé
Fegelmiller, de blessé à mort. L'on prétend que c'est
un de ses camarades qui lui a donné ce coup de fusil
dont la balle lui est entrée dans le bas-ventre du côté
gauche. Ce nommé Fegelmiller est un homme âgé
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«86 RRVUE D'ALSACE
d*environ i8 à 20 ans; on prétend qu'il est fils unique
d'une bonne famille, et que c'est par une espèce de
vengeance qu'il a reçu cet accident, parce qu'il avait
eu dispute avec ce camarade à Masevaux pour cause
de jalousie.
Nota, Fegelmiller est mort sept jours après à Œlen-
berg. Cette petite guerre se finit vers midi, et alors le
duc renvoya les troupes dans leurs cantonnements. Il
ne remonta plus dans son carrosse et s'en fut à Thann
dîner dans une tente que le maire avait fait dresser
devant la ville.
Septembre 22, Le feldwebel Klinger du régiment de
Lindenau a dit que ce même jour deux feldwebel en
quartier à Souitz avaient été attaqués par vingt garçons
sur une promenade des environs de Wattwiller ; que
ces garçons, qui avaient été militaires, en avaient
assommé un à coups de trique et lui avaient cassé les-
deux bras.
Le susdit Klinger a raconté que le 22 il y a eu
une révolte au village de Willer, vallée de Saint-
Amarin, où il y avait la Kilbe \ qu'une rixe s'était
engagée entre les soldats de Lindenau et les paysans
de l'endroit à cause de la danse.
Octobre ç. Le nommé Jean-Baptiste Berger, membre
du Conseil de la municipalité de Cernay, a déclaré en
présence du sieur Fautsch, adjoint, et du nommé Frasse
le brasseur, que le nommé Dominique EItzer, distri-
buteur des logements militaires, est entré dans la maison
du berger, vers minuit, étant ivre à tomber; que dans
cet état il s'en fut avec une chandelle allumée visiter
le grenier qui est garni de paille; que sa belle-sœur^
nommée Marguerite Delerse, ayant aperçu le danger,,
accourut et lui arracha la chandelle des mains; alors
ledit EItzer, furieux, vint fondre sur elle avec un sabre
nu en main et l'aurait tuée, si le susdit berger n'était
pas venu à son secours.
Octobre 10. Il y eut une émeute du peuple à Colmar
à cause de la cherté du blé au marché, la populace
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SOUVENIRS DE 1816 287
criait ouvertement que M. le comte de Castéja, préfet
du Haut-Rhin, s'était associé aux fournisseurs de blés;
le sieur Mathieu, commissaire de police, alla de suite
chez le préfet pour le prévenir de cette rumeur. Le
préfet lui dit : «Que voulez-vous que je fasse?»
M. Mathieu lui répondit : < Donnez-moi plein pouvoir
d'agir pendant quinze jours et je vous promets que le
blé qui est à 50 francs le sac, sera diminué jusqu'à
30 francs >. M. de Castéja lui refusa ce pouvoir, et alors
le sieur Mathieu lui observa qu'il serait dénoncé indu-
bitablement. M. d'Argenson doit avoir aussi dit à ce
même préfet, qu'il le dénoncerait lui-même au gouver-
nement, d'autant plus qu'il est soupçonné d'avoir fait
passer déjà plus de 2000 sacs de farine de l'autre côté
du Rhin.
Octobre 13, L'on a annoncé que le sieur Ignace
Mouflf, percepteur du canton de Cernay, est destitué et
que M , de Paris, devait le remplacer, ayant déjà
été nommé par le ministre.
Octobre 20. Après 9 heures du soir, deux soldats
logés chez le fermier de M. de Latouche, prirent que-
relle avec leur hôte, auquel ils cassèrent les fenêtres.
Cet homme fut contraint de se sauver par dessus le
mur de la ferme; il se transporta au corps de garde
pour y chercher secours. Pendant cet intervalle M. de
Latouche entendit de sa maison la voix d'un de ces
soldats, qui menaçait de tirer un coup de fusil à travers
leurs fenêtres brisées; alors M. de Latouche alla lui-
même en prévenir le chef de la garde qui vint de suite
l'accompagner et s'informa du sujet de cette querelle,
et, ayant aperçu qu'un de ces soldats était ivre, il
ordonna à ce dernier de le suivre et ensuite dit à l'hôte
et à l'hôtesse qu'il examinerait cette affaire scrupu-
leusement.
Octobre 21, Vers 8 heures du matin le sieur Falck,
maréchal des logis de la gendarmerie, se transporta
chez M. de Latouche pour lui demander de quelle
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288 REVUE D'aLSACE
manière cette affaire s'était passée. M. de Latouche,
pour mieux lui en donner des éclaircissements, le con-
duisit directement à la maison du fermier, où il vit le
désastre que ces soldats avaient commis. Alors ce maré-
chal des logis s'en fut faire son rapport au maire du
lieu et au commandant en chef qui est un capitaine
du régiment de Lindenau, nommé M. le baron de Metz,
Ce commandant se transporta lui-même chez le fermier,
auquel il demanda le sujet de sa plainte. Ce fermier
lui ayant dit que ces soldats voulaient le tuer et que
l'un d'eux avait déjà chargé son fusil pour cet objet;
alors ce commandant, accompagné d'un feldweibeL dit
à ce dernier de le conduire dans le logement des délin-
quants, et, n'y voyant pas leurs fusils parce qu'ils les
avaient caché à cause qu'ils étaient ensanglantés, il dit
audit feldwelbel de compter le nombre des cartouches
qui étaient dans les gibernes; il se trouva qu'une car-
touche y manquait, ce qui prouva le mauvais dessein
de celui qui avait menacé de tuer le fermier ; en con-
séquence, ce commandeur en prit note et dit ensuite
à M. de Latouche de dire à ce fermier de faire un état
spécifié des fenêtres qui ont été cassées, afin qu'il puisse
en rendre compte au régiment, et que son régiment
payerait le dégât. Ledit fermier a fait faire l'estimation
par le vitrier nommé Christen, qui en a donné Tétat
du montant à 45 francs audit Joseph Munsch, et ce
dernier l'a porté à M. le baron de Metz, commandant
de la ville de Cernay. Le lendemain, le commandant
écrivit à M. de Latouche que le soldat avait payé ce
mémoire et que l'argent était entre ses mains; qu'en
conséquence le vitrier devait se dépécher à racom-
moder ces fenêtres cassées, mais ce vitrier n'a voulu
y travailler que sur le cautionnement de M. de Latouche;
ce dernier a de suite acquiescé à sa demande sans
difficulté.
Nota. Ce soldat, après avoir payé le dégât, a reçu
en outre 40 coups de bâton sur les fesses par ordre
du commandant.
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SOUVENIRS DE 1816 289
Octobre 2ç, M. Zurcher le maire se plaignit à M. Falck,
chef de police, que dans la nuit du 28 on lui avait volé
deux pièces de mouchoirs de sa fabrique. En consé-
quence on fit des recherches scrupuleuses, et l'objet de
ce vol fut découvert chez un habitant du lieu, maison
n° 15, qui logeait deux soldats du régiment de Linde-
nau. On trouva dans la paillasse de ces soldats plusieurs
mouchoirs de cette espèce, qui furent reconnus. En
conséquence le commandant, M. le baron de Metz, fit
arrêter à l'instant ces deux soldats, lesquels, après avoir
été très sévèrement interrogés, avouèrent qu'ils avaient
volé ces mouchoirs et qu'ils en avaient vendu et dis-
tribué à plusieurs de leurs camarades qu'ils nommèrent ;
sur cet aveu M. le commandant ordonna aux caporaux
d'en arrêter quinze, lesquels furent de suite conduits
au corps de garde et enchaînés en croix en attendant
le résultat de cette affaire.
Novembre ir, M. Henriet, contrôleur des contribu-
tions, est venu à Cernay pour installer M. Hicar en
quaUté de percepteur en place du sieur Ignace Mouff,
lequel a été destitué par ordre du ministre. En consé-
quence M. Henriet a dressé un procès-verbal relatif à
cette destitution et a fait remettre les livres de per-
ception par ledit destitué à M. Hicar son remplaçant.
Ce M. Hicar est un ancien militaire, décoré de la
croix d'honneur, duquel toutes les personnes qui l'ont
connu à Belfort, en font un grand éloge comme étant
porté pour la justice, et ayant de l'humanité et des
-égards pour les personnes oppressées, au lieu que son
prédécesseur Mouff était de turc à maure avec les hon-
nêtes gens, leur envoyait ses contraintes avant de les
prévenir, et se faisant en outre payer sur les mandats
•tles pensionnaires, auxquels il a demandé depuis 30 sols
<le pertes jusqu'à 6 francs : cela seul est un cas de
<lestitution, non compris son ton insolent et arrogant,
avec lequel il renvoyait les gens qu'il devait payer;
joint à cela il n'a pas encore rendu compte à aucune
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290 REVUE D ALSACE
commune dont il faisait la recette des deniers patrimo-
niaux ou rentes communales.
Décembre 12, A huit heures du soir, on a vu tomber
du ciel une masse de feu de la largeur de dix pieds
au moins, qui a tombé proche de l'église de Cernay.
Ce phénomène, ayant causé une alerte aux maisons
voisines, les habitants d'icelles ont visité les matières
de ce feu, qui n'était qu'un tas de braises et de bois
allumés, qui avait été jeté par la fenêtre par une vieille
femme en colère contre sa fille, parce qu'elle avait fait
trop de feu dans le fourneau.
Le même jour, à neuf heures du soir, la nouvelle
caserne s'est écroulée en partie.
Décembre /j. Un débordement causé par la fonte
des neiges et par une pluie continuelle a causé de
grands malheurs : trois charpentiers de Masevaux se
sont noyés en voulant raccommoder un pont que les
grands eaux avaient enlevé. Un de ces charpentiers a
été trouvé mort à Schweighouse, où le sieur Falk,
maréchal des logis de la gendarmerie, s'est transporté
et l'a fait enterrer de suite, après avoir fait dresser un
procès-verbal en conséquence.
Décembre 22, La ci-devant veuve Saner, née Gouli^
de Ranspach, a été arrêtée par le même maréchal des
logis de la gendarmerie à Burnhaupt-le-Bas. Cette femme
était porteuse de fausse monnaie. En la visitant on a
trouvé dans un papier roulé sept écus de 5 francs à
l'effigie de Napoléon, quatre pièces de 4 sols, deux
pièces de 20 sols et une de lO; une fiole de vif argent.
En conséquence elle a été conduite ce même jour dans-
la prison de Cernay avec son deuxième mari, nommé
Aler, pour être transportés au tribunal criminel à Belfort..
Le même jour, les sieurs Ziegler et Compagnie,,
fabricants à Guebwiller, ont été volés; et, après avoir
fait des informations sur ce vol, la gendarmerie a arrêté^
une femme suspecte, dont le mari absent est Suisse
d'origine. Cette femme, qui a un petit enfant avec elle^
a déclaré que la bande des voleurs avait son rassem-
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SOUVENIRS DE 1816
291^
blement chez le berger des cochons à Vieux-Thann;
en conséquence la gendarmerie se saisit de suite de ce
berger, lequel déclara qu'on trouverait les vols enterrés
dans la cave du nommé Wagner, habitant à Burnhaupt-
le-Bas; alors la gendarmerie conduisit le déclarant dans
la maison dudit Wagner, lequel ne se montra pas, se
faisant dire absent ; mais, en visitant sa cave, on y
trouva non seulement les marchandises de la manufac-
ture de Guebwiller, mais encore des effets volés de la
boutique du sieur Bernoud, marchand épicier audit
Burnhaupt.
Décembre 2^. Le 1" de ce mois, M. Ziircher envoya
le sieur Dominique Eltzer, valet de Técrivain des loge-
ments, chez M. de Latouche, et lui faisait dire qu'il
devait loger, pendant quinze jours, le sieur Eger, aide-
chirurgien du régiment de Lindenau; ledit Eltzer dit
en outre à M. de Latouche que pendant que cet aide-
chirurgien serait logé chez lui, il serait exempt de loger
d'autres militaires. M. de Latouche, se fiant à la parole
du maire, comptait comme de juste rester tranquille
chez lui; mais il fut très étonné de recevoir, le 24
dudit mois, un billet de logement portant trois personnes
et trois chevaux, savoir le trésorier, sa femme et une
ordonnance des hussards du Haut-Rhin. Sur cela M. de
Latouche envoya sa cuisinière à la maison de ville,,
laquelle dit audit Eltzer que, sans doute, il s'était
trompé, puisque leur maison logeait déjà un Autrichien,
et que Tordre défendait de les loger avec les Français;
qu'en conséquence il devait donner un autre billet de
logement à ce trésorier et à sa suite. Mais le sieur
Eltzer, au lieu d'y obtempérer, dit à la cuisinière de
M. de Latouche : « Allez-vous-en et dites à votre maître
que s'il n'est pas content qu'il n'a qu'à écrire au roi,,
afin qu'il chasse les Allemands de la France». Ce propos
inconsidéré dudit Eltzer a été prononcé en présence
d'un ouvrier de M. Schwartz, fabricant.
Ladite cuisinière rapporta cette réponse à M. de
Latouche, lequel, se trouvant malade, envoya sa gou—
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2Q2 RKVUE D ALSACE
vernante chez M. Ziircher, maire ; celui-ci donna de
suite ordre par écrit de loger le trésorier et sa suite
-ailleurs; la gouvernante alla trouver ledit Eltzer à la
maison de ville et lui remit cet ordre ; mais cet insolent
refusa d'exécuter Tordre de son maître et dit qu'il n'y
avait plus d'autre logement, ce qui est faux, puisqu'il
y avait encore plus de six logements vacants.
Ne trouvant donc aucune justice, M. de Latouche
alla se coucher ; pendant cet intervalle l'aide-chirurgien
•<lu régiment de Lindenau revint à son logement, à côté
duquel se trouvait alors le susdit trésorier des hussards
<lu Haut-Rhin. Ce dernier apostropha le corps des Alle-
iinands d'une manière humiliante, et cela dans l'intention
de chercher querelle avec ledit aide-chirurgien; mais
-ce dernier montra beaucoup de prudence et ne répondit
pas un mot, mais s'en fut le lendemain chez M. de
Metz, capitaine commandant du régiment de Lindenau,
4ui porter ses plaintes sur les insultes de ce trésorier.
Le commandant lui reprocha de ne pas l'avoir prévenu
la veille, car il aurait envoyé pour faire arrêter te
-coupable.
iSiota. Si malheureusement la garde autrichienne
: avait exécuté l'ordre de son commandant, le plus grand
^malheur serait arrivé dans la ville, car les 400 hussards
'.français qui s'y trouvaient seraient tombés sur les
Autrichiens, et il en serait résulté une affaire qui aurait
«rois le feu à la ville, et cela à canse de la cochonnerie
<lu sieur Eltzer.
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VARIÉTÉS
Une lettre de Victor Henry.
Cest avec raison que Fauteur de l'article nécrologique *) con-
sacré à Victor Henry a insisté sur la modestie et la serviabilité
de notre regretté collaborateur.
Il tC était pas de ces savants qui gardent jalousement leur
science; volontiers il se mettait à la disposition de ses plus
humbles collègues et leur donnait de précieuses consultations.
Voici une lettre qu'il adressa à un jeune professeur alsacien
sur une question d^étymologie qui intéressera certainement nos
lecteurs,
Uaprïs la nouvelle orthographe allemande^ imposée en
France depuis quelques années seulement^ le mot epheu {lierre)^
doit s'écrire désormais efeu.
Et pourtant on prononce encore à présent dans le Haut-'
Rhin aphaï, en distinguant nettement les deux syllabes ap et
haï ! Et pourtant, à ne considérer que Vétymologie, la partie
haï, foin, herbe, devrait être maintenue, puisque le lierre est
bien une esplce d^ herbe.
M. Henry voulut bien répondre au professeur embarrassé :
Sceaux (Seine), a8 octobre 1905.
Monsieur et cher compatriote.
Je prends la liberté de vous féliciter vivement de l'intérêt
que vous portez à nos études alsatiques et m'empresse de vous-
adresser le renseignement que vous me faites ^honneur de me
1) Paru dans le dernier numéro de la Revut (fAliote.
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294 REVUE D'aLSACE
demander. Votre question comporte une double réponse :
fiistoriauement, vous avez raison contre l'orthographe actuelle;
îment, c'est celle-ci qui a raison contre vous.
l n'est pas sûr que la seconde syllabe de epheu con-
le mot heu : foin, herbe ; cependant je le tiens pour
e, au moins du fait d'une fausse étymologie qui a
en epheu le mot attesté en vicux-haut-allemand sous la
bawi.
lais ce qui est sûr du moins, c'est que le mot devrait
oncer et s'est partout prononcé jadis ep-heu, à telles
es qu'il devrait même s'écrire eb-heu^ témoin l'ortho-
ci-dessus et autres du vieux-haut-allemand, èbehàu^
:, etc., encore en 1561 abhduWy etc; comparer l'anglo-
îg^ où r/est un z/, comme le montre l'anglais actuel ivy,
-»a prononciation correcte ep-heu est restée celle, non
ïnt de toute PAlsace (colmarien hapay par métathèse de
tion, mais de toute l'Alémanie et Souabe, et même du
mconien.
dais la prononciation efeu est attestée ailleurs dès 1686;
>artient au domaine saxon-thuringien, qui^ comme vous
;, a exercé une influence tout à fait prépondérante sur
étisme allemand à partir du xvi« siècle.
Un conséquence, le nouveau règlement, en prescrivant
efeuy n'a fait que mettre l'orthographe en harmonie
prononciation officiellement consacrée par l'usage de
agne centrale.
ous remercie d'avoir appelé mon attention sur ce cas
ant, et suis, Monsieur et cher compatriote.
Votre tout dévoué
V. Henry.
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LIVRES NOUVEAUX
Répertoire biographique de l'Episcopat constitutionnel iJQl-
lSo2, par l'abbé P. Pisani. (Paris, Picard, 1907). —
(Bas-Rhin, pages 342-50 ; Haut-Rhin» pages 256-60).
bibliographie des Chants populaires français, par de Beaure-
paire-Froment. (Paris, édition de la Revue du Tradition^
nisme, 60, quai des Orfèvres (!«')• * fr« 5o)«
On sait qu3 chez de Beaurepaire-Froment l'écrivain à la
^orte personnalité se double d*un érudit. Nous n'avons pas en
France de bibliographie générale traditionniste. Beaurepaire-
Froment vient de combler cette lacune, en ce qui concerne
les chansons populaires. La très sérieuse Bibliographie des
Chants populaires français, qu'il nous donne, est indispensable
aux érudits, aux lettrés, aux artistes, aux curieux, à tous ceux
<]u'intéressent nos merveilleuses chansons populaires.
La bibliographie des chants d'Alsace et de Lorraine occupe
4es page» 17 et 18. Il y avait lieu d'ajouter à cHle de l'Alsace
les JahrbUcher fUr Geschichte, Sfrache u, Litteratur in Elsass-
Lothringen, publiés par le Vogesen-Club depuis 1885.
Articles d« Jownaux tt d* revuM.
Bulletin médical (de Paris), 5 janvier. Pierre Merklen,
par le D' Siredey.
Le Messager (f Alsace^Lor raine, a6 janvier. Alfred Touche-
molin. — 23 février. Henri Welschinger, par Jean d'Alsace. —
<) mars. La Garde d'honneur de Saverne, par A. Dépréaux*
L^e ravitaillement de Colmar et de Haguenau en 1636.
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296 REVUE D*ALSACE
Revue Mabillon. Novembre 1906 et février 1907. Un cisio
janus cistercien de Pairis du xiii« siècle, par D. de Dartein.
Revue politique et parlementaire, 10 février. L'idée de
patrie en Alsace, par Jos. Fleurent.
La Tradition, Novembre-décembre 1906, L'Ochsenfeld,
ses légendes, ses traditions, par A. I. Ingold.
Journal des Débats, 22 et 29 mars. A. Hallays : En flânant.
Le château des Rohan à Strasbourg.
Images du Musée alsacien. i«f fascicule 1907 : Chaumières
de la vallée de la Brusche. — Costumes de bourgeoises, époque
de Louis XVL — Cour de ferme à Schalkendorf. — Sortie de
l'église de Mietesheim.
Revue alsacienne illustrée. Mars. L'organisation adminis-
trative de l'Alsace-Lorraine, par F. Eccard. — Maison d'art
alsacienne à Strasbourg. — La cathédrale de Strasbourg et la
pyramide de Chéops, par J. Knauth.
Courrier alsacien-lorrain, 2 décembre et suivants. Va-
riétés dialectales, par E. Clarac. — S' Nicolas, poésie, pat
E. Hinzelin. — 9 décembre. Kléber et Bonaparte, par E. Hin-
zelin. — La licorne, par le D' Bertrand. — Der Barrer Hutschel-
merk. — 16 décembre. M. Alfred Blech, avec portrait. — La
licorne (suite et fin). — 23 décembre. Le Christkindelmerk,
par G. Acker, avec planches par Touchemolin. — 13 janvier
et suivants. Les Pandours en Alsace, par Ch. Lecomte. —
A. Touchemolin, nécrologie. — 10 février. Ch. Amann, nécro-
logie. — Au Collège, par le D' Bertrand.
RlXHSlM (ALSACB). — TtPOORAPHIS F. SUTTBR & Cis
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PRO DOMO
Dans un article anonyme (naturellement : les faiseurs
de vilaine besogne ont Thabitude de se cacher), la
Strassbnrgcr Post du 5 juin dernier part en guerre
contre notre Revue, laquelle serait, à son avis, depuis
l'annexion de TAlsace à l'Allemagne et surtout depuis
la moit de Liblin, en totale décadence, et aurait tout
à fait dévié de son esprit primitif.
Il y a là deux accusations, auxquelles nous tenons
à répondre aussitôt, du moins sommairement, quitte à
y revenir plus tard : la bataille ne nous ayant jamais
déplu.
Pour réfuter la première, nous prierons les gens
sérieux d'examiner simplement la liste des collaborateurs
de la nouvelle direction de la Revue. A moins de les
fermer systématiquement, il saute aux yeux qu'un
recueil qui a publié des articles de MM. Chuquet,.
Victor Henry, Auaiole de Barthélémy, Eugène MiintZy
l'abbé Hanauer, Bardy, A, Benoit, Charles Hoffmann^
Beuchot, Nerlinger, Schœll, J.-B. Fleurent, Blech, Bour-
geois, Laugel, Helmer, Lehr, etc. . . ., etc , ne fait
vraiment pas mauvaise figure. Quels sont donc les
littérateurs alsaciens contemporains de quelque valeur
qui nous manquent.'^
Et cette simple énumération fournit aussitôt la
réponse à la seconde critique de la Strassburger Post.
On y remarque, en effet, — nous les avons soulignés
à dessein — les noms de bon nombre de collaborateurs
Revue d'AUace, t9u7 20
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298 RFA'UE d' ALSACE
des directeurs actuels de la Revue qui l'ont été aussi
<ie M. Liblin, quelques-uns dès le commencement.
Alors quoi? n'est-il donc pas tromper le public, nous
n'hésitons pas à le dire, que de venir affirmer sans
preuves que Pesprit de la Revue d' Alsace a changé?
A voir se coudoyer fraternellement dans nos livrai-
sons prêtres et laïcs, pasteurs et curés, voire même
libres-penseurs et ultramontains, et vivre dans une bonne
harmonie que des articles comme celui de la Post ne
troublera pas, ne pourrait-on pas plutôt nous accuser
de trop de libéralisme?
A tous nos collaborateurs, à ceux que Liblin avait
groupés autour de lui comme à ceux qui se sont joints
à nous depuis, nous continuons, comme le fondateur
de la Revue^ à ne demander qu'une chose : d'être fidèles
à la vraie tradition alsacienne, celle qui s'abstenant de
politique moderne défend les vrais intérêts de notre
petite patrie et prétend avoir le droit de dire haute-
ment, le prouvant par des études historiques, que
l'époque où l'Alsace a eu son sort lié à celui de la
France n'a pas été sans gloire, ni surtout sans utilité
pour nous ; — on ne voit guère ce que, jusqu'ici du
moins, elle a gagné au change, ni même en quoi l'Alle-
magne en a profité.
Nous avons, croyons-nous, rempli notre programme
et nous pouvons redire ce que nous écrivions au début
de notre direction : c Le passé de la Revue d'Alsace
nous engage pour l'avenir. Elle sera continuée dans le
même esprit largement libéral. Elle maintiendra impar-
tialement ses relations sur le terrain scientifique et
littéraire d'autrefois. Tout en laissant liberté absolu de
jugement et d'appréciation, elle évitera avec soin les
polémiques aggressives et se réservera à la science, à
la littérature, à l'art alsatiques >. Nous ajoutions, ce
qui est aussi à considérer, qu' c au point de vue matériel
nous chercherions à améliorer la Revue dans la mesure
de nos ressources et du nombre de nos abonnés». Ici
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PRO DOMO 299
•encore nous avons tenu parole : la comparaison, qui
est facile, est certes à notre avantage.
On ne sait où le critique de la Post s'est renseigné
sur le petit nombre de nos abonnés pour prendre le
ton d'un prophète de malheur : qu'il se rassure. Nous
n'avons aucune envie de mourir, et à moins qu'on ne
nous étrangle, — procédé quelquefois employé par les
libéraux d'une certaine espèce, — nous comptons bien
^naintenir haut et ferme, de longues années encore, s*il
plaît à Dieu, notre drapeau.
Un mot encore pour terminer : nous disions en
commençant que l'article de la Strassburger Post est
anonyme. Hélas ! le style c'est Phomme^ et on n'a pas
eu de peine, à Colmar où, pour cause, il est connu,
-à reconnaître de quelle plume sont sortis ces phrases
lourdes et embarrassées, aussi boursouflées que préten-
tieuses. Gageons que si la Revtie d'Alsace avait ouvert
-ses portes à ce double renégat, il n'aurait eu que des
éloges pour elle ! Quoi qu'il en soit, traître à la foi de
^es pères et traître à la patrie alsacienne, c'est bien à
Jui qu'il convenait de prendre la défense de Dreyfus!
La Direction.
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L'ŒUVRE DE CHARLES DULAC
ET
LE MYSTICISME EN ART»)
II suffit de jeter un regard, même superficiel, sur
Tœuvre de Marie-Charles Dulac, qui mourut, hélas! si
jeune, pour se rendre compte que cet artiste réunissait
en lui les plus rares qualités, et qu'il joignait à une
exquise sensibilité la plus absolue et la plus entière
bonne foi.
Nous sommes loin ici de ces œuvres tapageuses que
créent quelquefois, de nos jours, le besoin de réclame
et la soif des succès mondains. Dulac n'était pas de
ces peintres qui aiment à ^'entendre appeler < cher
maître > par une cour de jolies femmes, et qui mettent
leur ambition à décrocher des œillades et des récom-
penses. Dans une lettre adressée à un de ses amis il
écrivait : < Pour moi, vous le savez, je n'ai pas besoin
d'être compris ni approuvé de personne, du moment
que je plais à Dieu, cela me suffit >. Et, un an avant
sa mort, il écrivait encore : < Je me contente de pour-
suivre tranquillement mon affaire; et mon affaire ne
i) Conférence faite, le 13 avril dernier, à la Maison <Vart alsacienne
de Strasbourg, où ont été expobés récemment, grâce au dévouement de
M, Girodie, cinquante tableaux et dessins de Ch. Dulac. (N. d. I. D.).
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302 REVUE D'aLSACE
charmant : « On n^est pas, disait-il, ému quand on le-
vetut, au spectacle de la nature, et il y a malheureuse-
ment des jours où les arbres ne sont que des bûches •.
Comme c'est vrai! Ne vous est-il jamais arrivé d'être^
un beau jour, frappé de la beauté d'un paysage qui
vous était familier et auquel vous n'aviez jamais accordé
la moindre attention. Par suite d'une disposition spéciale
de votre esprit, d'un miroitement particulier de la
lumière, d'une transparence plus subtile de Tair, vos
yeux se sont, tout-à-coup, ouverts, et les arbres ont
cessé d'être des bûches.
Pour Dulac, la force mystérieuse qui, déchirant le
voile, découvrait l'essence éternelle des choses, c'était
la grâce divine, la grâce sans laquelle il déclarait
modestement n'être rien; et c'est de ce sentiment si
profondément religieux qu'est née la suite des litho-
graphies, où Dulac chantait la gloire de Dieu en tradui-
sant avec quelques traits empruntés à la nature, les
enthousiasmes dont son âme était pleine.
Les motifs d'où naquirent ses compositions, Dulac
les avait recueillis un peu partout : la planche du.
Ventj par exemple, qui est intitulée : Spiriius sancte^,
DeuSy lui a été inspirée par la vue de la terrasse de
Vézelay, Vézelay si célèbre par l'abbatiale dont les-
curieuses sculptures excitaient si fort les colères de
saint Bernard; et pour la planche du Feu et F Eau, —
Jesu puritas virginum, — Jesu lux vera, il a utilisé un
souvenir qu'il avait conservé des bords du Rhin, au
pont de Kehl. Ce bateau qui porte une cahute d'une
silhouette si particulière, je me souviens parfaitement
l'avoir vu amarré à la berge du fleuve, servant, je crois,
de bureau à l'ingénieur chargé de diriger les travaux
d'endiguement. C'est qu'en effet Dulac a longtemps
habité l'Alsace, nous pouvons même le revendiquer
comme l'un des nôtres, non seulement parce qu'il aimait
notre pays, mais parce que sa mère, à l'affection de-
laquelle il a été si prématurément ravi, est Alsacienne-
et demeure encore à Strasbourg. Puisse l'hommage que-
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304 RKVUE D ALSACE
un des plus nobles artistes de notre temps, et qu'il n'y
a pas, dans toute son œuvre, un morceau qui ne soit
sincère, sérieux et réfléchi, un morceau qui ne soit
imprégné du sentiment le plus pur et le plus élevé.
Et c'est pour cela que ces peintures et ces lithographies
s'imposeront à notre estime, en nous reposant de toutes
les œuvres tapageuses, banales et vides qui se partagent,
aux Salons y la faveur de la foule. N'est-ce pas, d'ailleurs,
un spectacle singulièrement réconfortant que de voir
un homme éviter la multitude fiévreuse, s'isoler dans
son idéal, et ne travailler qu'en vue de satisfaire aux
plus pures aspirations de son âme. Ceux qui prétendent
qu'un tel homme est un fou, un irresponsable, un
imbécile, ne prononcent-ils pas contre eux-mêmes un
terrible jugement en se montrant incapables de com-
prendre ce qu'il y a de plus distingué et de plus élevé
dans notre nature?
Mais si l'indifférence vis-à-vis de l'opinion élève
l'artiste et lui donne une originalité et un prestige
singuliers, elle ne laisse pas que d'offrir pour lui un
danger : en dédaignant de travailler pour le public, en
se concentrant dans la recherche de sa propre satis-
faction, en se confinant dans l'expression de sa pensée
sans se préoccuper comment elle sera comprise, l'artiste,
en effet, risque de tomber dans le vague et dans
l'obscurité. S'il se place au-dessus du jugement de la
foule, s'il se retranche dans son orgueil ou dans sa
soumission à la grâce divine, l'artiste est trop souvent
tenté de se créer une petite chapelle, de se concilier
des admirateurs plus ou moins sincères qui ne con-
sentiront à Tencenser que s'il consent, lui-même, à les
faire passer pour les pontifes prédestinés d'une nouvelle
religion esthétique.
Dulac a su éviter tous ses écueils. Sa modestie le
rendait incapable de s'affilier à une de ces sectes où
l'on ne reçoit que des demi-dieux; et, d'autre part,
son bon sens, ce bon sens naturel qu'on se plaît à
reconnaître aux Alsaciens, l'empêchait de tomber dans
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3o6 REVUE d'alsace
un talent semblable à celui dont je viens de vous décrire
les traits généraux peut arriver à se produire. Ne
devons-nous voir là qu'un phénomène fortuit, ou, au
contraire, avons-nous affaire avec une manifestation qui
se produit à son heure et en vertu d'une loi générale
et nécessaire ?
Telles sont les questions que nous allons examiner
successivement.
Si nous nous donnons la peine d'étudier les mani-
festations intellectuelles de notre temps, nous découvrons-
sans peine un certain nombre de faits importants :
Le premier fait nous est fourni par l'incertitude et
le trouble qui gouvernent les théories philosophiques
et sociales.
Le second fait est constitué par les progrès consi-
dérables réalisés dans les sciences naturelles et physiques
et dans leurs applications industrielles.
Un troisième fait c'est l'avènement du régime démo-
cratique qui semble devenir, de plus en plus, l'idéal
vers lequel tendent nos institutions politiques.
Enfin nous constaterons encore que, de toute part,
des forces nouvelles et mystérieuses commencent à
s'affirmer dans les manifestations relatives à l'hypnotisme,
à la suggestion et à toutes ces causes encore mal défi-
nies qui se révèlent à nous csous la forme de pressen-
timents, de sympathies ou de répulsions inexpliquées
et de ces sensations étranges qui constituent des ressou-
venirs de vies déjà vécues ou de choses déjà vues >^
Je pourrais prendre, l'un après Tautre, tous ces faits,
et vous montrer comment ils exercent leur influence
dans les arts; je pourrais vous exposer quelle est, à
mon avis, la forme que prendra l'art dans l'avenir pour
correspondre à notre état d'esprit et aux nécessités que
nous impose l'état démocratique vers lequel nous mar-
chons, je pourrais vous expliquer pourquoi ce sera
probablement la musique et le théâtre qui nous donne-
ront les formules capables de fournir la solution da
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3o8 REVUE d'alsace
loi universelle, toute action amène une réaction. Ce
principe n'a pas que des applications physiques, il se
vérifie aussi en politique et en art. La vie est un éternel
-recommencement des choses, et il n*est pas difficile de
constater qu'au cours des âges Tart s'est, tour à tour,
rapproché et éloigné de la nature comme la mer se
rapproche et s^éloigne des côtes par le jeu périodique
de la marée. Avec l'art byzantin on était aussi loin que
possible de la vie : souvenez-vous des mosaïques de
Ravenne et des vierges de Cima-Buë. Giotto produit
une première réaction; contemporain du Dante dont
il était lami, il secoue les vieilles formules et s'affran-
chit des conventions. Depuis lors des théories contra-
dictoires se sont toujours partagé le monde des artistes,
dont les uns prétendaient qu'il fallait tout se devoir à
soi-même, et ne se servir de la nature que pour assurer
la correction du dessin, et dont les autres soutenaient,
an contraire, que la réalité seule est aimable, et que
i'art n'a d'autre but que de rendre, d'une façon com-
plète, l'impression produite par une vision extérieure
et réelle. Et, par une curieuse coïncidence, c'est au
moment où, vers le milieu du siècle dernier, les ten-
dances réalistes s'affirmaient avec la force que vous
savez, qu'on vit apparaître cette invention admirable
de la photographie qui sait ouvrir un œil merveilleuse-
ment vigilant sur tout ce qui existe. Sans scrupule,
sans vergogne, la photographie attache une valeur iden-
tique à tout ce qui passe à portée de son infatigable
jjrunelle, et elle a singulièrement contribué à documenter
le réalisme.
A côté de l'école réaliste contemporaine qui nous
a donné tant de chefs-d'œuvre, qui va de Balzac et de
Delacroix jusqu'à Guy de Maupassant et à Manet, nous
•en distinguons, sans peine, une seconde pour laquelle
lia nature n'est que le canevas sur quoi on brode et
qui va de Lamartine et d'Ingres jusqu'à Puvis de
Chavannes et à Coppée. La peinture idéaliste moderne
semble avoir pris naissance en Angleterre avec Walter-
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3IO REVUE d'aLSACE
liens qui nous tirent vers la terre, qu'il faut chercher
la cause de la faveur de plus en plus grande qu'a
trouvée, en notre siècle, la musique; car c'était en
somme de la musique que faisaient les Décadents et
les Symbolistes, musique parlée, ou musique peinte, si
j'ose m'exprimer ainsi. Mais tandis que la peinture
poussée à cette extrémité ne constitue plus que de
vagues jeux de couleurs, et des assemblages de formes
incapables d'éveiller aucun sentiment précis, et que les
vers des Décadents ne sont plus que des arrangements
mélodieux de mots, dont le sens échappe aux profanes
et probablement aussi aux initiés, la musique, plus
puissante, tire d'elle-même tous ses moyens, et, par la
seule force de l'harmonie, provoque en nous les émo-
tions les plus délicates ou les plus poignantes. Il
importe donc de laisser à chacun des arts son domaine
propre, ses moyens d'action particuliers; et maintenant
que nous possédons la musique pour interprêter les
pures conceptions de Tesprit, pour correspondre aux
rêves mystérieux qui hantent notre fantaisie, pour don-
ner à notre idéal une expression plus souple et plus
dégagée de la réalité, laissons la littérature demeurer
Tart de gouverner les mots, de bien dire ce qui est
clairement pensé, laissons la peinture demeurer Fart de
traduire par des combinaisons de formes et de couleurs
les sentiments qu'éveille en nous le spectacle des
hommes et des choses, ne leur demandons pas plus
qu'elles ne sont capables de nous donner. Et, à mon
avis, Dulac a été aussi loin que Ton peut aller en
peinture ; vouloir aller plus loin c'est faire fausse route
«t pousser un art d'imitation dans une voie où il est
incapable d'avancer.
Mais si l'on doit, par dessus tout, se garder de
tomber dans les exagérations que je viens de signaler,
cela ne veut pas dire que le mysticisme doive être
impitoyablement banni de la peinture, ni qu'il faille,
- de parti-pris, refuser à la peinture le droit de se servir
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312 REVUE D. ALSACE
ain, Gebhardt, dont l'œuvre presque exclu-
eligieuse présente un caractère si personnel^
ais un mystique. Fils d*un pasteur, Gebhardt
vie du Christ les sujets de la plupart de ses
ns, et s'entendit merveilleusement à réaliser
[u'il voulait peindre. Son esprit puritain, tout ea
t plein de respect pour la doctrine évangélique,
t toutefois qu'à illustrer, de la façon la plus-
es récits des Livres Saints, et il n'a pas hésité,
e d'ailleurs des vieux maitres, à nous montrer
ntouré de personnages qui, par la costume,.
3mie et l'attitude, figuraient des bourgeois et
is allemands, et n'avaient rien de commuiv
lifs de la Palestine. Mais, à part cet anachro-
u, il n'y a dans l'œuvre de Gebhardt rien,
le, rien de symbolique, bien qu'elle soit pro-
religieuse et convaincue.
s peintres ont, dans ces derniers temps, repris
des maitres anciens, et un artiste français,
?raud, nous a montré des scènes de la vie
»e passant à la moderne. Je me souviens,
)le, d'un tableau intitulé : Jésus chez les
dans lequel les Pharisiens que nous a peints
ne sont que de simples Parisiens en habit
ate blanche, confortablement installés dans
Is et écoutant la parole divine en fumant
îs. C'est là, à mon sens, une exagération,.
eau qui n'est qu'une sorte de calembourg
c beaucoup de talent et d'esprit, ne s'impose
en tien que par sa singularité. C'est encore,
9e erreur qu'a commise M. Béraud lorqu'il
ntré, dans un second tableau, la croix du
essce sur la butte Montmartre et le divin
entouré d'une foule d'ouvriers en casquette
alons de velours.
œuvres de M. Béraud, je rapprocherai main-
tableau d'un artiste allemand, M. de Uhde.
est intitulé : Laissez venir a moi les petits
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l'œuvre de CHARLES DULAC 315
enfants^ et représente le Christ installé dans une de
nos écoles de village, parlant aux enfants groupés autour
de lui, à la grande stupéfaction d*un brave instituteur.
La manière dont les gamins et les gamines se pressent
autour du Christ, le sentiment recueilli qui se dégage
du tableau nous donnent une impression saine et tran-
quille sans rien de choquant.
D'où vient donc que nous fassions une différence
entre les tableaux de M. Béraud et celui de M. Uhde,.
bien que ces artistes s'inspirent tous deux du même
principe? D'où vient que les tableaux de M. Béraud
nous paraissent étranges, tandis que nous contemplons
avec intérêt celui de M. Uhde? C'est que le Christ se
révèle à nous de deux façons différentes : d'abord par
sa doctrine, puis, en second lieu, par l'histoire de sa-
vie. Quand un peintre veut nous montrer une scène
de la vie du Christ, comme Tentrée à Jérusalem, par
exemple, ou la Crucifixion, il doit tenir compte de
certaines convenances suffisamment imposées par la
dignité du sujet, et, sans tomber dans les scrupules de
l'archéologie, composer, en s'inspirant d'un passé loin-
tain, les costumes de ses personnages. Quand, au con-
traire, un artiste s'attache à illustrer la doctrine même
du Christ qui s'étend à tous les âges et à tous les
temps, il peut faire abstraction de la vérité historique,
voire même des conventions reçues ; et c'est pour cela
que la composition de M. Uhde ne nous blesse pas,
puisque la bienveillance que le Sauveur daigne montrer
aûx enfants est universelle.
Je sais bien qu'en se plaçant au point de vue pure-^
ment religieux, on peut prétendre que la vie du Christ
se recommence constamment et que, par exemple, le
Christ est mis à mort tous les jours par les hommes
qui, connaissant sa doctrine, n'en suivent pas les pré-
ceptes. Mais nous tombons alors précisément dans le
mysticisme, et, pour exprimer cette idée vraie, que la
conduite des pécheurs est, pour le Christ, comme le
renouvellement de sa passion douloureuse, la peinture
Rtvvit d'Alêocê, 1907 SI
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314 REVUE d'à LS ACE
réaliste de M. Béraud ne suffit pas, il faut d'autres
accents. De même que les mots sont pris tantôt au
propre, tantôt au figuré, pour parler comme les gram-
mairiens, et que le style général d'un morceau littéraire
nous indique le sens que l'écrivain aura voulu donner
à ses expressions, de même la manière dont un tableau
5era peint et composé doit nous renseigner avec soin
sur le sentiment de son auteur. Et il est d'autant plus
important que l'artiste trouve moyen de nous éclairer,
qu'une des formes du burlesque, en art, consiste pré-
-cisément à se servir du style mystique pour interprêter
des idées réalistes, ou réciproquement à se servir du
style réaliste pour interpréter des idées mystiques. Les
fêtes des fous, qui se célébraient au Moyen-Age, pro-
cédaient de cette idée : on y voyait des enfants,
revêtus d'ornements pontificaux, parodier les cérémonies
du culte, et le grotesque naissait de cette étroite com-
binaison du sacré et du profane, ou, si vous le préférez,
•du mystique et du réel.
Cette digression n'aura pas été tout à fait inutile à
mon sujet, parce qu'elle m'aura procuré l'occasion de
montrer, par un exemple, en quoi consiste le mysti-
•cisme religieux.
Il existe d^ailleurs différentes formes du mysticisme
-en peinture, car Bœcklin, lui aussi, a quelquefois été
un mystique : le Bois sacré et Vile des morts procèdent
du même sentiment que certaines compositions de Dulac
telles que le Vent et la Terre^ et si l'on voulait établir
une différence entre ces deux artistes il faudrait dire
que le mysticisme de Bœcklin est essentiellement païen,
tandis que le mysticisme de Dulac est foncièrement
-chrétien et que ces deux mysticismes se distinguent
l'un de l'autre de toute la différence qui existe entre
le paganisme et le christianisme. Il y a aussi une sorte
-de mysticisme, voire même de symbolisme, dans quel-
ques-uns des dessins de Joseph Sattler, dont le talent
Si original et si riche vous est certainement connu.
Dans une des planches qui forment le recueil Die Quelle^
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3i6 RRVUE d'alsace
mêmes, capables de comprendre. Corot, par exemple^
était un poète — un poète bucolique — qui savait k
merveille rendre l'âme d'un paysage, ou qui, si vous le-
préférez, savait mettre de son âme dans les paysages qu'i^
aimait à peindre. Un peu d'eau où se reflétaient quelques-
arbres et un coin de ciel vaporeux ou limpide lui
suffisaient pour traduire le calme et la joie de la cam-
pagne, et, s'il a été si longtemps méconnu, c'est que
l'on n'entendait pas la langue qu'il parlait et que le
public ne comprenait rien à ses accents. — cDerrière-
le tronc de ce peuplier- blanc, disait un jour Corot à.
M. Emile Michel, en lui montrant une de ses toiles-
derrière le tronc de ce peuplier blanc, il y avait uty
merle qui chantait pendant tout le temps que je peignais,-
Je l'entends encore. Et j'ai essayé de le faire entendre-
dans mon tableau, quoique ce soit bien difficile, puisque
le peintre ne peut donner l'idée ni des bonnes senteurs^
ni des chants répandus dans l'air qui annoncent la
prochaine venue du printemps >. Corot déplore l'im-
puissance de la peinture, et il nous dit naïvement qu'il'
est difficile de rendre, dans un tableau, l'impression-
causée par le chant d'un oiseau. Mais un homme qui
cherche à faire passer, dans sa peinture, un peu de la.
gaité que donne à un paysage les amusantes roulades
d'un merle ne peint-il pas tout autrement que celui
pour qui les arbres ne sont que des bûches, comme-
disait Dulac? Et cette idée des petits oiseaux, voletant
dans l'espace hantait Corot, car j'ai eu l'honneur de-
l'entendre moi-même, quand il avait déjà près de
quatre-vingts ans, dire à un de ses élèves : cMon cher
ami, lorsque vous peindrez des arbres, cherchez avant
tout à faire comprendre que les moineaux pourraient .
passer à travers sans se casser le bec >.
Et, abordant un autre ordre d'idées, n'était-il pas
aussi un poète, ce délicieux Watteau, qui contait, d'un-
si agréable pinceau, les grâces légères , le badinage-
amoureux et le charme troublant d'un plaisir insouciant
et facile :
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l'œuvre de CHARLES DULAC 317
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31 8 REVUE d' ALSACE
ce qui nous occupe, à tout ce que nous ressentons^
Le mysticisme ciirétien c'est cette force secrète qui fait
chérir la souffrance à sainte Lydwine, qui pousse saint
François d'Assise à parler aux poissons et aux oiseaux,
qui conduit les ermites au désert, sainte Thérèse au
Carmel et les Martyrs aux arènes. Quand le mysticisme
traduit dans les actes de la vie, il forme les saints^
telle est son excellence que les artistes eux-mêmes,
atnd il les inspire, ont besoin de donner aux choses
lUes une signification spéciale qui leur permette
lever le diapason de leurs idées, de les transposer
is un ton capable d'accords plus exquis, d'harmonies^
ts rares. Cette signification spéciale nous est fournie
r le symbolisme. Le symbolisme nous apprend la
igue qui devient familière aux mystiques assez inspirés
ur pouvoir exprimer l'extase religieuse dans laquelle
vivent, le symbolisme consiste à ne considérer les-
Dses que comme des moyens d'élever nos âmes vers
divinité, et la nature tout entière que comme le
bicule de l'idée du Créateur. cLe symbole, dit Huys-
ms, existe depuis le commencement du monde. Toutes
religions l'adoptèrent, et, dans la nôtre, il pousse
ec l'arbre du Bien et du Mal dans le premier chapitre
la Genèse, et il s'épanouit encore dans le dernier
apitre de l'Apocalypse». '
Voici quelques exemples de symbolisme:
Celui des nombres d'abord. Les nombres ont toujours^
î considérés comme des pensées de Dieu. La sagesse
rine, dit saint Augustin, se reconnaît aux nombres-
primes en toute chose; le monde physique et le
^nde moral sont construits sur des nombres éternels..
)us sentons que le charme de la danse réside daAs
L rythme, c'est-à-dire dans un nombre, et la beauté
e-même est une cadence, un nombre harmonique.
Or, depuis saint Augustin, tous les théologiens, écrit
. Mâle dans son ouvrage sur l'Art religieux du
ir siècle en France, expliquent de la même façon
sens du nombre douze, c Douze est le chiffre de
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320 REVUE d'aLSACE
térieur du monument, c'est pour nous apprendre que
nous devons être plus ouverts aux choses de Fàme
qu'aux choses du monde, et si, la construction une fois
terminée, tout entre dans le calme, sans qu'on n'entende
plus ni les coups répétés des outils, ni les cris des
ouvriers, cela signifie que TEglise chrétienne est née
dans la douleur, mais que la persécution n'a qu'un temps.
Nos vieilles basiliques contiennent donc tout un ensei-
gnement et forment une sorte d'encyclopédie où nous
retrouvons renonciation de tous les dogmes et de toutes
les vérités morales que nous enseigne le christianisme.
De nos jours l'art de bâtir est, malheureusement,
devenu trop positif pour se prêter à de nouvelles inter-
prétations symboliques, et, s'il se trouve encore des
peintres qui, comme Corot, cherchent à remplir les
paysages qu'ils peignent du chant des oiseaux, et de
la bonne odeur des fleurs printannières, il n'y a plus
d'architectes qui, en construisant des églises, pensent
que le mortier est l'image du lien qui unit les âmes à
Dieu, et il est difficile de faire entrer les raffinements
du symbolisme dans des devis ou les poutres de fer et
le ciment armé prennent une place de plus en plus
prépondérante.
Aussi le mysticisme et le symbolisme se sont-ils
plus spécialement réfugiés dans la peinture, et c'est à
des artistes tels que Dulac qu'est échu Thonneur de con-
tinuer, tout en tenant compte des idées d'art modernes,
les traditions des Primitifs. Voyez, par exemple, la
planche que Dulac a intitulé La Lune, A peine peut^on
imaginer quelque chose de plus simple : une grande
iiappe d'eau tranquille où se reflète, au loin, un groupe
d'arbres touffus. Le ciel est d'une uniforme clarté, et,
à l'horizon, une légère bande lumineuse donne à toute
Ja composition une impression crépusculaire, l'impression
<i*un vague clair de lune, sans lune apparente. Ce n'est
rien, et cependant il s'exhale de ce paysage quelque
^hose de si grave et de si doux qu'involontairement
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322 REVURjiD'aLSACE
Mais je suis obligé de reconnaître ici qu'il est plus-
simple pour exprimer ces idées abstraites de recourir
à d'autres procédés qu'à ceux de la peinture, et que
les formules littéraires et surtout musicales sont plus-
capables de les interprêter que les formules colorées
ou sculptées. Je suis, quant à moi, d'avis qu'il ne faut
pas faire sortir les différents arts du rôle qu'ils peuvent
et qu'ils doivent jouer. C'est déjà bien assez difficile
de faire de bonne peinture, sans encore s'évertuer à
lui faire dire des choses qu'elle est incapable d'ex-
primer.
IL
Et maintenant j'en arrive à la dernière partie de*
mon étude, et j'examinerai ce que nous sommes en
droit d'exiger de Tart religieux, et, en particulier, de la
peinture religieuse.
Après avoir dit du mysticisme chrétien qu^il était^
en quelque sorte, la poésie de la religion, c'est-à-dire
cette force qui, mettant en œuvre des mots, des formes,,
des couleurs ou des sons, ajoute à leur signification
vulgaire qui n'éveille en nous que des sensations, une
signification idéale qui éveille en nous des sentiments^
après avoir dit du mysticisme qu'il était la poésie de
la religion, je suis bien obligé de conclure que Tart
religieux doit contenir forcément un brin de mysticisme»
Et je suis d'autant plus autorisé à émettre cette opinion
que la peinture religieuse des anciens artistes, de ceux
que nous désignons sous le nom de Primitifs était toute
débordante de mysticisme. Voyez, par exemple, au
musée de Colmar, les tableaux de Grunewald, de ce
peintre que Huysmans appelle avec raison un sauvage
de génie. Peut-on trouver quelque chose de plus âpre,,
de plus farouche, parfois de plus gracieux, et toujours
de plus poétique, que les volets de ce merveilleux autel
des Antonites d'Isenheim? c L'art de Grunewald est
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_324 REVUE D ALSACE
-dessin exprimassent le plus simplement et le plus claire-
ment possible les idées qu'on leur demandait d'inter-
, prêter, et il n*eût pas été nécessaire qu'ils recourussent
aux délicatesses du mysticisme pour parler à l'imagina-
tion d'un public peu raffiné et naturellement crédule ;
et cependant, par une singulière ironie, il s'est trouvé
que la plupart des Primitifs ont mis dans leurs com-
positions quelque chose de ce sentiment qui fait trop
souvent défaut aux Modernes. C'est qu'alors les artistes
faisaient de la poésie sans le savoir, comme le Bourgeois-
gentilhomme a fait, depuis, de la prose sans le savoir ;
et, peignant avec tout leur cœur, il suffisait qu'ils
eussent du talent pour faire des chefs-d'œuvre. Aujour-
d'hui, malheureusement, il n'en est plus ainsi : les
peintres ont tous du talent, mais c'est, hélas! le cœur
qui souvent leur fait défaut.
Voilà donc une chose bien étrange ! Autrefois, au
moment où, les arts étant un moyen d'instruction, il
eût suffi qu'ils traduisissent mot à mot les Livres saints,
les peintres et les sculpteurs mettaient dans leurs com-
positions plus que de l'intelligence et du talent, ils y
mettaient de la grâce et de la poésie. Et aujourd'hui
que le livre est devenu d'un usage courant, que les
arts du dessin n'ont plus besoin d'instruire, que, par
conséquent, on serait en droit d'exiger d'eux autre
chose que de la description pure et simple, la plupart
des peintres et des sculpteurs qui s'occupent d'art
fieligieux ne nous donnent plus que de froides et
ennuyeuses compositions, où ils ne mettent que du
savoir, quand c'est de la chaleur et du sentiment que
nous leur demandons.
Le talent seul n'est rien, c'est une outre remplie
de vent et qu'une piqûre d'épingle suffit à dégonfler.
A quoi bon peindre des scènes dont je lis la description
dans les livres, si la peinture ne donne pas quelque
chose de plus que le livre? 11 faut que, par le jeu des
> couleurs et des formes, la peinture procure à mon âme
-un frisson particulier, un tressaillement spécial que le
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320 REVUE D'aLSACE
Notre siècle est malheureusement le siècle de la
-<:amelote, l'Eglise même n'est pas préservée : on voit
maintenant des tableaux de sainteté peints à la grosse
et à prix réduit. Quand donc comprendra-t-on enfin de
nouveau que Fart religieux doit s'imposer doublement
à notre respect, parce que, venant de Dieu il doit
mener à Dieu, et que, comme le disait Dulac, Dieu
qui est la perfection même, demande de nous d'être
aussi parfaits que possible ?
L'art religieux moderne est encore, en grande partie,
dominé par Raphaël d'une part et par David d'autre
part, et il n'a malheureusement su retenir de ces peintres
que leurs défauts. A Raphaël nous devons cette expres-
sion fade et béate qui distingue si souvent les Christs,
> les Vierges, les Anges et autres personnages des tableaux
pieux; à David nous devons les compositions poncives
et froides où tout rappelle le modèle banal et le manne-
quin. Il y a des tableaux de Raphaël qui sont médiocres
et que leur auteur brossait à la légère, et avec une
facilité surprenante; et ce qu'il faut le plus admirer
dans ce maître, ce n'est pas d'avoir peint la Vierge à
« la Chaise^ la Belle Jardinière et tant d'autres madones,
c'est d'avoir su s'imposer à notre estime malgré ces
tableaux et malgré les exagérations de ses élèves. Si
• l'on n'a imité de Raphaël et, plus tard, de David que
leurs défauts, c'est que ces défauts étaient plus faciles
- à imiter que les rares qualités de ces artistes.
11 conviendrait donc de débarrasser l'art religieux
' de toutes ces conventions qui l'ont fait retomber dans
un byzantinisme dégradant et de lui rendre les ailes
que lui ont coupées plusieurs siècles de veulerie et de
routine. Retournons de temps en temps nous inspirer
- de Griinewald dont les œuvres hurlent de sentiment,
si j'ose m'exprimer ainsi, et débordent de passion et
- d'enthousiasme.
L'art religieux, d'ailleurs, n'est pas près de dispa-
> raître, quoique notre temps ne semble pas, au premier
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CORRESPONDANCE
ENTRE
LE DUC D* AIGUILLON ET LE PRINCE-COADJUTEUR
LOUIS DE ROHAN
Fin I)
Lettre «** CXXXI du duc d'Aiguillon ait prince de
Rohan. «Versailles, le 15 novembre 1773. De toutes^
les lettres, Monsieur, que vous m'avez adressées succes-
sivement, il ne me reste à vous accuser la réception
de celle du 29 octobre, n** 161, que votre courrier m'a
remise le 7 du courant.
«Je vais traiter dans cette dépêche les différents,
objets que j*ai réservés pour une voie sûre et, afin de
vous faire connaître avec plus de précision et de clarté
les intentions du Roi, je me bornerai à résumer l'en-^
semble des différentes impressions que lui ont faites
vos informations successives et à vous instruire du
jugement qu'il en a porté; mais je dois avant tout^
Monsieur, vous transmettre les éloges que Sa Majesté
a donnés au zèle, à l'activité et à la dextérité que
vous avez employés pour vous ouvrir des canaux
secrets.
t Les pièces que vous avez envoyées et les notions-
dont vous rendez compte prouvent bien leur utilité et
1) Voir la livraison de mai-juin.
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S30 REVUE D ALSACE
trop de justice à votre attachement et à votre façon
de penser pour n'être pas persuadée que son estime
et son approbation font les seuls objets de votre ambi-
tion et que, content de plaire au Roi, le sacrifice de
quelques agréments personnels ne vous coûte rien,
lorsqu'il s'agit de ses intérêts . . . > »).
Leitre «** i6ç du prince de Rohan au duc d" Aiguillon.
«Vienne, le 27 novembre 1773. Je n'ai pu, Monsieur,
Tordinaire dernier, que vous accuser la réception de la
lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 1 5
de ce mois et qui venait de m'être remise par le courrier
Laurent; mais je saisis avec empressement cette première
occasion pour vous prier de renouveler au Roi Thom-
mage de ma respectueuse reconnaissance. La bonté,
avec laquelle Sa Majesté veut bien accueillir mon tra-
vail et me faire transmettre le témoignage flatteur de
sa satisfaction, fait mon bonheur et ma gloire. Oui,
Monsieur, \ estime de Sa Majesté, comme vous le dites,
et son approbation sont et feront sans cesse les seuls
objets de mon ambition, et je ne vois plus rien d'épi-
neux dans ma carrière 2). Je sais, Monsieur, tout ce que
je vous dois de reconnaissance particulière pour avoir
bien voulu me faire valoir mon travail et je suis très
sensible à tout ce que vous me dites d'honnête à cette
occasion . . . >.
Confirmation des premiers succès des Russes sur le
Danube. On ne sait rien de Silistrie; on ne peut pas
compter sur les relations exagérées des Russes . . .
Lettre n"^ 176 du prince de Rohan au duc d* Aiguillon.
Vienne, le 5 janvier 1774. Les Russes ont échoué dans
leur deuxième tentative sur Silistrie. Ils ont repassé le
Danube et leur cavalerie a dû faire une perte consi-
dérable . . . Réflexions sur la mauvaise conduite de la
Russie pour parvenir à la paix ; « car la Russie perd
1) Cité dans V Introduction ^ p. 90.
2) Cité ibid., p. 91.
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332 REVUE D'ALSACE
Lettre «** CLIV du duc d'Aiguillon au prince dr
Rohan, «Versailles, le 24 mars 1774. J'ai reçu succes-
sivement, Monsieur, les lettres que vous m'avez fait
l'honneur de m'écrire jusqu'au n** 192 du 9 de ce mois
inclusivement. Je n'y ai pas répondu exactement, parce
qu'elles n'exigeaient aucune décision du Roi et que
vous m'aviez annoncé un nouveau courrier, à l'arrivée
duquel je me proposais de renvoyer un de ceux qui
sont ici.
« J'ai rendu compte au Roi du désir que vous avec
de faire un voyage en France. Sa Majesté a bien voulu
vous en accorder la permission. Je ne perds pas un
moment pour avoir l'honneur de vous l'annoncer. Vous
serez le maître d'en profiter quand vous le jugerez à
propos. Le Roi se repose entièrement sur votre zèle
du soin de prendre les mesures nécessaires, pour que
ses affaires ne souffrent pas de votre absence et qu'elle
n'interrompe pas la correspondance. Sa Majesté vous
laisse le choix de la personne que vous en char-
gerez . . . >.
Lettre «® CLVIII du duc d'Aiguillon au prince de
Rohan, «Versailles, le 24 avril 1774. J'ai reçu, Monsieur,.
par le courrier que vous m'avez dépêché le 14 de ce
mois la lettre n*» 198 que vous m'avez fait l'honneur
de m'écrire le 9 et le 14, ainsi que tout ce qui com-
posait votre expédition.'
< Le Roi vous laissant le maître de déterminer vous-
même le moment d'user du congé que Sa Majesté vous-
a accordé, était bien persuadé que vous consulteriez
le bien de son service et que votre zèle dirigerait
votre résolution d'après la connaissance des circons-
stances,. . >.
Lettre «** CLIX du duc d'Aiguillon au prince de
Rohan, < Versailles, le i" mai 1774- J'ai reçu, Monsieur,
la lettre n° 199 que vous m'avez fait l'honneur de-
m'écrire le 19 de ce mois. J'ai rendu compte au Roi
de son contenu. Sa Majesté m'a chargé de vous en.
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334 REVUE d' ALSACE
dont l'effet a été considérable; cependant la fièvre a
repris avec Taccableraent et s'est soutenue à un degré
plus fort que les jours précédents. La langue et le palais
sont extrêmement secs. La suppuration n'a pas fait de
progrès depuis ce matin. Les vésicatoires ont moins
rendu qu'à l'ordinaire. Signé : Le Monnier, Lassone,
Lorry, Bordeu, de Lassaigne, La Martinière, Andouillé^
Boiscaillaud, Lamarque, Colon ».
Lettre du duc d'Azguillofi au prince de Rohan »)•
€ Versailles, le lO mai 1774. Nous venons, Monsieur,
de perdre le Roi. Depuis plusieurs jours son état a
toujours été en empirant, et Sa Majesté est expirée
aujourd'hui à trois heures et demie après midi. C'est
pénétré de la douleur la plus vive que je vous donne
le premier avis de ce funeste événement. Vous voudrez
bien en informer Leurs Majestés Impériales, en atten-
dant que la notification formelle puisse leur être envoyée.
Pai l'honneur, etc. >.
Lettre n^ 20J du prince de Rohan au duc d'Aiguillon^)^
W Vienne, le 11 mai 1774. Jugez, Monsieur, la positioa
cruelle dans laquelle je suis de savoir le Roi attaqué de
la petite vérole et de ne point recevoir de nouvelles*
Sans les bontés de l'Empereur et de l'Impératrice qui
ont bien voulu me communiquer tous les détails qu'ils
ont reçus, j'aurais été livré à toute l'horreur de l'incer-
titude. J'attends à chaque instant un courrier. Puisse-t-il
apporter l'heureuse nouvelle que je désire avec plus
d'ardeur que je ne puis exprimer ! Je ne dois pas taire
au Roi l'extrême sensibilité qu'ont marquée Leurs Ma-
jestés Impériales ... ».
Lettre du duc d'Aiguillon au prince de Rohan^
€ Versailles, le 13 mai 1774. L'événement que je vous
annonce. Monsieur, par ma lettre politique de ce jour
et qui vient de répandre le deuil sur tout le royaume^
i) Cité dans V Introduction y p. 88.
2) Ibid.
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SZ^ REVUE d'aLSACE
rétat de Sa Majesté! Jugez avec quelle impatience je
dois l'attendre ! . . . ».
Lettre du duc d' Aiguillon au prince de Rohan, < Ver-
sailles, le 14 mai 1774. La lettre que j'ai eu l'honneur
de vous écrire, le 10 de ce mois, vous a mis en état
de prévenir la cour où vous êtes de la mort du feu
Roi. Le Roi régnant la lui notifie lui-même par les
lettres ci-jointes et lui annonce son avènement au trône.
Sa Majesté a bien voulu vous confirmer dans les fonc-
tions que vous avez exercées jusqu'ici; l'autorisation
nécessaire est contenue dans les lettres ci-jointes. Vous
voudrez bien les remettre selon l'usage. J'ai l'hon-
neur, etc.
«Je joins également ici, Monsieur, la lettre du Roi
pour Sa Majesté polonaise. Je vous prie de la faire
parvenir à ce prince >.
Lettre «** 210 du prince de Rohan aji duc d'Aiguillon.
«Vienne, le 25 mai 1774. Le courrier Dupont m'a
apporté, le 21 de ce mois, toutes les pièces qui accom-
pagnaient la dépêche n** CLX du 13, et, en conséquence
des ordres du Roi contenus dans la lettre que vous
m'avez fait l'honneur de m'écrire le 14, j'ai remis hier
dans la forme d'usage les lettres de notification et mes
nouvelles lettres de créance. Leurs Majestés Impériales
m'ont renouvelé en cette occasion la sensibilité dont
Elles avaient déjà donné des marques à l'époque qui
vient de plonger la France dans le deuil, et dans la
lettre ci-jointe, que je vous prie de remettre au Roi,
je rends un compte plus particulier à Sa Majesté des
sentiment d'attachement personnel que l'Empereur et
rimpératrice-Reine m'ont chargé d'exprimer de leur part.
€ Le comte Oginski fera parvenir au roi de Pologne
la lettre du Roi que vous m'avez adressée. J'ai l'hon-
neur, etc. >.
Lettre du prince de Rohan au roi Louis XVI y du
25 mai. < Sire, En conséquence des ordres de Votre
Majesté qui m'ont été adressés par M. le duc d'Aiguillon
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SSS REVÏTE D'ALSACE
respectifs ne peuvent que donner un nouveau degré
d'intimité et de solidité.
« Le Roi aime à penser, Monsieur, que les insinua-
is du roi de Prusse ou le désir de ne point l'alarmer
it eu aucune part à la résolution que l'Empereur a
e de ne point exécuter son voyage en France. Il
certain que les objets majeurs qui doivent dans ce
ment-ci fixer l'attention de ce prince lui en fournissent
motifs suffisants.
€ La fermeté, avec laquelle la cour de Vienne déclare
loir s'en tenir aux stipulations du traité de partage
rra en imposer au roi de Prusse, qui ne doit pas
érer d'entraîner Catherine II dans ses vues à cet égard,
tournure que cette affaire prend pourra cependant
longer les discussions et peut-être les aigrir. Le Roi
ipte. Monsieur, sur votre attention à en observer
tes les circonstances. Il faut convenir que l'occu-
on de Brody et des districts au-delà du Podhorze»)
iblait autoriser les nouvelles invasions du roi de
sse.
€ Les avis que nous recevons de plusieurs côtés-
firment, Monsieur, ce que vous mandez de la négo-
ion que les cours de Vienne et de Berlin ont entamée
c la Porte pour la paix. Il sera sans doute bien diffi-
que la balance se soutienne à tous égards égale
re les deux médiateurs 2). H paraît que l'Angleterre
saisi que faiblement les idées de M. Narray pour
" être associée.
€ 11 serait bien important de découvrir si les média-
rs se sont déjà fixés à un projet de conditions,,
illes elles peuvent être et s'il n'y en a point d'autres
? celles dont vous faites mention. Le Roi ne doute
, Monsieur, que vous ne fassiez tous vos efforts
ir tâcher de l'en instruire. Sa Majesté désire aussi
[) Cfr. Arnbth, GisehichU Maria Theresias, VIII, p. 424.
i) Cfr. Arnkth, op. cit., 464; Ad. Bker, Die ersU Teilung l'oUns^
.265.
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CORRESP. ENTRE D'aIGUILLON ET DE ROHAN 339
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_340 REVUE D ALSACE
cj'ai rhonneur d'être, avec un très parfait attache-
ment. Monseigneur, votre très humble et très obéissant
serviteur. BERTIN ».
Lettre de Louis XVI au prince de Rohan i). < Mon
cousin, J'ai vu avec la plus vive satisfaction par la lettre
que vous m'avez écrite, le 25 du mois passé, que
l'Empereur et l'Impératrice-Reine rendent justice à mes
sentiments, et ceux que Leurs Majestés Impériales vous
ont témoignés pour ma personne et pour le maintien
de l'alliance remplissent mes vœux les plus chers. Je
vous charge de ne négliger aucune occasion de leur
donner les plus fortes apparences de la confiance entière
que j'y prends. Votre attachement pour ma personne
et votre zèle pour mon service me sont garants de
votre attention à remplir cet objet essentiel de votre
. mission ».
Lettre «** 2/5 du prince de Rohan au secrétaire d'Etat
Bertift, c Vienne, le 18 juin 1774. J'avais déjà appris,
Monsieur, plusieurs jours avant l'arrivée de la lettre
' circulaire et sans date qui m'est parvenue hier, la
retraite de M. le duc d'Aiguillon et la nomination de
M. le comte de Vergennes au département des affaires
étrangères.
€ Si vous voulez bien, Monsieur, vous faire rendre
compte de mes dernières dépêches, et surtout de mes
lettres particulières et secrètes, vous jugerez que je dois
attendre avec impatience le courrier qui m'apportera
des instructions relatives aux objets importants qui y
sont traités et qu'il est essentiel pour la sûreté de mes
démarches ultérieures que je sache les intentions de
Sa Majesté. M. le duc d'Aiguillon n'avait sans doute
différé à m'en instruire que parce que je devais me
Tendre incessamment à la cour et y donner au Roi des
détails très intéressants sur la position actuelle des
choses que je me suis trouvé à portée d'observer et
l) Citée dans \^ Introduction^ p. 89.
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CORRESP. ENTRE D' AIGUILLON ET DE ROHAN 341
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342 REVUE D*ALSACE
ment possible de la permission que Sa Majesté a la
bonté de m'accorder. La position actuelle des choses
est telle que mon absence, par les précautions que j*ai
prises, ne pourra point nuire aux objets essentiels de
ma correspondance politique.
« J'avais marqué à M. le duc d'Aiguillon qu'à mon
départ je chargerais l'abbé Georgel de la suite de la
correspondance, le jugeant le seul capable, et parce qu'il
est le seul au courant des affaires et parce que le prince
de Kaunitz lui témoigne une amitié personnelle. Il m'a
paru bien de laisser ici par préférence une personne
qui fût agréable à ce respectable ministre. M. le duc
d'Aiguillon m'ayant répondu que le Roi voulait s'en
rapporter à moi, je suivrai ce même arrangement.
« Les troupes russes qui ont passé le Danube ne
sont point assez considérables pour tenter une affaire
d'éclat. Elles sont aux ordres des généraux Kamensky
et Suwarow, et leur but n'est sans doute que d'être
plus en état de donner au maréchal Rumanzow des
avis certains sur la position et les mouvements de
l'armée ottomane. Peut-être aussi que ce maréchal
voudrait par quelques faits d'armes accélérer les succès
des nouvelles négociations pour la paix. J'ai appris hier
qu'un détachement russe avait attaqué et fait reculer
les Turcs à Karasow; qu'en conséquence l'aga des
janissaires avait reçu ordre de se tenir prêt à s'y porter
avec 20.000 hommes pour se joindre au pacha de
Karassow et s'opposer de concert aux progrès ulté-
rieurs des Russes. Telles sont. Monsieur, les dernières
nouvelles du Danube qui m'ont été confirmées ce matin
par une note de la chancellerie d'Etat. J'ai l'honneur,
etc. >.
Lettre n^ 218 du Prince de Rohan au secrétaire d'Etat
Bertin, « Vienne, le 29 juin 1774. Vous verrez. Mon-
sieur, par les lettres ci-jointes de Constantinople que
le crédit prédominant du muphti et des gens de loi
l'emporte sur le penchant du visir pour la paix. Le roi
de Prusse, sur les promesses trop prématurées de ce
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CORRESP. ENTRE D AIGUILLON ET DE ROHAN 343
premier ministre, s'est vanté trop tôt d'être parvenu
:seul et sans la médiation de Vienne à faire agréer les
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344 REVUE D ALSACE
Vienne; elle ne laisse aucun doute sur le parti pris
par Leurs Majestés Impériales de s'en tenir pour leur
démarcation au traité conclu d'après la convention de
sbourg.
Je compte prendre demain congé de Leurs Majestés
jriales, et sous peu de jours je me mettrai en route,
ipereur part après-demain pour assister aux exer-
d'un camp d'artillerie établi à Budweis en Bohême,
loit y faire les manœuvres des pièces construites
l'exercice de la cavalerie légère. Aucun étranger
îra admis.
J'ai envoyé, il y a plusieurs mois, par un de mes
iers, la construction et le profil de ces pièces qui
ent tant la curiosité du roi de Prusse et que son
;tre ici, malgré toutes ses tentatives, n'a encore pu
•ocurer >). J'ai l'honneur, etc. ».
£ttre //** CLXXV du comte de Vergennes a F abbé
^<?/2). Compiègne, le 19 août 1774. </*. 5. Monsieur
ince Louis de Rohan ayant désiré pour des con-
ations personnelles de ne plus retourner à Vienne,
DÎ a bien voulu agréer qu'il se démît des fonctions
stte ambassade, et Sa Majesté a nommé pour le
ilacer M. le baron de Breteuil ».
^ttre n^ 23c de l'abbé Georçel au comte de Ver-
es 3), € Vienne, le 3 septembre 1774. Monseigneur,
es plusieurs lettres de Son Altesse le prince Louis
.ohan, je m'attendais à la nouvelle que vous avez
voulu me marquer de votre main dans la dépêche
Lxxv, dont vous m'avez honoré le 19 du mois
er. C'est une perte pour Vienne, où ce prince est
ilièrement aimé, estimé et révéré. J'ai été témoin
ette sensation, lorsqu'au sortir d'une conversation.
Au mois de février 1774 le prince ambassadeur envoya en France
n et les détails relatifs à un nouvel obus qu'on fabriquait en*
he.
Citée dans V Introduction^ p. 94.
Citée presqu'en entier dans V Introduction^ p. 94.
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346 REVUE D'ALSACE
€ J'ai rendu compte au Roi dans son conseil de la
sensation qui a causée à Vienne le rappel de M. le
prince Louis de Rohan et de tous les éloges que les
ministres et le public lui ont prodigués à cette occasion.
Personne n'est plus persuadé que moi combien ils sont
justement mérités, et je v^ois avec une satisfaction parti-
culière qu'on lui rend ici la même justice.
€ Il paraît, Monsieur, que la raison qui empêche la
Russie de publier l'instrument de la paix réside dans
la rédaction louche et inexacte de plusieurs articles,
dont l'exécution, à ce qu'on assure, ne pourra être
fixée que par une nouvelle négociation. L'astuce assez
ordinaire des Turcs peut s'être ménagé cette ressource.
€ Les circonstances, que vous avez recueillies sur la
manière dont la paix de Kainardsche s'est faite, justi-
fient l'opinion que nous en avions conçue. Il est très
probable qu'elle n'aurait pas lieu, si la mort du grand-
visir eût précédé cette époque. Cet événement arrivé
dans les circonstances actuelles ne paraîtra pas naturel,
et on l'attribuera sans doute à la honte que ce ministre
aura éprouvée en faisant un retour sur une opération
aussi déshonorante . . , ».
Lettre «° 250 de tabbé Georgel au comte de Ver-
gennes^). Vienne, le 12 octobre 1774. Il parle d'abord
de la paix de Kainardsche et dit ensuite que les ministres
d'Angleterre et de Prusse accusent M. de Saint-Priest
et l'envoyé de Suède d'avoir proposé à la Porte de
rompre la paix. La Porte désire que la cour de Vienne
suggère les moyens de contrebalancer la prépondérance
dangereuse que le traité donne à la Russie. Le prince
de Kaunitz méprise trop les Turcs pour former un
concert avec eux. Le ministère autrichien n'est pas
fâché de voir les Turcs hors d'état de nuire. Il croit
avoir des moyens d'arrêter les progrès de la Russie.
i) Citée en partie dans V Introduction y p. 96.
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LES ARMOIRIES DE LA VILLE
DE ROUFFACH
(AVEC DEUX dessins)
Il y a peu de mois, les journaux ont annoncé que-
le Hcroldsamt avait accordé à la ville de Kaysersberg
de nouvelles armoiries. On s'était demandé laquelle des
deux figures traditionnelles de la tour et de la carnas-
sière ornait le champ primitif.
Le Heroldsamt a décidé que désormais le blason
serait divisé par parties égales, dont Tune porterait la
tour et l'autre la carnassière.
Autrefois on trouvait aussi de ces doubles figures^
dans les armoiries de beaucoup d'autres villes de notre
Alsace. Et voici par exemple ce que nous apprennent
à ce sujet la tradition et les archives de Tancienne
ville épiscopale de Rouffach.
Les documents prouvent que, dès le commencement
du XIII*' siècle, la ville s'était formée sur les rives de
rOmbach en se groupant, de par la volonté de Tévêque
de Strasbourg, son maître, autour d'une colonge de
l'ancienne villa mérovingienne de Rubeaca, En tous cas,
c'est en 1209 Q"^» autant que nous sachions, pour la
première fois le sigillum civium Rubiacensium fut apposé
sur une charte réglant les droits respectifs de l'évêque
de Constance et des bourgeois de Rouffach dans la-
vallée de Soultzbach <).
l) WiiRDTWBlN, Nova subsidia^ X, 250.
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350 REVUE D ALSACE
la ville, porte du côté de Pfaffenheim la crosse, du
côté de Rouffach ce même écusson.
Il en reste un troisième exemplaire, de 1490, aux
arcades aujourd'hui murées de la maison Liodaui) près-
de l'ancien hôtel de ville et de la tour de sainte Ca-
therine. Dès ce temps, la muni-
cipalité s'en sert presque partout
comme simple marque de pro-
priété. Les fon- taines publiques
et les maisons • communes, les
bornes, les usten. siles de l'hôtel
de ville, etc., en furent ornés
d'une façon plus ou moins artistique, jusque vers la
fin du xvii« siècle.
A cette époque l'Alsace passa de la domination
allemande à la France, et un édit du roi Louis XIV,
du mois de novembre 1696, fonda, comme on sait, la
grande maîtrise, où une cour héraldique était chargée
d'enregistrer après vérification les blasons de toutes les
personnes et de toutes les corporations 2). C'est ainsr
que la France a formé son grand armoriai général,
dont la partie concernant l'Alsace a été publiée en 1861
par A(natole) de B(arthélemy), sous le titre : Armoriai
de la Généralité (T Alsace,
C'est ce moment que la municipalité de Rouffach
voulut choisir pour changer et modifier ses armoiries,.
en réunissant l'ancienne figure du sceau et l'écusson
de la ville. Car telle est l'ébauche en arcannée encore
conservée aux archives de la ville. Et de fait, par
brevet du 24 juillet 1699, la maîtrise confirma à la
ville de Rouffach les armoiries suivantes:
Porte d'azur à une Vierge de carnation, assise de
front dans un trône d'or, vêtue de gueules et d'azur
1) Cest sous les voûtes de cette maison que pendant des siècles-
les délinquants furent soumis à la torture.
2) Avant-propos de V Armoriai de la Généralité if Alsace,
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352 RKVUE D ALSACE
La ville de Rouffach n'ayant envoyé sa déclaration
que par délibération du Conseil municipal en date du
3 février 1824, ne reçut la confirmation demandée qu'à
la date du 24 janvier 1825. Comme cette confirmation
est encore aujourd'hui en pleine vigueur, nous la repro-
duisons in extenso ci-après:
€ Charles, par la grâce de Dieu Roi de France. et
de Navarre, à tous présents et à venir, salut.
€ Le Roi, notre auguste Frère et prédécesseur, vou-
lant donner aux fidèles sujets des Villes et Communes
du Royaume un témoignage de son affection et per-
pétuer le souvenir des services que leurs ancêtres ont
rendus aux Rois nos prédécesseurs, services consacrés
par les armoiries qui furent anciennement accordées
auxdites Villes et Communes et dont elles sont l'em-
blème, a, par son Ordonnance du 26 septembre 18 14,
autorisé les Villes, Communes et Corporations du
Royaume à reprendre leurs anciennes armoiries à la
charge de se pourvoir à cet effet par devant la Com-
mission du Sceau; se réservant d'en accorder à celles
des Villes, Communes et Corporations qui n'en auraient
pas obtenu des Rois nos prédécesseurs ; Par autre ordon-
nance du 26 décembre suivant, lesdites Villes, Com-
munes et Corporations ont été divisées en trois classes*
« En conséquence le Maire de la Ville de Rouflfach,
arrondissement de Colmar, Département du Haut-Rhin,
autorisé à cet effet par délibération du Conseil Muni-
cipal du 3 février mil huit cent vingt-quatre, s'est retiré
par devant notre Garde des Sceaux, Ministre et Secré-
taire d'Etat au Département de la Justice, lequel a fait
vérifier en sa présence par la commission du Sceau,
que le Conseil Municipal de ladite Ville de Rouffach
a émis le vœu d'obtenir de notre grâce des Lettres
patentes portant Confirmation des Armoiries suivantes:
D'azur à une Vierge de carnation assise de front dans
un Trône d'or, vêtue de gueules et d'azur et couronnée
d'or tenant sur ses genoux son enfant JÉSUS aussi de
carnation ayant la tête entourée d'une Gloire d'or; et
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LES TROUBLES DE 1789
DANS LA HAUTE -ALSACE
Suite ')
CHAPITRE QUATRIÈME
du premier moment. — Troupes en garnison en Alsace. —
ectif des régimî^nls. — Esprit des troupes. — Proclamation de»
'eaux. — Le générai de Castéja. — Le général de VietinghoflT
}uebwiller, Oilwiller, BoUwilier, Wattwiller, Uffholtz, Cernay et
ann. — Recrudescence de l'insurrection; sa cause. — Ordon-
ice du comte de Rochambeau. — Mesures à Huningue. —
nitoire de Tévèque de Bâle. — Mesures dans le district de
Imar. — Seconde ordonnance du comte de Rochambeau. —
)cIamation de la Commission intermédiaire. — Intervention du
fiseil souverain.
US les événements que nous venons de raconter
nt produits à peu près au même moment, à la
heure pour ainsi dire. Lorsque la nouvelle en
coup sur coup, il y eut un moment d'étonne-
de surprise extrême. « Dans bien des endroits
Haute- Alsace, écrivait le Bureau de Colmar à
ésident le 2 août, et à Colmar en particulier, on
es prières publiques avec exposition du saint
nent ou du Ciboire, à la réquisition des préposés
icipaux habitants >. Les deux autorités, auxquelles
appartenu d'agir avec vigueur, paraissaient hési-
sous le coup de la stupeur.
^oir la livraison de mai-juin.
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35^ REVUE d'alsace
infanterie; colonels-propriétaires, le prince d'Aremberg
et le comte de la Marck ; colonel, le baron de Hahn ;
2® le régiment des chasseurs de Champagne (quatre
escadrons); colonel, le comte de Loménie, neveu du
cardinal. Le régiment des dragons de Monsieur, colonel
comte Charles de Damas, tenait garnison à Colmar »).
Mentionnons encore les deux compagnies d'invalides
qui occupaient le Landskron et le Fort-Mortier 2).
Toutes ces troupes formaient la division de la Haute-
Alsace 3) et étaient alors placées par intérim sous le
commandement du baron de Vietinghoff, maréchal des
camps et armées du Roi, commandeur de Tordre du
mérite, commandant la brigade de la Marck, remplaçant
le baron de Falckenhayn, lieutenant-général, comman-
dant la division de la Haute-Alsace, absent 4). Il était
en résidence à Sélestat.
Il semble qu'avec des forces aussi considérables,
c'eût été un jeu de rétablir Tordre. Mais la province
était alors sans commandant en chef. Le marquis de
Stainville mourut le i" juin et son successeur, le comte
de Rochambeau, nommé le 18 juin, ne put faire enre-
gistrer sa commission que le i" août^). En supposant
1) A Colmar, ville ouverte, il y avait ordinairement en garnison,
d'après d'Aigrefeuille, ou bien un régiment de cavalerie ou deux batail-
lons d*infanterie. (20 février 1766).
2) Peut-être faudrait-il encore ajouter le bataillon de la milice pro*
vinciale, dont le lieu de réunion était Colmar et qui comptait 720 hommes,
•ans les officiers, selon Billing, mais il D*était plus convoqué depuis
longtemps.
3) Sauf sans doute Belfort, qui était commandé par un lieutenant*
général. — Diaprés un Mémoire de 1737, il y avait ou devait y avoir
en temps de paix de 23 à 25.000 hommes en garnison dans la provinte,
C*est aussi le chiffre que donne Billing (fiesthreiàun^ des Misasses^ 1781,
p. 46) : 21.660 hommes de pied et 2300 cavaliers, plus les deux
bataillons de la milice provinciale de 720 hommes chacun, sans les
officiers.
4) 11 était de retour à son poste fin juillet, ou commencement d'août.
5) Au commencement de juillet, le baron de Flachsianden écrivait
<depuis Paris à M. Chauffour que le comte de Rochambeau ne pouvant
se rendre à son poste à cause de ses affaires, il allait être nommé
commandant en second, afin que la province ne restât pas sans chef
•-dans ces mcm^nts difficiles. Cependant il paraît que le comte de Rocham-
beau prit possession de son commandement vers le 18 juillet, tans
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LES TROUBLES DE I789 357
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358 REVUE d'aLSACE
de la province >. Il n*y avait donc que peu de troupes
disponibles : ce qui ne peut guère s'entendre que
d'effectifs incomplets. Dans quelle niesure étaient-ils
incomplets? Nous l'ignorons; nous savons seulement
que les deux bataillons du régiment de Boulonais, qui
remplacèrent à Sélestat les deux bataillons du régiment
de la Marck, en octobre 1 790, ne comptaient que 608
hommes. D'après le curé de la Rue, la garnison habi-
tuelle de Huningue : deux régiments d'infanterie, un
régiment de cavalerie, les dépôts de sept régiments
suisses, plus de l'artillerie et du génie, nous l'avons dit,
ne formait ordinairement qu'un effectif de 1760 à 1800
hommes, qui cependant, en 1791, fut élevé à 2100
hommes. — En 1793, le vicaire de Huningue, J. A. Sôhn-
lin, prétendait que depuis dix ans, la moyenne des troupes
de cette ville fut de IÇ46 hommes.
Enfin, l'esprit de la troupe laissait fort à désirer.
Les illusions et les théories du jour comptaient de
fervents partisans, non seulement parmi les officiers
supérieurs, au fond plus sympathiques qu'hostiles au
mouvement actuel »), mais encore les soldats en étaient
si fortement imbus, que la discipline en souffrait. Lors
de l'insurrection de Strasbourg, les soldats disaient tout
haut : « Nous sommes bons pour le soutenir (le peuple)
et le contenir, mais non pour l'assassiner * »). C'était
évidemment une phrase à effet, destinée à couvrir une
infraction à la discipline, qu'ils étaient décidés à com-
mettre : le refus de faire usage de leurs armes, s'ils en
avaient été requis. On sait d'ailleurs comment ils ont
contenu la populace de cette ville 3); et la scène qui
1) Le maréchal de Klioglin en est un exemple. II était président
du district de Colmar; le Bureau le félicita chaudement d'avoir sauvé
Strasbourg en juillet 1 Tandis qu^aujourd^hui on lui reproche sa mollesse,
son irrésolution, et qu'on l'accuse de s'être bien plus soucié de ses intérêts
personnels ou de famille que de ceux des habitants de Strasbourg. —
Cfr. Taink, Révolution^ I, p. 49-50 ; Hermànn, Notices historiques sur
Strasbourg^ I, 1819; Révolutions d* Alsace^ 1789, etc.
2) Révolutions (fAlsace^ 1789.
3) D'après Arthur VuNG (I, p. 249), plusieurs soldats excitaient la
foule sous les yeux de leurs chefs qui restaient impassibles 1
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360 REVUE d'aLSACE
au baron de Klinglin, le 30 décembre 1789. La Com-
mission intermédiaire voulait supprimer la haute paie
qu'elle avait accordée aux troupes cantonnées, nous
dirons plus loin à quelle occasion : c II faudrait au moins
maintenir le peu de calme qui existe à la faveur des
troupes cantonnées, pour ne pas voir une seconde
représentation des horreurs qui se sont commises. Mes
inquiétudes augmentent en pensant au peu de subordi*^
nation qui existe encore dans mon régiment. Les détache-
ments accoutumés à cette haute paie demanderont
vraisemblablement à rentrer dans leur garnison; et
ceux qu'on enverrait pour les relever, supposé qu'ils
marchent sur mon ordre, se joindront peut-être aux
brigands, qui attendent avec impatience le moment où
ils seront les plus forts pour faire une nouvelle insur-
rection ... Je préférerais autant que cette petite ville
(Huningue, ce semble), quoique menacée par toutes les
communautés voisines, reste absolument sans troupes
que d^en avoir, avec la crainte de les voir neutres,
désobéissantes, ou peut-être contre les bons citoyens >,
Aussi ce n'est pas un médiocre éloge que Madame
Gauthier fait de la garnison de Belfort, dans la lettre
que nous avons transcrite, lorsqu'elle dit que la troupe
«n'a pas hésité pour exécuter les ordres du chef».
L'administration provinciale, elle aussi, n'était pas
prête. Nous avons raconté précédemment, et la scission
profonde qui s'était produite entre les Bureaux et la
Commission, et la lutte que les uns et les autres, de
concert avec les municipalités, soutenaient contre tant
d'adversaires coalisés. Il en était résulté un décourage-
ment, une lassitude qui tenait presque du dégoût et
qui atteignit son apogée, précisément à cette époque.
enfui par la route de Kehl, la seule, dit-il, qui fut libre. Passe pour
la c divine compagne >; mais comprend-on un officier général qui déserte
son poste au moment du danger ? — Cfr. sur cette affaire les Mémoires
du comte de Rochambtau^ dans la Revue (C Alsace 1887, p. 491 (article
de A. Bbnoit).
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362 REVUE d' ALSACE
euerer billigen Forderungen gefunden. Wir beschwôren
euch bei Gott, der das Bôse straft, bei dein lieben
Vaterland, das die Augen auf euch gerichtet hat, und
bei euerem eigenen WohI und Ehre, erhaltet die Ruhe
und Friede, auf dass euere Enckel in Segen sich noch
eurer erinnern. Ruft an die Barmherzigkeit Gottes, dass
Er von uns wende das Ungliick das so viele Provinzen
bedroht! Wir sind, mit der wârmsten Vaterlandsliebe,
euere treue und liebe Mitburger. — Les députés du
district de Colmar, etc. > «).
Cependant Tordre était trop profondément troublé,
pour que l'autorité civile eût pu le rétablir sans le
secours de Tarmée. Nous avons déjà vu que la garnison
de Belfort maintenait la tranquillité publique, ou mieux
empêchait les plus grands excès de se produire, par
des sorties et des patrouilles fréquentes, tant en ville
que dans les environs. Le comte de Castéja, de concert
avec le Bureau de Huningue, prit également des mesures
pour la repression de Témeute dans le Sundgau. Il
envoya des détachements du régiment de Bourgogne,
sous ses ordres, dans les communautés les plus éprou-
vées, comme àFerrette2), Landser, Ottmarsheim, Ley-
men, Sierentz, Steinbrunn, Blotzheim, etc., trop tard
sans doute pour empêcher le mal dont personne ne
pouvait avoir même soupçonné toute la gravité, mais
du moins assez à temps pour arrêter le pillage et
rassurer quelque peu les honnêtes gens. Des patrouilles
organisées par ses soins sillonnaient le pays et allaient
de village en village avec la consigne d'employer la
force au besoin pour faire respecter les ordres de l'au-
torité. A la date du i" août, avec l'assentiment du
Bureau, le général fit ordonner par le canal des maires,
1) La même proclamation fut affichée dans le district de Huningue^
mais avec la date du 30 juillet et la substitution du mot Huningue à
celui de Colmar.
2) Il y eut deux compagnies à Ferrelte ; elles y arrivèrent vers le
25 juillet.
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364 REVUE d'aLSACE
Tordre au second bataillon du régiment des Deux-Ponts^
en garnison à Neuf-Brisach, de le rejoindre à Rouffach.
Le lendemain, la cavalerie était prête dès 7 heures du
matin; mais le bataillon des Deux-Ponts, parti de Brisacb
à 3 heures du matin, n'arriva qu'à 9 heures à cause
de la pluie et des mauvais chemins. Après une heure
de repos, le général donna Tordre du départ. Soa
avant-garde était déjà à Isenheim, lorsqu'il apprit que
les insurgés, contents des titres que leur avait livré la
Maîtrise d'Ensisheim, avaient évacué Guebwiller, s'étaient
fractionnés en deux bandes et se dirigeaient, les uns
sur Ollwiller et Wattwiller, les autres sur Uflfholtz et
Cernay par les chemins de la montagne. Aussitôt il
détacha une compagnie du régiment des Deux-Ponts,,
avec . ordre de se rendre à Guebwiller, de saisir les
traînards, de rétablir Tordre, de faire restituer au Cha-
pitre les meubles et les autres objets qui avaient été
soustraits. Lui-même devançant le reste de Tinfanterie,.
à la tête des chasseurs de Champagne, se dirigea en
toute hâte sur Ollwiller. Le château de ce village venait
d*être forcé par une partie des émeutiers, tant de Saint-
Amarin que des villages voisins, et ils s'apprêtaient à
le piller et à Tincendier, tandis que les autres marchaient
sur les châteaux des environs pour leur faire subir le
même sort. Sans hésiter, le général ordonne à un
peloton de chasseurs de mettre pied à terre, d'entourer
et d'attaquer le château du côté de la plaine, en même
temps que le reste de la cavalerie, lancé au grand
galop entre le château, la forêt et la montagne, occu-
pait tous les chemins qui aboutissaient vers la plaine.
Les émeutiers, surpris, voulurent tout d'abord chercher
leur salut dans la fuite, mais lorsqu'ils virent que la
retraite leur était coupée, ils firent usage de leurs armes;
alors les chasseurs les chargèrent avec tant de vigueur
qu'ils leur firent une quantité de prisonniers et disper-
sèrent le restant dans les bois.
A ce moment arrivait Tinfanterie. Le général, sans
perdre de temps, laissa un détachement au château^
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366 REVUE d'aLSACE
La veille, sous la pression de Témeute, le Magistrat
avait dû donner sa démission. Le général, à son arrivée,,
se rendit à T hôtel de ville, écouta les plaintes de tous
ceux qui croyaient avoir quelque sujet de mécontente-
ment du Magistrat, de la Municipalité; car la Munici-
palité dut se défendre : elle avait aussi ses ennemis,
et elle fut accusée, ainsi que sou >yndic, de négligence
et même quelque puii de connivence avec les émeutiers.
Cependant la communauté ayant été assemblée devant
rhôtel de ville, le j^éncrnl lui adressa la parole et lui
donna ses avis que le syndic îslonnin traduisit en langue
vulgaire. Il était venu, disait-il, dans l'intention de réta-
blir la paix; son désir formel était que le Magistrat
rendît ses comptes jusqu'au i" octobre prochain et que
Ton se conformât pour l'administration des . revenus
patrimoniaux de la ville aux instructions de la Com-
mission intermédiaire et aux prescriptions des Ordon-
nances, Il exhorta tout le monde à la concorde et au
calme jusqu'à ce que l'Assemblée nationale eût statué
sur les doléances de chacun et menaça de sévir avec
toute la rigueur des lois de la guerre, contre tous ceux
qui refuseraient à l'avenir de se soumettre, ou qui
troubleraient encore la paix publique. Ce discours fut
applaudi. Sur la demande des bourgeois, le général
promit d'envoyer à Thann une compagnie du bataillon
des Deux-Ponts; puis il revint à Cernay et s'efforça
de ramener le calme et de rétablir la tranquillité aux
environs.
Cependant ses efforts n'eurent aucun succès; l'in-
surrection abattue semblait de nouveau relever la tête,
malgré la puissance des troupes; l'exaltation des esprits
était telle que Ton pouvait redouter à tout moment de
nouveaux excès. Aussi le général, avant de quitter
Cernay, crut-il devoir statuer un exemple de justice et
de sévérité ; il traduisit devant un conseil de guerre et
fit exécuter deux de ses prisonniers les plus gravement
compromis dans le pillage et les incendies de Gueb-
willer, d'Ollwiller et d'Uffholtz, « les esprits de parti
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368 REVUE D'aLSACE
de ce terrible contre-sens»). La proclamation, datée du
31 juillet, fut imprimée à la hâte et expédiée aux
Bureaux avec ordre de lui donner la plus grande publi-
cité, de l'afficher dans toutes les communautés et d'en
faire faire la lecture au prône de toutes les églises.
L'effet que produisit cette publication fut désastreux.
Les paysans, ne comprenant pas le texte français, trou-
vaient dans la traduction allemande un encouragement
officiel à l'insurrection. Ils avaient été unanimes à se
soulever, parce qu'on les avait formellement assurés
que le Roi et l'Assemblée les avaient autorisés à se
rendre justice. Les mesures de répression prises contre
eux commençaient à leur faire sentir qu'on les avait
trompés, lorsqu'ils lurent de leurs yeux, dans une pro-
clamation de la Commission intermédiaire, qu'ils n'étaient
nullement dans l'erreur et que le Roi les invitait lui-
1) Tout le monde ne fut pas précisément convaincu que ce contre-
sens était bien involontaire. L*auteur des Comidérations (p. 88,* dit à
ce sujet : c Eh 1 comment notre peuple d'Alsace a-t-il pu se laisser
séduire et tromper par cette affiche infernale^ qui portait avec elle-même
la conviction du mensonge, et le caractère abo(x.inable de la sédition ?
Comment a-t-il pu croire que le plus juste, le meilleur des rois, ait
voulu permettre à son peuple de se rendre justice à lui-même, d'être
partie et juge, dans les temps que les représentants les plus éclairés
•et les plus sages de la nation travaillent à lui rendre la justice la plus
efficace selon les lois? Comment a-t-il pu concevoir Tidée criminelle
qu'un monarque, père, ait voulu jeter le trouble et le désordre parai
■ses enfantp, les détruire les uns par les autres, les armer contre leuit
seigneurs it leurs supérieurs légitimes, les autoriser aux brigandagef-|
aux meuitres, aux incendies, aux excès les plus affreux? Quel opprobre
ineffaçable pour la génération présente, de n'avoir pas rejeté avec horreur
-cet infâme avertissement, comme la production de Pesprii le plus noir
et le comble de la méchanceté! 9 Toutes ces expressions ne se compren-
draient pas si dans l'esprit de l'auteur il ne s'agissait pas de bien autre
•chose que d*une faute, grave sans doute, mais qui aurait été le résultat
d'une simple inadvertance. Dans d'autres brochures de l'époque il y a
-des réflexions analogues. Ainsi le Citoyen contemplateur^ \ 790, page 30,
disait : c Je ne finirais pas si je voulais citer les exactions, les dégâts,
les vols, les crimeti et les atrocités de tout genre auxquels la publication
des 4 août et jours suivants, et particulièrement la traduction allemande
(faite par le secrétaire adjoint de la Commission intermédiaire, les placards
datés de Versailles, les lettres de nos députés... ont donné lieu». Et
dans la préface, il Invile ironiquement à souscrire dans les bureaux de
la Commission à la traduction allemande de sa brochure faite ptr le
secrétaire adjoint, — toutefois, dit-il, corrigée par une personne sachant
i'allemandi etc. . .
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S^O REVUE D ALSACE
est inconnu du peuple ... Si, malgré mes observations,,
vous croyez nécessaire que cet ordre soit publié au
prône et affiché, je n'attends que vos ordres». Le
Bureau, loin de blâmer le syndic, loua sa prudence et
le félicita d'avoir retenu une proclamation dont un
simple contre- sens rendait inutiles tous les pénibles
efforts qui avaient été faits jusque-là pour le rétablisse-
ment de la paix. Dans une pareille extrémité la sévé-
rité dont le général de Vietinghoff venait de donner
Texemple était le seul moyen qui pût, avec quelque
efficacité, assurer le respect des troupes dont il avait le
commandement, et le maintien au moins apparent de
l'ordre autour de lui.
La Commission elle-même, qui ne se doutait pas
encore de l'effet désastreux qu'avait produit sa procla-
mation, avait compris que des promesses, des discours,
des proclamations, même des menaces, lorsqu'elles
n'avaient aucune sanction, étaient tout à fait impuissants
à réprimer une insurrection d'une telle gravité : la force
seule pouvait en triompher. Aussi ce fut sur ses pres-
santes sollicitations que le comte de Rochambeau rendit
l'ordonnance suivante le 2 août, c'est-à-dire au moment
où il venait de faire enregistrer sa commission et de
prendre possession de son commandement en chef:
« De par le Roi. Il est ordonné aux officiers de la
maréchaussée, ainsi qu'aux troupes qui leur prêtent
main forte, d'arrêter quiconque troublera l'ordre public
et de le livrer sur-le-champ à la justice. Il est également
ordonné de dissiper tous les attroupements séditieux
et tous ceux qui veulent se faire justice à eux-mêmes»^
Le 3 août la Commission expédia cette ordonnance^
imprimée dans les deux langues, aux trois Bureaux de
la Haute- Alsace avec ' ordre d'en faire afficher trois
exemplaires dans les villes et deux dans les autres
communautés. Mais quel effet pouvait produire cet
affichage.^ On opposait évidemment à cette ordonnance
la proclamation précédente de la Commission et on la
considérait comme tout à fait contraire aux véritables.
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372 REVUE D' ALSACE
Le Bureau de Colmar, de son côté, prit, le 6 août,
l'arrêté suivant : < Le Bureau ordonne que les prévôts
et les syndics portent la plus grande attention à ce
que les gardes soient régulièrement montées par tous
et un chacun, même les fils de veuves et autres per-
sonnes capables de porter les armes, sans exception,
hors les infirmes et ceux que les préposés et munici-
palités jugeraient devoir être exemptés par les circons-
tances particulières, le tout pour empêcher tout espèce
de désordre et d'entreprises contraires au repos public.
Les communautés se tiendront en outre pour averties
que les juifs, vivant aussi sous la protection du Roi et
de la Nation, ne pourront pas plus que d'autres per-
sonnes être inquiétés ou maltraités impunément; que
ceux qui leur auraient enlevé ou déplacé de l'argent
ou des effets, aient à les rendre dans le jour entre les
mains des préposés, auxquels il est enjoint de faire les
/recherches les plus exactes; tiendront au surplus les
préposés et les Municipalités exactement la main à ce
que les arrêtés du Bureau, publiés et affichés en exé-
-cution des ordres du Roi et de l'Assemblée nationale,
soient strictement observés ; à eux enjoint de dénoncer
les contrevenants à peine de demeurer personnellement
responsables de ce qui pourrait arriver par leur négli-
gence, connivence, ou inaction >. De plus, le Bureau
profita du mandement de l'évêque de Baie pour prier
instamment les curés du district d'exhorter leurs parois-
siens à rétablir l'ordre et surtout de leur expliquer au
prône comment il fallait comprendre la proclamation
de la Commission.
Lorsque la Commission fut avertie de la manière
dont le peuple interprêtait sa proclamation, elle essaya,
par tous les moyens, d'arrêter les désastreux effets de
son malencontreux contre-sens. Le comte de Rocham-
beau, très probablement sur ses instances, rendit l'or-
donnance suivante à la date du 6 août : «Il nous
revient que des monstres dignes d'être sortis des enfers
xépandent faussement et méchamment le bruit que le
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374 REVUE d'alsace
conséquent être livres à la justice prévôtale aux termes
de Tordonnance précédente du commandant en chef.
Le Conseil souverain, de son côté, n'était pas resté
r. Il est évident que Bureaux et Commission inter-
lire, même jusqu'à un certain point commandant
province, avaient rendu des ordonnances et pris
frétés sur des matières qui n'étaient aucunement
ur compétence. Sans parler des ordres et des
:tions aux prévôts et aux préposés qui ne dépen-
t d'elle en aucune façon, il n'appartenait pas à
linistration provinciale de faire par exemple des
nents de police générale, de prescrire des perqui-
5, des visites domiciliaires, des arrestations, d'or-
îr la saisie et la restitution d'objets volés, etc.,
cune loi ne donnait au commandant le droit de
instruire prévôtalement telle affaire qui lui semblait
Mais le 6 août le Conseil souverain, seule autorité
étente^ avait déjà définitivement réglé ces difïé-
; questions. Le i" août, sur la requête du sieur
pe Yves, conseiller du Roi et son procureur au
de la Maréchaussée générale d'Alsace à la rési-
de Colmar, et conformément aux conclusions du
reur général, il avait déclaré le prévôt de la Maré-
sée compétent pour connaître des crimes et des
commis durant les troubles »). Comme l'insurrèc-
'était étendue à toute la Haute-Alsace, et que le
re des accusés était considérable, le Conseil, sur
^e 31 juillet quelques prisonniers du général de Vietinghoff
été écroués à Colmmr; ils étaient au nombre de 17 diaprés
(p. 7). Après un interrogatoire sommaire quatre d'eux furent
n liberté. Quant aux autres, la Cour ordonna, par ce même
[ue, vu le mauvais état des prisons de Colmar, ils seraient dès
transférés aux prisons de Sélestat et jugés prévôtalement et en
ressort par le juge de la maréchaussée de cette ville. D'après
ils furent tous reconnus coupables, condamnés à mort et pendus
leur propre maison au lieu de leur domicile. Au siècle dernier,
t convaincu que la vue d'un condamné inspirait nécessairement
r du crime; de là des rigueurs dans les peines que le Code
d'aujourd'hui , sous l'empire d'autres idées , a complètement
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LES TROUBLES DE I789 375
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37^ REVUE d'alsace
tion générale. Dans les communautés les plus mutins
s'arrogent l'autorité, jusqu'à ce qu'il ait été statué sur
leurs réclamations. On force l'entrée des dépôts pour
déchirer les titres qui assurent l'état et la fortune des
citoyens, cumulativement avec ceux dont on redoute
l'effet passager. On détruit, pour le seul plaisir de
détruire, des monuments antiques et respectables, élevés-
à grands frais. Le peuple a été trompé, parce qu'on
lui a donné le fol espoir d'obtenir par la violence ce
qu'il ne doit attendre que de la justice et de la bien-
veillance de Sa Majesté.
Sur cet exposé, la Cour décida que les édits, décla-
rations, arrêts du Conseil sur les assemblées illicites,,
séditions, attroupements seront exécutés en leur forme
et teneur; en conséquence il était fait de nouveau
défense expresse d'y contrevenir ; ordre était donné
aux chefs, prévôts, syndics et préposés, sous leur res-
ponsabilité, de surveiller les malveillants, surtout ceux
qui par des écrits ou des discours excitaient à la révolte;
d'empêcher que dans les assemblées pour les affaires
communes, on ne fit des propositions qui troublassent
l'ordre public, de dénoncer et d'arrêter les coupables
avec l'assistance de la Maréchaussée et de la force
armée au besoin, pour être dans tous les cas pour-
suivis à l'extraordinaire et jugés prévôtalement, con-
formément à l'arrêt du i" août; enfin défense était faite
aux Weibels et valets de ville, de battre la caisse, de
sonner le tocsin, ou d'assembler les bourgeois sans-
permission écrite des chefs de la communauté.
Enfin, le 1 8 août, le premier Président sur l'avis de
la première Chambre, consulta les Chambres assemblées
sur la question suivante : convenait-il, vu les tristes
circonstances où se trouve la province, à la suite d'un
hiver rigoureux et des troubles qui s'y sont élevés^
de rendre des arrêts de passer outre à F exécution des
sentences et des arrêts de condamnation en faveur des
procureurs et des huissiers ? A la majorité, il fut décidé
que de ce jour à la Saint-Martin, il ne serait plus renda
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,37 8 REVUE D' ALSACE
Tout le monde connaît l'histoire de la nuit du 4 août,
où le sacrifice de ce régime et de tous les privilèges
fut résolu en principe; nous ne nous arrêterons pas à'
la raconter; nous nous bornerons à reproduire les
impressions de nos députés et à marquer quelle fut leur»
attitude.
€ . . . Après avoir employé trois mois à détruire tous
les obstacles qui paraissaient s'opposer invinciblement;
au bonheur de la France, écrivait, le 8 août, NL Pinelle,
curé de Hiiltzheim, à M. ChaufFour, nous venons de poser»
les premières grandes bases de la félicité publique ^ en-
déclarant la nation française une nation franche et libre ; *
en conséquence nous avons supprimé, par un décret
solennel, tout le régime féodal et les droits qui en'
résultaient, toute mainmorte et mainmortable, person-
nelle ou réelle; toutes les corvées ou autres servitudes
personnelles et leur prestation en argent sont abolies,
sans indemnité; les cens ou rentes réelles quelconques
sont toutes rachetables au taux qui sera fixé par l'Assem-
blée; les droits exclusifs de chasse, de garenne, de
colombiers sont détruits, les justices seigneuriales quel-
conques sont supprimées et resteront seulement en fonc-
tion jusqu'à l'établissement des justices royales; enfin
tous les vestiges de la féodalité sont effacés au point
qu'on a voulu mettre en délibération si les droits pure-
ment honorifiques des seigneurs se sont conservés, et
je ne sais pas encore ce qu'il en arrivera; les annates
du Pape, la pluralité des bénéfices, le casuel des curés
de campagne, tout est supprimé et proscrit à jamais;
et dans l'enthousiasme que ces suppressions si géné-
reusement votées et consenties par le Clergé et la
Noblesse ont excitées dans l'Assemblée nationale, elle
a proclamé Louis XVI restaurateur de la liberté de la
France et ordonné qu'il sera frappé des médailles avec
cette exergue; et tous les membres se livrant au plus
vif sentiment du patriotisme le plus pur, ont oublié
pour toujours qu'ils étaient les uns Bretons, Bourgui-
gnons, Languedociens et Provençaux; les autres Contois,
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380 REVUE d'aLSACK
à rAssemblée. Là, le prince de Broglie, au nom de la
Noblesse et du Clergé d'Alsace, adhéra conditionnelle-
ment à la renonciation qui venait d'être faite la veille^
ajoutant que ses collègues et lui allaient < se pourvoir
de pouvoirs moins impératifs ». Puis Reubell, au nom
du Tiers-Etat, fit la même déclaration à laquelle se
rallièrent à leur tour les députés des Villes impériales,,
promettant « de se retirer par devers leurs commettants^
pour en obtenir le consentement et le pouvoir».
Ce même 5 août, encore sous le coup de Témotion,
Reubell informait le Bureau de Colmar, en termes enthou-
siastes, de ce qui venait de se passer : Tous les privi-^
lèges étaient abolis; l'Assemblée était restée en séance
jusqu'à I heure après minuit; sa mémoire n'a pu retenir
tout ce qui avait été décrété. Puis, selon l'engagement
qu'il avait pris, il conjurait le Bureau de solliciter de
la part de ses commettants le sacrifice public des privi-
lèges de TAlsace c déjà fait dans le cœur des députés.-
Le nom des Français sera si glorieux «) et la constitu-
tion si bien faite que personne ne voudra plus de
régime particulier >. Et d'ailleurs, ajoutait-il, ce serait
bien en vain qu'une province refuserait de suivre l'im-
pulsion générale «). L'abbé Pinelle avait de même averti
ses commettants de l'inutilité et de l'inefficacité d'uiv
refus; et il faut croire que cette conviction avait fait
impression sur plus d'un député et peut-être déterminé soa
enthousiasme. * Si, contre toute attente, ils n'approuvent
pas ma renonciation conditionnelle, disait-il, qu'ils me
tracent une ligne de conduite, ne voulant et ne pouvant
1) c Le plus beau qu^on puisse porter sur la terre! Il est permi»
aux amis de la nouvelle constitution de le croire. Mais il est également
permis aux autres peuples de la terre de n*en rien croire. Et les récep»
tioos qu'on fait en Espagne, en Italie, en Allemagne, en Brabant, eoi
Hollande, en Suisse, aux Français qui se mêlent de la propagation de
la nouvelle constitution française, ne sont pas une preuve de la supé-
riorité d'estime qu'elle a . acquise, quant à présent, au nom français,
puisqu'on lui donne la qualification de mal français >-. {Histoire ttAlsacty.
du syndic Chauffour).
2) Cette lettre a été publiée dans la Revue <f AUace^ l868, p. 530t.
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382 REVUE d'aLSACE
à rUnivers le code parfait de la monarchie ou d'une
grande nation qui a le bonheur de vivre sous le doux
empire de l'autorité paternelle. Vos principes de consti-
tution seront la base de cet édifice dont les siècles
reculés béniront les architectes, en admirant sa beauté.
Notre district que l'auguste Assemblée a déjà honoré
d'une réponse gwcieuse, saisit avec empressement cette
nouvelle occasion de lui offrir ses très humbles hom-
mages. Nous sommes, avec le plus profond respect... >.
Cet enthousiasme de nos députés certainement n'était
pas de commande, et Ton ne peut suspecter la sincérité
de cette joie et de ces espérances que partageaient
beaucoup de leurs commettants.
Il y eut cependant des hommes plus froids, sur
lesquels tous ces événements firent une impression bien
différente : de ce nombre était J. de Turckheim, député
de Strasbourg. M. de Turckheim prétend que les clubs,,
et particulièrement le Palais royal, exerçaient sur l'As-
semblée une pression de plus en plus irrésistible ').
Bientôt il n'y eut plus de liberté pour quiconque ne
partageait pas leur manière de voir; et même un député
qui n'était pas de leur bord courait de réels dangers,
s'il venait à prendre la parole. Aussi, dans la nuit du
4 août et dans les séances suivantes, si beaucoup, si
le grand nombre des députés subirent l'entraînement de
l'enthousiasme, beaucoup d'autres au contraire cédèrent
à l'intimidation et à la pression. Lui-même, lorsqu'il
parvint à monter à la tribune, après bien des efforts
inutiles , et qu'il voulut expliquer à l'Assemblée la
situation particulière et peu connue de l'Alsace et
invoquer des traités de paix solennels, sur lesquels elle
se fondait, fut si mal accueilli, si peu écouté, inter-
rompu, par quelques députés de la province, d'une
manière si inconvenante qu'il n'osa plus prendre la
1) Bericht an dit Gemeindt von Strassburg uber du Lagt dtr-
National- Vtrsammlung^ ini Monat Octohtr diests ' JaKres 1 7<f ç>. —
Taine, La Kivoluiion^ I, liv. 1 passim.
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384 REVUE d'aLSACE
gées d*y veiller et recevaient le droit de requérir les
milices, la maréchaussée et les troupes; les personnes
arrêtées devaient être jugées de suite, mais il était
sursis à l'exécution des condamnations; les pièces de
procédure contre les principaux coupables devaient
être envoyées à réassemblée, afin qu'elle put remonter
à la source et frapper les chefs de ces complots d'une
manière exemplaire"); tout attroupement séditieux, sous
prétexte de chasse, devait être dispersé par la force;
dans toutes les communautés il était dressé un rôle
des gens sans aveu et sans domicile constant, lesquels
seront désarmés et surveillés par les milices nationales
et les maréchaussées. Enfin, comme mesure suprême,
TAssemblée ordonnait aux milices et aux troupes de
prêter un nouveau serment solennel de fidélité de la
manière suivante : Les milices nationales jureront entre
les mains de leurs commandants c de bien et fidèlement
servir pour le maintien de la paix, pour la défense des
citoyens, et contre les perturbateurs de Tordre public >•
Les troupes devront à leur tour prêter serment c de la
manière la plus auguste > ; les soldats, en présence du
régiment sous les armes, de ne jamais abandonner leurs
drapeaux, d'être fidèles à la Nation, au Roi et à la
Loi, et de se conformer aux prescriptions de la disci-
pline militaire; les officiers ensuite, à la tête des troupes,
en présence des officiers municipaux, d'être fidèles à la
Nation, au Roi, à la Loi, de ne jamais employer leurs
subordonnés contre les citoyens, si ce n'est sur réqui-
sition des officiers civils ou municipaux, laquelle sera
toujours lue aux troupes assemblées 2). Puis l'Assemblée
1) Cest-à-dire é'oufTer l'affaire, si da moins il était constant que
les vrais coapables étaient les députés eux-mêmes. (Cfr. Tai.vb, Rèvo»
luiion, I, p. 94).
2) Le texte primitif p>rtait c è-i mains des officiers municipiux et
en présence des troupes », mais c^eût été trop humilier Parmée. —
Pour se faire une idée de cette cérémonie, nous transcrivons le procès-
verbal de la prestation du arment ch'ique à Colmar, exigé plus tard,
non seulement des solJats et de« milices, mais encore de tout citoyea^
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386 REVUE d'alsace
Parmi les nombreuses victimes de Tinsurrection :
officiers seigneuriaux et royaux, officiers de justice et
d'administration, employés des forêts, seigneurs, ecclé-
siastiques et religieux, les juifs furent les seuls auxquels
TAssemblée nationale manifesta un intérêt particulier.
A la date du 28 septembre 1789, elle rendit le décret
suivant : < Sur le récit des violences exercées contre
les juifs d'Alsace et les dangers qu'ils coururent, l'As-
semblée a chargé son président d'écrire aux officiers
publics de l'Alsace que les juifs sont sous la sauvegarde
de la loi et de réclamer du Roi la protection dont ils
ont besoin > ').
€ Les Juifs d'Alsace ont mérité la sauvegarde de
l'Assemblée nationale contre les entreprises du peuple.
Et on a gardé un profond silence sur la dévastation
des châteaux de la noblesse et des maisons du chapitre
noble de Murbach à Guebwiller dans le même temps».
(Statuts de Colmar),
(A suivre), Ch. HOFFMANN.
i) Les juifs demandaient mu Gouvernement remise totale de leurs-
impositions pour les six derniers mois de Pann^e. et Remploi du surplus
au soulagement de leurs coreligionnaires malheureux. La Commission
intermédiaire consultée fit observer au Ministre que la persécution contre
les juifs n'a pas été aussi générale qu'ils veulent bien le prétendre;,
dans toute la Basse^^lsace c ils ont été parfaitement tranquilles; mais
dans environ vingt villages de la Haute-Alsace ils ont été chassés, pillés
et traités avec la plus grande barbarie : on ne peut porter le nombre
de ces malheureux à .plus de 30cx> ». (Il y avait des juifs en Alsace
dans 182 localités). La déchatge accordée aux juifs serait supportée
nécessairement par la province. Or ils n'ont pas plus de droit d'ètie
dédommagés que les seigneurs et les particuliers dont les châteaux et
les maisons ont été pilles et saccagés, et c les facultés de la province
ne suffiraient pas à toutes ces indemnités, si elle devait les accorder *.
Si donc la justice porte le gouvernement à soulager des malheureux qui
s^nt sans ressources, « elle lui fera sentir aussi que les secours qui leur
seront accordés ne peuvent tomber à la charge de ceux qui n'étant pa»
cause de leur malheur en deviendraient la victime > (4 novembre 17S9)..
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388 REVUE d'alsace
travailler trop vite, et il en résulte que je laisse fréquemment
passer dans mes publications des fautes d'impression. Elles ont
du reste une autre explication que mes amis connaissent et
dont, vraiment, je serais plutôt fier, si je l'osais. Mais j'ai sous
les yeux ^errata de ces deux volumes et je puis affirmer
que ces fautes n'ont pas l'importance que prétend M. Berg-
stràsser, et qu'il n'en est point qui arrête à la lecture, et qu'on
ne corrige spontanément, au moins quand on sait le français »).
Alors comment se justifient les hauts cris de ce chercheur de
petites bêtes qu'est mon critique? X'est-il pas particulièrement
malheureux dans Texemple qu'il donne de ces « si nom-
breuses > fautes d'impression? Qu'on en juge. C'est page 95
du second volume que, dit -il, sur 10 lignes il a trouvé
14 erreurs. Les voici : il y a Hiende« pour Haende, Offis/ren
au lieu de Offizieren, \om pour von, nié einen pour keinen
(ceci a en effet une certaine importance, mais les autres?)
Gerechtigkeit sans /, personnel pour personnel, et le reste à
l'avenant. Il n'y a pas là, on le voit, de quoi fouetter un chat,
comme on dit vulgairement, et c'est en imposer aux lecteurs
que de prétendre le contraire.
M. Bergstrâsser n'est pas plus heureux au sujet des indica-
tions de sources ; sur des milliers qu'en contient l'ouvrage, il
en cite une où un 5 est mis pour un 3 ! La belle affaire, et
était-ce la peine de pousser des cris de paon ?
Si la bienveillance, terminerai-je, n'étouffe pas M. B., que
dire des contradictions de sa critique ? 11 commence par
déclarer solennellement, — on voit se dresser ce jeune savant
sur ses ergots! — que der Nutzen de l'ouvrage de Hoff-
mann est ein verhàltnismàsslg ganz minimaUr. Puis, entrant
quelque peu dans le détail, il revient à un peu plus de sens
droit et répète jusqu'à satiété que l'ouvrage contient une
Unmenge interessanten zum grossen Tcil unbekanntcn Stoffes^
qu'il donne viel Materiai, que tel chapitre est particulièrement
intéressant^ tel autre intéressant genug ou nicht weniger
£harakteristisch. Ici se trouvent d^ intéressante Angaben^ là de
sehr intéressante Nachrichten, Enfin partout ce livre est reich
xin neuem Material. Mais alors que devient le jugement
a priori du début? Au risque d'avoir pour les deux derniers
1) Aussi me décidé-je à ne pas ajouter cet errata à la fin da
^-quatrième volume comme jVn avais d'abord l'intention.
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390 RF.vuE d'alsace
Cerna y et son canton, ou du moins la plus grande partie
de son canton, étant situés à cette époque soit dans le Sund-
gau, soit dans le pays de la Tbur, la question nous intéresse.
La guerre que se firent les deux frères au sujet de ce territoire
fut d'ailleurs assez sanglante pour que le prétexte invoqué
retienne quelque peu notre attention.
C'est en 596 que Cbildebert, roi d'Austrasie, mourant laissa
ses Etats à ses deux fils Théodebert et Thierry. Théodebert
eut TAustrasie, dont le siège était à Metz ; Thierry la Bour-
gogne, dont le siège était à Orléans, et l'Alsace détachée du
royaume d'Austrasie par clause spéciale.
D'abord unis contre leur oncle Lothaire, roi de Neustrie,
les deux frères ne tardèrent pas à se quereller. Brunehaut, leur
grand'mère, débarrassée de Frédégonde qui venait de mourir,
profita de l'ascendant qu'elle avait sur Thierry pour l'exciter
contre Théodebert.
De son côté ce dernier, mécontent de ce que son frère
croyait qu'il n'était pas le fils de Childéric, mais d'un jardinier,
et ayant réclamé du reste à plusieurs reprises les cantons de
l'Alsace dont nous parlons, fit la guerre à son frère Thierry
en 610.
11 fut vainqueur et l'Alsace lui échut.
Jusqu'à Laguille, les historiens, comme nous Pavons dit,
pensaient que les cantons vainement réclamés par Théodebert
étaient le Sundgau, la Thurgovie et une partie de la Cham-
pagne.
Nous estimons avec le P. Laguille que la Champagne était
un peu éloignée des confins du territoire d'Austrasie, qu'il est
donc inutile de chercher en dehors de l'Alsace des cantons
répondant aux dominations indiquées. La Thurgovie est un
peu moins éloignée que la Champagne, mais nous pensons
néanmoins qu'il s'agit plutôt du pays de la Thur.
Le territoire du canton de Cernay a donc fait partie (pour
le Sundgau il n'y a pas de doute) peut-être dans son ensemble
du territoire réclamé par Théodebert à son frère Thierry.
C. Oberrkiner.
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392 REVUE D'ALSACE
Catalogue des ColéopÛres de la chaîne des Vosges et des régions
limitrophes^ par J. Bourgeois. 5* fascicule. Colmar, impr.
Decker, in-8^ i fr. 25.
Alsace champêtre. Le parfait village^ par Carlos Fischer*
Paris, Sansot, 1907. ln-32 de 95 pages.
Charmante petite fantaisie sur un village perdu dans la
montagne qui n'a et, souhaitons-le lui, n'aura jamais d'autre
histoire. La Revue d'Alsace est bien en communauté d'idée»
avec l'auteur, mais proteste cependant contre ce qu'il dit de
la langue française qu'on parle chez nous. Est-ce vrai pour
Strasbourg? C'est possible^ mais point à Colmar, ni à Mul-
house, ni dans bien d'autres de nos villes, où, généralement
du moins, on parle aussi correctement qu'à Belfort et à Nancy»
et plus peut-être qu'à Toulouse et qu'à Marseille.
Revues et journaux.
Annales de VEst et du Nord, Avril. Deux documents-
relatifs à Catherine de Bourgogne, comtesse de Ferrette et
d'Alsace (1421-1422), par L. Stouff.
Le fifessager d^ Alsace-Lorraine. 18 mai. L'idée de patrie
en Alsace. — 25 mai. Nécrologie : J. Hergott, par M. Gross. — '
29 juin. Les Alsaciens dans les armées lorraines au xiv^ siècle»,
par J. Donon.
Revue alsacienne illustrée^ N<* 2. L. A. Himly, par Roche-
blanc. — L'Alsace au musée de Versailles, par A. Girodie.
Revue catholique d'Alsace Mai. La patrie alsacienne^ par
Ars. Legrand. (Bonne réponse à M. Fleurent). ^-^tJfi'document
inédit sur l'histoire religieuse d'Alsace pendant la Révolution^
Images du Musée alsacien. 3« livraison de 1907 : Uhrwiller
(eau-forte). — Costumes de la vallée de Munster. — Enseigne»
de maisons à Riquewihr. — Pipe d'Ingersheinu
Strassburger Diàzesanblatt. Juillet. Die ehemaligen Wall*
fahrtsorte im Elsass, par J. Lévy.
RlXHBOC (AlBACB). — TtPOOBAPHIB F. SUTTBB & CiB
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394 REVUE d'alsack
Ce dernier autel sera placé dans la chapelle actuelle
de la Vierge, largement ouverte sur le transept droit
par trois grandes baies : restauration tout à fait heureuse,
nous semble-t-il, et qui facilitera le rétablissement de
la belle porte de ce transept, aujourd'hui encore
maçonnée.
On remarquera aussi sur le dessin de M. Knauth
que Tautei actuel de la Vierge, adossé à Tangle droit
de l'entrée du chœur, sera remplacé par un autel du
style de l'église, qui encadrera, idée également excel-
lente, le beau tableau de Schongauer, la Vierge au
buisson de roses, encore caché dans la sacristie.
Peut-être trouvera-t-on la décoration proposée par
M. Knauth un peu surchargée? Quoi qu'il en soit, on
ne peut qu'approuver l'ensemble du projet, et surtout
féliciter la ville de Colmar d'avoir à la tête de son
clergé Thomme éminent dont le zèle, aussi industrieux
que généreux, ne recule devant aucun obstacle, et qui,
sans parler de ses autres œuvres, après avoir mené à
bonne fin la fondation de la paroisse de Saint-Joseph
et la restauration de l'église des Dominicains, donne
maintenant tous ses soins à l'embellissement de l'an-
cienne église collégiale de Saint-Martin.
A. M. P. I.
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SOUVENIRS DE 1817-1824
JOURNAL
D'UN HABITANT DE CERNAY : M. DE LATOIJCHE
Fin i)
1817. Janvier 7. La nommée Catherine Jehlé, sœur
de la Deva Lisiy a été arrêtée par la gendarmerie pour
avoir volé Bernhard Mambré et le nommé Vogel. Tous
les effets qu'elle leur a volés, ont été trouvés chez la
voleuse, et la fille de cette dernière a pris la fuite avec
son enfant dans le moment que sa mère fut arrêtée.
Ce vol consiste en deux pots de beurre et de graisse.
Le soir, cette fugitive fut prise en rentrant furtivement
dans la maison de sa mère, et le lendemain, on la
mena au juge de paix Bâchlin, qui la condamna à être
conduite par un sergent de garde dans toutes les rues
de la ville de Cernay, après lui avoir attaché sur les
épaules les deux pots qu'elle avait volés; ce qui fut
exécuté le 8 à midi précis, avec une huée des plus
clamantes.
Janvier 24, A huit heures du soir le feu a pris dans
le séchoir de toiles des sieurs Engel et Witz et a causé
1) Voir là livraison de mai>juin 1907.
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396 REVUE D ALSACE
un grand incendie, dans lequel le sieur Engel a eu ses
vêtements brûlés sur le corps, et trois de ses ouvriers
ont été à moitié consumés par les flammes : ils ont
été mis en pension chez un nommé Glady et seront
estropiés pour toute leur vie, et cela par la faute de
leur maître.
Le jour de la Saint-Sébastien, M. Thaler, curé de
Thann, a fait un affront à M"* Humberger, qui était
avec d'autres demoiselles dans un banc à Téglise; il y
faisait la procession, et, tout à coup, il s'arrêta devant
le banc de cette demoiselle et lui ordonna d'en sortir
pour aller dans la procession; elle lui dit qu'elle ne
pouvait y assister à cause qu'elle était un peu incom-
modée, mais le curé persista dans son commandement,
et la pauvre demoiselle fut obligée d'obéir. Après la
procession elle eut tant de chagrin de cette avanie
qu'elle alla tout en pleurant chez son père, se mit au
lit et tomba sérieusement malade; le père, ayant appris
cette insolence, s'en fut trouver le curé, auquel il fit
les plus vifs reproches et lui dit que s'il ne respectait
pas son caractère, il lui donnerait une volée de coups
de bâton pour lui apprendre à vivre. On dit qu'il en
a fait ses plaintes au sous-préfet, mais on ignore quel
en sera le résultat.
Février <?. Après lO heures du soir, on a vu à
Cernay le ciel tout en feu depuis Steinbach jusqu'à
Uffholtz; depuis Steinbach jusqu'aux montagnes de
Thann le ciel était pâle avec dès rayons blancs, et,
depuis Uffholtz vers Colmar, il était couvert de nuées
noires. Les habitants qui l'ont vu ont prétendu que cela
annonce un événement particulier.
Le sieur Jacques Ôhl, papetier, après avoir fait
recueillir par ses ouvriers les pommes de terre qu'il a
fait planter dans ses champs sans augmenter leur salaire,
a eu la cruauté de refuser à leur en vendre dans la
disette, quoique ces ouvriers lui offraient de les payer
au prix qu'on les avait vendues au marché, en disant
à ces pauvres gens qu'il n'en avait pas plus que sa
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SOUVENIRS DE 1817-Ï834 39;
provision pour son ménage, et, le lendemain, ledit Ôhl
a envoyé vingt sacs de ses pommes de terre pour les
vendre au marché de Thann.
Le sieur Christophe Heuchel, hôte du Cheval blanc^
a refusé de même de vendre aux pauvres gens de ses
pommes de terre, dont le prix courant au marché était
de 14 francs le sac, parce que sa femme a dit qu'elle
Vi(i\\ vendrait que quand il serait à 20 francs le sac;
et, pour éloigner les chalands, elle leur dit qu'elle n'en
avait plus à vendre, et elle fit enterrer une centaine
de sacs dans la cour ; cela fut découvert par son domes-
tique, qui sauta par hasard sur le trou où ils étaient
enterrés; le terrain s'enfonça sous ses pieds, parce que
ces pommes de terre s'y étaient pourries, ce qui lui
attira le blâme de tous les honnêtes gens.
Un paysan des environs de Mulhouse, homme riche,
avait un journalier, qui le servait fidèlement depuis vingt
ans; ce dernier demanda à son maître de lui vendre
des pommes de terre; qu'il devait lui retenir sur son
salaire, et quand même ce serait une année, et cela à
quel prix qu'il jugerait à le taxer ; qu'il ne devait pas
refuser cette demande, puisqu'il n'avait jamais eu de
reproche à lui faire. Mais cet inhumain lui refusa tout
court et lui dit qu'il n'en avait pas à vendre et qu'il
en avait besoin pour son ménage, malgré qu'il en avait
pour le triple de sa consommation. Sur cela le pauvre
journalier lui exposa douloureusement sa misère et lui
dit qu'il serait forcé de mourir de faim, s'il lui refusait
sa demande; à cela le paysan lui dit : «Je ne te don-
nerai rien, et si tu n'a rien, va-t-en voler où tu pourras
pour calmer ta faim >. Ce pauvre journalier ne se le fit
pas répéter et alla dans la nuit voler un cochon dans
les étables de ce barbare paysan. Le lendemain ce
dernier voyant qu'il y manquait un de ses cochons,
conçut de suite le soupçon que son journalier l'avait
volé et fut porter ses plaintes au maire de l'endroit,
lequel fit venir le pauvre homme et le questionna en
présence du plaignant. Le journalier lui dit franchement
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398 REVUE D ALSACE
qu'îl avait volé ce cochon, parce que son maître lui
avait dit lui-même d'aller voler où il trouverait, et qu'il
ne pouvait le nier s'il voulait convenir de la vérité. Le
maire alors demanda ce riche paysan si cela était vrai.
Celui-ci convint qu'effectivement il avait tenu ce propos,
mais qu'il n'aurait jamais cru qu'il fut exécuté à son
détriment. Alors le maire dressa procès-verbal en leur
présence de la relation du fait, et l'envoya de suite au
juge de paix du lieu, lequel, après les avoir encore
interrogé de même, envoya le tout au tribunal d'Alt-
kirch, qui condamna le journalier à dix jours de prison
pour avoir volé le cochon et condamna aussi le riche
paysan à vingt jours de prison, et en outre de payer
pendant ces vingt jours 12 francs par jour au pauvre
journalier, parce qu'il lui avait donné lui-même le conseil
de voler.
Février 11. Depuis le jour de la Saint-Louis jusqu'au-
jourd'hui une chouette avec son jeune sortent du clocher
de la grande église de Mulhouse toutes les fois que la
cloche de l'heure sonne, et vont se percher sur les
drapeaux qui y sont plantés et samusent à déchirer le
taffetas de ces drapeaux.
Le sieur Mertian, curé à Bergheim, a été étranglé
dans son presbytère ; ce prêtre était fortuné et avait
de l'argent chez lui, ce qui a été cause de sa mort
qu'on attribue à sa cuisinière, qui a été arrêtée de suite
et conduite en prison aux Augustins à Colmar, d'où
elle sera traduite au tribunal criminel pour y être inter-
rogée.
Un paysan de Wolfersdorf fut volé pendant la nuit;
on lui enleva de son écurie une vache avec son veau.
Ce vol constaté, le maire de l'endroit lui permit de faire
faire une visite domiciliaire par la gendarmerie, et, en
suivant la piste on arriva au village d'Angeot, où l'on
entoura la maison des voleurs qui étaient au nombre
de quatre, savoir le père et ses trois fils, lesquels avaient
disparu à l'arrivée de la force armée. Alors le maire
entra avec les gendarmes dans la maison, et ils visitèrent
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SOUVENIRS DE 1816-1824 39g
toutes les chambres, ainsi que les greniers à foin, où
ils trouvèrent le père caché et deux de ses fils; après
avoir arrêté ces trois sujets, ils enfoncèrent la porte
d'une chambre fermée et y trouvèrent des traces de
sang répandus jusqu'à un lit, où ils trouvèrent le troi-
sième fils qui s'était coupé la gorge près du lit; alors
on dressa procès-verbal du tout, et le père et ses deux
fils furent conduits par la gendarmerie à Relfort, où ils
resteront en prison jusqu'à ce que le tribunal aura
prononcé.
Avril 5. Un paysan de Reiningen, nommé Sébastien
Guerber, homme riche et insigne accapareur de comes-
tibles, vendit au marché de Thann dix sacs de pommes
de terre à 19 francs le sac. Les pauvres gens qui les
avaient achetés y trouvèrent des pierres enveloppées
dans de guenilles et d'autres vieilleries qui servaient à
grossir les sacs. Ces pauvres, se voyant trompés, arrê-
tèrent ledit paysan et le traduisirent devant le maire,
qui ordonna audit paysan de leur rendre leur argent
et fit confisquer toute sa marchandise au profit des
pauvres, lesquels, conjointement avec la populace, tom-
bèrent sur lui à coups de poing et l'auraient exterminé
sans l'arrivée de la garde. Le lendemain, jour de Pâques,
ce scélérat fit ses dévotions et communia à l'église de
Reiningen : tous les paroissiens le huèrent.
La veuve Krœner a été étranglée dans sa maison
à Heimsbrunn, à 9 heures et demie du soir, et cela
pendant l'office de la Résurrection, par des voleurs qui
lui ont enlevé 12.000 francs on argent. L'on a dit que
trois de ces scélérats ont été arrêtés par des hussards
qui y sont cantonnés.
Avril 7. Une fille de Burnhaupt a tué son enfant
et enterré dans une étable de cochons; elle se nomme
Madelon Schafner. Elle a été arrêtée par la gendarmerie
de Cernay et conduite à Belfort.
Avril iS. Le nommé Dominique Eltzer, secrétaire
des logements militaires, qui vexait les habitants qui
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400 REVUE D ALSACE
ne lui payaient pas à boire, a été destitué de sa place
et remplacé par le nommé Humel, gendarme retiré à
Cernay. Ce susdit Eltzer vomit toutes les horreurs,
insulta le conseil général de la commune et menaça
les membres de les dénoncer au ministre, en les apos-
trophant de coquins. L'audace du drôle alla plus loin,
car il se transporta chez M. le maire Ziircher et l'in-
sulta par des épithètes inconvenantes qui forcèrent le
maire à le faire jeter hors de la porte. Il est inconce-
vable que ce M. Ziircher n'a pas dressé procès-verbal
en le faisant arrêter et le faire conduire au tribunal
correctionnel, afin de statuer exemple pour faire res-
pecter l'autorité constituée; mais le maire a démontré
sa grande faiblesse, car ledit Eltzer lui avait dit \ Ziircher^
du Ziirchcriey ich scheis dich voll^ und du must ?ioch
cher gehcn betlen als ichy et malgré cette impertinence,
qui méritait de le faire arrêter, M. Ziircher a encore
eu la bonté de donner un certificat de bonne conduite
audit Eltzer, afin qu'il puisse être reçu instituteur au
Thillot, village dans la Lorraine.
Avril 23, Le jour de la Saint-George, à 2 heures
après midi, le feu prit à une grange couverte de paille
à Aspach-le-Bas et produisit par le vent un incendie
terrible, car huit granges et trois maisons ont été la
proie des flammes.
Mai 4, Le nommé Gutchera, soldat du régiment
d'infanterie de Bartenstein, dont M. le baron de Moser
est major, est venu voir M. de Latouche en lui faisant
des compliments de M. Stentels, lieutenant de l'artillerie
autrichienne; ledit Gutchera y était avec lui en 18 [5,
mais il a déserté de l'artillerie, où il avait 9 sols par
jour de salaire, et par punition ou Ta mis dans l'infan-
terie, où il n'a que 3 sols; mais il se tire d'affaire,
parce qu'il est horloger. Il est Bohémien, natif de
Prague.
Mai //. Le sieur Moser, premier lieutenant du régi-
ment de Bartenstein, est venu à 9 heures du soir après
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SOUVENIRS DE 1817-1824 4OI
la retraite à la caserne et a donné trois coups de sabre
sur la tête du sergent-major et cela si violemment que
ce sergent-major, décoré de la médaille d'honneur, en
a été grièvement blessé et qu'il a été transporté le
lendemain au matin sur une charette à l'hôpital d'ŒIen-
berg pour se faire guérir de ses blessures; sa femme
l'a suivi trois heures après. Ce lieutenant, dans sa
fureur, a fait battre la générale, et tous les soldats se
sont mis sous les armes devant la caserne.
Mai 16, Le sergent-major a été mandé de compa-
raître devant son colonel à Mulhouse, lequel, après avoir
écouté ses plaintes, a ordonné au lieutenant Moser de
quitter Ccrnay pour se rendre aux arrêts à Mulhouse,
ainsi que le sous-lieutenant Portzer, ce dernier pour
avoir aussi maltraité ledit sergent-major en lui donnant
des soufflets sur ses blessures. Ces deux officriers sont
partis sur-le-champ pour leur destination.
Ledit Moser a été ensuite obligé de se rendre à
Guebwillcr par ordre du général Latour, en attendant
que le procès de cette affaire soit jugé définitivement
par le conseil de guerre qui demande encore des infor-
mations ultérieures avant le jugement définitif En atten-
dant le lieutenant Lipert de Mulhouse a reçu Tordre
de se rendre à Cernay pour remplacer ledit Moser.
Ledit Lipert est natif de Prague en Bohême. C'est un
bel homme d'une taille de près de six pieds, de belle
figure, malgré qu'il a reçu une balafre au côté gauche
de la joue en combat singulier avec M. Kochlin, fabri-
cant de Mulhouse, à cause d'une dispute qui y a
eu lieu.
Le sieur Clavé de Didenheim, juge de paix du
canton de Mulhouse, eut l'insolence d'insulter le sieur
Hoffmann, curé à Reiningen, lequel était allé voir une
vieille femme qu'il avait administrée six jours aupara-
vant à cause des infirmités de sa vieillesse, ayant
80 ans. Le susdit Clavé, ayant été chez cette vieille
femme pour raison de procès dans sa famille, dit à
cette femme qu'elle n'avait pas besoin d'un pfaff ou
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02 RKVUE D AI^SACE
>restolet et dit au curé, en le poussant dans le côté,
[ue la présence d*un prestolet lui était de trop. Ce
►rétre lui répondit poliment que sa présence était
lécessaire à cette femme malade qu'il venait d'admi-
listrer. Ledit Clavé ne se contenta pas de cette réponse
t repoussa encore une fois avec le poing ce prêtre
n présence du maire et de l'adjoint dudit lieu. Le
•rêtre lui dit : « Monsieur le juge de paix, je connais
ion devoir et je vous avertis actuellement de ne pas
le pousser une troisième fois». Alors ledit Clavé revint
la charge et le poussa à le faire reculer, mais pour
)rs le curé saisit le juge de paix par les cheveux
'une main, et de l'autre il prit une trique avec laquelle
le rossa maîtrement. Celui-ci se mit à crier de toute
orge, et le curé dit alors auxdits maire et adjoint :
Messieurs, vous avez été témoins comment le tout
est passé; dressez-en procès-verbal, et ensuite j'y
îpondrai en justice ». Mais ledit Clavé s'est contenté
e garder ses coups de bâton et n'a exigé aucune
itisfaction dudit curé.
Juillet j. Le pauvre Gutchera, dont il a été parlé
î-dessus, est mort à Thôpital d'CElenberg par suite
'avoir passé par les verges pour punition de désertion,
yant reçu 6000 coups sur son corps.
Juillet 27. Un incendie a éclaté dans la nuit à
Lmmertswiller ; le feu a été mis aux quatre coins de
L caserne des hussards autrichiens.
Août 5. Le berger de Thann a été trouvé mort sur
L plaine de TOchsenfeld.
Septembre 3, Un assassinat horrible s'est commis à
hann par un chasseur du corps franc de Wolff, sur
\ nommé Frick, gendre du sieur Seitz, brasseur. Ce
îldat furieux, qui est Bavarois de nation, lançait des
ierres aux passants, et ledit Frick lui ayant dit que
ela ne convenait pas, il tombn sur lui à coups de
ibrc. Frick fut se plaindre à l'officier de cette troupe,
t, pendant qu'il lui montrait ses blessures, le chasseur
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SOUVENIRS DE 1817-1824 403
se glissa derrière lui et lui enfonça par derrière le dos
son sabre à travers le corps et aurait pu tuer l'officier
s'il avait été d'un pouce plus avancé; le sabre resta
dans le corps dudit Frick qui fit encore quelques pas
dans cet état en tenant de ses mains la lame du sabre;
un garçon meunier lui retira ce sabre du corps et à
Tinstant ledit Frick tomba raide mort, car le sabre lui
avait percé le cœur. Cet assassin a été arrêté à l'instant,
et, le lendemain, l'auditeur étant venu pour juger ce
criminel, il a dit que, pour le mieux punir, on le laissera
mourir en prison. Cette troupe doit quitter Thann le
10 dudit mois pour aller passer la revue par le duc de
Wellington à Sainte-Croix.
Septembre //. Le sieur Mathis Wilhelm, maire d'Isen-
heim, a été battu par un caporal du régiment de Bender.
Ce caporal, un Polonais, était ivre et insulta ce maire
en lui disant qu'il était un Scheisskerl; puis il lui donna
non seulement des soufflets, mais tomba sur lui à coups
de canne. Le maire porta de suite ses plaintes à M, Bilars,
chef de bataillon dudit régiment, lequel se transporta
de suite à Isenheim et fit arrêter ce caporal; dans cet
intervalle, le maire dressa procès-verbal du fait et l'en-
voya au général Frimont, lequel ordonna que ce caporal
fut passé par les verges jusqu'à ce que la mort s'en
suive.
Septembre i8. Le tribunal de Belfort envoya une
commission avec deux médecins juristes à Thann pour
vérifier l'assassinat commis le 3 septembre sur la per-
sonne dudit Frick; l'on déterra son cadavre en présence
de la commission et l'un des deux médecins, en le
visitant, tomba en faiblesse par l'odeur de la putréfac-
tion ; l'autre dressa un procès-verbal, qui se trouva tout
contraire à celui que le major des chasseurs tivait dressé;
on a dit que le criminel devait être pendu dans l'en-
droit du délit, mais qu'on ne savait trouver un bourreau
qui sache pendre, parce qu'il y a environ trente ans
qu'on n'a plus pendu en France,
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404 RRVUE D' ALSACE
Membre 22, Le feu du ciel est tombé à Oberherg-
Drès du château, sur la grange d'un paysan, où il
imé plus de 6000 gerbes de blcs, que Ton pré»
roir été accaparées.
^embre 30. A onze heures du matin une juive
iltz, nommée Caroline Wurmser, a été assassinée
fils du boucher Kast. Ce dernier s'étant caché
) la maison de Christophe Heuchel, hôte du
blanc, tomba sur cette juive avec un gros bâton
lonna un coup sur la tête près de la tempe qui
er un torrent de sang; elle fut s'en plaindre au
e paix de Cernay qui doit avoir fait dresser
verbal à cet effet; mais avant cela il a conseillé
juive de se faire panser par le chirurgien nommé
é et de lui dire qu'il dresse procès-verbal de la
3, ce que le chirurgien lui refusa en lui disant
t objet n'en valait pas la peine; l'indifférence de
urgien n'était pas sans raison, parce qu'on a
que les parents de l'assassin lui avait déjà graissé
^bre 26, Le chasseur assassin du 3 septembre a
illé à Thann dans le quartier des casernes, et
grand matin dans la crainte de causer un mouve-
armi les habitants. La veille de son exécution
t que boire et jouer et demanda de le laisser
faire un tour en ville pour tuer plusieurs bour-
et, lorsqu'il fut mené sur la place pour y être
il s'opposa à avoir les yeux bandés et refusa
nettre à genoux ; il dit qu'il voulait commander
le ceux qui devaient le fusiller.
^brc j/. La juive d'Uffholtz, qui avait été battue
1 sang sur la chaussée, le 30 septembre dernier,
>mbé au tribunal de correction à Belfort, parce
; témoins n'ont pu déposer en sa faveur; elle a
routée de sa demande et condamnée à payer tous
> de la procédure.
cnibrc 22, M""' Moser, épouse de M. Moser, major
ment Bender, est morte à 3 heures du matin à
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SOUVENIRS DE 1817-1824 ^ 465
Cernay ; elle a été enterrée pompeusement le 23 après
les vêpres, et le 24 on a célébré le service funèbre
par une messe de requiem^ et après la messe ledit major
avec tous ses officiers sont allés sur le cimetière prier
sur la tombe.
Novembre 2j. Le régiment suisse, qui était en garni-
son à Besançon, a passé par Cernay pour aller à Stras-
bourg en garnison. Le chef de bataillon, nommé M. de
Lentulus, logea chez M. de Latouche avec 2 domestiques
et 6 chiens. M. de Lentulus est de Berne en Suisse;
son père y était sénateur et ses ancêtres avaient fait
partie du sénat de Rome du temps de César.
Décembre 2. Le nommé Jean Baptiste Serodino fils
et sa sœur ayant donné 2 francs d'arrhes à la nommée
Marie-Anne IseUn, cette dernière s'étant repenti d'entrer
à leur service, leur envoya les deux francs qu'elle avait
reçus huit jours après la Saint- Martin, tel qu'il est
d'usage; mais ledit Serodino refusa de reprendre les
2 francs et exigea qu'elle lui en donna encore 2 francs
en outre de sa poche. Cette pauvre fille craignit qu'il
lui fit un procès et envoya audit Serodino les autres
2 francs par son frère en lui disant qu'un juif quel-
conque ne serait pas capable de pareille bassesse.
Décembre 6, Le curé d'UfFholtz Filler a insulté à
l'hôtel de ville M. Rayber, curé cantonal de Cernay,
en présence du juge de paix de Cernay, du maître de
poste, de M. Breimann le percepteur, et encore devant
plusieurs paysans d'Aspach-le-Bas, en lui disant en outre
qu'il n'était pas fait pour être curé cantonal. Ce dernier
en a écrit aujourd'hui à ses supérieurs, et l'on attend
la réponse dans cette semaine.
Décembre ij. Le serrurier Christen eut une dispute
avec George Beck, son voisin, à cause d'une latrine
que ce premier avait fait construire au bord de la
grand'rue ; de paroles injurieuses ils en vinrent aux
coups, et ledit Christen frappa avec une pierre tran-
chante ledit Beck à la tête et le blessa dangereusement,
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4o6 REVUE d'alsace
au point qu'on craint pour la vie de ce dernier. Là
chose a été portée devaat le juge de paix qui a requis
le commandant de la gendarmerie d'en dresser procès-
verbal. Huit jours avant, le garçon serrurier de Christen
avait mordu le nommé Thiébaut Schnebelé, auquel il
a emporté avec les dents la moitié de la lèvre infé-
rieure, de sorte que ledit Schnebelé reste défiguré pour
le reste de sa vie.
1818 Le baron de Hilbert, lieutenant du
régiment de Bartenstein, en quartier à Cernay, s'est
battu au sabre avec un autre lieutenant du même régi-
ment, qui était venu de Mulhouse; ce dernier ayant
pris dispute avec le premier la veille chez le nommé
Brunner, aubergiste du Lion d*or\ en conséquence ils
se sont donné rendez-vous sur la hauteur des vignes
près de Steinbach, où ledit baron Hilbert a coupé le
nez au second, et cela à 8 heures du matin; l'après-
midi la voiture du major Moser a transporté le blessé
à son quartier à Mulhouse.
Avril 25, -La procession de Steinbach pour le jour
de saint Marc, est venue à Cernay. En entrant dans
l'église, des pierres jetées du clocher par des polissons
de Cernay atteignirent les habitants de Steinbach ; lors-
que le curé eut fini sa messe, il s'en retourna avec ses
paroissiens, lesquels, en sortant par la grande porte de
l'église, furent aspergés de pissat du haut du clocher
par les mêmes polissons, ce qui irrita tellement les
habitants de Steinbach qu'Us menacèrent les habitants
de Cernay de prendre leur revanche en temps et lieu.
Mai 12, M. Falck, maréchal de gendarmerie de la
brigade de Cernay, a arrêté à 6 heures et demie du
matin un individu nommé Epiphane Delaguette qui,
suivant son extrait baptistaire, était de Fontainebleau ;
après avoir été visité en présence de M. Baudry adjoint,
il s'est trouvé des pièces qui constatent qu'il est faiseur
de fausses lettres de change, dont il avait plusieurs
centaines, et cela sur les plus fortes maisons de com-
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Souvenirs de 1817-1824 407
mérce de Lyon, Besançon, Belfort, Mirecourt, Strasbourg,
Mulhouse, etc. Toutes ces lettres de change ont été
présentées à M. le maire, lequel les a déclaré fausses
et a averti de suite toutes les maisons de commerce
avec lesquelles il correspond. Le susdit Delaguette avait
un camarade qui était allé à Mulhouse pour y trafiquer
pour 20.000 francs de lettres de change, mais après
l'arrestation dudit Delaguette on envoya un gendarme
avec le fils du sieur Brunner, chez qui cet individu avait
logé, afin qu'il puisse le désigner au gendarme. L'ayant
donc reconnu, il fut de suite arrêté et visité; mais en
voulant le transporter à Cernay, cet individu, qu'on
croit être le chef d'une bande de fripons, s'est évadé
en chemin ; après cet accident le gendarme a été obligé
d'aller à Colmar pour y rendre compte au capitaine de
gendarmerie de son malheur.
Septembre 26, Le feu du ciel est tombé à 8 heures
du matin à Schweighausen sur une grange couverte de
paille, appartenant au nommé Griinisen, et lui a con-
sumé 4000 gerbes de blé et son fourage; le domes-
tique se trouvait dans l'écurie et a encore pu sauver
le bétail.
Octobre //. Le feu a pris dans la maison du nommé
Serodino, marchand italien, et cela à 1 1 heures du
matin ; son père vieillard impotent a été enlevé sur les
épaules par le nommé Christen vitrier, qui l'a transporté
à l'auberge des Deux clefs. Ensuite on est entré par
des échelles dans la maison pour éteindre le feu qui
avait été occasionné par l'inadvertance du frère du
marchand, qui avait été avec une chandelle allumée
dans le magasin d'huile et de vitriol ; ce dernier, ayant
été allumé par la chandelle, s'était communiqué à l'huile
qui a causé une fumée noire et chaude, qui a fondu
toutes les chandelles qui se trouvaient dans la boutique.
Heureusement que cet incendie a été vite éteint; le
maire et l'adjoint se sont transportés après dans la
maison pour estimer le dégât, qu'ils ont évalué à environ
2000 francs. Il faut observer que ledit Serodino méri-
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4o8 REVtJE D*ALSACË
terait encore d'être puni par une forte amende, puisqu'il
est lui-même cause de l'incendie.
Le sieur Joseph Bâchlin, forestier de la vallée de
Saint-Amarin, s'était absenté pour faire sa tournée;
pendant cet intervalle sa femme s'amusa à recevoir un
galant chez elle, avec lequel elle partagea son lit. Le
lendemain matin, son mari l'ayant surpris en flagrant
délit, la voulut corriger, mais le couple amoureux fit
cause commune, tomba sur le mari et le frappa avec
tant de violence qu'il eut la tête enflée comme un
boisseau et fut obligé de se sauver à Cernay, pour y
porter ses plaintes à son père. Le surlendemain ce
dernier vit arriver le délinquant chez lui pour s'excuser;
mais le père lui dit qu'il ne pouvait juger comme juge
de paix à cause de la parenté, et, de suite, appela son
fils Philibert, qui fondit sur l'excusant avec une trique
et le poursuivit à coups redoublés jusque dans la rue.
Par ce moyen il vengea son frère complètement, mais
il ne put cependant lui ôter son cocuage.
Octobre //. La compagnie du régiment Bender est
partie de Cernay à 3 heures du matin pour se rendre
à RoufFach, lieu du rassemblement de toutes les troupes
alliées, qui doivent passer une revue et ensuite quitter
la France pour s'en retourner dans leur pays. Cette
compagnie a été pendant son séjour ici un exemple de
bonne discipHne.
Octobre 23. C'était le jour du recrutement; le tirage
des conscrits qui eut lieu à la maison de ville à Cernay,
était présidé par M. le comte de Brancas, sous-préfet,
et de M. Ziircher, maire. Le nommé Seckler de Watt-
willer tomba au sort pour être soldat, ainsi que le valet
du sieur Zimmermann, maître de poste d'Aspach; ces
deux individus devinrent furieux et cassèrent les vitres
du péristyle de la maison de ville, ce qui obligea la
gendarmerie de les arrêter et les emprisonner; mais en
les conduisant à la prison, ils se révoltèrent contre la
gendarmerie et le nommé Seckler empoigna au collet
M. Faick, maréchal des logis ^de la gendarmerie, et
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SOUVENIRS DE 1817-1824 409
voulût l'étrangler, tandis que ledit valet l'avait empoigné
par derrière, ce qui obligea le maréchal des logis à tirer
son sabre pour se défendre, mais ces deux drôles, au
lieu de se rendre, empoignèrent la lame du sabre qui
se cassa en deux; néanmoins les gendarmes parvinrent
à les maîtriser et les enfermèrent dans la prison, mais
ils n*y restèrent que deux heures, parce que les cama-
rades dudit Seckler, qui est ouvrier de M. Ziircher le
maire, vinrent chez ce dernier solliciter son élargisse-
ment, M. Ziircher pria le sous-préfet de vouloir bien
y consentir, alléguant que cela pouvait donner une
émeute parmi les conscrits. Le sous-préfet, ne pouvant
rien refuser à M. Ziircher, fit venir le maréchal des
logis et lui dit de relâcher ledit Seckler, à condition
cependant qu'il lui paye la lame de son sabre. A cela
M. Falck lui répondit : < M. le Préfet, faites-moi donner
un autre sabre et je ne demande rien pour le reste».
En conséquence le révolutionnaire a été relâché par
ordre du sous-préfet sans la moindre punition.
Le nommé Preisler, négociant à Cernay, a été volé
avec effraction pendant la nuit. Les voleurs sont entrés
par un soupirail de la cave et ont ouvert la porte de
la boutique avec une pince à tourniquet et lui ont
enlevé pour environ 9000 francs de marchandises, suivant
la déclaration dudit Preisler. Il est à présumer que ces
voleurs étaient au moins au nombre d'une bande et
que depuis longtemps ils avaient connaissance de Tin-
térieur de cette maison qui en même temps est un
cabaret.
1819. Octobre j/. Le sieur Philibert Bâchlin, fils du
juge de paix de Cernay, a insulté le sieur Erasme Witz,
commandant des pompiers, en lui disant qu'il lui arra-
cherait ses épaulettes de commandant. Sur cela ledit
commandant a dressé son procès-verbal, et l'on en attend
jusqu'ici le résultat.
Le sieur Hillenmeyer, maire de la commune de
Wattwiller, en se transportant sur la rue pour rétablir
Rvaut d'AUace, 1907 ïl
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410 REVUE d'aLSACE
Tordre, a été assailli par plusieurs mauvais sujets, auteurs
du vacarme, lesquels Tont saisi par les cheveux et cul-
buté par terre en le maltraitant. Sur cela ledit maire
envoya au commandant de la gendarmerie à Cernay,
lequel s'est transporté de suite sur sa plainte, et, après
avoir pris les informations chez ledit maire, ce dernier
Ta prié de ne pas envoyer son procès-verbal à Belfort
en lui disant qu'il préférerait que cette insulte soit punie
par deux jours de prison à Cernay.
Novembre j. Le juge de paix a fait défendre aux
pompiers de dresser procès-verbal sur les délits qu'ils
trouveraient dans leur patrouille; en conséquence lesdits
pompiers orit déclaré de ne plus faire de patrouille
jusqu'à nouvel ordre.
Novembre 4. M. Baudry, adjoint de la commune de
Cernay, doit avoir porté ses plaintes à M. le Préfet de
Colmar et envoya son procès-verbal au procureur impé-
rial à Belfort, contre le juge de paix de Cernay.
Novembre 13. Un accident inattendu est arrivé dans
les étables de M. de Latouche : sa meilleure vache y
a été trouvé morte et enflée horriblement. On envoya
de suite chez le nommé Ostertag qui vint chercher cet
animal, et, après l'avoir ouvert sur la voirie, il n'y a
trouvé aucun signe de maladie, non plus qu'au veau
qu'elle portait.
Décembre /*^ Un cordonnier de Vieux-Thann a tué
un menuisier et blessé trois autres hommes avec le
tranchoir (en allemand Knipeh] et s'est ensuite promené
devant la maison du maire et a crié qu'il avait déjà
tué trois hommes et qu'il tuerait encore dix le même
jour. Sur cela le maire l'a fait arrêter et conduire par
la gendarmerie à Belfort.
Décembre 26. Le curé de Giromagny ayant invité
plusieurs personnes de ses amis et parents à venir
célébrer le jour de sa fête, la Sainte-Etienne, M. Keller,
avoué de Belfort, vint le voir. 11 y trouva le curé d'un
village appelé Le Puy, qui est encore un jeune homme
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SOUVENIRS DE 1817-1824 4II
qui a beaucoup de prétention. Pendant que la compagnie
était assemblée, ce jeune prêtre s'avisa de dire que la
porte de Tenfer engloutirait tous ceux qui ont acquis
des biens nationaux, s'ils ne les rendent pas à leurs
propriétaires primitifs et s'ils ne payent pas la dîme
aux ecclésiastiques. Sur ce discours M. Keller lui tourna
le dos pour lui témoigner son mépris; mais ce jeune
prestolet continua son plat discours en se mettant devant
ledit Keller, lequel perdit patience en lui disant qu'il
devait se taire et ne pas chercher à mettre la désunion
dans l'esprit des citoyens; que cela convenait nullement
au caractère d'un prêtre. Ce discours offensa tellement
le jeune curé qu'il s'emporta en paroles contre ledit
Keller au point de lui dire des grossièretés. Celui-ci le
prit par la gorge et le cogna contre la cheminée d'une
force à le faire crier au secours; mais après l'avoir
relâché il invectiva de nouveau ledit Keller, tellement
que celui-ci voulant lui donner un soufflet de toutes
ses forces, se donna le poing contre le coin de la
cheminée, parce que le prestolet avait esquivé le coup*
M. Keller se fit si mal à la main qu'il fut obligé de la
mettre en écharpe pendant quinze jours.
1820. Février 6, Le nommé Sifferlen, cordonnier
à Vieux-Thann, qui, le i" décembre dernier, avait tué
un menuisier de la fabrique dudit lieu et avait été
condamné aux galères, s'est sauvé de la prison de
Colmar avec six autres criminels, lesquels ont percé la
muraille de ladite prison, d'où ils sont sortis, malgré la
sentinelle qui était tout proche.
Février 12. La nommée Agathe Gissy, femme de
Baptiste Guttenbacher du village d'Odern, a été con-
damnée à dix-huit mois d'emprisonnement, à 25 francs
d'amende et aux frais de toute la procédure, pour avoir
menacé d'incendier deux maisons, si on la faisait sortir
de la sienne par voie de justice.
Féifrier 13, Les gazettes ont annoncé par une feuille
particulière que M. le duc de Berry avait reçu un coup
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2 REVUE d'aLSACE
Stylet, en sortant de l'Opéra, par un nommé Louvel^
rçon sellier de la sellerie royale, lequel a déclaré de
ïg- froid que ce coup était déjà prémédité depuis-
atre ans.
Mars 26. Le jour du dimanche des Rameaux, les
vriers qui gardaient la manufacture de Morschwiller,
mandèrent à leur maître la permission d'aller à la
isse, ce qui leur fut accordé. Pendant qu'ils étaient
'église, des jeunes gens de 17 à 18 ans profitèrent
leur absence, entrèrent dans le corps de garde, y
rent les fusils et jouèrent avec ces armes qu'ils igno-^
ent être chargées. Un coup part et tue un jeune
[Time de 17 ans, fils unique du frère de la cuisinière
curé de Reiningen ; on fit de suite le rapport de
accident au juge de paix, lequel dit qu'on ne pouvait,
n faire à celui qui Ta tué, parce que le fait était
olontaire.
Avril 21. Les juifs ayant tiré à la conscription avec
chrétiens, allèrent dîner à lauberge des juifs à Alt-
ch, et les chrétiens de leur côté furent dîner au cabaret
; chrétiens qui se trouvait placé vis-à-vis de l'auberge
> juifs. Ces derniers, s'ctant sans doute enivrés, sor-
jnt et allèrent au cabaret des chrétiens pour chercher
?rclle avec ces derniers qui étaient en moins grand
nbre, et tombèrent sur eux à coups de poing et de
on. Ces chrétiens ayant été cruellement battus par
juifs, le moins maltraité se sauva du cabaret et alla
îrcher du secours chez les habitants chrétiens, les-
îls s'assemblèrent de suite au nombre d environ 6oo>.
nmes, femmes et garçons, pour les secourir. Alors
juifs quittèrent et se réfugièrent dans l'auberge juive,.
ils fermèrent la porte et la barricadèrent; mais les
étiens enfoncèrent la porte et tombèrent sur les juifs
iC une telle furie de coups que le sang ruisselait à
/ers le seuil de la porte de cette auberge. Sur cela
le Préfet accourut avec la gendarmerie pour arrêter
tumulte, mais la fureur était si grande qu'il fut impos-
e aux gendarmes de l'arrêter. Alors M. le Préfet
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SOUVENIRS DE 1817-1824 413
■dit aux gendarmes de dresser procès-verbal sur cette
émeute, afin de punir les coupables.
Avril 24. La femme du nommé Henri Uri, cabaretier
<iu Soleil^ et son fils, ont tué ensemble sa fille aînée,
propre sœur du fils, parce que cette fille voulait se
marier avec son amant, qui était charpentier de pro-
fession. Cette fille fut tellement maltraitée par sa mère
-et son frère qu'elle mourut deux jours après; son amant
l'ayant été voir dans son lit, elle ne put plus parler,
mais elle lui donna son mouchoir qui était encore tout
ensanglanté et lui fit un signe significatif du mauvais
traitement qu'elle avait subi. Elle mourut le lendemain
•et on l'enterra en disant qu'elle était morte d'une
maladie prompte; mais l'amant et la servante allèrent
faire leur déclaration à la justice, laquelle fit déterrer
ie cadavre de cette pauvre victime en présence des
médecins, lesquels, en faisant l'ouverture du corps de
•cette fille, trouvèrent qu'elle était enceinte d'un enfant
de 5 mois, qu'on lui avait écrasé les reins à coups de
pied et fendu la tête, et qu'elle avait été martyrisé des
plus cruellement. Sur le témoignage de ce charpentier
^t de la servante, la mère et le frère de la victime
ont été arrêtés et conduits en prison à Mulhouse.
Avril 26, Le nommé Thiébaud Schnebelé, serrurier
de profession, et la nommée Appolonie Hortel, sa ser-
vante, ont été convaincus de faire de la fausse monnaie.
•Ce serrurier avait envoyé sa servante à Thann avec
un écu faux de six francs. La servante alla chez un
juif, nommé Daniel Blum, marchand d'étoffes, acheta
de la cotonnade avec ledit écu de six francs; ce juif
l'ayant reconnu faux, fit chercher le sergent de garde
pour arrêter la servante, laquelle fut interrogée et déclara
que son maître lui avait donné une pièce de vingt francs;
qu'elle avait fait changer cette pièce chez un particulier
à Cernay pour de la monnaie et que sans doute cet
écu s'y était trouvé. Sur cette déclaration le maréchal
des logis de la gendarmerie qui était alors à Thann,
l'arrêta pour la conduire à Cernay et lui demanda le
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414 REVUE d'alsace
nom de celui qui lui avait échangé la pièce de vingt
francs. Pour s'en tirer, elle dit au maréchal des logis
que sa première déclaration était fausse, qu'elle avait
reçu ledit écu d'un jeune ecclésiastique, qui avait cherché
à la séduire, et qu'elle y avait consenti, dans l'intention
de pouvoir en habiller ses enfants, et que c'était la
pudeur qui l'avait empêché de dire la vérité. Sur cette
seconde déclaration ledit maréchal des logis la mena à
Cernay dans son domicile pour la confronter avec son
maître qui demeurait dans une baraque de planches
vis-à-vis de la tuilerie; mais en approchant de cette
demeure, ils en trouvèrent toutes les portes ouvertes:
le susdit Schnebelé avait pris la fuite. Alors le maréchal
des logis demanda à la servante si elle savait encore
le nom du prêtre qui l'avait séduite. A cette dernière
question elle lui répondit que sa seconde déclaration était
encore fausse et qu'elle allait actuellement lui avouer
la vérité, puisque son maître s'était sauvé. Elle avoua
donc que son maître fabriquait depuis quatre ans de
la fausse monnaie, et, pour en constater la vérité, elle
montra tous les ustensiles propres à cette fabrication.
Sur cela la gendarmerie la mena à Belfort avec ses
trois enfants.
Mai 5. Ledit Thiébaud Schnebelé, serrurier, qui
s'était sauvé, a été arrêté par la gendarmerie d'Altkirch
comme vagabond. Il s'était travesti en mendiant avec
un habit tout en lambeaux. Son projet était de deman-
der un passe-port pour passer le Rhin. Il a été conduit
à Belfort dans la même prison où se trouve ladite
Appolonie Hortel, sa concubine, et ses enfants.
Mai 6, Le procureur du roi, accompagné du tribu-
nal de Belfort, sont venus à Cernay et ont requis la
gendarmerie pour se transporter avec eux à la baraque
dudit Schnebelé et y firent fouiller dans l'espoir de
trouver de la fausse monnaie, parce que ladite concu-
bine avait dit que son maître en avait caché jusqu'au
fond du puits ; en conséquence on fit une nouvelle
recherche, mais on n'y a rien trouvé.
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SOUVENIRS DE 1817-1824 415
Mai 10. Le susdit Thiébaud Schnebelé a été absous
et acquitté par le tribunal de Belfort, et, le même jour
de sa libération, il est revenu à Cernay dans un char-
à-banc avec sa concubine et ses bâtards, et a laissé
marcher sa première femme qui avait été solliciter
elle-même avec son fils sa mise en liberté à Belfort.
1821. Avril 6, On a volé à M. de Latouche son
cadran solaire dans son jardin. Il était fait de plomb,
les chiffres étaient romains avec la date de 1756. La
.valeur de cet objet pouvait être d'environ 30 sols.
Avril 14, Il a été volé dans cette nuit sur le cime-
tière de Cernay la croix qui se trouvait sur la tombe
de feu M°** Moser, épouse de M. Moser, major du
régiment de Bartepstein. Ce major avait fait faire cette
croix en fer à Cernay et l'avait payée 300 francs.
Mai 4, Le nommé Bernard Heuchel, adjoint de
Cernay, a été appelé à la maison commune par ordre
du maire, lequel lui annonça sans autre formalité que
"M. le Préfet avait nommé le sieur Nachbauer l'aîné
adjoint à sa place. Ledit Heuchel lui ayant demandé
la raison de sa destitution, le maire lui répondit qu'il
devait continuer ses fonctions d'adjoint, et qu'il se faisait
fort d'arranger le reste.
Juin /j. Joseph Hummel, gendarme retraité, est
mort à Cernay de maladie de langueur. Il était sergent
de ville et secrétaire des logements militaires, et il avait
rempli cette place avec probité et intelligence à la
satisfaction de tous les habitants de la commune; il a
été enterré le lendemain avec les honneurs militaires,,
accompagné de tous les pensionnaires qui ont assisté
à son convoi funèbre. Il est généralement regretté de
toutes les personnes honnêtes, qui craignent qu'il ne
soi: plus remplacé par son mérite d'honnête homme.
Juillet 2. M. Bourgeat, contrôleur de l'enregistre-
ment, s^étant promené le soir vers dix heures à Uff holtz,
avec M"* sa sœur et M"* Nachbauer avec son frère.
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4l6 REVUE D'ALSACE
accompagnés des deax frères nommés Bordes, graveurs
en acier à la fabrique des sieurs Witz, forent attaqués
par le fils du nommé Zinniger, tisserand de Steinbach,
et cela sur le grand chemin près de la tuilerie d'Uff-
holtz ; ledit Zinniger avait dit i deux de ses camarades
de débauche de mettre bas leurs culottes au passage
de ces personnes, pour qu'elles fussent contraintes de
les voir ch. . . . Comme les promeneurs voulurent se
détourner pour éviter ce spectacle, ledit Zinniger s*opposa
à leur passage. M. Bourgeat lui dit alors : « Mon ami,
laissez-nous continuer notre chemin >. Mais Zinniger,
au lieu de déférer à cette demande, se jeta comme un
furieux sur M. Bourgeat en le prenant par le collet
d'une main et ayant un couteau dans Tautre pour
réventrer. M. Bourgeat ayant heureusement paré le
coup, l'assasîn tomba sur le sieur Nachbauer et avec
le même couteau porta à ce dernier une entaillade
jusqu'à l'omoplate. Ensuite ce scélérat jeta son couteau
et s'en fut au cabaret du Soleil boire. Pendant cet
intervalle arriva la gendarmerie qui l'arrêta et le con-
duisît dans la prison à Cernay, où son père s*est trans-
porté et a offert audit Nachbauer fils une somme de
600 francs pour sa blessure. Actuellement on est dans
l'attente de voir la tournure que prendra ce délit et si
on le laisse ignorer au procureur du roi.
Août 2£. Ce même jour il arriva quatre malheurs,
savoir : à Cernay, Thann, Vieux-Thann et Michelbach.
A Cernay un ouvrier de la fabrique d'en haut a été
bouilli dans une chaudière et mourut le lendemain. A
Mariahilf une fille s'est cassée le col en tombant d'un
cerisier. A Michelbach une femme s'est pendue, et à
Thann le nommé Gaspard Natter, maçon, est tombé
du haut du clocher de la maison de ville en voulant
allumer les lampions en l'honneur de la fête de saint
Louis. On l'a transporté mort à l'hôpital.
Septembre iç. Le sieur Kuenemann, ci-devant maire
de Vieux-Thann, a été volé dans la nuit sans avoir
entendu le moindre bruit. L'effraction s'est faite par un
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SOUVENIRS DE 1817-1824 417
•carreau de vitre, que les voleurs ont enlevé avec un
diamant. Par cette ouverture ils sont entrés dans le
salon, y ont ouvert Tarmoire à linge de table et ont
enlevé tout ce qui s'y trouvait; ensuite ils sont allés
dans une autre chambre, ont ouvert une commode où
se trouvaient les chemises et hardes de M. Kuenemann
•et ont tout enlevé. M. Kuenemann a fait la déclaration
de ce vol, qu'il estime à plus de 4000 francs, à la bri-
.gade de gendarmerie à Cernay.
Quatre jours après ce vol on a soupçonné la femme
-d'un nommé Bruckert, dont le mari a été condamné
aux galères, d'être complice; en conséquence la gen-
-darmerie a arrêté cette femme et Ta conduite à Belfort,
où, après avoir été interrogée par le procureur du roi,
elle fut déclarée innocente et renvoyée absoute.
Octobre 22, Le sieur Xavier Altheimer fils, aubergiste
-et brasseur, a été volé à cinq heures du matin. Après
que ledit Altheimer est parti pour Colmar, les voleurs
sont entrés dans sa chambre à coucher, y ont enlevé
1200 francs d'argent et se sont saisi aussi de tous ses
Jivres journaux. Ces voleurs avaient eu la précaution
-d'enfermer la femme qui couchait à côté de cette
chambre en s'y emparant de la clef qu'elle avait laissée
-en dehors, pendant qu'elle était encore au lit. Ils l'en-
fermèrent à double tour pour l'empêcher de pouvoir
en sortir, et alors pillèrent à leur aise sans obstacle,
parce que tous les garçons brasseurs étaient à un bal.
Décembre S, Le nommé Geîger, beau-frère de Gas-
pard Weiss, curé de Steinbach, a été trouvé à cinq
heures du soir baigné dans son sang par la gendarmerie
de Cernay, qui l'a conduit dans la caserne des gen-
darmes, où il a déclaré qu'il avait été attaqué par quatre
ferblantiers italiens qui demeuraient à Cernay chez
Martin Schnebelé. Sur cette déclaration on arrêta de
«uite ces quatre ferblantiers et les mit en prison; on
-dressa procès-verbal en prévenant le juge de paix. Mais
ie lendemain ledit Geiger consentit à un arrangement:
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4i8 REVUE d'alsace
il fut convenu que ces quatre individus lui payeraient
200 francs pour ses blessures, plus 80 francs au chirur-
gien et tous les frais.
1822. Janvier /". Le commandant de Belfort a reça.
un coup de pistolet d'un individu inconnu, qu'on a
supposé d'être d'une conspiration contre le gouverne-
ment, et s'est sauvé ensuite avec un officier qu'on a^
dit d'être de la garnison et avec un sergent du même
régiment.
Janvier 2, La garde de Thann a arrêté deux indi-
vidus à l'auberge du Lion d*or\ ils avaient voulu y
pernocter. L'officier de police leur ayant demandé leur
passe-port, ils prirent la fuite et voulurent passer la
rivière; mais la garde les arrêta et les conduisit chez
le maire. Lesdits individus, dont l'un se disait colonel
(on trouva sur celui-ci un poignard et sur l'autre deux
pistolets de poche), lurent le lendemain conduits à la
gendarmerie de Cernay, qui les transporta de suite à
Belfort pour être interrogés par le procureur général.
Dans cet intervalle la gendarmerie arrêta un jeune
homme nommé Girard, se disant être de Lyon, lequel
fut conduit lié et enchaîné à Cernay, où le lieutenant
de la gendarmerie se mit dans la voiture, escorté par
six gendarmes et six uhlans, pour le transférer à
Colmar.
Janvier ç, La gendarmerie a encore conduit à Bel-
fort un individu arrêté comme suspect d'être de la
bande des individus ci-dessus énoncés et l'a conduit
jusqu'à Cernay; de cet endroit le brigadier de Cernay
l'a accompagné jusqu'à la brigade de Rouffach, qui a
continué de l'escorter jusqu'à Colmar, où il doit être
jugé.
Janvier //. La gendarmerie a conduit le fils de
Tavocat Petit-Jean de Belfort à Colmar, comme soup-
çonné de complot et avoir des cocardes tricolores; il
a passé à Cernay dans un carrosse qui s'est arrêté à.
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SOUVENIRS DE 1812-1824 419-
l'auberge des Deux clefs, où le brigadier Ta escorté
avec deux chasseurs de la garnison de Sélestat.
Janvier 12, On a dit que le nommé Ruier, brigadier
de la gendarmerie de Masevaux, avait donné sa démis-
sion pour avoir la place de secrétaire de la mairie di^
lieu, et que deux jours après est venu l'ordre de l'arrê-
ter et de le transporter par sûre escorte à Colmar. Le
maire de Masevaux a été destitué en même temps,,
ainsi que l'adjoint et le notaire dudit lieu ; ce dernier
a encore été suspendu de toutes les fonctions de sa
charge.
Janvier 14, La gendarmerie a encore arrêté trois
habitants de Belfort et les a conduits à Colmar; parmi
eux se trouvait le nommé Netzer, organiste de la grande
église de Belfort, avec ses deux compagnons. Ils étaient
tous les trois dans une belle voiture peinte en jaune;
ils ont dîné à Cernay à l'auberge des Deux clefs^ ont
chanté avec gaieté et ensuite sont remontés en voiture, .
où le brigadier de la gendarmerie les a enchaînés tous
les trois par le col et ensuite est parti avec eux pour
les conduire à Colmar.
Janvier 15, Il est passé par Cernay encore un
carrosse plein de personnes arrêtées de Belfort, parmi-
lesquelles se trouvait M*"* Hubery, fille dudit sieur Netzer,,
organiste à Belfort. Cette dame a été arrêtée pour avoir
dit : € Nous dançerons sans violons >.
Janvier 16, La gendarmerie a. encore conduit de
Belfort à Colmar des étudiants qui voyageaient pour
retourner dans leur pays.
Janvier Jj, La gendarmerie a encore amené trois
personnes arrêtés à Belfort, parce qu'ils étaient étrangers^
sans être munis de passeports.
Les deux individus, qui ont été arrêtés à Thann le
I" janvier, étaient un colonel du 6i« régiment, et l'autre-
un petit jeune homme. On croit qu'ils avaient été signa-
lés comme ayant été compris dans la conspiration dtk
15 août dernier; en fouillant ce premier, on trouva sur
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420 REVUE d'aLSACE
lui un beau poignard, dont le manche était en écaille
garni en perles et extrêmement pointu, et son com-
pagnon avait une paire de pistolets de poche qu'il avait
<:achés dans Tétable des porcs, où il s'était caché avant
qu'il fut arrêté par le sergent de police de Thann,
-auquel la ville doit avoir donné une gratification de
lOO francs pour récompenser sa bravoure.
Janvier 20. Deux voitures remplies de prisonniers,
escortés par 12 gendarmes et 20 cavaliers, sont venus
de Belfort et ont passé par le faubourg de Cernay pour
aller à Colmar. L'on a dit que c'étaient les chefs de
la conspiration de Belfort, lesquels avaient été arrêtés
■ en Suisse, et dont l'un s'est brûlé la cervelle avec un
pistolet au moment de son arrestation.
Mars j. La gendarmerie a escorté un trésor de
• cinq millions, qui a été saisi à Vesoul dans la maison
du général Berton, qui s'est évadé avec sa femme,
mais ses deux domestiques ont été arrêtés avec la
:iemme de chambre et conduits avec ledit trésor à
- Colmar.
Mars 17, Le curé de Cernay, nommé Thomas
' d' Aquin Rayber, est mort à Tàge de 66 ans. Il a légué
par son testament tout son bien à ses deux servantes
et n'a rien donné à sa sœur Angélique. Ses paroissiens
ne l'ont nullement regretté, car c'était un insigne mar-
chand de procès et amateur de chicanes.
Mai II. La patache de Colmar a annoncé à Cernay
que M. d'Anthès de Soultz a été nommé député du
Haut-Rhin pour aller à Paris.
Mai 16. Un roulier conduisant une guimbarde attelée
-de huit chevaux a versé par négligence sur la route
croisée de Mulhouse à Thann. La voiture toute chargée
• de marchandises est tombée sur le voiturier et l'a
- écrasé.
Juin 7*^ M. le baron de Gail avait conclu un marché
• de 50.000 francs plus 1200 francs d'épingles pour son
■ épouse, et cela pour sa part de forêt à Sfâffelfelden, avec
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SOUVENIRS DE 1817-1824 42 f
le sieur Witz; mais deux jours après ledit Witz eut
regrets et ne lui offrit que 48.000 francs. Ledit Gail
refusa ladite offre et lui dit qu'il allait s'en retourner à
Martinsbourg. Le lendemain, au moment qu'il monta
dans la diligence, il reçut une lettre de M. Nachbauer
l'aîné qui lui mandait que M. Witz s'était ravisé et qu'il
lui offrait actuellement 1000 francs de plus à condition,
que les 1200 francs d'épingles seraient supprimés; de
cette manière il lui a offert encore 200 francs de moins
qu'auparavant; cela s'appelle se ficher du monde avec
une distinction sublime.
Juin 2. M. Philibert Bâchlin, fils du juge de paix
à Cernay, a eu l'honneur d'être mis en prison par la
gendarmerie à cause qu'il a insulté le commandant de
la brigade, nommé Rémi, lequel porta de suite ses
plaintes au sous-préfet. Ce dernier, après l'avoir écouté,
dit au brigadier : c Foutez-moi-le en prison sur ma
parole ». Cet ordre ayant été exécuté, le brigadier en
fit le rapport au juge de paix, qui lui dit : c Vous
m'auriez encore fait plus de plaisir, si vous aviez laissé
mon fils longtemps en prison >.
Juin j. Le nommé François Cremstein, forestier,,
m*a apporté quatre petits loups dans un sac. Ils étaient
âgé d'environ 8 jours. Il les a trouvés dans le creux
d'un vieux tronc de chêne. Ledit forestier les a ensuite
montrés à M. le maire qui en a dressé procès-verbal
et a fait couper les quatre pattes aux louveteaux pour
les envoyer à M. de Puymaigre, préfet du département
du Haut-Rhin. Parmi ces quatre petits loups il y avait
deux mâles et deux femelles.
Juillet j. Il y a eu une grande rumeur à Colmar:
le général major Caron y est venu, a persuadé cent
hommes de la garnison à quitter leur régiment. Il était
accompagné d'un nommé Roche, ci-devant percepteur,
qui avait été destitué à cause d'inconduite. Ce dernier
débauchait les militaires en leur prodiguant de l'argeat»
Ledit Caron se présenta dans la ville d'Ensisheim avec
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-42 2 REVUE D ALSACE
^sa petite troupe et fit demander, au commandant des
militaires qui surveillaient le dépôt des détenus, le
passage libre par cette ville; mais ce commandant lui
refusa sa demande et lui fit dire que s'il s*avisait d'y
contrevenir, il J ferait faire une décharge complète sur
lui et ses brigands. Alors ledit Caron prit un autre
<:hemin avec sa petite troupe et poussa sa marche jus-
qu'au village de Battenheim, où il demanda au maire
du lieu le logement. Mais ce maire, lui ayant demandé
*par quel ordre, il lui répondit qu'il l'avait perdu en
chemin; qu'en attendant il demandait trois mesures de
vin avec de la viande et du pain. Ce dernier article
lui fut délivré, mais il coucha avec son monde hors
du village.
Pendant cet intervalle il arriva de Brisach et de
Colmar deux escadrons du même régiment qu'il avait
<iébauchés, qui dirent à Caron qu'ils venaient grossir
sa troupe. Alors Caron leur dit qu'il attendait de l'argent
que le percepteur de Habsheim lui avait promis, et
que, voyant qu'il n'en arrivait point, il voulait y aller
lui-même; alors un des maréchaux des logis lui dit qu'il
ne fallait pas y aller seul et qu'on l'accompagnerait;
sur ce mot un officier déguisé de la même troupe
arrêta ledit Caron, lequel fut de suite lié et garrotté
aux pieds et aux mains, ainsi que le susdit Roche, et
conduits tous deux sur une charrette ^ Colmar, escortés
par la gendarmerie, ainsi que par la cavalerie de la
garnison de Brisach et de Colmar.
Juillet 8. Un nommé Adolphe Carel et un autre
ont été arrêtés par la gendarmerie à Saint-Amarin dans
un café où ils jouaient au billard. Ces deux individus
•étant suspects, puisqu'ils ont refusé d'exhiber leur passe-
port, le brigadier, qui arrêta le premier en le prenant
-par le collet, y trouva une chaînette au bout de laquelle
était attaché un poignard, dont la pointe était aussi
effilée qu'une aiguille. Après les avoir liés et garrottés,
ils déclarèrent qu'ils étaient natifs de Remiremont et
qu'ils voyageaient pour leur bon plaisir; sur cela ils
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SOUVENIRS DE 1817-1824 423
-furent conduits à Cernay, où ils dînèrent à Tauberge
des Deux clefs^ tous deux enchaînés au col, sous la
surveillance des gendarmes de Saint- A marin. Ensuite
ils furent transportés par la brigade de Cernay à celle
de Rouffach, qui les a conduits à Colmar, où ils doivent
-être confrontés avec les sieurs Caron et Roche.
Septembre ç. On a commencé à vendanger à Cernay,
^t les vignes portaient des raisins magnifiques et excel-
lents. L'abondance était remarquable, car un particulier,
nommé Jean Jacques Resch, tisserand, a fait 13 bittigs
•dans un schatz.
Septembre 22. M. Witz meunier a été volé dans la
nuit; on lui a brisé les barres de fer de son bureau
^u rez-de-chaussée avec un grand levier carré et enlevé
deux sacs de nuit qui y étaient déposés par des voya-
:geurs ; on lui a volé son épée et jeté le fourreau par
•terre. La valeur de ce vol tant en meubles qu'en argent
a été estimé à 500 francs.
Septembre 2ç. Le nommé George Négele et son père
Jacques ont été tous deux maltraités par des ouvriers
-de fabrique ; ces derniers ont brisé la porte du rempart
de M. de Latouche, y ont pris des bûches de bois,
avec lesquelles ils ont assommé ledit George Négele
qui a été dangereusement blessé. Ces ouvriers étaient
-de la fabrique de MM. Sandoz et Baudry. La suite de
cet événement s'est terminée à Belfort par un arrange-
ment qui a coûté aux délinquants plus de cinq cents
irancs.
Décembre 12. A Burnhaupt-le-Bas, à cinq heures du
soir, le feu a pris dans une maison où on avait séché
•du chanvre près d'un fourneau en fer; les gens de
«cette maison avaient jeté ce chanvre allumé dans le
jardin qui se trouvait derrière, malheureusement il vint
un grand vent qui enleva ce chanvre brûlant en Tair,
lequel tombait sur une grange couverte de paille, qui
«étant enflammée produisit un terrible incendie, qui a
consumé dix maisons et six granges remplies de grains,
<ie fourrages et de bestiaux.
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424 REVUE D'aLSACE
1823. Avril 2. Un incendie est arrivé à Wattwiller
chez un nommé , qui s'est manifesté à dix
heures du matin, par des vagabonds que le propriétaire
avait logés dans sa maison pendant plusieurs jours sans-
en prévenir le maire. Ces drôles ayant été obligés de
déloger par force, mirent secrètement le feu dans l'écurie
qui fut consumée, ainsi que la grange. Sur cette action
on avertit de suite la gendarmerie de Cernay qui pour-
suivit les délinquants et en arrêta un avec sa femme
au Pont d'Aspach, où ils avaient fait donner de l'avoine
à leur cheval devant l'auberge du sieur Stemmelé. Ces-
deux individus étaient des rouliers se disant Suisses;,
ils étaient encore accompagnés d'un autre de cette
bande; mais ce dernier voyant arriver la gendarmerie^
s'est sauvé en franchissant un mûr du jardin de l'au-
berge, et la gendarmerie n'a plus pu le rattraper, mal-
gré qu'elle a requis les paysans pour l'aider dans sa
recherche.
Avril II, M. Treffa, négociant à Cernay, a été volé
dans cette nuit avec effraction dans sa maison à trois-
heures du matin. Pour y entrer les voleurs ont enlevé
la pierre du lavoir de la cuisine, sont entrés par le
trou de la pierre dans la cuisine avec une petite
bougie, ensuite se sont transportés à sa boutique oà
ils ont ouvert le tiroir qui contenait de l'argent mon-
nayé, dont ils ont enlevé la majeure partie, ainsi que
quelques jeux de cartes.
Cette effraction s'est faite par l'aide d'un soc de^
charrue que le boulanger nommé Bollinger a reconnu
être le sien.
Avril 12, Des voleurs de nuit se sont introduits
dans la maison commune à Thann; ils y sont montés
par les latrines et ensuite sont parvenus à ouvrir la
porte du bureau de recette et y ont enlevé une somme
de 600 francs.
Le sieur Rémi, brigadier de la gendarmerie de Cer-
nay, a reçu un ordre du préfet du Haut-Rhin, émané-
du ministre de l'Intérieur, d'aller chez tous les électeurs
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SOUVENIRS DE 1817-1824 425
votants pour saisir des lettees circulaires qu'on croyait
avoir été écrites par les députés nommés d'Argenson,
Georges Lafayette, Bignon et Kœchlin.
Avril 75. Dans la nuit du 14 au 15 de ce mois
on a volé deux cordes de bois c^ans la forêt basse de
M. de Latouche. On présume que ce bois a été trans-
porté à Eguisheim près de Colmar sur deux chariots;
M. de Latouche a fait de suite la déclaration de ce vol
au brigadier de la gendarmerie.
Avril 21. Dans la nuit du 2 1 on a coupé 50 pieds
dd vignes au nommé Mathias Muringer, menuisier de
Steinbach.
Avril 23. Le père Thiébaut Haas, ci-devant corde-
lier du couvent de Thann, est mort à Cernay à deux
heures et demie du matin, âgé de 87 ans. Il a été
enterré le lendemain à côté de l'église paroissiale dudit
lieu. Cet ecclésiastique était très caduc dans ses jambes,
mais ses bras et seé mains étaient d'une grande force,
car se trouvant attaqué par un taureau à Thann, il prit
cet animal par les cornes et le renversa sur la rue
devant le mur du couvent des cordeliers.
Avril 2j. A huit heures et demie du soir un voleur
est entré dans la maison de la veuve Martin Witz par
le soup^ail de la cave vis-à-vis de l'église à Cernay, a
forcé le secrétaire de ladite veuve et a enlevé une
somme de 600 francs avec une montre en or et trois
couverts d'argent; ledit secrétaire a été forcé par un
instrument de menuisier, sur lequel les voleurs ont
frappé trois coups de marteau suivant le dire de la
servante de la maison qui s'était couchée pendant l'ab-
sence de sa maîtresse qui était à la veillée chez son
frère, l'ancien maitre de poste, chez lequel un imbécile
nommé Wittmann est venu l'avertir qu'il y avait des
voleurs dans sa maison ; alors M. Baudry est accouru
avec une lanterne pour vérifier le fait, et en entrant
dans la maison de ladite veuve il y trouva encore une
cuillère d'argent que les voleurs avaient laissé tomber
Rtout d^AUace, I9a7 S8
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426 REVUE d'ALSACE
par terre en s'enfuyant par le même soupirail par lequel
ils étaient entrés sans effraction, parce que le trou dudit
soupirail était sans barreaux de fer et fermé seulement
par un volet qu'on attachait en dehors.
Avril 2ç, A six heures et demie le nommé Antoine
Beck, ferblantier, allant dans sa cave chercher du vin,
fut très étonné d'y trouver un homme étranger qui s'y
était caché; il l'arrêta et envoya chercher le brigadier
de la gendarmerie, qui, après avoir interrogé cet indi-
vidu, ne put rien savoir de lui, sinon qu'il se disait
être de Toulon et qu'il avait perdu ses papiers et
son passeport. En conséquence il fut arrêté et conduit
en prison.
Avril 30, La servante de M. Thiébaut Witz, en
piochant le champ de son maître dans le canton dit
Pfosen^ y trouva enterré des pièces de deux francs,
un franc et cinquante centimes en nombreuse quantité,
lesquelles furent remises à M. Rémi, brigadier de la
gendarmerie, pour en faire la recherche des auteurs ou
faux monnayeurs.
Mai /". Dans la gazette de Strasbourg n° 52, à
l'article de Paris du 26 avril, on lit qu'on vient de
signifier à tous les Espagnols résidant à Paris l'ordre
de quitter la capitale dans les vingt-quatre heures et
de sortir immédiatement de la France. Ce qu'il y a de
plus remarquable c'est que cette mesure a été étendue
aux Espagnols américains, sans en excepter même ceux
qui appartiennent à des pays entièrement détachés de
la métropole.
Il faut observer que quinze jours avant le gouverne-
ment a retiré aux prêtres espagnols l'autorisation de
faire des prières publiques dans les églises qu'ils avaient
choisies eux-mêmes pour faire ces prières.
Mai 7. Le sieur Legrand, fils de Legrand, ancien
commandant de Belfort, allant à Mulhouse et passant
par une petite broussaille qui se trouve entre Pfastatt
et la tuilerie de Mulhouse, fut attaqué par trois indivi-
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SOUVENIRS DE 1817-1824 427
dus, dont Tun tirait sur lui un coup de pistolet qui lui
perça la cuisse. Ce jeune homme, se voyant blessé,
prit son mouchoir pour étancher sa plaie, mais dans
cet intervalle les deux autres assassins l'assaillirent dere-
chef, et il ne put se défendre contre eux qu'en parant
avec sa canne les coups qu'ils lui portaient ; mais enfin
ayant perdu ses forces par sa blessure, il succomba et
tomba par terre. Alors ces scélérats l'achevèrent et lui
enlevèrent 200 francs qu'il avait dans ses poches, et,
après l'avoir laissé mort sur la place, 'A s'enfuirent. On
est maintenant à leur poursuite.
Mai 22. Le garde forestier nommé Gall Schnebelé
a arrêté un individu qui s'était furtivement caché dans
un champ de blés proche de la forêt basse. Il a trouvé
chez lui une marmite de cuivre de la contenance d'en-
viron un hectolitre, une lime et plusieurs fausses clefs
et passe-partout de différents espèces. L'ayant interpellé
sur son nom et domicile, il lui dit se nommer Wibrecht
de Guewenheim, ce que le forestier trouva faux, car
il a été reconnu être de Thann et déserteur de la
maison de force d'Ensisheim, où il avait été condamné
pour six ans.
Mai 24, Un pauvre enfant travaillant à la fabrique
de M. Witz-Blech, trouva sur le chemin devant leur
maison un petit cornet de papier, dans lequel il y avait
des bonbons en forme de dragées de Verdun. Il en
donna à son frère et ce dernier à un autre de ses
camarades. Le premier est mort dans les vingt-quatre
heures. On l'a ouvert devant la justice de paix et le
médecin et l'apothicaire, lequel a reconnu que c'était
du pur arsenic sucré. Le médecin Meglin a donné des
remèdes aux deux autres qui jusqu'ici vomissent fré-
quemment. On prétend que des malveillants ont fait
cette scélératesse.
Outre celui qui est mort, il s'est trouvé encore trois
autres enfants, dont deux d'Ufïholtz, qui sont aussi
morts le lendemain de cet événement.
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428 REVUE D'ALSACE
Juin /j. Le nomme Georges Heuchel, boucher de
Cernay, a été attaqué sur le chemin de Vieux-Thann
à six heures du. soir par un petit homme habillé en
blanc, lequel le frappa d'une pierre à la tête qui le
renversa du coup, et, voyant sa victime par terre, il
voulut le tuer en lui appliquant encore d'autres meur-
trissures sur la tête. Mais ledit Heuchel put encore se
défendre en empoignant l'assassin par une jambe, lequel
en se débattant s'enfuit et n'a pu être rattrapé depuis.
Juin 14. Un phénomène inattendu est arrivé : la
rivière d'Ill s'est tellement gonflée près des villages de
Gildwiller et Balschwiller que les habitants ont vu venir
les eaux comme la mer e\\ vagues; plusieurs maisons
y ont été emportées des fondements et cette rivière en
passant par Mulhouse charriait des étables entières de
cochons avec leurs jeunes, une vache, sur laquelle se
tenait un chat vivant, un berceau, dans lequel se trou-
vait un enfant mort, et enfin une quantité d'autres
meubles et ruines de bâtiments.
Un nommé Bordes, graveur en acier, monté sur un
cheval, fut se promener à Steinbach pour faire une
commission, et, dans cet intervalle son cheval, ayant
été épouvanté par des polissons, s'emballa, parcourut
les rues du village, sauta sur un enfant de trois ans qui
se trouva dans la rue et lui enleva toute la chair des
côtes du côté gauche. Cet accident étant venu à la
connaissance du brigadier de la gendarmerie à Cernay,
celui-ci se transporta de suite à Steinbach et dressa un
procès-verbal du fait, certifié par plusieurs témoins, et
l'envoya au tribunal de Belfort.
Juin //. La femme du nommé Paul Griin de Cernay
est sauté dans l'eau de l'étang de M. Witz-Blech, et
cela dans l'intention de s'y noyer, car elle dit aux
ouvriers qui la retirèrent de l'eau de la laisser se noyer,
afin d'être délivrée de la vie, puisqu'elle était pauvre
et qu'elle n'avait plus rien à espérer dans ce monde.
Juin 22, L'entrepreneur de l'hôpital de Belfort ayant
fait des reproches à un infirmier au sujet de son ser-
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SOUVENIRS DE 1817-1824 429
vice, cet infirmier s'en fut et chercha deux pistolets,
avec lesquels il revint dans la chambre dudit entre-
preneur et tira sur lui; mais l'ayant simplement blessé
à répaule, ledit infirmier mit Tautre pistolet dans sa
bouche et se brûla la cervelle.
Juillet 12. Dans la nuit les mânes du cimetière à
Masevaux ont été troublées : toutes les croix à fleurs
de lis ont été enlevées et arrachées, et un mausolé où
se trouvaient deux figures représentant deux saints, a
subi le même sort. Cette anecdote est tirée du Courrier
du Haut-Rhin.
Juillet 24. M. d'Anthès, député du Haut-Rhin, ayant
couché à Masevaux chez le sieur Ley, aubergiste du
Lion (Tory et voulant repartir le lendemain pour s'en
retourner à Soultz, au moment qu*il monta dans son
carosse, une des soupentes s'affaissa, et alors il vit seule-
ment qu'elle avait été coupée par dessous, ainsi que
les moyeux des deux roues de derrière. Alors il em-
prunta un char-à-banc et s'en retourna à Soultz avec
M"* son épouse.
Juillet 26. Le sieur Larger de Bollwiller, étant allé
avec son épouse à six heures du matin en pèlerinage
à Thierenbach et n'ayant laissé pour garde de sa mai-
son que son frère malade avec une vieille femme, des
voleurs profitèrent de son absence et s'introduisirent
dans sa maison avec de fausses clefs; ils ont ouvert
le secrétaire, y ont pris l'argent et encore plusieurs
effets, ainsi que du liflg^. Ledit Larger a évalué ce vol
à 1800 francs.
Septembre p. Les brigades de gendarmerie de Bel-
fort, de Giromagny, de Lachapelle et de Masevaux se
sont transportées à la fabrique de M. Kôchlin à Mase-
vaux et. y ont enlevé lôs petits canons de fonte ou
fauconnaux, petites pièces qui servaient simplement à
garder leur enceinte, afin de se préserver des voleurs
de nuit; cette expédition s'est faite sous prétexte de
conspiration. Après que lesdites brigades eurent enlevé
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430 REVUE d'alsace
ces petites pièces, on les a conduites de suite à Belfort,
où la garnison se trouvait sous les armes et cela dans
la crainte d'une révolte ; cette garnison était composée
de chasseurs à cheval et à pied.
Septembre 2Ç. Les enfants du nommé François Joseph
Ley, menuisier, Fautsch, boulanger, Joseph Meyer, tein-
turier, et celui d'une pauvre veuve et un autre, ont été
arrêtés et conduits à la gendarmerie par soupçon d'avoir
enlevé 400 francs déposés dans le cabinet des archives
de la maison commune de Cernay. Le lendemain ils
furent conduits à Belfort par ladite gendarmerie devant
le tribunal de police correctionnel, lequel, après les
avoir interrogés, les a renvoyés chez leurs parents,
auxquels il en a coûté près de 90 francs pour les frais
d'escorte et de nourriture.
Octobre 5. Le nommé Jean Meyer, marqueur de la
société des tireurs à la Kilbe^ a reçu un coup de fusil
du nommé Jacques Ôhl, papetier. La balle lui a fracassé
la cheville du pied gauche. En conséquence la com-
pagnie a fait une quête entre les tireurs pour lui, qui
s'est montée à plus de 300 francs. Mais sur cet acci-
dent le maire a fait défendre de ne plus tirer dans la
suite.
Octobre ç. Le sieur Bâchlin, juge de paix de la ville
de Cernay, a reçu, en date du mois d'août, ordre de
sa cessation des fonctions de juge de paix. M. Graft
le notaire siège comme juge de paix provisoire ou
suppléant.
Octobre 28. M. Kôchlin fils, de Mulhouse, étant allé
aux vignes s'amuser à la vendange avec MM. Risler
et Schwartz, eut le malheur de se brûler le visage par
l'explosion d'une livre de poudre qu'il a eu l'impru-
dence de tenir ouverte à côté du feu qu'ils avaient
allumé pour se chauffer les mains.
1824. Janvier 2. Le baron Pharavadal est mort et
a été enterré au coin du cimetière.
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SOUVENIRS DE 1817-1824 43I
Janvier 6. Une femme juive a volé trois couverts
d'argent à M. Grau, directeur de la fabrique à Watt-
willer. Comme elle a été trouvée sur le fait et avait
fracturé une commode dans une chambre où elle s'était
cachée furtivement, elle a été conduite à Cernay par
la gendarmerie qui l'a mise en prison en attendant le
rapport fait au juge de paix; dans cet intervalle elle a
dit au brigadier qu'elle était de Hagenthal et que, si
M"** Grau s'avisait de la dénoncer à la justice, elle la
ferait repentir de sa dénonciation. Cette menace doit
avoir été mentionnée dans le procès-verbal d'arrestation.
On croit qu'elle sera condamné à être enfermée dans
la maison de détention de Haguenau.
Janvier 7. Le nommé Jean Baptiste Hoog et un
homme de Steinbach, en se promenant sur un pré
appartenant au sieur Obrist, ont trouvé mort le nommé
Joseph HofTschir, fils du maréchal ferrant de Cernay, qui
Tavait envoyé la veille à Masevaux pour y faire un
paiement. Ce jeune homme s'étant trop retardé pour
revenir chez son père, fut surpris par la nuit et s'égara
en chemin ; enfin la lassitude Tayant forcé à se reposer^
il s'était couché dans un fossé ayant son chien barbet
blanc à côté de lui ; s'étant sans doute endormi, le froid
le saisit et il mourut. Le juge de paix se transporta
de suite avec son greffier et M. Meider, docteur en
médecine, sur le lieu et dressa procès-verbal sur l'en-
lèvement du cadavre, qui fut enterré le lendemain avec
les cérémonies ordinaires de l'Eglise catholique.
*
Rappelons que fauteur de ces curieux Mémoires mourut
à Cernay le 3 mai 1828, sans héritiers directs^ à Page
de Si ans et S mois.
A. L INGOLD.
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LES TROUBLES DE 1789
DANS LA HAUTE- ALSACE
Fin I)
CHAPITRE SIXIÈME
La Commission publie les décrets du 4 août exactement. — l^e frénéral
de Vietinghoflf. — Les Bureaux et les communautés. — Partage
des communaux. — Le Bureau de Colmar pnt>lie les décrets des
5 et 10 août. -^ La Commission établit des municipalités dans
toutes les villes jusqu*aK>rs exceptées. — Neuf*Briaa'ch. -^ Ensib-
heim. — Belfort. — Ammerschwihr.
La Commission intermédiaire, toujours désireuse de
réparer le mal qu'elle avait involontairement occasionné,
nous le pensons, fit publier, le 1 1 août, les décrets du
4 et jours suivants, mais alors exactement rej^roduits
et tels qu'ils avaient été soumis à la sanction du Roi.
Elle en prit occasion pour inviter de nouveau les habi-
tants à rétablir la paix; elle leur rappella qu'elle cleur
a fait connaître récemment que les intentions du Roi
n'avaient jamais été que ses peuples se missent en
possession de leurs droits par aucuns moyens violents,
ni qu'ils se permissent de se rendre justice à eux-
mêmes » ; et, pour enlever tout prétexte au désordre,
t) Voir la livraison de juillet-août.
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LES TROUBLES DE 1789 433
•elle s'était elle-même offerte à transmettre toutes leurs
Téclamations à l'Assemblée nationale. Elle n'oublia pas
en terminant de célébrer dans une hymne emphatique
•ceux qui venaient d'abolir le régime féodal. Mais, loin
de réparer le mal, la Commission Taggravait; car le
.peuple ne voyait dans les décrets de l'Assemblée que
la confirmation pure et simple de la proclamation du
31 juillet, et, sans ajouter de valeur aux commentaires
•et aux explications de la Commission, se persuada plus
fortement que jamais qu'il exécutait purement et sim-
plement les volontés du Roi et celles de l'Assemblée.
Aussi l'incendie que l'on était parvenu à circonscrire,
•était bien loin d'être éteint.
Le général de Vietinghoff s'efforçait nuit et jour,
mais sans résultat sérieux, de rétablir la paix dans les
bourgs et les villages voisins de Cernay, puis de Rouffach.
Le général, malgré son grand âge et la chaleur de la
saison, dit son panégyriste, « s'est transporté de sa
personne dans une grande partie du Sundgau pour
arrêter la fermentation des esprits et les vexations contre
les juifs; il a engagé les habitants à payer la dîme et
les redevances aux seigneurs laïcs et ecclésiastiques, et
il a exhorté tout le monde à être juste et à attendre
ie moment où l'Assemblée nationale aura prononcé sur
le sort de chaque individu ... Il a exhorté ... au réta-
blissement de la paix, du bon ordre et de la tranquillité
publique, et enfin à l'exécution ponctuelle des ordres
<lu Roi et des détrets de l'Assemblée nationale, en
particulier de ceux concernant l'exportation des grains,
ie pillage des maisons des seigneurs, des ecclésiastiques
^t des juifs, et la restitution des effets volés pendant
les troubles qui ont désolé la province ». Il parut à
Huningue, où il profita de son passage pour faire
prêter à la milice bourgeoise et aux troupes le serment
prescrit par le décret du lo août; il parcourut les
communautés voisines, cherchant partout à calmer les
esprits, à ramener le bon ordre, la concorde et la paix.
A Rouffach même, dont il avait fait son quartier
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434 REVUE d'alsack
général »), il parvint à empêcher le tumulte que la-
conduite inconsidérée de l'huissier Monin avait pro-
voqué eau sujet du renvoi des effets d'un juif que cet
huissier avait reçus en dépôt, après s'être opposé lui-
même avec beaucoup d'éclat à la conservation des
malles que Madame la baronne de Landenberg avait
réfugiées audit Rouffach >. Même durant une maladie^
qui le surprit dans cette ville, malgré ses souffrances»
♦ il n'a pas discontinué une minute ses audiences et
recevait à son lit tous ceux qui avaient à se plaindre
et à lui parler. Le moyen qu'il employait d'ordinaire
pour calmer une communauté, c'était de faire dresser
un cahier de doléances qu'il se chargeait lui-même de-
transmettre à l'administration »). D'un autre côté, les
troupes de son commandement, cantonnées dans les
différents villages, ne restaient pas inactives. Elles fai-
saient assiduement la patrouille d'une communauté à.
l'autre, et, par ses ordres, toujours disposées à prêter
main forte en cas de besoin, tantôt elles fournissaient
de petites escortes aux voyageurs, car il n'y avait
aucune sécurité sur les routes, tantôt elles doublaient
les postes dans les points qui semblaient plus particu-
lièrement menacés 3). « Il y eut des moments, dit M. de
la Rochelambert, où à peine les hommes et les chevaux
pouvaient se reposer et se rafraîchir », car le général
ne refusait jamais aucun secours, sauf cep'endant c à ua
seul juif, qui eut l'audace de lui offrir 50 louis d'or;,
mais il lui en a fait fournir un détachement par le
commandant de Huningue ».
De leur côté, les trois Bureaux de la Haute-Alsace
travaillaient avec la même ardeur, mais avec aussi peu.
i) Il établit son quartier général dans la maison de TOrdre tento-
nique et resta près d'un mois dans cette ville.
2) C'est ainsi qu'il parvint de rétablir la paix à Pfaffenheim, moyen-
nant des conditions que le Bureau de Colmar déclarait inadmissit>let.
Le Bureau prétendait que le général s'était laissé circonvenir par Tancien-
syndic et le prévôt, malgré ses avertissement.
3) Cest ainsi que le détachement du château d'Ollwiller fut plus'ienrs-
fois renforcé.
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LES TROUBLES DE I789 435:
de succès, à la pacification du pays. Comme le général,,
ils permettaient aux communautés de se réunir pour
dresser un cahier de doléances '). Le Bureau de Colmar
ne se dissimulait pas le danger de ces assemblées dans^
un moment de fermentation et ne les permettait qu'à.
contre-cœur. Mais c'était le seul moyen d*éviter, en
gagnant du temps, des excès et des violences toujours^
à redouter. Ainsi, le 19 août, il recommandait à la^
Commission les cahiers de dix-neuf communautés contre
leurs seigneurs ou leurs décimateurs'). Maison ne s'ea
prenait pas seulement aux seigneurs. Le plus souvent
les habitants d'une communauté étaient divisés entre-
eux; car personne ne se désintéressait dans la querelle
entre les municipalités et les anciens administrateurs..
En ce cas, il était beaucoup plus difficile de maintenir
la paix, parce qu'alors les Bureaux, dans les matières
de la compétence de l'Administration, devaient statuer*
sans grand délai et ne pouvaient plus renvoyer à un-
autre temps la solution des difficultés pendantes. Par
exemple, la question des communaux partageait depuis-
longtemps les esprits dans un grand nombre de com-
munautés. En effet, dès qu'il fut admis comme une
vérité incontestable que tous les revenus patrimoniaux,
et en particulier les bons communaux, tournaient tou-
jours au profit exclusif des anciens administrateurs ou
de quelques privilégiés, le seul moyen, disait-on, de
faire cesser cet abus et d'empêcher qu'il se reproduisît
à l'avenir, était de partager les communaux entre tous
les ayants droit, y compris ceux qui jusqu'alors en avaient:
i) 11 semble qu'un arrêté de la Commistion du 31 juillet a prescrit
cette mesure.
2) C'étaient le duc des Deux-Ponts, le duc de Wurtemberg, Tévéque-
de Strasbourg, Pabbé de Klinglin, le baron de Klinglin, le baron de
Schauenbourg, le baron de Cointet, le baron d'Anthès, le seigneur de
Landser, le baron de Waldner» l'Ordre teutonique, Colmar, Vieuz-
Brisach, Alspach, Marbach, Murbach, etc. On accordait tout ce que
demandaient les communautés arec la plus grande facilité : on lira ai».
livre suivant les conseils que donnait maître Chauffbur le jeune à Radius*
sur ce point.
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436 REVUE D'aLSACE
été frustrés. Mais quels étaient les ayants droit, et dans
quelle mesure chacun devait-il être gratifié? La difficulté
avait été soulevé dès rétablissement des municipalités.
"Comme les premiers arrêtés de la Commission étaient
contradictoires, le Bureau de Colmar, comme sans doute
*les autres Bureaux de la province, renvoyait d'habitude
.leà parties à plus tard, sous prétexte qu'il fallait attendre
à ce sujet la décision de la prochaîne Assemblée pro-
vinciale. Mais depuis lors, la situation avait bien changée.
On ne se contentait plus d'une telle échappatoire. Les
journaliers, excités par les théories du jour, réclamaient
>à grands cris, comme un droit, le partage égal par tête;
les laboureurs, au contraire, qui supportaient les plus
lourdes charges, exigeaient le maintien de l'ancien état
de choses. Les têtes s'échauffaient, et tous les partis
attendaient la solution des difficultés qui les divisaient
avec une anxiété fiévreuse, qui faisait craindre le plus
.grands excès, s'il n'y était fait droit sur-le-champ et à
tout prix. Le Bureau de Colmar était « assailli » de
-requêtes à ce sujet. Le 6 août, à propos des troubles
vd'0beren2en,-il supplia la Commissiorf'de 't'autoriser à
accorder le partage des communaux sur la demande de
4a pluralité des intéressés, ou de faire publier que, soit
X Assemblée nationale, soit l'Assemblée provinciale, allait
prochainement mettre fin à toute incertitude par un
règlement général sur la matière, parce que, disait-il,
4a crise s'accentue ; c les journaliers vexés demandent
une co-jouissance qui nous parait juste > ; les esprits
sont exaltés cet vont se rendre justice à eux-mêmes» »).
Ailleurs, par la force des choses, les Bureaux furent
-obligés de passer par dessus les prescriptions formelles
Kie la loi et à faire de l'arbitraire. Lorsque les commu-
nautés avaient à se plaindre de leurs municipalités, ils
cherchaient bien à se tirer d'embarras et à gagner du
i) Cfr. V Alsace au xviti* sièLie, I, livre il, ch. 4, où la question
«st traitée avec plus de détails.
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LES TROUBLES DE 1789 437
temps, en les autorisant à faire des cahiers de doléances^
Mais ce moyen ne suffisait pas toujours. Ainsi, le lôaoût,,
le Bureau de Colmar fut obligé de suspendre de ses
fonctions le syndic d'Isenheim jusqu*au i" octobre, jour
fixé pour les prochaines élections, parce que sa conduite
peu mesurée fermentait le désordre. A Hirtzfelden, il
y eut des troubles que le Bureau parvint à apaiser en
ordonnant au syndic de faire élire par la communauté
deux ou trois députés qui se réunirent à la municipa-
lité pour rédiger lin cahier de doléances et assister à
la reddition des comptes. A Blodelsheim et à Réguis-
heim, il dut aller plus loin. Pour calmer la fermentation^
il fallut suspendre la municipalité tout entière, lui ordon-
ner de s'abstenir de toute fonction et faire élire sept
commissaires dans le premier de ces villages et six
dans le second, chargés d'administrer, en attendant que
la Commission statuât sur la requête des habitants qui
exigeaient la dissolution et le remplacement immédiat
des municipalités actuelles, etc. Chacun de ces arrêtés
se terminait par des menaces sévères, qui n'effrayaient
plus personne, parce qu'on savait, à n'en point douter,
qu'elles resteraient lettre morte.
Malgré tant d'efforts, la tranquillité qu'on cherchait^
à rétablir, n'existait qu'à la surface; le calme n'était
qu'apparent, de telle sorte qu'à la moindre occasion,
au moindre mécontentement, on pouvait à juste titre
redouter les plus grands malheurs. Dans ces conjonc-
tures, le Bureau de Colmar, sur l'avis du premier Prési-
dent et le conseil d'un député du c.istrict, fit imprimer^
sans retard, dans les deux langues, les décrets de l'As-
semblée nationale des 5 et lO août relatifs à la repression
des troubles actuels et les fit afficher dans toutes les
communautés : cela paraissait à tous le seul moyen de
détromper efficacement ceux qui se persuadaient avec
obstination que l'Assemblée autorisait chacun à se rendre
justice à lui-même. Le Bureau commettait évidemment
une infraction aux règles de la hiérarchie, puisqu'il ne^
devait rien publier sans l'attache de la Commission^
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438 REVUE d'à LS A CE
intermédiaire. Aussi crut-il devoir le jour même, le
17 août, prévenir la Commission de l'initiative qu'il
avait prise sans attendre ses ordres dans un cas d'extrême
nécessité. Mais celle-ci, qui croyait avoir assez fait pour
le rétablissement de la paix et qui sans doute ne se
rendait pas un compte exact de l'effet désastreux pro-
duit par ses proclamations, se plaignit amèrement de
ce que le Bureau eut pris sur lui de publier ces décrets
sans attendre qu'ils lui fussent parvenus par la voie
hiérarchique. Le Bureau ne voulut pas rester sous le
coup de reproches qu'il ne croyait pas avoir mérités.
Il répondit le 23 août par une longue lettre à laquelle
nous avons déjà emprunté d intéressants détails. Après
avoir établi que la cause de ce redoublement d'agita-
tion est en réalité la traduction malheureuse de l'arrêté
de la Commission du 31 juillet, dont jusqu'ici le peuple
n'a pas pu, ou n'a pas voulu, comprendre le véritable
sens,* il ajoute : c II a fallu un remède prompt à ces
maux et nous nous sommes empressés de saisir celui
qui nous était offert par les»deux décrets de l' Assem-
blée nationale des 5 et 10, que nous avons publiés à
la réquisition d'un député du District qui nous l'avait
adressé, et de l'avis du premier Président... Nous
avons cru rendre un service signalé à notre District,
en lui faisant part quelques jours plus tôt de l'ouvrage
de l'Assemblée nationale pour le rétablissement de la
tranquillité publique ; en quoi nous n'avons certaine-
ment pas prétendu renverser l'ordre des choses et nous
arroger les droits de la Commission intermédiaire, mais
. simplement céder à la voix impérieuse des circonstances.
Il est des moments où il faut s'écarter de la règle pour
y revenir avec plus de succès, et quand le feu éclate
quelque part, les formes ne sont pas de saison. Et
nonobstant les vifs reproches que renferme votre lettre,
et la loi que vous nous avez faite de ne point impri-
mer, vous ne trouverez jamais sérieusement mauvais
que nous usions de la liberté de la presse pour le salut
de notre District : la lettre tue et l'esprit vivifie, sa/us
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LES TROUBLES DE I789 439
populi suprcma lex esta. Nous devons ajouter que hier
-encore M. le premier Président a invité M. Mueg,
procureur syndic, de faire part au Bureau du mauvais
effet qu'avait produit la publication faite par la Com-
-«lission intermédiaire des articles non encore sanction-
nés, afin qu'il lui représente combien il est pressant
de rectifier Terreur en ce qui regarde la pêche qui est
abîmée ».
On peut croire cependant que le Bureau saisit avec
un certain empressement cette occasion de faire acte
•d'indépendance et de démontrer par les faits l'utilité
de son existence qui était toujours menacée. Bien qu'il
s'en défendit, il gardait néanmoins au fond du cœur
une certaine aigreur contre les membres de la Com-
mission que l'on accusait, à tort ou à raison, d'avoir
sollicité l'arrêt de suppression. Dans la minute d'une lettre
écrite à Reubell le 1 8 août, lettre dans laquelle il racon-
tait les conséquences déplorables de l'arrêté de la Com-
-mission du 31 juillet, on lit les mots Suivants, qui sont
^ayés, il est vrai : « C'est ainsi que les bonnes intentions
de l'Assemblée nationale manquent leur but par l'impru-
-dence des personnes qui se rendent ses organes sans
-être en état de combiner la sagesse de ses décisions,
et peut-être aussi par le dessein prémédité de ceux
qui croient se rendre intéressants aux yeux de leurs
concitoyens en favorisant les entreprises d'insubordina-
tion ». On conçoit aisément la raison pour laquelle ces
-mots furent supprimés; mais on en peut conclure que
toute rancune, ou tout mécontentement contre la Com-
mission intermédiaire, n'avait pas disparu, et que dans
ces dispositions le Bureau ne fut pas trop fâché de
iaire sentir à la Commission les malheureuses consé-
-quences de la faute qu'elle avait commise.
Néanmoins la publication même anticipée de ces
décrets ne produisit pas grand effet : tant il est difficile
d'éclaircir, de détromper l'opinion publique, lorsqu'elle
trouve intérêt à se laisser égarer.
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440 REVUE D'ALSACE
D'autre part, il était alors reconnu par tout le monde
que la rivalité entre les nouvelles municipalités et les
anciens administrateurs avait fortement contribué à don-
ner aux troubles actuels un caractère de gravité tout à.
fait exceptionnel. Il eût donc fallu dans Tintérét de la
paix publique empêcher ou éviter toute occasion de
conflit, ou tout au moins n'en point faire naître lors-
qu'il n'en existait pas. Nous avons vu qu'en 1788^
découragée par l'opposition qu'elle rencontrait de toute
part, la Commission avait ordonné aux Bureaux de ne
pas poursuivre l'établissement de municipalités dans les-
villes et « de tout suspendre relativement aux villes
qui opposaient de la résistance jusqu'à la réponse du
Gouvernement » à son Mémoire. Quelque temps après
cependant, on s'en ressouvient, elle reprit son ouvrage
en sous-œuvre et, le 12 février 1729, elle sommait.
l'Intendant de statuer enfin sur les nombreuse^ récla-
mations qu'elle lui avait soumises, le menaçant d'en
adresser la liste au Ministre, s'il ne lui restait d'autre
ressource pour faire respecter ses arrêtés. Mais ce fut
peine perdue ; car, le 1 2 avril encore, le Bureau de
Colmar, se plaignant de ce que le magistrat de Rique-
wihr continuait l'exploitation de ses forêts au mépris
des arrêtés de l'Administration, faisait la réflexion sui-
vante : « Cela prouve combien la Commission intermé-
diaire et les Bureaux ont peu d'influence, surtout dans^
les villes, » Or, deux ou trois mois plus tard, lorsque
toute la province était en ébullition, la Commission
jugeait le moment opportun, non pas de modérer ces^
exigences dans l'intérêt de la tranquillité publique, mais
au contraire de donner le couronnement à son œuvre.
Sans doute le malencontreux arrêt du 3 juin, que l'oa
gardait secret i), tranchait la question, sans doute la
Commission pouvait compter dans chaque ville sur
1) Cet arrêt demeura si peu connu qu'en septembre 1789 le Magistrat
de Belfort prétendait que la question qu'il résolvait était encore pen--
dante à cette date.
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Les troubles dr 1789 441
Tappui de ceux qui partageaient ses opinioas et for-
maient partout le parti le plus remuant, le plus audacieux,
celui-là même qui avait fourni un fort appoint à Vift-
surrection. Mais n'eût-ce pas été une preuve de sagesse,
même une obligation, de renvoyer à des temps plu»
calmes l'exécution de ses desseins quelque légitimes
qu'ils lui parussent? Une administration véritablement
désireuse d'assurer la paix publique, devait-elle donc à
ce moment donner l'occasion et fournir les moyens de
la troubler ? On savait déjà trop bien qu'elle patronnait
et propageait de son mieux les nouvelles idées d'éman-»
cipation et de liberté universelle, au nom desquelles il
se commettait tant d'excès qu'elle condamnait, il est
vrai. Mais à quoi bon réprouver publiquement ces
excès, lorsqu'elle jetait de la paille sur le brasier?
N'était-ce pas ranimer l'incendie qu'elle voulait éteindre,
au lieu de faire œuvre d'apaisement? La Commissioa
ne pouvait pas prétexter son ignorance; elle avait été
dûment avertie. Un an avant les troubles, jour pour
jour à peu près, le 23 juillet 1788, le Bureau de Colmar
lui avait écrit : c . . . Dans l'état actuel des choses, ta
conservation des Gerichts et l'établissement des munici-
palités dans les mêmes endroits forment double emploi
qX, fomentent la division . . . >• Le même Bureau, au
moment de l'insurrection, le i" septembre 1789, lui
recommandait comme le moyen de mettre un terme à
€ r anarchie t actuelle, de fondre en un corps nouveau
les municipalités et les anciens administrateurs, dont la
rivalité avait engendré tant de maux. Le 15 du même
mois, nous l'avons dit, le Bureau de Huningue, sans
indiquer le remède, lui dénonçait le même fait et
renouvelait ses représentations le 20 octobre en lui
recommandant la lettre du curé Ostertag que nous
avons reproduite précédemment : « Se peut-il que vous
ne voyez pas clair?» demandait le curé au Procureur
syndic, comme s'il s'agissait d'un fait patent, évident
pour tout le monde, et il terminait par ces mots, dont
toute sa lettre n'était que le commentaire : « Croyez*
BAwt d'Alêoce, 1907 99
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44^ REVUE D'ALSACE
moi, Monsieur, autant de municipalités, autant de centres
de révolte / 1 Et, à ce point de vue, il ne pouvait pas
en être autrement des villes que des campagnes. Cepen-
dant, malgré tous ces avertissements réitérés, la Com-
mission ne voulut voit ni comprendre!
Quoique l'arrêt du 3 juin exceptât expressément de
l'application des édits les villes royales, jusqu'à l'appa-
rition d'un règlement spécial que le Gouvernement se
proposait de publier sous peu, néanmoins la Commision
passa outre et commença par Neuf-Brisach «). Le 17 août,
le Bureau de Colmar renvoyait à sa décision une péti-
tion d'un groupe d'habitants de cette ville qui récla-
maient rérection d'une municipalité. La Commission,
qui fit preuve en cette circonstance d'une célérité
surprenante, se rendit à leurs vœux par arrêté du 19,
et le Bureau chargea le 20 M. de Zaiguelius, commis-
saire des guerres à Brisach et membre de l'Assemblée
provinciale, de présider à l'élection du syndic et des
neuf membres qui devaient la composer 2). Toutefois,
comme le scrutin secret eût exigé trop de temps, le
Bureau autorisa son commissaire à se faire déclarer à
voix basse par chaque électeur le nom de ses candi-
dats, et, puisqu'on ne comptait à Brisach que trois
bourgeois payant 30 livres d'imposition, il permit aux
électeurs de choisir leurs élus parmi tous ceux qui
payaient une cote de 15 livres : c'était dans les deux
cas la violation flagrante des prescriptions de la loi, et
très certainement il n'appartenait pas au Bureau ou
i) A Brisach, comme partout, la bourgeoisie était hostile au Magistrat.
L*huissier Court écrivait, le 30 juillet, à la Chambre de Ril>eauvillé :
c M. le Prévôt royal a été cruellement humilié en bien des occasions,
et le corps du Magistrat Ta été par rapport à lui : il n*a pas été invité
au feu de joie, ni aux cérémonies d^église qui se sont pratiqués en celte
ville; les propos et les menaces n^ont pas été ménagés contre ce chef
du corps municipal; on lui a dit parlant à sa personne les choses les
plus dures ; le cri est universel contre lui et la majeure partie demande
sa démission... J'ai bien servi M. le Prévôt dans cette occasion; il
était heureux pour lui qu*il n'y ait pas eu plus de mal ».
2) L*élection eut lieu le 22.
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LES TROUBLES DE 1789 44 j
d'en dispenser, ou de les modifier, d'autant plus qu'il
n'y avait aucunement péril en la demeure. Aussi huit
jours ne s'étaient pas encore écoulés, que déjà la soi-
disant municipalité entrait en guerre avec le Magistrat
et invoquait l'assistance du Bureau.
A Ensisheim, la bourgeoisie se réunit le 28 juillet',
imposa ses volontés au Magistrat, prit diverses mesures
d'administration et corrigea plusieurs abus, c qui paraissent
n'avoir été que trop réels » »). Voici le préambule de
la délibération qu'elle prit à ce sujet : « . . . Pour se
soustraire à l'oppression sous laquelle elle gémit, ruinée
d'ailleurs par les vexations et menées odieuses et crimi-
nelles de quelques personnes qui se sont enrichies sous
l'administration vicieuse et repréhensible des préteurs
et magistrats, lesquels, sans avoir égard aux représen-
tations de quelques membres bien intentionnés n'ont
cessé de vexer et de molester la bourgeoisie; la com-
munauté donc, pour arrêter les désordres et les criantes
injustices qui se commettent journellement sous ses
yeux. . . a résolu, etc ». Par l'article 2 elle exigeait
qu'à l'avenir douze bourgeois, présidés par un membre
du Magistrat, tous élus par elle, distribuassent les bons
communaux, et nommassent à toutes les places vacantes,
même du Magistrat, pour éviter clés intrigues mises en
œuvre par les Magistrats pour avoir de vils complaisants
et adhérents et le plus souvent des sujets incapables ».
Tout en modifiant aussi profondément la constitution
de leur ville, les bourgeois laissaient subsister le Magis-
trat et ne lui opposèrent de municipalité que lorsque,
par arrêté du 1 5 octobre, la Commission les eut auto-
risés à élire un syndic et neuf membres 2). Le Bureau
1) MbrcKLKN, Histoire tT Ensiskeim^ II, p. 358.
2) M. Mercklen dit que la bourgeoisie créa d'elle-même une munici*
palité, composée d'un syndic et de hîx membres et, le 1 1 octobre,
envoya deux députés à Strasbourg pour la faire confirmer. Sans doute
ceux-ci échouèreAt dans leur mission et n'obtinrent que l'arrêté du
15 octobre permettant à la communauté de procéder à de nouvel'es
élections; c'est du moins la seule man ère de concilier les affirmations
de cet auteur avec Texistence des arrêtés des 15 et 16 octobre.
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REVUE d'aLSACE
Colmar nomma le lendemain, i6, commissaire aux
tions le baron de Cointet, membre de l'Assemblée
mciale : nous ignorons la manière dont il procéda,
s lors même que tout fut régulier, il est très certain,
ime on le verra plus tard, que la municipalité devint
r Ensisheim une cause de désordres, et aggrava la
sion, au lieu de ramener la concorde et la paix
ni les bourgeois i).
Dans les villes seigneuriales, jusqu'alors réfractaires
3S arrêtés, la Commission suivit la même ligne de
duite. Ainsi à Belfort, le Magistrat, après s'être
rvu en ("onseil d'Etat contre l'arrêté de la Commission
ordonnait l'érection d'une municipalité en cette ville,
it conservé, on s'en souvient, au vu et au su de
ministration, l'entier exercice de ses attributions, bien
des élections eussent eu lieu le lO mai 1788. La
nmission elle-même lui envoyait régulièrement ses
îtés pour en faire la publication, les mandats d'im-
ition, les requêtes des particuliers pour avis, etc.,
c'était en présence du Magistrat et non de la munici-
té que les milices et l'armée avaient prêté le serment
uis par le décret du 10 août. La tranquillité régnait
is la ville, malgré les troubles du dehors, lorsque,
septembre 1789, les procureurs syndics provinciaux
icitèrent de l'Intendant une ordonnance portant
►nction au Magistrat d'extrader à la municipalité les
îs et les papiers concernant l'administration des reve-
patrimoniaux. A Belfort, comme partout, on se
ignait beaucoup du Magistrat, de sa mauvaise admi-
ration, des charges exorbitantes qu'il imposait aux
ûtants, etc., mais du moins jusqu'alors il n'y avait
dans cette ville ni trouble, ni excès, ni désordre
i) Nous n'avons trouvé aucun document relatif k Térection d'une
licipalité à Huningue. Cependant il est certain que cette petite ville
Et pas exception, et bien que nous ne sachions pas la date précise
quelle elle fut soumise au nouveau régime, nous pouvons présumer
ce fut à répoque à laquelle nous sommes parvenus.
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LES TROUBLES DE 1 7 89 445
d'aucune sorte, parce qu'il n'y avait pas deux autorités
rivales dont l'une cherchait à supplanter l'autre. Le
Magistrat, qui ne connaissait pas Tarrêt du 3 juin et
se prétendait toujours véritable municipalité existante,
aux termes de l'article i" du règlement de 1787, se
porta évidemment opposant à cette ordonnance et fit
remarquer à l'Intendant que la mise en activité d'une
municipalité illégalement élue créerait à Belfort, comme
partout, un véritable dualisme et serait inévitablement
une cause de désordre et une source de division. La
Commission, sans tenir compte des tristes expériences
qu'elle avait faites, consulta la municipalité elle-même,
c'est-à-dire la principale intéressée, le Comité perma-
nent ») et le Bureau de Belfort. Tous trois, en parfaite
communauté de sentiments, furent évidemment d'avis
que l'ordre public ne courrait aucun risque; le Bureau
assurait même qu'il était 't. urgent > de mettre la munici-
palité en activité 2). Aussi, par arrêté du 26 novembre
1789, elle décida que l'ordonnance du 12 septembre
devait être exécutée suivant sa forme et teneur, après
avoir, le 12 novembre, prié l'Intendant de débouter le
Magistrat de son opposition. Les registres du Magistrat
n'existent plus et ceux du district de Belfort, beaucoup
trop laconiques, ne nous permettent pas d'affirmer posi-
tivement que l'arrêté de la Commission fut le commence-
ment du désordre à Belfort; mais il est plus que probable
que cette municipalité ne copia que trop fidèlement
ses voisines, qu'elle usa des mêmes procédés, ren-
i) Le Comité permanent n^avait aucun caractère officiel; il était
composé d\m certain nombre de membres élus par les bourgeois et
avait pour but de seconder, dVssister la municipalité, surtout dans les
affaires qui regardaient la police. Faut-il dire de lui ce que le syndic
ChaufTour nous apprend des r Amis de la Constitution > ? Ces comités,
dit-il, créés dans chaque ville du royaume à l'image du comité de
recherche de l'Assemblée, étaient c dans la réalité des espions de Tin-
quisition ».
2) Parce que le Magistrat, disait-il, serait à la fois juge et partie
dans toutes les poursuites que les décrets chargent les municipalités
d'intenter, et dans la faculté qu'ils leur accordent de nommer des adjoints
pour l'instruction des procès criminels !
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446 REVUE d'alsace
contra les mêmes résistances et provoqua la même
agitation.
11 en fut certainement ainsi à Anamerschwihr. Le
4 avril 1788, lorsque les commissaires du district,
MM. de Berckheim et Metzger, s'étaient présentés dans
cette petite ville seigneuriale pour y faire élire une
municipalité, le Magistrat leur avait exhibé six diplômes
impériaux, dont Tun de 1388 et l'autre de 1432, assimi-
laient expressément Ammerschwihr aux villes impériales,
et, sans lui en conférer le titre, lui en assuraient tous
les privilèges. Ces diplômes avaient été confirmés par
l'arrêt du Conseil souverain de 1781, qui attribuait au
Magistrat la juridiction en matière criminelle, et par
une ordonnance de l'Intendant en date du 6 mai 1783.
Grâce à ces titres, Ammerschwihr fut alors traité comme
les villes impériales, et l'Administration considéra le
Magistrat comme une municipalité existante que les
règlements entendaient respecter. Cette décision ne
satisfit pas tout le monde. Le 11 juin 1788, quelques
bourgeois mécontents adressèrent une requête au Bureau:
le Magistrat, disaient-ils, met le plus grand retard dans
la reddition de ses comptes; il entoure son administra-
tion de profonds mystères et en écarte systématiquement
la bourgeoisie : de là un mécontentement que l'érection
d'une municipalité pourra seule calmer '). Le Bureau
cependant reconnut que le règlement du 12 juillet 1787
ne paraissait pas pouvoir être appliqué; aussi pria-t-il
la Commission d'obtenir une décision particulière du
Gouvernement qui accordât à la bourgeoisie une plus
large part aux affaires. Le 13 novembre, nouvelles
plaintes des chefs de tribus et des notables d'Ammer-
schwihr que le Bureau appuya comme la première fois.
Mais la Commission ne répondit pas, soit qu'elle se
crut encore les mains liées, soit plutôt qu'elle sentit son
1) Les difficultés entre le Magi trat et la boorgeoisie dataient de
plusieurs amiées, à Ammerschwihr, comme dans la plupart des villes
d^Alaace.
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LES TROUBLES DE 1789 447
-impuissance à la suite de la résistance que toutes les
villes opposaient à ses arrêtés. Aussi le 13 août 178g,
au plus fort de l'insurrection, la bourgeoisie d'Ammer-
schwihr crut le moment venu de faire elle-même acte
d'autorité, en quelque sorte un petit coup d'état. Elle
se ruinit donc spontanément, et après que le bourg-
mestre-régent Schielé, au nom du Magistrat, eut refusé
d'assister à l'assemblée, elle nomma vingt-quatre députés
qu'elle chargea de préparer ^'élection d'une municipa-
lité. Le 18, qui était le jour fixé pour l'élection, le
Magistrat assembla la bourgeoisie au son de la cloche
et demanda que ses membres fussent déclarés éligibles,
et que l'un ou l'autre pût poser sa candidature au
syndicat »). Sur le refus de la majorité il se retira.
Alors les bourgeois élurent syndic, par 227 voix contre
^jj le sieur Hamberger, avocat au Conseil souverain,
puis donnèrent pouvoir aux vingt-quatre députés de
désigner eux-mêmes les neuf membres qui devaient
composer la municipalité parmi un comité de douze
membres qu'ils avaient précédemment élus 2). Le procès-
verbal fut dressé par le notaire royal en résidence à
Ammerschwihr, assisté de six assesseurs spécialement
désignés comme ténroins. Remarquons que le greffier,
nommé Giroud (de Brosse), était beau-frère du syndic.
La Commission, par arrêté du 25 août, confirma pro-
visoirement la municipalité élue le 18, et en attendant
que le Roi approuvait sa formation, elle lui recommanda
de se conformer aux Instructions et aux Règlements
comme le plus sûr moyen de rétablir l'ordre et de
conserver la tranquillité. Aux yeux du Magistrat, cette
confirmation n'avait évidemment aucune valeur, et la
Commission avait d'autant^ moins le droit de la donner
que la municipalité était illégale au premier chef. Quel-
1) Le Magistrat avait écrit au Bureau pour quMl envoyftt des com-
missaires chargés de présider les élections ; mais le Bureau lui répondit,
le 1 7 août, quMl ne pouvait rien faire sans les ordres de la Commission.
2) Toutefois, aux termes du procès«verbal, la municipalité n'était
I ue que par provision. Ammerschwihr comptait 380 feux.
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530 REVUE D'ALSACE
XXXIX. Le conseiller à son frère le chanoine,
Versailles, 4 mars 1785. «J'envoie procuration à
M. Ingold pour liquider la succession de feu mon fils
vis-à-vis de tous les débiteurs ; il m'a requis de deman-
der votre assistance, secondez-le dans tout ce qui sera
conforme à la justice et à l'équité. Il vous aura instruit
de ce que je me propose de faire pour son affaire.
J'irai demain à Paris et j'ai envie de porter Taffaire au
Conseil des dépêches et j'espère obtenir un sursis à
l'arrêt de Colmar, que je craindrais de ne pas obtenir
au Conseil des parties. Mais j'ai demandé à M. Ingold
quelques fonds pour aller en avant et pour preuve de
mon amitié je lui ai proposé de prendre à mon compte
l'argent qu'il m'enverra si je ne réussissais pas, et je me
flatte que vous l'engagerez à faire les avances néces-
saires pour ouvrir l'accès au Conseil des dépêches par
le moyen du secrétaire d'Etat de la province >.
XL. Le conseiller à son frère le chanoine.
Versailles, le 18 mai 1785. < Votre lettre du 30 avril
m'est arrivée il y a peu de jours; écrivez-moi donc
désormais à l^adresse donnée à M. Ingold. Je lui envoie
une longue instruction avec le modèle d'un mémoire à
faire au ministre de la province. Je mets à vos intérêts
et à ceux de votre parti qui est celui de la décence
et de la probité le même zèle qu'à mes affaires; mais
vous êtes entouré de pièges, et il faut prendre les voies-
les plus fines. La route ordinaire de la cassation serait
hérissée de longueur et de chicanes, vous approuverez
donc le plan conçu ici. Je consens à vous vendre la-
dîme de Sausheim au prix que vous fixerez; je vais-
faire faire procuration qui je pense sera pour Ingold
que j'ai prié de me faire passer un à- compte dont
j'aurai besoin pressant au commencement du mois-
prochain à cause de mes courses et sollicitations qui
grâces à Dieu prennent une tournure favorable».
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LES TRIBULATIONS d'UN SOLLICITEUR 531^
XLI. Le conseiller à son frère le chanoine.
Versailles, 2 juin 1785. «J'ai reçu votre lettre du.
16 avec le nouvel acte de vexation y joint. Je prie
Dieu de vous couvrir de son bouclier. Je rougis pour
mes compatriotes de l'affreuse réputation qu'ils se sont
faite dans ce pays-ci, où ils passent pour être les plus
grands chicaneurs du royaume; je sais bien que ce sont
les Frafiçais eux-mêmes qui ont porté la contagion
parmi eux, mais elle n'aurait pas dû faire de pareils^
progrès chez une nation germanique. Ce polisson de
Biechy vous a manqué pour faire sa cour à M. de
Spon ; mais la signature de M. Holdt au bas de l'exé-
cutoire qui vous a été signifié, est le plus indécent \-
cela est indigne. Vous avez bien fait de payer en pro-
testant. J'ai adressé à M. Ingold une lettre consolante
contresignée du ministre. La requête va être donnée
au Conseil des dépêches, nous aurons le Toutes choses ^
demeurantes en état. J'attends avec impatience le mémoire
de M. Ingold, tel que j'en ai envoyé le modèle au
ministre; cela fera le plus grand effet, car le ministre
sera le rapporteur de votre affaire au Conseil des dépêches.
M. Ingold m'a demandé s'il devait venir à Paris avec
vous, mais vous ne feriez que dépenser votre argent
inutilement; je désapprouve ce parti entièrement. Toutes
les voies sont préparées, je voudrais pouvoir vous pro-
curer le succès au dépens d'une pinte de mon sang.
Mais c'est le moment de ne rien épargner en frais de
sollicitations; il y va de votre honneur, de votre tran-
quillité et de la fortune du pauvre Ingold. Soyez bien
persuadés que par le moyen de mes alentours je vous
épargnerai à Tun et à l'autre bien des frais ; mais il en
est d'indispensables, si on veut réussir, et j'en ai déjà,
fait de cette espèce; je n'en donnerai l'état qu'après le
succès. Mais pour pousser avec vigueur dans un moment
où on tient chez vous le couteau sur la gorge au pauvre
Ingold, il me faut de nouveaux fonds, et j'en ai demandé
à celui-ci par ma dernière lettre le plus instamment .
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532 REVUE D'ALSACE
possible >. Vous avez reçu procuration pour la vente
des dîmes de Sausheim que je vous fais. M. de Wider-
spach a des protections puissantes qu'il emploiera pour
nous, j'en suis sûr. Je me persuade que vous avez chargé
M. Ingold de ma procuration pour cette vente; je pense
que vous lui avez remis ou qu'il avancera de ses deniers
4e premier terme ou un fort à-compte au moins pour
faire face aux dépenses indispensables auxquelles je suis
engagé pour la suite et le bien de nos affaires com-
munes. Je lui ai mandé que j'en avais un besoin pressant
pour le commencement de ce mois-ci. Dès que l'affaire
sera engagée au Conseil des dépêches, je vous y ferai
intervenir pour avoir raison de cette condamnation de
dépens qu'on vous a fait subir personnellement, et de
l'insolence du huissier. Je vous embrasse, mon cher frère,
de tout mon cœur. Des nouvelles et des fonds sur-le-
champ, s'il vous plaît >. (Sans signature, il n'y avait
^plus de place au bas du papier).
Pour copie conforme:
A. DE Saint-Antoine.
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UN AMI DU ROI DE PRUSSE.
A SAINTE-MARIE-AUX-MINES
EN 1758
(Deux lettres inédites de Schœpflin).
On était en pleine guerre de Sept Ans. «Le troi-
sième jour de Pâques >, 28 mars de Tan de grâces
1758, «un cabaretier > de Sainte-Mnrie-aux-Mines,.
« nommé Steinhilbert >, laissa «deux garçons de métier
représenter dans un cabaret une comédie irrévérente
et condamnable, dans laquelle ils (firent) entrer en lice
la personne de notre sacré monarque avec celle du roi
de Prusse et (lancèrent) des traits indécents et criminels
contre Sa Majesté >.
Cette « sale aflfaire >, comme dit Schœpflin dans la
première des deux curieuses lettres qu'on va lire, eut
aussitôt un grand retentissement. Avec plus ou moins
de raison on accusait un peu partout en Alsace les
protestants de faire des vœux pour le succès des armes
du roi de Prusse. Le cabaretier et les deux garçons de
métier furent aussitôt arrêtés. Très inquiets de la mau-
vaise tournure que prenait l'incident. Messieurs du
Magistrat de Sainte-Marie écrivirent à Schœpflin, fort
bien en Cour comme l'on sait, pour lui exposer la
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534 REVUE D'ALSACE
chose et lui demander son appui. Schœpflin le leur
^promit par les deux lettres suivantes »).
I.
Strasbourg, le 22 apr. 1758.
Messieurs,
Après la réception de la lettre que vous m'avez fait Thon-
oeur de m'écrire, je me suis transporté dans le bureau et
ensuite chez M. de S. André •) lui-même, pour prendre con-
^naissance de toute Taffaire en question. M. le ministre de
Sainte-Marie-aux-Mines n'a rien à craindre; on n'a pas fait
attention aux plaintes qui le regardent et tout ce qui s'est passé
à l'occasion de la bénédiction de l'Eglise. Mais l'affaire du
cabaretier et des deux garçons est très sale. On ne la traitera
pas juridiquement. M. de S. André a écrit à la Cour qui
décidera.
On n'a pas donné les couleurs les plus odieuses au délit.
Aussi le cabaretier est dans une prison honnête, au lieu que
les garçons sont dans le cachot. C'est un bonheur pour eux
-qu'ils sont étrangers; cela rendra leur sort moins rigoureux. 11
y a longtemps qu'on est mécontent ici de toutes sortes d'indé-
eences qui se passent par ci par là dans la province, à l'occasion
de la présente guerre, où on ne marque pas assez de zèle pour
Je bien de PEtat. A l'égard de Sainte-Marie-aux-Mines^ il serait
bon d'avertir les habitants d'être sages et circonspects, parce
>qu'on les observera de près. Antérieurement à la dernière
-scène, il s'est passé une autre au sujet de la reine d'Hongrie
qui a aggravé celle qui vient de se passer.
Vous connaissez, Messieurs, les sentiments et le zèle avee
w lesquels j'ai l'honneur d'être de tout mon cœur,
Messieurs,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Schœpflin.
1) Originaux aux Archives départementales de la Haute-Alsace,
-"Supplément de Ribeaupierre, V, bailliage de Sainte-Marie.
2) Qui commandait en Alsace en Pabsence du maréchal de Coigny.
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UN AMI DU ROI DE PRUSSE EN 1758 535
II.
Strasbourg, le 13 may 1758.
Messieurs,
Je veux bien croire que dans le fait du cabaretier en
-question il y a plus d'imprudence que de méchanceté, mais
comme cette imprudence lui a attiré la prison, il faut penser
de l'en retirer. Or les bureaux de la guerre étant accablé
d'affaires et personne n'ayant informé M. le maréchal de
Beirisle qui a le département de la Province, des circonstances
du fait qui pourraient être favorables au prisonnier, son affaire
pourrait traîner et prendre un mauvais tour si Ton n'instruit
pas son juge. Dans ces circonstances vous ne sauriez vous
dispenser, Messieurs, de vous intéresser pour un sujet de votre
prince, qui est d'ailleurs un homme de bien, qui se trouve dans
le malheur et jusqu'ici sans protection à la Cour. Vous expo-
serez tout succinctement le fait à M. le maréchal qui finira
^lors l'affaire.
Vous connaissez les sentimens d'amitié avec lesquels j'ai
J'honneur d'être de tout mon cœur.
Messieurs,
Votre très humble et très obéissant serviteur
SCHŒPFLIN.
A. M. p. I.
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L'EMPLACEMENT
DE LA RENCONTRE DE CÉSAR ET D'ARIOVISTE
ET LE CHAMP DU MENSONGE
Encore qu'il y ait des problèmes historiques plus
ou moins iftsolublcs^ il serait fâcheux de renoncer à.
chercher la solution la plus vraisemblable de questions
telles que celle de l'emplacement de la bataille livrée
par César à Arioviste ou celle du Champ du mensonge.
Il n'est pas dit d'ailleurs que nos arrière-neveux ne
disposeront pas de moyens d'information que nous ne
soupçonnons nullement.
Nous nous permettons donc de présenter quelques
arguments nouveaux en faveur de l'opinion que nous
soutenons : l'Ochsenfeld est le lieu où le gros de l'armée
d' Arioviste a été vaincu par César; l'Ochsenfeld est
l'endroit où Louis-le-Débonnaire a été trahi par ses fils^
I.
Parmi les plus récentes solutions donn,ées à la
question de la rencontre de César et d' Arioviste, il en
est une qui paraît avoir gagné le terrain.
M. Colomb I) suppose que César et Arioviste ne se
rencontrèrent pas en Alsace. César, dit-il, s'était fortifie
l) Revue archéologique, 3« série, xxxili, 1898, 21-62.
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538 REVUE d'alsace
Certains auteurs ne veulent pas admettre que des
fuyards aient pu longer le Rhin sans essayer de le
passer. Les Germains pouvaient cependant en suivant
cette tactique songer aux secours postés au nord vers
Strasbourg, et c'est une explication suffisante.
Le gros de l'armée suève a sans doute parcouru
environ 50.000 pas; car, nous écrit M. Aug. Gasser,
le Rhin étant difficile à traverser, il fallait qu'Arioviste
laissât une distance assez grande entre lui et César pour
essayer de prendre les dispositions nécessaires au pas-
sage, ce qui ne lui était guère possible au bout de
5.000 pas.
D'un autre côté, il est improbable qu'Arioviste en
s'avançant vers la Capitale des Séquanes, ait reculé
jusqu'à l'extrême limite de ses possessions. Est-ce là le
fait d'un homme qui ose dire à César quil vienne le
trouver chez lui?
Se tenir dans l'expectative, au beau milieu du tiers
de la Séquanie, occupée par lui après sa victoire sur
les Eduens, est au contraire le parti que dut prendre
Arioviste : d'une part il laissait le temps aux renforts
suèves de venir le rejoindre pendant la marche de
César contre lui, et d'autre part, en cas de retraite, i
pouvait reculer sur le Rhin ou vers le Nord.
Ce tiers de la Séquanie, pense M. Gasser, compre-
nait certainement la Haute- Alsace, peut-être encore
l'Ajoie, Arioviste ayant sans doute voulu conserver cette
porte de la Bourgogne. Nous croyons que M. Siebecker
a tort, dans son Histoire de F Alsace^ d'étendre les termes
< optimum totius Galliœ », au Donon et à ses environs»).
Or l'Ochsenfeld occupe à peu près le milieu de ce tiers.
Nous pensons donc que l'identification topographique
que nous avons adoptée à la suite de Laguille, de
Napoléon III et d'autres historiens, bien qu*elle ne
i) Nous ne voyons pas comment M. Siebecker, qui place le champ
de bataille aux environs de Colmar, peut parler d^une fuite vers le
sud-est.
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LA RENCONTRE DE CÉSAR ET d'aRIOVISTE $39
repose sur aucune preuve positive, est la plus vraisem-
tblable et que la plaine de Cemay a été le théâtre de
l'action principale de la rencontre de^César et d'Ariovîste.
Un mot sur une autre opinion. D'après M. Poly «),
«César aurait campé au-dessus de Champagney, et Ario-
viste à Frahier, et la bataille aurait été livrée aux
'Champs-Belin. L'argument invoqué par M. Poly ne nous
parait guère probant. Du fait que c'est à Frahier qu'on
a découvert la légende d'Ernest, roi de Belfort, il ne
résulte nullement que la rencontre a eu lieu près de
Frahier. Et même le lieu du combat serait-il plus
-ou moins clairement désigné dans la légende, ce ne
serait encore qu'une présomption et non une preuve
^n faveur de cette hypothèse.
IL
Dans la question du Champ du mensonge il est
impossible de négliger une difficulté d'interprétation de
texte très importante : d'après les Annales de Saint-
Bertin, la trahison eut lieu dans un endroit nommé
< Rothfeld^ id est rubens Campus ». Faut-il lire rubens
ou n'est-il pas préférable de lire rubeus? Dans le premier
cas, le nom primitif du Champ du mensonge est bien
Champ rouge. Mais de nos jours on tend à croire que
le Champ maudit s'appelait d'abord Rottfeld^ champ
•dénudé, en friche (comparez l'allemand atisrotten) >), et
<lès lors il faudrait lire rubens^ qui signifie aussi bien
< de ronces > que < rouge >.
Or précisément l'Ochsenfeld, plus que toute autre
plaine d'Alsace, est un champ infertile en grande partie
1) Li Ballon (TAlsiUi. Belfort« Pilot, 1887.
3) Jules Zbllir, Fondation dt C Empire girmaniqut^ Charlema^ne,
OttoD, etc. 3« édition. Paris, 1886. p. 79.
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44^ REVUE D* ALSACE
qae justifiées que l'on se figure les plaintes des bour-
geois, il n*est pas moins vrai que la manière dont ils
>avaient procédé, était absolument arbitraire, lors même
qu'Ammerschwihr eut été dans le cas de recevoir une
municipalité. Encore s'ils avaient trouvé un remède à
leurs maux imaginaires ou réels, on pourrait les excu-
ser et même excuser la Commission jusqu'à un certain-
point. Mais le remède fut pire que le mal, car l'oppo-
sition contre le Magistrat trouvait un chef, un organe,
et là-bas, comme partout ailleurs, elle eut bientôt franchi
les limites de la modération. Aussi, dès le mois d'oc-
tobre, la nouvelle municipalité voulut faire des coupes
de bois à sa guise dans les forêts de la ville, et, en
novembre, elle entendit supprimer les compétences
du Magistrat, bien que certainement elle n'en eut pas
le droit. Ce fut dès lors une lutte ardente et passionnée '),
lutte qui fut la cause de bien des désordres et de bien
des excès et qui se continua et s'aggrava, en se trans-
formant, durant toute •la Révolution.
Ainsi la Commission condamnait l'insurrection dans
ses proclamations officielles, mais lui donnait en quelque
sorte des encouragements indirects, en soutenant les
municipalités, et surtout en dotant à ce moment de cette
nouvelle institution toutes les villes qui jusqu'alors en
étaient dépourvues. Ce fut évidemment une des raisons
pour lesquelles le général de Vietinghoff et les Bureaux,
malgré leurs efforts, ne réussirent qu'à ramener le calme
en apparence.
i) Le 4 décembre, le Bureau dut envoyer un commissaire pour faire
cesser la guerre que les exigences de la municipalité avaient allumée,
dit-il, entre elle et le Magistrat, parce qu'elle c oVn use pas avec les
égards convenables avec le Magistrat >.
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LES TROUBLES DB I789 449
CHAPITRE SEPTIEME
Pacification du val de Saint-Amarin. — Défaut de sûreté et de sécu-
rité. — Arrêt du 23 septembre. — Les juifs. — Arrêté du
38 août. — Les impositions ne sont pas payées. — Dégradations
des forêts. — L'Ordre teutonique. — L'abbaye de Marbach à
Colmar. — Le chapitre de Lautenhach veut se retirer soit à
Colmar, soit à Sélestat.
Toutefois le Général, si Ton en croit son panégyriste,
remporta un véritable triomphe dans la vallée de Saint-
Amarin, un des foyers de Tinsurrection.
Dans le commencement d'août, il avait reçu l'ordre
€ de faire enlever par la maréchaussée, soutenue du
militaire, quelques instigateurs de la vallée de Saint-
Amarin; cette opération, très aisée à calculer dans un
cabinet, avait plus de difficultés qu'on ne pourrait le
croire; le Général prévit tout»; ses ordres furent si
bien exécutés par le commandant du détachement «que
les coupables dénoncés furent enlevés sans violence
au milieu d'un peuple armé et sans la moindre résis-
tance ». Il semble que cet acte d'énergie frappa les
insurgés et contribua efficacement à les faire rentrer
en eux-mêmes. Quoi qu'il en soit, lorsque les habitants
de la vallée apprirent que le Général devait se rendre
à Huningue, ils prièrent le bailli de Guebwiller, Reich-
stetter, de l'assurer en leur nom que sa seule présence
au milieu d'eux suffirait au rétablissement de la paix.
Aussi, le jeudi 20 août, après avoir encouragé et con-
solé les nombreux fugitifs de la vallée qui se trouvaient
à Thann, il se rendit, l'après-midi, à Saint-Amarin, sans
escorte, accompagné seulement de son aide de camp,
M. de la Rochelambeirt, du bailli de Guebwiller Reich-
stetter, du commandant de la milice bourgeoise de
Thann, de Schwilgué, ancien lieutenant-colonel de cava-
lerie, et de quelques notables de Thann, malgré les
instances les plus vives et le danger de s'exposer tout
seul au milieu d'un peuple armé, dont les dispositions
douteuses inspiraient encore de sériçusçs inquiétudes.
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•l
450 RRVUE D* ALSACE
€ Il trouva le curé de l'endroit avec plusieurs autres et
vicaires de la vallée, accompagnés de tous les habitants,
environ au nombre de mille, venant au devant de lui.
Il mit pied à terre et rentra dans Saint-Amarin avec
eux ; les fugitifs s'y étaient rendus aussi. Il s'arrêta
dans la rue, et, sur une petite place qui pouvait con-
tenir tout ce monde, il les harangua. Enfin il eut le
plaisir le plus doux à son cœur de voir ces malheureux
qui s'étaient laissés emporter à la fureur, répandre des
larmes, jeter armes et bâtons et se prosterner devant
lui et sur son passage . . . J'aurais presque oublié de
vous dire qu'après qu'il avait parlé au peuple pour
l'engager à payer au Roi, à la noblesse et au clergé
ce qui leur revenait de droit, jusqu'à ce que l'Assem-
blée nationale eût prononcé, il se retourna du côté
des curés et vicaires et leur prêcha une si bonne et
excellente morale qu'un d'eux, dont je ne me rappelle
plus le nom, prit le général par la main, et, ayant la
larme à l'œil, lui assura que si tous les habitants, et
même ses chers confrères, avaient été pénétrés de
pareils sentiments, la paix aurait régné dans toute la
vallée de Saint-Amarin >.
Nous ne contestons pas la parfaite sincérité du
comte de la Rochelamberf! Mais une lettre du bailli
du département d'OlIwiller, Bach, au Bureau, ou à la
Commission intermédiaire, en date du 20 avril 1790,
semble bien insinuer que le succès du Général fut tout
à fait momentané et de bien courte durée, car, d'après
le bailli, le détachement de Cernay ne resta pltisieurs
mois dans cette ville, que parce que la vallée de
Saint-Amarin t menaçait à tout instant de revenir a la
charge l^ ») En tout cas, il est certain que jusqu'au
l) La Gimmission avait mis à la charge des communautés les frais
des troupes employées à la repression de Tinsurrection. Or, en mars
1790, les maires du bailliage d*011willer déclaraient que «la crainte de
supporter des frais considérables, est peui-Ure^ aujour^hui encort^ U
seul /rein de retenir dans le devoir les communautés qui voudraient
8* en écarter ».
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LES TROUBLES DE 1 7 89 45 1
3 1 août, le malheureux garde général de Saint-Amarin,
Breymann, ne trouva aucun ouvrier qui voulut, non
pas rebâtir, mais simplement recouvrir sa maison à
moitié démolie, on le sait, t dans la crainte de s'ex-
poser à /a fureur des habitants^ ce qui occasionna la
ruine totale des murs encore existants » »).
Quoi qu'il en soit, à part cette exception, si toute-
fois exception il y eut, tout se trouvait encore en
fermentation. On sentait bien que l'insurrection était
contenue, comprimée, mais nullement étouffée. Un
nombre si considérable de gens sans aveu, de pillards,
de maraudeurs infestait toujours la province, que le
Bureau de Colmar, dans un document de 1790, put
qualifier l'insurrection de 178g, d'insurrection t, des
vagabonds >. Mais comme il était difficile de tenter
quelque coup de main dans les communautés à cause
de la présence des soldats, on se divisait en petites
bandes, car les grands attroupements étaient impossibles ;
on attaquait les maisons, même les hameaux isolés, et
il n'y avait plus aucune sécurité sur les chemins et les
routes. Les habitants du bailliage de Heiteren, écrivait
l'huissier Court à la chancellerie, ne sont pas seuls à
craindre, < mais plus qu'eux encore^ les brigands qui se
sont attroupés et roulent les chaussées pour exécuter
des mauvais coups, surtout nuitamment >. < Il n'y a plus
à craindre que les brigands de Lorraine, disait le bri-
gadier de la maréchaussée Boob au conseiller Radius;
ils ont volé vendredi dernier un censier et maltraité sa
femme; ils étaient seize hommes bien armés; samedi
j'ai fait une traque avec plus de 400 hommes et n'ai
rien découvert. Je prendrai des mesures pour les chasser
et arrêter les mutins des communautés qui pourraient
i) Le 23 février 1791, le directoire du district d*AItkirch, sur les
réquisitions du procureur de la commune de Saint-Amarin, estima qu^il
y avait lieu d'envoyer un détachement de 30 hommes dans la vallée,
pour mettre un terme à la dévastation des forêts, veiller à la siïreté
de« personnes et empêcher « te renouvellement des scènes fâcheuses
dont les citoyens de cette vallée ont présenté le tableau scaqdaleux >,
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453 REVUE D' ALSACE
avoir la velléité de se joindre à eux (lO août)». Depuis
que r Assemblée nationale avait aboli le droit de chasse
exclusif, tout le monde pouvait être armé, et, sous
prétexte de tuer ou de détruire le gibier sur son propre
fonds, droit reconnu à chacun par les décrets, il se
commettait journellement des violences, même des
meurtres ; on ravageait la campagne, on n'épargnait
pas la récolte, surtout dans le vignoble, où Ton anéan-
tissait sans scrupule < le peu d'espérance des cultiva-
teurs» »). Le danger que courraient ainsi les récoltes était
si sérieux qu'il éveilla la sollicitude du Procureur géné-
ral. Celui-ci dénonça, le 25 septembre, au Conseil sou-
verain les excès qui se commettaient partout sous
prétexte de chasse et représentait que «pour parvenir
à l'impunité de pareils désordres, on se porte à employer
des menaces contre les gardes-chasse assermentés et à
les empêcher de faire leur rapport des délits qu'ils
pourraient découvrir dans leurs tournées»; que cepen-
dant les gardes-chasse ne devenaient pas inutiles, mais
avaient été expressément maintenus par le décret du
10 août ; car ils devaient désormais veiller à ce que
la chasse fut exercée de la manière et dans les temps
permis, etc. *). La Cour, sur ce réquisitoire, enjoignit aux
gardes-chasse de continuer leurs tournées et de veiller
spécialement à la conservation des fruits de la terre.
i) « Nombre d^habitants de cette province, abusant de la faculté
accordée à un chacun de détruire le gibier sur ses propres fonds, com>
mettent, sous prétexte de la chasse, toute sorte de dégâts et de violences
dans les campagnes, au point quMl en est résulté des meurtres et des
dégradations qui détruisent, dans le vignoble surtout, le peu d'espérance
des cultivateurs». (Arrêt du 25 septembre 1789).
2) La chasse fut pendant longtemps encore une cause de désordre.
Le 18 novembre 1790 le Conseil général du département prit l'arrêté
suivant : Considérant < qu'il est notoire que bien des gens se livrent
à la chasse par fainéantise et abandonnent ou négligent des travaux
utiles; que d'autres plus criminels, de ceux-là surtout qui n'ont rien
ou peu de chose à perdre, ne vont à la chasse que pour piller les
forêts et quelquefois les passagers...; que, sans contrevenir aux
décrets..., remédiant au contraire au plus fort des abus, et notamment
à la liberté des courses vagabondes dans les forêts...», le Conseil
décrête que les chasses et pêches communales seront lonées par adju-
dication pour trois ans.
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LES TROUBLES DE 1789 4$j
leur ordonna de déposer les rapports aux greftes ou
notariats dans les vingt-quatre heures, défendit de les
troubler dans l'exercice de leurs fonctions à peine
d'être poursuivi à l'extraordinaire, et ordonna aux
magistrats, juges, baillis, prévôts, syndics et commu-
nautés, d'observer et de faire observer cet arrêt sous
leur propre responsabilité.
Les juifs eux-mêmes étaient devenus dangereux
pour la tranquillité publique. Chassés de leurs domiciles,
ils erraient (Je tous côtés, mendiant leur pain, lorsqu'ils
n'avaient pas trouvé refuge et asile dans quelque loca-
lité; et l'on sait de quoi sont capables les mendiants
dans la nécessité »). L'administration leur avait bien
ordonné de rentrer dans *leurs foyers, mais les commu-*
nautés ne voulaient plus les recevoir. Le 14 août, le
Bureau de Colmar fut obligé de sommer la municipalité
de Wintzenheim de ne pas s'opposer au retou^ des
juifs aux termes de l'injonction expresse qu'elle en
avait reçue, et la déclara responsable d'avoir désobéi
aux arrêtés de la Commission. Dans le Sundgau où le
nombre des juifs était considérable, le maréchal de
Castéja dut faire imprimer des circulaires avec le nom
de la communauté en blanc, dans lesquelles il rappelait
que les juifs, comme les autres citoyens, étaient sous
la protection du Roi, que toute assistance leur était due
pour assurer la sécurité de leurs personnes et de leurs
biens; en conséquence il enjoignait aux prévôts, syndics
et municipalités de recevoir tous les juifs qui habitaient
la communauté avant l'insurrection et de leur prêter
secours en cas de besoin, le tout sous leur propre
responsabilité. Le 20 août les syndics généraux de la
nation juive présentèrent une requête au comte de
Rochambeau, requête par laquelle ils demandaient qu'on
I) Le 20 août le Bureau de Colmar proposait à la Commission le
maintien des différents détachements de troupes qui se trouvaient dans
la province; «ce coidon éloignerait les Jui/s mendiants^ gens sans aveu
et les bandits qui ne manqueront dMnfester le pays •.
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454 REVUE D* ALSACE
fît rentrer les juifs réfugiés à Bâle et à Mulhouse, et
pour ce qu'on déclarât les communautés solidairement
responsables de tout délit et de tout crime qui seraient
commis contre les juifs. Comme il n'appartenait ni au
commandant ni à la Commission de décréter une pareille
mesure, la Commission se contenta de rendre, le 28 août,
l'arrêté suivant, qu'elle jfit afficher dans toutes les com-
munautés : La Commission a appris avec douleur les
violences dont les juifs ont été victimes. On frémit de
voir des chrétiens agir c avec autant de barbarie > contre
des hommes qui ont droit à la protection des lois. Le
mal est fait; t des familles entières, vieillards, femmes,
enfants, sont dispersés ; ils errent sans doriiicile et sans
ressource >. La Commission se persuade < qu'il n'y a
que les gens sans aveu qui se soient livrés à ces excès ».
Aussi elle ordonne aux municipalités de veiller à ce
que les juifs, restés ou rentrés, ne soient plus inquiétés,
de dénoncer à la justice ceux qui chercheraient à leur
nuire, et de prêter main forte aux opprimés. Elle déclare
qu'en cas de nouveaux excès, les communautés où ils
se produiraient seraient traitées comme séditieuses et
tenues de réparer tous les dommages.
Toutes ces mesures ne calmèrent point la colère
populaire contre les juifs et ne garantirent pas ces
derniers contre les aggressions violentes dont ils étaient
souvent les victimes, surtout quand ils s'avanturaient isolé-
ment sur les chemins et les grand'routes. Un moment
même on craignit le renouvellement des désordres que
l'on avait si péniblement pu réprimer »). Aussi, le
10 septembre, le Bureau de Colmar intervint en faveur
des juifs à Wintzenheim, où l'on cherchait à soulever
de nouveau la population contre eux.
Au milieu de cette « anarchie >, selon l'expression
du Bureau de Colmar, le recouvrement des impositions
1) Le ((énéral de Flachsianden écrivit à M. Chauffour depuis Paris,
le ai septembre 1789 : cj^ai bien peur, et ce n^est pas sans quelques
raisons, qu^on ne renouvelle les insurrections dans notre malheureuse
province; je crois être sûr qu^on y travaille >.
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tHS TROUBLES DE 1789 455
royales était à peu près impossible. Le bailli Reiset
se plaignit amèrement de la situation alarmante des
départements qui lui étaient confiés, et le Bureau de
Colmar, en en prévenant la Commission, ajoutait: «C'est
à peu près la même chose partout ». Cependant il ne
ménageait pas les menaces au besoin, dans l'espoir de
hâter quelque peu la rentrée des impositions en retard.
Ainsi, le 15 septembre, il écrivait à Guebwiller : «Ne
pas payer les impositions royales, est le fait de gens
révoltés ; on a dénoncé au Bureau les auteurs de propos
séditieux tendant à en empêcher le recouvrement; ils
seront poursuivis avec la plus grande rigueur, et désor-
mais la municipalité sera elle-même responsable de tout
retard >. Nous ne savons pas si le Bureau put tenir
parole ; mais il y a tout lieu de croire que ses menaces
demeurèrent lettre morte").
On peut s'imaginer quel devait être alors l'état des
forêts! Lorsque les gardes, chargés de veiller à leur
conservation, n'étaient pas de connivence avec les
émeutiers, ils ne pouvaient que fermer les yeux et
laisser faire; car dans l'impossibilité de s'opposer par
la force aux entreprises des délinquants, ils eussent
payé de leur vie la simple menace de verbaliser et
ne pouvaient pas compter sur l'appui et le secours de
l'autorité supérieure, qui était absolument incapable de
les soutenir; ce qui s'était passé à Thann et dans la
vallée de Saint-Amarin leur avait servi de leçon. Aussi
les forêts étaient à peu près livrées sans défense aux
incursions des paysans. Dans les trois districts, on se
plaignit des dévastations dont elles étaient journellement
l'objet, et les bureaux s'efforçaient d'y remédier selon
leur pouvoir, mais bien inutilement. Le district de Col-
mar, dans lequel se trouvait les plus belles forêts, avait
plus particulièrement à souffrir. Ainsi les forêts de
1) On ne payait pas plus tes droits seigneuriaux. Le 3 novembre
la municipalité de Sainte-Marie 6t publier à son de caisse qu*on n'avait
plus h les acquitter.
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/
45^ REVUE D^ ALSACE
Roilifach, Wettolsheim, Pfaffenheim, toute la vallée de
Munster, Ammerschwihr, Lautenbach, Ribeauvillé, Berg-
beim, Sainte-Marie, etc., étaient littéralement saccagées;
les forêts seigneuriales du prince de-Wiirtemberg étaient
ravagées t avec fureur > ; et il se commettait des dégra-
dations € énormes > dans le val d'Orbey. Le Bureau
faisait de son mieux pour réprimer ces désordres. Ainsi,
le 3 août, il permit le port d'armes aux sept gardes
forestiers de Wasserbourg t jusqu'à nouvel ordre en
ces temps difficiles >. Le 19 novembre, il écrivit à
M. de Montbello, commandant de Sélestat, que la muni-
cipalité d'Orbey était impuissante à empêcher les dégra-
dations des forêts du Val, signalées depuis le 4 août;
il priait le commandant d'ordonner au détachement de
Lapoutroie de diriger ses patrouilles jusque dans ces
forêts, situées tout au plus à une lieue du village; et,
si ce moyen était inefficace, il se proposait de deman-
der au commandant supérieur l'établissement d'un poste
de dix hommes à Orbey même »). Mais des mesures
de ce genre étaient exceptionnelles et ne pouvaient
être prises partout ; et trop souvent le Bureau, sentant
son impuissance, dut renoncer à réprimer les délits
qu'on lui dénonçait. Ainsi il avoua qu'il ne pouvait
rien contre les nombreux vols de bois commis jour-
nellement à Bennwihr 2).
C'est dans des circonstances aussi critiques que le
baron de Stirtzel, commandeur de l'Ordre teutonique,
fit mettre en sûreté de l'autre côté du Rhin les valeurs,
l'argenterie, les documents les plus importants, surtout
les titres de propriété de l'Ordre en Alsace 3). C'est
i) Les dégâts commis dans les seules forêts seigneuriales du comté
de Ribeauvillé furent estimés, le 23 janvier 1791, à *.5.493 liv. 18 s.
Dans le bailliage de Ferrette les dégradations furent tell^ qu'on 8*en
ressentait encore en 1839, dUprès un Mémoire de la ville de Ferrette
au sous-préfet.
3) Nous n'insistons pas, parce qu'on trouve de plus amples détails
sur ce sujet dans V Alsace au xviii» silcU^ IV, chap. 2% 11 en était de
même des pâturages seigneuriaux.
3) Les 18 et 26 août, le baron ordonna au receveur de l'Ordre à
Rouffach de faire transporter dans le plus grand secret â Fribourg en
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LES TROUBLES DE 1789 457
alors aussi que les religieux de Marbach, dont Tabbaye
était tout à fait isolée, durent chercher un refuge à Col-
mar. Leurs forêts et leurs propriétés étaient ravagées et
les murs de leur abbaye ne les défendaient pas contre les
émeutiersi). Aussi leurs biens et même leur vie était
en danger, ils se rendirent à l'invitation des chefs et
représentants de la bourgeoisie de Colmar, et vinrent
occuper leur hôtel en cette ville, en attendant que Ton
pût faire prononcer par Tautorité compétente leur sécu-
larisation et leur union au chapitre Saint-Martin 2).
Le chapitre de Lautenbach, qui avait toujours tout
à craindre de Tanimosité des gens de la vallée, prit
une résolution analogue pour les mêmes raisons. Le
14 septembre, sur l'invitation du prévôt Antoine Gérard,
conseiller-clerc au Conseil souverain, tous les chanoines
et bénéficiers du chapitre se réunirent à Isenheim3).
Brisgaa les objets précieaz de la Commanderie. (Après le départ de
Rouffach du général de Vietinghoff, on craignit de voir se reproduire
dans cette ville les excès qui avaient désolé Guebwiller). Il est probable
que pareil ordre fut donné aux autres maisons d'Alsace.
I ) C'était des menaces < qu'on renouvelle sans cesse et qu'on cherche
à exécuter, même en forçant l'abbaye k souscrire à bien des objets
qu'on demandait d'elle à force ouverte, si les malintentionnés n'en
avaient pas été empêchés par l'arrivée d'un prompt secours fourni par
la ville de Colmar >. — « Dangers multipliés que l'abbaye de Marbach
a encourus» au point qu'à plusieurs reprises elle est venue, même an
milieu de la nuit, solliciter des secours des habitants de Colmar ti
^At/e des représentants de Colmar, i6 septembre 17H9; Réfltxhns
sommaires sur la réunion de l'abbaye de Marbach au chapitre Saint-
Martin),
2) Pour plus de détails, voir : Le dernier abbé de Marbach^ et
V Abbaye de Marbach et le Nécrologe de 1241,
3) Etaient présents : Pierre Félix Antoine Gérard, prévôt; Prosper
de Bergeret, custos; Jean Meistertzheim, curé de Lautenbach; Maurice
Gabert, écolâtre; Jean Michel Schoff, Joseph du Rost de Boisvert, George
Philippe Bouat, tous chanoines, le dernier cependant non capilulaire;
Françoig Ignace Baccara, Antoine Knôpffler, chapelains. Le doyen Goetz*
mann, le chanoine Meffert et le chapelain Ingold ne répondirent pas à
la convocation qu'ils avaient reçue. M. Véron-Reville prétend que les
troubles de la vallée forcèrent tous les chanoines à se réfugier à Colmar;
c'est une erreur. Trois chanoines seulement, l'écolâtre Gabert certaine-
ment, et très probablement MM. de Bergeret et de Boisvert, cherchèrent
un refuge dans cette ville, les autres demeurèrent à Lautenbach; le
choix d'Inenheim, situé à mi-chemin entre Colmar et Lautenbach, ferait
à lui seul supposer que la plupart n'avait pas encore quitté alors le lieu
de leur résidence.
Rtwt d*Al$aee, 1907 80
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45^ REVUE d' ALSACE
Le prévôt représenta tout le danger qu'il y avait pour
le chapitre de rester à Lautenbach; il y allait de sa
conservation comme corps ecclésiastique, autant que
de la sécurité de ses membres. Il mit donc en délibé-
ration la question de savoir s'il y avait lieu ou non
d'opérer sans retard une translation qui paraissait urgente
et nécessaire. L'affirmative fut adoptée; toutefois les
deux chapelains déclarèrent que les raisons qui avaient
fait impression sur l'assemblée, n'étaient pas déter-
minantes pour eux et qu'ils réservaient leur opinion.
Alors le prévôt proposa trois partis : se réunir au cha-
pitre Saint-Martin de Colmar, se réfugier à Sélestat, ou
enfin chercher un asile à Brisach. Tous les capitulaires
furent d'avis de se rendre à Brisach, sauf à se décider
pour Sélestat en cas de difficulté de la part des évêques
diocésains»), de la bourgeoisie ou du chapitre Saint-
Martin. Le chanoine Bouat, qui n'était pas capitulaire^
consentait à la translation à Colmar, mais ne voulait
pas entendre parler de Sélestat. Les chapelains deman-
dèrent un délai pour faire connaître leur avis. En con-
séquence de cette délibération, les capitulaires, qui
avaient éprouvé < des violences qui ont menacé leurs
jours et les ont forcé de souscrire à des capitulations
honteuses», violences dont ils redoutaient à tout moment
le retour, décidèrent que s'ils étaient obligés par les
circonstances à opérer leur translation avant qu'elle ne
fût autorisée par les supérieurs civil et ecclésiastique, ils
rempliraient après coup les formalités nécessaires en vue
de ladite réunion et translation, et donnèrent dès à
présent au prévôt pouvoir de négocier avec la bour-
geoisie et le chapitre de Colmar, ou avec la bourgeoisie
de Sélestat leur admission dans l'une de ces deux villes,
ainsi qu'il avait été résolu. Nous ignorons si le prévôt
s'acquitta du mandat qu'il avait reçu; mais les nouvelles
lois religieuses, dont l'Assemblée nationale allait sous
i) Lautenbftch était soiw la juridiction de Tévèque de Strasbourg,
bien qu'enclavé dans le diocèse de Bftle.
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LES TROUBLES DE 1789 459
peu doter la France, furent certainement un obstacle
à ses démarches, ou rendirent complètement inutiles
toutes celles qu'il avait déjà faites.
D'ailleurs d'autres préoccupations très graves com-
mençaient à se faire jour dans le pays et menaçaient
de reculer bien^loin encore le rétablissement de la paix.
D'un côté on parlait beaucoup de disette; la récolte
avait manqué ; les troubles n'avaient pas été un encou-
ragement à la culture, les blés et la vigne avaient beaucoup
souffert des intempéries de la saison : de là de sérieuses
inquiétudes. D'un autre côté, les nouvelles lois orga-
niques, soit civiles, soit religieuses, lorsqu'elles furent
exécutées, achevèrent de bouleverser une province que
la guerre civile avait déjà si fortement troublée.
Ch. Hoffmann.
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ENCORE GRANDIDIER POÈTE
Grâce à une bienveillante communication de Mgr. Mar-
bach, nous avons la bonne fortune de pouvoir publier
de nouveau plusieurs petites pièces de vers inédites de
Grandidier »).
Comme Sa Grandeur Mgr. l'évêque de Paphos veut
bien nous l'écrire, cette publication n'ajoutera pas
grand'chose à la gloire de l'illustre historien de l'Eglise
de Strasbourg. Mais, je l'ai dit autre part 2), elle a
incontestablement son intérêt. Nous donnons ces pièces
dans leur ordre chronologique.
Enigme.
Pour remplir un certain vide
Précaution m'a posté
Près d'un réduit où réside
L'agent de la volupté*
âans moi, dans ce réduit où certain dieu préside,
L'ennemi subtil entrerait.
L'ami du cœur en sortirait.
Si je n'en gardais bien la porte.
Mais, hélas I un brutal, pourtant industrieux,
Joignant l'effort à l'art me chasse avec main-forte
De ce poste délicieux.
1) Mgr. Marbach, on se le rappelle, avait déjà communiqué à la
Revue catholique (T Alsace (1891) deux pièces de vers de Grandidier. —
Toutes ces pièces sont publiées d'après les autographes.
2) Grandidier puete^ page 1 6.
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ENCORE GRANDIDIBR POÈTE 46 1
Son fer me fait une blessure ;
Je cède ; il faut enfin contenter son désir.
Alors un bruit d'un bon augure,
S'il est suivi d'un doux murmure,
Au fripon, qui me force, annonce du plaisir.
1772 »).
Portrait d'un moine.
Parodie de V homme de Rousseau,
Qu'un moine est bien pendant sa vie
' Un parfait miroir de douleur.
Au cloître il rencontre l'envie,
Et dans chaque frère un censeur.
Fait-il dans sa jeunesse
Quelque chose mal à propos,
Jusque dans l'extrême vieillesse
On lui reproche mot pour mot.
Il ne peut démasquer le erime,
Ni du cloître être le censeur.
Il est tenu, c'est la maxime,
A bien parler de son prieur.
Dans un couvent le maître impose.
Il faut toujours baisser le ton :
f Eussiez-vous seize ans avec quatorze,
Le prieur a toujours raison.
Il faut être uniforme et nôtre,
Sans cela tout serait perdu.
S'il a du bon sens plus qu'un autre^
Pour le coup le moine est tondu.
Unis par la même promesse,
Désunis de cœurs, d'intérêts.
On vit ensemble, sans tendresse,
Et l'on se quitte sans regrets.
i) J'fti trouvé le mot de l'énigme, a-t-on ajouté au rayon sur Pauto-
graphe; c'est Bouchon d'aune bouteille, Grandidier Pavait indiqué en
caractères cryptographique a.
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462 REVUE D'aLSACE
En accomplissant ce système,
Un moine certes a fait grand bien,
Quand on n'est propre qu'à soi-même,
Ici-bas l'on n'est propre à rien.
1773.
Epigramme.
A votre cœur, Iris, il ne faut plus prétendre :
C'en est donc fait, perfide : un autre est votre amant.
Ah! vous me rejetez bien précipitamment!
J'aurais plus hésité, croyez-moi, pour le prendre.
1778.
Autre epigramme.
On prétend qu'en tous lieux Baudcton me décric.
Bien loin de m'offusquer de tes mauvais propos,
Baudcton, je te remercie.
Car, mon ami, la censure des sots
Vaut la meilleure apologie.
1778.
Fable allégorique.
V aigle, le serin et le chat-huant.
Dans un grand bois, fermé de fossés et de haies,
Régnait un aigle en souverain puissant.
Dans le creux d'un rocher ombragé de futaies
Etait son trône : un serin fort savant.
En affaires surtout, avait sa confiance.
De ce monarque il soutenait les droits.
Faisait la paix, donnait des lois.
En un mot, sa rare science
Le faisait estimer de tous les aigles rois.
Bon citoyen, éclairé, juste, affable,
Il gouvernait l'état et les cœurs.
Les animaux en briguaient les faveurs.
Surpris de voir un grand affable.
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ENCORE GRANDIDIER POÈTE 463
Sur le chemin du ténébreux palais,
Dans un buisson épineux, noir, épais,
Un chat-huant rendait la justice.
Il voilait avec artifice
De ses projets les dangereux ressorts.
Le matois avait les dehors
De la bonté : c'était là son adresse.
Toujours surtout avec bassesse
Il vantait du serin l'esprit et les talents.
La flatterie, hélas! amuse tous les grands.
Le serin, par reconnaissance.
De son ami voulut augmenter la puissance.
Un grand emploi vaquait, et l'aigle consulta
Le serin, qui lui proposa
D'y nommer le chat-huant. . . 11 vanta ses services.
Et bientôt l'aigle l'accepta.
Malgré les dignités, on conserve ses vices,
Voilà le chat-huant en faveur.
Mais oubliant son bienfaiteur.
Et la reconnaissance et les lois de l'honneur.
Il prétend désormais gouverner sans partage.
Quels furent ses moyens? C'est ce qu'il faut cacher...
L'ambitieux est vil ; en faut-il davantage ?
Il réussit : on vit congédier
Le bon serin. Une terre étrangère
Fut sa retraite, et tous les serinaux
Furent contraints de gémir, de se taire.
Obligez aujourd'hui, tel est votre salaire,
Les grands emplois sont de pesants fardeaux,
Souvent très dangereux à l'humaine faiblesse.
Illustres favoris même du meilleur roi,
Craignez la main qui vous caresse :
On ne vous aime que pour soi.
1781.
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SOLDATS ALSACIENS
X. Le capitaine Richard (1810-1875).
Le capitaine Richard doit sa notoriété surtout au
rôle qu'il a joué dans un événement politique et dont
il a été la victime. Il paraît du reste traditionnel dans
sa famille d'être victime de son devoir.
Marie-Charles Richard est né à Soultz (Haute- Alsace),
le 21 mars 18 10, d'une famille qui a occupé une situa-
tion importante dans cette ville au début de la grande
Révolution. Son grand-père Joseph Virgile, capitaine
dans les grenadiers du Roi, ayant pris sa retraite, fut
nommé lieutenant du Roi à Soultz vers 1769. Cette
charge correspondait à celle de commandant de place
dans les villes fortes déclassées, mais dont les fortifi-
cations subsistaient encore, comme c'était le cas à Soultz.
Le lieutenant du roi commandait en même temps les
milices bourgeoises. Virgile Richard avait épousé une
demoiselle appartenant à une famille de Soultz qui a
donné plusieurs personnes remarquables, surtout dans
les ordres religieux. Marie Barbe Ebelin était fille d'un
prévôt de Hirtzfelden; de son mariage avec Virgile
Richard elle eut plusieurs enfants, dont l'aîné fut Jean-
Baptiste Séraphin, né le 3 septembre 1770, père du
capitaine.
Le lieutenant du Roi Richard usant du crédit dont
il jouissait près de MM. de Waldner, fit nommer son
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r
SOLDATS ALSACIENS 465
frère Vincent, ci-devant greffier de Meyenheim, à la
charge de procureur fiscal de la seigneurie de Hart-
manswiller qui appartenait aux Waldner. Vincent et
Virgile firent tous deux partie de la première munici-
palité de Souitz, élue le 20 avril 1788. Puis Vincent
fut le premier maire de Souitz, élu le 29 janvier 1 790.
Le lendemain éclata une émeute, un citoyen de la
Garde nationale fut tué d'un coup de pistolet tiré du
couloir de la maison du procureur fiscal postulant
Chambé, où s'étaient réfugiés des^ contre-révolutionnaires.
La foule se rua sur cette maison et y porta le pillage
et l'incendie. Vincent Richard s'interposa en vain, il ne
put que donner asile à la malheureuse femme de Chambé
qui mit au monde un enfant cette même nuit dans le
grenier du maire où on Tavait cachée. Vincent Richard
paya cet acte d'humanité ; il devint bientôt suspect et
fut révoqué le 8 novembre suivant. Il s'effaça alors
devant la Révolution, ainsi que son frère; peut-être
ont-ils émigré, dans tous les cas on ne les retrouve
plus dans l'histoire de Souitz. Le petit-fils de Virgile
devait à son tour illustrer sa ville natale.
Jean-Baptiste Séraphin Richard avait épousé Fran-
çoise Monique Richer, fille de Nicolas Richer, inspecteur
général du domaine royal en Alsace et de Marguerite
Françoise Bouat, qui était elle-même d'une vieille famille
patricienne de Souitz. Son père Antoine Bouat avait
été en effet procureur fiscal à Souitz et receveur-greffier
de la seigneurie de Jungholtz. Le général Bouat, mort
à Suze en 1859, était de la même famille. C'est de
cette union que naquit le capitaine Richard ').
On voit que le capitaine avait de qui tenir et que
le sang de soldat qui coulait dans ses veines était de
bonne souche. Simple engagé dans le 46* d'infanterie
le 8 mars 183 1, il était sergent-major deux ans après
et tenait garnison à Strasbourg en cette qualité, lors-
i) Il était aussi parent du maréchal Lefebvre par ton oncle Augustin
Richer, qui avait épousé une nièce du raarécl>al.
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466 revued'alsace
qu'eut lieu l'équipée du prince Napoléon dans cette
ville.
Le prince Louis Napoléon, prétendant à la succession
de l'empereur Napoléon P^ s'était ménagé des intelli-
gences à Strasbourg avec le colonel Vaudrey du 4* régi-
ment d'artillerie, le lieutenant Laity et d'autres oflBciers
de la garnison. Avec l'entraînement irraisonné et le goût
d'aventure qui devait caractériser tous les actes du futur
Napoléon III, celui-ci crut le moment favorable pour
renverser d'un coup de main le gouvernement de Louis
Philippe et accaparer le pouvoir. Il s'introduisit à Stras-
bourg le 30 octobre 1836, comptant s'emparer de la
place en renouvelant le débarquement de Fréjus, et de
là marcher sur Paris. Mais le général Voirol qui com-
mandait dans le Bas-Rhin, ne se laissa pas séduire. Au
moment où le prince Napoléon sortait de la caserne
de la Finckmatt à la tête des artilleurs pour se diriger
vers la ville, il fut cerné et pris par l'infanterie de
ligne. C'est le sergent-major Richard qui le reconnut
sous l'uniforme dont il s'était déguisé et lui mit la main
au collet. Richard reçut pour ce fait la croix de che-
valier de la Légion d'honneur le 22 novembre. Le
18 septembre 1839 il fut promu sous-lieutenant, le
21 juillet 1849 lieutenant, et capitaine le 19 décembre
1848. Cet avancement rapide devait le mener aux hauts
grades, d'autant plus qu'il allait prendre part à toutes
les campagnes de l'armée française. Il fit en effet les
campagnes d'Orient et d'Italie. Blessé par un éclat
d'obus devant Sébastopol et cité à l'ordre du jour de
l'armée d'Orient pour sa belle conduite dans les com-
bats du I" au 3 mai 1855, il fut nommé sur le champ
de bataille officier de la Légion d'honneur par le général
Canrobert. Mais Louis Napoléon, devenu empereur, ne
sut pas oublier les griefs du conspirateur; il ne voulut
jamais ratifier cette décoration et s'opposa à l'avance-
ment du capitaine Richard, malgré toutes les instances
qui furent faites auprès de lui. Victime de la rancune
du souverain, pour n'avoir fait que son devoir, Richard
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SOLDATS ALSACIENS 467
prit sa retraite avec le seul grade de capitaine en 1863.
11 était titulaire de la croix du Medjidié de Turquie,
des médaille de Crimée, d'Italie et de la valeur militaire
de Sardaigne.
Le capitaine Richard se retira à Colmar où il épousa
sa cousine, M*'* Renaud. Lorsqu' éclata la guerre de 1870,
il trouva de nouveau l'occasion de servir sa patrie.
Après les premiers désastres on essaya d'organiser la
Garde nationale de Colmar, mais cette organisation ne
fut réellement terminée que le 7 septembre 187O; le
capitaine Richard fut appelé au commandement de la
3* compagnie du i" bataillon et nommé commandant
de la place. On avait des fusils mais point de cartouches,
et la plupart des soldats n'avaient même pas encore appris
le chargement de leur arme, lorsque, le 13 septen^bre,
l'ennemi fut signalé aux environs de Jebsheim. Un con-
seil se tint à la préfecture, le capitaine Richard y assistait.
Il fut décidé qu'on organiserait une résistance pour
sauver l'honneur tout en tâchant d'éviter des malheurs
dans la ville même. On se bornerait à la défense du
pont de riU à Horbourg avec l'aide des francs-tireurs
présents à Colmar et des gardes nationaux qui auraient
quelque expérience militaire. Le lendemain matin on
annonça les ennemis ; dans la nuit on avait pris à Colmar
les mesures nécessaires pour la défense. Les francs-tireurs
comprenant deux compagnies avaient été placés de garde
au pont de Horbourg, mais l'une des compagnies, celle
de Lyon, commandant Teinturier, s'esquiva à 6 heures
du matin. Il ne resta que la compagnie de Saint-Denis,
à laquelle vinrent s'ajouter un certain nombre de gardes
nationaux de Colmar. Le capitaine Richard en civil et
la canne à la main dirigeait la défense. Les ennemis se
présentèrent vers 8 heures du matin; la résistance fut
la plus honorable, elle coûta la vie à plusieurs hommes,
mais le canon des ennemis la brisa; passant par le pont
de Sundhofen ils firent un mouvement enveloppant qui
força les défenseurs à se retirer. Le rapport de l'adjudant-
major Bartholdi constate que dans cette occasion le
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468 REVUE D* ALSACE
capitaine Richard, indépendamment de son rôle de com-
mandant de place, s'est multiplié et a rendu de grands
services par ses conseils et son énergie. (Jotirtial cTun
habitant de Calmar y par Julien Sée, page 127).
Le capitaine Richard, réduit désormais à l'inaction,
dut assister à l'envahissement du pays, puis à son
annexion à l'Allemagne. En 1875, des démarches Furent
faites auprès du gouvernement de la République fran-
çaise pour le dédommager de l'injustice dont il avait
été victime, mais le vieux militaire mourut le 26 octobre
de la même année, avant que ces généreux efforts
eussent abouti.
A. Casser,
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LES TRIBULATIONS DW SOLLICITEUR
OU
GŒTZMANN
D'APRÈS QUELQUES-UNES DE SES LETTRES INÉDITES 0
I. Le chanoine de Lautenbach^ Gœtzmann^ invoque la
protection du ministre en faveur de son frire et de
son neveu qui veut embrasser Vétai militaire.
15 janvier 1774. A Mgr* le duc d'Aiguillon, ministre
et secrétaire d'Etat du département des affaires étran*
gères, à la Cour.
Si c'est une témérité d'oser interrompre pour un
moment le précieux de votre tems, c'en est une de
toute une famille, dont je sers d*organe et en particulier
de mon oncle commandeur de l'ordre de Malte à
Strasbourg dont l'âge très avancé doit et peut luy servir
de juste raison de ne le faire par luy-même au nom
d'icelle pour prendre la liberté d'avoir nôtre recours
aux bontés de vôtre charitable et vigilant gouverneur
de province dans un objet qui est de nature à inspirer
votre gracieuse indulgence; nous avons apris, Mgr.,
1) Nous publions C(>s très curieuses lettres d'après les originaux
conservés aux Archives départementales de la Haute-Alsace*
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47^ REVUE D*ALSACÊ
par voye indirecte que mon frère, qui a été honoré
par notre inestimable monarque d'une charge de con-
seiller en la grand-chambre au parlement de Paris et
du depuis de Finspection de la caisse des amortisse-
ments, est bien vivement attaqué dans un objet, qui
autant que nous en connaissons, mondit frère ne nous
ayant pas fait part soit qu*il connut sa réputation et
innocence établies ou pour ne nous point allarmer, ne
paroit pas en avoir ou du moins de personnel ou des
siens éloignés de tout resentiment, nous convenons
facilement que c'est de l'humanité de manquer; mais
dès qu'il n'y a pas de malice et que la faulte n'est
point grossière, que n'a-t-on pas à attendre de la com-
missération et bontés de ses supérieurs. Il paroit même
indubitable que plus le personnage est élevé dont l'on
réclame les bienfaits, plus on a la douce consolation
de pouvoir s'en promettre d'heureux effets. Que n'avons-
nous donc à espérer, Mgr, de vôtre puissante protec-
tion, si tant est que mon frère ait manqué en quelque
chose dans son devoir et que nous pouvons d'autant
moins nous figurer que son nom et sa réputation sont
trop bien établies dans nôtre province que l'envie puisse
les détruire dans le publique; s*il nous étoit permis de
vous supplier, Mgr., de nous faire la grâce de vouloir
vous en informer surtout près de notre Conseil souve-
rain d'Alsace séant à Colmar où mon frère a eu l'hon-
neur d'y faire, pendant différentes années, membre
parmi les juges qui le composent, nous osons nous
flatter, Mgr, que le témoignage répondroit à notre
attente; nous ne dirons pas qu'il y a peut-être du regret
de l'avoir perdu; aussi mon frère n'a-t-il regretté ni
talents, ni travail, pour s'en rendre digne et util au
publique; ses ouvrages mis au jour peuvent être garants.
Ou la faulte aeroit-elle telle, ce que nous ne pensons
point, que par «a punition l'honneur de toutte une
famille seroit atteinte, nous nous fondons trop sur
l'hummanité et pénétration de ses juges pour avoir
une tele crainde. Mon frère vous aura peut-être, Mgr,
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Les tRIBULATIÔNS D*UN SOLLITEUR 47*
déjà prié de prendre sous votre protection tant luy
que ses enfants, qu'il a près de luy à Paris, ainsi que
celuy de sa première femme, fille de lieutenant colonel
du régiment suisse, cy devant de Karrer et mort dans
les isles dans le service de sa majesté qu'il a laissé en
notre province et à nos soins. Nous n'avons rien négligé
pour luy donner une éducation digne de son extraction.
C'est un jeune homme de 16 ans qui promet beaucoup
avec une belle et rare taille pour sa grandeur; sorti à
peu près de ses études, nous luy avons fait entrevoir
des exemples de la famille à suivre dans tous les état^;
permetteries-vous, Mgr, cette petite digression de nôtre
part, qui peut-être fera, comme nous l'espérons, une
légère sensation; dans l'église des prévôts et doyen de
Chapitre et encore les deux grands vicaires de l'Evêché
de Basle dont l'un est suftragant et chanoine de ladite
cathédrale; le prince-évêque lui-même nous étant allié
à en consulter l'usage de la province. Dans le militaire
il a le propre autheur de sa mère, ainsi que différents
des plus proches tant lieutenants colonels que capitaines
et tous décorés de la Croix de S. Louis, dont deux
servent encore, l'un lieutenant colonel dans le régiment
de Bavière, l'autre major dans un régiment de huzards.
Nous montrerions peut être de la vanité en nommant
feu Mgr le maréchal du Bour gouverneur de notre
province et M. le baron d'Andlau exempt des gardes
du corps de notre très-cher Monarque. Enfin nous luy
avons mis sous les yeux dans la robe l'exemple de son
père et de nos ancêtres dans les premières places de
la judicature non seulement à compter de l'époque où
l'Alsace a été réunie à la courrone jusqu'icy mais encore
lorsqu'elle étoit sous la domination de l'empire. Il est
vrai que mes autheurs soit par jalousie ou par attache^
ment pour le service de Sa Majesté ont essuyées des
pertes très-considérables par les troupes ennemies en
tems de guères; ces pertes ont été reconnues par
M^ les Intendants alors en place avec promesse d'in-
demnization à venir. Nous pourrions encore nommer
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47 ii REVUE D^ALSACB
feu M. le préteur royal de Strasbourg qui a reçues de
Sa majesté même tant de traits de bienveillance lors
de son séjour dans la dite ville; ce chef de la ville
quelque malheureux qu'il fut à la fin de ses jours y
est encore regretté et le sera peut-être de longtemps.
Il en est de même de M. son frère premier président
en vôtre Conseil Souverain et de son oncle et père
l'un et l'autre dans les mêmes places respectives. Je
passe sous silence quantité de parents, les uns audit
conseil, les autres dans la magistrature de Strasbourg
ou autres charges de judicatures, une grande partie
morts les autres encore vivants. Mon neveu réfléchissant
sur tout cecy s'est enfin déterminé pour le militaire, et
a paru prendre un goût particulier pour le régiment
d'Alsace» Quelque bonne volonté que nous ayons à
nous prêter de nôtre mieux; en mon particulier je ne
desirerois rien tant que de pouvoir soulager la nom-
breuse famille mais malheureusement mes faibles reve-
nus ne peuvent y atteindre quoique j'aie par devers
moy quinze ans de services pour les intérêts de mon
corps pour les objets tant internes qu*externes. Vues
touttes ces circonstances vous suppliant Mgr d'en supor-
ter le récita Tunique bût de la famille est d'implorer
votre secours tant pour le bien et tranquillité de mon
frère, qui sans relâche occupé de sa pénible fonction
ne désire autre chose que de n*y être pas troublé;
daignés Mgr par vôtre protection rendre le calme à
luy et toutte sa famille affligée, daignés jeter un œil de
commisération sur l'innocence de ses enfants. Daignés
nous donner l'intime consolation que vous voulés bien
avoir égard à notre demande et à nos désirs. Qu'il
nous soit donné de vous en supplier de vive voix!
nous oserions même espérer que par votre grand apuy
il nous arriverait l'insigne faveur de nous jetter aux
pieds de notre tendre monarque pour implorer son
authorité et charité paternelle ; à ce déff'aut nous osons
également élever nos voix pour en espérer un heureux
effets» Tous nos vœux et principalement les miens près
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Les tribulations dW soLLiciTEÙk 41^4
du tout-puissant seront toujours pour teconnaitre une
telle faveur, et pour la conservation de vos précieux
jours. C'est dans ses sentiments que par la bouche de
la fammille osant rénouveller mes vives instances rela-
tivement à nos désirs, j*ay l'honneur d'être avec le plus
profond respect, Mgr.
Ce 15 janvier 1774.
(Sans signature^ mais de Picriture du chanoine)»
IL Gœtzmann^ commandeur de V Ordre de Malte ^ au
chanoine Gœtzmann,
23 juillet 1772. A M. Gœtzmann, chanoine de
Lauttenbach. L'abbé Morlais i) a obtenu du S. Siège
par dévolut la prévôté de S. Valentin à Rouflac dont
les jésuites étaient pourvus : il a été mis en pos-
session du temporel. L'abbé Duffort a obtenu par la
même voie le prieuré ou la prévôté de S. Morand.
La prévoté de S** Foye, ad Sanctam Fidem, ici dont
les jésuites étaient aussi pourvus. Il y a 3 jours j'ai
écrit à mon agent à Rome de me faire obtenir cette
prévôté pour vous et de me faire nommer commissaire
par les Bulles. Vous vous chargerez des lettres d'attaches
et d'enregistrement à Colmar et des frais des bulles.
La prévôté rapporte 18000 liv. avec obligation défaire
dire tous les jours une messe. Un ex-jesuite la dit et
reçoit du Cardinal 100 écus. M. le marquis de Castries
a répondu à M. de Cicati au sujet du congé de votre
neveu Sieur Neuberg a Luneville (il veut embrasser
l'état ecclésiastique). Vous pouvez engager un ex-jésuite
de Guebwiller pour être son régent jusqu'aux ordres
et le mettre en pension chez votre sœur moyennant
100 écus dont je prendrai 50 à ma charge.
Gœtzmann, comand.
P. S. Si la prévôté ne vous convient pas, donnez
contre ordre à mon agent à Rome l'abbé Coster.
Schlestadt 23 juillet 1775 (cachet défectueux).
1) Le célèbre académicien MorelleL
EtxvLt d'Alioce, 1907 81
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i74 REVCE d'aLSACE
III. Le conseiller Gœtzmann à son frère le chanoine.
20 mai 1780.
A M. de Gœtzmann, doyen de Lautenbach.
La noblesse de la haute Alsace, mon très cher
rère, est occupée d'un grand projet, dont je vous
mtretiendrai dez qu il sera parvenu à sa maturité, avec
jriere cependant de n'en pas parler avant le tems, elle
n'a cru des connaissances et des lumières propres au
mccès, c'est ce qui a donné lieu à la correspondance
^ue M. de Waldner a ouvert avec moi depuis environ
quatre mois. Les services que je suis en état de rendre
\ cette noblesse pourront nous la rendre utile à nous
;ous, mais singulièrement à mes enfans, à commencer
par l'aîné : en voilà plus qu'il n'en faut, je crois, pour
iTOus engager à me seconder. J'ai un grand nombre de
pièces et de renseignemens qui sont nécessaires à la
loblesse pour le succès de ses vues et vous croiez
[)ien que je ferai mes conditions avant de l'aider; il me
nanque une pièce très intéressante, qui doit se trouver
parmi les papiers délaissés par feu notre cher frère...
Cet acte est décrit dans une de ses lettres du 2 avril
1 768 : Compte d'Eucharius Harst, landweibel et directeur
de la seigneurie de Landser, à l'occasion de la foret de la
Hart I" janv* au dernier dec. 1626, etc., volume de
160 pages. Il prie instamment son frère de faire les
recherches nécessaires pour retrouver ce volume, et
termine ainsi) : «Avez (sic) pensé à mon cher Bavarois?
il me mande qu'il quitte Sarre Louis pour retourner à
Nanci et que ses forces ne sont pas encore revenus».
Gœzmann, 20 mai 1780,
rue du faubourg du temple en deçà de la
barrière, Paris.
IV. Le conseiller Gœts^nann à son frère le chanoine.
«Je suis arrivé ici, Mon très cher frère, en bonne
îanté Dieu merci, depuis 4 jours; je saisis le premier
nstant que je trouve pour vous donner de mes nou-
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Les tribulations d*un soluciteur 4)5
velles. J'ai vu les principaux personnages ; on me paroit
content de moi, jusqu'à présent, et je crois qu'on me
destine à une nouvelle mission. Je vous prie de garder
la-dessus le secret. La chose sera résolue dans peu, et
je vous en donnera avis. Ce qu'il y a de sur, c'est que
j'ai été utile; mais souvent dans ce pays surtout, la
reconnaissance n'est point à la suite des services. Lais-
sons faire la providence.
Vous avez sans doute reçue la lettre que je vous
ai écrite d'Ostende, et dans laquelle je vous accusai la
réception de la votre du 4 juillet dernier. Vous ne me
mandez pas si notre oncle le Commandeur est encore
en vie ou comment va sa santé dans le grand âge où
il est. Je voudrais bien que voulussiez vous charger
d'une commission pour lui.
Il serait utile pour le succès même de la mission
dont je serai probablement chargé que j'eusse une
décoration; et plus utile encore que cette décoration
ne me fit pas dépendre d'une nation plutôt que d'une
autre ; rien ne rempliroit mieux mon objet que la croix
de dévotion de Tordre de Malthe ; le Grand maître peut
l'accorder aux gens mariés, aux femmes mêmes, le seul
obstacle se trouverait peut-être dans ma naissance; car
quoique nous ayons des preuves multipliées de la
noblesse de notre origine, vous scavez que je n'ai pas
pu rassembler toutes nos filiations. Il s'agit donc de
questionner notre oncle, si la constitution de l'ordre de
Malthe permet au grand maître d'accçrder la croix de
dévotion à des personnes de mon rang et de ma nais-
sance, et surtout s'il connoit soit à Malthe, soit ailleurs
des exemples d'une pareille concession. J'ai lieu de
présumer que s'il se trouve de pareils exemples, les
protections ne me manqueront pas pour réussir; on
pourra peut-être y intéresser M. le Comte d'Artois, père
du grand prieur de France; mais je ne veux ni faire,
ni faire faire une fausse démarche ».
Il le prie ensuite d'écrire à sa sœur de Strasbourg, car
la chose presse, demande des nouvelles de son frère, et
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47^ REVUE d'alsace
de sa sœur, voisine d'ici, qui ne jouit pas d'une très-
bonne santé . . .
Signé : G. de Thurme, Paris,
rue du fauxbourg S' Denis N. 31.
6 sept. 1781.
V. Le conseiller Gœizntann à son frère le chanoine,
31 octobre 1780.
Il a auprès de lui, depuis près d'un mois, son fils le
Bavarois, pour lequel il a demandé un congé, à cause
d'un voyage t qui peut devenir très intéressant pour
sa fortune et son avancement ». Il a promis le secret
sous serment. < Nous partons sous de bons auspices ;
priez Dieu qu'il y mette sa main toute puissante, c'est
de lui seul que dépendent les succès qui peuvent nous
être réellement profitables ...»
Gœtzmann,
rue des petites écuries du Roi,
faubourg S'-Denis.
{Ce fils paraît être celui laissé par lui in Alsace et élevé par PoncU),
VI. Le conseiller à son frère le chanoine.
Paris, 2 décembre 1781. Il ne part que demain et
pense que son frère, le croyant déjà parti, ne lui a pas
écrit ni à lui ni à son fils à cause de cela. Il lui demande
de prier Dieu de bénir son voyage, ses intentions et
son zèle, et attend, sans les désirer trop fortement, les
récompenses temporelles et sans en craindre la priva-
tion. Il joint un billet pour sa sœur et exhorte le cha-
noine à la soulager dans ses besoins et incommodités.
€ Mes vœux se portent toujours vers une retraite et je
prefererois les montagnes et les vallées à la plaine ».
Gœtzmann de Thurme.
P. S, < Les renseignements que mon oncle vous a
donnés touchant la croix de Malthe sont si vagues et
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LES TRIBULATIONS d'uN SOLLICITEUR 477
si imparfaits que je n*en ai pu faire aucun usage : il
faut avoir patience ».
VIL Gœtzmann fils à son oncle le chanoine,
18 décembre 1781. Mon très cher oncle. Mon papa
m'a dit que vous auriez quelque plaisir à recevoir de
mes nouvelles; mon regret est que je ne puisse pas
personnellement encore vous assurer de mon tendre et
sincère attachement. Je suis encore très-peu avancé
dans récriture et dans la lecture, les agittations de la vie
de mon papa dont j*ai toujours suivi le sort en sont
la cause. D'ailleurs. il y a des esprits tardifs; sans doute
je suis de ce nombre; mon cœur n'y perd rien et c'est
lui qui me dicte les. sentiments avec lesquels j'ai l'hon^
neur d'être
Le chev. de Thurme.
VIIL Madame Gœtzmann à son beau-frère le chanoine.
Paris ce 21 août 178 . . Monsieur et chère frère.
J'oroit répondue avec plus d'ampresement à la lettre
que vous m'avez fait l'honneur de mé crire si je n'avais
pas atendue des nouvelles de mon mary de jours en
jours; mais comme je craindroit qu'un plus long silence
de ma part ne vous parut un manque de respect ses
ce qui me détermine à vous répondre et à vous a surer
qu'il y a l'on tems que je desirait de pouvoir trouver
l'aucasion de faire connaissance avec vous. — Mais j'oroit
désirée que ce fut une autre aucasion que celle de la
mort de mon Beaux fils; Je ne puis vous dire combien
je le regrette Et combien il m'était chère; tout le tems
qu'il a Eté a paris il ne n'ous a pas quitté d'un moment,
une fille ne pouvoit pas Etre plus sage qu'il l'Etoit
l'amitié qui marqu'oit a son frère sembloit Etre pour
lui un second père, enfins je ne soroit trop vous dire,
Monsieur, combien je crois avoir perdue moi-même
d'ans ce chère enfans d'ont je porterez toute ma vie
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4^S REVUE D'aLSACK
le resouvenir d'ans mon cœure comme si Etoit mon
propre enfans; — trouvez bon mon chère frère que je
prie tout les jours de ne pas oublier de prier dieux
pour lui ; Et de vouloir bien vous informer si ne devoit
rien ou il etoit au cas que son père est oublier de
vous en priez au si tout que j'oroi des nouvelles de
mon mary j'oroi l'honneur de vous en faire part Et
suis Monsieur Et chère frère avec les sentiments d'Estime
et de respect que mon fils mavoit inspirer pour vous;
qu'ar le chère enfant me parloit bien souvent de vous ;
Et de toute sa famille Et ses avec ses mement senti-
ment que je suis . . .
Jamart de Gôesmann,
grande rue du Fauxb. S* Denis,
maison de M. Carpentier, jantil homme de
Mg. le Comte d'artois N** 31.
IX. Madame Gœtzmann a son beau-frère le chanoine.
Paris, 20 janvier. Elle dcsu^ait donner des nouvelles
du frère son époux. C'est pourquoi elle a tant différé
à écrire. Il écrira à la première occasion et il la charge
d'écrire à sa sœur la religieuse. Souhaits de nouvel an.
Sans doute < jusque a présent il n'est pas enqu'or men-
sion de la paix mais que tout le monde la désire ».
Elle mène une vie retirée comme à la campagne. —
€ Monsieur et très chère frère je rouvre ma lettre pour
vous mander que je vient daprendre de cher un ministre
à qui je vient de faire ma cour que la paix est signée
d'avantier, l'or ce que je sorez les détail je vous les
mendrée ».
Jamart de Gôesmann.
X. Madame Gœtzmann à son beau-frère le chanoine.
Paris, 17 février 1783. La même envoie une lettre
de son mari au chanoine à laquelle il doit répondre
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. LES TRIBULATIONS d'uN SOLLICITEUR 479
tout de suite sans mettre d'adresse et lui envoyer
sa réponse à elle à Paris. < Vous ne direz à personne
au monde que vous scaves ou il est Et vous prendres
bien garde que Ton ne voye pas d'où il vous Ecrie
ce la est- de la dernière conséqu'ance». Elle lui a écrit
ainsi qu'à la sœur la religieuse le 20 du mois dernier,
t P. S. Il ne faut pas signer votre réponse du nom
de Gôesmann ».
Londre, 7 février 1783.
Mon très cher frère. Je prie ma femme de vous
faire passer ce billet comme une nouvelle marque de
mon tendre attachement pour vous, et nos frères et
sœurs. — Nous avons la paix : ses conditions ont causé
ici un mécontentement universel et il est difficile qu'elle
soit longue. — J'ai formé ici une spéculation de com-
merce qui peut nous faire la fortune à tous, et singu-
lièrement au pauvre enfant qui me reste et au sort
duquel vous vous intéressez fortement. Cette spécula-
tion roule sur les bons vins d'Alsace. Ce pays-ci ne
ne produisant point de vin, on y paye le gros vin de
Portugal la valeur de 3 liv. de france la bouteille; c'est
à dire environ le demi-pot d'Alsace. Un calcul très-
simple vous fera voir qu'en payant dix louis d'or la
mesure de votre meilleur vin, et en déduisant deux
louis d'or par mesure pour les frais de transport, la
compagnie qui est prête à se former ici sous ma direc-
tion, aurait encore un bénéfice de plus de huit louis
d'or par mesure sur lequel bénéfice on m'abandonneroit
un huitième. Ce bénéfice ne pourrait qu'augmenter en
portant nos spéculation jusqu'en amérique et aux indes,
ou ce que l'on vendroit ici la valeur d'un écu se ven-
droit celle d'un louis. Nos vins du margraviat et d'Al- .
sace rempliraient l'objet mieux que tout autre vin,
parce que sa qualité devient meilleure en raison de ce
qu'on le conserve et de ce qu'il est voiture. En con-
séquence la seule chose qu'il y a à faire de votre part,
c'est de nous faire passer ici par Strasbourg et la Hollande
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48o. RBVUE D^ALSACB
des échantillons de vos vins de Giiebwiller, rouge et
blanc» de ceux dé Richewir, Kintzheim, Katzenthal, etcf,
et s'il çst possible, de ceux du margraviat Travaillez
augsijtôt la présente reçue, il y va de notre fortune.
Foripez de tous ces échantillons un bon pannier, sem-
blable aux panniers de vin de Champagne; un bon
tonnpiier vous empaquetera cela comme il faut; ayez
à Strasbourg un commissionnaire qui veuille bien moien-
nant des frais de commission qu'on lui pziiera faire passer
promptement ce pannier à Rotterdam en Hollande à
l'adresse que voici : à Mr. Schmidt courtier et facteur
de vaissçau au café anglaisy Rotterdam^ pour Le faire
passer à M, Boissière à Londres. Je ne vous demande,
mon cher frère, que de la promptitude et une réponse
aussitôt. Adieu, vous voyez que le papier me manque,
mais non le désir de m'entretenir avec vous; mon fils
vous assure de son respect et nous vous embrassons
tous deu^. De Th.
Note sur papier séparé. Vin de Kitterle blanc du
fiscal N. I, 30 liv. — Vin de hâring blanc du doyen
de Guebwiller N. 2, 24 liv. — Vin de hâring blanc de
Ml de Rayber N. 3, entre 20 et 24 liv.
(Sans date).
XL Le conseilllr à son frère le chanoine.
Versailles, le 22 septembre 1783. Il a dû écrire de
nouyeau à son frère, le curé d'Ungersheim, forcément,
voici pourquoi : « D'après le compte que j'ai rendu à
M^ le comte de Vergennes de ma mission, ce ministre
m'a donné l'assurance du roi que pries services seraient
recompensés et que S. M. pourvoirait à mon sort, mais
qu'il fallait prendre un peu de patience attendu que
cet objet étant compris dans les affaires secrètes pour
lesquelles il n'y a que deux ou trois travaux particu-
liers par an avec le roi, on ne pourrait pas pour une
seule affaire déranger Tordre des choses >. Il a pris
langue dans le bureau du secret, un de ces travaux
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LES TRIBULATIONS d'uN SOLLICITEUR 48 1
n'est pas éloigné, mais il est essentiel qu'il ne quitte
pas la Cour. On lui fait espérer quelque somme par
provision; mais trop presser déplairait au ministre, et
il a dû faire une demande d'argent à son frère sur les
revenus de la succession de son pauvre cher enfant,
car il espère conserver les capitaux et fonds à son frère.
«Accélérez, ne perdez pas un instant». Il espère que son
affaire sera résolue à Fontainebleau où la Cour va se
rendre. Il a demandé 25 louis à son frère lequel lui
disait qu'il y avait de l'argent déposé à Hegenheim,
sur lequel celui-ci pourra se récupérer, t Faites vite.
J'ai ajouté à mon frère que je serai bien flatté de
pouvoir faire entrer dans le plan de récompense qui
m'est promise, l'obtention de quelque grâce ecclésias-
tique pour lui : je vous en dis autant mon cher frère».
.Comme il n'y a pas de banquiers qui ait des remises
à faire à Paris, le maître de poste de Rouff^ach lui fera
passer l'argent. « Dites-moi ce que vous avez fait au sujet
des vins pour que j'écrive. G. de Th. >
XII. Le conseiller à son frère le chanoine.
Versailles, 2 octobre 1783. J'approuve votre lettre
du 20. J'approuve d'autant plus l'idée que vous avez
eu d'associer M. Payen, notre neveu à la mode de
Bretagne, à notre projet de commerce de vin, que je
lui ai toujours été fort attaché, et que je crois qu'en
général les sociétés de pareas valent mieux que les
autres >. Il faut i*» prier un solide négociant de Stras-
bourg d'écrire à ce M. Schmidt, pour savoir s'il veut
expédier promptement à Londres un panier de vin. La
voie la plus courte est le Rhin qui baigne Rotterdam,
demander le prix et faire espérer que ce n'est qu'un
commencement, sans ébruiter notre entreprise. 2** Il
écrit à son ami de Londres pour former la société
d'après les échantillons qu'il recevra, t d'après les prix
que nous y mettrons et à la charge en outre d'un droit
de commission convenable pour nous». 3® Remplir Iç
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482 REVUE D*ALSACE
panier des meilleurs échantillons. 4** S'informer si les
vins sont sujets à des droits de sortie, il demandera
remise ou privilège exclusif. 5® S'informer si les vins
paient des droits passant sur le Rhin dans les territoires
des électeurs de Mayence, Trêves, Cologne et autres
princes, il essaiera d'en obtenir remise par le gouver-
nement d'ici. M. Payen pourra s'informer de tout à
Strasbourg. Vite, ne rien négliger. Les vins d'Alsace sont
plus spiritueux que ceux du Neckar, or ces derniers
se vendent 3 shelings la bouteille, et le sheling vaut
24 sols de France.
P. S. La Cour va lundi à Fontainebleau, je l'accom-
pagne; la Reine est décidément enceinte.
XIIL Le conseiller a son frère le chanoine,
Versailles, 4 octobre 1783. Il a reçu une pension
de 2000 livres sur les fonds des affaires étrangères : le^
comte de Vergennes a ajouté indépendamment du pre-
mier bon de S. M. Prévenir son frère et ses sœurs.
On ne paie pas d*avance ces sortes de pension et il
persiste à demander au curé le secours nécessaire à
Fontainebleau où il va après -demain. Il a envoyé
procuration au curé. Se hâter. Il faut battre le fer
pendant qu'il est chaud, et il veut rien négliger pour
s'assurer un sort convenable. Ne négliger rien de votre
côté pour l'affaire des vins; si elle réussit ils seront
tranquilles sur le sort de ce fils qui restera à Paris où
on lui a trouvé une bonne pension où il a à répondre
à 4 maîtres par jour : un d'écriture et de lecture, et
d'arithmétique, un de dessin, un de danse et un d'armes,
mais « il est très-tardif». II a écrit hier à Londres. « Mettez
les fers au feu >. Combien de mesures pourrait-on
rassembler par années pour l'exportation? Votre mesure
n'a-t-elle pas 60 pintes ?
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LES TRIBULATIONS D*UN SOLLICITEUR 483
XIV. Le conseiller à son frire le chanoine.
Fontainebleau, le 31 octobre 1783. Pas de nouvelles
de M. Payen, ni du frère d'Ungersheim qui a depuis
un mois procuration notariée pour recevoir la somme
demandée. Tourmenter encore c'est se rendre importun
et il faut ménager les gens avec qui il a à faire : Reçis
ad exemplar totus componitur orbis. Il taut donc se gêner,
il aura des appuis. Mais il ne pouva voir M. de Sarti-
nes qu'à la S. Martin à Paris. Presser donc le curé ; ne
pas perdre un instant. La vie est chère à Fontainebleau
et il faut qu^l y reste. Il veut demander quelque chose
pour le chanoine. Y a-t-il une abbaye vacante en Al-
sace ? L'esprit actuel veut détruire les Ordres religieux,
mais on emploie une méthode plus cachée qu'ailleurs.
«Je ne peut rien vous dire la-dessus par écrit de peur
d'accident».
Fontainebleau, 21 novembre 1783. Il ne s'explique
pas le silence du chanoine ni du curé à qui il a fait
connaître son besoin d'argent là ou tout est cher. On
aliénerait le ministre en le pressant, il veut avoir l'air
de tout acorder sans sollicitation. « D'ailleurs tout est
ici en combustion et je crois qu'avant la fin de l'année
vous entendrez parler d'autres changements que de celui
du Contrôleur général ; les affaires et le crédit public
sont en mauvais état; il y a bien des gens dont la
phisionomie s'allonge et qui font le malade sans l'être
en effet >. Il faut qu'il mené sa petite barque à travers
les rochers jusqu'à décision sur le traitement qu'il a à
attendre. Après sa pension de 2000 liv. le ministre des
Affaires Etrangères lui a dit de faire valoir le bon du
Roi accordé sous M. de Sartines. Le Maréchal de Castrie
lui en a donné copie, mais le ministre des finances doit
l'exécuter et M. de Galonné ne vient que d'entrer en
place. Selon la maxime « de notre ancien ami d'école
Horace : Duruml — sed fit patientia levius — quidqtUd
corriçere est nefas, 11 presse son frère d'Ungersheim.
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484 REVUE d'aLSACE
Il a écrit deux lettres à M. Payen. € Que Dieu bénisse
cette utile entreprise >.
XVI. Le conseiller à son frère le chanoine.
Versailles, 31 décembre 1783. Pas de nouvelles du
curé. Dès le 30 septembre il a envoyé procuration : tantôt
les débiteurs ne paient pas, tantôt il dit que lui peut
emprunter, mais il ne le peut sur ses pensions et du
reste on lui doit. Il est arriéré envers son hôte et dans
l^embarras. Il a écrit poliment à son frère dont il ne
veut pas suspecter la probité. Il ne demande que le
sien. Voila 3 années de revenus de son fils arriérés! il
est rentré des capitaux et c'est à lui que compte est
dû. « Ecrivez vous-même dans le sens, pour que le Curé
s'exécute enfin».
XVII.' Le conseiller a son frire le chanoine,
Versailles, 3 janvier 1784. II est désolé des nouvelles
que le chanoine lui donne du curé. Il se verra donc
ravir ce qui lui appartient devant Dieu et les hommes
« et engloutir la subsistence du pauvre enfant qui me
reste si je venais à mourir >. Pourquoi l'avoir laissé
ignorer « Vhorible situation » du curé qui a en main
tous ses biens .^ et lui laisser envoyer procuration de
toucher même les capitaux .^^ Il demande un compte au
curé et lui écrit qu'il désire que tout soit enterré dans
le sein de la famille et que par conséqu jnt il doit arrêter
le compte avec le chanoine, « qu'il sj concerte avec
vous sur les moyens de sauver du goaftre dont il est
menacé toute la succession de feu mon fils et qu'en
conséquence on fasse en mon nom des oppositions aux
saisies et arrêts qui peuvent avoir été faites sur lui >,
Si dans 15 jours il n'a rien de satisfaisant, avant d'écla-
ter publiquement, il écrira en secret à son Evêque, il
espère que ces tristes démarches lui seront épargnées.
Il est troublé et fait appel à l'amitié qui a existé avec
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LES TRIBULATIONS d'uN SOLLICITEUR 485
le chanoine depuis leur enfance. «Je suis occupé nuit
et jour de travail, de peines, et de combinaisons, sou-
lagez-moi de votre côté >.
XVIII. Le conseiller à son frire le chanoine.
Versailles, i" février 1784. «Dans votre lettre du
14 janvier, vous me priez de suspendre mes démarches
contre mon frère le curé. Je ne veux pas faire de la
peine; mais vous ne me dites pas ce qui a été fait
pour mettre mes affaires en règle. Le curé ne me répond
même pas et vous ne me dites pas le véritable état
de ses affaires ; car si dans les contrats il n*a pas mis :
payé des deniers appartenant à feu mon fik, il n'aura
pas de privilège, ni de préférence s'il y a déjà des saisies.
Tranquillisez-moi et vous me donnerez une preuve
d'affection en vous chargeant de la procuration pour
tout terminer. Je suspendrai d'écrire à son évêque jus-
qu'à votre réponse», mais ce qu'il doit à son fils le
forcera de prendre un parti extrême, quoiqu'il répugne
à son cœur. Il se faisait une fête de revenir en Alsace;
mais il est dégoûté de voir un pays où il faudra peut-
être se disputer avec un frère > dont je n'ai jamais sus-
pecté la probité •. Il a écrit 2 fois à M. Payen qu'une
solide et puissante maison de banque attendait avec
impatience les échantillons de vin; pas de réponse; «ce
silence m'afflige, écrivez-le lui >.
{A suivre).
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LIVRES NOUVEAUX
Vogesenbilder^ lO Ziichnungen von Hansi. 2« édition. Mul-
house, Bah y. — In-f^ Prix : 6 fr. 50.
Le succès obtenu par la première édition de ces dessins, a
engagé l'éditeur à nous en donner une seconde, dont Texécu-
tion typographique est très remarquable. A ceux qui voudraient
prétendre que l'Alsace se germanise, le malin crayon qui signe
Hansi prouve suffisamment qu'il est emmanché de l'esprit le
plus fin, d'un esprit dont la légèreté de touche n'a rien de
commun avec celui d'Outre-Rhin. Avant 1870 nos Vosges
étaient parcourues par des touristes d'un genre bien différent
de ceux qui les visitent aujourd'hui, si l'on en croit Hansi. 11
suffit de relire par exemple les excursions botaniques du bon
père Kirschleger et de ses élèves dans les Annales de la Société
philomatique vogeso-rhénane^ excursions si pleines de bonhomie
où la science la plus réelle et la plus profonde apparaissait en
se jouant au milieu des sentiments les plus artistiques et les
plus aimables. Voyez au contraire ce long échalas de Professor
qni vient de dédier à Schiller un embryon de chêne avec la
prétention que l'arbre dépassera bientôt la croupe des Vosges
pour représenter au voisin de l'autre côté une image des mœurs,
de la foi et de la force allemandes ! Mais surtout Hansi en veut
à ceux qui détruisent le charme de nos vieilles ruines sous
prétexte de restauration et dans le but de rappeler de soi-disant
souvenirs germaniques. Après la restauration du Hoh-K0nig8«
bourg viendra sans doute celle du mur payen. Le nouvel aspect
du Storchenthor de TUrckheim mis en regard de sa pittoresque
silhouette d'autrefois nous en donne un avant-goût. Nous signa-
lons tout particulièrement les détails de la planche VU et
l'esprit de la IX*. Bravo Hansi !
A. G.
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488 REVtjÊ D^ALSAÔtt
comptes de Dijon ont conservé quelques épaves' de la compta-
bilité de Catherine en Alsace. Elles appartiennent aux der
nières années de son règne. M. Stouff publie en ce volume les
comptes des recettes et dépenses, rendus par les châtelains ou
receveurs de Belfort, de Délie, de Ferrette, d'Altkirch, de
Masevaux, de Landser et de Thann. Ces comptes vont de 1424
à 1426. Ils renferment certains détails pittoresques et ren-
seignent sur plusieurs événements auxquels la veuve de Léo-
pold a été mêlée. Ils jettent aussi du jour sur la consistance
de son domaine et sur son administration. Un index des noms
de lieux et de personnes termine Pouvrage. Alsata.
Articles de journaux et de revues.
Le Messager (V Alsace-Lorraine, 13 juillet. (Intéressants
détails biographiques sur le colonel Blumenstihl, à propos du
titre de comte que vient de lui conférer Pie X.)
Bulletin des missions des Augustins de r Assomption.
Juillet. Notice (avec portrait) sur le P. Meinrad Sauter, (de
Dinsheim), mort en Chili le 2 avril dernier.
Bulletin du Musée historique de Mulhouse. XXX. année
1906. La cour de Lorraine à Mulhouse, par E. Benner. —
Notice sur des statues du xvi« siècle provenant de Péglise de
Cernay, par A. Hânsler. — Fragment de chronique mulhou-
sienne (1694-1727) parj. H. Gœtz. — Louis d'or strasbour-
geois à légende injurieuse, par G, A. Schœn. — Notice nécro-
logique sur A. I. Ingold, par A. Waltz (avec portrait). — Table
générale des bulletins XXI à XXX (1897 à 1906).
Analecta bollandiana. 25 juillet. Récit de la mort du pape
saint Léon IX. Note complémentaire, par Alb. Poncelet.
Bulletin monumental^ n®* 5-6 de 1906. Lefebvre-Pontalis :
Comment doit-on rédiger la monographie d'une église?
RlXHBlM (ALBACB). — TtPOOBAPHIB F. SUTTBR & CUB
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REVUE D'ALSACE
chères et Guntscherach, Mumpelgart et Mont-
pt et Seppois, Soppe et Sulzbach, etc.
X systèmes concourent parfois et interviennent
lent, comme à Vescemont ou Wessenberg,
t ou Luffendorf, Liebsdorf ou Lebeucourt, etc.
^ontreux (Monasteriolum) ne sont-ils pas dis-
français par les suffixes — vieux, — jeune et
, en allemand Alt-Miinsterol, Jung-Miinsterol
rol-die-Burg ? De même les trois Chavannes
att sont déterminés en allemand par les mots
-, Gross et Klein, en français par Chavannes-
, Chavannes-les-Grands et le diminutif Cha-
par un homme maître non seulement de
et du français, mais aussi et surtout des
tois du pays, des identifications de ce genre
reraient que rarement des difficultés insurmon-
lais pour le moment cette question ne me
point. Je ne me propose ici que d'indiquer
les principe sur lesquels se réglait le peuple,
ateur de ces mots.
îmes principes ont dû jouer leur rôle dans
même de la province, lorsque la conquête y
î nouveaux maîtres,
jation du pays par les Romains fut avant tout
Is le couvrirent de leurs légions, s'installèrent
rteresses, en fondèrent au besoin de nouvelles,
lières ils donnèrent naturellement des noms
crîiœ (Saverne), Augusta Rauracorum (Augst).
èrent aux autres leurs dénominations celtiques,
; à ajouter des terminaisons latines, en um^
t par exemple, affirme catégoriquement {Rçvm tP Alsace^
) qu'il n'y a aucune analogie entre Pont-la-vilU et Bonen-
^nent une même localité. Cela est-il bien sûr ? Les dernières
( noms {Ja ville et dorf) ne sont qu'une traductioa Tune de
lant aux premières {Ponl et âonen), lerait-il bien diflficile
ntre elles quelque analogie de prononciation, en tenant
confusion faite d'ordinaire dans le pays entre le/ et le i.
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ARGENTORAT, ARGENTOVAR 49I
usy a^ cœ, etc. Grâce à cela, le monde romain accorda
droit de cité à toutes ces localités celtiques qui nous
sont connues par les cartes, les itinéraires, les géographes
de l'antiquité, Grammatww, Larga, AvxdXbmum, Urun^c?,
CamWj, Brisiacw;«, Argentovar/Vz, Helvet^^j, Argentora-
tum, Brocomagwj, Salet/^.
Avec l'invasion des Germains ces terminaisons, qui
n'avaient sans doute jamais prévalu dans le langage popu-
laire, disparurent de nouveau. Plusieurs noms subirent
même dans leur corps des altérations plus ou moins sen-
sibles, qui, sans être difficiles à expliquer, n'en trahissent
pas moins l'intervention de mains étrangères. C'est ainsi
que l'on fit Seltz de Saletio, Brumat de Brocomagus,
Augst d'Augusta, Zabern de Tabernae, Ehl de Helvet
ou Hellet.
Dans ce court résumé emprunté à Schœpflin et à
ses émules, la traduction complète ou partielle des
noms primitifs ne joue aucun rôle, contrairement à la
pratique populaire signalée au début de ces notes : on
se contente de relever des analogies phonétiques.
Faut-il croire que les Francs et les Allemans, les
premiers successeurs des Romains en Alsace, n'usèrent
qu'en partie des procédés philologiques que le peuple
applique d'ordinaire en pareil cas.^ Ou bien doit-on
admettre que nos historiens alsaciens négligèrent étourdi-
xnent de s'arrêter à ce problème.'*
Cette dernière hypothèse, la plus vraisemblable en
«Ile-même, se trouve confirmée inopinément par deux
des noms celto-romains cités plus haut : Argentoratum,
identifié par tout le monde avec Strasbourg, et Argen-
tovaria, identifié par la plupart des commentateurs avec
H^rbourg, forme ancienne de H^rbourg. Une partie
commune se trouve dans les expressions celtiques,
argent, et, dans leurs équivalents modernes, burg. On
est donc en droit de se demander si bourg, qui n'a
aucun rapport phonétique avec Argent, n'en serait pas
la traduction.
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492 REVUE D ALSACE
. ' La question se posa pour la première fois à mon-
; esprit il y a cinquante ans, à l'époque où femplace-
'k ment d*Argentovaria était si vivement discuté dans la
I presse alsacienne et surtout autour de moi. Mon bagage
I celtique était trop léger pour me permettre d'y répondre-
I par moi-même. Je recourus donc à un ouvrage que le
i savant Mone venait de publier sur la place du celtique
^ dans la géographie allemande »). J'y rencontrai (p. 222)^
f les indications suivantes:
t §^anc/, forteresse (festung), ir. gann;
^ gaun^ forteresse (veste), ir. gann;
l. gauUy gonn^ forteresse (barg, veste), ir. gann.
\ Elles me parurent décisives 2) et je ne cherchai pas-
plus loin. La fin des mots cités me sembla loin d'y
f contredire. D'après Schœpflin, rat veut dire passage^
> route par conséquent, Ar-gen-to-rat sera le fort de la
\ route et les Germains n'auront pas à se creuser la tête
pour y trouver leur Strassburg, dénomination qui con-
tinuait d'ailleurs à rester exacte; car, après l'invasioa
comme avant, la place est sise sur la grande voie de
communication entre les Gaules et la Germanie.
Quant à la finale d'Argentovar, qu'il faille en recher-
cher l'origine dans le varen (p. 144, bach^ la rivière de-
rill?), ou dans la forêt de la Hardt, qui se rencontrait
dans le voisinage; ou recourir à quelque autre étymo-
logie, peu importe; il sera toujours facile de reconnaître
le rapport d'assonnance qu'elle présente avec le début
de Harburg.
Cette dernière assimilation se heurtera, je le sais, à-
des contradictions qui remontent jusqu'au XVi* siècle,.
V nombreuses surtout depuis la campagne entreprise à
ce sujet par le président CosteS).
Lui et ses adhérents basaient leurs attaques contre-
Harbourg sur les distances marquées dans les cartes-
1) CeUiuhe Forschungtnzur Geschtchte Mtttd'Europas, Fri bourg, 1857..
2) Ar^ on le sait, n'est que l'article celtique.
3) Revue cTAlsau^ 1858, 1862.
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ARGENTORAT, ARGENTOVAR 493
romaines, entre leurs diverses stations. Mais ces distances
ont-elles été notées ou copiées avec assez de précision
-pour l'emporter sur toute autre considération? L'itiné-
raire d'Antonin place Bàle à 142 kilomètres de Stras-
l)ourg, et la carte de Peutinger réduit cette somme à
122 kilomètres, même si Ton supplée les six lieues
qu'elle a oubliées entre Cambete et Stabula. Ehl est
«itué ici à 18, là à 30, ailleurs à 12 lieues de Strasbourg.
En vérité, comme le remarque le D' Pfannenschmidt,
auquel sont empruntés ces chiffres «), ils ne possèdent
pas une valeur digne de toute notre confiance, kein
unbedingter Wert. Aussi Coste et ses partisans ont-ils
beaucoup varié dans leurs conclusions, supposant leur
Argento varia d'abord à Ohnenheim, puis à Grussenheim,
revenant de nouveau à Ohnenheim, etc., etc.
Peu de temps après, Horbourg regagna une bonne
partie du terrain que ces attaques lui avaient enlevé. Grâce
aux fouilles si intelligentes et si heureuses à la fois du
pasteur Herrenschneider, on y découvrit non seulement
d'innombrables vestiges du séjour des Romains, mais
aussi et surtout les vastes et imposantes substructions
de leur castel. Horbourg avait évidemment constitué
l'une des plus importantes stations que les conquérants
•de la Gaule aient occupées en Alsace.
Le triomphe de Herrenschneider ne parut pas toute-
fois complet au D' Pfannenschmidt. Peu rassuré par les
<:alculs kilométriques essayés avant lui, notre docte
archiviste suppose en principe que toutes les forteresses
gauloises étaient établies sur le parcours de la plus
importante de nos voies romaines. Les Celtes avaient
occupé dès le principe les positions que. celle-ci devait
relier dans la suite, ou, en d'autres termes, celle-ci ne
se permit jamais de faire ce que font si souvent nos
<:hemins de fer modernes, par amour de la ligne droite
ou pour d'autres considérations, techniques ou non, de
l) Zettsckrifi fur Gachichit des Oberrheins^ N. F., IX, 500.
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ARGENTORAT, ARGENTOVAR 495
sur ce terrain »). Mais on me permettra d'avouer que
le concours prêté ici par les oies de l'ancienne Gaule
ne satisfait que médiocrement ma curiosité. Je ne m'ex-
plique point comment les Germains ont pu trouver leur
Strassburg aux pieds d'une colline des oies dont cette
ville ne conserve aucune trace. Je ne m'explique pas
davantage comment les mêmes Germains ont tiré leur
Harbourg de l'Argentaria latin. Doit-on croire ensuite
que deux localités importantes, ddrnt l'une s'est perpé-
tuée de l'aveu de tous sur le même emplacement, dont
l'autre n'a été déplacée que par une hypothèse pure-
ment conjecturale, n'ont laissé dans le langage populaire
du pays, aucun souvenir de leur signification ou de leur
prononciation primitive ?
Tout autre serait la situation, si — sans contester
aux oies blanches de l'ancienne Gaule, ce nom de gent
qu'elles reçurent de leurs contemporains — vous pré-
férez accepter parmi les sens multiples de ce mot celui
de forteresse. De la sorte tout s'explique sans peine.
Les Germains du v* siècle n'exclueront plus la traduc-
tion du recrutement de leur répertoire géographique.
Le fort de la route, Argentorat, le fort du Har ou de
la Hardt, Argentovar, si bien justifiés en eux-mêmes,
nous conduiront directement au Strassburg et au Harburg
tudesques, reliant le passé de ces places à leurs destinées
ultérieures.
11 n*eût pas été bien difficile d'entourer ces notes
d'un appareil scientifique plus imposant; mais leur but
est moins de prouver, que d'indiquer le point de vue
pratique où se placerait volontiers un étymologiste de
circonstance et sans mission,
A. H.
1) Comme celle de Ristelhuelier, carcan^ rivière, dur^ eau, et rn/,
fort = U forteresse du bord de Peau courante, etc . . .
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UNE ACCUSATION
CONTRE LES JÉSUITES DE STRASBOURG
EN 1705
Le 13 mai 1705, une lettre était adressée de Stras-
bourg au ministre Chamillart, dans laquelle les Jésuites
de Strasbourg étaient accusés de toucher depuis dix-huit
ans une pension de 1600 livres, fondée par Louis XIV,
afin de prêcher des missions en Alsace et de ne pas
s'acquitter de cette fondation. Personne, disait l'auteur
de la dénonciation, n*ose se plaindre, car les Jésuites
soiit trop puissants. Il faut au moins les obliger à faire
un bon usage de cet argent ; c qu'il soit employé aux
pauvres abandonnés, aux Eglises dépouillées, à achepter
des livres pour les nouveaux convertis. On espère cela
de la piété de Sa Majesté » »).
Le ministre chargea La Houssaye, intendant d'Alsace,
de faire une enquête sur les faits qui lui étaient dénoncés.
L'intendant s'adressa directement aux Jésuites de Stras-
bourg pour leur demander de se justifier, et il ne semble
.pas s'être adressé aux évêques de Strasbourg et de Baie
ou à leurs grands-vicaires. Les Jésuites ne se conten-
tèrent pas de fournir à de La Houssaye des explications
verbales; ils exigèrent qu'il consultât leurs registres,
I) Archives de U Guerre, vol. 1S49, p. 145.
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498 REVUE D*ALSACE
recteur de Strasbourg, mais l'abbé la céda à la Société
de JÉSUS contre une rente de 30CX) livres. A cause de
la guerre, les revenus de cette dernière abbaye furent
payés avec beaucoup d'irrégularité.
Le nombre des Jésuites de Strasbourg semble avoir
été assez considérable, à cause du double enseignement
qu'ils donnaient au séminaire épiscopal et à leur collège.
L'intendant La Grange, dans son Mémoire de 1697, dit
qu'ils fournissaient quatre prédicateurs à la cathédrale:
trois prêchaient en allemand et un en français. Il résulte
évidemment du Mémoire justificatif des Jésuites que les-
1600 livres, payées d'ailleurs si peu régulièrement par le
trésor royal, étaient bien insuffisantes pour faire face
aux dépenses d'un nombreux personnel. Malheureuse-
ment, nous ne pouvons indiquer quel était l'appoint
fourni par les abbayes de Seltz et de Sainte-Walburge^
et le Mémoire du P. Dez est muet sur la façon dont
le budget de la maison de Strasbourg s'équilibrait.
Mémoire
sur la lettre qu'on a écrite contre les Jésuites de Strasbourg,,
comme s'ils manquoient depuis dix-huit ans à faire les
Missions que Sa Majesté leur a fondées dans l'Alsace,
Il y a près de dix-huit ans que le Roy a fondé
quatre Missionnaires dans le Collège de Strasbourg, et
Sa Majesté leur fait donner tous les ans seize cens livres
pour cela. On a affecté de faire tomber la plainte qu'on
fait des Jésuites sur le Père Dez ») en la formant pen-
dant son second Rectorat. Il est néanmoins de notoriétp^
publique qu'il y a près de dix-huit mois qu'on n'a rien
reçu de ces i6cK) livres et qu'il n'y en a que sept que
ce Père est Recteur de Strasbourg. Jusques là il ne peut
pas être coupable.
1) Berger-Levr«ult, dans les Annalts du pfofessiurs dis académies
et universités nisaciennes, Nancy, 1892, indique par erreur l'année 1684.
comme la première du rectorat du F. Dez. .il fut recteur de Strast>ourg^
une seconde fois de 1704 à 1708 et mourut en 1712, figé d*enviroi>
70 ans.
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UNE ACCUSATION CONTRE LES JESUITES 499-
Mais comme on accuse les Jésuites d'avoir manqué
depuis dix-huit ans à ces obligations-là, c'est-à-dire qu'on
remonte jusqu'à 1687 pour les rendre coupables et que
le Père Dez a été Recteur de Strasbourg en ce temps-là
depuis 1683 jusqu'à 1691, voilà cinq ans qui roulent
sur son compte. Ce Père ne se serait jamais imaginé
qu'après dix-huit ans il se verrait obligé de rendre
compte des missions que le Roy avoit bien voulu
confier à ses soins, Sa Majesté ayant eu la bonté de
luy faire écrire et même ayant daigné luy dire elle-
même en ce temps-là qu'elle étoit fort contente de ses
services, en particulier sur cet article-là, et des béné-
dictions que Dieu répandoit sur les travaux des Mission-
naires Jésuites de Strasbourg qui ont été suivis d'une
foule de conversions à la Ville et à la Campagne comme
tout le monde le sçait en ce pays-cy. Mais il faut venir
au fait.
Il est constant par les comptes de ce temps-là qui sont
très exacts, i* qu'en l'année 1687, qui est la première
des dix-huit, le Collège ne reçut du Roy pour les
Missions que 800 livres.
Et que le Père Dez employa pour les seules mis-
sions 3.147 liv. 85, à cause des besoins pressants qui
se présentoient alors et qui regardoient la conversion
des hérétiques,
Sçavoir :
i'» en argent déboursé et délivré aux Mis-
sionnaires 1797 ÏÏ 8 s.-
2® pour la nourriture et l'entretien du Mis-
sionnaire controversiste qu'on a tou-
jours retenu dans la Ville 400 ÏÏ —
y pour les habits des Missionnaires tant
d'hy ver que d'été î 50 î? —
4** pour la mission à 60 officiers qui firent
la retraite chez nous 200 ÏÏ —
S'» pour la retraite à 140 Ecclésiastiques,
auxquels on fit la mission 6cK) t( —
Total de la dépense . . . 3147 S^ 8 s..
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-50O REVUED ALSACE
2° qu'en Tannée 1688 on a reçu du Roi pour les
Missions 1600 ff, sçavoir onze* cens au mois d'octobre
et 500 ÏÏ au mois de mars de Tannée suivante.
Le Père Dez dépensa cette année-là même pour
Jes missions,
Sçavoir :
I** en argent déboursé pour les Missionnaires . 2101 ff
2^ pour le Missionnaire controversiste . . . 400 tt
3® pour les habits des Missionnaires .... 1 50 S"
4" pour la mission à 50 officiers qui firent la
retraite 160 ff
Total de la dépense. . . . 2811 î«
En Tannée 1689
-on reçut du Roy pour cinq Missionnaires 2000 ff,
payées au mois d'avril, de juillet, d'octobre et de
décembre.
Le Père Dez dépensa cette année-là pour les Mis-
-sions 2786 ff,
Sçavoir :
I* en argent déboursé pour les Missionnaires . 2236 fi
.'2® pour le Missionnaire controversiste . . . 400 "S
y pour les habits des Missionnaires .... 1 50 ff
Total de la dépense. • . . 2786 If
En 1690
-on reçut du Roi pour les Missions 1600 ff, payées
800 au mois d'aoust et 800 au mois de juin suivant.
Le Père Dez dépensa pour les Missions 2413 ff,
Sçavoir :
!• en argent déboursé pout les Missionnaires . 1863 ff
-2** pour le Missionnaire controversiste . • . 400 ff
,3® pour les habits des Missionnaires. ... 150 ff
Total de la dçp^nse. ,^ . 24J3 U
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UNE ACCUSATION CONTRE LES JESUITES 5OI4
En Tannée 1691,
quand le Père Dez quitta le Rectorat au mois de-
septembre, on n'avoit encore rien reçu du tout pour
les Missions de cette année-là.
Le Père Dez avoit néanmoins dépensé au même
mois de septembre pour les Missions 1967 ÏÏ,
Sçavoir :
i^ en argent déboursé 1417 E
2® pour le Missionnaire controversiste . . . 400 %
3** pour les habits des Missionnaires • . • . 1 50 ff
Total de la dépense. « . . 1967 ff
On voit par là que pendant les cinq années du.
Rectorat du Père Dez où on l'accuse d'avoir manqué
à faire les missions, on n'a reçu pour cela que 6000 K
et que le Père Dez .a dépensé pour les mêmes missions
13.125 U 14 s.
Ce Père n'a donc pas mérité qu'on attendit son retour
à Strasbourg où il n'est que depuis sept mois, pour
faire des plaintes au Collège de Strasbourg au sujet des
missions, puisqu'il y en a dix-huit que le Collège n'a.
rien reçu pour les missions, et il a encore moins mérité
qu'on fist tomber sur luy ces plaintes-là, pour ce qui
regarde les cinq dernières années de son premier
Rectorat.
Au reste on doit remarquer icy que le Missionnaire
controversiste est celuy qui prêche la controverse en
Allemagne et qui a soin des conversions et qu'il est
différent du controversiste scripturaire qui est un des
cinq Régents de Théologie. Le premier n'est fondé ny
dans le Collège, ny dans le Séminaire, mais dans la
seule fondation des Missionnaires. Le second est fondé
dans les revenus de l'abbaye de Valbourg.
On doit encore remarquer que loin qu'on fasse
monter trop haut la dépense ci-dessus exprimée en
danrées, il est évident qu'y ayant eu la plupart du^
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502 REVUE D ALSACE
temps cinq, six et sept Missionnaires au Collège, au
lieu de mettre pour leurs habits d*hyver et d'esté
150 tt, on en pourroit mettre sans exagérer 300 ff,
d'autant plus qu'on les fournissait encore la pluspart
du temps de matelats, de draps, de couvertes et de
beaucoup d'autres choses.
De plus la maladie du Père Osbourg, missionnaire,
qui fut longue dans les premières années, coûta au
Collège plus de 600 ÏÏ, qui ne se mirent pas sur la
dépense des missions, mais sur celle du Collège en
général.
On n'y a pas non plus renfermé la dépense de tous
ces Missionnaires-là, quand ils venoient prendre du repos
à Strasbourg, où ils demeuroient 8 jours, 15 jours, un
mois, six mois quelquefois, lorsque Messieurs les Grands-
Vicaires les arrestoient pour les accompagner dans leurs
visites; cela alloit à plus de 150 ff par an.
Les deux retraites des officiers pendant plusieurs
jours qu'on a mis à 350 S*, en a coûté au Collège plus
de 500 ÏÏ.
La retraite de 140 Ecclésiastiques pendant six ou
sept jours \qu'on note à 600 ÏÏ, en a coûté plus de
800 ÏÏ.
Combien de chapelets, de médailles, de livrets de
missions, d'images et d'autres choses pareilles qui coûtent
de l'argent, n'a-t-il pas fallu acheter pour les Missionnaires
pendant ces cinq années-là.
On doit ajouter qu'avant même que le Roi eust
fondé des Missionnaires, le Père Dez, comme il est
évident par les comptes, avait fait faire des missions
pour plus de six cens livres.
Toutes ces sommes jointes ensemble, monteroient
encore à plus de 3000 ÏÏ, qui font tout ce que Ton
doit donner en cinq ans aux deux missionnaires de
Valbourg.
Ainsi tout l'excédant de la somme de 13.125 ÏÏ 14 s.
sur celle de 6000 ïï a été à la charge du Collège et
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UNE ACCUSATION CONTRE LES JÉSUITES 503
-une espèce d^avance qu'on se voit obligé de faire à
•cause des besoins pressants où Ton se trouvoit pour
les conversions. Cet excédant ou cette avance se monte
à 7125 ÏÏ 14 s.
Voilà ce qui regarde la pleine et entière justification
<lu Père Dez, qu'il semble cependant qu'on ait' en vue
particulièrement, puisqu'on fait tomber sur lui la haine
des plaintes et de l'accusation.
Ses successeurs ont été le P. Daubenton '), lé
P. Verri 2) et le P. Robinet 3). Ils sont tous trois, grâces
k Dieu, pleins de vie et tout prêts à se justifier, si on
l'ordonne. On peut en juger par ce qu'on en va dire
en général.
1*^ Ils ont droit en toute rigueur de mettre en
compte les avances que le Père Dez a faites sur les
revenus du Collège pour les missions. Cela monte à
7125 ÏÏ 12 s.
2<* Ils ont toujours eu à Strasbourg, comme le Père
Dez, le missionnaire controversiste. Sa dépense à 400 ÏÏ
par an en 13 ans va à 5200 ÏÏ.
3** Ils ont fait au moins deux missions à près de
cent ecclésiastiques pendant leur retraite au Séminaire.
Outre le peu qu'ils ont reçu pour cela, ils y ont mis
du leur plus de 6(X) ÏÏ.
4° On a continué les missions stables pendant quel-
ques années, comme du temps du Père Dez, et on
a bien dépensé pour cela en argent comptant 45CX) ÏÏ.
5** On a fait vingt-sept missions volantes dans plu-
sieurs villes et villages de l'Alsace, les Missionnaires
travaillant tous ensemble et retournant après leurs Mis-
sions au Collège de Strasbourg, où ils continuoient de
travailler au salut des âmes et où ils étaient nourris et
i) GuilUome Daubenton fut deux fois recteur, de 1691 à 1694, et
de 1698 à 1701.
2) Pierre Verry, recteur de 1695 ^ 1698,
3) Robinet (de Cléry), recteur de 1701 à fin 1704., remplacé par
Àe P. Dez.
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UNE ACCUSATION CONTRE LES JÉSUITES 505
pour y mettre- Du temps du Père Dez, comme il y
avoit une grande disette de curés, toutes les missions
étoient stables, et il y a des Jésuites missionnaires qui
ont été trois et quatre ans de suite dans les Cures dont
ils avoient soin. On leur donnoit leur pension en argent,
afin qu'ils ne fussent à charge à personne, et on voioit
sans peine de cette sorte ce qu'ils dépensoient tout étant
spécifié distinctement dans les comptes.
On appelle Aîissions volantes celles que font tous
les Missionnaires ensemble, trois semaines ou un mois
dans un lieu, autant dans un autre lieu, tantost dans
des Villes, tantost dans des Villages; après quoy ils
retournent au Collège où ils vivent et travaillent avec
les autres. On dispute laquelle de ces deux sortes de
Missions est la meilleure, et il y a des raisons de part
et d'autre.
6** On a recommencé des missions stables depuis
trois ans. Les trois Missionnaires Jésuites ayant été
envoyés dans la Haute-AUace aux deux Prieurés de
Saint-Morand et d'Qilenberg, que le Roy a eu la bonté
de faire donner aux Jésuites de Strasbourg par confis-
cation pour les dédommager de la perte des abbayes
de Selss et de Valbourg que les ennemis occupent.
Outre ces trois Missionnaires il y en a un quatrième
qui dessert une cure. On a été nécessité d'en user de
la sorte, les Jésuites allemands sujets de l'Empereur
s'étant retirés. Au lieu d'amodier à des séculiers, comme
on auroit pu le faire, ces deux prieurés-là, on a cru
qu'il valoit mieux y envoyer nos Missionnaires, qui
font de très grands biens dans ces quartiers-là. Au reste
ils dépensent là plus de deux fois la pension du Roy,
faisant venir à leurs frais des Ecclésiastiques et des
Religieux pour les aider dans leurs fonctions spiri-
tuelles.
Ce qui n'a pas empêché qu'on ait encore fait l'an
passé une mission volante à Landau, de quatre Jésuites.
A la paix que nous espérons avoir bientost, ces trois
Missionnaires reviendront à Strasbourg. Leur dépense
RevM d'AUace, 1007 SS
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506 REVtTE D'aLSACB
depuis deux ans et demi, va selon la pensioa du Roy
de 400 a pour chacun par an à 3000 tt, le Bilission-
naire controversiste qui est le quatrième demeurant
toujours à Strasbourg comme il a été dit
Sur ce pied'là la recette de la pension des Mission-
naires du Roy a été depuis 18 ans de 25.200 ff, les
années de 1704 et de 1705 n'étant pas payées, et la
dépense totale a été de 36.025 ».
Partant plus dépensé 10.825 «.
On est persuadé que si les trois Recteurs successeurs
du Père Dez étoient ici, comme ils connaissent mieux
ce qui s'est passé de leur temps, cette même dépense
monteroit encore plus haut.
Il y a eu des cures desservies aux environs de
Strasbourg dont on n'a pas parlé.
M. le grand-vicaire sçait que le Père Dez encore
tout récemment a fait une aumône de deux cens livres
au curé de Roderen, pour l'arrester là, sans parier de
sa compétance de 400 ff, qu'il luy fait avancer quoyque
ce soit du Roy qu'il doive la recevoir et que cela ne
regarde pas le Collège.
Au reste c'est le Père Dez lui-même qui a examiné
les comptes des cinq années de son premier Rectorat
depuis 1087 jusqu'à 1691, et c'est le Père Dauburtin,
Procureur du Collège, qui a examiné les comptes des
treize années suivantes depuis 1692 jusqu'à 1705, ayant
été Procureur de cette maison pendant tout ce temps-là.
Quand aux deux Missionnaires fondés sur Sainte-
Valbourg à cent écus chacun par an aux deux Régents
de Théologie et six séminaristes françois, tout Stras-
bourg et toute la Basse-Alsace sçait qu'il y a cinq ou
six ans qu'on fist connoitre aux Jésuites que plus de
la moitié des revenus qui composoient la fondation de
ces dix personnes, n'appartenoit point à l'abbaye de
Valbourg comme on le croioit, lorsque la fondation fut
faite, et on sçait aussi que les Jésuites rendirent aussi-
tost de bonne foy à Monseigneur l'électeur de Trêves,
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UNE ACCUSATION CONTRE LES lésUITES 507
comme prevost de Wissembourg, cette moitié des reve-
nus de leur fondation.
Les Jésuites sembloient avoir droit de demander
diminution de la moitié des charges : ils ont néanmoins
continué à entretenir les deux Régents de Théologie
et les six Séminaristes françois, c'est-à-dire huit personnes
de dix qui étaient fondées sur ces revenus dont ils ont
rendu la moitié. On ne pense pas qu'on doive les
inquiéter d'avoir cru n'être point obligé depuis ce
temps-là entretenir encore les deux missionnaires.
Pendant les cinq années du Père Dez il y a eu dans
la Basse-Alsace plutost trois et quatre Missionnaires que
deux, sans parler de ceux du Roy fondés sur les
i6(X) ÏÏ.
On voit enfin par l'excédant de la dépense totale
pour les Missions sur la recette totale depuis i8 ans,
qu'en prenant mille ou douze cens écus pour les dits
Missionnaires de Valbourg pendant les cinq ou six autres
années des successeurs du Père Dez, il ne laissera pas
de rester encore sept ou huit mille livres de plus dépensé
que reçu pour les missions.
Fait à i^trasbourg ce 7^ de Juin 1705,
Jean Dez,
Recteur du Collège des Jésuites de Strasbourg.
Jean d'AuBURTiN,
Procureur du Collège des Jésuites de Strasbourg.
En transmettant à Chamillart ce Mémoire justificatif,
l'intendant La Houssaye annonce qu'il est conforme
aux résultats donnés par les vérifications faites sur les
registres des Jésuites. A son avis, l'auteur de la lettre
de dénonciation c ne peut estre regardé que comme
un méchant esprit, ou un étourdy, emporté, ou par
une malice grossière, ou par un faux zèle sans avoir
suffisamment approfondy ce qu'il a voulu dénoncer >«
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5o8 REVUE d'alsace
Après avoir défendu les Jésuites en termes si vigoureux^
La Houssaye ajoute en parlant de leurs missions : cLe
trouble des derniers temps a empesché le cours de ces
Missions avec tout Téclat qu'elles avoient auparavant.
Mais outre que les Jésuites sont en avance par rapport
à l'argent qu'ils ont touché, ils attendent avec impatience
des conjonctures plus favorables . . . Cependant leurs
Missionnaires travaillent utilement dans des Paroisses
où ils sont employez en Haute-Alsace à ce qu'on appelle
Missions stables à la différence des Missions dites volantes
de cantons en cantons que Monsieur l'Evesque de Basle
refusait d'admettre dans son Diocèse qui s'étend jusques
à Colmar ».
Le ministre adopta les conclusions de l'intendant
d'Alsace et les Jésuites de Strasbourg purent en toute
tranquillité continuer leurs prédications et leur enseigne-
ment jusqu'à la suppression de leur ordre en France
par arrêt du Parlement de Paris du 6 août 1762.
Jules Schwartz.
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LES PROVINCES PERDUES''
Au moment où je ferme le deuxième et dernier
volume de M. Ardouin-Dumazet sur l'Alsace, ma pensée
s'élève vers l'auteur, au plus haut sommet de ces Vosges
qu'il a décrit avec tant de charme. Elle le voit cram-
ponné aux barreaux de la grille entourant le massif
qui supporte la table d'orientation du Ballon et, en
dépit de la tempête d'air, dont le souffle le transperce
-et le glace, promenant son regard émerveillé sur l'im-
mense tableau qui se développe à ses pieds. La bour-
rasque passe sur lui, t avec des hurlements et des
sanglots, âmes des géomètres qui ont trompé les clients
sur la réelle étendue de leurs terres », à en croire la
légende. Et ma pensée lui est reconnaissante pour le
plaisir que me cause la lecture de son ouvrage, à telles
enseignes qu'elle souhaiterait qu'un coup de baguette
magique transportât — devant la table que l'on est en
besogne de dresser pour lui, à cette heure, dans le
chalet hospitalier de la montagne, — la fontaine de
Wangen, dont, à certain anniversaire, on détourne l'onde
pour la remplacer par des flots de vin, coutume établie
pour commémorer le gain d'un ancien procès.
i) VoVAGB EN Fban'CB. La provinces perdues, I. Haute- Aliace.
lU Basse-Alsace. Paris-Nancy, Berger- l.ev raidit et Cie, éditeors. a vol.
in* 12 de 440 et 484 pages. Prix du volume : 3 fr. 50. (En vente dans
toutea (es librairies d'Alaace). — A Pinstant nous arrive le troisième
-volume (in- 12 de 473 pages}, consacré à la Lorraine annexée.
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5 lO REVUE d'aLSACK
La plupart des livres consacrés à l'Alsace depuis
1870 étaient des études psychologiques. Pour répondre
au besoin de connaître l'état des esprits en pays annexés,
les écrivains ont plutôt employé la fornie du roman ou
du pamphlet. Aussi, de leur œuvre, il ne se détache pas
un tableau complet de l' Alsace-Lorraine, de sa physio-
nomie générale, de son existence matérielle. M. Ardouin
Dumazet comble cette lacune de nos connaissances.
L'auteur du Voyage en France a pensé que son œuvre
ne serait pas achevée si elle ne s'étendait aux provinces
perdues. En suivant le même plan que dans ses quarante-
sept premiers volumes il pouvait, pensait-il, faire con-
naître et aimer davantage notre sol, sans chercher à
faire œuvre de polémique et de passion. 11 n'a rien
voulu laisser dans l'ombre : c'est TAlsace toute entière
qu'il nous présente. Comme les autres séries de son
entreprise, ces deux volumes ne sont pas des œuvres
de géographie, au sens scientifique du mot, encore
moins des manuels de touriste. Ce sont des livres qui
se lisent avec l'intérêt captivant d'un roman; la préci-
sion des tableaux, la richesse de la documentation, les
études de science sociale perdent, grâce à la clarté du
style, tout ce qu'elles pourraient avoir de rébarbatif.
A une époque où les géographes, les économistes, les
sociologies affectent de donner une plus haute idée de
leur savoir en créant un langage spécial et quelque
peu mystérieux pour le grand public, l'auteur a. su
aborder bien des sujets d'aspect sévère en conservant
à son œuvre un caractère littéraire et vivant.
Le voyageur aurait pu pénétrer sur nos terres par
quelque col célèbre pomme la Schlucht ou Bussang,
qui prêtent si bien à la description pittoresque. Il a
préféré présenter d'abord les paysages calmes et doux
de la trouée de Belfort, dont les placides campagnes
séduisent le passant entramé vers Mulhouse et Bâle.
En remontant la vallée de la Largue, molle comme un
pli de Touraine, il parvient dans le Jura alsacien, r^ion
aimable et peu fréquentée encore, riche en beaux
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LES PROVINCES PERDUES 511
tableaux et en ruines superbes. La course se poursuit
jusqu'à Bàle où l'auteur, rencontrant le Rhin, nous fait
un moment descendre le grand fleuve et assister aux
beaux travaux de correction qui ont transformé le torrent
indompté en un large chenal où, bientôt, les grands
vapeurs monteront vers la Suisse.
Plusieurs chapitres sont consacrés à Mulhouse, la
grande cité manufacturière, à laquelle se rattache toute
une vaste région vosgienne où l'abondance des eaux,
la rapidité de leur chute ont fait naître tant de satellites
mulhousiens. Ici, le paysage prend la part prépondérante
sous la plume du voyageur. La vie économique n'est
pas négligée; mais on nous la montre dans son décor
de monts, de lacs, de forêts, de prairies verdoyantes,
de chaumes rases. Des environs d'Altkirch, au sommet
des Vosges, toute une suite de pages captivent : vallées
de la Thur et de la Doller, sommets du Ballon, pentes
opulentes du vignoble bordant la plaine. C'est une succes-
sion de tableaux d'une vie intense et d'une vérité que
tous les Alsaciens reconnaîtront. Ce sont ensuite Colmar,
le pauvre Neuf-Brisach, en létargie entre les murailles
de Vauban ; Turckheim et les souvenirs de Vauban ;
l'Alsace romane du val d'Orbey ; le vignoble de Ribeau-
villé, et, enfin, l'active vallée à laquelle Sainte-Marie-
aux-Mines donne la vie.
La Basse-Alsace offre peut-être des aspects plus
variés encore. Si la grande montagne a tait place à
des sommets secondaires, il y a là tant de vallées riantes,
la plaine a une richesse si exubérante, le Rhin prend
si bien le caractère de grand fleuve, les basses Vosges
ont de si curieux paysages que les larges tableaux s'y
pressent.
Ce second volume s'ouvre par une ascension au
Haut-Kœnigsbourg, la forteresse géante dressée sur un
promontoire au-dessus de la plaine et qui commande
des hofizons' infinis. A travers les campagnes opulentes
du Ried, l'auteur nous amène à Strasbourg, qu'il a décrit
avec cette affection que la noble ville inspire à tous
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512 REVUE D ALSACE
ceux qui la visitent, Strasbourg, dont le souvenir se
résume et se précise, pour ainsi dire, dans un mot:
la cathédrale.
€ Il est d'autres grandes cathédrales que celle de
Strasbourg, il n'en est de plus belles, offrant davantage
d'unité, une perfection plus absolue dans l'art du sculp-
teur. Chartres, Amiens, Reims sont des œuvres plus
parfaites, mais aucune n'a été louée, exaltée comme
le puissant Munster des bords de TIll; les artistes et
les archéologues connaissent les grandes églises fran-
çaises, la majorité du public les ignore, mais partout
on exalte celle de Strasbourg. C'est un des édifices
qu'il faut avoir vus, pour lesquels on se dérange de sa
route, véritable pèlerinage sans cesse fréquenté.
• Je crois qu'il faut l'attribuer au prestige du nom
du Rhin, à ce patriotisme local de l'Alsace qui a fait
du superbe édifice le monument national de la petite
patrie; puis à l'effet vraiment sublime de cette flèche
élancée, au-dessus d'une façade elle-même colossale que
l'on aperçoit de bien des lieues avant de parvenir à la
ville. Pour le voyageur arrivant par la plaine ou par la
montagne, la cathédrale de Strasbourg prend l'aspect
fantastique d'un temple de rêve, elle se détache sur le
ciel comme un décor d'apothéose. Le cadre lointain,
les Vosges, la Forêt-Noire, la plaine immense et superbe,
tout concourt à donner une impression inoubliable. J'ai
vu la cathédrale de Reims depuis les plaines lointaines
ou du bord de la € montagne >, j'ai eu la sainte obses-
sion de la cathédrale de Chartres pendant mes longues
courses en France, et elles ne m'ont pas imposé une
telle sensation.
< Le défaut de Notre-Dame de Strasbourg (car tel
est le vocable de l'église, ignoré de bien des Strasbour-
geois), l'étroitesse de sa façade comparée à la hauteur,
contribue à accroître le sentiment d'écrasante grandeur
éprouvé en arrivant en face du chef-d'œuvre d'Erwin
de Steinbach. On peut regretter que Tédifice n'ait pas
été terminé et, pourtant, on le préfère ainsi, avec son
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LES PROVINCES PERDUES 513
unique flèche. Si la seconde avait été construite, la
•cathédrale eût ressemblé à tant d'autres, elle n'aurait
pas une personnalité aussi nette . . . >.
De Strasbourg, dont il nous dit les ambitions, l'es-
poir, en partie réalisé, de devenir un grand port intérieur,
grâce à l'amélioration du Rhin, M. Ardouin-Dumazet
nous fait pénétrer dans les vallées vosgiennes; nous
faisons avec lui la classique ascension du Donon, nous
parcourons le Ban-de-la-Roche, sur lequel plane le sou-
venir d'Oberlin, le Champ-du-Feu, où la rencontre d'une
schlite fournit matière à d'intéressantes pages. Puis, ce
sont le gracieux val de Ville ; Barr et son vignoble ; la
montagne vénérée de Sainte-Odile qui, dans son cercle
de ruines, manoirs et couvents, incarne l'Alsace, et les
-vieilles cités qui en bordent le pied ; enfin le Kochers-
berg, où les anciennes coutumes se sont pieusement
maintenues.
Notre guide nous conduit un instant au-delà du
Rhin, dans le domaine exigu de Sassbach, que la France
rs'est réservée pour honorer Turenne qui y tomba; de
là, revenant en Alsace par les houblonnières et la vaste
forêt de Haguenau, où sourdent des fontaines de pétrole,
il accomplit le pèlerinage douloureux des Champs de
bataille d'août 1870, de Wissembourg à Frœschwiller.
Je montrai au début de ces lignes, l'auteur juché au
plus haut sommet des Vosges, dans le ravissement du
spectacle qui s'étalait sous ses yeux. Il est une autre
vision, tragique celle-là, qui me poursuit et m'obsède,
depuis que je suis arrivé au terme de mon intéressante
lecture : c'est l'apparition soudaine et fantastique du
^colonel de cuirassiers de Lacarre. Son cadavre décapité
par un obus passe dans un galop infernal, à travers les
plaines de Frœschwiller, la main crispée tenant encore
son sabre : symbole terrifiant et prophétique de la patrie
•qui allait être mutilée !
A. d'Ochsenfeld.
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LES TRIBULATIONS D*UN SOLLICITEUR 5 I 5.
rhonneur de m'inviter au partage? et depuis m'a-t-elle
donné, dans le plus fort des persécutions inouïes que-
j'ai essuyées, la moindre marque d'intérêt? Si elle me
traite en étranger, dois-je espérer qu'elle aurait plus
d'entrailles pour le pauvre enfant qui me reste ? > II
ne peut rien arracher de M. Payen. Il lui demande
d*envoyer les échantillons à Londres au négociant indiqué
qui pourra en cas lui rendre d'autres services; €je lui
ai même offert ainsi qu'à vous de payer ces .essayes
de vin, ainsi que tous les frais de port >, et pas de
réponse, c Dites une bonne foi oui q\x non. Je vais faire
un mémoire des faits relatés dans votre lettre par votre
chapitre et le remettre à un avocat aux conseils de-
ses amis».
XX. Le conseiller à son frère le chanoine,
Versailles, 27 mai 1784. Depuis plus d'un mois il
attend ce que le chanoine a promis par lettre du 21 avriL
Faute de ressources, il lui faudrait abandonner toutes
ses espérances qui reposent sur un Bon signé du Roi
en 1780 portant : c i« sur le prix d'une charge au Grand
Conseil; 2" sur la continuation de mon ancien traite-
ment; 3** sur une indemnité. Mon sort actuel est pure-
ment précaire, puisqu'il ne consiste qu'en 4000 livres
de pension pour tout potage, sur quoi il faut entretenir
ma femme et mon fils ; vous voyez donc combien il
importe que je ne néglige pas l'occasion; carjeserois
bientôt entièrement oublié dans un pays qui est la
patrie de l'ingratitude et le siège de la folie et de
l'extravagance». Plainte contre son frère le curé qui
n'a pas vendu au juif ses prétentions à Hegenheim ;:
il offre au chanoine la dîme de Sausheim, car il lui
f iut des moyens ; « vous n'avez point d'idée de la«
méfiance qui règne ici entre tous ceux qui composent
le ministère, ni par conséquent des pièges dont sont
environnés ceux qui ne scavent pas se conduire avec
assés de circonspection pour ménager tout le monde:
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5l6 REVUE D* ALSACE
-et n*offenser personne >. Il a évité les pièges, mais il
faut aller jusqu'au bout. II ira la semaine prochaine à
Paris < pour voir si Tavocat a rédigé le mémoire touchant
la décoration que vous désirez . pour votre chapitre.
On attend ici le roi de Suède et on prépare des fêtes;
il vaudrait je crois mieux payer les dettes et s'acquitter
de ses promesses >. M. Payen lui a écrit.
XXI. I^ conseiller à son frère le chanoine,
Versailles, 20 juin 1784. < Vous n'avez pas répondu
à mes deux dernières lettres; si vous êtes malade, dites
à ma sœur de m'ccrire, et je n'attribue ce silence qu'aux
courses que vous faites pour me procurer les fonds que
je vous ai demandés et me sont si nécessaires pour les
sollicitations qui doivent me conduire à un sort plus
heureux. Je croirais vous faire injure en vous pensant
indifférent à ma destinée et à celle du pauvre enfant
-qui me reste, seul rejetton d'une famille honorable,
mais malheureuse >. Il a 4000 livres de pension dont
2000 sur les Affaires Etrangères, accordées lors de son
retour d'Angleterre. «Ce don prouve qu'on a été content
de mes services. Puis-je donc abandonner le Bon signé
du Roi? Cela doit se faire dans le département de la
finance. Le comte de Vergenne m'a promis son appui
au Conseil, mais je l'indisposerai par trop d'empresse-
ment : il faut ronger son mors. C'est pour me soutenir
jusque-là que je vous ai mandé, ainsi qu'à notre frère,
de recouvrer tout ce qu'il serait possible à Hegenheim,
ou à défaut de vendre la portion de bien qui produi-
rait le plus promptement de l'argent. Je pense que
vous en êtes occupés les deux». La circonstance où il
-se trouve est telle qu'il donnerait pour 1/2 ce qui lui
revient pour n'être pas obligé de brusquer et de tout
gâter. Il permet au chanoine de se rembourser sur ses
biens de tout l'argent qu'il lui avancera. L'avocat, pour
une marque de décoration^ désireroit une note chrono-
-ogique des titres et documents justificatifs des faits
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LES TRIBULATIONS D CN SOLLICITEUR 517
contenus dans votre lettre. < Le roi de Suède est ici
depuis une quinzaine de jours; on lui donne beaucoup
de fêtes; avant-hier j*ai assisté avec mon fils à un bal
paré que le Roi lui a donné dans la grande salle de
l'opéra du château qui était magnifiquement décorée
et illuminée : il y avait 1800 bougies; la reine était
couverte de diamants, elle en avait sur elle pour la
valeur, dit-on, de 1 1 millions 500 mille livres. Demain
elle donne au roi de Suède une fête dans son château
de Trianon, et mercredi prochain on lancera en leur
présence dans In grande cour du château un ballon
aérostatique, dans lequel plusieurs personnes se pro-
posent de monter. Quelle extravagance ! Suivant tout
ce que je vois, il se négocie une alliance entre la France,
là Suède et la Prusse; il loge dans mon hôtel un ancien
ministre prussien qui n*est pas ici pour des prunes. On
veut balancer l'alliance contractée par les deux Cours
impériales >.
XXII. Le conseiller a son frère le chanoine.
Versailles, 22 février 1 784. «Je ne sais plus que penser
de mon frère le curé, d'après votre lettre je croyais
que ses affaires étaient dérangées, que la succession
de mon fils courrait risque d'être absorbée. Aujourd'hui
il me mande que sauf la conduite scandaleuse de ses
servantes qu'il a mises à la porte, tout le reste est faux,
qu'il n'a pas de dettes et qu'il n'a emprunté que les
100 écus qu'il m'a envoyés il y a deux mois. Cepen-
dant sa lettre n'est pas du tout le compte que je lui
demandais, aussi j'ai recours à vous avant d'agir plus
loin avec rigueur. Demandez-lui compte détaillé de ce
qu'il a reçu des biens de feue ma première femme, de
ceux de M"* Ammann et de ceux de ma sœur, la
dépense faite pour feu mon fils. Faites-moi payer à
Paris l'argent rentré depuis que les assignations ont été
données à Hegenheim par le curé. M. Payen ne me
répond pas à deux lettres ; il n'observe pas les -
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5i8 REVUE d'alsace
décences >. Il offre de payer tous les frais et la valeur
<les échantillons et demande prompte réponse.
XXllI. Le conseiller à son frère le chanoine,
Versailles, 27 juin 1784. cje viens de donner requête
en forme au Roi en son Conseil, pour réclamer l'exé-
cution du Bon de 1780, et je demande que si Tun ou
l'autre objet souffrait difficulté le Roi accorde une grâce
ecclésiastique à mon frère, doyen du chapitre de Lauten-
bach, en compensation. Il est donc essentiel de me
procurer les moyens de suivre cette affaire avec assi-
•<iuité. Mon frère n'a-t-il donc pas fait consigner les
débiteurs de Hegenheim? Grand Dieu, quel frère!»
Cela aurait pu se faire sur simple arrêt pris à Colmar
en mon nom et rendu sans difficulté. On aurait choisi
les vacations ou le pr. président rend ces arrêts seul sur le
rapport d'un conseiller, etc. Il est très embarrassé et il
n'hésite plus à donner à un juif dont il a été déjà
question, mes prétentions à Hegenheim pour moitié,
€ Prévenez mon frère; il ne s'agit pas de savoir si mon
fils arriverait à retrouver cela ; notre subsistance actuelle
l'emporte sans contredit sur nos désirs futurs > ; le besoin
-actuel marche avant tout. Ce maudit bien de Hegen-
heim, depuis dix mois que les assignations sont données,
ne laisse d'autre alternative, ou de faire payer avec un
procès, ou de transiger avec un juif, h moitié perte (sic),
€ Je ne puis hésiter, car le but principal est la récompense
.que le Roi m'a promises. Il y va de l'intérêt de son fils.
< Procurez-moi de l'argent par vous, votre chapitre; le
moyen ou le crédit de votre receveur, . . . c'est à lui par
exemple qu'il faudrait proposer l'acquisition des mes
prétentions à Hegenheim moiennant »/4 ou 1/3 de béné-
fice; comme c*est un homme d'affaires, il trouverait bien
le moien de faire rentrer des deniers dûs aussi légitime-
ment. Je consens à conserver la dîme de Sausheim
dans la famille et vous l'abandonne à 1/3 au-dessous de
rson estimation ; vous pouvez donc vous intéresser à
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LES TRIBULATIONS D UN SOLLICITEUR 519
mes affaires. Je fais des démarches pour obtenir du
^ministre de la marine le certificat sur la mort de mon
fils aîné... Mercredi dernier on a tiré ici dans une des
cours du château en présence de la cour un ballon
-aérostatique; il faisait du vent et un peu de pluye ;
le feu a manqué d'y prendre et les voyageurs ont
manqué d'être rôtis. Et avant-hier, le comte de la
Marck a repris une ancienne querelle qu'il avait avec le
premier gentilhomme du roi de Suède; ils se sont battus
au bois de Boulogne; le Suédois a reçu un coup d'épée
dans la bouche et est mort sur place; le comte de la
Marck est d? son côté blessé mortellement; il avait
pour témoin le marquis de Noailles ; cette affaire fait
beaucoup de bruit; le roi de Suède en est si affecté
qu'il précipite son départ. Ne perdez pas un instant,
secondez mes intentions».
XXIV. Le conseiller à son frère le chanoine.
Versailles, 29 février 1784. «Votre lettre du 18 et
une du curé qui n'a pas de dettes me prouvent qu'il
y a de sa part négligence et obstination. J'aime mieux
faire des sacrifices que de scandaliser la province en
le forçant par arrêt à rendre le compte que je réclame.
C'est à moi seul qu'il appartient de régler l'emploi de
•<:es fonds. Parmi les biens de ma sœur dont mon fils
était héritier testamentaire, se trouve une dîme de Saus-
heim, évaluée à 3000 livres; ne pouvant surveiller ce
bien sans des frais immenses, je veux le vendre et vous
4'offre. Si vous ne le voulez pas, j'espère que vous ferez
effort pour me trouver un acquéreur, et vous enverrai
procuration. Prompte réponse. Dites à ma sœur que je
ne veux pas par cette vente révoquer les bonnes dis-
positions que j'aie pour elle ; j'espère le faire par d'autres
moyens si le Ciel seconde mes intentions. Faites donc
vite. J'aurai vers Pâques une commission importante à
^•emplir qui sera pour mon sort de grande conséquence ;
-c'est donc important que cette vente me mette à même
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520 REVUE D ALSACE
de pouvoir la remplir avec plus de liberté d'esprit et
plus honorablement. J'espère également une grâce pour
vous de la Cour» Vous me mandez que M. de Cicaty
a passé chez vous partie de son semestre; demandez-
lui s'il pourrait placer mon fils dans son régiment,,
serait-ce comme officier surnuméraire. Il est temps de
songer à un état. Il a plus d'aptitude pour les exercices-
du corps que pour ceux de l'esprit; d'après cela l'état
militaire lui conviendrait le mieux. Il est ici dans une
académie où il fait plus de progrès que partout ailleurs^
Il ne s'agit que d'avoir une ouverture dans le corps
où son frère a servi. L'agrément du ministre ne man-
quera pas; il m'en donne une preuve en me faisant
payer les appointements de feu mon fils depuis son
congé à celui de son remplacement sans même l'avis
du colonel selon l'usage général >.
XXV. Le conseiller à son frère le chanoine,
Versailles, 28 juillet 1784. «La fermeté de mon âme,
à laquelle vous m'engagez, est insuffisante sans les^
moyens physiques. Le goût du moment est une éco-
nomie qui tient de la lésine; il serait inutile et même
dangereux de vouloir brusquer. Il faut coûte que coûte-
les moyens d'attendre. Envoyez-moi tout ce que vous
pourrez et récupérez-vous sur ce qui m'est dû là-haut*.
J'ai fait quelques dettes auprès de mon hôte et du
maître de mon fils, ...si donc le sort de cet enfant et
ma tranquillité vous sont chers, agissez promptement».
Vous avez bien fait de proposer à votre receveur un
quart de bénéfice, pourvu qu'il soit prompt. Envoyez
au moins un à compte. Comment mon frère peut-il
dire que mes débiteurs ne veulent pas payer } N'y a-t-il
pas la justice? Je serai dans la joie de mon cœur^
toutes mes affaires étant finies ici de chercher un asile
auprès de vous, mon cher frère, après tant d*orages
dont ma pauvre vie a été assaillie. Cet intervalle entre
elle et la mort me fera tout oublier >. Vite donc. * J'ak
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LES TRIBULATIONS d'UN SOLLITEUR 52 1
eu avis que les échantillons de vin étaient arrivés à
Rotterdam et j'attends l'avis qu'ils sont arrivés à Londres».
XXVI. Le conseiller a son frère le chanoine.
Versailles, 4 août 1784. «Pardon de revenir à la
charge. Un ministre étranger réclame mon entremise
dans une affaire importante; précieuse récompense à
espérer, mais courses et dépenses actuelles. J^ai déjà
manqué une Commission à Pâques, qui eût pu être
pour moi d'une grande valeur, faute de moyens pour
un certain voyage peu long. Vous savez que je ne
demande de secours que si cela m'est nécessaire. J^ai
abandonné à ma sœur les revenus des biens de mon
fils tant que j'ai pu m'en passer : si elle ne les a pas
touchés, ce n'est pas ma faute. Aujourd'hui j'ai besoin
pour améliorer le sort de mon fils, et j'espère plus tard
dédommager ma sœur. Envoyez de suite un à-compte
sans tarder, sur l'heure ».
P, S. «La reine se dit de nouveau enceinte».
XX VIL Le conseiller a son frère le chanoine. ,
Versailles, 8 août 1784. «Nouveau motif de vous
presser. Un ministre que vous verrez bientôt prendre
la plus grande influence dans les affaires, m'a amicale-
ment prévenu de ne pas trop presser d'autres personnes
dont les intérêts baissent et de cultiver sans trop le
faire remarquer M. de Sartines, qui est comme vous
savez mon ancien ami. Il faut donc que je ne brusque
rien. Je me saigne par toutes les veines pour contiftJier
ici ma subsistance d'une manière honorable. Aller et
venir chez M. de Sartines qui passe l'été à dix lieues
d'ici est un surcroit de dépenses. Au moins un à-compte!
Je n'ai rien à toucher sur mes pensions jusqu'en octobre.
Si vous m'aimez et mon fils, aidez-moi!»
Rtvut d'Alsace, 1907 34
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RF.VUE D ALSACE
VIII. Le conseiller à son frère le chanoine,
ailles, i8 août 1784. € Voici la procuration deman-
• vous le 10. J'espérais un à-compte». Besoin
t < par le manque de conduite d'attention et de
Je son frère le Curé. Je compte donc sur un
e mes créances de Hegenheim, au reçu de la
3 et vous conviendrez avec Ingold de payer le
î deux en deux mois. Ingold me rendrait ser-
envoyant. de suite la moitié. Mon fils coûte
pension, il vous supplie comme moi. Dépêchez-
i vous ne voulez que je perde la tête; car enfin
st pas de fer et commence à être bien affectée,
touché des traverses qu*a votre corps ; mais vous
icore des juges ... Si cela arrive dans un corps
stique, jugez quelle fureur, l'envie, cette passion
e, a déployé contre moi dans le temps dans un
omposé de gens de sac et de cordes! Je suis
d'apprendre en même temps qu'on est plus
ivers vous qu'on ne Ta été envers moi. Vous
m'envoyer les fonds par la poste aux lettres
au de Rouffach contre mandat imprimé que vous
rez à Paris, le port est un sol par livre, c'est
u bien vous prendrez une lettre de change sur
s bourgeois ou trésorier de Paris; allez voir à
On dit qu'un bureau de correspondance a un
Colmar. Le plus court serait la poste. Ne perdez
instant ».
CIX. Le conseiller à son frère le chanoine,
►ailles, 27 septembre 1784. c Votre secours est
:emps; j'ai été indisposé trois semaines. La Cour
e depuis six semaines est revenue à demeure,
grossesse de la reine continuant il n'y aura plus
voyage cette. année, ce qui est un grand bien
î pauvres solliciteurs, obligés de se consumer à
d'une Cour qui ne s'occupe guères de ceux
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LES TRIBULATIONS D'UN SOLLICITEUR 523
qui n'ont point d'intrigues à faire valoir >. Les ministres
ne seront rassemblés que vers le 8 du mois prochain;
jusque-là on ne peut rien atttendre d'eux. Il dit la joie
qu'il a prise du triomphe que le chanoine a remporté
sur la cabale qui le vexait, c Vous n'estes pas d'avis que
je songe au régiment de Hesse pour mon fils, mais que
faire de lui.^^ Attendons encore un peu les effets de la
Providence. M. Ingold aura fait diligence pour se rem-
bourser sur mes débiteurs de Hegenheim et me faire
payer le surplus, sauf à déduire la portion que vous
lui avez abandonnée pour ses peines et soins; vous
devez être bien persuadé que la plus grande économie
préside à ma dépense; je me borne au simple néces-
saire et me passe de domestique; mais la nécessité de
paraître chez les ministres, d'aller et venir à Paris, ici
et ailleurs, tout cela est indispensable, joint à l'éduca-
tion de mon fils, l'entretien de ma femme que je ne
puis abandonner. Vous sentez combien tout cela est
privilégié. Vous déterminerez Ingold à me faire un
nouvel envoi vers le mois de novembre, les besoins
se multiplient à l'entrée de Thyver. J'espère que d'ici
mes affaires s'éclairciront >.
XXX. Le conseiller à son frire le chanoine.
Paris, i6 octobre 1784. Enchanté du triomphe du
chanoine sur ses ennemis. € Depuis longtemps j'ai eu
avis de Londres de l'arrivée de nos échantillons de vin;
on me mandait en même temps que les frais du trans-
port étaient si considérables que chacune de ces petites
bouteilles était revenue à 3 livres de France ; qu'au reste
le vin qui y est contenu avait été très fatigué par la
route et qu'il lui fallait du temps pour se refaire;
qu'alors on verroit s'il est possible d'asseoir une spécu-
lation lucrative sur le commerce projeté; voilà où j'en
suis; je n'en ai plus eu de nouvelles depuis, mais je
vais récrire. Au surplus il est bon de vous dire qu'on
est occupé à Londres de différents traités de commerce.
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524 RKVUE D ALSACE
particulièrement pour ce qui concerne les vins de France
et d'Allemagne, ce qui influera nécessairement sur les
droits de transport et d'entrée qu'ils auront à payer
et par conséquent sur leur prix. La Cour est en
vacances, et le roi lui-même s'amuse à la chasse ; il
faut prendre patience. J'aurai obligation à M. Ingold de
réaliser ses bonnes intentions promptement; poussez-le,
la saison où nous entrons, les retards que j'éprouve
à la Cour, même pour le payement de mes pensions
(ce qui m'est commun avec tous ceux qui en ont),
l'éducation de mon fils pour lequel je crois devoir ne
rien négliger de ce qui est en mon pouvoir, multiplie
mes soucis. J'espère recevoir un envoi dans le mois
où nous sommes comme vous le dites. J'ai été sensible
à la perte de M. de Cicaty, attendu la cessation de ses
pensions pour sa famille. Vous n'avez donc pas pu
écrire à M. de Valcourt depuis mes précédentes lettres .'^
Par un singulier concours de circonstances, je pourrai
dans peu me trouver à portée de demander avec succès
quelque chose à l'Empereur; je voudrais donc scavoir
si par sa protection je pourrois être agrégé au corps
équestre de TOrtenau, afin d'en porter la décoration.
Réponse prompte, s'il vous plait >.
XXXI. Le conseiller à son frère le chanoine,
Versailles, 7 novembre 1784. € J'ai reçu votre lettre
du 26 octobre avec la lettre de change. Remerciez
M. Ingold, mais j'apprends avec peine qu'il n'a fait
aucune diligence pour se rembourser sur Hegenheim;
Ingold peut retirer les consignations qui auraient été
faites, ou poursuivre ceux qui n'ont lien payé. Il doit
demander au curé les titres nécessaires à cela; s'il ne
les a pas, se rembourser et me remettre le surplus. Il
ne faut pas laisser accumuler les intérêts. Quant à la
guerre, malgré le secret dont les ministres se couvrent,
toutes les disposition qu'on voit faire semblent l'annoncer
comme certaine à l'égard des ordres religieux; il ne
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LES TRIBULATIOXS D'UN SOLLICITEUR 525
paraît pas qu'on suivra absolument l'exemple de l'Em-
pereur; mais entre nous (je vo*is prie pourtant de ne
pas me citer à personne), je seais que dans la vue de
les commettre les uns avec les autres, et par conséquent
de les détruire les uns avec les autres, l'intention est
de jeter parmi eux le trouble et la zizanie; et je crois
que c'est pour mieux réussir dans cette politique sourde
qu'on a conçu le projet d'éloigner de la Cour et de la
ville tous les évêques et de les renvoyer chacun dans
son diocèse >. — Billet séparé, sans date, mais même
papier et écriture : Faites-moi passer par la diligence
de Belfort ou de Strasbourg c quelques bouteilles de
Kirschenwasser \ je sais que c'est le restaurant dont
vous faites usage . . . On est fort trompé ici sur la
qualité, vous me rendez un vrai service, et ma santé
s'en trouvera beaucoup mieux; je vous aurai double
obligation d'y joindre une couple de flacons de vin de
paille pour une personne de grande considération».
XXXII. Le conseiller à son frère le chanoine.
Versailles, i" novembre 1784. «J'attends les fonds
annoncés par Ingold». Il a pris ses arrangements en con-
séquence. «Comme les facultés intellectuelles de mon fils
sont en ce moment tardives, ce que j'ai observé pen-
dant tout le temps qu'il ne m'a pas quitté, j'ai cru devoir
préférer son bien futur à ma propre satisfaction et l'ai
mis dans une bonne pension avec des camarades plus
avancés : de là émulation. C'est une éducation très coû-
teuse, et cependant je n'hésite pas à me sacrifier pour
cet unique enfant qui me reste et que j'ai toujours
porté dans mon sein depuis qu'il existe. J'attends avec
confiance et chaque jour les fonds annoncés dans votre
dernière lettre, si nécessaires dans le commencement
de la mauvaise saison. Quelqu'un qui jouit dé la plus
haute faveur en Cour projette le mariage de son fils
avec la fille d'un ministre en faveur et a des vues sur
des fiefs d'Alsace. On a su que j'étais possesseur de
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526 REVUE d'aLSACE
pièces, titres et documents, de manière à remplir ces-
vues d'une manière très éclatante; le notaire m'a fait
des propositions et sur la demande de ce que j'exigeais
en cas d'arrangement, je dis rien que l'exécution du
bon du Roi, qu'il a signé en ma faveur lors de ma
mission en Angleterre, et une grâce ecclésiastique pour
un frère que j'ai, qui depuis dix ans est à la tête d'un
chapitre distingué de la province, j'ose dire par son
mérite, puisque c'est le choix de ses confrères, le con-
cordat germanique ayant lieu dans cette province. Je
crois que ce sera le moyen de terminer mes sollici-
tations».
XXXIII. Le conseiller a son frère le chanoine,
Versailles, 24 novembre 1784. cj'ai remercié M. In-
gold et le prie d'achev^er ce qu'il a si bien commencé.
Rédigez de suite un état et mémoire de vos services;
le notaire dit qu'on est occupé de l'affaire et qu'il faudra
produire de quoi fonder la demande d'une grâce ecclé-
siastique pour vous, afin que votre affaire marche de
front avec la mienne . . . Ces jours passés on parlait ici
de paix et d'un arrangement avec l'Empereur; mais il
y a apparence que le bruit qu'on faisait courir, n'était
qu'une feinte, tout annonce que l'Empereur ne veut
pas en avoir le démenti, de manière qu'il faudra ou
que les Hollandais cèdent ou l'épée sera tirée. Le
cabinet d'ici n'est pas peu embarrassé ; lorsqu'il y aura
quelque chose d'important je vous en informerai».
XXXIV. Le conseiller a son frère le chanoine,
Versailles, le 18 décembre 1784. «J'ai reçu votre
lettre du 4 de ce mois et le certificat de, vos services,
auquel je donnerai la forme convenable pour en faire
usage en temps opportun. L'afïaire regarde le ministre
de la guerre dans le département duquel est l'Alsace,
et tout le temps du ministre est absorbé... Tout annonce
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LES TRIBULATIONS D UN SOLLICITEUR 527
que l'empereur ne veut pas en démordre, et que la
France rassemblera au moins deux armées d'observation,
si d'abord elle ne prend pas dans la contestation une
part active; car, quoiqu'il paraisse décidé qu'on veut
soutenir les Hollandais, cependant on n'a pas été una-
nime au Conseil à cet égard et quelqu'un de bien *
instruit m'a assuré qu'il y a eu deux voix, pour que
la France ne se mêle pas de cette affaire; en sorte
que l'avis contraire n'a passé que de trois voix; mais
ne me citez pas ... 11 va avoir ici un nouvel emprunt
de 125 millions . . . S'il est question de l'érection d'une
Chambre des comptes à Colmar, il y a apparence qu'on
n'aura pas pris l'avis du Conseil, puisque ce nouveau
tribunal restreindra beaucoup sa juridiction, en lui enle-
vant les affaires domaniales et féodales; en sorte que
si la chose a lieu, elle n'aura été conçue que dans la
vue d'avoir de l'argent par la vente de nouveaux offices.
Quant à l'Intendance, je doute qu'elle soit transférée à
Colmar, et plus encore qu'elle soit réunie à la première
présidence ; indépendant de ce que les maîtres des
requêtes s'y opposeraient, c'est que vous scavez que
le ministère a un grand intérêt à observer continuelle-
ment les démarches des Cours supérieures qui ne songent
qu'à étendre leur autorité, en prenant souvent connais-
sance des affaires d'Etat ; et il ne peut prévenir les
entreprises que par le moyen des intendants qui sont
tous observateurs nés. Je vois toujours ici M. Hermann;
son affaire n'est donc pas finie avec M. de Spon ; je
crois que vous m'avez écrit que ce dernier est marié
depuis peu ; qui a-t-il épousé ^ Est-ce une Parisienne }
C'est, je crois, le cardinal de Rohan qui l'a poussé
aussi loin que cela ; je ne doute pas qu'il n'ait eu bien
des jaloux à Colmar, où l'on a toujours été en posses-
sion de caresser et de se haïr. Secondez-moi auprès
d'Ingold pour avoir d'ici au 15 un envoi d'argent
ayant un paiement assez pressé à faire et beaucoup
d'étrennes à faire suivant l'usage de ce pays auprès
des ministres >.
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538 REVUE d'aLSACE
XXXV. Le conseiller à son frère le chanoine,
Versailles, 30 décembre 1784. Il souhaite le nouvel
an, de concert avec son fils, et espère arriver au but
de ses démarches.
XXXVÏ. Gœtzmann fils à son oncle le chanoine,
« Mon très cher oncle. Entraîné depuis que je me
connais par les affaires et les voiages de mon papa,
dont j'ai toujours été le fidèle compagnon, je n'ai pas
encore pu me livrer à mon inclination à vous assurer
par moi-même de mon respect, je saisis avec empresse-
ment Toccasion que m'en offre le renouvellement de
l'année, et vous prie de recevoir avec bonté les vœux
que je forme pour votre entière satisfaction; les miens
seront comblés si je parviens à vous faire agréer l'hom-
mage de mes sentiments, et si vous mettez quelque
prix à l'envie que j'ai de vous plaire à toute occasion.
J'ai rhonneur . . .
€ Gœtzmann de Thurme ».
XXXVII. Le conseiller à son frère le chanoine.
Paris, 1 1 janvier 1785. cje n'ai reçu vos lettres qu'hier,
parce que la moitié du temps je suis à Versailles. J'ai
écrit à M. Ingold que le court intervalle ne me permettra
peut-être pas de le servir au gré de mes désirs, et je
lui donne mon avis sincère ayant beaucoup d'expérience
des affaires. Je pense qu'outre la sentence de l'officia-
lité de Strasbourg il devrait m'envoyer l'acte capitulaire
qui le maintient dans son poste de receveur du Chapitre,
Tune des pièces prouvera une cabale et manœuvre
odieuse, l'autre est son titre à demander protection du
Gouvernement. Il faut des actes authentiques pour agir
auprès des ministres et non des signatures privées
comme les pièces qu'il m*a envoyées. Je ferai démarche
soit auprès du Garde des sceaux, soit auprès de M. de
Ségur. En attendant qu'il cherche à gagner du temps
en incidentant par une demande de mise en cause
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LES TRIBULATIONS D*UN SOLLICITEUR 529
OU autrement. Il me parait fort étrange que M. de
Spon cherche à faire agir son influence dans une affaire
^e cette nature et contrairement à un acte capitulaire.
Je ne savais pas son mariage, et, d'après le nom de la
.personne qu'il a épousée, je crois que c'est la fille de
M. Quatreson de la Mothe qui pendant que j'étais au
Parlement avait sollicité des lettres de noblesse qui, à
mon rapport, ont été refusées à l'enregistrement ; je me
rappelle en effet que la qualité qu'il avait alors était
-celle de porte manteau de M. le comte de Provence,
frère du Roi actuel. Je prie Ingold de faire affranchir
-son paquet, parce que ma femme reçoit les lettres en
mon absence et ne cesse de se plaindre des ports de
lettre, quoique je fasse tout ce que je peux pour l'en
indemniser; mais que faire, il est dans mon étoile de
.n'être pas heureux en mariage. J'ai prié M. Ingold de
faire partir sans perdre de temps le secours demandé
pour le 15, à cause du paiement que j'ai à faire, et je
pense qu'il aura pris ses mesures pour se couvrir sur
4nes débiteurs de Hegenheim. Tout va bien pour l'objet
de mes sollicitations personnelles; il ne faut plus que
patience; le Dieu des opprimés me soutient, m'a soutenu
«t me soutiendra, j'espère encore >.
XXXVIII. Le curé Gœtzmann à son frère le chanoine,
Ungersheim, le 23 avril 1785. «Vous avez notre
partage, mais les estimations sont trop fortes. Vous
pouvez offrir à notre frère loc louis pour la dîme de
Sausheim ... Je suis surpris qu'un riche bénéficier comme
vous demande un présent d'un pauvre curé. D'ailleurs
je vous ai dit Tan passé que vous aviez été le mieux
partagé de nous tous par le prix modique de vos vignes
de Guebwiller. Si je veux gratifier notre sœur je le ferai
directement à elle ... Je ne puis satisfaire aux impor-
tunités de notre frère avant d'avoir fait un voyage à
Landser . . . assurément le créancier le plus cruel ne
j)resserait pas davantage : il n'y gagnera pas grand'chose.
< Gœtzmann ».
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530 REVUE D ALSACE
XXXIX. Le conseiller a son frère le -chanoine,
Versailles, 4 mars 1785. c J'envoie procuration à
M. Ingold pour liquider la succession de feu mon fils
vis-à-vis de tous les débiteurs ; il m'a requis de deman-
der votre assistance, secondez-le dans tout ce qui sera
conforme à la justice et à l'équité. Il vous aura instruit
de ce que je me propose de faire pour son affaire.
J'irai demain à Paris et j'ai envie de porter l'affaire au
Conseil des dépêches et j'espère obtenir un sursis à
l'arrêt de Colmar, que je craindrais de ne pas obtenir
au Conseil des parties. Mais j'ai demandé à M. Ingold
quelques fonds pour aller en avant et pour preuve de
mon amitié je lui ai proposé de prendre à mon compte
l'argent qu'il m'enverra si je ne réussissais pas, et je me
flatte que vous l'engagerez à faire les avances néces-
saires pour ouvrir l'accès au Conseil des dépêches par
le moyen du secrétaire d'Etat de la province ».
XL. Le conseiller a son frère le chanoine.
Versailles, le 18 mai 1785. c Votre lettre du 30 avril
m'est arrivée il y a peu de jours; écrivez-moi donc
désormais à l'adresse donnée à M. Ingold. Je lui envoie
une longue instruction avec le modèle d'un mémoire à
faire au ministre de la province. Je mets à vos intérêts
et à ceux de votre parti qui est celui de la décence
et de la probité le même zèle qu'à mes affaires; mais
vous êtes entouré de pièges, et il faut prendre les voies-
les plus fines. La route ordinaire de la cassation serait
hérissée de longueur et de chicanes, vous approuverez
donc le plan conçu ici. Je consens à vous vendre la
dîme de Sausheim au prix que vous fixerez; je vais
faire faire procuration qui je pense sera pour Ingold
que j'ai prié de me faire passer un à- compte dont
j'aurai besoin pressant au commencement du mois,
prochain à cause de mes courses et sollicitations qui
grâces à Dieu prennent une tournure favorable».
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LES TRIBULATIONS d'UN SOLLICITEUR 531.
XLI. Le conseiller à son frère le chanoine,
Versailles, 2 juin 1785. cj'ai reçu votre lettre du.
16 avec le nouvel acte de vexation y joint. Je prie
Dieu de vous couvrir de son bouclier. Je rougis pour
mes compatriotes de l'affreuse réputation qu'ils se sont
faite dans ce pays-ci, où ils passent pour être les plus
grands chicaneurs du royaume; je sais bien que ce sont
les Français eux-mêmes qui ont porté la contagion
parmi eux, mais elle n'aurait pas dû faire de pareils^
progrès chez une nation germanique. Ce polisson de
Biechy vous a manqué pour faire sa cour à M. de
Spon ; mais la signature de M. Holdt au bas de l'exé-
cutoire qui vous a été signifié, est le plus indécent \
cela est indigne. Vous avez bien fait de payer en pro-
testant. J'ai adressé à M. Ingold une lettre consolante
contresignée du ministre. La requête va être donnée
au Conseil des dépêches, nous aurons le Toutes choses •
demeurantes en état. J'attends avec impatience le mémoire
de M. Ingold, tel que j'en ai envoyé le modèle au
ministre; cela fera le plus grand effet, car le ministre
sera le rapporteur de votre affaire au Conseil des dépêches.
M. Ingold m'a demandé s'il devait venir à Paris avec
vous, mais vous ne feriez que dépenser votre argent
inutilement; je désapprouve ce parti entièrement. Toutes
les voies sont préparées, je voudrais pouvoir vous pro-
curer le succès au dépens d'une pinte de mon sang.
Mais c'est le moment de ne rien épargner en frais de
sollicitations; il y va de votre honneur, de votre tran-
quillité et de la fortune du pauvre Ingold. Soyez bien
persuadés que par le moyen de mes alentours je vous
épargnerai à Tun et à l'autre bien des frais ; mais il en
est d'indispensables, si on veut réussir, et j'en ai déjà.,
fait de cette espèce; je n'en donnerai l'état qu'après le
succès. Mais pour pousser avec vigueur dans un moment
où on tient chez vous le couteau sur la gorge au pauvre
Ingold, il me faut de nouveaux fonds, et j'en ai demandé
à celui-ci par ma dernière lettre le plus instamment
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l REVUE d'aLSACE
ssible >. Vous avez reçu procuration pour la vente
5 dîmes de Sausheim que je vous fais. M. de Wider-
ich a des protections puissantes qu'il emploiera pour
LIS, j'en suis sûr. Je me persuade que vous avez chargé
Ingold de ma procuration pour cette vente; je pense
e vous lui avez remis ou qu'il avancera de ses deniers
premier terme ou un fort à-compte au moins pour
•e face aux dépenses indispensables auxquelles je suis
^agé pour la suite et le bien de nos affaires com-
ines. Je lui ai mandé que j'en avais un besoin pressant
ur le commencement de ce mois-ci. Dès que l'affaire
a engagée au Conseil des dépêches, je vous y ferai
ervenir pour avoir raison de cette condamnation de
pens qu'on vous a fait subir personnellement, et de
solence du huissier. Je vous embrasse, mon cher frère,
tout mon cœur. Des nouvelles et des fonds sur-le-
imp, s'il vous plaît >. (Sans signature, il n'y avait
is de place au bas du papier).
Pour copie conforme :
A. DE Saint-Antoine.
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UN AMI DU ROI DE PRUSSE
A SAINTE-MARIE-AUX-MINES
EN 1758
(Deux lettres inédites de Schœpflin).
On était en pleine guerre de Sept Ans. c Le troi-
sième jour de Pâques », 28 mars de Fan de grâces
1758, «un cabaretier » de Sainte-Mnrie-aux-Mines,
« nommé Steinhilbert », laissa cdeux garçons de métier
représenter dans un cabaret une comédie irrévérente
et condamnable, dans laquelle ils (firent) entrer en lice
la personne de notre sacré monarque avec celle du roi
de Prusse et (lancèrent) des traits indécents et criminels
contre Sa Majesté >.
Cette «sale affaire», comme dit Schœpflin dans la
première des deux curieuses lettres qu'on va lire, eut
aussitôt un grand retentissement. Avec plus ou moins
de raison on accusait un peu partout en Alsace les
protestants de faire des vœux pour le succès des armes
du roi de Prusse. Le cabaretier et les deux garçons de
métier furent aussitôt arrêtés. Très inquiets de la mau-
vaise tournure que prenait l'incident. Messieurs du
Magistrat de Sainte-Marie écrivirent à Schœpflin, fort
bien en Cour comme Ton sait, pour lui exposer la
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534 REVUE D ALSACE
chose et lui demander son appui. Schœpflin le leur
, promit par les deux lettres suivantes »).
I.
Strasbourg, le 22 apr. 1758.
Messieurs,
Après la réception de la lettre que vous m'avez fait Thon-
neur de m'écrire, je me suis transporté dans le bureau et
ensuite chez M. de S. André ') lui-même, pour prendre con-
•^naissance de toute l'affaire en question. M, le ministre de
Sainte-Marie-aux-Mines n'a rien à craindre ; on n'a pas fait
attention aux plaintes qui le regardent et tout ce qui s'est passé
à roccasion de la bénédiction de TEglise. Mais l'affaire du
cabaretier et des deux garçons est très sale. On ne la traitera
pas juridiquement. M. de S. André a écrit à la Cour qui
décidera.
On n'a pas donné les couleurs les plus odieuses au délit.
Aussi le cabaretier est dans une prison honnête, au lieu que
les garçons sont dans le cachot. C'est un bonheur pour eux
qu'ils sont étrangers; cela rendra leur sort moins rigoureux. 11
y a longtemps qu'on est mécontent ici de toutes sortes d'indé-
cences qui se passent par ci par là dans la province, à l'occasion
de la présente guerre, où on ne marque pas assez de zèle pour
> le bien de PEtat. A l'égard de Sainte-Marie-aux-Mines^ il serait
bon d'avertir les habitants d'être sages et circonspects, parce
vqu'on les observera de près. Antérieurement à la dernière
-scène, il s'est passé une autre au sujet de la reine d'Hongrie
qui a aggravé celle qui vient de se passer.
Vous connaissez, Messieurs, les sentiments et le zèle avee
desquels j'ai l'honneur d'être de tout mon cœur,
Messieurs,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Schœpflin.
i) Originaux aux Archives départementales de la Haute-Alsace,
"Supplément de Ribeaupierre, V, bailliage de Sainte-Marie.
2) Qui commandait en Alsace en l'absence du maréchal de Coigny.
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UN AMI DU ROI DE PRUSSE EN 1758 535
IL
Strasbourg, le 13 may 1758.
Messieurs,
Je veux bien croire que dans le fait du cabaretier en
-question il y a plus d'imprudence que de méchanceté, mais
comme cette imprudence lui a attiré la prison, il faut penser
de l'en retirer. Or les bureaux de la guerre étant accablé
d'affaires et personne n'ayant informé M. le maréchal de
Bell'Isle qui a le département de la Province, des circonstances
du fait qui pourraient être favorables au prisonnier, son affaire
pourrait traîner et prendre un mauvais tour si l'on n^instruit
pas son juge. Dans ces circonstances vous ne sauriez vous
dispenser, Messieurs, de vous intéresser pour un sujet de votre
prince, qui est d'ailleurs un homme de bien, qui se trouve dans
le malheur et jusqu'ici sans protection à la Cour. Vous expo-
serez tout succinctement le fait à M. le maréchal qui finira
^lors l'affaire.
Vous connaissez les sentimens d'amitié avec lesquels j'ai
J'honneur d'être de tout mon cœur.
Messieurs,
Votre très humble et très obéissant serviteur
SCHŒPFLIN.
A. M. P. I.
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L'EMPLACEMENT
DE LA RENCONTRE DE CÉSAR ET D'ARIOVISTE
ET LE CHAMP DU MENSONGE
Encore qu'il y ait des problèmes historiques plus
ou moins insolubles^ il serait fâcheux de renoncer à.
chercher la solution la plus vraisemblable de questions
telles que celle de l'emplacement de la bataille livrée
par César à Arioviste ou celle du Champ du mensonge.
Il n'est pas dit d'ailleurs que nos arrière-neveux ne
disposeront pas de moyens d'information que nous ne
soupçonnons nullement.
Nous nous permettons donc de présenter quelques
arguments nouveaux en faveur de l'opinion que nous
soutenons : l'Ochsenfeld est le lieu où le gros de Tarmée
d' Arioviste a été vaincu par César; l'Ochsenfeld est
l'endroit où Louis-le-Débonnaire a été trahi par ses fils^
I.
Parmi les plus récentes solutions donn.ées à la
question de la rencontre de César et d' Arioviste, il en
est une qui paraît avoir gagné le terrain.
M. Colomb I) suppose que César et Arioviste ne se
rencontrèrent pas en Alsace. César, dit-il, s'était fortifié
l) Revue archéologique^ 3« série, xxxiii, 189S, 21-62.
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LA RENCONTRE DE CESAR ET D'aRIOVJSTE 537
sur le plateau d'Arcey, entre Sémondans et Désandans,
et Arioviste s'était placé près de Danjoutin, à l'origine
de la trouée de Belfort. L'entrevue eut lieu sur le tertre
de la Chaux, au nord-ouest de Montbéliard. En se
postant à Arcey, Arioviste interrompit les communi-
cations de César; mais celui-ci les rouvrit en établissant
son petit camp à Fontainepré, en face du campement
des Germains. Ceux-ci s'enfuirent par la gorge de
Présentevillers et passèrent le Rhin près de Bàle, à
75 kilomètres du champ de bataille.
L*abbé Lejay, en se faisant Técho de cette opinion
dans l'édition classique des Commentaires sur la Guerre
des Gaules^ publiée à la librairie Hachette, la vulgarise
trop pour que nous ne nous permettions pas de la
critiquer brièvement.
€ Aucun point de l'Alsace, dit-il «), n'est à 75 kilo-
mètres, soit 50 milles, du Rhin; donc l'hypothèse de
M. Colomb est plus rationnelle que le système de
M. Stoffel^) admis par Dosson et la plupart des com-
mentateurs >.
Distinguons : si nous admettions comme distance du
champ de bataille au Rhin une perpendiculaire de
75 kilomètres, abaissée du lieu de rencontre sur ce
fleuve, nous serions forcés de reconnaître que la bataille
décisive a eu lieu en dehors de l'Alsace; mais il nous
est loisible, le texte des Commentaires et celui des
autres historiens nous laissant toute latitude, de con-
sidérer cette distance de 75 kilomètres comme une
oblique. Dès lors le champ de bataille peut être placé
en Haute-Alsace.
Et rien ne nous empêche de le situer sur l'Ochsen-
feld, comme nous avons essayé de l'établir.
1) Edition Benoist et Dosson, Avertissement de la 5* édition, juillet
1903, p. vil.
2) Stoffel (Gftcrrt de César et (C Arioviste^ Paris 1890), place le lieu
de rencontre au pied des hauteurs de Mittelwihr, Bebeinheim et Zellen-
berg.
Rtmt d'Âlioce, 1907 85
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538 REVUE d'alsace
Certains auteurs ne veulent pas admettre que des
fuyards aient pu longer le Rhin sans essayer de le
passer. Les Germains pouvaient cependant en suivant
cette tactique songer aux secours postés au nord vers
Strasbourg, et c'est une explication suffisante.
Le gros de Tarmée suève a sans doute parcouru
environ 50.CKX) pas; car, nous écrit M. Aug. Gasser,
le Rhin étant difficile à traverser, il fallait qu'Arioviste
laissât une distance assez grande entre lui et César pour
essayer de prendre les dispositions nécessaires au pas-
sage, ce qui ne lui était guère possible au bout de
S.OCX) pas.
D'un autre côté, il est improbable qu'Arioviste en
s' avançant vers la Capitale des Séquanes, ait reculé
jusqu'à l'extrême limite de ses possessions. Est-ce là le
fait d'un homme qui ose dire à César quil vienne le
trouver chez lui?
Se tenir dans l'expectative, au beau milieu du tiers
de la Séquanie, occupée par lui après sa victoire sur
les Eduens, est au contraire le parti que dut prendre
Arioviste : d'une part il laissait le temps aux renforts
suèves de venir le rejoindre pendant la marche de
César contre lui, et d'autre part, en cas de retraite, i
pouvait reculer sur le Rhin ou vers le Nord.
Ce tiers de la Séquanie, pense M. Gasser, compre-
nait certainement la Haute-Alsace, peut-être encore
l'Ajoie, Arioviste ayant sans doute voulu conserver cette
porte de la Bourgogne. Nous croyons que M. Siebecker
a tort, dans son Histoire de V Alsace^ d'étendre les termes
< optimus totius Galliœ >, au Donon et à ses environs »).
Or rOchsenfeld occupe à peu près le milieu de ce tiers.
Nous pensons donc que l'identification topographique
que nous avons adoptée à la suite de Laguille, de
Napoléon III et d'autres historiens, bien qu*elle ne
i) Nous ne voyons pas comment M. Siebecker, qui place le champ
de bataille aux environ» de Colmar, peut parler d'une fuite vers le
sud-est.
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LA RENCONTRE DE CÉSAR ET D'ARIOVISTE 531^
repose sur aucune preuve positive, est la plus vraisem-
tblable et que la plaine de Cernay a été le théâtre de
Faction principale de la rencontre d^César et d'Arioviste.
Un mot sur une autre opinion. D'après M. Poly <),
*César aurait campé au-dessus de Champagney, et Ario-
viste à Frahier, et la bataille aurait été livrée aux
'Champs-Belin. L'argument invoqué par M. Poly ne nous
parait guère probant. Du fait que c'est à Frahier qu'on
a découvert la légende d'Ernest, roi de Belfort, il ne
résulte nullement que la rencontre a eu lieu près de
Frahier. Et même le lieu du combat serait-il plus
•ou moins clairement désigné dans la légende, ce ne
serait encore qu'une présomption et non une preuve
^n faveur de cette hypothèse»
II.
Dans la question du Champ du mensonge il est
impossible de négliger une difficulté d'interprétation de
texte très importante : d'après les Annales de Saint-
Bertin, la trahison eut lieu dans un endroit nommé
« Rothfeldy id est rubens Campus >. Faut-il lire rubens
ou n'est-il pas préférable de lire rubeus? Dans le premier
-cas, le nom primitif du Champ du mensonge est bien
•Champ rouge. Mais de nos jours on tend à croire que
le Champ maudit s'appelait d'abord Rottfeld, champ
dénudé, en friche (comparez l'allemand atisrotten) 2), et
dès lors il faudrait lire rubeus^ qui signifie aussi bien
< de ronces > que c rouge ».
Or précisément l'Ochsenfeld, plus que toute autre
plaine d'Alsace, est un champ infertile en grande partie
1) Le Ballon d^ Alsace. Belfort, Pilot, 1887.
a) Jules Zbllrr, Fondation de (^Empire germanique^ Charlemagoe,
Otton, etc. 3« édition. Paris, 1886. p. 79.
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54 o REVUE d'alsace
et était sans doute encore plus dénudé au temps de-
Louis le Pieux.
Qu'on adopte donc la manière de voir de M. Zeller,
ou qu'on s'en tienne à la tradition, peu nous importe :
dans les deux cas rOchsenfeld peut être le Champ du
mensonge.
De plus, l'Alsace étant déjà bien défrichée au
IX* siècle, la plupart des localités dans les environs
desquelles on situe le Champ maudit n'étaient plus
dénudées »).
Les environs de Logelbach seuls pourraient peut-être-
disputer à l'Ochsenfeld le privilège d'avoir été à cette
époque un champ en friche, car il s'y trouve un canton
de vignes appelé Diirrlogel '^),
C. Oberreixer.
i) Même SigoUheim oii, après Grandidier, M. Pfister {Mélanges Paut
Favrif 1902, p. 106 : L'archevêque de Metz Dro^on) place le Cham(>
du mensonge.
2) X. BovSR, Méfftoires 'de P Académie dis Inscriptions et Belles*
Lettres y 1861.
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PROJET DE VENTE
d'une charge
DE < CHEVALIER D'HONNEUR D'ÉGLISE
AU CONSEIL SOUVERAIN D'ALSACE
AU XVIIl* SIÈCLE
Temporairement, ou à titre définitif, chacun des
chefs de nos trois abbayes cisterciennes d'hommes,
Lucelle, Pains, Neubourg »), eut à ajouter, à sa signa-
ture d*abbé, celle de conseiller chevalier d'honneur
d'Eglise au Conseil Souverain cT Alsace'^),
A Lucelle, Bernardin Buchinger fut, comme Ton
sait 3), l'un des membres les plus importants de ce
'<^onseil, dès sa fondation 4), et son successeur, Edmond
»Quiquerez, hérita de cette charge honorable.
i) La quatrième, Baumgarten, n^existait plus depuis le xvi« siècle.
,i^Alsa/ia sacra^ I, 358).
a) Primitivement il iCy eut qu*un conseiller d^Eglise au Conseil
Souverain. Un second lui fut adjoint en 1695. Il y avait en outre deux
'<onseilltrt clercs, quMl ne faut pas confotidre avec les conseillers d'hon-
neurs d'Eglise. (Cfr. Pillot et Nbybbmand, Histoire du Conseil Sou^
tferain d^Àlsace, chap. I").
3) Moines et religieuses et Alsace^ II. Bernardin Buchinger^ p. 70
«t seq.
4) En réalité Buchinger fut cgnsetUer tout court^ si je puis m*ex*
primer ainsi, et au même titre que les premiers conseillers laïques,
G. Frédéric d'AndIau, Bénigne Bossuet, etc. Ce n'est que lors de
l'organisation définitive du Conseil, et à la fin du xvii* siècle, que les
«charges de conseillers d'honneur d'Eglise et d'épée furent créées.
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REVUE D'ALSACE
A Neubourg ce ne fut qu'au xviir siècle que
n Gassier d'Anvilliers acheta la charge de conseiller
appartenait jusque-là à l'abbaye de Munster»). Après
ses successeurs devaient la conserver jusqu'à la
olution.
C'est Dom Claude de £eauquemare qui fut le premier
é de Pairis honoré de ce titre, « charge attachée
uis à ses successeurs », dit Grandidier >). Le taux
la finance à laquelle cette charge fut fixée, était,
►rès un état publié par Pillot et Neyremand 3), de-
;30 livres, somme relativement très élevée.
Après Dom de Beauquemare, Dom Tribolet et Dom
)out4) portèrent ce titre en même temps que celui
►baye de Pairis.'
Or cette abbaye étant pauvre S) et chargée de dettes,
n Tribout songea à se défaire du titre de conseiller:
qui donna lieu à la curieuse correspondance que
5 publions. d'après les originaux^).
L'affaire souffrit des difficultés : les. religieux de la
son, dont le consentement était nécessaire, refusèrent
le donner. Leur abbé s'adressa alors à l'abbé de
aux, général de l'Ordre, qui lui répondit en ces
les le 15 juillet 1757 :
) c Dignitatem consiliarii et equitis honorarii paucit abhinc annis^
onsensu illorum quorum tntererat, abbatiee Neoburgensi apud Hage-
I ord. Cistercientis vendidit >, dit Bernard de Ferrette (Diarimm^ III,
)6), de Dom Gabriel de Ratant, 71* abbé de Munster. — Dom-
er ne fut donc pas € le premier » conseiller d^Eglise, comme
oce Grandidier (Ah, sacra^ J, 371).
) Aisatia sacta^ I, 381.
) Op. cit., p. 56.
) Ce dernier est omis dans la liste de VHiUoite du Conseil Sou-
H (p. 548), dont les auteurs l'auront sans doute confondu avec-
prédécesseur à cause de la ressemblance des noms.
) Hoffmann, L'Alsace au xviii* siècle^ passim.
) De ma collection.
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PROJET DB VENTE d'UNE CHARGE 543
Cîteaux, 15 juillet 1757.
Monsieur,
Le zèle que vous montrez pour les intérêts de votre maison
ne peut être que loué et approuvé. Je me ferai un vrai plaisir,
Monsieur, de vous seconder dans tout ce qui pourra dépendre
de moi. Conformément à vos désirs j'écris par ce même ordi-
naire à M. l'abbé de Lucelle pour le prier de vouloir bien se
rendre à notre abbaye de Pairis pour demander à vos religieux
les raisons qu'ils peuvent avoir de s'opposer à la vente de
votre charge de conseiller; sur le rapport qu'il m'en fera, il
me sera facile de me décider.
J'ai l'honneur d'être, avec un dévouement toujours bien
respectueux.
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
François, abbé général de Cîteaux *).
L'abbé de Lucelle, chargé par cette lettre de faire
Tenquête en question, était Dom Grégoire Girardin.
L'enquête dut être favorable à Dom Tribout, d'après
une secohde lettre du général :
Cîteaux, 22 août 1757.
Monsieur,
Je suis plus que persuadé de la droiture de vos bonnes
intentions pour le bien de la maison qui vous est confiée, et je
ne puis que louer votre empressement à vouloir en éteindre
les dettes. La vente de votre charge vous en faciliterait les
moyens. Avec un peu de patience, Monsieur, nous viendrons
peut-être à bout de vaincre la répugnance qu'out vos religieux
à y donner leur consentement. Je ferai tout mon possible pour
les y déterminer; je vous prie d'en être persuadé et de me
croire toujours avec un dévouement bien respectueux.
Monsieur, 4
Votre très humble et très obéissant serviteur
François, abbé, général de Cîteaux.
l) La èfgnature seule est autographe. — J'ai modernisé l'orlho-
graphe, ici et dans les documents suivants.
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544 REVL'E d'alsace
Les moines de Pains, tout à fait à tort, semble-t-O
bien, suspectaient la droiture et le désintéressement de
leur abbé dans cette affaire. Celui-ci se défend éoer-
^iquement contre leurs odieuses imputations dans sa
réponse à Fabbé de Cîteaux, datée de Colmar da
28 août de la même année et que je reproduis d'après
le brouillon original :
Colmar, le 28 août 1757.
Monseigneur,
j^ai reçu avec les sentiments de la plus respectueuse recon-
naissance la lettre gracieuse que Votre Grandeur m'a fait
rhonneur de m'écrire le 22 de ce mois: si son contenu a été
pour moi un sujet de consolation dans Tétat et l'âge avancé
où je me trouve, les expressions souslignécs de celle dont j'ai
celui de joindre copie, ne peuvent que me causer la douleur la
plus amère. Qu'il est dur, Monseigneur, pour un homme carac-
térisé et qui n'a jamais eu pour objet que le bien et l'avantage
de sa maison, de se voir soupçonné par ses religieux de ce qui
déshonorerait le plus simple particulier, tandis que j'ose attester
devant Dieu qu'en toutes choses je me suis toujours fait un
devoir de ne demander que ce que je ne pouvais négliger sans
manquer à ma dignité, ayant toujours vécu avec eux et comme
eux. Mais, Monseigneur, si la religion veut que je dissimule
sur des suggestions injurieuses, et qui ne peuvent qu'avoir
scandalisé Messieurs d'£bersmUnster, ainsi que Monsieur l'abbé
de Lucelle, j'ai l'honneur de supplier Votre Grandeur d'être
persuadée que mes intentions pour la vente de ma charge
n'ayant jamais eu pour objet que la libération de mon abbaye,
ce sera avec le plus grandi plaisir du monde que je consentirai
que le contrat contienne délégation des sorom^ que nous
devons, au moyen de quoi les appréhensions déplacées de
mes religieux tombent, ce qui me fait espérer que Votre Gran-
deur voudra bien m'accorder ce que j'ai eu Thonneur de lui
demander. J'ai toujours celui d'être avec le plus profond respect.
Monseigneur, etc. . . •
A cette lettre était joint l'état suivant de la situation
financière de Pairis qui justifie Tabbé.
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PROJET DE VENTE D'UNE CHARGE 545
Xa charge rapporte 743 liv. 7 s. 10 d.
Le remboursement de la première finance de cette charge
est à craindre, attendu quMl y a une personne qui a du crédit
en Cour qui la vise.
L'abbaye doit 29 000 liv.
Je demande le compte général de 1755 P^""^ pouvoir ache-
ver celui do 1758.
L'on a tous mes comptes entre les mains depuis dix-huit
fnois sans pouvoir parvenir à la clôture.
L'on est obligé de payer les intérêts de la
somme ci-dessus qui font celle de . . 1450 liv.
Pour le vingtième 1814 »
Pour les pensionnaires 2400 »
Pour les invalides 150 »
5814 liv.
«ans compter mil autres frais.
Au lieu qu'en vendant cette charge qui ne fait que des
-envieux, Ton se mettra à l'aise, et l'on aura encore de Pargent
-de reste, pour pouvoir subveuir aux autres impositions dont
l'on est menacé.
Un des religieux de la maison, un certain Dom
Moureau «), semble avoir voulu travailler à la pacification
-des esprits et à faciliter la réalisation cîu projet du
P. Abbé, d'après le billet ci-joint de l'abbé de Cîteaux
qui lui est adressé:
Cîteaux, 19 septembre 1757.
Dom Moureau,
J'ai reçu votre lettre et j'y vois avec un vrai plaisir vos
'bons sentiments pour Monsieur votre abbé. Vous pouvez être
tranquille sur ce que vous me demandez, j'y donnerai toute
mon attention. Je serais charmé de pouvoir prouver à M. votre
OU ett poMible que ce soit Dom Marcel Moreau. entré dans
^f ordre en i7SSi lar lequel j*ai publié dans la /^tvit€ catholique (T Alsace
• en 1900 ^p. 940) un articulet.
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54^ REVUE d'alsace
abbé tout mon attachement pour lui et trouver les occasions^
de vous donner des marques de Tamitié sincère avec laquelle
je suis,
Dom Moureau,
Votre bien humble et affectionné confrère
François, abbé général de Cîteaux.
Enfin notre dernière pièce est une lettre de Fabbé
de Lucelle, Dom Grégoire Girardin, adressée à Don>
Tribout.
A Lucelle, le 1 8 janvier 1758.
Monsieur et très respectable Prélat,
Je suis extrêmement sensible à Thonneur de votre souvenir
et des vœux que vous voulez bien faire pour moi avec Mon-
sieur Stetfan à ce renouvellement d'année; je vous prie d'être
persuadés de toute la vivacité de ceux que je ne cesse de
former pour tout ce qui peut vous rendre parfaitement heu-
reux; je le serais moi-même, si je pouvais y contribuer. Mes-
sieurs les Commissaires dans l'affaire de la paternité immédiate
sur votre abbaye m'ont promis une prompte lecture de mon-
Mémoire et des pièces y jointes à ces fins, et la communication
d'icelles à M. de Morimond; il y a toute apparence que cet
abbé suivra les traces de son devancier, qui ne donna ses-
réponses à notre premier Mémoire qu'après l'espace de six ans,
et que celui-ci ne donnera les siennes qu'après le jugement de
cette dernière affaire, qui est au grand Conseil et remise au
semestre prochain. J'en écrirai à M. Carnot et le prierai d'accé-
lérer au possible.
Une partie de vos religieux est imbue de sentiments à votre
égard très opposés à ceux que j'ai toujours eus pour vous; je
les ai mandés à Mgr. de Cîteaux et lui ai très loué la droiture
et l'équité des vôtres pour votre maison. Ils s'opposent à la
vente de votre charge; permettez, Monsieur et très respectable
Prélat, que je vous dise qu'à votre place je n'y penserais plus
et leur laisserais le soin d'éteindre les dettes que vous voulier
acquitter par ce moyen, qui paraît être l'unique; qu'ils trouvent
après cela un meilleur expédient. Il me paraît que par là vous
auriez beaucoup moins de chagrins ; je voudrais de tout mon
cœur vous en délivrer entièrement, et qu'il fût en mon pouvoir
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PROJET DE VENTE D'UNE CHARGE 547
de le faire, vous seriez convaiDCu du parfait dévouement et du
respect, avec lequel j'ai l'honneur d'être.
Monsieur et très respectable Prélat,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Fr. Grégoire, abbé.
Autant que je puis le savoir, le vénérable abbé de
Pairis ») se rangea à l'avis de son confrère de Lucelle,
car nous voyons que ses successeurs gardèrent la charge
de conseiller jusqu'à la Révolution, laquelle l'emporta
dans son tourbillon avec l'abbaye de Pairis elle-même,
et mille autres bonnes choses qu'il eût été plus sage
de réformer si elles en avaient besoin que de détruire
complètement. Mais, sunt fata reruml et rien n'instruit
et rien ne corrige les méchants : ne retombent-ils pas
aujourd'hui dans les fatales erreurs qui ont fait tant de
mal à la France à la fin du xviu* siècle?
A. M. P. INGOLD.
l) Il devait mourir moinn d'un an après, le 16 janvier I7§^.
(Ahatia sàcra^ I, 382).
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SOLDATS ALSACIENS
XI. Le général Parmentier.
Parmentier Joseph-Charles-Théodore, est né à Barr
(Basse-Alsace), le 14 mars 1821. Il était le sixième enfant
'de Joseph Parmentier et de Marie -Barbe -Charlotte
Casser.
Entré à l'Ecole Polytechnique, le 14 novembre 1840,
il est appelé à Metz, le i" octobre 1842, comme chef
de la promotion du génie, à l'Ecole d'application de
Tartillerie et du génie, et franchit rapidement les divers
échelons de la hiérarchie militaire.
Lieutenant, le i*' octobre 1844, au premier régiment
du génie, promu capitaine, au choix, à l'Etat major du
génie, le 28 février 1847, i' ^st appelé en cette qualité
au Dépôt des fortifications à Paris, le i" janvier 1853.
Aide de camp du général Niel, commandant le
génie à l'expédition de la Baltique, le capitaine Par-
mentier assiste, le 4 juillet 1854, au siège et à la
destruction de Bomarsund (îles d'Aland) et est nommé
chevalier de la Légion d'honneur le 21 octobre de la
même année. De mai à novembre 1855, î' ^st devant
Sébastopol.
Le capitaine Parmentier, décoré de la médaille
anglaise de Crimée, le 30 janvier 1856, de l'ordre du
Medjidié, s« classe, le 6 mai 1856, et de la médaille
-anglaise de la Baltique le 17 février 1857, épouse, le
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SOLDATS ALSACIENS 549-
16 avril 1857, la célèbre violoniste Terésa MilanoUo,
née à Savigliano (Piémont) le 28 avril 1827, et est
promu chef de bataillon au choix le 24 décembre de
la même année»
Membre de la mission envoyée en Italie pour la
demande en mariage de la princesse Clotilde de Savoie,
fille du roi de Piémont Victor Emmanuel, par le prince
Napoléon, fils de Tancien roi de Westphalie Jérôme
Bonaparte, le chef de bataillon Parmentier, à l'occasion
de ce mariage qui resserrait les liens de la France et
de ritalie, est promu officier de Tordre des Saints Maurice
et Lazare (31 janvier 1859).
A la bataille de Solférino (juin 1859), brillant épi-
sode de la guerre de l'émancipation italienne, le chef
de bataillon Parmentier, après avoir rempli plusieurs
missions périlleuses, nous apparaît dans un beau geste,
jetant aux pieds de l'Empereur, sept drapeaux que le
4* corps (général Niel), venait de prendre aux Au-
trichiens.
Pour sa belle conduite à cette bataille, le chef de
bataillon Parmentier, fut promu officier de la Légion
d'honneur (25 juin 1859).
Le général Niel avait pu, pendant l'expédition de
la Baltique et la guerre d'Italie, apprécier la science et
les hautes qualités militaires du chef de bataillon Par-
mentier. Aussi, quand, nommé maréchal de France, il
fut désigné pour le commandement du 6* territoire à
Toulouse, Parmentier l'accompagna comme aide de
camp. Le 18 novembre 1861, il est nommé chef da
génie à Toulouse.
Lieutenant-colonel le 18 décembre 1865, il est chef
du génie à Constantine, puis directeur des fortifications
le 21 juin 1868. Il est promu colonel le 5 avril 1869.
En février 1870, le colonel Parmentier est appelé au
poste de directeur des fortifications au Havre.
La guerre qui éclatait peu après, trouva le colonel
dans un état de santé très précaire. Pourtant le colonet
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550 REVUE d'alsace
rejoint rarmée du Rhin en qualité de chef d'étàt-major
du génie du i" corps.
A Reichshoffen, il a deux chevaux tués sous lui.
Fait prisonnier à Sedan, il est interné à Bonn jusqu'en
avril 187 1. De retour de captivité, le colonel reprend
son poste de directeur des fortifications au Havre. Il
-est envoyé à Lyon en la même qualité en 1873.
Directeur supérieur du génie des 9* et 12* corps
<l'armée le i" mars 1875, il est nommé général de
brigade, le 3 septembre suivant, et membre du Comité
des fortifications à Paris, le i" mai 1878.
Gouverneur éventuel de Dunkerque, inspecteur de
la défense des places du premier groupe Dunkerque,
Bergny, Graveline, Saint-Omer, Aire et Calais, le i" juin
1878, inspecteur permanent du génie pour l'armement
des Côtes, et membre de la Commission de la défense
des Côtes, le 18 février 1881, il est nommé général de
division le 30 mars 1881 et grand-officier de la Légion
d'honneur le 14 juillet 1885.
Le général, atteint par la limite d*âge, passe dans
la section de réserve en 1886, et prend sa retraite
Tannée suivante.
Le général Parmentier n'est pas seulement un ofl&cier
général distingué et un héroïque soldat. C'est aussi un
un savant et un écrivain, dont les nombreux travaux
lui ont acquis une haute réputation.
Lors de son mariage avec Terésa Milanollo, la
Gazette de Cologne écrivait :
c Théodore Parmentier est un dilettante accompli,
-€ il est en même temps compositeur ; c'est un officier
€ de génie encore jeune et très distingué, ancien élève
<de l'école polytechnique ....
< Nous avons reçu de Parmentier quelques poésies
€ composées par lui. Ces poésies, écrites en langue
€ allemande, sont très intéressantes, d'abord parce qu'elles
-c sont l'œuvre d'un officier français, ensuite parce que
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SOLDATS ALSACIENS 55 1
•€ la délicatesse des sentiments qu'elles expriment con-
€ traste singulièrement avec le tumulte guerrier et les
c batailles sanglantes au milieu desquelles elles ont été
< inspirées à leur auteur ».
Nous empruntons au Dictionnaire biographique des
Jtommes de V Est la liste fort longue des travaux du
général Parmentier :
< Comme mathématicien, le général Parmentier est
< l'auteur de r Comparaison de quelques méthodes de
< quadrature et formule nouvelle pour la quadrature
< des courbes planes. Ce travail a paru dans les Nouvelles
€ Annales de Mathématiques (t. xiv, 1855, et 2* série, t. XV,
€ 1876). La formule de Parmentier, beaucoup plus simple,
€ et d'une approximation de même ordre que celle de
-< la célèbre formule de Thomas Simpson, peut avan-
< tageusement remplacer cette dernière. On lui doit
-€ aussi des travaux intéressants sur la géométrie de
< position ; les Carrés magiques ; le Problème des huit
€ reines sur V échiquier ; le Problème du cavalier aux
< échecs^ et les carrés magiques obtenus par la marche
< du cavalier.
€ En astronomie, le généra. Parmentier s'est fait
< connaître par ses recherches sur la distribution des
"€ petites planètes entre Mars et Jupiter.
€ Le général Parmentier a publié de très utiles tra-
c ductions d'ouvrages techniques allemands : Eléments
< de l'art de fortifier ^ de Schwinck (1846-47); Exposi-
< tion et description d'un système de fortification poly-
^ gonale et h caponnières (1850, 2* édit. 1881); Description
< topographique et stratégique du théâtre de la guerre
€ turco^usse (Paris, 1854); Expériences de tir faites à
<Juliers en septembre 1860^ compte rendu (1862), et
-€ un Vocabulaire des termes de fortification allemand-
€ françcUs (1849). M a collaboré à la rédaction, par le
-c général Niel, des relations des sièges de Bomarsund
"€ et de Sébastobol.
« On sait l'intérêt que le général Parmentier porte
« aux recherches géographiques et aux questions colo-
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552 REVUE D ALSACE
€ niales. Il a publié les Vocabulaires des principaux
< termes de géographie et des mots qui entrent le plus
€ fréquemmcfU dans la composition des noms de lieux y
< en arabe (1882), magyar (1883), turc (1884), Scandinave
«(1887), et rhétoraman (1896); Quelques observations
1 sur l'orthographe des noms géographiques (1870);
« De la transcription des noms arabes en caractères
€ latins (1880).
€ Fait très curieux, le général Parmentier est un
€ critique d'art et un compositeur de musique des plus
€ distingués. Il a donné des articles de critique musî-
« cale dans plusieurs journaux : la Gazette musicale de
€ Paris (1849-60), la Frafice musicale (1860), la Presse
€ théâtrale, la Critique musicale, le Courrier du Bas-
€ Rhin (Strasbourg), le Journal de Toulouse, le Ménestrel y
< etc. . . .
« Il a écrit un certain nombre de compositions pour
€ piano, orgue, violon, chant et orchestre, parmi les-
€ quelles il convient de citer : Sept canons d'un genre
« particulier, pour piano à quatre mains, qui présentent
€ des combinaisons tout à fait nouvelles et curieuses et
€ qui ont été appréciées des connaisseurs.
€ Le général Parmentier a collaboré aux bulletins
< et mémoires des sociétés savantes auxquelles il appar-
< tient, ainsi qu'à plusieurs recueils techniques.
€ Il est membre de X Alliance française pour la pro-
€ pagation de notre langue aux colonies et à l'étranger
« (président), membre fondateur de la Société astrono-
< mique de^ France et de X Association française pour
< V avancement des sciences; membre perpétuel de XAsso^
« dation pour V encouragement des études grecques, et de
€ la Société de Linguistique ; membre de la Société matké^
€ mathique de France, des Sociétés de Géographie de
< Paris, de Lyon, de Toulouse ; membre honoraire ou
€ correspondant des Sociétés de Géographie de Roche-
« fort, de TEst (Nancy), de Neuchâtel (Suisse), d'Anvers,
« etc. . . ., du Comité de V Afrique française, des Sociétés
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SOLDATS ALSACIENS 553
€ topographique de France y de Navigation aérienne ^
• rhétoromane de Coire (Suisse), etc. . . .
€ Enfin pour être complets, disons que, dans sa
« jeunesse, le général Parmentier a publié des poésies
€ en langue allemande dans des revues et recueils alsa-
« ciens, puis en français quelques poésies, soit origi-
« nales, soit traduites de l'allemand ou de l'anglais
€ (ancienne Revue de Paris j 1856; Revue de Toulouse ^
< 1860-63) ».
Bibliographie
(Supplément aux ouvrages cités).
I. Art militaire : Cours élémentaire de fortification
passagère, suivi de quelques notions de fortification
permanente, à Tusage des sous-officiers de Tarmée.
(Paris, 1855).
II. Sciences : Comparaison analytique des diffé-
rentes méthodes d'approximation pour la quadrature
des courbes planes et formule nouvelle (Compte rendu
de V Association française pour l'avancement des sciences^
congrès de Nantes, 1875). — Simplification de la méthode
d'interpolation de Thomas Simpson (Nouv, Annales de
mathématiques^ 2* série, t. xv, 1876). — Sur la quadra-
ture des paraboles du 3*= degré (Compte rendu de
X Association française pour V avancement des sciences^
congrès de Montpellier, 1879). — Nouvelles formules
de quadrature (Id., congrès de la Rochelle, 1882). —
Problème des reines (Id., congrès de Rouen, 1883). —
Note sur la quadrature des courbes planes (Mémorial
de r officier du génie ^ n° 26, 1885). — Sur les carrés
magiques (Compte rendu de X Association française pour
V avancement des sciences (publication à parr, 1891), et
complément du travail précédent (congrès de Pau,
1892). — Chronologie des marches du cavalier aux
échecs conduisant à des carrés semi-magiques, présenté
au congrès de Caen, 1894, de XAssoc, franc, pour
C avancement die la science (publication à part). — Lettre
Rtwut d' Alsace, 1907 86
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Google
554 RF-VUE d'alsace
sur le magnétisme animal, à propos du défi proposé
aux magnétiseurs par M. Pouchet {Annales des sciences
psychoLy 1893). — Distribution des petites planètes entre
Mars et Jupiter (dans plusieurs numéros de la revue
\ Astronomie et les bulletins de la Société astronomique
de France^ 1883 ^ 1896). — Les dépêches chiffrées
indéchiffrables (Revue scientifique^ 1887).
III. Géographie et Linguistique : Sur Tétymologie
de l'expression tEtre dans la nasse» [Recréât. philoL de
F. Génin, 1856). — A propos de l'origine des anciens
peuples du Mexique; dissertation linguistique (Bulletin
de la Soc. de Géographie de Lyon^ ^875). — Quelques
observations sur l'orthographe des noms géographiques
{Compte rendu de VAssoc. franc, pour ^avancement des
sciences^ congrès du Havre, 1877), — L'Alphabet géo-
graphique international (Revue de Géographie^ Paris,
1887). — Les Emphatiques arabes {Mém. de la Soc. de
Linguistique de Paris^ t. IX, 1896). — Etude sur les
langues rhétoromanes : frioulan, ladin du Tyrol, ladin
et romanche des Grisons (Compte rendu du premier
congrès international des langues romanes. Bordeaux,
1897).
IV. Musique : i** Nombreux articles de critique
musicale (voir plus haut). — 2* Compositions musicales.
Pour piano : six Mélodies, op. i ; deux Polkas pour
musique militaire, réduites pour piano ; deux Morceaux
de salon, op. 2 ; BarcaroUe et Gondoline, op. 3 ; Fugue
à quatre mains, extraite de Top. 5 ; Nocturne, op. 9 ;
Etude, op. 12. — Pour violon avec accompagnement
de piano : Sur le fleuve, barcaroUe, op. 14. — Pour
grand orgue : quatre pièces et une fugue; quatre-vingt-
seize petits préludes et versets dans tous les tons majeurs
et mineurs, op. 6. — Pour chant : quatre Romances,
op. 4; la Sérénade, op. 7 (texte allemand et français);
Litanies de la Sainte Vierge, pour chœur mixte. — Pour
orchestre : transcription à grand orchestre de la Polo-
naise en mi-bémol, pour piano, de Weber.
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SOLDATS ALSACIENS 555
Pour mémoire (essais littéraires) : quelques Poésies
'éparses ; Poésies allemandes, dans Y Elsàssisches Samstags-
blatt (1857 et 1863), dans le Pfeffel-Album, recueil de
poésies d'auteurs alsaciens (1859), et dans X Album
lyrischer Originalien^ publié par Oser (Bàle, 1858);
Ephémérides littéraires pour tous les jours de Tannée
{Revîie de Toulouse ^ 1860); Poésies traduites de l'anglais,
de Moore, Byron et Kirke-Withe (ib. 1860); Poésies
traduites de l'allemand (ib., 1861); deux Epîtres en vers
à M™* Desbordes- Valmore (ib. 1863); Discours (sur le
rôle de la science au xix* siècle, et l'œuvre de vulgari-
sation de M. Flammarion), prononcé au banquet des
fêtes de Montigny-le-Roi en l'honneur de M. Camille
Flammarion le 6 avril 1891 (voir C. Flammarion^ sa
fvie et son œuvre ^ par Sylvio Hugo, Paris, 1891).
Le 17 décembre 1902, le général Parmentier assistait,
-à l'église Saint-Louis des Invalides, au mariage d'un
petit-cousin. Voici ce qu'écrivait, quelques jours plus
tard, M. G. Gasser, le père du marié:
€ Il était beau de voir ce vieillard à cheveux blancs,
encore bien droit, conservant la vivacité d'esprit et de
corps d'un âge moins avancé, entrer dans cette chapelle
où, en levant les yeux, il pouvait remarquer à la voûte
sept drapeaux autrichiens qu'il avait été remettre à
l'empereur le jour de la bataille de Solférino ».
Depuis plusieurs années, le général vit retiré à Paris.
Malgré son grand âge, il cultive les sciences qu'il n'a
jamais abandonnées, et cette fleur rare, le plus bel
ornement d'une vie toute de dévouement et de modestie:
la charité.
Le 25 octobre 1904, il a eu la douleur de perdre
la fidèle compagne de sa vie, décédée à Paris à l'âge
de ^^ ans.
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556 REVUE d'aLSACE
èse Milanolo, dont le nom est inséparable de
i général Parmentier, laisse une réputation,
violoniste qui n'est pas encore effacée. Mais
on mariage elle ne s'était plus fait entendre
c, sinon à de rares intervalles, pour des œuvres
aisance; elle s'était réservée exclusivement à.
Dsition musicale.
M. LORTET.
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VARIÊTÉ'S
I. Un Eyx(ûf4ioy f4(ûQiag è Ersteifi en 1704»
Le curieux document qu'on va lire est tiré d
précieux recueils intitulés Affaires d* Alsace^ conserv
-à la bibliothèque de Trêves. Cette oraison funèbre d'i
curé d'Erstein qui s'était pendu, rappelle en effet XElo.
.de la folie d'Erasme, comme le vicaire général du di
cèse l'écrivait au premier président du Conseil souvera
d'Alsace.
A. M. P. I.
Strasbourg, ce 20 juin 1705.
Monsieur,
Je me donne l'honneur de vous écrire à l'occasion de
-que je viens d'apprendre qu'à la requête de M. le procure
.général vous avez nommé un commissaire pour aller inform
à Erstein au sujet du curé de ce lieu qu'on vous a dit s'être t
lui-même, pour vous supplier très humblement, Monsieur,
vouloir bien consentir à ce qu'on n'informe pas davantage î
ce fait. J'ai l'honneur d'en écrire aussi à M. le procureur gêné
que je le prie de vouloir cesser ses poursuites à cet égard,
pour le porter à m'accorder cette grâce je lui envoie un pré<
de l'information qui a déjà été faite à la requête du sieur pi
-moteur, par laquelle il conste que ce curé était, sinon tout
ifait fol, au moins si fort blessé que cela suffit pour l'excusa
•en conséquence de quoi on a permis qu'on l'enterrât, et on
:fait faire un discours ou oraison funèbre que l'on pourrait co
parer en quelque manière à VEncomium moriae d'Ër^iJHI/ds
.lequel, en rapportant toutes les actions extraordinaires de
-curé, on a tâché de calmer le scandale que sa mort av
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REVUE D'ALSACE
t prouvé que cela ne diminuait point le mérite de ce-
ait fait étant dans un parfait bon sens. En sorte que
lation qu*on pourrait faire maintenant ne pourrait faire
très mauvais effet et remuer sans aucun succès les
; de ce pauvre prêtre, dont la cervelle était si facile à
er qu'étant accusé il y a trois ans d'avoir fait un mariage
les règles, cette accusation lui avait tellement brouillé^
qu'on fut obligé de lui faire dire qu'il n'avait fait aucun
ioique par la suite on ait cassé ce mariage. Vous pouvez^
Lir, faire fond sur ce que j'ai l'honneur de vous dire
si vous l'aviez vu vous-même, car je serais bien fâché
» avancer un fait dont je douterais moi-même en quel-
nière. Comme il est presque inouï qu'un prêtre se soit
ré, je vous prie, Monsieur, pour l'honneur du sacerdoce,,
entir à ce qu'on ne réveille pas cette action qui corn-
à s'assoupir. On vous aura peut-être ajouté que ce
Lvait abusé d'une sienne parente qui se trouve effective-
rosse. Mais ce fait n'est pas certain. Au contraire on
uellement le procès à l'officialité à celui qui est cou-
t qui a déjà avoué sa faute dans la première interroga-
e vous supplie de m'accorder la grâce que je vous-
ie en cette rencontre et de me croire avec beaucoup de
et d'attachement.
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur
Le Laboureur,
faisant les fonctions de grand vicaire de l'évêchè
de Strasbourg.
fragment suivant du brouillon (autographe) de la
;e de M. de Corberon montre que celui-ci tint
e de la requête du vicaire général:
« A l'égard de l'autre affaire ne soyez pas en peine,
mation ne se fera pas sitôt nonobstant les mouvements
r^est donné inutilement pour . . . forcer M. le pr. général
plir son ministère malgré lui en cette occasion. Il est
î sage et ne fera rien qui puisse diminuer le respect que
pies doivent conserver pour leurs pasteurs, et de ma»
contribuerai toujours à ce que vous pourrez désirer de-
pareille occasion ... ».
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VARIETES 559
IL A propos du c Livre d*or » de Souitzi).
Tout a-t-il été dit sur la • manie » des généalogies ?
Je n'oserais Tatlirmer. Sans doute, les uns ont crié à
la prétention, à la vanité, s'efforçant de faire croire
qu'on a surtout en vue le c moi », — ce c haïssable
moi », pour employer le mot de Pascal — quand on
se mêle d'établir la série de ses ancêtres. D'autres se
contentent d'y voir une innocente lubie, assez excusable.
Parmi ceux que volontiers j'appellerais les c utili-
taires », il en est qui insinuent que les quartiers de
noblesse ne sont plus exigibles pour les couvents et les
abbayes; il en est aussi qui estiment que les bourses
de famille dans les collèges de Jésuites 2) ou autres ont
fait leur temps ; il en est encore aux yeux desquels le
généalogiste doit disparaître dès qu'il ne s'agit pas de
questions d'héritage.
Et pourtant, ne sont-elles pas réellement utiles à
l'histoire d'une localité, ces généalogies que sous le
titre de t Livre d'or », de « Tablettes d'or > on tend
de nos jours à dresser, d'une façon sommaire du moins,
à la suite des histoires locales? Plus d'une fois un point
obscur d'histoire n'a-t-il pas été éclairci grâce à l'inter-
vention des généalogistes?
Sans parler des services que des généalogies ainsi
établies avec méthode rendent à la statistique, n'est-il
pas vrai qu'il est intéressant pour tout le monde de
pouvoir remonter la série de ses ancêtres, au plus grand
nombre de degrés, à toutes les branches, possible?
N'est-il pas vrai que cela contribue à créer l'union
dans les familles, la solidarité parmi ceux qui sont nés
sur le même sol?
1) Qui. si nous sommes bien informé, doit paraître prochainement.
2) C^est ainsi que, pour établir les droits des divers membres de la
famille Krust aux deux bourses fondées par les Pères Krust au collège
de Porrentrny, on a dressé la généalogie de cette famille. Si l'on
voulait bien la compléter, elle deviendrait une des plus intéressantes
généalogies d'Alsace.
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560 REVUE d'aLSACK
Maintenant que les c déracinés » abondent, il est
grand temps peut-être que les familles, ou à leur défaut
les historiens locaux, fixent la généalogie de ceux qui
les intéressent.
Nous ne pouvons donc qu'être vivement reconnais-
sant, envers les infatigables chercheurs qui, comme
va le faire M. Gasser, loin de dédaigner les généa-
logies, s'efforcent de les établir avec une science
accomplie.
Son Livre d'or de Souliz méritera à plus d'un titre
la place enviée qu'il occupera dans nos Alsatiques.
Puisse-t-il servir de modèle aux historiens de nos com-
munes d'Alsace!
C. O.
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LIVRES NOUVEAUX
Verôffentlichungen aus dem Stadtarchiv zu Colmar . . . von
dem Stadtarchivar D' Eugen Waldner. Colmar, Strass-
burger Druckerei, 1907. Grand in-8** de 177 pages.
Sous ce titre général, — à la suite duquel il semble qu'il
-eût été bon de donner un titre plus spécial à chaque fasci-
cule, — M. Waldner commence la publication de documents
>tirés des archives confiées à sa garde. Cette publication a été
décidée par l'administration actuelle de la ville de Colmar. On
a si peu souvent l'occasion de la féliciter qu'il ne faut pas, cette
Tare fois, manquer de le faire.
Le premier fascicule orné d^une gravure qui aurait pu être
meilleure (par contre l'impression du volume est excellente),
contient trois parties tout à fait distinctes.
La première (p. 1-13) est une histoire du dépôt d'archives
•de Colmai, où M. Waldner rend un particulier hommage â
plusieurs de ses prédécesseurs : Huffel qui confectionna de
1719 à 1733 un très précieux inventaire encore toujours utile;
Birkel qui sauva les Archives pendant la Révolution; Hugot, le
fondateur du musée Schongauer; enfinMossmann àqui l'histoire
•de Colmar doit tant d'excellents travaux. L'auteur termine cette
première étude par un rapide aperçu sur ce que contiennent
les Archives de Colmar et répète cette appréciation, écrite er
1867 : Le dépôt de Colmar compte au nombre des plus riches
M des plus importants de la France^ ce que l'on peut, dil
M. Waldner, dire aussi relativement à l'Allemagne.
Dans la seconde partie (p. 13 à 85), l'auteur nous donne
-d'importants extraits des délibérations et ordonnsM^ces du Con-
-seil de Colmar pour les années 1362 à 1432, c'est-à-dire poui
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562 REVUE d'aLSACE
le premier siècle qui a suivi la constitution de la commune à
Colmar. Une table des matières et des noms termine cette
seconde partie.
Enfin, en troisième lieu (de la page 85 à la page 177), le
volume nous donne une étude originale sur Taftaire des dix
villes libres impériales d'Alsace après la paix de WestphaJie,
snr laquelle l'auteur utilise de nombreux matériaux inédits,
découverts par lui dans les archives de Colmar, et que ni
Bardot ni Rocholl n'avaient pu consulter.
En somme excellente publication qui fait honneur à son
auteur et est d'excellent présage pour la collection qu'elle
inaugure.
_^_^ A. M. P. 1.
Alte BUcher und Papiere aus detn Claris s enkloster Alspach,
von D' J. Gass, Strasbourg, Le Roux, 1907. In- 12 de
68 pages.
Une récente donation faite à la bibliothèque du Grand-
Séminaire de Strasbourg par l'arrière-petit-neveu d'une des
dernières religieuses d'Alspach, morte seulement en 1842, à
Ammerschwihr, a permis à l'auteur de cette curieuse brochure
de nous donner toutes sortes de renseignements intéressants
sur la vie liturgique de ce monastère. Ce qui donne à ce
nouveau travail du savant bibliothécaire du Grand-Séminaire
un prix particulier, c'est la gravure qui l'accompagne, seule vue
connue de l'intérieur de l'église d'Alspach. Signalons aussi la
notice biographique de Déicole de Ligertz, bénédictin de
Murbach, l'auteur de trois des livres liturgiques décrits par
M. Gass.
_^ A. M. P. I.
L. Stolff. Deux documents relatifs à Catherine de 'Saur-
gogne^ duchesse d'Autriche^ comtesse de Ferrette et d^Al-
^a^^( 142 1-1424). Nancy, Berger-Levrault, 1907. i brochure
in-8° de 24 pages.
Dans le dernier numéro de la Revue nous avons présenté
à nos lecteurs la publication de M. Stoufï relative aux comptes
de Catherine de Bourgogne pour son domaine d'Alsace,,
extraite du trésor de la Cour des comptes de Dijon. Le même
auteur vient d'extraire du même dépôt deux documents nou-
veaux, non moins intéressants sur le même sujet.
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LIVRES NOUVEAUX 563
Après la mort de son époux Léopold d'Autriche, en 141 1^
Catherine de Bourgogne eut à subir de la part de son beau-
frère Frédéric de longues difficultés pour la conservation du
domaine d'Alsace qui constituait son douaire. Les documents
publiés par M. Stouff ont trait à ces difficultés. Le premier est
un mémoire en français pour Catherine contre les héritiers de
Léopold son mari, relatif à ses conventions matrimoniales; il
est daté du 6 décembre 1421. Le second est un compte alle-
mand des dépenses qu'elle fit à Ensisheim du 21 septembre
1423 au 10 janvier 1424, lors de son retour en Alsace, après
avoir définitivement recouvré ses possessions.
Alsata.
Der deutsch'franz'ôsische Krieg von i6j4'l6j§, Nach urkund-
lichen Quellen bearbeitet von K. Tschamber. HQningen,
Weber, 1906, 268 pages in-8°, cartes').
L'auteur, instituteur à Huningue et auteur d'une
histoire de cette petite ville de la Haute-Alsace, parue
il y a quelques années, a voulu raconter dans le présent
volume la célèbre campagne de Turenne en Alsace et
sur les bords du Rhin, depuis les préliminaires de la
campagne dans la province jusqu'à la mort du grand
général. Tentative un peu ambitieuse peut-être, après
les très nombreux travaux spéciaux consacrés à cette
campagne en général ou à des épisodes particuliers de
cette lutte qui dura de 1674 à 1675, et dont beaucoup
ont une valeur scientifique durable et plusieurs des dimen-
sions plus considérables que l'ouvrage de M. Tschamber.
Peu de périodes de Thistoire d'Alsace ont été aussi dis-
cutées que celle-ci, tant au point de vue politique que
militaire, par les historiens du pays, comme par ceux
de la France et de l'Allemagne, par les civils comme
par les militaires. Après Beaurain et Peter, Gérard
et Choppin, Pastenacci, Liimkemann, Kortzfleisch et
P. Muller, il était difficile de trouver du nouveau, qui
i) Nous empruntons cet intéressant article (qui est, croyons-nous,
de notre éniinent compatriote M. R. Reuxo, professeur à la Sorbonne)<
à la Revue critique du 30 septembre dernier.
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564 REVUE d' ALSACE
fût à la fois exact et intéressant. Ce n'est pas que Fauteur
ne se soit mis consciencieusement à l'ouvrage ; s'il a
réellement parcouru tous les volumes et les brochures
énumérées dans sa Bibliographie — et nous n'avons
aucune raison d'en douter — on ne peut que louer
son zèle et sa patience, encore que bon nombre des
écrits qui y sont cités, ne puissent à aucun titre figurer
parmi les sources d'une étude scientifique. M. T. a même
consulté quelques dossiers dans certaines archives alle-
mandes, par exemple à Ludwigsburg et Stuttgart, mais
je crains bien que ses trouvailles sur ce point n'aient
été plutôt fâcheuses pour lui, car trouvant parmi des
papiers sans grand intérêt (états de présence de certains
régiments, comptes militaires), d'autres pièces de nature
différente, telles que gazettes et feuilles volantes, expé-
diées par des fonctionnaires subalternes, bruits, vrais
ou faux, circulant dans le public, il s'est imaginé un
peu naïvement qu'il y avait là des renseignements iné-
dits de haute importance, encore qu'il n'en retrouvait
pas la trace ailleurs. Il aurait dû se dire qu'une Zeitung
saugrenue, pour être déposée dans un Staatsarchiv, n'est
pas forcément un document historique probant; il n'aurait
pas relevé par exemple, comme un fait particulièrement
curieux à mentionner, la fuite panique de Louis XIV
et de sa cour vers Brisach, à la suite d'un raid inopiné
'des Impériaux et des Espagnols dans la Haute-Alsace.
Je veux bien admettre que le bailli de Hornberg a cru
réellement ce racontar, inséré dans son rapport du
9 septembre (p. 22), mais qui n'est pas plus vrai que
celui du bailli de Bretten, qui, le 13 septembre, mande
que les Français « ont rasé Colmar jusqu'aux fonde-
ments », alors qu'ils n'avaient fait qu'en démolir l'en-
ceinte. Mais M. T., avec un peu de réflexion, aurait
constaté qu aucune source — je ne dis pas française,
mais même les sources allemandes les plus hostiles au
roi de France — ne sait rien d'un fait pareil, ni les
Notes de Reisseissen, ni la Chronique de Walter, ni
Jes chroniques colmariennes extraites par Rathgeber,
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LIVRES NOUVEAUX 565
ni la grande compilation du Tkeatrum Europœum^ dont
le volume XI, paru à Francfort en 1682, raconte avec
tous les détails Thistoire des années 1672-1679, et spé-
cialement l'itinéraire de Louis XIV en août et septembre, .
à travers l'Alsace (p. 530-531), et qui est dédié à l'Elec-
teur de Brandebourg, Frédéric-Guillaume, le grand adver-
saire de la France à ce moment et le héros de M. T.
Comment a-t-il pu s'imaginer qu'un fait aussi glorieux
pour les troupes alliées, aussi mortifiant pour le Grand
Roi, n'eût pas été raconté partout, s'il s'était vraiment
produit? Il devra se résigner à rayer de son récit de
la campagne ce fameux Vorstoss qui mit en fuite la
cour royale, et amena sa retraite nocturne derrière les
murs de Brisach. Au point de vue de l'histoire poli-
tique, il y aurait plus d'une observation à faire sur ce
que dit l'auteur de l'attitude des princes allemands et
des petits Etats de l'Alsace. Tout le récit s'inspire trop
des tendances néo-patriotiques qui ne cadrent pas tou-
jours avec la réalité et même avec ce que M. T. avoue
lui-même quand il dit par exemple que la plupart
des Etats de l'Empire ne se joignirent que contraints
(gczwungm) à l'Empereur pour cette campagne de 1675
(p. 213). L'impression produite par la conduite des alliés,.
Brandebourgeois, Hessois, Brunswickois, Impériaux, etc.,
ne fut rien moins que favorable, même auprès des cités
alsaciennes les moins sympathiques à Louis XIV, et les
chroniqueurs contemporains du pays ne se sont pas
fait faute de la marquer dans leurs écrits.
Sur bien des points de détail j'aurais à présenter
des observations à l'auteur dont je ne méconnais pas
le désir sincère d'arriver à la vérité, mais qui manque
de sens critique. C'est une légende apocryphe que celle^
du Grand Electeur jetant dans le Rhin l'épée du prince
Emile, son fils, mort à Strasbourg pendant la campagne,
en repassant ce fleuve; c'est une excentricité de faire
dire à Louis XIV, d'après je ne sais quel pamphlet
contemporain : 0 wie beisset mich der Tod des Turennel
au moment où il apprend la catastrophe de Sassbach.
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3 REVUE D ALSACE
r contre, il lui arrive de traiter de légende fabuleuse
trahison de Contarini à Dachstein (p. 194), alors
'elle seule explique son suicide à Strasbourg, raconté
r Walter dans sa Chronique strasboiirgeoisc^ p. 123.
lis il est inutile de s'arrêter à ces menus détails, le
vail de M. T., quelque consciencieux qu'il soit, ne
uvant remplacer ses nombreux prédécesseurs et ne
irquant pas, à mon avis, un pas sérieux en avant
ns l'historiographie de cette époque ')•
R.
Articles de journaux et de revues.
Revue catholique d'Alsace. Projet d'une création de faculté
théologie à Strasbourg en 1823, par Laborie.
Images du Musée alsacien. IV. Costumes de maîtres de
ste et de bourgeoise, époque Louis XVI. — Barettes en
Te. — Schiîlersdorf. <%
Annuaire-bulletin de la Société de l'histoire de France.
Notice sur M. Himly, par le baron de Courcel. (Avec de
îs remarquables observations sur le rôle anti-français de la
ience allemande).
Le Messager d^ Alsace- Lorraine. 28 septembre. L'annexion
Strasbourg à la France : un document oublié. — 2 novembre.
[1 philologue alsacien à ^exposition de reliures. (Le savant
chard Brunck).
i) Disons seulement encore que les Mémoires de deux voyages en
sace que Tauteur cite sous le titre bizarre de c Memoiren Engeî-
yllfus » ont été édités par M. Joseph Coudre et non par M. Eogel-
>Iifu8; que Fauteur cité p. 7 s'appelle HunkUr et non Hungltr\ que,
63, c'est S. Altesse de Trêves et non pas S, A. de Treviri qu'il
it lire, etc.
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LIVRES NOUVEAUX 567
U Autorité du 2 octobre. France et Allemagne, par le
-général Grandin. (Remarquable article sur la question d'Alsace-
Lorraine).
La Revue de Part ancien et moderne. T. XXII et XXIII.
Les musées d'Alsace. — Les musées de Strasbourg, par
A. Girodie. (Fragment du grand ouvrage que prépare l'auteur
sur l'art en Alsace. En souscription chez Staat, rue des
Serruriers/ Strasbourg).
Annales de PEst et du Nord. Octobre 1907. R. Reuss.
Notes sur l'instruction primaire en Alsace pendant la Révolu-
tion. (Très intéressant article que nous envions à nos confrères
de Nancy).
Revue alsacienne illustrée. III. 1907. Charles Dulac, par
A. Girodie. — L'Alsace vue du dehors en 1780. — Maison
d'art alsacienne.
Le Gaulois du 5 novembre. A Sainte-Odile, par Fr. Funck-
Brentano.
Signalons une nouvelle publication, dirigée par notre com-
patriote, M. Pierre de Thann, intitulée : Notre Ecole. Revue
hebdomadaire d'enseignement pour les enfants dans* leur
famille. (Paris, Rousseau, rue Soufflot, 14).
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TABLE ANALYTIQUE
ET ALPHABÉTIQUE
DU TOME S8« (1907), 8« DE LA NOUVELLE SÈME
DE LA REVUE D'ALSACE
Nota. — Les noms en caractères gras sont ceax des anteara des
artictes ; les autres, ceux des objets dont il est question dans ces articles
ou des auteurs des ouvrages analysés, dont les titres sont mentionnés
aussi à part en italique.
Abréviatiom : C. R., compte rendu. — - Art., article. — V., voyez.
Une accusation contre les Jé-
suites de Strasbourg en 1705.
Art. par Jules Schwartz. 496.
Alsact'Larraifu^ par M. Barrés.
C. R. 103.
Alsace champêtre. Le parfait
village^ par C. Fischer. C. R.
35^-
Un ami du roi de Prusse à
Sainte -Marie -aux -Mines en
1758. Art. par A. M, P. In-
goW.'533.
A propos du Livre d^or de
Soultz. Art. par C. O. 559.
Argentorat, Argentovar. Art.
par A. Hanauer. 489.
Les armoiries de la ville de
Rouffach, art. par Th.Walter.
348.
Revue d*Altace, 1907
M. Barrés. Alsace ^ Lorraine
C. R. 103.
H. Bardy. Une rivalité éphé-
mère : Belfort et Thann en
1815. Art. 201.
De Beaurepaire-Froment. Bi-
bliographie des chants popu-
lair es français, C. R. 295.
Bibliographie des chants popu-
laires français^ p. de Beaure-
paire-Froment. C. R. 295.
Cernay sous les Mérovingiens.
Art. par C. Oberreiner. 389.
Les combats de Cernay pen-
dant la guerre de Trente Ans.
Art. par C. Oberreiner. 105.
Comptes du domaine de Cathe-
rine de Bourgogne en Haute-
Alsaccy p. L. Stouff. C.R. 487.
8T
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S70
REVUE D'aLSACE
Correspondance entre le duc
d'Aiguillon et le prince de
Rohan. Art. par L. ^hrhard.
i66, 239, 328.
Une critique de V Alsace au
XVIII*' sûcie, de Ch. Hoff-
mann. Art. par A. iM. P. In-
gold. 387.
La Direction. Pro domo. Art
297- (
Der deutsch'franzos. Krieg von »
7^7^-75, par A. Tschamber.
C. R. 563-
L. Ehrhard. Correspondance
entre le duc d'Aiguillon et
le coadjuteur L. de Rohan.
Art. 166, 239, 328.
L'emplacement de la rencontre
de César et d'Arioviste et le
Champ du Mensonge. Art.
par C. Oberreiner. 536.
Un Encomion marias à Erstein
en J704. Art. par A. M. P. 1.^
557.
Encore Grandidier poète. Art.
par A. M. P. Ingold. 460.
Les faïenciers de Haguenau.
Art. par A. Hanauer. 37, 136.
C. Fischer. Le parfait village,
C. R. 352.
Mgr, Freppel, par X. Pavie.
C. R. loi.
A. Gasser. Soldats alsaciens.
X. Le capitaine Richard
Art. 464.
A. Hanauer. Argentorat, Argen
tovar. Art. 489.
A. Hanauer. Les faïenciers de
Haguenau. Art. 37, 136.
Hansi. " Vogesenbilder, C. R.
486. \
Victor Henry. Art. par X***<
194.
Ch. Hoffmann. Les troubles de
1789 dans la Haute-Alsace.
Art. 5, 124, 206, 354, 432.
A. I. Ingold. Souvenirs de M. de
Latouche. Art. 179, 395.
A. M. P. Ingold. A propos des
Lettres de Schœpflin. Art. 94.
A. M. I. Ingold. Une critique de
V Alsace au xviii" silcle de
Ch. Hoflfmann. Art. 387.
A. M. P. Ingold. Encore Gran-
didier poète. Art. 460.
A. M. P. Ingold. Projet de vente
d'une charge de chevalier
d'honneur d'église au Conseil
Souverain d^Alsace. Art. 541.
A. M. P. I. La restauration de
réglise Saint-Martin de Col-
mar. Art. 393.
— Un ami du roi de Prusse à
Sainte- Marie- aux- Mines en
1758. Art. 533.
— Un Encomion morias à
Erstein en 1704. Art. 557.
A. M. P. Ingold. Dom Lamey.
C. R. 487.
A. Laugel. L'œuvre de Charles
Dulac et le mysticisme en
art. Art. 300.
Une lettre de Victor Henry.
Art. par (C. O.). 293.
J. Lévy. Bas verschwundené
Dorf Mauchenheim, C. R.
103.
M. Lortet. Soldats alsaciens.
XL Le général Parmentier.
Art. 548.
Mélanges tirés de la biblio-
thèque H. Wilhelm. Art. par
E. Rodé. 155.
C. Oberreiner. Les combats de
Cernay pendant la guerre de
Trente Ans. Art. 105.
C. Oberreiner. Cernay sous les
Mérovingiens. Art. 389.
— L'emplacement de la ren-
contre de César et d'Arioviste
et le Champ du Mensonge.
Art. 536.
(C. 0.). Une lettre de Victor
Henry. Art. 293.
— A propos du Livre (for de
Soultz. Art. 559.
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TABLE ANALYTIQUE ET ALPHABÉTIQUE
571
A. d'Ochsenfeld. Les provinces
perdues. Art. 509.
L'œuvre de Ch. Dulac et le
mysticisme en art. Art. par
A. Laugel. 300.
Orschweier^ par Th. VValther.
C. R. 103.
A. Pavie. Afgr, FreppeL C R.
lOI.
Pro Domo, Art. par la Direc-
tion. 297.
Projet de vente d'une charge de
chevalier d'honneur d'église
au Conseil Souverain d'Al-
sace. Art. p A. M. P. Ingold.,
541.
A propos des Lettres de
Schœpflin. Art. par A. M. P.
Ingold. 94.
Les provinces perdues. Art par
A. d'Ochsenfeld. 509.
La restauration de réglise Saint- ;
Martin à Colmar. Art. par
A. M. P. L 353.
Une rivalité éphémère : Bel fort
et Thann en 1815. Art par
H. Bardy. 201.
E. Rodé. Mélanges bibliogra-
phiques tirés de la biblio-
thèque H. Wilhelm. Art. 15s
A. de Saint-Antoine. Les tribu-
lations d'un solliciteur, ou
Gœtzmann, d'après quelques-
unes de ses lettres inédites.
Art. 469, 514.
Jules Schwartz. Une accusation
contre les Jésuites de Stras-
bourg. Art. 496.
Soldats alsaciens. X. Le capi-
taine Richard. Art p. A. Cas-
ser. 464.
Soldats alsaciens. XI. Le géné-
ral Parmentier. Art. p. M Lor-
tet. 548.
Souvenirs (C Alsace^ p. A. Trom-
bert. C. R. 102.
Souvenirs de M. de Latouche.
Art. par A. L Ingold. 279,
365-
Souvenirs d'un médecin stras-
bourgeois. Art. p.E.Wickers-
heimer. 61.
Louis Stouff. Comptes du do-
maine de Catherine de Bour-
gogne dans la Haute-Alsace
C. R 487.
Les tribulations d'un solliciteur,
ou Gœtzmann, d'après ses
lettres inéaites. Art. p. A. de
Saint-Antoine. 469, 514.
A. Tschamber. Der deutsch-
franzos, Krieg von iôj^-yj.
c. R. 563.
A. Trombert. Souvenirs d'Al-
sace. C. R. 102.
A. Touchcmoulin. Art. par
H. Wcisgerbcr. 198.
Les troubles de 1789 dans la
Haute- Alsace. Art. par Ch.
Hoffmann. 5, 124, 206, 354,
432.
Das verschwundene Dorf Aîau-
c/ienheim^ par Pabbé Lc\ y.
C. R. lo^î.
Vogesenbilder^ par Hansi. C. R.
486.
Th Walter. Les armoiries de la
ville de Rouffach. Art. 341.
Walter. Orschweier. C. R. 103.
H. Weisgerber. Alfred Touche-
moulin. Art. 198.
E. Wickersheimer. Souvenirs
d'un médecin slrabbourgeois
du xvui'^ siècle. Art. 61.
X*** Nécrologie. Victor Henry.
164.
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TABLE DES SOMMAIRES
DU TOME B8« (1907), 8« DE LA NOUVELLE SÉRIE
DE LA REVUE D'ALSACE
Première livraison. — Janvier-Février.
Pi
Ch. HOFFMANN. Le8 troubles de 1789 dans la Haute-
Alsace 5
A. HANAUER. Les Faïenciers de Haguenau (suite) 37
Er. WICKERSHEIMER. Souvenirs d*un médecin straahourgeois
du XVIII» siècle 61
A. M. P, INGOLD. Variété» : A propos des Lettres de
Scbœpflin 94-
Livres nouveaux. Les grands hommes de TEglise au Xix* siècle :
X. Mgr. Freppel (A. M. H. 1.). — Souvenirs dV Isuce
(A. I.). — Das ver^chwundene ni»rf Mauchenheim bei
Markolsheim. — Orschweier : Ein Beitrag zur Gescbichte
der Dorfschaften in der ehemaligen Obermundat. —
Alsace- Lorraine. — Articles de revues et de journaux.. 10 1-
Deuxième livraison. ^ Hars^AvriL
C. OBERREINER. Les combats de Cernay pendant la Guerre
de Trente ans 1 05-
Ch. HOFFMANN. Les troubles de 17S9 dans la Haute- Alsace
(suite) 124.
A. HANAUER. l^ee Faïenciers de Haguenau (suite et fin).. 136*
E. RODE. Mélanges bibliographiques tirées de la bibliothèque
Henry Wilhelm 1 55.
D^ L. EHRHARD. Correspondance entre le duc d'Aiguillon
et le prince-coadjuteur Louis de Rohan (suite) i66-i
Nécrologie, I. Victor Henry (X***). — II. Alfred Touchemolin
(H. Weisgerber) 1 94-:
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REVUE d' ALSACE
Troisième livraison. — Mai-Juin.
Page»
ARDY/ Une rivalité éphémère : Belfort et Thann
815 201-205
FMANN Les troubles de 1 789 dans la HauteAlsace
e) 206238
iRHARD. Correspondance entre le duc d^Aiguillon
I prince-coadjuteur Louis de Rohan (suite) 239-278
jOLD. Souvenirs de 1816. Journal d'un habitant de
lay (suite) 279-292
Une lettre de Victor Henry 293-294
ouveanx. Répertoire biographique de PEpiscopat
titutionnel (1791-1802). — Bibliographie des Chants
ilaires français. — Articles de revues et de journaux. 295-296
Quatrième livraison. — Juillet-Août.
:tion. Pro Domo 297-299
UOEL. L'œuvre de Charles Dulac et le mysticisme
rt 300-327
iRHARD. Correspondance entre le duc d'Aiguillon
; prince-coadjuieur Louis de Rohan (fin) 328-347
..TER. Les armoiries de la ville de Rouffach (avec
ss'ns) 348-353
^FMANN. Les troubles de 1 7S9 dans la Haute-
ce (suite) 254-386
I. Une critique de V 4isace nu xviii" siicU de
Hoffmann (A M P. Ingold). — II. Cernay sous les
►vingiens (C. Oberreiner) 387-390
uueiux, Sarreguemines au xvn« s ècle. — Un peintre
lien : Clément Falier. — Notice biographique hur
st Blech. — Spéculum humana saivalionis^ etc. —
logue dt3 Coléoptères de la chaîne des Vosges et des
)n8 limitrophes. — Alsace champêtre : Le parfait
ge. — Articles de revues et de journaux 39i"392
Cinquième livraison. - Septembre-Octobre.
I. La restauration de Péglise de Saint-Martin de
jar (avec une gravure) 393"394
jOLD. Souvenirs de 1817-1824. Journal d'un habitant
:ernay (fin) 395-431
FMANN. Les troubles de 1 789 dans la Haute-Alsace
432-459
Encore Grandidier poète 460-463
ER. Soldats alsaciens : X. Le capitaine Richard
0-1875) <•• 464-468
,,, Les tribulations d'un solliciteur, ou Gœtzmann,
rès quelques-unes de ses lettres inédites . . . , 469-485
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TABLE DES SOMMAIRES '^'^•^
Pi
Ltxffes nouveaux, Vogesenbilder, lo Zeicbnnngen von Hansi
(A. G.). — Dom Mayeul Lamey, prieur majeur de Cluny
(Alsata). — Comptes du domaine de Catherine de Bour-
gogne, duchesse d'Autriche, dans la Haute-Alsace. —
Articles de revues et de journaux 486'
Sixième livraison. — Novembre-Décembre.
A. HAXAUER. Argentorat, Argentovar 489
Jules SCHWA^TZ. Une accusation contre les Jésuites de
Strasbourg en 1 705 496
A. d'OCHSENFELD. Les provinces perdues 509
^ * « Les tribulations d'un solliciteur, ou Gœtzmann,
d'après quelques-unes de ses lettres inéd.tes (6n) $'.4
A. M. P. I. Un ami du roi de Prusse à Sainte-Marie-aux-Mines
en 1758 (3 lettres inédites de Schœpflin) 533
C. OBERREINER. L'emplacement de la rencontre de César
et d'Arioviste et le Champ du mensonge 536'
A. M, P. INGOLD. Projet de vente* d'une charge de cheva-
lier d'honneur d'Eglise au Conseil Souverain d'Alsace au
XVIII* siècle 541-
M. LORTET. Soldats alsaciens : XL Le général Parmentier. 548-
Variétés, 1. Un Encomion marias à Erstein en 1 704 (A. M. P. I.).
IL A propos du € Livre d'or » de Soultz (C. O ) 557-
Livres nouveaux, Verôffentlichungen aus dem Stadtarchiv zu
Colmar (A. M. P. L). — Alte BUcher und Papiere aus
dem Clarissenkloster AIspach (A. M. P. l.)> — Deux docu-
ments relatifs à Catherine de Bourgogne (Alsata). —
Der deutsch-franzôsische Krieg von 1674-1675 (R.). —
Articles de journaux et de revues 56 1 •
Table analytique et alphabétique de l'année 569
Table des sommaires, des gravures et du Supplément 573-
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TABLE DES GRAVURES
Marque du faïencier Hannong, page 54.
armoiries de Rouffach, pages 300 et 351.
ntérieur de l'église de Colmar, page 393.
TABLE DU SUPPLÉMENT
de Holdt, tome III.
't de Trente Ans à HaguenaUy feuilles i à 8.
»IM (ALSACI). — TyPOOBAPHIB F. SOTTBR & CiB
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