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REVUE D'ALSACE.
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COLUAR , Imprimerie et Lithographie de Camille Dbgkbr.
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REVUE D'ALSACE.
DEUXIÈME SÉRIE.
DEUXIÈME ANNÉE.
COLUIAR,
AU BUREAU, RUE DES MARCHANDS, N» 8,
1861.
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WA-»-«<>-vw«>.a
L'ANCIENNE ALSACE
A TABLE.
SEPTIËIE PARTIE. (^)
Digression. — Un problème économique. -— Ecots anciens. — Dépenses collec-
TiYES. — Prix du froment du xiii« au m« siècle. — Taxe de la viande. —
Valeur du yin. — Prix anciens de diverses denrées alimentaires. — Les
HEURES DE REPAS. — ReTO'JR SÉRIAIRE DES METS. — Le DESSERT. — La PATIS-
SERIE. — C'EST UNE CRÉATION DE LA FEMME. — PREMIÈRE DIVISION. — GROUPE
FOURNI PAR GEILER. — NOMENCLATURE DE BUCHINGER. — PARTICULARITÉS MUL-
housiennes. — continuation de l'inventaire. — les tartes et les tourtes.
— Importance féodale de la tarte a la crème. — Les beignets. — Frian-
dises HORS classe. — Les confitures. — Les dragées. — Les devises. — La
PATISSERIE montée. — Le PAIN. — SA DIGNITÉ. — LÉGENDE DU MAUVAIS RICHE
DE Détailler. — Réputation du pain d'Alsace. — Les gâteaux du domaine
DE LA boulangerie. — LeS PAINS O'ÉPICE. — LES BRESTELLES.
Nos pères vivaient-ils à meilleur marché qae nous ? Voilà une
question fort intéressante et très-sérieuse , et dont Texamen pourrait
bien expliquer la puissance ancienne des appétits sensuels , et surtout
l'empressement généreux et soutenu qu'on apportait à les satisfaire
largement. Lorsque l'abondance des denrées alimentaires est en dis^
proportion avec les besoins de la consommation , et que la modicité de
leurs prix établit un écart considérable entre leur valeur d'utilité et la
valeur conventionnelle de l'argent . la vie matérielle est facile et éco-
(*) Voir les livraisons de juin et juillet 1833, page 241 , de février et septembre
1859, pag. 49 et 385, et de janvier, mars et novembre 1860, pag. 5, 107 et48i.
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6 REVUE D*àLSAGE.
nomique ; quand , au contraire , la production alimentaire ne se dé-
veloppe pas paratèllement à raccroissement de la densité de popula-
tion , et que la valeur des comestibles se place dans un rapport
exagéré avec Timportance des signes monétaires, les nécessités de la
vie domestique sont difficiles à satisfaire et coûteuses. Je crois que
dans rétat actuel de notre société, nous souffrons de ce dernier mal,
et qu'anciennement , avec des variations que justifie la diversité des
époques , le budget des familles était sensiblement moins grevé que de
notre temps, pour la part qu'il fallait faire au besoin normal de
chaque jour.
La chronique manuscrite de Wencker rapporte que lors du séjour
de l'empereur Sigismond à Strasbourg, en 4444 , on payait à la table
impériale 6 pfennings, et à la table commune 4 pfennings seulement.
La valeur de l'argent était, à cette époque, onze fois ce qu'elle est de
nos jours. Le repas coûtait donc, selon la table, 66 ou 44 pfennings,
c'est-à-dire 24 et 46 sous. — Il est vrai que le chroniqueur cite ce
fait comme une exception au cours ordinaire des choses et qull re-
marque que cette année-là les vivres furent à un prix excessivement
bas (}). En admettant que les denrées n'aient été qu'à la moitié de
leur prix habituel , Técot ne serait encore qu'à 48 et à 32 sous de
notre monnaie. Jamais, de nos jours, nous ne pourrions , à ce prix ,
nous asseoir à un banquet où siégerait une tête couronnée.
En 4508, année qui fut aussi très-prospère, une société de 440
personnes fit un festin à la tribu de la Moresse , et l'écot ne s'éleva
pour chacune qu'à 8 pfennings (}) c'est-à-dire à 46 sous , l'argent
ayant une valeur sextuple de celle d'aujourd'hui.
Nous voyons , par une anecdote que raconte le Franciscain Jean
Paulli de Thann , que les riches paysans du Kochersperg avaient , dès
le x\^* siècle , l'habitude de se régaler à fond et dans les meilleures
auberges, lorsqu'ils venaient à Strasbourg. Â la tribu de la Lanterne^
leur écot pour le dîner était fixé à 7 pfennings , qui font 48 sous de
notre argent actuel. Le Franciscain signale la présence du rôti et du
fromage , ce qui peut donner une idée du confortable de ce repas.
Paulli raconte (^) qu'un chanteur-baladin faisant sa quête aux tables ,
(') V^ENCKER, Chron. nus. Bibl. de Strasb. ad ann. 4444.
(*) Saladin , Chron, mts. Idem ann. 4508.
(') Paulu , Schimpf und Emst, édo» de Marbnrg 48£i6 , p. 200.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 7
reçut a celle des paysans 7 pfeoDings de chacun des convives , ceux-
ci prenant le baladin pour le sommelier de l'établissement et pensant
acquitter leur écot. Le baladin empocha l'argent et les paysans Turent
obligés de payer une seconde fois quand Tauthentique sommelier de
la Lanterne se présenta pour recevoir la dépense.
En 1492 , la cherté fut considérable. D'après la chronique de Henri
Bentz» le repas ordinaire {Mohl) se payait dans les auberges de
Strasbourg 7 pfennings» ce qui , pour l'époque , équivalait à i8 sous
de notre monnaie ; le repas exclusivement composé de poisson
{Ftschmohl) était plus cher; il coûtait 9 pfennings, environ 19 sous;
le souper (Oben^Irien) était sensiblement moins cher ; on le payait
environ 6 sous (i). Dans la même année, la domesticité de Maximilien i«%
logée au Bouc, sur le marché aux poissons , se révolta contre Thô-
tesse et fit un grand désordre, parce qu'elle faisait payer pour 2 mets
de viande 2 pfennings et i pfenning pour le vin . environ 8 sous. —
L'hôtesse dénoncée fut punie.
Suivant le registre d'un bourgeois de Strasbourg on pouvait » en
1526, faire au poêle des taiUeurs (^) , un bon repas composé de pain,
de vin , de rôti » de salade , de fromage et de fruits pour 1 schelling,
c'est-à-dire pour environ 20 sous de notre monnaie.
A Montbéliard» le magistrat régla, vers le milieu du xvp siècle, le
tarif des repas dans les auberges, c Chacun qui y mange, dit une
c ordonnance de 1551 , doit payer trois sols bâlois et aura pour son
c repas quatre bons et raisonnables mets, deux sortes de vin et du
c fruit (3). > Trois batzen bâlois de 1550 pouvaient faire 24 sous de
notre monnaie. C'était l'âge d'or pour les voyageurs. Vers la fin du
xvi"" siècle, quand Montaigne fit son voyage d'Allemagne (i580), il
trouva les prix un peu haussés, c Les hostes , dit-il , comptent com-
c munément le repas à 4 , 5 ou 6 baz pour table d'hoste (^) ; > ce qui
revient à 24 , 50 et 36 sous de notre temps.
Le tarif des dépenses d'hôtellerie subit aux xvii^ et xviiP siècle une
progression ascendante qui correspondait à la diminution successive
C) Henri Bentz, Entisheim, Chron, , mss. cité dans les Hîtror. Merkwurdigk.
iesEUaitUf p. 164.
(*) Idem , p. 167.
c; DuvERMOT , Ephémér. de Monthéliavd , p. 300.
{*) Journal du voyage de Montaigne , i » p. 72.
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8 REVU£ D'ALSACE.
de la valeur de l'argent. Ainsi , j'ai sous les yeux le règlement des
dépenses de table des bôtelleries de Colmar en 4789, signé du syndic
GhauSbur. La table d'hôte était à 56 sols aux Six Montagnes noires,
aux Trois Rois, à la Pomme d'or, à la Poste, au Bœuf, h V Arbre
vert , au Roi de- Pologne , au Canon d'or ; elle n'était que de 50 sols
aux Deux* Clefs, à VAnge , à la Couronne, à la Fleur , au Cheval blanc,
h la Ville de Strasbourg , au Soleil , au Saint* Christophe » à la Ville de
Belfort; et de 20 sous à l'Aigle et à la Fleur de lis; arcades ambo, —
Dans chaque auberge , il y avait » en outre , une seconde table où l'on
payait un peu moins.
En regard de ces éléments d'appréciation des conditions écono-
miques de la vie d'autrefois , il faut replacer quelques indications
d'ensemble que j'ai disséminées dans le cours de mon travail , et qui
concourent à démontrer que les dépenses alimentaires pèsent plus
lourdement sur les générations actuelles que sur celles des temps
passés. L'on se rappelle que dans un séjour que Turenne flt à Saverne,
en 1645» avec une suite de quinze hommes, il ne dépensa, en quatre
jours, que 67 liv. 17 sols et quatre deniers , moins de 200 fr. de notre
monnaie. — Le fesiin de bienvenue donné par la ville de Montbéliard
au comte Henri de Wurtemberg , en 1478 , ne coûta que 8 floriùs et
8 gros blancs, qui représentent environ 180 fr. d'aujourd'hui. — Les
frais de réception et d'entretien des députés suisses à Mulhouse , en
1515, pendant quatre jours, ne s'élevèrent qu'à 55 florins , ce qui
équivaut à 540 fr. environ.— Un banquet de 22 couverts , donné par la
ville de Schlestadt à l'unterlandvogt Frédéric de Fûrstenberg enl594 ,
n'occasionna qu'une dépense de 55 liv. 6 sols et 8 deniers , à peu près
140 fr. — Lorsque les commissaires de l'archiduc d'Autriche assis-
tèrent, en 1611 , à la tenue des états d'Ensisheim, ils logèrent à
l'hôtellerie de la Couronne, Ils y séjournèrent 22 jours , du 24 août
au 14 septembre; combien étaient-ils ? on ne le dit pas. Leur compte
s'éleva ù 589 florins et 11 baiz, environ 5700 fr. (<); ce chiffre a déjà
une certaine gravité ; il est comme un présage des progrès modernes;
mais l'on voudra bien remarquer qu'il s'agissait d'entretenir des Au-
trichiens, circonstance qui a toujours passé pour aggravante partout.
Il est plus consolant de voir que la libérale maison de Ribeaupierre
pourvoyait à sa dépense de bouche pendant toute une année , au
{*) Archives dép. du Haut-Rbio. Fonds d'Ensisheim. Gôm)>tes.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 9
milieu du xi^n« siècle , avec la modeste somme de 6648 florins qui ne
dépassent guère 40,000 fr. de notre argent. Un siècle et demi plus
tard ,'en 4798 , la ville de Mulhouse dépensait le double pour les fêtes
de sa réunion à la France. La civilisation avait vivement marché.
Il n'entre pas dans mon dessein d'exposer une statistique complète
de l'économie domestique des anciens temps. Je me borne à quelques
aperçus suflSsants pour démontrer qu'il existait autrefois un rapport
plus facile et plus doux entre les ressources générales de l'individu
et la part que les nécessités de la vie prélevaient sur elles ; je veux
montrer que le prix des objets de consommation était plus naturelle-
ment et plus avantageusement qu'il ne l'est de nos jours proportionné
à la valeur relative du numéraire. Je n'en tire aucune conclusion po-
litique ou sociale défavorable à notre époque , laissant aux philosophes
et aux économistes le soin d'expliquer la situation par les raisons
qu'ils jugeront le plus propres à nous en consoler. C'est pour aider à
les mettre en état de nous rendre cô service que je me permettrai de
leur soumettre le prix auquel se vendaient quelques denrées alimen-
taires dans les anciens temps » en Alsace.
Il est bien difficile, pour les époques reculées» d'assigner au prix
du froment une moyenne calculée sur une période qui permettrait
d'émettre une conclusion. Les prix relevés dans les anciennes chro-
niques ne le sont que très-irrégulièrement et à de trop longues
distances, et ces prix, en général^ ne se rapportent qu'à des
années où le froment était ou très-cher ou à très-bon marché. Nous
connaissons le prix du blé pour huit* années du wvl^ siècle,
à partir de 4255. Sa valeur, sur le pied du rézal^ a varié de
4 schilling» 4 pfennings (4278) à 44 schillings, (4294), écart énorme
qui sépare , sans doute , l'année la plus prospère de l'année la plus
calamiteuse. En admettant que la valeur de l'argent ait été au xni*
siècle quatorze fois plus élevée qu'elle ne Test aujourd'hui , le prix
da blé en 4278 aurait répondu à 3 fr. 80 c. et en 4294 à 39 fr. 20 c. ,
disproportion que nous voyons aussi entre l'année 4764 , où l'hecto-
litre était à 8 fr. 75, et l'année 4817 où il monta à 96 fr. — Au xiV"
siècle, nous avons le prix de huit années seulement; il varie entre 3
schillings (4373) et 45 schillings (4316). —Au xv« siècle il varie entre
n (4436) et 48 (4438) ; de 4478 à 4482 il monta à 2 florins; c'étaient
cinq années de cherté ; en 4437 et 4438 , il coûta à Colmar et à Bâle
3 florins. — Pour vingt-trois années du xvi* siècle, il flotte entre 2
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iO REVUE T)'aLSACE.
schillings et demi (i506) et 90 schillings (1574). En tenant compte de
l'abaissement qui frappa la valeur de l'argent depuis 1506 jusqu'en
1574 , abaissement de deux tiers environ , on trouve que le prix de
1574 était douze fois plus élevé que celui de 1506. Si Ton tire la
moyenne de ces vingt*lrois années , le prix du blé pour le xvi* siècle,
chez nous, s'établira sur le pied de 27 schillings, c'est-à-dire 5 fr. 40 c.
de monnaie française du temps, ce qui équivaut à 18 fr. 70 c. de la
nôtre , valeur qui représente à peu près celle d'un hectolitre de fro-
ment de nos jours. On sait , en effet , que les moyens de production
du blé n'ayant pas notablement changé depuis un temps très-consi-
dérable, les économistes ont choisi cette substance , la moins assu-
jettie aux fluctuations de valeur , comiue le terme de comparaison le
plus sûr pour les évaluations du numéraire.
Nous possédons, grâce au manuscrit du Chrétien Haenlé, garde-
magasin des greniers de la ville de Strasbourg, la série presque com-
plète des prix du blé à Strasbourg, peudant le xvii« siècle. Elle va de
1615 à 1700. — Le prix le plus bas a été de 12 schillings (1655, 1656,
1657, 1669); le plus élevé 140 schillings (1656-1658). La moyenne
des 85 années présente le chiffre de 45 schillings, équivalant à 9 fr.
de la monnaie d'alors. Pendant la première moitié du xvuP siècle le
prix moyen du résal a été de 57 schillings ou 11 fr. 40 c. ; depuis
1762 jusqu'en 1790 de 15 fr. et de 1803 au 51 décembre 1816 de
22 fr. 97 c. l'hectolitre.
Le prix de la viande de boucherie présente aussi une progression
sans cesse ascendante. En 1499 . les trois livres de bœuf étaient taxées
à 1 pfenning, ce qui fait au maximum trois sols de notre monnaie ; en
1540 , la livre fut taxée à 2 pfennings , ou 14 centimes de notre
temps ; en 1575 , année de cherté , la viande de bœuf coûtait 1 sol et
5 deniers la livre , c'est-à-dire 22 centimes de notre monnaie ; le
mouton et le porc valaient un denier de moins. En 1599 , le prix de
la viande était de 5 pfennings la livre , environ 25 centimes de l'ar-
gent actuel ; en 1611 . le bœuf valait 5 pfennings , le veau 6 , le mou-
ton 9 pfennings. D'après la Tax-Ordnung de 1646 ces prix avaient
haussé de 1 pfenning sur le bœuf et le veau et baissé de 1 pfenning
sur le mouton. En 1682, le bœuf monta à huit pfennings équivalant
à 27 de nos centimes ; il haussa encore de 2 centimes en 1716. De
1726 à 1756, la livre de bœuf ne dépassa pas 4 sols de France ou 35
centimes de notre temps ; en 1756, elle enchérit de 4 deniers, ce qui
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L* ANCIENNE ALSiCE A TABLE. il
eicita de vives doléances dans le peuple de Strasbourg ; ea i780» elle
monta à 5 sols, en 1785 à 6 sols , en 1816 à 10 sols. Ce qu'elle vaut
aujourd'hui chacun le sait.
L'on buvait encore à meilleur compte que Ton ne mangeait. D'après
les registres des gourmets de Molsheim , le prix moyen de la mesure
de vin (46 litres et demi) fut , pendant la première moitié du xvi« siècle,
de 6 fr. 25 c. ; pendant la seconde moitié » de 8 fr. 55 c. ; pendant le
xvu* siècle, de 9 fr. 60 c. Au xviiP siècle» la moyenne parait avoir
été de 11 à 12 fr. ; tous ces prix sont calculés d'après la valeur
actuelle de l'argent. Depuis 1789 jusqu'en et y compris 1815. la
moyenne du prix du vin vieux a été de 21 fr. 60 c. , monnaie du temps,
ce qui paraîtra un prix très-élevé ; mais il ne faut pas oublier que cette
période fut remplie d'agitations et de guerres , ce qui hausse toujours
le prix du vin.
Enfin , j'ajouterai à ces données générales un aperçu des prix de
quelques objets de consommation à différentes époques de notre
histoire :
xni* siècle. 1275. On donnait 14 œufs pour un pfenning.
Une poule 2 pfennings.
Un hareng 1 —
XV* siècle. 1445. On donnait 15 œufs pour un pfenning ; ce qui met
l'œuf à un centime de notre monnaie.
1470.. Un boisseau d'oignons 10 rappen.
1485. Une belle carpe ... 4 sols.
Une oie grasse .... 4 »
Un faisan 5 • 4den.
Une perdrix 2 • 4 •
Un canard sauvage . . 4 > 4 i
Une poule 1 >
Une série d'oiseaux sauvages dénommés dans la
chronique de Wenker sous les noms de: Profogel»
Breitschnabtl , Schmihe , RaghaU , Murfogel ,
Nûnele» Troestel, Regenvogel, Zwuner, Sprehé;
chacun à 4 deniers.
Pour ramener ces chiffres à la valeur actuelle de
l'argent « on les multipliera par 6 ; une perdrix
coulait donc 70 c-
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<S ftETUS 1>*ALSAGB.
xvi« siècle. iSOS. Le ceot de saumoneaux , I pfnnd et 8 scbillngs.
5 aloses pour une couronne. (Ces prix sont cités
comme excessifs).
i508. Une carpe du Rhin de 12 livres , 3 schillings iO
pfenDings ou 4 fr.
1510. Cent saumoneaux , 6 schillings.
1513. La taxe de 1485 est sensiblement modifiée. La série
des oiseaux tarifés à 1 pfenning est portée à 4.
1515. Deux saumons, 6 florins ou 48 fr.
1587. Deux pastels de lièpvres, 3 liv. lorraines du temps.
Deux pastels de veau , 26 gros.
Deux jambons et deux andouilles . 15 gros.
1597. Quatre saumons envoyés de Rbeinfelden à Ensis-
heim , 47 pfund staebler 9 batz.
xvii« siècle. 1624-54. La livre d'esturgeon » 1 schilling.
1647. La livre de saumon , 4 à 6 pfennings.
1646. D'après la Tax-Ordnung de Strasbourg:
La livre de fromage . • . . . . 4 sch.
— de beurre 1 » 2 pfen.
Le pot de lait > i 6 >
Un jeune coq 1 >
Une oie 2 >
Douze alouettes 1 >
Lç cent de grosses écrevisses . . 5 >
Le cent de têtes de choux ... 4 florins.
1648. Dix grives 29 kreuzer.
Un chevreau 24 »
La livre de lard 7 »
La livre de beurre 8 »
Un poulet 8 »
La douzaine d'œufs 8 »
1659. 36 œufs (à Bischwiller) pour 1 schilling.
1690. Une paire de poulets 16 sols.
— de pigeonneaux . , . 15 >
— de perdrix ... 3 liv. -—
— de cailles . . . . > 10 >
Une oie 1 i —
Une paire de gelinottes . . 4 > —
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l'ancienne alsagb a table. . 13
Un dindon 3 Kv.
Une douzaine de grives . . » > 24 sols.
Une bécasse » » i6 •
Un canard sauvage . . . . > > 46 »
Un coq de bruyère .... 5 > —
Un lièvre 1 > 10 >
xviip siècle. 1747-48. La livre de saumon à . . 4 pfeonings.
1735. Beurre 9 sols.
Huile d'olive 12 i
Café 12 à 18 >
Sucre 14 >
1789. Beurre 11 •
Café 14à20 «
Sucre 18 à 19 1
xix« siècle. 1813. Beurre 18 à 20 »
Café de4à5fr. 30c.
Sqcre 5 05
Je ne pousserai pas plus loin cet essai de statistique. Il est suffisant
pour la démonstration que je me suis proposée. Peut*étre engagera-
t-il DU économiste à approfondir cet intéressant sujet, pour Féclair-
cissement duquel on trouvera dans nos chroniques » dans les règle-
ments de police des villes» dans les comptes des communautés , etc. ,
des indications nombreuses , à peu près complètes.
Si l'homme n'était pas > par excellence, l'être le plus divers, le
plus capricieux et le plus mobile , l'on pourrait raisonnablement s'é-
tonner de voir qu'il ne se soit point établi dans la société une enlenle
expresse ou au moins tacite pour la fixation des heures de repas. ~-
Les repas constituent des opérations réglementaires , périodiques et
nécessaires qui doivent avant tout s'harmoniser avec les convenances
générales de la société. La variété des climats , la diversité physiolo-
gique qui se manifeste dans le tempérament des peuples, la différence
des habitudes nationales, des conditions d'hygiène, d'alimentation et
de travail , ont nécessairement introduit de profondes dissemblances
dans les usages horaires qui règlent la réfection habituelle de l'homme.
L'Arabe et le Suédois , le Breton et le Grec doivent donc logiquement
suivre , sous ce rapport , des régimes différents. Cette loi de dissidence
peut même être vraie des Français aux Allemands. Mais qu'au sein
du même peuple, sous un ciel semblable, dans le même état de civi-
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14 REVUE D'ALSACE. i
lisaiion . sous l'influeDce d'un même courant d'idées , de mœurs et
d'occupations, Ton voie se produire Tanarcbie la plus complète » les
discordances les plus extrêmes dans l'établissement de ces usages ,
c'est ce qu'il n'est pas aisé de comprendre. L'Allemagne , sous ce
rapport, était le modèle du désordre, et dans ce grand désordre ,
chaque province avait encore son désordre particulier.
Les anciens Grecs mangeaient trois fois par jour ; leur premier
repas , qui était le principal , se faisait le matin ; il s'appelait ifiçxêf ;
le second {Uf^rêç) et le troisième (Htvfêf) n'étaient que de simples
collations. — Chez les Romains , le repas fondamental , cosna , avait
lieu à 5 heures du soir en été et à 4 heures en hiver; quelques ans le
faisaient précéder d'une légère collation vers midi; c'était leprandtum.
Plus tard , sous l'empire, quand tous les excès infectèrent les mœurs,
l'on intercala trois nouveaux repas dans les anciens : le jentaculum ,
de bon matin , la merenda , entre le prandium et la cœna , et la CO'
tnessaiio, le soir , sur le tard. Le voyageur grec Posidonius qui a dé-
crit les festins gaulois ne nous a pas renseignés sur l'heure habituelle
de leurs repas ; je n'en dirai donc rien, non plus que des usages mé-
rovingiens et de ceux du moyen^âge. J'arrive tout de suite aux temps
modernes de la France. Louis xu dînait à huit heures du matin et
soupait à trois heures ; il est vrai qu'il se couchait à six. Après son
troisième mariage , avec Marie d'Angleterre , il fixa , pour plaire à sa
femme ^ son dîner à midi et ne se coucha qu'à minuit , métier auquel
le bon roi ne dura que six semaines. Ce changement ne fut pas goûté
par la cour. Sous François r', le dîner fut rétabli à 9 heures du matin
et le souper à cinq heures, d'où vînt ce dicton :
Lever à cinq , diner à neuf ,
Souper à cinq , coucher à neuf ,
Font vivre d*ans nooante-neuf.
Henri iv , Louis xni et Louis xiv dînaient é onze heures , Louis xv
à deux heures et Louis xvi à cinq heures. — Au xyiip siècle l'on
dînait à une henre dans presque toutes les hôtelleries de Paris ; mais
le bourgeois mangeait à deux heures . le marchand à trois » et la no-
blesse à quatre ou cinq heures.
En Allemagne, les variations des heures de repas étaient telles
qu'on peut affirmer qu'à toute heure du jour une partie de la popula-
tion du Saint-Empire était occupée à dîner. Au xvu* siècle les cha«
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l'ancienne ALSACE A TABLE. i5
noines de Tubingue et les comtes d'Erbach dînaient à neuf heures du
matin» les princes de Gotha à dix heures, la cour de Bavière à onze,
celle de Vienne à midi , d'autres et c'ët^^it le plus grand nombre , à
une heure et à deux ; sous Frédéric-le-Grand la classe distinguée de
Berlin dînait aussi à deux heures et soupait à neuf. Joseph ii dînait
ordinairement à trois heures, quelquefois à quatre. Le cycle du dîner
ainsi achevé , Von entrait dans celui du souper. Ceux qui avaient
inauguré la journée par le dîner de neuf heures du matin soupaient à
quatre heures du soir; la catégorie des dîneurs de dix heures se
remettait à table à cinq , et ainsi de suite jusqu'à dix heures de la
nuit. Les bourgeois » les artisans, les paysans faisaient, en général*
leur repas principal à midi , ce qu'indiquent les mots composés si
répandus de Mitiagsessen , Miuagsbrod, Mittagsmahl , Mittagsmahl'
xeit, Mitlagstisch , etc.
Les usages de TAlsace étaient fort divers. Le régime dessilles était
tout autre que celui des campagnes. Généralement , la bourgeoisie
commune dînait à midi , et soupait à sept heures du soir , sans préju-
dice d'un déjeûner léger qui avait lieu entre sept et huit heures du
matin. La bourgeoisie riche et celle qui aspirait à se donner des airs
aristocratiques dînait à une heure et soupait entre huit et neuf; c'était
particulièrement l'usage de Strasbourg et de Colmar. Dans les grandes
maisons , où l'on avait adopté les coutumes françaises , chez les fonc-
tionnaires venus d'au-delà des Vosges, dans la haute prélature de la
cathédrale, dans le monde militaire, l'on déjeûnait à dix ou onze
heures et l'on dînait de quatre à six heures.
Les estomacs rustiqueis étaient plus exigeants. Les paysans alsaciens
faisaient résolument leur quatre repas en été , et trois en hiver. Dans
le Kochersperg , on déjeûnait à sept heures , l'on dînait à onze , l'on
goûtait à quatre et l'on soupait à la nuit. Le dîner était le repas ma-
jeur. C'était le contraire dans les campagnes du comté de Hanau-
Lichlenberg ; on y faisait pareillement quatre repas , à sept heures ,
à midi , à quatre et à huit heures ; mais celui de sept heures du matin
était le principal. Toutes les vallées lorraines dînaient à midi et sou-
paient à l'Angélus. Dans la plaine de Strasbourg à Schlestadt on dé-
jeûnait à sept heures , dînait à midi et soupait à sept heures du soir ,
en hiver ; en été , les heures de repas se présentaient à cinq , à dix ,
à trois et à sept heures. II en était de même à peu près dans le
Suodgau, hormis que le repas principal était fixé à onze heures.
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16 REYUE D' ALSACE.
Le pays de Belfort déjeunait de bon matin , dtnait entre onze heures
et midi » et soupait le soir à sept heures.
Dans la région du vignoble les repas étaient plus nombreux que
partout ailleurs : déjeuner à six heures , dîner à onze , goûter à trois,
souper à sept , sans préjudice de quelques coups de dent intermé-
diaires.
Les maisons religieuses avaient leur régime propre , réglé sur .les
exigences de leurs exercices spirituels. Communément , Ton y dînait
vers onze heures, et Ton soupait vers six. Cependant les Franciscains
de Thann , au rapport de Jean PauUi , soupaient à quatre heures au
xv!"" siècle ; ils devaient donc avoir leur dîner dès neuf ou dix heures
du matin.
C'est ici le lieu , je crois , de dire un mot de la coutume qui avait
assigné, anciennement, certains jours pour la consommation de
mets déterminés. Le retour périodique et sériaire des mêmes plats ,
surtout , dans' le domaine de la vie familiale , est une règle à peu près
universelle , qui a son origine et sa justification dans les idées d'éco-
nomie aussi bien que dans la sécheresse du programme des ressources
alimentaires d'autrefois. — L'archiâtre Mangue avait déjà remarqué ,
à la fin du xvn^ siècle , que la table du bourgeois de Strasbourg était
soumise à une pareille loi , et il nous a laissé le détail du menu en
légumes le plus généralement usité alors pour chaque jour de la
semaine. — Selon les saisons , et quelques caprices accidentels , il
pouvait offrir des variantes , mais elles étaient peu importantes , et à
ses yeux , la règle avait un caractère de certitude et d'autorité qui lui
a permis de la classer parmi les usages fixes et souverains. La voici :
lundi , des schnilz ; mardi , des navets ; mercredi , fèves ou pois ;
jeudi , riz ou orge ; vendredi , des épinards et à leur défaut des hari-
cots ; samedi • des lentilles ; dimanche , de la choucroute (i). — 11 n'y
a pas un demi-siècle qu'un usage semblable régnait dans les cuisines
colmariennes ; d'après les renseignements les plus sûrs , cet usage
faisait apparaître le lundi , des pommes de terre, le mardi j de la chou-
croûte , le mercredi , des carottes , des navets ou des choux-raves;
le jeudi , des légumes secs , du riz ou de l'orge ; le vendredi , des
farinages; le samedi, des navets , et le dimanche, de la choucroute.
Telle était la série adoptée pendant la saison d'hiver. L'été y apportait
(') Mauclk , THst. fiatur. de la provmce d'Alsace, mss. , tom. i, p. i28.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 17
des modifications» grâce à. ses primeurs et à ses légumes jeunes et
verts, et ces modifications étaient les bienvenues.
Tout le monde sait que c'est une coutume ancienne et invariable eo
Alsace, particulièrement dans les familles luthériennes, de présenter
sur la table , le Jeudi-Saint , des légumes verts , ordinairement des
épinards.
Dans les monastères, la règle du retour sériaire avait la rigidité
d'une loi absolue et était devenue une partie de la discipline de la
maison, quelque fois de l'ordre lui-même. Nous possédons le détail
de l'ordonnance (Ctofter'Tractament) à laquelle était soumise » dans
Dotre province » l'alimentation des maisons religieuses de l'ordre de
Saiot-Benoit et de celui de Cîleaux au xviP siècle ; elle était la même
pour les deux ordres. — L'année était partagée en six «poques assu-
jéties à des régimes différents : i® de Noél au Carnaval ; 2^ du Car-
naval à Pâques ; 3* de Pâques à la Pentecôte ; 4®. de la Pentecôte à
l'Exaltation de la S^ Croix ; S^" de cette dernière fête à l'A vent ; &" de
l'A vent à Noêh Dans la deuxième et la sixième époque ; l'abstinence
totale de la viande était de rigueur; dans les quatre autres, son usage
n'était permis que le dimanche^ le mardi et le jeudi. -^ Il me semble
qu'il n'est pas sans intérêt de jeter un coup-d'œil sur les détails de
cette loi somptuaire qui a régné dans nos plus célèbres abbayes , à
Munster y à AUorf, à Ebersmûnster , à Marmoutier , à Lucelle, à
Pairis, etc. Je choisirai l'ordonnance qui était en vigueur depuis Noël
jusqu'au Carnaval. Lundi : dîner : soupe aux pois , blanc-manger ,
navets frais ou compotes de pommes, carpe (ou autre poisson) bouillie
avec dés de pain rôtis ; souper : soupe à la farine ou fruits et fromage.
MabdI : dîner: soupe grasse , boudins de porc ou gras-double ou tête
de veau ^ cboux-cabus ou choucroute . bœuf bouilli; souper: orge»
veau mariné, ou rôti de porc ou de veau avec saucisses. Mercredi :
dtn^r: soupe à l'avoine^ rôties de pain en sauce douce, millet, gruau
ou compotes de pommes^ carpes bouillies assaisonnées au gingembre ;
souper: fromage et fruits ou noix. Jeudi : dîner: soupe grasse, bouilli»
panais, carottes ou navets, gibier en civet ou pâté; souper*: orge,
hachis de viande ou rôti. Vendredi : dîner: soupe aux pois, nouilles
ou blanc-manger » navets » carpe aux oignons et au cumin ou morue
au lait; souper: fromages et fruits ou noix. Samedi: dîner: choux
farcis » pommes cuites . carpe frite ou autres poissons frits ; souper :
fromage et fruits ou soupe au cumin. Dimanche,: dîner: soupe grasse.
»Sén«.-S«Aiaé«. 2
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iS REVUE D'àLSàGB.
boudins de porc ou gras-double ou léte de veau , cboui-cabus ou
choux blancs ; bœuf bouilli ; souper : orge , issues de veau ou gibier
en civet , rôti de veau (i). — Sans partager le préjugé ridicule que
les moines vécurent comme des sybarites » Ton peut convenir qu'une
pareille semaine n'était pas trop dure à traverser.— De bonnes viandes,
de la venaison , du poisson » et des plats doux , il n'est pas besoin d'être
réduit à l'humilité monastique pour trouver que c'était là un régime
dont un honnête homme pouvait consciencieusement s'accomoder.
Puisque je me suis laissé aller à parler de quelques questions acces-
soires à la table , je veux tout de suite en traiter plusieurs autres , et
hn première ligne celle de la pâtisserie et du dessert.
Le dessert est dans l'alimentation ce que le madrigal et le sonnet
sont dans la littérature. On peut dire de lui comme du sonnet :
Un dessert sans déftiut ^aut seul im long dîner.
Le dessert est l'idolâtrie des femmes et des enfants , de ce qu'il y a
de plus charmant et de plus doux dans l'humanité. C'est la poésie légère
de la cuisine , vive , fleurie , souriante , parée par l'esprit et l'imagi-
nation de toutes les grâces et de toutes les élégances. Mieux que cela
encore ; c'est la féerie de la table.
Qui pourrait dénombrer avec une exactitude rigoureuse les inven-
tions variées « les mille petites merveilles » les caprices sans fin que
la femme\ dans ses heures de rêverie active » a tirées de sa riche et
curieuse imagination? Il ne faut pas le tenter. Ce domaine a été et
sera toujours illimité. L'homme crée pour satisfaire sa force ou son
ambition » la femme pour contenter son rêve. Là , c'est le monde
qu'on voit, ici le monde qu'on devine. Ces gracieuses conceptions du
génie féminin , il est facile au rude orgueil de l'homme de les dédai-
gner ou de les reléguer au rang des bagatelles et des frivolités. Nous
les devons pourtant presque toutes au tendre repliement du cœur de
la femme sur lui-même , à sa puissance de contemplation intérieure »
à ces longues heures de solitude, d'exil et de mystiques pèlerinages
où son cœur soufl're , espère ou attend. La châtelaine solitaire, pres-
que captive t dans le grand manoir féodal qui , du haut de la mon-
tagne , plonge son regard dans la plaine vague et bleue , a distrait
son oisive mélancolie par la création de quelques uns de ces riens
(*) Bdghinoir, GeMieh. Eoch-Bueh , p. 8.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 19
délicieui ; la religieuse , retranchée du monde » dans le silence du
dottre» a détourné de son âme les douces songeries de Tamour pour
inventer une gracieuse futilité ; la jeune épouse a placé sa joie naïve
dans Tespérance du regard surpris et charmé qui caressera le fruit de
sa prévenante industrie ; la fiancée a imaginé des délicatesses nou-
velles et fraîches comme son jeune amour. Dans cet ordre de nos
plaisirs, où régnent le bon goût , la gr&ce , l'élégance » l'esprit et la
poésie de la sensualité , je le dis avec une profonde conviction » c'est
la femme, sous ses aspects multiples et dans ses puissances diverses»
qui a tout trouvé» tout perfectionné. Les cuisiniers de profession n'ont
rien fait» rien inventé. Us se sont bornés à faire une exploiution
égoïste des découvertes dues à l'imagination de là femme.
Voici une première série de pâtisseries alsaciennes ; elle nous vient
de la maiu de M. Aug. Stœber » mon savant ami » qui en a fait l'objet
d'une étude philologique aussi intéressante que sérieuse (*) : Krapfe,
Apfdkrœpfte f pommes entourées de pâte» chaussons de pommes;
UngcUenveeke , gâteau aux œufs» plat et ovale» en forme de tresses»
qu'on faitàLingolsheim; MiUerumkiechk,peti\A gâteaux très-minces
de fleur de farine et ùe crème ;Specklùechk, gâteau aux œufs» rond,
avec de petits dés de lard et saupoudré de cumin; SioUe, gâteaux an
lait» carrés par le haut » en forme de bonnet clérical ; dans la vallée
de Munster et le Sundgau » ils portent le nom de WoêUe, WaicUe
(du celto-breton gwoitel, wastel); voilà un vestige celtique plus cer-
tain que beaucoup de pierres druidiques de nos montagnes; SchneUe,
Hase, pains au lait qui ont emprunté leurs noms à leur forme (lièvre»
escargot) ; ils sont usités aux fêtes patronales et à Noél ; à Mulhouse»
où on les donne à la Saînt-Nicolas» il se tient ce jour-là un véritable
marché de cette pâtisserie» Schneeklemârt ; Uânnk, pains au lait
dont les jeunes garçons font présent à leurs maltresses , à la Saint-
André ; Moze » pains au lait , plats » quadrillés et dont la partie supé-
rieure est lustrée avec du blanc d'œuf ; c'est le gâteau classique des
fêtes patronales et des grandes festivités religieuses de la Basse- Alsace ;
Brieli , gâteaux plats couronnés de crème ou de fromage blanc ;
FuhUwiwerkiechk , gâteau très-léger fait de fleur de farine, de lait et
de sucre en poudre ; Nonnenfirule , beignets soufflés très-légers » à
(*] Aug.^Stoebbb. Dans le recueil périodique: Die deuuehan Mundartm,
îve année. Nurenberg , i887 , p. 474
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âO KBVUE D'aLSAGK.
Teau de rose; c'est liuéralenienl le yti de nonne français ; Schenkele,
pâtisserie loo^e, au sucre et à ia caoelle; Hirzhernle (Strasbourg)
Schwowebredle (Basse-Alsace) Kritzelkiechle (Haguenau) , HimmeUge-
siirn (Sundgau)^ menue pâtisserie de formes diverses, cornes, croix,
étoiles, cœurs, oiseaux, lièvres, etc.
Jean Geiler , qu'il est si utile de consulter pour l'tiistoire des an-
ciens usages , nous fournit le nom de quatre espèces de pâtisseries :
Karspellen , sur laquelle les renseignements manquent ; Neurol , pâ-
tisserie fraîche , à la minute , Neugerathene» ; Oflaienrôrlin ou Hippen,
pâtisserie roulée , d'une pâte légère faite de miel et de farine ; on la
connaît encore dans toute l'Alsace et dans l'Allemagne méridionale ;
Brant et Murner emploient fréquemment l'expression Hippen dans les
mots composés « Hippenwerk , bagatelles , Hippenbuben , gens sans
aveu, légers, gamins; aus/ttppe/n, en Bavière, veut dire buer ; —
B.„.beiss , expression trop libre que Geiler pouvait placer dans un
sermon» mais qu'il suffit de deviner aujourd'hui (^).
Le vieux livre de cuisine de Buchinger nous donne aussi une pitto-
resque nomenclature de pâtisseries, avec la recette des procédés et
des matériaux pour les exécuter ; je me borne a citer les noms; ceux
qui comprennent l'allemand verront aisément de quoi il s'agit:
Gebruhle'Kûchlin, Sprûtzen'Kûchlin , StraubUn-Euchlein, Slrûtzlin,
Gewâhlie'Kûchlin , Zucker-Streublin , Sack^Kuchlin , Eyer-Strûtzlin ,
Gebachene Schnitten , Model^KuMin , Schnee-Balkn , Eyer-Ring ,
Eyer'Sprilzlin , Fasle^Kûchlin ^ Imber-Zàhn , Gofem,
Le Mulhouse suisse était une des places les plus renommées pour
la pâtisserie. On y confectionnait presque tous les genres que je viens
d'énumérer; il avait, de plus, deux articles spéciaux qu'on ne re-
trouve pas ailleurs , les Knieblàize et les H. .•.schenkele; cette dernière
pâtisserie est la sœur de celle indiquée par Geiler :
Le latiD dans les mots brave rhonnêteté.
L'allemand ne se gène guère plus que lui.
La propension des femmes de Mulhouse pour la fabrication
de la pâtisserie est attestée déjà au xvi'^ siècle , par le chroni-
queur Zwinger; il raconte que lors de la présence des députés
de la confédération, en 4586, les dames de la ville se réunirent pour
montrer leur.talent sur ce sujet. « Elles en produisirent beaucoup et
c de toutes sortes de façons , dit-il ; il y en avait de longues , de
C) EAvnNiA. Strasb. 1858-39, p. 184.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 11
c larges » de plates, de bautes, de rondes , de carrées . de blanches,
c de brunes , de jaunes et de rouges (i). >
En continuant mon inventaire, j'ai encore à recenser dans la pâtisserie
Bne: les Ringeln, les diverses variétés de biscuit (Zuekerbrod) , le
MandeUbrod , ou pain d'amandes , Yanii-hrod , (le pain d'anis de S^«
Marie était particulièrement renommé ) , les macarons , les Muikat"
Zûnglein ou casse-museau français , les Muschlen ou coquilles , les
croquets ou croquanteaux , les Mandel-spàne , les Hobel'spâne , imi-
tant les copeaux de menuiserie» les patiences» les tablettes de pommes
et de coings » la famille des meringues , les Mandeirkrântzchen et les
Mandel'herze , les Zwieback , les Hussaren-Schnitten, les Zimmet'
Schnitten , les Leckerlés , le genre entier des gaufres {Waffelti) dans
lequel figure spécialement la gaufre mulhousienne. Ce que je passe
est , sans doute , plus considérable que ce que j'Indique.
Les gâteaux de dessert , les tartes (Kuchen, Tarte ; dans le Sund-
gau Waye) et les tourtes formaient véritablement un règne complet.
Je ne désignerai pas toutes celles où entraient les fruits. Ils étaient
tons mis en réquisition depuis la pomme jusqu'à la myrtille. Mais il
convient de noter le Kaiser- Kuchen y le Reiss'Kuchen , le Griess*
Kuehen » la tarte aux raisins de Corintbe , la tourte d'amandes au
lard , la tourte à la crème • VOsterfladen ou flan de Pâques , la tourte
à la moelle» la tourte au citron « celles an pain-bis. au biscuit» à la
canelle, au ^on » la tourte aux pommes de terre » le gâteau au lard ,
la tarte aux œufs » la tarte au fromage » d'origine positivement ro-
maine. On sait, d'ailleurs, que la tarte » en général , a été empruntée
aux habitudes des Romains. Ils les couvraient aussi , comme nous ,
de bandelettes de pâte, ce qui a donné occasion à Pline de les appeler
celaturae putrinarum , parce qu'elles ressemblaient à une pâlisserie
ciselée.
Qui l'aurait pensé? la tarte à la crème, avant d'égayer une comédie
de Molière » a joué , tout près de nous , son petit rôle dans le système
féodal. Le chapitre de Galilée (S'^Dié) ayant résolu au xiP siècle de
fonder une ville autour du monastère , les habitants du village de
Moriville envoyèrent dans la nouvelle cité une colonie. Le chapitre fit
des sacrifices pour repeupler ce petit village qui lui fournissait beau-
coup de blé ; entr'autres moyens qu'il employa , il abandonna au
{*) Mœg , Geseh. Mulhauten , i, p. 178,
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39 REVUE D*àLSACE,
monastère de Blaioville les redevances qu'il possédait dans ce lieUt
en échange d'une tarte à la crème faite avec la fleur d'un grand bichet
de froment à livrer annuellement aux gens de Moriville. Le dimanche
gras , un échevin de Moriville allait recevoir cette tarte au nom du
chapitre de Galilée , la faisait transporter en cérémonie dans son
village et la partageait entre les mariés de l'année et les nouveaux
habitanu (i).
Je remarque avec chagrin qu'il n'a pas toujours été commode •
dans notre pays » d'aspirer à la tarte. D'après la Tax-Ordnung de
Strasbourg, de i646, les pâtissiers vendaient une tarte d'amandes
i5 à i6 schillings et une tarte aux raisins de Corinthe 10 schillings ;
la TaX'Ordnung a beau a\|outer qu'elles seront bonnes et grandes ,
ces prix ne représentent pas moins une valeur de S fr. et de 7 fr. 50 c.
de notre monnaie.
Les beignets jouissaient anciennement d'un grand crédit et présen-
talent une variété où le goût moderne ne ferait que des choix très*
circonspects. Outre les espèces comprises dans la nomenclature em-
pruntée à Buchinger, je citerai encore les beignets aux pommes»
ceux aux cerises » ceux aux pruneaux , les beignets au vin » les bei-
gnets à la rose, les beignets au sucre {Zuckerstrauben), les Pfuttde,
les Bauemstrâublein ; tout l'ordre des stribles , à calibres différents »
qui s'est nationalisé dans le pays de Belfort ; les vicques de Peronse ;
les beignets aux écrevisses , aux fleurs de sureau , aux cdtes de rhu-
barbe ; cette dernière espèce a encore des partisans fidèles à Colmar.
Mais je doute que l'on en trouverait pour les beignets à l'oseille, à la
bourrache , à la mélisse » à la menthe » à la sauge» à la bétoine. Il y
en avait cependant autrefois. — - Enfin» pour épuiser la pâtisserie» il
faut qu'on me permette encore de mentionner les friandises suivantes :
TahakiroUeny UandeUehniuen , Dreispitzep Ofenkûchlein (choux)» la
charlotte de pommes» la croûte aux fraises» le Roiinenrbroi ^ les
Pfaffemckniuen » les FotxeUchniuen , toute la tribu des Kugelhùpf; le
MoTTàpm^ gâteau de fleur de farine et d'amandes qui» an témoignage
de Jér. Bock » était encore vendu par les pharmaciens au xvp siècle »
et qui servait spécialement au Schlafftrunk {eaupdusohr) des gens
riches. A cette époque » le docteur Félix Plater de Bâie le prescrivit aux
accouchées» ce qui donna un grand élan à sa réputation scientifique.
(*] Gravur» Hiêt. de Sain^Dié, p. 109.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 25
Les confitures et les dragées étaient des parties essentielles da
dessert. Elles servaient à lai donner de Téclat , de l'agrément, de la
fraicheor. Les anciennes confitures me paraissent avoir été, du moins
en Alsace , renfermées dans un cercle assez restreint. Je ne trouve
au XYU« siècle , que les variétés suivantes : coings , noix , nèfles ,
cerises, groseilles, gingembre vert , orange, citron, ribettes (Johanne»-
Trâubel)(^). Plus tard , au xviiP, on y sûouta les gelées de reinettes,
l'abricot^ la framboise , la mirabelle , les mûres , le fruit de l'églantier
{Cynorrhodon).
Les dragées étaient loin aussi d'avoir atteint la perfection merveil-
leuse où nous les voyons de nos jours. Elles étaient encore bien pau-
vrement basées vers le temps de la paix de Westphalie , comme l'on
peut en juger par ce tableau : dragées au coriandre , aux amandes ,
à l'écorce d'orange^ à la canelle , au gingembre , aux clous de girofle,
à l'anis , aux zestes de citron (^). Après le règne de Louis xiv et de
Louis XV, elles avaient acquis un certain degré de gloire et ouvert la
carrière à des bonbons plus raffinés. Les bonbons à devises faisaient
fureur au xvnp siècle. Un Allemand, qui se trouvait à Strasbourg , en
i780, raconte ainsi l'amusement que procurait l'échange des devises:
ff Au dessert on servit des devises. Chaque dame m'en envoya une et
€ je lui en adressai une en retour. Elles excitaient des rires et des
c plaisanteries. Quelques pensées assez plates que contenaient plu-
c sieurs d'elles firent dire au vieux père que le roi devrait s'occuper
c d'une affaire aussi sérieuse que le plaisir de ses siyets , et charger
c l'Académie française , qui n'a cependant rien à faire, de rédiger des
c devises (3). • L'on peut encore exprimer le même vœu aujourd'hui.
Le moyen-âge et l'époque de la renaissance ont aimé avec passjon
tout ce qui parlait au sens de la vue , tout ce qui avait un caractère
de spectacle , d'étrangeté ou de rareté , toutes les inventions où l'a-
dresse, l'artifice et l'imagination de l'homme déplaçaient les choses
de leur cadre naturel pour les transporter dans un milieu fictif, et
très-souvent dans le domaine du symbole et de l'allégorie. — Les
{*) HOSCBEROSCH , Àdêlieh. Leben , p. 128.
n Idem, id. p. 126.
0 Schrifttasehe auf einer ReUe durch Teutsehland , Franknich , etc. Pranef,
1780 , cité dans randenne B»vue éT Alsace , aiinée 1856 , 2« vol. , p. $(1.
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U REVUE D*ALSAGE,
récits des chroniiiiiears ihwis apprennent qu'à tons les c^niDds festinSt
aux banquets d'apparat» on voyait apparaître sur les tables des cbefs-
d'œuvre de pâtisserie ou de grande confiserie , les uns figurant des
églises fameuses , les autres des châteaux-forts célèbres , d'autres des
palais imaginaires. Ce luxe était particulèrement goûté chez les ducs
de Bourgogne. L'art d'exécuter en sucre les figures les plus diflSciles
et les dessins les plus compliqués était poussé très-loin aux xv« et
XVI* siècles. Lors de la collation offerte , en i57i > par la ville de Paris
à la femme de Charles ix c il n'y avait, dit un historien, sorte de
c fruit qui puisse se trouver au monde qui ne fust là, avec un plat de
c toutes viandes et poissons , le tout en sucre , si bien ressemblant
c au naturel que plusieurs y furent trompez ; mesme les plats et es-
c cuelles esquelles ils estoient, estoient faits de sucre, i Quand le
légat traita Marie de Médicis , à son passage à Avignon, en i600 » c il y
c avoil trois tables dressées et couvertes de plusieurs sortes de pois-
c sons , bestes et oiseaux , tous faits de sucre , et cinquante statues
c en sucre , grandes de deux palmes , représentant au naturel plu»
c sieurs dieux , déesses et empereurs. Il y avait aussi trois cents pa-
c niers pleins de toutes sortes de fruits en sucre , pris au naturel. •
De pareils exemples, moins illustres, par la dépense qu'ils ont occa-
sionnée , mais inspirés par le même goût , se remarquent dans notre
histoire. Au festin donné à Strasbourg à l'évéque Robert , en i449 ,
on plaça devant le prélat un château en sucre. Robert ayant ouvert
une fenêtre du castel , il s'en échappa une joyeuse volée d'oiseaux
vivants; puis il ouvrit une porte basse du château , et l'on vit un vivier
dans lequel s'ébattaient de petits poissons. On lui présenta aussi un
cochon de lait , doré d'un côté , argenté de l'autre. Au festin donné
à l'évéque Guillaume, en 4507, on vit encore une pâtisserie pitto-
resque représentant un palais dont les gargouilles versaient de l'hyp-
pocras; une seconde sucrerie figurait un jardin avec cinq jeunes
filles, et une troisième pièce représentant un jardin au milieu duquel
s'élevait un roc couronné d'un cerf à la vaste ramure. Au dtner de
noces de Georges de Ribeaupierre > en i543, on vit une tarte sur-
montée d'Adam et d'Eve , portant , par décence , des costumes de
cour; une tour épanchant du vin blanc et des petits poissons; une
léie de porc dorée ; une maison de pâtisserie. — Il est superflu de
citer d'autres faits.
Je ne quitterai point la pâtisserie^ sans dire un mot de la pâtisserie
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l'ancienne ALSACE A TABLE. S8
par eieelloBee » du pain » la base fondamentale de ralimentation ha«
maine , parmi les peuples civilisés. Dans tontes les langues policées ,
le nom du pain a toujours été le signe le plus large et le plus corn-
prébensif pour résumer Teosemble des nécessités de 'la vie. Il a
fourni leur plus riche fonds aui proverbes, aux maximes et aux locu-
tions pittoresques qui expriment les rapports variés de la vie sociale
à peignent les adversités et les contentements de l'existence privée.
Il a une place d'honneur dans la plus belle des prières chrétiennes ;
la philosophie appelle la science le pain de l'esprit et la morale le
pain de l'âme, et la religion a caché le Dieu rédempteur du monde
dans le symbole touchant de la nourriture universelle. Aussi le pam
est-il sacré. La mère chrétienne apprend à son jeune enfant à le res-
pecter ; dans les campagnes , il est rare qu'on entame un pain sans
le marquer du signe le plus vénérable de la foi. Le pain est un don
de Dieu. Sa profanation est un péché. Dans les vieilles légendes popu-
laires , le pain du mauvais riche , qui refusait de le partager avec les
malheureux , était transformé en pierre. Une tradition du Harz ra-
conte que de Jeunes garçons ayant une fois osé maudire leur pain et
le fouler aux pieds , le pauvre pain saigna et rougit la terre : mythe
poignant où apparaît dans toute sa profondeur la croyance du peuple
allemand en la sainteté du pain. Dans nos usages alsaciens, ce n'était
pas manquer an sentiment de vénération que méritait le pain que de
le partager avec certains animaux ; l'on pouvait en jeter les miettes
aux poules, en donner aux chiens et aux chevaux ; mais c'était une
profanation impie d'en nourrir les pourceaux , qui étaient des bétes
impures , comme nous l'apprend la légende nationale du mauvais
riche de Dettwiller.
11 y avait dans ce village un paysan opulent, mais dur et avare ,
parcimonieux pour ses domestiques et impitoyable aux pauvres.
Quand de malheureux affamés mendiaient à sa porte les restes du
pain de sa table, il les chassait en blasphémant, et commandait qu'on
les portât dans l'auge de ses pourceaux. Après sa mort , sa maison
fut infestée de bruiu mystérieux. On y entendait le pas lourd d'un
animal et des grognements de porc. Un exorciste fut appelé. Il recon-
nut que l'esprit du mauvais riche vaguait , tourmenté et maudit, dans
la maison , et qu'il réclamait une auge neuve à l'étable. Elle fut faite.
Mais les pourceaux devinrent comme furieux au contact de leur nou-
veau compagnon. L'exorciste revint et relégua le fantdme dans un
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S6 MTUB B'aUàCB.
champ écarté et sileDcieux qoi enToie encore an passant solitaire
l'écho sinistre des grognements du mauvais riche damné (^).
Le pain , dans les campagnes alsaciennes , était généralement bon.
L'on y employait le méteil. Dans les montagnes on cultivait l'épéautre
parce que cette graminée résiste mieux aux froids. Au Ban-de-la-
Roche , le pain de seigle était , an xvui* siècle encore \ an régal dont
les pauvres n'usaient que de temps à autre (>). Dans les hautes mon-
tagnes , l'on n'avait que le pain violet que donne le sarrazin.
Les pays sitnés sur le cours du Rhin étaient les plus renommés de
toute l'Allemagne pour la beauté du pain blanc* du pain de table, du
pain employé dans la vie urbaine. Pforzheim et Strasbourg étaient
cités en première ligne sous ce rapport. Après Strasboui^ « le plus
beau pain de la Basse-Alsace était celui de Schwindratzhelm {^) , village
situé près d'Hochfelden « et qui était comme le Gonesse de l'Alsace.
Le pain de Schwindratzheim était si renommé , et ses boulangers si
estimés que Frédéric i*' les proposait pour modèles à ceux de Hague-
nan déjà en ii64 (^). Moins que dans d'autres pays il était mélangé
de graines aromatiques , mais il n'avait pas réussi à s'en affranchir
totalement. Sa pureté actuelle est un progrès du temps. Ancienne-
ment 9 chez nous» l'on y mêlait de la coriandre noire , dii pavot « et
surtout du cumin (^). C'était le penchant de l'époque. Dans le Lan-
guedoc on le saupoudrait de marjolaine , et dans la Provence on
chauffait les fours avec des bonrrées de thym. Sur le lac de Constance
dominait » an rapport de Montaigne « l'usage de l'aromatiser avec du
fenouil (®). Le docteur Bock recommandait comme des moyens propres
à lui donner de la douceur et un bon goût la semence de fromentale
et les gn^ines de sésame. U nous enseigne aussi que dans les années
de cherté ou dans certains cantons pauvres , on mêlait à la farine
ordinaire de la farine de pois , d'haricou , de lentilles » d'avoine , de
millet, que souvent l'on a fait du pain avec ces seules substances ou du
son , et que les famines ont parfois forcé de recourir à la sciure du
bois de sapin.
(*) ÀUG. Stoeber , Sagm des Blsassu , p. 237.
(*) Massenbt , Deicript. du Ban-d^-la-Roehe , p. 19.
(') JftR. Bock » Kreuttwbuch , p. 237.
(*) BiLLlNG, Beichr, dei BUastes , p. 243.
(*)BOGK,p. i(U.
(*) MoNTAKliB , Voyaget , i, p. 71.
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L'AMCIENNE ALSACE A TABLE. 27
Dans les petites villes les professions de pâtissier et de boulanger
étaient confondaes dans les mêmes mains. Il en était autrement dans
les grandes villes et dans celles où la police des métiers était sage-
ment réglée. Je vois par Tordonnance strasbourgeoise de 1557 qu'à
partir de cette année les professions furent séparées. Les pâtissiers
eurent leur domaine , et on ne réserva aux boulangers que le droit
de confectionner les Langweeken , le MuOtuchen , le Kumgikuchen ,
les pftiés 9 les Pladen (galettes) , les Offladen , les Suckerscheiben , les
Hàppen, YEierbrot, le pain d'épice (Lebkuehen) et les Brestellen (i).
L'usage et le temps y ajoutèrent les Mikhwecke , les Ladebredle , le
SehnUdnrod (à Haguenau Hurzelknopff ^ dans la Haute-Alsace Bière--
wecke); c'est le Rama delà Lorraine ; le val d'Ajol faisait le meilleur;
les Suppebengel (petits pains longs pour la soupe) ; les Gumberlândi^
bredle^ idnsi appelés d'un duc de Cumberland qui , pendant un séjour
qu'il fit à Strasbourg vers la fin du siècle dernier, en mangeait chaque
jour dans son café. Les pains au lait de S^-Marie-aux-Mines étaient
les plus fameux de l'Alsace < du temps de Grandidier ('). Quant aux
pains d'épices les deux sièges principaux de la fabrication de ce pro-
duit qui triomphe aux foires et aux fêtes patronales étaient à Barr et
à Strasbourg. En iBOi , Barr comptait cinq fabriques en activité , et
Strasbourg autant; Schlestadt en avait une (^). J'ai nommé les Eres-
telles. Ce pain délicat et populaire a assez de célébrité pour que l'on
remarque que les Romains nous l'ont apporté sous le nom de pan»
lonuâ, et que rsgatique affection des Strasbourgeois pour cette pâtis-
serie les avait portés à décorer du nom de BretsuUenumn leur singu-
lière et satyrique personnification du Rohraff (^).
Ch. Gérard, iToottklaoowiiDpérida.
(LaêvUe à une prochaine UvraUon.) ,
{*) Ârehiv. mnnieip, de Stroib. Gommimicatioii de M. Schweîghaeoser, srcbiTiste.
C) Granduibr , Vue* pitioretquet d'Âlsaee. S^Marie.
(') LAOH<m , SiaHet. du Boê-BMn , p. l&l.
l") AleaUa 18S2, p. 215.
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U DAME DE HUNGERSTEIN.
(*)
Le peuple sait une légende sur chaque ruine de la féodalité. Quand
vous visitez l'un des châteaux détruits » si nombreux dans notre vieille
Alsace, interrogez le bûcheron de la montagne, il saura à peine le
nom du manoir ; mais il vous dira quelque histoire surnaturelle sur
ses anciens hôtes , qui vous fera sourire si vous êtes sceptique, rêver
si vous êtes poète et réfléchir si vous êtes philosophe. Le peuple a
oublié l'histoire de ses anciens maîtres ; ainsi que sa propre histoire;
mais il a gardé la mémoire de quelques faits isolés auxquels la tradi-
tion en passant par la suite des siècles a imprimé une couleur poé-
tique. Les documents historiques donnent quelquefois à la science le
droit barbare de descendre une fiction ingénieuse aux proportions
mesquines d'un fait ordinaire » et la science s'en applaudit. Pour moi»
je l'avoue » j'ai toujours eu peu de sympathie pour ces détracteurs
lettrés qui se servent de l'histoire pour détruire. Je n'ai la prétention
de raconter qu'une simple légende et si je l'ai appuyée de preuves
historiques c'est qu'elles ne changent point la forme de mon récit.
C'est peut-être une supercherie que j'ai tentée : j'ai' essayé de prouver
une partie pour engager mes lecteurs à ne pas douter du reste.
Presque aux portes de Guebvriller s'élevaient naguère encore les
restes du château de Hungerstein. L'histoire de ces ruines serait peu
(*] L'histoire de la dame de Hangerstein n'est nas inédite. Le poète colmarien
Pfeffel a composé , sous le titre de: « Die Frau von Hungentein^ » une nouvelle
intéressante qui est publiée dans ses œuvres et dont il parait avoir emprunté le
fond anx annales de Ribeaupierre , écrites par le docteur Jacques Luck. U est
certain , toutefois , que notre poète ne connaissait pas les documents authentiques
que nous donnons par extraits et qui sont déposés aux archives du Haut-Rhin
avec les dossiers des &milles éteintes.
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LA DAME DE HUNGERSTBIN. * S9
intéressante si un crime affreux ne marquait , d'une tache de sang ,
le jour où s'éteignit avec Guillaume de Hungerstein la famille de ce
nom qui, depuis des siècles, tenait en Sef le château et ses dépendances
de la noble abbaye de Murbach (i).
C'était en i487 , Guillaume venait de perdre sa femme Suzanne
d'Ostein » qui le laissait sans enfants ; quoique vieux et inflrme, le
dernier Hungerstein songea à contracter d'autres liens et se 6ança
bientôt à une jeune et noble demoiselle renommée dans tout le pays
et pour sa beauté et pour sa grâce. Elle se nommait Cunégonde , et
était la fille de Rodolphe de Gielsperg » seigneur dissolu et ruiné qui
pensait refaire sa fortune en mariant avantageusement sa fille. Cuné-
gonde ne manquait jamais banquets , danses ni noces ou sa beauté la
rendait lotgours la bienvenue. Une fois mariée elle n'attendit point
que son époux voulut bien lui octroyer ces plaisirs ; elle les suivait
en cortège galant, écrasant de son luxe et de son dédain de plus nobles
dames qu'elle. Le vieillard le souffrait en silence, attribuant ces folies
à la jeunesse de Cunégonde ; mais bientôt , outrepassant toutes les
bornes , la noble dame mit au pillage les biens de son époux ; elle
vendait ses joyaux , engageait les titres de rentes et appelant auprès
d'elle son père et son frère Werner de Gielsperg • qui partageaient
ses goûu dissipateurs , elle tint cour et mena fort joyeuse vie en
son château de Uungerstein. Alors les yeux du vieillard se dessillèrent ;
il se vit , de riche seigneur qu'il était , sur le chemin de la pauvreté
et du déshonneur. Il admonesta doucement , puis sérieusement, mais
rien ne servit. Cunégonde ne céda point et ses parents la soutenaient
contre son époux.
Werner , son digne frère , fit même des menaces. Voulant se rendre
à Inspruck , il demanda quelques joyaux à son beau-frère , pour pa-
raître plus brillamment à la cour. Guillaume refusa. Alors Werner dit
publiquement que bientôt il ferait tel bruit à Hungerstein , que Ton
en garderait longtemps souvenir.
Sur la prière de Guillaume, le comte de Ribeaupierre , alors bailli
de la Haute-Alsace , avait envoyé un certain Thiébaud Lockmann ,
(') Aux émaux près , la dunille de Hungerstein avait les mêmes armoiries que
Tabbaye de Hurbach.
L'abbaye de Murbach : d'argent au lévrier élancé de sable.
La famille de Hongerstein : de gueules an lévrier élancé d'argent.
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30 BBYim D'ALSiCB.
poar remettre en ordre les affaires de Hungersteio (i) ; Lockmaiin aum
devint l'objet de menaces de mort de la part du jeime seignenr de
Gieisperg.
Dans cette extrémité le malheureux cheTalier de Hungerstein s'a-
dressa de nouveau au comte de Ribeaupierre, le supplia instamment
de lui prêter aide et assistance , pour régler les affaires de sa maison
et pour le protéger contre le ressentiment des parents de sa femme.
Le landvogty se rendant à ses doléances, ordonna que les biens de Hun-
gerstein seraient gérés et administrés par l'intendant qu'il avait envoyé;
que le seigneur Guillaume » sa mère » qui vivait encore, et sa femme
recevraient une pension limitée , que la valetaille inutile serait ren-
voyée, que l'un garderait simplement un écuyer et un valet de pied,
et enfin que dame Cunégonde n'aurait qu'une suivante pour elle et
une autre femme chargée de la cuisine.
Cette décision suprême frappait au cœur la dame de Hunger-
(*) Noos donnons ici un extrait des registres de Lockmann ooocemant la garde-
robe de la dame Cunégonde. Ces renselgnemenu nous paraissent intéressants
pour l'histoire du costume au iS« siècle :
LXTXVjor. — Jtmn to smt das die KUyder 90 WUhekn von Htêngtrstem
Ritter tiner eliehm gemahell frouw KungoUm gehm vnd koufft hai , Di» will vnd
«r eranek gtUgm %$U
Item einen bhmoen Rock , itt sùwr «rwm firouw SusUn WbKeker gedêchUnut
item einen grinen kurtxen Rœk^ itt vnden mit sehmfahe, itt auch tiner enœn
firouwen geweten.
Item einen grienen Rock itt gettiekt mit gold vnd herlen itt oueh tiner erwen
froufoen geweten, Kottet hundert gulden.
Item einen môrichen Roek itt ouch firouw SuuUn tiner erwen fvouwen geweten.
Item ein twilehjuj^en mit verguUen knopffen , itt owh tiner erwen firouwen
geweten.
Item einen vergoUten gurUll itt ouch tiner erwen proween geweten. Kottet
aektMiek pfimdt.
Item einen tehellinRock mit vergultten teheOin hat firouw KxmgoUt kouift von
Clewin Viteher xu Gewilr vnd itt xu dmn Rock komen einer tilber ttouffvnd ein
vergoUter gurttel mit einer twartxen phortten vnd xwene gulden in gold. Der ttouff
itt mint hom geweten vnd den gurttel itt mir nit witten. Der Roek itt twartx
Hnehtuch kottet XI % liber.
Item einen twartxen manttel vom Clewin Viteher kottent VIUI liber.
Itm aifieti hrunen lintehm Rock hat frouw MungoU koufft.
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LÀ DAME DB HPMGIRSTEIN. 31
stein ; qui dès ce jour médita uo crime. Elle parviat i gagner les deux
valets en leur accordant ses bonnes grâces . au point qu'oubliant et
rhonnenr et leur devoir, ils devinrent non seulement ses amants,
mais encore ses complices dans le dessein monstrueux d'égorger leur
vieux maître et seigneur. Le crime conçu eut bientôt son exécution.
Un jour que le vieillard était assis dans la salle voûtée de son châ-
teau , les deux valets se précipitèrent sur lui et le menacèrent de
mort, s'il n'écrivait incontinent à ses parents qu'un grand péché,
commis dans sa jeunesse, l'obligeait à entreprendre un pieux pèle-
rinage en pays lointain , qu'il prenait congé d'eux , les suppliait d'as-
sister sa femme en son absence et de prier Dieu pour lui. Quand
Guillaume eut cédé à la force , on l'obligea à sceller de son sceau la '
missive qu'il venait de tracer sous les menaces des assassins. Cuné-
gonde parut alors , tenant un lacet; c'était l'arrêt de mort et Tinstru-
ment du supplice de l'époux qu'elle avait accepté devant Dieu. Un
instant après elle était veuve et deux fois criminelle.
Les complices visitèrent les meubles et les papiers de leur victime ;
ils s'emparèrent des objets précieux, des titres de rentes qui restaient
et Ton se promit maint heureux moment.
Lorsque la nuit, protectrice des traîtres et des meurtriers, vint
prêter son ombre qui confond les bonnes et les mauvaises actions ,
l'écuyer monta à cheval . prit le cadavre de son maître devant lui ,
puis s'enfonçant dans la forêt il le jeta dans une fosse qu'il recouvrit
de mousse et de branchages.
Le lendemain les assassins ayant placé la missive sur la table de
Guillaume , témoignèrent grand souci de la disparition du chevalier
de Hungerstein , enfin ils ouvrirent la lettre en jprésence de quelques
étrangers et la montrèrent ensuite à tous ceux qui s'enquéraient du
vieux châtelain.
Mais bientôt on vit les deux valets porter les habits de leur maître
et le château reprendre ses airs de fête comme aux beaux jours où la
nouvelle épouse tenait Guillaume sous l'empire de ses charmes. Dieu
avait fhappé les assassins en leur ôtant la prudence, et l'attention pu-
blique éveillée les désignait à la justice des hommes.
Sur les ordres du landvogt , Guillaume de Ribeaupierre , une com-
mission , composée de nobles et de bourgeois , dut rechercher les
causes de la disparition du maître de Hungerstein. Sur quelques soup-
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5t RBVUE D'AL8ACE.
çons on 6t appréhender au corps un des Talets qui » appliqué k la
torture, avoua tout.
Le corps du malheureui seigneur fut bientôt trouvé et les juges de
la régence d'Ensisheim vinrent procéder à sa reconnaissance. Alors
on le conduisit solennellement à Guebwiller où il obtint les honneurs
funèbres et une chrétienne sépulture.
Selon l'antique usage le héraut d'armes brisa sur son cercueil les
armoiries de sa maison , pour témoigner aux yeux du monde , qu'il
était le dernier de sa famille et qu'avec lui le nom de Hungerstein
descendait dans la tombe.
Enfin pour perpétuer la mémoire du crime » on éleva deux croix »
l'une près de l'endroit où il fut assassiné » l'autre près de la fosse où
l'avait Jeté son meurtrier (^).
Cunégonde aussi fut arrêtée » incarcérée et appliquée à la question.
Elle convint du crime. Sa sentence» qui ne se fit pas attendre,
portait que Cunégonde de Gieisperg , convaincue d'adultère et de
meurtre , se prosternera à genoux , criera à Dieu merci et à l'empe-
reur , ses officiers et justiciers et à tous ceux qu'elle pourrait avoir
offensés et que pour l'expiation de ses crimes elle sera mise es mains
du bourreau pour être exécutée de vie à mort par submersion , en
conformité des ordonnances impériales et pour exemple d'autres*
Tout semblait fini pour elle lorsque le juge, brisant la baguette
d'osier qu'il tenait à la main , ajouta d'une voix grave et solennelle :
Dieu ait pitié de son âme. Cependant la mort était bien loin. Ange du
mal elle était destinée à faire encore des victimes sur cette terre et la
beauté de son corps devait aider la perversité de son esprit.
Pendant qu'on la conduisait au supplice , un jeune noble traversa
la foule de manants qui allait voir périr une noble dame et s'appro-
chant de l'exécuteur , il lui promit trente florins d'or s'il parvenait à
garder Cunégonde vivante et à la lui livrer. Le bourreau accepta (').
Il garotta la patiente avec tant de force qu'elle en perdit connais-
sance , puis la lançant à l'eau il la laissa descendre la rivière pendant
{*) Comptes de Lockanann. — Item, 2 gulden geben vor xioaya êteynenm
Crutxen xu maehm an der itetten do Herr Wilhelm ermordt itt worden.
Itêm, 5 ichl. d. vor die CruUe ctn die eelbe itette xufUren,
(*) Le chroniqueur Luck déclare qu'il ue nommera pas le noble pour ne pas
faire lâche sur le blason d'une famUle illustre.
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LA DAME DE HUN6ER8TEIN. 55
quelques ÎDStants la suivant toujours dans sa nacelle, il l'attira ensuite
vers l'autre bord où le noble l'attendait avec deux bons chevaui.
Pendant que la populace se retirait satisfaite , Cunégonde fuyait en
Suisse pour se mettre en sûreté dans un des châteaux de son libé-
rateur.
Guillaume de Ribeaupierre , le landvogt. apprit bientôt sa fuite. Il
en devint triste et soucieux , et mit tous ses soins à engager les auto-
rités suisses à lui livrer cette femme criminelle qui vivait impunie au
milieu de la joie et des plaisirs.
Ses vœux ne furent exaucés qu'après trois ans de persistantes solli-
citations. Elle fut arrêtée alors et dirigée sous bonne escorte sur Ribeau«
ville. Le landvogt lui fit grâce de la vie mais l'envoya immédiatement
prisonnière dans son château de Hoh^Rappoltstein. Son orgueil franchit
avec elle la porte de la prison et souvent , dit la chronique ; elle
apparaissait dans ses plus beaux atours derrière la grille formidable
du noir donjon.
En 1507^ vingt ans après son arrestatfon » Cunégonde devait être
encore bien belle car elle obtint de son geôlier , Philippe de Bacha-
racb , que pendant la nuit, il la fît descendre de sa prison au moyen
d'un échelle , et que pour obtenir son amour il s'apprêtât à fuir avec
elle en pays lointains. Mais tout fut découvert; le serpent de Hunger-
stein» comme on l'appelait dans la contrée, fut gardé plus étroite-
ment et maître Philippe, dont la tête devait échoir au bourreau , fut ,
grâce aux prières de nobles personnes , envoyé en exil pour le reste
de ses jours (i). A dater de celte époque la chronique se tait sur
Cunégonde^ et Luck, rhistorien de la famille de Ribeaupierre, pense
qn'elle ne sortit de son cachot que pour paraître devant le juge
éternel.
{*) Nous croyons devoir dODDcr le texte original de la lettre de bannissecent
{Vrpked) par laquelle Philippe de Bacbarach recooDalt son crime et la jusUce de la
peine qui Ta frappé et promet de s'y soumettre.
« Meh Phillips von Baeharaeh, Tun kun$ mmgkliehen nUt dûx«m brief dem-
nœh werend ieh vfdem Sloêx grosx Rappolzitein des ioolgebomsn hsrrm herren
WUhelms herrm %u Rappoltzsuin y ete, myns gnedigm herren gedingter noâehter
vnd shsxhnecht getoesen. Bah ieh In solhém mynem dienst frduentlieh vud uss
mgnem furgewuaem mutwillemf vnangesehen myner gethaner glubd , die frow
von Hungersteiny so vfangerUrtem Slos in gefengnis enthalten, mit einer Uitem
usz dêm tkum verbergenlieh genomen , in willen sy vnerlichùr wise und wercken
t* Série. — S* Année. 3
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54 BBTinS D'ALSAdS.
Les précautions prises à l'égard de cette femme furent extraordi-
naires. Guillaume de Ribeaupierre menaçait do (out le poids de sa
colère quiconque oserait tenter un rcgarH vers la tour qui la renfer-
mait. Les fils du seigneur surtout reçurent sévère défense de diriger
leurs pas du côté de Hob*Rappolstein.
' Cependant en 44^8 . Sébastien , l'un d'eux , jeune seigneur
plein d'avenir» fut, par ordre paternel , jeté dans un cachot. Il en
perdit la raison. Les médecins ayant déclaré qu'il était possédé du
démon , on le transporta à WittersdorfT, près d'Altkirch , pour être
exorcisé, mais il y périt de froid et sa dépouille mortelle, dit Pierre
d*Andlau qui rapporte le fait, repose encore à Wittersdorff, en la
puissance de Dieu (i).
zu bekofMnen mir furgenomen gehapt , darumb ieh dann xu gefmgnis obgmantêii
mtni gnedigen Kerrm komen , vnd billiehen an myns lib , wo nii iëlK$ durch
fromer lut furbitt abgeweftdet ttraffbar gewesen. Haruf io hab ieh frigi wilkns
einm g9$tabten ^d liblich zu Gott vnd den heiHgin mit vfgehêbten fingem vnd
gelerten wwrtten geswom iOlher *gefengnis vnd allei io mir darunter begegnêt ,
furter gêgen erttgemeUêm mynem gegen herrschaft Rappolstein , etc, , vnd alUn
Iren geu>andten , vnd $o diser myner gefmgnis verdeehi tin moehUnd , u>edêr
mit wortten noch werektn , RUtten oder gethëten heimlieh noeh offenlich ioeder
durch mieh selbi nœh andtr nyinermer zurwhnen noeh ztanden , zeoffnm noeh
ichaffen gethon werden In dhein wisz. Wo ieh aber solichs einem oder mer nit
enhieUe* So $oll ieh ein verzalter ineyneidiger sin vnd geheitsen werden , vnnd
ab mir an allen enden , do ieh gefunden wurd , richten , a/s ab einem erloseen
effdbruehigen man von reeht zugeburt da$ ieh mieh offenUeh in Craft disz briefi
begibe , vnd verzihe mieh haruber alUs des , so mir wider disen briefzekennen
irdstUeh vnd kUfiieh sin kbnndt oder màcht gentzlich vnd mit rechtem wissen ,
genend hier in vsxgesehriben. Vnd des zuo waren vrkund so hab ieh den vesten
Jungher Hanns Wurmlin erbetten , dans er sin in sigell fiir mieh in disen brief
gedruckt hat mieh aller obgesehriebenen ding zuo besagende. Der geben ist vf
zonstags noeh sanet Anthowien tag anno XV septisno, »
L'acte porte la trace d*un cachet en dre verte.
(Archives da Hant-Rhfn , documents de la seigneorte de Rlbaupierre.)
{*) Voici comment s'exprime Pierre d'ADdlau :
R Herr Bastion was ein gesehikter junger herr , kont sein welsch vnd laiin ,
vnd hibst von leyb , vnd stand ihm zu daz er hinder dos sjriel kam, vf|d vertpHt
60 guldm doser zu letzt hinweg liefda erzumet sein vaiter Ober ikn , lies ihn
fahen , vnd gen ^oh»nrafpolsteyn in Thurn legen , vnd war beseszen vnd gen
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LA DAME DE HUNGERSTBtM. 5S
Le chroniqueur ajoute qu'une dette contractée au jeu lui avait attiré
les rigueurs paternelles. La tradition , conservée parmi le peuple ,
prétend au contraire qu'il avait vu la dame de Hongerstein.
G. FkANTZ ,
chef do dhinon à la prtfBOtura da HioURhiii.
WidêTêdarff geiehkkki , da hmclmarwn , âamach er/roren da% ihm dit pu ab~
fHhn ^vffdem hofftnd H§t noeh tti Gottes gewaU, »
Par un acte daté du Tendredi après juMlate 1498 , Bastien fût forcé de se dé-
sister de ions ses droits sur la seigneurie et de se contenter d'ane pension annuelle
de* 100 îDoriT)^ dV , 1 W sacs de grains et 5 foudres de vin.
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U PÊCHE DE LA GRENOUILLE
DANS LE CANTON DE KATSEBSBERG.
SES VERTUS MÉDICINALES.
Sur la route qui mène de la plaine vers la vallée de Kaysersberg ,
on découvre , à droite , le riche vignoble qui s'étend le long du ver-
sant oriental des Vosges» à gauche, de vastes prairies sillonnées par
dlononibrables canaux dont les eaux se perdent, au fond du tableau,
dans une forêt d'aulnes et de chênes qui forme la Timite des prés.
Le voyageur timide qui parcourt cette route au mois de mars , par
une nuit sombre, risque d'éprouver bien des frayeurs et bien des
angoisses pour peu que son imagination soit accessible aux idées
superstitieuses ; il rebroussera chemin si les contes fantastiques et
populaires sur les revenants et les maléfices dont on a bercé son
enfance ont laissé quelque souvenir dans son imagination. Car c'est
là, sur cette route , qu'il verra l'homme qui porte sa tête sous sou
bras et dont les yeux ont Téclat funèbre du moribond ; il verra des
âmes en peine sortir de leurs tombeaux sous la forme de lumières
blafardes et livides , errant çà et là dans la campagne pour chercher
vainement le repos éternel ; il verra -^ mais je ne finirais pas si je
voulais rapporter toutes les histoires que feue ma grand-mèra, bonne
femme de quatre-vingt-six ans, me raconta dans toute son effusion de
cœur, il y a une quarantaine d'années et auxquelles je prêtais Tatten-
tion la plus pieuse. .
Il n'y a pas longtemps que j'ai entendu des hommes sérieux dis-
cuter la valeur morale de ces contes : les uns les accusaient de main-
tenir dans le peuple la superstition et par conséquent tous les dangers
qui s'y rattachent ; les autres n'y virent que des légendes destinées à
élever la pensée du vulgaire au-dessus du terre-à-terre de la vie
matérielle; mais, quoiqu'il «en soit, j'avoue pour mon compte que
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U PÈCHE DE LA GRBIfOUILLE , ETC. 37
c*e8t avec délices que je me souviens de ces longues soirées d'hiver
où mon aïeule me communiqua au coin du feu des histoires de reve-
nants » et il est probable que si maintenant encore je me trouvais
seul » au milieu d'une nuit obscure , sur la route dont je viens de
parier, voyant à ma gauche sur les prairies des lumières pâles , tantôt
apparaître, tantôt disparaître, rester immobiles pendant des mo-
ments et se précipiter ensuite, avec la rapidité d'un, éclair, vers la
terre . il est probable , dis-je , que les souvenirs de mon enfance se
raviveraient à la vue de ce spectacle imprévu et sinistre et me feraient
reculer d'horreur et d'effroi; et pourtant toutes ces lumières à l'as-
pect si fantastique ne sont autre chose que les lanternes des pécheurs
de grenouilles.
C'est au mois de mars, quand le ciel est couvert et que les nuits
sont déjà chaudes, que la rivière, qui a ses sources au lac Blanc et au
lac Noir, vient traverser ces prairies, y alimenter de nombreux canaux
d'irrigation et y déverser une quantité prodigieuse de grenouilles.
Pendant le jour , ces grenouilles , qui ne peuvent supporter une lu-
mière éclatante , se cachent dans des trous ou sous des herbes. Ce
D'est que la nuit qu'elles commencent leur vie vagabonde et recher-
chent des flaques d'eau pour y déposer leur frai. C'est de ces moments
que profitent les pauvres gens des villages voisina* pour faire leur
pèche et les jeunes gens de familles aisées pour se divertir.
Vers les dix heures du soir les pécheurs, armés de lanternes et de
sacs qu'ils portent en bandoulière, se mettent en route, suivent
silencieusement , l'œil au guet , les petits cours d'eau , traînant leur
lumière presqu'à terre, s'arrétant par intervalle pour choisir une
nouvelle direction et saisissant de leurs mains , avec une adresse qui
n'est propre qu'à eux , toutes les grenouilles qui se trouvent sur leur
passage. Il n'est pas rare de voir le pécheur habile rentrer chez lui
le matin vers deux heures , portant dans son sac un butin de deux ou
trois cents prisonnières.
Rentré chez lui , le pécheur , après quelques heures de repos , se
remet en route pour porter dans les nombreux villages de la vallée
les grenouilles auparavant décapitées et les vendre au prix de 20 à
25 cent, la douzaine.
L'année dernière, une Parisienne» femme élégante et artiste, est
venue avec sa famille dans la vallée Je Kaysersberg dont elle avait
beaucoup entendu vanter l'aspect grandiose et pittoresque. Je voulus
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58 hSfm O'AL&àCR.
lai faire connaître les mets favoris de mes compatriotes et lui fis offrir
un plat de grenouilles. — Quelle horreur ! s'écria*t-elle à la vue des
cuisses fricassées , ^- vos cbemios sont faits pour vous écorcher les
pieds et vos mets pour vous soulever le cœur !
Certes . son indignation eût été plus grande encore , si elle avait
vu les pécheurs apporter les grenouilles sans têtes , mais vivantes
encore ; car décapitées » la vie ne les quitte qu'au bout de quelques
jours; qu'eût-elle dit si elle les avait vues ainsi mutilées, grimper les
uns par dessus les autres dans le panier du pécheur , remuant sans
cesse 9 grouillant péle-méle et cherchant dans des convulsions conti-
nuelles la partie la plus précieuse enlevée à leur corps !
L'usage de couper la tête aux grenouilles n'est cependant pas
généralement répandu en Alsace. Dans le Bas-Rhin on leur enlève les
cuisses que l'on n'expose à la vente que dépouillées de leur peau et
enfilées au nombre de vingt-cinq à une branche d'osier ; dans le Haut-
Rbin on est plus exigeant vis-à-vis du vendeur qui doit en outre re-
mettre les corps dont on fait, à ce que l'on dit» un potage délicieux.
J'ignore jusqu'à quel point la grenouille a été goûtée de nos aieux,
mais j'ai l'espoir que le spirituel collaborateur de cette Revue qui ,
dans une série de charmants articles intitnlés : L'andenne Alsace à
tabk . nous a fiiit assister avec délices aux noces et festins de nos
ancêtres » voudra bien nous renseigner à cet égard.
Les naturalistes distinguent la grenouille mâle de la grenouille
femelle par deux petites vessies transparentes qui se trouvent à la
tête de la première, ainsi que par la partie intérieure des pieds de
devant qui est plus forte chez le mâle que chez la femelle. Nos pêcheurs
ont le coup-d'œil plus exercé et ils la reconnaissent de prime-abord à
sa couleur verdâtre et au volume de son corps : ils vous diront eu
outre que la grenouille est un animal plein de galté et de vie et qu'elle
continue, non seulement de vivre, de nager et de sauter pendant
plusieurs heures après avoir en le cœur arraché et la tête coupée ,
mais que le cœur et les poumons enlevés du corps continuent même
leurs mouvements ordinaires pendant toute une heure. J'avoue que
ce n'est pas sans frémir que j'ai vu un jour une de ces pauvres bêtes,
à laquelle nn enfant de pêcheur avait emporté tous les viscères de la
poitrine et du bas-veptre, sauter néanmoins pendant quelque temps
encore avec souplesse et agilité.
Le mois de mars passé » la pêche aux grenouilles devient pour no$
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UPÉGKDBUGRRNOUILLBiBTC. S9
pécheurs moioR produciWe; les grenouilles quittent alors les flaques
d'eau après y avoir déposé leur frai el se dispersent dans les champs
et dans les vignes. C'est alors que commence pour les amateurs la
pèche à la ligne. Différentes sortes d'appas sont propres à garnir
l'hameçon ; on y attache indifféremment des vers » des mouches • des
papillons , des scarabées, des hannetons, des entrailles de grenouille»
un morceau de drap rouge • de la laine teinte en couleur de chair, etc.
Cette pèche, comme toutes les autres, possède aussi ses secrets et
ses mystères dont l'un , d'après le Dictiarmarre théorique et pratique
de ta chasie et de la pêche , consiste à mettre une grenouille mâlé
dans un verre à boire que l'on dépose à l'endroit où l'on suppose la
présence de grenouilles; on charge le verre d'une pierre assez lourde
pour empêcher l'animal de sortir; dès que les autres grenouilles, qui
jouissent de leur liberté , entendent les gémissements de la captive ,
elles aecQltarent pour la délivrer et tombent aîiisi dans le piège qu'on
leur a tendu , piège composé uniquement d'un filet attaché par lès
quatre coins à deux cerceaux qui se croisent.
Nos pécheurs ne connaissent que trois espèces de grenouilles : la
grenouille aquatique ( Winterfrôtche) qui est celle dont nous avons
entretenu jusqu'à présent nos lecteurs ; la grenouille d'été (Sommer^
frôiche) plus petite que la première et la grenouille verte {Fteber-
frôsche). Ils n'ont pu me donner de renseignements ni sur la gre-
noaiHe pisseuse, ainsi nommée, parce qu'elle lâche un liquide à
chaHjne saut qu'elle fait , ni sur la grenouille bosme , ainsi nommée ,
parce qu'elle a deux os qui lui forment deux bosses sur le dos.
La grenouille verte, aussi connue sous les noms de Raine, Rainette
verte ou grenouille d'arbre, est désignée par nos pécheurs par le noni
de Rêberfrôiche t à cause de ses vertus médicinales dont nous parfe-
rons toui-à-l'heure. Elle est très*petlte et sa robe est d'une couleui^
verte très-prononcée ; elle grimpe sur les arbres et sur les arbu^es,
y demeure immobile et le plus souvent collée sur une feuifle
moyennant sa viscosité naturelle. Elle n'est nullement muette comme
quelques auteurs le prétendent ; elle se fait entendre beaucoup en
automne, surtout le soir et pendant la nuit. Les pécheurs soutiennent
même que l'on ne peut qu'avec peine distinguer sa voix' du chant de
l'alouette.
C'est aussi cette petite grenouille qui sert au campagnard de pro-
nostic dans ses oocupations agricoles. On sait qu'en rintrodiiisant4anë
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40 REVUE D'ALSACE.-
un bocal , dans lequel on a mis auparavant de Teau à la hauteur de
Quatre doififts à peu près et un peu de terre au fond , elle devient un
baromètre vivant , car elle monte ou elle descend, selon la tempéra-
ture sèche ou humide , la petite échelle en bois placée dana ce bocal.
On a vu de ces grenouilles vertes vivre pendant trois ans sans qu'on
leur ait donné aucune nourriture ; et un médecin allemand affirmait ea
avoir conservé une dans un verre cylindrique, couvert d'un roseau, en
ne lui donnant pour toute nourriture qu'un peu d'herbe fraîche en
été et un peu de foin mouillé en hiver. Chose remarquable encore ,
c'est que beaucoup de nos campagnards ont plus de confiance en leur
petite grenouille qu'en leur baromètre , et moi-même , il n'y a pas
longtemps , j'ai été ébranlé un moment dans ma foi en la science*
Voici de quelle manière :
Le S septembre J860 mon baromètre indiquait Beau et ma gre-
nouille était sous l'eau ; le temps en ce moment réellement au beau
se tenait ainsi du côté du baromètre , et donnait tort à la grenouille.
Les deux jours suivants le baromètre monta de plus en plus et la
Rainette verte descendit de plus en plus jusqu'au foud du bocal. —
Je me demandai si mon baromètre était déréglé , mais un article que
je trouvai quelque temps après dans le Journal des Débats confirma
l'anomalie de l'indication barométrique.
Voici la note du journal :
ff On a remarqué avec étonnement que pendant ces derniers jours
« où la pluie n'a pas cessé de tomber avec abondance , et même par
c moment avec une grande violence, le baromètre n'a pas discontinué
c de marquer le beau fixe. On ne s'explique guère ce phénomène
c atmosphérique^ >
J'avoue que depuis cette époque la petite greoutlle a grandi dans
mon estime.
Un mot maintenant sur les vertus médicinales de ces êtres amphi-
bies. J'ai déjà dit que les pécheurs de la vallée de Kaysersberg ont
donné le nom de Fteberfrôiche à la petite grenonille verte et cela en
raison des remèdes qu'elle fournit ou du moins qu'elle est censée
fournir contre la fièvre.
J'ignore ce qu'il y a de fondé dans cette assertion ; j'ignore égale-
ment si la grenouille en général est considérée comme remède quel-
conque dans la médecine moderne; mais ce qui est certain , c'est que
la confiance des pécheurs est consacrée par une tradition locale et
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LA PÊCHfi DB LA GRENOUILLE , ETC. 41
que de père m fils ils ont accordé à la grenouille une venu médici-
aale. Il n'est donc pas sans intérêt de jeter un coup-d'œil sur la
longue liste de remèdes que la grenouille a dû fournir autrefois et je
pense que le récit des cures merveilleuses qu'elle a opérées dans le
siècle dernier encore , ainsi que les préservatifs miraculeux qu'elle a
offerts à ceux qui se donnaient la peine d'y recourir en temps opportun,
ne manqueront pas de captiver l'attention du lecteur.
I Les grenouilles » dit le volume poudreux que j'ai devant moi , et
I qui a été imprimé en 1775 , fournissent d'excellents remèdes : prises
c intérieurement , elles sont humectantes, incrassantes et conviennent
t dans les maladies de poitrine ; on en fait des bouillons qu'on prescrit
c dans la toux invétérée ; dans la sécheresse de poitrine , dans la
€ phthisie et dans la consomption , ils humectent» adoucissent et font
c dormir. On en fait aussi un excellent usage dans les cas de chaleurs
c d'entrailles et lorsqu'il s'agit de dissiper les boutons et rougeurs
€ de visage. »
Le frai de grenouille n'était pas moins en usage , selon le volume
en question , que l'animal même. Il passa pour le meilleur réfrigérant
de ce règne ; il était très-bien indiqué dans les inflammations de la
goutte y il guérissait la brftlure , l'érésipèle et les feux volages du
visage.
, L'auteur auquel j'emprunte la description de ces remèdes , sans
doute autrefois fort efficaces , prétend même que le frai de la gre-
nouille est d'un excellent emploi contre l'épilepsie , il n'ose pas ce-
pendant l'assurer, mais il indique la manière de s'en servir en ce cas :
< On prend , aux mois de mai , juin ou juillet , environ quarante gre-
c nouilles des plus vertes, on en 6te les foies pour les faire sécher à
c une chaleur lente , on les réduit en poudre , et on partage cette
< poudre en six doses égales ; on en donne une dose au malade le
c matin à jeân dans un peu de vin on dans de l'eau de fleurs de tilleul,
« en lui recommandant de ne manger que deux heures après ; on lui
c en fait prendre une autre le soir , et en continuant ainsi trois jours
c de suite • on réitère selon le besoin ; c'est à ce remède que l'Electeur
c Palatin Frédéric iv dftt sa guérison. >
Mais le frai et le foie n'étaient pas les seules parties de la grenouille
auxquelles on attribuait la puissance de pouvoir guérir des maladies
aiyourd'bui encore si rebelles contre la science moderne ^ le fiel de
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42 RBVUB D*AL8ACB.
la grenouille aussi avait ses vertus et devait, réduit en cendre, arrêter
la gonorrhée et produire un excellent fébrifuge.
C'est probablement cette dernière qualité qui a fait donner â la
petite grenouille verte le nom de Fteberfrôsche par les pécheurs de la
vallée de Kaysersberg.
Bien d'autres qualités salutaires étaient encore , Bans la première
moitié du siècle dernier, reconnues à la grenouille. L'une de ces
qualités surtout est trop importante pour que je puisse la passer sons
silence ; je veux parler des cendres calcinées de la grenouille , les-
quelles données sur la pointe d'un couteau aux enfants nouvellement
nés et dans du lait de femme, avant qu'ils aient rien pris , avaient la
faculté de les garantir pour toujours de toutes sortes de maladies que
le lecteur curieux trouvera amplement décrites dans le Dictionnaire
des animaux domestiques , par H. Bucboz , médecin-botaniste de feu
S. M. le Roi de Pologne et docteur agrégé de différentes facultés de
médecine.
Mais ce que le lecteur ne trouvera pas dans le Dictionnaire men-
tionné , ce sont les immenses services que la grenouille a rendus in-
directement à la civilisation moderne. C'est , en effet, ce petit animal
amphibie qui a été la cause de la découverte à laquelle nous devons
la merveilleuse promptitude de nos dépêches télégraphiques , ces
porte-voix gigantesques qui suppriment et le temps et l'espace. Oui ,
c'est grâce à elle que le fluide galvanique est venu enrichir les sciences
naturelles et fonder la chimie moderne.
Décrire ici les circonstances qui ont amené la découverte du galva-
nisme, ce serait m'éloigner de mon siqet. Je me bornerai à. dire que
GaJvatti • dont le nom est devenu si célèbre , était médecin en i78&
et que c'est sur des cuisses de grenouilles, dont il avait hit usage i
qu'il fit ses premières et curieuses expériences.
J. F. Flaxland.
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ZOOLOGIE DU JEUNE AGE
ou
HiSTOiRB NATURELLE DBS ANIMAUX» écrite pouf la jeuoesM, par
M. LerebouUei, professeur à la Cjiciiklté (les sciences de Stras-
bourg » etc.
Da&s la Revue étAUaee (année J8S8, page 385) nous avons déjà
parié de ce livre éoninemment utile. N'ayant eu alors que Tintroduc-
UoD sous nos yeux, nous promettions à nos lecteurs de les entretenir
de chacun des quatre embranchements zoologîques au Air et à mesure
de leur apparition. Différents motifs nous ont empêché de tenir parole.
Aujourd'hui nous pouvons rendre compte de l'ouvrage terminé. Mais
au lieu d'une pâle analyse , nous aimons mieux mettre sous les yeux,
de DOS lecteurs une page du livre même prise au hasard. Nous tom-
bons sur le chapitre qui traite de la cloue de» insectes ! ne pouvant le
citer es entier , nous nous bornerons à ce qui se rapporte à la vie et
aux mœors de ces intéressantes créatures.
« La vie entière des Insectes se partage entre deux grandes séries d'opérations
qui ont pour but , les unes , tout ce qni peut assurer la conservation individuelle,
les antres ce qui se rattache à la conserraUon de l'espèce. Les premières com-
prennent l'idimentatiôn , le séjour, les moyens d^attaque on de défense ; les
seeondes ont pour bot de placer les œufs dans des' condiUons fkvorables à Tédo-
sioii et d'assurer aux larves im séjour et une nourriture convenables.
« Sans ces diverses opérations qui constituent ce qu'on appelle les mmars des
Insectes, ces derniers sont dirigés par leur or^nisation et par leur instinct. L'or-
ganisation leur donne les moyens d'agir dans l^intérèt de leur propre conservation
ou pour l'eatretien de leur race ; l'instinct trace leur ligne de conduite et les dirige
en aveugler vers le but assigné par le Créateur.
« L'instinct, comme nous l'avons déjà dit (voy. p. 6 , 60 et 61), est une CiculCé
particulière qui porte l'animal à accomplir étalement et nécessairement des ac-
tions uniformes, sans qu'il ait conscience de ces actions. Trois traits saillants le
caïadérisent elle distinguent de l'intelligence : il est néeessain , il est immuable.
« Les Castors sont firreés de b&tir leurs buttes , les Abeilles sont forcées de
crostniire leurs ruches ; ni les uns ni les autres ne pourraient se soustraire à
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44 RBVUB d'alsâce.
Tempire de cette loi qui les porte à travailler en oomman dam un$ direction d^
terminée. Depuis qu'on les observe et » sans aueun doute , depuis qu'ils existent ,
ces animaux procèdent (oigours de la même manière , sans rien changer à leurs
opérations , sans ajouter un étage à leur cabane ou sans modifier la forme régu-
lière de leurs cellules. D'un autre c6té ils n'ont pas appris l'art de bfttir : la jeune
Abeille qui sort de son enveloppe de chrjsalyde va se joindre à ses compagnes et
en sait autant que les plus anciennes.
« Les actions instinctives sont nombreuses et variées chez les Insectes , et tou-
jours en rapport avec les besoins de l'animal ; quand elles ont pour objet la con-
servation de l'espèce , elles montrent une prévoyance admirable qu| mettrait
l'instinct bien au-dessus de l'intelligence si l'instinct était raisonné. Cependant
l'insecte n'a pas le mérite de ses actes ; ouvrier laborieux , mais inintelligent de
la Création , il suit aveuglément la route qui lui est tracée, montrant Inrtout le
doigt tout-puissant du Créateur qpil'a doté d'une ftoulié merveilleuse, pour assurer
f existence de ces innombrables générations.
« VaUmentation et le e^our sont nécessairement liés entre eux de la manière
la plus étroite; un Insecte qui habite le bois, la fiente des animaux ou les fruits,
ne quittera pas sa demeure pour aller à la recherche d'une autre nourriture ; aussi
llndication du séjour fidt-elle connaître très-souvent le genre d'alimentation et
réciproquement.
« Nous avons déjà laissé entrevoir que les Insectes ae nourrissent de toutes
sortes de substances. Ceux qui recherdient une proie vivante la poursuivent »
TatUquent, la déchirent avec les armes puissantes dont ils sont pourvus. D'autres
sucent le sang de leur victime ; munis d'un tube effilé qui renferme des styleu ,
des dards , des sdes , ils traversent fodlement la peau la plus épaisse et la plus
duN , et aspirent à longs traits le liquide dont ils s'alimentent. De nombreuses
larves appartenant surtout aux Coléoptères et aux Diptères se nourrissent de chair
putréfiée. Enfin beaucoup d'insectes maogent les poils , les plumes , le crin , la
laine; rongent nos vêtements , nos fourrures, nos meubles ou attaquent sans
pitié les collections d'histoire naturelle. Ainsi , animaux vivants , animaux morts
et produit^ d'animaux , bruts ou façonnés , servent de p&ture à des Insectes.
« Les espèces qui s'alimentent de substances végétales sont eucore plus nomr-
breoses.. Leure larves ont le même régime , et , comme elles sont très-voraces ,
elles produisent des ravages sur une grande échelle et constituent quelquefois une
plaie des plus désastreuses. Les racines , les feuilles , les fruits, le blé , la forine,
les légumes secs , l'herbe des prairies , les arbres sur pied , les bois coupés et
même fiiçonnés , disparaissent sous les continuelles attaques de ces Insectes dé-
vastateura.
n Le séjour des In<ectes se parUge entre l'air , la terre et l'eau. Les espèces
essentiellement aériennes , aidées de leura rames légères ou puissantes et des
petis ballons que leur corps renferme , voltigent sans cesse , se posent sur les fleura
pour en aspirer le suc ou poursuivent d'autres Insectes qu'elles saisissent au voL
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ZOOLOCœ DU JEUNE AGE, ETC. 4S
Les espèces terrestres , an contraire , courent avec rapidité on se traînent pénl-
blenent sur le sol , se cacbent sons es pierres , dans les trous , soos les écorces,
on se tiennent sur leur plante de prédilection. Celles qui vivent en parasites ne quit-
tent pas le corps de l'animal aux dépens duquel elles se nourrissent ; si ce dernier
vient à mourir elles fuient aussitôt pour chercher une autre vicUine. Les végéUui
aussi ont leurs parasites qui passent leur vie entière à la place où ils se sont fixés.
« Mais ce n*est pas seulement à l'extérieur que vivent les parasites ; nous ver-
rons que certains Insectes déposent leurs œufs dans le corps des Chenilles et que
les larves qui en sortent dévorent celles-ci toutes vivantes , tandis que d'autres
Insectes vont même jusqu'à pondre leurs œu& dans d'autres œufs.
«t n existe un assez grand nombre d'Insectes aquatiques. Les uns choisissent
les eaux rapides , coulant sur un fond pierreux ; les autres préfèrent les eaui
tranquilles, mais pures, telles que les eaux d'infiltration , celles qui proviennesl
des irrigations , etc. D'antres encore recherchent de préférence les eaux croupis-
santes , les mares infectes et le liquide qui s'écoule des fumiers.
« Les Insectes , soit à l'état par&it, soit à l'état de larve , ont reçu de nom-
breux moyens de protection ou de défense. Les uns échappent , par la légèreté
de leur vol ou par la rapidité de leur course , aux poursuites de l'ennemi ; les
autres savent se soustraire à ses recherches en se cachant sous les feuilles, sous
les écorces des arbres, sous les pierres ou dans d'impénétrables retraites ; un
grand nombre, dès qu'ils sont saisis, replient leurs pattes, font le mort et restent
Immobiles jusqu'à ce que le danger soit passé ; quelques-uns se laissent tomber à
terre au moment où Ton croit s'en emparer et disparaissent parmi les herbes on
dans les inégalités du sol. La matière fétide qui suinte du corps de certains In-
sectes , l'odeur infecte de plusieurs , leç substances gazeuses que quelques-uns
lancent avec bruit , sont autant de moyens de protection plus ou moins efficaces.
« L'instinct de conservation individuelle est surtout porté à un haut degré chez
les larves. Quand elles ont encore toute leur agilité , elles peuvent se défendre',
se cacher ou fuir lorsqu'un danger les menace; mais quand vient l'époque de leur
transformation , la mollesse de leur corps et leur immobilité feraient d'elles une
proie Cicile , si leur instinct ne les portait à s'entourer d'une enveloppe qui les
caclie à tous les yeux et les fait ressembler à des corps inertes. C'est alors qu'elles
cherchent un lieu retiré , un abri favorable où rien ne puisse les déranger dans
leur imporunte opération. Un grand nombre d'entre elles changent même de sé-
jour, comme on le voit , par exemple , pour beaucoup de larves de Diptères qui
abandonnent les fruits dont elles s'étaient nourries jusque-là , s'enfoncent dans la
terre et y subissent leur métamorphose. Cette connaissance de l'avenir , cette
véritable préscience que possède un misérable Ver , n'est-elle pas bien propre à
nous Aire comprendre la vraie nature de l'instinct ? La réflexion , la volonté n'ont
aucune part dans les actions de cette larve ; elle est poussée par une force aveugle
et irrésistiUe ; elle travaille à son chef-d'œuvre , sans avoir la conscience de ses
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46 RBWB D'aLSACB.
actes » comme elle a'a pas dataotage la eonseiençe des pbéiiomèiies Titaàx qttl se
passent en elle.
ff Ces faits et beavoimp d*atttres , dont il serà qaesUon quand nous parierons des
différents ordres d'Insectes , nous montrent la sage ordonnance qui a présidé aux
œuvres du Créateur, en donnant à chaque être les moyens de se soustraire aux
causes de destruction qui l'entourent ; mais Texamen des actions relatives à la
conservation de Tespèce nous offre bien mieux encore Toocasion d'admirer cette
haute sagesse providentielle. Ici l'instinct se montre dans tonte sa force , il appa-
raît comme une véritable divination, car ses actes ne se rattachent plus à un but
présent, mais se lient à des faits qui ne se manifesteront qu*à une époque plus
ou moins reculée et Souvent quand l'Insecte aura cessé de vivre.
a Les Insectes , quel que soit leur séjour à l'état par&it , quel que soit le milieu
qu'ils habitent, savent toujours choisir, pour déposer leurs teufe , un séjour en
rapport avec le genre de vie de la larve et un milieu dans lequel celle-ci pourra
trouver la nourriture qui lui convient.
« C'est ainsi que plusieurs Insectes essentiellement aériens vont déposer leurs
œufs sur l'eau , parce que leurs larves sont aquatiques. D'autres choisissent les
fleurs des arbres fhiitiers , les feuilles de certaines plantes, le ftimler , les eaux
croupissantes, la chair en voie de pntréfoction. Il y en a qui percent les tissus
végétaux ou le corps des Chenilles , comme s'ils savaient que leurs larves ne pour-
lîient vivre dans un autre milieu. Plusieurs espèce^ construisent des nids et placent
auprès des ceah qu'elles ont pondus une nourriture suffisante pour subvenir aux
besoins des larves. TantM c'est un miel savoureux qui remplit les cellules ou une
pâtée composée de miel et de cire ; tantôt ce sont des Coléoptères , des Araignées,
des Mouches que l'Insecte a percés de son aiguillon et qu'il a enfermés dans son
ntd , pour servir plus tard de pftture aux petites larves.
« C'est encore pour assurer l'existence de leur progéniture que tant d'Insectes
déposent leurs œufs sur la chair en décomposition , dans le fumier ou dans la flente
des animaux. Quelques-uns façonnent cette dernière substance en forme de bou-
lettes qu'ils enterrent avec soin , après les avoir remplies de leurs œu6. Nous
pourrions multiplier les exemples et toujours nous verrions l'Insecte dirigé par la
même prévoyance qui n'est autre chose que son instinct.
«' Répandus en légions innombrables sur toute la sui&ce du globe , les Insectes
jouent un rôle immense dans l'économie générale de la natore. D'un c6té , s'ils
détruisent les productions de la terre , de l'autre ils servent de pêture à des
Oiseaux , à des Mammifères , è des Reptiles ou k d'autres animaux dont ils en-
tretiennent l'existence , compensation admirable et conséquence nécessaire de la
grande loi d'équilibre qui gouverne les êtres vivants.
Cl De quelque côté que nous tournions nos regards , nous nous voyons entourés
de ces dangereux ennemis qui accompUssent en silence leur œuvre de destruction.
Les Chenilles dévorent les feuilles des arbres ; à peines sorties de l'œuf, elles se
répandent partout , commencent par les plus tendres , celles qui viennent de s'é-
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ZOOLOGIE DU JEUNB AGE , ETC. 47
pftnoair, puis, à mesure qu'elles grandissent^ elles mangent des feuilles plus
consisuntes et ne cessent de détruire que lorsqu'elles ont tout ravagé. Une mul-
titude de larves souterraines attaquent par leurs racines les plantes potagères, les
plantes d'ornement ,. Tberbe des prairies , les arbustes et même les arbres. Ou
bien ce sont les Taupes-Grillons qui sillonnent en tous sens les plates-bandes d'un
jardin , les Sauterelles qui transforment en déserts arides les contrées Les plus
fertiles , ces armées de Termites qui minent nos bois de construction , une foule
de larves de Coléoptères qui rongent le cœur des plus beaux arbres. Ailleurs nous
voyons nos provisions alimentaires, nos meubles , nos vêtements envahis par ces
êtres nuisibles ; puis ce sont les Cousins , les Moustiques , les Taons , les Œstres,
les Mouches , les Fourmis qui harcèlent sans cesse l'homme et les animaux.
« NoDB smnmes donc réellement entourés d'ennemis qui tendent à consommer
noire ruine et qui arriveraient à tout détruire si la prévoyante nature n'avait mis
elle-même des bornes à leurs dévastations.
n En effet les Insectes ont , à leur tour , des ennemis nombreux que l'homme
dmt savoir utiliser dans son propre intérêt et dont il devrait chercher à se faire
des auxiliaires , loin de les détruire comme il en a l'habitude.
« Au premier rang de ces êtres utiles il fîatut placer les Oiseaux , tous plus ou
moins friands d'Insectes, et surtout les nombreuses espèces insectivores qui nous
reviennent tous les printemps pour élever chez bous leur petite famille. L'homme
ne devrait jamais perdre de vue les services que lui rendent ces charmants petits
hOtes de nos campagnes et de nos forêts , et cependant li ftut la protection , trop
souvent inefificace , dos lois , pour les soustraire à son aveugle cupidité.
n Viennent ensuite plusieiirs Mammifère qui, font aussi des Insectes leur pâture
habituelle ; puis les Lézards , les Orvets, les Couleuvres , les Crapauds , les Gre-
nouilles. Enfin , parmi les Insectes eux-mêmes , il en est un bon nombre qui font
la guerre à leurs semblables et que l'homme devrait savoir distinguer de ceux
qu'il voue à la mort. Les légères Cicindèles , les vigoureux Procrustes , les Carabes
à la cuirasse de bronze * de cuivre ou d'or , les brillants Calosomes, les Suphylins
et tant d'antres , détn^sent non-seulement une foule d'Insectes à l'état par< ou
à rétat de larves , mais dévorent aussi les Escargots et les Limaces , animaux
très-nuisibles au jardinage et à la vigne. Mentionnons aussi le groupe des Libellules
on Demoiselles, plusieurs Hyménoptères fouisseurs, certains Silphes et surtout la
nombreuse famille des Ichneumons , les ennemis naturels des Chenilles dans l'in-
térieur desquelles ils pondent leurs œufs.
« Outre ces Insectes réellement utiles parce qu'ils diminuent le nombre des
espèces nuisibles, il en est d'autres précieux pour l'homme par les produits
qu'ils lui fournissent : noinmer la soie , le miel , Ui dre , la cochenille , c'est indi-
quer une source de richesse pour les particuliers et pour les nations. Nous ne
parlerons pas de l'utilité de la Cigale qui fait sortir la manne de certains arbres
en les piquant de son bec ; d'une espèce de Gynips qài produit la noix de galle ;
dcï» Cantbarides qu'on emploie en médecine. Nous ne diVous rien non plus de
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48 RSVUB D*AL8AGB.
quelques Insectes employés comme aliments dans Tantiquité on même encore de
nos jours cbez certains peuples; mais nous signalerons» en terminant ce ooup-
d*œil sur le r61e des Insectes , un genre d'utilité auquel l'homme frit peu attention,
quoiqu'il en retire le premier tout le bénéfice. Les Insectes contribuent , pour
une large part , à faire disparaître promptement de la surfiice de la terre les cada-
vres des animaux. Enlevant pièce à pièce toutes les parcelles de substance animale,
ils préviennent les elTets de la putréCiction qui ne manquerait pas de vicier l'air et
de répandre au loin des miasmes dangereux. »
Nos lecteurs nous sauront gré de cette citation et nous espérons
bien qu'elle fera naître chez chacun d'eux le désir de lire l'ouvrage
tout entier. Ces lignes prouvent en outre que te titre : c Zoologie du
jeune âge > ne doit pas être pris au pied de la lettre; car cette zoologie
est une histoire naturelle qui peut être étudiée, avec plaisir et fruit,
par tous les gens du monde qui s'intéressent à la connaissance deis
animaux qui peuplent notre globe. La lecture de ce livre d'ailleurs
procure le même charme qu'on éprouve en lisant Ï0i$eau ou Ylmeeie
de Michelet. Si le livre de H. Lereboullet est plus scientifique ei
plus développé que ceux de l'illustre écrivain , il n'en est pas plus
aride , ni moins attrayant.
Nous pouvons du reste annoncer dès maintenant à nos lecteurs que
ce volume n'est que le commencement d'une publication d'histoire
naturelle plus complète ; nous savons que l'éditeur fera suivre , dans
un temps assez rapproché , d'un ouvrage de botanique conçu dans le
même esprit et formant , comme la zoologie , un beau volume du même
format , orné d'un grand nombre de planches en couleur.
Le succès que nous avons prédit à la Zoologie du jeune âge^ dès son
apparition, s'est réalisé et les nouveaux projets de l'éditeur prouvent,,
comme nous en avons exprimé l'espoir alors , c que malgré les pré-
jugés de centralisation qui existent en France, l'on peut toujours -
entreprendre en province la publication d'un bon livre, i
Napoléon Nicklès,
correspondant de rAcadémie de Stinislas.
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LES FEMMES
DANS LA POÉSIE GRECQUE.
I.
Dans les poèmes homériques , la femme est Tobjei d'uo culte qui a
lieu de nous surprendre , quand nous considérons l'élat dlnfériorilé
où elle se trouve quelques siècles plus tard , surtout au temps des
Aspasies et des Laïs, alors que, reléguée dans la solitude du gynécée,
elle a cessé d'être comptée pour quelque chose au sein de cette civi-
lisation brillante et féconde , et se trouve condamnée par la loi à lan-.
guîr dans la retraite austère du ménage et traitée comme la première
des esclaves. Elle est reine chez elle , honorée de ses enfants et de
son époux , exerçant avec celui-ci , dont elle est la compagne plutôt
que la servante , les devoirs importants de Thospitaliié. Elle prend
une part active aux intérêts qui s'agitent autour d'elle ; donne libre-
ment son avis , exhorte et encourage les guerriers ; il y a dans ses
paroles , comme dans ses actions de Télégance , de la grâce et une
certaine dignité. Mais ce qui la distingue plus particulièrement , c'est
la simplicité et la pureté de ses mœurs. L'Odyssée nous montre les
femmes de sang royal présidant elles-mêmes à tous les soins du mé-
nage • filant le lin , tissant la toile , veillant à la propreté du linge au
milieu de leurs servantes , dont elles dirigent les travaux. Et ces
occupations n'ont rien de servile> ni d'assujettissant, et ne leur ôtent
rien de leur influence légitime dans les affaires du dehors. Elles suivent
leurs pères et leurs maris dans les camps , où elles sont considérées
et écoutées avec respect ; Homère nous les représente se promenant
sur les remparts , observant de loin les combattants , et fixant sur
elles les regards et l'admiration des guerriers; les jeunes filles seules
9* Série. — S« Année. ^
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80 REVUE D'ALSACE.
n'oseraient paraître au milieu des hommes sans leurs parents : t Je
< blâmerais» dit Nausikaa à Ulysse , la jeune fille qui , hors de la pré-
< sence de ses parenls , se produirait daus la société des hommes
« avant d'être mariée. >
Les hommes de cette époque , et , en particulier, ceux de Tlliade
ressemblent sous bien des rapports à nos preux du moyen-âge ; Cimme
ceux-ci , ils sont de mœurs assez rudes et violentes , pleins de vigueur
et de loyauté ; comme eux aussi , ils tiennent la femme en grande
estime. Il est vrai que celle-ci n'est ni rêveuse , ni enthousiaste comme
celle du moyen-âge; noble et digne» sans prétentions» ni orgueil,
modérée et retenue dans l'expression de ses sentiments» pénétrée
d'un pieux respect pour les dieux , elle accepte avec humilité et sin-
cérité la place qui lui est assignée et s'acquitte avec soumission de ses
devoirs d'épouse » de mère et de fille. Toutefois le héros grec » malgré
sa rudesse apparente , ne le cède en rien au chevalier du moyen-âge
pour la chaleur et la délicatesse des sentiments. C'est ainsi que, pour
ramener dans ses foyers la belle et séduisante Bélène , et châtier le
jeune audacieux qui l'a ravie à son époux , des troupes de guerriers,
suivis de leurs tenanciers , se rassemblent de toutes parts , brûlant
de venger une injure qui les touche autant que Ménélas , et bra-
vent les fatigues et les dangers d'une lutte qui doit durer dix ans. Les
Troyens eux-mêmes paraissent animés des mêmes sentiments. Priam
n'aurait-il pu éviter ou faire cesser promptement cette lutte qui lui
fut si funeste , en rendant Hélène à Ménélas , ou en désavouant le rapt
commis par son fils? Non, car lui et les siens ont été subjugués ,
comme Paris, par l'ascendant de la beauté, et pour conserver la
femme grecque au milieu d'eux , ils courent avec empressement aux
combats et à la mort. N'entendons-nous pas les vieux conseillers de
Priam se dire les uns aux autres , en regardant passer Hélène : < Ce
( n'est pas sans raison que les Troyens et les Grecs endurent pour
c cette femme de si longues souffrances. > (/<. III , i56). 11 est vrai
qu'ils ajoutent , comme correctif , ces paroles qui conviennent davan-
tage à leur âge : c Elle ressemble aux déesses immortelles. >
C'est encore un motif tout aussi chevaleresque qui retarde la catas-
trophe qui ensevelira Priam et son empire. Les Grecs se voient arrêtés
sous les murs de Troie , parce qu'Achille , irrité contre Agamemnon ,
qui lui a ravi sa part de butin , la fille de Briséis^ la vierge aux belles
joues , refuse avec obstination de prendre sa part des luttes et des
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LES FEBIMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. SI
périls. C'est en vain que le roi des rois lui offre en co^npensation sepi
jeunes esclaves distinguées par leur beauté; aucune autre TemiDe ne
saurait remplacer dans les affections du héros de la Phthie la com-
pagne chérie» c qu*il protège et qu'il aime du fond de son cœur. >
C'est là une preuve évidente des sentiments de respect et d'amour,
dont les femmes étaient Tobjet, de la chaleur avec laquelle on s'atta-
chait à elles. Mais aussi elles étaient dignes de pareils sentiments ,
les jeunes filles, à cause de leur pureté virginale, les femmes mariées,
à cause de leur fidélité.
Quel charmant type de vierge que celui de Nausikaa ! La scène »
dans laquelle Homère la met en présence d'Ulysse , est un des tableaux
les plus remarquables que nous possédions d'ingénuité et de candeur.
La pensée de son hymen prochain , où elle devra se montrer dans de
riches vêtements , l'a chassée de sa couche avant le jour. Elle prie
son père de lui confier un attelage pour qu'elle puisse aller avec ses
suivantes laver ses vêtements sur le rivage de la mer , mais une pu-
deur naïve l'oblige à dissimuler son véritable motif. Après s'être,
acquittées de leur tâche, les jeunes filles, qui accompagnent la prin-
cesse , passent leur temps à chanter et à jouer à la balle ; Nausikaa
prend part à ces amusements innocents. Tout-à-coup la balle échappe
aux mains de l'une d'elles, et va rouler dans la mer; le cri que poussent
les jeunes filles fait sortir Ulysse de son assoupissement. Ils se dirige
aussitôt vers l'endroit, d'où les voix sont parties ; les suivantes, à la
vue de cet homme aux dehors repoussants, se dispersent avec la rapi-
dité de jeunes biches qui viennent d'apercevoir un lion. La fille d'Al-
cinoûs, seule, reste calme et immobile; timide et circonspecte, aussi
longtemps que le danger était éloigné , elle le brave maintenant et
trouve du courage pour rassurer ses compagnes. D'ailleurs, pourquoi
aurait-elle fui ? Elle ne connaît point la peur , pas plus qu'elle ne
soupçonne chez les autres des procédés inconvenants ou mauvais.
Elle a reconnu sur-le-champ , dans cet étranger qui l'aborde ', un
malheureux qui a besoin de ses secours; ses flatteries, quelque
adroites et insinuantes qu'elles soient, ne paraissent pa§ l'avoir tou-
chée , tant elle est modeste et vraie ; elle n'en rougit même pas , pas
plus que des sentiments que cet homme parait lui avoir inspirés à la
première vue : c Ne me suis pas. dit-elle à Ulysse; il se trouve parmi
c nos Phéaciens des hommes au langage insolent ; peut-être l'uu
• c d'eux , venant à nous rencontrer , dirait : Quel est celui qui s'attache
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5â REVUE D'ALSACE.
«
f aux pas de Nausikaa^ cet étranger beau et de taille élevée? Où Ta-
c t-il vue? Sans doute il doit être un jour son mari. C'est quelque
c vagabond , qui se sera trouvé sur son chemin, quelque coureur de
c mer , quelque étranger venant de pays éloignés , car il ne ressemble
c à aucun des nôtres. Peut-être est-ce un dieu descendu du ciel , ei
c qu*elle aura supplié de se rendre à ses vœux. C'est lui qu'elle gar-
c dcra pour époux pendant le reste de ses jours. Elle aurait mieux
c fait de choisir un autre époux , car elle nous dédaigne, nous autres
c Phéaciens . nous qui lui rendons tant d'hommages. >
Les poèmes homériques sont surtout riches en exemples de fidélité
conjugale et de noblesse féminine. Peut-on concevoir un amour pins
beau , plus dévoué que celui qui unit Andromaque à Hector? Enten-
dez-la dans cette scène touchante des adieux , qui est un chef-d'œuvre
de naturel et de pathétique. < Cher époux , dit-elle à Hector > tu es
« pour moi tout en ce monde; tu me tiens lieu tout ensemble de père,
< de mère , de frères et de sœurs ; tu es aussi mon époux brillant de
c jeunesse; si je venais à te perdre, mieux vaudrait pour moi être
t ensevelie dans le sein de la terre. » — c Oui , je le sens , au fond de
« mon âme, répond Hector, un jour viendra où la ville sacrée d'Ilion,
c où Priam et son peuple valeureux tomberont dans la poudre,
c domptés par des ennemis puissants. Mais rien ne saurait m'affliger
t autant que ta propre destinée , que de prévoir qu'un Grec inhumain
c t'entraînera peut-être toute en pleurs sur ses pas , après t'avoir
c ravi la douce liberté. Âh ! puisse la terre amoncelée couvrir mon
c corps inanimé , avant que j'entende tes cris déchirants et que je te
c voie arrachée de ces lieux ! > (/{. VI , 407 , suiv.) Voyez-la surtout ,
au moment où elle adresse à ce héros qu'elle aime de toutes les puis-
sances de son être ces paroles a la fois si simples , si belles et si
émouvantes , souriant , à travers les larmes , à la vue de son enfant
qu'elle embrasse. Et lorsque plus tard elle aperçoit le cadavre
d'Hector, traîné par l'impitoyable vainqueur vers les vaisseaux des
Grecs, et qu'elle se retrouve en présence de ce corps maintenant
sanglant et mutilé, sa douleur n'est point de celles qui s'exhalent
avec bruit et se dissipent en quelque sorte avec la fumée du bûcher.
L'Odyssée n'est à proprement parler, d'un bout à l'autre, qu'un
hymne à la louange de la fidélité conjugale, personnifiée dans Péné-
lope. Ulysse, quoiqu'en possession d'un bonheur aussi complet que
la terre peut le donner, dans les bras de Calypso, que sa jeunesse
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LES FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 53
éieroelie rend plus belle et plus séduisante que toute femme mortellle,
et que le poète nous représente comme le type de la volupté, ne peut
cependant se laisser gagner par tant de charmes , encore moins par
la promesse de l'immortalité ; il ne cesse de songer à son épouse
chérie et arrose de ses larmes les riches vêtements qu'il a reçus de la
déesse. (Od. VII , 210-219). C'est qu'aussi cette épouse, pour laquelle
Homère a déployé tontes les richesses de sa palette, est digne d'un
pareil attachement. Elle porte sans cesse dans son cœur l'image de
son époux absent , et repousse obstinément les sollicitations pres-
santes des prétendants; après une séparation de vingt ans , elle est
encore en proie à mille souvenirs douloureux qui déchirent son cœur
attristé et font couler ses larmes pendant de longues nuits d'insomnie,
n n'est point de devin « si obscur qu'il soit , qu'elle ne consulte , point
de mendiant qu'elle n'interroge sur le sort d'Ulysse , à la mort duquel
elle ne peut croire encore. Pénélope est la plus tendre et la plus fidèle
des épouses, mais elle ne l'est point encore comme l'Alceste d'Euri-
pide, dont la vertu éclate dans un héroïque dévouement; grâce à
l'esprit souple , délié et ingénieux de son sexe . qu'elle possède à un
haut degré , elle est vraiment digne d'être l'épouse d'Ulysse , seule-
ment elle vaut mieux que lui , car elle a la prudence , sans avoir la
fourberie. Que d'égards, de ménagements et d'artifices n'emploie-t-
elle pas pour résister à l'audace des prétendants , qui va toujours en
croissant . et aux sollicitations de plus en plus pressantes de ses pa-
rents eux-mêmes , qui l'engagent à choisir un second époux ! Et lors-
qa'enfin le héros tant pleuré est rendu à sa tendresse, elle résiste
encore à son propre entraînement , elle observe et pèse jusqu'aux
moindres circonstances, de peur de se tromper; car elle ne veut pas
avoir échappé pendant un si long laps de temps aux poursuites des
prétendants , pour tomber enfin au pouvoir de quelque imposteur
habile. Mais quand le doute n'est plus possible , et que tous deux ,
semblables à des naufragés , qui ont eu le bonheur de gagner la plage
libératrice , ils se livrent aux élans si longtemps contenus d'une joie
inexprimable, elle ne peut détacher ses bras du cou du héros:
c Hélas ! s'écrie-t-elle , dans le transport de sa reconnaissance , les
c dieux nous ont accablés de chagrins, il nous ont envié le bonheur
f de passer ensemble les jours de notre jeunesse , et de rester l'un
c près de l'antre jusqu'au terme d'un âge avancé. » (Od. XXIIl, 255).
Hélène elle-même » la cause de tant de maux , nous apparaît comme
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oi REVUE D'ALSACE.
une femme coupable , il est vrai , mais en proie à la confusion et aux
remords , et , à ce titre» nous la plaignons , toutefois , sans l'excuser.
Comment , d'ailleurs , ne nous intéresserions-nous pas à son sort ,
lorsque nous la voyons entraînée en quelque sorte au-devant de Paris,
qui vient de se soustraire honteusement par la fuite aux dangers
d'une lutte redoutable , et qui , dans ce moment suprême , semble ne
voir en elle qu'un docile instrument de ses plaisirs ? Comment ne la
plaindrait-on pas , lorsque » debout devant le cadavrç d'Hector , elle
se trouve comme perdue au milieu de cette foule qui l'entoure, cher-
chant en vain une main amie, un regard sympathique? Elle se regarde
alors comme un objet de honte et de mépris ; elle voudrait que , le
jour où sa mère l'enfanta , une tempête violente l'eût emportée sur la
cime des monts ou dans les profondeurs de la mer. Et lorsque , dans
rOdyssée , nous la retrouvons dans le palais de son époux , avec son
irrésistible beauté , accueillant ses jeunes hôtes « dont elle a deviné
le rang et le caractère , avec une amabilité sans égale , et s'efforçant
de ranimer la gaîté des convives que le nom et le souvenir d'Ulysse
ont momentanément bannie ; à la voir si honorée • si heureuse dans
cet intérieur où elle avait jeté naguère le déshonneur, on oublie en
quelque sorte la faute qu'elle a commise , on ne se souvient que de
l'expiation , qui a été rude et solennelle , et l'on est assez disposé à
ne voir dans sa conduite passée qu'un déplorable accident.
Hécube, ré|[)ouse du vieux Priam , ne se montre qu'à de rares in-
tervalles sur le théâtre des événements , mais elle nous apparaît
chaque fois comme l'emblème, je dirai même, comme l'écho de la
douleur. M. Patin, dans ses savantes études sur la tragédie grecque,
a bien raison de dire qu'Homère nous donne à contempler en elle
c le modèle du malheur accompli. »
Nous pourrions trouver encore dans Tlliade, comme dans l'Odyssée,
beaucoup d'autres figures , sinon aussi belles , au moins aussi inté-
ressantes , celle de Laodamie , qui , après la mort de Protésilas , son
époux , reste seule dans son palais , se refusant à toute consolation
(HAÏ, 100); celle d'Ârété , la digne mère de ^Nausikaa , l'ornement
du foyer d'Alcinoûs ; son mari et ses enfants l'honorent plus que
jamais femme n'a été honorée , et les Phéaciens qui révèrent ses ver-
tus recueillent ses discours comme des oracles (Od, VH , 170). C'est
encore et surtout la figure d'Eryclée, le type de la fidélité, du dé-
vouement et de la discrétion » et qui , comme l'a fort bien dit un
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LES FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 58
élégani écrivain , plein d'avenir (>) , est une prolesuiion insliûclive
da génie contre le préjugé antique qui frappait l'esclave de déchéance
morale et faisait de la vertu un privilège de la liberté.
Mais quel contraste entre la femme héroïque , aristocratique , telle
qu'Homère l'a représentée , et celle que nous trouvons chez Hésiode !
C'est l'idéal à côté de la réalité , c'est-à-dire^ de la femme vulgaire ,
avec ses caprices , ses défauts et sa puissance non encore contestée.
Les soucis du ménage , le cercle restreint des intérêts domestiques ,
tel est le sujet constant des pensées et des préoccupations de la femme
chez ce poète du travail , de la paix et du bien-être. Elle est honnête,
quelque peu égoïste , méfiante et peu favorable aux inventions nou-
velles , dues aux progrès de la civilisation ; il y a même , dans tout
son être > quelque chose d'âpre et de mordant. Il serait superflu ,
pour ne pas dire ridicule, de demander à cet homme des champs «
tel qu'Hésiode le représente , les sentiments chevaleresques qui dis-
tinguent tout particulièrement les héros de l'Iliade et de l'Odyssée ;
ne nous étonnons donc pas que la femme soit si mal partagée dans
les écrits de ce poète ; tout ce qui dépasse les besoins les plus ordi-
naires de la vie . tout ce qui rentre dans le domaine du beau , de la
grâce, du luxe et des arts, est à ses yeux quelque chose de mauvais,
de pernicieux ; il ne voit, par exemple , dans le goût de la toilette ,
si naturel à la femme , et qu'on n'arrivera jamais à faire disparaître ,
qu'une source de prodigalités insensées , une cause de ruine pour le
mari , et ses appréhensions se trouvent plus particulièrement expri-
mées dans le mythe de Pandore , que Jupiter avait destinée , selon
lui , à être tout à la fois le charme et le fléau des hommes, c  l'instant
c l'illustre boiteux , obéissant aux ordres du fils de Saturne , façonna
c avec le limon de la terre une figure qui ressemblait à une* chaste
< vierge. Les Grâces divines lui attachèrent des colliers d'or , et les
c Heures à la belle chevelure la couronnèrent des fleurs du printemps,
c Pallas Athénée orna son corps d'une parure complète. Le messager
« des dieux , le meurtrier d'Argus , docile aux volontés du tonnant
c Jupiter , arma son cœur de mensonges , de discours artificieux , de
< sentiments perfides. Le héraot des dieux mit aussi en elle une voix
< articulée, et il nomma cette femme Pandore, parce que tous les
c habitants de TOlympe lui avaient fait , chacun , leur présent , afin
O M. Gamhoolio.
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56 REVUE D'AUàGB.
c qu'elle fât un fléau pour les industrieux mortels. » {Oeuv. et jmrs,
y. 70 suiv.) Les réflexions qui suivent cette légende dans la théogonie^
touchent presque à la brutalité ; on devine, sous ces violentes invec-
tives , une sorte de lutte entre l'homme plus grossier et la femme •
qui , quoique descendue de son piédestal homérique » occupe cepen-
dant encore une place importante dans la société, et n'a pas encore
été réduite à cet état d'insigniOance, auquel le triomphe des principes
démocratiques devait la condamner un jour : c C'est de Pandore qu'est
c née la race des femmes au sein fécond ; oui , c'est d'elle que pro-
« vient cette race funeste , fléau cruel , qui réside au milieu des hommes
c et qui s'associe, non à la pauvreté, mais à l'opulence. De même,
c que quand les abeilles , dans leurs ruches couronnées de toits ,
c nourrissent des frelons qui ne savent s'employer que pour le mal ;
c que tout le jour, et jusqu'au coucher du soleil, elles travaillent sans
c cesse à construire leurs blancs rayons de miel , tand» qu'eux , au
c contraire, ils ne bougent de l'intérieur des ruches, engloutissant
c dans leur ventre le travail d'autrui, de même Jupiter qui tonne dans
c les airs a imposé auxmorlels le fléau des femmes, i {Théog. 599-6i2).
Cette manière de voir est exprimée d'une manière tout aussi cava-
lière dans les conseils que le poète adresse à son frère Perses : c Garde-
c toi de t'éprendre d'une femme aimant le luxe et la parure , qui te
c séduirait par ses caresses trompeuses et n'aimerait de toi que tes
c biens extérieurs ; se donner à une femme pareille , ce serait aban-
< doDuer ses biens à la merci des voleurs. > {Jour, et trav. v. 375-
575). Le poète , on le voit , n'est point un flatteur de l'autre sexe ,
cela ne l'empêche pas cependant de témoigner un certain ravissement
à la vue d'une femme honnête et économe , qu'il place avec une sorte
de complaisance, afin de faire mieux ressortir la difiiérence, à côté
de celle qui ne s'inquiète que de ce qui se passe hors de chez elle,
c Cherche avant tout à te procurer une femme honnête et chaste ,
c que tu puisses former et diriger à ta convenance , et choisis-là dans
c quelque famille du voisinage. S'il n'est pas pour l'homme d'acqui-
c sition plus avantageuse que celle d'une épouse vertueuse , je ne
c connais , d'autre part , de calamité plus redoutable que la posses-
c sion d'une femme vicieuse ; elle est pour son mari une cause de
c ruine et le fait vieillir avant l'âge, i {Oeuv. et jour. v. 699-705).
lie contraste , que nous venons de signaler entre Homère et Hésiode,
et sur lequel nous ne croyons pas devoir insister davantage, provient,
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LES FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. S7
ce nous semble , non pas seulement de la différence des races et des
contrées , auxquelles ces poètes appartiennent, mais encore , et plus
spécialement , de ce que • dsns l'intervalle du temps qui les sépare ,
les familles aristocratiques se sont éteintes peu à peu et que les petites
cours héroïques ont disparu. Or , on sait que ces deux éléments
avaient contribué tout particulièrement à entretenir chez les Grecs
les idées et les sentiments chevaleresques de l'époque homérique. De
toutes les formes gouvernementales» qui remplacèrent la monarchie
patriarcale , aucune ne se montra aussi favorable que celle-ci à une
appréciation sincère de la femme ; ni la tyrannie , qui faisait pénétrer
jusque dans l'intérieur de la famille le principe de l'obéissance aveugle
et le droit do plus fort , ni la démocratie qui , par cela même qu'elle
précipitait le citoyen dans le tourbillon des afiïiîres publiques , ne lui
laissait ni le temps, ni les dispositions nécessaires pour ofl'rirses
hommages au sexe plus délicat. Cependant . hâtons^nous de le dire,
ces vieilles maiimes pratiques du chant d'Âskrée sont à nos yeux une
production tout aussi intéressante , dans son genre , de ce même sol
qui vit naître les mœurs chevaleresques plus délicates et plus héroï-
ques s telles que les présente l'épopée homérique. Hésiode et Homère
se complètent, i vrai dire » l'un par l'autre , et à eux deux , ils nous
offrent on tableau presque complet de la vie hellénique des anciens
âges.
Ed. Gogdkl.
(La suiie à une prochaine livraison.)
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CHANTS ET LÉGENDES POPULAIRES
D'ALSACE
QUI SE RATTACHENT A LA TEMPÉRATURE ET AUX DIFFÉRENTS AGENTS
QUI LA DÉTERMINENT.
Personne ne Tign^ore plus aujourd'hui : nos légendes populaires
sont des souvenirs vagues mais précieux de nos origines historiques :
ce sont , pour ainsi dire , les dernières oscillations parvenues jusqu'à
nous d'un passé lointain , mystérieux et souvent incompris. Histoire
et mythe , loi écrite et droit coutumier , philosophie et superstition .
vérité et erreur : tout s'y reflète , tout y continue à vivre de la vie du
symbole ^ qui est celle de la poésie.
De même que Tenfant ignore le prix du caillou qu'il tient dans sa
main et qui renferme le diamant • de même le peuple ignore tout ce
que renferme de trésors la simple et naïve tradition que ses ancêtres
lui ont léguée pour qu'il la transmette , à son tour » aux générations
suivantes.
S'il est poète malgré lui , en rapportant » sans les interpréter , ces
merveilleuses créations d'un âge passé, le peuple l'est encore sous un
autre point de vue et d'une autre manière dont il ignore également
toute la portée » tout le charme : je veux parler de son langage à lui,
langage, non de convenance, non d'étude, mais qui est d'autant plus
énergique et plus vrai , qu'il est plus spontané et plus naturel.
C'est dans les dialectes surtout^ que le langage populaire a conservé
sa plus étonnante variété , son expression la plus riche , la plus poé-
tique.
Ces pauvres dialectes , traités autrefois avec tant de dédain par le
pédantisme d'une érudition surannée, bafoués par la prétentieuse
ignorance des précieux ridicules de nos jours , — les dialectes ont
fait invasion dans la science qui leur doit la solution de plus d'une
énigme philologique.
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CHANTS ET LÉGENDES POPULAIRES D* ALSACE , ETC. ^9
Mais trêve de science , aujourd'hui ! Nous ne demanderons » celte
fois-ci , à Tun de ces dialectes , à celui qui se parle entre la rive
gauche du majestueux fleuve du Rhio et la belle chaîne des Vosges ,
que quelques uns de ces chants populaires , que quelques unes de ces
légendes naïves , qui se rattachent a la température et aux différents
agents qui la déterminent.
c Le petit homme-aux-fagots, > das WeUemànnel, 0) de son vivant,
voleur de bois 9 s'il en fût, et qu'un arrêt suprême a condamné à
eiercer éternellement , dans la lune » son vilain métier, — le fVeUe'
mànnel a terminé sa besogne. Il a réuni en fagots les branches d'arbre
volées; il saisit sa cognée , prend sa charge sur ses épaules , éteint
sa lanterne et va gagner son gîte solitaire. C'est à lui que » dans le
Bas-Rhin, les enfants adressent cette ronde joyeuse :
WeUemUnnelè im Mond ,
Guok è Biael 'runter !
Guck tfi aUi Stuwwè 'nin ,
Gelt , et nitnmt di lotmder ?
Wirf din UiierU-nr-'èra ,
Graddel driwwer 'nunUr ,
Vomè'ra,
Hintè 'ra ,
lufwer alU Stangè !
^ Wmn dètnit
SpieUwU
Mueteh m'r *$ UsseU fange !
C'est-à-dire :
«c Petit homme-aux-fligots, qui habites la lune ,
* Jette un peu tes regards sur la terre ;
Jette-les dans nos chamhrettes !
M'est-ce pas tu es cnrienz (de savoir ce qui s'y passe ?)
Jette en-bas ton écheUe ,
Descends bien vite vers nous «
Par devant,
Par derrière ,
Passe par-dessus toutes les perches ! (franchis tous les
obstacles ! )
(*) Presque tous les recueils de mythologie ou de légendes populaires de TAlle-
magne parlent du petit homme de la lune. Voy. EUOiiiêch. VoUubuchUinf 2« édit.,
tome f , p. 151 , note 262.
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60 REVUE D'ALSACE.
Et si tQ veux
Jouor avec nous ,
Tâche d'altraper Lisette ! »
Hebel , le gracieux et inimitable poète alémaunique a connu égale-
ment c l'bomme de la lune , > Mann im Mond , et lui a consacré une
charmante petite poésie. Ce fut , d'après lui aussi , un mauvais drôle
qui, les dimanches, allait dans la forêt pour voler du bois et en faire
des fagots. L'enfant lé montre du doigt à sa mère et lui demande :
« Luèg y MuetterU , wa$ iseh im Mo' f »
— Bé , sieh$eh*$ denn nit , a âfa?
« Jo weggerU , i siéh ne seho ,
« Erhatè TichUpli a, »
«t Wag tribt-er dmn die garni Nacht ,
« Er mehret to kei Glied ? »
— Hé , siehteh nit , ass er WelU macht ?
c< lOf ébè dreiht er d'Wied. »
Essayons de traduire :
« Regarde , petite mère , qu'y a-t-il dans la lune ? «
— Eh , ne le vois-tu pas ? c'est un homme !
« Vraiment , oui , je le vois ,
« Il porte une petite camisole. »
« Que faitril là-haut , toute la nuit ?
« Il ne semble remuer aucun membre. »
~ Eh, ne le vois-tu pas? il Cait des fagots.
« Vraiment , oui, il vient de tortiller la branche d'osier »
(pour les lier ensemble),
Cependant la lune disparait ; elle cède sa place au $oleil , qui se
lève à rhorîzon opposé. Il sourit » d'Sunn lacht; et, si c''€St le dimanche
de Pâques» Il tressaille de joie, a trois reprises, d'Sunn duetdrei
Freude Spring , en l'honneur de la résurrection du Seigneur. Puis il
jette ses rayons dorés sur nos coteaux plantés de vignes » les Sunne^
bèrri , les Sunneképfle , les Sunneglilzer et autres. Le vigneron alors
le salue avec joie et respect , (>) car c'est le soleil bienfaisant qui c fait
cuire , i kocht , le bon vin d'Alsace (^).
C) Les Evangiles des QtienouiHes (15« siècle) , nouv. édit 18S5, p. 81, disent :
n Gellui qui souvent benist le soleil , la lune et les estoilles , ses biens lui multi-
n plieront au double. »
(*) Sébastien Munster dit de même en parlant des vins d'Alsace ; « An dem
« Berg kocht sich der gut Wein, »
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CHANTS ET LÉGENDES POPULAIRES D'ALSACE , ETC. 61
Mais les brouillards , gigantesques fantômes , blottis au fond des
vallées humides , commencent à envahir les sommets des montagnes,
et il ne s'échappe du disque à demi-voilé de l'astre du jour , que de
rares et pâles rayons : c'est le temps ou le soleil Tait sa toilette ; il
peigne ses longs cheveux dorés , d'Sunn stràlt sich, La pluie est immi-
nente ; déjà le ciel se moutonne , d'r Bimmel schàfell sich; la mère
delà pluie, d* Rêjèmueter , s'installe sur son trône humide; l'arbre
de la pluie » d'r Rêjèbaum , étend au loin ses branchages vaporeux ;
la verge de la tempête , d'r Wetierbêsè, apparaît au ciel ; ou bien, de
monstrueux poissons, d'Fiseh, nagent dans l'atmosphère et s'arrêtent
sur les montagnes.
Lorsque le soleil se couche sans colorer de ses rayons les nuages
entassés à l'occident , l'on dit qu'il glisse dans un sac, d'Sunn schlupft
m de Sack, et l'on prédit la pluie pour le lendemain.
La pluie n'est pas toujours regardée comme un malheur ; le labou-
reur la souhaite au contraire bien souvent , et si elle tombe , ses
enfants de chanter :
« 'i réit ,
DV Aekersmann siUt,
Die Kémelè tpringèy
DU VéjeU singé
Juhéh!»
Ce qui signifie :
a 11 pleut;
Le laboureur ensemence son champ ,
Les grains de blé sautent en l'air ,
Les petits oiseaux chantent
Juhéh ! »
C'est au mois de mai surtout que les enfants aiment à s'exposer
nu-téte à la pluie douce et rafratcbbsante , car la pluie de mai les
fait grandir (<). Ils chantent alors :
» MoSieréjé , macKmi gross ,
/ bin è klèiner Stttmbè ,
G'hér unter d'Lumbè. {*)
Bliew* iaUè Stumbè stehn »
Will i liewer in's Bimmelè gehn ! »
(') Yoy. EUëss. Volhsbiiehlein , 2« édit. , i , 155 ; Gnmm, Mythol., p. 549^4(66.
(*) Proprement : vieux chiffons ; baillons ; mauvais sujets , mauvais drôles.
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62 REVUE D*iLSAGE.
Traduisons :
« Pluie du mois de mai , fiiis-moi grandir ,
Je ne suis qu'un petit bout-d'homme ;
Je ne suis qu'un petit mauvais drôle !
Plutôt m'en aller droit au ciel
Que de rester un petit bout-d'homme ; »
Voici une autre chanson , d'une originalité encore plus bizarre :
« MfaXeréjè , mach^tni grou ,
/ bin è kUiner Stumbè !
Steck'mi unter d'Lumbè !
— D'Lumbè rin %è klein. —
Steck'mi unter d'Stêin !
— irStein sin zè hait. —
Steck'mi in de Wald !
— Der Wald Ueh tè fimter. —
SUek'mi unter 's Mintter !
— - 'i Mimter iich zè gross. —
Steel^miin è Bios !
— jyBlos iich nit heli. —
Steck^mi in è Btidèll ! »
Traduction :
(c Pluie du mois de mai , fais-moi grandir ,
Je ne suis qu'un petit bout-d'homme !
Mets-moi parmi les haillons !
— Les haillons sont trop petits. —
Mets-moi sous les pierres !
— Les pierres sont trop froides. —
Mets-moi dans la forêt !
— La forêt est trop sombre. —
Mets-moi sous la cathédrale !
— La cathédrale est trop vaste. —
Mets-moi dans une vessie !
— La vessie n'est pas claire. —
Mets-moi dans une bouteille !
Mais le couchant resplendit de ses teintes les plus brillantes; les
nuages ont revêtu leur manteau royal , d'or et de pourpre , et la
journée suivante sera belle , car l'enfant Jésus vient d'allumer son
' four et fait cuire des beignets pour les donner aux enfants sages et
dociles ; *s Christkind bachi Kuechle.
Aussi les enfants sont-ils les plus fidèles et les plus sincères amis
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CHANTS ET LÉGENDES POPULAIRES D* ALSACE , ETC. 63
da soleil. A les entendre , le soleil se renferme parfois dans le clocher
du village; alors une femme mystérieuse, la Sainte- Vierge , (f) lui en
ouvre la porte et le laisse sortir, lis chantent :
o '* geht è Frail in*s Gîockehus ,
Lost die heilig Sunn *eruê. »
Si le soleil se cache derrière les nuages , ils s'écrient :
« Schattè y Schattè , faV di !
Svnnè , Sunnè^ xaï di ! »
C'est-à-dire :
« Ombre , ombre , disparais !
Soleil , soleil , montre-toi ! »
Ou bien ils entonnent ce quatrain :
a Sttnnè , Sunnè , schinè ,
Fahr* iwwer de Rhinè ,
Fahr* iwwer 's Glockèhus ,
Kumm bail wtdder in unser Eus. »
Ce qui signifie :
« Soleil , soleil , viens luire ,
Envole-toi par-delà le Rhin ,
Envole-toi painlelà le clocher ,
Mais reviens bientôt vers notre maison I »
Par une soirée silencieuse , la brise fait tout-à-coup cliqueter les
petites vitres rondes de la chaumière ; l'enfant alors s'en inquiète un
instant , puis il demande :
« Diri diri Disel ,
Wer zopft m'r an mi'm Eisel ? » (')
Mais bientôt il se rassure , car on lui répond :
« D'r Wind, d'r Wind ,
Diii himmliiehi Ktnd ! » (')
Le vent qui s'élève subitement après un long calme , annonce le
(*) En Allemagne c'est aussi la déesse Holda, Voy. EUtUsieches VolkebUehlein,
2«édit. , I, p. 150-151.
(*) C'est-à-dire : « Diri diri Disel! (intraduisible); qui est-ce qui secoue ma
petite maison ? y»
('] a C'est le vent , le vent , cet enfant du ciel. » — Déjà le langage ordinaire
personnifie le veut ; Ton dit : « d'r Wind geht , » le vent va , marche.
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64 MVUB I>'M^GB.
plus souvent quelque malheur ; d'ordînaîk^e on dît que quelqu'un s'est
pendu » *s hat sich Emer g*henkt.
On appelle c danse des sorcières i , Bexetanz , un coup de vent
qui soulève une masse de poussière et la fait tournoyer rapidement.
Jetez-y un couteau , un autre objet de métal ou un chapelet bénit ,
et le charme est rompu , et la méchante sorcière , qui a causé le
tourbillon de poussière , vous apparaîtra aussitôt dans le costume
primitif du paradis.
Le roulement du tonnerre » pendant un orage , n'est autre chose
que le bruit que font les boules lancées par les anges qui jouent auK
quilles , d*EngeU kéjlè drowwè. Si la foudre tombe , elle se trans-
forme en massues de pierre , massues du tonnerre , Dunnerkéil , ou
bien en cognées du tonnerre , Dunneràxt (0. Et nous voici en pré-
sence de la mythologie germanique ; car celui qui lance ces massues
et ces cognées . c'est le génie des tempêtes , c'est le dieu Tbôrr ou
Donâr, qui traverse les nues sur son char rapide, attelé de boucs
fougueux. En Allemagne le peuple lui substitue parfois Saint-Pierre ,
et lorsque le tonnerre gronde. Tondit: c S^ Pierre joue aux quilles. >
Pour empêcher la foudre de tomber sur les maisons , on plante sur
les toits l'herbe du tonnerre » l'herbe de S^ Pierre , Dunnerkrui ,
Sanct'Peters'Krut ; c'est la plante grasse connue, en botanique, sous
le nom de tedum telephium.
Les cadrans solaires , Sunnè-n-îhrlè , tombent , en plein midi , du
soleil sur une hauteur appelée Sunneképflè , et située près de Soultz-
matt. Ils passent pour être de bon augure , mais ce ne sont ,. en réa-
lité, autre chose que des pétrifications très-abondantes, en ces lieux,
et provenant , si je ne me trompe, de certaines liliacées.
Quant aux brouillards , ils sont causés par un petit esprit malin ,
nommé Nèwwelmànnel , qui se plaît à égarer les voyageurs attardés.
Autrefois , à l'approche d'un brouillard , et pour en neutraliser les
funestes effets, on avait coutume de sonner une petite cloche, appelée
Nèwwelgléckel. Dans les vallées de Kaysersberg et de Saint-Dié, l'on
invoque encore de nos jours , pendant les brouillards , Saint Déodat ,
parce que ce saint évêque n*avait qu'à étendre son bâton pour dissiper
à l'instant les couches de vapeurs qui se trouvaient sur son passage.
Mais revenons au Nèwwelmànvel ou génie des brouillards. Voici ,
(*] C'est ainsi que Is peuple nomme les bélemnites.
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CHANTS ET LÉGBADBS POPULAIRES D* ALSACE » ETC. 65
i son sujet , ane légende populaire que Ton racontç aux environs de
Colmar (^).
c Le preux chevalier de Schauenbourg était parti pour combaitre
les Turcs et laissant dans son château dVerlisbeim, son épouse
éplorée.
c Les semaines , les mois, les années s'écoulèrent , le chevalier ne
revint pas et ne donna même aucun signe de vie. Le bruit se répandit
alors dans la contrée , que Schauenbourg avait succombé dans le
combat, et ce bruit parvint jusqu'aux oreilles de la châtelaine d'Her-
lisbeim.
c De nombrenx galants ne tardèrent pas à se présenter à la jeune
et belle veuve avec des protestations d'amour, les unes plus sincères
et plus ardentes que les autres. Elle résista longtemps à toutes ces
obsessions jusqu'à ce qu'enfin l'un des concurrents parvint à toucher
son cœur. Le jour de la noce fut fixé.
c Dans la nuit qui précédait ce jour, le chevalier de Schauenbourg,
que de graves blessures avaient retenu pendant plusieurs mois dans
sa tente , se réveilla en sursaut. Il avait , dans son réye , entendu
résonner la cloche de la chapelle de son château , dans la cour et les
appartements duquel se pressaient une foule de chevaliers et de
dames en babils de fêle.
c Devinant aussitôt la cause de sa vision nocturne , il se dresse sur
son séant , en proie au plus terrible désespoir.
c Mais voici que tout d'un coup le sol tremble : un nuage lumineux
remplit sa tente , et il en sort un petit homme, enveloppé dans un
manteau gris.
c Je connais le sujet de vos alarmes , noble chevalier de Schauen-
bourg y lui dit le petit homme , d'une voix douce et mélodieuse :
Vous vojez en moi le Nebelmânnlein , bien connu sur les bords du
Rbin et dans les belles plaines de l'Alsace. Il n'est que trop vrai que
voire épouse , (]ui vous croit mort depuis longtemps , s'est enfin dé-
cidée à contracter , aujourd'hui même , un second mariage avec un
des plus beaux et des plus puissants seigneurs du pays. Mais , tout
n'est pas perdu pour vous , et si vous voulez me confier votre desti-
née , nous serons rendus à Herlisheim avant qne les fiancés aient
prononcé devant l'autel le mot fatal et que le prêtre ait béni leur
[*] yen dois la communication à mon ami Chrhtophorus.
«• Série. — «• Anné«.
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66 HBYDB d'aLSAGB.
unioD. 6e ne sera toutefois qu'à ane condition : c'est que vous Oie
promettiez de faire souner les cloches dans votre château ainsi que
dans tous les villages dépendant de votre domaine, dès que le moindre
brouillard s'élèvera ; cap , sachez-le , je suis une pauvre âme » con-
damnée à vivre dans ces vapeurs tristes et humides , que peuvent
dissiper seulement les rayons bienfaisants du soleil ou le son des
cloches bénites.
« Le chevalier de Schauenbourg consentit volontiers à la demande
du génie , qui , aussitôt , le fit sortir de la tente , Tenveloppa de son
vaste manteau gris , et » fendant avec lui les airs , avec la rapidité
d'un ouragan » le déposa , sans encombre , dans la cour du château
d'Herlisheîm.
c Ce fut au moment même où les deux fiancés allaient se rendre à
la chapelle.
c L'épouse fidèle reconnut aussitôt l'objet de ses premières amours.
Elle pousse un cri de joie et déclare dissoute une union qu'une erreur
fatale allait lui faire contracter.
c Le chevalier de Schauenbourg , de son côté , tint parole à son
mystérieux bienfaiteur. Dès qu'un léger brouillard menaçait d'étendre
sur la plaine son voile humide, les cloches du château ainsi que celles
de tous les villages de la seigneurie, se mettaient en branle et empê-
chaient les vapeurs légères de se condenser. On vit alors le Nebel-
mànnîein , entouré d'un nuage lumineux , s'envoler avec un sourire
plein de grâce et de reconnaissance, vers les hauteurs boisées des
Vosges. >
L'usage de sonner les cloches , à l'approche d'un brouillard , exis-
tait jusqu'à la première révolution dans plusieurs communes de la
Haute- Alsace, entre autres , dans celles d'Herlisheim et de Souitzbach.
Le gardien du clocher de l'ancienne église d'Ensisheim , était , de
méme^ engagé, par son* serment, à sonner la cloche dès qu'un
brouillard s'élevait , à partir de la fête de St. Georges: c (Ersoll) auch
€ des NeheU unà Reiffen zu Sont Jergen Tag anfangen warzunemen
€ und $0 Er dn Nehei sicht, soll er anfahen lutlien. > (f).
La netge qui tombe en hiver provient du duvet qui s'envole des
(') Serment da gaMien de la tour de Téglise. Voy. Tabbé Merklen , Histoire d€
la ville d'iSniisheim , tome P% jMige 279 , note.
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CHANTS ET LÉGENDES IH>t>ULAhltS D* ALSACE » ETC. 6^
pldiDODS lorsque les anges du ciel font leurs lits ; tEngelè mâche
'i Beit (t).
Une charmante petite poésie se rattache à ce dicton. Cesi une
mère qui parle :
ft D'Engelè han '# Bett gemacht ,
D'Feddrè fliêjè 'runter ;
AlU Da , do waehè ne ,
Z'Ndehiê , do ftnn Jtè munier,
Wàre sie nit munter %'Ndeht ,
W9r hàtt denn minn Kind betvacht ? »
Cest-à-dire :
« Leg aDges ont fait leur lit ,
Le duvet tombe sur la terre ;
Ils veillent le jour ,
Ils veillent la nuit.
S*ils ne veillaient pas la nuit ,
Qui donc aurait gardé mon enfant? »
Lorsque la neige est entcemélée de gouttes de pluie ou que les
flocons de neige sont fortement battus par le vent et tourbillonnent
çà et là . Ton dit que c les boulangers et les meuniers se querellent,»
tBéekè un d'Miller hândlè mit *nander.
Pour que la neige disparaisse de bonne heure au printemps , il
faut, dit- on. se rendre au Bollenberg, près de RoufTach, prendre
une certaine quantité de neige et la faire passer au tamis : uff de
BoUeberg geh d'r Schnee ritteri.
Le printemps s'annoifce toutes les fois que « le drap de lit du
Hobenack, > '« Lîniuech vum Bohnack, c'est-à-dire, une grande
masse de neige que l'on aperçoit, dans la plaine de Coimar, au-dessus
du Hobenack , commence à disparaître , ce qui arrive , presque tou-
jours , vers la fin du mois de mai.
Enfin, les neiges qui couvrent le sommet du Ballon de Souitz, ne
s'en vont ordinairement qu'au mois de juin ou de juillet. Dès , qu'à
cette époque de l'année , l'on voit des espaces noirs se former entre
les couches de la neige • on dit, dans la plaine : le printemps s'avance.
car les métayers du Ballon descendent la neige dans leurs hottes :
tSennè traghè d'r Schnee im Rûckkorb Mi DâL
[*) En Allemagne c'est la di^esse Bolda qui fait son lit ou bien qui plume ses
Oies. Voy. Eltastitch, VolksbUchlein , 2' édil, i , I5i-155.
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68 hBVUE B'ALSACB.
Je m'arrête ici ; mais c'ist en formant le vœu bien sincère , que
Toxposé rapide et incomplet, et, sans dout^. tant soit peu décousu,
de ces quelques expressions populaires, de ces chants et de ces
légendes qui se rattachent à la température et aux différents agents
qui la déterminent, puisse quelque peu contribuer à faire aitner et à
raviver parmi nous l'étude de notre dialecte alsatique , considéré ,
bien à tort, comme un jargon ou un patois, digne d'éire voué, au
plus vtte , à une complète extermination. 11 n'en sera pas ainsi » dès
qu'on voudra se donner la peine de l'étudier dans son origine , qui date
du Krîst d'Otfrit de Weissenburg , — c'est-à-dire du 9« siècle , — et de
le poursuivre dans nos poètes et nos chroniqueurs du moyen-ûge et
du 46* siècle. Alors on lui reconnaîtra prob:tblement , encore de nos
jours, sa raison d'être; on lui reconnaîtra , ce qui lui est dû , sa valeur
linguistique et sa richesse poétique.
En effet , nous , qui conservons à juste titre et avec une préférence
marquée , nos monuments d'architecture ancienne , qui fouillons les
tumuli celtiques et suivons les traces des routes romaines qui sillon-»
nent nos plaines et nos montagnes, pourrions-nous laisser dépérir et
tomber dans un oubli coupable , ce que nos pères nous ont légué de
plus précieux : ce langage alsacien , (i) si naif et si énergique , ce
langage qni seul peut transmettre à nos descendants , dans toute leur
intégrité, nos légendes et nos chants populaires?.... Ce sont-là aussi
des documents . documents vivants , revêtus du sigillé indélébile de
la poésie et vidimés , durant des siècles , par tant de générations qni
nous ont précédés.
Auguste Stoeber.
{*) Mémorandum, En 1808, un ministre de Pintérieur du premier empire ,
M. Crétet, comte de Champmol, a jugé à nropos de provoquer la pubUcation d*nn
ouvrage sur les différents dialectes de la Suisse. M. Rouyer, alors représentant de
la France h Berne, h qui le ministre avait confié le foin de trouver un homme
capable d'entreprendre ce travail , lui désigna comme tel M. F. J, Stalder, doyen
et pasteur à Escbolzmalt , canton de Berne. Stalder s*acquitta de sa mission de la
manière la plus honorable , non seulement envers les hommes émincnts qui la lui
avaient confiée, mais envers le monde savant tout entier. En effet , sa « Dialecto-
logie suisse j» est encore de nos jours le livre le plus apprécié qui traite de cette
matière, et son « Idioticon suisse, » qu'il publia en 1812, en deux volumes , n'a
pas encore été remplacé par un ouvrage plus savant et renfermant tous les dia-
lectes helvéliques.
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X. HOMMAIRË DE UËLL.
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.
Suite (y
L'apparition du choléra à Trébizonde et en Arménie , au mois de
septembre i847, força Hommaire à modifier son plan de voyage. Sa
première intention était d'achever le périple de la mer Noire jusqu'à
Batoum et de se rendre ensuite en Perse par Erzeroum ; mais sou
état de santé ne lui permettant pas d'affronter l'épidémie , il dut
suivre la route qui passe à Goumouch-Hané » Kharpout , Diûrbékir,
Vann et Ourmiabi Cet itinéraire » auquel la paciOcation récente du
Kurdistan enlevait une partie de ses dîflScultés , devait lui offrir Toc-
casion de visiter les sources du Tigre qui présentaient un grand pro-
blème géographique à résoudre.
Glissons rapidement sur la première partie du voyage qui, bien
qu'accidentée , n'offre point un intérêt très-saillant. C'est le 10 sep-
tembre que la caravane se met en route, à cheval , et qu'elle gravit
les hauteurs du Boztepeh , qui dominent Trébizonde . pour s'engager
dans la chaîne montagneuse du Karakaban où la route atteint des
hauteurs de 6000 mètres au-dessus du niveau de la mer. Excellente
réception chez le pacha de Goumoucb-Uané qui envoie au-devant des
voyageurs de beaux chevaux richement harnachés et conduits par un
nombreux personnel de cavaches. Cette ville , où l'on compte plus
de 4000 maisons tapissant les deux flancs d'une vallée , jouit d'un
climat délicieux qui forme contraste avec les chaleurs de Trébizonde.
Hommaire de Hell , accompagné du pacha , va visiter les mines d'ar-
n Voir les lîTraisons d'août , septembre» oclobre et décembre, pages 337,
385, 409 et 020.
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70 REVUE D'ALSACE.
geni des environs , ei recueille tous les documents relatifs i cette
e]LploiiaiioQ , autrefois irès-productive , mais en pleine décadence
aujourd'hui. Cette excursion lui fournil la matière d'un rapport au
^gouvernement turc auquel il eu a déjà adressé un de Trébizoode sur
les mines de charbon.
 Zadik-Keu » la caravane se fait accompagner » pour la première
fois , d'une escorte de ciaq hommes bien armés » en vue de certaines
aventures de grand chemin dont le pacha de l'endroit lui faisait entre-
voir la possibilité. Cependant rien ne vient justiGer ces précautions et
Hommaire , après avoir payé et congédié son escorte , reconnut trop
tard que » dans ces pays , il fallait se défier de certains conseils, dictés
par un intérêt pécuniaire plutôt que par une vraie sollicitude. Cette
escorte est un moyen indirect de prélever un impôt sur la bourse des
étrangers.
La journée du 24 septembre marque une date impontante dans la
vie du voyageur. 11 arrive sur les bords de l'Eupbrate qui , du haut
d'un plateau , lui était apparu dans sa majesté biblique » entouré de
cette prestigieuse perspective que donnent un grand nom et de grands
souvenirs. Ce fleuve » qui a vu se dérouler sur ses rives l'histoire <)es
premiers âges de l'humanité , doit causer une impression intraduisible
à quiconque le voit pour la première fois. Aussi est-ce avec un enthou-
siasme bien naturel qu'Hommaire de Hell le salue en arrivant à Pighian
où il s'échappe à travers unegorge de roches calcaires dont les parois,
taillées à pic , s'élèvent à plus de 1800 pieds de hauteur. Le fleuve
continue ensuite sa course à travers une suite de défilés tout aussi
remarquables et se précipite, de rapides en rapides » sur une distance
de plus de trente lieues» jusqu'au-dessous de Kéban-Maden.
c 11 serait difiicile , dit notre voyageur , de trouver une route plus
horriblement sauvage et mieux appropriée aux attaques de voleurs
que celle qui s'étend entre Pighian et Eghin. Nous restâmes deux
jours à Eghin et le ^ nous nous embarquâmes sur l'Euphrate pour
nous rendre à Kéban-Maden situé à vingt lieues plus bas. Nous avons
vu bien des embarcations différentes dans notre vie de voyageurs »
mais certes jamais nous n'avons rien vu qui puisse être comparé aux
véhicules de l'Euphrate. Notre embarcation se compose d'un radeau
formé avec 57 outres de peau d'agneau reliées entr'elles et fixées à
un mauvais grillage en bois. C'est sur ce grillage recouvert par des
branches que Ton s'installe avec ses eflets. Deux hommes suffisent
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X. BOMMAIRB DE HELL. 71
pôiir gouverner ce radeau qui n'a pas plus de neufpieds de longueur*
Ils se tiennent sur Tavani et sont armés chacun d'une pelle. Rien de
plus léger que cette embarcation. Avec elle seule on peut franchir
sans danger les nombreux rapides de TEuphrate et c'était chose véri-
lablement merveilleuse que de nous voir sur ce frêle radeau se recour-
bant en tous sens » à la moindre vague , traverser des chutes dont la
rapidité et l'agitation iD'ont rappelé plus d'une fois les cataractes du
Dnieper: mais ici l'on se sent en parfaite sécurité. Nous n'avions
d'ailleurs pas à craindre les orages puisque nous retenions les vents
enfermés dans des outres. Le pavillon tricolore flottait fièrement au*
dessus de notre radeau. > (i)
Cette façon si originale de voyager sur l'Euphrate n'est pas neuve :
elle a quelques milliers d'années de date. Les armées assyriennes
usaient de ce moyen pour traverser les fleuves» et les curieux peuvent
voir aujourd'hui , au Britith Muséum , à Londres, des bas-reliefs ré-
cemment déterrés à Kouyotinjik et à Nimroud , dans le sol de l'ancienne
Ninive, qui représentent des armées naviguant sur des radeaux sup-
portés par des outres gonflées. (*)
Horomaîre n'eut pas lieu de s'applaudir de son Aéjour à Pigbian et
à Egfain. Dans cette dernière ville , il logea chez le plus riche ban-
quier arménien de l'endroit et n'obtint qu'à des conditions de prix-
très-élevées une hospitalité sordide* Le caractère rapace et inhospi-
talier des Arméniens , ces chrétiens d'Orient , lui inspire de pénibles
réflexions , et toujours la comparaison l'amène à faire l'éloge des
populations musulmanes chez lesquelles il n'a rencontré que de bons
procédés et une hospitalité largeaent offerte.
A mesure qu'on s'approche de Kéban-Maden, les escarpes sinistres
qui bordaient le fleuve , font place \ de grandes pentes nues et l'em-
barcation peut naviguer dans un lit barge et paisible , débarrassé des
cataractes qui en obstruaient le cours dans la région des roches juras-
siques.
Le 29 , les voyageurs font la rencontre d'un campement kurde qui
s'apprête à traverser l'Euphrate et qui Itur offre un spectacle des plus
animés. Les troupeaux passant le fleuve à la nage , excités par les
(*) Correspondance inédite d'Hommaire de Hell.
(*} Notice sur le BritUh Muséum, par Henri Laviix. — Mimiimr unhsrstl ,
II«da25jiiiU6t1860,
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73 REVUE D'ALSACE.
vociféralioDs des bergers , les femmes assises sur des mulets , les
costumes pilloresques , les physionomies accestuées de ce groupe
asiatique donnent à la scène un caractère biblique qui impressionne
profondémeni.
Comment, devant une pareillescène . aux confins de la Mésopotamie,
ne point se reporter par la pensée aux temps d'Eliézer et de Rébecca,
comment ne point voir Jacob et Laban se drapantdansle même costume
oriental et conduisant gravement leurs troupeaux à Tabreuvoir?
De cette page de la Bible nous passons à une page de science.
Hommaire était arrivé à un point du fleuve où ses eaux reçoivent
l'affluent du Phrat et il émet ici une opinion qui n'est point partagée
par la commission de l'Institut qui a révisé ses notes avant leur pu-
blication. Cette question demande une citation textuelle:
c Le fleuve que nous avons suivi depuis Pigbian porte dans le pays
le nom de Mourad-Tschaï , continuant de porter ce même nom au-
dessous d'Eghin et de Goumoucb-Maden , jusqu'à son confluent avec
le Tigre. Quant à l'affluent dont nous vesons de parler , il porte le
nom de Phrat , évidemment une corruption du mot Euphrale. Dans
toutes les cartes modernes , cetie rivière porte donc à tort le nom de
Mourad , et c est également à tort qu'on donne le nom de Phrat au
fleuve passant à Egbin. Ce qu'il importe aussi de constater» c'est la
manière dont les deux rivières se réunissent. Le Mnurad^ c'est-à-dire
le fleuve qui passe à Eghin , avant de se réunir au Phrat , forme , en
avant des mamelons de rochers qui l'escortent » un terrain de trans-
port : il arrive ainsi à angle aigu dans la direction générale du fleuve,
qui est la même que celle du Phrai Pour tout individu remontant la
rivière, le Mourad deviendra un affluent, et le PAraf le véritable
fleuve. Il serait fort essentiel de recueillir des notions positives sur
l'iroporiance du Phrat qui, lui aussi, a un cours très-long, pins long
même que celui de l'Euphrate, tel que nous admettons ce dernier
prenant sa source au nord d'Efzeroum. i (i)
La commission de l'Institui fait remarquer que cette inversion de
noms est entièrement nouvéle, non seulement sur les cartes, mais
dans les relations des voyigeurs , et qu'elle ne saurait être admise
par la science sans plus aaple informé.
De Kéban-Madcn à Kh^rpout rien de bien saillant si ce n'est les
(*) Votfage en TurquU et m Pêne , tome il , page 414,
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X. flOHMAIRE DE BBLL. ^â
fièvrfls , le bouton d'AIep et le choléra , trois hôtes peu réjouissanu ,
qui Tiaitent périodiquement le pays et y ont laissé une telle réputation
que partout la caravane n'entend parler que de maladies ëpidémiqnes.
Elle y échappe heureusement. Un pays désolé , accidenté seulement
par quelques misérahles caravansérails, un sol tourmenté et stérile
qui n'offre pas de quoi pattre aux animaux , tel est l'aspect général
que présente la route jusqu'à Archana-Maden où nos voyageurs se
trouvent sur les bords du Tigre qui n'est encore qu'un ruisseau et
que surmonte un pont à trois arches de style ogival.
Après une visite aux mines de cuivre d'Archana et à l'établissement
métallurgique où se traite le minerai , Hommaire se remet en marche
ei pénètre bientôt en plein steppe, dans les grandes plaines qui
avoisinent Diarbékir où il arrive le 7 octobre. En raison de Timpor-
tance de cette ville , qai est chef-lieu de pachalik et renferme de
nombreuses antiquités t il y fait un séjour d'une semaine. En dehors
des documents historiques » politiques et commerciaux qu'il peut y
recueillir, il trouve l'occasion de faire une étude très-précieuse pour
l'bisloire de l'art en Orient : il remarque , en effet , au centre de la
ville, les deux façades restantes d'an palais sur lequel des artistes;
probablement byzantins , ont marié l'architecture classique avec tout
ce que la fantaisie ornemaniste de l'Orient a produit de plus capri-
Gîeu^. J'ai sous les yeux la vue de cet édifice vigoureusement crayon-
née par M. Laurens, avec son fouillis d'arabesques et ses belles colon-
nades grecques d'ordre composite ; il produit un effet aussi agréable
qu'étrange parle contraste de deux genres d'architecture si différents.
la noble sévérité de l'art grec ei l'exubérante fantaisie de l'art mo-
resque. A la jouissance qu'éprouve notre voyageur de trouver de si
beaux sujets d'observations à Diarbékir, se joint celle d'être logé chez
un brave et digne Chaldéen dont l'hospitalité, des plus aimables, est
rehaussée par la magnificence tout orientale du logement qu'il avait
réservé à ses hôtes. Sa maison, entièrement construite pour la vie
intérieure • n'avait aucune fenêtre sur la rue ; mais , en revanche ,
elle avait de vastes galeries , des cours ornées de bassins , et la
chambre des hôtes formée d'assises de pierres volcaniques d'un noir
brillant , taillées à facettes et scintillant comme si elles étaient dia-
prées de diamants. Le jour n'y arrivait que tamisé par des vitraux de
Goiileur, aux teintes fantastiques, que reflétaient des glaces aux cadres
d'émail scellées dans les murs.
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74 REVUR d'alsacis.
Hommaire de Heli » en faisant sa visite au pacha , trouva en sft
personne une Ogure de connaissance. L'année précédente il avait Tait,
avec lui , le voyage de Varna à Constantinople sur le Ferdinando Primo,
La conversation du pacba est très-libre , tout-à-fait européenne et
remplie d'aperçus instructifs dont le voyageur fait son profit. Il reçoit
de lui deux médailles d'Alexandre et une d'Antiochus , parfaitement
intactes.
Diarbékir » bâti sur une roche volcanique dominant la rive droite
du Tigre , présente un coup d'œil éminemment oriental et Hommaire
fut tout surpris d'y trouver» au milieu des nombreuses mosquées dont
les minarets émergent au-dessus des maisons à terrasses « un grand
nombre d'églises chrétiennes des différentes communions, t Leurs
dômes » dit-il , se confondent avec les minarets des mosquées , prou-
vant ainsi la tolérance des Turcs pour le culte chrétien. » Cette tolé-
rance, toutefois, n'est qu'apparente; car, pendant son séjour à Diar-
békir, Hommaire de Hell reçut la visite des deux évéques de la localité,
qui lui firent le plus navrant tableau de la condition des chrétiens
d'Orient. On leur laisse la liberté religieuse , mais on les rançonne
cruellement , en faisant peser sur eux la plus grande partie des im-
pôts. Il donne ensuite une description détaillée des mosquées les plus
remarquables. Plus loin , il jette un coup d'œil sur le commerce du
pachalik de Diarbékir qui recevait , il y a quelque^ années , par la
voie de Bagdad , toutes les marchandises qui lui étaient nécessaires.
Aujourd'hui tout le commerce avec l'Europe se fait par la voie d'Alep
situé à 70 heures de Diarbékir , distance que les caravanes mettent
quinze jours à franchir. Le pachalik ne livre à l'exportation étrangère
que des noix de galle et de la soie brute et envoie dans les provinces
voisines pour 500,000 piastres d'étoffes de soie et de coton par an.
En donnant le chiffre des diverses sectes chrétiennes qui résident i
Diarbékir , et que l'on désigne en Asie sous le nom de rayas , Hom-
maire ajoute que cette population est arrivée à un degré de déchéance
morale qui fait une pénible impression sur les Européens ; qu'à chaque
instant , pour le motif le plus frivole , on volt des individus changer
de croyance avec une insouciance dont les musulmans sont scandalisés,
c Tel évéque catholique ne convient-il pas à ses ouailles, tout aussitôt
ces derniers se font nestoriens ou syriens. Tel syrien se trouve-t-il
lésé dans ses intérêts ou ses rapports avec son clergé , bien vite il se
fait catholique , etc. >
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X. HOMMATRE DE HELL. 75
Les conversations d'Hommaire avec le pacha lui ont faii reconnaître
les vices du système administratif des provinces de la Turquie. Il est
avéré pour lui qu'un des obstacles les plus sérieux au prostrés de la
civilisation de ce pays réside dans le clergé musulman qui possède
dans ses mains l'arme du fanatisme religieux , Unstructlon du peuple
et la distribution de la justice. Il est possesseur d'immenses richesses
qu'il a peur de compromettre par des tendances plus libérales. D*un
autre côté , il n'existe dans ces immenses provinces aucun règlement
de police et trop souvent l'arbitraire » la violence et la cupidité des
pacfaas jettent la désolation là où un régime régulier , fondé sur des
règlements émanés de l'autorité centrale, eût pu prévenir tout
conflit.
Haireden-pacha« qui administrait Diarbékir lors du passage d'Hom-
maire , n'a aucun reproche de ce genre à s'adresser. Depuis son en»
trée en fonctions, plus de neuf cents nouveaux villages se sont formés
dao8 le pachalik. Notre voyageur tire de ce fait remarquable la con-
doaion que les ressources de ces contrées sont immenses et qu'elles
n'ont besoin » pour arriver à un état de bien-être et de prospérité «
que d'un gouvernement capable et consciencieux.
Hommaire de Hell et sa suite se mettent en marche le i7 octobre
pour Bitlis. En quittant Diarbékir » avec de bons chevaux , loués à
raison de iO paras par lieue (i)» la caravane longea pendant un jour la
rive.gaucbe du Tigre « fleuve que , dans cette région , on peut passer
presque partout à gué et qui est bien loin d'avoir le caractère gran-
diose de l'Eupbrate. La voilà en plein Kurdistan » à Zorg, petit bourg
intéressant par le«ostume primitif de ses habitants. Elle suit le cours
de la rivière de Bitlis dont les rives, bordées de hautes murailles caU
caires » sont excessivement pittoresques. Le premier jour de son
entrée dans cette contrée * la caravane dut bivouaquer en plein air.
c Nous nous installâmes , dit Hommaire , contre les débris d'un khan
et chacun de nous reposa aussi tranquillement que s'il se fût trouvé
dans une chambre parfaitement close. Point d'escorte , point de gar-
diens ; tontes ces précautions sont parfaitement inutiles et , cepen-
dant • nous nous trouvons au centre de ce redoutable Kurdistan , dans
la contrée la plus sauvage , loin de toute autorité.
t Tous les villages sont misérables; la population de cette région
»^™^^^^^— " ■■ II— ^— — — — »■ mi I II— ^^P— I III II If
(') Le para éqnivavt à 4 centime^.
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76 REVUE D*ALSACB.
est sauvage au possible. Arméniens , Kurdes , Nestoriens , adorateur^
du diable (car il y en a) » ils sont tous aussi avancés les uns que les
autres. Les femmes portent des boucles aux narines.
c Nous avons été fort mal pour les logements, depuis notre départ
de Diarbékir; mais maintenant il y a un crescendo de comfort véri-
tablement.fabuleux. L'endroit le plus convenable, le meilleur, le plus
propre que les Arméniens et les Kurdes trouvent à nous offrir, c'est
tout simplement l'écurie. Au centre se trouve un petit carré entouré
d'un mur d'environ un pied de hauteur. Autour de ce mur, où so
trouvent établies les auges , régnent des galeries dont le public se
compose de bœufs, de chevaux, de buffles, d'ânes, etc. C'est le petit
carré du milieu qui forme notre salon. Le jour y arrive par une petite
ouverture large comme la main et les meubles se composent de quel-
ques pièces de feutre. Pendant toute la nuit, il y a naturellement
concert sur tous les tons , et souvent il faut s'armer du bâton pour
s'opposer aux libertés et aux invasions des artistes. Ajoutez à tous
ces agréments des myriades d*insectes (les puces, puisqu'il faut les
appeler par leur nom) et vous aurez une idée complète de nos nuits
du Kurdistan. Nous nous couchions aussi tard que possible, et à 2
heures du malin, je me trouvais toujours sur pied. Impossible de
fermer l'œil un instant. > (■)
Le choléra est à Bitlis , ce qui n'empêche pas Hommaire de Hell et
ses compagnons de circuler dans cette grande ville, qui est située à
l'ouest du lac de Vann , au milieu de magnifiques jardins. Une chose
qui augmente la physionomie pittoresque de cette localité c'est le
système de construction de ses maisons toutes en péerre de taille avec
ogives surbaissées. En côtoyant \e lac de Vann , qui offre une variété
inépuisable de points de vue , tranchant sur le pays âpre et stérile
qui entoure ses rives , la caravane a le malheur de passer la nuit dans
le village arménien d'A^izek où le supplice des puces recommence.
Lisez plutôt :
c Voici bien la plus mauvaise nuit que j'aie passée dans ma vie de
voyages; j'en suis tout brisé et me hâte de donner le signal du départ
pour m'éloigner au plus tôt de ce lieu maudit ; les puces sont ici un
véritable fléau capable de vous rendre fou. Prévoyant leurs attaques,
j'eus d'abord le projet de travai-ler toute la nuit au lieu de me cou-
{*) Correspondance iaédite d'Hommtire de Hell.
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X. HOMMAIRE DE HELL. 77
cher ; mais comment secouer le sommeil après une journée de marche
aussi fatiganie ?... Â peine assoupi, le supplfcc commença avec une
telle violence que je me sauvai hors de l'écurie dans un état de fièvre
indescriptible. Assis sur mon pliant • engfourdi parle froid , j'espérais
atteindre le jour dans une espèce d'assoupissement: mais il me fallut
bientôt rentrer et chercher près du bétail un peu de chaleur , car
j*étai3 presque réduit à letat de glaçon, i (>)
Yann touche à 1 extrême limite des possessions turques en Asie.
Ville moitié kurde et moitié arménienne, elle n'a rien de. remar-
quable que sa citadelle perchée sur un immense rocher à pic. Le
commerce y est nul. Hommaires'y repose pendant cinq jours dans un •
petit konak (^) mis à sa disposition par le gouverneur. Il fait visite à
Mdustapha-Pacha , gouverneur militaire de Yann , jeune homme de
physionomie mongole, plein de prévenances et paraissant aimer
beaucoup les Français.
Le trois novembre il se remet en route avec l'espoir d'être à Tauris
dans une dizaine de jours. Nuit pénible passée à Bélatschik , pauvre
hameau kurde situé au fond d'une gorge profonde et composé à peine
d'une demi-doozaine de cabanes. C'est encore une écurie qui fut
l'hôtel de nos voyageurs. Par une précaution que justifiait l'aspect
des indigènes qui avaient l'air de véritables bandits , Hommaire ne
dormit que d'un œil et avait devant lui deux pistolets chargés.
M. Laurens, pris d'un violent accès de fièvre , se blottit tant bien que
mal dans un angle du bouge , tandis que le drogman se coucha dans
Tauge des chevaux.
Enfin la caravane passe la frontière et fait la première halte sur le
sol persan , à Zeïry. Une bonne chambre garnie de feutres et munie
d'une cheminée où flamboie uu excellent feu, lui fait prompiement
oublier les misérables gîtes où elle avait tant souffert. Le 7 novembre
Sommaire de Hell entre à Khoï, ville persane, entoui ce de jardins et
présentant une enceinte de fortifications ù l'européenne. N'était le
bonnet pointu et Tétrangeté du costume • il se croirait aux abords
d'une ville d'Europe , tant il y a de gaieté et d'animation dans les
allées et venues des habitants , tant il y a de turbulence chez les
* I ■ Il .^—
(*) Voyage «n Turquie ei en Perte, tom. 2 , p. 504.
{*] Hôlel ou petit palais.
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78 tUEVUB D'aLSAOS.
gamins des rues. Mes lecteurs savent que les Persans , en raison de
leur vivacité , ont reçu le surnom de Français de l'Orient. Tous
ceux qu'Hommaire rencontre causent et rient comme de bons
paysans normands. Nous allons bientôt faire connaissance avec
cette population originale qui tranche d'une Taçon si vive sur le
fond grave des peuples orientaux et qui doit oflTrir un contraste vrai*
ment étrange au voyageur venant de visiter la Turquie. Kboï possède
de vastes bazars très-animés et abondamment pourvus de produits du
pays. Parmi les industriels de l'endroit , Hommaire a particulièrement
remarqué les chaudronniers dont II a admiré l'habileté à couvrir de
ciselures les vases qu'ils fabriquent. Le luxe des maisons aisées con-
siste dans des vitraux de couleur formant des dessins de fleurs disposés
avec une rare perfection. L'ameublement des appartements est encore
piuSi simple que chez les Turcs ; il ne se compose que de tapis et de
feutres. Cependant, lors de sa visite au gouverneur, on apporta un
fauteuil à Hommaire.
Un trait de mœurs qu'il importe de noter » parce qu'il tient aux
préjugés religieux du pays , c'est que les Persans , sous aucun pré-
texte 9 ne peuvent se servir d'objets ayant été à l'usage des chrétiens.
Ainsi , en dépit de leur aimable politesse « ce n'est qu'après de nom-
breuses réclamations qu'Hommaire a pu obtenir, pour se couvrir , la
nuit , deux vieilles couvertures minces comme du papier et un mor-
ceau de feutre tout déchiqueté, c Ces objets, en désaccord complet
avec l'élégance du logis , ont été sans doute , dit-il , pris chez de
pauvres diables qui n'auront pu les refuser. Notre hôte , qui tient
pourtant à bien faire les choses, a voulu nous donner à dîner ; mais,
si le contenu , composé d'excellent pilaw • (^) de poulets , d'auber-
gines , (') de confitures , de halévas , (3) etc. , est bon , le contenant
pèche par un défaut d'unité et d'élégance prouvant que tout cela
provient d'emprunts sans doute forcés, i
A Zeîtatchy , village peu éloigné des bords du lac Ourmiah , Hom-
maire est agréablement surpris de Texcellente qualité de raisin que
produit le pays. Il n'en a, dit-il , jamais mangé d'aussi parfait : il est
sans pépins. Sur toute la ligne qui s'étend de Khoï à Tauris , ce n'est
(*) Riz aa bachis de mouton. — (*) FroUs d'une espèce de morelle semblables
k des œufs. — ^') Sorbet.
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X. HOHIIAIRB DE HRLL. 79
qu'une suite de jardins et de vignes , entrecoupés de nombreux villages
dont les travaux agricoles, surtout ceux de l'irrigation des prés» sont
remarquables.
Pour arriver au lac d'Ourmiah il faut traverser la chaîne de mon-
tagnes du Gberza-Dagh. Après deux heures de marche Homroaire et
sa suite atteignent le point culminant de la chaîne d'où la vue plonge
sur le lac tout entier. Point de vue imposant et varié. En longeant la
montagne sur les bords du lac , le voyageur trouve de nouveau l'oc-
casion d'admirer l'industrie agricole des Persans. Celte montagne ne
présente nulle trace de végétation ; mais les ravins qui la coupent
amènent dans la plaine des eaux de pluie et des eaux de sources. Les
habitants ont tellement bien su utiliser ces eaux qu'ils ont créé sur
un sol aride une magnifique culture, de beaux jardins couverts de
vignes et d'arbres fruitiers. Plus loin , la rencontre des restes d'une
ville détruite. inspire au voyageur ces réflexions: c Les nombreuses
guerres qui déchirèrent la Perse presque en tout temps , les nom-
breux prétendants à la couronne, les changements de dynastie, tout
fut pour ce pays une cause incessante de massacres , de pillage et de
destruction. Quand on a parcouru l'bistoire de la Perse , depuis la
destruction de l'empire des Sassanides jusqu'à nos jours , on ne peut
s'étonner que d'une chose , c'est que la nation persane ne soit pas
complètement effacée du monde , et cela prouve combien il y a
encore de vitalité dans ce pays. > t
Entre Tisahalil et Maïan , sur la grande route , à peu de distance
de Tauris, Hommaire de Hell fit la rencontre du colonel Sheel , mi-
nistre plénipotentiaire d'Angleterre en Perse , se rendant en congé
dans son pays. Coiffé d'un feutre gris , chaussé de bottes à l'écuyëre
et enveloppé d'un makintosh dont le collet relevé lui montait au-
dessus des oreilles , il chevauchait fièrement à la tête de sa caravane
et passa à côté des Français sans même tourner la tête. Hommaire
trouve moyen de plaisanter sur ce flegme un peu trop britannique.
4 Comnie la civilisation fait des progrès ! écrit-il à sa femme ; deux
européens se rencontrent aujourd'hui sur les routes de la Perse et ils
passent Tun à côté de l'autre , sans se saluer, comme s'ils se trou-
vaient sur les boulevards de Paris. >
A quelques pas plus loin , autre rencontre : mais cette fois la raideur
d'Albion est remplacée par la politesse française. C'est le colonel
Boissier , dont les journaux se sont beaucoup occupés et qui revenait
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80 REVUE D* ALSACE.
désenchanté des tentatives qu'il avait faites pour se créer une haute
position militaire en Perse.
. Le 1S novembre , la cùravane entre a Tauris ou Tabricz, ville très-
importante par son commerce et point de concentration de toutes les
relations entre l'Europe et l'Asie centrale. A peine arrivé, Hommaire
de Hell a le bonheur d'y trouver trois lettres de sa femme. Il fait
immédiatement la connaissance du consul d'Angleterre» M. Stevens»
et du.consnl général de Russie , M. d'Aniichkoff. En prenant le thé
chez le consul d'Angleterre il y rencontre le prince Halek-Kasim«
Mirza . oncle du roi actuel , un des fils de Fetb-Ali-Schah , alors en
défaveur, t C'est , dit-il , Thomme le moins persan qu'on puisse
trouver : il parle parfaitement le français » se moque de Mahomet et
de ses dogmes , plaisante sur tous les sujets et tout cela avec une
vivacité et une animation toutes françaises. Il m'invita pour le lende*
main à déjeuner chez lui avec toute la société, i
Le 15 novembre, notre ingénieur reçoit la visite du prince, du
gouverneur de Tauris et du patriarche des Chaldéens, beau vieillard
à barbe blanche et à 6gure sympathique, dont le portrait, dessiné
par M. Laurens , forme avec celui du beglierbey (i) une des belles
planches de l'Album.
Avant d'entretenir mes lecteurs du séjour d'Hommaire à Tauris ,
séjour que son triste état de santé le força de prolonger jusqu'au il
janvier, je dois noter ici , en peu de mots, sa manière de vivre en
voyage, depuis le départ de Coustantinople. Il se levait ordinairement
une heure ou deux avant le jour, afin de pouvoir se mettre en route
de très-bonne heure. Aussitôt levé, il déjeunait et faisait des obser-
vations météorologiques jusqu'au moment fixé pour le départ. Une
fois à cheval , il ne quittait plus son portefeuille , notant instantané-
ment tontes ses observations et prenant l'heure de son chronomètre
à la rencontre de tdut accident intéressant. Il descendait ensuite vingt
fois et plus de cheval , chaque jour , pour prendre les angles de sa route
et de tous les points voisins et agrémentait ce travail en fumant quelques
tschibouks. Le soir, en arrivant au lieu de halte, il installait immé-
diatement son baromètre et son thermomètre , fumait une pipe et se
remettait aussitôt au travail jusqu'au moment du dîner. Après le dtner
un petit kief (repos) consacré à savouri'r le café et le narghilé , et puis
.■ « I . ■ .. , ■ ■ . III ■»
(') Lv bi»y des beys , gouverneur Uu district.
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X. HOBIMAIBB DE HELL. 81
presque toi^ours travail jusqu'au coucher. Ajoutez à cela de non^-
breoses observations astronomiques » pour déterminer la position
exacte des lieux, des recherches géologiques où le marteau fait son
œuvre, et vous n'aurez devant vous qu'un des côtés intéressants de
cette vie active. 11 faut, pour l'embrasser tout entière, se transporter
par la pensée à côté du voyageur, le voir aux prises avec la souffrance
physique , avec l'inquiétude morale que donne l'absence de la famille
et du chez-soi , avec les mille embarras matériels de la caravane ,
avec les innombrables déboires que cause une vie nomade , tantôt
soos la tente, tantôt dans un karavansérail ruiné, tantôt sur une mer
houleuse ou sur un fleuve capricieux , tantôt enfin dans une; écurie ,
an milieu de populations misérables qui n'ont pas à offrir au voyageur
de quoi reposer sa tête ou réchauffer ses membres transis. Il faut
encore le voir préoccupé sans cesse du but de sa mission scientifique,
réunir, avec la sûreté d'observation que donne l'expérience, cette
masse incroyable de documents de tout genre , souvent informes en
apparence , mais dont l'analyse sait tirer de si précieuses inductions
et qui , mises en lumière , apportent quelques étincelles de plus au
foyer intellectuel où le monde moderne vient puiser sa vie.
Pendant sa longue halle à Tauris , Hommaire de Hell mit son temps
à profit pour acquérir des notions aussi complètes que possible sur
l'empire des Schahs, afin de faciliter ses recherches ultérieures.
Toutes les questions de commerce, d'industrie, d'administration , il
les étudia à fond et dans leurs plus minutieux détails.
Tauris , capitale de l'Azerbaïdjan , et longtemps le siège de l'em-
pire , renferme 15,000 maisons , d'innombrables mosquées , bazars
et karavansérails , et tient le premier rang parmi les villes les plus
commerçantes de l'Asie. Sujet constant de rivalités entre la Turquie
et la Perse , cette ville a eu une histoire tragique , écrite avec du
sang et où la perspective se développe sur des ruines. Aujourd'hui ces
raines sont foulées par une population industrieuse et les enfants
d'Allah , au lieu d'y échanger des coups de sabre , y échangent des
produits manufacturés conire des banknotes ou des piastres fortes.
Mon cadre restreint ne me permet pas de suivre le voyageur dans
ses périgrinâtions au milieu des édifices , monuments , établissements
industriels et autour des fortifications de T)uris. Faisons comme
l'abeille: butinons par ci par lu. Une visite d'abord à l'industrie locale.
Voici une fabrique de châles établie à Tauris par des ouvriers de
9-Série.-2*Amiée. 6
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82 REVUE D'ALSACE.
Ker/ban. « Rien de plus primilif que ce travail , dit notre voyageur.
La cbaioe et la trame sont de laine noire pour former le fond ; quant
aux dessins . ils se fabriquent à la main avec des bouts de laine de
différentes couleurs , suspendus autour de l'ouvrier qui n^apporte à
celte besogne que la routine et l'expérience. Et cependant , malgré
Tabsence de tout modèle, le dessin est toujours parfaitement régulier.
Un ouvrier met environ six mois à fabriquer un cbâie ayant deux
urcbines ei demi de longueur sur un quart de largeur» cbâie qui se
paie a raison de 25 tomans ou 250 francs. >
Entrons maintenant dans une manufacture où se fabriquent les
feutres à dessins , et admirons » avec la simplicité du procédé » la
prestesse de l'ouvrier » le (aient avec lequel , sans aucun modèle , il
compose, avec de la bouri*e de laine, les dessins les plus capricieux»
les nuances les plus variées.
Nous voici à dîner chez le Keikoudar ou maire de notre quartier.
Rien de persan dans ce dîner , si ce n'est deux soupes très-épaisses
servies dans de larges bassins de porcelaine de Cbine et le pilaw
national. Comme en Europe, chaque convive a devant soi plusieurs
verres pour déguster les diverses qualités de vin du pays , parmi les-
quels le schiraz tient le premier rang. Au dessert arrivent deux musi-
ciens dont Tun joue de la balalaïka (espèce de guitare) et dont l'autre
chante en s'accompagnant d'un tambour de basque. 11 y a dans le
chant persan de l'harmonie et de la méthode ; il n'est pas nasillard
comme le chant turc.
Une des branches les plus lucratives du commerce de Tauris » ce
sont les toiles grises et peintes» les pièces d'étoffes à grands ramages
qu'on appelle perses , les toiles rouges à tissu croisé , tout cela de
provenance anglaise. Pendant le séjour d'flommaire de Hell à Tauris
il était fortement question d'un traité de commerce à conclure entre
le France et la Perse , pour ouvrir aux manufactures françaises une
partie des débouchés que l'Angleterre et la Russie se sont exclusive-
ment appropriés. Grand émoi chez les ministres de ces deux pays qui
obtinrent du Hadji, ou premier ministre du Schah, une réponse néga-
tive à la question de savoir si le traité existait oui ou non. fe traité »
dont l'enfantement a éié si laborieux , est devenu une réalité depuis
la mission extraordinaire de Ferroukh-Khân à Paris.
Hommaire qui a tout vu, tout étudié, tout approfondi , nous donne
un résumé très-détaillé de toutes les branches de commerce qui ali-
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X. HOMMÀlRE DE HBLL. fô
meoteDt la place de Taurts : il indlqae les principales maisons qui repré-
sentent spécialement le commerce européen. Ce sont des maisons
grecques et arméniennes, approvisionnées par les Anglais. De la France
il n'était point question. Grâce au trailé de commerce, si la Carthage
moderne, dans son entente de plus en plus cordiale, ne parvient point
à en neutraliser les effets , notre commerce et notre industrie si mul-
tiples finiront peut-être par s'y créer aussi ime place au soleil.
La province de TAzerbaïdjan compte deux missions chrétiennes ,
Tune américaine protestante , établie à Ourmiah , l'autre composée
de lazaristes français, établie à Selmas près de Tauris. Le prosélytisme
exercé par chacune d'elles ayant éveillé l'attention du Gouvernement,
celui-ci y a mis les plus sérieuses entraves, de telle sorte que lors du
voyage d'Hommaire, leur propagande était complètement annulée.
Ces questions religieuses où se trouve mêlé le patriarche chaldéen
dont j'ai parlé plus haut» ont même beaucoup préoccupé notre voya-
geur et je trouve dans une de ses lettres, datée de Tauris le 9 janvier
1848, le passage suivant qui n'est pas sans intérêt:
c H y a dans les environs de Tauris des missionnaires français, des
Lazaristes qui se sont installés au milieu d'une population chaldéenne
catholique dont ils sont devenus les administrateurs spirituels et tem-
porels. Il en est résulté . ces jours passés , un conflit sérieux entre
eux et le gouverneur du district , conflit que les Lazaristes attribuent
aux intrigues de l'ancien patriarche chaldéen qui vit aujourd'hui, on
ne peut plus misérablement , à Tauris après avoir été un des person-
nages les plus importants du pays. A la suite de cette querelle un des
missionnaires est parti pour Téhéran , afin d'invoquer l'assistance de
notre ministre. Comme tout cela peut devenir très-grave , j'ai cru
bien faire^n recueillant tous les renseignements de nature à értiaircir
la question. J'ai fj^jt plus, j'ai recueilli tous les documents relatifs à
l'histoire de l'église chaldéenne depuis le commencement de ce siècle
et à l'influence exercée sur elle par la mission. Ce travail m'a demandé
plusieurs jours et c'est ce malin seulement que j'ai pu achever de
mettre mes notes en ordre. J'ai fait subir at> patriarche deux véritables
interrogatoires dont l'un a duré sept heures sans discontinuer un
instant. Me voilà maintenant avec plus de 150 pages de notes sur
Tauris. » (^
{*) Lettres inédites.
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84 REVUE D'àLSACB.
Hommaire de Hell et l'artiste qui raccompagDe sont pris de la fièvre
à Tauris. Tout en restant cloué sur son lit pendant plusieurs jours ,
le voyageur travaille avec une ardeur qu'on peut à bon droit appeler
fiévreuse. C'est pendant cette retraite forcée qu'il écrivit des articles
sur l'organisation des consulats anglais en Ânatolie et en Arménie sur
les moyens d'influence que le consul anglais a su se créer à Tauris ,
sur le commerce d'importation et d'exportation de la Perse , sur l'état
de ses relations avec la Russie et, à ce propos» il donne la copie
textuelle du traité de commerce conclu entre ces deux pays. Il expé-
dia également de Tauris trois longs rapports, dont deux aux ministres
des affaires étrangères et de l'instruction publique et le troisième à
M. Elie de Beaumont auquel il rendait un compte sommaire de ses
études sur les pays qu'il venait de visiter.
La fièvre ayant fini par céder à de nombreuses doses de quinine ,
Hommaire s'apprête à partir pour Téhéran où il devait descendre au
palais de la mission de France. M. le comte de Sartiges, alors ministre
plénipotentiaire en Perse, l'y avait convié par une lettre fort gra-
cieuse. Le départ fut fixé au il janvier. Une neige épaisse couvrait le
sol , et le froid était rigoureux. En homme de précaution , notre voya-
geur s'était fait faire un pantalon et une redingote avec une espèce
de feutre en poil de chameau. Par-dessus ce vêtement il portait une
grosse pelisse en mouton de Méched toute couverte de broderies de
couleur. Un énorme bonnet persan avec une écharpe de Kerman ,
complétait son costume. On verra que ces précautions n'étaient pas
superflues. Réduit à passer la première nuit dans une écurie mal
fermée , sans feu , par une température glaciale , la caravane trouva
la transition passablement dure et les jours suivants, la température,
de plus en plus basse, arriva à un degré d'intensité tout-à-feit excep-
tionnelle. Ici le journal du voyage est empreint d'une morue tristesse,
c 14 janvier. 11 y a eu • ces jours-ci , un crescendo remarquable de-
puis notre départ du caravansérail jusqu'à notre arrivée à Turkmant-
chaï. La neige n'a cessé de tomber à gros flocons. Une épaisse couche
de neige nous recouvrait de la têle aux pieds. En descendant de
cheval , ma barbe et mes moustaches réunies ne formaient plus qu'un
morceau de glace. Nous trouvâmes heureusement un bon gîte qui
nous fit oublier nos fatigues. On nous installa dans la maison où fut
signé , en i828, le célèbre traité de Turkmantchaî entre la Perse et
la Russie. Nous primes possession de la chambre d'Abbas-Mirza , et
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1. nOMMAIBE DB HBLL.
Kerre» mon domestique » organisa ses marmites dans celle du princ
Paskiéwitch (i). > Avant d'arriver à cette station , la caravane dut
traverser des montagnes et de hauts plateaux où la réverbération de
la neige fatigua beaucoup la vue du voyageur. La voici à Mianèb , ville
tristement célèbre par ses punaises dont la piqûre est réputée mor-
telle , et par la mort du voyageur français Thévenot (^). Hommaire
eût volontiers passé outre, mais la nuit était arrivée et il fallut» bon
gré malgré» pernocter dans une des maisons de boue dont se com-
pose cette localité. C'est encore au fond d'une écurie que les voya-
geurs reçurent l'hospitalité. La température du moment les rassura »
toutefois, bien que leur hôte vint leur apporter une certaine boisson
composée de dattes et de miel servant à neutraliser la piqûre des
punaises. Il leur conseilla» du reste, de garder la lumière toute la
nuit. Ces précautions eurent du succès et les voyageurs se permirent
quelques heures de sommeil.
c A part sa terrible réputation, Mianèb est bien encore l'endroit le
plus hideux que je connaisse , plus hideux que quelques uns des vil-
lages kurdes dont j'ai fait un si triste tableau. Combien le sort de ce
malheureux Thévenot , mort ici à trente-cinq ans » me parait plus
affreux, maintenant que je connais la localité ! mon imagination n'ose
pas s'arrêter sur l'horrible situation de ce pauvre voyageur qui pou-
vait à bon droit se croire abandonné de Dieu et des hommes dans un
tel lieu. >
En évoquant ce navrant souvenir , Hommaire de Hell était loin de
pressentir sa propre destinée. £t cependant » à sept mois de là , il
mourait , lui aussi » à trente^cinq ans , non pas comme Thévenot »
abandonné de Dieu , mais dans les bras d'un digne prêtre arménien
qui lui avait prodigué jusqu'au dernier moment les consolations reli-
gieuses.
A une demi-heure de Mianèh s'élève la chaîne de montagnes du
Kaflankou au pied de laquelle s'arrêta , en 1828 » l'armée victorieuse
de la Russie. Le temps est très-rude : de la neige et toujours de la -
neige à perte de vue comme dans les steppes. Rencontre de soldats
(*) Lettres inédites. Une vue de cette chambre historique figure dans l'atlas du
voyage.
(*) Jean de Thévenot, voyageur célèbre, né à Paris en 1635, mort à Mianèh en
i^7 » au retour d'un long voyage en Egypte , aux Indes et en Perse.
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86 REVUE r»*AL$ACB.
dégaeaillés rentrant dans leurs foyers en rançonnant les villages. La
caravane descend , au milieu d'un épais brouillard , le revers de la
montagne* par des pentes très-escarpées où Tinstinct des cbëvaux
fut son seul guide. Elle trouve une délicieuse réception chez le gou-
verneur de la ville de Zenghian» jeune homme d'une physionomie
vive et spiriiueile , de manières dégagées qui fait à Hommaire les
honneurs du thé et du kbalioun , en homme qui sait parfaitement
vivre et qui, bientôt après, fait servir aux voyageurs un copieux diner
persan , assaisonné d'un feu flamboyant. £n l'absence de couteaux et
de fourchettes , meubles inconnus en Perse , nos Français savent fort
bien se servir de la fourchette du père Adam pour dépecer les poulets
rôtis, manger le pilaw et savourer les sorbets, c C'est bien là l'Orient,
dit Hommaire , pays de contraste et d'imprévu où le rêve côtoie sans
cesse la réalité. >
Le lendemain , c'était le 20 janvier » il fallut se remettre en marche
par un froid de 8 degrés qui augmenta rapidement dans le courant
du jour. Jamais le ciel n'avait été aussi noir » la neige aussi compacte
et le vent aussi glacial , efl ce n'est qu'à grand' peine que la caravane
arrive à Soultanieh, l'ancienne capitale de la Perse, qui aujourd'hui n'a
plus que l'aspect d'un grand village désolé , d'où émergent sa célèbre
mosquée et quelques ruines de grands édifices. Parti de Soultanieh
par 16 degrés de froid , Hommaire suit une route effondrée où les
chevaux ne peuvent avancer qu'au pas : cette route est jalonnée de
villages abandonnés qui , sous ce ciel sinistre ei au milieu de la neige,
offrent un vrai tableau de désolation. A Pharséi» il trouve une
chambre assez propre , mais où l'eau gèle à un pouce de profondeur
tout à côté de la cheminée. Dans la noit il est tombé plus d'un mètre
de neige et la caravane reste bloquée pendant six jours au coin du
feu où un' vent nord-est des plus violents la fait frissonner , malgré
les fourrures dont chacun est enveloppé. Enfin , le i«' février , elle
peut se remettre en marche. Malgré les conseils des habitants de
Siadoï qui essayent de le retenir et les rapports alarmants de quelques
éclaireurs envoyés en avant, Hommaire prend la résolution énergique
de continuer sa route, au milieu d'un chasse-neige comparable à
ceux des steppes de la mer d'Âzof. c Le foulard dont notre visage est
enveloppé ne forme plus qu'un monceau de glace dans lequel se
trouvent prises la barbe et les moustaches , de même que le mouchoir
placé sur ma poitrine , par-dessous le caban. Il arrive un moment où
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X. hommaiAf de hell. 87
tes obslactes prennent de telles proportions que le danger nous
apparaît tout-à-coup dans toute son horreur , car non seulement les
souffrances s'accroissent , mais la perspective de passer la nuit en
plein bivouac devient évidente , et passer la nuit dans de telles con-
ditions, c'est conserver peu de chances de salut. > (<) Cependant,
grâce à l'expérience de Mouza , le chef de la caravane, on arrive à la
tombée de la nuit à Casbin. Là , après une attente de deux heures en
selle, nos voyageurs sont repoussés de la maison du gouverneur et
vont passer la nuit dans un caveau sans fenêtre ni cheminée, n'ayant
pour se réchauffer qu'un peu de braise dans un trou et pour se récon-
forter qu'un peu de pain et du raisin. Au moment du départ , le 5
février, le thermomètre marque S4 degrés de froid. Hommaire est
atteint d'une ophthalmie qui le force à tenir ses yeux bandés et à
suivre la caravane en aveugle. Il est démoralisé. Ce qui le console ,
c'est de voir sa santé ainsi que celle de M. Laurens, résister à de si
rades atteintes, c Nos vêtements , dit-il » ressemblent à des armures
de glace, dans.lesquelles les membres sont emprisonnés sans pouvoir
faire le moindre mouvement. Aussi, descendre de cheval est une opé-
ration des plus compliquées qui exige un ^secours étranger, çt ainsi
do reste. >
Le 9 février, après avoir passé la nuit à Kéretch , la caravane se
met en marche avec la certitude d'arriver dans la journée à Téhéran.
Effectivement» à 5 heures, Hommaire de Hell franchit une des portes
de la capitale où l'attendaient deux serviteurs de la mission de France,
avec des chevaux de rechange et ^ quelques minutes après, il descend
au palais de l'ambassade.
CH. GOUTZWILLER,
Secrétaire en chef de la maine de Golmar.
(La fin à la prochaine Uvraiion),
(*) Voyage $n Turquie et en Perse^ tome ui, p. 103.
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DOCUiMENT HISTORIQUE.
RÉDUCTION DBS MONNAIES ROYALES ET GONTERSION DBS LIVRES , SOLS
ET DENIERS EN FLORINS » SCHELLINGS ET PFENNING8 DE LA VILLB
LIBRE ROYALE DE STRASBOURG.
i . Réduction des monnaies d'or françaises en florins » schellings et
pfennings de Strasbourg.
Uv. sols. den. flor. sch. |if.
Un quadruple 44 >
Un double louis d'or ...... 22 i
Un louis d'or a i
Un demi-louis d'or 5 iO
Un escu d'or 5 44
Un demi-escu d'or 2 17
22 > >
ii > 1
5 5 >
2 7 6
2 8 6
i 4 3
2. Réduciion des monnaies d'argent françaises en florins • schellings
et pfennings de Strasbourg.
Un escu blanc à 60 sols 3 > » | 5 ,
Un demi-escu blanc 140 > 1 7 6
Une pièce de quinze sols .... 1 45 > • 3 9
Une pièce de cinq sols 1 5 » » i 5
Une pièce de trois sols et demy . » 3 6 » • iOVs
3. Réduction de diverses autres monnaies ayant cours dans la Basse-
Alsace.
Un bajoare ou un ducaton ... 3
Un demi-bajoare i
Un escu d'Espagne .3
Un demy-escu d'Espagne .... i
Un teston >
Un demi-teston >
Une pièce de quatre testons ... 2
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BOCCMBNT HISTOBIQUE.
Une pièce de deux testons • . .
Un pattagon d'Espagne
Un pattagon
Un escu
Undemy-escn
Un schnappban vaut à la campagne
et en Tille . .
Un demi-schnappbany bore ville .
— en ville . .
Un qoart d'un schnapphan » h. ville
— en ville . .
Un onart d'escu
Un livre de France
Un livre de la ville de Strasbourg .
Un franc •
Une pièce de dix sols
Un scbelling de Hollande ....
Un demi-schelling de Hollande
Une pièce de Bononie
Une pièce de huit sols
Une pièce de quatre sols ....
Une pièce de deux sols .....
Deux sols*d'Allemagne
Un sol d'Allemagne
Un demy sol d'Allemagne ....
Un double d'Allemagne
Un denier d'Allemagne ....
4. Réduction des monnaies de cuivre
Strasbourg.*
Un denier
Un double .« . •
Trois déniera font un liard qui vaut
Douze déniera font un sol qui vaut
Un sol marqué ne vaut plus que . ,
Deux sols
Quatre sols
Buitspte
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flor. schal. pfen. bélier.
Huit sols et huit deniers > 2 2 •
Dix sols 1 2
Quinze sols • 3
Vingt sols » 5
Vingt-quatre sols > 6
Trente sols » 7 '
Trente-sept et demy sols > 9
Quarante sols • ...
Cinquante sols
Soixante sols
Soixante-et-dix sols
Soixante-quinze sols
Quatre-Tingt sols 2
Quatre- vingt et dix sols 2
Quatre-vingt-quatre sols 2
Cent sols 2
Cent vingt sols 3 • > i
5. Réduction des deniers et doubles de France en bélier» pfennings
et kreutzer.
heUer
1 denier V«
2 deniers 1
3 deniers iVa
4 deniers 2
6 deniers 2*/^
6 deniers • 3
7 deniers • . . . . 3*/^
8 deniers * 4
9 deniers • 4Vs
10 deniers 5
ii deniers 5Va
i2 deniers : 6
Un double i
Deux doubles 2
Trois doubles 3
Quatre doubles 4
Cinq doubles 5
Six doubles 6
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DOCUMBMT HISTORIQIT. 9{
6. Réduclîoû des sols en livres.
Pour réduire les sols eu livres de France il faut diviser le
nombre des sols par SO. Exemple: 375 sols font 18 liv. 15 sols.
7. Réduction des sols français en schelling;s de Strasbourg.
Pour réduire les sols en scbellings il faut diviser par 4 le
nombre des sols. Ex. : 79 sols font i9 scbellings et 9 pfennings.
8. Réduction des bélier de Strasbourg en sols de France.
Pour réduire les bélier de Strasbourg en sols il faut diviser
par 6 le nombre des bélier , et multiplier le reste par deux. Le
quotient donnera le nombre des sols » le reste , multiplié par %
les deniers. Ex. : 40 bélier de Strasbourg donnent six sols et
buil deniers.
9. Réduction des pfennings de Strasboui^ en sols de France.
On divise le nombre des pfennings par 3 pour avoir le
nombre des sols et le reste qui ne peut être que i ou 3 se mul*
tiplie par 4 pour donner des deniers.
10. Réduction des gros et scbellings en sols de France.
Le nombre des gros se multiplie par 2 et celui des scbellings
par 4. Ex. : 37 gros donnent 74 sols ; 7 scbellings font 28 sols.
Traduii de VaUêmand et eofnwwni^ par G. Wolff.
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ÉTUDES UTTÉRAIRES ET MORALES SUR HOMÈRE ,
PAR M. AUGUSTB WlDAL.
M. Aug. Widal , professeur de littérature ancienne à la Faculté
des lettres de Douai , a publié » il y a quelque temps déjà , sous le
titre de Etudes littirmres et morales sur Homère , un livre dans lequel
se trouvent réunies les leçons qui ont fait l'objet de son cours pen-
dant rhiver de 1859. Les leçons de M. Widal avaient obtenu le plus
brillant succès auprès d'un auditoire nombreux et choisi. Son ouvrage
n'a pas été accueilli avec moins de faveur par le public. Tous les
journaux en ont rendu compte avec les plus grands éloges ; les juges
les plus compétents lui ont accordé leur suffrage ; et aujourd'hui cet
ouvrage a pris rang parmi les plus importants , les plus sérieux ,
j'ajouterai les plus attrayants » que l'on puisse lire sur l'antiquité
classique.
Le livre de M. Widal est le fruit d'un travail de plusieurs années.
M. Widal a toujours eu pour Homère une sorte de prédilection. Dès
son enfance , il le dit lui-même dans sa préface /il se sentait attiré
vers ce génie si simple et si grand. Lors même que l'auteur ne nous
eut point fait cette confidence » le lecteur , nous en sommes con-
vaincu , eut deviné sans peine qu'on ne saurait , à moins d'avoir
longtemps vécu dans l'intimité du grand poète, sentir aussi vivement
ses beautés ni embrasser d'un regard aussi sûr toute l'étendue de
l'épopée homérique.
C'est grâce surtout à celte vue d'ensemble » à cette étude générale
et complète de l'Iliade , que l'ouvrage de M. Widal présente un carac-
tère de nouveauté et d'originalité qui prouve une fois de plus la vérité
de ces paroles de M. Patin: c II n'y a pas d'ancien sujet pour un pro-
c fesseur voué par devoir à l'antiquité » et peut-être n'y a-t-il pour
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ÉTUDES UTTÉRAIRE8 ET MORALES SUR HOMÈRE. 93
c personne de sujet entièrement épuisé. » On a beaucoup écrit sur
Homère; commentaires philologiques, éclaircissements de toutes
sortes, jugements détachés sur telle ou telle rhapsodie, ardente
polémique pour ou contre le poète , voilà ce que Ton renconti^e à
chaque pas dans une foule de brochures , de volumes , d'in-folios.
M. Widal a eu le premier la pensée véritableoient courageuse d'exa-
miner non plus telle ou telle partie du poème, mais le poème tout
entier; de faire passer sous nos yeux les principales scènes qui le
remplissent , en arrêtant notre attention sur les beautés de détail ,
sans nous laisser perdre de vue le lien et l'unité qui rendent l'œuvre
d'Homère si harmonieuse et si imposante dans son eosemble.
H. Widal a voulu réunir les membres épars du poète:
dùfiêcH manbra poeta.
Une pareille tâche offrait de nombreuses difficultés. Et d'abord ,
riliade est nne œuvre si considérable et si complexe , elle renferme
un si grand nombre de faits, de scènes et de peintures, que l'analyse
seule d'un tel poème , pour être complète , devait nécessairement
être longue, et partant, courait le risque d'être fastidieuse. M. Widal
a su la rendre claire, rapide, intéressante. Dans le résumé qu'il nous
donne de l'Iliade on sent qu'il est soutenu, si je puis ainsi dire, par
l'esprit du poète. Emu des grands objets qu'il a sous les yeux il fait
passer dans ses pages quelque chose du mouvement, de l'inspiration,
de la vie qui anime la poésie d'Homère. A l'analyse il mêle constam-
ment un commentaire remarquable non seulement par l'intelligence
des beautés du texte , mais aussi par le goût et par la discrétion. Il y
a tant de choses à louer dans Homère , ses vers peuvent donner lieu
à tant de réflexions de toute nature , que ce n'est pas un faible mérite
pour M. Widal d'avoir su se borner , et de nous avoir donné un
commentaire qui, sans laisser dans l'ombre aucune des beautés prin-
cipales , soit cependant assez sagement limité pour ne jamais inter-
rompre trop longtemps le fil de la narration générale ni faire dispa-
raître le poète derrière la critique. Quelques lignes, une phrase , une
remarque jetée en passant , suffisent souvent à M. Widal pour nous
faire sentir tout le mérite d'un passage. D'ailleurs M. Widal a com-
pris qu'il ne devait pas insister également sur toutes les parties de
riliade ; et , nous devons le dire , il a su choisir avec un remarquable
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04 REVUE D'ALSACE.
discernemeni les morceaux dans lesquels brillent les beautés les
plus frappantes^ les plus appréciables dans tous les temps . les plus
sensibles aux lecteurs de toute condition » et qui demandaient à ce
tilre une étude plus longue et plus approfondie.
Ce que je viens de dire du goût et du discernement dont M. Widal
a fait preuve dans la composition de son ouvrage me dispense pres-
que d'ajouter que sa critique est partout impartiale et indépendante.
M. Widal n'esl pas de ceux qui louent toujoui^ et de parti pris l'au-
teur quHs ont choisi pour sujet de leurs travaux , et qui sacriûent à
ce dieu jaloux tout le reste de la littérature. Malgré sa vive et
consciencieuse admiration pour Homère, il ne craint pas de dire
quelquefois avec Horace :
quandoque bcnui dormitat Homerut.
Il ne nous laisse pas ignorer » par exemple , que l'immortel auteur
de riliade prodigue un peu trop les descriptions de batailles ; que ,
malgré son incontestable supériorité , Homère est quelquefois sur-
passé en délicatesse par Virgile qu'il surpasse toujours en grandeur ;
que le sublime d'Homère est effacé par celui de la Bible , du livre
écrit sousia dictée du ciel • dit M. de Chateaubriand. Tel est l'esprit
quf préside aux jugements et aux appréciations de M. Widal ; c'est
dans de telles conditions que la critique est vraiment sérieuse et
éclairée.
Ce qui contribue encore à jeter sur ces études un puissant intérêt
ce sont les nombreux rapprochements établis par M. Widal entre
Homère et les divers auteurs qui ont pu l'imiter ou se rencontrer
avec lui. H. Widal a suivi avec beaucoup de bonheur la route tracée
par M. Tissot dans ses Etudeê sur Virgile. Lorsque dans la littérature
anciennne ou moderne une narration , un tableau , un mouvement »
un trait peut offrir avec quelques unes des créations d'Homère un
intéressant point de comparaison » M. Widal n'oublie pas de nous
signaler cette ressemblance qui nous permet souvent de suivre à
travers les siècles l'histoire d'une passion , d'un sentiment , d'un
caractère. Sans doute l'essence du beau est éternelle et immuable ;
mais les formes sous lesquelles il s'offre à nous dans les chefs-d'œuvre
de l'art peut varier suivant l'époque » le pays, le génie particulier de
l'artiste. L'étude de ces formes diverses n'est autre chose que Tétude
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ÉTUDES LITTÉRAIRES ET MORALES SUR HOMÈRE. 95
du cœur humain , et c'est par là que la liilérature est vraimeul
l'histoire de l'homme» de ses passions, de ses souffrances , de ses
erreurs , et aussi la révélation la plus éclatante de sa g^randeur
morale. C'est en examinant tantôt ces analogies qui nous font
retrouver dans les héros d'Homère et de Virgile les hommes tels
qu'ils sont dans tous les temps , tantôt les différences amenées dans
l'expression des sentiments du cœur humain par l'influence du
temps • que notre intérêt est vivement excité et que nous sommes
prêts à nous écrier avec le poète latin :
« Homo tum : humani nUUl a me aUenum |mfo. »
On comprend facilement combien la critique , en se plaçant à un
tel point de Tue , acquiert d'importance et d'élévation. Elle devient
ainsi (et le mot n'est pas trop ambitieux) la philosophie de la littéra-
ture. Elle touche à la fois à la morale et à l'histoire ; elle s'inspire de
la première et éclaire la seconde. Nous avons été heureux de remar-
quer que tout le livre de M. Widal est conçu dans cet esprit. Je prends
au hasard le paragraphe 2"^' du chapitre 8. L'énumération des diffé-
rents' sujets gravés sur le bouclier d'Achille fournit à l'auteur l'occa-
sion d'établir de curieux rapprochements entre les cérémonies de la
noce chez les Grecs , chez les Romains et chez les Juifs ; puis de
comparer au tableau que trace Homère des moissons et des vendanges
la peinture de la moisson dans le livre de Ruth , une description de
vendanges dans un poète du dix-huitième siècle» une scène de labour
tirée d'un roman contemporain; puis^de mettre en parallèle l'anti-
quité sacrée et l'antiquité profane et de nous montrer la supériorité
de la morale biblique; enfin de mêler à ces rapprochements quelques
souvenirs personnels relatifs aux vendanges alsaciennes animées,
comme celles que dépeint Homère , par la gaieté , par le vin et par
les chansons. — N'est-il pas vrai de dire avec Quintilien que l'Iliade
est la source d'où la llttératurje entière a découlé? Nous pouvons
ajouter que lire un bon livre sur Homère, un livre 'comme celui
dont nous venons de rendre compte, c'est se donner le plaisir de
jouir en même temps de toutes ses réminiscences littéraires.
A. JACQUET,
profeMeur au lycée
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BKtm D'ALSAGB.
BULLETIN.
L Manuel du tourtiU au château de Hoh'Kœnigsbourg ^ par
D. Rissler , orné de 34 vues et de deux plans du château. — Petit
in-8<» de 94 pages indépendamment des planches. — S**-Marie-aux-
Mines «imprimerie de A. Jardel. — Prix : 3 fr. ^ Chex les principaux
Kbraires d'Alsace.
II. Les eaux de Niederbronn. Deicription physique et médicale de
cet étabUiiemeni de baim , par le docteur J. Kuhn , médecin-inspec-
teur. — 3« édition , 8^ de 200 pages orné d'une gravure et d'une
carte des environs — Strasbourg, imprimerie de veuve Berger-
Levrault et fils , i860. — Se trouve dans^les principales librairies.
III. Vabbaye de Samt-Etienne » par M. l'abbé A. Stranb. — Grand
in-S^" de 24 pages , imprimé avec luxe et orné de trois planches. —
Strasbourg , imprimerie de L. F. Leroux. — Prix : 3 fr.
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TOPOGRAPHIE
DES GAULES AU T SIÈCLE.
ARRONDISSEMENT DE BELFORT.
* M. le Préfet du département ayant bien voulu nous nommer membre
de la commission de topographie des Gaules et nous confier le volu-
mineux dossier de l'enquête à laquelle il a été procédé dans Tarron-
dissement de Belfort , nous en avons extrait ce qui nous a paru digne
d'intérêt; nous avons lâché de coordonner ces renseignements avec
ceax que fournissent les historiens de notre province et avec le ré-
sultat de nos propres recherches. C'est ce qui a donné naissance à ce
travail qui ne saurait être admis tel quel pour la topographie des
Gaules ordonnée par TEmpereur. On en trouvera quelques faits trop
peu concluants, certains détails inutiles , toutes choses qui ont cepen-
dant une valeur réelle comme point de départ de recherches ulté-
rieures. C'est cette considération qui nous a déterminé à livrer à
l'impression ces quelques lignes dont nous sommes du reste le pre-
mier à reconnaître l'imperfection.
Pour faire une bonne topographie de notre arrondissement à l'é-
poque romaine , il faudrait suivre pas à pas nos anciennes roules» les
mesurer , fouiller nos ruines , nos champs de bataille. Une enquête
administrative , confiée à des personnes qui la plupart ne se sont
jamais occupées d'archéologie , est insuffisante ; quoique cela l'admi-
nistration a bien mérité des études historiques . puisqu'elle a réussi ,
en procédant comme elle l'a fait , à mettre au jour des données nou-
velles et importantes (i).
{*) Les questions qui ont été adressées aux maires et aux employés des ponls
et chaussées de rarrondissement de Belfort sont les suivantes :
S- Série. -2- Année. 7
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98 ïitnm d'alsacb.
Nous croyons , avec l*aoteur de la iradaction de VAltatia illuêtrata
de Scbœpflin (% qu'il existe sur divers points de Tarrondissement de
Belfort , des antiquités romaines qui n'ont jamais éié explorées.
M. Ed. Clerc dans son remarquable ouvrage : la Franche-Comté à
Vépoque romaine (^) , établit que les ruines gallo-romaines de cette
province se trouvent aux lieux dits : Ville, Cheteaux, Couvent, Chaté»
Château , Cbâtelet^ Cbâtelot » Champagne» Ghanpagoolet» etc. etc. ;
que l'habitant des campagnes y désigne généralement les voies
romaines par les noms de Chemin romain^ Chemin ou levée de Julet
César , Ferré , Ferrière (3) , Perré , Perrièreg , Perçu , Perouse (*) ,
Vaivre, Chaux, Estré , Estrelle, Eîrai» etc. , etc. (*). '
Nous croyons que ces «ots ont la même signification dans la partie
de langue française de notre arrondissement.
Nous croyons que leurs synonymes , quant aux routes, sont • d'a-
près Scbœpflin , Monné et autres , pour les comauioes de langue aUe«
mande , les mots suivants :
Roemer-Strass ; Rœmer* Weg ;
Rasmer-Slrœsilen ; Heiden^ Weg ;
' ? '
1» Quels sont les noms des cantons ruraux (lieux dits) inscrits au cadastre de
votre commune ?
2« indiquer les subdivisions de canton chaque fois quMls porteront le nom de
JïœfiMT , Heiim ou de Ganitr ;
5o Indiquer les chemins connus sous les noms de : 1« Bohitratie ; 2* Berrtoeg
ou Beerweg ; Z^ AltHrasM ou AUweg ; 4fi Beidmuirau , Rœmerstrau , ^attler-
Mtrass , GauUestrau , Landiiraa ; S* chemin de César , ehmusés êe Bruneham ,
chemins haussés.
M. le Préfet termine sa circulaire, qui est du fô jUBvler 1S50, «a dictai:
tf que des communications subséquentes compléteront les indications de la prê-
te sente ; que MM. les maires peuvent être assurés d*avance du prix qu'il attache à
« leur concours en faveur de ces recherches et de ces travaux qu'il recommande
« à toute leur sollicitade parce qu'elles intéressent l'histoire de notre beau pays
« d'Alsace si riche déjà en monuments et ea souvenirs. »
{*) Alsatia illustrata. Traduction de L. W. Ravenèz , Mulhouse , 1849. —
Porrin , tome m, page 165.
(*) Besançoo , Bentot , i847 , pages 7 , 89 et 90.
(*) Ferratum iîsr. Ferraria.
{*) Pstrosa via.
(^) Strata^iHa. Uberstrass porte en patois le nom de Chu etrai , ckm sur eirai
route.
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TOPOGBAPH» DES GAULES AU V« SIÈCLE. 99
Heideti'^Slragg , Hoch» Weg ;
Bohen-StroMi ; Boh- Weg ;
Boh'Sirau ; Beat^ Weg ;
Ah-Stroi» ; Béer- Weg ;
Strœtml ; Berrm^ Weg ;
Engliêch'Swœgië ; Hieî tm lNe6i- Wtg ;
StmrSiroii ; Stein- Weg.
PaGUS TflHRIfiBRHS.
iUminiia. TMicliMi piédtée. Tone ii » pages S77 «t suivantes ,
tme w , fMges 279 et 280.
A r&nriiiée^ie Joies César «deas les €aules la partie supérieure de
l'Alsaee^ q»i forme ^lufourdliui rarrondissement de Belfort, était
occupée par les Tburingiens. LVSsendoe du territoire de cette pea*
filade a tarie miftam te temps » mais te centre de ses habitations a
toujours ésé aur les bords tla ta Tbur.
Cette rivière séparait la Haute-Alsace du Sundgau , elle prend sa
source à une deml-liene dn cfaâteau de Wildenstein et se jette • après
on cours de dht Keues , dans Fin » à un quart de lieue d'Ensisbeim.
Routes.
Le pagus des Tburingiens était desservi par neuf i^outes princi-
pales» savoir:
i« Par la route de Mandoure à Argentouaria ;
^ Par celles de Mandfeure aux Vosges ;
3« Par celle qui longeait les Vosges ;
4« Par celle de Handeure à Kembs ;
5* Par celle des Liogons ;
&^ Par celle de Massevaux à Altkircb ;
1^ Par celle des Leuciens ;
9^ Psir ceUe d'Altenacb à SQf>pe4e-Hattt ;
9^ Et par la route de Traubacfa-le-Bas à Brelten.
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100 REVUE D'ALSACE.
I.
Route de Mandeure a Argentouaria (377) (').
AUaHa illustrata , traduction piécitée , tome ii , pag. 58.
De GOL0ÉAT , Antiquités du Haut-Rhin , Mulhouse » 1828, pag. 78.
Carte de Cassini.
Carte du dépôt de la guerre.
Enquête administrative de 1859.
A la limite des départements du Doubs et du Haut-Rhin , dans la
banlieue de Yourvenans (1147) , canton de Belfort, au lieu dit Bois
desious y il existe un ancien chemin appelé chemin de Jules César, Ce
trpnçon a 300 mètres de longueur et 8 de largeur. Sa direction est
parallèle à la rue du village , sa formaiion de cailloux et de gravier.
Cette route est reconnaissable jusqu'à la rencontre du chemin d'intérêt
commun n*^ 29, d'Abbevillers (Doubs) aux Errues; elle a toujours été
pratiquée et sert encore aujourd'hui de chemin de défruitement aux
prairies. Elle traverse le village de Trétudans, le ban de Sevenans
(1147) jusqu'à la rencontre de la route départementale N^ 4 des
Vosges à Délémoni où elle se perd.
11 y a lieu de croire qu'elle se poursuivait en empruntant un chemin
de défruitement vers Meroux , où la tradition place un village détruit
nommé Battu magni.
De ce point elle se dirige sur Yezelois et de ce village sur Chévre-
mont(1177) où elle prend le nom ôevoie romaine. Elle se rend ensuite à
Lacollonge , après avoir traversé la forêt communale de Bessoncourt,
où on la reconnaît entre Fontenelle et le nwuim des bois sur une
longueur de plus de 1200 mètres , dont 450 d'une conservation par-
faite. Ce beau fragment porte le nom de chemin de Bouchot; il est
dit aller de Mandeure à Massevaux. De Lacollonge cette route arrive
au village de Lagrange où elle se divise en deux branches.
La première aboutit à la route impériale N^ 83 , de Strasbourg à
Lyon, qu'elle paraît emprunter sur une longueur d'environ 520
mètres ; de ce point elle traverse le territoire de Félon et va se perdre
dans la route départeuieutale N® 16, de Belfori à Massevaux.
{*) Les chiffres qui suivent immédiatement les noms des localités indiquent la
. d^te de leur première mention dans l'histoire.
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TOPOGRAPHIE DES GaULëS AU V* SIECLE. 401
La seconde branche se dirige vers le village d'Ângeot (1254) où
elle se perd.
Il y a lieu de croire que cette dernière traversait le ban de Lacba-
peile-sons-Rougemont (4295) , franchissait la route impériale N"* 83
pour arriver au village de Soppe-le-Haut (1105) , en empruntant le
chemin d'intérêt commun N^ 54 qui porte le nom de Herren-weg dans
une partie de son parcours.
Cette voie continue d'emprunter le même chemin N^ 54 sur une
longueur de 1600 mètres. ti*averse le ban de Guewenheim (825) sous
les noms d'ÂUe-Strass et de Rœmer-Slrass , le territoire d'Âspach-le-
Pont, le ban de Schweighausen (1271) sous le nom de Klein Ensis'»
heimer-weg, les bans de Cernay et de Wittelsheim sous les noms
à' Allé BrisacheV'Strâssle et de Rœmer-Stràssle , et enfin la forêt de
Staffelfelden où elle porte le nom de Hochweg.
Nous l'avons suivie nous-méme de Soppe-le-Haul à Guewenheim et
de Schweighausen au chemin de fer de Strasbourg à Bâle , en ramas-
sant sur ses bords des tuileaux romains. Dans maint endroits , elle
est dans un parfait état de conservation ; sa largeur est constamment
de trois mètres » sa hauteur d*un mètre au-dessus du niveau de la
plaine. Enfin on trouve encore parfois intact le revêtement en gazon
de son double talus.
Lieux dits des banlieues que traverse cette route :
ATréludans, Prerat; à Sevenans , les Perrières ^ en la Fenière ,
vieille route; à Moval , la Perrière; à Meroux , Esperrières; à Vezelois,
prés de Pereuse , rouge vie, longue vie; à Chévremônt, Prières; à
Perouse, sous la chaussée; à Bessoncourt , entre les vies; à Ângeot ,
chemin à travers les Félons réputé romain; et à Soppe-1e-Haut, Obere^
Strasse , Rumische > Rue des 60 pieds.
Route de Mandeure aux Vosges.
Enquête administrative.
 la sortie nord-ouest du village de Trétudans» il existe un chemin
appelé vieille route qui se dirige vers les moulins de Botans , après
avoir traversé les territoires de Tréludans , de Bermont (1147) , de
Dorans et une partie de la banlieue de Botans où elle se perd. Elle se
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103 REVDB D'ALS4€8«
retroine sur le lervitoire de Daiijwtm et pottA sniTre h rool» dépstr-
tementale N<»4, des Vosges à Délémont» traverse le fauboarg de
Belfort (1226) , le Valdeie ^ Sernumiagiy el à partit de eei dernier
village emprunte la ligne de gfrande conioianieatioii N* 25 josqu'à*
Anxelles-Bas (1282)^ d'eà elle arrivait à Liixeniren pasMiAèFa»^
cogney 0).
De Danjoutin elle jetait un rameau sur BtnvUhfd aèMtù^ âèocrti^
vert m tronçOû de 200 mètres- de longueur, en creosadt le dkéoiin
de BeMbrc à Besançon*
Vé Sermamagny eire Jetait uâ àùlré rameau sur Vescemont par
Bougegoutte.
Lieux dits des banlieues de son parcours : A Bermont » Prièrei f
vieille route; à Dorans, ez perrière^; à Danjoutin » perrières , vaimre;
à Banvillard , vie des pierres, sur les perrières; à Belfort, faubmirg des
Ancêtres ; au Valdoie , entre les vies ; à Sermamagny , la prairière ,
courte chaussée , la vaivre; à Lacbapelle-sous*Cbaux , large vie; à
Chaux, la vaivre, forêt de la vaivre; à Rougegouttei voie des pierres,
vaivre.
m.
VkWTB 001 LONGEAIT LB8 VOSGIS.
Altatia Uhuiratm, Traduction précitée, tome u , page S&. .
Db GeLBÉaY i Antiquités é» BauS-Bkii^ , pagi» 121^.
Du Valdoie ou de la route de Mandeure aux Vosges se détachait
une voie romaine qui passait à Offemont, à Vetrignes, à Roppe (823)»
aux Errues et à Saint-Germain pour se perdre dans les environs de
Félon.
M. de Golbéry rattache à celte voie Tancienne route de poste de
Cernay à Soultz.
Lieox d!ts : à Ofibmont , enite les votes.
(<; U noatélle roBfie de LttteiA H Bdfoft par Vxte n6 date que de Vftttbin.
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TOPOGRAPHlK DES GAULES AU V« SIÈCLE, 103
IV,
ROUTC DE MaNDEURE A KEMBS OU A AUGST.
Db Golb£bt , AnUquilés tki Houi-HlUn , page 124.
Engaéte administraliYe.
A Fécbo4'EgliBe oo appelle cette route Vilenû ce que M. de Qo!-
béry explique par Via LentuB; Lentuliis GetuUccia qui pérît victime
de la férocité de Califfula^ ayant été gouverneur de la Germanie
supérieure oà il s'était distingué par la sagesse de son administration.
Elle traverse les prairies qui sont au sud de Délie (728)^ se dirige sur
les territoires de Faverols » de Fiorimont i de Courtelevant et entre
dans rarrondlssement de Mulhouse après avoir emprunté , sur un
parcours de 1800 mètres , la route départementale N"" 17 , du Doubs
àBâle.
L'existence de cette route est constatée par la tradition populaire ,
par les traces d'un gisement de matériaux rapportés très-apparent
dans les terres labourables de Fiorimont et de Courtelevant, où sou-
Yent la charrue met au jour de* graviers et de petits cailloux étrangers
au pays.
Cette route avait deu embrancbements, Tun sur Vellescoi, l'autre
sur Bovrogne.
Le premier prenait son origine sur le territoire de Délie , longeait
une partie de la route départementale N*5 » des Vosges à Porrentruy»
et se dirigeait sur le village de Thiancourt en passant à Grandvil-
lars (1147)» entre Boroo (1105) et Froide-Fontaioe » Recouvrance et
Vellescot. Deux tronçons de cet embranchement ont été découverts »
l'un en 1842, l'autre en 1852 ; ils avaient l'un et l'autre six mètres
de largeur. Le premier qui est i Grandvillars est formé de cailloux
posés dans de la chaux » le seconc) , qui est au ban de Vellescot , entre
cette commune et Boron » n'est qu'à 50 mètres de la route départe-
mentale N® 3, et mesure 300 mètres de longueur.
Le second embranchement se détachait de Grandvillars , traversait
la prairie de Morvillars (1282) pour arriver à Bourogne (1222).
Lieux dits: à Féche-l'Eglise , Perrière», champ ferré; à Fiorimont,
ei vc&prm , champ pterron ; à Réchésy et à Grandvillars , soui vaivre ;
à Joneherey , perrct et à Bourogne i sur vabfrc.
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104 ÏLIÙWE DàL&ktE.
V.
Route des Lingons.
Ed. Clerc , la Franche^Comté à l'époque romaine , pag. 128 et 129.
Enqaête administrative.
Cette route entrait dans le déçartement du Haut*Rhin par Chalon-
yillars , village qui existait déjà cent ans après la chute de l'Empire
romain (i) , passait à Essert , où il y a un canton de terre nommé
Perouse, et venait se confondre près de Belfort avec la route de Man-
deure à Argentouaria ou avec celle qui longeait les Vosges.
c C'est Tune des lignes les plus importantes , dit M. Ed. Clerc, soit^
< pour l'histoire locale , soit pour celle des invasions germaniques
c dans l'intérieur de la Gaule. Elle montre comment en moins de
c quatre jours les Barbares , qui avaient franchi le Rhin , arrivaient
c à Langres et pénétraient de là au cœur de la Gaule, i
VI.
ROITTE DE HaSSEYAUX (825) A ALTIURGH (1104).
Àlsatia illuttrata , traduction précitée , tome o , pag. SI.
Enquête administrative.
Cette route se rendait de la route impériale N* 83 à Dieffmatt ,
traversait la forêt communale de Bumhaupt*le«Bas, nommée Buchwald,
où nous avons remarqué djs beaux restes » passait dans les banlieues
de Gildvriller (728) , d'Ammertzvriller (1105) et de Bernvriller pour se
rendre, dit-on, à Altkircb.
Cette voie porte les noms de Dieffmatter'Slrœsslen et de Herren'-weg.
Lieux dits , à Massevaux : Heiden-weg et à Sentheim : AUe-weg.
vn.
Route des Leuciens.
Âltaiia illustrata , traduction précitée , tome ii , pag. 59.
De Golbéry , Antiquités du Haut-Rkin, pag. 125.
Cette route descend de la vallée de Remiremont (728) , gagne Bus-
sang en laissant à droite les sources de la Moselle , passe à Saint-
(') Calonvillars , villa ço2ontf , ûef donné à S^ Délie par le seigneur du lieu , au
Yn« siècle. (BoUand , tome n^ januar].
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TOPOGRAPHIE DES GAULES AU V« SIÈCLE. 40^
Amarin (1255), à Thann (1218), à Aspach-le-Haut et aboutit à la roate
de Handeure à Argenlouaria sur les hauteurs du Ealchberg , entre
Aspacb-le-Bas et Àspach-le-Pont , après avoir emprunté dans son
parcours appelé Berren-weg , entre Thann et Aspach-le-6as (1254) ,
la route départementale des Vosges à Porrentruy.
Entre Bussang et Remiremont , dans la banlieue de Ramoncbamp».
est an hameau nommé Etre ou Esiraye.
Lieux dits: à Urbé, Alten^weg.
VIU.
RooTB d'âltenach A Soppe-le-Haut.
Enquête adaûnistrathe.
Le chemin qui traverse dans l'arrondissement de Mulhouse les
communes de Winckel, de Friessen et de Strueth» arrive daus la
banlieue d'Âltenach , à 200 mètres de ce village et va se perdre à la
route départementale des Vosges à Porrentruy.
La tradition le fait passer par les bans de Dannemarie (825) et de
Wolfersdorff où il emprunte un large chemin qui traverse la forél ,
puis les banlieues de Bréchaumont , de S^-Côme , de Bellemagny et
de Bretten poilr arriver à Soppe-le-Haut , après avoir emprunté la
roule impériale de Strasbourg ù Lyon.
Lieux dits: à Altenach, Herren-weg; à Hanspach, DteU-weg; à
Dannemarie» Thal^weg; à Retzwiller; Herren-weg.
IX.
Route de Tracbagh-le-Bas a Bretten.
Enquête administrative.
Ce chemin traverse les banlieues des deux Traubach , emprunte la
route de Hassevaux à Dannemarie , depuis Traubach-le-Haut jusqu'à
Guewenatten , d'où elle arrive à Bretten à travers champs.
Lieux dits : à Traubach-le-Bas , Herren-weg ; à Traubach-le-Haut ,
Herren^weg, Alte-wegy Hoch'gasse^ et à Guewenatten» Herren-weg.
Routes secondaires et indéterminées.
Enquête administrative.
De Golbért , Àntiquitéi du Haut-Rhin, page 125.
La domination des Romains a été assez longue dans nos contrées,
pour qu'on puisse leur attribuer les routes que nous venons de décrire.
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106 HBVus o'alsagb.
T<Mtt6fok t tiMttine le rmaBtqaa U. de Ckifbérjr» les Romatué ont dA
proflter des cheniiin établis par tes Celtes; la natîoa qui inveata le
phis de efaars , ne mattoiiait pas apparemment de chemins pour les
fain^ reotsr. Nos ncNif routes principales ne devaient pas suffire aux
besoins du pays : aussi trotirods-noos un grand nombre d'indices de
chemins tpA n'ont pas encore été assez étudiés ponr pouvoir être
déterminés avec quelque précision.
Beaucourt et Croix ont des lieux dits : Penièrtt et Prierres ;
Brebotte et Giromagny . des lieu diu: Perreu;
Anjoutey (1234) un lieu dit : soiu le Ferré;
Denney « un lieu dit : vote de relai :
Grosmagny • un lieu dit : Combe pierre , grande vie ;
Foussemagne . un lieu dit : b haute vk.
Ekrye , des lient dits : devant la valvre » chenm de la vaivre ;
Baviliers» un Keu dit: Voie creviez
Chavannes-l'Etang « un Heu dit : Cousbe vie ;
Uffholtz (82S) , un chemin dit : Berren-weg ;
Chavannes-les-Grands , des lieux dits : haïUe vie, vie d» motier ;
Becken (1286) un breUen toeg ;
l^enx^ltiann , un alten ufeg ;
Felleringen, un itrœiul\
LelodMMh , UB hdàen weg et uo ake weg ;
Hagenbacb , un Umden weg, etc. , etc.
VILLES.
Grammatuii.
Âkatia Uhatrûia , mdnitioa précitée , tome i , pigs SQO.
Celte loealilé d'est indlciaée «ne dm» Htitéraira d'Ansimte ^ «Ne
s'y trouve placée entre Mandeore et Oberlarg« BUe posmAl éomt
avoir eiislé dans notre arrondissemenlé
Sehœpflin en a fait Charmait » DanviUe l'avait mise à Grandvillar» ,
d'autres à Féche-l'Eglise ; M. de Golbéry fixe la position de Grom-
matum entre Fécbe-rEgtîse et Pesche-Badevelle , sur une colline de
qùelqu'étendue appelée Grammont par les habitants dn voisinage. Le
soc de la charrue y heurte fréquemment des fondations d'édifices,
AMf tttileani et des pierresB itfllées.
Aueme des posltkma atlribuéea k Ùmmmum u'esi d'accord aveo
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TOPOORAPniE DES GAULES AU V« SlèCLE. 107
insoluble dans l'étal actuel de dos connaissances.
MmpÊmw^fMi à dtav qiTil eûiM teM to Qnerci uH boor» 41Û
^fie le non de Qrmmmii; KisdsirHter a an caniM rural qni a le
tt y atstfc sur tes totes militaires des écuries Suibulœ atixqneltes
éttfent actadiés, podr ta cotumôdlté des voyagenrs étrangers, dés
niaréiôhatit foscitirés par les entperears ValentlDlea et Vatens , lois
XVI et XVU du Code théodosien. Quelque ressemblance de nom ont
ftit pcftfSer â censins auteurs que te Stabvila de l'f ttnérafre u^est antre
chose qore \^ âtâffelliôldeii du canton de Cemay.
Il est dé ftift qu'âne voie romaine passait i StaftblteMen, celle de
Mandeufé à Argentouârfa , et qu'on trouvé toujours des tuileaut ro-
mahs non loin de ce vHlagis • près de Wittelshetm , à l'endroit o& la
fdiè romaine eoupe la route de Cemay â Neuf-Brisacb. Hais StaflU-
tMttk uTest pas sur Is fdutedn Rbin, tii â 6000 p^ do Kembs , comme
té f«ttt rUiMMre pour SfoSuIs.
Ainnis LocAiirâs.
Le silence de la carte Théodosienne et de l'Itinéraire d'Antonin ne
doivent aucunement nous faire croire qu'il n'existait pas d'antres
localités romaines dans notre arrondissement que GramiMium, ni
amoindrir fimportance des ruines que recèle encore le soi de cette
partie de la Haute-Alsace. Des vestiges nombreux de la civilisation du
peuple^roi ont soocessivement élé aiis ai jour i Offemont , à Belfort ,
A BavUliers et dans d'autres localités.
Bblfobt. — Offemont.
ÂlmHa Ubu^nOa^ tndoction précitée , tome m , page 160.
EnquèU admiiiistiatiTS*
Si ^importance des rakies qui existent siir un peint domfé noua
permet d'apprécier d'une manière plus ou moins certaine l'impor-
tance même des localités dont ces ruines fonMatleedenriefis. débris,
nous sommes autorisé icroire que la vitte la plus importante de notre
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i08 REVUE D' ALSACE.
arrondissement était déjà , à l'époque de la dominaiion romaine , la
ville de Belfort.
Cette ville a été de tout temps une position stratégique que les
maîtres du pays ont eu intérêt à occuper miliiairement ; sa situation
au point de rencontre de plusieurs routes principales ; la route des
Lingons , celle de Mandeure aux Vosges . celle qui longeait les Vosges,
ont dû de bonne heure rendre son commerce florissant.
Nulle localité du pagus des Tburingiens n'a fourni jusqu'à ce jour
autant d'antiquités romaines que Belfort et Offemont et ne recèle
encore dans son sol des substructions inexplorées aussi considérables
que la forêt d'Ârsot. La dernière enquête administrative parie encore
de mètres de ruines.
La découverte des ruines d'Oflemont remonte à l'année 1839. A
cette époque on a mis au jour une série de médailles en bronze et en
argent à l'effigie des empereurs des n°, ni* et iv*' siècles • une petite
coupe en bronze , des verres de diverses couleurs , des fragments
d'armes, de la poterie marquée MARINUS et OFficïna VITA^ des
styles , anneaux , fibules, agrafes , une hache » une clef, des. tuiles ,
d6;s briques, des conduits de chaleur, des débris de peintures mu-
rales , les ruines d'un édifice considérable dont un appartement se
vidant de fond au moyen d'un tuyau de plomb.
La découverte des antiquités de Belfort remonte à l'année 1847 ;
elle a produit un bas-relief 6guré dans la traduction de VAlsatia
Ulustrata de M. Ravenez et déposé aujourd'hui au musée départe-
mental de Colmar , un fût de colonne , deux meules gallo-romaines ,
une statuette en bronze , des médailles d'Ântonin-le-Pieux , de Sep-
timi Scirre , etc. , etc.
Batilliers.
Enquête administrative.
On a découvert dans cette commune :
l^' Au canton Châtelet , deux réservoirs ou chambres d'eau de trois
mètres carrés , à fond- bétonné et à parois maçonnées en briqueS ;
â^* Au canton BreuH , un fût et un chapiteau de colonne , des frag-
ments de mosaïque , une Minerve en bronze de 8 à 9 pouces de hau-
teur et des médailles d'Antonin ;
S"" Et derrière Téglise des tuileaux romains.
On remarque de plus dans cette commune une enceinte fortifiée.
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TOPOGRAPHK VBB ^^kVU» kV V« SI&CLE. 109
Des médailles romaines ont , en outre , été trouvées à diverses
époques et en quantités plus ou moins considérables à Danjoutin , à
Délie, à Traubach, à Danneroarie, à Chavannes-rEtang , à Eteimbes,
à Riffibach » à Willer , à Urbès , à Felleringen , à (înewenbeim ,
Grandvillars , Soppe-le-Haut. Guewenheim et Wittelsheim fournissent
toujours des tuiles et des briques romaines. Le canton Schlœsslein de
Burnbaupt-le-Bas nous a donné une belle anse en bronze de vase
romain.
Nous avons dit que les cantons ruraux qui recèlent des ruines gallo-
romaines portent dans une partie de notre arrondissement les noms
de ville y couvent y cheseaulx, chaié, etc. , etc. Les communes qui ont
des lieux nommés ville sont : Bavilliers, Ândelnans» Dorans» Meroux,
Roppe , Fontenelle » Cravancbe , Novillars , Chévremont , Tréludans ,
Vezelois^ Lutran, Chavannes-le$*Grands , Romagny, Boron, Jon-
cherey (4291) , Bretagne , Gourcelles , Villars-le-Sec , Vellescot , Flo-
rimont » Angeot , Bessoncourt • Eteimbes , Félon , Denney , Menon-
court » Frais , Lagrange , Montreux- Vieux (4170) . Montreux- Jeune ,
Petit^Croix, Larivière, Eguenigue, LacoUonge, Pfaffans (4468),
Vauthiermont , Evetle , Giromagny ^ Lacbapelle-sous-Ghaux , Lepuix
(4206). Dans la plupart de ces communes le lieu dit ville est seul ;
dans les autres il est précédé d'autres mots : sur , sous , devant et
derrière la ville^ champ, prés, paquis et étang de la ville , chemin
des deux villes > entre les deux villes.
Thiancourt a dans sa banlieue un canton rural nommé Ville de joni^
Dolleren un Lœger-Siadt.
Quel était l'aspect général du sol séquanais à l'époque romaine ?
de grandes villes , de belles et nombreuses villas , de fertiles cam-
pagnes et de misérables villages sans communes et sans libertés. Le
peuple, dans les champs surtout , n'était compté pour rien ; ces po*
pulations rustiques, c'étaient des esclaves et leurs maisons des chau-
mières qui disparurent sous les flots des Barbares du Nord en laissant
peu de vestiges de leur existence (<).
Châteaux.
Les châteaux furent nombreux en France sous la domination
romaine. Zosime nous apprend que Dioclétien garnit toutes les fron-
(^) La Franche-Comté à l'époque romaine , page 5.
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410 jums v'iiMis.
ttèrfB4larbcip{re 4e plaeci fona»» n^H^f ^diflÉOMs, aaMlli< et
tei^Mt. De plis ki Bmmmi iMkm éiaM aor Im roales noBseole-
jpiaiil 4« «MbMte , mm ««eore d«i vifiM m MImm lorf fiées pmir
loi aétmén. En Ff «Qcbe*Coi»té ees ntioiis portent prîMipaiBineit
les mm$liBchaies chalelei, chaidw4 (>)•
Les fiomsimies de notre jmondiffftMWgnt «li aetdss eaasoas mnmx
aouuiiés tàMem , ïMiela « chéulot , ehiielêiM muj. « Bat Hiien , Ber-
mont, Roppe, Essert, Vezelois, Lutran. Beaucoait, Délie ^Cevr*
mite, JferviUm, MeoMCMirt* SiiBt^iftnBHM, ifcmmx^ODe,
fitiieflfopt4e-flaat*
gwmfcWjK'lo^B^it Odeuen « Baaspieh , AsdeiM oui des lieux diu :
€a$îa, Kmid, KMd^Mker, CoiUUshal.
De n^me BumbMv^ » Alienedi . Hecc«baeb , MMseeniK , Ober* et
HJede^Bniek, I^mr* Micheliiecb^ Kruth mt des lieux loiiifliés:
unes de ces dénoiWMtioDS deiveoft reoMier A Tépo^M romaîBe de
Minibistaire.
U Schktamkurg de Staiatocb (i i87) , les ZMadmrg et fidhoifatrjf
de Sickert , Je tMaenbwy de JL<\uw , le S^oimlmÊg^ le jEIrinforfair^
et VI$euims de Uifnbaeb » et le Berheukutig de Ranmensmau poar-
raient Men «uei devoir Jeors jnms à d'attirés oenses iqe'aox eaprices
du basard.
Noos trouvons des cantons Cfceeeai» I Roppe , ft Bretagne , S Fon-
taine et ft Moiitnevx- Jeune.
Noos signalons encore à l'atteotion de ceux qui voudront bien élu-
âder les diverses questions que nous soulevons , les dénominations
suivantes qui nous paraissent avoir une certaine valeur bistorique :
te cttitU de Boron ; le dHor^ de Cbâtenois ; le prière de Bue ; le
champ des rutnet de Salbert ; les momu de Moval ; les oyes de Ber-
nont; le soia les mun dUrcerezet de Botans ; la dame de Cravancbe
(1902); la motte deRecouvrance; le boi$ payen de Oiavannes-rStang;
le Komgs-Winekel de Bumbaupt-le-Bas ; les préf de guerre de Dan-
joutin et de Perouse (1295); le champ et la tombe de guerre de Dorans
et de Morvillars; les fratoiUes de Florimont • d'Urcerez^ deFaverois
et de €lroniagny ; le moni romain et les prés Heiden de Giromagny ;
(*) La Franehe^Camté à Cépoque rçtmib»^ j^e t^.
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TOPOGR APHm MB CAm.ES kV V* SIÈCLE. 1 1 4
le Bel^aeker (t) de Mitzach , Hollan «t lloosch ; le Hàdenfeld-^ker de
Rûsseren ; le Heiienbad de Wildenstein ; le Heidenfeld d'Urbès ; le
HMenacker de Micbelbacb j \a BMmfUu d^ Letmbaeh et le Beiden-
kopf de HasseTSEX.
c Le cbemîD appelé Heidenweg , dit l'enquête administrative , pas-
c sait sur la montagne de gaodie en amont de la ville de Massevaux .
c dans la banlieue de Niederbruck qu'il traverse sous le nom de
c BruçbwvM. 6ur une ito soQnf té$ de la noQlBfPe , loijpin en
< suivant le Heidenweg, on arrive à un amas de pierres très-grosses
c qui paraissent y avoir été entassées pour former un autel. Ce serait»
c suivant la tradition » sur cet autel que se faisaient les sacrifices des
• Romains ou des Barbes. Notei qu'il n'y a pas de carrière dans ks
TUMUU.
Il existe trois tumuli dans la forêt communale de Bumhaupt-le-Bas
appelée BuehwM sur la route romrfne de Massevsnx <i AltUrcb. Ces
tombeHes portent le nom de fret hêbei.
Oo a nivelé (flusieurs éminences de cette nature dans les banTienes
d'Aspach^le-Pont , de Cemay , d'Uffheltz et de StaffelfeJlden.
RetzwHter.a un lieu dk HtUenhâbel.
StaffsIfeUeo un lieu dit Hûbelmatien.
Colomb MiLLuaB.
On nous a assuré à Soppe-le-Hant qu'on a tronvé , il n'y a que
quelques années, près de ce village, une colonne milliaire qui mal-
beureusement n'a pas été conservée.
kVGOUB, noMNlCimiy.
C) Le champ de Bel, dieu du soleil des GeHes.
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COUP D'ŒH
SUR LES
DIVERS SYSTÈMES DE CHIMIE AGRICOLE.
Eprouvez toutes choses et gardez ce qui est bon.
St. Paul 1. Thess, V. 21.
Au commeDcement de ce siècle , une ardeur belliqueuse avait envahi
tous les esprits. Depuis les splendides palais de nos villes jusqu'aux
chétives chaumières des plus infimes hameaux de nos dloniagnes» tout
se dépeupla à l'appel de la gloire. Plus tard , lorsque la France fut
rendue à son état normal ,. la population s'accrût rapidement et le
besoin de travailler ta terre se fit de nouveau et plus vivement sentir.
[ Ce fut à celte époque , qu'à l'ombre des Iqis protectrices que Tin-
dustrie et l'agriculture avaient conquises dans un nouvel ordre de
choses • les sciences de la chimie » de la botanique et de la géologie
tendirent une main amie à leur sœur aînée , nous voulons dire à la
science de la culture du sol.
En Allemagne , de nombreux savants et à leur tète le célèbre chi-
miste Liebig , publièrent des travaux fort étendus sur les sels miné*
raux , moyennant lesquels ils espèrent féconder la terre avec succès
et économie.
En France également on vit surgir des travaux importants et sé-
rieux dus aux savants les plus distingués, parmi lesquels on remarque
encore aujourd'hui Boussingauli , Payen , Dumas, de Gasparin , etc.,
qui basèrent leurs recherches sur la chimie organique.
Obtenir de la terre son maximum de fertilité , diminuer les dépenses
et faciliter le^travail , tel fut à peu près le problème dont l'agriculture
demanda la solution à rindtistrie et à la science.
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COUP D'OBIL sur les divers systèmes de chimie ÀtRIGOLE. i i 3
Diverses théories , comme nous venons de Tindiquer , furent pro*
posées. Malheureusement » les essais agricoles rencontrent des obs-
tacles auxquels ne sont pas exposés les essais purement spéculatifs :
la longueur du temps » les sacrifices matériels , les intempéries et
bien d'autres obstacles qu'il serait aussi difficile «qu'inutile d*énu-
mérer ici, en ont le plus souvent » sinon empêché, du moins retardé
la solution.
Aujourd'hui nous sommes à même de grouper un certain nombre
de ces résultats que nous communiquons à cette Reutké'en commen-
çant par le système de M. Yver , système qui consiste à cultiver la
terre sans l'emploi du fumier.
M. Yver de la Bruchollerie , adepte de la théorie de Lîebig , habite
la Sologne , dont l'aspect , comme on le sait » ne présente qu'une
végétation roussâtre , composée presque uniquement de fougères , de
bruyères et d'ajoncs; quelques bouqueu d'arbres seuls viennent
Interrompre l'uniformité de ces immenses plaines.
Ce fut une partie de ces terres ingrates que M. Yver eût à rendre
fertile. Pour atteindre son but, le principe d'où il partit ne prit pas,
selon lui , sa source dans un système plus ou moins heureusement
conçu et plus ou moins bien exécuté ; il ne fait , dit-il , que suivre la
loi que la nature elle-même a posée.
Yoici comment il s'exprime dans le Journal des cultivateurs du 8
septembre i860 :
c Cest à M. Liebig » et à lui seul , qu'il faut que , tous , nous repor-
t tiens nos expressions de profonde gratitude. C'est à lui que revient
t la gloire d'avoir découvert la loi qu'a posée la nature. H la fait
c connaître avec une netteté admirable dans ses lettres sur la
c chimie i (^).
Après ces expressions de gratitude M. Yver de la Bruchollerie entre
dans les détails de ses procédés de culture , détails qu'il nous est im-
(*) On sait qu'après de longues et savantes recherches chimiques et physiolo-
giques , et après avoir analysé beaucoup de terres et beaucoup de plantes ,
M. Uebig remarqua que les éléments minéraux contenus dans les plantes se
retfOQvaient à peu près tous dans les terres les plus fertiles , tandis qu*îls man-
qatSeat en tout ou en partie dans les terres infertiles. 11 en conclut que ce.s élé-
ments minéraux devaient èure les principes essentiels de la fécondité et chercha
à les rendre aux terres infertiles moyennant ses procédés chimiques.
S*Sém.--8*Aniée 8
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114 HEVUE D'âLSACS.
possible de suivre à cause du cadre restreint de ces pages , mais dont
nous essaierons néanmoins de donner un résumé succinct.
M. Yver met en vue la possibilité de traiter l'agriculture au point
de vue de la manufacture en général. Cultivant principalement les
blés , sa matière première ou engrais se compose de tous les corps
que contient le blé en quantité proportionnelle. Ces quantités pro-
portionnelles sont soumises à de grandes variations , suivant les mé-
tiers , c'est-à-dire suivant les terres qu'il appelle à fonctionner.
Selon M. Yver, les éléments du produit fabriqué (prodoits du sol)
sont l'azoté^, l'oxigène , l'bydrogène » l'acide carbonique , l'acide sul-
furique, ra<)ide phospborique, la silice, la potasse, la soude, la chaux,
la magnésie , l'alumine ferrugineuse. Il en conclut donc qu'il faut
rendre au métier ces matières premières qui forment la base de son
produit afin de le mettre à même de produire de nouveau.
La conséquence la plus importante que retire M. Yver de son
système, c'est la condamnation de toute espèce de culture alterne (i).
c Je renouvelle , dit-il , tous les ans, mes opérations sur le même
c champ et tous les ans j'ai la même végétation , sauf ce qui peut
c advenir par les intempéries des saisons , auxquelles il n'y a nul
c moyen de se soustraire. » Puis il ajoute c qu'il n'est nullement glo-
c rieux de son système, puisque c'est à une loi de la nature qu'il
c obéit, dont personne ne pouvait être l'auteur que Dieu lui-même. >
Nous voyons donc , qu'en somme , M. Yver de la Bruchollerie est
satisfait et de son système et de son résultat. Ne possédant point de
bétail et n'ayant par conséquent aucun fumier à sa disposition , il
affirme néamoins être arrivé à un résultat qui compense ses peines et
améliore son sol. Sa matière première ou ses engrais sont composés
uniquement de paille hachée, comme si on voulait la faire consommer
au bétail ; il en étale 5000 kil. par 30 mètres cubes sur une place ^
par hauteur de 50 centimètres ; il l'arrose ensuite aOn que les corps
chimiques qu'il y ajoute y soient adhérents , il brasse le tout pour en
(*) Dans les temps anciens déjà comme aujourd'hui encore on a toujours reconnu
que la première notion en agriculture est celle que la plante ne peut pas être
cultivée indéfiniment sur le même sol , que la terre se fatigue d'une même culture,
qu'il y a des plantes qui épuisent et salissent la terre et que d'autres la nettoient
et Taméliorent ; de là VassoUment , la rotation et Valternance en culture.
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COUP D'CBIL SUR LES DIVERS SYSTÈMES DE CHIMIE AGRICOLE. il5
faire un amalgame bomogène et finit par mettire le tout en tas. Ces
30 mètres cubes sont la fumure annuelle d'un hectare.
Tel est en résumé le système de culture de M. Yver , système que
nous recommanderions volontiers à nos laboureurs alsaciens si nous
ne connaissions pas malheureusement, d'une part^ leur peu d'aptitude
à étudier les premières notions de la chimie et si, d'autre part,
M. Bickes n'avait pas eu l'idée d'adresser également une lettre au '
même journal qui ébranla , tant soit peu , la haute opinion que nous
éprouvions d'abord de la culture scientifique de M. Yver.
Yoici un extrait de la lettre par laquelle M. Bickes ne se contente
pas de réfuter la théorie de M. Yver , mais , d'un trait de plume ,
cherche à renverser tout le système si longuement élaboré par Liebig
lui-même (^).
c Je ne conteste nullement , dit M. Bickes^ le mérite en chimie de
c H. Liebig ; mais j'ai souvent observé qu'il prend tout trop chimi-
c quement , ce qui l'induit souvent à erreur. La vache mange de
c l'herbe verte , et donne du lait blanc.
c 11 y a une autre question de la plus haute importance pour la
f pratique ; c'est le prix de la matière qui doit remplacer l'engrais,
c Les idées de H. Liebig n'ont encore rien produit en pratique.
c La chimie organique a donné naissance en Angleterre à une
c société qui a échoué la première année.
c A sa résidence à Giessen, la ville lui a fait cadeau d'une propriété,
t qu'il a d'abord louée sans y faire jamais d'expériences et le fermier
€ est allé 9 tout comme les autres , chercher son fumier à la ville.
« Plus tard M. Liebig a vendu cette propriété.
c Après que j'eus mis l'œuf sur la pointe et prouvé mon système
c de culture par des résultais concluants, même à Giessen et qu'un
c de nos amis — qui voyait H. Liebig presque tous les jours — lui en
c eût souvent parlé , celui-ci conçut l'idée d'écrire sa chimie orga-
c nique.
Après avoir réclamé la supériorité au système dont il fut, dit-
tl , reconnu fondateur par les naturalistes > aux congrès de Mayence
et de Diisseldorff, H. Bickes continue en ces termes;
c 5000 kil. de paille valant à Paris 8 fr. les 100 kU. cela fait 400 fr.
(*) Journal des cuîtivaieun, 22 septembre 1860.
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116 REVUE D*ALSàCE.
c par bectarâkSans compter le» frais des autrei drogues » le hachage ,
c le transport « l'épandage , etc.
f Je crois encore que si les BOOO kil. de paille avaient servi à la
c litière du bétail , on pourrait en fumer plus d'uq hectare et le métier
c serait encore mieux construit. >
M. Bickes termine sa lettre par ces paroles :
c Par mon système, la fumure ne coûte pas plus de cinq fr(incs par
c hectare. 11 y a de quoi réfléchir pour ceux qui aiment le progrès! »
On voit que le système de M. Bickes • dont nous regrettons beau-
coup de ne pas connaître les procédés , ferait beaucoup mieux raPiaire
de nos cultivateurs alsaciens , mais, son bon marché même nous inspire
quelque doute sur son efficacité. Fumer un hectare pour une pièce de
5 francs f Réellement » en songeant à la grande étendue d'un hectare,
nous ne pouvons autrement que d'oublier la pièce blanche e^ nous
figurer la fumure gratuite. Malheureusement ce système écopomique
rappelle à notre mémoire une annonce bien vieille , bien ancienne »
mais qui y pour cela , ne sera pas moins d'un enseignement utile à
quiconque veut également y réfléchir.
Voici cette annonce publiée en 1788 : (i)
c Secret merveilleux aussi utile que la fierre phUoiophale.
c H. Desomont publie avoir un moyen unique de procurer . d'as-
€ surer et de perpétuer à très-peu de frais la fécondité des plusmau-
c vaises terres» avec le projet de Texpérience de ce moyen dans la
c plaine de Grenelle , à l'usage des provinces de France et de tous
c les pays du monde. Pour rendre ce très-merveilleux secret public ,
c il exige une souscription de mille personnes, à six francs par tête»
c et a déjà, dit-il , un grand nombre de souscripteurs, f
il paraît néanmoins que les souscripteurs ont fait défaut, et que
M. Desomont a emporté dans l'autre monde son secret merveilleux.
La chimie agricole du D' Stockhart est une œuvre ou plutôt une
étude éminemment scientifique et érudite. Il part également du prin-
cipe que , pour savoir rendre au sol une partie de son produit , il faut
analyser chimiquement et le sol et le produit afin d'en connaître la
nature et les propriétés.
L'ammoniac (verfaulter SticksiofJ) , dit-il , est la nourriture la plus
(*) Bibliothèque physicthéconomique , tome i , page 430.
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COUP D'OBIL SUR LES DIVERS SYSTÈMES DE CHIMDS AGRICOLE. ^ 17
importante des plantes ; il est* pour ainsi dire, leur pain quotidien ,
mais elle ne peut se passer non plus de l'acide phosphorique {Phos-
phorsaàre) dont dépend principalement la formation de la semence.
Si , par conséquent , une plante doit former des tiges et des feuilles
Tîgoureuses et si elle doit, en outre, produire une semence riche et
puissante , il faut lui donner , dès sa jeunesse , les deux espèces de
nourriture qui , généralement , ne se trouvent pas en quantité suffi-
sante dans les différentes variétés de terres et qui sont Tazote et le
phosphate de chaux.
Nous n'entrerons pas dans les détails des. procédés agricoles du
ù' Stockhart ; il nous suffit de faire remarquer qu'il considère égale-
ment la science de la chimie comme une étude indispensable pour
tous ceux qui s'occupent de la calture des terres.
En Angleterre , où les nouvelles théories de . chimie agricole ne
manquent jamais de trouver des adeptes fervents , de nombreux essais
ont eu lieu également/ essais qui ont été rendus faciles par le com-
merce , car il a offert aux agriculteurs des paquets de poudre spécia-
lement et chimiquement préparés pour obtenir, suivant la nature du
sol, telle ou telle récolte. C'est ainsi que le blé a eu sa poudre, le
trèfle la sienne; de même de la pomme de terre , du turneps , etc.
C'est à ces différentes théories basées sur la chimie que H. Nérée
Boubée vient déclarer la guerre.
Qui est-ce, que H. Nérée Boubée? — M. Boubée est rédacteur en
chef du jounal c la Réforme agricok » et , selon M. J. C. Crussard ,
M. Boubée est un écrivain qui a conquis une certaine célébrité par de
longs et honorables travaux en géologie et , selon M. Victor Borie ,
il n'est ni plus ni moins que le Garibaldi de la minéralogie (*)• -
M. Boubée reçut un jour , en sa qualité de directeur d'un journal
agricole, une lettre de H. Ponteau , notaire, qui dirige avec zèle et
succès de grapdes cultures. M. Ponteau lui posa les questions sui-
vantes: ,
c Quels sont les sels ou les gaz qui , dans les fumiers d'étables ,
c donnent les meilleurs résultats pour les prairies naturelles et artifi-
c cielles et pour les plantes et racines sarclées? M. Ponteau ajoute,
f que jusqu'à meilleur renseignement, il estime l'azote pour les
(*) Vojez VlUuitration du 20 octobre 1860.
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148 REVUE D'ALSACE.
c herbes » la potasse pour les betteraves . et le phosphate pour les
f grains , surtout pour le vitré de la paille. >
La Réforme agricole s'empressa de répondre à M. Ponteau t que le
c fumier d'étable ne renferme que S à 5 p. ^Iq d'azote et qu'il y a
c encore dans le même fumier 95 à 98 p. ^/q de matières autres que
c l'azote ; que la majeure partie de ces matières autres que l'azote se
c compose d'hydrogène , d'oxigène » d'acide carbonique et d'eau ;
c mais que ce ne sont pas non plus ces matières qui peuvent être la
c partie la plus utile du fumier et qu'il y reste encore la partie miné-
c raie du fumier qui comprend plus ou moins de potasse , de soude »
c de chaux « de soufre , de phosphore , de chlore , de fer , de ma-
c gnésie , d'alumine , de silice gélatineuse , etc. » etc.
c Et c'est là t s'écrie la Réforme agricole , la partie la plus impor-
f tante et la plus active du fumier ! — Et c'est précisément à cette
c partie , ajoute-t-elle , qu'on n'a prêté jusqu'à ce jour à peu près
c aucune attention. Mais si on nous demande de désigner parmi tous
c ces éléments minéraux des fumiers et des engrais , ceux qui favo-
c risent particulièrement les prairies naturelles et artificielles , les
c plantes et les racines sarclées , les herbes , les betteraves » les
c grains , le vitré de la paille , etc. , nous sommes forcés de dire que
c dans l'état actuel de la science il n'est pas possible de répondre
c catégoriquement sans s'exposer à tomber dans les plus graves
c erreurs , qui malheureusement se propagent de toutes parts parmi
c les agronomes !»
La Réforme agricole conclut ensuite que ce qui manque surtout aux
plantes , ce sont le plus souvent les éléments minéraux en nature
c sans aucune préparation cJùmique. »
c Les monts grands et petits » n'ont été élevés par Dieu , au-dessus
c des plaines que pour assurer et renouveler perpétuellement leur
c fertilité. Exploitez donc sans ménagements tous ces coteaux, toutes
c ces montagnes , ce sont des réserves inépuisables d'amendements
c pour toutes vos terres ; c'est là que vous trouverez par quelques
< recherches intelligentes et faciles » tout ce qui peut leur manquer ,
c tout ce qui doit leur rendre et pour longtemps leur fécondité pri-
c mitive. »
Certes y en face des différents systèmes agricoles, patronés par les
chimistes les plus célèbres de l'Allemagne et de la France , nous
étions tenté de considérer la réponse donnée à M. Ponteau par la
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COUP D*CE1L SUR LES DIVERS SYSTÈMES DE CHIAIIE AGRICOLE. 119
Réforme agricole comme une boutade, comme une guerre sans raison
que M. Bonbée avait pris la fantaisie de faire au produit chimique le
plus estimé dans la science de l'agriculture moderne , à l'azote.
Mais bientôt après , de grands journaux de la capitale , la Presse
ex Y Illustration, ouvrirent leurs colonnes à de fervents disciples des
chefs illustres de l'école chimique qui lancèrent sur la doctrine révo*
lutionnaire de M. Boubée une charge à fond , qui eût , comme le dit
M. Boubée lui-même , infailliblement culbuté et détruit de fond en
comble sa théorie si elle n'avait pour base le granit , cette roche
inébranlable qui est la base du monde lui-même !
Yoici maintenant, en résumé, l'acte d'accusation fulminé parle
savant géologue contre Fazote et l'école française de chimie agricole:
f 1^ L'azote n'est nullement, comme on le croit , un puissant élé«
c ment de fertilité pour les plantes ;
f ^ Pour féconder les terres avec le plus de succès et d'économie,
c le meilleur moyen est certainement l'emploi judicieux des amende*
c ments minéraux exempts de toute préparation chimique.
c Deux autres erreurs , dit-il ensuite , se propagent encore d'une
c manière calamiteuse parmi les agriculteurs. Ces deux autres erreurs
c sont : l'une , la théorie actuelle du phosphate de chaux , l'autre la
c théorie qui se résume dans le mot assimilable , devenu magique
c parmi les agronomes. »
En effet y les chimistes et les fabricants d'engrais ne mettent plus
aujourd'hui que deux choses en relief: la proportion d'azote et la
proportion de phosphate de chaux. C'est là , selon H. Boubée , une
double erreur aussi déplorable que grossière et qu'il exhorte de com-
battre et de détruire le plus promptement possible.
f L'azote et le phosphate , dit-il , n'entrent qu'en propotion minime
c dans la composition des produits de la végétation , et comme ils
( manquent même totalement dans un grand nombre, on ne saurait
c les considérer comme étant les engrais les plus eflBcaces et donner
c à entendre aux cultivateurs qu'ils sont à peu près les seuls dont il
c faut se préoccuper.
c Répandre une telle doctrine, s'écrie Mr Boubée , c'est faire faire
c fausse route aux cultivateurs, c'est préparer infailliblement un
c' résultat funeste, celui de diminuer le rendement des terres. >
M. Boubée nous apprend ensuite qu'un agronome distingué ,
M, Demont, directeur de l'école municipale d'Orléans» vient de porter
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120 REVUE D'ALSACE.
le troable dans les théories chimiques par une série de treote-deax
expériences faites sur un terrain homogène sans engrais , et avec
tous les engrais connus , et qu'il en est résulté que les engrais qui
ont produit le moins d'effet sur les récoltes sont \,es engrais les plus
riches en azote (^). '
Il nous apprend , en outre , que M. Isidore Pierre (2) vient de con-
stater la présence de 20,000 kih d'azote dans le sol » par hectare «
jusqu'à la profondeur d'un mètre » et il en conclut que cette masse
imposante ne pourra guère gagner en puissance par les quelques
kilos de poudre d'engrais azoté que l'on recommande d'y ajouter*
Telles sont » à l'heure qu'il est , les accusations portées contre la
chimie agricole française. Nous ignorons si les chefs de la doctrine
si vigoureusement attaquée daigneront descendre eux-mêmes dans la
lice , pour défendre leur théorie» En attendant que la lutte scienti-
6que prenne des proportions plus grandes , nous nous bornerons à
dire que H. J. C. Crussard , agriculteur vieilli dans la pratique et
directeur de la ferme-école de Trécesson en Bretagne^ vient de pu-
blier dans la Prene deux grands articles en faveur de la chimie agri-
cole (3) » mais dont il nous est impossible de donner ici une analyse
sans dépasser les bornes de cette Revue.
Nous dirons néanmoins que les articles de M. Crussard nous sem-
blent porter les traces d'une indécision patente. Il cite bien des
expériences d'après lesquelles Tazote aurait produit d'excellents eiPets
sur les récoltes ; il parle bien de Técobuage , abandonné » dit-il , de*
puis longtemps par tes agronomes les plus distingués » et qui avait
pour but de ne laisser dans les engrais que les éléments minéranx ;
il conclut bien que l'azote assimilable (^} étant plus rare • plus difficile
(*) Le fumier de ferme ne contient qne 2 à 5 p. 7o d'azote ; le guano du Pérou
i6 p. 7o ; les chiffons de laine jusqu'à 20 p. 7o ; tandis que les feuilles d'automne/
chêne, hêtre, etc. ne renferment que Vt P- 7o ^t les paOles de ftroment » d'oi^e
et de seigle à peine V, p. 7o. (V. En^prak. asotéê, par M. de Gasparin).
(*) Professeur de chimie agricole à h fiiculté de Caen.
n Voyez la Preue du 11 et 13 septembre 1860.
{*) M. Crussard demande: « Si la masse imposante d'azote que le sol contient,
selon les expérience de M. Is. Pierre y se trouve dans les conditions voulues pour
que les plantes puissent s'en assimiler la partie nécessaire à leur végétation T »
i^ Il y aurait donc l'azote assimilable , celui des engrais et l'uote non j
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COUP d'obil sur les divers systèmes de chimie agricole, m
à mettre i la disposition des plantes « pins cher que toutes les autres
substances, c'est lui qui Joue et qui doit jouer le rôle principal des
engrais !
Mais , malgré tous ces arguments , nous ne pouvons considérer les
lignes de H. Crussard comme une réfutation brillante des accusations
de H. Boubée . accusations qae ce dernier soutient dans ses écrits
avec une chaleur et une éloquence réellement entraînantes.
f Si vous n'avez pas, dit-il, (i) à votre portée des amendements
f fournis par la nature, adressez-vous aux engrais, soit naturels,
f soit artificiels ; seulement , n'en évaluez pas la valeur et le résultat
f par l'azote, mais bien par les éléments minéraux qu'ils peuvent
c renfermer. Ici la philosophie naturelle vient elle-même porter son
c flambeau â la théorie et & la pratique; la philosophie montrant ïiue
c le règne minéral a précédé le règne végétal , et que le règne végétal
c a précédé le règne animal , d'où elle conclut que la matière miné-
c raie a été destinée à nourrir les plantes • que les plantes sont desti-
c nées à nourrir les animaux et que les animaux ne peuvent nourrir
f les végétaux qu'après être passés à l'état de matières mortes dé-
c composées et redevenues matières minérales , comme l'exprime si
c bien ce verset célèbre :
Quant à nous, simples cultivateurs , qui profitons des déns de la
nature , sans chercher à pénétrer ses causes et ses mystères , qui
n'avançons qu'en tâtonnant , qu'en multipliant les essais , qu'en cal-
cofamt sur le succès qui trompe souvent notre attente et qui ne répond
pas toujours aux espérances que les savants nous inspirent , nous nous
garderons bien d'émettre une opinion personnelle dans des discussions
aussi transcendantes et aussi comidexes. Il nous suffit de les signaler
à l'attention de ceux qui , comme nous . s'intéressent à la culture des
terres. Nous ne terminerons cependant pas sans citer encore quelques
lignes que nous empruntons au cours de chimie agricole , professé en
1837 par M. F. Mabgutti , à la faculté des sciences de Rennes C).
cehii da soL L'oldection est assez sérieuse pour flzer Tattention de nos chimistes
alsactens ; ils nous apprendront sans doute qaelle est la propriété et la raison
d'être de l'aiote non assimilable ?
n Voy. la réponse de H. Boubée à M. Gmssard dans la IVetM du 2S nov. 1860.
(*) PabUé par décision da Conseil général d'IUe-et-VUaine.
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m REVUE D'ALSàGE.
f Vous feriez une bien mauvaise opération » dit llllustre professeur
c en s'adressant à son auditoire , si , étant propriétaires de terres
c fatiguées et appauvries , vous vouliez en tirer de très-bonnes récoltes
c à force de guano ou d'azote ; vous ne réussiriez pas , tout en dépen-
c sant beaucoup 1 C'est pourquoi je vous disais tantôt que le fumier
c de ferme est le type des engrais complets , puisqu'on y trouve réunis
c dans une jti^te frofortion l'azote • le carbone et le principe minéral ;
c c'est pourquoi il ne peut y avoir de culture durable par le concours
c d'engrais autres que le fumier de ferme , et que c'est toujours par
c celui-ci qu'il faut finir ! i
Nous en concluons donc que s'il faut toujours finir par là , le mieux
sera pour nos cultivateurs de prendre la vache par les cornes —
qu'on nous pardonne cette expression vulgaire — en multipliant leur
fumier avec tous les soins et toute la persévérance possibles ; ce qui
simplifiera leur besogne et leur évitera la peine , si redoutée , d'étu-
dier les chlorhydrates d'ammoniac, les sulfates d'ammoniac, ou
l'azote sous quelque forme que ce soit, et de plus M. Â. de Turckheim
ne sera plus autorisé de leur adresser le reproche : de hausser les
épaules devant les produits chimiques agricoles (i) , produits qu'un
écrivain caustique , dont le nom nous échappe , a naguère comparés
au contenu de ces boites , si bien recouvertes de vignettes dorées et
renfermfltat le secret précieux de faire pousser les cheveux.
Espérons néanmoins que la science de la chimie , jeune elle*méme
encore et dont personne ne saurait méconnaître les louables efforts
faits en faveur de l'agriculture , parviendra en son temps à sortir
triomphante de ce chaos de systèmes si divers qui se combattent les
uns les autres. Mais avouons également que le cultivateur austère qui
féconde le sol à la sueur de son front et qui se borne à appliquer dans
ses laudes travaux l'expérience amoncelée par les générations qui l'ont
précédé , ne mérite certes pas l'accusation qu'on lui adresse si sou-
vent d'être ignare et routinier. Les grands progrès du siècle sont
l'œuvre des hommes de pratique ; la nécessité a été de tout temps la
mère des inventions , et le laboureur aussi saura changer et d'opinion
et de procédés quand il y trouvera son profit.
J. F. Flaxland^
' propriétaire , délégué cantonal de Tinstruction primaire.
[*) V. Rwue d'Alsace de 1860, page 575.
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LAVATER
A GOLMAR ET A HONTBÉUARD.
Ce pasteur distingué naquît à Zurich le 15 novembre 4740, et y
mourut le 2 janvier iSOi. On verra plus loin pourquoi nous nous
somoies abstenu d'une étude biographique : deux circonstances im-
portantes de sa vie seront simplement rappelées ici.
La santé de Lavater ayant subi une assez forte atteinte, il se décida
à se rendre aul eaux d'Ems pendant l'été de 1774. L'espérance de
foire visite à plusieurs hommes éminents avec lesquels il était déjà
en relations, diminua la répugnance qu'il éprouvait d'entreprendre ce
voyage qui le détournait de ses occupations habituelles.
Il s'arrêta quelques jours à Bâle, et les employa à voir les hommes
marquants que cette ville possédait alors. Puis , arrivé à Colmar, il
rendit visite à un aveugle de renom, Pfeffel, qu'il trouva entouré de
plusieurs jeunes gens. On annonça Lavater à Pfeffel comme un étran-
ger qui lui apportait des nouvelles de ses amis de Bâle. f — Et vous-
même, qui étes-vous? demanda amicalement l'intéressant aveugle. —
Lavater, de Zurich. — Lavater, le pasteur, celui qui a entrevu l'éter-
nité ? — C'est moi. — Oh ! mon Dieu , s'écria Pfeffel , en serrant
Lavater dans ses bras , vous Lavater, vous mon ami ? Oh ! quel bon-
heur ! venez près de moi ; faites-lui place , Messieurs , laissez-moi
m'asseoir près de lui. > Cet accueil plein de sympathie du poète
oolmarien laissa de profondes traces dans le cœur du pieux voyageur
qui rencontra chez son ami les sentiments qu'expriment si bien les
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124 REVUE D* ALSACE.
Lettres à Beuma iur la Religion, tradaites en i825 par le professear
Willm de regrettable mémoire. Dans ce voyage » Lavater rencontra
le célèbre f)oète Gœthe à Francfort, qui loi lut une grande partie de
ses manuscrits.
Ceux qui voudront suivre Lavater dans les différentes phases de
son utile carrière , liront avec tout intérêt TEssai sur sa vie , publié
par la Société des livres religieux de Toulouse.
Plus tard , nous trouvons ce pasteur à Montbéliard occupé d'y
exercer son .ministère. On a presque oublié aujourd'hui qu'une
branche de la maison de Wurtemberg résidait encore » à la fin du
siècle passé , dans la petite ville de Montbéliard , et qu'elle y tenait
une cour. Cette principaut.é , dont l'histoire intéressante paraîtra
bientôt , fut réunie à la France en 1796, l'an IV de la République* et
incorporée aux départements du Haut-Rhin et de la Haute-Saône.
Plusieurs des princes et princesses de la maison de Wurtemberg
sont nés à Montbéliard, entre autres l'épouse de Paul i'% empereur
de Russie, mère d'Alexandre. Le chef de cette principauté, ordinaire*
ment gouvernée par l'un des frères de l'électeur, portait le nom de
duc de Montbéliard.
Lavater ftat invité par la princesse, en 1790, à remplir momentané-
ment auprès d'elle les fonctions de chapelain. L'ecclésiastique qoi
devait de Mulhouse administrer la communion aux protestants établis
à Montbéliard, étant mort> le choix de la princesse se fixa sur Lavater.
Il se rendit volontiers à cette Invitation affectueuse, et passa quelques
jours heureux dans un cercle nouveau pour lui.
La princesse apprécia tellement cette première visite, qu'elle en
demanda une seconde ; elle goûta beaucoup la prédication et la con-
versation du pasteur de Zurich , et se fit un plaisir de l'engager à lui
présenter sa fille atnée. Cette jeune personne fut accueillie avec toute
bienveillance , et son père écrivit dans le journal , fidèle déposiuire
de sa vie domestique : c C^ fut une vraie fête pour moi que d'amener
ma fille ; j'eus autant de plaisir à passer quelques jours à nous deux
qu'à lui procurer de solides jouissances en lui faisant connaître une
réunion de personnes intéressantes et cultivées. »
. On sait combien Lavater aimait à remplir les devoirs de son minis-
tre dans les nof^ supérieurs de ia société ; ses exhortations furent
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LAYATEB A COLVAR ET A HONTBÉLIARD. 125
pressantes et pleines de l'onction « de la beaaté morale qu'il savait
répandre sur tons les sujets élevés, t II y a plus de vingt ans, dit-il
à la princesse , que j'enseigne les doctrines de l'Evangile ; j'ai beau-
coup parlé 9 beaucoup écrit sur ces grandes choses, et pourtant il me
semble que Je n'en ai encore rien dit. > Lavater conserva un mot
original échappé à un oflScier allemand qui acceptait de bon cœur
l'Evangile, c Je ne puis m'empécher de sourire, dll-il, en pensant i
la naive franchise avec laquelle M. D. s'est écrié : c Foin de celui
qui ne veut pas reconnaître Jésus-Christ et ses apôtres ! — Il est
notre général en chef; un soldat doit-il avoir honte du général ^ui
ne renie aucun de ses soldats ? Nous portons l'uniforme de Christ ,
et nous disons : Qui sait s'il est vraiment notre chef? Fi ! Fi I » Je
fus touché au cœur en entendant ce brave homme montrer ainsi son
attachement à l'Evangile et son éloignement pour les gens à double
face. Y
Lavater s'entretint' volontiers avec le cercle choisi rassemblé à
Montbéliard , de l'avenir de la société , alors boulversé par la révolu-
tion française, f Dieu seul , dit Lavater, peut mesurer les suites de
cet événement. Les temps de persécution me semblent bien près de
nous : les incrédules prêcheurs ^e la tolérance seront 6nalemeut les
persécuteurs les plus ardents. Plus on se pontrera sincèrement chré-
tien, plus les charlatans qui prétendent répandre les vraies lumières
seront arrêtés. Si jamais le chrétien doit se faire un devoir de décla-
rer sa foi, c'est bien aujourd'hui ; il faut qu'il agisse avec franchise.'
Tous les écrivains chrétiens, en particulier, doivent se montrer ferme*
ment attachés au christianisme, i
Les horreurs de 93 allaient faire croire à la petite cour de Mont-
béliard que Lavater avait le don de prophétie. Aussi s'écria-t-il un
peu plus tard, après avoir montré que l'incrédulité précipite les
peuples dans l'abtme , exile et persécute tout ecclésiastique , détruit
et vend les temples , substitue aux fêtes chrétiennes des scènes de
théâtre : c 0 France , France , demande- toi si tu peux encore tolérer
le mot de Providence , et prêche aux nations le symbole d'Epicure :
mangeons et buvons , car demain nous mourrons. — Nous contem-
plons le spectacle que tu nous présentes, nous étudions ce que tu
de viendras.. •• Oh ! que nos yeux demeurent ouverts aussi longtemps
qu'ils pourront voir.... Irréligion , monstre détestable, sois toujours
pour nous un sujet d'horreur et d'effroi...* »
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iâ6 REVUE D' ALSACE.
La chaleureuse éloquence de Lavater produisit un effet étonnant ,
qui alla retentir jusqu'à Stuttgard dans le cercle des personnages qui
l'avaient connu à Montbéliard et Tavaient vu journellement au château.
VEssai sur la vie de Jean-Gaspard Lavater, volume de 463 pages •
offre une lecture très-intéressante, à la fois historique, littéraire et
édiBante. Si nous avons commis quelque erreur dans cet article.
VEssai pourra aider à rectifier.
6. GOGDEL, ptttaiir.
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Histoire de la Guerre de Trente ans, par Schiller; traduite par
M. Langhans , ancien vice-président du tribunal civil de Colmar.
Colmar, Hoffmann , 1860, în-S*" de 523 pages.
L'art des traductions est un art très-difficile. Il n'a jamais joui en
France , de la considération qui lui est si justement due. Les peuples
étrangers en font plus de cas. Plus pauvres que nous en œuvres
originales et véritablement littéraires , ils transportent , plus volon-
tiers que nous ne le faisons, dans leur langue, les ouvrages notables
que produit le mouvement intellectuel chez leurs voisins. L'Angle-
terre et l'Allemagne se sont, de tout temps, distinguées sous ce
rapport, surtout au iviiP siècle, où la littérature française avait
acquis une prépondérance et une autorité qui n'ont pas peu contribué
à retarder l'essor du génie littéraire propre à ces deux grands pays.
Dans notre siècle , la diffusion des idées • la propagation de la
connaissance des langues étrangères , et surtout le besoin de consta-
ter la solidarité morale de l'esprit humain , ont rendu au labeur de
la traduction une partie de l'honneur et de l'importance auxquels il
a droit. Nous commençons à posséder de bonnes et solides traduc-
tions des écrivains étrangers , anglais, espagnols, italiens et alle-
mands. Les annonces de librairie nous en promettent encore de
nouvelles et de plus étendues et naturellement de plus parfaites.
L'activité dans cette direction nous plaît ; elle est un heureux symp-
tôme de la grande révolution qui s'accomplit et qui tend à faire pré-
valoir la fraternité des esprits sur les petites dissidences d'origine,
de mœurs , de préjugés et d'intérêts qui ont si longtemps tenu sépa-
rts et ennemis les peuples formés par une même et commune culture
religieuse, intellectuelle et politique. Elle nous plaît encoi'e par les
services qu'elle rend, puisqu'elle augmente dans chaque nation le
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428 REYUB D'àLSACB.
domaine de la pensée, en y transportant des connaissances, des i
timents et des impressions qui enrichissent et étendent son horizon
intellectuel.
Il est singulier que le goût et le besoin des traductions s'exerce
moins sur les écrivains de l'Allemagne que sur ceux d'autres pays.
On prétend l'expliquer par la différence profonde qui existe entre le
génie des deux nations • l'un clair, vit, pratique, passionné pour le
bon sens » habitué à une marche simple et correcte ; l'autre plus
vague, méditatif, enclin à l'amour des systèmes, penché dans la
rêverie, se mouvant plus volontiers dans les ardeurs du sentiment
intime que sous l'aiguillon de la curiosité extérieure. Cela est vrai
dans une certaine mesure. Les génies sont réellement très-dissem-
blables, mais ils ne sont pas hostiles. 11 ne manque aux Français ,
pour mieux goûter et aimer davantage l'esprit germanique, que de le
mieux connaître' en se mettant plus souvent en communication avec
lui. L'Allemagne pourrait nous apprendre beaucoup de choses utiles,
parmi lesquelles il en est que nous ignorons , et d'autres que sa
patiente érudition, sa critique éclairée et consciencieuse ont appro-
fondies plus que nous ne sommes prêts à le faire. Les recherches
historiques, l'étude des institutions, des langues, des beaux-arts, du
développement des littératures, ont produit une foule de livres excel-
lents que l'on doit désirer de voir entrer dans la circulation firan-
çaise. au moyen de bonnes et complètes traductions.
Nous aimerions donc mieux de voir le zèle des traductions se por-
ter sur les livres inconnus de l'Allemagne savante , et qui n'ont pas
leurs analogues en France , que de le voir s'attacher à quelques
œuvres capitales , à quelques noms consacrés, qui, heureusement,
ont déjà pénétré chez nous, et y sont connus et admirés.
Il est vrai que c'est un grave écueil que de se présenter, en France,
au public, avec un livre étranger encore inconnu à la main. Mais
cet écueil peut être franchi , nous en avons la certitude. Il suflSrait
de quelques épreuves courageuses , et bien faites. On Bnirait par ne
pas mieux demander, même en France, que d'être instruit et charmé
par la science et par l'esprit des peuples voisins.
Nous avons été amenés à ces réflexions j)ar la récente apparition
de la traduction que M. Langhans vient de faire d'un des plus célèbres
ouvrages de la littérature allemande, de V Bisurire de h Guerre de
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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS. 129
Trente ans , par Schiller. Celle œuvre historique a été traduite plu-
sieurs fois ; mais les anciennes IrnclucUons avaient vieilli , et la der-
nière, due à la plume délicate d'une femme, n'avait peut-être ni la
précision, ni la fidélité littérale que Ton doit souhaiter de rencontrer
dans un livre qui réunîl le double et viril mérhe d'un récit plein
d^arc et d'un enseignement polllique. M. Langhans a préféré trans-
porter dans noire langue un modèle parfait de l'esprit ailerhand, une
composition historique justement admirée, plutôt qu'une œuvre dont
le succès serait à faire. Il a bien choisi. Le livre de Schiller est un
ouvrage classique en Allemagne. Il reflète avec vérité les grandes
passions qui ont agité le corps germanique pendant la lutte décisive
do xviP siècle , et l'on peut ajouter qu'il est encore aujourd'hui le
programme le plus certain des idées qui se disputent la direction
morale et politique de l'avenir de l'Allemagne.
Tous les auteurs allemands sont difficiles à traduire , car il faut
atteindre ,, chez eux , sous une forme abondante et enveloppée, une
pensée qui a r^ement la netteté et le trait de la pensée française.
Il n'y a peut-être que Gœthe qui ait quelque chose de la lucidité
voltaîrienne, et qui, conséquemment , peut, sans grands efforts, être
transporté dans notre langue. Schiller, par l'idiome , par le tour de
la pensée, par ses opinions, par ses sentiments, est absolument, fon-
cièrement germanique. L'ardeur généreuse de ses convictions, la
richesse de son imagination, jointe au don de peindre avec vivacité et
coloris , donnent à sa facture littéraire une ampleur et une sonorité
qui en font un homme à part, un écrivain exceptionnel. Le traduire,
le revêtir de notre langage , est donc un travail qui exige à la fois
de l'habileté ,, de la vigueur, de la souplesse, une entente intime des
dispositions naturelles de l'esprit allemand et l'art de faire passer
cet esprit dans une autre forme, sur un autre instrument d'expres-
sion , sans que l'on entende de faux tons.
M. Langhans s'est résolu à ce labeur avec la plus patiente étude.
On sent que Schiller était pour lui un écrivain de prédilection. Il s'est
efforcé de le saisir dans sa pensée et de le restituer dans sa forme la
plus fidèle. Il n'a pas cru pouvoir, comme l'ont fait d'autres traduc-
teurs, procéder par des équivalenis, et soumettre le style de Schiller
à un système de réduction conventionnelle. Il en a, au contraire,
respecté l'allure propre tt originale, le dessin national, prélérâni les
vives arêtes, qui font reconnaître le penseur et l'artiste étranger, à
â*S«rie. — S'Annéfl. 9
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dSO REVUE D'àLSàGB.
rélégance pâle et monoione qui l'eût fait ressembler à tout le monde.
Un peu de rudesse ne messied point à la peinture des fortes scènes
de cette longue nuit de meurtres que Ton a appelée la Guerre de
Trente an», et nous avouons que la lecture d'un auteur étranger nous
paraît avoir plus de saveur lorsque la traduction lui conserve quel-
ques-unes de ces vives teintes qui font penser à sa langue et à son
pays.
Le mérite que nous signalons dans la traduction de M. Langhans
ne peut manquer d'être apprécié par ceux qui sont privés du plaisir
de lire Schiller dans l'original. 11 le sera aussi par ceux qui aimeront
à se rendre compte du résultat que peut atteindre l'étude persévé-
rante et consciencieuse d'un grand modèle littéraire.
CH. Gérard, avoMUlacovimpériala.
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MARIE STUART,
de SCHnXKR , traduite en vers par Théodobs Braon , i toI. 8".
Strasbourg, Treuttel et Wûru» 1860.
c Quand je songe que dans cent ans et même plus peut-être, lors-
c que ma poussière aura passé depuis longtemps, on bénira ma mé-
€ moire et l'on m'accordera jusque dans la tombe des larmes d'admi-
c ration , je me sens alors tout heureux de ma mission de poète et
€ tout-à-fait réconcilié avec Dieu et ma dure destinée. (Lettre à H*'*
de Wollzogen).
Un demi-siècle s'est écoulé depuis que Schiller a écrit ces paroles
remarquables, et l'Allemagne, unanime dans sa piété pour son grand
poète» a cru devoir fêter son anniversaire comme un jour providentiel,
un jour heureux entre tous dans le calendrier national. Cette grande
solennité pacifique , qui n'a pas été seulement un acte de gratitude
populaire , mais encore la manifestation d'un peuple généreux , aspi-^
rant sans cesse à l'unité sans pouvoir y arriver, a été célébrée par-
tout où se parle la langue allemande, même parmi les colonies dis-
persées sur le sol étranger. Partout , à Vienne » à Berlin , à Dresde .
à Stuttgart, comme à Paris, à Bruxelles, à Genève, à la Haye,
ù Saint-Pétersbourg, et par de là l'Océan, à New-York et autres lieux,
des fêtes ont été organisées , des discours ont été prononcés , des
collectes ont été faites pour éterniser par de pieusesYondations la
mémoire du poète qui fut le promoteur de tontes les impulsions
généreuses, que la nation allemande a reçues, et qui, au fond même
de la tombe, semble lui adresser encore aujourd'hui ses chants inspi-
rés , qui sont aux yeux des masses comme les avertissements des
prophètes antiques. Beau spectacle que celui de soixante millions
d'hommes , oubliant leurs querelles et leurs divisions , pour se grou-
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i32 REVUE D'ALSACE.
per autour d'un tertre funéraire , et rendre un hommage , unique
dans rhistoire des temps modernes, aux nobles qualités d'un homme,
au génie d'un poète.
Si la nation allemande revendique encore aujourd'hui avec un amour
si tendre et si louchant Schiller comme son poète, c'est que sous
son auréole on s'aperçoit , à la douce mélancolie qui tempère son
visage , que cet homme a eu sa bonne part des misères humaines ;
c'est qu'il est l'hôte assidu de l'atelier et de l'arrière-boutique , et
qu'il est feuilleté avec amour par des mains grossières entre les
heures de travail, touchante popularité qui semble ramener la poésie
à sa mission des âges primitifs ; c'est* qu'il fut du bien petit nombre
de ceux que la gloire rend meilleurs et qu'elle anime d'un plus
ardent amour du bien et du beau, et que, dans cette nature si riche-
ment douée , l'homme ne se sépare jamais de l'artiste ; c'est enfin
que ses œuvres les plus importantes saisissent davantage parce-
qu'elles représentent visiblement les droits et les libertés du peuple (f),
parce qu'on y sent un cœur d'homme, pour qui les intérêts littéraires
étaient avant tout des intérêts humains, une âme profondément
. remuée avant d'être éloquente , et que ses chants , en exaltant la
dignité de notre nature, échauffent tous les cœurs et créent en quel-
que sorte des peintures idéales de la vie.
Notre dessein n'est pas de refaire ici la biographie de Schiller, oi
de redire tout ce qui a été dit et écrit sur sa supériorité générale-
ment sentie comme homme, comme penseur et comme artiste. Nous
nous trouvons en présence d'un travail que je crois bon , utile et
bien fait , et qui est aussi une espèce d'hommage rendu à la mémoire
du poète. Ce travail est une traduction on vers du drame de Marie
Stuart par M. Braun , Président du Directoire de l'Eglise de la Con-
(*) Ses compatriotes alRiiblis par les divisions intestines auraient-ils écouté sans
émotion ces ters placés dans la bouche du vieux baron d*Attingbausen mourant ,
et qui semblaient un adieu du poète lui-même à son pays :
Mais , sachez être unis , bien franchement , sans cesse ,
Qu'aucun endroit ne reste aux autres étranger.
Préparez sur vos monts des signaux de danger ,
Qui disent à la fois à l'alliance entière
Que le secours de tous lui devient nécessaire.
Soyez unis .... toujours restez unis unisl....
(GuilL Tell. Ad. IV, Se. 2. Trad. de M. Bra fN).
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MARIE STUART. 435
fession d'Âogsboorg, qui a déjà fait paraître, il y a trois ans', 3 antres
pièces de Schiller, que le public lettré à accueillies avec une faveur
marquée.
Schiller, oo le sait , a voulu représenter dans cette pièce , qu'on
peut appeler avec raison la plus pathétique de toutes , non point la
mère , non point la souveraine , mais une femme ornée de toutes les
grâces de son sexe et joignant à tous ses attraits Tauréole du mal-
heur. La beauté qu'il lui attribue est la cause de ses passions et de
ses fautes , comme aussi de ses infortunes , et si elle nous apparaît
comme une épouse coupable, elle touche par son repentir, et ceux qui
l'entourent subissent encore l'empire irrésistible de ses charmes. La
Marie de l'histoire, dont l'amour fut l'occupation, et la politique l'écueil,
languit pendant i9 ans dans une prison d'Etat , avant de monter à
l'âge de 44 ans, vieillie et blanchie avant l'âge, sur l'échafaud qui fut
le terme d'une vie ouverte par l'expatriation, semée de travers, rem-
plie de fautes, presque toujours douloureuse et un moment coupable.
Ce n'est pas ainsi que Schiller devait se représenter son héroïne »
aggravant par les torts de sa conduite privée les périls auxquels l'ex-
posaient l'exercice de son pouvoir, les prétentions de sa naissance ,
les ambitions de sa foi. Ici , comme pour Jeanne d'Arc , comme pour
Guillaume Tell, le poète s'est laissé égarer par son idéalisme ; il a
cru devoir faire violence à l'histoire, et pour rendre la captive d'Eli-
sabeth plus digne d'intérêt et de sympathie, il a quelque peu sacrifié
le caractère de sa rivale , celui de Burgley, l'homme de la raison
d'Etat, celui de Leicester. Il n'a pas même reculé devant un anachro-
nisme assez choquant , puisqu'il a cru devoir diminuer de douze
années la durée de la captivité , afin de justifier en quelque sorte
l'enthousiasme que Marie excitait encore , et les passions ardentes
qu'elle ne cessait d'inspirer (i). Schiller venait 4'achevèr son Wallen-
stein , et il se sentait las, c'est lui qui nous le dit, des guerres et des
batailles ; il fallait alors à son âme d'artiste, ardente autant que com-
patissante , des émotions plus douces et plus intimes ; aussi s'est-il
(') Ce qui me porte à admettre cette réduction , c'est que Leicester dit (act. Il,
se. 8) que Marie lui était destinée avant qu'elle devint Tépouse de Darnley. Or ,
elle épousa ce dernier deux ans avant sa fuite en Angleterre. D'après cela, Marie,
née en i542 , n'aurait dans le drame de Schiller que 52 ou 33 ans, et ne se trou-
verait en prison que depuis 7 ou 8 ans.
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154 RBVCE B'ALSàGI.
oompla à orner son héroine de tous les sentiments , de toutes les
passions qui convenaient le mieux à sa propre situation d'esprit.
Mais quelle cause a pu le déterminer à suivre aussi aveuglément les
pampbleu passionnés des Jésuites ligueurs , armes de guerre lancées
évidemment contre la reine d'Angleterre et Henri m» roi de France,
et dont le but était d'exalter les Guises? Euit-ce peut-être cette vie
ornée de tant de charmes» touchante par tant d'infortunes , épurée
par une longue et cruelle expiation ? La cause qui a dévoyé le poète,
et qui nous émeut tous encore à l'heure qu'il est , c'est l'arrêt de
mort prononcé et exécuté contre une femme. Tuer une femme ! c'est
là un de ces faits qui soulèvent et indignent, car la mort de la plus
coupable semble un crime de la loi. Elisabeth, du reste, semble avoir
eu conscience de sa responsabilité ; elle a vu parfaitement que cette
mort , juste ou noii , la poursuivrait dans l'avenir, que cette acte
odieux, que lui arrachait le péril, pouvait, il est vrai, sauver l'Angle*
terre , mais la perdrait infailliblement dans le cœur des hommes.
Un pareil sujet, on le voit, était fait pour inspirer convenablement
M. Braun , et le rendre capable de surmonter les dUBcoltés de plus
d'un genre, qui auraient arrêté tout autre interprète moins conscien*
deux, moins exercé et moins familiarisé avec son auteur de prédi-
lection. Son beau travail, qui, nous n'en faisons aucun doute , fera
époque dans l'histoire des œuvres dramatiques de Schiller, nous pro-
cure une excellente occasion, dont nous nous empressons de profiter
pour dire comment ces œuvres elles-mêmes» traitées d'abord avec
une snperbe indiflérence et même avec dédain , obtinrent enfin leurs
lettres de naturalisation parmi nous, assez longtemps après que leur
auteur avait été proclamé citoyen de la république française par un
décret de la Convention nationale (16 août 1793) (t).
Lorsque M^^^de Staël publia son livre de l'Allemagne, Schiller était
encore peu connu et médiocrement apprécié en France ; présenté
par des hommes de lettre^ assez obscurs, qui ne possédaient ni la
délicatesse de goût , ni la supériorité de talent nécessaires , pour
recommander d'une manière suffisante à un public étranger les
(') Sons le nom de GiUer (GilèB?). Lorsqu'il reçat son broYOt, en 1705, il
remsrqos que tons les membres de la GonYontion qui TsYaient signé avaient tous
péri de mort Yiolente, et le décret n'avait pas même trois ans de date! (BAjukim,
Mélangé Aiff , «f iîll, , tom. ni).
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MARIE STtJART. iSS
œafres dont ils 8*étaient feits les Interprètes 0), il fat enveloppé
dans les préventions de tout genre . dont la littérature allemande
avait été l'objet jusqu'alors. Cependant son nom se trouvait déjà
associé à ceux de Klopstock, de Gessner, de Lessing, de Gœtbe, de
Kotzebue, et ses drames étaient une.cbose dont on ne pouvait se
dispenser de parler ; mais la plupart des savants qui s'acquittaient de
ce devoir avec leur rigorisme classique , ne connaissant le poète que
superâciellement et par ouï-dire, ne pouvaient par cela même le
juger avec quelque connaissance de cause.
Nous ne saurions souscrire aveuglément à tout ce que M"* de
Staël a dit de l'Allemagne , dont elle nous fait connaître les princi-
pales productions littéraires ; plusieurs de ses appréciations se res-
sentent évidemment des sympathies ardentes , que cette femme
remarquable professait pour un pays qui était devenu pour elle une
consolation , un refuge assuré dans l'exil , une terre de science et
d'art dans ses besoins d'étude. Cependant il est juste de reconnaître
que ces jugements, par cela même qu'ils sont marqués au coin d'une
certaine naïveté , peuvent être considérés comme le point de départ
des études chaque jour plus approfondies dont la littérature alle-
mande a été l'objet en France • et qu'il convient de faire remonter
jusqu'à elle les rapprochements intellectuels qui se sont opérés entre
les deux pays. Ce fut en quelque sorte sous ses auspices que , déjà
même avant la publication de son livre célèbre • un publiciste distin-
gué, un orateur marquant, qui lui était étroitement uni par les liens
du cœur et de l'esprit , osa s'aventurer dans le domaine de la poésie
pour nous donner le spectacle alors nouveau d'une tragédie emprun«
tée à la scène allemande. Mais il n'était pas facile , c'est Benjamin
Consunt lui-même qui l'affirme, de faire accueillir par le public fran-
çais de 4809 le Wallenstein de Schiller, tel qu'il nous apparaît dans
l'admirable trilogie de ce nom. On n'aurait certes toléré ni une pièce
sans action , comme c le Camp >« ni une action sans dénouement,
comme clés Piccolomini i, ni un dénouement sans exposition,
comme c la mort de Wallenstein. > L'auteur français , ayant à satis-
(') Friebel , Nouveau théâtre allemand, ou recueil de pièces qui ont para avec
succès sur les théâtres des principales capitales de rAIIemagne. Paris, 1788 , 6
^1. , et plus tard en collaboration avec M. de Bonneville , i2 vol. Paris, 1785.
LamartelUère , théâtre traduit. Paris, 1799.
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i36 RBVUIS D'aLSAGE.
faire à la fois aux exigences de notre tbéâtre classique et au go6t de
ses lecteurs , crut devoir fondre les trois pièces en une seule ; il
retranche bien malgré lui ces scènes si populaires et si frappantes de
vérité où Schiller fait agir et parler de simples soldats, et celte autre
si émouvante» où les généraux assistent à une fête donnée par Terzky,
ainsi que celle du 5* acte » où Wallenstein voit se briser tout-à-coup
la chaîne à laquelle est suspendu son ordre de la Toison d'or. Des
scrupules de ce genre le déterminèrent, en outre, à mettre en récit
d'autres scènes pleines d'intérêt \ dont il lui était impossible de se
passer entièrement , et a aborder ainsi recueil si dangereux du récit
afin de sauver ce qu'il regardait comme la dignité de la pièce. Ce
n'était donc plus le Wallenstein de Schiller qu'on offrait ainsi irans-
formé aux regards du public français. Non-seulement les 48 person-
nages se trouvaient réduits à iâ, mais encore pas une seule scène
de la pièce originale n'avait été conservée en entier, et celles qui
avaient été retranchées , se trouvaient remplacées par d'autres aux-
quelles Schiller n'avait pas même songé. Pour approprier ce héros
de la guerre de Trente ans à notre scène française • il eût suffi peut-
être de le montrer travaillé à la fois par l'ambition et les remords ;
mais il importait à Benjamin Constant de respecter le Wallenstein de
l'histoire, tel que le dramaturge allemand l'avait conçu, dévoré par
une ambition démesurée et en même temps superstitieux à l'excès»
incertain dans ses allures , parfois inconséquent, et jaloux des succès
remportés par des étrangers sur le sol de la patrie. Il n'ignorait sans
doute pas qu'en suivant cette voie, en nous présentant son héros,
se livrant aux aberrations de l'astrologie, il s'exposait à attirer sur
lui les foudres du ridicule , mais il crut devoir cependant conserver
au domaine dô la poésie certaines faiblesses du grand homme , qui
ont leurs racines dans le cœur humain. Que n'eûl-il également res-
pecté l'amour de Thécla , tel que Schiller l'avait conçu , cet amour
qu'il a si bien analysé lui-même comme quelque chose de sacré »
comme une émanation de la Divinité même , comme l'accomplisse-
ment de la destinée de l'homme sur cette terre ! Mais introduire ainsi
sur notre scène ce qu'il appelle le mysticisme allemand , c'eût été
entreprendre une tâche par trop ardue.
Le Wallenstein de B. Constant n'est point, comme l'a prétendu à
tort M°^* de Staël , une œuvre de premier ordre ; nous croyons » au
contraire, que cette pièce est d'une valeur assez douteuse, car les
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MARIE STUART. i57
vers ipanquent d'barmonie et les rimes en sont dures ; c'est plutôt
une élude, une ébauche» qu'un poëme. Mais ce travail a une certaine
iroportaoce littéraire, puisque c'est par lui que nous avons appris à
connaître Schiller non plus comme homme, « ami de la liberté et de
la fraternité du genre humain '>, mais comme auteur dramatique. A
partir de ce moment , ses drames furent accueillis avec une bienveil-
lance plus marquée et plus sincère , et les précautions que l'ont crut
devoir prendre encore , doivent être attribuées en grande partie à
l'empire de préventions antérieures qui ne pouvaient s'effacer que
lentement.
Si le Wallensteia de B. Constant nous apparaît comme une imita-
tioD timide , la Marie Stuart de Lebrun ne pèche plus que par une
circonspection exagérée, mais qui s'explique par les circonstances
au milieu desquelles elle parut. Cet auteur, qui ne déguisait pas du
reste ses sympathies pour le drame romantique , se trouvait en pré-
sence d'un public prévenu» exigeant, chatouilleux, qui rejetait systé-
matiquement les termes trop familiers , ainsi que les situations et les
caractères qui lui paraissaient ou trop simples ou trop naturels ; de
là les périphrases par trop fréquentes , auxquelles il dut recourir, et
qui ne purent le soustraire tout-à-fait aux rigueurs d'une critique
pédantesque et passionnée (i).
Parmi les nombreuses modifications que Lebrun fit subir à la pièce
de Schiller, il en est une surtout qui mérite d'être signalée, et qui
concerne Leicester, un des principaux personnages. Sans cette licence,
que les circonstances seules peuvent excuser, le drame français serait
{*) On attaqua, par exemple , le mot chambre et il (kUat que le Globe, qui
était alors l'organe de l'école romanUque, remontât jusqu'à Racine , pour justifier
cette expression :
« De princes égorgés la chambre était remplie. » (ÀthaUe).
Si ce mot put être sauvé , il n'en fut pas de même d'un autre qui scandalisa les
oreilles classiques des auditeurs :
< Prends ce don , ce mouchoir , ce gage de ma tendresse ,
« Que pour toi de ses mains a brodé ta maltresse. «
Lebrun , cédant à des instances réitérées, remplaça ces deux vers par deux
antres qu'on Ht aujourd'hui dans la plupart des éditions de sa Marie Stuart.
« Prends ce don , ce tissu , ce gage de tendresse ,
« Qu'a pour toi de ses mains embelli ta maîtresse. »
(Act. V , Se. III),
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138 REVm D'àLSàGB.
peut*étre tombé dès ia première représentation , et il faut savoir gré
au grand acteur, chargé de ce rôle , de la finesse d'observation et de
la présence d'esprit dont il fit preuve , et par lesquelles il réassit à
conjurer la catastrophe. On était arrivé au 4* aae, où Leicester
ordonne aux gardes d'arrêter Mortimer ; le parterre indigné de tant de
bassesse se soulevait déjà d'un commun accord , et la pièce courait
de grands dangers , lorsque Talms^ domina le tumulte par un geste
admirable , donnant ainsi Tordre de faciliter en secret l'évasion de
celui qu'il venait de faire arrêter aux yeux de tous. L'auteur crut
devoir accepter ce changement improvisé pendant la représentation
même , et quoiqu'il sentit fort bien qu'il n'était nullement en harmo-
nie avec le caractère que Schiller attribue à Leicester, il ajouta pour
les représentations suivantes ces vers qui terminent le 4« acte :
Seymour (*), écovte. Sois discret I
Saave ce malheureux ; qu'il s'échappe en secret.
De ce soudain éclat l'apparence publique
N'est rien ici qu'un voile , et sert ma politique.
Qu'il s'échappe et se hAte , et sans perdre de temps
Assemble ses amis cette nuit , je l'attends ,
Cette nuit. Va, cours, vole.
Lebrun avait compris qu'en France on ne lui pardonnera pas d'a-
voir fait un acte entier sur une situation déjà décidée, et cette consi-
dération le décida à continuer l'action et à rendre par là à sa tragé-
die cette attention soutenue et cet intérêt vraiment dramatique »
auxquels Schiller semblait avoir renoncé pour produire des émotions
purement lyriques. C'est Mortimer qui doit servir à prolonger l'ac-
tion ; son nom doit éclairer comme d'un rayon d'espoir toutes les
terreurs de l'échafaud. Ce jeune enthousiaste a su se soustraire aux
coups de Leicester; animé du désir de délivrer la royale captive, il
s'avance avec une poignée d'amis , par des chemins détournés » vers
le château de Fotheringay. Déjà ils ont franchi la porte de la seconde
enceinte, lorsqu' enveloppés tout-à-coup par les soldats de Burgleigh,
ils périssent jusqu'au dernier à la suite d'une lutte désespérée. H faut
convenir que cet arrangement est préférable à celui de Schiller; mais
{*) Seymour est un confident qui parait déjà au â« acte , et que le poète a cru
devoir introduire dans la pièce pour donner au public quelques explications deve-
nues nécessaires par l'abandon de plusieurs scènes de Schiller.
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MARIE STUART. 159
éuût-il bien nécessaire de transformer de la sorte cette partie du
drame » où le poète allemand a dépeint d'une manière si admirable
nne longue suite de douleurs et de sacrifices ?
Il en est de même de presque tous les autres changements ; on
peut dire avec quelque raison que le poète français a procédé près*
que partout avec autant de jugement que de goût» et qu'il n'a pas
altéré dans son essence même la tragédie qu'il s'était proposé de
reproduire. Ainsi , pour ne citer qu'un exemple, il n'aurait pu, quoi-
qu'on dise M"^ de Staël , imiter d'un bout à l'autre la scène de la
confession et de la communion , sans s'exposer à des critiques plus
ou moins acerbes » et cependant- il y a daos cette scène un charme
indéfinissable, celui que la piété et la dévotion sincère doivent néces-
sairement exercer sur tous les cœurs. En chargeant Melvil lui-même
de prononcer la bénédiction réclamée par Marie , sans y mêler le
riduel de l'Eglise romaine, il a réussi à conserver plusieurs des plus
beaux passages de la pièce allemande , et à ne rien ajouter qui fût
indigne de son modèle. Voici cette scène , telle que Lebrun l'a modi-
fiée, et que certes les critiques allemands ne sauraient ni attaquer,
ni renier, tant elle est émouvante et heureusement amenée :
Marie (m tournant vert ses serviteurs),
Ne pleurez pas. Pour un sort plus heureux
Nous nous retrouTerons quelque jour dans les deux.
J'en ai Tespoir. Je meurs dans la foi véritable ;
Du crime qu'on me fait je ne suis point coupable.
Puisse de mes erreurs Dieu ne pas me punir !
Melvil , pour m'en absoudre , ah ! daignez me bénir.
Le ciel aux cheveux' blancs donne ce droit suprême ,
Le pardon d'un vieillard est celui de Dieu même.
Vons, qu'il me semble exprès envoyer en ce lieu ,
Jadis mon serviteur , soyez celui de Dieu ;
Devenez son ministre et son saint interprète ;
Et , comme devant moi se courbait votre tête ,
Abaissant devant vous mes yeux humiliés ,
C'est moi qui maintenant me prosterne à vos pieds.
Melvil {avec autorité).
Marie , autrefois reine et maintenant martyre ,
Lorsque le roi des deux du monde vous retire ,
Allez vers lui sans peur : l'or pur est éprouvé ;
De la paix du Seigneur l'instant est arrivé.
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140 REVUE D*ALSACE.
Coupable seulement des erreurs d'une femme ,
Vos fautes dans le ciel ne suivront pas votre ftme ;
Et quiconque vers Dieu s'élève avec amour,
N'emporte rien du monde au céleste séjour.
Adieu. Qu'un saint espoir en mourant vous soutienne !
Allez ; je vous bénis : partez , Ame chrétienne !
Dieu s'avance lui-même au-devant de vos vœux,
Et le pardon sur vous descend du haut des deux.
(Ad. V, Se. II).
Schiller, si dignement introduit sur la scène française , y resta au
répertoire pour être accueilli par de nouveaux applaudissements »
lorsaue Rachel, avec son merveilleux talent, fut appelée à reproduire
le rôle de Marie Stuart. Dès lors aussi commença en France une nou-
velle ère pour la littérature allemande ; alliée avec le romantisme
pendant tout le temps que dura la lutte entre deux écoles rivales ,
elle fut accueillie avec estime et empressement , et l'étude sérieuse
qu'on en a faite de nos jours, la libre appréciation et la critique sin-
cère dont âes chefs-d'œuvre ont été l'objet , ont contribué à dissiper,
avec l'ignorance et le dédain d'autrefois , tous les anciens préjugés
soulevés contre Schiller et les autres poètes d'0'utre-Rhin.
Cette digression, qui paraîtra peut-être oisive et trop longue, nous
a paru nécessaire pour faire apprécier à sa juste valeur la traduction
de M. Braun. S'il est vrai de dire que certaines difficultés , contre
lesquelles B. Constant et Lebrun ont eu à lutter, n'existent plus à
l'heure qu'il est, les limites que ces auteurs s'étaient tracées étaient
cependant de nature à leur assurer une certaine liberté dont ils pou- .
vaient amplement proûter pour rendre leur tâche plus facile : par
cela même qu'ils se sont vus forcés de composer en quelque sorte
avec les préventions et les exigences de leur époque , n'ayant pas à
saisir leur modèle corps à corps, ils ont pu, imitateurs timides et
circonspects , éviter bon nombre d'obstacles qui devait nécessaire-
ment arrêter un interprète aussi consciencieux et aussi fidèle que
l'honorable Président du Directoire. M. Braun n'a pas reculé devant
rénorme différence qui existe entre les deux idiomes ; la langue de
Schiller, avec son caractère synthétique et sa richesse d'expression à
peu près illimitée, offre parfois des difficultés pji*esque insurmontables
pour notre langue, qui est plutôt analytique, et qui, avec son trésor
'de mots beaucoup plus restreint, a toujours à s'enquérir du mot
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MARIE STUART. i41
propre. Pour iraduîre de Tallemand eo français, on ne peut guère se
passer de périphrases , qui offrent presQuè conslammenl un danger
sérieux . celui de faire violence aux beautés de la poésie. D'ailleurs,
il est à remarquer que le drame allemand , se rapprochant en ceci
de la simplicité antique , ne met pas uniquement sur la scène des
héros, des rois, des personnages illustres, en un mot, mais aussi des
hommes du peuple , des pécheurs et des prêtres , comme dans Guil-
laume Tell, des simples soldats, comme d*ans Wallenstein; il y a là
des détails très-naturels, très-beaux par leur simplicité, qui ne cho-
queront pas un compatriote de Schiller, qui n'auraient pas choqué
un compatriote d'Homère , mais qui ne peuvent entrer que fort diffi-
cilement dans nos vers français , qui n'y entreront en tous cas que
grâce à un art merveilleux. Qu'on ajoute à cela la contrainte de la
rime et les autres exigences de la versiâcation , et l'on comprendra
que tous ne sont pas appelés à traduire ces vers sonores et mélo-
dieux, ce langage brillant et plein de beautés poétiques, cesépithètes
si belles, dans la composition et le choix desquelles se révèle surtout
le riche génie de Schiller. Renoncer à toutes ces beautés pour se
contenter d'une traduction en prose , fût-elle aussi bien faite que
celles de Marniier et de Régnier , ce serait • à notre avis , dérober au
poète la moitié de son charme ; on dirait des fleurs privées de leur
plus précieux parfum. Tel parait avoir été le sentiment de M. Braun ,
lorsqu'il s'est mis à l'œuvre • et nous le remercions de ce travail de
pur délassement , comme il l'appelle ; la critique l'accueillera , nous
n'en doutons pas un instant, avec estime et empressement, comme
une production littéraire très-distinguée.
Le succès est d'autant plus certain que cette nouvelle traduction
nous a paru dégagée de quelques légères imperfections , qu'une cri-
tique trop minutieuse, selon nous, aurait pu trouver 'dans les autres
drames qui ont paru en 1858. Tout le monde saura gré. à l'auteur
d'avoir repris un travail qu'il semblait avoir abandonné depuis plu-
sieurs années, et où il a su .déployer jusqu'ici, avec une grande intel-
ligence des beautés de son modèle , une précision remarquable , un
goût délicat , une diction pleine d'élégance et une grande facilité de
versification. Nous le félicitons surtout d'avoir bazardé, comme il
veut bien le dire, Marie Stuart devant une publicité plus grande ; si
les trois autres drames. Don Carlos, GuillauTnc Tell et Jeanne d'Arc,
u*ont pas été l'objet d'éloges plus nombreux , il convient d'attribuer
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142
RETUE D'ALSACE.
celte réserve de la part d*uo public tout-à-fait sympathique au mode
de publicatioii» auquel l'auteur avait cru devoir d'abord s'arrêter.
Qu'il nous soit permis , en terminaot, de citer un passage qui nous
a paru un des mieux rendus ; c'est celui où Marie Stuari jouit du
bonheur d'échapper pour quelques instants aux murs de sa prison.
Nous le préférons à l'imitation de Lebrun , quoique cet auteur ait su
conserver le ton lyrique de son modèle; les lecteurs apprécieront:
TRADUCTION DE M. BRAUN.
Anna.
Courir ainsi! Vos pieds ont des ailes,
jecroi.
Jamais je ne pourrai vous suivre. Atten-
dez-moi.
De<«ette liberté nouvelle ,
Anna, laisse-moi m'enivrer I
J'ai besoin , heureuse par elle ,
Comme un enfant de folâtrer.
— Sois enfant toi-même — 0 verdure ,
Sur tes tapis , à l'aventure ,
Comme Toiseau je veux courir !
Rêvé-je ? Ma prison obscure.
Est-il vrai qu'elle ait pu s'ouvrir?
Que ma tombe au jour m'ait rendue ?...
— A longs trails , Anna , laisse-moi
Respirer , dans cette étendue ,
L'air du ciel, qu'enfin je revoi !
Anna.
C'est toujours la prison , 6 ma chère
maltresse ,
G'esit un peu plus d'espace , hélas ! qu'on
vous y laisse.
Si vous n'en vojez pas les murs , c'est
seulement
Que le feuillage épais les cache en ce
moment.
Marib.
A ces arbres amis , grâces au soin qu^ils
prennent.
De celer à mes yeux les murs qui me
retiennent ?
De liberté je yeux rêver, et de bonheur !
Pourquoi donc me tirer de cette douce
erreur ?
De la voûte du ciel je suis environnée ;
IMITATION DE LEBRUN.
Anna.
Modérez de vos pas l'empressement
extrême.
Je ne vous connais plus, revenez à
YOtts-méme.
Où courez-vous, Madame?
Marie.
Ah I laisseHBoi jouir
D'un bonheur que je crains de voir s'é-
vanouir.
Laisse mes libres pas errer à l'aventure.
Je voudrais m'emparer de toute la nature.
Combien le jour est pur ! que le del est
serein!
Ne sommeillé-je pas? n'est-ce qu'un
songe vain ?
A mon cachot obscur suis-je en effet
rarie?
Suis-je de mon tombeau remontée à la
vie?
Ahl d'un air libre et pur laissennoi
m'enivrer.
Anna.
Madame, où votre esprit va-t-il s'égarer?
Hélas 1 la liberté ne vous est pas rendue ;
La prison seulement s'ouvre plus éten-
due.
Mark.
Eh bien ! épargnennoi de trop barbares
Et'si ce n'est qu'un songe , ah ! laisse-
moi du moins ,
Soulevant un moment ma chaîne dou-
loureuse ,
Rêver que je suis libre et que je suis
heureuse.
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MARIE 8TUART.
443
Sur le taste horixoD ma vue est ramenée;
Au pied des monts brumeux dont jV
perpois , là-bas ,
Les grisâtres sommets , commencent
mes Etats ,
Et volait Ters le Sud dans cet espace
immense ,
Ces nuages s*en vont chercher les murs
de France !
Voiliers des airs , légers nuages ,
Heureux qui pourrait avec tous
Accomplir vos libres voyages !
Allez vers ces climats si doux ,
Témoins des jours de ma jeunesse ;
Saluez-les avec tendresse !
Ici , je suis sous les verroùx ;
Vous seuls , vers ces heureux rivages ,
Vous pouvez porter mes messages.
Dans les airs que vous traversez ,
Aucune main ne vous enchaîne ,
Et sous le joug de cette reine ,
Ba moins , vous n'êtes point placés I
AlOfA.
Vous n'êtes plus à vous , ô ma chère
maltresse 1
C'est de l'égarement qu'une telle allé-
gresse«
Après les ans si longs de la captivité,
Vous ne supportez plus un peu de liberté.
Marib.
Un pêcheur, là-bas , au rivage ,
Fixe sa barque en ce moment ?
De son métier pauvre instrument ,
Qu'elle pourrait rapidement
Me conduire à Thenreuse plage
Où l'amitié m'accueillerait !
Ce frêle esquif me sauverait !
A son possesseur il n'assure
Qu'une cbétive nourriture
— Pêcheur I de l'or plein ton bateau ,
Et tu n'auras fait de ta vie
Un coup de filet aussi beau ,
Si , grâce à toi , je suis ravie
A la prison de ce château !
Ne peux-tu pas m'êlre propice ?
Ne pni»-je pas , pauvre pêcheur ,
Te faire trouver le 'bonheur
Dans U barque libératrice ?
Anna.
Inutfles souhaits! N'apercevez-vous pas,
Au loin , les surveillants attachés à vos
pas?
De vous voir on a fait la sinistre défense,
Et qui pourrait vous plaindre est écarté
d'avance.
Ne respiré-je pas sous la voûte des
' cieux ?
Un espace sans borne est ouvert à mes
yeux.
Vois-tu cet horizon qui se prolonge im-
mense?
C'est là qu'est mon pays ; là , l'Ecosse
commence.
Ces nuages errants qui traversent le ciel.
Peut-être hier ont vu mon palais patei^
nel.
Ils descendent du Nord , ils volent vers
la France.
Oh ! saluez le lieu de mon heureuse
enfance !
Saluez ces doux bords qui me furent si
chers!
Hélas! en liberté vous traversez les airs.
Anna.
Madame !
Marie.
Je ne sais , mais de ma délivrance
En revoyant le ciel j'ai repris l'espé-
rance.
Anna.
Dans votre aveuglement vous n'aper-
cevez pas
Que de loin en secret on surveille vos
pas.
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iU
REVUE D'ALSACE.
Marie.
Non , non , ma cbère Anna , ce n'est pas
sans raison ,
Crois-moi , que s'est enfin ouverte ma
prison.
Si je goûte aujourd'hui cette faveur
D'un bonheur plus complet elle est la
messagère.
Je ne me trompe pas ; à l'amour je la
dois :
C'est la main de Dudley , c'est elle que
j'y vois !
On veut que par degrés ma liberté s'é-
tende ;
Après chaque faveur, m'en faire une
plus grande ,
Jusqu'à l'heureux moment où celui qui
rompra
Mes chaînes pour toujours, à mes yeux
paraîtra /
Anna.
Quel contraste, grand Dieu I Je ne puis
le comprendre :
Hier, votre arrêt de mort qu'on vous
faisait entendre;
Aujourd'hui, tout-à-coup, autant do
liberté!....
Hélas! aux malheureux que pour l'é-
ternité ,
On entend délivrer et dont l'heure est
prochaine ,
A ceux-là , m'a-t-on dit , on aie aassi
leur chaîne !
Marie.
Les entends-tu , ces cors de chasse ?
Ils ont , de leur puissante voix ,
A travers les champs et les bois ,
Jeté leur appel dans l'espace.
Oh ! que ne puisrje m'élancer
Sur l'ardent coursier, libre , heureuse ,
Et • dans cette troupe joyeuse.
Les prés, les bois , les traverser !
— Encore , encore ! — 0 voix connue ,
Qui m'es jusqu'ici revenue
Comme un triste et doux souvenir ,
Vers moi continue à venir !
Dans mon Ecosse bien-aimée ,
Combien de fois je lus charmée
A ton bruit qui retentissait ,
Quand , ardente à la noble guerre ,
A travers la haute bruyère
La chasse en tumulte passait I
(Acte III , Scène 1).
Sira9bourg , le iSjaiwwr 1861.
Marie.
Non , ce n'est pas en vain , mon cœur
me le présage «
Que de ma liberté l'on me rend quelque
usage.
Crois-moi , ma cbère Anna , cette simple
faveur
Me mène par degrés vers un plus grand
bonheur;
J'y sens de Leicester la main puissante
et chère.
Ma prison chaque jour deviendra moins
sévère ,
Ma liberté plus grande et mes liens
plus doux.
Jusqu'au jour où lui-même il doit les
^rompre tous.
Anna.
Je voudrais l'espérer ; mais j'ai peine à
comprendre
Qu'après l'arrêt fatal qu'on vient de nous
apprendre ,
Libre
Marie.
Entends-tu ces sons et ces lointaines
voix
Dont la chafise bruyante a rempli tous
les bois ?
Anna , les entends-tu ? Que ne puis-je
sans guide
M'élancer toutrà-conp sur un coursier
rapide!
Que ne suis-je emportée à travers les
forêts 1
Ces sons tristes et doux ont ému mes
regrets;
Ils m'ont soudain rendue aux monts de
ma patrie.
(Act. m , Se. I).
Ed. Goguel.
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X. HOMMAIRE DE HELL.
ÉTUDE BIOGRAPHIQUE.
Suite et fin (*).
En mettant les pieds dans la capitale des schahs de Perse » Hom-
maire de Hell eut une de ces déceplions poignantes, un de ces serre-
ments de cœur qui réagissent avec violence sur une affection fortement
concentrée comme la sienne. Son corps éiait en Asie et sa pensée en
Europe. Il eût voulu , à chaque station , dans ces régions lointaines ,
trouver une boite aux lettres qui renfermât une missive de sa femme.
A Téhéran, où il comptait en trouver une collection, et s'en faire un
baame pour les souffrances d'une longue route , il ne rencontre que
le supplice de l'attente. L'attente , longtemps déçue , rend injuste
envers ceux qu'on aime. Elle ne transige guères avec la distance ,
avec les obstacles , avec les impossibilités matérielles. L'idée fixe vient
se cogner sans cesse contre la froide muraille élevée par l'absence
entre deux êtres qui n'en font qu'un par l'affection et que le destin
ballotte en sens inverse* c Je voudrais pouvoir anéantir mes souvenirs
pendant quelques mois. Aussi , il me tarde de quitter définitivement
tout ce qui me rappelle l'Europe. Je n'ai pas même voulu lire les der-
niers journaux. Voilà où j'en suis arrivé (i). > C'est ainsi que se tra-
duisait la prostration morale de cet homme , si fort du reste , mais si
sensible aux épreuves du cœur , les plus cruelles de toutes.
La réception simultanée de six lettres de sa femme vint faire une
f) Voir lés livraisons d'août, septembre, octobre, décembre 1860 et février
1861 . pages 337 , 3S5 , 469 , 5S9 et 69.
{*) Correspondance inédite d*Uommaire de Hell. »
i- Série. -.2- Année. iO
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146 REVUE D'ALSIGB.
heureuse diversion à ce marasme moral et rendre toute leur élasticité
aux ressorts d'un esprit trop tendu.
Hommaire était entré au palais de France la veille du jour où le
comte de Sartiges devait y faire inaugurer notre drapeau national , à
Foccasion de sa nomination comme envoyé extraordinaire à la cour
de Perse. Son journal rapporte naturellement la cérémonie qui eut
lieu à ce sujet et qui empruntait quelque chose de piquant à TalUlude
des missions de Russie et d'Angleterre où Ton se berçait de Fespoir
que jamais le drapeau tricolore ne flotterait à Téhéran.
Notre voyageur eut bientôt fait connaissance avec le personnel
européen de la mission de France et des ambassades de Russie et
d'Angleterre. Le prince Dolgorouki , surtout , devint pour lui un ami
et ses relations avec ce vieux diplomate lui firent voir le fond de bien
des choses dont d'autres ne peuvent voir que la surface. Une autre
connaissance précieuse fut celle du général Sémino , officier piémon-
tais au service du gouvernement persan , qui , parmi ses nombreuses
campagnes, compte le siège d'Hérat et joint à la bravoure du soldat
la science de l'ingénieur militaire.
Le ii février Hommaire de Hell fut présenté au schah Mohamed
par le ministre de France. Cette réception chez le couûn de la lune ,
quoique dépourvue d'apparat, est chose assez originale pour que j'en
mette la description sous les yeux du lecteur :
c Après avoir mis pied ù terre en face du palais , nous passâmes
devant une sentinelle couverte d'une fourrure en guenilles, pour
suivre de longs corridors fort sales , au bout desquels on trouve une
large cour ornée de beaux platanes et entourée de nombreux corps
. de logis. Il nous fallut ensuite pénétrer dans un labyrinthe de galeries
enfumées avant d'arriver dans une seconde cour au centre de laquelle
est un joli pavillon. C'est dans un bâtiment situé au fond de cette
cour qu'ont lieu les réceptions du roi en hiver.
c Après quelques minutes d'attente, le maître des cérémonies nous
introduisit près de Sa Majesté , qui , au moment de notre entrée , se
balançait dans un fauteuil américain. Un autre fauteuil , placé à six
pas du sien , était destiné à notre ministre qui, depuis sa nomination,
jouit du privilège de s'asseoir devant celui auquel l'univers doit obéir (*).
c J'avoue que tout ce que je vis alors fut loin de réaliser les idées
(7Titre placé en tète des actes émanés de Sa Mijesté persane.
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X. HOMIIAIRB DE HELL. 147
qne j'apportais dans celte visite. Sa Majesté » enveloppée dans une
robe de cachemire , portait le txwnet caractéristique de sa tribu.
Qaant au salon , rien de, plus simple que son ameublement. Le prin-
cipal ornement était le portrait de Napoléon , entouré de quelques
antres représentant Âbbas-Mirza , le sultan Mohammed , Méhémet-
Ali» etc. Plusieurs médaillons contenaient les portraits de Louis-
Philippe et d'autres membres de la famille royale. Â part les . deux
fauteuils, on ne voyait aucun meuble dans cette pièce dont le sol était
recouvert d'un tapis de cachemire. Je fus placé à la droire du comte
qui avait à sa gauche M. Nicolas (>) et M. Laurens. De même que ma
présentation à Âbdul-Médjid , celle-ci fut d'une simplicité charmante
et ne rappela nullement ces formes d'étiquette orientale encore en
vigueur il y a quelques années et si humiliantes pour les Européens.
Le roi mit dans son accueil une bienveillance et une gracieuseté
remarquables, il s'informa de l'état de ma santé , me parla de mes
voyages et parut accepter avec plaisir l'hommage de l'album des
Steppes de la mer Caspienne qui lui fut présenté par M. Nicolas. Il le
parcourut immédiatement avec un vif intérêt , demandant des expli-
cations qui annonçaient une connaissaDce étendue des lieux et de la
géographie : le souverain le plus instruit de l'Occident n'aurait pas
lait mieux. L'album de M. Laurens eut son tour et fut parcouru avec
d'autant plus de plaisir que Sa Majesté se retrouvait dans ses Etats.
EnGn, l'audience dura plus d'une heure» ce dont le comte de Sartiges
ne pouvait revenir. En nous donnant congé , le roi , â la prière du
comte , promit à M. Laurens de poser devant lui , faveur tout-à-fait
en-dehors de ses habitudes royales, i (^)
Une autre visite non moins intéressante suivit celle-ci : elle fut pour
le premier ministre ou le Hadji , type curieux dans lequel se person-
nifiait le pouvoir et dont le masque oflQciel , pétri de sourires et de
débonnaireté , avec un mélange de raillerie , cachait une immense
ambition. Avec son bonnet pointu , ses traits étirés et sou regard
profond y ce petit homme ressemblait à un vrai magicien. Il égaya
beaucoup nos visiteurs par ses observations critiques sur les dessins
de M. Laurens et finit par céder à la prière de l'artiste qui lui demanda
de faire son portrait.
{,*) Chancelier et drogman de la mission de Frai^ce.
(*) Voyage en TurquU et m Perse , tome m , page 121.
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118 IlEVUE d' ALSACE.
Toui ce qae notre voyageur put voir à Téhéran , hommes et choses»
depuis le haut jusqu'au bas de Téchelle . lui donna une triste idée de
ce pays et surtout de sou gouvernement, c C'est « dit-il, l'adminis-
tration la plus extravagante qui ait jamais eiisté , surtout en matière
de finances. Les employés sont généralement tous en arrière de quatre
à cinq ans pour la solde de leur traitement et toute leur vie se passe
à faire des démarches pour être payés , au lieu de s'occuper des
affaires du pays. > (i) L'aspect misérable de la capitale de la Perse est
peu fait pour relever ce pays aux yeux des étrangers : sauf le palais
du souverain et celui de la mission de France qui est remarquable ,
on n'y voit que de tristes échoppes . des maisons construites en terre
encadrant des rues malpropres , effondrées et semées de trous qui les
rendent impraticables la nuit.
Un séjour assez prolongé ù Téhéran , dû au mauvais état de sa
santé, permit à Hommaire d'étudier les rouages de l'administration
publique en Perse , l'organisation de l'armée et des arsenaux, les
mœurs et les usages , comme aussi les arts de ce peuple singulier.
Ce qu'il dit du gaspillage Gnanciei" et des exactions dont sont victimes
les malheureux soldats suffît pour apprécier la moralité du gouver-
nement d'alors.
c Les soldats, après une vaine attente d'argent comptant, finissent
d'ordinaire par accepter de leurs chefs des bons qu'ils vont présenter
aux marchands , lesquels s'entendent avec les chefs comme larrons
en foire et ne prennent ces valeurs qu'à des conditions qui en remon-
treraient à tous les usuriers du monde. Dès qu'ils sont en possession
d'un certain nombre de traites, ils s'adressent à leurs compères qui
parviennent presque toujours à les faire solder par le Gouverne-
ment. > (<)
Le 20 mars , veille de Téquinoxe du printemps , Hommaire eut
l'occasion d'assister aux fêtes brillantes du Neurquz qui se célèbrent
chaque année au jour du passage du soleil dans le signe du Bélier.
Ce jour est le premier de l'an en Perse. Nous trouvons dans le journal
du voyage une /description complète de ces fêtes et des visites offi-
cielles qui se font le lendemain au Sélam du roi. Hommaire fut témoin
de toutes les évolutions de cette haute comédie gouvernementale où
(*) Lettres inédites d'Hommaire de Hell. Téhéran , 2 mai 1848.
(•) Voyage m Turquie et en Perse, tom. ni, p. 473.
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X. HOMMAIRE DE HCLL. iM
&*aflliche un luxe vraiment asiatique. Le badji ou premier ministre
l'aperçut dans la foule et vint lui offrir une poig^née de tchaïs (petite
monnaie frappée exprès pour le ^eurouz) » en lui disant : c Je souhaite
que cela vous porte bonheur. » Le schah , couvert d'une robe de
brocart jaune , taillée à la persane , et d'un diadème surmonté d'une
aigrette de pierreHes , était assis dans un fauteuil , ayant à ses côtés
des vases de fleurs enrichis de diamants. Tout son corps ruisselait de
rubis , d'émeraudes , de perles. Il apparut à Hommaire comme une
idole indienne parée des dépouilles de plusieurs royaumes. Dans cette
grande solennité défilèrent devant le schah tout ce que Téhéran et sa
province renferment de princes , de gouverneurs, demoustofis, de
chefs civils et militaires, de fonctionnaires grands ou petits , jusqu'aux
bourreaux armés d'un faisceau de verges. Dans cette masse bigarrée,
se détachaient nne foule de chefs turcomans , à^ la physionomie mon-
gole formant contraste avec le type persan. La (été se termina par le
ragoût populaire ' des spectacles et divertissements dont ce grand
enfant , qui s'appelle la foule, est toujours si friand. C'étaient des
tours d'équilibristes , des exercices d'acrobates, de lutteurs, des
farces de comédiens , des singes savants , des marionnettes et même
Polichinelle, le vieux et toujours frétillant Polichinelle qui s'est
transplanté jusqu'au fond de l'Asie.
A l'occasion du Neurouz , le roi fit remettre à notre voyageur un
châle cachemire valant environ 40 tomans (i). Le côm'te de Sartiges
en avait reçu deux magnifiques , valant chacun 15,000 francs.
La santé d'Hommaire s'éiant améliorée , il se met en route avec le
général Sémino et le colonel Golombari , Piémontais attaché au ser-
vice du schah , pour aller étudier le cours du Chahroud dont on se
proposait d'amener les eaux à Téhéran. Ils explorèrent les chaînes de
montagnes courant parallèlement et arrivé au point où devait s'effec-
tuer le percement , Hommaire étudia la ligne du canal à construire.
En rentrant à Téhéran , le 7 avril , il rédigea ses notes qu'il fit traduire
en persan et remettre au premier ministre. Comme trait de mœurs
qui fait honneur au caractère hospitalier des habitants de la cam-
pagne , il releva cette particularité qu'à l'entrée de chaque village ,
une nombreuse dépulation venait offrir aux voyageurs un mouton
que le ketkoudar ou maire du village portait lui-même.
(*) Le toman vaut 10 francs.
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150 REVUE D'ALaACB*
Le même jonr » 7 avril « Sommaire de Hell s'était pressé de rentrer
à Tébérao* agité qa*il était par le pressentiment de graves ncavetles.
Il avait fait presque toute la roule au galop » et, à peiae rentré au
palais de France » il est accueilli par ces mots : louû-Pfctitppe a
abdiqué; la République en proclamée en France l Le journal et la
correspondance particulière du voyageur rapportent » sous des cou-*
leurs assez piquantes, les impressions diverses que produisit cette
grande nouvelle sur les personnages oflBciels au milieu desquels U
vivait. Chacun de commenter la révolution à son point de vue.
c Le comte de Sartiges » en vrai gentilhomme qu'il est r paratt un
peu consterné de ce qui se passe en France. Il nous croit revenus à la
Terreur, et slmagine que notre pays va être morcelé, envahi ,
anéanti
c Je reçois aujourd'hui du général Sémino une singulière confl*
dence, qui me donne beaucoup à penser. Bien avant mon arrivée là»
le comte lui fit défense de me communiquer quoi que ce soit sur la
Perse, renseignements politiques ou scientifiques; et voyant que
cette défense était comme non avenue, il lui dépécha tout dernière»
ment H. Ferrier pour lui exprimer son vif mécontentement et l'en-
gager de nouveau à me refuser toute espèce de documents. Le len-
demain même de cette démarche , le général , sans rien me dire à ce
sujet , mit à ma disposition ses notes , ses plans , ses cartes, tout son
bagage scientifique : ce fut sa réponie à M, de Sarùges. » (i)
Explique qui pourra ces procédés diplomatiques. Ce sont U de ces
petites infirmités qu'on regrette de trouver dans un certain monde ;
elles ne sont que tristes. Que dire de plus? Passons.
' A la suite d'une nouvelle visite chez le premier ministre du schah ,
Hommaire de Hell est pris de violents accès de fièvre. Pendant qu'il
est confiné chez lui , le hadji lui envoie un beau châle cachemire
comme témoignage de reconnaissance pour son excursion au Chah*
roud.
La révolution française iaisait alors le siyet de toutes les conversa-
tions , et la fibre nationale d'Hommaire dut tressaillir quand , couché
sur son divan , en proie au mal qui le dévorait, U entendit prononcer
ces paroles sorties de la bo^che d'un Persan : c La France est un
soleil qui éclaire le monde. >
C) yo^ag9 m Turfui9 «I en Pem , tome m, p. 202.
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X. BOMltAlliB DS HBLL. 151
A la date du 9 mai le journal porte celte ligne dictée par une espé-
rance illusoire : c Ma santé parait vouloir se remettre tout-à-fait. >
Le voyage dans le Mazandéran était résolu sur la foi de cet espoir
trompeur. Une éclaircîe se produit dans l'horizon nuageux du malade:
il en profite pour marcher à de nouvelles explorations. Avant de se
mettre en route, il fait graver sur une pierre fine de Ceylan ces mots
en langue persane , Adèle la bien aimée , et la fait monter en bague^
pour la rapporter à sa femme : charmante attention du cœur qui veut
éterniser dans un bijou la pensée qui le poursuit comme son ombre.
Cette pensée affectueuse lui survit, et celle qui en a été l'objet pos-
sède aujourd'hui le talisman rapporté par une main pieuse.
Un mihmandar , officier du roi , choisi par le hadji lui-même , com-
mande l'escorte qui accompagne Hommaire de Hell dans son voyage
au Mazandéran , c'est-à-dire dans la province qui avoisine la partie
méridionale de la mer Caspienne et du Turkestan. Il s'engage dans
la chaîne de montagnes qui domine le pic de Demavend , où la roule
serpente à travers des gorges rocheuses dépourvues de toute végé-
tation et où la réverbération du soleil double l'effet de la chaleur.
Quelques sommets couverts de neige lui rappellent les souffrances du
Kurdistan. Après avoir franchi la rivière de Zeîdak » la caravane arrive
sur les bords du Lar» rivière fougueuse qui se jette dans la mer Cas-
pienne et qui a donné son nom à la province du Laridjan. La route
est accidentée , et, dans certains endroits périlleuse; les sentiers
sont tracés entre les blocs volcaniques qui surplombent à une grande
hauteur la gorge où roulent les eaux écumeuses du Lar. C'est une
succession d'effets sauvages qui impressionnent Timagination. 11 fallut
de véritables efforts d'équilibriste pour sortir impunément de ces
affreux défilés où, hommes et chevaux, placés à la file l'un del'auire,
ont de la peine à passer et où Hommaire eut la mauvaise chance de
se trouver nez à nez avec une cavalcade de persans à laquelle il fallut
livrer passage. Que Ton juge des complications amenées par cette
situation critique! A quelques pas plus loin il fallut traverser la
rivière sur un pont à moitié rompu , et dépourvu de parapets. Les
chevaux hésitaient à mettre le pied sur ce dangereux appui. Cepen-
dant le cheval du mihmandar ayant donné l'exemple , le reste de la
caravane le suivit. Hommaire de Heil faillit payer bien cher la témérité
de ce passage, c Pour la première fois , dit-il , il m'arrive un accident
qui aurait pu devenir très-grave , mais qui se borne à faire arrêter
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iB2 REVUE D'ALSACE.
mon cbronomètre Vînners. Au beau milieu du poni branlant, mon
cheval ahuri posa le pied de travers , ce qui détermina immédiatement
une chute sur les blocs de rocher qui hérissent le lit de la rivière ,
chuie à nous briser les os. J'ai cru positivement avoir le pied broyé ;
mais , Dieu merci , mon chronomètre seul garde la trace de cet acci-
dent. » (1)
La caravane se repose agréablement dans la fraîcheur d'une forêt
vierge avant de pénéirer dans les plaines basses du Mazandéran .
s'arrête un jour à Amol , dont les toits couverts de chaume ou de
tuiles creuses n'ont rien d'oriental , traverse un pays boisé , d'une
végétation luxuriante • au fouillis inextricable » retrouve la rivière du
Lar qui n'est plus un torrent et débouche à Férékinar où la mer Cas-
pienne apparaît à l'horizon. Hommaire traduit ainsi l'émotion que )ui
cause la vue de cette mer» but de son premier voyage :
c La voilà donc cette mer si longtemps inconnue à FEurope ; qui
tant de fois a servi de thème aux anciens géographes dont l'imagina-
tion l'a peuplée de mille merveilleuses fictions ! Là existait ce mysté-
rieux royaume de Gog et de JUagog , qui figure dans la cosmographie
du moyen âge. Hais , pour moi . cette mer a un attrait bien plus
puissant que le charme attaché à toute chose lointaine et peu connue:
celui du souvenir. But de mon grand voyage de i839 , sa vue me
retrace le moment où nous l'avons saluée pour la première fois»
Adèle et moi.
c Je fais dresser la tente sous un magnifique figuier « où je passe
une heure à me remémorer tous les incidents » toutes les phases »
toutes les espérances de ce premier voyage d'où dépendait mon
avenir. Qui m'eût dit alors que , neuf ans plus tard » je viendrais faire
à cette mer une nouvelle visite en traversant la Perse? Mais je suis
seul aujourd'hui et je n'éprouve qu'une profonde mélancolie à la con-
templer de nouveau. Pour combattre cette pénible impression » je me
mets immédiatement à faire des observations qui s'accordent parfaite-
ment avec les opinions émises dans mon premier ouvrage » ce dont je
suis très-heureux. > (')
On avait dépeint au voyageur, sous des couleurs très-sombres , ce
pays du Laridjan et du Mazadéran qu'il venait visiter et où la chaleur
(*) Voyage en Turquie et m Perte, tome m, p. 252.
(*)Ibid. ,U)mem, p. 244.
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X. HOHMAIRB DE HBLL. i5S
bumide développe cl entretient des miasiiies fiévreux. Il trouve un
pays fertile et plantureox, et aucune apparence^ de fièvre. Sur la foi
d'ouvrages géographiques inexactement renseignés • W^ Hommaire
de Hell avait engagé son mari à se précautionner contre les fièvres et
les chaleurs de la Perse. Il la rassure dans une lettre, datée du 43
juillet, où il taxe les géographies d'exagération en ce qui concerne les
fièvres, c Quant aux chaleurs» dit-il , elles me vont admirablement.
Jamais je ne me suis aussi bien porté que depuis que le thermomètre
indique» presque tous les jours, jusqu'à 36 degrés à l'ombre. Tu sais
depuis longtemps que les climats chauds sont on ne peut plus favo-
rables à ma santé.
c Maintenant . si tu veux avoir le revers de la médaille pour le
Hazandéran , je te dirai que toutes les nuits les chacals ne nous lais-
saient pas un instant de repos ; qu'un de ces coquins s'est même per-
mis de venir enlever un poulet sous notre tente » que les cousins nous
ont fait cruellement souffrir » que les grenouilles nous abasourdis-
saient partout et qu'en tous lieux nous étions assaillis par des myriades
d'insectes de toute nature» de toute couleur» parmi lesquels brillaient
au premier rang les araignées. Que de cris tu aurais jetés à chaque
instant si tu avais été avec nous ! Je ne te parle pas des serpents ,
d'énormes lézards et autres animaux du même genre ^ui inspiraient
une si grande frayeur à M. Laurens. i (^)
Sommaire de Hell écrivait ces lignes quelques semaines avant sa
mort. Bercé encore d'une douce illusion sur l'état tle sa santé » il
s'étudiait à faire partager sa confiance à sa femme que de mortelles
inquiétudes préoccupaient à Hyères où elle avait fixé sa résidence en
attendant le retour de son mari. Elle pressait ce retour » en raison
même des événements politiques qui s'étaient produits en France »
événements qui ajoutaient encore au poids de ses anxiétés. Hommaire»
cette fois » ne céda pas à ce doux appel du cœur : l'honneur de sa
mission primait toute autre résolution. Une longue et gracieuse lettre
que lui écrivit M. Betbmont, ministre du commercé» le décida à
poursuivre.
De Férékinar à Balforouch Hommaire côtoya le mer et recueillit
de nombreuses observations scientifiques et commerciales. Il eut
beaucoup à se plaindre» pendant ce voyage » du mihmandar ou chef de
IV Correspondance inédite d'Hommaire de Hell. — Téhéran » iO jaillet 1848.
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154 REVUE D* ALSACE*
son escorte , dont la stupidité naturelle était doublée d'une bonnd
dose de vices de tout genre , parmi lesquels le vol et le mensonge
marchaient en première ligne. A chaque pas , le voyageur eut à con-
stater de nouveaux exploits de ce digne officier du palais du roi» qui,
à Baifocouch entr'autres, lui joua un tour pendable en faisant man-
quer les dispositions prises pour loger Hommaire et M. Laurens dans
la maison du gouverneur Agha-Mébémei-Khan. Ce dernier se con-
fondit en excuses aui)rès du voyageur pour l'avoir laissé camper hors
des murs et lui envoya sous la tente , comme dédommagement, un
excellent .dîner persan.
Une visite à Tile de Bagh-Schah dans l'étang de Téséki , où se
trouvent les ruines encore imposantes du palais mystérieux et soli-
taire de Scbab-AbbaSy distrait un instant le voyageur qui se remet en
route à travers une contrée marécageuse couverte de joncs et de
nénuphars qu'auiment les cris des oiseaux aquatiques et le coassement
des grenouilles. U arrive ù Sari • ville qui compte 4000 maisons et sert
de résidence au serdar ou commandant des troupes de Mazandéran.
Il subit l'honneur d'un déjeuner que lui offre ce personnage et éprouve
des maux de cœur en le voyant manger, c Accroupi sur le sol, la
tête penchée en avant , de sa main droite il soutient son ventre ,
pétrissant de sa main gauche le pilaw qu'il réduit en boulettes leste-
ment expédiées dans le fond du gosier. Le pain , les viandes • les
légumes « tout est pétri de cette façon, sans que l'auxiliaire d'une
fourchette soit le moins du monde nécessaire. > (t)
Hommaire de Hell put s'assurer à Sari de l'effet produit par la
célèbre phrase de H. de Lamartine dans laquelle il déclare que
toutes les nationalités européennes opprimées trouveront désormais
aide et protection de la part de la France. Un Persan , mécontent
de son souverain , en prit texte pour dire ouvertement devant notre
voyageur qu'on devrait bien renvoyer le roi de Perse comme on a
renvoyé le roi de France.
Ce qui frappe Hommaire dans cette partie de la Perse , c'est l'ad-
mirable végétation , c'est la vigueur exceptionnelle de la terre , c'est
la prodigieuse fertilité que dç nombreux cours d'eau communiquent
au sol , ce sont les orangers > les figuiers, les màriers semés à profu-
(*} Voyage en Turquie et en Perse , tome m, p. 260.
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I. ROMMAIRS DE HELL. iSft
sion partout , (f est encore et surtout cet inextricable mélange de la
nature cultivée et de la nature sauvage qui la déborde, c II n'y a qu'à
vouloir , dit*il ^ pour en faire la province la plus productive de la
Perse. »
Farhabad , misérable bourgade de pécheurs » n*a rien d'attrayant
qu'on palais et une mosquée en ruine. Partout . sur sa rouie . le voya-
geur rencontre des traces du règne splendide de Scbab-Abbas , ce
Louis xiT de la Perse; il campe dans ses jardins aujourd'hui déserts,
à l'ombre de palais en ruine qu'habitent le lézard et la chauve-souris
et où apparaissent , dans un fouillis de verdure , des fragments de
fresques élégantes en émail où le caprice oriental a semé ses fleurs
fantastiques, c Elles conservent au milieu des décombres» de Thumidité
et de la solitude , dit le journal , un éclat et une grâce sans pareils.
N'existe-t-il pas dans la vie morale « pour chacun de nous , quelques
unes de ces fleurs qui traversent les plus rudes orages et demeurent
rayonnantes dans notre pensée, malgré le temps « l'absence et le
désenchantement? >
Je soupçonne fort la plume deW^ Hommaire de Hell d'avoir ajouté
cette réflexion poétique au journal ; cette plume est un pinceau dont la
iouche rivalise avec les gracieuses féeries de l'art persan qui jaillissent
brillantes et pures des ruines dont elles sont entourées.
Un instant le voyageur s'arrête à l'Ile de Chouradeh et à Bounekas
où les Rosses « malgré la vive opposition du gouvernement persan ,
sont parvenus à fonder un établissement maritime pour le commerce
qu'ils exploitent sur la mer Caspienne , et une station militaire pour
protéger. la côte contre' les déprédations des Turcomans. En appro-
chant d'Astérabad , ville située sur la frontière du Turkestan , exposée
aux invasions des sauvages habitants de cette contrée presqu'inconnùe
et qui est signalée sur les cartes géographiques par une grande lacune
blanche , synonyme de mystère , Hommaire de Hell s'amuse beaucoup
de la mine piteuse de son mibmandar : cet intrépide chef d'escorte avait
jugé prudent d'enrôler en route plusieurs cavaliers bien armés pour
donner à la caravane un air belliqueux. Elle arrive ainsi à Astérabad,
sans dégainer « et s'installe dans le jardin royal, sous un pavillon
ouvert à tous les vents, où Soliman-Pacha, le gouverneur d'Asté-
rabad, vient lui faire visite avec ses deux fils. Hommaire, en lui ren-
dant sa politesse le lendemain, peut étudier à son aise la physionomie
de la ville qui n'offre rien de remarquable. Le gouverneur, tombé en
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1S6 REVUE D^ALSACE.
disgrâce , partait préciséroeDt pour Téhéran où le rappelait la poli-
tique ombrageuse du hadji.
Le voyageur reçoit le même jour une autre visite. Celle-ci a un
caractère étrange, presque romanesque. C'est une amazone turco*
mane, connue sous le nom de Failimé Serdar, c'est-à-dire Fathmé le
Général. Cette femme dont nous avons eu le pendant , lors de la
guerre de Crimée, dans la personne d'une princesse asiatique qui
amenait au secours du sultan un corps formidable de Bachi-Bouzouks,
avait pris part aux expéditions guerrières des khiviens où elle s'était
signalée comme une véritable héroïne. Elle portait à sa ceinture un
long couteau dans une gaîne d'argent et à son côté un sabre persan ,
don du ktian de Khiva. Ses paroles ne respiraient que la guerre et
l'ambition de la gloire. Elle se rendait auprès du scbah à Téhéran
quand Hommaire la rencontra à Aslérabad. Dans la même ville il eut
une entrevue avec Kara-Khan , ambassadeur kbivien envoyé en mis-
sion à Téhéran pour demander du secours contre les attaques de la
Russie qui projetait alot*s une campagne dans le Turkestan.
Après quelques excursions dans les environs , mises à profit pour
des observations scientifiques et ethnographiques, Hommaire prit ses
dispositions pour retourner à Téhéran. A propos de renseignements
ethnographiques , il put constater chez les Persans des traits de mœurs
et de caractère qui sont tout-à-fait à l'antipode des nôtres. Ainsi ,
point de respect pour les morts ; les cimetières en général n'ont point
de clôtures et les tombes ne sont indiquées que par des pierres brutes
sans inscriptions. La vie matérielle domine chez ce peuple bizarre et
étouffe tout ce qui tient au domaine de rinielligence et de la pensée,
naturellement aussi le sens religieux. L'immobilité , chez eux , est la
suprême expression du mérite, t Est-il possible , disait à Hommaire
un Persan qui écrit et parle français et qui a lu beaucoup de nos bons
ouvrages , que l'on puisse quitter femme , enfants , pays , pour venir
compter sur ses doigts les montagnes de la Perse ! >
Le 29 juin , le voyageur traverse la chaîne de l'Elbourz et pénètre
dans les plaines du Khoraçan où Semnan , la ville du désert» lui appa-
raît bientôt à travers un mirage produit par des tourbillons de pous-
sière et une chaleur de 52 degrés reflétée par une plaine jaunâtre et
caillouteuse.
c Après quelques moments de repos , dit-il , je me décide à aller,
avec M. Laurens , à la recherche de Semnan qui , tout-à-coup » se
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X. HOmiAlRE DB HELL. 157
montre à nos yeux sous l'aspect le plus pittoresque , le plus oriental
qu'on puisse rêver. C'est bien là une vraie ville du désert , telle que
l'imagination des artistes tâche d'en créer pour enrichir les albums.
Rien ne lui manque : ni les coupoles bleues des mosquées , ni le mi-
naret arabe, ni les tours à crénelures, ni le fortin obligé , ni le kara*
vansérail en ruines , ni les bazars , ni les tons fauves des constructions,
ni les sveltes cyprès, ni l'ombre des platanes. Quel contraste avec
l'immense plaine brûlée par le soleil que nous venons de parcourir ! >
Quelques minces filets d'eau , s'échappant des montagnes voisines ,
ont été ménagés avec un tel soin que le sol s'est paré de verdure
jusqu'à une certaine distance de la ville. >
M. Laurens , en artiste bien inspiré , a complété cette description
par un dessin admirablement rendu. Des notes sur le commerce et
l'industrie de la province viennent s'ajouter, dans le journal du
voyage , aux détails si intéressants recueillis par Hommaire. N'ou-
blions pas de citer , en passant , son ascension dans le village aérien
de Laskurt , colossal cylindre de terre d'à peu près 250 pieds de cir-
conférence . entièrement isolé , portant à sa partie supérieure deux
étages d'habitations dans lesquelles grouille un phalanstère d'un
nouveau genre où nos réformateurs modernes ne trouveraient pas
précisément l'idéal de la perfection. Dans là description qu'il donne
de ce monument curieux de l'association humaine , je ne prendrai
que ces quelques lignes jetées là comme une rapide pochade d'artiste.
« Quelle cour des miracles que cet intérieur ! C'est un incroyable
tohu-bohu de terrasses , de voûtes, de coupoles fendillées , de pré-
cipices • de casse-cou ; un péle-méle étourdissant de femmes , d'en-
fants, d'individus de tous les âges, bourdonnant comme dans une
véritable ruche. Le crayon de Callot serait à peine digne de rendre
les détails grotesques ^ les tas de guenilles , la physionomie fantas-
tique des choses et des hommes. > (i)
Près de Laskurt il a constaté l'existence d'immenses constructions
ep ruines que les Persans prétendent avoir été élevées par les
Dïve$ ou génxen malfaisants et où il rencontra l'ogive pure primitive
comme dans tous les édifices de ce genre qui jonchent le sol de la
Perse. Cette observation fournit la solution d'une question archéolo-
gique longtemps débattue.
(*) Voyagé en Turquie et en Perse , tome m , p. 522.
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488 BEVQE D'ALSAGB.
En pénétrant dans la province de rirak-Adjémi , Hommaire de Hell
dut traverser le célèbre défilé des Portes Caspienne» par où passa
Alexandre le Grand lorsqu'il poursuivit Darius. La tradition populaire
paraît avoir conservé la notion de ce fait historique ; car ce défilé
porte le nom de Serdar R*ha ou route du Général. Gorge aride et
sauvage , où murmure un ruisseau salé et où n'eiiste nulle trace de
végétation ; roches gypseuses aux tons terreux , surplombant d'une
manière effrayante le chemin qui serpente dans ce lieu de désolation,
tel est l'aspect des Portes caspiennes. L'album de M. Jules Laarens
contient un magnifique dessin de ces gorges dont il a exécuté égale-
ment une réduction pour le Bulletin de la Société de géographie.
L'antique ville de Yéraminn forme la dernière balte du voyageur
avant sa rentrée à Téhéran après une absence de deux mois. Il y
relève le plan de la fameuse mosquée de Djouma , la merveille du
pays. 11 s'extasie devant la prodigieuse richesse , devant la gracieuse
fantaisie de cet art arabe auquel l'Orient est redevable de si beaux
monuments et l'examen qu'il fait de cette mosquée , au point de vue
architectonique, l'amène à conclure que l'art persan y est pour peu de
chose et qu'il faut attribuer aux arabes la construction des plus beaux
monuments de ce genre, c Tout me fait supposer , dit-il , que (es
mosquées de Soultanieb , de Tauris , de Yéraminn , les tours de Rey
et de Radkban ont été élevées par les arabes à la même époque ;
d'où l'on doit conclure que le xiv'' siècle aurait été tout aussi riche •
sous le rapport de l'art , en Orient qu'en Occident. La mosquée de
Yéraminn date de 4366 ou 1368 » d'après une inscription enlevée au
monument et placée dans un Imam-Zadèh. i 0)
Dans la lettre qu'il écrivit, le iO juillet» à sa femme et que j'ai
citée plus haut , Hommaire de Hell traçait l'itinéraire qu'il se propo-
sait de suivre pour son voyage dans le centre et le midi de la Perse.
Il comptait se rendre par Ispahan à Yezd et à Kermann ; delà gagner
Schiraz et Bender-Abouchir sûr le golfe Persique pour retourner
ensuite à Téhéran par Persépolis (Tscbil-Minar) , Ispahan et Kachan.
Il a pu calculer de la manière la plus exacte ses itinéraires et ajoute
avec une confiance digne d'un meilleur sort: c Dans les prenùers
jours de janvier je serai à Marseille J'ai en ce moment deux
caisses pleines d'objeu persans. Que de bonheur j'aurai » ma bien
C) Voyage m Turquie ef en Perse , tome m , p. 335.
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X. HOMMÀIRE DE HELL. 159
limée, à mettre tout cela à tes pieds ! Avec quelle impatience j'attends
ce bienheureux moment ! Quel triste pays que la Perse et quel triste
peuple ! Il n'y a aucune espèce de qualité chez les Persans : tout est
négatif chez eux. De tous les peuples que j'ai visités, c'est bien celui
qui m'inspire^ le moins de sympathies. Que d'étranges choses j'aurai
à te raconter à mon retour ! > (t)
Cette opinion , jetée dans l'épanchement intime d'une correspon-
dance privée , se fait jour à chaque instant dans l'œuvre posthume
publiée d'après le volumineux journal du voyageur.
Les premiers jours de juillet sont consacrés au repos et à quelques
excursions à Deïrich, campement d'été des missions française et russe.
Hommaire en revient enchanté de la gracieuse hospitalité du prince
Dolgorouki et fait une dernière visite au hadji qu'il trouve fumant le
kalioun dans une petite chambre plus que modeste dont les murs ne
sont pas même blanchis. Sa conversation avec le premier ministre est
longue et animée et la situation politique de l'Europe ainsi que le
traité de commerce avec la France en font les principaux frais, dom-
roaire de Hell a Ynis par éci:it tous les détails de cette conversation
curieuse dont un mince échantillon ne sera pas déplacé ici : c Dites
bien à vos ministres et à votre pays que ce traité et mon amitié pour
la France me valent seuls la haine de la Russie. Je ne demande à la
France ni armes , ni soldats, ni argent ; mais s'il résulte de la situa-
tion actuelle une déclaration de guerre avec le czar, ce qui me paraît
certain , je me battrai moi-même comme un lion , et dans le cas ou je
serais vaincu, je ferai donation à la France de toute la Perse Je
sais tout le bien que l'on dit de moi lù-bas , par notre anibassadeur
Mirza-Méhémet-Ali-Khan; je sais que vos journaux m'ont appelé
Vhomme du ciel , le Napoléon de la Perse , et ils ne se trompent pas. >
Ces paroles d'un illuminé, qui se croit doué d'un génie surnaturel,
sont d'accord avec le masque du personnage qui , comme nous l'avons
vu déjà , prenait les dehors d'un magicien et feignait d'avoir des
communications directes avec le ciel.
En donnant congé à Hommaire, il l'assure que son intention bien
arrêtée est de le décorer prochainement de l'ordre du Lion et de celui
du Soleil.
Une chute de cheval , qui n'eut point de suites graves , retarda de
{*) Gorrespondanoe inédite d'Hommaire de Hell
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160 REYUB D'AL8A£B.
quelques jours le départ du voyageur pour Ispahan. Avant de se
mettre en route • il a le bonheur de recevoir trois lettres de sa femme,
et une dépêche très-bienveillante de M. Garnot, ministre de Tinstruclion
publique qui lui accorde une prolongation de mission pour six mois à
courir du 1®' janvier 1849. Dans la dernière lettre qu'il écrivit à sa
femme et qui est datée du 1<^' juillet 1848^ il exprime la joie que lui
cause cette prolongation et fait briller aux yeux de sa bien aimée la
perspective séduisante d'un second voyage dans l'Asie mineure , pays
qui avait eu tant d'attraits pour la jeune femme. Ce beau rêve devait,
un mois après , s'abîmer dans une sombre douleur.
En écrivant ces lignes , j'ai sous les yeux la dernière page de la
dernière lettre écrite par cet homme si dévoué et si plein de cœur.
Rien ne trahit encore, dans l'expression de la pensée et dans le mou-
vement de la plume, un pressentiment du sort qui devait moissonner
trop tôt une si noble existence. L'esprit était gai , la plume courait
rapide comme toujours, traduisant avec abandon les pensées qui
débordaient de son cœur , parlant de musique , de romances , do
bonheur ineffable de revoir tout ce qu'il aime.
c Je veux absolument aller passer quelques jours à Hyères à mon
retour en France. J'aurai du plaisir à vivre là où tu as vécu et où ta
m'as attendu pendant tant de mois Quel bonheur, quel ravisse-
ment, de nous retrouver ensemble ! ma tète se perd lorsque je pense
à tant de jouissances
c Je pars décidément après-demain matin , mercredi 2 août
c Adieu , adieu , tout à toi de cœur et d'âme. >
Pourquoi donc faut-il que cette perspective radieuse ne soit qu'un
vain mirage sur lequel la mort va jeter son voile noir ? Pourquoi tant
de cœur . tant d'affectueux dévoûment, tant de patriotisme uni à tant
de science et à tant d'énergique volonté n'ont-its pu fléchir les rigueurs
du destin ? La vie du voyageur est comme la vie du missionnaire : an
bout du labeur , le martyre.
A son départ de Téhéran , la faiblesse d'Hommaire est telle qu'il
peut à peine se tenir à cheval : il arrive lentement à Schah-Abdou-
salem . où il passe la nuit dans un jardin du hadji et où la fraîcheur
du soir le ranime. Le 4 août , après quelques observations météoro-
logiques faites pendant une chaleur accablante , il est atteint d'un
accès de fièvre qui le force à rester étendu à l'ombre d'un rocher
jusqu'au coucher du soleil. Le 6 août, près du karavansérail de Poul-
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X. HOMMAIRE DE HELL. 161
làtik , par 42 degrés de chaleur , on rinstalle sous l'arche ruinée
d'un pont , où il est pris d'un nouvel accès de fièvre , suivi de délire
et de cauchemar. Il grelote sous son feutre. Cependant il peut se
remettre à cheval à trois heures du matin et arrive dans la journée à
Koum , l'une des quatre villes saintes de la Perse où le gouverneur ,
chef d'une population fanatique et inhospitalière, lui donne une
chambre » mais rien de plus. Le voyageur eiténué fait demander de
l'eau par son farache à un individu assis sur la porte, c Après une
demi-heure d'attente , dit*il » on m'en apporta dans un vase neuf qui
fut ensuite brisé en ma présence , afin de me prouver que mon contact
était une souillure. > C'est ainsi que le Persan de Koum concilie la
charité du Samaritain avec le fanatisme religieux. Le vase qui a touché
les lèvres impures d'un giaour n'est plus digne de servir à un croyant.
Arrivé à Kaschan , Hommaire de Hell trouve moyen de recueillir et
de consigner sur son journal des renseignements sur les produits de
cette ville industrielle qui se« livre à la fabrication de la soie et des
vases en cuivre ciselé, de formes si élégantes, qui font le luxe de
quelques intérieurs persans. Il achète, pour le ministère du commerce,
de nombreux échantillons d'étoffes. Le soir du 12 août , il se remet
en route et s'engage dans l'intérieur des montagnes par une de ces
nuits rayonnantes comme on en voit en Asie, c Solitude absolue ,
lune splendide. C'est une nuit douce , calme et brillante dont rien ne
saurait donner l'idée en Europe. Quel ciel profond et pur , quelle
transparence dans l'atmosphère ! Tous les objets ont des formes
arrêtées comme en plein jour. La lune laisse derrière elle un profond
sillon , semblable à une seconde voie lactée. Ma femme avait déjà
signalé , dans notre voyage à Astrakhan , cet admirable effet de
lumière qui prouve l'extrême pureté du ci^l asiatique. > (i)
Le 46 août , entrée dans une vaste plaine au bout de laquelle se
trouve Ispahan , l'ancienne capitale de la Perse , sise au milieu d'un
territoire cultivé dont la végétation plantureuse masque les abords de
la ville. Hommaire de Hell y pénètre à travers des monceaux de
décombres et en traversant des rues étroites que surplombent les
toits en saillie , il ne rencontre sur son passage que des physionomies
ironiques et ne reçoit, pour salut de bien-venue, que des paroles
désobligeantes. 11 travei*se la rivière de Zenderoud pour se rendre au
(*) Voyage en Turquie et en Perse , lome iii , p. 554.
S- SéM. — a- Auiét 11
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462 RIVOE d'alsacb.
quartier arroénieD de Djoulfa » dont la population ne lui parait guère
plus gracieuse que celle de la ville. Ënfln il descend dans la maison
du père Giovanni , missionnaire de la Propagande , et y trouve , avec
sa suite , une hospitalité douce et cordiale. A peine installé , la fièvre
et la dyssenterie le reprennent. Dans ses moments de calme il tra-
vaille , selon son habitude , à prendre des notes sur le j^ays et nous
apprend les services rendus depuis vingt ans au catholicisme par le
zèle apostolique du père Giovanni. C'est grâce à lui que les missions
sont parvenues à recouvrer le couvent et l'église des Dominicains ,
réglise des Jésuites» celle des Carmélites et celle des Arméniens
catholiques.
Le 24 août , la fièvre activée par le clin^at meurtrier d'Ispahan
prend un degré d'Intensité qui ne laisse plus aucun espoir de sauver
le voyageur. Les notes du journal signalent tristement, jour par jour,
les progrès de la maladie. Voici ses dernières lignes :
Le 21 : c La fièvre se prolonge pendant plus de trois heures et est
suivie d'une prostration complète. Une maladie après l'autre» comment
cela /Snîra-i*t/? > Le mercredi 23: c Aussitôt après midi, violent
accès de fièvre , suivi d'une incroyable faiblesse. On est obligé de me
porter à bras. Je ne puis faire aucun mouvement. >
Au-dessous de ces lignes était placée la date du jeudi 94 août. Le
froid de l'agonie commençait déjà à glacer ses doigts quand il écrfvit
cette date qui n'eut point de lendemain
La plume du père Giovanni , ce digne prêtre placé sur sa route
comme un ange consolateur , va nous retracer ses derniers instants.
J'en extrais le récit de l'acte officiel de décès en langue italienne »
transcrit sur les registres de la mairie d'Altkircb . et dont voici la
traduction :
c Acte de décès de M. Hommaire de Hell.
c Je déclare que M. Hommaire de Hell , voyageur français , arriva
à Ispaban» de Perse» le 16 août de cette année, et habita à Djoulfa
d'Ispahan dans la maison de la mission arménienne catholique que je
lui offris. Il y arriva avec une fièvre continue. Le pays étant dépourvu
complètement de médecins , M. Hommaire eut lui-même soin de sa
santé et fit en sorte que sa fièvre, si elle ne cessa complètement»
diminua cependant un peu , ainsi que je le vis dans mes visites quoti-
diennes. Il était en cet état jusqu'au 28 août , si ce n'est , ce qui
arrive ordinairement ici , que l'état du malade changea subitement »
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1. HOmUIRB DE HGLL. itô
et Yen les midi da jour suivant « c'est-à-dire du 29 août • la fièvre
augmenta d'une manière telle qu'il perdit l'usage de la parole , bien
qu'il eût sa parfaite connaissance. La fièvre fut coupée cependant vers
les cinq heures du soir du même jour » mais alors tous les soins que
nous pouvions lui donner dans un temps si court devinrent inutiles ,
et il resta ainsi , plus mort que vif, sans parole et hors de sens jusqu'au
moment où il succomba . le 30, vers l'heure habituelle de l'accroisse-
ment de la fièvre , à la maladie connue en t^erse sous le nom de Neobé
Kachi, qui répond à la fièvre pernicieuse.
c D mourut dans la communion de la sainte mère l'Eglise , avec
tous les secours spirituels des sacrements que je lui administrai , et ,
après les prières usitées , le 3i août , je lui fis donner la sépulture
avec des honneurs convenables dans le cimetière des catholiques
arméniens de Djoulfa.
€ Et parce que je veux que cette déclaration ait la forme authen-
tique 9 je l'atteste en présence de deux témoins,
c Djoulfa d'ispahan , le 2 décembre 4848.
Signé : c Giovanni Daderian , Préfet apostolique de la mission
arménienne en Perse.
€ J'atteste la sincérité de l'acte ci-dessus.
Signé: c Criuseppe Arachial, alunno mis"® apos* et Père Stephanoi,
fils d'Arétin et petit-fils d'Ovanès, prêtre arménien.
c Pour traduction littérale : Le chancelier provisoire , Am. Outrey.
c Pour légalisation de la signature de M. Am. Outrey , chancelier
provisoire.
c L'Envoyé extraordinaire de la République firançaise en Perse ,
Signé : c Sartiget. >
Le corps de notre malheureux compatriote • enlevé à la science à
l'âge de trente-six ans , fut inhumé au cimetière de Djoulfa , vêtu de
blanc • avec une redingote bleue , la tête couverte d'une casquette
galonnée d'or,, à sa boutonnière le ruban de la Légion-d'Honneur ,
sous son plastron une médaille de la Vierge. D'après le désir de
M*"* Hommaîre de Hell, une pierre sépulcrale a été placée, depuis»
sur sa tombe , avec cette simple inscription : Hommaîre de Hbll
VOTAGEUa FRANÇAIS , MORT A ISPAHAN , LE 30 AOUT 1848.
Ouvrons l'album de M. Laurens, le compagnon et le collaborateur
d'Hommaire , et nous y trouverons un dessin du cimetière de DjouUa,
où reposent une trentaine d'Européens et à l'entrée duquel se dressent
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i6i RBVUB D'àLSACB.
deux tours rondes, d'aspect fantasiique, d'où s\4chappent des milHers
d*oiseaux , hôtes de ce lieu funèbre. Ces tours sont des pigeonniers
et ses habitants ailés , au roucoulement plaintif, semblent placés là
pour faire palpiter la vie au-dessus d'une enceinte de mort.
Hommaire de Hell a laissé trois fils, héritiers de son nom et de la
trempe de son caractère. L'alné , Edouard , est professeur de mathé-
matiques à la Martinique: il est collaborateur de la Revue et Orient,
où il a pris rang parmi nos intelligents économistes. Le second ,
Gustave , enrôlé dans ce fameux 3"« de zouaves qui prit une part si
brillante aux succès de la campagne d'Italie , a succombé comme un
héros , à l'âge de vingt-un ans , dans la triste échauffourée qui s'est
produite en Kabylie , au mois de mars 4860 et qui a coûté la vie à
quelques uns de ces braves que les balles de Magenta et de Solferino
avaient épargnés; cette mort prématurée a cruellement fhtppé le
cœur d'une mère si éprouvé déjà. Léon , le plus jeune , vient de se
vouer aussi à la carrière des armes. Famille essentiellement chevale-
resque, la famille Hommaire àe Hell s'est dévouée au service de
TEtat y le père en mourant pour la science , l'un des fils en versant son
sang pour la patrie. Il était réservé à cette femme , frappée comme
épouse et comme mère , de boire jusqu'à la lie le calice de souffrance.
Le soleil d'Orient avait doré les rêves de sa jeune imagination. Quand
l'avenir lui apparaissait radieux , elle avait chanté son bonheur en
vers fleuris comme l'espérance : aujourd'hui , elle ,exhale sa douleur
dans des strophes trempées de larmes et rhythroées par des sanglots.
Cette biographie du voyageur nous a fait suivre les principales
étapes de sa route ; nous avons pu effleurer , en quelque sorte à vol
d'oiseau , les points du globe qu'il a parcourus et étudiés ; nous avons
pu nous rendre compte de quelques unes des situations les pltis inté-
ressantes où son génie actif et multiple s'est manifesté ; nous avons
vu par quelles nobles qualités de l'âme et du cœur se recommandait
cet homme enlevé trop tôt à la science qu'il honorait , à sa famille
qu'il idolâtrait. Mais ce que nous n'avons pu qu'indiquer sommaire-
ment en passant , c'est l'immense travail que révèlent ses œuvres , les
volumes scientifiques surtout. Le journal de son Voyage en Turquie
et en Perse a été soumis , avec les plans , cartes et dessins qui l'ac-
compagnent, à une commission de l'Académie des Inscriptions et
Belles-Lettres, composée de. MM. Quatremère, Ph. Le Bas , Hohl ,
de Wailiy » Walkenaêr et Guigniaut. Dans un rapport du 31 octobre
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X. HOMVAme DE HELL. J6S
1851 , dont l'Académie a adopté les conclusions , la commis$ioQ a été
d'avis de proposer à M. le Ministre de l'Instruction publique de publier
les matériaux du voyage sous les réserves suivantes :
< La relation devrait se tenir le plus près possible du journal du
voyage, tel que son auteur Ta laissé, et respecler le caractère à la
fois historique» descriptif et scientifique , qu'il avait voulu lui donner.
Les observations scientifiques proprement dites devraient être împri*
mées à peu près telles qu'elles sont, sauf toutefois la révision d'hommes
compétents. Quant aux cinqnanle inscriptions environ , estampées ou
copiées, la plupart à Prum ad Hypium, importantes et inédites, elles
seraient , autant que possible , reproduites en foc imile. Pour les
dessins , qui sont innombrables , et tous exécutés avec un talent
remarquable , il en faudrait nécessairement faire un choix , extraire
ceux qui sont indispensables à la vérité, à réclaircissement , à l'intérêt
réel des descriptions et du récit , surtout ceux qui reproduisent les
monuments anciens des diverses époques, et qui s'accordent avec le
but élevé , sérieux , vraiment scientifique , que poursuivait M. Hom-
maire de Hell et auquel il a sacrifié sa vie. i
C'est dans ces conditions qu'a été publiée • par ordre du Gouyer-*
nement, la relation du voyage qui se compose de quatre volumes ,
avec un atlas de plus de cent planches auxquelles le talent hors ligne
de M. Mes Laurens a donné le cachet d'un véritable monument dans
ce genre. (*)
Toute la partie scientifique a été révisée et appuyée de notes expli-
catives par M. P. Daussy , membre de l'Institut , qui a construit l'en-
semble de l'itinéraire avec les docuàients astronomiques etgéodésiques
laissés par Hommaire de Hell. Elle forme un fort volume suivi de 24
planches contenant le fac simile des plans» coupes et détails de monu-
ments . inscriptions , dessins géographiques , tracés sur place par le
voyageur.
En terminant cette notice il me reste à signaler un vœu que j'ai
exprimé il y a six ans déjà au conseil municipald'Altkirch , ville natale
d'Hommaire de Hell. Je me hâte d'ajouter que ce vœu a été accueilli
comme il devait l'être, par un vote sympathique, dont la réalisation »
toutefois » a été retardée par les circonstances. On comprend qu'il
(*) Voyage en Turquie et en Perse , exécuté par ordre da Gouvernement fran-
çais, par X. Hommaire de Hell. — Paris , P. Bertrand , éditeur, 1854-1860.
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166 REVUE d'alsacs.
8'agit d'un bommage public à la mémoire de cet bomme qoi laisse
après loi un nom et un monument scientifique. Sa figure est une de
celles qui ont leur place marquée dans la galerie des hommes utiles-:
elle est digne d'être traduite en marbre et son buste appartient •
comme son œuvre , à Thistoire du progrès. Ce buste , hommage pos-
thume des concitoyens du célèbre voyageur, est naturellement destiné
à la salle de Thôtel de ville d'AUkirch. Une délibération du 3 juillet
i8£^ a décidé qu'il serait exécuté aux Arais de la ville aidée du con-
cours des habitants. Je voudrais , pour compléter cet hommage et lui
donner un caractère qui rappelât les travaux accomplis par Hommaire
de Hell , que les magnifiques planches qui , au nombre de plus de
iSO, accompagnent ses œuvres écrites, fussent encadrées et placées
dans la même salle pour former le musée du voyageur» musée qui
dans cette ville si tristement déshéritée de ses établissements adml-
nistratife, deviendrait un attrait pour les visiteurs qui aiment son site
et ses monuments. Réaliser cette pensée , c'est justifier l'épigraphe
inscrite en tête de cette noUice. Honorer ceux qui sont morts pour
une idée, pour un progrès» pour un but scientifique ou humanitaire»
n'est-ce pas honorer le progrès lui-même?
Ch. Goutzwiller ,
SMtMn tD di«r (U h mairfo (U Golnuur.
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QUATRE JOURS A TUNIS ET CARTHAGE.
Suite et fin (*).
Déjà nous avions commencé à redescendre la ville tous ensemble
pour retourner à noire hôtel , quand subitement nous voyons accourir
dans la rue étroite où nous nous trouvions une foule de gens qui se
sauvent , Arabes , Européens • Juifs , tous péle-méle ; aussitôt une
terreur panique s'empare de tout le monde ; on s'enfuit sans savoir
pourquoi. Je m'étais élancé dans une rue de traverse , et j'y avais fait
quelques pas , lorsqu'en me retournant je vois que tous mes compa-
gnons ont disparu ; M. B... seul est encore au coin de la rue dont il
n'a pas bougé pendant le tumulte. Nous reprenions ensemble le chemin
d'où nous était venue cette foule effrayée. Au coin suivant , quelques
juifs européens qui passent accompagnés et protégés par un officier
tunisien nous engagent à venir avec eux » et nous font un noir tableau
des dangers que nous courons ; ils nous offrent de nous ramener à
notre hôtel par des chemins détournés. Ne tenant aucun compte de
cet avertissement » nous avions continué à avancer, lorsque , deux
rues plus loin , un Arabe me prend le bras • et me dit en assez bon
français : c Toi retourner ; toi rien avoir à faire ici ; pas bon chemin
pour toi ; Arabes là avec bâtons pour Français. > A un avertissement
aussi catégorique , il eut été imprudent de résister : nous nous laissons
donc conduire à travers quelques rues par notre protecteur ; c'est un
Algérien , et il a voulu nous rendre service comme compatriote. En
nous quittant , il nous indique notre chemin. Plusieurs fois encore
d'autres Arabes nous arrêtent au passage et nous disent de ne pas
aller de tel ou tel côté ; une seule fois il nous arrive d'être insultés à
haute voix , et encore par des nègres. Il est facile dès lors de voir qu'il
{*) Voir les liyraisons de joia , juiUet et octobre , pages 259 , 297 et 449.
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168 REVUE D'ALSACE.
y a à Tunis on parti qui nous est hostile, mais que le reste de la popu-
lation nous voit sinon avec faveur, au moins avec indifférence , en6a
qu'il y a dans ce peuple fanatique des gens connaissant et pratiquant
les devoirs de Thumanité. Peu après nous rencontrons de nouveau' la
troupe de juifs de tout à l'heure ; cette fois nous acceptons leur offre ;
nous les suivons par des rues vides, plus ou moins détournées et finis-
sons par arriver à notre hôtel.
Nous y trouvons nos compagnons tous également revenus sains et
saufs , à part quelques contusions légères. Chacun alors se met à
raconter ; on parle de consuls européens tués ou blessés , et d'autres
accidents moins graves. On apprit le soir que quelques juifs avaient
été dépouillés de leurs vêtements, volés, et battus dans cet état; l'un
avait reçu en pleine poitrine de vigoureux coups de poing de chacun
des assistants à tour de rôle; il y avait eu aussi quelques Européens
Après les grandes chaleurs du milieu du jour, nous sommes allés
avec Kbalif faire un tour dans le quartier juif; là nous ne courions pas
les mêmes risques que dans les rues mauresques; d'ailleurs nous
étions une dizaine. Les toilettes des dames juives sont célèbres à
Tunis ; nous étions au sabbat , jour où elles ont l'habitude de se parer.
Nous n'y avons rien trouvé de beau : habillement riche » cher» mais
disgracieux , sans élégance.
Nous avons aussi visité quelques synagogues ; elles sont tenues avec
un certain luxe , et le marbre y joue son rdie. Tous les cultes ont des
temples à Tunis , car des populations de tous pays s'y reoontreni ; il
y a une église catholique et un temple protestant : mais le culte chré-
tien qui dpmlne est le grec ; car les fils des Hellènes sont très-nom-
breux à Tunis ; le commerce presque entier de la Méditerranée est
entre leurs mains; leur marine marchande y est, dit-on, plus nombreuse
que celle de France.
De là nous sommes allés faire un tour de promenade jusqu'au lac ;
le temps était superbe , et l'échauffourée du matin complètement
oubliée.
Cependant à table on en a parlé ; les coupables ont été arrêtés pour
la plupart sur la demande des consuls européens ; on leur a distribué
provisoirement cinq cents coups de bâton pour les forcer à dénoncer
leurs complices ; il y aura de plus quelques exécutions , et tout sera
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QUATRE JOURS A TUNIS ET GARTHAGE. 469
AvMt de realrer i l'bôcel , nous nous sommes arrêtés un instant
sur kl place qui forme rentrée du quartier européen ; nous y avons
renooBtré plusieurs connaissances , et nous avons pu admirer l'en-
leijpm emphatique d'un professeur de danse ; seulement ses élèves
sont des souris blanches ; il leur fait exécuter leurs phis beaux pas
sur un petit ihéâtre de circonstance » qu'il intitule < Spectacle de
Paris. >
Une autre rencontre mérite aussi d'être mentionnée. C'est un jeune
Arabe qui nous accoste ; ayant appris que nous nous rendions à BAne,
il nous prie en très-bon français de nous charger d'une commission
pour cette ville qu'il habite ; il porte le costume indigène , mais il a
une montre et un portefeuille. Il nous dit qu'il est venu à Tunis pour
recueillir un héritage • et nous explique toutes les démarches qu'il va
faire , et les précautions qu'il prendra pour n'être pas frustré, c C'est
que, ajoute-t-il avec aplomb » je me connais en ces matières » j'ai tra-
vaillé plusieurs années à Bône chez un défenseur. » Il nous parle avec
mépris de l'émeute du matin, c On voit bien , dit-il , que les Tunisiens
sont des barbares ; nous autres gens civilisés nous sentons à merveille
l'avantage qu'il y a à être Français. Du reste » j'enverrai un article là-
dessus à mon ami Olivier^ qui le fera insérer dans la Seyhausie > (c'est
le journal de BAne).
Chose triste à dire ! cette élégance de langage et de manières , cette
instruction , cette intelligence que notre contact leur a données » ce
n'est en général qu'aux dépens de leurs qualités morales que
les Arabes les ont acquises, ie l'appris pour ce jeune homme à Bône »
où je pris des informations sur son compte • et il y en a encore bien
d'autres exemples. Chez le musulman , la religion est si intimement
liée è la vie entière, aux mœurs» aux coutumes» aux préjugés» qu'en
se dépouillant de ceux-ci , en se francisant » il rejette en même temps
sa religion » le seul frein qui lui conservât quelques vertus; il ne lui
reste même plus alors la religion naturelle la plus ordinaire. Il adopte
nos vices avec frénésie , il croit se grandir par là » et il n'y garde plus
aucune mesure ; s'il transgresse le précepte qui lui défend l'usage du
vin » c'est pour se livrer à l'ivrognerie » et ainsi du reste. Sceptique
alors par tempérament, par corruption, par intérêt» il ne recule plus
devant les moyens les plus lâches et les plus vils pour arriver à son
but. Comment pourrait-il en effet reconnaître la supériorité des chré-
tiens f sans s'avouer en même temps l'infériorité de sa religion » sans
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170 RKYUE D'àLSACS.
la mépriser? Il la méprise en effet, mais sans adopter celle qui est
meilleure ; car il faudrait pour cela qu'il la connût d'abord. On ne
devrait jamais démolir sans reconstruire , jamais enlever à un homme
ses croyances sans lui en donner d'autres supérieures. Les Anglais
attribuent avec raison la terrible insurrection qui, il y a peu d'années ,
billît compromettre leur domination dans les Indes , au soin qu'on
eût d'instruire • de civiliser les indigènes sans leur enseigner, sans
leur permettre même d'adopter la religion chrétienne. L'expérience
les a engagés à agir autrement à l'avenir.
Dimanche , 25 septembre 1859.
J'ai quitté aujourd'hui avec un mélange de satisfaction et de regret
cette ville de Tunis si barbare , si peu confortable et cependant si
originale, si intéressante. Le bateau à vapeur, le même qui nous avait
amenés , partait à midi : je devais m'y embarquer avec les deux jeunes
gens de Marseille dont j'avais fait la connaissance. Il fut convenu que
nous consacrerions la matinée à visiter la Marsa , résidence d'été du
dernier bey, qui vient d'y mourir, et les ruines de Carthage. Khalif
devait nous accompagner en sa qualité d'interprète , et de Carthage
nous comptions nous rendre directement à bord.
A cinq heures du matin nous étions prêts , et un instant après nous
sortions de la ville et nous nous mettions en voiture. Nous étions
conduits par un Maltais , et comme à l'ordinaire nous avions deux
rosses d'un aspect pitoyable , mais qui une fois en marche auraient
déflé nos meilleurs chevaux de France pour la rapidité et la résistance
à la fatigue.
Vers sept heures nous étions arrivés à la Marsa. Cette construction ,
tout aussi irrégulière que le Bardo, est pourtant un peu plus archi-
tecturale et plus digne par son extérieur de servir de résidence i un
souverain. La façade , très-simple du reste et ressemblant à celle
d'une maison ordinaire , est peinie partiellement en couleur crues
parmi lesquelles le rouge et le vert dominent. Sous la porte se trou-
vaient deux eunuques noirs , et près d'eux des soldats qui montaient
la garde ; en face , les écuries , et la vaste tente où le bey jugeait lui*
même les différends de ses sujets , comme saint Louis ; le droit et le
devoir de rendre la justice sont une prérogative que le Coran attribue
au prince dans certains cas. On venait de commencer, juste à c6té de
cette tente , un bâtiment massif en pierre qui devait servir de palais
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QUATRE JOURS A TUNIS ET CARTHAGE. i7i
de justice » et dont la mort da bey retardera ou méine empêchera
peot-étre l'achèvemeDt.
Toat auprès on rencontre les maisons de campagne des ministres
du bey et des consuls européens , qui , sauf les dimensions , ne le
cèdent ni en beauté ni en élégance au palais du souverain. Cependant
toutes les constructions de la Marsa manquent » en général , de pro-
portions » de style y de distinction ; ce ne sont que des murs blancs
avec quelques fenêtres irrégulièrement percées ; on dirait presque des
tombeaux gigantesques.
Il nous restait à voir les ruines de Carthage. Déjà nous avions longé
à plusieurs reprises les restes de son aqueduc : au bout d'un quart-
d'benre nous étions arrivés sur l'emplacement de cette ville mémo-
rable , le cœur plein des souvenirs que rappelle un nom autrefois si
puissant et si respecté. Une grande plaine couverte de pierres taillées
et de ruines , battue d'un côté par les Qots de la mer , terminée de
l'autre par quelques collines peu élevées » sillonnée en tous sens par
les troupeaux de l'Arabe ignorant et grossier qui erre avec indiffé-
rence au milieu de ces débris augustes , voilà tout ce qui reste de la
reine des mers » de la rivale de Rome , de cette ville qui rêvait des
destinées si brillantes , qui avait des sujets^d'espérance si légitimes ,
si conformes aux succès de son passé. Un tour de roue , et la fortune
changea ; bientôt à la place de cette vie si animée , si pleine d'une
sève vigoureuse , il n'y eut plus qu'un cadavre.
Qui saurait dire l'influence que la chute de Carthage a exercée sur
l'histoire du monde ? Qui pourrait se rendre compte des différences
qui eussent signalé le cours des événements , si Carthage , au lieu
d'être vaincue et détruite » avait triomphé? Sans doute elle aurait
soumis le monde ; elle aurait joué le rôle que joua plus tard la toute-
puissante Rome : et alors , au lieu des principes romains qui ont
laissé partout leur trace ineffaçable» les principes phéniciens auraient
conquis les nations ; la civilisation carthaginoise, qu'on n'a peut-être
Jusqu'ici pas appréciée avec assez de faveur, aurait pris partout la
place prédominante que s'est attribuée plus tard à tort ou à raison la
civilisation romaine. Il est permis de supposer que l'humanité ne s'en
serait pas trouvée plus mal, peut-être mieux» mais la face du monde
eût été transformée. Vaste matière à conjectures ! — Qui sait même si
nous ne verrons pas de nos jours quelque chose de semblable ? Qui
pourrait assigner des bornes aux destinées qui peut-être attendent
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173 IBYUB D'ÀLSACI.
Tuoift , rbérilière dd la posUioo si favorable de Cartbage? Il faudrait
pour cela que le nord de l'Afrique se réveilUt de sa léthargie et
reconquit son antique splendeur.
Les souvenirs s'amassent sur cette plage aujourd'hui déserte. C'est
ici, sur le bord de cette mer éclairée par un si beau soleil, que quel-
ques navigateurs phéniciens, qui accompagnaient Didon fugitive,
suivant la poétique tradition de Virgile , demandèrent aux habitants
du pays la permission de s'établir sur l'espace de terrain que limite-
rait une peau de bœuf. C'est là peut- être où croissent avec vigueur
quelques figuiers verdoyants , que le vieux Caton cueillit les figues
savoureuses, de funeste mémoire, qu'il présenta au sénat, pour dire
admirer leur fraîcheur , en ajoutant d'une manière eignificative que la
ville qui produisait de tels fruits était à trois journées seulement de
Romoi et qu'elle devait disparaître pour la tranquillité de la répu-
blique : c Delenda est Cartha^fo. > C'est ici que Marins exilé , appuyé
sur le tronçon d'une colonne de marbre , songeait mélancoliquement
AUX vicissitudes du sort. Là vers la droite on a reconnu l'endroit par
où Scipion Emilien commença l'attaque de la ville , lorsqu'il vint
remplir le vœu de Caton et détruire Carihage. Là enfin périt saint Louis,
au milieu de sa croisade contre les infidèles.
. Que d'empires fondés, florissants, puis tombés « à cette même
place , où ils se sont succédé chacun avec ses jours de labeur, de
puissance, de gloire et de décadence! Cartbage. Rome, les Vandales,
les Arabes , les Turcs , les Espagnols.
Nous avons vu d'abord les citernes , qui sont remarquablement
bien conservées, et de proportions gigantesques; quelques murailles
ont même gardé leur crépi et renferment encore de l'eau. Ces citernes
se composent d'une série de vastes loges voûtées en solide maçon-
nerie et servant aujourd'hui de retraite à quantité de crapauds et
d'oiseaux de nuit.
Sur le bord de la mer , les restes des travaux du port sont encore
très-visibles. Là se trouvent les débris les plus considérables , des
tombeaux, des maisons faciles à reconnaître avec leurs murailles
massives et leuj*s caves voûtées, des colonnes de marbre , quelques
parties de la jetée.
Je contemplais mélancoliquement ce spectacle émouvant de l'insta-
bilité des choses humaines , lorsque je fus distrait de mes réflexions
par la voix d'un petit berger arabe qui gardait des chèvres et des
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QUATRE JOURS A TUNIS BT GARTHA6E. i73
montons à quelque distance ; il m'apportait une pièce de monnaie
romaine qu'il venait de trouver dans les ruines.
Elle portait sur le revers une croix ; car le christianisme, qui com-
mence à peine aujourd'hui à obtenir ici le droit de vivre , y régnait
autrefois en maître , du temps où les Eglises de l'Afrique septentrio-
nale étaient dirigées par la boulette pastorale de deux cents évéqnes.
Il ne nous restait plus qu'à monter à la chapelle Saint-liouis, élevée
par Louis- Philippe, sur un terrain acheté par la France , à la mémoire
du saint roi qui succomba à cette place. En elle-même cette chapelle
ne présente rien de remarquable ; mais dans le jardin qui l'entoure
on a rassemblé et disposé avec goût une foule d'antiquités trouvées à
Cartbage , mosaïques , statues , bas-reliefs , lampes funéraires ,
urnes, etc. Un savant archéologue, M. Beulé, qui a exploré et étudié
avec le plus grand soin et une persévérance ^oute épreuve lès ruines
de Cartbage , se basant sur des calculs habiles faits d'après les don-
nées très-exactes qu'ont fournies les historiens romains sur la prise
de la ville • avait déterminé que les restes de la citadelle de Byrsa et
du temple romain construit plus tard à la même place devaient se
trouver sous la chapelle Saint-Louis et formaient peut-être même le
monticule peu élevé sur lequel elle est bâtie.
H ne s'était pas trompé. Des fouilles intelligentes qu'il entreprit à
ses frais, en véritable et zélé disciple de la science, lui firent décou-
vrir sous le jardin de la chapelle les ruines encore parfaitement con-
servées du templp d'Esculape, les voûtes avec leurs encadrements,
qui présentent un fort bel effet. Il retrouva aussi des restes des forti-
ficaUons puniques de Byrsa. Il serait digne du gouvernement français
de faire continuer ces fouilles dont les frais sont trop lourds pour un
simple particulier. Dans le cours de ses explorations, M. Beulé a
obtenu des résultats fort intéressants , notamment en ce qui concerne
les ports de la vilie, puis les tombeaux et les sépultures des habitants.
11 y a là de précieuses ressources pour l'histoire des races , des mœurs
et des croyances des différents peuples qui se sont succédé à Cartbage.
Notre excursion s'est terminée par un déjeuner frugal , mais assai-
sonné de bon appétit , que nous avons pris sur les ruines du temple
et de la citadelle ; puis nous sommes remontés en voiture, et bientôt
nous étions arrivés à la Goulette. V Oasis chauffait, une barque nous
conduisit à bord , et peu après le signal du départ fut donné.
Ctt. TaiBRRY'HlBG, fils, >
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UNE NUIT
AU
CHATEAU DU HOHEN-KŒNIGSBOURG.
Les débris du châteaS du Hohen-Kœnigsbourg , juché sur te crête
d'une montagne qui domine le village d'OrschwilIer, m'avaient frappé
à plusieurs reprises ; Je conçus dès lors le désir de les voir de près et
de les visiter en détail. J'ai pu satisfaire ce désir par une belle journée
de Tété dernier. J'avais trois compagnons de voyage, l'un d'eux, qui
avait déjà parcouru avec fruit toutes les montagnes des Vosges, voulut
bien nous faire le plaisir d'être notre cicérone.
Munis d'un léger déjeuner et de provisions pour notre excursion ,
nous avons quitté Strasbourg a midi par le chemin de fer. La distance
jusqu'à la station de Saint-Hippolyte a été franchie en deux heures et
la course a été si rapide , que nous n'avons pas eu le temps de rien
remarquer en chemin.
En quittant la station du chemin de fer, vous traversez Saint-
Hippolyte pour vous rendre au château du Hohen-Kœnigsbourg. Une
route bordée de beaux champs , de riantes prairies , de fertiles ver-
gers vous y conduit. Vous passez au milieu de ces belles peuplades
végétales avant d'arriver à cette petite ville, qui a encore conservé
quelques restes de ses vieilles fortifications.
Saint-Hippolyte faisait autrefois partie des possessions lorraines ;
c'était une ville fortifiée comme il en existait beaucoup au moyen^âge.
Cette pépinière de forteresses est tombée par suite de la réunion de
l'Alsace à la France. L'Alsace , protégée dès lors par une grande
puissance , n'eut plus besoin de retrancher sa faiblesse derrière des
amas de pierres. Les fossés sont devenus des jardins et les plates-
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UNE NUIT AU CHATEAU DU H0HEN-KCENIG8B0UR6. i75
formes des promenades ou des champs cultivés. La guerre , ei les
précautioos qu'elle entraîne , soit pour la soutenir , soit pour la pré-
venir, dessèchent ou restreignent les sources de productions. La paii
et la sécurité les fécondent et les étendent ; elles ont fait de l'Alsace
une nouvelle Flandre depuis la conquête de Louis xiv.
On rencontre ,de ces citadelles à chaque pas; elleâ annoncent
qu'elles appartenaient jadis à une petite principauté haineuse , ou
souvent attaquée , et qui pour sa défense hérissait sa frontière de
tourelles.
On raconte que Fulrade , abbé de Saint-Denis , construisit un mo-
nastère à Saint-Hippolyte , auquel il fil don du corps de Saint Hippolyte,
qu'il avait reçu du pape Etienne m , en 764. Ces reliques attirèrent
de toutes parts des pèlerins et le peuple s'habitua à donner d'abord
au couvent , puis au village , le nom du martyr qui faisait l'objet de
sa vénération.
Saint-Hippolyte a des portes à l'entrée et à la sortie , qui sont
encore gardées les dimanches et les jours de fêtes par des sentinelles
armées de hallebardes : sans doute pour conserver le souvenir des
luttes qu'elle eut à soutenir en i579 contre le duc de Lorraine» et en
4444 contre les Armagnacs qui s'emparèrent de la ville , après avoir
été repoussés deux fois par les habitants.
Une plaine de vignes attachées à de hauts échalas, pour éloigner
les grappes de la fraîcheur du sol, sépare Saint-Hippolyte du château
du Hohen-Kœnigsbourg. Après les vignes on gagne le bois de chatai-
gners par un sentier déjà plus rapide. C'est un jardin anglais , où la
nature s'est dispensée des secours de l'art , et où l'agréable naft de
l'utile qui le produit sans le chercher. On trouve à chaque pas ces
scènes où la nature, déploie tantôt de l'agrément ou de la grandeur ,
tantôt de la bizarrerie , toujours de la variété. Vous avez bientôt
devant voiil le spectacle de cette grande montagne que couronnent
les majestueuses ruines du château le plus considérable de toute la
chaîne des Vosges. La hauteur de ce rempart , qui semble fermer la
terre, le gigantesque des masses qui s'élancent dans les nues inspirent
l'étonnement et le respect. Si l'observateur curieux se transporte
ensuite jusqu'à la maison du garde , l'immensité de l'espace qu'il
découvre devient un autre sujet de son admiration. Là, de toutes
parts, s'étend un horizon sans bornes ; là , par un temps clair, la vue
s'égare sur toute l'Alsace , la Forêt-Noire et même sur les Alpes ;
• « -
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476 RBYUB D'ALSACE.
rdme croit embrasser le inonde. Tantôt les regards, errant sur la
chaîne successive des inoniagnes , portent Tespril , en un clin-d'oétl .
de Strasbourg à BAIe ; tantôt se rapprochant de tout ce qui les envi-
ronne , ils sondent la lointaine profondeur du rivage du IThin ; enfin
l'attention , fixée par des objets distincts » observe avec détail les
rochers , les bois , les coteaux , les villages et les villes. La beauté de
nos campagnes , Toriginalité de nos constructions rustiques , le carac-
tère plus remarquable encore des nombreux monuments dont le
moyen-âge a parsemé la vallée du Rhin attirent votre attention ; vos
regards sont ramenés ensuite aux montagnes qui forment la paroi
occidentale de cet immense bassin ; ils s'attachent aux fantastiques
formes qui se dressent bleuâtres et vaporeuses le long de l'horizoD*
On se plait à suivre les innégaux anneaux que cette lointaine et ma-
jestueuse chaîne déroule successivement en confondant au loin leurs
masses indécises.
Après nous éire reposés quelques instants chez le garde, nous
reprîmes le chemin de l'intérieur de la montagne pour arriver au
château avant le coucher du soleil. L'aspérité des chemins , la rapidité
des pentes , la profondeur des précipices commençaient par nous
effrayer, mais l'adresse des enfants du garde, qui nous apportaient
du bois pour nous chauffer et de la paille pour nous reposer pendant
la nuit , nous rassuraient et nous examinions avec moins de craintes
les incidents pittoresques qui se succédaient pour nous distraire.
Arrivés au château , nous primes immédiatement nos dispositions
pour y passer la nuit. Nous avions choisi ^ là chambre du milieu au
premier étage , parce qu'elle nous offrait le plus d'abri , qu'elle était
la mieux conservée et la mieux située. Après avoir traversé les murs
d'enceinte flanqués de tours , des escaliers en pierre , encore parfai-
tement conservés , nous conduisirent dans Tintérieur du château , oà
nous avions rassemblé tout ce qui nous était nécessaire. Cette entrée
devait avoir primitivement un tout autre aspect : un fossé s'étendait
sans doute , béant , le long des murs ; une lourde et massive herse
grinçait dans sa gaine de fsr en avant de la porte du sombre et
menaçant rempart.
Le soleil venait de se coucher , un bandeau rougeâtre marquait
encore sa trace à l'horizon lointain des montagnes des Vosges : la
pleine lune s'élevait sur un fond bleuâtre aux planes rives du Rhin ;
le ciel était pur , l'air calme et serein ; l'éclat mourant du jour tem-
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UNE NUIT AU CHATEAU DU HOflBN-KOEMiCSBOURG. i77
përait robscurilé des ténèbres; la fraîcheur naissante de la nuit
calonaît la chaleur du jour ; l'œil n'apercevait plus aucun mouvement
sur la plaine monotone et grisâtre ; un vaste silence régnait sur la
montagne , seulement , à de longs intervalles » l'on entendait le lugubre
cri de quelques oiseaux de nuit qui ont fait leur demeure dans les
tours du château. En ce moment suprême , Tœil s'attache involontai-
rement à la sombre silhouette que les Vosges découpent sur les der-
niers flots dorés dont se teignent les cieux. L'ombre croissait , et
déjà , dans le crépuscule . mes regards ne distinguaient plus que les
CsmlAmes blanchâtres des murs. Ces lieux solitaires , cette soirée calme
et tranquille, cette scène majestueuse* minspirèrent un recueillement
religieux. L'aspect du plus important des châteaux de l'Alsace désert,
sa triple enceinte, ses fortes tours, ébrécbées par les révolutions de
la nature et des hommes, la mémoire des temps passés , la compa-
raison de l'état présent , tout pénétra mon âme de profondes sensa-
tions. Tantôt portant mes regards sur cette immense et riche plaine
qui s'étendait devant moi , tantôt les fixant sur ces ruines féodales ,
je m'abandonnai à une rêverie profonde et cette rêverie prétait de
l'intérêt et jetait de poétiques et glorieux reflets aux débris des âges
les plus reculés. Ici existait un châleau opulent ; ici fut peut-être le
siège d'une demeure royale à l'époque où les rois francs possédaient
dans l'Alsace de nombreuses résidences » moitié palais , moitié forte-
resses. Oui , ces lieux maintenant si déserts , une multitude vivante
animait celte enceinte ; une foule active de chevaliers , de guerriers
circulait dans ces chemins de ronde atijourd'hui solitaires : 'en ces
murs ou règne un morne silence , retentissaient sans cesse le bruit
des armes et les cris d'allégresse, de fêtes et de festins ; ces pierres
amoncelées formaient des salles de réception ; ces colonnes abattues
ornaient la majesté de la chapelle , avec ses caveaux destinés à la
sépulture de la famille ; ces galeries écroulées dessinaient les
salles d'armes. Et maintenant voilà ce qui subsiste de ce château
puissant ! Voilà ce qui reste d'une domination féodale , un souvenir
historique ! Au concours bruyant qui se pressait sous ces murs a
succédé une solitude de mort. Le silence s'est substitué aux mur-
mures et aux cris des chevaliers et des gens d'armes ! L'opulence des
ducs de Lorraine, qui étaient suzerains du château du Hohen-
Kœnigsbourg au treizième siècle , s'est changée en une ruine immense.
Mathieu , qui avait remis ce fief et ses dépendances au jeune comte
Sérîo. — S* Aaoé*. i2
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i78 REYUE D'àLSàCE.
Heory de Werde, landgrave d'AUace, n'aurait plus reconnu son
ancien patrimoine.
Le château du Hohen-Kœnigsbourg esl un des plus grands de
l'Alsace. Quatre corps de bâiimenu , formant un carré long, entou-
rant une petite cour , sans doute la cour d'honneur , encombrée de
ronces et d'épine$. Des murs extérieurs, de vastes corps de logis ,
bâtis de blocs réguliers, réunis par un ciment très-dur, sont flanqués
de hautes tours et de parapets, alors crénelés, maintenant recouverts
en grande partie d'un immense rideau de lierre et d'une forêt d'arbres
de toutes espèces , et ces tours présentent encore une masse impo-
sante et majestueuse qui semble vouloir dé6er les siècles. Maïs de
temps à autre une pierre détachée des hautes murailles roule avec
fracas jusqu'au pied de la montagne , comme pour rappeler au voya-
geur le peu de durée des ouvrages de l'homme.
Nous pouvions facilement distinguer le lourd et large donjon qui
dominait les remparts de l'antique et redoutable château. Ses larges
boulevards, aujourd'hui démolis et en ruines, se dressaient alors
fiers et découpés en lourds créneaux bien au-dessus du roc qui leur
servait de base. Une des principales beautés et un des éléments les
plus surprenants de ce vieux manoir, résident dans les voûtes» nobles
et majestueux berceaux hardiment suspendus. Ce qu'il y a aussi de
remarquable dans ce château , construit à une époque où le système
féodal était encore dans toute sa force, ce sont les prisons souter-
raines , qui devaient contenir beaucoup de monde et qui aujourd'hui
sont peuplées par des centaines de chauves-souris. Que de victimes
de leurs propres passions ou de celles de leurs semblables ont gémi
dans ce triste séjour ! Que de souvenirs terribles se recueillent à
l'aspect de ces murs noircis par le temps ! Que de drames s'y sont
accomplis dont le dénouement ne sera jamais connu ! Que de vertus
ignorées » que de vanités , que de larmes , que de crimes peut-être !
S'il faut en croire nos vieilles chroniques, en 4454, une noce très-
brillante, se rendant de Fribourg à Colmar, fut attaquée et pillée par
les chevaliers un peu tyrans , un peu bandits du Hohen-Kœnigsbourg
et le bailli épiscopal de Marckolsheim. Ces attentats étaient assez
communs dans ces temps , ils se renouvelèrent surtout en 146S, et
furent portés si loin, que l'archiduc Sigismond» landgrave de la
Haute-Alsace , les villes de Bâie et de Strasbourg , les seigneurs de
Kibeaupierre se liguèrent pour y mettre un terme. Le cliâicau fut
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UNE NUIT AU CHATEAU DU HOHEN-KCENIGSBOURG. 479
pris , en partie démolî , et donné à la maison d'Autriche : les cheva-
liers bandits ayant , en leur qualité de nobles , conservé leur liberté
sur parole » continuèrent leurs dévastations; mais traqués comme des
bêtes fauves dans les forêts voisines , ils finirent par se disperser.
On ne peut demeurer impassible au milieu de ces ruines grandioses*
en pensant aux générations qui s'y sont succédé. L'imagination,
paissante comme le soufiBe divin , redonne des chairs aux ossements
desséchés qur reposent dans la chapelle : On voit en esprit passer et
repasser devant soi ces nobles châtelaines vêtues de brocart et de
velours , ces fiers seigneurs cuirassés de fer et d'acier » quelques-uns
arrogants et terribles , d'autres doux et compatissants. Ils étaient
comme pous pleins de vie, de désirs, de passions; que leur reste-t-il
de leur grandeur et de leur puissance? Sur la terre, l'oubli des géné-
rations nouvelles ; devant Dieu , le mérite de leurs vertus et de leurs
bonnes œuvres !
Le feu que nous avions allumé et qui projetait au loin les lueurs
d'un vaste incendie, les torches résineuses qui éclairaient ces grandes
salles et qui répandaient une odeur infecte et étouffante , le cri lugubre
des oiseaux de nuit , que notre visite dérangeait , les étoiles qui bril-
laient et l'orbe de la lune tout rougé qui se montrait dans un horizon
embrumé d'une grandeur démesurée ; tout contribuait à donner à
cette scène un caractère fantasmagorique et excitait puissamment
notre imagination. Toui-à-coup je voyais s'allonger devant moi des
galeries souterraines et de mystérieux fantômes passer rapidement
devant mes yeux pour disparaître bientôt , remplacés par de nouveaux,
qui s'éloignaient à leur tour. Ces fantômes avaient des formes presque
humaines ; mais ces ossements désunis , ces chairs décomposées qui
se rapprochaient momentanément , ce n'était qu'une matière inerte à
laquelle le pouvoir satanique donnait le mouvement et des apparences
de vie. Ce retour des morts du château , c'était comme une résurrec-
tion dernière et définitive. J'aurai pu , pour ainsi dire , suivre la
généalogie de cette multitude depuis les temps les plus reculés jusqu'à
nos jours et connaître son histoire. Les uns manifestaient leur pré-
sence par des flammes voltigeantes , d'autres par le son de la voix
humaine, d'autres enfin « par des cris inconnus et lugubres. Plus je
m'avançais dans ces galeries, plus ces apparitions excitaient forte-
ment en moi la surprise , la terreur , le désir et la joie , plus aussi je
me livrais aux illusions que produisait la vue de ces vaines et sata-
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180 RfiVUE D'ALSACE.
niques images. Ensuite parcourant ces salles de réception , ces nom-
foreuses chambres d'habitation , je les voyais en esprit comme ils
étaient autrefois. Ici, un lit était disposé dans un angle avec ruelle et
amples courtines; là , un banc à dossier tenait lieu de paravent an
' pied de ce lit. Un dressoir é^ait placé à côté de la fenêtre. La cheminée
était riche ; son manteau était décoré d'un grand écusson , aux armes
deCunon de Bergheim, entre deux supports. Les solives et les poutres
des plafonds étaient moulurés. Les parois des murailles entièrement
boisées.
Plus loin , j'apercevais la grande salle, qui occupait un espace con-
sidérable, où se donnaient les banquets et les fêtes. Je voyais le siège
du seigneur couvert d'un dais et sa table plus élevée que les autres.
Les convives assis d'un seul côté et les tables peu larges pour que le
service put se faire en face des personnes assises. Le pavé de cette
salle était jonché de feuilles et de fleurs ; des deux côtés étaient
disposés des buffets et des dressoirs qui servaient à étaler la vaisselle
d'argent. J'entendais annoncer le moment du repas au son du cor.
On apportait les mets , qui étaient présentés par un varlet un genou
en terre, puis portés à l'écuyer tranchant. Derrière les convives
étaient des valets portant des torches, et des échansons servant à
boire.
Je trouvais les chambres à coucher voûtées , les fenêtres petites ,
étroites, peu ornées, grillées et si resserrées dans certaines parties,
qu'elles ressemblaient à des meurtrières , les escaliers nombreux et
renfermés dans des tours.
La salle d'armes était décorée des portraits et des lourdes armures
de tous les seigneurs qui avaient habité le château.
En remontant les escaliers de la tour à l'angle sud-ouest de la cour
intérieure , je passais dans une chambre plus grande que les autres ,
dont l'architecture était d'une grande simplicité. La cheminée était
circulaire, et sa hotte décorée de peintures. A côté, était suspendues
deux images sculptées, l'une de la Vierge , et l'autre de Saint Michel,
patron du château; au-dessous, un bras de fer. attaché à la muraille,
était destiné à recevoir un cierge. Des courtines suspendues à des
potences mobiles en fer marquaient les jours des fenêtres. Le lit était
aussi protégé par deux courtines attachées à des tringles de fer tenant
au mur par des pitons et au plafond par des cordes. Une lampe était
allumée au pied de ce lit. Les meubles ne consistaient qu'en esca-
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USE NUIT AU CHATEAU DU HOHEN-KCBNIGSBOURG. d61
beaux, pliants et cbaîses de bois. Les murs n'éiaieui décorés que par
des peintures simples à trois tons , parmi lesquels le jaune et le brun«
rouge dominaient.
Tottl*à-coup, une jeune femme, d'une taille élevée et majestueuse
comme une reine , s'avançait vers un prie-Dieu , recouvert d'une pièce
d'étoffe de soie et or , qui était placé devant l'image de la Vierge. Sa
robe de brocart, mi*partie aux couleurs des deux maisons, Lorraine
et Flandre , élait ornée de perles et de rubis ; une cordelière d'or
ceignait sa taille élégante, et un bandeau de pierreries couronnait son
fronL Quelle était cette femme? quelle était cette châtelaine? Elle
était pensive, ses regards exprimaient la mélancolie. Le chagrin
paraissait avoir terni le coloris de ses joues que les larmes avaient
creusées. Elle paraissait âgée de vingt-cinq ans. Sa physionomie était
noble et sévère , la coupe de son visage formait un oval parfait , son
front large et pur semblait fait pour porter le diadème ; ses traits
fortement prononcés ne manquaient pas d'une certaine grâce , ses
dents étaient d'une blancheur éblouissante et sa taille admirablement
bien prise. Elle élait fortement émue et paraissait se livrer aux tendres
élans d'une fervente prière; puis, tombant à genoux, elle y resta
longtemps plongée dans une sorte d'extase, conversant familièrement
avec son Dieu. J'entendais alors murmurer une prière dout j'ai pu
retenii' ces quelques mots :
c C'est à vos pieds et dans votre sein maternel, ô Marie ! que je
c viens verser des torrents de larmes , et épuiser les sentiments de
c mon cœur navré de douleur ; investis de toutes parts des ombres
c de la mort , et pour comble de malheur trop dignes de notre sort ;
c ah , Vierge sainte , apaisez le ciel justement irrité contre nous. Et
( vous , grand Saint Michel • assistez le château et mon noble époux »
c vous qui êtes notre protecteur , notre gardien et nôtre invincible
c défenseur ; renouvelez ces prodiges de protection dont vous nous
c avez favorisé dans tant de circonstances fâcheuses. Les discorde»
c civiles qui agitent l'Alsace se font ressentir au sein de nos cam-
f pagnes. L'élection de Guillaume , comte de Hollande , couronné à
< Aix-la-Chapelle , porte le trouble partout. Les villes se déclarent,
c les unes pour Guillaume , les autres pour Frédéric et Conrad : La
c désunion i ègne de tous côtés , les villes s'armeut contre les villes ,
c les châteaux contre les châteaux. Le seigneur, mon gracieux époux,
c a fait prendre les armes à ses vassaux. Ce ne sont pas des armées
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1891 REVUE D'ALSâGB.
c régulières et disciplinées qui viennent nous attaquer, livrant de
c grandes batailles ; mais des bandes sans ordre , marchant confuse-
fl ment à la voii de leurs chefs, surprenant nos châteaux, pillant nos
fl terres , et traînant partout sur leurs pas la désolation et Tépou-
c vante. Envoyez , ô Saint Michel , à mon noble seigneur des anges
fl qui le soutiennent , le guident , le rendent le ferme appui du cbâ-
c teau; obtenez-lui, grand Saint» la force et les moyens de combattre
c et terrasser ses ennemis et que je puisse dire avec le Roi prophète :
c Je chanterai à jamais les miséricordes de mon Dieu, i
Dans ce moment il me semblait entendre le son du côr retentir
dans les airs et une troupe de guerriers s'élancer sur la plate-forme
du château. Les armes d'acier resplendissaient aux rayons du soleil
evant: la blanche bannière, brodée aux armes des ducs de Lorraine,
à Vescu tiercé en pals et contre''paU , à faces d'argent et de gueules ,
parti d^azur, semé de fleurs de lys d'or, flottait dans les airs , gonflée
par la brise matinale : les pas des chevaux dévoraient l'espace, soule-
vant un épais tourbillon de poussière. Toute la troupe tourna la mon*
tagne et reparut bientôt en bon ordre sur la route à mi-côte qui con-
duit au château des sires de Ribeaupierre. Debout au donjon de la
tour, les yeux fixés sur le chef, dont la haute taille surpassait celle
de ses compagnons comme un chêne altier dépasse les autres arbres
de la forêt , je suivais longtemps en imagination la marche de la
cohorte guerrière; et lorsque cette masse d'hommes ne se montra
plus que comme un point noir à l'horizon , que le panache blanc qui
surn\ontait le casque du suzerain, ne m'apparut plus mollement
balancé dans les airs , le soleil paraissait. On le voyait s'annoncer de
loin par les traits de feu qu'il lançait au-devant de lui. Des colonnes
de fumée bleue et légère montaient dans l'ombre le long des flancs
des montagnes. Un point brillant parti comme un éclair fit tomber
tout-à-coup le voile des ténèbres, la plaine, le Rhin et les montagnes
de la Forêt-Noire se coloraient des plus belles teintes dorées. Du lieu
où nous étions placés , nous jouissions d'un des plus imposants spec-
tacles qu'il soit donné à l'homme de voir. La verdure avait pris, durant
la nuit , une vigueur nouvelle ; les premiers rayons qui la doraient ,
nous la montraient couverte d'un brillant réseau de rosée ,* qui réflé-
chissait à l'œil la lumière et les couleurs. Les oiseaux , en chœur ,
saluaient l'avenir d'un beau jour. Leur gazouillement était plus doux
que dans le reste de la journée. Le concours de tous ces objets por-<
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Xm NUIT AU CHATEAU DU HOHENKOENIGSBOUBG. 18S
lait à nos sens une impression de fratcheur qui nous pénétrait jusqu'à
rame. Il y avait là une demi-heure d'enchantement auquel nul de
nous ne put résister.
Le silence avait cessé; les heures de la méditation s'étaient écoulées
rapidement ; les frêles voix des enfants du garde avaient retenti dans
les coteaux ; Tastre messager des bontés suprêmes dispensait la cha-
leur à la terre» qui reprenait son vêtement joyeux. Tout renaissait ,
tout s'animait . tout souriait. Je n'ai pars quitté sans peine ce lieu
historique , cette demeure guerrière , ce château construit dans un
lieu si favora|E)le à la défense , sur le haut d'une montagne , dont le
flanc escarpé et inaccessible rendait toute attaque si difficile, et j'avais
besoin de marcher pour secouer les liens qui rattachaient ma mémoire
à un temps où l'Alsace était déchirée par tant de discordes sanglantes.
En jetant un coup-d'œil sur la féodalité , cette confédération de
despotes , inégaux entre eux » que voyait-on dans ces campagnes
cultivées en si peu d'endroits » inondées dans tant de vallons , mar^
cageuses dans tant de plaines , et couvertes . sur leurs montagnes et
sur leurs collines , de noires et antiques forêts ? La demeure guer*
rière des seigneurs , dont l'enceinte était fortifiée de tours crénelées,
et , dans les vallées voisines , les chaumières des serfs qui cultivaient
les terres du domaine de leur maître. Ces campagnes « que nous
voyons aujourd'hui si belles et si fertiles » se trouvaient au loin , cou-
vertes de bois presqu'impraticables. Tout cela est changé. Le soleil
qui dorait la vaste plaine qui se déploie depuis le revers occidental de
la chaîne des Vosges jusqu'à la rive gauche du Rhin , nous montrait
partout les progrès de la civilisation et de l'agriculture. La vallée
commence un peu après le village de Saint-Hippolyte ; elle s'annonce
par des prairies à droite et à gauche , bordées de ruisseaux et cou-
pées par des rigoles d'irrigation , qui entretiennent une verdure
perpétuelle, et par des champs recouverts d'une luxuriante végétation.
En peu de temps nous avions gagné la station de Saint-Hippolyte ,
d'où le convoi nous a ramené plus rapidement encore à Strasbourg.
Après avoir tracé le récit de mon voyage et de mes impressions, je
comptais donner quelques détails sur l'histoire du château du Hohen-
Kœnigsbourg , mais cette partie a été si admirablement traitée par
M. Spach , notre savant archiviste de la préfecture du Bas-Rhin , dans la
monographie qu*îl a lue à la séance du il février 1856 , en qualité de
Président de la Société pour la conservation dés monuments historiques
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{8i REVUE D*1L8àCB.
d'Alsace , que je ne puis qu'engager le lecteur i se reporter à ce
travail sérieux pour avoir une idée complète et exacte sur tous les
faits historiques qui se sont passés au Hohen-Kœnigsbourg. Ils trou-
veront tous les points principaux de son existence antérieure au
16* siècle , et surtout les circonstances qui ont amené sa décadence
et sa chute. Le travail de M. Spacb dénote une grande étude de
l'histoire de l'Alsace et surtout des archives du pays. Les qualités qui
distinguent son style se retrouvent dans tout le cours de sa notice ;
elles relèvent par l'agrément de la forme la solidité du fond et donnent
un succès durable à ce mémoire, qui a été pour l'auteui* l'accomplis-
sement d'un devoir et le délassement de travaux plus sérieux.
Tous les événements racontés par M. Spach s'entr'aident , se cor-
roborent , il ne laisse aucun fait inutile dans l'histoire : tous les pas-
sages sont intéressants. Après nous avoir parlé de la fondation du
Hohen-Kœnigsbourg, il se place au milieu du 13« siècle , époque à
lyuelle le château apparaît pour la première fois d'une manière pré-
cise comme fief lorrain , et nous raconte tous» les faiu et tous les
actes d'un passé séculaire , qui se sont accomplis par les landgraves
d'Alsace , qui géraient le château en qualité de tenanciers féodaux.
Il nous fait assister aux rapines barbares des brigands cuirassés du
château , qui couvraient les rivages du Rhin , pénétraient dans l'inté-
rieur des terres , portant partout avec eux le pillage , le meurtre et
l'incendie. Il nous dit comment le château fut érigé 'en capitainerie ,
et reçut une garnison autrichienne ; il nous dépeint , au moyen des
pièces qu'il emprunte à nos archives, les faits de cette société antique
qui a formé son- éducation au contact de tous les peuples en traversant
des désastres de toutes sortes. Une autre époque est surtout racontée
par lui avec les détails les plus minutieux et les plus émouvants. C'est
celle de l'invasion des Suédois pendant la guerre de trente ans. Quel
sentiment de noble indépendance , de généreuse ambition présidait
aux actes de ce brave commandant Lichtenau , qui a vu les murs de
son château ensanglantés par les guerres de cette terrible époque ,
sans obtenir les secours qu^l attendait. Il était temps de porter aide
et assistance à la forteresse réduite à la dernière extrémité » et
cependant le courage de son commandant n'a pas été arrêté, il a con-
tinué fièrement sa route • retrempant ses forces dans sa propre indi-
vidualité. H. Spach grouppe admirablement tous les faits de ces
derniers moments de l'histoire du château « il a cherché à tout con-
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UNE NUIT AU CHATEAU DU HOHEN-KCCNIGSBOURG. 18S
nattre , et poar cela il a été obligé de compulser une grande partie
des archives de la préfecture. Le plus bel éloge » que Ton puisse faire
de son travail , c'est qu'il plait ei qu'il instruit en même temps. Voilà
comment il termine sa monographie ; qu'il nous permette de citer
quelques mots.
c En jetant un coup d'œil rétrospectif sur les faits qui viennent
c de se dérouler devant nous , et sur les personnes dont le nom se
c rattache aux murs maintenant effondrés du Hoben-Kœnigsbourg ,
ff quels sont les événemenls , quelles sont les individualiiés qui ont
c quelque droit à rester fixés dans votre mémoire ? Vous avez vu le
c château , fief lorrain d'abord , passer aux évéques de Strasbourg »
c puis à la maison d'Autriche » enfin à la maison royale de France,
c Comme feudataires de ces puissances diverses , les de Werde , les
c d'Attingen , les Thierstein , les Sikingen , les Pollwiller, les Fugger
c ont tour-à-tour occnpé le château fort , soit eux-mêmes » soit par
c des gouverneurs. Une dramatique prise de possession par Rodolphe
f de Pollwiller a un instant, j'ose l'espérer, captivé votre sympathie ;
< mais , je le dis avec regret , de tous ces noms , les seuls individua-
c lités qui ressortent avec un caractère fortement trempé , ce sont les
c deux commandants autrichiens et suédois qui , en 1635 , se
c trouvent face à face : C'est aux pieds des remparts le colonel
< Fischer, comme l'étaient à cette époque tous les guerriers sortis de
c l'école de Gustave-Adolphe ; et dans l'intérieur des murs , le brave
c Lichtenau , le modèle du sujet loyal , de la valeur calme et
c modeste.
c En seconde ligne vous trouvez l'ingénieur aventureux du i6^
c siècle , Albert de Berwangen , qui se fait fort de prendre , mais qui
c n'a pas pris le château , enfin le fils de l'ammeistre de Strasbourg ,
c qui joue dans la seconde moitié du i8* siècle , un rôle peu honnête,
c mais inoui d'insolence , et qui lui aurait valu en d'autres temps un
c asile sur les galères du roi.
c Je n'ai jusqu'ici pu découvrir auciin document relatif à la situation
c matérielle du Hohen-Kœnigsbourg à partir de la guerre de trente
c ans. Le château a-t-il encore été habité par intervalle » et la ruine
c n'a-t-elle été complète qu'à partir delà révolution de i789?je
c rignore ; ce qui est certain , c'est que la dégradation qui s'est faite
« sous nos yeux est rapide et désolante. >
Pendant longtemps les villages des environs ont cherché des maté-
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i86 RBVUE D* ALSACE.
riaux pour] leurs bâtisses au milieu des ruines du vieux bour{^, vaste
et inépuisable carrière : heureusement on a mis un terme à ces
dégradations , et le Hohen-Kœnigsbourg présente encore quelques
parties bien conservées*.
La Société pour la conservation des monuments historiques d'Alsace
tend avec un zèle digne d'éloges à préserver ce château d'une ruine
complète ; depuis plusieurs années elle consacre des fonds à des tra-
vaux de consolidation et de déblai. Ces travaux, d'une grande
importance . sont exécutés avec intelligence et sous la surveillance de
M. le baron Mathieu de Favier, dont je me plais à citer le zèle et le
dévouement. Ce magnifique débris du moyen-âge , qui était menacé
de disparaître sous les décombres sera bientôt en meilleur état. Ces
travaux ont déjà mis à jour lesparties les plus intéressantes du château.
La cour est déblayée, l'escalier circulaire est dégagé, les dallages sont
rendus à leur destination, la grande cuisine a reçu son aspect primitif»
presque toutes les pièces de la face sud du premier étage sont nivelées ;
enfin tout fait espérer que dans quelques années l'œuvre de conser-
vation de ce monument historique sera entièrement terminé.
J'ai pris goût à visiter les vieux châteaux , mais ceux de notre belle
Alsace seront toujours le terme choisi de mes courses. Ils sont si
admirablement situés dans ces montagnes des Vosges chargées de
noires forêts de sapins , et ces montagnes elles-mêmes exercent une
si heureuse influence sur notre moral ; il faut bien que leur aspeôt ,
l'air qu'on y respire » les habitudes que l'on y contracte , toute l'exis-
tence physique et sentimentale y aient des charmes paniculiers , car
aucun séjour n'est plus fortement regretté. Oui ces montagnes aux
larges flancs , aux croupes richement boisées et couvertes de monu-
ments qui sont l'orgueil et l'ornement de notre province , ces mon-
tagnes que nous aimons dès notre enfance dont les plus doux souve-
nirs se rattachent à leurs ombrages « ce sont les Vosges alsaciennes
qui développent vers les plaines du Rhin leurs masses les plus puis-
santes et leurs plus rudes escarpements.
Strasbourg , le !«' octobre 1860.
Saboukin de Nanton.
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M. DE SAINT-MARTIN,
M- DE BŒCKLIN, LES DEUX SALZMANN, GOETHE.
Suite et fin. f )
Ce 15 mars 1861.
Monsieur le Directeur de la Revue d'Alsace.
MoD cber Directeur ,
Il y a plaisir vraiment à faire appel au goût de l'învestigatioD litté-
raire et aux sentiments de dévouement fraternel dans le champ de
l'exploration historique en cet excellent pays d'Alsace: on y est
entendu des hommes de tout âge , comme on le serait de la belli-
queuse jeunesse en l'appelant à montera cheval. Voufsavez bien voulu
seconder ma voix en demandant aide et assistance sur un personnage
alors inconnu pour moi. Le voilà connu à tout le monde. Recevez-en
mes plus vifs remerciements. Et surtout permettez-moi d'associer ici
le public à l'expression de ma reconnaissance personnelle pour tous
ceux qui ont si généreusement répondu à nos désirs.
A leur tête je dois nommer un ancien maire de Strasbourg,
M, Kratz , qui a bien voulu me communiquer un volume aujourd'hui
un peu oublié , le Youage à Paris de Storck (de Saint-Pétersbourg) ,
volume où se trouvent , sur celui des Saltzmann qui fut l'ami de Gœthe»
les indications les plus précieuses. Il paraît que cet c ami d'un grand
homme i était tout simplement un homme charmant « et je suis heu-
reux d'avoir l'occasion de rendre à sa mémoire tous les hommages
(*) Yoir la livraison de novembre 1860 , page 520.
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i88 REVUE D'ikLSACe.
qui lui sont dûs. Rassuré aiûourd'hui sur l'absorption dont son noai
menaçait un nom sacré pour moi , je n*aî plus pour l'usurpateur invo-
lontaire que les sentiments de la justice la plus emprtessée.
L'obligeance de M. Krat2 a été plus active et plus heureuse encore.
Des relations de famille avec feu la baronne de Hatzenried , Tamie de
cœur de Madame de Bœcklin , lui ont permis de me communiquer des
lettres intéressantes de cette amie de Saint-Martin et de précieux
extraits tirés par elle des auteurs qu'elle admirait le plus.
Grâces à ces documents et à U correspondance de Saint-Martin avec
le baron Kircbberg^er de Liebisdorf , que vient de mettre à ma dispo-
sition son possesseur actuel , le comte d'O. ; grâces à des fragments
de biographie, inédits, que je dois à l'obligeance de M. Tascbereau ,
administrateur en chef de la Bibliothèque impériale ; grâces enfin à
une notable série de traditions orales, recueillies avec la critique
nécessaire , le rôle que Madame de Bœcklin a joué dans la vie stu-
dieuse d'un homme fort distingué m'est aujourd'hui parfaitement
connu , et je suis à même de donner du mérite de Madame de Bœcklin
une appréciation qui, pour être moins contemporaine, n'en sera
peut-être que plus juste.
La notice que M. Huiler a publiée dans le Courrier du Bas-Rhin du
28 février ajoute , sur sa personne et sur sa famille , des indications
d'une richesse et d'une précision dont nous devons remercier l'auteur
avec un sincère empressement.
Maintenant que la vérité s'est fait jour de toutes parts, tenons*nous-
en à l'histoire sans fable ni poésie ; ne confondons plus M""* Charlotte
de Bœcklin avec aucune de ses parentes; n'en faisons pas un person-
nage ; ne tombons à son sujet ni dans les exagérations du c philosophe
inconnu > ni dans d'autres.' Elle n'a joué aucun rôle dans son pays.
De concert avec Rodolphe Salzmann elle a fait connaître J. Bœhme
et a donné un guide moins extatique à un admirateur excessif de
Swedenborg. Elle a traduit quelques textes du c philosophe teu to-
nique > pour le baron de Liebisdorf. Femme spirituelle , pieuse et
simple , elle a terminé dans une situation un peu modeste une car-
rière dont le début avait promis de l'éclat , et après avoir introduit
dans les sanctuaires du mysticisme allemand son ami trop enthou-
siaste » elle a bientôt cessé de le guider. Voilà tout son rôle. Elle a
eu le bon esprit de ne pas même essayer celui de Docteur. Elle n'a
pas écrit.
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M. DE SAINT-MARTIN , MADAME DE BQBCKL1N , ETC. 489
Quant à Saint-Marlin lui-même , n'exagérons rien non plus. 11 ne
fut jamais un c brillant officier, » et il n'était plu» en service du tout
en 1790, quand il vint en Alsace. Il est le plus ^rand mystique de
France dans les temps modernes ; mais il n'est ni un philosophe
éminent ni un penseur original : pâle disciple de J. Bœhme , il est
une âme excessivement croyante , mais pure et sereine , un peu
rêveuse d'ordinaire , souvent plus épigrammatique qu'il ne serait
nécessaire.
Son séjour plus prolongé qu'on ne le pensait a-t-il laissé à Stras-
bourg des traces un peu sensibles ?
Ce n'est pas ici le lieu d'apprécier le rôle que le mysticisme et la
théosophie ont joué sur les bords du Rhin , au commencement de ce
siècle t et le but que je me suis proposé en appelant l'attention sur
une femme distinguée qui figure dans les mémoires d'un écrivain
enthousiaste de Strasbourg, appelant Strasbourg son paradis terrestre,
ce but étant parfaitement atteint, je réserve pour d'autres temps et
d'autres pages ce que les papiers de M. Salzmann, de Jung-SttUing,
de Madame de Bœcklin , de Saint-Martin et de Liebisdorf nous
apprennent à ce sujet. Quant aux rapports du grand mystique avec
Madame Charlotte de Bœcklin , je pense qu'il faut nous contenter de
savoir qu'ils furent admirables. Tout le monde ne verra peut-être pas
avec nous , au premier coup-d'œil , qu'il s'agit encore et toujours de
théosophie et de mysticisme , si souvent que Saint-Martin parle d'elle
dans ses Mémoires. Et pourtant chacun doit en être bien persuadé ^
même en lisant les lignes que je vais en transcrire , ne fût<-ce que
pour l'instruction de ceux qui ne savent pas encore assez combien il
faut surveiller sa plume quand elle s'exprime sur nos affections et sur
nos amitiés , si saintes soient-elles.
c Un des traits de celui qui n'a casé de me comballre est ce qui
m'arriva à Strasbourg en i79i .
c II y avait trois ans que j'y voyais tous les jours mon amie intime.»
Je signale ces lignes. Elles n.ontrent que M. de Saint-Martin est
arrivé à Strasbourg dès 4788. On ne parlait jusqu'ici que d'un séjour
d'un an qu'il y aurait fait.
f Nous avions eu depuis longtemps le projet de demeurer ensemble,
sans avoir pu l'exécuter. Enfin nous l'exécutons. Hais au bout de
deux mois , il fallut quitter mon paradis , pour aller soigner mon
père.
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490 RBVUE D'ALSACE.
« La bagarre de la fuiie du roi me 6l retourner de Lunéville à
Strasbourg » où je passai encore quinze jours avec mon amie. Mais il
fallut en venir à la séparation. Je me recommandais au magnifique
Dieu de ma vie pour être dispensé de boire cette coupe ; mais je lus
clairement que « quoique ce sacrifice fut horrible* il le fallait faire ,
et je le fis en versant un torrent de larmes, i
On reconnaît à ce style et ù cette exaltation le siècle de Werther.
« Lannée suivante , à Pâques • tout était arrangé pour retourner
près de mon amie « une nouvelle maladie de mon père vient encore .
à point nommé, arrêter tous mes projets >
Qui dirait que c'est un théosophe de cinquante ans qui écrit i «ne
mystique née la même année que son correspondant?
Et quelle gloire pour deux noms que toute cette amitié à la fois si
vive » si enthousiaste et si sainte !
Elle ne fut pas exclusive , toutefois , et une autre page de ces
Mémoires , page que je me ferai un devoir de publier un jour • nous
rappellera bon nombre de familles du pays et de l'étranger que Saint-
Martin voyait à Strasbourg et dont la société fut pour lui si pleine
d'attraits qu'il fit de cette ville son paradis terrestre.
Plusieurs de ces nobles familles me sont inconnues» et j'aimerais
bien à risquer encore quelques questions.
Mais aujourd'hui je finirai plutôt ces lignes par l'expression du
sentiment qui me les a fait commencer : ma reconnaissance la plus
empressée et la plus sincère pour une assistance aussi courtoise et
aussi généreuse.
Agréez » mon cher Directeur , l'expression , etc.
Mattbr.
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ALSATIA de M. AUGUSTE Stoeber , 9« volume • 4'« partie,
i858-i860.
M. Auguste Stœber poursuit avec un zèle digne d'éloges son œuvre
imporianie connue sons le nom d*AUaiia , œuvre toute patriotique et
qui prend tous les ans des proportions plus étendues. L'accueil sym-
pathique que reçoit cette publication est la meilleure preuve de sa
valeur et doit déterminer l'auteur à la continuer. -
Le 9« volume qu'il vient de faire paraître ne le cède en rien à ceux
qui l'ont précédé. Il renferme , i® un chronique , attribué à Sébastien
Mûeg, de la guerre entre la ville de Strasbourg et le cardinal Charles
de Lorraine» pendant les années i592 et i593 et plusieurs pièces de
vers satiriques se rapportant à cette époque de troubles. Ces docu-
ments destinés à servir à l'histoire de TEvéché de Strasboui^ sont
accompagnés de notes intéressantes dues à M. Stœber.
20 Une monographie du village Westhoffen en Basse-Alsace — de
Charles Hoffmann.
3<>. Une notice très-complète sur les établissements que l'ordre des
béguines ou des femmes pauvres et repenties possédait à Strasbourg»
au moyen-âge , suivie de pièces justificatives — par C. 5chmidt.
4'' Vingt-six légendes et contes alsaciens recueillis par Cbrisiophorus,
Otte , Flaxland » Ehrmann , Ingold , Màder, Klein , Berdellé , Ringel
et Stœber.
Ces contes» dont quelques uns ont évidemment leur origine dans le
paganisme « ont un charme tout particulier par leur simplicité et leur
étrangeté. Je citerai : la pierre du ménétrier, la dame jaune du Hoh"
kœnigsburg , lei carpes du lac de Seeven , la tête de mort parlante , etc.
Les amis de notre histoire locale doivent savoir gré , à l'infatigable
auteur » de son culte pour le passé et des efrorts qu'il fait pour nous
conserver ce que le temp^ a épargné. Car il ne faut pas se le dissi-
muler, la civilisation et le progrès font disparaître peu à peu ces
simples histoires qui se sont transmises de siècle en siècle , qu'on a
recueillies dans les longues veillées d'hiver et qu'on nous racontait
encore quand nous étious enfants. Les souvenirs s'effacent, la dernière
génération qui les a transmis , va s'éteindre et il ne restera plus rien
de ce passé fantastique qui a produit tant et de si douces émotions.
J. DiETRIGH.
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\9^ REVUE D' ALSACE.
Société pour la conservation des monuments historiques
d'Alsace.
Sur la proposition du Président , M. le Préfet du Haut-Rhin a 6xé
au samedi 27 avril 4861 , à 2 heures du soir , l'assemblée générale ,
qui se réunit , une fois par an ^ à Colmar.
La séance aura lieu dans l'une des salles de l'hôtel de la préfecture.
MM. les sociétaires recevront ultérieurement des lettres de convo-
cation individuelles.
Le Président a l'honneur de prier cens de MM. les membres « qui
se proposent de lire des mémoires , de vouloir bien lui en donner
avis préalable.
Il rappelle que les mémoires devront , de préférence » porter sur
des monuments du Haut- Rhin ou des sujets historiques ayant trait à
la Haute-Alsace.
ERRATA.
Livraison de mars. — Page i02 , au lieu de : ermuant h eAemtn de Bel fort ,
lisez : le chemin de fer de Belfort ;
Page 103 , au lieu de : Getilids , lisez : Getilieus ;
Page 108 , au lieu de : la dernière enquête adminietrative parle encore de
mètres de ruinée , lisez ; de plueieurs centaines de mètree de ruines ;
Même page, »a Heu de \^S»ptimi Sdrre, lisez : Septùne Sévère ;
Page 109, au lieu de : ville dejoni , lisez : viUe de jonc;
Page 110 , au Heu de : de même Bumhaupt , lisez : le même Bumhaupt ;
Ibidem , au lieu de : Us momis , lisez : les moines ;
Ibidem , au lien de : la tombe , lisez : la oombe ;
Page 111 , au Heu de : Barbes , lisez : les barbares.
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THÉODORE KREISS.
M. Ozaneaox, qui a laissé des souyenirs très- vifs i Colmar, comme
professeur de rhélorique . et un oom estimé dans le monde littéraire
et académique de Paris, M. Ozaneaui vint, au printemps de 4841,
comme inspecteur général des études, visiter nos écoles et nos
établissements scientifiques. Au sortir d'une tournée faite au gymnase
de Strasbourg • il me dit — car il m'honorait de sa confiance et de
son amitié : c Vous avez ici un professeur hors ligne , je viens d'as-
sister à une leçon de littérature ou plutôt d'éloquence latine» faite en
langage cicéronien ; je suis frappé d'étonnement; j'ai vu un homme ,
jeune encore mais courbé par le travail et par une infirmité pénible ,
parlant le latin comme nous parlons notre langue maternelle, avec
pureté, avec entraînement lorsque le sujet l'y convie; il est compris,
suivi dans toutes les nuances de son débit rapide par ses élèves , qui
sont littéralement suspendus à ses lèvres. > — Je prévins l'inspecteur
général , en l'interrompant et en nommant M. Kreiss. C'est en effet
de ce modeste professeur , récemment enlevé à ses amis et à ses
élèves , que M. Ozaneaux voulait parler ; il le fit , avec une effusion,
qui me causa une émotion à peine contenue ; car , au sortir de l'en-
fance , j'avais eu le bonheur d'être le camarade d'études du maître
distingué , dont j'entendais faire l'éloge par un autre ami , des plus
compétents en pareille matière. Le mouvement de satisfaction que
j'éprouvais sera compris par ceux de mes lecteurs qui ont pu , dès l'âge
de quinze ans , identifier leur existence avec celle de quelques con-
disciples , et qui ne sont pas devenus infidèles à ces affections pre-
mières.
s* Série. -i* Année. i3
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494 RKTDK D'ALUGB.
L'impression , que reçut M. Ozaneaux de renseignemeoi classique
donné par M. Kreiss . a élé partagée par tous les hommes éminents
ou distingués , que rUniversité de France a successivement délégués
pour l'inspection de l'Alsace. Ce jugement officiel » joint à la haute
opinion que les professeurs du séminaire protestant avaient conçue
eux-mêmes à l'endroit de cet éloquent interprète de l'antiquité clas-
sique » valut à M. Kreiss , en 1843 , la nomination à une chaire de
littérature grecque et latine, vacante au séminaire. On était parfaite*
ment édifié sur la portée du professeur • quoiqu'il n'eut pas fait une
seule publication scientifique , pour légitimer ses droits en face du
monde savant.
C'est précisément cette position toute exceptionnelle de M. Kreiss,
qui m'engage, qui m'enhardit à produire son nom devant les lecteurs
de la Jlevtie d*AUace , et à consacrer à ce savant modeste une suc*
cincte appréciation biographique, dont ils comprendront tout-i-
l'heure le sens et la portée.
M. Kreiss , né en 1802 , est le fils d'un ecclésiastique protestant ,
pasteur de Saint-Pierre*le-Jeune de Strasbourg, d'un homme de bien
dont les pauvres ont gardé la mémoire; lorsqu'on l'a enterré en
4841 • ce sont les habitants de son faubourg qui lui ont fait un cortège
de bénédiction. M. Théodore Kreiss respectait son père comme le
représentant visible de l'autorité divine ; toute son ambition eût été
de se faire prédicateur comme lui. il devait en être autrement ; le
Jeune candidat en théologie fut obligé de conformer sa vocation à ses
forces physiques. C'est l'un des mérites de H. Matter, directeur du
gymnase de Strasbourg en 4827 , d'avoir deviné les services que
pouvait rendre M. Kreiss à l'enseignement du gymnase, et de l'avoir,
soit spontanément , soit sur recommandation , rappelé de Paris , où
le jeune philologue avait accepté, avec succès, dans un établissement
ou pensionnat universitaire , les fonctions de professeur de grec et
d'aumônier protestant.
Elève de l'illustre Schweighaeuser, M. Kreiss avait fait , de bonne
heure, de l'étude de l'antiquité classique son occupation favorite. Son
ardeur l'avait aussi poussé vers Gœttingue , où l'enseignement du
célèbre Heyne appelait alors, de toutes les parties de l'Allemagne,
une jeunesse studieuse. Théodore Kreiss s'assimila les trésors de
l'érudition germanique avec une sympathique facilité ; pendant tonte
sa carrière, il persista dans cette accumulation de science, dont jus-
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TBÉODOItK K1IBI8S. i9K
qo'ici les élèves du gymnase et du séminaire ont seuls profité. Les
lecteurs de la Bévue auraient, à ce sujet . le droit de me demander »
comment il s'est fait qu'un savant « d'une érudition non douteuse » et
d'une incontestable capacité, puisqu'il enseignait avec succès, n*ah
point produit au grand jour le fruit de ses études. Plus d'une fois les
amis de M. Kreiss lui ont adressé des questions semblables ; il y
répondait avec ime insurmontable et naïve modestie , qui était chez
lui l'expression d'une humilité naturelle et le résultat de convictions
religieuses très-profondes. On dirait que des natures ainsi organisées,
se développent sous l'influence d'un double courant; l'un , venant d'en
haut, leur fait repousser comme une tentation la gloriole humaine;
l'autre émane d'un jugement ferme , qui pèse les forces vives dont
il dispose > et se refuse à les mettre en jeu pour obtenir un résultat
incertain.
De nos jours , le marché littéraire et scientifique est encombré ,
passez-moi l'expression un peu maiérielle appliquée aux choses de
l'esprit; la production dépasse la demande ou la consommation. Et
cette remarque s'applique à presque toutes les parties du savoir
humain , mais aux travaux littéraires et aux études classiques plus
encore qu'à d'autres parties de l'immense domaine des sciences.
Parcourez, même superficiellement , les notices bibliographiques, les
catalogues de librairie de l'Europe centrale et occidentale ; et vous
demeurez sans aucun doute confondu , efi'rayé à la vue de cette masse
meommensurable de livres nouveaux , que chaque saison voit éclore,
et qui trouvent ou ne trouvent pas d'acheteurs. Vous me direz , que les
productions infimes , dans toutes les branches du savoir ou de la
littérature, sont destinées à passer vite , et que cet encombrement du
marché littéraire n'est qu'apparent; que la bonne marchandise , rare,
exquise , surnage au milieu des flots bourbeux de la littérature et de
la science de pacotille; que le savant qui sent ses forces et sa valeur,
ne doit point craindre de s'aventurer sur cette mer en apparence
sans rivages ; qu'il peut être sûr de faire remarquer son pavillon , et
d'arriver à bon port , vers cette rive désirée, où les éminents arrivent
seuls , et seuls reçoivent la récompense ambitionnée d'inscrire leurs
noms sur les registres où l'estime des contemporains et des généra-
tions à venîr conserve le souvenir du vrai mérite.
Je ne veux poini examiner jusqu'à quel point ce dire est vrai et
fondé ; jusqu'à quel point il suffit de savoir et de vouloir, pour arriver»
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496 RSVUB D'IlLSàCB.
de nos Jours, à se créer, par la parole écrite, un auditoire bienveillant;
jusqu*à quel point le mérite, luttant avec le charlatanisme , la mauvaise
foi et la médiocrité outrecuidante a chance de se faire sa place. Je
n'examinerai point si le bon goût et le bon sens ne commandent pas»
de nos jours, de s'abstenir de toute production littéraire ou scienti-
fique, à moins que Ton ne soit tenu, par devoir, de fournir ses
preuves, de montrer aux incrédules et aux envieux» que l'on sait
l'orthographe, la grammaire, la syntaxe, et les notions élémentaires,
indispensables à la position sociale que l'on^occupe. M. Kreiss, en
n'étalant pas au grand jour les résultats de ses fortes études , n'avait
point posé la question sur ce terrain ; loin de là ; il était parti d'un
point de vue tout opposé; méconnaissant réellement ses forces, et
son droit de se faire écouter, il s'était persuadé, que, la science
ayant, dans tous les recoins de son domaine, des représentants
illustres ou distingués, la suffisance seule pouvait descendre dans la
lice; qu'il valait mieux consacrer à l'enseignement direct, oral, le
taljent que Dieu vous a confié ; qu'il était infiniment préférable de
signalera des élèves attentifs les excellents ouvrages d'autrui, que
d'en faire soi-même ; que c'était chose plus douce d'initier des enfants
d';idoption dans les chefs-d'œuvre immortels que l'antiquité nous a
légués , et de se servir à cet effet des nombreuses clefs fournies par
la science ancienne et contenfporaine , au lieu de se constituer soi-
même auteur , éditeur ou commentateur de surérogatîon.
M. Kreiss , en un mot , mettait à s'effacer, la même obstination, que
d'autres en mettent à se produire. Et certes , à voir la médiocrité qui
se prélasse , comment ne pas être tenté d'approuver un esprit remar-
quable, qui se contient, quoiqu'il ait h un haut degré le-tàlent naturel
de l'éloquence • et qu'il joigne à un vaste savoir, la puissance des
combinaisons originales, et ce souffle, qui imprime le mouvement
et la vie ù la masse inerte des connaissances acquises.
M. Kreiss a vécu dans l'intimité de la Grèce et de Rome , avec une
passion, que des voyages dans le midi de la France et en Italie n'ont
fait que développer. Dans son cabinet de travail , il était entouré de
bustes antiques; sa vue se reposait sur de beaux tableaux de la
cité de Minerve et de la ville éternelle; le soleil de Grèce, qu'il ne
pouvait chercher lui-même , il en jouissait dans ces œuvres de
l'an ; sa vive imagination et son cœur le transportaient au haut du
Capitole , où il avait passé de si heureuses soirées dans l'intimité du
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THÉODORE KREISS. 197
lavant et illustre interprète des hiéroglyphes, de Lepsiu9, Une magni-
fique collection de tous les auteurs classiques , et des ouvrages les
plus distingués sur l'histoire , Tarchéologie et l'art des anciens ornait
sadenseure; elle a passé à la bibliothèque du séminaire, et a été
conservée • on peut te dire • miraculeusement , sur la lisière même de
l'incendie, qui a failli, dans la journée néfaste du 29 Juin 1860,
consumer tant de trésors du savoir humain amoncelés dans la biblio-
thèque de la ville de Strasbourg.
Je n'aurais donné qu'une faible idée de l'active influence de
H. Kreis3, s.i je me bornais à vous signaler les mérites de son savoir
mis au service d'un enseignement modeste , intra muros, de sa ville
natale. C'est une belle vocation sans doute, de faire naître dans une
génération de jeunes théologiens l'amour des éludes sévères , et le
goût du beau , qui épure et élève l'intelligence , et lui communique
le secret de rester toujours jeune au milieu des . soucis , des
travaux uniformes de la vie pratique. Mais l'action de M. Kreiss
était plus fécondante encore ; il était avant tout un maître chrétien ;
l'ardeur qu'il avait apportée à l'élude de l'antiquité profane,
n'était que le pâle reflet du feu intérieur, qui illuminait son esprit,
qui écbaufliiit son âme • et qui projetait sur les vérités révélées un
jour tellement lumineux , que pour lui elles avaient une certitude
mathématique. M. Kreiss, pendant les dix-huit dernières années de
sa vie» pouvait s'écrier, chaque soir :
Je vois , je sais , je crois !
Je vous laisse à penser ce qu'une force de conviction pareille, unie
à une- rare tolérance et une puissance irrésistible d'attachement»
devait, lui donner d'action et d'ascendant sur ses élèves et sur de
nombreux amis, qui recouraient à lui dans toutes les crises pénibles
de leur vie , et qui trouvaient auprès de ce foyer de chaleur, selon
les besoins du jour, appui, consolation , sympathie pour leurs peines »
et, au besoin, pour leur bonheur. Celte charmante et afl^ectueuse
nature, si cruellement éprouvée par des souO'rances physiques , com-
prenait cependant, avec un merveilleux renoncement, la joie des
autres ; elle en prenait sa part , sauf à confier à Dieu seul les douleurs
qui venaient l'assaillir elle-même.
On dirait qu'il y a dans ce monde deux classes d'êtres; que les uns
s'ont privilégiés dès leur naissance et. faiis pour jouir ; que les autres
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M8 aKvuB d*al8àgs.
naissent pour souifKr. Lorsqoe chez, ces derniers , la souCRrance ne
développe point Tamertame , mais la puissance d'aimer . elle en foit ,
sur cette terre déjà» des membres de la cité de Dieu« destinés à
montrer aux faibles , aux sceptiques le chemin qui y conduit. Théodore
Kreiss a rempli celte mission ; il a été un vrai directeur de consciences,
et maintenant que le savoir humain . dont il avait amassé une large
provision , dort avec lui dans le cimetière de Sainte-Hélène , le bien
qu'il a fait aux âmes est le seul résultat peut-être dont il garde le
souvenir.
, J*ai Ciit un peu de bien ; c^est mon meilleur ouTrage,
a dit le génie encyclopédique» qui se dresse à rentrée du 18* siècle »
et qui en fait presque la clôture. Si cet esprit sceptique par excel-
lence est arrivé à pareille conclusion » lui , qui n'a pas même entrou-
vert à ses adeptes le sanctuaire de la foi , avec combien plus de raison
un esprit aimant et croyant, comme le fut celui de Théodore Kreiss»
aurait-il été en droit de répéter cette sentence !
Hais le devoir des survivants ne peut être limité par les hypo-
thèses , que nous nous permettons de former sur le peu de valeur
attaché par les âmes des trépassés aux choses de ce monde. Les ma-
nuscrits 9 délaissés par feu M. Kreiss. me font Teffet d'un legs » que
des amis compétents devraient utiliser au profit du public savant.
Ces travaux portent sur les auteurs classiques » interprêtés et com-
mentés, par lui dans les cours qu'il professait au séminaire ; ils s'é-
tendent sur la vie privée des anciens, sur des questions d'archéologie,
d'art , de philosophie religieuse. Quelque sévère que soit le Juge-
ment» porté par nous, sur le marché littéraire de nos jours , nous
avons, d'autre part, la conviction que des publications sérieuses, foites
sans aucune pensée d'ambition personnelle , mais pour honorer la
mémoire d'un défunt, trouvent presqu'à coup sftr un auditoire fiivo-
rable. Que M. Kreiss n'ait point recherché les applaudissements du
monde , rien de mieux ; il pouvait se passer de ce témoignage de
satisfaction, puisqu'il avait fait ailleurs, et largement, ses preuves de
capacité ; maintenant , que lut ne peut plus vouloir , rien ne doit
empêcher les survivants de transporter sur un terrain plus vaste , la
bonne semence qu'il s'était borné à répandre dans le cercle restreint
de son entourage immédiat. Je suis certain que tous les amateurs
désintéressés de la littérature cM»8ique sauraient gré â l'éditeur , qui
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TBÉOOORB KRBISS. 190
86 chargerait de celle œof re de piété , et que les élèves qui ont eo le
bonheur d'entourer de leur affection le matlre vénéré» dont nous
déplorons la perte , rattacheraient à cette publication posthume les
plus beaux souvenirs de leur jeunesse studieuse ; bien mieux , ils y
reviendraient, ils reprendraient cette nourriture fortiOante» à un
ige pins sérieux t lorsque les ombres du soir se projettent sur les
sentiers.
L. Spacb ,
AnUMêUéê
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ÉTUDES
fiOm LB8
RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT.
StdU, 0
QUATRIÈME ÉTUDE.
DB LA THÉOLOGIE BOODD'HISTE.
Leboodd'hisrne. comme le brahmanisme et ses deux dérivés le
vichnouîsme et le sivaîsme , s'est perpétué jusqu'à nos jours , malgré
les persécutions et les luttes qu'il a euâ soutenir. Bien plus* il s'est
conservé plein de sève et de foi dans le rôle universel qu'il se croit
destiné à remplir. Aujourd'hui encore, la religion de Boudd'ha est de
toutes les religions du monde celle qui comporte le plus de sectateurs.
Elle est répandue dans la plus grande partie de l'Asie, depuis les sources
de riudus jusqu'à l'Océan Paciâque et même jusqu'au Japon. En réu*
nissant toutes les populations qui professent le culte de Boudd'ha »
les deux Thibets , la Tariarie , la Chine « Pégu , Slam » Laor » Cam-
bodje, la Cochinchine, le Japon, la Corée» plusieurs pays au-delà du
Gange et l'Ile de Ceylan , cette religion compte environ 450 millions
de fidèles.
Il est vrai que le boudd'hisme moderne est en grande partie une
réforme • non pas du boudd'hisme ancien, mais même du boudd'hisme
nouveau , connu dans les siècles qui précédèrent et suivirent la nais-
sance de Jésus-Christ, sous le nom de religion des Samanéens^ et
qu'il a subi diverses modifications, suivant les lieux où il s'est établi.
0 Voir les livraisons d'avril, mai, juin, Jaillet, septembre et octobre 1800 ,
pages ii5, 200., 277 , 513 , 402 et 458,
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COUPARÉES DE L*ORIENT. 301
Mais ce boadd'hisme réformé ou modifié a conservé les principales
doctrines théologiques de l'ancien boudd'hisme et les réformes ou les
modifications ont porté principalement sur les doctrines sociales et
l'organisation hiérarchique des fidèles ; ou bien , elles ont tendu à
adapter les dogmes boudd'histes à certaines traditions locales, telles
que le culte de Foê en Chine » le culte de Buds au Japon , celui de
Sommonacodom à Cejlan , celui de Godâma à Siam ; ou à certaines
traditions importées par des missionnaires , comme le boudd'hisme
réformé de Sung-Koba au Thibet » ou Lamaïsme , qui se rapproche
beaucoup du catholicisme romain.
Le boudd'hisme moderne se divise proprement en six branches
principales :
1* Le boudd'hisme de la Tartarie septentrionale. Gengisk'han et
ses successeurs en ont été les principaux propagateurs.
2* Le boudd'hisme de Ceyian et des lies malaises » dont les livres
sacrés s'élèvent à 80 et dpnt le principal , le Mâhavangâ, a été publié
en 4837 par M. Tourneur.
3* Le boudd'hisme de l'Indo-Chine , dont le principal livre est le
C!ode des Birmans appelé Darmasath.
4* Le boudd'hisme de la Chine ou culte de Foé . qui s'y établit dans
le cours du premier siècle » qui précéda notre ère.
5* Le boudd'hisme du Japon appelé Bud't et aussi Xacca » qui y fut
introduit en l'an 60 avant Jésus-Christ , et qui partage avec le culte du
Sinto l'empire des âmes au Japon.
6® Le boudd'hisme au Thibet, la terre sainte des Boudd'histes , qui
possède le plus grand nombre de livres religieux, dont les principaux
sont: le Mahàyanâ-Soulra ^ texte religieux et philosophique des
Boudd'histes » occupant le même rang que les Védas, le Nah-Gyur
ou Tad'jaur » instructions verbales de Boudd*ha , 800 volumes ; et le
Han^Gyur ou Gand-jour, sorte d'encyclopédie religieuse et d'histoire
ecclésiastique , 225 volumes.
Hais le fond des doctrines religieuses professées par ces branches »
comme aussi dâ culte, est presque partout identique.
Quelques auteurs ont cru voir l'athéisme dans les doctrines boud-
d'histes. Rien de plus faux. Cette erreur provient d'une confusion de
mots : c Les Boudd'histes , dit H. Bochinger, — d'après Hodgeson et
les autres voyageurs et savants qui ont commencé à nous les faire
connaître, — appellent Dieu, le Vide, Sunya, ou 1- Espace, Akaia,
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SOS RlfOI d'alsacb.
parce qu'ils ne veoleDt lui dooner aucun auribut positif, ni de forme»
ni de couleur, ni de modification quelconque. C'est là ce qu'on a
appelé le NifUUsme des Boudd'histes , mais à tort , à ce qu'il paraît ;
parce que ce vide (sunya) est an contraire la véritable existence :
toutes les existences douées de forme • de couleur , de mouvement,
de variation n'étant que des phénomènes , ayant leur origine dans le
Sunya. Ce qu'on appelle matériel et immatériel n'est donc qu'une
modification de la même existence véritable. Cet Etre, étant dans son
état de repos , de stabilité parfaite et absolue , est l'existence imma-
térielle. Dès qu'il entre en mouvement, en action, il devient par cela
matériel. Le Vide (Sunya) , considéré dans son existence abstraite •
sans action , sans mouvement, sans modification , ayant en soi-même
tontes les existences secondaires possibles » est appelé Nirvriui. Par
suite d'une nécessité inexplicable l'Etre , le Sunya , passe de cette
condition de repos , de vide absolu à celle de mouvement et d'action ;
c'est là la création , l'existence matérielle et illnsoire ; c'est comme
un arbre qui se développe de son germe, où il préexistait virtuelle*
mënt(i). C'est ainsi qu'émanent du iVirvrtift , en séries successives ,
des mondes de plus en plus matériels , qui , après un certain temps •
rentrent successivement dans le Sunya. Le monde, ainsi développé et
en mouvement ,• s'appelle Pravriui^ évolution, émanation. Le Sunya
reste toujours la base du Pravriiti; il y a un passage successif de l'état
de nirvriui à celui de pravriiti , et de l'état de pravritti à l'état de
nirvritti ; et , tout en subissant cette modification , l'Etre reste ton-
jours au fond ce qu'il est ; car la modification n'est qu'une illusion ,
et il ne saurait jamais perdre son caractère d'existence absolue.
J. Klaproth dit à-peu-pres la même chose, c La perfection boud-
d'bique est ce qu'on appelle Vacuité.» Cette vacuité, «ouriya, sounyala^
ne doit pas, comme l'expression paraîtrait le donner à entendre, être
regardée comme un anéantissement total , ou comme la destruction
de l'intelligence , mais comme la réunion intime et la concentration
de l'intelligence et comme l'état de l'intelligence le plus parfaitement
vrai. On a voulu désigner par ce mot l'opposé de Texisience visible
et imparfaite dans le monde des créations matérielles qui fourvoient
(') 1k»add*ba dans le G(mnarKarouda émet Tidée suivante : « Quand aucao être
« n'existait encore , celui qui casiite par lui-même existait et il conçut le désir de
« eeeeer d'être unique, »
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tmms SUR LES rbugioi«s coiiPàRÉGs DR l'orient. 303
l'inlelliffeoee el qui dépendent de l'iUoBîon des sens et des ciiange-
nents» II nous parait évident que cette dnaitié du vide ei du plein ,
chez les Bondd'bîste, n'est autre chose qu'une formule des deux éuts
de la Vie ou de Brahman ches les Védantins. Quand les forces divines
sont concentrées en elies*méme8, sans agir au-dehors, disent les
Védantins» c'est l'état du Tw^a; quand elles se manifesteni par les
merveilles de la création » c'est le Vibhuii de Dieu. Chez les Bond-
d'histes cet état virtuel de là vie se caractérise par l'état de vacuité ,
l'état ou l'Etre réellement existant ne saisit pas la matière » sa modi*
Bçation; et au contraire l'état de manifestation de la vie se caractérise
par l'éiat de pUni^de, celui où l'être prend une forme , une modifi-
cation»
Si l'on veut bien se rendre compte de cette étrange doctrine et la
rapprodier de la doctrine hébraïque de la eréadon du monde de rien »
dei ihMreê qui eomvraienî la twrface de Falnme , de la tradition brah-
maoiqne , de Fétat abeolu de repos de Dieu , absorbé en hd'-même dans
la soliiude de sa pensée appelé Brahman ou Brahma , et de la théorie
mazdéenne des principes des êtres donnés de soi-même (Qbuadatà) «
l'on verra qu'elle est un pas en avant dans la solution du vaste pro-
blème cosmogonique » qui a embarrassé les esprits » et qu'elle soulève
un autre coin du voile qui recouvre les traditions sur l'origine du
monde. Seulement la tradition boudd'histe» isolée» abstraite, est
elle»méme un problème » un énigme métaphysique» un mystère inex-
pUcaUe , comme les traditions judaïque » brahmanique et mazdéenne
le sont» chacune prise dans son isolement. Réunissez, combinez»
associez ces diverses traditions et d'autres encore : alore elles s'ex-
pliquent l'une par l'autre » elles se complètent réciproquement et
elles forment le corps lumineux de la tradition universelle » comme
le blanc est la réunion des diverees couleure. II est remarquable que
chacune d'elles s'arrête en quelque sorte au point où les autres com-
mencent, qu'elle est obscure au point où les autres sont lumineuses*
L'on est , dès lore » amené à considéer chacune d'elles comme un
membre détaché du même corps » membre qui n'acquiert plénitude
et vie que par sa solidarité et sa réunion avec les autres membres. Le
véritable travail théologique consiste donc à comparer» classer» réunir
les diverses traditioos» à les expliquer et aies compléter les unes par
les antres , pour foire découler de ce travail la connaissance de la
religion universelle et intégrale.
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304 REVUE D'ALSACE.
Nous irouvoDs dans la théologie boudd'brste » comme dans les
autres théologies que nous avons déjà analysées , les divers principes
panthéiste, monothéiste , duothéiste, trinlthéiste et polythéiste, plus
ou moins explicitement développés.
Quant au principe panthéiste, il est incontestable, d'après ce qui
précède, qu'il s'y trouve, ainsi que le principe monothéiste, quoique
celui-ci y soil moins explicite. Mais il faut interpréter cette théologie
d'après les commentaires des Boudd'histes les plus éclairés et non
d'après certaines formules plus ou moins bien traduites ou comprises.
Voici ce que disent de Boudd'ha les Lamas , qui sont sans contredit
les Boudd'histes les plus éclairés et les plus orthodoxes, c II est l'Etre
nécessaire , indépendant , principe et fin de toute chose. La terre ,
les astres, les hommes» tout ce qui existe est une manifestation par-
tielle et temporaire de Boudd'ha. Tout a été créé par Boudd'ha, en
ce sens que tout vient de lui , comme la lumière et la chaleur viennent .
du soleil. Tous les êtres émanés de Boudd'ha auront un commence-
ment et une fin ; mais , de même qu'ils sont sortis nécessairement de
l'âmie universelle, Ils y rentreront nécessairement. C'est comme les
fleuves et les torrents produits par les eaux de la mer et qui , après
un cours plus ou moins long, vont de nouveau se perdre dans son
immensité. Ainsi Boudd'ha est éternel ; ses manifestations aussi sont
éternelles; mais en ce sens qu'il y en a eu et qu'il y en aura toujours ,
quoique, prises à part, toutes doivent avoir un commencement et
une fin. >
Le système dualiste du bien et dn mal se trouve plus nettement
dans le boudd'hisme que dans le brahmanisme. L'antithèse des deux
mondes, ciel et enfer, lumière et ténèbres , bien et mal s'y trouve
bien marquée, quoique toujours enveloppée dans un panthéisme uni-
versel, qui amortit naturellement tous les contrastes et toutes les
oppositions. Néanmoins certaines traditions boudd'histes se rappro-
chent même du dualisme mazdéen. Suivant celle du budsisme,'au
Japon, Amida, comme Ormuzd , est le chef suprême des demeures
célestes : c'est lui qui dispose des rangs et des récompenses et c'est
par sa seule médiation que les hommes obtiennent la rémission de
leurs péchés et une place au ciel. Au-dessous du séjour terrestre, le
budsisme place un lieu de tourments. C'est là que les méchants sont
emprisonnés et tourmentés » non pour toujours , mais pour un certain
temps I suivant le nombre et la quotité de leurs crimes. On croit que
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS GOHPARÉBS DE L'ORIENT. M5
les âmes malbeurenses peavent recevoir quelque adoucissement à
leurs peines par les bonnes œuvres de leurs parents et de leurs amis»
principalement par leurs prières et leurs offrandes adressées au grand
et miséricordieux Âmida. Lorsque les âmes conûnées dans les enfers
ont achevé leurs peines, elles sont renvoyées dans ce monde pour y
animer des corps d'animaux et puis d*hommes, où elles peuvent de
nouveau mériter une vie bienheureuse , devenir Bodscutwa, c'est-à-
dire, saints personnages , êtres divins.
Quant au système trinithéiste , il se trouve aussi mieux développé
daus la théorie boudd'biste que dans la théologie brahmanique , sur-
tout que dans celle plus récente de la Trimourti des Pouranas,
et il se rapproche encore davantage du système catholique, c II y a ,
dit M. Lenoir ( v. Harmonies de la Raison et de la Foi , pag. 1662 et
4C63)» dans la Trimourti boudd'biste plus de spiritualisme et de
philosophie que dans la Trimourti des Brahmanes. Chukia-Mouni ,
quand il prêcha sa réforme sur les bords du Gange , idéalisa tout et
s'éleva h des régions bien supérieures à celles dont il se séparait. Sa
tolérance, qui n'admettait pas la propagande de la force , son mysti-
cisme visionnaire et sa doctrine d'égalité , contraire à celle des privi-
lèges des castes , expliquent sa réussite sans exemple dans l'histoire ;
sa religion a rayonné pacifiquement dans l'Asie et dans l'Océanie
Disons d'abord , continue le savant théologien que nous venons de
citer, qu'il y a trois trinités boudd'hisles et qu'elles sont aussi fort
enveloppées de mythologisme..La Trimourti brahmanique se retrouve
à3iûs\e Gouna'Earanda-Vyha avec les mêmes attributions ; il n'y a
qu'un nom de changé : celui de Siva en Mahesa. — Boudd'ba , résu-
mant son symbole, pose en principe que pour devenir un Boudd'biste
ou Samanéen parfait , il faut détruire en soi la trinité de ifajfa. Or
Maya est l'humanité, la nature créée; Boudd'ha avait donc l'idée
d'une triuité humaine , et , puisqu'il voulait qu'on annihilât en soi
l'homme tout entier, il considérait celte trinité comme formant tout
l'homme. Voilà déjà une trinité humaine individuelle. — En voici une
autre qui est divine et humaine tout ensemble et qui porte un carac-
tère social: c'est le Trias du culte extérieur, il se compose de
Boudd'ha , qui est Dieu incarné , de la Révélation ou de la loi et de
l'Ëglise ou de l'Assemblée. Les trois termes de ce Trias prennent
divers noms , selon les pays. — Une troisième , aussi remarquable ,
est celle des trois formes d'Adi-Boudd'ha et des Boudd'bas , c'est-à-
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dire , de la nMure dit ine en soi et dis celle nttare iacaniée. Ces trob
broies sont : la ioinîeti , la idence et la tj^tualité. Dites le Samf ,
VlnuUigent et YEsprii , vous approchez de la triaité chrétienne. —
Une quatrième . sous les noms de BcudtFha , Dharma et Sanga » les«
quels deviennent en chinois Fd, FaeiSeng^ exprime , d'après l'intei^
prétaiion des A!cbonarikas , école des philosophes boudd'bistes » le
principe mâle, emblème de la puissance qui engendre, premier
membre de la trinité , le principe femeUe , emblème de la puissance
qui produit , second membre de la trinité , et enfin rtmioit des deux
premières essences, par laquelle se réalise la création , et troisième
membre de la trinité. D'autres traduisent le mot Dharma par le mot
Verbe on Logoi. Il y en a aussi qui prétendent que c'est Dharma,
nommé aussi Prajna, qui est la première personne do Triu et
Bottdd'ha la seconde ; ceux-là disent que Dharma est la personne qoî
crée et Boudd'ha la personne régénératrice. Cette dernière école,
passe pour la plus ancienne. — Ces trois puissances ont un nom
collectif : Paô en chinois , Brdui en mongol , mots qui signifient le
précieux t et en thibétan fouisîo^h (rinestimable-supréme), que Ton
traduit par Dieu; les Boudd'histes du Thibet » les Lamas , disent que
ces trois êtres constituent une unUi-trine ; les Boudd'histes chinois
les regardent comme cornubtlanûeU et d*une nature en trm eubitêneti, »
-- c C'est pour exprimer leur parfaite égalité» dit H. l'abbé Bertrand,
que les Chinois, dont le système d'écriture consiste en trois lignes
tirées du haut en bas de la page , interrompent la colonne pour décrire
ces trois noms de front , afin que l'un ne se trouve pas an-dessons
de l'autre. >
Il est incontestable que le polythéisme se retrouve dans la théologie
boudd'histe. Hais ce polythéisme, comme celui de la théologie brah-
manique , quoiqu'il ait dégénéré en idolâtrie chez les masses popo-
laires, se concilie néanmoins, dans la doctrine boudd'histe, avec ie
monothéisme panlhéisllque.
La cosmogonie des Boudd'histes est extrêmement riche et brillante.
Elle a beaucoup de ressemblance avec le système d*Origène ou* vice
vena. L'univers est divisé par une série de mondes , qui eux-mêmes
sont divisés par des séries de cieux superposés les uns aux autres.
Chacun de ces mondes et ses étages sont habités par des êtres, éma-
nations diverses de la divinité.
Le inonde dei déiin est celui dont les habitants sont également
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trUDBS SUR LES RBLIGIONS OOWARÉKS DS L'OHIBNT. 307
soumis aux effets de la concupiscence. I^s uns se multiplient par
rattoucbemenl des mains » les autres par les regards. Il est divisé en
sixcieui. Au premier des six cieux« en commençant par en bas,
habitent quatre dieux , qui président aui royaumes des quatre points
cardinaux. Le second ciel est nommé le eleldei irente*îroii ^ parce que
Indra y fait son séjour avec trente-deux personnages parvenus comme
lui par leurs vertus de la conditon humaine à celle de dewa ou divi-
nité. Le troisième ciel est appelé ciel d'Yama , parce que le dieu de ce
nom y réside avec d'autres éires semblables à lui. Dans le quatrième
ciel 9 appelé sëjotcr da joies « les cinq sens cessent d'exercer leur
influence. C'est là que les êtres purifiés , parvenus au degré qui pré-
cède immédiatement la perfection absolue, c'est-à-dire, au grade de
Bodhitauuja , viennent habiter . en attendant que le moment de des^
cendre sur la terre, en qualité de Boudd'ha, soit arrivé. Au cinquième
ciel , appelé cie/ de la convenation , les désirs nés des cinq atomes ou
principes de sensations sont convertis en plaisirs purement intellec-
tuels. Au sixième enfin habite Jewara.
Au-dessus des six cieux du monde des désirs commence une
seconde série de cieux superposés, qui constitue le monde des formes
ou des couleun , ainsi nommé , parce que les êtres qui y habitent ,
quoique .supérieurs en pureté à ceux dont nous venons de parler ,
sont encore soumis à une des conditions d'existence de la matière , à
savoir la forme ou la couleur. On compte dix-huit degrés d'étages
superposés dans ce monde, et les êtres qui les habitent se distinguent
par des degrés correspondants de perfection morale et intellectuelle ,
auxquels on atteint par quatre modes de contemplation.
Quand on a dépassé le monde des formes , on trouve le monde sans
formes, composé de quatre cieux superposés, dont les habitants
possèdent des attributs encore plus nobles. Au dernier de ces cieux
il n'existe plus vestige de forme » de localité, de sentiment et de
pensée, c II suRit de remarquer, dit M. Abel Rémusat {Journal des
Savants , de qui nous empruntons cette description) , que tout va en
se simplifiant et en s'épurant dans l'échelle des mondes superposés , à
partir de l'enfer, qui est le point le plus déclive , jusqu'au sommet du
monde sans forme, qui est la partie la plus élevée. On trouve d'abord
la matière corrompue avec ses vices et ses imperfections; l'âme pen-
sante, enchaînée par les sensations , les passions et les désirs ; l'âme
purifiée , ne tenant plus à la matière que par la forme et la couleur;
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208 RBVUE D'ALSIGB.
la pensée réduite à l'éther ou à l'espace pur , la pensée n'ayant pour
itibitratum que la connaissance ; puis tout cela même anéanti dans
une perfection , qui est tout ce qu'il est donné à l'bomme de conce-
voir et qui est toutefois encore fort au-dessous de celle qui caractérise
rintelligence » conçue soit dans son rapport d'amour avec les êtres
sensibles , ou bodbisattwas , soit dans son état absolu et libre de tout
rapport quelconque, ou Boudd'ha. >
L'ensemble des trois mondes forme un utiiven. C'est l'univers que
nous habitons et qui se nomme Savatok-Adhatou , c'est-à-dire* sui-
vant l'explication des Boudd'histes , le Ȏjour ou le monde de la patience^
parce que les êtres qui y vivent sont sujets à la transmigration et à
toutes les épreuves et vicissitudes qui en découlent. Les divisions ou
cièui de l'univers se multiplient par des milliers de soleils , de conti-
nents, decieux, ou par mille mondes semblables à celui que nous
habitons, et qui sont eux-mêmes multipliés par des milliers.....
€ Le degré où nous sommes parvenus , ajoute M. Abel Rémusat et
où semble s'être arrêtée riroagination de plusieurs cosmographes
boudd'bisies , paraît au contraire avoir été le point de départ pour
quelques autres auteurs , toujours préoccupés de l'idée de Cinfim en
eipace, Ceui-ci prennent l'univers tel qu'il vient d'être constitué avec ses
trois mondes et tous ses cieus superposés pour l'unité dont se décom-
pose un nouvel ordre d'univers ; un nombre d'univers qui ne saurait
être exprimé que par des nombres tels que ceux doni j'ai parlé au
commencement , formant éiaget dam la série det univen iuperpoiés.
L'univers dont fait partie le monde où nous vivons occupe le treizième
étage. On en compte douze au-dessous et sept au-dessus , en tout
vingt étages , qui forment un système complet d'univers, ou , suivant
l'expression des Boudd'histes , une graine dei mondei. >
Quand l'on pense que les progrès de la science astronomique sem-
blent aujourd'hui justifier cette théorie immense, sauf rectification
dans les détails , l'on ne peut s'empêcher d'admirer cette intuition de
l'antiquité et l'on doit désirer que soit levé l'interdit que la science
moderne a jeté sur la révélation , par la raison que certains de ses
documents laissent tant soit peu à désirer dans leurs théories cosmo-
goniques.
La théologie boudd'histe vient donc apporter son contingent à la
révélation universelle. Elle fait concevoir comment la création, sortie
du néant , l'un des états de l'infini , vient encore aboutir vers l'Etre
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érUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L*ORIENT. 309
infini , après avoir décrit un cercle indéûni d'êtres plus ou moins
divins, suivant qu'ils se rapprochent plus ou moins de l'Etre absolu,
par cela qu'ils se trouvent dans l'un ou l'autre des étages de la série
progressive des mondes et des univers. Or , même ce polythéisme, si
étendu et en comparaison duquel tous les système polythéistes , y
compris celui du brahmanisme» ne sont que des jeux d'enfants » se
concilie parfaitement avec le panthéisme et le monothéisme. Suivant
M. Hodgeson » cité par M. Abel Rémusat (Journal de» Savants i851 ,
7S4 y 725) » le boudd'hismè , bien compris , considère Tlntelligence
comme une cause souveraine et la nature comme un effet. Si les
légendes comptent des milliers de Boudd'bas , la doctrine ésotéri^ue
n'en admet qu'un seul , duquel les autres sont émanés , comme les
effets de la cause. Ainsi lorsqu'on dit d'un être qu'il est devenu
Boudd'ba » on veut dire , non pas qu'il est allé grossir le nombre de
ces divinités imaginaires » mais qu'il est parvenu à atteindre le degré
de perfection absolue , qui est indispensable pour se confondre de
nouveau avec l'Intelligence infinie et se voir délivrer de toute indivi-
dualité et, par conséquent, des vicissitudes du monde phénoménal. >
Nous trouvons du reste dans ce polythéisme boudd'hisle une
croyance, qui pourrait jeter quelque lumière sur la doctrine, si
obscure dans la Bible, de la déchéance des anges et de l'homme.
Suivant cette croyance , dans la première période qui a succédé à la
destruction jd'un monde antérieur , tous les êtres vivants se trouvent
réunis dans le troisième ciel , dont nous avons parlé. Les dieui se
trouvent trop pressés dans cet espace ; et ceux d'enlr'eux dont le
bonheur commence à décliner et qui voient approcher le terme d'une
carrière longue , mais non pas éternelle , descendent , pour renaître
dans le monde inférieur. La première de ces divinités est un fils
des dieux, qui, après être sorti du ciel de la voie lumineuse alla
renaître dans le ciel du grand Brahma et devint le Brahma^radja
de rage qui commence. Dans la seconde «période de formation , les
dieux du ciel de la voie lumineuse descendent dans les cieux de Brahma
et y deviennent des sujets de ce dieu. Ainsi descendent encore de
nouveaux dieux , pour renaître dans les cieux du monde des désirs ;
ceux des dieux habitants du ciel de la voie lumineuse, dont le bonheur
est épuisé , sont transformés et changés eu hommes. Ils jouissent de
plusieurs prérogatives, qui leur sont particulières, et notamment de
celle d'avancer comme des oiseaux. Il n'existe parmi eux aucune distinc'
2« Série.- 2* Année ^*
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S40 RKYUB D'ILSAGB.
ûon de êexa, mua là terre fait jaillir de aon sein une source » dont
Teau est douce au goût, comme la crème et le miel. Ces dieux en
avalent quelques gouttes et aussitôt la sensualité naît en eux. Ils
perdent leurs attributs divins et enlr'autres l'éclai lumineux, qui
émanait de leurs corps Ils s'atlacbent aux choses terrestres et
prennent une couleur iombre et grosrière Les habitudes de vio-
lence engendrent la concupiscence et la cohabitation des époux. —
Par la suite , les dieux du ciel de la voie [lumineuse , qui doivent
renaître» sont soumis à être renfermii dam le sein d^une mère , et
c'est de cette manière que commence la naissance de l'utérus.
(V. Journal dei Savants i83i , f. 72i).
Rapprochons ces passages de certains passages obscurs -et énigma-
tiques de la Genèse hébraïque; tels sont les suivants : Adam, saulUe et
image de Dieu , être d'abord bisexuel et seulement plus tard unlsexuel ,
placé dans le para^ terrestre ; conversation d'Adam avec Lui , les
dieux; conversation d'Eve avec Satan, Vun dei angei déchut; défense
de manger des fruits de f arbre de la science du bien et du mal; con-
tradiction de Satan qui promet à Adam et à Eve qu'ils deviendront
semblables aux dieux; effets du manger de ces fruiu à la saveur douce,
beaux à voir et d'un aspect désirable ; Adam reconnaît qu'il est nu ; il
perd VimmortaUté et il est expulsé du Paradis , de peur qu'en man-
geant des fruits de l'arbre de vie il ne devienne comme Fun de nous,
dit le Seigneur; anathéme prononcé contre la femme fut en/aniera
désormais avec douleur. — Ne seroble*t-irpas que la légende hébraïque
fournit le complément de certains passages obscurs, énigmatiques et
incomplets de la légende boudd'histe; mais que, d'un autre côté ,
divers passages de la tradition génésiaque , qui paraissent comme des
fragments incomplets , des énigmes , des mystères inexplicables ,
reçoivent leur complément, leur lumière, leur explication par la tra-
dition boudd'histe?
Hais , à la série des descentes ou chutes des êtres , que nous avons
décrite sommairement, correspond , dans la théologie boudd'histe ,
une série opposée d'ascensions ou de progrès indéfinis de ces êtres
vers Dieu , en remontant , par l'effet de leurs mérites , l'échelle mys-
tique des mondes , jusqu'à ranéantissement final en Dieu. Or cette
théorie du progrès indéfini vers Dieu , qui présente une parenté intime
avec la théorie d'Origène, jette une vive lumière sur le dogme juif
de VAlUance , qui semble comme placé ex abrupto dans le corps des
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS GOMPIRÉBS DE L'ORIENT. 2ii
tradiliODS bibliques^ sans lien de continuité ayec l'ordre universel.
Par la doctrine boudd'histe , le dogme hébraïque de l'aliiance t'ex-
plique,et se complète. Du reste un autre fragment, qui se trouve dans
la Bible > à savoir la légende de la vision par Jacob de 4'écbeUe mys-
tique que ki angei deicendent et remontent , soulève d^à un coin du
voile» que la théorie des Boudd'histes et celle d'Origène lèvent ensuite
presqu'entièrement. Selon cette théorie, les êtres de la création su-
bissent, alternativement et par progression, deux mouvements en sens
inverse: l'un qui part de Dieu et s'en éloigne: c'est le mouvement
descendant ; l'autre qui remonte et aboutit à Dieu : c'est le mouve-
ment ascendant. L'un des extrêmes de l'échelle mystique, c'est le
mal ; l'autre extrême , c'est le bien. Ainsi se trouve comblée , par les
degrés intermédiaires de l'échelle , la distance indéfinie que les tra-
ditions hébraïque et mazdéenne laissaient entre les deux termes du
dualisme » bien et mal , lumière et ténèbres , ciel et enfer. Et c'est
ainsi que le dualisme se trouve concilié avec le panthéisme et le mo-
nothéisme et que se trouvera justifié ce que nous avons dit dans la
précédente étude: que plus le dualisme, bien et mal, se confond dans
l'infini , plus l'opposition des deux termes s'efface; tandis que plus il
entre dans la sphère relative des créatures , plus cette opposition
s'annonce d'une manière réelle et sensible.
L'étude comparée des religions amène donc une conséquence im*^
mense. Au point de vue supérieur où elle nous place nous voyons les
révélations et.les traditions s'expliquer et se compléter réciproque-
ment, pour former, par leur réunion sénaire, un corps parfait,
lumineux et bien coordonné dans ses parties. Ne semble-t-il pas, en
effet , à voir les rapports , les aflSnités que ces diverses traditions ont
entr'elles et les défectuosités qu'elles montrent dans leur isolement ,
qu'elles sont comme les fragments divers d'un même corps de tradi-
tions, qui se seraient dispersées à la suite des révolutions des siècles;
et qu'à l'aide de la comparaison et de la réunion de ces fragments
divers l'on peut espérer de retrouver la contexture intégrale du
corps , comme le naturaliste espère retrouver l'organisme des êtres
d'un âge antérieur, en rassemblant et comparant les diverses fractions
de fossiles, éparses dans les différentes régions du globe f La science
est arrivée , de nos jours , sur la voie de la reconstitution de l'histoire
des temps antédiluviens, par cette étude comparée des vestiges d'un
Age antérieur. Pourquoi l'étude comparée des traditions cosmogo-
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m RBYCI D'ALSICB.
niques , ces autres vestiges d'un monde antérieur , ne parviendrait-
^le pas à la reconstitution de la cosmogonie et de la Genèse , univer-
selles et intégrales? Nous appelons particulièrement l'attention des
savants et des théologiens sur ce point de vue » qui produira les résul-
tats les plus féconds pour les progrès de la science tbéologique. C'est
une nouvelle mine à exploiter et les richesses qui en seront extraites,
bien loin de lui être pernicieuses', ne feront que pro6ter à la cause
sacrée de la Religion universelle , qui est celle |du Christianisme.
Mais revenons à notre analyse de la théorie boudd'histe.
En plaçant l'homme au centre des deux limites extrêmes de son
échelle descendante et ascendante, dont Tune tend à le rallier à Dieu
et Tautre tend à l'en détacher , et dont les degrés sont de part et
d'autre également accessibles à tous les individus , sans distinction de
sexe ni d'origine , — le boudd'hisme vient se poser sur Taxe centrai
des dogmes mystiques, et par une conséquence de cette position il
consacre un dogme de rincamation , qui se rapproche , à bien des
égards du dogme catholique , mais encore plus du dogme nestorien.
En effet , selon cette doctrine . Boudd'ha a deux corps : l'un sujet à la
naissance et qui vient d'un père et d'une mère; l'autre est la Loi elle-
même (le Verbe) ; ce second corps est étemel , immuable , exempt
de toute modiâcation. Le corps étemel , souverainement libre , est
doué de toutes les vertus et capable de toutes les actions. Le corps
non étemel est celui que prennent les Boudd'has lorsque, jpour sauver
et iélwrer (racheter) les êtres vivants , ils entrent dans la route de la
vie et de la mort et qu'ils prêchent la loi. Le véritable corps, le corps
étemel , est identifié avec la loi et la science. Le corps relatif est en
rapport avec les êtres du monde extérieur, sauve les vivants et les
inonde de bonnes influences . se plie à la mesure de leur intelligence
et se manifeste dans plusieurs sortes de corps, comme la lumière
d'une lune unique se réfléchit à la surface de toutes les eaux. (Journal
des Swanu i85i , f. 726). Si l'on adresse à un Boudd'histe cette
question: Qu'est^e que Boudd'ha? Il repond aussitôt: Cest le
sauveur des hommes.
Le dogme boudd'histe de l'Incamation , s'il n'est pas entièrement
identique avec le dogme catholique de l'Incarnation et s'il n'occupe
pas le point pivôtal qu'occupe celui-ci, développe du moins une idée,
qui se trouve en quelque sorte sons-*entendue dans la théologie catho-
lique. Cette idée est celle de rincarnation indéfinie du yerbe , que
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ÉTUDES SUR LES RBU610IIS GOIIPARÉBS DE L'ORIENT. SIS
oonlient la théorie des incarnations saccessiyes de Boudd'ha ou des
séries de Boudd'hast en ordre descendant. En même temps il repro-
duit , en ordre ascendant , la doctrine catholique de Ja sanctification
et de la déification progressive (partkiper à la divmké. Y. le Missel
romain) par sa doctrine des apothéoses successifs ou des Bodisattwas
(devenir Boudd'ha). De sorte que , selon leboudd'hisroe, l'homme est
le point de dépait et l'aboutissant de deux séries d'incarnations et de
déifications : Tune en ordre ascendant vers Dieu et Tautre en ordre
descendant à partir de Dieu. La doctrine boudd'histe serait donc»
sous ce point de vue » plus explicite que la doctrine catholique; mais
par contre elle a à emprunter à celle-ci son principe de la distinction
des personnes et des natures» qui constitue la position supérieure du
dogme catholique.
Dans sa portée morale, le bouddliisme, consme le brahmanisme
et plus que le brahmanisme» est une protestation de l'esprit contre
la matière ; puisque l'esprit est pour lui la seule réalité et que la
matière n'est qu'illusion et ténèbres» qui doivent rentrer dans le
Béant. Sous ce rapport encore » le boudd'hisme se rapproche du
catholicisme. La doctrine de Panéanàuemeni en Dfeu» que le Boud-
d'hisme a substituée a V union abêothanie des Brahmanes, n'est qu'une
exagération ou un germe grossier de la doctrine de YanéantiM$emeni
de Vhomme devant Dieu , que Saint-Augustin a introduite dans le
catholicisme et qui elle-même» aura besoin d'une saine interprétation,
pour sauvegarder la liberté et l'individualité » que le boudd'hisme a
entièrement méconnus. Les Samanéem, Bodùatîwoi ou saints du
boudd'hisme » sont comme les saints du catholicisme » ceux ^ui eni
votftctt leurs pasriom , mortifié la chair, par les jeûnes » l'absUnence »
la continence » le martyr volontaire et les pratiques austères. Nous
trouvons, d'un autre côté» dans le boudd'hisme une croyance dont la
portée morale serait immense » si elle était mieux expliquée et déve-
loppée dans ses livres : c'eif que la moralilé det acthni influe sur la
constiiuiion de l'univers. Ceci est une conséquence de sa doctrine pan-
théistique de la solidarité des êtres avec les mondes qu'ils peuplent »
solidarité qui » relativement à l'homme » le constitue comme Provi-
dence du monde terrestre » roi de la création terrestre , ayant puis-
sance morale sur elle » puissance de modifier sa constitution. Cette
doctrine a des rapports avec celle d'Origène et des doctrines les plus
élevées de la Réforme moderne.
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2i4 REVUB D'àLSàCE.
En général la morale du Boudd'hisme se rapproche beaucoup de la
morale de rEvangile : l'égalilé, la charité « la fraiemité . eil forment
les fondements ; la liberté seulement lui manque : elle disparait dans
la doctrine absolue de l'anéantissement ; elle se perd dans le gouffre
d'une impersonnalité sans limites. Cette morale se réduit à quatre
principes fondamentaux: i*" la force de la miséricorde; S* Téloigne-
ment de toute cruauté ; 3« une compassion sans bornes envers toutes
les créatures ; 4* une conscience infleiible dans la loi. Suit le décalogue
boudd'histe , comme corollaire de ces principes : i* ne pas tuer, S*
ne pas voler, Z"" être chaste, 4« ne pas porter faux témoignage» 5* ne
pas mentir, 6* ne pas jurer, 7» éviter toutes les paroles impures , 8*
être désintéressé, 9» ne pas se venger, 10* ne pat être superstitieux.
La tolérance religieuse est l'un des traits caractéristiques des Boud-
d'histes. L'on doit aux efforts infatigables de William Jones et de
Princeps la découverte d'inscriptions taillées sur des rocs et des
pierres monumentales, qui ont été déchiffrées après des efforts
patients et dont la plupart sont des édits on sermons de Prayadesi ,
roi boudd'biste qui vivait environ 2S0 ans avant Jésus-Christ. L'une de
ces inscriptions porte la sentence suivante , qui peut paraître encore
hardie et novatrice à bien des esprits du 19* siècle: i Que toutes les
c formes de religion soient honorées ; elles le méritent. Que personne
< ne prétende faire parade d'une opinion ou d'une religion meilleure
c que celle des autres ! Il n'y a de bon que l'harmonie et l'amour....
c Ne peut*on pas garder sa foi , sans blâmer celle des autres ? »
En instituant un ordre religieux de mendiants , Boudd'ba attirait
à lui et réhabilitait les pauvres et les malheureux. Les Braboaanes se
moquaient de lui, parce qu'il recevait au nombre de ses disciples des
misérables et des hommes réprouvés par les premières classes de la
société indienne. Hais il se contentait de répondre : c Ha loi est une
c loi de grâce pour tous. » Aussi, c'est moins à des divergences d'opi-
nions sur le dogme qu'à l'admission de tous les hommes, sans distinc-
tion de .castes , aux fonctions sacerdotales et civiles et aux récom-
penses futures , qu'il faut attribuer les persécutions acharnées des
Brahmanes contre les Boudd'histes. Entre Boudd'ba et le Christ il y
a une analogie encore plus frappante qu'entre le Krichna Indien et le
Christ, c C'est, dit H. Lenoir fDiciionnaire dei hamumie$)p un fils de roi,
dont quelques prodiges illustrent la naissance , qui s'élève par lui-
même à une sciense prodigieuse et à une grande sagesse» épouse une
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 215
seule femmey dont il a un Çls et une 611e, puis abandonne son épousOt
ses enfants , sa Ëimille et la gloire temporelle , qui lui était destinée»
ponr suivre une vocation céleste. Il se mortiâe dans sa solitude » tra-
vaille à éteindre en lui les passions, résiste aux séductions des femmes»
s'adjoint quelane disciples et va prêcher sa réforme sur les bords du
Gange. Les multitudes l'écoutent » l'admirent , le suivent ; il compose
des livres» il triomphe de ses ennemis par les seules armes du raison-
nement; il passe de la sorte une longue vie, et meurt dans une sorte
d'eitase , où II va retrouver la grande âme » qui n'est autre que lui-
même. Sa morale est d'une grande pureté et très-philosophique :
l'austérité et la contemplation en sont les ressorts principaux» et sa vie
est » en tout point » conforme à cette morale sévère. Point de jouis-
sance , point de richesse , point de royauté temporelle» nul appel à la
force • une doctrine égalitaire et mystique » qui fait d'immenses pro-
grès au milieu des persécutions. >
C'est surtout depuis la réforme accomplie dans le Thibet » vers le
i4* siècle , par le célèbre Tsong-kaba » que le Boudd'hisme a acquis
un développement qui le rapproche considérablement du catholicisme
romain.
Nous ne nous arrêterons pas à la controverse qui s'est élevée entre
les orientalistes : les uns » Volney» Voltaire , de Bailly» de Langlès »
Pierre Leroux» etc. prétendent que le boudd'hisme» ancien et
moderne» a tom'onrs été «tel generu^ une sorte de catholicisme primi-
tif» antérieur au catholicisme oriental et au catholicisme occidental, qui
auraient emprunté de lui leurs dogmes et leurs institutions ascédco*
mystiques; les autres , le baron Henrion » Abel Remusat » Bumouf et
tes théologiens catholiques prétendent au contraire que le boud-
d'hisme , tel qu'il se présente de nos jours • n'est qu'une copie , une
contre-façon de l'Evangile et que ses institutions sont calquées sur
celles des Eglises romaine et grecque. Le lecteur comprendra qu'au
point de vue intégral cette controverse importe peu et qu'elle n'est
que l'expression des modes divers d'envisager les rapports de la
même identité , qui est la religion dans son intégralité. Les deux opi-
nions opposées ont d'ailleurs, chacune pour elle» des vraisemblances
remarquables. 11 est certain que les dogmes et la morale ascétique du
boudd'hisme remontent à une époque antérieure à la prédication de
Jésus-Christ. Les auteurs du 2« et 3« siècle , Appolonius de Thyanne ,
Clément d'Alexandrie » Porphyre parlent déjà des institutions menai-
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916 R£VUB d'àlsâgb.
tiques des Boudd*biste8 Samanéens et Gymnosophysles. On avait donc
connaissance de ces institutions aux 9« et 3* siècles» époque à laquelle
remonte le monachisoie catholique. Les inscriptions boudd'histes sur
le roc, qui remontent au 3« siècle avant Jésus-Christ, que nous avons
mentionnées plus haut , parlent déjà des Sramanat , c respectés de
tous, qui par une méditation profonde ontconquis leurs passions. > —
Mais , d'uu autre côté , il est prouvé par de nombreux documents
que la réforme du boudd'hisme • connue sous le nom de Lamàume ,
a eu lieu sous l'influence du contact avec les Nestoriens « dont de
nombreux rameaux avaient été rejetés au centre de TAsie par suite
de la persécution» et qui vivaient à la cour des princes Tartares et Mon-,
gols. Ce qui porterait encore à admettre une certaine influence des
Nestoriens dans le développement des doctrines boudd'histes» c'est
qu'il existe une certaine analdgie entre la doctrine boudd'histe de
l'Incarnation et celle de l'Incarnation selon les Nestoriens » ainsi que
nous l'avons d^'à fait remarquer. Ensuite » le contact des nombreux
missionnaires romains et des voyageurs européens» qui ont parcouru
ces contrées au moyen-âge et qui ont séjourné chez les princes tar-,
tares, a aussi considérablement influé sur la transformation catholique
du boudd'hisme. De. nombreuses ambfissades furent envoyées par les
papes » aux i2« et i3« siècles » auprès des empereurs tartares ; des.
rapports s'établirent entre ces princes et les princes européens. Oa
trouve un grand nombre d'Européens fixés en Tartarie » à cette épo-
que , entr'autres » Ascelin , Jean de Plan Carpin » Rubruquis, Mande-
ville » Oderic de Frioul » Pagoletti et Guillaume Bouldsette ; mais le
plus célèbre voyageur de ce temps fut le Vénitien Marco Paolo. D'ail-
leurs il est avéré , que le lamaïsme avec son organisation actuelle est
contemporain des empereurs Tartares.
Cette dernière réforme du boudd'hisme peut donc» ajuste titre»,
être considérée comme l'expression du travail qui dut s'opérer ches>
les sectateurs de Boudd'ha à la suite de leurs communications avec les
disciples de Jésus-Christ. Il est certain que le lamaïsme actuel cons-
titue une véritable parenté avec le catholicisme romain. C'est ce qui.
résuite déjà des notions que nous avons sur les dogmes » rites et ins-
tituiioos de l'Eglise lamanesque. El quand la langue thibétaine» essen-
tiellement mystique et religieuse, sera mieux connue, bien des doutes
s'éclairciront encore. Ce sont l'ignorance et la confusion des langues
qui séparent les sectes » comme au temps de la dispersion de Baby*
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ÉTUDB8 SUR LES EBtlGlOMS GQIIPiRÉES DE L'OBIENT. 217
•
loue. Combien les travaui des orientalistes n'ont-ils pas déjà rappro-
dié de nous les antiques religions de l'Asie , contre lesquelles Fignao*
ranee intolérante élevait naguère ses anathèmes ! Et aujourd'hui l'on
ne trouve plus que des voix isolées qui protestent contre ce travail de
rapprochement. L'identité entre la litorgie et le culte lamanesque et
la liturgie du culte catholique romain est même frappante. La crosse,
b mitre , la dahnatique ^ la chape ou pluvial que les grands lamas
portent en voyage ou lorsqu'ils font quelque cérémonie hors du
temple , l'office à deux chœurs , la psalmodie , les exorcismes » l'en-
censoir soutenu par cinq chaînes et pouvant s'ouvrir et se fermer à
volonté, les bénédictions données par les Lamas en étendant la main
droite sur la tête des fidèles » le chapelet , le célibat ecclésiastique »
les retraites spnntuelles » le culte des saints , les jeûnes » les proces-
sions , les litanies , l'eau bénite , — voilà autant de rapports que les
Boudd'histes ont avec les catholiques (F. Sauvemn d'un voyage dans
la Tartarie , le Thîb^i et la Chine, par H. Hue, t. IL p. iii)« Le même
missionnaire rapporte qu'on a trouvé la croix dans les montagnes du
Tbibel et qu'on l'a trouvée même empreiilte sur tous les fronts, dans
la sauvi^e tribo des Abords, qui, sans savoir d'où leur vient ce sym-
bole , croient, comme les catholiques, à sa vertu mystérieuse sur les
âmes. — Hais les institutions ecclésiastiques du lamaïsme présentent
des affinités encore plus frappantes avec celles du catholicisme romain.
Avec des formes plus asiatiques, les Dalaï-Lamat» réputés l'incarnation
vivante de Boudd'ha , et dont la suprématie spirituelle compte des
défenseurs sous chaque tente des solitudes mongoles, comme elle a
ses lientenants même à la cour de Peking , sont de véritables papes
du Boudd'hisme. Comme la papauté romaine, la papauté lamanesque
a lutté contre la puissance temporelle des princes qui d'abord l'avaient
dotée. Le lamaïsme a trouvé dans Gengiskhan son Charlemagne. A
Rome c'est un conclave qui élit le vicaire du Christ ; à H'Lassa c'est
aussi un •conclave qui reeonwAt Velu , en qui Boudd'ha s'est incamé.
Dans les deux églises des hauts dignitaires , des métropolitains ou
Grand-Lamas consacrés par le Dalai-Lama, des évêques ou supérieurs
do ces communautés , des patriarches consacrés ; de part et d'autres
des couvents d'hommes et de femmes , une langue sacrée, différente
de la langue nationale , le vœu de chasteté ,Ja confession , des actes
de discipline presquldentiques. — Le même H. Hue rapporte un entre-
tien qu'il eut avec un haut fonctionnaire du Thibet (V. ibidem^ p. 330).
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218 RBTUB d'alsage.
c Nous passâmes successivement en revue » dît-il . les vérités dogmati-
ques et morales. A notre grand étonnement , le régent ne paraissait
surpris de rien, c Votre religion , nous répétait-il » est conforme à la
nôtre; les vérités sont les mêmes; nous ne différons que dans les
explications »... Il n'admettait entre lui et nous que deux points de
dissidence: l'origine du monde et la transmigration des âmes....
Néanmoins ses doctrines finissaient par aboutir â un vaste panthéisme ;
mais il prétendait que nom arrivions aux mêmes conséquences {}) et il
se faisait fort de nous en convaincre. Du reste, dit encore le même
voyageur (p. \ 35), les dispositions des Lamas à l'égard du catholicisme
sont excellentes, c A ce propos» il cite un jeune lama» qui affirmait la
prétention émette à la 'fois bon chrétien et fervent boudd'hisu et qui •
dans ses prières » invoquait tour-à-tour Tsong-kaba et Jéhovah. »
Nous n'en finirions pas si nous voulions signaler, toutes les affinités
qui existent entre le lamaïsme et le catholicisme romain. Il peut être
considéré comme l'expression plus évidente des rapports d'union qui
s'étaient manifestés dès l'origine entre le boudd'hisme , et le catholi*
dsme • ou plutôt comme un nouveau pas dans le travail de pénétra-
tion, d'assimilation, d'affinité mutuelle entre ces divers éléments
dérivés de la révélation universelle — travail analogue â celui
des éléments chimiques qui se pénètrent de plus en plus jus-
qu'à ce qu'ils aient fini par s'équilibrer dans une nouvelle
composition. C'est, au centre de l'Asie, l'ébauche d'une nouvelle syn-
thèse des doctrines mystiques de l'Orient • synthèse encore incom-
plète, comme toute ébauche, puisqu'elle laisse en dehors d'elle divers
éléments religieux. Hais il en résulte toujours un état religieux que
l'on peut considérer comme une préparation d'une nouvelle unité
religieuse. L'église lamanesque parait du reste avoir le sentiment du
rôle qu'elle aura à jouer un jour dans l'œuvre d'édification de l'unité
orientale ; car il existe chez les lamas des traditions qui prédisent
qu'un jour une révolution partira des plateaux du Tbibet , révolution
qui changera la face du monde oriental.
Quoiqu'il en soit , si l'on considère le houdd'bisme dans sa géné-
ralité , c'est une des plus gigantesques manifestations religieuses
qu'ait produites le monde tant sous le rapport de sa durée, depuis
(<) Nous verrons plus loin qae le foDCtioDDaire boudd'histe ne jugeait pas témé-'
rairement.
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ÉTOM» SOB LES HBUGIOfiS GOMPARÉES DE L'ORIENT. 219
son origine <800 ans avant Jésas*Cbrist) jusqu'à nos jours , et de ses
transformations soceessires et de ses développements divers» que sous
le rapport de son universalité, n'étant d'aucune race» d'aucune caste»
d'aucune r^on spéciale » mais s'étendant à des races diverses , sou-
vent opposées » à des sectes nombreuses et comprenant plus d'adhé-
rents» groupés il est vrai jpresqu'nniquement dans l'Orient» que
toutes les autres religions.
A. GiLUOT.
(X0 êuiU à la ffroékmm Uwraiâan).
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QUELQUES REGARDS RÉTROSPECTIFS
SUR L'ÉTAT LITTÉRAIRE , SaENTIFIQDE . INDUSTRIEL ET AGRIGObE
DE L* ALSACE AU GOMMENGEMENT DU XI1« SIÈCLE.
Nous venons de prendre coDnaissance de deux publications, parues
en l'an X de la République (1801 à 1802). La première de ces publi-
cations est intitulée : Voyage fait dam les départemenu du Bai-Rhin ,
etc. , par A. G. Camus (f 1804), membre de V Institut national flnscrip'
lion et Belki'leltresJ , Paris, 1803.
Camus» avant la ré?olution« était Jamémiie, membre de laCouTen-
tion , il adopta la Philosophie humanitaire de l'époque. Après le 18
brumaire et avant le Concordat , cette douce et tolérante philosophie
régna presque sur tous les cœurs et tous les esprits d'élite. On appré-
ciait vivement les BelleS'Lettres et les Sciences et les hommes qui les
cultivaient. On avait le cœur ouvert à toutes les améliorations , au
progrès matériel, moral et intellectuel du Peuple.
C'est pendant l'été de 1801 que Camus arriva à Strasbourg. Entre
Saveme et Strasbourg , il remarqua beaucoup de champs de pavots.
Il n'a pas eu l'occasion de voir des terres en friche dans le Bas-Rhin.
Relativement aux savants Strasbourgeois , nobles restes de l'an-
cienne Université, Camus, dit : on croirait que l'institut a envoyé une
Colonie à Strasbourg ! mais Us n'y sont pas envoyés ; ils y esàstaient, ils
s'y étaient formés , et l'institut st en le bon esprit de les nommer ses
correspondants.
Ces savants étaient : Arbogast, Brunck, Lombard, Koch , Oberlin^
Schweighœuser.
La mort venait d'enlever la naturaliste Hermann , à ses savants
collègues.
Description charmante de l'intérieur modeste de Jérémie Obertin ,
occupé alors de son édition de Tacite.
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QUELQUES REGARDS RÉTROSPECTIFS » ETC. 221
Schweighœuier était alors tout entier à ses auteurs grecs, et notam-
ment d'Athènes. — • Ces professeurs émineuts avaient constitué ce qu'on
appelle à Strasbourg, un c Krânzel, » Ces savants, dit Camm, se
réunissent alternativement chez Tnn d'entre eux. J'ai assisté à une
de leurs réunions chez Oberlin; c'était un sénat d'érudits. A Stras-
bourg les savants ont celte vaste lecture , cette bonne mémoire qui
est le propre des érudits allemands ; ils ont leur patience , mais ils
ont, de plus, l'urbanité française. » — c Oberlin est chargé de la
conservation des deux vastes bibliothèques de Strasbourg, i
Appréciation très-Juste de nos belles bibliothèques.
Camm parle aussi du Gymnase dont Oberlin était alors directeur.
En 1801 il y avait sept classes et 200 élèves.
Camus décrit le costume des femmes : c du commun » portant le
gros corset à baleine, avec cravate noire dont le nœud et les pendants
sont sur le derrière du cou ; bonnet et toque , soit en or, soit en
argent; (Schneppenhaube) une cocarde en rubans, au-dessus du
front.
En 1795 , les femmes de Strasbourg déposèrent leurs toques en or
et en aident sur l'autel de la Patrie ; 1061 toques en or déposées ,
furent estimées 104S0 francs , et 424 toques en argent , 2544 fr. i
Les promenades à Strasbourg sont mentionnées et même décrites
par Camus ; malbeureureusement les protes parisiens ont écrit :
RufiboTshaut y pour Rufrechtsaw^ le Contades , est le Contadin , que
d'autres voulurent nommer le Champ'Moreau , ou Bohenlinden , en
honneur de la bataille gagnée par Moreauei d'un haut tilleul, antique,
majestueaux, qui servait de point de ralliement. On sait que le mot
Contades , l'a emporte , comme le plus ancien. C'est comme dans la
nomenclature des objets d'histoire naturelle , et où Vantériorité a des
droits Imprescriptibles.
Une autre publication datée de l'an X (1802) est intitulée : Voyage
de Paris à Strasbourg et dans tous le Bas-' Rhin , pour s'assurer de l'état
actuel de r Agriculture et des ressources de ce département depuis la fon*
dation de la RépubUque française , publiée en l'an IX , après le trtàté
deLunéville, par/. £. F.... (du Gard). Cette brochure renferme
quelques jugements et appréciations, .dignes d'être reproduits.
L'auteur avait lu dans Arthur-Young, qu'entre Saverne et Strasbourg
il y avait une magnifique contrée agricole , où les terres sont d'un
permanent rapport ; où Ton ne connaît pas la jachère ; malgré les
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SS2 1IKVUS D'ALaàCB.
guerres de la réfolution le sol est coufert de denrées de Is plus
grande variété, c Quel colosse de forcot de ricbesles, serait la France
si dans toute son étendue la culture des terres était si bien entendue
que dans le département du Bas-Rhin. Alors elle nourrirait bien 80
millions d'hommes, i Au premier signal le reste du continent pourrait
être envahi par la France » et les gouvernements seraient obligés i
rester en paix. >
On voit par là que Tesprit français a cherché à toutes les époques
la grondeur, la gloire de la chère Patrie I
L'auteur agite la question des biens nationaux « brfthinte alon I La
question religieuse s'y éuit mêlée, c Les spéculateun de biens
nationaux commençaient toiyoure par demander si ces biens étaient
situés dans des communes buhériennes eu cathoUquei ? nlei habiianti
iuneni mixtetî En effet» un bien national de 5000 fr. de revenus^
i^iait en 4801 80,000 dans une commune Inihérienne , et 30,000 fr.
dans une commune catholique ! Telle est l'influence des opinions
religieuses dans ce département où la langue allemande domine. >
Dans l'intérieur de la France on n'a pas vu de si grandes différences
dans les prix des biens nationaux. — (Les personnes qui connaissent
l'Alsace et son histoire ne s'étonneront pas de ce fiiit qui a tant étonné
l'auteur de la brochure que nous examinons).
En fait d'histoire , on trouve de singulières bévues dans ce livre :
c Au f 5« êiècle l'église romaine , par son ascendant , avait obtenu
des seigneun alsaciens, que les luthériens seraient rélégués dans
certaines communes limitées. Une colonie d'hommes de cette secte se
plaça à Barr, et s'y multiplia , elle défricha les lieux les plus
agrestes. »
(Au i8« siècle il n'existe pas un seul luthérien en Alsace par la même
raison que l'Agneau de la fable opposa au Loup) (<). Les luthériens ont
fertilisé le sol le plus ingrat en Alsace de même que les calvinistes
hollandais ont rendu habitables les tourbières et les sables de la Hol-
lande, etc.
Un chapitre est intitulé : De la populalwn , dei mosiirt , du caractère^
de lUducadon , des frijugés , de la langue » de ViiaX mil, dei habitanU
avant la tondatum de la République.
Ce chapitre a quelque importance. Ainsi en 1792, il y avait 418132
(*) « Comment Taunifrje ⁢ si Je n'étais pas né. »
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QUELQUES REGARDS RÉTROSPECTIFS , ETC. 225
ftmes dans le Bas-Rbio » (comprenant alors 4 cantons siiaés aiyonr-
d'Jiui dans la Bavière-rhénane) » pour une étendue de S68 lieues car-
rées; 9u» i, 56 âme par lieue carrée.- (En 1800. la population était de
448,000, en 1807 de 514,000;) en 1814 de 532,488 âmes dont il faut
défalquer 66.662 pour les cantons détachés de la France ; restent
465.826 » chiffre qui va s'élever en 1822 à 502,638 âmes et en 1856
580,373 sur 455,034 hectares , ou 121 âmes par kilomètre carré , ou
1, 21 par hectare.
L'accroissement a donc été extrêmement rapide en 70 ans.
Notre auteur reconnaît c que les filles et les femmes des campagnes
sont astreintes aux plus rudes travaux des champs. Elle vont les jours
de fêtes partager, avec les hommes, leurs jouissances au cabaret, sans
qu'on trouve dans le pays cet usage ridicule. > Cela est encore tou-
jours parfaitement vrai ,* et personne ne s'en offusque ; les mœurs
séculaires sont si vivaces que rien ne pourrait les changer.
Nous apprenons par ce livre, que les naiureU du pays.sont difficiles
à émouvoir, et que le laboureur travaille avec la'méme vivacUé le soir
que le matin. Cette tranquillité et ce calme permettent et facilitent un
travail plus égal et plus parfait. Les vigneroQs sont plus intelligents ,
plus vifs , plus ingénieux que les agriculteurs.
Vient maintenant un paragraphe un peu scabreux , nous^voulons
parler d'un thème que E. Aboui a traité , l'hiver dernier, avec une
trop grande liberté, et ce qui lui a valu, de la part de c l'AUaden , i
une tapée vigoureuse. Voici ce que dit notre auteur, auquel nous lais-
sons tout entier la grave responsabilité.
c Les luthériens sont généralement plus aisés que les catholiques
c du département. On croit que cela vient de ce que l'observation de
c leur religion leur coûte moins ; qu'ils n'enrichissent pas leurs
c églises , qu'ils n'ont pas de fêtes à observer y que la crainte d'être
c un jour asservis par les catholiques les a rendus plus laborieux et
c plus prévoyants. D'ailleurs ayant moins de mystères dans leur reli-
< gion, il entre plus de morale que de théologie dans l'éducation ; ce
c qui rend leurs idées plus nettes , leur conception plus facile , leur
c jugement plus sain. » .
Voilà [certes une appréciation beaucoup moins touchante que celle
de M. Edmond Aboui, et pour un philo$ophe français de l'école théo-
philantrope^ elle est assez curieuse.
Maintenant , voici venir le chapitre relatif à la langue du naturel ie
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224 RBTUB B'ALSACB.
ces contrées, c Ce pays tient beaucoup aux mœurs» préjugés, supers*
titîons et usages allemands» ses habitants ont conservé leurs costumes
antiques» depuis 600 ans» quoiqu'il y ait plus d'un siècle qu'ils soient
soumis à la France. » (Pourquoi cette soumission cbangerait-elle
leur costume ? )
c Le peuple ne sait que la langue germanique» mais dans les Tilles»
les autorités constituées » les négociants » les aubergistes» les maîtres
de poste , y parlent pas^blement français ; ils ont fait à cet égard
quelques efforts depuis la Révolution ; cependant on y publie encore
les lois dans les deux langues. » (Encore en 1860); dans la ville de Stras-
bourg » en 1859 » où Ton affichait les dépêches télégraphiques » dans
les deux langues » on pouvait remarquer» que les trois quarts des
lecteurs lisaient la version allemande.
c Les Alsaciens étaient peu en liaison avec le reste de la France »
car tl« étaient réputét du pays conquis hors des barrières. » Cela s'est
pourtant un peu modi6é.
11 n'y a que 5000 calvinistes dans le Bas-Rhin : Avant 4789 les
catholiques et les luthériens avaient seuls une existence civile. Les cal-
vinistes n'étaient que tolérés à Strasbourg » on leur permit de bfltir un
temple » sans cloches ; ils ne pouvaient ambitionner aucune charge
publique. ■
c Les juifs étaient encore moins favorisés. Ils ne possédaient aucun
emploi » aucun art » pas même celui de cultiver la terre, i
(Quantum mutati ? en 4860)
c L'éducation estextrémement négligée dans les campagnes ; les
sept huitièmes des femmes ne savent pas lire ; les hommes rarement
surtout parmi les catholiques et les juifs ; les autres sectes sont un peu
plus instruites, i (Pour notre voyageur-philosophe» toutes les religions
étaient des sectes !) c Néanmoins » hormis celle des juifs » toutes les
autres commencent insensiblement à goûter la philosophie. > (Y. à
cet égard le Journal» le Siècle du 25 juillet 1860: Prêtres et Raisins :
et dites-moi , si les juifs ne commencent pas à goûter la philosophie
humanitaire.)
Après ce chapitre moral et philosophique» l'auteur aborde l'agri-
culture » l'industrie » les arts » le commerce du Bas^Rhin. Il passe en
revue tous les cantons» dans l'ordre alphabétique. Quoique les Alsa-
ciens fussent fort peu civilisés à la française» c l'expérience leur a pour-
tant enseigné et prouvé qu'il n'est pas nécessaire de laisser reposer les
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QUELQUES REGARDS RÉTROSPECTIFS, ETC. ^25
lerres de deux années rune» pour obtenir des récoltes encourageantes;
ils ont reconnu qu'il fallait fumer et amender les terres toutes les fois
qu'elles en avaient besoin» pour qu'elles puissent être en rapport per-
manent ; on a même réussi à faire deux récoltes par an ; dans quel-
ques contrées » après les orges et les colzas , on recueille encore la
même année des navets » des carottes » etc. Les prairies artiâcielles
sont propagées ; les trèfles s'y coupent 3 à 4 fois l'année. > L'auteur
croit devoir citer H. de Folkenheim de Kolbsheim , comme l'un des
propagateurs les plus zélés du trèfle et de la luzerne. (On sait qu'il
faut /d'après Schwertz, attribuer l'honneur de la vulgarisation du
trèfle dans le Bas-Rhin au dtotoyen Schrôder de Schillersdorif » vers
4770.).
c Dans l'intervalle de 60 ans (depuis 1730) on a vu , en Alsace» de
grands progrès , réalisés par la culture, des denrées plus lucratives
que le blé , telles que : fourragea , tabac , garance , houblon , pommes
de terre , betteraves » choux , colzas , pavots , chanvres , moutardes ,
ftveroUes , mais , toutes choses que l'on ne voit que rarement dans
l'intérieur de la France « excepté en Flandre. Pour donner une juste
idée de l'agriculture et de llndustrie en Alsace » l'auteur passe en
revue tous les cantons du Bas-Rhin ; il commence par celui de Barr»
un des plus industriels » riche en vignes, prés et vergers, en champs
arables» en forêts. C'est encore chez les t Luthériens i à Barr que
l'industrie est florissante. Les catholiques sont pauvres. > —C'est notre
i philosophe > qui le dit.
Nous n'entrerons pas dans des détails industriels et agronomiques;
nous voulons simplement constater quelques contrastes en 4800 et
4860.
' A Benfeldf en 4800» il y avait 28 à 30 ouvriers occupés à deux
fabriques de Tabac ! voilà pour l'industrie du canton de Benfeld en
4800 1 — Nous n'avons pas besoin de dire ce qu'elle est aujourd'hui ;
chacun peut s'en assurer.
A Bouxwiller, en 4800» on ne pouvait citer qu'une seule fabrique
naissante » 7 à 8 métiers de siamoise.
Geispolsheim^ — Pays du chanvre; outre les chanvres peignés»
vendus pour la plupart à l'étranger et aux cordiers de Strasbourg »
on filait et on tissait dans le canton 42000 pièces de toile de chanvre
au prix de 4» SO le mètre écru » large de O**» 8333 milli. Les coltiva-
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2i6 RBVUE D' ALSACE.
leurs sont presque tous tisserands. Aujourd'hui les chanvres sont
presque tous vendus. Voici le produit du chanvre en 1852 :
4i0 hectares sont cultivés dans le canton de Geispolsheim en
chanvre produisant 3800 quintaux métriques de filasse ; le quintal
métrique de 88 à 60 fr. le produit de la culture brute sera de 220400
à 328000 fr.
Haguenau, — Ferme de Gei$elbronnet manufacture de garance fon-
dée en 1774 par le célèbre Hoffmann ; depuis 1780 , elle appartient
aux citoyens Weiti-Revel et C'« de Strasbourg. — . Cette industrie
faisait avant la révolution des affaires pour 1200 à 1400 mille francs
par an.
Dans le même établissement on a fondé une pépinière d'arbres
fruitiers ; on y a vendu jusqu' à 12000 pieds d'arbres greffés.
iloUheim. — H sort, année commune^ 50 à 60000 quintaux de
plâtre » des carrières de Flexbourg (à 1 fr. le quintal); ce plâtre est
expédié par le canal à Strasbourg.
Fabrique de garance du citoyen Augit à Molsheim ; on y fabrique
(on y prépare) 3 à 4000 quintaux de garance : c'est la 6« partie de la
garance cultivée dans le Bas-Rhin ; blanchisserie , tuileries » etc.
Niederbronn, — c Eaux ferrugincusei et iulfureuses ! i C'est ainsi
qiie l'auteur qualifie ces eaux. — Mine$ de fer exploitées par les
maisons Dteinch et Karih , de Strasbourg ; quatre établissements des-
quels sortent » par an y pour 600,000 fr. de fer ! 400 ouvriers occupés
par ces fabricants dans leurs diverses usines. A peu de distance, il y a
une verrerie (on ne dit pas où ?) ; on y fait du verre commun pour
40,000 fr. Trois papeteries , d'où il sort du papier pour 100,000 fr.
Fabrique de vitriol martial, d'où il sort pour 40,000 fr. de marchan-
dises. — Il serait intéressant de comparer ces données avec la pto-
duction actuelle. Pour le moment nous ne possédons pas de données
à cet égard.
Obemai. — Manufacture d'armes du Klingenthal. — L'an II de la
République, elle occupait 375 ouvriers > produisant par an 120,000
pièces, baïonnettes, sabres, etc. , évalués à 460,000 fr. Mais souvent
l'ouvrier chôme en temps de paix ! — c La République est propriétaire
des bâtiments ei usines. >
If y a encore à Klingenthal un martinet pour la préparation des
cuivres ; les marchandises qui en sortent sont évaluées à 120,000 fr.
Propriétaire , le citoyen J, D, Oeistgre (Oeûnger) , de Strasbourg.
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QtlELQCES REGARiyS RÉTROSPECTIFS, ETC. 237
La PeàU'Pierre. —y errerie de WinzoUf fondée en 1718; verre
à ^(re ; la fabrication annuelle s'élève à 40,000 fr.
SouUz. — Salines. Production de 2500 quintaux de sel. — Mines de
bitome et d'asphalte, de Lobian et Bechelbronn. Les deux peuvent
fournir 3000 quintaux par an à 25 fr. » 75,000 fr. — 75 ouvriers
employés. —Mine de lignite, découverte en 1788 par le citoyen
Jlofoiifi {Roêenstkht} , fournissant 12.000 quintaux par an , employés
pour Texploitation de Tasphalte.
Proposition d*un établissement de Bains d' asphalte , Irès-efflcaces
dans certaines maladies !
Strasbourg . — Cultures des Gartner. Industries: tabac, occupant
680 ouvriers; féculeries: 40 ouvriers ; cbanvre et cordages: 250
ouvriers. — Navigation du Rhio et Commerce : Nombre des rouliers,
arrivant par an à Strasbourg , 5000 ; amenant 250,000 quintaux en-
viron de marchandises diverses. (A comparer avec ce qu'amènent
aujourd'hui les chemins de fer). Les bateaux qui vont sur le Rhin
descendent , vers Mayence , 80 à 90,000 quintaux de marchandises.
Transport susceptible d'augmentation, c mais il faut la peux l * —
Les deux foires annuelles à Strasbourg attirent un grand nombre de
marchands allemands et suisses , qui font des consommations, des
achats , des ventes et expéditions , etc. (On sait que les foires ne sont
plus, depuis quarante ans, que des bazars» des exploitations du
plaishr forain , etc.)*-— Fabriques. Fonderie de bouches à feu , dirigée
et exploitée par le citoyen Darita (Dartein) , occupant 24 ouvriers, et
fournissant à l'Etat pour 200»000 fr. de canons. — Un atelier de
réparation d'armes à Saint- Jean « transféré de Mutzig à Strasbourg, en
l'an V ; entrepreneur : le citoyen Cautaux Tatné (Couteaux).
Uanufaciure de toiles à voiles , entrepreneur : le citoyen Gase^ fai-
sant sortir de cet établissement 500,000 mètres de toiles destinées
pour les ports de Toulon et de Brest ; 50 tisserands et travailleurs.
(N'existe plus depuis 1850).
Atelier de filature et de blanchisserie de fil à coudre , à tricoter, etc.
La commune y envoie les femmes et les enfants indigents. (N'existe
plus).
Blanchisseries. La plus considérable est celle du citoyen Zœpfel ;
elle blanchit près de 300,000 mètres de toiles de ménage par an ;
mais les blanchisseries du Bas-Rhin sont loin de la perfection qu'on a
atteinte en Hollande , en Flandre , en Suisse. — Quand les habitants
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$28 RBVnE D'ALICE.
de Strasbourg veulent leurs toiles d'uu blanc de lait , ils les envoient
blanchir à Bâie. — On compte à Strasbourg douze fabriques d'amidon
ou poudre à cheveux, qui en temps de paix font ensemble pour
i 20,000 fr. de marchandises. (Usage aujourd'hui presque nul , tandis
que Tusage industriel , presque inconnu en iSOi » emploie de nos
jours des quantités immenses).
Fabrique de draps du citoyen Dielsch; produit pour 200,000 fr. de
marchandises par an.
Fabriques de tabac au nombre de 55.
^ PetUe fabrique de papier peint pour tapisserie ; fournit annuellement
pour 48,000 fr.
Deux manufactures à*amadou font chaque année pour 60,000 fr.
de marchandises. Elles tirent de la Bohème les champignons. (Les
allumettes phosphoriques les ont tué).
Colk forte. Six fabriques.
Tanneries. Vingt-quatre; elles fabriquent ensemble pour 500,000
francs de cuirs.
Maroquinê. Deux fabriques; 90,000 fr.
Fabrication de peignes à corne. Vingt ateliers ; 50,000 fr. de mar-
chandises par an.
Braiserieg : dix-huit. Les brasseurs achètent du houblon en Alle-
magne pour i60.000 fr. et en revendent aux brasseurs de Tintérieur.
Nous négligeons les articles de commerce indispensables dans tous
les temps et lieux.
Ces extraits doivent sufiire pour montrer ce qu'était le commerce
et l'industrie à Strasbourg au commencement de ce siècle. Certes il
serait curieux de placer à c6té de ces données les états et chiffires
actuels ; mais ce serait un travail , je ne dirai pas au-dessus de nos
forces , mais long et pénible.
L'auteur fournit ensuite un tableau où il classe les cantons du Bas-
Rhin en trois catégories: les bon$, les médiocre$, les pauvres ou
froidi. Ces derniers se trouvent dans les montagnes et sur le versant
occidental des Vosges.
i Dans une foule de communes rurales l'ameublement, le costume,
la table sont les mêmes pour les maîtres et les domestiques; l'édu-
cation de la servante ne diffère pas de celle de la maîtresse. »
Il en est toujours encore ainsi ; car le même maître d'école • le
même pasteur , enseignant tous les enfants d'une commune rurale ,
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QUELQUES HEGARDS RÉTROSPECTIFS, ETC. 229
il en résulte nécessairement uu senliment d'éjfalité et de fusion intel-
lectuelle et morale. Quelques arpents de terre , quelques vaches de
plus produisent néanmoins des boursoufflures de vanité ou d'orgueil
chez la maltresse. Hais dans la vie rurale extérieure ces inégalités
disparaissent.
• Les habitants n'ont encore pu se défaire de leur rustique gros-
sièreté. >
Hélas! ici nous ne pouvons pas contredire notre auteur ; néanmoins
il y a du progrès depuis 1800 i
c Leurs besoins sont à-peu-près les mêmes que ceux de leurs pères,
il y a cinq à six siècles et on ne peut pas dire que les richesses ont
introduit chez eux la molesse ou les besoins factices, i
Ceci est généralement vrai — pourtant nous avons vu que Sehwerz,
sur le rapport du pasteur Schrœder, en iSii , se plaint du luxe det
vêiemenu . chez les femmes.
La soie et le velours s'introduisent chez nos paysannes riches !
c La dépense personnelle d'un agriculteur ordinaire dans nos can-
tons ruraux est de 350 fr. Dans les cantons vignobles « de 480 fr.
Les femmes dépensent un tiers de moins que les hommes, i
Les agriculteurs alsaciens cherchent avant tout d'agrandir leur
train rustique, leur c Hof^ i de posséder de vastes granges et remises,
pour y loger leurs volumineuses récoltes, en foins, en gerbes de blé,
tabacs, chanvres, colzas , etc. On ne voit que rarement des meules en
Alsace ; tandis que dans le centre et le midi de la France^ les grandes
remises sont inconnues.
Notre auteur, prétend qu'il existe auprès de la plus grande partie
des Alsaciens , c le préjugé ou Terreur de croire qu'ils se suffisent à
eux-mêmes , qu'ils ont chez eux tout ce qu'il leur faut et qu'ils pour-
raient se passer de leurs voisins. Ces préjugés entretiennent les mau-
vaises races de bétail , se dégénérant de plus en plus ; ils rendent
la vie rustique pénible et détruisent tous les sentiments de la solida-
rité humaine. >
Notre auteur veut encore prouver aux habitants de nos campagnes,
qu'ils ne peuvent pas se suffire.
io II n'y a pas de sel en Alsace t les 200 kilos retiréa à Soulz sont
insignifiants. (On sait qu'il n'y a plus de salinesà Soulz aujourd'hui). ^
Pas assez de bois. (Cela n'est plus vrai aujourd'hui ; nos forêts bien
aménagées suffisent aux besoins, de nos communes rurales qui e^
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230 REVUE D'ALSACE.
exportent des quantités immenses. 5* La viande de boucherie en
partie. (Nos campagnes s'en passent). A^ Les bestiaux sont achetés à
l'étranger. (Cela n'est pas vrai dans les vallées). 5<» Les avoines sont
insuffisantes. (Nos campagnes n'en fourragent pas). &* Epices et
drogues. (Les épices sont plantés dans les jardinets. — Coriandre »
sariète , mirthe , anet , fenouil , etc. , les drogues aussi : Sauge ,
chardon-marie • angélique, ou bien on récolte les drogues dans
les bois et les prés. — On se passe des drogues exotiques « même
du poivre. V Une partie des étoffes d'habillements. (Nous connaissons
des familles de campagnards qui ne s'habillent que des produits de
leurs champs, de chanvre ou de lin, ou de la laine de leurs moutons,
filés et tissés au village ; mais ces mœurs antiques dispai^issent.
S^ L^ beurre. — Dans les campagnes on n'achète pas le beurre.
On dit généralement des familles économes , en Alsace • qu'elles
ne laissent sortir de leurs maison ou cabanes que la fumée.
En 4801, les contributions foncière et mobilière du Bas-Rhin s'éle-
valent à 3,615,525 fr.
Aujourd'hui les contributions directes du Bas-Rhin s'élèvent à
Saveme 946,000
Schlestait 1,197,000
Strasbourg 2,581,000
Wmembourg 728,000
Toul 5,461,000
Ce qui revient à 10 fr. par individu et en 1801 à 8, 65.
L'auteur déplorait, dans l'intérêt d'une bonne répartition des impôts,
l'inégalité des mesures agraires, dans les divers cantons du Bas«Rhin;
aujourif hui ces inconvénients n'existent plus , les mesures françaises
étant admises partout , et le cadastre terminé dans toutes les com-
munes.
Un chapitre , assez curieux , historique et prophétique , est celui
consacré à l'avenir de l'industrie dans le Bas-Rhin.
c 11 y a deux genres de manufactures qui étant perfectionnées
peuvent former des branches considérables de commerce et d'indus-
trie , et entrer en concurrence avec l'Angleterre et TAUemagne. La
!'• est l'industrie de Klingenthal , quincaillerie de fer, d'acier, de
cuivrci destinée à un grand avenir, (L'avenir n'a pas réalisé cette pré*
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QUELQUES REGARDS RÉTROSPECTIFS , ETC. 35t
diction pour le Kliogentbal , mais pour le Zomhof, près Saverne , et
pour Beaucourt, près de Delle t Haut-Rhin). La â*"* industrie est celle
des toiles de chanvre dans le canton de Geispolsheim et de Bitsch-
iriller . industrie susceptible d'un gfrand développensent ; — mais dit
Tauteur, en bonne économie politique » il faudrait défendre la sortie
de nos chanvres en Suisse. — (Toujours le vieux système des prohi-
bitions • au lieu de la liberté industrielle et commerciale). — Si l'on fait
bien en Suisse » pourquoi ne ferait-on pas aussi bien en Alsace ? Pour
faire progresser l'industrie et le commerce de l'Alsace , dit l'auteur,
on ne saurait trop multiplier et assurer les voies de transports^ i'éta-
blissement de canaux , de routes et de chemins ; leur donner célérité
et régularité de services économiques. Ces améliorations attirent les
voyageurs » les artistes » les curieux , les ouvriers étrangers , et ce
concours amène insensiblement la perfection des sciences et des
arts. — (Notre état social a tant démontré combien nous sommes déjà
loin de i80i).
Un paragraphe sur la force publique nous démontre que dans le
département du Bas-Rhin on peut lever 15,000 hommes pour le service
ordinaire de l'Etat , et 20,000 hommes dans le besoin » indépendam-
ment d'une garde nationale sédentaire, c Les hommes sont générale-
ment plus disposés pour la cavalerie légère que pour un autre
service. » En admettant 15,000 hommes sous les drapeaux pour une
population de 540,000 hommes, (celle du Bas-Rbin) on a le rap-
port i,36; donc sur 36,000,000 français, i million pourrait faci-
lement et sans forcer les choses, être opposé à une agression
étrangère. ^
Le chapitre sur les forêts nationales et communales est triste,
c Dans l'intervalle de dix ans (1790 à 1800) il y a eu des dévasutions
si énormes dans les forêts du Bas-Rhin , que l'on croit pouvoir esti-
mer cette branche de revenu à la moitié de son produit précédent.
On présume que si des lois sévères contre les dUapidateun et les
dévastateun ne sont pas bientôt exécutées » le rapport des forêts sera
extrêmement mince dans quelques années. » Ces mesures sévères ont
été prises et nos Vosges dévastées de 1790 à 1799 , se repeuplent à
vue d'œil depuis 30 ans. Il en est de même pour la chasse qui
était d'un revenu assez considérable dans la ci-devant Alsace. A l'épo-
que de la Révolution toute espèce de gibier fut entièrement détruite.
En l'an II. les chasseurs ne trouvant plus de quoi s'indemniser de
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332 REVUE D'ALSACE.
leurs peines se sont presque tons dégoûtés. En l'an 5 on a commencé
à s'apercevoir de la présence de quelques lièvres ; mais les sangliers»
les chevreuils sont devenus extrêmement rares.
c Le moutin à vent est inconnu en Alsace. Les nombreux cours
d'eau permettent la construction hydraulique, mais les meuniers
d'Alsace ne connaissent pas les meules de la Champagne. Leurs
meules en grès s'usent beaucoup trop vite. •
Dans le chapitre relatif aux foires et marchés, l'auteur Ait remar-
quer i qu'en Alsace on ne connaît pas les HaUes pour la vente des
blés. 1 (Jusqu'en 4828 les blés se vendaient à Strasbourg sur la place
d'Armes ; Aujourd'hui il n'y a plus de ville qui ne possède sa
Halle aux bléi , chose inconnue encore en 4804. — Nous terminons
ici l'analyse de cette brochure si curieuse à bien des égards.
F. KmSCHLEGER.
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LE POÊLE DES SEIGNEURS
\RffiAUVILLÊ.
La noblesse en voyant de toutes parts , au i4« siècle » le peuple se
diviser en tribus ou corporations et rechercher la force dans l'associa-
tion , jugea sans doute prudent de ne pas rester isolée et de grouper
autour d'elle tous les éléments conservateurs sur lesquels elle pourrait
compter.
Telle paraît avoir été la cause première de la formation de la
Herrenttub ou Poêle des seigneurs à Ribauvillé. Ce qui le ferait sup-
poser c'est la concession de privilèges importants faite à la société
dans le but , sans doute , d'y appeler le plus grand nombre de^mem-
bres possible. Il est vrai que plus tard cette société prit tous les
caractères de nos cercles modernes et le besoin de se divertir fit ou-
Mier à la noblesse le but réel de l'institution ; aussi les statuts que la
confrérie renouvela en 1518 (f) , durent-ils s'en ressentir. Des dispo-
sitions importantes rappelant l'origine de la société , ont peut-être
disparu et ont été remplacées par des prescriptions nouvelles.
Cest le jour de la Saint-Martin » évêquci de l'année 1518» qu'Ulric
(0 La première fois qa'il est &it mentuin de la Bemnitub^ c'est en 1465. Le
b&tinient qui est désigné sons ce nom et qni devait être seigneurial , était sitaé
dans la ville moyenne de RilïauviUé (mittelstadt) ; un moulin et la petite maison
de l'écarisseur se trouvaient auprès. (Registres de rentes de la maison de Ribau-
pierre).
Au jour de Pâques de Tannée 1^163, époque à laquelle Egenolf de; Ribaupierre
adopta la doctrine de Luther, une école éTangélique fat instituée dans la Bèrrmir
ttub ; mais peu après , cette école a été transférée au couvent des Augustins de
Ribauvnié. (Annales de Luck). C'est à cette époque que la confrérie a dû être
distoute. En 1581, il est MX mention» pour la dernière fois, dans un titre de rente,
du bâtiment de la Herr$ntiub.
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234 REVUE d'àlsàce.
de Rappolsteio qai administrait alors les domaines de son père
Guillaume* landvogt d'Alsace» fit réunir ies nobles, les prélats »
et les personnages titrés formant la confrérie du ^ poêle des
seigneurs , et renouvela les droits et les coutumes de cette ancienne et
libre société. Tous les membres s'engagèrent à se conformer exacte-
ment aux nouveaux statuts , et afin de ne^as les laisser tomber dans
roubli, le dynaste de Rappolstein les fit consigner par écrit. Nous don-
nons ci-après ce règlement en lui laissant sa forme et son caractère
original, (i)
' Premièrement la salle doit être tenue libre de tout commerçant ,
artisan ou autre ouvrier ; ces gens ne pourront jamais Foccuper sans
la permission de la seigneurie et des membres de l'association.
Le noble seigneur Guillaume de Rappolstein a » par grâce spéciale,
permis, pour honorer l'association , que celui qui , après s'être rendu
coupable à Ribauvillé de mauvais traitements et de désordres , serait
obligé de prendre la futte , et parviendrait à gagner le poêle des sei-
gneurs , obtiendra la liberté , s'il la réclame ; cette franchise ne
s'étend pas à ceux qui , à la suite de querelles , auront occasionné la
mort, ou qui auront violé les privilèges de l'association ; à ces der-
niers ce droit d'asile ne devra ni profiter ni préjudicier.
Si] des mauvais traitements et des désordres sont commis par des
membres de la corporation , ou par d'autres de la noblesse et du
clergé qui se rendent au poêle des seigneurs , qu'ils soient de la ville
ou de l'étranger, que ce soit par paroles ou par actions, les coupables
doivent être traduits devant le maître du poêle (StubenmeisteiO et
les membres de la confrérie , à l'effet d'être interrogés et punis, s'ils
ne peuvent se justifier. Quant aux crimes et aux faits entraînant une
peine corporelle le jugement en est réservé à l'autorité compétente.
S'il est utile et nécessaire de prescrire une mesure réglementaire
pour la corporation , cela doit être fait par le Stubenmeister assisté
de délégués de la corporation , désignés par elle.
Il a aussi été arrêté par le Stubenmeister et par l'assemblée que les
membres de la confrérie ne devront, ni dans la salle des réunions, ni
{*) Ce titre qui est en parchemin ne porte ni signature, ni sceau; placé ancien-
nement dans un cadre, il était suspendu dans la salle des réunions, à en juger par
sa forme et sa couleur.
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LE POÊLE DES SEIGNEURS A RIBAUVILLÉ. 335
dâos la partie da bâtiment sitaée ao-dessous (i) troubler la paix en
ancane manière par paroles ou par actions, quand bien môme il
existerait entre quelques uns des causes de discorde ou de dissenti-
ment.
Pendant qu'ils sont assis^ mangeant» buvant en commun ou faisant
la conversation , ils ne peuvent s'entretenir de leurs divisions; aucun
reproche ne doit être fait » aucune parole blessante ne doit être dite.
Mais afin que l'ordre et la tranquillité soient mieux maintenus dans
les réunions , il est défendu sévèrement , pour la gloire et la louange
de Dieu» detepir tous les mauvais jurements qui peuvent offenser et
outrager Dieu , sa digne mère Marie et les saints ; ainsi on ne peut
jurer par la chair du Christ , par son sang , par ses plaies » par ses
membres^ par sa croix» par son martyre et par sa mort» et les bien-
heureux saints ne seront pas injuriés.
Celui qui^ contreviendra à cette prescription , devra payer, pour
chaque blasphème, une amende de cinq schillinj[s, dont la moitié sera
employée à l'achat de cierges à brûler dans l'église paroissiale de
Saint-Grégoire; l'autre moitié servira à couvrir une partie des
dépenses de l'association. Quant aux blasphèmes graves et extraordi-
naires , qui entrafaient une peine corporelle , le châtiment à infliger est
réservé à la seigneurie.
Celui qui dans la salie lève son épée sur un des assistants est punis-
sable sans rémission d'une amende de 30 schillings pfennings.
Celui qui fait des blessures à un autre dans le lieu des réunions ,
doit payer à Fassociation 3 livres. Le blessé peut porter le cas devant
le Stubenmeister et les membres , et tout le dommage qui aura été
constaté , doit être réparé.
Celui qui dans le poêle des seigneurs accusera méchamment un
autre de mensonge, ou lui donnera des coups de poings et des coups
de pied , ou le prendra aux cheveux , ou fera tout autre scandale de
cette sorte , paiera à l'association 5 schillings ; si pour ces choses ou
pour d'autres qui se passeraient au poêle, il arrivait que l'un deman-
dât raison à l'autre , l'affaire serait portée devant le Stubenmeister et
les membres réunis et il serait fait justice immédiatement.
Si l'un des membres insultait un autre ou le scandalisait par de
mauvaises paroles et qu'il fût averti par l'un des assistants de cesser,
(') La Hgmnêtub se trouvait donc au premier étage,
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236 REVUE D*ALSàGE.
et ft*il contiouait • il paierait S schillings pour désobéissance et mépris
de pareil avertissement.
L'habitude vicieuse de boire contre nature et sans nécessité,
offense tant Dieu et les saints et souvent la digne société, chose
qui est nuisible et coûteuse, et donne de plus lieu à beaucoup
de désordre notamment quand un sociétaire provoque les assistants
de la voix et du geste à boire sans nécessité ;.avec lui. Que
chacun sache , qu'il soit noble ou roturier , prêtre ou laïque ,
régnicole ou étranger , que cela est sévèrement défendu » et que
les contrevenants , le provocateur comme celui qui accepte le
défi t auront à payer chacun , autant de fois que cela arrive , une
amende d'un florin d'or ; personne ne sera dispensé de la payer et
aucune justification ne sera admise. Les étrangers nouvellement
admis devront être prévenus à temps de cette défense.
Celui qui aura brisé ou dégradé les vitres , les verres , les nappes ,
les essuie-mains, la vaiselle d'étain et tout objet faisant partie du mo-
bilier du poêle, sera tenu, dans un délai de deux jours, de remplacer
à ses frais l'objet brisé ou de faire restaurer l'objet détérioré. S'il ne
le faisait pas, il serait condamné à^une amende fixée par la société
réunie.
Tous les faits contraires à ce règlement et ceux qui n'y sont point
prévus , devront être portés par le valet du poêle (Stnbenknecht) et
les membres de la corporation, à la connaissance du Stubenmeister qui
a le pouvoir de trancher la question , selon les droits ou les circons-
tances ; mais il ne devra en résulter aucun pr^udice pour le dénon-
ciateur.
On ne doit pas tolérer dans la société de jeu trompeur ou dange-
reux. Le contrevenant sera puni par le Stubenmeister et les membres.
Aucun jnif ne peut venir jouer dans la salle de la société. Les
simples bourgeois , commerçants et artisans , ne pourront le faire
sans une autorisation expresse du Stultenmeister.
Lorsque des membres ou des personnes étrangères passent leur
temps à jouer au poêle leur consommation, soit de bonne heure, soit
très-tard , sans se mettre à table , ceux-ci ne doivent pas moins ,
comme les membres qui consomment , payer leur écot sans observa-
tion 0).
(0 Eo regard de cet article sur le manuscrit se troaye dessiné ^ la plame une
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LE POÊLE DBS SEIGNEURS A RIBAUVILLÉ. 237
La société aura un honnête valet , spécialement institué» qui par
lui-même ou par sa femme et par ses domestiques » la ser?ira avec
Odélité et zèle ; chaque fois qu'il en sera besoin , le valet du poêle
sera nommé ou recevra son congé , par la seigneurie et la confrérie.
Ce préposé devra se conduire à Tégard de la société ainsi qu*il est
prescrit par le règlement spécial établi pour son service » et c'est
pourquoi aussi la seigneurie l'a dispensé « par grâce , de toute garde
et de toute corvée.
Tout habitant de la ville ou étranger» homme ou femme » qui n'est
pas de la noblesse ou qui n'appartient pas à la société ne pourra se
rendre au poêle des seigneurs » pour les danses qui y auront lieu »
sans y avoir été invité ou convié. Celui qui se sera introduit et voudra
danser de force, devra être éconduit, sur l'avis des membres
présents.
Tous les ans» à la Saint-Georges^ il doit être procédé par les
membres réunis » à l'élection d'un Stubenmeister» instruit » sage et
domicilié à Ribauvillé; la première année on désignera un prêtre
choisi parmi les membres ecclésiastiques ; l'autre année» ce sera un
membre appartenant à la noblesse ou toute autre personne laïque
d'un caractère honorable. Celui qui aura été élu sera obligé pendant
un an de veiller à ce que le poêle et les assemblées soient tenus bon-
Bêlement et que le règlement soit observé avec rigueur.
Il doit aussi » pendant l'année » réclamer de tous les membres étran-
géra et régnicoles » la cotisation annuelle et en faire recette » puis
rendre compte de sa gestion. Et s'il ne peut faire rentrer les extances»
malgré les soins qu'il y aura mis » lui on les autres membres » il en
sera tenu quitte.
U doit dénoncer» sans pitié» à l'assemblée tout contrevenant au
règlement » qu'il en ait connaissance par lui-même ou par d'autres »
et l'amende qui est prononcée sera perçue par lui » comme la
cotisation du poêle » et portée au compte de l'année.
Pour la tenue du poêle et de l'assemblée» la seigneurie de Rappol-
stein donne annuellement une subvention de 5 livres rappenpfening.
Chaque membre donne annuellement comme droit de poêle un
main indicative rappelant spécialement robserration rigoureuse de la prescription
du règlement. 11 parait que l*on jouait beaucoup et longtemps et qu'on refusait
généralement de payer son écot.
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REVUS D'ALEACB.
florin du Rhin 9 à il schillings el Va rappenpfenning , (i) payable , la
moitié à Noél et l'autre moitié à la Saint-Geoi^es. Le Stubenmeister
est.dispensé de cette cotisation.
Les membres forains paient leur cotisation en une seule fois, à
NoêL
Si Tun des sociétaires de la ville n'apporte ou n'envoie pas sa coti-
sation pour l'époque fixée on au plus tard huit jours après, le Stuben-
meister a le droit de saisir lui-même ou de faire saisir par un envoyé»
(mission que doit accepter le stubenknecht) tout objet appartenant au
débiteur, soit à son domicile, soit en dehors de sa demeure. Ce der-
nier doit laisser opérer la saisie bénévolement , sans s'irriter et sans
s'y opposer par paroles ou par actions. Si l'objet en gage n'est pas
retiré au bout de i5 jours , moyennant paiement de la somme due, il
sera vendu et celui qui l'achète ne peut être inquiété par l'ancien
possesseur.
Si , au contraire, c'est un étranger qui est en retard , il doit d'abord
être averti d'une manière bienveillante et si après le (ffemier avertis-
sement , le paiement n'a pas eu lieu dans le délai d'un mois , il sera
invité , à ses frais , par le Stubenmeister à se présenter, le mois sui-
vant devant les membres réunis, invitation à laquelle il devra se con-
former.
Tout sociétaire devra être ou noble et posséder des titres nobi'*
liaires , ou prélat , prêtre ou réputé digne de recevoir l'ordination.
Cependant , les personnes savantes, graduées et celles qui ont obtenu
et tiennent encore des emplois chez les princes, les seigneurs et dans
les villes , pourront éure admises du consentement du Stubenmeister et
de l'assemblée.
Après l'admission , le sociétaire est considéré comme membre, aussi
longtemps qu'il n'a pas déclaré au Stubenmeister à la fin de l'année ,
soit verbalement , soit par dépêche scellée, qu'il renonce à son droit
de poêle , à moins que toutefois , la société l'en ait privé pour des
causes justes et fondées.
Tous les membres sont dispensés de payer l'impôt sur le sel.
Quand l'un des membres a besoin de demander un avis amical à
rassemblée pour ses afiaires personnelles , il doit lui être octroyé
(*] Le manascrit porte Zwœlfhalb schiUingt tûtppinp/^fmig.
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LE POÉLB DBS SEIGNEURS A RIBAUVILLÉ. 239
bon conseil , si tontefois la question ne touche en rien le seigneur de
Rappolstein , sa famille et les parents des sociétaires.
Le seigneur de Rappolstein et l'association se sont réservé le droit
de modifier en tout ou en partie , les statuts du poêle » d'en réduire
les prescriptions ou de les augmenter» autant qu'ils le jugeront bon
et utile dans TaTenir.
Ce titre important est le seul qui nous reste de la Herrenstub, et
que le hasard nous a fait trouver» il y a un certain nombre d'années ; (i)
mais il faut espérer que des recherches nouvelles feront découvrir les
nombreuses pièces qui doivent avoir formé les archive» de cette asso-
ciation. Il serait vraiment intéressant de pouvoir parcourir les comptes
du Stnbenmeister et les protocoles des réunions. Nous y trouverions
la liste de tous les membres » leurs vices, les peines infligées, le nom
des sociétaires turbulents , celui des personnes auxquelles la Herren-
inA a donné asile , enfin des détails sur les banquets et les fêtes qui
ont été donnés (^*
On pourrait aussi mettre au jour une partie de la vie intime de la
noblesse et du clergé » déterminer d'une manière précise, le but pri-
mitif de la société et suivre la marche et les résultats d'une corpora-
tion dont l'origine remonte bien haut et que la Réforme à fait tomber
si brusquement.
J. J. DlETRlGH.
(*) Lorsque je l'ai trouvé aux archives de la Préfecture , il était à moitié déchiré
et servait d'enveloppe à une liasse de papiers.
('} Lors du mariage entre Georges de Ribaupierre et Elisabeth , comtesse de
Helfenstein , qui fut célébré avec grande pompe à Ribauvillé, le 6 novembre 1543,
la jeune mariée et toutes les dames invitées à la noce se rendirent, en sortant de
table, au poêle des seigneurs pour y entendre une sérénade qu'on leur avait
préparée.
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240 REVUE D'ALSACE.
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Strasbourg pendant ses deux blocus et les cent jours : Recuàl
des pièces offideUes , accompagné d'une relation succincte des ftàu
arrivés pendant les années 1813, 1814 et 1815 . par C. F. Beiu,
bibliothécaire; - archiviste de la société des sciences , agriculture et arts
du BaS'Rhin et de la sodété pour la conservation des monuments lUs"
toriques. — Strasbourg, 1861» imprimerie de Frédéric-Charles
Heiu. — 1 vol in-S"» de YU-272 pages. — Prix S francs.
Les écaeils sont nombreux pour l'écrivain qui s'aventure sur le
terrain de l'histoire contemporaine , et c'est vraisemblablement par-
ce que M. Heitz ne l'ignore pas qu'il s'est condamné à ne traiter l'épi-
sode des années 1813 , 14 et 15 qu'en éditant, dans leur ordre chro-
nologique, les documents oflScielsde cette époque. Tout; impartiale
que soit celte façon de raconter les événements de la veille ei le rôle
des acteurs, elle n'en est pas moins instructive, moins. piquante sur-
tout ,, alors que tant d'évolutions se déroulent et se concentrent dans
une période de trois années. M. Heitz ne pouvait mieux choisir que
cette époque des annales de la France moderne pour intéresser le
lecteur , tout en plaçant sous ses yeux le miroir fidèle d'ime société
qui , après avoir tourné dans un cercle vicieux pendant des siècles ,
a fait d'aussi héroïques efforts pour en sortir.
Des chroniques de ce genre sont utiles à bien des points de vue, et
nous souhaitons à celle*ci tout le succès qu'elle mérite.
I^uisque M. Heitz nous a conduit sur ce terrain, qu'il nous permette
d'exprimer un regret , ou plutôt un vœu : c'est de le voir continuer
dans cette voie. Il y a, en effet, dans notre histoire locale une période
tout aussi intéressante que celle qui vient d'être remise en lumière ;
c'est la période de la Révolution , et nous tenons pour constant que ,
malgré le Recueil des actes des représentants du peuple en imnott, il est
de très-nombreuses pièces qui sont demeurées inconnues, voire même
inédites, et qui seraient de nature à jeter un jour tout-à*fait nouveau sur
ridée que les passions nous ont fait concevoir de cette époque. Personne
mieux que M. Heitz, nous le savons, n'est en position de combler
une aussi regrettable lacune. Le succès que nous souhaitons à la
chronique qui nous occupe , nous le garantissons à celle que nous
demandons. Frédéric Kurtz.
Digit'ized by'VjOOÇlC
UNE FAISTAISIE
A PROPOS
DES PHOTOGRAPHIES DE M. A. BRAUN.
Si y à une époque relâdvement rapprochée encore» et que quelques
uns se plaisent , je crois , à nommer le bon vieux temps » un alchi-
miste, après des années de recherches » d'expériences» de veilles, fût
parvenu à se servir de la lumière elle-même comme du pinceau le plus
délicat » et lui eût fait tracer, sur un papier préparé mystérieusement
dans la nuit la plus profonde , un portrait humain , un paysage , un
booquet de fleurs , quels n'eussent pas été l'étonnement et la stupé-
fiietion de ceux à qui il eût eu l'imprudence de faire part de cette
merveille de la science ! En cas d'indiscrétion cependant , l'interpré-
tation de la découverte eût été très-simple » et sa récompense ne se
(fit pas fait attendre longtemps. Soumis à la question par des juges
aussi patients et aussi habiles à torturer qu'il l'avait été dans ses
recherches » notre alchimiste eût promptement avoué ses relations
intimes avec l'esprit des ténèbres ; et brûlé vif au milieu de ses fioles»
de aes appareils » avec quelques uns de ses admirateurs trop impru-
dents aussi , l'audacieux eût appris un peu tard ce qu'il en coûte de
Urop devancer son époque. Aujourd'hui les alchimistes s'appellent
simplement chimistes » physiciens , naturalistes , philosophes , histo-
riens: gent fort remuante, fort incommode, et partant fort dange-
reuse ! Penseurs et chercheurs de tous genres s'évertuent ù contribuer,
chacun pour sa part» au grand œuvre de cet alchimiste qui s'intitule
SI fièrement le progrès. L'empire des démons et des esprits de toute
espèce s'est singulièrement rétréci ; quand le diable s'en échappe pour
venir parmi nous , c'est tout au plus pour remuer et faire parler nos
S'SMf.-S-Anéa. i6
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242 RBVUE D'ALSACE.
tables , ou pour se livrer à d'autres jeux fort innocents : le pauvre
diable » dans ces excursions , reconnaît piteusement qu'il en est de
plus malins et de plus méchants que lui parmi nous. Aujourd'hui ,
Daguerre a reçu une récompense nationale , et la photographie étale
triomphalement ses produits en plein soleil.
Serait-il vrai cependant qu'indignée de l'audace de cette prétendue
sœur rivale » et effrayée d'ailleurs par le bruit des locomotives , par
les fils des télégraphes électriques , par mille autres inventions mo-
dernes tout aussi terre-à-ierre » la troupe timide des Muses, ces filles
du ciel, se serait sauvée d'un monde devenu inhabitable pour elle?
Serait-il vrai que la poésie s'est envolée avec le merveilleux? (Avec la
fumée des bûchers sans doute?....) Et^ triste compensation» serait-il
vrai qu'il ne nous reste plus à admirer que la parodie burlesque d'une
réalité dépoétisée ? Les amis du bon vieux temps nous le disent :
faut-il les croire sûr parole? Résignons-nous pour quelque temps.
Peut-être nous consolerons-nous, en reconnaissant que , si tout n'est
pas au mieux dans le meilleur des mondes , tout n'y est pas non plus
au plus mal. Peut-être aussi trouverons-nous aux Muses un peu plus
de bon sens qu'on n'a l'habitude de leur en prêter.
En allant de Mulhouse vers Colnuir (en chemin de fer • s'entend :
et pourquoi n'iriez vous pas en chemin de fer, Je vous prie ? d'aucuns ,
qui critiquent journellement notre époque , profitent de ce progrès ,
et , je vous en réponds , de bien d'autres encore qu'elle leur offre) ,
en allant , dis-je , de Mulhouse vers Colmar, vous apercevez sur votre
droite , et non loin de la station de Dornach , une élégante petite
maison d'habitation, placée dans un jardin : elle attire votre attention
par une grande cage en verre, qtR s'appuie contre elle, au sud*ooest,
et que vous prendrez peut-être pour une serre chaude. Si le temps
est clair, et si vous avez bonne vue , vous reconnaîtrez promptement
que telle n'est pas la destination de ce singulier appendice vitré : vous
y verrez des instruments aux formes bizarres ; vous y remarquerez
des allées et des venues qui dénotent une grande activité interne, et
qui vous sembleraient légitimement suspectes , si tout cela ne se pas-
sait dans une cage de verre. Ne vous laissez pas intimider par les appa-
rences , et croyez-moi : si vous avez quelques heures de disponibles ,
descendez à Dornach , et allez droit à la maison dont je vous parle.
Vous serez reçu par un artiste photographe dont le talent ne peut
être comparé qii'à sa complaisance : si les quelques premières minutes
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UNE FANTAISIE, A PROPOS DES PHOTOGRAPHIES. ETC. â4o
de conversation voas montrent à lui , non comme un curieux ordi-
naire , propre seulement à coûter du temps a celui qui n*en a pas à
perdre » mais comme un visiteur désireux d'étudier de belles choses »
vous verrez s'étaler devant vous une douzaine d'épais volumes» grand
in-folio, renfermant de quoi satisfaire les goûts les plus difficiles.
Etes-vous alsacien , ou touriste » ou archéologue , ou n'étes-vous
rien de tout cela ? Vous devez aimer nos vieux châteaux, jadis crénelés
et formidables » aujourd'hui en ruines : symboles sinistres de l'abus
du droit du plus fort, ils méritent d'être étayés et conservés, et d'être
reproduits sous toutes leurs faces par l'artiste , ne fût-ce que pour
apprendre aux faibles ce qu'était pour eux le bon vieux temps. Vous
devez aimer nos clochers , nos cathédrales gothiques, nos flèches de
Strasbourg , de Thann : symboles aussi , tristes et sombres » d'une
idée sublime qui n'a eu que le tort de vouloir s'immobiliser dans le
granit» eux du moins» comme tout ce qui est vraiment beau et grand,
ont été utiles en passant ; leurs murs épais , et la pensée qu'ils
recèlent , ont servi plus d'une fois d'abri au faible et protégé l'op-
primé ! Vous devez aimer surtout nos montagnes , avec leurs sites si
riches et si variés , avec leurs points de vue tantôt riants, tantôt sau-
vages. On aime à les revoir de quelques contrées qu'on vienne « fût-
ce même de cette belle Suisse , notre voisine , si libre , si justement
fière de sa liberté et de ses montagnes géantes qui, à quarante lieues,
nous montrent à l'horizon leurs pointes menaçantes. Nos Vosges , et
leurs sœurs de la Forêt-Noire , sont intéressantes à plus d'un titre.
Ne semblent-elles pas dire dans leur langage silencieux : c Vous, nos
c altières rivales de l'Helvétie , vous nous devez du respect ; nous
c sommes vos aînées dans la création! Nos croupes ne s'arron-
c dissaient pas toujours mollement comme les values de l'Océan qui
< se calme ; le géologue ne nous eût pas toujours nommé chaînes des
< Ballons. Vagues de granit congelé , jadis aussi nous semblionsun
« Océan en courroux , et nous opposions au feu du ciel de^ crêtes
( anguleuses : mais nos cimes ont été usées et arrondies par l'âge,
c Alpes si âpres et si inaccessibles, vous aurez à compter comme nous,
t avec le temps , cet impitoyable niveleur, qui partout prend a lâche
c d'abaisser ce qui est haut , et de relever ce qui est petit. Voyez ce
c long ruban argenté qui coule entre nos deux chaînes : le Rhifi , qui
c donne son nom à notre grande vallée, lèche vos flancs et en emporte
« les débris à la mer. Il lui faudra des siècles et des siècles sans doute
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iU REVUB D'ALSACE.
t poar vous ronger: mais dans notre langue » un siècle est à peine on
c Jour ! Et vous, artistes, qui venez esquisser ces monuments que jadis
c le despotisme éleva sur nos sommets , sur nos côtes , hâtez-vous !
c Vainement essaie^t^on de conserver et de restaurer ! Voyez là bas
c ces deux autres rubans imperceptibles : deux forces terribles, la va-
c peur et l'électricité, y circulent, y transportent, y nivellent sans cesse
c les hommes et les idées. La cause détruite, l'effet suivra de près,
c Hâtez-vous de copier de calquer ; appelez à votre aide un pinceau plus
c prompt et plus fidèle que vos crayons, car bientôt on ne vous croira
c plus ! > Cet appel si pressant, M. Braun semble l'avoir entendu. Ouvrez
les trois premiers portefeuillesqu'il a mis devant vous. Cent vingt vues
magnifiques reproduisent ce que notre pays a de plus saisissant. Châ-
teaux en ruines, églises gothiques, maisons des temps passés, villes toutes
entières, montagnes, lacs, rochers, sites sauvages ou riants, rien n'a
été oublié : tout est rendu , non avec exactitude, cela n'aurait ici rien
de surprenant , mais avec vérité , avec une chaleur de tons, avec une
vigueur que le crayon seul semble pouvoir atteindre , et quil atteint
rarement. Nous aurons à revenir longuement sur ce sujet, pour mon-
trer à quel point de vue il faut se placer, si l'on veut juger avec équité
la valeur artistique de l'ensemble de cette bçlle reproduction. Pour
le moment , quelle que puisse être votre manière de voir personnelle,
vous direz que M. Braun a accompli envers notre belle Alsace une
œuvre de dévouement et de conscience , dont nous ne saurions trop
le féliciter.
Si , après ce premier aperçu rapide de cette œuvre de reproduction,
vous passez aux autres portefeuilles nombreux que vous avez devant
vous, votre étonnement, soyez-en sûr, lecteur, ne sera que plus grand
encore. Les sujets traités sont fort simples ; ils sont tirés d'un seul
règne, et cependant vous serez frappé de Tlnépulsable variété. Il s'agit
de la reproduction fidèle , d'après nature , de la plante dans ses
diverses phases de développement ,, à l'état de floraison , à l'état 'de
fructification. La difficulté à vaincre était double : outre celle qui est
propre à la photographie en elle-même, il en existait une autre, bien
plus grande peut-être , qui a exigé les études les plus pénibles. La
raison de cette difficulté est très-claire : il s'agissait de copier un être
vivant , un être animé.
Ces derniers mots vous effaroucheraient-ils , par hasard , lecteur ?
Soyez tranquille, je saurai bientôt vous forcer à les accepter tels quels.
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UNE FANTAISIE A PROPOS DES PHOTOGRAPHIES , ETC. 24S
Hais quelles que soient pour le moment vos idées sur la vie , sur
rame de la plante , il est du moins un fait que vous devez avoir
observé , et sur lequel M. Braon vous donnera de curieux détails « si
vous ne les connaissez déjà.
Je l'ai dit dès le début , dans la photographie, c'est la lumière elle-
même qui sert de pinceau. Il lui faut» comme au pinceau de l'artiste,
un certain temps pour peindre. Il faut donc que l'objet à reproduire
pose, si peu d'instants que ce soit d'ailleurs : si cet objet est de nature
à changer rapidement d'aspeet, au lieu d'une imitation fidèle et
vivante , vous ne pourrez avoir qu'une affreuse caeaphotk , dont la
laideur sera à peine rendue par celle du vilain mot que j'invente ici.
Vous croyez peut-être , avec le vulgaire « que la plante est un être
passif, inerte, immobile. Vous la voyez bien verdir au printemps , se
revêtir de feuilles , de fleurs, et grandir ; mais tout cela se fait lente-
ment , imperceptiblement : vous croyez que c'est le repos absolu :
lorsque la fleur est arrachée de sa tige par une main profane , elle ne
sait se plaindre qu'en perdant peu à peu ses couleurs» ses parfums : ses
seules notes dans le concert des êtres. Il est cependant une période
ou vous verrez ce végétal varier, et très-rapidement, pour peu que vous
sachiez regarder. Epoque solennelle pour tout ce qui vit, où la plante
aussi se dispose à se continuer en d'autres êtres semblables à elle ,
où elle revêt sa robe nuptiale si pure , que nous appelons une fleur.
Fiançailles , noces et fêtes , ne durent souvent qu'un Jour, qu'une
heure , qu'une minute. L'artiste maladroit qui , pour peindre plus à
l'aise ces ravissants secrets de la nature, arrache de sa tige la pauvre
fleur, est étonné , en rentrant dans son atelier, de n'avoir plus en main
qu un cadavre flétri et fané. M. Brann vous dira que telle fleur, le
coquelicot, le convolvulus.... , se flétrit en moins de dix secondes,
pour l'œil exercé. Grande est donc ici la difficulté , pour bire poser
une beauté aussi fugitive. Des études, des tâtonnements à désespérer
le plus patient, pouvaient seuls trouver le secret de conserver pendant
quelques minutes l'empreinte de la vie à un être qui n'est plus vivant.
Le succès le plus complet a couronné ces recherches , et indépen-
damment de toute opinion sur la valeur astistique de cette vaste repro-
duction , vous direz encore , en fermant les portefeuilles , que
l'on doit à M. Braun une œuvre et une méthode excessivement
remarquables et utiles , où l'art et la science trouveront leur profit.
Le peintre de fleurs y verra un auxiliaire puissant qui lui permettra
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S46 REVUE D'ALSACE.
de retrouver à tout moment, en toutes saisons, pour son pinceau, des
formes dont la mémoire la plus fidèle ne peut retenir l'infinie variété,
et dont il n'est pas toujours facile d'avoir à sa disposition , de faire
poser TorigiBial vivant. Le botaniste y reconnaîtra un procédé de
représentation par lequel l'herbier le plus parfaitement tenu est éclipsé
complètement • et rendu inutile : la plante , en efl'et , se voit dans
ses plus microscopiques détails , sous toutes ses faces , dans toutes
ses phases de développement , et nous apparaît , non comme une
dépouille flétrie , mais comme un être vivant. Mais , lecteur, je vous
ai saisi au hasard : vous n'êtes je crois ni peintre de fleurs , ni bota-
niste , vous êtes fatigué peut-être de voir en si peu de temps un aussi
grand nombre de plantes. Vous trouvez d'ailleurs ces êtres trop infé*
rieurs à vous pour les aimer à ce point ; alors , je l'espère du moins,
vous aimez d'autant plus votre semblable : on s'est donné dans votre
jeunesse assez de peine , en paroles , pour vous enseigner cet amour
(un peu d'exemple eût été peut-être plus eflScace , mais enfin !) Eh ! bien,
levez-vous et faites le tour de ce salon. Vous avez de quoi satisfaire tous
vos goâts. Parmi ces portraits , qui semblent à l'envi vous prier de leur
donner un regard . il en est de souriants , de maussades • de satyri-
ques , de martiaux ; il en est beaucoup de parfaitement nuls. Est-ce ,
.quant à ces derniers, la faute du photographe? je crois que non,
hélas ! mais vous allez dire qu'au lieu , comme vous , de ne pas aimer
les plantes, j'affiche du mépris pour mon prochain» ce qui serait bien
autrement grave. Il en est qui , tout à fait satisfaits d'eux-mêmes
semblent vous dire : c je suis vraiment fait à l'image de Dieu > il en
est qui , plus imposants encore , vous disent fièrement : je suis le Roi
de la création I
En examinant les portefeuilles de paysages , de monuments , de
fleurs , de fruits , nous avons suspendu notre jugement sur la valeur
artistique. Faisons de même ici encore pour quelque temps» et
jugeons comme le ferait le bon public. La plupart des portraits que
nous avons devant nous , sinon tous , ont l'air vivants ; quoiqu'on en
puisse dire, ils ont de plus de l'expression, et cette expression est en
général du moins celle de la personne qu'ils représentent , ils sont en
un mot ressemblants : cette qualité sans doute vous étonne peu, puis-
qu'en dépit de ce que nous voyons tous les jours , on se persuade
qu'une photographie ne peut pas ne pas ressembler. Lorsque l'expres-
sion n'est pas celle que nous connaissons d'habitude à l'original, elle s'en
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UNE FANTAISIE A PROPOS DES PHOTOCRAPHIES , ETC. 247
écarte en plus ou en moins : en d'autres termes» si l'original , à quel-
quefois lieu de «e plaindre , s'il n'est pas flatté comme il en a toujours
la préteption^ d'autrefois» au contraire » il n'a qu'à s'applaudir de son
image. Parmi les jolies personnes qui ont posé , il en est quelques
unes» (mais pas d'indiscrétion » je vous prie)» il en est surtout dont
les traits» je le crains» s'éloignent de la vérité» ou, pour mieux dire»
de te réalité habituelle. Le dessin , toiyours et partout correct « mais
parfois un peu trop rude et trop arrêté dans d'autres portraits » a
revêtu ici ce caractère vague qui prête tant à la rêverie» et a donné
à la tête une expression ravissante de poésie. Lorsque vous avez eu le
bonheur d'entendre bien traduire une symphonie d'un grand maître »
ne préférez-vous pas» comme moi, charger votre mémoire du soin de
vous la redire dans le silence des nuits , plutdt que de vous risquer à
l'aller entendre estropier plus urd par un orchestre maladroit ? Eh !
bien^ tenez lecteur, lors qu'il vous arrivera de voir un beau portrait tout
resplendissant d'expression » rappelez-vous ce mauvais orchestre » et
évitez l'original du portrait , car vous perdriez peut-être une illusion.
Mais pardonnez-moi» belles dames» d'aussi affreux blasphèmes!
Ce conseil plein de doutes injurieux » ne peut vous concerner» j'aime
à le croire.
Mais me direz- vous » lecteur» vous vouliez juger comme le bon gros
public ; et voilà que vous me parlez de dessin correct» d'expression »
de portraits qui s'éloignent parfois , mais en beau, de l'original. Si ce
n'est pas là de l'art, je ne m'y connais pas ! Patience» mon ami» nous
y viendrons» mais allons pas à pas ; pour le moment» je vais faire une
troisième concession » et je dirai avec vous que notre époque a vu
naître un art d'imitation, puissant et merveilleux» dont il s'agit de bien
définir le but et la portée » mais dont nous n'aurons point à avoir
honte, quoiqu'on puissent penser les amis du bon vieux temps. Tou-
tefois j'ajouterai que de même qu'il y a peintre et peintre» il y a photo-
graphe et photographe. Mais avant d'aller plus loin » et afin de me
faire écouter plus favorablement de vous » je vois qu'il faut d'abord
satisfaire à un désir qui s'est éveillé en vous depuis quelques instants.
Vous brûlez d'envie d'ajouter un portrait de plus à cette galerie déjà
si nombreuse. Qu'à cela ne tienne ! Mais , je vous en préviens » M.
Braun a la bosse de son art ; il ne vous demandera pas si vous êtes
content de lui , il voudra l'être en tout premier lieu lui-même de son
œuvre, et il vous fera poser dix (ois » s'il le faut» pour cela : or il est
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248 R£yu£ d'alsàgb.
beaucoup moins Tacile que vous ne le croyez de bien poser, et , lors-*
que vous aurez passé par là » vous pardonnerez au photographe Taîr
un peu surnaturel qu'ont quelques unes de vos connaissances que vous
avez retrouvées ici. Mais voici notre artiste qui déjà prépare la glace
polie sur laquelle il va fixer votre négaUf; vous lui avez inspiré de la
confiance , il vous invitera peut-être à le suivre dans son officine.
Refusez cette offre si flatteuse. Vous n'êtes , je crois , pas chimiste :
vous ne comprendriez pas un motà ce qu'il vous raconterait ; et puis,
vous n'y verriez que du feu, ou, pour mieux dire, vous n'y verriez rien
du tout, car il fait nuit close dans ce laboratoire, et il faut des yeux de
lynx pour s'y reconnaître; et puis, surtout, en sortant de là pour
poser au grand jour, vous auriez l'air effarouché d'un imposteur mis
trop brusquement en face de la vérité. Venez plutôt de suite avec moi
dans cette cage de verre, dont l'aspect insolite avait de loin attiré vos
regards ; c'est là que tout-à-l'heure vous allez poser ; nous aurons le
temps d'y discuter à l'aise, car vous ne réunirez probablement pas du
premier coup.
Lorsqu'il y a une vingtaine d'années , Dagnerre fut assez heureux
pour réussir à fixer sur une plaque métallique les images formées dans
la chambre obscure, une acclamation générale accueillit cette grande
conquête de la science et de la persévérance de l'homme. Mais bien
divers furent aussi les jugements émis sur la portée , sur l'avenir
de la découverte , et tandis que les enthousiastes et la foule procla-
maient l'abolition du dessin, de la gravure^ de la peinture elle-même,
d'autres esprits, plus sages, mais injustes peut-être par excès de
sagesse , haussaient les épaules devant les prétendus chefe-d'œuvre
que promettait cet art , ou qu'on lui faisait promettre. U faut bien
l'avouer, en dépit des résultats remarquables obtenus presque dès le
début, le dédain de ces derniers ne fut pendant longtemps que trop jus-
tifié. L'air hagard, l'expression toujours profondément triste, l'absence
complète de vie dans les tableaux » qu'ils représentassent un monu-
ment ou une figure humaine, un reflètement métallique qui empêchait
de regarder en face , c'étaient là des défauts qui effaçaient instantané-
ment de l'esprit du spectateur toute tendance à comparer un daguer-
réotype, le mieux réussi , à une œuvre d'art.
Bientôt cependant cette science nouvelle devint réellement un art :
un progrès immense s'y manifesta. Le papier se substitua au métal »
pour recevoir les images. La durée excessive de la pose rendait
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UNE FANTAISIE A PROPOS DES PHOTOGRAPHIES , ETC. 249
impossible» nous ne dirons pas la copie d*une tête vivante, mais même la
tradaction vraie de la physionomie d'un monument d'architecture :
physionomie beaucoup plus changeante , plus dé(tendante de l'heure
et du jour, qu'on ne le croit en général ; cette durée de la pose fut
considérablement réduite , et cette réduction rendit possible, je dirais
presque , l'impossible.
En face des travaux de quelques uns de nos photographes habiles
(rappelons-nous toujours qu'il y a photographes et photographes), en
présence des travaux de M. Braun » par exemple , un superbe dédain
n'est plus de mise, et il faut être plus que prévenu pour ne pas tout au
moins modifier son jugement.
Mais d'abord n'existe-t-il plus de ces esprits plus que prévenus ?
Hélas ! oui il s'en rencontre : et ce n'est pas contre la photographie
setde qu'ils sont prévenus. Il est grand nombre de personnes qui ,
nourries surtout de traditions, peu disposées à se rénover sans cesse ,
peu portées à juger par elles-mêmes , ne peuvent que diflScilement
s'accommoder des modifications que le progrès introduit dans tout
ordre d'idées ; elles ne s'aperçoivent pas que ce qu'il y a de plus diffi-
cile à juger équitablement, en art, comme en histoire, comme en litté-
rature, c'est l'époque où l'on vit: elles refusent à notre temps ce
qu'elles accordent trop gratuitement aux temps antérieurs. En musi-
que , en littérature , tous nos maîtres modernes seraient , d'après
elles, des pygmées, et il faudrait reculer.au moins de cinquante ans,
pour trouver un compositeur de génie, et de deux cents pour trouver
un écrivain qui sache sa langue : ces personnes ne se disent pas un
seul instant que si les génies qu'elles admirent, avec raison d'ailleurs,
mais trop exclusivement , revenaient à notre époque , ils seraient les
premiers à se transformer, et à sourire peut-être de leur passé. Ces
personnes , dont d'ailleurs nous ne voulons contester ni l'érudition,
ni la sincérité, ne s'aperçoivent point que ce n'est pas leur époque qui
est petite , mais que ce sont elles qui sont vieilles et toujours en
arrière de leur temps , à quelque époque qu'elles vivent. Dans le
douasième siècle , elles eussent trouvé le gothique mesquin ou ambi-
tieux ; sous le règne de Chéops , elles eussent trouvé les pyramides
d'Egypte des œuvres d'art pleines de démence révolutionnaire.
Nous disons qu'en général ces personnes sont sincères dans leur
opinion : i( est pourtant quelques exceptions , et je tiens à vous pré-
venir, lecteur. Heureusement l'exception est facile à reconnaître.
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2S0 RE\OE D'àLSàCE.
Lorsque, avec an de ces admirateurs du passé» vous visitez une église
(je prends un exemple sur mille), vous remarquez qu'il met dévote-
ment le genou en terre en passant devant un saint, devant un crucifix :
il ne le ferait pas s'il n'était pas vu. Avec cette vertu-là on est sûr de
bien se caser dans la société à toute époque (Faut de la vertu » pas
trop n'eA faut). Pardon lecteur de vous parler d'aussi vilaines gens ;
voici M. Braun qui vient à point pour m'interrompre.
Vous allez poser ; vous allez livrer votre tête à la postérité : ne vous
en préoccupez pas trop cependant , et tâchez seulement de rester
tranquille et naturel pendant une demie minute.
Oh ! si l'épreuve réussit, vous aurez l'air horriblement maussade» je
vous en avertis. Vous aurais-je peiné tout à l'heure ? Tâchons de ne
plus rencontrer d'hypocrites.
La photographie est essentiellement un art d'imitation. Elle ne
peut ni créer, ni composer, elle ne peut que copier. Elle ne peut
non plus , comme le génie de l'artiste , transformer le laid en
beau. La question se réduit à savoir si elle imite, si elle copie correc-
tement. Mais suit-il de là que dans certains cas elle ne puisse pas se
manifester comme l'art proprement dit ?
Ici nous nous heurtons en plein contre une catégorie d'artistes dont
les opinions sont au moins singulières. Faisant du beau quelque chose
de tout-à-fait subjectif, et par conséquent de l'art quelque chose de
tout-à-fait humain , ils déclarent carrément qu'un paysage ou qu'une
scène de la nature, qu'une tête humaine, que tout ce qui est réel en un
mot, ne saurait, représenté fidèlement » mériter le titre d'œuvred'art.
Vous croyiez avoir vu des choses passablement belles , même dans
nos modestes Vosges; certains sites des Alpes vous avaient écrasé par
leur grandiose msyesté ; vous aviez , en pensée, suivi Humboldt dan^
les Andes , dans les Cordillères » dans les forêts de l'Amérique méri-
dionale , et votre seul regret était de ne pouvoir le suivre qu'en
pensée. Du sommet d'un glacier des Alpes , vous aviez vu , dans cer-
tains moments , cette nature efirayante et sauvage s'animer tout d'un
coup, sons le soufiQe de l'orage, à la lueur des éclairs» et ces géants éter^
nellement immobiles vous ont semblé se préparer au combat ; vous
avez vu l'Océan battu par la tempête , et illuminé par les rayons obli-
qnes du soleil couchant. Ces scènes ont passé les bornes de votre
imagination » et vous avez pensé que si un peintre essayait de vous les
représenter telles quelles , lorsque vous êtes de sang-froid i vous le
V'f Digitizedby Google
UNE FANTAISIE A PROPOS DES PHOTOGRAPHIES , ETC. 251
tiendriez pour fou. Vous croyiez en un mot que la nature sah être
artiste. Erreur que tout cela » mon ami ! Pour que ces réalités«que
vous admirez tant deviennent belles comme an» il faut qu'elles soient
traduites , transformées ^ idéalisées ! Tu-dieu» direz-vous sans doute»
voici dés gens diflSciles à contenter» et qui en tous cas font un singu-
lier emploi d'une pensée fort vraie au fond !
Les Grecs qui avaient aussi le sentiment de Tart et du beau» avaient
divinisé la nature entière » tant ils la trouvaient belle et poétique. Ils
avaient logé les Muses sur le mont Parnasse ; en bonnes femmes » et
faute de mieux » elles se contentèrent longtemps de ce qui leur était
offert avec une si bonne intention. Sous le règne de Cromwell vécut
un bomme » qui , en assez beaux vers » se plaignit amèrement d'être
devenu aveugle : Etait-ce parce que la dure destinée l'avait ainsi rendu
on ferdean aux siens? Ecoutez-le plutôt: c Ainsi avec Tannée
c reviennent les saisons ; mais le jour ne revient pas pour moi ; je i\e
c vois plus les douces approches du matin et du soir» ni la fleur du
< printemps, ni la rose de Tété, ni les troupeaux» ni la face divine de
c rhomme. Des nuages et des ténèbres, qui durent toujours» m'envi-
c ronnent. Retranché des agréables voies des humains » le livre des
c belles connaissances ne me présente qu'un blanc univei*sel » où les
c ouvrages de la nature sont effacés et rayés pour moi : la sagesse à
c l'une de ses entrées m'est entièrement fermée. » Cet homme qui
s'appelait Hilton, aimait la nature et la trouvait belle : n'était-il pas
poète par hasard ?
On nous dit que le plus beau site de la nature ne nous produit
jamais deux fois de suite la même impression » que cette impression
d'ailleurs varie avec llieure du jour» avec nos propres dispositions du
moment» tandis que le même site, traduit par un grand artiste, nous
subjugue et nous ramène toujours à la même forme précise de sekiti-
ment. Cette assertion « si elle est fondée dans son ensemble » ce qui
nous semble très-contestable , donnerait en un sens une supériorité
manifeste à Toeuvre de la nature » qui , à la grandeur» joindrait la
multiplicité des impressions ; elle donnerait aussi une supériorité
visible à la musique sur tous les autres arts. L'adagio de la symphonie
pastorale ramène forcément aussi notre pensée vers une scène douce
et mélancolique de la nature ; il nous force même à rêver ; mais il ne
nous condamne pas à voir les mêmes formes en imagination » et il
laisse rêver chacun de nous autrement , à chaque heure de la vie où
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382 REVUE D* ALSACE.
nous avons le bonhear d'entendre ce chef-d'œuvre. Qu'un peintre de
génie puisse créer un paysage plus beau que ce qui a jamais existé» c'est
ce que vous ne contestez pas un instant ; qu'une scène de la nature
ne puisse gagner souvent beaucoup à être traduite par ce peintre
comme lui la voit » et non comme elle voui apparaît « c'est ce que
vous n'avez pas non plus la prétention de nier ; que parmi les réalités, .
que ce soient des montagnes ou des hommes , il y en ait qui ne
vaillent pas la peine d'être représentées telles quelles • cela n'est qne
trop vrai , pour les dernières surtout. Mais cela est-il toujours vrai ?
N'est-il pas à craindre que les artistes qui l'affirment ne se soientpent-
étre trop tenus dans la poussière de leur atelier, et aient trop fui hi
nature ?
La notion du beau , la faculté de le reconnaître , de l'enfanter, a ,
comme celle du bien et dn vrai , été gravée par la main de Dieu dans
les secrets de l'âme , et c'est pour cela qu'il est beaucoup plus facile
de sentir le beau que de le déânir. Mais elle y est à l'étal de germe ,
et elle a besoin d'être réveillée pour grandir. C'est le beau réalisé
dans le monde externe qui, en se reflétant en nous , sert de point de
départ à ce développement. C'est la nature qui est ici l'étincelle pre-
mière. Lorsque cette étincelle pénètre dans l'âme d'un homme de
génie, elle peut être certainement éclipsée complètement par la
flamme qu'elle allume. Malheureusement ce n'est pas toujours le génie
qu'elle va vivifier ; et dans ces cas, les plus nombreux, on peut légi-
timement préférer une réalité correcte à la transformation hasardée
que prétend y introduire une imagination ordinaire. En présence d'un
portrait , d'un paysage , tait par un grand-maître , le sentiment du
beau vous subjugue , vous êtes alors peu scrupuleux sur la ressem-
blance de l'un ; vous ne demandez pas même si l'autre existe eflécti-
vement en quelque lieu de la terre. Mais vous connaissez beaucoup de
portraits , beaucoup de paysages , qui , pour n'être pas ressemblants,
pour n'exister nulle part , n'en sont pas plus beaux : devant ceux-là
le sentiment du vrai vient énergiquement réclamer ses droits. Un
pr<v:édé de pure imitation , mais fidèle , est alors pour vous le bien-
venu, et vous lui accordez volontiers le titre d'art.
La photographie , soyez-en maintenant certain , n'empêchera pas
un seul peintre de génie d'apparaître an grand jour ; un jour même ,
sans le moindre doute, les vrais artistes l'accueilleront xomme an
secours puissant I comme an aide nouveau qui leur permettra de
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XmE FANTAISIE A PROMS DES raOTOGRAPHISS » ETC. 288
garnir leur portefeuille de voyage de quelque chose d'Infiniment pré-
férable à des esquisses prises souvent en toute hâte. Hais elle dimi-
nuera infoilliblement le nombre des peintres médiocres ou faux. Où
sera le mal, je vous prie ? Les Muses, vous le voyez maintenant aussi,
ont trop de bon sens pour s'être sauvées par un semblable motif. Je
tous le disais dès le début , en dépit des amis dû bon vieux temps.
La question , je le répète • se réduit à savoir si la photographie
imite aussi fidèlement qu'on le lui reproche. Mais silence ; M. Braun
revient. Il ne plaisante pas sur ce sujet ; le voici qui rapporte une
nouvelle glace préparée. Il ne vous parle pas même de l'épreuve pré-
cédente. Vous avez totalement manqué ; Vous croyiez avoir été immo-
bile comme un roc ; vous avez bougé. Mille et mille raisons d'ailleurs
sont intervenues , qui font que le photographe le plus exercé échoue
parfois pendant toute une journée sans savoir le pourquoi ; et qu'il est
obligé de tâtonner à plusieurs reprises , lorsqu'il a cessé pendant
quelque temps de travailler.
Bien ! vous posez mieux cette fois déjà ; vous avez un air vraiment
majestueux ! On vous prendrait pour le roi de la création. Vous eus-
siez mieux fait cependant de rester plus vous-même. Vous verrez,
probablement à vos dépens . ce qu'il en coûte de paraître , ne fût-ce
que pendant trente secondes , ce qu'on n'est pas.
La question se réduit , disons-nous , à savoir si la photographie
imite fidèlement. Mais d'abord quel sens devons-nous , au point de
vue de l'art , attacher à ce mot fidélité ? Il en a deux très-distincts.
Vous connaissez sans doute , comme moi , des peintres , des sculp-
teurs qui poussent les scrupules de conscience jusqu'à imiter servi-
lement les plus petits détails des objets qulls veulent représenter.
Ayant à rendre une forêt ou la statue d'un grand homme, l'un calque
les feuilles des arbres, l'autre ciselle les boutons de l'habit : personne,
en regardant une forêt ou une statue • ne remarque pourtant de
telles minuties. Sans entrer dans ces détails , d'autres artistes cepen-
dant ne veulent absolument nous montrer les choses que comme
elles sont. Les premiers sont en général bons pères de famille ; les
seconds, plus prétentieux déjà, forment ce qu'on nomme, ëi je ne me
trompe , l'école des Réalistes. Tout à Topposé des précédents , il est
des artistes, fort nombreux, qui rougiraient de vous montrer quoique
ce soit comme vous le voyez habituellement. Leur méthode est beau-
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354 BBVÙB D'ALSACB.
coup plus large , et il faut bien le dire , beaucoup plus facile. Pour
peindre , par exemple , une caravane dans le désert , vous couvres
votre toile d'un fond mat , nuancé de teintes brunâtres , jaunâtres »
bistrées : c'est le semoun meurtrier, Tbaleine brûlante du Sahara !
puis y avant que la couleur ne soit bien sèche, vous appliquez vers le
milieu du tableau le plat de votre main trempée dans une couleur
foncée : les doigts figurent alors les chameaux et leurs guides ; le
pouce représente l'ombre , et la paume de la main représente ?... Je
ne le sais trop. C'est laisser beaucoup aux conjectures , direz-vous, et
Tranchement vous concevez peut-être un peu les scrupules des pères
de famille ci-dessus. La photographie procédait ainsi, mais seulement
dans son enfance.
La première de ces deux manières de faire, en s'obstinant à peindre
les choses comme elles sont , exclut complètement llmagination. La
seconde, qui évite soigneusement d'imiter, laisse tout à l'imagination.
Entre ces deux manières s'en place une autre singulièrement diffé-
rente. Elle consiste à peindre fidèlement les choses, non comme elles
sont, mais comme nous les voyons à la distance où nous devons nous
tenir pour comprendre l'unité de l'œuvre d'art , que ce soit celle de
la nature ou du génie. Cette manière que nous appellerions volontiers
celle du sens commun , précisémeno parce que c'est la plus rarement
employée , est celle du génie , dont le bon sens est , en effet , le pre-
mier signe. N. Poussin , déjà vieillard , et se promenant dans la cam-
pagne de Rome , sur les bords du Tibre , dans les ruines de l'antique
maîtresse du monde , ramassait souvent des cailloux , des touffes
d'herbe , des poignées de mousse » qu'il étudiait avec la plus scrupu-
leuse attention : ce n'était pas certes pour les imiter ensuite puérile-
ment. Ce grand homme vouait à la nature un culte que nous pour-
rions , avec orgueil, presque nommer moderne ; il l'aimait, non avec
la forme un peu matérialiste des Grecs , ni sous l'aspect panthéistique
et presque impersonnel de la poésie hindoue , il l'aimait pour elle-
même, dans sa réalité, dans sa calme et sereine tristesse. Lorsqu'avec
tant de soin il examinait les menus détails d'un débri de pierre ,
c'était pour voir comment cet humble fragment joue son r6le dans
l'ensemble. Cet ensemble , il le peignait fidèlement , mais comme les
yeux du génie le lui montraient. A défaut de ces yeux, de cette main
qui écrit sur la toile ce qu'ils voient comme il est donné à peu de
mortels de voir» nous nous contentons volontiers d'un art, fûtnl tout
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UNE FANTAISIE A PROPOS DBS PHOTOGRAPHIES , ETC. 255
mécanique » qui nous montre la nature comme nous , pauvres médio-
crités » la voyons.
Beaucoup de personnes admirent la prodigieuse netteté des plus
microscopiques détails des objets reproduits par le daguerréotype.
Comme astronomes , comme physiciens • nous nous associons volon-
tiers à cette admiration, et, si ce n'était sortir complètement démon
sujet , j'aimerais à montrer les ressources que les sciences d'obser-
vation exactes tirent , et tireront de jour en jour plus , de cet art
merveilleux. Comme artistes, au contraire, nous ne pouvons que
sourire , en ajoutant que dans la photographie déjà tous ces détails ,
que nous n'apercevons pas en réalité , se perdent , dieu-merci , dans
les rugosités , dans les pores du papier.
Mais là photographie nous montre-t-elie , ou est-elle appelée à
nous montrer la nature avec le genre de fidélité que nous avons fait
ressortir en second lieu , à nous la montrer, en un mot, comme nous
la voyons ?
La question , vous le sentez, lecteur, se pose d'une manière de plus
en plus nette devant nous. Mais avant de l'aborder de front , je dois
ici vous mettre à l'abri d'une objection qui pourrait vous écraser
comme le ferait un rocher, si elle vous était décochée par une main
habile.
Gustave-Adolphe Hirn,
Ingénieur civil.
(La fin à Ut proekaine Uwaiton),
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ÉTUDES
SUR LES
RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT.
SuiU. 0
CINQDIÈHE ÉTUDE.
DE LA TBÉ0L06IB ISLAMIQUE.
Le mabométisme, comme le boudd'hisme , est une réforme et une
tentative de synthèse de diverses doctrines religieuses , d'origine
orientale. Comme le boudd'hisme il a exercé une grande influence sur
les destinées de TOrient et comme lui il est encore aujourd'hui vivace
et puissant sur les peuples et il a donné naissance à diverses sectes »
qu'on peut considérer comme des transformations ou des développe-
ments de l'antique doctrine.
Lorsque Mahomet parut» la paix et la liberté religieuse, bannies de
l'empire Byzantin , s'étaient réfugiées en Arabie. Là s'étaient retirés
tous ceux qui fuyaient les persécutions ou les bouleversements politi-
ques et religieux. Depuis Constantin jusqu'à Heraclius , chaque règne
avait fourni son contingent de malheureux. Les proscrits y vivaient
sans alarmes et les sectaires sans persécuiions. Mais tous étaient les
ennemis de la puissance et du culte qui les avaient forcés à l'exil. Le
principal contingent de ces cultes étaient les Gnostiques , les Ariens»
les Nestoriens» les Monophysites, les Iconoclastes, les Prédestinatio-
nistes , les Origénistes et tous les mystiques que l'Eglise grecque et
l'Empire byzantin avaient successivement repous&és et persécutés.
L'autre contingent de la population étaient les Juifs répandus dans
0 Voir les livraisons d'avril, mai, juin, joillet, septembre', octobre 18G0,
pages 143, SOO , 277 , 313 , 402 , 458 , et mai 1861 , page 200.
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L*ORIENT. 357
toates les parties du inonde , depuis la ruipe de Jérusalem. Enfin le
principal noyau éiaieni les autochtones , les Arabes , descendants du
fils d'Agar» qui avalent conservé les traditions patriarchales, émanées
d'Abraham, mêlées à beaucoup de superstitions juives^ romaines,
grecques, persanes» selon ceux de ces peuples avec lesquels ils
avaient le plus de rapports. (V. Caussin de Pergeval, Essm sur rhii-
ime des Arabes. Y. encore de Lamartine, Histoire de la Turquie.)
Au septième siècle, l'Arabie était donc couverte d'hommes de
diverses races et de diverses sectes : Grecs , Syriens , Persans , Abys-
sins et autres y avaient pénétré à la fois. La diversité des religions y
entretenait un singulier mouvement d'idées. Des tribus entières y
avaient embrassé le judaïsme. Les sectes du christianisme y comptaient
des églises considérables, à Nedjran, dans les royaumes de Hira et de
Ghassan. Une sorte de tolérance vague et de syncrétisme de toutes les
religions avaient fini par s'y établir ; les idées de Dieu unique, de Pa-
radis , de résurrection , de saints , d'élus , de prophète , de livres
sacrés, s'éuient insinuées peu-à-peu, même chez les tribus payennes.
La Casba était devenue le panthéon de tous les cultes. Quand Mahomet
chassa les images de la maison sainte, au nombre de celles expulsées
était une image de la Vierge byzantine, peinte sur une colonne, tenant
son fils entre son bras. Ainsi , la terre d'Yémen était devenue le vase
où avalent été jetés toutes sortes de principes religieux, pour y subir
le travail de fermentation , qui précède toujours une nouvelle combi-
naison, travail dont la conséquence devait être la formation d'un nou-
veau peuple de Dieu , la croissance d'une nouvelle brancbe de l'arbre
de l'Eglise universelle et intégrale.
Mahomet ne fut que l'instrument, le ministre envoyé par Dieu pour
cette réformation , pour cette restauration de l'unité , au sein de
l'Eglise d'Orient , si divisée dans ses membres. Mahomet ne voulut
être ni un Révélateur, ni un thaumaturge; il ne voulut être qu'un
prophète, qu'un apôtre pour l'Orient d'alors, dont il résumait le
mieux les croyances et les besoins. Il le fut pour les chrétiens de ces
contrées et de ces temps , en réduisant à la simplicité du dogme de
l'unité les doctrines divergentes du mysticisme oriental et en les rap-
portant surtout aux'vérités morales que les disputes avaient obscurcies.
Il le fut pour les juifs dont il a relevé et ravivé les traditions bibliques.
Il le fut pour les Arabes , qu'il a ramenés à la pureté des traditions
patriarchales » qui formaient toujours le fond de leur vie religieuse,
i*SM«.-S«Anii^ 17
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258 RETCB D'ALaiCB.
mais qui avaieni été altérées par l'invasion des superstitions idolâtri'
ques , et auxquels il a soufflé un idéal qui allait mieux à leur nature»
ù leurs inspirations habituelles » à leurs mœurs et à leurs traditions.
En effet > la pensée dominante de Mahomet» il le dit lui-même » fut
de restaurer la religion d'Abraham , et celte religion qui était VadO'
ration de Dieu en esprit et en vérité, fut contraire au culte des idoles. De là
cette répulsion du mahométisme contre tout culte quelconque des
Images. Le Roran est le recueil des croyances et des traditions abrah-
miques et patriarchales ; il a en lui la valeur de ces grandes croyances,
qui sont les mêmes que dans la Bible. Le mahométisme a été conser-
vateur et restaurateur des anciennes traditions et coutumes sabéennes,
patriarchales et nomades des Arabes. Il n'a point supprimé Fantique
forme de gouvernement libre des Nomades ; il n'a créé ni culte exté-
rieur» ni temple , ni sacerdoce . ni corps religieux privilégié , ayant
l'administration des choses religieuses et du culte, ayant une autorité
doctrinale : la mosquée n'est qu'un lieu de prière, et le recueillement
et la prière forment tout le culte du mahométan ; le corps des Ulémas
ou Mollahs n'est commis que pour l'étude de la loi et l'adminis-
tration des intérêts extérieurs du culte ; le sultan ou le calife n'a au-
cune autorité législative , interprétative , doctrinale ou disciplinaire ;
chaque Musulman est son prêtre et son roi : il administre lui-même
son culte à Dieu , lequel esta la portée de tout le monde, et il inter-
prête le Koran comme il l'entend , pour tout ce qui concerne la foi
intérieure. Les dogmes des anges , du jugement des morts , de la
balance où se pèsent les âmes, du pont de l'épreuve, des sept enfers
et des huit paradis sont empruntés aux traditions Arabes, mazdéenne3
et boudd'histes. Toutefois , Mahomet a été novateur dans son dogme
du Paradis , qui faisait voir à l'ardente imagination des peuples de
l'Arabie , accablés par le Simoun et les nuages de sable , en quelque
sorte le mirage lointain et le rêve pour l'avenir de parfums, de femmes
adorables, de maisons délicieuses, d'ombrages magnfiques, rarraichis
encore par les brises de la mer et des fleuves. Jugeant que, sous une
température élevée, le cuhe austère des ascètes indiens ou chrétiens
laissait une place à prendre , il fonda le culte du sensualisme. Or il
réussit à certains égards , car d'un peuple barbare il a fait le peuple
chevaleresque des Arabes , qui a brillé dans la guerre , dans les
sciences et dans les arts et qui a illustré le règne des califes de Bag-
dad et de l'Espagne.
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORTENT. 259
Les dogmes de TuDité de Dieu » de la chute originelle , de la pro-
messe d'une universelle alliance » viennent du judaïsme. La liturgie
mahométane est empruntée aux livres du peuple de Dieu. Sa législa*
tion est fille de celle des Hébreux ; beaucoup de ses règlements sur
les faits les plus importants de la vie » comme les jeûnes , les absti-
nences , les ablutions , etc. sont, à de légères exceptions près, ceux
de Moïse , que les Hahométans considèrent comme un Révélateur. Si
le mahométisme n'est pas parvenu à rallier complètement à lui le
judaïsme, du moinsa-t-il vécu avec lui; dès son origine, sur un pied de fra-
ternité. Selon la charte donnée par Mahomet à Médine, les juifs forment
avec les Uusulmans un seul corps de nation ; ils professent librement
leur religion , comme les Mahométans la leur. Par une conséquence
de sa réaction contre le spiritualisme , la théologie islamique a im-
primé au dogme juif de larédemption matérielle et du règne temporel
de Dieu sur la terre un développement considérable. En s'emparant
de ce dogme , il lui a donné une nouvelle application , plus étendue
et plus universelle que chez le peuple juif. Et ici il est encore en
progrès sur le judaïsme , car la Bible professe l'assujetissement des
nations au peuple juif, qui ne sort pas des limites de sa territorialité;
tandis que le Koran prêche la domination universelle des Musulmans,
la soumission de tous les peuples à l'Islam , loi de Dieu, c Je ne suis
pas le prophète de mes amis , dit Mahomet à son armée qui murmu-
rait contre sa magnanimité envers les Coraïtes , mais le prophète de
l'Arabie et de tous les croyants futurs dans le monde. > Les envoyés
du roi de Perse étaient venus au camp conférer avec les Musulmans,
c Quel motif, dirent les Persans, vous pousse à nous faire la guerre?
c — Dieu nous a ordonné « répondirent les négociateurs arabes , par
c la bouche du Prophète , de porter l'islamisme ou le Dieu unique
c chez tons les peuples. Nous obéissons à cet ordre. Devenez nos
c frères , en répudiant vos dieux matériels et en adorant le créateur
c un et infini , ou soumettez-vous à nous payer tribut pour nous aider
c à propager cette vérité dans le monde. »
Le mahométisme est déjà imprégné, d'une manière grossière, il est
vrai , de l'esprit de propagande universelle de l'Evangile , vertu que
ne possède pas l'ancien Testament , qui n'a en quelque sorte que le
caractère d'un code particulier à la nation juive. Or, c'est là même le
point capital du mahométisme , à savoir , l'établissement de l'empire
matériel du Dieu unique sur la terre , l'unité du monde sous la loi de
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S60 REVUE D'ALSACE.
Dieu , apportée par soo prophète Mahomet. Il a pu se tromper sur le
moyen employé pour réaliser cette uuité » le glaive , mais il ne se
trompera pas sur le but. c Comme un vent du désert, dit M. Barrault
{l'Orient et l'Ocddent), les Arabes emportent et dispersent les feuilles
du Koran avec une irrésistible véhémence aux bords du Gange et de
rOxus , en Espagne , en Italie et aux frontières de la France , pen-
dant qulls se répandent sur les côtes de TAfrique, au delà du détroit
de Gibraltar et du Babel Mandel. Tout Musulman est un CaUd et un
Amros (comme chez les réformateurs tout chrétien est un saint , un
prophète). Par eux , la croyance nouvelle se déroule comme un long
turban sur le monde. > — Leur empire devient immense et menaoe
d'engloutir l'empire des catholiques d'Orient et d'Occident. Or cette
croyance en l'établissement du royaume de Dieu sur la terre , que le
mahométisme venait consacrer, est elle-même renfermée implicitement
dans TEvangile , quoique méconnue et altérée par un ascétisme spi-
ritualiste exagéré. Le Christ n*a-t-il pas dit aux Juifs : c Je ne viens
c pas détruire la loi et les prophètes , mais les accomplir ? i Dès lors
il ne venait pas détruire , mais accomplir (développer) la croyance
juive en l'établissement du royaume de Dieu sur la terre et en la ré*
demption matérielle. Ensuite la demande journalière du rè^tte de DÎ6u
iur la terre et au ciel , ne se trouve-t-elle par renfermée dans la prière
instituée par le Christ ? 11 y a dans l'Evangile un côté matériel » tem-
porel» politique et social, que les docteurs ascètes et spiritualistes ont
trop oublié et trop méconnu. Mais ce n'est là qu'un des plus petits
côtés par lesquels le mahométisme se rattache à la Révélation évan-
gélique. Il s'y rattache encore par ses doctrines fondamentales et ses
traditions essentielles.
Nous avons déjà fait voir les rapports multiples des Arabes avecles
Chrétiens d'Orient. Le christianisme soufflait sur l'Arabie comme un
vent tiède de la mer. Il est incontestable que Mahomet avait eu des
rapports multiples avec des chrétiens de divers sectes. Tous les histo-
riens s'accordent dans le récit d'entrevues successives de Mahomet ,
encore jeune» avec un moine chrétien d'un couvent de Syrie, nommé
Djerdjis. Ce moine prédisait que Mahomet serait un jour l'apotre de
l'Arabie. De plus , le futur prophète avait des entrevues fréquentes
avec un orfèvre grec et chrétien de religion , nommé Marwa , qui
demeurait à la Mecque. EnOn sou oncle Waraca était versé dans les
E'Titures juives et chrétiennes et était initié à toutes le» subtilités
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 36f
théologiques de son siècle. Tout cela suffisait pour imprimer dans
l'esprit du fondateur de l'islamisme diverses croyances judéo-chré^
UennesS, qui se réflécbirent ensuite dans les feuilles du livre laissé
par lui.
Or les doctrines du Roran témoignent par elles-mêmes de leur ori«
gine biblique. Bien loin de s'isoler de la tradition judéo-chrétienne •
il déclare formellement s'y rattacher, c Nous croyons en Dieu , dit-il.
c à ceux qu'il nous a envoyés, à ce qu'il a révélé à Abraham» Ismaêl,
c Isaac , Jacob et aux douze tribus ; nous croyons $ux livres
c saints que Moïse ei Jésus-Christ ont reçus du ciel. > Le symbole ou
l'affirmation de l'islamisme est une partie du symbole des apôtres. Le
Koran enseigne : Dieu , un , créateur du ciel et de la terre , le juge-
gemenl dernier, la résurrection des morts et la vie éternelle, c II y
avait tant de similitude» dit M. de Lamartine (Hist. de la Turquie T. 1)»
dans le commencement de la mission de Mahomet entre la profession
de foi du Koran et la profession de foi du chrétien, que les
premiers sectateurs de Mahomet à la Mecque s'étant réfugiés , pour
fuir la persécution , en Abyssinie , les Abyssins déjà convertis au
christianisme reçurent les mahométans comme des demi-chrétiens,
c Qu'est ce que cette religion nouvelle pour laquelle vous fuyez votre
t patrie ? demanda aux réfugiés Coraïtes le roi d' Abyssinie eu pré-
c sence de ses évéques. — Nous étions plongés dans les ténèbres ,
c répondirent les Arabes. Un homme illustre et vertueux de notre
c race est venu ; il nous a enseigné l'unité de Dieu , le mépris des
c idoles , l'horreur des superstitions de nos pères ; il nous a com*
c mandé de fuir les vices , d*étre sincères dans nos paroles , fidèles i
c nos promesses , bienfaisants à nos frères ; il nous a interdit d'at-
c tenter à la pudeur des femmes , de dépouiller les veuves et les
c orphelins ; il a prescrit la prière , Tabstluence, le Jeûne, l'aumône,
c — C'est comme nous , dit le roi. Pourriez-vous nous répéter de
€ mémoire quelques unes des paroles même de cet apôtre , qui vous
c a enseigné sa religion ? — Oui dirent les Coraïtes , et ils récitèrent
t un chapitre du Koran, où le miracle de la naissance de Jean, fils de
c Zacharie, est raconté dans le style même des Écritures, c Le roi et les
évéques ravis d'étonnement et d'édification mouillaient leurs barbes de
larmes d'émotion, c Voilà, dirent-ils, des paroles qui semblent couler
c de la même source que celles de l'Evangile. > Ils demandèrent aux.
réfugiés Coraïtes: Que pensez-vous de Jésus? > Djofar, filsd'Abou-
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263 REVUE D'ALSACE.
taleb ei cousin de Habomet, répondit par ce passage du Koran:
c Jésus est le serviteur de Dieu , l'Envoyé du Très-Haut , son Esprit,
c son Verbe , qu'il a fait descendre dans le sein de la vierge Marie. »
— c Miracle ! s'écrièrent le roi et ses évéques ; entre ce que tu viens
€ de dire de Christ et ce qu'en dit notre religion , il n'y a pas l'épais-
seur de ce brin d'herbe de différence. Allez et vivez en paix. » —
Des préires et un évéque des Arabes de Syrie , ajoute le même bis-
torien , étaient venus à Médine s'informer dans des conférences avec
Habomet Ves rapports ou des différences entre les deux religions ,
entre lesquelles l'unité de Dieu » la fraternité , l'égalité » l'aumône »
l'abstinence , la vénération du Cbrist , semblaient établir un dogme
commun. Mahomet leur déclara dans une conférence solennelle, hors
des murs : qu'il reconncûssah le Christ pour le Prophète par excellence,
la Parole de Dieu , le serviteur parfait de son père ; mais que Jésus ,
comme Adam , avait été formé de potissière. {^) El comme les évéques
insistaient et argumentaient pour lui prouver que Jésus-Cbrist était
Dieu t fils réel de Dieu , seconde personne d'une trinité également
divine dans tous ses membres , Mahomet proféra ce verset du Koran
qui finit les discussions : c A ceux qui continueront de disputer contre
c toi, quand tu seras convaincu que la vérité est en toi, réponds que
c Dieu décide lui-même entre nous. > Commentaire sublime des pré-
ceptes de tolérance , de douceur et de persévérance qui fourmillent
dans l'Evangile de Christ ! Pourquoi les disciples de Mahomet comme
ceux du Christ ^ n'ont-ils pas toujours été et ne sont-ils pas toujours
fidèles à ces préceptes?
Le Koran laisse une porte ouverte aux abrogations , aux réformes
et à l'interprétation progressive , par son verset iOO, chapitre II » de
même que l'Evangile par l'annonce, de i'Esp rit-Saint, du Consolateur;
mais les Orthodoxes de part et d'autres n'en ont jamais compris et
pratiqué le vrai sens et se sont enfoncés dans les voies de l'immobi-
lisme.
Le Koran est encore en filiation avec l'Evangile par sa doctrine de
l'immortalité de l'âme et de la rémunération selon les œuvres, par
sa prescription de la fraternité et de la propagation universelle de la
vérité, c Tous les hommes , dit-il , sont enfants d'Adam et Adam est
c l'enfant de la poussière. — Le but commun de la création est une
(*) C'est là tout-à-fait la formule arienne.
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. S63
c société fraternelle — Le plus apprécié de Dieu est celui qui le
c craint et le sert le mieux sur la terre. >
Il Test encore par son incessante prédication de l'humilité , de la
patience , de l'obéissance et de la Résignation en la volonté de Dieu ,
d'oii est venu à sa doctrine le nom û'hlam. Le dogme de la
prédestination y occupe une place importante et il s'y produit avec
l'absolutisme des prédestinationisies en général. < On ne peut, dit-il,
f intercéder auprès de Dieu , sans sa volonté Dieu convertît ceux
c qu'il veut dans les voies du salut... La parole de Dieu s'est accomplie
c sur ceux qui commettent le crime ; ils ne croiront pas Chaque
c nation a son terme fixé : elle ne saurait le hâter, ni le retarder d'un
c seul instant... C'est ainsi que nous endurcissons le cœur des préva-
« ricateurs.... Dieu affermira les croyants en cette vie et dans l'autre
€ par sa parole immuable ; il égarera les méchants. — Il fait ce qui
lui plait. (Versets 2, 25, 32, 48. 74). Du reste , le livre sacré abonde
en mouvements, pleins d'enthousiasme, inspirés par l'amour de Dieu,
par la soumission à ses décrets, le zèle de sa cause et l'admiration de
sa magnificence , de sa justice et de sa miséricorde.
Le quiétisme contemplateur y occupe une grande place • comme
dans les mœurs du musulman. Le musulman rêve • médite , prie ; il
tire tout de la nature ; il rapporte tout à Dieu. Dieu est sans cesse
dans sa pensée et dans sa bouche ; il n'y est pas comme une idée sté-
rile , mais comme une réalité palpable » évidente , pratique.
La doctrine évangélique sur l'autorité se retrouve reproduite pres-
que textuellement dans cette maxime du Koran : c Celui qui commande
c doit être le premier des serviteurs. > (59, 40, 42, 77).
Suivant le Koran , comme suivant la Bible , la terre appartient au
Seigneur et le sultan n'en est que l'administrateur. (Chap. II, V. i07.)
Le livre mahométan fixe le minimum d'aumône que chaque Musulman
est tenu , devant Dieu , de donner aux pauvres pour racheter son
droit de propriété et de privilège vis-à-vis de ses frères indigents.
Cet impôt du ciel a été évalué par le législateur au dixième des choses
possédées. Celte loi, régulièrement observée dans tout l'islamisme,
propagea les devoirs de la fraternité dans tout le peuple. Elle fut
d'ailleurs complétée par celle qui défend à tout Musulman de deman-
der à son frère un salaire pour l'argent prêté et qui prescrit au débi-
teur de ne rendre que le capital reçu. Et puis les institutions de cha-
rité sont essentiellement recommandées par la foi mahométane. Le
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264 REVUfi D'ALSACE.
vrai croyant, lorsqu'il est riche ^ s'offre d'élre agréable à Dieu , en
creusant un puits sur une rouie aride , en établissant un réservoir
près d'une mosquée , en alimentant un village ou une ville au moyen
d'un canal , d'un aqueduc , en sacrifiant sa fortune pour les établisse-
ments publics. L'hospitalité est un des préceptes les plus observés de
la loi musulmane, c La première loi de l'hospiialité , est-il dit, est de
c s'abstenir de demander à un étranger de quelle religion il est venu,
c dans quelle foi il a été élevé ; mais il faut lui demander s'il a faim .
c s'il a soif «s'il est vêtu. >
Le Koran règle encore les droits et les devoirs des femmes , aux-
quelles il assure une existence civile , dont elles semblaient à peine
avoir joui chez les Arabes. Il reconnaît l'égalité d'âme et la destinée
immortelle entre les hommes et les femmes , en admettant celles-ci
parmi ses croyants , en enseignant à ses sectateurs à respecter en
elles leurs mères , leurs filles , leurs épouses • les plus belles et les
plus saintes créatures, c Un fils , dit-il , gagne le paradis au pied de
< sa mère. > Il est vrai que la polygamie fait -exception à ce prindpe
de l'égalité , en l'abolissant de fait entre l'homme et la femme et en
consacrant l'esclavage de celle-ci. Toutefois elle est- un moyen d'éta-
blir un lien de consanguinéité entre des races et couleurs diverses et
elle est supérieure à la promiscuité . qui est la règle habituelle de
nos colonies d'esclaves.
Le Koran semble légitimer l'esclavage , ce qui est en contradiction
avec l'Evangile. Hais l'esclavage des contrées orientales n'a aucun
rapport avec celui qui est toléré par les sociétés évangéliques. La
servante se marie encore avec le maître comme au temps de l'ancien
Testament. Souvent un Musulman donne à sa fille pour mari un
esclave qu'il a racheté » mais élevé dans sa propre maison , sans qne
cela blesse en rien les mœurs et les coutumes du pays. La servitude
est chez les Musulmans une simple domesticité ; et puis les Musul-
mans, plus religieux que nous, savent qu'il est bon d'affranchir ceux
qui sont en esclavage et se font un devoir de pratiquer exactement ,
sous ce rapport , comme sous tous les autres , la règle du Koran.
L'esclave affranchi n'est pas considéré comme infériear et peut
arriver aux plus hautes positions sociales , comme cela s'est déjà vu.
Le mabométisme est une véritable émancipation des races inférieures.
Les Musulmans Jolofs, Mandigues, Foulahs sont infiniment supérieurs
aux autres nègres et ont été réellement émancipés par le Koran.
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 265
Tandis qae les clergés caiholiques de rAmérique du sud ^^méthodistes
et puritains des Etats-Unis ne soni pas encore parvenus à abolir Tes-
clavage des nègres , rien de plus comnoun en Afrique et en Asie que
les émaDcipaiions , surtout aux fêtes de Baîram » ou encore à la mort ^
des maîtres.
En faisant certaines réserves à l'égard des concessions faites à l'es-
prit matérialiste et sensualiste des peuples asiatiques, l'on peut
donc hardiment affirmer que l'islamisme , dans sa généralité* est une
dérivation de la Bible» ou au moins qu'il est en filiation intime avec elle»
comme Ismaêl est en filiation avec Abraham. La religion musulmane
est sortie » comme toutes les religions modernes d'origine » de la
même souche : entre elle et les différentes confessions chrétiennes il
y a au fond conmiunauté de foi et de traditions. Le disciple de Mahomet
met le Christ à la même hauteur, au-dessus de l'humanité » que les
Ariens et les Nestoriens; il l'honore et l'adore, comme le Verbe
incarné de Dieu , comme un Révélateur. Il honore même la mère du
Christ, la sainte Vierge, qu'il considère, nous l'avons déjà dit,
comme le type de la sainteté et de la pureté. Omar, sollicité par les
habitants de Jérusalem de recevoir en personne les tlefs de la ville ,
-— fier d'apporter la loi de Mahomet à la ville du Christ* mais pénétré
de vénération pour cet autre prophète à qui l'Islamisme reconnaissait
devoir les plus purs de ses dogmes et les plus pures inspirations de sa
morale , — accomplit en pèlerin le voyage à Jérusalem , suivi d'un seul
esclave . vêtu d'un manteau de poils de chèvre , monté sur un cha-
meau , et entra ainsi à Jérusalem. Dans la ville sainte même , sous la
mosquée d'EI-Aksa, les Musulmans , dit Quaresmius » célèbrent une
fête publique en l'honneur de la Sainte Vierge ; à Gethsemani , à
l'église du tombeau de la Vierge , les Musulmans ont un Mihrab à
côté des autels de sectes chrétiennes , où ils viennent prier.
Nous pouvons donc dire que le mahométisme » considéré dans son
essence et dans l'ensemble de ses doctrines, présente une haute raison
d'être au sein de l'Eglise universelle. Faû*e triompher le dogme de
l'unité et de l'immatérialité de Dieu , contenu implicitement dans
les tradition» antiques , mais altéré par les superstitions idotâtriques
et par les disputes théologiques ; développer le côté matériel , tem-
porel , social du christianisme , que la théologie grecque du Bas-
Empire avait oublié et négligé dans ses préoccupations mystiques ;
faire triompher le dogme de l'établissement réel du royaume de Dieu
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S66 REVUE D*ALSACB.
sur la terre et de l'anité à la fois spirituelle et temporelle de l'Eglise;
continuer et développer l'œuvre d'unité religieuse inaugurée par
l'Eglise orientale , en ralliant les diverses sectes et hérésies qui se
disputaient l'empire des consciences et en établissant entr'elles un
lien d'aflBnité que n'avaient pu établir l'Eglise et l'Empire grecs, depuis
Constantin» — voilà la mission religieuse et sociale du mahométisme.
A-t-il réussi dans l'accomplissement de sa destinée? Non » pas entiè-
rement » tant s'en faut ; mais sous certains rapports mieux que son
prédécesseur, l'Eglise et l'Empire grecs. L'hérésie arienne , que le
catholicisme grec n'était point parvenu à rallier et qui s'était mainte-
nue vis-à-vis de lui comme secte dissidente, a été presqu'entièrement
absorbée par le mahométisme , au point que l'arianisme a disparu de
l'Orient, comme secte^ presque complètement, ne laissant plus que de
bibles vestiges. Il est vrai qu'il a obtenu la place d'honneur, dans la
théologie islamique , qui a donné une prépondérance marquante au
dogme de l'unité de Dieu et au point de vue arien sur la divinité
de Jésus-Christ. Il est vrai que , par une conséquence de cela , le
semi-Arianisme de l'Eglise grecque, des Eglise nestorienne,«mono-
physite et monothéiste n'est pas parvenu à obtenir une position oflBcielle '
dans l'Eglise mahométane. Hais, à dire vrai et à envisager les choses de
près, le dogme monothéiste ne forme-t-il pas le fond de toutes lea
croyances de l'Orient, depuis les antiques théologies brahmanique, hé-
braïque, mazdéenne, boudd'histe (nous venons de le voir dans les études
précédentes et nous le verrons aussi pour la théologie chinoise) jusqu'à
celles des chrétiens des premiers siècles de l'Eglise et même des
siècles postérieurs ? Ce dogme ne forme-t-il pas la base immuable de
toute théologie ? N'est-il pas nécessaire que celte idée simple de Dieu
ait toujours été conservée et soit toujours défendue, en présence des
flots incessants des doctrines duothéistes, trinithéisies, polythéistes,
panthéistes, qui envahissent l'Eglise universelle? Ensuite le mahomé-
tisme a-t-il imité le système négatif de l'Eglise et de l'Empire grecs
vis-à-vis des doctrines qu'il n'a pas su rallier? A-t-il excommunié ,
condamné , repoussé , anéanti les sectes qui représentaient ces doc-
trines ? Non ; il s'est contenté de poser son affirmation du Dieu un et
de laisser à leur propre sort les affirmations catholique , grecque ,
nestorienne , monophysite, monothélite et autres. Et, s'il ne les a pas
ralliées à la sienne, il les a du moins conservées, protégées et a
même assuré une existence confessionnelle et communuataire aux
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 267
sectes qui les représentaient. C'est là un fait que perdent toujours de
Yue ceux qui déclament contre Tintolérance musulmane. L'Eglise
grecque du Bas-Empire et l'Eglise catholique du moyen-âge» peuvent-
elles retendtquer pour elles une tolérance pareille vis-à-vis des sectes
dissidentes? Il est vrai qu'à son début le mabométisme s'est trompé de
moyens : comme d'autres sectes religieuses « il a placé à côté de la pré-
dication spirituelle la conquête matérielle et brutale par le glaive. Il y
a même malheureusement dans le Koran des versets qui justifient ce
procédé bart^are, contrairement aux préceptes nombreux de tolérance
et de fraternité. Ce sont ceux-là qui ont prévalu chez des hommes
encore barbares, ftiais ce sont là des faits qui ne détruiront pas le fait
plus général de la tolérance musulmane à travers les siècles. On s'é-
lève encore beaucoup aujourd'hui contre l'intolérance des Musulmans»
à propos de récents événements, qui certes sont des plus regrettables ;
mais outre que ce sont là des faits locaux et individuels et que des
motifr politiques en sont la cause, plutôt que des motifs religieux» ne
voyons-nous pas des faits pareils chez les peuples civilisés et chrétiens
de l'Occident et du Nouveau-Monde ? Ce n'est donc pas avancer un
paradoxe que de parler de la tolérance musulmane. Sans doute que
cette tolérance est plus passive qu'active : Le Mahométan est généra-
lement indifférent vis-à-vis des croyances qui ne sont pas les siennes.
An lien d'être animé de cet esprit inquiet de recherche , qui consiste
à trouver sans cesse de nouvelles solutions du problême religieux , le
musulman a horreur des disputes théologiques et des théories ; il se
contente de la formule religieuse , telle qu'il l'a reçue et se repose
dans une molle quiétude , laissant les autres religions à leur sort. Il
lui manque donc jusqu'ici C) l'esprit de charité, l'esprit actif d'union
et d'association , qui provoque la recherche incessante et infatigable
des voies et moyens d'unir les croyances diverses qui se sont pro-
duites et qui se produiront en Orient. C'est là un des côtés défectueux
des développements du mabométisme à nos jours, qui, joint à d'autres,
a occasionné son avortement dans l'œuvre de l'unité universelle.
L'islamisme n'a pas seulement donné une large satisfaction au
principe arien et monothéiste » mais encore au principe qui a donné
naissance aux hérésies iconoclastes. Non seulement il a réalisé com-
0 Nous disons juiqu'iei; car le mabométisme bien compris est sasceptible
d'entrer dans cette voie onitive, ainsi que noos le verrons.
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968 RBVUE D*AL8âCB.
plètement l'idée d'an cake théiste » en esprit et eo vérité , dépouillé
de toute adoration de génies et puissances secondaires , mais encore
il a partagé l'horreur et , en partie , l'esprit de négation des icono-
clastes à l'égard du culte des images et des saints ; or, sous ce rap*
port encore 9 il est entré dans une voie fausse , contraire à l'unité
religieuse qu'il se proposait de réaliser. Toutefois, nous sommes
obligé d'en convenir, sur ce point même il a été supérieur à ses
devanciers; car il n'a pas toujours montré la barbarie des anciens
iconoclastes, ni l'esprit d'exclusion des sectaires de la première
période. Il a laissé subsister à c6té de lui les cultes divers des images,
des saints et de la Vierge ; il s'est même associé à ce dernier, comme
nous l'avons vu. Ainsi encore , sous ce rapport, il a laissé une porte
ouverte à une future conciliation.
Le dogme prédestinationiste , ce dogme essentiellement oriental ,
occupe dans l'islamisme , auquel il a donné son nom , une part aussi
large que le dogme arien et le dogme iconoclaste. 11 est même à
remarquer que depuis l'existence du mahométisme ces trois hérésies
ne se sont plus produites , en Orient , que sous le nom d'islam et
qu'elles n'ont plus formé des sectes particulières.
Enfin le quiétisme occupe aussi une grande place dans la foi musul-
mane. Seulement nous n'y retrouvons pas le quiétisme splritualiste et
panthéiste des Brahmanistes et d'Origène : c'est un quiétisme plus
réaliste , plus matériel , plus sensuel. Le panthéisme surtout était
antipathique à l'idée du Dieu, un, abstrait, des Mahométans. C'est ce
matérialisme et ce simplisme rigoureux et uniforme , qui se sont
développés dans l'Eglise mahométane après le règne des califes arabes
et surtout depuis le règne des Turcs \ qui ont augmenté la répulsion
des sectes de l'Asie orientale, brahmanistes et boudd'histes , plus
amies de la variété que de l'unité austère , à l'égard du mahométisme,
répulsion qui avait été tellement puissante que la conquête du Tartare
Timour-Lenc , ce zélé Musulman , n'était pas parvenue à incorporer
ces cultes dans le culte islamique et à faire cesser leur existence
séparatiste. Le croissant n'a fait que régner par voie de conquête
dans les Indes , comme les Turcs en Europe ; mais la grande majorité
des peuples hindous , des peuples tartares , presque tout l'empire
chinois et celui du Japon lui on! échappé.
Quant au dualisme ou duolhéisme, qui avait joué un si grand rôle
en Orient par les théologies mazdéenne et manichéenne » il ne trouva
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS CXyUPARÉES DE L'ORIENT. 269
bon plus une place satisraisante dans la théologie islamique et il fat
obligé d'émigrer en Occident , où il devint le germe d'un nouveau
mouvement religieux. Il est vrai que le mabométisme ne rejette pas
entièrement la croyance des bons et des mauvais anges , de la lutte
du bien et du mal , le dualisme des ténèbres et de la lumière. Mais
ces croyances sont pour lui plutôt Tobjet de légendes que l'objet d'un
culte , que les principes d'un dogme et la source d'une morale réfor-
matrice des individus et des sociétés. Le mabométisme ne connaît
rien de cette activité rénovatrice qu'a suscitée en Occident la doctrine
du règne futur de l'esprit sur la matière ; le dogme de l'Esprit-Saint,
consubstantiel à Dieu , lui est inconnu , comme celui du Fils consub-
stantiel au Père.
Par cela qu'il n*a pas su rallier à lui le catholicisme grec avec
son trinitbéisme mitigé et son culte polythéiste des saints et de
la vierge» le mabométisme a aussi été impuissant à opérer son
union avec le catholicisme romain. Une ligne de séparation existait
déjà entre le catholicisme d'Orient et le catholicisme d'Occident » lors
de l'apparition du mabométisme : celui «ci n'a fait que maintenir cette
ligne. Toutefois , l'on pourrait remarquer dans sa marche historique
une progression inverse à celle du catholicisme d'Orient ; tandis que
les empereurs grecs de Bysance ont de plus en plus progressé dans
les voies de la séparation avec Rome , les sultans de Constantinople •
leurs successeurs » se sont insensiblement rapprochés , du moins par
la politique, sinon par la religion » de l'Occident et de Rome ; et au-
jourd'hui le chef de l'Eglise ottomane est plus près du chef de l'Eglise
. romaine I que le chef de l'Eglise orthodoxe d'Orient, l'empereur de
Russie.
Le mabométisme » dans son développement historique , a donné
naissance à diverses sectes , dont les principales sont aujourd'hui les
Somiie» , les Schiius , les Wahhabis et les Soufis. Ces sectes expri-
ment comme diverses faces dans le travail interne et externe de
développement de l'Eglise mahométane. Celles des Sonnites et des
Schiites» descendants des Ommiades et des Fatimites » qui sont les
sectes orthodoxes , représenteraient le côté interne de ce développe-
ment. Les deux autres , plus hétérodoxes » en représenteraient le
côté externe : les Wahhabis ou réformateurs musulmans expriment
plus particulièrement le rapprochement du mahonsétisme vers les
sectes orienules issues de la souche évangélique ; les Soufis ou les
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270 BEVUE B'ALaÂGI.
mystiques musulmaos , se rapprochent plas des religions antiques de
ilnde et de la Perse.
I. — SCHIITES ET SONNITES OC ORTHODOXES.
Ces deux sectes qui sont en rivalité l'une avec l'autre , s'intitulent
toutes deux orthodoxes de la religion musulmane. Ce sont elles qui
ont les plus nombreux adhérents et qui présentent chacune une orga-
nisation ecclésiastique et un ensemble de dogmes , de rites et de
coutumes plus systématique que les autres.
La secte sonnite reconnaît les trois premiers califes comme succes-
seurs légitimes de Mahomet , admet leur manière d'interpréter la loi
du prophète et les préceptes dont ils ont transmis la tradition. Les
Turcs , les Arg'hans et presque tous les Arabes sont Sonnites.
Les Schiites^ an contraire » rejettent les trois premiers califes
comme rebelles et usurpateurs du trône d'Ali , le neveu de Mahomet
et lé quatrième de ses successeurs. Cette dernière secte n'existe qu'en
Perse.
La différence entre ces deux sectes , quoiqu'elle ne soit pas assez
forte pour produire de grands dissentiments dans le dogme et la
morale, est cependant assez prononcée pour avoir engendré entr'elles
une haine profonde.
II. — SouFis ou Mystiques.
Les Soufis sont répandus dans l'Afg'hanistan dans la Perse » dans
la Géorgie et la Circassie , où leurs doctrines se maintiennent depuis
neuf cents ans.
Les Soufis n'admettent dans l'univers qu'un seul être invisible»
tout-puissant » infini , qui anime et vivifie la nature et dont tous les
autres êtres sont des émanations et comme les formes diversifiées
d'une essence immuable : l'âme humaine n'est qu'une émanation de
l'essence divine.
C'est donc le panthéisme de l'Inde introduit au sein du mahomé*
tismot ou, en d'autres termes , un monothéisme panthéistique.
Toutefois les Soufis n'admettent pas le dogme de la transmigration
des âmes. Un autre point qui rapproche le soufisme des religions de
l'Inde : les Soufis rendent à l'Etre universel un culte assidu et pré-
tendent communiquer avec lui par l'union la plus intime ; ils entrent
en extase et conversent ensuite avec Dieu. La contemplation élève
quelquefois les Soufis au plus haut degré d'enthousiasme. Ils admirent
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 271
Dieu daos toutes choses et par de fréquentes méditatioDs de ses attri-
buts , ils s'imaginent pouvoir atteindre à l'amour ineffable de la divi-
nité et même à une absorption complète de sa substance. Par cette
union mystique ils acquièrent » disent-ils , le don de prophétie et
jouissent par anticipation des joies du paradis. Cette union on cette
existence mystique présente quatre degrés : le Scharyat^ le Tarykai,
le Kohyat et le Maurifat; le dernier état est l'ascension continuelle
de l'âme vers l'union complète avec Dieu.
Les Soufis donnent un sens allégorique aux mystères du Koran et
soutiennent que tous les préceptes qui concernent le culte extérieur,
doivent s'entendre de la même manière. Ils font profession de ne
condamner aucune religion et de regarder tous les hommes comme les
enfants du Père commun et les sujets du même Souverain » prétendant
qu'il est fort peu important de quelle manière la pensée de l'homme
se tourae vers Dieu , pourvu qu'en réalité elle reste en contemplation
devant sa grandeur et sa bonté.
La plupart des Soufis sont de sincères Musulmans. Cette secte gagne
du terrain » surtout dans les classes élevées de la population et même
parmi ceux des Mollahs qui étudient la littérature ; car son obscure
sublimité est très-séduisante pour les gens de cette classe. L'amour
du mystère , qui est remarquable chez eux , les conduit naturellement
à se former la plus haute opinion de tout ce qui est caché » et il a
même entraîné quelques uns d'entr'eux à vouloir pénétrer avec une
avide curiosité dans les secrets de la franc-maçonnerie.
Le soufisme est une réforme du mahométisme : c'est un nouvel
islamisme » ou bien l'islamisme primitif élevé à un haut degré d'illu-
minisme et de mysticité : c'est l'islamisme extatique et contemplatif»
une véritable transition du mahométisme vers les reUgions de l'Inde.
La plus grande personnification moderhe du soufisme » c'est le pro-
phète circassien Schamyl avec ses murîdes. Voici un passage de ses
prédications à ses montagnards : c Je suis la racine de l'arbre de la
< liberté; nos murîdes (prêtres, guerriers , gardiens suprêmes des
< révélations de l'extase , formant la base du nouvel islamisme) en
( sont le tronc et vous les branches. »
III. — Wahhabis ou Réformateurs.
Cette secte, composée de tribus qui habitent l'Arabie centrale, tire
son nom du scheik Mohammed*Abdel*Wahhab , qui s'est posé comme
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%72 BEVOS D'ALSACB.
le réformateur da mabométisme vers la fin du 17"* siëele. La doc*
trine qu'il prêchait avait pour base le texte même du Koran • qu'il
commentait d'une manière différente de celle reçue par les Mahomé-
tans orthodoxes. Selon lui , Mahomet n'était qu'un simple instrument
dont Dieu s'était servi pour faire connaître ses volontés aux hommes;
en conséquence il rejetait toutes les pratiques superstitieuses • tous
les hommages idolâtres dont Mahomet avait été l'objet. Ramener les
.hommes à la pureté primitive de la religion enseignée dans le Koran,
n'attendre que de lui tout secours , toute grâce . toute bénédiction ,
telle était sa doctrine.
Bien différente d'autres sectes , la réforme des Wahhabis offire la
rigide simplicité du Koran » dont elle accepte uniquement les pré-
ceptes y sans tenir compte des traditions de la Sounniak » si révérée
parmi les Sonnites. Leur dogme fondamental consiste donc à rejeter
tout autre culte que celui du Créateur. Ils refusent à Mahomet la
qualité de prophète; de sorte qu'en admettant la profession de foi de
l'islamisme, ils en retranchent les dernières paroles et la réduisent à
celles-ci i II n'y a d'autre Dieu que Dieu. Néanmoins ils ont conservé
la plupart des pratiques religieuses en usage chez les Mahométans.
Ils sont circoncis comme eux , font des génuflexions semblables et le
même nombre d'ablutions; ils observent les mêmes abstinenoes, le
même jeûne au mois de Ramadan ; enfin ils regardent le pèlerinage
de la Mecque , le hadj ou mawsim , comme une œuvre méritoire el
en pratiquent toutes les cérémonies. Leurs mosquées dépourvues
d'ornements n'ont Jamais ni minarets » ni coupoles ; on n'y voit pas
de tombeaux. Un Imâm y fait aux heures de la prière lecture de
quelques passages du Koran et chacun s'y acquitte de ses devoirs
religieux , sans que le nom de Mahomet y soit jamais prononcé. Les
Wahhabis réservent pour eux seuls le titre de Musulmans et emploient
pour les sectateurs du prophète le nom de Mouchrikirs, c'est-à-dire,
qui donnent un compagnon à Dieu. Us sont généralement tolérants A
l'égard des autres sectes. Mais , malheureusement pour eux , ils ont
eu recours au même moyen de propagande que les premiers Musul-
mans , la guerre. Aussi » après avoir un moment conquis toute l'Arabie,
furent-ils, au commencement de ce siècle, vaincus par Méhémet-Ali.
La réforme des Wâhbabis n'a pas su imprimer jusqu'ici un caractère
universel aux peuples islamiques qui l'ont vue naître ; elle n'a pas su
exercer sur leurs destinées une influence décisive , en liant la cause
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irVbJiS SUR LfeS RBUOIONS GOMPARÉES t>E L'ORIKNt. H^
de FhumRQhé à la cause de Dieu. Mais , eu renonçant aux efforts de
lutte violente dans laquelle elle a succombé, elle sera l'un des instru-
ments d'une transformation pacifique du mahométisme , dont les élé*
ments combinés uniront à l'autorité du dogme l'énergie vitale de la
raison. En ramenant les croyances musulmanes à une plus grande
simplicité, elle amènera sur là voie d'un rationalisme musulman, qui
facilitera le rapprochement de l'islamisme avec les sectes chrétiennes ,
aussi transformées par l'influence de la raison humaine. En eflét, si
l'on envisage les Wahhabîs dans leur progrès régulier , par exemple
chez les Médaniahs (Wahhabis de l'Afrique), là où leur Eglise n'a pas
pris l'essor militant des Wahhabis d'Arabie , l'on doit convenir qu'ils
sont déjà dans cette voie d'alliance universelle. Ayant réduit leurs
dogmes à une expression qui peut être la base de toutes les religions»
unité de Dieu , immortalité de l'âme, peines et récompenses de l'autre
vie, ils regardent les religions comme toutes également bonnes et sont
du reste d'une grande indifférence pour le culte extérieur. Ils en
veulent bien un , mais n'importe lequel ; cependant étant en pays
musulman , ils suivent le culte musulman, à quelques exceptions près.
Seulement ils repoussent bien loin toute pensée (T exclusivisme , de vto-
lenee , d'intolérance et proclament la fraternité universelle. Il est vrai
qu'il y a un peu de vague dans la manière dont ils expliquent leur
doctrine. Il n'en est pas moins certain qu'ils appartiennent , autant
qu'on peut le dire d'hommes à demi-barbares, à cette catégorie
d'hommes qui croient que toutes les formules religieuses , mime les
plus contradictoires en apparence , sont conciliables dans le fond^ puis*
qu'elles ont toutes pour but l'expression des grandes vérités primor**
diales , intuitives , indémontrables.
C'est ainsi que, par les Wahhabis et parlesSoufls, la branche
d'Islam , qui se desséchait avec les vieilles sectes des Sonnites et des
Schiites, reprend de la sève • de la force , de la fécondité , et qu'elle
se prépare à une nouvelle croissance pour embellir l'arbre de l'Eglise
universelle et intégrale.
A. GiLLIOT.
(ÏM suite à uns prochaine liwaisan,}
«•S4rl«. — S'Amié». i8
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DE L'ADMINISTRATION
DES FORÊTS DOMANIALES ET COMMUNALES
ET DES FEUILLES MORTES.
Ud des gardes-généraux du déparlemeut du Bas-Rbin qui, en
différeotes circoosiances . a témoigné , dans ses écrits » et de sa
science , et de sa sympathie pour la population agricole , vient de
publier, dans le c Bulletin de la Sociélé ^agriculture et des quatre
Comicei du Bas-Rhin , » un article très-étendu sur la nécessité dans
laquelle se trouve Tadministation des forêts, d'employer la rigueur la
plus extrême pour em'pécber l'enlèvement des feuilles mortes par les
populations rurales.
L'un des rédacteurs du Bulletin en question déclare que l'affaire
des feuilles mortes intéresse au plus haut degré les cantons monta-
gnards et semble s'élever aiûourd'hui à la hauteur d'une question
vitale ! Il avoue également avoir eu à cœur de réclamer auprès de
l'adminisiration forestière quelque indulgence pour les pauvres gens
qui habitent les coteaux; mais que les arguments qui lui ont été sou-
mis par l'honorable A. de Turckheim . auteur de l'article dont nous
venons de parler^ lui ont fait renoncer à son projet et lui ont fait
entrevoir la nécessité absolue de conserver aux foréis les feuilles
mortes.
Ailleurs déjà , (*) M. A. de Turckheim avait élevé la voix pour excu-
ser c le fanatisme > qu'on se plaît à prêter à l'administration des fo-
rêts et pour convaincre l'agriculteur que le produit dont il est si avide
et pour lequel il fatigue ses bœufs , et abime ses voitures, ne lui pro-
(*) ilmi# dUfMM , juillet 1860.
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. DE l'administration DES FORETS , ETC. 278
cure qu'un engrais détestable, el souvent qu'une litière froide et humide
qui occasionne des maladies à ses bestiaux.
L'honorable Garde-général appréhendant sans doute que ces argu-
ments ne produisent pas tout l'effet qu'il eût désiré sur les habi-
tants rlterains des montagnes, a publié encore depuis un exposé très-
lucide de la méthode du réensemencement des forêts ; il décrit minu-
tieusement les coupes différentes et finit par conclure que • dans dix
ou quinze ans , les parties sur lesquelles l'enlèvement pourra être
toléré seront bien réduites et que les concessions deviendront forcé-
ment si faibles qu'elles seront illusoires.
Qu'il nous soit donc permis, avant d'arriver à ce moment extrême,
de jeter» à notre tour, un coup d'œil sur une question qui intéresse si
fortement 9 en des sens divers, l'nne des administrations les plus
importantes de la France, ainsi que des populations nombreuses,
surtout celles qui s'adonnent à la culture de la vigne.
C'est en effet le vignoble que la question des feuilles mortes con-
cerne le plus directement , par la raison toute simple , que tous ses
coteaux sont presqu'exclusivement occupés par la culture en question
et ne produisent par conséquent que peu ou point de paille.
U serait inutile de faire ressortir ici les suites importantes de cette
circonstance ; car tout le monde sait que le fumier de ferme est né-
cessaire pour toute espèce de culture , et que , pour produire ce
fumier , deux choses sont indispensables : le bétail et la litière.
Le vigneron est donc obligé de descendre dans la plaine pour se
procurer la paille que réclame son exploitation et, à son tour, le cul-
tivateur de la plaine se rend au vignoble pour chercher le vin dont il
a besoin. Cet échange parait , de prime abord , rationel et légitime.
Il y a néanmoins un inconvénient : c'est que le paysan n'enlève au
vigneron que le produit de ses vignes , tandis que ce dernier enlève
au paysan une grande partie de sa matière première destinée à pro-
duire du fumier et occasionne ainsi , au profit de ses vignes, une véri-
table perte à la culture des céréales et des racines sarclées.
Le problème à résoudre serait donc de savoir si la fumure de la
vigne faite par la paille serait plus préjudiciable à l'agriculture^ qu'elle
ne le deviendrait aux forêu , faite à l'aide des feuilles mortes.
Nous aurons donc à examiner ;
!** Si les feuilles mortes donnent réellement un .mauvais fumier.
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276 BBVUB D'ALSAGB.
^ Si renlèvement des reoHIes mortes occasionne en effet aux forêts
le tort qu'on lui attribue.
On sait que la paille se prête le mieux à la préparation des fumiers;
elle retient dans un nombre infini de petits tubes les urines des bes-
tiaux. L'air y a un accès facile » la concentration des urines s'opère
ainsi sans dépense aucune, les déjections épaisses des animaux y sont
retenues avec une grande facilité , et, sous l'influence réunie de ces
causes l'ammoniaque , produite par la transformation des matières
animales , accélère la décomposition de la fibre ligneuse des four-
rages et des litières et la convertît rapidement en bumus soluble. (')
Le manque de cette qualité n'est pas la seule cause pour laquelle
certains hommes à théories abstraites refusent aux feuilles mortes la
propriété de devenir un fumier convenable. On leur reproche encore
de contenir une trop grande quantité de tannin qui empêche leur dé-
composition.
Le fait est , que les feuilles d'arbres abandonnées à elles-mêmes
emploient quelquefois des années pour se transformer en humus.
Mais, en est-il de même» lorsque les feuilles mortes sont mélangées avec
de la paille et du fumier animal? Nous ne le pensons; pas » car l'ex-
périence et la pratique ont démontré que l'ammoniaque accélère la
décomposition des feuilles et par conséquent aussi celle du tannin.
Il parait » du reste , selon M. de Saint-Priest , que l'on a exagéré
l'influence du tannin, t Pour ma part, dit-il, je déplore beaucoup l'en-
lèvement des feuilles dans mes bois. De tous côtés on me les vient
dérober, et je vois ensuite mes pillards les employer à fumer leurs
terres et leurs vignes, lesquelles rendent tout autant qu'avec d'autres
fumiers. Les vignes en question produisent notamment l'un des très-
estimables, vink des côtes du Rhône, i (*)
Mais, quelles que soient les causes chimiques qui facilitent la
transformation des feuilles mortes en humus , il nous sufiSt de con-
stater que les engrais qui réunissent des matières animales sont tou-
jours recherchés et appréciés par le cultivateur , qui les préfère aux
guanos » aux poudrettes et à tant d'autres engrais prônés par le
commerce et composés uniquement de matières animales. Il nous
suffit également de constater que l'humus des feuilles mortes étant ,
(') Voyez : Guide de la fabrication det engraù^ par F. RoiURT.
(*) y. Journal d'agriouUure , i«' semestre 1852.
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m L'ADMINISTRATION DBS FORÊTS , ETC. 277
selon la théorie de Fadmînislration forestière, si nécessaire à la
croissance des arbres , il ne peut , à coup sûr, être d'un effet contraire
ni aux vignes, ni aux champs.
En somme, nous ne dirons pas avec M. de Saînt-Priest que les
vignes et les champs rendent tout autant avec le fumier de feuilles
qu'avec le fumier de paille. Mais ce que nous croyons pouvoir aflSr-
mer, c'est , qu'à des époques où il y a pénurie de paille (i) et où cette
dernière est plus chère que le foin , les feuilles mortes peuvent puis*
samment concourir , non seulement à faire d'excellents engrais, mais
encore à fournir des litières chaudes et sèches et faciliter ainsi au
cultivateur la conservation du bétail , jusqu'à l'époque où la paille lui
devient de nouveau abordable.
Ce n'est donc pas en vain que le campagnard sacrifie son temps»
abime ses voitures , harasse ses bœufs , pour chercher des feuilles
dont il est aussi avide que l'administration des forêts est opmiàire à
les refuser.
Nous croyons donc ne pas devoir insister davantage sur rutilité
des feuilles mortes, utilité qui nous paraît incontestable , d'autant
plus que les propriétaires les plus aisés , même du canton que nous
habitons et qui possèdent des châtaigneraies , ne craignent pas les
nombreux frais qu'occasionne le voiturage pour faire chercher les
feuilles dans leurs propres bois; ce qu'ils ne feraient pas, assuré-
ment , s'ils avaient la certitude que l'utilité en question n'est que
minime ou factiee et que l'enlèvement des feuilles n'a lieu qu'au
détriment de leurs bois.
Il nous reste à examiner la seconde question , celle concernant le
tort que peut produire aux forêts l'enlèvement des feuilles mortes.
Ici la tâche sera plus difficile. Nous déclarons donc d'avance que
nous n'avons pas la prétention d'émettre notre avis en forestier expé-
rimenté , mais simplement en observateur de la nature et que • pour
l'examen de la question qui nous occupera, nous trouverons dans
cette inexpérience même notre plus grand appui ainsi que le senti-
ment de l'impartialité qui doit dominer dans des recherches et dans'
des questions d'un Intérêt si important ^t si général.
c Les plantes vivaces , dit M. Joigneaux dans sa chimie du cultiva-
(*) On a payé, pendant tout Thiver dernier, les 100 kilos de paille 7 fr. tandis
que le fuin ne se vendait que 6 fr.
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278 REVUE d'alsacs.
leur , existent plutôt aux dépens de Tatmosphère qu'aux dépens du
sol ; c'est pour cela qu'elles résistent incomparablement mieux que
les plantes annuelles dans les terrains pauvres. Les premiers vivent
lentement, prennent peu d'aliments à la fois, et en trouvent une
qu2inx\ié -presque suffUante dans l'air; tandis que les secondes vivent
rapidement, et mettent surtout le sol à contributioa» Aussi , est-ii
facile , en temps de sécheresse de distinguer la plante vivace de la
plante annuelle. A défaut d'eau qui dissolve les sels de la terre et les
transmette aux végétaux par les racines , la plante annuelle , qui a de
nombreux besoins à satisfaire , tombe en souffrance ; ses feuilles les
plus rapprochées de la terre perdent leur éclat, jaunissent et meurent.
Il n'en est pas de même pour les plantes vivaces dont les premières
feuilles résistent beaucoup plus longtemps à la sécheresse. >
Si nous avons cité ces lignes de M. Joigneaux » ce n'est pas pour
nous appuyer uniquement sur son autorité en disant que les arbres
trouvent une quantité d'aliment presque suffisante dans l'air, mais
plutôt, parce que M. Joigneaux a la facilité de résumer en peu de
mots ce que beaucoup d'autres auteurs n'ont exprimé qu'à l'aide de
périphrases.
Il est donc établi que, contrairement aux plantes annuelles, les
arbres puisent la plus grande partie de leur nourriture dans l'oxigène,
dans l'azoïe , dans l'acide carbonique et dans la vapeur d'eau , gaz
divers -, qui , réunis, constituent l'atmosphère.
En effet, nous avons souvent contemplé les arbres séculaires et
d'une hauteur prodigieuse qui ornent nos promenades publiques en
nous demandant ce qui pouvait donner à ces arbres leur végétation
verdoyante et luxueuse^ alors même que les terrains sont chargés de
gravier , de sable , et quelquefois même d'un pavage presqu'imper-
méable.
Mais les arbres qui garnissent les promenades ne sont pas les seuls
dont la croissance et la puissance nous ont paru inexplicables. Dans
les forêts même, du milieu des amas de pierre et de rocs qui dérobent
au sol toute action extérieure, nous avons vu s'élancer majestueuse-
ment des chênes et des hêtres , étendre avec volubilité, par les plus
grandes chaleurs , leurs braltches et leurs rameaux et nous rappeler
ainsi ces vers de Castel :
Combien de fois It terre a changé d'habitants ,
Combien ont disparu d'empires florissants ,
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DE L'administration des F(mÊTs, etc. 279
Depuis que ce géant , du pied de la bruyère ,
A porté dans les deux sa tète séculaire.
Il est néanmoins certain que les arbres n'empruntent pas seulement
à l'air toute leur nourriture et que le sol arable ainsi qpe le sous-sol
doivent avoir , à leur tour , une grande influence sur leur physiologie
végétale. Voici ce que dit à ce sujet M. Nérée Boubée » géologue dis-
tingué et dont les travaux scientifiques sont généralenoent connus et
estimés, c Croyez-vous, dit M. Boubée, en s'adressant au directeur
de la ferme-école de Trécesson ; croyez-vous donc que de nos jours
les grands arbres qui couvrent les montagnes , et dont les racines
s'enfoncent profondément dans le sol entre les fissures des roches ,
puisent leur nourriture dans la mnce couche d^humm qui se trouve
quelquefois à la surface du sol ? Ne voyez-vous pas que c'est à la ma-
tière minérale pure du sous-sol qu'ils empruntent presque exclusive-
ment Tabondante sève que réclament leurs branches gigantesques et
leurs feuilles innombrables? Ne voyez- vous pas que la végétation
robuste de nos forêts actuelles , comme celle des grands végétaux
primitifs qui ont produit nos précieux dépôts de houille, condamnent
sans réplique toute notre théorie de l'humus et de l'azote, et pro*
clament hautement le système de la nutrition des plantes par les seules
matières minérales et les agents atmosphériques. Et, en effet , lors-
que vous défrichez un bois qui, depuis des siècles , prospérait sur
le même point , cette terre qui semblait suffire à toute cette énorme
végétation forestière n'est-elle pas incapable de donner plus de deux
ou trois récoltes sans réclamer aussitôt une large ration d'engrais ou
d'amendements î
c C'est que la forêt végétait aux dépens des seules matières miné-
rales du sous-sol , et non pas aux dépens de l'humus et des matières
azotées de la surface , lesquelles sont promptement absorbées ,
promptement épuisées par deux ou trois récoltes, tandis que les
matières minérales du sous-sol, à-peu-près inépuisables^ suffisent
indéfiniment à la nutrition de ces plantes gigantesques qui constituent
nos arbres forestiers, i
Nous ignorons quelles seront les observations que l'administration
forestière objectera contre des arguments aussi précis et aussi nets.
Quant à nous, il nous paraît incontestable que dans la végétation
primitive des arbres , l'humus des feuilles mortes ne peut avoir joué
aucun rôle î d'autant moins qu'il est reconnu et enseigné par la
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S60 MVUE d'alsàge.
science géologique que la formation de la couche superflcielle de la
terre , c*e8t-à<dire celle où se développent les racines des arbres »
repose sur des roches, placées à une profondeur plus ou moins grande»
qui ont donné naissance i la tert*e végétale. Il parait ea outre que
toutes ces roches , de nature et de dureté si différentes , ont formé
d'abord la surface de la terre et se sont décomposées à la longue sous
l'influence de Teau , de l'air et de la chaleur.
Les inondations qui , dans les temps les plus reculés • ont ensuite
recouvert successivement d'eau les diverses parties du sol » ont en-
traîné» mélangé les débris de ces roches et en les dispersant sur les
plaines et dans les vallées ont rendu ces dernières productives et
fertiles.
Sans vouloir approfondir et scruter le mystère de la nature qui a
donné naissance aux premiers arbres, nous sommes cependant con-
vaincu que l'influence de l'humus ne peut être considéré comme ayant
été un agent puissant à leur création primitive. L'humus , étant le
produit des feuilles décomposées , il est inutile de faire remarquer
que cette décomposition n'a pu précéder la formation des plantes.
Nous dirons donc que les arbres ont poussé » grossi et grandi et
qu'ils pousseront, grossiront et grandiront encore aujourd'hui sans
le secours des feuilles mortes que le vent , du reste , enlève presque
toujours sur les versants de nos coteaux.
Un mot encore à ce sujet. Tout le monde sait que pour donner des
forces réparatrices aux arbres languissants , on recommande d'en-
terrer au pied du malade une béte crevée ou tuée. Eh bien , la nature,
en créant des forêts , les a richement peuplés d'animaux sauvages de
races différentes. Les uns plus forts que les autres , il se firent une
guerre à outrance et fécondèrent le sol de leurs nombreux cadavres.
Plus tard, l'homme, créé en dernier lieu, trouva moyen, par son
génie inventeur, de chasser les hôtes sauvages dés forêts, de la place
que la Providence semblait cependant leur avoir assignée pour y
entretenir la fertilité; et néanmoins, les arbres ont continué à fleurir
et à se multiplier et , nous en sommes persuadés , ils continueront
leur multiplication quand même de pauvres campagnards y cherche-
raient des litières pour les animaux utiles , auxquels l'homme , dans
son égoîsme , a octroyé la paix.
Sans aucun doute, l'administration forestière ne partagera pas notre
avis; ootts aurons beau dire« écrire e^ proclamer que la chimie en^.
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DE L* ADMINISTRATION DES FORÊTS, ETC. S8i
seigne que les arbres: puisent la plus grande partie de leur nourriture
dans Tatmosphère , que la géologie démontre que l'autre partie leur
est fournie par les éléments minéraux du sous-sol , que les agricul-
teurs , se basant sur l'expérience , sont de la même opinion et n'bé*
sitent pas à ramasser les feuilles dans leurs propriétés particulières.
Nous aurons enfin beau dire avec M. Perrot : que les forêts sont
éternellement jeunes, parce que les vieux art>res tombent sous la
cognée du bûcheron et ont pour successeur les sujets nés de leur
semence ou de leurs racines. Peu importe ! l'administration forestière
n'en restera pas moins inébranlable et n'en soutiendra pas moins ,
dans sa toute-puissance» que^ sans l'bumus des feuilles mortes les
vastes forêts de la France périraient inévitablement.
Un dernier mot :
Dans la haute sollicitude que porte H. le préfet du Haut-Rhin aux
populations agricoles, il visita, l'automne dernier, tous les chefs-
lieux de son département et fit réunir autour de lui les maires des
communes. Ces derniers, invités par M. le préfet de lui exposer l'état
et les besoins de leur administration respective, plusieurs d'entr'eux
prirent aussi la parole en faveur de la classe peu aisée pour laquelle
ils sollicitèrent , vu la cherté de la paille, quelque concession de
feuilles mortes dans les forêts communales. H. le préfet leur exprima
ses regrets de ne pouvoir leur être utile en cette circonstance , parce
que l'administration des forêts se trouve placée en dehors de ses
pouvoirs. Après le départ de M. le préfet , plusieurs maires de diffé-
rentes communes du vignoble s'entendirent pour faire une démarche
collective auprès de l'administration des forêts ellermême ; mais les
concessions qu'ils obtinrent furent accordées sous des conditions si
nombreuses et si multiples qu'elles devinrent réellement illusoires.
Si nous ne nous trompons, une administration autre que celle des
forêts domaniales et communales défendait, il y a une trentaine d'an-
nées seulement, de planter des arbres le long des routes; aujourd'hui
elle défend aux propriétaires riverains des routes d'abattre les arbres
qui ont échappé autrefois à ses rigueurs et s'empresse , à grands
frais , de repeupler les grandes voies impériales et départementales
de plantations qui jadis furent l'objet de son interdiction.
L'adfflinistraUon forestière aussi ne fut pas toujours animée d'une
doctrine tà exclusive et si rigoureuse. Ce qui le prouve » c'est une
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282 RBVUE D*ALaiGB.
instruction répandue par le gouvernement de Louis xvi sur les moyens
de suppléer aux fumiers de paille par d'autres engrais.
En voici un extrait :
c II faut ramasser les feuilles sèches des bois et des forêts. Cela est
c habituellement défendu ; cela doit Tétre dans les années ordinaires,
c parce que les feuilles qui pourrissent annuellement sur la terre ,
c forment un terreau » améliorent le sol et la pousse des bois. Mais
c dans les années où la paille manque , le secours à donner à la cul-
c ture est plus important que le petit avantage que les feuilles procurent
c aux bois. >
Cette instruction , qui résume notre opinion personnelle , nous
semble avoir été inspirée par un esprit de justice et de conciliation.
Nous nous estimerions heureux , si en la rappelant à la mémoire
d'une administration dont il est impossible de méconnaître les grands
services journellement rendus par sa science et par ses travaux au
domaine public ; nous serions heureux , disons-nous » si l'exemple de
cette instruction pouvait enfin concilier les intérêts d'une grande
partie de la population laborieuse de nos campagnes avec les intérêts,
non moins importants , de la conservation de nos forêts !
J. F. VhkiLkV»,
propriétaire, dâégaé eanlonal do rîDitnictioB prinaiM.
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
GoliLBCnON DE nGURiHES EN ARaiLK, osuvres premètet de Van gau^
lois , avec les nom» des Céramutei qui les ont eocéeutées , recueiUies ,
demnies et décrites par Edmond Tudot , conservateur du Musée de
Moulins, membre correspondant de llnstitut arcbéoloipque de
Rome • etc. » etc. — i vol. in-4* de 304 pages de telte et de 75
planches lUhographiées. — Paris, 4860. C. Rollin , éditeur, rue
Vivienne, 42. — Prix: 25 francs.
Aiyourd'hui que la Société pour la conservation des monuments
historiques d'Alsace a propagé le goût des études archéologiques dans
la province, l'ouvrage que nous annonçons mérite d'être connu. Nous
le recommandons vivement aux lecteurs de la Revue. Les nombreux
objets, représentés dans ce volume , niches en terre cuite, fours à
poterie, moules divers avec les noms des céramistes, matrices,
poinçons, figurines avec marques , Vénus • Anadyomènes et autres,
divinités gauloises , Mérées ou déesses présidant à la maternité , Mi-
nerves d'époques différentes , figurines de Mercure , d'Hercule, d'A-
pollon Bélen, bustes et médaillons antiques , animaux sacrés, costumes
gaulois , caricatures , vases , marionnettes , divinités topiques , toute
cette collection de types variés , dont presque tous ont été dessinés
de grandeur réelle , donnent une juste idée de la richesse céramique
du Musée de Moulins et de la collection particulière de l'auteur , où
ces objets sont déposés.
Les figures de Vénus sont les plus nombreuses ; ce qui s'explique ,
dit M. Tudot, par une remarque de Saint Augustin à propos des
laraires. L'auteur de la cité de Dieu constate qu'entre les divinités du
paganisme, réunies dans ces petits oratoires, c'est toiqours Vénus
qui présidait. Or M. Tudot regarde toutes ces figurines de divinités ,
comme ayant été destinées à être placées dans les laraires. Les déesses
qui présidaient à la maternité sont aussi très^nombreuses. Elles sont
toutes représentées tenant , tantôt, un seul nourrisson, tantôt » en
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284 REVUE D*ALSACE.
tenaot deux » telle qu'on nous montre Latone. Dans le premier cas »
ce serait peut-être Rumina. Il est certain que le type de la maternité
ne pouvait mieux convenir qu'aux déesses, mères elles-mêmes.
Aiijourd'bui encore » n'est-ce pas à la Vierge • mère de l'enfant-Dieu,
que les femmes chrétiennes viennent demander protection pour le
fruit de leurs entrailles ? La déesse de la maternité gauloise pouvait
avoir un type différent de la Junon Lucine » c'était toujours la même
signification.
C'est de TEtrurie . selon l'auteur , que l'art » tel que les céramistes
de l'Allier l'ont traité , est venu se naturaliser sur le sol gaulois. Aussi,
à côté de la Vénus au type étrusque , trouvons-nous la Minerve au
même type , déterrée près de Gannat , en exhumant les restes d'une
tombe dans les ruines d'une villa ; Minerve , comme nous le prouve
un passage de César, était une des divinités les plus anciennement
adorées dans la Gaule. Par les dates des monnaies , rencontrées avec
ces statuettes , M. Tudot a pu en partie établir les diverses phases de
leur fabrication. Les figurines qui appartiennent à la première époque,
ont incontestablement un air de parenté avec les statues des plus
anciens temps. Elles rappellent ces sculptures qu'il est si diflScile de
restituer sans incertitude à l'Egypte, à TEtrurle ou à l'ancienne Grèce.
Sur la plupart des types de celte époque, les plis des vêtements sont
parallèles entre eux , et parfois exécutés avec des coups d'ébauchoir
donnés en lignes droites. Leur attitude est uniforme, on pourrait dire
conventionnelle.
Dans les statuettes de la seconde époque , plus fréquentes , la pose,
l'ajustement des draperies, annoncent un goût plus exercé. Néan-
moins il faut à peine donner un demi-siècle à cette seconde phase
qui renferme les productions d'art les plus satisfaisantes. Alors avec
l'introduction du culte d'Isis dans la Gaule, avec les émigrations de
Germains répandus chez les Gaulois, des idées religieuses d'un ordre
tout différent donnèrent lieu à un nouveau style. On vit se manifester
chez les Gaulois les traditions du Nord en opposition avec les mythes
brillants de la Grèce et de l'Italie. A côté des anciens dieux , en sur-
girent de nouveaux , à la physionomie égyptienne , et d'autres divi-
nités singulières qui semblent sorties des forêts germaniques. C'est
toujours avec talent et sagacité que l'auteur met en parallèle les
figures de ces trois époques.
:; Une charmante allégorie qu'une de ces terres cuites représente, est
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 285
là flgure d'un jeune adolescent endormi , porté sor le dos d'un dau-
phin. Or, selon la tradition druidique, dit avec raison Tauieur, les
âmes des justes , montées sur le dos d'un dauphin , se rendaient aux
Iles des bienheureux. Quelle ravissante imagée présente à la pensée
cette jeune âme emportée ainsi vers les îles fortunées et souriant d'a-
vance au bonheur qui l'attend !
Nous pourrions citer plusieurs traits pareils de l'auteur de ce beau
livre. Nous préférons y renvoyer le lecteur , certain qu'il ne le dépo-
sera pas sans y avoir trouvé beaucoup de science , beaucoup d'aperçus
nouveaux , et persuadé que sa main se plaira souvent à le feuilleter.
Cependant , avant de terminer , qu'une petite critique me soit
permise.
Sous l'inspiration de M. Maury , membre de l'Académie des inscrip-
tions » M. Tudot donne à Vénus ayant l'aigle à côté d'elle , le titre de
Shrona. Sous ce nom , il la regarde comme la puissance bienveillante
protégeant la chasteté de la jeunesse.
Je ne m'élève point contre cette idée de protection ; mais je ne crois
point que le nom de Sirona puisse convenir à Vénus. Sirona , tantôt
seule , tantôt associée dans les inscriptions à Apollon , protecteur des
sources et dieu de la médecine , est une déesse essentiellement cura-
trice qui n'a rien de dommun avec la déesse de la beauté.
Max. de Ring,
Secrétaire da la Société pour la consenratioD dos monummti
historiques d'Alsace.
M. Charles Bartholdi de Colmar vient de faire paraître la première
livraison d'un nouveau recueil intitulé : Curiosités d^ Alsace. La pério-
dicité de celte publication sera trimestrielle et le prix d'abonnement
est de 12 fr. par an pour la France et de 15 fr. pour l'étranger. Le
bureau des Curiosités est établi chez M. Eugène Barlh, libraire* éditeur,
Grand'rue , n<^ 22 , à Colmar. C'est à ce bureau qu'il faut s'adresser
pour souscrire et faire les communications relatives à la composition
do recueiL
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286 REVUE D'ALSACE.
Le numéro spécimen des curiosités se compose de ii2-VIII pages
iu-8* sur papier fort et de deux plauches représentant Tune: la galerie
occideniale et le préau do cioftre d'Unterlinden avec groupes de
Dones se promenant sous les tilleuls; l'autre : le médaillon de Philippe
comte palatin du Rhin en 4522, le sceau du couvent d'Unterlinden
en 4269, celui de Jean Manesse chanoine de la prévôté de Zurich,
celui de la ville de Colmar en 4214. découvert aux archives du Haut-
Rhin par M. J. J. Dietrich , et en6n celui du chapitre de Murbach en
i486.
Frappé de Ténorme quantité de livres qui traitent de l'histoire de
notre pays, H. Bartholdi regrette que c parmi tant de travaux et d'ou-
vrages» il y en ait si peu qui soient consacrés à la publication des
sources de notre histoire » et c'est pour combler cette lacune que ,
d'accord avec quelques hommes à connaissances spéciales, il a pris la
généreuse détermination de fonder le recueil que nous annonçons et
qui , selon le programme , élégamment défini par le fondateur, est
principalement destiné à l'édition c des documents originaux, chartes,
diplômes , manuscrits, mémoires, chroniques et pièces divei*ses, pré-
cieux à tant de titres , véritables trésors accumulés dans nos dépôts
publics et reposant encore inconnus au fond de leurs cartons pou-
dreux. »
Les documents que renferme cette première livraison sont intéres-
sants et variés. En voici l'indication sommaire. Au lecteur, ou pro-
gramme de la publication par M. Ch. Bartholdi ; La maison d'Autriche
en Alsace , par M. Léon Brièle , archiviste du Haut-Rhin ; La descrip-
tion des funérailles d'un archiduc d'Autriche en 4596 (extrait d'un
registre du fond de la Régence d'Ensisheim). Catalogue de la biblio-
thèque des seigneurs de Ribaupierre au 46* siècle; Les noms des
capitaines alsaciens tués au siège de Rome en 4527; Statuts et privi-
lèges du poêle des seigneurs de Ribauvillé en 4548; Le règlement de
la corporation des tisserands de Colmar en 4392 ; Une lettre de Nico-
las Bollwiller à la régence d'Ensisheim , en 4587 ; Signes merveilleux
et prophétiques aperçus dans le ciel en 4640 ; l'horloge spirituelle ;
pièce po(^iique tirée d'un album illustré de 4645 ; la féie des femmes
dans la vallée de Munster (extrait des annales de Lûck.) Une lettre
inédite de Schœpflin , de 4752 ; Quelques lignes dues à la plume de
M. L. Hugot à propos du livre sur les cours colongères de M. le profes-
seur Burckbardl de Bà\e ; Une bulle du pape Innocent IV , de 4245 ,
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BULLnm BDLIOGlUPmOUE. 287
coDfirmant les droits et privilèges des religieuses de St-Jean de Col-
mar ; Une notice bîsiorique sur le couvent des Unterlînden et enOo ,
avec une pagination séparée, le commencement de la liste des admis-
sions à la bourgeoisie de Colmar depuis le SO décembre 1561 jusqu'en
4789.
Dans un ordre d'idées différent nous devons signaler la publication
de deux autres feuilles périodiques, particulières à l'Alsace. Ce sont la
Petite Gazette des tribunaux d'Alsace , journal historique et judiciaire
publié par H. Ernest de Neyremand , avocat à Colmar^ et le BuUetin
agricole de la société d'agriculture et des quatre comices du Bas-Rhin.
Ces deux journaux paraissent mensuellement. On s'abonne au 1*'
moyennant 5 francs par an pour l'Alsace et 6 fr. hors de la province ;
au second • moyennant 4 fr. pour les deux départements du Rbin et
5 fr. pour le reste de la France.
La Petite Gazette en est à sa troisième année. Fondée sous le titre de
Petite Gazette des tribunaux d* Alsace , on a modifié ce titre au com-
mencement de l'année courante et , limitant ses comptes-rendus aux
causes principales dont nos tribunaux sont saisis, son rédacteur tire des
archives judiciaires des matières intéressantes au point de vue histo-
rique. La Petite Gazette est du formai in-4« et chaque n<» contient 46
pages, rédigées avec esprit et imprimées avec soin.
Le Bulletin agricole vit le jour en 1889. c Par suite d'une série de
circonstances indépendantes de la volonté des éditeurs. > sa publica-
tion dût être interrompue au 4«' janvier 4860. Reprise le 4«' janvier
de l'année courante, ses rédacteurs font de louables efforts pour don-
ner au journal le caractère d'utilité qui doit assurer son existence. Les
articles qu'il contient sont publiés dans les deux langues et dans le
format in-S^* ; chaque numéro se compose de i8 pages compactes.
La Société départementale d'agriculture du Haut-Rhiu publie , elle
adssi, un bulletin qui jusqu'au commencement de l'année 4864 n'avait
pas de périodicité fixe. A partir de cette époque , elle a modifié ce
mode de publication et chaque mois un cahier, composé de trois ou
quatre feuilles in-8°, signale l'existence de cette société dans le dépar-
tement.
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288 fosnm d'al8âge.
La Société industrielle de Mulhouse a Clément apporté des modi-
fications dans la périodicité de son bulletin. Depuis sa fondation jus-
qu'au commencement de l'année i860 , ce bulletin n'avait non plus
de périodicité régulière ; il paraissait à des époques indéterminées »
en cahiers plus ou moins volumineux. A partir de l'époque que nous
indiquons, le bulletin a été soumis à la périodicité mensuelle. Chaque
numéro se compose de 3 a 4 feuilles de texte et de planches d'une
exécution parfaite. Le prix du numéro qui était de 3 francs avant la
réforme « a été abaissé à i» 50 , soit i8 francs pour l'abonnment de
l'année.
Nous mentionnerons encore , pour mémoire , une tentative bizarre
faite sur l'Alsace par un jeune homme adonné autrefois au commerce des
denrées coloniales. Cette tentative s'est manifestée sous la rubrique
suivante : La Germaine et l'AUace, journal littéraire et historique sous
la direction de H. le comte d'Agneaui -- Paris 1860.
Pour justifier ce titre pompeux M. le comte d'Agneau et son collabo-
rateur n'ont trouvé rien de mieux à faire que de nous gratifier d'un
récit fantasque de la révolte des Calabres au xvi* siècle, de la traduc-
tion d'une pièce de poésie de PfefiTel, d'un chant dit rustique, et d'un
conte norvégien. Nous ignorons si celte entreprise a eu plus de succès
ailleurs qu'en Alsace.
LÉOPOLD Fbrtig.
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L'ANCIENNE ALSACE
A TABLE.
HUITIËIE PARTIE. 0)
Lis tcegers de l'Alsace. — Fruits indigènes: groupe celtique. — Fruits
ACCLOUTÉS : GROUPE ÉTRANGER. — VeRGERS CARLOYINGIENS. — LES ARERE8 A
FRUITS AU MOTEN-AGE. — INTRODUCTION DE L'ORANGER. — JARDINS CÉLÈRRES.
-— PÉPINIÈRES ROYALES. — La PÉPINIÈRE DE BOLLWILLER. — OrERLIN , INTRO-
DUCTEUR DBS FRUITS AU BaN-DE-LA-ROGH£. —LES NOYERS DE M. DELUCÉ. — IDÉES
DU PRÉFET DBSPORTES. — LES PETITS MARCHANDS DE FRAISES. — LE TABLEAU
DE Sainte âurélie. — Le dessert en Alsace. — Singularités. — Les apéri-
tifs. — Découvertes indiscrètes. — Importance des épices. — Les épiciers.
•— Les glacières. — Philosophie de la table. — Souvenirs. — Théorie
empruntée a l'Ecriture-Sainte. — Fortune poutique des cuisiniers. —
L'essor des Rohan menacé par une généalogie suspecte. — Le cuisinier de
Maximilibn I** — Deux cuisines frontières. — Superstitions de la table. —
Les animaux. -^ Les végétaux. — Préjugés divers. — Les nains familiers
INVITÉS. — Offrandes gastronomiques aux saints. — Régime alimentaire des
sorcières.
Nous connaissons par l'histoire » telle que les chroniques et les
mémoires Font faite , une foule d'événements sans importance et sans
intérêt • tandis qu'une obscurité presque complète couvre des faces
entières de l'histoire du développement de la vie civilisée. L'on sait
très-exactement que tel jour un baron a pillé un monastère qu'il avait
promis de protéger, qu'un comte a incendié une ville révoltée contre
(*) Voir les Uvrsdsons de Juin et juillet 18S3, page 241 , de février et septembre
i8S9, pages 49 et 385, de janvier, mars et novembre 1860, pages 5, 107 et 481,
et de janvier 1861 , page 5.
S*Séri* 2* Année. i9
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290 REVUE D*ALa^CK.
sa tyrannie, qae le roi a fait pendre une demi doazaine de bourgeois
trop pressés de liberté. Ces événements ne sont ni rares ni curieux.
Ils étaient le produit logique et accoutumé de l'âge ancien. Pourquoi
les chroniqueurs sont-ils si prompts pour ces récits de la douleur et
de la violence , et restent-ils muets au spectacle des conquêtes paci-
fiques que rhomme fait sur la nature ? C'est que l'histoire fut long-
temps une science plus féodale que civile » et que , de tout temps ,
i'bomme accorda plus d'attention, au tumulte, à la guerre et au sang
qu'aux efforts du travail, à la persévérance des arts et aux pi-ogrèsde
la culture sociale.
Je voudrais faire connaître l'état ancien des ressources alimentaires
qu'offraient les vergers alsaciens , et surtout marquer avec précision
ce que le temps , les découvertes des voyageurs , le développement
des rapports commerciaux, le perfectionnement des méthodes de cul-
ture y ont successivement sgoulé. Cette histoire des arbres fruitiers de
notre pays , qui charment notre vue avec leur feuillage diversifié ,
décorent nos campagnes , ombragent nos jardins et réjouissent noire
goût par les saveurs variées de leurs fruits dorés ou vermeils, cette his-
toire, à mon sens, aurait plus d'attrait et de véritable utilité
que l'analyse des dévasutions commises par les Armagnacs ou la
patiente étude des calamités de la guerre de trente ans. Mais comment
la faire ? Les anciens annalistes n'ont presque rien vu des faits qui la
constituent , et , dans tous les cas , n'en ont guère parlé. Elle ne
pourra donc être que bornée , incomplète , et en bien des poims ,
conjecturale.
Nos vergers et nos jardins sont constitués actuellement au moyen
de deux groupes généraux d'arbres fruitiers. L'un, que j'appellerai le
groupe celtique , comprend les arbres à fruits indigènes k notre cli-
mat ; l'autre, que J'appellerai le groupe étranger, renferme ceux que
l'art a acclimatés sous notre ciel.
Le groupe celtique est pauvre, il compte le poirier, le pommier, le
prunier, le châtaignier, le merisier, le noisetier, le néflier, le figuier,
le cognassier, le framboisier, le grosseiller, le cormier, le cornouillier,
l'arbousier, l'alizier, le prunellier. Le groupe étranger est riche de
belles espèces variées et délectables ; il renferme le noyer, que les
Grecs ont emprunté aux bords de la mer Caspienne au v« siècle avant
notre ère et qu'ils ont répandu dans toute l'Europe ; le cerisier, rap-
porté par Lucullus de Cérasonte dans le royaume de Pont ; Tabrico-
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L'ANCRNHB ALSACE A TABLE. S91
lier, originaire d'Arménie ; le pécher, importé de la Perse depuis dix-
neuf siècles el qui a acquis la succulence qui le distingue, sous le climat
de la Gaule ; l'amandier, venu des pays méridionaux de l'Europe ;
Tamandier-pécher, hybride du pécher et de l'amandier, que nous
defotts aux régions persiques ; le mûrier, originaire de la Grèce ; le
pistachier qui provient des environs de Psittaque , en Syrie ; le gre-
nadier, indigène sur les bords de la Méditerrannée ; le citronnier, né
en Asie , cultivé de temps immémorial sur le littoral de la Méditer-
rannée, acclimaté par les Phocéens dans la Provence, oublié et perdu
pendant les siècles de barbarie, et ne réapparaissant en France qu'au
XIV* siècle; l'oranger, venu de l'Asie méridionale et répandu en
Europe seulement deiJuis les voyages du portugais Juan de Castro
aux Indes (1520); la vigne , originaire d'Asie , transportée en Grèce
et en Italie , et de là dans les Gaules et jusque sur les rives du Rhin
par Probus ; l'ananas » apporté du Brésil , en 1555 , par un Bourgui-
gnon, Jean de Livy, mais abandonné et réintroduit en Europe par les
HoHandais en 1690 ; les deux premiers mûrirent en France , en 4754,
et furent savourés par Louis XV ; un vieux jardinier de l'ancienne
monarchie , Edi » en rétablit l'a culture à Versailles , pendant que
Louis xviii • son maître, s'occupait de l'acclimatation du régime con-
stitutionnel; il ne faut pas être trop exigeant ; l'une de ces deux choses
a réussi ; c'est l'ananas.
Du temps de Gharlemagne , les fermes impériales ( ViUœ) avaient
d^à conquis cinq genres du groupe étranger. Le § 70 du capitulaire
de FtUtf prescrit de cultiver et d'entretenir , dans les vergers des
domaines de ce prince , des pommiers , des pruniers , des sorbiers ,
des néffiers , des poiriers , des châtaigniers , des pêchers , des noise-
tiers, des cognassiers, des amandiers, des mûriers, des figuiers,
de» noyers , des cerisiers. Quelques uns de ces genres , les
pommiers , les pruniers , les poiriers . les pêchers , les cerisiers com-
prenaient déjà plusieurs espèces , car l'empereur dit expressément
que Ton enti'etiendra les diverses variétés de ces arbres fruitiers. Le
capitulaire ne nous a laissé qu'un essai de nomenclature des espèces
de pommes alors régnantes ; il nous fait connaître les Gormaringa, les
Geroldinga, les Crevedelia, les Spirauca, les Dulcia. Vnetcœtera
malencontreux nous dérobe le reste (<).
(*) Corp. jur. gsrman, , édil^»" Heineccius , page dSO.
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S92 RBVCB D'ALSACB.
Les annales des dominicains de Colmar noua font connaître au xm»
siècle trois espèces de poires : les royales, les RegeUlnren et les GigUs-
biren ; ces deux dernières espèces furent tellement abondantes en
1278 que l'on en donnait 40 et 50 pour un denier (i). Le même docu-
ment nous apprend que le bîttig de pommes dites Grunacher se vendît
la même année 5 deniers , et , qu'à celte époque, les pêchers étaient
déjà communs dans nos campagnes (% Geiler parle iesScfûlibiren. Un
passage de Ciosener fait voir qu'au xiv* siècle la culture des figuiers
était très-répandue dans la région du vignoble. En 1362, un bourgeois
de Strasbourg , qui exploitait des propriétés à Heiligenstein , donnait
une livre de figues de sa récolle pour une livre de pois. (3)
Au xvi« siècle • nous trouvons l'amandier installé dans nos jar-
dins (^) ; Bock comptait dans notre pays ^ize espèces de pommes :
Johanntsœpfel y Augsuepfel^ Sûtsœpfel, Schragen ou Herrgottsœpfel ,
Stromelting f Gemœpfel^ Paradysœpfel^ Kolcepfel^ We'mœpfel , Strem^
ling, Speyerling, Frauenœpfel , Heimelting, Wûrtzœpfel et Hermel-
ting ; ces trois dernières étaient les meilleures. On connaissait aussi
alors vingt variétés de poires: Mecherling , Alandsbiren^ Kochbiren,
SchmaUbiren, Fleischbiren , Bocktbïren, Sommerbiren, Pfaffenbiren,
Reyehbiren^ Rundebùren, Kirchbiren, Winterbiren^ Ixnhartibiren ,
Schiffersbiren ^ Wallenbiren, MuUingsbiren , Lamloien, Neustatter^
biren , Holxbiren et Geisbonen,
Dès cette époque , l'oranger fut accueilli avec passion. L'électeur
palatin créa , dans ses jardins de Heidelberg , la première orangerie
qu'on ait vue en Allemagne ; ses belles serres devinrent célèbres. Tous
les princes et les grands seigneurs de ce pays imitèrent le luxe de
l'électeur, et Olivier de Serres dit que l'on voyait %rottre et mûrir les
oranges dans leurs châteaux (')• Les bourgeois riches de Metz et de
Strasbourg cultivaient l'oranger comme un arbre d'agrément (^) ;
Félix Plater le cultiva à Bâie pour en livrer les produits à la pharma-
cie ; d'après son livre de ménage, cette exploitation lui rapporta 1300
{*} Annales des Dominicains de Colmar , éàïi^^ de 1854 . pag 75.
(•) Idem, pag. 201.
(') Glosener , Chronick , p. 112.
{*) RÔ8SLIN , Wasgauische Gebirg ; p. 22.
(") Olivier de Serres , Théâtre d'agricuUure , ii , p. 403.
(*) J. Bock , Kreuterbuch , p. 341 •
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 393
livres bâioises. (^ Les comtes de Hanau » à Bouxwiller, et les comtes
de Birkenfeld , à RibeauTîllé , se créèrent aussi des orangeries. La
première est devenue la propriété de la ville de Strasbourg ; la
seconde a passé aux mains de la ville d« Colmar» après la révolution.
Les plus beaux jardins » les vergers les plus renommés appartenaient
à fa noblesse et an clergé , comme de raison. On ciuit surtout ceux
des princes de Roban dans leur résidence épiscopale de Saverne ; ils
éuîent immenses et rappelaient la magnîâcence de Versailles par
leurs plantations savantes, leurs terrasses fleuries, leurs grottes, leurs
cabinets de verdure , leurs pièces d'eau , leurs Iles artificielles , leurs
kiosques galants» leurs serres opulentes» leurs allées consacrées
aux plus grands noms de la France , Coudé » d'Estrées , Montmo-
rency etc» C) ; ceux de la maison de Ribeaupierre» ceux de la famille de
Rosen à Bollwiller » ceux des Kiinglin à Zillisheim ; les Lustgarten
des conseillers de la régence autrichienne à Ensisheim. qui leur furent
concédés par un décret de l'archiduc^ de 1576 ; (S) ceux des Scbv^endi»
à Kientzheim, espèce de petite Provence alsacienne ; ceux de l'abbaye
d'AndIau, ceux du château d'illkirch , etc. Le jardin des Chartreux de
Molsheim avait un renom spécial pour la beauté et la suavité de ses
fruits , (^) privilège que les fils de S. Bruno avaient aussi à Paris. Un
simple chanoine de St-Dié possédait un jardin fameux. Quand Louis xiv
y passa » en 1675 » la cour le visita et le c trouva le plus joli du
monde (^). »
C'est un fait certain dans notre histoire que la culture allemande ne
produisait que des fruits d'une qualité assez médiocre et était resser-
rée dans un cercle très-borné , quant aux espèces et aux variétés-
Sébastien Munstef dit , à la vérité » en parlant de l'Alsace » c que les
c fruits délicieux y croissent abondamment (^) i ; mais cet éloge ne
doit être accepté que comme l'éloge d'un allemand qui raisonnait
avec les idées de son époque et le goût de sa nation. Les bons fruits»
les variétés rares et délicates, les espèces perfectionnées ne parurent»
(*) Plâtir , Zwei Àutobiograph, p. 181.
(*) Klein, Saverne et ses environs ^ p. 13-16.
C) Herxlkn , Histoire d'Ensisheim^ p. 320.
(*) BERifECGiSR , Deseript. particuL territor. Argentin. , ^, p. 46.
(*) PBUSSOif » Lettres , n, p. 2.
n MUNSTBR » Cosmographie » p. 803.
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294 REVITB D'ALSAGB.
dans notre province , qu'après la conquête (hinçaiae. Les intendant»
royaux , frappés de la feniUté du sol et de Tindigence de nos vergers •
établirent plusieurs pépinières qu'ils confièrent à des jardiniers fran-
çais et dont les produits éuient destinés à propager dans le pays de
meilleures races d'arbres fruitiers. Le baron de Montclar, commandani
militaire de l'Alsace , en créa une à Kientzheim » (i) sur la fin du xvn*
siècle, qui eut une grande renommée. Il y en avait une autre dans les
environs de Haguenau , à Hartshausen , je crois , sur un domaine
appartenant au maréchal d'Huxelles. Mais la plus importante parait
avoir été celle de Dachstein» établie près du château, c Elle renfermait
< toutes sortes d'arbres fhiitiers tirés des pays du midi , de la Tou-
€ raine et de la Moselle, objet qui n'était point à cette époque en
< grande culture en Alsace. Pour encourager les propriétaires et les
€ fermiers , on les leur vendait deux tiers au-dessous du prix ordi*
c naire et on leur donnait les instructions nécessaires pour les dire
c réussir. On fit venir aussi des jardiniers français dont plusieurs
c ont depuis établi des pépinières considérables à Strasbounr » à Ha-
€ guenau et ailleurs (^). > C'est de ces pépinières»^ dues à la sollicitude
de l'administration française , que sont sorties ces belles espèces det-
fruits qui sont la richesse de nos vergers actuels. Le peuple le sak
bien quand il fait la judicieuse distinaion entre les fruits indigènes et
vulgaires et ce qu'il appelle franzosich-Obit : (les fruits français).
Cette régénération des arbres fruitiers en Alsace , entreprise et
aidée par l'État , a été définitivement accomplie par une famille de
jardiniers dont les travaux et l'intelligence méritent un souvenir
reconnaissant. Jean Baomann , de Dornach , était en 1750 , ouvrier-
jardinier chez un riche horticulteur de la Hollande. Sur le bruit du
savoir qu'il avait acquis» le maréchal de Rosen l'engagea à son service
et lui confia la direction de ses jardins à Bollwiller. Vers 1740,1e
maréchal loi permit d'établir une petite pépinière d'arbres fruitiers
pour son compte. Son fils François-Joseph lui succéda en 1760; il
agrandit la pépinière* l'enrichit d'espèces nombreuses et nouvelles de
fruits , tirées des meilleurs jardins de la France , et en fit un établis-
sement célèbre dans toute l'Europe. Il était prévôt de Bollwiller en
4788. J'ai devant moi le caulogue des arbres fruitiers qu'il cultivait
(*) BuxniG , B9iehr. des Eltoêm , p. 131.
n Pbvchbt , Ihieripu du Bat-Bhin , p. 13.
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L*ANCIEimE ALSACE A TABLE. 29S
et propageait h celte époque. It est très riche et atteste les efforts que
cet horticulteor renommé a faits pour doter notre province des arbres
à fruits qui faisaient la gloire des jardins français. J'y compte trente-
six variétés de pèches » parmi lesquelles la beUe chevreuse, la made-
htme^ Ia chancelière , la cardinale de Fursienberg^ la belle de VUry, le
tèum de Vénus , le pavie rouge de Pomponne : dix espèces d'abricots :
tAngoununt, de Provence, de HoUande, d* Alger, de Nancy, le plus
recherché de tous ;. vingt neuf variétés de prunes : damas de Tours ,
drap d'or, impériale , royale , dauphme , de monsieur, perdrigon, S^-
Caiherine; douze espèces de cerises : guignes» bigarreaux , griottes ;
le général marquis de Rosen aimait par-dessus toutes le gros bigav
reau noir ou cerise royale ; quatre vingt trois variétés de poires ao
nombre desquelles je remarque la cuisse-madame, la Cassolette , la
poire éPceuf ou CoUnar d'été, le beurré-domain , fromische) beste Bime ,
les Bézy^ les BergamoUes^ la Lanzae, inaugurée par Louis xiv enfant «
Vépine d'été , la favorite de Louis xiv vieilli , le ckaî^brulé , la belle et
bonne, qui n'est pas encore connue , dit le catalogue , le muscai aile-
numé, la Cobnar d'hiver; trente-trois espèces de pommes. (*) Je suis
surpris de ne pas rencontrer dans le catalogue de 1788 une poire fon-
cièrement alsacienne ; c'est la poire de BoUwiller (Pyr. BoUvUlerià)
espèce indigène aux coteaux de» Vosges d'Alsace et qui a été perfec-
tionnée dans la pépinière de BoUwiller, comme l'indique son nom.
En 1804 l'établissement de Bollvriller avait presque doublé le nombre
des espèces de ses arbres à fruits « et son commerce s'étendait jus-
qu'en Russie. (') Ce domaine est aujourd'hui administré par la qua-
trième génération des Baumann , et les produits en sont expédiés
dans toute l'Europe et au-delà des mers.
L'esprit de charité^ fit sur un autre point de la province ce que la
science bounique avait fait à Bollvriller. Quand le vénérable Oberlin
arriva» en 1767» dans la Ban-de-la-Roche, il n'y trouva d'autres fruits
que des pommes sauvages » et la vulgaire espèce de prune connue
sous le nom de quetsche (prunus germanica). Il choisit les deux meil*
leurs champs de son pauvre domaine presbytéral et les planta de
pommiers» de poiriers» de cerisiers, de pruniers et de noyers. Quand
(<) F. J. Baumann » Catalogue dès arbres fhntiers qtd peuvent $e eulHveT dans
notre eUmat, Golmar 1788 . 8« de nr-lSÎ psges.
[*) Annuaire du Haut-Rkîn pour Van Xltt^ p. 206.
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S96 REVUE D'ALSACE.
cette petite pépinière fat en état de donner des fruits» il les distribua
à ses paroissiens. Le goût s'en répandit promptement parmi eox , et
il leur enseigna Fart de greffer (i). Le Ban-de-la-Roche a aojoord'hu
des fruits eicellents et en grande quantité.
L'Alsace .doit à l'intendant de Lucé les belles et riches allées de
noyers qui décorent une partie de ses routes » notamment dans la
basse province. Une ordonnance de cet administrateur avait prescrit
l'emploi du noyer pour la plantation des cbemiqs publics. 0 II me
semble que cette mesure était plus sage que celle adoptée par notre
école polytechnique qui pendant longtemps ne plantait rien , et qui ,
maintenant , ne plante que des arbres improductifs. Un ancien préfet
du Haut-Rhin. Félix Desportes , avait marché dans la voie ouverte
par H. de Lucé ; en trois années , (an xi , xii et xiii) il fit planter, le
long de nos chemins , près d'un million d'arbres , parmi lesquels on
comptait 415,000 arbres fruitiers. (') Si ce mouvement avait été conti-
nué y nous jouirions aujourd'hui du bienfait et du spectacle que M.
Desportes avait entrevus. > Bientôt, disait-il» le Haut-Rhin offrira
c l'image d'un riche verger ; les prairies et les champs garderont ,
c sous un feuillage protecteur» leur verdure et leur richesse. Le pro-
c duit de ces arbres rendra au Haut-Rhin le commerce des fruits secs
c qu'il faisait autrefois avec le Nord. •
Qui s'en douterait ? Les pauvres enfants qui» pendant l'été, viennent,
pieds-nus » les cheveux au vent » de nos hautes montagnes » vendre
dans les villes les fraises au parfum pénétrant et les framboises
nées sur la ronce des bois» ces enfonts» le xiip siècle les voyait
déjà offrir leur récolte pourprée à la porte des maisons de nos vieilles
cités, c A la Sainte Petronille (5i mai) de l'année i28i» on vit paraître
< les fraises dans les montagnes d'Alsace; les pauvres les ven-
c daient. > (^) Tel est le témoignage d'un document contempo-
rain. Depuis plus de six siècles» les enfants et les femmes de Was-
serbourg» de Hûsseren et du Val de Munster apportent à Colmar leurs
petits paniers de fraises » comme les pauvres de Grendelbruch , de
Laubenheim et de Holikirch les portent à Strasbourg.
C) p. Obbrlin , Lb Ban-de-lc^Roehe, p. 67.
(*) Friese , Oekonom, Ifaturgeteh. d$s Bl$a$$e8 , p. iO.
C) Annuaire du Haut-Rhin pour Van Xlil, p. 265.
{*) AnnaUi des Dominieaini d$ Colmar » édit^» 1654 , p. 99.
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L'ANCnENNE ALSACE A TABLE. 397
Les frnits cultivés en Alsace au xvi« siècle ont inspiré à an peintre
demeuré inconnu une bizarre fantaisie artistique. Il a représenté les
quatre saisons dans quatre figures humaines exclusivement formées
de fruits et de légumes en usage dans notre pays. L'bîver emprunte
ses joues pâles à deux navets« son front ridé à deux pommes reinettes ;
une poire longue fait Tofflce du nez » deux carottes à la pointe eflfllée
figurent les moustaches menaçantes et un radis noir forme la barbe ;
cette tête est coiffée d'une feuille de choux blanc qui a très-exacte-
ment pris la forme du chef. Les autres figures sont exécutées dans le
même goât et avec les éléments végétaux fournis par chaque saison.
Ces quatre tableaux qui avaient été peints pour la salle d'assemblée de
la tribu des jardiniers des Strasbourg, se trouvent aujourd'hui dans la
salle capitulaire de l'église de Sainte-Aurélie (').
Les vieux livres nous apprennent que l'on n'a pas toujours mangé »
comme nous le faisons actuellement, les fruits au dessert. En France,
au XVI* siècle encore • on les mangeait au commencement du repas ;
puis venaient seulement les mets chauds, les viandes. Après celles* ci,
on servait , pour faciliter la digestion , les épices , qui constituaient à
proprement parler le dessert. C'étaient des sucreries , des aromates
confits , des électuaires. Je n'ai point vu que l'Alsace ait suivi , en
cette matière , la même mode que la France , et il me semble bien
certain que de tout temps le fruit y a été présenté à la fin du repas.
Mais pour ce qui concerne l'usage des aromates confits » elle s'était
conformée au goât universel. Nos ancêtres mangeaient , sur la fin du
repas , de l'anis , du fenouil et de la coriandre confits au sucre. Les
roses jouaient un rôle considérable dans le service de leur dessert ;
ils en tiraient des sirops • du miel , un sucre célèbre , et les conver-
tissaient en compote. (^) Le sucre de fleur de pêcher était une délica-
tesse hors ligne , ainsi que le sirop de violettes noires de mars. Ils
aimaient surtout le confortatif de cerises. Un vieux docteur dit qu'il
est bon à employer toute l'année. En voici la recette. L'on faisait ma-
cérer pendant quinze jours des cerises acides dans une dissolution de
sucre et de miel. Ainsi préparées, on plaçait les cerises dans un bocal
et on les couvrait d'un bain où entraient l'hysope , la réglisse , l'eau
(*) Piton , Strasb, illust, Faubourg$ , p. Ii4. M. Piton en a donné une excel-
lente représentation par le procédé du laTis-aqoarelle intenté par M. Simon,
(*} Bock , Kreuterbuch , déjà cité , Y» Roun,
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t98 MBVOE d'alsacb.
de rose et Tesseoce de violette ; l'on y ^outak canelle , girofle et
fleure de miucade ; après quiose jours d'imprégnation on les immer-
geait dans du vîn vieux» le meilleur possible. 0) Ce confortatif passait
pour un tonique de première classe. Que Ton était loin déjà de la rude
simplicité des Romains qui confisaient leurs fruits dans le vinaigre et
le sel , et qui réservaient pour, les malades les pommes confites au
miel !
Les modernes s'imaginent volontiere que les gens du temps passé
jouissaient d'un appétit naturel infatigable et qu'ils ne connaissaient
point les allangnissements et les inerties qui affligent de nos jours
tant d'estomacs riches ou blasés. C'est une erreur. De tout temps , il
y a eu des hommes qui par l'abus des jouissances et les excès ont
énervé leure organes et surtout leur estomac et auxquels il a fallu
oflKr le secoure d'un appétit factice ou d'emprunt ou tout au moins
des moyens capables de réveiller leur appétence engourdie ou émous-
sée. L'Alsace , comme les autres pays , a connu ces invalides de là
gastronomie» et leur est venue en aide avec les inventions de ses méde-
cins et les imaginations de ses gourmets-vétérans. L'on recommandait
chez nous aux estomacs paresseux » rebelles ou usés , comme parti-
culièrement douées d'une puissance appétitive y les substances ou
compositions suivantes : le raisinet ; (^) le thym en poudre mêlé de
sel; (*) la cicutaire, (WUdenkorbelJ préparée d'une façon spéciale ; {*)
la feuille d'angélique cuite dans l'eau ou do vin ; bringt begir und but
xu der Speii , dit un ancien médecin ; (') un verre de malvoisie ou de
Rheinfell avec une bouchée de pain ; cet appétitif avait , en outre , le
privilège de chasser le mauvais air ; (') des grains d'anis ; C) l'abbé
Buchinger recommandait le vin d'aulnie fAlani'Wein) ; c'était du vin
cuit t préparé avec du moût » et dans lequel plongeait un sachet qui
renfermait onze espèces d'aromates : racine d'aulnée , canelle ,
girofles , zestes de citron, muscade, sauge, hysope» centaurée, fleure
(*) Bock , loe. eit, , p. 382.
(•) Idem » p. 207.
(*) FocHS , Neu Kreutirbueh , ch. 321.
n Idem , ch. m.
(*)Idem, ch. 43.
(*) M06CHIR0SCH, Àdêl, Ubm , p. 36.
f)FDCiis, loe. eit, y cb. 19.
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L*ANaENNB ALSACE A TABLE. 299
de boarrache, llearsdebéloiDe et cardon-bénit ; (^ il préconisait ainsi
le Un de Vermouth ( Wermouth^ Wrin) dans lequel il oe veut pas faire
Infuser moins de vingt espèces de plantes aromatiques ; (') le bouniste
Fncbs en faisait aussi grand cas; il lui reconnaissait entr'autres
mérites celui de fortifler les facultés digestives de resComac, d'exciter
l'appétit» et d'écarter» quand il était prisa jeun, tout danger d'ivresse
pour le restant du jour ; mêlé à de Thnile de roses il formait un sto-
macbique excellent ('). Ce genre de sensualisme avait pénétré jusque
dans le sauvage Ban-de-la-Rocbe ; dans celte contrée • l'on relirait
l'huile essentielle de la semence de séséli carvi, au moyen de la distil-
lation » et l'on en mettait quelques gouttes dans la soupe » i titre
de stomachique et d'apéritif (^). Les digestifs capitaux des paysans de
notre pays étaient l'ail et la moutarde ; Tail que les vieux docteurs
appellent la thériaque rustique et qui est en possession de chasser le
mauvais air ; la moutarde» aimée du sage Pythagore» et dont JérAme
Bock explique le crédit sur le goût des paysans par la double raison
qu'ils espèrent gagner» dans son usage » une plus grande subtilité
d'esprit» et que d'un autre côté» cette composition éclaircit le cerveau»
ranime la vitalité de l'estomac» aide la digestion et favorise les entre-
prises galantes (^). Moscberosch a placé dans le premier dialogue de
son Adeliehes Leben un Interlocuteur qui semble n'avoir pas eu besoin
de beaucoup d'artifices pour disposer son estomac à faire son devoir.
Voici comment il s'exprime dans un français que peu de personnes
s'attendront » sans doute » i trouver dans un livre imprimé à Stras-
bourg» chez Jean Philippe Mùlben, en 1643 : c J'ay l'appétit tousiours
c ouuert comme la gibbecière d'un avocat; il me faut premièrement
c antidoter mon estomac de codignat de four » et d'eau béniste de
I cave » et de quelque chapon froid nageant sur Thypocras » a&n que
c si quelque malheur me venoit prendre » il ne me trouvast i boyaux
c vuides (^). • Voilà certainement un homme de sage précaution; mais
que devenait ce génie prévoyant» logé en un corps dont l'estomac eût
été obligé de recourir aux appétitIfSi ?
(*) BuCHiiiGER 9 Mœhbueh , form. dSS9.
nidem»fonn. 960.
(*) Fdcbs » loe. cit. , cb. 1.
{*) Obbblin, Propoê. géohg, iur U Ban-de-la-Moeho , p. 176.
(*) JÉa. BOGi ,loe.cU., p. 57 et 380.
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SOO RETinS D'ALSAGB.
Quand on jage combien notre monde est déjà vieux el combien sont
enclins à la curiosité les êtres qui décorent cette planète , l'on ne
peut pas raisonnablement s'étonner que les hommes aient fait quel-
ques découvertes assez indiscrètes et surpris quelques secrets plus ou
moins singuliers. C'est ainsi que nos pères s'étaient cru fondés à
attribuer à certaines substances une influence exhilarante » à penser
que le safran mêlé an moût détruisait l'ébriété » que l'améthyste en
préservait totalement celui qui portait cette pierre précieuse. Ils
croyaient aussi que la chair du lièvre disposait i la tristesse et engen-
drait la mélancolie, opinion bien éloignée du sentiment qui portait le
poète Martial à dire du lièvre :
Inier qtêodrupedeê ghria prima ic^mt ,
éloge qu'un hyperboliste français a traduit par ces mots : i C'est le
civet qui mérite la couronne civique, t !
Une fois engagée à la poursuite des influences mystérieuses qui
résidaient dans certaines substances» l'imagination humaine s'est
laissé persuader qu'il existait des mets et même de simples plantes
condimentaires qui avaient la vertu de rendre les femmes plus tendres
et les hommes plus aimables qu'à leur ordinaire. Cette opinion est-
elle fondée, et la science l'a-t-elle consacrée ? C'est aux physiologistes
à nous fixer sur ce point. Les plus célèbres paraissent d'accord pour
reconnaître cette prérogative éminente à la truflb , et on les voit
pareillement d'accord pour en user. La trufi<e ne jouissait pas de cette
gloire chez nos ayeux. Leur expérience s'exerçant dans un cercle
plus modeste avait seulement remarqué les vertus notables que pos-
sédaient les asperges , les navets , le cresson • le safran , les cibou-
lettes, les panais» Torchis (Knabenkraut)^ le muguet jaune ( Waldstroh)^
la sariète , la moutarde , la serpentaire infusée dans le vin ; (*) l'anis
avait la réputation d'exercer les plus douces influences sur le cœur
du sexe faible « et Ton ne doutait point que les feuilles d'abrotomme
{Stauhwuriz) placées sous le chevet du lit nuptial ne concourussent «
par la magie de leurs mystérieux effets, à l'accroissement des familles.
Si tous ces végétaux étaient considérés comme honorables et nobles
au premier chef» il en était d'autres qui » par contre, étaient voués
au mépris le plus absolu . les feuilles et les fleurs de saule » par
exemple , les froids concombres , les apathiques lentilles , la laitue
{*) PuGHS, Neu Krwierbwh, édit<»<» de Bftle 1515 passim, et tous les vieux
botanistes.
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L'ANGIEMIIB AL8ACK k TABLE. SOi
que Ton accusail de produire des sommeils invincibles et profonds, la
rœ commune à l'odeur nauséabonde , et au dernier rang , le frigide
nénuphar qui a si longtemps yécu sur la fausse gloire d'avoir détourné
de l'esprit des solitaires chrétiens les tentations de la volupté ; cette
plante jouait» au moyen-âge, un rdle important dans la discipline des
couvents ; mais le botaniste Bock remarque avec malice que si elle
est seoourable aux moines , comme on le croyait alors , les moines
montraient peu de penchant à en user.
En général , l'histoire des épices et celle des substances à qui les
préju^s populaires ou savants reconnaissaient certains privilèges ,
mériteraient d'être approfondies. Elles fourniraient de curieuses révé-
lations. Nous nous ferions peut-être une juste idée de la rareté et du
prix des épices , au vir siècle , en apprenant que Bède-le-Vénérable
distribua, avant de mourir, aux prêtres de son monastère de Jarrow,
les. épices qu'il possédait dans sa cassette (*) ; nous nous rendrions
compte de l'abus que l'on en faisait encore au xvii« en voyant la reine
de Pologne , Louise de Gonzague , diminuer sur le budget de sa mai-
son une dépense de 7000 écus dans le chapitre affecté à l'achat du
poivre 0 ; nous demanderions pourquoi le seigneur de Falkenstein
achetait, en 4374, huit quintaux de safran à une société de marchands
btlois (^ et ce qu'il comptait en faire ; chemin faisant , nos appren-
drions que , jusqu'au xvi« siècle , les pharmacies suisses et alsaciennes
étaient en possession de fournir à la table et à la cuisine de nos
pères les conûtures, les électualres, les liqueurs, le sucre, les vinaigres
précieux et délicats , les huiles fines , les vins factices {KûmUiche
fVeine), les aromates et les épices exotiques ; que la ville de Bâie
s'est enrichie , en cherchant ces denrées à Lyon , et en les revendant
à TAIIemagne, concurremment avec Nuremberg et Augsbourg ; qu'au
XVII* siècle , les habitants de Mulhouse faisaient venir toutes leurs
épices de Bile ; que plus tard , les épiciers de Rouffach , d'Ensisheim
et de Thann appovisionnaient Mulhouse en se rendant régulièrement
sur ses marchés; qu'enfm cette ville n'eût ses épiciers propres et atti-
trés (^) qu'en 47M; que c'est de la même époque que date, dans
(*) OzANAM , Oeuwes eompl. , iv , p. 392.
(') Tallemant des Réaux , HiitorieUei , iv , p. 185.
('] Batel im XIV. Jahrhund, , p. 88.
{,*) MiiG , Gêêch, Mulhauêen , i , p. 303.
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502 RBTUE H'ALaUX*
toute ootre Atoace, la consiitutioD régulière de ce commeroe Impor-
taot qui fut , dan» l'origine , exploité par des pîéaiODiais , des mila-
nais et des tessioois , déucinroés sous le titre géuérique d'italiens, et
qui oni laissé à leurs boutiques la qualification encore en usage dans
le peuple d'ItaUaner Laden. Aujourd'hui , grAce à l'action du temps,
l'épicerie n'est plus une science secrète , et les enfants de l'Alsace eu
ont pénétré les lucratifs mystères à l'égal des plus fins compatriotes
deHazarin.
Je ne crois pas que nous soyions redevables aux épiciers des gla-
cières qui nous procurent, dans les journées torrides de Pété, la
délectation de boire à une température sibérienne ou de manger ces
délicieuses plombières , ces fromages frappés , que les révolutions
de la science gastronomique ont définitiveoMut classés en tête des
digestifs les plus sûrs et les plus puissants. Hais il me parait certain
que l'établissement et l'usage des glacières en Alsace sont contempo-
rains de l'arrivée chez nous d'une autre colonie industrielle , ita-
lienne aussi , ou à peu près , celle des limonadiers. Le premier café
fut ouvert à Strasbourg, en 1695. Ces institutions se répandirent
promptement dans toutes les villes qui avaient des garnisons. Les
glacières étaient leur complément nécessaire et naturel. A Strasbourg,
elles avaient été établies dans cette partie des remparts comprise
entre la rue Sainte-Elisabeth et les Ponts-couverts (*). l'ignore où
étaient situées celles de Colmar ; cependant la ville avait eu la cour-
toisie d'en créer, à ses frais , pour l'agrément du premier président
du Conseil souverain , du commandant militaire , du coromissah*e
des guerres , du major de la place , et du préteur royal. La glacière
était une dépendance, une espèce de fief attaché au titre de ces hauts
fonctionnaires. Mais il fallait être en activité de service pour avoir le
droit de boire frais. On le vit bien quand le premier président de
Klinglin prit sa retraite. Son successeur, M. de Boug , eut du même
coup son fauteuil et sa glacière. M""* la première présidente en fut
indignée. Elle avait raison. On peut se résigner à ne plus juger, mais
non à se priver de glace. Aussi, elle porta ses justes doléances devant
l'Intendant qui, en homme bien appris, entra d'autorité dans la ques-
tion. M. de Blair, le grave intendant , écrivit le 26 octobre 4768 , au
magistrat de Colmar : c que d'après la situation de la Caisse de la
(') Piton , Strasbourg ilhutré. Faubourgs , p. 94.
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l'angirnnb alsacs a table. 805
c ville îl avait vu avec plaisir que sans y occasioDoer de dérangement,
« elle pouvait supporter une dépense qu'il prétumoU devoir Im être
« agréable , et que comme il avait été instruit à son dernier voyage à
« Colmar que le magistrat n'a point de glacière à lui affectée , il se
c portoit volontiers à ce qu'il en fut établi une incessamment ; que
c cependant il présamoit que le magistrat ne se refuseroit pas à en
c abandonner la jouissance & M. et à M""* de KUnglin pendant la vie
c de l'un et de l'autre , après quoi il la fera servir à son véritable
< usage.» {*) Ce véritable usage, on le devine , était de mettre la gla-
cière à la disposition des bouchers pour la conservation de la viande.
Quand le magistrat de Colmar fut publiquement accusé, en 4789,
d'avoir bu à la glace , aui dépens de la bourgeoisie , il s'en défendit
en soutenant que la glacière de M. de Klinglin et celle du commandant
M. de Maoconseil, mort en 1782, avaient été louées aux bouchers. La
sensualité tenace de M""* de Klinglin a donc contribué à doter Colmar
d'un établissement d'intérêt public. Voilà comme tout s'encbaine phi-
losophiquement dans le monde !
Ce n'est pas une témérité que d'allier la philosophie et la cuisine.
Les théories de celles-ci ont certainement plus influé sur le sort des
.empires que les rêveries de celle-là. Tous les bons espriu ,
dans tous les temps > ont remarqué l'importance du r6le que
la table a joué dans les affaires publiques et le génie que les
cuisiniers ont dépensé pour illustrer leur art et immortaliser leurs
personnes. Paul-Emile» ce généreux romain, ne faisait point de diffé-
rence entre un grand général et un maltre-queux de premier vol.
c U disoit que d'une même suflBsance d'entendement dependoit le bien
c savoir ordonner une bataille formidable à ses ennemis qu'un festin
c bien agréable à ses amis , car l'un et l'autre dépend d'un bon juge-
c ment de savoir bien ordonner et ranger » (')• Que de docteurs ,
parmi les philosophes anciens t les saints , les pontifes , les prélau »
les rois , les hommes célèbres , je pourrais invoquer pour établir la
solidité de cette vérité ! Je vais droit au maître qui a découvert et
fixé les lois de l'esthétique de ce grand art. c Tous ceiu qui ont sou-
« vent à traiter les plus grands intéréu , dit Brillat*Savarin , ont vu
c que l'homme repu n'était pas le même que l'homme à jeun ; que la
(<) Mémoire pour U Préteur et Magiêtrat de Colmar, Colmar i789 , p. 56.
(*) Plutabqde , Vies dee hommee iUuiirei , p. 161.
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3M RBVDS D'AUàGB.
c table établissait une espèce de lien entre celai qai traite et celai qui
c est traité » qa'elle rendait les convives plas aptes à recevoir cer-
c laines impressions , à se soumettre à de certaines influences ; de là
c est née la gastronomie politique. Les repas sont devenus an tnoyen
c de gouvernement » et le sort des peuples s'est décidé dans un ban-
t quet. Ceci n'est ni un paradoxe, ni même ime nouveauté ; mais une
c simple observation des faits. Qu'on ouvre tous les historiens depuis
c Hérodote jusqu'à nos jours, et on verra que sans même excepter les
.« conspirateurs, il ne s'est jamais passé un grand événement qui n'ait
c été conçu , préparé et ordonné dans les festins (^). t M. Hichelet
aussi a dit très*sérieusement : c une chose grave à observer dans
c l'histoire des révolutions c'est de savoir si les acteurs parlent avant
c ou après les repas (^). • Dans son livre de l' Amour ^ il élève la cui-
sine à la hauteur de la médecine: c cuisine c'est médecine, dit-il,
c c'est la médecine préventive, la meilleure (^). t Perrot d'Ablancourt
ne voyait qu'une chose à reprendre dans le spectacle agréable de la
réfection humaine, et qu'il eut volontiers réformée ; c'est que la Pro-
vidence mettait toujpurs l'appétit d'un c6té et l'argent de l'autre. (^)
L'académicien Bois-Robert avait une si haute opinion de l'art de se
bien traiter qu'il lui donnait la préséance sur tous les autres plaisirs.
Il accordait Indulgemment que les beautés pouvaient être journalières,
mais soutenait inflexiblement que les cuisiniers n'avaient aucua droit
à cette immunité (^). L'histoire nous signale de grands personnages
qui ont mis leur gloire dans la perfection avec laquelle ils apprêtaient
certains mets ; à quoi bon de les citer ? Arrêtons-nous seulement à oe
que nous ne savons que d'hier ; le savant auteur du Voyage d^Ana"
chartii ne trouvait rien de comparable aux œufs brouillés que faisait
avec passion la duchesse de Lauzun {^), Le roi Louis xm , qui eut le
génie de laisser gouverner Richelieu , avait appris la cuisine dans
toutes ses branches ; il excellait particulièrement à manier la lar-
doire. — La lardoire, puisque ce mot se trouve sous ma plume» a elle-
même été une révolution dans l'art culinaire. On a cru longtemps
(*] BfiUXAT-SÂVARiN , Phyiiologie du go^ , p. 72.
(*) MiCflBLBT , RicheUmi it la Fronde , p. 3U.
C) Idem , VÀmour , p. 97.
(*) Tallemant , Hùtoriettes f vi, p. i68
n Idem, id. ui, p. 171.
O Cornsp. de 4f »• du beffant , p. 97.
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L'àNOBRNB AUACE k TABLE.
30B
qo'il fallait allribaer Thonneur de ta découverte au cuisinier de
Léon 1 ; mais on sait aujourd'hui que son inveoiion est plus ancienne
de eent années, et qu'il faut la reporter au temps du concile de Baie;
c'est le cuisinier d'Aroédée de Savoie, (élu pape à Râle en 4440 et qui
prit le nom de Félix V) qui en gratifia rhumaniié. De louie façon. ,
comme on le voit , nous devons ce progrès à la pap.iuié C).
Tout , dans Tart culinaire , a paru tellement important . que les
moines avaient tiré de TEcriture une méthode particulière de dépecer
et de partager la volaille, quand ils en mangeaient dans la compagnie
des laïques. Cette méthode, bien entendu, était tout à leur avantage.
Elle nous est connue par une anecdote rapportée par le franciscain
Jean Paulli de Tbann. c Un gentilhomme avait convié à sa table son
c confesseur qui était un moine; sa femme, ses deux fils, et ses deux
c filles étaient du repas. On servit un chapon pour rôti. Le gentil-
c homme présenta le chapon au moine afin qu'il le dépeçai. Le moine
c s'excusa dévotement sur son ignorance bien naturelle en pareille
c matière; mais le chevalier insista : Puisque vous l'exigez, seigneur,
< répliqua le moine , je dépècerai cette volaille d'après les principes
t de la nible. — Oui , exclama la châtelaine, agissez conformément à
c l'Ecriture-sainte. — Le théologien opéra. Le baron reçut sur son
c assiette la tête du volatile , la baronne le col , les deux damolselles
« chacune un aileron , les deux jeunes gens chacun une paite ; le
c moine mangea tout le corps de place. — Sur quelle init^rprétation,
< fondez-vous ce mode de partage î demanda le geniilhomme au con*
c fesseur. — Sur une interprétation tirée de ma propre pensée , ré-
< pondit le moine ; comme chef de votre maison, la tête vous revenait
« de droit; la baronne étant ce que vous avez de plus proche, elle
i devait recevoir le col qui est la partie la plus voisine de la tête , les
c Jeunes filles doivent reconualire dans les ailerons le symbole de leurs
t pensées mobiles qui flottent d'un désir et d'une espérance à l'autre;
c quant aux jeunes barons , les jambes que je leur ai données leur
c rappelleront que la perpétuité de votre race repose sur eux , et
f qu'ils sont chargés de soutenir votre maison , comme les Jambes
< du chapon soutenaient cet animal lui-même > (').
Ce n'est pas seulement l'art culinaire qui a toujours passé pour une
(*) Là Vallée , Béeiu d*un vieux ehaueur , p. 190.
(*) Paulu, Setnmpfufid Bmsi , édit«« de i8S6, p. i7.
SO
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306 RBVUB D*AL8à<3.
chose considérable, digne de ratleniion et des sympathies de tous
les bons esprits ; mais les cuisiniers , les (lamines de cette science
secrète , ont été souvent des personnages importants. L'on ferait un
chapitre original el instructif, si Ton recherchait combien de favoris,
de princes , de ministres ont dû leur élévation à leurs talents culi-
naires, et pour combien leur opinion a influé sur le cours des affaires
publiques. Je n'en citerai que deui exemples.
Henri iv avait eu à son service un marmiton nommé La Varenne ,
qui , de cet humble office , était monté par degrés au rang de cuisi-
nier, de portemanteau et de directeur des plaisirs du roi. A force
d'esprit , d'adresse et de services rendus, il devint H. de la Varenne,
s'enrichit inGniment, devint un personnage d'un grand poids politique,
contribua plus que personne au rappel des Jésuites en 1604 et se
retira , après la mort du roi, à la Flèche, beau et riche collège que
les Jésuites durent à sa protection , et qu'il partagea avec les bons
pères C). On peut lire sa moil plus que singulière dans Saint-Simon.
Ce La Varenne tient quelque peu à-notre histoire. Il était le bisaïeul de
notre premier cardinal de Rohan , du prince évéque Armand-Gaston
de Soubise ; la grand'mère de la belle madame de Sonbise était la
propre fille de cet heureux cuisinier. Ce La Varenne laillit écarter la
famille des Rohan du siège épiscopal de Strasbourg ; quand en 1700,
l'abbé de Soubise, fut proposé pour chanoine du chapitre et qu'il
fallut prouver seize bons quartiers de pure noblesse , le marmiton du
Béarnais projeta une ombre un peu fâcheuse sur le blason du favori
de Louis xiv. Hais M. de Camilly, fin normand , et grand-vicaire de
l'évéché, aidé de M. de Labatie, lieutenant de roi de Strasbourg, par-
vint à aplanir cet obstacle généalogique et les preuves de M. de Sou«
bise , examinées par les c bons allemands i du chapitre passèrent. (*)
Si les chanoines de Strasbourg eussent été tant soit peu moins com-
plaisants» La Varenne privait l'église d'Alsace du lustre que les Rohan
lui ont , dit-on , donné et faisait presque manquer le dix-huitième
siècle dans notre pays.
L'autre exemple remonte plus haut. L*empereur Haximilien I , si
célèbre dans notre histoire , s'était si follement abîmé dans les rêve-
ries de la science généalogique, qu'il en avait oublié tous les soins et
tous les devoirs du gouvernement. Un cuisinier rendit à l'empire le
(M Saint-Simon , Mémoire» , vi , p. 315..
(') Idem , id. u , p. 78.
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L'ANCniflfB AUACB A TABLB. 307
ftenrice de rappeler ce grand prince à loi-méme. Un joar que Maxi-
milien était absorbé dans ses t^^nébreiises visions , le bon sens de
rhomme de cuisine eut pitié de la torture où se consumait l'esprit
impérial , et il Teihorta à ne pas pousser plus loin celte espèce de
recherches , de crainte » disait-il que sa majesté ne trouvât son sang,
confondu avec celui de son marmiton » s*il continuait à remonter jus-
qu'à Farche de Noé (*). Cette saillie guérit l'empereur qui depuis
régna glorieusement.
Les limites des empires • qui ont tant exercé la pstience des géo-
graphes et la sagacité dfs historiens, auraient pu être quelquefois recon-
nues et déterminées si les savants n'allaient pas tout chercher dans la
poudre des greffes et sous la voûte des archives. Tandis qu'on disser*
tait doctement sur le point probable où unissait l'ancien royaume
de Bourgogne » la borne authentique qui séparait son territoire de
celui de l'Alsace se dressait plaisamment dans la cuisine de l'abbaye
de Lucelle (^). J'avertis les savants à venir que s'ils sont un Jour en
peine de constater la limite entre les départements du Haut- et du
Bas-Rhin dans le Rieth , ils la retrouveront dans la maison Pfadt au
Sponeck.
Si la cuisine a sa philosophie , comme on n'en saurait raisonnable-
ment douter, elle a aussi des superstitions qui lui sont propres.
Aucune branche du savoir humain n'a été exempte des erreurs que
llmagination , la crédulité , Camour du merveilleux se sont plu à ré-
pandre sur les rapports de l'homme avec la nature.
Les animaux domestiques ont été associés aux plaisirs de la table.
J'ai rapporté que le chien n'avait pas été oublié dans certains règle-
ments colongers. Les chevaux des empereurs , des rois , des princes
ne l'étaient point dans les dons de bien-venue à leur arrivée dans les
villes; ils recevaient une copieuse provende d'avoine tirée des maga-
sins municipaux ; les chiens de chasse jouissaient de la curée comme
d'un droit naturel qu'il eût été malséant de leur méconnaître. Dans nos
campagnes de la Basse-Alsace, si l'on veut assurer un développement
prospère au jeune porc que l'on engraisse , on lui donne son
premier repas dans la soupière qui sert à la famille (^); cet acte le
(') ZmCGRlF y TnOteher NaHon WmsfuU , i , p. 02.
(*) Baqool , Dicitofifi. hûL de PAUaeê, SopplS p. 69.
('} A. SiotLKU, Der Kociiersjmg , p. 35.
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308 iiBTins d'alsacb.
ratiacbe plus intimemeui à la maison. Voulez-vous que vos poules
deviennenl d*aciives et précoces pondeuses ? régalez-les du preibîer
beignet doré el brûlant sorti de la poêle , au carnaval. Nos paysans
vosgiens ont un oMyen infaillible pour vaincre la nostalgie du bétail
et l'accoutumer à sa nouvelle demeure ; on lui donne , le matin ,
avant la sortie de Fétable , une tartine de beurre tournée trois fois
autour de la crémaillère; mais elle doit être présentée de la main
droite (*). Si Ton veut fixer des poules étrangères dans une nouvelle
résidence , on les fait tourner trois fois autour d'un des pieds de la
table , et on leur donne du pain mâché dans lequel on mêle des par-
celles de bois coupé aux quatre coins de la table ; on fait aux environs
de Scblestadt la même cérémonie du pied de la table pour attacher
les chats à leurs nouveaux maîtres. Pour écarter des bêtes les sorts
qui les amaigrissent et les tuent • on place, dans une partie du Sund-
gau » des racines d^allium vicionale sous le seuil de la porte des écu- '
ries O; à Ferrette, rien n'est plus puissant pour bannir les méchants
esprits qu'un morceau de plomb Mnit cloué dans l'étable ('); ailleurs
on se borne à placer un balai renversé dans un coin; dans beaucoup
d'endroits » 01^ donne aux bestiaux pour compagnon un bouc noir; en
vrai bouc émissaire» qui connaît son rôle» il assume sur lui toutes les
iniquités et tous les fléaux ; dans la plupart des villages catholiques
c'est l'image et la prière de Ste-Agathe affichée en sauvegarde » qui
éloigne les sorts et préserve des dangers du feu.
Quelquefois les vaches donnent du lait ensorcelé ; on le recon-
naît à sa teinte bleuâtre ou rouge ; on fait cesser ce charme mal-
faisant , en Alsace » en en cuisant une partie entre onze heures et
minuit, toutes portes soigneusement closes ; quand le lait bout, on le
fouette vigoureusement avec une baguette de coudrier, en invoquant
la Trinité ; pendant cette opération on entend des cris suspects ; ce
sont les gémissements de douleur de la sorcière qui a jeté le sort ,
et qui a reçu, pour son châtiment, tous les coups frappés dans le lait
maléûcié (*). Dans nos montagnes lorraines, Ton fait rendre à la crème
une plus grande quantité de beurre, en oignant le fond de la baratte
{*) Richard , Tradit, popul, de la Lorrain» , p. 53.
(*) K. Stceber, BUOêi, Sagêbwh, p. 284.
(»)ldem,p. 6.
O Idem , p. 284.
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L'ANcnatme alsage a table. 300
avee de la graisse de chat (^). Avant que la police correctionnelle eAt
pensé à punir les falsificateurs du lait » la justice populaire les avait
châtiés. D*après la traditon colmarienne , la rue des Augustlns est
hantée par le fantôme d'une laitière qui , de son vivant , fraudait ou-
trageusement sur sa marchandise. En punition de son crime, elle vient
quelquefois encore puiser de l'eau au puits de la maison Altherr. La
Ville de Barr connaît un revenant semblable; c'est l'âme d'un farinier
fripon qui vendait à faux poids. Il porte une calotte rouge d'où lui est
venu le nom de Rothkœppel. Combien est plus douce au souvenir la
tendre légende du PuUs-au'lah (milch-brunnenj d'illzach ! C'est là que
la mère de Dieu transporte , dans le silence des nuits » les pauvres
petits enfants à qui la mort à pris leurs mères ; (*) elle les nourrit
mystérieusement, et le matin on les retrouve dans leur berceau, mai^
qnés autour de la bouche d'un cercle lacté qui révèle leur restauration
miséricordieuse. — L'ancien hôpital de Mulhouse possédait , parmi
ses biens, un verger appelé Milchiuppen'Acker, Il en avait été gratifié
à la suite d'un acte de charité fait envers une pauvre vieille femme
qui , infirme et affamée, était venue implorer à la porte une modeste
soupe au lait» en échange de tout ce qu'elle possédait. Elle n'avait
pour tout bien qu'une lande stérile et mourut aussitôt qu'elle eut
mangé la soupe au lait que la pitié du régisseur lui avait accordée.
Hais la lande sauvage , fécondée par la bénédiction de Dieu , *devlnt
par la suite un riche et fertile verger. Le cœur reconnaissant des
pauvres ne pouvait mieux exprimer sa foi dans la toute-puissance dé
la charité.
Selon l'abbé Buchinger> les poules pondaient avec une abondance
particulière » quand on mêlait du tuileau pulvérisé aux sons dont on
les nourrissait. Il enseignait aussi que les œufs venus dans la lune
croissante d'aotU et ceux du décours de la lune de novembre se con*
servaient le mieux. Les œufs pondus dans la nuit du vendredi-saint
avaient le pouvoir merveilleux de faire reconnaître les sorcières. Il
su(n:»ait de se rendre à Téglise et d*examiner l'assistance à travers un
de ces œufs magiques ; le curieux reconnaissait les sorcières à un
double signe; au lieu d'un livre d'heures elles tenaient dans leurs
mains un morceau de lard, et elles étaient toutes coiffées d'uncuveaa
(*) RiCHiRD , loe, cil. , p. 89.
(*)St<eber»(oo. c>i,p. 121.
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510 9Mfm D'ALSAOB.
à traire {*). J'ai déjà dit qae la cbair du lièvre passait poor disposer
aux idées mélancoliques ; il faut ajouter qu'elle rachetait cet incon-
vénieni par l'avantage qu'elle avait de maintenir on de restituer la
beauté du visage.
Dans le domaine des végétaux, il ne régnait pas moins de préjugée
singuliers. Je ne les citerai assurément pas tous ; je ne peux» comoM
pour les autres • donner qu'un aperçu. On devait planter les baricota
pendant la pleine lune , semer les épinards i la Saint-Laurent , A In
Sainte-Barthélémy , à la Nativité, et i la Saint-Mathieu; les choux-
cabus réussissaient surtout si on les plantait pendant la pleine lune
et le s<iir ; le porreau, l'ail, le navet exigeaient d'être semés i la lune
croissante , les oignons et le persil à la liine décroissante; le persil, de
. plus , venait beaucoup mieux si l'on avait de l'argent sur soi en le
semant ; il y avait des règles analogues pour faire les diverses récoltes»
les pois et les haricots , par exemple • au dernier quartier, les navets
à la pleine lune , tous les fruits à conserver sur la fin du cours de
l'astre nocturne. Les jours avaient leurs influences décisives. Les
samedis de mai étaient souverains pour les grosses fèves, le premier
samedi particulièrement. Venait-on i manquer ces journées propices»
le Saint-Claude amvait au secours; les fèves plantées le jour de la
fête de ce saint atteignaient leurs diligentes devancières. Dans les
Vosges , les semeurs de carottes devaient avoir soin , pendant l'opé-
ration, de toucher fri^quemment leur cuisse, pour en obtenir de cette
grosseur. Pour semer heureusement les navets, il fallait n'être ni fier,
ni orgueilleux , et pour en obtenir de gros on réunissait de temps en
temps les deux poings bien fermés. Il y a mille variétés de ces prati-
ques superstitieuses.
En voici quelques autres qui tiennent de plus près aux exercices
actifs de la table. N'est-ce pas un signe fâcheux qoe de rencontrer
placés en croix sur une table servie les diflérents instruments qui
constituent ce que nous appelons le couvert? La salière renversée
n'est-elle pas un présage de malheur , déjà connu des graves Romains T
Le pain posant sur la croûte supérieure n'esi-il pas un augure
sinistre en tout temps, et le pronostic de la mort du maître de la
maison , s'il est malade ? Pourquoi redoute-t-on le nombre treize à
table î Ce nombre n'avait aucun caractère augurai sinistre chex les
(*) STCBsia, IO0. cir. , p. 183.
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l'aucibmmb alsacs a tablb. Sil
Ronains ; leor sigma oo lit deroi-cirenlaire contenait de sept à treize
places ; il faut donc chercher la cause de l'aYersion populaire pour le
nombre de treize convives dans les souvenirs religieux de la Cène ,
qui compta le traître Judas parmi ses treize assistants. A côté des
préjugés qui nourrissaient les noires inquiétudes, il y en avait d'autres
qui semaient la Joie et l'espérance on éveillaient de tendres curiosités.
La èpirale de pelure de pomme , légèrement détachée du fruit odo-
rant, et que la main capricieuse de la Jeune Olle Jette par-dessus sa
tète et derrière elle» forme sur le sol le roonograme de l'époux qui lui
est destiné. — On pénètre les plus intimes pensées d'une personne
quand on boit » à table , dans le verre dont elle vient de faire usage (*)•
Aussi fait-il beau voir» dans les fêtes de villages, l'empressement des
amoureux à boire dans le verre des jeunes filles à marier.
Comment s'étonnerait-on de la part que la superstition s'est faite
dans les actes auxquels Thomme se livre le plus fréquemment et avec
le plus de plaisir « quand on le voie réserver une place à sa table aux
étrea surnaturels créés par sa propre imagination ? Dans le pays de
Ferrette, comme dans presque toute l'Allemagne, on croyait aux
nains familiers. Ils aidaient les ménagères dans les travaux de la
maison. Aussi aux fêtes de village, aux noces, et autres grandes
occasions de réjouissance • on assignait à ces hôtes invisibles les pre*
mières places et on leur servait les meilleurs morceaux et le vin le
plilk doux (^.
Leskobolt» les nains et les gnomes avaient l'avantage de n'être
qoe des convives imaginaires. Ils ne faisaient sur les mets qu'on leur
offrait qu'une prélibaiion idéale; l'honneur de l'invitation leur suffi-
sait. Les saints du moyeu-âge paraissent avoir été plus positifs. Le
peuple leur présentait, à certaines fériés, des offrandes gasirono-
miques qu'ils abandonnaient généreusement au réalisme actif de leurs
serviteurs les moines. Mattiias Zell , le curé de Saint-Laurent de
Strasbourg, signalait ainsi ces pratiques utiles , en i523: c Ou offre
• à ce saiut du blé , à celui-là du vin , à tel autre du pain , du fro*
< mage, des moutons, des porcs, etc. Il en est quelques uns qui sont
c assez vertueux et assez accomodanis pour accepter tout sans dis*
• tioction. Quoique l'usage commande d'honorer Saint Valentin par
(*) RiCiUBD , Tradit. popuL de la Lorraine^ p. 268.
C) Stcbsir , Soffm du SUoiêês , p. 5.
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312 liBVUI D'ALSACE.
t le don d'une poule, ses serviieors ne refusent pas d*ainréer oïl
« bœuf, voire même un porc, bien que cet animal soit spécialement
i roffrande propre à Saint Antoine (1). > Ce saint possédait i Froideval,
près de Belfort , un monastère où aucun de ses bienheureux confrères
ne se serait permis de faire concurrence à ses droits légitimes. Il y
reçut pendant des siècles les témoignages de la vénération et de la
reconnaissance populaires, non sous le voile mystique de vœux et de
prières , mais sous la forme concrète et substantielle de denrées ali*
mentaires. La révolution ne détrôna pas complètement ce pieoi
usage. Elle vendit, à la vérité, le monastère des Antonites de Froi-
deval comme domaine national ; mais le profane acheteur de ce do-
maine respecta les antiques privilèges de >aint Antoine. Jusqu'à des
temps bien voisins du nôtre c des pèlerins qui avalent foi en Saint
c Antoine venaient presque chaque jour pour Tinvoquer, et , pour se
€ le rendre favorable, ils déposaient au pied de sa statue desoflh'attdes
c d'une étrange nature : des jambons, des saucisses , des morceaui
c de lard, des andouilles, etc., dont le propriétaire de l'aBcieii
< couvent fais;iit son profit. > (*) Hais le curé de Daojoutin s'avisa de
trouver quelque incorrection canonique dans ce mode de rester fidèle
aux saines traditions du passé. Il réprimanda son paroissien H. Relier,
et lui fit comprendre qu'un pécheur du siècle n'avait pas le droit de
recueillir les hommages adressés à un saint de l'ancien régime.
M. Relier enleva l'attractive statue de Saint Antoine ainsi que l'ioAge
du quadrupède qui l'accompagnait; s'il y perdit en ne trouvant plus
déposées contre sa maison les marques de la piété des fidèles « il y
gagna de vérifier la solidité de cet aphorisme philosophique : Subkia
cauia lolUlur effectué.
La cuisine avait tellement pris sa place dans toutes les branches de
la superstition populaire , que la crédulité des vieux âges en avait
imaginé une, exceptionnelle et immonde, pour les fêtes impies qui
réunissaient les sorcières. Quiind les sorcières alsaciennes tenaient »
sous la présidence du diable, leur maître et leur amant, leurs assises
impures et voluptueuses au Bollf*nberg, au Bastberg, au Bischeoberg,
au Prowuld d'Oberbronn , à la Uellmatt de Sav^me , au Zimmerplatx
de CbAteiiois, au WurzeUtein de Munster, à la Frauenau d'Eiisisheim»
(*) Zfll , Chriiilïehê V^ranêwortung. Stnsboorg i5S3. 4*» p. 37.
C) COKRET , Histoire (U Betfort , p. 90^.
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L'ANCIElQfB ALSACE A TABLE. 315
Où en d'antres lien maudits , elles courooDarent d'ordinaire les
rondes de leor bal magique par un festin , une orgie , on les noces
sacrilèges d'une nouvelle Initiée. Dans ces agapes diaboliques qu'é-
chauffait la luxure terrestre et où régnait la toute-puissance maléfique
du prince des ténèbres » le sel» symbole antique et religieux delà
sagesse • était absolument banni. Sa présence eût rompu la sombre
féerie du sabbat et dissipé l'incantation qui enveloppait d'une fièvre
surnaturelle ces bacchantes du monde chrétien. Le pain » comme em«
blême de la nourriture normale du genre humain , n'y apparaissait que
rare et dénaturé par des sortilèges. Les mets qui figuraient sur la table du
sabbat étaient des crapauds , la chair de pendu détachée des gibets , le
corps des petits enfants morts sans baptême C) ; les noix • à cause de leurs
qualités alexipharmaques et de l'honneur que leur avait fait le paien
Niibridate de les employer dans son fameux antidote; les fromages
aux senteurs violentes et étranges (') ; les chauve-*souris(')» à l'aspect
équivoque et aux mœurs nocturnes ; le lait malicieusement soustrait
aux béies ensorcelées; du gibier , entr'autres du renard; des viandes
d'animaux domestiques, comme on le voit par les protocolles d'Ober^
Bergbf im ; des broueu , des gâteaux aux œufs (Eyerwenlhii) ; des rats
et des souris (*). La sorcellerie avait aussi sa flore spéciale ; plusieurs
plantes concouraient à la préparation des mets servis aux banquets
sabbatiques» et étaient employées dans les philtres que les sorcières
donnaient à leurs victimes ; par exemple » l'euphorbe {Hexenmilch) ,
la grande chélidoine, le mîlle-pertuis perforé (BexenkrauiJ, la circée
pubescente ou herbe aux sorciers ou herbe de Saint Etienne, la clé-
matite { Hexenstrang J , le gui» la poudre de lycopode (Beten"
mehlj , etc. (') Les festins des sorcières ne connurent jamais d'autre
table que la verte pelouse des pâturages » le tapis rose des bruyères
on la dalle grise des roches sauvages. De même que dans le monde
réel » les pauvres, dans ce monde de la fantaisie et du délire» ser-
vaient les riches. Le vin y apparaissait sous la double couleur rouge
et blanche dans des gobelets d'argent ou d'or; dans les réunions de
n Merklen , Histoire d'Emisheim, ii , p. i3i.
(*) Ancienne Bévue d'AUaee 1837, p. 209.
(') GoLBÉRT , Ànti^iéi du Haut-Rhin , p. SO.
(*) AUatia de 18S6-57 , die Bexenproeesse, par A. SiOEber , p. 331,
n Idem» p. 328.
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Sti UVfJB D'ALSAO.
sorcières villageoises, on buvait dans des coupes de bois ; le verre
étail inconnu. L'orchestre qui animait les rondes éperdues et égayait
l'orgie» éuit composé de fifres , de violons et de cornemuses. Tous
ces détails nous sont révélés par les interrogatoires des pro<:édures
alsaciennes faites , en matière de magie , aux xvi* et xvii* siècles. Le
questionnaire légal imaginé alors pour informer contre les sorcières
veut expressément qu'elles soient inierpellées sur la nature des mets
consommés dans les banquets magiques • sur le mode de service
adopté, sur la circonstance, alors douteuse encore, de l'emploi d'une
table, sur les vins qu'on buvait, enfin sur tous les faits qui se rappor-
taient au régime alimentaire des pauvres visionnaires qui portaient
jusque dans les bûchers la foi de leur folie.
CH. Gérard, mMtàlaeovinpérUe.
(La «iiîff à Mii ^prophtrim livraimm.)
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UNE FANTAISIE
A PROPOS
DES PHOTOGRAPHIES DE M. A. BRAUN.
Quel ett daD8 one œafre d*ait qudcoDqne le caraclère qui dok
primer tous les autres , qai nous heurte le plus fiolemment par son
absence? Cest ce je ne sais quoi d'insaisissable et d'iodéOnissable que
le vulgaire, comme l'artistet appelle la vie. Vous ne peindriez que des
rochers stériles » vous iieiodries des cadavres » que votre toile n'atti-
rera pas un regard , si elle ne révèle au moins votre vie, sinon celle
des choses que vous peignez, c Mais, disent beaucoup d'artistes. la vie
ne peut-être traduite que par la vie ; comment voulez-vous qu'un art
d'imitation tout physique rende quelque chose vivant ! > L'objection
est tout au moins spécieuse. Si cependant elle n'est que cela, noua
saurons bientôt l'élaguer.
Et d'abord qu'est-œ que la vie • au point de vue de l'art, t
Avant de répondre à cette question si précise i il nous importe de
nous occuper un peu de la vie en elle-même. Lecteur, vous le savez ,
les hommes de science ont en général une assez mauvaise réputation.
Comme philosophes, on les accuse, entre autres, d'arriver à tout nier,
i force de vouloir tout voir ou toucher des doigts : il m'a échappé à
moi-même , dans le cours de notre conversation , quelque propos
qui vous ont paru sentir le fagot , et vous m'avez jeté des regards
terribles. Eh ! bien , écoutez-moi , et, je vous prie, ne vous fâchez pas.
La partie de son être à laquelle l'homme tient le plus, même quand
il la foule aux pieds , quand il la traîne dans la fange , quand il la
renie , c'est la partie animique , spirituelle , intellectuelle , de cet
n Vétt Is Umiioo de Join, psge UU
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516 RBYm D'AUiCB.
être.... , et nous pensons qu'il a parfaitement raison , car c'est cette
partie qui le fait /ut, qui fait qu'il est un individu et non un autre, qui
lui donne sa place , et sa première place » dans la série des êtres;
mais nous pensons aussi qu'il ferait mieux de respecter plus sérieuse-
ment cette partie spirituelle que d'en être sottement jaloux. Dès qu'il
Tient à s'occuper des êtres qui l'entourent , fût-ce même de ceux de
son espèce, il semble en effet qu'il craigne de diminuer son propre
lot animique, en l'attribuant, à quelque degré que ce soit, à d'autres.
Dans la plupart des systèmes philosophiques, ou des doctrines reli-
gieuses t où en définitive c'est l'homme qui s'institue • de fait , le
Créateur de toutes choses , il s'est toujours montré parcimonieux ,
avare à dispenser ce qu'il croit être sa prérogative. N'a*t-on pas vu un
jour une assemblée de sages et savants docteurs discuter gravement
cette question de savoir si la femme est douée d'une âme ! Le blanc
n'a-t-il pas maintes et maintes fois refusé une âme au nègre?
Ou » quand il la lui accorde • n'est-ce pas pour la déclarer déchue
de tout droit à la clémence divine? Mais c'est bien pire lors-
qu'il s'agit du règne animal , du règne végétal. Quoi , s'écrie*t-on »
donner une âme (n'importe de quel degré), à l'animal , nous con-
fondre avec les bêtes ! Fi donc ! (Si vous êtes observateur un peu
attentif, à lecteur, vous remarquerez que ceux qui se récrient le plus
sont ceux que vous seriez peut-être le plus tenté de confondre). Quels
efforts n'a-t-on pas faits de tout temps , et sous toutes les formes ,
pour ext>liqner, par des actes purement instinctifs , les phénomène»
de la vie animale et végétale !
Le progrès commence à faire justice de toutes ces pauvretés de'
raisonnement, de ces préjugés qui ont eu force de loi pendant si long-
temps. La science se partage en deux camps bien nets et diNttncts.
Dans l'un on cherche ù expliquer tous les phénomènes, toutes les mani-
festations de la vie , à tous les degrés , à l'aide des forces ordinaires
de la nature. Dans l'autre, on admet qu'il faut quelque chose de plus
pour faire un être organisé , que chaque être vivant doit ses proprié-
tés , sa manière d'agir à un principe animique qui constitue précisé-
ment son individualité, qui le difimncie des autres individus , qui
fait qu'un oiseau ne peut devenir un poisson , qu'un homme ne peut
être confondu avec un singe, mais qui constitue chez tous la vie dans
son essence même , et se manifeste par la conscience des actes, et
par une liberté plus ou moins étendue d'agir avec volonté. Des deux
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um Fantaisie i propos pes photographies , etc. SI 7
c6tës cependant on est d'accord sur un point : c'est que ce qui sufllt
pour expliquer un être vivant quelconque, suffirait pour les expliquer
tous , et que si quelque cbose de plus que les forces ordinaires est
nécessaire pour constituer Tbomme , un quelque chose de oiénie
nature l'est aussi pour Taire tous les autres êtres du rè^^ne animal.
Nous le savons » dans le premier camp nous trouverions peut-être
quelques transfuges prudents t qui» par décorum , font de l'homme
quelque cbose d'à part • et qui » sur la vie animale qu'ils lui recon-
naissent , greffent un esprit immortel ; ce qui suppose qu'il peut y
avoir non seulement des vies sans âmes , mais même des âmes sans
vie! (J'ai dit » par décorum ; lecteur, puisque nous sommes seuls en-
semble dans cette parenthèse» permettez-moi d'employer im mot plus
Juste :.... mais je me rappelle que je vous ai promis de ne plus vous
parler d'hypocrites). Parmi les naturalistes, qui, aujourd'hui
encore , s'obstinent à ne voir que des actes purement mécaniques et
instinctifs chez l'animal, disons-le hardiment, on ne compte plus
guère que ceux qui, semblables aux artistes dont je vous parlais quel-
que part , n'ont jamais observé en pleine nature , et qui ont toujours
vécu au milieu des dépouilles empaillées de nos musées» où désormais
ils feraient bien de rester avec leurs écrits. Disons*le ici sous forme
de digression , et bien haut pourtant : en dehors de la science, il se
trouve aujourd'hui bon nombre d'esprits éminents , historiens, philo-
sophes , ministres de tous les cultes , hommes de cœur de tous les
rangs , qui , frappés de cette terrible logique de la science, et guidés
seulement par leur bon sens , ont vu qu'en s'isolant trop du reste de
la création , l'homme se condamne lui-même au suicide , qui ont
compris d'ailleurs qu'il n'est pas absolument indispensable pour être
honnête bomme, et même chrétien pieux et 6dèle , d'admettre que
l'animal n'a point d'âme» et que, machine, il n'exécute que des
actes forcés dont il n'a pas même la conscience ; ils ont senti que
l'homme n'est réellement l'être privilégié qu'à la condition d'être à
la fois le meilleur et le plus intelligent ; et ils ont eu le courage de
demander à la loi et à l'opinion publique, une protection envers les
êtres inférieurs. Celte réclamation sans doute fait sourire de dédain
plus d'un esprit fort» mais elle fera un jour la gloire de notre époque.
La science, disions-nous , se divise en deux modes d'interprétation,
bien distincts, quant aux phénomènes de la vie animale : cette division
subsiste, et devient encore bien plus radicale» lorsqu'il s'agit du
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518 BIVUB D*ALSA(Z.
règne végéul. Ici cependant «aisi le jour commence A te fiûre. Et,
tandis qoe d'un côté on ne veut voir que des phénomènes physiqoes
et mécaniques , des eflists de capillarité , des iUmulaiions ealoru
fiquei (!!!) , et que l'on se rend ainsi compte de tout , excepté de la
. chose principale , de l'Unité harmonique de l'Etre » qui se retrouve
dans la planie comme dans tout être vi?ant ; de l'autre eôié » en
observant tout aussi scrupuleusement les faits » mais en y cherchant
un plan général , ou arrive à des conclusions plus élevées » plus en
rapport avec la pensée d'harmonie qu'exprime si évidemment l'en-
semble de l'Univers. C'est à de telles conclusions que sont arrivés
quelques uns des savants les plus éminenis de notre époque : Smith ,
Percival , Martius, Fechner Dans un travail , qui , d'un bout A
l'autre • respire la plus limpide sérénité . et le bon sens le plus pro-
fond comme esprit d'observation , Boscowitz vient de montrer toute
l'inanité » toute TinsufiSsance de ces interprétations matérialistes , qui
ne reposent au fond sur rien d'autre que sur une exagération par
trop outrée d'un fait d'ailleurs évident et incontestable : la préémi-
nence de l'homme dans l'échelle de la création.
Vous pouvez t 6 lecteur» regarder d'un air de superbe dédain les
créatures que vous jugez vos inférieures ; vous pouvez même » dans
un excès de sotte vanité » éloigner de voy*e trône ceux de vos sem-
blables i qui une position factice vous rend supérieurs. Hais vous
n'êtes point juge en dernier ressort» et ni vos dédains (ni nos disputes
de philosophie) n'excluront une seule âme du banquet de la vie !
Pour l'artiste réel qui sent, et qui sent presque toujours juste
avant de comprendre, quelque fois sans comprendre, la vie en géné-
ral a un caractère parfaitement net et tranché » que l'on méconnaît
d'autant plus qu'on a moins le sentiment de l'art. Le peintre de figure
peut parfois , avec le vulgaire « nommer peintre de nature m»rte , le
paysagiste , le peintre de fleurs : il ne se servira de cette singulière
expression que jusqu'au jour où il aura peint lui-même une fleur.
Jadis , en de certains jours privilégiés , j'avais accès dans l'atelier
d'un peintre de fleurs , et une haute faveur m'était alors accordée :
assis sur un escabaut élevé, je regardais, pendant des heures entières,
par-dessus l'épaule de l'artiste , et , tandis que mes mains encore
enfantines jouaient avec les boucles argentées qui couronnaient sa
tête chérie , je voyais des fruits épars au hasard sur une table , des
fleurs , déjà fanées , dont les pétales se détachaient» renaître, reinvre
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UNI FlIfTilSR i PR0F06 D'UNS nOTOGRiPHlB , BTC. Sl9
6ur la toile • s'y ranger peu à peu en uo tout harmonieux , qui lui-
méme semblait vivre. Pour en faire une réalité » il n'y manquait que
ce souflDe , que nul de nous n'a le don de créer , mais que nul aussi ,
espérons-le^ n'a le pouvoir d'éteindre à jamais. En Tait de métaphy-
sique , cet artiste connaissait surtout celle que lui enseignaient son
cœur et son bon sens : mais vous eussiez été fort mal avisé, Je vous
l'assure, en lui disant qu'il ne peignait que de la nuuière inammiej
Pour l'artiste , comme pour le métaphysicien , la vie i tous ses
degrés , et sous toutes ses formes , est la révélation de l'activité d'un
principe supérieur à la matière. Considérée par la science et dans sa
généralité , elle est la manifestation des âmes de tous les titres , de^
tous les degrés de l'échelle , à l'aide des forces et de la matière qui
constituent les corps des êtres organisés. Pour l'artiste, qui n'analyse
pas, et qui se contente de sentir, la vie a un caractère moins limité
que pour le métaphysicien ; elle existe hors de lui, et il la voit se ma*
nifester dans la réalité des choses ; mais il la sent surtout en /tri-m^me,
ett lorsqu'elle manque qtielque part, il y transporte une partie de sa
propre activité vitale. C'est ainsi que le pinceau de Tartiste de génie
anime Jusqu'à la nature morte , les glaces éternelles des Alpes , les
sables du désert , les frimais de l'hiver.
Les faits . comme vous le voyez , lecteur, semblent justiOer pleine-
ment l'objection faite par quelques artistes à la valeur d'un art qui oa
serait que de pure imitation physique, c La vie, disent-ils, peut seule
peindre la vie. > Cette oljection cependant est purement spécieuse ,
et n'a nulle force au fond.
Elevons«nous de suite ensemble au sommet de l'échelle, et jusqu'à
l'homme. Rassurez- vous. Je n'ai nulle envie de commencer avec voiu
une dissertation sur la nature de l'âme humaine , ni sur la manière
dont ici-bas elle est soudée au corps ; je pourrais vous donner mille
et mille motifs plausibles , pour légitimer mon refus ; je ne vous en
donnerai qu'un, mais il est bon : sur ces questions-là je n'en sais pas
plus long que vous. Permettez-moi seulement de vous donner m con-
seil en passant. Beaucoup de gens, qui ont l'air profond , vous disent
que l'âme est un pur esprit : cette déflniiion en vaut une autre, en ce
sens surtout qu'elle ne vous apprend rien que vous ne sachiez
depuis longtemps ; mais on ajoute que votre partie terrestre n'a aucun
point de commun avec cette âme , et que celle-ci ne se mêle pas des
questions de pav^m-feu du Corpz. Oh ! pour le coup, méfiez-vous de
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ces philosophes là » et gardez- vous de les suivre : après avoir prouvé
que votre corps n'est rien, ils pourraient bien en faire autant de votre
âme, et vous laisser en plan. Quand un de ces esprits purs souffire,
il ne dit pas : c mon corps a mal i ; il dit . comme vous et moi :
c j'ai mal. i Quand il reçoit un soufflet » il est fort rare qu'il tende
l'autre joue » mais il se fâche, et cette passion se peint, comme chez
vous ou chez moi , sur sa figure. Croyez-moi, il y a parmi eux beau-
coup (mais ce mot vous a déjà rendu maussade une fois , et je vous
ai promis de ne plus le prononcer). Ce caractère encore » si vous
savez lire , se voit sur la physionomie.
Tenez, lecteur, croyez-en plutôt au gros bon sens populaire, qui se
sert d'une expression admirable de vérité et de clarté.
c Le corps est le miroir de l'âme, i Si, au lieu de miroir seul , nous
disions : c et l'instrument > , le métaphysicien le plus difficile n'aurait
rien à répliquer. Vous l'observez tous les jours, chaque passion , bonne
ou mauvaise , se traduit dans les traits du visage par une expression
spéciale que nous reconnaissons. Lorsqu'une mauvaise passion /ou
une suite de mauvaises passions séjournent trop longtemps en nous ,
elles laissent une trace , une empreinte , souvent ineffaçable ; et la
physionomie alors , à son tour , se venge de celui qui y a laissé cette
empreinte. Ainsi , un instrument de musique , faussé par une main
inhabile , ne rend plus que des sons aigres entre les mains d'un vir-
tuose.
Le corps est le miroir de l'âme : l'âme peint donc avec les éléments
matériels qui forment ce corps et qui font de notre figure ce qu'elle
est en réalité.
Comment opère-t-elle ainsi ; c'est probablement ce que nul ne saura
jamais dans cette vie. Quel est le rapport mystérieux qui existe entre
une expression , entre une forme donnée à un corps, et une passion, une
pensée, ou une manière de penser ? C'est ce que nul ne sait non plus;
et ce rapport que chacun de nous sent, car nous sommes tous plus oa
moins physionomistes , ce rapport échappe à la démonstration. Tou-
jours est-il que l'âme peint avec la matière même. Ce fait , une (ois
qu'il est accompli , est un fait physique, et rien de plus; c'est à l'aide
de nos sens que nous le constatons ; c'est donc encore à l'aide d'une
suite « souvent très compliquée , de phénomènes physiques que nous
le connaissons.
Et pourquoi maintenant un procédé d'imitation , tout mécanique
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Vm FANTAISIE A nOTOfi DM PV0T0GRAPHIB8 » ETC. 331
si ions voulez , ne pourrait*!! pas immobiliser une eapressioa , la
Midre stable ?
Regardes une personne dirMiement, ou par réflexion à l'aide d'une
glace, et, quelque vue perçanteque vous ayez, vous nesalsireznullediffr •
reaee * si la glaoe est convenablement disposée et pat-faiiement unie.
La gkee est donc aussi apte que la figure elle-même A vous envoyer
l'empreinte d'un être vivant, l'expression d'une passion ; c*est pour-
ti0t iA un' phénomène physique. Supposez que vous ayez trouvé le
aeorei merveilleux de conserver fidèlement l'empreinte sur la glace »
qu'y awra4«il de changé ?
Vous le voyez » lecteur, s'il était vrai , comme le pensent quelques
artistes» que la photographie copie autrement qoe le crayon ou le pin-
ce ne aérait pas en tout cas parce qu'^HJe n'est pas uivanie. Et
ï devons chercher la raison des difiëreoces» si elles existent, ailleurs
qoe dans une explication spécieuse et presque puérile.
Il existe deux disiioctions caaentielles entre les deux modes d'imi-
tation. L'noe repose sur la nature de l'ofaiet à copier ; Tautre , au
contraire , dérive du procédé même.
La moMUté des formes et des apparences, tel est le sceau distinctif
que hi vie imprime à tout ce qu'elle anime. Cette marque est pour
nous tellement caractéristique, que nous seriotts portés à croire vivant
Mut ire qui nous la montre , fût-ce même des objets inauiiués. Un
passage où ne se uouve pas un être vivant , pas un brin d'herbe »
s'anime pour nous « lorsque nous y apercevons un cours d'eau par
exemple, ou lorsque, par suite du mouvement des nuages et des chan-
gements d'illumination qui en résultent , les teintes se changent , les
ombres se meuvent devatH nous. Sur la figure de l'tiomme , c'est le
Jeu continu de la physiouomie qui donne l'animation , bien plus que
le ^lori lui-même.
Le peintre ne peut évidemment pas plus que le photographe repré-
senter le mouvement. Mais en nous montrant sous une forme nette
les objets comme Ils sont réellement pour nous pendant un temps
extrêmement court , en immobtUtanif par exemple, les gouttes d'eau
d'une cascade , il nous force à sous-eoiendra le mouvement, à l'ajou-
ter par la pensée , et à ramener la vie \k où un repos absolu semblait
l'exclure» La photographie exige encore daus la pose une trop longue
durée pour attendre un tel résultat : pour rendre à nos yeux te mou*
vemeoc à une cascadet il faudrait qu'elle pût la copier en un millième
•:*S«rie. -s* Année Si
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52S REvms d'alsacb.
de seconde, et riromobiliser ainsi d'une manière qni nous force aussi
:i sous-entendre le mouvement. Il existe dans cet ordre de faits une
autre différence essentielle de laquelle la plupart des personnes ne
tiennent pas compte.
Rien au monde n'est plus mobile que la physionomie humaine;
l'habitude fait que , dans nos relations journalières avec nos sem*
blables , cette mobilité nous échappe ou du moins ne fixe plus noire
attention. Elle vous frappera au plus haut degré cependant • lorsque
vous observerez scrupuleusement un de vos amis au moment où il va
poser devant le peintre ou la chambre obscure ; à votre profonde
stupéfaction, vous verrez, souvent en moins d'une minute , passer
devant vous vingt figures, accentuées chacune de la manière la plus
frappante. Un peintre , qui copie une tête vivante » choisit parmi la
multitude d'expressions fugitives qu'il voit passer sur la physionomie
celle qui lui semble ta plus belle , ou la plus habituelle , ou la plus
facile à rendre ; et , à l'aide de sa mémoire et des traits principaux
qu'il a devant lui , il reproduit plus ou moins correctement cette ex-
pression. Le photographe au contraire ne peut choisir : il vous prend
comme vous vous faites vous-même, et encore à la condition que vous
sachiez conserver assez longtemps l'expression que vous avez choisie
presque toujours à votre insu.
Regardez plutôt votre second négatif que vous apporte H. Braao.
Vous n'avez pas bougé cette fois ; l'épreuve est bonne ; vous êtes par-
faitement modelé. Mais je vous le disais : l'air de royauté que vous
aviez pris était d'emprunt , et vous avez abdiqué avant la fin de la
demi-minute de pose. Croyez-moi , tâchez cette fois d'être naturel ,
d'être vous-même. Cela est difiScile , Je le sais. Notre œil n'est pas
habitué à fixer un même point : cette immobilité, obligée ici, trouble
la vue et produit souvent presque un phénomène d*hyjmotUme ^ lors-
qu'on n*y est pas exercé. Et d'ailleurs, cela est difllclle par une
bien autre rasion. Voltaire parle quelque part d'une gracieuse et jolie
dame qui avait le tort singulier de boiter, dès qu'on la regardait mar-
cher. Entre nous et franchement, n'est-ce pas là un peu notre fait i
à nous tous? La vanité nous fait tous boiter, quand on nous regarde;
et même quand nous nous regardons nous-mêmes ; c'est ce qui vous
explique pourquoi il y a tant de boiteux. Mais M. Braun vous tourne
le dos, car il paraît qu'il a observé ce travers chez plus d'un visiteur ;
quant à moi , j'ai vu assez de gens varier, pour ne plus douter de
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UNB FiNTAISIE A PROPOS DES PHOTOGRAPHIES , ETC. 325
votre aptitude à cet égard. Si vous ne vous regardez vous-même ,
vous réussirez celte fois.
Il existe , avons-nous dit, une autre distinction entre les imitations
photographiques el celles du crayon ou du pinceau : elle repose sur
les procédés en eux-mêmes, et il est essentiel de Texaminer de près,
pour juger de ce que la photographie peut faire et des progrès qu'elle
peut recevoir encore • pour reconnaUre dans quelles limites elle peut
imiter» non servilement, mais fidèlement, et rendre le^ choses, non
comme elles sont réellement , mais comme nous les voyons.
Dans tout art , dans celui qui semble le plus relever de la pensée
pure, il y a une partie matérielle dont Tartiste est obligé d'étudier et
de surmonter les difficultés , s'il ne veut rester un génie méconnu.
Dans la composition , par exemple • où il semble qu'il n'y ait qu'à
écrire des pensées musicales , pour se manifester complètement aux
antres hommes , cette difficulté matérielle existe ; il faut du travail ,
de l'acquis, pour la surmonter. Elle est telle que si vous comparez
les œuvres d'un même artiste entre elles , et si vous faites la part de
ce qui tient à la valeur de l'Inspiration en elle-même , la pensée vous
semblera prisonnière dans les unes et parfaitement libre dans les
autres. A plus forte raison en est-il ainsi dans les autres arts, où vous
êtes en définitive obligé de savoir pétrir habilement la matière,
si vous voulez montrer que vous savez penser. Vous aurez beau
avoir le génie de Raphaël, de Michel-Ange, si le travail ne vous
a rendu maître de votre pinceau , vous ne vous ferez connaître que
par des productions difformes. D'un autre côté, dans l'art d'imitation
le plus mécanique en apparence , il y a aussi une large part à faire à
l'intelligence : je vous l'ai déjà dit : il y a photographe et photographe.
La photographie d'aujourd'hni n'est pas celle de demain.
Pour comparer équitablement deux genres d'art aussi différents ,
il faut supposer d'une part que le peintre , le dessinateur , complète-
ment mattre de son crayon , de son pinceau , rende les choses , non
comme il les conçoit , car alors il n'y a plus de comparaison possible,
mais comme nous Ut voyons , qu'il se borne en un mot à les faire
ressemblantes; il faut supposer d'autre pan que le photographe est
assez habile pour faire peindre la lumière , aussi bien qu'il est pos-
sible de le faire dans l'état actuel de la science.
Dans ces proportions ainsi définies , et ce sont les seules accep-
tables, le dessin et la peinture deviennent la langue de l'œil humain,
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524 REVUS D'àLSàCE.
4a photogra[>bie devient celle de la chambre obscure. Ce lotit donc
ces deux organes que nous devons comparer , pour pouvoir mettre
leurs langues en parallèle.
Principe transcendant de l'Univers que vous appelez matériel » la
Lumière est pour les élres vivants le grand révélateur du monde
exlerne , et de la vie universelle de la Nature.
Pour qu'un objet puisse être vu par la chambre obscure « pour qu'il
puisse être vu par l'œil » il Tant qu'il soii éclairé par une lumière
propre, ou par celle que lui envoie un autre corps lumineux. Uô
corps éclairé par la lumière du jour , par exemple , renvoie cette
lumière en lui donnant des qualités nouvelles « distinclives» en lui
donnant son empreinte. Mais chaque point d'un corps éclairé renvoie
dans toutes les directions cette lumièi*e ainsi modifiée : des milliers
d'yeux à lu Tois peuvent voir un même objet. Pour que l'empreinte
des corps , renvoyée sous forme diffuse dans l'espace » puisse être
vue sous forme nette « il faut , à l'aide d'un appareil spécial , séparer
les rayons mêlés , et puis les concentrer , les localiser en un lieu
précis.
Dans la chambre obscure, vous le savez, cette fonction est remplie
par l'objectif, qui n'est autre chose qu'une lentille convexe ou con-
vergente. L'objet , éclairé et placé en avant de celte lentille , vient
former son image en arrière d'elle ; et c'est cette image , reçue par
une surface iemible, qui est ensuite fixée définitivement par les pro-
cédés de la photographie.
L'œil est aussi une chambre obscure , mais celle-ci n'est pas Toa*
vrage de l'homme. Dans l'œil lecteur savez^vous ce que o'est
-qu'un œil? La question est naive ou impertinente, n'est-ce pas?
Eh ! bien , je vous conseille d'étudier un œil ; ici tout au plus pourrai-
je vous apprendre un peu comment vous vous servez des vôtres (autre
knpenineace !). Cette étude, je vous l'assure , vaut le plus beau des
sermons, elle vaut une prière. Dieu me garde de critiquer quoi que
ce soit , sous forme générale ; mais lorsque vous venez d'entendre le
sermon le plus rempli d'onction » et lorsque vous faites la part légi-
time du bien que vous a fait l'orateur , n'êtes-vous pas ordinairement
très convaincu que celui-ci est le digne représeiitani du meilleur des
cultes qui est toujours la vôtre? Lorsque vous aurez vu de quel
admirable instrument le Père de tout ce qui vit a doté ses enfants,
même ceux qui vous semblent ne pas vm*» vos idées s'élargiront.
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VM FANTAISIE, A PBOPOS DSS PHOTOGRAPHIES. ETC. 5^5
et de plus TOUS commencerez à douter que tant de soins et de
peines sient été dépensées quelque part pour des machines. Et si
TOUS n'êtes assez riche pour aimer tout ce qu'il aime . vous appren-
drez du moins à respecter l'auteur dans son œuvre ; si vous n'avez
assez d*amour en vous pour dire avec Saint François : c Hirondelles
mes sœurs • ne pourriez-vous être un peu moins babillardes ? j vous
comprendrez du moins le pieux dicton du pauvre paysan lithuanien :
< Celui qui fait pleurer le Castor ne réussit jamais I > Et vous , homme
du dii-neuvième siècle, vous direz peut-être alors: c Celui qui im-
pose inutilement la douleur à un être vivant n'est plus de notre
époque. *
Lecteur » croyez-moi • si parmi vos amis vous comptez un médecin*
physiologiste, un peu clairvoyant , faites-vous expliquer la structure
et les fonctions de l'œil ; faites-vous expliquer aussi comment la lu-
mière affii et se manifeste chez les êtres mêmes qui n'ont point d'yeux;
et si • après celte leçon , vous ne vous sentez pss meilleur, nul miracle
désormais ne vous rendra bon • car vous n'y croiriez pas plus qu'à
celui que votre ami vient de vous montrer dans ses plus minimes
détails.
Dans l'œil, dis-je, la lumière pénètre par une ouverture dont la
grandeur, variable ^ est à chaque instant réglée d'après la distance
des objets, d'après leur éclat , leurs nuances ; derrière cette ouver-
ture, elle rencontre une lentille achromatique, convergente, qui
rassemble en des points précis les rayons envoyés sous divers angles
par chaque point du corps éclairé. L'image ainsi formée derrière cette
lentille est reçue par une surface impressionnable , sensible.
Cette surface n'pst pas autre chose que l'épanouissement à Tinfini
d'no système de Als télégraphiques dont Tauire extrémité va se rarni*
fiçr dans le cabinet de travail de Vobxervateur : pour chaque image
formée par la lentille • la surface Ren.«ible envoie une dépêche à celui-
ci. Ainsi que la main la plus délicate , cette surface palpe les qualités
les plus intimes de limage lumineuse , et en avertit l'observateur.
Vous le voyez , lecteur , l'analogie est grande entre la chambre obs*
cure qu'a inventée Thomme, et celle qu'a inventée Dieu : plus grande
même que vous ne le pensez ; écoutez plutôt. Si à la plaque préparée
par le photographe vous adaptez convenablement les fils suflflsamnient
délicats d'un télégraphe réel , celui-ci aus»i vous donnera un signal ,
dès que la lumière viendra impressionner le corps sensible déposé
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386 EBTUK D'ALSAGS.
sur la plaqué. Le signal cesse dès que l'image esl gravée. Vous croyez
peut-être que ce dernier fait élublit une différence : regardez long«>
temps, et sans cligner des yeux , un même obj«*t ; l'impression , d'abord
nette, le deviendra de moins en moins, et vous finirez en quelque
sorte par ne plus voir; détournez les yeux d'un objet brillant que
vous avez regardé longtemps » et vous .l'aurez encore devant voua i
c'est donc la puissance plastique et réparatrice de la vie qui , à chaque
instant , efface les images réellement fixées dans votre œil , mais deve^
nues inutiles. Voilà pour les analogies , voyons aussi les différences.
En tout premier lieu , vous devez savoir que les diverses couleurs
n'impressionnent pas également la matière sensible que le photCH
gRiphe dépose sur la surface exposée ensuite dans la chambre obscure.
Parmi l«*s couleurs simples de l'arc-en-ciel , le Jaune • par exemple »
est presque sans action ; parmi les couleurs qu'aucun œil ne voit »
parmi les rayons invisibles , il y en a au contraire qui agissent. Il
résulte de là que certams objets qui sont très-éclairés pour notre
vue , deviennent sombres dans la photographie ; que d'autres que
nous voyons sombres deviennent clairs. Le vert des arbres photo*
graphies est eu général trop privé de lumière , puisque le Jaune »
qui les compose, n'agit pas. Absolument parUnt, la photographie
ne voit pas comme nous, quant aux nuances; il lui en échappe , qui
nous fatiguent la vue; elle en voit que nous n'apercevons pas:
écrivez sur du papier blanc avec de Tencre au sulfate de quinine
(qui est blanc comme la neigea . vous ne verrez aucun caractère; la
photographie écrira en noir toutes vos lettres si blanches.
Lorsqu*avec une lentille, avec un verre grossissant ordinaire» vous
regardez un objet quelconque , vous voyez que celui-ci esl iri$i sur
les bord»; en d'autres termes » il est entouré* par les nuances de
l'arc-eii-ciel.
L'achromatisme • ou l'exclusion de ce défaut , regardé comme im^
possible par Newton , et cherché pendant longtemps en vain » ne
s'obtient qu*à grand*peine , et pour un champ de vision restreint è
une faible fraction de la demi-circonférence. Dans Tœil » au contraire»
Tachromatisme le plus parfait est obtenu par un procédé encore
complètement inconnu. Avec un objectif achromatique , très-soigné
même, l'étendue d*un paysage, par exemple, qu'il est possible de
relever sous une forme nette , est à peine le douzième de l'horizon;
l'étendue embrassée à la fois par Tœil s'élève au tiers de l'horizon (oa»
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DNB FANTAISIB A PB0P08 DES PH0T0GRAPHIB8 » ETC. iil
81 Ton aime mieux, aux deux tiers de la demi-circonférence). Toute-
fois» cette défectuosité, très*importanle comme question d'optique ,
l'eit au contraire peu au point de vue de l*art. Il est • en effet, très-
rare qu'un payiiage rendu par un artiste occupe une étendne plus
considérable que celle que peut donner réellement la chambre
obscure.
Il est aisé de démontrer que les images des objets situés à l'horizon
ôe peuvent être exactes , nettes et bien proportionnées que si , dans
)a chambre obscure , on les reçoit sur une surface sphérique concave :
c'est préci>ément lu le cas de l'œil , où la rétine s'étale sur une telle
surface; les images photographiques, au contraire, ne peuvent,
jusqu'ici du moins, être faites que sur des surfaces parfaitement
planes ; il suit de lu que ce n'est que sur une petite étendue que
l'image photogi*aphique peut réellement revêtir celte exactitude ma-
thématique qu'on lui attribue en général.
Lorsque vous tenez les yeux Axés sur un point en repos situé à
l*borizon ou n'itnporte à quelle distance de vous, vous voyez les objets
placés à droite et ù gauche de ce point avec leur forme et leur cou-
leur: mais la netteté de la perception diminue considérablement à
mesure que ces objets s'éloignent plus vers les deux côtés ; vous
n'avez , à vrai dire , de perception nette que du seul point que vous
fixez ; et , si vous étiez condamné ù fixer un seul point d'un paysage
ou d'un tableau , vous ne pourriez avoir qu'une idée extrêmement
vague de l'ensemble. Mais l'œil est le plus mobile de nos organes :
une telle condamnation serait sa perte ; le vertige , le larmoiement ,
et puis un brouillard complet vous saisissent, lorsque vous essayez de
subir cette condamnation pendant trè*i-peu d'instants même , et c'est
peut-être là une des plus grandes difficultés que vous opposez vous-
même , lorsque vous vous faites photographier. Quand vous regardez
un paysage , un tubleau , ou même une figure isolée , voire œil se
promène, A votre insu , sur toute la surface de l'image que vous avez
devant vous , et la palpe comme le ferait une main délicate. A chaque
perception nette, le télégraphe, dont je vous ai parlé, transmet une
dépêche à l'observateur , et c'est en définitive la mémoire de celui-ci
qui reconstitue l'unité et l'harmonie de l'œuvre d'art.
Le lieu où se forme l'image derrière une lentille grossissante dé-
pend de la distance de l'objet lui-mêm - ù la lentille: plus il s'en
éloigne , plus l'image s* eu rapproche. Voilà pourquoi vous êtes obligé
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SS8 EKVUfi DAL&ACB.
iie régler une lunette d'approcbe d'après la distance des objets que
vous regardez. Voilà pourquoi vous avez vu M. Braun vous regarder
d*abord dans sa chambre obscure, pour recevoir votre image. Il
résulte de là qu'un objet en relief ne peut , rigoureusement parlant »
pas former son image sur une surface plane ; que rigoureusement
parlant un portrait » photographié d'après l'original , ne peut être
exact: les parties situées en avant sont grossies et diffuses; les parties
situées en arrière sont diminuées et diffuses. C'est en effet ce que
vous remarquez sur beaucoup de portraits, sur Jbeaucoup de paysages
photographiés.
La lentille achromatique de l'œil n'est pas plus à l'abri de ce défaut
que celle de la chambre obscure : vous ne pouvez voir neilemeni à la
fois deux objets» dont l'un est très-rapproché et l'autre très-élolgné ,
quoiqu'ils soient sur une même ligne. Mais un mécanisme admirable,
que vous gouvernez à votre tnm , vous permet à chaque instant d'à*
dapter l'œil à la distance ; lorsque vous regardez un objet très-rap*
proche de vous , l'adaptation se fait rapidement pour tous les pointa
du relief; l'œil ici agit alor« encore comme une main que le bras aoos
permet d'avancer et de reculer pour lui faire suivre des contours.
Lecteur, décidément* que pensez- vous de l'œil? S'est*il fait de
lui-même, par hasard? El m voyons-nous que parce que, par hasard
aussi , nous avons des yeux ? Sottes questions , n'est-ce pas ? Il en
est de plus sotli's encore cependant.
Lorsque par un jour radieux de printemps vous rencontrez sur
votre route un aveugle conduit par son chien fidèle , fermez les yeux
et figurez- vous , si vous en avez la force, qu'ils sont fermés pour
toujours à la lumière; si alors vous n^ pleurez, c'est que la source
des larmes est tjri ) en vous. Une âme sans yeux, dans ce mon Je
terrestre! Voilà une pensée horrible, que nul ne supporterait» si
nous ne sentions que l'âme • une fois développée, renferme une lu^
mière propre, supérieure à cePe du monde externe , et que rien ne
saurait éteindre. Mais que pensez-vous du guide de cet aveugle ? C'est
une machine que TinNiinct seul meut, dit-on. Il y aurait donc aussi
des yeux sans âme; il existerait quelque part un observatoire admi-
rable qui serait privé d'observateur. Et dire que des g<'ns sincèrement
pieux admettent de telles choses I Celle sottise , inveniée par je ne
sais qui ei je ne sais quand , l'a clé sans doute aussi pour qu'aucune
sottise n*ait fait défaut à notre pauvre humanité.
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OHB FANTATSIE A FROPO» DES PHOTOGRAPHIES , ETC. 329
Lecteur » ceci est ma dernière digression , mais die vous expliqoe
tontes les autres. A chaque progrès dans l'ordre matériel en répond
nn dans Tordre moral : n'en déplaise aux amis du bon vieux temps.
L'art de la photographie » si vous voulez l'approfondir . vous force i
étudier l'œil et ses fonctions ; et cette étude , si votre esprit n'est
aveugle , vous condamne à un progrès moral aussi supérieur au pro-
grès matériel que la lumière de l'éme l'est à celle du monde physique.
Je viens de vous montrer combien, sous beaucoup de rapports,
l'œil est un instrument d'optique supérieur à la chambre obscure.
Singulier moyen , direz-vous , de prouver que la photographie peut
peindre comme le pinceau guidé par l'œil (et le bon sens) !
Il y a photographe et photographe ; il y a photographie et photo-
graphie. C'est ici le moment de montrer le pourquoi.
Le photographe sagace et habile sait modifler ses réactifs selon le
jour t selon l'heure du jour; il sait les approprier à chaque espèce de
lumière. S'il ne peut rendre complètement acùfo tous les rayons lumi«
Deux , il le peut du moins en partie , et il peut parer aux inconvé-
nients qui résultent de Vinacimîé chimique de quelques-uns. Voilà ce
qui fait le photographe : je n'ai pas besoin d'ajouter que cela ne suffit
point» et que • quoiqu'on dise » il faut aussi qu'il soit artiste» dans la
vraie acception du terme , pour réussir.
L'œil est un instrument identique & la chambre obscure , mais il
est plus parfait, en ce sens que les défectuosités qui, pour )a
vision, résulteraient des propriétés mêmes des éléments qui le
forment, y sont corrigées par le mécanisme admirable de la construc-
tion. Cette construction ne peut être imitée ; mais on peut aussi parer,
ao moins en grande partie , aux inconvénients qui résultent de son
absence. Il est certes impossible de faire que l'image d'un relief
puisse se former rigoureuiement sur une surface plane; mais on le
peut à- peu-près ; et cet à- peu-près est tel que, si au lieu de raisonner
en mathématicien, vous vous bornez à regarder comme toiit le
monde , vous ne vous apercevrez plus des défectuosités du dessin de
la chambre obscure. L'emploi d'instruments très-puissants , dans la
photographie des portraits , par exemple , permet de faire poser la
tête à des dislances relativement grandes de l'appareil ; dès ce moment,
l'image des divers points , sans se former rigoureusement à une
même dbtance de l'objectif, peut pourtant être reçue sur un plan^
et y dessiner la tête comme vous la voyez réellement. A plus forte
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S30 RIVUB 0'ALaàGI.
raison eo est-il ainsi de la photographie des paysages , où les objets
imités sont tellement éloignés que leurs foyers derrière l'objectif
deviennent presque équidisiants . et peuvent, par suite » sans incon*
dénient » être reçus sur une glace.
La photographie, nous le redisons une dernière fois, ne peut
créer le beau; mais la grande ressemblance, la presque identité de
ses procédés de perception (passez-moi ce terme) , avec ceux de rœil,
hii permet de reproduire le beau qu'on lui présente lout fait : bien
différente en cela des mauvais peintres qui , s'ils étaient même
(Capables de peindre le beau comme nous le voyons, se garderaient
bien de le reproduire. Dans les épreuves complètement réussies , les
défectuosités inhérentes au procédé deviennent pour ainsi dire une
manière spéciale , à laquelle l'œil se (ait très-vhe , et à laquelle il
trouve même un caractère qui est luin de déplaire. Pour ne citer que
deux exemples très-différents pris dans le grand nombre , il est im-
possible de rien trouver de plus saisissant que la reproduction des
bas-reliefs de la cathédrale de Strasbourg ; la pierre ici semble vivre.
Et pour les personnes qui , avec nous, ont la naïveté de croire que
la nature sait faire de belles choses, la reproduction du Lac noir et
de ses rochers paraîtra suflSsamment belle, en attendant que tout autre
qu'un peintre ordinajre vienne nous traduire ce site sauvage.
Croyez-le une bonne fois , lecteur , les vrais artistes n*ont point à
s'inquiéter de la photographie ; ils y trouvent déjù aujourd'hui un
moyen puissant pour reproduire à l'infini leurs propres œuvres.
Quant aux muses que nous avons retrouvées déjà à moitié chemin
de notre séance , si elles ont jamais eu des velléités de se sauver,
tons nous permettons de croire qu'elles étaient plutôt inquiétées
par le zèle trop ardent de quelque ami du bon vieux temps:
ces filles de la nature et du bon sens u'aiment pas les anachronismes.
Mais vous vous fâchez je crois. Diable ! en seriez-vous un
M. Braun vient à temps nous séparer. Votre épreuve a parfaitement
réussi. Je vous le dirais bien : soyez naturel. Mais le naturel ne revient
pas au galop «hez tout le monde, quoiqu'en ait pensé Lafontaine.
Votre négatif d»jà est par ma foi plus beau que vous ! Soyez sûr que
je vous éviterai à l'avenir , comme ce mauvais orchestre dont je vous
ai conseillé de vous méfier , page 247.
Gustavb-Adolphb Hirn,
Inféi^Mir àhUt
Logeibach , près CoUnar , 30 janvier 1861 .
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DOCCIENT HISTORIQrE.
Voici la traductioo d'un arrêté pris par la Chambre des iiii de
Strasbourg ao sujet de la réception de Marie-Antoinette » le 7 mai
1774.
Cet arrêté , qui ne porte pas de date . permet de faire de curieux
rapprochements et je crois qu'il ne seront pas déplacés dans la Revue.
Le voici :
En vertu des dispositions prises par Messieurs de la Chambre des
lin . pour la réception de Madame la Dauphine » les injonctions sui-
vantes seront faites aux bourgeois de cette ville p«r les appariteurs
des tribus.
I. Le Jour de l'arrivée de Madame la Dauphine» les façades de toutes
les maisons seront, dès 8 heures du soir, garnies de lumières posées
dans des lanternes et le resteront pendant la nuit.
IL Le même jour et le suivant, les habitants ne paraîtront dans les
mes que dans une mise propre fin saubem KleidemJ.
IIL Les personnes difformes ne se laisseront pas voir en public.
Vf* Les boutiques et magasins seront fermés à l'arrivée de Madame
la Dauphine, principalement dans les rues par lesquelles elle passera.
Signé : Silberrad , secrétaire des xiii.
On considérait dans ce temps la liberté personnelle d'un autre
point de vue que de nos jours ; au moins on nous tnvtle et on ne nous
ariomie pas d'illuminer ; nous avons la faculté de circuler dans telle
mise qu'il nous plaira et les pauvres déshérités de la nature, ne sont
pas condamnés à la réclusion. Il y a donc progrès incontestable et
c'est là un nouvel argument à ajouter à ceux d'Eugène Pelleun dans
c le Monde nuarche. »
6. WOLFP.
Slnsbuarg, 22 janvier iMl.
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ESSAI
DE TRADUCTION DE QUELQUES POÉSIES ALLEMANDES.
DEUX SONNETS ALLEMANDS DE LAHEY,
TiBliS DU Pfeffeli-Album.
LA DERNIÈRE VICTOIRE. 4797.
Un grand effort , dernier coup de tonnerre ,
El la Tictoire a fiié le destin.
Las des combats , l'ennemi cède enfin ,
L'aigle autricbienne a replié sa serre.
On ne toit plus les horreure de la gnerre : *
L'auguste Paix , propice au genre humain ,
Epand sur nous , fiiit luire de sa main
Les doux rayons qui fécondent la terre.
Un chant jojeux , cri d'une nation ,
S'élève alors, et célèbre la France ,
Et ses eniants, braves comme un lion.
Ce chant nous dit que la reconnaissance
D'un peuple illustre à jamafs un grand
Ce nom devient un cri de délivrance.
LA VILLE NOUVELLE.
Par», juillet 1858.
OÙ donc était la petite ruelle .
Jeune séjour d'espoir et de bonheur ;
Et la voisine , arrosant une fleur
Dout la beauté pftlissalt auprès d'elle ?
Où la trouver dans la ville nouvelle ?
Vieilles malsons et juvénile ardeur
Ont disparu Mais il reste en mon cœur »
Doux souvenir, l'image de la belle !
La foule court. Ces palais grandioses
Cachent l'endroit où ilans mes jaunes ans
J'entrevoyais la plus belle des roses.
Je ne vois plus son étroite fenêtre.
Tout doit passer La femme aux cheveux blancs ,
Qui m'a souri , c'était elle peut-être ?
DEUX CHANSONS DE KOTZEBUE.
(Et kun ja nicht immer lo bleibeo).
Tout change et tout passe en ce monde. Et d*autres , entrant dans la vie
Voyez le ruisseau qui s'enfuit : Quand la nôtre viendra finir ,
Le plaisir fuit , semblable à l'onde , Pour nous boiront , dignes d'envie ,
La rose brille et défleurit. La libation du souvenir.
Nos pères aussi savaient boire , C'est l'amitié qui nous rassemble ,
Poui tant ils sont toun enterrés. La galié présiile à nos chants.
Amis , buvons à la mémoin» Ah ! puissions-nous rt'ster ensemble
De ceux qui nous ont précédés. Dans toute la suite des temps!
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SSEAI DB TRADCGTION DE QUELQUES POÉSIES ALLEMANDES. 533
Mais comme ce o'est pas possible , Gepeodant , aux bouts de la terre
Sage est qui bien s*amasera , Kos cœurs seront toujours unis :
Car bientôt le sort inflexible Le bonheur de Tun Tiendra faire
Peut-être nous dispersera. Le bonheur de tous ses amis.
Que TsTenir nous réunisse
Encore en ce monde changeant ,
n nous verra , Tinstant propice ,
Tout aussi gais que maintenant.
(Wir sitxen so frôhlich belummen).
Cest l'amitié qui nous rassemble , Car rien ici bas n'est durable ,
La gatié préside 9i nos chants. Rien nVst assuré d*un instant.
Ah ! puissions-nous rester ensemble Puisque le bonheur est peu stable ,
Dans toute la suite des temps ! Mettons k profit le présent.
Tout change dans la vie humaine . Nous quitterons tous cette terre ,
Après les plaisirs la douleur. Nous sommes sujels à l* mort.
Plus d*un chagrin , plus d*une peine Songeonsquech;4quehommeestnnfrère,
Viendra nous aiOlger le cseur. Et tAcbons d'embellir son sort
Si courte que soit notre vie
Qu*elle soit uiile au prochain.
Dans une meilleure pairie
Nous vivrons d*un bonheur sans fin.
GAUDEAMUS IGITUR.
Soyons gais , et Jouissons A nos doctes faicultés ,
De notre Jeunesse. A ces puiu de science ,
Nous ne nous amuserons Tontes les prospérités
Plus dans la vieillesse. Gloire en abondance !
Tohige, et semblable au vent, Vivent tous nos professenlt
Le plaisir trop promptement Ainsi que leurs auditeun
Nous fuit et délaisse. Espoir de la France I
Où sont ceux (le direz-vous?) A la santé des amoora !
Qui sur cf tie terre , Jeunesse , tu brilles I
Au temps Jadis , comme nous , Mais que sont tes plus beaux joun
Vidaient bien leur verre ? Sans les Jeunes filles ?
— Ils ne boiront Jamais plus Qu'elles aient l'osil bleu on noir ,
Du raisin le divin jus , Elles sont , J'aime à le voir ,
Et ne riront guère. Toutes fort gentilles !
Buvons donc et bièrd et vins , Buvnns au pays , 9i ceux
Vidons les bouteilles. Qui , par leur vaillance ,
Répétons de gais refrains , Ornent de rayons glorieux
Sous de vertes treilles. Le nom de la France :
A ces refrains s'uniront A son drapeau redouté
Les baisers que donneront Symbole de liberté
Des lèvres vermeilles. Et dHndépendanee 1
Buvons tons aux bonnes gens
Aimant que l'on rie.
Mais honnis soient les méchants
Voués 9i t'envie ,
Tous les êtres détestant
Vin , amour , tabac et chhnt ,
Plaisir et folie.
Trodmtê de PaUmmmd par Gb. Bbsjnillé
orgitized by VjOOQ IC
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQbE.
ETUDBS PHT8I0L06IQCS8 8UB LBS^NIMALGULSS DBS INFUSONS YÉCaiTALBS,
comparé» aux organei éUmenUùm dei végétaux, par Paul LàUBENT,
ancien impecleur des forêu, etc. — in-4'^ de 183 pages avec 24
planches. — Paris » chez i. B. BaUlère » 4858.
Dans la Revue éf Alsace , 4855 » page 582 » nous avons donné on
aperçu do î*' Tolunie de cet intéressant travail, consacré aox animal-
coles infusoires. Nous allons aujoord'bui un peu tardivement » il est
vrai • eniretenir nos lecteurs du 2* vol. qui traite des organes élé-
mentaires des végéuox.
Analyser un ouvrage aussi riche et en expériences et en observa-
tions ingénieuses serait une tâche fort difficile » si Fauteur n'avait
lui-même résumé toutson travail dans un chapitre intitulé : Conchuim.
Nous ne pouvons donc mieux faire que de le reproduire intégralement.
c Dans le cours de toutes les observations qui précèdent, les seules
différences qu*on a trouvées entre certains animalcules des infusions
végétales ou leurs travaux et les organes élémentaires des végétaux ,
n'ont porté que sur la somme de vitalité dont les uns et les autres
sont animés. »
c Tout cela concorde avec des opinions déjà émises par des savants
des plus distingués et notamment par les expériences de Mirbel sor
le CordyUne auitralii et sur le Dracasna Draco. »
c Ces rapprochements , si nombreux entre la cellule et un travail
dinfusoires . ou même d'un infusoire, ne peuvent plus se faire entre
un végétal tout entier composé d'un nombre infini de cellules et un
animal d'un ordre un peu élevé. »
c Toutefois, dans les végétaux les plos développés, il y a certaines
parties qui jouissent d'une animation propre et semblent participer
aux manifestations de vitalité des organes les plus irritables des ani-
maux supérieurs. »
c On passe en revue » pour le prouver, les contractions en spirale
des plus minces filets des racines » des vaisseaux devant des feuilles ,
et Ton insiste surtout sur l'excitabilité de celles du Dioncea , sur les
mouveroenu saccadés des grains de pollen . sur l'irritabilité de l7po-
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BlJLLBTm BlBUOGRAraïQUB. 358
mœa tenritiva\ de VAmarylliê ialtatoria^ etc. enfin sar répanchement
du pollen dû Berberit mlgaris. »
c La vie végétale et la vie animale , identiques à leur point de
départ y aflectent » à mesure qu'elles s'éloignent de ce point » des
allures plus ou moins différentes ; mais le Créateur ne parait pas avoir
favorisé , en définitive , les uns plus que les autres. •
c Les végétaux sont d'immenses polypirs. i
c Quand on songe à l'excessive prodigalité avec laquelle la vie est
semée partout à la mince surface de notre planète » on ne saurait
croire que la vie s'arrête entre de si étroites limites ; et sans doute
aussi sont habités par des êtres dont l'organisme nous est inconnu »
les autres satellites de notre soleil et ceux qui probablement gravitent
aussi autour de toutes les étoiles du firmament. Nous ne saurions croire
que les immenses espaces du monde sidéral ne seraient que de vastes
solitudes glacées par le néant , et qu'il n'existe pas » entre toutes les
parties du ciel , des communications sans nombre et qui marchent
avec la rapidité de la pensée. »
c Au nombre de ces relations » il faudrait comprendre celles qui
mettent les êtres organisés en rapport avec le monde extérieur» et
c'est toujours encore l'électricité que nous appelons à notre aide et
et que nous croyons soutirée aussi bien par les points dont sont recou-
verts les animaux, que par les feuilles et les racines chez les plantes;
car la vitalité va toiiyours croissant comme le nombre de ces pointes»
et les oiseaux sont » sous ce rapport » en tête de la création ; chez
l'homme, l'intelligence et la forme du langage qui la révèle» se
développent en même temps que les pointes déliées surgissent à son
jeune et impressionnable épiderme. i
c Avant d'en finir» la curiosité» vivement éveillée par ce qui précède»
se demande quel est ce mystérieux agent qui » tour-à-tour » se fait
calorique ou lumière » tonnerre exterminateur ou Oulde bienfaisant »
agent chimique et magnétique » et qui » s'associant à totis les phéno-
mènes , parait » jusqu'à un certain point » participer à la nature divine
et se poser comme intermédiaire entre lé Créateur et la créature ? »
c Or, la Genèse semble l'avoir défini par ce spiriiui immemui qu'elle
bit apparaître au premier jour de la création » avant même qu'il ait été
dit à la lumière de paraître » sur la matière toute fluide et qui n'était
encore qti'une terre incomposée et un abîme invisible, t
c Cette indication coïncide avec l'état actuel de la science dont les
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336 .ftfttm 0*ALSACB.
progrès incessants conduisent à considérer la lumière « le calorique ,
les Ouides électrique et magnétique comme des modifications d'un
même principe. Ce serait lui qui se révélerait à l'homme de la ma*
nière la plus imposante par le grondement du tonnerre, et qui, dans
la matière organisée , dirigerait , selon nous , les instincts variés de
tous les animaux, provoquerait le sentiment des hautes sciences chei
l'homme ainsi que celui du beau idéal dans les arts , et qui enfin, s'il
cessait d'être , ne laisserait après lui qu'un désert muet et inanimé. »
L'ouvrage se termine par une note sur des eipériences d'électricité
végétale.
Un travail sur les petits êtres qui naissent ou se produisent dans les
infusions végétales , se rattache tellement à la question que M. Pou-
chet a soulevée dans ces derniers temps , et qu'il a défendue avec
autant de talent que de conviction » qu'on ne peut s'empêcher dcf ae
demander si M. Paul Laurent est pour la Pantpermie (dissémination
des germes), ou par Vhéiirogênie (génération spontanée) ? La réponse
est difficile , l'auteur ne s'est pas prononcé. Du reste , à l'époque de
la rédaction du travail de notre savant lorrain , les expériences de
M. Pouchet n'étaient pas encore publiées et cette question brftlante »
déjà soulevée a diflérentes époques , n'était pas encore revenue à
Tordre du Jour. Dans les deux volumes de M. Paul Laurent nous avons
trouvé des arguments en faveur de l'une et l'autre de ces doctrines*
Pour critiquer un ouvrage basé sur des recherches difficiles à con*
trôler , n'est pas compétent qui veut ; ausii nous bornerons-nous i
une petite chicane de mots en reprochant à H. Paul Laurent de trop
estropier les noms propres. Ainsi nous trouvons tome i«', p. S et sui-
vantes Chimper au lieu de Sclùmper; tome il page B4 et suiv. Duman
au lieu de Dumas. Des noms comme celui de notre savant naturaliste
de Strasbourg et comme celui de notre grand chimiste français , mé-
ritent plus d'égards ; des noms de cette valeur représentent des prin-
cipes de science et sous ce rapport leur orthographe est aussi impor-
tante que celle des termes^scientifiques.
L'ouvrage de M. Paul Laurent sera étudié avec plaisir et intérêt fiar
tous ceux qui s'occupent d'histoire naturelle microscopiquei qui aiment
tout ce que la nature a de plus admirable et de plus merveilleux —
le monde des infiniment petits ouvrant le champ aux vues et aux
pensées les plus élevées. Napoléon Nicklës»
corraspondant 4e TAendénie * StanUat.
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ESQUISSE
CARTE LINGUISTIQUE DE L'ALSACE.
La Revue à'AUace recueille avec un soiû si miouiieux tout ce qui
regarde notre province • qu'elle ne refusera pas , j'ose l'espérer .
l'insertion du présent travail « qui , tout imparfait qu'il est, aura au
moins le mérite d'être le premier en son genre. La publicité acquise
à ce Recueil , me permet de compter, que cette esquisse tombera sous
les 5eux de personnes qui voudront contribuer à en rectiOer les
erreurs, et à en compléter les lacunes. Vivant loin de mon pays natal,
et me trouvant ainsi dans l'impossibilité d'obtenir mes renseignements
sur les lieux mêmes , je convie à me venir en aide tous ceux qui s'in*
téressent à la langue aussi bien qu'à l'ethnographie de notre Alsace.
Pour tous ceux qui tiennent encore à l'idiome qui fut celui de leurs
ancêtres aussi bien que celui de leur propre enfance « rinlérêt
qu'offrira un travail spécial sur celte langue est beaucoup trop visible
pour que j'aie besoin de le démontrer. Quant à l'ethnographie de
notre province elle y trouvera aussi son profit. Une carte linguistiqoe
sera seule capable de faire embrasser d'un coup-d'œil les différentes
tribus germaniques qui s'établirent sur la rive gauche du Rhin , en
délimitant exactement les sous-dialectes dont se compose la branche
allémanique alsacienne , aussi bien que les dialectes non ailémaniques
du Nord du Bas-Rhin , et les patois romans du Sud et de l'Ouest.
Les pages suivantes ne sont du reste qu'un des chapitres de l'/niro-
duclkn d'une grammaire alsacienne détaillée à laquelle je travaille
depuis 17 ans et que je désire rendre aussi complète que possible
pour qu'elle soit digne de notre belle patrie.
DÉLIMITATION.
L'alsacien est l'une des branches du grand tronc allémanique qui
s'étend sur le Sud-Ou€St de l'Allemagne , la Suisse et nôtre propre
s* Séri«. - S* Aanét. ^2
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S38 REVUE D'ALSACE.
patrie. Il se compose d'une série de sous^dialectes , présentant chacun
ses particularités spéciales, tout en se rattachant à un centime comoiun
dont chacun d'eux offre les caractères.
Voici les voyelles: Strasbourg en a 42 et dans certains quartiers
iZ. (Voyez plus loin).
Nous établirons d'abord trois grandes divisions : dialectes de la
Haute-Alsace , de la Moyenne-Alsace et de la Basse-Alsace.
I. HAUTE-ALSACE, aj Branche orientale.
Je ne saurais indiquer des limites très-précises.
1. Sundgau supérieur s'arrête au Sud de Mulhouse.
Au Sud de l'Alsace le langage est encore presque suisse.
Caractères génériques.
ch dur remplaçant k au commencement du mot choehe=^kochen.
tig remplaçant nd : hang hand , hung hund.
li terminaison du diminutif» à côté de celle en le.
Pfèischle = P/irigsten , ièi{:= fûnf, Àoûscht = Àngst.
a remplaçant è mais pas absolument. — Quels mots gardent ^?
b entre deux voyelles.
Question. •— Quelle est la limite précise de chacune de ces particu-
larités?
2. Sundgau inférieur.
b devient w entre deux voyelles: lowe loben,
eh est toujours dur ich » à peu près t*ch.
au, quand il se trouve en strasbourgeois , conserve en partie au.
Dans quels mots?
è strasbourgeois ne devient pas toujours a. Dans quels mots? — ou
strasbourgeois , d'après le N^ 11 de YElsàssische Volksbuchlein , se
trouverait à Alikirch. Où sont les limites de cette diphthongue?
g entre deux voyelles reste g.
Diminutif le.
A Tbann les é strasbourgeois sont en partie è Schwèsier , Sèster.
Quelle est la limite précise de chacune de ces particularités ?
3. Oberland supérieur.
Entre Bollwiller et Colmar.
g devient ; entre deux voyelles » âge devient àje sàie^s^sagen.
i devient absolument a.
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KSQOiSSE D'CRE^AKTfi LlNGOimQUB DE L'ALSAGE. 3S9
au devieni oi — î gahl pour t Mdy i4âd:^kh wûrde.
Le eh doux palatale paraît. — Quelles sont les limites de ces parti-
cularités?
i. Oberland inférieur. — el, diminutif.
Jusqu*aux limites du dialecte. Erstein au Nord et la rive droite de
ril^ jasqu'^ Schlestadt , de la vers l'Ouest. Saint-Mainice appartient
encore à cette famille.
b) Branche occidentale.
Les vallées des Vosges dont les carartères ne me sont pas asses
connus. J'excepte toutefois la vallée de Saint-Amarin sur laquelle je
viens de recevoir des renseignements.
au strasbourgeois == àt rauxîliaire du Conditionnel est coneorreB*
ment dad et gaht.
Les diminutifs sont el.
Les formes spéciales de Tlmp. du Subjonctif sont presqo'inconnues.
ge préfixe reste ge^ excepté devant ich, particularité qui distingue
ce sous-dialecte de tous les autres.
GlotionèieM {SprachinielnJ.
i^ Wildenstein dans la vallée de Saint-Amarin et les vallées de la
Fecbt, Mûbibach, par ex., colonisées par des Suisses, parlent un
langage qui n'est guère alsacien. Quelles en sont les limites?
2* Baldenbeim , également colonisé par des Suisses , a aussi beau-
coup retenu de son idiome primitif.
' Caractères génériques de la Haule^Alsace*
n finale omis dans la plupart des monosyllabes vô , wî.
Absence de la dipbchongue ou (sauf quelques locaUtés peut-être)
réaolQtioB de û » (vulgo ue) et de i (vulgo ie) en ù^ t^.
Quantité, revenant en gros à la quantité du Schriftdeuisch.
g entre deux voyelles faisant g , et plus au Nord j.
è devenant absolument a dans certaines parties, et ne restante que
daae un eertaiù nombre de mots dans d'autres régions.
If, à l'imparfait du subjonctif de la flexion faible, forme fort usitée.
Formes curieuses d'Imp. dusubj. de la flexion forte: t schlgt^ch
sehlûge , brong = bràchte , etc.
le , terminaison du diminutif, au Sud , au Nord et à l'Ouest el.
ge préfixe, = g devant s , sch, f, h^ l,m, n,r, j w ; disparaît
devant db g k.
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S40 BBTUB D'ALSACE.
II. MOYENNE*ALSACB.
A des caractères communs au Nord et au Sud.
Absence A*n final — ; pour g dans âge.
èi pour ai.
Peut-être aussi déjà la dipbthongue eu.
Epfig , Dambach et le long de l'Ill , dans une bande resserrée dont
je ne saurais exactement indiquer les limites.
01. BASSE-ALSACE.
Je noterai ici tous les noms de localités qui me paraissent appar-
tenir aux branches que J'énumèrerai » tout en reconnaissant que
souvent je ne donne qu'un à-peu-près.
a) Branche ORffiMTALE.
i. Kochertberg.
Caractères génériques : à è toujours a. ai strasbourgeois èi et par-
fois ê ê. au strasbourgeois eu et dans quelques mots ô , e (prononcez
eu gutturalement). ét=t— à dans bien des localités o. — o fréquemment
titt — n^=ûn , iin , on. — ou parfois ùû—chs=h» dans woh» , ftofu ,
ohsel , etc. nd=ng pas dans tous les mots , mais surtout dans ceux
en ind, Ônd, tchinge, bangel=bàndel — age=eue,
Plobsheim , Hipsbeim , Fegersheim, Entzbeim , Hangenbieten.
puis poussant jusqu'aux limites du département un coin plus ou moins
large, Dacbstein? Avolsheim? Dinsheim? SiUl, Oberhariach, Nieder^
hailach ; ensuite montant vers le Nord : Kolbsheim, Ernolsheim, Ergers^
beim» Dahlenheim, Odratzheim » Rirchheim, Fûrdenheim» Quauen-
heim, Nordheim , Kûttolsheim^ Rangen , Westhusen , Mendolsheim,
Altenheim , Waldolwisheim , Lupstein , Wilwilsheim » Gottesheim «
Printzheim , Imbsheim , Bosselshausen • Nieder-Sultzbach » Ober-
Sultzbach » Weitersweiler » Engwiller , Mietesheim • Hegeney • Wal-
burg, Escbbacb , Merzwiller, Schweighausen , Kaltenbausen, Nieder-
schœffolsheim • Gries et la route de Bischwiller jusqu'à Souffel-
weyersheim.
S. Semi'Kochersbergeois.
Je ne suis pas très-sûr de ce que j'avance ici , vu que les renseigne-
ments précis me fout défaut.
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I8QDI8SB D'UNP CARTK LINGUISTIQUB DK L'AUACB. 541
Caractères : A ce qu'il me seiAble atoence de nd changé en ng de
ehi changé en h$; dans ces cas, analogie ayec la branche occidentale.
Plusieurs groupes.
a) Sud. Nordhausen, Illkirch» Grafenstaden, Neuhof, Schiltigheim,
Bischbeim , Hœhnhëim. Le sirasbourgeois y est de plus en plus adopté.
Caractère particulier : o prononcé comme à Kàrb = Karb.
h) Milieu. Depuis la Wanzenau jusqu'à Drusenbeim le long du Rhin.
r; Nord. Preuschdorf, Gœrsdorf» Reicbshoflen , Niederbronu,
Oberbronn, Zinzweiler, Offweiler» Rothbach, Bischholz.
3. Siraibourgeois.
Au milieu de ces flots kochersbergeois s'élèvent comme autant d'Ile?*
la plupart des villes de cette région » qui se rattachent à Strasbourg.
Brumath et Hochfelden en partie — puis complètement moins cer-
taines particularités insignifiantes Bischwiller, Haguenau , Bouxwiller,
Ingwiller» Wcerth , Praflenhoflbn. — Quelques localités badoises,
Cork , Neumûhl , etc. , ayant jadis appartenu à la ville ou à l'évéché
de Strasbourg.
Caractères : à è quand ils se trouvent en allemand. One partie d'et
allemand donnant H — age=aue^ oge=ôûet ogel=ogel^ egel=egel,
ug=ûû.
4. Vnterland.
Sessenheim et le long du Rhin jusqu'à Beinheim (un hameau , Neu-
beinheim parle le dialecte du Palaiinat), Kesseldorf, Hatten, Kiîhlen-
dorf» Kutzenhausen, Schwabwiller , Schirrhein » Oberhoffen. (Rohr-
weiler? )
Caractères : au strasb. = â , at strasb. =i, û strasb. = u (long)
bâm y gês , bruder — âge dans certains villages aûe dans d'autres eue.
ge = g devant hfligchrmnwj,
b) Branche OGcrnsNTALB.
litière des montagnes.
Commence ù Andiau , longe (où f) le Mittel-Elsassisch , arrive dans
le voisinage du kochersbergeois, est scindé en deux par ce sous-
dialecte , reprend un peu au Nord et s'arrête à la Zinsel.
Caractères, à è deviennent généralement a. Cependant Berr=^Hérr^
iÊensch=Mtnieh , etc. — au strasb. ^^ eil — ai en partie è» en partie
et. Des détails sur Barr, Saverne » etc«, me seraient fort précieui.
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549 BByint D'iUBACB. .
Caraciim génitaux 4fi la B(use-Al^acf.
g entre a et e fait u , entre u et # fait ti : iaue, ieue, iaûe -* Hue »
l&ue = lugen^ sehauen.
au strasb. fait eii , o , â dans les autres aoas-dialeoles -- «t strasb.
fait et , I , é dans les autres sous-dialectes -- ou strasb* en partie M ,
en kochersbergeois.
ge^=g devant h /* s «cft et les voyelles excepté Unterland qui lyoute
l m n r j w.
Le Conditionnel ou Imfiarfait du subjonctif est formé avec déi >
sauf encore du côté de Barr où on dit gahL Les formes des flexions
fortes» excepté dans un certain nombre de verbes, ne sont pas
usitées.
Caractère$ généraux du dtakeie alioeUn.
1. Un certain nombre de mots font o. jar, hor, etc., déjà dans
l'alsacien du moyen-âge.
à fait a (et en partie é) , excepté à Strasbourg et le Unterland.
o fait tt devant m n suivies d'autres consonnes , sunn , kummet d^i
au moyen-âge.
fi. i<> ai et les nuances correspondantes èiié; moyen-âge eî. *- 2°éi
à Strasb. ailleurs en partie t ; moyen-âge i, ig. •— 3^ t (long et breO
dans toute l'Alsace. Moyen-âge également.
a^. 1* au Haute-Alsace ai, oi — Basse-Alsace à,eû, ô. Moyen-âge
au, ouwt d. -rr 2® ou strasb. et nuances correspondantes ot, ûû.
Moyen-âge u, uw,û, ûw. — Z^ û dans toute l'Alsace. Moyen-âge u ûi
en final = e — e final = i^» e; 2<» t ; 3^ se perd.
g reste au Sud; plus bas fait jf , plus bas encore u u. mage , nUije »
maue, meu^ , maiie. Moyen-âge g. Mais la disposition développée dans
les temps modernes s'y montre déjà dans ich, seite, geleU, getreU=
ich$agte, gelegt, getragen, etc.
ë. toujours é. déjà en partie au moyen*âge : kffel,
Préfixe ge fait g dans toute l'Alsace devant les voyelles eih fi sch
et be fait b devant les voyelles et h « $ch. Cette particularité apparaît
au quinzième siècle.
Geben a uue foule d'abréviations qui se trouvent déjà dans le
moyen-âge: gen, du gisi, et git^ iie genu II en est de même pour
sein 9 haben^ etc.
fc fait; après tt, excepté à Haguenau et certaines autres localités
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ISQUISSE d'une carte LINGOISTIfiOE DE L'ALEACB. 34S
QUI gardeni h. Déjà au moyen-ége, où d'ordinaire cependant on écrit g
fruege=frûhe.
Voyelles spéciales, û excepté l'Unterland. — t (vulgo ie),
Ghuonise.
Le Klingenthal » colonisé par des gens de la Prusse rhénane et ayant
conservé ce dialecte étranger pour fond de son langage.
Dialeetes non allémaniquet.
I* Diatecte du Palatinat offrant différents sous-dialectes. Il occupe
tout le Nord du Bas- Rhin. —Je désirerais y consacrer un paragraphe.
2* Dialecte lorrain , le Nord-Ouest — Limites exactes?
Languei romanet.
Les limites de l'allemand au Sud se rencontrent en général sur la
lisière du bassin du Rhin , à en Juger d'après les noms des localités.
En tirant ensuite vers le Nord elles sont exactement aussi sur la ligne
de partage des eaux jusqu'au Ventron et an Hohneck.
Quelles sont plus au Nord les limites à TOuest ?
à hànd. — a. le son qui à Colmar remplace â è Va français — âè.
kàs rêcht. Colmar kas raeht — i klé — I kind lîd — i min — û lûtt —
û mûder Colmar Mûader — ô sôû n'existe pas à Colmar. o roth — u
hund — U dans certains quartiers de Strasbourg devant e iaùe^ haùe
— e le son sourd de gebunde. En-dehors de Strasbourg dans la Basse-
Alsace il peut devenir long. Il est inutile de marquer ici les nuances
fort délicates des autres sous-dialectes.
Quant aux consonnes il suffît de faire remarquer que j^ a un son
qui ne se trouve ni en allemand ni en français vôijel , fUygel.
Pour indiquer les longues il faudrait disposer de caractères spé*
ciaux. Dans ma grammaire je marque les longues en plaçant un trait
sons la voyelle; pour ces quelques pages Je me suis contenté d'employer
l'accent circonflexe où j'ai pu.
Je ne veux pas entrer dans plus de détails pour ne pas fatiguer les
lecteurs qui ne prendront pas goût à ces recherches. Quanta ceux qui
seraient disposés à aider è la construction du moi\ument que nous
désirons élever i la gloire de notre chère langue maternelle , je ne
puis que réitérer l'assurance , que je leur donnais plus haut , de la
profonde gratitude avec laquelle j'accueillerai toute espèce d'obser-
vations.
L. LrEBiCH,
pMMrkSaiAt-AodrédbUiieliiCLoièft). »
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ÉTUDES
SUR LES
RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT.
SmU. C)
SIXIÈME ÉTUDE.
DE LA THtoLOGIB GHIMOISB.
»
La Chine a produit une série spéciale de doctrines , se composant
d'une tige ou centre et de quatre branches ou ailes. Le centre, c'est
l'antique doctrine des Kings , dont l'origine remonte à Fouhi ; les
branches ou les ailes sont : 1® la doctrine des lettrés anciens ou école
des Tou'kià , disciples de Koung^ueu (Confucius) ; ^ la doctrine de
Lao-ueu ou école de Taô-kià ; 5<> la doctrine des lettrés postérieurs
ou école des Kéou^joùi ; 4^ la doctrine des Trou-ufiû modernes et
sectateurs de Tttt''ping'wang. Nous ne rangeons pas dans la famille
des doctrines d'origine chinoise celle de Foè, qui n'est qu'une déri-
vation du boudd'hisme importé en Chine.
Il est incontestable que Koung-tseu s'est inspiré aux sources antiques
des Kings, quil a même débrouillés, traduits ou contribué à remettre
en vigueur. Quant à Lao-tseu » la chose parait plus douteuse ; car ce
philosophe a imprimé à l'ontologie une forme tellement nouvelle,
qu'il est diflScile d'y reconnaître les traces de son origine traditionnelle.
Toutefois Ton s'accorde à dire , à la suite du prince philosophe Hoal"
O Voir les livraisons d'avril, mai, Jnin, Juillet, septembre, octobre 1860,
pages 145, 200., 277, 515, 402, 458, mai et Juin 1861 , pages 200 et 256.
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AtUDBS sur les BBL1610MS COMPARÉES DE L'OBIDIT. 34S
nan^tseu , que Lao-tseu empruRia sa doctrioe du Taô ou do la Raison
suprj8me de Chang*young , l'un des restaurateurs des Kings » qui
vivait en l'an 1130 avant notre ère. Néanmoins il est aussi incon-
testable que Lao-tseu s'inspira aux sources indiennes, dont son onto-
logie porte des traces non douteuses. L'on peut donc considérer ces
deux branches , la doctrine de Lao-ueo et celle de Koung-tseu , comme
deux développements de l'antique doctrine des Kings : celle de Lao-
Isen en serait le développement métaphysique et celle de Koung-tseu
en serait le développement moral. — La doctrine des Keoù-Joùs ou
Néo-confuciens doit être considérée comme une sorte de transition
de celle des Youkiàs à celle des Taô-kiàs. Quant à la nouvelle doctrine
des Trois-unis et sectateurs de Taï-ping-wang , elle semble aussi être
à la fois un renouvellement et une réforme de l'antique doctrine des
Kings ; elle est à la fois une synthèse des doctrines de Koung-tseu ,
de Lao-tseu et des Kings et une transformation de celles-ci dans le
sens des théologies mahométane et judéo-chrétiennes. De sorte que
la théologie chinoise (que nous appellerons aussi du terme générique
desinntme^ dénomination que lui donne M. Lenoir dans son D}e-
tiormaire de» droits de la Ration dam la foi) formerait un arbre qui ,
dans sa croissance aurait présenté une série de divisions, depuis Fou-hi
jusqu'à Taî-ping-veang , et qui aurait cherché à s'étendre sur le monde
oriental.
Nous allons présenter l'analyse succincte de ces diverses phases de
développement de l'arbre de la théologie sinéenne.
L Docirine antique dei Kingi.
D'après les annalistes chinois , cette doctrine serait la plus ancienne
du monde* puisque l'un des Kings l'attribue à Fou-hi, l'inventeur des
premiers éléments de récriture chinoise , qu'on fait remonter à l'an
3369 avant notre ère.
Cette doctrine a pour monuments les Kings , sorte de livres sacrés
des Chinois, qui ont pour eux la même vénération que nous avons
pour la Bible. On peut même dire que , pour le genre et la distribu-
tion des matières , les Kings ont quelque ressemblance avec les livres
de Hoise. C'est tin mélange de mystères qui confondent la raison , de
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346 RB¥UE D'ALSaGB*
préceptes religieoi • d'ordonaances légales , de poésies allégoriques
et de faits carieui qui conceraent l'bistolre chinoise.
Le premier de ces livres s'appelle Y-King ou livre des transforma-
tions. Les Chinois l'attribuent à Fobi on Fou-bi. Ce livre est écrit
avec des caractères figurés, espèce d'hiéroglyphes. Le dualisme,
représenté par les deux termes le ciel et la terre , forme le fond de la
doctrine de ce livre, c C'est le ciel primordial , Touen-Kkien , est-il
dit , qui a donné l'origine à l'universalité des êtres , lesquels s'appuient
sur lui et ont en lui leur racine ; c'est-à-dire » que le ciel est le lien
qui embrasse tous les êtres. Chose phis admirable encore ! C'est sur
la terre , subordonnée au ciel que naissent corporellement on s'ap-
puient tous les êtres , c'est-à-dire » qu'ils obéissent aux lois qu'ils ont
reçues du ciel. La terre, dans son ampleur, contient des êtres ; par
sa vertu elle les réunit à un nombre illimité. (Y-King, ancien texte
figuratif y commentaire de Wefi''wang^Kiouèn^ folio A . 2.) i
c Toutes choses naissent par la composition , ptèn , et périssent par
la décomposition , hùù, la réunion des deux termes , ptèn-hoù , ex-
prime les mutations ou transformations de tous les êtres. >
Voilà bien les trois lois primordiales et universelles d'attraction ,
d'expansion et d'harmonie. (V. notre figuûxe â^une science morale,
tom. 1, p. 15).
c Le ciel est représenté par l'unité ou le nombre un ; la terre par
le nombre deux, i
Le livre des transformations admet des félicités terrestres pour les
hommes vertueux et des calamités pour les vicieux. Il serait difficile
de décider si la doctrine d'une âme immatérielle, distincte du corps»
celle d'une vie future et celle d'un Dieu suprême . séparé de la nature,
sont exprimées dans ce livre. Si ces doctrines s'y trouvent, elles n'y
sont qu'en germe ; et ce qui nous parait lé plus visible • c'est que la
conception théologique de Y-King est un vaste naturalisme , fondé en
partie sur un système mystique ou symbolique des nombres, dont on
retrouve les traces dans les écrits fragmentaires des premiers philo-
sophes grecs. Toutefois, le ciel y est considéré comme une puissance
supérieure » intelligente et providentielle , dont dépendent les éléments
humains.
C'est surtout dans le Chou-King ou Livre des annales que celle
p«issanc6 providentielle est décrite comme agissant d'une maaièr»
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ÉTUDES SUR LES KBLIGIONS GOMPABÉES DE L'ORIENT. 347
non équivoque &ur le cours des évéteoients. Le Ck4m»King , qei
remonte à 3200 ans avant notre ère, est le second livre sacré de la
Chine. On rappelle aussi Baung'foà ou SuhUme Doctrine. 11 est divisé
en neuf règles fondamentales « dont la cinquième» celle qui concerne
U souverain , est la fondamentale.
Le troisième livre sacré, qu'on nomme Chi-Ung ou Uvre dei vers^
est un recueil de poésies, partie dévotes, partie morales.
Le quatrième et le cinquième sont des compilations de Koung-tsea.
Par les noms Tien et Cftan^ - 7i , que les Chinois ont coutume d'in«
voquer dans leurs sacrifices, ils entendent le mattre du ciel et non
le ciel matériel ; en adressent des vœux à Tien et à Chang-Ti , ils
prétendent invoquer le souverain Seigneur du ciel , l'auteur de toutes
choses , un Dieu qui voit tout , qui gouverne tunivers avec une sagesse
égale à sa justice.
Ainsi dans cette antique doctrine des Kings, l'on peut apercevoir
è la fois le panthéisme , le dualisme et le monothéisme. Les autres
principes ne se retrouvent guères dans les documents qui nous en
restent. Toutefois le polythéisme s'y retrouve , à certains égards , à
en juger par les livres de Koung^tseo , qui parlent des génies.
Mais cette antique doctrine va être commentée et développée par
lea éootas subséquentes , parmi lesquelles l'école des anciens lettrés ,
YoihKià , occupe le premier rang.
H. DoeSrme des lettrés ou école des Tok-kUs.
L'école des lettrés, Toù-lààs^ reconnaît les rois ou empereurs
Fotf-ftt (l'inventeur de l'écriture chinoise) , Chin^noung (le divin labou-
reur) , Eoangti (l'empereur jaune) , Tao et Chun , pour ses fonda-
teurs, et Koung-ueu (Confucius), du sixième siècle avant Jésus-Christ»
pour son chef, ainsi que son disciple Meng-tseu. Les ouvrages réunis
de ces deux philosophes forment les Ischoû ou quatre livres classiques
de la Chine , qui constituent, depuis plus de 2000 ans , le code reli-
gieux et politique de la nation chinoise , dont la population est au-
jourd'hui de plus de 361 millions d'habitants.
La doctrine des Yoùrkiàs comprend peu de théologie , de mysticisme
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548 RSVUB d'alsacs.
et de questions spéculatives. Elle a un caractère plus moral » plus
positif, plus social « plus rationnel que mystique et métaphysique. Ce
n'est que d'une manière contingente et relative aux questions morales
et sociales qu'on y trouve quelques principes théogoniques , cosmo-
goniques et mystiques. C'est ainsi que , dans les commentaires sur le
T'King , dans le court appendice de Koung^tseu sur le T^King et
surtout dans ses ParoUs , recueillies par ses disciples , l'oo trouve
quelques uns de ces principes qui semblent plutôt une explication de
l'antique doctrine qu'une nouvelle doctrine mystique.
c Le ciel symbolique de Fou-hi, y est-il dit* est l'origine de tout ce
c qui existe , le commencement de toutes choses, ce qui constitue le
c principe pensant et sentant , sans ses dons et ses bienfaits ...••.
c L'homme supérieur met en harmonie ses vertus avec celles du ciel
c et de la terre ; il met sa lumière en harmonie avec celle du ciel et
c de la lune ; il met la disposition de son temps en harmonie avec les
c quatre saisons , il met ses félicités et ses infortunes en harmonie
c avec les esprits et les génies Que les facultés des Xouet-
c elûn (êtres spirituels) sont vastes et profondes ! On cherche à les
c apercevoir et on ne les voit pas ; on cherche i les entendre et on
c ne les entend pas ; identiOés à la substance des êtres, ils ne peuvent
c en être séparés Ces esprits cependant , quelque subtiles et
c et imperceptibles qu'ils soient , se manifestent dans les formes cor-
c porelles des êtres, leur essence étant une essence réelle, véritable,
c elle ne peut pas ne pas se manifester sous une forme quelconque. >
Ce qu'on peut débrouiller de la doctrine métaphysique des lettrés
est plutôt un naturalisme rationnaliste, perfectionné, comprenant le
ciel« la terre et l'homme, et leurs rapports réciproques , qu'un pan-
théisme que plusieurs y ont voulu voir, ou qu'un théisme que d'autres
y ont cru voir. Dans cette trilogie , le ciel occupe nécessairement le
principal rang, et il a eh général les mêmes attributs que ceux de
Dieu dans la doctrine spiritualiste, excepté , toutefois qu'au lieu de le
reléguer loin du monde et d'en faire une pure abstraction , comme
chez les théistes , il est dans le monde et y tient essentiellement. Le
ciel est le type parfait de toute bonté, de toute puissance , de toute
vertu , de toute Justice : c II n'y a que lui , comme il est dit dans le
« Ckou'King qui ait la souveraine, l'universelle intelligence: >
c Le ciel , dit le commentateur Tschouhi , par le moyen du Yin et du
c Yarif ou du principe femelle et du principe mâle (attraction et
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS GOMPARfi» DE L'ORIENT. 549
expansioo) et des cinq ëléments , domine naissance par giniraiUm et
par iransformation (harmonie) à tous les êtres de l'univers. >
L'on doit dire plutôt qu'aucun principe n'est prédominant dans
la doctrine des lettrés. L'on y voit; au contraire , dans un véritable
équilibre , dans un certain vague primitif, les divers principes de la
théologie mystique : le panthéisme par l'immanation du ciel ou de
Dieu. dans le monde; le monothéisme , dans Fidée de la distinction
de Dieu ou du ciel, souveraine Intelligence , d'avec les êtres qu'il
gouverne ; la reproduction du dualisme antique , ciel et terre ; une
sorte de trialîsme , dans la trilogie ciel . terre et homme ; et le poly-
théisme , dans la croyance aux génies et aux esprits.
Si la partie métaphysique et mystique de la doctrine antique est
peu développée et. seulement corrigée par l'école des lettrés» par
contre la partie morale et sociale y apparaît à une hauteur qui n'est
dépassée que par les doctrines évangéliques. C'est dans le Ta^hio ou
la grande Elude (le premier des quatre livres classiques) et dans le
Tehoùng^young ou VInvariable dans le milieu (le second des quatre
livres classiques), que la doctrine morale et sociale de Koung-tseu se
trouve le plus nettement exposée et qu'elle a reçu , pour ainsi dire •
sa formule métaphysique. Le premier de ces livres , le Ta-hio , se
compose d'un texte attribué à Rouug-tseu , lequel se nomme Kmg
Livre par exceUenee, D'après ce livre » les devoirs des hommes dans
leur plus grande généralité , se réduisent à trois : i^ donner le plus
grand développement possible à la faculté morale et intelligente , qui
est en nous; ^ renouveler le peuple , c'est-à-dire l'éclairer, l'instruire,
lui faire part des vérités morales; placer sa destination définitive dans
le souverain bien , c'est-à-dire » dans le perfectionnement de sot^
même. « La loi de la grande étude, y est- il dit, consiste à développer
et remettre en lumière le principe lumineux de la raison , que nous
avons reçu du ciel ; à renouveler les hommes et à placer sa destina-
'tion définitive dans la perfection ou le souverain bien. Par principe
lumineux de la raison-^ l'interprète Tchoubi , dit que Ton doit entendre
c ce que l'homme obtient du ciel et qui , étant immatériel , intelligent
et non obscurci par les passions , constitue le principe rationnel chez
tous les hommes et fait sentir son inOuence sur toutes les actions
de la vie. > La nature morale et spirituelle de Thomme est donc claire-
ment et positivement établie par l'école des lettrés.
Voici comment le Tchuung' Voung définit la nature morale : < Le
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<350 UVQB d'ALSACE.
fUMidat du ciel (d^slioée) s'appelle la nature raitannelle ou marêU; 1«
< principe qui nous dirige dans la conformité de nos actions atec la
:c oatnre rationnelle s'appelle droite vote, raison (TaA); le système
€ coordonné de la droite voie, de la raison , s'appelle Doctrine des
c Devoirs ou Instructions sociales»
c Le commentateur Tcliouhi explique ainsi ce passage: c L'homme»
c atosi que tous les êtres produits, obéissent chacun à leur propre
c principe ou raison d'être , aux lois spéciales de ieur propre mrtnre;
( alora leur action opérée journellement est intrinsèque» ou réside en
c eux-mêmes. Aucun d'eux n'existe sans tsvoir une voie qu'U doive
c sidvre, dans laquelle il doive marcher; c'est alors ce qu'on sMime
c la droite voie. » Et cette droite voie • cette raison naturelle n'est
c autre que le bien, c L'homme , dit Meng-tseu • est oatarellenem
c bon , comme l'eau coule naturelleaient en bas. Si, en lui opposatti vm
c obstacle , vous la faites refluer vers sa aource ou jaillir en haut ,
c appellerez-vous cela sa nature ? Ce sera Veffet de la contrainte, »
Fourier et ses disciples ne disent pas autre chose. Cette doctrine
professe le tihre arbitre de Vhomme dans la vole de sa destinée. En
effet, le libre arbitre est reconnu par Koung-tseu et clairement établi
par 800 disciple Meng-tseu. Ainsi , celui-ci veut-il prouver à un prince
qu'il ne gouverne pas comme il deit gouverner, pour rendre le peuple
heureux , que c'est parce qu'il ne le veut pas et non parce qu'il ne le
peut pas? Il lui cite, entr'autres exemples, cekii d'un homme à qui
l'on dirait de transporter une montagne dans l'Océan septentrional ou
de rompre un jeune rameau d'arbre; s'il répondait dans les deux cas
qu'il ne le peut pas , on ne le croirait que dans le premier; la raison
s'opposerait à ce qu'on le crût dans le second. C'est de cette raison
naturelle, de celte droite voie, qui est la grande source qui sort du
àd et que tout être possède en fait, queTchoubi fait dériver la doctrine
des devoirs ou institutions sociales , qui n'est que la formule systéma-
tique de ses prescriptions ou plutôt instructions. Ce sont les usages
pratiques , la musique , les lois pénales , les lois administratives et tout
ce qui en dépend.
Le principe immatériel dans Thomnie est donc bien établi ; mais
l'école des lettrés n'attache pas à ce principe , à cette Ame , comme
nous , l'idée d'une pérennéité Individuelle. En effet, l'âme, dans leor
opinion , lorsque la mort vient à opérer la séparation du corpa ,
retourne se perdre dans le ciel , où elle n'a plus d'existence propre et
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ÉTUDES SUR LES BiUGiOlilS eOVPARÉES DE L'OBIENT. 3<H
iodividoelie, «insi que l'on peol conclure de la plupart dea testes de
la doctrine du Youkià. Abstraction faite de cette lacune • cette école
élève la personnalité bumaîne aussi haut qu'elle peut l'élever , sans
pourtant oublier sa distinction avec l'absolu : c II n'y a que rbomme»
• dit Koung«tseu» qui soit capable de discerner le bien du mal
. • les facultés de son âme , ses vertus puissantes l'égalent au ciel. >
D'an autre côté il est dit de l'absolu : c Le parfait est par lui-même
« parfait, absolu.... la loi du devoir est par elle-même loi dudevoir...;
c le parfait est le commencement et la fin de tous les êtres....; sans
t le parfait les êtres ne seraient pas. >
L'école de Yoû-kiâ pratique aussi un culte : ce culte est oeloi du
Chang^li ou touveram Maître , souverain Empereur du eiel , de qui
vient toute vie , qui gouverne toutes les transformations de substance
en vertu des lois qu'il a établies. Mais ce culte ne connaît pas d'images
et n'a point de prêtres. Les sacrifices au ciel et à la terre se rapportent,
en dernier lien, an Xanti ou Cbang-ti, créateur de toutes choses, et
le culte des ancêtres, institué par cette école, est encore un remercie-
ment adressé à ce souverain maître dans la personne de ceux aux-
quels nous devons directement la vie, source de tous les biens. < En
c réglant, selon les rites solennels , le culte du ciel, du soleil , de la
< lune et de la terre » dit un philosophe moderne de la Chine (voyez
< Voyage en Chine par le capitaine Montfort , p. 203) , nos premiers
• Instituteurs ont voulu permettre à toutes les intelligences de com-
< prendre les r^les qui ont présidé à la création. > L'onpent dire
néanmoins que ce qu'il y a de moins vague et de plus sérieux dans le
culte des Lettrés est absorbé par le culte de Koung-tseu lui*même.
Sa tablette est dans toutes les écoles , les maîtres et les élèves doivent
se prosterner devant ce nom vénéré. Toutes les villes ont des temples
élevés en son honneur et plus de 300 millions d'hommes le proclament
depuis Tingt-cioq siècles le Saim par excellence, mais seulement comme
homme de génie et non comme Dieu.
Si le mysticisme est peu développé dans les deux systèmes qui
précèdent, il l'est davantage dans les écoles suivantes , dont la plus
grande est sans contredit celle de Ta&'Kià.
III. Doctrine du Taô ou école du Tad-Kià.
La doctrine du Taô dont l'auteur premier est Lao-tseu , qui vivait
six cents ans avant Jésus-Christ , peut être considérée comme la plus
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352 EKVOB D'ALaàCi.
complète et la plas riche des doctrines de la Chine. Par sa méupby-
sique et sa morale, elle touche à la fois an brahmanisme, au boud-
d'hisme » au catholicisme, aux philosophies de Platon et de Pythagore
et aux doctrines de Koung-ueu et des Kings. On pent y découvrir les
divers pantbéismes de l'Inde, quoiqu'avec un caractère particulier «
le caractère plus abstrait et plus rationel. On y voit le monothéisme,
le dualisme , le iriniihéisme ralliés à ce panthéisme et toujours avec
celte nuance abstraite et métaphysique. Ses prêtres en ont déduit un
polythéisme assez étendu , quoique moins riche et moins poétique que
celui de l'Inde. Enfin sa morale se rapproche de l'ascétisme catholique
et de la morale sociale de Koung*tseu.
Le Taô-té'King ou Livre de la Rauon suprême et de la vertu ^ est
regardé comme authentique par les historiens chinois de toutes sectes.
C'est l'Evangile des sectateurs de Lao-tseu. Selon lui Taô (naturelle-
ment identique avec les mots Theos et Deus) est la raison suprême ,
comme l'entendent les diverses sectesspiritualistesde l'Orient, depuis
lesMazdéens, les Essénéens, les philosophes grecs, Pythagore et
Platon , jusqu'aux gnostiques et aux Manichéens. C'est l'étemelle
Raison qui maintient le ciel et soutient la terre. Elle est très-élevée
et ne peut être touchée, très-profonde, et ne peut être pénétrée.
Elle est ancienne ; l'univers entier ne peut la renfermer, et cependant
elle est tout entière dans la plus peiite chose. (Voilà bien le panthéisme
par multiplication ou par diffusion). C'est d'elle que les montagnes
tiennent leur hauteur , l'abfme sa profondeur; c'est par elle que les
animaux marchent sur la terre et que les oiseaux volent dans l'air.
Le soleil et la lune lui doivent leur clarté , les astres le pouvoir d'ac-
complir leurs révolutions.
c La raison , est-il dit ailleurs • enveloppe le ciel et pèse la terre
c dans ses doigts. Elle est ineffable ; en comparaison de son incorpo*
c réiié , le son et l'ombre sont quelque chose d'épais et de matériel ;
c en comparaison de son être» toutes les créatures sont comme si elles
c n'étaient pas, (\o\ih bien le panthéisme par identification ou par
c confusion).
c Le 7ad, c'est encore Lao-tseu qui parie, préexistant à tout, ne
c peut avoir de nom par lui* même et dans son essence; mais quand
c le mouvement a commencé et quand l'Etre a succédé au néant , alors
c II a pu recevoir un nom des êtres qu'il avait créés. La confusion de
c tous les êtres précéda la naissance du ciel et de la terre. Oh ! quelle
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ÉTUDES StR LES BtUGlONS OOHPARÉES DE L'ORIENT. SitS
1 imanensité et quel silence ! Un être unique plafiait sur lout , immuable
c et toujours agissant , sans jamais s'altérer. Il est la mère de Tuni-
c Ters ; j'ignore son nom ; mais je l'appelle Tad , Verbe on principe.
• (ViMlà bien le panthéisme harmonique avec la distinction du Dieu un
c et des êtres multiples). >
Cette distinction des êtres avec Dieu n'est que relative à l'existence
mondaine, comme dans la théologie brahmanique. Leur destinée
finale est de retourner à leur principe • à Dieu. Cette existence mon-
daine présente les mêmes phases de transformations et de naissances
successives que dans le système de la métempsychose brahmanique :
c Tous les êtres apparaissent dans la vie et accomplissent leurs des-
c tinées ; nous contemplons leurs renauvelkmenu successift. Ces êtres
c matériels se montrent sans cesse, avec de nouvelles formes' exté-
c rieures; chacun d'eux retourne à son origine, à son principe pri-
c mordial. Retourner à son origine , signifie devenir en repos; deve-
c nir en repos signi6e rendre son mandat; rendre son mandat signifie
« devenir éternel ; savoir que l'on devient éternel (immortel) signifie
c être éclairé. Ne pas savoir que l'on devient immortel c'est être livré
c à l'erreur, et à toutes sortes de calamités, aux renaissances suc-
c cessives. Si l'on sait que l'on devient immortel (dans le sein de Taô)^
c on contient, on embrasse tous les êtres dans une commune aSec-
c tion; on est juste et équitable pour tous; étant juste et équitable ,
c on possède lee attributs de souverain ; possédant les attributs de
c souverain l'on tient de la vie divine. (Ici la doctrine s'élève presqu'au
c niveau du raiionalisme moderne) ; tenant de la vie divine l'on par-
f vient à être identifié avec le Taô ; étant identifié avec la raison su-
c prême on subsiste éternellement ; le eorps même étant mort l'on
c n'a à craindre aucune transmigration, i (V. 16"^ section du Taù-u-
Kmg , traduction de Paulihier).
c Le Taô a deux natures ou modes d'êtres : le mode spiriluel ou
< immatériel et k mode corporel ou matériel. C'est la nature spiri-
c tuelle qui est sa nature parfaite; c'est d'elle que l'homme est émané
c et c'est dans elle qu'il doit s'efforcer de retourner, en se dégageant
c des liens matériels du corps : l'anéantissement de toutes les pas-
c sions matérielles, de tous les penchants du corps, l'éloignement de
« tous les plaisirs du monde et la contemplation de la nature spiri^
c tuelle*dtvine sont les moyens les plus afiicaces de se rendre digne-
c d'elle • de retourner à elle , de s'identifier avec elle et de rétablir ,
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su KKVtE VTàlSkŒ.
c dans cette primitive harmoDie des natures spirituelles, rendues à la
c source dont elles étaient émanées, cette vie heureuse et divine qu'elles
f avaient perdue un instant, dans leur union avec un corps grossier
f et qu'elles retrouvent dans le sein de la grande et universelle intel-
c ligence. i Entre ce système et le système manichéen et méoie le
système caiholique de l'anéaniissement de la matière , quelle grande
diflérence? Entre ce système et les systèmes brahmaniques et boud-
d'bistes quelle distance autre que celle d'un panthéisme plus spiri-
tuaiiste à un panthéisme plus mélangé de roantériallsiiie? Nous y
trouvons même la doctrine brahmanique des deui états de Dieu:
de l'état neutre, immuable, de repos, caraciérisé par Brahni, et
de l'état actif de manirestation au monde, de création du monde,
caractérisée par Brahmâ ; muis nous y trouvons de plus cette vue
profonde dans l'Etat primordial, qui est donnée par la doctrine
boudd'histe du néant , et cette vue plus déterminée de l'Etat posté-
rieur, fournie par la doctrine du Verbe, de la Parole créatrice, qui
est, à divers degrés , celle du mazdéisme , du judaïsme et du plato-
nisme.
Ces diverses doctrines ou ces diverses aperceptions de la Divinité ,
dans son Etat absolu et dans son Etat relatif au monde, que nous
avons trouvées , à divers degrés et d'une manière généralement dé-
fectueuse, dans les théologies antiqiii's, se retrouvent admirablement
résumées et synthétisées dans la doctrine du Taô. Ne citons comme
témoignage que les passages suivants , auxquels nous ne trouvons ,
pour notre compte , rif'n à comparer dans les antres théologies, quant
à la profondeur, à l'étendue, comme à la netteté et à la concision.
c Le nom , qui peut être nommé , n'est pas le nom éternel et Im-
muable. Désigné sous le nom de non^Etre , ce principe suprême est
la cause efficiente ou primordiale du ciel et de la terre ; désigné sous
le nom d'Etre , c'est la mère de tous les êtres. C'est pourquoi V Eternel
nom-Etre éprouve le désir de contempler sa nature imperceptible aux
sens, sa nature merveilleuse et divine ; c'est pourquoi VEtemeUEtre
éprouve le désir de contempler sa nature limitée , sa nature corpo-
relle, phénoménale. Ces deux natures ou modes d être du principe
suprême ont la même origine et se nomment cependant diversement ;
ensemble on les appelle Y Indistinct et le Profend , comme l'azur du
ciel, porté au dernier degré, est la source de toutes les intelligences
merveiUeuses. » (Taô^te^King , ch. 1).
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frUDES 8im LES REUGIONS GOtfARÉES DE L'ORIERT. r 3SS
Pour Laô*tsea, l'Etre primordial est rElernité, Tlmmortalité ,
l'Absoia ; bien plus » il est le Bien , le non-Etre dans son eut absolu ,
en même tempi qu'il est l'Etre relativement au monde pbénoipénal.
Il est le monde visible et le monde invisible. Aussi Lsiô-lseu pose-t-il
VDn , ïUnilé abtolue comme la formule la plus abstraite « la dernière
limite à laquelle la pen*>ée puisse remonter, pour caractériser le pre-
mier principe ; unité qui précède nécessairement et ontologiquemect
ses modes d'être subséquents, c En remontant au principe , est*il dit
€ ailleurs • on arrive ù la non-existence formelle des choses ; c'est ce
< que l'on appelle figure de ce qui n*a pat de figure; c'est ce qu'on
€ appelle VIndéterminé , Y Indistinct , VEtre et le non-Etre tout
€ ensemble. En remontant les anneaux de cette chaîne , on ne lui
c voit point de commencement ; en les descendant , on ne lui trouve
< point d<f fin.... C'est là ce qu'on appelle /a chaîne ou la succesiion
€ indéfinie de la Raiton suprême, i A celte cbaliie panthéistique, au
sommet de laquelle se trouve le principe monothéiste « peuvent se
rattacher le panihéisme brahmanique et boudd'histe et les hiérarchies
célestes du mazdéisuie.
Dans les passages suivants nous voyons le monothéisme » rattaché
au dualisme» an triniiheisme et polythéisme» s'évolver du sein de ce
panthéisme harmonique, comme le végétai avec ses divisions s'évolve
de la graine.
f L'unité n est pas par elle-même unité; c'est par la triade qu'elle
c est uuité. De même la triade n'est point par elle-même la triade ;
< c'est par l'unité qu'elle est triade ; la triade e^t donc Vunité'^trine.
c C'est par la triade que l'unité existe ; l'unité est donc la triade-unité
c (ou la trinité'Une'). L'.unité n'est donc point parfaite comme simple
> unité ; li triade n'est donc pas parfaite comme simple tria<j|/e. >
(V. Commentaires de Li-young sur le Taô-te^Eing),
Un autre » Tseu-hon-t^eu , dit à propos de ce passage : c Tous les
€ êtres sortent de Vunité » subsistent dans la duaUté et sont parfaits
t dans la triade; ou trinité. »
Ce dogme antique de Vunité-trine est ainsi exposé par Lao-tseu lui-
même : c Le Taô ou la Raison primordiale a produit tin; un a produit
c deux; deux a produit trois; trois a produit l'universalité, (la p/ii-
c raliié) des êtres. Tout s'appuie sur l'obscur « l'obscur est enveloppé
€ parie brillant; l'esprit en e^t le lien.... Celui que vous regardez et
< et que vous ne voyez pas se nomme /; celui que vous écoutez et
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%)(6 VSfÛÈ D'AL6iGft«
c que vous n'entendes pag se nomme Bî; celai qae votfe main
c cherche et qu'elle ne peut saisir, se nomme Wei. Ce sont troit iirêt
< qu^on ne peut comprendre et qui cwifondus n'en font qu'un. Celui qui
c est au-dessus n'est pas plus brillant; celui qui est au-dessous n'est
c pas plus obscur. C'est une chaîne sans interruption qu'on ne peut
t nommer, qui rentre dans l'incréé. C'est ce qu'on nomme forme
c sans forme, image sans image, être indéfinissable. En allant au-
t devant , on ne lui yoît point de principe ; en le snifant , on ne
t Toit rien eu-delù.... Tons les êtres s'appuient sur le principe positff
c femelle ¥tn et embrassent , enveloppent le principe actif mâle
c Tânj; on principe» on souffle vitîOant. entretient partoat l'hiaf-
< OMinie. » {Taô-le-King , ch. 49).
ise-ma-boM^kouog, philosophe chinois du onzième siècle de notfe
ère 9 dit à propos de ce chapitre : t Le Tad produisit un; c'est-à-dire,
c de l'état dé non-Etre ( Wok) il passa à l'état û'Eire ( Yéou). Un pro-
c doisit deux; il se divisa partie dans le principe femelle Tîn , et
c partie dans le principe mflle Yàng. Deux produisit frotf ; le principe
c femelle et le principe mâle s'unirent et ils produisirent Vhtmnonie
< (M)% Trois produisit VuniversaUié des êtres ; le souffle vivifiant de
€ l'lMir«ionie se concentra et produisit tout les êtres. S Cette doctrine
rapprochée de la doctrine catholique de la procession et de la côo-
substanlialité des Personnes de la Trinité n'est-elie pas propre à faire
comprendre plus rationnellement celle-ci?
Quant au polythéisme, les disciples de Lao-tseu se sont chatoies de
le déduire de sa doctrine. Chaque créature est en quelque sorte repré-
sentée par une divinité. Il y a la déesse des camélias, celle des pronîerSt
celle des nénuphars, ete. Il y a les dieux du vent, de laneig^, de la
lune» etc. De plus» ces divinités accomplissent les mêmes intrighes
que les divinités d'Homère et de Virgile. Mais tontelbis, comme les
divinités subalternes des Boudd'histes , elles ne sont pas immortelles.
Au-dessus d'elles se trouvent les immortels , les Taô-ssé , comme les
Bodsattwas ou Boudd'has x:hez les Boudd'bistes. El ceux-ci se con-
fondent en dernier lieu avec le Taô , comme nous l'avons déjà vu* De
sorte qoe ce polythéisme remonte, par une série d'ascensions et de
perfections , ao monothéisme panthéistique.
La morale de Lao-tseu se rapproche de la morale mysliqae et aecé*
tique des catholiques grecs et romains. Il y a des passages du 7Vid*fe-
Emg qui se rapprochent de l'Evangile ou ressemblent ailes passages
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ÉTD0B8 SUR LES RBUfilONS GOMPARfES DE L'ORIENT. 357
ie livr«s atcéliqaes da oalbolicisme. En toid deux : c Le sant» est-N
• dU (cluip< 63) pratiquo la non^ëgir; il Taîl son oecupatlon de la non-
f occupation ^i trouve de la aaveur daoa ce qui D*a pas de saveur. Il
t cofisidère lea petites cboves comme les grandes, ki pénurie eenme
c l'abondance. // récompense fei injuret par dei Ue»fàiu. « Ailleurs
Ccbapilre 77) il eft dits c La Raison du ciel esc conune le fabricant
c d'ans: elle abaisse ce qui est élevé et elle élève ce qui est abaissé ;
f elle àte le superflu à c^ux qui ont de trop et elle vient en aide à
€ eeux qui manquent du nécessaire. »
Toutefois les conséquences sociales de la doctrine de Lao^^tseu sont
celles de tout ascétisme poussé à l'excès , à savoir , Tabruilssenient
de la pensée humaine et l'asservissement de Tbomme. Lao-tseu dit
dans sou Livre , cbap. 3 : t Le saint bomme fait en sorte que le peuple
€ soit sans instruction , sans savoir et par conséquent sans désirs. »
Et cbap. 63 , il dit : c Dans l'antiquité les adeptes du Taô ne s'occu-
€ paient point d'éclairer les peuples ; ils s'occupaient à les rendre
c ignorants. »
Ainsi cette doctrine morale est l'opposé de celle de Koung-tseu qui
prescrit sans cesse le perfectionnement et le développement le plus
complet de touies les facultés de Tbomme et qui a été à plus juste
titre la doctrine fondamentale de l'empire cbinois.
En générai « la doctrine de Taô-kià renferme tous les éléments
d'une religion » ei cette religion est i*un des développements de la
religion universelle et intégrale , dont le caibolicisme est l'expression
la plus baute et la plus centrale. Si nous pouvions faire une analyse
plus détaillée du sysième du Taô kià » Ton verrait que les principes
fondamentaux du christianisme s'y trouvent presque complètement
exprimés , avec les nuances propres à l'Orient. Il est vrai que le
panthéisme y prédomine , mais un panthéisme harmonique et inté-
gral, mieux systématisé et formulé d'une manière plus nette , plus
précise et en même temps plus concise que dans le brahmanisme et
même dans le boudd'hisme , où il faut déjà le dégager de la pierre
brute des négations et des exagérations. Nous devons sgouter que le
système tbéologique du Taô nous paraîtrait le système théologique
le plus logique, le plus rationnel et le plus complet, s'il n'était pas
trop abstrait et s'il ne présentait pas une lacune fondamentale , à
savoir, la définition nette de la personnalité humaine au sein de Dieu
et du mode d'union de Dieu avec l'homme par l'incarnation. En effet,
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SBS RKTUE D'ALSàCB.
cômnie dans le système brahmanique , rinëgalicé entre le Créatear
et la cr<^attire disparaît» dans le système du Taô » par le principe de
Yidentifieathn vielle de la créature sanctifiée avec le Créateur , Tâme
de l'univers. Il est vrai que dans* ce dernier système, l'unité primor-
diale » qui est confondue avec le Taô» est sortie d'elle-même, pour
former extérieurement la dualité , la trialité , la pluralKé des êtres ;
et cette pluralité forme à son tour autant de nouvelles unités ou d'ti-
ftfiéi $€€<mda\rei qu'il y a d'êtres vivant d'une vie individuelle. Mais
ces unités secondaires rentrent tôt ou tard dans la grande unité •
d'où elles sont sorties» dans cette unité absolue, qui est comme
l'océan des êtres.
A. GiLLIOT.
(LoL tuitê à la proéhaim Uvroitonj.
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QUELQUES MOTS
▲ PR0P06
DE L'ADMINISTRATION DES FORÊTS
ET DES FEUILLES MORTES.
Une des dernières livraisons de la Revue JtAhaee contient des con-
sidérations sur l*enlèvement det feuiUei morlet dans les forêts. C'est la
réfutation d'un artirle inséré dans le Bulleiin de février dernier de la
Société (t agriculture et det comicet du Boi^Rhin, par M. A. de Ttcrck-
heim.
Le nouveau plaidoyer intervenu dans le débat agité depuis long*
temps sur cette matière • se termine par des conclusions qui paraissent
avoir été inspirées par un esprit de modération très-louable. Tous
ceux qui se sont occupés sans prévention de la question, auront
accueilli avec faveur le vœu final exprimé par M. J. F. Flaxiand »
c de concilier lei intérêts de la ftopulation de nos campagnes avec Us
< intérêts non moins importants de la conservation des forêts. >
Jalouse de défendre les mêmes intérêts, la Soàété des sciences,
agriculture et arts du Bas^Rhin » consultée à diverses époques par
Tadministralion départementale , a fait des proposition dans le même
but. Elle a eu occasion de formuler explicitement son avis en 1851.
Il se résumait à subordonner les concessions de feuilles à la possibilité
des forêts » dout l'appréciation appartient aux agents chargés de leur
conservation et à une réglemeutalion périodique réservée à l'au-
torité prélectonile.
Mais il ne suffit pas que des mesures administratives préviennent le
désordre et le dommage» il faut s'efforcer d'éclairer les populations
rurales sur les conséquences de leurs prétentions exagérées : il est
imprudent de leur présenter des théories qui ne s'appuient que sur
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360 REVUE D'ALSàCB.
des cas exceptionnels et qui séduisent par leur conforaiité avec des
intérêts trop exigeants. Vous leur dites que la chimie a démontré que
l'absorption des gaz atmosphériques Joue un rdie important dans le
phénomène de la végétation et vous affirmez que les plantes vivaces
trouvent dans l'air une quantité d'aliment presque suffUante» Vous
admirez la vigueur des arbres qui ornent nos promenades , dont le
sot consiste en gravier imperméable et stérHe ou en un pavé serré.
Vous parlez de chênes et de hêtres prodigieux venus au milieu de
rochers nus. Vous auriez pu citer encore des pins énormes que l'on
voit couronner le sommet de tours ruinées. Vous concluez de là que
les racines de ces géants séculaires * puisant leur nourriture dans les
Bssures rocheuses où elles pénètrent à de grandes profondeum » se
passent d'humus» puisqu'il n'en existe pas dans ces conditions à la
surface du sol.
Nous reconnaissons volontiers avec vous que < c'en à la maiière
c minérale jmre du iout'sol que cei grands arlfres emprunienl presque
c, exclusivemeni {abondante sève que réclament leurs branches ff^^nn-
c tesques. » Mais nous faisons remarquer que ces colosses ont dû leur
vigoureux développement , les premiers , à une couche épaisse de
terreau qui a été apportée à Tépoque de leur plantation artificielle ;
les autres» A l'action lente mais puissante du temps qui s'est écoulé
depuis que la semence, fortuitement introduite par les venis dans les
crevasses rocheuses» y a germé miraculeusement et qu'elle est par-
venue » avec l'aide des siècles » à vaincre la dureté de la pierre qui
s'est insensiblement décomposée. Quand l'on abbat un de ces arbres»
on se rend compte de la lenteur extraordinaire de leur croissance en
voyant l'état serré des couches concentriques du tronc et en les
comparant à celles que présente un sujet de même dimension venu
dans un fonds riche. On ne considère alors celui-là que comme un
exemple curieux de longévité et de sobriété accidentelles qui ne peut
fournir aucune donnée appréciable de produit régulier et normal
basé sur une reproduction certaine. Tout observateur attentif des
phénomènes de la végétation silvestre constatera que si des futaies
parvenues à maturité peuvent végéter quelques temps en dépit de
l'enlèvement des feuilles sèches» des arbres moins surannés souBIrent
bientôt de la dénudation du sol et que la décrépitude devance l'Age
ordinaire, dès que leur pied n'est plus garanti des rayons solaires et
que leurs racines ne sout plus protégées par un lit épais d'humus. U
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QtVmiM M098, VTC. 38i
€OD((^t Msri que, mm ce ttrrean dom hi rratchear est entretoim
par la diAtê aaoaeUe deg feuilles el par leor déeompoahfoB succès*
sWe» les graines fôresiières seraient torréfiées au lieu de s'accuimiler
dans ces réservoirs nourriciers d'où et^s doivent surgir pour accom-
plir rcBuvre de régénération , aussitôt ^e la futaie aéra abatlne.
Si f on pouvait rendre les cultivateurs attentifs à ces faits . ils devien-
draient moini eaigeants vîs-i-vis de la dépouille annuelle des forêts ;
ila ne regarderaient pas les feuilles comme superflues pour entretenir
I» Mvondité du sol boisé. C'est une erreur qu'il importe de détruire:
ha ralsonneBsents de M. i. F. Flaxiand tendent è la fortifier au con*
lralre« fia'ii n^ pardonne de le lui reprocber t Nous ne ponvona pas
adirer à l'argument qo'il tire de la création primitive des arbres :
9 11$ (mi frùipiré, àMÏ, lani le iêcùurê de l'kumui dei feuiUei
« morief .... > Cette croissance spontanée est sans doute étonnante;
comme toutes les œuvres du divin architecte, elle commande notre
admiration. Son omnipotence a dispensé le premier homme d'être
allaité ; elle a peuplé les airs d'oiseaux qui n'avaient pas eu besoin
d'éolore dans des nids. Ces prodiges une fois produits , l'ordre et
l'harmonie se sont manifestés invariablement dans la régénération
de toua les étres«
J'ai bâte de sortir de la sphère conjecturale oà H. J. F. Flaxiand
m'a entraîné et je le convie à rentrer avec moi dans l'actualiié positive.
Je m'incline devant les autorités qu'il invoque pour con>taier l'in-
fluence de l'action chimique opérée par les pores des feuilles ; mais
je ne puis rejeter l'opinion de Duhamel et de botanistes célèbres ,
qm aflrmeAt que les feuilles ponrries procurent aux arbres un aliment
aussi nécessaire que le fumier l'est aux plantes cultivées. Je suis con-
duit à soutenir que l'on ne peut pas enlever impunément aux forêts
leur moyen naturel d'entretien et que si on les dépouille inconsidéré-
ment, on compromet leur prospérité ; on fait une œuvre de destruc-
tion sinon subite » du moins lointaine et inévitable (<).
On rend un véritable service aux cultivateurs en les éclairant sur
— *
(') A l'assertion de M. J. F. Flaxland touchant certains pmpriéuires qui enlèvent
annaellement les feuilles de lears cb&taigoeraies, sans craindre de nuire à la
croissance du bois, nous pouvons opposer la citation de localités où les particuliers
défrichent soocessivement des taillis de cette essence , précisément parce qu'ils ont
été i-ainés par reflet de Tenlèvement continuel des .feuilles mortes.
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86S UYUB D'ALSiCB.
cette conséquence finale et en leur faisant coropi:endre qolls ont in-
térêt à user modérément des feuilles sèches. En effet, l'abus des enlè-
vemenis » entraînant le dépérissement des arbres » doit amener un
jour le défrichement, conséqueroment la diminution du sol forestier:
ôr, l'augmentation qui s'en suit de la surface arable et simultanément
du besoin d'engrais, aggravera fatalement dans l'avenir la situation dont
se plaint aujourd'hui la classe agricole de certaines coq^rées.
Nous croyons qu'il faut la prévenir qu'elle se trompe en considérant
les forêts comme des magasins inépuisables de litières » que la nature
a mis i sa portée et qui la dispensent de s'ingénier pour créer les
moyens d'engrais que Ton emploie dans les pays privés de bois. Nous
pensons que c'est lui donner un conseil salutaire et prévoyant que de
la persuader de regarder les feuilles comme un supplément acces-
soire et précaire et non comme un agent de substitution permanente
de la paille.
Nous ajoutons avec conviction que l'administration agira paternel-
lement de son côté en continuant de tolérer les enlèvements dans la
mesure de la possibilité des forêts et des vicissitudes des recolles.
D'accord avec M. J. F. Flaxland , nous souhaitons qu'elle se pénètre
des intentions bienfaisantes de Louis xvi, qui se révèlent dans
Ylmiruetion donnée aux agents de son gouvernement pour parer à la
pénurie des engrais c dans Ut annéeg où la paiUe manque. >
Strasbourg, le 28 joio 1861.
F. DEDARTEfN,
nambn de la Sooiélé des icimcet , agrionlum et «ti te
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LES FEMMES
DANS LA POÉSIE GRECQUE.
SuUe n.
n.
Les premiers poètes élégiaques se sont b<)aacoup moins occupés
de la Temme » qu'on ne serait en droit de s'y attendre d'après l'idée
qu'on se fait de nos jours de ce genre de poésie. L'élégie » en effet »
n'avait point chez les Grecs le sens restreint que nous lui attribuons ;
ce n'était point ce poème sentimental , larmoyant, tel que les mo-
dernes le connaissent, mais un poème plein de force et d'énergie. On
désignait , du reste « sous ce nom des chants de nature fort diverse
et qui n'avalent de commun que le mètre» dans lequel ils étaient
écrits; toute pièce de vers « quels qu'en fussent le sujet et la dimen-
sion, pourvu que le pentamètre y alternât avec l'hexamètre, éuit
une élégie. Le distique ou vers double , comme on est aussi, convenu
de l'appeler, a-t-il servi , dans l'origine , ainsi que son nom semble
l'indiquer, à exprimer la tristesse et la douleur? C'est une question,
à laquelle il serait difficile de répondre , car il ne nous reste rien de
ses premiers essais; ce qui est certain c'est que dans celles de ses
productions qui passent pour les plus anciennes, nous voyons déjà
l'élégie se prêter à tous les tons. Tantôt elle s'adresse aux chefs des
peuples, qui se sont laissés aller au découragement ou à la molesse,
et, en leur rappelant d'impérieux devoirs, elle s'efforce de retremper
leurs âmes et de leur communiquer une énergie nouvelle; tantôt elle
bit un appel chaleureux aux instincts et aux passions les plus nobles,
afin de réveiller dans les cœurs l'amour de la pairie , qui a dès lors
enfanté des prodiges. D'autres fois encore , c'est par elle que des
n Voir la Umiflon de février, page 4Q.
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364 REVUE D'ALSACE.
bommes d*élite • placés au-dessus du vulgaire par les lumières de leur
intelligence el l'ardeur de leur patriolisnie » réussissent à entratoer
leurs contemporains vers un but noble et élevé , soit qu'il s'agisse
d'engager une lutte héroïque, soit qu'il faille faire à la chose publique
le sacriOce de ses biens ou même celui de sa vie.
L'élégie grecque a été , dès l'origine , essentiellement guerrière,
morale et politique; elle se préoccupe tellement des grands intérêts
de la patrie, qu'elle n'a que foj*t peu de place pour ceux de la vie
privée; la femme n'y figure le plus souvent que comme un accessoire,
comme une partie de l'ensemble.
Ainsi Callinus » dans les beaux vers qu'il adresse à ses concitoyens
amollis par une civilisation raffinée, et menacés par l'invasion^ des
Kimmeries et des Frères , après avoir protesté contre leur honteuse
inaction , fait cet appel énergique au sentiment du devoir endormi
dans leurs âmes * qu'en mourant on lance un dernier trait. Car
c il est honorable pour un brave de marcher contre l'ennemi pour la
€ défense de son pays , de ses enfants , de ion êpouie légiiime. » —
€ Tant que le guerrier est dans la Oeur de la jeunesse , dit Tyrtée ,
€ dans une de ses élégies , il est pour les bommes un objet d'adaai-
c ration » un q))j'^t d*amour pour les femmei durant éa vie , et il est
€ beau encore , quand il tombe aux premiers rangs. »
Le seul des poètes élégiaques de la Grèce, qui fasse exception S6us
ce rapport est Mimnerme, qui a mis , le premier, ce genre de poésie
au service de la vie privée * de ses sentiments et de se> besoins , et
surtout à celui de l'amour. Nous trouvons une raison suffisante de
cette différence dans les circonstances mêmes , au milieu desquelles
il vécut.
Mimnerme appartenait i la race de ces Ioniens , qui , diaesëi de
rHellade par des peuples venus du Nord , s'étaient portés à r£st, sur
les côies de l'Asie mineure , où Ils s'étalent créé une nouvelle patrie.
Tout entiers adonnés aux arts de la paix • favorisés tout spécialement
par la fertilité prodigieuse du pays qu'ils habitaient, et enrichis par
un commerce actif et étendu , Ils étaient dégénérés peu à peu de le
vertu guerrière de leurs ancêtres , et devenus une proie facile pour
les Lydiens , leurs belliqueux voisins. La vie du poète coïncide avec
cette époque de servitudes et ses poésies rendent eo quelque sorte
témoignage de sa durée. Tandis qu'avant lui les poètes élégiaques
n'avaient supporté qu'en frémissant le joug de rétraeger, ets'étaioat
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LBS FEHMBS DAMS LA POÉSIE GRECQUE. 365
ippliqoés sans relâche à réveiller dans les cœurs l'amour de Tindé-
peodance; MImnerme se nionlre indifférent à tout, hormis au plaisir.
Il De trouve pas que le ciel de son pays soit devenu pour cela moins
beau et moins pur; il parait fort bien s'accommoder de l'éiat actuel
des choses » et toute son ambition consiste à en faire son profit au
point de vue du plaisir et des commodités de la vie; aussi peut-il être
regardé avec raison comme un des principaux représentants de cet
énervement moral qui avait amené la ruine de l'indépendance de
rionie. La jeunesse et l'amour » voilà ses biens suprêmes : c A quoi
c nous servirait de vivre et de jouir , s'écrie-t-il » si la déesse de
< Chypre venait à nous manquer ? Je préférerais mourir plutôt que de
f me voir privé des mystères de l'amour, des tendres embrassements
c et des présents pleins de douceur. » Il ne se laisse pas troubler
dans ses jouissances par la vue de l'asservissement de ses concitoyens,
bien au contraire; par cela même que rien ne l'oblige à prendre part
aux affaires publiques , Il peut se livrer tout à son aise à ce qui lui
apparaît comme la suprême félicité. Mais il ne peut écarter une pensée
importune, et qui ne laisse pas que de le troubler, c'est celle du peu
de durée de cette vie consacrée au plaisir , c'est l'approche mena*
çante de la mort • dont le froid attouchement dissipera un jour tous
ses rêves de bonheur. Mimnerme revient perpétuellement à cette
pensée avec une merveilleuse abondance d'images et une grande viva-
cité de sentiment , quelque fois aussi avec une rare énergie d'expan-
sion. Elle empoisonne déjà toutes ses jouissances , et Tempêche de
s'y livrer sans contrainte et en pleine sécurité. Vieillir est pour lui
pire que la mort , et il souhaite de ne pas dépasser la soixantaine, c Je
< sens , dit-il , une sueur froide inonder tous mes membres , et ce
€ n'est qu'en tremblant que je contemple mes compagnons de plaisir,
c si florissants de santé , si charmants et si beaux. Oh ! si tout cela
t pouvait durer ! Hais semblable à un rêve • elle ne dure que peu
« d'instants , cette jeunesse tant vantée ; bientôt apparaît menaçante
€ la vieillesse, la vieillesse hideuse qui réduit au même point l'homme
€ laid et l'homme beau , objet de haine pour les Jeunes gens et de
c mépris pour les femmes. Elle rend l'homme méconnaissable , et
€ s'appesantissant à la fois sur l'esprit et sur les yeux , elle les rend
€ sombres et aveugles, i
Ces plaintes au sujet de la courte durée de la jeunesse , cette
frayeur inspirée pai* l'approche de la vieillesse , forment en quelque
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566 BEVUE D*ALS1CB.
sorte le fond même des poésies de Mimnernie , de celles da moins .qoi
ont échappé 9ux ravages du temps et à rintoléraoce aveugle des
prêtres de Byzance. Oo raconte qu'il devait cette teinte de mélancolie
à des expériences personnelles , et surtout aux dédains outrageants
de son amante , Nanno , la joueuse de flùie , qui lui avait préféré des
rivaux plus jeunes et plus heureux. Que cette histoire soit vraie on
non y nous reconnaissons en tout cas dans ces angoisses , qui s'eni*
parent de son âme , comme un châtiment bien mérité de l'insenaibilité
de ce poète; qui ne songeait qu'à se plonger outre mesure au sein
des voluptés, au lieu de chercher un remède efBcace aux maux qui
accablaient sa cité natale.
Aucun poète u'a suivi Mimnerme dans la voje qu'il venait de tracer.
Cependant nous le retrouvons plusieurs siècles après en grande estime
à Alexandrie, a une époque où le véritable esprit hellénique semble
avoir disparu tout-à-faii. Il venait de se former autour des Ptolémées»
amis et protecteurs des lettres et des arts , une pléiade de prêtres ,
qui s'ingéniaient de toutes manières à faire revivre le genre éléglaqoe.
Mais ces beaux esprits, appelés à passer leur vie au milieu des plaisirs
d'une cour luxurieuse , qui se trouvait comme isolée sur cette antique
terre des Pharaons « où elle ne régnait que par le droit du glaive, oe
pouvaient puiser dans la vie commune et réelle , qui leur était fermée
en quelque sorte, ces fortes et profondes impr«>ssions qtii avaient
inspiré autrefois leurs modèles , et leur avaient assuré une influence
aussi considérjble parmi leurs contemporains. La vie de cour , avec
ses incidents futiles et mesquins, les livres, qui formaient leur nour-
riture de chaque jour , et qui leur tenaient lieu d'inspiration , tel
était d'ordinaire le fond commun , aut^uel ils empruntaient les sujets
de leurs compositions. Et même , quand ils avaient à exprimer des
sentiments qui leur appartenaient en propre , il fallait encore qu'ils
eussent recours à leur mémoire et à leur érudition ; s'agissait-il , par
exemple, de décrire les charmes de quelque beauté qu'ils avaient
aperçue dans la réalité , ou qu'ils avaient entrevue seulement dans
leurs rêves, ils croyaient ne pouvoir mieux faire qu'en mettant pour
ainsi dire au pillage toutes les fictions de la mythologie. On comprend
aisément que le naturel et la simplicité aient dû leur faire défaut ,
chaque fois qu'ils avaient à retracer quelqu'événement , soit réel , soit
fictif, où l'amour était en jeu ; la vie et l'érudhion se confondaient
saui cesse dans leurs écrits , ou plutôt . c'était l'érudition qui débor-
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LES FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 367
dait de toutes paris et étouffait la vie. Nous en avons un exemple
remarquable dans une élégie de Callimaque , c la Chevelure dr Béré'
titce» 1 dont il ne nous est resté qu'une traduction latine ^ et dont le
titre seul dispense de tout conimeniaire.
Cependant à mesure qu'on s'éloignait de la nature, on éprouvait ,
en même temps, le besoin d'y revenir ; l'idylle , destinée à exprimer
tout à la fois ses regrets et ses aspirations , peut être regardée à juste
titre comme une production de l'époque alexandrine. Il est vrai que
Tbéocrile, le plus célèbre des poètes qui cultivèrent ce genre, ne
réussit à créer, la plupart du temps , que des figures pâles , dénuées
de couleur et de vie ; le peu de succès qu'il obtint nous parait être une
pnmve de plus de la fausse voie, où l'on s'était engagé. On voulait
être naturel , c'est-à-dire » copier, imiter la nature , et l'on n'arrivait
le plus souvent qu'à produire des copies et des portiails , où la res-
semblance était de plus en plus altérée. Toutefois , pour être juste
envers Tliéocrite , il importe de constater que , partout où il a pu se
soustraire à l'influence malfaisante de son époque , et où il a abordé
le domaine de la vie commune et réelle , avisant en quelque sorte un
ordre d'idées et de sentiments jusqu'alors subordonnés à l'unité des
grandes compositions épiques ou dramatiques . il a déployé un talent
tellement supérieur, qu'on ne peut assez regretter qu'il se soit par-
tout ailleurs laissé entraîner à la poursuite d'un idéal évidemment
trompeur et mensonger. D'ailleurs, il faut en convenir, la forme
trouvée par ce poète , et qui a constitué le genre bucolique , est par
elle-même assez stérile , et il n'est possible d'y mettre une variété
féconde » qu'en y mêlant des i jées et des sentiments étrangers ù la
pastorale proprement dite, comme des scènes d'enrbaniement , des
incidents empruntés à la vie réelle , des regrets sur les mouvements
politiques des empires et sur les désastres causés par les guerres
civiles. Tbéocrile et Virgile paraissent l'avoir compris , et l'on peut
dire que ces digressions ont servi à répandre dans plusieurs de leurs
œuvres un charme indéfinissable. Pour nous en tenir à un seul
exemple , nous citerons une des plus belles idylles du poète syracu-
sain , celle qui a pour titre : c let Syracusaines > , et où il nous est
donné de jeter un regard dans la vie des femmes de cette grande
Grèce, sur laquelle il reste encore beaucoup à dire et beaucoup à
apprendre.
Deux femmes de Syracuse» Gorgo et Praxinoé, dont les maris
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REVUE D'ALSACX.
habitent Alexandrie, se sont donné rendez- vous adn d'aller ensemble
voir au palais de Plolémée la célébration des fêtes d'Adonis. Le poète*
on le voit, s'est proposé tout d'abord de décrire ta solennité qui va
avoir lieu ; mais Tiniérét se concentre plus particulièrement sur les
préparatifs que font les deux Syracusaines pour y assister, snr lenrs
exclamations dans la rue et leur conversation entr'elles et avec les
gens de la fouie , et cet intérêt est complètement justifié par ce qu'il
y a de gracieux et de piquant dansions ces détails et incidents divers.
Gorgo trouve son amie encore occupée à sa toilette s en attendant
qu'elle y ait mis la dernière main , on cause de choses et d'autres,
on médit quelque peu des maris et le temps se passe d'une OMoière
tellement agréable , que les deux commères ont presque oublié le
motif de leur rendez- vous. Praxinoé, craignant d'être en retard • se
met alors à presser et à gourmander sa suivante , qui , dans la préci-
pitation qu'elle met à obéir aux ordres de sa maîtresse, perd la tête
et fait tout de travers ; enfin la robe est mise et agrafée ; Gorgo ne
peut assez Tadmirer, et elle demande à son amie combien elle lai a
coûté. On apporte^nsuite la mante et le voir, et l'enfant, malgré ses
eris , est remis assez brusquement aux mains de la nourrioe. c le ne
c puis t'emmener , lui dit sa mère ; là , où je vais, il y a des luups »
c et les chevaux mordent les petits enfants; pleure tant que tu vou-
c dras, c'est dit , je ne l'emmènerai pas , car je ne tiens pas à te voir
c estropié pour le reste de tes jours. Eh ! nourrioe , fiis Jouer l'en-
c faut , appell«) le chien et ferme la porte. »
Les deux femmes sont enfin dans la rue » ou tout excite leur éton«
nement ; elles ne peuvent assez s'extasier sur le bon ordre qui règne
partout , malgré la foule qui est énorme. Praxiooé s'effraie tout-à-
coup à la vue d'un cheval qui se cabre : c Chère amie, s'écrie-t-elle ,
f qu'allons-nous devenir? Un cheval de guerre du roi I Eh t l'ami ,
€ ne m'écrase pas! dieux , comme il est rétif! Combien je me félicite
€ d'avoir laissé mon fils à la maison ! » Gorgo s'efforce de la tran-
quilliser: c Rassure- loi, Praxinoé, les cavaliers sont déjà loin de
€ nous ; les voilà qui arrivent sur la grande place. > La jeune femme
se rassure en effet, et toute honteuse de sa pusillanimité, elle raconte^
pour s'excuser , que les chevaux et les serpents lui ont toujours inspiré
une terreur invincible. Ce n'est pas saqs peine qu'elles arrivent enfla
au palais ; elles oni eu à fendre la presse des curieux , et même la
mante de l'une d'elles aurait couru des risques sérieux, ai «n étranger
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LES FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 569
n'avait eu l*amabilité de leur venir en aide. Les voici en face des mer-
veilles de la féie et près du lil où repose Adonis. Ce sont des excla-
mations qui ne tarissent pas , au point qu'un voisin , que leur caque-
tage impuiienie , les invite à se taire et se moque de leur accent
étranger : c Par Tellus ! d'où tombez- vous donc , Tami ? que vous fait
c notre babil ? Allez commander à vos esclaves : Prétendriez- vous
< peut-être dicter des lois à des Syracusaines f • Elles se taisent enfin ;
c'est quand la cantatrice Argée a entonné un hymne en l'honneur
d'Adonis, c Ce sera sans doute fort beau , dit Tune d'elle ; taisons-
c nous, car voilà Argée qui prélude déjà ! i Après ie chant, elles
voudraient bien rester encore , mais Gorgo se rappelle tout-à-coup
que son mari est à jeun , et qu'il ne serait pas bon de le faire attendre
trop longtemps.
S'il est impossible de ne pas reconnaître une légère tendance à la
satyre dans ce petit tableau de mœurs, surtout dans les traits de
détail qu'il renferme, cette tendance apparaît d'une manière plus
frappante encore dans le genre iambique qui prit naissance à peu près
dans le même temps que l'élégie , mais qui . quoique prudent ,
comme cette dernière , ses principaux motifs d'inspiration dans les
incidents de la vie commune et réelle , se meut cependant sur un
terrain entièrement différent. Tandis que l'élégie ne traitait le plus
souvent que des sujets nobles et élevés » et que partant d'une espèce
d'idéal, elle en faisait en quelque sorte l'objet et le but de ses chants,
riambe , ne se préoccupant que d'intérêts individuels et plus ou moins
vulgaires , ne renfermait généralement que des attaques vives et par-
fois passionnées , où l'aigreur le disputait à la témérité et à la vio-
lence. Les poètes élégiaques proprement dits étaient, pour la plupart,
des hommes distingués autant par leur génie et leur patriotisme que
par la position élevée qu'ils occupoient dans l'Etat ; les poètes iam-
biques, au contraire, quoique aussi richement doués, n'arrivaient
presque jamais , par suite de circonstances malheureuses ou par leur
propre faute, à se faire apprécier à leur juste valeur; de là cet em-
pressement qui les distingue à révéler les faiblesses d'autrui , à fronder
les vices et les travers , et même a dissiper de généreuses et salu-
taires illusions.
Cest pour cette raison que l'iambe ne tarda pas à devenir chez les
Grecs synonyme de pamphlet , un objet de terreur pour tous , amis
et ennemis. Cependant son règne ne fut pas de longue durée; le
2" Série. — 2* Année. ^4
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370 REVUE D'ALSACE.
souflQe qui ranimait passa bientôt après dans la Comédie où il trouva
un champ beaucoup plus vaste à exploiter; quant aux attaques per-
sonnelles, qui étaient de son ressort, il trouva un instrument fort
docile dans Félégie qui , en se transformant , avait pris de plus en
plus les allures et la forme de Tëpigramme. Aussi le genre iambique
ne compte-t-il que trois poètes * Ârchiloque , Simooide d'Amorgos et
Hipponax » qui se soient occupés « dans leurs compositions , les uns
plus y les autres moins , de la femme » de sa condition sociale et de
ses qualités.
Le plus célèbre , et » en même temps « le plus ancien est sanscon-
tredit Archiloque, poète de premier ordre, dont le génie fécond et
créateur se retrempait sans cesse dans une exubérance de vie extra-
ordinaire. Il a communiqué une impression toute nouvelle à la poésie
grecque , qui était sur le point de tomber dans une monotone unifor-
mité et de s'emprisonner dans des formes conventionnelles » et qui ,
dans celte voie nouvelle qu'Archiloque lui ouvrit, se para de fleurs
nouvelles et jeta un nouvel éclat. Aussi , ce que la Grèce admirait en
lui , ce n'était pas tant le poète élégiaque , que l'inventeur dé mètres
nouveaux , d'un nouveau genre de poésie. Archiloque est le père de
la satyre , et c'est lui qui « le premier , a fait usage de l'ïambe ; da
moins , il se l'est approprié » comme dit Horace, et s'en est fait une
arme terrible poiir satisfaire ses ressentiments. En effet , dans son
activité inquiète et fiévreuse « il n'a pas craint de franchir des limites
qui ne sont ni d'hier » ni arbitraire , et de s'engager dans une voie
funeste , où il devait , il est vrai » trouver son vrai génie , mats où il
rencontra, en même temps, des contrariétés de tout genre» des
luttes pénibles et parfois périlleuses. Ce sont surtout les personnes de
l'autre sexe qu'il semble avoir choisies pour victimes de ses toiits les
plus acérés.
Archiloque aimait Néobulé, fille de Lycambès, de toute l'ardeur de
sa nature passionnée : c Infortuné , abattu par la violence du désir ,
c je n'ai plus un souflQe de vie; les dieux l'ont voulu ainsi, et la dou*
t leur cruelle transperce mes os Telle est la violence de cet amour
c qui s'est glissé dans mon cœur, répandant sur mes yeux un épais
c nuage . et me ravissant ma raison égarée. > Le père de la jeune
fille lui avait promis sa main ; mais plus tard , pour des motifs qu'on
ignore^ il avait cru devoir reprendre sa parole. Le poète ne mit dès
lors plus de bornes à son ressentiment ; décochant ses traits les plus
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LES FBMMB8 DANS LA POÉSIE GRECQUE. S7i
envenimés eontre Lycambès et tous les membres de sa Tamille , il ne
craignit pas de révéler les mystères de l'amour et les secrets du foyer
domestique. Le père fut diffamé dans toute la Grèce comme un homme
sans foi et sans probité • Néobulé et ses sœurs, comme des femmes
f qui avaient bu toute honte. > Maintenant qu'il ne peut plus posséder
cette jeune Olle , il prétend avoir acquis la certitude que le malheur
serait entré avec elle dans sa maison , et pour se disculper en quelque
sorte de l'amour dont il a brûlé pour elle , il Faccuse d'avoir employé,
pour le séduire, tous les artiGces de la coquetterie: c Elle portait la
c fleur de myrte dans sa main et la rose au doui parfom ; ses cheveux
c foncés descendaient en tresses abondantes sur son cou et sur ses
c épaules ; un vieillard même se serait laissé séduire. » H se montra
tellement impitoyable à Fégard de cette malheureuse famille • qu'on
a prétendu par la suite que Lycambès et ses filles se pendirent de
désespoir.
Nous ne possédons de Simonide d'Âmorgos , qui mania l'iambe ayec
une dextérité remarquable » qu'un poème dont le mérite est fort dou-
teux» et qtii n'est autre chose qu'un pamphlet dirigé contre les
femmes. Dans ce travail , qu'on pourrait , au besoin , considérer
comme une amplification de la pensée d'Hésiode » simonide passe en
revue les diflërents caractères de femmes , et assigne à chacune d'elles
l'origine qui lui convient. Selon lui, la femme coquette , aimant le
luxe et la parure , descend du cheval ; la fainéante , de l'âne ; la
femme laide et malicieuse, du singe, la rusée du renard, lapiailleuse
de la chienne, la perverse de la belette » la malpropre de la truie;
quant à celle, dont l'humeur est mobile et inconstante, elle n'a pu
sortir que des profondeurs de la mer. Quoique l'idée-mère de ce
poème ne trahisse ni 'finesse, ni profondeur, l'auleur en' parait
cependant fort satisfait , car il la développe avec une complaisance
remarquable. Il a esquissé ses portraits avec une naïveté un peu rus-
tique» en homme qui n'hésite jamais à se servir du mot propre» et
qui se soucie fort peu de charmer le lecteur par des images gracieuses.
Il ne se déride qu'à la fin de son énumération , quand il vient à parler
de la bonne ménagère , de cette femme laborieuse , dont Hésiode .
avant lui , proclamait l'excellence et la prodigieuse rareté » et que
lui-même, il fait descendre de l'abeille. Voici quelques passages de
cette poésie qu'on s'accorde assez généralement, et non sans quelque
vraisemblance , à regarder comme un fragment d'un grand poème ù
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37t HBTUE D'ALSâOS.
la fois didactique et satyrique, qui avait peut-être pour objet le choix
d'une épouse :
L'une Yient de la nier ; elle a un double cœur ;
Un jour elle peut èlre gaie et contente ,
De sorte que tout étranger qui la voit chez elle dit :
Il n'y a certes dans le nionde entier
Aucune felnme qui soit et meilleure et plus belle.
Mais le jour suivant , elle est insupportable ;
On ne peut la regarder, ni la toucher , car elle est
D*une humeur peu aimable et contrariante à Tégard de chacun.
Une autre provient du cheval à la riche crinière ,
r/est celle qai se reftise aux sotns de Tintérieur et à tout rude travaU.
Elle ne touche jamais à un moulin , ne prend jamais e» main le crible ,
Et ne balaie point la maison pour en faire sortir U poussière.
Tous les jours , deux fois et même trois fois elle se lave tout le corps.
Pour le rendre bien propre, et verse sur ses membres une huile parfumée.
Sa chevelure abondante est constamment bouclée ,
Et ses tresses artistement faites sont entrelacées de fleurs.
La vue d'une femme aussi belle doit réjouir le cœur
D'un autre homme ; mais pour le mari c'est un calice amer ,
A moins qu'il ne sort prince , assis sur un trône ,
El qu'il ne prenne plaisir à de tels artifices.
Il n'y a qu'une seule catégorie de femmes qui trouve grâce aux
yeux du poète :
Cette autre descend de l'abeille ; heureux sera l'époux
Qui l'aura en parUge; elle est à l'abri de tout reproche.
La fortune s*accroU et s'étend par ses soins.
Dévouée à son époux qu'elle aime , elle vieillit avec lui.
Entourée d'enfants beaux et dont tous font l'éloge ,
Elle est distinguée entre toutes les femmes,
Généralement aimée et des dieux et des hommes.
Candide et pure , on la voit éviter la société
Des femmes qui ne parlent que toilette et que danses.
C'est Jupiter qui a fuit don auix hommes
De femmes d'un tel caractère , si excellentes et si sages.
Voici la conclusion :
Ce qui sortit de pire des mains de Jupiter,
C'est la femme , et celui qui peut croire un instant
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LES FBMMBS DANS LA POÂSfE GRECQUE. 375
A son Qtilité , n'obtieot en t'é{K)usani
Qa'un bonbeur apparent , car sa sérénilé
Est de courte durée , ^ i>artir de ce moment fatal.
Car là où est la femme, c'est à peine si Ton peut recevoir
Les anciens amis qui viennent nous visiter.
Et c'est toujours la femme qui parait la meilleure
Qui fit le plus de mal à Tbomme qui Ta choisie.
SimoDide, on le voit, résume sa pensée à- peu-près dans les mêmes
termes qu'Hésiode ; comme lui, il trouve que les femmes sont un fléau
envoyé par Jupiter. Mais quel esprit étroit , quelle vulgarité dans ses
développements ! on y cherche en vain le sel et l'esprit propres à ce
genre de poésie.
C'est à Hipponax qu'on attribue ces paroles devenues fameuses que
c la femme n*est aimable que deux fois dans sa vie» le jour de ses
c noces et celui de sa mort. > Jugement malveillant, s'il en fut jamais ;
cependant on le comprend et même on l'excuse en quelque sorte
lorsqu'on considère que ce poète était très^laid de figure et de taille
chéiive , et que cette laideur faisait de lui une espèce de paria au
milieu d'un peuple amoureux des beautés de la forme. Ou raconte
que deux sculpteurs de Ghio • Bupalus et Athénis , s'étant permis de
le figurer sous des traits , qui sans doute n'étaient rien moins que
flatteurs , cette caricature le mit dans une telle fureur , qu'il traita
ces artistes aussi cruellement qu'Archiloque avait traité Lycambès. Il
les pbursuivii de ses sarcasmes et de ses injures avec une rudesse
impitoyable, sans trêve et sans relâche, et ils finirent, dit-on , mais
le fait est peu croyable , par se pendre de désespoir. L'exil ne dut
pas contribuer à adoucir son humeur inquiète et chagrine. Quoique
de race ionienne , il n'avait rien de cet aimable laisser-aller qui dis-
tinguait ses compatriotes; on l'aurait dit plutôt né à Sparte. Il voyait
avec douleur l'abaissement de son pays» et ne pouvait exprimer assez
vivement son indignation à l'égard de ses concitoyens, qui , ne son-
geant qu'à lenrs plaisirs, paraissaient avoir perdu» avec le sentiment
de ce qui est beau et grand , le souvenir glorieux des jours de la
liberté. Dans son impuissance à les faire sortir de leur engourdisse-
ment, il ne se laissa pourtant pas entraîner, comme Mimnerme, aux
séductions du luxe et aux enivrements de la volupté , et il ne cessa
d'attaquer , avec toute l'énergie dont il était capable , les vices et les
travers de son temps , en même temps que la frivolité et la déprava-
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S74 RBYUB ifàlBÂXm.
tion , sous quelque forme qu'elles se présentassent. Il ne faut donc
pas nous étonoer que ce poète » qui » du reste» n'épargna ni les dieux»
ni les auteurs de ses jours » ait traité Tautre sexe ayec si peu de mé-
nagements. Toutefois nous ne pensons pas que les vers suivants qu'on
lui attribue soient de lui : c La meilleure union pour un bomme de
c sens est celle qu'il contracte avec une femme vertueuse ; il ne sau-
c rait trouver de dot plus profitable. Celui qui vise à l'économie en
c prenant une femme , obtient . au lieu d'une maltresse • une aide
t utile » sur l'attachement et la fidélité de laquelle il pourra toujours
c compter. > Il y a lieu , ce nous semble » d'attribuer cette règle de
conduite au bon bourgeois Simonide d'Amorgos plutôt qu'au bouillant
Hipponax.
Ed. Gogobl.
(La iitiU à tm§ praehaîne Uvraimm,)
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SOUFFRANCE."
La douleur , comme un jet de flamme»
A traversé toute mou âme
Et consumé Jusqu'au désir ;
Elle a tari toute ma joie »
Elle a » comme un oiseau de proie*
Labouré mon cœur à plaisir.
Rapide éclair fendant la nue »
Comme la foudre elle est venue
Au milieu de mon ciel serein »
Emportant dans sa grande aile
Tout le bonheur de Tbirondelle
Qui se trouvait sur son chemin.
Depuis ce jour , dans la nature »
Plus de rayons . plus de murmure ,
Plus de parfums , plus de soleil ;
Pour moi le ciel est toujours sombre ,
Tout me parait germer à Tombre
Et végéter dans le sommeil.
{*) M»* Hommaiire de Hell , dool les lecteurs de la Rmntê ont pa apprécier déjà
le gracieoz Ulent littéraire , a bien voulu nous autoriser à publier deux de ses
poésies inédites. Noup u^ajonteroos aucun commentaire à ce cri de l'âme meurtrie
par la douleur. Le commentaire est tout entier dans la biographie du célèbre
voyageur dont elle fut la compagne courageuse et qu'une mort prématurée a enlevé
à son affection.
Lamartine a dit dans ses Confidences :
« La poésie , à une certaine époque de la vie , n'est plus qu'un vase funéraire
« qui sert â brûler des parfums pour embaumer de saintes mémoires. «
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376 REVUE D'ALSACE.
L*oiseâu gémit , la brise pleure ;
Lorsque Diane en ma demeure
Verse an rayon mystérieux ,
Je vois, au milieu des décombres •
Aussitôt s'agiter les ombres
Des jours perdus , des jours heureux !
Rien ne parait digne d'envie
 ma pauvre âme poursuivie
Par le regret , cruel vautour ,
Qui s'accroupit sur ma poitrine ,
El me meurtrit et me fascine »
Et boit mon sang, la nuit , le jour.
Dès le matin je suis brisée
El si'je cherche la rosée
Pour rafraîchir mon frontbrùlant ,
Je ne vois que feuilles flétries ,
Gazon brûlé , sources taries ;
Et je reviens en chancelant.
Que faire • hélas ! en ma misère ,
Quand toute chose m'est amère ,
Quand chaque heure accroît mon ennui ;
Quand le présent est triste et vide «
Le passé , mort , la route aride ,
Et que tout espoir s'est enfui ?
Marcher encore , est-ce la peine ?
L'ombre envahit déjà la plaine »
La ronce couvre le ravin ;
On entend » au fond des vallées ,
S'élever des voix désolées
Qui se lamentent bien en vain.
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SOUFFRANCE. 377
Que soni nos pleurs et nos prières »
Et nos sanglots et nos misères
Devant l'impassible destin ?
Moins que le cri de la cigale •
Moins que la plainte qui s'exhale
De la fleur mourant au matin.
Se reposer.... serait-ce un crime?
Hélas ! bêlas ! dans quel abîme ,
Dans quel chaos Tesprit se perd !
Où découvrir un sur refuge
Si Dieu lui-même , notre juge ,
Nous punit d'avoir trop souffert ;
D'avoir trouvé que cette vie
N'ayant plus rien que fiel et lie »
Noos laissait toute liberté
De chercher en notre détresse ,
Ce que le cœur cherche sans cesse
Le repos !.... dans l'éiernité !
M"« .\dèle Hommaire de Hell.
Paris, i860.
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LE VOYAGEUR.
Où cours-tu d'un pas si rapide •
Voyageur au cœur intrépide ,
Qui » toujours seul , t'en vas errant ;
Semblable à l'oiseau de passage »
A la brise » au flot , au nuage
Qu'emporte un étemel courant ?
Que chercbes-tu dans les bois sombres
Lorsque la nuit épand ses ombres
Sur les grands arbres pleins de nids;
Lorsqu'on n'entend d'autre murmure
Que celui de la source pure
Se plaignant au fond du taillis?
Que chercbes-tu dans les vallées *
Le long des landes désolées »
Près des torrents , sur les lacs bleus ;
A la suite des caravanes »
Devant le palais des sultanes »
Près du cloître silencieux ?
Que cberches-tu sous l'humble tente
Du derviche que rien ne tente.
Quand » accroupi sur ses talons ,
Il fume » il rêve, il dort» il prie»
Tout en humant avec furie
Du tombeki les blancs flocons?
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LB TOTACSOR. 570
Qae oherches-to dans les étones;
Que chercbes-ta sous les longs voiles
De mainte esdave du Sultan ?
Que cberches-tu près des aimées
Qui vont peintes et parfumées »
Orner la fête d'un Persan ?
Que cbercbes-tu cbes le Kabyle
Quand il conduit d'un pas agile
Ses cbamelles à l'abreuvoir ;
Et qu'on entend sortir des lentes
Rires joyeux, voii caressantes
Se mariant aux bruits du soir?
Que cbercbes-tu sur le rivage ,
Quand , dans le ciel » gronde Torage
Et qu'un essaim de sombres voix
Plane au bord des noirs précipices »
Glisse le long des édifices
Et se perd au fond des grands bois T
Que cbercbes-tu dans les ténèbres »
Lorsque l'orfraie aux cris funèbres
Rase d'un vol bas et furtif
L'acantbe d'une frise antique
Ou le buste mélancolique
De quelque nympbe au front pensif?
Que cbercbes-tu le long des mornes ,
Lorsque» le soir, les pitons mornes
Jettent leur ombre sur les flots ;
A l'beure où la brise s'élève ,
Où la créole » pour la grève »
Fuit son bamac et ses oiseaux ?
Que cberches-tu près des abtmes »
Sur les sentiers des bautes cimes
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580 RBVUB d'alsux.
Se perdant au sein des vapeurs ;
Sur les Océans sans rivages ,
Dans lefls déserts pleins de mirages
Dans les vallons * près des pasteurs ?
Que cherches-tu parmi les tombes »
Où , le soir » de branches colombes ,
Dans leur plaintif roucoulement ,
D*une âme errante et solitaire
Semblent redire la prière
Douce comme un soupir d'amant ?
Que cherches-tu dans la campagne ,
Près des dolmens de la Bretagne,
Quand la nuit n'a plus de soupir »
Quand la lune est pâle et sereine
Et que Vénus , comme une reine ,
Brille dans un ciel de saphir?
Que cherches-tu» quand ta cavale
T'emporte à travers la rafale
Le long de quelque noir torrent ;
Quand tout s'effraie et se lamente ,
L'arbre , le flot , la louve errante
Qui » vers le bois, fuit en hurlant?
Que cherches-tu sur les collines
 l'heure où le soleil incline
Vers la mer son orbe pâli ;
Que cherches-tu sous les charmilles
Où chuchotent de jeunes filles ,
Est-ce l'amour , est-ce l'oubli ?
M'^'' AUÈLE HOMMAIRE DE HeLL.
Paris, i860.
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UN COMPLÉMENT
A LA PIÈCE HISTORIQUE COMMUNIQUÉE PAR M. WOLFF.
Monsieur ,
Le document historique que vous reproduisez dans le dernier
numéro de la Revue d'Alsace , page 551 , demande un complément
que je prends la liberté de vous envoyer; il est probablement moins
connu que ne Test l'arrêté des XIII , dont Gœthe parle tout au long
dans Dichtung und Wahrhett, livre 9. C'est cet arrêté qui lui a inspiré
la pièce de vers qui fait l'objet de mon observation. Il la mentionne
dans Diehiun§ und Wahrheii , mais sans la reproduire. C'est, de son
propre aveu , la seule fois qu'il ait fait des vers français. On pense
(|ne s'il s'est arrêté dès le début , c'est qu'il a été découragé par les
critiques » trop vives , dont son œuvre a été f objet de la part d'un
Français • son commensal.
Ce point de vue à lui seul suffirait pour mériter à cette pièce de
vers sans prétention, une petite place dans l'histoire de la littérature.
Si vous pensez comme moi , vous iniéresserez peut-être vos lecteurs
en la leur rappelant :
ce Lorsque le fils de Dieu descendit sur terre
« Pour béair les mortels comblés de misère
<c Od vit de tous côtés se presser sur ses pas
ft Des boiteux , des perclus gisans sur leurs grabats.
n Mais lorsque des Français Tauguste reine avance ,
ff Qu'elle pose le pied sur la terre de France ,
tt La police attentive a soin de décréter
cr Qu'à son royal regard ne doit se présenter
« Ni bessD , ni goutteux , ni pauvre apoplectique ,
» Ni perclus, ni bancal , ni même rachitique ,
c( Gomme çà de chez soi Strasbourg fait les honneurs.
(( 0 siècle ! 6 temps ! 6 mœurs ! »
JÉRÔlME N,
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UN MOT A PROPOS D'ARfiEKTOUARIA.
MoDsieur ,
Je Tiens de lire dans la iS""* livraison du Siuiée pittoresque et histo-
rique de VAkace, pages 446-447» les objections pleines de conve-
nance que m'adresse Tauteur sur la question d'Argentouaria que je
place à la hauteur d'Obnenbeim » sur la voie romaine de Milan à
Strasbourg , etc.
Permettez-moi de recourir à la publicité de la Reme d'Alsace pour
répondre à ces objections. Quelles que soient les inexactitudes des
itinéraires » il est un point constant, c'est qu'Argentouaria se trouvait
entre Helveius (Eli) et Cambes (Kembs) et qu'il faut rechercher cette
station sur la voie même.
Les ruines trouvées de Heidolsheim ù Elsenheim répondent aux
données des itinéraires d'une manière incontestable.
Quant à l'objection que l'on considère comme plus grave, et qui a
pour base les délimitations des diocèses de Bâle et de Strasbourg ,
j'avoue qu'elle ne m'effraie pas le moins du monde. En effet « la
Haute- Alsace , avant 1790» comprenait encore les territoires d'Elsen-
heim , Ohnenheim , Heidolsheim et Mussig qui étaient du bailliage de
Guémar , seigneurie de Ribeaupierre et comprenaient jusqu'à Mussig
même une portion du pâturage des sept communautés appelées
Gemeindmarck.
Le diocèse de Strasbourg a subi bien des variations et il en est resté
des preuves certaines dans le fait de la collégiale de Lautenbach et
du prieuré de Saint-Marc qui étaient, dans le diocèse de Bâle , des
enclaves relevant de Strasbourg pour le spirituel.
Je crois que le ruisseau d'Eckenbach longé par le landgraben au
Sud du territoire de Saint-Hypoliie n'a été la limite de la Haute-
Alsace qu'à partir du moyen-âge et surtout quand Saint-Hypolite est
devenu terre de Lorraine (cette commune était à la vérité du diocéae
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m MOT A PROPOS d'argentouaria. 485
de Strasbourg) et je. vois une démarcation naturelle bien plus sensible
dans le Giessen et la Scheer qui exercent des ravages depuis la vallée
de la Lièpvre et de Ville jusqu'à la hauteur d'Ebersbeim et Mus^ig :
c'est là que je suppose avoir été l'ancienne limite des Belges et Séqua-
niens puis des Rauraques et des Tr iboques ; le mur païen de Than-
nenkirch domine au Sud cette plaine ravagée par les inondations.
Agréez, Monsieur le Directeur» etc.
C08TB.
Schlesudt,23jiiUleti861.
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BILLETIX BIBLIOGRAPHIQUE.
Description topographiqub et historique de la partie antérieure
DE LA VALLÉE DE l'Ill , avec uîi appendice concemani l*ancien châ'
teau de Brunsiait, par M. A. Stqbber. — I vol. ÎD-iâ de viii-i38
pages. — Mulhouse , imprimerie de J. P. Risler, i861.
#
Voici une monographie que nous recommandons à Taccueil Sym-
pathique des lecteurs de la Revue, indépendamment de l'empreinte
qu'elle porte du savoir de bon aioi • elle a encore le mérite de devoir
le jour à une bonne pensée : celle de jeter de salutaires lumières sur
un coin de notre pays que d'autres ont placé « on ne sait trop pour-
(|Uoi , dans un jour peu favorable.
A un autre point de vue cette notice nous offre un grand intérêt.
En l'absence de guide pour toute l'Alsace, la description de M. Stœbor
peut en tenir lieu pour la contrée qu'elle embrasse. Il lui manque ,
sans doute » les indications que contiendrait spécialement an guide ,
mais elle en renferme de plus précieuses parce qu'elles sont plus
difficiles à établir et leur classlGcation nous parait réaliser, de la ma*
nière la plus heureuse , les trois quarts du plan que beaucoup de
personnes cherchent à déBnir pour rendre un guide intéressant en
même temps qu'utile. L'œuvre commencée par M. Stœber mérite
d'être continuée pour tous les points de l'Alsace , d'être complétée
au point de vue de l'utilité du voyageur et de former ainsi un livre
dont l'absence constitue , au dire de tous , une étrange lacune dans
notre littérature.
Pour la combler complètement il faut les efforts réunis de tous
ceux qui connaissent et aiment notre pays. Nous saisissons cette
occasion pour leur faire un appel et les engager à se concerter enfin
pour écrire le livre que tout le monde réclame et qui ne manque à
aucun pays voisin.
Frédéric Kurtz.
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LA CHAPELLE DE LA FORÊT D'ILL
A SCHLESTATT.
EPISODE DE U GUERRE D'ITALIE.
En sortant de Schlestait par la porte de Brisacb • on se troa?e immë*
diatement en face d*un paysage toui-ùfait différent de celui que
présentent aux r^ards les deux autres côtés de Tenceinte. Ici. plus de
promenades , de Jardins, de vignobles , de cultures. La vue se promène
sur un Immense tapis de prairies que sillonnent des eaux silencieuses
et profondes. Leur cours se dessine au loin par les saules , les peupliers
et les bouquets d'aulnes de leurs rives: au midi et à Torient s'étend
comme un sombre rideau la forêt d*lll. Au couchant , on voit fuir la
chaîne des Vosges, au pied de laquelle s'élèvent les fumées lointaines
des Tillages couchés à ses pieds. En arrière est la vieille cité impé«
riale, avec sa morne ceinture de murailles » moitié modernes, moitié
moyen«Age. C'est un fragment de Hollande, enchâssé dans un cadre
alsacien.
Si , après avoir franchi le pont écluse , on remonte vers la droite
le cours du Schiffweg , gros bras de l'Ill détaché ù Ulhseusern , et qui
s'y réunit de nouveau au bas de la ville , on arrive au bout d'une
demi-heure de marche & travers de gras herbages que ses eaux
abreuvent , à l'entrée de la forêt. Le sentier quitte la prairie et s'en*
fonce sous les vertes futaies ; puis se rapprochant de la rivière » court
tantôt sur le gazon de la rive coupée à pic, tantôt rampe sur la plage
sablonneuse qui s'avance dans le lit. Bientôt il tourne sur la gauche.
La voûte de feuillage s'épaissit et s'abaisse. Tout-à-coup , à l'eulrée
d'une clairière , on se trouve en face d'un édifice singulier ,. doqt
l'aspect t au fond de cette solitude, au sein de ce silence, a quelque
chose d'étrange et d'imprévu, qui saisit fortement celui qui l'aperçoit
pour la première fois.
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586 RBVUK D'aLSACK.
Au ceotre d'une enceinte polygonale formée de lattes peintes en
vert , s^éiève un chêne séculaire , presque dépouillé de son écorce :
quelques rameaux balancent au-dessus de Sa tête rugueuse des restes
d'un feuillage rare et maladif. Autour de l'arbre s'arrondit une sorte
de rotonde formée de piliers en bois peint , soutenant un toit en
parasol recouvert en zinc. Des acacias boules sont plantés dans Ves^
pace ouvert entre les piliers et l'enceinte extérieure. Cette enceinte ,
garnie de bancs , est ouverte du cdté du sentier. Cet édifice est un
sanctuaire ; ce vieux chêne est une chapelle ; la Vierge divine en est
la patronne.
Sous l'abri du toit » le sol au pied de l'arbre est jonché de mains ,
de brast de jambes de bois, grossièrement ébauchés: de longues
mèches de cheveux , des écheveaux de fil rouge , des espèces d'arai-
gnées ou de tortues en tôle ou en bois sont accrochées au tronc» an-
quel sont appuyées des béquilles abandonnées. A l'intérieur et au-
dêbors » toutes les surfaces sont envahies par une foule de tableaux ,
les uns à l'huile , les autres présentant d'informes dessins , enrichis
de grotesques enluminures. Tous exhibent invariablement l'idée d'un
péril ou d'une afldiction; tous exhalent , dans une pieuse légende, on
cri de douleur, ou un hymne de reconnaissance, élancé vers la
source des célestes secours. L'un d'eux m'a plus particulièrement
frappé par la singularité de son sujet. Il représente la scène bien
connue dont la femme de Putipbar et le vertueux Joseph sont les
acteurs ; on lit au bas : Ex vota i8S7 f . Il ne m'était pas encore venu
i l'idée qu'un danger du genre de celui qui menaçait le chaste fils de
lacib fbt de nature à invoquer l'intervention divine.
A la partie inférieure de l'arbre est un creux fermé d'une grille.
Cette excavation , décorée intérieurement de fleurs de papier et d*o-
ripeaux de toute sorte, renferme une statuette de la Vierge portant
l'enfant divin , prétentieusement vêtue d'étofl'es voyantes. Là est le
vrai sanctuaire, le tabernacle révéré. Des vases de fleurs sauvages
souvent rafraîchies, des ornements bizarres en décorent l'entrée;
des escabeaux , de grossiers prie-Dieu sont disposés en face de la
sainte image. De toutes parts s'exhale ce parfum de foi simple et pri-
mitive dont le moyen-âge semble malheureusement avoir gardé le
secret.
La légende veut que cette statuette , ou une autre pareille » ait été
portée en ce lieu par les eaux débordées du Schîffweg, puis recoeillie
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U GBAP8LLE DB U FORâT I^*ILL ▲ SGHUMTATT. 3S1
par u pécheur de Scblesiau » ei Instaliée par ses soins dans celle
nicbe creusée par ses mains ; des pèches miraculeuses » des vœux
exaucés • des maux guéris » des misères soulagées y appelèrent la
foule , hélas I toujours nombreuse des malades et des déshérités»
comme à une source infaillible de bienbits et de consolations.
J'ai un respect profond pour les légendes , et je les accepte avec
une foi candide. Il se pourrait néanmoins que la Ténéraiion dont ce
lieu est entouré eût une origine non pas plus respectable , mais plus
reculée. Ne serait-ce pas un de ces sanctuaires celtiques , comme il
en existait beaucoup dans nos vieilles forêts de l'Alsace ? L'on sait
que longtemps après l'extinction du paganisme gaulois, les lieux
autrefois consacrés par lui continuèrent à être l'objet d'un respect
mêlé de terreur, souvenir effacé et incompris d'un passé enseveli à
jamais» L'on sait aussi que les missionnaires chrétiens , impuissants k
extirper ces derniers vestiges d'un culte condamné , furent réduits k
ériger les symboles de la foi nouvelle aux lieux mêmes que la tradi*
tion des ancêtres désignait encore au respect obstiné des générations
nouvelles. Jen'aflSrme rien: mais ce chêne mutilé par les siècles, ce lieu
désert au bord de l'eau > cette forêt bien plus v^ste autrefob» et surtout
la nécropole celtique retrouvée près de là en 1857, autorisent des hypo*
thèses beaucoup plus hardies que les données de la légende même.
De tout temps j'ai aimé à visiter celte solitaire retraite perdue dan»
la profondeur des bois. Que d'heures rêveuses j'y ai passé , seul avec un
livre et un cigare , accoudé sur un banc de l'enceinte » et prêtant
l'oreille aux murmures confus errants sous les futaies , au râle stri-
dent des geais » aux coups sourds et lointains de la cognée du bûche-
ron. Que de fois, étendu sur la rive du Schiffweg , j'ai écouté le cla-
potement de la vague, ou suivi du regard les longues ondulations des
prêles flottantes » le vol des libellules au-dessus de leurs mouvanu
tapis de fleurs blanches , le pas alerte de la bergeronnette , courant
d'ilot en ilôt, à la poursuite de quelque moucheron. Silence, solitude,
fraîcheur suave , ombre impénéurable , tout ce qui apaise et repose ,
je le trouvais dans ce désert , et je ne croyais pas Tacheter trop cher
. au prix d'un peu de fatigue.
C'était le 24 juin dernier : après une matinée brûlante, j'avais résolu
de passer mon après-midi dans la retraite que j'aimais : en arrivani mon
apparition fut saluée par les aboiements sonores d'un chien de forte
encolure ; je me mettais en défense , lorsque je vis se lever d'un des
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iss wvtn tfàîAkCÊ.
bancs un homme qui de la voix ei du geste imposa silence i l-aninml.
Cet homme me parut avoir irenle à trente-cinq ans ; il était assez
grand « robuste et bien découplé ; sa figure brune , un peu fatiguée ,
.s'accentuait d'une moustache blonde, taillée en brosse, et d'une
large et longue barbiche ; il portait un petit chapeau de paille • une
blouse de toile écrue; des guêtres blanches descendaient sur sa
chaussure couverte de poussière. Après un muet salut auquel Je
répondis' aussi silencieusement, il alla se rasseoir et je pris place à
quelque distance de lui. J'aperçus alors sous la toiture de zinc » en
face de la madoqe, une femme agenouillée ou plutôt assise sur ses
talons ramenés sous elle; un chapelet à gros grains se tordait autour
de ses mains jointes et reposant sur ses genoux. Elle était vêtue d'une
robe de laine brune. Ses cheveux et ses épaules se dérobaient sous
une pièce d'étoffe soyeuse à carreaux • rattachée sous le menton. Elle .
tourna lentement la tête de mon côté , et la reporta aussitôt vers la
Madone; mais un coup-d'œil rapide m'avait permis d'apercevoir une
figure jeune très-hâlée » de grands yeux noirs, des lèvres un peu
charnues , une abondante chevelure d'ébêne ; Je tout présentant, avec
le costume et l'attitude, un type évidemment méridional. Partout
ailleurs qu'en ce lieu , je l'aurais prise pour une Israélite. Sur un
banc, on voyait un panier recouvert d'un large chapeau de femme,
laissant paraître le col d'une bouteille : tout auprès étaient les débris
d'un repas champêtre» et par terre , des souliers ornés de petites
boucles d'argent.
Après ces quelques minutes de silence qui suivent invariablement
le contact entre deux étrangers amenés par hasard dans le même
lieu , je tirai mon porte-cigares , et Je risquai l'abordage en offrant à
mon voisin un panetela à deux sous. Il accepta en saluant, c Vous
n'êtes pas de ce pays , Je crois , lui dis-je , Monsieur ; par quel hasard
vous trouvez-vous dans ce lieu retiré, loin de toutes les roules? savez-
vous qu'à moins d'un guide, et je le serai si vous voulez , vous ris-
queriez fort de passer la nuit dans la forêt ?
c Oh! répondît-il à mon ouverture, dans un français assaisonné
d'une petite pointe vosgienne; je ne suis pas d'ici , c'est vrai, mais je
connais cet endroit ; et quant à coucher dans la forêt , cela ne m'effraie
pas beaucoup. J'ai dormi dans de plus mauvais gîtes.
< Vous, c'est possible; mais cette dame qui parait être venue en
votre compagnie , répliquai-je, envisagerait-elle avec la même tndîffié-
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LA CHAPELLE DE LA FORÊT DILL A SCHLB8TATT. 389
rence une telle perspective? elle • du moins, est certainemeni étran-
gère à l'Alsace ?
c Etrangère, oli oui! vous pouvez le jurer : c'est une Uaiienne ;
c'est ma femme. Elle n'a pas peur non plus quand elle me sait près
d'elle : Eh ! Gaëtana ! >
La jeune femme se leva à cet appel et vint près de son mari: elle
était grande, svelte et bien tournée. Les manches de sa chemise,
relevées bien au-dessus du coude . laissaient voir des bras arrondis ,
et des mains un peu grandes, mais fines, que ne déparait nullement
le bistre vigoureux de la peau. Ses jambes et ses pieds étaient :ntts.
Sur un signe du mari , elle se tourna vers moi dans une confusion pleine
de grâce , et avec un sourire qui mit en évidence des dents superbes,
elle m'adressa une petite révérence courte et brusque qui ne manquait
pas d'une certaine coquetterie.
f Elle ne parle pas encore couramment le français, me dit l'homme;
mais cela viendra; c'est moi qui suis son maître de langue, s ..
' J'appelai à mon aide tontes mes réminiscences italiennes', et j'en
composai , comme je pus , quelques banalités bien niaises à l'adresse
de Gaêiana. Elle comprit sans doute, car elle sourit encore;, puis elle
' dit d'une voix timide quelques paroles auxquelles , il faut bien l'a- ,
vouer en toute humilité , je n'entendis rien du tout. Je pris néanmoins
l'air le plus intelligent du monde , et après quelques compliments de
rigueur, accueillis avec une satisfaction visible, je demandai de nechef
à l'étranger, avec l'accent d'un intérêt vivement excité, à quelles
circonstances j'étais redevable de noire rencontre dans cette solitude.
< A l'exception de quelques pâtres, de quelques bûcherons et des
gardes forestiers, lui dis-je, il ne vient guères ici que des pèlerins et
surtout des pèlerines du voisinage. Vous n'êtes pas des premiers
assurément « et permettez-moi de le dire, vous n'avez pas du tout la
tournure des seconds.
c Cela vous intrigue un peu , paralt-il. Et bien ! je vais vous expli-
quer notre présence. Nous sommes vraiment des pèlerins ; je sors
du ^ régiment de grenadiers de la garde et c'est aujourd'hui le vingt-
quatre juin.
< Le vingt-quatre juin : Eh bien ! qu'est-ce que cela fait ?
c Comment , ce que cela fait? c'est une vraie question de bourgeois.
Cela fait qu'il y a deux ans, jour pour jour » heure pour heure, c'é-
tait la grande baiailie de Solferino
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RSVUB D'ALSACB.
< Ah ! je l'amie doUié en effet; mais enAo quel rapport peiit*il y
avoir entre cette glorieuse joamée et Thamble oratoire qui nous
abrite tous trois en ce moment ? >
L'étranger flxa sur moi ses yeux gris avec une intention marquée.
Son cigare tirait à sa fin. Il aspira une dernière gorgée de fumée»
lança le tronçon dans l'eau voisine, se leva et vint s'asseoir tout près
de moi; sa femme le suivit « et le cbien se coucba à leurs pieds.
» Çàt Monsieur « dit-il , avec une certaine emphase • c'est toute uue
histoire, i II tira sa montre d'argent, puis il ajouta: c Ecoutez, il est
quatre heures passées , et je voudrais être avant la nuit à Guémar.
Vous êtes curieux; mais vous me fiiites l'effet d'un brave homme. Si
vous avez deux heures à perdre» je vous conterai cela. Dounez-moi
encore un de vos cigares , et avant tout » permettez-moi de m'aitiqner
un peu la hingue. >
Je m'empressai de le satisbire ; il alla au panier , en sortit la bou-
teille » me l'offrit en saluant du chapeau » et sur mon reftis • l'appliqua
à sea lèvres , et la remit en place. Puis m'ayant demandé du feu , Il
se rasait» et se disposa è parler. J'étais tout oreilles. Voici ce qu'il me
rteoBta.
c Je demeure avec ma femme i dix- huit lieues d'ici, dans une
petite fermé adossée aux montagnes, aux environs de D et qui
est ma propriété. Ma mère était d'un village tout proche de l'endroit
oh nous sommes. Quand j'eus treiie ans , mon père m'envoya chez les
perents de sa femme pour apprendre l'allemand , disait-il. Je passai là
trois années qui ne turent pas, il s'en faut » les plus heureuses de ma
vie. Mon grand«père m'employait aux plus rudes travaux des champs ;
et le soir, quand les chevaux rentraient du travail , il fallait les con-
duire au pâturage et les garder jusqu'au matin , en compagnie d'autres
petits pâtres de mon âge. Là nous allumions un feu où rôtissaient
quelques pommes de terre souvent dérobées dans les cultures voisines ;
par fois nos bêtes s'échappaient et pénétraient dans hi forêt, lot
crainte d'attirer sur nos maîtres les procès-verbaux des gardes, nous
poussait à la recherche des fugitifs , à travers les rivières et les hal-
liers ; c'est dans une de ces poursuites que je vis pour la première
fois cet oratoire. Il n'y avait alors pas autre chose que l'arbre même,
avec la Vierge abritée dans ses flancs, et une croix à quelques pas
plus loin. Mais déjà alors des ex voto étaient suspendus au tronc. Il y
ai»it Û un homme qui péchait à la trouble à l'aide d*uiie Bipelie. Je
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U CHAPELLE DE LA POBÉT DILL À SCaLRSTAIT. 3M
hiî demâiMbii de m'expliqoer ce que je voyaia; il me codu la légende
de rimage sainte apportée par les eaui, les guérisons merfeilleases «
les secours miraculeui dont les tableaux que je voyais rendaient
témoignage. Lui-même, disait-il , avait éprouvé , plus d'une fois • les
puissastf effets de l'intercession de la céleste patronne. U avait été
soldat et avait assisté aux sanglantes affaires de Dresde et de Leipzig;
le typhus l'avait jeté sur la paille des hôphaux à Mayence , et chaque
fois sa prière élevée vers elle l'avait préservé des blessures et de la
mort : < Tu es encore un bien petit garçon « ayouta-t«il « en posant sa
c main sur mes cheveux ; mais un jour peut venir où le danger sera
c sur toi aussi. Si cela arrive , pense à la bonne Vierge de la forêt ,
i prie-la de te secourir, et tu t'en trouveras bien. >
c Le récit de cet honune avait fait sur moi une impression profonde»
mes idées religieuses avaient alors tonte la ferveur du premier âge.
J'avais fait récemment ma première communion ; ce lieu se prétait à
la direction de mes pensées; j'y revins bien des fois, et le soir des
dioMncbes et des fêtes , au lieu d'aller au cabaret comme mes cama-
rades, je venais passer ici de longues heures, assis sur l'herbe «
priant tout bas , et pensant à ma fomille absente.
< Quant le temps de mon exil fut achevé. Je revins à la ferme,
chez mes parents. Tout y éuit bien changé. Ma mère, atteinte d'une
opaladie inconnue, s'éteignait lentement. Il y avait là une servante
qni gouvernail le ménage avec l'assentiment tacite mais évident
du maître. Bientôt ma mère mourut , et cette fille devint ma marâtre.
Je me sentais peu de goût à travailler pour une étrangère. Je com-
pranais instinctivemenL qne j'étais de trop dans la maison. J'étais
grand et robuste, dur à la fatigue. Quand j'eus dix-huit ans, je m'en*
gllgeai dans un ^régiment de ligne, et je fus dirigé sur Blidab.
c Après quelques courses ^m dangereuses en Algérie , mon corps
revint en France, et j'obtins, grâce à de bons états de service, d'en-
trer au 2™* de grenadiers de la garde. Je fis avec une partie du régi-
ment la campagne de Crimée d'où je rentrai avec les galons de caporal
et l'accent circonflexe que voici. > En disant ces mots il souleva sou
chapeau et me fit voir une magnifique balafre affectant la forme
d'un A , qui partait de l'extrémité du sourcil gauche , montait au
sommet de la tempe , et redescendait derrière l'oreille.
c C'est de l'écriiure russe, dit-il en riant , mais l'écrivain ne s'en
vantera pas.
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SM HEVUE b'alsacb.
c Povero Michèle ! articula d'une voix sympathique la jeune femme,
en posant sa main sur l'épaule du narrateur. Celui-ci la regarda avec
expression , et reprit aussitôt son récit.
c Au printemps de 4859 s'ouvrit , comme vous savez, la campagne
d'iiallc. La garde impériale ne pouvait manquer à la fête ; les pre-
mières loges nous étaient réservées. Je ne vous fatiguerai pasda
récit de nos marches , des ovations qui nous attendaient à chaque
étape; je ne vous dirai même rien de cette terrible journée de Ma-
genta, où la garde soutint , presque seule, pendant cinq heures,
l'effort de cent mille Autrichiens. Vous avez certainement lu tout
cela, et bien mieux raconté que ne pourrait le faire un simple troupîer
comme moi. L'heure s'avance , et j'ai hâte , comme vous aussi peut-
' être , d'arriver au bout de mon histoire.
€ L'armée marchait en quatre corps à la poursuite de l'ennemi en
pleine retraite. Le 23 juin elle était arrivée en vue d'une suite de
collines qui du lac de Garda se dirigent surMantoue, et derrière les-
quelles coule le Mincio. Aucun Autrichien ne paraissait à la portée du
'regard. On pensait que le lendemain nous franchirions le fleuve, pour
pénétrer enfin dans ce fameux quadrilatère dont on nous parlait sans
cesse, et où, disait-on, les Autrichiens avaient creusé notre tombeau.
Vers le soir, on aperçut quelques forces sur les hauteurs ; mais on les
considérait comme de simples éclaireurs chargés d'observer nos
mouvements. L'ordre de marche en avant fut distribué dans les cam«
pements à l'entrée de la nuit. La garde avait établi ses cantonnements
h Moniechiaro; elle devait se porter sur Casiiglione, et y remplacer
le deuxième corps qui se dirigerait sur Cavriana. Les mouvemeilU
des autres corps , combinés avec le nôtre , devaient , à uu moment
donné , porter l'armée entière en face du quadrilatère , de manière à
y pénétrer de front sur plusieurs points. A cinq heures du matin la
garde se mit en marche.
cMais dans la nuit, l'armée autrichienne, dans l'espoir de nous
surprendre, avait repassé le Mincio sur des ponts de bateaux, et au
lever du jour , deux cents mille bayonnettes occupaient la ligne vers
laquelle nous nous avancions pleins de confiance , la croyant aban-
donnée.
c Dès six heures du matin, une violente canonnade accueillit la tête
de la colonne qui en avant de nous , se dirigeait sur les hauteurs de
Cavriana\ elle s'étendit rapidement sur notre gauche dans la direc-
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U CHAPELLE DE LA FORÊT D'iLL A SGHLE8TATT. 3ft3
tion d'une suiie de collines, sur l'une desquelles on distinguait une
vielle tour ; c'était Solferino. Le premier corps sous Baraguey-d'Hil-
liers , le second sous le duc de Magenta étaient engagés : bientôt le
feu s'alluma sur toute la ligne.
c La garde avait pris position entre ces deux corps, mais en
arrière comme réserve, et prête à appuyer l'un ou l'autre selon
révènement.
c Nous demeurâmes l'arme au pied Jusque vers trois heures de
l'après midi , suivant du regard à travers la fumée » les péripéties de
la bataille , et ne donnant par nos propres mouvements , qu'un appui
moral aux combattants ; notre cavalerie seule avait été mise dès le
matin à la disposition du maréchal de Mac-Mahon , pour s'opposer
aux entreprises de la cavalerie ennemie.
€ A trois heures les chasseurs à pied et les voltigeurs formant la
brigade du général Manèque reçurent l'ordre de se porter rapidement
au secours de l'attaque dirigée contre la tour et le cimetière de
Solferino: nous les vîmes partir au pas-de-course, et tandis que
nous rongions le frein qui nous enchaînait encore , nos camarades
enlevaient les positions vainement défendues; en moins de rien le
drapeau tricolore flottait au sommet de la colline, salué par les
bourras des vainqueurs.
€ Solferino était i nous, mais l'ennemi se maintenait sur les
hauteurs plus rapprochées de Cavriana^ protégé par des restes de
vielles fortifications qui en couronnaient les crêtes. L'Empereur
ordonna de les balayer: ces positions furent assaillies avec un
Indicible élan , et les vohigeurs parvinrent à s'y établir: tout-à-coup ,
Tennemi fit un retour oflTensif et s'élança avec furie sur les ouvrages
d'où II avait été chassé. L'effort fut si violent que nos soldats plièrent
sous l'ouragan; nous pûmes les voir qui commençaient à redescendre
les rampes , toujours en combattant.
c A ce moment parût un ofBcier d'ordonnance couvert de pous-
sière, montant un cheval blessé et blanc d'écume; il apportait au
général Mellinet l'ordre de se porter avec la division de grenadiers
sur la position de C^vriana, où l'on avait besoin d'un secours
immédiat.
c L'Intrépide Mellinet était à cheval depuis le lever du jour, épiant,
appelant de ses vœux le moment d'agir: dès que l'ordre de marcher
lui eût été transmis» il se fit amener une monture fraîche; puisse
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3M REVUE D'ALSACE.
portant au galop sur le firont de la dinsiOD» l'épée bante, leièa
daD8 les regards; c EofaDS. cria-t-il, à notre tour! allons montrer
à ces g*. • là comment travaillent les grenadiers. > Les tambours
se mirent à battre » les musiques se 6rent entendre et la trombe de
bonnets d'ourson s*ébran|a d'un pas rapide aux cris de vive l'Empe-
reur! en un clin d'œil nous gravissions sous un feu épouvantable,
les pentes d^à couvertes de nos camarades blessés on morts.
c Un peu en avant du village, se trouvait à mi-côte une ferme
appelée Ca$a nuooa tm-Toomasso, d'où les Autrichiens dirigeaient
sur nous des coups d'autant plus redoutables, qu'ils partaient de
derrière des abris sûrs, portés par on ennemi invisible: ma com-
pagnie reçut la mission de les déloger: nous nous dispersâmes en
tirailleurs dans les champs de mais , pour envelopper les b&timents»
et découvrir un moyen de pénétrer dans l'enclos: il était quatre
heures: la chaleur était étouffiinte; le ciel orageux et sombre,
et des éclairs encore éloignés répondaient aux éclairs des canons
qui brillaient au-dessus et autour de n<His« au milieu d'un tapage
véritablement infernal.
c Je venais d'apercevoir derrière l'une des fenêtres de la ferme
des uniformes gris et des chapeaux empanachés, et je rechargeais
mon arme pour leur envoyer de nos nouvelles, lorsque je vis A la
Cenétre voisine, entre deux voleu entrebaillés, le canon d'une
carabine s'abaisser dans ma direction : une flamme brilb, et. soudain
je me sentis frappé : un choc , pareil an coup d'une massue me fit
chanceler; mon bonnet à poil roub par terre, mon fusil s'échappa
de mes mains ; je sentis une fraîcheur se répandre de mon épaule
droite sur ma poitrine sous mon vêtement: mes idées devinrent
vagues et tourbillonnantes, puis ma tête se perdit tout-à-fait, et
je me sentis tomber lourdement sur le sol , sans avoir la force ni la
volonté de me retenir.
c Je n'ai aucun souvenir de ce qui se passa après ma chute , si
ce n'est celui d'une pénible sensation de froid qui me ranima un
instant, puis d'une angoisse mortelle qui me replongea dans l'ané-
antissement.
c Quand je me réveillai, il faisait nuit: je voyais au-dessus de
moi le ciel sombre et étoile, il paraissait si près de moi, que
j'aurais pu le toucher: je voulus lever mon bras, il me fut impossible
de lui imprimer le moiudre mouvement: un silence de mort régnait
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LA CHAPELLE DE LA FORÊT D*1LL A SGBLE8TATT. 39S
Mtour de moi: je chercbais à reeoeilllr mes idées sans y réassir:
j'avais comme uo souTenir confus de bruits formidables, de tvmulie«
de cris > an milieu desquels je m'étais endormi , il y avait bien long-*
temps ^ je n'éprouvais aucune douleur déterminée; et cependant
quelque chose me disait qu'un grand danger pesait sur moi: à cet
instant une sorte de lueur consolante traversa mon esprit ; je vis
(Comme dans un rêve, le chêne de la forêt de Schlestatt avec l'image
sainte qu'il récèle: il me semblait entendre, et en même temps je
croyais lire gravées sur le tronc les paroles du vieui pêcheur, c Si
t un danger est sur toi , pense à la Vierge de la forêt, prie-
c la de te secourir, et tu t'en trouveras bien. > je voulus prier, et
je ils un violent efort pour joindre et élever mes mains vers le ciel.
Ce simple mouvement fot suivi d'une sensation de douleur immense ,
atroce, inexprimable: un long cri m'échappa , et je crus que j'allais
mourir.
c Mais mon heure n'était pas venue. Vous me croirez , Monsieur,
si vous voulez; je ne suis qu'un soldat grossier et obscur; ma vie
est trop insigniBante pour valoir les honneurs d'un miracle, et vous
qui me paraissez un homme instruit et bien élevé, vous rirez peut-
être de ma crédulité ; cela m'est égal , je crois ce que je crois ; ma
prière commenoée était allée à son adresse ; le secours ne devait pas
tarder.
c Ici , le narrateur s'arrêta , comme sous l'étreinte d'une forte
émotion ; ses traits s'étaient animés ; ses Joues bronzées s'étaient
couvertes d'une vive rougeur; il se leva, jeta brusquement son
chapeau à terre, et son regard resta attaché quelques instanu sur
la niche grillée qui recèle l'image de la vierge, avec une fixité
fiévreuse: puis embarrassé et comme honteux de ce moment d'exal-
tation, il alla droit à la bouteille, fai vida tout entière, et revint à
sa place , en me disant aver un peu de confosion. c Excusez-moi ;
j'avais très-soif; et puis, que voulez-vous; on ne s'est pas fait soi-
même. Non è eoft, Gaëtana? ajouta-t-il, en paraissant chercher
dans un regard de la jeune femme, le pardon de sa foiMesse d'un
moment.
c Okbnè Pavero Mkhele I » soupira de nouveau celle*ci.
Je rassurai de mon mieux le brave soldat à l'endroit de ma foi
entière dans l'intercession divine, et le priai avec instance de conti-
nuer lia récit qui devendt de plus en plus IniéressaiU ; il reprit ainsi.
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396 AEVim D*A1.SAGB.
I Au cri que m'avait arraché la douleur, répondirent des aboie-*
ment éJoignés , auxquels se mêlèrent bientôt des voix humaines :
j'é(*x)utai : les sons paraissaient se rapprocher , puis s'éloigner, puis
se rapprocher encore : tout-à-coup ils éclatèrent de très-près , j'en-
tendis le frôlement prolongé de feuilles sèches brusquement traversées
et foulées par un corps en mouvement • et soudain un animal dont je
ne pus distinguer la forme s'élança d'un bond sur moi , en poussant
des jappements bruyans et précipités. Je vis alors à peu de distance
une lumière rouge et tremblante s'avancer doucement vers moi
comme une étoile détachée du firmament , puis m'envelopper de
ses rayons; dans l'auréole lumineuse qu'elle traçait autour d'elle,
je distinguai plusieurs formes humaines ; je les vis m'entourer , se
baisser , je me sentis toucher, saisir et soulever : mais à l'instant une
transe plus poignante , plus mortelle que la première , secoua tout
mon être , ma tête s'égara de nouveau , et je perdis connaissance.
c Quand je repris mes sens , j'étais couché sur un lit dans une
grande chambre nue : les fenêtres étaient garnies de vitres brisées,
les murs troués et souillés de larges plaques noires : près de mon lit
se tenaient debout deux femmes « l'une jeune, l'autre déjà sur le
retour : elles causaient à voix basse avec un homme âgé , v^ta de
noir, assis à mon chevet sur un escabeau; â côté de lui était un coffre
sur lequel j'apercevais des linges et des fioles comme on en voit
chez les pharmaciens. En me voyant ouvrir les yeux, les deux
femmes poussèrent une exclamation que l'homme noir réprima
avec autorité ; j'allais parler : il mit la main sur mes lèvres en pro-
nonçant avec une expression mystérieuse le mot c Prudenza > , je
me contins : au bout de quelque temps , je le vis se lever , faire aux
deux femmes quelques recommandations dont j'étais certainement
l'objet , mais que je ne compris pas , puis sortir de la chambre sur
la pointe des pieds ; je me sentais faible , afliiissé , malade ; ma tête
était vide; mes idées vagues et troublées. Quand je n'entendis plus
aucun bruit, je nfassoupis de nouveau.
c Cependant à partir de ce jour de réveil , je crus sentir la vie
renaître en moi , et un peu de force me revenir : je revoyais chaque
jour l'homme noir. Vous avez sans doute déjà deviné que c'était
un chirurgien. Les pansements dans lesquels il était aidé par mes deux
gardiennes , devinrent plus rares et moins pénibles : de jour en jour.
Je sentais mon corps plus fort» ma tête plus lucide: mëS deux
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I
U GflAFBUE bE U FOBÉT D'fLL A SCHLBSTiTr. 397
lidCe$ses rivaiftaîent de. soins, d'aiieniions délicates: bientôt mon
entrée en convalescence ne fût plus douteuse. C'est alors seulement
que je sus. ce qui s'était passé depuis le jour de bataille , et dont
je n'avais eu aucune idée jusque là.
c Le lieu ou je me trouvais, c'était celte même Casanova San
Toomaiso devant laquelle j'étais avec ma compagnie au moment où
j'avais été frappé. Quand l'armée autrichienne vaincue eût repassé
le Mincio dans la soirée du S4 juin , les habitants des villages et des
fermes » que le choc imminent des deux armées avaient chassés
de leurs demeures, y étaient revenus dès que le canon avait cessé
de retentir : les morts avaient reçu la sépulture ; les blessés avaient
été par les soina des intendances françaises recueillis et. évacués
sur les ambulances et les hôpitaux du voisinage; beaucoup; d'entre
eux, trop grièvement atteints pour être transportés à distance;
étaient placés chez les habitants des villages et des fermes; tes of**
ficiers dans les villas et les châteaux les plus rapprochés. L'endroit
où j'étais tombé était un champ de Mais , et n'avait pas été d'abord
soigneusement fouillé : j'étais resté là soixante-seize heures , gisant
dans mon sang , sur le sol , sans nourriture et sans secours ! mes
cris avaient été entendus dans la ferme; ou avait lâché le chien, et
c'est lui qui avait guidé les recherches qui avaient abouti à mon
internement dans la ferme , quand on eût reconnu que mon pouls
battait encore. Un médecin militaire m'avait donné les premiers
soins. La balle avait brisé l'épaule et échancré l'omoplate , de nom-
breuses esquilles obstruaient la blessure, et entretenaient une fièvre
ardente, et un délire sans trêve: durant vingt-un jours j'avais été
entre la vie et la mort. Pendant ce temps , les préliminaires de paix
avaient été signés à VtUafiranca, et l'armée avait reçu l'ordre de ren-
trer en France. Déjà même le mouvement de retraite avait commencé;
mais il ne pouvait être question pour moi de le suivre : un nouveau
médecin était indispensable pour diriger le traitement entravé à
chaque instant par des accidents imprévus : mes excellentes hô-
tesses s'étaient adressées à cet effet à madame la comtesse Luigia de
Giudici, propriétaire de la Casa, et qui habitait une villa près de
CasliglUme^ elle-même encombrée de (blessés. La noble dame avait
non seulement envoyé son propre médecin , et les eff^ets de pan-
sement immédiatement nécessaires, mais elle avait donné ses ordres
pour me procurer à ses frais tout ce qu'exigerait un traitement
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SOS BKTOB D'âlMCB.
difllcilà et prolongé : eile«niéiiie était veoue plasiours foM à la fonnet
mais mes yeux obstinémeDt fermés n'avaient pu b voir : plus tard ,
quand ma convalescence fût commencée , c'est de sa propre taUe
que venaient les aliments qui me rendirent après cinq mois la force
et la santé.
c Que irotts dirai-je, monsieur, que maintenant vous. n'ayez d^
deviné ? Après Dieu et la Vierge-sainte , c'était aux compatissantes
fermières de San^Toomoiso que je devais la vie : non seulement elles
m'avaient relevé expirant du sol inondé de mon sang« Elles avaient
appelé à mon secours l'art qui seul pouvait m'arracher à la mort :
elles l'avaient aidé , elles l'avaient fécondé par leurs soins infatigables;
le jour , la nuit » elles avaient veillé à mon chevet , épié mon réveil,
soutenu mon courage , adouci mes souArances ; et pourtant je n'étais
pour elles qu'un soldat étranger ; mon unique titre à leur sympathie,
était mon uniforme et mon pays. Aurais-je pu rester indiffèrent à un
dévouement si grand, si désintéressé. Je ne le fus pas; la reconnais-
sance fut le premier lien entre elles et moi : un antre sentiment, plus
doux, plus puissant, fut le second : j'offris de consacrer à là jeune
fille cette vie qu'elle m'avait conservée : elle y consentit sans trop
marchander , car elle avait fini par aimer celui vers lequel la pitié
seule l'avait guidée d'abord.
Ma blessure s'était fermée , j'étais guéri , mais pour toiyours inca-
pable de servir : une ankylose s'était formée au point où le bras se
joint à l'épaule : je ne pouvais désormais épauler un fusil. Vers la
fin de novembre , je rentrai à mon corps à Paris , mais dès la première
inspection, l'on me renvoya dans mon lieu natal avec un congé de
réforme et une pension de six cents /rancs afférente à mon grade
de sergent dans la garde. Au printemps suivant je repris la rouie de
Catfriana , et devins l'heureux mari de celle que tant de souvenirs
liaient à ma destinée : bientôt après nous allâmes habiter cette autre
ferme où j'étais né, que dans une heure de chagrin j'avais quittée
pour un avenir inconnu , et où je revenais après dix-sept ans» seul
de tous les miens, mutilé, mais heureux encore.
• Durant les longues heures de ma convalescence , J'avais parlé
à mes bonnes hôtesses de la vierge de la forêt d'Ill , de la prière
élevée vers elle du fond de mon agonie > du prompt secours qui l'avait
suivie ; elles ne doutèrent pas plus que moi d'une intervention divine
dans l'œuvre de ma délivrance; et quand nous fûmes établis dans
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U CHAPELLE DB LA FOBÊT D'ILL A flCHLSSTATf . 399
notre petiie feriue à D... ma femme» en vraie fille de Tlialie » fit le vœu
d'un pèlerinage dnuuel à ce saJiciuaire d*oà le salul était venu ; c'est
aujourd'hui la seconde fott qte ce veso s'accomplit , et le jour que
nous avons voulu lui consacrer, est l'anniversaire même du jour
fameux qui , sans un coup de Providence » eût été certainement le
dernier de ma vie.
i Cette çbère créature qui m'a arraché à b mort , et doublement
rendo l'existence » la voilà » voilà Gaëuaa Panisi , m boane femme,
dit avec élan le narrateur , en saisissant la main de sa compagne ;
et voilà Tedesco • le brave chien qui l'a conduite sur la piste dn
gibier abattu par la balle de rAutrichien. Acqui , Tedesco \
L'animal s'élança aussitôt , et appuyant ses pattes velues sur les
genoux de son maître , le couvrit de ses brusques caresses.
c Et malmenant, monsieur, vous connaissez aussi bien que moi le
rapport qui existe entre Solférino et cette chapelle, entre le 24 juin
et notre présence ici : pardonuez-moi , si mon histoire vous a an
^pèii ennuyé , c'est votre faute ; il se fait tard ; donnez-moi un dernier
-cigare , et au revoir le 24 juin de l'année prochaine.
• Je lui exprimai avec l'accent de la sincérité la plus pure , tout le
plaisir o^e j'avais eu à l'entendre , tout l'intérêt dont m'avaient pénétré
;l6 récit de ses aventures , sa foi dans le secours de la Providence , le
bonheor qn*il devait ressentir à posséder pour compagne celle qui
• avait des droits si sacrés à son affection : je le priai d'accepter mon
étui à cigares et ce qu'il contenait comme souvenir de notre ren-
contra , et comme promesse de nous revoir ; pendant ce temps la
jeune femme avait passé le panier à son bras , placé son chapeau de
paille sur ses cheveux , et chaussé ses souliers à boucles à ses pieds
nus; puis tous deux vinrent mettre dans mes mains leurs mains
que je pressai avec effusion , et après un instant d'arrêt devant la
Grille de la chapelle , ils sortirent de l'enceinte ; je les vis remonter
. le sentiei; le long du Scbiffweg , et je les suivis longtemps des yeux :
arrivés à un coude , ils me saluèrent une dernière fois de la main
et disparurent derrière les arbres ; mais assez longtemps encore ,
les aboiements de Tedesco frappèrent mon oreille.
Quand je n'entendis plus rien , je repris le chemin de la ville
ei pensant à ces singuliers voyageurs , et repassant dans ma mé-
moiv» l'étrange récit que je venais d'écouler.
P. VaTIN tairocirtàSchlMlàill.
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ÉTUDES
REUGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT.
$ltU9. 0
IV. Doctrine de$ letlrét pottérieurt ou Kèou^joù
(nio confueéenij.
Noos venons de voir que l'école de Kong-tseu a peu développé iet
questions, mystiques et spéculatives , contenues en germe dans l'an-
tique doctrine de Foubi « sur lesquelles l'école du Taô^Kià et même
celle de'Foé ou Boudd'ba, qui étaient très-répandues en Chine»
avaient donné des solutions quelconques ; mais que ces écoles, n'étant
pas en Bliaiion directe avec l'antique doctrine des Kings, ne s'étaient
pas proposé pour but de développer ces questions au point de vue
de cette dernière. Il fallait donc nécessairement une nouvelle école ,
qui reprit cette tâche et cherchât à remplir les lacunes que Koung-
tseu et ses disciples avalent laissées. Cette école Ait celle des lettri^
postérieurs ou Kiou^joà , par opposition à celle des anciens''leurit ,
appelés aussi Ksièn-jou.
Cette école » qui est un développement de l'antique doctrine de^
Kings , peut être considérée comme un pont jeté entre l'ancienne école
des lettrés et celle du Taô-Kià » et même celle de Foê ; on y retrouve»
en effet» des idées qui semblent identiquement celles de Lao-tsen»
sauf une terminologie différente ; d'autres ont une certaine analogie
avec celles du boudd'bisme.
0 Voir les livraisons d'avril , mai, jain, juillet, septembre, octobre iSGO,
pages 145, 200, 277 , 313, 408 ,458, mai, juin et aoûti801 , pages 200, «56
et 344.
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ÈnnUËS SUR les religions comparées de l'orient. 404
Selon le recueil de TchioU'Ueu , appelé Somme complète de pM/o-
Sophie naturelle : c Tous les êtres de l'univers réunis sont le Tatki ou
Grand-faîte (le Umité et Ylllimité), Le Taïki existe sous une forme
corporelle dans le premier principe femelle Yîn ; il se manifeste
comme Intelligence spirituelle dans le premier principe mâle Tàng ;
les cinq grands éléments , le feu « l'eau » la terre » le bois . le métal
sont ses énergies. Le bien et le mal « le mâle et la femelle sont ses
divisions; toutes les actions, tous les êtres le représentent.... Les
voies ou les lois du ciel , de la terre et de l'homme ne sont chacune
qu'une seule et même voie t une seule et même loi , qui est le Taiki.
Le premier principe mâle du Taïki, le Yâng, (le dur) l'humanité» c'est
le principe des choses ; le premier principe /femelle • Yln (le mou),
la justice , c'est'la fin des choses. Voilà ce qu'on appelle la voie univer-
selle des transformations ,et la voie où la loi des trois termes (ciel ,
terre et homme) est constituée. En réalité les trois termes n'en font
qu'un, qui est le grand terme, le Taîki.
€ Par les expressions de sans Umite et grande limite , dit Tchouhi-
c Tchéou-tseu , on n'a pas voulu entendre qu'il y ait un être en de-
c hors du Taîki ; mais que c'est par une division opérée dans l'esprit
c qu'il y a VEtre sans limte. Dans cette entité existait par elle-même
c cette cause ou raison efiBciente... Et cette cause efficiente de l'uni-
c vers est le Taîki lui-même... Avant l'existence de toutes choses
c existait cette cause efficiente. Elle se mit en mouvement et
c engendra le principe mâle , lequel n'est lui-même que celte cause
c efficiente. Elle rentra dans son repos et engendra le principe fe-
c melle, lequel n'est également que la cause efficiente.... Il se divisa
< encore et il forma les cinq éléments. Il se répand de toutes parts
ç et il est tous les êtres ;.^. tous les êtres de l'univers ne sont que
c des effets émanés de ce Taîki. >
Il résulte de ces passages que le Taïki représente la substance
absolue , primitive , et , Tétat où elle se trouvait à l'époque qui a
précédé toute manifestation dans l'espace et le temps ; que ce Taïki
possède en lui-même une force ou une énergie latente , qui prend le
nom de Taô , raison ou cause efficiente , formelle , à l'époque de sa
manifestation dans le temps et dans l'espace ; que cette manifes-
tation est représentée par deux modes ou accidents: le mou-
vement et le repos , qui prennent les noms Yâng et Yîn , lesquels ,
tout en ifétant toujours que le Taïki à l'état de modalité, ont
i*SM.-.a«AiiBé«. â6
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402 . REVUE D'âLSàGE.
donné naissance aux cinq éléments el ceui^i à tous les êtres de
l'univers. L'homme occupe une noble place dans ce système. Selon
Tchéou-lseu , aucun être de la nature n'a reçu une Intelligence égale
à celle de l'homme. Celte intelligence, qui se manifeste par la science»
est divine; elle est de la même nature que la raison efficiente dont
elle est dérivée et que tout homme reçoit en naissant*... Cette intel-
ligence retourne au ciel , lors de la mort. Mais alors toute personna-
lité disparait pour se confondre avec le principe rationnel (V. Paul-
thier » Chine moderne).
Nous retrouvons donc, dans cette doctrine, une sorte de synthèse des
divers systèmes analysés précédemment, des Kings, des Yoù-Kià et du
Taô-Kià. Seulement le système des Kéou-joû plonge, encore plus que
les autres , en avant dans les profondeurs sans fin , par sa conception
du Taîki , dam lequel exiitait la cause efficiente ou le Taô , qui n'est
que sa manifestation dans le temps et Tespace. Tandis que , dans le
système du Taô-Kiâ, la raison primordiale est en quelque sorte placée
au faîte, se confondant avec le non-Etre. D'un autre côté, le système
des Réou-joù explique d'une manière plus réaliste la procession des
êtres de cette cause efficiante ou créatrice. Par une conséquence de
son caractère intermédiaire et synthétique , ce système a constitué
une sorte d'équilibre de neutralité, un indifférentîsme entre les
divers systèmes religieux qui luttaient auparavant les uns contre les
autres. Les discussions religieuses ont cessé de toutes parts et la na-
tion chinoise tout entière a proclamé cette formule dont tout le monde
est satisfait: San-Kiaô, Y-Kiaô^ c'est-à-dire, les diveriei relt^rtont
ne sont qu'une.
Ainsi les trois écoles des You-Kià , des Taô-Rià et des Kéoujoùs
reproduisent, dans leur ensemble, avec une profondeur , une netteté
et une concision remarquable , mais avec une inclinaison vers le na-
turalisme et le rationalisme, la mysticité panthéiste, monothéiste, duo-
théiste , trinithéiste et. polythéiste des autres systèmes tbéologiques.
Que signifient dès lors les vaines déclamations élevées soit contre
le matérialisme , soit contre l'athéisme , soit contre Tidolâtrie des
Chinois? Ne sont-elles pas celles de l'ignorance et d'une fausse intel-
ligence de l'esprit des systèmes théologiques de la Chine ? Si l'Idée
de Dieu paraît d'une manière vague et peu définie, comme quelque
chose d'innommé « dans la plupart de ces systèmes , l'on voit que ce
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 405
n'est que la recon naissance chez eux de rimpossibililé de définir ce
qui est Infini et l'on' ne trouve dans eux aucune négation d'un Dieu
réunissant les attributs principaux que nous attachons à l'idée de la
divinité. Il est vrai que la prédominance de l'élément moral , social •
rationnel et laïque de la religion des lettrés sur l'élément mystique »
théogonique , sacerdotal , a imprimé à cette religion un caractère
moins extérieur, moins rituel et plus rationnel que les cultes de Fôé
et même que les autres religions de l'Orient. C'est ce qui constitue sa
ressemblance avec les systèmes religieux de la Réforme moderne •
auxquels on adresse le même reproche d'irréligion, parcequ'ils
s'efforcent de développer plus particulièrement l'élément moral » so*
cial et rationnel du Christianisme» que ses éléments mystiques, ascé-
tiques. Un autre point qui rapproche encore les écoles chinoises des
réformateurs modernes , c'est qu'on y trouve beaucoup de gens qui
adoptent tous les cultes et tous les systèmes philosophiques. La ma*
xime favorite en Chine est celle-ci : Pout-toun-Kiaô, toun^y^ c'est-à-
dire , les religions sont diverses , la raison est une , nous sommes
tous frères. Toutefois si les écoles de la Chine se rapprochent des
rationalistes et des réformateurs modernes , il leur a .manqiié encore
une condition essentielle pour leur ressembler , c'est qu'elles n'ont
guères été la religion de la multitude, qui est restée plongée dans les
superstitions de l'idolâtrie. Ceci provient en grande partie du carac-
tère trop savant qu'elles ont présenté, et de la difficulté pour les masses
d'étudier ces systèmes théologiques dans les livres nombreux et variés.
Mais depuis quelque temps il s'est opéré dans les couches les plus
profondes de la société chinoise un travail , à la fois social et reli-
gieux, dont le résultat doit être de réunir les divers systèmes comme
dans un vaste alambic , d'où ils doivent sortir transformés et réduits
à une expression qui les mette à la portée des masses. Une révolu-
tion a surgi en Chine , révolution toute populaire et traînant à sa
suite tous les excès des révolutions populaires, mais portant dans ses
flancs un principe régénérateur de la vieille société chinoise. Cette
révolution présente beaucoup d'analogie avec celle accomplie au
septième siècle dans la terre d'Yèmen. De même qu'en Arabie le
rapprochement des hommes de toutes les sectes religieuses de l'Orient
avait produit un travail de fermentation religieuse et sociale, analogue
au travail chimique des éléments aggrégés dans un vase, de même en
Chine le rapprochement de toutes les croyances , protestants , ro«
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40i RBVCB D'ALaiGS.
maios , gréco-russes , nestoriens , mabomélans » boudd'histes ,
Taô-tsés , lettrés anciens , lettrés modernes , a produit un travail de
fermentation religieuse , qui est parti de la classe des lettrés » pour
lesquels la lecture des Bibles, répandues à profusion par les mission-
naires protestants et romains, a été une puissante inoculation, travail
qui s'est ensuite étendu à la masse du peuple , remuée^ par les mis-
sionnaires protestants et catholiques-romains et par les sociétés
secrètes , fort nombreuses en Chine depuis la conquête Tartare, mais
surtout par la société des Troi$»unis ou frères de Ui triade . qui a été
le principal organe de cette révolution sociale et religieuse.
Cette révolution toute moderne . présente à la fois les caractères
d'un développement de l'ancienne doctrine chinoise et ceux d'un
travail de réforme d'une nouvelle religion , qui se rallie par plusieurs
liens à la révélation indéo-cbrétienne. Au premier titre, cette>éforme
se rattache à la série des écoles de souche chinoise ; et au second
titre , elle tend à constituer une famille socio-religieuse » ayant son
fondateur et ses doctrines. Elle mérite donc que nous nous y arrêtions
un instant.
V. Religion de$ Troie' Unis et Kouani'ii'jen ou tectateurs de
Tap'jinng»wang.
La société des Traii-'unis » ou de la Triade, ou encore des Troii-
frineipei , qui est peu postérieure à la conquête mandchoue » paraît
être devenue l'organe d'incorporation et de développement des di-
verses doctrines nouvelles qui se sont élevées en Chine , et surtout
avoir été le drapeau de ralliement des sectes opprimées par les con-
quérants Tartares. C'est ainsi qu'elle s'est d'abord assimilé celle des
lettrés , notamment des lettrés postérieurs , comme l'indiquerait son
nom , frères de la Triade ou des Trois principes , qui sont le ciel » la
terre et l'homme, formant la trinité cosmogonique des lettrés et sur-
tout de l'école des Kéou-joùs. Son culte a été celui des lettrés» le culte
du Chang-ti. D'un autre cdié , il parait incontestable aujourd'hui que
des membres de cette société se sont assimilé plusieurs points des
doctrines bibliques, répandues en Chine et dans les Indes par les mis-
sionnaires des diverses Eglises chrétiennes, notamment par les sociétés
bibliques d'Angleterre et d'Amérique. A ce litre la société des Trois-unis
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 40o
ne se présente plus comme une société pureraenl chinoise, continuation
de récole des lettrés, mais comme une société plus universelle; elle l'est
aussi de fait ; car non seulement elle a ses membres répandus dans
les provinces de la Chine , mais encore elle a des affiliations nom-
breuses au dehors , par exemple à Singapour, à Java , à Manille et
en Californie.
Jusqn'en 1850 , époque de l'explosion de la révolution chinoise ,
où cette société a joué le principal r6le , les principes des Trois-unis
paraissent avoir été fort vagues, peu formulés et par conséquent peu
vulgarisés. Cette société présentait plutôt le spectacle d'un travail
intra-utérin de fermentation des doctrines, les plus diverses , qui
cherchaient à se combiner, à s'aggréger, à se coordonner, avant de
naître au monde sous une forme unitiaire et spécifique , comme une
doctrine nouvelle , comme un principe religieux , susceptible de se
mouvoir par lui-même, de croître et de se développer avec ses ca-
ractères propres. Pour arriver à ce dernier point il fallait deux con-
ditions: des circonstances extérieures qui facilitassent la naissance au
monde extérieur de cet embryon religieux et puis un chef, un con-
ducteur, un apôtre » un révélateur. La Révolution de I8S0 amena
ces circonstances extérieures ; et ce chef, cet apôtre , ce Révélateur
s'est produit dans la personne de Tài-jnng'wang, dont le nom signifie
littéralement Paix universelle.
Tai-ping-wang dit le Libérateur de la Chine, le Sauveur des peuples;
il se dit continuateur et frère cadet de Jésus-Christ , dernière incar-
nation de Dieu. Comme Mahomet , il monte au ciel et en descend à
volonté « et ses décrets émanent de la volonté divine. 11 fait une
guerre sans trêve aux idoles , en démolissant sur son passage tout
symbole d'idoifltrie. Il pratique la polygamie et emmène 36 femmes
à sa suite.
Voici une profession de foi des sectateurs du Taï-ping-wang dans
une lettre adressée à George Bonhomme, le 2 mai 1853, par le prince
de l'Est et du Nord , lieutenant du Libérateur, c Le Père céleste, est-
c il dit, le maître suprême, le grand Dieu a créé au commencement
c le ciel 9 la terre , la mer, les hommes et les choses en six jours,
c Depuis cette époque, le monde n'a formé qu'une seule famille et
c tous les hommes qui demeurent entre les quatre mers» sont frères,
c Comment dès lors pourrait-il y avoir la moindre différence entre les
c hommes? Comment existerait-il aucune distinction de naissance?
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406 RKVUE T>*A!.SACE.
c Mais depuis que la race humaine a subi Tinfluence du diable , les
c hommes onl cessé de reconnaître les bienfaits de Dieu , notre Père
c céleste , et d'apprécier le mérite infini du sacrifice expiatoire ac-
c compli par Jésus , notre frère atné. C'est pourquoi les hordes tar-
c tares et les Huns nous ont dépouillés de notre territoire... Heureu-
c sèment , le Père céleste et Jésus , notre frère , ont envoyé un
c messager de leur miséricorde , pour emmener au ciel notre royal
c maître , l'Empereur céleste , auquel ils ont donné le pouvoir de
c chasser des trente-six cieux les influence» diaboliques et de les
« reléguer dans ce bas-monde. Et par-dessus tout» il est heureux que
c le Père céleste , notre grand Dieu , manifeste sa miséricorde et sa
c compassion en descendant sur la terre et que Jésus-Christ, notre
c frère aîné, le sauvenr du monde , ait également daigné venir parmi
« nous.... Depuis 600 ans ils ont admirablement dirigé les affaires
c humaines , ils ont déployé leur puissance , multiplié les miracles
c en exterminant une foule de diables et en aidant notre céleste souve-
c rain à prendre le gouvernement de tout V empire, i
Ainsi l'idée d'un règne réel de Dieu sur la terre forme l'un des
articles de foi des Kouam-si-jen , (nom des sectateurs de Taï-ping-
wang) et la mission divine et libératrice de Jésus est reconnue par
eux.
Quoique les documents écrits sur les doctrines de cette secte soient
encore fort rares (ce qui est d'autant plus étonnant que depuis un
certain nombre d'années le contact des Européens avec les Chinois est
très-fréquent), il existe une série de treize brochures imprimées à
Nanking par les ordres du Taï-ping-v^ang et déposées par les soins de
M. le ministre des affaires étrangères de France à la bibliothèque
impériale.
On trouve dans une de ces brochures un texte de livres saints »
parmi lesquels figurent l'Ancien et le Nouveau-testament , dontioui
chinois libéral devra recommander la lecture à son fils. Plus loin les
commandements du Décalogue sont reproduits avec fidélité et ces
commandements sont acccompagnés d'une glose où Taï-ping-wang
aflSrme que Dieu , lui-même , sur le mmt Sinaï » a donné aux hommes
ces préceptes de sagesse.
La troisième brochure traite de la création du ciel et de la terre ,
du déluge « de la sortie du peuple d'Israël , de la venue du Sauveur
du monde Yésou (Jésus) et dç ses souffrances , pour le rachat de nos
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 407
péchés. De celle époque à l'époque de U mission du Taï-ping-wang il
y a une solullon de coniÎDuilé. Ce fut en i857 que Dieu» voulant
susciter le Libérateur de la Chine , envoya un messager auprès de
Tai-ping-wang. Ce messager était un ange ; il prit Taï-ping-wang sur
ses ailes, le conduisit au ciel, où il vit Dieu face à face: c Va, lui
c dit le Seigneur, extermine les soldats barbares et sauve les peuples. >
Le roi de la paix universelle accepta cette mission.
La plus curieuse de ces brochures est sans contredit celle qui a
pour titre : Livre des phrases de trois mots. C'est un abrégé de l'his-
toire sainte et une série de préceptes moraux en vers.
L'on voit par les rares documents que l'on en possède » que la doc-
trine des Konam-si-jen , qui sont le corps d'une secte dont les Trois-
unis sont l'âme, est encore vague, flottante, peu développée. Us pra-
tiquent le culte du Chang-ti et respectent partout les temples du ciel
et de la terre. Ils ont une idée incomplète de la Trinité catholique.
Ils considèrent Jésus comme le Sauveur du monde , mort sur la croix
pour la Rédemption du genre humain. Ils sont juifs en culte, admet-
tant les offrandes des fruits de la terre et le sacrifice des animaux.
Ils sont mahométans en morale , pratiquant la polygamie , la rési-
gnation et le mahométisme iconoclaste des musulmans. Ils sont
boudd'bistes en dogme , admettant un certain panthéisme coDune
fond de leur doctrine théogonique , les incarnations successives et la
transmigration des âmes (le roi de la paix universelle étant lui-même
une incarnation de Dieu qui vivra dix mille années). Il sont rationa-
listes bibliques par la recommandation à tous de la bible , par leur
haine contre les idoles , les images, les cérémonies extérieures et les
monastères des bonzes et des bonzesses. Tai-ping-v^ang nous pré-
sente certaines ressemblances avec le prophète des Anabaptistes et
celui des Mormons. On raconte de lui qu'il va présider à la prière
tous les vendredis , suivi des reines du premier et du second ordre ;
qu'il monte ensuite sur une estrade , faisant aux assistants le com-
mentaire de la prière et leur appliquant les dogmes de la religion
nouvelle.
II est vrai que l'histoire de cette Révolution est souillée par les
récits des massacres , dévastations , pillages. Mais quelle secte a été
exempte de pareils excès? Il faut juger les doctrines en elles-mêmes
et non par les excès de ceux qui les professent , sans quoi elles
seraient condamnées toutes. Il faut surtout se garder contre les récits
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408 nEVUE D'ALSACE.
souvent contradictoires et passionnés de ceux*qui sont les victimes de
la révolution chinoise , et songer qu'elle est en même temps une
réaction politique contre les oppresseurs et agitateurs étrangers de
toute espèce, et que dans un mouvement de masses populaires» encore
grossières et ignorantes , les excès sont presque toujours inévitables.
Quoiqu'il en soit , il faut espérer que lorsque ce travail de fer-
mentation révolutionnaire sera terminé , lorsque ce chaos se sera
débrouillé , il en sortira une transformation sociale et religieuse des
écoles de l'antique Chine « dans le sens catholique et que par cette
théologie chinoise » laquelle est , à la fois, en parenté avec toutes les
théologies anciennes et avec les théologies modernes, se réalisera , à
l'eitréme Orient • le trait d'union entre les théologies de l'antiquité
et celles issues de la prédication évangélique.
INTERMÈDE.
Nous avons clôt avec les systèmes de la théologie chinoise » qui est
à la fols la plus antique et la plus moderne, la série des systèmes théo-
logiques qui ne sont pas en filiation directe avec la révélation évangé-
lique et qui ne sont en parenté avec elle que par le lien qui relie entre
elles toutes les religions du globe , passées , présentes et futures ,
à savoir la révélation universelle et intégrale.
Nous avons trouvé dans les monuments des théologies que nous
venons d'esquisser les principes fondamentaux de la théologie »
le monothéisme , le duo-théisme, le trinithéisme , le polythéisme et
le panthéisme , avec leurs rapports réciproques et multiples. Nous y
avons trouvé même les divers dogmes particuliers qui se rattachent
à cet immense problème de l'union du fini et de l'infini. En général .
nous y avons trouvé l'ébauche de toutes les théories et doctrines
métaphysiques et théologiques , qui se sont produites dans le monde
moderne ; il n'y a aucune d'elles qui ne retrouve son correspondant
dans la théologie antique et intermédiaire.
Mais ce germe doctrinal , ces ébauches théoriques , ces principes
théologiques y semblent comme imperceptibles et cachés derrière ie
voile de l'abstraction , des symboles , Ides formules vagues , des in-
cohérences , et ne sont sondables , perceptibles et intelligibles que
pour certains esprits d'élite. Tek qu'ils se produisent, les dogmes de
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ÉTUDBS SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. 409
ces théologies ne peuvent s'universaliser et se vulgariser ; ils ne
peuvent former, même par leur réunion sériaire » le dogme universel
et intégral. En effet, ce qui manque essentiellement aux théologies
que nous venons d'esquisser, c'est l'universalité et l'intégralité. Il y a
des lacunes regrettables, des vides, qui laissent Tintelligence en
suspens , des obscurités et des contradictions nombreuses , non seu-
lement dans chaque théologie , prise isolément , mais encore dans
leur réunion en corps de doctrines. De plus , leur action historique
s'est toujours spécialement concentrée dans certaines régions et dans
certaines races. Le boudd'hisme , le plus universaliste , n'a pas dé-
passé les régions et races de l'Inde , de l'Indo-Chin^ , de la Tartarie
et de la Chine. Le mahométisme» déjà imprégné de l'esprit de propa-
gande universelle» n'a pourtant eu aucun accès auprès des peuples qui
échappaient à l'action brutale du glaive.
Ce travail théologique de l'antiquité 0) est donc incomplet et défec-
tueux dans ses résultats. Il faudra que ce travail soit repris, et conti-
nué dans tous ses détails par les disciples de Celui qui a prononcé ces
mémorables paroles : AUez et enseignez len natwnt\ a6n qu'il acquière
le caractère à la fois universel et intégral.
L'Evangile de Christ marque en effet une ligne de démarcation dans
le travail d'élévation de l'édiBce religieux. L'esprit évangélique est
cet esprit oniversel et intégral, qui contient en lui ces germes de tous
les dogmes théologiques ; il est destiné à se répandre par ces germes
jetés aux quatre vents du monde • à toutes les lattitudes , dans tous
les terrains ; à attirer , à remuer les sucs nourriciers de doctrines
contenus dans les sols les plus divers ; à produire une nouvelle vé-
gétation doctrinale , qui , tout en étant appropriée à chaque région »
soit plus harmonique , plus synthétique et plus appropriée aux be-
soins universels de l'humanité.
A dater de la prédication de l'Evangile, a du commencer un travail
d'intususception , de ralliement , de transformation , d'alBnité , de
concordance et de réunion sériaire de tous les éléments doctrinaux ,
produits dans le cours des siècles et dans les différentes régions du
globe terrestre.
(0 Nous Toalons toujours parler de cette antiquité dont les élémens religieux
sont encore vivante an sein de rbumanité et font encore partie intégrante de 809
corps.
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410 REVUE D'ALSACE.
Ce travail présentera trois périodes bien distinctes.
La période confuse , où les divers éléments doctrinaux ont été
réunis dans ce laboratoire qui s'appelle la théologie de VEglue primi-
tive , confusément , à l'état de neutralité vag^ue . dans une sorte
d'équilibre , sans sortir de l'état de germes , peu développés. Néan-
moins , dans leur faible état de développement par les écoles ou héré-
sies de FEglise primitive, l'on aperçoit déjà la destination universelle
et intégrale des doctrines cbrétienpes dont elles sont l'expression
rudimentaire. La plupart des écoles ou hérésies portent plus ou
moins t le cachet ou l'empreinte des rapports du christianisme
avec les systèmes théologiques de l'antiquité. Ainsi les chrétiens
judaïsans étaient une transition du monothéisme hébraïque et le
germe du futur arianisme. Les Gnostiques portaient plus parti-
culièrement l'expression du panthéisme brahmanique , l'opposé du
monothéisme hébraïque. Les Manichéens avaient un rapport intime
avec le mazdéisme. La doctrine d'Origène et de son école se rapproche
du boudd'hisme ; Cerynthe , Sabellius et Arius reproduisent d'une
manière plus caractéristique le monothéisme hébraïque; l'école
d'Alexandrie , s'il n'est pas prouvé qu'elle ait eu des rapports avec
l'éclectisme chinois, puisque sa parenté directe avec le platonisme est
seulement en évidence , peut être consid^e du moins comme on
écho mystérieux de ce vaste syncrétisme de la théologie chinoise ;
car il existe des rapports intimes avec certaines parties essentielles
de la théologie chinoise et les doctrines de l'école d'Alexandrie. Nous
pourrions démontrer les mêmes rapports variés dans les doctrines
des Pères de l'Eglise primitive.
La période qui a suivi celle-là, période dans laquelle se trouve encore
la société chrétienne» est celle qui a commencé après le concile deNicée
Dans cette période , que nous appuierons tUffuse , les divers germes
doctrinaux issus de l'Evangile se sont successivement développés ,
mais en tendant plutôt à se spéci6er, à s'isoler, qu'à' se grouper» se
classer, se coordonner en séries , ne produisant à raison de cela que
des synthèses incomplètes, et aboutissant, en dernier lieu, à ce pèle-
mêle des doctrines multiples et diverses, qui constitue l'état actuel
de l'humanité.
Quel est en effet aujourd'hui le spectacle des théologies issues de
la prédication évangélique depuis le concile de Nicée au 4<°* siècle de
l'Eglise?
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ÉTUDES SUR LES RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT. U 1
Divers corps de doctrines se développent , côte à côte , sans lien
de solidarité visible.^ Et pourtant » en regardant de près , l'on verra
que l'œuvre d'assimilation d'intususception , d'afiBnité, si elle ne
se Tait plus d'une manière confuse comme par les écoles de l'Eglise
primitive , n'en continue pas moins , mais d'une manière diffuse »
dans chacun des systèmes théologiques qui se sont produits depuis
le concile de Nicée.
Nous voyons en effet l'arianisme avec son dérivé le semi-arianisme
renouer l'anneau du monothéisme hébraïque ; or l'arianisme , sans
compter le mahométisme,- qui en est l'expression la plus virtuelle ,
mais qui forme une théologie sut generis , possède encore ses repré-
sentants sur la terre orientale. A l'autre extrémité de la chaîne théo-
logique, nous voyons le nestorionisme avec ses dérivés, monophysites,
moDOthélites , qui possèdent, tous, leurs représentants modernes
dans la même région , renouer l'anneau du panthéisme brahmanique
et boudd'histe. Nous voyons enfin le catholicisme renouer les anneaux
intermédiaires de synthèse universelle , si bien commencée par les
théologies mazdéenne et chinoise.
Mais le catholicisme oriental se divise lui-même ensuite en trois
branches distinctes, quoiqu'ayant toutes trois pour lien fonda-
mental et commun la doctrine théologique élaborée par les sept con-
ciles, à partir de, et y compris, celui de Nicée. Ce sont le catholicisme
grec» dont l'expression la plus virtuelle est le catholicisme gréco-
russe ; le catholicisme romain qui est une continuation du catholi-
cisme oriental, et le catholicisme de la Réforme, qui est aussi issu du
catholicisme oriental, quoiqu'il semble au prime abord n'avoir qu'une
origine occidentale, (f). Nous appellerons ce dernier, catholicisme du
Nouveao-Monde , où il a son siège principal.
Or ces trois catbolicismes , avec les rameaux nombreux qui en sont
issus, quoique se concentrant chacun sur un siège régionnaire distinct,
possèdent néanmoins actuellement leurs nombreux représentants
dans ce vaste Orient , où ils sont nés et où ils se disputent l'empire
des âmes. De sorte qu'on peut dire avec raison que l'Orient , qui a
été le berceau mystique de toutes les religions du globe , est aujour-
d'hui rimmense caravansérail , où louus se rencontrent dans leur
(*) Nous démontrerons cela dans les élades que nous publierons sur les doctrines
oomptrées de la Réforme.
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412 REVUE D'ALSACE.
pérégrination séculaire et universelle , pour y réparer leurs forces
épuisées , et s'y donner mutuellemi'nt le baiser de paix. C'est un pri-
lége que ne possède aucune partie du globe terrestre.
C'est donc l'Orient qui est destiné à devenir le théâtre de ce vaste
travail de conciliation » ' de concordance . de synthèse des religions
existantes, travail qui sera la tâche de la troisième période » de la
période harmonique ou vnUgrale » qui est devant nous. Cette période
est celle oii les diverses doctrines religieuses , arrivées à un état de
maturité » devront se justà-poser, se classer, se réunir en série uni-
verselle et intégrale » travail immense qui demandera la réunion de
conciles plus nombreux et plus universels que ceux du passé ; car, dans
ce travail, l'unité et la variété doivent se marier, l'hypothèse, rompue
par l'analyse , doit faire place à la synthèse , et la syndoxie doit
concilier l'orthodoxie et l'hétérodoxie.
Mais laissons-li ces considérations théoriques sur l'avenir religieux
du monde et revenons au présent , c'est-à-dire , à l'étude comparée
de celles des religions de l'Orient que nous n'avons pas encore exa-
minées, et qui sont, comme nous l'avons dit, les religions issues
directement de la prédication évangélique.
Nous entrons là sur un terrain battu et rebattu. Âusssi le lecteur
nous dispensera-t-il de lui présenter une analyse de chacune de ces théo-
logies. Nous nous contenterons seulement de signaler leur état actuel
en Orient et de faire ressortir par des traits rapides leurs rapports ,
leurs affinités , leur parenté avec les systèmes théologiques que nous
venons d'analyser, et comment chacune d'elles développe plus ou
moins les principes fondamentaux de la théologie.
A. GiLLIOT.
(Lœ iwU à la prochaine liwaisan).
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LES FEMMES
DANS LA POÉSIE GRECQUE.
9UUe (*).
m.
Les genres élégiaque et iambique nous ont retenus Jusqu'ici au
milieu des populations de race ionienne ; le genre lyrique va nous
ramener cbez les Doriens et les Eoliens. Il ne faut pas nous attendre
à trouver, dans ce champ que nous allons explorer, des matériaux
nombreux pour le sujet qui nous occupe , parce que les poètes qui
s'y sont le plus distingués , et dont nous ne possédons que des frag-
ments plus ou moins tronqués et mutilés» paraissent s'être fort peu
occupés de la femme. Et cela n'a rien d'étonnant surtout pour ce qui
concerne les chœurs , dont le caractère était essentiellement religieux,
et quit comme partie intégrante du culte, durent conserver un ca-
ractère bien prononcé de gravité et d'austérité ; peu importait qu'il
fussent chantés par déjeunes garçons ou par déjeunes filles. Quelques
poètes seulement , qui inclinaient davantage vers la lyrique subjective,
composèrent sur un ton un peu moins sévère les chants qui devaient
être mis dans la bouche des jeunes filles ; c'est ainsi qu'AIcman leur
fait dire : c Père céleste , fais en sorte qu'il devienne notre époux t et
que dans une autre occasion , il leur prête ces paroles tout aussi
naïves : t nous autres jeunes filles , toutes tant que nous sommes ,
c nous louons le joueur de cithare. >
Les cérémonies religieuse constituaient un des principaux éléments
de la nationalité dorienne ; c'étaient de véritables fêtes populaires ,
où personne ne restait inaclif, mais où tous, au contraire, avaient
leur place marquée dans les chœurs destinés à en rehausser l'éclat.
{*) Voir les livraisons de février el août , pages 49 et 565.
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444 RBTUB D*ALSACX.
Aussi , ces chants lyriques , auxquels se mélaieut les accents mélo-
dieux de la flûte et de la cithare , et qui étaieut accompagnés de
danses exécutées par des individus des deux sexes et de tout âge ,
étaient en quelque sorte la poésie nationale des Spartiates, de ce
peuple généreux qui . même au milieu des angoisses d'une guerre
désespérée, n'avait pas laissé de prêter une oreille attentive aux
accents de chantres inspirés. Âlcman fut pendant de longues années
leur poète offldei ; né à Sardes , dans une condition servile » il avait
fini par obtenir le droit de cité à Sparte , qui jouissait alors d'une paix
profonde et n'avait autour d'elle que des nations soumises ou des
alliés complaisants, c Ce n'est, disait-il en parlant de lui-même, ni un
c homme sauvage , ni un misérable • ni un homme sorti d'une race
€ inepte, un Thessalien. un Erysichéen , un prêtre de Calydon, mais
c un enfant de Sardes la puissante. > Jusqu'à lui le dialecte dorîen
avait été négligé , même des poètes qui chantaient à Sparte , comme
trop rude et trop grossier, et comme peu propre à la culture littéraire.
Alcman l'assouplit . lui donna de l'aisance et de la grâce , et le mit à
même de se mesurer avec ses atnés , llonien et TEolien. Il se servit
de ce dialecte avec un succès tel que ses rudes intonations ne nui*
saient en rien à la douceur de ses chants ; c il sut , a-t-on dit , allier la
c lyre dorienne aux chants de la Lydie. > Ses odes , la plupart du
moins , étaient destinées à être chantées par des chœurs de jeunes
filles , dç là le nom de Parthénies , sous lequel elles sont fréquemment
désignées. Il en composait la musique en même temps que lés paroles,
et c'est lui encore qui en dirigeait et assurait l'exécution. La musique,
disons-le en passant , n'éuit pas chez les Grecs un art distinct; tou-
jours unie à la poésie , à la danse et au drame , elle devait sa puis-
sance à cet accord mutuel non moins qu'à la constitution tout entière
de la civilisation contemporaine. La poésie des Grecs , remontant à
sa source, se rapprocha bientôt de la musique; la tragédie elle-même,
dans sa magnificence , commença par le chœur. Le plus souvent , la
mélodie des instruments et du chant se mêlait à la comédie , aux
cérémonies publiques , aux expéditions guerrières , à la joie des fêtes
domestiques , et l'on comptait peu de jeux qui ne fussent pas animés
par la danse.
Nous trouvons une preuve certaine des relations affectueuses et
touchantes, qui existaient entre le vieux maître et ses jeunes élèves,
dont la troupe charmante se renouvelait sans cesse , dans l'admirable
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LB8 FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 415
fragment , où il se souhaite à lui-même le sort du Kérylus : c Vierges
c à la voix harmonieuse, aux sacrés accents , mes membres ne peuvent
c plus me porter. Ah ! que nesuis-jeun Kérylus, s'envolant en pleine
c sécurité sur Taile des alcyons par-dessus les vagues écumantes .
• oiseau au plumage empourpré, au cœur exempt de soucis, et pré-
t disant rapproche du printemps ! » (^) Le poète espère donc que ,
grâce à leur assistance si dévouée et si affectueuse , il lui sera donné
de diriger leurs chœurs pendant quelques années encore. Parmi ces
jeunes filles, il y en avait une entre toutes , qui lui avait inspiré un
attachement profond, c'était c la blonde Hégalostrate, heureuse entre
les jeunes vierges, • ainsi qu'il l'appelle, et qui était en même temps
animée du souffle poétique. Il s'en trouvait sans doute dans le nombre
plusieurs autres encore, qui ayant reçu comme elle c le don des
Muses , 1 étaient également capables de prêter un concours actif à
leur mattre bien-aimé. Hais leurs noms , comme ceux des poètes ,
leurs rivaux , se sont perdus pour toujours ; leur ambition sans doute
consistait uniquement à chanter pour leur nation et leurs compatriotes.
Stésichore , qui modifia considérablement la structure du chiœur
en rompant l'alternance monotone de la strophe et de l'antistrophe
par l'introduction de l'épode , qui se chantait au repos , n'écrivit
jamais pour peindre des sentiments personnels, ni pour raconter des
événements de sa vie. Il préférait les thèmes anciens à des sujets
plus récents ou empruntés à la vie réelle , et qui sans doute , ne lui
auraient pas fait défaut. Les poèmes erotiques qu'on lui attribue, tels
que Nalyké , Rhadina et Daphnis , sont des histoires de jeunes filles
mortes depuis longtemps, et victimes infortunées d'un ravisseur
odieux ou de quelque tyran jaloux. Dans la première de ces compo-
{*) Les Alcyons, doD^ le mftle était appelé ches les Grecs KipvXéf, et la femelle
ixnimi étaient , selon la croyance populaire , tout spécialement favorisés des
dieux. On disait que pendant tout le temps qu'ils s'accouplaient , construisaient
leurs nids et couvaient leurs œufs , le vent et les vagues se taisaient , et que le
ciel , éclairé par un soleil radieux , conservait son J^el éclat azuré. C'étaient autant
de jours heureux pour les navigateurs. Du reste , ces oiseaux étalent dignes de
cette fiiveur céleste à cause de leur fidélité conjugale et de leur touchant amour.
Lorsque le mâle, devenu vieux et infirme , n'était plus capable de se soutenir
sans appui dans les airs , la femelle le prenait sur ses ailes et le transportait ainsi
dans l'espace.
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116 RBrUB D'AL8ACB.
skions, Stésichore dépeint Tamour malheareux de Kalyké pourEua-
tbos ; la jeune fille supplie Aphrodite de lui donner pour époux Pobjet
de sa passion , mais Euathos la dédaigne , et, dans son despoir, elle
se précipite du haut du promontoire de Leucade. Dans Rhadina , il
chante les malheurs des deux jeunes amants , Léontichos et Rhadina,
qui' furent mis à mort par ordre du tyran de Corinthe. Platon , dans
un de ses dialogues (Phèdre), raconte que ce poète devint tout-à-coup
aveugle , pour avoir composé un poème , où il n'avait pas respecté la
vertu d'Hélène. Averti par un songe, il reconnut sa faute et dicta
aussitôt ces vers : c non , ce récit n'est pas vrai ; non , tu n'es point
montée sur les vaisseaux au tillac solide ; et tu n'es point allée à
Troie. » Cette palinodie faite , le poète blasphémateur recouvra au
même instant la vue.
On s'accorde également à ranger parmi les poètes qui ont chanté
l'amour Ibycus , qui composa à la cour de Polycrate des poésies ero-
tiques, que les Anciens plaçaient au-dessus des ouvrages plus étendus»
et qui révèlent des passions vives et fougueuses, c Moi , à qui l'amour
c ne laisse point de trêve , que Borée tourmeote de sa fougue éter-
c nelle , lorsque , envoyé par Vénus , il dessèche cruellement les
c cœurs des Traces et le mien , je meurs , sans pouvoir contenter
c mon ardeur auprès de la vierge aimable , objet de mes désirs. > Il
dépeint surtout le feu qui le consume dans les airs suivants : c Au
c priiuemps • les cognassiers fleurissent , arrosés par les filets d'eau
c que versent les rivières dans le jardin sacré des vierges ; les grappes
c de la vigne poussent et grossissent, abritées par les pampres touffus,
c Quant à moi , l'amour en aucune saison ne me laisse en repos ;
c semblable à l'ouragan de Thrace , chargé d'éclairs brûlants • il
c s'élance d'auprès la déesse de Chypre, saisi d'un transport Airieux,
c il m'assaille à l'improviste ; il s'acharne à m'arracher le cœur du
c fond de ma poitrine. » Il y a toutefois de la grâce , plutôt que delà
passion dans le portrait qu'il trace d'un jeune homme : c Euryllus ,
«.rejeton des douces grâces, souci des jeunes filles à la belle cheve-
c lure . Cyprès et la persuasion aux aimables regards l'ont nourri
« parmi les roses. >
Cependant Ibycus , de même qu'Anacréon et Pindare s'est attaché
plus particulièrement à célébrer la beauté masculine.
Quant à Anacréon , il faut sans doute ranger parmi les inventions
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LES FEMMES DANS LA POÉSTE GRE(^Q(JE. 41?
âtis grammairiens son amour pour Sapbo et beaucoup d'autres fables
qui lui ont attiré son renom d'immoralité.
On pourrait croire , au premier abord . que la femme ne dut point
trouver de place dans les chants graves et sérieux ou Pindare , ce
poète resté 6dèle aux vieilles traditions , a chanté les athlètes vain-
queurs aux jeux publics de la Grèce ; et même , si nous devions nous
en rapporter aux renseignements fournis par Âthènée , (Xlll) , sub-
jugué moins que d'autres par l'amour pour la femme » ils se serait
plutôt passionné pour de jeunes garçons , pour un Théoxène , par
exemple , un Âgathon et d'autres. Mais Pindare n'eut pas été poète ,
s'il était resté insensible aux attraits de l'amonr. Il conçoit encore la
femme à la manière d'Homère • qui parle toujours d'elle , et même
de ses fautes , avec égards et blenvieillance , qui s'indigne , par
exemple, contre l'assassinat commis par Clytemnestre sur la personne
de son époux, uniquement parce que les suites de ce forfait réjailliront
sur toutes les femmes , et qu'on leur imputera à jamais cette action
criminelle (Od. XU , 455). Lorsque Pindare décrit les amours des
dieux et des mortelles , il relève ces dernières, au lieu de les sacri-
fier, et nous le voyons même colorer de nuances chastes et gracieuses
certaines histoires assez scandaleuses. Partout où il parle des femmes,
il le hM avec décence^ avec respect; il y a même une teinte toute
homérique dans le portrait qu'il trace des jeunes Cyrénéennes, assis-
tant aux luttes solennelles , qui doivent rehausser l'éclat de leurs
fêtes religieuses, et désirant, chacune à part soi, d'avoir pour
époux ou pour fils le brillant vainqueur Télésicrate (Pyth. IX , 100.)
Mais si Pindare a payé , comme tant d'autres poètes , son tribut à
l'amour, il faut dire qu'il parait ne s'y être livré qu'avec mesure, et qu'il
recommande en toute occasion à ses amis d'observer la même modé-
ration, c Tu peux aimer et te livrer aux plaisirs de l'amour en temps
€ opportun ; mais prends garde que ton cœur s'y attache outre me-
t sure. » Parmi les chansons bachiques^ il en est une où il s'occupe
des courtisanes ; son ton n'a plus rien de la gravité dorienne ; il se
montre à nous avec un air d'enjouement gracieux , et qu'on cherche-
rait en vain dans ses odes triomphales , et qui n'exclut ni les regrets
mélancoliques , ni même une légère pointe d'ironie. On dirait qu'il
se soavient d'Anacréon et de son éternel sourire.
Nous n'avons d'un contemporain de Pindare, plus jeune que lui,
Simonide de Céos , qui passait pour un maître dans l'élégie plaintive
2*Séri6. — 8* Aimés. 27
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U6 RfiVOB D'AUiCB.
(Cea neniâ, cea cameoa, Aor), qa'un seul chant, où l'amour maternel
brille d'une beauté inimitable. Danaé » exposée sur la mer par son
père Acrisius , dans un coffre artistemeot façonné , avec Perse son
fils nouveau-né , voit avec terreur les vagues se briser contre son
étroite prison; les joues baignées de larmes, et saisie de frayeur,
elle serre son enfant dans ses bras et s'écrie : c 0 mon enfant, quelles
c souffrances j'endure. Mais toi, tu n'entends rien ; tu goûtes un som-
c meil paisible dans cette triste demeure, dans cette nuit sans
c lumière , au milieu de ces épaisses ténèbres. Peu l'importe que tes
f cheveux se raidissent au contact des vagues « que le vent résonne à
c ton oreille. Tu reposes, enveloppé dans ta couverture de pourpre ,
c visage de beauté ! Si l'horreur de ta situation te causait quelque
c effroi , tu prêterais l'oreille à mes plaintes amères. Repose donc en
c paix , mon doux enfant ! Puisse aussi s'endormir et l'élément per-
c fide et ma douleur qui n'a point de bornes ! Jupiter, notre Père ,
I viens-nous en aide! Pardonne-moi cette prière, peut-être trop
c hardie , pardonne pour l'amour de mon enfant ! >
Simonide a chanté , en outre , dans ses inscriptions tumulaires, les
femmes héroïques de son temps; Archidicée « fille d'Hippias , qui ,
quoique sœur, épouse et mère de dynastes puissants , ne se montra
jamais orgueilleuse , ni arrogante ; Xantippe , de la famille de Pé*
riandre^ l'épouse célèbre d'Archénaute , et d'autres encore. Selon ce
poète , un jeune homme et une jeune fille sont vraiment à plaindre,
lorsque la mort les atteint avant qu'ils aient goûté les douceurs de
l'hymen.
Parmi les poètes lyriques proprement dits , tels que l'Eolie lesr a
produits , Alcée prend une part trop vive aux destinées politiques
de Lesbos , sa patrie ; il est trop homme de parti , pour se recueillir
d'une manière suffisante et trouver le temps de ^chanter l'amour.
Après les intérêts de la religion et de la politique, ce sont les joies de
l'amitié et les plaisirs de la société qui l'occupent le plus ; toutefois ,
l'amour a dû tenir aussi une certaine place dans son existence , et il
est à regretter que les poésies erotiques qu'on lui attribue et qu'Ho-
race a sans doute imitées en plus d'un endroit, ne soient pas venues
jusqu'à nous. Ce qu'il importerait surtout de counattre , ce sont les
vers qu'il adressait à Sappho, et dont quelques uns subsistent encore.
Il lui fait cette déclaration d'amour avec tout l'embarras d'un cœur
vivement épris: c Charte Sappho , au doux sourire , toi dont les
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tfSS FEMMES BANS LA POÉSIE GRECQUE. 419
t boucles sont autant de violettes , J'aurais quelque chose à te dire ,
t mais la honte me retient. > On connaît la réponse de la femme-poète,
où se trouvent ili la fois la grâce et la dignité naturelle de l'esprit hel-
lénique : c si tu avais des désirs nobles et généreux , et que des pa-
c rôles mauvaises ne fussent pas sur ta langue, aucune honte ne voile«
f rait ton regard , mais tu dirais hardiment ce qui est bien. >
Nous voici arrivés à Sappho» cette femme-poète qui paraît résumer
dans sa personne tout ce que l'antiquité à témoigné d'intérêt à la
femme. Avant d'exprimer notre opinion sur son compte, noua
croyons devoir jeter préalablement un coup d'œil sur la condition des
femmes chez les différentes races de la nation hellénique ; cet examen
du reste , ne sera pas sans utilité pour le sujet qui nous occupe.
Les Ioniens ont passé de tout temps , parmi les Grecs , pour les
représentants du mouvement, du progrès ; chaque conquête nouvelle»
qu'ils la dussent aux armes ou ù ta navigation , n'était en quelque
sorte pour eux qu'une occasion nouvelle de se procurer une somme
plus grande de bien-être , d'arriver à une phase plus élevée de leur
développement intellectuel et social. Leur vie se passait, en grande
partie , sous les yeux de tous , et , dans cette vie commune , la part
de l'homme était prépondérante. C'est d'eux , on peut le dire , et prin-
cipalement des Ioniens de l'Asie , que provint cette habitude , de
plus en plus générale chez les Grecs , de retenir la femme dans son
état de dépendance et d'infériorité, qui ressemblait même au servage
au moment où l'influence romaine commença à se faire sentir. Deux
causes peuvent avoir contribué plus que d'autres à faire pénétrer
dans les mœurs cette habitude, qui , du reste, n'était pas commune à
tontes les branches de la grande famille hellénique; ce fut d'abord la
nécessité , où se trouvèrent les émigrés ioniens de s'unir avec les
femmes des Carions , leurs nouveaux tributaires , peu favorablement
disposées à leur égard ; ce fut ensuite leur contact de chaque jour
avec les Lydiens , puis avec les Perses , chez lesquels ils retrouvaient
la polygamie et tout le système oriental du harem. Hâtons-nous de
dire toutefois que ce système contre nature fut loin de prévaloir par-
mi eux • et qu'il est fort probable que la déchéance de la femme ne
s'accomplit que plus tard par suits de la domination exercée par
les Perses. Du moins dans l'hymne d'Homère à Apollon (v. 146-164),
il n'est nullement question d'un pareil état de choses; nous voyons ,
au contraire, les jeunes filles célébrant les hauts faits des héroïnes
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4M RBTUE D'aLSAO.
aussi bien que ceux des héros , et , à cdté des femmes faisant parâo
du ciiœur, il y en a encore d'autres, des mères de famille et de jeunes
fillest qui assistent avec le reste du public à ces cérémonies religieuses.^
Cependant il ne pouvait être question de femmes-poètes chez les
Ioniens. En effet , ce peuple qui revendique à juste titre rinvention
de l'épopée homérique , a été aussi le premier qui fit entrer dans le
domaine de la poésie , non plus exclusivement les faits et gestes des
dieux et des héros , mais encore les événements de la vie réelle, heur
el malheur • joies et peines ; la réflexion s'empara peu à peu de ee
champ réservé jusqu'alors aux élans du cœur et à TexpressioD des
sentiments. ' De là les genres élégiaque el iambique , dont le ton
et le langage se rapprochent davantage de ceux de la vie réelle ,
mais que les femmes ne purent aborder pour une raison fort
simple , c'est que la plupart de leurs productions renfermaient des
attaques dirigées contre elles. Mais , dans ces productions elles*
mêmes , dans le pamphlet de Simonide d'Amorgos , par exemple « on
ne découvre aucune trace d'oppression ou de mauvais trakemenis ,
exercés conti'e les femmes , et même les critiques dont elles y sont
l'objet , si rudes et acerbes qu'elles soient , sembleraient plutôt dire
une preuve du contraire. En effet , si les femmes ioniennes avaient
été réduites à une condition aussi misérable , il serait fort difficile de
s'expliquer comment elles auraient pu • par leur manière d'agir ,
empoisonner l'existence do leurs maris. Nous ne sacliions pas qu'on
ait jamais écrit des satyres contre des esclaves. Hâtons-nous d'sgouter
toutefois que dans la suite des temps , chez ces peuples de race
ionienne , et en particulier chez les Athéniens » la condition de la
femme fut bien différente de ce qu'elle avait été d'abord. Confiaée
dans la partie la moins accessible de la maison , exclue de toute par-
ticipation aux travaux de l'esprit » condamnée par des époux jaloux
ott indifférents à n'exercer son intelligence que dans le cercle des
occupations domestiques » la femme de l'Aitique n'avait presque plus
rien de cette naïveté d'allures et de cette aimable liberté , dont telle
héroïne d'Homère , Nausikaa , par exemple, nous offre la charmante
image. Aux courtisanes seules , à une Aspasie , à une Lais et à leurs
émules , on permettait de tout dire et de tout faire , de se mêler des
plus grandes choses , de parler politique et de tenir bureau d'esprit.
Une femme-poète, comme Sappho, disputant hardiment aox hommes
sa place parmi les privilégiés de la Muse» initiant le public à ses
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LES FEMMES DANS LA POfelE GRECQUE. AU
pensées intimes» lui contant ses amours et cherchant à lui faire par-*
tager ses affections et ses haines» une telle Temme ne pourrait être
«nx yeux d'un Athénien qu'une impudique, trafiquant de son honneur
et de son corps. C'est pour cette raison que les poètes comiques et
Aristophane» en particulier, ont Jugé cette fille de Lesbos , morte de-
puis plus de deux siècles , d'après les idées qui avaient cours parmi
leurs contemporains.
Mais les Eoliens et les Doriens en usaient plus libéralement que
leurs frères d'Ionie et d'Athènes à l'égard du sexe plus faible. Ils ne
renfermaient pas comme ceux-ci , les femmes dans le gynécée; ils
caltiTaient leur esprit et ne craignaient pas de les voir s'élever à la
gloire littéraire. Dans l'Etat Spartiate , qui était comme une sorte de
phalanstère , organisé par Lycurgue sur le principe d'une éducation
commune et toute militaire y d'une aristocratie patriarcale de la
vieillesse et d'une hiérarchie fortement constituée de fonctionnnaires»
on comprend que les femmes aient été placées dans des conditions
toutes spéciales » et qu'il n'ait pu y être question d'une oppression
quelconque exercée sur elles. A une époque de décadence morale ,
Aristote bit à Lycurgue le reproche peu mériié de n'avoir pas su im-
poser des limites convenables à l'action de la femme , et l'on sait que
les Athéniens eux-mêmes ne cessaient de railler les Spartiates , leurs
rivaux , les représentant en toute occasion comme les très-humbles
serviteurs de leurs épouses. La raison d'une telle domination est facile
i trouver; les maris, presque constamment absents de chez eux pour
guerroyer au dehors, étaient comme des étrangers dans leur propre
intérieur, où les femmes commandaient et agissaient à leur gré.
D'ailleurs» cette législation d'airain, qui arrachait aux mères leurs
enfants , déchirait la tunique des vierges , qui ordonnait au mari d'a-
bandonner la couche nuptiale à un étranger plus robuste » et faisait
du vol une vertu , n'était pas de nature à favoriser le développement
régulier de la vie de famille. Le costume des jeunes filles » dont , du
reste» les déclamaieurs athéniens ont exagéré l'indécence , leur habi-
tude de se livrer, en présence des hommes , à des exercices gymnas*
tiques , et d'autres usages de ce genre , qui nous surprennent à juste
titre , tenaient aux mœurs mêmes de la race dorienne » qui admet-
taient que les jeunes filles fussent , moins que les femmes mariées »
renfermées dans l'intérieur de la maison , plus exposées qu'elles aux
regar4f t^pltts mêlées à la société des hommes. C'étaient, il faut le
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422 RSVUE D*ALSACB*
dire • des mœurs plus franches , plus fortes « plus septentrionales et
moins asiatiques que celles des populations ioniennes » et Ton com-
prend que ces peuples» qui conservèrent obstinément la trace et les
débris de la constitution héroïque » aient donné à la femme une liberté
d'action» une élévation de rang et de pensées» que le& nouvelles
formes sociales » empruntées à TÂsie , lui refusèrent par la suite avec
une certaine dureté. C'est aussi à ces rapports plus libres et plus fré-
quents que les femmes de Sparte » auxquelles on imprimait ainsi un
caractère rude et guerrier, furent redevables de cette rare énei^e
qui les distinguait à un si haut degré » et qui contribuait à faire res-
sortir davantage leur beauté sévère et imposante; il leur arriva même
plus d'une fois de faire taire les sentiments de la nature devant les
exigences impérieuses de l'honneur national et au milieu des dangers
que courait la chose publique. Mais elles avaient conscience de la
grave mission et des devoirs diflBciles que cette législation austère
leur imposait, ainsi que de leur supériorité à l'égard des autres
femmes grecques. Une étrangère dit un jour à Gorgo , femme de
Léonidas : c Vous êtes les seules qui commandiez aux hommes. —
c Cela est vrai , répondit l'épouse Spartiate » mais nous sommes aussi
c les seules qui mettions au monde des hommes. » Nous comprenons
aisément que des femmes aussi fortement trempées aient pu pour-
suivre impunément de leurs sarcasmes et de leurs injures les citoyens
lâches et efféminés, qu'une mère en remettant un bouclier aux mains
de son fils qui partait pour la guerre , ait pu lui dire ces paroles tout
ensemble si simples et si énergiques , que tout le monde connaît , et
que même un roi de Sparte ait cru devoir tenir compte des recom-
mandations de sa fille encore enfant, qui l'avertissait de se tenir en
garde contre les paroles mielleuses et perfides de l'étranger.
Si les Ioniens représentent chez les Grecs l'élément du progrès , et
les Doriens, celui de la stabilité, les Eoliens représentent, à leur tour,
celui de la sensualité et de la passion. Leur gouvernement consistait
généralement dans une espèce de souveraineté exercée presque sans
contrôle par des magnats tout-puissants sur des sujets privés de tous
droits, sur des paysans tributaires. C'étaient comme autant de confé-
dérations aristocratiques dont les membres, véritables grands sei-
gneurs, se livraient avec passion à tous les exercices du corps et
partageaient leur temps entre les jouissances de la bonne chère et
celles de l'amour. Les arts plastiques leur étaient étrangers, mais ils
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LES PBMMtft DANS LA POÉSIE GRECQUE. 423
€alti?aient la musiaue avec ardeur . et la flûte était leur instrument
de prédilection. Le culte divin, lui-même » était empreint du même
caractère ; c'est surtout chez les Eoliens que nous retrouvons ces
processions désordonnées et ces orgies nocturnes , où l'on rendait un
culte à Baccbus» Fauteur de toute joie. Eros. le dieu de l'amour,
avait partout des temples et des autels , mais aussi, ne l'oublions pas,
les Muses et les Grâces étaient cbez eux l'objet d'une vénération toute
particulière. Cbez les Eoliens , comme cbez les Doriens , nous retrou-
vons encore ces amitiés étroites entre les individus du même sexe ,
ces liaisons si promptes à dégénérer. De là, dans plusieurs Etats, cet
amour viril , cette ardeur d'émulation , cette constance , ce sacrifice
de soi-même , qui ont lieu de nous étonner aujourd'hui. Dans ces
cœurs d'bommes , l'amour et Tamitié se confondaient jusqu'à la mort ;
de là ces prodiges de valeur, si fréquents dans les annales de la Grèce ,
de là ces bataillons sacrés , comme celui de Tbèbes qui décida la vic-
toire à Leuctre , et succomba à Cbéronée. Incessamment tourmenté
d'une noble émulation , l'ami redoutait les regards de son ami , comme
une flamme qui pénètre jusque dans les profondeurs de la pensée.
Ces luttes de vertu et de génie étaient , du reste , prescrites publi-
quement dans les gymnases , dans les occupations guerrières et poli-
tiques. Si elles provoquèrent des mœurs licencieuses , anormales , il
faut déplorer un tel abus , sans oublier qu'il fut une conséquence du
caractère national même. Avec une imagination aussi ardente, un
amour du beau qui allait cbez ce peuple jusqu'au délire, et dont il
faisait le plus noble attribut de ses dieux , de tels désordres étaient
ioévitables.
Si de telles dispositions naturelles , jointes aux influences du sol et
du climat, ont pu faire des Béotiens un peuple éminemment sensuel , et
même , si le proverbe est vrai , rebelle à toute culture plus noble , ce
fut tout le contraire chez les Eoliens de l'Est . et principalement à
Lesbos, dans cette tie de la mer Egée, si admirablement dotée par la
nature. Les femmes lesbiennes jouissaient déjà d'une certaine célé-
brité dans les poèmes homériques à cause de leur beauté remarquable;
Agamemnon, dans l'Iliade, croit ne pouvoir faire un présent plus
agréable à Achille qu'en lui envoyant sept jeunes filles provenant de
cette terre privilégiée. Elles vivaient dans un état de liberté presque
aussi complet que chez les Doriens ; comme les hommes i elles culti-
vaient les Muses et formaient des associations féminines , que prési->
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424 REVUE D'ALSACe.
daient les feniroes les plus en renom par leurs talents » et où les
jeunes filles se formaient aux nobles manières, en même temps qu'elLe&
apprenaient à bien chanter et à bien dire. Nous citerons eotr'autrea
l'institution des Kallistées. que l*on ne rencontre que chez les Eoliens,
et où les jeunes filles établissaient entr'elles dans le temple de Junon»
à l'occasion de la fête de cette déesse » des luttes solennelles où le
prix était décerné à la beauté.
Lesbos fut de tout temps le siège principal de la musique, depuis
que la tête d'Orphée , emportée avec la lyre du divin poète par le
fleuve Hébrus loin des rives de Thrace , avait été , selon la tradition »
jetée sur les côtes de cette île fortunée , où elle avait trouvé une
terre consacrée. Cet art y subit même des réformes importantes , qui
passèrent avec Terpandu dans la mère-patrie , sur le sol dorien , et
l'on sait que sous la brillante administration de Pittacus , on vit s'épa-
nouir , au sein de cette population alors riche et puissante, la fleur la
plus splendide de la poésie , le chant lyrique , expression passionnée
de la haine et de l'amour , et dont Âlcée et Sappho sont regardés à
juste titre comme les représentants les plus illustres.
Sappho • du reste , dont nous allons parler , ne' fut pas la seule
femme-poète de son temps , car elle fait elle-même mention de deux
autres femmes^ Gorgo et Andromède, qui étaient ses rivales en
poésie. Les femmes de Lesbos ne rougissaient pas de leurs talents ,
elles en étaient fières , au contraire , et l'ignorance , même opulente ,
même entourée de luxe et d'honneurs , ne trouvait pas grâce devant
elles. C'est ce qui nous explique les paroles si dédaigneuses que
Sappho adresse à une de ses compatriotes , qui n'avait d'autre mérite
que sa naissance et ses richesses , et sans doute aussi sa beauté :
c Morte , tu seras ensevelie tout entière ; nul souvenir ne restera de
€ toi , et la postérité ignorera ton nom , car tu n'as pas ton lot des
I roses de Piérie. Tu erreras sans gloire dans les sombres demeures,
• voltigeant parmi les ombres des morts les plus obscurs. > Ce n'est
donc que chez les Grecs de race éolienne , à cause de la plus grande
somme de liberté dont elle jouissait , et des occasions favorables qui
s'ofl'raient à elles en si grand nombre , que la femme-poète a pu se
produire avec tous ses avantages; aussi n'avons-nous point de peine
à comprendre pourquoi Sappho fut méconnue en dehors de l'Eolie
et principalement à Athènes, où, grâce à des additions de tout
genre, dictées par la malveillance autant que par rignorancet s'est
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LES FEVIIBS DANS LA POÉSIE GRECQUE. 425
formé ce portrait que nous possédons aujourd'hui , et que grâce ;
efforts tentés avec succès par la critique moderne , nous pouvons
regarder à l'heure qu'il est comme altéré et contrefait.
Sappbo ne fut pas une courtisane » ainsi qu'on s'est plu à le dire et
à le répéter sur toutes sortes de tons depuis des siècles. Nous savons
par Hérodote qu'elle appartenait à une riche famille » tenant un rang
distingué à Mitylène. Un de ses frères , le jeune et beau Laricbos ,
remplissait les fonctions d'échanson au prytanée de sa vijle natale ;
un autre , Charvaux , était un riche marchand » qui exportait sur ses
navires les vins généreux de Lesbos jusqu'à Naukratis, en Egypte. Un
jour» il eut la fantaisie d'acheter dans ces pays lointains » au prix
d'une somme très-considérable , une courtisane fameuse , nommée
Doricha , et de lui rendre sa liberté » après avoir uni son sort au sien»
Hais lorsqu'il rentra dans sa patrie avec cette femme suspecte • il
trouva dans sa sœur un censeur sévère, qui osa lui reprocher publi*
quement son indigne amour. Sappbo , nous le demandons , aurait-elle
eu le droit de malmener de la sorte son frère dans ses vers » si sa
propre conduite n'eût pas été à l'abri de tout reproche ? Nous avons
parlé de sa correspondance avec Alcée; ce poètes! âer» et « en même
temps, si timide dans son amour, aurait-il pu parler, comme il le
fait, de la chasteté de Sappbo, et user d'une telle discrétion à son
égard , s'il se fût adressé à une courtisane? Nous pouvons hardiment
reléguer dans le domaine des fables ou des mauvaises plaisanteries ,
inventées en grande partie par les poètes comiques d'Athènes, tout ce
qu'on a raconté au sujet du nom même de son mari , de ses relations
amoureuses avec Pbaon , et du saut qu'elle fit en se précipitant du
haut de l'affreux rocher de Leucade , cette res^urce suprême des
amants malheureux des temps anciens, et qui, on le sait, était à une
assez grande distance de Lesbos ; ce qui , d'ailleurs , nous dispose à
croire que Sappbo n'usa pas de ce remède désespéré , c'est qu'elle
atteignit un âge assez avancé. Nous attacherons tout aussi peu d'im-
portance à ses prétendues relations avec Anacréon, Archiloque et
Hipponax • où la chronologie n'a pas été respectée.
A en juger par les fragments qui nous sont restés de ses poésies ,
Sappbo a su interpréter les sentiments de la femme avec toute la
richesse , toute la fraîcheur et toute la profondeur dont ils sont sus-
ceptibles- Nous n'y trouvons aucune trace des passions politiques ,
dont les poésies d'Alcée sont en quelque sorte saturées. Sa passion ,
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426 RBVCE D'ALSACE.
c'est l'amour » le printemps du cœur féminin ; c'est pour elle comme
un trésor inépuisable, où il puise la plupart de ses aspirations. Elle
est le poète de l'amour, et ce qui serait un reproche à l'adresse de
tout homme , qui se maintiendrait exclusivement sur un pareil ter*
rain , tourne au contraire à sa louange. Mais Sappho est une femme
grecque , et surtout une fille de Lesbos ; aussi n'est-ce pas seulement
de la chaleur, de la tendresse qu'il faut nous attendre à trouver dans
ses vers, mais de l'ardeur, de la passion. Sa poésie est vraiment
lyrique, toute d'impulsion, d'instinct, de passion; une simplicité
véhémente , un élan vif et naïf en constituent la beauté. Toutefois, il
faut le dire , il y a dans son accent une tendresse pleine de délicatesse,
lorsqu'elle emprunte ses images à la nature qui l'environne , lors-
qu'elle décrit, par exemple, la vie de la plante, avec laquelle elle
s'unit d'esprit et de cœur. Elle sait compatir aux souffrances de la
fleur , lorsqu'elle nous montre l'hyacinthe foulée aux pieds par les
bergers dans les montagnes , et qu'elle esquisse ce portrait d'une
jeune fiancée : c Telle brille sur la branche la plus élevée une pomme
c aux fraîches couleurs; on l'a sans doute oubliée, lorsqu'on a fait la
« cueillette ; non , on ne Ta pas oubliée , mais on n'a pu arriver
c jusqu'à elle. >
Ed. Goguel.
(La suite à un» prochaine liwraiêan»)
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Histoire d'une bouchée de pain , Lettrée à une petite fiUe sur la vie de
l'homme et des animaux, par Jean Hagé , professeur au pensionnat
du Petit-Château à Beblenheim (Haut-Rhin). Paris, E. Dentu, 1861.
On a dit souvent que les Français ne savaient pas écrire pour
l'enfance, que ce privilège était réservé aux Anglais et aux Allemands.
Voici un démenti donné à ce préjugé , démenti d'autant plus énergi-
que que la matière traitée par M. Macé était jugée inaccessible, non
seulement aux enfants , mais aux gens du monde.
c J'entreprends , ma chère petite, dit-il dans son introduction , de
vous expliquer bien des choses qu'on regarde en général comme très-
diflBciles à comprendre et que l'on n'apprend pas toujours aux grandes
demoiselles. Si nous parvenons, en nous y mettant à deux , à les faire
entrer dans votre tête , j'en serai très-fler pour mon compte et vous
verrez combien la science de messieurs les savants est amusante
pour les petites filles , bien que ces messieurs prétendent quelquefois
le contraire. >
Puis l'auteur commence Vhistwe tune bouchée de pain, c'est-à-
dire qu'il spit pas à pas les transformations par lesquelles les aliments
se changent en substance humaine ; qu'à cette occasion il décrit les
diflérents organes du corps et le rôle quils jouent dans la nutrition.
€ Vous avez peut-être entendu parler, dit-il, de ces admirables ma*
chines , dont on se sert en Angleterre , qui reçoivent par un bout le
coton en paquet , tel que vous le voyez dans la ouate , et qui le ren-
dent , par l'autre bout , en belle toile fine , toute pliée , toute empaque-
tée, prête à être livrée aux marchands. Eh bien ! vous avez au dedans
de vous une machine bien plus admirable encore, qui reçoit de vous
votre tartine, et vous la rend changée en ongles, en cheveux, en os,
en chair, et en bien d'autres choses encore ; car il y a mille choses
dans votre corps qui ne se ressemblent pas du tout , et que vous
fabriquez constamment sans le savoir •
Ce n'est pas tout. Après avoir observé l'appareil nutritif sur l'homme
l'auteur explique comment ce même appareil va toujours se simpli-
fiant dans les différentes classes d'animaux et il le montre à la fin
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428 REVUE D* ALSACE.
^ dans les végéiaux eux-mêmes. Il développe ainsi cette thèse d'ana-
tomie comparée : que la conformation de tout l'organisme dépend de
la manière dontun être se nourrit. L'animal, dit-il, est un tube digestir
servi par des organes. Je ne suis pas compétent pour émettre un avis
sur la justesse de cette thèse, mais acceptant de confiance les données
scientifiques j'admire la clarté parfaite avec laquelle l'auteur a su les
mettre à la portée des plus simples intelligences et l'intérêt qu'il a su
donner à ses démonstrations. Celles-ci deviennent, sous sa plume, de
véritables petits contes de fées. Il emprunte ses comparaisons aux choses
les plus usuelles ; le corps y devient un château , dont les organes
sont , suivant leur importance , les maîtres ou les serviteurs et il ex-
plique si bien les procédés par lesquels chacun des domestiques
remplit son office qu'on voit pour ainsi dire, toute la machine travail-
ler et qu'on se rend un compte parfaitement net des transformations
chimiques ou des fonctions vitales les moins comprises jusqu'ici de
tout autre que des hommes spéciaux.
Je ne puis résister au plaisir de donner aux lecteurs de la Revue
d'Alsace une idée de la méthode de M. Macé en extrayant au hasard
quelques lignes de son livre. Je prends la lettre XIX intitulée :
€ LE JEU DES POUMONS.
< J'espère vous en avoir dit assez, ma chère enfant, pour que vous
puissiez vous rendre suffisamment compte de la force avec laquelle l'air
presse tous les corps qui sont à la surface de la terre, et le nôtre aussi ,
par conséquent.
c Cela compris, rien n'est plus aisé que de comprendre comment
l'air va et vient dans nos poumons.
c Quand la cuisinière veut allumer son charbon avec deux ou trois
petites braises rouges, que fait-elle?
€ — EUe prend le soufflet.
c — ^ Et quand elle n'a pas le soufflet sous la main?
f — Elle souffle dessus de toutes ses forces.
t Ah ! ah ! nous sommes donc un soufflet vivant , que nous pouvons
remplacer au besoin le soufflet de cuir et de bois? et , si nous sommes
en état de faire la besogne du soufflet , serait-ce par hasard parce que
nous avons en nous une petite machine faite comme le soufflet?
f Précisément , et cela va me donner l'occasion , pour vous faire
comprendre le jeu des poumons , de vous expliquer celui dii soufflet
que tout le monde a dans les mains , et que les trois quarts de ceux
qui s'en servent n'ont jamais cherché à s'expliquer.
c Le soufflet, comme vous le savez, se compose de deux planchettes,
pouvant s'éloigner et se rapprocher à volonté , et réunies par un mor-
ceau de cuir disposé de façon à se replier sur lui-même quand les
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AULLETIN BIBLIOGRAPHIÛUB. 4S9
planchettes se rapprochent, de sorte que Tentre-deux forme comme
une espèce de boite bien fermée , dont la capacité augmente ou diminue
à chaque mouvement des planchettes.
€ Nous décrochons le soufflet , les planchettes s«nt Tune contre l'autre,
et la boîte est toute petite. Qu'y a-t-il dedans?
« — R^n, elle est vide.
€ — An ! vous croyez cela? Vous croyez aussi que les verres sont
vides , quand on a bu ce qui était dedans , et que les pots de confitures
sont vides quand la confiture est mangée? Q n'y a pas tant de choses
vides jue vous le pensez , ma chère enfant. Vous oubliez l'air, ce bru-
tal qui veut touiours s'étaler, et qui pousse tout devant lui. C'est un
monsieur qui n est i|as gêné , et toutes les places qu'on quitte il les
prend; à chaque cuillerée que vous ramenez dans votre assiette, il
prend la place de la confiture qui part; à chaque gorgée que vous
ouvez , il prend la place de Peau qui s'en va. Quand vous croyez que
le verre et le pot sont vides , ils sont pleins d'air. Vous ne le voyes pas ,
mais il y est, vous pouvez y compter.
c D y a donc de l'air dans la boîte du soufflet, puisqu'il v en a
partout oik il uq trouve rien qui puisse lui disputer la place. Il n y en a
qu'un peu , par exemple ; car la boîte est petite , et elle ne peut pas en
contenir beaucoup.
c Mais voici que j'écarte les planchettes , et que la boîte qui était
petite devient grande. Pour le coup, voilà une boîte qui va être vide,
au moins en partie, car il vient de s'y créer par enchantement une
place où positivement il n'y a rien, puisqu'elle n'existait pas aupa-
ravant.
c Oui; mais regardez au milieu de la planchette d'en haut. Vous
voyez bien ce petit trou , et , dessous , un petit morceau de cuir qui a
l'air de le fermer? C'est une soupape , une de ces portes comme nous
en avons vu dans le cœur, et comme il y en a au surplus dans toutes
les maisons , qui laissent passer les gens d'un côté , et pas de l'autre.
Celle-là s'ouvre quand on la pousse du dehors , et ne laisse plus sortir
quand on est entré.
c L'air oui est dehors , avons-nous dit , pousse toujours et partout.
D pousse donc naturellement la soupape , et comme il n'y a rien der-
rière pou): la soutenir, à mesure qu il se fait de la place à l'intérieur
de la boite , il entre et la remplit.
€ Mais bientôt il se trouve pris entre les planchettes , quand on vient
à les rapprocher. Elle l'invitent poliment à déguerpir, à la façon de
ces lignes de factionnaires oui se déploient « à l'heure de la retraite,
dans Te Luxembourg et les Tuileries , chassant les promeneurs devant
elles , jusqu'à ce qu'ils aient trouvé le chemin de la porte. L'air ne
peut plus s'en retourner par où il est venu: la porte est fermée.
Comme il faut sortir, bon gré , mal gré , il enfile le tuyau qui est au
bout de la boite , et c'est par là qu'il arrive en courant sur le feu.
c Quand il est parti, les planchettes s'écartent de nouveau et la
manœuvre recommence indéfiniment.
€ Eh bien , c'est là ce qui se passe dans notre poitrine.
t Votre poitrine, chère petite, est une boîte qui s'élargit et se
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4SS0 HBTUB D'ALgACB.
rapetisse alternativement, laissant à l'air, dans le premier cas. une
place dont elle le chasse dans le second. C'est un soufflet , ni plus ni
moins , mais plus simple que celui des cuisinières. Le tuyau de sortie
sert en même temps me porte d'entrée , et il n'y a qu'une planchette
au lieu de deux.
c Le tuyau de sortie, c'est le larynx, dont nous avons déjà parlé
Quand il a été question d'avaler de travers , et qui communique à la
fois avec l'air du dehors par la bouche et par le nez , ce qui nous
permet de respirer par l'une ou par l'autre , comme nous voulons.
c Quant à la planchette, je vous en ai dit un mot à l'occasion du
foie. C'est le diaphragme, cette cloison de séparation, ce plancher
jeté entre les deux étages du corps , le ventre et la poitrine.
c Hais c'est ici surtout qu'éclate .dans toute sa grandeur, l'infinie
aipériorité des inventions du bon Uieu sur nos pauvres petites in-
ventions.
c A un soufflet qui devait avoir l'honneur d'entretenir en nous ce
feu miraculeux, le feu sacré par excellence, qui s'appelle la vie, il
fallait mieux qu'une planchette ordinaire. Aussi bien celle-ci est-elle
une merveille admirable , dont je veux vous raconter l'histoire en détail.
Quand vous l'aurez lue , je me figure que ce vilain mot de diaphragme
ne vous fera plus tant faire la grimace.
« Jetons d'abord un coup-d'œil sur la construction du soufflet.
f De chaque côté de la colonne vertébrale , depuis le cou jusqu'aux
reins , partent , l'un au-dessous de l'autre , douze os plats , plies en
forme d'arcs, qu'on affile les côtes. Les sept premières paires de
côtes viennent s'appuyer et comme se rejoindre en avant sur un os
nommé sternum, que vous pouvez suivre avec le doigt jusqu'au creux
de l'estomac : arrivé là , le doigt enfonce tout à coup , il n'y a plus de
sternum , et les cinq dernières côtes de chaque rangée ne se rejoignent
Elus avec celles de la rangée opposée. On les appelle, à cause ae cela,
)s fausses côtes. En revanche elles se réunissent entre elles par le
bout , au moyen d'une bande de substance assez ferme , mais pourtant
flexible et un peu élastique , qu'on nomme cartilage. Reffardez bien la
première fois qu'on vous servira à table un petit os de veau , vous
veiTfi au bout quelque chose de blanc qui croque sous la dent : c'est
un cartilage.
c Tout cela fait la charpente de notre soufflet que vous pouvez vous
représenter comme une sorte de cage, évasée par en bas, et s'en
allant en pointe dans le haut, car les arcs formés par les premières
côtes sont plus petits que les autres ; le tout se termine par une espèce
d'anneau , à travers lequel passent côte à côte l'oBSophage et le laiTUx.
« L'entre-deux des côtes est occupé par des muscles ^i vont de
l'une à l'autre , et l'ouverture du bas est fermée par le diaphragme ,
cette merveilleuse planchette, dont je vous ai promis l'histoire.
c Le diaphragme , vous ai-je dit dans le temps , est une cloison , un
plancher, qui partage notre corps en deux étages. C'est , s'il vous en
t
le
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BULLETIN mBLIOORAPHIQUE. «51
souvient , un grand muscle mince et plat, tendu comme une toile enbré
la poitrine et Tabdomen, Il s'attache, par une infinité de petits fils
qu'on appuie des fibres^ au bord inférieur de la cage aue je viens de
vous décrire; et il semblerait d'abord qu'il est incapaole de bouger
puisqu'il est fixé d'u^e manière invariable tout autour au corps.
€ Il 4)ouge cependant , mais pas à la manière des planchettes de
nos soufflets.
( Priez votre frère de tenir deux coins de votre mouchoir ; prenez
les deux autres et tournez le mouchoir du côté du vent. Les quatre
coins resteront bien en place, n'est-ce pas? mais le milieu , gonflé
par le vent , va se courber et s'arrondir en avant , comme une voile
de vaisseau , qui n'est qu un grand mouchoir, après tout. Ramenez le
mouchoir fortement à vous, chacun de votre côté, il reviendra sur
lui-même et se mettra à plat. Cédez un peu , il se courbera de nouveau
par le milieu , et vous pourrez recommencer la manœuvre tant que
vous voudrez.
« Cette manœuvre-là , le diaphragme l'exécute continuellement à
lui tout seul.
€ Dans sa position naturelle, il monte en s'arrondissant par le milieu,
comme une toile gonflée par le vent , et occupe ainsi une partie de la
poitrine , aux dépens des poumons. Quand il s'agit de faire une place
à l'air, il roidit ses fibres, qui le ramènent à plat, comme vous le
dedsiez tout à l'heure avec le mouchoir, votre frère et vous. Tout
Fespace qu'occupait sa courbure est rendu ainsi aux poumons, qui
s'étalent aussitôt, car ils sont élastiques : l'air accourt par le nez et la
bouche , et remplit à mesure le vide formé par l'agrandissement des
poumons , absolument comme pour le soufflet.
€ Bientôt les fibres du diaphragme se relâchent. Il remonte dans
son ancien domaine , refoulant devant lui les poumons ; et l'air, qui se
trouve alors de trop, s'en va par où l'autre est entré. Je dis: l'autre,
faites bien attention , car il n est plus le même en sortant qu'en en-
trant, et c'est là tout le secret du : Pourquoi Von resvire, comme ce
mouvement de va-et-vient du diaphragme est toute rexpUcation du:
Comment on respire.
c Comme vous le voyez, le mécanisme de ce soufflet-là est des
Iilus simples , des plus ingénieux par conséquent , et il laisse loin derrière
ui tous ceux que nous avons imaginés. »
ici comme ailleurs, Y Histoire d^une bouchée de pain entretient sou-
vent ses lecteurs de Dieu ; elle y arrive tout naturellement en expli-
quant les choses de la nature , mais aucune religion ne saurait consi-
dérer de pareilles réflexions comme un empiétement sur son domaine.
Jamais une question dogmatique ou tbéologique ne vient se mêler à
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4SS RKWE D'ALSACE.
ces aimables causeries et y Jeter un ferment de discorde. M. Macé
parle de Dieu comme ne peuvent s'empêcher d'en parler tous les
hommes religieux , à quelque culte qu'ils appartiennent, et jamais il
ne prononce ce mot sans faire faire à ses lecteurs petits ou grands ,
un progrès dans la connaissance de l'œuvre divine . sans les amener
à de salutaires réflexions sur la manière dont il convient d'user des
bienfaits de la Providence.
Le livre de M. Macé se recommande, non seulement aujL peiîles
filles pour lesquelles il est écrit, mais à toutes les personnes curieuses
de s'initier à des connaissances qui sont la condition indispensable
d'une bonne hygiène. Il est particulièrement précieux aux pères el
mère» de famille. Il leur fournil un texte inépuisable d'utiles causeries
avec de jeunes intelligences avides de s'instruire ; il leur montre corn»
ment il est possible de répondre à ces nombreuses questions qu'on
repousse souvent en disant : c tu ne peux pas comprendre cela « »
tout simplement parce qu'on ne veut pas se donner la peine d'y faire
une réponse qui soit à la portée d'un enfant, ou plutôt pareequ'oo n'a
soi-même qu'une idée confuse des choses et qu'on les juge, bien à tort ,
trop difficiles ou trop ennuyeuses à apprendre. Rendre son sujet
facile et amusant , telle est la tâche que s'est imposée M. Macé ; il y
a réussi au-delà de toute expression.
Ch. Kâss.
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L'ANCIENNE ALSACE
A TABLE.
tmSa lum. o
Des lois somptoaires en général. — Idées anciennes — Liberté moderne. —
Législation somptuaire en Alsace. — La coutlhe de Ferrette. — • Les
ORDONNAN.CES HE MONTBÉLURD. — REFORHATIONS-OrDNUNG DE MULHOUSE. —
Statut de Colmar du xiii* siècle. — Les noces dans le Rociierspbrg. —
Polizby-Ordnung de Wissembourg. — Gode de police de la ville de StRis-
bourg : NOCES , BAPTÊMES , RÉPRESSION DU LUXE DE TABLE , REPAS DANS LES
POÊLES DES TRIBUS, COLLATIONS DANS LES TIRS, PARTIES DE PLAISIR. — LIBERTÉ
PLÉNIÈRE DES PRINCES. — KOCES DU PALATIN GEORGES DE BAVIÈRE. — KOCES
D'UN COMTE DE RiBEAUPlERRB. — - MARUGE DE LOUIS XV AVEC MaRIE LeGZINSKA
A Strasbourg. — Hors-d*oeuvre empruntés a Tallemant des Réiux.— Goethe
ET Bois-de-Chêne. — Suppression des repues a l'enchère des dImes. —
Buvettes fabriciennes. — Règlements somptuaires promulgués par l*eglise.
— Charte des bains de Wattwiller. — Institution du carême. — Fluctua-
tions doctrinales. — L*imp6t du beurre «ous l'évêque Albert de Bavière.
— Le cinquième jour de la Genèse. — Six têtes coupées pour un dîner
GRAS. — Régime plus doux pratiqué a Guebwiller. -— Le FiioTBSTANnsMB
ENTERRE LE CARÊME. — DEUX DISCOURS DE RENIRÉE.
Nos idées modernes sur le rondement légitime des lois ne s'aceom-
moderaient que bien difficilement de codes ou de décrets qui auraient
la prétention de régler la forme de nos vêtements» de nous eoncéder
ou de nous interdire l'usage de certaines couleurs , de déterminer la
0) Voir les UvrRisons de juin et juillet 18S3, page 241 , de février et Geptembre
18S9, pages 49 et 385, de janvier, mars et ooveoibre 1860, pages 5, 107 et 484,
de janvier et de juillet 1861 , pages 5 el 289.
S- Série. - 9- Anoêà, 28
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4M REVUE D*ALSAGB.
nature et la qualité des étoffes que nous pourrions porter et de celles
dont nous devrions nous abstenir. De quel droit , la puissance pu-
blique viendrait-elle fixer le nombre de nos domestiques, statuer que
nous n'aurons que deux chevaux à notre carrosse s'il nous plaisait
d'en payer et d'en nourrir quatre , ordonner que nos voitures auront
telle ou telle ûgure telle ou telle nuance ? Nous pourrions encore
moins souffrir que la loi se mtt en tête de régler le degré de richesse
ou de modestie de nos meubles , de calculer la finesse des dentelles
de nos femmes , de peser le poids et d'examiner le titre de leurs
bijoux • de mesurer la longueur des plumes de leurs chapeaux , de
critiquer la largeur ou l'élégance de leurs rubans. Il nous paraîtrait
tout-à-fait insupportable qu'un décret voulût s'aviser de compter le
nombre des bouteilles que nous pourrions boire , et de mettre son
nez dans les casseroles de notre cuisine pour s'assurer que notre
appétit ou notre gourmandise ne dépasse point les limites du rang
que nous tenons dans la société. Nourris des principes constitution-
nels, forts de nos droits politiques» appuyés sur notre double dignité
d'hommes et de citoyens , nous ne manquerions pas de trouver que
ces lois restrictives sont de grandes impertinentes et que les décrets,
leurs frères . sont des rustres et des mal appris. Nous ferions peut-
être une révolution pour le leur prouver.
Nos théories en économie politique protesteraient tout aussi vive-
ment contre l'établissement de lois somptuaires. C'est un dogme du
monde nouveau que le luxe fait la prospérité des Etats, puisque c'^t
lui qui vivifie le commerce et entretient l'industrie. L'on ne se donne
pas la peine de le prouver. On l'affirme et chacun fait semblant de le
croire , en haut comme en bas. Cela suffit » en bas aussi bien qu'en
haut.
Anciennement , les idées étaient fort différentes sur ce sujet; L'on
pensait qu'il était d'une bonne police de conformer l'appareil extérieur
à la situation sociale , de régler le costume sur le rang , de propor-
tionner la figure à la dignité. L'on estimait que le paysan ne se devait
point hausser aux allures du bourgeois , que l'artisan avait sa place
naturelle entre les deux , que le bourgeois offensait la décence pu-
blique et dérangeait l'harmonie de l'Etat en imitant le train réservé
aux gentilshommes » que ceux-ci ne devaient point » à leur tour ,
affecter le large déploiement qui était le privilège des seigneurs.
De même « et surtout , pour les femmes de ces diverses classes. L'on
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L'ANOEmiE ALSACE A TABLE. 4S5
afvait déjà reconnu alors que rélément féminin est plus enclin que
l'autre à franchir les limites du rang; , ù sauter les barrières sociales ,
à proclamer la liberté de la 'eauté et à affirmer le droit qu'elle a de
se faire valoir et admirer.
Les philosophes et les législateurs ont ^ sans doute , sur ces ques-
tions, des opinions bien arrêtées et pourraient nous dire si les règle-
ments homptuaires sont légiiimes ou tyranniques , s1ls sont utiles pu
nuisibles , s'ils constituent un progrès ou ne seraient qu'une naïve
vieillerie. Mon sentiment est que chacun se puisse habiller à sa fan-
taisie , porter les étoffes qui lui plairont , se meubler comme il Ten-
tend , mettre six chevaux à un tilbury si le cœur lui en dit , avoir
autant de domestiques que sa patience en pourra supporter, instituer
sa cuisine et sa cave selon ses goûts, charger sa table d'après les
rites de Lucullus ou l'alléger d'après la règle de Saint Bruno. Ainsi le
veut la liberté. Que chacun exerce l'office de censeur dans sa propre
maison. Ceux qui ne se rendront pas aux conseils de la sagesse se
laisseront probablement convaincre par la dialectique expressive de
leur bourse vide. Là où manquera la modération naturelle ou volon-
taire pourra bien venir un jour la réforme nécessaire et forcée. Mais
que la police et le gouvernement restent chez eux et n'entreprennent
point de nous rendre modestes et sobres malgré nous , en supputant
la quantité de soie qui est entrée dans nos habits et en comptant les
plats qui doivent former notre d)ner. Voilà ma profession de foi sur
cette matière , et j'ajoute que je regarderais comme un progrès très-
sensible que nos paysannes sussent toutes accommoder un poulet à la
marengo , et qu'on eût de la peine à dire , en se réglant sur la vue
de l'habit, si cet homme qui passe est un charpentier ou «m sénateur.
Nos anciens rois ont fait des édits somptuaires en des siècles où il
eut été plus sage et plus pressant de songer à habiller , à chausser, à
nourrir et à loger le peuple que de penser à lui interdire l'excès dans
les choses dont il était natufellement privé. Du temps de Louis xiv et
même de Louis xv , les Anglais qui ont voyagé en France , lady Mon-
tagne «Locke, Addison, remarquent qu'au-dessous de la cour, du
beau monde , d'une petite élite dé gens parés et satisfaits , vivait un
amas de paysans hâves qui grattent la terre infatigablement, qui
mangent du pain de fougère , qui s'accrochent aux voitures des
étrangers pour mendier un morceau de véritable pain ; que par-
dessous les fêtes de Versailles s'agitait une populace de déguenillés
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436 REVUE D'ALSACE.
et d'affamés (0* La belle iroaginaiion d'aller (ermonner , avec un
vertueux édii, eeUe foule de pauvres diables, et de leur recommander
la tempérance et la modératiun ! C'était donc moins de la nécessité
de réformer les abus et d'endiguer le flot des mauvaises mœnrs que
du besoin de mainienir, la séparation des classes de la société , que
dérivait la législation sompiuaire. Elle était un hommage rendu à la
prééminence politique de la noblesse , du haut clergé , et une morti-
fication adressée à la richesse des roturiers et des marchands. On
servait par là la vanité du sang et l'orgueil des castes plus que l'on ne
s'appliquait au soin de la morale et à la culture de la vertu.
Il en était de même en Allemagne et partout ; mais avec cette diflRé-
rence notable qu'en France les édits somptuaires émanaient du pou-
voir royal ou de ses représentants et avaient ainsi un caractère général,
tandis qu'en Allemagne ces ordonnances émanaient de la puissance
municipale » quelquefois de l'autorité seigneuriale et qu'elles n'avaient
d'empire que sur les habitants d'une cité, ou sur les communautés
d'une même seigneurie.
En Alsace, les règlements somptuaires apparaissent principalement
dans les villes libres impériales et à partir du xvi* siècle. Ils sont nés
d'une triple cause. La marche ascendante de la civilisation , le déve-
loppement du commerce et des relations internationales , l'extension
du luxe jointe à l'avidité des jouissances nouvelles , me semblent les
avoir naturellement provoqués. C'est leur cause génératrice et géné-
rale. J'en découvre une autre dans le perfectionnement relatif qui
s'était introduit dans l'art d'administrer et qui excita chez les admi-
nistrations la passion de tout réglementer. EnAn, le grand ébranle-
ment religieux de la réforme devait aussi faire naître l'envie d'épurer
les mœurs et de les accorder avec l'austérité du culte protestant.
Je crois sincèrement que le protestantisme , dans te temps de sa
première ferveur , a beaucoup contribué à l'amélioration des mœnrs
publiques en Alsace, non seulement là où il dominait, parmi ses
propres croyants » mais aussi parmi ses adversaires, dans les contrées
qui voyaient le spectacle de ses exemples et qui recevaient la conta-
gion salutaire de l'amendement qu'il portait dans les habitudes de la^
vie domestique.
Je vais parcourir quelques-uns de ces documents curieux connus
' ■ ■ ■■■■ ■ ■ ■ .. ■■ , ,4. ■
O H. Taine , La FowtaiM et ses fables, p. 57.
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L'ANCIBNNE ALSACE k TABLE. 437
dans notre histoire sous le nom de PoUtei-Ordnungen, dans lesquels
00 saisit à la fois l'état des mœurs ancienoes, les excès et les
dérèglements qui les avaient perverties » et le zèle réformateur qui
s'efforçait tantôt de les purifier radicalement, tantôt seulement de
les purger de leurs corruptions les plus choquantes. Je ne m'occu-
perai ni des vêtements, ni des jeux, ni de la sanctification du
dimanche , ni des blasphèmes et jurements , ni de l'éducation des
enfants, ni de b police relative aux domestiques, dî des danses etc.
Je me restreindrai, comme je le dois, aux particularités qui rentrent
directement dans le cadre de cette étude.
L'on possède une rédaction de la célèbre coutume de Ferrette ,
écrite en 1567 ; même dans l'agreste Sundgau , qui confine à la' Suisse,
et qui a quelque chose de son air, de ses mœurs et de son langage ,
les excès de la bonne chère et surtout l'exagération numérique des
convives aux festins de famille avaient ému la sollicitude de l'autorité
autrichienne. La coutume fait défense expresse d'inviter plus de
vingt personnes aux repas de noce, et de servir plus de quatre plats,
non compris le fromage et les fruits ; pour chaque personne régalée
en délit , il sera payé une amende de deux livres et pour chaque plat
de contrebande une amende d'une livre et dix schillings. Celle
disposition est commune à toute espèce de banquets et de festins.
Nul ne pourra avoir d*hôtes , parents ou étrangers , aux fêtes pa-
tronales {Kilwe , Kilbe)^ qu'il veuille les traiter dans sa maison ou
hors de chez lui , sous peine d'une livre et dix schillings par per-
sonne conviée (i). Le paysan et le citadin doivent se contenter de
chômer le saint de la localité en famille. La coutume règle avec une
indulgente bonhomie ce qui regarde les bapiêmes. Elle permet c de
i servir un repas eonvenable, sans dépasser toutefois le nombre
i de quatre plats , aux femmes qui se sont donné de la peine pour
c assister l'accouchée ainsi qu'aux parrains et marraines; lors des
c relevailles , de bons voisins et de bons amis pourront visiter
c l'accouchée et accepter chez elle un modeste repas (^) i.
Les comtes de Montbéiiard avaient rendu plusieurs ordonnances
dans le but de modérer les dépenses excessives qui se faisaient aux
repas de fiançailles , de noces et de baptême. La plus ancienne est
{*) GOUTZWILLER , EtqtUsses historiques du comté de Ferrette , p. 77.
C) Idem , p. 78.
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438 REVUE d'alsàge.
de 1585. Ed i65i il fat prescrit : c de o'esire davantage que 13 per-
c soDoes aux nopces et de ne les point faire chez Thoste (^) ». En
1650 , une nouvelle ordonnance fixa à 16 le nombre des convives ,
sous peine de 50 livres d'amende. Il ne parait pas que cette loi ait
été toujours très-sévèrement exécutée, car le conseiller Perdrix
nous raconte qu'en 1661 c II marchanda son festin de noces au cousin
c Wild « à raison de 24 batz par teste pour le jour et de 25 batz
c pour le lendemain , et qu'il se trouva à ses noces 100 personnes
< le jour et 43 le lendemain (') ». Le prince de Monlbélianl avait
peut-être fait une faveur à son conseiller. Mais alors pourquoi ne la
pas faire complète ? Pourquoi se montrer tolérant pour les festins et
faire le puritain sur le chapitre de la danse? c On n'y a dansé que
c deux ou trois rondeaux , dit piteusement le conseiller, pourquoy
c S. A, S. a esté tellement indignée qu'elle menace de punir exem-
t plairement ceux et celles qui ont dansé. Le bon Dieu le veuille
adoucir ! »
Les ordonnances de Montbéliard auraient certainement été mieux
observées » si le caprice des princes n'avait pas été le premier à
les violer. Quand le fils du châtelain de Blamont se maria , en 1696 ,
c son festin de noces fut assisté de 218 personnes (') » et quand le
duc Georges de Wurtemberg célébra ses noces , en 1648 , avec Anne
de Coligny , fille du maréchal de Châtillon , les banquets durèrent
trois jours à i'hdteUde*ville de MontbéKard (^).
A Mulhouse , le magistral avait déjà , en 1571 limité à 80 convives
les festins de noces les plus opulens. L'infraction était punie d*une
amende de 5 livres slaebler (^). Après plusieurs renouvellements des
anciennes ordonnances, apparut la ReformalUnU'Ordnung de 1750,
dont les dispositions passèrent avec plus «de précision et de
détails dans la rédaction de 1782. Le repas de noces ne pouvait
réunir plus de 60 assistants, y compris les époux et tous leurs
parents; les lendemains sont impitoyablement supprimés ainsi
que le Bofmeister'lmbis (espèce de banquet supplémentaire) qui
(*) Bois DE Chêne, Ckron. , année 1631.
(*) Perdrix , Chronique, année 1661.
(■) Bois de Cbéne, loe. cit. , année 1626.
Oldem, année 1648.
C) PuRi , MulhauuM Geiehïchtdj p. 557.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 439
a d^Déré » dU le texte • en un mient abue ; les mets doivent
être apprêtés modestement, selon la condition de chacun, sans
rechercbe , ni raffinement, ni superfluité; l'ancienne coutume d'en-
voyer des plats (das Teller schiken) aux amis et aux connaissaoces^
au moyen de laquelle on éludait la question du chiffre des invités.,
fut abolie ; il fut seulement permis aux convives d'envoyer quelque
chose à leurs parents qui n'avaient pu assister à la noce. Une dispo-
sition curieuse, est celle qui enjoint aux fonctionnaires chargés de
tenir la main à l'exécution de l'ordonnance d'envoyer à chaque
noce deux surveillants (Ambi Knechte) et même davantage • si le cas
le requiert (^). Quel plaisir délicat de manger et de s'égayer en face
et sous la surveillance de la police !
On réforma aussi les abus qui s'étaient introduits dans les banquets
de baptême. « C'est une pratique nuisible , incommode , conteuse
c et inutile , de servir des repas dans la chambre de l'accouchée ,
t d'y faire des soupers ou de les envoyer tout préparés au dehors ;
c nous en ordonnons l'abolition (^) >
Dans la ville de Colmar, on parait s'être un peu plus pressé qu'ail-
leurs pour opposer une barrière aux abus de la bonne chère. Le
schultheiss Sigfrid , un puritain , trouva que c'était un luxe déplacé
que de célébrer les anniversaires trentenaires des mariages et de
tenir des festins à leur occasion, il y avait bien de la rigueur à
condamner une cérémonie aussi excusable et que les plus favorisés
ne pouvaient guère faire qu'une seule fois en leur vie; mais le
schultheiss Sigfrid , pour qui l'hymen ne semble avoir allumé que
des flambeaux incommodes, proscrivit énergigement toute com-
mémoration en l'honneur des noces. L'on ne connaît pas le texte
de sob ordonnance, qui est de Tannée 4280; le moine de Colmar
se contente d'énoncer le fait et certainement pour le faire remar-
quer («).
Il est tout à fait digne d'attention , qu'aucune loi retrictive du luxe
et des débordements de la table n'a atteint les populations des vastes
domaines soumis à la puissance seigneuriale des évéques deStras-
[*) RêformalionS'Ordnung der Stadi lHulhauien , p. 13.
(•).ldem,p. H.
{') AnnaUi et Chronique des Dominicains de Colmar , p. 93.
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440 ftBTUB D'ALSACB.
bourg. Il semble pourtant que les serinons et les mandements
n'étaient pas parvenus à faire la besogne qu'un bon statut » appuyé
de la force du bras séculier, eut infailliblement faite. Le train et
Fampleur pantagruélique des noces dans le Kochersberg , ont été , de
tout temps , f)ameu\ ; ces vastes fériés villageoises se sont prolongées
jusque dans notre siècle avec la fidélité la plus persistante , et avec
toutes les grasses opulences, toutes les pesantes matérialités qui
étaient le triomphe et la joie des noces d'autrefois. M. Piton en a faîc
un tableau t^rop vrai et trop expressif pour que je n*hésite point à
le lui emprunter, t Quelle folle gaité rustique ne règne pas à une
c noce du Kocbersberg? Elle prend huit jours entiers» où bœufs,
c veaux » volaille , et nombre de fûts de vin sotit sacrifiés pour
c satisfaire ces estomacs robustes; ce sont des banquets-monstres
c dignes des temps fabuleux. Déjà au commencement de la semaine,
c les garçons de noce , parés d'un grand bouquet de romarin
i enrubané , enjambent les plus beaux chevaux de leur écurie , bien
c sellés et harnachés et ornés même de rubans, et vont de village
t en village inviter les convives^ où partout les attendent le repas
c d'usage et le cruchon blanc (Shimmel) rempli de vin. Si le fiancé
c cherche la jeune mariée dans une autre commune, il j arrive
c avec les voilures , accompagné de ses camarades à cheval ; elles
c sont chargées de ses meubles , de son linge , de ses provisions ,
c et la voiture principale sur laquelle sont assises la fiancée , les
t filles d'honneur et ses amies , est toujours décorée de guirlandes
c et de verdure, et une quenouille gigantesque du plus beau chanvre»
( parée de rubans et de fleurs , forme le grand mal de celle barque
c de verdure roulante; un rouet artislement tourné et incrusté
f l'accompagne toujours. Arrivée à la maison nuptiale , cette que-
c nouille est fixée comme drapeau devant une fenêtre du premier
c étage. Déjù avant l'entrée du village , ordinairement sur la limite
c de la banlieue , les jeunes gens à cheval attendent le convoi ;
c des hourras , des coups de fusil ei de pistolet saluent sa venue
c et la cavalcade fait son entrée solennelle aux acclamations géné-
c raies , jusqu'à ce que la grande cour delà ferme les reçoive et que
c commence' le cortège pédestre vers l'église. Après la cérémonie
€ nuptiale festins et danses commencent et durent souvent deux
c ou trois jours et autant de nulis pendant lesquels tout le village
c est en émoi , surtout si les jeunes mariés appartiennent à de riches
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L'ANGIENNfi ALSACE A TABLE. 441
c rsmiites qui mettent ieor gloire et leur orgueil à célébrer les noces
c avec la pins grande pompe (i). »
J'ai dit que les règlements somptuaires avaient surtout régné dans
ks villes libres impériales. J'ajoute qu'ils n'apparaissent formulés
et certains que dans les cités protestantes, à Wissembourg» i
Landau» à Strasbourg; ces villes en possédaient de très-détaillés.
Colmar, Hagueoau» Scblesladt» Munster, Turckhetm, Obernai,
Rosbeim n'avaient que des coutumes traditionnelles ou des dis-
positions éparses. J'analyserai un de ces règlements , celui de Wis«
sembourg; il donnera une idée générale de ces monuments de
l'ancienne police somptuaire de notre pays.
. La Polizei-Ordnung de Wissembourg date de 1577. Elle fut
renouvelée et amendée en 1614 c parce que, dit le préambule, en
c ces temps de perversité et de corruption, l'impiété, le désordre
« des mœurs et le libertinage vont s'accroissant , et menacent de
c prendre te dessus. > il est interdit de mettre en vente des fruits
pendant le prêche , sous peine de confiscation. Les repas de noce
f qui donnent lieu à tant d'abus, de désordres, et d'inutiles dé-
penses sont soumis , de l'ordre et volonté expresse de l'autorité »
à la réforme suivante ; l'on ne pourra inviter uu*delà de 60 personnes
aux banquets de noces qui se tiennent à l'auberge et dans, lesquels
chaque convive paie son écot (Irtenhochzeh) sous peine de un florin
d'amende par chaque excédant de cinq personnes ; il est interdit
aux invités de se réunir et faire fesiin dans une auberge autre que
celle désignée pour la noce ; la célébration religieuse du mariage
doit se faire au plus tard à neuf heures du malin, et le repas sera
servi à iO heures ou à dix heures et demie par tolérance. Au coup
de deux heures il devra être terminé et la séance levée. Le souper
commencera à six heures pour être rigoureusement achevé à dix.
Les lendemains sont et demeurent interdits, ainsi que les veilles.
On supprime aussi l'usage de donner le troisième jour après les
noces certains régals couverts du prétexte de la pêche ou du bain ;
on doit se contenter d'un souper, fait en dedans des murs de la
ville f et que le règlement appelle crûment < un mauvais souper >
ce qui veut dire, sans aucun doute, simple et modeste. Dans les
mariages entre veufs et veuves, il n'y aura point de festins le jour;
(*) Strasbourg illustré , H , p. 183,
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442 REVUE D'ALSACE.
les époux se contenteront d'un souper ; défense expresse d'y inviter
des filles ; mais quand un garçon épouse une veuve» les mariés
auront le droit de tenir les deux repas et d'y convier les filles.
Les noces célébrées à la maison ne pourront durer plus de deux
jours. En ce qui concerne le régime même des repas , l'ordonnance
ne concède que quatre plats » dont un seul de poisson ; le fromage »
les fruits , les pâtisseries n'entrent pas en compte » c le tout afin que
c les hôtes soient honnêtement et convenablement traités pour
c l'argent qu'ils contribuent. > S'il se rencontre des gens qui trouvent
le programme ofilciel trop laconique et qui pensent avoir des motifs
pour le dépasser» ils exposeront 'leurs raisons au bourguemeistre
régent qui les appréciera et y statuera. Il y avait une seconde
espèce de noces qui se faisait aux frais des mariés ; mais les invités
devaient acquitter le festin et le bal qu'on leur offrait par un cadeau ;
c'étaient les Schenck'hoehzeiien, Ordinairement elles se tenaient
dans les tribus de métiers. On pouvait y convier jusqu'à cent per-
sonnes (0-
Lies baptêmes avaient donné lieu à beaucoup d'abus et de prodi-
galités que le magistrat considère comme très-préjudiciables à
l'intérêt de ses administrés. Il règle en conséquence les cadeaux
que l'on pourra faire à l'enfant et en limite la valeur, défend aux
parrains de distribuer du sncre » des pains d'épices et autres frian-
dises y et abolit formellement la coutume qui obligeait Taccouchée
à offrir à la marraine de son enfant un goûter (Abendzehren) ou un
souper; mais on lui permit de réunir dans un repas c d'où sera
banni tout excès la sage-femme et les personnes qui l'auront
assistée dans son besoin. > On proscrivit de plus l'usage coûteux des
repas ou des buvettes surérogatoires que le père et le parrain
donnaient » dans les poêles des tribus , à l'occasion des baptêmes ;
et afin que le parrain ne soit pas grevé de nouvelles dépenses,
personne ne doit s'aviser de lui faire cortège lorsqu'il rentre chez lui ;
le père et le parrain prendront congé l'un de l'autre dans le poêle
même de la tribu.
Lia vigilance réformiste du magistrat de Wissembourg ne s'exerce
pas seulement sur les occasions qui , par leur importance et leur
{*) Emewertê Polixey-Ordnung der Statt Weissenburg. Strasbourg, 1614,
4», psg. 11 et suiv.
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L*ANaENllE ALSACE A TABLE. 443
publicilé , pourraient 'entraîner des abus et causer du scandale ; elle
pénètre aussi dans riniimité de la vie privée et surveille le citoyen
dans sa maison. L'ordonnance considérant c Que la surabondance
i et la somptuosité dans la bonne chère offensent et irriteni Dieu ,
c puisqu'elles dissipent inutilement ses bienfaits ; que les abus de la
i table renchérissent le prix des denrées , occasionnent des chertés ,
c et détruisent toutes bonnes et Odèles sociétés > dispose que tout
citoyen quel que soit son rang , doit s'abstenir, dans le repas qu'il
donne chez fui » de toute superfluité, et ne faire paraître sur sa table
que cinq ou six plau tout au plus 0).
Deux villes prolestantes , Mulhouse et Wissembours; , viennent de
nous montrer leur sollicitude pour l'amélioration des mœurs ; elles
jugeaient qu'il était possible de porter la répression légale dans le
cercle des usages domestiques. J'aimerais de mettre en regard de
ces tentatives inspirées par l'esprit de la réforme des tentatives
semblables ou analogues faites par le pouvoir municipal dans les
cités catholiques » et en les comparant > de voir par qnels points
elles se ressemblaient ou étaient différentes » et de quel côté se
trouvait le p\m de sagesse et de* zèle. Celte étude comparative est
impossible. Aucune de nos villes libres impériales catholiques n'a
édicté de règlement somptuaire, ni Haguenau, la capitale de la
décapole , ni Schlestadt , ni Obernai . ni Rosheim etc. Il y régnait
peut-être quelques coutumes traditionnelles ou des dispositions de
police éparses; encore né voudrais-je pas l'aflSrmer; mais aucune
de ces communes privilégiées, qui avaient le droit de se gouverner
et de se créer des lois , n'a porté son attention vers la correction
extérieure des mœurs:
L'on s'attend bien que la ville de Strasbourg » la mère de la
réforme en Alsace , n'est point restée indifférente à ce grand objet «
et qu'elle a, de bonne heure , mis sa main vigoureuse à la discipline
des mœurs publiques et privées. Dès les premiers temps de l'éta*
blissement du proiestautisme » le gouvernement de la république
promulgua des mandements , des décrets et des ordonnances ayant
pour but la réformation de quelque partie vicieuse des habitudes
sociales. C'est ainsi que , déjà en 1544 , il interdit de célébrer les
noces ailleurs que dans les maisons parlîcnlières et les tribus , fixa
(*) Emewêrle PoHxey^Ordnung der SlM WHsnnbwrgf Strasb. 1614, p. 30«
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iU REVinS D'ALSACE.
à SO le DOflobre des convives qui pouvaient y figurer, borna à deux
les jours de réjouissance et défendit que cbaque noce donnât lieu
à plus de quatre repas (i). Toutes les prescriptions partielles qui
furent édictées dans le cours du XV^ siècle , furent enOn réunies et
complétées dans le grand travail qui signala la régence du steit-
meistre Louis Bœcklin de Bœcklinsau. Cette refonte et celte révision
des anciens règlements produisirent la fameuse Polizeif-Ordnung
de i628 . véritable monument législatif où Ton rencontre associée
à la volonté légale qui réprime la persuasion morale qui éclaire et
conduit. Je prendrai dans ce document (^) les dispositions somp*-
tuaires qui, à l'époque de la guerre de trente ans, étaient en vigueur
dans la république de Strasbourg ; elles fixent Tétat des mœurs au
sortir de la grande crise du XV^ siècle. Cette ordonnance renouvelée
en i708 , e«t demeurée le code général de la police Strasbourgeoise
jusqu'à la révolution de 1789.
Elle consacre le titre V aux noces. Il y en avait de trois sortes:
les Freyhochzeilen . en usage dans la première classe de la bour-
geoisie-, les invités étaient traités aux frais des époux et ne donnaient
pas de présents ; les Gaabhochzeiien , pour la seconde et la troisième
classes; les invités, en reconnaissance de l'honneur qui leur était
fait , offraient des cadeaux aux époux ; Ips Irienhochzeïten , apanage
commun des trois dernières classes ; cbaque convive payait son écot.
Aux Freyhochzeilen et Gaabhochzeiten célébrées, soit dans la
demeure des époux , soit chez un parent , soit dans les tribus ,
pouvait assister toute la parenté jusqu'au degré de cousin issu de
germain ; mais on ne pdtivait y convier strictement que 30 personnes
étrangères à la famille. Les réjouissances étaient limitées à deux
journées ; cependant une troisième journée pouvait être employée
à régaler les gens qui avaient aidé au service de la noce. Toute
fraude ou supercherie sur ce dernier point était punie d'une amende,
i Pour remédier aux abus de la magnificence ruineuse qui s'est ré-
c pandue partout et jusque chez les gens de basse condition , > il ne
sera pas permis aux personnes des deux premières classes de pré-
senter sur la table du banquet plus de huit plats parmi lesquels
{*) Wencrer , Chraniek , mss. de la bibl. de Sirasb. , fol<» , ann. itiéi,
(*) Der Statt Strasiburg Polixey-Ordnwng. Sirasb. 1628 , io-fol« de 102 pages
et un appendice de 48 pages.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 445
compteront de droit les entrées, les entremets et les pièces à effet
{Schaueaen) ; mais il y avait une concession gracieuse pour le rôti;
ce chapitre important pouvait se subdiviser en trois paragraphes »
trois rôts ne comptaient que pour un plat ; à la bonne heure ! La
pitisserie, bornée à un seul genre» les soupes, les salades» les
légumes communs , les sauces » et tout ce qui constitue le dessert
étaient francs et n'entraient pas dans la compulation de la règle
somptuaire. c Cependant chacun voudra bien se souvenir de son
c état et condition et se modérer convenablement sur le fait des
c dispendieux plats à spectacle « des confitures étrangères et des
c sucreries , et se garder ainsi de tout dommage personnel et de
c punition. » Dans les noces «qui se faisaient entre gens de la troi-
sième classe, le nombre des plats était limité à six « mais toujours
avec le bénéfice des tolérances que je viens d'énumérer.
Les /rtenhocAxeilen. pouvaient réunir au maximum 60 personnes,
étrangers , parents , et époux compris ; ces noces se tenaient dans
les poêles des tribus, dans les hôtelleries et dans les auberges;
pour se soustraire à cette limitation numérique , on avait imaginé
de faire traiter les jeunes gens dans des auberges autres que celle
où se réunissait la noce ; cette fraude est sévèrement punie et sur
les contrevenants et sur le nouveau marié. A ces noces on ne pouvait
servir que quatre plats chauds ; les aubergistes devaient les fournir
bons et convenables , et suivant la taxe que l'autorité se réservait
de fixer d'après les circonstances du temps; si le marié voulait
gratifier l'assistance de quelque pâtisserie, on le lui permettait.
Quant au vin , il devait être servi en quantité satisfaisante à chaque
service , être d'une qualité moyenne et telle que la noce n'eut pas
à se plaindre ; chaque table de dix couverts avait droit à deux pots
de vin d'honneur, mais seulement à l'apparition du rôti. La sagesse
du règlement prévoit le cas où deux pots de vin d'honneur entre dix
pourraient ne pas suffire à la gatté des convives ; elle ne veut pas
molester la soif un peu exigeante ou trop riche ; mais qu'elle se
désaltère à ses propres dépens; elle pourra donc invoquer des
suppléments qu'elle paiera seule , sans aucune réaction contre les
convives ou le nouvel époux. Ce règlement raisonne fort bien et en
toute chose. Ecoutez-le sur un autre point essentiel aussi. La noce ,
de quelque grade qu'elle soit , se rendra à l'église au plus tard à
dix heures. Pourquoi cette ponctualité? € Afin qu'elle en revienne
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446 REYDB D'ALSACE.
c d'autant plas tôt et apparaisse au festin à une heure correete. i
Ce moment correct est onze heures, f II s'est introduit depuis quel-
c que temps une habitude désordonnée. Le dtner des lendemains
c et des surlendemains commence trop tard ; on se permet souvent
i de ne se mettre à table que vers midi « à midi , et même plus tard
c encore; outre que c'est une chose afiQigeante pour les invités t le
k monde est encore induit à tabler au«delà de ce que la raison au-
c torise. » La noce prendra donc séance exactement à l'heure 6xée , et
les hôteliers sont tenus de servir avec une précision qui n'admet
ni excuse » ni délais. L'entrepreneur du repas qui sera trouvé en
défaut paiera une amende de 5 livres pfennings , et tout convive
retardataire versera une contribution dans la boite des pauvres que
l'auberipste lui présentera.
Les Irtenhochzeilen ou noces à écot ne pouvaient durer plus de
deux jours « et pour couper court à tout prétexte de les prolong^er
illégalement, le magistrat défend que la noce se transporte dans les
villages environnants ou autres lieux • et encore plus sévèrement
qu'on aille les y célébrer totalement , sans sa permission expresse.
Moins libéral que le magistrat de Wissembourg , celui de Stras-
bourg estime que c'est assez de dîner. Il abolit absolument les
soupers de noces qu'il considère c comme une superfluité inutile
c et coûteuse > sans distinction de la qualité des personnes. Tout
festin de noce » y compris la danse , devait être terminé à 6 heures
du soir, en hiver, et à sept heures, eu été.
11 existait à Strasbourg des fondations charitables destinées à favo-
riser l'établissement des citoyens sans fortune ; ceux qui y auront
recours et en obtiendront des dons devront célébrer leurs noces
€ avec tranquillité et réserve; » le même ordre s'applique aux
pauvres gens qui participent aux bienfaits de la caisse des aumônes;
à ces noces de la misère il ne devait se trouver que vingt ou trente
personnes au plus et un repas unique était permis sans musiciens ,
ni danse. La république respectait la joie du pauvre qui se mariait
et y aidait avec une générosité touchante : mais elle rendait hom-
mage à la sainteté de l'aumône en défendant de la détourner de son
but et de la profaner par des excès.
Quand une noce était terminée , l'autorité voulait savoir comment
tout $*y était passé. L'bôieli«ir chez qui elle s'était tenue devait , dans
la quinzaine, adresser au magistrat un rapport circonstancié de la
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 447
solennité, avec les noms des époux, TindicatioD du nombre des
convives à chaque repas, la mention si les jeunes gens avaient assisté
à la noce ou s'ils avaient été traités en fraude dans des succur-
sales etc.
Cette ordonnance fut assez fidèlenftent observée pendant une tren-
taine d'années. Mais il parait que ,vers 4662 , il s'était déjà opéré
un assez grand relâchement pour que l'autorité dftt prendre dès
mesures propres à refréner les envahissements que [e goût de la
dépense s'était permis de faire dans l'ancien règlement. Les hôteliers
dépassaient le nombre légal des plats et excédaient les taxes offi*
cielles. Un décret du ii janvier 4662 veut que les hôteliers ainsi
que l'époux soient juridiquement interrogés (bey hanirew) sur certaines
circonstances ; par exemple , s'est-on tenu à la quantité ordonnée
des mets pour chaque repas, selon les classes? a*t-on payé des
extra , ou fait des fournitures en nature à l'hôtelier, aûn qu'il put
traiter plus largement? a-t-on payé comptant ou l'hôtelier a-t-il fait
crédit ? etc. Ce document nous fait connaître aussi le tarif en vigueur
à cette époque; les gens des trois dernières classes payaient, savoir:
un homme 6 sch. 8 pf. , une femme 5 scb. 4 pf. une fille 4 sch. 4 pf.;
la V" classe , pour les mêmes personnes , était taxée à 8 sch. 6 sch.
et 5 sch. ; dans la seconde, le prix par tète ne devait pas dépasser
i5 sch. avec le vin, et -10 sch. sans vin (dmehen-Mahl) ; à la
première classe on recommandait seulement de se tenir dans des
bornes raisonnables (i).
Après la réunion de Strasbourg à la France , le magistrat reconnut
que le c changement de domination et la différence des temps exi-
c geaient quelques modifications , en plus ou en moins , d'autant
€ plus qu'on affectait de ne plus se soumettre ponctuellement à
c l'ordonnance. » 11 émit en 4687, six années après l'annexion, un
décret en 22 articles dans lequel je choisis ces dispositions : c encore
c que nous louions ceux qui s'abstiennent à leurs noces de tous
€ festins publics et recherchés , nous n'entendons pas néanmoins
c interdire ces réjouissances , dans une mesure licite . à ceux qui
c prennent plaisir aux repas solennels; ils pourront même y vaquer
c deux jours ; mais les jeunes gens ne prendront part qu'au second
(^) Ikeretvm de» il Jamnar
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448 REVUE D*AUACB.
c jour ; » le prix des repas ne dépassera pas « dans les dernières
classes, 10 scli. par tête mâle et, dans les plos élevées» 2 livres
pfenning par paire d'époux ; les Gaab' et Freyhochieiten sont exclu-
sivcment réservées aux deux premiers ordres de citoyens; aux
Irienhochzeiten le marié ne pourra tenir aucun de ses invités franc
de son écot; l'heure réglementaire du festin est portée à midi; il
doit commencer par une prière fervente et se terminer par de
sérieuses actions de grâces envers Dieu; les pauvres ne seront pas
oubliés ; la boite aux aumônes circulera au dessert ; les festins du
soir, Tusage d'envoyer au dehors la soupe de la fiancée {BrauhSuppe}
et le potage aux oeufs (Eyerbrûh) , ainsi que la coutume de la soupe
matutinale et de la collation avant le départ pour l'église » sont et
demeurent interdits. Il n'est rien innové quant au nombre des plats (t).
Je reprends la vieille ordonnance. Les réformes déjà décrétées , en
i62i et 4625, dans les dépenses de baptême furent maintenues et
renouvelées par le règlement organique de 4628. On avait mis une
telle exagération dans la valeur des présents que l'on offrait aux
nouveaux-nés sous le nom de Tauf-pfennig , gëUelbeltzen , gôuel-
Rôckt que le magistral crut devoir poser dos limites à ces dons
vaniteux , en statuant que dans les familles les plus élevées ces ca-
deaux ne dépasseraient pas le prix d'un florin d'or, et dans les
familles du commun un écu de l'empire. La distribution des sucre-
ries fZuckerwerkj coûteuses et excesives que l'on faisait aux femmes,
aux enfants et aux domestiques fut ramenée à de plus modestes
proportions, et le luxe des banquets baptismaux réprimé. Les sage-
femmes jurées , les nourrices et les gardes des accouchées étaient
tenues de signaler les contraventions au magistrat, et recevaient
le sixième des amendes avçc l'assurance du secret le plus inviolable.
Ces prescriptions furent renouvelées en 4664 et en 4687. Ce dernier
décret proscrivit absolument aux baptêmes toute espèce de banquet
et même les simples collations où ne figuraient que les confitures
et les gâteaux ainsi que les buvettes. Plus tard, au XVilI« siècle ,
je crois, l'usage s'introduisit que le père de famille devait être régalé
d'un repas dans le poêle de sa tribu , et aux fiais de celle ci , à la
naissance de chacun de ses enfants. S'il le préférait , il recevait un
(*) Hochzeit-Ordnung renovirt anno 4687. Sli^asb f».
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L^ÀNGI^NB ALSA(!E À TABLÉ. ^49
Horta de la caisse 0). Cet honneor renda i la paternité né manque
pas d'originalité.
Enfin l'ordonnance , an titre VII , règle d'une manière générale
la police de tous les repas qui se feront chez les sujets de la répu-
blique, c Assurément, dit-elle, les réunions • les sociétés» et les
f repas bonnétes. quand le tout est pratiqué avec mesure et bon
c entendement , ont une grande utilité » en ce qu'ils établissent et
< maintiennent entre les membres d'une même commune l'affection
€ et la confiance ; mais la «ondilion privée des citoyens aussi bien
c que l'intérêt de l'état reçoit un grave dommage et est exposée à
c de notables périls » si ces habitudes dégénèrent en lîbertjnage
c coupable et se dégradent par les excès dans le boire et le manger. »
Après avoir rappelé une douzaine de mandements promulgués de
4510 à 1622 et qui avaient pour but de réprimer les abus de la table
c à quoi elles ne sont pourtant pas parvenues > le code de i628
recommande sévèrement à tous les membres de la république de
se garder du vice honteux de l'ivrognerie , de toutes folles dépenses
en festins» banquets, grands repas» réunions et mangeries quel-
conques i afin que les dons de Dieu soient employés raisonnablement,
c avec la modération chrétienne » et que la nourriture passagère ne
c soit point dissipée (vergeitet) au grand détriment de notre corps • de
c notre honneur» de notre bien et surtout de notre âme. » Ceux
qui ne seront pas arrêtés sur la pente de ces funestes entraînements
par la pensée que Dieu les punira » c doivent s'attendre à une sévère
i répressPon de la part de l'autorité de la république. »
Elle accorde aux deux premiers ordres de citoyens le droit de
présenter sur leur table huit plats; à la troisième classe» six plats;
aux trois dernières » quatre plats ; les mets froids compteront aussi
bien que les mets chauds; néanmoins le rôti pourra consister en
trois sortes de viandes. S'il sagit de traiter quelqu'étranger de dis-
tinction» l'on pourra» en son honneur» selon les diverses classes »
porter le nombre des plats à douze, à huit et à six» mais pas davan*^
tage et sous aucun prétexte; tout plat en excès entraînera une
amende de deux livres pfennings; il en sera de même de toute
recherche trop magniûque et de toute dépense excessive (muthwillig).
Il est enjoint aux hôteliers et aux aubergistes d'observer les mêmes
C) Piton , Stroëbourg Uluttré. Ville , p. 200.
S'S^ilt.-S-An^ 29
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àS6 ftkvm b'al8Agb.
'règles et. d6 baser le meDu des repas qalls serviroiit aux eajeu de
la répubiiqae sar les diverses conditioDS de ceux-ci ; les éuaogers
auront le droit de se faire sertir comme ils l'eoteodroDt et avec la
liberté la plus illimitée»
L'ordoonance concède une douceur à l'Ammeister dirigeant. Le
maître dliôtel {hempt''Ean) qui tenait le poêle réservé aux chefs de
la république (Ammeiiier itubej était autorisé à suivre ses iospiratioiis
lorsque l'ammeister recevait à sa table des étrangers , et dans tous
les repas de céréoDonie qu'il donnait ; on s'en rapportait à sa sagacité
pour proportionner rbonneur du traitement à l'importance des
occasions. Tant vaut Thomme , tant vaut le dîner.
Une partie essentielle dans l'organisation des tribus de métiers »
c'était la cuisine. Du temps de Geiler, en iSOI « elle jouait déjà un
rôle excessif, et noire grand sermonaire en était si frappé qu'il
suppliait l'autorité de modérer la marche de ce rouage administratif
qui élevait les habitudes gastronomiques du vieux Strasbourg à une
puissance scandaleuse (^). En dépit de nombreuses réformes et de
persistantes admonestations officielleis, le mal avait duré et était
grand encore en i6S8. La tribu était le domicile politique du bour-
geois; il s'y sentait pins libre «t plus important que chez loi. Dans
sa maison , il n'était que chef de sa famille ; ici , il était citoyen ,
membre de l'Etat. Cette situation était exigeante. Il était presque un
fonctionnaire public et se traitait volontiers comme tel. Les repas
d'admission » les régals à l'examen des chefs-d'œuvre de maîtrise
étaient devenus une source de dépenses et d'abus. L'on supprima
les premiers et l'on restreignit les seconds. On ne conserva dans son
entière franchise que le repas d'honneur offert aux échevins à leur
entrée en charge (SchœffeUImhu) ; encore y assistait*ou si on le
voulait. Beaucoup de bourgeois avaient pris le pli de goûter au poêle
de la tribu; ils ne le purent désormais qu'une fois par semaine,
jusqu'à six heures en hiver, et sept heures en été, et l'on ne devait
y servir que des mets froids. Il est enjoint aux chefs des tribus de
veiHer à ce qu'aucune réunion n'usurpe sur l'heure du prêche. L'on
maintient 9 du reste, aux tribus qui en avaient adopté la coutume,
la faculté de fêter la visite annuelle de l'Ammeistre dirigeant et de
(<) ScmuoARS , Pfngitfeitf i6M v p. 49.
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L^NdÈllilB ÀL8iGB A tABLÉ. 4SI
tenir iMt ouverte pendant le temps des denx grandes foires de Noél
et de la S^-Jean.
S'il était devenu nécessaire de modérer l'intempérance du bour-
geois dans la vie dvile, à la tribu , Ton juge bien que cette nécessité
ne fut pas moins grande dans les occasions où il endossait le harnais
militaire et se rendait au tir à Tarquebose. L'ordonnance réprime
les coUatiôns excessives et les pocalations prolongées qui couronnaient
inévitablement les chaudes journées où les rifflemen strasbourgeois
du XVH* siècle se formaient aux travaux de la guerre. Les capitaines
des compagnies de tireurs devaient veiller ù ce que tout excès fût
banni de ces exercices patriotiques.
Un mandement de 4570 avait déjà réglementé les parties déplaisir,
les promenades dominicales que faisaient nos ancêtres dans les
villages et endroits de plaisance répandus autour de Strasbourg.
Hais riiabitude et l'esprit de l'époque les avaient converties en
bombances tellement outrées qu'en i620 , le magistrat , effrayé des
progrès du mal» crut devoir interdire absolument toute dépense
de bouche dans les auberges suburbaines dans un rayon d'un mille.
La prescription était trop rude pour durer. « Nous pourrions la
f maintenir, dit le législateur de 16^8 , mais comme nous ne voulons
f pas priver nos bourgeois d'un plaisir honnête et de quelques ré-
c créations modestes , nous permettons de nouveau ces parties de
1 campagne » à la condition qu'on n'y fera que de simples collations,
t qu'on ne négligera point , pour ces promenades , le service reli-
< gieux et l'enseignement de la parole de Dieu , et qu'au dehors ,
€ aussi bien qu'à la rentrée dans la ville « on s'abstiendra de chanter,
c de crier, de faire tapage ou de se livrer à toute autre démonstration
f bruyante et déréglée. »
Tel est le tableau d'ensemble qu'offre , sous le rapport de la police
gastronomique, le fameux règlement somptuaire de 4628. Il n'est
pas bien rigoriste; il n'atteint que les excès, sans cesser d'être
Indulgent pour l'humaine faiblesse. L'on ne pouvait pas attendre
d'une république alsacienne, où dominaient la sensualité un peu
lourde et l'appétit puissant du tempérament germanique, les inspi-
rations du génie de Lacédémone. Ce n'est pas Lycurgne qui aurait
songé i rendre un édit, comfne celui émané du magistrat de
Strasbourg , en 4659 » par lequel il est fait défense aux maîtres-
artisans, sous peine de 5 livres pfennings d'amende , de rien dimi«
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453 RBVUK D'ALSàGI.
nuer sur la nourriture et la boisaon de leurs compapiODS (*) , par
forme de correction ou de châtiment ; disposition sage et respectable
assurément, mais qui sent le terroir d'Allemagne, où Ton est par
dessus tout attentif à ce que notre pauvre corps reçoive de quoi se
soiiienir. et aussi un peu de quoi prospérer.
Nous venons de voir comment Tautorité publique s*y prenait pour
mettre une sourdine à la gourmandise des bons bourge^s. Et l'ap-
pétit des princes , demiindera-t-on , quelqu'un se chargeait*!! de le
dompter? Ah! ma foi, les princes du vieux temps, comme ceux
du temps présent , aimaient assez de laisser à leurs sujets les avan-
tages de la sobi iélé et l'honneur d'une bonne discipline et de garder
pour eux-mêmes tous les inconvéniens de la bonne chère et de la
liberté. Ils faisaient avec une touchante bonbommie tout ce qui leur
passait par la tête et ne rendaient compte de leurs repues souve-
raines qu'à Dieu. La dignité du sceptre commandait que les choses
allassent de cette sorte. L'on Jugera , par quelques exemples , com-
ment ils traitaient soit à leurs noces, soit dans d'autres grandes
journées.
Quand le palatin Georges de Bavière épousa , en i475, la princesse
Hedwige de Pologne , les fêles durèrent huit jours , et la cuisine
ducale consomma , pour les célébrer, 300 bœufs de Hongrie , 62,000
poules , 500 oies , 75 sangliers , i&i cerfs , 75,000 écrevisses , i60
tonneaux de vin de Landshut , 200 tonneaux de vins du palatinat et
70 barriques de vins de France ('). Je comprends qu'un tel prince
ait reçu de l'histoire le surnom de Riche , mais on peut douter que
sous un tel régime son peuple le soit devenu.
Les curieux peuvent aussi consulter, pour se faire une idée de
ce genre de solennités, l'intéressante description qui fut envoyée
à Strasbourg des fêtes qui se tinrent i Bruges , en 1473, à l'occasion
du mariage du duc de Bourgogne avec Marguerite d'Angleterre ('). ■
L'Alsace ne vit rien de si considérable. Mais je puis donner, d'après
M. Dietrich (*), le détail du festin qui fut célébré à Ribeauvillé, le 6
novembre i343, pour les noces de Georges de Ribeaupierre et d'Eli-
■ ■ I ■ I 11 II I I I I I I ■» ■■ !■ I —
(<) Heitz , Zunftweun, p. 32.
(2) BUëtiUehes Samsiagshlati , 6« année , p. 95.
O Codediplom. et Mstor. de la vilU de Straihourg, Archiv-Chronlck , p. i9i4
{*) Légendes et cKroniqueê aUadenneê , p. i77.
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L'ANOBreOE AL0AGB A TABLB« 48^
sabeth de HeUénsteiD. c Après la messe » les cors sonnèrent i table
c et le maître des cérémonies a?ec sa baguette blanche assigna aux
i convives les places qu'ils devaient occuper. > Les dames occupaient
sept tables dans une salle séparée ; dans la grande salle du château
siégeaient à neuf tables les seigneurs et les nobles ; les prêtres et les
députatiors en remplissaient douze autres dans la ialk tité ; dans le
grand corridor les écuyers ei les gens de la suite des seigneurs gar-
nissaient six tables ; la salle de la chancellerie était occupée par les
employés et les serviteurs, et la cuisine avait été réservée à ta domes-
ticité féminine ; \h teuaient quinze tables ; total quarante-huit t:ibies.
Sept cuisiniers et sept coadjuteurs commandés par un mailre d*hôiel
avaient préparé le festin ; une compagnie de pages servait les dames
et la noblesse; des valets servaient le restant de l'assistance. La
confrérie des Joueurs d'instruments, dont le seigneur de Kibeuupierre
était le roi , exécutaient des symphonies pendant les entr'actes du
banquet. Voici l'ordre du repas :
PREMIER SERVICE.
\. Un pâle contenant trois perdrix vivantes.
2. Chevreuil moucheté de raisins de Corinthe.
3. Soupe aux œuf».
i. Une énorme téie de brochet au bleu tenant dans la bouche un
lys blanc, image de l'innocence de la jeune fiancée. /
5. Uu broi'het lardé.
6. Bœuf a('COinp:igné de raifort.
7.. Une tarte suniioutée des hgures d*Âdam et d Eve ; le coutume
officiel des cours alleniaudes remplaçait le costume hiblique.
8. Pâtés chauds aux poulets.
9. Chapons rôtis.
SECOND SERVICE.
1. Une tour laissant échapper du viu blanc et des petit:» poi»sons.
S. Carpe en sauce.
3. Tête de porc dorée.
4. Cboocroùie ornée de foie.
5. Pâtés de chevreuil.
6. Uu mouton entier ; d'une ouverture qui lui avaii été faite an cm
s'épanchait , en guise de sang , du vin rouge.
7. Tarte chaude au lard.
8. Saumon froid*
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.ii.
4K4 RBVUK B'ALSACIL
TBOXSIÈIIB SERVICE.
i. Pâté de mésanges.
2. Venaison en saace.
3. Une maison en pâtisserie.
4. Ecrevisses.
5. Cochons de lait.
6. Marmelade aux œuft.
7. Un aigle en pâtisserie dorée , rempli de gelée.
8. Tarte aax pommes.
9. Soupelette aux poissons.
Le chef de cuisine a laissé le relevé exact de tout ce <|ui a été con«
sommé dans cette circonstance. Il faut l'ajouter au tableau : 9 bœufs»
i8 veaux, 80 moutons» iOO chevreuils, i 52 chapons, SOO poules,
120 pièces d'autre volaille , 90 oies, 60 perdrix , 70 bécasses , 200
autres volailles , 3000 œufs achetés, sans compter ceux fournis par
les basses cours seigneuriales , iOO cochons de lait , un quintal de
lard et 336 mesures de vin.
Lors du mariage de Marie Leczinska avec Louis xv , qui fut célébré
à Strasbourg en i72S , l'élite de la cour s'y était transportée. Le roi
était représenté par M. le duc d'Orléans. Le cardinal de Robsn
reçut, dans son château de Saverae, tout ce grand monde à
son passage dans celte résidence. La princesse de Clermoat, dit le
chevalier Daudet , y soupa le il août avec sonEminence, le duc
d'Antin , le duc d'Olonne , M. de Harlay , intendant de la province •
la princesse de Montauban , les duchesses d'Epernon, deTallardet
de Montbazon , Mesdames de Nesie , de Prie , la maîtresse du régent ,
de Ribérac et M"« de Villeneuve, c Le souper fut servi â neuf heures
c avec tonte la magnificence possible dans la grande salle du château
c où règne une balustrade ou galerie où purent se mettre plus de 200
c personnes pour voir souper la princesse. » Le lendemain , le roi
Stanislas arriva. Il dîna avec le cardinal et la princesse et une nom-
breuse noblesse dans laquelle je remarque le duc de Noailles , les
comtes de Lautrec , de la Feuillade , de Berchiny , le colonel des
houaardst Mesdames de Rupelmonde, de Bergeret, etc. Le duc
d'Orléans était arrivé à Strasbourg le 42; il logeait chez le maréchal
Dubourg; le duc d^Antin s'était installé â la commanderie de S^-Jean.
c On ne peut exprimer avec quelle magnificence il fit les honneurs de
« sa maison et les dépenses immenses qu'il faisait tous les jours au
. \
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1 94èiiQ mariige do roi. t Le 15 août» jour du muimat la sou-
▼elle reine dtea à 5 heures au Gouvemea)ent« chez te maréchal
Dubourg ; elle dtoa à son grand couvert avec Sunislaa et la reine de
Pologne ; les officiers du roi la servaient. M^'* de Clermont dîna après
elle , avec la haute noblesse, c Ce fut icy une assead)lée des plus
c parfaites ^t un festin des plus accomplis , par la beauté des per«
I sonnes qui le composaient , et par la magnificence de& habits. ».
0 historiographe t où aviez-vous donc la tète , pour ne pas dire un
seul mot de la beauté des menus I Vous nous dites aussi que le sur-
lendemain t le pauvre village de Willgottheim eut l'honneur d'être
choisi pour la dlnée de la cour, qu'il vit la jeune reine , le doc d'Or-
léans , le ddc d'Antin , M^^ de Qermont » tant de grands seigneurs ,
et tant de belles dames , à table » dans une de ses rustiques maisons ;
mais vous ne dites pas qui a pourvu au repas et quel il fut. Â quoi
étes-Yous donc bon » si vous négligez de pareilles choses , historio-
graphe trop léger? Ce n'est pas racheter .suffisamment vos torts que
de nous apprendre que le soir du même jour la cour soupa au château
de Saveme • c que les tables furent servies avec autant de profusion
c que de magnificence aux dépens du cardinal , et que son Eminence
c donna au duc d'Orléans • dans son petit château , un grand souper
c où assistèrent tous les seigneurs et quelques dames de la cour. >
Vous ajoutez , à la vérité • c que ce souper peut s'appeler sans exagé-
c ration un festin royal , par son abondance , sa bonté , sa magnifi-
c cence et que M. le duc d'Orléans parut en éiret très-content. > (i)
Je le crois sans peine , mais nous aurions voulu juger de plus près
des causes de la haute satisfaction d'un homme tel que le régent.
Parlez-moi de gens comme cet indiscret de Tallemant des Réaux
qui vous fait toucher les choses du doigt et déshabille ses personnages
jusqu'au vif. Ouvrez*le au hasard. Ici » il vous montrera l'amiral de
Brezé faisant fermer les portes de Brouage , dont il était gouverneur,
pendant le temps de son dîner, afin de ne pas courir fortune d'être
dérangé (^) ; là » il nous apprendra que l'archevêque de Bourges ,
Renaud de Beaulne, était d'un tempérament si chaud qu'il avait besoin
d'un aliment presque continuel pour entretenir sa santé, qu'il faisait
sept repas par vingt-guatre heures : à une heure après minuit , à 4
{*) Daudet , Journal hUtorique du mariage de la reine. Paris , io-IS, p. 111,
(*) Bi$t9rieUei,m^ p. UU
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4t(è ksVUB D*ALkà€B« .
heures da matin, à 8 heures , à midi , à 4 heures , vers 8 heures dd
soir » et un mediaoocbe avant de se coucher (<) ; qu'un autre arl^lie*
véque, celui de Reims* Eiéonore d'Etampes de Valençay, avait
poussé la virtuosité gastronomique au point de devenir un vériuble
c pédant de bonne chère; > aussi ne pouvait-il pardonner à un oeHain
Martin qui vivait de son temps, c autre happeur » dit Taliemant , de
mettre du persil sur une carpe , et ne trouvait-il rien de si ridicnle
que de servir une bisque aux pigeonneaux après Pâques (*). Le féu
électeur de Hesse-Cassel , dont j'ai déjà parlé » avait encore de nos
jours t de ces dits notables ; il n'aurait , pour rien au monde , mangé
des bécasses avant le quatrième dimanche qui précède PAques , et il
formulait celte règle dans ce beau distique :
OeuU,
Dû Aontfiitfffi iiê.
Pourquoi Taliemant entre-t-il dans ces détails, et le chevalier
Dandet les déda!gne-t-il ? C'est que Taliemant était un peintre , et
Daudet un greffier de maître de cérémonies. La différence est grande»
et elle existe pareillement entre les hommes de génie et les hommes
qui n'ont que du talent. Molière et Lafontaine ne se refusent pas aux
détails de la cuisine; vous n'en trouverez pas un chez Casimir Delà-
vigne ou chez Alexandre Soumet. Le génie de Goethe ne pensait pas
déroger en semant dans ses mémoirei tant d'observations sur la vie
familière ; l'artisan Bois-de-Chéne , deHonlbéliard , était plus délicat.
H notait de préférence les choses qui avaient un air aristocratique.
Voyez plutôt. Racontant sa campagne de France » en 1792, Goethe
écrit ce passage: c Nous partîmes pour Landres , village où on allait
• transporter le camp. Chemin faisant notre régiment avait fait halte
c dans un petit bois nouvellement abattu et allumé un grand feu
c autant pour se chauffer que pour faire la cuisine. Lorsque nous le
c rejoignîmes le dîner éiait prêt et les tables dressées. Mais les cha-
f riots qui menaient les bancs n'arrivaient point et l'on fut forcé de
c manger debout , ce qui nuisit beaucoup au coup-d'œil de cet im*
f mense repas en commun. > (3) Comprenez- vous cette armée prus-
sienne qui envahit la France en traînant après elle des tables et des
I I ■ ■ ■ .-1 ■ . H !.. I
(*) Hiitoriêtiei , iv , p. 231 .
n idem, VI, p. 18i.
(") MémQÎr$i de G9tK», u , p. 270.
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L^ANCIEMMB ALSAGB ▲ TABLB. itil
baocs poar dloer i Taise? Et n'est-il pas intéressant d'entendre le
f rand poète regretter qu'il ait manqoé quetque chose au tableau d'un
régiment qui dîne? Bois-de-Chéne a des impressions tout autres,
c Le i7 janvier 4664, S. A. S. Georges traita au chasteau MM. les
f eonseillers. Le lendemain il traita aussi MM. les Neuf- Bourgeois dé
c la tille « y estant présent M. Vriscbmann (le résidant de Louis xiv)
de Strasbourg. On y a tiré plus de 80 coups de canon. » (i) Dans ce
festin , ce qui frappe l'artisan . le petit plébéien , c'est le bruit de
rariillerie , le vacarme militaire. Goethe a les sensations d'un peintre ,
Bois-de-Ghéne l'ébahissement d'nn bon bourgeois. Taime mieux
Bois-de-^Gbéne quand il nage en pleîn dans son gros patois de Mont-
béliard et qu'il écrit tout juste comme s'il eut conversé avec son voisin
sur le pas de sa porte. Alors, du moins , Il nous apprend quelque
chose, c Le 4 de féburier (4664) S. A. a traité aussi au chasteau la
« moitié de MM. les Dix-Huit » et le samedy suivant sont esté traitez
c l'autre moitié où qu'ils ont fait Gouierding. » Voilà un mot bien
hasardé , moitié rabelaisien, moitié huguenot, et entièrement mont*
béliardais, pour exprimer la bonne chère et la bombance.
Nous nous sommes un peu écartés de la matière somptuaire ; j'y
reviens.
Le (Conseil souverain d'Alsace fut aussi forcé de faire sentir son
autorité pour redresser des abus qui s'étaient introduits dans le mode
de gestion de certaines affaires administratives. En 4682 , le procureur
général exposa que' les habitants et communautés des villages qui
doivent dés dîmes font préparer un festin lorsqu'on les met à l'enchère.
Celte repue , qui doit être payée par le preneur des dîmes , monte à
des sommes considérables et consomme une partie des dîmes qui de-
vrait plutôt être employée aux réparations des églises. Le Conseil
pensa que le procureur général avait raison et établit une amende de
i(K) liv, contre les contrevenants. (*) A partir de là on paya la dlme
sans jouir des douceurs que le bon sens des rustres avait réussi à
prélever sur elle.
L'on fut plus tolérant sur les abus qui réjouissaient les baillis et
officiers de justice. (}uand ils procédaient à Taudition des comptes de
fabriques , on avait soin de corriger la sécheresse naturelle aux opé-
(') Bois-DE-GBÊNfi y Chronique f année 1664.
C) doRBERON y Recueil d'ordorm. du Conteil eouverain d*Al$aee , p, 146.
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4t$6 UEvm d'aiiSaob.
rations do calcul par ûe$buveiteê abondantes ei même par dos ropas
en bonne et due forme. Mais en 1712 , le Conseil souteraln simplifia
les complabilités ecclésiastiques en inierdisant aux baillis toute dé«
pense de ce genre, (i) Les gens du roi , toujours pnritains et qui ne
comprennent pas les demi-vertus, insistèrent pour que la défense
atteignit aussi les curés. Le Conseil n'osa pas donner cetle affliction
aux serviteurs de Dieu et ceux^si restèrent en possession du droit
d'éuncher leur soif aux dépens d'une partie des revenus de leur
église.
L'église avait aussi promulgué ses règlements somptuaires. Je les
ai indiqués en faisant connaître le régime adopté pour les chanoines
de Strasbourg et les Bernardios de Lucelle. Ces règlements tantôt onl
la forme législative directe , untôt ils se cachent dans de simples
programmes culinaires; mais le but est toujours visible. Un des
grands soucis de l'Eglise fut de maintenir dans les chapitres l'obliga*
tion de manger en commua. Elle y voyait un moyen de mieux faire
observer ses prescriptions et de soustraire les clercs i la tenution de
faire bonne chère en cachette. Mais l'usage de la vie commune dis-
parut de bonne heure. Dans le chapitre de Bàle » il cessa au xii« siècle
déjà ; dans celui de Strasbourg un peu plus tard. Au xv* siècle « le
grand-chœur de la cathédrale n'avait plus conservé de la comment
salité ecclésiastique qu'un souvenir. Ses membres mangeaient en-
semble à certains jours de l'année seulement, et pendant le carême.
Depuis le mercredi des cendres jusqu'au jeudi-saint , ils se rendaient
au réfectoire, après la grand'messe. Us prenaient place à trois
classes de tables , suivant le rang qu'ils tenaient à l'église; à la tête
de la première table siégeait le Roi du chœur. Après la lecture d'un
chapitre de Saint Augustin, des enfants de chœur servaient. Co dîner
n'avait sans doute point les attraits de celui qu'ils auraient pu faire
chez eux , dans leurs maisons, car II fallait rémunérer leur sacrifice
par la prestation d'un droit de présence appelé ju$ reftclom, et à la
fin de l'épreuve , l'on récompensait par la prime asseï ronde du
voleté , ceux qui s'étaient dévoués, sans faillir d'un jour, a l'exercice
complet (^).
Les bains de Wattwiller étaient régis par une espèce de charte qui
(') GoBBERON , Recueil d'ordonn, du Conseil wuverain d'Àl$a€9 , p. 504.
(') GaAMiMDiER , S$$ais fur kk MMdrak , p. 392,
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L'aMGIBNSE ALaàCB A TABLE. 480
tenait du caractère d'an règlement somptiiaire et de oeliri d'un
tarif. (>) Elle avait été promulguée le 43 juin 1720 par S. A. S. le
prince-abbé de Murbacb » et porte pour titre : c Taxe et règlement
i des bain» de Wattwiller. Comment Tbôtesse des bains se doit con-
i duire envers les baigneurs et ce que chaque baigneur doit pajer
« suivant la manière dont il entend être servi et traité. > Le document
débute par accorder à tout chacun qui veut visiter les bains la liberté
de manger et de loger où bon lui semblera ; le prix d'une chambre
et des bains sera , par semaine • de 3 liv. iO sous. Ceux qui veulent
faire leur cuisine eux-mêmes paieront» par semaine, pour le bois,
tt sous; ils pourront user de la vaisselle de Thôtesse, pour le même
prix. L'hôtesse établira et servira trois tables distinctes : à la pre-
mière , on aura , au dîner, cinq plata et un demi-pot de bon vin blanc
ou ronge ; au souper, trois plats ; orge en légume , rôti , ragoût de
veau ou de volaille ; le coût de chaque repas est de 22 sous. — A la
seconde table , l'hôtesse servira une bonne soupe , du bouilli et un
plat de légumes , avec un demi pot de vin ; le repas se paiera 13 sous
eti deniers; à la troisième table, on jouissait d'une soupe, d'un
légume, d'une petite tranche de viande et d'une chopine de vin, le
tout pour 8 sous. La journée de pension pour les domestiques et les
servantes est tarifée â 13 sons et 4 deniers, et ils auront une chopine
de vin à chaque repas. Le vin vieux de Guebwiller, blanc ou rouge ,
se débitera à raison de 6 sous et 8 deniers le pot, le nouveau à i sous
4 deniers. Les baigneurs qui n'apporteront ni leur lit , ni leur linge ,
paieront , par semaine , y compris les frais de blanchissage , 13 sous
4 deniers. Une disposition curieuse , sous le rapport de la propreté
et de l'hygiène médicale est celle-ci : • Les pauvres gens qui voudront
c profiter d'un bain lorsque le baigneur en sera sorti , donneront 1 sol
€ et 4 deniers. » Ah ! mon Dieu , il a toujours été incommode d'être
pauvre , même dans le bon temps , et sous la crosse du prince-abbé
de Hurbach.
L'on peut aussi ranger parmi les lois somptuaires , bien qu'elles
aient un caractère plus spécialement religieux et pénitentiaire, l'in-
stitution du carême et l'abstinence de la viande les vendredis et les
samedis. L'histoire du carême offrirait biep des traits singuliers qui
('} Je suis redevable de la oommuoication de ce document à ToWlgeaDle amilié
de M- Franti , cbef de division à la préCèatqre du Baut-fUiia,
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460 ' teVim 0*AL6ÀCB.
pourraient autoriser les esprits mal faits à douter de la constance des
doctrines de l'Eglise. Le beurre et le lait furent tolérés , par exemple»
jusqu'au \rf siècle ; mais en 4365 , le concile d'Angers classa ces
deux substances parmi les aliments gras. Heureusement » l'évéque de
Strasbourg, Albert de Bavière , imagina , vers 4478 , de solliciter du
pape la faveur de laisser manger du beurre dans son diocèse pendant
le temps du carême. Le pape l'accorda et l'évéque la convertit en un
bon et fructueux impôt. Quiconque voulait user licitement de beurre
payait une taxe proportionnée à son état de fortune. Tout le peuple
et le clergé étaient si fatigués du maigre mdical que les coffres épis-
copaux se remplirent. Albert put racheter ses terres et ses revenus
engagés, et de l'argent qui lui resta il fit fondre une fort belle
artillerie que le peuple appela les canons de beurre 0) {Ankenbûchsen).
Les oiseaux et les poissons ayant été créés le même jour, selon la
Genèse , la volaille a longtemps passé pour un aliment maigre, s* Odoo
de Cluny avait une opinion bien fixée sur ce point ; les conciles
étaient unanimes et Saint Thomas d'Aquin pensait comme les conciles.
Je ne sais plus qui s'avisa de trouver qu'il y avait quelque difliérence
entre un goujon et un faisan et que le coq de bruyère avait un autre
goût que le barbeau. Ce grand naturaliste » qui avait vu clair dans les
œuvres du cinquième jour de la création , exila la plume des cuisines
chrétiennes pendant la quadragésime ; mais, par bonheur, il ferma
un peu les yeux sur les sarcelles et les poules d'eau. S'il les eut rou-
vert un peu plus tard les canards sauvages étaient conquis.
Si l'Eglise montra quelque complaisance dans son travail de classi-
fication théorique, en revanche, elle n'en montra aucune dans sa
manière de juger les faits de la pratique. On sait que Clément Marot
faillit être brûlé vif pour avoir mangé du lard en carême. Beaucoup
d'autres le furent très-réellement. Au milieu du xvi* siècle, l'électeur
de Bavière fit décapiter six bourgeois de Munich qui avaient usé de
viande dans un jour défendu , et le médecin de Son Altesse , Jean
Epiphanius de Venise, leur compagnon de délit, ne sauva sa tête
qu'en prenant la fuite et en venant s'établir à Porrentruy (^). Je ne
veux pas croire que Ton ait poussé , chez nous , le zèle aussi avant.
Mais les exemples d'une répression plus ou moins rigoureuse de ces
(*) Berleb , Chroniek , Code diplom. de Strasbourg , p. 94.
(') TooHAS und Félix Plater, %w9i Àutohiog. , p. 69.
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l'ancienne ALSACE A TABLE. 461
infraciions ne manquenl pas dans notre histoire. En ?oici un qui nous
est fourni par un moine, c Le 29 mars 1533» le dimanclie des rameaux,
c un bourgeois de Guebwiller , Jacques Glaser , le tondeur de laine ,
i et sa femme Elsi , et Melcbior Biatter , le médecin (encore un më^
decin ! eh ! mon Dieu , qu'ils sont donc réfractaires au carême !) et sa
c femme M:irguerite se sont assemblés avec quelques autres confi-
c dentiellement chez Glaser pour s*y régaler, à la bonne mode lutbé-
c rienne , d'une tête de veau et d'un aloyau garni de son rognon. Ils
c furent dénoncés. On mit les femmes dans la prison de Goldbach ,
c le tondeur dans la tour et Melcbior au cachot. Le dimanche après
c Misericordia, on les exposa tous quatre au carcan {BaUmen); après
f quoi , on les chassa de la ville > (<)•
Partout, l'autorité veillait scrupuleusement au respect des deux
derniers commandements de l'Eglise. A Ensisheim» pays d'obéissance
autrichienne , les valets de police avaient mission de visiter les auberges
et les boutiques de pâtissiers pour s'assurer de la stricte observance
du maigre (^).
Dans les villes qui adoptèrent la réforme , le carême et tontes les
prescriptions du même genre furent immédiatement abandonnés. A
Strasbourg leur suppression fut prononcée légalement. Un acte du
magistrat, du mois de février 1523 , abolit tous les jours de Jeûne et
d'abstinence et décréta que pendant le carême on vendrait publique-
ment de la viande comme en temps ordinaire (^).
Je le dis en toute humilité , il parait qu'il y eut un temps où les
avocats du barreau de Colmar , et vraisemblablement ceux de toute
l'Alsace, ne se recommandaient point par les habitudes de frugalité
et de modération qui sont l'honneur de leurs mœurs et la nécessité
de leur profession. Us ne se contentaient pas autrefois , comme je le
fais, de regarder la cuisine à travers les vieux livres et de faire de
l'histoire ancienne. Ils la regardaient, au contraire , de pleine face et
d'un œil trop réjoui , et donnaient à l'actualité et aux exercices pra-
tiques plus de temps que je n'en consacre à la théorie. Aussi l'avocat-
général Le Laboureur se sentait-il autorisé à les réprimander assez
vivement dans la harangue de rentrée qu'il prononça» en 1684,
Ç) Chronique des Dominieaini de Guebwitter^ p. 199.
(*) Mbrklen, Histoire d'Ensisheim^ ii , p. 124.
C) Traosch , Ckron, mss. , 2« parUe , foi« 91*
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462 nivins b'ALdAdt.
deyant le Conseil souverain qui siégeait alors encore à Brisach.
c Vous devez fuir avec soin, leur disait*!!, tout ce qui peut vous
c écarler de voue eniploy, comme sont ces trop fréquents voyages i
c vos maisons de campagne, les trop longues promenades, les bonnes
c tables , les danses , les conversations voluptueuses » (i). Celte vitu-
pération magistrale, si on l'en visage bien , équivaut à une prescription
somptuaire » s'adressant à un ordre de citoyens qui a toujours fait
plus de cas des censures morales que des mandements répressifs. Les
avocats du Conseil souverain du xvii« siècle se sont-îls rangés à la
discipline que recommandait Le Laboureur? La chose n'est pas dou*
teuse, puisqu'on 1694 le même avocat-général rendait au barreau un
hommage qu'il n'avait pu mériter que par la régularité de ses mœurs,
son amour du travail et le renoncement aux anciennes habitudes
allemandes, c II y a douze ans , dit-il dans sa harangue de rentrée «
c ce barreau n'était rempli d'avocats qui , n'ayant que le nom et la
c robe , étoient tout au plus de mauvais lecteurs de plaidoyers mal
c digérés. Cela nous fit former le dessein de changer cet abus en
« excitant les avocats à imiter ceux du Parlement du royaume. En
c quoy nous avons si bien réussi qu'il y a déjà plusieurs années que
c ce barreau s'est perfectionné à un tel point que tous ceux qui ont
c entendu vos discours soKdes et éloquens sont convenus que l'on
c plaidait à Brisack sur les bords du Rhin comme on plaide à Paris
c sur les bords de la Seine > ('). Je crois que , sur ce dernier point »
M. Le Laboureur les flattait ou que l'enthousiasme de sa réforme
l'emportait un peu trop loin. Les avocats d'aujourd'hui seraient bien
heureux de mériter la moitié des éloges. dont on comblait leurs
confrères en 1694.
Ch. GéRARDi BvoettilBooarinpériale.
(ta niitê à une prochaine livraison,)
{*) Reeuiil de harangues pranoneies devant h CofiMÎI souverain d'Alsace.
Mss. apparteosnt à M. H. Wilhelm , avocsu
C) Idem.
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ÉTUDES
tOK U»
RELIGIONS COMPARÉES DE L'ORIENT.
Suite, n
SEPTIÈME ÉTUDE.
DE LÀ THÉOLOGIE ÀBIBNNE ET DE SES DÉRIVÉES.
Après la mort de Jésus-Christ , ceax qui Tavaient vu et entendu
s'étaient partagés en deux croyances : ceux qui avaient des doutes
sur la divioilé et ceux qui y croyaient; ceux qui restaient attachés au
DODOlhéisine pur et ceux qui admettaient les doctrines trinitaires. Le
mouQthéisme hébraïque restait debout comme une affirmation néces-
saire, pour que le dogme trinitaire n'aboutit pas. par une exagération
du tri-théisme, au polythéisme pur. De là la protestation du mono-
théisme hébraïque ; soit qu'elle se fût perpétuée en«dehors de TEglise ,
•oit qu'elle se fut introduite au sein de l'Eglise» comme par les par-
tiacms de Ceryatbe. Dans le sein même des trinitaires, s'était formé
le parti monothéiste, par l'invasion des doctrines de Platon. Ainsi
Sabellius n'admettait point des personnes en Dieu ; il n'admettait que
les attributs, aboutissant à la négation de la personnalité du Verbe »
incarné dans le Christ.
Arius chercha à combiner le monothéisme hébraïque et la doctrine
de Platon avec la révélation évangélique. Il crut expliquer la person*
nalité du Verbe, en présentant, à l'exemple de Platon, le Verbe
comme une créature distincte , typique, engendrée, pour servir de
modèle aux hommes i comme une manifestation du Dieu étemel , mais
■■ ■ '■ ■ ■■■■1*?^»^^— I 1^— —*■■■■■ ■ Il I ■*
O Voir les UvniscMis d'^ixû, mai. Juin, jamet, septembre , octobre 1860,
pages 145, âOO, 277, 313, 403, 488, mai, juin, août et septembre 1801,
mes 200, 256» 344 et 400.
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464 REVUE d'alsagr.
inférieure au Père , qui est plus grand que le Fils et qui est le seul
vrai Dieu. Il ne niait donc pas le Verbe , ni son incarnation en Christ.
Seulement il rétrécissait la notion de ce Verbe au-dessous de ce quelle
se trouve être dans le platonisme et, par suite de la controverse « Il
était allé jusqu*à la négation de la consubstantialité du Verbe avec Dieu.
Toutefois, malgré cette imperfection, le monothéisme arieû est supé*
rieur au monothéisme hébraïque, en ce qu'il joint à la notion du Dieu
un 9 celle du verbe de Dieu et de son incarnation en Christ et qu'il
ouvre ainsi une éclaircie , par laquelle pourra être aperçue toute la
doctrine catholique de l'incarnation et de la trinilé.
Considéré sous ce point de vue , — et non comme négation de
l'essence trine de Dieu , sous lequel il a été envisagé à Nicée et sous
lequel il l'est communément de nos jours , — l'arianisme est le lien
commun , qui rattache • à l'Eglise universelle et intégrale le judaïsme»
le mahoméiisme et le déisme des philosophes et qui les y rattachera
tous les jours davantage, à mesura que l'Uorizon de la science tbéûlo-
gique s'élargira.
Abstraction faite de son esprit de négation , conséquence da la
lutte , l'arianisme peut donc être considéré comme le fond mono-
théiste du dogme catholique et intégral sur la divinité.
Le nombre des Ariens est encore grand de nos jours en Orient
comme en Occident. L'arianisme est devenu , de nos jours « la prin-
cipale croyance des philosophes, des esprits positifs, des rationalistes.
Que d'Ariens de ce genre qui portent le nom de Chrétiens 1 Après
qu'il eut été empereur en Orient avec Consuntin et ses successeurs
et pape en Occident avec Libère, l'arianisme reparut là où il avait
commencé, repris en sous-œuvre par le mabométisme; et, sous la
raison d'Islam, il inonda la moitié de l'ancien monde,
Mais , outre ces représentants , il a encore .laissé d'autres vestiges
en Orient.
Nous trouvons dans la Perse une secte nommée les Chrétiem de
Saint Jean, ainsi nommés psrce qu'ils regardent Jeaa-BaptiSte comme
leur premier apôtre et parce qu'ils ne reçoivent pas d'autre baptême
que le sien. Leur religion est un mélange de christianisme , de Ju-
daïsme, de mabométisme et de manichéisme. Leurs dogmes sont
contenus dans une Bible appelée Divan. Ils ne croient pas que
Jésus-Christ soit Dieu; mais ils le regardent comme un saint, un
prophète du fremter ordre. Ils vénèrent la croix. Leur baptême qui se
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èrUDES StJR Les hÈUGIONS ËOHPARJ^ES DB L^ORUSNt. 4éH
renouvelle tous les ans , oe se fait qu'au nom du Dieu un , parce qu'ils
ne reconnaissent pas les trois personnes. Us célèbrent une espèce de
cène , avec un gâteau pétri dans du vin et de l'huile, qu'ils portent
en iirocession après l'avoir béni. Leur clergé est composé de prêtres
etd'évéques; le sacerdoce et l'épiscopat sont des charges hérédi-
taires. L'ordination du prêtre se fait par l'évéque , qui leur impose
les mains en présence du peuple. Ils regardent le dimanche comme
un jour sacré. Les Persans les appellent SaUi.
Dans les Indes orientales, dans le pays de Halayab , se trouve une
autre seéte » dont les croyances se rapprochent du théisme des pre-
miers chrétiens : ce sont les chrétiens de Saint Thomas. Leur Bible
est l'ancien et le nouveau Tesument , traduits en langue malayaline.
Les dernières communications des communautés chrétiennes de
Saint Thomas , qui sont au nombre de cent existantes encore de nos
jours , remontent au concile de Nicée, dont les actes font foi de la
présence de Jobannes, évéque de l'Inde. Les Portugais, à leur arrivée
sur les côtes de l'Inde, loin de tendre la main aux chrétiens de ce
pays,, comme à des frères en Jésus-Christ» s'empressèrent de les
présenter comme de vrais hérétiques et de brftler en auto-dafé les
versions malayalines des saintes Ecritures; mais les Hollandais les
empêchèrent de pousser plus loin leurs persécutions.
Outre l'arianisme , d'autres hérésies restèrent fidèles à l'antique
monothéisme : tels furent les Patripassiens et les. Macédoniens,
Les premiers soutenaient que c'était le Père qui . s'était incarné
et rejetaient par conséquent la seconde personne de la trinilé et les
Macédoniens ne reconnaissaient pas le Saint-Esprit comme consubs-
tantiel ou égal en dignité à Dieu le Père , et le déclaraient sijbordonné
au Père et au Fils, ce qui constituait dans leur doctrine une sorte de
dnothéisme plutôt que le monothéisme. Ce» deux hérésies n'ont pas
laissé de représentants modernes. Toutefois l'on peut considérer
comme une dérivation de l'hérésie de Macédonius la doctrine de
l'Eglise grecque sur la procession du Saint-Esprit uniquement du Père»
doctrine qui repose sur une interprétation » en sens restreint , de la
décision du concile de Constantînople et est plutôt un pas vers la
doctrine de Macédonius que vers celle consacrée par les conciles
postérieurs et surtout par l'Eglise latine. C'est en ce sens que l'Eglise
grecque est en parenté avec l'arianisme. A. Gilliot.
(La suite à uns prochame livraison,)
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ht LlDIIlnSTtlATlOlï
DES FORÊTS DOMANIALES ET COMMUNALES
▲ PftOPOS DE L'BNLÈyBMBirr
DES FEUILLES MORTES EN ALSACE.
Dans son namëro du mois de jain , la Revue tAUace a bieo voulu
publier un article que nous lui avions communiqué » concernant
Tadministration forestière et les feuilles mortes. Nous avions cru
devoir mentionner dans cet article la facilité avec laquelle un journal
agricole du Bas-Rhin, qui , du reste , a toutes nos sympathies . avait
tMibéré à l'opinion d'un honorable garde général, qui prétend que
Tenlèvement des feuilles mortes dans les forêts , par les populations
agricoles » ne peut être toléré , vu le préjudice qui en résulte pour la
végétation des forêts.
Nous avons cherché à notre tour i démontrer que l'Alsace « dont
les terrains fertiles sont de plus en plus envahis par ses racines sur*
clées , par ses immenses plantations de tabaC » par ses houblonnières
qui se propagent d'année en année» et par ses vignes, dont le
nombre f ugmente continuellement , ne paraît plus pouvoir suffire
pour produire , par sa culture des céréales , la quantité d'engrais dont
elle a besoin , et que » par conséquent » le secours que les feuilles
mortes des forêts donneraient à l'agriculture serait plut imporiant que
le petit avantage qu'elles procurent aux bois.
• Nous avons encore soutenu que les feuilles mortes, quoiqu'elles ne
produisent qu'un engrais inférieur à celui que donne la paille, offiynt
néanmoins une litière saine aux bestiaux et que , mélangées avec le
fumier animal , elles donnent des engrais plus économiques et plus
recherchés par les cultivateurs, que ne le sont, en général, ceux
plantés par le commerce.
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DB L'administration dfs forêts » etc* 467
Nous avons aussi prétendu plus particulièrement» que les vigne-
rons » en achetant la paille aux paysans de la plaiae^ enlèvent à ces
derniers les matières premières dont ils ont besoin pour la prospérité
de leurs cultures et que le prix exorbitant auquel s'est élevé la paille,
dans ces dernières années » prouve incontestablement sa rareté.
Enfin y c'est en nous appuyant sur les travaux scientifiques de
M. Boubée, que nous avons dit que les arbres empruntent presqu ex-
clusivement la sève abondante que réclame leur végétation gigan-
tesque à la matière pure du sous-sol et que la mince couche d'humus,
qui se trouve quelquefois à la surface de la terre • ne peut contribuer
d'une manière importante au développement des arbres.
Tels sont , en résumé succinct » les arguments que nous avons cru
devoir opposer à l'article publié par le DulUtïn de la Société d'agrim
culture du Bas^Rhin, Mais nos observations ont soulevé dans le monde
agricole une certaine sensation et de nombreuses réclamations nous
ont été adressées : Des forestiers , des observateurs de la physiologie
végétale, des agronomes expérimentés nous ont fait toutes les objec-
tioDS possibles, contraires à notre opinion, tandis que d'autres per-
sonnes , non moins intéressées dans la question , soit sous le rapport
scientifique ou sous celui d'un intérêt direct » nous ont fortement
engagé à continuer notre tâche commencée.
Ajoutons que la Réforme agricole ^ publiée à Paris, a applaudi i
nos eflbrts et soutient , comme nous, que les prAentions de l'admi-
nistration de priver les populations rurales des feuilles mortes , de
tout temps abandonnées pour l'engrais des terres» sont c mal
fondées. >
Nous nous bâtons donc de répondre aux différentes objections qui
nous ont été faîtes.
c Vous prétendez , nous a-t-on dit , que les feuilles peuvent servir
d'engrais à l'agriculture. S'il en est ainsi , à plus forte raison , elles
doivent puissamment contribuer à la nuirition de la végétation
forestière. >
Nous répondrons que les feuilles mortes ne sont nullement consi-
dérées par le cultivateur, comme ayant une grande valeur nutritive,
et qu'elles n'acquièrent cette qualité qu'après avoir servi de litière ,
et avoir été imprégnées d'ammoniaque , qui accélère leur décompo-
sition. Le plus grand service, du reste, que les feuilles mortes
rendent aux cultivateurs • c'est d'être la matière la plus propre k
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diviser les excréments des bestiaux » tandis que d'autres substances,
telles que la sciure de bois etc., ont le grand inconvénient de tasser
le fumier animal. Les feuilles mortes sont donc appelées à remplir
le rôle de la paille , quoique cette dernière ait la supériorité de
retenir dans ses tubes les urines des bestiaux , de faciliter, plus
encore que les feuilles, la cii'culation de l'air dans le fumter, et de
préparer ainsi ce dernier à ameubler la terre , à la soulever, et à la
rendre accessible aux influences de l'atmosphère.
Il n'en est pas de même des engfrais préconisés par des spéculations
commerciales , qui sont généralement privés de cette qualité à nos
yeux , une des principales qualités du fumier de ferme , et l'une
des plus importantes.
A part M. Yver de la Brucbollerie , nons n'avons Jamais vu d'agri-
culteur avoir la fantaisie de fumer les terres avec de la paille seule ,
sans les matières animales, et remplacer ces dernières par des
produits chimiques. Si la paille* produit le fumier le plus estimé ,
à coup sûr, cela ne prouve pas , que , si elle était abandonnée à
elle-même , comme le sont les feuilles mortes dans les forêts , elle
aurait la même influence sur le sol qu'étant mélangée avec du fumier.
' Nous ne craignons donc pas d'aflirmer que les feuilles mortes ,
après avoir subi les mêmes opérations que la paille , produisent iin
excellent engrais , tandis que livrées à elles-mêmes et au gré des
vents , elles ne sont que d'une très-minime utilité pour la fertilité
des terres.
Il en résulte donc que les feuilles mortes, sans contribuer puis-
samment à la végétation forestière, sont néanmoins appelées à jouer
un rôle important dans l'agriculture.
Un agronome qui dirige, avec zèle et intelligence , une exploiution
vinicole, nous a fait une objection plus sérieuse que la précédente
qui , nous l'avouons, a ébranlé un moment notre conviction.
' c Je crois , nous a écrit H. /••• , que les feuilles mortes ne con-
tribuent que faiblement à l'alimentation forestière , mais , dans ce
cas , pourquoi réclamerions- nous la faible contribution que donnent
les feuilles aux arbres en faveur de nos vignes , lesquelles , an bout
du compte , ne sont autre chose que des arbrisseaux , et par consé-
quent de la famille des arbres. Nos vignes ne pousseraient^^les pas
et ne porteraient-elles pas de fruits, sans le fumier qu'on leur
prodigue? Et, si l'arbrisseau qui porte le nom de vigne fatigue et
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M L^ADMiraSTRATION DBS POR^S, WC. 46^
épuise la terre, aa point que pour Jui faire porter des fruits, nous
sommes obligés de lui donner des engrais, à plus forte raison les
arbres volumineux ne réclament-ils pas en faveur de leur croissance
tout rhumus qui résulte de la décomposition des feuilles et des
détritus du sol. i En examinant cette question dont la logique appa*
rente nous a réellement surpris nous ne pouvons nous dissimuler,
qu'il peut paraître étrange de réclamer en faveur des vignes les
feuilles mortes des forêts. Mais en approfondissant la question nous
trouvons, que cette objection n'est guère mieux fondée que la
précédente.
La végétation de la vigne est. une des plus curieuses et. des
plus intéressantes à suivre dans la physiologie végétale. Elle est
placée en première ligne parmi les arbres à fruits propres aux
boissons fermentées, ainsi que te pommier, le poirier et le cor-
mier. La vigne a fait et fait encore journellement disparaître
des jachères • et utilise sans relâche toute TétiAidne du territoire ,
compris sous le climat qui lui est propre. On nous pardonnera
donc , vu l'importance de la question • la digression que nous allons
dire et qui nous ramènera tout naturellement à notre sujet.
Les régions qui fournissent les meilleurs vins de France sont:
1* Les terrains silicéo-argileux mélangés d'une notable quantité de
gravier et de cailloux siliceux.
2« Ceux composés de sable plus ou moins pur, mélangés de cailloux
roulés de grosseur très-variée et allant quelquefois jusqu'à donner
à la terre l'espect du délaissement récent d'un torrent.
S* Ceux dits calcaires , comme le vignoble de la Champagne.
4^ Ceux composés de schiste argileux et enfin ceux dont la base
est ou granitique ou volcanique.
Les terrains renfermant une certaine quantité de petits cailloux
sont surtout très-propres à la culture de la vigne, car ces derniers
paraissent agir avantageusement sur la fertilité du sol , en le rendant
plus perméable à l'action de l'air et de l'eau , et en l'aidant à s'é-
chaufler plus facilement au soleil.
Pour planter la vigne , les vignerons d'Alsace défoncent la terre •
et ouvrent parallèlement aux champs des fossés d'une largeur
de 0,50° à O.eO'' sur 0,40'' à 0,50« de profondeur. U terre dite arable
est ainsi enlevée de la place destinée i recevoir les crossettes . et se
trouve entassée en monticules également parallèles aux champs.
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470 RfiWB B*àLSÀCS.
Dans ces dernières années , Jes agronomes chimistes • en attri-
buant une part si largfe et si importante aux substances organiques,
ont vivement réclamé contre ce procédé, en prétendant que le
vigneron enlève ainsi la terre arable pour planter sa vigne dans le
sous-sol privé d'humus, et leur recommandent de jeter la terre arable
du second fossé dans le premier, du troisième dans le second , et
ainsi de suite.
Cette recommandation a été suivie psir quelques-uns de nos plus
soigneux viticulteurs , mais jusqu'à ce jour, nous n'avons pas encore
appris qu'elle ait abouti à un résultat autre que celui de mieux
ameublir la terre pour la plantation de la vigne.
Il est donc évident que depuis des siècles il a toujours été d'usage
de planter l'arbrisseau ^de la vigne dans le sous-sol qui , s'il n'est
pas entièrement dépourvu d'humus ou de décomposition végétale
n'en renferme , en tout cas , qu'une partie très-minime.
' La vigne se nourrit donc , ainsi que les arbres de matières mi-
nérales. En effet , à peine est-elle plantée , que les vignerons s'em-
pressent d'enlever de la terre toutes les herbes dont l'immense
quantité produite par un terrain planté de vigne , sert de fourrage
aux bestiaux. En outre , au fur et à mesure que la vigne se déve*
loppe» on la taille, et, par cette opération, on lui enlève en
moyenne au moins lea V» ^^ bois qu'elle produit. Ainsi après avoir
privé un terrain approprié à la vigne non-seulement de toutes ses
herbes, et par le pincement d'une partie de ses feuilles, qui,
réunies à ces premières auraient produit de l'humus , on lui enlève
encore la plus grande partie de son bois et enfln tous ses fruits.
Nous voyons donc ces terres maigres , caillouteuses , granitiques
qui présentent quelquefois l'aspect d'un lit de torrent et qui sont
totalement dépourvues de toutes les substances dont les forêts
surabondent , produire néanmoins des herbes , des branches , des
fruits et des feuilles innombrables. Si après cinq ou six ans on
leur donne une mince couche de fumier, que l'on ne répand du reste
qu'à leur surface , où les malièreê organiques s'évaporent , cette couche
assurément est loin de remplacer toutes les immenses quantités
d'herbes et de bois qu'on leur a enlevées , et qui , selon la théorie
forestière, sont si indispensables à la prospérité des arbres.
Mais celte mince couche d'engrais, est-elle réellement destinée à
améliorer U nature du sol ? Les avis sont partagés à cet é^qrd , et
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m L'ADMNimUTiOll DBS PORATS, ETC. 471
des agriculteara diHîoguëft la considèrent plnlAt comme un fUmalsnt
pssssger et comme moyen d'ameublir le terre » qui , à diflérent^s
reiMrises. eet soouellement foulée et tassée par les pieds des tra-
feiUeurs* Le fait est , que la vigne n'en continue pas moins à se
revêtir d'une verdure luxuriante et à occuper le sol pendant un
siècle entier.
Sans doute » d'après la théorie forestière , un terrain qui a été
aussi productif pendant un si grand nombre d'années sans recevoir
ni humus • ni engrais ne serait plus qu'un terrain fatigué et ruiné.
U n'en est heureusement pas ainsi; ce terrain » si longtemps ex-
pioiié , au lieu d'être plus pauvre et plus maigre t s'est au contraire
amélioré , et li » où avant la plantation de la vigne on n'eût pu
produire ni céréales, ni racines, nous voyons le vigneron, après
avoir défriché le sol , y semer des blés ou y planter des pommes
de terre.
N'en est-il pas de même du défrichement des bois? L'écobuage i
qui a pourtnit de brûler les matières organiques , ne prouve-t-ii pas
que ces matières sont souvent plutôt un embarras • qu'un élément
nécessaire à la végétation ? •— Le forestier expérimenté , lorsqu'il
sème le pin , par exemple . n'a-t-il pas grand soin de prendre toutes
ses précautions » en préparant le sol , de creu»er les. bandes ou les
trous, ainsi que le fait le vigneron • Jusqu'à la couche de terre infé-
rieure au terreau noir qui se trouve i la surface? — C'est que le
forestier n'ignore pas qu'en répandant la graine dans ce terreau on
dans cet humus, qui n'a aucune consistance, qui est impropre à
retenir l'humidité , et qui » par sa couleur , s'échauffe à un haut degré,
les semis manquent presque toujours.
Un exemple plus frappant encore de l'inutilité des matières orga-
niques nous est présenté par le département des Ârdennes, autrefois
un des plus pauvres et qui aujourd'hui, après avoir doublé sa popu-
^lion , se trouve être un des plus riches sons le rapport agricole.
Parmi ses procédés de culture Veaartage se pratique depuis un temps
immémorial ; H consiste à mettre , après la coupe d'un taillis de chêne,
le feu aux feuilles , genêu, branchages, herbes et débris de toute
nature qui restent sur le sol ; on laboure ensuite sans craindre de
blesser les racines et on prend une ou deux récoltes de céréales ,
seigle, blé noir ou avoine. Celte dévastation des souches par le feu
et la charrue , loin de nuire au sol , ne le rend que plus productif; le
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472 RBVUB D'ALSACfi.
bois repousse avec plus de vigueur et a bieo vite regagné le temps
perdu (*).
Que l'on ne vienne pas nous dire que le terreau , -l'humus» la -terre
de bruyère dont nous faisons si peu de cas dans la question qui nous
occupe , sont cependant si recherchés pour certaines plantes rares et
précieuses. Nous n'ignorons pas que les jardiniers auxquels ces sub-^
stances rendent des services éminents , se les procurent à grsnds
frais : c'çst que la nature est organisée d'une manière si admirable ,
que chaque chose a son emploi : c'est ainsi que les hauteurs agrestes
de nos montagnes , qui sont couvertes de neige pendant les deux'
tiers de l'année , nou» fournissent les plantes et les racines les plus
aromatiques , que les terrains les plus riches de nos vallées ne sauraient
produire. C'est ainsi encore que nos plaines les plus fertiles produisent
les céréales et les légumes les plus succulents , tandis que nous recueil-
lons les vins les plus Ans et les plus exquis» sur nos coteaux les plus
arides et les plus brûlants. Et de même que dans le règne animal lea
oiseaux sont pourvus d'ailes pour s'élever dans les airs , de même »
d'autres animaux sont destinés à chercher leur nourriture sur la sur*
face du sol , ou à vivre dans Tobscuriié souterraine de la terre.
Nous avons donc la conviction qu'il en est également ainsi du règne
végétal , et que les arbres et les arbrisseaux > qui évidemment datent
de la première période de la crés^îon » sont destinés à se nourrir princi-
palement des matières minérales du sous-sol» matières è-peu-près iné-
puisables» tandis que d'autres plantes plus faibles, qui n'ont qu'une durée
annuelle, végètent en plus grande partie aux dépens des détritus , mais
sont incapables de donner plus de deux ou trois récoltes successives.
Nous concluons donc que l'humus n'est pas l'une des matières
destinées par la nature à la nutrition de la végétation forestière, et
que » si le cultivateur réclame les feuilles mortes » ce n'est nullement
pour améliorer le sol , proprement dit » de ses vignes ou de ses
champs , mais bien pour apprêter ses engrais et suppléer i ses litières.
L'objection de M. Z... est donc » selon nous , sans fondement.
On a dit. quelque part, que la science de l'agriculture n'en est
encore qu'à son berceau. Nous sommes également de cet avis , et ce
qui nous porte à le croire , c'est que » non seulement des agronomes
distingués» mais même des chimistes en sont encore à se demander:
. {*) Y07. Economie rurale d^ ïq Fnmcê , ]^r (f. 1>|E Lavsrgmb,
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DB LUraiNISTRATION DBS P0RÉT8 • Vtt. 47$
qoelle est l'inflaence de l'humas ? Voici i ce sojet Topinion d'an
forestier éniinent. c L*bumus, disent MM. Lorentzet Parade » auteurs
d'oD cours élémentaire de culture des bois, fournit, non seulement
les sucs nourriciers aux terres siliceuses et calcaires, mais il leur donne
de plus la consistance qui leur msnque et les rend propres à retenir
l'humidité. >
Nous nous permettrons de faire observer aux auteurs • de la cul*
ture des bois > que nous voyons devant nous une grande place garnie
d'immenses marronniers , que cette place est réservée à une centaine
d'écoliers qui y passent leurs heures de récréation et qu'elle est soi*
gneusement ratissée au moins une fois par semaine , que ces arbres
volumioeui existent depuis près d'un siècle , que le terrain est com-
posé de silice presque toute pure , et qu'assurément on n'y trouve-
rait pas la moindre trace d'humus. Néanmoins ces arbres gigan-
tesques donnent chaque année un ombrage épais et frais sous lequel
s'ébat la bande des joyeux écoliers.
c La question de l'humus, dit encore l'un de nos plus savants
agronomes, M. Kirschleger, est une grande question, difficile et
scabreuse; elle demande à être analysée avec soin. Elle se combine
avec la question de sous-sol et partant avec l'étude de la géologie qui
devient ici entièrement chimique, i
Si ces lignes de H. Kirschleger ne nous donnent pas une explica-
tion précise de la nature et de l'influence de l'humus , elles prouvent
du moins que la question est loin d'être approfondie , et qu'elle pa-
rait encore à d'éminents savants aussi scabreuse que complexe. Nous
croyons néanmoins devoir faire remarquer qu'elle ne parait pas si
compliquée à H. A. Du Breuil qui nous apprend que l'humus , dans
toute sa pureté , n'est aulre chose que de la tourbe, connue sous la
dénomination de sol humifère , que cette terre se distingue par sa
couleur brun foncé , et que ses propriétés physiques sont les sui-
vantes: elle est d'une consistance très-spongieuse et absorbe une très-
grande quantité d'eau , mais l'abandonne avec facilité soiis l'influence
de la haute température que sa couleur foncée lui fait emprunter au
soleil, d'où H résulte que, pendant l'été, elle est exposée à une
sécheresse excessive. Cette terre , dit encore M. Du Breuil , contient
à peine d'autres substances que de l'humus. Elle doit sa formation
à la décomposition des végétaux. Celte décomposition s'opéraut Con-
tinuellement , on voit dans les marais op I9 végétation est générale*
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474 REVUE d'auàcs.
ment plus rapide » la couche dlioiDas acquérir en peo de temps one
épaisseur très-coosidérable* C'est aiosi jjue dans les marais d'Bear-
tau ville, de Forge -les-Baux » etc. , on remarque des bancs de tourbe
de huit à dix mètres d'épaisseur ; c puis , ajoute encore M. Du BreutI ,
cette terre en la plus stérile , on ne peut l'améliorer qu'en y répandant
des sables, des cendres, de la chaux ou en brûlant une partie de sa
surface pour en faire disparaître l'acidité, i
Voici l'analyse de l'une de ces terres :
Matières organiques 9S, 3.
— minérales 7, 7.
iOO, 0.
. Cela nous explique un fait , qui , tout récemment , nous a paru
étfange : il y a quelques années » nous avions fait déposer une voi-
ture d'herbes sur une place non cultivée, et nous l'avions fait soigneu-
sement entourer de planches. La première année , le volume des
herbes s'est sensiblement affaissé , la seconde année il a diminué
encore davantage et aujourd'hui on remarque à peine rexhaussèment
de la place , où nous ne retrouvons plus que quelques matières miné-
rales. Il est donc évident que les matières organiques , si elle ne se
transforment pas , moyennant une grande quantité d'eau en terre
humifère . se distillent et s'évaporent dans un très-court espace de
temps.
Cet humus , dont la durée est si courte , s'il n'est pas transformé
en terre humifère, serions-nous dans le faux en soutenant qu'il
semble éire destiné plus spécialement par la nature à produire des
plantes faibles et annuelles et que cette immense végétation fores-
tière devant laquelle les générations s'étei^inent, empruntent leur
nourriture et leur fertilité persistante aux énormes masses formées
par les matières minérales? — La science, d'ailleurs, nous révèle à
cet égard un fait décisif , péremploire, et largement écrit dans les
annales du globe : c Aux premiers âges géologiques , dit M, Boubée,
lorsque les premiers végétaux apparrurent sur la terre , le sol était
purement formé de débris des terrains primitifs ; il était abwlumeni
privé de tout humus • de tout engrais organique , néanmoins il se
montra d'une fertilité extrême et il produisit ces masses énormes de
végétaux dont les détritus accumulés et enfouis sous les alluvions de
cette époque , ont coostiiué ces réserves inépuisables de bouille et
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DE L'ADMlNISTBATlON DBS FORÊTS, ETC. 47S
d*aDthracit6 , qae nous sommes si heureux de trouver aujourd'hui. >
Ces lijj^nes nous rappellent qu'un honorable aumônier de l'Empe-
reur » qui emploie ses loisirs à étudier les phénomènes de la nature ,
a bien voulu aussi nous écrire, que, contrairement à notre opinion,
il crort que l'enlèvement des feuilles mortes tend nécessairement à la
destruction du règne végétal: cAu troisième jour de la création ,
dit-il • les forêts ont trouvé un sous-sol originel que les suçoirs de
l'arbre ont successivement épuisé et absorbé , mais que parallèlement
les feuilles mortes ont formé sol , humus , et ^ dernier lieu sous-sol
ioiutritif , et cela d'une manière incessante à travers les siècles. >
Cette appréciation, résumant la pensée d'un grand nombre d'agro*
nomes et surtout celle de l'administration forestière « est assurément
fondée sur une erreur ; car dans les temps modernes , la chimie et
la géologie , qui ont éclairé le monde par le flambeau de la science»
nous ont démontré par des analyses scrupuleuses qu'elles sont, jus-
qu'aux plus minimes parties, les substances ou matières qui com-
posent notre globe.
Nous avons déjà vu, par une analyse empruntée à M. Du Breuil «
que les terrains qui contiennent à peine d'autres substances que des
végétaux décomposés sont les terres les plus infertiles. Nous mettons
en regard de cette analyse , celle d'une terre fertile , empruntée aux
mémoires de M, Bertbier.
Argile 60, 8.
Calcaire 48, 0.
Carbonate de magnésie .... > >
Oxyde de fer 04« 0.
Sable 05. 0.
Eau Jl, 0.
98, 8.
Cette analyse n'est-elle pas la réponse la plus éloquente que nous
puissions donner à l'honorable aumônier, et s'il fallait lui prouver
d'une manière plus décisive encore que les profondeurs immenses du
globe et les espaces incommensurables du ciel n'ont pas besoin des
feuilles mortes pour entretenir la fertilité des terres , nous lui dirions
que la décomposition du granit môme donne naissance ù des terrains
qui se composent d'une silice argileuse et qui , quoique aride , con-
vient néanmoins encore mieq^^ à la vé^étatiop forestière que les terres
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bnmifères. Nous loi dirions» de plos » que les terres volcaniques » U
produit dei iruptioni de lave, jouissent d'une étonnante fertiUti et
qu'assurément la lave ne peut être suspectée de devoir sa formation
h la décomposition des feuilles mortes.
Hais cette opinion singulière sur le renouvellement du sol , qui .
du reste » comme nous l'avons déjà dit plus haut , est partagée par
certains agronomes, n'est pas la seule observation que l'honorable
aumônier ait bien voulu nous faire, c Si le vent emporte , nous dit-il •
y^^ de feuilles mortes sur certains versants des montagnes • cette
circonstance vous expHquera suffisamment pourquoi certains cAteaux
sont si maigrement boisés. Voyez , dit- il encore » la luxuriante végé-
tation sur les pentes presque inaccessibles et vous comprendrez que
cette végétation puissante est due » en plus grande partie » à la diffi*
culte d'y enlever les feuilles. »
Nous répondrons que , ni les coteaux , ni les plaines ne produisent
une végétation uniforme et qu'elle varie selon la composition géolo-
gique du sol « selon le climat et l'exposition , et non selon la quantité
de feuilles mortes, et que, si la végétation est plus luxuriante sur les
pentes inaccessibles , cette circonstance vient précisément à l'appui
de notre assertion ; car, & coup sûr, c'est sur les pentes les plus
rapides et les plus élevées que les vents , les orages et la fonte des
neiges emportent le plus de feuilles ne laissant quelquefois & toute
cette immense végétation que les énormes racines des arbres qui se
cramponnent après des roches presque dénudées.
Mais , n'y a-t-il pas une autre cause encore qui produit sur cer-
taines hauteurs de nos montagnes ce magniOque Spectacle de forêts
presque vierges? — N'avons-nous pas, en effet, des cAteaux si forte-
ment boisés , qu'ils sont presque inaccessibles au chasseur le plus
Intrépide et où Ton se croirait à mille lieues du monde civilisé ? —
c Des arbres gigantesques, dit M. de Lavergoe dans son admirable
travail sur l'économie rurale de la France, pf^rissent sur pied, sur les
deux versants des Vosges comme dans les déserts de TAmérique. De
toutes parts s'ouvrent des profondeurs sans bornes où le coq de
bruyère trouve son dernier refuge , et le silence qui y règne n'est
interrompu que par le bruit des torrents. •
C'est sans doute de ces immenses massifs, qui réellement se trouvent
encore sur les trois cent mille quatre-vingt-un hectares de forêu que
l'Alsace possède , que M. l'aumdnier a voulu nous parler. Mais qu'il
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Dfe L'ADMimSttUTiON DES FORÊTS, ETC. 477
se détrompe donc s'il attribue aux feuilles mortes ce qui n'est que
l'effet des exigences dii génie militaire , chargé de la défense du terri-
toire • et qui s'est toujours opposé à l'ouverture de routes d'exploi-
tation dans ces épaisses et sombres forêts ! — Hâtons-nous cependant
d'ajouter avec une sincère satisfaction , et pour l'édification de nos
lecteurs , que le géuie parait se relâcher de ses prétentions et que les
forêts « qui se sont trouvées les plus voisines des débouchés* donnent
déjà des produits hors de proportion avec ceux du passé. C'est ainsi
que la ville de Uaguenau, co-propriétaire de quinze mille hectares de
bois , en retirait, à la fin du dernier siècle, vingt mille fi'ancs au plus,
tandis qu'aujourd'hui elle en retire trois cent mille.
Le nom de l'illustre membre de l'Institut, M. de Lavergne,que
nous venons de citer, nous fait souvenir que, lui aussi, s'est occupé,
de la question deS feuilles mortes en Alsace, c Une question délicate ,
dit*il , se débat dans cette province. Il s'agit -de l'enlèvement des
feuiles mortes pour servir d'engrais aux terres arables. Les forestiers
disent avec raison que cet usage nuit aux bois eu appauvrissant le
sol. Les cultivateurs répondent par leurs traditions et par leurs
besoins. Si intéressants qu'ils soient, ceux-ci succomberont proba-
blement , car la culture qui a besoin de feuilles pour engrais ne peut
être qu'imparfaite, et l'intérêt du sol boisé l'emporte ici , comme
plus naturel. >
Nous regrettons de ne pouvoir partager l'avis de i'éminent acadé-
micien. Les arguments qu'il invoque contre l'enlèvement des fenilles
mortes , n'ont rien de nouveau , et les différentes réponses que nous
venons de faire à d'honorables contradicteurs, nous semblent prouver
suffisamment , que la richesse du sol des forêts ne serait nullement
compromise par la continuation des usages antiques de nos campa-
gnards. Il paraît que ces usages , consacrés par des traditions locales»
n'ont pas fait jusqu'à présent de grands dommages à nos bois » car
M. de Lavergne reconnaît lui-même : c que les plaintes, par lesquelles
on déplore le trop grand déboisement de la France, sont mal fondées
pour la chaîne des Vosges. »
Quoiqu'il en soit , il nous est impossible d'admettre la conclusion
de M. de Lavergne : que la culture qui a besoin de feuilles ne peut
être qu'imparfaite. Ce raisonnement n'est logique que pour certaines
régions et pour certains domaines. Quant à l'Alsace, envahie, comme
nous l'avons dit plus haut» par des cultures exotiques et surtout par ta
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478 MTUfi D'ALSÀdS.
vigne, ce raisonnement n'est évidemment pas admissible. En effet, les
immenses terrains appropriés à cette dernière cnlture sont d'oo prix
dix fois trop élevé pour être emblavés et dix fois trop pauvres quant
à la nature du sol. Le vigneron perdrait certainement au change s'il
transformait ses vignes en champs.
M. de Lavergne reconnaît qu'un des plus grands écneils de son
ouvrage , auquel il a sacrifié des années d'études et de voyages , c'est
c que chaque lecteur pourrait en savoir plus que Ini sur un point
donné du territoire ; i il le prie par conséquent de lui signaler les
erreurs qu'il pourrait avoir commises. Cette Invitation , qui témoigne
d'une rare modestie» nous a donc engagé à lui en signaler une et des
plus graves.
Nous sommes , dii reste » convaincu que si M. de Lavergne habitait
parmi nous, il reconnaîtrait l'immense service que4)0urraient rendre
les feuilles mortes à notre agriculture sans préjudice pour la végé-
tation forestière.
Le 51 juillet 1861.
J. F. Plaxland,
propriétaire , délé^ cantonal de rfaulruction primairo.
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ÉPISODE
DE LA GRANDE PESTE DE 1348.
(Fragment de l'bistoire de Gaebwiller).
Un auteur a dit quelque part , que les hommes passent comme les
fleurs , qui , épanouies le matin , le soir sont flétries et foulées aux
pieds. Ce fait malheureusement n*est que trop vrai ; oui , les hommes
passent et les choses restent ; oui , la vie des êtres organisés est fugace ;
oui y leur existence est éphémère et ne compte pour rien sur la grande
échelle du temps ; c'est que la vie , ce drame , qui pour les uns est
oomiaue , heureux» pour les autres tragique , malheureux , n'est qu'une
expéaition synthétique d'éléments hétérogènes, qui, à une époque donnée,
se dissocient, se séparent , se dispersent et retournent à la place que
le cadre primitif de la nature leur a assignée , pour être là , plus tard «
appelés à formuler de nouvelles existences, de nouvelles organisa-
lions (<). Les acteurs s'en vont, le théâtre reste , les actes aussi restent ,
ils sont acquis à l'histoire et à la postérité , témoin le fait qui nous oc-
cupe.
Dans la maison qui , à Guebwiller, porte le N* 74 (Grand'rue , mai-
son Latscha]) , il existe, dans la fenêtre de la tourelle qui surplombe la
nie , trois vitres antiques , coloriées.
La première (celle de gauche) , représente un chevalier portant
armure , bi*assards et cuissards et tenant à la main une hallebarde ;
une femme en costume noble lui présente une coupe , en bas se remarque
un radis noir dans un champ rouge , en haut est figuré un combat entre
deux troupes armées de pique§ , d'épées , de lances et de boucliers. Le
tout est encadré de glands et de feuilles de chêne.
La deuxième , celle du milieu et qui est la plus importante , figure
un grand repas ; plusieurs hommes et quelques lemmes sont assis autour
d'upe table; ils ont l'air de s'amuser joyeusement, ils causent et ils
trinquent ensemble ; sur le milieu de la table est déposée une bague ,
vers le bas se voit une servante coifiée à longues tresses , à robe verte
et ayant à la main une lanterne.
Au haut de la vitre plusieurs femmes prennent leurs ébats dans un
bain , au bas on lit un nom. ^etg $Tofi (George Prost) (J) ; une guir-
lande de pampres de vigne ceint le tout.
Sur la troisième , une châtelaine offre à un cavalier en habit de cour
un vase ; c'est pour ainsi dire la répétition du sujet de la première vitre.
Le haut est très remarquable ; on y voit un tir à la cible , effectué avec
des flèches , ce qui nous prouve immédiatement que notre sujet est an-
térieur à l'usage des armes à feu.
Or , que signifient ces personnages , cette femme qui fait boire son
chevalier^ ce repas joyeux , cet anneau , cette servante qui porte une
lanterne , et ce radis mystérieux ?
Aucune chronique , aucun livre ne nous apprend rien à ce sujet : la
{*) Nous envisageons id la vie sons un seul point de vue , sous le point de vae
matériel , tnalyiiqoe « car soi» le point de vue moral , nous acceptons on principe
qui survit » et qui est indépeudaDt de l'enveloppe matérielle.
0 C'est le nom d'an ouvrier de Bàle qui a oonfeoUonné ces vitres.
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480 RSVOB ïfàlSkCÈ.
tradition seule qui est le livre d'histoire du peuple , nous fournit quel-
ques données.
Voici la légende de ces vitraux , telle que me Ta racontée le proprié-
taire de la maison , trois semaines avant sa mort.
On était en i348 : la peste noire fauchait la population de Gebwiller,
un silence funèbre régnait dans la ville ; à cnaque moment des tinte-
ments lugubres annonçaient la mort des quelques habitants , la con-
sternation était générale : on ignorait, comme le condamné à mort, le
moment ou Ton serait frappé : Thomme était absorbé en lui même, il ne
se souciait plus ni de sa position . ni de son avenir , ni de sa famille.
On n'enterrait plus les morts inoividuellement , on se contentait de les
déposer au seuil de la maison ; un fourgon traversait la ville , les char-
geait et allait le conduire dans une fosse commune établie prés du
Brakenthor , là où s'élève actuellement la fabrique de M. Stradenwitsch.
A cette époque , le n* 14 était habité par un ménage noble : on y
faisait bonne cnère , et on y consommait oeaucoup de vin , car telles
étaient les prescriptions des médecins d'alors ; néanmoins , la dame de
la maison fut prise de la peste et moijûrut en peu d'heures ; son cadavre
lut placé y comme c'était de règle , sur la rue près de la porte d'entrée,
et enlevé par le fourgon communal. Le hasard voulut que le corps de
cette femme ne fût pas jeté au fond de la fosse mortuaire ; il resta à la
superficie et exposé à l'action de l'air, car les fossoyeurs , travaillés par
la peur générale , ne s'étaient pas donné la peine de combler la fosse
avec de la terre.
Or , vers minuit, la fraîcheur de la nuit ranima la vie dans le cadavre
présumé de cette femme , qui peut-être n'était tombée que dans une
profonde léthargie ; elle se dégagea des morts qui l'entouraient et prit
instinctivement le chemin qui menait à sa demeure. Arrivée là , elle
frappa à la porte; la servante descendit avec une lanterne et demanda
quel était ce visiteur nocturne : la pauvre femme tremblotante dans son
hnceuil lui dit qu'elle était la maîtresse du logis; la servante effrayée
et n'osant ouvrir la porte courut avertir son mattre ; celui-ci descendit
et à son tour demanda ce que l'on voulait à cette heure indue ; il reçut
la même réponse aue sa domestique ; non , dit-il , non vous n'êtes pas
ma femme, car celte qui portait mon nom est dûment morte et enterrée...
— Ouvre la porte tant soit peu , reprit la visiteuse , et regarde cet an-
neau , c'est 1 anneau de nos fiançailles. Le mari d'une main trembhinle
saisit la bague qu'elle lui tendit , et la reconnut immédiatement pour sa
bague de noces. A l'instant la porte est ouverte et la pauvre morte est
conduite dans ses appartements.
Le lendemain, le ban et l'arrière ban des amis de la famille est con-
voqué , un grand repas est improvisé , mais avant le diner , les deux
époux (raconte la légende) se remarièrent solennellement dans l'église
^ Liéfer. Ils tinrent leurs secondes noces.
Voilà l'énigme de ces vitraux , l'explication de ce'4:m)as , de cette
bagae , de cette lanterne ; quant au radis , les médecins de l'époque en
avaient conseillé l'usage comme purifiant le sang ; cette prescription
était logique : Ton sait oue la plupart des crucifères sont anti-septiques^
et propres à combattre l'altération du sang. Ch. Kiïoll.
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ESQUISSE
d'une
HISTOIRE DE L'IDIOME ALSACIEN.
PÉraODE ANTÉRIEiniE A L' APPARITION SPÉCIALE
DE L'IDIOMB alsacien.
Le premier monument des langues germaniques est la traduction de
la Bible en tangue gothique , faite au 4'"« siècle de notreère parTévéque
Ulfilas.
Aucun document des quatre cents années subséquentes ne nous a été
conservé pour la branche méridionale , hochdeuueh {*),
Lorsque les sources recommencent à couler , la langue est arrivée à une
nouvelle période de transformation : du 9*" au 12« siècle, s'étend Tépoque
de Vanden allemand , althochdeuisch , désigné dans les documents con-
temporains sous le nom de langage franc (^).
La langue n'offrant pas encore de traces bien marquées de dialectes ,
différant ensuite beaucoup trop de l'allemand moderne pour que les
rapports entre les deux périodes puissent être saisis sans peine par des
lecteurs étrangers à ce genre d'études , nous ne ferons que rester fidèle
à notre programme restreint, en n'adoptant pour point de départ que la
2« moitié du 12* siècle, où commence la période appelée Aatif-alfemafMf
de l'époque intermédiaire , mitlel'hochdeîUsch.
(i) Un rameau delà branche sepWntrionale transplanié en Angleterre, VangUh-
«curon, a vu pendant cette époque, et plus tard encore, fleurir une littérature
iotéressaute.
(2) Nu freuuen sib es aile se uuer so uuola uuoUe
job so uuer si hold in muate frankono tbjote
tbaz uuir Krisle sungun in unsera zungun
job uuir oub tbaz gilebetun in frenkisgon nan lobotun:
OTfiUET, de Wissembourg.
fSMt S'Aonée. 31
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482 REVUE D' ALSACE.
l'idiome ALSAOEN. — CARACTÉRISTIQUE DE LA LANGUE DU MOYEN-AGE.
La langue parvenue à un nouveau degré de transformation s'est enfin
creusé le lit dans lequel elle coulera désormais. Bien que le dialecte
alsacien se confonde encore pendant un certain temps avec l'idiome
général de l'Allemagne méridionale , nous pourrons placer ici le point
de départ de son histoire; car certains traits essentiels font dès cette
époque , leur apparition dans la langue du pays. Il ne faudrait pas cepen-
dant se figurer l'ancien idiome comme offrant une trop grande ressem-
blance avec celui de nos jours. On pourrait le définir de la manière
suivante: C'est un hochdeutschj mêlé de certaines formes alsaciennes,
employant un certain nombre de mots alsaciens, et présentant en outre,
des formes gramaticales particulières , un certain nombre de mots parti-
culiers , et , pour les parties invariables du discours un sens moins
défini qu'on ne le trouve de nos jours.
Il est identique avec l'allemand littéraire moderne , par l'emploi du
génitif et du datif ; des terminaisons eneie {^) ; l'emploi de l'article com-
plet; la présence (sauf les exceptions qui se sont maintenues dans le
Sundgau^ du g au milieu et à la fin des mots ; l'emploi du b entre deux
voyelles ; l'iiisage général du participe présent , de l'Imparfait de l'Indi-
catif, du Subjonctif présent et futur , de l'Imparfait du Subjonctif de la
flexion faible ; l'emploi de mots relevés que le dialecte moderne ne con-
naît plus.
Les particularités de l'ancien idiome sont : souvent h pour ch , addi^
tion de e au participe et à beaucoup de terminaisons de substantifs et
d'adjectifs «nde-nîMe-ele-^re ; l'emploi du participe présent avec le verbe
rin (umschreibende Form) : ich bin kommende anglaU ; I am coming ;
Infinitif en ende usité avec les prépositions : zuo singmde ; ge devant
l'Infinitif avec ioUen, wollen» mœgen , getorsteny werdm , kcetMm : ich
wil gelesen ; ge devant l'Indicatif présent et l'Imparfait , de sorte que la
forme simple donne le sens du futur antérieur , du passé défini , du
passé indéfini, du passé antérieur, du conditionnel présent , du con-
ditionnel passé : dos betûtet , wan du gestirbest , so sige ein klein keffer-
lein stercker danne du — nuo weis ich nit me du es gemeinest in dm
alten ziten — er vant nit anders daz er gotte gelobel daz er niemer
(1) Au 13« siècle tu te trouve pour e ; dans b S" moiUé da 15* $ disparatt de
plu en pins.
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ESQUISSE D'UNE HISTOmE DE L'IDIOME ALSACIEN. 483
keine gro$e sunde gedete , etc. ; sens plus étendu des parties invariables
du discours ; en négatif kh enwil hein geld ; mots spéciaux beiten ,
attendre ; gemeyt, aimable ; bekorung, tentation , etc.
Les points de ressemblance avec le dialecte moderne sont : la pro-
nonciation dure Anbp gkdt, la présence de Yi ; l'échange de cer-
taines voyelles : o pour a dans les mots qui ont o : aujourd'hui : jor , hor,
rot-u pour o dans les mots qui ont u aujourd'hui , kummmy hunig ,
etc. ; Hy quand l'alsacien moderne a ai (avec les nuances correspon-
dantes èi, èjé);ijigy quand aujourd'hui il y a A* et i , blig , firi , frig,
zil; eu y àu(eu^ cew^ œUy ôi, œy) , quand Strasbourg a ai (avec les
nuances correspondantes) ;u,ûyUWyûw ^ quand Strasbourg a éiy i, û;
an (ou, ouw, o, (bw) quand Strasbourg garde au (avec les nuances cor-
respondantes dî, ot, ^^ ^ long, prononcez ^^^ UyUWyû^ûWy quand
Strasbourg a où (avec les nuances correspondantes (A, M) , ou que tout
le dialecte garde â; apparition des premières abréviations git. Ion, nit,
etc. ; le commencement des particularités du g (chapitre excessivement
curieux) dans du seist, er seit, geseit; du treist, er treit, getreit; du
leisty er leity geleil, etc.; identité de plusieurs temps des auxiliaires
han^ sin , werden; adoucissement de ¥e des verbes dans la première
personne déjà : ich nimm*
Identité avec l'allemand en opposition avec l'alsacien: absence de
certaines formes : diminutif de diminutif; résolution du pronom en
Intentionnel et Indicatif: i kumm , ich kumm , de bisch , dû bisch , etc. ;
— etc., etc.
PREMIÈRE PÉRIODE. — DE LA FIN DU XIP AU COMMENCEMENT
DU Xr» SIÈCLE.
Le dialecte alsacien moderne se compose proprement d'une série de
sous-dialectes qui se rattachent successivement les uns aux autres et
qui, tout en conservant certains traits particuliers, offrent des caractères
généraux qui permettent de les ranger sous un même chef. Le dialecte
du moyen âge, au contraire , est un dans toute la province ; les différences
ne se sont pas encore produites ; en partie aussi il est impossible de les
déterminer exactement à cause des variations de l'orthographe et de
l'in^flisance des signes usités. La langue reste la même à peu d'excep-
tions près ; au IS"" siècle tu remplace les terminaisons e et ie de l'article et
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484 REVUE D'àLSàGB.
des pronoms ; s précède u; dans swer » swaz , swenne ; les terminaisons în,
im, atiy remplacent encore fréquemment en qui domine aul4^ siècle» etc.
La dénomination spéciale d'idiome alsacien parait au 14® siècle (>).
C'est le lieu d'examiner une question controversée de nos jours.
Durant cette première période, chaque auteur aurait-il écrit exactement
comme il parlait dans la vie commune (^) ? Cette opinion a été com-
battue de nos jours : on rappelle que les Minnesânger ont tous le même
langage , le langage raffiné de la cour des Hohenstaufen; que par con-
séquent dès le iS^ siècle on écrit une langue littéraire. Pour nous, sans
aller si loin , nous reconnaîtrons que la langue des Minnesânger a ex^*cé
une certaine influence : elle fournit aux sentiments plus délicats déve-
loppés dans un milieu élégant et civilisé , les formes de style et les
expressions nécessaires. Si nous ajoutons, que de longtemps les abrévia-
tions qui se montraient dans la vie ordinaire n'eurent pas droit de bour-
geoisie dans la littérature , nous pensons avoir placé sous son jour véri-
table la différence entre la langue du peuple et celle des littérateurs.
SECONDE PÉRIODE. — PREMIÈRE MOITIÉ DU XV« SIÈCLE.
Dans les dernières années du iA^ siècle commence une période
de transformation: les abréviations et les contractions deviennent
plus fréquentes surtout g pour ge , b pour be ; d'un autre côté bien^ des
mots anciens commencent à être délaissés ; quand ils sont employés ,
l'auteur les fait suivre immédiatement de leur explication : warumbe
haben die diet oder vôkker gegrissgrammet.
TROISIÈME PÉRIODE. — DE LA DEUXIÈME MOITIÉ DU XV« SIÈCLE
JUSQU'A LA RÉFORMATION.
La langue entre dans une période nouvelle. Une langue littéraire,
savante , commence à faire concurrence à la vieille elsasser sproche :
(i) Ich hettê uch geme dai aUe bueeheUn geiont (suppléez : that ich es aber
nkht) to Ut e$ wol halbês einer iolUckm fnmnden iproehm die ir nit geleeen
kundent , und ich uebete mich telber darane vier toge und naht umbe da% ich e%
ueh geichriebe in uwerre elsasser sproche. Nicolas de B&le aux prêtres de la
maison « Ztm gUnen Wârth « , à Strasbourg , âO janvier 1569. Voyez encore:
Lettre de 1577, Theohg. BéUrage. F.
(d) V^ie ihm der Schnabel gewacbsen war.
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ESQUISSE D'UNE HISTOIRE DE L'iDIOMB ALSACIEN. 485
c'est \e Hochdeulsch dont les traits caractéristiques sont remploi de au,
eu y ew pour M; i^ei, ey pour i; d'au, au, aw pour ti. Le Narreti-
schiffy de Brant, parle encore le vieui alsacien, quoique pour la rime il
emploie quelques mots hauts-allemands : nickt^ mer (au lieu de : nil
me) , etc. , et retranche parfois les terminaisons en (0<
Dans ses fables il emploie le Hochdeutschy dans sa chronique manu-
scrite il mêle les deux. C)
Si nous ajoutons que des formes alsaciennes modernes commencent
à se montrer çà et là: par exemple, des diminutifs en leeily. (^) ,
nous trouverons le dernier représentant important du dialecte alsa-
cien , employant le vieil idiome littéraire du pays , se soumettant en
d'autres occasions au nouveau dialecte qui envahit TAllemagne, et
pourtant parlant dans la vie ordinaire un troisième dialecte non-litté-
raire. (^) Celui-ci a pour caractère les variations de l'orthographe ûbel,
iebely y bel; bliick^ blkk; hûrt , hirt; môrken, merken; lôr, lehre^ etc. ;
d'un autre côté la disparition, facultative, il est vrai , A*e dans ge et be, (^) .
Ce que nous venons de mentionner renverse donc l'opinion tradition-
nelle qui attribue à l'influence de Luther et de la Réformation la désué-
tude dans laquelle tombe le dialecte natal comme langue littéraire , et
son remplacement par le dialecte saxon. La réformation ne fit qu'ac-
(i) C'est le commencement delà déformation, souvent incroyable, que sartout
vers la fin dn 16« siècle les poètes faisaient subir à la langue pour l'adopter à
leurs rimes.
(2) Le cas arrive pour d'autres auteurs de l'époque : par exemple ZéU,
(3) Dar vogt fi^uit zuo «tm ditch ,
Danxm auoh Kan mn tehlàgle visek»
Die kUnnm dan die sœh wol bretten
jr gam nœh dem unUprtBi ustpreiten -
dos us eim sàchle ufurt «m taeh ,
und u$ eim ritntly tvttrt ein baeh.
(4) Il est tout naturel qu'à cette époque les auteurs conservassent des formes
anciennes. Leurs modèles étaient tous des auteurs plus anciens ; ils durent donc
arriver à regarder certaines formes comme les seules littéraires, et les conserver
dans leurs écrits, même après qu'elles eurent disparu <ie la bouche du peuple.
(5] Elle est encore facultative à la fin du i6« siècle. Voy. Vinseriptian du
Spirbad, Ebr. Stoeber , ui . 83 ; elle se régularise au siècle suivant, et est fixée
au i8« , non sans laisser des traces dans le Slrasbourgeois jusqu'au commencement
du 19* siècle.
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486 RSVUE DilLSAGE.
célérei^ et généraliser le mouvement qui avait déjà commencé depuis le
milieu du siècle précédent. — C'est ici le lieu d'examiner les causes
qui ont procuré au dialecte saxon une suprématie si générale dans tous
les pays de TAllemagne méridionale et centrale pour que l'apparition de
la réformation la rendît durable sans contestation. Cette importante
question n'a été soulevée qu'il y a peu d'années et résolue par H. Ro-
dolphe de Raumer. cJe ne crois pas me tromper, dit-il (Deutsche
Mtmdarten, V, 241), en admettant la chancellerie impériale et les
diètes comme l'atelier le plus important où s'élabora la langue littéraire
de l'Allemagne moderne , et la cause principale de la suprématie qu'elle
exerça si vite sur toutes les provinces de l'empire. Je ne fais qu'un delà
chancellerie impériale et des diètes pour mieux faire comprendre l'action
réciproque que ces deux ipstitutions exercèrent l'une sur l'autre. Il est
hors de doute que la langue de la chancellerie impériale a eu la plus
grande part dans la fixation de la langue officielle des diètes ; d'un autre
côté , elle n'a pas moins subi l'influence des nombreuses diètes du 15*
siècle , aussi bien que de ses rapports fort actifs avec les chancelleries
des Etats particuliers. > Il ne faudrait pas cependant, dit ailleurs notre
auteur , s'attendre à une identité complète de la langue de ces diffé-
rentes institutions ; les différents dialectes se rapprochent successivement
et par voie d'action et de réaction réciproque , les uns des autres aussi
bien que de la langue littéraire des siècles précédents , en tant qu'il en
existât une déjà au 13* siècle. Néanmoins , avant l'apparition de Luther
ce rapprochement est déjà assez avancé pour que la langue officielle de
la chancellerie impériale avec toutes ses variétés se distingue déjà de la
langue du peuple dans chaque province. Une autre cause de la rapide
dissémination de la langue littéraire , ce Ait que les presses les plus
actives du 15* siècle se trouvaient précisément en grande partie dans les
contrées que l'on peut regarder comme en étant le berceau.
On comprendra maintenant comment il fut possible à la langue litté-
raire de remplacer partout les dialectes dans un temps relativement
restreint. Quiconque écrivait un ouvrage le faisait eu vue du public le
pins nombreux possible , et en outre ne voulait pas passer pour écrire
simplement pour le peuple , mais pour les personnes cultivées de la
nation entière. Du reste , il était bien plus facile qu'aujourd'hui de passer
d'un dialecte à l'autre , parce qu'il y avait beaucoup moins de différence
entre ceux-ci et la langue littéraire qui commençait à se former , qu'il
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ESQUISSE d'une UISTOIKE DE L*1DI0MB ALSADEN. 487
n'y en a aujourd'hui entre les dialectes et le bon aHeraand. Il suffisait,
par exemple , à un alsacien de remplacer par «i le son i , par ^ ^ eUj
le son A ^ par ou le son Uj etc., pour obtenir un vernis suffisant
de hautrallemand(i).
QUATRIÂME PÉRIODE. — DE LA RÉFORMATiaN JUSQU'A LA RÉAPPARITION
DU DIALECTE PROPREMENT DIT.
Quoiqu'une langue littéraire se fût définitivement dégagée des nom-
breux dialectes de l'Allemagne , par suite du grand mouvement religieux
du i6* siècle , nous la trouvons loin d'être fixée en tout point; aussi
à l'exception des formes spéciales du haut-allemand la veine alsacienne
coula-t-elle toujours. Nous en suivrons aisément les traces dans les
actes y les documents judiciaires et autres ^ durant tout le cours du IG*" et
du 17« siècle. Nous la retrouvons , en outre , dans la poésie , parce que la
forme alsacienne se prête parfois mieux au vers. De cette manière , il y
a un mélange plus ou moins grand des deux dialectes. Il est curieux , en
outre , de voir combien de temps les formes littéraires de l'ancien alsacien
se maintiennent dans la littérature locale. Lisez, par exemple , comme
curieux spécimen du mélange de ces trois dialectes , dans le premier
quart du iS"" siècle, la pièce suivante : Ein schôn geistlich Lied von
dem hdL Morand, Akaiia, 1856-1857 , page 34 et suivantes (').
Formes alsaciennes que nous trouvons pour cette période. Article tron-
qué : Schlachts helsch fur zum Femter vss, 1539 ; an dwelte bractu
1555. Vfin. (Proc. de sorc. d'Oberhei^heim 1586.). Déjà Geiler: rie
dragen dkh in Wald; forme mulhousienne moderne pour tVn>
inden.
(1) Bien que les dialectes populaires se liassent en dehors de Tinfluence du
baut-allemand , il n'en est pas moins arrivé parfois quMIs ne Taicnl parfois subie.
Ainsi Strasbourg a adopté ei dans un certain nombre de mots en i dans Tanden
alsacien , particularité que d'autres sous-dialectrs partagent en moindre mesure ,
et que quelques uns même n'ont presque pas admise du tout.
(2) Dans ce poème , composé en 1721 par un auteur anonyme du Sundgau , nous
trouvons certaines fonnes de l'alsacien moderne du Haut-Rbin, strictt* m^^nt formées
(p. ex. l'élision d'6 dans les préfixes ge , 6e, et l'absence de g ovl gê^ quand cela
a lieu de nos jours , la disposition de l'u dans %u , etc.). On pourrait, jusqu'à un
certain point , considérer celle pièce comme la première en rang dédale du dialecte
moderne.
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488 RBVUB D'ALi&ACK.
Terminaison e pour m: die hungrige Fischart, Diminutif des
noms^ en el, Fischart ^ — en pour heim 1458, Tagelsm pour
Tagokheim ; — e pour in , terminaison du féminin : fegere Proc. de sorc.
de Saverne , 1629 ; — la forme erin (ère) pour indiquer le féminin des
nomspropres. Proc. de Sorcellerie d'Altkirch 1589 et de 1614; — ehender
pour eher. Zaberner Raihsprotocoll 1650 ; et pour end (ce qui se trouve
parfois déjà au 14« siècle) hinckheL Proc. de sorc. d'Oberbergheim
1586. t pour h. Neierin 9iussi Negerin : diehinckhel N. ut. supra»
(14® siècle déjà fruije : Closener) — ihro , ihren , dans tous les procès
sus-mentionnés.
Terminaison du Sundgau is pour es: Bratis; Proc. de sorcellerie
1630(0.
cinquième période. — de hk réapparition du dialecte
jusqu'à nos jours.
Dans la 2^ moitié du 18" siècle, après que la séparation de Tallemand
littéraire et des dialectes est complètement opérée , le besoin de conser-
ver rhabil original aux productions qui s'inspirent de la vie journalière ,
ramène devant le public Tidiome populaire. Mais il s'est grandement
modifié dans le cours de deux siècles et s'est développé parallèlement
avec le bon allemand , surtout pour ce qui regarde le sens plus précis
donné aux parties invariables des discours. En outre , ce n'est plus un
dialecte unique qui apparaît à nos yeux ; l'ancien idiome a donné nais-
sance à une série de sous-dialectes qui offrent parfois entre eux des dis-
semblances notables.
DE LA LITTÉRATURE DU DULECTE MODERNE.
Les différents sous-dialectes dont se compose l'alsacien ont été
énumérés plus haut; nous n'avons pas .à y revenir. Nous parlerons ici
de ce qui nous est connu de leur littérature. Â part le strasbourgeois ,
je ne saurais indiquer qu'un petit nombre de quartiers où le dialecte
spécial reçoive les honneurs d'une culture soignée. C'est donc un véri-
table service que M. Aug. Stœber a rendu à ceux qui devront connaître
(1) Ces formes sont les premières de chaque espèce que j*ai trouvées ; mais il
doits*en trouver de plus anciennes pour plus d*une. Je serais reconnaissant
envers les personnes qui voudraient m'en signaler. L'éloignement dans lequel je
me trouve de l'Alsace , ne me permet pas de consulter une foule de documents
qu'il est impossible de se procuier dans le midi.
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ESQUISSE d'une HISTOIRE DE L'iDlOME ALSACIEN. 489
notre idiome particulier, en pnhMàni son Elsàssisches Yolksbùeklein »
dont le !«' volume de la seconde édition contient des spécimens de la
plupart des dialectes alsaciens. Nous examinerons tout à Theure la litté-
rature slrasbourgeoise ; quant à celle des autres sous-dialectes dont j*ai
connaissance, j'en dirai tout ce que je âais, en priant les personnes
compétentes de me faire parvenir leurs additions et leurs rectifications.
/. Mulhouse. — Les premières pièces dont j'ai eu connaissance ,
sans les posséder malheureusement, datent des années 183... à 1844
au plus tard. La première édition de YEkàssisches Volksbûchlein a un
joli conte en prose y outre un certain nombre de petites poésies: depuis,
M. F, Otte , et autres après lui , ont donné une impulsion remarquable
à la littérature de ce dialecte.
2. Colmar. — Arnold , dans son Pfingstmoniag , a introduit ce dia-
lecte, dont il a reproduit les traits essentiels , sans toutefois avoir écrit
tout-à-fait strictement la langue d'une localité unique. Je ne connais
rien en dehors du rôle de Glaesler.
3. Kochersberg. — Une fort belle chanson et quelques mots que pro-
nonce Claus dans le Pfingstmoniag^ sont les premiers documents de ce
dialecte : néanmoins la langue qu'écrit Arnold est plutôt une quintes-
sence de kochersbergeois que l'idiome spécial de telle ou telle localité.
M. Berdellé a publié dans V Indicateur de Baguenau et YElsâsrisches
Samstagsbhat plusieurs morceaux en kochersbergeois des environs de
Haguenau.
4. Haguenau, — L'Indicateur de cette ville a souvent des morceaux
en vers et en prose écrits dans l'idiome spécial de la ville. Je n'en con-
nais que quelques fragments. H. Berdellé en a inséré dans YEkàssisches
SamstagsblaU.
5. Strasbourg. — La littérature de cette ville est fort riche. Elle '
présente , quant à la langue , plusieurs périodes que nous allons exa-
miner successivement. — Première période: depuis l'apparition du
dialecte jusqu'au Pfingstmontag exclusivement. Le premier morceau
que je connaisse , est : Vertraulis Brunnegsprâch zwischâ viàr Stros-
burjerischâ Dienst-Maidà Lissel^ Susel^ Kettely Gredel; uffgsetzt
vom Hans Jerri Werdo , der Schildwaacht , die sellemols am Brunnà
gstandâ isch , sihns Zeiches a Strosburjer Kind ; sans date ni nom
d'auteur et d'imprimeur. EUeest au plus tard des années 177... La pièce
est fort plate et se meut dans un milieu que le titre indique suffisam-
ment ; mais sous le rapport de la langue elle est fort importante. Elle
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490 REVUE D'ALSACE.
nous montre un courant strasboùi^eois rattaché beaucoup plus aux dia-
lectes voisins que les autres courants linguistiques de la ville. L'auteur
a été probablement jardinier, ou issu de cette tribu, laquelle, jusqu'à ces
derniers temps a conservé quelque chose de rustique dans sa pronon-
ciation ; des particularités remarquables sont : la résolution (Auflôsung)
d't en ià que fait supposer l'ortliographe presquecon<;tanted'îdlpour i^ ;
d'à en ùa^ que fait supposer )' orthographe d'ua pour ue — aj pour è; ,
ce qui se trouve aussi dans d'autres pièces à peu près contemporaines ,
grade waj8. Fraubasengsprâch 2 , min waj, et qui exclut l'idée d'une
faute d'impression. Cet aj est général dans toute la Basse-Alsace en
dehors de la ville de Strasbourg ^ ihà n em, n'est plus strasbourgeois
— gedocht « dans le vers. Frb. 3 , l'a à la rime ; il faut aujourd'hui ge-
dènkt — un certain nombre d'adoucissements des verbes en a qui ne
l'ont plus aujourd'hui : t verrâth, Frb. < , a : « schlàt — un mot
inconnu sin kaliâ hand <- des imparfaits du subjonctif remarquables:
i miâch ; Pfingstmontag : micht , de maelien , t sij,, de sagen — quelques
remarques sur les pronoms , etc. , qui regardent toute cette période. —
Viennent ensuite les Fraubasengsprâch. J'en connais quatre. Les deux
premiers sont à*peu-prés de la même époque que le morceau précédent.
Ce sont : i. Emsthaftes dabei doch lustiges Gespràch zwischen zweien
Slratburger Frau Baasen, cUs: Frauen UrschelundFrauSalme; —
2. Ein vertrauliches Gespràch welches beym rothen Haus gehalten wor-
den^ zwischen zweyen Fraubaasen unserer Stadt Strasburg, ak:
Frau JtUiana und Frau Ursula y wekhe wegen ihrens aufrichtigen
und sittzamen Wesens bey ihrem Geschlechl in groser Hochachtung
siehn, Strasburg , gedruckt und zu finden bey G. L. Schuler. Le troi-
sième et le quatrième qui proprement n'en font qu'un , 1814. 3. Neues
Fraubasen-Gespràch zwischen der Frau Bas Kutzlerin und der Frau
Bas Ziwelmânin, wàhrend und nach der Blokade von Strasburg y
1814. L Wdhrend der Blokade. 4. IL Nach der Blokade. Remarques
communes à ces pièces. Man y toujours me , ihn y souvent e (forme
perdue aujoud'hui) comme dans le Haut-Rhin ; ihr pour re , ihre. —
Les Imparfaits du Subj. de la flexion forte : de liefsch , er trug (prononcez
Hich ou trich), — La conservation de e dansée, préfixe, gestritte,
geschwéie y etc. Ce ne sont pas les besoins du vers qui amènent cette
forme, car il eât été tout aussi aisé de mettre: dû hésch genù jetz
gschtriite.. Ce doit donc être la dernière apparition de la forme que
nous avons signalée ci-dessus. Ce qui achève de le prouver , c'est que
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ESQUISSE d'une BISTOIEE DE L'IDIOME ÂLSkCLEN. 491
Félision de Ve se rencontre dans quelques mots devant w ^n^ g'wisSy
^nà, et qu'Ehr. Stœber a, dans Daniel y ainsi en prose: g^réik.
(Frt. 3. a:îwolrt).
DEUXIEME PÉRIODE : Amold ef Ehr. Skeber.
Nous avons parlé de courants linguistiques existant parallèlement à
Strasboui^ : Examinons-les d'après iios documents :
I. Imp. du subj. 3 courants.
1. La flexion faible avec l'auxiliaire , forme qui a généralement pré-
valu aujourd'hui et qu'Ehr. Stœber emploie exclusivement.
2. La forme en dt et didi constamment employée par Arnold.
3. Le changement de la voyelle radicale: Brunnespràch et Frau-
baasegspràch. — Deux formes remarquables que j'ai entendues jadis
dans la bouche de personnes âgées mortes aujourd'hui , ce sont : i kràchty
encore de nos jours usités en Lorraine , et : t firàcht.
IL Un autre courant se rapporte au pronom fur. i^ période fir —
Amold for — Ehr. Stœber fir. Aujourd'hui encore les deux pronon-
ciations subsistent parallèlement.
IIL mon. l'» période me, Arnold m^, Ehr. Stœber fréquemment i»e.
rV. Ehr. Stœber a les restes du n euphonique du Haut-Rhin , que le
strasbourgeois actuel ne place plus qu'après Ve , mais que Brunnegspr.
place aussi après a : so-nrene Uffwàrtery etc..
TROISIÈME PÉRIODE JUSQU'A NOS JOURS.
Nous entrons à pleines voiles dans la période de corruption de la
langue , appauvrissement de formes , invasion croissante de mots et de
tournures françaises , etc. Cette remarque ne s'applique pas précisément
aux auteurs actuellement vivants qui se rattachent en général à la
période précédente, quoique l'on puisse remarquer l'influence du français
sur la plupart de ceux qui sont 'au-dessous de la cinquantaine ; mais
elle s'applique à toute la jeune génération au-dessous de la trentaine.
Je ne citerai point tous les auteurs qui illustrent actuellement notre
langue natale. Les noms de MM. Hirtz, Hartmann, A. Stœber,.
Ch. Bernhard , etc. , sont connus de toutes les personnes qui s'inté-
ressentà la littérature nationale. Les feuilles d'nnnonces contiennent fré-
quemment des articles en strasbourgeois, et l'année dernière a été
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49S Rimns d'alsagr.
fondée une feuille spéciale , en grande partie rédigée dans le dialecte
local : Hans im Schnokeloch : rédacteur : Cb. Bernbard. — Les cou-
rants linguistiques de nos jours sont : i<> Dans la littérature fir ei for ,
l'emploi d'^ pour i dans les verbes qui adoucissent la voyelle. Ch. Bern-
bard dit toujours i nèmm, de nèmmsch , ernèmmt , tandis que Vi à la
première personne déjà caractérise le dialecte alsacien depuis son appa-
rition dans l'histoire ('). %^ La forme nisseinuss : Wildnuss et WM-
niss ; — ta l'adjectif: s àrmi Kind, et suppression ; — i pour e dans
les noms abstraits Wèrmiy Kélti^ etc. — Ces trois formes particulières
deviennent de plus en plus rares. Dans la langue usuelle , l'emploi de à
(ou français) dans les faubourgs , la Krutenau , etc. , dans saùe , haùe ,
etc. ; — a pour ai , hame pour haime; a pour au , bam pour baum; —
awBj owe pour auBy ôûe, sawe , blowi.
L. LiEBICH,
pasteur à Saint- And ré de Lancize (Lozère).
(i) Outre les mots actuels rancien dialecte dit encore: du p/It^«( et parfois
même : du bryntut.
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LES FEMMES
DANS LA POÉSIE GRECQUE.
Suite (*).
il De Taul pas s*aUendre à rencontrer chez Sappho celle senlimen-
talilé qui se perd dans le vague des désirs» de ces déraillances occa-
sionnées par la violence d'un sepliment longlemiis contenu. Elle se
livre francbemeni et ouvertement à toute la fougue de ses affections,
au point qu'on a dit d'elle dans l'antiquité , pour nous servir de l'ex-
pression emphatique de Pluiarque , c que ses chants Jaillissaient ,
semblables à des flammes , de l'embrasement de son cœur, i (<) C'est
avec la même impétuosité méconnue à une autre époque , (') qu'elle
dépeint l'impression irrésistible qu'a produite sur elle la vue de la
beauté : c A peine t'ai-je vue , que la voii manque à mes lèvres, que
« ma langue est comme enchaînée ; un feu subtil parcourt mes veines ;
t les oreilles me tintent, une sueur froide inonde tout mon corps qui
« frissonne. Je deviens plus pâle que l'herbe fléirie ; je demeure sans
« haleine; il me semble que je louche à mes derniers instants. » (^)
C'est surtout dans ses épithalames , dont il nous reste de nombreux
et précieux fragments» que l'on trouve les images les plus aimables,
(*) Voir les liîraisoDS de février , août et septembre, pages i9 , 365 et 4i3.
{*) Viwmt cotnmissi ealorei
Adoliœ fidibuê pyellm. (Hoa.)
(*) De là répitbète de moieula cbez Horace (Ep. I, i9, 28) et d'antres Juge-
menls encore plus défavorables.
(*} Pltttarque rapporte qu'an médecin copia ces ?ers de Sappho pour les classer
parmi ses diagnostics, tant il trouYait fidèle et exacte la description qui y était
ftile des symptômes extérieurs de l'amour.
Catulle a reproduit avec un rare bonheur les sentiments de Sappho ; ?oici la
traduetion française de sa poésie , d'après Pb. Ghasles : « 11 est ri?al des dieux »
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494 REVUE d'alsâgb.
les comparaisons les plus gracieuses que la coDtemplation de la nature
ait pu inspirer à la muse antique. La femme qui a pour la défendre ,
un époux selon son cœur» est pour Sappho c une fleur qui s'épanouit
c dans un jardin et qui n'a rien à craindre des outrages des passants»»
tandis que celle qui est abandonnée à elle-même est c semblable à
c une de ces fleurs des champs » doni nul ne prend souci , et qui
€ foulée aux pieds , reste gisante sur le sol. > En voyant le soleil se
coucher ù l'horizon : c Salui , belle étoile , s'écrie-t-elle , salut le plus
c brillant des astres ! Tu donnes tout aux mortels ; tu ramènes la paix
c chez riiomme , la brebis au bercail , le berger et la bergère au
c logis. Salut ! Salut ! »
Mais on s'aperçoit aussi qu'elle a payé« comme femme» son tribut
aux faiblesses humaines , et que , si elle a chanté et connu l'amour ,
elle en a aussi éprouvé les déceptions et les tourments. C'est ainsi
que, dans un de ses poèmes , en proie à un amour malheureux » elle
supplie Aphrodite de se laisser fléchir par ses prières et de venir à
elle , comme elle Ta déjà fait autrefois : < 0 déesse « tu me soiiriais
de ta bouche divine , tu me demandais pourquoi je t'appelais, que les
tourments déchiraient mon cœur et en quels nouveaux désirs il s'é-
garait , que je voulais enchaîner par les liens d'un nouvel amour. >
c Qui oserait, me disais-tu» te faire injure» 6 Sappho 1 s'il te fuit au-
€ jourd'hui » il te recherchera demain ; si aujourd'hui il refuse tes
€ dons » bientôt il t'en offrira lui-même à son tour » et s'il ne t'aiaie
c pas en ce moment» un temps viendra où 11 s'attachera à tes pas»
t lors même que tu le repousserais. » Oh ! viens donc aujourd'hui »
déesse , me délivrer de mes cruels tourments ! Rends-toi aux désirs
de mon cœur ! ne me refuse pas ton assistance toute-puissante. »
« le jeune homme qui» assis devant loi » contemplant ton visage» entend ta douce
a voix reteniîr à son oreille.
« Tu souris , et mon sein se soulève » et mon cœur débille » et la force me
« manque. Je te regarde» et mes lèvres qui frémissent» restent muettes.
« Ha langue s*atUche à mon palais. Une subite flamme vibre à travers tout mon
c corps ému. Mes yeux fixes se couvrent d*un nuage. Des bruits confus murmurent
R et bourdonnent autour de moi.
« Une froide sueur tombe dans mes membres et couvre mon front pâlissant; ils
c frissonnent, agités et convulsifb ; et pâle et inanimée » sans couleur, sans souffle,
; vie» Je tombe» Je me meurs î »
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LES FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 495
Elle Dous dépeint elle-même la violence des seniiments qui l'agiient»
lorsqu'elle dit : c Tamour a bouleversé mon âme , comme , sur la
c montagne , la tempête qui déracine les ebéues , i ou lorsqu'elle
s'écrie : c l'amour, vainqueur de tous les obstacles » me trouble et
c m'agite. C'est un oiseau aussi cruel qu'il est doux ; nul ne saurait
t lui résister. Atbès , je suis maintenant pour toi un objet de dédain
€ et de baine , tandis que toutes tes pensées sont pour la belle
t Andromède. >
On s'accorde assez généralement à représenter Sappbo entourée
de jeunes filles, qui sont à la fois ses amies et ses élèves, qu'elle
exerce, comme Aleman le faisait à Sparte, au cbant et à la danse, et
dont elle s'applique à éveiller et à développer le talent poétique. Dans
les fragments que nous possédons, on rencontre Us noms d'un grand
nombre de ces jeunes Lesbrennes, Atbès, Gyrinno, Mnasidiké, Anak-
toria , Gorgylé , Euniké , Erinne , Démophile et tant d'autres. Quand
file s'adresse à quelqu'une d'elles, ses reprocbes, comme ses éloges,
ont quelque cbose de si passionné , qu'on la dirait animOe pour elle ,
d'un amour violent, impérieux, plutôt que d'une affection maternelle.
0» comprend aisément comment ces rapports intimes ont pu revêtir
ainsi le caractère de la passioa , lorsqu'on songe au climat délicieux
de ces contrées tièdes et parfumées, et qu'on se rappelle que le com-
merce des Muses absorbait , chez les Eolieus , toute l'existence de la
femme-poète. Mais c'est parce qu'on n'a pas voulu se rendre compte
des circonstances exceptionnelles, au milieu desquelles Sappbo vivait,
qu'on a dépeint parfois sous un jour hideux ses relations avec les
personnes de son sexe; cette grande liberté dont jouissaient les
femmes de Sun pays a fourni plus d'une arme aux poètes comiques
d'Athènes, au point que la Sappbo de l'histoire avait presque entière*
ment disparu derrière celle de la comédie et de la tradition (i). Ces
rapports avaient, au contraire, un caractère moral ; nous en trouvons
la preuve dans les nombreux préceptes , qu'elle adressait à ses corn-
ai*) C'est pour cette raison qu*Ovide qui lui refuse jusqu'à la beauté de la taille
et du teint, lui fait dire dans ses HéràUies (xv , 201) : Lesbides infamen quœ me
feeUtii amatiBf et que Suidas s'exprime à son égard d'une manière tout aussi peu
favorable. Un savant allemand a réussi à réfuter victorieusement la plupart de ces
erreurs. Voir Welkbr: Sappho délwréê d$$ prév9nHon$ qui p$$aient mir êU$.
Goettiogae 18i6.
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4% REVUB D'ALSAGB.
pagnes , et doot quelques-uns ont été respectés par le temps. Gom-
ment, en effet, lui supposer des relations coupables avec des jeunes allés
qu'elle inviiait à faire peu de cas de la beauté extérieure , à sacrifier
la grâce et les charmes physiques à la beauté morale , à la vérité , et
auxquelles elle adressait des avertissements semblables à ceux-ci :
c Evite de donner un libre cours & la langue . lorsque la colère s'est
c emparée de ton cœur. » — c La richesse, sans la vertu, ne Tait pas
c le bonheur , mais toutes deux réunies rendent vraiment heureux. »
— € Ne te fie pas trop à* la beauté extérieure. » — Les dieux ont
prouvé eux-mêmes que la mort est un mal » autrement ils se seraient
soumis à cette dure nécessité.
Je ne puis ré^ster au plaisir de citer le rapprochement, fort incom-
plet j il est vrai , que Maxime de Tyr, qui, du reste, n'était pas un
grand admirateur de Sappho, a cru devoir établir entre celte femme*
poète et Socrate , qui ne se montrait jamais en public qu'entouré de
jeunes hommes , attentifs à ses moindres paroles. Gyrinne , Âthis ,
Ânaktoria étaient pour elle ce qu'étaient pour le philosophe Alcibiade,
Gharmide et Phèdre. Si Socrate avait des rivaux redoutables, tels que
Prodiciis , Gorgias , Tbrasimaque , Sappho avait aussi ses rivales en
poésie , Gorgo , Andromède et d'autres encore. Gomme lui , elle les
critique et les combat avec les armes de l'irouie. « Jon, je le salue, i
dit Socrate quelque part. (Jon) — c Je te salue mille fois , fille de
Polyanaktidas , > dit à son tour Sappho. Socrate , dans le banquet de
Platon , raconte qu'il aimait Alcibiade depuis longtemps , mais qu'il
n'avait pas voulu s'approcher de lui avant de l'avoir reconnu capable
de comprendre ses discours. Nous retrouvons la même pensée chez
Sappho , lorsqu'elle parle d'une de ses élèves : c Tu me faisais , lui
« dit-elle, l'eflei d'une enfant encore petite et peu gracieuse, i Socrate
se moque de la tenue d'un sophiste, c Quelle toilette rustique ! •
s'écrie Sappho à l'aspect d'une jeune fille. Diotime dit quelque part à
Socrate qu'Eros n'est pas le fils d'Aphrodite , mais son compagnon ,
son Aerviteur. Telle est aussi la manière de voir de Sappho au sujet
de (!e dieu : c Et aussi ton beau serviteur Eros, i dit-elle à Aphrodite,
dans une de ses poésies. Socrate appelle ce m£me Eros un sophiste •
et Sappho le nomme < un artisan de paroles. > Socrate reprochait à
Xantippe de se lamenter au sujet de sa mort. Sappho, près de mourir,
dit à sa fille : « Non , dans une maison vouée au culte des Muses , le
f deuil ne saurait habiter ; pareille chose ne nous sied nullement. »
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LB8 PEMMBS DANS LA POÉSIE GRECQUE. 497
Certes, ce n'est pas sans raisoo que l'Antiquité disait de ce c rossi-
c gnol de Lesbos , i qu'aucune femme ne l'avait jamais égalée , de
même qu'aucun homme ne s'était jamais élevé à la hauteur d*Homère,
et qu'elle Ot d'elle une dixième Muse. Solon , dans ses vieux jours •
ayant entendu ses neveux réciter une poésie de Sappbo, pria ceux-ci
de la lui communiquer, ne voulant pas , disait-il , mourir avant de
l'avoir apprise par cœur. Platon , qui ne renia jamais ses instincts de
poète , l'a rangée , on le sait , parmi les Sages des temps anciens.
(Dial. de Phèdre.)
L'école des femmes-poètes éoliennes subsista après la mort de
Sappbo , mais la plupart sont restées inconnues ; quant à celles dont
les noms sont arrivés jusqu'à nous , il n'est pas possible de porter on
jugement positif sur leur compte. L'histoire littéraire a enregistré les
noms de Damophile , de Gorgylé , d*Euniké , mais rien de plus. Une
seule apparaît entre toutes entourée de quelques renseignements qui
laissent encore beaucoup à désirer, c'est Erinne, morteà Tâgede
i9 ans. On raconte que sa mère l'ayant rigoureusement astreinte aux
travaux de l'inlérieur, afin de l'empêcher de se livrer au culte des
Muses, elle exhala ses sentiments , ou plutôt ses regrets et ses peines
dans un petit poème épique de 300 vers , qui avait pour titre c la
Quenouille > et passait pour une œuvre très-distinguée , an point
qu'on comparait son auteur à Homère et à Pindare ; les fragments
presque insignifiants qui nous en sont restés» ne nous permettent pas
de nous faire idée de l'ensemble; on s'accorde à croire que ce poème
fut adressé à une amie , dont Erinne allait être séparée (t). Tout ce
qu'on sait de Damophile , c'est que , comme Sappbo , son amie , elle
s'entoura de jeunes filles , qui étaient ses élèves, et qu'elle fompomi
des poésies erotiques et un hymne à Diane, que le temps n'a pas plus
respectés que tant d'autres productions remarquables de la Muse
hellénique.
{*) Dans les rares fragments qoi nous sont restés d'Erinne , nons trouvons des
plaintes sur les rigueurs de la mort et une épigramme à l'adresse de Bauds, une
de ses condisciples, enlevée par un trépas prématuré. On lui attribue également
un hymne à Borna (la Foioe) en strophes sapphiques et dans le dialecte ionien.
Ceux qui voient dans ce titre la ville de Rome elle-même , donnent à cette ode
pour auteur une autre Lesbienne , du nom de Mélinno , et qui aurait vécu lieau-
coup plus tard , c'est-ânlire à une époque où il aurait été possible à une femme
grecque de cbanter les louanges de la ville étemelle.
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498 REVUE D'ALSACE.
La Béotie a fourni deux femmes , Corinne et Myrtis , ani descen-
dirent 9 Tune et Taotre , dans' la lice poétique pour disputer la palme
à Pindare. leur compatriote. Corinne l'emporta, dit-on , cinq fois
dans ces luttes solennelles, mais, à en croire Pausanias, elle n'aurait
dû ces succès qu'à l'ignorance des Juges ou à l'effet produit par la
t)eauté , plut6t qu'au mérite de ses chants. Quoiqu'il en soit , il est
certain que Pindare fut loin de se montrer généreux envers elle.
Vamcu par une truie I se serait-il écrié dans son dépit ; ce qui prouve
que ces paroles sont historiques, ce sont les invectives qu'il adresse à
sa rivale (Olymp, YI). Cependant, à en juger par les titres des petits
poèmes épiques, où elle chanta des mythes nationaux et des légendes
locales, tels que ceux de Jolas, d*Œdipe. d'Orion, des chinyades, et
par les hymnes et thrénes qu*on lui attribue, et surtout par l'influence
qu'elle exerça , dit-on ^ sur Pindare, il y aurait , ce nous semble , de
l'injustice à lui refuser un grand talent poétique. La délicatesse de
son jugement est attestée par un mot fort connu qu'on lui attribue ,
et qui nous donne une idée de la manière dont elle entendait qu'on
employât les ornements mythologiques dans la poésie. Pindare venait
de lui lire un hymne , dont les six premiers vers sont arrivés jusqu'à
nous , et où il avait étalé toutes les richesses de la mythologie thé-
tNiine : « Il fauti lui dit-elle, ensemencer avec la main, et non à plein
c sac. »
Quant à Myrtis , comme Corinne , son amie « elle n'a aussi laissé à
peu près que sa gloire après elle. Nous n'avons d'elle que le cadre
d'un de ses poèmes , qui appartenait sans doute au genre épique ; ce
ne sont d'un bout à l'autre que des scènes de haine et de mort , pro-
voquées par les dédains d'un amant, et telles qu'Euripide se plut par
la suite à les produire sur la scène. Une jeune fille , nommée Ochna .
accuse faussement auprès de ses firères un Jeune homme, dont le seul
crime est d'avoir repoussé ses avances; ceux-ci, après avoir tué celui
qu'ils croyaient coupable , périssent misérablement , et Ochna , con-
damnée par son propre père , s'élança d'un rocher dans la mer.
Nous avons dit , en parlant d'Aleman , le poète national de Sparte ,
qu'il s'entourait de jeunes filles qui recevaient ses instructions pour
les cérémonies religieuses , et qu'il initiait, en même temps , au culte
des Muses , mais que le nom d'aucune de ces compagnes , Mégalos-
trate exceptée , n'a été transmis à la postérité. Nous serions cepen-
dant asses disposé à rattacher à cette école dorienne deux femmes
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LES FEMMES DANS LA POESIE GRECQUE. 499
remarqaablet , sur lesquelles nous n'avons , il esi vrai , que des ren-
seifi^nements assez vafi^ues , mais qui sont dignes de âgurer au firma-
ment poétique de la Grèce ; nous voulons parier de Télésille » d'Argos
et de Praxilla « de Sicyone.
Télésilla , à la fois poète et héroïne , fut la libératrice de sa ville
natale , alors que Cléomène , roi de Sparte » menaçait ses remparts ,
après avoir écrasé l'armée des Argiens dans un combat meurtrier.
Elle se mit à la tête des femmes d'Argos et repoussa les Spartiates ,
qui s'étaient déjà répandus dans les rues de la ville. Ses hymnes qui
enflammaient, dit-on» ses concitoyens d'une ardeur guerrière» éuient
empreints du caractère dorique ; destinés sans doute à être chantés
par des chœurs de jeunes garçons et de jeunes filles . ils célébraient
la bravoure et la vertu . en même temps qu'ils étaient consacrés à la
louange des divinités dorîennes . d'Apollon à la belle chevelure , qui,
en sa qualité de messager infaillible de Jupiter» annonce la vérité •
enseigne la vertu et perce de ses traits tout ce qui est impur et cri-
minel, d'Artémis, la chaste et austère chasseresse, qui réside sur les
cimes élevées des montagnes (*).
Praxilla chanta surtout Bacchus , le dieu du vin , adoré tout parti-
culièrement à Sicyone. Lorsqu'on dit qu'elle fait de ce Dieu le fils
d'Aphrodite , on entend sans doute parler de l'alliance étroite qni
règne dans ses dithyrambes et surtout dans ses scolies ou chansons à
boire , entre le vin et l'amour. Elle aimait surtout à chanter les his-
toires amoureuses . et > de préférence , celles qui avaient un caractère
dorien , ainsi les relations qu'Apollon entretint avec le beau Karnos,
dont elle fait un fils de Jupiter et d'Europe» et qui, comme la
plupart des favoris des dieux , était prédestiné à périr d'une mort
violente. C'est ainsi encore que , dans un de ses hymnes , elle a
chanté Adonis qui fut , comme on le sait > victime du ressentiment de
Mars. Dans les trois vers qui nous sont restés de ce petit poème ,
Adonis répond aux divinités infernales qui lui demandent quelle est
la chose qui lui a paru la plus belle sur la terre : c Ce que j'ai laissé
€ de plus beau , c'est d'abord la lumière du soleil, ce sont, en second
-
(*) Pausanias , (11, âO) nous a laissé une description de la statue que ses oonci-
toyens reconnaissants lui avaient élevée dans le temple d*Aphrodite. 11 la repré-
sente vêtue en guerrière et prête à se couvrir de son casque ; des firagments de
poésies gisent épars devant ses pieds.
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800 BBVDE D'ALSACE.
c lieu, les astres éliocelants et le disque de la lune, ce soot enfin les
c melons • les pommes et les poires , arrivés à leur maturité, i Cette
ingénuité du béros du poème avait passé en proverbe ; on disait géné-
ralement : f Plus enfant que l'Adonis de Praxilla. > Les ravages du
temps n'ont pas respecté ses œuvres; quelques vers dépareillés, voilà
tout ce qui nous reste d'elle.
Nous ne ferons que citer en passant Anyta, Nôssis et Myro, qui ne
brillèrent qu'au second rang , et qui , vivant à une époque de déca-
dence, où la sève poétique s'affaiblissait chaque Jour d'avantage,
n'écrivirent en quelque sorte que des épigrammes et des inscriptions;
météores d'un jour, elles ne brillèrent que peu de temps pour dispa-
raître bientôt après 0).
De même que la domination des Perses , les luttes avec Athènes et
la suprématie plus ou moins tyrannique exercée par cette cité avaient
étouffé peu à peu les accents de la Muse éolienne, qui avait brillé d'un
si vif éclat à Lesbos , de même aussi , les tristes et sombres péripéties
de la guerre du Péloponnèse , de ce duel terrible engagé entre l'aris-
tocratie dorienne et la démocratie ionnienne, en portant des atteintes
mortelles à l'édifice construit par Lycurgue , firent taire peu à peu à
Sparte , à Argos , à Sicyonne et partout » les femmes-poètes de l'école
d'AIcman.
D'ailleurs, le culte des Muses, transporté des côtes de l'Asie , des
Iles de la mer Egée , de la Béolie et du Péloponnèse à Athènes , qui
finit par absorber tous ces éléments divers, subit dans cette ville une
transformation presque complète. L'âge de la Jeunesse avait cessé
pour la Grèce ; son âge mûr venait de s'annoncer.
IV.
Si Athènes ne produisit point de femmes-poètes , elle vit du moins
s'épanouir dans son sein la fleur la plus parfaite de l'esprit hellénique,
(^) Cependant leurs œuvres se distinguent parfois par une naïveté qui plait;
ainsi celte inscription , placée à l'entrée d'une groUe , et qui fut , dit-on , com-
posée par Anyta : « Etranger, que tes membres fatigués s'étendent en ces Ueux.
R Un doux murmure agile le feuillage ; une source limpide vient baigner tes pieds
« pendant l'ardeur du Jour. Etancbb ta soif, 6 voyageur, et repose en paix Jos^-
« qu'an ooucher du soleU. »
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LES FBMHBa DANS LA POASIB GRECQUE. 504
le drame y qui accorde à la feinme ud rôle très-Important. Nulle pan,
en effet , excepté dans les poèmes homériques • ou les poètes tragi-
ques paraissent avoir puisé leurs plus nobles inspirations , on ne
trouve des modèles aussi purs et aussi naturels; nulle part, les filles,
les épouses, les mères, ne Sont représentées sous des traits qui
attirent davantage la sympathie et le respect. Chacun des trois grands
tragiques a apprécié à sa manière l.e caractère et le râle de la femme.
Eschyle, avec sa manière grandiose et héroïque, reconnaît dans le
sexe féminin le sexe le plus faible , dont les qualiti^s principales doivent
être le silence , la retenue et la modestie (Sept. c. Theb. 300-201 ,
230). Aussi airoe-t-il à faire paraître, à côté de ses caractères d'hommes
forts et énergiques, un chœur de femmes, destiné principalement
à faire ressortir davantage tout ce qu'il y a de mâle et de puissant en
eux. C'est ainsi que , dans la tragédie des sept chefs contre Thèbes ,
la terreur dont les jeunes Thébaines sont accablées sert à mettre en
relief la grandeur du danger que court la ville assiégée, ainsi que
Théroîsme inébranlable d'Etéocle. Dans la tragédie de Prométbée ,
rhumilité pleine de déférence et les calculs timides des filles de
l'Océan doivent , dans la pensée du poêle , faire éclater davantage ,
par voie de contraste , la supériorité intellectuelle et l'orgueil in-
flexible du héros de la pièce. Mais ces femmes du chœur ne sont pa^
seulement timides et curieuses ; Eschyle leur prête encore d'autres
qualités bien plus précieuses , la fidélité et la constance dans le mal-
heur. Hermès les invire à délaisser Prométbée, pour qu'elles n'aient
pas à partager ses souffrances : c Pourquoi, répondent-elles, exiges-
c tu de notre part un^ bassesse ? Nous sommes prêtes à partager
c fidèlement son sort , quelque rigoureux qu'il puisse être , car nous
c« haïssons la trahison , nous l'avons toujours haïe, et il n'est point
c de poison que nous détestions autant. > (v. i066).
Ce poète , dont l'imagination héroïque était pleine principalement
d'une idée qui avait triomphé avec les guerres médiques, celle d'une
justice divine dans la vie des peuples aussi bien que dans celle des
individus,, aime mieux représenter sur la scène des dieux ou des
héros semblables aux dieux , plutôt que de simples mortels , aussi ne
lui arrive-t-il que fort rarement de s'arrêter aux intérêts vulgaires
de la vie privée. Cependant , comme poète , il ne se montre point
insensible à l'amour d'une femme ; il avoue que chaque passant aime
à lancer les traits magiques de son regard sur les formes séduisantes
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50S RBYUE D*ALSACB.
de belles jeunes filles, se laissant ainsi aller au désir de les posséder,
et il sait faire une différence entre le regard cbaste et pudique xie la
jeune vierge et le regard ardent de la remme qu'un homme a déjà
possédée. (Sappho 973). Si les affaires du dehors regardent l'homme
plus particulièremeni , celles de rintérieur sont du ressort de la
femme, qui ne doit point se permettre un langage hardi , mais dont le
devoir est de savoir se taire et de rester chez elle. (Supp. 181 , 189,
S15 , 757). Lui aussi, comme Hésiode, avant lui, il trouve qu'en fait
d'union , la plus sortable est celle que l'on contracte avec une per-
sonne de son rang : c un indigent ne doit point rechercher la main
c d'une femme enorgueillie de sa richesse ou tout enflée de sa nais-
c sance. > (Prométh. 89).
Eschyle a compris, en outre , que la femme , malgré la faiblesse
inhérente à son sexe, est pourtant capable de s'élever jusqu'à l'hé-
roïsme • lorsque la voix du cœur se fait entendre , ou qu'elle est sous
l'influence de la pression. Tel est le caractère d'Anligone , dans les
Sept Chefe contre Thèbes ; le poète la représente d'abord plongée
dans une profonde douleur après le fatal combat qui l'a privée de ses
deux frères ; mais à la nouvelle que, par ordre de Gréon , Polynice
doit être privé des honneurs de la sépulture , comme traître envers
son pays , elle se relève loul-à-coup de son abattement et déclare
avec une fermeté inébranlable que < s'il ne se trouve personne qui
c veuille rendre les derniers devoirs à Polynice , c'est elle qui s*ac-
« quittera de celte pieuse mission. » (v. 1026).
Chez Aniigone , c'est un noble motif qui la fait sortir des limites
imposées à son sexe. Mais', dans la pièce d'Agamemnon , Eschyle
s'est proposé de nous faire voir tout ce dont est capable une femme ,
qu'une passion illicite entraîne dans les voies du crime, où elle arrive
à surpasser les hommeé les plus dangereux , les plus malfaisants , les
plus irréconciliables dans leur bahie. Nous trouvons chez Clytemnestre
l'union la plus monstrueuse de la dissimulation et de la cruauté : elle
est véritablement uù objet d'horreur et d'effroi. Sous les dehors dé
l'affection h plus sincère, elle attire à sa perte Agamemnon qui
revient dans ses foyers après une longue absence , et qui est loin de
se douter du sort cruel qui l'attend ; après l'avoir immolé de sa propre
main , elle décrit son action barbare autant que criminelle avec une
franchise et une ironie qui touchent à la férocité. On dirait qu'Eschyle
s'est complu à intervertir le rôle de chaque sexe , car Clytemnestre ,
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LES PBMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. SOS
qui est la véritable héroioe de la pièce » se montre infiaiment supé*
rieure à Egistbe ; elle ne recule point devant les conséquences du
forfait qu'elle a commis , quelque terribles qu'elles soient. Lorsque
rheure de la vengeance a sonné , sa présence d'esprit ne l'abandonne
point un seul instant, et même elle prépare tout pour uae résistance
désespérée. Quoique les traits dont se compose ce portrait dépassent
les proportions humaines» on reconnaît cependant, lorsqu'on les
considère isolément ^ qu'ils ont été tracés avec une finesse et une
délicatesse remarquables; on dirait même qu'en leur donnant ces
proportions exagérées, le poète a voulu ôter à la vengeance d'Oreste
tout ce qu'elle pouvait avoir d'affreux et de dénaturé. De plus , dans
la différence qu'il a su mettre en Egistbe et Clytemnestre, il y a
quelque chose qui nous réconcilie en quelque sorte avec cette der-
nière , qui la relève à nos yeux. Lorsque , vers la fin de la pièce ,
Egistbe , qui n'est au fond qu'un lâche et vulgaire assassin , s'emporte
contre de faibles vieillards, et paraît tout disposé à les envoyer à la
mort , Clytemnestre , que leurs discours n'ont pas plus épargné que
son complice , s'interpose entre eux et le bourreau : < Assez de sang
c a été versé , s'écrie-t-elle « il ne faut point ajouter aux misères de
c cette fatale journée. » (v. i626). On éprouve une certaine satisfac-
tion à entrevoir chez cette femme» dont la férocité nous a frappés de
stupeur , et qui , dans la perpétration de son crime abominable, n'a
fait voir ni irrésolutions , ni remords , le trouble naissant de la con-
science , une tristesse secrète • un je ne sais quoi qui nous rappelle
involontairement la mère d'Iphigénie, cherchant, à force de dévoue-
ment , à arracher sa fille au couteau de Cbalcas.
Il y a , sinon de l'héroïsme , au moins un sentiment qui touche au
sublime, à force de naturel et de vérité , dans la scène de la tragédie
des Perses , où Atossa , la veuve de Darius , reçoit la nouvelle du
grand désastre de Salamène. Le messager, troublé par la douleur ;
ne peut répondre d'abord aux questions qu'elle lui fait. Atossa , avec
une condescendance généreuse autant que délicate , l'invite à s'ac-
quitter de son message : < J'ai gardé le silence dans mon affliction ,
« lui dit*elle; une telle infortune est au-dessus de mes forces; je ne
c puis , dans ma stupeur, ni parler, ni interroger. Il nous faut bien
c cependant, mortels, supporter les maux que les dieux nousen-
c voient. Remets-toi , et , malgré tes larmes, fais-nous part de notre
c malheur, i (v. 294-299). Mais Atossa est mère avant d'être rçine.
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S04 REVUE D'ALSACE.
elle hésite cependant à s'informer du sort de son fils; c Qui a échappé
c à la mort , demande-t-elle ; quel est, parmi nos princes » celui qu'il
c faut pleurer? » Et lorsque le messager ^ devinant sa pensée, lui
répond que Xerxes vit encore , il lui est impossible de se contenir
plus longtemps : c Ah ! s'écrie-t-elle « tu rends la lumière à ma maison ;
c c'est le jour qui luit après les ténèbres. » La mère a remplacé la
reine; elle semble avoir oublié le malheur de la Perse , elle sait que-
son fils vit encore !
Eschyle a pu dire , dans sa modestie , que ses ouvrages n'étaient
que des c reliefs des festins d'Homère. » Gardons-nous de prendre ces
paroles au pied de la lettre. Le dialogue n'est pas la narration , le jeu
de la scène n'est pas le récit , l'action théâtrale n'est pas l'action
épique. Si Eschyle , Sophocle et Euripide profitèrent de ces relieft ,
et il est certain qu'ils l'ont fait , il faut dire qu'ils s'en sont servis
admirablement pour préparer à leurs hôtes un banquet non moins
splendide.
Sophocle a su, mieux que tous ses compatriotes, dépeindre et
apprécier le caractère de la femme , et cela ne nous étonne pas de la
part du poète qui déclare bien neltement qu'il n'y a jamais eu de
bonheur dans la maison d'un mortel , si riche et honoré qu'il fût »
sans la présence d'une femme vertueuse. Toutefois » comme la plupart
des législateurs et des grands écrivains de la Grèce , il ne semble pas
reconnaître à la femme celte puissance morale qu'elle peut exerceV
sur les actions de l'homme , quand l'éducation et des institutions
favorables lui en donnent les moyens ; lui aussi , il parait croire qu'elle
doit être tenue dans un état d'infériorité relativement à l'homme :
€ Un chef ne doit jamais plier sous le joug d'une femme. On pourra
c lui pardonner de se laisser entraioer par des tyrans de son sexe ,
f dès qu'il n'aura pas à rougir d'avoir subi la loi d'une femme. >
(Antigone). Ce que l'on estime surtout dans la femme, c'est la fidélité,
l'obéissance • la tendresse, le dévouement, c Quel est, demande une
c de ces héroïnes, celui qui daignera me nommer sa femme ; quel est
c le maître qui enchaînera ma destinée à la sienne? i Mais on ne voit
rien chez lui qui fasse peser sur elle soit de la défaveur , soit du mé*
pris; quoique l'esprit héroïque paraisse s'être afiaibli, la femme
grecque se colore encore, dans ses drames, d'un rayon plein de dou-
ceur et de purelé. Nous en trouvons une preuve éclatante dans le
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LES FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 805
tableau qu'il a tracé des deux Biles d'Oedipe, Antigoueet Isuiène»
dans sa tragédie d'Antîgone.
Autîgone est la femme héroïque, qui allie à l'Intrépidité de l'homme» •
la chaleur de sentiment et le dévouement plein d'enthousiasme de la
femme. Elle méprise et hait tout ce qui lui fait obstacle ; de là les
paroles provoquantes qu'elle adresse à Créon , de là aussi sa dureté
-apparente à l'égard de sa sœur. Ismène représente» pour ainsi dire »
le côté élégiaque du cœur ; elle envisage les choses sous leur véri-
table jour ; elle pense et agit dans les limites du possible et de la léga-
lité» et elle déploie» dans ce cercle qui lui est tracé, toute la richesse
et toute la profondeur de sa sensibilité. Douce et timide par instinct »
elle recule devant l'action téméraire d'Aniigone, et même les reproches
durs et blessants de sa sœur ne parviennent pas à lui faire franchir
les limites naturelles imposées à son sexe» ou à lui faire prendre le
change an sujet de la vénération et de l'amour qu'elle éprouve pour
Antigone.Xette femme si réservée avant que l'action ait été résolue »
s'anime en quelque sorte à la vue du danger ; elle n'a pu partager
l'enthousiasme d'Antigone» aussi longtemps qu'il ne s'agissait que
d'une idée» d'un projet ; mais maintenant que cette existence» qui lui
est chère, est sérieusement menacée, elle se montre, à son tour»
capable d'héroïsme. Elle aborde Créon avec hardiesse » toutefois sans
le braver » et demande à mourir comme complice de sa sœur. Ce
personnage dismène revendique notre sympathie à un plus haut degré
que celui d'Antigone excite notre admiration ; c'est » qu'il nous soit
permis de le dire, la peinture la plus complète et la plus pure que
l'antiquité nous ait laissée du vrai caractère de la femme. On serait
même porté à croire que ces deux caractères ont été les créations de
prédilection du poète , car non seulement nous les voyons repfbrahre
dans Oedipe à Colone, mais il est plus que probable qu'elles étaient
encore dans sa pensée lorsqu'il produisit sur la scène Electre et sa
sœur Chrysothémis.
Antigone, guidant son vieux père aveugle dans son exil volontaire»
est le personnage le plus touchant du théâtre antique. Elle l'accom-
pagne avec une piété toute âliale jusqu'au seuil de la tombe: c Mon
< père » dit-elle alors, mon père, dans mon infortune» je trouvais du
c plaisir à te donner mes soins » car les maux ont aussi leur charme »
(Oed. à Col. V. 1697). Et , lorsque la perte de son père bien-aimé l'a
dégagée de ses obligations sacrées » elle s'en retourne à Thèbes pour
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506 REVUE D'ALSACE.
s'y dévouer a un devoir également pieux. DansOedipe à Colone» elle
est rhéroïoe de l'amour fraternel ; elle brave pour Polynice une mort
certaioe , comme elle a bravé , pour son père infirme et délaissé » les
misères de l'exil, c Sophocle s'est plu à rassembler en elle les traits
les plus touchants et les plus nobles du caractère de la femme » ceux
d'un dévouement passionné à tous les devoirs de la nature. Par un
contraste frappant , c'est dans une race incestueuse que se développent
ces pures et vives aflections de la naissance et du sang ; c'est une
fille d'Oedipe qui efface ainsi, à force d'innocence et de vertu, la
tache dont le destin a prétendu la souiller. > (Patin).
Mais si Antigène se montre ferme» énergique, dépassant la fai-
blesse de son sexe de toute la hauteur de sa résolution, elle redevient
femme, lorsqu'elle considère avec plus de calme les suites inévitables
de son sacrifice. Lorsque nous la voyons jetant un regard de tristesse
sur cette destinée lugubre qui s'apprête pour elle, sur cette jeunesse
qui sera sitôt moissonnée, sur toutes les joies de cette vie gui vont lui
échapper et qui lui apparaissent si belles dans ce moment suprême ,
l'admiration qu'elle nous inspirait un moment auparavant fait place à
une douloureuse compassion , surtout lorsque , en proie à une sorte
d'égarement et de délire, elle élève vers le ciel un regard découragé,
comme pour lui reprocher de l'avoir laissée ainsi seule, sans appui et
sans défenseurs (v. 918). Cependant cette jeune femme , naguère si
belle et si forte dans son héroïsme , ne doit pas rester plongée dans
ce douloureux. abattement ; elle retrouve toute sa fierté au moment
de mourir, et, dans celte princesse , qui prend le peuple thébain à
témoin de l'injuste traitement qu'on lui fait subir, nous retrouvons
aisément une jeune fille de sang royal , contemplant avec calme et
dignité les bourreaux qui l'entraînent et le supplice qui l'attend.
Electre est aussi une jeune fille héroïque , qui se laisse entraîner
par son amour fraternel au*delà des bornes assignées à son âge et à
sou sexe. Mais, dans cet amour ardent et passionné, nous cherchons
en vain, comme chez Ântigone, la noblesse et la dignité qui con-
viennent à la femme , ce que nous trouvons avant tout c'est la ven-
geance avec tout ce qu'elle a de sauvage et d'horrible. Pleurant à
toute heure son père si odieusement immolé , elle ne trouve d'autre
soulagement à sa douleur , qu'en menaçant les assassins et en appe-
lant de tous ses vœux le vengeur qui se fait trop longtemps attendre.
Elle a bien la fermeté mâle et énergique d'Ântigone , mais il y a dans
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LES FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 507
son caractère une soif de vengeance et de sang qui nous fait frémiri
une véhémence indomptable qui fait que parfois nous détournons
d'elle nos regards avec effroi. Auprès de cette autre Âniigone ,
Sophocle a placé , comme pour c(»mpléier la ressemblance dont nous
v^'uons de parler, Chrysothémîs, une autre Ismène, dont le caractère
timide contraste avec l'énergie suuvage de sa sœur. Mais ce person-^
nage est loin d'avoir la douceur et la délicatesse qui charment à un
si haut degré chez Ismène ; ce qui , chez cette dernière , est l'effet:
d'un tact exquis et d'une grande délicatesse de sentiment » est , au
contraire, chez la sœur d'Electre le résultat d'un calcul plein de pru-
dence et de réflexion. Chrysoihémis se soumet sans résistance à la
loi du plus fort, non pas parce qu'elle a l'instinct de sa timidité et de
sa faiblesse , mais après mûre réflexion, après qu'elle s'est livrée en
quelque sorte à un examen minutieux des circonstances» où elle se
trouve engagée. Elle déclare à sa sœur que sa conduite tient de la
folie , et ni les reproches de celle-ci , ni ses plaintes touchantes ne
peuvent l'irriter, ou l'émouvoir^ ou l'enthousiasmer; elle reste calme,
froide et réfléchie.
Cependant cette même Electre, que nous voyons consumée par son
désespoir, et qui semble ne plus t.enir à la vie (v. 818), ne pense déjà
plus à mourir, lorsque son malheureux frère, égaré par les remords,
en proie à la folie, la supplie de se ménager pour lui, parce que, si,
elle tombait malade à son tour, il se sentirait perdu , n'ayant plus
qu'elle au monde pour le secourir et le soutenir ; elle ne pense plus
qu'à le soigner et à le consoler, c Non , non , lui dit-elle ; je veux
c vivre. Eh ! si tu meurs • que pourrai-je faire , que deviendrai-je »
c faible femme, seule au monde, sans frère, sans père, sans amis?...
c Etends seulement sur ta couche tes membres fatigués ; ne le laisse
c pas trop facilement surprendre à ces terreurs qui t'en arrachent ;
c demeures-y paisiblement. Lorsqu'on n'est pas malade et qu'on croit
c l'être, on ressent tout le trouble, toute la fatigue de la maladie. »
Entr'autres caractères de femmes moins importants, citons encore
celui de Tecmesse , dans Âjax , la fille du roi de Mysie , devenue
l'esclave et la compagne d'Âjax ; avec son attachement touchant pour
son maître et son profond amour pour son enfant , elle nous rappelle
l'Ândromaque de l'Iliade, arrêtant aux portes de Troie son époux
dont elle pressent la perte prochaine. Nous croyons, en effet, entendre
l'épouse d'Hector, quand elle conjure Ajax de vivre pour son vieux
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508 REYUB D' ALSACE.
père, pour son Bb, qu'il laissera exposé sans défense aux insultes de
ses ennemis, et surtout pour celle à qui il a tout ravi, et qui a reporté
sur lui toutes ses affections. Et , lorsqu'Ajax , uniquement préoccupé
du sort de son enfant, demande qu'on le lui apporte, il y a dans cette
scène éminemment pathétique quelque chose de cette autre scène ,
également émouvante, où Homère nous représente son héros de pré-
dilection souriant à la vue d'Astyanax , et déposant son casque , afiu
de l'embrasser plus à son aise, be père et la mère , dans ce commun
embrassement , semblent avoir oublié , l'un , ses sombres préoccu-
pations , l'autre , ses alarmes et son effroi.
Déjanire, dans les Trachiniennes, l'épouse bonne mais peu intelli-
gente d'Hercu)e, dont Sophocle dépeint avec tant de vérité les inquié-
tudes jalouses, les espérances, le désespoir, est encore un personnage
qui nous attache, surtout par sa résignation, t Vous venez, je le vois,
f dit-elle aux jeunes Trachiniennes, au bruit de mes chagrins. Puissiez-
c vous toujours, comme aujourd'hui , en déplorer l'amertume ! Ils ne
c sont pas de votre âge. Dans cette retraite paisible , au sein de
€ laquelle croit la jeune 611e, à l'abri des injures de l'air et des ardeurs
c du soleil , les jours s'écoulent doucement parmi d'innocents plaisirs
€ jusqu'au momeot où , quittant le nom de vierge , elle prend à son
• lour sa part des inquiétudes de la vie , et commence à trembler
€ pour un époux et pour des enfants. Alors, mes filles, vous saurez
€ par votre propre eipérience quelles sont les peines qui m'acca-
c blept (V. i41, etc.). • Ne nous attendons pas à la voir se livrer aux
emportements de la jalousie , ni aux plaintes du désespoir, ni aux
suggestions de la vengeance, lorsqu'elle apprend qu'Hercule la délaisse
pour Joie, dont la beauté est dans toute sa fleur, tandis que la sienne
commence à s'effacer ; elle reste calme et dévouée dans sa douleur,
et elle ne se montre ardente et passionnée , que lorsqu'elle apprend
que le fatal don de Nessus , auquel elle a cru devoir recourir, comme
à une ressource extrême , va devenir la cause de la mort de son
époux, qu'elle aime de toutes les forces de son être, et dont elle jure
de partager le sort. Ici encore , on peut le dire , Sophocle a pris la
nature sur le fait.
Ed. Gogubl.
(La fin à îa prochaine livraison).
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ.
CHAPITRE f.
SITUATION GÉOGRAPHIQUE ET ÉCONOMIQUE DE LA VILLE DE SOULTZ , SA
BANLIEUE . SES FORÊTS , SES RUISSEAUX , SES FABRIQUES , ETC.
DiM€ Siadt SuU% liegi an emem fruehtharen M ,
hetonders hat ne etnén guten Weinwachs.
(SÉBASTIEN MimsTER, Welibeschreibung , 4576),
Son territoire fertile en vin et en céréales s'étend
au loin à travers la forêt de la Yosge.
(Schocfflin).
Assise aux pieds des Vosges , dans une situation fort pittoresque et
très-riante , la ville de Soulu • Tancien Sulz du Hundat (<), possède
à sa gauche l'industrieuse cité de Guebwiller , à sa droite» la belle
villa d'Ollwiller, le séjour favori desWaldner; derrière se voit la cime
du Ballon , le mont Pelem des anciens et devant elle la magniâque
plaine de la Hardt . bornée à l'horizon par la Forét-Noire.
Soultz possède quatre mille âmes O ; c'est un chef-lieu de canton.
Son sol des plus fertiles produit de tout» son vin très-agréable acquiert
avec l'âge ce bouquet aromatique qui est le propre des vins du Rhin ;
ses forêts très-étendues sont peuplées de sapins et de chênes » ses
prés sont nombreux et entretiennent beaucoup de bêtes à cornes, en
résumé» dans ce petit coin de terre» l'homme trouve réunis, le bois,
le blé» l'herbe et le vin » les quatre mamelles du globe, les sources
de l'existence , les quatre facteurs de la vie animale.
(*) Car l'on écrivait Sulz et non SoulU.
(') Avec Tanneze de Jungholtz et les habitants des métairies de Tliierbach et
du Ballon.
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5i0 REVUE D' ALSACE.
Le territoire de Soullz a environ quatre lieues de longueur (du
Ballon au ban de Raedersheim) , sur une lieue et demie de largeur; il
confine aux bans de Guebwiller, d'Issenheim, de Rœdersheim, de
Feldkirch, deBollwiller, de Berrwiller, de Harimannswiller , de
Wattwiller , de Wuenbeim , de Goldbacb , de Murbacb et de Rimbacb-
Zell ; il en traversé par la route impériale de Lyon à Strasbourg
portant le numéro 83, par la route départementale de Lucelle à
Guebwiller, par la voie de grande communication du Rbin à Souitz
et ps^ une quantité de cbemîns vicinaux.
Deux petites rivières arrosent cette banlieue. La première, la
rivière de Jungboltz , surgit au pied du Ballon dans un lieu appelé
Fûrslenbrunnen , descend en serpentant la pente de la Glashûu
^métairie) et là opère sa jonction avec un ruisseau qui arrive du côté
opposé , puis traverse le baroeau désert de Dieffenbach , le village de
Rimbacb , les sombres sapins du Schlûssel^ et vient mouiller tout près
du Breiierutein , ce rocher célèbre par ses exorcismes , où jadis les
capucins conjuraient les revenants qui obsédaient nos ancêtres. De là
elle passe aux pieds du village de Rimbacb-Zell , traverse la riante
petite vallée de Jungboltz , que dominent le Geiskopf , l'Âx et le Binz-
bourg, sépare en deux le bameau où jadis les barons de Schauenbourg
faisaient résidence, coule en-dessous des Ruines de leur château,
sert de démarcation au canton, arrive au sud de la ville où elle par-
tage ses eaux , dont une partie se jette dans le canal appelé Mûblbach
qui pénètre directement dans Souitz et l'autre partie , restée dans son
lit , prend le nom d'Âltbacb , baigne les anciens remparts de la ville
et n'y fait son entrée qu'entre le château et la commanderie ; elle
coupe l'ancien faubourg Saint-Jean dans toute sa largeur en le sépa*
rant de la ville et va rejoindre le canal dit Mûblbach (canal intérieur)
immédiatement après sa sortie, où, débaptisée derechef, elle prend
le nom de Grumbacb , glisse à travers l'herbe et les broussailles ,
arrose les prés enclavés entre l'Allemend , le bois d'Issenheim et le
Bilfcld et finit par s'y perdre insensiblement.
Cette petite rivière fait marcher plusieurs usines (i) et une demi-
douzaine de moulins. Si ses eaux étaient plus fortes depuis longtemps
(') Ces usines sont celles de Riipbach , Rimbach-Zell , la fabrique Latcha , celle
de M. J. Barth , les moulins de Jungboltz , la Herrenmûbl , la Zipfelmûhl , la
Scbleienmûbl et les moulins de la ville.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SODLTZ. 54 i
d'autres fabriques seraient établies à Souliz; nous croyons qu'on
pourrait créer un courant bien plus fort en aménageant les .filets
d'eau qui se perdent dans la montagne.
Le second ruisseau , celui de Wuenheim , descend le versant rabo-
teux du Kaltenbach, parcourt le vallon dit Huenerthal, arrose le
socle du Fasnacbtkopf» puis celui du Roihrœin» passe au sud de
Wuenheim et, à la base de rOrscbwillerburg, contourne en partie la
butte de Saint-Georges et va se perdre dans le hideux bassin de Saint-
Fridolin (^) , vrai basilic de la contrée.
Les forêts que possède Souitz sont immenses : elles commencent
aux clairières de Jungboitz et aux marais de l'Erlenbach , puis s'é-
tendent par Sainte-Anne jusqu'au Ballon. Ces cantons boisés se
nomment: le Fuchsthal, le Lunerbœchle, le Schlûssel, le Ziegelweg,
le Hoehwasen , le Ruchihal, le Laberenbuckel , le Hochbum , le Kohi"
graben, le Breiuhal, le HertzfeUen, \e Metzgergraben , \e KohUchlag,
le Klein- Ofen , le Gros-Ofen , le Klem-Siail et le Gros-Stall.
Le roc du Freundstein , te berceau des Waldner , est entouré par
le Klein-Ofen , cette forêt futaie est la plus belle qui se trouve dans
l'étendue du ban de Souitz ; elle se nomme du terme général de
ffein-O/en ou petit four, parce que dans les anciennes guerres le
village de Wuenheim s'y était réfugié et y avait établi ses pénates
pour échapper à la fureur du soldat (^). Celte forêt » qui a donné lieu
à un grand procès entre la famille Waldner et la ville de Souitz (S) ,
se divise en dififfTents cantons. La partie la plus voisine du château
est appelé Freunduetn, une autre partie se nomme Hartenfelt et une
troisième est dite MeUgergraben (fossé du boucher) ,. par une opinion
populaire qu'un boucher, réputé sorcier, y a été justicié.
Le Klein-Ofen est entouré du Gros-Ofen qui a servi , durant les
guerres , d'asile à la bourgeoisie de Souitz ; ce nom lui a été donné
par opposition à la forêt précédente , qui n'avait recueilli que les
(*] Ce gouffre très-profond , et qu^on dit tourbillonnant an fond , est situé à l'est
de la route de Cernay à Issenheim , sur une ligne droite qui unirait Hartmanns-
willer à Bollwiller.
(*) C'était à répoque de la guerre des Suédois que la population avait émigré
dans cette forêt.
(') Ce procès avait été intenté à la ville par le comte Dagobert de V^aldner de
Freundstein ; on trouve toutes les pièces de ce procès aux archives de la ville.
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812 REVOB D'ALSàCB.
bourgeois de Waenheim. Le Klein-Stall airait , dans les dentiers siècles»
été le réceptacle da bétail de WueDheiat » le Gros-Stall a fourni le
même secours à la yille de Soulu.
Cette yille était sur le point de perdre cette magnifique propriété ;
l'argent qui est le nerf de la procédure comme celui de la guerre .
commençait à lui manquer, et le comte Dagobert était bien puissant;
il prétendait que ces forêts avaient appartenu à ses ancêtres, il cher-
chait i prouver que le Freundstein était antérieur à la ville; dans cette
occurence les prévôts de Souliz , de guerre las, allaient céder, quand
lout-à-coup un secours inattendu en argent leur arriva et le procès
fut gagné. Ce service ne fut pas oublié lors du bouleversement de 89,
la bourgeoisie s'en souvint.
Souitz est plutdt une ville agricole et vinicole qu'industrielle.
Néanmoins trois rubaneries y sont actuellement établies et occupent-
500 ouvriers 0).
Le marché se tient le mercredi de chaque semaine ; il est très-
important ('). Les transactions en céréales sont très-fortes; ce marché
peut être classé après ceux de Colmar et de Mulhouse, et au pair
avec celui de Thann.
Le revenu annuel de la ville, avec Thierenbach et les autres métai-
ries qui lui appartiennent, est en moyenne de cinquante-six mille fr.,
la commune paie 7278 fr. de contributions. Les coupes ordinaires de
bois fournissent annuellement de viogt-trois à vingt-cinq mille francs,
les usines communales et les fermes, de onze à douze mille francs.
Souitz est pourvu de très-bonnes fontaines ; ce qui lui manque
encore, ce sont des écoles: radministration actuelle s'en occupe acti-
vement; d'autres améliorations, comme la construction d'une halle ,
l'établissement d'une grande fontaine Jaillissante sur la place , sont à
l'étude.
(*) La rabannerie de MM. Meyar^Mérian occupe 160 ouvriers.
GeUe de M. Hoffmann 300 »
Et celle de M. Stocker 80 »
Latscha (Jungholiz) 90 »
(*} Ou y voit fréquemment ]usqu*à 1000 bectolilres de blé.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ. 543
LE BALLON,
Le Ballon , eo allemand le Belchen^ est la plus baote oionlagoe des
Vosges , et dépasse de 1414 mètres le niveau de la mer; il appartient
depuis un temps immémorial à la commune de Souitz.
Des huit montagnes nommées Belchen ou Ballons qui s'élèvent au-
dessus de toutes celles qui les avoisinent . et dont six appartiennekit
à la chaîne des Vosges , le Bekh de Souitz est la plus élevée.
La dénomination française se prononce Ballon en Alsace « en Lor-
raine Bâioo. Les populations allemandes ont conservé le mot celtique,
la dénomination primitive, Bœlacha^ Bél-a-cha (<). Les auteurs, qui
ont écrit en latin , se servent des expressions Btleus; dans un privilège
accordé par Louis-le-Débonnaire à l'abbaye d'Ebersheim , le 48 mai
847, ùgure Peleuf {^).
M. Moue , le savant archiviste du grand duché de Bade (^) , fait
remonter l'origine de Béleh à Bel, Bélen, Beknus, le dieu du soleil
des Celles, le Baal des Assyriens, l'Apollon des Romains. (Dièse
Belche waren dent Dienste des Goties Bel oder Belen geweiht).
M. Stœber, l'archéologue de Mulhouse , pense que ce mot celtique
Belleach est composé de Bel , nom du dieu du soleil • et de U'och ,
qui signiâe lieu , endroit , place.
Bélch désigne donc un lieu consacré au culte de Bel , de Baal , au
culte du soleil.
Beaucoup de preuves attesieut l'existence en Alsace , et dans les
contrées avoisiuantes , du culte que nos ancêtres vouaient au soleil.
Le dieu Soleil , le Baal des Assyriens , chez nous en Alsace, se nom-
mait Belenus ; les Romains qui nous imposèrent leur domination et
leurs divinités , rappelèrent Mercure , dipu Soleil. Or , on a trouvé
beaucoup de monuroenu qui nous rappellent ce dieu dans le district
de Dabo , à Strasbourg et à Ebersbeim ; d'un autre côté les feux
allumés sur les sommets et sur les versants orientaux de nos mon-
tagnes, notamment aux solstices d'été (feux de Saiut-Jean) et d'hiver
(feux de la Noël) , feux qui n'ont aucune signification dans les rites
{*) Bel a eha , avec un a fartif entre les oonsonnes 2 et ch et une forte aspiration
de ^ gutturale ch (Schoepflin , Signification des noms Delch , BaUon.)
(*) Alsace illustrée , par Schcepflin , f . 4.
(') Gesehiehte des Heidenthums im nœrdUehen Europa , tom. u , page 337.
S* Série. - S* AMét. 33
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5U REVUE D'ALSACE.
de la religion cbréticfune, se rattachent aussi à ce colle qui est le plus
ancien de tous. Cela se comprend » Thonime a adoré le soleil par
reconqaissance ; cet astre lui donne la lumière, la chaleur ; il lui
mûrit les fruits et lui fait cadeau de toute la végétation ; la nuit el le
froid c'est la mort, c'est le néant , le jour et la chaleur c'est la vie ,
c'est l'existence ; c'est ce besoin de la lumière » c'est son énergie
créatrice qui a été sentie par tous les hommes, qui n'ont rien vu de
plus affreux que son absence ; voilà leur première divinité , voilà le
dieu Bel des Ghaldéens , l'Oromaze des Perses , TOsiris des Egyptiens,
l'Hercule des Romains. Le culte du soleil s'exerçait ordinairement sur
les hauteurs , sur les sommets des montagnes les plus élevées ; c'est
là que s'allumaient les feux sacrés , c'est là que se célébraient, autour
de monuments bruts et grotesques, Yes danses mystérieuses des prêtres
et des prétresses et de leurs adeptes ; c'est là que s'immolèrent les
victimes , surtout les chevaux , que les Celtes et les Germains ainsi
que les peuples de l'Orient sacriâaient de préférence au soleil (i).
Chose curieuse et digne de remarque , c'est que là où le monde du
moyeo*âge plaçait le rendez-vous des sorciers et des sorcières , là ,
jadis, dansaient les druidesses; là, jadis, l'on sacrifiait àMythra,
témoin le Bollenberg près d'Orschwibr. Je sais bien qu'un critique
très-distingué a dernièrement voulu établir que les pierres celtiques
qui se trouvent sur cette montagne étaient des blocs erratiques , por-
tés là par les révolutions du globe ; cela est possible , mais qu'im-
porte I le déluge est antérieur aux druides ; ces blocs ont pu être
erratiques avant que de servir aux sacrifices des prêtres gaulois C).
Le sommet de notre Beich était un autel créé par la nature même,
et la divinité, qui y recevait l'adoration , le choisissait comme un lieu
de prédilection. Une tradition répandue parmi les habitants de notre
Ballon , spectateurs du premier réveil du jour , rapporte , qu'à la
hauteur où se trouve le sommet de cette montagne , les crépuscules
de la nuit et les lueurs de l'aurore, pendant les grands jours de l'été,
se confondent de telle sorte , qu'il est à peine donné quelques instants
{*) Le Schimmelréin , le o6teau du cheval bUnc près de Hartmanoswiller, et le
BoÊêhtrg près de Thann ont probablement vu de pareils sacrifices. Les peuples
primitifs ont toujours sacrifié sur les hauteurs , témoin Abraham qui monta pour
immoler Isaac sur la montagne.
C) Noos reviendrons sur le Bollenberg en parlant des environs de Soulu.
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HISTOIRE DE LA TILLE DE SODLTZ. 515
.à la nuit ('). Mais les Belch n'étaient pas les seuls hauts-lieux où se
célébrait le culte du soleil dans nos contrées : nous avons déjà cité le
Bollenberg , citons en outre le Rossberg ( la montagne du cheval )
derrière Tbann et dont le plateau occideotal , chose précieuse à con-
stater, a conservé jusqu'à nos jours le nom de Belacker (champ de
Bel); le Rotskopf dans la forêt de Barr , et enfin » tous ces nombreux
coteaux qui s'élèvent sur le versant oriental de nos Vosges et qui ,
depuis Thann jusqu'à Wissembourg, sont nommés Sannenberge ou
Simnenkœpfle (*).
Specklin , qui a rédigé ses manuscrits il y a près de trois cents ans,
prétend que l'on voyait, de son temps , sur le Ballon, une longue
muraille épaisse de douze pieds. Cet auteur attribue ces restes aux
Romains; ses expressions paraissent indiquer, non un camp, comme
le croit de Golbéry , mais un temple , car l'on conçoit \liflScilement
un poste militaire dans ces lieux inaccessibles. Sans doute , comme
l'indique M. Kavenèz (Schœpflin traduit avec notes, lom. ii, p. li),
il y avait du temps des Romains, sur le sommet des Vosges, une
série d'enceintes qui en défendaient les défilés et les hauteurs ; suns
doute , la tradition place un camp romain sur une des hauteurs qui
forment l'entrée du Florival , mais ce n'est pas sur le Ballon qu'il faut
chercher ce fort, mais bien près de Guebwiller, sur VOberlinger ,
montagne qui jadis portait le nom de Castelberg , et où l'on voit en-
core les restes d'un ancien camp fortifié.
Du haut du Ballon ou découvre toute l'Alsace , la terre sacrée de
notre patrie ; à l'est se voient les prairies du Sundgau , la forêt im-
mense de la Hardt , la rivière de l'IU et plus loin , comme un ruban
d'argent cousu sur la bordure de ce magnifique tapis , le Rhin que
tant d'armées ont traversé victorieuses ou vaincues , le Rhin , le vieux
gardien de la Germanie , comme l'appelle Schiller , et qui a vu tour à
tour les triomphes et les désastres des Césars et des peuples bar-
bares {*).
A l'ouest, du cdté de la Lorraine, se remarque la vallée de Saint-
Amarin , les chalets du RedU et du Gnstiberg^ les maisons éparpillées
(*) SchOepflin , jiUaee illustrée, trad. par M. Ravenèz , tom. i, f. 33.
(*) Il y a un Sonnmkœp/le à SouUzmall , au nord du Wllage.
(') Der aUe Vater-Rhein , der alte GrenzenhUter der Germanen, Schiller ,
tom. I, page 421.
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5i6 REVUE D'ALSACE.
d'Altenbach et de Geisbosen » collées ao flanc de la montagne, et , au
fond, le Mordfeli, ce lieu, de sinistre mémoire, où furent massacrés
sept religieux de Murbach (en 937). Au sud Ton distingue la métairie
du Gertîenacker , celle de la Goldmau , le joli village de Goldbacb, et
enfin le Freundstein , le castel antique , le berceau des Waldner où
tant de drames se sont joués et qui aujourd'hui n'est plus qu'un amas
de ruines ; puis, plus loin les hauteurs du Jura et, par delà cette ligne
avancée, les Alpes et les glaces qui les couvrent avec les contours
neigeux de la Jungfrau ei ceux du Finster^Aarhorn (i).
D'autres métairies entourent encore le Ballon, celles du Sudel, du
KohUchlag et de la GUuhûit; on se dirait là haut transporté dans
une petite Suisse , qui , elle aussi , a ses chftIetSt ses troupeaux et ses
pâturages parfumés.
Ch. Kmoll.
(La imi$ à um pracMne HwéUon,)
(*) Le pUtetu du Btllon éqainot , d'après M. Silbermann, en étendue, à la
plaoe Saim-Tbomas à Suraaboarg.
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L'HIRONDELLE.
Hiroodelle» oà vas-to? Pourquoi quitter la France?
A-t-on détruit le nid de tes chères amours?
Reste au milieu de nous , car pour moi ta présence
Est le symbole heureux de nos derniers beaux jours !
Vois, je suis triste • et j'aime à voir ton aile noire
Effleurer ma fenêtre . au lever du soleil.
Tu me dis d'espérer, de sourrire et de croire ,
Quand mes yeux fatigués s'élèvent vers le ciel !
Je partage avec toi le pain de ma misère ;
Je protège ton nid menacé chaque jour.
Dis-moi , trouveras-tu sur la terre étrangère ,
Un ami plus aimant, un plus calme séjour?
Ce n'est point aux palais des riches de la terre
Que tu pourras placer ton fragile berceau.
Non , tu verrais bientdt une main téméraire
Briser avec dédain ton nid , petit oiseau !
Hélas ! je parle en vain . tu vois déjà le givre
Glacer chaque matin mes modestes carreaux ;
Tu sens venir l'hiver , tu veux aimer et vivre :
Pars, et laisse pour moi les soucisret les maux.
Et quand un doux printemps renaîtra pour la France ,
Pense au pauvre qui souffre et attend ton retour ,
Et viens à ma fenêtre apporter l'espérance.
Au cœur du malheureux il faut un peu d'amour !
M"^ Geneviève Bourgeois.
Mulhouse , octobre 1861.
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LA MORALE ET LA PHILOSOPHIE DES MŒURS, par M. Natter,
Conseiller honoraire de F Université, ancien Inspecteur général des
bibliothèques publiques.
Il y a quelque temps déjà , nous avons annoncé aux lecteurs de la
Revue d'Alsace l'ouvrage de M. Maiter en nous promettant d'y revenir
plus tard pour en donner une analyse plus étendue.
Nous ne nous étions pas trompés en lui prédisant le succès. Le
monde philosophique a reçu avec faveur, et la critique a apprécié
avec éloge la nouvelle production de notre savant compatriote.
Le principal mérite du livre de M. Matter, à nos yeux, c*est d'être
véritablement philosophique. L'auteur n'a pas voulu refaire , après
tant d'autres , un Cours de Morale, et exposer dans les cadres con-
sacrés l'ensemble systématique des devoirs qui règlent la destinée
morale de l'homme et les rapports variés qui le lient à ses semblables.
M. Matter s'est élevé au-dessus de cet ensemble de préceptes pure-
ment formels, que la science philosophique a depuis longtemps expo-
sés et classés , et auxquels il ne semble pas qu'il y ait beaucoup I
ajouter, ni rien à retrancher. Il a voulu examiner, chose plus difficile
et plus neuve , d'une part les principes métaphysiques auxquels les
préceptes de la morale empruntent leur certitude et leur autorité , et
d'antre part les faits psychologiques et historiques qui , en influant
sur la conduite de l'homme, tendent égaleqent à modiOer les pré-
ceptes trop abstraits d'une morale purement spéculative.
En un mot , M. Matter a voulu faire et a fait une véritable Philoso-
phie des mœurs. Il s'est préoccupé de plusieurs problèmes du plus
haut hfitérét, et que la morale théorique, enfermée dans la région des
principes abstraits , dédaigne ou ignore.
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LA MORALE ET LA PHILOSOPHIE DES MOEURS. 519
Parmi ces problèmes il en est deux sartoot qui ont particulière-
meut fixé l'atteution de M. Matler: les rapports de la morale avec la
politique et ses rapports avec la religion. Egalement éloigné de la
doctrine chimérique et dangereuse qui absorbe complètement la poli-
tique dans la morale , et de la doctrine plus dangereuse encore qui
les sépare complètement , M. Matter revendique avec énergie pour la
morale le droit de contrôler la politique » de redresser ses erreurs »
de prévenir ses abus» seul moyen de la sauver des fautes qui la com-
promettent et des excès qui la perdent.
Les rapports de la morale avec la religion sont d'une nature plus
délicate et plus difficile à préciser. La politique, lorsqu'elle ne se
soumet pas à la morale , s'en passe complètement. Mais la religion a
la prétention d'être elle-même une morale, ou plutôt la seule morafô
légitime. Elle est généralement peu disposée à reconnaître à la raison
et à la philosophie , son interprête , le droit de donner des lois et de
régler la destinée morale de l'homme. La question, on le voit, est
délicate , surtout pour les esprits sérieux et véritablement philoso-
phiques , qui ne peuvent se décider à résoudre le problème en sup-
primant l'un des deux termes , et à vider le différend entre les deux
rivaux en dépouillant l'un au profit de l'autre.
Il faut louer également M. Matter d'avoir abordé loyalement cette
difficile question, et de Tavoir résolue avec une entière indépendance
et un égal respect pour les droits de la religion et les droits de la
raison. M. Matter est persuadé que la religion et la philosophie ont
chacune autant à gagner à la conciliation de la morale religieuse et
de la morale philosophique, qu'elles auraient à perdre à ce que l'une
fût supprimée au profit de l'autre.
Passant à la morale elle-même • M. Matter réduit à quatre toute la
variété des théories qui se sont produites sur le principe fondamental
de la Morale : Ce principe a été cherché ou bien I) dans les lois, dans
la politique , dans l'éducation ; ou bien â) dans les rapports néces-
saires qui résultent de la nature même des choses ; ou bien 5) dans
la constitution naturelle de l'homme ; ou bien enfin 4) dans la nature
divine elle-même , considérée comme le principe créateur de l'ordre
moral de l'univers. Nous n'avons pas besoin de dire qu'aux yeux de
M. Matter, la plus fausse de ces théories est celle qui fait dériver les
principes de la morale, de l'éducation, des institutions politiques, ou
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5S0 REVUE D'ALSACE.
de ropioion des hommes. Ed effet» ou bien tes iostituUoos politiques,
les préceptes qui dirigent i'éduCatlon et les maximes qui règlent
l'opinion , ont elles-mêmes leur raison d*étre dans un principe supé-
rieur, et alors ce n'est plus sur elles mais sur ce principe que repose
louie morale ; ou bien elles sont l'œuvre éphémère du caprice ou
d'une convention arbitraire , et alors c'est en réalité détruire la mo-
rale que de l'appuyer sur cette base fragile et toujours chancelante.
Nous sommes également de l'avis de M. Matter, quand il montre
que ce n'est pas davantage dans la nature mobile et passionnée de
l'homme qu'il faut chercher le principe qui doit r<^gler notre destinée
morale et opposer l'autorité souveraine et absolue du devoir aux agi-
tations turbulentes et aux fantaisies capricieuses de la passion. Le
vrai principe de la Morale ne peut se trouver que là où est le prin-
cipe même de toute existence dans la raison éternelle et divine. Là
est aussi, aux yeux de M. Matler, la vraie, la seule solution du pro-
blème moral. Cependant nous ferions volontiers une réserve en faveur
de la théorie qui place le fondement de la morale dans les rapports
nécessaires des choses , et que M. Matler condamne expressément
comme portant atteinte c à la liberté du créateur et de la créature. »
c Ce qu'il y a de vrai dans cette théorie des rapports nécessaires ,
dit M. Matter, c'est que l'auteur des choses est un être nécessaire et
que la loi qu'il leur a donnée pour régler leurs rapports est pour eux
à ce point obligatoire, étant suprême, éternelle et universelle, qu'elle
doit nécessairement être suivie pour que soit atteint le but qui l'a
motivée. Mais il n'y a de nécessaire que cela. La loi a été librement
donnée pour un dessein librement choisi, à des êtres librement
appelés à y concourir. > (P. 62.)
Nous croyons que la nécessité de la loi morale qui fait son auto-
rité, sa force et sa beauté, réside précisément dans sa nature même,
et qu'en exprimant les rapports nécessaires des agents moraux » elle
exprime la loi même qui les régit, comme les rapports immuables des
nombres et des lignes expriment en même temps les lois immuables
des mathématiques et de la géométrie. Est-ce à dire que cette néces-
sité détruise la liberté divine ? Non , pas plus que la liberté divine ne
crée cette nécessité, car cette nécessité est l'intelligence divine elje-
même , et comme le dit excellemment le pieux Ma'ebranche : • cet
ordre immuable est certainement la règle inviolable des volontés
divines i (Traité de l'Amour de Dieu. Ed. Charpentier, p. 548.)
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LA MORALE ET LA PHILOSOPHIE DES MOEURS. 521
Nous ne pouvons pas non plus nous résoudre à croire, avec
M. Mat 1er» que la nécessité des rapports détruise la liberté de l'agent
moral et conduise au déterminisme. Il s'agit ici d'une nécessité toute
morale qui commande à l'homme sans le contraindre , et le pouvoir
de violer la loi morale qui reste toujours en nos mains , n'altère en
rien la nécessité idéale de cette loi, pas plus que cette nécessité elle-
même n'altère le libre arbitre de l'agent moral.
Après cotte exposition intéressante et cette discussion approfondie
des principes, théories morales, parmi lesquelles nous signalons sur-
tout un chapitre curieux et nouveau sur |ps Odactites^ M. Matter arrive
à la théorie des devoirs. Ici nous rencontrons une idée qui nous paraît
d'une incontestable justesse. M. Matter s'écarte de la classification
généralement admise et qui partage les devoirs en devoirs envers
nous-mêmes, envers les autres, et envers Dieu. Si le principe de nos
devoirs, dit très-bien l'auteur, est dé nous rattacher à l'ordre, ce
n'est pas envers nous . c'est envers l'ordre que nous nous acquittons.
Tout ce qu'on appelle improprement devoirs envers nous-mêmes
n'est qu'un ensemble d'obligations , les unes générales , les autres
spéciales qui découlent très-réellement de nos rapports avec Dieu ,
ou de nos rapports avec nos semblables. Ce sont les devoirs fonda-
mentaux , les devoirs essentiels , qu'il nous faut remplir afin de nous
mettre à même de nous acquitter de tous les autres. En efiet , il n'en
est aucun dont nous soyons en état de nous acquitter à moins, i
(P. 212.)
Les endroitJT du livre auxquels nous nous sommes arrêtés ne sont
pas les seuls qui soient dignes d'attention el d'intérêt. Dans le cha-
pitre consacré aux devoirs de l'homme avec ses semblables » en trai-
tant des relations des citoyens avec le gouvernement , des droits
respectifs de l'individu et de l'Etat , M. Matter aborde avec mesure
mais avec fermeté plusieurs questions qui n'intéressent pas seulement
le philosophe , mais chacun de nous , car elles sont débattues chaque
jour autour de nous : elles surgissent du sein de toutes les agitations,
de toutes tes révolutions, et l'histoire de notre siècle n'est guère que
rhistoir,e de leur triomphe ou de leui' défaite.
Un des mérites de l'auteur de l'ouvrage que nous analysons , c'est
précisément celte préoccupation de rattacher à l'étude théorique et
stientifique de la morale l'examen des problèmes politiques et sociaux
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522 REVUE D' ALSACE.
qui pattioDoent notre époque # et en les rapprochant de la région
des principes immuables et absolus » de les dégager des passions et
des intérêts qui les obscurcissent. C'est aujourd'hui le devoir le plus
sérieux et riniérél le plus pressant de la philosophie , de défendre
l'utilité si souvent contestée des hautes spéculations métaphysiques ,
en montrant que tous les problèmes qui intéressent le bonheur des
individus et le salut des peuples» trouvent leur solution dans les prin-
cipes constitutifs de l'ordre moral. Le meilleur éloge que nous puis-
sions faire du livre de M. Matter. c'est qu'il a prouvé, une fois de plus»
que- la philosophie comprend son devoir et qu'elle est capable de le
remplir.
Emile Grugker ,
profMsenr de phOoiophie aa Gymnaie de Strasbourg.
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UN LIVBE INTÉRESSANT POUR LES FAMILLES ET L*HISTOIRE D'ALSACE. —
L'Armoriai, — Paris, Colmar et Strasbourg. 1861.
M. Â. de B. vient de mettre la dernière main à l'édition d'un gros
volume qui paraîtra dans quelques jours , si déjà il n*a paru , et qui
présente un intérêt considérable pour l'histoire d'Alsace. Ce volume
a pour titre : Armoriai de la généralité d^ Alsace, — Recueil dressé par
ordre de Louis xiv et édité pour la première fois. — Il se compose de
vii-i08 pages non compris les tables que l'on n'a point placées sous nos
yeux au moment où nous traçons ces lignes. L'ouvage paraîtra ou a
paru simultanément chez £ug. Barth, libraire à Colmar, chez
E. Piton , rue de la Lanterne , à Strasbourg et chez Aubry , rue Dau-
phine , N^ 6 , i Paris. Le prix en est de 7 francs.
Sous les initiales inscrites en tête de cette anonce nous reconnais-
sons M. Â. de Barthélémy , ancien sous-préfet de Belfort retiré en ce
moment à Paris où il se livre à ses études de prédilection. M. de Barthé-
lémy, ancien élève de l'école des chartes, a laissé parmi nous
d'excellents souvenirs, et si nous devions juger de son affection pour
l'Alsace par les relations qu'il y a conservées et les moments qu'il
consacre à notre histoire, nous pourrions en induire la preuve que, à
l'inverse de la plupart des fonctionnaires , i] paie d'une réciprocité
parfaite les nombreuses connaissances qu'il a faites parmi nous et
qui aiment sa personne autant qu'elles estiment son caractère.
Hâtons-nous d'ajouter d'ailleurs , que M. de Barthélémy est quelque
peu Alsacien par sa famille et qu'à ce titre le patriotisme que nous lui
reconnaissons est aussi un peu une dette d'honneur.
Cela établi , passons non pas à l'analyse i*u livre, ce qui est l'affaire
des héraldisants , mais à sa description. 11 ne contient pas moins de
quatre mille cent cinquante-deux enregistrements d'armoiries con-
cernant les familles nobles et bourgeoises , les villes et villages , les
seigneuries , les comtés et les bailliages , l'évêché de Strasbourg et
les deux officialités de la province , les abbayes , les chapitres et les
couvents , les confréries , les tribus et les corporations d'arts et mé-
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524 REVUE D'ALSACE.
tiers « en un mot les personnes et les institutions qui constituaient la so-
ciété civile • la vie politique et religieuse de la province à l'époque de son
a&nexion à la famille française. On saisit , à la seule énumération qui
précède , Tintérét qui s'attache à cette publication pour les familles
dont la descendance s'est perpétuée jusqu'à nos jours , et surtout pour
une face de l'histoire de la conquête » qui était jusqu'ici demeurée dans
une demi-obscurité favorable à quelques tentatives contraires aux
tendances démocratiques du dix-neuvième siècle.
Selon le point de vue auquel on se place » l'exhumation de ces do-
cuments peut paraître revêtir lé caractère d'une œuvre rétrograde ,
ou bien de progrès. L'une et l'autre thèse peut être soutenue , mais
nous opinons pour la dernière , par la raison bien simple que nobles
et bourgeois se confondent avec une égale docilité , avec un égal
empressement sous la main du maître auquebles premiers se sont
donnés avec joie pour la plupart, et que les derniers ont subi ; ceux-là
font coqflrmer les hochets dérobés aux violences du moyen-âge ,
ceux-ci les reçoivent de la main du prince qui ne leur laisse pas même
la liberté de les refuser ; ils les lui paient et la majorité de leurs des-
cendants les laisse tomber dans l'oubli , où ils restent en effet jusqu'à
ce qu'un sentiment d'équité porte un esprit recommandable à leur
restituer, en 186i , tel quel, le patrimoine qui leur appartient.
C'est là véritablement un acte démocratique au premier chef; car,
outre qu'il répand la lumière sur un terrain où quelques velléités
nobiliaires ont tenté de prendre racine , V Armoriai nous montre con-
fondus dans un pêle-mêle égalitaire et tout-à-fait chrétien , la mître et
le rabot , le noble et le marchand , le bourgeois et le moine , l'ouvrier
et le fonctionnaire , en un mot la marque du croisé avec celle du dis-
ciple de Saint Cr^pin. Que ce sentiment ail été un des mobiles de
l'éditeur, c'est ce qu'il ue nous appartient pas d'affirmer et encore moins
de rechercher; mais ce que nous avons le droit de dire, c'est que
son œuvre ne peut avoir pour résultat de rendre à des titres le pres-
tige qu'ils OUI perdu , et bien moius encore de raviver un esprit de
caste dont l'un des privilèges honorifiques est dev* nu . par le fait
même du Souverain , le partage de la bourgeoisie du xvii* siècle ou
de la démocratie de nos jours.
En publiant ce document authentique , dit l'éditeur dans son éru-
dite préface, c nous croyons rendre un service véritable à nos com-
patriotes et à l'histoire de la province. > Gela est bien dit et très-
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m LIVRE INTÉRESSANT POUR LES FAMILLES , ETC. 525
vrai , car, i!i quelque poiut de vue'qtte Ton se place, le service rendu
est incontestable et mérite d'être reconnu par tous les encoura^^e-
ments que , dans notre pays , l'on ne manque jamais d'accorder aux
efforts de ceux qui réunissent et élaborent les matériaux de notre
curieuse et. Intéressante histoire.
A nos yeux le service rendu è l'histoire est plus considérable
encore que ne paraît s'en douter M. de Barthélémy. Nous manquons
totalement de connaissances sur l'Ârmorial communal de l'Alsace.
Jacques Baquol , dans son Alsace ancienne et moderne , ou pour mieux
dire , dans son dictionnaire , nous a légué les écussons de cinquante-
deux villes ou villages , composés au moyen de renseignements pris
dans les municipalités que ces armoiries concernent. Or, il a dû
arriver à ce laborieux ami de son pays , ce qui arrive à tout écrivain
qui est obligé de produire sans pouvoir recourir aux sources officielles
qui lui permettent de donner à son travail un contrôle indispensable;
c'est-à-dire que beaucoup des armoiries qu'il a éditées sont fausses
souvent et plus souvent encore inexactes. M. de Barthélémy le con-
state dans Tavant-dernier alinéa de sa préface et nous le reconnais-
sons avec lui. Mais nous dirons , à la décharge de la mémoire de
Baquol • que tout incomplet et tout imparfait que soit son travail » il n'a
pas moins le mérite d'avoir été le premier livre historique d'une utilité
journalière , d'avoir beaucoup aidé à la vulgarisation des connaissances
en matière d'histoire locale et enfin d'avoir, le premier dans notre
province, donné une certaine illustration au blason communal.
L'édition de V Armoriai arrive à temps pour rectifier les erreurs du
dictionnaire de Baquol , dont une troisième édition est , nous assure-
t-on , décidée depuis quelques semaines. Seulement nous remarquons
que l'éditeur de V Armoriai réserve la publication de l'atlas devant
contenir la reproduction coloriée et authentique des armoiries des
communes qui , à l'époque de la conquête , ont pourvu à leur enre-
gistrement dans les bureaux de la province. Le nombre en est consi-
dérable : nous en comptons plus de cinq cents , abstraction faite des
lieux qui, ayant probablement adopté l'armoirie de la seigneurie , du
comté , du chapitre ou de l'abbaye dont ils relevaient, ont été repré-
sentés collectivement par l'une ou l'autre de ces juridictions. La
coïncidence de ces deux projets implique une question de propriété
et de double emploi qu'il est bon de signaler avant que chacun ne
reçoive séparément une définitive solution.
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526 REVUR n'ALSACB.
Quelque fomiliarisé que Ton soit avec le langage et les conoais-
sances héraldiques , il est assez difficile de recomposer , avec uoe
irréprochable exactitude de détail, uoe armoirie compliquée; la
reproduction risque d'offrir souvent des variantes entr'elle et la com-
position-type sur laquelle la description a été écrite ; de sorte que
pour être exact , l'atlas aurait besoin d'être composé d'après le calque
de chaque armoirie. Il nous paraît que c'est ainsi que l'entend M. de
Barthélémy et qu'il dispose des éléments nécessaires à une semblable
publication. Ces raisons nous font vivement désirer qu'il soit donné
suite au projet que , dans la préface , l'on subordonne à l'accueil
réservé au texte , ou pour mieux dire au volume qui va ou qui vient
de paraître. S'il devait en advenir ce que nous souhaitons» l'historien,
les communes et l'administration posséderaient enfin l'image exacte
du blason communal , au lieu d'être réduits à se contenter de i'à-peu-
près d'une main plus ou moins habile ou bien encore de l'imparfait
croquis dont, sous la Restauration # M. d'Hozier a investi , moyennant
finance , quelques commmunes de l'Alsace.
Nous ne nous dissimulons pas que la publication de cet atlas est
une grosse affaire , non seulement au point de vue des difficultés de
l'exécution » mais encore au point de vue de la dépense. Cependant
elle intéresserait toutes les communias dont les armoiries seraient
reproduites et , en outre , les amis assez nombreux de notre histoire
provinciale. Quel que restreint que soit ce public, il nous semble
susceptible de répondre aux exigences de l'exécution. Si nous insis-
tons sur ce point , qui est moins notre affaire que celle d'un éditeur,
c'est parce que nous apprécions le dévouement dont M. de Barthélémy
a fait preuve en éditant le texte dont l'atlas serait l'inappréciable
complément.
M. de Barthélémy s'est abrité derrière une règle qui nous interdit
de lui chercher querelle sur une énorme question d'orthographié.
Voici comment il explique un parti qu'il était plus facile de prendre
que d'adopter, celui de la rectification à outrance :
• Nous avons cru , dit-il , devoir respecter dans l'édition de ce volu-
mineux document l'orthographe de rorîgînal ; si défectueuse qu'elle
soit , elle va rarement jusqu'à rendre méconnaissables les noms des
familles qui ont de la notoriété dans l'histoire de la noblesse alsacienne;
la même remarque s'applique aux familles bourgeoises non éteintes ,
mais il n'en est pas toujours de même pour les noms des localités :
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CHRONIQUE PROTESTANTE DE L'ANGOUMOIS. 527
dans la plupart des cas noos avons Jugé utile de rétablir » entre pa*
rentbèse , le nom du Heu auquel s'applique rappellaiton « plus ou
moins défigurée » que les agents de la conquête ont souvent écrite »
sans autre règle que celle résultant de la prononciation du mot dans
le langage alsacien. Dans beaucoup de cas , cette restitution nous a
paru absolument indispensable pour empêcher la confusion dans les
esprits qui ne sont point familiarisés avec la topographie de la pro-
vince. 9
II est vraiment dommage que cette précaution impose silence à la
critique locale qui a tant de méfaits à venger à l'endroit d'une fonle
de beaux esprits de la capitale. Malgré cette précaution nous nous
serions peut-être décidé à rompre une lance si nous n'avions immé-
diatement réfléchi qu'en cette occasion , nous aurions commis le plus
injuste desanachronismes, eu rendant responsable un de nos contem-
porains des Injures faites à notre nationalité par les Velches de
Louis XIV. Ensuite nous sommes obligés de convenir que la matière
touchant à l'Etat-civil de l'Alsace au dix-septième siècle , M. de Bar-
thélémy a bien fait de ne rien changer au document original et de
laisser à chacun des intéressés le soin de reconnaître les siens.
Louis de Chalandret.
CHRONIQUE PROTESTANTE DE L'ANGOUMOIS , XVI% XVI1% XYIIP SIÈCLE ,
par Victor Bujeaud. — In-8<> de 394 pages , 6 fr.
Un bon livre de plus , renfermant une collection de (Pièces rares ou
inédites, toutes relatives à cette province où Calvin posa les fonde-
ments de sou Imiiiution de la religion chrétienne , donnant lecture
des premières ébauches à quelques prêtres et seigneurs qui mon-
traient de grandes velléités pour la Réforme. L'auteur a enchâssé ces
pièces dans un récit rapide des faits principaux de notre histoire
nationale pendant les trois derniers siècles. Il a pensé remplir un
devoir » comme enfant du pays » amoureux de toutes les libertés , en
dressant la liste de ceux de ses compatriotes qui ont été éprouvés par
la persécutiou. Ce livre nous a beaucoup intéressé , et d'autant plus
que nous avons été appelé autrefois à exercer le ministère en ces
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528 REVOB D ALSAOB.
lieux qai marqaent leur place dans les origines de la RéforinatioD
française. Nous étant occupé nous-mêmes » il y a 25 ans , de l'histoire
religieuse de cette contrée , nous avons pu reconnaître toute Timpor-
tance de la chronique de M. Bujeaud.
Voici un échantillon de sa manière de faire un portrait vivant, celui
de Pierre de La Place d'Ângouléme , premier président à la cour deis
compie^^ » que Charles ix affectionnait particulièrement , quoiqu'il fut
partisan du prince de Condé. C'est après avoir été témoin du supplice
d'Anne Oubourg et des barbaries exercées dans la capitale sur les
Huguenots , que La Place avait fait profession publique de la religion
réformée : c Magistrat » philosophe , historien , écrivain politique et
religieux » de La Place nous apparaît comme le champion de la justiee
et de la légalité • comme l'apôtre du droit positif « de la raison » de la
mansuétude parmi les protestants du xvp siècle. Sa conversion , rér
sultat d'une conviction rassise , fut sincère et désintéressée. En se
déclarant pour la Réforme , il n'embrassa point un parti i mais l'âme
pleine d'un sentiment douloureux des malheurs de l'Etat > esprit ouvert
à toutes les idées de progrès , il se fit un devoir de contenir ses core-
ligionnaires , en même temps que , d'une pLume hardie . il combattait
pour la liberté de conscience. Un langage puissant et persuasif, une
intelligence droite et nette , la virilité de son caractère et sa modé-
ration lui avaient acquis une autorité souveraine sur les HuguenoU et
sur les Catholiques. Redoutable aux uns , aimé des autres » n'épar-
gnant le blâme à personne , honoré dans tous les camps , constant
dans la disgrâce , allègre au milieu des persécutions , instruisant
d'exemple jusqu'à sou dernier soupir . il montra • que la parole de
Dieu était plantureusement distillée en son âme. > Sa mort est celle d'un
homme intrépide et d'un chrétien. Ses écrits, où palpite un cœur tout
français » d'où déborde une charité ardente , témoignent de son patrio-
tisme et de sa vertu. • • . Il avait pour maxime : € Faire le bien où il
n'y a pas danger » est chose assez commune ; mais où il y a danger
faire le bien , c'est le propre office d'un homme d'honneur et de vertu. >
Tous les amis des études historiques , avec les réformés de l'an-
cienne province de l'Angoumois , seront reconnaissants à M. Bt^eaud
d'avoir publié cette histoire locale nom par nom , date par date. C'est
encore une de ces bonnes monographies qui sera consultée avec fruit
pour quelque travail général ou d'ensemble.
G. GOGUBL,
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ.
Suite (*).
PÉRIODE FRANQUB (667 A 40i5) APRÈS LE CHRIST.
Si nous n'avons pu prouver par A4. B que Soullz a existé du temps
des Romains , il nous est facile de démontrer Texisience de cette
localité sous les premiers rois de race franque.
Reportons-nous pour un moment à cette époque ; nous sommes
en Tan 425 ; les Allemani traversent le Rhin , les légions romaines
sont chassées de l'Alsace , les villes sont renversées , les citoyens
anéantis par Tépée du vainqueur ou emmenés en esclavage ; la loi
romaine est abolie , et notre belle province tombe subitement dans
la barbarie. En 451, Aitilla avec les Huns traverse l'Alsace et détruit
Augusta Rauracorum (ville romaine située près de Bâle). C'est à cette
période que notre province fut divisée en Sundgau (Haut-Rhin), et
Nordgau (une partie du Bas-Rhin) , et de cette époque datent aussi
les terminaisons en ach , bach , heim, burg, haUsen^ kirch, staii, etc. ,
dont l'Alsace est encore pleine aujourd'hui.
En 510 , les Francs arrivent dans la Gaule (<), ils embrassent le
Christianisme , et , sous l'influence des évéques , ils rebâtissent les
villes , réparent les villas romaines et font cultiver les terres. Les
rois mérovingiens , très-adonnés à la chasse » viennent demeurer à
risenbourg (Rouffach), à Marlenheim , à Sierentz ; ils font de riches
dotations aux monastères naissants et c'est dans les chartes de dota-
tions que l'on retrouve l'histoire des villes et villas habitées.
(*) Voir la livraison de novembre , page 509.
(*) Les Francs ne prirent pas possession de l'Alsace dîreetement après les
Romains ; ils snlijaguèreDt les Allemani qui avaient chassé les Romaios vers Tan
420 après le Christ, et qui étaient demeurés maîtres ée cette province pendant 90
ans.'
£*Séne.—2« Année 54
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530 REVUE D'ALSACE.
Quelques maisons furent alors bâties à Souitz ainsi qu'à Âiscbviller*
puis vers Tan 600, une petite église dédiée à St-Maurice fut élevée dans
la première de ces localités.
Sous le règne des mérovingiens Childéric il et Tbiérri m, il existait
en Alsace un ducgouverneur, nommé Eticbon, ou Atbic, (en allemand
Âdelbert); son épouse se nommait Beresvinde et était proche parente
de St-Léger. évéque d'Antun. Ce duc attendait avec impatience la
naissance d'un fils, premier fruit de son mariage; il fut tellement
irrité de voir naître une fille aveugle , qu'il la bannit de sa présence
et voulut même la faire périr.
Une fidèle nourrice la transporta au monastère de Palme en Bour-
gogne (Baume-les-Dames)» où le baptême , que lui administra Saint
Ërhard opéra le miracle d'ouvrir ses yeux à la lumière. Le père la
reprit plus tard. Cette fille fut St-Odile qui fonda l'abbaye de Hohen-
bourg et celle de Niedermunster.
i^ c En 667, Adelbert , aida à fonder l'abbaye d'Eberstmûnster, Il
donna à cette abbaye plusieurs de ses domaines situés dans la haute
Alsace , entre autres la cour seigneuriale et l'église de Souliz avec
toutes les dîmes du ban de cette ville (i).
^^ c Sainte Odile, abbesse de Hohenbourg et fille d' Adelbert, fonda
l'abbaye de Niedermunster vers Tan 700 ; elle adjugea à celte dernière
des biens situés à Souitz :
c Sulze cum suis appenéUcus , est-il dit dans le testament de cette
abbesse . fait vers l'an 708 (^).
3® c Du temps de Colombe , qui était l'abbé d'Eberstmûnster sous -
le règne de Pépin , vivait un prêtre nommé Irin , qui bâtit à Souitz ,
près de la porte , l'église de S.-Pierre , ecdesiam que cella sancti
Peirt dicitur, dit la chronique d'Ebersmunster; cette église fût consa-
{*) La chronique d'Ebersmûnster, qui raconte ce fait , se trouve dans la biblio-
thèque de Schlestadt ; elle a été publiée en partie en 17i7, par Dom Martène.
Le texte de la dotation d'Adalric porte « Ac suprâ altare sancti Mauriqi oontra-
didit in Suiza , curtis dominica cum omnibus appendicis » puis pour fixer l'éten-
due du ban de Soulz « ac totus simul bannuus généralis a jugo montis , qui
Beleus didtur (balon) et à fonte qui Breitenbninnen vocatur, usque ad saltum
qui Munebruochisvocatur. > C'est donc par erreur, que le balon est appelé balon
de Guebwiller. Cette montagne depuis 667 ftit partie de la banlieue de Souliz.
(■) Granduibr , Biêtoirs d9 VégUn d$ Strasbourg.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE SOULTZ. 554
crée par Pirmin , abbé de Reichenau lequel vinl se retirer en Alsace,
en Tan 7i7.
4^ c Carloman roi d'Austrasie, par son diplôme du 6 mai 770. con-
firme à l'abbaye d'Ebersmûnster les possessions qu'Adairic , duc
d'Alsace , avait acccordées à ce monastère dans le ban de Souitz ,
{In suiza cum omnibus ad $e perientibusj.
5<» c L'empereur Charlemàgne en fit autant par son diplôme du 12
août 810. (Grandidier, il , Hist, de Véglhe de Strasbourg.
6^ c Enfin , Louis-le-Débonnaire . dans une charte du i«' mai 818 ,
assigne à Tabbaye d'Ebersmûnster» une cour dominicale dans SOuItz
avec toutes ses dépendances , c'est-à-dire l'église avec ses dîmes . la
cour qui est près de la porte, la chapelle de Sarmenza (Sermersheini
près Réguisheim) relevant aussi de la dite cour delà porte ; dans le ban
de Regenesheim , (Réguisheim) la dîme de deux manses, celle de cinq
manses dans Gundolvesheim, celle d'une vigne dépendant aussi de la
•même cour. Tout ce qui dépend de ladite cour dominicale de Suiza dans
Balieresheim » Batenheim , Buclicheseim dans Hirzvelt , dans Polle-
villre paie la dlme à la cour de la porte. Enfin , la charte donne à
l'abbaye tout le ban c de ipsa villa sive marcha^ que marcha orditur'ui
jugo moniii qui Peleus dicitur > de cette villa même de la marche » et
cette marche commence au sommet du mont qu'on appelle le balon
(Schœpflin , t. iv p. 206).
De tous ces passages nous pouvons conclure que Souitz apparte-
naît à k'abbaye d'Ebersmûnster dès l'an 667 ; ce n'est que vers l*an
1015 que notre ville fit partie du haut-mundat et perdit son titre de
cité abbatiale ; voici de quelle manière :
Dès l'an 889, le roi Arnolf avait placé le monastère d'Ebersmûnster,
sous la surveillance de l'évéque de Strasbourg ; or, en l'an 1007,
Werinhaire ou Wernber» qui descendait en ligne directe d'Athic ,
occupa le siège épiscopal de Strasbourg.
Cet homme était actif , ambitieux et doué de beaucoup de talents.
Lié intimement avec l'empereur Henri ii» il profita de sa position pour
enrichir sa famille.
Il avait fait bâtir, par son frère Radebotou, le Burg de l'avoir, le châ-
teau de Habsbourg (1), qui plus tard donna son nom à l'illustre famille; il
avait accompagné l'empereur dans toutes ses campagnes et s'était
■ « • i I ■ Il t^^m^
(*) Der Burg dêr Habe.
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553 RRVm 9'AL8ACS.
approprié beaucoup de biens appartenant à l'abbaye d'Ebersheim 0).
Cette dernière » tant que Tempereur Henri fut en vie , n'oaa pas se
plaindre, mais après sa mort, l'abbé frostré se rendit chez Conrad, le
successeur de Henri» et lui exposa ses griefii. Conrad, n'osant attaquer
de front le redoutable éTéque, l'envoya comme ambassadeur i Cons*
tantinople , où II périt misérablement vers l'an 4099.
Souitz néanmoins ne fut plus rendue à l'antique monastère ; son
bailliage fut incorporé au baut^mundat , aux terres de l'évéque de
Strasbourg. La cour dominicale resta seule aux religieux d'Ebers-
heim; ils la vendirent plus tard à l'évéque de Bftie, qui la posséda
jusqu'à la révolution de 1789.
Il nous reste encore un souvenir des relations que nous avions avec
Ebersheiif). St. Maurice» le patron de notre cité > le chef de la légion
thébaine, immolé pour la foi, était aussi le patron de l'abbaye d'Ebers-
heim et nous fut probablement imposé par cette dernière.
Nous venons de voir que la ville de Souitz fut annexée au haut-
mundat vers l'an 1015; nous sommes amenés naturellement à exami-
ner kl question territoriale qui portait ce nom, son origine , son éten*
due et sa constitution politique.
La haute et la basse Alsace possédaient chacune un arrondissement
remarquable , riche en villes fortes , en châteaux , en villages et eo
propriétés rurales, qui n'étalent ni un Pagus, ni un comté et qu'on ap-
appelait Emunitas. Ce nom d'Emunitas est devenu munîtas , dont le
vnigaire a fait mundat.
Les habitants des districts jouissant de l'émuaité portaient en alle-
mand le nom de Mundater,
Le haut-mundat , dont RoutTach était le chef-lieu , forma le pre-
mier et le plus ancien patrimoine de l'évéché de Strasbourg ; le roun«
dat inférieur était celui de l'abbaye de Wissembourg, sise dans l'évéché
de Spire. L'un et l'autre furent un don de la libéralité du roi Dago-
bert. Voici l'origine du haut-mundat :
En l'an 675 , Sigebert , le 61a unique de Dagobert ii , roi d'Ans*
trasie , chassait dans la forêt d'Ebersheim (^) : monté sur un cheval
(*) La chronique d'Ebersheim lapporte le Sût « allodia et cartes qoUaoi suicU
Maurïcii novreniesis , cenobli fratri suo per rapinam ooncesslt Weritthavk»s «pis-
copas idest Salu cum perUaentlis sois. — Dam ifartènê,
(*) Bberaheim , près dl&bersmOaster.
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HISTOIRE DE LA VILLE DE S0ULT2^ S35
fouiBfQem , il poursui?ait de toute 80d ardeur un sanglier d'une gros-
seur énorme ; bientôt il l'atteint et il lui porte un vigoureux coup
d'épieu ; la béte féroce, blessée et ivre de fureur» fait volte-face et se
précipite sur le diasseur ; le cheval du prince est effrayé, il se cabre
et met son cavalier à terre ; Sigebert resta comme mort sur la place
et fut ramassé par sa suite (^). Qui pourrait concevoir la douleur de
Degobert et de toute la famille royale » quand on apporta lé corps du
prince tout sanglant dans le château de llsenbourg (^. Le monarque
franc en fut inconsolable et la reine éclatait en sanglots ; dans cette
consternation on ne savait que faire , lorsque quelqu'un prononça le
nom de l'évéque de Strasbourg.
Or, à cette époque un homme pieux et irès-vénéré occupait le siège
épiscopal ; c'était St Arbogaste. Le roi le fil chercher immédiatement ;
arrivé sur l'Isenbourg, Arbogaste versa d'abord le beaume de la con*
solation dans le cœur du pieux monarque, puis il s'enferma seul avec
le cadavre de Sigebert dans la chapelle. Là il passa toute la nuit en
oraisons , il conjura le Seigneur de rendre la vie à Sigebert ; le Sei-
gneur exauça les humbles supplications de son serviteur, le prince
revint à la vie et St Arbogaste le présenta sain et sauf à ses parents (*).
Comblé de bénédictions , l'évéque de Strasbourg voulut se dérober
par une prompte fuite aux témoignages de reconnaissance qui lui
arrivaient de tontes parts ; mais Dagobert le retint auprès de sa per-
sonne ; le roi était pensif, il parcourait en esprit toute l'Alsace , cber-
chant s'il ne trouverait pas un lieu qui fut propre à être donné en
récompense à Arbogaste ; il lui sembla que la ville de Rubeach (oppi-
dum Rttbiackum) et ses environs étaient propres à une donation de
(*) U y a des histoneas qui prétendent qu'il fût foulé aux pieds de son cheval ,
d'autres acceptent qu'il fut blessé par le sanglier ; nous pensons qu'il fot simplement
jeté à terre, et qu'il tomba en syncope.
(') Le château de l'Isenboarg dominait Rouffach , c'était une résidence royale.
f] Le St. évèque, ^ c6té des prières, a peut-être (ait usage de quelques médi-
caments : la médecine, la chimie et la physique n'étaient pas inconnues aux célé-
brités religieuses d& cette époque , témoin St. Golomban qui ne kûssait pénétrer
personne dans une certaine partie de son abbaye de Luxeuil. La reine Brunebaut
elle-même ne peut foire déroger à la règle. Ce lieu séparé des profanes contenait
peutrêtre le laboratoire du chimiste . le cabinet d'étude du physicien et du mé-
decin. {Ànti^itét 4e Bêmiremont , par Ch. Frirj, 1835.)
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83A RBVUB d'alsacb.
cette importance ; il ne différa point , le cfaancelier fui appelé et la
donation fut faite {Âcia sancL, u V. p. 178).
L'acte de donation fut remis à Arbogaste en présence de toute la
cour',; le prélat de retour à Strasbourg» le déposa soleunellennent sor
le grand autel de sa catbédrale en présence du cJergé , et en Al don
à Nolre^ame (').
Le mundat qae Dagobert donna à l'église de Strasbourg était très-
étendu; il comprenait le pagus de Rubiacus, une partie de la marche
de Soultz » et d'autres localités situées dans le comté dlllicbe (une
partie du Sundgau inférieur). Il était limité au sud par Gernay» Staf-
felfelden et Mulhouse» au nord par Colmar et Eguisheim, à l'ouest par
les Vosges et à Test par la forêt de la Hardi.
Le mundat a éprouvé bien des Yîcissitades , et a vu tour à toitr
agrandir ou diminuer son territoire. Ensisheim «capitale de l'Alsace
autrichienne et Meyenheim, siège des assises landgraviales» formaient
dans le temps les extrémités du mundat. La ville de Sainte-Croix
et les trois villages de Woffenheim , de Bliensviller et de Dings-
heim, annexés autre fois à Ste. Croix et qui ont péri pendant la guerre
. des Armagnacs, ainsi que Haltstadt, Hûsseren et Voegtlioshoffeu fai-
saient au i4* siècle partie du mundat.
Beaucoup de biens lui ont été enlevés par Fabbaye de Murbach et
surtout par les Habsbourg d'Autriche, toujours jaloux d'étendre leur
pouvoir et d'augmenter leurs richesses.
Le bailliage d'Eguisheim avec Wettolsheim et Morschwiller ne fut
annexé au mundat que vers le commencement du i3^ siècle , après
l'extinction de ses comtes particuliers.
Au commencement de la révolution de 1789 le mundat comprenait
trois bailliages, celui de Rouffach , celui de Soultz et celui d'Eguis-
heim ; les fiefs qui en dépendaient uppartenaient aux Waldner de
Freundstein et Ollweiler) et aux Schauenbourg (Jungholz , Schran-
kenfels et Herriisheim) (S).
[*) L*acte de dotation a péri ; il y a heureusement d'autres documents propres
^ y suppléer.
(*) Voici rénumération des villes , bourgs, villages et châteaux qui composaient
primitivement le haut-mundat.
Villes : Rouffacb , Soultz , Ensisheim , BoUwiller.
Villages : AIschwiller, AlrichswiHer, Hartmannswillcr, Wuenhcim, Rimbach-Zell,
Raedersheim , Pulversheim, Wittelsbeim, Wittenheim, Woffenheim, Meyenheim,
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HISTOIRB DB LA VILLB DE SOULTZ. 555
D'où vient ce mot le oiundat^ da$ Mundat , donné à cette immense
propriété? Wehner suppose qu'il vient de murniu datum, récompense
donnée , d'âutres en font manu datum, affranchi ; Il nous paratt vrai-
semblable de former ce mot de immunité, îmmtititioi, espèce de
franchise particulière que les rois donataires accordaient à ces dis-
tricts.
En effet, le même roi Dagobert, dans le diplôme octroyé à l'abbaye
de Wissembonrg et par lequel il créa le bas-mundat(daf wif^re Jfun-
. doi), emploie le mot Emunitat; * que le père -abbé, dlt*il, et tous ses
frères jouissent librement » sous la protection de notre émunité , de
tout ce qui appartient à l'abbaye.
L'émuoité affranchissait le territoire de la.juridiction des comtes,
des vicomtes , des centeniers et de tous les autres agents du pouvoir
royal , et elle donnait à l'évéque la faculté d'y instituer les juges qui
lui conviendraient.
L'officier par lequel l'évéque faisait régir le mundat portait le nom
d'Obervogt ; cette charge fut concédée en 6ef aux comtes de Habs-
bourg , à la condition de rendre la justice d'après la coutume de
Strasbourg et de percevoir le tiers de la taille seigneuriale vulgaire-
ment appelée die Bethe. Rodolphe de Habsbourg , avant de monter
sur le trône impérial , rendit le 6ef de cette advocatie (i) à l'évéque
Henri (4260) ; il se réserva le droit d'appel (Gexog) et la franchise du
passage sur les terres du mundat pour lui et les siens.
Lorsque les Habsbourg eurent résigné celle charge , les évéques ne
l'abrogèrent pas, mais ils la donnèrent à des hommes nobles et éprouvés.
Soultz et Eguisheim eurent parfois dés Untervogl , d'où il résulte
«
Bleinswiller, Diogsbeim , Ste.-Croiz , Klein, Phaffenheim, Guodolsheim, Guebers-
wibr, Westhalten, Orschwibr, Osenbihr, Osenbacb, WinzfeldeD , Sonlzmatt, Hûs-
sereD , W'ettolsbeim , Obermorscbwihr , ADdoUbeim , HattsUdt , VœglliQsboffen ,
Sundbeim.
Gbâteaux : Isenbourg , Freundstein, Buchnek, Jungboitz, Ollwiller, Orschwibr,
Hobenack , Scbrankenfels , Wasserstelzen , Spiegelburg , Laubeck , Zillbaosen ,
PresteDricb , Wagenbourg, (Soulzmalt) et Jestelt (Scbœpflin., t. IV p. 202).
(') Chaque monastère, chaque maison religieuse s'était choisi une famille noble
pour la défendre en cas de besoin ; le chevalier chargé de cette protection se
nommait radvocatas ; très-souvent ces protecteurs empiélaienl sur les terres el la
fortune de leurs clients*
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836 KVin D'ALSACB.
qae ces villes a?ec les Tillagos qui en dépeodaieBl soDl a|>pelés4l«6
Vogteyen (').
Dans les premiers siècles de son eiisleoce , le mandat était régi
d'après les lois de la ville de Strasbourg. Plus, tard • chacmie de ces
villes coiisiilua ses lois , ses franchises à elle , ce quiarrivait d'ailleufs
à toutes les cités du moyeu-ige. Chacune de ces trois vQgtey devint
fodépendanle Tune de l'autre. Aussi i partir du xv« siècle on ne pou-
vait plus considérer Roufiich comme éunt la capitale du mundti-.
attendu que Souliz et Eguisheim avaient déjà leur magistrat à eu»,
parfaitement indépendant de celui de RouSach. L'évéque au xii? siècle
disait dans ses actes : umer Obermundai zu Ruffach ;,au xvi« siècle la
.formule était changée.) on écrivait: vM^er Obermundai zu Ruffach.
Suliz, Eguisheim mil Thëlem unâ Dôrfem $o dazu gehôeen. Le ma-
gistrat de Souitz dans ses actes ne disait plus : SouU im Ruffacher
Mundat, mais : ii;îr Vogt, Schullheis^ BûrgermeiiUr und Ralb der Sladt
Sulz 9 Obermundai , im BasUrtnilhum • Ober*EUai$ gelegen etc« » car
quant au spirituel » le mundat relevait de l'évéque de Bâie
L'évéque nommait le bailli, de chaque vogtey ; c'était le premier
magistrat du distria , duquel ou appelait au palais de l'évéque pour
se pourvoir encore, si besoin était» près de l'empereur; au xviir. siècle ,
c'était le conseil souverain d'Alsace qui jugeait en dernier ressort ; le
le mundat aloi*s était^ administré par un des membres du grand cha-
pitre de Strasbourg. Ce chanoine s'occupait spécialement de la juri-
diction et des besoins de ce district.
Examinons maintenant quelles élaieni les franchises et l'organisa-
tion politique de notre ville.
* PRIVILÈGES DES HABITANTS DU MUNDAT.
Les habitants de la ville de Soullz , comme tous ceux du mundat,
jouissaient de certains privilèges octroyés aux sujets de l'évéque de
Strasbourg. En thèse générale , ou peut dire qu'ils étaient plus heu-
(*) La VQgtey de RoulEich comprenait en 1789 Rouffacb , Soulzmatt, P&ffenheiin,
GHeberscbwihr , W«s(hallen, Gundoisbeim , Orachwilir» Osenbacb , WiozfeléeOt
et le village de Sandheim , détruit depuis longtemps.
Celle d'Eguisbeim comprenait Eguisheim, Wettolsbeim et Obermorschwiller.
Celle de Soulu renfermait Soulu, Wuenbeim, Rimbach-Zell et Hartmannswiller.
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HISTOIRE DB LAVIU^E MB SOULTZ. 957
reoi que te reste de là population d'Alsace, la dûmîBàtion du priuce-
éféque , étaot plus douce que celle des haut-barons féodaux , et ses
terres étant bien rarement ravagées ; car on y regardait à deux fois»
avant que d'Indiapoeer ce pvissant prélat , qui nvait pour soutien le
pape et t'eiBpereur (*)•
Néanmoins , iors des interrègnes et des doubles élections, alors que
révéqne était obligé d'opter pour un des deut candkats qui se dispu-
taient Tenipire, il arriifait que celui qui n'avait pas son adhésion,
se vengeah par te fer et le féu ; souvent aussi , le siège épiscopal
était oocilpé par des prélats belliqueux , qui préféraient le casque à
la nttre et qui attiraient bien des maux h leurs sujets logiquement
exposés d'après les convenances féodates , à payer de leurs biens et
é^ leurs personnes • les faiHes ou les turpitudes de leurs maîtres.
c En décembre 775 Gbarlemagne déclarait exempts du droit de
péage tons les hommes de Tévéque de Strasbourg ; il est dit dans ce
diplôme : pour que nulle part , dans les cités , burgs , bacs et ports
aucun admmistrateur de la chose publique n'exige le moindre impôt
des hommes de ladite église , lorsqu'ils vont par terre oh par eau ,
avec char ou bétes de somme, dans le but de faire commerce ; qu'en
CJ L'évèqoe de Stnsbourg était prince du St. Empire romain ; il possédait
doaae haiUitges, trois comtés et un grand nombre de efaâtcaax assis dans la
plaioe et sur tes Askigs des Vosges. Sept de (ces bailHages éuient situés dans la
Basse-Alsace , k savoir : ceux de Benfeid , de Markolsheim, de Schirmeck , de
Sayerne , de Dachstein , du Kochersberg et de la Waaaenan réunissant pour le
moins une population de 120,000 âmes ; deux autres étaient situés au-delà du
Rhin ; celui d'Oberkirch et celui d*Ettenheim , trois dans la Haute-Alsace qui
formaient le mundat. Les comtés étaient ceux de Dagsbourg, de Luzelstein , de
Lichtenberg. Parmi les châteaux nous citerons : le Haut-Barr, le Hobenstein , le
Bemstein , le Hnndstein , le Greiffenstein , le borg de Girbaden etc. La viUe de
Strasbourg aussi était tribniaire du prince^véque. ftinni les vassaux da prince
épiscopal on oomptait les Rappolstein, les Scbauenbonrg , les Waldner, les d'And-
lau , les Soulz , les Pfiaffeaheim , les âerolseck , les Wanaser, les Turkheim , les
Bollwiller, les Ochsenstein , les Hittenbeim , les Winstingen , les Dettlingen , les
comtes de Unange , de FerreUe , de Salm, de Habsbooig , de Kaseneileabogen ,
les landgrafs de Weid, tes princes de P«rstenberg et rempereur Itti-anème à qui
révéqne avait donné en fief la ville de Mulbausen , stegullërt esnséqMnce du
sfstànie fléodal ; le ciief s«prène de Tétât se trouvait être le vassal d^en de ses
vassaux. QliAnt à la fores militaire , le prince évéqne diaposait de 10,000 tetw*
sins et de fOOO eavaUeiè ara^ de pied en cap.
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558 REVUE D'ALSACE.
conséquence tout sujel de l'éfiflise de Strasbourg ait la facuhé de
transporter ses marchandises librement et sans redevance et par tout
l'empire.
f En 992, Otton m confirma ce privilège commercial.
c En 1346, révéque Bertbold de Bucbeke concéda à ses très-chers
sujets du mundat Tusage commun dans une très-grande étendue des
foréu de la Vosge (i). Strobel, t. m. p. 151.
c En i558, révéque Jean de Licbtenberg obtint de l'empereur
Charles iv , que nul sujet épiscopal ne pût être distrait de ses juges
naturels, représentés par les bourgeois composant le sénat {der Jtoift)
de la ville et de la vogtey.
c Die Leule die in der Stadi und auMierhalb der Sladt , die in die
Gerichie oder Vogleyen gehoren, an kein Landgericht (justice du land-
grave) noch an der Gerichl forlreten miiuen der wer zu ihnen zu spre»
chen hat » der soll dos thun vor dem Schultheisxen daselbst. >
Ce privilège pour cette époque était énorme ; les bourgeois étaient
jugés par leurs pairs , on ne pouvait les déplacer ', ils n'étaient pas
justiciables du landgraf (espèce de grand-juge féodal).
c Cette franchise politique fut confirmée en 1380 par l'empereur
Wenceslas, et en 1434 par l'empereur Sigismond , puis encore •ratifiée
par Frédéric ii.
L'impôt que le haut-mundat payait à son seigneur était en l'année
i^OO de cinq cents livres stebler (^); en 1860 le seul bailliage de
Soullz payait au fisc de Louis xiv huit cent quatre vingt trois livres.
Les temps avaient bien changé !
Quant au contingent en hommes que noire circonscription devait
fournir, il variait suivant les circonstances ; en temps ordinaire, il
était de cent hommes d'infanterie et de quinze cavaliers ; quand le
seigneur évéque faisait la guerre pour son propre compte , il y avait
une levée en masse, tout homme valide était alors obligé de marcher.
Ch. Knoll.
(La êuUe à une prochaine livraison.)
{*) On appelait la Vosge , pays de la Vosge , des forêts, Tallées , vallons et éu-
blissements habités qui se trouvaient enclavés dans la chaîne des Vosges.
(*) En Tannée du seigneur 1300 , le pays possédé par Vévèque de Strasbourg,
et qui s'étend depuis Wettolsbeim jusque et y compris Soultz , ne payait à son
seigneur que cinq cents livres stebler, dont le tiers était attribué au landgraf.
Chronique d9S dominicaini de Colmar, page 75.
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LES FEMMES
DANS LA POÉSIE GRECQUE.
Suite et fin» Ç)
Nous pourrions nous étendre encore sur quelques autres caractères
moins saillants , il est vrai , mais tracés également de main de roaitre,
tels que celui de Jocaste , l*épouse légère et sans cœur d'Oedipe •
celui de Clytemnesire • mère dénaturée autant que criminelle , dans
Electre ; nous nous bornerons pour le moment à une seule observa-
tion» c'est que sur les sept pièces qui nous sont restées de Sophocle,
il n'y en a qu'une seule , celle de Philoctète , où nous ne rencontrons
point de rôle de femme , tandis que dans les six autres , c'est le plus
souvent la femme qui se trouve placée au premier rang. Cette prédi-
lection du grand poète tragique pour la peinture des caractères de
femmes, et surtout l'habileté avec laquelle il a su les tracer» s'ex-
pliquent en grande partie par la douceur presque féminine de son
génie et par sa grande impressionnabilité. La pâture et la destinée ,
s'étaient disputé le soin de le combler de leurs dons » et l'avaient
merveilleusement doué de toutes les qualités requises pour une étude
approfondie du cœur de la femme. 11 s'est principalement complu à
introduire dans la famille dramatique un personnage charmaut, qui
n'a pour ainsi dire pas de rôle dans notre théâtre , et qui a fourni à
l'antiquité son type peut-être le plus élevé et le plus poétique, c'est
le personnage de la sœur, gracieux , dévoué et pathétique , s'il en fût.
Euripide est, sous ce rapport , tout le contraire de Sophocle , son
rival plus âgé. Ce poète connaissait , il est vrai , à fond la nature de
la femme , car il excelle à peindre les phénomènes de l'âme et surtout
les passions. Sa Phèdre et sa Médée sont de véritables chefs-d'œuvre ,
{*) Voir les liTraisons de février, août, septembre et novembre , pages 49 ,
563, 413 et 495.
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540 RBYUB D'ALSACE.
et quand il s*agii de faire parallre «ur la scène une éponse fidèle et
dévouée, comme Alceste» comme Andromaqne, ou une jeune fille
noble, pure et forte en même temps, comme Ipbigénre. comme
Polymène , comme Macarie , il a su charger sa palette des couleurs
les plus brillantes et produire des portraits d'une ressemblance par-
faite. On peut même dire, sans crainte d'être démenti , que, depuis
Homère, aucun poète n'a créé des types aussi remarquables d'épouses
et de jeunes filles.
Mais il nous a semblé qu'en peignant ces caractères si vrais, si
naturels, il s'est laissé plutôt guider par un intérêt purement psyco*
logique. Nous avons peine à croire qu'il les ait étudiés et retracés
avec un véritable amour ; nous dirons plus; nous avons dès preuves
presque certaines qu'il était peu favorablement prévenu à l'égard du
sexe, en général. Euripide passait, aux yeux de ses contemporains,
pour un ennemi des femmes , et Aristophane s'est emparé de cette
antipathie bien prononcée , pour le persiffler dans une de ses comé-
dies. Dans c les fêtes de Cérès , i les femmes réunies en assemblée
prennent la résolution de se venger sur la personne du poète-philo-
sophe des calomnies injurieuses qu'il n'a cessé de débiter sur leur
compte : c Quels outrages ne nous a-t-il pas prodigués ? Quand a-t-il
c cessé de nous calomnier? Partout où il a pu trouver des spectateurs,
« des acteurs et des chœurs , il nous a traitées d'adultères , de débau-
c chées ; il nous accuse d'aimer le vin , d'être trompeuses , babiliardes,
c de n'être l)onnes à rien qu'à faire le tourment de nos maris. >
11 suffit de relire avec quelque attention ses principales tragédies ,
pour se convaincre qu'une telle accusation n'était pas entièrement
dénuée de fondement. A l'entendre , les femmes seraient de leur
nature , incapables pour le bien et tout ce qu'il y a de plus habile
pour machiner le mal (Méd. v. 415). et de tous les êtres doués de
vie et de raison , aucun ne serait plus pernicieux (Méd. v. 233). La
mort d'un homme laisse des regrets dans une famille , mais une
femme est impuissante (Iph. en Taur. v. 974). Le penchant à blsSmer est
naturel aux femmes, dit-îl encore quelque part (Ohen. v. 198), et
tout léger prétexte est pour elle , une occasion de propos sans On ;
c'est un plaisir pour elles de médire les unes des autres, c Oh ! que
jamais , dit-il encore par la bouche d'Oreste , les hommes sensés •
qui ont uni leur destinée à celle d'une femme , ne permettent à
d'autres personnes du sexe d'entrer dans leurs maisons et de fré-
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LBS FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 541
que.Dter leare épouses • car elles sont des maîtresses de corruption ;
l'une est payée pour la corrompre , une autre , qui se sent coupable,
veut renlratner avec elle dans le mal • un grand nombre la séduisent
par libertinage * (Androm. v. 943). Mais* c'est surtout dans la tragédie
d'Hippolyte qu'il paraît avoir épancbé toute sa bile contre les femmes,
lorsqu'il met ces paroles dans la bouche de son héros : c 0 Jupiter,
c pourquoi as-tu fait voir la lumière du soleil à cette engeance pleine
c d'astuce qu'on appelle la femme ? Si tu voulais conserver et propa-
t ger la race des mortels, il n'était pas besoin que tu fisses servir les
c femmes à cet usage. Les hommes n'auraieni-ils donc pu t'offrir dans
c tes temples de l'airain , du fer ou de l'or, et se procurer à ce prix
c des enfants d'après un tarif fixé d'avance ? 11 fallait avant tout écar-
ç ter à jamais de leurs demeures cette engeance nuisible^ Du moment
€ que nous faisons entrer dans nos maisons un pareil fléau , c'en est
c fait de l'aisance qui devrait y régner. Ce qui prouve que la femme
< est le plus grand mal qui puisse nous affliger» c'est que le père qui
t l'a engendrée et élevée se trouve dans la nécessité de lui donner
c une dot , afin de s'en débarrasser plus facilement. Et celui qui
c emmène dans sa demeure cette plante parasite » se réjouit d'abord
c de son acquisition ; il couvre de riches parures , et de vêtements
f magnifiques sa misérable idole. L'infortuné ! il ne se doute pas dans
c son aveuglement , qu'il a tari dans son intérieur la source de son
c bonheur à venir !..«.. Celui-là est mille fois plus sensé , qui s'unit à
c une femme tout*à-fait nulle et Inutile par sa simplicité. Pour moi ,
c j'ai en horreur toutes celles qui prétendent à l'esprit, et je ne souf-
< frirai jamais dans ma maison une femme qui en saurait plus quil
c ne convient à son sexe , car ce sont les savantes que Vénus rend
c fécondes en fraudes , tandis que la femme simple , grâce à l'insufii-
c sauce de son esprit , est exempte d'impudicité. > (V. 616).
En lisant cette tirade sanglante , il est bon toutefois de ne pas
perdre de vue que conformément au plan de la pièce , Hippolyte doit
se montrer injuste et blessant, afin que Phèdre ait par cela même un
motif réel pour passer sans scrupule de l'amour à la haine et au désir
de la vengeance ; d'ailleurs , nous nous garderions bien de faire un
crime au poète d'avoir voulu nous oflrir, à une époque relâchée et
corrompue , le modèle le plus parfait de la chasteté et de la pudeur
masculine , poussées même jusqu'au rigorisme. Cependant , il faut
en convenir, il résulte de la manière dont Euripide a traité son sujet
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542 aevuE d'alsage.
comme la conviclion qu'il s*est acquitté de cette tâche avec amour,
et nous en dirons autant de la plupart des passasses , où il s'exprime
avec le même dédain ou la même armertume, où l'on pourrait objec-
ter que la situation même des personnages semblait exiger un pareil
langage. Cette partialité à l'égard des femmes s'explique en partie
par des expériences personnelles qui avaient aigri et comme assombri
l'humeur du poète. Euripide était un penseur, un homme d'étude ,
sérieux et recherchant la solitude , et un tel caractère devait peu
convenir à une femme superficielle , comme elles l'étaient générale-
ment à Athènes. Aussi raconte-t-on qu'il dut se séparer de sa pre-
mière femme , parce qu'elle lui avait fait des infidélités , et que son
second hymen fut tout aussi malheureux, puisque sa seconde femme
le quitta de son plein gré. D'ailleurs, les Athéniennes de ce temps ne
justifiaient que trop par leur conduite cette antipathie et ces accusa-
tions ; mais , cette corruption , qui donnait lieu à des plaintes aussi
graves , à qui convient-il de l'attribuer, sinon au^ hommes qui leur
avaient créé une position si exceptionnelle ? Rebutées et négligées
dès leurs plus jeunes ans, privées de toute culture scientifique et litté-
raire, c'est à peine si, avant leur mariage, elles trouvaient l'occasion
de voir les maris qui leur étaient destinés. Traitées ensuite par ceux-
ci à peu près comme des esclaves , mal servies par les institutions et
voyant l'indifférence accueillir leurs vertus , tandis que la considéra-
lion entourait les courtisanes , dont la beauté , l'adresse ou le talent
arrachaient aux hommes l'amour qu'ils auraient dû reporter sur leurs
épouses, les femmes grecques, reléguées dans la solitude délétère du
gynécée , ont dû justifier jusqu'à un certain point les invectives dont
tant d'auteurs les accablèrent. Leurs vices et leurs fautes doivent donc
être considérés comme un des nombreux symptômes de la démora-
lisation générale , qui avait été produite non point par elles , puis-
qu'elles n'avaient pas de volonté , et qu'elles vivaient sous un joug
oppressif , mais par les hommes eux-mêmes^ dont l'indifférence cou-
pable et l'injuste dédain avaient provoqué ce déplorable état de
choses.
Euripide a conscience de celte triste situation des femmes , et il lui
arrive assez souvent de s'apitoyer sur leur condition et de les traiter
avec ménagement. Il fait dire ù Creuse : c La condition des femmes
c est bien malheureuse à l'égard des hommes ; les bonnes sont con-
c fondues dans tine haine commune avec les méchantes , tant la iia-
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LES FEMMES DAMS LA POÉSIE GRECQUE. MS
c tare nous a fail malheureuses. » (Jon. v. 397). C'est surtout dans
le passage suivant qu'il parait apprécier à sa juste valeur cet état
anormal ; c'est Médée qui parle : c de toutes les créatures qui respi*
c rent et qui pensent , nous femmes , nous sommes les plus malheu-
c reuses ; il nous faut d'abord acheter un époux à un grand prix
€ d'argent et recevoir un maître de notre corps ; or ce secobd mal
€ est pire encore que le premier, et la grande épreuve est de savoir
€ si le maître est bon ou mauvais ; car le divorce n'est point hono*
« rable pour les femmes, et elles n'ont pas le droit de répudier leurs
c époux. Mais celle qui commence une nouvelle vie et subit des lois
c nouvelles , doit posséder l'art des devins pour savoir (ce qu'elle n'a
t pu apprendre dans la maison paternelle), ce que sera le mari auquel
c elle va unir sa destinée. Si la fortune a secondé nos voeux , si nous
« sommes unies à un époux qui porte le joug sans impatience , notre
c sort est digne d'envie , sinon , il faut mourir. Un homme , quand
t l'intérieur de sa famillle lui devient à charge , peut en sortir et
c délivrer son âme de tout ennui par le commerce de quelque ami ou
c des personnes de son âge ; mais nous , nous ne pouvons regarder
c que dans notre propre cœur. > (Méd. v. 330 etc.).
Cependant les femmes d'Euripide ne se bornent pas à des plaintes
et à des gémissements, et ici nous retrouvons le poète moraliste, qui
s'est imposé la tâche de rendre meilleurs ceux-là même auxquels il
s'adresse. Il leur arrive parfois de rappeler leurs devoirs aux Athé-
niennes qui les écoutent. Ândromaque décrit ainsi la ligne de con-
duite qu'elle s'était tracée à l'égard d'Hector, son premier époux :
c Une femme , qu'elle soit innocente ou coupable , s'expose à la mé-
c disance par cela seul qu'elle ne reste pas à la maison ; je minterdis
c le désir d'en sortir et me renfermai dans ma demeure , sans
t admettre au sein de mes foyers les entretiens flatteurs des femmes;
c je n'avais d'autre maître que les sentiments honnêtes de mon cœur,
c et ils me sufiisaient. Je présentais toujours à mon époux un visage
€ serein et une bouche silencieuse, et je savais à propos quand il fal*
c lait lui céder la victoire ou l'emporter sur lui. > (Troy. 651). C'est
encore par la bouche de ses principales héroïues qu'il rappelle à ses con-
temporains combien il importe d'assurer de nouveau au mariage son
influence bienfaisante et son caractère sacré, c Quand la base d une
t famille n'est pas solidement assise, les enfants sont nécessairement
« condamnés au malheur. » (Heic. fur. v. i332). Aussi » pour éviter
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544 REVUE D'ALSACE.
une pareille calamité fera-t-on bien de choisir une épouse bonne et
vertueuse etde donner à ses filles des maris, dont le cœur soit noble
généreux (Ândrom. 1235). c Celui qui, frappé de Téclaide la fortune
c ou de la naissance, épouse une femme perverse, est un insensé ; an
c hymen modeste, où Ton trouve que la chasteté est préférable aux gran«
c deurs. > (Elect. v. iiOl). c L'hymen, pour les mortels bien assortis,
€ fait le bonheur de la vie ; mais pour ceux qui ont fait un mauvais
c choix il n*y a que malheur, soit dans le foyer domestique , soit au
c dehors. > (Or. 591). L'adultère trouve dans Euripide un censeur
impitoyable, c Périsse misérablement , dit Phèdre , la femme qui » la
c première souilla le lit conjugal , en entretenant avec d'autres
€ hommes un commerce adultère ! C'est des nobles familles que celte
c corruption a commencé à se répandre parmi les femmes ; quand le
c crime est honoré des gens de haute naissance , certes • il doit être
c encore plus en honneur chez les hommes de basse condition. >
(Hipp. 407). Electre rappelle aux maris que tout séducteur qui cor-
rompt une femme par un amour adultère , et qui ensuite est forcé de
la prendre pour épouse « s'abuse étrangement , s'il croit que cette
femme qui n'a pas été fidèle à son premier mari , lui gardera une
chasteté qu'elle a jetée loin d'elle. (Elect 925). Et la femme trompée
par son mari , a le droit de se plaindre et même de se venger : c En
c tout autre occasion , la femme est remplie de crainte ; elle redoute
€ les combats et tremble à la vue du fer, mais lorsqu'elle est outragée
c dans ses droits d'épouse, il n'est pas d'âme plus altérée de sang. »
(Méd. 266).
Arislote a bien raison de dire qu'Euripide a dépeint les hommes ,
non tels qu'ils doivent être , mais tels qu'ils sont en réalité. (PoUt.
XXVI , 11) ; les passages que nous venons de citer nous permettent
d'apprécier jusqu'à un certain point les Athéniennes de son temps.
11 nous serait impossible de prendre congé de ce poète , avant
d'avoir jeté un coup d'œil sur quelques uns des admirables portraits
qu'il nous a laissés. Iphigénie , Polyxène et Hacarie , figures émi*
nemment poétiques , sont des êtres vraiment ravissants , les modèles
les plus purs et les plus naturels qu'on puisse se représenter de la
jeune fille. Sophocle nous montre Antigone, son héroïne de prédilec«
tion , pleurant en marchant au supplice ; c'est que le sacrifice de la
sœur de Polynice a été volontaire , et que maintenant qu'il est irré*»
vocable , il lui est bien permis de lui donner des larmes. Iphigénie ,
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LES FKIIMBS DANS LA POÉSIB GBBCQUE. 545
au coDiraire ne veut point mourir encore; pour détourner de sa
léte le eouieau fatal , elle recourt aux larmes , aux caresses , aux
supplications ; il n'est pas de moyen qu'elle n'emploie pour émouvoir
le cœur de son përe. Mais voyez avec quelle fermeté cette jeune fille»
d'abord si timide et si craintive , marche maintenant à la mort :
c Je me donne à la Grèce ; immolez-moi guerriers • et , couverts de
\ mon sang , courez renverser Troie ; ies ruines seront les monn-
c ments éternels de ma gloire ; ce seront mes enfants , mon hymen ,
c mon triomphe > (v. 4579). Ce qui fait de ce rôle d'Iphigénie un rôle
incomparable • r/est qu'il descend jusqu'aux plus gracieuses et aux
plus enfantines familiarités de la jeune fille , qu'il s'abaisse à des naï-
vetés charmantes , qui semblent n'appartenir qu'à la comédie , pour
s'élever de degrés en degrés jusqu'au lyrisme le plus pathétique.
Iphigénie est à la fois une enfant et une héroïne ; elle tremble devant
là mort et elle la brave, elle pleure sur la destinée et y marche réso-
lument , et tous ces contrastes , qui embrassent l'échelle tout entière
des sentiments les plus opposés , se fondent , se succèdent si harmo-
nieusement, que l'unité résulte de l'assemblée des extrêmes eux-
mêmes.
Le caractère de Polyxène est sans doute moins gracieux que celui
d'Iphigénie , mais il est plus élevé et plus touchant en ce sens, qu'au
lieu de disputer sa vie , dont on lui demande le (.acrifice , la fille
d'Hercule l'abandonne, au contraire, et que tous ses efforts tendent à
adoucir la douleur d'une mère inconsolable , qui demande à mourir
avec elle. Quels touchants accents de piété filiale et de résignation
dans ces paroles , où , s'arrachant à un entretien pénible , elle dit à
Ulysse : c Voilà ma tête et conduisez*moi ; je sens mon cœur défaillir,
c avant d'être frappée , aux douloureux accents de ma mère , et moî-
c même , je la fais mourir par mes pleurs. 0 lumière, je puis encore
c invoquer ton nom . mais je ne jouirai plus de ta vue que dans
« un court moment entre le glaive et le tombeau d'Achille. > (Bec.
V. 430-455).
Ce n'est pas seulement de l'enthousiasme et une grande fermeté
de résolution que nous rencontrons chez Macarie , la fille d'Hercule et
de Déjanire ; il y a chez cette jeune fille, qui se dévoue spontanément
pour sauver la race d'Hercule , une puissance de raison , que nous
ne pouvons assez admirer, et un héroïsme qui va toujours croissant
et finit par nous émouvoir profondément. Comme Polyxène , elle
i*S4rto.-9-ABDé». ^
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546 RBVUE D'ALSACE* ^
offre sa tête au fer, mais c'est par un sacrifice tout volontaira t avant
d'y être contrainte. On voit , par les paroles qui vont suivre, qu'elle
a conscijence de sa situation , et qu'elle n'est pas restée insensible
jusqu'à ce jour aux malheurs qui ont frappé sa race proscrite ! Ne
c vaut-il pas mieux mourir, que de tomber dans une fortune indigne
< de moi , convenable peut-être à toute autre qui serait de race
c moins illustre ? Prends donc ce corps , Jolas , et conduis-moi où il
c faut que je meure ; couronne-moi, consacre-moi comme tu le jugeras
c bon , et puis soyez vainqueurs de vos ennemis. Cette vie est à vous
c tous , je vous l'abandonne bien volontiers et sans contrainte. Oui •
c je le dis bien haut , je veux mourir pour mes frères et pour moi-
c même. Je ne tiens pas ù l'existence , et j'ai trouvé une noble voie
c pour en sortir. > (Ueracl. 499). Mais derrière cette héroïne , qut
marche courageusement au-devant de la mort , apparaît tout-à coup
la jeune vierge timide et chaste , jalouse de son innocence. Peut-oo
concevoir quelque chose de plus charmant que la condition qu'elle
met à son sacrifice, et qui lui est dictée par sa pudeur ? elle demande
que le roi d'Athènes lui accorde comme une grâce de mourir loin du
regard des hommes. 11 y a, disons-le encore, quelque chose de profon-
dément émouvant dans ce trouble mystérieux, qui s'empare de l'âme de
lajeuue fille, au moment où elle va consommer ce sacrifice , et
s'élancer au-devant d'un avenir, dont il ne lui est pas donné de sou-
lever le voile (v. 57S||595).
Euripide est inimitable dans l'art de retrouver les détails gracieux
qui font partie de la vie intime de la jeune fille et de la jeune femme ;
on ne s'attendrait guère de la part du poète qui a composé ks por-
traits de Médée et de Phèdre, à la fois si simples et si belles, qu'il met
dans la bouche des jeunes Troyennes, chargées par lui de la doulou-
reuse mission d'entonner l'hymne funèbre de la patrie, t .. Ce fut au
c milieu de la nuit que se consomma noire ruine, à l'heure qui suit
c le repas du soir, et où un doux sommeil se répand sur les paupières,
c Quittant les chants joyeux, les plaisirs de la fête, mon époux s'éiait
c étendu sur sa couche, ses armes négligemment suspendues, sans se
c douter 'de l'arrivée des bataillons ennemis , qui , des vaisseaux
c acbéens , s'avançaient en foule contre nos remparts... Et moi •
c rassemblant sous une bandelette , attachée avec grâce • ma cheve-
c lure flottante , les yeux fixés sur le métal brillant qui répéuit mou
c image » j'allais aussi monter sur la couche pour m'y livrer, au som-
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LB8 FEMMES DANS LA POÉSIE GRECQUE. 547
c mell , quand tout-à-coup un grand briiit se fait entendre par toute
c la trille... i (Hec. 896).
En présence de ces tableaux qu'on dirait empruntés à Vàge
héroïque , tel qu'Homère Ta dépeint , nous ne pouvons nous
dispenser de faire , au sujet d*Euripide , une remarque que nous
croyons juste « c'est que si , comme poète dramatique , il s'est rendu
l'écho des idées et des mœurs de son temps , et s'il a pu passer pour
an adversaire prévenu de l'autre sexe , psr cela même qu'il s'appe-
santissait en quelque sorte sur ses imperfections et ses faiblesses» il a
aussi , comme Platon , qui fut ainsi que lui un disciple aimé de
Socrate , devancé^ par ses théories , le siècle où il vivait , et a rêvé
pour la femme ce large et noble rôle que les siècles futurs devaient
lui réserver. S'il se plie aux exigences de son temps , dont il est une
des expressions les plus vives et les plus saillantes, s'il ne peut accom-
plir celte < œuvre d'instituteur de la société > , comme rappelle Aris-
tophane , sans offrir à ceux qui viennent s'instruire à ses pièces; des
tableaux et des personnages, qui, par leurs lignes et par leurs traits,
•leur rappellent des originaux , que le commerce de la vie commune
place chaque jour sous leurs yeux , il n'en conserve pas moins , avec
cette concession même , son allure originale , le fond de son carac-
tère et la ferme volonté , toute naturelle à un disciple de Socrate ,
de réformer les hommes et de leur donner d'utiles leçons. Aristo-
phane , en lui jetant à la face ses t Phèdres imfudiques, ses Sthéno-
c bées , ses sœurs incestueuses, ses femmes qui accouchent dans les
« temples » , semble avoir perdu de vue Ândromaque , Alceste ,
Polyxène , Iphigénie , Macarie , Eradné , touchantes et délicates
figures , qui sont devenues autant de types tbéâtrals.
La plupart des femmes d'Homère ressuscitent en quelque sorte
sous le pinceaii d'Euripide ; mais il a répandu sur elles un souffle
vraiment tragique. C'est ainsi qu'il représente la vieille et noble
épouse du roj Priaro entraînée en esclavage et condamnée à devenir
la servante d'Ulysse ; il nous la montre accablée par de nouvelles
pertes tout aussi douloureuses que les premières , et , après qu'elle
s'est vu ravir par le destin cruel une jeune fille qui pouvait être le
soutien de sa vieillesse avilie • et un jeune prince digne par ses ver-
tus de relever llion de ses cendres , consacrant le peu de jours'ei de
forces qui lui restent à de sanglantes représailles , qu'une soif insa-
tiable de vengeance peut seule expliquer. L'Andromaqùe d'Euripide
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548 REVUE D'ALSACE.
est bien eQcore la noble et digne épouse d'Hector» du Héros » qui »
au moment de se rendre au combat , n'enteetoyait pour elle de sort
plus cruel que de tomber au pouvoir d'un maître orgueilleux. Mais
/lepuis que celui sur lequel elle avait reporté toutes ses affections a
succombé sous les coups d'Acbille, on dirait que cette femme a perdu
l'énergie qu'elle déployait au temps de sa prospérité , et qui était en
grande partie le fruit de sa tendresse ; elle ne pensa pas un seul ins-
tant à [opposer à la force une résistance qui n'est pas de son sexe ,
et toute sa volonté semble s'être concentrée dans son amour pour
son fils : < Pourquoi me presser de tes mains , pourquoi t'at tacher
f à mon voile » pauvre colombe réfugiée sous mon aile ? Hector, avec
f sa lance redoutable, ne sortira point de la tombe pour te défendre. >
(Troy. 758.)
Sa Médée , une de ses plus belles conceptions » est dans le théâtre
antique le type le plus expressif de la femme délaissée et jalouse.
Elle ne doit pas seulement nous effrayer; le poète veut encore
qu'elle nous attendrisse par ses plaintes , qui , toutes véhémentes
qu'elles sont, n'en sont pas moins d'une simplicité et d'une vérité
remarquables , et par son plan de vengeance , qui est horrible « il est
vrai , mais pourtant vraisemblable. < Eotre vous et moi » dit^elle au
c chœur des femmes corinthiennes» la condition n'est pas égale:
f vous avee une patrie » hi maison d'un père , les Jouissances de la
c vie, le commerce de vos amis ; et moi, dans l'abandon, dans l'exil,
€ je me vois outragée par l'époux qui m'a arrachée à la terre natale,
c sans que ni mère , ni frère , ni parent puissent me conduire au
c port dans cette tempête. > Euripide n'a pas fait d'elle une mère
dénaturée • qui tue ses enfants sans hésiter et froidement. Elle aime
ses enfants autant que mère a jamais aimé les siens ; il sufHt . pour
s'en convaincre , de relire les paroles si touchantes et si pathétiques
qu'elle leur adresse, avant d*étre subjuguée tout-à-fait par l'atroce
pensée qui s'est développée dans son âme et qui finit par la rendre
criminelle au premier chef. Et lorsqu'enfin elle reproche à Jason son
orgueil et son infidélité, qui ont été la véritable cause du meurtre de
ses enfants, et qu'elle lui prédit une vieillesse triste et désolée, nous
ne pouvons nous empêcher de partager la compassion du chœur :
« J^gémis sur ta douleur, mère infortunée , qui vas égorger tes en-
c fiints pour venger l'outrage de ta couche et l'injuste abandon d'nn
« époux qui a volé dans les bras d'une autre. »
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LES FEMMES DANS LA PO^IE GRECQUE. 840
Mais un câraciëre tout h la fois moderne et antique est celui d'Aï-
ce$te qui se dévoue pour son époai. Euripide ne pouvait nous oflHr
un tableau plus parfait de Tamour conjugal , qu'en nous montrant
cette jeune femme mourant avec le regret de la vie et des joies de la
famiHe , aniipée d'une sollicitude jalouse pour ses enfiints qu'elle va
laisser orphelins. Il n'y a chez elle ni fausse gradéeuf , oi magnani-
mité raffinée ; elle ne prend point » comme le dit fort bien un criti-
que aussi savant qu'ingénieux , M. St. Marc Girardin , le soin hypo-
crite de cacher tout ce que lui coûte sa résolution et combien elle
rélève à ses propres yeux. Elle se pare de sa vertu aux yeux de soa
époux et de ses enfants avec une sorte d'orgueil qui est dans la
nature , et qui , loin de nuire à l'effet du tableau , l'achève au con-
traire • et le complète par un trait de vérité naïve.
Ce que nous avous dit des mœurs relâchées et eorrompues
d'Athènes , à l'époque où Euripide vivait et écrivait , nous permettra
d'apprécier i leur juste valeur les injures dont les femmes ent
été l'objet de la part de la Comédie attique. Ces injures * en
même temps qu'elles téniorgnentde la profonde immortalité qui régnait
alors, prouvent encore jusqu'à une certaine évidence que les hommes
étaient encore plus corrompus que les femmes. On ne sera pas très-
désireux d'entrer dans beaucoup de détails è ce sujet , lorsqu'on
saura que l'un des griefs principaux , soulevés contre elles, et il y en
avait de plus graves encore , était un penchant très-prononcé pour
l'ivrognerie. Je me bornerai a faire valoir trois considérations dont
l'importance n'échappera sans doute à personne ; la première » c'est
qu'il arrive quelquefois aux poètes comiques eux-mêmes • lorsqu'ils
entr'ouvrent le gynécée • pour nous en montrer l'ordre et le silence
troublés par mille folies et déshonorés par mille désordres « de
prendre la défense des femmes et de reconnaître qu'elles valent
incontestablement mieux que les hommes. C'est ainsi qu'Aristophane
met les paroles suivantes dans la bouche de Tune d'elles, c Exami-
ff nous qui vaut le moins des deux sexes ; nous disons : c c'est vous >
c vous dites au contraire que c'est nous. Voyons , comparons en
c détail ; opposons individuellement homme à femme. Cbarminius ne
< vaut pas Nausimacha , c'est un fait certain. Cléophon est de lotis
a points au-dessous de Salabaccha. Depuis longtemps, il n'est per-
< sonne de vous qui ose disputer la palme à Aristomacha , l'héroïne
< de Marathon , où à Stratonice, Parmi les sénateurs de Tan deruier,
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SSO REVUE D* ALSACE.
c qui vieDoeiit de remeltre leurs cbaives à d'autres citoyens, en est-
c il un qui vaille Euboula? ils n'oseraient certes, eux-mêmes s'en van-
c 1er. Ainsi » nous soutenons que les hommes nous sont inférieurs. »
(Fét. de Gères v. 800).
Dans une autre pièce du même poète» Lysisiraie, les femmes trou*
vanl que les hommes ont, par leurs folies» provoqué la ruine de l'Etat»
et que tous les efforts qu'ils ont faits pour réparer le mal n'out servi
qu'à l'empirer » se sont mises elles-mêmes ù la télé des affaires :
c Pendant tout le temps qu'a duré la dernière guerre » nous avons
c supporté dans un modeste silence lout ce que vous faisiez» vous ne
c nous permettiez pas d'ouvrir la bouche. Nous n'étions guère con«
c tentes» car nous savions bien où en étaient les choses. Souvent, dans
c nos maisons » nous vous entendions discuter à tort et à travers sur
c quelque affaire importante » alors le cœur bien triste, mais le sou«
c rire aux lèvres » nous vous demandions : Eh bien i a*t-ou voté la
c paix dans rassemblée d'aujourd'hui ? Occupe-ioi de tes affiiires ,
c répondait le^mari » tais*toi ! — Et je me taisais.... Mais bientôt
c j'apprenais que vous aviez arrêté quelque résolution plus fatale
c encore, c Ah ! mon ami » disais-je quelle folie est la vôtre ! • Hais
c lui » me regardait de travers en disant : « tisse ta toile » ou tes
c joues te cuiront longtemps ; la guerre est l'affaire des hommes. »...
c Ah ! misérable» la guerre nous est un fardeau bien plus pesant qu'à
c vous. D'abord » nous enfantons des fils qui vont combattre loin
c d'Athènes. Ensuite » au lieu de goûter les plaisirs de Vénus et de
c jouir de notre jeunesse » nous languissons loin de nos époux qui
c sont à l'armée. Mais ne parlons pas de nous ; ce qui m'afflige» c'est
c de voir nos filles vieillir dans leurs couches solitaires. Et si les
f hommes vieillissent aussi» ce n'est pas la même chose. Le guerrier»
c à sou retour» eùt-il des cheveux blancs » trouve bientôt une jeune
c épouse; mais la femme n'a qu'une saison ; si elle ne se hdte d'en
c profiter» personne ne veut plus d'elle , et elle passe son temps à
c consulter les destins» qui ne lui envoient pas de mari. > (Lysistr.
V. 507, etc).
Du reste » ce poète ne s'adresse jamais directement aux femmes ;
il ne leur a destiné aucun de ces admirables morceaux lyriques » qui
comptent à juste titre parmi ses plus beaux litres de gloire. Ne cher-
chons donc pas dans ses drames les grandes et belles figures de
l'Iliade et de l'Odyssée » si admirablement reproduites et retouchées
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LES FEMMES DANS LÀ F0É8IE GRECQUE. S51
par les grands maiires de la tragédie. On voit que rbomme régnait
alors seul et sans partage, et que le développement iotellecluel s'était
opéré exclusivement au profit de la conquête , de la volupté et de la
beauté ; c'est à peine si , à de rares intervalles , nous retrouvous
eette déférence pour le sexe faible , qui avait fait l'honneur des âges
héroïques. La femme d'Aristophane, c'est l'épouse grecque, condam-
née à s'ensevelir dans l'obscurité de ses mystérieux appartements ;
ce ne sont plus les poètes qu'il faut lire pour se rendre un compte
exact de sa triste situation au sein de celte société toute démocra-
tique , mais les historiens , les orateurs . Xénophon , Thucydide ,
Démosthènes. La femme , dit Xénophon , doit ressembler à la reine
des abeilles , ne pas sortir de sa maison , surveiller ses esclaves et
diriger leurs travaux , recevoir les approvisionnements et les mettre
en ordre , économiser avec soin et mettre en réserve tout ce qui n'a
pas été employé ; surveiller le lissage des toiles, le confeclionnement
des vêtements et la cuisson du pain, prendre soin des esclaves
infirmes, quel que soit leur nombre ou leur âge ; veiller à la propreté
des ustensiles du ménage , leur donner des noms convenables , qui
permettent de les distinguer et de les classer et élever les enfants ;
elle doit enfin prendre soin de sa toilette. (Econom c. 7). Ainsi la
femme n'a plus pour elle que la part la plus vulgaire de l'existence ;
de même que depuis longtemps elle se trouve exclue de toute parti-
cipation aux aflaires sociales , sa sphère d'action s'est rétrécie peu à
peu à un tel point qu'elle n'est plus, à tout prendre, que la maîtresse
des esclaves , chargée uniquement des soins administratifs de l'inté-
rieur et forcée de rendre un compte exact de sa gesilon à son époux
et maître.
La seconde observation que nous avons ù faire , c'est que , dans le
domaine de la littérature y l'importance accordée aux femmes , s'ac-
croît en raison inverse de l'influence que les poêles sont appelés à
exercer sur les affaires publiques. De même que la poésie erotique est
comme une plante parasite qui ne peut prospérer qu'à une époque
où la vie intellectuelle s'est affaiblie , au milieu des générations éner-
vées qui ont perdu tout à la fois et l'énergie de la volonté et la puis-
sance d'agir, de même aussi , pour ce qui concerne la comédie aiti-
que , les attaques dirigées contre les femmes deviennent chaque jour
plus. fréquentes et plus amères . à mesure que les affaires publiques
cessent d'être pour le poète un objet d examea et de libre discussion*
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I^ vie.d'Ari&toph^ne lui-même lert à confirmer rexacilUide de noire
observation. Ce poèie comique qui » dens une de ses premlèreft
comédies, la PaiXt (v. 751) se vanlftk de n'&Yoir point bit de ta
femme l'objet de ses railleries , a Qni , dans ses pièces posiérieures »
par exploiier sur une vaste iécbelle c^ue matière qui semblait d*abord
Jui répugner» et elle devient même pour lui , ea même temps que ta
critique littéraire, son arme de prédilection. Et, plus le ciel politique
de la ^rèce s'assombrit, au milieu du discrédit où était iorobée ta
politique active , et des préoccupations nouvelles qui absorbaient les
esprits, plus aussi la Comédie parait se concentrer dans le domaine
des io|éréts privés : et cette part restreinte qui lui est faite finit
par devenir exclusivement celle de la Comédie nouvelle , représentée
par Ménapdre*
On comprend que dans cette Athènes déchue de. la souveraineté •
où le mouvement d'esprit et le goftt du plaisir avaient pris toute la
place qu*occupaieni naguère les passions des partis et l'intérêt de la
gloire nationale , les intrigues d'amour se soient trouvées placées au
premier rang. Il est à remarquer toutefois que les inirigues portent
un cachet tout particiilier. Il y avait , nous l'avons dit , à Athènes
deux classes principales de femmes, qui formaient un coBlrasIe
frappant , les unes , filles et femmes libres , chastes et pudiques pour
la plupart , mais n'ayant reçu qu'une culture fort iucomplètet.et rete-
nues dans un isolement tout oriental; les autres, filles affranchies,
cultivant .les lettres et les arts., la plupart spirituelles , d'un physique
séduisant , mais bien connues pour la légèreté et la dépravation de
leurs mœurs. Il était généralement reconnu qu'on ne pouvait aimer
que les héiaires , qui avaient fini par s'emparer , au détriment des
femmes légitimes,. des hommages et des attentions des citoyens les
plus notables d'Athènes , tandis qu'on ne pouvait épouser que les
premières , el c'est dans cette situation que résidait le pUis commu-
nément le nœud de l'intrigue, dans les différentes pièces de la comé*
die moyenne et de la comédie nouvelle.
Il ne faut donc pas nous éionnoer qu'à une époque pareille a celle
dont nous parlons , la femme ait été tenue dans un tel état d'infé*
riorité, qu'elle ait été l'objet d'une antipathie aussi prononcée et
d'un mépris aussi injuste. Cependant , et c'est ici que vient se placer
tout naturellement notre troisième observation ,. il fisut convenir
que d'Aristophane à Ménandreta société a fait .00 progrès moral qu'il
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LES FEMMBS DAKS LA POÉSIE GRECQCIE. 888
imfiorie de coiiscater. Après fai • guerre da Péloponèsé , le règne des
bélaires» losuguré par Aspasie, avait remplacé celoî des démagogues.
Aristoptiane avaii déji mis en scène ces femmes libertines , la plupart
de Ixis étage, mais uniquement comme comparses et pour égayer h
speetacle.de festius lioencteux. Mais leurs Tiees, leufs stratagèmes et
leurs mœurs dissolues ftirent pour les poètes de la comédie moyenne
mi sujet de prédileaion. Prenez garde à ces femmes , semUaient-ils
dire , elles vous ruineront , sans que vous puissies compter sur leur
amour; mais jamais ils ne disaient : fuyez leur contact, car il vous
corrompra et vous avilira. La société athénienne , qui avait perdu son
ancien esprit de hardiesse et de domination » les suivait avec empres*
sèment dans cette voie nouvelle; au lieu de s'irriter, comme autre-
fols contre les mensonges des démagogues qui la trompaient , elle
trouvait son plaisir à rire des leurs perfides des courtisanes avides •
qui trompaient et ruinaient les mauvais sujets.
Nais on dirait qu'à dater de rappariilon de la nouvelle comédie , le
rôle des femmes , au sein de la société , s'est transformé , et que la
dignité de la vie privée, du mariage et de l'épouse a été constamment
en progrès. Quand Aristophane parle des désordres du gynécée , on
sent toujours l'indifférence sous la raillerie; toujours il les traite avec
ce mépris sans colère que Ton réserve aux enfants. Peu importe au
poète qu'elles absorbent enir'elles tont le produit d'une vendange ou
iju'elles introduisent des amants au sein de leurs demeures ; peu im-
porte encore^qu'elles se montrent jalouses et grondeuses. Les maris
auront , pour se distraire de leurs ennuis domestiques , la faculté de
déserter, quand il leur plaira, le toit conjugal , d'aborder à toute
heure la place publique et la maison de la courtisane , qui leur offri-
ront une ample compensation. Mais pour Ménandre et ses confrères,
le bonheur réside dans les incidents de la vie privée , et tout ce qui
tend à troubler l'intérieur de la famille est un roaf grave et irrépa-
rable. Aussi attachent-ils un bien grand intérêt à la vertu de la
femme qui c peut être ou la ruine ou le Falut d'une maison , qui , si
€ elle est vertueuse , est comme le gouvernail de la famille , capable
c de préserver son mari et ses enfants de tont accident funeste. >
Cependant, hâtons-nous de le dire, s'il y a un progrès à constater
dans la eonditiou de la femme , ce progrès n'est pas encore de nature
à faire concevoir à l'homme une noble idée de celle qui doit être sa
compagne , ni à lui faire trouver auprès d'elle l'enthousiasme dont H
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554 RBVUB D'ALSACE.
a besoin pour s'éprendre de ce qui est beau» grand et généreux. C'est
pour cette raison que Télément moderne • représenté par l'élément
germanique , et qui se rencontra avec le christianisme dans le partage
égal de droits moraux entre les deiii sexes , constitue dans l'histoire
de l'humanité un véritable progrès snr l'élément hellénique. L'amour
prit dès lors un caractère tout opposé , il devint le mobile de l'hé-
roïsme et du dévouement , heureux privilège qui assigne aux femmes
une graude part dans les progrès de ta civilisation moderne, et que
les lois même les plus défavorables à leur action n'ont pu leur
enlever !
Ed. Goguel.
Strasbourg , le 10 mars i860.
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SOUVENIRS DE VOYAGE.
TOMBEAU DE CHARLESLE-CHAUVE.
Si le voyageur qui de Genève pi^nd la route de France est fatigué
du panorama que la rapidité vertigineuse du chemin de fer dérobe
sans cesse ù ses regards» qu'il suive l'ancienne route de Bellegarde à
Lyon. Il n'assistera pas sans doute comme en Suisse aux scènes gran-
dioses de la nature alpestre , il ne pourra même s'empécber de
regretter le lac de Genève , ses bords riants » son animation et sa
vague bleue argentée, d'une teinte si douce. Nous traverserons cepen-
dant une contrée aussi pittoresque qu'accidentée ; déjà nous allons
voir un phénomène aussi étrange que bizarre, la perte du Rhône qui
semble vouloir disparaître à tout jamais dans le gouffre qui quelques
instants absorbe son cours. Plus loin nous suivons la capricieuse
Walserine dont les eaux bondissent sur les anfractuosités d'un lit de
rochers que son impétuosité torrentielle a creusé, et taillé a pic à 20 ou
30 mètres de profondeur. £lle aussi veut imiter le grand fleuve avant
de s'unir à lui et se p^rd tout à coup dans un étroit et profond sillon
formé par Técartement des rochers dont elle ressort en bouillonant
après un trajet de quatre à cinq cents mètres.
Bientôt les montagnes abaissent leurs lignes sinueuses et sur leurs
flancs tapissés de vignes l'on découvre quelques villages que séparent
de frais et riants vallons. De ces localités on ne conserve du reste que
le souvenir de la visite des douanes qui rappelle à la réalité le touriste
égaré dans le vague de la contemplation.
Mais le paysage ne tarde guère à changer de physionomie et à
reprendre toute sa sauvage âprelé. Au fond d'une gorge étroite nous
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886 REVUE D'ALSàCB. .
longeoDS le lac de Silans , à droite d'énormes roches sorplombeni la
roule et senibleoi suspendus sur les voyageurs comme une éternelle
menace de rnoit* A gauche s'élève une monlagne couverie de Jianis
sapins dont la nuance sombre reflète sur le lac une teinle sinistre.
Rien de plus solilaire , rien de plus mélancolique que Taspert de ce
lac. Involoulairemeni , l'imagination est prête à évoquer quelque lu*
gubre légende ou quelque scène tragique ; mais la poésie légendaire
est inconnue dans ces cpnirées. Nous ne sommes plus en Allemagne
où chaque source a sa naïade et ses ondines , chaque ruine son
esprit et ses apparitions fantastiques , chaque grotte son génie ou sa
fée , l'air même sa légion de sylphes moqueurs. L'on ne rencontre
ni Menhirs ni Dolmens dans ces lieux qui semblent destinés à abriter
les sanglants mystères du dieu Tentâtes.
Après avoir suivi quelque temps une rouie qui serpente entre des
ravins tapissés de maigres broussailles et de buis , nous nous enga-
geons dans une des gorges les plus sauvages de la chaîne Jurassique •
de hautes montagnes à ta cime orgueilleuse hérissée de sapins fer-
mant l'horizon. Elles semblent défier la force humaine qui nn instant
parait s'être arrêtée impuissante à se frayer une voie à travers ces for-
midables rochers.
Nous aurions pu nous croire transportés au Val d'Enfer, mais cet
étroit et sombre défilé dépasse encore la sauvage grandeur dn Hôllen-
TbaK Tout-à-coup après un brusque détour la route» qu'un massif de
rochers et de sapins dérobait à nos regards, se trouve transformée en
avenue bordée de platanes et d'ormes séculaires. Enfin nous apper-
cevons dans le lointain rantique ville de Nantua avec sa vieille église
bysantine qui domine le lac éclairé par un soleil de juillet. Sa sur-
face resplendit au loin , scintillante de paillettes d'or et de lueurs
diamautées.
Mais bientôt avec le dernier rayon de soleil vont disparaître toutes
ces richesses magiques et tout ce splendide mirage. Encore une fois
le paysage va reprendre sa sombre et austère physionomie. La ville
s'étend dans la vallée Jusqu'au bord oriental du lac profondément en-
caissé entre deux montagnes. Celle de droite, taillée à pic jusqu'à la
crête , simule à s'y méprendre les murailles crénelées d'une antique for-
teresse. A gauche d'immenses forêts couvrent les flancs de la montagne
dont les cimes élevées réfléchissent dans le lac leur sombre verdure.
Du reste pas la moindre animation j le mouvement ne se révèle que
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S0DVENIR8 DE V0TA6B , ETC. 887
par un sourd el monotone dapotement où le bmisseoieni des frêles
ei rares embarcalions amarrées à la ri?e. De loin en loin des aigles
Jellent un cri aigu en regagnant d'un vol rapide leurs aires suspen-
dues aux pics inaccessibles.
A gaucbe du lac à mi*oôte on a creusé dans le roc un large sentier
qni abottlit: d'un c6té à la ville et de l'autre à l'eitrémité orientale du
lac ; au milieii du trsyet on a ménagé une petite plateforme où se
trouve placée la Madone du lac. Cette statue d'une exécution assez
heureuse se détache comme une blanche et gracieuse apparition
d'un groupe de sapins ei projette une ombre mystique sur Tes sévères
contours du paysage.
La ville de Nantua • malgré son origine romaine » n'est pas riche
en souvenirs historiques qui prêtent tant de charmes aux contrées
que l'on visite. Son histoire est en quelque sorte celle de l'ancien
prieuré de Nantua (>) qui dépendait de Cluny. Cependant, d'après les
traditions populaires et locales» un tombeau de Charles-le-Chauve
devait exister dans le cœur de l'Eglise.
Cette vallée empreinte d'une sauvage majesté et dont la vue inspire un
indicible sentiment de mélancolie, semblait bien choisie pour assurer
au moins le repos de la tombe au prince dont l'existence finit d'une
manière si humble et si misérable.
Son règne appartient en grande partie à l'histoire d'Alsace. La re-
« lation de la fête solennelle du serment {Bundfest zu Strasbourg,
842) O restera une des pages les plus intéressantes des annales de
Strasbourg. En 876 , il voulut s'emparer de l'Alsace et du cours du
Rhin jusqu'à Aix-la-Chapelle (^). Cet éternel rêve de la rive gauche
ne devait point se réaliser. Après sa défaite , il se dirigea vers Rome
où , pour se consoler de ses revers • il alla revêtir la pourpre impé-
riale (^). L'approche d'un de ses neveux le força à s'enfuir.
( Charles-le-Chauve meurt à Brîor empoisonné par un juifnommé
Sededas « son médecin qui avait toute sa confiance. Aucun historien
(*) L*abbaye de Nantua fat fondée par Saint Amand , premier évêque de Stras-
bourg.
(*) New vaierliindUehe Gesehiehiê der Stadt Stratburg, von Iohanmes Fribse,
1792.
(>) LAGUiLLK , Biitoire d'ÀUaee.
{*) MieULBf , Hiitalrè (U FroMê.
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558 REVUE D'ALSACE.
ne nous a appris si ce médecin avait été puni et nous ignorons quels
avaient été les instigateurs du crime.... Gharles-1e-Chauve fut enterré
au prieuré de Nantua dans le diocèse de Lyon; et sept ans après, ses
os furent transférés à St-Denis (<) (^).
c Hemedeus huitième abbé (de Nantua) fil inhumer au côté gaurhe
du grand autel Cbarles-le-Chauve qui venait de mourir à Brior près
du Rhône . dans la chaumière d'un paysan.
c L'abbé fit mettre une épitaphe sur son tombeau.
c Charles-le 'Chauve laissa à Téglise de l'abbaye quatre évangiles
manuscrits • deux encensoirs , un calice d'argent , des chandeliers ,
des habits et ornements (^) (^). •
D'après ces données historiques , et d'après les traditions nous
allions donc voir une tombe royale carolingienne , une tombe du ix«
siècle. Après avoir parcouru l'église en tous sens et admiré dans une
chapelle une voôie à pendentifs , style renaissance d*une hardies.«e et
d'une légèreté incomparables , nous n'avions découvert que la pierre
tombale d'un bon bourgeois du xv*" siècle. C'était une première dé-
ception et nous allions nous retirer fort désapointés, lorsque nous
flmes rheureuse rencontre d'un digne ecclésiastique qui avec une
exquise urbanité voulut bien nous guider et nous renseigner. Nous
fûmes introduits' à droite du cltœur dans une chapelle qu'une fausse
porte mettait en communication avec une espèce de crypte. Sur la
partie gauche de la voûte de ce caveau se trouve incrusté un
arc tumulaire à la base duquel se remarque une inscription in«
déchiffrable. C'est ce chétif monument qui doit avoir servi de
sépulture provisoire à Charles*le-Chauve.
Sans avoir aucune prétention à la noble science des antiquaires
nous avons immédiatement reconnu une erreur archéologique des
plus patentes , lanachronisme était par trop criant. La tombe caro-
lingienne avait disparu et nous étions en présence d'une des plus
élémentaires et des plus mesquines productions de l'art du xv»« siècle.
[*) Henault , Abrégé chronologique de V Histoire de France.
(') Le tombeau en bronze de Gbarles-le-Cbauve , autrefois conservé à TégUse de
Saint-Denis et qui était probablement une œuvre du iti^* siècle, a été fondu en
1792. {Histoire de France , Henri Bordier et Edouard Gharton).
(") Au musée du Louvre on voit encore une Bible de Gbarles-Ie-Cbauve.
(*) Gacon , Histoire de la Bresse et Buget , abrégée par M. de Latejssoupière.
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SOUVENIRS DE VOYAGE, ETC.
L'iDScription, en caraclères gothiques très-allongés et très rapprochés,
confirma cette date par son illisibitité même • si Ton vent bien nous
permeltre celte expression.
Nous fimes confidence de noire désillusion à notre vénérable ecclé-
siastique et nous lui fîmes remarquer que les détails d'architecture
tumulaire et surtout le spécimen bien caractérisé de paléographie
murale asHlgnaieni une date bien pins récente à cette tombe. Il nous
fut répondu qu'un archéologue de passage à Nantua , et dont nous
regrettons de ne pouvoir citer le nom , avait déjà contesté Toriglne
carolingienne de ce monument , et qu'il était même parvenu à
déchiffrer «i' inscription qui d'après lui devait être de la fin du %\v°^
siècle.
Si les révélations du Spiritisme sont tant soit peu vraies» le cheva-
lier ou le prieur qui repose sous cette pierre, a étt plus d'une fois se
réjouir de l'hommage royal rendu à cette tombe par de nombreux
visiteurs.
Nous nous consolerons de ce cruel désappointement en donnant à
nos lecteurs Tépitaphe bien authentique qui figure sur la pierre
carolingienne qui peut-être existe encore , masquée par les boiseries
du chœur à ce que prétendait notre vénérable ecclésiastique.
Les historiens nous ont conservé Tépitaphe du tombeau de
Ghsrles-le-Chauve qui avait été enterré à Nantua.
Hoe domini Caroli servantur membra supulchro
Conspieuus Romœ qui fuit itnpério
Dardanidœque simul génies non septra reliquens
Sed poiius pladde régna tenens alia ^
Ecclesiamque pio tenuit moderanime ChrisH
Semper in adversis iutor et egregius
Iialiam pergens febribus corrompitur atris
Et rediens nostris obiit in finilnu
Quam Deu8 exeekis dignetur jungere turmis
Sanctorumque choris consociari jnis
Quinta dies mensi lumen cum panderet orbi
Octobrit spatium redidit iste deo (*),
(*) BtMtoirê de la Brette et du Bugey ; abrégée par M. de Lateyssonnière.
Cette épitaphe se trouve également reproduite dans Guicbenon , Histoire de la
Bresse et du Bugey, Elle a sans doute été extraite des titres de Tabbaje de
Nantua.
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060 Rcnns d'alsacc.
Ed lisant celte épitapbe bien authentique coiupoaée par un eocté-
siastique , nous ferons remarquer qu'on ne fait pas la oioindrp allu-
sion au genre de mort auquel aurait succombé Gharles-le»CliauYe
d'après quelques auteurs. A cette époque l'antipathie étant bien pro-
noncée contre les Israélites, et le juif Sedecias n'aurait point échappé
à un supplice que les Instigateurs mêmes du crime auraient cherdié
à provoquer pour étouffer tout soupçon de complicité.
Le Président Henault remarque judicieusement que les historiens
gardent le silence sur les instigations du crime et sur le genre de
punition encourue par Sedecias dont le forfiiH s'est peui-éire qu'imi*
ginaire. Puisque nous citons le président HenauR nous lermiaeroM
contrairement à l'usage par une épigraphe qui se trouve en tête de
son ouvrage :
Indociî dUcant et ament tneminisee PtrUi,
i. fé PUTHOD.
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LE BOLLENBERG.
{PKtS DR ROOFPAGfi HAUT*Rlll2f.)
Le mol Bal ou Baal signifiait seigneur el maître {*) ches les
Cbaldéens, qui donnèrenl principalement ce titre au dieu Soleil, Jeur
grande divinité , et » par extension aussi , aux divers génies qui pré-
sidaient aux astres principaux. Chez les Phéniciens, Saturne portait
le nom de Beel^Shamin., c'est-à-dîre , maître et roi des cieux (*).
Sous ce titre il était confondu avec le Soleil , en tant que régulateur
du temps. Ce mot Bel ou Beel répondait chez eui, ainsi que chez les
Assyriens et chez les Perses, au Bal ou Baal des Chaldéens. Chez les
Perses , le nom de Bel était donné à Jupiter, dont la statue , en
bfoiize , représentait le dieu dans l'action de marcher, pour symbo-
liser la marche du soleil.
Ce culte baalique passa d'Asie en Europe avec les peuples qui
vinrent s'y établir. On voyait en Grèce , à Palras , le tombeau du
Dieu Bel dans le temple de Sérapis, qui n'était lui-même que la
représentation mystique d'Osiris ou du dieu Soleil descendu au tom-
beau (*). Dans te borique au contraire » à Aquilée , c'est sous le nom
de Bélên ou Bélénus qu'il était invoqué comme dieu printanier on
Apollon (4). C'est sous celte forme aussi que les Keltes de TOccident
Kddoraicnt , et que , sur la pointe des monts les plus élevés , ( t sur
le penchant des coteaux, où ses rayons venaient régénérer la nature,
Hs lui sacrifiaient le <'heva) , qui lui était consacré comme symbole de
la rapidité de sa course. M. le professeur Bergmann , dans son ou-
vrage sur les Gètes, a voulu rattacher l'une à l'autre les deux figures
(*) KïrkeT.Œdip. , T. I , p. 262. — Selden , de diis Synit , 2. c. 4.
(') Easeb. , Orœp, evang. , I. c. iO
(') Paasao. , Hfesseniac. , p. 228.
O Hérodian. , VIII , p. 302.
S« Série. - 8* Année. M
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562 REVUE D'ALSACE
mythiques d*Hérakèi et ô'Apollo , dont le dernier nom , selon lui .
dériverait du premier. Cette opinion ne saurait prévaloir ni pbilolo*
gtquement ni sous le rapport religieux. Hérakiès » en effet , n*est pas
le dieu Soleil du printemps ; c est le dieu fort qui meut la nature et
engendre le temps , tandis qu'Apollo ou Appello , comme nous le
lisons sur quelques inscriptions (i)» représente Tinfluence bienfaisante
(}u Soleil printanier. L'un était peint sous les attributs de la force
musculaire, l'autre sous tes traits de la beauté idéale et de la force
junévile.
Quand les Romains s'emparèrent des provinces rhénanes . et en
soumirent les diverses nationalités, ils adoptèrent, fidèles à leur
politique et à leurs principes de conquête , les cultes qu'ils y trou-
vèrent établis. Le culte de Bel fut donc confondu avec celui d'Appol-
lon, le dieu printanier des Grecs et des Romains. Lorsqu'à leur tour
les Germains (Burgondes et Âllemanes), s'emparèrent des rives du
Rhin , se perpétuèrent dans la langue et dans les traditions de ces
peuple^, les diverses dénominations de Belchen , de Boll, ou BolUn ,
de Rossberg, de Sanuenberg, etc. , selon que la tradition rattachait
aux lieux qui les portaient , le culte gaulois de Bélén , celui romain
d'Apollon , les sacrifices de chevaux en l'honneur du dieu Soleil , ou
le culte solaire lui-mé.me dégagé de toute nature zoo ou aotropo-
morpbe.
Les deux Bolleuberg . le grand et le petit , dans le Haut-Rhin, ont
conservé dans la tradition le souvenir de cette transformation du
culte de Bélén en celui d'Apollon. Les murs de la chapelle qui se
montrait jusqu'à la fin du siècle dernier sur le second de ces sommets,
étaient dédiés à sainte Polona plutôt Apolona (^) , dont la légende
chrétienne , je n'en saurai douter, s'est naturellement entée sur le
mythe d'Apollon. Sainte Polona , dans cette légende , est regardée
comme la fille du fondateur de la race des chevaliers de Boll ou
Bollen , qui eux-mêmes étaient seigneurs du Bollenberg (3). Elle
remplit ici le rôle que remplit , plus au nord , sainte Odile , patronne
(*) Hist. des peuples Opiques , p. 340.
(*) Elsâssiche Topographia , 2« part. , p. 30.
('). Districlus Bolleul>erg prope RuHiacum ad Dynasiiam hanc etiam spectans ,
primum BoHvianœ genlis patrimonium censelur, ScbœpQ. Ah. illusl, , T. H. , p.
102.
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LE BOLLBNBEBC. Mi
d'Alsace , sur les lieux consacrés à Sieg ou Odin ; comme cette der-
nière le remplit aussi près de Frîbourg dans la chapelle placée au
pied du dernier versant du Rossberg , du bant duquel . selon la tra-
dition » on lançait dans l'abîme les chevaux indomptés offerts en
sacrifice à ce dieu.
Le grand Bollenberg offre une masse calcaire. Ses contours arron-
dis sont exemps de parties abruptes. Son sommet ei ses versants , à
pente raide vers le nord^ moyenne vers l'est, plus douce vers l'ouest
et le sud , sont couverts d'une faible végétation de graminées et de
bruyères.
Du côté du sud» il est séparé de la plaine par une deuxième colline
calcaire moins élevée , nommée le petit Bollenberg. Cette dernière ,
autrefois recouverte d'une forêt de chênes , est située en partie dans
la banlieue de Rouffach . ei en partie dans celle d'Orschwyhr.
L'une et l'autre hauteur sont parseipées de blocs de grès » tantôt
présentant, dans leur rapport de position» des angles ou des aligne-
ments ; tantôt disséminés sans symétrie aucune, ou accusant quelque
cercle naturel. C'est sur la dernière que se trouvait la chapelle de
sainte Polona qui, jusqu'en d576, servit d'église aux habitants da
village d*Orschwyhr.
Ces blocs de grès , dont quinze seulement ont été (déchaussés pour
Texploration , afin de constater leur assise • sont tous d'un volume
assez peu considérable. Aucun d'eux ne pénètre à plus d'un mètre
dans le sol. Le terrain sur lequel ils reposent , est formé de bancs
calcaires, en couches minces, superposées , recouverts d'une terre
végétale qui ne dépassé nulle part trente centimètres. Ils sont en
général tous couchés. Aucun ne possède de forme régulière, qui
accuse la main de l'homme. Presque tous sont pius longs que larges,
et plus larges qu'épais. Les plus petits de ces blocs, sont d'une
dimension de GO, de 50 ou de 40 centimètres dans les trois sens. Le
plus fort , appuyé sur une assise de pierres superposées , représen-
tant assez exactement un mûrement sans ciment, mesure S"", 70*" de
longueur. Il existait autrefois à la base antérieure une fosse irrégu-
lière de 50 à 60 centimètres de profondeur, qui, à l'examen, a laissé
apercevoir des traces de cendres et de charbon. Il serait téméraire
toutefois de vouloir affirmer l'antiquité de ce foyer, quand , avec
autant de probabilité, on peut l'attribuer, soit aux feux que les habi-
tants d'Orschwyhr allument encore chaque année le soir du mardi-'
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864 REVtlB D'ALSACE.
gra« sur cette hauteur, soit à quelqu'un des pâtres dont les troupeaux
vienoeni ici brouter Tberbe aromatique.
Quoi qu'il en soil» il est certain que ce n'est pas la main de l'hoiome
qui a réuni . sur ce sol calcaire tous ces blocs de grès ; ni la ntanîère
dont ils sont disposés , ni les figures que ces divers groupes présen-
tent , ne se prêtent » comme on l'a voulu d'abord » à cette supposi-
tion. Ces blocs de grès sur Toolithe du Bollenberg n'ont rîea de
contraire aux lois géologiques , quelque anomalie que leur présence
puisse offrir au premier aspeçi. Après le dépôt de calcaire jurassique
et avant le soulèvement du Bollenberg , c'est-à-dire , au moment où
le calcaire jurassique était étalé en surrace plane au pied des mon*
tagnes plus anciennes, il a dû se former des alluvions sur ce terrain.
Les matériaux de ces alluvions on^ dû être empruntés aux mon-
tagnes voisines. Postérieurement au bouleversement , les parties les
plus ténues de ce terrain alluvial ont été entraînées par les eaux » et
les gros blocs sont seul^ restés en place, lu où nous les voyons encore
aiiyourd'bui. Le grand nombre de ces pierres, l'irrégularité de leur
foro^ et de leur distribution , militent en faveur de cette hypothèse
qui s'accorde avec les théories présentées par M. le professeur Léon-
bard, d'Heidelberg, pour les deux chaînes des Vosges et de la Forêt-
Noire^ avec celles de M. Alb. Mûller, de Bâle, ù l'occasion de phéno-
mènes semblables observés sur le Jura , dans la Suisse et sur le
plateau bâlois.
Mais cette circonstance ne détruit en rien l'importance du Bollen-
berg sous le rapport archéologique et religieux. Pourquoi les hommes,
en venant prendre possession du sol désert où ils s'établirent , n'au*
raient-ils pas mis à profit , pour les mystères de leur culte , ce que
la nature elle-même leur présentait de mystérieux sur le sommet
des monts, où Ils se plaisaient à invoquer la divinité? Pourquoi
n'auraient-ils pas choisi les plus gros blocs de ce» pierres pour
autels, et n'auraient-ils pas profité de leur dédale pour leurs proces-
sions? S'ils n'avaient point sous les yeux, comme àCarnac^des
alignements symétriques, posés par la main de l'homme; s'ils
a'avalent pas de cercles parfaits , symbole du disque du soleil et de
ses douzes demeures, ne semble*t-il point que chacun de ces agrestes
autels que la nature avait créés , répondit à chacun des génies de
ce. ciel étoile , au milieu desquels circule l'astre qu'ils venaient invo*
quer? Un des cantons de la montagne porte encore aiyourdhui le
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LE bollbnbbug. 56K
nom de Sonnenglânzk ou éclat do soleil. Ce doid, dont rien ne rap-
^lle rorigioe , n'est -il pas aussi vieux que celui des sociétés qui
venaient ici prier? Les pontifes» au milieu de ce labyrinthe que la
relifion avait nécessairement dâ consacrer» guidaient la marche do
people , chantant les hymnes sacrées et attisant les feux qui symbo-
lisaient le retour de la lomière et de la chaleur et qui» même lorsque
le cërisliauisme eût renversé Tancienne croyance , se perpétuèrent
6ur ces hauteurs , sans que les hommes initiés a la nouvelle foi se
préoccupasserit de leur signification primitive. Le christianisme rem-
plaça» par une naïve légende, la figure mythique d'ÂpoMon. Il donna
à la jeune vierge qui lui fut substituée un nom qui bientôt fit oublier
Tancien culte ; et peu de générations s'élaient écoulées » que ces
mêmes populations qui maintenant donnaient aux lieux habités » aux
voies de communication , aux buttes tumulaires, des noms qui attes-
taient de leur haine pour le paganisme » allaient sur la montagne
implorer sainte Âpolona. La chapelle qui lui fut consacrée datait
sans doute d'une époque bien reculée , si nous faisons attention qu'à
plusieurs reprises furent retirés du sol où elle avait existé , des sar-
cophages d# pierre » dont Tun d'eux recelait une monnaie mérovin-
gienne, qui fut donnée par M. le curé Zimberlin au musée de Colmar.
Ces sarcophages qui » selon lui » peuvent remonter jusqu'au huitième
ou neuvième siècle , présentent , tous» les contours du corps humain
creusés dans la pierre » de manière que la tète avait sa cavité propre
à elle. Une de ces pierres sert aujourd'hui d'auge au puits delà ferme
du Bollenberg ; le couvercle de l'une d'elles » ornementé , forme le
seuil de la porte de la grange. Beaucoup sont encore enfouies dans .
ce terrain. Aucune inscription n'est venue nous révéler quelles sont
ces sépultures. Il n'a jamais existé près de cette petite église d'éta-
blissement religieux. La ferme qu'on voit encore tout près du vignoble
sous lequel gisent ces débris » jouissait autrefois du droit d'asile pour
les criminels. A côté s'élevait la modeste demeure de l'ermite qui des-
servait le petit temple . jusqu'à l'époque où la révolution française
détruisit l'un et l'autre. L'église était alors le rendez-vous processionel
de toutes les paroisses des environs qui » au temps des Rogations ,
venaient jusque sur ce sommet prier Dieu et sainte Polona de bénir
et de protéger leurs moissons. Cependant aucun des hagiographes
d'Alsace» ni l'abbé Grandidier» ni l'abbé Hnnckler» n'ont cité cette
pieuse fille de la race des Bollen dans leurs Yiet da Saints de la pro*
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S66 REVUE DALSiiX.
vîDce. Elle n*66t conoue • invoquée que là où sa légeode a pris nais-
sance » au point de contact des d»)ux cultes païen et chrétien. Un
acte notarié de n68 fait mention d'elle, sous le nom à'ApoUa,
comme patronne de rancienne église d'Orschwybr sur le Bollenberg.
La montagne à laquelle elle préside comme bon génie. 9st elle-même
hantée , à Topposé , par le génie impur, près duquel, dans la bouche
du peuple, viennent se réunir les sorcières. Quand tout dort dans les
vallées » c'est là qu'elles viennent célébrer leurs danses et leurs fes-
tins » et qu'elles reçoivent du prince des ténèbres tes soru qu'elles
vont ensuite jeter sur les champs et sur les troupeaux. C'est encore
un reste des traditions du paganisme , où les deux principes bon et
mauvais , ou de la lumière et des ténèbres, étaient toujours en oppo-
sition.
Max. DE Ring.
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LES ALSACIENS
ET L^ADMINISTRATION FORESTIÈRE.
M. Flaxiand noas a adressé deux brochures que nous venons de
lire avec intérêt. Ce sont deux plaidoyers en faveur des culivateurs de
l'Alsace qui semblent ne pas vivre en parfaite intelligence avec l'ad-
ministration forestière. Ces cultivateurs sont, de père en 61s, et de
génération en génération, dans l'usage de ramasser à pleins chariots
les feuilles mortes des bois , d'en faire litière à leurs bétes , et par
conséquent de les convertir en engrais ; mais l'administration, plus
ou moins tolérante jusqu'ici, n*entend plus se dessaisir de son bien
et donne ses raisons pour cela. M. Flaxiand lui oppose les siennes.
C'est un feu croisé d'arguments qui ne sont pas tous également heu-
reux , mais qui ont le grand mérite de ne pas s'écarter des bornes de
la courtoisie. L'administration forestière ne se contente pas d'affirmer
que les feuilles d'arbres restituent au sol ce que les racines de ces
mêmes arbres ont enlevé au couches profondes , qu'elles forment de
l'humus en se décomposant et que l'humus est favorable au réense-
mencement naturel , ce qui est d'une exactitude incontestable ; elle
voudrait, en outre, persuader aux cultivateurs que les feuilles en
question ne valent point la peine qu'on se donne pour les recueillir ,
et qu'en fin de compte elles ne constituent qu'une litière humide et
détestable au point de vue de l'hygiène du bétail. Les cultivateurs ne
se laissent pas convaincre, et H. Flaxiand n'est pas non plus de l'avis
de l'administration.
Puisque nous sommes appolé implicitement à intervenir dans le
débat , nous dirons , qu'à moins de faire fléchir les principes de la
physiologie végétale , il nous paraît convenable de rendre ou mieux
de laisser à la foret ce qui vient de la forêt. Les arbres vivent de
l'atmosphère par leurs branches et leurs feuilles comme ils vivent de^
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SM RBVDE D*AL8ACE.
sels terreux par leurs racines. Du côté de Taunosphère , . il n'y a rien
à craindre, les provisions ne B*épuiseronl pas, mais du côté du sol,
c'est une autre affaire ; eu que les racines y prennent ne s*y retrouve
plus , et à la longue , si la restitution ne se faisait plus en nature , les
provisions souterraines s'épuiseraient. On comprend , à la rigueur ,
Que l'homme s'approprie une partie des produits et qu'en se les
appropriant il se dise : c l'atmosphère opérera la restitution ; mais
il doit y avoir une limite, et nous demandons jusqu'où l'on peut aller.
Vous voudrez bien remarquer que nous enlevons ù nos forêts nos bois
de charpente et nos bois de chauffage et que nous ne leur rendons
absolument rien de tout ceci. Si , avec cela, nous enlevons encore les
feuilles, nous dérangeons l'équilibre: nous ne nous contentons plus
de ce qui a été créé aux dépens de l'atmosphère , nous prenons en
outre ce que le sol a produit. C'est aller trop loin.
S'il s'agissait d'une forêt non exploitée , d'une forêt vierge . le ra-
massage des feuilles mortes n'aurait pas de très- grands inconvénients»
mais il s'agit de forêts où nous prenons beaucoup déjà , peut-être
plus que la part de l'atmosphère , donc il est prudent d'y regarder
à deux fois avant de prendre davantage . puisque la prise se ferait
aux dépens du sol , et que nous sommes bien décidés à ne rien lui
restituer.
Nous nous permettrons encore de faire observer que les terrains
8'enrichissent nécessairement d'année en année par raccumnlation
des dépouilles qui s'y décomposent , et qu'un fonds de forêt privé du
feuillage mort ne saurait valoir » en cas de défrichement^ celui qui
n'aurait rien perdu de ses propres débris. C'est là un point important
à considérer, et dont il n'a pas été question dans le débat. En admet-
tant donc que les cultivateurs n'enlèvent qu'une partie des feuilles et
ne fassent pas un tort sensible à la végétation et au repeuplement,
il n'en reste pas moins vrai que cette suppression tourne au désavan-
tage de la couche superficielle et que Ton empêche cette couche de
s'enrichir . de valoir un peu plus l'année d'après que l'année d'avant.
En définitive • l'administration forestière qui autorise l'enlèvement
des feuilles mortes , appauvrit plus ou moins le fonds de ses bois, ou ,
ce qtii revient au même, se prive d'une plus-value qui n'est pas sans
importance. Voilà la vérité.
Nous croyons avec M. de Lavergne • et avec beaucoup d'autres ,
que des cultivateurs qui ne savent point créer la quantité d'engrais
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m ALSACIEN ET L' ADMINISTRATION FORESTièRE. 560
nécessaire à leur exploiution sont engagés dans une mauvaise voie ,
et qo*il vaut mieux les en sorlir par de bons conseils et de bons
exemples que de les encourager dans une lutie où ils échoueront bien
certainement. Il ne s*agit pas ici d'examiner le plus ou moins de
qualité des feuilles mortes employées à titre de liiière. En abordant
cette question , l'administration forestière n'a cherché qu'à se rendre
aimable et à adoucir les angles de la difficulté. Elle aurait pu dire
tout de suite : — En abandonnant jusqu'ici mes feuilles mortes aux
cultivateurs , je leur ai fait un cadeau , j'ai enrichi leui-s terres aux
dépens des miennes ; il ne me convient plus de continuer le cadeau ,
en m'imposant des sacrifices ; c'est mon droit et j'en use.
M. Flaxiand nous apprend que les cultivateurs de la plaine vendent
leurs fumiers aux vignerons des coteaux. C'est regrettable; nous
n'admettons pas en principe un commerce de cette sorte ; les fumiers
de la ferme doivent aller aux terres de la ferme , non ailleurs. Les
vignerons ont pour eux la cendre des sarments et des souches et le
marc des raisins ; on s'en contente au clos de Vougeot , on pourrait
également s'en contenter en Alsace.
P. JOIGNEAUX.
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UN PASSEPORT POUR L^AUTRE MONDE.
A Monsieur le Directeur de la Revue d'Alsace.
Quoique votre estimable Revue me semble principalement destinée
à des intérêts locaux , vousaveznéanmoins jugé à propos d'y admettre
différents articles sur la Russie ; sans doute • vous avez pensé que
l'intérêt que présente aujourd'hui ce pays est devenu si général, qu'il
est , pour ainsi dire , local à chaque province , car chacune compte
quelques uns des siens parmi ceux qui ont combattu dans un pays si
lointain pour la justice et le droit.
Cette considération m'engage à vous faire parvenir à mon tour
un petit document qui vous fera connaître jusqu'à quel point les
Autocrates de toutes les Russies ont abusé à la fois et de leur pouvoir
et de l'ignorance des peuples moscovites; abus qui certainement
dépasse toutes les bornes de l'imagination, car il ne s'agit , ni plus ni
moins , que de passeports délivrés pour l'autre monde et adressés
directement à Saint-Pierre.
Voici le texte d'un de ces c laissez-passer > tel qu'il est rapporté
par la feuille anglaise : c The britisch and foreign Review , or Euro-
pean Quaterly Journal; Vol JX. N^ il, Jul 18S9 , p. 353. > et qui ,
de son côté , l'a tiré d'un manuscrit qui doit se trouver au musée
de Londres.
c Macariut , (>) Dei gratta Kiovensis , Halicensis et Vniversae Rus-
siae Archiepiscopus Domino et amico nostro S, Pelro, Dei Omnipotentis
janitori.
Significamus Ttbi hoc tempore, dlem Suum obéuse quendam Dei
servum Princtpem Teodor ^Wlodimirski : quamobrem prœcipimus Ttbi,
(') Macarius ir, métropolitain de Kiew. (1578-i5d0.)
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UN PASSEPORT POUR l'aUTRB MONDE. 571
Ht iUum sine omni impedimento et cunctatione recte intramitas m regnum
Dei. Absolvimus eum ab omnibus suis peccalis et dedimus et benedictio"
Item. Ilaque nihil eorum transgredieris alque ne secns fiât, dedimus et
has literas absolutionis.
Datum in nostro CUxustro in Kiovia XXX. JuUi i541.
Voici encore la copie d'un autre passe-port de la vie future, qui se
trouve inséré dans c La Clef du Cabinet des Princes de l'Europe, avril
nos, p. 989. Quoiqu'il me paraisse moins authentique que le premier,
il ne confirme pas moins un usage aussi indigne que ridicule.
c Je soussigné , évéque ou prêtre de N. reconnais et certifie , que
N. porteur de ces lettres , a toujours vécu parmi nous en bon chré-
tien , faisant profession de la religion Grecque , et quoiqu'il ait quel-
quefois péché , il s'en est confessé , en a reçu l'absolution et la com-
munion , en rémission de ses péchés ; il a honoré Dieu et ses saints ;
îl a jeûné et prié aux heures et saisons ordonnées par l'Eglise ; il
s'est fort bien gouverné avec moi , qui suis son confesseur, en sorte
que je n'ai point fait difficulté de Tabsoudre de ses pèches , et n'ai
pas sujet • de me plaindre de lui , en témoin de quoi nous lui avons
expédié le présent certificat , afin que St-Pierre, le voyant, lui ouvre
la porte de la joye éternelle. >
J'ignore, si de pareils laissez-passer se délivrent encore de nos
jours en Russie ; mais dans ce cas , la besogne ne doit pas manquer
dans les bureaux de passe-ports.
Agréez , Monsieur le Directeur, etc.
Félix Marquât,
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Personne n'a oublié les lettres, si intéressantes, que M. Louis
Spach a écrites dans le Courrier du Bas'Rhin sur les archives dépar-
tementales dont le dépôt lui est confié. La collection de ces lettres
forme un iravail de longue haleine dont le public est redevable aux
traditions obligeantes et aux habitudes laborieuses de l'auteur ; mais,
il faut bien le dire » dissiroinées dans le journal sur les instances
duquel elles ont été écrites , ces lettres ont nécessairement participé
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878 REVUE D'ALSACE.
du sort réservé aux organes de la publicilé quotidienne et , à pari
dans quelques rares colleciions du journal , elles n'existent plus que
dans les souvenirs ; nous nous trompons cependant , elles existent
dans un volume tiré à l'usage de l'auteur, mais en si petit nombre
que la librairie peut en faire abstraction et considérer une édilioa
iij^éciale comme étant l'édition d'une œuvre inédite. C'est aiusi ,
paraît-il , qu'en a jugé M. E. Piton dont le dernier bulletin bibliogra-
phique annonce l'édition in-S"" des trente-neuf lettres qui résument
d'une manière si attachante les connaissances acquises par vingt
années de travail et d'études de l'un des écrivains les plus aimés et
les plus justement honorés du pays.
La RevHe d* Alsace a ouvert ses colonnes à une demaude de rensei-
gnements qui nous a valu , pensons-nous , la publication du livre
« Des nombres » que nous annonçons en ce moment. Ce livre est une
production inédite jusqu'alors de iM. le comte de Saiut-Martin » dit
le philosophe inconnu , qui a passé quelques années à Strasbourg,
vers la fin du siècle dernier, dans le commet ce d'une femme de
mérite , Mme de Bœcklin , au sujet de laquelle M. Matler demandait
des renseignements à ses contemporains. Peut-être^ a-t-il quelque
chose de trop hasardé dans l'allégation , que c'est aux lettres écrites
à la Revîie par H. Matter qu'est due la publication du livre des
nombres. Nous voyons, en effet, dans Tavant-propos du nouvel éditeur
de M. de Saint-Martin , que depuis c quinze ans » les œuvres c du
plus grand des mystiques français > de la fm du dernier siècle sont
ro1)jet d'une sollicitude et de recherches particulières. Cependant
nous avons quelques raisons de penser que le souvenir donné dans
cette Revue par M. Maiter à un petit groupe d'esprits distingués »
est entré pour quelque chose dans la détermination de l'éditeur.
Cet éditeur, M. Louis Scbauer, est nécessairement un disciple du
maître dont il a conçu le projet de rééditer toutes les œuvres,
c L'expérience , dit-il , que , depuis quinze ans , nous avons faite
de l'effet moral produit par Tétude des œuvres dix philosophe inconnu,
nous a inspiré le désir de commencer une réimpression des œuvres
de cet homme admirable et dont la renommée est si au-dessous
de celle à laquelle il atteindra un jour parmi les inteiligençes d'élite. i
H. Schauer a voulu associer à son premier essai d'édition, M.
Matter, lui-même , de qui il a sollicité et obtenu une préface pour la
livre des nomffr^s. Il faut lire cette préface pour concevoir une idée
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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. 575
bien nette du livre qui se présente avec les formes de la science
exacte appliquée à la plus haute pression spéculative de Tesprii hu-
main. M. Matter a en outre donné ù M. Scbauer le conseil de joindre
à « un écrit aussi apocalyptique > une publication qui est , par sa
nature , à la portée de tous et qui , parait*il , est devenue très-rare ,
à savoir: Véclair sur 1^ association humaine. Cest cet écrit du même
philosophe inconnu, que M. Matter croit être le plus propre ù donner
en même temps les principaux traits de la morale, de la politique et de
la spéculation philosophique de Saint-Martin.
Il vient de paraître sous le titre : Séjour en Alsace de quelques
hommes célèbres , une petite brochure in- 12 de ii4 pages et qui con-
tient le récit de c la bonne fortune qu*a eue TAIsace deVecevoir la
c visite de plusieurs grands personnages de la République des
c lettres. > Il y est question d*Erasme • de Voltaire* d'Âlfieri, Delille,
Casanova et J. J. Rousseau* Cette brochure n'est autre chose qu'un
tirage à part des articles qui ont paru sur ces citoyens de ladite Ré-
publique , dans la petite gazette des tribunaux d'Alsace. On conçoit , à
la seule indication du titre du livre et des noms qui en forment le
sujet , l'intérêt qui s'attache à une semblable publication. C'est une
face de l'histoire d'Alsace qui est esquissée avec autaut de délicatesse
qne d'élégance par l'estimable rédacteur de notre peliie gazette,
Aus dem Elsasse. Gedîchte von Friederich Olte. St. Gai. 4862, un
charmant petit volume de YlI-245 pages.
L*auteur de ces poésies e^t le rédacteur de notre chère Samstag-
blati , le seul organe qui en Alsace ose encore parler noblemement
et honorer la langue maternelle. Il sera ultérieurement parlé , nous
le pensons , du volume que nous venons d'annoncer.
La Fascination de Gulfi. — 7ra</é de Mythologie Scandinave ,
composé par Snorri , fils de Sturla ; traduit du texte norrain en fran-
çais et expliqué dans une introduction et un commentaire critique
par F. G. Bcrgmann , professeur de littérature étrangère et doyen
de la facilité des lettres de Strasbourg. — Un vol. in-8'' de XlI-343
pages. — Strasbourg et Paris. — Treuttel et Wurtz. — J861.
Le savant et estimé doyen de la faculté des lettres est une connais-
sance ancienne pour les lecteurs de la Revue. Le livre qu'il vient de
publier sera probablement une occasion de résumer en quelques
pages les trésors de science que renferme le nouveau livra d«
M. Bergmann. F. Kurtz.
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TABLE DES MATIÈRES. — 2""* SÉRIE. 2"^ ANMÉE.
HISTOIRE. — ARCHÉOLOGIE.
Ch. Gébard. — L'aDcienne Alsace à table. (7« partie) 5
— — — — Idem (8« parUe) 289
— — — — Idem (9« partie) 433
G. Prants. — La dame de Hangerstein 28
AuG. Stqebeb. — Chants et légendes populaires d'Alsace qui se rattachent à la
température et aux différents agents qui la déterminent 58
Ingold. — Topographie des Gaules an v« siècle 97
G. GoGUEL. — LaYater à Golmar et à Montbéliard 123
P. KiRSCOLEGER. — Quelques regards rétrospectifs sur Tétat littéraire» scien-
tifique , industriel et agricole de T Alsace au commencement du xix« siècle 220
J. J. DiETRicii. — Le poêle des seigneurs à Ribauvillé 235
CosTE. — Un mot à propos d'Argentouaria 382
L. LiRBiCH. — Esquisse d'une caHe linguistique de l'Alsace 337
— — _ _ Esquisse d'une histoire de l'idiome alsacien ...... 481
Gh. Kmoll. — Episode de la grande peste de 1348. (Pragment de l'histoire
deGuebwUler) 429
— — — — Histoire de la ville de Soullz 509
— — — — i" êuite 529
SCIENCES NATURELLES. — AGRICUI.TURE. — INDUSTRIE.
J. P. Plaxland. — La pèche de la grenouille dans \& canton de Kajsersberg.
— Ses vertus médicinales 36
— — — — Coup d'o&il sur les divers systèmes de chimie agricole . 112
— — — — De l'administration des forêts domaniales et communales
à propos des feuilles mortes 274
— — — — Idem id 466
F. DE Dartein. — Quelques mets à propos ào. l'administration des forêts cl
des feuilles mortes 359
Gu6T.-Ad. Hirn. — Une fantaisie à propos des photographies de M. A. Braun 241
— — — — Suite et fin 315
P. Joigneaux. — Les Alsaciens et l'administration forestière 567
BIOGRAPHIE.
Ch. Goutzwiller. — X. Hommaire de Hell 69
— — — — — Suite et fin 145
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TABLE DES MATIÈRES. 57S
Mattbr. — m. de Saiotr-MartiD , M»* de Boecklia , les deux Salzinann ,
GcBlhe. (Suite 9t fin) 187
L. Spagr. — Théodore Kreiss 195
ÉTUDES LITTÉRAIRES. — RELIGIEUSES. — HAGIOGRAPHIE.
Ed. Goguel. — Les femmes dans la poésie grecque 49
— — — — i^ suite 363
— — — — ^ suite 413
— . — — — 3« suite 495
— — — — i^ suite et fin 359
A. GiLLiOT. — Etudes sur les religions comparées de rOrieni. ...;.. SOO
— — — — i^ suite 2S6
— — — — 1* suite 544
-_ — __- ^ suite 400
— — — — i^ suite 465
Max. de Ring. — Le Bollenberg S61
VARHSTÉS.
Gh. TBiERRt-MiEG. — Quatre jours à Tunis et Carthage. (Suite et fin) . . . 167
Sabourin de Nanton. — Une nuit au château du Hohen-KœDigsbourg ... 174
Ch. Berdellé. — Essai de traduction de quelques poésies allemandes . . . 532
M"« Adèle Hommaire de Hell. — La souffrance 575
— — — — — Le voyageur 578
P. Vatin. — La chapelle de la forêt d'Ill à SchlesUU. — Episode de la guenre
d'Italie 585
M"e Geneviève Bourgeois. — L'Hirondelle 517
DOGUMENIS HISTORIQUES.
G. WoLFF. — Réduction des monnaies royales et conversion des livres, sols
et deniers en florins, schellings et pfennings de la ville lihre royale de
Strasbourg 88
— — — — Arrêté de \à Chambre des XIII pour la réception de Marie-
Antoinette 551
Jérôme N. — Un complément à l'arrêté de la Chambre des XIII 581
Félix Marquât. •— Un passeport pour Tautre monde 570
CRITIQUE LITTÉRAIRE.
N. NiCKLÈs. ~ Zoologie du jeune âge ou Histoire naturelle des animaux ,
écrite pour la jeunesse , par M. Lereboullet 45
— — — — Etudes physiologiques sur les animalcules des infusions
végétales, comparés aux organes élémentaires des végétaux, par P. Laurent 554
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576 TABLE DBS MATIÈRES.
A. Jacqobt. — Eludes litténîres et monlej sur Homère , par M. il. Wiémi 92
Gh. Gérard. — Histoire de la guerre de trente ans , par Sekiikr ; traduite
par M. Langhans i27
Eo. CÎ06UEL. — Marie Smart , de SehUUr , traduite en vers par Tli. Braun VSi
J. DiETRiCB. - AlsaUa de M AuguêU Slœber, 9« vol. , i** parUe , 1898-4960 191
Mai. de Ring. — CoUeclion de figurines en argile , etc. , par E. Tudot . . 283
Ch. KÛS8. — Histoire d'une boocbée de pain. —Lettres à une petite fille sur
la ?ie de Thomme et des animaux , par Jean Macé 427
Emile Grucier. — La morale et la philosophie des moeurs, par M. MoUêt . «flS
Loois DE Gbalandret. — Un Ii?re intére^aant pour les familles et Tbistoire
d'Alsace. — L'Armoriai d'Alsace 523
G. Gocuel. — Chronique protestante de l'Angonmois, ivi«, xvri«, xviu*
siècle , par Victor B^taud S27
BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE.
Le manuel du touriste au chftteau du Hobkœnigsbourg , etc 96
Frédéric Kortz. — Strasbourg pendant ses deux blocua et les cent Jours . 240
^ _ _ _ Description lopographique et historique de la partie anté-
rieure de la vallée de l'Ill , avec un appendice concernant l'ancien cbJlteaa
de Brunsutl, par M. A. SiiBber 384
— — — — Lettres sur les archives , de M. Spaeh, — Le livre des
nombres, etc 571
I.ÉOPOLD Fertic. — Curiosités d'Alsaco , par €A. BarthMi. — La Petite
Gazette des tribunaux d'Alsace , par Ernest de Keyremand, -- Le BuHelio
agricole du Bas-Rhin. — Le Bulletin agricole du Haut-Rhin.-- Le tolletio
de la Société industrielle. —La Germanie et l'Alsace , par le comte d'Agneau 28S
Société pour la conservation des monuvents historiques d'Alsace 192
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