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Full text of "Revue de l'art chrétien"

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REVUE 


DE 


L'ART  CHRÉTIEN 


EEVTJE 


DE 


L'ART  CHRÉTIEN 

ORGANE  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE  SAINT-JEAN 

depuis  le  1"  janvier  1878 

RECUEIL   TRIMESTRIEL 


DIRIGE    PAR 


M.  LE  CHANOINE  J.  CORBLET 

Membre  de  la  Société  de  Saint-Jean 

Correspondant  de  la  Société  nationale  des  Antiquaires  de  France 

et  du  Ministère  de  l'Instruction  publique. 


VINGT-TROISIEME  ANNEE 

Deuxième  série,  tome  XI  (XXVIIle  de  la.  collection). 


ARRAS 


LIBRAIRIE  DU  PAS-DE-CALAIS 
rue  d'Amiens,  41  et  43 

P.-M.  LAROCHE,   DIRECTEUR 

MDCGGLXXIX 


PARIS 

PILLET  ET   DUMOULIN 

IMPRIMEUnS 

rue  des  Grands-Augustius  5. 


BEEF 


DE 


SA  SAINTETÉ  LE  PAPE  LÉON  XIII 


AU  DIRECTEUR  DE  LA  REVUE  DE  L'ART  CHRÉTIEN 


Admodum  Rdo  Dno  Obmo  Dno  Julio  CORBLET,  Rectori 
periodicarum  litterarum  quse  eduntur  sub  titulo  «  Revue 
de  TArt  cJirétien  »,  Versalias. 

Admodum  Rde  Dne  Obme, 


Excepit  SSmus  Dnus  Léo  XIII  volumina  a  Te  aliisque  illus- 
tribus  scriptoribus  édita  sub  titulo  «  Revue  de  l'Art  chrétien  » 
ac  simul  aliud  opus  a  Te  typis  vulgatum  quod  inscribitur 
«  Hagiographie  du  diocèse  d'Amiens.  » 


—  2  - 

Cura  in  hoc  munere  quod  tuo  ac  aliorum  scriptorum 
nomine  ohtulisti,  perspexerit  Sanctitas  Sua  sincerum  testhno- 
nium  devotœ  vestrœ  voluntatis  erga  Ckristi  Vicarium  et  Apos- 
folicam  Sedem,  atque  ex  tua  epistola  agnoverit  studia  vestra 
eo  spectare,  ut  insignihus  artis  christianœ  monumentis  lucem 
afférentes  religioni  et  scientiœ  utiliter  inserviatis,  pietatem  et 
egregiam  industriam  vestram  libenter  commendavit ,  vota, 
faciens  ut  labores  vestri  copiosis  fructihus  féliciter  cumu- 
lentur. 

Quamquam  autem  Patri  Beatissimo  datmn  adhuc  non 
fuerit,  propter  niolem,  occupationum  quibus  distinetur,  ut 
oblatis  voluminïbus  delïbandis  operatn  posset  adjicere,  offi- 
cium  tamen  filialis  obsequii  vestri,  paternœ  Suœ  dilectionis 
significatione  prosequitur,  et  gratum  Suum  animum  Vobis 
omnibus  pro  munere  quod  misistis  ministerio  meo  cupit  esse 
testatum.  Annuens  demum  postulat ionibus  vcstris,  Apostoli- 
cayn  Benedictionem  in  pignus  Pontificiœ  dilectionis  et  in 
auspicium  cœlestium  gratiarum,  tum  Vobis  omnibus,  tum 
Editori  vestrarum  lucubrationum  qui  suœ  filialis  venerationis 
testimonium  vestro  conjunxit,  peramanter  in  Domino  im- 
pertivit. 

Gratum,  mihi  est  hœc  Tïbi,  Dne  Obme,  ex  Pontificiis  mandafis 
significare,  ac  simul  sincerœ  meœ  existimationis  scnsus  Tibi 
profiteri,  quibus  sum  ex  animo  Tui,  admodum  Rde  Dne  Obme, 

Dévolus  famulus, 

Garolus  NOGELLA, 

SSmi  Uni  ah  cpistolis  latinis. 

Romœ,  die  3  Septembris  An.  1879. 


—  3  — 


TRADUCTION 


Au  très  révérend  et  très  considéré  Monsieur  Jules  GORBLET, 
Directeur  du  Recueil  périodique  intitulé  Revue  de  l'Art 
chrétien,  à  Versailles. 

Très  révérend  et  très  considéré  Monsieur, 

Sa  Sainteté  Notre  Seigneur  Léon  XIII  a  accueilli  l'hom- 
mage des  volumes  rédigés  par  vous  et  par  d'autres  illustres 
écrivains,  sous  le  titre  de  Revue  de  l'Art  chrétien,  et  en  même 
temps  d'un  autre  ouvrage  publié  par  vous,  intitulé  Hagiogra- 
phie du  diocèse  d'Amieiis. 

Dans  cet  hommage  fait  en  votre  nom  et  au  nom  de  vos 
collaborateurs.  Sa  Sainteté,  ayant  reconnu  un  sincère  témoi- 
gnage de  votre  dévouement  au  Vicaire  de  Jésus-Christ  et  au 
Saint-Siège  Apostolique  et  ayant  vu  par  votre  lettre  que  le 
but  de  vos  études  à  tous  est  de  servir  utilement  la  cause  de  la 
religion  et  de  la  science,  en  mettant  en  lumière  les  monu- 
ments insignes  de  l'art  chrétien,  a  loué  avec  empressement 
votre  piété  et  votre  zèle  éminent,  en  faisant  des  vœux  pour 
que  des  fruits  abondants  couronnent  heureusement  vos 
travaux. 

Bien  qu'il  n'ait  pas  encore  été  permis  à  notre  Bienheureux 
Père,  à  cause  de  la  multitude  des  occupations  qui  lui  incom- 
bent, de  prendre  connaissance  des  volumes  par  vous  offerts, 
il  répond  aux  témoignages  de  votre  piété  filiale  par  la  mani- 
festation de  son  affection  paternelle  et  désire  vous  attester  à 
tous,  par  mon  ministère,  sa  gratitude  pour  le  présent  que 
vous  lui  avez  envoyé.  Enfin,  accueillant  a^os  demandes,  il  a 
accordé  bien  affectueusement  dans  le  Seigneur,  comme  gage 


_  4  — 

de  son  amour  pontifical  et  comme  présage  des  grâces  célestes, 
tant  à  vous  tous  qu'à  l'Éditeur  de  vos  publications  qui  s'est 
associé  à  vos  sentiments  de  filiale  vénération,  la  Bénédiction 
Apostolique. 

Ce  m'est  une  chose  agréable,  très  considéré  Monsieur,  de 
vous  transmettre  cette  réponse  par  l'ordre  du  Souverain 
Pontife  et  de  vous  exprimer  en  même  temps  les  sentiments  de 
sincère  estime  avec  lesquels  je  suis,  très  révérend  et  très 
considéré  Monsieur, 

Votre  dévoué  serviteur, 

Charles  NOCELLA, 

Secrélaire  de  Sa  Sainteté  poiu'  les  lettres  latines. 

Rome,  3  Septembre  1870. 


REVUE  DE  L  ART  CHRE^ 


JUILLET  SEPTEMBRE   1879. 


Dresse  var  Louis  PCesse' 


REVTJE  Dt  L  ABT  CHRETIEN 


JUILLET  SEPTEMBFIE   1879 


de  t'JLçi^IE 


LES 

MONUMENTS  HISTORIQUES 

DE  L'ALGÉRIE 


DEXJXIIElSXi:    EÏXJDE 


LE  ROUTIER  ARCHÉOLOGIQUE  DE  L'ALGÉRIE 


PREMIER  ARTICLE) 


Si  le  lecteur  de  la  Revue  de  l'Art  chrétien  veut  bien  se  rap- 
peler la  notice  que  nous  avons  consacrée,  en  iSll,  aux  édi- 
fices classés  comme  monuments  historiques  dans  les  trois  pro- 
vinces de  notre  belle  colonie  africaine,  il  ne  sera  pas  étonné  si, 
aujourd'hui,  tenant  notre  promesse, nous  revenons  sur  le  même 
sujet,  en  étudiant  cette  fois  les  monuments  et  les  ruines  (non 
classés)  des  dominations  romaine  et  arabe,  qui  jalonnent  les 

routes  actuelles  de  l'Algérie. 

L.P. 


Sous  la  colonnade  du  Louvre,  parallèlement  au  Musée  Égyptien, 
dans  un  couloir  long,  étroit,  élevé  de  plafond  et  éclairé  par  de 
hautes  fenêtres,  le  public  était  admis  naguère  à  visiter  le  Musée  Al- 
gérien, fermé  aujourd'hui,  nous  ne  savons  pourquoi. 

'  Voir  IP  sciie;,  t.  XXI,  1877,  Avril-Juin,  p.  324. 


6  LES    MONUMENTS   HISTORIQUES 

L'inventaire  de  ce  Musée  donne  des  inscriptions  votives  monu- 
mentales ou  tumulaires,  celles,  entre  autres,  si  intéressantes  pour 
la  géographie  comparée  de  l'Afrique,  de  Rusicada  (Philippeville), 
dédiée  à  Vénus  : 

GENIO    COLONIAE 

VENERIAE    RVSICADIS 

AVG.    SACR... 

et  de  Saldai  (Bougie)  : 

COL    IVL  AVG    SALDANT 


puis  des  inscriptions  arabes  et  turques  en  caractères  koufiques  et 
neskris^  provenant  de  M'chahed  ou  pierres  tombales  de  pachas  ;  des 
fragments  de  colonnes,  de  chapiteaux  et  de  statues  ;  un  buste  de 
Juba  II,  roi  de  Mauritanie,  dont  le  profil  rappelle  celui  de  ses  mé- 
dailles ;  un  charmant  bas-relief,  fragment  d'une  représentation  de 
panathénées  ;  des  lampes  en  bronze  ;  des  moulins  à  bras  en  granit, 
et,  comme  joyau  de  ce  Musée,  le  Triomphe  d' Amphitrite  que  repré- 
sente la  mosaïque  rapportée  du  Bardo  de  Constantine  ;  la  pureté  du 
dessin  et  Téclat  des  couleurs  de  ce  chef-d'œuvre  ne  sauraient  être 
surpassés  par  le  dessin  et  les  couleurs  des  mosaïstes  modernes. 

Le  Musée  Algérien  du  Louvre,  qui  n'a  aucune  raison  d'être,  puis- 
que nous  possédons  l'Algérie,  et  dont  les  incriptions,  fragments  de 
statues,  etc.  figureraient  mieux  dans  les  villes  d'où  on  les  a  tirés  à 
grands  frais,  a  été  créé  à  la  suite  d'explorations  faites  par  une  Com- 
mission scientifique.  Cette  Commission,  instituée  par  les  Ministres 
de  la  Guerre  et  de  l'Instruction  publique,  fonctionna  activement  de 
1838  à  1842,  c'est-à-dire  à  une  époque  où  notre  armée,  conquérant 
l'Algérie  pied  à  pied,  n'allait  pas  au-delà  de  Bône,  de  Constantine, 
de  Setif,  de  Bougie,  de  Medéa  et  du  lac  salé,  au-dessus  d'Oran. 

Tebessa,  Lambèse,  Tubuna,  Auzia  (Aumale)  et  leur  banlieue,  si 
riches  en  monuments  romains,  étaient  autant  de  villes  inconnues. 
On  savait  bien  quelques-uns  de  leurs  noms,  mais  par  les  itinéraires 
fautifs  ou  incomplets  d'Antonin,  de  Ptolémée  et  de  Peutinger. 

De  Tlemcen,  la  ville  des  Beni-Zeiyan,  à  peine  entrevue  en  1836, 
et  occupée  définitivement  en  18i2,  de  Tlemcen  où  les  architectes  de 
l'Alhambra  avaient  élevé  quelques  mosquées,   un  rapport  officiel. 


DE    L'ALGÉRIE  7 

rédigé  par  un  topographe,  fort  peu  artiste,  affirmait  que  :  «  ...  rien, 
dans  ses  monuments,  ne  rappelait  aujourd'hui  son  antique  splen- 
deur...  '  » 

Les  travaux  publiés  par  la  Commission,  et  nous  ne  parlerons  ici 
que  de  ceux  de  MM.  Ravoisié  -  et  de  De  La  Marre  ^  font  regretter 
l'inopportunité  de  la  création  de  la  Commission  scientifique,  alors 
que  l'Algérie  n'était  pas  ouverte  comme  aujourd'hui.  Les  lacunes 
laissées  dans  ces  travaux  furent  comblées  plus  tard  par  des  savants 
de  bonne  volonté,  dans  Y  Annuaire  de  Constantine  *  et  la  Remie  afri- 
caine ^  répertoires  des  découvertes  archéologiques  en  Algérie. 

Dès  1849,  le  colonel  de  la  Légion  étrangère  Carbuccia,  mort  gé- 
néral à  Gallipoli,  utilisant  le  savoir  et  le  bon  vouloir  de  son  corps 
d'officiers,  put  adresser  à  l'Académie  des  Inscriptions  et  Belles- 
Lettres  un  ensemble  de  mémoires  sur  l'occupation  romaine  dans  le 
cercle  de  Batna,  accompagnés  d'un  immense  atlas  de  cartes  et  de 
plans,  coupes  et  élévations  des  monuments  décrits.  Atlas  et  mé- 
moires, déposés  aux  Archives  de  l'Institut,  valurent  au  colonel  Car- 
buccia la  grande  médaille  d'or  accordée  annuellement  aux  meilleurs 
travaux  sur  les  Antiquités  nationales. 

Plus  tard,  de  1852  à  1838,  pendant  que  M.  de  Slane  rétablissait 
le  texte  arabe  de  V Histoire  des  Berbères  d'Ibn-Khaldoiin,  dont  il  don- 
nait une  traduction  ^  M.  Léon  Renier  publiait,  en  1837,  tous  les 
documents  épigraphiques  qu'il  avait  recueillis  dans  son  voyage  en 
Algérie,  sur  place  ou  par  communication  ^ . 

'  Tableau  de  la  situation  des  Établissements  français  dans  l'Algérie  en  1838 
et  1839.  Paris,  Itnp.  Roy.,  1839;  2''  partie,  p.  287. 

^  L'Algérie  monumentale,  par  Ravoisié,  grand  in-folio  avec  gravures.  Paris, 
Firmin-Didot,  en  cours  de  publication. 

^  L'Archéologie  de  l'Algérie,  par  le  Comt  De  La  Marre,  ia-4''  avec  gravures. 
Paris,  Imp.  Nation.,  1850. 

*  Annuaire  de  lu  Société  archéologique  de  la  province  de  Constantine,  in-S". 
Constantine,  chez  Arnolet,  paraissant  tous  les  ans  deptiis  1853. 

^  La  Revue  africaine,  paraissant  tous  les  deux  mois  depuis  1856,  par  cahier 
in-S**.  Alger,  chez  Jourdan. 

®  Histoire  des  Berbères  et  des  dynasties  musulmanes,  par  Ibn-Khaldoun,  texte 
arabe,  2  vol.  in-4°.  Alger,  Imp.  du  Gouvernement.  —  La  même,  traduite  par 
M.  de  Slane,  4  vol.  in-8".  Alger,  Imp.  du  Gouvernement. 

^  Liscriptions  romaines  de  V Algérie,  par  Léon  Renier,  grand  in-i".  Paris, 
Gide  et  Baudry,  1857. 


8  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

Enfin  les  monuments  arabes  de  Tlemcen,  d'El-Eubbad  et  de 
Mansoura  dont  M.  Ch.  Brosselard  donnait  une  si  intéressante  mo- 
nographie \  étaient  mesurés,  dessinés  et  pliotographiés  par  les  ar- 
chitectes MM.  Yiala  de  Sorbier,  Magnier  et  Lefèvre.  Dans  ces  der- 
niers temps, M.  E.  Duthoit,  architecte  d"Amiens,  chargé  d'une  mission 
scientifique  en  Algérie,  visitait  principalement  Tlemcen  et  faisait 
des  monuments  de  cette  ville  l'objet  d'un  rapport  au  Ministre  de 
l'Instruction  publique  -. 

Nous  avons  indiqué  les  principales  sources  auxquelles  on  pourra 
puiser  utilement  pour  les  études  archéologiques  sur  l'Algérie,  et, 
si  nous  venons  compléter  la  notice  que  nous  avons  donnée  dans 
cette  Revue,  sur  les  monuments  historiques  des  Romains  de  la  Nu- 
midie  et  de  la  Mauritanie  et  des  dynasties  arabes  et  berbères  du 
Maghreb,  c'est  que  nos  voyages  et  nos  études,  du  littoral  au  Sahara, 
pendant  près  de  dix  ans,  nous  ont  permis  de  dresser  le  dénombre- 
ment des  richesses  monumentales  que  personne  n'a  publié  encore. 

C'est  toujours  de  l'Est  à  l'Ouest  que  nous  conduirons  nos  lecteurs 
en  Algérie,  en  rayonnant  des  centres  principaux  aux  localités  moins 
importantes. 

PROVIXCE  DE  CONSTAXTIXE 

PHILIPPEVILLE,  Rusicade,  dont  l'histoire  parle  peu,  a  dû  cepen- 
dant tenir  un  rang  important  dans  la  Province  numidienne.  comme 
l'attestent  encore  l'étendue  et  la  magnificence  de  ses  ruines.  Nous 
parlerons  pour  mémoire  de  Yamphitliéàtre  situé  au  S.-E.  de  la  ville, 
complètement  disparu  en  1843,  et  dont  les  pierres  servirent  en 
grande  partie,  en  1839,  à  l'édification  de  Philippeville  et  à  la  cons- 
truction du  rempart  crénelé  qui  devait  mettre  les  nouveaux  colons 
à  Tabri  d'un  coup  de  main  de  la  part  des  indigènes. 

Nous  signalerons  près  du  fort  d'Orléans,  non  loin  du  théâtre,  sur 
la  partie  S.-O.  du  Bou-lala  d'immenses  citernes,  fort  bien  restau- 

*  Les  Inscriptions  arabes  de  Tiemcen,  par  Ch.  Brosselard,  Revue  Africaine, 
n<"  14  à  27. 

-  Archives  des  missions  scientifiques  et  littéraires,  troisième  série,  tome  I, 
deuxième  livraison,  p.  305  à  326. 


DE    L'ALGÉRIE  9 

rées;  sur  la  place  Corneille,  des  colonnes,  àes  chapiteaux  corinthiens 
et  des  frises  dont  les  dimensions  énormes  font  supposer  avec  raison 
que  ces  débris  appartenaient,  suivant  feu  M.  Roger,  conservateur  du 
musée,  à  un  temple  dédié  à  Bellone  ;  dans  la  maison  Nobelli,  près 
de  la  porte  de  Stora,  une  mosaïque  qui  rappelle  par  le  sujet  et  l'exé- 
cution celle  du  Musée  algérien  :  Amphitrite  entourée  de  poissons 
aux  vives  couleurs.  La  propriété  Becker,  à  1  kil.  S.  de  Philippeville, 
renferme  également  une  fort  belle  mosaïque  décorant  le  plancher 
de  la  salle  de  bain  d'une  ancienne  villa.  LE  MUSÉE  archéologique 
installé  dans  l'ancien  Me'rt^/'e  rom«m ',  renferme  des  statues,  celle 
entre  autres  de  l'empereur  Adrien,  des  bustes^  un  scaphium  ou 
cadran  en  marbre  blanc,  divers  fragments  d'architecture  et  des 
épigraphes,  inscriptions  votives  ou  funéraires.  Nous  avons  donné 
une  partie  de  l'inscription  sur  laquelle  on  lit  le  nom  romain  de 
Philippeville.  Pourquoi  les  pierres  épigraphiques  qui  rappellent  les 
anciens  noms  des  villes,  des  colonies,  des  camps  et  des  forteresses 
ne  sont-elles  pas  scellés,  dans  les  cités  modernes,  sur  les  parois  des 
salles  d'honneur,  des  mairies,  des  préfectures  ou  des  bordjs?  Là  est 
leur  véritable  place  et  non  dans  de  lointains  musées  oij  elles  n'of- 
frent aucun  intérêt,  et  non  en  plein  air  où  elles  s'effritent  sous 
l'action  corrosive  de  la  pluie,  du  froid  ou  de  l'extrême  chaleur! 

A  5  kil.  0.  de  Philippeville,  adossé  à  la  montagne,  s'élève  le  joli 
bourg  de  Stora  qui  fut  le  port  de  Rusicade  et  naguère  encore  celui 
de  Philippeville.  Une  immense  voûte  romaine  au  fond  de  laquelle 
coule  une  fontaine,  borde  la  route  qui  surplombe  la  mer.  De  belles 
CITERNES,  romaines  également,  sises  à  mi-côte,  à  l'O.,  sont  alimen- 
tées par  l'oued-Cheddi  dont  les  eaux  sont  amenéies  au  moyen  d'un 
TUNNEL  trouvé  et  restauré  par  le  Génie  militaire. 

A  8  kil.  E.  de  Philippeville,  au  Djebel-Filfila,  existent  «les  car- 
rières de  marbre  blanc  statuaire  exploitées  autrefois  par  les 
Romains. 

De  Philippeville  à  Constantine,  parle  chemin  de  fer,  on  rencontre 
à  27  kil.,  le  village  de  Robertville  près  de  la  voie  romaine  et  des 
ruines  de  Villa-Sele  (?)  ;  —  à  80  kil.,  le  Hamma,  Azimacia,  an- 
cienne station  balnéaire. 

'  Classé  dans  les  monuments  historiques.  V.  cette  Revue,' t.  XXI,  p.  325. 


10  LES   MONUMENTS   HISTORIQUES 

A  85  kil.  CONSTANTINE,  Cirta,  rocher  en  langue  numidique,  tour 
à  tour  capitale  de  Syphax,  de  Massinissa,  de  Micipsa,  d'Adherbal 
et  de  Juba-le-Jeune,  érigée  en  colonie  par  Jules  César,  s'appela 
Cirta  Julia  ;  ruinée  en  311,  dans  la  guerre  de  Maxime  contre  Alexan- 
dre, rétablie  en  313  par  Flavius  Constantinus,  elle  prit  le  nom  de 
Constantina.  Bélisaire  la  trouva  encore  debout  alors  que  les  Van- 
dales avaient  envahi  l'Afrique.  C'était  toujours  la  ville  dont  Salluste 
disait  :  «  Neque  propter  naturam  loci^  Cirtam  armis  expugnare  po- 
terat  Jugurtha.  » 

Constantine  ne  fut  pas  toujours  isolée  sur  son  rocher;  Koudiat- 
Ati,  au  S.-O.,  et  Mansoura  au  S.-E.  en  formaient  les  quartiers  exté- 
rieurs. C'est  à  Mansoura  que  Peyssonel  a  vu  un  arc  de  triomphe 
dont  il  a  fait  la  description  suivante  :  «  Trois  grandes  portes  le 
forment  :  celle  du  milieu  a  environ  33  pieds  de  large;  les  autres  sont 
proportionnées,  mais  plus  petites.  On  n'y  voit  ni  bas-reliefs  ni  ins- 
criptions. Quelle  que  soit  l'origine  de  ce  monument,  on  est  porté  à 
croire  qu'il  occupait  l'extrémité  d'un  hippodrome  parallèle  à  l'en- 
caissement du  Roumel,  et  bordé  par  une  muraille  qui  soutenait  les 
terres  de  l'étage  supérieur.  L'ignorance  des  Musulmans,  trop  sou- 
vent prise  pour  de  l'imagination,  avait  doté  l'arc  de  triomphe  du 
nom  de  Kasr-et-Ghoula,  le  château  de  la  fée  malfaisante  \  »  Les 
travaux  de  terrassements  faits  dans  l'enceinte  et  au-delà  de  l'hippo- 
drome pour  la  construction  de  la  gare  du  chemin  de  fer,  ontamené 
la  découverte  de  pierres  de  taille,  corniches,  chapiteaux,  fûts  de 
colonnes,  pilastres,  bornes  semi-cylindriques  et  gradins  provenant 
sans  doute  de  la  spina,  long  mur  divisant  l'arène  en  deux  parties 
égales  pour  les  courses  des  biges  et  des  quadriges.  Quant  au  por- 
tique, Salah-Bey  le  fit  démolir  pour  la  restauration  du  pont  romain 
reliant  Mansoura  à  la  pointe  E.  de  Constantine.  Shaw,  venu  après 
Peyssonel  signale  les  ruines  qu'il  vit  sur  le  plateau  de  Man- 
soura ^ 

Shaw  décrivait  ainsi  Koudiat-Ati  :  «  La  langue  de  terre  au  S.-O., 
près  de  laquelle  se  trouve  la  principale  porte  de  la  ville,  a  environ 

1  Voyages  dans  les  Régions  d'Alger  et  de  Tunis  en  i7,24  et  1125,  par  Peys- 
sonel, etc.,  2  vol.  in-8°.  Paris,  Gide,  1838.  Voir  tome  L 

^  Voyages  dans  plusieurs  provinces  de  la  Barbarie,  etc.,  par  Shaw,  trad.  de 
l'Anglais,  2  vol.  in-i".  La  Haye,  1743.  Voir  tome  11. 


DE   L'ALGÉRIE  H 

cinquante  toises  de  large  et  est  entièrement  couverte  de  débris  ren- 
versés, de  citernes  et  autres  ruines,  qui  se  prolongent  jusqu'à  la 
rivière  et  s'étendent  ensuite  parallèlement  à  la  vallée.  » 

Si  Mansoura  avait  son  hippodrome,  Koudiat-Afi  possédait  un 
Amphithéâtre  que  les  Arabes  désignaient,  avant  sa  destruction,  sous 
le  nom  Aq  Fondouk-er-Boum,  caravansérail  des  chrétiens.  Un/jze- 
destalsuY  lequel  on  lit  amphitheat?'i,  ivansT^orié  au  square  de  la  porte 
Valée,  est  tout  ce  qui  reste  du  monument. 

Koudiat-Ati  est  redevenu,  sous  les  Français,  une  annexe  impor- 
tante de  Constantine,  comprenant  deux  faubourgs,  celui  de  Saint- 
Jean  à  rO.,  et  celui  de  Saint-Antoine,  au  N.  et  à  l'E.  Tous  deux  sont 
reliés  au  S.  par  la  rue  Rohault-de-Fleury  dont  le  percement  a  mis 
à  jour  des  inscriptions  et  des  fragments  de  mosaïques. 

Au  bas  de  Mansoura,  en  remontant  l'oued  Bou-Merzoug  qui  se 
jette  dans  le  Roumel,  à  Sidi-Rached  pointe  S.  de  Constantine,  on 
rencontre  Tinscription  des  martyrs  ',  puis  le  Bardo  d'oi^i  vient  la 
MOSAÏQUE  du  Musée  Algérien  et  enfm  I'aqueduc  ". 

Avant  d'entrer  dans  Constantine,  nous  nous  arrêterons  devant  le 
pont  et  le  tombeau  de  Prœcilius. 

Le  pont,  en  arabe  El  I{a?itra.  —  Des  cinq  ponts  jetés  sur  le  ravin 
du  Roumel  de  TE.  au  S.,  quatre  dont  on  voit  encore  les  amorces, 
furent  démolis  en  704  deTIIégire  (1304  de  J.-C),  par  Ben-el-Emir, 
Kaid  de  Constantine,  quand  il  se  révolta  contre  Khaled,  souverain 
de  Bougie.  Le  seul,  en  partie  debout  aujourd'hui,  qui  relie  Cons- 
tantine à  Mansoura  et  à  Sidi-M'cid,  avait  une  hauteur  totale  de 
105  mètres  au-dessus  du  niveau  des  eaux  du  Roumel,  y  compris  le 
pont  naturel  haut  da  41  mètres  et  dont  la  clef  de  voûte  avait  une 
épaisseur  mijiima  de  16  mètres.  Ainsi  posé  sur  cette  voûte  natu- 
relle, le  pont  présentait  deux  rangées  d'arches  superpos-^c^s.  On  re- 
connaît aisément  les  restes  de  l'ouvrage  primitif,  et  l'ancien  tra- 
vail romain  est  facile  à  retracer.  Il  se  composait  à  l'étage  inférieur 
de  deux  piles,  de  deux  arches  et  de  deux  demi-arceaux  s'appuyant 
d'un  côté  sur  les  piles,  de  l'autre  sur  le  rocher;  l'étage  supérieur 
était  formé  de  six  arches.  On  retrouve  encore  comme  appartenant 

'  V.  t.  XXI,  p.  326. 
^  V.  t.  XXI,  p.  325. 


12  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

à  ces  premières  constructions  presque  tout  l'étage  inférieur,  et,  à 
l'étage  supérieur,  la  culée  de  gauche,  la  dernière  pile  de  droite  et 
la  culée  do  la  même  rive.  Quant  aux  sculptures  placées  entre  les 
deux  principales  arches,  elles  ont  été  fort  mal  décrites  par  Shaw. 
Les  deux  éléphants  se  faisant  face  sont  d'un  travail  très  grossier,  qui 
semble  appartenir  à  une  époque  fort  reculée  ;  l'autre  pierre  sculptée 
qui,  comme  la  précédente  semble  avoir  été  encastrée  dans  le  pilier, 
par  un  caprice  de  l'architecte,  représente  une  femme  vêtue  si  légè- 
rement, qu'il  est  facile  de  deviner  sous  les  draperies  le  modelé  de 
son  corps.  Vers  l'année  1793,  ce  pont  avait  été  reconstruit  dans  sa 
partie  supérieure  par  Salah-Bey,  sous  la  direction  de  Don  Bartolo- 
meo,  architecte  de  Mahon.  Le  18  mars  1837,  une  des  piles  supé- 
rieures d'El-Kantra,  la  plus  rapprochée  des  murs,  s'étant  écroulée, 
entraîna  dans  sa  chute  les  deux  arceaux  qu'elle  supportait,  ainsi  que 
22  mètres  de  la  conduite  d'eau  qui  alimentait  la  ville.  Cet  accident 
obligea  à  démolir  la  plus  grande  partie  du  pont  et  on  y  procéda  à 
coups  de  canon.  En  démolissant  la  partie  supérieure  de  la  culée  de 
droite,  on  mit  à  jour  deux  blocs  dont  les  fragments  d'inscription 
pouvaient  faire  penser  que  le  pont  avait  été  construit  de  l'an  138  à 
161  après  J.-C,  sous  le  règne  d'Antonin-le-Pieux.  Mais  M.  Cherbon- 
neau  suppose  que  ces  deux  pierres  faisaient  partie  de  l'arc  de 
triomphe  élevé  à  Mansoura  et  détruit  par  Salah-Bey,  pour  la  recons- 
truction d'El-Kantra  '.  Un  pont  en  fer  d'une  seule  arche,  a  été  cons- 
truit par  M.  de  Lannoy^  ingénieur  en  chef  du  département  de  Cons- 
tantine  ;  jeté  hardiment  sur  le  goufïre  duRoumel,  il  donne,  comme 
l'ancien,  entrée,  du  côté  S.  E.  de  la  ville,  à  la  nouvelle  rue  Natio- 
nale ^ 

Le  tombeau  de  Pr.ecilius.  Un  sentier  entre  la  ville  et  la  route  de 
Philippeville^  conduit,  vers  l'O.,  au  pied  du  Bordj-et-Açous,  ancienne 
TOUR  BYSANTiNE  ;  près  dc  là  est  le  tombeau  de  l'orfèvre  Praecilius.  La 
découverte  de  ce  tombeau  est  due  à  des  fouilles  dirigées  à  l'endroit 
oh  l'on  supposait  qu'avaient  dû  jaillir  les  eaux  thermales  alimentant 

'  Annuaire  de  Constantine,  Les  monuments  romains  de  Constantine,  par 
Cherbonneau,  année  1858. 

■^  Voyages  dans  la  Barbarie,  par  Shaw,  t.  II.  —  U Algérie  monumentale^  par 
Ravoisié,  premiers  fascicules.  —  Journal  de  l'expédition  des  Portes  de  fer,  par  le 
duc  d'Orléans,  in  4"  avec  gravures  d'après  Raffet.  Paris,  Imp.  Roy.,  1844. 


DE  l'algérie  13 

un  bain  public  fréquenté  jusqu'en  1797,  et  supprimé  par  Hadj-Mous- 
tafa-English-Bey.  Le  caveau  qui  renfermait  le  tombeau  était  cou- 
ronné par  une  terrasse  à  laquelle  on  arrivait  au  moyen  d'un  escalier 
extérieur  et  tournant  ;  l'intérieur  était  décoré  de  peintures  à  fres- 
ques et  de  mosaïques.  Sur  un  sarcophage  renfermant,  quand  on  l'a 
ouvert,  un  squelette  complet,  une  inscription  en  vers  latins  relatait 
que  le  mort,  nommé  Prœcilius,  avait  vécu  100  ans,  après  avoir 
mené  une  existence  joyeuse  avec  ses  amis,  agréable  et  sainte  avec 
sa  femme  ' . 

Entrant  maintenant  dans  Constantine,  nous  nous  dirigerons  vers 
la  Kasba  située  à  la  pointe  N.  de  la  ville  et  surplombant  le  vertigineux 
ravin  duRoumel.  La  Kasba  dont  les  Romains  avaient  fait  leur  capi- 
tole  et  leur  citadelle,  renferme  toujours  les  citernes  qu'ils  y  ont 
construites.  Ces  citernes  étaient  alimentées  par  les  eaux  du  djebel 
Ouach,  élevé  de  1300  met.  au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  à  12  kil. 
N.  E.  de  Constantine.  Ces  eaux  arrivaient  dans  un  château-d'eau  à 
Mansoura,  et  s'écoulaient  ensuite  par  un  immense  siphon  jusqu'à 
l'aqueduc  dont  une  pile  est  encore  visible  sur  les  rochers  inférieurs 
du  ravin.  D'autres  citernes,  à  Koudiat-Ali,  alimentées  par  les  eaux 
du  Bou-Merzoug,  étaient  distribuées  dans  les  fontaines  de  Constan- 
tine par  des  conduits  en  terre  cuite.  Les  débris  de  ces  conduits,  re- 
trouvés jusqu'à  ce  jour  dans  les  travaux  de  voirie,  accusent  quatre 
provenances  distinctes  signalées  par  les  ethniques  des  lieux  de 
fabrication  : 

TiDiTNi  :  Tidditani,  aujourd'hui  Khaneg. 

VzELiTAN  :  Uselitani,  aujourd'hui  Oudjel, 

AvzvRENSis  ;  Audurus,  sur  la  route  de  Bône? 

Gemellensis  ;  Gemellse,  sur  le  territoire  de  Lambèse  à  Setif. 

Le  Génie  militaire  a  fait  encastrer  dans  les  murs  de  la  Kasba, 
regardant  la  rue  Damrémont,  des  inscriptions  qui,  au  nombre  de 
plus  de  vingt,  offrent  un  grand  intérêt  pour  la  science  épigraphique. 
L'une  d'elles,  par  exemple,  qui  date  du  règne  d'Alexandre  Sévère, 
est  une  dédicace  faite  par  la  république  des  Cirtensiens, 

RESPVBLICA   CIRTENSIVM, 

'  Annuaire  de  Constantine^  Le  tombeau  de  Prsecilius,  par  F.  Bâche,  années 
4856-1857. 


14  LES    MONUMENTS   HISTORIQUES 

à  son  patron  Publius  Julius  Junianus  Martialianus  ;  une  autre  est 
dédiée  à  Titus  Csesernius,  patron  des  quatre  colonies. 

PATRONO    OVATVOR    COLONIARVM  ; 

les  quatre  colonies  dont  il  est  ici  question  sont  les  Colonise  Cir- 
tenses,  groupe  politique  composé  de  Cirta,  Constantine  ;  de  lîiisi- 
c«c?e,  Philippeville  ;  de  Mileu,  Mila;  de  Chullu,  Collo,  dont  les 
citoyens  étaient  généralement  inscrits  sur  les  rôles  de  la  tribu  Qui- 
rina  \ 

Plus  bas  que  la  Kasba,  à  l'intersection  des  rues  de  France  et  des 
Cigognes,  et,  dans  le  nivellement  de  cette  dernière,  on  a  mis  à 
jour  les  BAINS  de  Caïus  Arrius  Pacatus.  Un  dé  d'autel,  en  calcaire 
bleuâtre,  trouvé  à  l'entrée  de  l'établissement,  porte  l'inscription 
suivante  : 

C.    ARRIVS    PACA 

TVS    BALNEVM 

PACATIANVM 

SIBI.    MENS.    XIV. 

La  famille  Arria  est  connue^  dans  laNumidie,  par  les  épigraphes 
relevées  à  Cirta,  à  Kef-Tazerout,  à  Tamugas  et  à  Aïn-el-Bey. 

C'est  dans  la  rue  Combes^  au  coin  de  la  rue  Cahoreau  qu'était  situé 
le  Tétrastyle  offert  et  dédié,  dit  l'inscription,  par  C.  Julius,  sur- 
nommé Potitus,  monument  formé  de  quatre  arcades.  Ce  monument 
a  disparu  dans  l'ouverture  de  la  rue  Nationale.  En  perçant  la  rue 
Cahoreau  et  en  démolissant  une  masure  mauresque,  on  exhuma  un 
TEMPLE  grec  qui  tournait  son  frontispice  vers  les  deux  principales 
arcades  du  tétrastyle,  ainsi  qu'un  large  parvis  d'oi^  les  fidèles  assis- 
taient aux  sacrifices.  De  nouvelles  fouilles  amenèrent  bientôt  la 
découverte  d'une  mosaïque,  d'une  frise,  de  deux  lions,  d'une  ins- 
cription latine,  d'une  tête  crénelée,  Cirta?  et  d'un  mascaron,  tête 
gigantesque  de  Jupiter. 

Lors  du  percement  de  la  rue  Nationale,  qui  conduit  de  la  place 
Valée  à  la  porte  d'El-Kantra  et  traversant  Constantine  de  l'O.  à  l'E., 

^  Voir  pour  ces  inscriptions,  les  précédentes  et  les  suivantes,  Les  Inscriptions 
romaines  de  l'Algérie^  par  M.  Léon  Renier. 


DE   l'aLGÉRIE  15 

Oh  a  trouvé  dans  les  fouilles  de  la  maison  Hamouda  une  statue  de 
Bacchus. 

Les  documents  épigraphiques,  les  fragments  d'architecture  et  de 
sculpture  auxquels  viennent  se  joindre  des  collections  particulières 
assez  importantes,  soit  par  dons,  échanges  ou  acquisitions,  forment 
le  noyau  d'un  musée  partagé  en  deux  sections  :  l'une  à  la  mairie, 
l'autre  dans  la  partie  N.-O.  du  square  Yalée. 

Les  collections  de  lamairie  comprennent  des  poteries  :  pots,  sceaux, 
lampes;  des  bronzes  :  lampes,  fibules,  boucles,  bracelets,  miroirs, 
clous,  clefs,  statuettes,  celle,  entre  autres,  d'une  Victoire  ailée, 
haute  de  23  centim. ,  un  vrai  chef-d'œuvre  ;  des  bijoux  en  or  :  bagues, 
bracelets,  épingles;  des  pierres  gravées  et  enfin  plus  de  3000  mé- 
dailles dont  500  en  argent,  toutes  à  fleurs  de  coin. 

Les  collections  du  square  Valée  se  divisent  en  poteries  telles  que 
amphores^  tuiles,  tuyaux;  en  débris  nombreux  de  sculpture  et  d'ar- 
chitecture et  surtout  en  monuments  épigraphiques  qui  se  subdivisent 
en  inscriptions  puniques,  romaines  et  arabes. 

Nous  n'avons,  jusqu'à  présent,  donné  que  le  texte  ou  partie  du 
texte  des  inscriptions  relatives  aux  anciens  noms  de  localités,  si 
intéressantes  pour  les  études  de  géographie  comparée;  cependant, 
nous  signalerons  parmi  les  inscriptions  tumulaires  du  square  Valée, 
les  suivantes,  à  cause  du  grand  âge  oii  sont  arrivées  les  personnes 
qu'on  y  mentionne. 

D.    M.  D.    M. 

VMBRIA   MATRONICA  G.    IVLIVS 

PACATVS 

V.  A.  CXV  V.  A. 

H.  S.  E.  CXX. 
O.    T.   B.    Q. 

On  peut  lire  le  nom  de  Cirta  sur  les  murs  de  la  Kasba  ;  on  lira,  au 
square,  celui  de  Conblantine  : 

ORDO  FELICIS 

COLONIAE  CONSTANTI 
NAE  PROVINCIA  NVMI 
DIA 


16  LES   MONUMENTS    HISTORIQUES 

Sur  un  pied-droit  de  la  jolie  porte  arabe  S.-O.  à'Ed-Djebia,  de 
la  piscine,  on  lit  deux  inscriptions  latine  et  grecque. 

Environs  de  Constanthie.  KHRENEG.  A.  24  kil.  N.-O.  de  Constan- 
tine,  à  l'entrée  d'une  coupure  ou  gorge,  Khreneg,  qui  rappelle  celle 
du  Roumel  et  qui  donne  passage  à  l'oued-Smendou,  sur  le  banc 
d'un  roc  qui  couronne  la  rive  droite,  s'élevaient  jadis  les  murs  d'une 
petite  ville  protégée^  presque  de  tous  les  côtés,  par  d'infranchissa- 
bles escarpements.  MM.  de  Creuly  et  Léon  Renier,  qui  ont  visité 
Khreneg,  ont  publié  de  cette  localité  plusieurs  documents  épigra- 
phiques  dont  le  plus  curieux  lui  restitue  son  ancien  nom  de 
Tiddi. 

IVLIAE.  AUG.  MATRI 

CASTROR.    CONJVGI 

IMP.  CAES.  DIVI.  M.  ANTO 

NINI 

RES  PVB 

TIDDITANOR 

D.  D. 

Dans  la  nécropole  de  Tiddis,  en  face  et  à  300  met.  N.-E.  de  Khre- 
neg, on  a  compté  jusqu'à  présent,  six  centenaires  :  trois  femmes^ 
Burososa,  Januaria  et  Porcia  Maximiiia,  qui  ont  vécu  chacune  cent 
ans,  et  trois  hommes,  Sittius  Januarius,  qui  a  vécu  cent  ans,  Quin- 
tus  Juliîis,  qui  a  vécu  cent  un  ans,  et  enfin  jElius,  qui  a  vécu  cent 
cinq  ans  I 

Le  MONUxMENT  DES  LoLLius  cst  situé  à  4  kil.  de  Khreneg,  sur  la  rive 
droite  de  l'oued-Smendou.  Ce  monument  qui  a  la  forme  d'un  cylin- 
dre relevé  par  un  soubassement  et  une  corniche  surmontée  d'une 
assise  formant  attique,  couronne  le  sommet  d'un  massif  dont  les 
pentes  descendent  à  l'oued-Smendou;  il  frappe,  tout  d'abord,  par 
l'harmonie  de  ses  proportions  dont  les  détails  rappellent,  d'une  façon 
curieuse,  notre  système  métrique.  Les  gradins  ont  juste  un  mètre 
de  largeur;  c'était  aussi  la  mesure  de  l'assise  supérieure  aujourd'hui 
déplacée;  la  hauteur  des  gradins  est  de  six  décim.  L'élévation  totale 
du  monument  est  de  5  met.  et  demi  ;  le  diamètre  est  de  dix.  L'assise 
supérieure  porte  quatre  inscriptions;  celle  de  l'E.  est  la  mieux  con- 
servée ;  elle  rappelle  qu'un  Quintus  Lollius  Urbicus,  personnage 


DE   L'ALGÉRIE  17 

important  du  temps  d'Adrien^  a  élevé  ce  cénotaphe  à  cinq  membres 
de  sa  famille,  son  père,  sa  mère,  ses  deux  frères  et  son  oncle.  Le 
nom  deLollius  se  retrouve  àKhreneg'  et  à  Constantine.  Tel  qu'il  est, 
le  monument  des  Lollius,  par  son  importance  architecturale,  sa  con- 
servation, l'intérêt  qui  s'attache  au  nom  de  son  fondateur  mérite  de 
prendre  place  en  Algérie^  parmi  les  Mo7m77ie',its  historiques,  après 
le  Kboiir-er-Roumia,  entre  Koléa  et  Cherchel,et  le  Medracen,  entre 
Constantine  et  Batna  \ 

Oudjel,  à  27  kil.  N.-O.  de  Constantine,  la  région  du  Djebel- 
Chettaba,  à  2  kil.  S.-O.,  Ahi-el-Bey,  h  15  kil.  S.,  sont  couvertes  de 
ruines  parmi  lesquelles  les  pierres  épigraphiques  sont  des  plus 
importantes  pour  la  géographie  romaine. 

A  OUDJEL,  M.  le  colonel  de  Neveu  a  découvert  une  inscription, 
dédicace  à  Caracalla,  quinzième  année  de  son  règne,  212  de  J.-C, 
par  les  Uzelitains  : 

IMP.  CAES 

RES  PVB.  VZELITANORVM. 

La  ressemblance  du  nom  arabe  d'Oudjel  avec  celui  d'Uzel  ouUze- 
lis  est  des  plus  frappantes.  Les  Uzelitains, comme  les  gens  de  Tiddis, 
fabriquaient,  ainsi  qu'on  l'a  vu  plus  haut,  des  ouvrages  en  terre 
cuite.  Une  partie  des  conduites  de  Cirta,  construites  en  tuyaux, 
portaient  leur  marque. 

La  région  du  CHETTABA,  près  de  la  route  de  Constantine  à 
Setif,  a  été  habitée  sous  la  domination  romaine  par  des  populations 
dont  ont  voit  encore  sur  le  sol  de  nombreux  établissements  depuis 
Sakiet-er-Rown,\e  canal  des  Romains,  jusqu'à  la.  fontai?ie  des  Oulad- 
Rahmoun,  laquelle  a  perpétué  le  nom  ancien  de  la  localité  dans 
celui  d'Ain  Fououa,  en  latin  Phua.  La  région  du  Chettaba  se  divi- 
sait en  deux  circonscriptions  territoriales  :  l'une  qui  vivait  sous  la 
protection  du  château  d'Arsacal,  Castelhim  Arsacalitamim,  vers  le 
S.-E.  de  la  montagne. 

EX 

COXSENSV 
ORDINIS.    CAS 

»  V.  t.  XXI.  p.  327  et  336. 

Ile  série,  tome  XI.  9 


18  .  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

TELLI.    ARSA 
CALITANI 

Une  série  de  ruines  appartenant  à  d'anciens  bourgs  importants 
qui  ont  eu  jadis  leurs  cotiseils  municipaux,  leurs  temples,  leurs 
églises,  des  forteresses  et  des  arcs  de  triomphe,  conduit  à  Kar-el- 
Zemma,  la  grotte  des  inscriptions  ;  M.  Cherbonneau  en  a  relevé 
vingt-trois  dont  celle-ci  : 

CtDAS 

L.    NON. 

FELICE 

MAG.  PHVUENS 

Au  Génie  protecteur  de  la  famille  impériale(Genio  domus  augus- 
tœ  sacrum)  Lucius  Nonus  Félix  étant  maire  de  Phuensiun. 

Nous  ne  saurions  passer  sous  silence  les  trois  inscriptions  sui- 
vantes, découvertes  à  Ain-Kerma,  la  fontaine  du  figuier,  au  bas 
de  R'ar-ez-Zemma,  à  6  kil.  S.  d'Ain-Fououa  : 


D.  M. 

D.  M. 

I).  M. 

M.  IVLIVS 

IVLIA 

M.  CASSIVS 

ABAEVS 

GAETVLA 

CRACILIS.  VETE 

V.  A.   CXXXI 

V.  A.  CXXV. 

RANVS.  V.  A.  CXX 

H.  S,  E. 

H.   S.  E. 

H.   S.  E. 

Voilà  certainement  la  meilleure  attestation  de  la  salubrité  du  cli- 
mat d'Ain-Kerma,  ancien  poste  romain,  auprès  duquel  s'étaient  grou- 
pés quelques  établissements  agricoles. 

AIN-EL-BEY,  sur  T ancienne  route  de  Constantine  à  Batna,  a  vu 
succéder  aux  ruines  que  nous  avons  visitées  en  1847,  dans  un  de 
nos  voyages  au  Sahara,  un  pénitencier  pour  les  indigènes,  Aïn-el- 
Bey  est  sur  l'emplacement  de  5'«rfû?«r;, première  étape  de  Cirta  à  Lam- 
bèse,  ainsi  qu'il  résulte  dune  inscription  découverte  en  cet  endroit 
par  M.  Cherbonneau  : 

....    RESP.    SADDARITANORVM.... 

Saddar  n'avait  rien  à  envier  à  Khreneg  et  au  Chettaba  pour  la 
longévité  de  certains  de  ses  habitants.  Yoici  trois  hommes  qui  ont 


DE    L'ALGÉRIE  19 

vécu  :  Sextus  Arrius,  115  ans;  C.  Secimdhms,  120  ans;  Quintus 
Cominius,  12o  ans;  et  deux  femmes  :  Seia  Rogata,  101  ans,  et 
Lucia  Manda,  132  ans  '. 

A  4  kil.  S.  d'Aïn-el-Bey,  au  pied  N.  du  djebel-Sedjar,  la  colonisa- 
tion romaine  a  saisi  de  nombreux  vestiges  de  la  bourgade  et  de  la 
nécropole  de  Sufevar.  On  lit  sur  une  inscription, toujours  précieuse 
pour  la  géographie  comparée  : 

PRO    SALVTE 

RES 

PVBLICA    CASTELLI    SVFEVA 
RITANI 

De  Constantine  à  ^w^e^  direction  E.-N. —  A  2  kil.  N.-O,  du  Kroub 
et  19  kil.  E.  de  Constantine,  sur  la  rive  droite  de  l'oued  Bou-Mer- 
zoug,  près  du  petit  village  de  Former,  on  rencontre  les  ruines  d'un 
monument  romain,  connu  sous  le  nom  de  SOMA,  tour  ou  minaret 
en  arabe.  Ce  monument  tumulaire  ou  commémoratif,  peut-être  les 
deux  à  la  fois?  et  dont  il  ne  reste  debout  qu'une  base  carrée,  a  été 
mesuré  et  dessiné  par  M.  Ravoisio.  M.  Berbrugger  en  parle  le  pre- 
mier, dans  une  relation  de  l'expédition  sur  Constantine  en  1836  -. 

A  gauche  de  la  route,  avant  Ras-el-Akba,  les  grottes  ou  cavernes 
du  DJEBEL  TAIA,  donnent  à  l'épigraphiste  nombre  àHiiscriptions 
votives  et  tumulaires . 

Entre  Ras-el-Akba  et  le  Djebel-Sada,  68  kil.  E.,  les  ruines  d'AN- 
NOUNA  Thibili,  couvrent  la  croupe  d'un  mamelon  à  pentes  raides, 
enserré  à  TE,  par  l'oued-Cher  et  au  N.-O.  par  Toued-Announa.  Les 
plus  remarquables  de  ces  ruines  sont  un  arc  de  triomphe^  ;  au  N.-O. 
de  cet  arc,  un  espace  rectangulaire  de  30  met.  sur  20,  avec  des  murs 
de  0,80  ;  à  l'extrémité  N.  du  plateau,  au  bord  du  fossé  naturel  qui 
le  termine,  des  parties  restantes  des  murs  de  la  ville,  sur  lesquelles 
sont  sculptées  d'immondes  figures;  vers  le  S.,  une  porte  de  ville  et 

'  Consulter  Les  Inscription^  romaines  de  l'Algérie,  de  M.  Léon  Renier,  pour 
leur  texte  complet. 

^L'Algérie,  par  A.  Berbrugger,  3  vol.  in-folio,  avec  figures.  Paris,  Delahaye, 
1842  à  1845.  Voir  le  premier  volume. 

^  V.  t.  XXI,  p.  331. 


20  LES   MONUMENTS    HISTORIQUES 

des  bas-reliefs  ;  en  tournant  vers  l'O.,  des  mosaïques,  AesfiHs,  des 
chapiteaux  de  1  met.  ;  plus  à  l'O.  des  insnnptions  tumulaires  et  une 
autre  jDor/e  de  ville  ;  enfin  sur  le  plateau  S.-O.,  Téglise  dont  les 
traces  font  encore  voir  la  disposition  :  mesurant  12  met.  30  c.  sur 
15  met.  30  c.;  elle  était  divisée  en  trois  nefs  ;  celle  du  milieu  était 
terminée  par  une  abside  de  4  met.  90  c.  d'ouverture.  Thibili,  nom 
ancien  d'Announa,  longtemps  ignoré,  a  été  retrouvé  par  M.  le  gé- 
néral de  Creuly  sur  l'inscription  suivante  dans  les  fouilles  qu'il  fit 
faire  au  mois  de  mai  1856  '. 

FAVSTINAE 

THIBILITA 

NI 

Cette  Faustine  est  la  femme  de  César  Antonin.  Les  ruines  d'An- 
nouna ont  été  décrites  par  Peyssonel,  Falbe  et  Temple,  Berbrugger, 
de  La  Marre,  Ravoisié  et  le  général  de  Creuly. 

GUELMA,  à  100  kil.  E.  de  Constantine,  n'a  jamais  été,  comme  on 
l'a  prétendu,  sur  l'emplacement  de  Suthul,  la  forteresse  de  Jugur- 
tha.  Guelma,  telle  que  les  Français  la  trouvèrent  à  la  fin  de  1836, 
était  bâtie  avec  des  matériaux  provenant  de  l'ancienne  Kalama,  nom- 
mée pour  la  première  fois  par  saint  Augustin  ;  mais  l'emplacement 
qu'elle  occupe  n'était  pas  celui  sur  lequel  fut  jadis  construite  la  vé- 
ritable cité  romaine.  Celle-ci  était  devenue  la  proie  des  Maures  ré- 
voltés ou  des  Vandales.  Ses  habitants  se  construisirent  une  forte- 
resse imposante  à  côté  de  Fancienne  Kalama  dont  ils  employèrent 
une  partie  des  matériaux.  Mais,  en  1836,  le  rempart  de  la  seconde 
Kalama  était  renversé  sur  tout  son  pourtour,  d'une  manière  irrégu- 
lière autant  par  la  main  des  hommes  que  par  les  tremblements  de 
terre.  Le  théâtre  et  les  thermes  de  Kalama  sont  mentionnés  dans 
les  Momiments  historiques  de  l Algérie  ^  Le  Musée  de  la  ville  fran- 
çaise, installé  à  droite  do  la  place  de  l'église,  dans  un  fort  joli  jar- 
din, renferme  des  statues,  des  tombeaux,  des  autels,  des  inscrip- 
tions qui  ont  été  recueillis  par  le  Génie  militaire.  Ce  Musée  serait 

*  Annuaire  de  Constantine,  vol.  de  l'année  1857. 
«  V.  t.  XXI,  p.  331. 


DE    l'aLGÉRIE  21 

plus  important  depuis  longtemps,  si  Guelma  n'avait  pas  été  bâti  par 
des  constructeurs  pleins  de  dédain  pour  les  objets  d'art  et  pour  les 
reliques  des  temps  passés. 

Voici  parmi  les  nombreuses  inscriptions  trouvées  à  Guelma,  une 
de  celles  qui  figurent  sur  un  monument  élevé,  au  moyen  d'une  sous- 
cription, à  Quintus  Domilius  Victor,  patron  de  Kalama. 

Q.  DOMITIO.  Q.    F. 

QVIR.  vicroRi 


KALAMENSES 

PATRONO 

AERE.    CONLATO. 


HAMMAM-MESKHROUTIN,  le  bain  des  Maudits,  à  16  kil.  N.-O.  de 
Guelma,  les  Aquse  Tibilitinœ  dont  l'efficacité  était  connue  des  Ro- 
mains. Ces  thermes  ont  laissé  des  vestiges  à  différents  endroits  du 
plateau.  Quelques  piscines  ont  surtout  résisté  à  l'action  destructive 
des  temps  et  des  révolutions.  L'une  d'elles  n'a  pas  moins  de  55  met. 
de  long;  mais  la  hauteur  où  elle  est  placée  n'a  pas  permis  de  l'uti- 
liser, les  eaux  ayant  baissé  de  niveau  depuis  des  siècles,  et  ne  sor- 
tant de  terre  qu'à  un  point  de  beaucoup  inférieur.  Les  autres  pis- 
cines,, plus  petites,  mais  situées  au-dessous  des  sources  actuelles, 
ont  repris  leur  ancienne  destination.  Sans  nous  occuper  ici  des 
thermes  d'Hammam-Meskhroiitin,  nous  dirons  cependant  que  sour- 
dant  de  six  endroits  principaux,  elles  donnent  par  heure  plus  de 
100,000  litres  d'eau  dont  la  température  varie  de  78°, 25  à  90°. 

A  OUM-GUERRIGCHE,  40  kil.  S.-O.  de  Guelma,  en  remontant 
l'oued-Cherf,  au  pied  N.  du  djebel-el-Houfa^  M.  le  commandant  du 
génie  Dewulf  a  signalé  le  premier  un  fort  bysantin,  des  corniches 
et  des  chapiteaux  annonçant  des  monuments  d'une  certaine  impor- 
tance, et  couvrant  un  espace  assez  considérable.  La  découverte  im- 
portante est  celle  dune  inscription,  dédicace  h  Septime-Sévère,  en 
201,  et  restituant  à  Oum-Guerrigche  son  premier  nom  de  Civitas 
Nattabiitum. 

HAMMAM-RERDA,  à  0  kil.  N.-O.  de  Guelma,  auquel  on  a  souvent 
donné  par  erreur  le  nom  àWquœ  îibilitinœ  qui  appartient  à  Ham- 


22  LES   MONUMENTS   HISTORIQUES 

Mam-Meskhroutiii,  possède  encore  des  restes  d'anciens  bains,  des 
pierres  et  des  colonnes  qu'il  faut  découvrir  sous  les  ronces, 

3  Kil.  plus  loin,  GUELx\A.-BOU-SBA,  sur  le  ruisseau  de  ce  nom,  a 
été  créé  en  1853  sur  les  ruines  de  Villa  Sermliana,  comme  l'ins- 
cription suivante  permet  de  le  supposer  : 


VSQF 

Qvm 

SERVI 
LIANVS 
VALXX 

H.S.E. 


Guelaâ-bou-Sba  garde  encore  Fenceinte  crénelée  des  premiers  temps 
de  sa  fondation. 

Au-delà  de  Guelaâ,  la  route  laisse  longtemps  à  gauche  de  nom- 
breuses ruines  de  postes  reliant  l'ancienne  voie  romaine  d'Hippo- 
Regius  à  Cirta. 

BONE,  64  kil.  N.-E.  de  Guelma  et  164  de  Constantine  ;  Medi?ia- 
Zaoui,  Beled-el-Anab,  Annaba,  Bouna  des  Arabes,  Bône  s'élève-t- 
elle  sur  VAphrodisium  des  anciens?  Nous  avons  vu  dans  le  jardin  à 
rO.  de  la  ville,  au  pied  de  la  montagne  des  Santons  quelques  ins- 
criptions lybiques  et  romaines  assez  frustes,  provenant  sans  doute 
d'Hippone.  Près  de  là  sont  les  ruines  d'un  aqueduc  qui  conduisait  à 
Hippone  les  eaux  du  Pappoua,  djebel  Edour'  des  Arabes,  où  gisent 
d'autres  ruines  du  même  aqueduc. 

HIPPONE,  2  kil.  S.  de  Bône  ;  on  y  arrive  après  avoir  traversé 
l'oued-Bou-Djema  sur  un  ancien  PONT  romain.  Hippone,  l'ancienne 
Ubba,  colonie  marchande  de  Carthage,  reçut  des  Romains  le  nom 
à' Hippo-Regms  de  ce  que,  dès  l'époque  de  la  première  guerre  pu- 
nique, le  roi  des  Massesiliens,  venait  camper  près  de  là  pendant 
une  partie  de  l'année.  Quand  la  Numidie  fut  réunie  à  l'empire,  Hip- 
pone devint  colonie  romaine  et  eut  tous  les  droits  de  la  cité  ;  aux 
IIP  et  IV^  siècles,  elle  était  avec  Carthage  le  plus  opulent  marché  do 
l'Afrique  romaine.  C'est  aloi"s  que  les  habitants,  enrichis  par  le 
commerce,  élevèrent  ces  magniiiques  monumonls  de  l'art  antique, 
ces  aqueducs  gigantesques,  ces  réservoirs  immenses,  ces  grandes 


Di:  l'algérie  23 

voies  de  communication  qui  étonnent  la  civilisation  moderne.  C'est 
alors  aussi  qu'elle  avait  saint  Augustin  pour  évoque,  de  396  à  430. 
L'année  qui  suivit  sa  mort,  Hippone  fut  prise  par  les  Vandales  qui 
la  réduisirent  en  cendres.  Reprise  en  534  par  Bélisaire,  Hippone 
tomba,  en  697,  au  pouvoir  des  Arabes  qui  achevèrent  l'œuvre  de 
destruction  commencée  par  les  Vandales  '. 

L'enceinte  d' Hippone  embrassait  une  soixantaine  d'hectares.  On 
remarque  sur  un  espace  de  plus  de  deux  kil.  de  nombreux  vestiges 
d'antiquités^  des  pans  de  murs  rougeâtres,  d'énormes  fragments 
d'une  maçonnerie  épaisse  et  solide  ;  mais  le  monument  le  plus  re- 
marquable et  en  même  temps  le  mieux  conservé,  c'est  le  château 
d'eau,  composé  de  plusieurs  grands  réservoirs,  qui  recevait  les 
eaux  du  Pappoua  amenées  par  un  aqueduc,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit  ^ 

Un  peu  plus  haut  que  le  château  d'eau,  oi^i  la  vue  de  Bône,  de 
l'Edour'  et  de  la  mer  est  des  plus  magnifiques,  on  a  élevé  une 
mesquine  statuette  en  bronze  de  saint  Augustin,  alors  qu'on  aurait 
dû  dresser  comme  celle  de  Vercingétorix  à  Alise-Sainte-Reine,  une 
gigantesque  statue  du  grand  converti,  de  Tauteur  des  Confessions 
et  de  la  Cilé  de  Dieu,  du  patron  de  l'Eglise  africaine  ! 

A  3  kil.  N.  de  Bône,  au  Cap  de  Garde,  existe  une  carrière  de 
marbre,  remise  en  exploitation  par  les  Français,  et  d'où  lesRomains 
tiraient  leurs  matériaux  pour  les  monuments  d'IIippone. 

Au-delà  des  fonderies  de  VAlélik,  à  14  kil.  S.-O.  de  Bône,  au  mi- 
lieu des  forets  qui  se  déboisent  de  jour  en  jour,  le  lac  de  FETZARA, 
dont  la  superficie  est  de  12,700  hect.,  recèlerait  des  ruines  considé- 
rables découvertes  par  des  conducteurs  des  ponts  et  chaussées  char- 
gés d'y  faire  des  sondages  ^  Cette  découverte  éclaire  un  problème 
historique  vainement  discuté  jusqu'à  ce  jour.  Les  géographes  grecs 
et  romains,  non  plus  que  les  anciens  itinéraires,  ne  font  aucune 
mention  de  ce  lac.  Saint  Augustin  lui-même,  évêque  d'Hippone,  à 
quelques  lieues  de  là,  n'y  fait  aucune  allusion.  Parmi  les  auteurs 


'  Le  commerce  et  la  navigation  de  l'Algé'ie  ainait  lu  conquête  française,  par 
Élie  de  la  Primaudaie,  in-8'*.  Paris,  Luhure,  18G0. 
-  L'AUjérie,  par  A  Berbriigger,  3  vol.  in-folio,  t.  I. 
'  Le  Centie  Algérien,  n"  du  -JO  janvier  1857. 


24  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

arabes,  El  Bekri  est  le  seul  qui,  sans  le  nommer,  l'indique  assez 
clairement.  Le  silence  général  dans  les  temps  anciens,  le  peu  de  no- 
toriété de  ce  lac  dans  le  moyen-âge  portent  à  croire  qu'il  est  le  ré- 
sultat d'un  alTaissement  du  sol,  produit  pendant  la  période  arabe  par 
quelques  tremblements  de  terre,  et  les  ruines  découvertes  dans  les 
eaux  pourraient  bien  être  celles  de  la  station  Ad  Plumbaria  dont  on 
a  vainement  cherché  les  traces  à  cinq  lieues  d'Hippone,  sur  la  route 
de  Rusicade  \ 

De  Bône  à  Souk-Ahrras,  direction  S.-E. 

GNEBOR-BOU-AOUN,  les  tombeaux  d'Aoun,  sur  le  Koudiat-Mena, 
24  kil.  de  Bône;  des  fouilles  faites  en  cet  endroit  ont  amené  la  dé- 
couverte de  tombes,  de  vases,  de  médailles  et  d'inscriptions  du  Bas- 
Empire. 

MONDOVI,  à  23  kil.,  on  y  voit  un  puits  romain. 

SOUK-AÏÏRRAS,  à  93  kil.  S.-E.  de  Bône  et  à  163  kil.  E.  de  Cons- 
tantine.  Souk-Ahrras,  le  marché  du  hruif,  à  FO.  del'oued-Medjerda, 
Bagradas  des  anciens,  s'élève  sur  un  petit  plateau  mamelonné .  Des 
ruines,  couvrant  un  périmètre  de  10  liect.  sur  ce  plateau,  attestent 
l'existence  d'un  établissement  romain  important  d'où  on  rayonnait 
dans  les  bassins  delà  Seïbouse,  delà  Medjerda  et  de  la  Mellaïa.  Di- 
verses inscriptions,  découvertes  principalement  par  le  capitaine  J. 
Lewal,  permettent  d'assurer  la  synonymie  de  Souk-Ahrras  avec 
Thagasle  ;  on  lit  sur  l'une  d'elles  : 

M.  AMVLLIO.  M. 
FIL 

ORDO  SPLENDI 

DISSIMVS  THA 
GASTENSIVM.... 

C'est  dans  le  bordj,  maison  du  commandant  supérieur  du  cercle  de 
Souk-Ahrras,  que  sont  réunis  les  difTcrcnls  débris  de  monuments 
de  Thagaste^  tombeaux,  pierres  tumulaires,  inscriptions  ;  parmi  ces 
dernières  : 


'  Voyages  en  Barbarie,  par  Shaw.  V.  dans  le  tome  II,  sur  la  carte  de  Peutin- 
ger,  section  L,  Ad  Plumbaria. 


DE  l'algérie  25 

THA 

GASI 

CHAE 

RE 

que  le  capitaine  du  Génie  Haiiman  explique  ainsi,  en  faisant  des 
deux  dernières  lignes  le  mot  grec  x,«~pi  :  Salut  !  Thagasiens. 

Saint  Augustin  est  né  à  Thagaste,  le  13  novembre  334. 

Les  environs  de  Souk-Ahrras  offrent  à  T archéologue,  dans  un 
rayon  moyen  de  25  kil.,  des  points  fort  curieux  à  visiter,  qui  sont 
Khemissa,  Tifech,  Mdaourouch  et  Taoura. 

KHREMISSA,  Thubusicum  Numidarum,  à  26  kil.  0.  S.-O.Los  rui- 
nes de  la  ville  ancienne,  couvrant  une  série  de  collines  rondes  et  ver- 
doyantes formant  amphithéâtre  ',  offrent  un  vaste  champ  d'études 
à  Texplorateur.  Parmi  les  inscriptions,  la  suivante  établit  le  nom  de 
la  ville  romaine  : 

IMP.    CAES.  M.  AVRELIO  CLAVDIO... 

RESPVB.    COLOXIAE 

THVBVRS.  NVMIDARVM. 

Une  autre  inscription  fixe  l'orthographe  du  nom  de  la  tribu  des  ^/^^- 
sulames,  tribu  qui  joue  un  rôle  dans  la  révolte  de  Tacfarinas  : 

C.    CORNELIVS.... 

PRAEF.    COH.    I. 

MVSVLAM.  IN 

MAVR... 

TIFECH,  Tipasa,  à  6 kil.  E.  de  Khremissa  et  25  kil.  S.-O.  îe  Souk- 
Ahrras,  El  Bekri^  le  géographe  arabe  disait  :  Tifech  est  une  ville 
de  haute  antiquité,  remarquable  par  l'élévation  de  ses  édifices...  on 
y  voit  beaucoup  de  ruiies  anciennes  ..  Les  ruines  de  Tipasa,  nom 
d'une  autre  localité  de  la  province  d'Alger_,  dominent  une  immense 
plaine  qui  devait  être  d'une  admirable  fertilité,  à  en  juger  par  le 
grand  nombre  de  fermes  et  de  villas  éparses  sur  une  surface  de  plus 

'  V.  t.  XXI,  p.  331. 


26  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

de  1,000  hect.  La  citadelle  de  Tipasa  est  en  grande  partie  debout. 
Accessible  seulement  du  côté  S.,  elle  s'élevait  par  gradius  dans  sa 
partie  N.  et  dépassait  alors  de  45  à  50  m.  le  seuil  de  la  porte.  Sur 
l'emplacement  des  forêts  qui  couvraient  les  montagnes,  séparant  Ti- 
pasa de  Thubursicum,  M.  Cbabassières,  conducteur  des  ponts  et 
chaussées,  signale  l'existence  de  citernes  grillées  autrefois,  commu- 
niquant entre  elles,  et  qu'il  suppose  avoir  été  destinées  à  renfermer 
les  animaux  qui  suivaient  aux  combats  et  aux  jeux  dans  les  divers 
points  de  l'Afrique. 

M.  l'abbé  Godard,,  mort  aujourd'hui,  a  signalé  entre  Khremissaet 
Tifech  une  citadelle  dont  les  murs  présentaient  des  peintures  frustes 
d'origine  carthaginoise?  citadelle  destinée  à  défendre  le  défilé  qui 
conduit  de  Tifech  à  Khemissa. 

UdkOmO]]C\l,  Madaure,  à  26  kil.  S.  de  Souk-Ahrras  '. 

TAOURA,  l'ancienne  Tarjura,  à  22  kil.  S.-E.  de  Souk-Ahrras.  Par- 
mi les  ruines  parsemées  sur  les  pentes  mamelonnées  de  rive  droite 
d'un  ruisseau,  on  remarque  un  ancien  petit  fort  arabe  qui  n'était 
autre  qu'un  ancien  temple. 

De  Constantine  à  Tebessa,  direction  S.-E.  Le  Khroub,  à  16  kil.,  et 
les  Oulad-Rahmoun  à  26  kil.,  sont  deux  villages  créés  sur  l'empla- 
cement de  ruines  appartenant  à  d'anciens  centres  romains  dont  on 
ne  connaît  pas  encore  le  nom. 

BORDJ-ZEKRl,  à40  kil.,  maison  de  commandement,  près  de  Voited 
Ke/b,  est  établi  sur  l'emplacement  de  Sigiis.  Une  inscription  trouvée 
en  1851  par  M.  Léon  Renier,  donne  à  Sigus  le  titre  de  pagus ;  une 
dédicace  à  la  Victoire,  qui  est  encastrée  dans  le  mur  du  bordj,  nous 
apprend  que  la  culture  des  céréales  était  la  principale  industrie  des 
habitants  de  cette  localité  :  cvltores  qvi  sigvs  consistvnt.  A  voir  les 
décombres  qui  couvrent  le  sol,  les  massifs  de  béton  et  les  pans  de 
mur  encore  debout,  il  y  a  lieu  de  supposer  que  Sigus  avait  une  cer- 
taine importance. 

On  voit  à  AIN-BEIDA,  la  fontaine  blanche,  les  ruines  d'un  poste 
romain  dont  le  nom  n'est  pas  déterminé.  Le  cercle  d'Aïn-Beïda  est 
des  plus  curieux  à  visiter  sous  le  rapport  des  ruines  romaines  qu'on 
y  rencontre  à  chaque  pas;  nous  en  signalerons  les  principaux  grou- 

»  V.  t  XXI,  p.  332. 


DE  l'algérie  27 

pes  :  A  Ksar-Sbehi,  à  35  k.  X.-O.,  redoute  byzantine  et  inscriptions, 
celle-ci  entre  autres. ..  patricio  fab...vm  est...t...  que  M.  Léon  Re- 
nier restitue  ainsi  :  Patricio  Fabatian.  castellum  est  restitutum. 
Ksar-Sbehi  serait  alors  le  Castellum  Fabatianum  des  itinéraires  an- 
ciens. —  Aïn-Temlouka,  à  18  kil.  N.-O.  de  Ksar-Sbehi,  occuperait 
toujours,  d'après  M.  Renier,  remplacement  deRotcma  :  u.p.c.ro...a. 
—  A  Ksar-el-Hama7\  26  kil,  0.  d'Aïn-Beïda,  fort  byzantin.  — 
A  Barai,  au  pied  de  VAurès,  34  kil.  S.-O.,  ruines  d'une  ville  fondée 
aux  beaux  temps  de  l'Empire  romain,  parmi  lesquelles  un  fort  bas- 
tionné  dans  l'intérieur  duquel  quatre  rangées  de  colonnes  en  mar- 
bre blanc  sont  en  partie  debout.  —  A  Aïn-Krenchela,  46 kil.  S.-O., 
on  lit  sur  le  mur  du  bordj  une  inscription  dont  voici  la  troisième 
ligne  : 

....ATAE...VE....Mi\I  MASCVL A. 

Cette  inscription  détermine  la  position  de  Mascida,  ville  célèbre 
dans  les  fastes  de  l'Église  africaine,  par  le  martyre  d'Archinanus 
sous  Genséric,  et  par  ses  luttes  entre  les  catholiques  et  les  dona- 
tistes.  — A  Enchir-Cheragnak,  25  kil.  S.-E.,  ruines  étendues,  peut- 
être  celles  de  Justi,  de  l'itinéraire d'Antonin?  —  kFedj-Souïoud,  25 
k.  N.-E.,  borne  milliaire,  portant  cette  inscription  incomplète  : 


KARTHAGINE  N.... 
HIPFOM.R.M.P... 

CIRTAE.M.P.L... 
LAMBAESE.M.P... 

THEVESTE.N 


placée  en  un  point  d'où  partaient  des  voies  vers  Carthagc,  Ilippone, 
Cirta,  Lambèse  et  Theveste,  cette  colonne  détermine,  suivant  le  com- 
mandant Dewulf,  la  position  de  Vatari. 

Avant  d'arriver  à  Tebessa,  on  trouve  des  ruines  romaines  à  En- 
c/iir-Halloufa,  ioQ  kil.  de  Constantine  ;  à  Hammam,  129  kil.,  et  à 
Ain-Chabro,  200  k\\. 

TEBESSA,  à  210  kil.  de  Constantine,  Theveste,  civitas  thevesti- 
NORVM,  d'après  l'inscription  sur  la  face  0.  du  rempart,  et  la  borne 
milliaire  accolée  à  la  mosquée, 


28  LES  MONUMENTS    HISTORIQUES 


....  VIAM 

A  CARTHAGINE  THE 

VESTEM  MIL  P  CCXII 

DCCXXXX 


Ni  Strabon  ni  Pline  ne  font  mention  de  Tlieveste,  dont  le  nom  pa- 
raît pour  la  première  fois  dans  la  géographie  de  Ptolémée,  puis  avec 
le  titre  de  Colonia  dans  l'itinéraire  d'Antonin  ;  M.  Letronne  en  con- 
conclut  que  rétablissement  romain,  peu  considérable  du  temps  de 
Pline,  ne  prit  d'accroissement  qu'après  Vespasien  et  Titus.  M.  le 
commandant  du  Génie  Moll  croit  pouvoir  faire  remonter  la  fondation 
de  Theveste  à  l'an  71  ou  72  après  J.-C.  Cette  ville  ',  selon  lui,  au- 
rait commencé  par  être  un  camp  passager,  puis  permanent  et  trans- 
formé en  cité  par  Vespasien,  et  élevé  enfin  au  rang  de  colonie  ro- 
maine par  un  des  Antonins.  Theveste,  à  l'apogée  de  sa  richesse  et 
de  sa  splendeur,  sous  le  règne  de  Soptime-Sévère,  au  commence- 
ment du  III"  s.,  détruite  par  les  Vandales  au  commencement  du 
V°  s.,  est  relevée  de  ses  ruines,  en  534,  par  Salomon,  successeur  de 
Bélisaire;  Sidi-Okba  saccage  Theveste  en  50  de  l'Il.  (670  de  J.-C), 
et,  sur  ses  décombres,  s'élève  la  petite  ville  arabe  de  Tebessa. 

Après  I'arc  de  triomphe,  le  temple  de  mlnerve  et  la  rasilique  clas- 
sés parmi  les  Monuments  historiques  ',  nous  signalerons^  surgis- 
sant de  l'amas  de  ruines  dans  lesquelles  les  Arabes  se  sont  ménagé 
des  logements,  la  kouhba  de  sidi  Djah-Allah,  monument  romain 
hexagonal  que  les  Arabes  ont  recouvert  d'une  coupole,  et  dans  le- 
quel ils  ont  inhumé  le  marabout  Djab-Allah;  le  château  d'eau,  le 
CONDUIT  et  I'aqueduc  pour  les  eaux  de  l'Aïn-el  Bled  ;  le  cirque,  arène 
circulaire  de  50  m.  de  diamètre,  pouvant  contenir  6  à  7^000  specta- 
teurs ;  la  muraille  encore  debout  de  la  citadelle  construite  par  Sa- 
lomon en  534,  dont  le  développement  est  de  1,100  mètres  sur  une 
hauteur  de  12  à  15  mètr.  et  une  épaisseur  de  2  met.  Des  inscrip- 
tions nombreuses  recueillies  à  Tebessa  nous  avons  donné  celles  qui 
rappellent  le  nom  romain  de  Theveste  ;  M.  MoU  en  a  relevé  un  grand 


'  Mémoire  historique  et  arrlicolonique  sur  Theveate,  par  le  capitaine  Moll  ; 
Annuaire  de  Constantine^  année  1858-59, 
2  V.  t.  XXI,  p.  332-333. 


DE  l'algérte  29 

nombre,  dont  une  donne  le  nom  de  Lucius  Minucius  Saturus  qui  a 
vécu  \  "21  ans. 

Environs  de  Tebessa.  Quand  on  saura  que  Theveste  était  le  point 
de  jonction  de  huit  routes,  on  ne  sera  plus  étonné  de  l'immense 
quantité  de  ruines  datant  de  l'époque  romaine  proprement  dite  et 
de  l'occupation  byzantine,  ces  dernières  en  plus  petit  nombie,  qui 
jonchent  le  sol  aux  environs  de  Tebessa. 

A  4  kil.  S.-O.,  gorges  de  Rfana  et  ruines;  une  route  taillée  dans 
le  roc  par  les  Romains^  sur  une  longueur  de  2  ki'.^  porte  encore  les 
traces  faites  par  les  roues  des  voitures.  On  rencontre,  dans  les  envi- 
rone  de  Rfana,  plusieurs  carrières  dont  une  de  marbre  rouge  de 
toute  beauté.  --  A  15  kil.  0,  Ok/iOiis,  ruines,  peut-être  ceWesd'Aqu^ 
Cœsaris?  —  A  30  kil.  S.-O.,  au-dessous  d'Okkous,  dans  le  Bahirel- 
el-Mchentel,  une  tour  byzantine  avec  inscription  et  un  tombeau,  mo- 
nument carré  de  12  à  13  met.  de  hauteur,  ayant  à  peu  près  la  forme 
d'une  tour,  Sonia,  à  deux  étages  ;  on  y  lit  l'épitaphe  d'un  octogé- 
naire. —  A  30  kil.  S.,  le  Bahiret-el-Arneb ,  plaine  de  lièvres,  ren- 
ferme encore  beaucoup  de  ruines  et  des  inscriptions  tumulaires.  — 
10  kil.  E.,  ruines  de  Bekkaria.  —  k  lo  kil.  N.,  ruines  des  Djebel- 
Dir.  —  A  23  kil.  N.-O.,  Enchir,  ruines,  Ben  Khrelif.—k  32  kil.  N.- 
0.,  ruines  de  Morsoul,  le  Vasompus  des  Romains? 

De  Constantine  an  Sahara.  En  dehors  de  la  route,  à  4  kil.  S.-E. 
Montebello,  28  kil.  de  Constantine,  mines  romaines  de  Silensis. 


R.P.  SILENSIVM 


Le  caravansérail  à! A'in-Mlilia,  à  49  kil.,  près  des  ruines  de  Vi- 
salta. 

Aïn-Feurchi,  à  o9  kil.,  ruines. 

Au-delà  des  chots  :  G9  kil.,  Tinsilt  à  droite  et  Mzoïiri  à  gauche, 
en  quittant  la  route  et  en  longeant  le  nord  du  Mzouri,  on  arrive 
à  16  kil.  de  là  devant  les  ruines  de  Taituht,  ancien  poste  mili- 
taire. 

83  kil.  Aïn-Yaçout,  de  cet  endroit  on  se  dirige  sur  le  Medracen  \ 

'V.  t.  XXI,  p.  327. 


30  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

On  visitera  à  5  kil.  E.  du  Medracen,  sur  le  bord  méridional  du 
lac  de  Chemora,  Enchir-Djendeli,  groupe  considérable  de  ruines, 
peut-être  celles  (VAcl  Laciim  regium,  la  ville  d'au-delà  du  Lac 
royal. 

Revenant  à  Aïn-Yacout,  on  atteindra,  à  96  kil.,  le  caravansérail 
d'0îim-el-/s)ra}7i,  la  Mère  des  Idoles  ou  des  ruines,  sur  l'emplace- 
ment de  Tadutti. 

D'Oum-el-Isnam  à  Fesdis,  près  de  Ksour-R'eiinaia,  le  Château  de 
la  Chanteuse,  à  HO  kil.,  nombreuses  ruines  parmi  lesquelles  sont 
encore  debout  quelques-uns  de  ces  tombeaux  en  forme  de  petits 
temples,  exhaussés  sur  une  base  et  accessibles  par  un  escalier. 

Batna,  àll9kil.  '. 

LAMBÈSE,  à  10  kil.  S.-E.  de  Batna,  la  Tazzout  des  Arabes.  Sur  la 
plupart  des  inscriptions  fort  nombreuses  recueillies  et  publiées  par 
M.  L.  Renier,  on  lit  : 


et  celle-ci  : 


. . .  R .  P .   LAMB AESITANORVM . 

GENIO.  LAMBAESIS 

L.  BAEBIVS.   FAVSTIA 

NVS.   SIG  LEG.  TERTIAE 

VOTVM  SOLVIT. 

Le  titre  de  legio.  m.  avgvsta.  pia  vendex,  ou  bien  encore  legio.  ni. 
AVG.  co>(sTANTmiA),  gravé  sur  la  plupart  des  monuments,  des  bri- 
ques et  des  tuiles,  prouve  que  cette  troisième  légion  habitait  dans 
Lambèse  et  aux  environs,  et  qu'elle  était  organisée  de  manière  à 
pouvoir  construire  elle-même  tous  les  monuments  à  son  usage  ;  on 
a  trouvé  d'autres  briques  portant  le  nom  de  la  huitième  légion  leg. 
viii.  ge(mina).  Le  prétoire,  les  arcs  de  triomphe,  le  temple  d'Esculape, 
le  tombeau  de  Q.  Flavius  Maximus  ont  été  décrits  plus  haut  ".  Des 
fouilles,  remontant  à  une  dizaine  d'années,  ont  mis  à  jour  des 
parties  importantes  du  cirque,  entre  autres  le  couloir  passant  sous 

'  V.  t.  XXI,  p.  328. 

2  V.  t.  XXI,  p.  328  à  330. 


DE    l'aLGÉRIE  31 

les  gradins  et  suivant  le  contour  de  rédifiee,  l'entrée  principale  et 
lescalier  qui  descendait  dans  l'arène.  D'autres  fouilles  dues,  comme 
les  premières,  àM.Barnion,  ancien  directeur  du  pénitencier  deLam- 
bèee,  ont  amené  la  découverte  d'une  partie  des  thermes,  entre  le 
prétoire  et  la  porte  du  Nord.  Le  grenier  d'abondance  a  enfm  été  re- 
trouvé sous  une  butte  de  décombres,  aune  profondeur  de  15  met.  ; 
les  quatre  faces  correspondent  aux  quatre  points  cardinaux. 

Trois  directions  de  voies  antiques  partaient  de  Lambèse  :  l'une 
allait  au  N.-O.,  à  Sitifis,  Setif  ;  l'autre  au  N.,  kCirta,  Constantine  ;  la 
troisième  à  l'E.,  à  Theveste,  Tebessa,  et  continuait  jusqu'à  Car- 
tilage. 

Sur  la  voie  de  Sitifis,  qui  avait  plusieurs  embranchements,  à  .'JO 
kil.N.-O.  deBatna,  des  ruines  importantes,  celles  de  Lamasba,  cou- 
vrent la  localité  connue  sous  le  nom  de  Merouana. 

Nous  avons  déjà  signalé  les  monuments  historiques  de  ZANA, 
Diana  Veteranorum  ',  à  2o  kil,  N. -E.de  Merouana:  un  arc  de  triom- 
phe et  la  porte  du  temple  de  dtane.  Parmi  les  autres  ruines  qui  cou- 
vrent une  étendue  de  4  kil.  carrés  s'élève  une  forteresse  byzantine 
de  70  met.  carrés  avec  des  murs  de  2  m.  2o  d'épaisseur  ;  on  recon- 
naît les  thermes  et  1' aqueduc  alimentés  par  l'Ain-Soltan,  et,  enfin, 
une  basilique  chrétienne  divisée  en  trois  nefs  et  dont  l'autel  encore 
debout  est  décoré,  à  sa  face  antérieure,  d'une  croix,  au  centre  de 
laquelle  on  lit  le  monogramme  du  Christ.  Les  inscriptions  relevées 
à  Diana  Veteranorum  embrassent  une  période  de  127  ans,  commen- 
çant à  l'avant-dcrnière  année  du  règne  d'Aiitonin-le-Pieux,  160  de 
J.-C,  et  finissant  sous  celui  de  Dioclétien  et  de  Maximien  Hercule, 
en  287.  Sur  plusieurs  de  ces  inscriptions  on  lit  : 

respvblica  dianensivm 

Enchir-Encedda,  à  16  kil.  N.-O.  de  Merouana,  est  l'ancienne  A^oua 
Petra. 

Entre  Merouana  et  Encedda  sont  les  ruines  de  Zaraï,  Zrdia  au- 
jourd'hui. Le  nom  s'est  conservé  à  peu  près  intact.  Zaraïou  Colonia 
Zaraï,  située  sur  une  des  routes  les  plus  fréquentées  qui  condui- 
saient du  désert  dans  la  Mauritanie  Césarienne,  était,  vers  le  milieu 

1  V.  t.  XXJ,  p.  330. 


32  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

du  IP  S.  de  notre  ère,  le  lieu  de  la  garnison  d'une  cohorte  qui  lui 
avait    emprunté  son   nom  :  cohors   colonorvm  jvliensivm  zaraita- 

NORVM. 

De  la  ville  romaine  ou  byzantine,  il  reste  les  remarquables  ruines 
d'un  fort  rectangulaire,  de  deux  églises  et  de  nombreuses  inscrip- 
tions dont  la  plus  intéressante,  transportée  au  musée  du  Louvre  par 
M.  Héron  de  Villefosse,  est  un  règlement  de  la  douane,  qui  nous  ap- 
prend qu'un  esclave  payait  les  mêmes  droits  d'entrée  qu'un  cheval  : 
un  denier  et  demi  (1,23  à  peu  près  !)  —  De  la  ville  arabe  il  reste  ea- 
core  la  mosquée  de  Si  Ahmed  ben-Abd-Allah. 

En  remontant  au  N.-O.  vers  Setif,  on  rencontre  les  ruines  de  Per- 
dices  ou  Perdicibus  à  Es-Esmief,,  et  le  Biirgiim-C entenarium,  à  Bir- 
Hcxldada.  On  vivait  vieux  dans  cette  dernière  localité;  voici  l'ins- 
cription tumulaire  qui  en  fait  foi  : 

D.M.S. 
....  VLPIA 
VIXIT  eu 

Entre  le  lac  Es-Smiet  et  le  lac  Hasbein,  des  ruines  importantes 
couvrant  une  superficie  de  130  hectares  seraient  celles  de  Gemellœ? 

A  20kil.  S.-O.  de  Zraïa,  M.  le  commandant  Payen  a  découvert  à 
Khrerhet-Zerga,  sur  l'oued-Beïda,  près  des  ruines  d'un  temple,  une 
inscription  déterminant  eu  cet  endroit  l'emplacement  du  château  des 
Cellensiens  ou  Cella  : 

CAS 

TELLI  CELLENSES.... 

Ngâous  ou  M'gaous,  à  30  k.  0.  de  Merouana,  renferme  quelques 
ruines  romaines  et  quelques  inscriptions  ;  ces  dernières  ne  donnent 
pas  le  nom  ancien  de  la  localité. 

Les  ruines  de  Verecunda,  aujourd'hui  MARKOUNA,  à  8  kil.  E.  de 
Lambèse,  comprennent  celles  d'un  arc  de  triomphe  \  d'un  forum  et 
des  tombes  en  briques  ayant  la  forme  de  baignoires. 

On  voit  encore  à  l'ENClIIR  TIMEGAD,  l'ancienne  colonie  de  Tamu- 
gas  ou  Tamugadis,  un  théâtre  et  un  arc  de  triomphe  -. 

•-■^  V.  t.  XX],  p.  330. 


DE  l'aluérie  33 

Reprenant  la  route  du  Sahara,  on  laisse  à  droite,  120  k.  de  Cons- 
tantine^,  El  Biar,  les  puits;  les  ruines  qu'on  y  rencontre  sont-elles 
celles  à'Ad  Basiiicam  Diaduînene ? 

La  Baraque,  à  148  kil.,  s'élève  sur  les  ruines  de  Symmachi,  aux- 
quelles les  Arabes  ont  donné  le  nom  de  Tafjouzide. 

Ruines  romaines  de  Ad  duo  flumina,  à  171  kil  ,  placées  précisé- 
ment à  la  rencontre  de  l'oued-Kantra  avec  un  de  ses  nombreux  af- 
fluents, l'oued-Fedala. 

EL-RANTRA,  oasis  qui  prend  son  nom  du  pom  qui  la  précède  '. 
El-Kantra,  le  Calceus  Eerculis  du  Romain,  devait  être  une  position 
militaire  très  importante.  On  y  rencontre  pèle-mèle  dans  les  bâtisses 
en  pisé  et  dans  la  mosquée,  des  fragments  de  fûts,  de  chapiteaux, 
de  colonnes,  des  ornements  d'architecture  ;  l'écurie  d'un  cabaret 
français,  sur  la  route,  est  un  monument  romain.  Des  inscriptions 
rappellent,  comme  à  Lambèse,  le  passage  de  la  fameuse  troisième 
légion.  Le  moindre  déblai  met  à  découvert  des  tombes  romaines. 

A  6  kil.  d'El-Kanlra,  sur  la  rive  gauche  de  l'oued,  le  djebel-Sel- 
loum,  contrefort  du  djebel-Kteuf,  est  couronné  d'un  édifice  en  rui- 
nes, REDOUTE  Biirgum-Commodianian,  élevée  par  les  ordres  de  Marc 
Antoine  Gordien,  fils  de  Marcellus,  pour  servir  d'observatoire  entre 
deux  routes  et  veiller  efficacement  à  la  sûreté  des  voyageurs. 


BVRGVM    COMMODI 
ANVM    SPECVLATO 
RVM    INTER    DVAS    VI 
AS    AD    SALVTEM    COMME 
ANTIVM 


L'une  de  ces  deux  routes  est  la  route  actuelle  d'El-Kantra  à  Bis- 
kra  ;  l'autre  n'est  plus  aujourd'hui  qu'un  sentier  arabe  conduisant 
à  l'E.  vers  les  derniers  contreforts  S.  de  l'Aurès. 

Mguesba,  164  kil.,  butte  de  ruines  frustes. 

KL-HAMMAM,  196  kil.,  Aquœ  Herculis.  une  piscine,  profonde  de 
1  à  2  mètres,  reçoit  les  eaux  thermales,  36°,  qui  arrivent  du  djebel- 
Khroubset  à  l'E. 

'  V.  t.  XXI,  p.  330. 

Ile  série,  tome  XI.  3 


.'ii  LK^    MCtXUMENTS    TllSTORIOri" > 

Un  trouve  à  EL-OUTAIA,  Mesar-Filia  ?  198  kil.,  des  ruines  ro- 
maines, celles  entre  autres  d'un  amphithéâtre. 

223  kil.  HAMMAM-SALAIIIN  '. 

233  kil.  BISKRA,  Ad  Piscinam  ou  Ouesker  des  Romains,  capitale 
des  oasis  des  Ziban.  Les  ruines  d'Ad-Piscinam,  assez  rares,  sont 
enchevêtrées  dans  les  maisons  en  tôb,  briques  séchées  au  soleil, 
construites  par  les  Zibanais. 

Les  Ziban,  à  Tentrée  N.-E.  du  Sahara,  comprennent  trois  parties  : 
le  Zab-Chergui  ou  de  l'Est;  le  Zab-Kebli  ou  du  Sud;  le  Zab-Dahraoïd 
ou  du  Nord.  Nous  en  parcourrons  les  oasis  où  l'on  rencontre  en- 
core des  ruines  qui  y  rappel! (înt  la  domination  romaine. 

Zi\.B-CHERGUI.  —  Tehoiida  entre  Biskra  et  Sidi-Okba;  on  y  voit 
les  ruines  de  Thabudeos. —  Eliana,  97  kil.  de  Biskra,  puits,  amorce 
d'aqueduc,  colonnes  et  chapiteaux  dans  la  mosquée.  —  Bad^'s, 
100  kil.,  VAd  Badias  des  Romains.  C'est  aujourd'hui  une  pauvre 
dachera  (ou  village)  bâtie  sur  un  tertre  au  S.  duquel  gisent  les  restes 
d'un  poste  et  les  traces  d'une  basilique. 

ZAB-GUEBLI.  —  Entre  Meiiii  et  Bigou,  à  l'endroit  nommé  Kas- 
hat,  des  fouilles  faites  par  le  capitaine  Pigalle,  ont  amené  la  décou- 
verte d'une  pierre  votive  sur  laquelle  on  lit  : gemell.  regressi_, 

les  Gemellensiens  de  retour  dans  leur  pays...,  mais  qui  ne  détermi- 
nerait pas  en  cet  endroit  un  cantonnement  de  la  légion  de  Gemella 
ou  l'emplacement  de  Gemellœ,  qu'il  faut  chercher  à  l'E.  entre  Bis- 
kra et  Tehouda.  —  Ourlai,  3i  kil.,  ruines  romaines. —  Ben-Thious, 
36  kil.,  haut  et  large  mur  romain  dont  les  pierres  de  grand  appa- 
reil sont  bien  taillées  ;  ce  mur  semble  avoir  appartenu  à  une  for- 
teresse. 

ZAB-DAHRAOUI. — Tolga,\^  plus  grande  oasis  après  celle  de  Biskra 
dont  elle  est  distante  de  40  k. ,  a  été  romaine  :  elle  possède  uucastrum 
avec  six  tours  bien  conservées  dans  lesquelles  s'enchevêtrent  les 
bâtisses  des  Sahariens.  La  grande  mosquée  de  Tolga  renferme  quel- 
ques colonnes  et  chapiteaux  appartenant  à  l'époque  romaine.  —  Le 
Djehel-Matrof,  au  N.  de  Llchana  et  de  Zaatcha,  était  exploité  sur 
une  large  échelle  par  les  Romains.  On  retrouve  encore  dans  les 
flancs  de  deux  de  ses  mamelons  taillés  à  pic,  les  témoins  des  colonnes 

1  Y.  t.  XXI,  p.  331. 


DE    L'ALGÉRIE  35 

et  des  pierres  d'appareil  que  l'on  a  extraites,  et  le  dérasement  de 
ces  monticules  leur  a  fait  donner  par  les  indigènes  le  nom  à'Ei- 
Meïda,  la  table. 

De  Constantine  au  Hodîia  par  Batna. 

La  plaine  du  Hodna,  enserrée  entre  deux  régions  montagneuses, 
le  massif  maritime  et  le  massif  saharien,  est  occupée  en  partie  par 
un  lac  salé  qu'on  appelle  Chott-es-Saïda  ou  Chott-el-Msila,  à  cause 
de  la  ville  de  ce  nom,  au  N.-O.;  les  Romains  donnaient  à  ce  lac  le 
nom  de  Salinœ  Tiibonensis  parce  qu'il  avoisinait  la  ville  de  Tubiina 
à  l'E.  La  plaine  de  Hodna,  si  fertile  autrefois,  et  dont  l'avenir  agri- 
cole est  prochain,  a  gardé  de  la  domination  romaine  des  traces  de 
villes,  de  barrages  et  de  canaux  témoins  de  son  ancienne  impor- 
tance. 

Quittant  la  route  de  Constantine  à  Biskra,  au  caî^avansérail  des 
Ksour,  on  prend  à  droite,  entre  les  oulad-SoUan,  au  N.,  et  les 
Lakredar-Lalfouïa,  au  S.,  un  chemin  qui,  côtoyant  et  traversant 
\ oiied-Bitham  conduit  à  Tobna,  204  kil.  de  Constantine,  et  83  kil. 
de  Batna. 

TOBNA,  l'ancienne  Tubiina  ou  Tubonis  des  Romains,  à  l'O.  du  chott, 
était  sous  les  Arabes  une  ville  renfermant  de  beaux  monuments  et 
de  nombreux  et  fertiles  jardins.  Il  n'en  reste  rien  aujourd'hui.  Seul, 
le  CASTUUM,  appartenant  au  siècle  de  Justinien,  et  mesurant  80  met. 
sur  23  met.,  montre  ce  que  pouvait  être  la  ville  romaine.  Ce  cas- 
trum,  construit  en  pierre  de  tailles,  renferme  une  quantité  de  frag- 
ments d'architecture,  frontons,  chapiteaux  de  colonnes,  bas-reliefs 
et  inscriptions. 

Après  avoir  traversé  l'oued-Bitham  sur  lequel  on  trouve  des 
traces  de  barrages  romains,  on  visitera  à  8  kil.  S.-E.  de  Tobna, 
Mokta-el-Hadjar,  la  coupure  des  pierres,  ancienne  carrière  romaine 
de  calcaire  qu'on  dirait  abandonnée  d'hier,  tant  semblent  récentes 
les  traces  des  travaux  du  peuple  conquérant. 

De  Tobna  à  Xoued-Chaïr,  la  rivière  do  l'Orge,  direction  S.-O., 
des  ruines,  presque  toutes  frustes,  se  montrent  çà  et  là,  au-dessus 
du  sable  ou  des  broussailles. 

MSILA,  petite  ville  arabe,  au  N.-E.  du  lac  salé,  à  73  kil.  en  droite 
ligne  de  Tobna,  est  bâtie  en  partie  avec  des  matériaux,  pierres  de 
taille,   colonnes  et  chapiteaux  provenant  de   Bechilga,   l'ancienne 


30  LES    MONUMENTS    llISTOninUES 

Zabi.  Voici  riiiscriptioii  gravide  sur  une  pierre  faisant  partie  de  la 
grange  de  la  maison  d'un  kaid  de  M'sila  : 

AEDIFICATA  EST  A  EVNDAMENTIS  HVIC  (slc)  Cl 

V OVA,    IVSTINIANA  ZABI  SVB  TEM 

P DOMNI  NOSTRI  P SJH  ET  INVICTISS...  '. 

A  36  kil.  N.-O.  de  Msila  et  au  sud  du  djebel-Tarf,  ruines  romaines 
de  Tarmoimt.  M.  le  docteur  Lacger  y  a  copié,  en  1841,  une  inscrip- 
tion gravée  sur  une  colonne  milliaire  dont  le  mot  essentiel,  nom  de 
la  localité,  est  Tatilti. 

Des  vestiges  de  constructions  hydrauliques  attirent  l'attention  du 
voyageur  à  Msila  sur  Y oued-Ksab  ;  —  à  Bechilga,  sur  Voued-Deb, 
4  kil.  N.-E.  de  Msila;  —  à  Y oued-Legoumaii,  16  kil.  0.  ;  —  à  Sed- 
Djù',  sur  Youed-Chelal,  40  kil.  0. 

Entre  Msila  et  Boii-Sada,  au  S.,  Ain  Benian,  source  thermale, 
sourd  au  milieu  de  ruines  romaines. 

De  ConUantine  à  Djidjelli,  direction  N.-O.  A  20  kil.  à  gauche 
de  la  route,  près  du  village  alsacien  à.Q  Roiiffach,  sur  l'emplacement 
des  Beni-Ziad,  ruines  d'un  établissement  ?  romain,  fort  impor- 
tant. 

MILA,  à  40  kil.  la  Mileva  ancienne.  Cirta,  Mileva,  Chullu  et  Rusica- 
dae,  bien  qu'ayant  chacune  le  titre  de  colonie,  n'avaient  cependant 
qu'un  seul  corps  de  magistrature,  et  représentaient  par  la  réunion 
de  leurs  territoires  celui  que  César  avait  donné  à  Sittius  et  à  ses 
partisans  ^  Les  habitations  kabiles  de  Mila  sont  bâties,  en  grande 
partie,  avec  des  matériaux  romains  dont  quelques-uns  précieux 
pour  l'histoire.  On  visitera  l'ancienne  muraille  et  la  fontaine  dont 
le  commandant  De  La  Marre  a  donné  la  description  et  les  des- 
sins ^ 

DJIDJELLI,  à  MO  kil.  de  Constantine,  sur  le  bord  de  la  Méditer- 
ranée ;  c'est  Ylijilgili  qui  donnait  son  nom  à  un  district  de  la  Mariu- 
tanie.  M.  Léon  Renier  *  mentionne  l'inscription  suivante,  gravée 
sur  un  fragment  de  colonne,  faisant  partie  du  petit  nombre  d'anti- 

*  Les  Ruines  de  Bechilga  (Zabi),  par  A.  Poulie,  Rev.  Afric,  année  1861. 
2  "V.  plus  haut,  p.  14. 

'  L'Archéologie  de  l'Algérie,  par  le  Com*  De  La  Marre. 

*  Les  Inscriptions  romaines  de  l'Algérie,  par  M.  Léon  Renier. 


DE    L'ALGÉRIE  37 

quités  trouvées  à  la  surface  du  sol  et  mal  conservées  à  cause  de  la 
nature  friable  des  pierres  : 

COS  PROCOS  NEPOTI 
DIVOR  GORDIANO 
RVM  AB  IGILGIL 

Imperatori  Cœsari  Marco  Antonio  Gordiano  pro  felici  Aiigusto... 
consuli  proconsuli  nepoti  divoriim  Gordianorum.  Ab  Igilgili... 
millia  passimm. 

Jgilgili,  fondée  par  Auguste,  fui  d'abord  une  des  emporiœ,  colo- 
nies marchandes  des  Carthaginois. La  découverte  des  tombeaux  creu- 
sés dans  le  roc,  sur  la  colline  qui  longe  la  mer  de  Djidjelli  au  Fort- 
Duquesne,  à  l'E.,  et  semblables  à  ceux  qu'on  a  pu  observer  en  Syrie, 
à  Tripoli  et  à  Carthage,  vient  confirmer  cette  opinion.  Communi- 
quant également  par  deux  grandes  voies  avec  Cirta  (Constantine)  et 
Saldœ  (Bougie), elle  devint  également  le  marché  sur  lequel  les  gens 
de  l'intérieur  venaient  échanger  leurs  produits  contre  les  marchan- 
dises européennes. 

Une  inscription  trouvée  près  du  fort  Saint-Ferdinand  à  l'O.,  au- 
dessus  du  rocher  Picoulcau,  a  pu  faire  supposer  que  le  Château 
de  la  Victoire  avait  été  construit  en  cet  endroit  où  se  trouvent  encore 
des  vestiges  de  ruines  romaines,  ou,  tout  au  moins,  sur  un  piton 
dominant  la  voie  d' Igilgili  à  Saldae,  et  qui  couvrent  également  les 
ruines  d'un  ksar  arabe.  Voici  le  commencement  de  cette  inscrip- 
tion : 

TERMINI    POSITI    INTER 
IGILGILITANOS    IN 
QVORVM    FINIBVS    KAS 
TELLVM    VICÏORIAE 
POSITVM    EST    ZLMIZ    [cs) 

Si  l'on  s'en  rapporte  à  Peutinger  qui  place  les  Zimices  entre  Rusi- 
cade,  Philippeville  et  Igilgili,  c'est  à  l'E.  de  cette  dernière  qu'il  faut 
chercher  le  Chcàtcau  de  la  Victoire,  peut-être  aux  ruines  de  Ko?mar, 
près  de  l'embouchure  de  l'oued-Nil  où  l'on  placerait  également 
Pa7icharia. 

De  Constantine  à  Setif  par  Djemila,  direction  S.-O.  Mila  (voir  ci- 


38  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

dessus).  DJEMILA,  92  kil.  de  Constantine,  Ciiiculum  ou  Respuhlica 
Cuiculitanorum.  Les  monuments  de  Djemila  sont  :  I'arc  de  triom- 
phe *,  le  FORUM,  au  milieu  de  la  ville;  dans  le  forum,  un  temple 
prostyle,  dédié  à  la  Victoire  ;  près  de  là  un  exèdue  ;  au  N.-O.  du 
forum  un  grand  temple  périptère  ;  à  TE.,  un  théâtre,  présentant 
plus  particulièrement  le  postscenium,  l'ouverture  cintrée  qui  con- 
duisait dans  lintérieur  du  théâtre,  les  gradins  supérieurs  et  leur 
mur  d'appui;  une  basilique  chrétienne  au  S.  du  forum  et  enfin  des 
tombeaux,  des  fragments  de  mosaïque  avec  des  oiseaux  et  des  ani- 
maux et  des  inscriptions  dont  celle-ci  : 

TELLVRI.    GENETRICI 

RES.PVBLICA.    CVICVLATANOR. 

TEMPLVM    FECIT. 

Elle  est  allée  retrouver  au  Louvre  les  inscriptions  de  Rvsicade  et  de 
Saldae.  M.  Ravoisié  a  mesuré  et  dessiné  tous  les  monuments  de 
Rjemila  -, 

KASBAIT,  16  kil.  de  Djemila.  C'est  la  station  romaine  de  Mons. 

On  y  a  trouvé  les  ruines  d'une  citadelle,  d'un  arc  de  triomphe, 
d'un  TEMPLE,  des  tombes  monumentales,  mais  sans  épitaphes,  et  des 
inscriptions  ;  ces  dernières  peu  intéressantes, 

SETIF,  à  124  kil.  de  Constantine,  Sitifis  colonia,  chef-lieu  de  la 
Mauritanie  Sitifienne ,  quand  la  Mauritanie  césarienne  fut  divisée  en 
deux  provinces,  à  la  suite  de  la  révolte  des  Quinquigentiens,  en 
297  de  J.-C.  Les  nombreuses  voies  de  communication  qui  liaient  ce 
chef-lieu  à  presque  toutes  les  villes  principales  des  autres  provinces, 
prouvent  assez  le  rang  qu'il  occupait  parmi  les  contrées  soumises 
aux  Romains  en  Afrique.  Le  quartier  militaire  de  Selif  est  élevé  sur 
le  côté  O.-S.  de  l'ancienne  enceinte  romaine.  Sauf  cette  enceinte,  il 
ne  reste  plus  rien  debout  de  Sitifis.  C'est  au  musée,  en  plein  air, 
qu'il  faudra  chercher  ce  qui  reste  des  monuments  de  toute  espèce 
dont  la  plus  grande  partie  se  compose  d'inscription.  On  lit  sur  une 
colonne  militaire  : 


I 


COL.   N  [er]  VIANA    SITIFIS. 


«  V.  t.  XXI,  p.  333. 

-  L'Algérie  monumcnlale,  par  Ilavoisié,  grand  in-folio  avec  figures,  l"  vol. 


DE    L'ALGÉRIE  39 

MM  Goyt  et  Poulie  ont  donné  de  Setif  l'inscription  suivante,  qui 
trouve  sa  place  dans  la  Bévue  de  fArt  chrétien;  nous  y  trouvons  le 
nom  de  deux  martyrs,  Justus  et  Decurius  appartenant,  d'après 
M.  Poulie,  à  répoc[ue  vandale  : 

Mcirttjril'us  sanciis  prominsa  colonicus  iiisons 
Solvit  vola  sua  Lœtuscum  covjuye  cara 
Hic  situs  est  Jus'us  ;  hic  atque  Decurius  unâ 
Qui  bene  confessi  vicerunt  arma  maligna^ 
Pi\Tmia  victores,  CItrisli  meruere  coronura. 

A  une  trentaine  de  kilomètres  de  Setif,  sur  la  route  de  cette  ville 
à  Djidjelli,  on  rencontre  à  AIN-KEBIRA,  les  ruines  de  Satafi,  qui 
couvrent  un  plateau  d'une  douzaine  d'hectares  ;  au  milieu  des  ruines, 
parmi  lesquelles  celles  d'un  temple,  plus  tard  basilique,  MM.  Vin- 
cent, du  33°  régiment  de  ligne,  et  Poulie  ont  relevé  plusieurs  ins- 
criptions dont  la  suivante  donne  le  nom  du  municipe  : 

GENIO  MV 
NICIPH.  SA 
TAFENSIS. 


Sur  le  parcours  de  la  route  d'Alger  à  Constantine^  en  remontant 
cette  dernière  ville,  on  rencontre,  à  4  kil.  de  Setif,  KSAR  TEMOU- 
CHENT  ou  Aïn-Temouchent.  A  cent  mètres  environ  au  S.  de  la  fon- 
taine, sur  une  colline  légèrement  ascendante  qui  mène  à  l'ancien 
télégraphe,  M.  le  docteur  Bertherand  a  observé  des  ruines  assez 
étendues,  et  dans  le  bouleversement  desquelles  on  reconnaît  encore, 
à  fleur  de  terre,  des  alignements  de  murs  rasés,  avec  des  traces  de 
poternes  et  des  angles  de  rues.  Une  mosaïque,  représentant  un  sujet 
maritime,  découverte  à  Aïn-Tomouchent;,  a  été  transportée  à  Setif, 
à  la  direction  du  (lénie.  —  SAINT-ARNAUD  village  créé  à  Taftikia, 
chez  les  ouled-Eulma,  à  24  kil.  ;  il  possède  une  fontaine  romaine, 
bien  connue  des  voyageurs,  et  dont  le  débit  journalier  est  de  64,800 
litres. — A  l'OUED-ATMENIA,  oîi  était  le  caravansérail  de  Hammam- 
Grous,  74  kil.  de  Setif,  sont  les  restes  d'un  ancien  étaultsse.ment 
THERMAL  romaiu. 

En  remontant  de  Setif  à  Alger,  et  à  24  kil.  de  Setif,  caravansérail 
à'Aiîi-Zada,  sur  l'emplacement  de  ruines  au  milieu  desquelles  une 


40  LES    MONUMENTS   HISTORIQUES 

inscription  donne  le  nom  de  la  localité  Caput  Saltus,  en  l'année  213 
qui  est  la  cinquième  du  règne  de  Caracalla  : 


CAES.  M.AV 


....  CAPVT    SAL 
TVS    HORREORVM 


BORDJ-BOU-ARERIDJ,  à  67  kil.,  a  été  construit  par  les  Turcs  sur 
des  ruines  romaines.  On  visitera  à  4  kiL  S.-E.  de  Bordj,  les  ruines 
diEl-Anasser.  Des  médailles  mauritaniennes  y  ont  été  trouvées  près 
d'une  muraille  antique  dont  l'une  des  pierres  d'angle  porte  ces 
mots  :  DOMINE  vBANos  Bocv  REx.  Existait-il  à  El-Anasser  une  cité  nu- 
mide ou  mauritanienne  avant  et  peut-être  pendant  la  domination 
romaine?  —  BORDJ-MEDJANÂ,  k  12  kil.  N.-O.,  le  Castelliim-Media- 
niim  des  Romains.  —  Dans  la  même  direction,  à  39  kil.  à  Yoiied- 
Chertioua,  près  de  Zamoro,  KHERBET-GUIDRA,  l'ancienne  ville  épis- 
copale  de  Serteï,  dont  l'oued-Chertïoua  rappelle  presque  le  nom. 
Parmi  les  inscriptions  découvertes  dans  les  ruines  de  Serteï,  nous 
citerons  celle  qui  rapporte  son  nom  : 

...    PAG  ANICENSIS    SERIE.... 

et  les  deux  suivantes,  toujours  intéressantes  au  point  do  vue  de  la 
longévité  en  Afrique  : 

AEL.CRESCES  DM    SACR 

V.A.CXIV.  ZAIO  SATVR 

NINI   V.A.CII. 

Sur  la  roule  de  Setif  à  Bougie  p  ir  le  Chabet-el-Akhra  à  4  kil.  de 
Fermatou  et  9  de  Setif,  ruines  romaines  (\.' Aiii-el-Hadjar,  chez  les 
oulad-Ali-ben-Nasser.  —  A  33  kil.,  au  col  de  Ta-Kitount,  bordj  arabe 
sur  l'emplacement  d'une  station  romaine. 

Enfin  sur  la  route  de  Setif  à  Bougie,  par  les  Caravansérails,  à  37 
kil.  N.-O.,  Am-Roiia  près  des  ruines  considérables  de  l'ancien  centre 
Ah  Horrea  AniniceJisi ;  la  montagne  au  pied  de  laquelle  est  située 
Aïn-Roua  a  conservé  le  nom  de  djebel-Amni.  — A  07  kil.,  Cara- 


DE    l'aLUÉRIE  41 

vanséraildes  Gîiifser,  bâti  en  1833  avec  les  pierres  d'un  poste  romain. 
—  A  74  kil.,  chez  les  Isnagiien,  ruines  éparses. 

Le  littoral  de  la  province  de  Constantine,  du  cap.  Roux  à  l'E.,  au 
cap  Corbelin,  à  ]"0. 

Nous  n'avons  pas  à  discuter  l'utilité  incontestable  de  la  création 
d'une  voie  stratégique  et  commerciale  qui  existait  sur  le  littoral 
africain  aux  temps  de  Cartilage  et  de  Rome.  Pour  montrer  l'impor- 
tance de  cette  voie,  nous  parlerons  d'abord,  en  ce  qui  concerne  la 
province  de  Constantine,  des  villes  encore  debout  et  des  ruines  de 
villes  qui  la  jalonnaient. 

LA  GALLE,  la  Tiinilia  de  Peutinger?  L'affirmative  n'est  pas  encore 
résolue. 

L'itinéraire  d'Antonin  signale  deux  stations  entre  Tabraca,  Tabar- 
que,  à  l'E.  du  cap  Roux,  et  Hippo-Regius  :  Nalpotes  el  Ad-Dianam. 
Ce  dernier  point  est  le  cap  Rose;  un  temple  de  Diane  dont  quelques 
débris  subsistent  encore,  s'élevait  autrefois  sur  le  sommet  du  pro- 
montoire '. 

Al'O.  du  cap  Rose,  quand  on  a  passé  Yoiœd-Mafrag,  V Armoniacum 
de  Peutinger  ou  V Armua  de  Pline,  puis  la  Seïbome,  l'ancien  Uhi(s,  on 
est  en  face  du  mamelon  d'HIPPONE,  v.  p.  22.  Au  bas  de  ce  mamelon, 
on  voit  encore  sur  le  bord  de  la  Seïbouse,  et  à  lOOO  mètres  de  son 
embouchure,  des  fragments  de  maçonnerie,  des  éperons  déchaus- 
sés, restes  d'un  ancien  quai  de  débarquement.  Là  était  le  port  d'Hip- 
pone;  là,  en  l'an  707  de  Rome,  la  flotte  de  Métellus  Scipion,  partisan 
de  Pompée,  fut  détruite  par  celle  de  Publius  Sittius,  lieutenant  de 
César. 

D'Hippone  à  BONE,  v.  p.  22,  on  traverse  l'oued  Bou-Djema  sur  un 
pont  romain. 

De  Bône  au  cap  de  Garde,  est  le  cap  moins  important  des  Pigeons, 
Ras-el-Hamam,  le  Stoborron  de  Ptolémée.  Le  cap  de  Garde  se  ter- 
mine à  la  mer  par  une  véritable  montagne  de  marbre  blanc  veiné 
de  bleu,  presque  aussi  blanc  que  celui  de  Carrare.  Ce  marbre  a  servi 
à  tous  les  monuments  et  aux  constructions  d'Hippone. 

Après  le  cap  Toukouch,  Tacuata  des  Romains,  où  il  faut  placer 


'  Le  commerce  et  la  navigation  de  l'Algérie,  par  Élic  de  la  Primaudaie,  in-S". 
Paris.  Lahure.  1860. 


42  LES    MONUMENTS    mSTORIQUES 

Sulluco.Suhhicu  ou  Coliops  parvus,  yient  le  cap  de  Fer  où  commence 
le  graïul  enfoncement  s'étendant  jusqu'au  cap  Fil/îia,  appartenant 
au  golfe  de  Stora,  le  Sinus  NiimicUcus.  k  lextrémité  S,  de  la  plage, 
auprès  d'un  mamelon  jaunâtre,  on  voit  quelques  ruines.  A  l'extré- 
mité N.,  après  l'oued-Charef,  est  une  petite  baie,  le  Pariatanis  des 
itinéraires  anciens? 

Au-delà  du  cap  de  Fer,  PHILIPPEVILLE,  Rusicade,  et  STORA, 
V.  p.  8. 

COLLO,  àl'E.  du  cap  Bougiarone,le  Collops  magmis  de  Ptolémée^ 
le  Chullu  de  Peutinger,  le  Chulli  municipiiim  d'Antonin,  \q.  Minerva 
Chullit;  des  ruines  anciennes,  des  fragments  d'inscriptions  et  quel- 
ques médailles,  trouvés  dans  la  ville  ou  aux  environs,  ne  laissent 
aucun  doute  sur  l'origine  romaine  de  Collo. 

Est-ce  à  Mers-ez-Zitoun,  le  port  des  olives,  dans  une  petite  baie  à 
l'E.  du  cap  Bougiaroiie,  qu'il  faut  aller  chercher  Paccianœ-Matidiee 
d'Antonin  ? 

Près  de  l'oued-Kebir,  V Ampsaga  des  anciens,  ruines  de  Tiicca. 

DJÎDJELLI,  v.  p.  36. 

De  Djidjelli  à  Bougie,  dans  la  courbe  formée  entre  le  cap  Cavallo 
et  le  cap  Carbon,  on  arrive  devant  l'île  de  Mansouria  ;  en  face,  près 
de  l'oued  du  même  nom  s'élevait,  au  dire  du  géographe  Edrissi  un 
château-fort  qui  fut  d'abord  le  Sisar  de  Ptolémée. 

A  égale  distance  de  Djidjelli  et  de  Bougie,  43  kil.,  et  à  l'endroit 
dit  ZIAMA,  on  trouve  sur  un  petit  promontoire  élevé  de  10  à  13  m., 
au-dessus  de  l'embouchure  de  l'oued-Zermouna,  dos  ruines  romai- 
nes assez  remarquables.  Elles  consistent  principalement  en  une 
ENCEINTE  flanquée  de  demi-tourelles  et  encadrant  une  ville  qui  pour- 
rait avoir  une  superficie  de  16  hectares  ;  on  y  remarque  des  pierres 
de  taille,  des  colonnes  encore  debout,  des  chapiteaux  corinthiens  et 
les  débris  d'un  édifice  qui  sert  aujourd'hui  delable.  Au  nombre  des 
inscriptions  recueillies  à  Ziama  par  MM.  Berbrugger  et  Pelletier, 
celle-ci  donne  le  nom  du  municipe  romain,  Choba  : 

IMP.CAES.1..SEPTIMI0  SEVERO 

....  BALNAE  .... 

MVMCIPU  AELU  CHOBAE.P.P.EACrAE 

A.P.CLVn. 


DE  l'algérie  43 

L'an  de  la  province  157  correspond  à  l'an  197-198  de  J.-C. 

BOUGIE,  Bedjaïa,  une  des  emporise  de  Carthage,  appartenant 
ensuite  à  la  Numidie  deMassinissa,  devint  une  des  colonies  fondées 
par  Auguste  dès  la  première  annexion,  33  ans  avant  J.-C.  Le  nom 
romain  de  Bougie  était  Saldœ  ou  Colonia  Saldantiiim  d'après  l'ins- 
cription conservée  au  Musée  Algérien  du  Louvre. 

...  COL.  JVUA.  AVGVSTA  SALDANTIVM 

Saldœ  èiïiM  le  passage  de  Cirta,  Rusicade,  Sitifis,  Igi/giiiei  Rusuc- 
cunis.  Ruinée  par  les  Vandales,  elle  fut  relevée  par  l'Arabe  En-Nacer 
qui  lui  donna  son  nom  En-Nacei^ïa,  auquel  fut  bientôt  substitué 
celui  de  Bedjaïa,  Bougie. 

L'enceinte  de  Salda?  est  debout  et  reconnaissable  sur  un  grand 
nombre  de  points  ;  elle  ne  comptait  pas  plus  de  3,000  mètres  de 
développement.  Deux  positions  fortement  occupées  la  protégeaient  : 
ce  sont  les  forts  appelés  aujourd'hui  Moussa  et  Bridja.  Une  simple 
ligne  de  murailles  garantissait  le  mouillage  actuel  au  pied  de  la 
ville.  M.  L.  Féraud  croit  avoir  vu  dans  les  ruines  à  UE.  de  la  Kasba^ 
les  restes  d'un  môle  ou  d'une  jetée  appartenant  au  port  romain,  que 
la  mer,  en  se  retirant,  a  couvert  de  sable  '.  L'emplacement  de 
l'église  actuelle  présente  cette  circonstance  quon  a  trouvé  à  trois 
mètres  au-dessous  du  sol  les  fondations  d'une  mosquée  dite  Djama 
Sidi-el-Mohoub  encore  debout  en  1832,  et,  à  cinq  mètres  plus  bas 
les  assises  en  pierres  de  taille  d'un  temple  de  la  colonie,  comme  le 
constate  l'inscription  qu'on  y  a  découverte  et  dont  voici  la  partie 
principale  : 

STATVAS  équestres  .... 

E  lORO  AD  ORNANDVM  TEMPLVM 
TRANSLAVERVNT. . . . 

La  tradition  des  peuples  a  donc  perpétué  la  destination  rBligieuse 
de  cet  emplacement,  temple  (J'abord,  ensuite  mosquée,  aujourd'hui 
église. 

En  attendant  que  des  fouilles  dirigées  dans  un  but  purement 
archéologique  amènent  des  découvertes  d'une  certaine  importance, 

*  Histoire  de  Bougie,  par  M.  L.  Féraud,  in-8".  Constantine. 


44  LES   MONUMENTS    HISTORIQUES 

nous  signalerons  à  Saldee  les  citernes,  entre  le  fort  Barrai  et  la 
porte  du  grand  ravin  ;  les  bassins-citernes,  au-dessous  de  la  caserne 
de  Touati,  les  bassins  et  fontaines,  sur  la  route  du  fort  Abd-el- 
Kader  ;  le  cirque,  au-dessous  de  la  porte  du  grand  ravin  ;  des  piètres 
de  taille  et  des  colonnes  près  de  la  porte  de  Fouka.  Des  médailles 
et  des  inscriptions  se  rencontrent  de  temps  en  temps  dans  les  fouilles 
faites  pour  élever  de  nouvelles  constructions. 

Les  ruines  romaines  les  plus  remarquables  aux  environs  de  Bou- 
gie sont  à  Toudja,  Kseur  et  Tiklat. 

TOUDJA,  21  kil.  S.-O..  aqueduc  qui  suivait  d'une  manière  presque 
constante  le  tracé  de  la  route  actuelle  des  crêtes  et  déversait  ses  eaux 
au  camp  supérieur  de  Bougie  dans  une  citerne  carrée  de  15  met. 
85  cent,  sur  29  met.  60  cent,  et  15  met.  50  cent,  de  profondeur. 

KSEUU,  26  kil.  plus  au  S.,  camp  fortifié. 

TIKLAT,  2  kil.  de  Kseui%  ruines  considérables  de  Ttibusuptus, 
parmi  lesquelles  Fenceinte,  des  pans  de  murs,  des  arcades,  des 
cippes^  des  pierres  tumulaires^  des  colonnes  milliaires,  des  souter- 
rains, de  nombreuses  inscriptions  ;  les  citernes  s'y  rencontrent  à 
cliaque  pas  et  plusieurs  sont  importantes.  La  citerne  qui  se  trouve 
à  un  kil.  de  Tiklat,  sur  le  revers  d'une  éminence^  dominant  la  rive 
gauche  de  l'oued-Soummam,  est  divisée  en  quinze  compartiments 
de  chacun  4  met.  20  cent,  de  largeur  sur  35  met.  50  de  longueur 
et  6  met.  de  profondeur,  du  fond  à  la  naissance  des  voûtes. 

Mo7iuments  arabes  de  la  province  de  Constantine.  Des  palais  et  des 
mosquées  élevés  à  Constantine  par  les  émirs  arabes  et  leurs  suc- 
cesseurs, et  à  Bougie  par  Mousa-en-Nacer,  le  Ziride,  de  ces  monu- 
ments qui  devaient  rappeler  ceux  de  Bagdad  et  du  Kaire,  il  ne  reste 
pas  les  moindres  vestiges.  Djama-kebir,  la  grande  mosquée  de  Cons- 
tantine, postérieure  au  YP  siècle  de  ITIégire,  comme  l'atteste  une 
épitaphe  arabe  gravée  grossièrement  sur  une  partie  du  soubasse- 
ment de  la  galerie  occidentale,  offre  cette  particularité  qu'elle  a  été 
construite  sur  les  ruines  d'un  temple  païen  ;  sa  toiture  est,  en  effet, 
soutenue  par  des  colonnes  dont  quelques-unes  occupent  leur  posi- 
tion primitive.  Tout  est  bizarre  dans  l'architecture  de  cette  mosquée 
où  nous  avons  vu  dos  colonnes  naïvement  entourées  de  cordes  et 
recouvertes  d'un  crépi  de  mortier  blanchi  à  la  chaux,  pour  qu'elles 
pussent  avoir  le  diamètre  voulu. 


DE    l'aLGÉRIE  4o 

La  fondation  des  autres  mosquées  est  due  aux  Turcs  ;  mais  leurs 
marbres  fouillés  et  sculptés  par  des  esclaves  européens,  leurs  faïen- 
ces venant  d'Italie,  leurs  lustres  en  verroterie  forment  un  composé 
hybride  dans  lequel  l'art  arabe  n'a  rien  à  voir. 

La  Mosquée  de  Souk-er-Rezel,  qui  date  de  1143  de  l'Hég.  (1730  de 
J.-C),  a  quelques-uns  de  ses  arceaux  soutenus  par  des  colonnes  en 
granit,  hautes  de  4  met.,  provenant  des  ruines  romaines  de  Tattubt, 
port  militaire  à  14  lieues  S. 

Le  MINARET  de  la  mosquée  de  Sidi-el-Akhrdar,  1156  de  THég. 
(1743  de  J.-C),  haut  de  2o  met.,  est  octogone,  terminé  par  un  bal- 
con en  renflement,  recouvert  d'un  auvent  ;  c'est  un  des  plus  gra- 
cieux spécimens  des  min^irets  dont  le  type  se  retrouve  à  Tunis  et  en 
Perse. 

On  pouvait  voir,  il  y  a  une  quinzaine  d'années,  à  Koudiat-Ati,  sur 
le  futur  emplacement  du  square  Valée,  un  minaret  semblable  à  celui 
de  Sidi-el-Akhrdar  ;  c'était  le  minaret  de  la  mosquée  de  Bou-Koçeïa 
démolie  par  le  bey  Ahmed  pour  ne  pas  entraver  la  défense  de  Cons- 
tantine.  C'est  au  pied  de  ce  minaret  que  les  Français  établirent  leur 
batterie  de  brèche,  en  1837.  Ce  petit  monument,  convenablement 
restauré,  n'eût  pas  déparé  le  square,  et  une  plaque  en  bronze  ou 
en  marbre,  scellée  sur  l'une  de  ses  parois  eût  rappelé  les  noms  glo- 
rieux des  Vieux,  des  Hacket,  des  Serigny,  des  Leblanc  et  de  leurs 
frères  d'armes  dont  les  restes  reposent  à  la  kasba. 

C'est  au  S.  de  Constantine,  à  quelques  lieues  de  Biskra,  au  milieu 
des  palmiers  de  Sidi-Okba  qu'il  faut  chercher  le  plus  ancien  monu- 
ment de  l'Islamisme  en  Algérie.  La  mosquée  est  entourée  d'un  por- 
tique bien  endommagé  aujourd'hui,  et  sa  toiture  en  terrasse  est 
soutenue  par  vingt-six  colonnes  trapues  aux  chapiteaux  diversement 
sculptés,  assez  semblables  à  celles  des  églises  romanes.  Le  tombeau 
de  Sidi-Okba  est  situé  dans  une  koubba,  chapelle  à  coupole,  à  droite 
dumihrab;  le  tabout  ou  châsse  qui  recouvre  l'émir,  est  des  plus 
modestes  ;  il  a  remplacé  l'œuvre  d'art  remarquable  dont  parle  le 
pèlerin  marokain  El-Aïachi  ^  Sur  un  des  piliers  de  la  koubba  on 
lit: 

'  Voyages  dans  le  Sud  de  V Algérie,  traduits  de  l'arabe  par  A.  Berbrugger, 
1  vol.  in-4°.  Paris,  Victor  Masson,  1813. 


46  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

IIADA  KOBR  OKBA  BEN  NAFI  RHAMAT  ALLAH. 

«  Ceci  est  le  tombeau  d'Okba  fils  de  Nafî,  que  Dieu  lui  soit  miséricordieux.  » 

Nous  avons  copié  ou  dessiné  cette  inscription  en  caractères  koufl- 
ques  du  premier  siècle  de  l'Hégire;  elle  mesure  1  met.  28  cent,  sur 
0,19  centim.  ;  les  lettres  ont  0,13  centim.  de  hauteur. 

Okba-ben-Nafl,  émir  de  l'ifrikia,  pour  les  khalifes,  une  première 
fois  en  50  de  l'Hég-.  (670  de  J.-C),  et  une  seconde  fois  en  62  de 
l'Hég.  (681-82  de  J.-C),  après  avoir  conquis  et  ravagé  l'Afrique  de 
Tunis  à  Tanger,  vint,  à  son  tour,  périr  misérablement  aux  environs 
de  Tehouda  dans  le  Zab-Chergui.«  Arrivé  aux  environs  de  Tehouda, 
Okba  se  vit  attaquer  à  1  improviste  par  les  Berbères  que  comman- 
dait Koceila....  Ses  troupes  mirent  pied  à  (erre,  dégainèrent  leurs 
épées  et  en  brisèrent  les  fourreaux,  dont  ils  sentaient  bien  qu'ils 
n'auraient  plus  besoin....  Okba  succomba  avec  tous  les  siens.  Ils 
étaient  environs  trois  cents  individus,  les  uns  anciens  compagnons 
de  Mohammed,  les  autres  disciples  de  ceux-ci.  Tous  trouvèrent  le 
martyre  sur  le  même  champ  de  carnage....  Le  corps  d'Okba  re- 
pose dans  une  tombe  enduite  de  plâtre  sur  laquelle  on  a  érigé  une 
mosquée...  '.  » 

Loris  PIESSE. 
[La  fin  au  procham.  mwm'o.) 

'  Histoire  des  Berbères,  par  Ibn-Khaldoun,  traduite  i  ar  M.  de  Slane.  V.  notes 
du  l*''  vol. 


ESSAT  SUR  LES  AUTELS 


L'autel  est,  sans  contredit,  la  partie  la  plus  importante  de  toute 
église,  que  cette  église  soit  une  modeste  église  de  campagne,  ou 
qu'elle  s'appelle  une  cathédrale.  Car  l'autel,  en  voyant  chaque  jour 
se  renouveler  sur  sa  table  le  plus  grand  de  nos  mystères,  devient 
ainsi  comme  le  résumé  et  l'abrégé  de  toute  la  religion  catholique. 
Il  serait  même  vrai  de  dire  jusqu'à  un  certain  point  que  l'église  n'a 
sa  raison  d'être  que  dans  l'existence  de  l'autel,  qu'elle  est  construite 
pour  lui,  afin  de  l'abriter  et  d'abriter  les  milliers  de  fidèles  qui  se 
presseront  autour  de  lui  comme  autour  du  centre  de  leurs  croyances 
et  de  leur  foi. 

Aussi  est-il  intéressant  à  plus  d'un  point  de  vue  d'étudier  l'au- 
tel avec  quelque  développement,  de  l'étudier  depuis  son  origine  jus- 
qu'à nos  jours,  de  l'étudier  dans  toutes  ses  parties,  sous  ses  formes 
diverses,  dans  son  ornementation.  Cette  étude  a,  de  plus,  l'avantage 
de  diriger  et  de  fixer  l'esthétique  sur  une  des  questions  les  plus  ca- 
pitales de  l'archéologie  religieuse. 


I 


L'autel  catholique  a  de  tout  temps  été  une  table,  portée  par  plu- 
sieurs colonnes  ou  par  plusieurs  petits  piliers,  ou  bien  encore  repo- 
sant sur  une  base  pleine,  au  moins  extérieurement,  en  pierre,  en 
métal  ou  en  bois. 

L'origine  de  ces  deux  formes  est  d'ailleurs  facile  à  découvrir  et 
des  plus  respectables.  D'abord,  ce  fut  sur  une  table,  la  même  qui  lui 
avait  servi  pour  manger  l'agneau  pascal  avec  ses  apôtres,  que  Notre- 
Seigneur  institua  la  sainte  Eucharistie.  Ensuite ,  dans  les  catacombes, 


48  ESSAI    SUR   LES    AUTELS 

le  saint  Sacrifice  était  souvent  offert  sur  le  tombeau  des  martyrs. 
D'après  certains  auteurs,  f  autel,  dans  la  langue  latine,  aurait  eu, 
suivant  les  difTérents  siècles,  des  noms  divers  :  pendant  les  trois 
premiers  siècles  on  aurait  employé  surtout  le  mot  altare,  pour  se  ser- 
vir plus  tard  du  vaoimensa  avec  un  qualificatif,  mensa  divhia,  regia, 
spintiialis,  mystica,  tremenda,  etc.  Mais  il  semble,  en  y  réfléchis- 
sant, que  ces  dernières  appellations  doivent  être  plutôt  prises  pour 
des  périphrases  pieuses  ou  oratoires,  qui  furent  usitées  à  toutes  les 
époques.  Le  mot  technique  aurait  toujours  été  altare  ',  ou  quelque- 
fois ara.  Cependant,  dès  le  commencement  du  YIP  siècle,  ce  mot 
ara  fut  choisi  de  préférence  pour  désigner  la  petite  table  de  pierre 
que  l'on  plaçait,  comme  nous  le  faisons  encore  aujourd'hui,  au  mi- 
lieu de  l'autel,  quand  l'autel  tout  entier  n'était  pas  consacré  :  témoin 
ce  texte  très  précis  d'un  Concile  d'Espagne  :  «  Quod  qiiando  sacerdos 

celebraturiis  est  Missam,  videat  an  in  altari  sit  ara  sacrata et  si 

ara  tabulée  iiiserta  sit,  an  forte  tabula  sursicm  et  ara  deorsum  versa 
sit,  lit  ita  reperiat,  vertat.  ad  Missam  rite  faciendam  ^  » 

II 

ÉPOQUE    DES    CATACOMBES    ET    DES    BASILIQUES    LATINES. 

I.  Les  autels  des  Catacombes  avaient  deux  formes  plus  spéciales, 
selon  qu'ils  étaient  placés  dans  les  cubicida  ou  dans  les  églises  pro- 
prement dites. 

Dans  les  cubicida,  ils  consistaient  simplement  on  une  table  de 
pierre  ou  de  marbre  posée  sur  le  locuhis  d'un  martyr  :  aussi  les  dési- 
gnait-on souvent  par  ces  mots  significatifs  :  confessio,  niartyriiim, 
titiilus.  Ce  locuhis,  précisément  à  cause  de  cela,  n'était  pas  comme  les 
loculi  des  simples  fidèles,  ouvert  sur  le  devant,  mais  bien  sur  le  des- 
sus ;  et  parce  que  la  tranchée  qui  devait  nécessairement  le  surmonter 
pour  rendre  cette  disposition  praticable  était  creusée  en  forme  d'arc, 

^  S.  Isidore  de  Séville  {Etymologiarium,  lib.  XV,  cap.  IV,  n»  li)  donne  du 
mot  altare  l'étyraologie  suivante  :  Altare  autem  ab  altitudine  constat  esse 
nominatum,  quasi  alta  ara. 

^  Coliect.  Concil,  Hispan.  Tom.  IV  des  Œuvres  de  S.  Isidore  de  Séville,  édit. 
de  Migne. 


ESSAI    SUR    LES   AUTELS  49 

il  prenait  le  nom  d'arcosoliii?n  (arciis,  arc,   et  solium,  tombeau)  '. 

Mais  ces  dispositions  ne  pouvaient  exister  dans  les  églises  pro- 
prement dites.  L'abside  de  ces  églises,  en  effet,  était  presque  toujours 
occupée  par  la  chaire  [cathedra]  de  l'évêque,  qui  ne  laissait  pas  de 
place  pour  l'autel.  Alors  il  était  reculé  jusqu'en  avant  du  presbyte- 
rium.  Ainsi  complètement  isolé,  il  était  composé  d'une  table  à  peu 
près  carrée  portée  par  des  colonnettes  ou  de  petits  piliers,  qui  eux- 
mêmes  reposaient  sur  le  sol  ".  Ces  premiers  autels  ne  furent  proba- 
blement, en  général,  que  de  simples  tables  en  bois,  comme  celle 
sur  laquelle  Notre-Seigneur  institua  la  sainte  Eucharistie  '\  La  basi- 
lique de  Saint-Jean  de  Latran  possède  encore  un  autel  en  bois,  qui 
a  servi  au  Prince  des  apôtres  :  on  voit  aussi  à  l'église  de  Saintc-Pu- 
dentienne,  à  Rome,  des  fragments  d'un  autre  autel,  ayant  également 
servi  à  saint  Pierre. 

Est-il  besoin  d'ajouter  que,  tant  que  durèrent  les  persécutions,  on 
pensa  peu  à  orner  les  autels  :  on  se  contenta  le  plus  souvent  de  les 
entourer  de  petites  lampes  en  cuivre  ou  en  argile,  et  de  couvrir  de 
peintures  les  murs  qui  les  avoisinaient. 

II.  Les  autels  des  basiliques  constantiniennes  et,  dans  la  suite, 
des  basiliques  latines,  rappelèrent  les  formes  de  ceux  des  Catacom- 
bes. Les  uns  se  composèrent  d'une  table  portée  sur  des  colonnes  ou 
des  piliers;  les  autres,  d'une  table  reposant  sur  un  massif  plein,  ou 
encore  sur  quatre  plaques  ou  tablettes  offrant,  par  leur  assemblage, 
la  forme  d'un  coffre  ou  d'un  tombeau  \  Quelques  autres  étaient  for- 
més de  trois  tables  :  l'une  horizontale  et  plus  grande,  reposait  par 
ses  deux  extrémités  sur  deux  autres  plus  petites  posées  verticale- 
ment °.  S.  Grégoire  de  Tours  désigne  ces  sortes  d'autels  sous  le  nom 
d'«/'c«^ 

'  Pour  plus  (le  détails,  voir  le  chapitre  des  Catacombes,  dans  notre  Cours  élé- 
mentaire d'Archéologie  religieuse.  (Chez  Poussielgue,  rue  Cassette,  15.) 

^  l'ellic.  Polit,  ccclcs.,  t.  I,  y.  180.  —  Ex.  :  autel  de  la  crypte  des  Papes  au 
cimetière  de  Saint-Calixte. 

3  Cette  table  est  précieusement  conservée  dans  la  basilique  de  Saint-Jean-de- 
Latran. 

*  Ex.  :  autel  de  Saint-Vital  dans  l'église  de  Saint-Étienne,  à  Bologne. 

^  Mabillon,  Act.  SS.  ordin  S.  Benedict.  ssec.  IV. 

^  Hist.  Franc,  lib.  IX.  cap.  15.  —  Ex.  :  autel  de  Saint-Vital,  à  Ravennet  cet 
autel  serait  du  VIo  siècle. 

Ile  série,  tome  XI.  4 


oO  KSSA[    SUR    LKS    AUTELS 

Mais,  clans  tous  ces  cas,  Taiitel  devait  être  placé  sur  les  reliques 
d'un  martyr  ;  c'était  la  prescription  formelle  du  pape  S.  Félix,  que 
nous  a  transmise  Anastase  le  bibliothécaire  :  ((  Hic  constituit swpra 
sepulcrum  martyrum  Missas  celebrari.  »  Lorsque  la  table  ne  recou- 
vrait pas  le  tombeau  mémo  du  martyre,  l'autel  tout  entier,  c'est-à- 
dire  l'autel  avec  sa  base,  était  placé  au-dessus  de  la  crypte  (ou  con- 
fessio7Ï)  qui  renfermait  lo  tombeau,  ainsi  du  reste  que  l'usage  s'en 
est  conservé  jusqu'à  nos  jours  '.  S'il  n'existait  pas  de  tombeau  de 
martyr,  on  incrustait  dans  la  grande  table  de  l'autel,  comme  le 
prescrit  le  Concile  d'Espagne  cité  plus  haut,  une  table  beaucoup 
plus  petite,  ara,  qui,  elle,  contenait  des  reliques. 

Quand  la  table  était  portée  par  des  colonnes,  ces  colonnes  étaient 
tantôt  au  nombre  de  deux,  tantôt  au  nombre  de  quatre.  Parfois  il 
n'y  en  avait  qu'une  seule,  placée  au  milieu;  elle  s'appelait  c«/«/?2i<5, 
ou  cohnnelle  ~.  On  a  trouvé  aussi  quelques  tables  reposant  sur  cinq 
colonnes,  une  à  chacun  des  angles  et  la  cinquième  au  milieu.  Celle- 
ci  recevait  dans  une  petite  cavité,,  pratiquée  à  son  sommet,  les  reli- 
ques que  nous  disions  tout  à  l'heure  être  obligatoires  pour  tout 
autel  '\ 

Les  tables  des  autels  des  basiliques,  ainsi  que  celles  des  catacom- 
bes, étaient  ordinairement  carrées,  peut-être,  fait  remarquer  le  sa- 
vant abbé  Martigny  %  en  souvenir  des  usages  juifs  %  que  les  pre- 
miers chrétiens  aimaient  à  conserver  lorsqu'ils  n'étaient  pas  con- 
damnés. Leur  surface  supérieure,  probablement  pour  recevoir  plus 
commodément  les  offrandes  des  fidèles,  n'était  pas  entièrement 
plane  :  elle  était  creusée  de  quelques  centimètres,  de  manière  à  pré- 
senter la  forme  d'un  large  plateau  à  rebords  ". 


^  Ex.  :  autel  majeur  de  la  basilique  de  Saint-Pierre  an  Vatican,  de  l'église  de 
Sainte-Cécile,  à  Rome,  etc. 

'-'  Ex.  :  autel  dans  la  crypte  de  l'église  de  Sainte-Cécile,  à  Rome;  autel  d'Au- 
riol,  près  de  Marseille. 

■'  Ex.  :  autel  trouvé  à  Avignon,  il  y  a  quelques  années  ;  autel  dans  la  crypte  de 
l'église  de  Sainte-Marthe,  à  Tarascon  ;  autel  de  l'ancienne  abbaye  de  Saint- 
Victor,  actuellenient  au  musée  de  Marseille. 

*  Dict.  des  Antiquités  chrétiennes,  ai't.  Autel. 

^Exod.,  XXVII,  I;  XXXVIII,  2. 

•^  Ex.  :  autel  d'Auriol  ;  autel  trouvé  récemment  près  Baccano,  en  Italie. 


KSSAI    SUR    LES    AUTELS  31 

Au  V«  siècle,  on  commença  à  élever  les  autels  d'une  marche  au- 
dessus  du  sol  ;  et  ce  degré  en  faisait  le  tour. 

Dès  le  temps  de  Constantin,  on  construisit  certainement  des  au- 
tels aussi  bien  en  pierre  qu'en  bois  et  en  métal.  Toutefois  ce  ne  fut 
qu'en  309,  au  Concile  d'Epone,  que  l'Église  prohiba  toute  autre  ma- 
tière que  la  pierre:  «.  Altaria  nisi  lapidea.  non  sacrentur\  »  (Can. 
xxm).  Et  cette  prohibition  fut,  dans  la  suite,  renouvelée  plusieurs 
fois  par  d'autres  décrets.  Nous  la  retrouvons  en  particulier  consta- 
tée, en  769,  dans  les  capitulaires  de  Charlemagne  :  «  Vetantur  sa- 
cerdotes  missas  celelrrare,  nisi  in  mensis  lapideis.  »  (Cap.  xivj.Mais, 
comme  du  reste  on  ne  l'a  peut-être  pas  assez  remarqué  et  comme  le 
donne  à  entendre  ce  texte  des  capitulaires,  la  table,  seule,  dut  être 
en  pierre.  En  effet,  le  Libe?'  pontificalis  ^  nous  apprend  qu'un  pape 
lui-même,  Adrien  I,  offrit,  à  la  fm  du  YIIP  siècle,  aux  basiliques  de 
Saint-Pierre  et  de  Saint-Paul  des  autels  en  métaux  précieux.  La  par- 
tie massive  sur  laquelle  la  table  reposait  pouvait  donc  être  en  métal 
ou  bien  en  maçonnerie  ou  en  bois,  et  revêtue  ensuite  de  lames  d'or 
et  d'argent  ciselées,  pourvu  que  la  table  fût  en  pierre  '\  D'ailleurs 
cette  loi  du  Concile  d'Epone  est  encore  maintenant  en  vigueur  :  s'il 
n'est  pas  défendu  de  faire  des  autels  en  quelque  matière  que  ce 
soit,  il  est  absolument  prescrit  qu'au  moins  la  partie  sur  laquelle 
devront  immédiatement  reposer  la  sainte  hostie  et  le  calice,  soit 
en  pierre. 

On  dut  naturellement  songer,  les  persécutions  terminées,  à  orner 
l'autel  qui,  d'ailleurs,  était  entouré  de  tant  de  vénération.  Quand 
nous  disons  orner,  nous  ne  voulons  pas  dire  qu'on  plaça  sur  l'autel 
des  objets  d'art  et  de  luxe,  tels  que  reliquaires,  chandeliers,  candé- 
labres, etc.  Cette  table  ne  portait  absolument  que  les  vases  sacrés 
et  le  livre  des  Évangiles  qui,  contenant  la  parole  de  Dieu,  était,  seul, 
jugé  digne  d'être  placé  à  côté  delà  sainte  Eucharistie.  Pourtant,  à 
dater  du  X'  siècle,  on  y  vit  quelquefois  des  croix.    Il  faut  aussi,  du 

'  S.  Siniéon  de  Tliessalonique  donne  à  ce  décret  une  raison  mystique  :  «  E  la- 
pide autem  est  altare,  quia  Cliristum  refert,  qui  etiani  petra  noniinatui',  tanquam 
fundanientum  nostrum  et  caput  auguli  et  lapis  angularis,  et  quia  petra^  quœ  olim 
Israelena  potavit,  hujus  mensse  imago  fuit.  « 

^  In  Adrian.,  1. 

^  Ex.  :  autel  dans  l'église  de  Saint-Ambroise,  à  Milan. 


52  ESSAI    SUR    LKS    AUTELS 

reste,  aller  chercher  la  raison  de  cette  ahscnce  de  tout  ornement 
dans  la  manière  dont  le  prêtre  se  tenait  à  l'autel  :  au  lieu  d'officier, 
comme  maintenant,  sur  la  face  de  l'autel  regardant  le  peuple, il  cé- 
lébrait de  l'autre  côté,  do  façon  à  avoir  la  figure  tournée  vers  les  as- 
sistants. 

D'après  le  témoignage  des  Pères  des  premiers  siècles  ',  cette  dé- 
coration consista  surtout  en  ornements  d'or  et  d'argent,  en  pierre- 
ries, en  émaux  incrustés  dans  la  pierre  ou  le  métal,  et  aussi  en  riches 
tapisseries  étendues  sur  l'autel  au  moment  des  saints  mystères. 
M.  l'abbé  Martigny  ^  voit  dans  ces  tapisseries  l'origine  ^^^  parements 
en  étoffe,  dont  on  orna  dans  la  suite  le  devant  et  le  retable  des  au- 
tels. S.  Optât  de  Milève,  qui  vivait  au  IV''  siècle,  dit  qu'on  recouvrait 
aussi  les  autels  de  linges  de  lin  :  «  Qui  fidelium  nescit  in  peragendis 
mysteriis  ipsa  ligna  linteamine  cooperiri  ■'.  »  Le  Concile  d'Espagne, 
que  nous  citions  plus  haut,  constate  le  même  usage  au  YIIP  siècle  : 
«  Quod  quando  sacerdos  celebratnrus  est  Miss aîn,  videat...  an  adsint 
tria  tobalia  linea  per  Missale  prescripta  \  » 

Les  fleurs  naturelles  auraient  été  également  employées  dès  les 
temps  les  plus  reculés.  Le  diacre  Fortunat  rapporte  qu'on  en  faisait 
des  guirlandes  et  des  couronnes  pour  les  suspendre  autour  de  l'au- 
tel ■'  ;  saint  Jérôme  ^  et  saint  Grégoire  '  félicitent  leurs  disciples  de 
leur  zèle  à  décorer  de  fleurs  les  murs  avoisinant  l'autel.  Toutefois, 
ainsi  que  paraissent  l'indiquer  tous  ces  auteurs,  jamais  elles  n'au- 
raient été  déposées  sur  l'autel  lui-même^  soit  en  couronnes,  soit  en 
bouquets. 


'  Tliéodoret,  Hisl.  eccles.,  lib.  I,  cap.  31;  S.  Jérôme,  Ad  Démet,  opp,,  t.  I; 
S,  Jean  Chrysostome,  Hom.  X,  in  Matlh. 

^  Diction,  des  Antiquités  chrétiennes, 

•'  Lib.  V  advers.  Parm. 

'*  CoUect.  Concil.  Hispan. 

*  .  Texistis  variis  altaria  festa  coronis 

Pingitur  ut  filis  floribus  ara  novis. 

(Carm.  'J  ad  Radegund,  lib.  VlII.) 

•^  «  Basilicas,  ecclesias  et  rnartyrura  conciliabula  diversis  floribus  et  arborum 
corais,  vitunique  painpinis  adumbrabat.  »  {Epist  ad  Ileliod.  de  obit  .Ne}).) 

■'  «  Solitus  erat  flores  liliorum,  tempoie  quo  nascuntur,  colligere  ac  per  parie- 
tes  hujus  œdis  appendere.  »  {De  glor.  confess.,  cap.  XXX.) 


ESSAI    SUR   LES    AUTELS  33 

Mais  rornement  caractéristique  de  l'autel  principal  des  basiliques 
était  le  ciboriiim  '. 

On  appelle  Ciborium  une  espèce  de  baldaquin  porté  sur  quatre 
colonnes,  plus  ou  moins  précieuses,  reposant  sur  le  sol.  Entre  ces 
colonnes,  afin  d'inspirer  aux  fidèles  plus  de  vénération  pour 
les  saints  mystères,  on  adaptait  des  rideaux  ou  courtines  d'é- 
toffes ordinairement  très  riches,  que  Ton  tenait  fermés  à  certains 
moments  du  saint  sacrifice.  Ces  courtines,  au  nombre  de  quatre, 
s'appelaient  pour  cela  tetravela  (t^ît?-*,  quatre,  et  vélum,  voile.) 
Anastase  le  bibliothécaire,  dans  maints  endroits  de  ses  ouvrages  si 
utiles  à  consulter  pour  tous  les  usages  liturgiques  de  la  primitive 
Église,  mentionne  bon  nombre  de  ciboria  et  de  courtines,  donnés 
par  les  Papes  à  diverses  églises  de  Rome.  C'est  ainsi  qu'il  dit,  par 
exemple,  en  parlant  de  S.  Grégoire-le-Grand  :  Eic  fecit  beato  Pe- 
tro  apostolo  ciborium  cum  columnis  suis  quatuor.  Il  écrit  dans  un 
autre  endroit  :  Ciborium  ex  arrjento  et  vêla  serica  circumquaque 
pendentia,  pannos  optimos  quatuor  in  ciborio  dédit.  —  Ne  pour- 
rait-on pas  voir  encore  dans  ces  rideaux  entourant  l'autel  un  usage 
emprunté  aux  Juifs,  dont  le  Saint  des  Saints  était  séparé  des  autres 
parties  du  temple  par  un  immense  voile. 

Quelquefois  sous  ce  ciborium  principal,  on  élevait  un  ciborium 
plus  petit,  dont  les  colonneltes  s'appuyaient  sur  les  quatre  angles 
de  la  table  même  de  l'autel.  Celui-ci  prenait  le  nom  de  peristerium 
de  (  TTsptGtc'piov,  colombaire  ,  parce  qu'il  abritait  directement  la  co- 
lombe eucharistique,  TTipiirspa,  colombe. 

Avant  de  terminer  ce  paragraphe,  il  faut  encore  mentionner  une 
autre  sorte  d'autels,  plus  petits,  qui  furent  très  employés  pendant 
longtemps  et  qui  servirent  spécialement  aux  jours  de  la  persé- 
cution, pour  célébrer  le  saint  sacrifice,  soit  dans  les  maisons  parti- 
culières, soit  dans  les  prisons,  soit  même  dans  les  solitudes  les  plus 
reculées. 


'  On  peut  donner  à  ce  mot,  il  faut  l'avouer  assez  bizarre,  une  double  étymolo- 
gie  :  ou  bien  il  serait  dérivé  du  latin  cxbii^,  nourriture,  parce  qu'il  abritait  la 
colombe  eucharistique  qui  contenait  le  pain  des  anges,  cihum  aiujelorum,  ou 
beaucoup  plus  vraisemblablement  du  grec  /.îÇwp'.ov,  coupe,  parce  qu'il  avait  la 
forme  d'une  coupe  renversée. 


34  ESSAI    SUR   LES    AUTELS 

Comme  ils  pouvaient  se  transporter  facilement  d'un  lieu  à  un 
autre,  par  opposition  à  ceux  dont  nous  venons  de  nous  occuper  qui 
se  nommaient  auiels  fixes,  on  les  appela  autels  portatifs,  altaria  cje- 
statoria,  portatilia,  viatica,  itinerarm.  Ces  deux  dernières  appella- 
tions indiquent  même  qu'on  s'eu  servait  en  voyage.  Et  de  fait,  on 
sait  que  Charlemag-ne,  dans  la  guerre  qu'il  fit  aux  Saxons,  emmena 
avec  lui  des  chapelains,  «  qui,  dit  un  historien  de  celte  campagne, 
avaient  une  table  de  bois,  laquelle  recouverte  d'un  linge,  servait 
d'autel;  qmbiis  lignea  tabula  erat,  quae,  linteo  adoperta,  modum  al- 
taris  e/f'erebat. 

Ces  autels  consistaient  en  une  simple  plaque  de  pierre,  de  métal 
ou  de  bois,  ayant  en  tous  sens  0,30  c.  environ.  A  cause  de  sa  des- 
tination, elle  était  munie  d'une  poignée  en  fer  qui  aidait  à  la  trans- 
porter plus  commodément.  Quelques-unes  étaient  aussi  entourées 
d'une  bordure  d'or  ou  d'argent,  quelquefois  richement  ciselée,  par- 
fois même  rehaussée  d'émaux  ou  de  pierres  précieuses,  Yoici  la 
description  que  fait  Du  Cange  d'un  de  ces  autels  portatifs  :  «  Quale 
etiammim  in  thesauro  ecclesiœ  S.  S.  Trin.  Fiscaiim.  asservatur, 
marmoreuni  uno  pede  latum  et  longurti^  auro  argento,  cjemmisque 
distinctwn  '. 

Ilf. 

ÉPOQUE    ROMANE. 

Commençons  par  constater  que  l'autel  proprement  dit,  aussi  bien 
durant  la  période  romane  que  pendant  les  époques  qui  suivront, 
conservera  toujours  indifféremment  les  deux  formes  générales  que 
nous  avons  indiquées  pour  les  autels  des  catacombes  et  des  basi- 
liques. 

Une  autre  remarque  très  importante  à  faire  aussi  dès  le  début, 
parce  qu'elle  nous  évitera  des  redites,  c'est  que  l'ornementation, 
nous  dirons  architecturale,  des  autels  varia  suivant  les  différents 
styles  et  adopta  leurs  formes  caractéristiqu(!S  :  par  exemple,  les 
arcatures,quo  nous  renoonfrorons  sur  le  devant  des  autels  de  la  pé- 

*  Glossaire. 


ESSAI    SUR   LES   AUTELS  S5 

riode  romane  seront  en  plein-cintre,  tandis  que  celles  des  autels 
appartenant  à  l'époque  ogivale,  seront  en  ogive,  et  même  en  ogives 
de  formes  différentes  selon  les  divers  styles  de  cette  époque  ;  l'or- 
nementation végétale  de  ces  derniers  sera  indigène,  pendant  que 
celle  des  premiers  sera  exotique  ;  les  bases  des  colonnettes  suivront 
le  galbe  des  grosses  colonnes  portant  l'édifice,  qu'il  soit  roman  ou 
ogival. 

Ces  deux  remarques  faites,  tâchons  de  bien  caractériser  les  autels 
des  deux  grandes  périodes  qui  se  partagent  le  Moyen-Age.  Il  faut 
d'abord  observer  qu'il  est  très  difficile  de  donner  une  notion  exacte 
de  nos  autels  français  avant  le  XV  ou  le  XII'  siècle,  attendu  qu'il 
en  reste  très  peu  d'entiers,  ayant  quelque  importance,  antérieurs  à 
cette  époque.  Seuls,  les  manuscrits  et  les  bas-reliefs  peuvent  nous 
fournir  quelques  renseignements  ;  renseignements  qui  par  là-même 
doivent  être  nécessairement  fort  incomplets  '.  Disons  seulement 
qu'ils  furent  d'une  extrême  simplicité  jusque  dans  leur  ornemen- 
tation, qui  ne  consistait,  la  plupart  du  temps,  qu'en  moulures  gros- 
sières comme  toutes  celles  de  l'époque  romane  primordiale. 
M.  Yiollet-le-Ûuc  enseigne  «  qu'ils  ne  se  composaient  que  d'une 
table  supportée  par  des  colonnes  et  recouverte  de  nappes  tombant 
sur  les  deux  côtés  jusqu'au  sol  ".  »  Il  pense  aussi  que  jusqu'au 
XIl^  siècle,  les  tables  continuèrent  fréquemment  à  être  creusées 
en  forme  de  plateau  ;  et  il  cite  comme  exemples  la  table  en  marbre 
que  S.  Rémi,  archevêque  de  Lyon,  au  IX'  siècle,  donna  à  l'église  de 
Saint-Etienne  ;  la  table  d'un  autel  du  mo::astère  de  Mont-Olivet,  au 
diocèse  de  Carcassonne  ;  la  grande  table  du  maitre-autel  de  Saint- 
Servin  de  Toulouse,  appartenant  au  commencement  du  XII'  siècle. 
La  première  de  ces  tables,  ainsi  que  beaucoup  d'autres  de  ces 
époques,  étaient  même  percées  d'un  trou  au  quatre  coins,  afin, 
croit  encore  M.  Yiollet-le-Duc,  «  de  pouvoir  être  lavées  sans  crainte 
de  répandre  à  terre  l'eau  qui  pouvait  entraîner  des  parcelles  des 
saintes  espèces  \  » 

'  Voir,  en  [latticulier,  un  fac-similé  d'une  rainiuture  très-curieuse  d'un  manus- 
crit du  IXe  siècle,  dans  la  Vie  religieuse  et  mililairc  au  Moiien-Age,  publiée  par 
M.  Firmin  Didot. 

^  Dict.  raison.  d'arcJi.,  arl.  Autel. 

■■^  Ibid. 


o6  ESSAI    SUR    LES   AUTELS 

M.  do  Caumoiit  nous  apprend  de  son  côté  que  «  tous  les  anciens 
autels,  comme  celui  de  llam  ',  avaient  un  encadrement  saillant; 
c'est,  je  crois,  ajoute-t-il,  un  caractère  certain  des  autels  antérieurs 
au  XI P  ou  au  XP  siècle  ^  ». 

Il  faut  aller  jusqu'au  XP  siècle  pour  trouver  des  autels  de  quel- 
que importance,  vraiment  dignes  de  fixer  l'attention  de  l'archéo- 
logue. Alors  les  autels,  et  généralement  tout  le  mobilier,  subissent 
l'heureuse  influence  des  progrès  si  sensibles  opérés,  à  cette  époque, 
dans  l'architecture.  Pendant  ce  siècle  et  surtout  pendant  le  XIP, 
Pornementation  en  particulier  devient  plus  fréquente  et  les  détails 
en  sont  traités  avec  beaucoup  plus  d'habileté.  Quand,  par  exemple, 
l'autel  est  massif,  la  face  antérieure,  que  nous  retrouvons  comme 
par  le  passé,  tantôt  en  bois,  tantôt  en  pierre,  tantôt  en  métal,  est 
couverte  ou  de  peintures,  ou  de  sculptures,  ou  de  ciselures  ;  elle 
se  divise  presque  toujours,  au  moyen  d'orcatures,  quelquefois  dis- 
posées sur  deux  étages,  en  plusieurs  compartiments  verticaux  ^  Ces 
compartiments  sont  eux-mêmes  assez  souvent  au  nombre  de  trois 
ou  de  cinq  :  le  compartiment  du  milieu,  ordinairement  plus  large^ 
contient  ou  une  figure  duChrist  bénissant,  ou  biencelle  de  la  Vierge; 
les  autres  renferment  les  figures  des  apôtres  ou  celles  de  plusieurs 
saints  *. 

Mais  le  fait  le  plus  remarquable  du  XP  et  du  XIP  siècle  est  l'ap- 
parition des  retables.  On  appelle  retable  (de  rétro,  en  arrière,  et  de 
tabula,  table),  une  espèce  de  panneau  ou  de  tablette,  posée  vertica- 
lement sur  l'arrière  de  la  table  de  l'autel  \ 


'  Cot  autel  fut  érigé  au  VIIc  siècle  par  F^.  Fromorit,  évêquo  de  Coutances.  Il  est 
conservé  à  la  bibliothèque  de  Valogncs. 

^  Abécédaire  d'arch.  relig. 

^  Ex.  :  autels  dans  les  églises  de  Saint-Savin,  de  Saint-Germer,  de  Sainte- 
Marguerite,  près  Dieppe. 

''  Ex.  :  autels  dans  la  cathédrale  de  Marseille  et  dans  l'église  d'Avenas,  en 
Saône -et- Loire. 

"  Il  ne  faut  pas  confondre  les  retables  avec  les  predella  ou  petits  gradins  qui, 
dans  nos  autels  modernes,  reçoivent  les  chandeliers,  et  qui  sont  improprement 
désignés  par  cez'tains  auteurs  sous  h;  nom  de  retables.  —  D'après  Peliicia^  ces 
predella  auraient  commencé  à  l'aire  leur  apparition  dès  le  XIII«  siècle,  mais  il  n'y 
en  eut  Jamais  qu'un  pendant  le  Moyen-Age  :  plus  tard,  on  en  mil  plusieurs. 
C'est  au  milieu  de  ces  gradins,  et  un  peu  en  avant,  qu'on  i>hiça,  au  siècle  dernier, 
les  tabernacles. 


ESSAI    SUR    LES    AUTELS  57 

Les  premiers  retables  furent  de  petites  dimensions  (0,60  c.  envi- 
ron de  hauteur),  et  complètement  distincts  de  l'autel.  Ils  n'y  res- 
taient point  à  demeure  :  on  ne  les  y  plaçait  qu'aux  jours  de  fêtes, 
sans  doute  comme  ornement,  peut-être  comme  motif  de  dévotion 
pour  le  célébrant  et  pour  les  fidèles.  Car,  de  même  que  les  devants 
des  autels  que  nous  venons  de  décrire,  ils  étaient  divisés  par  des 
arcatures  et  des  cordons  moulurés,  en  plusieurs  compartiments, 
dans  lesquels  on  représentait  Notre-Seigneur,  les  saints,  ou  encore 
quelques  scènes  bibliques.  Parfois  même  on  exposait  sur  leur  épais- 
seur de  petits  reliquaires. 

Souvent  ces  retables,  afin  qu'il  fût  plus  facile  de  les  ramasser, 
prirent  la  forme  des  diptyques  '  et  des  triptyques  anciens,  c'est-à- 
dire  qu'ils  furent  formés  de  deux  ou  de  trois  tablettes  distinctes, 
réunies  ensemble  par  des  charnières  de  manière  à  pouvoir  se  re- 
plier l'une  sur  l'autre.  L'une  de  leur  face,  leur  face  intérieure,  qui 
était  visible  quand  ils  étaient  déployés,  recevait  en  sculpture  ou 
quelque  scène  pieuse  ou  des  figures  de  saints.  Beaucoup  de  ces 
diptyques  et  de  ces  triptyques  furent  en  ivoire  très  finement  fouillé. 

L'usage  des  diptyques  s'est  perpétué  pendant  tout  le  Moyen-Age. 

Quant  aux  autres  retables,  leur  matière  était  très  variable  :  quel- 
quefois en  pierre  ou  en  bois  travaillés  avec  soin,  ils  étaient  plus 


'  Les  Romains  appelaient  diptyca  (de  o'i,  deux  fois,  et  de  7:tJ3(î£tv,  plier)  deux 
tablettes  en  bois,  en  ivoire  ou  en  métal,  qui  étaient  unies  par  des  charnières  ou 
par  des  cordons.  Ces  tablettes  étaient,  h  l'intérieur,  enduites  de  cire  pour  qu'on 
pût  y  écrire  avec  un  stylet;  leurs  faces  extérieures  étaient  ornées  de  figures  et  de 
dessins  divers  en  relief  ou  gravés  en  creux. 

Les  chrétiens  adoptèrent  de  bonne  heure,  dès  le  Ile  siècle  au  i)lus  tard,  les 
diptyques  pour  leurs  cérémonies  religieuses.  On  inscrivait  sur  quelques  unes  le 
nom  des  nouveaux  baptisés  :  c'étaient  les  diptyques  des  baptisés  ;  sur  d'autres, 
le  nom  du  souverain  Pontife  régnant,  de  l'évéque,  des  prêtres,  des  bienfaiteurs 
de  l'église  :  c'étaient  les  diptyques  des  vivants;  sur  d'autres,  le  nom  des  fidèles 
trépassés  :  c'étaient  les  diptyques  des  défunts;  enfin  sur  d'autres,  le  nom  des 
martyrs  et  des  saints  les  plus  illustres  :  c'étaient  les  diptyques  des  saints.  Et  l'on 
faisait  la  lecture  de  ces  diptyques  du  haut  de  l'ambon,  pendant  la  célébration  des 
saints  mystères.  Comme  ces  noms  se  multiplièrent  vite,  on  fut  bientôt  obligé 
d'ajouter  de  nouvelles  tablettes  aux  deux  premières  et  l'on  eut  ainsi  les  trip- 
tyques, les  ;  entaptijqucs,  les  potiptyqiies.  Quelquefois  plusieurs  feuilles  de  papy- 
rus étaient  simplement  renfermées  entre  deux  tablettes. 


58  ESSAI    SUR   LES    AUTELS 

généralement  en  métal  précieux,  en  cuivre  doré  et  émaillé,  en  ar- 
gent massif  et  en  or  '. 

Mais  à  ces  relahles  mobiles  vinrent  s'adjoindre,  au  X\h  siècle,  les 
retables  fixes.  Toutefois,  pour  les  raisons  que  nous  avons  données 
plus  haut  relativement  à  l'absence  de  tout  ornement  sur  l'autel  ma- 
jeur de  chaque  église,  ces  derniers  furent  moins  communs  ;  ils 
étaient  exclusivement  réservés  aux  autels  secondaires  qui  se  trou- 
vaient dans  les  chapelles  absidales,  ou  bien  encore  aux  autels  des 
reliques,  dont  ils  dissimulaient  parfois  la  châsse  placée  derrière  eux. 

Les  retables  fixes  avaient  les  mêmes  dimensions  que  les  retables 
mobiles,  et  ils  durent  être  généralement  de  même  matière.  Cepen- 
dant ceux  qui  nous  ont  été  conservés  sont  plus  ordinairement  en 
pierre.  Leur  genre  d'ornementation  est  également  semblable.  Re- 
marquons seulement  avec  M.  Gailhabaud  -  «  qu'ayant  été  adoptés 
dans  un  but  décoratif,  on  y  consacra  souvent  beaucoup  de  luxe.  Tous 
les  arts  du  dessin  co:icourent  à  leur  exécution,  confiée  presque  tou- 
jours à  des  artistes  habiles.  » 

A.  s'en  tenir  aux  témoignages  écrits,  et  surtout  en  voyant  les  ci- 
boriimis  romans,  qui  existent  dans  toute  l'Italie,,  en  particulier  à 
Saint-Marc  de  Venise  et  à  Saint-Ami)roise  de  Milan,  on  est,  ce  sem- 
ble, en  droit  de  conclure  que  ces  sortes  d'édicules  ont  été  égale- 
ment usités  en  France  pendant  notre  période  romane  :  malheureu- 
sement, il  n'en  reste  aucun  vestige  qui  nous  permette  de  les  étu- 
dier et  d'en  faire  une  description  détaillée 

Pendant  toute  la  période  romane  et  même  durant  le  XIIP  siècle  et 
jusqu'à  la  fin  du  XIY"  nous  retrouvons  l'autel  portatif,  tel  que  nous 
l'avons  décrit  précédemment  ^  Seule,  l'ornementation  varie  suivant 
le  goût  de  l'époque.  Aux  pierres  précieuses,  telles  que  le  marbre,  le 

'  Ex.  :  l'etabie  de  ia  cathédrale  de  lîàle,  maintenant  au  musée  de  Cluny  à 
Parib  :  il  e^t  du  XI"  siècle;  retable  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Denys,  à  pré- 
sent au  trésor  de  la  même  église  :  il  est  du  Xll«  siècle.  —  l.e  grand  retable  d'or 
émaillé  et  enrichi  di>  j)ierreiies,  placé  sur  le  maitre-autel  de  Saint-Marc  de  Venise, 
connu  sous  le  nom  signilicatif  de  pula  d'oro,  et  dont  une  partie  remonte  à  la  fin 
du  X''  siècle,  est  peut-éti-e  le  plus  célibre  retable  de  ce  genre  que  l'on  connaisse 
actuellement. 

-  Ârchit   (lu  Ve  au  XVIIe  siècle,  t.  IV. 

^  Il  est  fait  mention  d'autels  portatifs,  constate  Du  Cange,  dans  la  charte  de 


ESSAI    SUR    LES    AUTELS  59 

porphyre,  le  jaspe,  l'onyx,  le  cristal  de  roche,  qu'on  employait  sou- 
vent pour  ces  autels,  il  faut  ajouter  en  plus,  dit  M.  labbéReusens  ', 
professeur  d'archéologie  à  l'Université  catholique  de  Louvain,  des 
pierres  "  précieuses  seulement  par  le  souvenir  qui  s'y  rattachait, 
par  exemple  un  fragment  des  dalles  arrosées  par  le  sang  de  saint 
Thomas  de  Cantorbéry.  •> 

Par  respect  pour  leur  emploi  sacré,  souvent  aussi  on  tenait  ces 
autels  enfermés  dans  des  coffrets  ou  écrins  en  bois  recouvert  de  cuir 
gaufré  et  même  orné  parfois  de  plaques  et  de  lames  de  métal  re- 
poussé et  émaillé,  à  la  manière  des  couvertures  d'évangéliaires. 

lY 

ÉPOQUE    OGIVALE.. 

Il  semble,  après  un  examen  attentif  de  tous  les  autels  qui  nous 
restent  de  cette  époque,  qu'on  peut  les  diviser  en  trois  classes  ;  non 
pas  que  cette  division  soit  rigoureuse,  non  pas  qu'on  ne  puisse  ab- 
solument l'établir  pour  les  époques  précédentes,  mais  parce  qu'elle 
est  plus  exacte  en  même  temps  que  plus  manifeste  pendant  la  pé- 
riode ogivale  qu'à  toute  autre.  Elle  a,  dans  tous  les  cas,  le  grand 
avantage  des  classifications,  de  mettre  dans  l'esprit  quelque  chose 
de  plus  net  et  de  plus  facile  à  retenir. 

Nous  distinguerons  donc  :  1"  les  autels  composés  d'une  simple 
table  ;  —  2"  les  autels  à  retables  ;  —  3"  les  autels  des  reliques  :  et 
nous  étudierons  à  part  chacune  de  ces  classes. 

1°  Autels  composés  cVune  simple  table. 

L'autel  majeur  des  cathédrales  et  des  églises  abbatiales  et  collé- 
giales était  le  seul  ainsi   composé    d'une  simple  table.  Cette  table, 

Philippe-le-Bel,  en  1-217,  «  altare  portatile  ligatuin  aui-o  »;  dans  le  synodo  de 
Bayeux,  tenu  en  130O,  «  lapis  portatilis  »;  dans  deux  invejitaires  do  la  Sainte- 
Chapelle  de  Paris.  L'un,  portant  la  date  1313,  dit  :  «  Item,  uniun  altare  v'aticum 
portatile  de  jaspide  viridi  in  cujns  circuitu  sunt  plures  reliquia?  »;  l'autre,  daté 
de  1376  :  «  altare  marmoreum  portatile  ». 
'  Élém.  d'arcli.  chrét.,  t.  I. 


60  ESSAI    SUR    LES    AUTELS 

comme  précédemment,  était  encore  portée  ou  par  des  colonnettes 
ou  par  un  massif  plein.  Pourtant  nous  trouvons  pendant  la  période 
ogivale  deux  nouvelles  dispositions  :  quelquefois  la  table  était  posée, 
en  arrière,  sur  une  dalle  verticale  de  même  longueur  qu'elle  et 
n'ayant  que  quelques  centimètres  d'épaisseur,  et,  en  avant,  sur  des 
colonnettes  :  d'autres  fois,  dit  M.  de  Caumout  ',  «  elle  repose  sur  un 
massif  triangulaire  et  en  avant  sur  trois  colonnettes,  dont  deux  sont 
complètement  dégagées,  » 

M.  de  Caumont  enseigne  aussi,  un  peu  auparavant,  que  les  autels 
de  l'époque  ogivale  se  distinguent  des  autels  romans  «  en  ce  qu'ils 
sont  plus  larges  et  conséquemment  moins  carrés  que  dans  le  XI''  et 
le  XIl"  siècle.  » 

Souvent  leurs  faces  verticales,  surtout  quand  ces  faces  sont  pleines, 
se  revêtent  Ae, pareineiifs,  c'est-à-dire  de  draperies  ou  étoffes  pré- 
cieuses. Ils  remplacent  les  revêtements  métalliques  que  nous  avons 
signalés  comme  assez  communs  pendant  les  périodes  latine  et  romane 
et  qui  devinrent  très  rares  à  la  fin  du  XIP  siècle,  pour  disparaître 
complètement  peu  de  temps  après.  Ces  parements  étaient  ordinai- 
rement faits  d'étoffe  unie  ou  ornée  de  dessins  réguliers  et  unifor- 
mes "^  ;  les  plus  riches  étaient  brodés  en  or  et  en  argent,  et  même 
rehaussés  de  perles  et  de  pierres  précieuses.  Quelques-uns  repré- 
sentaient des  figures  de  saints  ou  des  scènes  historiques  et  légen- 
daires. 

Telles  furent  les  dispositions  généralement  adoptées,  durant  le 
XIII"  et  le  XIV  siècle  pour  le  devant  des  autels.  Soit  par  raison  de 
convenance,  soit  plutôt  parce  que  les  nappes,  qui  descendaient  très 
bas,  les  eussent  cachés,  on  s'abstint  d  y  placer  des  bas-reliefs.  Au 
contraire,  «  pendant  le  XV'  et  le  XVl"  siècle,  dit  M.  YioUet-le-Duc  \ 
on  sculpta  souvent  des  figures  de  saints  sur  le  devant  des  autels, 
des  anges,  des  scènes  de  la  passion  ;  on  représenta  même  sous  la 

'  Abécédaire  d'archéoloyie  religieuse. 

^  Dans  son  Rational  (lib.  III,  ch.  18),  Diirand,  évoque  de  Mende,  nous  apprend 
qu'au  XIII»  siècle,  les  ornements  sacerdotaux  étaient,  comme  aujourd'hui,  de 
diverses  couleurs  suivant  les  différentes  fêtes  et  les  différents  temps  de  l'année. 
Ne  peut-or  pas  supposer,  avec  quelque  raison,  qu'il  en  tût  de  miune  pour  les 
parements  d'autels? 

'  Dict.  raison,  d'archit. 


ESSAI    SUR    LES    AUTELS  t)l 

table  de  l'autel  le  Christ  an  sépulcre  en  ronde  bosse  avec  les  saintes 
femmes  et  les  soldats  endormis.  » 

De  plus,  ajoute  le  même  auteur,  u  au  XVP  siècle,  l'autel  cesse  d'af- 
fecter la  forme  d'une  table  ou  d'un  cofTre,  pour  adopter  celle  d'un 
tombeau,  d'un  sarcophage.  Jusqu'alors,  l'autel  n'est  pas  le  tombeau 
du  Christ  ou  d'un  martyr:  il  recouvre  le  tombeau;  c'est  la  table  po- 
sée sur  le  tombeau  ou  devant  lui,  et  même  sur  la  crypte  renfermant 
le  tombeau.  Cette  idée  est  dominante.  La  façon  dont  sont  disposés 
les  corps  saints  sous  l'autel  des  reliques  de  l'église  de  Saint-Denys, 
derrière  les  autels  de  Saint-Firmin,  de  la  Vierge,  de  Saint-Eustache 
de  la  même  église,  de  Valcabrère,  de  la  cathédrale  d'Amiens  même, 
indique  bien  nettement  que  l'autel  n'est  pas  un  tombeau,  mais  un 
meuble  posé  devant  ou  sur  des  reliques  des  saints...  Mais  à  partir 
du  XYl'  siècle,  c'est  l'autel  lui-même  qui  devient  la  représentation 
du  tombeau  :  il  affecte  de  préférence  la  forme  d'un  sarcophage 
scellé.  » 

Ne  faudrait-il  pas  voir  dans  cette  forme  nouvelle  une  des  mille 
conséquences  de  ce  besoin  universel,  où  l'on  était  vers  l'époque  de 
la  Renaissance,  de  ne  trouver  rien  de  bien  et  de  n'imiter  que  ce  qui 
était  grec  ou  romain.  En  effet  nous  voyons  là  une  réminiscence 
non  plus  de  l'ancien  loculus  des  catacombes,  mais  du  sarcophage 
romain. 

L'antique  ciborium  tend  aussi  à  disparaître,  à  dater  du  XIP  siècle. 
L'autel  restera  bien  entouré  de  grands  voiles  ou  courtines;  mais  les 
tringles,  auxquelles  ils  seront  suspendus,  seront  désormais  scellées 
dans  quatre  ou  six  colonnes  plus  espacées  que  celles  du  ciborium  et 
ne  portant  sur  leur  chapiteau,  à  la  place  du  dôme,  que  des  statuet- 
tes d'anges,  tenant  elles-mêmes  dans  leurs  mains  ou  des  chandeliers 
ou  bien  encore  les  instruments  de  la  Passion  '. 

Guillaume  Durand  semble  dire  dans  son  i?«//o>^«/ que  tous  les  au- 
tels de  son  temps  étaient  entourés  de  courtines.  Pourtant  nous  de- 
vons remarquer  avec  l'abbé  Thiers  que  cet  usage  ne  dut  pas  être  ab- 
solument uniforme  et  universel  au  Moyen-Age.  «  Outre  qu'aujour- 
d'hui, dit-il  ^  il  y  a  peu  de   ciboires  au-dessus  des  autels,  hors  l'Ita- 

'  Ex.  :  ancien  autel  matutinal  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Denys  ;  anciens  au- 
tels majeurs  de  la  cathédrale  de  Paris  et  de  la  cathédrale  d'Amiens. 
^  L'abbé  Thiers  donnait  ces  renseignements  en  1688. 


()2  ESSAI    SUR    LES    AUTELS 

lie,  il  n'y  a  point  d'aulels  qui  aient  des  voiles  ou  des  rideaux  tout 
autour.  La  vérité  est  qu'en  plusieurs  églises,  tant  séculières  que  ré- 
gulières, les  principaux  autels  ont  des  voiles  au  côté  droit  et  au 
côté  gauche  ;  mais  ils  n'en  ont  ni  au  devant  ni  au  derrière,  parce 
qu'au  derrière  il  y  a  des  retables,  des  tableaux  ou  des  images  en  re- 
lief, et  que  le  devant  est  entièrement  ouvert,  si  ce  n'est  qu'en  ca- 
rême on  y  met  ces  voiles  dont  parlent  Beleth  [fn  explic.  divin,  offic. 
cap.  Lxxxv),  Durand  [Ratioii.  lib.  i.  cap.  ni)  et  les  Us  de  Citeaux 
(c.  xv).  En  d'autres  églises,  les  autels  n'ont  point  du  tout  de  voiles, 
quoiqu'il  y  ait  apparence  qu'ils  en  ont  eu  autrefois  au  moins  adroite 
et  à  gauche, ce  qui  se  reconnaît  parles  pilastres  ou  colonnes  de  bois 
ou  de  cuivre  que  l'on  y  voit  encore  à  présent.  Enfin  il  y  a  une  infi- 
nité d'autels  qui  non  seulement  n'ont  point  du  tout  de  voiles,  mais 
qui  ne  paraissent  pas  même  en  avoir  eu  autrefois,  n'ayant  aucun 
vestige  de  pilastres  ou  de  colonnes  '.  » 

Les  courtines,  la  plupart  du  temps  assez  simples,  étaient  cepen- 
dant quelquefois  de  couleurs  variées  et  très  brillantes  ;  elles  étaient 
mêmes  couvertes  parfois  de  riches  dessins,  de  figures,  de  sujets  tis- 
sés ou  brodés  à  la  main. 

Pendant  le  Moyen-Age,  les  autels  furent  élevés,  comme  dans  les 
temps  primitifs,  sur  un  seuil  de  gré  ■,  ou  encore  très  fréquemment 
sur  deux  '\  A  partir  du  XY"  siècle,  ces  degrés  furent  plus  commu- 
nément au  nombre  de  trois  '%  quelquefois  même  au  nombre  de  cinq. 
L'autel  principal  de  Saint-Pierre  de  Rome  en  a  sept. 

Jusqu'au  XYIL  siècle,  tous  les  autels,  au  moins  les  autels  ma- 
jeurs, furent  complètement  isolés.  D'ailleurs,  les  cérémonies  de 
leur  consécration  exigent  cet  isolement  :  l'évêque  qui  consacre  un 
autel  doit  en  faire  sept  fois  le  tour,  «  circuit  septies  tabulam  alla- 
ris  »  '  ;  et  à  un  certain  moment  de  la  consécration  un  prêtre  doit  en 
faire  constamment  le  tour  en  l'encensant. 

'  ]')is:^e>'t .  relig.  sur  les  principaux  autels  (^cli.  XIX). 
'■*  Ex.  :  autels  secondaiies  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Denys. 
•'Ex.  :  autels  majeurs  de  lu  cathédrale  d'Arras,  de  l'église  abbatiale  de  Snint- 
Denys,  de  la  Sainte-Gliapelle. 

''  Ex.  :  autel  majeur  de  la  cathédrale  d'Amiens. 
■'  Cerem.  rom. 


ESSAI    ST'R    LE.S    AUTELS  63 


2"  Autels  à  retable. 


A  dater  du  XIII*'  et  même  du  XIP  siècle,  tous  les  auîels,  sauf^ 
comme  nous  venons  de  le  voir,  la  plupart  des  autels  majeurs  des 
cathédrales  et  des  églises  abbatiales,  sont  ornés  de  retables. 

Mais  ces  retables  qui,  dans  le  principe,  nous  l'avons  encore  dit 
précédemment,  avaient  été  tantôt  mobiles,  tantôt  fixes,  deviennent 
au  contraire,  dès  le  commencement  du  XIV'=  siècle,  toujours 
fixes,  de  manière  à  ne  faire  plus  qu'un  avec  la  table  môme  de 
l'autel. 

En  outre,  après  avoir  été  aussi  dans  le  commencement  simples  et 
peu  élevés,  '  ils  prirent,  vers  la  même  époque,  une  grande  impor- 
tance, à  mesure  que  le  goût  du  luxe  pénétrait  dans  la  décoration  in- 
térieure des  églises.  Déjà  très  riches  au  XIIP  siècle,  mais  renfermés 
dans  des  lignes  simples  et  sévères,  ils  ne  tardèrent  pas  à  s'élever  et 
à  dominer  les  autels,  en  présentant  un  échafaudage  d'ornementa- 
tion et  défigures  souvent  de  grande  dimension,  ou  une  succession 
de  sujets  couvrant  un  vaste  champ  '.  »  Nul  doute,  d'ailleurs,  que  leur 
adhérence  complète  à  la  table,  de  façon  à  devenir  une  partie  inté- 
grante de  l'autel,  n'ait  contribué  beaucoup  à  leur  donner  cette  im- 
portance et  ce  luxe  d'ornementation.  Car,  comme  le  fait  remarquer 
avec  raison  M.  Gailhabaud  ^  <'  pour  les  catholiques,  l'autel  est  la 
partie  la  plus  vénérable  de  toute  l'église.  Selon  eux,  rien  n'est  trop 
beau,  ni  d'un  assez  grand  prix  pour  servir  à  sa  composition  et  à  sa 
décoration...  Les  monuments,  aussi  bien  que  les  écrits  et  les  repré- 
sentations, le  confirment.  » 

Mais  quelle  fut  la  matière  de  ces  retables?  Durant  la  période 
romane,  avons-nous  vu,  les  retables  furent  plus  généralement  en 
métal,  quelquefois  on  ivoire.  On  peut  ajouter,  sans  prétendre  bien 
entendu  être  le  moins  du  monde  absolu  dans  ce  classement  chrono- 
logique, qu'au  XIIP'  siècle  et  pendant  la  plus  grande  partie  du  XIV*^ 
la  pierre  fut  de  préférence  employée.  Durant  le  XY%  elle  céda  la 
place  au  bois  ou  à  quelque   matière   facile  à  travailler,   comme 

^  VioUet-le-Duc,  Dict.  rais,  d'arch. 

2  Architecture  du  Ve  au  XVIIe  siècle,  t.  I. 


64  ESSAI    SUR    LES    AUTELS 

l'albâtre.  Au  commencement  du  XYI%  le  bois  fut  indifféremment 
sculpté  ou  peint  Enfui,  vers  le  milieu  du  XV1%  la  peinture  l'emporta 
définitivement  sur  la  sculpture  ;  et  elle  nous  a  donné  un  certain 
nombre  de  petits  chefs-d'œuvre  qui  font  encore  l'admiration  des 
connaisseurs. 

Beaucoup  de  ces  retables,  quelle  que  soit  d'ailleurs  leur  matière, 
ont  une  grande  valeur  artistique  :  la  pierre,  aux  XllP  et  XW"  siècles, 
et  le  bois,  aux  XY«  et  XVP,  furent  travaillés  avec  une  grande  habileté 
de  main  ;  malheureusement  la  composition  nest  pas  chez  tous 
aussi  heureuse.  Surtout,  aux  XY''  et  au  XYl"  siècle,  le  bon  goût  ne 
répond  pas  toujours  à  la  finesse  et  à  délicatesse  de  l'exécution  :  on 
multiplia  les  détails  à  l'excès,  on  surchargea  l'ornementation,  on 
faussa  la  statuaire  en  forçant  les  poses  et  en  exagérant  les  situations. 

Au  début  de  l'ère  ogivale,  on  se  contenta  de  sculpter  des  statuettes 
dans  les  arcatures  ;  mais  bientôt  divisant  tout  le  retable  dans  le  sens 
de  sa  longueur  et  de  sa  hauteur  en  plusieurs  compartiments,  on 
représenta  dans  chacun  d'eux  de  petites  scènes  historiques  ou  lé- 
gendaires. Enfin,  au  XY'"  siècle,  les  compartiments  s'agrandirent 
en  proportion  de  tout  le  retable,  et  permirent  aux  bas-reliefs  de 
prendre  eux-mêmes  de  plus  grandes  dimensions.  Dans  le  comparti- 
ment du  milieu,  quelquefois  plus  élevé,  oq  plaçait  assez  fréquem- 
ment le  crucifiement  de  Notre-Seigneur  avec  la  sainte  Yierge,  saint 
Jean,  les  deux  larrons  en  croix  et  des  groupes  de  différents  person- 
nages. Parfois  même  le  retable  se  divisait  en  plusieurs  étages  et 
alors  des  scènes,  traitées  en  perspective,  représentant  ordinaire- 
ment les  circonstances  les  plus  célèbres  de  la  vie  du  saint  sous  le 
vocable  duquel  l'autel  était  consacré,  se  partageaient  ces  différents 
étages  suivant  leur  importance  '. 

Toutes  ces  sculptures,  ainsi  du  reste  que  celles  de  l'autel  propre- 
ment dit,  aussi  bien  au  XIII^  qu'aux  XY"  et  XYP  siècles,  virent  sou- 
vent leur  valeur  et  leur  éclat  encore  rehaussés  par  la  dorure  et  par 
la  peinture  polychrome,  qui,  on  le  sait,  était  également  arrivée  à  un 
haut  degré  de  perfection. 

Il  faut  peut-être  encore  ajouter,  pour  être  aussi  complet  que 
possible,  que  certains  retables  furent  percés,   à  leur  partie  infé- 

*  Ex.  :  autel  de  la  Sainte-Vierge  dans  l'église  de  Brou  (Ain). 


ESSAI    SUR   LES   AUTELS  65 

Heure,  d'ouvertures  de  différentes  formes,  soit  rondes,  soit  ovales, 
soit  polygones,  dans  lesquelles  on  introduisait  de  petites  châsses  ou 
des  bustes  contenant  des  reliques  de  saints. 

3°  Autels  des  reliques. 

Aux  deux  espèces  d'autels  que  nous  venons  d'étudier,  il  faut  en 
adjoindre  une  troisième,  au  moins  pour  les  églises  monastiques, 
qui  d'ailleurs  étaient  très  nombreuses  au  Moyen-Age  :  les  autels  des 
reliques.  Ceux-ci  étaient  élevés  au  fond  du  sanctuaire  ou  quelque- 
fois dans  les  chapelles,  tandis  que  les  autres  étaient  placés  à  l'entrée 
du  sanctuaire  ou  aussi  dans  les  chapelles  '. 

Ce  qui  les  distingue  des  autres,  c'est  qu'ils  sont  adossés  à  des 
châsses  remplies  de  reliques  et  font  un  tout  avec  elles.  Ces  châsses 
sont  le  plus  ordinairement  à  la  hauteur  du  retable,  ou  quelquefois 
derrière  le  retable  même,  mais  presque  toujours  de  façon  à  ce  qu'on 
puisse  passer  et  se  tenir  dessous  ^  C'était  pour  les  pieux  fidèles  se 
mettre  directement  sous  la  protection  des  saints.  Elles  sont  surmon- 
tées d'une  sorte  de  petit  baldaquin  ou  de  dais  dans  le  goût  ogival, 
porté  sur  des  colonnettes  et  couronné  par  un  ou  plusieurs  cloche- 
tons. 

Quelquefois  cependant  la  châsse  repose  sur  le  sol,  immédiatement 
derrière  l'autel;  mais  elle  est  dans  ce  cas  entourée  d'un  grillage, 
qui  la  protège,  tout  en  permettant  de  vénérer  les  saintes  reliques 
qu'elle  contient  ^ 

Nous  terminerons  ce  quatrième  paragraphe  par  deux  observations 
importantes  :  La  première  est  empruntée  à  M.  Yiollet-le-Duc  :  «  Dans 
les  décorations  des  autels,  dans  tout  ce  qui  semblait  fait  pour  ac- 
compagner dignement  le  sanctuaire  des  églises,  on  s'est  préoccupé 
au  Moyen-Age,  surtout  en  France,  d'honorer  l'autel  plus  encore 
par  la  beauté  du  travail,  par  la  perfection  de  la  main-d'œuvre  que 
par  la  richesse  intrinsèque  des  matières  employées.  A  la  sainte 
Chapelle,  ce  gracieux  sanctuaire  n'est  composé  que  de  pierre  et  de 

'  Ex.  :  autel  de  l'église  abbatiale  de  Saint-Denys. 

^  Ex.  :  autels  des  reliques  à  l'églisQ  abbatiale  de  Saint-Denys  et  à  la  Sainte- 
Cliapelle;  autel  de  Valcabière. 
^  Ex.  :  autel  de  S.  Firmin,  à  l'église  abbatiale  de  Saint-Denys. 

lie  série,  tome  XI  5 


66  ESSAI    SUR    LES   AUTELS 

Lois...  Les  moyens  de  décoration  employés  sont  d'une  grande  sim- 
plicité :  du  verre  appliqué,  des  gaufrures  faites  dans  une  pâte  de 
chaux,  des  peintures  et  des  dorures  n'ont  rien  qui  soit  dispendieux. 
La  valeur  réelle  de  ce  monument  tient  à  l'extrême  perfection  du 
travail  de  l'artiste.  Toutes  les  sculptures  sont  traitées  avec  un  soin, 
un  art  et  nous  dirons  avec  un  respect  scrupuleux  de  l'objet,  dont 
rien  n'approche.  N'était-ce  pas  en  effet  la  plus  noble  manière 
d'honorer  Dieu  que  de  faire  passer  l'art  avant  toute  chose  dans  son 
sanctuaire?  Et  n'y  avait-il  pas  un  sentiment  vrai  et  juste  dans  cette 
perfection  que  l'artiste  cherchait  à  donner  à  la  matière  grossière? 
Nous  avouerons  que  nous  sommes  bien  plus  touché  à  la  vue  d'un 
autel  de  pierre  sur  lequel  l'homme  a  épuisé  toutes  les  ressources  de 
son  art,  que  devant  ces  morceaux  de  bronze  ou  d'argent  grossière- 
ment travaillés,  dont  la  valeur  consiste  dans  le  poids  et  qui  excitent 
bien  plus  la  cupidité  qu'ils  n'émeuvent  l'âme  \  » 

Nous  remarquerons,  en  second  lieu,  qu'il  est  de  toute  impossibilité 
non  seulement  de  décrire,  mais  même  d'indiquer,  tant  elles  sont 
multiples  et  variées,  toutes  les  dispositions  différentes,  toutes  les 
formes  diverses,  toutes  les  manières  d'ornementation  adoptées  au 
Moyen- Age  pour  les  autels,  pour  les  retables,  comme  du  reste  pour 
tout  le  mobilier  en  général.  Et  cependant  beaucoup  d'objets  ne  sont 
point  parvenus  jusqu'à  nous  ;  que  serait-ce  si  tous  nous  avaient  été 
transmis  intacts  ? 


EPOQUE   DE   LA   RENAISSANCE. 

Si  l'on  met  de  côté  l'ornementation  qui  suit  celle  de  l'architec- 
ture en  général,  nous  n'avons  de  modifications  à  signaler,  dans  les 
autels  de  la  Renaissance,  que  relativement  aux  retables.  Mais  ces 
modifications  suffisent  amplement  à  les  caractériser. 

Pourtant,  avant  de  nous  en  occuper,  nous  devons  observer  pre- 
mièrement que  les  autels,  désormais  toujours  pleins  et  en  forme  de 
sarcophage,  furent  de  préférence  construits  en  marbre  :  (encore 

^  Dict.  rais.  d'Arch.,  t.  II. 


ESSAI    SUR   LES    AUTELS  67 

évidemment  un  besoin  d'imiter  l'art  grec  et  romain)  ;  secondement, 
qu'à  partir  du  XV°  siècle,  on  plaça  sous  les  retables  un  ou  plusieurs 
gradins,  comme  on  le  fait  encore  aujourd'hui. 

Pendant  quelque  temps  les  retables  à  plusieurs  étages  et  à  com- 
partiments multiples,  dans  le  genre  de  ceux  des  dernières  années 
de  la  période  ogivale,  continuèrent  à  se  produire  avec  les  détails 
d'ornementation  particuliers  à  la  Renaissance.  Mais  bientôt  ils  pri- 
rent des  dimensions  encore  plus  considérables,  à  ce  point  que  l'ac- 
cessoire devint  le  principal  et  que  l'on  oublia  l'autel  proprement 
dit  pour  ne  s'occuper  que  de  l'ornement.  Souvent,  au  moins  dans 
les  églises  de  second  ordre,  ils  occupèrent  la  plus  grande  partie  du 
chevet  et  montèrent  jusqu'à  la  voûte.  De  plus,  à  la  fin  du  XVP  siè- 
cle plus  spécialement,  ainsi  qu'au  XYII%  les  anciennes  dispositions 
furent  abandonnées.  Ils  représentèrent  tantôt  la  forme  d'un  arc-de- 
triomphe  romain,  avec  colonnes,  chapiteaux,  entablement,  arcs 
plein  cintre  abritant  des  statuettes  ou  des  reliquaires,  tantôt  l'ordon- 
nance d'une  façade  antique  avec  corniches  et  frontons  de  toutes 
sortes,  avec  pilastres,  consoles  renversées,  cartouches,  guirlandes 
de  feuilles  et  de  fleurs,  avec  niches,  statuettes,  cariatides  même, 
etc.  ;  la  baie  de  cette  façade  était  fermée  par  des  bas-reliefs  en  bois 
ou  en  plâtre  peints  et  dorés,  ou  encore  par  des  tableaux  de  peinture. 
Enfin  tout  ce  chaos  était  souvent  surmonté  encore  d'une  immense 
gloire  en  cuivre  doré,  avec  un  triangle,  symbole  de  la  sainte 
Trinité,  au  centre,  ou  môme  un  Père  éternel  descendant  du  Ciel,  en- 
touré d'anges  disséminés  sur  les  rayons  de  la  gloire. 

Que  nous  sommes  loin  de  celte  belle  et  noble  simplicité  du  Moyen- 
Age  n'inspirant  aux  fidèles  que  des  pensées  de  foi,  de  recueillement, 
de  piété  !...  Et  si  encore  on  s'en  était  tenu  à  l'effet  théâtral  et  tapa- 
geur (qu'on  nous  pardonne  cette  expression),  si  l'on  n'avait  froissé 
que  le  bon  goût  en  multipliant  les  colonnes  torses,  en  tire-bouchon, 
sans  proportions,  en  répandant  à  tort  et  à  travers  les  ornements 
les  plus  incohérents!...  Mais  non  ;  tout  en  voulant  épargner  le  plus 
possible  cette  époque  de  décadence  qu'on  a  si  faussement  appelée, 
au  moins  au  point  de  vue  de  l'art  religieux,  la  Renaissance,  on  ne 
saurait  omettre  de  faire  remarquer  avec  M.  Gailhabaud  *  «  la  cho- 

<  Architeclure  du  V<'  au  XVIL'  siècle,  t.  IV. 


gg  ESSAI    SUR   LES    AUTELS 

quanle  alliance,  dans  ce  décor,  du  sacré  et  du  profane,  c'est-à-dire 
des  chastes  représentations  chrétiennes  mêlées  par  les  artistes  de 
la  Renaissance  aux  nudités  blessantes  du  sensualiste  polythéisme.  » 


L'abbé  J.  Mallet, 

Professeur  d'Archéologie  au  petit  séminaire  de  Séez. 
Membre  de  la  Société  de  Saint-Jean. 


LA  CAPPELLA  GEECA 

J3U     CIMETIÈKE    DE    PJRISCIT^LE 

QUATORZIÈME   ARTICLE  * 


CHAPITRE  XXVIIl. 

LE  PHÉNIX  CHEZ  LES  CHRÉTIENS. 

Le  premier  des  Pères  qui  ait  fait  valoir  l'argument  du  phénix  en 
faveur  de  la  résurrection,  est  le  disciple  du  grand  prédicateur  de  la 
résurrection  même,  de  S.  Paul,  le  successeur  peut-être  immédiat  de 
S.  Pierre,  un  romain  qu'on  croit  parent  de  Tite  Flavien  Clément, 
consul  avec  son  cousin  Domitien,  en  93,  le  pape  S.  Clément.  Écri- 
vant dès  79,  l'année  de  la  mort  de  Pline,  au  nom  de  l'Église  romaine 
à  l'Église  de  Corinthe,  il  disait  : 

«  Considérons,  bien-aimés,  comment  le  Maître  nous  prouve  continuellement  le 
fait  de  la  résurrection  future  dont  il  a  donné  les  prémices  dans  le  Seigneur  Jésus- 
Christ,  le  ressuscitant  d'entre  les  morts.  Voyons,  bien-aimés,  la  résurrection  qui 
arrivera  à  son  heure.  Le  jour  et  la  nuit  nous  montrent  la  résurrection  :  la  nuit  se 
couche,  le  jour  se  lève;  le  jour  se  retire,  la  nuit  vient  sur  ses  pas.  Regardons  les 
fruits  de  la  terre,  comment  s'opère  l'ensemencement  du  froment. Le  semeur  sort, 
il  jette  le  grain  sur  la  terre;  les  germes  tombés  sur  elle,  arides  et  nus,  se  dis- 
solvent; et  de  cette  dissolution  la  grandeur  de  la  providence  du  Maître  les  ressus- 
cite, d'un  grain  en  tire  une  quantité  et  produit  son  fruit. 

Voyons  ce  prodige  paradoxal  (xo  -apâ5o;ov  TrjjjLsTov)  qui  a  lieu  dans  les  régions  de 
l'Orient,  c'est-à-dire  en  Arabie.  Il  y  a  un  oiseau  nommé  phénix,  unique  en  son 

*  Voirie  numéro  d'Avril-Juin  1871),  p.  367. 


70  LA   CAPPELLA   GRECA 

espèce,  qui  vit  cinq  cents  ans.  Arrivé  vers  la  dissolution  de  la  mort,  il  se  fait  un 
cercueil  avec  de  l'encens,  de  la  myrrhe  et  d'autres  aromates,  dans  lequel,  son 
temps  accompli,  il  entre  et  meurt.  Sa  chair  étant  putréfiée,  il  se  forme  un  ver  qui, 
nourri  de  la  substance  humide  de  l'animal  défunt,  prend  des  plumes,  et,  devenu 
fort,  porte  le  cercueil  là  où  sont  les  ossements  du  défunt  son  prédécesseur.  Chargé 
des  ossements  nouveaux,  il  va  droit  de  la  région  arabique  en  Egypte  vers  la  ville 
appelée  Héliopolis;  et,  en  plein  jour,  volant  au-dessus  de  tous  les  habitants  qui 
le  regardent,  dépose  ces  ossements  sur  l'autel  du  soleil  ;  puis,  s'élancant,  il  s'en 
retourne.  Les  prêtres  consultent  les  registres  des  temps,  et  trouvent  que  l'oiseau 
est  venu  après  cinq  cents  ans  accomplis. 

Jugerons-nous  que  c'est  une  chose  grande  et  étonnante  que  l'artisan  de  l'uni- 
vers opère  la  résurrection  de  tous  ceux  qui  l'ont  servi  saintement,avec  la  confiance 
d'une  foi  courageuse,  quand  il  nous  montre  même  par  un  oiseau  la  magnificence 
de  sa  promesse  *  ?  » 

Les  Co7istitntions  apostoliques,  dont  la  rédaction  date  du  IIP  siècle 
mais  dont  le  fond  paraît  remonter  aux  Apôtres,  expliquent  le  terme 
prodige  paradoxal  de  S. Clément  en  présentant  leprodigede  la  résur- 
rection du  phénix,  à  la  suite  de  ceux  de  Lazare  ressuscité,  des  trois 
Hébreux  sauvés  dans  la  fournaise,  do  Daniel  délivré  des  lions,  avant 
la  mention  des  guérisons  du  paralytique  et  de  l'aveugle-né,  et 
celle  de  la  multiplication  des  pains,  au  milieu  enfin  des  sujets  clas- 
siques des  catacombes.  Elles  parlent  ainsi  de  ce  prodige  aux  Gen- 
tils qui  ne  croient  pas  à  la  résurrection  de  la  chair  : 

«  Ils  disent,  eux  aussi,  montrer  une  certaine  résurrection,  ne  croyant  pas  ensuite 
aux  choses  qu'ils  racontent  eux-mêmes.  Ils  disent  qu'il  existe  un  oiseau  unique 
en  son  espèce,  fournissant  une  riche  démonstration  de  la  résurrection.  D'après 
eux,  il  est  sans  compagne  et  unique  dans  le  monde  ;  ils  l'appellent  phénix  ;  et  ils 
racontent  qu'il  vient  tous  les  cinq  cents  ans  en  Egypte,  au  lieu  appelé  l'Autel-du- 
Soleii,  apportant  quantité  de  cinname,  de  casse  et  de  bois  de  baumier.  Ils  se 
tourne,  à  ce  qu'ils  disent,  vers  le  levant,  en  priant  le  soleil,  devient  volontiers  la 
proie  des  flammes,  et  est  réduit  en  cendres.  De  l'amas  de  ses  cendres  naît  un  ver, 
qui,  réchauffé,  a  la  forme  d'un  phénix  nouveau-né.  Devenu  oiseau,  il  prend  la 
route  de  l'Arabie,  qui  est  par  de  là  le  nome  d'Egypte.  Si  donc,  comme  ils  disent, 
la  résurrection  est  démontrée  par  un  oiseau  sans  raison,  pourquoi  nous  atta- 
quent-ils sans  prétexte,  quand  nous  confessons  que  Celui  dont  la  puissance  a 
amené  ce  qui  n'était  pas  à  être,  peut  amener  de  môme  la  dissolution  à  la  réorga- 
nisation ^  ?  » 


1  Epist.  I  ad  Corinth.,  XXIV-Vl. 

2  L.  V,  c.  VII    Pair,  cjrœc,  t.  1,  col.S'ii. 


LA    CAPPELLA   GREC A  7| 

Au  moment  où  siégeait  S.  Clément  et  où  commençaient  à  s'ébau- 
cher les  Constitutions  apostoliques,  qu'on  mettra  sous  son  nom,  Ta- 
cite, parmi  les  païens,  allait  rapporter  l'histoire  du  phénix,  avec 
des  doutes,  Martial,  Dion,  Celse,  Plutarque,  en  y  donnant  pleine 
croyance.  Ainsi  feront  au  second  siècle  ou  au  commencement  du 
troisième,  Lucien  ',  Aristide,  Philostrate,  Elien,  Solin,  en  attendant, 
au  quatrième  et  au  cinquième,  l'auteur  du  poème  du  Phénix,  Lac- 
lance,  ce  semble,  païen  encore,  Victor,  Claudien,  Nonnus,  Hora- 
pollon.  Une  fois  pourtant,  le  doute  de  Pline  et  de  Tacite  semble 
atteindre  Lucien  ^ 

Les  monuments  pubhcs  ou  privés  confirment  les  écrits.  «  On  voit, 
«  assure-t-on,  sur  plusieurs  deniers  d'or  de  Trajan,   l'eiTigie  du 
«  phénix,  la  tête  environnée  d'une  espèce  de  nimbe,  qui  n'est  peut- 
«  être  autre  chose  que  le  disque  du  soleil,  et  une  branche  d'arbre 
(c  entre  les  serres  \  »  Une  médaille  dAntonin,  frappée  à  Alexandrie, 
porte  un  phénix  au  nimbe  radié,  avec  la  légende  «  AIÎIN,  siècle,  » 
c'est-à-dire  siècle  d'or,  ou  peut-être  «  éternité  \  »  AETERNITAS  est 
la  légende  d'une  médaille  de  l'impératrice  Faustine,  femme  d'An- 
tonin,  portant  le  phénix  \  L'urne  sépulcrale  de  Marcius  Hermès  aura 
de  chaque  côté  de  l'épitaphe  un  phénix  sur  un  bûcher  \  Une  tombe 
païenne  d'Ostie,  faite  en  autel,  présentera  un  phénix  sculpté  avec 
cette  légende  :  ((  ET  TAMEN  AD  MANES  FOENIX  ME  SERBAT  LN 
«  ARA  QVI  MECVM  PROPERAT  SE  REPARE.  —  Et  cependant  chez 
«  les  Mânes  le  phénix  me  garde  sur  l'autel,  lui  qui  avec  moi  a  hâte 
«  de  se  réparer  '.  ;> 

Chez  les  Romains,  qui  à  l'embaumement  égyptien  avaient  subs- 
titué pour  les  morts  le  bûcher,  dont  ils  faisaient  un  théâtre  d'apo- 

'  «  Phénix,  oiseau  des  Indes  qui  se  brûle  lorsqu'il  est  parvenu  à  une  extrême 
«  vieillesse.  »  Peregrinus. 

2  «  Je  verrai  ce  que  personne  n'a  jamais  vu,  le  griflbn,  ce  quadrupède  ailé,  et 
«  le  phénix,  cet  oiseau  des  Indes.  »  Le  Navire, 

'  Larousse,  Qrand  Dictionnaire,  t.  XII,  p.  774.  -  Eti  citant  cet  ouvrage,  il 
faut  observer  qu'il  a  été  mis  à  l'Index,  après  le  t.  YIII,  le  l"  mars  1873. 

*  Zoega,  Num.  .'Eyypt.  imper.,  tab.  XL 

^  Numm.  Arscot.,  tav.  XLIII,  19.  Mezzabar.  in  Faustina.  Dans  Bottari,  t.  I, 
p.  107. 
«  Fabretti,  p.  378,  XXXI. 
'  Antolocjia  Romuna,  an,  1783,  t.  IX,  p.  3G8 


72  LA    CAPPELLA   GRECA 

théose,  la  légende,onle  voit,  s'était  enrichie  du  drame  des  flammes. 
On  disait  que  le  phénix  offrait  aux  rayons  ardents  du  soleil,  sur 
l'autel  d'Héliopolis,  le  nid  embaumé  oii  il  allait  mourir,  et  qu'il  re- 
naissait de  son  mystérieux  embrasement.  Cet  embellissementfigure 
dans  les  écrivains  ecclésiastiques  à  la  fin  du  second  siècle.  Les 
Constitutions  apostoliques  nous  l'ont  montré  ;  le  voici  dans  Terlul- 
lien.  Au  traité  De  la  résurrection  de  la  chair,  après  avoir  reconnu, 
à  la  suite  de  S.  Clément,  certaines  images  de  notre  résurrection 
dans  toute  la  nature,  dans  le  jour  qui  succède  à  la  nuit,  dans  la 
plante  qui  sort  de  la  graine  ensevelie,  il  ajoute  : 

«  Si  l'univers  figure  imparfaitement  la  résurrection,  si  la  création  ne  prouve  ri- 
goureusement rien  de  tel, parce  que  chacune  de  ses  productions  est  dite  finir  plu- 
tôt que  mourir,  reprendre  sa  forme  plutôt  que  renaitre,  voici  de  cette  espérance 
un  témoignage  complet  et  irrécusable.  11  s'agit  d'un  être  animé,  sujet  à  la  vie  et 
à  la  mort  :  je  veux  dire  cet  oiseau  particulier  à  l'Orient,  fameux  en  tant  qu'u- 
nique, prodigieux  par  son  mode  de  postérité;  qui, faisant  volontiers  ses  funérailles, 
se  renouvelle,  décédant  et  se  succédant  dans  une  fin  qui  est  sa  naissance,  de  nou- 
veau phénix  où  il  n'y  a  plus  personne,  de  nouveau  en  nature  quand  il  n'est  plus, 
autre  et  le  même.  Quoi  de  plus  exprès  et  de  plus  rigoureux  pour  notre  cause? 
A  quelle  autre  fin  se  rapporte  cet  enseignement?  Dieu  dit  aussi  dans  ses  Ecri- 
tures :  Et  il  fleurira  comme  le  phénix  ',  c'est-à-dire  du  sein  de  la  mort,  des  funé- 
railles, afin  que  vous  croyiez  que  la  substance  du  corps  peut  être  rappelée  même 
des  flammes.  Le  Seigneur  a  prononcé  que  nous  valons  mieux  que  beaucoup  de 
passereaux  ^  :  si  nous  ne  valons  pas  mieux  aussi  que  les  phénix,  ce  n'est  pas 
grand'chose.  L'homme  mourra-t-il  une  fois  pour  toutes,  les  oiseaux  d'Arabie 
étant  sûrs  de  la  résurrection  *?  » 

Origène,  avec  ses  habitudes  de  critique,  est  moins  assuré  que 
Tertullien  de  la  légende  du  phénix.  Il  dit  de  Celse,  qui  a  admis,  au 
premier  siècle,  cette  légende,  sans  le  complément  du  bûcher  : 


»  Ps.  XGI,  13. 

2  Matt.,  X,  31. 

3  De  resurrectione  carnis,  XIIL  —  L'auteur  du  poème  Du  Jugement  du  Sei- 
gneur,  qu'on  croit  carthaginois  et  contemporain  de  Tertullien,  s'il  n'est  Tertul- 
lien lui-même,  comme  on  l'a  assuré,  dit  également  : 

Et  renovata  sua  vivit  fuligine  phœnix, 

Et  suce  mox  volucns  (jiiirum)  /mst  bits' a  resurgit. 

«  Le  phénix  renouvelé  vit  de  sa  suie  :  l'oiseau,   ô  prodige  !  ressuscite,  sitôt  son 

«  cadavre  consumé.  » 


LA   CAPPELLA   GRECA  73 

«  Ensuite  se  faisant  le  champion  de  la  piété  des  animaux  irraisonnables,  Celse 
montre  l'animal  d'Arabie,  le  phénix,  venant  en  Egypte  après  un  grand  laps  d'an- 
nées, apportant  son  père  mort  et  enseveli  dans  une  sphère  de  myrrhe  et  If  plaçant 
au  lieu  où  est  le  temple  du  soleil.  C'est  ce  qu'on  raconte,  en  effet  ;  et  il  se  peut,  si 
c'est  vrai,  que  ce  soit  un  phénomène  de  la  nature,  la  divine  Providence  voulant, 
même  dans  les  différences  des  animaux,  manifester  largement  aux  hommes  la  di- 
versité des  dispositions  qu'elle  a  mises  dans  le  monde,  et  la  rendre  visible  aussi 
dans  les  oiseaux.  Elle  a  produit  un  animal  unique  en  son  espèce,  afin  de  faire  ad- 
mirer en  cela,  non  l'animal,  mais  son  auteur  *.  » 

Au  IV°  siècle,  S.  Cyrille  de  Jérusalem,  se  référant  à  S.  Clément 
pape  ^  S.  Grégoire  de  Nazianze  \  S.  Ambroise  \  S.  Zenon  '% 
S.  Epiphane  ^  admettant  tous  quatre  la  résurrection  du  sein  du 
bûcher,  et  le  poète  Ausone  ^  acceptant  la  merveilleuse  légende  du 
phénix,  S.  Augustin,  à  qui  on  l'objecte,  respecte  mais  n'ose  garan- 
tir cette  croyance.  «  Ce  que  tu  dis  du  phénix,  répond-il  à  son  ad- 
«  versaire  dans  le  livre  Z)e  l'Aine  et  de  son  origine,  écrit  en  419, 
«  n'esl  aucunement  à  la  question.  Cet  oiseau  marque  la  résurrec- 
«  tion  des  corps,  il  ne  détruit  pas  le  sexe  des  âmes,  si  toutefois, 
«  comme  on  le  croit,  il  renaît  de  sa  mort  \  »  S.  Jérôme,  acceptant 
des  Septante  et  des  Rabbins  que  le  chol  du  livre  de  Job  est  non 
pas  le  sable  mais  le  phé)iix,  entend  par  phénix  l'arltre,  c'est-à-dire 
le  palmier,  non  l'oiseau  de  la  légende,  et  il  fait  dire  au  saint  pa- 
triarche :  Et  sicut  palma  multiplicabo  dies  ^ .  L'omission  par  nombre 
de  Pères  de  l'argument  du  phénix  pour  justifier  la  résurrection 
de  la  chair,  mérite  aussi  d'être  notée.  On  peut  dire,  en  somme,  que 
les  Pères,  le  trouvant  admis  à  peu  près  sans  réserve  par  les  païens, 
ne  s'en  sont  servi  néanmoins  qu'avec  una  certaine  réserve.  On  les 
a  blâmés  à  cause  du  phénix  :  il  faut  les  louer  plutôt,  les  uns  de  leur 


»  Contra  Celsum,  1.  IV,  98,  Patr.  grœc,  t.  XI,  col.  1177. 
2  Catechesis.  XVIII,  8. 
'  Carm.  III  ad  Virg.,  v.  526. 

'•  De  excessu  fratris  sui  Satyri,  1.  II,  59,  anno  379;  Hcxaemeron,  1.  V,  79,  80, 
an.  389;  In  Ps.  GXVIII  Expositio,  13. 

°  Lib.  I.  Tractatus  XVI  de  Resurrectione,  9. 
*  Ancoratua  LXXXIV. 
^  E  dyll.  XI,  v.  15. 

8  De  Anima,  1.  IV,  33. 

9  Job.  XXIX,  18. 


74  LA   CAPPELLA   GRECA 

bonne  foi  et  de  leur  foi  pleine  de  simplicité  et  de  zèle,  les  autres  de 
leur  prudence  critique. 

Cette  prudence  apparaît  dans  les  catacombes  et  sur  les  divers  mo- 
numents chrétiens  de  Rome.  On  n'y  a  trouvé  aucun  trait  spécial  de 
la  légende  du  phénix,  ni  l'oiseau  portant  le  corps  de  son  père  ou  le 
déposant  sur  l'autel  du  Soleil,  ni  l'oiseau  renaissant  du  bûcher.  Les 
fidèles  ont  laissé  aux  païens  ces  images  chères  à  l'idolâtrie  égyp- 
tienne ou  romaine,  qui  n'auraient  point  été  sans  quelque  péril  ou 
scandale,  et  qui  étaient  d'une  vérité  contestée. 

Le  phénix  n'a  été  reconnu  jusqu'ici,  dans  les  catacombes,  à  l'état  de 
symbole  isolé,  que  quatre  fois  d'une  manière  positivement  certaine. 
La  première  nous  assure  simplement  du  fait,  sans  rien  nous  appren- 
dre du  mode  de  représentation.  Les  Actes  de  Ste  Cécile,  du  commen- 
cement environ  du  V*^  siècle,  disent  que  Tiburce,  son  beau-frère,  à 
cette  question  de  l'exécuteur  Maxime  :  «  Et  que  peut  être  l'autre 
vie  ?  »  répondit  : 

«  Comme  le  corps  est  vêtu  de  vêtements,  ainsi  l'âme  est  vêtue  du  corps,  et  comme 
le  corps  est  dépouillé  de  ses  vêtements,  ainsi  l'âme  est  dépouillée  du  corps.  Le  corps 
qu'a  fourni  la  semence  de  la  terre  par  la  concupiscence,  est  rendu  aux  entrailles 
de  la  terre,  afin  que,  réduit  en  cendres,  il  ressuscite  comme  le  phénix,  à  l'aspect 
de  la  lumière  future  ;  mais  l'âme,  si  elle  est  sainte,  sera  transportée  dans  les  dé- 
lices du  Paradis  pour  attendre,  daiis  l'affluence  de  ces  délices,  le  temps  de  sa  ré- 
surrection '.  » 

Maxime,  ayant  cru,  ayant  été  baptisé  et  ayant  souffert  le  martyre 
après  Tiburce  et  son  frère  Valérien,  époux  virginal  de  Cécile, 
«  Ste  Cécile,  ajoutent  les  Actes,  l'ensevelit  auprès  de  Yalérien  et 
«  de  Tiburce  dans  un  sarcophage  neuf,  et  ordonna  de  sculpter  un 
«  phénix  sur  le  sarcophage  pour  montrer  la  foi  de  celui  qui  avait 
«  embrassé  de  tout  son  cœur  la  croyance  qu'on  lui  proposait,  sur 
«  l'exemple  du  phénix  ^  » 

On  trouve  ensuite  le  phénix  caractérisé  par  un  signe  typique,  le 
nimbe.  Empruntant  le  nimbe  au  disque  du  soleil  ou  aux  rayons  des 
étoiles,  les  Égyptiens,  les  Grecs  et  les  Romains  le  donnaient  à  leurs 


'  S.  E.  le  C"'  Bartolini,  GU  Alti  del  martirio  dclla  nobilissima  vergine  romana 
S  Cecilia.  Roma,  1867,  in-8°,  p.  57. 
-  IbicL,  p.  6i. 


LA   CAPPELLA   GRECA  75 

dieux,  à  leurs  pharaons,  à  leurs  héros,  à  leurs  empereurs.  Les 
Romains  l'ont  substitué  à  l'aigrette  du  phénix  comme  honneur  de 
sa  tête.  On  nous  a  signalé  des  deniers  d'or  de  Trajan,  à  l'effigie  du 
phénix  ayant  ec  la  tête  environnée  d'une  espèce  de  nimbe  »  ;  nous 
avons  vu  le  nimbe  radié  sur  une  monnaie  d'Antonin.  L'auteur  du 
poème  du  Phénix,  attribué  à  Lactance,  dira  du  phénix  : 

«  Une  couronne  radiée  est  adaptée  à  toute  sa  tête,  rappelant  dans  son  élévation 
la  gloire  de  la  tête  de  Phébus,  » 

JEquatur  toto  capiti  radiata  corona 
Phœhei  referens  verticis  alta  decus  ' . 
— «  Sur  son  nid  de  cinname,  dira  Ausone,  cet  oiseau  est  radié  autour  des  tempes,  » 

Aies  cinnanieo  radialus  iempora  nido^. 
— «  Une  gloire  de  feu,  dira  enfin  Claudien,  ceint  sa  tête,  » 

Igneus ora 
Cingit  honos  ^. 

C'est  ainsi  qu'un  fragment  d'une  grande  plaque  de  marbre,  trou- 
vée dans  les  débris  de  l'ère  seconde  du  cimetière  de  Saint-Calixte, 
et  qui  remonte  au  milieu  environ  du  troisième  siècle,  a  présenté 
le  phénix  avec  le  nimbe  radié  *;  et  qu'une  épitaphe  du  cimetière  de 
Cyriaque^  datée  de  385,  le  montrera  avec  le  nimbe  simple  ^ 

Si  le  nimbe  était  le  signe  de  rigueur  pour  reconnaître  le  phénix 
sur  les  tombes  chrétiennes,  nous  serions  réduits  à  ces  deux  exem- 
ples et  au  précédent.  Ils  formeraient  avec  les  textes  si  nombreux  et 
si  solennels  des  Pères  un  étonnant  contraste.  Le  phénix  semblerait 
«  étranger  au  cycle  symbolique  cémetérial  >;,  selon  l'expression  de 
M.  de  Rossi,  qui  se  hâte  d'ajouter  :  «  C'est  là,  à  mon  avis,  une 
«  apparence  trompeuse  ^  »  Maintes  fois  sur  les  monnaies  des  fils  de 
Constantin  l'oiseau  qui  est  sur  le  globe  n'a  aucun  nimbe  ;  et  il 
est  si  semblable  à  l'oiseau  nimbé  de  ces  monnaies  que  personne  ne 
doute  que  ce  ne  soit  un  phénix.  N'y  a-t-il  pas  ainsi  aux  catacombes 
et  ailleurs  quantité  de  phénix  à  reconnaître?  M.  de  Rossi  écrit  là- 

1  V.  140.  Pair,  lut.,  t.  VII,  col.  283. 

■'  Jdylt.,  XI,  V.  15. 

^  Idyll,  de  Phœnice,  v.  17. 

*  M.  de  Rossi,  Rom.  sott.,  t.  II,  p.  313. 

*  M.  de  Rossi,  Inscript,  christ,,  t.  I,  p.  155.  —  Ici  pi.  XIll,  11. 
^  Rom.  sott.,  t.  II,  p.  313, 


76  LA    CAPPELLA    GRECA 

dessus  ces  lignes  importantes,  en  montrant  le  quatrième  phénix 
qui  est  hors  de  discussion  : 

«  Dans  l'épitaphe  païenne  citée  plus  haut  qu'a  éditée  Fabretti,  les  deux  phénix 
sur  le  bûcher  n'ont  aucune  couronne  ;  leur  type  cependant  que  j'appellerai  physio- 
logique, est  semblable  à  celui  des  phénix  nimbés,  principalement  par  le  cou  long 
et  la  poitrine  gonflée*.  Nous  devons  donc  chercher  si,  dans  la  variété  d'oiseaux 
tracés  à  la  pointe  sur  les  pierres  cémétériales,  que  nous  avons  coutume  d'appeler 
indistinctement  colombes,  il  s'en  trouve  qui  ressemble  à  ce  type.  La  parfaite  imi- 
tation de  l'oiseau  ci-dessus  décrit  ne  se  rencontre  pas  souvent  sur  les  épitaphes 
cémétériales  :  elles  sont  gravées  le  plus  souvent  avec  négligence.  Il  faut  tenir 
grand  compte  de  cette  distinction  que  tels  des  oiseaux  portent  le  rameau  d'oli- 
vier, tels  la  palme.  Ceux-là  rappellent  la  colombe  de  Noé,  ceux-ci  l'oiseau  ayant 
de  commun  avec  la  palme  le  nom  -^oîviÇ  et  d'autres  propriétés,  qui  ont  fait  que  les 
anciens  chrétiens  ont  uni  le  phénix  à  la  palme.  Et  en  effet,  si  j'ai  pu  citer  un 
exemple  capital  du  phénix  nimbé,  étant  accompagné  du  nom,  il  s'en  trouve  un 
semblable  du  phénix  sans  nimbe  portant  au  bec  un  petit  rameau  de  palme,  et  négli- 
gemment tracé,  comme  il  l'est  sur  les  marbres  cémétériaux.  Celui-ci  fut  gravé  sur 
l'architrave  de  l'antique  porte  principale  de  la  basilique  de  S.  Paul.  Il  offre  sur 
la  tète  de  l'oiseau  cette  claire  et  éclatante  inscription  :  FENIX  ^...  Cet  oiseau  est 
une  vraie  clef  qui  fait  reconnaître  le  phénix  dans  une  très  grande  quantité 
d'images  d'oiseaux  portant  un  rameau  de  palme  ^.  » 

Le  ((  type  physiologique  »,  consistant  dans  «  le  cou  long  et  la 
«  poitrine  gonflée  »,  doit  être  grandement  complété,  à  mon  avis,  par 
l'image  du  phénix  que  les  Égyptiens  ont  montrée  à  Hérodote  et  que 
Pline  a  signalée  aux  Romains,  une  sorte  d'aigle  au  plumage  de 
pourpre  et  d'or,  en  qui  tout  nous  fait  voir  et  Cuvier  a  vu  avec  assu- 
rance le  faisan  doré.  Les  Romains  ont  dû  peindre  pour  le  phénix  un 
oiseau  tenant  du  faisan  commun,  celui  venu  du  Phase,  qu'ils 
voyaient,  et  qui  se  rapprochait  le  plus,  bien  qu'imparfaitement,  du 
type  que  leur  indiquait  Pline.  L'élégant  auteur  du  poème  du  Phé- 
7iix,  soit  Lactance,  soit  tel  rhéteur  de  son  temps,  en  fournit  la 
preuve.  11  fait  venir  le  phénix  d'un  Éden  situé  au  fond  de  l'Orient, 
primo  Orieîite;  il  lui  fait  construire  en  Syrie  son  nid  ou  sépulcre  sur 

'  Voir  encore  une  inscription  de  la  Gaule  où  M.  Le  Blant  reconnaît  le  phénix, 
Imcr.  de  la  Gaule,  t.  II,  p.  4i.  Note  de  M.  de  Rossi.  —  L'inscription  est  citée 
vers  la  fin  de  ce  chapitre. 

^  Ici  pi.  XllI,  12.  —  Le  point  qu'on  voit  à  droite  de  FENIX  appartient  à  Tins- 
cri[)tion. 

»  Rom.  soit.,  t  II,  p,  313. 


LA    CAPPELLA    GRECA  77 

le  sommet  d'un  palmier,  disant  que  le  palmier  et  la  Phénicie,  la 
terre  des  palmiers,  tirent  de  lui  son  nom  ;  ressuscité,  sur  cet  arbre, 
de  l'incendie  de  son  corps  aux  rayons  du  soleil,  il  le  fait  apparaître 
à  Héliopolis,  sur  l'autel  du  Soleil,  avant  de  reprendre  le  chemin  de 
sa  patrie  ;  et,  le  dépeignant  là  longuement,  lui  donnant  à  pleines 
mains  la  pourpre  et  l'or,  mettant  le  nimbe  de  Phébus  autour  de  sa 
tête,  il  finit  par  ce  trait  : 

«  Son  image  apparaît  mitoyenne  entre  la  figure  du  paon  et  l'oiseau  au  plumage 
peint  du  Phase,  » 

Effigies  inter  pavonis  mixta  figuram 

Cernitur,  et  pictam  Phasidis  inter  avem  '. 

Voilà  le  faisan  déclaré  une  des  deux  images  approchant  du  phé- 
nix ;  le  paon  est  l'autre.  Ce  dernier  point  mérite  attention  et  donne 
lieu  peut-être  à  se  demander  si  le  paon  des  catacombes  ne  serait  pas, 
au  moins  quelquefois,  une  image  intentionnelle  du  phénix.  Le  pre- 
mier nous  avertit  que  si  nous  trouvons  le  faisan  sur  les  monuments 
chrétiens,  c'est  le  phénix  qu'il  y  faudra  voir. 

En  conséquence,  je  n'hésite  guère  à  voir  un  phénix  dans  ce  bril- 
lant oiseau  au  corps  émaillé  de  couleurs,  à  la  queue  allongée  en 
pointe  et  pareillement  émaillée  dont  il  reste  une  moitié,  caractéri- 
sant le  faisan,  pictam  Phasidis  avetn,  qui  fut  gravé  au  trait  sur  la 
pierre  fermant  un  loculus  du  cimetière  de  Saint-Calixte,  de  la  hau- 
teur presque  de  la  pierre,  à  gauche  de  cette  inscription  : 

A0HNOAi2POY 

KAT  nP  2  IB  KAL  MAPT 

«  Déposition  d'A-thénodore  le  XII  avant  les  calendes  de  mars*.  » 

L'épitaphe,  trouvée  non  loin  du  tombeau  de  sainte  Cécile,  est  du 
milieu  environ  du  troisième  siècle.  Il  est  bien  vraisemblable  qu'elle 
nous  montre  un  dessin  du  phénix  pareil  à  celui  que  Cécile  venait  de 
faire  graver  sur  la  tombe  de  S.  Maxime.  Il  n'y  a  probablement  à 
changer  que  le  nom  et  la  date  pour  avoir  ici  sous  les  yeux  l'épitaphe 
du  martyr  et  un  texte  illustré  de  sainte  Cécile  elle-même. 

•  V.  143. 

^  Les  deux  lettres  sont  réunies  en  un  seul  sigle  sur  l'original. 

=5  M.  de  Rossi,  Rom.  soit.,  t,  II,  tav.  XLVII,  24  ;  t.  II,  p.  273.  —  Ici  pi.  XIII,  13. 


78  LA    CAPPELLA    GRECA 

C'est  un  faisan-phénix  aussi  que  je  crois  reconnaître  dans  ce 
magnifique  oiseau,  ayant  le  port  du  coq,  le  plumage  rouge  et  or, 
semé  d'yeux,  pictam  avem,  dont  la  fresque  des  Cinq-Saints,  au  ci- 
metière de  Sotère,  touchant  à  celui  de  Saint-Calixte,  nous  ofTre 
encore  tout  le  buste,  moins  la  tète.  L'oiseau  est  unique  dans  ce 
tableau  incomparable  du  Paradis  ;  il  se  promène  en  bas  parmi  les 
plantes  fleuries  et  trois  grands  vases,  d'où  jaillit  l'eau  fraîche, 
oii  viennent  boire  les  colombes  ;  deux  paons,  des  oiseaux  divers,  y 
compris  le  coq,  perchent  ou  volent  plus  haut  :  lui  est  à  part,  royal 
et  vraiment  grandiose  '.  N'est-ce  pas  le  phénix  unique,  iinica  Phœ- 
nix,  comme  l'appelle  l'auteur  du  poème  du  Phénix,  disant  qu'en 
son  Elden  d'Orient  l'oiseau,  au  lever  de  l'aurore  «  immerge  douze 
«  fois  son  corps  dans  les  ondes  pieuses,  et  douze  fois  goûte  l'eau 
((  du  courant  vif?  » 

Ter  quater  illa  pius  immergit  corpus  in  undas  ; 
Ter  quater  e  vivo  gurgite  libat  aquam^. 

Le  second  caractère  pour  reconnaître  le  phénix  est  le  palmier. 
Portant  le  même  nom,  ayant  la  même  renommée,  inégalement  fon- 
dée, de  longévité  et  de  renaissance  spontanée;,  l'antiquité  s'est  com- 
plu à  les  associer.  Ovide  place  le  nid  du  phénix  sur  un  palmier  et 
le  montre  emportant,  dans  sa  résurrection,  des  palmes  avec  son  tom- 
beau devenu  son  berceau  :  ramos  levât  arhoris  altse.  La  palme  est 
donc  l'attribut  classique  de  cet  oiseau  comme  le  rameau  d'olivier  est 
l'attribut  biblique  de  la  colombe.  C'est  le  signe  spécifique  qui,  sauf 
indice  contraire,  doit  les  faire  reconnaître.  Je  dis  sauf  indice  con- 
traire. Il  n'est  pas  impossible,  en  effet,  surtout  avec  la  théologie 
profonde,  subtile,  intarissable  en  rapprochements,  de  l'art  chrétien 
des  premiers  siècles,  qu'on  ait  prêté  la  palme  à  la  colombe.  Pru- 
dence ne  parle-t-il  pas  d'une  «  colombe  venue  des  astres»  qui  «met 
«  en  fuite  les  aigles  farouches  » ,  ajoutant  :  «  Tu  es  pour  moi,  ô  Christ, 
((  la  colombe  puissante,  à  qui  cède  l'oiseau  repu  de  sang  ^  ?  »  Le  ra- 
meau d'olivier,  même  porté  par  le  phénix,  ne  m'étonnerait  pas,  puis- 


'  ^om.  sotl.,  t.  III,  tav.  I-II. 

2  V.  37. 

^  Cathemerinon,  III,  v.  1G3-7. 


LA    CAPPELLA   GRECA  79 

que  le  Christ  ressuscité  est  venu  dire  à  ses  Apôtres  :  «  Paix  à  vous!  » 
Mais  enfin  il  faut  se  reconnaître  dans  le  symbolisme  ;  et  si  le  nom 
écrit,  si  une  forme  caractéristique  du  corps,  au  lieu  de  la  forme  gé- 
néralement vague  des  oiseaux  aux  catacombes,  si  telle  autre  cir- 
constance ne  vient  pas  nous  avertir  que,  contre  l'indication  naturelle, 
l'oiseau  portant  la  palme  n'est  pas  le  phénix,  on  doit  dire  sans  hési- 
tation :  c'est  lui.  L'artiste  qui  a  peint  ou  gravé  a  voulu  se  faire 
comprendre  :  il  faut  l'entendre  ainsi,  ou  il  est  inintelligible.  Aussi 
le  nom  de  l'oiseau  qui  porte  la  palme  étant  écrit  une  fois,  ce  nom 
est-il  FENIX;  et  personne  ne  doute  que  l'oiseau  qu'on  voit  si  sou- 
vent sur  le  palmier,  à  la  paix  de  l'Église,  ne  soit  toujours  le  phénix. 
Nous  pouvons  donc  formuler  cette  seconde  règle  :  la  palme  est  le 
déterminatif  du  phénix,  en  thèse  générale. 

De  cette  règle  et  de  la  précédente  que  l'oiseau  semblable  au  fai- 
san est  le  phénix,  résulte  à  double  titre  une  interprétation  neuve  et 
du  plus  haut  intérêt  d'une  fresque,  du  troisième  siècle  environ,  qu'on 
voit  dans  une  chambre  voisine  de  la  cappella  greca. 

La  chambre  présente  sous  le  cintre  de  la  porte,  Jonas  vomi  par 
le  monstre  ;  en  face,  une  Orante  et  deux  sujets  où  nous  verrons,  je 
l'espère^  Susanne  et  son  histoire  ;  à  gauche,  le  sacrifice  d'Abraham  ; 
à  droite  les  trois  Hébreux  dans  la  fournaise;  à  la  voûte,  le  Bon  Pas- 
teur portant  sa  brebis.  Mais  sur  les  trois  Hébreux,  chantant,  au  milieu 
des  flammes  et  de  leurs  longs  jets  innocents,  le  cantique  de  la  déli- 
vrance^ plane  un  immense  oiseau  tenant  un  très  petit  rameau  au 
bec.  Le  dessinateur  de  Bosio  en  a  fait  une  colombe  ;  du  rameau  il  a 
fait  un  rameau  d'olivier  \  A  la  vue  de  la  photographie',  l'idée 
d'une  colombe  est  insoutenable.  L'oiseau  a  amplement  la  grosseur 
d'un  gallinacé.  C'est  manifestement  une  sorte  de  faisan  en  qui  le 
phénix,  et  le  phénix  seul,  se  trahit.  Le  très  petit  rameau,  d'ailleurs, 
qu'il  tient  au  bec,  ayant  cinq  brins  en  éventail,  est  un  bout  de  palme, 
fort  semblable  à  celui  qui  est  au  bec  de  l'oiseau  au-dessus  duquel 
on  lit  :  FENIX.  Ayant  fait  cette  découverte  sur  la  photographie, 
j'étais  certain  d'avance  de  la  voir  non  démentie  mais  confirmée  par 


»  Aringhi,  t.  Il,  p.  311. 

*  M.  Parker,  n»  1471.  —  Ici  pi.  XIII,  14.  La  photographie  montre  autour  du 
bec  de  l'oiseau  un  ovale  blanc,  bien  accusé,  qui  fait 'songer  au  nimbe  du  phénix. 


80  LA   CAPPELLA    GRECA 

la  peinture.  Comme  elle  l'a  été  heureusement  !  Dans  mes  visites 
avec  mes  amis  au  cimetière  de  Priscille,  durant  le  mois  des  anni- 
versaires de  Pie  IX  et  de  Léon  XIII,  en  février  et  mars  1879,  ce  grand 
oiseau  nous  est  apparu  à  tous  avec  le  cou  et  la  poitrine  rouges,  des 
traits  tirant  sur  le  jaune,  et  le  reste  du  corps  bleu.  En  somme,  c'est 
le  phénix  dont  Pline  a  écrit  :  Aquilœ  narraiiir  magnitudiîie ,  auri 
fulgore  circa  colla,  cœtereo  piwpureus,  csendeam  roseis  caudam 
pennis  distinguentibus  '.  Le  peintre  avait,  à  n'en  pouvoir  douter, 
le  naturaliste  sous  les  yeux,  et  Toiseau  a  été  porté  du  livre  snr  la 
muraille.  Mais  qui  est  ce  phénix  sinon  le  Christ  qu'on  voit  en  figure 
humaine  à  la  cappella  greca,  domptant  les  flammes  de  la  fournaise  et 
faisant  entonner  l'hymne  de  jubilation  à  ses  fidèles? 

Un  diptyque  d'ivoire  duV"  siècle  le  présente  avec  des  ailes  d'ange, 
abaissant  vers  les  flammes  son  sceptre  terminé  par  son  mono- 
gramme +  et  figurant  sa  croix  ^  Le  phénix  de  notre  fresque  est 
l'original  de  cet  ange.  L'un  et  l'autre  répondent  à  cette  antienne 
antique  que  nous  chantons  à  Landes,  au  temps  pascal,  à  la  fin  du 
cantique  des  trois  Hébreux  :  «  Le  Christ  est  ressuscité  du  tombeau, 
«  lui  qui  a  délivré  les  enfants  de  la  fournaise  du  feu  ardent. 
«  Alléluia!  » 

En  face  on  voit  le  feu  d'un  sacrifice,  Abraham  qui  le  montre,  résolu 
à  lui  livrer  son  fils,  et  Isaac  apportant  le  bois  sous  lequel  il  se  courbe 
comme  sous  une  croix.  Avant  les  trois  Hébreux,  Isaac  a  été  délivré 
du  bûcher  par  le  divin  Phénix  du  Calvaire  dont  il  est  la  prophétie. 
On  dirait  que  ce  Phénix  est  ici  unique,  surmontant  une  scène  et 
faisant  face  à  l'autre,  pour  qu'on  sache  bien  que  c'est  le  même  qui 
a  vaincu  les  flammes  du  bûcher  et  celles  de  la  fournaise. 

Le  cimetière  de  Priscille  n'a  pas  offert  un  "second  exemple  aussi 
splendide  du  phénix.  Il  est  unique  même,  jusqu'ici,  dans  l'antiquité 
chrétienne.  Mais  d'autres  exemples  notables  ne  manquent  pas  au- 
tour de  la  cappella  greca.  Citons  l'épitaphe  de  «  Respectus  qui  a  vécu 
«  un  an  huit  mois  »  et  «  dort  en  paix  :  RESPECTVS  QVI  YIXIT  ANNV 


<  Eist.  nal.,  X,  11. 

-  Goii,  Thésaurus  vêler um  dyptichorum,  Florentiae,  1859,  t.  III,  tav.  VIII.  — 
Ici  pi.  XIII,  15.  —  Une  pyxide  d'ivoire  de  la  collection  Basilewski  offrait  à  l'Expo- 
sition de  1878  ce  sujet  si  rare. 


LA    CAPPELLA    GRECA  81 

((  MENSES  VIII  DORMIT  IN  PAGE.  »  L'enfant  est  à  mi-corps  en 
Orante  dans  une  couronne  de  laurier,  à  gauche  de  l'inscription  ;  à 
droite  est  un  oiseau  tenant  la  palme  '  :  c'est  le  phénix.  Il  est  gravé 
ainsi  sur  un  autre  marbre,  à  côté  de  SCAMNATIVS  LN  PACAE  \  Il 
semble  bien  que  c'est  une  palme  qui  est  dans  les  serres  de  l'oiseau 
gravé  à  droite  de  l'inscription  de  Prima  «  qui  a  vécu  51  ans,  5  mois, 
«  (?)  jours,  »  sous  laquelle  est  le  chi,  X,  flanqué  à  droite  d'un  poisson 
ayant  à  la  gueule  une  palme  tournée  en  couronne,  à  gauche  d'une 
palme  étendue  ^  Nous  avons  entrevu  plus  haut  et  nous  verrons  plus 
loin,  parmi  les  monuments  du  siècle  de  Constantin,  le  phénix  au 
haut  du  palmier,  dans  une  grande  composition  gravée  sur  un  mar- 
bre du  cimetière  de  Priscille. 

De  ce  cimetière  passons  à  un  cimetière  voisin,  celui  de  Saint- 
Hermès.  On  y  voit  trois  oiseaux  portant  la  palme  aux  serres,  trois 
phénix.  Deux  sont  sur  les  tombes  de  Cœsonius  Salvius,  mort  âgé 
de  vingt  ans  et  de  Lendonius,  mort  âgé  de  dix-huit,  tombes  mar- 
quées du  monogramme  constantinien  du  Christ  "".  Le  troisième  ac- 
compagne le  dauphin  sur  une  tombe  plus  ancienne,  portant  au-dessus 
du  phénix  ce  seul  mot  grec  :  AMIANOC  ^  L'oiseau  a  de  plus  ici  au 
bec  un  bout  de  rameau  d'olivier.  Si  ce  détail  est  bien  de  l'original, 
n'est-ce  pas  le  Christ,  vainqueur  de  la  mort,  annonçant  la  paix  à  ses 
Apôtres?  Il  est  peu  probable  que  le  phénix  représente  le  défunt, 
bien  que  gravé  sous  son  nom.  Il  doit  figurer  le  Christ  comme  le 
Poisson  qui  est  à  côté  ;  et  peut-être  le  Poisson  Jésus-Christ  Fils  de 
Dieu  Sauveur  n'est-il  que  le  phonétique  du  phénix? 

Les  images  du  phénix  caractérisé  par  la  palme  sont  très  nom- 
breuses dans  les  divers  cimetières  chrétiens  :  Moltissime  imagini, 
dit  bien  M.  de  Rossi  ^ 

Boldetti  nous  montre  cette  image  sur  les  tombes  de  Vulpius  \  d'Eu- 
lia  *  ;  de  Léon  et  Maximilianète  ^  ;  de  Dolutia  Poppea  Capra,  kuv{elia) 

1  Aringhi,  t.  II,  p.  259.  -  Ici  ]A.  XIII,  16. 

^  Aringhi,  ihid. 

^  Ibid.  —  Voir  ici  pi.  XI,  28. 

*  Aringhi,  t   II,  p.  326. 

'  Ibid.,  p.  327. 

«  Rom.  sott.,  t.  II,  p.  311. 

''  P.  2'i8.  —  »P.  275.  —9  P.  3'i3. 

Il*"  série,  tome  XI.  6 


82  LA    CAPPELLA    GRECA 

et  Januarius  '  ;  de  Cacia  KACIA,  avec  l'ancre  ',  d'Irène  ^  les  deux  aux 
cimetières  de  la  voie  Appienne,  vers  Saint-Calixte  ;  de  Populonius  \ 
de  Leontia,  au  cimetière  de  Cyriaque  ";  d'Augentiès,  AïrKNTIHS, 
à  celui  de  Saint-Urbain,  c'est-à-dire  de  Prétextât  *';  de  Venerusus  à 
celui  de  Pontien  ^  ;  de  Léla  à  celui  de  Saint-Hippolyte^  ;  de  Salvius**; 
de  Yictorinus  '°.  Cette  tombe-ci,  avec  l'oiseau  portant  la  palme,  à 
gauche  de  l'inscription,  a  l'oiseau  portant  le  rameau  d'olivier,  à 
droite.  Il  paraît  évident  que  l'un  est  le  phénix,  l'autre  la  colombe. 

A  son  tour  Marangoni  nous  signale  l'oiseau  portant  la  palme  au 
bec  sur  la  tombe  antique  de  Quintianus,  ^NOS  —  ^^^  ancre 
couchée  séparant  les  deux  moitiés  du  nom,  —  au  cimetière  de 
Thrason,  vis  à  vis  de  celui  de  Priscille  ".  Là  même,  l'inscription 
de  Léla  est  flanquée  des  deux  côtés  d'un  phénix  portant  la  palme 
tout  à  la  fois  au  bec  et  aux  serres  *-.  Le  phénix  est  ainsi  en  double, 
mais  avec  la  palme  aux  serres  seulement,  sur  la  pierre  tombale  de 
Titus,  d'un  cimetière  de  la  voie  Appienne  '^  Il  y  a  un  seul  phénix 
avec  sa  palme  sur  la  pierre  de  Primitiva  trouvée  par  Marangoni  dans 
la  même  région  '*.  L'oiseau  flanqué  de  deux  palmes,  sur  le  nom  de 
PENTYRYS,  qui  est  toute  l'inscription,  n'est-il  pas  un  phénix  aussi  '^? 

Une  cornaline,  publiée  par  M.  Perret,  présente  le  phénix  au  vol, 
tenant  la  palme  aux  serres,  La  double  aigrette  droite  rappelle  celle 
du  paon,  que  le  poëme  du  Phénix  apparente  avec  le  phénix  '^ 

M.  de  Rossi  a  trouvé  au  cimetière  de  Saint  Calixte  trois  phénix, 
l'un  portant  la  palme  au  bec,  fort  semblable  à  celui  sur  lequel  on 
lit  ailleurs  FENIX'''  ;  l'autre  ayant  devant  lui  une  palme,  séparée 
maintenant  par  une  fracture  du  marbre,  mais  qu'il  a  dû  tenir  aux 
serres  ^*  ;  le  troisième  au  nimbe  radié  *^  Il  en  a  entrevu  un  quatrième, 
à  la  disposition  de  la  palme  sur  un  fragment  de  marbre.  «  La  palme, 

1  P.  361.  -  2  P.  363.  -  '  P.  365.  —  ^  P.  367.  -  ^  p.  369.  —  «  P.  370.  — 
'  P.  378.  —  «  P.  413.  —  '  P.  459.  —  '"  P.  478. 

"  Jeta  S.  Vi  torini,  p.  75.—  *'-  P.  99.  -  '^  P.  132.  —  '*  P.  117.  —  '^  p.  i05. 

i«  T.  IV,  pi.  XVI,  n"  68;  t.  VI,  p.  115. 

'^  T.  II,  tav.  XLV,  6;  p.  314. 

1*  Tav.  XLIX,  23.  —  M.  de  Rossi  ne  signale  pas  dans  son  texte  ce  phénix,  dont 
l'identité  est  frappante. 

^3  P.  313. 


LA    CAPPELLA    GRECA  83 

«  dit-il,  tracée  au  poinçon  sur  le  fragment  tav.  XLIX,  10,  ne  fut  pas 
«  isolée,  à  mon  avis,  mais  jointe  à  un  phénix  \  » 

L'oiseau  portant  la  palme,  le  phénix,  a  devant  lui,  mais  à  distance, 
une  grappe  de  raisin  sur  les  tombes  de  Léontia  et  d'Augentiès,  aux 
cimetières  de  Cyriaque  et  de  Prétextât  ".  Sur  un  marbre  inédit  qui 
est  dans  la  grande  galerie  des  inscriptions  chrétiennes  du  Vatican, 
près  la  porte  de  la  bibliothèque,  le  phénix,  la  palme  aux  serres, 
becqueté  la  grappe  %  comme  font  ailleurs  les  colombes  tenant  le 
rameau  d'olivier.  Le  P.  Lupi  a  donné  un  groupe  semblable,  d'un 
marbre  qu'il  a  trouvé  encastré  dans  un  édifice  rustique,  sur  la  voie 
Appienne.  11  est  au-dessous  de  cette  inscription  : 

DATIBO  FILIO  QYI  VIXIT 

ANNOS  TRES  MENSIBYS  QY 

ATTOR  {sic)  SAL  DESA  MATER  FILIO  *. 

u  A  Dativus  son  fils,  qui  a  vécu  trois  ans,  quatre  mois,  Salvia  Desa. —  La  mère, 
à  son  fils.  » 

Dativus  qui  est  donné,  c'est-à-dire  Bieu-donné  comme  l'entend  un 
chrétien,  c'est  le  nom  du  petit  enfant  repris  par  Dieu  à  sa  mère.  Desa 
afTecte  ce  nom  de  mère  et  prononce  avec  redondance  celui  de  fils, 
comme  David  pleurant  Absalon  :  Mon  fils  Absalon,  Absalon  mon  fils  ! 
Mais  ce  fils  n'est  point  mort  pour  elle.  Il  est  baptisé  dajis  le  Christ  ^, 
et  comme  lui  vainqueur  du  démon,  de  la  mort,  de  l'enfer.  Son  âme, 

•  P.  314.  —  M.  de  Rossi  voit  aussi  avec  probabilité  un  phénix  dans  l'oiseau  qui, 
sur  la  tombe  de  Macaria,  va  becqueter  un  raisin.  T.  II,  tav.  LVII,  32. 

2  Boldetti,  p.  369,  370. 

'  Ici  pi.  XIII,  17.  —  Le  dessin,  gravé  au  trait,  a  0'"265™  de  largeur. 

*  Dissertatio  et  animadversiones  ad  nuper  inventum  Severœ  rixartyris  Epita- 
phium.  Panornii,  t73i,  p.  121.  —  Ici  pi.  XIII,  18.  —  On  trouve  un  Dativus  près 
de  la  cappella  greca.  Son  épitaphe,  peinte  au  minium  sur  des  briques  de  terre 
cuite,  porte  ce  salut  archaïque  : 

PAX  TECVM  DATIVE 

Ancre  couchée. 
Deux  défunts,  trouvés  «  dans  ce  groupe  de  sépulcres,  »  doivent,  d'après  M.  de  Rossi, 
«  être  à  peu  près  contemporains  des  célèbres  vierges  Pudentienne  et  Praxède.  » 
Bulîethioy  1869.  p.  16. 
^  Rom.,  VI,  3. 


84  LA    CAPPELLA    GRECA 

en  attendant  son  corps,  c'est  le  phénix  qui  emporte  loin  du  tombeau 
la  palme^  et  va  goûter  le  nectar  éternel. 

Le  palmier  est  l'arbre  de  vie  dont  les  feuilles  servent  au  triomphe 
des  élus  et  dont  le  régime  peut  leur  fournir  aussi  les  ivresses  du 
vin  mystique.  Mais  ce  vin,  c'est  par  excellence  le  fruit  de  la  vigne, 
le  Christ  ayant  dit  à  la  dernière  Cène  :  Je  ne  boirai  plus  de  ce  produit 
de  la  vigne  jusqu'à  ce  que  je  le  boive  de  nouveau  dans  le  royaume  de 
mon  Père  '  ;  et  après  la  Cène  :  Je  suis  la  vigne  vraie.  ...je  suis  la  vigne  ^. 
La  grappe  de  raisin,  rapportée  par  Caleb  et  Josué,  fut  le  symbole  de 
la  Terre  promise  :  c'est  le  symbole  naturel  du  Paradis.  La  vigne  dis- 
pute doncaupalmier  le  titre  d'arbre  dévie.  On  les  voit  l'un  et  l'autre, 
à  ce  titre,  aux  catacombes;  et  une  fois  la  vigne  s'y  dresse  comme 
un  palmier  ^  Ces  deux  images  de  l'arbre  de  vie  sont  réunies  sur  la 
tombe  de  Dativus  et  sur  l'autre  tombe  anonyme.  Il  me  semble  que 
dans  ce  phénix,  portant  la  palme  de  la  victoire^  et  allant  s'enivrer  à 
la  grappe,  l'artiste  chrétien  a  voulu  traduire  précisément  ces  paroles 
du  Christ  parlant  du  haut  des  cieux  :  Au  victorieux  je  donnerai  de 
manger  de  l'arbre  de  vie  \  Traduction  heureuse  et  que  je  dirais  vo- 
lontiers incomparable  de  ce  beau  texte  ! 

Le  tableau  est  abrégé  sur  le  marbre  de  Successus,  que  Boldetti 
tient  pour  un  martyr.  La  palme  est  simplement  croisée  avec  la 
grappe  de  raisin  ^ 

L'oiseau  qu'on  rencontre  sur  les  tombes  chrétiennes,  isolé  et  sans 
attribut  spécial,  surtout  s'il  marche  comme  fait  d'ordinaire  le  faisan, 
au  lieu  de  voler  comme  la  colombe,  me  semble  probablement  le 
phénix  ^  Le  rameau  d'olivier  est  trop  le  signe  biblique  et  ordinaire 
de  la  colombe  pour  qu'on  ait  pu  songer  à  elle  en  ne  rencontrant 
pas  ce  signe.  C'est  sur  le  phénix  que  la  pensée  devait  se  porter  alors, 
et  sur  l'article  du  Credo  «  la  résurrection  de  la  chair,  »  dont  il  est  si 
éminemment  la  représentation. 

A  la  paix  de  l'Église,  le  phénix  prend  pour  ainsi  dire  son  essor.  Il 

*  Matt.,  XXVI,  29. 
«  Joan.,  XV,  1,  b. 

3  Inscript,  christ.,  1. 1,  p.  201.  An.  398. 

*  Apoc,  II,  7. 
5  P.  2'i8. 

*  Ainsi  dans  Marangoni,  .4.  S.  Victor.,  p.  9i,  118. 


LA    CAPPELLA   GRECA  85 

est  le  symbole  de  l'ère  nouvelle.  Eusèbe  ne  manque  pas  de  citer  les 
vers  du  poète  Ézéchiel  sur  la  prétendue  apparition  du  phénix  à  l'E- 
xode des  Hébreux,  durant  leur  marche  vers  la  Terre  promise.  Cons- 
tantin, sur  des  monnaies  où  il  a  le  titre  de  MAXIMUS  que  le  Sénat  lui 
conféra  en  315,  offre  à  Rome  accompagnée  de  sa  louve,  un  globe 
surmonté  d'un  phénix  radié;  et  la  légende  porte  :  GLORIA  SAECVLI 
VIRTVS  CAESARYM  '.  C'est  le  siècle  de  gloire  qui  commence  par  la 
vertu  des  Césars,  à  l'enseigne  du  phénix.  Quand  on  songe  que  c'est 
à  son  divin  labarum,  portant  le  monogramme  du  Christ  et  dessinant 
sa  croix  que  Constantin  attribuait,  sur  l'inscription  même  de  sa  statue 
au  milieu  de  Rome,  la  délivrance  de  Rome  et  son  rétablissement  en 
sa  splendeur,  on  entrevoit  assez  que  le  phénix  cache  ici  le  Christ. 
Une  autre  monnaie  de  Constantin,  portant  l'exergue  ;  «  FEL  TEMP 
«  REPARATIO,  heureuse  réparation  des  temps,  «  est  ainsi  décrite  par 
Du  Cange  :  «  L'empereur  debout  en  habit  militaire  sur  un  vaisseau 
«  tient  de  la  main  droite  un  globe  surmonté  d'un  phénix,  de  la  gau- 
«  che  le  labarum  où  est  le  monogramme  du  Christ  :  au  revers  est 
((  une  Victoire  conduisant  un  vaisseau  ".  » 

Une  monnaie  de  Constance,  avec  la  même  exergue,  présente 
«  l'empereur  en  habit  militaire,  la  tête  nue,  debout  sur  un  vais- 
«  seau,  tenant  de  la  droite  un  globe  surmonté  d'un  phénix  radié,  de 
«  la  gauche  le  labarum  où  est  le  monogramme  du  Christ  :  à  la  proue 
«  de  la  trirème  est  une  Yictoire  qui  rame  '^  ».  Des  monnaies  de  Cons- 
tant, de  Magnence,  de  Constance  Galle  offrent  le  même  type  *.  Le 
phénix  manque,  et  Constance  tient  de  la  droite  le  labarum,  portant 
au  drapeau  le  monogramme  constantinien  du  Christ,  sur  une  mon- 
naie venue  d'Afrique  qui  est  à  la  bibliothèque  de  Versailles.  La  lé- 
gende est  :  FELIX  TEMPORVM  RESTAVRATIO.  Si  le  phénix  n'est 
pas  dessiné,  il  est  indiqué  par  la  légende.  Une  autre  monnaie  de 
Constance  montre  le  phénix  sur  le  globe  qui  occupe  tout  le  champ  ; 
et  le  globe  est  croisé  de  deux  bandes  offrant  à  l'œil  un  chi,  X,  le 
signe  du  Christ  arboré  par  Constantin,  auquel  Julien  fera  la  guerre. 

'  Banduri,  t.  Il,  p.  217,  242.  -  Ici  pi.  XIII,  19,  20. 

*  Banduri,  t.  II,  p.  271.  On  voit  le  premier  sujet  sur  une  médaille,  p,  217.  Le 
vaisseau  est  celui  de  la  République. 

3  Banduri,  t.  II,  p   368,  377.  -  Golien,  p.  263,  302.  —  Ici  pi.  XIII,  21. 

*  M.  Martigny,  2"  édit ,  p.  522;  Banduri,  t.  II,  p.  231. 


86  LA    CAPPELLA    GRECA 

On  voit  sur  une  monnaie  de  Constant  le  phénix  debout  au  som- 
met d'un  haut  bûcher,  ayant  au  bec  une  couronne.  C'est  l'image  de 
l'Empire  renaissant  de  ses  cendres  sous  le  fils  et  les  petits-fils 
de  Constance-Chlore,  an  siècle  constantien^  sœcido  Constantiano . 
((  Heureuse  réparation  des  temps,  FEL  TEMP  REPARi^TIO  »,  dit  la 
légende  \ 

En  même  temps  le  phénix  se  dressait  sur  son  palmier,  à  l'abside 
d'or  des  nouvelles  basiliques  dont  Constantin  avait  donné,  au  Latran, 
aux  tombeaux  de  S.  Pierre,  de  S.  Paul,  de  S.  Laurent,  de  Ste  Agnès 
et  par  tout  l'empire,  le  signal.  On  le  voit  à  celle  du  Latran,  élevé 
sur  la  palme  centrale  de  l'arbre  de  vie,  qui  monte,  au  milieu  de  la 
Jérusalem  céleste,  bien  haut  par  dessus  ses  murailles.  La  composi- 
tion de  la  mosaïque  —  sauf  la  grande  tête  du  Christ  offerte  à  la  vé- 
nération du  peuple  par  Constantin  et  respectée  jusqu'à  nous  parle 
temps  —  date  de  Nicolas  IV,  qui  siégea  de  1288  à  1294.  Mais  elle  dé- 
rive de  la  mosaïque  primitive  et  suit  assurément  ses  traditions. 

Le  phénix  apparaît  à  l'extrémité  des  palmes  du  palmier  mystique 
sur  la  fresque  absidale  de  la  chapelle  de  Sainte-Félicité,  près  les 
Thermes  de  Titus,  œuvre  du  Y"  siècle  environ  ^  ;  sur'la  mosaïque  ab- 
sidale des  Saints-Côme-et-Damien  due  à  Félix  IV,  l'an  530  ^  ;  sur 
celle  de  Sainte-Praxède  due  à  Pascal  I,  l'an  818  ^;  sur  celle  de  Sainte- 
Cécile,  due  au  même  pape,  l'an  820  '\  Le  phénix  des  Sainls-Côme- 
et-Damien  paraît  tout  or  aujourd'hui  ;  celui  de  Sainte-Praxède  a  la 
tête  et  le  cou  or,  le  reste  du  corps  rouge  ;  celui  de  Sainte-Cécile  est 
tout  rouge  avec  l'auréole  d'or.  On  continue  en  somme  à  suivre 
Pline.  Faut-il  s'étonner  qu'on  l'ait  suivi  six  siècles  auparavant  au 
cimetière  de  Priscille,  et  avons-nous  eu  tort  de  reconnaître  l'oiseau 
à  ses  couleurs?  La  mosaïque  de  Saint-Marc  de  Rome  exécutée  par 
Grégoire  IV,  l'an  828,  offre  aux  pieds  du  Christ  glorieux,  le  phénix 

*  Banduri,  t.  Il,  p.  231.  —  Ici  pi.  XIII,  22,  La  légende  a  Verratum  p.  23  pour 
p.  231. 

^  A  peu  près  invisible  aujourd'hui,  la  Bibliothèque  Vaticane  en  possède  une 
copie.  V.  Mai,  Disc,  préliminaire  des  miniatures  du  Virgile  du  Vatican. 
-Rome,  1835. 

*  Ciampini,  t.  II,  tab.  XVI.  —  Nous  parlons  plus  loin  du  phénix  qu'on  voit  sur 
la  robe  de  sainte  Agnès,  à  la  mobaïqiie  absidale  de  sa  basilique,  mosaïque  faite 
par  Iloiiorius  P'',  vers  625. 

*  Gianipini,  t.  Il,  tab.  XLVJI.  —  ■'  T.  II,  tab.  LU. 


LA    CAPPELLA    GRECA  87 

sortant  de  l'incendie  de  son  nid  d'aromates.  Aussi,  par  exception, 
est-il  entièrement  blanc  comme  la  lumière  \  Des  fresques  de  la 
catacombe  de  Saint-Nazaire  à  Milan  ^  et  de  la  catacombe  de  Syra- 
cuse ^  ont  aussi  le  phénix,  ici  associé  au  palmier,  là  à  la  vigne  dont 
le  sarment  déposé  en  terre  ressuscite.  Enfin  divers  monuments  pré- 
sentent d'autres  imitations  de  cet  ornement  favori  de  l'abside  des 
basiliques.  Le  plus  remarquable  de  tous  est  peut-être  le  marbre 
célèbre  décrit  plus  haut  qui  a  clos  un  loculus  au  cimetière  de  Pris- 
cille  *.  Malgré  les  incorrections  d'un  dessin  tracé  à  la  hâte,  il  nous  a 
transmis  d'une  manière  saisissante  le  style  grandiose  des  mosaïques 
de  l'époque  constantinienne  ;  et  je  ne  serais  pas  éloigné  d'y  voir 
une  certaine  copie,  placée  au  cimetière  de  Pudens,  de  la  mosaïque 
absidale  de  la  basilique  de  Saint-Pierre  ■'. 

A  l'extrémité  d'une  des  branches  du  palmier  qui  est  derrière  saint 
Paul,  du  côté  où  le  Christ  fait  de  la  main  droite  un  geste  ample  et 
sublime  de  démonstration,  dont  nous  n'avons  encore  bien  pu  pré- 
ciser le  sens,  apparaît  la  tète,  ornée  de  rayons,  du  phénix.  Quatre 
monuments  nous  révèlent  le  rôle  que  joue  ici  l'oiseau  mystique,  et 
livrent  enfin  à  l'archéologie  la  clef  de  cette  grande  composition  sa- 
crée, la  plus  capitale  de  l'antiquité  chrétienne,  à  partir  de  la  paix  de 
l'Éghse. 

La  bibliothèque  vaticane  possède  un  célèbre  fond  de  coupe  de 
verre,  dont  le  sujet  offre  de  simples  variantes  de  celui  du  marbre 
de  Priscille.  Sur  le  rouleau  que  le  Christ  donne  à  Pierre  on  lit  :  DO- 
MINVS,  de  la  formule  bien  connue  :  «  Domimis  legem  dat,  le  Sei- 
<r  gneur  donne  la  loi.  »  Les  deux  cités,  marquées  par  deux  tours, 

1  Ciampini,  t.  II,  tab.  XXXVU.  —  Ici  pi.  XIII,  27. 

^  Polidori,  Sepolc.  crist.  scop.  a  Milano,  p.  58,  tav.  I,  n.  1. 

'  César  Boccella,  Pragmalog.  catholica,  t.  XVI,  u.  7,  p.  116. 

*  Ici,  d'après  l'original,  pi.  XIII,  23. 

*  Une  des  absides  du  mausolée  de  sainte  Constance  présente  en  mosaïque  une 
composition  qui  a  des  rapports  frappants  de  style  avec  celle  de  notre  marbre,  et 
qui  semblerait  une  autre  copie  d'un  même  original  (Ciampini,  t.  III,  tav.  XXXII,  l). 
Il  n'y  a  pas  de  phénix  sur  le  palmier  qui  ombrage  S.  Paul  de  ses  longues  palmes 
tombantes  et  vers  lequel  le  Christ  étend  la  main.  Son  image,  sommaire  comme  sur 
notre  marbre,  aurait-elle  disparu  dans  les  restaurations  qu'a  subies  le  monument? 
On  lit  sur  le  rouleau  que  le  Christ  donne  à  Pierre  :  DOMINVS  PAGEM  DAT. 
Il  y  avait  d'abord,  je  n'en  puis  douter  :  LEGEM,  comme  on  lit  toujours  ailleurs. 


88  LA    CAPPELLA   GRECA 

sont  appelées  «  lERVSALE,  BECLE,  Jérusalem,  Bethléem  »;  le  fleuve, 
aux  quatre  courants  ou  nouveaux  fleuves,  est  nommé  «  Jourdain, 
lORDANES  »;  l'Agneau  est  sans  nimbe,  ni  monogramme  ;  et  la  scène 
qui  contient  ces  détails  est  séparée  de  la  supérieure  par  une  bande, 
et  forme  un  tableau  distinct,  mais  conjugué  avec  elle.  Un  palmier 
s'élance  derrière  S.  Paul.  Un  phénix  nimbé  est  droit  au  milieu 
de  ses  palmes,  à  la  naissance  de  son  régime.  Le  Christ  tourné 
vers  lui,  et  le  montrant  avec  un  ample  geste  de  la  main  droite  \  dit 
manifestement  à  Paul,  le  prédicateur  futur  et  par  excellence  de  la 
résurrection,  instruit  par  le  Seigneur  du  haut  du  ciel,  ce  qu'il  disait 
à  Marthe  devant  le  tombeau  de  Lazare  :  Je  suis  la  résurrection  et  la 
vie^  ;je  suis  le  vrai  phénix. 

Cette  interprétation  est  merveilleusement  confirmée  par  deux 
sarcophages  du  cimetière  du  Vatican.  Au  centre  de  la  face  antérieure 
du  premier  ^  qui  offre  à  gauche  l'entrée  du  Christ  à  Jérusalem,  à 
droite  sa  comparution  devant  Pilate,  le  Christ  est  debout  sur  la  mon- 
tagne céleste.  Il  a  près  de  lui  l'Agneau,  qui  est  son  image,  portant 
sur  la  tète  le  sig^ie  du  Dieu  vivant,  le  +,  son  monogramme  et  l'i- 
mage de  sa  croix.  Sous  ses  pieds  et  ceux  de  l'Agneau  les  quatre 
fleuves  du  Paradis  s'échappent;  et,  sortant  des  deux  tours  de  Jéru- 
salem et  de  Bethléem,  les  brebis,  conduites  par  Pierre  et  Paul, 
y  viennent  boire  la  vie.  Le  Christ  est  entre  deux  palmiers,  arbre  de 
vie,  qui  est  son  image  encore  et  celle  de  son  Église.  Sur  le  palmier 
qui  est  du  côté  de  S.  Paul  et  en  avant,  un  phénix  à  aigrette  de  paon 
repose  au  milieu  des  palmes  en  éventail  ;  et  le  Christ  le  touchant 
presque  du  geste  le  montre  cà  Pierre,  pendant  que  Paul  le  considère 
dans  le  ravissement.  Regardez  le  phénix  :  le  phénix,  c'est  moi  ! 
dit-il  visiblement  aux  princes  des  Apôtres. 

Le  second  sarcophage  offre  de  précieuses  variantes  du  même  ta- 
bleau. Les  Apôtres,  à  la  suite  de  Pierre  et  de  Paul,  occupent  toute  la 
largeur  de  la  face  antérieure,  sous  l'ombrage  d'une  vigne  mystique 
qui  est  le  Christ.  Le  Christ  leur  montre,  en  regardant  Pierre,  le  phé- 
nix qui  se  dresse  sur  les  dattes  et  dans  la  gerbe  des  palmes  de  celui 
des  deux  palmiers  qui  est  derrière  Paul.  Mais  sur  les  chapiteaux  de 

'  Buonarroti,  Velri,  VI,  1;  Garucci,  Velri^  X,  8.  —  Ici  pi.  Xlll,  Vi. 

2  Joan.,  XI,  25. 

'  Aringhi,  t.  I,  p.  295.  —  Ici  pi.  XIII,  25. 


LA   CAPPELLA   GRECA  89 

deux  colonnes  portant  une  arcature  et  encadrant  la  personne  du 
Christ,  deux  figurines  apparaissent  :  Eros,  Y  Amour,  tenant  son  flam- 
beau, et  Psyché,  près  du  phénix,  dont  la  seule  main  du  Christ  la  sé- 
pare, tendant  à  genoux  les  mains  vers  le  flambeau  de  la  vie  '.  Son 
nom  est  VAme,  et  encore  le  Papillon,  dont  elle  a  les  ailes  et  dont 
elle  attend,  après  ses  épreuves,  la  glorieuse  métamorphose,  vraie, 
celle-là,  si  celle  du  phénix  n'est  que  poétique.  Légende  de  Psyché, 
doublure  de  celle  du  phénix,  rêve  de  l'imagination,  dont  Pesquisse 
est  dans  la  nature,  et  dont  la  grâce,  par  la  résurrection  du  Christ, 
en  attendant  la  nôtre,  a  fait  la  plus  splendide  comme  la  plus  conso- 
lante des  réalités  ! 

Enfin  la  mosaïque  de  Saint-Marc  de  Rome  dit  expressément,  et 
par  une  image  spéciale  du  phénix  et  par  les  paroles  du  Christ  qu'elle 
rapporte,  tout  ce  que  l'évidence  nous  a  fait  supposer  sur  ces  trois 
monuments.  Cette  mosaïque^  où  on  trouve  le  portrait  et  trois  fois  le 
nom  de  Grégoire  IV,  dont  elle  est  l'offrande,  est  ainsi  composée. 
Au  centre,  le  Christ,  de  grandeur  surnaturelle,  debout  sur  un 
escabeau  marqué  à  son  chiffre  A  iî,  nimbé  avec  le  -f-,  son  mono- 
gramme, couronné  par  la  main  du  Père  céleste,  bénit  à  la  manière 
grecque,  élevant  trois  doigts  pour  rappeler  la  Trinité  et  joignant 
l'annulaire  et  le  pouce  pour  indiquer  rincarnation.  A  sa  droite  est 
le  collègue  de  S.  Laurent,  l'un  des  diacres  de  S.  Sixte^  le  martyr 
Félicissime,  et  rÉvangéliste  S.  Marc,  la  main  sur  l'épaule  de  Gré- 
goire lY,  qui  porte  le  modèle  de  son  église,  par  lui  relevée  et  or- 
née; à  gauche  est  le  pape  S.  Marc,  le  martyr  Agapit,  autre  diacre 
de  S.  Sixte  et  sainte  Agnès.  Tous  sont  sur  des  escabeaux  oii  on  lit 
leurs  noms.  Deux  plantes  fleuries  indiquent  aux  extrémités  du  ta- 
bleau que  ce  lieu  est  le  Paradis.  Mais  voici  un  nouveau  spectacle 
unique  jusqu'ici  dans  les  antiquités  chrétiennes.  Dans  le  champ  du 
Paradis,  sous  l'escabeau  du  Christ,  un  phénix  apparaît,  sortant  de  son 
nid  d'aromates  aux  grains  nombreux.  Lumineux  comme  le  jour,  il 
déploie  ses  ailes  ;  son  cou  rayonne  de  flammes  ;  sa  tète  a  le  nimbe, 
mais  dessiné  en  cône,  selon  le  mouvement  de  l'oiseau  qui  émerge 
en  avant  ^  Placé  entre  le  Christ  représenté  en  personne  et  le  Christ 
qu'on  voit  immédiatement  au-dessous  représenté  en  Agneau  sur  la 

'  Aringhi,  t.  I,  p.  307.  —  Ici  pi.  XIII,  26. 
«  Ici  pi.  XIII,  27. 


90  LA   CAPPELLA   GRECA 

montagne  fleurie  de  l'Église,  aux  quatre  fleuves  de  laquelle  viennent 
boire  les  douze  brebis  sortant  de  Jérusalem  et  de  Bethléem,  il  est 
clair  que  le  phénix  est  le  Christ  encore.  Sa  bouche  même  le  déclare. 
Il  tient  de  la  main  gauche  le  livre  des  Évangiles  sur  lequel  on  lit  : 


-i-EGO 

EGO  S 

EGO  S 

SYRR 


SYM  LVX 
VM  VITA 

YM  RE 
ECTIO 


«.  Moi, le  Christ,  je  suis  la  lumière— moi, je  suis  la  vie — moi,  je  suis  la  résurrection.» 

La  troisième  parole,  qui  a  été  prononcée  par  le  Christ  avant  la  se- 
conde ',  a  été  transposée  pour  être  en  rapport  immédiat  avec  le  phé- 
nix qui  est  sous  le  Christ.  L'image  traduit  l'oracle.  On  voit  dans 
le  phénix  qui  ressuscite,  le  Christ  qu'on  entend  dire  :  Je  suis  la  ré- 
surrection. Le  mot  seul  manquait  aux  trois  tableaux  précédents  : 
il  est  ici.  Je  suis  le  phénix,  c'est-à-dire  la  résurrection  :  voilà  bien  ce 
que  le  Christ,  avec  son  geste  vers  le  palmier  surmonté  du  phénix, 
déclare  entre  Pierre,  l'apôtre  des  Juifs,  et  Paul,  celui  des  Gentils, 
sur  la  composition  classique  des  mosaïques  absidales.  Yoilà  ce  qu'il 
dit  sur  notre  magnifique  marbre  du  cimetière  de  Priscille. 

Une  médaille  romaine  de  dévotion,  en  plomb,  du  Yl*  siècle  au  plus 
tard,  qui  a,  d'un  côté,  le  monogramme  cruciforme,  de  l'autre,  dans 
une  couronne  de  laurier,  le  Christ  entre  deux  palmiers,  tenant  de  la 
main  gauche  l'Évangile  près  du  palmier  qui  porte  le  phénix,  et  fai- 
sant de  la  droite  le  geste  de  la  proclamation  ^,  est  une  esquisse  an- 
ticipée de  la  mosaïque  de  Saint-Marc  et  une  certaine  copie,  accentuée 
à  sa  manière,  des  trois  autres  monuments  romains.  Le  sens  en  esta 
présent  bien  limpide. 

Il  en  est  ainsi  pour  trois  sarcophages  de  Vérone  ^  de  Saint-Maxi- 
min  \  d'Arles  %  pareils^  non  sans  une  heureuse  liberté,  à  ceux  de 

•  Joan.,  XI,  25. 

2  Bulletino,  1871,  tav.  IX,  p.  150. 

^  Maffei,  Muséum  Vironense,  p.  484;  R.  P.  Garucci,  Monumenti,  tav.  333. 
*'  Rostiin,  Monuments  iconographiques  de  l'église  de  Saint- Muximin,  fig.  "VIII; 
il.  P.  Garucci,  Monumcnti.  tav.  334, 

*  M.  E.  Le  Blant,  Etude  sur  les  sarcophages  chrétiens  antiques  de  la  ville 
d'Arles,  1878.  pi.  IX. 


LA    CAPPELLA    GRECA  91 

Rome.  Sur  celui  de  Saint-Maximin  le  graveur  a  placé  un  coq  sur  le 
palmier;  mais  il  est  évident  que  son  mot  d'ordre  ou  son  dessin  por- 
tait un  phénix.  Celui  d'Arles  présente  aux  extrémités,  en  parallèle, 
deux  scènes  de  la  Passion,  le  Christ  lavant  les  pieds  à  Pierre,  le  Christ 
comparaissant  devant  Pilate.  Au  milieu  est  en  abrégé  le  tableau  du 
second  sarcophage  romain  que  nous  avons  décrit,  deux  apôtres, 
l'un  derrière  Pierre,  l'autre  derrière  Paul,  représentant  toute  la  suite 
du  Collège  Apostolique.  Le  phénix  trop  proéminent  sur  le  palmier  a 
été  mutilé  ;  mais  on  le  reconnaît  ;  et  c'est  bien  lui  que  montre  le 
Christ.  La  Résurrection  resplendit  devant  ses  témoins  entre  deux 
scènes  de  la  Passion. 

Ainsi,  l'Egypte  ayant  fait  dire  à  ses  défunts  identifiés  avec  Osiris, 
Rédempteur  de  ses  rêves  :  «  Je  suis  le  Bennou,  le  Grand,  qui  est 
«  dans  Au  (la  Ville-du-Soleir),  »  le  Christ,  vrai  Rédempteur,  dit  :  Je 
suis  le  Phénix,  qui  est  dans  la  Jérusalem  céleste,  dont  r Agneau  est 
la  lampe  '  ;  et  le  chrétien  uni  par  la  foi,  au  lieu  d'être  identifié  par 
l'orgueil,  à  l'Osiris  divin,  pourra  s'écrier  en  regardant  le  symbole  de 
la  résurrection  qui  lui  est  montré  :  Et  moi  aussi  je  suis  le  phénix! 
C'est  le  dernier  mot  de  cet  incomparable  tableau  qui,  du  IV  siècle 
au  IX",  prime  à  l'abside  des  basiliques,  et  dont  une  tombe  placée  au- 
près de  la  cappella  greca,  l'église  du  cimetière  de  Priscille,  nous 
offre  dès  l'origine  un  dessin  gravé  sur  le  marbre.  En  réalité,  le  ta- 
bleau émane  originaii'emenl  de  cette  église  apostolique  où  on  voit, 
au  sommet  de  Tabsido^  le  Christ  en  Moïse,  l'eau  de  la  vie  éternelle 
qu'il  fait  jaillir  du  rocher  mystique  qui  ost  lui-même,  et  le  palmier, 
Tarbre  phénix,  symbole  comme  l'oiseau  phénix,  mais  avec  plus  de 
fondement  naturel,  de  l'immortelle  résurrection. 

Le  plus  souvent,  comme  aux  mosaïques  absidales  de  Saint-Pierre 
et  de  Saint-Paul,  qu'a  renouvelées  le  XlIP  siècle,  et  sur  tant  de  sar- 
cophages du  IV  siècle  au  YP,  le  palmier  seul  de  la  cappella  greca 
représente  cette  résurrection  immortelle  que  proclame  le  Christ  et 
dont  il  est  l'exemplaire. 

Le  phénix  était  gravé,  d'ailleurs,  avec  la  palme  au  bec  et  son 
nom,  le  nom  même  de  la  palme,  FENIX^  sur  Tarchitrave  de  la  porte 
principale  de  la  basilique  de  Saint-Paul. 

'  Hebr.,  XII,  'Il  ;  Apoc  ,  XXI,  23. 


92  LA   CAPPELLA   GRECA 

Si  je  ne  me  trompe,  ce  tableau  typique,  consacré  aux  absides  des 
basiliques,  est  une  inspiration  ou  plutôt  une  traduction  du  récit 
qui  couronne  l'Évangile  de  S.  Pierre,  appelé  du  nom  de  son  secré- 
taire, S.  Marc  : 

«  Une  dernière  fois  les  onze  étant  à  table,  il  (Jésus)  apparut  et  leur  reprocha 
leur  incrédulité  et  leur  dureté  de  cœur  parce  qu'ils  n'avaient  pas  cru  à  ceux  qui 
l'avaient  vu  ressuscité  d'entre  les  morts.  Et  il  leur  dit  :  Allez  dans  tout  le  monde  et 
prêchez  la  bonne  nouvelle  à  toute  créature.  Qui  croira  et  sera  baptisé  sera  sauvé, 
et  qui  ne  croira  pas  sera  condamné...  Et  le  Seigneur  Jésus  après  leur  avoir  parlé 
fut  enlevé  au  ciel  ',  » 

C'est  la  traduction  encore  de  ce  passage  des  Actes  parlant  des 
apôtres,  à  quelques  jours  de  là  : 

«  Les  prêtres  et  le  magistrat  du  temple  et  les  Sadducéens  survinrent  courroucés 
de  ce  qu'ils  enseignaient  le  peuple  et  annonçaient  en  Jésus  la  résurrection  d'entre 
les  morts  ^.  » 

Quand  donc  on  dit  que  le  phénix  est  «  le  symbole  de  l'immorta- 
«  lité  et  de  la  résurrection  ^  le  symbole  de  la  résurrection  bienheu- 
«  reuse  *,  »  on  peut  préciser  davantage.  Le  phénix  est  spécialement 
le  symbole  du  Christ  ressuscité;  elle  P.  Garucci  ne  s'est  pas  trop 
avancé  en  écrivant  :  «  Le  Christ  ressuscité  dont  la  palme  avec  lephé- 
«  nix  est  le  signe  '.  »  A  qui  ne  serait  pas  convaincu  par  tant  d'exem- 
ples frappants  que  nous  venons  d'offrir,  nous  pouvons  fournir  enfin 
même  des  textes  positifs. 

On  lit  dans  le  Phjsiologiœ  des  Gnostiques,  qui  n'ont  eu  aucune  rai- 
son de  s'écarter  ici  de  la  tradition  catholique  :  «  Le  phénix  repré- 
<(  sente  la  personne  de  notre  Sauveur,  'O  yàp  cpoîvi^  TrpôffojTTov  toû  Ilw-tTîpo; 
«  :^ixôjv  Xat^êavEi  ".  »  «  S.  Jean  Chrysostome,  dit  S.  E.  le  cardinal  Bar- 
«  tohni  \  compare  le  Christ  ressuscité  au  phénix  : 

i  Marc,  XVI,  14-19. 
^  Act.,l\\i,  2. 

'  «  La  Fenicesimbolo  délia  Imraortalitàe  délia  Resurrezione.  »  Boldetti,  p.  230. 
'*  «  La  fenice,  simbolo  della  beata  risurrectione.  »  M.  de  Rossi,  BuUetino,  1871, 
p.  151. 

'  Vctri,  p.  85. 

"  Spicileg.  Solcsm.^  t.  III,  p.  345. 

''  Gli  Atli  del  martirio  d.  n.  v.  r.  S.  Çecilia,  p.  67. 


LA    CAPPELLA    GRECA  93 

«  Après  des  emprisonnements  cruels  et  de  durs  liens,  après  les  moqueries  et  les 
fouets,  après  la  boisson  du  vinaigre  et  du  fiel  mêlé,  après  les  supplices  et  les  dou- 
leurs de  la  croix,  après  la  mort  enfin  et  les  enfers,  il  est  ressuscité  de  ses  funé- 
railles, chair  nouvelle,  phénix  rajeuni,  que  le  soleil  expirant  et  les  aromates  de  la 
piété  avaient  consumé  de  leurs  ardeurs.  La  vie  latente  revient  de  l'Occident,  et  le 
salut  conservé  dans  la  mort  reparait  et  retourne  plus  beau  de  ses  funérailles  ' .  » 

En  parlant  du  signe  du  Christ,  nous  avons  mentionné  une  bulle 
de  plomb  du  diacre  Siricius  ^  Celte  bulle  a  deux  types.  Sur  l'un,  au 
revers  de  SIRICI,  on  voit  le  phénix  au  nimbe  radié  ;  sur  l'autre,  au 
revers  de  SlRlCI  INDIGNI  DIACOxNl,  le  phénix  au  nimbe  radié  en- 
core est  accompagné  de  l'inscription  +  B'ENIX,  que  nous  croyons 
devoir  lire  nécessairement  «  X  (le  Christ)  phénix.  »  Le  Christ,  qui, 
avec  son  monogramme,  ou  sous  le  symbole  du  poisson,  de  l'ancre 
ou  tel  autre,  marque  ailleurs  les  sceaux  des  fidèles,  marque  ici, 
avec  son  monogramme  et  le  phénix  à  la  fois^  le  sceau  de  Siricius. 

Un  intéressant  et  mystérieux  monument  s'éclaire,  ce  me  semble, 
à  la  lumière  de  ces  divers  textes. 

Une  pierre  trouvée  par  Severano  au  milieu  des  ruines  du  mau- 
solée de  sainte  Hélène,  près  des  martyrs  Marcellin  et  Pierre,  sur 
la  voie  Lavicane,  nous  présente  une  chaire  vide,  aux  côtés  de  la- 
quelle pendent  des  voiles  d'honneur.  Un  oiseau,  ceint  du  nimbe, 
est  posé  sur  la  cime  \  Les  anciens  interprètes,  auxquels  se  rattache 
M.  de  Rossi  *,  voient  là  une  chaire  épiscopale  et  la  colombe  du 
Saint-Esprit  ceinte,  par  une  exception  dont  il  n'y  aurait  que  cet 
exemple,  du  nimbe  du  phénix.  Pourquoi  la  chaire  ne  serait-elle  pas 
celle  du  Christ, que  nous  trouvons  ainsi  vide  avec  des  voiles  d'honneur, 
portant  au  milieu  du  dossier  le  monogramme  du  Christ,  une  fois  le 
^  dans  un  cercle  sur  un  sarcophage  de  Tuscuhim  %  une  autre  fois 
le  +  sur  la  mosaïque  du  baptistère  de  Ravenne  de  l'an  431  \  la 

1  Tîomil.  de  Resurrecl.,  VIII.  —  Nous  n'avons  pas  trouvé  ce  texte  dans  S.  Jean 
Chrysostome.  Il  est  toujours  de  quelque  ancien  écrivain  ecclésiastique. 

«  Ch.  XXII.  —  Rom.  sott.,  t.  Il,  p.  314.  —  Ici  pi.  XIII,  28. 

»  Aringhi,  t.  II,  p.  55;  Bulletino,  1872,  tav.  IX.  —  Ici  pi.  XIII,  29.  Le  n°  de 
rappel  a  été  omis  sur  la  planche.  L'oiseau  est  en  haut,  à  droite. 

*  Ibid.,  p.  134. 

•^  Bulletino,  1872,  tav.  VI, 

«  Ibid.,  tav.  VIII,  p.  137;  Giampini,  t.  I,  tab.  XXXVII. 


94  LA    CAPPELLA    GRECA 

chaire  étant  accompagnée  ici  des  deux  ambons  ecclésiastiques,  et 
alternant  avec  quatre  autels  portant  les  quatre  Évangiles  ?  Et  pour- 
quoi l'oiseau  nimbé  ne  serait-il  pas  alors  comme  toujours  le  phé- 
nix, c'est-à-dire  le  Christ  ressuscité  qui  s'est  montré  au  monde  sur 
sa  chaire  divine,  on  peut  le  dire,  pendant  quarante  jours,  chaire  où 
les  Apôtres  et  leurs  disciples  le  montreront  jusqu'à  la  fin  des  siècles? 
Désignant  le  Christ,  le  phénix  désignait  naturellement  le  chré- 
tien. Lui  aussi,  uni  au  Christ,  est  le  phénix.  Il  me  semble  recon- 
naître au  phénix  cette  signification  particulière  en  certains  cas.  La 
tombe  d'une  «  vierge  consacrée  »  nommée  Furia,  surnommée  Elpis, 
Espérance,  offrait  cet  aspect  *  : 

Vase         Oiseau  (phénix),  la  palme  au  bec,         Vase 

FVRIA  HELPHIS 

VIRGO  DEVOTA 

Ces  deux  vases  ne  rappellent-ils  pas  au-dessus  de  la  Virgo  devota 
les  paroles  de  Dieu  à  Moïse  : . . .  Vous  oindrez  le  tabernacle  du  témoi- 
gnage et  l'arche  d alliance  et  la  table  avec  ses  vases  ^  ?  Et  dès  lors  le 
phénix  qui  est  au  milieu  ne  désigne-t-il  pas  l'Épouse  du  Christ,  im- 
molée volontairement  avec  lui  et  portant  la  palme  de  son  immola- 
tion? «  Yase  du  Christ,  )>  comme  dit  une  épitaphe  :  DIONYSI  YAS  sB\ 
elle  est  aussi  son  phénix. 

Les  deux  phénix  tenant  la  palme  aux  serres  qui  vont  becqueter 
la  grappe  de  la  terre  promise,  peuvent  bien  figurer  le  Christ,  re- 
montant au  ciel  et  allant  y  boire  le  fruit  nouveau  de  la  vigne  ;  mais 
il  semblent  figurer  plus  spontanément  les  fidèles  ressuscites  allant 
boire  avec  le  Christ  ce  fruit  nouveau  de  la  vigne  qui  est  le  Christ  lui- 
même.  Au  victorieux  je  donnerai  de  manger  de  V arbre  de  vie,  a  dit 
le  Christ,  dont  l'oracle  semble  traduit  en  ce  groupe  mystique. 

Le  phénix  gravé  par  les  soins  de  Ste  Cécile  sur  la  tombe  de 
S.  Maxime,  était  bien  le  symbole  de  sa  propre  résurrection  et  de  la 
foi  qu'il  en  avait  embrassée  :  Ad  indicium  fidei  ejus,  qui  resurrec- 
tionem  se  inventurum,  phœnicis  exemplo,  ex  toto  corde  suscepit. 

•  Aringhi,  t.  II,  p.  309. 
«Exod.,  XXXI,  26,27. 

3  L'épitaplie  est  conservée  au  cloître  de  Saint-Laurent-liors-les-Murs.  Bulkiino, 
18G7,  p.  27. 


LA    CAPPELLA    GRECA  95 

C'est  donc  l'image  de  son  fils  devant  ressusciter  et  s'enivrer  du 
vin  béatifique  de  la  vigne  du  Christ,  que  Salvia  Desa  semble  avoir 
fait  graver  datis  le  phénix,  au  milieu  des  larmes  maternelles  trem- 
pées de  la  lumière,  de  l'espérance,  disons  tout,  de  la  joie  chrétienne. 

Cette  image  du  phénix  portant  la  palme  et  allant  au  Christ,  a  con- 
solé aussi  un  père,  Quoclviilt-Deiis,  Ce-que-Dieit-veut,  de  la  perte  de 
«  la  très  douce  Elia  qui  a  vécu  un  an,  trois  jours,  »  et  qui  est  décé- 
dée dans  le  Christ  aux  nones  de  janvier.  Boldetti  a  trouvé  au  cime- 
tière de  Saint-Calixte  son  épitaphe  ainsi  disposée  *  : 

DVLCISSIMAE  EYLIAE 
QYODBYLDEYS  QVAE  VIXIT  ANNO 
D.  III.  DECESS  -P  SIT  NONIS  I 
lENVARIA. 

Oiseau  portant  la  palme  aux  serres. 

M.  Le  Blant,  que  ne  contredit  pas  M.  de  Rossi  ^  signale  sur  une 
épitaphe  de  Saint-Romain-en-Galle^  près  Vienne,  deux  phénix  dont 
l'identité  reconnue  jetterait  un  beau  jour  sur  la  question.  Voici 
l'épitaphe  et  le  commentaire  du  savant  archéologue  : 

IIIC  PAVSAT  EYFRA 
SIVS  BENÛICTYS  IN 
PACE  QVI  VIXIT  AN 
LXX.  MENS.  II.  DIES  VII 
SVRRec/2^r?^S.  DIE  CAELO  CVM 
VENERIT  AYCTOR  \ 

«  Au  bas  de  cette  inscription  sont  gravés  deux  oiseaux,  des  phénix  sans  doute, 
puisque  leur  tête  est  ornée  d'une  aigrette  '*  sans  qu'ils  aient  la  longue  queue  du 
paon  ;  au-dessous  d'eux,  le  vase  accosté  de  deux  dauphins  figurant  le  poisson 
symbolique.  Par  la  représentation  des  phénix,  comme  par  la  formule  finale, 
notre  monument  ouvre,  dans  la  contrée,  l'importante  série  des  épitaphes  qui  té- 
moignent de  la  foi  en  la  résurrection.  » 

1  P.  275, 

2  «  Voir  encore  une  inscription  de  la  Gaule  oii  M.  Le  Blant  reconnaît  le  phé- 
«nix  (Inscr.  de  la  Gaule,  t.  Il,  ^.  4i.)  »,  écrit  M.  de  Rossi,  Rom.  soit.,  t.  II,  p.  313. 

^  «  Ici  repose  Euphrasius,  bénit,  en  paix,  qui  a  vécu  LXX  ans,  II  mois,  VII  jours, 
«  devant  ressusciter  quand  notre  Auteur  viendra  du  ciel.  » 
*  L'aigrette  est  pareille  à  celle  du  phénix  égyptien  et  du  faisan  doré. 


96  LA    CAPPELLA   GRECA 

Ce  vase,  qui  est  le  Christ,  apparaît  entre  deux  paons,  sur  les  épi- 
taphes  de  Yienne  et  de  Lyon  '.  Il  y  a  à  craindre  que  le  phénix,  qu'on 
n'a  jamais  rencontré  qu'à  l'état  d'unité,  selon  sa  légende,  ne  soit  ici 
un  paon  grossièrement  ébauché.  Le  surrecturus  semble  bien  appeler 
un  phénix  ;  mais  le  paon  aussi  est  un  symbole  de  la  résurrection. 
L'exemple  reste  donc  douteux.  Il  en  est  heureusement  de  certains  ; 
et  celui  fourni  par  sainte  Cécile  est  péremptoire. 

Mais  sainte  Cécile  me  fait  songer  à  sainte  Agnès.  J'allais  oublier 
qu'elle  aussi  apparaît  identifiée  assez  clairement  au  phénix  sur  la 
mosaïque  absidale  de  sa  basilique  ^ 

Cette  mosaïque,  ex-voto  du  pape  Honorius,  qui  y  figure  offrant  sa 
basilique  à  la  sainte,  présente  Agnès  foulant  aux  pieds  les  flammes 
qu'elle  a  vaincues  sur  le  bûcher  et  le  glaive  qui  a  consommé  son 
martyre.  Sur  sa  robe  d'oi%  semée  de  pierreries,  on  remarque,  près 
de  la  jambe  droite,  un  disque  d'or,  bordé  de  pourpre  ;  et,  dans  ce 
disque,  un  phénix,  à  la  tète  blanche,  à  l'œil  et  à  l'aigrette  rouge, 
à  l'aile  bleue,  au  corps  blanc  rayé  de  rouge,  aux  pattes  rouges. 
Est-ce  le  Christ  qui  lui-même  porte  écrit  sur  son  vêtement  et  sur  sa 
cuisse  :  Roi  des  rois  et  seigneur  des  seigneurs  \  et  dont  l'inscription, 
placée  au-dessous  de  la  brillante  mosaïque,  après  avoir  comparé 
cette  mosaïque  au  jour,  à  l'aurore,  à  l'iris,  au  paon,  dit  : 

«  Celui  qui  a  pu  fixer  les  limites  de  la  nuit  ou  de  la  lumière  a  repoussé  le  chaos 
des  tombeaux  des  martyrs,  » 

Qui  'poluil  noctis  vel  lacis  reddere  finem 
Murtyrum  e  bustis  reppiiJit  ille  chaos? 

Il  se  pourrait.  Mais  n'est-ce  pas  plutôt,  la  martyre  elle-même, 
rendue  ici  à  la  lumière,  du  sein  de  son  tombeau  et  des  profondeurs 
de  sa  catacombe,  la  martyre  qu'une  vision  célèbre  a  montrée^  ici 
encore,  passant  au  milieu  des  ténèbres  de  la  nuit^  comme  un  phénix 
éblouissant  de  lumière,  dans  le  chœur  des  Vierges  qui  accompagnent 
l'Agneau,  leur  Époux,  l'éternel  phénix?  Ce  n'est  pas  seulement  le 
Christ  ressuscité  qui  est  en  phénix  sur  le  vêtement  d'Agnès,  c'est 

1  M.  Le  Blant,  t.  Il,  p.  58i  ;  t.  I,  p.  136.  La  première  porte  :  RESVRGIT  IN 
CRÎSTO. 

2  Giampini,  t.  II,  tav.  XXXIX;  M.  Perret,  t.  II,  pi.  I. 
'  Apoc,  XIX,  Kî. 


TA    ('.A  !•!>:•!. LA    GlîKCA  97 

Agnès  elle-même  glorifiée  que  je  vois.  Son  signe  de  gloire  est  sur 
son  vêtement^  comme  celui  du  Christ  sur  le  sien  dans  l'Apocalypse. 
En  achevant  ce  que  nous  avions  à  dite  du  phénix  et  des  autres 
dérivations  dans  l'art  chrétien  des  sujets  do  la  cappella  (jreca,  nous 
devons  consigner  ici  une  observation.  C'est  que  tous  les  types  con- 
sacrés dans  les  catacombes  ou  inspirés  par  elles,  ont  trait  de  plus  ou 
moins  près  à  cette  résurrection  des  morts,  inaugurée  par  le  Christ, 
dont  le  phénix  a  «'té  le  symbole  spécial.  Les  Constitutions  aposto- 
liques où  le  phénix  des  Gentils  parait  avec  ce  rôle,  nous  donnent 
le  sens  fondamental  bien  précis  des  autres  types  antérieurs  au  phé- 
nix, et  qui  resteront  toujours  plus  multipliés  sur  les  monuments, 
comme  émanant  des  saints  Livres  et  non  de  la  science  ou  de  la  poé- 
sie profane,  sujettes  à  caution.  Elles  font  ainsi  parler  S.  Pierre  : 

«  Le  Seignoui' des  saints,  Jésus  le  Christ  est  l;i  vie  des  fidèles  et  la  résurrection 
des  morts... C'est  lui  qui  nous  a  prorais  un  jour  la  résurrection.  ToHi  ceux,à\i-\\^qui 
sont  dam;  les  tombeaux  entendront  la  voix  dn  Fils  de  Dieu,  et  ceux  (jni  l'auront 
entendue  vivront.  Une  autre  raison  pour  croire  que  la  résun'ection  aura  lieu,  c'est 
la  résurrection  menu*  du  Seigneur  Celui^  en  effet,  qui  a  ressuscité  Lazare,  mort 
de  quatre  jours,  et  la  fille  de  Jaïre,  et  le  fils  de  la  veuve  s'est,  d'après  le  mandat 
de  son  Père,  ressuscit<''  lui-mérae  après  trois  jours,  étant  les  ari'hes  de  notre  ré- 
surrection. Je  suis,  dit-il.  la  rcsurrcetio'i  et  la  vie.  Celui  qui,  le  troisième  jour,  a  re- 
tiré Jonas  vivant  et  intact  du  ventre  du  monstre  marin  et  les  trois  jeunes  gens  de 
la  fournaise  de  Babylone,  et  Daniel  de  la  gueule  des  lions,  ne  jnanquera  pas  de 
force  pour  nous  ressusciter  nous  aussi...  Celui  qui  a  relevé  sain  et  sauf  le  paraly- 
tique, guéri  celui  qui  avait  la  main  desséchée,  rendu  par  de  la  terre  et  de  la  sa- 
live l'organe  qui  manquait  à  l'aveugle  de  naissance,  nous  rappellera  à  la  vie. Celui 
qui  a  rassasié  cinq  mille  hommes  avec  cinq  pains  et  deux  poissons,  laissant  un  sur- 
plus de  douze  corbeilles,  qui  de  l'eau  a  fait  du  vin  et  qui  par  moi,  Pierre,  a  tiré 
de  la  gueule  d'un  poisson  un  statère  pour  le  donner  à  ceux  qui  percevaient  le  tri- 
but, celui-là  ressuscitera  les  morts  '.  » 

Presque  tout  le  cycle  des  catacombes  figure  dans  ces  lignes.  On 
peutjugcr  des  quelques  sujets  absents  par  ceux  présents  aveclesqueîs 
on  les  trouve  mêlés.  C'est  ainsi  que  Susanne  qui  manque,  est  placée 
comme  type  de  la  résurrection  à  côté  de  Lazare  par  S.  Hippolyte, 
contemporain  de  la  compilation  des  Constitutions  apostoliques,  sinon 
plus  ancien.  Nous  allons  la  retrouver  avec  Lazare,  Jonas,  les  trois 

^  Coniiiitutiones  AjjOsIoUcO',  j.  V,  cap.  YII. 

Ile  série,  tome  XI.  7 


98  LA    CAPPELLA    GRECA 

Hébreux,  Daniel,  le  paralytique,  l'aveugle-né,  sur  tel  ou  tel  monu- 
ment qui  semble  la  traduction  ou  plus  ou  moins  l'original  de  notre 
précieux  texte  des  Constitutions  apostoliques. 

Il  reste  une  étape  à  notre  longue  course.  Abordons  enfin  Susanne 
dans  l'antiquité  chrétienne. 

L'abbé  V.  Davin. 
{A  suivre.) 


LA     CHARITÉ 

Fresque  de  Giotto,  dans  l'église  de  VArend,  à  Padoue,  xiv*  siècle. 


L'ART    ET   LA   CHARITE 


L'art  chrétien  est  l'art  de  la  charité,  puisque  la  charité  est  son 
principe  et  sa  fin.  Une  œuvre  d'art  est  un  acte  de  l'intelligence  et 
de  la  volonté.  L'intelligence  conçoit  un  idéal  que  la  volonté  aime 
et  veut  manifester;  c'est  ainsi  que  l'homme  devient  artiste.  Son  art 
dépend  de  l'idéal  qu'il  a  choisi  et  du  motif  qui  le  détermine  à  l'ex- 
primer. 

L'idéal  est  la  forme  que  l'esprit  donne  à  une  chose  et  qu'il  cherche 
à  rendre  visible  par  les  moyens  de  l'art.  Cet  idéal  varie  selon  la 
science  et  le  talent  de  chacun;  c'est  une  lumière  intérieure  que 
l'étude  développe  et  que  la  vertu  augmente,  mais  que  les  passions 
peuvent  obscurcir.  Sa  perfection  est  d'être  l'image^  le  reflet  de 
l'idéal  divin,  c'est-à-dire,  du  vrai,  du  beau  et  du  bien  que  le  Créa- 
teur a  mis  en  toute  chose.  L'idéal  a  Dieu  pour  principe,  et  par  con- 
séquent tout  art  véritable  doit  être  religieux. 

Les  arts  anciens  étaient  religieux,  mais  leur  idéal  était  incomplet. 
Ils  le  recevaient  d'une  tradition  affaiblie  par  le  temps  et  l'erreur.  La 
Cause  première  leur  apparaissait  à  travers  les  phénomènes  de  la 
nature,  et  ils  en  connaissaient  mal  la  vérité,  la  beauté  et  surtout  la 
bonté.  Les  artistes  grecs  recherchèrent  l'idéal  et  l'exprimèrent  par 

'  Cet  article  est  extrait  d'une  publication  magistrale  en  cours  d'impression  ; 
les  épreuves  nous  sont  communiquées  par  l'éditeur  :  Saint  Vincent  de  Paul 
et  sa  mission  sociale,  par  Akthuk  LOTH,  ancien  élève  de  l'École  des  Chartes. 
Introduction  par  Louis  Veuillot.  Appendices  par  Ad.  Baudon,  E.  Cartier, 
Aug.  Roussel.  Un  vol.  in-i"  contenant  li  cliromolitliogra|diies  par  Lemorcier 
et  C'",  2  héliogravures,  l  eau-forte  de  L.  Flumeng,  et  200  gravures  sur  bois. 
Broché,  30  fr.;  relié  doré,  40  fr.  —  Paris,  D.  Dumoulin  et  C'%  rue  des  Grands- 
Augustins,  ô.  {Pour  payailre  en  novembre  iSlO.) 


100  l'art  kt  la  {.h.sritj: 

des  chefs-d'œuvre.  Ils  symbolisèrent  sous  des  formes  humaines 
quelques  attributs  divins  et  personnifièrent  la  puissance,  la  sagesse 
du  Créateur  et  les  beautés  de  l'ordre  matériel,  intellectuel  et  moral  ; 
mais  la  lumière  qui  les  éclairait  était  insuffisante,  et  au  lieu  d'élever 
leur  idéal  vers  son  principe,  ils  l'abaissèrent  bientôt  vers  les  choses 
de  la  terre  et  les  plaisirs  des  sens. 

Les  artistes  chrétiens  ont  un  idéal  supérieur  que  leur  montre  la 
lumière  surnaturelle  de  la  foi.  Ils  cherchent  le  vrai,  le  beau  et  le 
bien  en  Dieu  même  et  ils  surpassent  ainsi  les  anciens  par  leur  idéal, 
comme  par  le  motif  qui  les  détermine  à  le  manifester.  L'art  chez 
les  Grecs  était  une  jouissance  intellectuelle,  et  s'ils  voulaient  rendre 
visible  l'idéal  qu'ils  avaient  conçu,  c'était  pour  en  jouir  davantage 
et  le  faire  admirer.  Leur  œuvre  n'était  pas  un  acte  religieux,  un 
sentiment  de  piété  qu'ils  voulaient  communiijuer  ;  ils  cherchaient 
leur  gloire  plus  que  celle  de  leurs  dieux;  leur  art  avait  un  but  per- 
sonnel, intéressé.  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  le  véritable  artiste 
chrétien.  S'il  veut  exprim sr  son  idéal,  c'est  que  Dieu  en  est  le  principe 
et  la  fin;  c'est  qu'il  aime  cet  idéal,  et  que  le  bonheur  qu'il  trouve 
dans  cet  amour,  il  désire  le  communiquer.  Il  est  artiste  parce  qu'il 
aime  Dieu  et  qu'il  veut  le  faire  aimer.  Son  art  est  l'art  de  la  charité  ; 
son  art  est  semblable  à  l'art  de  Dieu  ;  car  il  a  le  même  idéal  et  le 
même  motif  de  le  manifester. 

Dieu  est  l'artiste  parfait  ;  il  a  un  idéal  qu'il  conçoit  et  qu'il 
engendre  éternellem.ent,  idéal  infini  qui  est  son  Verbe,  son  Fils. 
«  La  splendeur  de  sa  gloire,  la  forme  de  sa  substance  »,  idéal  dans 
lequel  il  se  contemple  et  que  rien  ne  saurait  augmenter,  car  en  lui 
se  trouve  l'idéal  de  tous  les  êtres. 

Le  principe  aime  son  idéal,  comme  l'idéal  aime  son  principe,  et 
cet  amour  mutuel  est  l'Esprit  qui  les  unit  dans  une  éternelle  félicité. 
L'amour  du  Père  et  du  Fils  est  la  source  de  leur  volonté  et  par  con- 
séquent l'inspiration,  le  motif  do  l'art  divin.  Ce  bonheur  qui  procède 
de  la  connaissance  et  d(î  l'amour.  Dieu  veut  le  communiquer  à 
d'autres  êtres,  et  il  ne  peut  le  faire  qu'en  leur  communiquant  sa 
ressemblance.  Il  a  créé  des  êtres  intelligents  et  libres,  des  anges  et 
des  hommes  auxquels  il  manifeste  sa  vérité,  sa  beauté,  sa  bonté, 
afin  qu'ils  puissent  être  heureux,  en  le  connaissant  et  l'aimant, 
comme  il  se  connaît  et  s'aime  lui-même. 


■i=*35* 


L    HOSPITALITE 

JésLis-Christ.  sous  les  traits  d'un  pèlerin,  reçoit  l'hospitalité  de  deux  religieux  domiuicaiii.s.  Fresque  de 
Fra  Angelico  au  musée  de  Saint-Marc,  à  P'Iorence.  quinzième  siècle. 


l'art  et  la  charité  lOi 

Dans  son  art  extérieur,  Dieu  est  tout  charité,  Deus  charitas  est. 
La  charité  est  le  nom  de  l'amour  divin,  amour  parfait  et  désin- 
téressé, car  l'hommage  de  toutes  les  créatures  ne  peut  rien  ajouter 
au  bonheur  infini  du  Créateur.  L'Artiste  suprême  veut  leur  com- 
muniquer son  idéal  qui  est  sa  science  et  son  amour,  et  il  le  fait  par 
trois  moyens,  la  création,  l'Incarn  lion  et  la  Rédemption. 

La  création  commence  la  manifestation  de  lidéal  divin.  L'être 
sort  du  néant  pour  affirmer  sa  vérité,  sa  beauté,  sa  bonté.  L'homme 
porte  déjcà  la  ressemblance  divine,  celle  du  Père  par  la  vie,  celle  du 
Fils  par  l'intelligence,  celle  du  Saint-Esprit  par  la  volonté  ;  mais  ce 
n'est  qu'une  préparation,  une  ébauche.  L'idéal  lui-même  se  rend 
visible  par  l'Incarnation  ;  il  devient  semblable  à  nous  pour  que  nous 
devenions  pins  facilement  semblables  à  lui,  pour  que  nous  puissions 
suivre  sa  voie,  posséder  sa  vérité  et  imiter  sa  vie.  Et  comme  l'abus 
de  notre  libre  arbitre  a  déformé  en  nous  son  image,  il  ajoute  à 
rincarnation,  la  Rédemption  qui  est  la  révélation  suprême  de  sa 
bonté.  Lorsqu'il  nous  eut  aimé  ainsi  jusqu'à  la  fin  et  que  tout  fut 
consommé,  il  nous  envoya  son  Esprit  pour  terminer  l'œuvre  de  sa 
ressemblance.  Ce  que  l'amour  a  commencé,  l'amour  l'achève. 
L'Esprit-Saint  a  fait  notre  ressemblance  naturelle,  en  fécondant  les 
eaux  de  la  création  ;  il  inaugure  notre  ressemblance  surnatarelle, 
en  vivifiant  les  eaux  du  baptême.  Et  de  même  qu'il  forma  le  corps 
du  Christ  dans  le  sein  de  la  Vierge  immaculée,  il  fixera  son  em- 
preinte et  perfectionnera  son  image  dans  nos  âmes  ;  il  sera  l'Esprit 
sanctificateur. 

La  sainteté  est  la  vraie  ressemblance  divine,  le  chef-d'œuvre  de 
la  charité.  Le  trois  fois  Saint  donne  aux  saints  sa  science  et  son 
amour.  Il  réalise  en  eux  son  idéal  et  les  admet  à  son  unité.  Les 
saints  sont  d'autres  Christs,  ayant  la  même  vie,  la  même  lumière,  la 
même  volonté.  Comment  n"aimoraient-il  pas  les  hommes  que  le 
Cbrist  a  tant  aimés.  Non  seulement  ils  conçoivent  en  eux  l'idéal 
divin,  mais  ils  veulent  le  manifester,  le  communiquer.  Ils  devien- 
nent ainsi  les  apôtres  de  la  vérité,  les  artistes  de  la  cbarité  ;  ils 
perpétuent  le  Christ  par  leurs  exemples,  leur  enseignement  et  leurs 
œuvres.  Ils  éclairent  toutes  K-s  ignorances,  soulagent  toutes  les 
misères,  et  savent  se  sacrifier,  comme  leur  Maître,  pour  le  salut  et 
le  bonheur  de  ceux  qu'ils  aiment. 


i02  l'art  et  la  charité 

Les  artistes  chrétiens  ne  doivent  pas  avoir  un  autre  idéal  que  les 
saints^  ni  un  autre  motif  de  l'exprimer.  Leur  art  doit  être  aussi 
l'art  de  la  charité,  l'art  du  Christ  connu,  aimé,  manifesté.  Quels  que 
soient  les  moyens  qu'ils  ont  choisis,  orateurs,  poètes,  écrivains, 
architectes^  sculpteurs  ou  peintres,  ils  doivent  s'efforcer  de  rendre 
l'idéal  visible,  en  Notre- Seigneur  et  dans  les  Saints  qu'il  a  formés 
à  son  image,,  dans  la  Vierge  Marie  surtout,  son  miroir  le  plus  pur, 
le  plus  fidèle.  Telle  est  la  mission  de  l'art  chrétien  dans  l'Églisa  ;  il  y 
a  divinement  germé,  comme  un  ornement  près  de  l'autel  ;  il  a 
traduit  les  pages  des  Saintes-Écritures,  il  a  fleuri  sur  les  marges  des 
manuscrits  pour  servir  et  glorifier  en  tout  et  en  tous,  l'idéal  divin. 

Saint  Vincent  de  Paul  a  été  dans  les  temps  modernes,  une  des 
plus  admirables  images  de  Jésus-Christ  ;  n'est-il  pas  juste  que  l'art 
se  plaise  à  l'honorer.  Ses  œuvres  sont  encore  vivantes  parmi  nous 
et  il  a  été  facile  de  recueillir  ses  souvenirs,  conservés  par  une  piété 
reconnaissante.  Ce  qu'on  désire  d'abord  en  lisant  la  vie  d'un  saint, 
c'est  d'en  avoir  un  portrait  fidèle;  et  si  la  peinture  n'en  a  pas  laissé, 
l'imagination  cherche  à  y  suppléer,  en  se  créant  un  idéal  qui  en 
représente  la  sainteté.  Les  traits  qu'elle  lui  prête,  s'éloignent 
souvent  de  la  réalité.  La  grâce  qui  élève  la  nature  ne  la  détruit  pas 
et  les  saints  transfigurés  dans  le  ciel,  y  garderont  leur  ressem- 
blance. Nous  n'avons  pas  à  composer  le  portrait  de  saint  Vincent  de 
Paul  ;  il  en  existe  plusieurs  qui  ont  été  faits  pendant  sa  vie.  La 
difficulté  est  de  choisir  celui  qui  répond  le  mieux  à  lidéal  que  nous 
pouvons  nous  en  former.  La  figure  de  saint  Vincent  de  Paul  n'avait 
rien  de  remarquable,  elle  rappelait  son  humble  origine,  mais  elle 
était  belle  par  l'intelligence  et  les  vertus  qui  s'y  rendaient  visibles. 

Le  portrait  préférable  à  tous  les  autres  sous  ce  rapport,  est  celui 
que  fit  d'après  nature,  Simon  François,  peintre  tourangeau,  et  que 
grava  Van  Schuppen  en  I6G0.  Il  a  été  souvent  reproduit  par  les 
disciples  de  saint  Vincent  de  Paul,  qui  l'estimaient  par  conséquent 
le  plus  ressemblant,  et  c'est  celui  que  l'iconographie  chrétienne 
doit  adopter.  On  est  trop  porté  à  ne  voir  dans  saint  Vincent  de  Paul 
que  le  modèle  de  la  charité  ;  il  faut  savoir  distinguer  à  travers  les 
voiles  de  son  humilité,  les  autres  dons  qu'il  avait  reçus  de  Dieu, 
l'étendue  de  son  génie,  la  sûreté  do  sa  doctrine,  la  clarté  de  son  bon 
sens,  la  lumière  de  ses  conseils,  la  science  do  sa  direction,  la  grâce 


SAINT     VINCENT    DE    PAUL 

Groupe  de  marbre  blanc  dans  l'église  de  Saint-Sulpice.  à   Paris.  Sculpture  de  M.   Cabucliet. 

dix-neuvicme  siècle. 


l'art  et  la  charité  103 

de  son  esprit,  la  douceur  de  son  caractère.  Tous  ces  mérites  se 
lisent  dans  le  portrait  de  Simon  François,,  dans  la  vivacité  de  ce 
regard  et  la  finesse  de  cette  bouche  d'où  vont  sortir  des  paroles 
saintes  et  persuasives.  Saint  Vincent  de  Paul  était  alors  dans  la  matu- 
rité de  sa  vie.  Ce  portrait  du  reste  ressemble  beaucoup  à  celui  que 
peignit  Philippe  de  Champagne  et  à  celui  qui  a  été  gravé  par  le 
célèbre  Édelinck. 

Un  autre  portrait  nous  le  représente  plus  âgé,  plus  près  d'aller 
recevoir  au  ciel  sa  récompense.  C'est  une  aquarelle  exécutée  sans 
doute  à  l'époque  de  la  canonisation  d'après  une  peinture  faite  peu 
de  temps  avant  sa  mort.  Dans  la  partie  supérieure  du  motif  qui 
encadre  la  figure  est  ménagée  une  petite  ouverture  qui  laisse 
paraître  un  cœur,  tracé  sur  parchemin.  Derrière  ce  parchemin  est 
écrit  ràuthentique  de  M.  Daudet,  supérieur  de  Saint-Lazare.  Ce  cœur 
a  été  peint  avec  le  sang  même  du  cœur  de  saint  Vincent  de  Paul  : 

E'jo  infrascriptus  sacerdos  congregationis  Missionis  et  prœfectus 
ecclesiœ  domiis  sancti  Lazari  Parisiensis,  testor  et  fidem  facio  cor 
rétro  depictinn  sanguine  ex  prascordiis  sa?icti  Vincentii  a  Paulo  esse 
intinctum.  Daudet. 

L'iconographie  rattache  aux  portraits  des  saints,  tout  ce  qui  a 
rapport  aux  circonstances  et  aux  événements  de  leur  vie  ;  c'est  ce 
que  l'art  a  fait  pour  saint  Vincent  de  Paul.  La  gravure  nous  montre 
les  lieux  qu'il  a  habités,  les  personnes  qu'il  a  fréquentées,  les 
misères  qu'il  a  secourues,  et  les  établissements  qu'il  a  fondés.  Elle 
nous  conduit  d'abord  au  village  qui  a  été  Bethléem  et  Nazareth 
pour  sa  naissance  et  sa  jeunesse.  Voici  la  maison  paternelle, 
l'église  de  son  baplême  et  de  sa  première  communion,  le  grand 
chêne  qui  l'ombrageait,  quand  il  gardait  son  troupeau,  le  moulin  de 
Pouy,  témoin  des  prémices  de  sa  charité.  Nous  le  suivons  ensuite 
dans  les  rudes  sentiers  qu'il  parcourut,  avant  d'arriver  au  poste 
que  lui  destinait  la  Providence.  Nous  faisons  le  pèlerinage  do  Notre- 
Dame  de  Buglose qu'il  aimait;  nous  visitons  la  chapelle  de  Château- 
l'Évéque  où  il  fut  ordonné  prêtre  et  celle  de  Notre-Dame  de  Grâce 
où  il  célébra  sa  première  messe,  puis  les  églises  confiées  à  son 
ministère,  l'égHse  de  Clichy-la-Garenne  qu'il  a  fait  rebâtir,  l'église 
de  Folleville  où  il  instruisait  le  peuple,  celle  de  Châtillon-les-Dombes 
où  il  inaugura  les  confréries  de  charité.  Nous  le  voyons  explorer 


104  l'aut  et  la  chakité 

toutes  les  régions  où  s'exercera  son  zèle,  partager  l'esclavage  des 
chrétiens  en  Afrique,  et  les  fers  des  forçats  sur  les  galères,  soigner 
les  malades  dans  les  hôpitaux  et  enfin  se  mettre  en  rapport  par  la 
famille  de  Gondi,  avec  tout  ce  grand  XYII  siècle  dont  il  sera  le 
bienfaiteur  et  la  gloire. 

Pour  bien  connaître  saint  Yincetit  de  Paul,  il  faut  le  voir  au  milieu 
de  cette  société  brillante  que  toute  l'Europe  admirait  et  s'efforçait 
d'imiter.  L"humb!e  prêtre  se  trouve,  malgré  lui,  mêlé  h  toutes  les 
grandeurs,  afin  de  pouvoir  soulager  toutes  les  misères.  îl  nous 
apparaît  entouré  des  hommes  les  plus  célèbres  do  son  temps  qui 
l'ainient  et  le  vénèrent  ;  Louis  XllI  qui  réclama  son  assistance  à 
l'heure  de  la  mort,  Anne  d^Yutriche  qui  l'appelle  à  ses  conseils, 
Richelieu,  Mazarin,  saint  François  de  Sales,  le  cardinal  de  Bérulle^ 
Bossuet,  Ollier,  la  duchesse  d'Aiguillon,  Mlle  Legras,  le  baron  de 
Renti  ;  tous  cèdent  à  l'onction  de  sa  parole  et  deviennent  les  auxi- 
liaires de  ses  œuvres. 

Le  spirituel  crayon  de  Callol  nous  fait  connaître  les  pauvres  vrais 
ou  faux  qu'il  rencontre  et  les  misères  de  la,  guerre  qu'il  doit 
secourir.  Le  burin  vigoureux  d'Aliraham  Bosse  nous  montre  les 
seigneurs  et  les  dames  de  la  cour  qu'il  entraîne  dans  les  hôpitaux 
et  qu'il  forme  aux  œuvres  de  miséricorde.  Ils  ont  encore  leurs 
beaux  costumes  et  leurs  grands  airs,  mais  beaucoup  bientôt  ijuitte- 
ront  ce  luxe  et  cette  fierté,  pour  se  faire  pauvres  afin  de  mii.'ux 
aimer  et  mieux  servir  les  pauvres. 

Une  gravure  de  :ette  époque  constate  ce  triom[)he  obtenu  sur  les 
vanités  du  monde,  au  profit  de  la  charité.  C'est  la  pompe  funèbre 
de  la  Mode  que  les  dames  conduiseiit  au  tombeau.  Elles  portent  pro- 
cessionnellement  les  atours,  les  dentelles,  les  fleurs,  les  éventails, 
les  bijoux,,  les  faux  cheveux,  les  fourrures  qu'elles  vont  ensevelir 
avec  la  défunte.  Les  hommes  qui  les  précèdent  jettent  aussi  leurs 
rubans,  leurs  éperons,  leurs  bottes,  leurs  panaches  et  leurs  chapeaux 
dans  le  monument  au  bas  duquel  on  lit  cette  épiiaphe  : 

Ci  gist  sous  ce  tombonii,  pdur  l'avoir  môrité, 
La  Mode  qui  causait  tant  de  folie  en  l'^rance  : 
La  mort  a  fait  mourir  la  sujieilUiité 
Et  va  faire  bientôt  revivre  raboudam  e. 


l'art    et    la    CIIAUITÈ  '  Oo 

Ce  tombeau  fut  en  effet  pour  saint  Vincent  de  Paul,  une  mine 
inépuisable  d'où  il  tira  les  trésors  avec  lesquels  il  put  fonder  des 
hospices,  secourir  toutes  les  inf(jrtunes,  sauver  des  provinces, 
racheter  les  captifs,  envoyer  des  missionnaires  à  tous  les  rivages,  et 
créer,  dans  le  mom'e  entier,  pour  la  Franco,  cet  empire  de  la  cha- 
rité, cette  influence  plus  glorieuse  3t  plus  durable  que  les  conquêtes 
et  l'éclat  du  règne  de  Louis  XIV.  Car  les  saints  ne  meurent  pas,  ils 
ont  une  postérité  qui  continue  leur  vie.  Où  saint  Vincent  de  Paul 
n'envoie-t-il  pas  encore  ses  prêtres  et  ses  filles  de  Charité,  où  ne 
répand-il  pas  l'or  do  ses  aumônes  et  la  lumière  de  ses  enseigne- 
ments? Son  nom  est  connu  et  béni  par  toute  la  terre.  Ses  armées 
pacifiques  envahissent  l'Afrique,  l'Amérique,  et  les  régions  les  plus 
lointaines  de  l'x^sie  pour  y  combattre  l'ignorance  et  la  douleur,  et  y 
conquérir  des  âmes  avec  la  palme  du  martyre. 

Les  artistes  de  la  haine  et  du  mensonge  se  lèvent  contre  les 
artistes  de  la  charité  et  s'eîTorccnt  de  détruire  leurs  œuvres.  Un  des 
premiers  essais  des  principes  de  89  fut  le  pillage  de  Saint-Lazare  ; 
le  13  juillet,  la  veille  de  la  prise  de  la  Bastille,  ce  sanctuaire  de  la 
prière  et  du  dévouement  fut  envahi  et  saccagé,  la  bihliothèque 
dévastée,  la  chambre  de  saint  Vincent  de  Paul  profanée  et  sa  statue 
brisée.  Peu  de  temps  après,  dix  de  ses  disciples  étaient  égorgés. 
Combien  furent  ensuite  envoyés  en  exil  et  sur  l'échafaud  par  la 
Révolution  !  Mais  les  artistes  de  la  charité  ne  se  découragent  pas  et 
travaillent  toujours  à  réaliser  l'idéal  divin  ;  ils  disent  à  leurs  bour- 
reaux :  Vous  nous  pillez,  vous  nous  frappez,  vous  nous  tuez,  mais 
vous  ne  pouvez  nous  empêcher  de  vous  aimer_,  de  vous  servir,  de 
vous  assister  dans  la  souffrance,  la  vieillesse  et  la  mort.  Depuis  la 
Révolution,  les  imitateurs  de  saint  Vincent  de  Paul  se  sont  multipliés 
et  jamais  les  œuvres  n'ont  été  plus  Hérissantes. 

Les  Saints  dans  l'Kglise  sont  les  pierres  de  la  Jérusalem  céleste 
qu'il  faut  voir  à  leur  place  pour  bien  en  comprendre  la  beauté.  Saint 
Vincent  de  Paul  a  des  ancêtres  comme  il  a  une  postérité.  Sa  charité 
est  un  rayon  de  l'unité  infinie,  et  on  peut  ladmirer  dans  sa  source 
divine,  dans  les  sacrements  qui  l'ont  communiquée  et  dans  les 
vertus  qu'elle  a  développées.  Saint  Vincent  de  Paul  est  un  anneau 
de  cette  chaîne  sacrée,  qui  part  du  cœur  de  Jésus-Christ  et  qui 
rattache  tous  les  Bénis  du  Père  au  trône  du  Souverain  Juge,  avec 


106  l'art  et  lv  charité 

lequel   ils     régneront    éternellement.    L'art    chrétien   peut   ainsi 

honorer  sa  mémoire,  en  l'unissant  aux  souvenirs  de  tous  les  siècles. 

L'époque  des  catacombes  est  représentée  par  le  bon  Pasteur  qui 
apparaît  sur  un  tombeau,  entre  deux  époux  chrétiens,  entourés  de 
leurs  esclaves  affranchis,  tandis  que  les  autres  esclaves  meurent 
sous  les  coups  de  leurs  maîtres  et  que  les  gladiateurs  s'égorgent 
pour  le  plaisir  du  peuple  romain.  \près  Galère  Maxime  qui  se 
débarrassait  des  pauvres  en  les  faisant  noyer,  vient  Constantin  qui 
fait  entrer  la  charité  dans  les  lois,  ku  XII''  siècle,  les  moines  lui 
bâtissent  des  palais  et  les  princes  fondent  des  hospices  pour  le 
salut  de  leur  âme  et  l'expiation  de  leurs  fautes,  comme  Henri 
d'Angleterre  le  fit  à  Angers,  après  le  meurtre  de  saint  Thomas  de 
Cantorbéry.  Le  XIII"  siècle  sculpte  la  charité  et  ses  représentants 
sur  les  murs  de  nos  cathédrales,  et  le  XIV  l'honore  par  les  peintures 
du  Giotto  à  VArena,  et  de  Simone  Memmi,  à  la  chapelle  des 
Espagnols.  Au  XY"  siècle,  brille  le  modèle  des  artistes  (chrétiens,  le 
bienheureux  Frà  Angelicoqui  mettait  l'aumône  au-dessus  des  chefs- 
d'œuvre,  comme  le  dit  son  épitaphe  composée  par  Nicolas  V.  Le 
peintre  de  Fiesole  nous  montre  ses  frères  de  Saint-Marc  donnant 
l'hospitalité  à  notre  Seigneur,  et  le  diacre  saint  Laurent  distribuant 
les  biens  de  l'Église  aux  pauvres,  avant  d'aller  au  martyre.  Vient 
enfin  la  Renaissance,  avec  ses  belles  figures,  ses  grandes  composi- 
tions et  sa  prompte  décadence. 

Au  XYir  siècle,  la  France  ressaisit  le  sceptre  de  l'art  qu'elle  avait 
porté  au  moyen-âge.  Nicolas  Poussin  et  Lesueur  n'ont  pas  alors 
d'égaux  et  le  Bernin  vint  lui-même  reconnaître  notre  supériorité. 
La  sculpture,  la  peinture  et  la  gravure  nous  offrent  les  beaux 
portraits  des  contemporains  et  des  auxiliaires  de  saint  Vincent  de 
Paul,  et  Le  Brun  trace  aux  plafonds  de  Versailles,  des  figures  mytho- 
logiques qui  rappellent  son  heureuse  influence  contre  la  fureur 
des  duels.  Le  XVIIF  siècle  vit  canoniser  saint  Vincent  de  Paul, 
mais  l'art  frivole  et  sensuel  des  Watteau  et  des  Boucher  n'était  pas 
digne  d'honorer  sa  mémoire  ;  les  peintres  plus  sérieux  de  l'école  de 
Jouvenet,  Uestout,  de  Troy,  Natoire  lui  consacrèrent  leurs  meilleurs 
tableaux.  Puis  vint  la  Révolution,  avec  ses  filles  naturelles,  l'a- 
narchie et  la  tyrannie.  Elle  ne  sut  faire  que  des  ruines  et  des  pas- 
tiches de  l'antiquité  païenne.  Lorsqu'au  X1X"=  siècle,  la  société  fit  un 


l'aUT    et    la    CHAllITÉ  107 

effort  pour  ne  pas  mourir,  elle  invoqua  saint  Vincent  de  Paul  et 
glorifia  ses  reliques.  Sa  châsse  est  une  des  œuvres  d'art  les  plus 
remarquables  de  la  Restauration. 

L'Apôtre  de  la  charité  a  maintenant  parmi  nous  des  artistes  qui 
s'inspirent  de  sa  vie  et  nous  la  montrent  dans  leurs  œuvres,  sur  les 
murs  et  les  vitraux  de  nos  églises.  C'est  là  l'espérance  de  l'avenir  au 
milieu  des  hontes  de  notre  époque,  où  des  voix  osent  réclamer  un  • 
art  sans  idéal  et  une  société  sans  Dieu.  La  charité  nous  sauvera  de 
ces  misères  morales  pires  que  la  peste  et  la  guerre.  Seule,  elle  peut 
rendre  à  l'art  ses  saintes  doctrines  et  sa  noble  mission.  La  Renais- 
sance, pour  représenter  la  charité,  n'a  su  imaginer  qu'un  symbo- 
lisme grossier,  une  nourrice  puissante,  capable  d'allaiter  de  nom- 
breux enfants.  Ce  n'est  pas  ainsi  que  la  comprenait  la  grande  école 
de  Giûtto.  La  charité  chrétienne  est  vierge,  et  c'est  pour  cela  qu'elle 
est  mère,  qu'elle  conçoit  le  Christ  et  qu'elle  adopte  tous  les  hommes 
pour  ses  enfants.  Elle  foule  aux  pieds  les  richesses  de  la  terre 
qu'elle  disribue  aux  pauvres.  Elle  porte  des  fleurs  et  des  fruits 
parce  qu'elle  a  donné  tout  son  cœur  à  son  divin  Époux  qui  la  fera 
triompher  éternellement  dans  le  ciel.  Pour  les  artistes,  comme 
pour  les  saints,  le  grand  art  est  l'art  de  la  charité,  l'art  qui  aime 
Dieu  et  qui  veut  le  faire  aimer. 

E.  Cartier. 


EECHERCÏÏES  IIISTOEIQUES 

SUR 

LES  RITES,  CÉRÉMONIES  ET  COUTUMES 

DE  L'ADMINISTRATION  DU  BAPTÊME 


Les  cérémonies  baptismales  ont  pour  ijut  de  sanctifier  celui  qui 
en  est  l'objet,  de  le  rendre  plus  digne  d'un  si  auguste  sacre- 
ment et  d'exprimer  le  changement  opéré  dans  l'âme.  Ce  sont  aussi 
des  symboles  qui,  par  leur  sens  spirituel  et  leur  solennité,  doi- 
vent exciter  la  foi  et  la  dévotion  des  fidèles. 

Les  théologiens  conviennent  que  les  cérémonies  n'appartiennent 
pas  à  la  substance  du  sacrement,  et  que  leur  suppression  ne  sau- 
rait atteindre  la  validité  du  baptême  ;  mais  ils  enseignent  en 
même  temps  qu'il  n'est  point  permis  de  le  conférer  sans  ces  céré- 
monies, à  moins  d'un  cas  de  nécessité. 

Au  XYP  siècle,  des  missionnaires  des  Indes  ont  cru  pouvoir  sup- 
primer les  cérémonies  dans  les  baptêmes  collectifs  qu'ils  admi- 
nistraient à  de  nombreuses  foules  subitement  converties  ;  auXVlI% 
quelques  missionnaires  de  la  Chine  et  du  '""onkin  retranchaient  cer- 
tains rites,  comme  l'insalivation  et  les  onctions,  dans  le  baptême 
des  femmes,  pour  ne  point  porter  ombrag:-  aux  susceptibilités  qui 
régnent  dans  l'extième  Orient.  Mais  les  congrégatiiuis  romaines 
n'ont  jamais  appronvé  ces  retranchements;  à  toutes  les  questions 
qui  leur  ont  été  posées  à  cet  égard,  elles  ont  invariai)lement  ré- 
pondu qu'il  n'est  point  permis  d'omettre  aucune  des  cérémonies 
prescrites  par  le  Rituel. 

Des  écrivains  protestants  ou  rationalistes  ont  fait  remarquer  que 


DK    l'aD.MINISTUATION    DU    B.\  l'T ÊMÎ::  J  09 

certains  rites  baptismaux  ont  été  empruntés  aux  Pélasges,  aux 
Egyptiens,  aux  Perses,  aux  Indiens,  aux  Grecs,  aux  Juifs  ou  à  la 
philosophie  platonicienne.  Ailleurs  nous  examinerons  es  assertions 
en  parlant  des  purifications  d''s  Gentils.  Nous  nous  bornerons  ici  à 
dire  que  ces  analogies  qu'il  serait  puéril  de  nier,  mr.is  qn"il  faut  se 
garder  d'exagérer,  s'expliquent  par  la  nature  des  choses,  par  l'uni- 
versalité du  symltolisme  et  par  l'unité  d(>s  lois  primitives.  L'Eglise 
a  fait  passer  dans  l'ordre  moral  chrétien  des  institutions  purement 
humaines  et  des  rites  généralement  admis;  bien  souvent  elle  n'a 
fait  que  restituer  à  leur  première  destination  des  cérémonies  pro- 
fanées par  les  païens,  et  pratiquées  antérieurement  par  les  adora- 
teurs du  vrai  Dieu. 

Il  est  un  certain  nombre  de  ces  rites  baptismaux  dont  il  est  im- 
possible de  préciser  l'origine  et  dont  l'institution  doit  remonter  aux 
temps  apostoliijues.  Le  Nouveau-Testament,  il  est  vrai,  n'en  a  rien 
dii;  mais  Jésus-Christ,  outre  son  enseignement  public  qui  procédait 
surtout  par  paraboles,  avait  un  eiiseignement  secret  qu'il  réservait 
à  ses  disciples  et  qui  ne  fut  répandu  qu'après  sa  mort.  Il  ne  serait 
donc  pas  raisonnable  de  prétendre  que  telle  ou  telle  institution 
n'appartient  pas  aux  temps  évangéliques  par  cette  seule  raison  qu'il 
n'en  est  pas  question  dans  les  Evangiles.  C'est  la  tradition  qui  seule 
a  transmis  ces  enseignements  d'abord  secrets,  et  l'on  ne  saurait  nier 
que  les  Pères  des  premiers  siècles  n'aient  l'autorité  nécessaire  pour 
affirmer  ces  traditions.  Leur  silence  même  ne  saurait  être  invoqué 
comme  une  preuve  de  la  date  plus  récente  de  certaines  cérémonies, 
car  aucun  d'eux  n'a  doimé  un  rituel  complet  du  baptême  ni  des  autres 
sacrements.  La  loi  du  secret  leur  faisait  d'ailleurs  un  devoir  de  ne 
point  trop  divulguer  les  particularités  des  mystères;  ce  ne  fut 
qu'au  1V°  siècle  qu'on  se  relâcha  de  cette  sévère  discipline.  Les 
Constitutions  apostoliques  sont  l'ouvrage  qui  nous  fournit  le  plus  de 
décrets  sur  les  cérémonies  sacramentelles  ;  le  compilateur  de  ce 
recueil  paraît  avoir  vécu  à  la  fin  du  IV  siècle;  mais  p:îr  là  mémo 
qu'à  cette  époque  on  alUibuait  cette  œuvre  à  saint  Clément,  disci- 
ple et  successeur  de  saint  Pierre,  c'est  qu'on  était  persuadé  que  les 
rites  prescrits  dans  ces  Constitutions  remontaient  aux  temps  apos- 
toliques :  or,  la  croyance  de  cette  époque  et  l'attestation  de  plu- 
sieurs pères  des  IV%  Y"  et  YP  siècles  sur  l'aposlolicité   de  diverses 


no  HE  l'administration  du  baptême 

cérémonies  baptismales,  nous  semblent  des  témoignages  autrement 
concluants  que  les  liypotbèses  des  écrivains  protestants,  unique- 
ment basées  sur  Tabsence  de  renseignements  liturgiques,  absence 
qui  s'explique,  nous  ne  saurions  trop  le  répéter,  par  la  discipline 
de  Tarcane.  Les  témoignages  de  la  Hiérarcliie  auraient  une  valeur 
décisive,  si  Ton  était  d'accord  sur  l'authenticité  de  cette  œuvre  capi- 
tale; mais  ils  ne  peuvent  être  invoqués  que  par  ceux  qui  reconnais- 
sent là  un  écrit  de  S.  Denis  l'Aréopagite  et  non  pas  une  œuvre  ano- 
nyme du  Y^  ou  du  YI*  siècle.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  restera  toujours 
difficile  d'expliquer  comment  certains  rites  auraient  été  si  univer- 
sellement en  usage  aux  III'^  et  lY"  siècles,  s'ils  n'avaient  eu  pour 
auteurs  les  fondateurs  mêmes  du  Christianisme. 

Le  devoir  d'un  critique  impartial  est  de  rechercher  Tépoque  la 
plus  ancienne  où  il  est  parlé  de  telle  ou  telle  cérémonie  ;  mais  il 
ne  doit  pas  en  conclure  qu'elle  n'est  pas  antérieure  à  ce  siècle,  à 
moins  que  des  textes  incontestables  ne  précisent  l'auteur  ou  la  date 
de  cette  institution. 

C'est  pour  n'avoir  point  suivi  ces  règles  d'une  sage  critique,  que 
la  plupart  des  communions  protestantes  rejettent  presque  toutes 
les  cérémonies  baptismales  que  Luther  traitait  à'incantatmis  magi- 
ques, que  Calvin  répudiait  en  disant  :  Je  retiens  mon  baptême,  mais 
je  r&nonce  le  cJirême,  et  que  Pierrre  Yiret  surtout  '  a  si  violemment 
attaquées. 

Nous  allons  étudier  successivement  toutes  les  cérémonies  baptis- 
males, dont  les  principales  ont  été  exprimées  au  Moyen-Age  par 
ces  trois  vers  scholastiques  : 

Sal,  oleum,  chrisma,  cereus,  cJirismata,  saliva, 

Flutus,  vii'tutem  baptismi  ista  figurant . 

Hœc  cum  palrinis  non  mutant  esse,  sed  ornant. 

Comme  dans  toutes  les  initiations  antiques^  on  peut  distinguer 
trois  parties  distinctes  dans  l'administralion  du  baptême  :  l'épreuve 
ou  la  préparation  ;  le  sacrement  ou  le  signe  extérieur  ;  l'initiation 
ou  les  mystères.  Dans  un  premier  chapitre,  nous  nous  occuperons 
des  rites,  des  cérémonies  et  des  coutumes  qui  précèdent  ou  précé- 

'  De  adulterato  baj^tismi  sacramenlo. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  Hl 

daient  jadis  l'administration  du  baptême  ;  le  second  chapitre  sera 
consacré  aux  cérémonies  et  coutumes  qui  accompagnent  ou  accom- 
pagnaient jadis  l'administration  du  baptême  ;  le  troisième,  à  celles 
qui  le  suivent  ou  le  suivaient  autrefois.  Enfin,  trois  chapitres  com- 
plémentaires seront  consacrés  aux  repas  de  baptême,  aux  rites  spé- 
ciaux motivés  par  la  condition  du  catéchumène  ou  la  qualité  du 
ministre,  et  aux  cérémonies  suppléées. 


CHAPITRE  I. 

RITES,     CÉRÉMONIES     ET   COUTUMES     QUI   PRÉCÈDENT    OU    PRÉCÉDAIENT    JADIS 
l'administration    DU    BAPTÊME. 

Nous  n'avons  pas  à  revenir  sur  la  préparation  éloignée  au  bap- 
tême, puisque  nous  avons  épuisé  ce  sujet  en  parlant  du  catéchu- 
ménat.  Mais  nous  avons  réservé  pour  ce  chapitre  et  le  suivant  des 
détails  plus  circonstanciés  sur  les  rites  qui,  pratiqués  la  plupart  dans 
les  épreuves  du  catéchuménat,  n'en  étaient  pas  moins  renouvelés  le 
jour  même  du  baptême. 

Avant  d'entrer  en  matière,  il  nous  paraît  utile  de  signaler  quel- 
ques rites  préparatoires  des  temps  modernes,,  concernant  soit  l'en- 
fant, soit  le  ministre. 

Depuis  un  temps  fort  reculé,  les  Coptes,  quelques  jours  avant  le 
baptême,  circoncisent  les  enfants  mâles,  sans  prétendre  toutefois 
que  ce  rite  préliminaire  soit  nécessaire.  Cette  cérémonie,  qui  n'a 
rien  de  religieux  et  qu'ils  prétendent  pourtant  tenir  d'Ismaël,  s'accom- 
plit à  la  maison  ou  dans  les  bains  publics.  Les  Abyssins  circoncisent 
les  garçons  et  les  filles  entre  le  troisième  et  le  huitième  jour  de  la 
naissance,  non  pas,  disent-ils,  pour  suivre  une  coutume  judaïque, 
mais  pour  se  conformer  à  un  vieil  usage  national.  Les  Nestoriens 
de  la  Chaldée,  unis  à  l'Eglise  romaine,  n'ont  abandonné  cette  pra- 
tique que  depuis  qu'elle  leur  a  été  interdite  par  un  décret  de  l'inqui- 
sition en  1637  '. 

En  Grèce  et  en  Russie,  le  baptême  est  toujours    précédé  de  la 

1  Assemani,  Bibl.  orient.,  t.  III,  part.  I,  p.  303. 


H2  ih:  l'administration  du  baptkmr 

cérémonie  qu'on  appelle  le  scellement  des  enfcmts.  Le  jour  delà 
naissance,  ou  parfois  le  huitième  jour,  le  prêtre  se  re  d  à  la  maison 
du  nouveau-né  et  lui  fait  un  signe  de  croix  sur  le  front,  la  l)ouche 
et  l'estomac,  en  prononçant  la  prière  suivante  :  «  Seigneur,  nous 
vous  prions  de  vouloir  bien  répandre  vos  lumières  sur  votre  servi- 
teur et  de  sceller  dans  son  cœur  et  dans  son  âme  la  croix  de  votre 
Fils  unique,  atin  qu'il  renonce  aux  vanités  de  ce  monde,  qu'il  évite 
les  embûches  de  l'ennemi  et  qu'il  exécute  vos  commandements. 
Confirmez-le,  Seigneur,  en  voire  nom,  et  veuillez  l'unir  à  la  sainte 
Église,  lorsque  vous  le  jugerez  à  propos.  Rendez-le  parfait  dans  vos 
mystères  adorables,  afin  que,  vivant  d'une  manière  conforme  a  votre 
volonté,  il  puisse  obtenir,  avec  vos  élus,  le  royaume  de  la  béati- 
tude éternelle.  » 

Parmi  les  rites  superstitieux,  dérivésde l'antiquité  païenne,  qui 
précèdent  le  baptême,  rien  n'est  plus  singulier  que  le  souper  des 
Parques  ou  des  Mires,  que  l'on  pratique  encore  aujourd'hui  dans 
diverses  contrées  de  la  Grèce  et  surtout  dans  les  îles.  Trois  ou  cinq 
jours  après  la  naissance  de  l'enfant,  on  le  présente  à  la  visite  des 
trois  fées,  pour  qu'elles  lui  soienltoujours  favorables.  C'estmoinsune 
croyance  populaire  qu'une  cérémonie  traditionnelle  à  laquelle  les 
mères  ne  songent  pas  à  se  soustraire.  «  Trois  jours  après  la  nais- 
sance de  l'enfant,  dit  ^[.  Bezolles  \  on  prépare  une  table  pour  les 
trois  demoiselles,  dans  la  chambre  ornée  avec  le  plus  de  soin  et 
d'élégance  ;  sur  la  table,  une  nappe  bien  blanche,  puis  un  pot  ou 
un  verre  de  confitures,  des  cuillers,  la  Ijague  de  la  mère  et  quelques 
pièces  de  monnaie  du  père.  Ces  préparatifs  se  font  le  soir;  le  repas 
reste  servi  toute  la  nuit.  On  n'a  pas  oublié-de  placer  à  un  des  coins 
de  la  table  un  petit  vase  de  miel,  dans  lequel  on  a  mis  trois  aman- 
des dépouillées.  .Le  lendemain,  la  mère  appelle  trois  petits  garçons 
et  o:  leur  distribue  les  amandes.  Elle  est  persuadée  qu'en  faisant 
ainsi,  à  ses  prochaines  couches  elle  aura  un  enfant  màlc.  L'enfant 
dort  dans  son  berceau  que  l'on  a  placé  près  de  la  table  des  Mires. 
J'ai  demandé  si  (luelquofois  on  avait  trouvé  le  lendemain  delà  visite 
des  Mires,  la  confiture  ou  le  miel  entamé  ou  les  amandes  rongées  : 
Jamais,  m'a-t-on  répondu  ;  et  l'on  se  mit  à  rire.  » 

'  Science  des  religions,  p.  164. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  H3 

Le  prêtre  qui  va  administrer  solennellement  le  baptême  doit 
prendre  quelques  soins  préliminaires.  Les  rituels  lui  recommandent 
de  préparer  :  le  vase  de  l'huiledescatéchumèneset  du  saint  chrême  ; 
le  petit  vase  contenant  du  sel  bénit;  le  vase  avec  lequel  il  doit  ver- 
ser l'eau  baptismale  ;  le  bassin  où  devra  tomber  cette  eau  en  décou- 
lant de  la  tête  de  l'enfant  ;  du  coton  ou  des  étoupes  pour  l'essuyer  ; 
une  aiguière  pour  se  laver  les  mains  ;  une  serviette  pour  se  les 
essuyer;  le  chrémeau;  le  cierge;  le  rituel.  Ce  livre  liturgique,  con- 
tenant tout  ce  qui  est  relatif  à  l'administration  des  sacrements, 
s'appelait  au  Moyen-Age  Manuel  sacerdotal]  il  était  parfois  rem- 
placé par  un  livre  spécial,  un  Ordo  baptismal^  dont  les  éditions 
diocésaines,  imprimées  aux  XV  et  XVI^'  siècles,  sont  aujourd'hui 
devenues  fort  rares. 

Les  ritue  s  prescrivent  aussi  au  prêtre  de  se  laver  les  mains, 
de  se  revêtir  durochet  et  de  l'étole  violette,  et,  quand  le  temps  le 
permet,  de  se  mettre  à  genoux  et  de  demander  à  Dieu  la  grâce 
d'accomplir  saintement  ses  fonctions.  Tantôt  on  lui  recommande  de 
réciter  dans  ce  but  le  Veni  creator  ;  tantôt,  comme  fait  le  Riluel 
romain,  de  dire  les  psaumes  vin,  xxviii  et  xli  suivis  de  plusieurs 
oraisons  ;  tantôt  de  réciter  une  prière  spéciale  formulée,  en  termes 
différents,  dans  un  certain  nombre  d'anciens  rituels  '. 

ARTICLE  I. 

Station  à  la  porte  de  l église. 

De  même  que,  pour  les  cérémonies  préparatoires,  le  catéchumène 
s'arrêtait  au  seuil  du  baptistère,  ainsi  l'enfant  pour  qui  on  sollicite 
le  baptême  s'arrête  à  la  porte  septentrionale,  sous  l'enfoncement 
du  portail,  dont  l'obscurité  est  en  harmonie  avec  la  nuit  de  son 
âme.  Cet  enfant,  encore  sous  la  puissance  du  démon,  n'a  pas  le 
droit  d'entrer  dans  l'assemblée  des  fidèles,  avant  d'avoir  été  puri- 
fié par  les  exorcismes.  Celte  station  doit  rappeler  aux  fidèles  que  le 
péché  d'Adam  a  exclu  l'homme  du  paradis  terrestre,  et  que  le  Ciel, 
figuré  par  l'éghse,  reste  fermé  à  ceux  qui  n'ont  point  été  régénérés. 

'  Nomocanon  syrien  ;  Rituels  de  Mantoue  (1558  et  1595),  de  Côme  (1557))  etc. 
II*  série,  tome  XI.  8 


114  DE   l'administration    DU    BAPTÊMl:: 

Dès  le  V1I«  siècle,  alors  que  l'on  commença  à  baptiser  dans  beau- 
coup d'églises  paroissiales,  on  les  munit,  soit  d'un  porche  ménagé 
sous  le  clocher,  soit  d'un  simple  auvent  construit  en  bois  et  enca- 
drant la  porte  d'entrée.  C'est  là  que  se  faisaient  les  exorcismes  pré- 
liminaires du  baptême  :  aussi  ce  lieu  était-il  considéré  comme  par- 
ticipant à  la  sainteté  de  l'église,  et  c'est  pour  cela  que  beaucoup  de 
conciles  ont  interdit  de  s'y  livrer  au  commerce,  même  à  celui  des 
objets  religieux  '.  Au  XVI^  siècle,  on  respectait  encore  ces  annexes 
extérieures,  détruites  depuis  en  si  grand  nombre,  et  les  statuts  de 
divers  diocèses  ordonnent  que  «  les  porches  des  églises  seront  soi- 
gneusement conservés  pour  y  faire  les  anciennes  cérémonies  qui 
concernent  les  catéchumènes  et  les  pénitents  ^»  La  destruction  de  ces 
abris  protecteurs  a  dû  contribuer  à  laisser  introduire  dans  l'église  le 
cortège  baptismal^  pour  le  prémunir  du  froid^,  du  soleil,  du  vent  et 
de  la  pluie,  et  cette  tolérance,  peu  à  peu,  aura  gagné  même  les 
églises  munies  de  porche  ou  d'auvent.  Quelques  rituels  continuè- 
rent à  maintenir  la  prescription  purement  et  simplement,  d'autres 
admirent  des  exceptions  pour  les  cas  de  nécessité  ;  d'autres  enfin  ^ 
permirent  d'introduire  tout  d'abord  l'enfant  dans  l'église,  dans  un 
endroit  voisin  dss  fonts  :  «  C'est  moins  la  violation  de  la  rubrique, 
disent  les  Conférences  du  diocèse  d'Amiens  %  qu'une  interprétation 
bénigne,  motivée  par  de  graves  raisons.  »  Dans  plusieurs  grandes 
églises,  comme  à  la  cathédrale  de  Versailles,  il  y  a  une  chapelle 
spéciale  consacrée  aux  préliminaires  du  baptême.  A  Rome,  c'est 
dans  une  sacristie  de  Saint-Jean  de  Latran  que,  la  veille  de  Pâques, 
ont  lieu  les  prières  préparatoires  et  les  exorcismes. 

La  station  à  la  porte  de  l'église  a  disparu  à  peu  près  partout  en 
Grèce  ;  elle  s'est  maintenue  en  Arménie  et  dans  quelques  autres 
contrées  de  l'Orient,  En  Russie,  le  pope  reçoit  l'enfant  à  la  porte  du 
temple  et  bénit  le  pari'ain  et  la  marraine  en  leur  disant  :  Que  le 
Seigneur  protège  votre  entrée  et  votre  sortie  ! 

'  Conciles  .i'Arles  de  Tours,  do  Gênes,  de  Milan,  de  Bourges;  synodes  d'Excs- 
ter,  d'.\let.  d'-.  Nnples,  de  Plaisance,  d'Osmo,  de  Vilerbe,  de  Catane,  de  Padoue, 
de  Cahors,  de  Beauvais,  etc. 

'^  Statuts  du  diocèse  de  Noyon  (IG73). 

3  Rituels  de  Matines,  de  I3iuges,  de-  GanJ,  de  Cambrai,  etc. 

*  Couiple-rendu  de  1866,  p.  39. 


DE   l'administration    DU    DAPTÊME  H6 

ARTICLE  II. 

Interrogatiojis  prélimiîiaires. 

En  étudiant  successivement  chacun  des  rites  du  baptême,  nous 
exposerons  dabord  le  formulaire  et  l'usage  de  l'Eglise  romaine  et  de 
l'Eglise  grecque;  nous  indiquerons  le  sens  de  la  cérémonie,  son 
antiquité  et  les  témoignages  que  lui  rend  la  tradition;  nous  signa- 
lerons ensuite  les  variantes  de  coutumes  qu'on  rencontre  au  Moyen- 
Age  et  dans  les  temps  modernes,  dans  les  églises  d'Occident  et 
d'Orient.  Quand  il  y  aura  lieu,  nous  noterons  les  controverses  des 
théologiens  sur  des  matières  contestées  et,  enfin,  nous  recueillerons 
les  opinions  et  les  usages  des  communions  dissidentes. 

D'après  Tordre  baptismal  du  Rituel  romain,  le  prêtre,  placé  sur 
le  seuil  de  la  porte  occidentale,  adresse  à  l'enfant  les  questions  sui- 
vantes, auxquelles  le  parrain  répond  pour  lui  : 

Le  prèt7'e  :  N.,  que  demandez-vous  à  l'Église  de  Dieu  ? 
Le  parrain  :  La  foi. 

Le  prêtre  :  La  foi,  que  vous  procure-t-elle  ? 
Le  parrain  :  La  vie  éternelle. 

Le  prêtre:  Si  donc  vous  voulez  entrer  dans  la  vie,  observez  ces 
commandements  :  Vous  aimerez  le  Seigneur  votre  Dieu  de  tout 
votre  cœur,  de  toute  votre  âme,  de  tout  votre  esprit,  et  votre  pro- 
chain comme  vous-même. 

Cette  demande  de  la  foi  qui  produit  la  vie  éternelle  a  été  sup- 
primée par  beaucoup  de  rituels  des  deux  derniers  siècles,  et 
Gibert  '  les  approuve  sous  ce  prétexte  que  Dieu  seul  peut  don- 
ner la  foi;  mais  il  y  a  deux  sortes  de  foi  :  la  foi  intérieure,  qui 
est  en  effet  un  pur  don  de  Dieu,  et  la  foi  extérieure  dont  parle 
S.  Paul  —  ftdes  ex  auditu  —  qui  nous  est  communiquée  par 
l'Église,  dépositaire  de  toutes  les  vérités  du  salut.  D'ailleurs,  le 
mot  fides  peut  ici  s'entendre  du  sacrement  de  la  foi  et  de  la  grâce 
sanctifiante. 

Ces  interrogations  préliminaires  sont  un  souvenir  de  l'ancienne 

•  Consultai,  canon.,  t.  II,  \).  321. 


116  DE  l'administration  du  baptême 

discipline.  S.  Denis  l'Aréopagite  nous  dit  '  que  celui  qui  voulait 
être  baptisé  cherchait  d'abord  un  parrain,  se  faisait  présenter  par 
lui  à  l'évêque  qui  formulait  alors  cette  question  :  Que  demandez- 
vous?  Le  candidat,  abjurant  son  infidélité,  témoignait  le  désir  de 
participer  aux  divins  mystères,  et  l'évèquo  faisait  inscrire  son  nom 
avec  celui  du  parrain  dans  la  liste  des  catéchumènes. 

Les  interrogations  actuelles  du  Rituel  romain  se  retrouvent  en 
substance  dans  les  Pontificaux  des  IV^,  Y^  et  VI*^  siècles  de  Rome,  de 
Constantinople,  d'Aix,  etc.  Elles  ont  une  forme  toute  différente  dans 
l'antique  liturgie  ambroisienne  conservée  jusqu'à  nos  jours  : 

Le  prêtre  :  Qui  offre  cet  enfant  ? 

Le  parrain  :  C'est  moi. 

Le  prêtre  :  Que  veut-il  devenir? 

Le  parrain  :  Chrétien . 

Le  prêtre  :  Le  mérite-t-il  en  considération  de  ses  parents  ? 

Le  parrain  :  Il  le  mérite. 

L'enfant  ne  pouvant  rien  promettre  par  lui-même,  on  considère 
^    du  moins  la  piété  de  ses  parents  comme  le  gage  d'une  bonne  édu- 
cation chrétienne.  C'est  encore  là  un  vestige  de  l'ancienne  discipline 
qui  prescrivait  à  l'évêque  de  s'informer  des  mœurs  et  de  la  foi  de 
celui  qui  présentait  à  l'Église  un  nouveau  candidat. 

A  Soissons,  au  XIII"  siècle,  le  prêtre  ne  demandait  le  nom  de 
l'enfant  qu'après  l'insalivation  et  il  lui  disait  alors  :  N...,  entre  dans 
l'Eglise  de  Dieu.  Cette  question  spéciale  sur  le  nom  est  formulée 
dans  les  rituels  du  XV"  siècle  :  nous  lisons  dans  celui  de  Paris, 
daté  de  1497  : 

Le  prêtre  :  Que  Dieu  vous  a  donné  ? 

Les  parents  :  Un  fils. 

Le  prêtre  :  Que  demande-t-il? 

Les  pareîits  :  Baptême. 

Le  prêtre  :  Comment  aura-t-il  nom  ? 

Les  parrains  :  N... 

Ainsi  le  curé,  dans  ses  premières  interrogations,  s'adressait  aux 
parents,  ou  du  moins  à  ceux  qui  le  représentaient  ;  mais  c'étaient 
les  parrains  qui  devaient  donner  le  nom  de  baptême. 

*  Hierarch.  eccL,  c.  I. 


DE   l'administration   DU   BAPTÊME  H7 

Les  interrogations  se  multiplièrent  au  XVII*  siècle.  Voici  celles 
qu'on  trouve  dans  la  plupart  des  rituels  français  : 

D.  Quel  enfant  présentez-vous  à  l'église? 

R.  Un  garçon  (ou  une  fille). 

D.  Est-il  de  cette  paroisse? 

R.  Oui,  Monsieur. 

D.  N'a-t-on  pas  ondoyé  cet  enfant? 

R.  Non,  Monsieur. 

D.  Eles-vous  le  parrain  et  la  marraine  ? 

R.  Oui,  Monsieur. 

D.  Voulez-vous  vivre  et  mourir  dans  la  foi  de  l'Eglise  catholique, 
apostolique  et  romaine? 

R.  Oui,  Monsieur,  moyennant  la  grâce  de  Dieu. 

D.  Quel  nom  donnez-vous  à  cet  enfant? 

R.  N... 

A  Alexaîio,  tous  les  enfants  qui  accompagnaient  le  cortège  baptis- 
mal répondaient,  au  seuil  de  l'église,  en  même  temps  que  les  par- 
rains, à  l'interrogatoire  du  prêtre.  Un  statut  synodal  de  l'évêque 
d'Alexano  proscrivit  cette  coutume,  prétendant  que  ces  réponses 
extra-liturgiques  faisaient  contracter  un  empêchement  prohibant  ; 
mais  ce  synode  tout  entier  fut  annulé  par  la  sacrée  Congrégation  du 
Concile  '. 

Pour  maintenir  l'uniformité  dans  la  liturgie  et  surtout  dans  l'ad- 
ministration des  sacrements,  l'Eglise  romaine  a  toujours  exclu  les 
langues  vulgaires  ;  elle  conserve  l'usage  du  latin  comme  les  Grecs 
conservent  la  langue  de  S.  Chrysostome,  comme  les  Jacobites  et  les 
Nestoriens  gardent  leur  ancien  syriaque, comme  les  Coptes  gardent  la 
langue  antique  de  leurs  ancêtres.  En  Espagne,  en  Portugal,  en  Italie 
où  le  latin  est  à  demi  compris  du  populaire,  on  l'a  toujours  employé 
pour  les  interrogations  préliminaires  du  baptême  ;  mais  il  n'en  est 
pas  de  même  en  France,  en  Belgique  et  en  Allemagne.  Déjà  au 
Vllte  siècle,  S.  Boniface,  évêque  de  Mayence,  recommandait  de 
s'adresser  aux  catéchumènes  dans  leur  langue  maternelle  ".  Depuis 
le  XVIl<î  siècle,  presque  tous  les  rituels  de   France,   de  Belgique 

'  Analect.  jur.  pontife  VIII»  série,  p.  1731. 
'D'Achéry,  Spicil,  t.  IX,  n.  11. 


118  DE  l'administration  du  baptême 

d'Allemagne,  de  Pologne  formulent  les  interrogations,  soit  unique- 
ment dans  la  langue  vulgaire,  soit  tout  à  la  fois  en  latin  et  en  lan- 
gue vulgaire  '.  Le  patois  lui-même  n'est  pas  exclu  quand  il  domine 
dans  un  diocèse  ^  Dans  les  contrées  où  se  parlent  divers  idiomes, 
on  en  laisse  le  choix  :  ainsi,  le  Rituel  polonais  de  Péterkau  (1847) 
donne  les  interrogations  de  l'arrivée,  de  la  renonciation  et  de  la  pro- 
fession de  foi,  en  polonais,  en  allemand,  en  français  et  en  lithua- 
nien. Quant  aux  protestants,  ils  se  font  une  loi,  en  Angleterre,  en 
Suède,  en  Danemark,  en  Suisse,  en  Allemagne,  de  n'employer  que 
la  langue  vulgaire;  il  y  a  même  eu  des  protestants  américains  qui 
ont  prétendu  que  notre  baptême  est  nul,  parce  que  nous  l'adminis- 
trons en  latin. 

Il  n'est  pas  fait  mention,  dans  le  Rituel  romain,  de  l'emploi  de 
la  langue  vulgaire,  pour  les  interrogations  faites  aux  parrains  et 
pour  leurs  réponses.  L'absence  d'interdiction  formelle  a  fait  supposer 
qu'on  pouvait,  sur  ce  point,  suivre  la  tradition  diocésaine,  à  cause 
de  l'avantage  de  faire  bien  comprendre  aux  parrains  les  engage- 
ments qu'ils  prennent.  Lorsque  la  Congrégation  des  rites  a  été  inter- 
rogée à  ce  sujet,  elle  a  toujours  répondu  que,  quant  aux  interroga- 
tions qui  précèdent  ou  suivent  l'ordre  du  baptême  et  qui  ne  sont 
point  formulées  dans  le  Rituel,  on  devait  les  faire  en  langue  vul- 
gaire, mais  que  toutes  les  interrogations  formulées  dans  le  Rituel 
devaient  être  faites  en  latin,  sans  même  y  ajouter  une  traduc- 
tion ^ 

Dans  le  rite  éthiopien  du  X*'  siècle,  la  question  relative  au  nom  de 
l'enfant  est  précédée  de  l'encensement  des  parrains  et  de  la  récita- 
tion du  psaume  Mise' ère  mei'\  En  Arménie,  à  cette  question  :  Que 
demande  cet  enfant  ?  Le  parrain  répond  :  «  Il  demande  la  foi, 
l'espérance,  la  charité  et  le  baptême  ;  il  demande  à  être  purifié  du 
péché  originel  et  à  servir  Dieu'\  » 

'  Rituels  de  Salzbourg  (1G40),  de  Raiisbonne  ll602:,  de  Bourges  1.1715),  du 
Mans  (1775),  de  Liège  (1782),  d'Angers  (1828),  de  Munich  (1810),  d'Amiens  (I8»5j, 
de  Bavière  (1851),  etc. 

-  Pastoral  de  Saint-Omer  (154 il. 

■'  21  déc.  1819;  12  août  18j'»,  12  sept.  1857;  31  août  18(J7. 

■•  Patrol.  lai.,  t.  138,  col.  930. 

•^  J.  Assemani.  Cod.  (ifurg.,  1.  I,  c.  IV,  p.  208. 


DE   l'administration   DU   BATTÉME  119 

Dans  la  liturgie  des  églises  réformées,  Tinferrogatoire  se  horne  à 
cette  questoti  :  Vous  présentez  cet  enfant  pour  qu'il  soit  baptisé? 
A  quoi  le  parrain  répond  :  Oui.  Dans  le  rit  anglican,  la  question  est 
celle-ci  :  Cet  enfant a-t-il  déjà  été  baptisé  ou  non?  Chez  les  Menno- 
nites,  le  ministre  demande  à  l'adulte  s'il  veutêtre  baptisé,  et  celui-ci 
doit  répondre  par  une  simple  inclination  de  tête  '. 

ARTICLE   III. 

Exhortation  préliminaire. 

Un  grand  nombre  de  rituels  anciens  et  modernes  contiennent, 
immédiatement  après  l'interrogUoire,  une  courte  exhortation 
adressée  aux  parrains  et  aux  parents.  Dans  les  circonstances  les 
plus  solennelles,  surtout  en  Allemagne,  la  lecture  de  cette  allocu- 
tion, qui  n'a  rien  d'obligatoire,  est  remplacée  par  un  discours  à 
toute  l'assistance  où  sont  expliqués  non  seulement  les  devoirs  des 
parrains,  mais  aussi  parfois  les  mystères  et  les  cérémonies  du 
sacrement  qui  va  être  administré.  Ces  instructions  sont  comme  un 
écho  des  catéchèses  que  l'évêque  ou  un  catéchiste  adressait  jadis  à 
ceux  qui  allaient  être  régénérés  et  dont  nous  trouvons  un  si 
éloquent  modèle  dans  les  Invitationes  al fontem  de  S.  Zenon. 

Le  désir  d'instruire  les  fidèles  sur  le  sens  des  cérémonies  a  motivé 
une  ordonnance  de  Mgr  do  Quelen,  en  date  du  15  août  1838.  par 
laquelle  il  est  prescrit  aux  curés  du  diocèse  de  Paris  de  faire  distri- 
buer gratuitement  aux  parrains  et  aux  parents,  avant  le  baptême, 
de  petites  feuilles  d'avis  contenant  une  courte  et  substantielle 
instruction  sur  les  rites  sacramentels. 

Dans  la  liturgie  anglicane,  il  y  a  une  exhortation  aux  parrains  et 
aux  assistants,  avant  et  après  le  baptême.  Dans  les  églises  luthé- 
riennes, la  cérémonie  s'ouvre  par  une  instruction  sur  le  péché 
originel  et  la  nécessité  du  baptême.  Chez  les  calvinistes,  le  ministre, 
du  haut  de  la  chaire,  adresse  une  allocution  aux  assistants.  En  1614 
le  synode  de  Tonneins  déclarait  encore,  conformément  à  tous  les 
synodes  français  précédents,  qu'il  n'est  point  permis  de  baptiser 

'  J.  Hayward,  The  religions  creeds. 


120  DE  l'administration  du  baptême 

sans  faire  précéder  ce  ministère  par  la  prédication,  en  raison  de  ces 
paroles  de  Jésus-Christ  :  «Enseignez  et  baptisez.  »  Mais  le  synode  de 
Castres  en  1626  et  surtout  celui  de  Charenton  en  1631  déclarèrent 
que  cette  prédication  n'était  pas  nécessairement  liée  à  la  céré- 
monie du  baptême. 

ARTICLE  IV. 

Exsufflation. 

On  appelle  indifféremment  exsufflation  ou  insufflation,  l'acte  par 
lequel  le  prêtre  souffle  doucement,  par  trois  fois,  sur  la  face  de  l'en- 
fant, en  disant  :  Sors  de  lui  {ou  délie)  esprit  immonde,  et  fais  place 
à  l" Esprit-Saint  Paraclet.  Nous  préférons  la  première  expression 
parce  que,  dans  la  langue  liturgique  du  Moyen-Age,  l'exsufflation 
est  le  souffle  de  l'exorcisme  qui  se  fait  en  rapprochant  les  lèvres, 
comme  lorsqu'on  veut  éteindre  une  lumière;  l'insufflation,  au  con- 
traire, se  produit  en  poussant  l'haleine,  la  bouche  tout  ouverte, 
comme  quand  on  veut  échauffer  ses  mains.  En  général,  l'exsuffla- 
tion est  un  signe  d'hostilité  et  l'insufflation  un  signe  de  bénédiction. 
«  On  souffle,  dit  Hugues  de  Saint-Victor  '  non  sur  la  créature  de  Dieu 
en  elle-même,  mais  sur  le  démon  qui  tient  en  esclavage  l'âme 
souillée  du  catéchumène.  On  l'éloigné  ainsi  par  la  vertu  du  Saint- 
Esprit  que  figure  ce  souffle.  La  puissance  n'est  point  entièrement 
anéantie,  mais  elle  est  diminuée  par  une  cérémonie  qu'il  a  en  hor- 
reur. »  Le  souffle  du  vent  chasse  les  tempêtes,  les  nuages,  les 
odeurs  méphitiques;  de  même  le  souffle  de  l'Esprit-Saint,  qui  est 
le  souffle  par  excellence,  chasse  l'esprit  des  ténèbres,  comme  jadis 
le  souffle  que  le  Seigneur  envoya  pendant  le  déluge  fit  rentrer  les 
eaux  dans  leur  abîme.  S.  Augustin  remarque  '  que  cette  cérémonie 
emporte  une  idée  de  mépris  pour  le  démon,  parce  quelle  provient 
de  la  coutume  où  étaient  les  anciens  de  souffler  sur  une  personne 
.  dont  on  voulait  se  moquer. 

Dans  le  rite  latin,  l'exsufflation  ne  s'est  jamais  faite  que  sur  la 

'  De  suo'am.,  1.  I,  c.  18. 
-  ApoL,  1.  VI,  c.  -^l. 


DE  l'administration   DU   BAPTÊME  121 

figure.  Chez  les  Grecs,  c'était  jadis  sur  la  face  et  les  oreilles  '  ; 
aujourd'hui  le  prêtre  souffle  sur  la  bouche  de  l'enfant,  sur  son  front 
et  sur  sa  poitrine,  en  faisant  précéder  et  suivre  cet  acte  de  nom- 
breuses prières  d'exorcisme.  On  pourra  juger  de  leur  poétique 
énergie  par  le  fragment  suivant  :  «  Le  Seigneur  t'adjure,  ô  diable! 
Lui  qui  est  descendu  naître  dans  le  monde  et  poser  sa  tente  parmi 
les  hommes,  afin  de  détruire  la  tyrannie  et  de  délivrer  les  hommes; 
Lui  qui  sur  la  croix  a  triomphé  des  puissances  ennemies,  au  moment 
où  le  soleil  ne  donnait  plus  sa  lumière,  que  la  terre  tremblait,  que 
les  tombeaux  s'ouvraient  et  que  les  corps  des  saints  se  levaient  ; 
Lui  qui  a  délivré  la  mort  par  sa  mort  et  a  condamné  celui  qui  avait 
la  puissance  de  la  mort,  c'est-à-dire  toi,  ô  diable  !  Je  t'adjure  par 
le  Dieu  qui  a  dressé  l'arbre  de  vie  et  a  commandé  au  Chérub  et  à 
l'épée  flamboyante  chargée  de  le  garder  ;  sois  écrasé  de  honte  et 
éloigne-toi.  Car  jo  t'adjure  par  Celui  qui  a  marché,  comme  sur  la 
terre  ferme,  sur  le  dos  de  la  mer  et  a  fait  taire  la  fureur  des  vents. 
Celui  dont  le  regard  dessèche  les  abîmes  et  dont  la  menace  fait 
enfanter  les  montagnes.  C'est  Lui,  en  effet,  qui  te  commande  main- 
tenant par  notre  bouche,  sois  terrifié  ;  sors  et  laisse  cette  créature 
et  ne  reviens  pas  ;  ne  te  cache  pas  en  elle,  ne  vas  pus  à  sa  ren- 
contre, ni  pour  lui  faire  violence,  ni  pour  lui  nuire,  soit  dans  le 
jour,  ou  le  matin  ou  à  raidi.  Mais  va-t-en  dans  ton  enfer,  jusqu'au 
grand  jour  préparé  du  jugement  dernier.  Crains  Dieu  qui  est  assis 
sur  les  Chérubins  et  qui  contemple  les  abîmes;  qui  fait  trembler  les 
Anges,  Archanges,  Trônes,  Dominations,  Principautés,  Puissances, 
Vertus,  Chérubins  aux  yeux  sans  nombre.  Séraphins  aux  six  ailes. 
Le  ciel  tremble  devant  Lui,  et  la  terre  et  la  mer  et  tout  ce  qu'ils  ren- 
ferment. Sors  et  éloigne-toi  de  celte  recrue  nouvellement  scellée  du 
Christ  notre  Dieu.  Oui,  je  t'adjure  au  nom  de  Celui  qui  se  promène 
sur  les  aîles  des  vents,  qui  a  choisi  des  esprits  pour  ses  ambassa- 
deurs et  un  feu  flamboyant  pour  ses  ministres  ;  sors  et  éloigne-toi 
de  cette  créature  avec  toute  ta  puissance  et  avec  tes  anges.  Car  est 
glorifié  le  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit,  maintenant  et 
toujours  et  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen.  » 
Toute  la  tradition  chrétienne  est  unanime  à  considérer  l'exsuffla- 

'  Concil.  I  Constant,  can.  7. 


122  DE  l'administration  du  baptême 

tion  comme  un  exorcisme  en  action  qui  chasse  le  démon  aussi  effi- 
cacement du  corps  et  de  l'âme  du  catéchumène  que  Jésus-Christ  le 
chassait,  par  un  commandement  souverain,  du  corps  et  de  l'âme 
des  possédés.  S.  Augustin  '  atteste  l'antiquité  de  ce  rite  et  le  consi- 
dère comme  l'indispensable  assaut  quil  convient  de  livrer  au 
démon  avant  d'achever  sa  défaite  dans  Teau  sainte  de  la  régénéra- 
tion. L'exsufflation  était  si  généralement  regardée  comme  une 
arme  invincible  contre  le  démon,  que  l'hérétique  Julien,  adversaire 
du  dogme  du  péché  originel  et  par  conséquent  du  baptême,  n'osa 
point  s'élever  contre  l'exsufflation,  craignant  sans  doute,  dit 
S.  Augustin  ",  de  se  faire  chasser  du  monde  entier  s'il  venait  à  con- 
tredire ce  merveilleux  souffle  de  l'Epouse  de  Jésus-Christ,  qui 
anéantit  dans  l'àme  de  ses  enfants  les  forces  du  parti  ennemi. 

L'exsufflation  était  en  usage  non  seulement  dans  les  rites  préli- 
minaires du  baptême,  mais  aussi  dans  les  pratiques  privées  de  la 
piété,  comme  nous  l'apprennent  S.  Irénée'  etTeituUien.  Ce  dernier, 
pour  détourner  les  femmes  chrétiennes  de  se  marier  avec  un  infi- 
dèle, leur  dit*  :  «  Réussirez-vous  à  vous  cacher  lorsque  vous  ferez 
sur  votre  lit  et  sur  votre  corps  des  signes  de  croix,  lorsque  vous 
soufflerez  pour  chasser  l'esprit  impur,  lorsque  vous  vous  lèverez  la 
nuit  pour  prier?  Votre  mari  ne  s'imaginera-t-il  pas  alors  que  vous 
pratiquez  quelque  opération  magique?  »  Ces  exsufflations  ont  pu, 
en  efTet,  contribuer  à  faire  accuser  les  chrétiens  de  pratiquer  la 
magie  ;  car  les  sorcières  thessaliennes,  au  temps  de  la  République, 
et  les  faiseurs  de  prestiges,  au  III^  siècle,  opéraient  par  le  souffle 
leurs  prétendus  enchantements  ^ 

Un  certain  nombre  d'anciens  Rituels  français  ont  quelque  peu 
modifié  la  formule  romaine  d'exsufflalion^  Toutes  les  communions 
prolestantes  ont  supprimé  cette   cérémonie. 

'  De  symhol.  ad  ci'Pch.,  1    [  ;  de  eccles,  dogmut.;  de  nupt.  et  conpisc.,  1.  II. 

*  Contra  Jiiliati  ,  I.  VI,  c.  "2. 
'  Lib.  1.  c.  XIII,  §4. 

*  Lib.  II  ad  ujcnr.,  r.  5. 

*  Le  Bhint,  R  cherches  aur  Vuccw^ation  de  macj'^e  contre  les  premiers  chrétiens, 
dans  les  Mém    des  unt.  de  France,  IV»  série,  t.  I,  p.  24. 

'  "Voici  la  formule  la  plus  usitée  :  Recède,  diaOole,  ub  hue  imagine  Dei,  et  da 
locum  S/nritui  snrrcto  Pnraclefo. 


DE   l'administration    DU   BAPTÊME  123 

ARTICLE  V. 

Les  signes  de  croix. 

Le  prêtre  fait  avec  le  pouce  un  signe  de  croix  sur  le  front  et  la 
poitrine  de  l'enfant,  en  disant  :  ('Recevez  le  signe  delà  croix,  tant 
sur  le  front -[-  que  sur  le  cœur  f ,  prenez  la  foi  des  préceptes  célestes 
et  soyez  tel  par  votre  conduite,  que  dès  ce  moment  vous  puissiez 
être  le  temple  de  Dieu.  »  Il  ajoute  ensuite  cette  oraison  :  «  0  Sei- 
gneur, exaucez,  dans  votre  clémence,  les  prières  que  nous  vous 
adressons,  et,  par  votre  vertu,  gardez  perpétuellement  cet  élu  mar- 
qué du  sceau  de  la  croix  du  Sauveur,  afin  que,  conservant  les  ensei- 
gnements divins,  il  soit  digne  de  parvenir,  par  l'observance  de  vos 
commandements,  à  la  grâce  de  la  régénération.  » 

Nous  avons  vu  que  c'est  par  un  signe  de  croix  qu'on  était  fait 
catéchumène.  C'est  là  l'origine  immédiate  de  la  cérémonie  que  nous 
venons  d'indiquer.  Mais  quelle  est  l'origine  primitive  du  signe  du 
chrétien  ?  Plusieurs  écrivains  lui  donnent  une  antiquité  très  reculée. 
«  Il  est  inflniment  remarquable,  dit  Gretzer  ',  que  dès  l'origine  du 
monde,  Dieu  ait  voulu  tenir  constamment  la  figure  de  la  croix  sous 
les  yeux  du  genre  humain  et  ait  organisé  les  choses  de  manière  que 
l'homme  ne  put  presque  rien  faire  sans  l'intervention  du  signe  de 
la  croix.  »  Mgr  Gaume  ^  abonde  en  ce  sens  et  veut  démontrer  que 
le  signe  de  la  croix  existait,  sous  une  forme  plus  ou  moins  élémen- 
taire, chez  les  juifs  et  chez  les  païens,  et  qu'il  aurait  eu  chez  eux 
une  signification  réelle,  une  valeur  considérable,  quoique  plus  ou 
moins  mystérieuse,  suivant  les  lieux,  les  temps  et  les  personnes. 
D'après  l'opinion  commune,  le  signe  de  la  croix,  que  les  chrétiens 
faisaient  dans  beaucoup  de  circonstances  de  la  vie  et  que  la  liturgie 
employait  dans  tous  ses  rites,  aurait  été  la  figure  de  la  croix  sur 
laquelle  mourut  le  Sauveur.  Mais  le  signe  dont  on  se  sert  dans  l'ad- 
ministration des  sacrements,  se  compose  de  quatre  branches  égales  : 
comment  peut-il  représenter  l'instrument  de  supplice  du  Sauveur 

'  De  cruce,  1.  I,  c.  52. 

'  Le  signe  de  la  croix  au  XIX^  siècle. 


424  DE  l'administration  du  baptême 

qui,  selon  les  uns,  était  en  forme  de  tau  T,  ou,  selon  les  autres,  en 
forme  de  croix  latine,  dite  :  immissa.  M.  le  chanoine  Duvin  nous  pa- 
raît avoirjeté  un  grand  jour  sur  cette  question,  en  étudiant  tout  à  la 
fois  les  monuments  iconographiques  et  les  textes  des  premiers 
siècles.  Le  signe  du  chrétien  a  été  d'abord  le  X,  initiale  du  nom  du 
Christ,  XpiCTTOQ,  signe  qui,  incliné  transversalement,  forme  ce  qu'on 
a  appelé  la  croix  grecque  -H;  et  cette  croix  grecque,  monogramme 
du  Christ,  placée  sur  une  hampe,  est  devenue  la  croix  latine.  C'est 
avec  ce  nom  du  Christ,  ce  sceau  (<7??«'r^),  qu'on  marquait  le  front  des 
catéchumènes,  qu'on  se  prémunissait  des  embûches  du  démon, 
qu'on  témoignait  sa  foi,  qu'on  sanctifiait  tous  les  actes  de  sa  vie  pri- 
vée '.  Plus  tard,  on  donna  à  ce  signe  une  double  signification,  celle 
du  nom  du  Christ  et  celle  de  la  croix,  et  c'est  cette  dernière  qui  a 
fini  par  prédominer. 

Dans  l'un  et  lautre  sens,  ce  signe  est  un  véritable  exorcisme, 
comme  l'ont  proclamé  tous  les  Tères.  «  La  chair,  dilTertullien  *,  est 
marquée  de  ce  sceau,  pour  que  l'âme  soit  prémunie.  "  «  Nul  bou- 
clier, dit  S.  Ephrem  %  n'est  aussi  puissant  contre  les  traits  de  l'enne- 
mi. A  la  vue  de  ce  signe,  les  puissances  infernales,  effrayées  et  trem- 
blantes_,  prennent  la  fuite.  »  —  «  Portons  sur  nos  fronts  l'immortel 
étendard,  s'écrie  S.  Cyrille  *  ;  sa  vue  fait  trembler  les  dénions.  » 

Les  lilurgistes  du  Moyen-Âge  ajoutent  que  l'imposition  du  signe 
de  croix,  dans  les  préliminaires  du  baptême,  a  aussi  pour  but  de 
montrer  que  ce  sacrement  tire  sa  vertu  des  mérites  de  la  croix  ;  que 
le  catéchumène  va  être  soumis  au  joug  de  Jésus-Christ;  qu'il  devra 
supporter  patiemment  les  croix  et  les  souffrances  de  cette  vie  ;  ils 
ajoutent  que  le  signe  est  fait  sur  le  front,  pour  nous  apprendre  à  ne 
jamais  rougir  de  l'Evangile;  sur  la  poitrine,  pour  que  notre  cœur 
soit  disposé  à  observer  les  commandements  du  divin  Maître  ^ 

*  Tertull  ,  1.  H  ad  uxor.,  c.  5;  de  coron.,  c.  3;  Ainbros.,  devirg.,  1  l;  de 
myst.,  c.  3;  Hieron.,  ep.  18  et  113;  Basil.,  de  Spirit.  sanct.,  c.  27;  Cyrill  ,  cat., 
IV,  n.  10;  Eplir  ,  devirt.,  c.  7;  Chryso^t.  Uoiu.  54  in  Matth.;  Aug.,  in  ps.  L, 
Athan.,  de  inc.  virb.,  n.  31. 

'  De  refurr.  carn.,  c.  8. 
'  De  panopl.  et  pœnif. 

*  Catech.  XIIT. 

*  Raban  Maur,  ].l  de  matif,  deric,^  c.  ■??. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  125 

Au  Moyen-Age,  le  nombre  des  signes  de  croix  n'était  point  par- 
tout le  même.  11  n'y  en  a  qu'un  seul  sur  le  front,  dans  la  liturgie 
ambroisieune  ;  deux,  sur  le  front  et  sur  le  cœur,  dans  la  liturgie 
gallicane  ;  quatre,  sur  les  yeux,  les  oreilles,  les  narines  et  le  cœur, 
dans  la  liturgie  gothique  ;  sept,  sur  le  front,  les  yeux,  les  oreilles, 
les  narines,  la  poitrine,  les  épaules  et  la  bouche,  dans  divers  Rituels 
d'Allemagne,  de  France  et  de  Belgique.  Les  auteurs  du  Voyage 
littéraire  de  deux  Bénédictins  '  disent  avoir  vu  à  la  cathédrale 
d'Auch  un  sacramentaire  du  XI^  siècle,  où  il  était  prescrit  au 
prêtre,  après  les  interrogations,  de  faire  un  signe  de  croix  avec  le 
pouce  sur  la  main  droite  de  l'enfant  et  de  lui  faire  exécuter  le  signe 
de  la  croix  de  celte  môme  main  droite,  en  disant  :  «  Je  te  signe  du 
signe  de  la  sainte  croix  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  avec  ta 
propre  main  droite,  afin  qu'il  te  conserve  et  qu'il  te  protège  contre 
les  puissances  ennemies  et  qu'obtenant  la  vie  éternelle,  tu  vives 
dans  les  siècles  des  siècles.  » 

Dans  un  certain  nombre  d'églises,  le  parrain  et  la  marraine  répé- 
taient, sur  le  front  de  l'enfant,  le  signe  de  la  croix  que  le  prêtre 
venait  d'y  tracer,  en  disant  en  même  temps  :  In  nomine  Patris  et 
Filii  et  Spiritus  saiicti.  Amen  ^ 

Plusieurs  Rituels  du  Moyen-Age  et  des  temps  modernes  ^  accom- 
pagnent le  signe  de  croix  de  ces  paroles  :  «  Je  place  le  signe  de  la 
sainte  croix  du  Sauveur  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  —  sur  ton 
front  —  sur  ton  cœur.  » 

La  cérémonie  du  signe  de  croix  est  marquée  dans  le  Nomocanon 
syrien,  dans  les  Rituels  des  Coptes,  des  Ethiopiens,  des  Nestoriens, 
des  Maronites,  etc.  Ces  derniers  l'ont  remplacée,  au  XVllIe  siècle, 
par  une  triple  insufflation  sur  le  front  en  forme  de  croix  *. 

Dans  le  rite  grec,  le  scellement  des  enfants  se  faisant  le  huitième 
jour  de  la  naissance,  cette  cérémonie  n'est  point  renouvelée  dans  les 
exorcismes  ;  mais,  plus  tard,  différents  rites  sont  accompagnés  du 
signe  de  croix  que  le  prêtre  fait  avec  le  pouce,  l'index  et  le  médium. 

'  Deuxième  partie,  p.  39. 

^  Patrol.  lat.,  t.  105,  col.  783;  Alcuin,  epiU.  de  hapt. 

•'  Rituel  de  Névelon  ^Xllle  s.),  publié  par  la  Soc,  archéol.  de  Soissons,  p.  93; 
Rituel  de  Paris  (1697). 
*  Assemani,  Cod.  liturg.,  1.  II,  c.  5,  p«  315. 


126  DE  l'administration  nu  baptême 

Les  Rituels  arméniens  ne  font  pas  mention  du  signe  de  croix. 
Ce  rite,  supprimé  par  les  calvinistes,  a  été  conservé  parla  plupart 
des  luthériens  Dans  l'Eglise  anglicane,  le  signe  de  la  croix  se  fait, 
non  pas  avant  le  baptême,  mais  immédiatement  après,  quand  le 
pasteur  prononce  ces  paroles  :  «  Nous  recevons  N.  dans  le  sein  de 
rEglise  chrétienne  et  nous  le  signons  du  signe  de  la  croix.  «Les 
anglicans  se  sont  trouvés  gênés  par  les  reproches  des  calvinistes, 
sur  cet  emploi  d'une  coutume  papiste  dans  le  baptême.  Aussi  le 
Prayer  book  contient  il  l'observation  suivante  :  «  Afin  d'éloigner 
tout  scrupule  concernant  l'usage  du  signe  de  la  croix  dans  le  bap- 
tême, on  peut  voir  la  vraie  explication  de  cet  usage  et  les  justes 
raisons  pour  le  conserver,  dans  le  trentième  canon  publié  pour  la 
première  fois  en  l'année  1604:.  »  Cet  essai  de  justification  fait  dire 
avec  raison  à  M'"*"  Pittar,  l'auteur  (ÏUne  protestante  convertie  au 
catholicisme  :  «C'eslbien  étonnantqu'il  ait  fallu  attendre  l'heureuse 
époque  de  1604,  afin  de  donner,  pour  la  première  fois,  au  chrétien, 
une  explication  et  une  excuse  de  l'usage  du  signe  de  la  croix,  ce  signe 
sacré  de  la  rédemption  du  genre  humain.  » 

ARTICLE  VI. 

Imposition  de  la  main. 

Le  prêtre  étend  la  main  droite  sur  la  tête  de  l'enfant,  en  disant  : 
«  Dieu  tout  puissant  et  éternel,  Père  de  Jésus-Christ  Notre-Sei- 
gneur,  daignez  abaisser  vos  regards  sur  votre  serviteur  N...  que 
vous  avez  daigné  appeler  aux  premières  leçons  de  la  foi  ;  chassez 
tout  aveuglement  de  son  cœur;  brisez  tous  les  liens  dont  Satan  le 
tenait  enchaîné  ;  ouvrez-lui.  Seigneur,  la  porte  de  votre  amour  ; 
que,  pénétré  du  signe  de  votre  sagesse,  il  soit  garanti  des  miasmes 
infects  des  passions  ;  que,  marchant  à  la  douce  ardeur  de  vos  com- 
mandements, il  vous  serve  avec  joie  dans  votre  Eglise,  et  qu'il  fasse, 
de  jour  en  jour,  des  progrès  nouveaux.  » 

Dans  l'euchologe  grec,  l'imposition  delà  main,  qui  ouvre  la  céré- 
monie, est  accompagnée  de  ces  paroles  :  «  En  ton  nom.  Seigneur, 
et  au  nom  de  ton  Eils  unique  et  du  Saint-Esprit,  j'impose  ma  main 
sur  ton  serviteur,  qui  a  été  jugé  digne  de  recourir  à  ton  saint  nom 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  127 

et  d'être  protégé  ou  couvert  partes  ailes.  Eloigne  de  lui  cet  antique 
égari^ment  et  remplis-le  de  la  foi  en  toi,  d'espérance  et  de  charité, 
afin  qu'il  connaisse  que  tu  es  seul  Dieu  véritable,  et  ton  fils  unique 
Notre-Seigneur  Jesus-Christ  et  ton  Saint-Esprit.  Accordt;-luide  mar- 
cher dans  tous  les  commandements  et  de  garder  ce  qui  te  complaît, 
car  l'homme  qui  fait  cela  vivra  en  cela.  Ecris-le  dans  ton  livre 
de  vie  et  compte-le  dans  le  bercail  de  ton  héritage.  Glorifie  sur 
lui  ton  saint  nom  et  celui  de  ton  Fils  bien-aimé  Notre-Seigneur 
Jésus-Christ  et  de  ton  Esprit  vivificateur.  Que  tes  yeux  soient  tour- 
nés vers  lui  dans  une  éternelle  miséricorde  ;  et  tes  oreilles,  afin  que 
tu  entendes  la  voix  de  ses  supplications;  réjouis-le  dans  les  œuvres 
de  ses  mains  et  dans  tout  ce  qui  lui  appartient  pour  qu'il  te  confesse, 
adorant  et  glorifiant  ton  nom  grand  et  élevé,  et  qu'il  te  loue  éter- 
nellement tous  les  jours  de  sa  vie,  car  toute  puissance  dans  les 
cieux  te  chante,  et  c'est  là  ta  gloire,  ô  Père,  et  celle  de  ton  Fils  et  de 
ton  Saint-Esprit,  maintenant  et  toujours  et  dans  les  siècles  des 
siècles.  Amen.  » 

Dans  l'euchologe  grec  comme  dans  le  Rituel  romain,  l'imposi- 
tion se  fait  avec  une  seule  main,  sans  doute  parce  que  Jésus,  pour 
guérir  les  malades,  se  bornait  souvent  à  les  toucher  d'une  seule 
main  qu'il  étendait  sur  eux  '. 

C'est  aux  Hébreux  que  l'Église  a  emprunté  l'imposition  des  mains, 
en  en  conservant  la  plupart  des  significations.  Chez  le  peuple  de  Dieu, 
elle  conférait  l'autorité,  comme  lorsque  Moïse  délégua  une  partie  de 
ses  pouvoirs  à  Josué  ;  elle  appelait  la  bénédiction  du  ciel,  comme 
lorsque  le  grand  sacrificateur  étendait  les  mains  sur  le  peuple 
assemblé,  pour  faire  descendre  sur  lui  la  force  et  la  bonté  d'en  haut  ; 
elle  consacrait  au  Seigneur  la  victime  des  autels  ;  c'était  aussi  le 
geste  symbolique  qu'on  employait  pour  l'expulsion  mystérieuse  du 
bouc  émissaire.  Les  apôtres  étendaient  les  mains,  tantôt  pour  com- 
muniquer une  partie  de  leurs  pouvoirs,  tantôt  pour  opérer  des  gué- 
risons  miraculeuses  -.  Ananias  imposa  les  mains  à  S.  Paul  avant 
de  le  baptiser. 

Ce  rite  devint  bientôt  le  signe  de  l'admission  au  catéchuménat. 


1  Matth.,  \ni,  3. 

«  Marc,  VII,  32;  Act.  VI,  6;  IX,  12;  XIII,  3. 


128  DE  l'administration  du  baptême 

On  consacrait  ainsi  au  Seigneur  le  candidat  au  baptême,  on  appe- 
lait sur  lui  les  bénédictions  du  Ciel,  on  en  prenait  possession  au 
nom  de  l'Eglise,  et  on  paralysait  en  son  âme  les  efforts  du  démon. 
((  Pour  que  lo  Gentil,  courbé  sous  le  poids  de  ses  péchés,  dit 
S.  Chrysologue'  puisse  s'élever  vers  le  Ciel,  il  faut  auparavant  le 
délivrer  du  démon  par  l'imposition  des  mains,  qui  le  met  en  fuite.  » 
Ces  raisons  symboliques  ont  complètement  échappé  à  Claude  de 
Vert,  qui  prétend  "  que  l'imposition  des  mains  ne  se  fait  que  «  pour 
spécifier  le  sujet,  le  déterminer,  le  fixer  sensiblement,  et,  si  l'on 
peut  parler  ainsi,  l'individualiser  >> . 

Dans  un  Rituel  éthiopien  du  X®  siècle,  l'imposition  des  mains  est 
précédée  de  prières  nombreuses  pour  les  malades,  pour  les  voya- 
geurs, pour  la  paix,  pour  les  évêques  et  le  clergé,  pour  les  catéchu- 
mènes, pour  les  défunts,  etc.  ^ 

Chez  les  Sociniens  ou  Antitrinitaire,  l'imposition  des  mains  est 
une  cérémonie  qui  n'accompagne  point  le  baptême,  mais  qui  le  pré- 
cède d'un  bon  nombre  d'années,  puisqu'elle  se  fait  aux  enfants 
nouveau-nés  et  que  le  baptême  d'immersion  ne  se  donne  qu'aux 
adultes.  Voici  comment  on  procède  à  cette  cérémonie  :  le  porteur 
se  rend  au  domicile  du  nouveau-né,  et,  après  le  chant  d'un  psaume 
et  de  diverses  prières,  il  impose  les  mains  à  l'enfant  en  le  nommant 
par  son  nom.  Ensuite,  il  prie  Dieu  de  rendre  un  jour  cet  enfant  digne 
de  recevoir  le  baptême.  C'est  une  espèce  de  consécration  à  Dieu 
qui  a  surtout  pour  but  de  prendre  possessiDn  du  nouveau-né  au 
nom  de  l'Église,  et  un  avertissement  adressé  aux  parents  de  l'éle- 
ver de  manière  à  le  rendre  digne  de  bien  recevoir  plus  tard  le  sacre- 
ment de  régénération  \ 

L'imposition  des  mains  est  restée  en  usage  dans  les  églises  luthé- 
riennes. 

Les  baptistes  des  six  principes,  répandus  surtout  dans  les  étals 
de  Massachussets  et  de  Rode-lsland,  sont  ainsi  nommés  parce  qu'ils 
professent  les  six  principes  qui  sont  émis  au  chapitre  VI  de  l'épître 
aux  Hébreux  :  «  C'est  pourquoi,  quittant  les  principes  primordiaux 

1  Serm.  105. 

*  Explicat.  des  cérém.  de  l'Église,  t.  I,  ch.  I,  p.  41. 

3  Patr.  lat.,  t.  138,  col.  938. 

'•  Wolkelius,  De  vera  relig.,  1.  V, 


DE   l'administration    DU    BAPTÊME  129 

de  la  doctrine  du  Christ,  passons  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  parfait,  sans 
nous  arrêter  à  jeter  de  nouveau  le  fondement  du  repentir  des 
œuvres  mortes  et  de  la  foi  en  Dieu,  de  la  doctrine  des  baptêmes,  de 
l'imposition  des  mains,  de  la  résurrection  des  morts  et  du  jugement 
éternel.  »  C'est  en  raison  de  ce  passage  qu'ils  considèrent  l'imposi- 
tion des  mains  après  le  baptême  comme  étant  d'une  nécessité 
absolue  *. 

ARTICLE   VII. 

Bénédiction  et  imposition  du  sel. 

Quand  il  n'y  a  point  de  sel  exorcisé  conservé  d'un  précédent 
baptême,  le  prêtre  procède  à  la  bénédiction  d'un  peu  de  sel,  en 
prononçant  cette  prière  :  «  Je  t'exorcise,  créature  de  sel,  au  nom 
de  Dieu,  Père  tout-puissant  +  et  dans  la  charité  de  N.-S.  J.-C.  -I-  et 
dans  la  vertu  de  l'Esprit  -F  Saint.  Je  t'exorcise  par  Dieu  vivant  -\-, 
par  Dieu  vrai  -H,  par  Dieu  saint  +,  par  Dieu  +  qui  ta  créé  pour  la 
conservation  du  genre  humain  et  qui  a  ordonné  que  tu  fusses  con- 
sacré par  ses  serviteurs  pour  le  peuple  qui  vient  à  la  foi  ;  afin  qu'au 
nom  de  la  Sainte-Trinité,  tu  deviennes  un  sacrement  salutaire  pour 
mettre  en  fuite  l'ennemi.  C'est  pourquoi  nous  te  supplions,  Sei- 
gneur, notre  Dieu,  afin  que  sanctifiant  tu  sanctifies  -f-  cette  créature 
de  sel,  et  bénissant  tu  la  bénisses  -f-,  afin  qu'elle  soit  un  remède 
parfait  à  tous  ceux  qui  la  recevront,  permanente  dans  leurs 
entrailles,  au  nom  de  N.-S.  J.-C.  qui  doit  venir  juger  les  vivants  et 
les  morts  et  le  siècle  par  le  feu.  Amen.  » 

Le  prêtre  introduit  ensuite  un  peu  de  sel  bénit  dans  la  bouche  de 
l'enfant,  en  disant  :  «  N.,  recevez  le  sel  de  la  sagesse  ;  qu'il 
soit  pour  vous  une  propitiation  pour  la  vie  éternelle,  Amen.  »  11 
ajoute  ensuite  cette  oraison  :  «  Dieu  de  nos  pères,  Dieu  créateur 
de  l'universelle  vérité,  nous  vous  prions  humblement  de  jeter  des 
regards  propices  sur  votre  serviteur  N.,  que  voici  ;  maintenant  qu'il 
a  goûté  celte  première  nourriture  du  sel,  ne  souffrez  pas  qu'il  ait 
faim  plus  longtemps,  comme  s'il  n'était  pas  rempli  de  nourriture 

*  Bertrand,  Dict.  des  rclig.,  v°  Baptistes. 

lie  .série,  tome  XI  '  9 


130  DE  l'administration  du  baptême 

céleste  et  qu'ainsi  il  soit  toujours  fervent  d'esprit,  se  réjouissant 
dans  l'espérance,  empressé  de  toujours  servir  votre  nom.  Amenez- 
le,  Seigneur,  nous  vous  en  supplions,  au  bain  de  la  nouvelle  géné- 
ration, afin  qu'il  mérite  de  partager  un  jour  avec  vos  élus  les  récom- 
penses éternelles  que  vous  avez  promises.  Par  le  Christ,  Notre  Sei- 
gneur. Amen.  » 

C'était  la  coutume  chez  les  Juifs  de  purifier  avec  du  sel  l'enfant 
naissant.  Ezéchiel(XVI,  4)  dit  à  Jérusalem  :  «  Lorsque  vous  êtes  née, 
on  ne  vous  a  point  coupé  l'ombilic,  on  ne  vous  a  point  lavée  dans 
l'eau  pour  votre  salut,  ni  purifiée  avec  du  sel.  »  S.  Jérôme  remarque 
à  ce  sujet  que  les  sages-femmes  avaient  coutume  de  frotter  le  corps 
des  nouveau-nés  avec  du  sel,  pour  faire  resserrer  la  peau  et  la 
rendre  plus  ferme.  Cette  précaution  recommandée  par  Gallien  et 
Avicenne,  était  une  simple  mesure  hygiénique,  et  l'on  aurait  tort 
de  chercher  là  l'origine  de  la  cérémonie  baptismale  du  sel.  Elle 
se  rattache,  de  loin,  au  symbolisme  que  prêtait  au  sel  l'antiquité 
judaïque  et  païenne.  Le  sel,  auquel  Homère  donne  l'épithète  de 
divin,  était  un  gage  d'incorruption  et  par  conséquent  de  sagesse,  et 
c'est  pour  cela  qu'on  en  mettait  dans  l'eau  lustrale  '  et  qu'on  ne 
faisait  point  de  sacrifices  sans  gâteaux  pétris  avec  du  sel.  Le  sel 
était  un  signe  d'alliance^  le  témoignage  d'un  pacte,  un  gage  qui 
sanctionnait  les  droits  de  l'hospitalité,  la  marque  d'un  serment  de 
fidélité  "^  A  ces  divers  points  de  vue,  on  comprend  pourquoi  l'Eglise 
fait  goûter  le  sel  au  catéchumène.  Ne  doit-il  pas  être  préservé 
contre  la  corruption  du  siècle  et  disposé  à  goûter  la  saveur  par- 
fois amère  de  la  sagesse  chrétienne?  Ne  contracte-t-il  pas  avec 
Dieu  une  solennelle  alliance  qui  lui  ouvre  fhospitalité  du  Ciel?  Ne 
prête-il-pas  un  serment  de  fidélité  à  la  loi  qui  désormais  va  régler 
sa  vie  ? 

On  sait  que  jadis  les  conquérants  semaient  du  sel  sur  les  fonda- 
tions de  la  ville  qu'ils  venaient  de  détruire,  pour  effacer  entière- 
ment la  mémoire  de  ses  anciens  possesseurs.  D'après  le  faux 
Alcuin,  l'Eglise  en  agit  de  même  en  employant  le  sel  dans  la  céré- 
monie du  baptême  ;  par  là,  elle  intime  au  démon  l'ordre  de  quitter 

1  Théocrite,  Idyl.  XXIV. 

2  Samuel  Treuer,  De  fœdere  salis. 


DE   l'administration   DU   BAPTÊME  131 

une  âme  dont  va  s'emparer  un  plus  digne  conquérant  qui  veut 
détruire  son  empire  et  effacer  jusqu'au  souvenir  de  son  nom. 

Voilà  les  divers  motifs  symboliques  pour  lesquels,  dans  l'Église 
latine,  on  donnait  le  sel  aux  catéchumènes,  surtout  le  mercredi  de 
la  quatrième  semaine  de  carême  '.  S.  Augustin,  qui,  tout  enfant  avait 
été  fait  catéchumème  par  la  réception  du  sel  et  du  signe  de  la 
croix  ^  dit  que  le  sel  était  le  sacrement  spécial  des  catéchumènes  ^ 
On  sait  que  la  terminologie  des  sacrements  n'a  été  fixée  qu'au 
XP  siècle  ;  jusque-là  on  avait  coutume  d'associer  aux  principaux 
sacrements  un  certain  nombre  d'actes  et  de  rites  qui  eux  aussi  sont, 
bien  qu'à  un  moindre  degré,  des  communications  de  la  grâce. 

S.  Isidore  de  Séville  ayant  été  le  premie'r  qui  ait  mentionné  et 
expliqué  la  cérémonie  du  sel  dans  le  rite  même  du  baptême  \  on  en 
a  conclu  ^  que  cet  usage  datait  du  VP  siècle  ;  Walafrid  Strabon  ne 
le  considère  pas  comme  très  ancien  ^  S.  Hildefonse,  tout  en  trou- 
vant ce  rite  très  recommandable  par  son  antiquité,  ne  veut  point 
blâmer  les  églises  qui  s'en  abstiennent  ',  ce  qui  nous  montre  qu'au 
YIP  siècle  cet  usage  n'était  pas  encore  pratiqué  dans  tous  les  dio- 
cèses d'Espagne. 

La  cérémonie  du  sel  est  mentionnée  au  Moyen-Age  dans  tous  les 
liturgistes  des  contrées  latines^,  qui  ont  multiplié  les  explications 
de  ce  rite  symbolique. 

Nous  ne  voyons  pas  que  les  théologiens  du  Moyen-Age  se  soient 
préoccupés  de  cette  dégustation  du  sel,  faite  avant  la  communion 
qui  accompagnait  alors  le  baptême.  Ils  auront  pensé,  comme  un 
liturgiste  moderne  ^ ,  que  ce  sel  mis  dans  la  bouche  ne  rompt  pas  le 

*  Sucrament.  de  Gélase  ;  capit.  de  Charlem.,  1.  YII,  c.  170. 
-  Confeas.,  1.  I,  c.  2. 

^  De  catechiz.  rudib  ,  c.  26. 

*  De  divin,  offic,  ].  II,  c.  20. 

^  Pellicia,  De  christ,  écoles,  jwlilia,  I.  I,  sect.  I,  ^  7;  Martigny,  Dict.,  \°  Caté- 
chumenat. 

®  De  offic.  divin.,  c.  20. 

"'  De  cognit.  bapt.,  c.  26. 

8  Le  faux  Alcuin,  de  divin,  offic;  desahh.  pasch.;  Raban  Maur,  de  insfil.  cler., 
c.  27;  Ivo  Carnut.,  Serm.  desacr.  neoph.;  Petrus  Damian.,  ep.  XV,  c.  20;  Jessé. 
de  baptismo;  Hug.  à  S.  Vict,,  1.  I  de  sacram.,  c.  18;  Sacrament.  de  S.  Gélase 
et  de  S.  Grégoire;  Ponlifical  de  S.  Prudence,  év.  de  Troyes  (IX''  siècle),  etc. 

^  De  Ilerdt,  Suer.  lit.  prax.,  part.  VI,  n.  4. 


132  DE    L  ADMINISTRATION    DU    BAPTEME 

jeune  naturel  exigé  pour  la  réception  de  l'Eucharistie,  parce  qu'il 
se  confond  avec  la  salive  avant  d'être  avalé. 

Si  le  Rituel  romain  recommande  de  ne  donner  à  personne  du  sel 
bénit,  c'est  parce  que  la  superstition  l'employait  dans  divers  sorti- 
lèges. 

En  quelques  contrées,  spécialement  en  Belgique,  les  parents 
présentent  le  sel  quidoit  servir  au  baptême,  et  parfois  ils  voudraient 
en  remporter,  comme  souvenir,  la  portion  qui  n'a  point  servi.  Pour 
se  conformer  au  Rituel,  le  prêtre  ne  prend  que  quelques  grains  du 
sel  présenté  et  ne  bénit  que  cette  minime  portion. 

Le  sel  baptismal  est  renfermé  dans  un  petit  vase  en  argent,  en 
étain  ou  en  bois,  avec  couvercle,  et  contenu  lui-même  dans  un 
plus  grand  vase  de  façon  à  ce  que  le  sel  reste  à  l'abri  de  l'humidité. 
Parfois  ce  petit  vase  est  annexé  à  celui  qui  contient  les  saintes  huiles. 
On  rencontre,  mais  rarement,  do  ces  salaria  dans  les  églises  et  les 
musées.  Notons,  entre  autres,  une  salière  émaillée  du  musée  du 
Louvre  (n''  369)  qui  représente  des  scènes  de  la  vie  de  Moïse  et 
celle  en  grisaille  (n°  371),  datée  de  1545,  où  on  lit  ces  mats  en  lettres 
d'or:  conf.....  m  Domino. 

L'imposition  du  sel  n'a  jamais  été  en  usage  en  Orient  ;  il  n'en  est 
fait  mention  ni  dans  les  Pères  grecs,  ni  dans  les  eucologes  manus- 
crits ou  imprimés.  Si,  dans  quelques  contrées  de  l'Asie,  les 
chrétiens,  comme  les  mahométaiis,  mettent  un  peu  de  sel  dans  la 
bouche  du  nouvcau-né,  c'est  uniquement  pour  l'exciter  à  cracher. 
C'est  peut-être  dans  le  même  but  que  les  anciens  Moscovites  met- 
taient du  sel  dans  la  bouche  de  l'enfant  aussitôt  après  son  immer- 
sion. 

Dans  toutes  les  ramifications  protestantes,  il  n'y  a  que  les  frères 
Moraves  qui  aient  conservé  le  sel  comme  symbole  de  sagesse  dans 
l'administration  du  baptême,  sans  se  soucier  do  l'anathème  de 
Calvin  qui  proclame  ce  rite  une  invention  du  diable  \ 

1  Inslit,  chr.,  1.  IV,  ch.  15. 


DE  l'administration  du  baptême  133 

ARTICLE  Vni. 

ExorrAsmes. 

L'exorcisme  (i;dpxûo,  forcer  par  serment,  adjurer)  est  une  somma- 
tion^ adressée  au  démon,  par  paroles  et  par  gestes,  de  sortir  soit 
d'un  lieu, quelconque,  soit  des  êtres  animés  ou  inanimés  dont  il  a 
pris  possession.  L'exorcisme  simple,  appelé  aussi  parfois  extraordi- 
naire est  celui  qu'on  emploie  pour  délivrer  les  possédés;  l'exorcisme 
sacramentel  ou  ordinaire  est  une  des  préparations  du  baptême.  Nous 
n'avons  point  à  nous  occuper  du  premier,  si  fréquemment  employé 
par  Jésus-Christ,  qui  communiqua  cette  puissance  à  l'Eglise,  mais 
seulement  du  second.  Et  encore  devons-nous  faire  remarquer  que 
l'insufflation,  les  signes  de  croix,  l'imposition  des  mains,  la  béné- 
diction de  l'eau  et  du  sel,  les  onctions  sont  diverses  formes  d'exor- 
cismes  et  que  nous  n'avons  à  nous  occuper^  en  ce  moment,  que  de 
l'exorcisme  proprement  dit,  c'est-à-dire  des  prières  qui  suivent 
l'imposition  de  la  main  et  qui  précèdent  l'introduction  dans 
l'église. 

Le  prêtre  s' adressant  à  Satan,  lui  dit  :  «  Esprit  immonde,  je  t'exor- 
cise au  nom  du  Père  +  et  du  Fils  -h,  et  du  Saint-Esprit  +  afm  que 
tu  sortes  et  que-  tu  t'éloignes  de  ce  serviteur  de  Dieu,  N.  En  effet, 
maudit  damné,  Celui-là  même  le  commande  qui  marcha  sur  les  flots 
de  la  mer  et  qui  tendit  la  main  à  Pierre  qui  s'enfonçait  dans  l'eau. 
Donc,  ange  maudit,  reconnais  ta  sentence  et  rends  gloire  à  Dieu 
vivant  et  vrai  ;  rends  gloire  à  Jésus-Christ,  son  fils  et  à  l'Esprit- 
Saint,  et  éloigne-toi  de  ce  serviteur  de  Dieu  N.,  parce  que  Dieu  a 
daigné  l'appeler  pour  lui-même  et  que  Notre-Seigneur  Jésus-Christ 
le  convie  à  sa  sainte  grâce,  à  sa  bénédiction  et  à  la  fontaine  du 
baptême.  » 

Ici  le  prêtre  signe  avec  le  pouce  l'enfant  sur  le  front  et  dit  :  «  Et 
ce  signe  de  la  sainte  croix  +  que  nous  donnons  à  son  front,  toi, 
maudit  diable,  n'ose  jamais  le  violer.  Par  le  même  Christ  Notre- 
Seigneur.  Amen  ». 

Les  exorcismes  du  Rituel  grec  sont  beaucoup  plus  longs  et  plus 
énergiques.  Nous  nous  bornerons  à  reproduire  le  second  :  «  Dieu,  le 


134  DE  l'administration  du  baptême 

saint,  le  terrible,  le  glorieux,  rincompréhcnsible  dans  toutes  ses 
œuvres  et  dans  sa  force,,  Finvestigable,  qui  a  réservé  pour  toi,  ô 
diable,  le  châtiment  éternel  de  l'enfer,  se  sert  de  nous,  ses  misé- 
rables serviteurs,  pour  t'ordonner  à  toi  et  à  tous  tes  suppôts  de 
l'éloigner  de  cette  créature,  nouvellement  scellée  au  nom  de  N.-S. 
J.-C,  notre  vrai  Dieu.  Je  t'adjure  donc.  Esprit  tout  mauvais,  impur, 
infect,  pervers  et  vagabond,  au  nom  de  la  puissance  de  Jésus-Christ 
qui  a  toute  puissance  dans  le  ciel  et  sur  la  terre,  qui  a  dit  au  démon 
sourd  et  muet  :  «.  Sors  de  cet  homme  et  ne  rentre  plus  en  lui  ;  >) 
éloigne-toi  ;  reconnais  la  vanité  de  ta  puissance  qui  n'est  pas  même 
celle  des  pourceaux.  Souviens-toi  que  c'est  dans  leur  corps  que,  sur 
ta  demande,  il  t'a  ordonné  d'entrer.  Crains  Dieu  dont  la  parole 
affermit  la  terre  sur  les  eaux.  Il  a  construit  les  cieux,  mesuré  les 
montagnes  et  pesé  les  vallées,  donné  à  la  mer  pour  barrière  le 
sable  du  rivage  et  formé  dans  les  eaux  tourmentées  une  route  sûre. 
Il  allume  les  montagnes  et  elles  sont  en  fumée.  Il  est  entouré  de 
feu  comme  d'un  vêtement.  Il  étend  les  cieux  comme  la  peau  d'une 
tente  et  il  couvre  son  firmament  avec  les  eaux.  Il  a  donné  à  la  terre 
toute  sa  sûreté  ;  elle  ne  sera  point  ébranlée  dans  les  siècles  des 
siècles.  Il  appelle  l'eau  de  la  mer  et  elle  verse  ses  ondées  sur  la 
face  de  la  terre.  Sors  et  éloigne-toi  de  celui  qui  se  hâte  vers  la 
sainte  lumière.  Je  t'adjure,  au  nom  de  la  passion  salutaire  de  N.-S. 
J.-C,  de  son  corps  vénérable  et  de  son  sang,  et  par  son  terrible 
avènement.  Car  il  viendra  sur  les  nuées,  il  viendra  et  ne  tardera 
pas,  juger  la  terre  entière  et  toi  aussi  ;  et  il  punira  tes  phalanges 
coopératrices  dans  la  géhenne  du  feu,  où  le  ver  ne  sommeille  point 
et  où  le  feu  ne  s'éteint  point.  Car  le  règne  appartient  au  Christ  notre 
Dieu  avec  le  Père  et  le  Saint-Esprit,  maintenant  et  toujours  et  dans 
les  siècles  des  siècles.  Amen.  » 

On  peut  comparer  l'énergie  des  exorcismes  du  Rituel  grec  avec 
celle  qui  respire  dans  les  objurgations  suivantes,  empruntées  à 
l'ancien  missel  gallican  :  «  C'est  toi  que  j'attaque,  ô  très-immonde 
esprit  damné,  toi  qui  es  l'auteur  de  la  malice,  la  matière  des  cri- 
mes, la  source  et  l'origine  du  péché  ;  toi  qui  ne  te  repais  que  de  lar- 
cins, de  sacrilèges,  d'incestes  et  de  meurtres.  C'est  au  nom  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ,  que  j'invoque,  c'est  par  sa  majesté, 
sa  puissance,  sa  passion,  sa  résurrection,  son  avènement  et  le  juge- 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  135 

gement  qui  le  doit  suivre,  que  je  t'ordonne  de  te  déceler  toi-même, 
en  quelque  partie  des  membres  de  cette  créature  que  tu  sois  caché  ; 
de  céder  aux  coups  spirituels  que  je  te  porte  et  qui  te  pressent  si 
vivement,  comme  aux  tourments  invisibles  qu'ils  te  font  souffrir  ; 
de  fuir  loin  de  ce  vase,  dorit  tu  prétends  t'ètre  emparé  ;  et,  après 
qu'une  fois  nous  l'aurons  purifié  de  Tbabitation  que  tu  y  as  faite,  de 
l'abandonner  et  le  rendre  enfin  au  Seigneur.  Qu'il  te  suffise  d'avoir 
régné  dans  les  premiers  âges  du  monde,  sur  presque  tous  les 
cœurs.  Déjà,  de  jour  en  jour,  se  détruit  ton  odieuse  domination  : 
puissent,  jusqu'à  la  fin  des  siècles,  puissent  tes  traits  empoisonnés 
s'émousser  et  demeurer  sans  force.  Depuis  longtemps,  ces  pertes 
que  tu  éprouves,  t'avaient  été  comme  annoncées  sous  des  figures 
bien  sensibles.  Ne  t"es-tu  pas  vu  ravagé  dans  les  plaies  qui  désolè- 
rent l'Egypte,  submergé  dans  les  eaux  qui  engloutirent  Pharaon, 
accablé  sous  l'anathème  qui  détruisit  Jéricho,  vaincu  dans  les  sept 
peuples  Chananéens?  C'est  toi  que  subjugua  Samson  dans  les  Philis- 
tins, que  tua  David  dans  Goliath,  que  pendit  Mardochée  dans  Aman, 
que  Daniel  fit  rejeter  dans  Bel  ;  puni  dans  le  dragon,  poignardé 
dans  Holopherne  par  Judith,  le  Seigneur  t'a  enfin  soumis  aux 
empires  du  monde.  C'est  Paul  qui  t'aveugla  dans  le  Magicien,  qui 
te  brûla  dans  la  vipère  qui  le  piquait  :  Pierre  te  rompit  les  jam- 
bes dans  Simon  ;  et  aujourd'hui^  tout  ce  qu'il  y  a  de  saints  person- 
nages te  mettent  en  fuite,  te  tourmentent,  te  brisent  et  te  replon- 
gent dans  ces  feux  éternels,  dans  ces  ténèbres  infernales,  auxquelles 
tu  es  si  justement  condamné.  Comment,  après  tant  de  défaites, 
oserais-tu  disputer  encore  à  Jésus-Christ  Notre-Seigneur  la  con- 
quête de  l'homme;  lui  qui  ne  s'est  fait  second  x\dam  que  pour  déli- 
vrer le  premier  ;  fuis  donc  quelque  part  que  tu  sois  ;  fuis,  malheu- 
reux esprit  et  ne  rentre  plus  dans  des  corps  que  l'on  dévoue  si 
solennellement  à  Dieu  ;  que  toute  demeure  t'y  soit  pour  jamais 
interdite.  C'est  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  que  je 
te  l'ordonne  ;  c'est  par  la  gloire  de  la  Passion  de  Notre-Seigneur, 
dont  le  sang  est  le  prix  de  leur  salut,  dont  l'avènement  est  l'objet 
de  leur  attente,  et  le  jugement,  celui  de  leur  foi.  Par  Notre-Sei- 
gneur   » 

Pour  ceux  qui  n'admettent  pas  une  sorte  de  possession  congé- 
nitale par  le  démon,  ces  objurgations  peuvent  paraître  bien  extraor- 


136  DE  l'administration  du  baptême 

dinairus.  C'est  un  principe  de  foi,  malheureusement  trop  peu  com- 
pris de  nos  jours,  que^,  depuis  le  péché  d  Adam,  l'esprit  des  ténèbres 
exerce  une  puissante  et  funeste  influence,  non  seulement  sur  les 
créatures  vivantes,  mais  aussi  sur  les  objets  inanimés  de  la  création 
matérielle,  a  Le  monde  est  tout  entier  sous  la  puissance  du  malin 
Esprit  »,  comme  l'a  proclamé  S.  Jean'.  Le  triomphe  qu'il  remporta 
sur  le  premier  homme  a  laissé  un  si  impérissable  souvenir  dans 
l'humanité,  que  partout  et  toujours  les  croyances  religieuses  ont 
fait  une  large  place  au  mauvais  principe,  qu'on  l'ail  appelé  Typhon, 
Python,  Ahriman,  Cacusou  Satan.  Cette  doctrine  a  été  professée, non 
seulement  par  les  philosophes,  comme  Celse,  Porphire,  Jamblique, 
Plotin,  etc.,  non  seulement  par  les  Juifs  qui  faisaient  remonter  à 
Salomon  leurs  formules  d'exorcismes,  mais  par  toutes  les  mytholo- 
gies  antiques  ou  modetnes_,  en  Orient  comme  en  Occident,  dans  les 
Indes  comme  en  Amérique.  Partout  on  a  taché,  par  des  prières,  par 
des  objurgations,  par  des  sacrifices,  de  détruire  ou  d'atténuer 
Tinfluence  de  l'Esprit  du  mal.  Tel  était  le  xaGapu-d,-  des  Grecs,  oii  l'eau 
lustrale,  l'air  agité,  l'encens,  les  aromates  et  certaines  formules 
liturgiques,  avaient  pour  but  d'exorciser  le  mauvais  principe  et  de 
le  chasser  des  habitations. 

Si  personne  ne  conteste  l'antiquité  de  l'exorcisme  en  général,  on 
est  en  désaccord  sur  celle  de  l'exorcisme  baptismal.  \Valafrid  Slra- 
bon  ^  sans  lui  assigner  une  date  précise,  place  celte  cérémonie  avec 
celles  qui  sont  postérieures  aux  temps  apostoliques  ;  Sicard,  évêque 
de  Crémone  ^  et  Durand  de  Mende  ''  rangent  cette  institution  parmi 
celles  qui  auraient  été  instituées  par  S.  Ambroise,  S.  Damase  et 
S,  Léon  le  Grand.  Beaucoup  d'anteurs  protestants  ^  se  sont  emparé 
de  cette  opinion  erronée  et,  profitant  du  silence  gardé  par  S.  Justin 
et  Tertullien,  ont  conclu  que  les  exorcismes  ne  remontent  qu'au  III'' 
ou  au  IV'^  siècle,  et  sont  dus  à  l'influence  des  néoplatoniciens.  Les  uns 

'  I  Epid.,\,  19. 

^  Dejreb.  ceci.,  c.  26. 
3  Mitrule,  1.  VI,  c.  14. 

*  Ration.,  1.  \I,  c.  83,  n.  28. 

*  A.  Iloeker,  De  orig.  exorc.  in  hapt.;  Daillé,  De  cultu  lut.  rclig.,  1.  I,  c.  -13, 
p.  62;  Mosheim,  Hist.  eccl.,  lllc  siècle,  2^'  part.,  ch.  IV,  §  1;  Pertschen,  Versuch 
einer  Kirchcn  Historic,  IIX. 


DE    l'aDMINISTRATIOiN    DU    BAriÊME  137 

ont  pensé  qu'on  exorcisa  d'abord  les  enfants  des  païens  que  l'on 
considérait  comme  étant  possédés  du  démon,  et  que  cet  usage 
s'étendit  ensuite  à  tous  les  enfants  indistinctement  '  ;  d'autres  ont 
prétendu  qu'on  exorcisa  d'abord  seulement  les  énergumènes,  très 
nombreux  dans  les  premiers  siècles,  et  que  ce  rite  fut  ensuite 
appliqué  indifféremment  à  tous  les  catéchumènes  ^ 

Quant  à  nous,  nous  pensons  que  l'exorcisme  baptismal  est  une 
application  spéciale  de  l'exorcisme  des  démoniaques.  Puisqu'il  est 
fondé  sur  la  croyance  de  la  domination  des  mauvais  anges  sur  toute 
la  création,  il  doit  remonter  à  une  haute  antiquité.  S.  Augustin 
nous  dit^  que  cette  pratique  a  toujours  été  en  usage  dans  l'Eglise, 
et  S.  Cyrille"  ajoute  qu'elle  a  son  origine  dans  l'Ecriture-Sainte. 
Les  formules  que  nous  connaissons  ne  remontent  peut-être  qu'au 
IY°  siècle,  mais  le  reste  était  pratiqué  dès  le  III".  Le  signe  de  croix, 
ou  plutôt  du  Christ,  était  employé  au  second  siècle,  ainsi  que  les 
renonciations  à  Satan  :  or  l'idée  de  la  possession  par  le  diable  est 
contenue  dans  ces  deux  rites. 

S.  Denis  l'Aréopagite,  ni  S.  Justin  ne  font  mention  des  exsuffla- 
tions  et  des  exorcismes.  Les  Constitutions  de  l'Eglise  d'Egypte,  qui 
paraissent  remonter  au  second  siècle  %  disent  que  «  l'évêque  exor- 
cise les  catéchumènes  pour  les  délivrer  des  mauvais  Esprits  ».  Lais- 
sons de  côté  quelques  textes  douteux  de  Tertullien;  mais  comment 
ne  point  rapporter  au  baptême  ces  paroles  de  S.  Cyprien  ^^  :  «  Le 
diable  est  comme  flagellé,  brûlé  et  tourmenté  par  la  voix  des  exor- 
cistes et  par  la  puissance  divine  ;  et  quand  on  descend  dans  l'eau 
salutaire  et  sanctifiante  du  baptême,  le  diable  est  suffoqué,  ainsi 
qu'il  arrive  aux  scorpions  qui  sont  si  vigoureux  sur  la  terre,  mais 
qui,  jetés  à  l'eau,  perdent  toute  la  force  de  leur  venin.  »  Un  Concile 
de  Carthage,  tenu  sous  S.  Cyprien,  on  256,  dit  que  les  hérétiques  et 
les  schismatiques  qui  veulent  entrer  dans  le  sein  de  l'Eglise  catho- 

1  MaUhies,  Dapt.  expos  ,  p.  •202. 

*  Hildebrand,  Ritual.  hapl.  vcter.,  p.  i3;  Fr.  Schmidt,  E^sai  mr  la  doctrine 
du  baptême,  p.  47. 

^  Serm.  X  de  verb.  apost. 

*  Cat.  I. 

»  Ap.  Bunsen,  XLVI. 
«  Epist.  76. 


138  DE  l'administration  du  baptême 

lique,  doivent  d'abord  être  exorcisés  etbaptisés.  «  Les  démons  adju- 
rés au  baptême  par  le  Dieu  vivant  sont  contraints  de  quitter  la 
place  et  de  laisser  les  corps  qu'ils  possédaient  >•>,  dit  Minutius  Félix'. 
((  Ceux  qui  s'approchent  du  sacrementde  la  régénération,  ditS.  Jean 
Chrysostome  ^  n'entrent  point  dans  la  fontaine  de  vie  avant  que 
l'Esprit  immonde  ne  soit  chassé  de  leur  âme  par  les  exorcismes  et 
les  exsufflaiions  des  clercs.  Tous  les  Pères  des  lYe  et  V*'  siècles 
tiennent  le  même  langage  ^  et  Gennade  constate  la  pratique  de  ce 
rite  dans  tout  l'univers  chrétien  \ 

Les  anciens  écrivains  ecclésiastiques  nous  fournissent  quelques 
curieux  renseignements  sur  les  modes  de  ce  rite,  qui  ont  dû  varier 
selon  les  temps  et  les  pays.  Tantôt  on  faisait  venir  les  catéchumè- 
nes un  à  un,  et,  à  la  lueur  des  flambeaux,  ils  étaient  exposés  à  la 
vue  de  toute  l'église  ''^  ;  tantôt  on  exorcisait  ensemble  d'abord  tous 
les  garçons,^  puis  toutes  les  filles,  et  il  y  avait,  selon  le  sexe^,  des 
oraisons  diff'érontes",  Pendant  les  exorcismes,  accompagnés  d'insuf- 
flations, le  catéchumène  se  tenait  debout,  tourné  vers  l'occident. 
Pour  mieux  montrer  qu'il  voulait  se  dépouiller  du  vieil  homme,  il 
était  nu-pieds  et  dépouillé  d'une  partie  de  ses  habits'.  Pour  que 
son  esprit  ne  se  dissipât  point,  sa  tête  était  recouverte  d'un  voile  ^. 
On  a  prétendu  qu'il  tenait  en  main  un  cierge  allumé  ^,  mais  c'est  là 
une  fausse  induction  tirée  de  quelques  textes  mal  compris  '". 

Le  ministre   de  l'exorcisme  est  depuis  longtemps  le  ministre 

'  In  Oclivio. 

^  Hom.  de  Aihnn  et  Eva. 

^  Anibros.,  I.  I  de  sacrum.^  c.  5,  n.  18;  Optât.,  Deschiani.,  1.  IV,  n.  6;  Greg. 
Naz.,  orat.  XL  ;  Léo  Magn.,  Episl.  ad  episc.  Sicil.,  c.  6  ;  Siric,  Epist.  ad  Himer.; 
August.,  Deniipf.,  1.  I,  n.  22;  Depecc.  orig.,  c.  XL,  n.  45;  De  peccat.  et  mer., 
].  I,  c.  34,  n.  62. 

*  Gennad.,  De  dogm,  eccles.;  Celest.,  epist.  ],  c.  12. 

^  E.\  locis  secretis  siiiguli  producercmini  in  conspectu  lotius  ccclcsia'.  August., 
Scnn.  ad  cal'ch.,  c.  I,  n.  1. 

"  Baluze,  Miscell.,  t.  II,  p.  527. 

"^  Concil.  II  Const.,  act.  1;  Chrysost.,  Hnmil.  ad  illum.^  n  2;  August.,  lib.  II 
de  fuie  ad  culerh.,  c.  I;  Cyi-il.,  Procatcch.,  n.  [).  ' 

*  Beda,  Quœsl.  sup.  Gènes. 

'  Visconti,  Observ.,  1.  II,  p.  32;  Basnage,  Crit.  in  Baron.,  p.  488. 
'"  Cypr.,  ad  Donat.;  Aug.,  Enarr.  in  ps.  LXV. 


DE   l'administration    DU   BAPTÊME  139 

môme  da  baptême,  Mais,  dans  Tantiquité,  lorsque  l'évêque  bapti- 
sait à  certains  jours  fixes  un  grand  nombre  de  catéchumènes,  il  les 
faisait  exorciser  par  des  prêtres^  des  diacres  et  des  exorcistes  \ 

Tous  les  Orientaux  pratiquent  le  rite  de  l'exorcisme,  à  l'exception 
des  Arméniens  et  des  Nestoriens  qui  l'ont  abandonné  K  Depuis  que 
ces  derniers  sont  tombés  daiis  le  pélagianisme,  ils  ne  croient  plus 
que  les  nouveau-nés  soient  sous  l'empire  du  démon. 

Luther  conserva  les  exorcismes  dans  son  formulaire,  non  pas 
comme  une  opération  efficace  qui  chasse  le  démon,  mais  comme  un 
symbole  qui  rappelle  sa  puissance  et  qui  exprime  la  libération  du 
péché  originel  par  les  mérites  de  Jésus-Christ.  Zwingle,  Bucer, 
Calvin,  Hunnius,  etc.,  combattirent  énergiquement  l'emploi  de  ce 
rite.  Chrétien,  électeur  de  Saxe,  l'abolit  dans  ses  états  par  une 
ordonnance  (1391),  ce  qui  donna  lieu  à  de  vives  controverses  et 
même  à  des  émeutes  populaires.  Le  16  septembre  1664,  l'électeur 
de  Brandebourg  publia  un  édit  proclamant  la  liberté  d'employer  ou 
d'omettre  les  exorcismes  dans  l'administration  du  baptême.  On 
trouva  que  l'électeur  empiétait  trop  sur  le  domaine  théologique  ; 
son  ordonnance  mécontenta  tout  à  la  fois  ceux  qui  considéraient  les 
exorcismes  comme  une  partie  intégrante  du  sacrement  et  ceux  qui 
la  rejetaient  comme  une  invention  absurde.  Une  ardente  contro- 
verse s'engagea  de  nouveau  sur  cette  question\  Bientôt  après,  ce 
rite  fut  abandonné  dans  le  Brandebourg  et  une  partie  de  l'Allema- 
gne, mais  conservé  en  Saxe,  dans  le  Wurtemberg,  en  Suède,  où 
régnait  une  plus  stricte  observance  dos  doctrines  de  Luther.  De  nos 
jours,  ce  rite  tend  de  plus  en  plus  à  disparaître  des  régions  protes- 
tantes. 

ARTICLE  IX. 

Bénédiction. 

La  catéchèse  latine  se  termine  par  une  bénédiction  que  le  prêtre 
prononce  en  imposant  les  mains  sur  la  tête  de  l'enfant  :  «  Prions. 

'  Hildeph.,  Di>  cognit.  bcqjt.,  c.  ''22;  Gennad.,   De  eccl.  dogm.;  Sacrum,  de 
S.  Gélase. 
*  Georg.  Arbel.,  Quœsit.  20;  Assemani,  Cod.  lit.^  t.  I,  p.  172. 
'  Hentzschelius,  Exorc.  cœrem.  enudeata;  Wegscheider,  Inslit.  thcol..,  p.  310. 


140  DE  l'administration  du  baptême 

C'est  ton  éternelle  et  très  juste  piété  que  j'invoque,  Seigneur  Père 
tout-puissant,  Dieu  éternel,  auteur  de  la  lumière  et  de  la  vérité, 
sur  ton  servileur  N  ..  que  voici,  afin  que  tu  daignes  rilluminer  de 
la  lumière  de  ton  intelligence  ;  purifie-le  et  sanctifie-le  ;  donne-lui 
une  science  vraie,  afin  que,  devenu  digne  de  la  grâce  de  ton  bap- 
tême, il  garde  l'espérance  ferme,  le  conseil  droit,  la  doctrine  sainte; 
par  le  Christ  Notre-Seigneur.  Â.men.  » 

Dans  le  Rituel  grec,  les  bénédictiens  sont  mêlées  aux  exorcismes  : 
((  0  Etre,  Seigneur  dominateur,  tu  as  fait  l'homme  à  ton  image  et  à 
ta  ressemblance,  et  tu  lui  as  donné  la  faculté  d'une  vie  éternelle. 
Puis,  témoin  de  sa  faute,  par  une  admirable  économie,  tu  as  sauvé 
le  monde  par  Fincarnation  du  Christ;  tu  délivreras  ta  créature  que 
voici,  de  l'esclavage  de  l'ennemi,  et  tu  larecevras  dans  tonroyaume 
céleste.  Ouvre-lui  les  yeux  de  la  conscience  et  fais  luire  en  elle 
l'éclat  de  ton  Evangile.  Joins  à  sa  vie  un  ange  de  lumière  qui  l'écar- 
tera  de  toute  embûche  de  l'ennemi,  de  la  rencontre  du  malin,  du 
démon  de  midi  et  des  apparitions  mauvaises.  » 

Cette  demande  d'un  ange  gardien  se  trouve  exprimée  dans  le 
Rituel  lyonnais  :  «  Dieu  d'Abraham,  Dieu  d'Isaac  et  de  Jacob,  qui, 
sur  le  Mont  Sinaï,  avez  apparu  à  Moïse,  votre  serviteur,  et  qui  avez 
tiré  de  la  terre  d'Egypte  les  enfants  d'Israël  en  leur  donnant,  dans 
votre  bonté,  un  ange  qui  les  garda  jour  et  nuit  ;  nous  vous  en 
supplions.  Seigneur,  daignez  envoyer  à  ce  catéchumène  un  ange 
saint  qui  puisse  également  le  protéger  et  le  conduire  à  la  grâce  du 
baptême  ;  par  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  » 

L'abbé  J.  CORBLET. 

(A  suivre.) 


LES 

IMAGES  DU  SACRÉ-CŒUR 

AU  POINT  DE  VUE  DE  L'HISTOIRE  ET  DE  L'ART 

DEUXIÈME  ARTICLE  * 


DEUXIÈME  PÉRIODE. 

Images  du  cœur  humain  en  général,  du  divin  Cœur  de  Jésus  en 
particulier  avant  la  bienheureuse  Marguerite-Marie. 


CHAPITRE  III. 

LE  SACRÉ-CŒUR,    LE  MONOGRAMME  DE  JÉSUS  ET  LES  TROIS   CLOUS. 

I 

L'usage  habituel  du  monogramme  de  Jésus  et  l'extension  du  culte 
public  pour  le  très  saint  nom  du  Sauveur  remontent,  on  le  sait,  à 
S,  Bernardin  de  Sienne.  Le  saint  réformateur  des  franciscains  fut,  à 
ce  sujet,  accusé  auprès  du  pape  de  se  livrer  à  un  culte  superstitieux  ; 
un  instant  il  fut  menacé  d'un  grand  orage,  mais  il  ne  tarda  pas  à 
se  justitier,  et  ses  pieuses  pratiques  reçurent  la  pleine  approbation 
du  Saint-Siège.  Dans  le  siècle  suivant^  saint  Ignace,  ayant  donné  à 
la  Compagnie  qu'il  fondait  le  nom  de  Jésus,  adopta  ce  nom  sacré 
comme  la  pièce  capitale  de  son  blason;  il  lui  associa  la  croix  et 
les  trois  clous,  pour  rappeler  que  Celui  au  service  duquel  lui  et  les 
siens  voulaient  se  consacrer,  était  un  Dieu  crucifié.  En  conséquence, 

*  Voir  le  numéro  d'Avril- Juin  1879,  p.  285. 


142  LES   IMAGES   DU    SACRÉ-COEUR 

il  faut  s'attendre  à  voir  les  franciscains,  mais  surtout  les  jésuites, 
jouer  le  principal  rôle  dans  l'adoption  et  la  propagation  de  la  com- 
binaison emblématique  dont  nous  allons  parler. 

Nous  avons  vu  le  nom  de  Jésus  et  les  clous  réunis  dans  le  «  Cœur 
crucifié  »  du  franciscain  Pierre  Regnart;  ce  cœur  n'est  pas  celui  de 
Jésus,  mais  il  est  formé  à  son  image.  L'on  voit  par  là  que  le  mode 
de  représentation  employé  dans  la  circonstance,  était  réputé  appli- 
cable au  Cœur  de  Jésus  lui-même  :  en  effet,  dans  la  boiserie  de 
Langeac,  le  divin  Cœur  est  lui-même  percé  de  trois  clous. 

Il  existe  ensuite  une  lacune  dans  les  monuments  parvenus  à 
notre  connaissance  ;  car  est-il  croyable  qu'entre  1526,  date  de  la 
sculpture  précédente,  et  1586,  époque  du  plus  ancien  frontispice 
connu,  offrant  l'association  du  monogramme,  du  cœur  et  des  clous, 
soixante  ans  se  soient  écoulés  sans  produire  des  monuments  intermé- 
diaires '  ?  Tout  ce  que  nous  pouvons  en  dire,  c'est  qu'à  cet  intervalle 

^  Il  nous  est  donné  connaissance  par  le  catalogue  de  MM.  Morgand  et  Fa  tout, 
libraires,  pii])lié  en  juin  dernier,  de  deux  exemples  (p.  69,  Hist.  de  Darlaam  et  de 
Josaphat.  par  saint  Jean  Damascène  ;  p.  80,  Recueil  de  la  vie  de  la  Vierge  Marie, 
par  Jean  de  Lavardin),  d'une  reliure  de  livres  ayant  appartenu  au  roi  Henri  III, 
qui  porte  sur  les  plats  une  association  très  remarquable  du  monogramme  de  Jésus, 
de  son  divin  Cœur  et  des  trois  clous.  Le  monogramme  dans  cette  empreinte  est 
formé  par  les  personnages  mêmes  qui  assistent  au  crucifiement  de  Notre-Sei- 
gneur  :  la  sainte  Vierge,  saint  Jean  et  sainte  Madeleine,  avec  l'adjonction  d'une 
chérubin  aux  ailes  étendues  placé  au  pied  de  la  croix,  et  d'une  S  ornée,  terminée  en 
cou  de  cygne,  ou  peut-être  de  serpent.  La  sainte  Vierge  et  saint  Jean  sont  dis- 
posés de  manière  à  former  les  deux  jambages  de  l'H,  le  chérubin  lient  lieu  de 
ligne  transversale,  la  Madeleine  forme  l'I  initial,  l'S  ornée,  de  l'autre  côté,  termine 
cet  ensemble.  Le  crucifix  reposant  sur  la  tête  du  chérubin  occupe  sa  place  ordi- 
naire au-dessus  du  monogramme  IHS  ainsi  formé,  le  Cœur  et  les  trois  clous  sont 
au-dessous  à  leur  place  et  dans  leur  disposition  ordinaires,  ils  reposent  de  plus 
sur  la  couronne  d'épines  disposée  horizontalement.  La  Madeleine  porte  son  vase  à 
parfum,  saint  Jean,  un  livre.  Le  crucifix  s'élève  au  milieu  d'un  ciel  constellé  ;  le 
soleil  et  la  lune  surmontent  de  chaque  côté  les  branches  de  la  croix.  Ces  dernières 
observations  complètent  la  description  de  la  composition  sans  ajouter  à  son  im- 
portance relativement  à  l'objet  de  notre  étude.  L'essentiel,  c'est  cette  manière  sin- 
gulière déformer  le  monogramme;  elle  tend  à  démontrer  que  l'association  qui 
nous  occupe  était  très  usuelle  à  une  époque  où  elle  était  l'objet  de  semblables 
jeux,  époque  d'ailleurs  probablement  un  peu  antérieure  aux  plus  anciens  exem- 
ples de  cette  association,  cités  dans  le  corps  de  notre  texte.  Les  deux  ouvrages 
auxquels  a  été  appliquée  cette  reliure  sont  de  1578  et  de  1585  ;  les  fers  qui  ont 
servi  à  les  orner  ont  pu  être  gravés  pour  d'autres  livres  dès  1574,  aussitôt  après 
l'avènement  de  Henri  III;  ils  pourraient  aussi,  il  est  vrai,  ne  l'avoir  été  que  peu 


AU   POINT    DE   VUE    DE   l'hISTOIRE    ET    DE    l'aRT  143 

pourrait  appartenir  la  sculpture  représentant  rassociation  à  laquelle 
le  P.  Desjardins  applique  la  note  suivante  :  «  Sculpture  qui  se  trouve 
au  cadre  du  grand  catalogue  des  prieurs  des  Pénitents  blancs  de- 
puis le  XV'  siècle  jusqu'à  la  Révolution  (Tarascon,  chapelle  de  la 
Confrérie) .  »  On  comprendra  que  cette  sculpture  n'est  pas  donnée 
comme  remontant  elle-même  au  XY°  siècle,  mais  seulement  le  ca- 
talogue. L'époque  de  la  sculpture  elle-même  reste  indéterminée  ; 
cependant  il  est  à  remarquer  que  les  clous,  au  lieu  d'être  disposés 


avant  sa  mort  qui  eut  lieu  en  1589,  mais  ce  n'est  pas  probable.  Nos  lecteurs  pour- 
ront eux-mêmes  juger  de  cet  ensemble,  grâce  à  l'obligeance  de  MM,  Morgand  et 
Fatout  qui  nous  ont  permis  de  reproduire  leur  vignette. 


Marque  de  Robert  Maudhuy,  à  Arras. 


Jlonogramme  IHS  formé  par  les  personnages 
(lu  Crucifiement, 


Monogramme  IHS  avec  Cœur  percé 
(l'un  seul  clou. 


M.  Laroche,  directeur  de  la  Société  du  Pas-de-Calais,  à  qui  nous  devons  cette 
intéressante  communication,  nous  fait  également  connaître  deux  vignettes,  l'une 
de  1598,  l'autre  de  1610,  qui  offrent  l'association  ordinaire  du  monogramme  et  du 
Cœur  avec  quelques  variantes.  Dans  la  première,  placée  en  tête  du  Thésaurus  li- 
taniarum,  publié  à  Bruxelles,  par  Yelpius,  le  Cœur  percé  de  trois  clous  de  part 
en  part,  est  de  plus  blessé  par  le  coup  de  lance.  L'ensemble  de  la  composition  est 
encadré  dans  la  couronne  d'épines  et  entouré  d'un  concert  de  neuf  anges.  Dans  la 
seconde,  que  nous  reproduisons  ci-dessus,  plusieurs  fois  emploj'ée  par  Robert 
Maudhuy,  imprimeur  à  Arras,  à  l'enseigne  du  Nom  de  Jésus  (1592-1632),  au  lieu 
des  trois  clous  on  n'en  voit  qu'un  seul  saillant  à  la  gauche  du  cœur. 

M.  Laroche  nous  signale  bon  nombre  d'autres  marques  de  librairie  du  XVI«  siè- 
cle et  du  commencement  du  XVII<=  qui  viennent  étendre  le  cercle  de  nos  observa- 
tions sans  modifier  nos  conclusions.  Nous  citerons  d'abord,  comme  se  rapportant 
à  la  corrélation  de  l'image  du  Bon-Pasteur  avec  celle  du  Cœur,  la  marque  des 


144  LES    IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

en  faisceau,  selon  la  manière  ordinaire,  sont  plus  écartés  et  rangés 
en  forme  de  croix,  la  croix  elle-même  étant  omise  au-dessus  du 
monogramme.  Cette  sculpture  semble  donc  en  dehors  de  la  caté- 
gorie commune,  et  comme  elle  est  indépendante  des  vignettes  que 
nous  allons  voir  régner  principalement  sur  les  frontispices  de  livres, 
il  ne  serait  pas  improbable  qu'elle  leur  fût  antérieure. 

Le  P.  Desjardins  cite  aussi,  non  plus  dans  ses  notes  manuscrites, 
mais  dans  son  livre  imprimé  {Le  Cœur  de  Jésus,  Ascétisme  et  littéra- 


la  Rivière,  impriineurs  à  Arras,  à  l'enseigne  du  Bon-Pasteur  (i591-J6ô9),  qui  porte 
le  Bon-Pasteur  avec  la  couronne  d'épines  sur  la  tête  et  la  brebis  sur  les  épaules  ; 
sa  robe  est  ouverte  sur  la  poitrine,  et  de  la  plaie  qui  transperça  le  cœur  part  un 
jet  de  sang  qui  se  déverse  dans  un  calice. 


Marque  des  la  Rivière,  imprimeurs 
à  A  rras. 


Le  Bon  Posteur  et  la  plaie  du  Cieur 


Cœur  transpercé  d'une  flèche. 


Jehan  Longis,  libraire  à  Paris  (1538-15G0),  jouant  sur  la  similitude  de  son  nom 
et  celui  de  Longin,  a  tour  à  tour  mis  dans  son  écusson  un  cœur  transpercé  d'une 
flèche  et  accompagné  de  larmes,  comme  dans  la  vignette  ci-dessus,  et  ailleurs 
une  main  qui  perce  de  la  lance  un  cœur  éclaiié  de  rayons  venus  du  ciel.  Évidem- 
ment, dans  l'un  et  l'autre  cas,  vu  la  réminiscence  de  Longin,  c'est  le  Cœur  sacré 
de  Jésus  qui  est  représenté,  et  l'on  voit  une  fois  de  plus,  sous  une  l'orme  nouvelle, 
la  corrélation  établie  entre  la  plaie  du  côté  et  le  Cœur  du  irauveur.  La  seconde 
de  ces  marques  est  accompagnée  de  cette  devise  :  NihU  m  carilate  violenlia  qui 
exprime  les  libres  expansions  de  l'amour  divin. 

Le  Cœur  ap(iaraît  également  comme  un  signe  commémoratif  de  la  Passion  sur 
le  frontispice  des  Tableaux  des  'personnages  sicjnaUs  de  la  Cumpagtiic  de  Jésus, 


AU   POINT    DE    VUE   DE   L  HISTOIRE   ET   DE    L  ART 


145 


tiire)  un  prie-Dieu  fort  ancien  qu'il  avait  vu  dans  le  village  de 
Mons  (Haute-Loire).  On  y  trouve  sculptés,  sous  le  monogramme 
surmonté  de  la  croix,  les  trois  clous  plantés  dans  la  partie  supé- 
rieure au  milieu  d'une  vive  flamme.  Il  se  peut  également  que  ce 
monument,  ou  d'autres  de  ce  genre,  remontent  à  une  époque  an- 
térieure à  celle  des  vignettes  dont  nous  parlons.  Les  données  nous 
manquent  pour  tirer  de  cette  mention  rien  de  plus  qu'une  possibilité. 


Lyon,  1627.  Parmi  les  quatre  anges  tenant  divers  instruments  en  souvenir  de  la 
Passion,  il  en  est  un  qui  présente  d'une  main  un  Cœur  et  agite  de  l'autre  une  torche 
enflimmée. 

La  marque  de  Jehan  André,  libraire  à  Paris  (1Ô35-1551),  se  rapporte  à  la  série 
de  représentations  oii  le  cœur  est  pris  pour  l'ernblème  de  la  charité  ;  un  livre  por- 
tant l'inscriplion  :  Chrisius,  semble  alimenter  un  foyer  ardent  au  milieu  duquel  un 
creuset  renferme  un  cœur  avec  cette  devise  :  Iloriim  major  charitas.  Il  nous  sem- 
ble que  le  Cœur  et  la  vertu  ainsi  représentés  appartiennent  au  fidèle  en  tant  que 
e  Christ  les  enflamme,  et  non  à  Notre-Seigneur  lui-même. 


Le  Cœur  dans  le  creuset  de  la  Cbarilc. 


La  Croix  plantée  dans  le  Cœur. 


Une  association  du  Cœur  et  des  trois  clous,  antérieure  à  tous  les  exemples  cités 
dans  notre  texte,  est  donnée  par  la  marque  de  Pierre  Jacobi,  imprimeur  à  Saint-INi- 
colas  et  à  Toul  (1503-1521),  mais  elle  apparaît  dans  des  conditions  différentes.  Les 
trois  clous,  au  lieu  d'être  posés  sur  le  Cœur  ou  de  le  transpercer,  occupent  leur 
place  naturelle  sur  une  grande  croix  plantée  dans  le  Cœur.  Cette  devise  dont  le 
premier  mot  est  écrit  en  notes  de  musique,  sol  la  fldes  [sus]  ficil,  vient  d'ailleurs 
confirmer  la  signification  attribuée  précédemment  à  la  croix  ainsi  fixée  au-dessus 
du  Cœur,  comme  s'appliquant  à  la  foi  du  fidèle.  Nous  parlerons  plus  loin  des  mar- 
ques de  Nicole  et  d'Antoine  de  la  Barre  où  le  Cœur  est  perpendiculairement  percé 
d'une  flèche  à  la  place  de  la  croix. 

Ile  série,  tome  XL  10 


146  LES    IMAGES    DU   SACRÉ-COEUR 

Les  en-téte  des  livres  ont  le  grand  avantage  de  se  présenter  avec 
des  dates  certaines.  La  plus  ancienne  gravure  de  ce  genre  que  nous 
puissions  citer  où  le  mononograme,  surmonté  de  la  croix,  est  accom- 
pagné en  dessous  du  cœur  et  des  clous,  se  voit  sur  un  Ratio  studioriim 
S.  J.  de  1586.  On  retrouve  la  même  combinaison  d'emblèmes  en 
1587_,  1590,  1391,  1593  au  frontispice  des  ouvrages  suivants  :  Lit- 
terœ  annuœ  societatis  Jesu  (Rome,  in-8)  ;  Dispiitationes  Roherti  Bel- 
larmini,  de  controversiis  christianx  fidei,  etc.  (Ingolstadt,  in-fol.); 
de  Bono  status reHgiosi,'^Rr  Hicronymus  Platius,  S.  J.  (Venise,  in-4°); 
Adnotatio?ies  et  meditationes  ùi  Evangelio  du  P.  Jérôme  Natalis, 
S.  J.';  de  Actio7iibus  virtutis  ex  sanctis  scriptitris  et  patribi/s,  par 
Bernardin  Rossignol,  S.  J.  (Venise,  in-4°j-.  Dès  l'année  1593,  cette 
combinaison  avait  été  adoptée  pour  le  cachet  du  collège  des  PP.  de 
la  Société  de  Jésus  au  Puy.  «  On  conserve  ce  cachet  à  Vais,  dit  le 
P.  Desjardins  ;  la  date  est  gravée  sur  le  manche  de  cuivre  inhé- 
rent au  cachet  et  formant  avec  lui  une  même  pièce.  Le  dessin  du 
milieu  (c'est-à-dire  le  monogramme,  le  cœur  et  les  clous,  sans  la 
légende),  se  voyait  encore,  il  y  a  trois  ou  quatre  ans,  (le  P.  Des- 
jardins écrivait  cette  note  postérieurement  à  1856,  date  de  la  pu- 
blication de  son  ouvrage  principal)  sur  la  toiture  de  l'ancien  collège  ; 
il  était  formé  sur  de  grandes  proportions,  avec  des  briques  ver- 
nies et  émaillées.  On  le  voit  aussi  sur  la  porte  de  l'église  du  même 
collège  ^  » 

Le  spécimen  que  nous  donnons  (pi.  V,  fig.  2)  de  l'association 
toujours  conçue  foncièrement  de  la  mêma  manière,  du  mono- 
gramme, du  cœur  et  des  clous,  est  emprunté  au  monument  élevé  à 
Fribourg,  dans  l'église  Saint-Nicolas,  en  l'honneur  du  bienheureux 
Pierre  Canisius.  Si  ce  monument  est,  comme  on  le  croit,  le  tom- 
beau même  du  Bienheureux,  élevé  aussitôt  après  sa  mort,  qui  eut 
lieu  le  21  décembre  1597,  ce  spécimen  serait  de  l'année  suivante 
1598.  Il  offre  cette  particularité  remarquable  que  deux  anges  y  sont 

'  Le  P.  Natalis  est  mort  en  1580,  mais  son  ouvrage  n'a  été  publié  qu'en  1593, 
et  l'on  n'a  pas  de  preuve  que  le  frontispice  ait  été  gravé  antérieurement.  Cet  ou- 
viage  a  été  réimprimé  en  1803,  par  les  soins  de  M.  l'abbé  Brispot.  Paris,  2  vol. 
in-folio.  —  Voir  les  dessins  de  J.  Natalis,  par  J.  Corblet,  18G2,  in-8*'. 

^  Coll.  Desjardins. 

'  Coll.  Desjardins. 


AU   POINT   DE   VUE    DE    l'hISTOIRE   ET   DE    L'aRT  147 

en  adoration  en  présence  du  cœur  et  du  nom  sacrés.  Au  frontispice 
du  P.  Natalis,  deux  anges  également  adorent  ces  emblèmes,  tandis 
que  deux  autres  de  ces  esprits  célestes  soutiennent  Tauréole  rayon- 
nante où  ils  sont  renfermés  ;  des  anges  en  plus  grand  nombre  rem- 
plissent un  rôle  identique  dans  une  autre  estampe  du  même  ou- 
vrage, appliquée  au  mystère  de  la  Circoncision  '. 

Les  anges  adorateurs  se  retrouvent  fréquemment  dans  des  com- 
positions analogues  pendant  tout  le  XVII"  siècle. 

Au  frontispice  des  ouvrages  de  Jérôme  Platius  et  de  Bernardin 
Rossignol,  la  représentation  principale  est  accompagnée  de  cette 
légende  :  omne  genv  flectatvr,  et  des  instruments  de  la  Passion. 
Les  clous  résument  l'idée  attachée  à  l'ensemble  de  ces  instruments 
de  supplice.  Quand  on  représente  les  instruments  de  la  Passion  en 
plus  grand  nombre,  on  ne  fait  qu'exprimer  d'une  manière  plus  ex- 
plicite l'idée  attachée  à  tous  les  monuments  de  même  catégorie. 

Comme  exemple  des  compositions  de  ce  genre,  nous  reprodui- 
sons (pi.  V,  fig.  3)  un  en-tête  de  livre  emprunté  au  Paradisus 
jmerorum  du  P.  Philippe  de  Barleymont,  S.  J.  (Cologne.  2°  éd.,in-12_, 
1819).  Le  rôle  d'encadrement  qu'y  joue  de  nouveau  la  couronne 
d'épines,  a  motivé  la  préférence  que  nous  lui  avons  accordée. 

II 

Arrivés  au  XVIP  siècle,  nous  ne  citerons  plus  que  les  ouvrages 
où  l'association  de  nos  emblèmes  est  accompagnée  de  quelques 
particularités.  Ainsi,  dans  un  ouvrage  du  P.  Jean  Bourgeois  publié 
à  Douai,  en  1620,  sous  le  titre  :  Societas  Jesii  Deiparse  Virgini 
sacra  (in-24)_,  le  cœur  est  suspendu  sur  un  calice,  la  couronne  d'épi- 
nes est  au-dessous,  d'autres  instruments  de  la  Passion  sont  sus- 
pendus à  la  croix  qui  surmonte  le  monogramme  :  le  tout  est  ren- 
fermé dans  deux  branches  de  lis,  et  la  composition  est  complétée 
par  quatre  anges  adorateurs. 

Au  frontispice  de  l'ouvrage  intitulé  :  In  mcram  Josue  historiam 

*  Les  gravures  de  ce  bel  ouvrage,  exécutées  par  les  Wierix  et  Collaert,  d'après 
les  dessins  de  Martin  de  Vos  et  de  Bernardin  Passeri,  ont  été  formellement  ap- 
prouvées par  le  Saint-Siège  en  1593. 


J48  LES   IMAGES    DU   SACRÉ-COEUR 

commentariorum,  par  le  P.  Cosma  Maglianus,  S-.  J.  (2  vol.  in-fol., 
Turoiii,  1612),  au  lieu  de  la  croix  ou  du  crucifix  sur  la  traverse  de 
l'H,  s'élève  Noire-Seigneur  Jésus-Christ  ressuscité  :  on  lit  cette  lé- 
gende autour  du  rayonnement  projeté  par  la  composition  centrale  : 
MAGNVs  SECVNDVM  NOMEN  TVV3I  '.  Daus  la  coUcction  du  p.  Desjardins 
et  hors  de  cette  collection,  nous  avons  remarqué  d'autres  exemples 
de  représentations  analogues,  relativement  soit  à  la  personne  du 
Sauveur,  soit  à  l'inscription.  On  en  voit  aussi  oi^i  le  divin  Sauveur, 
toujours  sur  la  traverse  de  l'H,  apparaît  sous  forme  d'enfant. 

Au  frontispice  de  l'ouvrage  intitulé  :  Defensio  fidei  catholicse  et 
apostolicse  adversus  anglieanse  sectx  errores,  par  François  Suarez, 
S.  J,  (Coïmbre,  1613,  in-fol.),  la  composition  centrale  ordinaire  est 
accompagnée  des  quatre  Pères  de  l'Eglise  ^ 

Tous  les  ouvrages  cités  jusqu'ici  ont  pour  auteurs  des  Jésuites. 
Les  enfants  de  Saint-Ignace  avaient  mis  en  si  grande  vogue  cette 
association  de  leurs  insignes  primitifs  avec  le  divin  cœur,  qu'outre 
les  citations  déjà  empruntées  au  P.  Desjardins,  on  compte  dans  sa 
collection  près  de  deux  cents  ouvrages  dus  à  des  membres  de  sa 
Compagnie,  dans  lesquels  les  mêmes  données  sont  reproduites.  Une 
centaine  environ  de  ces  ouvrages  est  antérieure  à  l'apparition  des 
images  inspirées  par  la  bienheureuse  Marguerite  Marie. 

En  dehors  de  cette  collection,  nous  en  avons  rencontré  d'autres 
exemples  assez  multipliés  ;  sans  aucun  doute,  des  recherches  prolon- 
gées en  augmenteraient  notablement  le  nombre.  Au  cachet  du  collège 
du  Puy,  il  faut  joindre  ceux  des  collèges  de  Tournon  et  de  Mauriac 
(Cantal),  également  conservés  dans  la  bibliothèque  du scolasticat  de 
Vais.  Ils  paraissent  remonter  à  peu  près  au  même  temps,  bien  que 
leur  date  ne  soit  pas  aussi  certaine  ^  Le  P.  Desjardins  cite  une  cou- 
verture de  livre  beaucoup  postérieure,  car  elle  est  de  1726,  qui 
porte  le  cachet  de  la  maison  d'Heidelberg,  conçu  de  la  môme  ma- 
nière ;  il  cite  encore  le  cachet  de  la  maison  d'Avignon  qui  nous  ra- 
mène jusqu'à  nos  jours. 

Le  P.  Jules  Negronius,  dans  ses  Commentaires  sur  les  règles  de 


'  Coll.  Desjardins. 
^  Coll.  Desjardins. 
^  Coll.  Desjardins. 


AU   POINT    DE   VUE    DE    l'hISTOIRE   ET    DE    l'aRT  149 

la  Société  de  Jésus,  publiés  au  commencement  du  XVIP  siècle  \  a 
paru  blâmer  cet  usage  comme  modifiant  le  blason  officiel  de  la 
Compagnie,  mais  ce  ne  serait  là  qu'une  opinion  personnelle.  On 
pouvait  répondre  que  se  servir  d'une  adjonction  aussi  rationnelle  que 
celle  du  Cœur  de  Jésus  à  son  nom  sacré,  pour  la  désignation  d'une 
maison  de  Jésuites  en  particulier,  ce  n'était  pas  altérer  les  Insignes 
qui  servaient  à  caractériser  la  Société  en  général.  D'ailleurs,  l'ob- 
jection ne  pouvait  atteindre  les  en-tête  de  livres  qui,  souvent,  pro- 
pres au  libraire  on  à  l'ouvrage  plutôt  qu'à  l'auteur,  ne  se  rattachent 
qu'indirectement  au  corps  auquel  celui-ci  appartient. 

Dans  ces  conditions,  il  est  évident,  par  sou  extension  même,  que 
cet  usage,  si  bien  en  rapport  avec  la  grande  part  que  les  enfants  de 
saint  Ignace  devaient  prendre  à  rétablissement  et  à  l'extension  de 
la  dévotion  au  Sacré  Cœur  de  Jésus,  n'a  régné  qu'avec  la  pleine  ap- 
probation des  supérieurs,  et  qu'il  ne  méritait,  en  effet,  que  des  en- 
couragements. 

III 

L'association  du  monogramme  de  Jésus  et  des  clous  d'abord,  puis 
l'adjonction  qui  leur  fut  faite  du  divin  Cœur,  adoptées  principale- 
ment par  les  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus,  en  tête  de  leurs 
publications  littéraires,  ne  leur  étaient  pas  absolument  propres.  On 
les  retrouve  sur  beaucoup  d'autres  livres  du  même  temps  :  en  ce 
qui  concerne  le  monogramme  et  les  clous  seulement,  sans  l'ad- 
jonction du  cœur,  nous  avons  sous  les  yeux  un  abrégé  des  Aima- 
les  de  Baronius,  publié  à  Lyon,  en  1602  (2  vol.  pet.  in-fol.,  par  Jean 
Pillehotte),  qui  porte  en  frontispice  ces  insignes  dans  un  médail- 


^  Reg.  Commune,  S.  J.  Covimcntario  ascelici  illustmtc  (Milan). 

D'après  une  note  que  le  R.  P.  Pierre  Pouplard,  de  la  résidence  de  Nantes, 
nous  a  obligeamment  communiquée,  ce  commentaire  paraîtrait  être  de  IG12. 
Le  P.  Desjardins  cite  un  autre  ouvrage  du  P.  Négronius  {Dissertation  historique 
sur  S.  Ignace  et  S.  Gaétan,  in-4".  Cologne,  1630.)  qui  porte  en  tête  l'association 
ordinaire  du  monogramme,  du  cœur  et  des  clous,  avec  cette  particularité  que  le 
pied  de  la  croix,  au  lieu  de  reposer  sur  la  traverse  de  l'H,  la  dépasse  et  pénètre 
jusque  dans  le  cœur,  et  que  ce  cœur  est  accompagné  de  quatre  clous;  c'est  le 
seul  exemple  que  nous  en  connaissions. 


150  LES    IMAGES   DU   SACaÉ-COEUR 

Ion  ovalo  entouré  de  quatre  anges  musiciens,  avec  cette  légende  : 
L-WDABiLE  NOMEN  DOMiNi.  Or  c'était  bien  là  une  marque  propre 
au  libraire,  car  celui-ci  a  ajouté  à  la  suite  de  son  nom  ces  mots  : 
SiiO  sigiio  nommis  Jésus;  «  à  l'enseigne  du  nom  de  Jésus.»  Il  est  re- 
marquable que  la  composition  de  cette  marque  avait  été  empruntée 
par  Pillehotte  à  un  autre  libraire,  à  Jean  Albin^  de  Mayence,  qui  l'a 
employée  dans  cette  même  année  1602,  en  tète  d'une  édition  du 
Liber  Po7îtificalis,  attribué  à  Anastase  le  Bibliothécaire.  L'antério- 
rité d'Albin  est  attestée  manifestement  par  la  supériorité  de  la 
gravure,  et  surtout  par  celle  des  anges  qui,  chez  lui,  sont  vêtus, 
tandis  que  le  graveur  de  Pillehotte  les  a  laissés  nus. 

Le  P.  Henry  rapporte  '  que  la  plupart  des  ouvrages  franciscains 
dans  le  XYP  et  le  XYIP  siècle  portent  les  insignes  propres  h  leur 
ordre  ^  ;  il  en  est  cependant  un  certain  nombre  qui  ont  en  tête 
le  monogramme  et  les  clous,  d'abord  sans  lui  associer  le  cœur,  puis 
avec  cette  association  :  c'est  ce  qu'on  observe  en  tête  des  œuvres  du 
P.  Bernardin  de Bustis.  Celles  qui  furent  publiées  à  Cologne,  en  1607, 
présentent  ce  triple  emblème,  tandis  que  les  éditions  antérieures 
contiennent  le  monogramme  et  les  clous,  mais  sans  le  cœur.  Le  di- 
vin Cœur,  au  contraire,  se  retrouve,  avec  les  deux  autres  emblèmes, 
en  tête  d'un  ouvrage  du  P.  Jean  de  Carthagène,  en  1616  \  et  en  tête 
des  œuvres  de  saint  Bonaventure,  publiées  à  Lyon,  en  1619. 

*  Aurore  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur;  Annales  franciscaines^  1875. 

^  Dans  la  collection  du  P.  Desjardins,  on  voit  un  écusson  emprunté  au  beau 
frontispice  d'un  ouvrage  du  P.  Eligius  Bassus,  franciscain  {Flores  totius  theologi- 
cwpraticx  lam  sacramentale,  tam  morale,  3e  édit.  Anvers,  16'i8)  où  les  clous  sont 
placés  au-dessous  du  cœur  et  accompagnés  de  quatre  groupes  de  gouttes  de  sang 
qui  représentent  les  plaies  des  pieds  et  des  mains.  Dans  les  Vies  des  Fondateurs 
d'ordre,  du  P.  Etienne  Binet  (in-'t",  Anvers,  1034),  deux  ccussons  sont  attribués 
à  S.  François  :  celui  qui  porte  les  deux  bras  placés  en  sautoir,  et  celui  des  cinq 
plaies.  Ce  dernier  oftre  cette  double  particularité  :  l"  que  le  cœur  est  représenté 
au  milieu  du  champ,  les  quatre  autres  plaies  demeurant  dans  les  formes  du  se- 
cond quartier  de  l'écusson  franciscain  reproduit  pi,  MI,  fig.  13,  c'est  l'inverse  de 
la  disposition  donnée  pi.  IV,  fig,  3;  2**  dans  le  champ  de  l'écusson,  en  pointe, 
on  voit  les  trois  clous.  Les  cinq  plaies,  représentées  de  même,  mais  sans  les  clous, 
sont  attribuées  à  la  B  Jeanne  de  Valois,  dans  un  écusson  parti  qui  porte  au  2e 
un  calice  surmonté  de  l'hostie. 

^  Homclix  calholicx,  Cologne.  Sur  la  croix  qui  surmonte  le  monogramme,  est 
représenté  un  séraphin  crucifié  et,  de  chaque  côté  de  la  représentation  centrale, 


AU   POINT   DE   VUE   DE    l'hISTOIRE    ET   DE    l'aRT  151 

D'autres  religieux  d'ordres  divers  ont  également  adopté  l'associa- 
tion ordinaire  du  monogramme,  du  cœur  et  des  clous.  On  l'observe 
en  tête  d'un  commentaire  de  saint  Thomas,  par  le  P.  Dominique 
Soto,  dominicain  (1613),  avec  cette  particularité  que  l'auréole  rayon- 
nante qui  renferme  les  symboles  est  accompagnée  des  images  de 
saint  Pierre  et  de  saint  Paul  \ 

L'insigne  principal  des  Jésuites  étant  le  nom  de  Jésus,  il  était 
naturel  que  dans  les  empreintes  formées  sous  leur  inspiration,  le 
cœur  fut  représenté  le  plus  souvent  de  moindre  dimension  et  pour 
ainsi  dire  accessoirement.  Il  en  est  de  même  dans  une  petite  image 
de  notre  collection  qui  porte  l'indication  du  1^'  janvier,  avec  ce 
titre  :  le  salnt  nom  de  jésus,  et  ces  mots  :  lu  7iomine  Jesu  omne 
fjenu  flecteiur  cœlestium  terestrium  et  infernorum  (Philip.  II,  20)  : 
«  Qu'au  nom  de  Jésus  tout  genou  fléchisse  dans  le  ciel,  sur  la  terre 
«  et  dans  les  enfers.  )>  La  vignette  en  question  nous  paraît  avoir 
fait  partie  d'un  calendrier  de  la  première  moitié  du  XYIP  siècle. 
De  chaque  côté  on  voit  un  ange  représentant  les  puissances  céles- 
tes [cœlestium),  et  un  évoque  représentant  les  puissances  terrestres 
[terrestrium).  Ces  deux  personnages  sont  agenouillés.  Il  est  évident, 
en  effet,  que,  dans  la  circonstance,  leurs  adorations  s'adressent  prin- 
cipalement au  nom  sacré.  La  même  observation  peut  s'appliquer 
aux  anges  qui,  le  jour  de  la  Circoncision,  dans  l'ouvrage  du  P.  Na- 
tidis,  adorent  ce  nom  divin  associé  au  Sacré-Cœur. 

Le  Cœur  tend  à  prendre  plus  d'importance  dans  les  compositions 
provenant  d'autre  source.  Ainsi,  dans  l'ouvrage  du  père  de  Cartha- 
gène,  il  est  plus  grand  que  le  monogramme,  ce  qui  a  permis  d'y 
représenter  la  plaie  sacrée  d'une  manière  très  apparente.  Nous 
reproduisons  (pi.  IV.  fig.  9)  la  partie  supérieure  de  la  vignette  con- 
sacrée à  S.  Bernardin  do  Sienne  dans  les  Fasti  Mariani  :  on  voit 
que  dans  son  ensemble  elle  représente  un  grand  cœur  surmonté  du 
monogramme  et  des  clous  avec  cette  légende  :  Cor  meum  crucia- 
hitiir  «  Mon  cœur  sera  torturé  ».  Ce  Cœur  qui  sert  d'encadrement  au 
petit  tableau  où  S.  Bernardin  est  représenté   prêchant  dans  une 


S.  François  d'Assise  et  un  autre  saint  avec  cette  légende  :  Nos  aulcm  (jloriari  op- 
porlct  in  cnicc  Domini.  (Coll.  Desjardins.) 
*  Coll.  Desjardins. 


152  LES   LMAGES   DU   SACRE-COEUR 

église,  en  présence  d'une  statue  de  la  sainte  Vierge,  et  qui  contient 
les  instruments  de  la  Passion,  pourrait  être  celui  du  fidèle  formé  à 
l'image  du  Cœur  de  Jésus  ;  mais  nous  croyons  bien  plutôt  que  c'est 
celui  même  de  Jésus  qui  a  souffert  le  contre-coup  de  tous  les  sup- 
plices que  les  instruments  figurent. 

Le  P.  Desjardins  signale,  comme  étant  un  magnifique  ouvrage 
orné  de  charmants  dessins,  un  livre  in-18,  imprimé  en  1638,  sous 
ce  titre  :  «  les  saintes  prières  de  l'âme  chrétienne  par  Moreau, 
maître  écrivain  ».  11  en  fait  connaître  deux  vignettes;  sur  l'une, 
la  croix  entourée  des  instruments  de  la  Passion  porte  à  son  entre- 
croisement un  voile  chargé  du  monogramme  de  Jésus  et  qui  est 
accompagné  en  dessous  d'un  cœur  transpercé  des  trois  clous,  pro- 
portionnellement plus  grand  qu'aucune  des  autres  figures.  Sur 
l'autre,  le  monogramme  et  le  cœur  percé  des  clous,  (tous  deux  à 
peu  près  de  même  dimension)  sont  encadrés  au  milieu  des  pétales 
d'une  belle  rose,  montée  sur  sa  tige  \  Il  se  pourrait  que  cette  rose 
représentât  Marie  dans  le  sein  de  laquelle  Jésus  et  son  Cœur  ont 
été  formés.  La  rose  est  en  effet  l'emblème  propre  de  Marie,  on  la 
lui  attribue  spécialement,  par  comparaison  aux  clous  de  son  divin 
Fils_,  dans  les  vignettes  des  Fasti  Maiimii  que  nous  reproduisons 
(pi.  lY,  fig.  4,  5,  6).  Dans  la  première  de  ces  figures,  le  mono- 
gramme et  les  clous  sont  placés  dans  le  cœur  même  de  Jésus  pour 
le  caractériser.  L'incertitude  n'est  pas  possible  dans  la  circonstance, 
car  il  n'y  a  que  les  deux  Cœurs  de  Jésus  et  de  Marie  pour  commu- 
niquer entre  eux  par  une  zone  de  flammes,  comme  ils  le  font, 
placés  dans  le  haut  et  dans  le  bas  d'un  même  encadrement  /ig.  4,  5). 
Cette  manière  d'associer  le  cœur,  le  monogramme  et  les  clous  se 
retrouve  elle-même  assez  fréquemment,  quand  on  ne  remonte  pas 
plus  haut  que  le  premier  tiers  du  XYIP  siècle.  Le  P.  Desjardins  en 
a  recueilli  des  exemples  dans  une  dizaine  de  livres  différents,  de 
1634  à  1676.  Nous  y  reviendrons  quand  nous  nous  occuperons 
spécialement  des  représentations  contenues  soit  dans  le  divin  Cœur 
soit  dans  le  cœur  du  fidèle. 


'  Une  image,  semblable  se  voit  à  la  fin  de  quelques  chapitres  dans  l'ouvrage  du 
P.  An.  Chanut  qui  porte  ce  titre  :  Prxcipiia  Virrj.  Marix  mi/stcria,  in-12.  Toulon, 
1655. 


AU   POINT    DK   VUE   DE   l'hISTOIRE  ET   DE   l'aRT  153 


IV. 


Parmi  les  monuments  où  le  cœur  surmonté  des  clous  est  associé 
au  monogramme  de  la  manière  la  plus  ordinaire,  nous  citerons 
encore  la  croix  pectorale  (pi.  VII,  fig.  7)  qui  est  attribuée  à  sainte 
Chantai  dans  plusieurs  de  ses  portraits.  Nous  en  connaissons  deux  : 
celui  dont  M.  l'abbé  Bougaud  donne  une  gravure*,  et  dont  l'original 
peint  en  1636  est  conservé  dans  un  des  monastères  de  la  Visitation  à 
Paris  ;  et  un  autre^  peint  par  Jean  Restout  (le  vieux  probablement, 
XVII''  siècle)  et  que  nous  connaissons  par  une  gravure  de  Jean 
Tardieu  ".  Le  coutumier  des  Dames  de  la  Visitation,  imprimé 
en  1637,  non  content  de  décrire  la  croix  que  portent  ces  religieuses, 
en  contient  un  spécimen  gravé.  Le  monogramme  est  placé  sur  une 
face  et  le  cœur  reporté  sur  l'autre  face  où  il  est  accompagné  des 
lettres  initiales  de  Marie  :  ce  qui  se  rapporte  aux  armoiries  de 
l'ordre,  dont  nous  nous  occuperons  spécialement  plus  loin.  De  part 
et  d'autre,  on  voit  ensuite  des  gouttes  de  sang,  et,  dans  la  partie 
inférieure,  une  montagne  à  une  ou  à  trois  cimes,  surmontée 
d'une  fleur  ou  d'une  branche  d'olivier. 

Cette  croix  provient-elle  de  S.  François  de  Sales?  Est-il  vrai  quïl 
en  aurait  porté  une  semblable,  donnée  ensuite  à  Ste  Chantai  comme 
signe  d'union  spirituelle  et  que  celle-ci  aurait  fait  adopter  à  ses 
religieuses  ?  Des  renseignements  pris  directement  au  monastère  de 
la  Visitation  à  Paris  ne  nous  permettent  pas  d'affirmer  que  cette 
tradition  ait  de  très  solides  fondements  ;  mais  il  est  bien  probable 
que  le  modèle  en  a  été  conçu  du  vivant  du  saint  fondateur  et  tout 
au  moins  de  concert  avec  lui^  sinon,  tout  à  fait  comme  les 
armoiries,  sous  son  inspiration  :  cette  montagne  (montagne  de 
Sion,  du  calvaire,  figure  de  l'Eglise,  ces  feuillages,  ces  gouttes  de 
sang,  tout  y  respire  son  esprit  ingénieux. 

C'est  dans  tous  les  cas  sous  l'empire  de  cette  persuasion  que  les 


•  IJist.  de  Stc  Chantai,  t.  II. 

^  Dans  cette  gravure,  évidemment  par  erreur  d'artiste,  les  L'ttres  sont  dispo- 
sées de  droite  à  gauche  et  sur  la  croix  et  sur  le  cœur  qui  est  tenu  à  la  main  par 
la  Sainte  dont  nous  reparlerons  bientôt  (pi.  Vil,  fig.  8). 


154  LES    IMAGES    DU    SACRÉ -COEUR 

religieuses  de  la  Yisitation  de  Paris  ont  offert  une  croix  semblable, 
comme  croix  épiscopale,  à  Mgr  de  la  Bouillerie,  aujourd'hui  arche- 
vêque de  Perga  et  coadjuteur  de  Bordeaux,  lorsqu'il  fut  nommé 
évèque  de  Carcassonne.  Elles  reconnaissaient  ainsi  les  services  que 
l'ancien  vicaire-général  de  Paris  leur  avait  rendus  comme  père 
spirituel.  Nous  donnons  de  cette  croix  un  dessin,  réduit  de  moitié. 
(PI.  YIl,  fig.  9,  10). 

Maintenant  comment  se  fait  il  qu'une  autre  croix,  et  non  pas  abso- 
lument celle-ci,  ait  été  attribuée  à  Ste  Chantai  dans  des  portraits  cpii 
paraissent  avoir  été  faits  de  son  vivant  ou  à  peu  près?  Les  emblèmes 
gravés  sur  ces  différentes  croix  étant  foncièrement  les  mêmes,  il 
faut  cependant  que  l'exécution  des  croix  ou  celle  des  tableaux,  ne 
soit  pas  tout  à  fait  exacte  '.  Comme  le  peintre  ne  pouvait  repré- 
senter qu'une  des  faces  de  la  croix,  et  que  le  cœur  placé  au  revers 
était  réputé  essentiel  pour  l'ensemble  des  idées  que  l'on  voulait 
exprimer,  on  apu  croire  qu'il  fallait  le  reporter  sur  la  face  antérieure, 
que  l'on  représentait,  et  le  replacer  dans  les  conditions  oià  on  le 
voyait  ordinairement.  On  a  pu  aussi  dans  les  gravures  supprimer 
tous  les  accessoires,  eu  égard  à  l'exiguïté  de  l'espace  resté  dispo- 
nible, par  l'effet  de  la  réduction  générale  des  proportions.  En 
d'autres  termes,  les  emblèmes  répartis  sur  les  deux  faces  de  la  croix 
de  la  Visitation  étant  le  développement  de  la  pensée  exprimée  plus 
succinctement  par  l'association  ordinaire  du  monogramme,  du  cœur 
et  des  clous,  on  pouvait  revenir  à  cette  composition  succincte  quand 
l'espace  le  demandait,  sans  aucune  modification  du  sens  qu'on  y 
attachait  en  tout  état  de  cause. 

Outre  la  croix  pectorale  ramenée  à  ces  conditions,  sainte  Chantai 
dans  le  portrait  peint  par  Restout,  tient  un  crucifix  d'une  main  et 
de  l'autre  un  second  cœur  chargé  lui-même  du  monogramme 
(pi.  vu,  fig.  8).  Nous  pensons  que  ce  cœur  n'est  plus  celui  du  divin 
Sauveur  comme  sur  la  croix  pectorale,  mais  celui  de  la  Sainte  elle- 

'  Suivant  les  maisons,  on  peut  d'ailleurs  constater  quelques  modifications  dans 
les  croix  de  la  Visitation.  On  n'y  voit  pas  toujours  la  plaie  indiquée  dans  le  cœur 
de  Jésus.  Sur  une  ancienne  croix  portée  par  la  i-œur  tourière  du  monastère  de  la 
Visitation  à  Poitiers,  on  voit  au-dessous  du  cœur  la  couronne  d'épines  au  lieu  de 
la  goutte  de  sang  et,  de  plus,  sur  l'autre  face,  les  trois  clous  sont  d'inégale  lon- 
gueur, celui  du  milieu  étant  plus  long  que  les  autres. 


AU   POINT    DE   VUE   DE    l'hISTOIRE   ET   DE   l'aRT  155 

même,  et  celte  question  devant  être  bientôt  traitée  tout  spéciale- 
ment, nous  ne  faisons  ici  que  l'indiquer. 

Un  des  traits  particuliers  à  la  croix  de  la  Visitation  prise  dans 
tous  ses  développements,  c'est  l'association  du  nom  de  Marie  au 
divin  Cœur.  En  effet,  dès  qu'il  s'agit  du  nom  de  Jésus,  on  songe  au 
nom  de  Marie  ;  dès  qu'il  s'agit  du  cœur  de  l'un,  la  pensée  rappelle 
le  cœur  de  l'autre. 

Les  séries  de  représentations  auxquelles  nous  nous  sommes  atta- 
chés jusqu'à  présent,  se  rapportent  toutes  plus  ou  moins  directe- 
ment aux  mystères  de  la  Passion  et  aux  plaies  du  Sauveur,  en  des 
termes  abrégés.  C'est  le  motif  pour  lequel  nous  n'avons  eu  que  fort 
peu  l'occasion  de  dire  un  mot  de  sa  très-sainte  Mère.  Cette  occasion, 
nous  la  rencontrerons  souvent  au  contraire  dans  le  chapitre  suivant, 
qui  traitera  des  figures  ou  des  noms  que  l'on  a  représentés  ou  ins- 
crits dans  le  Cœur  de  Jésus  et  dans  celui  du  fidèle.  Alors  on  pourra 
encore  mieux  apercevoir  sous  quelle  influence  le  nom  de  Marie  est 
venu  se  placer  sur  la  croix  de  la  Visitation  comme  un  pendant  du 
nom  de  Jésus  et  à  côté  de  son  divin  Cœur.  Terminons  cet  exposé 
des  combinaisons  emblématiques  que  caractérise  l'association  du 
monogramme  du  Cœur  et  des  trois  clous,  par  un  exemple  de  cette 
association  emprunté  à  la  première  moitié  du  XVII"  siècle.  Le  Cœur 
de  Jésus  et  celui  de  Marie  s'y  correspondent  parfaitement.  Tous 
les  deux  sont  représentés  par  voie  d'incrustation  et  dans  les  formes 
reproduites  (pi.  v,  fig.  3,6)'  sur  chacun  des  battants  de  la  porte 
latérale,  bien  que  principale,  de  l'église  Saint-Jean  à  Fontenay-le- 
Comte.  Le  Cœur  de  Jésus  est  transpercé  des  trois  clous,  et  le  Cœur 
de  Marie  l'est  par  assimilation  de  trois  flèches.  La  date  approxima- 
ture  de  cette  marqueterie  élémentaire  est  donnée  par  celle  de  la 
reconstruction  de  l'église  qui,  ruinée  pendant  les  guerres  de  reli- 
gion, et  mal  réparée  immédiatement  après,  fut  plus  tard  recons- 
truite. D'après  une  inscription  gravée  sur  la  clef  d'une  voûte,  la 
reconstruction  aurait  été  terminée  en  1636.  Le  style  des  moulures, 
d'ailleurs  très  simples,  qui  ornent  la  porte  et  que  nous  suppo- 
sons exécutées  très  peu  après,  s'accorde  avec  cette  date. 

*  Sur  notre  planche,  les  cœurs  sont  réduits  au  dixième,  et  les  monogrammes, 
proportionnellement  de  plus  grandes  dimensions,  sont  réduits  au  vingtième. 


lo6  LES  IMAGES  DU  SACRÉ-COEUR 

V. 

On  rencontre,  dans  le  cours  du  XVII'-'  siècle,  des  frontispices  de 
livres  où  le  cœur  —  percé  de  trois  clous  et  entouré  de  la  couronne 
d'épines,  sans  l'adjonction  du  monogramme,  dans  des  conditions 
par  là  même  fort  analogues  à  la  sculpture  de  Langeac  de  1323  — 
prend  une  importance  plus  considérable  que  dans  les  exemples  don- 
nés tout  à  riieure,  où  déjà  son  rôle  était  au  moins  égal  à  celui  du 
monogramme,  s'il  ne  le  surpassait.  Nous  en  donnons  un  exemple 
réduit  de  moitié  (pi.  v,  fig.  4).  Il  figure  en  tète  de  l'histoire  de  la 
bienheureuse  Umiliana  de'  Cerchi,  publiée  en  1682,  à  Florence 
(in-4"),  et  répond  à  l'enseigne  du  libraire  Santi  Franchi  :  «  Au  signe 
de  la  Passion  ».  Nous  ferons  remarquer  que  la  plaie  s'y  trouve  et 
qu'au-dessus  on  lit  ces  mots  inscrits  sur  une  banderolle  flottante  : 
Ipsi  gloria  et  imperium.  Le  P.  Desjardins  a  recueilli  dans  sa  collec- 
tion un  autre  exemple  du  même  ensemble,  appartenant  aussi  à 
l'année  1682.  On  le  voit  en  tête  d'un  ouvrage  publié  également  à 
Florence  ;  mais  il  y  a  ces  différences  que  le  Cœur  est  renfermé  dans 
un  écusson  soutenu  par  deux  anges,  qu'il  n'y  a  pas  d'inscription  et 
que  la  plaie  n'a  pas  été  figurée'.  La  plaie  sacrée,  au  contraire,  a  été 
mise  très  en  relief  dans  une  vignette  foncièrement  analogue  de 
composition,  quoique  le  monogramme  y  reparaisse  dans  des  condi- 
tions d'ailleurs  secondaires  et  dans  le  Cœur  même.  Cette  vignette 
est  placée  au  frontispice  d'une  Vie  de  saint  François  Xavier,  écrite 
en  espagnol  et  publiée  en  1689  -. 

En  remontant  plus  haut,  parmi  les  exemples  que  fournit  la  même 
collection,  où  le  monogramme  disparaît,  nous  remarquons  dès 
1616  un  cœur  accompagné  de  trois  clous  et  placé  au-dessous  d'une 
croix  chargée  de  la  couronne  d'épines  qui  est  accompagnée  des 
instruments  de  la  Passion.  Mais  cet  ensemble,  observé  au  frontis- 
pice d'un  livre  du  P.  Antoine  Duméristène,  S.  J.  ^  nous, paraît  dé- 

1  //  crntiano  mstmito,  par  le  P.  Paul  Segneri.  Une  autre  édition  du  même 
ouvrage  de  1686  porte  la  même  vignette. 

^  Vida  y  melagros  di  San  Francesco  Xavier,  par  François  Garcia,  S.  J.,  in-4*'. 
(Coll.  Desjardins.) 

*  Flores  exemplorum  sive  çalechismus  historialis,  in-4". 


AU   POINT    DE    VCE    DE    l'hISTOIRE    ET    DE    l'aRT  157 

rivé  des  compositions  aux  cinq  plaies  plutôt  que  de  celles  que  carac- 
térise le  monogramme.  Nous  considérons  au  contraire  comme  pro- 
venant de  ces  dernières,  avec  suppression  du  monogramme,  un 
cœur  isolé  percé  de  trois  clous,  qui  se  voit  en  tète  d'une  Imitation 
imprimée  à  Dijon  en  1653  '. 

Le  monogramme  reparaît,  mais  très  secondairement,  dans  une 
vignette  attribuée  par  le  P.  Desjardins  à  l'année  1673,  et  qui  repré- 
sente le  Cœur  de  Jésus  proportionnellement  de  très  grande  dimen- 
sion, tout  embrasé  de  flammes  et  portant  intérieurement  ces  mots  : 
COR  JESv  AMANTi  SACRVM.  Le  monogrammc  est  tracé  au-dessus  en 
petits  caractères.  Au-dessous,  le  divin  Cœur  est  adoré  par  six 
personnages  qui  représentent  toutes  les  classes  de  la  société.  Le 
P.  Desjardins  avait  observé  cette  vignette  au  frontispice  d'un  livre 
de  Gabriel  de  Mello,  publié  à  Paris  sous  ce  titre  :  Les  divines  opé- 
rations de  Jésus  dans  le  cœur  d\me  âme  fidèle.  Elle  remonte  sûre- 
ment à  1627,  au  moins,  époque  de  la  seconde  édition  d'un  livre  dû 
au  P.  Etienne  Luzvic,  S.  J.,  dont  celui  de  Gabriel  de  Mello  ne  doit 
être  qu'une  imitation.  Sous  ce  titre,  en  efTet,  le  Cœur  dévot,  trône 
royal  de  Jésus,  le  pacifique  Salomon,  le  P.  Luzvic  traite  lui-même 
des  diverses  opérations  de  Jésus  dans  les  âmes,  opérations  repré- 
sentées par  une  série  de  vignettes  qui  portent  le  nom  de  Mart.  Baes, 
et  sont  expliquées  pir  le  P.  Etienne  Binet,  S.  J.  Cet  ouvrage,  publié 
en  1626,  reparut  en  1627  avec  les  vignettes  et  les  explications  dont 
nous  parlons.  Nous  savons  par  le  P.  Carayon,  que  les  vignettes 
étaient  au  nombre  de  vingt  ;  nous  ne  les  avons  pas  observées  dans 
l'édition  originale,  mais  nous  avons  eu  entre  les  mains  une  traduc- 
tion latine  de  cet  ouvrage  publié  à  Francfort  en  1722  :  les  gravures  y 
sont  précisément  au  nombre  de  vingt,  celles  dont  parle  le  P.  Carayon 
s'y  retrouvent  telles  qu'il  les  décrit  ;  nous  avons  donc  tout  lieu  de 
croire  que  le  frontispice  de  Gabriel  de  Mello  qu'il  y  a  observé,  se 
trouvait  également  dans  l'édition  de  1627.  Nous  reviendrons  plus 
loin  sur  cet  ouvrage,  relativement  aux  figures  de  Jésus  opérant  dans 
le  cœur  du  fidèle. 

Ici  ce  que  nous  devons  remarquer,  c'est  l'exemple  frappant  d'une 
représentation  où  le  Cœur  de  Jésus  apparaît  comme  objet  principal 

^  Coll.  Desjardins. 


138  LES   IMAGES    DU   SACRÉ-COEUR 

pour  être  directement  exposé  aux  adorations  du  peuple  chrétien.  On 
voit  par  là  que,  de  la  part  des  religieux  de  la  Compagnie  de  Jésus 
eux-mêmes,  les  représentions  du  Sacré-Cœur  n'étaient  pas  toujours 
subordonnées  au  monogramme  du  Sauveur,  qui  cependant  demeu- 
rait leur  insigne  caractéristique. 

Nous  signalerons  encore  deux  exemples  assez  remarquables  de 
l'association  du  cœur  avec  le  monogramme,  où  le  premier  semble 
primer  le  second.  L'un  d'eux  est  positivement  du  XVIIP  siècle, 
l'autre  nous  paraît  tout  au  moins  postérieur  aux  images  inspirées 
par  la  bienheureuse  Marguerite-Marie.  Nous  les  considérons  cepen- 
dant comme  se  rattachant  à  la  catégorie  des  images  dont  nous  ve- 
nons de  nous  occuper,  et  c'est  pourquoi  nous  en  parlons  avant  de 
passer  à  une  autre  série. Dans  le  premier  de  ces  exemples,  emprunté 
à  un  ouvrage  du  P.  Pierre  Kwinskouski,  S.  J.,  au-dessous  du  mono- 
gramme, au  lieu  du  cœur  seulement,  on  voit  le  divin  Agneau  por- 
tant son  Cœur  sur  un  étendard,  et,  autour  du  médaillon  qui  les  ren- 
ferme, quatre  cœurs  représentent  les  cœurs  des  fidèles  '.  Dans  le 
second  exemple,  donné  sans  date,  le  cœur,  entouré  de  la  couronne 
d'épines,  occupe  le  centre  de  la  composition.  Il  est  surmonté  de 
la  croix,  chargée  à  son  entrecroisement  du  monogramme.  Tout 
autour  du  divin  Cœur,  rayonnent  des  cœurs  de  fidèles,  et  le  tout  est 
surmonté  d'une  couronne  royale,  pour  dire  que  le  Cœur  de  Jésus 
est  appelé  à  régner  sur  tous  les  cœurs  ^ 

*  Hisloria  Veleris  et  Novi  Testamenti,  in-i".  Augustx  Vindeliciorwn  et  Cracovia}, 
1740.  (Coll.  Dosjardins.)  Le  P.  Desjardins  a  recueilli  une  autre  vignette  de  1735 
(Paris)  où,  au  divin  Agneau  chargé  de  la  croix,  est  associé  un  cœur  sur  la  face  du 
piédestal  qui  le  supporte.  Dans  une  vignette  de  1728,  on  voit  cet  Agneau  divin 
couché  dans  un  cœur.  [De  viinorum  fratrum  origine  doiniciliove  discakeatorum 
attramcnto  et  sanguine  scriptorum  bibliothcca,  petit  in-4''.  Salamanque. 

^  Coll.  Desjardins. 


AU   POINT   DE    VUE    DE    l'hISTOIRE    ET    DE    l'aRT  159 

CHAPITRE  IV. 

DES   FIGURES  ET  DES  NOMS   CONTENUS  DANS  LE  CŒUR. 
I. 

On  a  dû  remarquer  que,  dans  les  différentes  séries  de  représenta- 
tions commençant  à  la  fin  du  XV  siècle  ou  dans  le  cours  du  XVP,  il  y 
eut  une  tendance  constante  et  progressive  à  dégager  le  divin  Cœur 
des  voiles  emblématiques  qui  l'enveloppaient  en  quelque  sorte. 
Son  caractère  personnel  devient  de  plus  en  plus  explicite  et  formel, 
son  importance  est  toujours  croissante.  L'on  sent  que  l'on  avance 
vers  les  temps  oii  Dieu  va  le  glorifier  et  le  montrer  à  son  Église 
avec  cet  éclat  que  nous  lui  voyons.  Les  esprits  sont  tellement  tour- 
nés vers  lui  au  milieu  du  XYIP  siècle,  qu'il  est  appelé  à  prendre  la 
première  place  là  même  oh  il  ne  figurait  pas,  là  oùl'on  avait  repré- 
senté préférablement  le  cœur  du  fidèle.  Et  beaucoup  de  composi- 
tions originairement  conçues  dans  ce  sens  seront  interprétées  et 
transformées  selon  l'idée  devenue  dominante. 

Dès  le  XV°  siècle,  Jésus  nous  est  apparu  représenté  dans  le  cœur 
du  fidèle  qui  médite  sur  la  Passion.  Nous  avons  vu  figurer  les  mono- 
grammes de  Jésus  et  de  Marie  dans  le  «Cœur  crucifié  »  de  Pierre 
Regnart  ;  ils  avaient  auparavant  été  associés  au  Cœur  par  le  libraire 
d'Orléans  Mathieu  Vivian.  M.  Benjamin  Fillon,  à  qui  nous  devons 
la  connaissance  du  cordelier  de  Fontenay  et  de  son  précieux  petit 
livre,  a  rapporté  de  Saint-Bertrand  de  Comminges  et  fait  placer  sur 
l'une  des  portes  de  sa  demeure  à  la  Court  de  Saint-Cyr  (Vendée)  un 
marbre  remarquable.  On  y  voit  sculpté  un  cœur  renversé^  portant 
les  monogrammes  de  Jésus  et  de  Marie,  surmontés  d'une  croix  ; 
au-dessous  est  la  devise  :  ie  atans  levre  (j'attends  l'heure)  en 
lettres  duXVP  siècle.  Evidemment  c'était  là  un  Cœur  renversé  par 
les  épreuves  et  les  souffrances  qui,  se  confiant  en  Jésus  et  Marie, 
les  possède  dans  la  patience,  comme  conseillait  de  le  faire  Pierre 
Regnart,  et  attend  l'heure  de  la  délivrance  suprême. 

Luther,  au  frontispice  du  livre  qu'il  publia  en  1528  à  Wittemberg 
sur  la  guerre  contre  les  Turcs,    avait  adopté  pour  emblème  une 


160  LES   IMAGES   DU   SACRÉ-COEUR 

rose  chargée  d'un  cœur  au  sein  duquel  était  inscrite  une  croix 
(pi.  vu,  fig.  12  *)  :  Il  ne  nous  paraît  pas  douteux  que  le  cœur 
accompagne  de  la  croix,  dont  tantôt  l'hérésiarque  adopta  et  repoussa 
Timage,  ne  soit  le  sien,  ou  plus  généralement  celui  du  disciple  de 
Jésus-Christ. 

Un  cordelier  du  couvent  de  Saint-Bonaventure  à  Lyon,  appelé, 
dit  le  P.  Henry  ^  Jean  Henry,  ou  de  Henri  ou  Henricy,  et  qui 
appartenait,  par  la  naissance,  selon  toute  apparence,  à  la  famille 
des  Henry  de  Jarnios,  élu  provinçal  des  franciscains  en  loo4, 
fut,  trois  ans  après  (en  1557)  nommé  par  le  pape  Paul  IV,  évéque 
de  Damas  etsuffragant  ou  auxiliare  de  l'archevêque  de  Lyon, François 
de  Tournon.  II  remplit  les  mêmes  fonctions  sous  trois  autres  arche- 
vêques jusqu'à  sa  mort  (arrivée  en  lo74\  Les  historiens  nous  le 
montrent  comme  un  des  auxiliaires  les  plus  célèbres  de  l'archevê- 
ché de  Lyon,  et  par  la  sagesse  de  ses  actes  et  surtout  par  l'éclat  de 
sa  sainteté.  Ce  pieux  prélat  avait  pour  armes  :  «  d'argent  au  cœur 
de  gueules,  marqué  du  nom  de  Jésus  d'or,  au  chef  d'azur  chargé  d'un 
lion  léopardé  d'argent^  »  Il  y  a  tout  lieu  de  croire  que  ce  cœur  était 
celui  de  l'évêque  qui,  par  ce  mode  de  représentation,  voulait  dire 
qu'il  portait  Jésus  dans  son  cœur  :  c'était  là  imiter  saint  Bonaven- 
lurC;,  qui  avait  pris  lui-même  pour  armoiries  le  nom  de  Jésus  envi- 
ronné d'une  gloire. 

Le  P.  Desjardins  a  trouvé,  dans  une  traduction  des  dialogues  de 
sainte  Catherine  de  Sienne  (in-12,  Paris,  1580),  une  image  delà 
Sainte,  qui,  entre  autres  particularités,  tient  à  la  main  gauche  un 
cœur  enflammé,  chargé  lui-même  du  nom  de  Jésus.  Il  est  assez  dif- 
ficile de  déterminer  rigoureusement  quel  est  ce  cœur  ?  Nous 
croyons  cependant  qu'il  représente  principalement  le  Cœur  du  Sau- 

1  Nous  empruntons  ce  spécimen  au  grand  ouvrage  de  Gretzer,  de  Cruce,  pré- 
face, p.  11. 

'  Aurore  de  la  dctotmi  au  Sacré-Cœur  ;  Annales  franciscaines,  sept.  187.5. 

^  Un  lion  léopardé  est  un  lion  passant.  En  blason  le  lion  se  distingue  du  léopard 
par  sa  tête  toujours  vue  de  profil,  tandis  que  celle  du  léopard  est  toujours  vue  de 
face.  Le  lion,  en  outre,  est  ordinairement  rampant,  c'est-à-dire  dressé  sur  ses 
pieds  de  derrière  ;  tandis  que  le  léopard  est  passant,  c'est-à-dire  dans  l'attitude 
de  la  marche.  Nous  croirions  que  le  lion  léopardé  appartenait  aux  armes  de  la 
famille  Henry  et  que  l'évêque  y  ajouta  le  cœur. 


AU   POINT   DE   VUE    DE   l'hISTOIRE   ET   DE   l'aRT  161 

veur,  substitué  à  celui  de  Catherine,  ou  encore  les  deux  cœurs 
comme  ne  faisant  qu'un  ;  c'est  là  ce  que  permettent  de  conclure  les 
deux  inscriptions  suivantes,  tracées  l'une  au-dessus  du  cœur,  l'autre 
au-dessous  :  Duke  signiim  car itatis,  dum  amator  castitatis  cor  mutât 
inVirgine.  «Doux  signe  de  charité,  lorsque  celui  qui  aime  la  chasteté 
change  le  cœur  d'une  vierge  »  ;  Cor  mundum  créa  in  me  Deus  : 
«  Dieu  créez  en  moi  un  cœur  pur». 

Pour  achever  la  description  de  cette  intéressante  image,  nous 
dirons  que  trois  couronnes  sont  suspendues  sur  la  tête  de  la  chaste 
vierge,  et  que  de  la  main  droite  elle  tient  un  livre  (celui  de  ses  dia- 
logues), surmonté  d'un  lis  et  d'une  palme. 

Sainte  Catherine  de  Sienne,  dans  la  circonstance  ineffable  que 
rappelle  cette  image,  sortait  des  conditions  ordinaires.  La  pensée 
ordinaire  alors,  c'était  de  représenter  Jésus  et  Marie  comme  l'objet 
des  affections  du  cœur  fidèle  et  le  fondement  de  toutes  ses  espé- 
rances, soit  que  les  noms  du  Sauveur  fussent  inscrits  dans  le  cœur, 
soit  qu'ils  fussent  inscrits  à  côté.  Ils  sont  inscrits  de  chaque  côté,  le 
cœur  demeurant  au  milieu,  dans  une  épitaphe  qui  se  trouve  à  Fon- 
tenay-le-Comte  sur  un  pilier  de  l'église  Saint-Jean.  Ce  pilier  nous 
paraît  antérieur  à  la  reconstruction  de  l'église  en  1636  et  pouvait 
l'être  à  l'état  de  ruine  ou  de  délabrement  auquel  les  guerres  de 
religion  réduisirent  l'édifice. 

L'épitaphe  est  ainsi  conçue  : 

lESVS.    MARIA 

LE  CORPS  DE 

MICHEL.   PORCHER 

(ilST-ICY.  PASSANS 

PRIEZ-DIEV.  POVR 

LE  REPOS  DE  SON 

AME  ET  VOVS 

SOVVENEZ  QVE 

VOVS  ETES 

PECHEVRS  ET 

MORTELS  COMME 

LVY 

Un  monogramme  de  Jésus.  Un  Cœur.  Un  monogramme  de  Marie 

IP  série,  tome  XI.  1 1 


162  LES   IMAGES    DU   SACRÉ-COEUR 

II. 

Saint  François  de  Sales  écrivait  le  19  février  1605  à  sainte  Chan- 
tai :  ((  Je  vis  un  jour  une  image  dévote,  c'était  un  cœur  sur  lequel 
le  petit  Jésus  était  assis.  0  Dieu,  dis-je,  aussi  puissiez  vous  asseoir 
dans  le  cœur  de  cette  fille  que  vous  m'avez  donnée  et  à  laquelle  vous 
m'avez  donné  !  11  me  plaisait  en  cette  image  que  Jésus  était  assis 
et  se  reposait,  par  cela  même  me  représentait  une  stabilité,  et  il  me 
plaisait  qu-il  était  enfant,  car  c'est  l'âge  de  parfaite  simplicité  et  de 
douceur,  et  communiant  au  jour  que  je  savais  que  vous  en  faisiez 
de  même,  je  logeais  par  ce  désir  ce  béni  hôte  en  cette  place  et  chez 
vous  et  chez  moi  :  Dieu  soit  en  tout  et  partout  béni  et  veuille  se 
servir  de  nos  cœurs  es  siècles  des  siècles.  » 

Dix-huit  ans  avant  cette  lettre  en  1587,  F.  de  Gonzague  avait, 
dans  son  livre  sur  l'origine  et  le  développement  des  frères  mineurs, 
donné  cette  gracieuse  image  de  l'Enfant-Jésus  assis  et  même  en- 
dormi sur  un  cœur  ;  il  l'applicjuait  à  la  province  franciscaine 
de  Saint-Grégoire  aux  Philippines,  fondée  l'année  précédente  \  Le 
pieux  auteur,  après  avoir  décrit  le  sceau  attribué  à  cette  nouvelle 
province,  sceau  oii  l'on  avait  représenté  la  Messe  de  Saint-Grégoire, 
s'exprime  en  ces  termes  relativement  à  l'image  dont  nous  parlons  : 
Papyri  imjwimi  puerum  Jesum  graphice,  deputans  qiiod  ejus  imago 
floribus  ac  rosis  contecta  arctique  recondita  a  primis  istorum  insii- 
larum  inventoribus  in  expiignatione  civitatis  Zubiiac  [indicé  Zubu) 
forte  fortuna  non  tamen  prœter  miraculum  [nisi  me  mea  opinio  fal- 
tat)  inventa  fuerit,  antepositum  volui.  «  J'ai  voulu  faire  placer  en 
regard  (du  chapitre  consacré  à  cette  province),  une  gravure  repré- 
sentant l'Enfant-Jésus,  me  rappelant  que  son  image  avait  été  trouvée 
dans  un  coffre  où  il  était  renfermé  avec  des  roses  et  d'autres  fleurs, 
par  ceux  qui,  les  premiers,  découvrirent  ces  îles  lorsqu'ils  faisaient 
le  siège  de  la  ville  de  Zubu.  » 

D'après  les  termes  dont  il  se  sert,  le  Père  de  Gonzague,  alors  général 
des  Franciscains,  n'aurait  pas  inventé,  mais  seulement  reproduit,  la 
composition  où  figure  si  gracieusement  l'Enfant-Jésus. 

'  J)e  Origine  Seraphicx  rcligionis,  p.  1330. 


AU   POINT   DE   VUE   DE    l'hISTOIRE   ET    DE    l'aRT  163 

Le  cœur  est  enlr'ouvert,  pour  faire  place  à  l'hôte  divin  ;  il  repose 
sur  des  flammes  pour  dire  qu'il  est  embrasé  par  sa  présence.  L'En- 
fant-Jésus porte  le  nimbe  crucifère,  et  un  peu  au-dessus  de  sa  tête 
est  suspendue  la  couronne  d'épines. 

Une  image  foncièrement  semblable  a  été  placée  en  d620  en  tête 
d'une  édition  du  traité  de  V Amour  de  Dieu,  par  le  saint  évêque  de 
Genève,  et  c'est  celle  que  nous  reproduisons  (pi.  iv,  fig.  1).  Dans 
cette  même  année  1620,  on  la  retrouve  au  frontispice  d'un  livre 
imprimé  à  Lyon,  par  Pierre  Rigaud,  sous  ce  titre  :  V Amoureux  de 
Jésus  à  rho?i7ieur  du  Trés-Saùit-Sacrement  de  l'Eucharistie,  traduit 
de  l'italien  du  P.  Solutive,  Récollet,  par  le  P.  Charles  Jouve,  aussi 
Récollet.  On  nous  la  signale  aussi  comme  reproduite  entête  de  l'his- 
toire du  D.  François  de  Sales  par  son  neveu  Charles- Augustin  de 
Sales,  Lyon  1634  :  elle  y  est  moins  bien  exécutée. 

Le  spécimen  que  nous  en  donnons  est  au  contraire  supérieur 
d'exécution  à  la  gravure  du  P.  de  Gonzague  ;  elle  en  diffère  sous 
les  rapports  suivants  :  les  flammes,  sur  lesquelles  reposait  le  cœur, 
s'élèvent  plus  haut,  un  rayonnement  lumineux  entoure  la  tête  de 
Jésus  par  delà  son  nimbe,  mais  la  croix  du  nimbe  crucifère  ayant 
cessé  d'être  comprise,  a  été  remplacée  par  un  trèfle  mal  dessiné  :  le 
tout  est  renfermé  dans  une  sorte  d'auréole  formée  par  une  palme 
et  une  branche  d'olivier.  Le  rayonnement  propre  au  Sauveur  tend 
à  prouver  que  le  cœur  est  non  le  sien,  mais  celui  du  fidèle  ;  il 
exprime  cette  pensée  :  Porter  Jésus  dans  son  cœur. 

Nous  avons  parlé  de  l'ouvrage  du  P.  Luzvic,  le  Cœur  dévot,  trône 
royal  de  Jésus,  le  pacifique  Salomon  (1626,  1627),  à  propos  de  l'un  de 
ses  frontispices  où  le  Cœur  de  Jésus  est  manifestement  représenté. 
Les  autres  estampes  du  même  ouvrage  semblent  être  le  commentaire 
et  le  développement  de  la  vignette  que  nous  pouvons  appeler  vi- 
gnette de  Saint-François  de  Sales.  Dans  chacune  d'elles,  le  cœur  du 
fidèle  contient  Jésus  sous  forme  d'enfant  :  sous  cette  douce  figure, 
le  Sauveur  tour  à  tour  entre  dans  ce  cœur  (p.  25),  l'éclairé  (p.  36), 
le  nettoie  (p.  46),  l'inonde,  le  purifie  de  son  sang,  etc.,  etc.,  et  s'y 
endort  (p.  138).  La  composition  dans  ce  dernier  cas  est  presque  iden- 
tique à  la  noire,  avec  cette  différence  que  le  divin  Enfant,  au  lieu 
d'être  assis  sur  le  cœur, est  assis  dans  son  sein.  Elle  est  accompagnée 
de   cette  légende  dans  l'édition  latine  :  Jésus    in  amantis  corde 


164  LES   IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

requiescens.  Quelques-unes  de  ces  vignettes  sont  d'une  naïveté  un 
peu  puérile,  risible  même,  mais  il  y  en  a  qui  ont  beaucoup  de 
grâce,  entre  autres  celle-ci. 

On  retrouve  cette  image  de  Jésus  reposant  dans  le  Cœur  en  1645, 
au  frontispice  d'une  Yie  de  sainte  Thérèse  '.  Là  encore,  on  peut 
croire  que  le  Cœur  est  celui  du  fidèle.  Cependant  la  tendance  à  re- 
présenter préférablement  le  Cœur  de  Jésus  faisait  des  progrès.  Nous 
en  avons  la  preuve  dans  la  marque  du  libraire  Sébastien  Huré,  1646, 
reproduite  pi.  v,  fig.  7  ".  Le  Cœur  dans  lequel  Jésus  est  endormi, 
est  pris  manifestement  pour  celui  de  ce  divin  Sauveur  lui-même  ; 
les  anges  adorateurs  qui  l'entourent  ne  le  prouveraient  peut-être 
pas  suffisamment,  car  leurs  adorations  pourraient  s'adresser  à  Jésus 
renfermé  dans  le  Cœur.  Mais  toute  incertitude  est  levée  par  cette 
légende  :  ego  dormio  et  cor  mevm  vigilat  (Cant.  v)  :  «  Je  dors  et  mon 
Cœur  veille  ».  C'est  donc  celui  qui  dort  dont  le  Cœur  veille.  D'ail- 
leurs le  cœur  du  fidèle,  c'est-à-dire  dans  la  circonstance  celui  du 
libraire,  est  renfermé  séparément  avec  son  chiffre  dans  un  petit 
écusson  inférieur.  Tout  cet  ensemble  se  rapporte  à  cette  enseigne  : 
«  Au  Cœur  bon  »  que  portait  Sébastien  Huré. 

Une  vignette  analogue  avec  des  dispositions  un  peu  différentes 
se  retrouve  en  tète  d'un  chapitre  dans  les  œuvres  de  S.  François, 
édition  de  1663,  et  à  cette  date  encore  dans  les  œuvres  spirituelles 
de  Louis  de  Grenade  ^ 

Jésus  non  plus  endormi,,  mais  dans  l'attitude  de  l'enseignement, 
reparaît  dans  le  Cœur  en  1668,  avec  cette  inscription  :  ibi  est 
THESAVRVS  Tvvs  IBI  EST  COR  TVVM  ;  u  là  cst  tou  trésor,  là  est  ton 
Cœur  »  Summas  virtutum  et  vitioriim,  in-4\  Lyon,  par  Guill. 
Peraldus  ou  Perrault,  dominicain)  ;  cette  légende  semblerait  se  rap- 
porter au  cœur  du  fidèle,  contenant  Jésus  comme  son  trésor  ". 

'  Coll.  Desjardins. 

2  Cet  insigne  a  été  relevé  en  tête  de  la  Vie  du  cardinal  de  Derulle^  par  Phi- 
lippe Hébert,  abbé  de  Cerisey.  Paris,  in-4'*,  164G.  On  retrouve  une  vignette  iden- 
tique au  frontispice  de  la  Vie  de  S.  Dominique  et  des  Vies  des  saints  Dominicains, 
par  le  P.  de  Rechac,  16i7,  et  à  celui  des  OEuvres  du  D.  François  de  Sales,  in-fol. 
Paris,  1663.  Mais  dans  la  collection  du  P.  Desjardins,  à  laquelle  nous  devons  ce 
dernier  renseignement,  le  chifïre  et  le  nom  du  libraire  ne  sont  pas  donnés. 

^  Coll.  Desjardins. 

■''  Idem. 


AU    POINT    DE    VUE    DE   l'hISTOIRE   ET   DE   l'aRT  165 

Une  image  gravée  à  Rome  par  les  soins  du  P.  Pctronio,  mineur 
observantin,  et  que  nous  croirions  de  notre  siècle,  vient  confirmer 
l'interprétation  donnée  à  la  marque  de  Sébastien  Huré.  Elle  repré- 
sente l'Enfant-Jésus  endormi  sur  une  croix  couchée  sur  le  sol  et 
entourée  des  autres  instruments  de  la  Passion.  Au-dessus  du  divin 
Enfant  se  dresse  une  autre  croix,  sur  laquelle  sont  inscrites  diverses 
sentences  toutes  susceptibles  de  se  résumer  en  celle-ci  :  Nulla 
chiedo,  fuorche  Dio  ;  «  Je  ne  demande  rien  que  Dieu  !  ;!  Au-des- 
sous des  branches  de  la  croix  dressée,  sont  suspendus  de  chaque 
côté  les  Cœurs  de  Jésus  et  de  Marie.  Le  premier  ceint  de  la  cou- 
ronne d'épines  est  entouré  de  cette  légende  :  Ne  obliviscaris  gemi- 
tus  Matris  tuae  :  «  N'oubliez  pas  les  gémissements  de  votre  Mère  ;  » 
et  le  second  de  celle-ci  :  Fili.prœbe  mihi  Cor  timm  ;  «  Mon  flls,  don- 
nez-moi votre  Cœur.  »  Plus  bas,  on  voit  encore  les  figures  de 
Ste  Thérèse  et  de  Ste  Madeleine  de  Pazzi,  avec  ces  mots  :  Aut  pati 
aut  mori  «  Ou  souffrir  ou  mourir  ;  »  et  ceux-ci  :  Non  mori  sed pati  ; 
«  Non  mourir  mais  souffrir.  »  Et  en  guise  de  titre,  au  bas  de  la 
composition  entière,  on  lit  :  lo  dormio  e  il  mio  cvore  e  vigilante, 
etc.;  «  Je  dors  et  mon  cœur  veille.  »  Ces  mots  sont  le  commence- 
ment d'une  prière  mise  dans  la  bouche  du  fidèle,  mais  l'on  voit 
que  c'est  par  assimilation  au  Sauveur  endormi,  dont  le  Cœur,  mani- 
festement représenté,  veille  de  son  côté  incessamment  sur  nous  *. 

«  Une  gravure  faite  par  J,  Buys  à  la  fin  du  XYII^  siècle  (1692)  », 
dit  le  P.  Desjardins  «  représente  le  triomphe  du  Cœur  de  Jésus  dans 
tous  les  cœurs.  A  la  partie  principale  de  l'image  est  un  cœur  percé 
de  tous  côtés  par  des  flammes  qui  projettent  sur  lui-même  une  vive 
clarté.  Dans  l'intérieur  du  cœur,  Jésus  est  debout,  environné  tout 
entier  d'un  nimbe  éclatant.  Jésus  est  glorieux  comme  à  son  Ascen- 
sion, il  tient  à  la  main  droite  une  épée  flamboyante,  signe  du  triom- 
phe, et  de  l'autre,  une  vive  flamme  pour  indiquer  que  son  Cœur 
triomphe  par  l'amour.  Au-dessus  du  Cœur  est  une  couronne  de  lau- 
riers et  de  fleurs;  au-dessous  sont  deux  rangs  de  cœurs  enflammés 
et  une  multitude  d'anges  qui  semblent  applaudir  aux  douces  con- 
quêtes du  Cœur  de  Jésus  ^  ». 

^  Coll.  Desjardins. 

^  Le  Cœur  de  Jésus  :  Ascétisme  et  Littérature,  in-8'^.  Paris,  1856,  p.  578. 


166  LES  IMAGES  DU  SACRÉ- CCEUR 

Cette  remarquable  gravure  est  postérieure  à  la  bienheureuse 
Marguerite-Marie,  mais  elle  a  été  conçue  en  dehors  du  cercle  encore 
étroit  de  son  influence  ;  elle  doit  donc  être  rangée  dans  la  catégorie 
des  préludes  qui  annonçaient  le  triomphe  d'une  dévotion  que  la 
Bienheureuse  venait  à  peine  de  révéler. 

III 

Aujourd'hui  la  tendance  à  représenter  le  Cœur  Sacré  de  Jésus  pré- 
férablement  au  cœur  du  fidèle  a  si  bien  prévalu  qu'on  a  peine  à  se 
figurer  la  tendance  contraire  qui,  sans  exclure  les  représentations 
du  divin  Cœur,  a  existé  jusqu'au  premier  tiers  du  XVIP  siècle.  Aussi, 
dès  qu'on  rencontre  une  représentation  ou  un  livre  traitant  du 
cœur  et  provenant  de  ce  temps-là,  on  est  aussitôt  porté  à  croire 
qu'il  s'agit  du  divin  Cœur,  Un  petit  livre  de  dévotion,  publié  en  1629 
à  Vienne,  par  un  jésuite  hongrois,  le  P.  Mathias  Haynal,  prêtait 
tout  particulièrement  à  cette  méprise.  Son  titre  est  celui-ci  :  Cor 
Jesu  sacrum  imaginibus ,  rythmis,  oratioiiibiis  expressum.  Comment 
en  lisant  ces  mots  ne  pas  croire  que  le  livre  honore  le  Cœur  sacré 
de  Jésus,  par  des  images,  des  poésies,  des  prières?  Comment  ne 
pas  le  prendre  pour  un  traité  de  la  dévotion  à  ce  divin  Cœur,  de 
beaucoup  antérieur  à  tous  ceux  généralement  connus?  Les  démar- 
ches que  nous  avons  faites  pour  nous  procurer  du  moins  la  connais- 
sance de  ce  précieux  ouvrage,  ont  abouti  au  résultat  suivant  : 
voici  ce  que  le  1"  décembre  1878,  le  R.  P.  François  Kattler,  S.  J., 
du  collège  de  Kalksburg,  près  de  Vienne,  nous  écrivait  : 

«  L'ouvrage  de  Math.  Haynal  est  très  rare  ;  de  plus  il  ne  traite 
pas  du  Sacré-Cœur  ;  le  titre  de  ce  pieux  écrit  a  trompé  déjà  plu- 
sieurs de  nos  Pères  ;  il  veut  dire  simplement  :  le  cœur  du  (chrétien) 
dévoué  à  Jésus  »  ;  Cor  [christimii)  Jesu  (da-tif)  sacrum  [seu  sacratum 
ou  consecratum).  La  matière  dont  il  parle  et  les  illustrations  répon- 
dent au  titre  et  n'ont  aucune  relation  avec  le  Sacré-Cœur.  Voilà  le 
rapport  d'un  Père  qui  s'est  beaucoup  intéressé  à  ce  petit  livre  et  l'a 
retrouvé  heureusement  après  beaucoup  de  recherches.  » 

A  la  catégorie  des  ouvrages  de  ce  genre  appartiennent  le  Cœur 
dévot,  du  P.  Luzvic  et  \ École  du  cœur,  du  P.  Ilaeffen,  déjà  connu  de 
nos  lecteurs,  publiés,  le  premier,  deux  ans  avant  le  livre  du  P.  Hay- 


SACRE    CCEUR 


PI . .  VI 


LK  DIVIN  ("ŒUK  DANS   l'NK  THÈSK  THKOLOGlgL'i: 

dapjé,r  une.  yj-fanipe   de  Ccxllot .    ft(j.  /  _  Fujttres  iltvetfe^,  2  W  S). 


AU   POINT   DE   VUE   DE    l'hISTOIRE   ET   DE   l'aRT  167 

liai;  le  second,  la  même  amiée.  Joignons-y  un  autre  petit  livre  qui 
avait  paru  sept  ans  plus  tôt  (en  1622),  à  Munich,  sous  ce  titre  : 
Jésus  omnia  sive  thésaurus  corcUum  suavis  ac  meliflui  nominis  Jesu 
Messiœ,  etc  *  ;  Jésus  notre  tout  ou  le  nom  de  Jésus,  suave  et  doux 
comme  le  miel,  trésor  du  eœur. 

Dans  cet  ouvrage,  on  voit  trois  cœurs  de  fidèles  réunis  et  entre- 
mêlés, de  manière  à  porter  ensemble  le  monogramme.  L'tl  de  ce 
signe  sacré  repose  sur  les  trois  cœurs  à  la  fois,  le  I,  seulement  sur 
le  premier,  l'S  seulement  sur  le  troisième  :  combinaison  imaginée 
pour  dire  que  Jésus  est  Je  trésor  du  cœur,  conformément  au  titre 
du  livre. 

Dans  une  des  vignettes  de  l'Ecole  du  cœur,  sous  ce  titre  :  Obsi- 
gnatio  cordis,  accompagné  de  ce  texte  :  Po7ie  me  ut  signaculum  su- 
per cor  tuum  (Cant.  VIII,  6):  «  Posez-moi  comme  un  sceau  sur  votre 
cœur;  »  on  a  représenté  un  cœur  soutenu  par  Jésus  et  par  l'âme 
fidèle.  L'âme,  de  la  main  restée  libre,  tient  le  sceau  au  mono- 
gramme de  Jésus  dont  elle  vient  de  recevoir  l'empreinte.  Le  texte 
insiste  sur  les  diverses  significations  du  sceau  :  on  scelle  un  enga- 
gement, on  scelle  ce  que  l'on  veut  conserver;  être  scellé  du  nom 
de  Jésus,  c'est  dire  qu'on  lui  appartient  irrévocablement,  qu'on 
veut  lui  être  conforme  et,  inquantum  cor  est  conforme  cordis  ejus 
cujus  imaginem  gerit,  intantum  erit  Deo  acceptum  (p.  430)  :  «  Au- 
tant le  cœur  est  conforme  au  cœur  de  celui  dont  il  porte  l'image,  au- 
tant il  est  agréé  de  Dieu.  »  (PI.  vi,  fig.  3.) 

Nous  disons  cependant  qu'à  la  fin  du  premier  tiers  du  XYIP  siè- 
cle, c'est-à-dire  vers  l'époque  à  peu  près  où  parurent  les  livres  du 
P.  Haynal  et  du  P.  Haeffen,  la  tendance  à  représenter  le  Cœur  de 
Jésus,  préférablement  à  celui  du  fidèle,  commença  à  se  manifester. 
En  effet,  parmi  les  associations  du  Cœur  de  Jésus  avec  le  mono- 
gramme de  son  nom,  IHS,  nous  en  avons  déjà  rencontré  un  bon  nom- 
bre où  ce  monogramme  estplacéavec  les  clous  au  sein  du  cœur  même. 
Nous  en  avons  emprunté  un  exemple  aux  Fasti  maria}ii{^\.  IV,  fig. 4), 
où  il  figure  au  jour  de  la  conversion  de  saint  Paul.  Dans  la  circon- 
stance, le  Cœur  de  Marie,  désigné  d'une  manière  analogue  (fig.  o), 
avec  la  substitution  de  trois  roses  aux  trois  clous  et  la  zone  de  flam- 

1  Par  le  P.  Marianus  ab  Orscelar,  franciscain,  in-2i. 


168  LES   IMAGES   DU    SACRÉ-COEUR 

mes,  qui  établit  la  communication  entre  les  deux  Cœurs  sacrés,  ne 
laisse  aucun  doute  sur  cette  attribution.  Il  est  donc  manifeste 
que,  dans  certains  cas,  le  nom  de  Jésus  au  sein  du  cœur  sert  à  dé- 
signer ce  cœur  comme  étant  véritablement  le  sien  :  non  seulement 
alors  il  le  désigne,  mais  encore  il  dit  que  le  Cœur  de  Jésus,  dans  un 
sens,  c'est  Jésus  tout  entier.  Les  clous  complètent  cette  pensée  par  le 
souvenir  de  la  Passion  et  des  plaies  qui  ont  toutes  eu  leur  retentisse- 
ment dans  ce  divin  Cœur.  Les  représentations  de  ce  genre  elles- 
mêmes,  ont  été  fréquentes  au  XVIP  siècle,  et  nous  ne  pensons  pas 
que  jamais  elles  aient  été  faites  dans  les  conditions  dont  nous  ve- 
nons de  parler,  c'est-à-dire  les  clous  étant  placés  en  faisceau  au- 
dessous  du  monogramme,  autrement  que  pour  désigner  le  Cœur  de 
Jésus.  Mais,  dans  ces  conditions  même,  nous  ne  connaissons  aucun 
exemple  qui  soit  indubitablement  antérieur  à  1630,  année  de  la  pre- 
mière publication  des  Fasti  mariani.  Le  P.  Desjardins  en  a  réuni  un 
assez  grand  nombre  d'exemples,  mais  ils  sont  postérieurs  à  cette 
date  \  à  l'exception  peut-être  de  l'empreinte  qui  se  voit  sur  la  cou- 
verture de  \ Hortulus  mariani,  publié  à  Ingolstadt,  en  1627,  dont 
nous  avons  parlé,  à  raison  des  cinq  plaies  qu'on  y  voit  aussi  figurer. 
Il  faut  dire  peut-être,  car  rien  ne  prouve  que  cette  reliure  ne  soit 
pas  plus  récente  que  l'impression  du  livre. 

Il  nous  paraît,  d'ailleurs,  vraisemblable  que,  postérieurement  à 
1630  et  aux  représentations  où  le  Cœur  de  Jésus  contient  le  mono- 
gramme et  les  clous,  le  cœur  du  fidèle  continua  d'être  représenté 
lui-même  contenant  le  nom  de  Jésus  ou  son  monogramme,  mais 
sans  l'addition  des  clous.  Nous  avons  hésité,  toutefois,  à  ranger  dans 
cette  catégorie  une  vignette  placée  à  la  fin  de  la  préface  du  Traité  de 
t amour  de  Dieu  (p.  250),  dans  l'édition  des  œuvres  de  saint  Fran- 
çois de  Sales,  de  1630  (in-fol.).  Cette  vignette  représente  un  cœur 
entouré  de  la  couronne  d'épines  et  portant  dans  son  sein  ces  mots  : 
VIVE  JÉSUS.  Si  on  s'arrêtait  là,  on  ne  croirait  guère  pouvoir  douter 
que  ce  cœur  soit  celui  du  fidèle  acclamant  le  divin  Sauveur  :  mais 
au-dessus  de  la  couronne  d'épines  s'étend  une  banderole  soutenue 

'  Gfis  exemples  sont  de  ir,3'i,  16i4,  1647,  1648,  1G5-2,  1662,  1670,  1683.  Nous 
avons  décrit  les  plus  remarquables,  en  tant  qu'ils  se  rapportent  à  l'association  du 
cœur,  du  monogramme  et  des  trois  clous. 


AU    POINT    DE   VUE    DE    l'hISTOIRE   ET    DE    l'aRT  169 

par  deux  anges  sur  laquelle  on  lit:  divim  signacvlvm  amoris.  Le  sceau 
ou  le  signe  du  divin  amour  :  c'est  le  Cœur  même  de  Jésus.  Il  sem- 
blerait donc  qu'il  y  a  confusion  entre  les  deux  ordres  d'idées,  con- 
fusion facile  à  expliquer  par  l'intime  connexion  qui  les  lie  l'un  à 
l'autre.  Mais  il  faut  se  rappeler  que  l'ouvrage,  traitant  de  l'amour  que 
nous  devons  avoir  pour  Dieu,  et  non  de  l'amour  de  Dieu  pour  nous, 
ces  termes  :  Divini  signaculum  amoris  ào'wawi  plutôt,  selon  le  sens 
du  livre,  se  traduire  ainsi  :  «  Sceau  de  l'amour  de  Dieu.  » 

Nous  l'avons  déjà  vu,  par  la  manière  d'entendre  l'image  de  Jésus 
endormi  dans  le  cœur  ou  sur  le  cœur;  nous  le  verrons  tout  à  l'heure 
par  rapport  au  sceau  ou  aux  armoiries  de  la  Visitation  ;  l'esprit  du 
saint  évêque  de  Genève  tendait  principalement  vers  cet  ordre  d'idées, 
il  le  faisait  conformément  aux  dispositions  générales  de  son  temps, 
dispositions  que  nous  nous  sommes  efforcé  de  constater,  avec  la 
pensée  précisément  de  bien  faire  comprendre  ce  qui  se  passa  rela- 
tivement à  cette  question  du  blason  de  son  cher  institut. 

Avant  de  l'aborder,  on  se  rappellera  ce  portrait  de  sainte  Chantai, 
peint  par  Restout,  gravé  par  Tardieu,  où  la  Sainte  porte  dans  sa 
main  un  cœur,  marqué  du  monogramme  de  Jésus  (pi.  vn,  fig.  8),  et 
l'on  se  rendra  bien  compte  désormais  que  ce  cœur  est  très  proba- 
blement celui  de  la  Sainte  et  non  le  divin  Cœur.  En  effet,  ce  n'est 
guère  qu'à  la  sainte  Vierge,  dans  le  sens  que  nous  exposerons  plus 
loin,  et  à  sainte  Catherine  de  Sienne,  en  tant  que  le  Cœur  de  Jésus 
est  devenu  le  sien,  qu'il  peut  convenir  de  porter  le  Cœur  Sacré  dans 
leurs  mains.  Communément,  on  ne  doittenir  dans  sa  main  que  son 
propre  cœur  pour  l'offrir  :  c'est  ainsi  qu'on  a  représenté  la  Charité 
et  le  Sauveur  lui-même  tenant  leur  cœur  dans  leurs  mains. 

Les  mêmes  observations  s'appliquent  à  une  gravure  de  notre  col- 
lection, représentant  l'abbesse  de  l'Assomption,  à  Paris,  1687,  de 
l'ordre  des  Augustines.  Cette  religieuse  porte  également  le  mono- 
gramme de  Jésus  à  la  fois  sur  sa  croix  pectorale  et  sur  son  cœur 
tenu  dans  sa  main,  <',œur  enflammé  par  la  présence  du  Sauveur. 

Il  est  d'autres  représentations  du  cœur  à  la  même  époque  que 
nous  ne  saurions  vraiment  comment  interpréter  dans  l'un  et  l'autre 
sens ,  tant  les  motifs  se  partageraient  pour  y  voir,  soit  le  Cœur  de 
Jésus,  soit  le  cœur  du  fidèle,  si  des  textes  explicatifs  ne  venaient 
nous  éclairer.  Nous  citerons  par  exemple  le  sceau  des  dames  de 


■170  LES   IMAGES   DU   SACRÉ-COEUR 

la  congrégation  de  l'Union  chrétienne,  fondée  en  1661,  par  Jean- 
Antoine  le  Vacher,  un  de  ces  vénérahles  prêtres  qui  rayonnent 
autour  de  saint  Vincent  de  Paul.  Sur  ce  sceau  on  voit  un  cœur  en- 
flammé, surmonté  d'une  croix',  accompagné  de  cette  légende  :  In 
caritate  Dei  et  patientia  Chrisii.  Les  mots  «  Union  chrétienne  »  for- 
ment l'exergue.  Selon  notre  manière  actuelle  déjuger,  un  cœur 
ainsi  représenté  semblerait  être  le  divin  Cœur,  auquel  la  légende 
peut  parfaitement  s'appliquer,  ce  Cœur  Sacré  étant  l'expression  de 
la  charité  divine  et  de  la  patience  du  Dieu  fait  homme.  Notre  hésita- 
tion ne  pourrait  venir  que  de  la  connaissance,  fruit  d'une  étude  spé- 
ciale, de  l'esprit  du  XVIP  siècle  à  cet  égard.  Effectivement,  dansles 
règles  et  constitutions  imprimées  en  1728,  pour  la  pieuse  Congré- 
gation dont  nous  parlons,  il  est  dit  :  «  Que  l'Institut  est  sous  la  pro- 
tection de  la  sainte  Famille  et  que  son  esprit  est  la  charité,  fondée 
en  l'amour  de  Dieu  et  du  prochain,  et  en  l'imitation  de  Notre-Sei- 
gneur  Jésus-Christ;  c'est  ce  que  signifient  l'empreinte  et  la  devise 
du  cachet  dont  se  servent  les  communautés  (de  l'Institut).  » 

N'est-on  pas  en  droit  de  conclure  que  le  cœur  est  dans  la  cir- 
constance le  symbole  de  la  charité  chrétienne,  s'appliquant  à  Dieu 
et  au  prochain,  et  que  la  patience  dont  il  s'agit  est  aussi,  comme 
dans  «  le  Cœur  crucifié  »  du  franciscain  Pierre  Regnart,  celle  que 
le  chrétien  pratique  à  l'imitation  de  Jésus-Christ  et  en  se  fondant 
sur  le  divin  modèle?  Il  est  vrai  que  le  Cœur  de  Jésus  est  aussi  le 
type  de  la  charité  et  de  la  patience  chrétienne.  Notre  but  d'ailleurs 
n'est  pas  de  trancher  la  question,  en  déterminant  les  intentions  des 
pieux  fondateurs  de  cet  institut.  Il  est  certain  qu'une  image  ainsi 
formée  est  parfaitement  convenable  pour  élever  la  pensée  vers  le 
divin  Cœur  et  servir  à  l'honorer.  Nous  voulons  seulement  faire  de 
plus  en  plus  apercevoir,  qu'à  l'époque  de  cette  fondation,  on  n^envi- 
sageait  pas  les  choses  et  on  ne  les  représentait  pas  avec  la  même 
précision  qu'on  le  fait  aujourd'hui  grâce  à  l'apostolat  de  la  bien- 
heureuse Marguerite-Marie. 


*  Les  constitutions  portent  que  du  cœur  enflammé  il  sortira  un  crucifix  ;  mais 
sur  le  cacliet  du  couvent  de  l'Union  chrétienne,  à  Fontenay,  qui  nous  a  été  com- 
muniqué, on  voit  seulement  une  croix. 


SACRE  -  CŒUR 


PL.vn 


IMAGES   INSPIREES  PAR  LA  B^.^  MT^  M"^  ALVCOOUE 
Fia  1,  'J.J  et  4' ;  nuffW  l/mM&c.âti  13 


'TH    CAUVIW .  POiri€RS  . 


AU    POINT   DE    VUE    DE   l'hISTOIRE   ET    DE   l'aRT  171 

IV. 

S.  François  de  Sales  écrivait  à  Ste  Chantai  le  10  juin  1611  :  «Dieu 
m'a  donné  cette  nuit  la  pensée  que  notre  maison  de  la  Visitation 
est  par  sa  grâce  assez  noble  pour  avoir  ses  armes,  son  blason,  sa 
devise  et  son  cri  d'armes.  J'ai  donc  pensé,  ma  chère  Mère,  si 
vous  êtes  d'accord,  qu'il  nous  faut  prendre  pour  armes  un 
unique  Cœur  percé  de  deux  flèches,  enfermé  dans  une  couronne 
d'épines.  Ce  pauvre  Cœur  servant  de  support  dansl'enclavure  à  une 
croix  qui  le  surmontera  et  sera  gravé  des  sacrés  noms  de  Jésus  et 
de  Marie.  Le  Sauveur  mourant  nous  a  enfantés  par  l'ouverture  de 
son  Sacré-Cœur  ;  il  est  donc  bien  juste  que  notre  cœur  demeure  par 
une  soigneuse  mortification,  toujours  environné  de  la  couronne 
d'épines,  qui  demeure  sur  la  tète  de  notre  chef,  tandis  que  l'amour 
le  tient  attaché  sur  le  trône  de  ses  mortelles  douleurs.  » 

Cette  proposition  fut  adoptée  avec  empressement,  et  en  consé- 
quence le  Couttimier  des  religieuses  de  la  Visitation,  dressé  par 
Ste  Chantai,  contient  (p.  99)  un  article  ainsi  conçu  :  «  Le  sceau  de 
tous  les  monastères  sera  gravé  d'un  cœur  au  milieu  duquel  il  y 
aura  les  très  saints  noms  de  Jésus  et  de  Marie  ensemble,  environné 
d'une  couronne  d'épines  et  traversé  de  deux  flèches  avec  une  petite 
croix  dont  le  bout  d'en  bas  sera  dans  l'enclavure  du  cœur  et  le 
croison  en  dedans  de  la  couronne.  »  Dans  la  planche  annexée  à  ce 
Coutumier  imprimé  en  1637,  planche  mise  obligeamment  sous 
nos  yeux  par  les  religieuses  de  la  Visitation  à  Paris  et  à  Poitiers,  le 
sceau  représenté  est  en  effet  parfaitement  conforme  à  cette  descrip- 
tion et  au  spécimen  donné  (pi.  VII,  fig.  5). 

M.  l'abbé  Bougaud,  après  avoir  cité  le  texte  du  Coutumier,  dit  à 
ce  sujet  '  :  «  S.  François  a  donné  pour  armes  et  pour  blason  à  son 
institut  le  Cœur  même  de  Jésus  couronné  d'épines,  les  religieuses 
le  porteront  gravé  sur  leurs  croix  pectorales,  il  rayonnera  en  tète 
de  tous  leurs  actes  privés  ou  publics,  il  servira  de  cachet  à  leurs 
lettres.  On  le  sculptera  sur  les  portes  extérieures  des  monastères  ; 
c'est  ainsi  qu'un  architecte,  après  avoir  construit  un  palais,  met  au- 

*  Bougaud,  Hist.  de  la  B.  Marguerite-Marie,  in-12.  Paris,  1875,  p.  190. 


172  LES  IMAGES   DU   SACRÉ-COEUR 

dessus  de  l'entrée  d'honneur  l'écusson  du  noble  Seigneur  qui  va 
y  habiter  ». 

Nous  avons  vu  en  effet  que  le  Cœur  do  Jésus  avait  été  gravé  sur 
la  croix  pectorale  que  portent  les  religieuses  de  la  Visitation,  et 
c'est  là  un  véritable  prélude  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur.  Quant  à 
l'écusson  de  l'ordre,  le  pieux  auteur  cède  à  une  opinion  généra- 
lement répandue,  par  suite  même  de  la  prépondérance  prise  posté- 
rieurement par  la  représentation  du  Cœur  sacré  de  Jésus,  de  préfé- 
rence à  celle  de  tout  autre  cceur,  si  bien  que  dans  l'ordre  même  de 
la  Visitation,  il  y  a  eu,  il  y  a  encore  des  incertitudes  et  des  oscil- 
lations sur  la  manière  d'inscrire  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie  que 
doit  porter  leur  écusson  :  quelques  maisons  de  l'ordre  n'y  font  graver 
que  le  nom  de  Jésus,  dans  la  persuasion  que  ce  nom  placé  sur  le 
cœur  indique  celui  du  divin  Sauveur;  d'autres,  en  beaucoup  plus 
grand  nombre,  continuent  d'inscrire  les  monogrammes  de  Jésus  et 
de  Marie  combinés.  Les  noms  de  Jésus  et  de  Marie,  par  \k  même 
qu'ils  sont  réunis,  ne  peuvent  désigner  spécialement  le  Cœur  de 
Jésus,  à  moins  que  ce  ne  soit  dans  ce  sens  que  moralement  les  deux 
Cœurs  de  Jésus  et  de  Marie  ne  font  qu'un.  C'est  effectivement  de 
la  sorte  que  l'a  entendu  le  vénéré  Père  Eudes,  quand  il  a  adopté 
lui-même,  pour  insigne  de  sa  congrégation,  un  cœur  portant  les 
imnges  de  Jésus  et  de  Marie  (pi.  IV,  fig.  10)  :  nous  en  donnerons 
bieniôt  la  preuve.  Mais  S.  François  de  Sales  n'entendait  même  pas 
faire  représenter  le  Cœur  de  Jésus  et  de  Marie  dans  ce  sens  large, 
puisqu'il  dit  expressément  :  «  Ce  pauvre  cœur...  Notre  cœur...  » 
La  couronne  d'épines  et  la  croix  étaient  donc  attribuées  à  «  ce 
pauvre  cœur  »  en  esprit  de  conformité  et  d'identification  avec  le 
Cœur  du  Sauveur.  Le  cordelier  de  Fontenay  est  allé  bien  plus  loin 
dans  cette  voie,  puisqu'il  a  attribué  au  cœur  du  chrétien  jusqu'au 
coup  de  lance  qui  perça  le  Cœur  divin.  C'est  du  reste  le  seul  exemple 
que  nous  en  connaissions,  et  l'on  peut  dire  que  sa  blessure  sacrée  est 
la  caractéristique  la  plus  absolument  propre  au  Cœur  de  Jésus. 
Quant  aux  flèches,  leur  attribution  est  très  vague  et  flexible.  Nous 
les  avons  vues  au  cœur  de  Marie,  correspondant  aux  clous  qui 
percent  le  Cœur  de  son  divin  Fils  (pi.  V,  fig.  6).  Le  souvenir  de 
Ste  Thérèse  percée  d'une  flèche  devrait  porter,  ce  semble,  à  se 
servir  de  cet  emblème^  pour  exprimer  les  plus  vives  ardeurs  de 


AU   POINT    DE    VUE    DE    l'hISTOIRE   ET    DE    l'aRT  173 

l'amour  divin  dans  les  saintes  âmes.  C'est  en  ce  sens  que  nous 
interprétons  l'en-tète  d'une  Vie  de  S.  Thomas  de  Villeneuve,  publiée 
à  Valence,,  sa  ville  épiscopale,  en  1620  '  :  un  écusson  ovale  contient 
un  cœur  percé  d'une  flèche,  et  marqué,  au  dessous  de  la  flèche,  de 
trois  points  qui  rappellent  indubitablement  non  les  trois  clous,  mais 
leurs  blessures,  encore  dans  un  esprit  d'assimilation.  Le  tout  est 
surmonté  d'un  chapeau  à  glands,  chapeau  épiscopal,  et  autour 
de  l'écusson  on^  lit  cette  légende,  cor  mevm  vulnerasti.  N'est-ce 
pas  le  cœur  de  S.  Thomas  qui  a  été  blessé  de  l'amour  de  Dieu, 
comme  celui  de  Ste  Thérèse  ?D'un  autre  côté,  on  voit,  au  frontispice 
des  œuvres  de  Jean  d'Avila  traduites  par  Arnault  d'Andilly  (Paris, 
in-fol.  1673)^,  un  cœur,  rayonnant,  portant  une  légère  indication  de 
la  plaie  sacrée,  surmonté  de  la  couronne  d'épines,  et  que  deux 
anges  se  préparent  à  percer  de  dards  qu'ils  tiennent  à  la  main. 
Nous  croyons  que  ce  cœur  est  celui  de  Jésus,  et  qu'il  est  ainsi 
représenté,  comme  on  le  voit  de  celui  de  Marie,  dans  une  vignette 
des  Fasti  mariani  que  nous  reproduisons,  (pi.  IV,  lig.  8),  pour  dire 
comment  ces  cœurs  sacrés  peuvent  être  atteints  par  les  traits  de  la 
prière  comme  par  des  flèches.  On  se  souviendra  aussi  que  le  Cœur 
de  Jésus  apparut  une  fois  à  la  bienheureuse  Marguerite-Marie 
«  percé  à  jour  comme  un  abîme  sans  fond  creusé  par  une  flèche 
sans  mesure  »  '\  Les  flèches  pouvaient  donc  être  appropriées  au 
divin  Cœur  lui-même  *. 

*  \ida  y  Mclagros  del  illus...  Thomas  de  Villanova,  in-'i",  par  Miguel  Salon. 
(Coll.  Desjardins.) 

^  Coll.  Desjardins. 

^  Bougaud,  Hisl.  de  la  B.  Marguerite-Marie. 

*  Nous  avons  dit  un  mot  (p.  145,  note)  des  marques  de  Nicole  et  d'Antoine  de 
la  Barre  (imp  à  Paris  de  1497  à  1518  et  de  1531  à  1533)  :  elles  méritent  une 
mention  plus  détaillée.  Mcole  s'était  d'abord  contenté  de  placer  dans  son  blason 
typographique  (v.  p.  174)  un  cœur,  d'un  modèle  très  primitif  et  devenu  banal  par 
l'emploi  presque  identique  qu'en  firent  un  grand  nombre  d'imprimeurs  au 
XV"  siècle  :  il  remplaça  bientôt  cette  marque  par  une  autre  oi!i  la  croix  subsiste 
au-dessus  du  cœur,  mais  cA  continuée  sur  le  cœur  même  par  une  flèche  qui  fait, 
supposons-nous,  la  barre.  Son  fils  Antoine  adopta  le  même  emblème.  Ces  deux 
dernières  marques  portent  de  plus  l'une  et  l'autre  les  monogrammes  de  Jésus 
et  de  Marie,  mais  avec  cette  différence  que  dans  la  première  ils  sont  placés  au- 
dessus  et  en  dehors  du  Cœur  comme  dans  la  marque  de  Mathieu  Vivian  (p.  319) 
et  dans  la  seconde  à  l'intérieur  du  Cœur  comme  dans  le  Cœur  crucifié  du  Corde- 
lier  de  Fontenay  et  dans  le  Cœur  renversé,  qui  provient  de  Saint-Bertrand  de 


474  LES    IMAGES   DU   SACRÉ-COEUR 

Quant  aux  noms  de  Jésus  et  de  Marie  dans  le  Cœur,  on  voit  par  la 
gravure  du  Coutumier  imprimé  en  1637,  que  dès  lors  ils  étaient 
exprimés  par  leurs  monogrammes  entremêlés  :  témoin,  de  nos 
jours  encore,  le  sceau  du  couvent  de  Paray-le-Monial,  reproduit 
(pi.  vu,  fig.  5),  ceux  des  couvents  de  Chambéry,  d'Orléans,  de 
Nantes,  de  Poitiers,  de  Paris,  qui  nous  ont  été  communiqués  ; 
celui,  enfin,  du  couvent  d'Annecy,  qui  est  gravé  en  tète  de  V Année 
sainte  de  la  Visitation,  imprimée  en  cette  ville  (1867).  Cependant, 
en  voyant  ces  empreintes,  il  nous  est  venu  à  la  pensée  qu'on  aurait 
dû  y  faire  figurer  un  trait  horizontal,  pour  compléter  la  lettre  H  du 
nom  de  Jésus.  Effectivement  nous  avons  rencontré  cette  combinai- 
son dans  un  cœur  percé  de  flèches,  surmonté  de  la  croix  et  entouré 
de  la  couronne  d'épines,  c'est-à-dire  dans  l'écusson  delà  Visitation, 

Comminge.  Le  Cœur  dans  la  première  est  accompagné  de  tètes  de  morts  et  d'os- 
sements avec  cette  devise  :  Mors  omnibus  eqiia.  Dans  la  seconde,  les  ossements 
étant  relégués  à  une  place  secondaire,  celle  qu'ils  occupaient  est  cédée  aux  ins- 
truments de  la  Passion,  avec  cette  autre  devise  :  Anna  nostre  salutis.  Les  instru- 


Première  marque  de  Nicole  de  la  Barre. 

ments  do  la  Passion  porteraient  à  penser  que  le  Cœur  est  celui  de  Jésus  mais  la 
devise  jointe  aux  noms  de  Jésus  et  de  Marie  lève  à  nos  yeux  toute  incertitude.  Les 
souvenirs  de  la  Passion,  ou  mieux  encore  les  mérites  de  la  Passion  recueillis  par 
Notre-Seigneur,  sont  des  armes  au  service  du  fidèle  qui  porte  Jésus  et  RLtrie  dans 
son  cœur. 


AU   POINT    DE    VUE    DR    l'hISTOIRE   ET   DE    l'aRT  175 

placé  en  tête  des  Vrais  entretiens  du  bienheureux  François  de  Saies 
(in-12,  Lyon,  1632  ').  Nous  donnons  (pi.  i.  fig.  S)  un  spécimen  des 
deux  monogrammes  ainsi  combinés.  Une  combinaison  analogue  des 
noms  de  Jésus  et  de  Marie  se  voit  dans  un  extrait  des  œuvres  spiri- 
tuelles du  Père  Paul  de  Barry,  S.  J.,  publié  à  Lyon  en  1648  ^  La 
lettre  M  seule,  sans  l'A,  y  tient  lieu  du  nom  de  Marie  ^  et  le  mono- 
gramme ainsi  formé,  au  lieu  d'être  renfermé  dans  le  cœur  percé  de 
flèches,  surmonte  le  cœur  accompagné  des  trois  clous. 


Sous  l'empire  des  dispositions  qui  tendaient  partout  à  faire  subs- 
tituer le  Cœur  de  Jésus  à  celui  du  fidèle,  là  oi^i  celui-ci  avait  été 
d'abord  représenté,  certaines  maisons  de  la  Visitation  en  étaient 
venues,  avons-nous  dit,  à  n'inscrire,  dans  le  cœur  de  leur  écusson, 
que  le  monogramme  de  Jésus.  Nous  en  donnons  pour  exemple 
(pi.  VH,  fig.  6)  le  sceau  du  couvent  de  Boulogne-sur-Mer.  M.  Léon 
Aubineau,  dans  un  petit  livre  qu'il  a  publié  sur  le  pèlerinage  de  Paray- 
le-Monial,  après  aroir  cité  les  propres  paroles  de  S.  François  de 
Sales,  dans  sa  lettre  do  1611,  ajoute  ;  «  Ces  armoiries,  telles  que 
le  saint  évêqu^les  indique,  ont  été,  en  effet,  adoptées  par  la  Visita- 
tion. On  les  voit  sculptées  aux  portes  de  qtielques  monastères,  et 
V Armoriai  générai  de  France,  au  registre  Bourgog7ie-Charolais^  les 
blasonne  de  la  main  de  d'Hozier,  sur  fond  d'o-F,  cœur  percé  de  flèches 
marqué  de  1 H  S  entouré  d'une  couronne  d'épines  ;  et  d'Hozier 
reconnaît  qu'elles  appartiennent  au  couvent  des  religieuses  de  la 
Visitation  Sainte-Marie  de  Paray-le-Monial  *  » .  L'auteur  n'a  pas  remar- 

'  Coll.  Desjardins. 

^  La  pratique  des  vertus,  recueillie  des  Œuvres  spirituelles  du  R.  P.  du  Barry. 
(Coll.  Desjardins). 

^  M.  Grand,  dans  V Histoire  populaire  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur,  dit  que  sur 
le  frontispice  de  l'ancienne  église  de  la  Visitation  (rue  Sairït-Antoine,  216,  à  Paris), 
actuellement  église  protestante,  édifice  datant  de  1634,  on  voit  dans  le  cœur  les 
sigles  IMS;  mais  c'est  une  méprise  reconnue  par  l'auteur  qui  la  fera  disparaître 
dans  une  seconde  édition  de  son  excellent  petit  ouvrage.  En  réalité,  le  frontispice 
dont  il  s'agit  a  été  récemment  réparé  et,  depuis  cette  réparation,  on  ne  voit  plus 
dans  le  cœur  que  le  monogramme  seul  de  Marie. 

■'*  Paray-le-Monial  et  son  monastère  de  la  Visitation.  Paris,  1873,  p.  37. 


176  LES    IMAGES    DU   SACRÉ- COEUR 

que  que  ces  indications  ne  sont  pas  absolument  conformes  aux  ter- 
mes de  S.  François,  d'après  lesquels  le  nom  de  Marie  doit  être  asso- 
cié à  celui  de  Jésus  ;  et  que  le  couvent  de  Paray-le-Monial  est  revenu 
à  cette  association,  s'il  est  vrai  que  pendant  un  temps  il  l'ait  aban- 
donnée. 

Nous  n'osons  en  effet  affirmer  que  ce  couvent,  et  beaucoup  d^au- 
tres  qui  sont  dans  le  même  cas,  relativement  à  V Armoriai  de 
France,  aient  modifié  leurs  armes  à  la  fin  du  XYII*^  siècle  dans  le 
sens  indiqué,  bien  que  la  chose  devienne  certaine,  si  l'on  doit  prendre 
à  la  lettre  les  termes  de  cet  Armoriai.  En  effet,  les  voici  d'après 
l'original  que  nous  avons  soigneusement  consulté  : 

T.  I  de  Bourgogne  (VP  de  la  collection),  p.  981,  article  Charolles: 

«  N**  1,  le  couvent  de  la  Visitation  Sainte-Marie  de  Charolles. 

Porte  d'or  à  un  cœur  de  gueules,  percé  de  deux  flèches  d'or  empen- 
nées d'argent,  passées  en  sautoir  au  sommet  du  cœur  qui  est  chargé 
d'un  nom  de  Jésus  d'or,  une  croix  de  sable  fichée  dans  l'oreille  du 
cœur,  le  tout  enfermé  d'épines  de  sinople,  ces  épines  ensanglantées 
de  gueules. 

N**  2,  le  couvent  des  religieuses  de  la  Visitation  Sainte-Marie  de 
Paray  porte  de  même  que  dessus.  » 

Dans  le  même  volume,  les  couvents  de  la  Visitation  de  Beaune, 
d'Autun,  de  Montluce  en  Bresse,  sont  mentionnés  comme  portant 
les  mêmes  armes  avec  de  légères  modifications  dans  les  termes.  A 
Dijon,  on  a  omis  le  nom  de  Jésus  ;  à  Bourg,  la  mention  de  la  croix  : 
ce  sont  très  probablement  des  fautes  de  rédaction.  A  deux  couvents 
de  la  Visitation  de  Lyon  (vol.  XVIIl  de  la  collection,  p.  9  et  29) 
sont  attribuées  exactement  les  mêmes  armes  qu'à  ceux  du  Charol- 
lais;  une  semblable  observation  s'applique  au  couvent  de  Poitiers. 
(T.  XXVIII  de  la  collection,  p.  98).  Le  même  fait  serait  certaine- 
ment constaté  pour  beaucoup  d'autres  monastères  de  l'ordre,  si  l'on 
poursuivait  ses  recherches  dans  les  trente  et  quelques  gros  volumes 
in-fol.  de  V Armoriai. 

La  généralité  même  de  cette  substitution  du  nom  de  Jésus  seul 
aux  noms  de  Jésus  et  de  Marie  réunis,  nous  à  fait  naître  des  doutes 
sur  la  portée  qu'on  devait  lui  attribuer.  A  Paris,  il  est  incontesta- 
ble qu'à  cette  époque  (1697),  les  couvents  de  la  Visitation  avaient 


AU   POINT   DE    VUE   DE   l'hiSïOIRE   ET   DE   l'aRT  177 

conservé  dans  leurs  armes  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie.  Voici  en 
effet  en  quels  termes  l'.-lrmona/ mentionne  deux  d'entre  eux  : 

«  N°  1688.  Le  couvent  des  religieuses  de  la  Visitation  du  Faubourg 
Saint-Jacques  ; 

«  Porte  d'or  à  un  cœur  de  gueules,  percé  de  deux  flèches  d'or, 
enpennées  d'argent,  passées  en  sautoir  au  travers  du  cœur  chargé 
d'un  nom  de  Jésus  et  de  Marie  d'or,  une  croix  de  sable  fichée  dans 
Toreille  du  cœur,  le  tout  entouré  d'une  couronne  d'épines  de  Sino- 
ple,  les  pointes  ensanglantées  de  gueules,  et  autour  est  écrit  : 
Second  monastère  de  la  Visitation  +.  Paris  (t.  XXIV  de  la  collection 
IP  de  Paris,  p.  482).  » 

A  la  page  suivante  (n°  2034),  le  troisième  monastère  celui  du 
Faubourg  Saint-Germain,  est  indiqué  comme  portant  les  mêmes 
armes. 

D'un  autre  côté,  on  a  des  preuves  que  des  confusions  s'étaient  éta- 
blies entre  le  monogramme  de  Jésus  et  les  monogrammes  de  Jésus 
et  de  Marie  réunis,  si  bien  que  la  réunion  des  deux  monogrammes  a 
pu  être  prise  pour  une  forme  du  monogramme  de  Jésus  ;  nous  en 
reproduisons  un  exemple  (pi.  VI,  fig.  4),  emprunté  à  une  image  de 
S.  Ignace,  qui  nous  paraît  devoir  remonter  tout  au  moins  au  milieu 
du  XVIIe  siècle  '.  Les  commissaires  départis  dans  les  provinces  pour 
recueillir  les  armoiries  et  les  faire  enregistrer,  ont-ils  fait  cette  con- 
fusion ^?  Nous  ne  le  croirions  pas  impossible.  Cependant,  dans  qnel- 

*  Elle  porte  ce  titre  :  b.  ignativs  de  loiola  Religionem  Societatis  iesv 
fiirente  in  eclesia  (sic)  Luthero  singiilari  Dci  providentia  féliciter  inslituit.  Anno 
Dominico  incaniationis  15A0.  Au-dessus  de  l'image  sont  représentés,  de  chaque 
côté  de  l'écusson,  S.  Ignace  guéri  par  S.  Pierre  et  sa  mort  dans  deux  médaillons 
circulaires.  Dans  les  Fondateurs  d'ordres,  du  P.  Binet,  en  regard  de  son  écusson 
ordinaire,  un  autre  écusson  portant  le  monogramme  et  le  cœur  de  Marie  percé 
de  l'épée,  est  aussi  attribué  à  S.  Ignace. 

*  Il  s'agissait  d'une  mesure  de  finances.  Tous  ceux  qui  portaient  armoiries, 
familles  particulières,  communautés  religieuses,  communautés  civiles,  étaient 
obligés  à  l'enregistrement,  et  l'enregistrement  soumis  à  une  taxe  qui  variait  de 
25  à  50  livres.  Porter  des  armoiries  était  un  fait,  on  n'en  demandait  pas  la  justi- 
fication comme  droit  spécial  ;  au  contraire,  ceux  qui,  portant  des  armoiries  à  un 
titre  quelconque  ne  se  présentaient  pas,  étaient  enregistrés  et  taxés  d'office. 
'L'Armoriai  contient  l'ensemble  des  registres  réunis  par  d'Hozier,  mais  non  rédi- 
gés de  sa  main. 

Il"  série,  torae  XL  12 


178  LES   IMAGES   DU   SACRÉ-COEUR 

ques  occasions,  ils  ont  très  bien  su  distinguer  les  monogrammes 
de  Jésus  du  double  monogramme  de  Jésus  et  de  Marie.  Nous  en 
avons  trouvé  des  exemples  dans  le  volume  même  de  la  généralité 
de  Poitiers,  où  on  lit^  p.  99,  n"  331  :  «  Les  religieuses  de  Sainte- 
Catherine  de  Sienne,  de  Poitiers,  portent  d'argent  à  un  cœur  de 
gueules,  chargé  d'un  nom  de  Jésus  d'or  et  sommé  de  trois  clous 
appointés  de  sable  mouvant  de  l'oreille  du  cœur,  le  tout  enfermé 
dans  une  couronne  d'épines  de  sinople  ;  »  plus  loin,  p.  333.,  n"  237, 
couvent  de  Notre-Dame  à  Fontenay  «  porte  d'azur  à  un  chiffre  des 
noms  de  Jésus  Maria  d'or  ».  Dans  le  premier  cas^  le  cœur  faisant 
allusion  au  Cœur  de  Jésus,  substitué  à  celui  de  Ste  Catherine  de 
Sienne,  il  n'est  pas  douteux  que  le  nom  de  Jésus  ne  fût  seul  figuré 
sans  celui  de  Marie  et  qu'il  ne  désignât  le  Cœ'ur  comme  étant  celui 
du  Sauveur  ;  tandis  que  dans  le  second  cas,  le  double  monogramme 
est  parfaitement  déterminé.  Ainsi,  probablement,  un  certain  nombre 
de  couvents  de  la  Visitation  —  sous  l'empire  de  cette  idée,  partagée 
encore  aujourd'hui  par  des  écrivains  du  plus  grand  poids  comme 
M.  l'abbé  Bougaud  et  M.  Léon  Aubineau,  que  le  cœur  repré- 
senté dans  leurs  armes  est  celui  de  Jésus  —  en  étaient  venus  à 
substituer  aux  monogrammes  de  Jésus  et  de  Marie  réunis,  le  mo- 
nogramme seul  de  Jésus.  11  fallait  recourir  à  ce  changement  pour 
s'adapter  à  la  signification  qui  avait  prévalu.  Nous  supposons  que 
la  plupart  de  ces  maisons  ont  été  ramenées  à  l'usage  primitif  par 
l'étude  de  leur  Coutumier  et  par  l'exemple  des  maisons  qui  l'avaient 
conservé.  Mais  il  y  en  a  eu  oii  le  changement  introduit  s'est  main- 
tenu, et  c'est  ainsi  que  nous  expliquons  la  différence  constatée  entre 
le  sceau  de  Boulogno-sur-Mer,  et  ceux  de  tous  les  autres  couvents 
du  môme  ordre,  dont  il  nous  a  été  donné  de  prendre  connais- 
sance. 

La  vignette,  tirée  de  l'un  des  petits  traités  de  la  dévotion  au  Sacré 
Cœur,  qui  s'étaient  multipliés  au  commencement  du  XYIll°  siècle  ', 
que  nous  reproduisons  (pl.YI,  fig.  7)  ne  semble-t  elle  pas  d'ailleurs 
indiquer  que  la  substitution  du  monogramme  de  Jésus  au  double 
monogramme  dans  le  cœur  percé  de  flèches  s'était  vraiment  accré- 
ditée à  cette  époque? 

*  La  Dcvotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus-Christ,  7»  édition,  in-12.  Aurillac,  1728. 
(Coll.  Desjardins.) 


AU    POINT   DE   VUE    DE    l'hISTOIRR   ET    DE    l'aRT  179 

Bien  plus  ancienne  est  l'estampe  *  à  laquelle  nous  empruntons  la 
curieuse  combinaison  des  noms  de  Marie  et  de  son  divin  Fils  (pi.  YI, 
fig.  5),  accompagnée  du  cœur  de  Marie  percé  du  glaive.  Elle  re- 
monte au  moins  à  la  première  moitié  duXYII"  siècle,  peut-être  même 
à  la  fin  du  XV1°.  On  remarquera  que  le  nom  de  Marie,  exprimé  par 
la  réunion  complète  de  toutes  les  lettres,  renferme  en  quelque  sorte 
le  X  signifiant  le  Christ.  Ce  double  monogramme  est  placé  au  pied 
de  la  croix  où  le  divin  Sauveur  est  suspendu.  La  sainte  Vierge  et 
saint  Jean  sont  à  ses  côtés,  les  instruments  de  la  Passion  tout  au- 
tour, le  tout  est  couronné  par  le  monogramme  de  Jésus  placé  avec 
les  clous  au-dessus  du  titre  de  la  croix,  au  sommet  de  l'instrument 
du  salut. 


VI 


Deux  cœurs  unis  par  un  même  amour  peuvent  être  considérés 
comme  ne  faisant  qu'un  seul  cœur,  et  les  noms  de  Jésus  et  de  Marie 
dans  les  armoiries  de  la  Visitation  pourraient  être  interprétées 
dans  ce  sens,  si  la  lettre  de  saint  François  de  Sales  ne  l'avait  déter- 
miné autrement.  Néanmoins,  dans  la  suite,  par  l'effet  de  la  tendance 
croissante  à  représenter  le  Cœur  de  Jésus  préférablement  à  celui  du 
fidèle,,  si  on  a  pu  interpréter  l'écusson  dont  il  s'agit  comme  repré- 
sentant le  divin  Cœur  dans  un  sens  personnel,  on  a  pu,  à  plus  forte 
raison,  eu  égard  aux  noms  réunis  de  Jésus  et  de  Marie,  le  considérer 
comme  exprimant  cette  idée  que  leurs  très  saints  Cœurs  n'en  fai- 
saient qu'un. 

Il  est  incontestable,  au  contraire,  que,  jusqu'à  saint  François  de 
Sales,  on  avait  plutôt  représenté  le  cœur  du  fidèle  portant  Jésus- 
Christ.  Cependant  on  avait  aussi,  nous  le  croyons^  représenté  l'union 
des  cœurs  de  Jésus  et  de  Marie  en  un  seul  cœur.  Nous  interprétons 
en  effet  dans  ce  sens  la  disposition  suivante  observée  dans  une  sta- 
tue de  la  Vierge-Mère,  découverte,  à  la  fin  du  siècle  dernier,  à  Or- 
nans  (Doubs),  et  qui,  généralement,  a  paru  remonter  au  milieu  du  XVP 
siècle.  Portant  l'Enfant-Jésus  sur  son  bras  gauche,  elle  soutient  de  la 
main  droite  un  cœur  en  saillie  au  milieu  de  la  poitrine,  et  le  divin 

*  Cette  estampe,  de  caractère  tout  allemand,  est  signée  P.  C. 


480  LES   IMAGES   DU   SACRÉ- COEUR 

Enfant  passe  sa  main  droite  jusqu'au  poignet  derrière  ce  saint  cœur. 
«  Quoique  le  cœur  soit  très  effacé  par  le  temps,  d'après  un  grand 
nombre  de  témoins,  parmi  lesquels  il  faut  compter  Mgr  Paulinier, 
archevêque  de  Besançon,  il  est  bien  reconnaissable.  » 

Le  P.  Desjardins,  et  après  lui  les  PP.  Martorell  et  Castella,  ont 
signalé  une  gravure  de  Théodore  Fulden  (Anvers,  1658),  «  dans  la- 
quelle, •<)  selon  leurs  expressions,  pour  représenter  les  noces  mys- 
tiques de  l'Agneau,  il  faisait  figurer  le  Cœur  de  Jésus-Christ  attaché 
à  la  croix  et  entouré  de  flammes,  comme  le  principe  et  le  centre  de 
l'union  spirituelle  qui  se  contracte  dans  cette  alliance  du  divin 
Agneau  et  de  l'âme  fidèle  ».  Cette  image  indiquée  sans  le  nom  du 
graveur  est  certainement  la  même  que  nous  trouvons  décrite  dans 
les  Annales  franciscaines,  par  le  P.  Henry,  comme  ornant  un  livre 
de  même  date  du  P.  Henry  Jonghen.  franciscain  allemand,  imprimé 
à  Anvers,  sous  le  titre  :  Nuptise  Agni  sive  Discursiis  exhortatorii  pro 
vestionibiis,  profesionihus  et  jiibileis  religiosarum  (in-4°)  :  Les  Noces 
de  l'Agneau  011  exhortations  pour  les  vestures,  les  professions  et  les 
jubilés  des  religieuses.  Nous  en  empruntons  la  description  à  ces  dif- 
férents auteurs. 

En  haut,  à  droite,  Dieu  le  Père,  bénissant  ;  en  regard,  la  sainte 
Yierge  ;  au-dessous,  un  autel  et  l'Agneau  posé  debout  sur  une  co- 
lonne, qui  est  ornée  des  trophées  de  la  vie  religieuse  :  rosaire,  sca- 
pulaire,  ceinture  monacale,  cordon  franciscain.  Yis-à-vis,  l'àme  re- 
ligieuse, sous  la  figure  d'une  vierge  couronnée  de  roses,  foulant 
aux  pieds  les  vanités  du  monde  :  couronne,  sceptre,  bijoux,  trésors; 
tenant  un  crucifix  sur  son  cœur.  Une  main  sort  des  nuages  et  s'u- 
nit à  celle  de  la  religieuse.  Toutes  deux  ensemble  elles  supportent  le 
cœur  dont  nous  avons  parlé,  cœur  environné  do  flammes^  surmonté 
d'un  clou  et  de  la  croix.  L'Esprit-Saint  plane  au-dessus,  sous  forme 
de  colombe  ;  quelques  saints  personnages,  témoins  de  cette  union 
mystique,  apparaissent  dans  la  gloire.  Au-dessous  on  lit:  Venerunt 
nu'ptix  Agni  et  iixor  ejus  prseparavit  se  (Apec),  Le  temps  des  noces 
de  l'Agneau  est  venu  et  son  épouse  s'est  préparée. 

Le  P.  Desjardins,  ignorant  la  destination  de  cette  gravure,  a  pu 
croire  que  la  vierge  chrétienne,  dans  la  pensée  de  l'artiste,  pouvait 
représenter  l'Église,  interprétation  qui  n'exclurait  pas  l'idée  de  l'u- 
nion plus  spéciale  d'une  âme  avec  Dieu.  Pour  nous,  il  n'y  a  pas  de 


AU   POINT    DE    VUE    DE    l'hISTOIRE   ET    DE    l'aRT  181 

doute,  c'est  là  l'idée  principale  :  il  semble  en  résulter  que  le  cœnr 
représenté  n'est  pas  absolument  celui  du  Sauveur,  mais  qu'il  figure 
ce  divin  Cœur  et  celui  de  la  religieuse,  comme  ne  faisant  qu'un. 

Les  représentations  de  ce  genre  avaient  foncièrement  le  même 
objet  que  celles  du  mariage  mystique  de  sainte  Catherine,  fort  usi- 
tées dans  le  siècle  précédent  en  Italie,  comme  monuments  commé- 
moratifs  des  professions  religieuses.  Nous  possédons  dans  notre 
collection  les  actes  de  profession  sur  parchemin,  ornés  de  minia- 
tures, de  deux  religieuses,  appartenant  à  l'ordre  des  Jésuates  et  du 
monastère  de  la  Trinité  (à  Bologne).  L'un  est  de  1716,  l'autre  de 
1730  ;  en  tous  les  deux  la  même  idée  est  rendue  d'une  manière  plus 
générale.  La  miniature  du  second  de  ces  documents  offre  cette 
particularité  que  la  nouvelle  professe  tient  à  la  main  son  cœur  en- 
flammé pour  l'offrir  à  Dieu. 

Revenons  à  l'union  des  Cœurs  de  Jésus  et  de  Marie  dans  un  seul 
cœur  :  le  vénéré  Père  Eudes  va  nous  fournir  des  données  plus  pré- 
cises. Il  avait  adopté  lui-même  pour  emblème,  et  il  fit  adopter  pour 
sceau  de  la  congrégation  qu'il  a  fondée,  un  cœur  contenant  les  ima- 
ges de  Jésus  et  de  Marie.  L'exemple  que  nous  en  donnons  (pi.  IV, 
fig.  10),  se  trouve  en  tète  des  anciens  livres  à  l'usage  de  cette  con- 
grégation et  des  ouvrages  composés  par  son  pieux  fondateur.  Il  a 
été  pris  au  commencement  de  celui  de  ces  ouvrages  qu'il  a  publié 
en  1668,  sous  ce  titre  :  La  vie  et  le  royaume  de  Jésus  dans  lésâmes. 
Selon  M.  Grand  [Hist.  populaire  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur), 
cette  vignette  aurait  d'abord  paru  dans  un  livre  imprimé  à  Autun, 
vingt  ans  auparavant,  en  1648,  c'est-à-dire  dans  le  diocèse  même  où 
venait  de  naître  l'année  précédente  la  bienheureuse  Marguerite- 
Marie.  Les  Eudistes  ont  toujours  conservé  les  mêmes  insignes  etnous 
en  avons  sous  les  yeux,  comme  exemple,  le  sceau  du  collège  Ri- 
cheheu  à  Luçon,  qu'ils  ont  dirigé  pendant  une  vingtaine  d'années  '. 
Que  le  P.  Eudes  ait  entendu  représenter  de  la  sorte  le  Cœur  Sacré  de 

'  Le  sceau  dont  nous  parlons  e^t  circulaire  de  33  millimètres;  le  cœur  est  de 
forme  moins  archaïque  que  dans  la  vignette  ;  les  figures  de  Jésus  et  de  Marie  y 
sont  vues  de  trois  quarts  et  portent  chacune  un  nimbe.  Autour  des  deux  branches 
de  lis  et  de  roses  encadrant  les  mots  :  «  Vive  Jésus  et  Marie  »,  on  lit  comme 
seconde  légende  :  Congrcgalion  de  Jrsu.t  et  de  Marie  ;  puis  à  l'exergue  :  «  Mai-on 
de  Luçon  ». 


182  LES   IMAGES   DU    SACRÉ  COEUR 

Jésus  et  de  Marie  comme  ne  faisant  qu'un,  c'est  ce  qui  résulte  bien 
clairement  des  termes  suivants  :  ils  sont  empruntés  à  la  circulaire, 
adressée  par  lui,  le  29  juillet  1G72,  aux  six  maisons  de  son  ordre, 
pour  leur  prescrire  de  célébrer  désormais,  comme  fête  patronale 
au  20  octobre,  la  fête  du  Cœur  adorable  de  Jésus-Christ. 

«  Mes  très  chers  et  aimés  frères...,  quoique  jusqu'ici  nous 
n'ayons  pas  célébré  une  fête  propre  et  particulière  au  Cœur  adorable 
de  Jésus,  nous  n'avons  pourtant  jamais  eu  l'intention  de  séparer 
deux  choses  que  Dieu  a  unies  si  étroitement  ensemble,  comme  sont 
le  Cœur  très  auguste  du  Fils  de  Dieu  et  de  sa  bonne  Mère.  Au  con- 
traire, notre  dessein  a  toujours  été,  dès  le  commencement  de  notre 
Congrégation,  de  regarder  et  honorer  ces  deux  aimables  Cœurs 
comme  un  même  cœur  '.  » 

L'historien  du  vénérable  fondateur  dit  ailleurs  :  «  L'union  de  ces 
deux  Cœurs  (de  Jésus  et  de  Marie)  en  un  seul  cœur  est  un  des  ca- 
ractères les  plus  frappants  de  la  dévotion  de  notre  saint  Apôtre  ;  et 
nous  en  avons  un  témoignage  certain  dans  la  belle  prière  :  Ave  Cor 
sanctissimum  Jesu  et  Mariœ  :  «  Salut  très-saint  Cœur  de  Jésus  et  de 
Marie...  »  Néanmoins,  ajoute  l'auteur,  «  dans  l'institution  des  fêtes 
des  très-saints  Cœurs,  il  voulut  commencer  par  le  Cœur  de  Marie. 
En  cela  du  reste  il  ne  faisait  que  se  conformer  à  l'admirable  écono- 
mie qui  règle  ordinairement  les  conseils  de  la  Providence,  et  de 
même  que  Dieu  nous  a  donné  Jésus  par  Marie,  pour  nous  ouvrir 
un  accès  plus  libre  et  plus  facile  vers  le  Cœur  tout  aimable  et  tout 
aimant  de  son  Fils  ^  » 

Ainsi,  le  culte  public  du  très-saint  Cœur  de  Marie,  propagé  par 
le  P.  EudeS;,  fut  un  prélude  au  culte  du  saint  Cœur  de  Jésus,  défi- 
nitivement établi  par  la  Bienheureuse  Marguerite.  De  même  les 
images,  destinées  avant  la  vierge  de  Paray  à  honorer  le  Cœur  de 
l'Homme-Dieu,  n'étaient  qu'une  préparation  à  celles  dont  l'idée  fut 
donnée  par  ses  révélations. 


•  Le  R.  P.  Eudes...  ses  vertus,  par  le  R.  V  Ilarcmbourg,  nouvelle  édition  revue 
par  le  R.  P.  Le  Doré,  in-8«.  Paris,  1859,  p.  137. 
'  Le  R.  P.  Eudes,  etc.,  p.  128. 


AU   POINT   DE   VUE    DE    l'hISTOIRE   ÉT    DE   l'aRT  183 


CHAPITRE  V. 

LE  CŒUR  SACRÉ  DV.  JÉSUS,  LE  TRÈS-SAINT  CŒUR  DE  MARIE,  LES  CŒ.URS 
FIDÈLES,  REPRÉSENTÉS  DIVERSEMENT  AVANT  LA  BIENHEUREUSE  MARGUE- 
RITE-MARIE. 


I. 


En  faisant  la  revue  des  principales  séries  de  représentations  rela- 
tives au  Cœur  de  Jésus,  et  qui  ont  précédé  la  Bienheureuse  Margue- 
rite, nous  n'avons  pas  prétendu,  loin  de  là,  épuiser  la  matière. 

Des  images  du  Sacré-Cœur,  dont  la  signification  était  toute  doc- 
trinale, ont  été  émises  dans  la  période  de  temps  que  nous  venons 
de  parcourir,  et  nous  allons  en  donner  des  exemples.  Nous  résume- 
rons aussi  dans  ce  chapitre  ce  que  nous  avons  déjà  dit  par  occasion 
des  images  du  très-saint  Cœur  de  Marie  qui  se  rencontrent  dans  la 
même  période.  Nous  parlerons  en  même  temps  des  saints  qui 
alors  ont  reçu  le  Cœur  pour  attribut.  Enfin  nous  reviendrons  avec 
un  peu  plus  de  détails  sur  les  représentations  des  cœurs  fidè- 
les, si  usitées  à  cette  époque. 

Le  cœur  que  nous  donnons  (pi.  VI,  fig.  1)  avec  les  sentences  qui 
l'accompagnent,  occupe  le  faîte  d'une  grande  estampe  dessinée  et 
gravée  par  Callot  et  reproduite  par  Israël  Silvestre.  Cette  estampe 
porte  pour  titre  :  ivbilatio  trivmphi  virginis  deipar.e  svb  vrbano  viii 
pp.  MAX  :  «  Le  Triomphe  delà  Vierge  Mère  de  Dieu,  acclamée  sous  le 
Pape  Urbain  VIII.»  Elle  met  solennellement  en  scène  une  thèse  théolo- 
gique sur  les  prérogatives  de  la  sainteVierge, soutenue  en  1625  dans 
le  couvent  de  VAra  Cœli  à  Rome,  par  deux  franciscains  de  l'obser- 
vance, le  P.  x\ndré  de  l'Auge  et  le  P.  Didelon,  le  premier  gardien 
du  couvent  de  son  ordre  à  Nancy  ;  le  second,  professeur  de  théologie 
dans  ce  même  couvent. 

Au  milieu  de  la  composition,  Marie,  la  tête  chargée  de  trois  cou- 
ronnes, portant  un  lis  d'une  main,  soulevant  une  sphère  de  l'autre, 
est  portée  sur  un  char,  acclamée  par  une  troupe  nombreuse  de 
vierges  qui  l'entourent.  Au-dessus  d'elle  on  lit  sur  une  banderole 
ces  mots  :  Singulariter  sum  Ego  :  «  Je  suis  unique  dans  mes  privilè- 


184  LES    IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

ges  ».  Plus  bas,  d'autres  personnagees^  encore  des  vierges  pour  la 
plupart, tiennent  des  banderoles  ou  des  couronnes  sur  lesquelles  sont 
inscrites  les  propositions  qui  doivent  être  soutenues  en  l'honneur  de 
la  Reine  du  Ciel.  Une  lettre  hébraïque  indique  sur  quels  livres  des 
Saintes  Ecritures   ces  propositions  peuvent  s'appuyer. 

Dans  le  haut,  il  s'agit  de  faire  considérer  la  source  de  toutes  les 
prérogatives  de  cette  créature  privilégiée,  c'est-à  dire  le  mystère 
de  l'Incarnation,  que  l'estampe  nous  propose  encore  comme  le  prin- 
cipe et  la  fin  de  toutes  les  œuvres  de  Dieu.  Le  cœur  qu'on  y  voit 
représenté  contient  ces  mots  :  P{re)desti{na.i\o)  XP(ist)/  or</^inis) 
orig[o)  :  «  La  prédestination  de  Jésus-Christ  origine  de  toutes  cho- 
ses, »  et  la  lettre  hébraïque,  iod,  trois  fois  répétée. 

Du  Cœur  partent  des  rayons  dont  la  signification  se  résume  en  six 
sentences  : 

In  1",  Singno  (?)  p{re)destma(i\)o  XP(ist)z  ; 

In  2^,  Mariœ  in  Matrem  ; 

In  3°,  Adtanta'\m)  ^r«(ti)a(m  et  gl[QY)i piW^', 

In  4",  Omnium  electonim  ; 

In  5°,  PiTe)visio pe{cca.)ti  originalis ; 

In  6"  Incarna[\\)o  in  carne. 

Sur  les  deux  banderoles,  l'une  supérieure  et  l'autre  inférieure, 
on  lit  en  les  réunissant  : 

Concilixim  œternnm, 
Expleri  mente  neqidt,  ardescitque  tiicndo. 

Une  autre  banderole,  placée  un  peu  au-dessous  de  la  seconde, 
porte  ces  mots  : 

Prœdestinatio  est  actus  intellectus  et  vohmtatis. 

Puis  un  peu  au-dessous  encore,  on  voit  une  étoile,  entre  les  cinq 
branches  de  laquelle  brillent  les  cinq  lettres  qui  composent  le  nom 
de  la  Vierge  prédestinée  : 

MARIA. 

Consulté  sur  cet  ensemble  de  représentations  unjeune  licencié  de 
théologie,  après  avoir  pris  l'avis  du  R.  P.  Quarella  S.  J.,  professeur 


AU   POINT   DE    VUE   DE   l'hISTOIRE   ET   DE   l'aRT  l8o 

de  langue  hébraïque  et  d'Écriture  Sainte  à  la  Faculté  théologique  de 
Poitiers,  nous  a  donné  la  réponse  suivante  : 

«  1°  Pour  avoir  une  idée  nette  et  exacte  de  la  signification  du 
Cœur  figuré  en  tète  de  l'image,  il  faut  se  reporter  à  la  pensée  mère 
qui  gouverne  la  disposition  du  tableau.  L'auteur  veut  décrire  la  mis- 
sion, les  prérogatives  et  la  gloire  de  Marie. 

«  Or  cette  mission,  ces  prérogatives  et  cette  gloire  ayant  leur  prin- 
cipe et  leur  raison  d'être  dans  Tlncarnation,  il  était  naturel  et  tout 
à  fait  logique  de  représenter  ce  mystère  comme  le  centre  primitif 
duquel  partent  et  auquel  viennent  aboutir  toutes  les  voies  provi- 
dentielles tracées  à  la  Vierge  Mère  de  Dieu.  Cette  idée  est  très 
importante  pour  étudier  1&  problème  soulevé,  parce  que,  de  premier 
abord,  elle  exclut  dans  l'auteur  le  dessin  de  figurer  le  mystère  de 
la  très-sainte  Trinité.  Dès  lors,  il  n'est  pas  permis  de  croire  que  le 
Cœur  soit  une  simple  modification  du  triangle,  symbole  exclusif  de 
la  Trinité.  Loin  de  là,  toute  la  pensée  de  l'auteur  semble  se  con- 
centrer sur  l'Incarnation,  et  ille  signifie  exactement  par  cette  légende 
qui  serpente  autour  du  Cœur  :  Prœdestinatio  A''*  ordinis  origo.  Au 
fond,  cette  légende  n'est  que  la  traduction  de  cette  pensée  de 
S.  Paul  qui  résume  elle-même  la  théologie  catholique  :  Omnia  in 
ipso  {Filio)  constant  (col.  I,  17  .  C'est  donc  la  personnalité  du 
Christ,  du  Verbe  incarné, qui  se  dégage  de  tous  ces  rayons  lumineux, 
représentant  eux-mêmes  cette  gloire  inaccessible,  au  sein  de  laquelle 
fut  arrêté  le  conseil  éternel  qui  préside  à  l'économie  surnaturelle 
de  la  Rédemption  humaine  par  l'Incarnation  divine.  Et  parce  que 
ce  grand  œuvre  de  Dieu  est  entièrement  gratuit,  parce  qu'il  provient 
intégralement  ex  mera  liberalitate  et  gratiiita  benevolentia  Dei, 
comme  parlent  les  théologiens,  l'auteur  n'a  pas  jugé  pouvoir  mieux 
rendre  cette  thèse  essentielle  qu'en  figurant  la  personnalité  de  Jésus- 
Christ,  auteur  et  consommateur  de  notre  foi  sous  l'emblème  d'uu 
cœur,  ce  symbole  vivant,  si  expressif  de  l'amour,  du  dévouement, 
du  sacrifice. 

2"  Les  trois  lettres  hébraïques,  disposées  triangulairement  au 
milieu  du  cœur,  sont  trois  iod.  Le  iod  est  la  lettre  initiale  du  nom 
sacré  et  incommunicable  de  Jéhovah.  Comme  il  y  a  trois  iod,  il  faut 
vraisemblablement  admettre  que  la  Divinité  est  signifiée  trois  fois 
sous  trois  aspects  différents.  Autant  que  le  peut  conjecturer  le  Père 


18G  LES    IMAGES   DU    SACRÉ-COEUR 

Quarella,  le  1"  iod  signifie  Dieii\e  Père  prédestinant  son  Fils  au 
rachat  du  monde,  comme  le  dit  la  ligne  supérieure  :  In  1°...  Prœ- 
destinatio  Xti\  le  2'  Iod  signifie  le  Fils,  le  Verbe  incarné,  qui  est 
Dieu  comme  le  Père  ;  le  S*^  iod  signifie  Marie,  la  Vierge  qui,  par  un 
privilège  unique,  est  devenue  véritablement  la  Mère  de  Dieu.  Les 
trois  iod  se  rapporteraient  donc  au  Fils  de  Dieu,  1"  en  tant  que  pré- 
destiné à  l'incarnation  par  le  Père  ;  2°  en  lui-même  ;  3"  en  tant 
qu'incarné  dans  le  sein  de  Marie.  Ainsi,  l'on  voit  que  l'idée  de  la 
Divinité  est  rendue  trois  fois,  et  d'une  manière  qui  répond  parfai- 
tement à  l'idée  du  tableau.  Peut-être  aussi  pourrait-on  dire  que  les 
iod  représentent  les  trois  personnes  de  la  T.  S.  Trinité,  qui  toutes 
trois  concourent  également  au  mystère  de  l'Incarnation. 

3°  Dans  tous  les  cas,  le  cœur  exprime  évidemment  l'amour  divin, 
se  concentrant  pour  ainsi  dire,  dans  le  Cœur  du  Verbe  incarné, 
comme  son  expression  sensible,  la  plus  fidèle. 

4°  Ce  qui  confirme  cette  dernière  conclusion,  ce  sont  les  mots  écrits 
dans  le  cœur  même  :  PrœdesWiatio  Xti  ordinis  crir/o.  D'ailleurs,  la 
fin  du  tableau  ne  nous  enjoint-elle  pas,  comme  il  est  dit  plus  haut, 
de  remonter  immédiatement  à  la  personnalité  du  Verbe  incarné 
dont  l'éclat  est  reflété,  en  quelque  sorte,  par  la  personnalité  de 
Marie  comme  la  lumière  du  soleil  est  reflétée  parla  lune,  lima per- 
fectissima  ? 

o''  Les  six  rayons  qui  émanent  du  cœur  rappellent,  par  les  pa- 
roles dont  ils  sont  accompagnés^  les  six  principales  conséquences 
du  mystère  de  l'Incarnation,  par  rapport  au  Christ  —  à  Marie  — 
à  sa  gloire  —  à  chacun  des  élus  —  et  à  la  nature  humaine,  dans  la 
double  prévision  du  péché  originel,  de  la  chute  —  et  de  la  répara- 
tion. » 

Ces  substantielles  observations  font  entrevoir  toutes  les  richesses 
du  Cœur  de  Jésus,  dans  lequel  s'est  incarné  l'amour  divin  ;  elles 
apprennent  à  adorer  ce  Conseil  éternel  {Concilium  œternum)  que 
l'intelligence  ne  peut  sonder  [Expleri  mente  nequit],  mais  qui  em- 
brase l'âme  qui  l'accueille  dans  son  âme  avec  amour,  {ardescitque 
tuendo).  De  la  sorte,  la  prédestination,  qui  en  Dieu  est  à  la  fois 
un  acte  de  l'intelligence  et  de  la  volonté,  prœdestinatio  est  actus 
intellectus  et  voluntati:^,  produira  en  nous  tous  ses  fruits  sans  que 
nous  puissions  suffisamment   le   comprendre,  par   l'effet  de  notre 


AU    POINT    DE    VUE    DE   l'hISTOIRE   ET    DE    l'aRT  187 

bonne  volonté.  Elle  aura  surtout  une  efficacité  suréminente  en  Marie, 
cet  astre  radieux  qui  brille  au  plus  haut  des  cieux  immédiatement 
au-dessous  du  Cœur  Sacré  de  Jésus. 

Quant  à  ce  divin  Cœur,  nous  ne  pouvons  mieux  faire  que  de  lui 
appliquer  ici  les  paroles  que  l'Église  lui  adresse  au  jour  de  sa  fête  : 

Ut  novus  Adam  redderet 
Quod  vêtus  ille  abstulerat, 
Amor  coegit  te  tuus 
Mortale  corpus  sumere. 

II. 

De  ringénieuse  conception  des  PP.  de  l'Auge  et  Didelot,  nous 
avons  cru  devoir  rapprocher  sur  notre  planche  la  partie  centrale 
d'une  estampe  de  Klauber  où  le  divin  Cœur  au  sein  d'un  triangle 
est  considéré  comme  le  centre  de  toutes  choses.  Mais  c'est  là  une 
œuvre  du  XVIII"  siècle,  postérieure  de  près  d'un  siècle  et  demi  à 
celle  que  nous  venons  d'analyser  :  nous  nous  contentons  delà  men- 
tionner avec  le  dessein  d'y  revenir  quand  il  y  aura  lieu.  Comme 
appartenant  à  la  période  qui  nous  occupe,  nous  parlerons  plutôt 
d'une  estampe  recueillie  parle  P.  Desjardins,  et  qui,  sans  analogie 
pour  le  style  et  la  composition  avec  celle  de  Callot,  ne  laisse  pas, 
pour  l'idée,  d'avoir  quelques  rapports  avec  elle.  Une  Vierge  y  est 
représentée,  portant  l'Enfant-Jésus  sur  son  bras  droit,  et  tenant 
de  la  main  gauche  le  Cœur  de  ce  divin  Sauveur,  désigné,  autant 
que  nous  pouvons  le  croire,  par  une  large  plaie  béante.  L'épreuve 
soumise  à  nos  observations  étant  très-mauvaise,  on  pourrait  s'y 
tromper.  C'est  pourquoi  nous  donnons  cette  particularité  comme 
probable,  sans  oser  l'affirmer.  Par  la  même  raison,  nous  ne  pou- 
vons lire  la  légende  inscrite  tout  autour  d'un  disque  que  tient  le 
divin  Enfant  ;  nous  croyons  cependant  qu'elle  est  écrite  en  lettres 
romaines  à  l'exception  dos  caractères  hébraïques  BJH,  Esch  iigyiis, 
sacrificium) ,  qui  en  occupent  le  centre.  La  Vierge  repose  sur  un 
socle  qui  porte  ces  mots  :  n.-d.  de  consolation  ;  plus  bas  gît  le  ser- 
pent vaincu.  Par  delà  est  un  second  disque  sur  lequel  se  dessine 
un  triangle  renfermant  la  croix  et  accompagné,  pour  nous  servir 
des  termes  du  blason  comme  plus  précis,  d'une  montagne  en  chef, 


188  LES   IMAGES    DU    SACRÉ-CÛEUR 

du  soleil  et  de  la  lune  en  face,  et  en  pointe,  comme  exergue,  de  ce 
mot  :  TRivMPHAviT,  «  elle  a  triomphé  ».  Dans  le  haut  de  la  composi- 
tion on  voit  encore,  d'un  côté,  des  rayons  lumineux  projetés  sur  la 
sainte  Vierge^  de  l'antre,  un  écriteau  porté  par  un  ange  et  conte- 
nant ces  paroles  :  Quanta  aiidivimus  et  cognovimus  ea  patres  nostri 
ammntiaverimt  nobis...  Filii  qui  nascentur  et  exurgent  et  iiarrabiint 
Hliis  suis  (Ps.  i.xxvn,  3,  6).  «  Quelles  grandes  choses  nous  avons 
entendues,  connues,  apprises  de  nos  pères...  Les  enfants  qui  naî- 
tront et  s'élèveront  les  raconteront  à  leurs  enfants.  » 

Près  de  l'écriteau  est  un  écusson  épiscopal,  portant  d'argent  à 
trois  bandes  d'azur,  et  plus  bas,  de  chaque  côté,  les  quatre  animaux 
évangéliques.  Parmi  eux,  Fange  de  S.  Matthieu,  tenant  une  fiole 
d'une  main,  montre  de  l'autre  un  livre  ouvert  où  on  lit  :  Omnes 
sitientes  venite  ad  aquas  (Is.  lv,  1). 

Au-dessous  de  l'image,  on  lit  ces  mots  gravés  en  guise  de  titre  : 
«  Oraison  à  Notre-Dame  de  Consolation,  dont  l'image  miracu- 
leuse fut  trouvée  par  Joseph  Quygranne,  le  16  mai  1647,  dans  une 
grotte  appelée  originairement  la  Ste-Beaume,  à  Cirac,  canton  de 
Roquemaure,  diocèse  de  Nîmes.  » 

Ce  qu'il  y  a  de  plus  remarquable  dans  cette  Vierge,  c'est  qu'elle 
fixe  très  attentivement  les  yeux  sur  le  Cœur  qu'elle  tient  à  la 
main  :  l'on  voit  ainsi  que  dans  ce  Cœur  sacré  se  résume  toute 
l'idée  de  la  Rédemption  exprimée  par  le  mot  hébraïque  '  et  par  toutes 
les  parties  de  la  composition. 

'  Voici,  en  effet,  l'explication  de  ce  mot,  donnée  par  le  P.  Quarella  :  Les  deux 
lettres  forment  un  mot  complet,  c'est-à-dire  le  mot  Ewh  ou  llnch  qui,  en  hébreu, 
signifie  feu,  vjnh.  Le  même  mot,  par  une  dérivation  facile  à  saisir,  signifie  éga- 
lement sacrifice,  liolocaustus,  parce  que  dans  le  sacrifice  holocaustique  la  victime 
entière  était  brûlée,  consumée  en  l'honneur  de  Jéhovah.  Par  antonomase,  le  mot 
Esch,  pris  dans  le  sens  de  feu,  signifie  aussi  Dieu  qui,  dans  la  Sainte-Écriture, 
s'appelle  si  souvent  ignis,  ignis  consumans,  ignis  devorans,  veniens  in  turbine 
ig7iis,  etc.  Appliquons  ces  notions  à  l'image...  Ce  mot  Esch  présenté,  par  l'Knfant- 
Jésus,  n'est  pas  autre  chose  qu'une  traduction  abrégée  de  ce  texte  évangélique  : 
Ignem  veni  miltere  in  terram  et  qiiid  volo  nisi  iil  acccdalur.  De  sorte  que  ce  seul 
mot,  dans  toute  l'étendue  qu'il  comporte,  signale  implicitement  au  moins  deux 
choses  :  1"  la  divinité  de  Jésus  dont  l'éclat  est  plus  éblouissant  que  celui  du  feu, 
dont  l'origine  est  plus  mystérieuse  que  la  sienne;  2°  les  ardeurs  de  l'amour  de 
Jésus  plus  dévorantes  que  la  flamme. 


AU    POINT    DE    VUE    DE    l'hISTOIRE    ET    DE    l'aKT  189 

III. 

Il  y  a  lieu  de  considérer  la  Vierge  de  la  Sainte-Beaume  de  Cirac 
comme  un  prélude  au  type  de  Notre-Dame  du  Sacré-Cœur;  on  peut 
le  dire  également  de  la  Vierge  d'Ornans,  précédemment  décrite.  Il 
y  a  cependant  entre  les  deux  cette  différence  que,  dans  celle-ci,  le 
cœur  représenté  nous  a  paru  être  simultanément  le  Cœur  de  Jésus 
et  de  Marie  considérés  comme  ne  faisant  qu'un,  tandis  que  dans 
celle-là  le  cœur  étant  celui  même  de  Jésus,  l'image  revient  plus 
directement  au  type  dont  n«)us  parlons.  Quoi  qu'il  en  soit,  ni  l'une 
ni  l'autre  de  ces  images  ne  nous  paraît  représenter  le  Cœur  de 
Marie  lui-même  pris  à  part.  Nous  avons  donné  divers  exemples  de 
représentations  directes  de  ce  très  saint  Cœur  pendant  le  XYII*^  siècle 
(pi.  IV,  fig.  3,  o,  7,8;  pi.  v,  fig.  6;  pi.  yi,  fig.  5),  et  l'on  a  vu  que  dès 
lors  le  glaive  qui  le  perce  lui  avait  été  attribué  comme  caractéris- 
tique, sinon  avec  continuité,  du  moins  avec  une  certaine  persis- 
tance. Dans  les  Fasti  Mariani,  il  se  retrouve  jusqu'à  sept  fois  \ 
On  remarquera  aussi  que,  dans  tous  les  exemples  donnés,  — excepté 
dans  la  vignette  (pi.  iv,  fig.  8),  où  Marie  tient  son  nom  d'une  main 
et  son  Cœur  de  l'autre,  le  Cœur  de  Marie  est  toujours  représenté 
en  corrélation  avec  Jésus  lui-même  ou  son  divin  Cœur:  tantôt  avec 
Jésus  enfant  reposant  gracieusement  sur  une  branche  de  lis  (pi.  iv, 
fig.  7),  avec  Jésus  crucifié  (pi.  vi,  fig.  3),  tantôt  avec  le  Cœur  de 
Jésus  qui  l'illumine  (pi.  iv,  fig.  3),  qui  l'enflamme  (fig.  5),  qui  l'i- 
dentifie avec  lui  (pi.  v.  fig.  6).  Puis,  enfin,  tous  les  deux  ne  sont  plus 
qu'un  dans  l'insigne  adopté  par  le  pieux  précurseur  de  la  dévotion 
au  Sacré-Cœur,  le  P.  Eudes  (pi.  iv,  fig.  10). 

Les  saints  qui  ont  reçu  le  cœur  comme  attribut  ne  paraissent 
guère  l'avoir  reçu  d'une  manière  commune  et  surtout  constante 
que  vers  les  commencements  du  XYIP  siècle.  L'image  de  sainte 
Catherine  de  Sienne,  placée  dans  la  traduction  de  ses  dialogues  en 
1380,  nous  paraît  exceptionnelle  dans  son  genre.  Les  autres  ima- 
ges de  la  Sainte  où,  à  notre  connaissance,  elle  porte  un  cœur  à  la 

'  Plusieurs  autres  fois,  dans  ces  vignettes,  le  Cœur  de  Marie  est  représenté  et 
désigné  seulement  par  son  nom. 


190  LES   IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

main  sont  de  beaucoup  postérieures.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette  attri- 
bution du  cœur  à  quelques  saints  depuis  l'époque  dont  nous  parlons 
a  été  faite  sans  hésitation.  Parmi  les  portraits  peints  alors  dans  l'é- 
glise abbatiale  de  Saint-Lambert  de  Lessies  en  Belgique  et  repro- 
duits un  peu  après  par  le  P.  Binet,  on  avait  représenté  le  cœur  de 
saint  Augustin  comme  caractéristique  du  saint  docteur.  C'est  le 
plus  ancien  exemple  que  nous  connaissions:  le  saint  soutient  sur 
sa  poitrine  un  cœur  enflammé  et  percé  de  deux  flèches  en  sautoir. 
Du  même  temps  environ  date  une  Vie  abrégée  des  Saints,  manus- 
crite et  accompagnée  de  grossières  miniatures,  qui  fait  partie  de 
notre  collection.  Saint  Augustin  y  porte  également  son  cœur  comme 
attribut,  et  de  même  un  saint  Macaire  qualifié  de  moine,  de  disciple 
de  saint  Antoine,  et  qui,  par  l'effet  d'une  confusion,  porte  cepen- 
dant des  vêtements  épiscopaux. 

Un  peu  après,  l'on  voit  apparaître  les  images  de  saint  François 
de  Sales,  dans  lesquelles  le  cœur  du  Saint  repose  au  faîte  d'un  édifice 
que  ses  mains  tiennent  sur  la  poitrine.  Par  là  on  voulait  dire  que, 
dans  toutes  ses  œuvres  et  principalement  dans  celle  de  la  Visitation 
qui  est  ainsi  représentée ,  le  saint  évêque  de  Genève  a  mis  son 
cœur.  Nous  avons  vu  le  cœur  porté  dans  la  main  de  sainte  Chantai, 
puis  dans  celle  d'une  abbesse  de  l'Assomption.  Ce  dernier  exemple 
nous  reporte  à  la  fin  du  XVII"  siècle.  Alors  nous  rencontrons  quatre 
cœurs  enflammés,  chargés  tour  à  tour  des  mots  :  Atnor,  Caritas 
donnés  pour  attributs  au  frère  Fiacre,  de  l'ordre  des  Augustins, 
mort  à  Paris,  en  odeur  de  sainteté  en  1684. 

Le  P.  Desjardins,  dans  sa  collection,  a  réuni  un  certain  nombre 
d'images  de  saints  auxquels  le  Sacré-Cœur  de  Jésus,  ou  bien  les 
Cœurs  très  saints  de  Jésus  et  de  Marie  réunis  sont  associés.  Dans  les 
exemples  précédents,  au  contraire,  les  cœurs  portés  par  les  saints, 
ou  qui  les  accompagnent,  nous  paraissent  exprimer  leur  propre 
amour  de  Dieu  et  du  prochain.  Mais  aucune  de  ces  nouvelles  images 
n'est  manifestement  antérieure  au  XYIII"  siècle  ;  généralement  elles 
sont  une  conséquence  de  l'épanouissement  de  la  dévotion  au  Sacré- 
Cœur,  tandis  que  nos  recherches  ne  portent  encore  en  ce  moment 
que  sur  celles  qui  en  furent  le  prélude. 


AU   POINT    DE    VUE    DE    l'hISTOIRE    ET    DE   l'aRT  191 

IV 

De  toutes  les  représentations  du  Cœur  au  XVIP  siècle  pris  dans 
son  ensemble,  avant  que  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  n'eût 
accompli  sa  mission  ;  nous  maintenons  que  les  plus  usitées  furent 
celles  qui  mettaient  en  scène  le  cœur  du  chrétien  ou  de  l'homme  en 
général.  Outre  les  petits  livres  que  nous  avons  cités  comme  en  fai- 
sant leur  sujet  spécial,  il  y  avait  encore  les  images  de  M.  Le  Nolbetz 
et  du  P.  Maunoir,  où  l'état  des  consciences  était  représenté  par  un 
assemblage  d'objets  souvent  bizarres  accumulés  dans  le  Cœur.  Le 
Miroir  des  â?nes  encore  répandu,   il  y  a  peu  d'années,   ofTre   des 
exemples  analogues.  Le  procédé  paraît  maintenant  trop  naïf,  mais 
il  avait  alors  de  l'efficacité  sur  les  âmes  simples.  Il  y  avait  encore 
l'Oratoire  du  Cœur,  par  de  Querdu  le  Gall  (in-12,  Paris,  1675),  où 
le  Cœur  renferme  la  représentation,  —  représentation  d'ailleurs  où 
l'art  n'a  aucune  part, — des  divers  mystères  offerts  aux  méditations  du 
fidèle.  Parmi  tant  de  livres  de  piété  ornés  d'images  qui  avaient  cours 
dans  le  temps,  il  en  était  peu  où  le  Cœui  ne  fût  plus  ou  moins 
souvent  mis  en  scène.  Les  Fasti Maria7ii,  outre  les  images  qui  re- 
présentent les  Sacrés-Cœurs  de  Jésus  et  de  la  très  sainte  Mère,  en 
renferment  un  grand  nombre   où  les  cœurs  des  fidèles  figurent  à 
leur  tour.  Un  des  ouvrages  de  ce  genre  qui  eurent  alors  le  plus  de 
succès  fut  le  livre  des  Pia  desideria,  par  le  P.  Herman  Hugo,  S.  J. 
publié  pour  la  première   fois  en  1627.  —  Ce  sont   des  amplifica- 
tions en  vers  latins  élégants  sur  différentes  aspirations  pieuses,  ti- 
rées des  saintes  Écritures.   Les  vignettes  qui  les   accompagnent, 
vont  quelquefois,  et  encore  plus  que  dans  aucun  des  ouvrages  pré- 
cédents, jusqu'aux  mièvreries  les  plus  puériles,  mais  souvent  elles 
ne  sont  pas  sans  mérite  sous  le  rapport  de  l'exécution.  —  Dans  les 
différentes  éditions  que  nous  connaissons,  les  Pia  desideria  offrent 
au  frontispice  un  gran  1  Cœur  qui  sert  d'encadrement  au  titre  et  qui 
est  évidemment  le  cœur  du  fidèle.  Eu  tète  de  l'édition  de   Milan 
(1632),  l'âme  fidèle  soulève  elle-même  au  milieu  d'une  campagne 
émaillée  de  fleurs,  ce  cœur  tout  enflammé.  Puis,  comme  dans  le  reste 
du  livre,  comme  dans  V École  du  Cœur,  et  beaucoup  d'autres  ouvra- 
ges analogues,  Jésus  est  représenté  sous  la  figure  d'un  enfant  ailé. 


192  LES   IMAGES   DU    SACRÉ-COEUR 

Il  plane  au-dessus  du  Cœur,  et  y  répand  un  surcroît  de  flammes. 
Les  vignettes  de  cette  édition  sont  signées  Carolus  Blancus.  Celles 
de  l'édition  d'Anvers  (1676)  que  nous  avons  également  sous  les 
yeux,  leur  sont  de  beaucoup  inférieures;  mais  le  frontispice,  dessi- 
né et  gravé  évidemment  d'une  autre  main,  a  un  caractère  d'une 
douce  gravité  qui  serait  tout  à  fait  irréprochable  si  on  ne  s'était 
servi  du  symbole  des  ailes  dont  le  bon  goût,  quand  on  les  attache  au 
Cœur,  peut  toujours  être  contesté.  L'àme  n'est  plus  représentée, 
mais  David,  S.  Paul,  Moise,  S.  Jérôme,  avec  des  textes  de  leurs 
écrits  appropriés  au  sujet  ;  puis  Daniel  dans  la  fosse  aux  lions,  parce 
qu'il  a  été  appelé  un  homme  de  désir,  vir  desiderioriim. 

Nous  venons  de  parler  de  l'attribution  des  ailes  au  cœur,  nous  in- 
clinons à  maintenir  dans  toutes  les  représentations  que'l'on  fait  de 
cet  organe  et  de  ce  symbole  de  l'amour,  à  quelque  titre  qu'on  le 
représente,  un  caractère  de  gravité,  de  simplicité,  de  bon  goût,  à 
l'exclusion  de  ces  procédés  qui  nous  paraissent  ne  devoir  pas  sortir 
du  domaine  des  rébus.  Dans  l'jE'co/e  du  Ccezw*  pour  appliquer  au  cœur 
du  fidèle  cette  parole  :  Ego  dormio  et  cor  meum  vigilat,  à  côté  de 
l'âme  endoimie,  on  a  pourvu  le  cœur  d'un  grand  œil  ouvert.  Nous 
avons  dans  notre  collection  une  gravure  allemande  du  dernier  siècle 
où  le  cœur  a  des  bras  ;  il  s'en  sert  pour  ouvrir  et  fermer  les  portes 
des  sens.  Au  même  titre,  on  pourrait  lui  donner  des  jambes  et  le 
faire  marcher.  Tout  cela  n'est-il  pas  au  moins  puéril?  L'emblème 
des  ailes  paraîtrait  plus  acceptable;  et  s'il  suffisait  de  son  extension 
pour  en  justifier  l'usage,  il  n'est  pas  douteux  que  l'on  pourrait  in- 
voquer en  sa  faveur  de  nombreux  précédents*.  Un  cœur  ailé  figure 
dans  l'estampe  où  Callot  a  exposé  la  thèse  des  PP.  de  l'Auge  et  Di- 
delon  comme  attribut  d'une  des  vierges  qui  proclament  les  préro- 
gatives de  Marie.  Les  ailes  nous  paraissent  avoir  été  appliquées 
même  au  divin  Cœur  dans  une  image  gravée  évidemment  à  Rome 
que  nous  trouvons  dans  la  collection  du  P.  Desjardins.  La  compo- 
sition pourrait  provenir  du  siècle  dernier,  son  exécution  nous  paraît 

'  Dans  les  sujets  profanes  eux-mêmes,  on  a  quelquefois  adopté  cette  donnée. 
Rosini  {Storia  dclla  pitlura  ilaliana,  t.  VII,  p.  4)  a  publié  un  tableau  de  François 
Zuccarelli  (1707-1788)  représentant  une  Vénus,  d'ailleurs  plus  chaste  que  beaucoup 
de  figures  alors  admises  dans  des  tableaux  religieux.  Elle  tient  par  un  fil  un  cœur 
ailé,  poursuivi  par  des  amours. 


W    POINT    DE    VUK    DE    l'hISTOITIE    ET    DE    l'aRT  193 

plus  récente.  Disposée  en  ovale,  elle  porte  tout  autour  comme  titre 
ou  plutôt  comme  légende  ces  mots  :  Archiconfrater[7iita)  del  dimno 
amore  di  S.  Gaetano  Tietie  e  di  S.  Ajidrea  Avellino  ;  les  deux  saints 
sont  représentés  en  face  d'un  autel.  Au-dessus  est  suspendu  le  cœur 
dont  nous  parlons  ;  et  des  anges  Tadorent.  Ces  exemples  peuvent 
être  invoqués  comme  des  excuses,  mais  nous  ne  saurions  nous  dé- 
cider à  les  donner  comme  justification  ou  encouragement. 

L'on  peut  d'ailleurs  parfaitement  rendre  la  pensée  attachée  à  l'as- 
sociation du  cœur  et  des  ailes,  sans  appliquer  celles-ci  immédiate- 
ment au  cœur  ;  il  suffit  de  les  rapprocher.  On  peut  le  faire  en  don- 
nant de  la  grâce  à  la  disposition  ;  nous  en  citerons  pour  exemples 
deux  vignettes  de  la  collection  Desjardins,  d'ailleurs  intéressantes, 
011  cette  donnée  iconographique  est  successivement  repétée.  Ces  vi- 
gnettes représentent  la  cène  et  le  crucifiement  ;  la  première  est  en- 
cadrée entre  deux  palmes,  la  deuxième  dans  une  couronne  d'épines  ; 
les  deux  encadrements  ont  la  forme  de  cœur.  Elles  faisaient  partie 
probablement  d'un  ensemble  de  compositions  analogues  représen- 
tant tous  les  mystères  de  la  vie  de  Notre-Seigneur  ou  du  moins 
toutes  les  circonstances  de  la  Passion,  en  tant  que  le  Cœur  y  prend 
sa  part  :  nous  les  croirions  plutôt  du  XYII"  siècle  que  du  XVIIP  ; 
non  seulement  la  forme  de  cœur  est  donnée  à  leurs  encadrements, 
mais  dans  chacune  d'elles,  le  Cœur  sacré  de  Jésus,  lui-même  direc- 
tement représenté,  surmonte  la  composition.  Il  est  imparfaitement 
caractérisé  au-dessus  delà  cène  par  des  jets  de  flamme  ;  il  Test  très 
bienau-dessus  du  cntcifieinent^Mlo.  couronne  d'épines  qui  l'entoure 
et  par  la  blessure  qui  le  perce.  Quatre  cœurs  de  fidèles,  accompagnés 
d'ailes  qui  se  rapprochent  d'eux,  sans  s'y  adapter,  sont  ensuite  dis- 
posés dans  les  quatre  angles  de  chacun  de  ces  petits  tableaux. 

Dans  V Ecole  du  Cœur,  le  cœur  soumis  aux  situations  les  plus  di- 
verses, parmi  lesquels  nous  ne  citerons  que  quelques-unes  de  celles 
dont  la  représentation  est  le  plus  acceptable,  s'envole  aussi  vers 
Jésus.  Il  repose  en  lui,  devient  un  vase  pour  l'abreuver,  pour  re- 
cueillir, comme  le  baume  le  plus  salutaire,  tantôt  la  sueur  de  sang 
qui  coule  de  son  corps  au  Jardin  des  Olives,  tantôt  l'eau  et  le  sang 
qui  jaillissent  de  son  côté  ;  plus  loin  il  est  couronné  d'épines,  percé 
de  la  lance,  et  enfin  enseveli  dans  le  tombeau  avec  Jésus  lui- 
même. 

w  série,  tome  XI.  13 


194  LES    IMAOKS    nu    SACltÉ-CUECR 

Les  différentes  éditions  des  Pia  desideria,  sur  le  texte  :  Ego  di- 
lecto  meo  et  ad  me  conversio  ejus  (Cant.  vu),  mettent  une  boussole 
dans  la  main  de  l'âme.  De  plus,  l'édition  de  Milan  fait  reposer  cette 
boussole  dans  un  cœur,  ce  qui  se  rapporte  à  ces  paroles  de  saint 
Bernard  citées  par  l'éditeur  à  la  suite  de  la  paraphrase  du  P.  Hugo  : 
Co7'  meum  per  multa  dispercjitur  et  hue  illuc  querit  iibi  qinesce?'e 
possit  et  nihil  invenit  quod  illi  sufficiat  doiiec  ad  ipsmn  redeat  ; 
«  Mon  Cœur  s'épand  de  tous  côtés,  il  cherche  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
trouvé  à  se  reposer,  et  il  ne  trouve  rien  qui  lui  suffise  jusqu'à  ce 
qu'il  revienne  à  lui  (à  Dieu).  » 

A  la  même  école  iconographique,  et  au  même  temps,  appar- 
tiennent diverses  petites  images  recueillies  par  le  P.  Desjardins 
et  qui  doivent  être  tirées  d'un  ouvrage  analogue  aux  précédents  *. 
Dans  une  de  ces  images,  sur  ce  texte  :  Prœdestinavit  7ios  con- 
formes fieri  imagmis  sui  -  (Rom.  vm,  29),  Notre-Seigneur  pré- 
sente son  Cœur  sacré,  oii  se  trouvent  imprimés  ses  propres  traits 
comme  dans  un  tableau,  afin  que  l'âme  en  peigne  la  copie  dans  son 
propre  cœur.  Sur  cet  autre  texte  Vulnerasti  coi'  m.eum,  soror  mea, 
sponsa  (Cant.  iv),  on  représente  l'Enfant-Jésus  ouvrant  sa  poitrine 
pour  y  montrer  son  cœur  que  l'âme  a  blessé  ;  et  celle-ci  armée  d'un 
arc,  va  le  prendre.  Puis,  voilà  dans  une  forge  les  deux  cœurs  fondus 
ensemble,  pour  répondre  à  ces  mots  :  Unio  amoris.  Ensuite  pour 
rendre  ceux-ci  :  Fiat  Cor  immaculatum  in  justificationibus  tuis  ut 
non  confundar  (Ps.  Lxxvm),  l'âme  offre  son  cœur  qui  se  reflète  dans 
un  double  miroir,  tenu  par  le  divin  Enfant.  A  ces  paroles  :  Lava 
a  malitia  cor  tuum  lit  salviis  fiât:  «Lave  ton  âme  de  ses  fautes  afin 
d'être  sauvé  »,  l'âme  obéit  en  lavant  son  cœur  dans  un  bassin  rem- 
pli par  des  jets  qui  s'élancent  des  plaies  de  l'Enfant-Jésus.  Enfin  le 
divin  Enfant  est  sur  la  croix,  et  l'âme  portant  cette  fois  une  cou- 
ronne et  des  ailes,  monte  sur  une  échelle  pour  s'unir  à  Jésus  cru- 
cifié. Jésus,  en  effet,  lui  dit  :  Veni,  arnica  mea,  veni  colomba:  «  Viens 

*  Le  nom  de  Messager,  inscrit  au  bas  de  quelques  unes  de  ces  inaages,  est  pro- 
bablement le  nom  de  l'artiste  qui  les  a  gravées  toutes.  Nous  avons  sous  les  yeux, 
du  même  graveur,  une  autre  série  de  vignettes  en  l'honneur  de  S.  François,  réu- 
nies dans  nn  petit  livre  sous  ce  titre  ;  Emblèmes  sacres  sur  la  vie  et  les  miracles 
de  S.François,  in-18.  Paris,  1G37.  Le  dessinateur  est  quelquefois  nommé  J/ai/icws. 

^  S.  Paul  dit  :  imaf/inis  filii  sui. 


AU  POINT  m:  VUE  DK  l'histoire  et  de  l'art  195 

mon  amie,  viens  ma  colombe,  »  et  l'àme  répond:  «Qui  me  donnera 
des  ailes  comme  à  la  colombe;  »  paroles  écrites  sur  deux  bandero- 
les dont  l'une  descend  de  Jésus  vers  l'âme  fidèle,  dont  l'autre  de 
celle-ci  s'élève  vers  Jésus.  Cette  vignette  porte  pour  titre  :  La  mort 
d'Amour,  et  de  plus  ces  paroles  de  Tapôtre  saint  Thomas  :  Eamiis 
et  nos  et  moriamur  ciim  eo  :  «Mlons  aussi  nous  et  mourons  avec 
lui.  » 

On  voit  que  si  ces  images  laissent  quelque  chose  à  désirer  sous 
le  l'apport  de  la  gravité,  de  la  simplicité  et  du  bon  goût,  la  doctrine 
s'y  soutient  pure,  solide  et  élevée. 

L'ensemble  des  faits  l'établit  donc  :  les  sacrés  Cœurs  de  Jésus  et 
de  Marie,  ceux  des  saints,  des  simples  fidèles  eux-mêmes,  ont  été 
caractérisés  par  des  procédés  analogues,  quelquefois  presque  iden- 
tiques; leurs  représentations  se  sont  propagées,  comme  à  côté  l'une 
de  l'autre  et  parallèlement.  De  plus,  quand  il  s'agit  du  Cœur  de 
l'Homme-Dieu  et  du  Cœur  de  sa  très  sainte  Mère,  l'élévation  de 
l'objet  à  reproduire,  sa  précision,  ont  été  pour  l'artiste  une  règle 
beaucoup  plus  sûre.  Le  goût  mieux  guidé  a  rencontré  si  juste,  dans 
toute  une  série  d'images,  que  la  B.  Marguerite-Marie,  ou  plutôt 
N.-S.  de  qui  elle  tint  sa  mission,  ne  durent  pas  établir  un  mode  de 
représentation  inusité.  L^art,  pour  contribuer  à  l'extension  de  la  dé- 
votion nouvelle,  n'eut  qu'à  choisir  l'un  des  procédés  qui  précédem- 
ment avaient  le  plus  de  cours,  comme  nous  allons  le  voir  en  étu- 
diant riiistoire  des  manifestations  de  Paray  et  leurs  conséquences. 

Comte  Grimouard  de  Saint-Laurent, 

Membre  de  la  Société  de  Saint-Jean. 

[A  suivre.) 


EXPLICATION    DES   PLANCHES 


Pages. 

PI.  VI.     LE  DIVIN  CŒUR  DANS  UNE  THÈSE  THÉOLOGIQUE, 

d'après  une  estampe  de  Callot 167 

Fig.  l.  Cette  thèse  fut  soutenue  en  1623  à  Rome  par  deux  Pères 
Capucins  de  Nancy  en  Tlionneur  des  prérogatives  de  la  Sainte- 
Vierge  :  le  Cœur  représente  l'amour  divin,  comme  principe  de 
rincarnation  ;  fig.  2,  vignettes  de  l'ouvrage  intitulé  Schola  Cordis, 
représentant  Jésus  qui  imprime  ses  cinq  plaies  dans  le  cœur 
fidèle  ;  fig.  3,  vignette  du  même  ouvrage,  représentant  le  nom 
de  Jésus  imprimé  comme  un  sceau  dans  le  cœur  fidèle  ;  fig.  4, 
écusson  gravé  au-dessus  d'un  portrait  de  S.  Ignace,  XYII*  siècle  ; 
fig.  5,  le  monogramme  de  Marie,  accompagné  de  son  Cœur  percé 
du  glaive,  se  voit  sous  un  crucifix  gravé  au  commencement  du 
XVII«  siècle;  fig.  6,  le  monogramme  de  Jésus  dans  un  cœur 
d'ailleurs  conforme  aux  armoiries  de  la  Visitation  ;  fig.  7,  partie 
centrale  d'une  vignette  de  Klauber,  milieu  du  XVIII^  siècle; 
fig.  8  et  9,  les  Cœurs  de  Jésus  et  de  Marie,  vignettes  de  la  Corona 
mariana,  ouvrage  publié  au  milieu  du  XVIII^  siècle. 

PL  VII.   IMAGES  INSPIRÉES  PAR  LA  B.  MARGUERITE-MARIE 

ALACOQUE 171 

Fig.  1,  précieuse  image  dessinée  à  la  plume  par  la  Bienheureuse 
ou  sous  ses  yeux,  maintenant  conservée  à  Turin,  réduite  environ 
au  tiers;  fig.  2,  image  coloriée  faite  à  Paris,  maintenant  conservée 
à  Nevers,  réduite  de  moitié  ;  fig.  3,  partie  supérieure  du  tableau 
placé  d'abord  dans  la  chapelle  du  jardin  de  la  Visitation  h  Paray  ; 
fig.  4,  partie  supérieure  d'une  gravure  du  XVIIl»  siècle,  conforme 
à  la  description  d'un  autre  tableau  peint  du  vivant  de  la  Bienheu- 
reuse et  conservé  dans  sou  couvent  ;  lig.  5,  cachet  du  couvent  de 
la  Visitation  de  Paray;  fig.  6,  cachet  du  couvent  de  la  Visitation 
de  Boulogne-sur-Mer  ;  fig.  7,  croix  pectorale  portée  par  Ste  Chantai 
dans  l'un  de  ses  portraits;  fig.  8,  cœur  tenu  à  la  main  par  la  même 
Sainte  dans  un  autre  de  ses  portraits  ;  fig.  9  et  10,  croix  des  reli- 
gieuses de  la  Visitation;  fig.  11,  image  du  Sacré-Cœur,  tracée  à  la 
main,  provenant  d'un  émigré;  fig.  12,  emblème  adopté  par  Luther, 
en  tête  d'un  de  ses  ouvrages  :  cœur  dans  une  rose  et  chargé  d'une 
croix  ;  fig.  13,  armoiries  des  Franciscains,  à  quatre  quartiers. 


ICONOGRAPHIE  DE  S.  JEAN  L'EVANGELISTE 
dans  les  plias  récentes  publications  russes 


I. 

L'esquisse  rapide  d'un  travail  projeté  sur  l'iconographie  de  saint  Jean, 
qu'on  a  pu  lire  ici  même,  fait  mention  d'une  édition  russe  illustrée  du  ré- 
cit apocryphe  attribué  à  son  disciple  Prochore,  et  connu  du  monde  savant 
depuis  longtemps.  De  la  Bigne  en  a  inséré  une  traduction  latine  dans  sa 
Maxima  Bibliotheca  veterum  Patrum  (Paris,  1589  ;  Lyon,  1677,  t.  II,  p.  46 
et  suiv.).  Grâce  à  la  version  française  faite  sur  le  texte  latin  et  imprimée 
dans  \q  Dictionnaire  des  apocryphes,  de  Migne  (t.  II,  p.  762-813),  ce  cu- 
rieux récit  est  mis  aujourd'hui  à  la  portée  de  tous. 

Il  a  été  aussi  très  répandu  dans  l'ancienne  littérature  slavonne,  tant 
cyrillique  que  glagolitique.  On  le  retrouve  dans  les  Ménologes,  les  Apoca- 
lypses '  et  les  divers  recueils,  tantôt  sous  le  titre  de  Voyages  de  S.  Jean, 
tantôt  sous  celui  de  Vie  et  Gestes  du  même  apôtre.  La  plupart  de  ces 
textes  ne  dépassent  pas  le  XVI'=  siècle  ;  il  en  est  cependant  qui  sont  plus 
anciens.  Le  musée  Roumiantsov  en  possède  un  qui  date  de  1419;  c'est  le 
n°  451  de  cette  riche  collection  si  savamment  décrite  par  Vostokov. 
M.  Sreznevski,  académicien,  a  récemment  publié  un  fragment  qu'il  croit 
être  du  XIP  siècle,  sinon  du  XI°,  et  qui  lui  appartient.  Ce  fragiuent,  écrit 
par  un  Serbe,  sur  un  feuillet  de  parchemin,  correspond  au  44'  chapitre 

*  Si  les  Apocalypses  à  miniatures  abondent  en  Occident,  on  ne  peut  pas  en  dire 
autant  de  la  Russie.  Toutefois,  parmi  celles  qu'on  y  connaît,  il  en  est  de  bien 
remarquables,  comme,  par  exemple,  le  manuscrit  qui  appartient  à  l'Académie 
ecclésiastique  de  Moscou  (du  XVII«  siècle),  ou  bien  celui  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale p'iblique  de  Saint-Pétersbourg  (n»  229,  du  XYIIP).  M.  Bouslaïev,  académi- 
cien et  archéologue  éaiinent,  possède  une  collection  entière  d'Apocalypses  ornées 
de  miniatures  (du  XVIe  au  XVIlIo  siècle)  ;  ce  qui  est  bien  mieux,  il  prépare  pour 
la  Société  des  anciens  textes  un  travail  qui  contiendra  un  choix  de  ces  peintures 
accompagné  d'une  étude  d'ensemble  sur  les  questions  qui  s'y  rattachent.  11  nous 
en  a  déjà  donné  un  avant-goût,  en  traitant  le  même  sujet,  dans  ses  excellentes 
Esquisses  de  Ullérature  et  d'art  rmses  (t.  II,  p.  132  et  suiv.)  imprimées  en  1861 
et  enrichies  de  nombreuses  planches. 


198  ICONOGRAniIE   DE    S.  JEAN    L'ÉVANGÉLISTE 

de  la  version  latine  publiée  par  de  la  Bigne,  et  il  paraît  avoir  été  copié 
d'un  original  slavon  de  la  rédaction  bulgare  écrite  en  caractères  glagoli- 
tiques.  Un  texte  glagolitique  a  été,  en  effet,  découvert  sur  la  couverture 
d'un  manuscrit  du  XIV*  siècle  par  l'abbé  Bertchitch,  qui  l'imprima  dans 
sa  Chrestomathie  paléo-slave  (1864,  p.  36-38).  A  son  tour,  M.  Sreznevski 
l'a  repioduit  dans  le  Recueil  de  l'Académie  des  sciences  (t.  XV"),  mais  en  le 
transcrivant  en  lettres  cyrilliques,  lesquelles,  on  le  sait,  sont  en  usage 
parmi  les  Slaves  du  rite  grec,  comme  l'écriture  glagolitique  l'est  chez  une 
partie  des  Slaves  du  rite  lutin. 

Quelque  peu  considérables  que  soient  ces  fragments,  ils  prouvent  au 
moins  une  chose,  c'est  que  le  récit  du  pscudo-Prochore  avait  été  répandu 
dans  les  régions  danubiennes  avant  de  passer  sur  les  rivages  du  Dnieper, 
et  que  les  rédactions  slaves,  russes,  serbes  ou  bulgares,  reproduisent  le 
texte  grec,  leur  source  commune. 

Toutefois  le  texte  grec  qui  avait  servi  d'original  à  ces  traductions,  n'a 
jamais  été  publié  en  entier  avant  1878.  Néander,  Grynœus,  Birch  n'en  ont 
fait  connaître  que  des  fragments  plus  ou  moins  considérables.  L'auteur 
de  la  Description  de  l'île  de  Pat/nos  et  de  VUe  de  Samos,  M.  Victor  Guérin, 
s'est  également  borné  à  reproduire  deux  passages  qui  lui  ont  paru  ofTrir 
le  plus  d'intérêt  historique  et  sur  lesquels  je  reviendrai.  Thilo  se  propo- 
sait de  donner  le  texte  complet  dans  son  Corpus  apocryphorum  ;  mais  son 
projet  n'eut  pas  de  suite  '. 

C'est  l'année  dernière  seulement  que  le  texte  grec  a  paru  en  entier,  avec 
une  ancienne  version  slavonne  en  regard,  dans  la  belle  édition  de  l'ar- 
chimandrite russe  Amphiloque,  supérieur  du  couvent  de  Daniel  à  Mos- 
cou ^.  Elle  lait  partie  des  splendidcs  publications  que  la  Société  des  amis 
de  l'ancienne  littérature  russe  poursuit  avec  un  zèle  digne  des  meilleures 

^  Il  avait  collationné  et  décrit  les  inanusciits  Coislin  (306,  aujourd'hui  121,  523, 
1176  et  1468)  de  la  Bibliothèque  nationale  de  Paris.  Malheureusement,  deux  de 
ces  manuscrits  sont  très  mutilés  dans  la  partie  postérieure;  dans  le  n"  1468 
il  manque  l'avant-dernière  feuille  du  récit;  le  n*  117G  est  le  seul  qui  le  donne 
complot  :  il  ne  paraît  pas  différer  beaucoup  de  celui  de  Moscou  dont  il  va  être 
question. 

^  En  voici  le  titre  complet  traduit  du  russe  :  Vie  de  S.  Jeun,  npôtreet  évangé- 
Uste,  depuis  l'Ascension  deN.-S.  Jésus-Chrisl;  sa  doctrine  et  sa  mort,  décrites  par 
Prochore,  son  disciple.  Édité  par  les  soins  de  l'archimandrite  Amphiloque, 
d'après  un  manuscrit  slavon  du  XVe-XVIe  siècle,  de  sa  propre  collection,  rais  eu 
regard  du  texte  grec  de  l'an  1022  (n°  162  de  la  Bibl.  synodale  de  Moscou),  avec 
des  variantes  de  deux  autres  manuscrits  grecs  du  XP-Xlh^  et  du  XIIP  siècle 
(n^s  178  et  159  de  la  même  bibliothèque)  et  une  chromolithographie  représentant 
S.  Jean  le  Théologien  et  S.  Prochore,  son  disciple.  Moscou,  1879,  in-folio  de  X  et 
68  pages. 


ICONOGRAPUIE   DE   S.  JEAN    L'ÉVANGÉLISTE  199 

louanges,  et  elle  forme  un  in-folio  de  80  pages  environ  orné  d'une  grande 
et  ravissante  miniature  extraite  d'un  évangile  grec  du  X^-XP  siècle  et  re- 
présentant saint  Jean  avec  son  disciple  Prochore,  qui  écrit  sous  sa  dictée. 

Dans  l'avant-propos  placé  en  tète  des  Voyages  de  saint  Jean  illustrés, 
dont  il  sera  parlé  tout  à  l'heure,  on  lit  qu'elle  a  été  prise  dans  le  précieux 
évangile  du  IX'  siècle,  autrefois  propriété  de  l'impératrice  Tliéodora,  et 
conservé  maintenant  à  la  Bibliothèque  impériale  de  Saint-Pétersbourg. 
Mais  l'éditeur  lui-même  de  la  miniature  déclare  l'avoir  empruntée  à  un 
Tétra-Evangile  du  X'=-XI^  siècle  appartenant  à  la  bibliothèque  synodale  de 
Moscou  et  coté  n°  41,  où  elle  occupe  le  feuillet  206.  Ce  désaccord  ne  tar- 
dera pas,  sans  doute,  à  disparaître  ;  en  attendant,  la  déclaration  de  l'ar- 
chimandrite Amphiloque,  si  formelle  et  si  précise,  nous  semble  devoir 
l'emporter  sur  celle- de  l'éditeur  des  Voyages  illustrés  '. 

Quoi  (ju'il  en  soit  de  ce  détail,  qui  a  pourtant  son  intérêt,  la  miniature 
en  question  est  d'un  très  bon  goi^it  et  d'une  exécution  parfaite.  Elle  a  un 
fond  d'or  encadré  de  quatre  traits  en  cinabre.  Saint  Jean  y  est  représenté 
debout,  le  visage  tourné  vers  le  ciel,  d'oii  paraît  la  droite  du  Tout-Puis- 
sant, signe  de  l'intervention  divine.  De  la  main  gauche  il  fait  un  geste  ex- 
primant l'étonnement  que  lui  inspire  l'apparition  de  la  main  divine;  de  sa 
droite  il  semble,  à  son  tour,  bénir  Prochore,  occupé  à  écrire  sous  sa  dic- 
tée. Le  disciple  est  assis  auprès  d'un  rocher,  que  surmonte  un  arbre  ; 
il  a  à  ses  côtés  une  écritoire  posée  par  terre.  La  figure  de  l'apôtre  évan- 
géliste  est  pleine  d'expression  et  d'attrait;  il  a  un  front  large,  une  barbe 
grise,  arrondie  et  peu  longue  ;  des  cheveux  également  gris  et  courts  ;  aux 
pieds  il  porte  des  sandales  antiques.  Son  vêtement  intérieur  est  de  cou- 
leur bleue,  avec  une  bande  d'or  à  l'épaule  droite  :  le  palliura  a  une  teinte 
verdâtre.  Le  costume  de  Prochore  ne  diffère  guère,  sauf  que  son  habit 
supérieur  tire  sur  le  lilas.  Il  a  une  chevelure  courte  et  point  de  barbe  ;  il 
écrit  le  commencement  de  l'Evangile  :  Iv  ap/^  et  entame  la  seconde  page. 
Au-dessus  de  lui  on  lit  en  grec  :  O  ALIOG  IIPOXOPOG;  tandis  que  l'ins- 
cription 0  ALIOG  loj O  ©EOAOrOG  se  trouve  au  bas  de  l'apôtre.  Un 

nimbe  orne  la  tête  de  l'un  et  l'autre.  L'archimandrite  Amphiloque  com- 
pare cette  miniature  à  deux  autres,  qui  datent  à  peu  près  de  la  même 
époque,  et  il  fait  la  remarque  que  cette  manière  de  traiter  le  sujet  dont  il 
s'agit  s'est  conservée  dans  l'iconographie  russe   jusqu'en  1681.  (Pag.  X.) 

L'une  des  deux  miniatures  citées  tout  à  l'heure  se  trouve  dans  un  Evan- 
gile qui  avait  appartenu  à  la  collection  Norov  et  qui  date  du  X^-XI^  siècle. 

'  Le  désaccord  vient  de  ce  qu'on  avait  eu  d'abord  l'intention  de  reproduire  la 
première  miniature,  et  qu'on  a  préféré  ensuite  donner  la  seconde  qui  est  à  Moscou. 


200  ICONOGRAPUIE  DE  S.  JEAN  l'ÉVANGÉLISTE 

L'autre  se  conserve  parmi  les  manuscrits  grecs  de  la  Bibliothèque  impé- 
riale tle  Saint-Pétersbourg  (n0  67);  c'est  précisément  celle  dont  parle  la 
préface  de  la  Vie  de  saint  Jean  illustrée. 

Mais  le  mérite  principal  de  la  publication  d'Ampliiloque  vient  du  texte 
grec-slave,  qu'il  eut  l'heureuse  pensée  do  mettre  en  regard  l'un  de  l'autre, 
comme  pour  montrer  par  là,  une  fois  de  plus,  combien  l'ancienne  Russie 
a  été  fidèle  à  conserver  les  monuments  de  la  Grèce  chrétienne,  et  com- 
bien il  importe  de  mieux  connaître  les  trésors  littéraires  et  inédits  qu'elle 
cache  dans  ses  bibliothèques  publiques  ou  privées.  Après  avoir  indiqué 
les  différences  qui  existent  entre  le  texte  grec  de  1022,  qu'il  publie  pour 
la  première  fois  en  entier,  et  celui  des  fragments  qui  avaient  été  imprimés 
en  1569  à  Bâle,  dans  les  Monumenta  SS.  Patrum  orthodoxographa,  le  docte 
archimandrite  parle  delà  version  latine  de  la  Bibl.  maxima  veterum  Pa- 
tj'um,  et  donne,  d'après  l'édition  lyonnaise  de  1677,  les  titres  de  48  cha- 
pitres qui  partagent  le  récit  de  Prochore.  Le  chapitre  XVII  contenant  l'é- 
pisode du  juif  Marnon  esrt  reproduit  en  entier,  parce  qu'il  no  l'a  trouvé 
dans  aucun  texte  grec  ou  slave.  Les  titres  des  chapitres  y  manquent  éga- 
lement; on  ne  les  lit  que  dans  l'édition  slavonne  faite  à  Klintzi  vers  1793. 
En  revanche,  la  version  latine  n'a  rien  sur  la  composition  de  l'Apocalypse, 
en  quoi  elle  s'accorde  avec  la  rédaction  grecque  de  1022. 

Le  texte  slavon  de  l'édition  1878  remonterait,  d'après  Amphiioque,  au 
XP  siècle  ;  un  fragment  des  mômes  Voyages  relatif  à  Procliniane  et  son  fils 
Sosipatre  a  été  publié  dans  le  XXVIIP  vol.  des  Mémoires  de  l'Académie  de 
Saint-Pétersbourg  (en  1875)  par  M.  Sreznevski,  professeur  émérite,  qu'on 
est  sûr  d'avance  de  rencontrer  sur  son  chemin  dès  qu'on  met  le  pied  sur 
le  vaste  domaine  de  la  littérature  slavonne.  Le  texte  de  ce  fragment  étant 
le  plus  ancien  de  ceux  qu'on  connaisse,  Amphiioque  en  produit  les  variantes 
ainsi  que  celles  d'un  autre  fragment  bien  plus  étendu  qu'il  a  découvert 
dans  un  recueil  manuscrit  du  couvent  de  Troïtza,  du  XIV  siècle. 

Quant  à  l'édition  de  1793  faite  par  les  vieux-croyants,  le  toxtc  qu'elle 
contient  semble  provenir  de  deux  rédactions  différentes;  dans  sa  première 
moitié,  il  s'accorde  assez  avec  celui  d'Amphiloque  (XV^-XVP  s.)  ;  mais  il 
s'en  éloigne  visiblement  dans  la  seconde  moitié  et  se  rapi)roche  davan- 
tage des  rédactions  du  XVIP  siècle.  Un  exemplaire  de  cette  dernière  fait 
partie  de  la  collection  du  docte  archimatidrite  et  il  en  énumère  les  va- 
riantes. C'est  à  la  même  époque  qu'appartient  le  (exfc  de  l'édition  illustrée 
des  Voyages  de  saint  Jean^  que  nous  devons  à  M.  le  prince  Paul  Viazeraski 
et  à  la  Société  des  amis  de  l'ancienne  littéiature  russe,  dont  il  est  prési- 
dent. Nous  allons  étudier  cet  intéressant  volume,  surtout  au  point  de  vue 
de  l'art  iconographique. 


ICONOGUAPUIE    DE    S.  JEAN    l'ÉVANGÉLISTE  201 

Ce  n'est  pas  que  le  texte  reproduit  par  le  prince  Viazemski  soit  dénué 
de  valeur  ou  n'offre  aucun  intérêt  sérieux,  non  ;  il  a  des  mérites  littéraires, 
on  y  découvre  des  traits  qui  lui  sont  propres.  Cependant  son  principal  in- 
térêt vient  des  illustrations  dont  il  est  accompagné,  ou,  pour  parler  plus 
exactement,  qu'il  accompagne  en  guise  de  commentaire.  Tel  semble  avoir 
été,  en  effet,  le  but  que  se  proposait  celui  qui  l'a  rédigé  :  il  voulait  expli- 
quer les  dessins  dont  le  nombre  égale  presque  celui  des  pages.  Aussi,  tan- 
tôt il  abrège  le  récit  des  événements,  tantôt  il  les  passe  sous  silence, 
comme  chacun  peut  s'en  convaincre,  en  comparant  ce  récit  aux  autres 
textes  plus  anciens  et  plus  complets.  La  dernière  partie  en  est  le  plus 
abrégée,  comparativement  au  reste  :  on  dirait  que  le  rédacteur  ou  le  com- 
mentateur avait  hâte  d'arriver  aux  faits  miraculeux  qui  ont  rendu  glorieux 
le  tombeau  de  l'apôtre-vierge. 

M.  le  prince  Viazemski  a  eu  soin  de  collationner' son  texte  sur  celui 
du  grand  Ménologe  de  Macairc,  d'après  les  deux  exemplaires  de  Novgo- 
rod et  de  Moscou  ;  et  de  marquer  à  la  marge  les  divergences  les  plus  sail- 
lantes. Ce  travail  de  collationnement,  fait  en  commun  avec  M.  Savvaïtov, 
inspira  la  bonne  pensée  d'éditer  le  texte  complet  de  la  V/'e  de  saint  Jean, 
d'après  le  dit  Ménologe  ;  et  c'est  M.  Savvaïtov  lui-même  qui  s'est  chargé 
de  la  mettre  à  exécution,  ce  qui  revient  à  dire  que  nous  aurons  une  excel- 
lente publication  de  plus  à  ajouter  à  tant  d'autres  dont  îa  science  archéo- 
logique lui  est  redevable. 

De  la  sorte,  la  Société  des  anciens  textes  russes  aura  mis  entre  les 
mains  du  public  trois  volumes  consacrés  à  saint  Jean  l'Évangéliste,  et  se 
complétant  l'un  l'autre,  ce  dont  on  doit  lui  savoir  grand  gré.  Mais  il  ne 
faudrait  pas  croira  pour  cela  que  la  matière  e.-t  épuisée,  qu'il  ne  reste 
plus  rien  à  faire.  Jusqu'ici  on  n'a  jnisau  jour  que  des  matériaux  ;  encore 
ne  sont-ils  pas  complets;  combien  en  reste-t-il  d'inédits!  Ensuite,  et  c'est 
le  point  essentiel,  ces  miitériaux  ont  besoin  d'être  coordonnés,  classés, 
épurés  par  l'analyse  critique  et  interprétés.  On  Ta  fait  pour  d'autres  lé- 
gendes; dernièrement  encore,  S.  Georges  le  légendaire  a  inspiré  à  M.  Kir- 
pitchnikov  une  étude  fort  remarquable  ;  S.  Jean  de  la  légende  mérite 
assurément  qu'on  en  fasse  autant  pour  lui. 

Mais  avant  de  s'occuper  des  textes  inédits,  il  faudrait  utiliser  ceux  qui 
sont  déjà  du  domaine  public.  A  ce  propos,  et,  sans  aller  très  loin,  qu'il 
me  soit  permis  d'appeler  l'attention  de  mes  savants  compatriotes  sur  le 
travail  de  M.  Gucrin,  mentionné  plus  haut  ;  d'autant  que  je  ne  le  vois  cité 
dans  aucun  des  ouvrages  consacres  aux  Voyages  de  S.  Jean.  Et  cependant 
il  en  traite  ex  professa  dans  le  troisième  chapitre  de  sa  Description  de 
nie  de  Patmos  ;  il  y  donne  l'analyse  d'un  man-.iscrit  grec  qu'il  a  trouvé 


202  ICONOGBAPHIE   DE    S.  JEAN    l'ÉVANGÉLISTE 

à  la  bibliothèque  du  couvent  de  l'Apocalypse  et  qui  s'intitule  ainsi  :  Ai 
TTsptôSoi  Toîî  ôeoXo'you  (TuvYpacpeTffxt  iDtpà  ITpoyopou  (Voyages  de  Jean  le  théolo- 
gien, composés  par  Prochore);  il  expose  plus  longuement  les  faits  arrivés 
pendant  le  séjour  du  saint  Apôtre  h  Patmos,  et  particulièrement  l'épisode 
de  Cynops.  Enfin,  à  un  résumé  très  abrégé,  mais  exact  de  la  It^gende,  il 
ajouta,  comme  il  a  été  dit  au  commencement,  le  texte  original  et  une 
traduction  française  de  deux  passages;  celui  où  Prochore  rapporte  dans 

quelle  occasion  S.  Jean  composa  son  Évangile  ('I5wv  o5v  6  îfoawv];,  elc 

pag.  27),  et  celui  dans  lequel  il  raconte  la  mo"t  de  son  maître  ("Ecdy]  f^-eià 
xaÏÏTa  Tw  Byiow,  etc...  p.  31).  M.  Guérin  termine  l'analyse  de  ce  manuscrit 
par  une  liste  de  tous  les  noms  de  lieux  qui  y  sont  cités  comme  se  trouvant 
dans  l'île  de  Patmos. 

Je  ne  m'arrêterai  point  à  l'analyse  qu'il  fait  d'un  abrégé  du  même  ou- 
vrage de  Prochore,  rédigé  par  Nicétas,  archevêque  de  Thessalonique,  et 
intitulé  également  :  TIspioSoi  xou  ôeoXo'you,  ni  sur  le  Synaxariste  ou  Vies  des 
Saints,  par  Maurice,  diacre  de  la  grande  église.  Mais  je  recommanderai 
le  chapitre  suivant  dans  lequel  M.  Guérin  signale  les  principales  diffé- 
rences qui  distinguent  le  manuscrit  grec  de  Patmos  d'avec  la  tradition 
latine  de  l'édition  de  Lyon,  de  1677.  Je  pense  même  faire  chose  agréable 
au  lecteur,  en  reproduisant  ici  les  conclusions  de  l'auteur  français,  assez 
courtes  d'ailleurs.  Les  voici  : 

1°  Le  manuscrit  grec  ne  dit  rien  du  martyre  subi  par  S.  Jean  à  Rome 
près  de  la  Porte  Latine,  tandis  que  la  traduction  latine  en  parle  avec  dé- 
tails, au  chapitre  X. 

%  La  traduction  latine  ne  donne  qu'un  seul  nom  de  lieu  (Phlago),  tan- 
dis que  le  manuscrit  grec  en  cite  plusieurs. 

3°  Le  manuscrit  ne  dit  point  que  l'Apocalypse  ait  été  composé  à  Pat- 
mos ;  la  traduction  l'affirme  (Ch.  XLVIII,  à  la  fin). 

4°  L'ordre  des  miracles  et  des  faits  est  souvent  interverti  dans  la  ver- 
sion latine.  Enfin, 

5°  La  mort  extraordinaire  de  S.  Jean  y  est  passée  sous  silence. 

11  esta  remarquer  que  ces  conclusions  s'appliquent  aux  textes  slaves 
aussi  bien  qu'aux  textes  grecs,  leur  modèle  et  leur  source  ;  et  si  c'était 
l'endroit,  on  aurait  pu  aisément  prolonger  la  liste  des  différences  qui 
viennent  d'être  relevées.  Mais  les  Illustrations  réclament  depuis  longtemps 
la  part  qui  leur  revient  de  droit  dans  cet  aperçu. 


ICONOGRAPUIE    DE    S.  JEAN    l'ÉVANGÉLISTE  203 


II. 

Les  illustrations  qui  décorent  le  volume  offrent  un  curieux  spécimen  de 
l'art  iconographique  russe.  Quoique  la  date  du  manuscrit  qui  les  contient 
et  qui  appartient  à  la  belle  collection  de  M.  le  prince  Viazemski,  soit  assez 
récente  (XVII),  malgré  cela  elles  ont  un  certain  caractère  archaïque. 

11  ne  faut  pas  y  chercher  la  richesse  de  composition,  l'élégance  des 
formes,  ou  la  finesse  du  travail  ;  sous  ce  rapport,elles  sont  bien  inférieures 
aux  dessins  de  la  Vie  de  S.  Alexis,  que  la  même  Société  des  anciens  textes 
7'usses  a  publiée  il  y  a  deux  ans.  Mais  on  doit  reconnaître  qu'elles  présen- 
tent des  types  remarquables,  sinon  par  l'élégance,  au  moins  par  leur  sim- 
plicité naïve  et  originale.  En  examinantces  enluminures  de  près,  on  y  dé- 
couvre un  je  ne  sais  quel  mélange  des  éléments  nationaux  et  allogènes. 
«  La  nationalité  des  types, dit  à  ce  propos  M. le  prince  Viazemski',  se  laisse 
((  déterminer  difficilement  ;  il  y  a  là  quelque  chose  de  l'Asie  centrale  ;  le 
((  caractère  général  en  fait  penser  aux  vases  chinois.  Le  vêtement  de  Jean 
«  et  de  Prochore,  celui  des  apôtres  et  des  philosophes  grecs, lesguerriers, 
«  les  mailles, les  piques,  tout  cela  se  trouve  déjà, sous  la  même  forme, dans 
('  les  manuscrits  des  X*  et  XP  siècles.  Les  gens  portent  le  costume  en 
(i  usage  dans  l'Asie  centrale  ou  parmi  les  Russes.  Les  démons  ailés  rap- 
(i  pellent  le  type  adopté  dans  1  Europe  du  Moyen-Age,  celui  des  cava- 
«  liers  italiens  du  XVI*^  siècle.  Malheureusement,  les  miniatures  ont  été 
((  endommagées.  L'artiste  a  mis  à  les  dessiner  plus  de  soin  que  d'art, 
((  quoiqu'il  avait  son  genre  d'habileté.  Les  dessins  qui  ornent  les  deux 
((  premières  pages  du  manuscrit  étant  plus  riches  et  plus  anciens  que  les 
((  autres,  on  pounait  supposer  qu'elles  appartenaient  au  manuscrit  qui 
a  avait  servi  de  modèle  à  ceux-là.  » 

C'est  tout  cet  ensemble  de  particularités  iconographiques  qui  a  déter- 
miné l'auteur  de  l'appréciation  qu'on  vient  de  lire,  à  publier,  en  fac- 
similé,  son  exemplaire  illustré  des  Voyages  de  S.  Jean,  publication 
jusqu'à  présent  unique  et  que  ses  nombreuses  enluminures  rendent  dou- 
blement curieuse. 

J'ajouterai,  de  mon  côté,  que  le  dessinateur  a  fait  preuve  de  son  habi- 
leté et  de  son  application,  surtout  en  demeurant  fidèle  dans  la  représen- 
tation des  principaux  personnages  qu'il  avait  à  peindre.  Ainsi,  par 
exemple,  le  héros  du  récit,  S.  Jean,  et  son  disciple  Prochore,  conservent 

'  Cité  par  rarchimandrite  Amphiloque  dans  son  édition  des  Voyages  de  S.  Jean 
pur  l'rochore,  p.  IX  de  la  Préface. 


204  ICONOGUArUlE    DE    s.  JEAN    l'ÉVANGÉLISTE 

partout  le  même  type  et  se  laissent  reconnaître  immédiatement;  on  dirait 
qu'à  force  de  les  retracer,  —  car  S.  Jean  et  Prochore  reviennent  presque 
à  toutes  les  pages  et  souvent  plus  d'une  fois  sur  la  même  page,  —  l'ar- 
tiste n'avait  qn'à  laisser  sa  main  tracer  les  contours  accoutumés.  II  faut 
en  dire  autant  des  autres  figures  ou  objets  qu'il  était  obligé  de  repro- 
duire bien  des  fois,  et  qui  tous,  en  effet,  se  ressemblent  d'une  façon  mar- 
quante. 

Avant  d'arriver  à  la  description  des  miniatures,  je  me  permets  de  rap- 
peler au  lecteur,  que  les  illustrations  constituent  dans  ce  volume  la  partie 
principale,  le  texte  ne  leur  servant  que  d  explication  et  de  commen- 
taire; je  puis  donc  me  dispenser  de  donner  auparavant  un  abrégé  du  ré- 
cit lui-même;  si  succinct  qu'on  le  fasse,  cet  abrégé  ne  serait  qu'une  répé- 
tition fastidieuse  de  ce  qui  va  être  dit  en  commentant  les  dessins.  Rien 
n'empêchera  d'ailleurs  de  grouper  ceux-ci  de  manière  à  en  faire  comme 
autant  de  divisions  correspondant  aux  principaux  chapitres  du  texte.  Des 
titres  imprimés  en  italiques  indiqueront,  au  besoin,  ces  divisions. 

La  première  page  représente  le  frontispice  d'un  temple;  en  haut,  sous 
un  arc,  Dieu  le  Père  et  le  Fils  à  mi-corps,  ornés  d'auréoles  et  bénissant  ; 
Dieu  le  Père  a  autour  de  sa  tête  un  double  nimbe  carré  et  croisé,  Dieu  le 
Fils  porte  une  couronne  et  tient  delà  main  gauche  le  livre  des  Evangiles. 
En  bas,  un  ange  montre  à  S.  Jean  la  cité  de  Dieu  et  le  fleuve  qui  traverse 
le  Paradis. 

F.  4.  Séparation  des  apôtres.  —  Après  la  distribution  des  sorts  et  le 
partage  du  monde,  les  apôtres  vont  se  séparer.  De  quatre  groupes  dont  se 
compose  la  miniature,  le  premier  représente  deux  apôtres  qui  s'embras- 
sent; dans  le  second,  S.  Jean  se  prosterne  devant  S.  Pierre  qui  le  bénit 
et  le  relève  ;  dans  le  troisième,  S.  Jean  et  un  autre  apôtre  prient  S.  Jac- 
ques de  réciter  sur  eux  des  prières  ;  le  frère  du  Seigneur,  entouré  des 
Apôtres  et  tenant  un  livre  à  la  main,  récite  des  prières.  Il  est  revêtu  d'un 
ornement  blanc  semé  d'étoiles  et  d'un  omophore,  un  des  insignes  de  la 
dignité  épiscopale.  Tous  les  autres  apôtres  ont  des  vêtements  de  couleur  ; 
celui  de  S.  Jean  est  rouge  avec  un  manteau  bleu  foncé;  le  même  costume 
lui  Cft  conservé  partout  ailleurs,  de  sorte  qu'on  le  distingue  aussitôt 
de  Prochore  qui  porte  un  habit  rouge  avec  un  manteau  vert  et  n'a  point 
de  barbe. 

F.  7.  S.  Jean  se  rend  en  Asie-Mineure  à  bord  d'un  vaisseau  qui  fait nau- 
frage.  —  S.  Jean,  à  bord  d'un  vaisseau  qui  navigue  à  pleines  voiles,  fait 
part  à  son  cher  disciple  Prochore  de  la  tristesse  dont  son  âme  est  remplie 
et  lui  prédit  le  prochain  naufrage.  Tel  est  aussi  le  sens  de  la  légende  pla- 
cée en  caractères  rouges  au-dessus  de  la  miniature.  Toutes  les  miniatures, 


ICONOGRAPEIE    DE    S,  JKAN  T.  RVANGKLISTE  20o 

en  général^  sont  abondamment  pourvues  de  légendes  correspondantes  que 
le  plus  souvent  je  ne  fais  que  traduire. 

F.  7  verso.  «  L'apôtre  parlait  encore,  quand  soudain  un  vent  impétueux 
souleva  les  flots  de  la  mer  qui  couvrirent  le  vaisseau  et  finirent  par  le 
submerger.  »  On  voit  les  naufragés  gisant  sur  le  rivage,  excepté  S.  Jean, 
dont  on  aperçoit  la  tôte  dans  le  lointain,  au  milieu  des  vagues, 

F.  8.  Après  avoir  passé  plusieurs  heures  dans  une  sorte  d'assoupisse- 
ment, ils  essaient  de  se  lever,  en  s'aidant  mutuellement.  Prochore  se  tient 
déjà  debout. 

F.  8  verso.  Il  est  attablé  avec  ses  compagnons  d'infortune  qui  lui  font 
des  reproches  et  des  avanies;  il  a  un  air  affligé  et  éploré. 

F.  II.  Le  voilà  conduit  par  eux  devant  le  juge  de  l'endroit  qui  ordonne 
de  le  relâcher,  grâce  à  l'intervention  d'un  seigneur  nommé  Séleuque.  Le 
juge  est  assis  sur  son  tribunal;  Séleuque  lui  montre  Prochore  qui  se  tient 
plus  bas  en  versant  des  larmes. 

F.  H  verso.  Prochore,  assis  sur  un  rocher,  aperçoit  sur  le  rivage  son 
maître,  apporté  par  les  flots  de  la  mer  et  il  vient  à  son  secours.  Au  bas, 
dans  la  mer,  on  voit  encore  la  tête  de  S.  Jean. 

F.  13.  Jean  et  Prochore,  assis  sur  un  rocher;  vis-à-vis  un  établissement 
de  bains;  au  milieu,  la  maîtresse  de  l'établissement,  femme  colère  et  très 
robuste,  qui  leur  propose  d'y  prendre  du  service. 

F.  13  verso.  Jean  et  Prochore  au  service  d'une  maîtresse  de  bains.  —  La 
virago  leur  commande  avec  menaces  de  bien  s'acquitter  de  leur  service; 
on  les  voit  dans  l'exercice  de  leurs  fonctions  respectives  :  S.  Jean  portant 
des  charges  de  bois  pour  chaufl'er  le  four,  Prochore  puisant  de  l'eau 
dans  un  puits  à  l'aide  d'un  instrument  connu  en  Russie  sous  le  nom  de 
badia. 

F.  15.  La  farouche  maîtresse  saisit  aux  cheveux  le  vénérable  Apôtre  et 
le  frappe  impitoyablement  pour  avoir  été  maladroit  dans  l'accomplisse- 
ment de  sa  nouvelle  charge.  Prochore  est  assis  sur  les  degrés  du  four  dont 
la  structure  intérieure  rappelle  celle  des  bains  russes. 

F.  lo  verso.  S.  Jean  ranime  son  disciple  désolé  de  ces  mauvais  traite- 
ments. On  les  voit  qui  s'entretiennent  dans  l'embrasure  d'une  fenêtre. 
A  droite,  devant  la  porte.  Romaine,  c'est  le  nom  de  la  maîtresse,  demande 
à  S.  Jean  ce  qu'il  veut  avoir  pour  son  entretien. 

F.  17.  Romaine  accable  d'injures  le  serviteur  de  Dieu  qui  se  tient  avec 
Prochore  sur  le  seuil  de  la  maison  et  fait  un  geste  indiquant  que  sa  maî- 
tresse agit  sous  l'impulsion  de  l'esprit  malin. 

F.  17  verso.  Romaine,  suivie  de  deux  témoins,  enjoint  à  l'apôtre  de  se 
déclarer  son  esclave.  S.  Jean  et  Prochore  se  tiennent  à  l'entrée  des  bains. 


206  ir.ONOGRApniK  de  s.  jfan  l'évangéliste 

F.  19.  Romaine,  ayant  saisi  l'apôtre  par  les  cheveux,  s'apprête  à  le 
frapper  d'un  bâton,  en  présense  de  Prochore  et  de  deux  autres  hommes. 

F.  19  verso.  En  haut,  un  notaire  constate  par  écrit  la  convention  passée 
entre  Romaine  et  S.  Jean  devant  témoins.  En  bas,  dans  l'intérieur  du  bain, 
un  démon  et  un  jeune  homme  qu'il  a  étouffé.  Les  parents  de  celui-ci  se 
tenant  dehors  pleurent  le  malheur  arrivé  à  leur  fils  Dioscoride. 

F.  21.  Ayant  appris  l'accident  et  croyant  que  la  mort  de  Dioscoride 
était  arrivée  par  la  faute  de  S.  Jean,  Romaine  dépose  sa  coiffe,  le  sai- 
sit par  les  cheveux  et  le  maltraite  en  présence  de  Prochore  et  d'une  nom- 
breuse compagnie. 

F.  21  verso.  Elle  s'arrache  les  cheveux  de  désespoir,  tandis  que  le  cha- 
ritable apôtre  bénit  le  cadavre  de  Dioscoride,  étendu  sur  le  plancher,  et 
le  rappelle  à  la  vie  au  nom  de  Notre-Seigneur. 

F.  23.  S.  Jean,  suivi  de  son  disciple,  amène  le  jeune  Dioscoride  devant 
Romaine  qui  s'en  montre  à  la  fois  effrayée  et  confuse.  Une  foule  de 
carieiix  se  presse  autour  d'elle  et  de  la  maison.  Le  père  de  Dioscoride 
expire  à  la  nouvelle  de  la  mort  de  son  fils. 

F.  23  verso.  S.  Jean  rend  la  vie  au  père  de  Dioscoride,  en  présence  de 
son  disciple,  de  sa  maîtresse  et  de  trois  autres  personnes. 

F.  25.  Doublement  reconnaissant,  le  père  de  Dioscoride  se  prosterne 
aux  pieds  de  son  sauveur,  assis  avec  Prochore,  et  déchirant  l'acte  de  ser- 
vitude que  Romaine  lui  avait  fait  signer  et  qu'elle  vient  de  lui  présenter 
d'elle-même. 

F.  25  verso.  S.  Jean  et  son  disciple  se  tiennent  devant  un  temple  païen 
et  courent  le  danger  d'être  lapidés  par  la  foule  venue,  en  habit  blanc, 
assister  au  sacrifice  qui  allait  être  offert  à  l'idole. 

F.  26.  L'apôtre,  les  bras  étendus,  les  yeux  tournés  vers  le  ciel,  prie 
Dieu  que  l'idole  soit  renversée  et  sa  prière  s'accomplit.  La  foule  venue  à  la 
suite  des  sacrificateurs  le  menace  de  sa  colère. 

F.  27  verso,  Le  saint  tourné  du  côté  d'Orient,  prie  sur  une  montagne, 
pour  les  victimes  qui  ont  péri  sous  les  ruines  du  sanctuaire,  Prochore 
se  tient  près  de  l'apôtre,  et  la  foule  consternée  attend  l'issue  de  la 
prière. 

F.  29.  Les  gens  de  la  foule  se  prosternent  aax  pieds  de  l'apôtre  dont  les 
prières  viennent  de  ressusciter  les  victimes  ;  lui-même  se  tient  debout,  en 
action  de  bénir  les  assistants. 

F.  29  verso.  S.  Jean  guérit  un  paralytique  couché  par  terre  et  ayant 
derrière  lui  Prochore.  A  gauche,  le  démon  dans  le  temple  de  Diane. 

F.  31.  Le  démon,  sous  la  forme  d'un  guerrier  et  un  rouleau  à  la  main, 
est  assis  dans  un  lieu  élevé,  simulant  une  profonde  tristesse.  Deux  guerriers 


ICONOGRAPIKE   DE    S.  JEAN    l'F.YANGÉLISTE  201 

armés  de  longues  épées  s'enquièrent  des  causes  de  sa  douleur  et  de  ses 
pleurs.  Ils  ont  un  costume  curieux;  leur  coiffe  est  pointue. 

F.  31  verso.  Le  démon  se  prosterne  aux  pieds  de  ces  guerriers  qui 
tâchent  de  le  consoler. 

F.  33.  S.  Jean  relève  le  courage  de  son  disciple  ;  ils  sont  assis  dans 
l'embrasure  d'une  fenêtre. 

F.  33  verso.  L'apôtre  est  saisi  par  deux  guerriers  dont  l'un  s'apprête  à 
le  frapper  d'un  bâton,  mais  Prochore  l'en  retient.  A  côté,  une  prison. 

F.  34.  Dioscore  arrive  à  temps  pour  l'arracher  aux  mains  des  guerriers, 
à  qui  il  fait  de  vives  remontrances. 

F.  34  verso.  Les  guerriers,  revenus  à  l'endroit  où  ils  avaient  rencontré 
le  démon,  et  ne  l'y  trouvant  plus,  se  mettent  à  s'en  lamenter;  l'un  d'eux 
pleure.  Le  démon  leur  apparaît  de  nouveau  tenant  de  la  main  gauche 
une  bourse  pleine  d'or  qu'il  promet  de  leur  donner,  en  récompense  de 
nouveaux  services  qu'il  attend  d'eux. 

F.  36.  La  population  ameutée  entoure  la  maison  de  Dioscore,  et  de- 
mande qu'il  lui  livre  le  magicien  Jean.  Le  saint  apôtre  paraît  sur  le  seuil 
de  la  porte,  après  avoir  conféré  avec  Dioscore. 

F.  36  verso.  Conduit  devant  le  temple  de  Diane,  S.  Jean  se  met  en 
prière,  et  renverse  le  temple  d'où  l'on  voit  s'envoler  le  démon. 

F.  38.  Il  est  de  nouveau  amené  devant  le  juge  et  accusé  de  magie. 

F.  38  verso.  Le  juge  ordonne  aux  deux  gardiens  de  le  conduire  en 
prison  ainsi  que  son  disciple  Prochore. 

F.  40.  <S„  Jean  concl  ininé  à  l'exil  fait  voile  vers  lîle  de  Patmos.  L'empe- 
reur Adrien  (s/c),  assis  sur  sou  trône  reçoit  la  plainte  des  Ephésiens  pros- 
ternés à  ses  pieds  et  ordonne  qu'on  envoie  Jean  dans  l'île  de  Patmos. 
De  la  main  gauche  il  tient  un  sceptre,  de  la  droite  le  décret  de  l'exil. 

F.  40  verso.  Durant  le  trajet,  un  jeune  étourdi  qui  dansait  sur  le  bord 
du  navire,  tombe  dans  la  mer.  Jean  et  Prochore,  dont  on  aperçoit  seule- 
ment les  têtes,  sont  dans  l'intérieur  du  navire. 

F.  42.  S.  Jean  prie  son  disciple  de  l'aider  à  se  lever.  Les  gens  de  l'équi- 
page ont  les  yeux  fixés  sur  lui  dans  l'attente  de  ce  qu'il  va  faire. 

F.  42  verso.  Il  se  met  en  prière  et  le  jeune  homme  reparaît  sur  les  flots 
tout  près  du  navire.  Les  gens  se  jettent  aux  pieds  de  l'apôtre  pour  l'en 
remercier.  De  la  soi  le,  S.Jean  est  représenté  deux  fois  sur  le  même 
vaisseau. 

F.  44.  Episode  du  juif  M ar ion ^  devenu  chrétien.  Le  vaisseau  aborde  une 
ville  nommé  Tverdi.  Marion,  juif  intluent  de  l'endroit,  se  rend  à  bord  du 
navire  et  ,s'enquiert  auprès  du  patron  sur  le  personnel  que  celui-ci  a 
amené  avec  lui.  Ayant  appris  qu'il  y  avait  là  des  chrétiens,  il  entre  en 


208  U.ONOCiRAPlHI':    DK    s.  JEAN    1/ ÉYANGÉLISTE 

fureur,  déchire  ses  vêtements  et  va  quérir  des  gardes  de  la  ville  qui  arri- 
vent pour  s'emparer  des  voyageurs. 

F.  44  verso.  Les  gardes  veulent  brûler  le  vaisseau  où  restent  Jean  et 
Procbore;  mais  les  gens  de  l'empereur  Adrien  (sic)  armés  de  piques  et 
de  hallebardes  s'y  opposent  en  exhibant  le  décret  impérial. 

F.  46.  Deux  scènes  successives  :  en  haut,  Marion  donnant  un  banquet 
aux  gens  de  l'empereur  afin  de  les  corrompre  ;  en  bas,  le  vaisseau  avec 
Jean  et  son  disciple  que  les  envoyés  viennent  quérir  et  enchaîner. 

F.  46  verso.  Jean,  chargé  de  chaînes,  aborde  la  ville  de  iMyrrha;  il  en- 
voie Procbore  visiter  un  des  gardiens  tombé  malade  et  qu'on  voit  dans  la 
partie  supérieure  de  la  maison. 

F.  48.  S.  Jean  se  rendant  à  Lephon  (sic)  instruit  les  gens  de  l'équipage. 
11  change  l'eau  de  la  mer  en  eau  douce  et  s'en  fait  verser  par  son  disciple 
dans  un  bassin. 

F.  48  verso.  Il  en  donne  à  boire  à  ses  compagnons  de  navigation,  qui 
reprennent  des  forces  et  s'empressent  de  lui  ôter  les  chaînes.  S.  Jean  se 
tient  debout,  avec  un  calice  à  la  main. 

F.  50.  Arrivée  à  Patmos.  Episode  de  My)'on  et  sa  conversion  suivie  de  celle 
de  toute  sa  famille.  S.  Jean  ayant  abordé  Patmos,  un  homme  fort  riche, 
nommé  Myron,  prie  le  gouverneur  de  l'île,  qu'il  lui  permette  de  donner 
l'hospitalité  à  ce  vieillard  et  à  son  disciple  gardés  par  des  soldats  comme 
des  prisonniers. 

F.  50  verso.  Le  fils  aîné  de  Myron,  poussé  par  l'esprit  tentateur,  quitte 
la  maison  paternelle.  On  le  voit  descendre  l'escalier  au  haut  duquel  se 
tient  son  père,  S.  Jean  et  Procbore  causent  dans  l'embrasure  d'une  fenêtre. 

F.  52.  Myron  montre  au  gouverneur  de  l'île  la  lettre  que  lui  vient 
d'écrire  ApoUonide,  son  fils,  et  fait  prendre  S.  Jean  avec  Procbore  pour 
être  conduits  en  prison. 

F.  f)2  verso.  S.  Jean,  Procbore  et  ApoUonide  sont  amenés  par  Myron  de- 
vant le  tribunal  du  gouverneur  qui  écoute  l'accusation  portée  contre  eux. 

F.  54.  Condamné  à  la  prison,  S.  Jean  demande  qu'on  lui  permette 
d'écrire  à  ApoUonide  et  se  met  à  écrire  la  lettre. 

F.  54  verso.  Prochore  remet  le  message  à  ApoUonide  qui  à  l'instant 
même  est  délivré  de  l'esprit  tentateur. 

F.  56.  ApoUonide  à  cheval  entre  dans  la  ville  ;  il  demande  à  Prochore 
où  est  son  maître,  et  apprend  que  S.  Jean  est  en  prison. 

F.  56  verso.  11  s'y  rend  aussitôt,  entre  sans  difficulté  et  emmène  avec  lui 
le  saint  prisonnier,  en  présence  de  deux  gardiens  qui  le  laissent  faire. 

F.  58.  ils  se  rendent  à  la  maison  de  Myron  qui  reçoit  les  prisonniers 
avec  joie  et  les  régale  d'un  repas. 


ICONOGRAPHIE    DE   S.  JEAN    l'ÉVANGÉLISTE  209 

F.  58  verso.  Myroii  se  rend  avec  eux  chez  le  gouverneur  à  qui  Apollo- 
nide  raconte  tout  ce  qui  s'est  passé. 

F.  60.  S.  Jean  baptise  dans  le  fleuve  Myron  et  sa  famille.  Il  bénit  la 
femme  du  proconsul  prosternée  a  ses  pieds  et  demandant  la  même  faveur. 

F.  60  verso.  Myron  et  sa  famille  offrent  à  S.  Jean  leurs  biens  et  le  prient 
de  les  accepter. 

F.  62.  Rodon,  neveu  de  iMyron,  reçoit  la  visite  d'un  homme  fort  riche, 
nommé  Basile,  qu'il  invite  à  entrer  dans  la  maison. 

F.  62  verso.  Basile  se  ji  tte  aux  pieds  de  S.  Jean  qui  le  bénit. 

F.  64.  S.  Jean  assis,  bénit  la  femme  de  Basile  prosternée  à  ses  pieds. 

F.  64  verso.  Il  délivre  du  démon  le  fils  de  Chrysogone  sur  la  prière  de 
la  mèrti  de  celui-ci  prosternée  à  ses  pieds. 

F.  66.  S.  Jean  instruit  la  foule  réunie  devant  le  temple  d'Apollon. 

F.  66  verso.  De  faux  prêtres  de  l'endroit  le  traitant  de  séducteur,  il  se 
met  en  prière  et  le  temple  s'écroule. 

F.  68.  On  le  saisit  et  conduit  de  nouveau  en  prison. 

F.  68  verso.  Myron  intercède  en  sa  faveur  auprès  du  proconsul  Acquila 
et  délivre  le  saint  apôtre. 

F.  70.  S.  Jean  guérit  un  lépreux  qu'il  trouve  sur  son  passage  gisant  par 
terre. 

F.  70  verso.  Une  veuve  supplie  S.  Jean  de  guérir  son  fils  unique  tour- 
menté par  le  démon  ;  elle  est  exaucée. 

F.  72.  S.  Jean  rend  la  santé  à  un  autre  lépreux  et  lui  enjoint  de  le  servir 
à  table,  à  quoi  celui-ci  se  prête  incontinent. 

F.  72  verso.  Un  juif  nommé  Carus  entre  en  dispute  avec  S.  Jean  qui,  en 
l'entendant  blasphémer  Jésus-Christ,  lui  ôte  l'ouïe  et  la  vue. 

F,  74.  Episode  de  Cynops^  magicien^  qui  périt  misérablement.  Ici  com- 
mence l'épisode  du  magicien  Cynops,  que  le  manuscrit  appelle  Conope. 
On  le  voit  assis  sur  une  colline  près  d'un  arbre  et  recevant  les  adorations 
des  prêtres  d'Apollon.  Il  est  habillé  à  la  manière  des  anachorètes. 

F.  74  verso.  Cynops,  costumé  de  la  même  façon  et  tenant  un  sceptre  à 
la  main,  donne  l'ordre  à  un  démon,  imberbe  mais  avec  moustaches, 
habillé  en  militaire  et  muni  des  ailes,  d'aller  tenter  S.  Jean. 

F.  76.  Sur  son  injonction,  le  démon  apparaît  à  l'apôtre  étendu  sur  une 
couche  et  lui  commande  de  ne  pas  bouger  de  l'endroit,  mais  en  vain. 

F.  76  verso.  Cynops  appelle  alors  deux  autres  démons  et  enjoint  à  l'un 
d'eux  de  tenter  de  nouveau  le  disciple  du  Christ,  à  l'autre  d'observer  tout 
à  distance  et  de  lui  rapporter  immédiatement  ce  qu'il  aura  vu. 

F.  78.  S.  Jean,  à  son  tour,  ordonne  au  premier  de  ne  plus  revenir  chez 
Cynops,  ce  que  le  second  s'empresse  d'annoncer  à  celui-ci. 

Ile  série,  tome  XI.  14 


210  ICONOGRAPHIE    DE    S.  JEAN    l'ÉVANGÉLISTE 

F.  78  verso.  Il  exhorte  Prochore  et  les  fidèles  d'avoir  courage  et  pa- 
tience. 

F.  80.  Cynops,  accompagné  de  deux  démons  et  d'une  foule  de  païens, 
vient  en  personne  faire  des  menaces  à  S.  Jean  pendant  que  celui-ci  ins- 
truit la  multitude. 

F.  80  verso.  Cynops  se  vante  devant  S.  Jean  d'avoir  rendu  la  vie  à  un 
jeune  homme  qu'on  voit  à  ses  pieds;  et  il  excite  contre  l'apôtre  la 
populace. 

F.  83.  S.  Jean,  étendu  par  terre,  est  cruellement  frappé  par  ordre  de 
Cynops  présent  à  la  scène,  laquelle  se  passe  sur  les  bords  de  la  mer. 

F.  83  verso.  S.  Jean  qu'on  croyait  mort,  se  relève  et  se  met  en  prière 
sur  une  montagne.  Plus  bas,  il  bénit  la  foule  agenouillée. 

F.  85.  Cynops  vient  de  nouveau  suivi  de  la  foule,  et  répète  ses  menaces 
et  ses  provocations. 

F.  8.0  verso.  Cynops  plonge  dans  la  mer  pour  en  retirer  le  corps  d'un 
noyé  ;  mais  celte  fois,  grâce  à  la  prière  de  S.  Jean,  il  y  reste,  à  la  grande 
stupéfaction  des  adeptes  du  magicien. 

F.  87.  L'Evangéliste  chasse  le  démon  du  corps  d'un  jeune  homme  qui 
en  était  tourmenté. 

F.  87  verso.  11  ressuscite  plusieurs  morts  et  la  foule  le  reconnaît  pour 
un  envoyé  de  Dieu. 

F.  89.  S.  Jean,  placé  sur  une  estrade,  instruit  le  peuple  qui  l'écoute 
avec  une  profonde  attention. 

F.  89  verso.  Il  guérit  un  homme  atteint  d'une  fièvre  chaude  et  qu'il  a 
rencontré  sur  son  chemin. 

F.  91.  Un  hydropique  demande  à  S.  Jean  sa  guérison  par  écrit;  sa 
supplique  est  accueillie  et  il  recouvre  la  santé. 

F.  91  verso.  Prosterné  aux  pieds  du  charitable  apôtre,  il  lui  rend  des 
actions  de  grâces,  lorsqu'un  messager,  chapeau  bas,  se  présente  à  S.  Jean 
et  annonce  que  le  proconsul  désire  lui  parler. 

F.  93.  Le  proconsul,  se  tenant  à  la  porte  de  sa  maison,  reçoit  S.  Jean 
suivi  de  Prochore  et  du  messager  ;  au  moment  même  où  ils  arrivent  la 
femme  du  proconsul  est  heureusement  délivrée  d'un  enfant  qu'on  la  voit 
tenir  entre  ses  bras. 

Telle  est  la  série,  un  peu  longue  peut-être,  des  miniatures  représentant 
les  faits  merveilleux  qui  sont  attribués  à  S.  Jean  durant  son  séjour  à 
Ephèse  d'abord,  puis  à  Patmos.  Elle  reste  pourtant  inachevée  comme  l'est 
le  texte  lui-même,  auquel  manque  la  fin  et  dont  la  dernière  partie  est  fort 
abrégée  comparativement  à  ce  qui  la  précède  dans  le  manuscrit.  Il  est 
surtout  à  regretter  que  nous  n'ayons  pas  l'interprétation  iconographique 


ICONOGRAPHIE    DE    S.  JEAN    L'ÉVANGÉLISTE  2\\ 

des  derniers  moments  du  disciple  bien-aimé,  sa  mort  ayant  été  la  source 
des  croyances  et  des  légendes  si  diverses  et  si  tenaces,  en  particulier  parmi 
les  chrétiens  d'Orient  plus  enclins  vers  le  merveilleux,  et  jadis  témoins  des 
actes  admirables  du  glorieux  apôtre  de  la  charité. 


III. 


Nous  avons  vu  comment  S.  Jean  est  représenté  dans  la  miniature  grec- 
que du  IX''  siècle,  qui  orne  le  beau  volume  de  l'archimandrite  Amphi- 
loque.  Les  Guides  d'iconographie  s'accordent  avec  elle  aussi  bien  qu'entre 
eux,  quant  au  type  qu'il  faut  donner  au  grand  apôtre-théologien.  Tous 
lui  donnent  la  figure  d'un  vieillard  aux  cheveux  gris,  au  front  chauve  et 
ayant  une  barbe  moyenne^  ni  trop  longue,  ni  trop  large.  Ce  type  est  telle- 
ment traditionnel  qu'il  sert  souvent  de  modèle  sur  lequel  doivent  être 
peints  d'autres  saints  personnages.  Ordinairement  c'est  sa  barbe  qu'on 
prend  alors  pour  terme  de  comparaison.  Plus  de  trente  fois  vous  trouverez 
dans  les  Guides  les  formules  suivantes  :  Barbe  comme  celle  de  S.  Jean  le 
théologien;  barbe  de  S,  Jean  plus  courte,  ou  plus  étroite,  ou  bien  plus  longue. 
Ainsi,  par  exemple,  S.  Antoine (17 janv.),  S.  André  (30  nov,),  S.Matthieu 
(16  nov.),  S.  Philémon  (22  nov.),  ont  la  barbe  comme  la  sienne;  S.  Hila- 
rion  (21  oct.)  l'a  également,  mais  plus  longue  et  terminée  en  pointe  ;  chez 
S.  Paul,  patriarche  de  Gonstantinople  (6  nov.),  elle  est  plus  étroite.  Au 
4  décembre,  on  lit  :  S.  Jean  Damascène,  main  comme  celle  de  S.  Jean,  c'est- 
à-dire  bénissant;  et  au  5  avril  :  S.  Agathapode,  figure  de  S.  Jean  ou  sem- 
blable à  S.  Jean;  mais  ces  nouveaux  termes  de  comparaison  font  excep- 
tion; du  moins  je  n'en  ai  pas  trouve  d'autres  exemples  dans  les  deux 
Guides  russes  publiés  par  M.  Filimonov  (Moscou,  1873  et  1876),  et  dont 
l'un  est  du  XVP  siècle,  l'autre,  bien  plus  étendu,  du  XVIIP. 

Voici  en  quels  termes  ce  dernier  formule  le  signalement  de  S.  Jean  au 
8  mai,  jour  de  sa  fête  selon  le  rite  oriental  :  «  figure  de  vieillard,  cheveux 
gris,  front  chauve,  nez  allongé,  sourcils  pendants,  barbe  épaisse  jusqu'à 
la  poitrine,  à  l'extrémité  un  peu  séparée  et  légèrement  crépue;  moustache 
également  épaisse.  Tunique  pourpre  claire,  manteau  verdâtre;  dans  la 
main  l'Evangile,  oh  il  est  écrit  :  Au  commencement  était  le  Verbe,  etc.  Il 
est  dit  dans  le  chronographe,  continue  le  Guide,  que  S.  Jean  avait  une 
barbe  allant  jusqu'à  la  ceinture  et  de  la  largeur  des  épaules,  »  Au  30  juin, 
fête  de  tous  les  douze  Apôtres,  il  répète  le  même  signalement  en  y  ajou- 
tant les  sandales.  Mais  il  oubUe  partout  le  trait,  signalé  dans  l'ancien 
Guide,  à  savoir  la  main  bénissant. 


212  ICONOGRAPHIE    DE    S.  JEAN    l'ÉYANGÉLISTE 

S'agit-il  de  représenter  S.  Jean  écrivant  l'Apocalypse,  on  n'a  qu'à  sui- 
vre les  indications  consignées  dans  le  Manuel  grec  d'iconographe^  qui 
donne,  en  21  paragraphes,  une  description  suffisante  d'autant  de  scènes 
apocalyptiques.  En  voici  le  premier  tableau  :  «  Une  grotte;  au  dedans 
S.Jean,  assis  en  extase,  regardant  derrière  lui.  Là,  sur  des  nuages,  le  Christ 
portant  une  robe  blanche  et  une  ceinture  d'or,  etc.  »  (p.  238).  «  Ce  vaste 
sujet,  fait  observer  à  ce  propos  l'éditeur  du  Guide,  Didron  aîné,  pourrait 
donner  lieu  à  une  importante  monographie.  »  (Ibid.)  On  en  trouvera 
dans  son  livre  de  précieux  éléments. 

La  mort  de  S.  Jean  que  l'Eglise  grecque  solennise  le  26  septembre,  est 
un  autre  sujet  que  l'iconographie  byzantine  a  depuis  longtemps  stéréo- 
typé. D'après  le  Guide  comparé  (du  XVIII*  siècle),  voici  comment  on 
devrait  le  peindre  :  «  Une  colline  couleur  d'ocre,  Jean  couché  dans  le  tom- 
beau de  manière  à  ne  laisser  voir  que  la  tête  qui  est  nimbée  ;  les  disciples 
se  penchent  sur  son  corps  recouvert  déjà  de  terre  ;  deux  d'entre  eux  sont 
vieux,  comme  le  prophète  Jonas;  les  trois  du  milieu  ont  la  barbe  comme 
celle  de  Jacques  de  Zébédée;  la  barbe  d'un  autre  est  plus  longue  que  chez 
Jacques  d'Alphée,  les  deux  autres  sont  jeunes.  Tous  portent  le  costume 
d'apôtres;  l'un  d'eux  couvre  la  tête  de  S.  Jean  d'un  voile  ;  les  autres  pleu- 
rent. Derrière  la  colline,  on  voit  la  ville  d'Éphèse,  une  église  et  des  mai- 
sons. »  Le  rédacteur  de  ce  Guide  ayant  l'habitude  de  mêler  au  texte  des 
notes  critiques  ou  explicatives,  ajoute,  qu'on  ne  sait  rien  de  certain  sur 
l'âge  de  S.  Jean,  que  les  uns  lui  donnent  120  ans,  d'autres  seulement  105 
ans  et  7  mois;  toutefois  il  est  reconnu  que  le  saint  a  vécu  plus  de  cent 
ans  »  (p.  160). 

Quoiqu'il  en  soit  de  l'âge  de  l'apôtre,  la  manière  dont  le  Guide  russe 
prescrit  de  traiter  le  sujet  en  question  s'accorde,  quant  au  fond,  avec  celle 
que  nous  trouvons  indiquée  dans  le  Guide  grec  (p.  384),  ou  qui  est  mise  en 
œuvre  dans  le  fameux  Ménologe  illustré  de  l'empereur  Basile  (p.  70).  La 
divergence  touche  plutôt  les  détails.  Dans  le  Ménologe  impérial  (au  26 
septembre),  le  tableau  représente,  en  effet,  une  montagne  ou  colline  etau 
milieu  une  fosse  dans  laquelle  le  saint  apôtre  se  tient  debout,  tandis  que 
les  disciples,  au  nombre  de  huit,  placés  de  chaque  côté,  le  contemplent 
attentivement;  des  paniers,  des  pelles  et  une  pioche  gisent  par  terre 
devant  la  fosse.  On  le  voit,  l'artiste  a  voulu  représenter  le  commencement 
de  cette  sépulture  extraordinaire,  dont  le  récit  apocryphe,  attribué  à 
S.  Prochore,  nous  rapporte  les  détails  si  intimes  qu'on  les  prendrait  pour 
véridiques  et  croirait  venir  d'un  témoin  oculaire. 

Le  Guide  russe  du  XVI°  siècle,  édité  par  M.  Fihmonov,  se  borne  à  la 
characléristique  générale  de  S.  Jeun  :  «  La  main  droite  bénissant,  l'autre 


ICONOGRAPUIE    DE    S.  JEAN    l'ÉVANGÉLTSTE  213 

tenant  l'Evangile;  le  vêtement  verdâtre  par-dessus  une  tunique  bleue.  » 
Voilà  tout  ce  qu'il  dit,  et  c'est  aussi  ce  qu'on  voit  sur  les  Tables  Cappo- 
niennes  (1632),  publiées  dans  les  Acta  sanctojmm,  ea  tête  du  mois  de  mai, 
ou  bien  encore  dans  le  Manuel  imagier  de  Stroganov,  imprimé  en  1868, 
par  le  Musée  d'art  et  d'industrie  de  Moscou,  d'après  un  manuscrit  du 
XVP  au  X VIP  siècle. 

La  légende  de  S.  Jean  a  une  grande  importance  pour  l'iconographie; 
elle  mérite  d'être  étudiée  avec  soin;  il  est  incontestable  qu'elle  a  été  pour 
les  artistes,  les  peintres,  les  sculpteurs,  une  source  féconde  d'inspiration 
et  peut  servir  de  précieux  commentaire  à  leurs  œuvres. 

Quant  à  la  mort  du  disciple  bien-aimé  et  les  circonstances  si  singu- 
lières qui  l'accompagnaient,  la  version  latine  de  la  légende  n'en  sait  rien, 
puisqu'elle  se  termine  par  le  départ  de  S.  Jean  de  l'île  de  Patmos  et  par 
son  retour  à  Ephèse  :  «  Ayant  trouvé  un  navire  qui  partait  pour  l'Asie, 
nous  y  montâmes;  le  dixième  jour ^  nous  arrivâmes  à  Ephèse,  et  les  frères  de 
l'Asie  vinrent  lu  devant  de  nous  avec  une  gy^ande  joie,  criant  et  disant . • 
Béni  celui  qui  vient  au  nom  du  Seigneur,  n  Ce  qui  manque  à  la  version 
latine,  se  retrouve  dans  les  rédactions  grecques  et  slavonnes.  Elles  rap- 
portent le  récit  de  sa  mort  à  peu  près  dans  les  terme?  identiques,  et  c'est 
par  là  qu'elles  finissent  toutes.  Le  texte  grec  et  slavon,  publié  tout  récem- 
ment par  l'archimandrite  Amphiloque,  raconte  la  chose  de  la  manière 
suivante  : 

«  Après  avoir  séjourné  à  Éphèse  27  ans,  depuis  son  retour  de  Pat- 
ce  mos  ',  Jean  quitta  la  maison  de  Domnus,  prit  avec  lui  ses  disciples, 
((  moi  et  les  six  autres  »  (c'est  Pseudo-Prochore  qui  parle),  et  il  nous  dit  : 
prenez  avec  vous  des  pioches  et  suivez-moi.  Nous  les  prîmes  et  nous  allâ- 
mes à  sa  suite.  Arrivés  à  l'endroit  voulu,  il  nous  dit  :  Asseyez-vous,  ce  que 
nous  fîmes.  Il  faisait  encore  nuit.  S'éloignant  alors  à  la  distance  d'un  jet 
de  pierre,  il  sa  mit  en  prière  ;  et  après  avoir  prié,  il  revint  auprès  de  nous 
et  nous  dit  :  a  Creusez  une  fosse  de  la  longueur  de  mon  corps  en  forme  de 
croix.  »  La  fosse  étant  creusée  selon  qu'il  l'a  ordonné  de  faire,  il  se  mit 
de  nouveau  en  prière.  Après  quoi,  il  se  coucha  dans  la  fosse  préparée  par 
nous  et  me  dit  :  Prochore,  mon  fils,  tu  iras  à  Jérusalem,  car  c'est  là  que 
tu  finiras  tes  jours.  Puis,  il  nous  fit  une  exhortation,  nous  embrassa  tous 
et  nous  dit  :  Couvrez-moi  avec  de  la  terre  jusqu'aux  genoux,  ce  que  nous 

'  L'auteur  de  la  légende  ajoute  que  l'exil  a  duré  quinze  ans  (ce  qui  est  positive- 
ment contredit  par  des  témoignages  de  l'histoire),  qu'avant  l'exil  S  Jean  avait 
passé  a  Ephèse  dix  ans  et  qu'en  y  arrivant  de  Jérusalem,  il  était  âgé  de  50  ans 
et  7  mois,  et  lui,  Prochore,  avait  30  ans. 


214  ICONOGRAPHIE   DE   S.  JEAN   l'ÉVANGÉLISTE 

fîmes.  Il  nous  embrassa  de  nouveau,  en  disant  de  le  couvrir  avec  de  la 
terre  jusqu'au  cou,  ce  qui  fut  également  exécuté.  «  Apportez,  mainte- 
nant, dit-il,  un  voile  pour  me  couvrir  le  visage  et  embrassez-moi  avec 
amour,  car  vous  ne  me  verrez  plus  en  cette  vie.  Nous  lui  donnâmes  le 
dernier  baiser,  en  pleurant  amèrement,  lui  couvrîmes  le  visage  et  il  rendit 
son  esprit  au  lever  même  du  soleil.  Nous  rentrâmes  dans  la  ville,  et  quand, 
pressés  par  les  frères,  nous  les  conduisîmes  à  l'endroit  de  la  sépulture  et 
ouvrîmes  le  tombeau,  nous  n'y  trouvâmes  point  de  corps,  etc.  » 

Le  même  récit  se  répète  dans  l'édition  illustrée  de  M.  le  prince  Via- 
zemski  et  dans  le  texte  slavon  du  grand  ménologe  de  Macaire.  Toutes  ces 
rédactions  viennent  d'une  source  commune.  En  les  comparant  au  texte 
grec  publié  par  M.  Guérin  d'après  un  manuscrit  du  monastère  de  Saint- 
Jean  à  Patmos,  on  découvre  entre  eux  une  notable  différence  sur  deux 
points  assez  importants.  Dans  celui-ci,  le  disciple  auquel  s'adresse  S.Jean, 
porte  le  nom  de  Bîîpo;,  que  M.  Guérin  traduit  par  Virus  (p.  32).  De  plus, 
on  y  lit  une  longue  prière  de  S.  Jean,  que  le  savant  et  pieux  écrivain  fran- 
çais n'a  pas  eu  le  loisir  de  reproduire,  ainsi  qu'il  me  l'a  déclaré  lui-même. 
Ces  deux  particularités  méritent  quelques  instants  d'attention. 

Et  d'abord,  qui  est  ce  B%o<;  ou  Viros  que  le  récit  apocryphe  dit  être  un 
des  disciples  de  S.  Jean?  Gomment  se  fait-il  que  son  nom  ne  figure  point 
parmi  les  70  disciples,  qu'on  ne  le  trouve  ni  dans  les  livres  liturgiques  ni 
dans  les  Manuels  d'iconographie  qui  les  énumèrent  pourtant  tous,  au  4 
janvier,  jour  consacré  à  leur  mémoire?  Les  autres  rédactions  du  récit 
nomment  toujours  Prochore  et  semblent  ignorer  Vù^us.  Elles  ne  donnent 
pas  non  plus  le  texte  de  la  prière  que  S.  Jean  aurait  récitée  avant  sa  mort 
et  dont  M.  Guérin  fait  mention.  Elles  se  bornent  à  dire  que  S.  Jean  a  prié, 
qu'il  fit  une  exhortation  à  ses  frères,  voilà  tout.  C'est  évidemment  une 
rédaction  abrégée.  Celle  de  M.  Guérin,  au  contraire,  est  plus  étendue  au 
moins  quant  à  la  partie  finale  du  récit;  elle  est  aussi  plus  ancienne,  puis- 
que nous  la  retrouvons  dans  une  version  arménienne  du  V^  siècle. 

—  Un  arraéniste  russe  distingué,  M.  Émine,  a  publié,  il  y  a  quelque 
temps  *,  un  récit  intitulé  :  Dormition  de  l'évangéliste  S.  Jean  le  théologien^ 
suivi  de  trois  autres  textes  apocryphes  touchant  le  séjour  de  S.  Jean  à 
Patmos  et  ses  luttes  contre  le  magicien  Cynops,  la  composition  de  son 
Evangile  et  de  son  Apocalypse,  entin  sa  mort.  Disons  de  suite,  que  les 
trois  derniers  fragments  n'apprennent  rien  de  plus  que  ce  qu'on  lit  déjà 
dans  les  textes  slavons  publiés  par  M.  le  prince  Viazemski  et  l'archiman- 
drite Amphiloque,  sauf  les  variantes  inévitables  dans  toute  traduction  ou 

*  Revue  orthodoxe  de  Moscou,  1876,  janvier. 


ICONOGRAPHIE   DE    S.  JEAN    L'ÉVANGÉLISTE  215 

copie,  comme  par  exemple  Yakori  *  (mot  russe  qui  veut  dire  ancre),  altéra- 
tion évidente  du  nom  grec  Eucharis.  Il  n'en  est  pas  de  même  de  la  Dormition 
de  S.  Jean,  qui  occupe  une  place  à  part  dans  l'estime  des  Arméniens,  per- 
suadés que  c'est  véritablement  l'œuvre  d'un  disciple  de  S.  Jean,  repro- 
duisant les  propres  paroles  de  l'apôtre.  Ce  qui  caractérise  ce  récit  avant 
tout,  c'est  une  longue  prière  qu'il  contient  et  qui  en  fait  en  quelque  sorte 
tous  les  frais  ;  car,  pour  ce  qui  regarde  les  faits,  ils  ne  présentent  rien  de 
nouveau.  D'après  M.  Emine,  cette  prière  ne  se  trouverait  nulle  part 
ailleurs;  mais  le  manuscrit  grec  que  M.  Guérin  vit  à  Patmos  prouve  le 
contraire.  Quant  à  la  valeur  qu'on  lui  attache  en  Arménie,  il  suffit  de  dire 
que  l'église  arménienne  l'a  insérée  dans  ses  livres,  qu'elle  la  fait  réciter 
tous  les  ans  le  jour  de  la  fête  de  S.  Jean,  et  aussi  sur  la  tombe  des  prêtres 
au  moment  où  le  corps  est  descendu  dans  la  fosse.  De  plus,  elle  eut  les 
honneurs  d'un  commentaire  fort  détaillé  fait  au  XII"  siècle  par  l'arche- 
vêque Nerzès  de  Lambron,  prélat  profondément  versé  dans  la  connais- 
sance des  littératures  grecque  et  syriaque. 

L'autre  trait  distinctif  du  récit  arménien  consiste  en  ce  que  le  disciple 
auquel  s'adresse  S.  Jean  porte  le  nom  de  Biroz,  lequel  fait  involontaire- 
ment penser  au  B^po?  de  la  rédaction  grecque  de  Patmos;  l'identité  des 
deux  noms  ne  laisse  aucun  doute.  L'archevêque  Nersèz  croit,  de  plus, 
que  Biroz  est  identique  avec  Prochore  auquel  on  attribue  généralement 
la  paternité  du  récit  en  question.  Il  ajoute  pleine  foi  à  cette  narration  et 
ne  doute  point  qu'il  en  existât,  de  son  temps,  une  rédaction  grecque  ori- 
ginale et  tout  à  fait  pareille  à  la  version  arménienne.  M.  Emine  a  parfai- 
tement raison  de  ne  pas  admettre  l'authenticité  de  l'écrit  attribué  à  Pro- 
chore, mais  il  va  trop  loin,  peut-être,  en  faisant  remonter  l'original  grec 
au  second  siècle.  Dans  tous  les  cas,  on  ne  saurait  nier  les  affinités  intimes 
de  celui-ci  avec  sa  copie  arménienne. 

Pour  s'en  convaincre,  on  n'a  qu'à  mettre  le  fragment  grec  de  M.  Guérin 
en  regard  du  texte  russe  de  M.  Emine  ;  on  verra  aussitôt  que  celui-ci  est 
une  traduction  littérale  de  celui-là  ^.  Malheureusement,  le  texte  grec  de  la 
prière  demeure  inédit. 

'  C'est  ainsi  que  traduit  M.  Emine  lui-même. 

*  M.  Emine,  en  traduisant  de  l'arménien,  se  servait  de  l'édition  de  la  Bible, 
faite  en  1860  à  Venise,  et  du  commentaire  mss.  de  Nerzès.  Il  eut  tort  de  préférer 
la  leçon  ordi  (qui  veut  fils,  puer),  à  celle  de  ort  (panier),  que  donne  Nerzès  et  qui 
rend  fidèlement  le  texte  grec  :  «  Prends  avec  toi  deux  autres  frères  avec  deux 
paniers  (xo'f'vou;^  et  des  pelles,  et  suis-moi.  »  Nous  avons  dit  plus  haut  que  des 
paniers  figurent  dans  la  miniature  du  Ménologe  de  Basile. 


216  icoNOGRArniE  de  s.  jean  l'évangéliste 

Il  me  reste  à  dire  quelques  mots  de  deux  traditions  relatives  à  S.  Jean 
et  dont  l'une  appartient  également  à  l'Eglise  arménienne.  Il  s'agit  d'une 
image  miraculeuse  de  la  Sainte  Vierge  attribuée  au  disciple  bien-aimé, 
comme  on  en  attribue  tant  d'autres  à  S.  Luc.  Cette  image  se  conserve  au- 
jourd'hui au  monastère  de  Khoghiaz-Vank,  non  loin  de  la  ville  de  Van; 
elle  y  aurait  été  apportée  de  Jérusalem  par  S.  Barthélémy,  apôtre  de 
l'Arménie,  à  qui,  selon  la  tradition,  les  autres  apôtres  l'avaient  cédée  pour 
le  consoler  de  ne  pas  avoir  pu  assister  au  trépas  de  la  Mère  de  Dieu.  L'his- 
toire de  cette  icône  est  rapportée  par  le  célèbre  Moïse  de  Khorène,  qui 
écrivait  au  V'^  siècle,  et  se  trouve  dans  ses  œuvres  complètes,  imprimées  à 
Venise  en  1843  (p.  281-282).  On  peut  y  lire  comment  S.  Jean  tiaça  l'image 
sur  un  bois  de  cyprès,  comment  sur  ses  instances  et  sur  celles  des  autres 
apôtres,  la  Mère  de  Dieu  voulut  bien  appliquer  l'imago  à  sa  divine  face, 
l'arroser  de  ses  larmes,  la  bénir  et  obtenir  de  son  Fils  qu'il  en  fit  une 
source  permanente  des  grâces.  M.  Emine,  en  publiant  la  version  russe 
{Revue  orthodoxe^  janv.  1874),  fait  ressortir  le  caractère  apocryphe  de 
cette  narration  à  laquelle  le  père  de  l'histoire  arménienne,  Moïse  de  Kho- 
rène, n'aura  donné  que  sa  forme  élégante  et  classique. 

L'autre  légende  nous  transporte  à  Byzance.  Un  jeune  gardien  d'oies  dé- 
sire apprendre  l'art  de  peindre.  Durant  trois  ans  il  s'exerce  à  tracer  sur 
du  sable  l'image  de  S.  Jean,  dont  il  voit  tous  les  jours  la  sainte  icône  au- 
dessus  des  portes  de  sa  ville,  voisine  de  Gonstantinople.  Il  supplie  le  saint 
d'exaucer  ses  vœux.  Le  charitable  apôtre  le  recommande  par  écrit  à  un 
peintre  de  la  cour,  nommé  Chynar  (en  russe  goussari,  du  mot  goussi,  oie). 
Le  peintre  devient  jaloux  du  nouveau  disciple.  Un  jour,  celui-ci  aidé  par 
S.  Jean  qui  guide  sa  main,  exécute  en  quelques  instants  un  tableau  du 
même  saint,  qui  avait  été  commandé  à  son  maître.  L'empereur  et  la  cour 
rendent  hommage  à  son  talent  d'artiste  ;  on  le  comble  de  faveurs. 

Ce  récit  se  lit  à  la  fin  de  la  Vie  illustrée  de  S.  Jean^  publiée  par  M.  le 
prince  Viazemski  (p.  95)  ;  on  le  retrouve  aussi  chez  les  slaves  du  midi.  En 
Russie,  dans  l'église  cathédrale  de  Riazan,  on  vénère  une  antique  image 
de  S.  Jean  l'Evangéliste,  qu'on  dit  avoir  été  peinte  par  Goussari  et  appor- 
tée de  Constantinople.  Ce  sera  probablement  quelque  copie  tirée  d'après 
un  tableau  original  conservé  dans  cette  capitale. 

On  le  voit,  le  disciple  bien-aimé  encourageait  aussi  l'art  chrétien  par 
ses  exemples  comme  par  ses  inspirations  ;  c'est  donc  bien  choisir  que  de 
le  prendre  pour  son  patron,  quand  on  poursuit  le  même  but. 

Martinov,  s.  J., 
Membre  Je  la  Société  de  Saint-Jean. 


BULLETIN 


DE  LA 


SOCIÉTÉ  DE  SAINT-JEAN 


SEANCE  GENÉIIALE  ANNUELLE 
(9  juin  1879.) 

Le  lundi  9  juin  1879,  à  4  heures,  a  eu  lieu,  au  couvent  des  Augustins 
de  l'Assomption,  sous  la  présidence  de  M.  le  duc  de  Brissac,  l'un  des 
vice-présidents,  la  séance  générale  annuelle  de  la  Société  de  Saint-Jean, 
à  laquelle  ont  bien  voulu  prendre  part  un  grand  nombre  de  m'ambres  et 
d'amis  de  la  Société. 

M.  le  duc  de  Brissac  ouvre  la  séance  par  les  paroles  suivantes  : 


t  Mesdames, 
«  Messieurs, 

a  Tout  à  l'heure,  le  R.  P.  Germer-Durand,  qui  a  bien  voulu  se  charger 
du  rapport,  vous  dira  comment  est  née  la  Société  de  Saint-Jean,  comment 
elle  s'est  développée,  comment  elle  a  essayé  de  remplir  la  mission  qu'elle 


218  BULLETIN    DE    LA    SOCIÉTÉ   DE    SAINT-JEAN 

s'est  donnée.  Mais  qu'il  nous  soit  permis,  auparavant,  d'appeler  votre  at- 
tention sur  ce  fait  qui  nous  frappe,  c'est  que  les  manifestations  de  l'art 
qui  nous  attachent,  qui  nous  intéressent  le  plus,  sont  précisément  celles 
011  se  retrouve  quelque  chose  de  ces  caractères  de  vérité  et  de  vie  qui  ont 
leur  source  dans  le  Christianisme. 

La  Société  de  Saint-Jean  se  propose  donc  de  grandir  l'art  par  la  reli- 
gion. Dans  ce  but  elle  cherche,  au  moyen  de  l'enseignement  de  l'esthé- 
tique, de  l'archéologie,  de  l'histoire  des  beaux-arts,  à  répandre  les  con- 
naissances indispensables  à  ceux  qui  créent,  pour  que  ces  créations,  quelles 
qu'elles  soient,  atteignent  réellement  leur  but. 

«  A  propos  de  l'architecture,  en  particulier,  nous  constaterons  avec 
bonheur  le  changement  qui  s'est  opéré  dans  les  esprits,  la  façon  dont  on 
s'est  mis  à  étudier,  et,  par  suite,  à  apprécier  les  monuments  des  siècles 
passés. 

«  On  sait  maintenant  reconstituer  les  édifices  que,  naguère,  on  défigu- 
rait par  des  restaurations  qui  nous  choquent  tant  aujourd'hui. 

«  J'ai  parlé  du  Christianisme  comme  source  des  belles  œuvres.  Ne  faut- 
il  pas,  pour  que  nos  monuments  religieux  répondent  à  leur  haute  destina- 
tion, que  celui  qui  les  construit  soit  initié  lui-même  à  tout  ce  qui  les 
concerne,  à  tout  ce  qui  s'y  passe  de  grand  et  d'auguste,  et  sache  entrer 
dans  des  détails  qui  semblent,  peut-être,  accessoires,  et  qui  sont, 
cependant,  si  nécessaires  pour  la  régularité,  pour  l'éclat  des  céré- 
monies. 

(i  Si  je  me  suis  ainsi,  tout  d'abord,  occupé  de  l'architecture,  c'est 
qu'elle  appelle  à  elle  la  peinture,  la  sculpture,  qui  la  complètent  et  l'a- 
niment.G'estdans  nos  monuments  religieux  que  ces  deux  arts  se  sont  par- 
ticulièrement développés.  Que  ne  dirai-je  pas  encore  de  la  musique  qui, 
dans  nos  grandes  églises,  trouve  à  se  faire  entendre,  et  à  produire  de  si 
merveilleux  effets?  Là,  par  ses  harmonies,  quand  elle  s'inspire  du  senti- 
ment religieux,  elle  sait  s'emparer  de  nos  âmes,  et  les  porter  en  haut, 
leur  douant,  ainsi,  un  avant-goût  des  concerts  éternels  qui  sont  l'idéal 
de  l'artiste,  comme  de  ceux  qui  l'écoutent. 

«  Vous  connaîtrez  tout  à  l'heure,  en  entendant  notre  rapporteur,  l'or- 
ganisation de  la  Société  de  Saint-Jean  ;  je  veux,  cependant,  que  vous 
sachiez,  tout  de  suite,  que  des  Dames  en  font  partie.  Y  a-t-il  une  œuvre 
qui  marche  bien  si  les  femmes  n'y  viennent  apporter  leurs  encourage- 
ments et  l'appui,  je  peux  le  dire  ici,  de  leurs  prières?  » 

La  parole  est  ensuite  donnée  au  R.  P.  Germer-Durand,  secrétaire  de  la 
Société,  pour  la  lecture  du  Rapport,  qui  intéresse  vivement  l'auditoire. 


BULLETIN    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    SAINT- JEAN  219 

Rapport  général  sur  les  travaux  de  la  Société  de  Saint-Jean, 
depuis  sa  fondation. 

Dans  les  précédentes  réunions  de  la  Société,  on  a  lu  des  Etudes  ou  des 
Rapports  sur  des  sujets  spéciaux,  mais  nous  n'avons  jamais  présenté 
de  Rapport  général  sur  les  travaux  de  la  Société  de  Saint-Jean. 

Permettez-moi  de  jeter  aujourd'hui  un  coup  d'œil  d'ensemble  sur  notre 
origine,  nos  moyens  d'action,  et  de  vous  dire  quelque  chose  de  ce  que 
nous  avons  fait  et  de  ce  que  nous  nous  proposons  de  faire,  avec  la  grâce 
de  Dieu  et  le  concours  que  vous  voudriez  bien  nous  prêter. 

La  Société  de  Saint-Jean  a  pour  but  le  développement  de  l'art  chré- 
tien et  la  régénération  de  l'art  par  la  religion.  Tous  les  esprits  éclairés 
reconnaissent  que  les  beaux-arts  comme  les  belles-lettres  sont  en  pleine 
décadence.  Les  expositions  publiques,  si  multipliées  de  nos  jours,  sont  la 
preuve  irrécusable  de  ce  triste  état  de  choses,  et  nous  croyons  ferme- 
ment que  les  principes  élevés  de  la  foi  chrétienne  sont  seuls  capables  de 
rendre  la  vie  véritable  aux  arts  et  aux  sciences,  comme  à  la  société. 

A  la  suite  de  nos  désastres,  les  catholiques,  sentant  la  nécessité  de  s'u- 
nir pour  la  défense  des  principes  religieux,  organisèrent  les  Comités  ca- 
thohques  et  les  assemblées  annuelles,  où  l'on  étudie  les  moyens  de  dé- 
fendre et  de  soutenir  les  intérêts  catholiques.  La  question  de  la  réforme 
de  l'enseignement  y  occupa  dès  le  début  une  grande  place  :  c'était  jus- 
tice. Mais  l'enseignement  n'est  pas  limité  aux  lettres  et  aux  sciences  ;  la 
musique  et  les  arts  du  dessin  occupent  une  trop  grande  place  dans  l'édu- 
cation et  dans  les  mœurs  sociales  pour  ne  p  is  être  l'objet  de  nos  préoc- 
cupations, aussi  bien  que  les  raath'^matiques,  la  médecine  ou  le  droit. 

Aussi,  à  la  première  assemblée  générale. des  catholiques,  qui  eut  lieu 
pendant  la  semaine  de  Pâques  de  l'année  1872,  une  Commission,  présidée 
par  M.  Rio,  s'occupa  spécialement  de  l'art  religieux,  et  conçut  la  pensée 
de  fonder  une  association  pour  aider  au  développement  de  l'art  chrétien. 

Cette  pensée  fut  immédiatement  mise  à  exécution,  grâce  au  zèle  persé- 
vérant de  notre  Président,  M.  le  baron  d'Avril,  que  nous  regrettons  de 
ne  pas  voir  au  milieu  de  nous,  et  que  des  fonctions  importantes  retiennent 
loin  de  la  France. 

Le  baron  d'Avril  fut  secondé  dans  son  œuvre  par  un  groupe  de  chré- 
tiens éclairés  dont  plusieurs  déjà  ont  été  appelés  à  jouir  d'un  monde 
meilleur;  mais  nous  ne  les  oublions  pas,  et  la  Société  sera  toujours  fière 
de  voir  inscrits  en  tête  de  ses  fondateurs  les  noms  de  M.  Rio,  de  M.  Vi- 
tet,  du  docteur  Cattois,  du  comte  Laton,  de  Savinien  Petit. 


220  BULLETIN    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    SAINT-JEAN 

Le  but  donné  dès  le  principe  à  l'association,  l'ut  le  développement  de 
l'art  chrétien  dans  le  sens  le  plus  étendu  et  le  plus  élevé  de  ce  mot.  On 
ne  voulait  pas,  en  effet,  s'occuper  seulement  de  tel  ou  de  tel  art  :  la  mu- 
sique, la  peinture,  la  sculpture,  l'architecture,  l'art  dramatique  même, 
dans  une  certaine  mesure,  sont  appelés  à  glorifier  Dieu  et  à  instruire 
l'homme  ;  ils  peuvent  donc  tous  être  embrassés  dans  la  dénomination  gé- 
nérale û'A7't  chrétien.  Pour  traduire  cette  pensée,  la  Société  ne  prit  point 
pour  patron  tel  ou  tel  saint,  que  la  tradition  désigne  comme  protecteur  de 
la  musique  ou  de  la  peinture,  mais,  tout  en  admettant  ces  patrons  spé- 
ciaux, elle  se  plaça  sous  la  protection  de  l'apôtre  saint  Jean,  le  disciple 
bien  aimé,  celui  qui  s'éleva  le  plus  haut  dans  la  contemplation  des  choses 
divines  parce  qu'il  avait  pénétré  le  plus  profondément  dans  le  mystère  du 
cœur  de  l'Homme-Dieu. 

C'est  pourquoi  notre  sceau  représente,  d'après  une  fresque  d'Hippolyte 
Flandrin,  S.  Jean  couché  sur  la  poitrine  du  Sauveur,  comme  un  symbole 
de  l'art,  allant  puiser  ses  inspirations  dans  le  Cœur  Sacré  de  Jésus-Christ, 
idéal  divin  de  l'humanité  régénérée. 

La  pensée  qui  avait  présidé  à  la  fondation,  rencontra  dès  le  début  les 
encouragements  du  Congrès  de  l'enseignement  chrétien  qui  se  réunit  au 
mois  de  septembre  de  la  même  année. 

L'étude  trop  négligée  de  l'Art  chrétien  se  lie  intimement  à  la  philoso- 
phie et  à  la  théologie.  Aussi  voulons-nous  toujours  nous  inspirer  des 
enseignements  de  l'Eglise,  et  nous  conformer  en  tout  h  la  direction  im- 
primée aux  études  par  son  autorité  souveraine.  Comme  preuve  de  cet 
attachement  au  centre  de  l'unité  catholique,  la  Société  a  profité  du  premier 
anniversaire  du  couronnement  de  N.  T.  S.  P.  le  Pape  Léon  XIII,  pour 
exprimer  dans  une  Adresse  ses  sentiments  d'amour  filial  et  de  soumission 
absolue  à  l'auguste  personne  du  chef  et  du  docteur  infaillible  de  l'Eglise. 
Plusieurs  de  NN.  SS.  les  Evêques  de  France  ont  bien  voulu  s'inscrire 
dans  notre  association  comme  membres  d'honneur  et  nous  aurons  à  citer 
en  particulier  le  nom  de  S.  G.  Mgr  Richard,  alors  évêque  de  Belley, 
aujourd'hui  archevêque  de  Larisse  et  coadjuteur  de  Paris.  Plusieurs 
prélats,  et  de  nombreux  représentants  des  deux  clergés,  séculier  et 
régulier,  sont  également  associés.  Quelques-uns  prennent  une  part  active 
à  ses  travaux  et  à  ses  délibérations. 

La  Société  est  surtout  un  centre  d'études  et  de  lumières;  mais  elle 
recourt  aux  moyens  d'action  extérieure  compatibles  avec  ses  ressources 
et  la  liberté  qu'elle  tient  à  conserver  vis-à-vis  de  tout  ce  qui  pourrait 
ressembler  h  une  spéculation. 

Voici  les  principaux  moyens  d'action  que  nous  avons  mis  en  œuvre. 


BULLETIN    DE    LA    SOCIÉTÉ   DE    SAINT-JEAN  221 

I.    —  MUSIQUE  RELIGIEUSE. 

En  ce  qui  touche  la  musique,  l'Art  chrétien  peut  être  divisé  en  deux 
branches  principales  :  Le  plain-chant  et  la  musique  sacrée. 

l°Le  plain-chant  occupe  naturellement  la  première  place;  c'est  la  partie 
officielle  du  chant  à  l'église  ;  il  fait  partie  intégrante  de  la  Uturgie  ;  il 
appartient  naturellement  au  clergé  d'en  maintenir  l'usage  et  d'en  déve- 
lopper l'étude.  Pour  l'aider  dans  cette  œuvre,  qui  n'est  pas  sans  difficulté, 
la  Société  à  cru  devoir  appeler  à  diverses  reprises  l'attention  des  assem- 
blées catholiques  sur  les  moyens  pratiques  propres  à  favoriser  le  chant  du 
peuple  à  l'église  par  divers  Rapports  sur  la  Conformité  à  établir  dans  les 
chants  communs  de  la  liturgie  romaine,  sur  V Enseignement  du  latin  liturgique 
dans  les  écoles,  sur  l'emploi  dans  les  offices  d'une  musique  autre  que  le 
plain-chant,  sur  la  formation  de  bons  chantres  et  de  bons  orga- 
nistes, etc.  etc. 

2°  La  musique  sacrée  —  c'est-à-dire  l'ensamble  des  morceaux  reli- 
gieux anciens  et  modernes  composés  en  dehors  de  la  liturgie  proprement 
dite,  dans  un  style  grave  et  dans  des  formes  qui  conviennent  à  la  prière 
—  constitue  une  branche  considérable  de  l'Art.  Pour  encourager  les 
artistes  dans  ce  genre  de  composition  et  développer  le  goût  du  pubhc,  la 
Société  a  fait  entendre  plusieurs  fois  avec  succès  les  chants  connus  sous 
le  nom  de  Chants  de  la  Sainte-Chapelle,  tirés  des  Manuscrits  du  moyen- 
âge  et  harmonisés  par  M.  Félix  Clément,  l'un  des  vice-présidents  de  la 
Société. 

Dans  les  diverses  occasions  où  les  membres  de  la  Société  sont  convoqués 
pour  des  réunions  de  piété,  nous  faisons  entendre  des  morceaux  des 
meilleurs  auteurs,  sans  exclure  les  auteurs  contemporains.  Car,  si  la 
musique  de  notre  temps,  même  celle  qui  est  composée  pour  l'Eglise,  fait 
trop  souvent  appel  aux  ressources  de  l'art  dramatique,  il  y  aurait  d'autre 
part  de  graves  inconvénients  à  interdire  aux  compositeurs  les  sujets 
sacrés  ;  il  vaut  mieux  leur  signaler  les  défauts  qu'ils  doivent  éviter  que 
leur  interdire  l'Eglise,  et  les  jeter  par  cette  exclusion  dans  la  voie  de  l'art 
profane. 

n.  —  CONCOURS  ET  MÉDAILLES. 

Les  concours  sont  un  moyen  efficace  d'encouragement. 
En  1873,  la  Société  ut  Saint-Jean  a  ouvert  un  concours  pour  un  carton 
représentant  saint  Jean  1  Evangélistc.  L'exposition  publique  a  eu  lieu  à 


222  RT'I.LKTIN    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    SAIXT-.IEAX 

Paris,  dans  l'une  des  salles  de  l'école  des  Beaux-Arts  :  des  prix  d'une 
valeur  de  1,300  francs  ont  été  décernés  aux  auteurs  des  ouvrages 
reconnus  les  meilleurs  par  un  jury  composé  de  membres  de  l'Institut  et 
de  plusieurs  artistes  distingués. 

Nous  aurions  désiré  provoquer  chaque  année  des  travaux  du  même  genre. 
Nos  ressources  ne  nous  l'ont  pas  permis  ;  mais  nous  venons  de  reprendre 
l'œuvre  interrompue  et  nous  espérons  bien  la  voir  prospérer  et  grandir. 

Le  concours  de  1879  a  eu  pour  sujet  la  Vierge  debout  au  pied  de  la 
croix.  Malgré  le  nombre  restreint  des  concurrents,  les  résultats  sont 
très  encourageants  pour  la  Société.  Je  ne  m'étends  pas  davantage  sur  ce 
point  puisqu'il  fera  l'objet  tout  à  l'heure  d'un  compte-rendu  spécial. 
L'exposition  des  cartons  a  eu  lieu  chez  M.Didrou,  qui  a  bien  voulu  mettre 
ses  ateliers  à  notre  disposition  avec  une  courtoisie  dont  nous  aimons  à  lui 
exprimer  ici  tous  nos  remercîments.  Jusqu'à  ce  jour  nous  n'avons  ouvert 
de  concours  que  pour  les  peintres;  mais  il  est  dans  notre  programme  d'en 
ouvrir  dans  toutes  les  branches  de  l'art. 

A  la  suite  de  ces  concours  il  est  d'usage  de  distribuer  des  médailles. 
Une  difficulté  se  présente  dès  l'abord.  Quelle  médaille  donner?  Rien  par- 
mi les  œuvres  existantes  ne  paraissait  exprimer  l'idée  du  beau  tel  que  nous 
le  comprenons;  des  allégories  toutes  païennes  ne  pouvaient  convenir  pour 
récompenser  des  artistes  chrétiens. 

De  là  sortit  la  pensée  de  faire  exécuter  une  médaille  qui  exprimât  le  sen- 
timent chrétien  dans  l'art.  On  a  conçu  le  projet  de  faire  figurer,  au  milieu 
de  la  médaille,  la  sainte  Vierge  tenant  l'Enfant-Jésus.  Dans  le  sens  mys- 
tique cette  figure  représenterait  en  même  temps  l'Eghse  qui  a  toujours 
été  l'inspiratrice  de  l'art.  A  droite  et  à  gauche  de  la  Vierge  on  placerait, 
avec  leurs  attributs  traditionnels,  quelques-uns  des  saints  qui  sont  invoqués 
comme  patrons  des  artistes. 

Cette  composition  pourra  faire  l'objet  d'un  concours  pour  la  gravure 
en  médaille.  La  Société  a  ouvert  dans  ce  but  une  souscription  spéciale. 

En  attendant  l'exécution  de  ce  projet  nous  avons  fait  frapper  une  mé- 
daille plus  simple  qui  porte  sur  la  face  le  monogramme  du  Christ,  ;^,  tel 
qu'il  figure  dans  les  monuments  des  catacombes,  et  sur  le  revers  la  de- 
vise de  la  Société  :  Non  nobis.  Dne,  non  nobis,  sed  nomini  tuo  da  glo- 
riam. 

Les  exemplaires  en  or  et  en  argent  sont  réservés  pour  servir  de  récom- 
pense dans  les  concours  et  les  expositions. 

La  Société  se  propose  de  décerner,  en  dehors  des  récompenses  offi- 
cielles du  salon  annuel,  des  médailles  aux  artistes  qui  exposeront  des  ta- 
bleaux religieux  conformes  aux  règles  de  l'art  chrétien. 


BULLETIN    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    SAINT-JEAN  223 

Ceci  nous  amène  tout  naturellement  à  parler  des  expositions,  qui  sont 
encore  un  puissant  moyen  d'émulation. 

En  dehors  des  prix  décernés  pour  le  concours,  nous  avons  offert  cette 
année  une  médaille  d'argent  à  M.  Amable  Cochin,  auteur  d'une  poésie 
intitulée  Eudore  et  Cymodocée.  Cette  pièce  servira  de  thème  à  un  concours 
de  composition  musicale  ouvert  par  la  Société  libre  des  Beaux-Arts. 

III.  —  LES  EXPOSITIONS. 

Au  moment  de  l'Exposition  universelle,  qui  attirait  à  Paris  un  si  grand 
nombre  d'étrangers,  plusieurs  personnes  demandèrent  à  la  Société  d'ou- 
vrir un  salon  spécial  pour  les  artistes  chrétiens  qui  éprouvent  de  la  répu- 
gnance à  envoyer  des  œuvres  élevées  et  pures  au  salon  du  Palais  de  l'in- 
dustrie au  milieu  d'oîuvres  disparates,  dans  lesquelles  les  principes  de  la 
religion  et  de  la  morale  sont  si  souvent  immolés  à  la  fantaisie  et  au  désir 
d'attirer  l'attention  publique. 

Cette  pensée  ne  pouvait  recevoir  une  exécution  immédiate.  Nous  n'a- 
vions ni  le  local,  ni  le  personnel  nécessaires  à  cette  exhibition  ;  mais  ce 
qui  ne  peut  se  faire  une  année  pourra  être  exécuté  l'année  suivante,  et 
nous  tenons  à  faire  connaître  ce  projet  à  l'exécution  duquel  plusieurs  des 
membres  de  cette  réunion  pourront  sans  doute  prêter  un  concours 
efficace. 

Dans  l'étude  des  Beaux-Arts,  la  meilleure  des  leçons  est  celle  qui  résulte 
de  la  contemplation  des  nnuvres  anciennes.  Les  musées  ne  contiennent  pas 
tout,  et  les  expositions  temporaires  viennent  heureusement  compléter  l'en- 
seignement permanent  des  grandes  collections. 

La  grande  galerie  de  l'exposition  rétrospective  au  palais  du  Trocadéro, 
était  certainement  l'une  des  plus  intéressantes  de  l'Exposition  universelle  ; 
l'art  chrétien  y  occupait  presque  toute  la  place. 

La  Société  de  Saint-Jean  a  offert  au  public  en  1876  une  exposition  ré- 
trospective d'un  genre  spécial  ;  elle  a  eu  la  pensée  de  donner  à  cette  exhi- 
bition un  caractère  plus  didactique,  en  la  restreignant  à  un  seul  sujet  : 
V Iconographie  de  la  T.  S.  Vierge.  Ce  salon  d'un  nouveau  genre  contenait 
environ  500  spécimens  des  représentations  de  la  Mère  de  Dieu  presque 
toutes  antérieures  à  la  Rrnaissance. 

En  attirant  ainsi  l'attention  sur  un  seul  point,  l'exposition  devient  une 
sorte  de  monographie  qui,  sans  être  absolument  complète,  renferme  pour- 
tant un  sérieux  enseignement. 

Une  exposition  de  l'iconographie  de  l'apôtre  S.  Jean  est  en  préparation; 
plusieurs  autres  sont  en  projet. 


224  BULLETIN    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    SAL\T-JEAN 

IV.  —  l'assistance  mutuelle.  —  IMAGERIE. 

En  dehors  des  expositions  et  des  concours,  il  y  a  une  foule  de  circons- 
tances dans  lesquelles  la  Société  travaille  à  encourager  et  à  développer 
l'art  chrétien,  en  aidant  de  son  activité  et  de  ses  lumières  les  œuvres  ca- 
tholiques, dans  les  occasions  qui  réclament  des  connaissances  spéciales. 

Ainsi  en  1873  le  Comité  catholique  de  Paris  a  demandé  à  la  Société  de 
Saint-Jean  de  faire  exécuter  la  bannière  qui  devait  être  offerte  au  sanc- 
tuaire de  Paray-le-Munial  au  nom  de  tous  les  Comités  catholiques  de 
France. 

Plus  tard,  le  Comité  de  Lille  ayant  ouvert,  en  diverses  circonstances , 
des  concours  de  composition  musicale,  s'est  adressé  à  la  Société  de  Saint- 
Jean  pour  organiser  le  jury  d'examen. 

De  même,  pour  les  concours  de  composition  dramatique  ouverts  par 
V  Union  des  œuvres  ouvrières,  la  Société  de  Saint-Jean  a  été  chargée  pen- 
dant plusieurs  années  de  la  rédaction  du  programme  et  de  la  formation 
du  jury. 

Ce  n'est  pas  seulement  avec  les  autres  œuvres  qu'une  Société  d'art 
chrétien  doit  être  en  rapport,  mais  avec  tout  catholique  qui  désire  profi- 
ter de  son  expérience  et  de  ses  relations.  La  Société  de  Saint-Jean  s'y  est 
appliquée.  Un  jour,  c'est  un  curé  de  campagne  qui  demande  des  conseils 
pour  un  Chemin  de  la  Croix,  pour  une  peinture  ou  une  décoration  de  cha- 
pelle ;  le  préfet  apostolique  d'une  Mission  dans  les  Indes  Orientales  solli- 
cite notre  direction  pour  la  réparation  et  la  décoration  de  son  église,  etc. 

Nous  nous  appliquons  également  à  rendre  des  services  en  indiquant  à 
ceux  qui  désirent  étudier  l'art,  l'archéologie  ou  l'ornementation,  les  meil- 
leurs ouvrages  à  consulter  ;  en  guidant  les  acquéreurs  dans  le  choix  des 
objets  d'art  destinés  au  culte,  etc,  etc. 

Les  Assemblées  catholiques  se  sont,  à  plusieurs  reprises,  préoccupées 
de  l'imagerie  religieuse,  tombée  dans  une  si  déplorable  afféterie.  Pour 
répondre  aux  vœux  émis  par  ces  assemblées,  la  Société  s'est  mise  à 
l'œuvre.  Le  moyen  qui  nous  a  paru  le  plus  propre  à  encourager  la  pro- 
duction et  à  stimuler  la  diffusion  des  bonnes  images,  sans  engager  la  So- 
ciété dans  aucune  opération  commerciale,  est  la  rédaction  d'un  catalogue 
où  nous  indiquons  les  images  qui  nous  paraissent  dignes  d'être  recom- 
mandées. 

La  publication  de  ce  catalogue  a  été  commencée  dans  le  Bulletin  de  la 
Société. 

Nous  avons  vu  avec  satisfaction  plusieurs  éditeurs  entrer  dans  la  bonne 


BULLETIN    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    SAINT-JEAN  22o 

voie,  et  une  Société  spéciale  se  former  pour  la  diffusion  des  bonnes  images. 
C'est  la  Société  française  de  Saint-Luc,  dont  les  premières  publications  ré- 
pondent pleinement  à  notre  pensée  et  remplissent  toutes  les  conditions 
requises  pour  l'admission  sur  notre  catalogue. 

V.  —  PUBLICATIONS.  —  ENSEIGNEMENT. 

Revenons  maintenant  au  sein  de  la  Société  de  Saint-Jean  et  jetons 
un  coup-d'œil  sur  ses  travaux  intérieurs.  Nous  sommes  surtout,  comme 
nous  l'avons  dit  en  commençant,  une  société  d'études.  Aussi  l'un  de  ses 
premiers  soins  fut  la  fondation  d'un  Bulletin  périodique  dans  lequel  se- 
raient publiés,  outre  les  procès-verbaux  et  les  actes  de  la  Société,  des 
études  d'esthétique,  d'iconographie,  d'archéologie,  et  uue  bibliographie 
raisonnée. 

Je  ne  vais  pas  énumérerici  les  principales  études  publiées  dans  ce  bul- 
letin :  cela  ressemblerait  trop  à  une  table  des  matières.  On  peut  les  voir 
dans  le  volume. 

Le  Bulletin  a  paru  pendant  quelque  temps  sans  périodicité  régulière  ; 
mais  depuis  le  1"''  janvier  1878,  il  s'est  heureusement  réuni  à  la  Revue  de 
l'Art  chrétien,  devenue  dès  lors  officiellement  l'organe  de  la  Société  de 
Saint-Jean. 

La  Revue  existait  depuis  déjà  vingt  et  un  ans.  A  beaucoup  de  points  de 
vue,  son  but  était  identique  au  nôtre;  aussi  a-t-on  pensé  de  part  et  d'autre 
qu'une  fusion  serait  avantageuse  aux  deux  œuvres. 

Une  expérience  de  dix-huit  mois  nous  a  donné  l'assurance  que  ces  pré- 
visions étaient  fondées. 

La  Société  a  trouvé  dans  la  Revue  un  organe  régulier,  dont  les  quatre 
livraisons  annuelles  forment  un  ensemble  de  plus  de  mille  pages,  dansles- 
quelles,  par  conséquent,  peuvent  être  insérés  des  travaux  de  longue  ha- 
leine, que  l'ancien  Bulletin  ne  pouvait  contenir. 

La  Revue,  de  son  côté,  y  a  gagné  des  collaborateurs  dignes  de  prendre 
place  dans  une  rédaction  déjà  ancienne  et  accréditée,  et  a  vu  s'étendre  le 
cercle  de  ses  souscripteurs. 

En  dehors  des  études  insérées  dans  le  Bulletin  et  dans  la  Revue,  plu- 
sieurs membres  de  la  Société  ont  pubhé  des  ouvrages  plus  étendus  —  j'en 
citerai  deux  :  Le  théâtre  en  France  depuis  le  Moyen-Age  jusqu'à  nos  Jours, 
par  M.  le  baron  d'Avril  ;  —  V Histoire  abrégée  des  beaux-arts  chez  tous  les 
peuples  et  à  toutes  les  époques,  par  M.  Félix  Clément. 

La  Revue  commencera  dans  la  prochaine  livraison  la  publication  d'un 

Ile  série,  tome  XI.  lô 


226  BULLETIN    DE    LA    SOCIÉTÉ    DE    SAINT-JEAN 

travail  important  d'un  des  membres  de  la  Société,  M.  le  comte  Grimouard 
de  Saint-Laurent,  sur  l'iconographie  du  Sacré-Cœur. 

Les  publications  occupent  une  gi'ande  place  dans  l'œuvre  intellec- 
tuelle, mais  l'en'  eignement  par  les  livres  ne  peut  siiftire.  Aussi  la  Société 
ne  s'est-elle  pas  contentée  de  publier  des  livres  et  des  études.  La  fonda- 
tion de  chaires  d'esthétique  dans  les  Universités  catholiques  est  un  de  ses 
vœux  les  plus  ardents. 

L'Université  de  Lille  se  proposant  d'organiser,  dans  un  avenir  plus  ou 
moins  éloigné,  une  Ecole  catholique  des  Beaux-Arts,  a  réclamé  notre  con- 
cours pour  la  rédaction  d'un  projet  d'organisation.  Aussitôt  une  Commis- 
sion a  été  nommée,  a  tenu  pendant  trois  mois  des  séances  hebdomadaires  ; 
des  documents  ont  été  réunis,  et  un  programme  sérieusement  étudié  a  été 
rédigé.  Il  est  accompagné  d'un  tracé  des  bâtiments  à  construire  pour  une 
école  des  Beaux-Arts,  véritable  académie  où  seraient  enseignées  toutes 
les  branches  de  l'art  :  peinture,  sculpture,  architecture,  gravure,  mu- 
sique. 

Signalons  encore  comme  œuvre  d'enseignement  de  l'art  chrétien  les 
conférences  sur  l'histoire  de  l'Art  faites  à  diverses  reprises  par  M.  Félix 
Clément,  l'un  des  vices-présidents  de  la  Société,  soit  à  Paris,  soit  en  pro- 
vince, et  qui  ont  eu  le  plus  grand  succès,  aussi  bien  devant  un  public  d'é- 
lite que  dans  des  réunions  d'artistes  industriels. 


VL  —  BIBLIOTHÈQUE,  COLLECTIONS.  —  RECONNAISSANCE    d'uTILITÉ 

PUBLIQUE. 

Les  études  et  travaux  auxquels  se  livrent  les  membres  de  la  Société  né- 
cessitent des  ouvrages  spéciaux  et  des  documents  relatifs  aux  différents 
arts.  On  a  donc  dès  le  début  songé  à  organiser  une  bibliothèque  et  un  mu- 
sée d'études. 

Le  Comité  catholique  de  Paris  a  bien  voulu  mettre  une  de  ses  salles  à 
notre  disposition,  pour  y  déposer  les  Uvres  et  les  estampes  offerts  à  la  So- 
ciété ;  nous  nous  faisons  un  devoir  de  le  remercier  ici  du  concours  pré- 
cieux qu'il  n'a  cessé  de  nous  prêter  depuis  la  fondation.  Cependant  toutes 
les  œuvres  d'art  qui  nous  ont  été  offertes  n'ont  pu  prendre  place  dans  ua 
local  qui  devient  tous  les  jours  insuffisant.  C'est  ainsi  que  la  statue  du 
curé  d'Ars,  qui  est  là  sous  vos  yeux,  est  venue  demander  l'hospitalité  dans 
un  couvent,  en  attendant  que  la  Société  soit  en  possession  d'un  local  digne 
d'elle. 

Cette  statue  nous  est  d'autant  plus  chère  qu'elle  est  due  au  ciseau  d'un 


BULLETIN   DE   LA   SOCIÉTÉ   DE   SAINT-JEAN  227 

de  nos  confrères,  M.  Cabuchet.  Remercions  ensemble  M.  Babeur,  qui  a  eu 
l'heureuse  pensée  de  la  sauver  du  naufrage  de  la  loterie  nationale  pour 
l'offrir  à  la  Société  de  Saint-Jean.  Elle  représentera  dignement,  dans  notre 
futur  musée,  la  sculpture  chrétienne  du  XIX"  siècle. 

Dans  le  courant  de  l'année  dernière,  Mlle  de  Mauroy  a  bien  voulu  faire 
don  à  la  Société  de  Saint-Jean  d'une  peinture  ancienne  représentant  saint 
Jérôme  ;  c'est  le  premier  tableau  de  notre  galerie. 

Vous  me  permettrez  de  signaler  encore  aux  remerciements  de  tous  les 
sociétaires  le  donateur  du  dernier  livre  qui  a  pris  place  dans  notre  biblio- 
thèque :  c'est  le  grand  et  bel  ouvrage  de  M.  Rohault  de  Fleury  sur  l'ico- 
nographie de  la  Très-Sainte  Vierge,  publié  par  les  soins  pieux  de  son  fils, 
M.  Georges  Rohault  de  Fleury,  qui  en  a  gravé  lui-même  toutes  les  plan- 
ches. Les  deux  volumes  dont  se  compose  cette  importante  publication 
constituent,  à  eux  seuls,  parle  grand  nombre  de  planches  et  la  sûreté  des 
renseignements,  un  véritable  musée  d'études. 

Pour  assurer  la  conservation  et  le  développement  de  ces  fondations 
naissantes,  comme  aussi  pour  donner  à  la  Société  une  vie  durable, 
exempte  des  incertitudes  du  lendemain,  nous  avons  sollicité  et  obtenu  du 
Gouvernement  une  existence  légale. 

Un  décret  du  Président  de  la  République,  en  date  du  6  mars  1878,  a 
reconnu  la  Société  comme  établissement  d'utihté  publique.  Cette  recon- 
naissance fait  jouir  la  Société  de  toutes  les  prérogatives  de  la  personne 
civile,  et  lui  confère  le  droit  de  posséder  des  immeubles  et  des  capitaux, 
de  recevoir  des  legs  et  donations. 

Etablie  sur  de  telles  bases,  la  Société  peut  donc,  sans  crainte,  faire  ap- 
pel au  zèle  et  à  la  générosité  de  toutes  les  personnes  qui,  dans  son  sein 
et  en  dehors  d'elle,  ont  à  cœur  le  développement  des  diverses  œuvres  que 
nous  venons  d'indiquer  sommairement. 

Disons  maintenant  un  mot  de  nos  opérations  financières. 

Nos  comptes  ne  sont  pas  compliqués  :  les  voici  pour  l'exercice  1878  : 

COMPTES  DE  l'année  1878. 

Recettes. 

En  caisse  au  l"  janvier 792  fr.  9o 

Cotisations  reçues  du   i*'  janvier  1878  au  1"  janvier 

1879 1,600        B 

Don  de  M.  Grimouard  de  Saint-Laurent     ....  100        » 


Total  des  recettes.       .       .        2,492  fr.  95 


228  BULLETIN   DE    LA  SOCIÉTÉ   DE   SAINT-JEAN 

Dépenses. 

Frais  d'affranchissement  de   circulaires,  convocations,  programmes, 

etc 64  fr.  35 

Frais  d'impressions  de  lettres .......  34       10 

Frais  de  bureau 54         » 

Gravure  de  la  médaille 135       50 

Frais  de  recouvrement  de  cotisations 98       10 

Remboursement  d'un  emprunt  au  banquier       .       .       .  400         » 

Abonnements  à  la  ^eywe 1,432       50 

Total  des  dépenses      .       .  2,218  fr.  55 


RECAPITULATION. 


Recettes.       .       .       .       2,492  fr.  95 
Dépenses       .       .       .      2,218      55 


En  caisse  au  1»^  janvier  1879       .  273  fr.  40 


L'Organisation  de  la  Société  est  exposée  en  détail  dans  les  statuts  don  t 
nous  mettons  des  exemplaires  à  la  disposition  des  personnes  qui  désire- 
ront en  prendre  connaissance.  Je  me  contenterai  de  les  résumer  ici  en 
quelques  lignes.  Le  but  de  la  Société  a  été  suffisamment  exposé  dans  ce 
rapport  :  j'arrive  à  sa  composition. 

On  peut  faire  partie  delà  Société  à  trois  degrés.  Nous  avons  : 

1"  Des  membres  titulaires  qui  prennent  une  part  active  aux  travaux  de 
la  Société,  élisent  le  Conseil,  nomment  les  Commissions,  se  réunissent 
toutes  les  semaines,  organisent  les  concours,  expositions,  auditions  de 
musique  sacrée,  examinent  les  travaux  pour  la  Revue:  en  un  mot,  ce  sont 
les  travailleurs.  Ils  payent  une  cotisation  annuelle  de  20  fr.  et  reçoivent 
la  Revue  de  l'Art  chrétien. 

2°  Des  membres  honoraires  qui,  moyennant  la  cotisation  annuelle  de 
20  fr.,  reçoivent  la  Revue  de  l'Art  chrétien,  assistent  aux  réunions  géné- 
rales qui  auront  lieu  désormais  une  fois  par  mois  et  ont  entrée  aux  concerts 
et  expositions  organisés  par  la  Société. 

3"  Des  memby^es  contes  pondants,  qui  font  échange  de  correspondance  et 
de  documents  avec  la  Société.  Ils  ne  sont  pas  tenus  à  payer  la  cotisation  et 
ne  reçoivent  point  la  Revue,  mais  ils  ont  entrée  aux  réunions  générales, 
cxposiLions,  concerts,  etc. 


BULLETIN  DE  LA  SOCIÉTÉ  DE   SAINT-JEAN  229 

Les  ressources  de  la  Société  sont  les  cotisations  annuelles,  et  les  dons 
et  legs  dont  l'acceptation  a  été  autorisée  par  la  reconnaissance  d'utilité 
publique. 

Tout  membre  titulaire  ou  honoraire  de  la  Société  peut  s'exonérer  de 
la  cotisation  annuelle  en  versant  une  somme  de  deux  cents  francs. 

Voilà  au  raccourci,  comme  on  disait  jadis,  ce  que  nous  sommes  et  ce 
que  nous  avons  fait.  Nous  nous  proposons  de  faire  plus  et  mieux  avec  la 
grâce  de  Dieu  et  l'appui  de  nos  confrères,  qui  ne  nous  manqueront  pas, 
nous  en  avons  la  confiance. 

Le  Président  proclame  les  noms  des  artistes  qui  ont  obtenu  les  récom- 
penses au  concours  dont  le  rapporteur  vient  de  parler,  et  remet  à 
M.  J.-Em.  Lafon  la  médaille  d'or,  à  M.  J.-B.  Ponget  la  médaille  d'argent, 
qui  ont  été  à  l'unanimité  décernées  par  le  jury  à  ces  deux  artistes  déjà 
honorablement  connus. 

Après  la  séance,  l'Assemblée  se  rend  dans  la  chapelle  de  Notre-Dame 
de  Salut,  oii  a  lieu  un  salut  solennel  du  T. -S.  Sacrement,  pendant  lequel 
sont  exécutés,  de  la  manière  la  plus  remarquable,  des  oeuvres  de  musique 
sacrée  composées  par  M.  Félix  Clément. 


DE  LA  COMPOSITION   IDEALE 

DANS    LES    CEUVRES    DE    MUSIQUE    RELIGIEUSE 

(Séance  publique  de  la  Société  de  Saint-Jean,  7  juillet.) 

Personne  ne  peut  nier  que  la  forme  de  musique  appelée  plain-chant  ne 
soit  la  mieux  appropriée  à  l'usage  universel  de  la  liturgie  catholique,  aux 
convenances  du  culte  public,  la  mieux  préservée  des  caprices  de  la  mode, 
enfin  la  plus  recommandée  dans  tous  les  temps  par  l'autorité  religieuse, 
parles  Papes  et  les  Conciles,  par  l'épiscopat  et  les  ordres  monastiques.  Le 
plain-chant  est  la  musique  officielle  de  l'Eglise.  On  peut  ajouter  que  cette 
forme  musicale  a  toujours  été  préférée  par  les  personnes  qui  fréquentent 
les  églises,  non  pour  y  chercher  des  distractions,  mais  pour  y  prier  et  par- 
ticiper aux  offices  divins. 

On  ne  peut  nier  non  plus  qu'en  dehors  ou  à  côté  des  formules  consa- 
crées par  un  usage  traditionnel,  il  ait  toujours  été  permis  de  composer,  sur 
les  textes  liturgiques  approuvés,  des  œuvres  musicales  conçues  et  exécu- 
tées avec  les  éléments  nouveaux  que  le  progrès  dans  la  science  des  sons, 


230  BULLETIN    DE   LA   SOCIÉTÉ    DE   SAINT-JEAN 

le  goût  dominant  à  telle  époque,  l'imagination  et  les  facultés  géniales  des 
artistes  ont  produits  et  employés. 

Si  on  contestait  cette  liberté  de  produire  dans  l'ordre  musical,  il  fau- 
drait, pour  être  logique,  bannir  dans  les  œuvres  de  l'art  plastique,  telles 
que  tableaux  et  sculptures,  tout  ce  que  le  peintre  et  le  statuaire  ajoutent  à 
l'objet  principal  et  essentiel  de  leurs  compositions,  les  accessoires,  les  per- 
sonnages, tout  ce  qu'en  un  mot  le  récit  du  fait  évangélique,  biblique, 
historique  n'indique  pas. 

Cette  négation  de  la  liberté  dans  l'interprétation  du  sujet  n'est  pas  une 
hypothèse,  puisqu'elle  a  longtemps  existé  alors  qu'il  s'agissait  presque 
uniquement  d'enseigner  les  dogmes  et  de  bien  faire  connaître  les  fonde- 
ments de  la  croyance  chrétienne,  et  que  cette  immobilité  dans  la  compo- 
sition s'est  perpétuée  bien  au-delà  de  ce  qui  était  nécessaire  en  Orient, 
surtout  dans  l'art  byzantin  et  dans  l'église  grecque  dite  orthodoxe. 

La  composition  idéale  appliquée  à  la  musique  sacrée  est  donc  non  seu- 
lement légitime,  mais  nécessaire  et  inévitable.  L'artiste  musicien  qui  a 
reçu  le  don  de  la  composition  peut  et  doit  composer  au  même  titre  que 
l'homme  respire,  vit  et  marche. 

En  donnant  à  sa  créature  les  aliments  nécessaires  à  sa  subsistance,  Dieu 
a  aussi  émaillé  les  champs  de  fleurs  qui  charment  sa  vue  ;  pour  un  peu 
d'air  respirable  que  réclament  ses  organes,  quelle  immensité  d'azur  l'en- 
veloppe et  lui  rend  la  vie  plus  belle  ! 

Y  a-t-il  un  acte  essentiel  de  la  vie  humaine  sur  lequel  la  bonté  divine 
n'ait  répandu  quelque  charme  ? 

Le  compositeur  est  donc  dans  la  règle,  dans  l'ordre  de  la  création,  en 
utilisant  les  facultés  qu'il  a  reçues,  surtout  en  les  employant  à  la  louange 
de  Celui  de  qui  il  les  tient.  A  lui  de  commenter  la  formule  concise  du 
texte  sacré  avec  les  moyens  spéciaux  que  son  art  lui  fournit;  à  lui  de  ren- 
dre la  pensée  plus  pénétrante,  plus  sensible  par  la  force  du  rhythme,  par 
l'effet  de  la  mélodie,  parle  caractère  et  le  choix  des  accords,  par  le  judi- 
cieux et  intelligent  emploi  des  voix  et  des  instruments  ;  à  lui  enfin  de  faire 
passer  dans  les  âmes  de  ses  auditeurs  les  sentiments  qu'il  a  éprouvés  en 
composant  son  œuvre,  et  c'est  ici  que  commence  sa  responsabilité  morale 
et  technique  à  la  fois;  il  a  le  droit  de  produire  son  œuvre  dans  le  temple  ; 
mais  il  a  aussi  le  devoir  de  se  conformer  à  des  conditions  qu'il  est  facile  de 
détprminer.  La  hberté  dont  il  peut  user  dans  l'invention  de  la  mélodie, 
dans  le  choix  de  ses  accords,  dans  la  disposition  des  voix  et  des  instru- 
ments ne  saurait  dégénérer  en  une  licence  qui  aurait  pour  résultat  de  bri- 
ser le  lien  qui  doit  l'unir  étroitement  au  sujet,  de  détacher  violemment  la 
toile  du  cadre,  de  changer  un  lieu  saint  en  un  lieu  de  plaisir  profane,  de 


BULLETIN   DE   LA    SOCIÉTÉ   DE    SAINT-JEAN  231 

convertir  une  église  en  théâtre,  de  dénaturer  l'expression  des  textes,  de 
les  rendre  inintelligibles. 

Ainsi,  responsabilité  vis-à-vis  de  lui-même  ;  responsabilité  vis-à-vis  des 
auditeurs.  A-t-il  compris  le  sujet  qu'il  a  voulu  traiter?  et,  s'il  l'a  compris, 
l'a-t-il  bien  exprimé?  Ce  sont  là  les  conditions  delà  composition  idéale. 

11  est  certain  qu'à  l'époque  où  la  foi  était  très  vive  en  Occident  et  faisait 
élever,  sculpter  et  peindre  les  plus  grandioses  édifices  qu'on  eût  jamais 
vus,  des  compositions  musicales  religieuses  indépendantes  de  la  liturgie 
générale  furent  ajoutées  aux  solennités  ordinaires  du  culte  et  jouirent 
d'une  grande  vogue.  Ce  succès  était  souvent  mérité  et  ce  n'est  pas  ici  qu'on 
le  contestera;  le  souvenir  de  plusieurs  Séquences  du  Moyen-Age  et  entre 
autres  des  Chants  de  la  Sainte- Chapelle  est  encore  présent  à  la  mémoire 
des  personnes  qui  m'écoutent.  Mais  ce  fut  surtout  au  XV®  siècle  que  lamu- 
sique  sacrée  se  répandit  dans  beaucoup  d'églises,  dans  les  chapelles  des 
monastères  et  des  palais,  enfin  qu'elle  régna  en  souveraine  maîtresse 
dans  les  Flandres  et  en  Italie. 

Je  ne  parle  pas  du  chant  grégorien,  du  plain-chant  qui  devenait  ce  qu'il 
pouvait  dans  les  paroisses  rurales,  dans  les  abbayes  trop  pauvres  pour 
avoir  des  artistes  musiciens,  dans  les  villes  populeuses  où  les  discordes  ci- 
viles absorbaient  tous  les  esprits.  Il  y  avait  déjà  longtemps  qu'une  partie 
des  chants  anciens,  la  moins  populaire  il  est  vrai,  notamment  les  gra- 
duels, les  répons  n'étaient  plus  qu'un  amas  de  notes  peu  convenable  pour 
le  culte  public  dont  plusieurs  personnages  éminents  demandaient  la  cor- 
rection. Malgré  cet  état  fâcheux  des  choses,  le  chant  liturgique  demeurait 
dans  sa  substance  ;  les  chants  tels  que  les  A'y^'/e,  Gloria,  Credo,  Sanctm, 
Agnus,  les  psaumes  et  antiennes  des  vêpres,  les  hymnes  conservaient  leur 
mélopée  à  peu  près  intacte. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  œuvres  de  l'école  flamande  jouissaient  de  la  fa- 
veur des  princes  de  l'Eglise  et  de  la  haute  société  d'alors. 

Ockeghem,  Arcadelt,  Adrien  Willaert,  Jean  de  Clèves,  Hollander, 
Claude  Goudimel,  Roland  de  Lattre  remplirent  tout  l'Occident  de  leurs 
productions  harmonieuses.  On  ne  peut  que  rendre  hommage  à  la  ferveur 
savante  de  cette  école.  Les  amis  des  arts  sérieux  apprécieront  toujours 
les  beautés  que  renferment  leurs  ouvrages. 

Mais  dans  ce  genre  de  musique  où  le  canon,  l'imitation  et  les  combi- 
naisons du  contrepoint  dominent  exclusivement,  l'école  romaine  excella. 
Cristoforus  Morales  peut  eu  être  regardé  comme  le  fondateur.  Après  lui, 
Palestrina  poussa  cette  forme  de  l'art  jusqu'à  la  plus  grande  perfection. 

Victoria  transporta  les  traditions  de  ces  maîtres  de  la  chapelle  pontifi- 
cale dans  celle  de  Philippe  H  en  Espagne. 


232  BULLETIN   DE   LA   SOCIÉTÉ   DE   SAINT-JEAN 

AUegri  peut  être  considéré  comme  l'un  des  derniers  représentants  de 
ce  genre  scolastique. 

Quoiqu'on  ait  cru  fortifier  l'effet  de  la  musique  sacrée  en  la  rendant 
dramatique,  on  ne  saurait  nier  que  l'impression  produite  par  ces  an- 
ciennes symphonies  vocales,  ne  soit  plus  saisissante  et  plus  profonde.  Il 
semble  que  chaque  partie  ait  un  rôle,  une  volonté,  un  intérêt  dans  l'en- 
semble. Ces  voix,  toutes  humaines,  parlant  et  se  taisant  tour  h  tour,  s'i- 
mitant  l'une  l'autre,  échangeant  leurs  mots  et  leurs  phrases  en  les  modi- 
fiant toutefois,  et  conservant  le  registre,  le  timbre  qui  leur  est  propre, 
ces  voix  composent  une  harmonie  vivante,  animée,  parlante  en  un  mot. 
C'est  un  véritable  concert  humain.  Ces  messes  et  chœurs  sans  accompa- 
gnement, exécutés  dans  la  chapelle  Sixtine,  ont  joui  pendant  trois  siècles 
de  la  réputation  la  plus  méritée. 

C'est  une  erreur,  trop  accréditée,  de  supposer  que  le  Concile  de  Trente 
a  eu  la  pensée  de  bannir  des  églises  l'usage  de  la  musique  et  l'exécution 
des  œuvres  des  compositeurscontemporains.il  suffît  pours'en  convaincre 
de  lire  le  texte  de  la  vingt-quatrième  session  tenue  le  11  novembre  1563, 
dans  laquelle  les  Pères  du  Concile  n'ont  eu  en  vue  que  de  réformer  les 
excès  lamentables  qui  déshonoraient  les  offices  divins  et  l'art  lui-même, 
principalement  cette  coutume  bizarre  de  chanter  sur  les  paroles  Kyrie^ 
Chrisle,  Sanctus,  Benedi'ctus,  les  airs  de  chansons  populaires  dont  les  pa- 
roles étaient  plus  qu'inconvenantes,  souvent  obscènes.  Le  fait  nous  semble 
incroyable  ;  il  est  pourtant  exact.  Dans  cette  session,  les  évêques  ont  dé- 
cidé que  les  synodes  provinciaux  prescriraient  les  règles  à  observer  pour 
que  ces  abus  disparaissent  et  veilleraient  à  ce  qui  serait  le  plus  utile  quant 
à  la  manière  de  chanter  et  de  moduler  les  saints  offices. 

Une  autre  erreur  consiste  à  attribuer  au  pape  Marcel  II  la  pensée  de 
supprimer  dans  les  églises  toute  autre  musique  que  le  plain-chant.  On 
trouve,  il  est  vrai,  cette  assertion  dans  l'ouvrage  de  Martin  Gerbert,  mais 
l'abbé  Baini  l'a  réfutée  victorieusement.  D'ailleurs,  le  pape  Marcel  n'a 
pas  eu  le  loisir  de  s'occuper  de  musique  ni  de  Pulestrina;  car  il  tomba 
malade  aussitôt  après  son  élection  qui  eut  heu  le  9  avril  1555 
et  mourut  le  30  du  même  mois.  Voici  ce  qui  s'est  passé  au  sujet  de  l'ap- 
plication des  décrets  du  Concile  de  Trente  relativement  à  l'emploi  de  la 
musique  dans  les  églises,  et  on  doit  en  tirer  un  enseignement  précieux 
dans  la  question  qui  nous  occupe,  c'est-à-dire  pour  la  composition  idéale 
des  œuvres  de  musique  sacrée. 

Palestrina  était  dans  toute  la  force  de  son  talent  et  venait  de  faire  exé- 
cuter dans  la  chapelle  Sixtine  des  motets  d'une  beauté  extraordinaire, 
entre  autres  le  quatuor  de  soprani  et  de  contralti  Cruci fixas  etiam  pro  nobis. 


BULLETIN   DE   LA  SOCIÉTÉ   DE   SAINT-JEAN  233 

Le  pape  Pie  IV,  voulant  mettre  à  exécution  les  décrets  du  Concile  de 
Trente  relatifs  à  la  réforme  de  la  musique  sacrée,  nomma  une  Commis- 
sion de  cardinaux  auxquels  il  accorda,  par  un  décret  du  2  avril  156i, 
alias  noi}  nullas  constitutiones,  les  pouvoirs  les  plus  étendus.  Il  importe  de 
remarquer,  s'il  élait  besoin  d'apprécier  l'autorité  de  cette  Commission, que 
parmi  les  huit  membres  qui  la  composaient  se  trouvaient  un  futur  Pape 
depuis  canonisé,  saint  Pie  V  (Michel  Ghislieri),  et  le  neveu  du  Pape  ré- 
gnant, qui  fut  aussi  un  grand  saint,  Charles  Borromée.  La  Commission 
invita  le  collège  des  chanteurs  apostoliques  à  nommer  parmi  eux  huit  dé- 
putés capables  de  discuter  les  points  relatifs  à  leur  art.  Nous  avons  les 
noms  de  ces  musiciens  :  c'étaient  les  espagnols  Calasanz,  F.  de  Torres  et 
F.  Soto  ;  les  romains  F.  de  Lazisi  et  Merlo  ;  le  napolitain  G.  L.  Vescovi  ; 
le  génois  V.  Vicomercato  ;  le  flamand  C.  Hameyden. 

Voici  le  résultat  des  délibérations  entre  les  cardinaux  et  les  masiciens 
du  Collège  : 

Suppression  des  messes  et  motets  mélangés  de  paroles  étrangères.  — 
Suppression  des  morceaux  farcis,  comme  on  les  appelait.  —  Interdiction 
des  messes  composées  sur  des  airs  profanes  et  des  thèmes  étrangers  au 
chant  liturgique .  —  Une  clarté  suffisante  dans  l'audition  des  paroles,  les- 
quelles ne  devaient  pas  être  étouffées  ni  obscurcies  par  les  combinaisons 
des  sons. 

Sur  ce  dernier  point,  il  y  eut  de  la  part  des  musiciens  députés  par  le 
Collège  des  réclamations  et  des  remarques  qui  fire.ut  jugées  assez  sé- 
rieuses pour  demander  un  examen  plus  approfon  li  de  la  question.  Les 
cardinaux  citaient  comme  exemples  les  inipi'opejv'i  de  Palestrina,  le  Te 
Deum  de  Festa.  Les  musiciens  répondirent  que  d  'ns  les  morceaux  courts, 
les  paroles  pouvaient  ne  pas  être  répétées  ou  bien  l'être  avec  une  certaine 
sobriété,  que  le  texte  dans  ce  cas  pouvait  être  toujours  distinct;  mais  que 
dans  les  morceaux  d'une  grande  étendue,  les  formes  du  canon,  de  la 
fugue  et  des  imitations  devaient  nécessairement  rendre  les  paroles  plus 
confuses,  en  substituant  à  la  diction  du  texte  des  effets  musicaux  d'ex- 
pression dont  on  ne  pouvait  méconnaître  la  grandeur,  l'élévation,  la  puis- 
sance pour  exprimer  d'une  manière  plus  idéale  le  caractère  général  du 
morceau,  le  sens  du  texte  lui  même. 

En  présence  de  ces  difticultés,  deux  cardinaux,  V.  Vitellozzi  et  C.  Bor- 
romée, proposèront^de  charger  Palestrina  de  les  résoudre  en  composant 
une  messe  dans  laquelle  non  seulement  il  n'y  aurait  aucun  mélange  pro- 
fane, mais  encore  oii  les  dessins  de  Timitation  et  le  mouvement  des  diffé- 
rentes parties  ne  nuiraient  en  rien  à  l'audition  claire  des  paroles. 

Palestrina  se  mit  à  l'œuvre  et  composa  trois  messes  pour  répondre  à  ce 


234  BULLETIN  DE   LA  SOCIÉTÉ  DE   SAINT-JEAN 

qu'attendaient  de  lui  les  cardinaux.  La  première  et  la  deuxième  à  6  voix 
ne  parurent  pas  avoir  résolu  le  problème.  Mais  la  troisième  ayant  pour 
titre  :  Illumina  oculos  meos  enleva  tous  les  suffrages.  Elle  est  en  effet  d'une 
sublimité  telle  qu'après  l'avoir  entendue  le  19  juin  1565,  le  pape  dit  que 
ces  harmonies  devaient  être  celles  que  Jean  l'apôtre  entendit  chanter  dans  la 
Jérusalem  triomphante  et  quelles  étaient  révélées  à  la  Ville  sainte  par  un 
autre  Jean.  Giovanni  était  le  prénom  du  musicien. 

Le  doyen  du  Sacré-Collège  F.  Pisani  cita  à  propos  de  cette  messe  des 
vers  de  Danle  dont  voici  le  sens  : 

«  Ainsi  je  vis  la  sphère  glorieuse  se  mouvoir,  et  chacune  de  ses  voix 
produire  une  harmonie  qui  ne  peut  être  entendue  que  là  oîi  la  joie  est 
éternelle.  » 

Le  pape  Pie  IV  créa  en  faveur  de  Pierluigi  de  Palestrina  le  titre  de 
compositeur  de  la  chapelle  apostolique. 

Le  cardinal  Pacheco  aurait  désiré  que  le  maître  dédiât  cette  messe  ad- 
mirable à  Philippe  II,  roi  d'Espagne  et  une  sorte  de  négociation  fut  en- 
tamée à  ce  sujet.  Mais  on  ne  jugea  pas  convenable  de  faire  hommage  à  un 
souverain  étranger  d'une  œuvre  composée  expressément  par  l'ordre  du 
Pape  dans  un  but  déterminé  par  une  commission  de  cardinaux. 

Pour  sortir  d'embarras,  il  fut  convenu  entre  le  cardinal  Vitellozzi  et 
Palestrina  que  celui-ci  dédierait  cette  messe  à  un  des  souverains  pontifes 
envers  lequel  il  avait  à  remplir  un  devoir  de  reconnaissance.  On  choisit 
le  pape  Marcel  II,  le  prédécesseur  du  pape  régnant,  et  pour  satisfaire  au 
désir  du  cardinal  Pacheco  et  peut-être  même  à  celui  du  puissant  monar- 
que Philippe  II,  on  fit  imprimer  à  Rome  un  volume  contenant  plusieurs 
autres  messes  avec  celle  du  pape  Marcel  et  il  fut  offert  au  roi  d'Espagne 
en  1S67. 

Telle  est  en  substance  l'historique  de  la  Messe  du  pape  Marcel  qui  a  été 
présentée  sous  un  faux  jour,  et  qui  a  contribué  certainement  à  fixer  les 
limites  dans  lesquelles  le  compositeur  devrait  se  renfermer,  s'il  se  souciait 
de  faire  correspondre  son  inspiration  et  sa  science  à  l'idéal  chrétien. 

Le  champ  est  resté  vaste,  immense.  Car  le  génie  que  Palestrina  a  dé- 
ployé est  bien  au-dessus  de  la  portée  des  compositeurs  ordinaires.  Mais 
des  difficultés  d'une  autre  nature  que  celles  qu'il  avait  à  vaincre  ont  sur- 
gi. Le  goût  public  est  perverti  comme  il  l'était  aux  XV''  et  XVP  siècles, 
en  fait  de  musique  religieuse,  non  par  des  complications  scholastiques  et 
des  débauches  de  contrepoint,  mais  par  une  dépravation  du  sentiment  et 
un  abaissement  des  facultés.  De  plus  nous  attendons  encore  qu'une  réunion 
aussi  autorisée  que  celle  des  huit  cardinaux  désignés  par  Pie  IV  assistée 
des  huit  chapelains-chantres  de  la  chapelle  pontificale,  trace  la  voie  à 


BULLETIN   DE   LA    SOCIÉTÉ   DE   SAINT-JEAN  23S 

suivre  et,  tout  en  maintenant  le  chant  ecclésiastique  dans  ses  conditions 
de  popularité  universelle,  donne  une  impulsion  élevée  à  la  musique  sacrée 
et  fasse  éclore  des  chefs-d'œuvre. 

En  ces  temps  de  défaillance  et  de  désarroi  généra!,  la  musique  théâ- 
trale est  la  seule  qui  captive  les  esprits  et  fixe  l'attention.  Introduite  dans 
les  églises,  elle  corrompt  les  âmes  parce  qu'elle  y  fait  éprouver  des  sensa- 
tions que  le  lieu  saint  ne  comporte  pas. 

Nos  musiciens  ne  se  donnent  plus  la  peine  de  chercher  des  idées  adé- 
quates au  sujet  qu'ils  ont  à  traiter,  encore  moins  d'écrire  avec  correction 
et  en  employant  une  bonne  harmonie.  Le  réalisme  qui  fait  école  dans  les 
arts  plastiques  a  envahi  même  l'art  musical,  celui  qui  par  sa  nature  im- 
matérielle devait  être  le  plus  préservé  de  cette  profanation. 

Nos  compositeurs  les  plus  en  vogue  cherchent  à  produire  des  sensations 
acoustiques  et  nerveuses  plutôt  qu'artistiques.  Conservons  au  moins  dans 
le  domaine  des  arts  religieux  les  traditions  de  respect,  d'onction,  de  gra- 
vité harmonieuse  et  suave,  de  science  et  de  convenance  dont  le  chant  li- 
turgique nous  offre  le  type,  et,  puisque  l'activité  humaine  a  besoin  de  pro- 
duire des  œuvres  nouvelles  à  côté  des  chefs-d'œuvre  anciens,  que  les  ar- 
tistes et  les  hommes  de  goût  s'elforcent  de  maintenir  le  caractère  et  le 
style  élevé  qui  conviennent  aux  solennités  religieuses  et  s'associent  le 
mieux  aux  pensées  des  âmes  chrétiennes. 

Féli.x  Clément, 

Vice-Président  de  la  Société  de  Saint-Jean. 


MÉLANGES 


L'HISTOIRE  DU  SACRIFICE. 
Vitraux  de  la  cathédrale  de  New-York. 

Un  orateur  sacré  disait  dernièrement  :  a  Dans  nos  belles  cathédrales, 
tous  les  effets  de  leur  vaste  structure  convergent  vers  un  foyer  d'unité, 
qui  est  la  place  de  l'autel  ;  dans  le  catholicisme,  tout  se  relie  au  dogme 
eucharistique,  lequel  est  comme  sa  clef  de  voûte  et  le  centre  de  ses  har- 
monies. »  Telle  est  la  première  pensée  qui  doit  présider  aux  constructions 
et  aux  décorations  d'églises.  Elle  n'a  pas  été  oubliée  à  New-York  (Etats- 
Unis  d'Amérique),  dans  le  splendide  monument  que  S.  E.  le  cardinal  Mac- 
Closkey  vient  d'élever  à  la  gloire  de  Dieu  ;  une  cathédrale  en  marbre 
blanc  et  d'imposante  architecture  \  où  rien  n'a  été  omis  de  ce  qui  pouvait 
traduire,  sous  une  forme  artistique,  le  langage  de  la  foi.  Désireux  surtout 
d'attirer  les  âmes  à  Jésus-Christ,  l'illustre  archevêque  de  New-York  a 
voulu  donner  une  large  place  à  la  prédication  vivante  de  l'eucharistie 
qui  est  bien  l'élément  principal,  le  centre,  la  joie  du  catholicisme,  et  il  a 
résolu  de  faire  éclater  cet  enseignement  dans  une  série  de  grandes  ver- 
rières. 

'  «  Le  nouvel  édifice,  dit  M.  J.-B.  Alibert,  peut  être  comparé  sans  désavantage 
aux  cathédrales  d'Amiens  et  de  Cologne,  et  surpasse,  selon  moi,  l'abbaye  de 
Westminster  de  Londres,  à  laquelle  les  Américains  se  complaisent  à  le  comparer. 
La  hardiesse  des  colonnades  de  marbre  s'élançant  à  une  hauteur  de  115  pieds  et 
croisant  sur  la  voûte  leurs  rameaux  comme  un  réseau  de  nerfs  pleins  de  vie,  la 
finesse  du  travail  dans  ses  moindres  détails,  la  richesse  des  vitraux  dus  au  génie 
des  meilleurs  artistes  de  l'Europe,  la  beauté  du  raaitre-autel,  en  pierre  de  Poi-" 
tiers,  avec  ses  clochetons  dentelés,  dominé  par  une  admirable  statue  du  Sacré- 
Cœur.  Enfin,  tout  ce  que  l'art  et  la  foi  ont  pu  inspirer  à  l'artiste,  forme  un 
ensemble  harmonieux  et  parfait,  qui  place  la  cathédrale  de  New-York  au-dessus 
de  tous  les  monuments  jusqu'ici  bâtis  sur  le  continent  américain.  » 


MÉLANGES  237 

Ce  travail  a  été  confié,  en  1874,  à  un  artiste  de  Chartres,  M.  Lorin. 
Espérant  beaucoup,  et  avec  raison,  d'un  talent  qui  a  été  déjà  honoré  de 
sérieuses  récompenses,  le  cardinal  Mac  Closkcy  est  venu  à  Chartres  lors 
d'un  voyage  d'Amérique  à  Rome,  et  il  a  fait  des  conventions  avec  l'habile 
peintre-verrier  sur  le  sujet  de  son  choix  :  Lliistoire  du  sacrifice.  Le  plan  a 
été  sans  retard  conçu,  réalisé  avec  une  perfection  dont  beaucoup  de  con- 
naisseurs ont  été  juges.  Maintenant,  les  six  verrières  où  a  été  développé 
le  sujet  dont  nous  parlons,  sont  posées  au  clérestory  du  chœur  de  la  ca- 
thédrale de  New-York. 

Tous  ces  tableaux  sont  d'une  composition  savante  et  d'un  riche  dessin. 
Les  actes  et  l'attitude  des  personnages  feraient  suffisamment  comprendre 
ces  scènes  variées  ;  l'intelligence  en  est  rendue  plus  facile  encore  par  les 
textes  que  des  anges  présentent  sur  une  banderoUe  au  tympan  de  chaque 
fenêtre.  Nous  ne  pouvons  assez  féliciter  celui  qui  a  choisi  pour  les  inscrip- 
tions des  passages  de  l'Ecriture  sainte  si  bien  en  rapport  non  seulement 
avec  le  fait  spécial  rendu  par  le  tableau,  mais  avec  l'idée  générale  qui  do- 
mine l'ensemble  des  peintures. 

C'est  toujours  le  Christ  qui  est  en  vue  dans  le  texte,  comme  il  devait 
l'être  dans  le  plan  du  dessinateur  ;  le  Christ  qui  était  hier,  qui  est  aujour- 
d'hui et  sera  dans  les  siècles  des  siècles,  le  Christ,  Agneau  de  Dieu  immolé 
en  promesses  et  en  figures  dès  l'origine  du  monde,  occisusab  origine  mun- 
di.  (Apocal.  xiii),  immolé  réellement  sur  le  Calvaire.  Être  attendu,  venir, 
être  reconnu  par  une  postérité  qui  durera  autant  que  le  monde,  tel  est,  se- 
lon Bossuet,  le  caractère  du  Messie. 

Le  suprême  hommage  rendu  à  Dieu^  c'est  le  sacrifice,  que  la  théologie 
définit  :  l'oblation  d'une  victime  immolée  par  un  ministre  légitime  dans  le 
but  de  reconnaître  le  souverain  domaine  du  Seigneur  sur  sa  créature. 
Durant  de  longs  siècles,  «  l'homme  dégradé  par  le  péché  ne  put  offrir  son 
cœur  sur  l'autel  qu'en  l'unissant  à  des  symboles  grossiers  »  et  impuissants 
par  eux-mêmes  à  attirer  la  miséricorde  divine  ;  c'est  à  l'attente  d'une 
hostie  meilleure,  d'une  hostie  sainte,  innocente,  que  de  telles  oblations 
devaient  quelque  efficacité.  Enfin  le  Rédempteur  parut  :  «  Les  holocaustes 
et  les  immolations  pour  le  péché  ne  vous  ont  pas  plu  ;  alors  j'ai  dit  :  Me 
voici,  je  viens  pour  accomplir  votre  volonté,  ô  mon  Dieu,  et  ce  qui  a  été 
écrit  de  moi  en  tête  da  votre  Livre.  »  Par  cette  parole,  dit  un  pieux  écri- 
vain, Jésus-Christ  s'est  placé  à  la  tête  de  toutes  les  victimes  anciennes.  Dès 
lors  les  figures  ont  été  supprimées.  Il  nous  est  permis  cependant,  bien  plus, 
il  nous  est  utile  de  contempler  en  de  magistiales  peintures  ces  premiers 
types  du  sacrifice  final.  Ombres  des  biens  futurs,  un  reflet  de  l'avenir  leur 
prêtait  tant  de  majesté  ! 


238  MÉLANGES 

C'est  d'abord  Abel  offrant  les  prémices  de  son  troupeau  ;  le  Seigneur 
lui  sourit.  Abel  est  prêtre  ;  pour  mieux  représenter  le  Christ  qu'immole- 
ront des  frères  coupables,  il  sera  lui-même  victime  à  ses  côtés. Caïn  jaloux, 
tout  à  l'heure  son  meurtrier,  semljle  écouter  déjà  le  conseil  de  Satan  dont 
on  aperçoit  la  vile  image.  Tel  est  le  premier  vitrail.  —  C'est  ensuite  Noé, 
entouré  de  sa  famille  et  offrant  son  holocauste  qui,  selon  Tindication  delà 
banderoUe,  fut  jugé  par  Dieu  comme  étant  d'une  agréable  odeur.  Le  dé- 
luge purifia  le  monde  et  l'effusion  du  sang  de  l'Agneau  symbolisa  l'achè- 
vement de  cette  œuvre;  ainsi  l'eau  baptismale  qui  nous  fait  renaître  à  la 
vie  de  la  grâce  nous  consacre,  dans  le  sang  même  du  Christ,  enfants  adop- 
tifs  de  Dieu.  —  Au  troisième  tableau  nous  voyons  Melchisédech  offrant  le 
pain  et  le  vin,  et  préfigurant  ainsi  non  l'oblation  sanglante  du  sacrifice, 
mais  sa  participation  et  son  effet  ;  ce  en  quoi,  dit  saint  Thomas,  consiste 
surtout  l'excellence  du  sacrifice  de  Jésus-Christ  qui,  dans  la  Loi  nouvelle, 
fait  participer  les  fidèles  à  son  sacrifice  sous  les  auspices  du  pain  et  du  vin. 
—  La  verrière  voisine  nous  montre  Abraham  immolant  son  fils  sur  le  mont 
Moriah,  tout  près  du  calvaire,  si  ce  n'est  sur  le  calvaire  même.  Ce  fils, 
en  qui  devaient  être  bénies  toutes  les  nations,  et  que,  par  obéissance  pour 
le  Très-Haut,  son  père  n'a  pas  épargné,  charme,  émeut  ;  on  salue,  dans 
le  lointain,  le  Messie,  l'Isaac  du  Testament  nouveau  attirant  tout  à  lui.  — 
La  cinquième  verrière  retrace  une  scène  de  la  Pâque  d'Israël.  Aucun 
rite  mosaïque  ne  pouvait  mieux  convenir  à  l'annonce  de  la  grande  vic- 
time, c'est-à-dire  à  l'Agneau  du  Calvaire  qui^  effaçant  les  péchés  du  monde, 
fait  passer  de  la  profane  Egypte  à  la  Terre  promise  ;  à  l'Agneau  de  l'autel 
qui  éloigne,  par  l'application  de  son  sang,  les  coups  de  l'ange  extermi- 
nateur ! 

Voilà  donc  déjà  l'humanité,  aux  principales  époques  de  son  histoire,  as- 
sistant par  avance  aux  spectacles  de  la  Rédemption.  Abel,  c'est  le  sacrifi- 
cateur de  l'ère  antédiluvienne  ;  Noé  jouit  de  ce  spectacle  avec  les  survi- 
vants du  cataclysme  qui  a  changé  le  monde;  Melchisédech  et  Abraham 
sont  là  représentant  la  période  des  patriarches  ;  la  période  de  la  Loi  écrite 
s'y  trouve  avec  le  cérémonial  de  la  Pâque.  Il  est  temps  de  déchirer  le 
voile  des  prophéties  et  de  considérer  le  mystère  dans  sa  réalité.  C'est  le 
but  du  sixième  vitrail.  Regardons  cette  scène  admirable  ;  la  conception 
des  détails  est  neuve  sur  plusieurs  points  ;  l'exécution  en  est  ravissante  ;  le 
choix  des  personnages  et  l'ordonnance  des  dessins  sont  dus  surtout  à  un 
chanoine  de  la  cathédrale  de  Chartres,  à  M.  l'abbé  Brou,  qui  avait  déjà 
aidé  de  ses  conseils  la  composition  des  cinq  autres  tableaux. 

Le  personnage  principal,  c'est  l'Église.  A  sa  gauche  est  la  région  des  té- 
nèbres; on  y  voit  la  Synagogue  et  la  Loi  mosaïque,  sous  la  figure  d'une 


MÉLANGES  1239 

femme,  s'en  allant  triste,  les  yeux  bandés;  elle  emporte  le  recueil  des 
prescriptions  légales  ;  le  glaive  brisé  qu'elle  tient  à  la  main  indique  la  fin 
de  son  règne,  à  ses  pieds,  le  mobilier  des  sacrifices  anciens  jonche  le  sol. 
—  De  l'autre  côté,  région  de  la  lumière  et  de  la  vie,  apparaît  le  calvaire  ; 
de  la  croix  jaillissent  et  coulent  les  sept  ruisseaux  de  la  grâce,  emblèmes 
des  sacrements  de  la  Loi  nouvelle;  tout  auprès  sont  des  lis  et  des  roses, 
la  chasteté,  la  charité,  qui  sera  poussée  jusqu'au  martyre  usque  ad  effusio- 
nem  sanguinis  inclusive^  comme  s'expriment  les  cardinaux  dans  la  céré- 
monie de  leur  promotion,  telles  sont  bien  les  fleurspar  excellence  de  cette 
végétation  surnaturelle  qui  s'épanouit  au  jardin  de  l'Eglise.  Cette  sublime 
épouse  de  Jésus-Christ  apparaît  là,  avec  un  air  de  triomphe,  tenant  d'une 
main  une  croix  hastée,  l'exemple  des  souffrances  par  lesquelles  se  sancti- 
fieront ses  enfants,  tenant  de  l'autre  le  calice  eucharistique,  grâce  substan- 
tielle qui  entretiendra  la  vraie  vie  et  adoucira  les  souffrances  en  leur  pro- 
posant un  but  et  une  récompense.  Cet  exemple,  cette  grâce  qui  aide  à  le 
suivre,  se  rattache  tout  d'abord  à  un  précepte  ;  et  le  précepte  est  renfer- 
mé dans  le  livre  des  évangiles  que  nous  remarquons  sur  un  autel  à  côté  de 
l'Église.  Le  précepte,  l'exemple,  la  grâce,  tous  ces  magnifiques  objets  de 
notre  admiration,  de  nos  vœux, de  notre  bonheur  rayonnent  de  l'autel  ca- 
tholique, indiqué  par  la  belle  inscription  que  déploie  l'ange  au  sommet  du 
vitrail  :  Ab  ortu  soli's  usque  ad  occasum  sacn'fîcatur  oblatio  munda.  La  voilà 
enfin  l'oblation  pure  qui,  des  pays  de  l'Orienta  ceux  de  l'Occident,  s'élève 
vers  le  Très-Haut;  c'est  le  corps,  c'est  le  sang  de  Jésus-Christ. 

Au  bas  de  la  verrière,  on  voit  Mgr  Mac-Closkey  faisant  l'offrande  deson 
monument  représenté  en  miniature  ;  tout  près  une  pierre  porte  une  ins- 
cription qui  indique  la  date  1876,  époque  oii  pour  la  première  fois  a  été 
institué  un  cardinal  en  Amérique;  une  autre  pierre  énorme  est  à  côté  et 
elle  porte  ces  mots  :  Tu  es  Petrus.  C'est  sur  Pierre  en  effet  que  l'éminent 
dignitaire  de  New-York  a  bâti  son  église;  c'est  sur  Pierre  que  Jésus- 
Christ  édifia  l'Eghse  hors  de  laquelle  il  n'y  a  pas  de  salut. 

Nous  n'entreprendrons  point  la  description  des  autres  vitraux  de  la 
même  cathédrale,  œuvres  remarquables  également  sorties  des  ateliers  de 
M.  Lorin.  Leur  provenance  chartraine  sera  sans  doute  devinée  à  la  lec- 
ture du  mot  :  Carnuti,  gravé  sous  le  vitrail  de  saint  Bernard,  prêchant  la 
seconde  croisade. 


240  MÉLANGES 

LE  MOYEN-AGE  ITALIEN  A  CONFLANS  (SAVOIE) 

Parmi  les  voyageurs,  de  jour  en  jour  plus  nombreux,  qui  s'arrêtent  à 
Albertville  pour  s'engager  dans  la  vallée  de  la  Haute-Isère,  les  uns  se 
rendant  aux  bains  de  Salins  ou  de  Brides,  près  de  Moutiers,  les  autres. 
Alpinistes  plus  entreprenants,  se  dirigeant  vers  le  petit  Saint-Bernard  ou 
les  pittoresques  vallées  de  Tignes  et  de  Laval,  il  en  est  peu  qui  se  décident 
à  gravir  la  colline  élevée  qui  porte  l'antique  village  de  Conflans,  lequel, 
réuni  administrativement  au  bourg  de  l'Hôpital  qui  s'étend  sur  la  rive 
droite  de  l'Arly,  forme  aujourd'hui  la  petite  sous-préfecture  d'Albert- 
ville. 

Cependant  le  simple  touriste  à  la  recherche  des  perspectives  étendues 
y  trouverait  son  compte,  non  moins  que  l'archéologue  en  quête  de  mo- 
numents du  Moyen-Age  et  de  vieux  souvenirs. 

D'une  esplanade  dominant  le  village  et  où  ne  végètent  plus  que  quel- 
ques tilleuls  séculaires,  la  vue  s'étend  au  S.-O.  sur  toute  la  combe  de  Sa- 
voie, prolongée  par  la  vallée  du  Graisivaudan,  ayant  pour  bornes,  à  l'ho- 
rizon, le  massif  de  la  Grande-Chartreuse,  depuis  la  Dent  de  CroUes  jus- 
qu'au mont  Granier.  A  moins  d'un  kilomètre  de  distance,  l'on  découvre 
le  confluent  de  l'Isère  et  de  l'Arly,  donnant,  comme  dans  notre  vieille 
France,  son  nom  à  la  localité  oii  s'opère  la  réunion  des  deux  rivières. 

Maintenant  que  le  touriste  a  parlé,  c'est  le  tour  de  l'archéologue  :  le 
plaisir  en  même  temps  que  la  surprise  de  ce  dernier  furent  grands,  lors- 
qu'il aperçut  sur  la  principale  place  du  village,  un  édifice  du  Moyen-Age, 
entièrement  construit  en  briques,  dans  le  style  des  monuments  italiens 
des  bords  du  Pô  ou  de  l'Arno. 

Rien  à  l'extérieur  n'annonce  une  construction  religieuse,  et  cependant 
la  tradition  locale  en  fait  un  ancien  couvent  de  femmes,  ce  que  semble 
confirmer  l'existence  d'une  chapelle  voûtée  sur  un  plan  très  singulier. 

Depuis  longues  années  déjà,  l'intérieur  en  a  été  tellement  modifié  et  re- 
manié pour  les  services  militaires  qu'il  ne  présente  plus  rien  d'intéres- 
sant. C'est  donc  de  la  façade  et  de  ses  retours  qu'il  va  être  question  dans 
la  courte  description  que  je  vais  en  essayer,  regrettant  bien  vivement 
de  ne  pouvoir  ici  en  offrir  une  chromolithographie  satisfaisante. 

Déforme  quadrangulaire,  l'édifice,  à  rez-de-chaussée,  s'ouvrait  sur  la 
place  par  deux  grandes  arcades  ogivales,  actuellement  bouchées,  dont  les 
archivoltes  sont  formées  de  très  belles  briques  moulurées,  avec  cordon  en 
retour,  à  la  hauteur  des  impostes  et  dont  il  ne  reste  plus  qu'un  vestige. 

Entre  ce  rez-de-chaussée  et  le  premier  étage,  règne  un  beau  cordon, 


MÉLANGES  241 

formé  de  dents  saillantes,  accompagnées  de  plates-bandes,  de  tores,  de 
gorges  et  de  filets,  le  toat  d'excellente  proporlion  et  exécuté  en  briques 
de  la  terre  la  plus  fine,  admirablement  moulée. 

Au-dessus  de  ce  cordon  s'ouvrent  deux  baies  ogivales  dont  l'intérieur 
a  été  modiOé,  mais  dont  les  archivoltes  sont  formées  de  trois  tores  séparés 
par  des  gorges  méplates,  tout  cet  encadrement  descendant  de  chaque 
côté  jusqu'au  seuil  des  fenêtres. 

Le  cordon  qui  sépare  le  second  étage  du  premier  est  beaucoup  plus 
simple  que  celui  du  rez-de-chaussée,  et  n'est  composé  que  de  gorges  et  de 
tores  peu  importants. 

C'est  au-dessus  de  cette  seconde  division  que  s'ouvrent  les  deux  très 
belles  baies  ogivales  qui  déterminent  le  caractère  tout  italien  de  l'en- 
semble. 

Sur  une  colonnette  centrale  en  marbre,  couronnée  d'un  chapiteau  à  cro- 
chets arrondis  également  en  marbre,  reposent  deux  ogives  secondaires 
subtiilobées  dont  les  lobes  ne  sont  pas  moulurés,  comme  dans  les  monu- 
meuts  français  de  la  môme  époque,  mais  découpés  à  angles  droits. 

Il  reste  encore,  adhérents  à  la  muraille,  quelques-uns  de  ces  crochets 
en  for  qu'on  rencontre  souvent  dans  les  constructions  civiles  contempo- 
raines, dans  le  midi  de  la  France. 

Toute  la  partie  supérieure  de  l'édifice  paraît  avoir  été  remaniée  et  rem- 
placée par  une  construction  grossière. 

En  retour  de  la  façade  principale,  s'ouvraient  aussi  deux  grandes  ar- 
cades ogivales  aujourd'hui  aveuglées;  du  côté  gauche  apparaissent  quel- 
ques traces  de  fenêtres;  du  côté  dro't,  deux  petites  fenêtres  jadis  trilo- 
bées, et  un  grande  baie  du  môme  style  que  celles  de  la  façade,  avec  retour 
à  l'imposte  d'un  cordon  de  briques  en  désaccord  complot  avec  les  beaux 
exemples  en  terra  cotta  que  nous  avons  signalés. 

Tels  sont,  sommairement  exposés,  les  principaux  caractères  de  cette 
curieuse  construction  dont  la  physionomie  exotique  s'explique  facilement 
dans  un  pays  qui  a  si  longtemps  appartenu  à  l'Italie,  mais  (ju'il  n'est  pas 
moins  intéressant  de  faire  remarquer  au  milieu  d'édifices  d'un  tout  autre 
style  et  dans  une  contrée  qui,  richement  dotée  sous  tant  de  rapports,  l'est 
peu  sous  celui  des  monuments  du  Moyen- Age. 

P.  DE  Saint-Paul. 


Il''  série,  tome  XI.  16 


242  MÉLANGES 

LES  CHŒURS  D'ATHALIE. 

Un  efîort  liardi  et  couronné  de  succès  vient  d'être  fait  par  un  composi- 
teur qui,  depuis  de  longues  années,  s'est  acquis  un  nom  respecté  et  sym- 
pathique par  des  travaux  considérables  sur  l'histoire  de  l'arf.  musical,  son 
enseignement  et  sa  pratique. 

Nous  en  félicitons  M.  Félix  Clément.  Il  fallait  savoir  si  le  public  goûte- 
rait une  œuvre  mélodique  et  classique  à  une  époque  oii  l'instrumentation 
remplace  souvent  les  idées,  et  où  les  commotions  acoustiques  ébranlent 
les  nerfs  et  tiennent  quelquefois  lieu  d'inspiration.  L'influence  du  style  de 
M.  Félix  Clément  en  matière  de  musique  sacrée  est  reconnue  et  admise 
sans  contestation  ;  ses  motets  et  ses  contrepoints  sur  le  plain-chant  jouis- 
sent d'une  estime  générale. 

Mais  ces  travaux  spéciaux  et  persévérants  sont  tellement  en  dehors 
des  habitudes  des  dilettantes  et  du  grand  public,  que  le  nom  de  leur  au- 
teur semblait  entouré  d'une  sorte  d'auréole  académique  discrète  et  se  dis- 
simulant dans  la  pénombre  du  groupe  des  musiciens  contemporains.  Les 
intimes  savaient  bien  que  M.  Félix  Clément  était  né  compositeur,  qu'il 
avait  sacrifié  à  cette  faculté  toutes  celles  dont  il  a  donné  des  preuves  mul- 
tiples comme  érudit,  archéologue  et  humaniste  ;  plusieurs  connaissaient 
ses  partitions  d'opéras  et  d'oratorios  ;  mais  le  public  qui  lit  les  affiches  et 
le  programme  des  spectacles  n'y  voyait  jamais  le  nom  de  M.  Félix  Clé- 
ment. Ce  n'était  pas  par  indifférence  que  le  musicien  ne  soumettait  pas 
ses  ouvrages  au  jugement  du  public  en  dehors  des  églises  et  des  réunions 
privées  ;  c'était  à  cause  des  obstacles  qui  s'opposent  toujours,  quoi  qu'on 
fasse,  à  la  production  d'une  œuvre  lyrique  nouvelle. 

Enfin  il  a  convié  le  public,  sans  aucune  préparation  ni  réclame,  à  enten- 
dre une  de  ses  partitions,  les  Chœurs  et  Solide  la  tragédie  d'Alhalie, 
dans  la  plus  vaste  salle  de  Paris,  au  Trocadéro,  les  24  et  31  août  et 
le  7  septembre,  et,  avec  des  moyens  relativement  restreints,  cinq  solistes, 
un  chœur  de  trente  voix  de  femmes,  un  orchestre  de  quarante  musiciens 
qu'il  conduisait  lui-môme,  il  a  tenu  dans  trois  auditions  hebdomadaires 
quatre  mille  personnes  non  seulement  attentives  et  intéressées,  mais  cons- 
tamment sous  le  charme  de  ses  mélodies  à  la  fois  distinguées  et.  fortes, 
nobles  et  touchantes,  d'une  instrumentation  appropriée  au  sujet  et  à  la 
nature  des  voix  féminines  du  chœur.  L'approbation  a  été  tout  d'abord 
unanime,  et  à  la  troisième  audition,  la  plupart  des  morceaux  ont  été  ap- 
plaudis. C'était  bien  là  le  succès  de  l'œuvre  elle-même,  car  rien  n'y  a  été 
sacrifié  à  la  virtuosité  ni  aux  effets  personnels.  C'est  Racine  et  ses  admi- 


MÉLANGES  243 

rables  vers  qui  sont  ici  en  cause  ;  ce  sont  aussi  les  pensées  exprimées  dans 
la  forme  la  plus  exquise  que  le  compositeur  a  traduites  dans  un  langage 
musical  sobre  et  harmonieux.  Celte  œuvre,  d'un  goût  très  pur  et  d'une 
puissance  d'expression  toute  racinienne,  ne  produira  tout  son  effet  que 
lorsqu'elle  sera  associée  à  la  représentation  de  la  tragédie  d'Athalie  au 
Théâtre  Français.  En  attendant,  on  peut  affirmer  que  le  répertoire  lyrique 
compte  une  œuvre  de  plus,  d'une  grande  valeur  et  qui  jouira  longtemps 
des  suffrages  du  public. 

V.  DE  M. 


LES  IMAGES  DU  SACRE-CŒUR. 

Monsieur  le  Directeur, 

Je  viens  de  lire,  dans  le  dernier  fascicule  de  la  Revue  de  l'Art  chrétien, 
l'article  de  M.  le  comte  Grimouard  de  Saint-Laurent  intitulé  :  Les  images 
du  Sacré-Cœur  au  point  de  vue  de  Vhistoire  et  de  l'art.  Sur  le  fond  de  cet 
intéressant  et  consciencieux  travail,  qu'il  serait,  d'ailleurs,  prématuré  de 
juger,  puisqu'il  n'est  pas  terminé,  je  n'ai  aucune  objection  à  présenter; 
mais,  sur  quelques-uns  des  détails,  je  demande  à  Fauteur  la  permission  de 
lui  soumettre  quelques  observations.  La  première  est  relative  à  l'interpré- 
tation de  l'attitude  de  la  sainte  Vierge  dans  la  couverture  d'un  sarcophage 
du  musée  de  Lati-an,  lequel  représente  la  Nativité  de  Jésus-Christ  et  l'ado- 
ration des  bergers  et  des  Mages. 

Derrière  le  berger,  qui  est  le  témoin  de  l'aloration  des  Mages,  la  Mère 
du  Sauveur  est  assise  et  détourne  les  yeux.  A  ce  propos,  M.  G.  de  Suint- 
Laurent  s'exprime  ainsi  :  «  Dans  la  représentation  même  des  mystères  de 
«  la  Sainte-Enfance,  où  il  semblerait  que  les  tendres  affections  devraient 
«  toujours  dominer,  c'est  la  dignité  qui  l'emporte.  Seules  les  figures  du 
('  bœuf  et  de  l'âne,  données  comme  des  images  du  peuple  fidèle,  se  mon- 
«  trent  affectueuses  pour  le  jeune  maître  qui  repose  dans  son  humble 
«  crèche  Ml  suffit,  ce  semble,  à  Marie  elle-même,  de  nous  faire  adorer 
«  son  divin  Fils,  l'amour  étant  compris  dans  l'adoration.  >  Voici  le  texte 
de  la  note  :  «  ^  On  remarquera  que,  dans  l'exemple  que  nous  donnons, 
«  l'un  des  bergers  est  encore  près  de  la  crèche,  quand  déjà  arrivent  les 
«  Mages.  Rien  n'est  plus  conforme  â  l'esprit  de  l'antiquité  chrétienne; 
«  car  alors,  en  représentant  la  Nativité  de  N,-S.,  on  voulait  surtout  expri- 
«  mer  l'idée  de  manifestation.  La  sainte  Vierge,  assise  dans  un  sentiment 
«  de  dignité,  en  détournant  la  tête,  semble  inviter  à  s'élever  au-dessus  de 


244  MÉLANGES 

«  toutes  les  impressions  de  sensibilité  naturelle.  C'est  le  prélude  des  com- 
((  positions  du  Moyen-Age,  compositions  d'ailleurs  que  l'on  peut  excuser, 
«  favorablement  interpréter,  mais  non  justifier,  quand  elles  montrent  la 
«  Mère  de  Dieu  couchée  dans  un  si  ntiment  analogue.  » 

Le  sentiment  attribué  à  la  sainte  Vierge  répond  mal  à  l'immense  amour 
qu'elle  portait  à  son  divin  Fils.  L'auteur  le  sent  si  bien  qu'il  avoue  que 
l'on  ne  saurait  le  justifier  dans  les  compositions  dont  il  parle  et  dont  il  voit 
le  prélude  dans  celle  qu'il  examine.  Je  ne  connais  pas  ces  compositions  ; 
et,  par  conséquent,  je  n'ai  pas  à  discuter  l'impression  qu'elles  ont  pro- 
duite sur  M.  G.  de  Saint-Laurent  ;  mais  je  doute  que,  dans  la  sculpturedu 
sarcophage  du  musée  de  Latran,  l'action  de  la  Vierge  ait  le  sens  que  lui 
suppose  l'auteur  de  l'article  et  que  cette  sculpture  ait  donné  le  ton  à  des 
ouvrages  postérieurs. 

Je  vois  dans  le  sentiment  qui  porte  Marie  àse  tenir  à  l'écart  et  à  détour- 
ner les  yeux  de  la  scène,  une  preuve,  non  d'insensibilité  ni  même  de  di- 
gnité, mais  de  modestie  et  d'humilité.  Lorsque  l'ange  du  Seigneur  lui  an- 
nonce sa  conception  miraculeuse  par  l'opération  ilu  Saint-Esprit,  Marie  ré- 
pond :  Ecce  ancilla  Domini ;  fiat  inihi  secundum  verbuvi  tuum.  (Je  suis  la 
servante  du  Seigneur  ;  qu  il  me  soit  fait  selon  votre  parole).  Elle  ne  con- 
çoit aucun  orgueil  du  choix  que  Dieu  a  fait  d'elle  pour  remplir  ses  pro- 
messes; cette  haute  destinée  ne  l'aveugle  pas.  Je  suis,  dit-elle,  la  servante 
du  Seigneur.  Après  que  la  prédiction  de  l'ange  s'est  réalisée  et  qu'elle  a 
enfanté  le  Sauveur  dans  une  crèche,  elle  persiste  dans  ce  même  sentiment 
d'humble  obéissance  qu'elle  a  manifesté.  Elle  ne  veut  point  prendre  part 
aux  hommages  que  rendent  successivement  à  son  fils  les  bergers  et  les 
rois  mages;  elle  veut  que  leuis  présents,  que  leur  adojation  surtout  ne 
s'adressent  qu'à  l'enfant  que  Dieu  a  déposé  en  elle;  aussi,  afin  de  ne 
point  paraître  prendre  sa  part  dans  cette  adoration,  elle  s'est  éloignée,  non 
par  dignité  ;  comment  cela  s'expliquerait-il?  mais  par  l'humilité.  Franche- 
ment, y  aurait-il  bien  loin  de  cette  dignité  toute  humaine  à  l'orgueil?  Et 
l'orgueil  peut-il  s'accorder  avec  la  vie  entière  de  Marie? 

Elle  sait  qu'elle  n'est  qu'un  instrument  passif  de  rinetfable  mystère  qui 
commence  à  s'accomplir  en  elle  et  sous  ses  yeux.  Le  monde  entier  sera 
sauvé  ;  les  petits  et  les  faibles  ne  seront  pas  les  seuls  à  profiter  de  l'œuvre 
du  salut  et  à  baisser  lu  tête,  à  plier  le  genou  devant  le  Messie  ;  les  rois  eux- 
mêmes  reconnaîtront  la  divinité  de  l'Enfant,  alors  même  qu'il  est  encore 
dans  la  crèche.  Mais  il  faut  qu'ils  sentent  bien  qu'elle  ne  prétend  aucun 
mérite  et  aucune  gloire  de  l'avoir  donuéà  la  terre.  A  lui  tous  les  homma- 
ges! Elle  n'accepte  que  l'amour  maternel;  à  peine  oserais-je  dire  qu'elle 
ressent  de  la  joie,  car  elle  n'ignore  nullement  au  prix  de  quelles  infinies 


MÉLANGES  245 

douleurs  elle  paiera  la  grâce  que  Dieu  lui  a  faite  en  la  choisissant  parmi 
toutes  les  femmes.  Elle  en  a  été  avertie  par  les  paroles  si  n:élanco!iques  du 
prophète  :  Voyez  s'il  est  une  douleur  semblable  à  la  mienne!  Elle  est  triste 
et  réfléchie  au  milieu  du  triomphe  de  son  Fils,  triomphe  qui  sera  si  chère- 
ment acheté;  mais  ce  n'est  pas,  selon  moi,  dans  une  dignité  incompréhen- 
sible et  injustifiable  (M.  G.  de  Saint-Laurent  est  bien  forcé  d'en  convenir) 
qu'elle  se  retranche  en  s'isolant. 

Je  livre  ces  réflexions  à  l'auteur  de  l'article  et  aux  lecteurs  de  la  Revue. 

Ma  seconde  observation  est  moins  importante.  M.  de  Saint-Laurent  voit 
dans  les  représentations  de  la  blessure  faite  par  Longin  dans  le  côté  de 
Jésus  crucifié  l'origine  et  le  symbole  de  l'adoration  du  sacré  Cœur;  je  l'ad- 
mets volontiers.  Mais  les  images  qu'il  reproduit  ne  semblent  guère  s'ac- 
corder avec  cette  pensée.  Dans  toutes,  la  blessure  est  à  droite  et  non  à 
gauche  ;  or  la  lance  de  Longin  n'a  pu  percer  le  cœur  de  Jésus. 

S.  Jean  se  borne,  dans  l'Evangile,  à  dire  que  l'un  des  soldats,  après  la 
mort  de  Jésus,  lui  perça  le  côté,  sans  spécifier  si  la  blessure  était  à  droite 
ou  à  gauche.  Les  artistes  ont  donc  pu  la  placer  de  l'un  ou  de  l'autre  côté, 
suivant  leur  goût;  mais  des  représentations  dans  lesquelles  le  coup  de 
lance  est  à  droite  ne  sauraient  servir  à  prouver  que  la  blessure  du  Christ 
a  donné  l'idée  de  l'adoration  du  sacré  Cœur.  Ou  bien  elles  ne  sont  pas  heu- 
reusement choisies,  ou  bien  la  gravure  ne  les  rend  pas  fidèlement.  Ce  n'est 
donc  pas  sur  le  fond  des  chuses  que  porte  mon  observation  :  elle  s'ap- 
plique uniquement  à  un  détail  d'exécution. 

Je  crois,  M.  le  Directeur,  être  agréable  à  M.  de  Saint-Laurent  et  à  ses 
lecteurs  en  faisant  connaître  une  curieuse  gravure  entaille-douce,  qui  me 
paraît  se  rappoiter  au  sujet.  C'est  le  frontispice  d'un  volume  imprimé  à 
Augsbourg  (Bavière).  —  {Augustœ  Vindeliconmi,  sumptibusJoannis  Sprot- 
ter,  bibliop.  fypis  Antonii  Maxi'niiliani  Ueis,  MDCCXXIV.) 

Ce  volume  contient  :  1"  le  texte  de  l'Imitation  de  Jésus-Christ  publié  et 
annoté  par  Erhard  ;  t"  la  S**  édition  d'une  traduction  de  l'Imitation,  en 
distiques  latins,  pa"  le  R.  F.  Thomas  Mezler.  Cotte  traduction  est  de  la 
même  date  que  le  texte  ;  elle  a  été  donnée  par  le  même  libraire  et  impri- 
mée parle  même  typographe;  mais  elle  forme  un  ouvrage  à  part;  elle  a 
un  titre  et  une  pagination  distincts.  Le  frontispice  est  signé  •.Joh.  Heinr. 
Storcklin  sculp .  Aug.  Vindel. 

Au  bas  est  un  goufl're,  probablement  l'entrée  de  l'enfer,  et  sur  le  bord 
le  plus  élevé  duquel  on  voit  une  tète  de  mort  et  des  ossements.  A  gauche, 
un  ange  chasse  trois  démons;  à  droite,  un  autre  ange  retire  de  l'abîme  un 
tout  jeune  enfant,  portant  une  croix.  Comme  elle  est  trop  lourde  pour  ses 
faibles  épaules,  l'ange  la  soutient  en  souriant. 


246  MÉLANGES 

Au  second  plan,  des  hommes,  une  femme  et  un  moine,  portant  aussi  la 
croix,  s'acheminent  vers  un  portique  tout  garni  de  tôtesde  morts  el  sur  le 
haut  duquel  se  tient  la  Mort,  tenant  une  faux.  Au-delà  sont,  à  droite  et  à 
gauche,  deux  autres  portiques,  élégamment  ornés  de  fleurs  et  de  feuil- 
lages, sous  lesquels  passent  des  fidèles  qui  portent  la  croix,  pour  gagner 
une  montagne  que  d'autres  semblent  prendre  d'assaut. 

On  voit,  au-dessus  de  la  montagne,  dans  le  lointain,  un  quatrième  por- 
tique oii  se  prépare  à  entrer  un  pape,  qui  porte  sa  croix,  comme  tous  les 
autres  personnages.  Ce  portique  est  entouré  de  quarante  cœurs  enflammés. 
Par  derrière  s'élance,  vers  la  gauche,  également  chargé  de  la  croix,  le 
Christ  nimbé;  il  présente  les  élus  au  Père  éternel,  qui  vient  au-devant  de 
lui  sur  un  nuage,  environné  de  Chérubins.  Un  triangle  auréolé,  symbole 
de  la  sainte  Trinité,  brille  derrière  la  tête  du  Père. 

Au-dessus  du  Christ,  au  milieu  d'une  gloire,  est  un  livre  ouvert,  avec 
cette  inscription  :  LIBER  VIT.^,  et  les  monogrammes  de  Jésus-Christ  et 
de  la  Vierge  Marie. 

A  droite^  sur  des  nuages,  des  anges  et  des  chérubins  font  éclater  leur 
joie  en  voyant  entrer  au  Ciel,  victorieux  de  la  Mort  par  l'intervention  du 
Sauveur,  ce  grand  nombre  de  fidèles  de  tous  les  âges,  de  tous  les  sexes  et 
de  tous  les  états. 

Bien  que  les  cœurs  enflammés  qui  décorent  le  quatrième  portique  ne 
portent  pas  de  trace  de  la  blessure  faite  par  Longin  au  cœur  de  Jésus  cru- 
cifié, il  est  évident  qu'ils  sont  une  allusion  au  culte  du  Sacré-Cœur.  La 
date  du  livre,  qui  est  de  la  première  moitié  du  XVIIP  siècle,  appuie  cette 
conjecture. 

Ce  livre  appartenait  aux  Pères  Franciscains  d'ingolstadt;  il  est  dans  sa 
première  reliure.  Je  crois  inutile  d'allonger  cette  lettre  en  le  décrivant  ;  la 
gravure  seule  présente  quelque  intérêt  par  rapport  au  travail  de  M.  le 
comte  Grimouard  de  Saint-Laurent. 

Veuillez  agréer,  M.  le  Directeur,  etc. 

Élie  Petit. 


DEUX  QUESTIONS  D'ARCHÉOLOGIE  ROMAINE 

l'Ûranle  —  Orthographe  du  tiiot  L.\tu\n. 

M.  le  comte  Grimouard  de  Saint-Laurent  a  bien  voulu  nous  communi- 
quer une  lettre  que  lui  a  adressée  M.  le  commandeur  Ch.  Uesceraet,  en 
réponse  à  l'envoi  de  la  notice  sur  VOrante  dans  l'antiquité  chrétienne^  ex- 
cellent travail  qui  a  paru  dans  notre  Revue. 


MÉLANGES  247 

M.  le  commandeur  Descemet  et  M.  de  Saint-Laurent  nous  pardonne- 
ront de  commettre  une  indiscrétion  en  reproduisant  ici  quelques  passages 
de  cette  lettre,  qui  sont  de  nature  à  intéresser  nos  lecteurs. 

(( II  me  semble  qu'après  votre  dissertation  si  complète  et  si  ingé- 
nieuse, la  question  est  résolue  sous  tous  ses  aspects  probables  et  possi- 
bles. Lorsqu'on  tiouvera  désormais  des  figures  d'Orante,  sur  un  monu- 
ment chrétien,  il  faudra  que  leurs  exrgètes  cherchent  chez  vous  leur  vraie 
signification.  Pour  moi,  l'Orante  des  Catacombes  et  des  sarcophages  pri- 
mitifs est  foit  souvent  une  profession  de  foi  chrétienne;  elle  dit:  Credo, 
en  représentant  d'ailleurs  soit  l'Église,  soit  la  sainte  Vierge,  soitSusanne, 
soit  la  défunte. J'ai  cru  en  outre  remarquer  une  diflérence  caractéristique 
dans  l'attitude  des  Orantes  chrétiennes,  comparée  à  celle  des  Livie  et 
des  Pietas  de  quelques  médailles  et  des  païennes  sacrifiant  sur  un  autel. 
Les  bras  des  premières  sont  largement  ouverts  et  détachés  du  corps, 
comme  pour  rappeler  le  crucifix;  ceux  des  secondes  sont  collés  au  corps 
dans  une  position  roide  et  gênée,  du  moins  avant  Hadrien.  Cette  obser- 
vation pourrait,  ce  me  semble,  n'être  pas  inutile  pour  l'exacte  apprécia- 
tion de  quelques  monuments  douteux.  Je  vous  serais  fort  obligé  de  vou- 
loir bien  me  dire  ce  que  vous  en  pensez. 

«  J'ai  entrepris  une  petite  campagne  pour  faire  rétablir  l'orthographe 
correcte  de  Lateran  que  les  auteurs  français  écrivent  seuls  en  Europe  : 
La/ran. Pourquoi  estropier  ainsi  le  surnom  de  la  noble  famille  des  Se.ctius 
Lateranus  ?  Ils  la  tiraient  de  later  et  non  de  latro  ou  de  /a^/'are.  Aidez-moi, 
je  vous  prie,  à  faire  triompher  la  bonne  ôtymologie. 

Gh.  Descemet. 


CORRESPONDANCE. 

Le  R.  P.  Ch.  Cahier  nous  a  adressé  la  note  suivante  : 

((  Mgr  Barbier  de  MontauU  Q.ydnt  àéc\aTé{Reviie  de  l'art  chrétien,  p.  498) 
qu'il  souhaite  avoir  dit  le  dernier  mut  dans  une  question  où  il  aurait  préféré 
garder  le  silence,  on  me  permettra  bien  de  lui  faire  observer  que  je  ne  l'a- 
vais pas  du  tout  provoqué  à  prendre  l'olîensive.  Mais,  tout  en  m'accordant 
à  peu  près  qu'il  n'y  avait  guère  lieu  à  ses  critiques  précédentes,  il  y 
ajoute  :  I»  Que  je  n'ai  point  parlé  du  petit  temple  que  S.  Thomas  d'Aquin 
tient  de  la  main  gauche^  etc.  [Revue,  p.  490).  Or  cela  se  trouve  dans  les 
Caractéristiques  à  la  page  334 (colonne  A),  pour  tous  les  docteurs,  et  à  la 
table  «Ve»/.  Avais-je  besoin  d'enseigner  que  S.  Thomas  d'Aquin  est  doc- 
teur de  l'Église  ? 


248  MÉLANGES 

"  «  2°  Il  me  reproche  en  outre  d'avoir  oublié  les  potiers  de  Rome  comme 
clients  de  S.  André  apôtre  [Revue  de  l'A^^t  chrétien,  p.  496  et  sv.)  Mais  si 
j'avais  suivi  en  cela  l'auteur  de  VAï\née  liturgique  à  Rome  (V.  Didron,  Pa- 
ris, 1857,  p.  215-217)  qui  est  justement  mon  censeur,  et  qui  ne  les  men- 
tionne pas  lui-même  à  l'article  des  corporations  et  patronages  romains,  on 
ne  saurait  me  trouver  si  coupable  d'abstention  et  d'oubli.  » 

C.  Cahier. 

Voici  la  réponse  de  Mgr  Barbier  de  Montault  : 

«  En  Italie,  VEylise  n'est  pas  une  caractéristique  absolue  et  générale 
pour  les  docteurs  ;  je  dirai  môme  que,  reiative.nent,  elle  constitue  plutôt 
une  exception. 

«  Le  renvoi  à  la  page  334  ne  prouve  rien. 

((  En  efTet,  il  y  est  écrit  que  l'Eglise  est  souvent  employée  pour  désigner 
les  grands  docteurs,  nommément  S.  Grégoire  et  S.  Augustin.  D'oii  je  suis 
en  droit  de  conclure  :  que  souvent  n'étant  pas  synonyme  de  toujours  ni 
d'habituellement,  l'Eglise  n'est  pas  une  caractcrislique  générale  et  univer- 
selle ;  que  S.  Thomas  d'Aquin  ne  figurant  pas  parmi  les  quatre  grands  doc- 
teurs, déclarés  tels  par  Boniface  VIII,  rarticlc  en  question  ne  le  vise  pas, 
même  indirectement;  enfin  que  spécifier  S.  Grégoire  et  S.  Augustin  semble 
leur  réserver  le  monopole  de  la  caractéristique,  à  Texclusion  des 
autres. 

((  J'estime  donc  encore  qu'il  y  avait  lieu  d'inscrire  l'Eglise  parmi  les 
attributs  propres  de  S,  Thomas,  d'autant  plus  qu'elle  n'est  pas  itoléeet 
indépendante,  comme  pour  les  grands  docteurs,  mais  en  corrélation  di- 
recte avec  son  compléirent  naturel,  le  soleil. 

«  L'Année  liturgique  n'a  jamais  eu  la  p;étenlion  de  se  poser  en  ouvrage 
d'érudition,  mais  uniquement  de  fournir  des  renseignements  pratiques 
aux  pieux  visiteurs  de  Rome. Si  je  n'y  ai  pas  mentionné  la  corporation  des 
potiers,  c'est  qu'à  la  suite  du  siège  par  l'armée  française  elle  avait  cessé 
d'exister  ;  mais,  dès  qu'elle  a  été  reconstituée,  je  me  suis  empressé  de  lui 
donner  place  dans  mes  Eglises  de  Rome,  ainsi  qu'on  peut  s'en  convaincre 
en  se  reportant  à  Varticle  Saint -And  i^é  des  Potiers.  » 

X.  Barbier  he  Montault. 


TRAVAUX  DES  SOCIÉTÉS  SAVANTES 


Société  des  antiquaires  de  France.  — M.  Bertrand  dépose  sur  le  bu- 
reau divers  bijoux  mérovingiens  trouvés  à  Jouy-lc-Comte  (Seine-ct-OIse); 
ce  sont:  une  bague  en  or,  décorée  de  grappes  de  raisin  et  d'étoiles;  deux 
fibules  avec  verroteries  serties  dans  des  lamelles  d'or  et  décorées  de  fili- 
granes de  même  métal,  portaaL  la  représentation  d'un  poisson,  dessiné 
également  en  verroteries  ;  une  épingle  en  or  dont  la  tête  rappelle  le  plus 
beau  travail  antique. 

—  M.  P.  Nicard  signale  quelques  découvertes  faites  récemment  en 
Suisse.  A  Soleure,  les  débris  d'un  pont  romain  en  bois,  sur  l'Aar.  —  A 
Oensingen  (canton  de  Soleure),  dans  le  voisinage  d'une  voie  antique  et  du 
cimetière,  un  tom])oau  de  l'époque  franco-burgonde  renfjrmant  avec  un 
squelette  une  épée  à  double  tranchant,  un  poignard  d'une  longueur 
peu  commune,  une  agrafe  de  ceinture,  en  fer,  avec  ornements  en  argent. 
—  A  Schwarzenbach  (canton  de  Lucerne),  une  urne  contenant  des  cen- 
dres et  une  statuette  de  Mercure,  des  fragments  de  vases  très  élégants.  — 
Dans  le  canton  de  SchafTouse,  non  loin  de  la  chr.fe  du  Rhin,  une  caverne 
dans  laquelle  on  a  trouvé  un  gran  1  nombre  de  silex  travaillés,  des  frag- 
ments de  vases  celtiques  fabriqués  au  tour  et  de  poteries  romaines.  — 
M.  Nicard  signale  aussi  les  peintuies  du  XVP  siècle  découvertes  à  Bàle  et 
à  Berne  ;  il  émet  le  vœu  que  quelque  archéologue  s'impose  la  tâche  de 
faire  l'histoire  des  peintures  antérieures  au  XV^  siècle  qui  existent  en 
France,  eu  Suisse  et  daus  TEurope  septentrionale. 

Congrès  archéologique  de  France.  Séances  tenues  à  Arles.  —  M.  E.  de 
Barthélémy,  n  ndant  compte  de  cette  publication  au  Comité  des  travaux 
historiques,  signale  en  ces  termes  l'jne  des  plus  intéres?antes  notices  de 
ce  volume  : 

«  La  ceinture  de  saint  Césaire,  archevêque  d'Arles  au  VP  siècle,  est 
étudiée  par  M.  Laurière  :  c'est  une  ceinture  de  cuir,  encore  munie  de  sa 
boucle  d'ivoire  ;  elle  est  conservée  au  trésor  de  la  Major  à  Arles.  Cette 


i2oO  TRAVAUX  DES   SOCIÉTÉS   SAVANTES 

boucle  se  compose  d'une  plaque  ou  patte  fixe  de  forme  carrée  et  d'un 
anneau  mobile  roulant  dans  une  charnière  autour  d'une  broche  ;  it  est 
couvert  de  fruits  et  de  feuillages  ;  la  plaque  figure  deux  soldats  armés  de 
lances  et  dormant,  la  tête  appuyée  sur  leurs  mains,  aux  pieds  du  saint  sé- 
pulcre. Le  caractère  de  ces  objets  est  byzantin.  Le  cuir  est  à  gros  grain 
plat,  écaillé,  de  couleur  primitivement  noire;  une  légère  piqûre  de  soie, 
formant  la  bordure  et  la  surface  d'une  de  ses  extrémités,  est  ornée  du  mo- 
nogramme du  Christ  avec  l'alpha  et  l'oméga.  Quant  à  l'origine  de  cette 
ceinture,  M.  de  Laurière  se  contente  de  faire  remarquer  que  saint  Césaire 
légua  à  son  successeur  tous  ses  vêtements  et  parmi  eux  sa  tunique.  Le 
lecteur  appréciera  donc  s'il  est  permis  de  supposer  que  le  trésor  d'Arles 
possède  réellement  la  ceinture  qui  a  dû  accompagner  la  tunique  du  grand 
évêque. » 

Société  centrale  des  arguitrctes.  —  Cette  Société  a  ouvert  une  sous- 
cription pour  ériger  à  Saint-Germainen-Laye  un  tombeau  à  M.  Louis  Mil- 
let, inspecteur  général  des  édifices  diocésains.  M.  Ch.  Lucas,  secrétaire  de 
la  Société  lui  a  consacré  une  notice  où  il  rappelle  que  cet  éminent  archi- 
tecte a  restauré  la  cathédrale  de  Troyes,  l'église  Saint-Pierre  de  Lisieux, 
la  cathédrale  de  Moulins,  le  château  de  Saint-Germain-en-Laye,  l'église 
Saint-Pierre  de  Montmartre,  la  cathédrale  de  Reims,  etc.  En  terminant, 
il  lui  applique  justement  ces  paroles  de  l'Apôtre  :  «  Celui-là  ne  meurt  pas 
tout  entier  qui  s'est  donné  comme  mission  de  restaurer  l'œuvre  des 
hommes  pour  la  plus  grande  gloire  de  Dieu.  » 

Société  scientifique,  historique  et  archéologique  de  la  Corrèze.  — 
Cette  société  fondée  à  Brives,  en  1878,  compte  déjà  300  souscripteurs  et  a 
publié  deux  volumes  de  mémoires  et  compte-rendus.  Les  procès-verbaux 
de  ses  séances  témoignent  d'un  zèle  et  d'une  vitalité  qu'on  ne  rencontre 
pas  toujours  dans  les  vieilles  académies  qui  se  glorifient  d'un  demi-siècle 
ou  d'un  siècle  d'existence.  Parmi  les  travaux  archéologiques  nous  citerons 
les  suivants: 

i°  Une  notice  de  M.  Robert  de  Lasteyrie  sur  une  inscription  du 
XIIP  siècle  récemnumt  trouvée  à  Brives  et  ainsi  conçue  : 

En  Bernard  Malchalx  uiorit,  de  queus  nembre, 
al  dia  quinze  del  mes  de  setembre, 
ci  miieines  era,  cant  el  traspasset, 
de  mil  et  ducent  e  sinquanta  e  set. 
efo  da  Criva,  grans  borzeus  cnbiraus 
Ede  Torena.  Dieus  li  do  bon  rcpaus 
Amen, 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  251 

c'est-à-dire  :  Don  Bernard  Malchalx  mourut  (du  quel  il  vous  souvienne)  le 
quinzième  jour  du  mois  de  septembre.  Le  millésime  était,  quand  il  tré- 
passa de  md  et  deux  cent  et  cinquante  sept.  Et  il  fut  de  Brive  grand  bour- 
geois (unbiraus  et  de  Turenne.  Uieu  lui  donne  bon  repos.   Amen. 

L'auteur  se  demande  si  embiraus  n'indique  pas  une  fonction  que  le  dé- 
funt pouvait  exercer  à  Turenne,  tout  en  étant  bourgeois  de  Brive. 

2°  Une  note  de  M.  Rupin  sur  un  lutrin  de  l'église  Saint-Martin  à  Brive. 
C'est  un  curieux  spécimen  de  l'art  de  forger  le  fer  au  XIII"  siècle. 

3°  Une  étude  de  M.  René  Fage  sur  les  restaurations  du  cloître  de  Tulle.  Il 
parait  que  ces  belle  ruines  offrent  aux  yeux  étonnés  et  aux  esprits  oublieux 
l'attrait  d'nne  véritable  découverte. La  cathédrale  de  Tulle  va  être  bientôt 
débarrassée  des  constructions  parasites  qui  déshonoraient  ses  murs. 

4°  Note  de  M.  Rupin  sur  un  pied  de  croix  ou  de  reliquaire  (XIIP  s.) 
conservé  dans  l'église  d'Aubazine.  Il  est  divisé  en  trois  sections  égales  par 
des  animaux  en  cuivre  doré  et  ciselé,  se  rapprochant  du  caméléon.  Leur 
tête  est  grotesque,  monstrueuse,  armée  de  longues  cornes  ;  l'échiné  est 
figurée  par  des  goutelettes  d'émail  bleu  turquoise  ;  les  yeux  sont  recou- 
verts d'un  émail  plus  foncé,  et  leur  queue  longuement  enroulée  en  volute 
est  terminée  par  une  tête  de  serpent. 

5°  Note  de  M.  Lalande  sur  une  bague  mérovingienne  en  or,  du 
VP  siècle.  Entre  les  deux  chatons,  pris  à  même  le  mo'al,  sont  gravées 
en  creux  des  lignes  entrelacées  encadrant  des  ellipses. 

6°  Une  lettre  de  notre  collaborateur,  !M.  l'abbé  Poulbrière,  qui  élucide 
et  complète  des  études  publiées  par  d'autres  membres  dans  le  premier  vo- 
lume des  Mémoires. 

7°  Un  bon  travail  de  M.  le  baron  de  MaynarJ  sur  les  ruines  du  château 
de  Turenne.  Situé  dans  une  position  presque  imprenable,  sur  un  massif 
de  châteaux  abrupts,  au  sommet  d'une  colline  en  forme  de  cône,  Turenne 
était  autrefois  une  place  importante,  et  c'est  encore  aujourd'hui,  tant  par 
sa  situation  pittoresque  que  par  les  souvenirs  historiques  qui  s'y  ratta- 
chent, une  des  plus  intéressantes  ruines  du  Bas-Limousin. 

8°  Une  notice  de  M.  L.  Bonnay  sur  les  découvertes  archéologiques  faites 
à  l'église  Saint-Martin  de  Brives.  Outre  des  tombeaux  et  des  vases  funé- 
raires, on  a  trouvé  des  fragments  de  sculpture  du  XIF  siècle,  représentant 
l'enfer  et  le  purgatoire.  «  Cette  sculpture,  dit  l'auteur,  si  différente  de  celle 
que  présentent  les  édifices  de  la  même  époque,  construits  dans  le  midi, 
l'ouest  et  même  le  centre  de  la  France,  nous  autoriserait  presque  à  dire 
qu'il  existait  aussi  en  Limousin,  au  XIP  siècle,  une  école  de  sculpture 
cherchant  à  corriger  les  méthodes  byzantines.  » 


252  TRAVAUX    DES   SOCIÉTÉS   SAVANTES 

Société  académique  de  l'Oise.  —  MM.  de  l'Epinois,  l'abbé  Deladreue, 
Danjou,  Barré,  A.  Rendu,  Mathon,  ont  fourni  le  tome  IX  de  Notices  his- 
toriques et  archéologiques. 

Nous  extrayons  le  passage  suivant  de  la  notice  archéologique  que 
M.  Danjou  a  consacrée  à  l'abbé  Barraud  :  «  La  Société  académique  d'ar- 
chéologie avait  été  fondée  en  1847,  et  l'abbé  Barraud  en  fut  un  des  pre- 
miers et  des  plus  utiles  membres.  Ses  avis,  toujours  écoutés  avec  défé- 
rence, servirent  à  propager  les  meilleurs  principes  d'architecture  reli- 
gieuse et  d'esthétique.  Beaucoup  de  travaux  dus  à  sa  plume  élégante  et 
lucide,  contribuèrent  à  assurer  à  la  collection  des  Mémoires  de  la  Société 
les  suffrages  de  l'opinion  du  monde  savant. 

«  On  peut  citer  particulièrement  ceux  qu'il  composa  sur  plusieurs 
églises  du  diocèse,  notamment  sur  la  cathédrale  do  Beauvais,  dont  il  dé- 
crivit successivement  les  vitraux,  les  tapisseries,  les  tableaux,  le  monu- 
ment de  Mgr  Forbin  de  .lanson,  et  quelques  objets  consacrés  au  culte, 
remarquables  par  leur  forme  élégante  et  leur  ancienneté,  tels  que  chauf- 
foirs,  bénitiers,  encensoirs. 

«  Ces  travaux,  malgré  leur  multiplicité,  ne  suffisaient  pas  à  l'activité  de 
l'abbé  Barraud  ;  non  content  d'enrichir  les  Mémoires  de  la  Société  aca- 
démique de  savantes  dis?ert.itions  sur  l'histoire  de  la  contrée  et  de  ses 
monuments,  il  donnait  à  plusieurs  recueils  renommés  des  notices  sur  des 
questions  de  liturgie  ou  d'archéologie  religieuse,  dont  quelques-unes  sont 
de  véritables  traités. 

«  L'abbé  Barraud  publia,  à  différentes  époques,  de  substantielles  no- 
tices sur  quelques  anciens  monuments  que  mettait  au  jour  le  nivellement 
des  remparts  et  les  fouilles  exécutées  dans  les  environs  pour  lu  constiuc- 
tion  de  chemins  de  fer. 

«  Plusieurs  de  ces  travaux  fuient  publiés  dans  le  Bulletin  monumental 
de  M.  de  Caumont,  dans  les  Annales  archéologiques  de  M.  Didron,  et 
dans  les  Mélanges  d'archéologie  du  P.  Martin.  On  peut  citer  parmi  ces 
notices  celles  qu'il  composa  sur  les  calices  et  les  ciboires,  sur  les  confes- 
sionnaux, sur  les  cloches,  sur  les  insignes  des  évêques,  crosse,  mitre  et 
anneau,  etc. 

«  M.  de  Caumont  avait  pour  l'abbé  Barraud  une  amitié  fondée  sur  l'es- 
time que  lui  avaient  inspirée  ses  nombreux  et  importants  travaux,  et  il 
réservait  toujours  une  place  d'honneur  dans  son  Bulletin  monumental  à 
ses  intéressantes  monographies.  L'abbé  Barraud  y  était  très  sensible,  et, 
bien  peu  de  temps  avant  sa  mort,  il  en  donna  une  preuve  touchante  en 
montrant  combien  lui  était  précieuse  l'amitié  do  l'illustre  antiquaire.  Il 
avait  acquis,  par  les  mômes  motifs,  l'affection  de  M.  Graves,  qui  attachait 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  233 

un  grand  prix  à  la  précision  et  à  la  sûreté  de  ses  connaissances  archéo- 
logiques. On  doit  aussi  citer  au  nombre  de  ses  amis  les  plus  dévoués,  le 
savant  M.  Houbigand,  de  Nogent-lès- Vierges,  qui  lai  faisait  de  fréquentes 
visites  et  le  recevait  souvent  dans  sa  belle  résidence  de  Nogent,  avec  l'a- 
mabilité qui  lui  était  propre  et  qui  rendait  si  douces  les  relations  que  la 
science  créait  avec  lui.  Nous  devons  encore  citer  ici  M.  Didron,  M.  Félix 
de  Beauvillé,  député  de  la  Somme,  qui  ne  manquait  jamais  de  le  visiter 
quand  il  venait  à  Beauvais,  M.  l'abbé  Cochet,  de  Dieppe,  M.  l'abbé  J. 
Corblet,  d'Amiens,  et  beaucoup  d'autres  antiquaires. 

«  Les  nombreux  et  importants  travaux  de  l'abbé  Barraud  ne  pouvaient 
manquer  de  fiX'iT  l'attention  du  Ministre  de  l'Instruction  publique  et,  sur 
le  rapport  du  Comité  des  travaux  historiques,  il  avait  été  nommé  cor- 
respondant de  ce  ministère  pour  la  surveillance  et  la  conservation  des 
monuments. 

((  Toujours  dévoué  aux  intérêts  de  la  science,  l'abbé  Barraud  était  aussi 
tout  disposé  à  accepter  les  mi^^sions  qui  lui  procuraient  les  moyens  de  se 
rendre  utile.  C'est  à  ce  titre  qu'on  l'a  vu  faire  partie,  pendant  plusieurs 
années,  de  la  grande  commission  de  statistique  départementale,  de  la 
commission  d'examen  des  aspirants  aux  fonctions  d'instituteurs  des  deux 
sexes,  du  conseil  des  bâtiments  civils  et  de  diverses  autres  institutions.  On 
le  trouvait  toujours  prêt  à  rendre  les  services  que  l'administration  atten- 
dait de  lui.  » 

Société  archéologique  dk  la  Charente.  —  M.  Lièvre,  à  l'occasion  d'un 
travail  de  M.  Fleury,  qui  présente  la  question  de  Vascia  sous  un  jour  nou- 
veau, fait,  de  son  côté,  quelques  observations  sur  cet  antique  usage.  Il 
fait  remarquer  que  si  la  formule  sub  ascia  dedicare  est  romaine,  le  sym- 
bole lui-même  est  gaulois.  On  ne  le  trouve  point  en  Italie,  et  l'Italie  n'a 
pas  non  plus  de  dolmens.  Or,  c'est  dans  les  dolmens  qu'il  faut  chercher 
l'origine  de  Vascia^  qui  appartient  à  la  même  tradition  que  la  hache,  d'a- 
bord déposée  et  ensuite  figurée  dans  les  monuments  néoUthiques  de  la 
Bretagne  et  de  l'Angoumois.  Au  début,  le  mort  emporte  la  hache,  arme 
et  outil  tout  à  la  fois  ;  puis  l'objet  est  remplacé  par  le  signe  ou  le  symbole 
dont,  à  la  longue,  la  signification  se  perd  ou  se  transforme,  et  toute  la 
question  aujourd'hui  est  de  savoir  quelle  idée  on  y  attachait  dans  les 
derniers  temps  du  paganisme  gaulois,  au  moment  oii  la  croix ^ allait  rem- 
placer Y  ascia  sur  la  tombe  de  nos  ancêtres. 

Société  d'études  scientifiques  et  ARcnÉOLOGiQUEs  de  Draguignan.  — 
L'histoire  et  l'archéologie  sont  largement  représentées  dans  le  tome  XI 


254  TRAVAUX    DES   SOCIÉTÉS    SAVANTES 

que  nous  venons  de  recevoir.  Très  intéressants  sont  les  mémoires  de 
M.  V.  Raynaud  sur  la  vie  de  Claude  Gay,  de  M.  Olivier,  sur  une  tombe 
mégalithique  de  la  Verrerie  Vieille,  près  de  Saint-Paul-lès-Fayence,  de 
M.  L.  de  Bresc,  sur  le  massacre  d'Aups  en  1574.  de  M.  l'abbé  Dupui,  sur 
la  monographie  de  la  paroisse  du  Beausset,  de  M.  Robert  Reboul,  sur  les 
anonymes  et  les  pseudonymes  de  la  Provence,  très  long  complément  aux 
recherches  de  Barbier  et  de  Quérard.  Nous  signalerons  spécialement, 
comme  dépassant  les  bornes  d'un  intérêt  local,  le  travail  que  M.  F.  Mar- 
tin a  consacré  aux  Frères-Pontifes.  Déjà,  pour  ne  citer  ici  que  des  études 
récentes,  MM.  A.  Canron,  M.  l'abbé  André,  M.  l'abbé  Hyenne,  M.  Bru- 
gnier-Roure  et  M.  l'abbé  Albanès  s'étaient  occupé  de  S.  Benezet  et  de 
l'ordre  des  Frères-Pontifes.  M.  Martin  a  certainement  mis  ces  recherches 
à  profit,  mais  il  y  a  ajouté  des  détails  complètement  inédits. 

Après  avoir  rappelé  les  efforts  de  Charlemagne  pour  développer  les 
travaux  publics  dans  son  vaste  empire,  l'amélioration  de  la  viabilité  sous 
Philippe-Auguste,  la  part  que  prirent  les  ordres  religieux  à  la  construc- 
tion des  ponts  que  Pierre  le  Chantre  déclarait  être  une  œuvre  pie,  l'au- 
teur entre  dans  le  vif  de  son  sujet.  C'est  au  milieu  du  Xll' siècle  qu'on 
voit  l'ordre  des  Frères- Pontifes  se  relever  en  Provence  par  des  œuvres 
dont  nous  ne  connaissons  que  les  plus  importantes.  Tout  le  monde  sait 
que  le  pont  d'Avignon  fut  commencé  en  1178,  par  S.  Benezet,  et  terminé 
seulement  dix  ans  après.  Les  mêmes  religieux  construisirent  les  ponts  de 
Bonpas  et  de  Mirabeau,  sur  la  Durance,  ceux  de  Romans,  de  Vienne,  de 
Lyon,  de  Saint-Esprit,  de  Saint-Nicolas,  etc.  Ces  courageux  travailleurs  se 
répandirent  dans  la  vallée  de  la  Loire  et  probablement  aussi  en  Auvergne. 
A  la  fin  du  XVIP  siècle,  cet  ordre,  essentiellement  français,  disparut  ; 
le  gouvernement  était  en  mesure  de  s'occuper  des  routes  et  des  ponts. 
Mais  quelque  admirable  qu'ait  été  depuis  le  progrès  opéré  par  nos  ingé- 
nieurs, nous  ne  devons  pas  moins  garder  une  profonde  reconnaissance 
pour  les  ouvriers  de  la  première  heure,  pour  ces  hommes  modestes  et  dé- 
voués qui,  comme  le  remarque  M.  Martin,  furent  seuls,  pendant  plus  de 
trois  siècles,  investis  par  la  confiance  publique,  du  soin  de  protéger  et 
d'améliorer  les  voies  de  communication  de  notre  pays. 

Société  historique  de  Compikgne.  — Le  quatrième  volume  de  son  Bul- 
letin contient  des  travaux  de  MM.  de  Marsy,  A.  de  Roucy,  de  Bernhardt, 
Morel,  Alex.  Sorel,  J.  du  Lac,  L.  Plessier,  etc. 

En  compulsant  les  archives  du  Fayel,  M.  l'abbé  Morel  a  pu  donner  une 
étude  très  complète  sur  les  seigneurs  de  la  Mothe-Houdencourt  qui  ont 
joué  un  rôle  militaire  si  important  au  XViP  et  au  XV!!!""  siècle. 


TRAVATÎX    DIiS    SOCIÉTÉS  SAVANTES  2oo 

M.  de  Bernhardt,  chef  de  burecau  au  Foreingn  Office^  a  envoyé  à  la  So- 
ciété le  fac-similé  d'une  lettre  de  Racine  à  Boileau,  datée  de  Compiègne 
et  faisant  partie  des  collections  du  Britisch  Muséum  ;  M.  de  Marsy  y  a 
joint  divers  renseignements  de  nature  à  mieux  faire  comprendre  le  texte 
et  à  préciser  les  circonstances  dans  lesquelles  cette  lettre  fut  écrite. 

RI.  Al.  Sorel,  dont  les  travaux  sur  l'époque  révolutionnaire  sont  si  ap- 
préciés, a  publié  une  longue  et  curieuse  notice  sur  les  Carmélites  de 
Compiègne  devant  le  tribunal  révotutionnaire.  «  Près  d'un  siècle,  dit-il  en 
terminant  ses  consciencieuses  recherches,  s'est  écoulé  depuis  les  sinistres 
exécutions  dont  nous  venons  d'évoquer  le  souvenir.  Victimes  et  bourreaux 
appartiennent  désormais  à  l'histoire.  Mais  Dieu  a  fait  à  l'avance  la  part 
dechacun.Aux  uns,  les  palmes  du  martyre, la  gloire  dans  le  ciel, l'exemple 
sur  la  terre  et  l'admiration  des  générations  qui  se  sont  succédé  ;  aux 
autres,  la  honte  et  le  mf'-pris  de  l'humanité  tout  entière.  » 

M.  du  Puget  a  proposé  d'ériger  dans  la  ville  de  Compiègne  un  monu- 
ment commémoratif  en  l'honneur  de  Jeanne  d'Arc. Nous  aimons  à  espérer 
que  ce  projet  sera  réalisé  et  qu'on  rendra  un  solennel  hommage  à  la  Pu- 
celle  sur  les  lieux  mêmes  où  elle  a  soutenu  son  dernier  combat. 

Société  archéologique  de  l'Orléanais.  —  Le  tome  XVI  de  ses  Mémoires 
est  occupé  tout  entier  par  le  Cartulaire  de  l'abbaye  de  Beaugency  que 
publie  M.  G.  Vignat.  C'est  le  seul  Cartulaire  original  antérieur  au 
XV^  siècle  que  possèdent  les  Archives  départementales  du  Loiret;  il  com- 
prend :  cent  soixante-quatorze  chartes,  de  1104  à  1316,  un  relevé  des 
revenus  de  l'abbaye,  la  nomenclature  des  droits  perçus  par  l'abbaye,  le 
jour  de  la  foire  de  la  Quasimodo,  la  table  des  chartes  et  le  catalogue  de 
la  Bibliothèque.  Quarante-huit  chartes  sont  écrites  en  langue  vulgaire  et 
présentent  par  là-même  un  certain  intérêt  au  point  de  vue  philologique. 
M.  Vignat,  dans  une  intéressante  introduction,  étudie  ce  Cartulaire  sous 
le  rapport  du  dialecte,  des  noms  de  lieux,  des  noms  de  personnes  et  de 
l'histoire  de  l'abbaye. 

J.  C. 


BIBLIOGRAPHIE 


LES  ARTS  A  LA  COUR  DES  PAPES  PENDANT  LE  XV«  &  LE  XVI«  SIÈCLE, 
recueil  de  documents  inédits  tirés  des  archives  et  des  bibliothèques  romaines, 
par  M.  Eugène  Muntz.  —  Paris,  Ernest  Thorin,  1878  et  1879.  2  vol.  in-8''. 

M.  Miintz  est  un  de  nos  archéologues  les  plus  laborieux  et  dont  l'érudi- 
tion sérieuse  est  le  plus  variée,  il  cultive  avec  un  égal  succès  l'archéologie 
proprement  dite,  qui  s'occupe  des  monunients,  et  de  la  paléographie  qui 
recherche  les  anciens  textes.  Ces  deux  qualités  ne  se  rencontrent  pas  tou- 
jours dans  le  même  savant,  nous  devons  donc  l'en  féliciter. 

Cet  ouvrage  fait  le  plus  grand  honneur  à  son  auteur.  Il  est  de  ceux  qui 
ne  se  lisent  pas  seulement,  mais  qu'il  faut  étudier  à  fond  et  lentement, 
une  plume  à  la  main,  pour  bien  en  posséder  la  substance;  il  est  rempli  de 
documents  complètement  inédits  qui  jettent  un  jour  tout-à-fait  nouveau 
sur  les  arts  et  les  artistes  à  la  cour  des  papes. 

Aux  XY"  et  XVP  siècles,  les  souverains-pontifes  tinrent  une  cour  bril- 
lante, à  laquelle  ils  convoquèrent  des  artistes  de  rt  nom.  Quand  Rome 
était  insuffisante  à  leur  fournir  ceux  dont  ils  avaient  besoin,  ils  les  pre- 
naient où  ils  les  trouvaient,  c'était  une  simple  question  de  clairvoyance  et 
d'argent.  De  là  une  quantité  assez  considérable  d'artistes,  non  seulement 
romains,  mais,  plus  souvent  peut-être,  florentins,  italiens,  espagnols,  al- 
lemands et  même  français.  Nous  savons  désormais  les  grandes  choses 
qu'ils  ont  produites,  et  aussi  celles  de  moindre  importance  que  les  temps 
ou  les  révolutions  ont  fait  disparaître. 

Les  artistes  remis  en  lumière  sont  des  architectes,  des  sculpteurs,  des 
peintres,  des  verriers,  des  brodeurs,  des  orfèvres,  dos  joailliers,  etc.  On  a 
là  des  renseignements  très  curieux,  entre  autres  sur  la  peinture  à  la  cire 
et  à  l'huile  de  lin,  sur  l'emploi  des  couleurs  et  du  vernis,  sur  la  fréquence 
des  vitraux  môme  à  l'époque  de  la  Renaissance,  d'où  l'on  peut  conclure 
que  les  remettre  en  faveur  dans  les  monuments  restaurés  n'est  autre  chose 
que  faire  de  l'archéologie  bien  entendue. 


BIBLIOGRAPHIE  257 

Si  les  artistes  sont  généralement  des  laïques,  il  y  a  aussi  parmi  eux  des 
religieux  d'un  talent  réel,  qui  peignent  le  verre  ou  les  murs,  sculptent  le 
bois  et  pratiquent  l'art  sous  diverses  formes,  principalement  la  minia- 
ture. 

Vasari  s'était  fait  l'historiographe  de  l'art  en  Italie.  Sans  doute  il  doit 
encore  être  consulté,  mais  il  importe  désormais  de  contrôler  toutes  ses 
assertions  à  l'aide  des  documents  publiés  par  MM.  Milanesi,  iMarchèse,  de 
Reumont,  Mûntz  et  autres  archéologues  de  mérite.  L'histoire  elle-même 
trouvera  là  matière  à  plus  d'une  rectification  :  ainsi  tel  pape  passe,  aux 
yeux  de  Platina,  pour  avare,  tandis  que  la  postérité  mieux  informée,  l'ins- 
crira parmi  ceux  qui  ont  fait  bénéficier  l'art  des  trésors  entassés  au  Vati- 
can ou  au  fort  Saint-Ange. 

Parmi  les  documents  reproduits  m  extenso,  il  convient  de  citer  les  deux 
inventaires  de  Calixte  III  (Iio8)  et  de  Pie  II  (1464).  Ce  dernier  exige  une 
mention  particulière  à  cause  de  la  série  d'articles  relatifs  aux  tapisseries 
et  qui  a  pour  titro  :  Panni  d'Aras.  C'est  un  des  documents  les  plus  an- 
ciens et  les  plus  étendus  sur  cette  industrie  nationale,  dont  le  garde  meuble 
du  Vatican  conservait,  dans  la  seconde  moitié  du  XV  siècle,  jusqu'à  65 
pièces,  la  plupart  historiées  et  les  autres  dites  verdures.  Je  ne  pense  pas 
qu'une  seule  de  ces  pièces  ait  survécu,  car  toutes  celles  que  j'ai  citées  ail- 
leurs se  réfèrent  à  une  époque  postérieure,  c'est-à-dire  tout  à  fait  à  la  fin 
du  XV*  siècle. 

Quand  l'ouvrage  sera  achevé,  nous  demandons  instamment  à  M.  Miintz 
qu'il  veuille  bien  le  compléter  par  une  double  table,  donnant  les  noms  des 
lieux  et  des  matières.  On  en  comprendra  Tutilité  par  cette  seule  considé- 
ration. Deux  noms  d'artistes  ont  été  plus  particulièrement  l'objet  de  l'at- 
tention de  M.  Miintz,  car  il  régnait  sur  eux  quelque  incertitude  :  ce  sont 
Paolo  Romano  et  Rossellino.  Comme  il  en  est  question  en  plusieurs  en- 
droits, les  recherches  seront  bien  plus  promptes  et  faciles  quand  on  saura 
où  les  prendre.  L'art  de  la  vitrerie  est  tellement  en  vogue  de  nos  jours 
qu'on  aimerait  à  voir  groupées  sous  la  même  rubrique  toutes  les  indica- 
tions qui  s'y  rapportent.  L'archéologie  a  besoin  de  savoir  encore  combien 
de  fois  il  est  parlé,  par  exemple,  des  roses  d'or,  des  épées  d'honneur,  des 
tiares  et  mitres  pontificales,  des  bannières  et  étendards,  des  calices  et  au- 
tres joyaux  de  la  chapelle  Sixtine.  Rien  ne  doit  être  omis  de  tout  ce  qui 
tend  à  vulgariser  la  science,  en  la  mettant  à  la  portée  des  gens  studieux. 
Ce  livre  a  fait  quelque  bruit  à  son  apparition.  Je  ne  m'en  étonne  pas  et 
je  suis  heureux  de  l'occasion  qui  m'est  donnée  par  l'éditeur  d'en  publier 
ici  l'éloge  sans  restriction  aucune. 
Le  tome  second,  qui  contient  333  pages  est,  de  tout  point,  digne  de 
Ile  série,  tome  XI.  17 


258  BIBLIOGRAPHIE 

SOQ  aîné.  Je  n'essaierai  pas  de  l'analyser,  car  il  serait  difficile  de  rendre 
compte  d'une  manière  brève  de  tant  de  documents  divers.  Je  ne  puis 
qu'effleurer  le  sujet,  malgré  l'immense  intérêt  qu'il  présente. 

Le  volume  tout  entier  se  rapporte  au  pontificat  de  Paul  II.  Ce  pape  a 
été  fort  calomnié  par  ses  contemporains,  et  c'est  avec  plaisir  que  nous 
voyons  M.  Miintz  tenter  sa  réhabilitation  à  l'aide  de  pièces  jusqu'ici  igno- 
rées. S'il  a  à  sa  charge  d'avoir  pris  les  matériaux  de  ses  constructions  dans 
le  Colysée,  ce  qui  eut  lieu  également  pour  les  deux  palais  de  la  Chancel- 
lerie et  des  Farnèse,  il  fut,  d'autre  part,  un  conservateur  zélé  et  intelli- 
gent des  monuments  de  l'ancienne  Rome,  et  surtout  un  collectionneur 
intrépide  de  médailles  antiques,  de  pierres  précieuses  et  de  camées,  ainsi 
qu'en  témoigne  son  inventaire  qui  est  des  plus  détaillés. 

Vasari,  l'historien  ofliciel  des  artistes,  est  souvent  en  faute,  soit  qu'il 
ait  subi  des  influences  défavorables,  soit  que  ses  connaissances  n'aient  pas 
été  à  la  hauteur  de  ses  prétentions.  Aussi  M.  Miintz  se  fait-il  un  devoir 
scrupuleux  de  le  compléter  et  parfois  de  le  rectifier.  Je  dois  citer,  entre 
autres  noms  remis  en  honneur,  ceux  de  Meo  del  Caprino,  architecte  de 
Florence,  qui  construisit,  à  Turin,  la  cathédrale,  et,  à  Rome,  le  Palais  de 
Venise  et  l'église  de  Saint-Marc  ;  de  Jacques  da  Pietra  Santa,  architecte 
de  Lucques,  que  le  cardinal  d'Estouteville,  archevêque  de  Rouen,  choisit 
pour  élever,  à  Rome,  la  grande  et  belle  église  de  Saint-Augustin  ;  de  Paul 
Romain,  qui  sculpta  un  tombeau  à  Saint-Laurent  in  Damaso  et  l'autel  de 
Sainte-Agnès  ;  de  Marco  di  Pietro,  maître  charpentier,  à  qui  est  dû  le 
plafond  en  bois  et  à  caissons  de  l'église  Saint-Marc  ;  du  peintre  Antonazzo, 
plus  connu  par  les  livres  de  compte  que  par  ses  œuvres  proprement 
dites.  Cependant,  je  puis  citer  de  lui  un  tableau  signé,  qui  est  l'ornement 
du  musée  de  Capoue  et  dont  je  parlerai  plus  au  long  quand  je  publierai 
les  Signatures  et  épifaphes  d'artistes  que  j'ai  recueillies  patiemment  en 
divers  lieux  d'ItaHe.  N'oublions  pas  non  plus  le  moine  Camaldule,  Giuliano 
Amadei,  miniaturiste  de  Paul  II. 

Je  ne  puis  négliger,  dans  un  compte  de  l'an  1465,  une  double  mention 
qui  intéresse  l'art  de  la  peinture  sur  verre.  Il  s'agit  de  ces  ronds,  tantôt 
blancs,  tantôt  colorés,  comme  on  en  voit  encore  aux  fenêtres  de  Saint- 
Étienne,  sur  le  Cœlius,  et  que  l'on  dépolissait  ou  tempérait  à  l'aide  de  l'eau 
forte  [aqua  forla).  Il  est  aussi  question  de  limatlle  d'argent^  grâce  à 
laquelle  le  peintre  obtenait  la  couleur  jaune  si  fréquemment  employée 
pour  les  camaïeux.  Or,  un  des  peintres  verriers  est  nommé  a  frère  Janin 
d'Allemagne,  de  l'ordre  de  Saint-Augustin  »  et  un  autre  «  frère  Livin  » 
également  allemand.  La  peinture  à  l'huile  et  à  la  colle  de  poisson  est 
expressément  spécifiée  ù  la  date  du  7  octobre  146D. 


BIBLIOGRAPHIE  259 

La  pièce  capitale  du  volume  est  incontestablement  l'inventaire  de 
Paul  II,  qui  ne  comprend  pas  moins  de  106  pages  en  petit  texte.  Cet 
inventaire  se  répartit  en  trois  séries  :  le  mobilier  de  la  chapelle  papale, 
les  camées  et  gemmes  antiques,  les  bronzes  antiques.  C'est  le  premier  et 
le  plus  important  exemple  d'une  collection  spéciale  d'œuvres  d'art,  uni- 
quement empruntées  à  l'antiquité  classique.  M.  Miintz  a  fait  précéder  ce 
document  rédigé  en  latin,  d'une  courte  introduction  qui  en  détermine  la 
valeur.  Nous  aurions  désiré  en  plus  des  notes  explicatives  sur  quelques 
usages  liturgiques,  certains  termes  obscurs,  et  la  détermination  de  la  plu- 
part des  motifs  iconographiques  fournis  parles  camées  et  les  bronzes,  que 
la  description  un  peu  vague  du  XV  siècle  ne  suffit  pas  toujours  à  nommer. 
Les  pièces  justificatives  sont  rejetées  à  la  fin  :  parmi  elles  il  convient 
de  signaler  le  testament  du  cardinal  Bessarion,  daté  de  1467.  J'en  parle 
d'autant  plus  volontiers  que  sa  mémoire  a  complètement  disparu  de  l'é- 
glise des  Saints-Apôtres  qu'il  s'était  plu  à  orner  et  à  enrichir.  Sa  chapelle 
a  été  renversée,  les  fresques  qu'il  avait  commandées  ont  subi  le  même 
sort,  et,  son  tombeau  n'existe  plus  qu'à  l'état  fragmentaire  dans  un  couloir 
obscur  de  la  sacristie,  quand  il  était  si  facile  de  l'appliquer  contre  un 
pilier  de  l'église  restaurée.  C'est  devenu  comme  une  loi  fatale  et  presque 
générale  :  à  Rome  comme  ailleurs,  les  architectes  ne  savent  faire  du  neuf 
qu'au  détriment  du  vieux. 

Le  texte  de  ce  testament  a  été  copié  sur  l'édition  Migne.  L'éditeur  ne 
s'est  pas  aperçu  qu  il  e-t  incorrect  en  deux  endroits  qui  supposent  une 
lecture  fautive  de  l'original.  Il  faudra  donc  substituer  pluvialiaa  pliima- 
lia^  qui  n'a  pas  de  sens  parmi  les  ornements  sacrés. 

Ce  volume,  si  consciencieusement  élaboré,  se  complète  par  des  addi- 
tions survenues  après  coup,  mais  qu'il  était  utile  de  ne  pas  omettre,  et 
par  deux  planches,  donnant,  l'une  une  médaille  inédite,  et  l'autre  un  des- 
sin jusqu'ici  inconnu  de  la  célèbre  loggia  du  Vatican.  Commencée  par 
Alexandre  VI  et  continuée  par  ses  successeurs,  elle  unissait  le  palais  à  la 
basilique  et  servait  principalement  pour  l'absolution  solennelle  donnée 
par  le  Pape  le  jeudi  saint,  absolution  qui  est  devenue  la  bénédiction  pa- 
pale aux  seuls  assistants,  noir  uhietorbi^  puis  ultérieurement  répétée  jus- 
qu'à quatre  fois  dans  le  cours  de  l'année. 

X.  Barbier  de  Montault. 


260  BIBLIOGRAPHIE 

LA  RENAISSANCE  EN  FRANCE,  par  Léon  Palustre.  —  Paris,  Quantin, 
2*  livraison,  in-folio  de  43  pages,  avec  gravures  à  Teau-forte. 

La  seconde  livraison  de  cet  important  ouvrage,  qui  en  comptera  trente 
réparties  en  trois  volumes,  n'est  pas  inférieure  à  la  première.  Je  dirai 
même  qu'elle  l'emporte  par  l'exécution  vraiment  hors  ligne  de  deux  gra- 
vures, habilement  burinées  par  M.  Sadoux  et  consacrées  aux  deux  van- 
taux d'une  des  portes  latérales  de  la  cathédrale  de  Beauvais. 

M.  Palustre  n'écrit  pas  des  monographies,  ce  qui  l'entraînerait  trop 
loin,  mais  il  se  contente  de  montrer  ce  qu'il  y  a  de  saillant  dans  chaque 
œuvre  en  particulier,  de  manière  à  en  déduire  logiquement  l'état  de  l'art 
dans  une  contrée  déterminée.  La  contrée  choisie  cette  fois  est  le  dé- 
partement de  l'Oise,  avec  lequel  nous  entrons  dans  l'Ile  de  France.  Rien 
n'est  plus  varié  que  l'ensemble  de  ce  travail  oij  figurent  successivement 
des  châteaux,  des  maisons  bourgeoises,  un  hôtel-de-ville,et  pour  le  mobi- 
lier, des  portes,  des  vitraux,  des  monuments  funèbres,  voire  même  un 
calvaire  et  un  banc-d'œuvre  qui  constituent  l'un  et  l'autre  une  rareté  ar- 
chéologique. 

L'auteur,  à  qui  de  nombreux  voyages  ont  donné  un  coup-d'œil  piiompt 
et  sûr,  est  doué  par  là-même  d'une  grande  puissance  d'assimilation,  et 
c'est  à  cette  faculté  qu'il  doit  de  bien  établir  la  filiation  dos  monuments 
entre  eux.  C'est  ainsi  qu'il  démontre  nettement,  à  l'aide  de  preuves 
irrécusables,  que  le  modèle  authentique,  ou  si  l'on  aime  mieux  la  pre- 
mière idée  du  Palais  du  Luxembourg  à  Paris,  vient  à  la  fois  du  château 
d'Ecouen  et  de  celui  de  Verneuil,  de  même  que  le  petit  château  de  Chan- 
tilly dérive  en  droite  ligne  du  château  d'Ecouen,  l'une  et  l'autre  habita- 
tions princières,  élevées  aux  frais  du  connétable  Anne  de  Montmorency, 
sous  la  direction  du  célèbre  architecte  Jean  Bullant. 

Une  place  toute  particulière  est  attribuée  dans  le  texte  aux  artistes 
qu'il  s'agit  d'honorer,  en  manifestant  leur  mérite  individuel  et  leur  esprit 
plus  ou  moins  créateur.  Naturellement  encore,  l'itahe,  trop  souvent  mise 
en  avant  par  pure  conjecture,  n'a  plus  rien  à  revendiquer  ici,  ni  comme 
influence,  ni  comme  pratique  de  l'art  qui,  chez  elle,  était  tout  à  fait  diffé- 
rent. A  ce  titre,  on  lira  avec  intérêt  ce  qui  a  été  si  judicieusement  écrit 
sur  le  dominicain  Frù  Giocondo,  de  Vérone  :  on  ne  se  gênait  pas  de  lui 
attribuer,  entre  autres  édifices,  le  château  de  Sarcus,  auquel  il  ne  peut 
rien  prétendre,  car  il  est  actuellement  avéré  que  cet  humaniste,  éditeur 
de  Pline  et  de  Vitruve,  ne  fut  jamais  architecte,  mais  simplement  ingé- 
nieur, c'est-à-dire  qu'il  put  creuser  des  canaux  et  bâtir  des  ponts,  sans 


Jl\ii,iiJ.w«..' JjJîi.^^^  mi'M,-^.  ;;  ■lil;!,:r4i!*  t Jm-ilifu.  i .  i 


BIBLIOGRAPHIE  261 

avoir  fait  le  moindre  dessin  d'architecture  ou  présidé  à  une  construction 
quelconque,  soit  civile,  soit  religieuse. 

Les  signatures  des  artistes  sont  très  recherchées  de  nos  jours  et  avec 
raison,  car  elles  instruissent  la  postérité  sur  l'authenticité  de  leurs 
œuvres.  Malheureusement,  on  ne  sait  pas  toujours  les  voir  et  les  inter- 
préter :  de  là  nombre  d'erreurs.  M?  Palustre,  qui  a  le  talent  d'éviter  cet 
écueil,  a  relevé  des  noms  de  peintres-verriers  qu'il  importe  de  sauver  de 
l'oubli  ou  de  préserver  de  toute  méprise.  Nous  lui  devons  la  restitution 
de  lu  généalogie  de  trois  peintres-verriers,  Engrand  le  Prince  et  ses  deux 
fils,  Jean  et  Nicolas.  M.  Quantin,  qui  veut  bien  mettre  à  notre  disposi- 
tion une  de  ses  gravures,  ce  dont  nous  le  remercions  sincèrement,  nous 
permet  d'apprécier  sainement  les  connaissances  du  pore  dans  le  beau  vi- 
trail de  l'arbre  de  Jessé  qu'il  exécuta  vers  1518  pour  l'église  Saint-Etienne 
de  Beauvais.  Ce  sera  un  utile  complément  à  la  dissertation  de  notre  sa- 
vant Directeur  sur  ce  sujet  d'iconographie  symbolique  '. 

Ce  n'est  pas  assez  de  dire  :  tel  ouvrage  est  de  tel  artiste  et  remonte  à 
telle  date  ;  il  faut  encore  apprécier  l'œuvre  elle-même  et  faire  ressortir  à 
la  fois  ses  qualités  et  ses  défauts.  A  ce  point  de  vue,  M.  Palustre  se  pose 
en  critique  éminent,  surtout  dans  l'étude  attentive  qu'il  a  faite  des  portes 
de  la  cathédrale  de  Beauvais,  magistralement  sculptées  vers  lo35,  par 
Jean  Le  Pot.  L'Italien  couvre  d'ornements  toute  la  matière  qu'il  emploie, 
quitte  à  se  répéter.  Le  Français,  au  contraire,  procède  avec  plus  d'intel- 
ligence et  de  goût.  Ainsi,  à  l'endroit  que  frapperont  les  pieds  des  passants, 
il  ne  met  que  quelques  moulures,  et,  à  la  portée  de  la  main  qui  touche  à 
tout,  de  simples  motifs  d'ornementation,  réservant  les  sujets  historiés 
pour  la  partie  centrale  que  l'œil  atteint  facilement,  et  couronnant  sa  con- 
ception par  un  décor  architectural  qui  n'attire,  au  détriment  du  reste,  ni 
l'esprit,  ni  le  regard.  Une  telle  disposition  est  très  savante,  et  il  est  très 
essentiel  de  la  mettre  en  évidence.  Faute  de  cette  précaution  élémentaire, 
les  portes  de  bronze  de  la  basilique  de  Saint-Pierre  à  Rome  ont  une  partie 
de  leurs  bas-reliefs  polis  ou  effacés  par  un  attouchement  non  moins  indis- 
cret qu'incessant. 

J'en  ai  dit  assez  pour  attester  l'intérêt  qui  s'attache  à  cette  seconde 
livraison.  Qu'il  me  suffise  d'ajouter  que  le  public  a  déjà  si  avantageuse- 
ment jugé  l'œuvre  à  ses  débuts  que  l'éditeur  s'est  vu  obligé  de  doubler  le 
tirage. 

X.  Barbier  de  Montault. 

•  Étude  iconographique  sur  l'arbre  de  Jessé^  par  l'abbé  J.  Corblet.  Paris,  1860, 
in-8«. 


262 


BIBLIOGRAPHIE 


SAINT  GUINGALOIS,  SES  RELIQUES,  SON  CULTE  ET  SON  PRIEURÉ, 
A  CHATEAU-DU-LOIR  (SARTHE),  d'après  des  documents  inédits,  par  l'abbé 
Robert  Charles.  Le  Mans,  1879,  in-8°  de  147  pages. 


Il  y  a  deux  saints  de  Bretagne  auxquels  on  donne  le  nom  de  Guingalois 
,  ou  Guignolé,  nom  qui  a  subi  selon  les  localités  une  foule  do  transforma- 
tions ;  dans  le  Maine  et  la  Touraine,  c'est  S.  Guingalois;  en  Eretagne, 
c'est  Winvaloé,  Winolé  ;  dans  le  Nord  et  en  Picardie,  c'est  Vignevaley, 
Waloy,  etc.  L'un  de  ces  saints  fut  abbé  de  Landenvenech  (Finistère)  et 
mourut  le  3  mars,  vers  l'an  529;  le  second,  très  peu  connu,  fut  disciple  de 
S.  Similien  et  compagnon  de  S.  Ethbin  abbé  de  Taurac,  dans  le  diocèse 
de  Dol.  En  face  des  invasions  normandes,  les  reliques  des  deux  saints 
furent  successivement  transportées  dans  divers  lieux  de  l'ouest  et  du  nord 
de  la  France,  en  sorte  que  leur  identité  a  pu  être  souvent  confondue.  Les 
reliques  de  l'abbé  de  Landenvenech  ont  été  transférées  de  Château-du-Loir 


Plan  (le  la  crypte  de  Cbàtcau-du-Loir. 

dans  le  nord  de  la  Fiance;  l'abbaye  de  Blandinberg,  près  de  Gaud,  et 
l'église  Saint-Sauve  de  Montrcuil  croyaient  toutes  deux  les  posséder.  Il 
n'est  pas  impossible  de  concilier  ces  prétentions  contradictoires.  On  sait 
que  l'abbaye  de  Blandinberg  fut  ruinée  par  les  Normands  en  880  et  qu'elle 


BIBLIOGRAPHIE 


263 


resta  inhabitée  jusqu'à  981.  On  a  pu  en  880  porterie  corps  de  S.  Guinga- 
lois  dans  la  ville  fortifiée  de  Montreuil  et,  au  X°  siècle, on  en  aurait  restitué 
une  partie  à  Blandinberg. 

Quoi  qu'il  en  soit,  quelques  ossements  ont  du  rester  à  Château-du-Loir, 
et  ce  fut  l'occasion  de  la  fondation  du  prieuré  qu'on  plaça  sous  son  vocable 
au  XP  siècle.  M.  l'abbé  Charles  nous  en  retrace  l'histoire  avec  une  grande 
abondance  de  détails  ;  il  nous  décrit  l'église  qui  remonte  au  XIIP  siècle  et 
la  crypte  (XP)  dont  nous  reproduisons  la  coupe  verticale  et  le  plan. 


Coupe  verticale  de  la  crypte. 

Les  pièces  justificatives  forment  plus  de  la  moitié  du  volume.  L'auteur 
a  pris  soin  d'accompagner  la  publication  des  chartes  inédites  d'un  cer- 
tain nombre  de  gravures  de  sceaux.  L'un  des  plus  remarquables  est  celui 
de  Robert  IV,  comte  de  Dreux  et  de  Monfort  l'Amaury,  seigneur  de  Saint- 


Valery,  Gamaches,  Ault,  Chàteau-du-Loir,  etc.  Le  comte,  armé  de  pied 
en  cap  tient  l'épée  nue  à  la  main  et  de  la  gauche  un  petit  bouclier  à  ses 


264  BIBLIOGRAPHIE 

armes  ;  sa  cotte  de  maille  est  couverte  d'une  tunique  flottante.  La  tête  est 
protégée  par  le  heaume  qui  était  en  usage  du  temps  de  S.  Louis. 

Celte  monographie  continue  heureusement  la  série  de  publications,  re- 
latives à  la  province  du  Maine,  lesquelles  ont  été  honorées  d'une  médaille 
d'argent  dans  la  session  du  Congrès  archéologique  tenu  au  Mans,  en 
mai  1879. 

J.    CORBLET. 


LE  TRANSPORT  SOLENNEL  DU  SAINT- SACHEMENT   QUAND   LE  PAPE 
VOYAGE,  par  Mgr  Barbier  de  Montault    Tours,  1879,  in-S*^. 

On  connaît  l'usage  des  Papes  de  se  faire  précéder,  dans  leurs  longs 
voyages,  du  Saint  Sacrement,  porté  sur  le  dos  d'une  mule  blanche.  Notre 
infatigable  collaborateur  vient,  par  la  publication  de  quelques  rares  docu- 
ments qu'il  commente,  d'ajouter  de  nouveaux  détails  à  ce  que  nous  avait 
appris  à  ce  sujet  la  dissertation  spéciale  d'Angelo  Rocca.  Cette  intéres- 
sante Notice,  extraite  du  Bulletin  monumental,  est  accompagnée  de  deux 
planches,  reproductions  de  deux  gravures  exécutées  à  Rome  en  1722. 
«  Ont-elles  fait  partie  de  quelque  ouvrage  qu'elles  illustraient,  se  demande 
Mgr  Barbier  de  Montault?  Je  l'ignore.  Toujours  est-il  que  je  ne  les  ai  ren- 
contrées qu'une  fois  et  isolées.  »  Ces  deux  gravures  se  trouvent  dans  les 
Cérémonies  et  Coutumes  religieuses  de  tous  les  peuples  du  monde,  par  Ber- 
nard Picard,  dont  la  première  édition  a  été  imprimée,  en  1723,  à  Amster- 
dam. Ces  gravures  sont  accompagnées  d'un  long  texte  explicatif  où  notre 
savant  confrère  trouverait  à  relever  plus  d'une  erreur. 

J.  C. 


BROCHURES  ARCHÉOLOGIQUES,  extraites  des  Précis  historiques 
de  Bruxelles. 

Les  Précis  historiques  font  une  assez  large  part  à  l'archéologie,  comme 
le  prouvent  diverses  brochures  extraites  de  cet  excellent  Recueil.  Nous 
nous  bornerons  à  citer  le  Monastère  des  (Jarmélites  déchaussées  de  Mons, 
par  M.  Charles  Rousselle;  le  Monastère  des  Annonciades  Célestes  de  Mons, 
par  le  même;  la  Numismatique  belge,  par  M.  Ch.  Piot;  les  Symboles  de 
la  Sainte- Trinité,  par  le  P.  Van  Robays.  Le  savant  jésuite,  dans  cette 
étude,  s'occupe  successivement  des  symboles  historiques  de  la  Trinité  (les 
trois  Israélites  dans  la  fournaise,  l'apparition  des  trois  anges  à  Abraham); 


BIBLIOGRAPHIE  265 

des  symboles  abstraits  ou  philosophiques  (l'âme  humaine,  sainte  Sophie 
et  ses  trois  filles,  la  philosophie  et  ses  trois  branches,  etc.)  ;  dos  symboles 
matériels  (la  plante,  le  soleil,  l'agneau  mystique,  les  trois  tilleuls,  etc.); 
des  symboles  graphiques  (le  triangle,  le  cercle).  Il  termine  par  des  consi- 
dérations très  justes  sur  l'application  des  symboles  graphiques  à  l'archi- 
tecture. Nous  détachons  de  cette  intéressante  étude  ce  qui  concerne  le 
Shamrock  irlandais.  Cet  emblème  tout  isolé,  tout  personnel,  pour  ainsi 
dire,  a  acquis  une  valeur  traditionnelle  chez  une  nation  éminemment 
rehgieuse,  qui,  par  ses  longs  malheurs,  a  mérité  les  sympathies  de  tout 
cœur  catholique.  Lorsque  saint  Patrice  porta  la  foi  de  Jésus  sur  la  terre 
encore  infidèle  d'Irlande,  à  l'exemple  de  siint  Thomas,  il  se  servit  d'une 
image  sensible  pour  expliquer  la  Sainte  Trinité.  Une  charmante  petite 
plante,  qui,  selon  les  enfants  d'Erin,  ne  croît  que  dans  cette  île  bénie,  pré- 
sente, comme  notre  trèfle  vulgaire,  cette  disposition  particulière  que  cha- 
que feuille  est  formée  de  trois  folioles  insérées  sur  un  seul  pédoncule. 
«  Voyez  ces  trois  folioles,  ainsi  parla  le  Saint,  elles  ne  font  qu'une  seule 
feuille;  de  même  les  trois  personnes  de  la  Suinte-Trinité,  distinctes  l'une 
de  l'autre,  ne  sont  qu'un  seul  Dieu.  »  Alors  le  Saint  bénit  la  plante  mys- 
térieuse; le  schamrock  se  propagea  rapidement  et  cet  emblème  vivant  de 
la  Sainte-Trinité  couvrit  bientôt  les  vertes  plaines  de  l'Irlande.  Beaucoup 
d'autres  miracles  accompagnèrent  la  prédication  du  grand  apôtre  et  la 
foi  du  Christ  s'implanta  dans  l'île  des  Saints,  pour  y  briller  du  double 
éclat  de  la  gloire  et  du  malheur.  Le  shamrock  devint  le  symbole  de  cette 
foi  divine  :  l'Irlande  le  fit  entrer  comme  décoration  dans  les  vitraux,  les 
sculptures,  les  tableaux  des  églises,  les  châsses  des  saints,  les  vases  sacrés, 
les  ornements  sacerdotaux,  môme  les  bijoux  et  les  meubles  furent  ornés 
de  ce  symbole.  De  nos  jours  encore,  la  plante  sacrée  est  en  honneur  :  et, 
aux  solennités  saintes,  à  la  fête  du  grand  Patrice,  l'enfant  de  l'Irlande 
n'oubliera  jamais  de  porter  sur  sa  poitrine  le  shamrock  traditionnel,  pour 
témoigner  de  la  générosité  et  de  la  constance  de  sa  foi.  Ainsi,  l'Église 
d'Irlande,  depuis  quatorze  siècles,  conserve  le  ûiamrock  comme  symbole 
de  l'auguste  Trinité;  elle  l'a  emporté,  avec  le  dépôt  de  sa  foi,  dans  les 
cinq  parties  du  monde,  partout  oii  la  misère  et  l'oppression  ont  dispersé 
ses  malheureux  enfants. 

J.  C. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 
(archéologie    et  beaux-arts) 


ALLARD  (Paul).  L'art  païen  sous  les  em- 
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18  j.,  xv-329,  p.  13  fr. 

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essai  d'un  classement  chronologique 
de  ces  artistes  et  d'un  catalogue  de 
leurs  œuvres.  Paris,  Pion  ;  Rollin  et 
Feuardent;  Hoffmann.  In-8,  xxiii- 
167  p.,  12  fr. 

BRUZZA  (P.deLuigi).  Iscrizioni  antiche 
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tini  et  Ce.  In-8,  cxcvi-422p.  etl  carte, 
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d'études  à  faire  sur  les  calendriers 
chrétiens  du  temps  pasté.  Arras,  imp. 
Laroche.  In-8,  58  p.,  avec  fig.  (Extr. 
de  \a,  Revue  de  l'Art  chrétien,  2<=  sé- 
rie, t.  IX.) 

CASATI  (C.-C).  Notice  surle  musée  du 
château  de  Rosenborg,  en  Danemark, 
concluant  à  la  création  d'un  musée 
historique  en  France,  avec  notes  com- 
plémentaires sur  le  musée  GriineGe- 
wœlbe,  du  Dresde,  et  sur  des  faïences 
danoises  inédites,  par  G.  Charles  Ca- 
sati,  archiviste-paléographe  à  Lille. 
Paris,  Didier,  ln-8,  65  p.  et  12  pi. 
(Tiré  à  300  ex.  | 

CAZAURAN  (l'abbé J.-M.). Monographie 
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autrefois  cathédrale  du  cloître  cano- 
nial de  la  chapelle  des  évêques.  Paris, 
Palmé.  In-8,  62  p.  1  fr. 


CHAMPIER  V.).  L'année artistique.Les 
Beaux-Arts  en  France  et  à  l'étran- 
ger ;  l'administration,  les  musées,  les 
écoles,  le  Salon  annuel,  l'Exposition 
universelle;  bibliographie  et  nécrolo- 
gie, etc.,  par  Victor  Charapier, secré- 
taire du  Musée  des  arts  décoratifs. 
Année  1878.  Paris,  Quantin,  In-8,  iv- 
700  p.  5fr. 

CHARLES  (l'abbé  Robert).  S.  Guinga- 
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prieuré  à  Ghâteau-du-Loir  (Sarthe). 
Le  .Mans,  Pellechat.  ln-8. 

COET  (E.).  Souvenir  du  musée  Hourde- 
quin  de  Beaupré.  L'époque  gallo-ro- 
maine. Montdidier.  ln-8  de  7  p. 

GOLFS  (J.  P.).  La  Filiation  généalogi- 
que de  toutes  les  écoles  gothiques. 
Etude  montrant  l'origine  de  l'archi- 
tecture gothique  et  établissant  un 
plan  nouveau  pour  l'enseignement  de 
toutes  les  écoles  gothiques,  y  com- 
])ris  l'école  française,  restée  jusqu'à 
ce  jour  confondue  parmi  les  autres. 
Edition  ornée  d'un  grand  nombre  de 
vignettes  explicatives.  T.  I.  Ecole- 
mère  gothique.  Anvers,  J.-E.  Bus- 
chmann.  Gr.  in-8,  218  p.  fig.  et  2  pi. 

DOGUMENTI  inediti  per  servire  alla  sto- 
ria  dei  musei  d'italia,  publicati  per 
cura  del  Ministero  délia  Publicaistru- 
zione.  Vol.  1.  Firenze-Roma,  tip.  Ben- 
cini,  1878.  In-8,  xxxiv-16S  p. 

DUVAL  (Gh.-L.|.  Les  beaux  Arts  et  les 
Arts  industriels  à  l'Exposition  univer- 


selle  de  1878,  Impressions  et  notes 
d'artiste,  par  Ch.-L.  Duval,  peintre. 
M  eaux,  Cochet.  In-8,141  p.(Extr.  du 
journal  le  Publicatcur  de  l'arrondis- 
seraent  de  Meaux.) 

FORESTIÉ  (E.).  Les  Tapisseries  de 
Jeanne  d'Arc  et  la  Pucelle  de  Chape- 
lain. Montauban,imp.  Forestié.  In-8, 
13  p.  et  2  pi.  (Extr.  du  Bulletin  ie  la 
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ronne.) 

FOREES  (S.  Russell).  Rambles  in  Na- 
ples.  An  archa3ological  and  historical 
guide  tothe  Muséums,  Galleries,  Vil- 
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a  délia  Pace  ».  In-16,  88  p.  2fr. 

GRIGNON  (Louis).  Historique  et  descrip- 
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cèse de  Paris.  Paris,  imp.  nationale. 
In-8,  xii-627  p.  avec  G  pi.  et  grav. 
(Collection  de  documents  inédits  sur 
l'histoire  de  France,  etc.,  3'' série.  Ar- 
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HAGEN  (Herm.).  Prodromus  novte  ins- 
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sylloges,  titulos  Aventicenses  et  vici- 
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Gr.  in-4,  viii-68  p.  5  fr. 

LA  TAPISSERIE  DE  BAYEUX,  repro- 
duction d'après  nature  (.'>(t;)  en  79  pi. 
phototypographiques,  avec  un  texte 
historique,  descriptif  et  critique,  par 
Jules  Comte,  conservateur  du  dépôt 
légal  au  ministère  de  l'instruction  pu- 
blique et  des  beaux-arts .  Paris, Roths- 
child. In-4  oblong,  72  p.  Avec  les  pi., 
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Intarsien  ,  Flachreliefs ,  eingelegte 
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f.  Architecten  u.  Ilandwerker,  sowie 
als  Vorlagen  kunstgewerbl.  u.  Zei- 
chenschulen.Nach.Oiig.-Aufnahmen 
in  natûrl.  Grosse  hrsg.  Karlsruhe, 
Veith.  Grand  in-fol.  (livr.  1  à  8  de  12 
pi.  lith.  chaque).  La  livr.  6  fr.  25. 

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268 


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Les 2  vol.  200  fr. 

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de  Barthélémy.   Châlons,  Le   Roy; 
Paris,  Menii.  In-8,  56  p. 

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cellane  del  Piemonte,con  una  appen- 
dice sulle  antiche  maioliche  di  Savo- 
na  :  cenni  storici  ed  artistic'..  Torino, 
Bocca.  62  p.  et  6  pl.  4  fr, 

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Ed.  Archaologische.  u.  epigraph. 
Schriften,  hrsg.  v.  Dr.  Achilles  Bur- 
ckhardt.  Mit.  26  lith.  Taf.  u.  e.  Bei- 
gabe  :  Lebensbild  d.  Verf.  vora.  Dr. 
A.  v.  Gonzenbach.  Leipzig,  Hirzel, 
1878.  Gr.  in-8,  Lxvi-699p.  L'ouvrage 
complet,  40  fr. 

WEYL  (Adph.).  "Verzeichniss  v.  Miinzen 
u.  Deakiiiûnzen  der  Erdtheile  Aus- 
tralien, Abieii,  Afrika  u.  verschiede- 
nermohammedanischer  Dynastien  der 
Jules  Fonrobert'schen  Satnmlung , 
welche  am.  14.  Jan.  1879  hierselbst 
unter  meiner  Leitung  zur  offentl. 
Versteigerung  gelangen.  Mit  44  (lith.) 
Taf.  Abbildgn,  Berlin,  Staigardt, 
1878.  In-8,  iv-400  p.  15  iv. 

j.  c. 


CHRONIQUE 


Versailles.  —  Nous  avons  revu  à  l'Exposition  de  Versailles  un  tableau 
de  M.  J.  Aubert  qui  avait  figuré  au  Salon  de  1879.  C'est  une  bonne  repré- 
sentation du  baptême  de  Notre-Seigneur.  S.  Jean-Baptiste  est  nimbé,  le 
Sauveur  porte  le  nimbe  crucifère  :  deux  détails  qu'oublient  trop  souvent 
les  artistes  modernes.  L'ensemble  de  la  composition  offre  un  caractère 
vraiment  religieux  et  promet  un  artiste  de  plus  au  sérieux  art  chrétien. 
Nous  souhaitons  que  cette  toile  remarquable  prenne  bien  vite  place  dans 
la  chapelle  baptismale  de  quelque  importante  église. 

Lille.  —  La  Société  de  littérature  chrétienne  de  Saint-Paul,  fondée  à 
Lille  (rue  de  Pas,  15),  avec  l'approbation  de  NN.  SS.  les  Evêques  de  la 
province  de  Cambrai,  encouragée  par  Pie  IX  et  Sa  Sainteté  Léon  XIII,  se 
propose  : 

lo  De  travailler  à  la  réhabilitation  des  siècles  chrétiens  et  particulière- 
ment de  la  littérature  de  l'Eglise  ; 

S*»  De  provoquer  des  travaux  de  philologie  et  d'histoire  littéraire  sur 
toutes  les  questions  se  rattachant  au  latin  chrétien; 

3o  De  propager  l'étude  des  chefs-d'œuvre  de  cette  littérature  dans  l'en- 
seignement ; 

4°  De  populariser  ces  chefs-d'œuvre  en  les  mettant  à  la  portée  de  tous, 
afin  de  leur  rendre  la  salutaire  influence  littéraire  et  morale  qu'ils  n'au- 
raient jamais  dû  perdre. 

La  Société  poursuivra  cf»s  divers  buts  par  des  concours  et  des  publica- 
tions isolées  ou  périodiques. 

Elle  n'entend  renouveler  aucune  polémique  irritante,  et,  dans  la  ques- 
tion des  études  classiques,  elle  ne  réclame  que  l'enseignement  mixte  des 
auteurs  chrétiens  et  païens,  demandé  à  diverses  reprises  par  Pie  IX  et 
prescrit  en  France  par  de  nombreux  conciles  provinciaux. 

Cette  Société,  pour  laquelle  nous  sommes  heureux  de  proclamer  toute 


270  CHRONIQUE 

notre  sympathie,  met  au  concours  pour  1880  une  Etude  philologique  sur 
S.  Cyprien,  et  pour  1881  une  Etude  philologique,  historique  et  archéolo- 
gique sur  Pi'udence.  Nous  en  reproduisons  le  programme  : 

Etude  philologique  sur  saint  Cyprien. 

Les  concurrents  devront  étudier  ce  qui  dans  la  latinité  de  S.  Cyprien 
diffère  du  lexique  et  de  la  grammaire  classiques,  c'est-à-dire  : 

Ils  signaleront  ce  qui,  dans  la  langue  de  ce  Père,  constitue  des  formes 
plus  ou  moins  étrangères  à  la  littérature  classique;  ils  rechercheront  la 
filiation,  la  provenance  de  ces  formes  nouvelles,  ils  essayeront  de  déter- 
miner en  quelles  propoitions  elles  découlent  des  diverses  sources  qui  ont 
donné  naissance  au  latin  chrétien . 

Ils  auront  à  examiner  si  le  néologisme  de  saint  Cyprien  va  quelquefois 
jusqu'à  déroger  aux  lois  de  la  syntaxe  classique  ;  et,  dans  l'affirmative,  si 
ces  dérogations  sont  purement  accidentelles,  ou  si  elles  se  reproduisent 
assez  fréquemment  chez  lui  pour  y  passer  à  l'état  de  règle.  En  toute 
hypothèse,  ils  expliqueront  et  apprécieront  les  causes  de  ces  dérogations. 

Le  prix  de  ce  concours  est  de  la  valeur  de  1,200  francs,  plus  une  mé- 
daille de  vermeil. 

Les  mémoires  seront  reçus  au  secrétariat  de  la  Société,  15,  rue  de  Pas, 
à  Lille  (Nord),  jusqu'au  15  novembre  1880. 

Etude  philologique,  historique  et  archéologique  sur  Prudence. 

Les  concurrents  devront  dans  leur  examen  philologique  de  la  langue  de 
Prudence  suivre  les  indications  déjà  données  pour  la  latinité  de  saint 
Cyprien. 

Ils  ajouteront  à  ce  nouveau  travail  une  étude  approfondie  de  la  versifi- 
cation de  Prudence.  Ils  devront  dire  en  quel  cas  et  de  quelle  manière  elle 
divorce  avec  l'ancienne  métrique,  rechercher  et  justifier,  s'il  y  a  lieu,  les 
causes  de  ces  nouveautés. 

Us  devront  rechercher  quelle  influence  a  exercée  le  Prince  des  poètes 
chrétiens  sur  la  littérature  du  Moyen-Age. 

Enfin,  ils  montreront  quelles  ressources  offrent  l'histoire  et  l'archéologie 
pour  l'interprétation  des  œuvres  de  Prudence,  et  réciproquement,  quels 
secours  fournissent  ces  œuvres  pour  la  connaissance  des  hérésies  des 
premiers  siècles,  pour  l'histoire  de  la  lutte  du  christianisme  et  du  paga- 
nisme, pour  l'intelligence  des  antiquités  ecclésiastiques,  du  symbolisme 
chrétien,  et  particulièrement  de  tout  ce  qui  se  rapporte  aux  actes  et  au 
culte  des  martyrs. 


CHRONIQUE  271 

Le  prix  pour  ce  concours  est  de  la  valeur  de  quinze  cents  francs,  plus 
une  médaille  de  vermeil. 

Les  mémoires  devront  être  déposés  au  secrétariat  de  la  Société  avant  le 
15  novembre  1881. 

Orléans.  —  Mgr  Dupanloup,  peu  de  mois  avant  de  mourir,  avait  conçu 
le  projet  de  décorer  la  cathédrale  d'Orléans  de  vitraux  représentant  les 
principales  phases  de  la  vie  de  Jeanne  d'Arc.  L'œuvre  a  été  poursuivie 
par  son  éminent  successeur.  Un  concours  fut  ouvert  pour  les  dix  fenêtres 
des  bas-côtés  entre  les  peintres  verriers  français. 

L'exposition  des  cartons  a  eu  lieu  successivement  à  Orléans  et  à  l'Ecole 
des  Beaux- Arts  de  Paris. 

Voici  les  noms  des  lauréats  du  concours  : 

1"  prix,  4,000  fr.,  M,  Lorin  (Chartres). 

t  prix,  3,000  fr.,  MM.  Lefôvre  et  Bardon  (Paris). 

Srprix,  2,000  fr.,  M.  Bazin  (Mesnil-St-Firmin). 

Une  récompense  de  500  fr.  a  été  accordée  à  chacun  des  artistes  dont 
les  noms  suivent  : 

MM.  Ottin  (Paris),  Lévêque  (Beauvais),  Hacher  (Mans),  Hirsch  (Paris), 
Besnard  (Ghalons-sur-Saône). 

Nous  nous  félicitons  de  voir  parmi  les  lauréats  de  cet  important  con- 
cours deux  de  nos  abonnés  de  la  première  heure,  M.  Lorin  et  M.  Bazin, 
qui  occupent  un  rang  si  distingué  dans  l'art  religieux.  M.  Lorin  a  été 
chargé  d'exécuter  ces  vitraux,  dont  les  cartons  sont  dus  à  un  éminent  ar- 
tislC;  M.  Grauk,  professeur  de  dessin  à  l'école  de  Saint-Cyr. 

Sèvres.  —  Le  musée  céramique  de  la  manufacture  nationale  de  Sèvres 
vient  de  s'enrichir  d'une  statuette  des  plus  précieuses  et  des  plus  rares. 

C'est  une  figurine  de  Terme,  en  terre  cuite,  du  seizième  siècle,  prove- 
nant du  château  d'Oiron,  en  Poitou,  où  furent  exécutées  les  rares  faïences 
du  temps  de  Henri  IL 

Cette  figurine,  devant  laquelle  les  amateurs  se  pâment  d'aise,  a  été 
donnée  par  Mlle  Gabrielle  Fillon,  sœur  de  l'éminent  archéologue. 

MoNTLHÉRY.  —  On  va  très  loin  visiter  des  ruines  historiques.  On  va  à 
Coucy,  à  Carcassonne,  à  Tiffauges  en  Bretagne  ;  bien  peu  de  Parisiens 
songent  à  aller  visiter  la  tour  de  Montlhéry,  qui  est  cependant  d'un  inté- 
rêt tout  aussi  réel.  Classée  depuis  longtemps  au  nombre  des  monuments 
historiques,  la  tour  de  Montlhéry  va  recevoir  ces  jours-ci  une  restauration 
non  complète  sans  doute,  mais  qui  lui  permettra  de  reprendre,  extérieu- 


272  CHRONIQUE 

rement  du  moins,  son  caractère  primitif.  L'État  se  propose,  notamment, 
de  remplacer  la  laide  bâtisse  de  briques  dont  la  tour  a  été  couronnée, 
il  y  a  une  trentaine  d'années,  par  un  supplément  de  murs  en  pierres 
pareils  à  ceux  du  reste  de  l'édifice.  C'est  là  une  résolution  à  laquelle 
il  faut  applaudir,  et  on  doit  s'étonner  seulement  de  ce  que  cette  mesure 
intelligente  n'ait  pas  été  prise  plus  tôt. 

Lausanne.  — M.  Viollet-le-Duc  vient  de  succomber  à  une  attaque  d'apo- 
plexie dans  le  chalet  qu'il  occupait  à  Lausanne  pendant  la  bonne  saison. 
Notre  Revue  a  critiqué  plus  d'une  fois  les  idées,  les  tendances,  les  sys- 
tèmes de  l'écrivain  et  de  l'architecte,  mais  elle  a  toujours  rendu  justice  à 
son  incontestable  talent,  à  sa  vaste  érudition  et  surtout  à  l'ardeur  qu'il  a 
mise  à  glorifier  l'art  français.  On  lui  doit  l'habile  restauration  d'une  foule 
de  monuments  du  Moyen-Age  ;  citons  entre  autres:  Notre-Dame  de  Paris, 
les  églises  de  Vezelay,  de  Saint-Père,  de  Montréal,  de  Poissy,  de  Semur, 
les  hôtels-de-ville  de  Narbonne  et  de  Saint-Antonin,  l'abbaye  de  Saint- 
Denis,  les  cathédrales  de  Laon  et  d'Amiens,  la  salle  synodale  de  Sens,  les 
fortifications  de  Garcassonne,  le  château  de  Pierrefonds,  etc.  Le  Diction- 
naire raisonné  de  l'architecture  française^  V Essai  sur  l'architecture  militaire 
au  MoyenrAge,  le  Dictionnaire  du  mobilier  français^  VHistoii^e  d'une  maison, 
V Histoire  d'une  forteresse^  V Histoire  d'un  hôtel-de-ville,  etc.,  lui  assignent 
une  première  place  parmi  les  artistes  et  les  archéologues  de  notre 
époque. 

Rome.  —  Le  gouvernement  français  vient  de  nommer  officier  de  la  Lé- 
gion  d'honneur  M.  le  commandeur  J.-B  de  Rossi.  Jamais  récompense  plus 
méritée  n'a  été  décernée  à  un  savant  étranger. 

Cologne.  —  Les  travaux  de  la  cathédrale  de  Cologne  approchent  de 
leur  fin.  Encore  trois  ans,  et  la  croix  surmontera  les  deux  gigantesques 
flèches,  qui  dépasseront  en  hauteur  les  plus  hauts  édifices  du  monde  en- 
tier. La  compagnie  du  chemin  de  fer  rhénan  vient  de  faire  don  à  la  cathé- 
drale d'un  vitrail  superbe  représentant  le  concile  de  Jérusalem,  présidé 
par  saint  Pierre  ;  dans  la  partie  supérieure,  on  voit  Pie  IX  tenant  en 
mains  la  bulle  de  convocation  du  concile  du  Vatican.  Par  ce  vitrail,  la  der- 
nière lacune  est  comblée,  et  la  splendide  et  immense  cathédrale  a  toutes 
ses  fenêtres  garnies  de  vitraux,  peints  par  les  premiers  artistes  des  XIV", 
XY%  XVP  et  XIX"  siècles. 

J.  C. 


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LE  TOMBEAU  MONUMENTAL 

ET    LE    PÈLERINAGE    DE    S.    RONAN" 
A  LOC-RONAN  EN  BRETAGNE 


Les  anciennes  sépultures  monumentales,  élevées  en  l'honneur  des 
saints  ou  de  quelque  autre  personnage  illustre,  ne  sont  pas  l'une 
des  moindres  gloires  archéologiques  et  artistiques  d'un  pays. 

Témoins  impérissables  de  l'esprit  de  foi  et  de  piété,  ainsi  que  des 
sentiments  de  respect  et  de  reconnaissance  qui  animaient  les  géné- 
rations passées  envers  leurs  bienfaiteurs  ou  les  amis  de  Dieu,  ces 
œuvres  d'art  ont  droit  par  là  même  d'être  considérées  comme  un  pa- 
négyrique en  quelque  sorte  ininterrompu  et  toujours  continué  des 
vertus  et  des  généreuses  actions  des  vieux  âges,  comme  une  invita- 
tion incessante  à  se  défier,  en  religion  surtout,  des  sentiers  nou- 
veaux, à  leur  préférer  les  voies  frayées  par  l'antiquité.  Voilà  pour- 
quoi l'Hérésie  et  la  Révolution,  essentiellement  novatrices,  se  sont 
toujours  acharnées  avec  tant  de  rage  à  détruire  ces  monuments,  à 
n'en  pas  laisser  pierre  sur  pierre. 

Or,  bien  qu'elles  n'aient  que  trop  bien  réussi  chez  nous  dans  celle 
œuvre  de  destruction,  il  existe  encore  cependant  en  France  un  pays 
traditionnel  par  excellence,  oi^i  les  tombeaux  de  ce  genre  ne  sont  pas 
rares  et  mériteraient  d'attirer  plus  souvent  l'attention  des  artistes  et 
des  archéologues  :  nous  avons  nommé  la  Bretagne.  Parmi  les  sé- 
pultures monumentales,  dont  elle  est  justement  fière,  on  peut  citer 
le  tombeau  de  son  duc  François  II  à  Nantes,  ceux  de  ses  glorieux 
II"  Livraison,  —  Octobre-Décembre  18711.  18 


274  LE    TOMBEAU    MONUMENTAL 

Evèques  James  à  Dol,  Do  Halgouêt  à  Plougrescant,  et  mieux  encore 
ceux  des  Saints  Clair,  Meen,  Edern,  Jaoua,  Efflamm,  Gurloès,  Goné- 
ry,  etc.,  etc.,  mais  ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  faire  le  relevé  de  toutes 
les  œuvres  de  ce  genre^  que  cette  province  a  présentement  encore 
le  bonheur  de  posséder. 

Notre  but  est  tout  autre.  Nous  nous  proposons  de  prendre  un  de 
ces  tombeaux  en  particulier,  pour  montrer  ce  qu'il  a  été  dans  le 
passé,  ce  qu'il  est  dans  le  présent,  et  constater  ainsi  une  nouvelle 
fois  que  la  seule  gloire  un  peu  durable,  même  ici-bas  sur  cette  terre 
de  l'exil  et  du  changement,  c'est  encore  celle  des  saints  et  des  amis 
de  Dieu.  De  là  cet  essai  sur  le  tombeau  et  le  pèlerinage  de  S.Ronan 
à  Loc-Ronan,  dans  la  Basse-Cornouaille,  à  quelques  lieues  au  nord- 
ouest  de  Quimper. 


I. 


BIOGRAPHIE    DE    SAINT    RONAN. 

Nous  commencerons  par  un  aperçu  biographique  sur  le  Saint  qui 
va  nous  occuper  dans  ces  pages.  Aussi  bien  ce  côté  de  notre  sujet  a- 
t-il  particulièrement  besoin  d'être  éclairci,leshagiographes  bretons 
et  les  Bollandistes  eux-mêmes  '  n'ayant  eu  jusqu'ici  à  leur  disposi- 
tion, pour  traiter  de  S.  Ronan,  qu'un  abrégé  de  vie  emprunté  aux  le- 
çons d'un  office  liturgique.  Plus  heureux  dansnos  recherches,  nous 
avons  eu  la  bonne  fortune  de  retrouver  le  texte  original  de  la  Vie 
même  de  ce  saint  Evoque  ".  L'auteur  ne  vivait,  il  est  vrai,  qu'au 
XP siècle,  mais  il  écrivait  sur  des  documents  antérieurs,  etil  montre 
en  toute  occasion  tant  de  bonne  foi,  une  si  parfaite  connaissance 
des  choses  et  des  faits  qu'il  avance,  qu'on  ne  peut  s'empêcher  de 
lui  reconnaître  science  et  autorité.  Grâce  à  cet  opuscule,  la  chrono- 
logie et  les  lignes  principales  de  la  biographie  du  Saint  sont  désor- 
mais fixées  avec  certitude. 

Originaire  d'Irlande  (Scotia  vcl  Ilibcrnia),  Ronan  y  naquit  dans 

'  AdaSS.,  t.  I,  jun.,  p.  80. 

-  Vila  suncli  et  venerandi  Pontificis  Ronani,  tel  est  le  titre  de  cette  vie. 
(V.  Mss.  latins  de  la  Bibl.  nutioiude,  n.  5275,  fol.  52-63.) 


ET   LE    PÈLERINAGE    DE   S.    RONAN  275 

la  seconde  moitié  du  V'  siècle  \  etfut  élevé  avec  soin  dans  les  lettres 
et  dans  la  piété.  Ses  parents  avaient  dû  être  convertis  assez  récem- 
ment à  la  foi  chrétienne  par  S.  Patrice.  Car  on  sait  qu'avant  les  pré- 
dications de  cet  incomparable  missionnaire,  l'Irlande  était  plongée 
tout  entière  dans  les  ténèbres  de  l'idolâtrie. 

Ronan  eut-il  lui-même  l'avantage  de  vivre  dans  la  compagnie  et 
sous  la  direction  de  S.  Patrice?  la  chose  paraît  très  probable,  mais 
l'auteur  de  la  Vie  ne  le  dit  pas  formellement.  Il  se  contente  de  nous 
le  donner  assez  manifestement  à  entendre,  en  nous  apprenant  que 
LE  FUTUR  ERMITE  dc  la  forêt  de  Nevet  avait  été  promu  dans  son  pays 
natal  aux  honneurs  de  l'épiscopat  avant  la  fin  du  Y^  siècle  ^ 

Le  jeune  Irlandais  remplissait  tous  les  devoirs  de  cette  charge  avec 
le  plus  grand  zèle  et  s'était  déjà  acquis  une  immense  popularité  ^ 
lorsqu'à  l'exemple  de  plus  d'un  autre  saint,  effrayé  des  dangers  que 
son  humilité  avait  à  courir  dans  une  position  si  élevée,  il  résolut, 
pour  y  échapper,  de  tout  quitter,  fortune,  parents,  amis,  patrie,  et 
vint  demander  un  asile  à  l'Armorique  dans  le  dessein  de  mener  une 
vie  uniquement  vouée  à  la  prière,  à  la  retraite,  à  la  solitude  ^  C'é- 
tait vers  l'année  480  ou  490,  selon  toute  apparence,  car  les  rapports 
du  saint  avec  Grallon,  roi  de  Cornouaille,  dont  il  va  être  bientôt 
question,  doivent  appartenir  sans  conteste  aux  dernières  années  du 
Y"  siècle  ou  aux  premières  du  suivant. 

Le  Léon  fut  le  premier  séjour  de  notre  Irlandais  de  ce  côté  de 
l'Océan  ".  Il  s'y  construisit  un  ermitage,  autour  duquel  a  été  bâtie  la 


^  «  Ronanus  in  Hiberniensiura  regione  oriundus,  et  in  pueritia  litterarum  stu- 
diis  a  parentibus  deditus,  cœlestium  fïuenta  doctrinarum  sitibundo  pectore... 
hausit.  »  [Vita,  n.  2.) 

Les  nos  que  nous  donnons  ne  se  trouvent  pas  dans  le  manuscrit,  mais  ils  seront 
reproduits  quand  nous  publierons  cet  intéressant  document  dans  nos  Ac(a  San- 
ctorum  Armot'icœ  (ouvrage  en  préparation). 

^  «  Ronanus...  ad  usque  solium  pontificale  Dei  gratia  sublevatur  )>  {Vitu. 
n.  1.) 

^  a  Boni  oporis  notitiam  in  populo  sibi  commisse  Doctor  sparsit  egregius.  . .  » 
ilbid.,  n.  4  et  5.) 

*  «  Sacrée  legis  cultor  Ronanus  Christum  sequi  desiderabat  attentius...  Oceano 
transfretato,  in  minorera  delatus  est  Britanniam.  »  [IbicL,  n.  7.) 

^  «  Applicitus  oris  Leonensibus.  »  {Ibid.,  n.  8.) 


276  LE   TOMBEAU    MONUMENTAL 

ville  de  Saint-Renan,  près  Brest,  autrefois  siège  d'une  juridiction 
importante  *. 

Bientôt  de  nouveau,  fatigué  du  grand  nombre  de  visiteurs  que 
l'éclat  de  ses  miracles  attirait  autour  de  lui,  l'homme  de  Dieu  se  ré- 
solut à  abandonner  encore  son  ermitage  et  vint,  sous  la  conduite 
d'un  ange,  chercher  une  solitude  plus  profonde  au  sein  d'une 
épaisse  forêt  connue  sous  le  nom  de  Silva  nemea,  qui  a  donné  en 
partie  son  nom  de  Nevet  au  pays  ",  mais  sa  réputation  de  sainteté  et 
de  miracles  l'y  accompagna  si  bien  que  le  roi  de  la  Cornouaille^ 
Grallon,  vint  l'y  visiter  en  personne,  se  recommander  à  ses  prières, 
lui  demander  des  conseils  ^ 

Quant  au  peuple  fidèle  de  la  Cornouaillc,  il  n'avait  pas  moins  de 
piété  que  celui  du  Léon  et  de  l'Irlande  et  se  montra  aussi  avide  de 
recueillir  les  paroles  de  salut  qui  tombaient  des  lèvres  bénies  de 
Ronan,  aussi  empressé  à  rechercher  l'appui  et  la  médiation  de 
l'homme  de  Dieu  dans  tous  les  d'angers  de  l'âme  et  du  corps  *. 

Le  Saint  s'y  vit  également  en  butte  à  la  jalousie  et  à  la  haine  d'une 
méchante  femme,  vrai  suppôt  de  l'enfer  ^  La  chose  alla  même  si 
loin  que  le  serviteur  de  Jésus-Christ  crut  devoir  céder  à  l'orage  et 
changer  une  troisième  fois  d'habitation  ^  C'est  alors  que  Ronan  vint 
fixer  sa  demeure  dans  la  Domnonée  armoricaine,  au  village  d'Hillion, 
à  quelques  lieues  seulement  de  notre  ville  actuelle  de  Saint-Brieuc  \ 
Il  ne  tarda  pas  à  s'y  endormir  dans  la  paix  du  Seigneur  (540?),  mais 
son  corps  ne  fut  pas  enseveli  en  ce  lieu.  La  volonté  divine  s'étant 


*  En  breton  Loc-Ronan  ar  francq  «  S.  Ronan  du  Marais  ».  pour  le  distinguer 
de  Loc-Ronan  dont  nous  parlons  plus  bas. 

^  «  Sentions  verus  Deicola  Ronanus...  orationi  sine  intermissione  non  posse 
operam  dare  propter  hominum  multitudinem  ad  se  venientium. . .  Angelo  secum 
comitante,  venit  in  Cornubiarn  ad  usque  magnam  silvam  vocatam  Nemeam.  » 
(Vita,  n.  10.) 

^  Le  chap.  III  de  la  Vie  et  d'autres  passages  encore  sont  consacrés  à  cet  objet. 

*  «  Cœpit  interea  plebeium  (sic)  multitudo  sancti  viri  frequentare  oratoriura,  et 
desideranti  anirao  mellifluuin  ejus  appetere  coUoquium.  ;>  [Vita,  n.  18.) 

^  Ibid.,  n.  20  et  suiv. 
«  Ibid.,  n.  21-72. 

"  «  Beatissimus  Ronanus,  peragratis  Domnonioe  partibus,  juxta  Hilion  ad  pau- 
.snndum  sibi  locum  eloirit  amœnnni.  »  {Ib>d.,  n.  72.) 


ET   LE    PÈLERINAGE   DE   S.    RONAN  277 

manifestée  à  cet  égard  par  les  signes  les  moins  équivoques  ',  ce 
corps  sacré  fut  rapporté  au  Cornouaille  et  déposé  avec  honneur  à  un 
mille  seulement  de  l'Oratoire  de  la  forêt  de  Nevet,  que  le  Saint  avait 
construit  de  ses  mains  et  qu'il  avait  habité  pendant  de  si  longues 
années  ^ 

Les  restes  mortels  du  serviteur  de  Jésus-Christ  demeurèrent  plus 
de  trois  siècles  en  ce  lieu,  constamment  entourés  de  l'éclat  des  mi- 
racles et  de  toutes  les  marques  de  la  vénération  publique  \  Survin- 
rent les  invasions  normandes  de  la  seconde  moitié  du  IX"  siècle  (878). 
Le  saint  corps  fut  porté  en  France  à  cette  date,  ainsi  que  la  plupart 
des  autres  corps  saints  de  la  Bretagne  \  mais  à  la  différence  de  beau- 
coup d'entre  eux,  qui  n'ont  jamais  été  rendus  à  cette  province,  il  lui 
fut  restitué  quand  des  jours  meilleurs  vinrent  à  luire  pour  le  pays  ^. 
Il  est  vrai  que  la  meilleure  part  de  ce  dépôt  sacré  devint  alors  l'apa- 
nage de  la  ville  même  de  Quimper,  et  forma  désormais  l'une  des  prin- 
cipales richesses  du  Trésor  de  la  cathédrale  de  Saint-Corentin,  vide 
des  reliques  de  son  propre  Patron  ^  ;  toutefois  l'oratoire  et  le  tom- 
beau de  S.  Ronan  n'en  furent  pas  non  plus  entièrement  privés.  C'est 
ce  qui  nous  explique  pourquoi  ils  continuèrent  d'être  l'objet  d'une 
grande  vénération  pour  les  populations  avoisinantes,  et  pourquoi  la 
puissance  du  serviteur  de  Jésus-Christ  continua  semblablement  à 
s'y  manifester  avec  le  plus  vif  éclat.  Nous  allons  le  montrer  briève- 
ment en  retraçant  à  grands  traits  l'historique  de  ce  tombeau  et  des 
manifestations  extraordinaires  de  religion  et  de  piété  dont  il  a  été 
dans  le  passé,  dont  il  est  encore  aujourd'hui  l'occasion  et  le  théâtre. 

Quelques  mots  d'abord  sur  l'église  élevée  pour  abriter  ce  tom- 
beau monumental,  et  lui  servir  en  quelque  sorte  de  parure  exté- 
rieure et  de  vêtement, 

1  Vita,  n.  87-05. 

^  «  Steterunt.  .  .  immobiles  in  valle.  .  .  quœ  differt  a  milliario  iino  ab  oratorio 
quod  ipse  sibi  juxta  Xemeam  silvam  exstruxerat.  n  {Ibid,,  n.  1)5). 
3  IbicL,  n.  9(5. 
'  Ibid.,  n.  97. 
^  Ibid  ,  n.  98. 
'Ibid.,  n.  99,  lui,  etc. 


278  LE   TOMBEAU   MONUMENTAL 

§  n. 

l'oratoire,  aujourd'hui  église  paroissiale  de  loc-ronan. 

Nous  apprenons  du  biographe  de  S.  Ronan  que  l'oratoire  élevé 
par  lui-même  dans  la  forêt  de  Nevet  probablement  en  simple  bran- 
chage, selon  la  coutume  des  ermites  de  ce  temps,  ne  fut  point  ren- 
versé par  l'invasion  normande  ',  et  qu'il  se  trouvait  encore  debout 
quand  la  paix  fut  rendue  à  la  province. 

Cependant,  comme  il  tombait  de  vétusté,  la  piété  publique  s'em- 
ploya peu  après  à  le  réédificr  sur  des  proportions  plus  amples  et 
avec  plus  de  magnificence  ^  :  en  quoi,  les  miracles  du  Saint  venant 
en  aide,  on  réussit  si  bien  qu'au  commencement  du  XI"  siècle,  ce 
second  oratoire,  qu'on  avait  dû  construire  autour  même  du  tombeau 
vénéré,  portait  déjà  le  nom  d'église,  jouissait  du  droit  d'asile,  et 
possédait  une  étendue  de  terres  assez  considérable  ^ 

Les  choses  en  étaient  là  lorsque  le  pieux  et  vaillant  comte  de 
Cornouaille,  Alain  Cagnart,  après  avoir  imploré  avec  ferveur  la 
médiation  de  S.  Ronan,  dans  une  guerre  qu'il  avait  à  soutenir, 
ayant  remporté  une  victoire  décisive  tout  près  du  saint  tombeau, 
eut  la  piété  d'attribuer  le  succès  de  ses  armes  à  l'intervention  du 
puissant  thaumaturge,  et  ne  crut  pouvoir  mieux  lui  témoigner  sa 
reconnaissance  qu'en  enrichissant  son  sanctuaire  de  nouvelles  pos- 
sessions et  de  nouveaux  privilèges  ■  (1030).  Il  l'unit  en  même  temps 
à  la  célèbre  abbaye  de  Sainte-Croix  de  Quimperlé,  qu'il  venait  tout 
récemment  de  fonder. 

Deux  siècles  plus  tard,  le  duc  Pierre  Mauclerc  élevait  l'oratoire 
de  S.  Ronan  à  la  dignité  d'église  priomle  \  Une  bourgade  s'était 
également  formée  autour  du  sanctuaire,  et  ne  tarda  pas  à  acquérir 

1  Vila,  n.  100. 

2  4  Factum  est  postquam  oratorium.  S,  Ronani  manibus  constructum,  vergi 
cœpit  in  senium,  visum  est  populo. . .  quatenus  spatium  ipsius  amplificarent,  et 
in  quantum  possent,  restaurando  decorarent.  »  [Ibkl.,  n.  100.) 

3  Preuv.  de  Bret.,  t.  ],  col.  368. 
^  Ibid. 

*  Archiv.  de  Loc-Ronmi,  Rcg.  B,  fui.  20. 


ET   LE    PÈLERINAGE   DE    S.    TIONAN  279 

une  telle  importance  que  les  Ducs  de  Bretagne,  successeurs  de 
Pierre  Mauclerc,  la  comblèrent  de  faveurs  et  l'honorèrent  du  titre 
do  ville  ^ 

Cependant  Téglise,  qui  avait  succédé  à  l'oratoire  primitif  de 
S.  Ronan,  tombait  elle-même  en  ruines  vers  le  milieu  du  XV^  siècle, 
Elle  dut  être  reconstruite  à  cette  époque,  et  les  deux  arcades  en  plein 
cintre,  qu'on  aperçoit  au  bas  des  collatéraux,  paraissent  les  seuls 
débris  qui  en  aient  été  conservés.  La  nouvelle  église,  qu'on  éleva 
sur  ses  ruines,  est  celle  qui  subsiste  actuellement.  Cet  édifice, grâce 
à  ses  proportions  étendues,  grâce  à  ses  trois  nefs  séparées  par  des 
colonnettes  cylindriques,  grâce  à  sa  grosse  tour  dont  la  plate-forme 
est  surmontée  d'une  balustrade  quadrilobée,  —  pour  no  rien  dire 
encore  de  sa  curieuse  chaire,  et  de  son  porche  occidental  à  portes 
géminées,  —  a  quelquefois  attiré  l'attention  des  archéologues,  et  a 
mérité  de  prendre  rang  parmi  les  Monuments  historiques  de  la 
France. '^Malheureusement,  les  anciennes  archives  du  Prieuré  (con- 
servées par  fragments  à  la  cure)  ne  nous  apprennent  absolument 
rien  sur  les  circonstances  de  cette  construction,  qu'on  peut  appeler 
grandiose,  si  on  la  compare  aux  édifices  religieux  des  bourgades 
environnantes.  Mais  tous  les  caractères  architectoniques  de  ce  mo- 
nument accusent  nettement  la  fin  du  XV"  siècle.  Il  y  a  plus  :  la  pré- 
sence de  diverses  armoiries  et  de  divers  écussons  parfois  répétés  ne 
laissent  planer  aucun  doute  sur  le  nom  et  la  qualité  de  ceux  qui  ont 
dû  y  contribuer  pour  une  part  principale. 

On  conclut  de  là  que  les  Ducs  de  Bretagne,  en  particulier  Fran- 
çois II  et  sa  seconde  épouse  Marguerite  de  Foix  ^  se  distinguèrent 
entre  tous  par  leurs  libéralités. 

Après  eux,  nul  ne  peut  avoir  plus  de  droits  au  titre  de  bienfaiteurs 
de  Loc-Ronan  que  les  sires  de  Nevet,  qui  tiraient  leur  nom  de  la 
forêt  même  [Sylva  Nemea  on  Nevea)  où  le  solitaire  irlandais  avait 
fixé  sa  demeure  ;  leur  enfeu  occupait  le  collatéral  méridional  de 
l'église.  Or  un  tel  honneur,  on  le  sait  assez,  n'a  jamais  été  accordé 
qu'à  la  suite  et  en  retour  de  bienfaits  d'un  caractère  exceptionnel  et 
longtemps  continués. 

'  Archiv.  de  Loc-Roncui,  Reg.  A. 

^  Celle-ci  fit  don,  en  outre,  d'un  grand  calice  doré  que  l'on  conserve  encore  à 
la  sacristie. 


280  LE  TOMBEAU  MONUMENTAL 

Ceci  constaté,  venons  maintenant  au  tombeau  même  de  S.  Ronan. 
Ici  nous  emprunterons  nos  renseignements  partie  aux  descrip- 
tions, qui  en  ont  déjà  été  faites,  partie  à  ce  que  nous  avons  vu  de 
nos  propres  yeux,  lors  de  notre  pèlerinage  à  S.  Ronan  en  mai  1876, 
ou  encore  à  ce  que  nous  avons  recueilli  alors  de  la  bouche  de 
M.  l'abbé  Le  Roux,  curé  de  la  paroisse. 

§3. 

LE  TOMBEAU  MONUMENTAL  DE  S.  RONAN. 

S.  Ronan,  mourant  dans  la  première  moitié  du  YP  siècle,  dut 
être  enseveli  dans  un  de  ces  cercueils  en  pierre,  et  Drdinairement 
monolithes,  forme  parallélogramme,  qui  sont  connus  dans  la  science 
sous  le  nom  de  tombeaux  mérovingiens.  LaRretagne  en  possédait 
un  bon  nombre  autrefois,  mais  aujourd'hui  ils  ont  été  presque  tous 
détruits,  ou  du  moins  il  n'en  reste  plus  çî  et  là  que  des  débris  assez 
informes.  Le  mieux  conservé,  parmi  ceux  qui  nous  sont  connus, 
c'est  celui  de  S.  Gonéry  à  Plougrescant,  près  de  Tréguier  '. 

Quant  au  tombeau  primitif  de  S.  Ronan,  il  n'est  point  arrivé  jus- 
qu'à nous,  à  moins,  ce  qui  n'est  pas  impossible,  qu'il  ne  soit  caché 
et  en  quelque  sorte  enfoui  sous  le  tombeau  actuel.  Celui-ci  fut  érigé 
de  1320  à  1530,  par  les  soins  et  la  munificence  de  Madame  Renée 
DE  France,  plus  tard  duchesse  d'Esté  et  de  Ferrare.  Cette  princesse 
était  fille  puînée  d'Anne  de  Rretagne  et  du  roi  Louis  XIL 
Sa  mère,  celle  que  les  Rretons  n'appelaient  que  leur  Ronne  Du- 
chesse, avait  fait  en  personne  le  pèlerinage  de  Loc-Ronan,  au  mo- 
ment 011  elle  était  enceinte,  dans  le  but  d'obtenir  d'heureuses 
couches.  Aussi  se  plut-elle  à  regarder  la  naissance  de  cette  enfant 
comme  un  présent  du  Ciel, comme  un  fruit  des  mérites  du  glorieux 
confesseur  de  Jésus-Christ  '.  C'était  donc  véritablement  une  dette 
de  gratitude  que  la  princesse  Renée  acquittait  en  faisant  élever  ce 
superbe  monument  à  la  gloire  du  saint  confesseur. 

*  On  prétend  que  celui  de  S.  Jaoua,  à  Plouvien  près  Brest,  existe  encore,  mais 
enfoui  sous  terre,  et  caché  par  le  tombeau  actuel  (XlVe  siècle)  qui  est  lui-même 
un  vrai  monument. 

-  Archiv.  de  Loc-Ronan,  Liasse  n"  i.  Procès-verbal  de  I68l>. 


ET   LE    PÈLERINAGE    DE    S.    RONAN  281 

Voici  la  description  qu'en  donne  M.  de  Fréminville  dans  ses  Anti- 
quités du  Finistère.  Elle  est  suffisamment  exacte  et  étendue  pour 
que  nous  nous  contentions  de  la  reproduire  après  MM.  de  Kerdanet 
et  de  Courcy  •,  en  ajoutant  cependant  çà  et  là  quelques  petits  traits 
pour  la  compléter  ou  la  rectifier  : 

Le  tombeau  de  S.  Ronan  est  en  pierre  de  Kersanton.  Il  consiste 
en  une  longue  et  large  table  massive,  sur  laquelle  repose  la  statue 
couchée  de  celui  auquel  ce  monument  est  consacré.  Le  Saint  est 
représenté  en  habits  pontificaux,  la  mitre  en  tête  et  la  crosse  dans 
la  main  gauche.  Il  foule  sous  ses  pieds  un  animal  monstrueux,  em- 
blème du  paganisme,  que  Ronan  contribua  peut-être  à  extirper  de 
ces  contrées,  et  mieux  encore  symbole  des  vices  de  la  chair  et  de 
l'esprit,  que  l'homme  de  Dieu  s'appliqua  avec  tant  de  succès  à  dé- 
raciner du  cœur  des  populations  qui  avoisinaient  son  ermitage. 

La  tète  de  la  statue  a  pour  support  un  oreiller  accosté  lui-même 
de  deux  petites  figures  d'anges  drapés  dans  de  longues  robes. 

La  table  du  tombeau  est  élevée  de  quatre  ou  cinq  pieds  au-dessus 
de  terre,  ce  qui  permet  aux  fidèles  de  passer  sous  le  joug  sans  trop 
de  difficulté,  pratique  pieuse  qui  est  fort  en  honneur  ici  comme  dans 
tous  les  pays  de  foi. 

Cette  même  table  est  supportée  par  six  pilastrec,  auxquels  sont 
adossées  autant  de  figures  d'anges,  dont  les  uns  tiennent  un  livre, 
les  autres  des  écussons. 

Les  armes  de  France  en  alliance  avec  celles  de  Bretagne  se  font 
naturellement  remarquer  à  la  partie  principale  du  monument,  sous 
la  tête  même  du  Saint. 

Le  tombeau  n'a  pas  d'épilaphe,  et  aucun  grillage  n'empêche  les 
pèlerins  d'en  approcher  à  l'aise. 

Le  monument  occupe  au  bas  du  collatéral  méridional  de  l'église 
le  centre  d'une  chapelle  séparée,  avec  autel  élégant,  sculptures  de 
mérite,  clocher  svelte  et  gracieux.  Cette  chapelle  fut  construite 
tout  exprès  pour  renfermer  le  saint  tombeau  et  lui  concilier  plus 
de  respect  et  de  vénération. 

Tel  est  dans  son  ensemble  le  tombeau  monumental  de  S.  Ronan. 

»  Kerdanet,  Vies  des  Saints  de  la  Bretagne,  p.  289.  Pol  de  Courcy,  Itinéraire 
de  Nantes  à  Brest. 


282  LE   TOMBEAU    MONUMENTAL 

On  voit  que  la  piété  et  la  munificence  n'ont  rien  négligé  pour  l'en- 
tourer aux  yeux  des  peuples,  d'éclat  et  de  pompe,  de  grandeur  et 
de  majesté.  Mais  aussij  il  faut  avouer  que  le  glorieux  thaumaturge 
méritait  souverainement  ces  marques  d'honneur  soit  en  raison  des 
actes  héroïques  de  vertu  par  lesquels  il  avait  sanctifié  le  pays, 
soit  en  considération  des  manifestations  extraordinaires  de  piété  et 
de  religion,  dont  sa  tombe  était  le  théâtre  annuellement  et  plus 
souvent  encore.  C'est  sous  ce  dernier  aspect,  qu'il  nous  reste  à  envi- 
sager le  tombeau  de  Loc-Ronan  :  en  d'autres  termes,  nous  allons 
exposer  en  peu  de  mots  ce  qu'a  été  dans  le  passé,  et  ce  qu'est  encore 
actuellement  le  pèlerinage  de  S.  Rouan. 

§  IV. 

LE    PÈLERINAGE    DE    S.    RONAN. 

L'Oratoire,  ou  Penity  de  S.  Ronan,  c'est-à-dire,  le  lieu  où  cet 
homme  de  Dieu  avait  accompli  ses  jours  de  pénitence  et  d'expiation 
avant  d'être  admis  à  jouir  de  la  vue  de  son  Créateur,  avait  eu  le 
privilège,  du  vivant  même  du  Saint,  d'attirer  les  foules  de  toute 
part  \  L'auteur  de  sa  vie  nous  en  est  un  sur  garant.  Il  n'en  fut  pas 
autrement,  au  témoignage  du  même  écrivain,  dans  les  années 
qui  suivirent  la  mort  du  serviteur  de  Dieu  S  ou  plutôt  cet  empres- 
sement des  fidèles  avenir  prier  dans  ce  lieu  de  sanctification  ne  fit 
avec  le  temps,  grâce  aux  miracles  qui  s'y  opéraient,  que  prendre 
de  l'accroissement,  s'étendre  plus  au  loin,  devenir  plus  général.  Et 
de  fait,  nous  voyons  par  les  actes  de  l'enquête  de  la  canonisation  de 
S.  Yves,  que  dans  les  XII^  et  XIIP  siècles,  le  pèlerinage  de  Loc- 
Ronan  avait  pris  rang  parmi  les  principaux  de  la  Rretagne.  Ce  grand 
Saint  et  plusieurs  de  ses  amis  à  son  exemple  se  firent  un  devoir  de 
l'accomplir  en  personne  ^ 

Plus  tard,  on  compta  des  ducs  de  Rretagne,  et  beaucoup  d'autres 
personnages  de  distinction  parmi  les  pèlerins  qui  venaient  visiter  le 


'  Vila,  n.  18,  etc. 

-  Ibid  ,  n.  100  et  ^uiv. 

■'  Ada  SS.,  19  inai,  de  S.  Yvone,  p.  550  et  553. 


ET   LE    PÈLERINAGE    DE    S.    RONAN  283 

saint  tombeau  '.  Ce  qui  prouve  encore  l'importance  de  ce  pèlerinage, 
c'est  que  Loc-Ronan  possédait  des  orgues  dès  le  XYP  siècle  ^  11  a 
été  constaté  en  outre  en  1689  que  la  procession  annuelle  et  générale 
du  second  dimanche  do  Juillet  réunissait  au  moins  huit  ou  dix  mille 
personnes,  et  qu'elle  était  de  temps  à  autre  l'occasion  de  nouveaux 
miracles,  ce  qui  ne  contribuait  pas  peu  à  entretenir  la  ferveur  de  la 
dévotion  \  Survint  la  tourmente  révolutionnaire  des  années  1789- 
1793.  Elle  ne  paraît  avoir  porté  aucun  préjudice  trop  grave  au 
sanctuaire  de  Loc-Ronan. 

L'église  et  le  tombeau  ne  furent  ni  profanés,  ni  souillés,  les  vases 
sacrés  même  furent  respectés,  si  nos  renseignements  sont  exacts.  Il 
y  eut  seulement  suspension  momentanée  des  manifestations  popu- 
laires de  foi  et  de  piété,  dont  cette  petite  ville  était  le  théâtre  depuis 
plus  de  douze  siècles  déjà.  Mais  la  tempête  était  à  peine  calmée  que 
les  fidèles  se  pressaient  de  nouveau  en  foule  autour  du  saint  tom- 
beau, plus  désireux  que  jamais  de  recourir  à  la  médiation  du  pro- 
tecteur de  la  contrée  pour  appeler  sur  le  pays  les  bénédictions  du 
Ciel,  et  obtenir  l'éloignement  des  maux  de  tout  genre,  dont  on  avait 
si  cruellement  souffert.  C'est  ainsi  qu'est  arrivée  intacte  à  travers 
quatorze  siècles  et  jusqu'à  notre  génération  si  indifférente  cependant 
pour  les  choses  du  passé,  cette  réputation  de  sainloté  et  de  puis- 
sance miraculeuse  qu'avait  méritée  au  commencement  du  VP  siècle 
un  pauvre  ermite  de  la  forêt  de  Nevet.  Aujourd'hui  encore  le  nom 
de  Ronan_,  quelquefois  altéré  et  changé  en  celui  do  Renan  ou 
même  René  est  encore  connu  dans  tout  le  diocèse  de  Quimper  et  au- 
delà  :  il  y  est  entouré  d'un  éclat  et  d'une  réputation  que  les  renom- 
mées d'origine  humaine  n'égaleront  jamais.  Sa  fête  liturgique 
tombe  le  1"  juin,  mais  la  fête  populaire  ou  pardon^  se  célèbre  le 
second  dimanche  de  juillet,  et  attire  chaque  année  des  foules  im- 
menses, tant  le  jour  même  de  la  fête,  que  pendant  les  huit  jours 
suivants.  C'est  surtout  chaque  septième  année  que  ce  pardon  revêt 
un  éclat  et  une  pompe  qui  n'a  rien  de  comparable  peut-être  dans 

^  Archives  de  Loc-Ronan,  Liasse  n«  4.  Procès-verbal  de  1689. 

*  On  le  conclut  de  ce  qu'en  1672  une  somme  de  30U  fr.  était  allouée  pour  la 
réparation  de  ces  mêmes  orgues.  (V.  Le  Men,  Monographie  de  la  cathédrale  de 
Quimper,  p.  327, 

■*  Archiv.  de  Loc-Ronan,  document  cité. 


284  LE   TOMBEAU    MONUMENTAL 

toute  la  France,  au  moins  comme  usage  constant,  ininterrompu,  sé- 
culaire. 

La  Grande  Troménie  '  —  c'est  le  nom  qu'on  lui  donne  —  con- 
siste, en  effet,  dans  une  immense  procession,  composée  de  quinze  ou 
vingt  mille  personnes,  devant  toucher  successivement  au  territoire 
de  cinq  paroisses,  et  faire  douze  stations  à  différentes  chapelles  de 
piété,  avec  sermon,  chants  d'hymnes,  de  cantiques,  d'évangiles,  etc. 
à  chacune  de  ces  stations.  Le  parcours  de  la  procession,  parfaite- 
ment déterminé  par  la  tradition  immémoriale,  est  de  tout  point  in- 
variable. C'est  celui  que  S.  Ronan  s'était  condamné  à  faire  pieds 
nus  chaque  septième  jour  avant  de  prendre  aucune  nourriture. 
Aussi  la  procession  en  question  n'est-elle  arrêtée  ni  par  haie,  ni  par 
barrière,  ni  par  prairie  couverte  de  foin,  ni  par  champ  ensemencé. 
Rien  ne  saurait  empêcher  les  fidèles  dans  la  circonstance  d'accom- 
plir le  parcours  traditionnel  :  toute  défense  de  l'autorité  supérieure, 
toute  prohibition  à  cet  égard,  de  quelque  part  qu'elle  vînt,  serait 
regardée  comme  non  avenue.  On  craindrait,  en  s'y  conformant, 
d'encourir  la  disgrâce  du  Saint  et  de  mériter  sa  colère.  Les  20,000 
personnes,  qui  accompagnent  cette  magnifique  procession,  la  font 
d'ailleurs  avec  le  plus  grand  esprit  de  foi  et  de  piété  :  de  mémoire 
d'homme  on  n'a  jamais  eu  à  regretter  ni  désordre,  ni  même  un  ac- 
cident fâcheux  ;  double  fait  humainement  inexplicable,  surtout  dans 
un  tel  pays,  mais  Dieu  protège  l'honneur  de  ses  saints,  il  veille  au 
maintien  de  leur  gloire. 

La  Petite  Troménie  ou  procession  annuelle  n'a  pas  la  même  so- 
lennité ;  elle  a  pour  but  de  renouveler  le  parcours  que  le  Saint  ac- 
complissait lui-même  chaque  matin  à  jeun  et  ne  dépasse  pas  les 
limites  de  la  paroisse. 

Le  Cérémonial  latin  de  la  Grande  Troménie,  qui  remontait  au 
moins  au  XV^  siècle  se  conservait  à  Loc-Ronan  jusqu'à  ces  dernières 
années  ^ 

Aujourd'hui  il  a  disparu,  peut-être  a-t-il  été  dérobé  par  quelque 
pèlerin  indiscret? 

*  Tro-Menez  a  tour  de  la  montagne  »;  d'autres  disent  Tro-Minich  «  tour  de 
l'asile  ». 

"  M.  Pol  de  Courcy  nous  a  déclaré  orc  pyopriu  (]u'U  l'avait  vu  et  consulté  vers 
1860. 


ET   LE   PÈLERINAGE   DE    S.    RONAN  285 

Tels  sont  les  renseignements  à  la  fois  descriptifs  et  historiques 
sur  la  vie,  le  tombeau  et  le  pèlerinage  de  S.  Ronan  que  nous  avons 
crus  de  nature  à  intéresser  les  lecteurs  de  la  Revue  de  l'Art  chré- 
tien. 

Si  le  nom  même  de  cet  anachorète  n'était  pas  jusqu'ici  arrivé  à 
la  connaissance  de  quelques  uns,  au  moins  tous  seront-ils  heureux 
d'avoir  constaté  une  fois  de  plus  combien  le  souvenir  des  vertus 
des  saints,  des  bienfaits  de  tout  genre,  qu'ils  ont  répandus  autour 
d'eux  de  leur  vivant  est  resté  profondément  gravé  dans  la  mémoire 
des  peuples  ;  tous  se  plairont  à  admirer  une  nouvelle  fois  comment 
la  gloire  de  ces  amis  de  Dieu,  qui  n'ont  eu  le  plus  souvent  en  par- 
tage pendant  leur  vie  mortelle  que  les  outrages  et  les  humiliations, 
n'en  est  pas  moins  restée  la  seule  gloire  un  peu  durable,  la  seule 
contre  laquelle  les  révolutions  politiques  ou  militaires  et  les  tem- 
pêtes même  suscitées  par  l'enfer  soient  impuissantes  ou  ne  puissent 
prévaloir  que  d'une  manière  temporaire. 

Dom  François  Plaine, 
Bénédictin  de  l'Abbaye  de  Ligugé. 


LES 

MONUMENTS  HISTORIQUES 

DE  L'ALGÉRIE 


X)  E  XJ  X  I  È  3d:  E    ÉTUDE    » 


LE  ROUTIER  ARCHÉOLOGIQUE  DE  L'ALGERIE 


DERNIER  ARTICLE 


PROVINCE   D'ALGER 


Monuments  romaiiis. 

ALGER,  Djczaïr-heni-Mezr  anna  des  Arabes  qu'on  a  longtemps 
cru  sur  l'emplacement  de  lomnium  à  l'E.,  ou  de  Cœsareak  l'O.^est 
Vlcosium  des  Romains. 


ORDO 
ICOSITANORVM 


dit  l'inscription  encastrée  dans  un  pilier  à  l'angle  des  rues  Bab- 
Azzoun  et  du  Kaftan.  Icosium,  dit  Solin,fut  bâtie  par  vingt  hommes, 
compagnons  d'IIercule-le-Lybien,   d'où   eikos,  vingt,  dont   on   fit 

*  Voir  II«  série,  t.  XXI,  1877,  Avril-Juin,  p.  324. 

*  Voir  le  numéro  de  Juillet-Septembre  1879,  p.  5. 


LES    MONUMENTS    HISTORIQUES   DE    l'aLGÉBIE  287 

Icosion,  puis  Icosium  '.  Pline,  un  des  rares  écrivains  qui  parlent  de 
cette  ville,  nous  apprend  quelle  avait  reçu  de  l'empereur  Yespasien 
le  droit  latin,  lequel  était  un  peu  plus  favorable  que  le  droit  italique 
et  un  peu  moins  que  le  droit  romain  ^. 

El  Bekri  disait  d'El-Djezaïr,  460  de  THég.  (1067  de  J.-C.)  :  «  Cette 
ville,  également  belle  et  ancienne,  renferme  de  magnifiques  monu- 
ments d'antiquité  et  des  portiques  d'une  construction  parfaite 

Le  parvis  du  théâtre  est  pavé  de  petites  pierres  de  diverses  couleurs 
qui  ressemblent  à  de  l'émail  et  qui  représentent  toute  sorte  de 
figures  d'animaux.  Ce  travail, exécuté  avec  un  soin  et  une  habileté  ex- 
traordinaires, a  résisté  aux  efforts  du  temps,  et  n'a,  depuis  une  si 
longue  suite  de  siècles,  éprouvé  aucune  dégradation....  ^  » 

Les  ruines  d'Icosium,  dont  parle  El-Bekri,  retrouvées  plus  tard 
lors  des  fouilles  faites  pour  la  fondation  de  l'Alger  français,  dispa- 
rurent dans  le  développement  successif  de  la  ville  arabe,  puis  de 
la  ville  turque.  L'emplacement  de  ces  ruines  indique  clairement  la 
position  d'Icosium,  qui  s'appuyait  à  la  montée  abrupte  commençant 
derrière  les  rues  actuelles  de  Bab-Azzoun  et  de  Bab-el-Oued,  et  sur 
laquelle  les  Arabes  et  plus  tard  les  Turcs  bâtirent  leur  ville  couron- 
née par  la  Kasba.  Les  ruines  trouvées  rue  de  la  Marine,  lors  de  son 
nivellement,  indiquent  également  que  cette  rue  avait  la  même  desti- 
nation, en  conduisant  au  port.  Mais  la  ville  d'Icosium  a-t-elle  eu 
un  port?  En  tout  cas,  les  navires  des  Romains  n'avaient  qu'un  faible 
tirant  d'eau,  et,  l'habitude  oi^i  ils  étaient  de  les  haler  à  terre,  faisait 
qu'ils  se  montraient  peu  difficiles  sur  le  choix  de  leurs  ports  et  de 
leurs  points  de  mouillage  *.  Le  cimetière  d'Icosium,  comme  plus 
tard  encore  celui  des  Arabes  et  des  Turcs,  était  situé  à  Bab-el-Oued, 
sur  l'emplacement  du  jardin  Marengo,  où  l'on  a  retrouvé  un  colum- 
barium et  des  pierres  tombales, et  sur  l'esplanade  du  parc  d'artillerie, 
entre  le  jardin  et  la  mer. 

Lorsqu'on  a  converti  la  jolie  mosquée  des  Ketchaoua  en  église 

»  C.  Ivlii  Solini...  m-4«.  Basle,  1538. 

^  Icosium,  par  A.  Berbrugger,  in-4".  Alger,  1844. 

3  Notices  et  extraits,  Géographie  d'El-Bekri,  traduits  par  A.  Jaubert,  in-4o, 
t.  XII. 

*  Fondation  de  la  Régence  d'Alger,  par  MM.  Sander  Rang  et  F.  Denis,  2  vol. 
in-8°.  Paris,  J.  Auge,  1837. 


288  LES    MONUMENTS    HISTORIQUES 

cathédrale,  les  fouilles  que  l'on  fit  ensuite  pour  l'agrandir,  ame- 
nèrent la  découverte  de  la  belle  mosaïque  dont  parle  El-Bekri  ;  nous 
la  vîmes  alors,  et  nous  ajouterons,  pour  compléter  la  description 
du  géographe  arabe^  qu'indépendamment  des  figures  d'animaux, 
cette  mosaïque  représentait  encore  des  masques  de  théâtre. L'église, 
mosquée  autrefois,  s'élève  donc  sur  l'emplacement  du  théâtre  ro- 
main. Quant  à  la  mosaïque,  faute  de  temps  et  d'argent^  on  dut  se 
contenter  de  la  laisser  sur  place.  Quelque  cataclysme  viendra  peut- 
être  plus  tard  la  remettre  à  jour  '. 

C'est  au  Musée  que  sont  déposées  les  antiquités  dicosium  :  frag- 
ments de  mosaïques,  moulins,  sella  balneans^larm^es,  lacrymatoires, 
ustensiles  en  bronze  et  en  terre,  amphores,  pots,  plats  et  briques, 
tronçons  de  colonnes  et  de  frises,  inscriptions  et  médailles.  Les  sta- 
tues viennent  de  Cherchel  ;  le  tombeau  à  bas-relief,  de  Dellîs. 
M.  A.  Berbrugger  a  publié  un  catalogue  de  ce  Musée  ^. 

Environs  d'Alger.  — Les  ruines  de  RUSGUNLV,  que  les  Arabes  ap- 
pellent Médina  Takious,  à  27  kil.  E.  d'Alger^  occupent  un  vaste  es- 
pace, de  forme  circulaire,  mais  un  peu  allongé  ;  limitées  à  l'O.  par 
la  côte  qui  est  légèrement  escarpée.  Quelques  édifices  composés  de 
demi-voûtes,  et  de  tronçons  de  colonnes  épars,  semblent  indiquer 
les  restes  d'anciens  bains;  des  fragments  de  mosaïque,  des  pierres 
frustes,  des  inscriptions,  des  médailles  y  ont  été  recueillis  à  diffé- 
rentes époques.  D'après  les  anciens  itinéraires,  Rusgunia  dut  être 
considérable.  Les  épigraphes,  assez  rares,  trouvées  sur  place,  ont 
confirmé  l'identité  des  ruines  actuelles  avec  Rusgunia,  colonie  d'Au- 
guste, selon  Pline.  Sur  une  pierre,  transportée  à  Alger,  ont  lit  : 

L.  TADDIO 

DEC.  AED.  nVIR.  IIVIR 
Q.  Q.  RVSG.... 

Ruines  romaines  à  Ras-Knater,  le  cap  aux  Arcades,  principale- 
ment celles  d'un  aqueduc,  à  16  kil.  E.  d'Alger.  —  Plus  loin,  à  Sidi- 


'  Icosium,  par  A.  Berbrugger.  V.  le  dessin  de  cette  mosaïque  reproduit  par 
M.  Baquet,  architecte-inspecteur, 

2  Livret  de  la  Bibliothèque  et  du  Musée  d'Alger,  par  A.  Berbrugger.  1  vol. 
in-12.  Alger,  Bastide,  1807. 


DE  l'algérik  289 

FeiTuch,  24  kil.  auN.-O.  du  fort  qui  a  remplacé  la  koubba  et  la 
vigie  du  marabout,  ruines  de  I'église  de  Saint-Janvier,  dont  il  ne 
reste  qu'une  mosaïque,  le  baptistère  et  l'abside.  Cette  église  était- 
elle  celle  de  Casœ  Pavoises,  dont  parle  Morcelli  dans  son  Afrique 
chrétienne  ? 

Nous  signalerons,  pour  mémoire,  les  rares  débris  trouvés  au  S.-O. 
à  Douera  et  à  Sainte- Amélie,  23  et  28  kil.  ;  les  Romains  possédaient- 
ils  en  ces  endroits  des  villas  ou  des  postes  fortifiés?  l'hypothèse  est 
admissible. 

D'Alger  à  Dellls.  Direction  E.-N.  —  Bordj-Menaïel,  75  kil,,  à  l'en- 
trée de  la  Kabilie,  aujourd'hui  village  français;  les  Turcs  y  avaient 
une  petite  forteresse  sur  les  ruines  d'un  oppidum  romain,  Vasaî^a? 
106  kil.  DELLIS  ou  Tedellis,  Rousoukkour  des  Carthaginois  ;  les  Ro- 
mains y  fondèrent  plus  tard  l'établissement  de  Rusuccurus,  qui 
devint  une  puissante  cité  sous  Claude,  l'an  30  de  J.-C.  Les  anciens 
remparts,  visibles  surtout  à  l'O.,  des  mosaïques,  un  magnifique 
sarcophage  chrétien,  déposé  aujourd'hui  au  Musée  d'Alger,  des  mé- 
dailles et  des  amphores  trouvées  dans  les  fondations  de  l'hôpital  et 
de  la  mosquée,  tels  sont  les  vestiges  de  Rusuccurus,  détruite  par 
un  tremblement  de  terre.  Au-dessus  de  la  ville,  à  210  met.  d'alti- 
tude, près  de  la  Koubba  de  Sidi-Soussan,  sont  les  grands  bassins 
creusés  par  les  Romains,  pour  suppléer  à  la  pauvreté  des  sources 
qui  alimentaient  Rusuccurus. —  On  visitera  à  2b  kil,  N.-E.les  ruines 
de  Tagzirt,  et  à  4  kil.  au-delà  celles  de  Taksebt. 

D'Alger  à  Fort-National  (Napoléon).  Direction  E.  —  Au-delà  du 
Bordj-Sebaou,  au  village  de  Taonrga,  la  Fourmilière,  on  trouve 
quelques  ruines  romaines.  A  Tizi-Ouzou,  100  kil.  le  bordj  turc  est 
bâti  sur  des  ruines  romaines.  —  Fort-National  occupe,  à  123  kil. 
d'Alger,  le  centre  de  la  Kabilie.  —  A  10  kil.  E.-N.E.,  DJEMA- 
SAHARIDJ,  la  Mosquée  du  bassin,  Bida  Colonia;  l'emplacement  du 
village  kabile,  appartenant  aux  Beni-Fraoussen,  est  jonché  de  débris 
antiques  ;  les  habitations  d'assez  bon  aspect  sont  bâties,  en  grande 
partie,  avec  des  pierres  de  Bida  Colonia,  —  A  18  kil.  S.-E.  KOUKO, 
village  des  Beni-ltourar,  Turaphilwn  des  Romains,  dit  M.  Mac- 
Carthy.  Quelques  pierres  de  taille  et  une  citerne  en  briques  sont  les 
seuls  restes  du  poste  qui  devait  protéger  la  route  de  Rusuccums, 
Dellis,  à  Saldœ,  Bougie. 

Ile  série,  tomi;  XI.  19 


290  LES   MONUMENTS    HISTORIQUES 

D^ Alger  à  Drà-el-Mizan .  Direction  E.-S.,  96  kil.  d'Alger.  Au-delà 
de  Drâ-el-Mizan,  BORDJ-B'ORNI,  bâti  par  les  Turcs,  près  de  l'ancien 
POSTE  à-'Isatha,  élevé  par  les  Romains, pour  fermer  l'accès  de  la  plaine 
aux  Quinquigentiens. 

D'Algei'  au  Fondouk,  S.-E.,  32  kil.,  près  de  ce  village, ruines  d'un 
ancien  camp  romain. 

Comme  on  peut  le  voir,  les  Romains  et  les  Turcs  avaient  compris 
la  nécessité  d'élever  des  forts  pour  surveiller  et  comprimer  les  agis- 
sements des  Quinquigentiens  et  des  Kabiles. 

D'Alger  à  Aumaie,  S. -S.-E.  —  Tablât  à  57  kil.,  l'ancienne  Ta- 
blata,  chef-lieu  d'une  marche  militaire  sous  les  Romains. 

A  gauche  de  la  route,  85  kil.,  Aïowi-Bessem ;  ruines  romaines 
du  FORT  hexagonal  de  Castelhim  Auziense. 

AUMALE,à  lOo  \ù\.(\'A\ger,VAuzia  desRomains^,  le  Soia^-Kozlan, 
rempart  des  Gazelles,  des  Arabes.  Auzia,  ville  municipale  fondée 
sous  Auguste,  avait  700  met.  de  longueur  sur  une  largeur  moyenne 
de  350  met.,  et  sa  population  urbaine,  suivant  Tacite,  pouvait  être 
de  3,000  habitants.  Auzia  rappelle  les  luttes  de  Tacfarinas  contre 
Camille  et  Dolabella,  de  l'an  17  à  l'an  25  de  J.-C.,et  de Firmus  contre 
Romanus  vers  l'an  365  de  J.-C. 

Les  débris  des  palais,  des  temples  et  des  maisons  d' Auzia,  ne  con- 
sistent que  dans  quelques  fûts  de  colonnes,  des  tombeaux,  une  statue 
en  bronze  doré,  des  briques,  des  tuiles,  des  bijoux  et  des  médailles 
moyen-bronze  de  Gordien,  L'épigraphie  est  beaucoup  plus  riche. 
Parmi  les  inscriptions  votives,  une  partie  de  la  suivante  donne  le 
nom  de  Gargilius,  décurion  d' Auzia  et  de  Rusgunia  : 

Q.    GARGILIO.... 

....  DVARVM  COLL  AUZIEN 

SIS  ET  RVSCxVNIENSIS.... 

Les  inscriptions   tumulaires  constatent,  au  point  de  vue  sanitaire, 
la  longévité  des  habitants  d'Auzia. 

Les  environs  d Aïonalc  sont  fort  curieux  à  visiter.  A  1 1  kil.  S.-E. 
d'Aumale,  la  R'ORFA,  chambre,  de  Oulad-Selama  ;  cet  ancien  éta- 
blissement militaire  avec  burgus  ou  tour  au  centre,  est  placé  au 
point  culminant  d'une  colline  qui  domine  les  steppes,  connus  sous 
le  nom  de  Petit  Désert.  Les  environs  de  la  R'orfa  sont  semés  de 


DE   L'ALGÉRIE  291 

pierres  de  taille  et  d'autres  matériaux  appartenant  à  un  centre  de 
population  qui  s'était  formé  sous  la  protection  de  la  forteresse. 

SOUR-DJOUAB,  26  kil.  0.  d'Aumale,  sur  le  chemin  arabe,  ancienne 
voie  romaine  d'Auzia  à  Rubrse  (Hadjar-er-Roum),  dans  la  province 
d'Oran.  On  arrive  à  Sour-Djouab  en  laissant  Ksar-bent-es-Soltan, 
petit  monument  romain  en  ruines,  et  la  RORFA  des  Ouled-Meriem, 
bâtie  en  pierres  de  taille  et  s'élevant  à  3  mètres  au-dessus  du  sol. 
Sour-Djouab,  le  Rapidi  d'Antonin,  couvre  de  ruines  une  colline  qui 
s'allonge  d'E.  en  0.  L'encelme  de  Rapidi  est  encore  visible;  une 
grande  muraille  dans  l'intérieur  appartenait  à  la  citadelle  ;  un  con- 
duit amenait  dans  cette  ville  l'eau  de  l'Aïn-Adjena,  belle  source  à 
2  kil.  de  là.  On  a  trouvé  un  buste  de  Jupiter,  dont  la  tête  seule  me- 
sure 0,55  c.  Les  inscriptions  tumulaires  sont  fort  nombreuses  ;  en 
voici  une  forte  intéressante  : 

DIS  MAN. 
L.  LICINIVS  LICINI  FI. 
EQ. ALAE  THRACVM. . . . 

Ce  Licinius  appartenait  donc  à  la  cavalerie  des  Thraces  auxi- 
liaires qui  venaient  tenir  garnison  en  Afrique  avec  les  Bretons, 
les  Sardes,  les  Parthes,  pendant  que  les  Maures  étaient  établis 
dans  la  Belgique,  la  Pannonie,la  Bretagne,  la  Thébaïde,  etc.  Rapidi 
avait  aussi  ses  centenaires  : 

SATVRA  VIXIT  A. 

c.  A.  p.  M.  {aut plus  minus)  '. 

D'Alger  à  Djelfa.  Direction  S.  —  MEDÉA,  par  Blida,  90  kil.  d'Al- 
ger, pour  laquelle  on  a  proposé  le  nom  de  Mediae  ou  Ad  Médias,  et 
celui  de  Midiee  Co/o?«2<:ë,  d'après  le  texte  d'une  inscription  apocryphe, 
a  été  bâtie  sur  l'emplacement  d'un  établissement  romain  et  aux  dé- 
pens des  matériaux  de  cet  établissement;  c'est  un  fait  dont  il  est 
facile  de  se  convaincre  en  examinant  les  maisons.  La  partie  infé- 
rieure de  I'aqueduc  offre  aussi  des  traces  de  travail  antique,  et,  en 
le  réparant,  depuis  la  conquête,  on  a  trouvé  des  médailles  romaines 
dans  les   assises  inférieures.   Mais   ce   qui  est  incontestablement 

'  Sour-Djouab,  par  A.  Berbrugger,  Revue  Africaine,  vol.  185. 


292  LES   MONUMENTS   HISTORIQUES 

romain,  c'est  le  rempart  à  l'angle  N.-E.  de  la  ville  et  les  substructions 
trouvées  dans  les  fouilles  nécessitées  pour  la  constructioa  de  l'hô- 
pital. 

Mouzaïa-les-Mines,  à  10  kil.  N.-E.  de  Medéa,  est  le  Velisci  des 
Romains. 

Reprenant  la  route  de  Djelfa,  on  rencontre  à  32  kil.  de  Medéa,  le 
village  de  BEROUAGUIA,  près  duquel  sont  les  ruines  importantes 
de  Tanaramusa  Castra,  qui  jalonnait  la  route  de  Kalama  de  mauri- 
tanie,  Nedroma,  à  Rusuccurus,  Dellîs.  Les  points  connus  de  cette 
route  ou  du  moins  ceux  que  l'on  peut  proposer  sans  trop  de  pré- 
somption, sont  de  Tanaramusa  à  Kalama  : 

Oppidum  Novum,  Duperré, 

Castelliim  Tmgitii,  Orléans  ville, 

Albulœ,  Sidi  Ali-ben-Ioub, 

Rubrœ  (?) 

Pomaria,  Tlemcen. 

Syr,  Lella-Mar'nia, 
et  de  Tanaramusa  à  Rusuccurus  : 

Rapidi,  Sour-Djouab, 

Auzia,K\nRdXe, 

Castellum  Auziense,  Aïoun-Bessem, 

Tahlata,  Tablât, 

Vasara  ?  Bordj-Menaïel. 
Au-delà  de  Boukbrari,  67  kil.  de  Medéa,  en-dehors  de  la  route, 
au  S.-E.,  SANEG  présente  les  ruines  du  municipe  à'Usinaza  .•l'ins- 
cription encastrée  dans  un  mur  de  l'hôtel  du  commandant  supérieur 
de  Bor'ar,  nous  apprend  que  ce  municipe  a  été  constitué  par  les  em- 
pereurs Septime-Sevère,  Marc-Aurèle  et  Julia,  femme  de  Septime- 
Sevère  : 


M.   VS1NAZENSE3I. 


La  forme  de  I'enceinte  d'Usinaza  est  celle  d'un  rectangle  irrégu- 
lier de  300  met.  de  longueur  sur  200  de  largeur  ;  elle  était  formée 
d'un  mur  do  2  met.  d'épaisseur.  On  y  a  trouvé  taillées  en  grand 
nombre,  des  colonnes,  des  auges,  des  rainures  de  porte,  des  mou- 
lins à  bras  et  des  fragments  de  poterie. 

A  DJELFA,  240  kil.  de  Medéa,  330  kil.  d'Alger,  M.  le  docteur 


DE   L'ALGÉRIE  293 

Reboul  a  signalé,  un  des  premiers,  des  ruines  romaines  rares  et  peu 
importantes,  mais  pleines  d'intérêt  parce  qu'elles  indiquent  d'une 
manière  certaine  le  point  où  la  puissance  romaine  s'est  arrêtée, dans 
cette  partie  sud  de  la  Mauritanie  Césarienne. 

D'Alger  à  Ork'ansville  par  le  chemin  de  ferd'Oran;  direction 
0.  S.  —  Blida.  ol  kil.,  ne  remonte  pas  aux  époques  de  la  domi- 
nation romaine  ;  rien  ne  le  fait  supposer,  et  Shaw  lui  donne  à  tort 
le  nom  de  Bida  Colonia. 

C'est  à  la  station  de  Bou-Medfa,  90  kil.,  que  Ion  prend  le 
chemin  d'IIAMMAM-RIIl'A,  les  Aquae  calidx  des  Romains,  situé  à 
3  kil.  N,  Sur  le  plateau  S.-E.  d'une  colline,  haute  de  600  m.  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer,  s'élevait  une  ville  à  laquelle  des  eaux 
chaudes  sourdant  près  de  là,  avaient  donné  leur  nom.  Des  restes 
de  murailles^  d'énormes  blocs  de  pierres  taillées,  des  débris  de 
colonnes,  les  ruines  d'un  temple  et  de  thermes,  des  pierres  tumu- 
laires,  des  inscriptions,  attestent  encore  aujourd'hui  la  prospérité 
et  la  puissance  de  cette  ville  dont  la  fondation  paraît  remonter  à 
32  ans  après  J.-C,  sous  le  règne  de  Tibère. 

AFFREYILLE,  120  kil.,  où  l'on  a  découvert  des  sculptures,  des 
inscriptions  et  des  médailles,  a  été  fondée  sur  l'emplacement  de 
Ziiccabar  ou  Colonia  Augiista. 

A  8  kil.  N.  d'Affreville  et  du  chemin  de  fer,  les  ruines  romaines 
disséminées  sur  tous  les  points  de  MILIANA,  constatent  jusqu'à 
présent  l'identité  de  la  ville  arabe  avec  la  Malliana  ancienne. 

D'Affreville  à  Teniet-el-Hdd au  S.,  62  kil.  de  Teniet-el-Hàd  remon- 
tant vers  l'E.,  on  visitera  à  Taza  les  ruines  d'un  poste  romain,  et, 
plus  loin  dans  la  plaine  de  Derrague,  chez  les  Oaled-Hellal,  un  autre 
poste  qui  fermait  la  voie  reliant  Sufasar,  Amoura,  (au  Sud  de 
Djelfa)  à  la  frontière  du  Sahara. 

On  reprend  le  chemin  de  fer  à  Affreville  pour  arriver  un  peu  plus 
loin  que  Lavarande,  12i  kil.,  près  du  pont  dUmar  pacha,  à  gauche 
duquel  est  l'emplacement  de  Tigava  Castra. 

Nous  sommes  dans  la  plaine  du  Chelif,  au  pied  de  VOuarensenis, 

où  le  chemin  de  fer  côtoie  tantôt  le  fleuve,  tantôt  la  voie  de  terre, 

près    desquels   les   Romains,    qui   comprenaient  leur   importance 

stratégique,  avaient  élevé  des  villes  et  de  nombreux  postes. 

A  une  faible  distance  de  Duperré,  145  kil.,  sur  une  colline  connue 


294  LES   MONUMENTS   HISTORIQUES 

SOUS  le  nom  d'EL-KADRx\,  la  verte,  sont  dispersées  les  ruines 
à! Oppidum  Novum  qui  occupent  une  grande  étendue.  On  voit  les 
débris  de  I'aqueduc  qui  amenait  à  la  colonie  romaine  les  eaux 
d'Aïn-el-Kadra  ;  un  reste  de  pont  sur  le  Clielif,  des  débris  de  quais 
et  de  GRADINS  en  pierre  de  taille  qui  retiennent  les  terres  de  la  colline 
par  étages  successifs,  un  cimetière  à  l'E.  où  les  tombes  ont  la  forme 
de  coffres  en  pierre,  une  vaste  citerne  qui  recevait  les  eaux  du 
djebel-Doui,  au  N.  E.,  attirent  l'attention.  Une  inscription  déter- 
minant d'une  manière  précise,  le  nom  d'Oppidum-Novum  a  été 
retrouvée  sur  l'emplacement  même  des  ruines. 

G.  VLPIO 

AERE 

CONLATO 
OPPIDO    N°. 

Fondée  par  Tempereur  Claude,  Oppidum  Novum  fut  peuplée  avec 
des  vétérans  '. 

A  l'endroit  dit  Zedin,  près  de  YOued-Rouma,  160  kil.  d'Alger, 
ruines  d'une  ville  romaine  dont  le  nom  n'a  pas  encore  été  retrouvé. 

Des  Attaf,  172  kil.,  on  peut  aller  visiter  les  ruines  du  djehel- 
Tmoidga,  à  gauche,  et  celles  de  Voiied-Taria  à  droite  ;  ces  dernières 
sont  celles  de  Tigauda  Municipiiim. 

ORLÉANSYILLE,  fondée  à  Ei-Esîiam,  les  idoles,  sur  l'emplace- 
ment de  CastcUwn  Tingitii  couvrant  de  ses  ruines  un  emplacement 
de  600  met.  sur  300  mot.  sur  la  rive  gauche  du  Chelif.  La  décou- 
verte la  plus  importante  faite  à  Orléansville  est  celle  de  la  BASI- 
LIQUE de  saint  Reparatus,  dont  le  plancher  forme  une  mosaïque 
de  23  met.  sur  15.  Celte  mosaïque  rouge,  blanc  et  noir,  grossière- 
ment exécutée,  est  ornée  de  plusieurs  inscriptions  dont  deux 
forment  des  espèces  d'abracadabra  sur  les  mots  Sancta  Eclesia  [sic) 
et  Saturninus  Sacerdos.  Pour  l'inscription  de  Sancta  Eclesia,  sur  un 
carré  couvert  de  lettres,  sa  lettre  S  occupe  l'intersection  des  deux 
diagonales  ou  le  centre  de  la  septième  ligne;  partant  de  \h.,  on  lit 
dans  tous  les  sens  les  mots  Sancta  Eclesia  : 

•  Oppidum  Novum,  par  le  lieutenant  Guiter,  Revue  Africaine,  année  1860. 


DE   L  ALGERIE 

A 

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A 

295 


Sur  les  ruines  d'une  deuxième  église  on  a  élevé  l'hôpital.  Dans  le 
lit  souvent  à  sec  du  Tiraout  (enfantement  en  Kabile),  à  -4  kil.  d'Or- 
léansville,  coule  une  source  dont  un  canal  en  maçonnerie  amenait 
les  eaux  à  la  cité  romaine.  Cette  construction  hydraulique  a  été 
réparée  et  utilisée  dès  1843. 

Le  littoral  de  la  Province  d'Alger,  de  l'E.  à  TO.,  du  cap  Corbelin 
au  cap  Khramis. 

Sur  le  flanc  du  cap  Corbelin  est  assis  le  village  de  Zeffoun  au 
milieu  des  ruines  du  port  de  Rusazus  où  de  nombreuses  inscriptions 
ont  été  découvertes. 

Entre  le  cap  Tedlès  et  Dellis,  ruines  de  Tagzirt,  J omnium  ? 

DELLIS  (v.  p.  289).  Après  le  cap  Matifou,  RUSGUNIA  (v.  p.  288). 
ALGER  (v.  p.  286).  D'Alger  à  Ras-Kuater  (v.  p.  288).  Sidi  Ferruch 
(v.  p.  288). 

Au-delà  du  Mazafran,  à  10.  du  Sahel,  Bou-Ismaïl,  petit  village 
où  l'on  a  trouvé  des  tombes,  des  médailles,  une  amphore  servant 
d'ossuaire  et  une  inscription  chrétienne  remontant  au  IIP  siècle, 
mais  rien  qui  pût  indiquer  le  nom  de  la  station  romaine.  Entre  Bou- 
Ismaïl  et  Koléa,  sur  la  colline,  Foiika,  ancien  centre  de  population 
romaine  qu'Antonin  désigne  sous  le  nom  de  Casœ  Calvetiti;  comme 
à  Bou-Ismaïl,  aucune  épigraphe  importante. 

Au-dessus  de  Bérard,  KBOUR-ER-ROLMIA  '. 

'  V.  t.  "iXl,  p.  330. 


296  LES   MONUMENTS   HISTORIQUES 

Al'E.  du  djebel-Clienoua,  près  de  roued-Nador,  TIPx\SA'. 

A  rO.  de  cette  même  montagne  se  trouve  l'embouchure  de 
roued-el-Hachem  qui  donne  son  nom  à  la  vallée  que  traverse  un 
AQUEDUC  romain  ^ 

CHERCHEL^  colonie  phénicienne  de  Jol  \  plus  tard,  Juba  II 
l'agrandit,  l'embellit  et  en  fait,  sous  le  nom  de  Cxsarea,  la  capitale 
de  la  Mauritanie  césarienne.  Ptolémée,  fils  de  Juba  II,  étant  mort 
assassiné,  son  royaume  est  réuni  à  l'empire  romain.  Ruinée  par 
Firmus,  relevée  par  Théodose,  ruinée  de  nouveau  par  les  Vandales, 
Caesarea  reprend  quelque  splendeur  sous  les  Ryzantins. 

Cherchel,  à  H 5  kil.  0.  d'Alger,  par  Blida,  située  au  pied  d'une 
colline,  sur  le  bord  do  la  mer,  est  loin  de  comprendre  l'emplacement 
total  de  Caesarea  qui  avait  près  de  2000  mètres  de  diamètre,  tandis 
que  la  ville  arabe  n'en  a  guère  que  700. 

Yoici  rénumération  des  emplacements  et  des  ruines  des  monu- 
ments de  Caesarea  dont  l'enceinte^  souvent  occupée  aujourd'hui  par 
des  jardins  et  des  terres  en  culture,  enveloppait  une  superficie  de 
369  hect.  :  le  palais  des  rois,  coupé  par  une  rue,  montre  une 
muraille  et  des  corniches  d'une  grande  proportion  ;  le  théâtre,  au 
centre  de  la  ville  (on  s'en  est  servi  comme  d'une  carrière)  ;  les 
CITERNES,  dont  la  principale  contenant  près  de  2  millions  de  litres 
d'eau,  supporte  une  partie  de  la  caserne,  ont  été  réparées  et  four- 
nissent à  Cherchel,  comme  elles  fournissaient  à  Caesarea,  son 
approvisionnement  d'eau.  A  l'E.  les  ruines  d'un  cirque  ;  à  l'O.  les 
thermes  où  l'on  a  retrouvé  les  statues  de  Neptune,  de  Vénus,  d'un 
hermaphrodite,  d'un  faune,  des  tètes  et  des  bustes  qui  ornent 
aujourd'hui  le  Musée  d'Alger;  dans  la  mosquée  servant  d'hôpital 
militaire,  la  toiture  est  soutenue  par  des  colonnes  antiques  en 
granit  vert,  débris  d'un  temple  romain  ;  en  avant  du  port,  on  suit 
les  traces  de  gigantesques  constructions,  de  bassins,  de  mosaïques; 
dans  le  port  même,  quand  on  le  curait,  on  a  retrouvé  au  milieu  de 
débris  confus,  une  statue  phénicienne,  une  barque  romaine  longue 
de  11  met.,  large  de  4  met.  50  ceiitim.,  chargée  de  poteries;  au- 
dehors,  sur  la  route  de  Cherchel  à  Zurich,  à  1500  met.,  un  colom- 
BARiuM  appartenant  à  des  afiranchis  de  Juba  ;  plus  haut,  des  restes 

'-    V.  t.  XXI,  p.  330. 


DE    L'ALGÉRIE  297 

d' AQUEDUC  et  I'amphithéatre  ;  enfin  le  musée,  malheureusement  en 
plein  air,  renfermant  des  statues  et  débris  de  statues,  des  inscrip- 
tions dont  jusqu'à  présent  aucune  ne  donne  le  nom  de  Csesarea,  des 
fragments  de  monuments  et  des  poteries.  Un  riche  médailler,  très 
bien  classé  par  M.  Lhotellerie,  complète  le  Musée. 

NOYI,  à  7.  kil.  0.  de  Cherchel  ;  on  y  a  trouvé  des  poteries,  des 
médailles,  des  tombeaux,  des  fûts  de  colonnes;  sur  une  borne  mil- 
liaire,  placée  à  2  kil.  0.,  transportée  depuis  au  Musée  d'Alger,  on 
lit  : 

IMP.    CAES.   M.  AV 

RELIO 

CAESAREA 

M.    P.    VI. 

A  26  kil.  de  Cherchel,  en  face  d'un  îlot  connu  sous  le  nom  de 
Dzirt-el-Acheuk,  l'îlot  des  amants,  s'avance  une  presqu'île  que  cou- 
vrent les  ruines  de  la  ville  arabe  de  Brekche  qui  avait  succédé  à  Gu- 
nugus,  colonie  d'Auguste.  Ptolémée  l'appelle  Kanoukkis,  mais  sa 
véritable  orthographe  est  fixée  par  l'inscription  suivante  où  l'on 
trouve  Tethnique  Gunugitanus  joint  à  un  nom  propre  : 

D 

CAECILIAE  IVLIANAE  MAXDII 
FILIAE  GVNVGITANAE  VIXIT  AXNIS 
XV  MENSIBVS  un  H.S.E . 

A  8  milles  plus  loin,  soit  près  de  15  kil.,  près  de  l'embouchure 
de  l'oued-Dahmous,  ruines  de  Cartili? 

TENÈS,  après  le  cap  du  même  nom,  à  26i  kil.  d'Alger  par  Or- 
léansville.  Yille  phénicienne  d'abord, Tenès  devint  ensuite  Cartenna 
des  Romains,  ou  peut-être  une  des  Cartennœ  dont  le  Vieux-Tenès, 
à  1  kil.  S.-E.  de  là,  serait  la  seconde.  Des  remparts  encore  debout, 
des  mosaïques,  des  fûts  de  colonnes,  des  traces  d'un  monument 
considérable,  au  centre  même  de  Tenès,  des  citernes,  des  tombeaux 
à  rO.,  des  inscriptions  et  des  médailles,  tout  indique  suffisamment 
remplacement  d'uneville  romaine. Yoici  une  épigraphe  très  impor- 
tante, découverte  à  Tenès  même  ;  elle  établit  que  là  était  l'an- 
cienne Cartenna  colonia,  et  que  les  Baqiiates  occupaient  l'intérieur 
de  la  province  : 


298  LES   MONUMENTS    HISTORIQUES 

C,  FVLCINIO 

QVI 

INRVP E  BAQVA 

TIVM  CO..NIAM  TVI 
TVS  EST  ...TIMONIO 
DECRETI.  ORDINIS  ET 
POPVLI  .ARTENXITAM.... 

L'histoire  de  Cartenna  est  peu  connue  ;  Pline  nous  apprend  qu'elle 
était  le  chef-lieu  de  la  2"  légion. 

Sur  la  route  de  Tenès  à  Orléansville,  à  22  kil,,  est  un  ancien 
castrum  faisant  partie  de  ceux  qui  jalonnaient  la  voie  romaine  de 
Cartenna  à  Castellum  Tingitii. 

Entre  Tenès  et  l'île  Colombi,  à  l'embouchure  rlp  l'oued  Tar'zout, 
sont  les  ruines  de  Hierrum  Arsenaria. 

Les  motmments  arabes  de  la  province  d'Alg^t.  Les  deux  maisons 
mauresques  d'Alger,  Dar-bent-es-Soltan,  ar("^ievèché,  et  Dar-es-Souf, 
cour  d'assises',  classées  comme  monuments  historiques,  ne  sont 
pas  les  seules  que  possède  Alger  :  Dar-Haçen-pacha,  palais  du  gou- 
verneur, auquel  on  a  plaqué  une  façade,  en  face  de  l'archevêché  ; 
Dar-Ahmed-pacha,  rue  Bruce  ;  Dar-Moustafa-pacha,  Musée  et  biblio- 
thèque :  la  3IAIS0X  occupée  par  le  service  du  génie,  rue  Philippe  et 
la  MAISON  du  premier  président  de  la  Cour  d'Alger,  rue  Soggémah, 
ne  le  cèdent  en  rien  aux  deux  premières,  mais  encore  une  fois, 
ce  n'est  pas  dans  ces  monuments  privés  étudiés  récemment  par 
M.  Yourabourg,  qu'il  faudra  chercher  l'architecture  arabe. 

La  grande  mosquée,  rue  ^le  la  Marine,  couvrant  une  superficie  de 
2,000  m.  carrés,  n'offre  pM,  comme  les  mosquées  de  Tlemcen,  cette 
profusion  d'ornements  sculptés  et  peints  et  ces  portails  faïences  si 
éblouissants  au  soleil  ;  ses  nombreuses  travées  sont  séparées  par 
des  arcades  dentelées  retombant  sur  des  piliers  carrés  et  supportant 
des  toits  à  angles  obtus  dont  les  poutrelles  étaient  jadis  sculptées  et 
peintes.  La  mosquée  prend  jour  par  des  portes  ouvrant  du  côté  de 
la  mer  sur  une  galerie  crénelée,  masquée  aujourd'hui  par  le  boule- 
vard  de  la  République,  et  par  les  arcades   ouvertes  sur  la   cour 

'  V.  t.  XXI,  p.  334. 


DE   L'ALGÉRIE  299 

contre  un  côté  de  laquelle  est  adossée  la  fontaine  aux  ablutions. 
Une  inscription  arabe,  placée  extérieurement  près  du  minaret,  cons- 
tate que  ce  minaret  a  été  élevé  par  Abou-Tachfm,  sultan  de  Tlemcen 
de  722  à  723  de  THég.  1322  à  1323  de  J.-C.  ;  la  fondation  de  la  mos- 
quée remonte  à  la  moitié  du  X«  siècle,  460  de  l'Hég.  Ce  monument, 
d'une  grande  simplicité,  produit  cependant  beaucoup  d'effet,  et 
semble  encore  plus  grand  par  une  certaine  obscurité  qui  y  règne. 

Blida,  Medéa,  Miliana,  Dellis  ne  possèdent  pas  de  monuments 
arabes  remarquables.  La  principale  mosquée  de  Cherchel,  convertie 
en  hôpital  militaire,  est  assez  intéressante  à  visiter  :  ses  arcades 
retombent,  comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  sur  des  colonnes 
provenant  d'un  ancien  temple  romain. 

PROVINCE  D'ORAN 

Monuments  romains. 

Oran,  en  arabe  Ouaran,  la  coupure,  à  cause  de  l'oued-Rehhi, 
aujourd'hui  comblé,  qui  séparait  naguère  la  ville  espagnole  de  la 
ville  arabe.  Des  médailles  de  difTérentcs  époques  de  la  domination 
romaine  ont  été  trouvées  à  Oran;  faut-il  en  inférer  q.ie  cette  ville 
soit  bâtie  sur  les  ruines  d'un  établissement  romain  ?  Quelque  ingé- 
nieux que  puisse  être  le  système  d'investigations  dont  le  résultat 
serait  de  démontrer  qu'Oran  est  le  Qiiiza  municipium  d'Antonin 
ou  la  Quiza  Xenitana  de  Piine,  on  ne  saurait  jusqu'à  preuve  plus 
concluante  adopter  ce  système.  D'ailleurs,  Antonin,  dans  son 
itinéraire  de  la  province  d'Afrique,  place  Quiza  entre  Portus  Magniis, 
Arzeu,  et  Arsenaria,  Hierr'um, 

Les  Environs  d'Oran.  Mers-el-Kebir,  en  arabe  le  grand  port,  à 
8  kil.  0.,  le  Portus  Divinus  dont  il  n'a  conservé  aucune  trace.  — 
Missergidn,  entre  Oran  et  le  lac  salé  ;  des  médailles,  moyens  et 
grands  bronzes  du  Bas-Empire,  trouvées  dans  ce  village,  peuvent  y 
faire  supposer  l'existence  d'un  établissement  romain  qui  ne  serait 
pas,' d'après  M.  L.  Fey,  la  Gilva^  que  M.  Mac-Carthy  place  de  l'autre 
côté  du  lac,  àArbal.  ^ 

*  Histoire  d'Oran,  par  Léon  Fey,  in-S".  Oran,  Perrier,  1859. 

-  Algcria  Romana,  par  0.  Mac-Carthy.  Revue  Africaine,  année  1856. 


300  LES   MONUMENTS   HISTORIQUES 

D'Oran  à  Mostaganem  ;  direction  E.-N.  ARZEU,  à  37  kil.,  a  été 
bâti  sur  une  partie  de  l'emplacement  de  Portus  Magnus  dont  le 
développement  devait  comprendre  l'ensemble  du  littoral  depuis  la 
Makla  à  l'E.  jusqu'à  la  pointe  d'Arzeu  à  l'O.  Au  VIEIL  ARZEU, 
Botïoua,  les  ruines  de  Portus  Magnus  couvrent  les  deux  versants 
d'un  coteau  aboutissant  d'un  côté  à  la  plaine,  de  l'autre  à  la  mer. 
Ces  ruines  sont  occupées,  une  grande  partie  de  l'année,  par  une 
fraction  des  Bamian,  demi-nomades. 

La  partie  supérieure  et  moyenne  du  coteau  est  couverte  de 
CITERNES  de  forme  cubique  en  général,,  solidement  maçonnées  en 
briques  et  ciment  romain.  La  partie  inférieure  du  coteau  est 
soutenue  par  des  terrasses  considérables  encore  debout.  Vers  le 
centre  on  trouve  une  excavation  dont  l'entrée  a  été  modifiée  par 
trois  arches  élevées  en  maçonnerie  ;  vis-à-vis  sont  les  vestiges  d'une 
construction  analogue,  qui  devait  avoir  pour  but  l'établissement 
d'une  galerie  couverte  et  se  relier  peut-être  à  un  édifice  important 
qui  a  disparu.  Au  pied  du  coteau^  à  droite,  on  voit  encore  des  assises 
solides  qui  devaient  être  celles  de  thermes  alimentés  par  deux 
sources  qui  jaillissent  encore  du  pied  même  de  ces  assises.  A  un 
sentier  qui  monte  des  sources  au  sommet  du  coteau  aboutissent  des 
restes  d'AQUEDuc.  Du  côté  opposé  à  la  route  d'Oran  à  Mostaganem,  se 
trouvent  les  ruines  intéressantes  d'une  maison  romaine;  elles  couvrent 
un  carré  de  20  met.  de  côté  ;  les  terrasses,  les  toitures,  les  murs 
même  jusqu'à  hauteur  d'appui  ont  disparu;  mais  le  rez-de-chaussée 
avec  ses  murs  de  refend,  qui  divisent  les  passages  et  les  diverses 
salles,  est  resté  intact  avec  ses  mosaïques  variées  et  brillantes.  On 
y  retrouve  la  distribution  complète  d'une  maison  de  luxe  '. 

De  nouvelles  fouilles  faites  en  1863  ont  amené  la  découverte  de 
ces  magnifiques  mosaïques,  parfaitement  intactes,  relevées  et  des- 
sinées par  M.  Viala  de  Sorbier  et  qui  seront  publiées  prochainement 
dans  le  deuxième  volume  des  Annales  de  la  Société  centrale  des 
Architectes  ^ 

Dans  un  travail  sur  l'épigraphie  de  Botïoua,  M.  Berbrugger  a 
signalé  l'inscription  suivante  : 

'  Botïoua,  par  le  colonel  de  Monlfort.  Revue  Africaine,  année  1860. 
-  Grand  in-8"  avec  planches.  Paris,  Ducher  et  G". 


DE   L'ALGÉRIE  3(H 

SEX  CORNELIO 
SEXFIL  QVIR  HO 

NORATO  PORT 
MILIT  EQVESTRIB 
EXORNATO 

MOSTAGANEM,  86  kil.  d'Oran.  Sous  le  règne  de  l'empereur 
Gallien,  l'Afrique  septentrionale  fut  désolée  par  d'effroyables  trem- 
blements de  terre.  Sans  doute  alors  une  partie  du  rivage  et  avec 
elle  le  port  romain  de  Mitriistaga,  Mostaganem,  furent  engloutis 
par  la  Méditerranée. 

D'Oran  à  Tiharet  ;  direction  S.-E.  Maskara,  96  kil.,  est-elle  cons- 
truite sur  les  ruines  d'une  cité  romaine  ?  On  n'a  pas  de  données 
certaines  à  ce  sujet,  et  Shaw  se  trompe  en  disant  que  Maskara  est 
Victoria  que  M.  Mac-Carthy  place  à  l'O.  à  Ain  Zertita,  dans  le  djebel- 
Tessala. 

A  20  kil.  S.-O.,  dans  la  vallée  de  l'Habra,  est  situé  Bammam-hen- 
Hanefia  dont  les  eaux  minérales  étaient  connues  des  Romains  ;  des 
inscriptions  ont  été  recueillies  en  cet  endroit  par  le  docteur  Leclerc. 
—  A  30  kil.  S.,  ruines  à  Benian,  celles  d'un  poste  ? 

Tiharet,  109  kil.  de  Maskara,  Tingartia  des  Romains  ? 

De  Tiharet  à  Frenda,  direction  S.-O.  C'est  entre  ces  deux  points 
que  le  colonel  Rernard  a  signalé,  le  premier,  trois  édifices,  prismes 
quadran  gui  aires,  dont  le  plus  grand  porte  34  met.  SO  sur  chaque 
côté  ;  les  indigènes  les  appellent  djedar  ;  [ils  sont  construits  avec  de 
grandes  et  belles  pierres  calcaires  très  bien  travaillées.  M.  Bordier, 
officier  aux  tirailleurs  indigènes,  qui  est  descendu,  en  rampant 
d'abord,  dans  le  plus  grand  de  ces  monuments^  s'engageant  dans 
une  galerie  de  45  met.  50^  a  pu  s'assurer  que  cette  galerie  donnait 
naissance  à  cinq  autres  galeries  aboutissant  à  autant  de  salles  ou 
hypogées. 

UOran  à  Sidi-bel-Abbès,  direction  S.  82  kil.  Aïn-Zertita,  16  kil. 
N.-O.,  un  des  points  culminants  du  djebel-Tessala,  est  couvert  de 
ruines,  celles  de  Victoria;  (voir  plus  haut). 

SIDI  ALI-BEN-IOUB,  24  kil.  N.-O.  Des  ruines  romaines  assez  con- 
sidérables, attestent  qu'un  poste  important  existait  sur  ce  point.  Les 
travaux  de  MM.  Berbrugger,  Mac-Carthy  et  Davenet  ont  désormais 


302  LES   MONUMENTS   HISTORIQUES 

fixé  le  nom  ancien  de  Sidi  Ali-ben-Ioub  :  Alhulœ  ou  Ad  Albidas 
faisant  partie  des  établissements  échelonnés  sur  la  voie  centrale  des 
Romains,  depuis  Carthage  jusqu'à  la  frontière  orientale  de  la  Tin- 
gilane.  Albulœ,  comme  Rapidi  (Sour-Djouab),  comme  Riibrse 
(Hadjar-Roum),  était  gardée  par  des  corps  auxiliaires  : 

IMP.  CAESAR 
L.  SEPTIMIO 
SEVERO  PIO 


EQ.  ALAE  IIII 

PAR  [thico]  E 

ANTONINE 


Une  seconde  inscription  mentionne  un  xiureliusDonatus,  cavalier 
des  Osdroènes.  Les  Osdroènes  ou  Osrhoènes  étaient  voisins  des 
Parthes. 

Les  ruines  d'Albulse  consistent  principalement  en  une  enceinte, rec- 
tangle de  170  met.  sur  180,  orienté  du  N.-N.-E.  au  S.-S.-O.;  des  lam- 
pes funéraires  chrétiennes,  des  médailles,  des  poteries,  des  usten- 
siles en  bronze,  des  inscriptions  ont  été  trouvés  dans  cet  endroit. 

A  1  kil.  d'Ali-ben-Ioub  les  eaux  thermales  à' Bamman-Sidi-Ali- 
ben-Ioub  sourdentau  milieu  de  ruines  oia  Ton  a  trouvé  l'inscription 
ci-dessus,  dédicace  à  Septime-Sévère  par  les  cavaliers  de  la  IV  aile 
parthique  antonine. 

D'Ormi  à  Tlemcen,  direction  générale  S.-O.  A.  59  kil.  VOued-el- 
Melah  des  Arabes,  le  Rio-Salado  des  Espagnols,  le  Flwnen-Salsiim 
des  Romains  ;  ce  cours  d'eau  est,  en  effet,  saumâtre  ou  salé. 

AIN-TEMOUCHENT,  l'ancienne  Timici,  à  72  kil.  Les  ruines  ro- 
maines ont  été  signalées  à  différentes  époques  par  MM.  Berbrugger, 
l'abbé  Barges,  Duvernay  et  Léon  Fey.  L'enceinte,  assez  irrégulière 
de  Timici,  orientée  du  N.-O.  au  S.-E.,  comprend  une  partie  du 
marché  situé  en  dehors  d'Aïn-Temouchent  et  l'angle  N.-E.  de  cette 
dernière  \ 

TLEMCEN,  139  kil.  d'Oran  Le  berceau  do  Tlemcen  est  à  Agadir, 
élevée  elle-même  sur  les  ruines  de  Pomaria  qui,  avant  de  devenir 

*  Ain-Temouchent^  Revue  Africaine,  année  1859. 


DE   L'ALGÉRIE  303 

colonie  romaine,  devait  servir  de  résidence  à  quelques  chefs  indi- 
gènes desMarraoua,  les  Ma/^oufÉêtci  des  géographes  grecs, les  Macu- 
rebi  de  Pline  '.  Pomaria,  point  secondaire  sous  les  Romains,  était 
un  camp  comme  Lella  Mar'nia,  Nedroma  et  Ouchda  ;  elle  possédait 
au  IIP  S.  de  notre  ère,  sous  Gordianus-le-Jeune,  un  corps  de  cava- 
lerie. Les  deux  inscriptions  suivantes  donnent  les  noms  de  Pomaria, 
du  Dieu  qui  la  protégeait,  et  enfin  d'un  corps  de  cavalerie  et  du 
préfet  qui  commandait  ce  corps  : 

DEO  DEO  INVTCTO 

SANCTO  AVLISVAE 

AVLISVAE  

FL.  CASSI  

ANVS   PRAE  ALAE  EXPL  PO 

FEC.  ALAE  MAR  GORDIA 

EXPLORA  NAE  ET  PROC. 

TORVM  AVG  >f. 

POMARI 

ENSIVM 

A  30  kil.  E.,  HADJAR-ROUM,  les  pierres  romaines,  dans  la  vallée 
des  Oïdad-Mimouii,  a  été  signalée  depuis  longtemps  par  les  recon- 
naissances militaires.  Hadjar-Roum  a  été  également  exploré  et  dé- 
crit par  M.  Mac-Carthy.  L'emplacement  d'Hadjar-Roum  est  considé- 
rable ;  sa  partie  principale,  vaste  rectangle  orienté  N.  et  S.,  offre 
une  superficie  de  42  hect.  environ.  Les  inscriptions,  au  nombre  de 
quarante,  relevées  par  M.  Mac-Carthy,  sont  muettes  relativement 
au  nom  de  Rubrse  ou  Ad  Rubras  ;  l'une  de  ces  inscriptions  donne 
ces  mots  : 

AVRELIUS  IRO 

NIVS  EQES   [sic]  NE 

ARTORVM 

Qu'est-ce  que  ces  Nearti?  Un  corps  indigène  encore''?  Les  récentes 
explorations  faites  par  le   savant  M.  Cherbonneau  à  Hadjar-Roum, 

1  Tlemcen,  sa  topographie,  son  histoire,  par  M.  l'abbé  Barges,  in-S".  Paris, 
B.  Duprat,  1859. 
-  Algeria  Romana,  par  0.  Mac-Carthy.  Revue  Africaine,  1857. 


304  LES    MONUMENTS    UISTORIQUES 

lui  ont  permis  de  restituer  à  cette  localité  son  nom  de  Castellum- 
Severiamim.  On  avait  cru,  jusqu'alors,  qu'IIadjar-Roum  était  l'em- 
placement de  Rubrœ. 

De  Tlemcenà  Nemours,  direction  générale N.-O.LELLA-MAR'NIA, 
52  kil,  de  Tlemcen,  fut  d'abord  un  établissement  phénicien  auquel 
succéda  la  Siji'  des  Romains,  camp  de  400  met,  sur  250.  Un  grand 
nombre  d'inscriptions  tumulaires,  votives,  ou  de  bornes  milliaires, 
prouvent  l'existence  de  la  station  qui  dut  être  détruite  par  un  in- 
cendie, d'après  l'épaisse  couche  de  cendres,  de  charbons,  de  débris 
retrouvés  à  une  profondeur  à  peu  près  égale,  dans  tous  les  envi- 
rons. 

L'inscription  suivante  ne  laisse  aucun  doute  sur  l'identité  de  Syr 
avec  Lella-Mar'nia  : 

DIP  CAES. 

M.  AVREL. 

SEVERVS 


MILI 

ARIA  POSV 

PER.  P.  FL. 

CLEMEN 

PRO.  S. 

AN  SYR  POMAR 

M. P.  xxvmi 

SIG.  MP.  XXXVI. 


Siga,  dont  il  est  question  sur  la  dernière  ligne,  fut  la  première 
capitale  de  Syphax,  dont  Rachgoun,  Portus  Sigensis,  à  4  kil.  S., 
était  le  port. 

C'est  près  de  l'oued-Mouila  qu'il  faut  chercher  l'établissement  de 
Severianum,  appelé  ainsi  en  l'honneur  d'Alexandre  Sévère,  comme 
l'indique  l'inscription  de  la  borne  milliaire  suivante  : 


IMP    CAES 
M.  AVRELIVS 
SEVERVS  PIVS 


DE    L'ALGÉRIE  305 

AN  SEVERIA 

NVM 

SYR 

MP.   III. 

Nedroma,  à  72  kil.  de  Tlemcen,  Kalama  des  Romains? 

Nemours,  petit  port  de  mer,  Ad  Fratres. 

tfOran  à  Relizan,  chemin  de  fer;  S.-O.  au  N.-E.  Arbalh.  17  kil., 
au  pied  du  Tessala,  est  une  localité  pleine  des  ruines  de  Gilva 
Colonia.  —  Sur  les  pentes  occidentales  d'une  colline  dominant 
Relizan,  à  125  kil  d'Oran,  on  voit  encore  les  vestiges  d'un  établis- 
sement^ I>rès  desquels  ont  été  trouvés  des  sous  d'or  du  Bas-Empire. 
—  A  -4  kil.  S.  de  Relizan,  l'on  rencontre  les  ruines  d'une  ville 
romaine  que  l'on  croit  être  la  Mina  de  l'itinéraire  d'Antonin.  — 
Au-delà  de  l'oued-Riou,  une  route  traversant  le  Chelif,  au  gué  de 
Lekalial,  conduit  dans  le  centre  de  Dahra,  à  Mazoïma,  dont  le  nom 
romain  n^est  pas  encore  connu. 

Littoral  de  la  Province  d'Oran,  du  cap  Khramis  à  l'oued-Hadjerond 
qui  sépare  l'Algérie  du  Marok. 

MOSTAGANEM  (v.p.  301).  —  BOTIOUA  ou  Yieil-Arzeu,  à  7  kil.  0. 
de  la  Makta  (v.  p.  300).  —  CRAN  (v.  p.  299).  —  MERS-EL-KEBIR 
(v.  p.  299).  — 

Entre  le  cap  Falcon  et  le  cap  Lindlès,  la  ferme  des  Andalous, 
bâtie  sur  les  ruines  de  Castra  Puerorum  ? 

Entre  le  cap  Figalo  et  le  cap  Oulhasa,  à  l'embouchure  de  l'oued- 
R'aser,  ruines  de  Portas  Catnaratae.  Camarata  serait  située  à  4  kil. 
de  là,  sur  la  même  rivière  ? 

A  rO.  dii  cap  Oulhasa,  en  face  de  l'ile  de  Raschgoun  (archgoun), 
à  l'embouchure  de  la  Tafna  était  le  port  de  Siga,  Portas  Sigensis, 
complètement  disparu  ;  les  ruines  de  Siga,  la  première  capitale  de 
Syphax,  se  voient  à  4  kil.  de  là  en  remontant  la  Tafna,  à  l'endroit 
nommé  par  les  Arabes  Takebrît,  les  voûtes. 

Entre  la  Tafna  et  le  cap  Noé,  on  aperçoit  une  tour  sur  un 
mamelon  :  c'est  ce  qui  reste  de  His-Ouerdani  d'El-Bekri,  le  portus 
Cœcilii  des  Romains  ? 

C'est  au  Cap  Noé  qu'on  cherchera  le  Portas  G i/psaria  dePtolémée, 
ï Artisiga  d'Antonin.  Il  est  intéressant  de  lire  pour  réclalrcissement 

IP  série,  tome  XI.  20 


306  LKS    MONUMENTS   HISTORIQUES 

de   cette    partie    de  l'ancienne    géographie    algérienne,    YAlgeria 
Romana  de  M.  Mac-Carthy. 
Après  NEMOURS  (v.  p.  305),  Toued  Kouarda,  \q  Popletum  flumen. 

Monuments  arabes  de  la 'province  d' Oran. 

ORA.N,  MOSQUÉE  de  Sidi-el-Hàouri  '• 

MOSTx^GANEM  et  mieux  Mostar'anem  est  une  ancienne  ville  arabe 
qui,  avant  la  domination  turque,  fit  partie  du  royaume  des  Beni- 
Zeiyan,  sultans  de  Tlemcen.  On  attribue  à  Youçof-ben-Tachftn 
l'Almoravide,  la  fondation  de  bordj-el-mehal,  l'ancienne  citadelle 
convertie  en  prison  aujourd'hui.  Dans  le  quartier  de  Matmora,  on 
visitera  la  koubba  oii  a  été  inhumé  le  bey  Bou-Chelar'em  ;  c'est,  inté- 
rieurement, une  de  celles  dont  les  parois  sont  fouillées  avec  le  plus 
de  goût. 

TLEMCEN  ,  LA  GRANDE  MOSQUÉE  ;  LA  3I0SQUÉE  d'aBOU-l'-HACEN  ;  LA 
MOSQUÉE  DE  SIDI  EL  IIALOUI  ;  LA  KOUBBA  DE  SIDI  IBRAHIM  ;  LA  m'DERSA 
TACHFINIA  ^. 

Du  Mechouar,  il  ne  reste  extérieurement,  du  côté  de  la  ville,  que 
deux  longues  tours  en  pisé  qui  peuvent  donner  une  idée  des  cons- 
tructions militaires  au  temps  des  Arabes,,  ou  plutôt  des  Berbères  qui 
régnèrent  dans  Toucst  de  l'Afrique.  Intérieurement,  le  palais  a  dis- 
paru ;  on  ne  voit  plus  au  milieu  des  constructions  françaises  qu'une 
MOSQUÉE  fort  simple,  mais  curieuse  au  point  de  vue  historique  : 
l'Abd-el-Ouadite  Abou-IIammou  I"  la  fit  construire  en  717  de  l'Hég. 
(1317-18  de  J.-C),  pour  que  des  otages  auxquels  il  avait  assigné  le 
Mechouar  comme  demeure,  pussent  y  célébrer  la  prière  du  vendredi. 

LA  KissARiA,  aujourd'hui  quartier  de  cavalerie,  dont  il  ne  reste  que 
l'enceinte  carrée  et  crénelée  ;  elle  renfermait,  aux  beaux  temps  de 
Tlemcen,  la  petite  cité  européenne  où  les  Pisans,  les  dènois,  les 
Catalans  et  les  Provençaux  venaient  trafiquer,  sous  la  protection  de 
leurs  consuls  et  des  pavillons  chrétiens  qui  se  déployaient  fière- 
ment au  dessus  des  portes  ^ 

LE  SAHRIDJ  ou  bassiu,  vaste  construction  hydraulique,  situé  à  l'O. 

1  V.  t.  XXI,  p.  338. 

2  V.  t.  XXI,  p.  338  à  S'il. 

'  Les  in-cviplions  arabes  du  llemcen,  par  Ch.  Brosselard.  Revue  Africaine, 
ri"  11  à  27. 


DE    L  ALGÉRIE  307 

de  Tlemcen,  était  alimenté  par  les  eaux  de  Toued-Kissa  ;  long  de 
220  met.,  large  de  150  met.,  profond  de  3  met.,  il  est  entièrement 
recouvert  d'une  maçonnerie  en  béton  ayant  plus  d'un  mètre  d'épais- 
seur; des  contreforts  viennent  de  distance  en  distance  contribuer  à 
la  solidité  des  parois.  Cest  Abou-Tachfin,  sultan  de  Tlemcen  de  1318 
à  1337  de  J.-C.  (718  à  737  delTIég.),  qui  fit  construire  le  Sahridj, 
maintenant  à  sec,  ses  eaux  se  perdant  par  une  fuite  qui  n'a  pu  être 
trouvée? 

MANSOURA,  LE  minaret'. 

EL-EUBBAD  (Sidi  Bou-Medin).  la  koubba  et  la  mosquée  ^. 
LA  m'dersa  ou  collège  pour  les  hautes  études  est  contiguë  à  la  mos- 
quée, du  côté  de  l'O.  Elle  a  été  fondée  par  le  Merinide  Abou'l-Haçen 
en  747  de  l'Hég.  (13-47  de  J.-C).  La  M'dersa  qui,  avant  son  état  de 
dégradation,  ne  le  cédait  en  rien  à  la  mosquée,  se  compose  d'une 
cour  terminée  au  fond  par  la  salle  servant  à  la  fois  de  mosquée  et 
d'école  ;  sur  cette  cour,  à  droite  et  à  gauche  des  cloîtres,  s'ouvrent 
d'étroites  cellu'es  destinées  aux  lolbas,  étudiants  ;  les  murs  couverts 
de  riches  sculptures,  n'ont  pu  être  restaurés  ;  l'eau  qui  suinte  du 
rocher  contre  lequel  est  adossée  la  M'dersa,  en  est  malheureusement 
la  cause. 

Si  nous  nous  étions  renfermé  dans  les  strictes  limites  indiquées 
par  le  titre  de  notre  précédent  travail  :  Les  Monuments  historiques 
de  l'Algérie,  celui-ci  eût  été  de  beaucoup  abrégé.  Mais  il  nous  a 
paru  intéressant  d'indiquer,  avec  la  synonymie  des  noms  anciens  et 
modernes,  toutes  les  localités  où  Rome  a  laissé  des  traces  de  sa 
domination. 

Nous  n'avons  pas  eu  à  discuter  les  moyens  d'investigations  dont 
les  résultats  positifs  sont  acquis  à  la  géographie  comparée  ;  cette 
science  n'a  point  encore  dit  son  dernier  mot  sur  l'Algérie  ;  mais,  ne 
voulant  pas  d'«  peu  près,  nous  avons  dressé  notre  Routier  archéolo- 
gique avec  la  plus  grande  circonspection. 

Louis  PIES  SE, 

ilcrabrc  de  la  Société  liislorique  d'Alger. 
'-•^  V.  t.  XXI,  p.  341  à  345. 


COFFRET  INCRUSTÉ  ET  ÉMAILLÉ 

DU    MUSÉE    ARCHIÉPISCOPAL    D'UTRKCHT 


La  riche  vitrine,  consacrée  à  l'ancienne  orfèvrerie  liturgique  des 
Pays-Bas  dans  le  Musée  archiépiscopal  d'Utrecht,  renferme  un  petit 
coffret  qui,  en  1873,  captiva  singulièrement  mon  attention.  Je  le 
dessinai  avec  le  plus  grand  soin,  hien  que  son  importance  capitale 
m'eût  alors  échappé.  Ne  voyant  qu'un  simple  reliquaire  d'autel,  là 
011  il  y  a  certainement  une  custode  d'un  genre  très  particulier  au 
double  point  de  vue  de  la  technique  et  de  l'usage,  je  reléguai,  en 
attendant  meilleure  occasion,  mes  croquis  au  fond  d'un  portefeuille; 
ils  y  dormiraient  encore  si  un  hasard  providentiel  ne  les  avait  pas 
rendus  à  la  lumière.  Cette  découverte  me  causa  un  vif  plaisir,  elle 
fournissait  une  planche  inédite  aux  Origines  de  Vorfévrerie  cloison- 
née; mais,  en  révisant  mon  travail  pour  le  livrer  au  graveur,  et  en 
parcourant  mes  indications  manuscrites,  je  rencontrai  diverses 
lacunes  qu'un  second  voyage  à  Utrccht  pouvait  seul  combler  :  je 
n'hésitai  guère  à  me  mettre  en  route.  Bien  m'en  a  pris,  car  j'ai 
récolté  dans  mon  excursion  quelques  détails  qui  ne  manquent  pas 
d'intérêt. 

J'aurais  voulu  réserver  pour  un  futur  volume  de  mon  ouvrage 
la  primeur  d'un  objet,  dont  personne  que  je  sache  ne  semblait  avoir 
jusqu'ici  soupçonné  la  valeur  archéologique;  mes  amis  de  Hollande 
ont  désiré  qu'il  en  fût  autrement  :  patienter  un  an  ou  deux  les  con- 
trariait trop,  et,  comme  leurs  désirs  sont  des  ordres  pour  moi, 
j'olfre  dès  aujourd'hui  aux  lecteurs  de  la  Revue  de  larl  chrétien  les 
résultats  obtenus  par  mon  crayon  et  par  une  scrupuleuse  étude. 


REVUE  DE  L  ART   CHRETIEN 


OCTOBRE-DECEMBRE,  187? 


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ÙX'k  .  &)  .  6)t.iU0a'<AJ,,.  £Ct,XM^ 


MUSÉE  ARCHIÉPISCOPAL  D'UTRECHT 
COFFRET  INCRUSTÉ   ET  ÉMAILLÉ  . 
Lface.  2  Uos.o.Gôlé    4  Dessous.  5,  Flan  de  larèle  du   couvercle  (élal  acluel) 
O,  r\eslilulron  du  syslème  de   ôuspçnsion   7,  Inlerieur  avec  les   cloisons 


COFFUET   INCRUSTÉ   KT   ÉMAILLÉ  309 

Auge  rectangulaire,  munie  d'un  couvercle  pyramidal  dont  l'arête 
supérieure  est  plane,  notre  monument  a  l'aspect  d'un  sarcophage 
en  miniature.  Il  est  en  cuivre  jaune,  profondément  champlevé  sur  ses 
neuf  faces,  et  entièrement  doré,  mêmes  les  parties  creuses.  La  pièce 
mesure  en  hauteur  totale  0'"  031"  ;  en  longueur,  O^OôO'"  ;  en  largeur, 
0™  030".  (V.  la  planche.) 

Les  faces  antérieures  de  l'auge  et  du  couvercle  sont  orlées  -'un 
cordon  de  grenats  carrés  en  tables,  posés  sans  rabattu  dans  leurs 
alvéoles  (fig.  1).  Le  centre  de  l'auge  est  occupé  par  une  aigue-ma- 
rine  cabochon  entourée  d'une  gorge  curviligne  qu'épouse  une  jar- 
retière de  petits  grenats  discoïdes.  Deux  croix  pattées,  dont  les  bran- 
ches sont  également  en  grenats,  comprises  dans  une  double  acco- 
lade de  palmettes  ou  de  feuilles  de  vigne,  accostent  le  cabochon. 
Un  décor  analogue,  moins  les  croix  et  la  jarretière,  apparaît  sur  le 
couvercle. 

Les  faces  postérieures,  bordées  d'une  simple  gorge  (fig.  2),  sont 
quelque  peu  différentes  bien  qu'elles  ne  s'éloignent  pas  du  thème 
général  adopté  par  l'artiste.  En  haut,  on  voit  un  calice  d'où  s'échap- 
pent des  feuillages  et  des  régimes  de  fruits  ;  en  bas,  un  motif  de 
rinceaux  traité  avec  une  liberté  d'allures  qui  exclut  l'emploi  du 
poncif. 

La  gorge,  le  calice  elles  accolades  se  rencontrent  aussi  sur  les 
flancs  (fig.  3)  comme  sur  le  dessous  (fig.  4). 

Le  couvercle  s'adapte  à  l'auge  au  moyen  d'une  grosse  charnière 
saillante  et  striée,  dont  une  série  de  frottements  détruisit  à  moitié 
la  dorure  ;  il  se  fermait  et  s'ouvrait  par  la  pression:  on  disti(jgue  au 
dedans  les  restes  d'un  crochet  qui  pénétrait  une  boucle  horizontale 
rivée  à  la  paroi  de  l'auge  (fig.  7). 

L'intérieur  de  cette  auge  n'a  jamais  été  doré  ;  deux  minces  cloi- 
sons mobiles,  aujourd'hui  absentes,  glissant  dans  des  coulisses,  le 
divisaient  jadis  en  trois  compartiments  (fig.  7):  l'intérieur  du  cou- 
vercle est  également  demeuré  brut. 

L'ensemble  des  cavités  du  décor  est  fouillé  à  vive  arête;  sauf  les 
gorges  et  les  places  où  l'on  a  employé  le  grenat,  les  creux  étaient 
autrefois  remplis  d'un  émail  translucide  blanc  sale,  teinté  en  jaune 
par  l'excipient  métallique.  Cet  émail,  dont  il  demeure  néanmoins 
quelques  rarissimes  vestiges,  a  été  intentionnellement  gratté  vers 


310  COFFRET    INCRUSTÉ    ET    ÉMAILLÉ 

une  époque  déjà  ancienne;  selon  toute  vraisemblance  des  fragments 
en  étaient  alors  détachés  par  la  gerçure,  et  l'on  supprima  le  reste 
pour  donner  au  meuble  un  aspect  uniforme.  Cependant,  après  le 
grattage  de  l'émail  primitif,  un  essai  de  restauration  fut  tenté,  essai 
qui  n'alla  guère  plus  loin  que  le  fond,  où  je  l'ai  maintenu  sur  ma 
planche  (fig.  4)  ;  une  matière  rouge  opaque,  sorte  de  mastic  très 
dur,  vint  remplacer  le  silicate  translucide.  La  preuve  du  fait  avancé 
est  victorieusement  établie  par  quelques  alvéoles  de  la  bordure  des 
faces  antérieures  où  la  matière  rouge  opaque  fut  substituée  à  des 
grenats  perdus. 

Les  caractères  ornementaux  du  coffret  le  rangent  sans  doute 
parmi  les  dernières  épaves  du  cycle  mérovingien;  un  long  examen 
n'est  pas  indispensable  pour  en  acquérir  la  conviction.  A  la  vérité, 
des  grenats  en  tables  esquissent  l'échiquier  à  figures  émaillées  du 
célèbre  reliquaire  byzantin  de  Limbourg-sur-la-Lahn  '  ;  ils  pavent 
en  semblables  conditions  divers  bijoux  trouvés  en  Sibérie  ^  :  mais 
les  mêmes  pierres  décorent  également  les  armes  et  les  joyaux  des 
Franks  ou  des  Goths  ^  J'ai  peut-être  de  meilleurs  arguments  à  four- 
nir :  le  sarcophage  de  la  cathédrale  d'Auch,  attribué  à  saint  Léothade, 
évêque  de  cette  ville  vers  680,  offre  certaines  analogies  avec  le  cof- 
fret d'Utrecht  \  En  comparant  le  marbre  au  métal,  il  est  difficile  de 
méconnaître  un  lien  de  parenté  qui  les  réunit;  à  quelques  variantes 
près,  sommairement  explicables  par  la  différence  des  matériaux, 
des  dimensions  et  de  l'usage,  imposés  à  leurs  œuvres  respectiv^es, 
le  sculpteur  et  l'orfèvre  se  sont  inspirés  d'un  motif  qui  leur  est 
commun,  le  disque  à  gorge  accosté  de  feuillages.  On  rencontre 

'  E.  Aus'm  Weerth,  Das  Siegeskrevz  der  hpxanl.  Knixcr  Constanlimis  Vurphxjr., 

Pl.l- 

^  C.  de  Linas,  Les  orig.  de  Vorfév.  cloisonnée,  t.  II,  pi    G. 

^  Les  ornements  funèbres  de  Childéiic,  le  calice  de  Chelles,  le  fermoir  de 
bourse  d'Envermeu,  les  couronnes  de  Giiarrazar  et  une  foule  de  monument;» 
publiés  ou  encore  inédits. 

*  L'abbé  Cochet,  Le  tombeau  de  sainte  Honorine,  p.  '21,  tig.  L'auge  et  le  cou- 
vercle pyriimidal  du  sarcophage  d'Auch  rompoitent  des  palmettes,  des  tiges  de 
lierre  et  des  ceps  de  vigne  accot^tatit  un  cercle  où  l'on  voit  le  chrisme  entre  un 
A  et  un  Ci.  Les  motifs  sont,  à  la  vérité,  interrompus  par  des  pilastres  qui  n'exis- 
tent pas  sur  le  cofîiet  d'Utrecht,  mais  les  comi)ai timents,  ménagés  à  droite  et  à 
gauche  du  cercle  de  l'ange,  encadrent  luio  double  accolade  de  fouilles  de  vigne. 


DU    MUSÉE   ARCHIÉPISCOPAL    d'uTRÉCHT  lill 

assurément,  à  l'époque  de  Charlemagno,  des  bouc[uets,  des  ara- 
besques, des  médaillons  circulaires  à  effigies  '  ;  le  disque  à  sym- 
boles caractéristiques,  dans  les  conditions  où  nous  le  voyons  ici, 
n'est  signalé,  à  ma  connaissance,  sur  aucun  monument  de  style 
post-mérovingien.  Je  ne  crois  donc  pas  errer  beaucoup  en  fixant  la 
date  (le  notre  meuble  à  la  première  moitié  du  YIH"  siècle. 

Hormis  la  restitution  des  émaux  translucides,  d'un  cabochon  et 
de  plusieurs  grenats  tDmbés,  mes  figures  i,  2,  3,  4,  reproduis^^nt 
scrupuleusement  l'image  du  coffret  dans  son  état  actuel  ;  on  l'a  jugé 
maintenant  assez  pour  en  apprécier  l'immense  valeur.  Toutefois, 
hélas!  voici  que  le  domaine  de  la  réalité  m'échappe,  et  il  me  faut 
bon  gré  mal  gré  aborder  le  scabreux  terrain  des  hypothèses,  quitte 
à  les  étayer  de  raisons  trop  souvent  discutables. 

Le  lecteur  n'a  pas  oublié  que  le  dessous  offre  un  décor  identique 
à  celui  des  autres  faces.  On  exposait  donc  occasionnellement  l'objet, 
non  sur  un  gradin  qui  eût  caché  la  partie  en  question,  mais  de  ma- 
nière à  ce  que  tous  les  côtés  fussent  accessibles  aux  regards,  résultat 
c^ue  la  suspension  peut  seule  atteindre. 

Quelques  remarques  corroborent  mon  appréciation.  D'abord  l'arête 
supérieure  du  couvercle  montre  les  arrasements  de  deux  tiges 
cylindriques  coupées  à  niveau  (fig.  S)  ;  ces  tiges  maintenaient  évi- 
demment, soit  une  crête  à  base  continue,  analogue  aux  lions  de  métal 
ou  aux  fleurons  gemmés,  qui  couronnent  les  antiques  reliquaires 
de  l'église  Saint-Jean,  à  Herford  (^Yestphalie),  et  du  sang  de  saint 
Etienne,  à  la  Schatzkammer,  de  Vienne  -,  soit  une  anse  rigide 
dont  je  montrerai  ailleurs  un  exemple  à  Maëstricht.  Dans  le  premier 
cas,  le  plan  de  l'arête  n'aurait  pas  été  doré  du  tout,  ou  sa  dorure 
témoignerait  par  une  fraîcheur  relative  qu'elle  demeura  plus  long- 
temps que  le  reste  à  l'abri  des  injures  de  l'air.  N'ayant  rien  observé 
de  semblable,  je  me  crois  autorisé  à  en  conclure  que  les  rudiments 
signalés  proviennent  d'une  anse  rigide,  et  que  cet  appendice  était, 
suivant  de  grandes  probabilités,  amorti  par  un  anneau.  Ensuite 


'  Les  arts  sompl.,  pi.  5  (Évang.  de  Godescalo.)  ;  pi.  G,  7  (Évang.  de  Soissonsj. 
Le  Moyen-  I (je  et  la  Eeuaiss.  Min   des  mss.,  pi.  A  (Bibl.  de  Bruxelles,  n'>9428). 

^  Calaloij  ziir  Jusslellung  Westfaelischer  Allerlhumer  etc.  sa  Munster,  n»  1971  ; 
Juin  1879.  F.  Bock,  KirCs  desG>vsen  Pfahkipcl/e,  t.  I,  Anluing  I,  p.  158,  iig.  G'i. 


312  COFFULT  INCRUSTÉ  ET  ÉMAILLÉ 

rinspection  minutieuse  des  réserves  quadrangulaires,  ménagées  sur 
chaque  flanc,  m'a  révélé  une  mutilation  opérée  à  la  lim.e,  sans  nul 
égard  pour  la  symétrie,  bien  qu'elle  s'adressât  à  des  objets  paral- 
lèles. Aux  places  aujourd'hui  nues,  existaient  certainement  jadis 
deux  oreilles  mobiles  sur  charnières,  oreilles  munies  de  bourrelets 
qui  s'encastraient  au  besoin  dans  les  cavités  ovoïdes,  encore  intactes 
sur  la  face  latérale  reproduite  fig.  4.  Les  chasses  de  Saint-Maurice- 
en-Yalais  '  et  de  Hcrford  offrent  un  spécimen  de  ce  genre  de  poi- 
gnées. On  nouait  à  chaque  appendice  l'extrémité  d'une  courroie 
ou  d'un  cordonnet  qui,  passé  en  croix  dans  l'anneau,  déterminait 
une  boucle  au  moyen  de  laquelle  notre  coffret  pouvait  être  maintenu 
en  l'air,  dans  une  position  complètement  horizontale,  sans  incliner 
adroite  ni  à  gauche.  J'ai  tenté,  fig.  7,  de  formuler  une  restitution 
qui  me  paraît  au  moins  logique,  si  elle  n'est  pas  rigoureusement 
exacte. 

L'exiguïté  de  la  petite  cassette  d'Utrecht  interdit  toute  idée  de 
suspension  aux  poutres  d'une  église  ou  d'un  oratoire  ;  la  richesse  de 
son  décor  se  serait  alors  perdue  dans  l'espace.  Le  meuble  était  donc 
porté  au  cou,  appuyé  contre  la  poitrine  —  la  dorure  fatiguée  de  la 
charnière  en  témoigne  —  de  telle  sorte  que  les  fidèles  agenouillés 
pussent  apercevoir  les  croix  et  les  calices  figurés  sur  le  devant,  les 
côtés  et  le  dessous,  tandis  que,  en  baissant  un  peu  la  tète,  le  porteur 
distinguait  le  vase  sacré  buriné  ù  la  face  postérieure  du  couvercle. 

Ces  données  admises,  notre  coffret  rentrerait  dans  la  catégorie 
des  encolpia  ou  plujlactei^ia ;vciii\h  à  quel  usage  spécial  était-il  affecté  ? 
Là  gît  une  premier  problème  h  résoudre. 

Séduit  par  les  croix,  les  calices  et  les  pampres,  j'avais  dès  l'abord 
songé  à  un  récipient  destiné  à  contenir  la  réserve  eucharistique  des 
infirmes  et  des  mourants;  à  une  boîte  pour  le  Saint  Chrême  ou  les 
Saintes  Huiles.  Les  judicieuses  critiques  de  Mgr  Martigny  ^  et  de  M.  le 
chanoine  Van  Drivai,  les  faibles  notions  que  je  possède  moi-même 
sur  l'ancienne  liturgie,  enfin  la  division  originelle  de  l'auge  en  trois 
compartiments  séparés  par  des  cloisons,  m'ont  fait,  après  y  avoir 


'  Éd.  Aubert,  Tr.'sor  de  l'ahh.  de  Sainl-Mniricc  d'Jtjiuiw,  \A,  XI,   et  .fféni.  de 
la  Soc.  des  .-Inliq.  de  France^  t.  XXXII,  pi.  3. 
-  l.ellre  du  7  octobre  1879. 


DU   MUSÉE    ARCHIÉPISCOPAL    d'uTRECHT  313 

mûrement  réfléchi,  délaisser  uii  système  erroné  :  sans  aucun  doute 
notre  encolpium  était  un  coffret  à  reliques,  arcula,  jnjxidula  '. 

Selon  qu'ils  renfermaient  le  livre  des  Evangiles  ou  les  pignora 
sanctoriim,  les  encolpia  variaient  de  dimensions  et  de  forme  :  je  ne 
m'arrêterai  qu'aux  custodes  de  la  seconde  espèce.  Celles-ci  affec- 
taient l'aspect  d'une  croix,  d'un  quadrilatère,  d'un  cœur,  d'une  ro- 
sace, d'un  vase,  d'nn  discjue,  d'une  ellipse  ^  ;  il  y  en  eut  aussi  de  cu- 
biques ^  Mais,  pour  servir  à  un  usage  habituel^  de  semblables  objets 
ne  devaient  guère  outrepasser  les  proportions  des  joyaux  employés  à 
la  parure  ordinaire,  ni  s'écarter  trop  loin  de  certaines  formes  reçues  ; 
les  anciens  textes  s'accordent  sur  ce  point  avec  une  partie  des  mo- 
numents échappés  aux  ravages  du  temps  et  des  hommes  '\  Or,  tel 

'  In  seris  pyxidulis  reliquise  sanctorum. . .  reconditae  sunt.  Léon  d'Ostie,  Chron. 
Cttsin.,  1.  III,  c    30. 

2  W.  Steuorwaldt,  Vie  milleluUerlicJien  Knnslschufize  der  Schlossk'nche  zu 
Qus<Uinbnry,  pi.  8,  9,  15  à  21.  J.  \Yea1e,  Calul.  des  objets  d'ml  relie/,  etc.,  expo- 
sés à  lUalincs,  ïfi  482  (Reliquaire  portatif,  VHP  et  XIP  siècles,  appartenant  à 
M.  le  sénateur  Vergauweii,  de  Gand);  n»  526  (Phylactère  elliptique  à  tleurons 
trilobés  de  l'église  Saint-Nicolas  d'Arras).  Bock  et  Willeniion,  Anliq.  sacrées  de 
Maéstricht.  p.  229,  fig.  60  et  61  (Reliquaire  byzantin).  Etc.,  etc.  —  Imposuit 
super  colla  nostra  encolpium  suum.  Anastase,  Inlerpretalio  si/n.  J'IH  yener., 
actio  V,  ap.  Op.  omn.,  t.  111,  p.  79,  éd.  Migne.  On  lit  en  note  :  Moris  enim  Gras- 
corum  est  crucem  cura  pretioso  ligno  vel  cura  reliq'iiis  sanctorura  ante  {)ectus 
portare  suspensani  ad  collum,  et  hoc  e>t  quod  vocant  enco'pium.  —  Hujus  bcatae 
Virginis  reliqnias  cura  sanctorura  Apostoloruin  vel  beati  Martini  quadam  vice 
super  me  in  cruce  aurea  positas  exhibebara,  .  .  Tune  extractam  a  pectore  crucem 
clevo  contra  igncm.  Grégoire  de  Tours,  f)e  glor.  martyr.,  cil. 

^  Martigny,  Dict.  de<  nnliq.  c/iréL,  encolpia;  2«  éd.,  p.  275,  fig. 

*  Deinde  Aredio  abbati  conjunctus,  ab  eoque  edoctus,  beati  Martini  basilicam 
adii.  Revertensque  cura  eo,  ille  parumper  pulveris  beati  sepuicii  pio  benedictione 
sustulit.  Qucra  in  capsula  positura,  adcollura  meura  dépendit.  Grégoire  de  Tours, 
Jlist.  Franrornm,  1.  VIII.  C.  15.  —  Reliquiarum  phylacteria,  tenui  argento  fabri- 
cata,  vilique  pallio  de  colio  suspensa.  Jean  Diacre,  f^ita  Gregorii  .fliyni,  1.  IV, 
c.  80  —  Phylacteriura  a  collo  usque  ad  pectus  pendens,  sanctorum  reliquiis 
refertura,  quorum  patrocinio  se  in  periculis  tutum  futurum  credebat.  Albéric, 
Cliron.  —  Et  cura  eis  esset  ignotus,  pulchritudine  vultus  et  capsellari  honore, 
quo  reliquias  inclusas  collo  gestabat,  oognoverunt  Dei  esse  famulum  et  cultorera. 
Stephanus  Africanus,  presb.,  ^'t^a  S.  Amntoris  ep'sc,  n°  25.  —  Ilabebat  autcm 
pendentem  capsellam,  in  qua  continebantur  reliquiae  B.  Dei  genitricis  ^lariœ. 
Walafrid  Strabon,  Jlta  S.  Galli,  c.  11.  —  Verum  B.  vir  ipso  in  tempore  capsam 


314  COFFRET   INCRUSTÉ   ET    ÉMAILLÉ 

n'est  pas  précisément  le  cas  de  notre  coffret  ;  malgré  ses  faibles  di- 
mensions, son  poids  et  ses  angles  saillants  finiraient  par  le  rendre 
incommode  à  la  longue  ;  il  n'était  donc  passé  au  cou  qu'accidentel- 
lement, à  des  intervalles  éloignés  :  ici  jaillit  un  trait  de  lumière. 

Aux  siècles  qui  virent  naitre  la  France  actuelle,  les  évêques  et 
les  nobles  cherchaient  avè  c  ardeur  à  se  procurer  des  reliques,  et  ils 
les  emportaient  sur  eux,  quand  ils  entreprenaient  un  voyage  ou 
une  expédition,  pour  conjurer  tout  danger.  Florentins,  père  de 
saint  Grégoire  de  Tours^  avait  ainsi  rassemblé  les  ossements  de 
plusieurs  saints  ;  sa  digne  épouse  x\rmentaria  tint  religieusement  à 
les  conserver,  et  leur  fils,  devenu  pontife,  les  reçut  en  héritage  '. 
Un  codicille  du  testament  de  saint  Perpétue,  qui  précéda  l'historien 
de  la  dynastie  mérovingienne  sur  le  siège  épiscopal  de  Tours,  et  qui 
mourut  en  494,  nous  apprend  en  outre  que  les  reliques,  destinées 
à  être  portées  par  une  personne  ou  à  l'accompagner  d'ordinaire, 
étaient  incluses  dans  une  boîte  spéciale,  theca  ^ 

ciim  sanctis  reliqiiiis  in  collo  suspensam  habebat,  ciur.que  ictus  ferientis  super 
colliiin  ejiis  decideret,  conigiaui  quidem  captœ  praecidit,  ipsum  vero  in  nullo 
penitus  vulnerare  potuit.  Anscharius  archiep.,  f'ita  S.  rillehaili,  ap.  Actu  SS. 
JJenedict.,  sec.  111,  part.  2,  p.  i06.  MabiUon  ajoute  en  note  :  Phylacteria  vocant 
antiqui  reliquiaiiuai  e  collo  dépendons  ;  quauiquam  etiam  capsa  et  chrisniai  ium 
eodem  sensu  legunturin  Vita  S.  Wilfrldi  episcopi  ad  ann.  709. 

*  Qiiid  vero  et  de  bis  reliquiis  quas  quondara  genitor  meus  secum  habuit  fuerit 
gestum,  edicam?..,  Quod  sentiens  mater  mea  quce  bœc  pignora  collo  appensa 
gestabat,  exsiliit  de  convivio,  elevatifque  sanotis  pignoribus  contra  ignium  globes, 
ita  cessit  incendium  de  momento. . .  Pot-t  multos  vero  annos  bas  reliquias  a  géni- 
trice suscepi  :  cumque  iter  de  Bnrgundia  ad  Arvernuni  ageremus,  oritur  contra 
nos  magna  tempestas. . .  tune  extractis  a  sinu  beatis  reliquiis,  manum  elevo  con- 
tra nubem  etc.  Grégoire  de  Tours,  De  glor.  martyr.,  c.  84.  —  Nobis  itaque  in 
anledicto  castro  cum  rege  coramorantibus,  duni  ad  convivium  principis  usque 
obscura  nocte  retineremur,  epulo  expleto  surrexiinus,  venientesque  ad  fluvium, 
ofFendinius  navem  in  littore,  quae  nobis  fuerat  prasparata;  ascendentibusque  nobis 
irruit  turba  liominum  diversoruni,  impletaque  est  navis  tara  hominibus  quam 
aquis  ;  sed  virtus  Domini  adfuit,  non  sine  grandi  miraculo,  ut  cum  usque  labium 
impleta  luisset,  mergi  non  posset.  Ilabebamus  enim  nobiscum  beati  Martini  reli- 
quias cum  aliorum  sanctorum,  quorum  virtute  nos  credimus  fuisse  salvatos. 
Id.,  IJht.  Francoiuvi,  1.  VIII,  c.   [A, 

2  Tibi  fratri  et  consacerdoti  dilectissimo  Eufroniu  thecam  ex  argento  de  reliquiis 
sanctorum  do,  lego.  Illam  intelligo  quara  déferre  solebam.  Nam  deauratam  aliam, 
qucC  in  capsario  mco  cum  duobus  calicibus  aureis  et  crure  similitor  aurea,  quam 


DU   MUSÉE   ARCHIÉPISCOPAL   d'uTRECHT  315 

Une  autre  coutume  ne  se  relie  pas  moins  étroitement  au  sujet  qui 
m'occupe.  Lorsque  nos  anciens  rois  allaient  en  guerre  ou  chan- 
geaient de  résidence,  ils  se  faisaient  suivre  par  leur  chapelle,  com- 
posée d'un  clergé  nommé  ad  hoc  et  d'un  m^obilier  liturgique  ;  les 
grands  devaientimiterle  souverain  dansune  mesure  plus  restreinte  V 
Parmi  ce  molnlier,  à  côté  des  pierres  d'autel  et  des  vases  sacrés,  fi- 
guraient toujours  des  reliques  et  nécessairement  des  châsses  pour 
les  garantir  ".  L'antique  usage,  de  transporter  ainsi  les  reliques  do 
la  chapelle  royale  aux  lieux  où  séjournait  le  monarque,  persista 
fort  avant  dans  le  Moyen-Age  ;  on  l'a  constaté  encore  sous  le  règne 


Mabuinus  focit,  Ecclesiiic  mea:;  do,  lego.  Tesbnn.  Perpclni  'l'uroncn^is  episr.,  ap. 
d'Achérj',  Spicil..  t.  V.  —  A  la  procession  dominicale,  qui  a  lieu  avant  la  messe, 
les  chanoines  u'Amicns  portent  encore,  suspendus  au  cou,  des  phyluclerid  ren- 
fermant diverses  leliques.  Cet  usage  remonte  très  loin  et  pourrait  être  un  \ague 
souvenir  des  anciens  temps  où  l'on  voyageait  avec  de  pareils  joyaux. 

'  At  cum  in  Fiancico  rtgno  palatia  complura,  et  fere  in  qiialibet  provincia 
haberent  reges,  adeo  ut,  si  iter  agerent,  ferme  semper  in  Dominicis,  uti  vocabant, 
villis  et  palatiis  habitarent,  quod  alibi  doccmiis;  liabuere  etiam  in  iisde  u  palatiis 
sacras  œdes,  qiue  propria  appellatione  capclLe  dicebantur,  in  qtubus  sacra  divo- 
rum  lipsana  quœ  secum  deferri  a  capellanis  curabant,  reconderent  et  asservarent. 
Du  Gange,  Glo.^s.  ud  script,  ineil.  el  uif.  talm.,  caPEI-L\.  —  llortatu  omnium  lide- 
lium  nostrorum,  et  maxime  episcoporum  ac  reliquorum  sacerdotum  consultu, 
servis  Dei  per  omnia  omnibus  armaturam  portare  vel  pugnare,  aut  in  exerciium 
et  in  hostem  pergore,  omnino  proliibemus,  nisi  dlis  t.i'iummodo  qui  propter 
divinum  niinisterium,  niissarum  scilicet  solemnia  aduiiplenda  et  sanctornm  patro- 
ciiiia  portanda,  ad  hoc  eh'Cti  sunt  ;  id  est,  unum  vei  duos  ejjiscopos  cum  capella- 
nis  presbyteiis  ptinceps  secum  habeat,  et  unusqui>que  pnct'ectus  unum  presbyte- 
rum  qui  hominibus  peccata  confitentibus  judicare  et  indicare  pœnitentiam  possit. 
Charlemagne,  OtpUul.  (jener.  (769;  l  ;  ap.  Candi  JJiiijni  op.  omuia,  éd.  Migne, 
t.  I,  p.  122,  123  —  Capella  ejus,  quam  hic  tulerat,  fidelibus  viris  coii'nendata, 
quia  Romano  itinere  regredi  timebant.  Léon  d'Oslie,  Chron.  Qtsin.,  1.  Il,  c.  101. 

^  Qui  audiens  famara  beatissimi  viri,  suum  constituit  archicapellanum,  et 
pignora  raulta  sanctorura  quae  stcum  deCerebat,  ut  mos  est  regum,  ditioni  illius 
constituit.  rita  S.  Berthar'n  Canml  episc;  ap.  Ilist.  Fianc,  t.  I,  p.  560  : 
de  Chlotario  II  rege.  —  Hic  pignora  beatorum  Martyrum  secum  ferri  fecerat,  et 
ciutodes  clericos,  qui  secum  proficiscebantur  delegaverat,  uti  eis  vicissim  sibi 
succedentibus  débita  exhiberetur  religio  Mtrac.  S.  DionysH,  1.  I,  c.  21;  de  Carolo 
M.  proficiscente  contra  Saxones.  —  Disposuit  adhuc  vivens  ad  titulum  S.  Pétri. ,  / 
capellam,  qua  itinerans  utebatur,  cum  reliquiis  et  libris,  et  omnibus  utensilibus 
sacris.  Eckard.  De  casiLus  monasl.  ■<.  G<illi,  c.  I. 


316  COFFRET  INCRUSTÉ  ET  ÉMAILLÉ 

de  Philippe  de  Valois  '.  Le  manque  de  routes  carrossables  et  de  vé- 
hicules commodes  ne  laissait  guère  à  nos  aïeux,  assez  riches  pour 
ménager  leurs  jambes,  d'autre  moyen  de  locomotion  rapide  que  le 
cheval  ;  les  derniers  piinces  chevelus,  stigmatisés  par  l'histoire  du 
nom  de  fainéants,  firent  seuls  exception  à  une  règle  générale  :  ces 
vers  de  Boileau, 

Quatre  bœufs  attelés,  d'un  pas  tranquille  et  lent. 
Promenaient  dans  Paris  le  monarque  indolent, 

sont  la  traduction  littérale  d'une  phrase  d'Eginhard  ^  Charlemagne 
s'appliqua  à  mamtenir  l'équitation  en  vigueur  chez  les  grands  ^  ; 
certains  prélats  étaient  même  alors  d'habiles  écuyers  *  :  quant  aux 
évèques  de  l'époque  mérovingienne,  ils  voyageaient  indubitable- 
ment cà  cheval  \  En  face  d'un  mode  de  transport  ainsi  restreint,  il 

'  Sçachcnttous  que  je  Den\'s  le  Grant,  premier  cliappelain  du  roy  nostre  sire, 
cognois  avoir  eu  et  resceu  de  honoi-.  sages  et  pourveus  les  trésoriers  du  roy 
nostre  dit  seigneur  à  P;uis  "28  liv.  Par.  pour  venir  do  Bourbel  sur  Saine  à  Paris 
pour  quérir  les  saintes  reliques  de  la  Sainte  Chapelle  du  Palais  à  Paris,  pour  les 
conduire  et  mener  à  l'a'îbaye  du  Lys,  où  le  roy  nostre  dit  seigneur  sera  à  ceste 
prochaine  feste  de  Pasques,  pour  les  raminer  et  conduire  ariez  du  Lys  à  Paris, 
pour  moi  retourner  au  lieu,  oîi  le  roy  nostre  dit  seigneur  sera,  pour  paier  les 
18  oscoliei's  qui  ont  accoustumé  à  y  venir,  et  pour  faire  toutes  les  autres  choses 
qui  y  ont  été  accoustumées  à  faire.  En  tesnioin  de  laquele  chose  je  ay  sellée  ct'ste 
présente  cédule  de  mon  propre  seel  le  mardy  7"  joui-  d'aviil  l'an  13 18.  .Jrch.  de 
la  Cliamhre  des  Complcs  de  Paris,  ap.  Du  Cange,  Closs.  etc.,  Capellam. 

^  Quocumque  cundum  ei'at,  carpento  ibat,  quod  bubus  junctis,  et  bubulco  rus- 
tico  more  agente,  trahebatur;  sic  ad  palatium,  sic  ad  publicum  [lopuli  sui  con- 
ventum,  qui  annuatim  ob  regni  utililatem  celebrabatur,  ire,  sic  domum  redire 
solebat.   Vitn  Cmoli  Hlagni,  1. 

'  Exercebatur  assidue  equitando  ac  venando,  quod  illi  gentilicium  erat  :  quia 
vix  ulla  in  terris  natio  invenitur,  quie  in  hac  arte  Francis  possit  a^quari.  Eginhard, 
VUa  Cinoli  iMayni,  22. 

*  De  episcopo  celeriter  ascendente  caballum.  Monachus  Sangallensis,  De  (jeslis 
Caroli  Mdçjiii,  1.  I,  c.  G. 

■''  Denique  Guntharius  abbas  dum  gregi  nionasteriali  pra^esset,  si  viam  quae 
haud  procul  ab  oratorio  inceditur  casu  conferente  tercret,  oratione  facta  transi- 
bat.  Post  assumptum  vero  episcopatum,  aggerera  ipsum  praîteriens,  venit  ante 
oratorium,  sed  distulit  ad  orationeai  in  loco  descendere  :  illico  equus  conversum 
habens  caput  ad  oratorium,  in  nv  dia  restiit  via.  Grégoire  de  Tours,  De  yloria  con- 
fess.,  c.  VIII. 


DU    MUSÉE    ARCHIÉPISCOPAL    d'uTRECHT  317 

devenait  indispensable  de  confier  à  des  cavaliers  le  mobilier  litur- 
gique, qu'un  sentiment  de  vénération  facile  à  comprendre  empêchait 
de  renfermer  dans  une  valise  ou  dans  les  cantines  des  animaux  de 
bât.  Rien  de  plus  naturel  en  conséquence  que  de  voir  les  membres 
du  clergé,  attachés  aux  personnes  souveraines,  suivre  le  cortège  du 
maître  en  portant  ostensiblement  sur  la  poitrine  les  saintes  reliques 
des  martyrs  et  des  confesseurs,  incluses  dans  de  riches  custodes 
d'un  petit  format.  Arrivé  à  l'étape  ou  à  la  résidence  temporaire, 
chacun  remettait  son  précieux  fardeau  au  chapelain  de  service 
qui  le  déposait  sur  la  table  affectée  aux  cérémonies  religieuses  ', 
autour  de  la  pierre  consacrée  [altare  vialicmn,  portatile,  gestato- 
rium,  lapis  portatilis  ^)  sans  laquelle  nul  prêtre  ne  pouvait  dire  la 
messe  en  route  \  L'usage  de  ces  altaria  viatica  remonte  évidem- 
ment aux  premiers  siècles  du  christianisme,  alors  qu'il  n'y  avait  pas 
de  lieu  fixe  pour  les  assemblées  des  fidèles  ;  les  actes  du  Pape  saint 
Urbain  (222-230)  nous  apprennent  qu'il  célébra  les  Saints  Mystères 
dans  sa  prison,  avant  d'aller  recevoir  la  couronne  du  martyre  '\  et 
l'on  trouverait  facilement  à  citer  d'autres  exemples  de  faits  sembla- 
bles. L'autel  portatif  consista  d'abord  en  une  simple  pierre  polie, 
dénuée  d'ornements  accessoires;  elle  fut  encastrée  plus  tard  dans  un 

'  Super  altare  nihil  ponatur,  nisi  cap??e  cmn  rcliqiiiis  sanctorum.  .  .  aiit  pvxis 
cum  corpore  Domini  ad  viaticnm  pro  infirmis.  Léo  IV,  PP.,  De  cum  ptistortiJi.  — 
Depositis  ergo  super  altare  sacrosanctis  reliquib,  vigilata  nocte,  cum  grandi  psal- 
lentio  ad  antedictam  deferebantur  liasilicaïu.  Grégoire  de  Tours,  De  mirar..  .S.  Ju- 
liani,  c.  3'i.  —  Advenieus  autem  quando  Beati  pignora  in  sanctuin  lorabantur 
altare,  expedila  solemnitaîe,  visum  recipere  meruit  oculorum.  Id.,  De  mime. 
S.  ALntiiii,  1.  II,  c.  36.  —  Scd  cum  jam  vespere  ad  basilicam  sancti  Martini 
Turonis  advenisset,  et  nos  in  convivio  resideremus,  mandatum  misit,  dicens  : 
Occurrant  reliquiis  sanctis.  Cui  nos,  quia  hora  jam  prseterierat,  dLximus  : 
Requiescant  beatœ  reliquiœ  super  altarium,  donec  mano  procodamus  ad  occursuui 
earum.  Id.,  IJist.  Franr.^  I.  IX,  c.  6.  —  Kt  pretiosa  quidem  ligna  ab  eo  sublata 
supra  mensam  posuit,  phylacteria  vero  in  collo  suo  suspendit.  Ilislor.  miscell  , 
1.  XX,  p.  629.  —  Les  reliques  pouvaient  également  être  suspendues  sur  l'autel, 
ruais  le  cas  était  assez  rare.  Mabillon,  Litur(jia  Gallic,  1.  I,  c.  8. 

*  Du  Cange,  GIoss.,  altaue. 

'  Nullus  sacerdos  nisi  in  locis  Dec  dicatis,  vcl  in  itinere  positus  in  tabernaculis 
et  meubis  lapideis  ab  episcopo  consecratis,  missas  celebrare  praesumat.  Gharie- 
magne,  Capilul.  gêner.,  li. 

*  Acla  SU.,  Mali  t.  VI,  p.  11. 


318  coFFuirr  i.nchi'stk  kt  émaillk 

châssis  métallique  enrichi  de  ciselures,  d'émaux  ou  de  gemmes  : 
diverses  églises  et  quelques  musées  possèdent  des  spécimens  d'«/- 
taria  viatica  ainsi  décorés,  à  partir  du  X«  siècle  jusqu'au  commen- 
cement duXlll''  '. 

Reliquaire  de  voyage,  capsa  reliquiarimi  itineraria — .j'ose  me 
servir  do  cette  épitliète  puisqu'elle  a  été  appliquée  aux  autels  por- 
tatifs -  !  —  une  pareille  attribution  éclaircit  tous  les  incidents  signa- 
lés sur  notre  coffret.  11  reste  pourtant  encore  un  détail  que  je  ne 
saurais  négliger.  Lorsqu'une  cause  accidentelle,  une  chute  de  che- 
val sans  doute,  eut  brisé  les  appendices  du  meuble  et  fracturé  ses 
émaux,  on  l'utilisa  tant  bien  que  mal  avant  de  le  mettre  au  rebut  ; 
après  avoir  supprimé  les  cloisons  internes,  on  pratiqua  sur  les 
flancs  trois  trous  à  l'aide  d'un  foret,  deux  d'un  côté,  un  de  l'autre. 
La  présence  de  ces  ouvertures,  omises  sur  mon  dessin,  témoigne 
d'un  système  de  suspension  rudimentaire,  imaginé  pour  une  cir- 
constance exceptionnelle,  dans  un  cas  d'urgence  absolue. 

Les  calices  et  les  feuillages  —  palmettes  ou  pampres,  un  doute  a 
été  émis  sur  ce  point  "^  —  qui  m'avaient,  au  début,  écarté  du  vrai 
chemin,  s'expliquent  autrement  que  par  le  symbolisme  eucharisti- 
que ;  ils  établissent  la  qualité  —  le  nom  restera  introuvable  —  des 
trois  Bienheureux  dont  les  pigiiora  reposèrent  jadis  au  sein  du  petit 
reliquaire  d'Utrecht. 

La  palme  ne  laisserait  pas  hésiter;  quant  à  la  vigne,  représenta- 
tion allégorique  de  l'Eglise  et  du  Paradis,  elle  a  été  prise  aussi  par 
quelques  Pères  pour  l'emblème  du  martyre  ;  tel  est  l'avis  de  saint 
Jérôme  \  de  saint  Clément  d'Alexandrie  "  et  de  saint  Augustin  ^  : 

^  N<'tarament  à  Siegburg,  Gladbach,  Xanten ,  Baraberg,  Darmstadt  et  au 
Welfenscbatz  (Aus'm  Weerth,  Knnsidenhndeîer  des  cinisl.  Mitlchillets  in  don 
HheiiihnuJen^  pass  ;  J.  Labarte,  Essai  sur  la  peint,  en  émail);  à  Conques  (A.  Dar- 
cel,  Trésor  de  Conques);  à  Sainte-Marie  du  Capitole  iBock,  Les  tré'-ors  sacrés  de 
Cologne);  à  Maëstricht  (Bock  et  Willemsen,  oitv.  cit.);  au  couvent  des  Sœurs- 
Noire.s,  à  Namur;  au  Musée  royal  d'antiquités,  à  Bruxelles. 

^  iTiNERARiyE  TABUL/E,  qu?e  loco  altaris  erant  sacerdotibus  iter  facientibus. 
Du  Cange,  Ghss.;  v.  Mabillon,  Lihirç/ia  gnllic.,  p.  73,  et  Ordo  Romanus. 

3  Par  Mgr  Martigny,  Lellre  cit.,  et  par  M.  E.  Le  Blant,  Lettre  du  19  oct.  1879. 

*  In  Amosy  IX. 

*  Vadag.y  I,  5. 

«  lufsnlm.  VIII. 


DU    iMUSÉK    ARCHIÉPISCOPAL    d'uTRECHT  319 

a  C'est  peut-être  à  cause  de  cela,  dit  Mgr  Marti gny," que  des  sarco- 
phages représentant  les  Apôtres  qui  furent  aussi  martyrs,  offrent 
d'élégantes  décorations  de  pampres  '  ». 

Des  gobelets  à  pied,  avec  ou  sans  anses,  accompagnent,  dans  les 
catacombes  romaines,  un  certain  nombre  d'inscriptions  funèbres 
dont  la  majorité  concerne  des  hommes,  des  femmes  et  des  enfants, 
morts  en  suivant  le  cours  ordinaire  de  notre  existence  ^  Cependant 
deux  mémoires,  caractérisées  par  le  même  vase,  rappellent  une  autre 
classe  de  chrétiens  défunts.  Sur  la  première  inscription  {cimetière 
de  Cyriaque)  on  lit  : 

PETRYS    ET  PANCARA   B0TV3I    PO 
SVENT    MARTURE    FELICITATI. 

Petriis  et  Pancara  votum  posuenmt  martijri  Felicitati.  Sur  la  se- 
conde mémoire  (cimetière  de  Priscille)  on  ne  rencontre  que  le  seul 
nom,  AOYKT,  tracé  en  capitales  grecques,  mais  deux  vases  de  sang, 
trouvés  à  l'intérieur  du  ioculus,  ne  laissent  planer  aucune  incerti- 
tude sur  la  fin  violente  du  personnage  qui  y  était  inhumé  ^  Bol- 
detti  a  donc  regardé  le  calice  comme  l'un  des  symboles  du  martyre: 
Qiiando  il  martirio  medesimo  nelle  sagre  carte  d'ordinario  s'esprime 
sotto  la  forma lità  o  di  sangiie,  o  di  calice  \  Le  docte  Italien  cite 
plusieurs  textes  à  l'appui  de  son  opinion,  mais  je  ne  crois  pas  qu'un 
grand  étalage  d'érudition  soit  ici  bien  nécessaire  :  on  peut  se  borner 
aux  paroles  du  divin  Sauveur,  tant  à  la  Cène  qu'au  Jardin  des  Oli- 
viers ^,  pour  maintenir  une  interprétation  que  l'Église  sanctionne 
assurément  lorsque,  dans  une  hymne  du  temps  pascal,  elle  salue 
Jésus-Christ  du  titre  de  roi  des  martyrs  *', 

'  Dicf.  cit.,  VIGNE.  Bottari,  Sadtnre  e  pitlure  sagre  elc  ,  pi.  XXVIII. 

*  Boldetti,  Osservctzioiti  sapra  i  cimcterii  de'  SS.  Martiri  elc,  1.  1  et  II,  pass. 
8  Id.,  Ibid.,  p.  437  et  479,  fig. 

*ifc/V/.,p.  i4i. 

^  Et  accepte  calice, . .  ait  illis,  hic  est  sanguis  meus  novi  Testarnenti  qui  pro 
inultis  ellundetur.  —  Transfer  calicein  liunc  a  me.  S.  Mathieu,  XIV,  23,  24,  36. 

*  Rex  gloriose  martyrum, 
Corona  confitentium, 
Qui  respuentes  terrea 
Perducis  ad  cœlestia. 

Commun  de  i^Iusieiirs  martyrs. 


320  COFFRET    INCRUSTK    KT    ÉMAILLÉ 

Ce  qui  précède  anéantit  tout  scrupule  ;  les  reliques  de  trois  saints 
martyrs  occupèrent  chacune  des  cases  de  notre  coffret.  Ici,  le 
chrisme,  symbole  de  la  Foi,  qui  apparaît  encadré  d'abord  d'une 
couronne,  puis  d'un  cercle  à  gorge,  sur  les  sarcophages  des  Con- 
fesseurs ou  des  simples  fidèles  \  est  remplacé  par  le  calice,  image 
du  sang  versé  en  l'honneur  de  Jésus-Christ. 

Relativement  aux  croix,  je  copierai  intégralement  un  passage  de 
la  réponse  de  Mgr  Martigny  aux  questions  fort  complexes  que  je  lui 
avais  adressées  :  «  J'opterais  volontiers  pour  un  reliquaire.  Les 
croix  ne  seraient  point  un  obstacle  ;  c'est  un  ornement  qni  fut  em- 
ployé pour  les  objets  religieux  de  toute  nature,  et  qui  surtout  ac- 
compagne très  convenablement  les  reliques  des  saints,  celles  des 
martyrs  en  particulier  -,  »  Quand  il  s'exprimait  ainsi,  le  savant  ar- 
chéologue de  Belley  ignorait  le  résultat  de  mes  dernières  études,  et 
il  l'a  confirmé  à  favance  d'une  façon  éclatante. 

Le  travnil  du  meuble  est  très  soigné,  bien  que  les  feuillages  ou 
les  pampres  soient  on  ne  peut  plus  fantaisistes.  Leur  rendu  con- 
ventionnel tient  au  tempérament  de  l'époque  en  matière  décorative, 
ou  mieux  encore  au  champ  restreint  laissé  à  la  disposition  de  l'or- 
fèvre. Malgré  ces  légers  défauts^,  il  est  clair  qu'un  œii  expérimenté, 
une  main  ferme,  secondés  par  une  habileté  notoire  dans  l'art  de 
l'émaillerie,  ont  pu  seuls  buriner  les  ornements  et  produire  l'harmo- 
nie de  couleurs,  qui  font  du  reliquaire  d'Ulrecht  un  joyau  digne  de 
prendre  un  rang  distingué  parmi  les  merveilles  des  temps  écoulés. 

L'alliance  de  l'émail  et  du  grenat  ou  du  verre  purpurin,  remar- 
quée sur  notre  épave  mérovingienne,  doit  encore  fixer  un  moment 
l'attention.  Il  y  a  déjà  quelques  années^  M.  Eugène  Grésy,  de  la  So- 
ciété des  Antiquaires  de  France,  vigoureusement  épaulé  par  M.  le 
comte  F.  de  Lasteyrie,  membre  de  l'Institut,  s'efforça  d'établir  fexis- 
tence  d'émaux  parfondiis,  associés  aux  grenats  sur  le  calice  de 
Chelles  attribué  à  saint  Éloi  (+  entre  Go9  et  663)  ^  ;  j'eus  alors  l'im- 

'  Edmond  Le  Blant,  ÉlwIc  sur  les  sarcophages  cJuJiiens  d'.Jrles,  pi.  Xll,  fig.  2; 
Cochet,  OUI),  cilé,  sarcophage  de  saint  Draus'm,  évêque  de  Soissons  (658  ou  674), 
aujourd'hui  au  Louvre  :  couronnes.  Sarcophage  d'Auch;  cercle  à  gorge  comme  le 
coffret  d'Ulrecht. 

'  Lettre  citée. 

*  Mém.  de  la  Soc.  des  Jntiq.  de  France,  t.  XXVIL 


m:  MU^Ki:  auchiépiscopal  d'utrecht  32i 

prudence  de  soutenir  une  opinion  contraire  dans  un  livre  heureuse- 
ment oublié  '.  Le  procès  ne  fut  pas  jugé  faute  de  preuves  suffi- 
santes, et  les  parties  restèrent  en  présence.  Je  suis  contraint  d'avouer 
aujourd'hui  que  ma  cause  ne  valait  rien  et  que  j'aurais  dû  la  perdre  ; 
les  émaux  de  la  châsse  mérovingienne  de  Saint-Maurice-en-Yalais 
et  du  coflret  d'Utrecht,  deux  pièces  également  ornées  de  grenats, 
semblent  me  condamner  sans  appel.  Le  mea  culpa  d'un  vieux  péché 
est  bien  tardif  sans  doute,  puisque  MM.  Grésy  et  de  Lasteyrie  ne 
sont  plus  là  pour  l'entendre,  mais  l'occasion  de  manifester  ma  re- 
pentance  vient  seulement  de  s'offrir;  je  m'empresse  d'en  profiter. 
Toutefois  l'emploi  de  l'émail  sur  le  calice  de  Chelles,  quand 
même  il  serait  officiellement  constaté,  ne  parviendrait  pas  à  résou- 
dre un  nouveau  problème,  corollaire  obligatoire  des  questions  pré- 
cédemment étudiées  Dans  quelles  régions  notre  petit  monument 
a-t-il  été  fabriqué  ?  A  quelle  nationalité  appartenait  l'orfèvre  qui 
l'exécuta?  Le  calice  de  Chelles  ayant  péri,  déterminer  ex  professa 
la  nature  des  éléments  chimiques  de  ses  incrustations  parfondues 
devient  matériellement  irréalisable.  Le  seul  terme  de  comparaison 
auquel  je  peux  recourir  est  la  châsse  de  Saint-Maurice,  dont  les 
émaux  champlevés  sont  opaques  ou  stannifères,  à  l'instar  de  ceux 
des  bijoux  antiques  attribués  aux  Gaulois  sur  le  témoignage  de  Phi- 
lostrate; or  le  décor  primordial  du  cofîrel  d'Utrecht  était  translucide, 
et  si  dur  qu'un  grattage  minutieux  n'a  pas  réussi  à  le  faire  entière- 
ment disparaître.  Byzance,  que  je  sache,  n'a  jamais  champlevé  le 
métal,  et  les  silicates  translucides  ne  rehaussent  aucun  produit 
limousin.  L'émailleur  inconnu,  dont  je  cherche  à  deviner  l'énigme, 
a-t-il  employé  un  simple  fondant  incolore  sans  le  mélanger  d'oxyde? 
Des  industriels  grecs  auraient-ils  précédé,  en  Occident,  la  colonie 
venue  à  la  suite  de  Théophanon,  et  enseigné  leurs  formules  à  quel- 
ques adeptes  de  l'école  limousine  transplantés  de  l'Aquitaine  aux 
borde  de  la  Meuse  et  du  Rhin?  Je  ne  sais  trop  à  quelle  hypothèse 
m'arrèter.  Une  force  instinctive,  qui  s'impose  à  mon  esprit,  sans  que 
je  puisse  ouvertement  lui  résister,  m'engage  à  chercher  l'origine  du 
reUquaire  d'Utrecht  dans  les  limites  de  l'ancien  royaume  de  Lotha- 
ringie. Cette  idée,  assez  étrange,  j'en  conviens,  et  qui  surgit  à  l'état 

*  0  JJvrcrlc  mJrovingipnne,  ISfi'l. 

U<-  .sérii-,  t.>me  XL  21 


322  COFFRET    INCULSTÉ    ET    ÉMAILLÉ 

de  vague  intuiti  «n,  repose  sur  des  fondements  bien  peu  solides. 
Aucune  pièce  champlevée  allemande  n'est  signalée  antérieurement 
à  la  fin  du  X."  siècle  '  ;  un  abîme  sépare  la  vigoureuse  couleur  des 
monuments  conservés  à  Siegburg,  à  Bamberg  et  au  Welfenschatz 
(trésor  du  roi  de  Hanovre),  de  la  monochromie  de  notre  coffret, 
dont  les  courbes  gracieuses  se  tiennent  encore  plus  loin  des  raideurs 
du  calice  de  Chelles. 

J'ai  vu,  au  Welfenschatz,  un  cloisonnage  primitif  sur  cuivre,  où 
rémail  verl-foncé  ressemble  à  du  verre  à  vitres,  tandis  que  le  blanc- 
rosé  des  carnations  joue  l'opale.  Un  petit  médaillon  du  même  métal 
et  de  même  technique,    au  Musée  de  Darmstadt,   offre  un  nimbe 
blanc-bleuâtre  translucide  et  des  carnations  semi-opaques  ;  il  y  a 
vraisemblablement  des  tons  analogues  sur  le  reliquaire  de  Herford. 
Or,  de  ces  trois  pièces  évidemment  germaniques,  les  deux  premiè- 
res, qui  représentent  des  personnages  en  buste,  imitation  grossière 
du  style  byzantin,  me  paraissent  avoir  précédé  les  célèbres  émaux 
d'Essen  ^  Quant  au  reliquaire  de  Herford,  classé  au  X"  siècle  par  le 
rédacteur  du  Catalogue  de  l'Exposition  archéologique  de  Munster, 
son  ornementation  empruntée  au  règne  animal  ne  s'accorde  aucune- 
ment avec  l'esthétique  du  Bas-Empire  ;  je  le  crois  encore  plus  ancien 
que  les  autres,  et  il  ne  doit  guère  être  postérieur  à  Charlemagne. 
Rien  de  précis,  je  le  sais  trop,  hélas  !  ne  peut  sortir  d'inductions 
aussi  nébuleuses;  mais  pourquoi  l'émaillerie,  faute  de  documents 
écrits  et  de  monuments  figurés^  n'aurait-elle  pas  ses  clichés  comme 
Vars  textrina?  On  a  cru  longtemps,  d'après  l'historien  Procope,  que 
le  tissage  de  la  soie  avait  été  introduit  dans  l'Empire  roma-n  sous  le 
règne  de  Juslinien  1"  ;  voici  qu'un  texte  de  S.  Basile  '  fait  table  rase 
d'une  opinion  toujours  en  faveur  chez  certains  érudits.  Je  soupçonne 
maintenant  que,  à  l'exemple  des  tissus,  l'émaillerie  subit  les  consé- 
quences d'un  préjugé  enraciné,  et  que  le  cofTret  d'Utrecht  est  un 
premier  jalon  qui  amènera  d'autres  découvertes.  Au  bout  du  compte, 
une  industrie  ne  disparaît  pas  ainsi  subitement,  pour  renaître  après 
un  laps  de  sept  cents  années,  sans  laisser  au  moins  des  traces  dans 


*  Labarte,  onv.  cité,  p.  -163. 

'  Aiis'm  Weertli,  Kunsldeu'kniaeler  etc.,  \\\.  XKIV  et  XXV,  t.  N,  p.  22  et  sq. 

'  In  /lexaemeion,  lioiu.  Vlll;  v.  J.cs  oiuj.  de  l'or/Jvierie  dois.,  t.  II,  p.  Ml. 


DU    MUSÉE    ARCHIÉPISCOPAL    u'UTl'.iaHT  323 

l'intervalle.  Une  tradition  persistante  a  dû,  en  conséquence,  ratta- 
cher les  émailleurs,  peut-être  nomades,  de  la  (îaule  du  lil^  siècle  aux 
orfèvres  limousins  ou  allemands  du  X%  et  parce  que  l'émaillerie  n'a 
pas  un  nom  spécial  dans  l'idiome  savant  de  nos  pères,  parce  qu'un 
ordre  entier  d'émaux  manquait  à  nos  séries,  ce  n'est  pas  un  motif 
suffisant  pour  affirmer  qu'elle  cessa  de  vivre  aux  temps  mérovin- 
giens. Entre  la  mort  et  l'assoupissement  il  y  a  une  nuance.  La  tech- 
nique, signalée  par  Philostrate  chez  les  Barbares  des  rivages  de 
l'Océan,  technique  dont  le  sol  nous  rend  chaque  jour  tant  de  pro- 
ductions, n'aurait-elle  pas  été,  sous  Clovis  et  ses  successeurs  immé- 
diats, le  lot  d'un  petit  nombre  d'adeptes?  Elle  a  pu  sommeiller  alors'; 
mourir,  jamais  :  notre  coffret  en  fournit  la  preuve  matérielle.  Quant 
à  voir  dans  cette  œuvre  charmante  l'obscure  tentative  d'un  artiste 
isolé,  je  m'y  refuse  absolument  ;  l'auteur  appartint  à  une  école 
ouverte  de  longue  date  :  maître  expérimenté  et  rempli  de  savoir, 
il  a  obtenu  son  résultat  du  premier  coup,  sans  hésiter  ni  tâtonner. 
La  forme  du  meuble  n'est  pas  moins  intéressants  que  son  décor  ; 
elle  fournit  une  nouvelle  preuve  de  l'âge  reculé  que  je  lui  attri- 
bue. La  majorité  des  châsses,  aux  XII*  et  XIII"  siècles,  affecte  l'as- 
pect d'une  petite  maison  à  toit  aigu,  dont  les  pignons  sont  détermi- 
nés suivant  un  plan  vertical  ;  tel  est  le  type  ordinaire  adopté  par  les 
émailleurs  de  Limoges  et  les  orfèvres  rhénans,  bien  que  ces  der- 
niers aient  quelquefois  arrondi  le  couvercle  de  leurs  grandes  pièces  \ 
On  fabriqua  aussi  des  cassettes  rectangulaires  et  plates,  pour  abri- 
ter les  saintes  reliques  :  les  plus  remarquables  en  ce  genre  datent 
du  X*"  siècle  ;  elles  sont  richement  ornées,  et  elles  proviennent  de 
deux  empereurs  de  la  maison  de  Saxe,  Henri  I"  (9 10-930),  Othon  l"' 
(936-966)  \  On  copiait  alors  les  t/iecœ  reliquianun  sur  le  modèle  de 
la  tombe  ou  de  la  bière  {feretrum,  vas)  ^  usitées  à  l'époque.  Cette 

'  Bock,  Les  trésors  sacrés  du  Cologne^  pi.  Vil,  n"  28,  châbàe  de  sainte  Ur.sule. 

'  Steuerwaldt,  ouv.  cité,  \A.  32  à  3'(. 

"  Si  qtiis  mortiium  hominom  auf  in  petiM,  qii;e  vasa  ex  lu-oi  sarcopliagi  dicuntur 
super  alium  misent.  I.cx  Salir, i,  tit.  17,  ^  3.  —  Aniici  oxtrahunt  mortiium, 
déférentes  in  feretrum,  et  |)ortantes  eum  ad  ecclesiani.  /.pi/ps  Ilrnici  /,  c  36.  — 
Apiid  urbem  enira  Tolosatium  ferunt  fuisse  q;iemdam,  Antoninum  noiuine... 
Factum  est  autem,  ut,  impleiis  diebus,  migruns  a  saîculo,  in  basilica  beati  Yin- 
ccntii  sepelirctur,  in  qua  sibi  vivens  vas  deposuerat.  Grf^goire  de  Tours,  De  ghr. 


324  COFFRET    l.\Cl;UbTK    II T    KMAII.LÉ 

coutume  datait  de  loin.  Lorsqu'à  la  depositio  succéda  Yelevatio, 
c'est-à-dire  lorsqu'on  enleva  les  corps  sniuts  de  la  crypte  où  ils  re- 
posaient pour  les  mettre  en  évidence,  le  sarcophage  de  pierre  ou  de 
marbre,  qui  les  avait  primitivement  recueillis,  fut  imité  en  mé- 
tal avec  une  rigoureuse  exactitude.  Le  coffret  d'Utrecht  n'est  qu'une 
réduction  mathématique  d'anciens  sarcophages  chrétiens  dont  quel- 
ques spécimens  nous  ont  été  conservés  intacts  :  on  les  voit  à  Saint- 
Servais  de  Maëstricht,  au  Louvre,  à  Bordeaux  et  dans  une  église  du 
déparlement  de  la  Dordogne  '.  Néanmoins  le  monument  de  ce  genre, 
qui  touche  de  plus  près  à  notre  reliquaire  par  sa  forme  et  son  décor, 
est  incontestablement  le  beau  cercueil  en  marbre  de  la  cathédrale 
d'Auch,  dont  il  a  déjà  été  question. 

Les  custodes  à  couvercle  pjramidal  sont  assez  rares.  Le  précieux 
ivoire  byzantin  de  la  cathédrale  de  Trêves,  classé  par  les  uns  au 
commencement  du  XI"  siècle,  reculé  par  les  autres  jusqu'à  la  fin  du 
V%  représente  la  dédicace  d'une  église.  Deux  évoques,  assis  sur  un 
chariot  antique  (carrifca),  tiennent  respectueusement  devant  eux 
les  reliques  destinées  au  nouveau  temple  ;  elles  sont  incluses  dans 
une  arcula  pyramidale,    d'où  l'on  est  induit  à  penser  que  ce  type 

mnrt.,  0.  89.  —  Reqnire  liipidem  miindum.  ac  saicoplv.igum  piiellic  quiescontis 
quod  in  basilica  s.incti  Veiierandi  rietectiim  habi>tur,  citiiis  tege..  Quo  facto  ut 
vas  illnd  rlausit  0[)(Mtorio,  protinus  apertis  ociilis  lumen  lecepit  e.\  integro. 
Id..  f)f(/!ar.  ouf  ,  c.  35.  —  G:iuilio  iiingno  rt>pleti  collegiTunt  pirefati  veneral)iles 
sacordotPij  os-sa  Ragiiob  Mti  pontificis,  elev.mtesqiiH  de  septilchi'o.  .  .  novo  in  vase 
posiierunt.  Josophns  Sacei'dos,  /Jist.  Inuisl  S>>.  lidj/iK/bfi'ti  ^t  Zeuonis,  c.  3.  — 
Feretrum  ubi  snnt  nnnc  leiiquiee  sanctornin,  horicstishimo  décore  com[)o.suit. 
Bei'carius  l'resbyter,  llmt.  eplsc  Vnilituensiinn.  ii'^  19.  —  Oinainenta  ecclesiastira 
quamplurima  et  ferettum  ubi  suut  reliquiae  sanctoruni  lingues  de  Flavigny, 
C/iron  ,  ap.  Labbc,  liihl.  nova,  t  I,  p.  12-'.  —  EgreiiiLMite  conventu  cum  feretro 
comitante  innuinerabili  niukitiidine  hoininuni  utriusque  se.xus  ad  procesbionein 
faciendam,  ut  moris  est  ecclesi.e  nostite  Epist.  Piloris  S.  Milhunjis  de  f'enelot 
(Angleterre)  ap.  Martene,  .-tnecdotii,  t  I,  col.  476.  —  Vas  quoddam,  feretruni 
vulgo  vocatur,  ipso  consentieiite  et  coopérante  œdificaveruiit  auro  ac  argento,  ac 
pretiosis  lapidilins  decoratum  :  cujus  rei  causa  ne  tanto  vase  vacuo  rémanente 
frustra  laborasse  dicorentur,  ubicumque  potuerunt  ab  ecclobiis  tam  vicinis  quam 
longinquis  sanctorum  corpora  perquirentes,  magnam  ex  his  copiam  aggregave- 
runt.  flisl.  rœnobii  Vironiensis,  c.  15. 

'  Bock  et  Willemsen,  onv.  cité,  p.  106  et  sq..  fig.  13  a,  13  b.  Cochet,  ouv.  cité, 
p.  -l-.:,  lig.  A.  du  Caumont,  .■Jb'Jc<Jd.  d'archéoL,  T)^'  éd.,  p.  -i8  et  o2,  fig. 


DU    MUSÉE    AHCHIÉPli?COPAL    d'UTKECHT  325 

était  admis  par  le  rit  oriental  '.  En  Occident  nous  rencontrons  quel- 
ques châsses  du  même  genre.  La  cathédrale  de  Trêves  en  possède 
une  d'argent  doré,  rehaussé  d'arabesques  en  filigrane  ;  le  dessous 
offre  des  entrelacs  et  des  animaux  gravés  au  trait  ;  quatre  griffes  la 
supportent.  M.  E.  Aus'm  Weerth,  qui  a  publié  l'objet,  n'oublie  pas 
d'en  faire  remarquer  la  forme  inusitée,  imgewoenhliche  Form  ^ 
Au  Musée  national  bavarois  de  Munich,  on  voit  un  reliquaire  ana- 
logue, en  bronze  à  sujets  en  relief  (XP  siècle';  il  est  porté  par  quatre 
figurines  assises;  au  milieu  du  toit  surgit  une  tige  creuse  en  métal, 
indice  d'un  couronnement  disparu  ^  A  Sainte-Ursule  de  Cologne, 
il  y  a  aussi  deux  coffrets  pyramidaux,  l'un  du  XIIP  siècle,  l'autre 
du  XIY^  Ce  dernier,  muni  au  sommet  d'une  anse  rigide,  repose  sur 
un  socle  découpé  ;  le  dessous  est  orné  d'une  feuille  d'argent  es- 
tampé \  Un  coffret  oriental  en  ivoire,  du  trésor  de  Saint-Servais, 
à  Maëstricht,  bien  qu'il  ait  à  peu  près  la  même  forme  que  les  précé- 
dents, n'est  qu'un  reliquaire  de  circonstance  ;  avant  do  contenir  le 
pieux  butin  acquis  par  quelque  noble  Croisé,  il  trônait  pour  sur  à 
l'étalage  d'une  boutique  musulmane  de  la  Syrie  "'. 

Des  meubles  ci-dessus,  deux  sont  décorés  sur  toutes  les  faces  ; 
leurs  supports  ne  pcrmctiani  pas  au  fond  de  toucher  aux  t^iblettes 
des  armoires  ou  des  gradins,  on  comprend  un  supplément  de  luxe 
que  rien  de  semblable  ne  justifie  sur  le  coffret  d'Utreclit  puisqu'il 
n'a  jamais  eu  de  pieds  ^  Quant  à  l'anse  du  reliquaire  de  Cologne, 

'  Aus'm  Weerth.  KunsUenhni.,  pi.  58,  fig.  l,t.  III,  p.  88  et  89.  Kraus,  Bcitmege 
sur  Ti leisclien  An  hm-dhigif  inul  Gi-scliichtc,  I.  I,  p  137  et  sq.  Lo  premli^'  conclut 
au  Xi'=  teiècle  ;  le  second,  qui  discute  avec  beaucv'up  de  talent  et  une  profonde 
érudition  les  arguments  de  son  devancier,  reconnaît,  dans  les  personnages  impé- 
liaux  figurés  sur  le  monument,  les  effigies  de  Léon  I"  i457-i7i)  et  de  son  épouse 
Vérine.  C'est  peut-éire  aller  loin  !  Toutefois  Tattribution  a,i  \^  siècle  est  admise, 
je  le  sais,  par  un  érudit  dont  la  compétence  est  notoire  en  fait  d'art  byzantin. 

^  Kaiiytdeiihn.,  pi.  5G,  fig  1,  If/,  t.  III,  p.  82  et  83;  XIlo  s.  En  fait  de  meubles 
analogues,  l'auteur  ne  trouve  g  lère  à  citer  qu'un  coffret  de  la  cathédrale  de  Coire. 

*  P/iotuyr.  du    Musée  nilioHnl  linvuiois .  pi.  Ô9  et  GU. 

*  Bock,  ouv.  cil.   pi.  VI,  fig.  26,  p   36;  pi.  Vlil,  fig.  3i,  p.  42. 
^  Bock  et  Willemseii,  oui-,  cit.,  p    1  i8,  fig.  -22. 

*  La  cassette  reliquaire  d'Ollion  I",  à  l'église  du  clu'iteau  de  Qiiedl'.iiburg,  oflVo 
aussi  un  dessous  en  argent  niellé  ;  mais  ce  surcroît  de  luxe  a  sa  raison  d'être,  car 
\(-  (léror  do;  au'rc;^;  fircs.  plnrju'-  d'iv>>ir«>  sculpt''\  eiv'ndi'i^e-;  d'or  robiTisié  d« 


326  COFFRET    lNCl;rSTÉ    KT    ÉM.MLLK 

elle  servait  uniquement  à  le  tenir  pour  le  présenter  à  la  vénération 
des  fidèles  ;  l'appendice  est  trop  mince  pour  supporter  longtemps 
un  poids  assez  lourd. 

Notre  coffret  a  été  découvert  chez  un  curé  par  M.  l'abbé  Van 
Heukelum,  créateur  du  ^luséc  archiépiscopal  d'Utrecht  et  président 
delà  Gilde  de  Saint-Bcrnulphe  ;  ce  curé  le  tenait  d'un  paysan  d'Over- 
betuwe,  village  de  la  Gueldre,  situé  à  une  faible  distance  de  Nimègue. 
Charlemagne,  on  le  sait,  construisit  un  pal.iis  à  Nimégue;  il  en  data 
ses  Capitulaires  de  Mars  806  et  d'Avril  808.  Le  grand  empereur  y 
séjourna  pendant  le  carême  entier  de  800  '  et,  pour  célébi-er 
dignement  la  solennité  de  Pâques,   on  ne  saurait  douter  qu'il  n'ait 


gemmes,  n'aurait  pas  permis  aux  inscriptions  commémoratives  de  s'y  étaler  à  liiir 
aise.  Je  reproduis  ici  des  légendes  qui  intéresseront  certainement  quelques  uns  de 
mes  lecteurs  :  Sur  le  cadre  :  +  In  hac  capsa,  ad  honorent  beuti  Servatii  fut  ta, 
ejiis  recondilur  corpus,  et  liijnum  dominicum,  et  de  ^^es(ibHS  S  Marie  matris  Dni,  et 
Johannis  Bap.,  et  fémur ^  et  de  spina  dorsali.  xancti  Servatii  et  infula,  de  rasuln,  de 
sarcophago  ipsitis  et  reliquie  sanctorum  quorum  noniina  circumscripta  sunf.  Au  som- 
met d'un  rectangle  qui  occupe  le  centre  du  panneau  et  autour  de  la  gloire  qiia- 
drilobée  du  Christ  juge  :  Gloria  tibi  Dnr.  —  Qaudcnmque  pelierilis  in  nomine  meo 
hoc  faciam.  Au  bas  du  même  rectangle,  contre  deux  religieuses  agenouillées 
devant  un  autel  :  Tempore  Agnetis  abbalisse  et  Oderadis  preposite  ficta  est  liée 
capsa.  Un  triple  rang  d'arcatures,  disposées  à  droite  et  à  gauche,  renferme  dix- 
huit  bustes  de  saints  avec  leurs  noms  :  S.  Servalitis.  S.  Johnnnes  Bapl.  Sca.  Maria. 
S.  Figilius.  S.  Remigius.  S.  Martinus.  S.  Nicolaus.  S.  Pusinna.  S.  Ursula,  — 
Ses.  Petrus.  S.  Andréas.  S.  Darlholomeua,  S.  Stephanus.  S.  Mauritius.  S.  Georgius. 
S.  Ciriacus.  Pancralius.  Cristo/orus.  Steuerwaldt,  ouv.  cit.,  pi.  31.  J'ai  eu  quelque 
peine  à  déchiffrer  une  copie  assez  incorrecte,  et  je  n'ai  maintenu  que  les  abrévia- 
tions usuelles;  les  autres  lacunes  ont  été  conibices.  —  Le  reliquaire  existe  sans 
doute,  mais  qu'est  devenu  i^on  piécieux  dépôt?  H  pourrait  bien  s'y  trouver  encoi'e. 
Les  Luthérien-,  qui  possèdent  l'égli^e  royale  de  Quedlinburg,  n'eurent  jamais  le 
tempérament  destructeur  des  Calvinistes;  ils  ont  i  eligieu-îement  conservé  une 
fouie  de  trésors  liturgiques  que  la  mode  aurait  peut-être  détruits.  Les  em  olpia  de 
Quedlinburg,  je  le  sais,  ont  toujo;irs  leui's  reliques  ;  en  serait-il  didéiemment  des 
caps  ce  impériales  .' 

'  Inchoavit  et  palatia  operis  cgiegii,  unum  haud  longe  a  Mogontiaco  civitate, 
juxta  viilam  cujus  vocabulum  est  Eng  lenheini,  alieruin  Noviomagi  super  Vahalem 
fluviuni  qui  Batavorum  insulam  a  jiaite  meridiana  pr;elerfluit.  Eguihard,  J'tia 
Car.  .U(ig.,  il.  —  Baluze  a  mis  la  note  suivante  au  bas  du  Cajntulaire  de  806  : 
Docet  Eginhardus  hoc  anno  qvusdragr'simalo  jejunium  et  ^acratissimam  Pascli-T 
soleninitiitero  célébrasse  apuî  Noviiunaguni. 


DU    MUSÉE    ARCHIÉPISCOPAL    d'uTRECMT  327 

alors  réuni  toutes  les  splendeurs  de  sa  chapelle  de  voyage.  Je  me 
suis  déjà  trop  suffisamment  lancé  sur  la  voie  des  hypothèses  pour 
craindre  d'en  risquer  encore  une  dernière  qui,  en  définitive,  ne  sera 
pas  la  moins  vraisemblable  du  nombre.  Avancer  que  notre  reliquaire 
appartint  à  la  chapelle  de  voyage  de  Charlemagnc,  et  qu'il  fut  dé- 
laissé à  Nimègue  quand  un  accident  l'eut  mis  hors  de  service,  outre- 
passerait-il les  bornes  d'une  juste  mesure?  En  regardant  comme 
admis  un  fait  qui  ne  blesse  aucune  probabilité,  il  deviendrait  facile 
de  préciser  à  quelle  époque  et  à  quelle  occasion  le  coffret  d'Ulrecht 
sortit  du  trésor  impérial  pour  échoir  à  im  sanctuaire  moins  relevé. 
Une  clause  du  testament  de  Charlemagne  dit  en  termes  formels 
«  que  le  mobilier  liturgique  de  sa  chapelle,  provenant,  soit  de  lui, 
soit  de  l'héritage  paternel,  sera  conservé  intact,  tandis  que  les  vases 
sacrés  et  les  livres  qui  auraient  une  origine  différente  pourront  être 
adjugés  au  plus  offrant  et  dernier  enchérisseur  »  '.  Épave  des  temps 
mérovingiens,  d'ailleurs  sans  doute  jeté  à  l'écart  vu  ses  détériora- 
tions, notre  reliquaire  rentrait  dans  la  seconde  catégorie;  il  fut 
vendu  à  l'encan. 

L'essai  de  restauration  déjà  signalé  doit  être  postérieur  àla  vente. 
Un  nouveau  propriétaire  fit  enlever  les  fragments  brisés  de  l'émail 
translucide,  le  mastic  rouge  compléta  les  grenats  absents  et  rem- 
plit les  cavités  du  dessous:  on  paraît  s'en  être  tenu  là,  un  résultat 
partiel  n'ayant  pas  répondu  à  l'efîet  qu'on  aurait  voulu  obtenir  sur 
l'ensemble. 

La  matière  est-elle  épuisée  ?Ai-je  dit  du  coffret  d'Utrecht  tout  ce 
qu'ily  aàen  dire?  Je  ne  le  crois  pas.  La  question  de  l'émail,  notam- 
ment, demeure  à  peine  effleurée,  et  elle  s'ofl're  encore  intacte  aux 
recherches  des  spécialistes.  A  leurs  veilles  assidues,  je  remets  la  so- 
lution d'un  problème  devant  qui  mon  insuffisance  a  échoué.  Puisse 
cet  appel  international  s'étendre  au  loin!  Que  l'on  soit  né  sur  les 
bords  de  la  Vienne,  de  la  Meuse  ou  du  Rhin,  que   l'on   habite  l'un 

'  Ca|)ellani,  id  ost  aecclcsiastieum  ministeriurn,  tuni  id  quod  ipse  fecit  atque 
congregavit,  qiiam  quod  ad  enm  ex  paterna  hereditate  pervenit,  ut  integrum 
esbot,  neque  uUa  divisione  pcinderetnr,  ordiiiavit.  Si  qiia  antem  invenirentur  aut 
vasa  aut  libri  aut  alla  ornamenta,  qiise  liquide  roiistiret  eidem  caiiellie  ab  eo  con- 
lata  non  fuisse,  hsec  qui  habe.e  vellet,  dato  jn-tae  sestimationis  prœtio,  emerct  et 
bîihfi-ft.  Egintnird.  V>t<r  Car    M'1(J     3Î^. 


328  COFFRET    INCRUSTÉ    ET    ÉMAILLÉ 

OU  l'autre  rampant  des  Vosges,  on  a  un  intérêt  égal  à  sonder  les 
origines  d'un  art  industriel,  cultivé  par  des  hommes  qui  vécurent 
jadis,  en  Aquitaine  comme  en  Germanie,  sous  le  sceptre  des  pre- 
miers rois  franks  et  de  Charlemagne. 

Un  mot  en  terminant  sur  le  Musée  archiépiscopal  d'Utrecht.  Ce 
magnifique  établissement,  trop  peu  visité,  car  il  ne  figure  pas  encore 
que  je  sache  sur  les  Guides  officiels,  est  dû  à  l'énergique  initiative 
de  M.  l'abbé  Van  Heukelum,  curé  do  Jutphaas  ',  qui  a  consacré  à  le 
former  beaucoup  de  temps  et  une  partie  do  sa  fortune.  La  collection 
exclusivement  composée  d'objets  ayant  servi  au  culte  catholique, 
est  riche  en  pièces  d'orfèvrerie,  peintures,  vêtements  sacerdotaux, 
anciens  tissus  et  surtout  en  broderies  liturgiques  ;  elle  s'est  accrue 
par  diverses  libéralités  particulières.  On  y  distingue,  entre  autres 
merveilles,  trois  manuscrits  à  reliures  métalliques,  gemmées  et  fili- 
granées,  du  XII''  siècle  ;  un  crucifix  de  très  vieux  style  ;  le  panneau 
central  d'un  triptyque  byzantin  en  ivoire,  du  XI'  siècle.  Don  précieux 
de  S.  G.  Mgr  l'archevêque  actuel  d'Utrecbt,  ce  morceau  de  toreiitique 
qui  représente  la  sainte  Vierge  debout,  tenant  l'Enfant-Jésus,  peut 
être  mis  en  parallèle  avec  les  beaux  triptyques  de  fépoque  macédo- 
nienne, conservés  au  Musée  chrétien  du  Vatican  et  chez  une  hono- 
rable famille  d'Arras. 

Cli.    DE   LiNAS, 

Membre  honoraire  de  la  Gilde  de  Saint-Bcrniilphe  d'Utrecht. 

'  Jutphaas  est  un  charmant  village  situé  aux  bords  d'un  canal,  à  quelques  kilo- 
mètres d'Utrc  cht.  Li^  pays  e.'-t  beau,  et  les  habitants  valent  encore  mieux  que  le 
pay^.  M.  l'abbé  Van  Heukelum,  que  l'amour  des  antiquités  n'einpcche  pas  d'èire 
un  curé  modèle,  a  récemment  doté  ses  paroissiens  d'une  église  neuve  en  style  du 
XV"  siècle.  11  commence  à  la  meubler,  et  le  début  promet  beaucoup  pour  l'avenir. 
A  côté  d'un  magnifique  tableau,  œuvre  de  quelque  maître  anonyme  de  la  vieille 
école  hollandaise,  on  peut  y  voir  dès  aujourd'hui  un  petit  buffet  d'orgues  tel  que 
je  n'en  ai  jamais  rencontré.  Cette  ciselure  en  bois  de  chêne  doié  et  polychrome 
date  de  la  fin  du  XVI''  siècle;  les  administrateurs  d'un  teaifle  j)rolestant  d'Ams- 
terdam lont  cédée  moyennant  bUU  lloi  ins  —  elle  en  valait  au  moins  3UÛU  —  a  la 
communauté  catholique  de  Jutphaas.  M.  Van  Heukelum  n'a  reculé  devant  aucune 
dépense  pour  l'estaui'er  convenablement  Sun  joli  meuble  qui,  grâce  à  un  habile 
facteur  d'Utrecht,  renferme  un  instrument  digne  de  l'écrin. 


EECÏÏEECHES  ÏÏISTOEIQUES 

SUR 

LES    RITES,    CÉRÉMONIES   ET    COUTUMES 
DE  L'ADMINISTRATION   DU   BAPTÊME 


DEUXIEME    ARTICLE 


CHAPITRE  II. 

RITES^   CÉRÉMONIES  ET    COUTUMES    QUI    ACCOMPAGNENT    OU    ACCOMPAGNAIENT 
JADIS   l'AD3IINISTRATI0N  DU   BAPTÊME. 

ARTICLE  I. 

Introduction  dans  l'église. 

Le  prêtre  impose  rextrémité  de  son  étole  sur  rcnfant,  en  disant  : 
«  N.,  entre  dans  le  temple  de  Dieu  pour  que  lu  aies  part  avec  le 
Christ  à  la  vie  (  ternelle.  Amen.  » 

Dans  quelques  anciens  rituels  de  France,  on  trouve  celle  variante  : 
«  N.,  entre  dans  la  sainte  Eglise  de  Dieu,  afin  d'y  recevoir  de 
Notre-Seigneur  Jésus-Christ  la  bénédiction  céleste  et  d'y  partager 
son  héritage  avec  lui  et  ses  saints.  >j  Dans  l'ancien  cérémonial 
milanais  de  Rérolde,  on  lit  cette  formule  :  «  Entrez,  mes  enfants, 
dans  la  maison  de  Dieu.  Écoutez  votre  Père  qui  vous  enseigne  le 
chemin  de  la  science.  » 

*  Voir  le  luiiiiéro  de  Juillet-Soptenibre  1879,  p.  1Ô8. 


330  DE  l'administration  du  baptême 

On  introduit  solennellement  l'enfant  dans  l'église  pour  marquer 
que  c'est  le  baptême  qui  lui  donne  accès  dans  l'Eglise  de  Jésus-Christ, 
que  désormais  le  temple  saint  sera  sa  maison  et  le  Ciel  sa  patrie, 
parce  qu'il  va  devenir  enfant  de  Dieu  et  que  dans  l'Église  seule  se 
communique  cette  filiation  spirituelle  et  l'opération  du  salut. 

Les  écrivains  du  Moyen-Age  font  observer  que  l'étole  étant  la 
marque  de  l'autorité  du  prêtre,  c'est  ou  l'imposant  sur  la  tête  du 
catéchumène,  que  le  pasteur  ou  son  délégué  introduit  un  nouvel 
agneau  dans  sa  bergerie  ;  que  l'étole,  marquée  de  la  croix,  indique 
aussi  le  joug  de  la  loi  chrétienne  auquel  sera  soumis  le  nouveau 
baptisé. 

Dans  quelques  diocèses  de  France,  comme  à  Toulon,  le  prêtre 
tirait  l'enfant  par  un  des  coins  de  ses  langes,  comme  pour  mieux  lui 
exprimer  la  permission  d'entrer  dans  l'église. 

Nous  voyons  par  les  anciens  rituels  et  surtout  par  ceux  d'Italie  ' 
qu'après  être  entré  dans  l'église,  on  déposait  l'enfant  au  milieu  de 
la  nef,  soit  sur  le  sol  nu,  soit  sur  un  tapis  de  laine  ou  de  soie,  pen- 
dant que  le  prêtre  récitait  quelques  prières.  Dans  le  rite  ambroisien, 
l'enfant  était  aussi  déposé  à  terre,  mais  près  des  fonts,  les  pieds 
tournés  vers  le  baptistère,  tandis  que  le  prêtre  récitait  le  Credo  et  le 
Pater.  Ce  rite  d'humiliation  semble  remplacer  pour  les  enfants  les 
pénitences  qu'on  imposait  aux  catéchumènes.  On  sait  d'ailleurs 
que  le  compétent  se  mettait  à  genoux  pour  solliciter  la  faveur  de 
passer  dans  les  rangs  des  élus.  Dans  presque  tous  les  documents 
hagiographiques  où  sont  relatées  des  demandes  de  baptême,  nous 
voyons  qu'elles  sont  presque  toujours  accompagnées  de  prostra- 
tions. On  aura  sans  doute  voulu  perpétuer  ce  souvenir,  en  prêtant 
aux  enfants  les  sentiments  d'humilité  et  de  supplication  qui  devaient 
animer  les  candidats  adultes. 

Un  ancien  processional  manuscrit  de  Sienne,  communiqué  à 
Trombelli  ^  contient  l'hymne  suivante  qu'on  chantait  en  se  rendant 
aux  fonts  baptismaux  : 


'  Antique  Ordo  d'Aqiiili'e,  cité  par  Bern^rdo  da  Venozia  (t.  I,  p.  39);  Ordo  de 
Raverme  (.XIT  s),  cité  l'ar  Trombelli  [de  fiupt.,  t.  V.  \k  3G7)  ;  Rituel  milanais  de 
S.  Charles  Borruiuée;  anciens  {{ituels  de  Veuisc,  P.ologne,  Mantoue,  Véione,  etc. 

«  D:  B'.'f.l..  t    1,  p.  W^l. 


DE    l'administration    DU    BAITÉME  331 

Rex  sanctorum  angelorum, 
Totum  mundum  adjuva. 
Ora  primum  tu  pro  nobis, 
Virgn,  muter  Germinis, 
Et  mintstri  PatrU  summi 
Oïdines  angelici. 
Rex  sanctorum,  etc. 

Suyiplicate  Chri^to  rcgi. 
Cœius  apoatolici 
Supp/icetqHf  pcr  magnnrum 
Sanyuis  fuaus  martyrum. 

Jmpîorate  confessores, 
Consonentque  virgînes, 
Quo  donelur  nobis  magnœ 
Tempus  indulgentiœ. 

Omnes  scmcti  atque  justi, 
Vos  precamur  cernui, 
Ut  purgetur  crimen  omne 
Vedro  sub  oramine. 

Ci'JHS,  Christe  reclor  aime, 
PI  bis  vota  s(isci}ie 
Ciii  plasmcisti  proto/ila^lum 
Et  genus  gigantiiim. 

Mille  snnctum  nunc  amhorum 
Spiritus  ParacUlum 
In  hxnc  phbem.  qua)n   recenton 
Fons  baptisnd  parturit. 

Fac  interna  foilis  Jtujus, 
Sacrat:nn  mysleraim, 
Qui  profJiixit  cu'ii  cruore 
Sucra  Chrisli  corpore. 

El  lœtclur  mater  aancta, 
Tota,  uunc  Ecclesia, 
Et  profectus  renascentes 
Tantœ  multitudinis. 

Prœsta  Patris  atque  Nati 
Compur  sanc'e  Sj^iritus 
Ut  te  soluin  semper  omni 
Dilijamus  tcmporc. 
Re.v fi-  uct.rn  ».  e!<\ 


332  DE  l'administration  du  baptême 

En  Arménie,  la  femme  qui  tient  l'enfant,  lorsqu'elle  est  entrée 
dans  l'église,  fait  autant  de  génuflexions  que  l'enfant  compte  de 
jours,  après  quoi  elle  le  dépose  sur  le  sol  '. 

ARTICLE  II. 

Les  assistaîits. 

Nous  aurions  pu,  dans  le  chapitre  précédent,  parler  du  cortège 
baptismal  se  rendant  à  l'église;  mais  pour  éviter  les  redites,  nous 
avons  préféré  attendre  que  tous  les  assistants  fussent  groupés  au- 
tour des  fonts,  pour  en  dire  quelques  mots.  Nous  nous  occuperons 
tour  à  tour  du  clergé,  de  l'enfant,  du  porteur  ou  de  la  porteuse  de 
l'enfant,  de  la  sage  femme,  du  parrain  et  de  la  marraine,  du  père 
et  de  la  mère,  des  porteurs  des  Honneurs  du  baptême,  des  fidèles. 

Le  clergé.  —  Le  prêtre,  accompagné  de  deux  clercs,  dont  l'un 
porte  un  flambeau  allumé  et  l'autre  le  vase  de  sel,  est  tourné  vers 
rOrient,  c'est-à-dire  vers  l'autel  majeur.  Le  bedeau  rend  les  services 
qui  rentrent  dans  ses  fonctions,  tandis  que  le  suisse  maintient  l'or- 
dre dans  l'église.  Pour  les  baptêmes  de  première  classe,  le  curé  est 
assisté  de  ses  vicaires  ;  comme,  dans  les  premiers  siècles,  l'évêque 
était  assisté  d'un  certain  nombre  de  prêtres  et  de  diacres,  il  a  été 
longtemps  dusage,  dans  les  baptêmes  postérieurs  de  paroisse,  que 
le  curé  fût  accompagné  d'un  diacre.  Les  capitulaires  d'Othon  11, 
évêque  de  Verceil,  en  font  même  une  obligation  expresse  ^ 

Dans  les  cérémonies  du  baptême  des  enfants  de  France,  le  cardi- 
nal qui  baptisait  était  ordinairement  assisté  de  douze  archevêques 
et  évêques. 

Au  baptême  des  Grecs,  il  y  a  ordinairement  plusieurs  prêtres.  En 
Russie,  le  pope  est  toujours  accompagné,  même  dans  les  baptêmes 
à  domicile,  de  son  diacre  et  de  son  lecteur.  Chez  les  Maronites,  le 
diacre,  en  se  rendant  à  la  porto  de  l'église  pour  recevoir  l'enfant, 
porte  l'encensoir  et  le  vase  d'eau  bénite  dont  le  jeune  catéchumène 
doit  être  aspergé,  après  avoir  été  béni  par  un  signe  de  croix  ■'.  Dans 

'  Léon  Boié,  Armcnic,  p    13'i. 

-  Cap.  XX,  ap.  d'Acliéiy,  Spicil.,  t.  VIll,  p.  9. 

■'  J.  A.  Assenvini,  <'0(K  h'(m(i.,  1.  Il,  c.  5,  p    310. 


i)i':  l'auministuation  m:  15AI'Témi£  333 

le  Rituel  éthiopien  du  X"  siècle  le  ministre  est  accompngné  d'un 
prêtre  assistant,  d'un  diacre  et  d'un  sous-diacre  '. 

L'enfant.  —  Les  enfants  des  familles  riches  sont  revêtus  d'une 
robe  blanche,  d'une  pelisse  et  dun  chrèmeau  brodé  dont  le  prix  est 
parfois  fort  élevé, 

En  Italie,  la  sage-femme  procure  ordinairement  aux  enfants  pau- 
vres, soit  comme  prêt,  soit  comme  don,  des  vêtements  peu  en  har- 
monie avec  leur  condition  future.  Dans  les  villages  du  Var,  l'enfant 
est  enveloppé  dans  une  petite  couverture  de  soie  frangée,  qu'on 
appelle  toilette.  Dans  chaque  village,  il  y  en  a  deux  ou  trois  qu'on 
emprunte  succsssivement  pour  les  baptêmes  -.  Plusieurs  conciles  et 
divers  rituel  ^  se  sont  vainement  élevés  contre  cet  usage  de  parer 
l'enfant  si  luxueusement  et  de  lui  faire,  pour  ainsi  dire,  violer  en 
entrant  dans  la  vie  chrétienne  la  promesse  qu'il  va  faire  à  Dieu  de 
renoncer  aux  pompes  du  monde. 

En  Allemagne,  au  Moyen-Age,  les  enfants  des  princes  étaient  sou- 
vent portés  à  l'église  sous  un  dais.  Ste  Elisabeth  de  Hongrie  fut 
ainsi  conduite  <'  sous  un  dais  qui  était  ce  qu'on  avait  pu  trouver  de 
plus  beau  à  Bade,  où  était  alors  un  des  principaux  entrepôts  du  luxe 
oriental  *.  » 

Le  porteur  ou  la  porteuse  de  l'enfant.  —  Aujourd'hui  l'enfant  est 
presque  toujours  porté  par  une  femme  :  c'est  ordinairement  la 
garde  de  l'accouchée,  la  sage-femme,  quelquefois  la  nourrice  ou 
une  voisine,  très  rarement  la  marraine.  A  Paris,  le  parrain  et  la 
marraine  montent  dans  la  première  voiture  où  ils  occupent  la 
place  d'honneur,  ayant  devant  eux  le  père  de  l'enfant  et  la  garde  de 
l'accouchée,  porteuse  de  l'enfant.  C'est  elle  qui  entre  la  première 
dans  l'église,  précédée  du  suisse  et  du  bedeau;  viennent  ensuite  le 
parrain  et  la  marraine,  puis  le  père  et  enfin  les  invités. 

A  Ferrare,  c'est  souvent  une  jeune  fille,  amie  de  la  famille,  qui 
porte  l'enfant.   Dans  les  baptêmes  princiers,   cette   charge   était 

1  Ordo  hapt.  ^Ih'op.,  ap.  P  ir.  lut.,  t.  138,  col.  936. 

-  Mgr  Jaufiret,  Mœurs  et  coutumes  du  canton  de  la  Rochebraisane  {Var). 

3  Conciles  de  Milan  (1579),  d'Aix  (1585);  Rituel  de  S.  Charles  Borromée  ; 
Constitut.  synod.  de  S.  Franc,  de  Sales;  Instruct.  syn.  de  Godeau,  év.  de 
Grasse,  etc. 

*  De  MontalemberL  .Vie  de  Ste  Elisabeth,  eh.  1. 


33-4  !>!■;    l/.UiMINISTRATlON    DU    BAPTÊMK 

pnrfois  remplie  pnr  un  homme  :  ainsi  le  fils  d'Anne  de  Bretagne  et 
de  Charles  YIII  fut  porté  par  le  prince  d"Or;inge, 

La  sagk-femme.  —  Alors  qu'on  immergeait  l'enfant  entièrement 
nu  dans  les  fonts,  c'était  la  sage-femme  qui  devait  déshabiller  et 
rhabiller  l'enfant. 

A  Naples,  la  sage -femme  se  rend  à  l'église  dans  une  portantine, 
espèce  de  chaise  à  porteurs,  couverte  de  plumes,  de  dorures  et  de 
petits  anges  peints,  ha.  vamma?ia,  en  costume  de  gahi,  tient  le  nou- 
veau-né dans  ses  bras,  la  tète  à  droite  si  c'est  un  garçon,  à  gaucho 
si  c'est  une  fille.  Les  conviés  suivent  à  pied  la  litière.  Dans  l'église, 
la  sage-femme  se  substitue  au  sacristain  pour  donner  la  réplique 
au  ministre  qui  baptise  *. 

A  Auray,  le  cortège  s'ouvre  par  le  père  donnant  le  bras  à  la  sage- 
femme,  parée  de  ses  plus  beaux  atours.  Plus  d'un  voudrait  se  dis- 
penser de  cette  corvée  traditionnelle,  mais  n'ose  point  s'en  affran- 
chir, dans  la  crainte  de  passer  pour  trop  fier. 

Dans  le  diocèse  de  Chiimbéry,  une  sage-femme  ne  peut  assister 
aux  cérémonies  du  baptême  qu'avec  une  permission  écrite  de  l'é- 
vêque  ;  elle  n'est  accordée  (ju'à  celles  qui  sont  mariées  ou  veuves  et 
qui,  par  un  certificat  de  leur  curé,  ont  témoigné  qu'elles  savent  on- 
doyer ^ 

Un  curé  peut-il  refuser  d'administrer  le  baptême  h  un  enfant  que 
présente  une  sage- femme  de  mauvaises  mœurs?  C'est  là  une  ques- 
tion dont  la  solution  appartient  à  l'autorité  ecclésiastique.  Toute- 
fois, le  Conseil  d'Etat  a  rendu  à  ce  sujet  une  ordonnance  en  date  du 
11  janvier  1829.  L'abbé  Gilbert,  curé  de  Dammartin  (Vosges),  avait 
refusé  de  baptiser  les  enfants  que  présentait  la  dame  Bogard,  sage- 
femme,  dont  la  conduite  était  immorale  ;  celle-ci  porta  plainte  au 
Conseil  d'Elat,  lequel  déclara  qu'il  y  avait  eu  abus,  en  cons'dérant 
«  que  le  refus  d'administrer  le  baptême  à  un  enfant  sur  le  fonde- 
ment que  la  personne  que  les  parents  ont  chargé  de  veiller  h  sa  con- 
servation et  de  le  présenter  à  l'église,  n'est  pas  agréée  par  le  curé, 
est  abusif,  puisque  d'une  part  cette  personne  ne  participe  point  à 
la  cérémonie  religieuse  du  baptême  et  que,  de  l'autre,  aucune  règle 

•  Marc  Monnier,  Naplrs  et  les  NapoVta!ns,  d;ins  le  Tour  du  Monde,  t.  IV,  p.  234. 

-  t'onst't.  syn.  du  dioc.  de  Cliambéry  (18il),  p.  171. 


DE   i/aDMIXISTII    TION    PL    B  .PTtlME  '^35 

canonique  admise  dans  le  royaume  n'autorise  les  curés  ou  desser- 
vants à  n'admettre  en  pareil  cas  que  des  personnes  agréées  par 
eux  '.  » 

En  Arménie,  c'est  la  sage-femme  qui  tient  l'enfant  jusqu'au  mo- 
ment de  l'immersion,  mais  c'est  le  parrain  qui  le  reçoit  des  fonts  et 
qui  le  ramène  à  la  maison  maternelle. 

En  Grèce,  l'enfant  qu'on  baptise,  même  à  domicile,  est  porté  en- 
tre les  bras  de  la  mamnii  (accou<  heuse). 

Le  parbaix  ei  la  marraine.  —  Durant  la  cérémonie,  le  parrain  et 
la  marraine  se  tiennent  debout,  le  premier  à  la  droite,  la  seconde 
à  la  gauche  de  la  personne  qui  tient  l'enfant.  Dans  l'antiquité,  les 
parrains  portaient  eux-mêmes  l'enfant,  comme  l'indique  le  nom  de 
gestantes,  porrir/entes  qu'on  leur  donnait.  Cet  usage  a  persévéré 
dans  tout  le  cours  du  Moyen-Age  et  s'observe  encore  dans  quelques 
contrées  de  l'Orient  et  de  l'Occident. 

Aux  baptêmes  solennels  des  enfants  de  France,  c'était  tantôt  le 
parrain,  tantôt  la  marraine  qui  portait,  sur  un  carreau  de  velours, 
l'enfant  emmailloté  dans  des  langes  de  soie  et  de  dentelles. 

En  Belgique  et  chez  les  Maronites,  c'est  la  marraine  qui  tient 
l'enfant  dans  ses  bras  pendant  la  cérémonie  ;  dans  le  Tyrol,  c'est  le 
parrain.  Pour  se  rendre  à  l'église,  il  faut  souvent  descendre,  pendant 
plusieurs  lieues,  do  la  montagne,  par  des  chemins  abrupts  :  aussi 
les  parents  ont-ils  soin  de  choisir  avant  tout  un  parrain  robuste  et 
adroit  qui  ne  soit  pas  exposé,  par  une  chute  malencontreuse,  à  com- 
promettre l'existence  de  leur  enfant. 

A  Venise,  où  les  parrains  sont  nombreux,  parfois  de  vingt  à  cent, 
ils  se  rangent  en  demi-cercle  depuis  la  porte  de  l'église  jusqu'à  la 
chapelle  baptismale,  et  souvent  ils  se  passent  i'enfaut  de  main  en 
main  pour  le  faire  arriver  jusqu'aux  fonts. 

Le  père  et  la  mère.  —  Dans  les  contrées  où  l'enfant  est  baptisé 
quelques  jours  après  sa  naissance,  le  père  seul  est  présent  au  bap- 
tême. Dans  la  primitive  Église,  les  parents  assistaient  au  baptême  de 
leur  enfant  ;  il  en  était  encore  ainsi  en  Allemagne  au  X'^  siècle.  Mais 
en  Angleterre,  en  Espagne,  en  France  et  ailleurs,  il  était  recom- 
mandé au  père  de  ne  point  venir  a  cette  cérémonie.  Un  écrivain 

*  Dalloz,  Léyid.  ou  truite  des  cultes,  n.  25G,  note. 


336  L»E    l'aLi.MIiMSTHATIUN    du    BAPTÈMl' 

du  XI I"  siècle,  le  cardinal  Robert  Pullen',  déclare  que  c'est  seulement 
en  cas  de  nécessité  qu'un  père  peut  porter  lui-même  son  enfant  au 
baptistère,  en  violant  ainsi  l'antique  usage  de  l'Kgiise.  11  explique 
qu'en  raison  de  la  confusion  produite  par  l'immense  concours  des 
fidèles  au  baptême  pascal,  il  pourrait  arriver  qu'un  père  levât  son 
propre  enfant  des  fonts  et  contractât  ainsi  affinité  avec  sa  femme. 
C'est  là  un  fait  qui  se  produisit  quelquefois,  comme  le  témoigne 
une  lettre  adressée  par  f  évèque  Gordien  au  pape  Adéodat  ^ 

Lorsque  le  baptême  se  donna  isolément,  à  toutes  les  époques  de 
l'année,  l'inconvénient  disparut,  et  la  règle  de  prudence  devait 
tomber  en  désuétude.  Cependant  la  force  traditionnelle  des  cou- 
tumes est  si  grande  que,  dans  diverses  contrées,  en  Suède,  en  Grèce 
et  dans  quelques  provinces  de  France,  il  reste  interdit  par  l'usage, 
sans  qu'on  s'en  explique  l'origine,  que  le  père  assiste  au  baptême 
de  son  enfant.  Il  en  est  ainsi  dans  l'Agenais.  Un  père  qui  agirait 
différemment  heurterait  toutes  les  idées  reçues,  violerait  les  conve- 
nances établies  et  commettrait  une  véritable  excentricité.  Un  pro- 
cureur de  la  République,  parisien  par  l'éducation  et  fhabitude, 
voulut,  nous  a-t-on  raconté,  braver  ce  préjugé  en  assistant  succes- 
sivement au  baptême  de  ses  trois  enfants  :  mais  ce  ne  fut  pas  sans 
soulever  une  réprobation  presque  générale,  et  pourtant  personne 
ne  savait  lui  expliquer  ou  lui  motiver  l'usage  en  question. 

En  Grèce,  même  dans  le  baptême  à  domicile,  le  père  et  la  mère 
n'assistent  pas  au  baptême  ;  ils  se  tiennent  dans  une  pièce  voisine. 
Chez  les  Coptes,  les  Syriens  et  les  Nestoriens,  c'est  la  mère  qui 
présente  elle  même  son  enfant;  comme  lui,  elle  doit  être  à  jeun  ^ 
Chez  les  Puritains  de  la  Grande-Rretague,  le  père  présente  son 
enfant,  mais  il  peut  se  faire  remplacer  par  un  délégué. 

Porteurs  des  honneurs  du  baptême.  On  appelait  Honneurs  du 
baptême  divers  objets  nécessaires  pour  son  administration  et  que 
les  familles  riches  portaient  à  l'église  :  c'était  le  cierge,  le  chrémeau, 
la  salière,  l'aiguière,  le  bassin  et  la  serviette.  On  confiait  l'honneur 
de  les  porter  à  de  proches  parents  ou  à  des  invités  de  distinction. 


'  Scnlenc,  1.  VIII.  c.  17. 

*  Deusdedit,  Epist.adGordiari.,  ap.Gratien.  Décret.,  part. II,  caus.30,  q.  1,  cl, 

'  Asseiiiaiii,  Cod.  lil.,  1.  I,  c.  5. 


uv.  l'administration  du  baptême  337 

Dans  le  Ponthieu,  une  sœur  du  nouveau-né  portail  Taiguièrc  baptis- 
male que  Ton  conservait  de  père  en  fils  parmi  les  meubles  les  plus 
vénérés  de  la  famille,  tandis  qu'un  des  frères,  qu'on  nommait  par- 
?*«m  à  cha7idelle  tenait  un  cierge'.  Dans  les  plus  anciens  baptêmes 
princiers,  nous  ne  voyons  figurer  que  deux  Honneurs.  Ainsi  au 
baptême  de  Charles  VII,  Hugues  de  Châtillon,  seigneur  de  Dam- 
pierre,  portait  le  cierge,  et  le  comte  de  Tancarville  la  coupe  de  sel. 
Plus  tard  les  insignes  se  multiplièrent  :  en  1518,  au  baptême  de 
François,  fils  aine  de  François  I",  le  chrémeau  était  porté  par  le 
duc  de  Vendôme,  le  bassin  par  Mgr  de  Saint-Paul,  l'aiguière  par 
M.  de  Genève,  le  cierge  de  cire  vierge  par  le  Connétable  duc  de 
Bourbon,  la  saunïère  par  le  duc  d'Alençon,  le  reposoir  du  Dauphin 
par  M.  de  Lescar  ^ 

Les  fidèles.  Dès  les  premiers  siècles,  le  baptême  ne  se  conférait 
pas  en  secret,  mais  devant  les  fidèles  qui  servaient  pour  ainsi  dire 
de  témoins.  C'est  ainsi  que  beaucoup  de  commentateurs  interprè- 
tent ces  paroles  de  S.  Paul  à  Timotliée  :  «  Vous  qui  avez  produit 
votre  confession  de  foi  devant  de  nombreux  témoins  (1  Tim.  vi,  12)  » 
S.  Grégoire  de  Naziance  nous  dit  ^  que  le  catéchumène  convoquait 
pour  cette  cérémonie  ses  parents  et  ses  amis.  Nous  verrons  plus 
tard  que  les  hommes  n'assistaient  pas  au  baptême  des  femmes,  ni 
les  femmes  à  celui  des  hommes. 

Les  païens,  les  juifs  et  les  hérétiques  ne  pouvaient  assister  à  ces 
rites  augustes.  Les  mêmes  prescriptions  ont  été  renouvelées  au 
XVI  siècle  par  divers  Conciles  %  peut-être  à  cause  de  la  conduite 
scandaleuse  qu'ils  tenaient  en  ces  circonstances. 

Ces  mêmes  synodes  interdirent  l'entrée  de  l'église  aux  joueurs 
de  tambours  et  de  violon  qui  précèdent  parfois  le  cortège  baptismal 
et  qui  troublent  par  leur  musique  la  sainteté    de  la  cérémonie. 

En  Abyssinie,  les  femmes  restent  à  la  porte  de  Téglise  pendant 
radministration  du  baptême  '\ 

*  Louandre,  Hisl.  cVAbbeville,  t.  Il,  p.  191. 

*  Godefroy,  Cérém.  franc.,  t.  II,  p.  139. 
3  Oral.  XL. 

*  \'^  Concile  de  Milan  (1579),  Conciles  d'Aix  (1585),  de  Toulouse  (1590),  de 
Narbonne  (IGOO);  Rituel  de  Grégoire  XIII  (158i),  etc. 

^  Lubo,  Belat.  hist.  d'Abyssinie,  p.  317. 

ÎI^Rprio,  tome  XT.  2! 


338  DE  l'administration  du  baptême 


ARTICLE    III. 

Récitation  du  Symbole  et  de  l'Oraiso?i  dominicale  ou  profession 

de  foi. 

Lorsque  le  cortège  est  entré  dans  l'église,  le  prêtre,  s'avançant  vers 
les  fonts  avec  le  parrain  et  la  marraine,  dit  conjointement  avec  eux 
à  haute  voix  le  Credo  et  le  Pater  '. 

Le  texte  du  Rituel  romain  laisse  supposer  qu'on  peut  réciter  ces 
prières  en  marchant  :  divers  rituels  diocésains  prescrivent  de  les  dire 
à  genoux  ;  d'autres  gardent  le  silence  à  ce  sujet.  En  diverses  pro- 
vinces, cette  récitation  se  fait  en  langue  vulgaire. 

Quelques  écrivains,  comme  Bingham,  ont  coijfondu  la  profession 
de  foi,  c'est-à-dire  la  récitation  àuCredo  par  le  catéchumène  adulte 
ou  par  les  parrains  au  nom  de  l'enfant,  avec  les  interrogations  sur 
la  foi,  qui  précèdent  immédiatement  l'immersion.  Ce  sont  là  deux 
rites  très  distincts  qui  sont  réunis,  il  est  vrai,  dans  l'Euchologe  grec, 
mais  qui  restent  séparés  dans  la  liturgie  latine  et  dont  l'origine  est 
différente. 

La  récitation  du  Credo,  que  les  écrivains  du  Moyen-x\ge  appellent 
credulitas  ^  est  un  vestige  de  la  récitation  du  symbole  par  les  caté- 
chumènes à  l'un  des  scrutins  préparatoires,  le  plus  ordinairement  le 
jeudi  ou  le  samedi  saint.  Au  Moyen-Age,  tantôt  le  Credo  et  le  Pater 
étaient  récités  par  le  parrain  et  la  marraine  ^  tantôt  il  était  chanté 
par  l'officiant,  en  grec  pour  les  garçons,  en  latin  pour  les  filles  *. 
Au  XYIIP  siècle  encore,  à  Saint-Maurice  de  Vienne,  le  mercredi  de 
la  quatrième  semaine  de  Carême,  un  sous-diacre,  tenant  un  enfant, 

'  Saceidos  procedens  ad  fontem  cum  susceptoribus,  conjunctim  clara  voce  dicit  : 
Credo,  Pater.  Certaines  éditions  du  Rituel  ayant  mis  une  virgule  après  conjun- 
ctim  et  non  auparavant,  des  commentateurs  en  ont  conclu  qu'il  n'est  pas  prescrit 
aux  parrains  de  réciter  le  Credo  et  le  Pater  avec  le  prêtre.  C'est  tout  à  fait  mé- 
connaître l'esprit  de  cotte  cérémonie  dont  nous  allons  bientôt  rapporter  l'origine. 

*  Hildeph.,  de  Coijnitione  Bapt.,  c.  36;  Theodulph.,  de  Ord.  Bapt  ,  c.  7  ;  Lei- 
drade,  de  Siicr.  Bapt.,  c.  5. 

»  Le  faux  Alcuin,  de  Div.  Offir  ,  c.  19. 

*  Hnnor.,  Gemm  .  1.  III,  c.  C7. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  339 

récitait  le  Ct'edo  en  son  nom  et  au  nom  de  tous  ceux  qui  devaient 
être  prochainement  baptisés  '. 

Les  catholiques  professent  que  le  symbole  fut  composé  par  les 
apôtres,  alors  que,  réunis  à  Jérusalem,  ils  allaient  se  disperser  dans 
l'univers  entier.  Les  protestants,  intéressés  à  nier  l'apostolicité  de 
cette  prière,  n'y  voient  autre  chose  qu'une  sorte  de  développement 
des  interrogations  baptismales,  accrues  peu  à  peu  jusqu'à  ce  qu'elle 
soit  devenue,  au  lY"  siècle,  une  règle  de  foi  ^  Il  est  assez  probable  que 
la  formule  actuelle  de  rédaction  date  de  cette  époque,  car  nous  trou- 
vons des  variantes  dans  les  fragments  que  nous  ont  laissés  S.  Iré- 
née,  Origène,  Tertullien,  S.  Cyprien,  l'auteur  des  Constitutions  apos- 
toliques, S.  Grégoire  de  Naziance,  S.  Cyrille  de  Jérusalem,  etc. 
Mais  ces  formules,  diverses  par  l'expression,  sont  identiques  quant 
au  fond.  Plus  tard,  on  remarque  encore  des  nuances  de  forme 
dans  les  symboles  récités  au  baptême  que  nous  trouvons  dans 
les  sacramentaires  d'Orient  et  d'Occident.  Parfois  aussi,  au  sym- 
bole des  apôtres  on  substitua  celui  de  Nicée  (325),  de  Constanti- 
nople  (381),  de  Chalcédoine  (431)  ou  celui  dit  de  S.  Athanase,  que 
divers  critiques  attribuent  à  Vigile,  évêque  de  Tapse,  à  la  fin  du 
Y'  siècle. 

Dans  les  temps  primitifs,  le  Pater  fut  expliqué  aux  catéchumènes, 
d'abord  le  lundi  après  le  dimanche  des  Rameaux,  et,  plus  tard,  le 
mercredi  de  la  quatrième  semaine  de  Carême.  Les  catéchumènes  le 
récitaient  le  jour  même  de  leur  baptême,  quelquefois  immédiate- 
ment après  le  Credo,  mais  le  plus  ordinairement  entre  la  confirma- 
tion et  le  sacrifice  de  la  messe,  alors  qu'ils  avaient  vraiment  con- 
quis le  droit,  comme  le  remarque  saint  Jean  Chrysostome  ^  de 
nommer  Dieu  leur  père. 

La  récitation  de  VAve  Maria  ne  commence  à  être  prescrite  que 
dans  les  rituels  des  XIV"  et  XY'^*  siècles,  époque  où  le  culte  de  la 
sainte  Yierge  prit  un  grand  développement.  Dans  beaucoup  do  ri- 
tuels modernes,  l'ordre  ancien  est  interverti  :  on  récite  d'abord  le 
Pater,  puis  VAve  Maria,  et  enfin  le  0'^(/o. 


*  Moléon,  Voy.  liturg.,  p.  20. 

'  De  Pressenssé,  Hist.  des  trois  prem.  siècles  de  VÉglise,  t   II,  p.  207. 

'  Homil.  79  ad  pop.  Antioch. 


340  DE    L  ADMINISTRATION    Dlj    BAPTÊMK 

En  Grèce,  c'est  le  prêtre  seul  qui  récite  le  symbole  de  Nicée,  par 
trois  fois,  immédiatement  avant  les  interrogations  sur  la  foi.  Dans 
le  rite  éthiopien  du  .V  siècle,  les  catéchumènes  tournés  versl'Orient, 
la  main  droite  levée,  récitent,  en  employant  la  forme  plurielle  Cre- 
dimus,  un  abrégé  du  symbole  que  le  prêtre  vient  de  dire  tout  en- 
tier '. 

ARTICLE  IV. 

Insalivatio7î. 

Le  prêtre,  avant  de  procéder  à  l'insalivation,  prononce  l'exorcisme 
suivant  :  «  Je  t'exorcice,  légion  des  esprits  immondes,  au  nom  de 
Dieu,  Père  tout-puissant  '^,  et  au  nom  de  Jésus-Christ,  son  Fils, 
notre  Seigneur  et  juge  +,  et  dans  la  vertu  do  l'Esprit-Saint  H-; 
afin  que  tu  t'éloignes  de  cette  créature  do  Dieu,  N.,  que  Notre-Sei- 
gneur  a  daigné  appeler  à  son  saint  temple,  afin  qu'elle  devienne 
temple  de  Dieu  vivant  et  que  l'Esprit-Saint  habite  en  elle.  Par  le 
même  Christ  Notre-Seigneur,  qui  doit  venir  juger  les  vivants  et  les 
morts  et  le  siècle  par  le  feu.  Amen.  » 

Le  prêtre  prend  alors  de  la  salive  de  sa  bouche,  touche  l'oreille 
droite  et  l'oreille  gauche  de  l'enfant,  en  disant  :  «  Ephpheta,  c'est- 
à-dire  :  ouvre-toi  »,  puis  les  riarines,  en  disant  :  «  En  odeur  de  sua- 
vité. Quant  à  toi,  diable,  enfuis-toi.  » 

Les  anciens  croyaient  que  la  salive  avait  un  grand  pouvoir  contre 
les  enchantements  ^  :  aussi  les  nourrices  et  les  matrones  frottaient- 
elles  le  front  et  les  lèvres  du  nouveau-né  avec  un  peu  de  terre  dé- 
layée dans  de  la  salive  ^  Notre-Seigneur  a  communiqué  une  vertu 
surnaturelle  à  cette  lustration,  en  l'employant  pour  la  guérison  de 
l'aveugle-né.  «  Jésus  en  passant,  nous  dit  S.  Jean  (ix,   1),  vit  un 

'    Pair.  lat,t.  138.  col.  93'l. 

'   Ecce  avia,  aut  metuens  divum  matertera  runis 

Exemit  piierum.  frontemque  atque  uda  labella 

Iiifanii  digito,  et  Instralibus  ante  salivis 

Expiât,  uientes  oculos  inhiberc  perita. 

Perso,  Saf.  II,  31. 
'  Pline,  Hist.  nat.,  1.  XXVIII.  c.  4. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  341 

homme  qui  était  né  aveugle...  Il  cracha  à  terre,  et,  ayant  fait  de  la 
boue  avec  sa  salive,  il  en  frotta  les  yeux  de  l'aveugle  et  lui  dit  : 
allez  vous  laver  dans  le  bain  de  Siloé.  L'aveugle  s'en  alla  donc,  se 
lava  et  recouvra  la  vue.  »  D'un  autre  côté,  S.  Marc  (vu,  32)  nous 
raconte  que  Jésus,  prenant  à  l'écart  un  sourd-muet, lui  mitlesdoigts 
dans  les  oreilles,  et  ayant  tiré  de  sa  salive,  lui  toucha  la  langue  ; 
puis,  levant  les  yeux  au  ciel,  il  jeta  un  soupir  en  disant  :  Ephpheta, 
mot  syriaque  qui  signifie  :  ouvrez-vous,  et  aussitôt  les  oreilles  du 
sourd-muet  s'ouvrirent,  sa  langue  se  délia  et  il  parla  librement.  Ce 
sont  ces  deux  actions  du  Sauveur  que  l'Église  a  voulu  imiter  pour 
leur  faire  produire  les  mômes  grâces,  pour  indiquer  que  l'âme  de 
l'enfant,  jadis  sourde  à  la  vraie  doctrine,  va  être  guérie  par  le  bap- 
tême, et  que  désormais  il  devra  tenir  les  oreilles  ouvertes  aux  en- 
seignements de  Jésus-Christ. 

Puisque  Notre-Seigneur  toucha  la  bouche  du  muet  de  l'Évangile, 
on  pourrait  se  demander  pourquoi  l'onction  de  la  salive  se  fait  sur 
les  oreilles  et  les  narines  et  non  pas  sur  les  lèvres  du  catéchumène. 
L'auteur  du  Livre  des  Sacrements  en  donne  une  raison  de  conve- 
nance, en  disant  qu'il  ne  siérait  pas  au  ministre  de  toucher  la  bouche 
d'une  femme.  Il  faut  en  conclure  qu'on  a  substitué  les  narines  aux 
lèvres;  mais  cette  modification  n'a  pas  été  universelle,  car  des  écri- 
vains du  Moyen-Âge  '  nous  disent  qu'en  divers  endroits  on  touchait 
avec  la  salive  la  langue  ou  la  bouche  du  catéchumène. 

Les  écrivains  ecclésiastiques  expliquent  le  symbolisme  de  celte 
cérémonie.  «  Pourquoi,  demande  S.  Ambroise  ^  le  prêtre  vous  a- 
t-il  touché  les  oreilles?  C'a  été  pour  les  ouvrir  à  la  parole  sainte.  Il 
vous  a  pareillement  touché  les  narines  pour  vous  faire  respirer  la 
bonne  odeur  de  la  piété  éternelle,  afin  que  vous  puissiez  dire  avec 
l'Apôtre  :  Nous  sommes  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ,  et  que  vous 
répandiez  partout  celle  de  la  foi  et  de  la  piété.  ^  Des  auteurs  posté- 
rieurs et  surtout  les  liturgisles  du  Moyen-Age  ^  développent  ces 

'  Leidiade,  de  Suer.  Baptism.;  Hayiûon,  Homil.  in  domia.  XIII  post  Pentec. 

*  De  Sacram.,  c.  1. 

'  Chrysol.,  Serm.  LII;  Johan.  diac,  Epi^t.  ad  S  nar.,  n.4;  Hildeph.,  de  Coijnit. 
Bapt.,  c. 21  -fTheodulph.,  ie  Buj)t.,  c.  d,  Jessé,  Ejiist  de  B>.ipl .;  ^lagi^us,  de  Myat. 
Baptism.;  Amalaire,  de  Cœrem.  BapL;  Rhab.,  de  Instil.  cicr..,  1.  I,  c.  27;  Beda, 
1.  l,  llnmif.  10:  Tlonov..  Hemni.  (mnii.,  1.  III,  c.  13. 


342  DE  l'administrat'On  du  baptême 

pensées  ;  mais  nous  ne  trouvons  l'indication  de  ce  rite  dans  aucun 
écrivain  des  trois  premiers  siècles  ;  il  nous  semble  probable  qu'il  fut 
institué  au  commencement  du  IV%  et  que  ce  fut  comme  une  mise 
en  action  de  l'oraison  qu'on  disait  le  vendredi-saint  pour  que  Dieu 
ouvrît  aux  catéchumènes  les  oreilles  du  cœur. 

En  général  on  se  servait  de  salive,  comme  aujourd'hui,  pour  tou- 
cher les  oreilles  et  les  narines  ;  mai-s  parfois,  pour  mieux  imiter 
l'action  de  Notre-Seigneur,  on  détrempait  un  peu  de  terre  avec  la 
salive,  et  c'est  ce  qu'on  faisait  encore  au  XYllP  siècle  à  Salzbourg  '. 
Ailleurs,  tantôt  on  se  contentait  de  toucher  les  oreilles  et  les  narines 
sans  aucune  matière,  tantôt  on  employait  de  l'huile  au  lieu  de  sa- 
live ^ 

Il  n'y  eut  pas  toujours  uniformité  dans  le  mode  d'application.  Des 
rituels  du  Moyen-Age  prescrivent  de  toucher  les  narines  avant  les 
oreilles.  A  Soissons,  au  XIIT  siècle,  on  insalivait  d'abord  l'oreille 
droite,  puis  les  narines  et  enfin  l'oreille  gauche  ^  Dans  un  ancien 
rituel  de  Paris,  -cet  exorcisme  se  faisait  immédiatement  avant  la  ré- 
citation du  symbole.  Ici,  on  ne  mouillait  que  le  pouce  ;  là,  le  pouce 
et  l'index  *.  Beaucoup  de  rituels  disent  que  pour  faire  convenable- 
ment cette  cérémonie,  le  prêtre  doit  se  tourner  un  peu  de  côté,  cra- 
cher doucement  dans  la  main  gauche,  prendre  de  cette  salive  avec 
le  pouce  de  la  main  droite  et  appliquer  ensuite  les  onctions  aux 
oreilles  et  aux  narines  du  catéchumène  ;  il  en  est  d'autres,  comme 
le  pastoral  de  Malines,  qui  prescrivent  de  prendre  la  salive  dans  la 
main  gauche,  en  y  faisant  un  signe  de  croix. 

Clément  YIII  accorda  aux  missionnaires  du  Maduré  et  de  Malabare 
la  permission  d'omettre  l'insalivaiion  qui  répugnait  aux  infidèles  de 
ces  contrées.  Benoît  XIY  prorogea  de  dix  années  seulement  cette 
autorisation  ^  En  1561,  la  régente  Catherine  de  Médicis  écrivait  une 
longue  lettre  au  pape  Léon  IV  pour  lui  demander  de  supprimer, 
dans  les  cérémonies  du  baptême,  un  certain  nombre  d'exorcismes  et 
spécialement  l'insalivation  qui  pouvait,  selon  elle,  avoir  desincon- 

1  Claudo  de  Vert,  Cêrém.  de  l'É^jl.,  t.  11,  oh.  I,  p.  15. 

^  Leidrade,  de  Sacr.  Bapt.,  c.  "2. 

'  Rituel  de  Nevelon,  p.  'J8. 

*  Ord.  baptism.  (X«  siècle),  ap.  Gerbert,  Monum.  vet.  lit.  alcman. 

■'  Benpdict.  XIV,  Ope>\,  t.  I,  Bidlor.,  p  181. 


DE   l'administration    DU    BAPTÊMli  343 

vénients  contagieux.  Le  pape,  loin  d'accueillir  cette  demande,  prit 
des  mesures  pour  qu  elle  ne  fût  point  connue.  Le  président  de  Tiiou 
l'ayant  publiée  dans  son  Histoire  universelle,  cette  divulgation  contri- 
bua à  faire  con  Jamuer  cet  ouvrage  à  Rome  par  un  édit  daté  de  1610. 

Linsalivation  n'a  jamais  été  pratiquée  par  les  églises  orientales. 
Comme  les  oreilles  et  les  narines  étaient  comprises  parmi  les  onc- 
tions qui  se  faisaient  par  tout  le  corps,  on  a  pu  considérer  ces  onc- 
tions comme  remplaçant  l'iusalivation  latine. 

Les  protestants  ont  toujours  rejeté  ce  rite,  et  quelques-uns  de 
leurs  docteurs,  comme  \Yolgang,  Calvin  et  Théodore  de  Bèze  l'ont 
attaqué  avec  la  plus  grande  violence. 

ARTICLE  V. 

De  la  dériudation. 

Dans  quelques-uns  des  rites  que  nous  venons  d'examiner  et  sur- 
tout dans  ceux  qui  vont  suivre,  le  catéchumène  était  dépouillé  soit 
de  tous  ses  vêtements,  soit  d'une  partie  d'entre  eux.  Pour  ne  pas 
être  obligé  de  revenir  à  diverses  reprises  sur  le  même  sujet,  nous 
allons  consacrer  cet  article  à  tout  ce  qui  concerne  la  dénudation  des 
catéchumènes,  adultes  ou  enfants,  soit  pour  l'immersion,  soit  pour 
divers  rites  accessoires  du  sacrement. 

Certains  écrivains,  appliquant  au  passé  les  sentiments  de  la  pu- 
deur moderne,  ont  obscurci  cette  question  ;  ils  ont  confondu  les 
habitudes  de  l'Occident  avec  celles  de  l'Orient,  les  coutumes  des  pre- 
miers siècles  avec  celles  du  Moyen-Age,  et  ils  ont  donné  à  leurs  hy- 
pothèses, plus  ou  moins  plausibles,  le  ton  de  l'affirmation.  Nous 
tâcherons,  comme  à  l'ordinaire,  de  dégager  la  vérité  des  textes  et 
de  ne  pas  changer  les  probabilités  en  certitude,  ni  les  faits  excep- 
tionnels en  généralités. 

Il  est  certain  que  les  catéchumènes  se  dépouillaient  de  tous  leurs 
vêtements  pour  descendre  dans  la  piscine.  S.  Cyrille  de  Jérusalem 
dit  aux  néophytes  '  :  «  Vous  étiez  nus  à  la  vue  de  tout  le  monde  et 
vous  n'en  aviez  point  de  honte.  »  «  Vous  êtes  descendus  nus  dans  la 

'  Cai.  II  wy.t. 


344  DE    LADMINISTUATION    DU    BAPTÊME 

fontaine,  dit  S.  Zenon  \  mais  bientôt  vous  en  êtes  remontés  revêtus 
d'un  vêtement  céleste.  »  S.  Athanase,  en  parlant  des  ravages  que 
commirent  les  Ariens  dans  le  baptistère  de  son  église,  dit  qu'ils  se 
permirent  les  plus  graves  insolences,  sans  être  arrêtés  par  la  sain- 
teté du  lieu  ni  par  la  nudité  de  ceux  qui  se  déshabillaient  pour  re- 
cevoir le  baptême  '.  En  Orient,  l'évêque  dénouait  la  ceinture  des 
hommes  qui  se  dévêtaient  ensuite  avec  l'aide  des  diacres  '. 

Les  femmes  étaient  soumises  à  la  même  obligation.  S.  Jean  Chry- 
sostome,  dans  une  lettre  au  pape  Innocent,  lui  raconte  l'envahisse- 
ment de  son  baptistère,  un  samedi  saint,  par  la  faction  de  Théo- 
phile ;  il  dit  que  les  femmes,  déjà  dépouillées  do  leurs  vêtements, 
furent  obligées  de  s'enfuir  toutes  nues. 

Quand  le  baptême  s'accomplissait  hors  des  baptistères,  la  dénuda- 
tion  n'en  était  pas  moins  obligatoire.  Dans  leur  prison,  Apronianus  * 
et  Lucillus  ^  se  dépouillent  de  leurs  habits  pour  être  baptisés,  le 
premier  par  le  diacre  Sisinnius,  le  second  par  S.  Laurent.  Les  actes 
du  pape  S.  Marcel  ne  sont  pas  authentiques,  mais  ils  n'en  témoi- 
gnent pas  moins  de  la  discipline  du  temps  où  ils  furent  écrits.  Or, 
en  parlant  du  baptême  de  Zobia,  fille  du  roi  des  Perses,  il  est  ditque 
S.  Cyriaque  fit  apporter  de  l'eau  et  que  la  catéchumène  se  mit,  sans 
aucun  vêtement,  dans  un  bassin  d'argent  ^ 

La  dénudation  était  tellement  reconnue  obligatoire  que  le  juif 
dont  parlent  Moschus  et  Nicéphore  \  avant  de  se  faire  baptiser  dans 
le  désert  avec  du  sable,  n'en  crut  pas  moins  devoir  se  dépouiller  de 
ses  habits. 

Les  Eunomiens,  qui  ne  trouvaient  digne  de  l'immersion  que  la 
partie  supérieure  du  corps,  restaient  soigieusement  vêtus  en  en- 
trant dans  la  piscine  et  n'offraient  au  contact  immédiat  de  l'eau  que 


'  Iiivtlat.  II  ud  fontem. 

-  Epiât,  ad  Innor. 

■'  Di^cingit  quidem  ipsum  antistes  et  miiiistroruin  inanibus  e.\uit.  Dion.  Areop., 
de  Ecoles,  hier.,  cap.  de  bapt. 

*  Acta  S.  Marcelli  pupœ» 

••  Act.  S.  Laurent. 

®  Et  allata  aqua  deposuit  eam  nuduin  in  conch.un  uis''iiteain  et  henedixit  aquani, 
otr.  r.oUand..  XVI  jan..  p.  7. 

'  ll-kt.  Cl  cl.,  c.  37. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  345 

leur  poitrine  et  leur  tête  nues  ',  mais  c'était  là  une  exception  à  l'u- 
sage général.  Quelques  écrivains  ^  ont  supposé  que  les  reins  étaient 
ceints  d'un  linge  ;  celle  hypothèse,  que  ne  favorisent  nullement 
les  textes  très  précis  des  Pères  sur  la  nudité  complète  ^  ne  reven- 
dique que  des  représentations  iconographiques  du  Moyen-Age;  elles 
n'ont  de  valeur  démonstrative  que  pour  les  usages  de  cette  époque, 
et  sont  loin  d'ailleurs  d'être  uniformes  sur  ce  point. 

Cette  nudité  complète,  protégée  d'ailleurs  par  certaines  précau- 
tions, n'offusquait  point  la  candeur  des  premiers  chrétiens  ;  ils  n'en 
voyaient  que  la  signification  symbolique,  et  ce  qui  nous  paraîtrait 
aujourd'hui  contraire  à  la  bienséance  ne  blessait  point  leurs  re- 
gards. Rappelons-nous  d'ailleurs  que  les  anciens,  surtout  dans  le 
Midi,  n'avaient  point  toutes  les  délicatesses  de  la  pudeur  moderne, 
et  que  l'art  polythéiste  considérait  la  nudité  comme  l'apanage  glori- 
flcateur  des  dieux  et  des  héros. 

Chez  les  chrétiens,  cette  nudité  exigée  pour  l'immersion  et  pour 
divers  rites  du  baptême,  était  sanctifiée  parle  symbolisme  qu'on  y 
attachait.  «  Nous  entrons  nus  dans  le  bain  sacré,  dit  S.  Ambroise  \ 
afin  qu  étant  ainsi  dépouillés  de  tout,  nous  avancions  à  grands  pas 
vers  la  porte  du  ciel.  »  S.  Cyrille  de  Jérusalem  dit  ^  aux  néophytes 
avant  de  parler  des  onctions  :  c  Entrés  dans  le  baptistère,  vous  avez 
quitté  V03  habits  pour  marquer  que  vous  vous  dépouillez  du  vieil 
homme  et  de  ses  œuvres,  de  ce  vieil  homme  qui  se  corrompt  en 
suivant  des  passions  pleines  d'illusions,  pour  représenter,  en  ne  rou- 
gissant pas  de  votre  nudité,  Adam  innocent,  nu  dans  le  Paradis,  et 
Jésus-Christ  attaché  nu  à  la  croix,  se  faisant  de  son  dénùment  même 
une  arme  dont  il  terrasse  les  principautés  et  les  puissances.  » 

La  dénudation  des  catéchumènes  était  entourée  d'un  certain  nom- 
bre de  précautions  qui  en  faisaient  disparaître  les  dangers.  Si  les 
sexes  étaient  séparés  dans  les  instructions  catéchétiques  et  dans  les 

1  Ttieodor.,  1.  IV  Hœr.  fabul. 

*  Arevali,  dans  son  édition  de  Prudence,  p.  307;  G.  Zetten,  de  Immersione  in 
bapt.,  p.  35. 

'  Cyril.  Hieros.,  Cat.  niyst.  II  ;  Ambros.,  Serm.  X  ;  Epiph.,  Anchorat., 
c.  CXYII;  Anselm.,  m  Valth..  c.  III;  Bcrn.,  Serm.  XLVI  de  paupert. 

''  Serm.  X. 

''  C"t.   ÎH.V-f.   II. 


346  DE  l'administration  riu  baptême 

exorcismes  des  scrutins  ',  h  plus  forte  raison  devaient-ils  l'être  pour 
les  onctions  et  les  immersions.  Nous  voyons  dans  le  Y'  concile  œcu- 
ménique de  Constantinople  que  Pierre  d'Apamée  fut  accusé  comme 
d'un  crime  d'avoir  administré  le  baptême  à  des  femmes  en  présence 
de  quelques  hommes.  Dans  certaines  grandes  cités,  comme  à  Autun, 
il  y  avait  deux  baptistères,  l'un  pour  les  hommes,  l'autre  pour  les 
femmes.  Quand  il  n'y  en  avait  qu'un_,  on  baptisait  à  des  heures  diffé- 
rentes, d'abord  les  hommes  et  ensuite  les  femmes.  Les  pères  n'é- 
taient point  régénérés  en  présence  de  leurs  enfants  ^  S.  Augustin  ^ 
raconte  qu'une  femme  de  Carlhage,  affligée  d'un  cancer,  fut  avertie 
en  songe,  vers  les  fêtes  de  Pâques,  de  se  rendre  au  baptistère,  dans 
le  quartier  des  femmes,  et  de  faire  un  signe  de  croix  sur  le  sein  de  la 
première  baptisée  qu  elle  rencontrerait,  ce  qui  lui  procura  une  gué- 
rison  subite.  Nous  pouvons  en  conclure  que  parfois  le  bassin  bap- 
tismal était  partagé  pour  les  deux  sexes  en  deux  parties  bien  dis- 
tinctes, à  l'aide  de  cloisons  en  planches  et  de  tentures. 

On  a  dû  aussi  entourer  de  voiles  la  piscine,  surtout  quand  elle 
était  bordée  de  colonnes  et  ménager,  dans  le  pourtour,  des  compar- 
timents 01^1  les  catéchumènes  se  déshabillaient,  quand  ils  ne  le  fai- 
saient pas  dans  le  sacrarium  ou  dans  une  des  absides. 

Si  les  femmes  étaient  à  l'abri  des  regards  des  hommes,  l'étaient- 
elles  également  des  yeux  du  ministre?  Nous  ne  trouvons  à  cet 
égard  qu'un  seul  fait  à  invoquer.  S.  Othon,  évêque  de  Bamberg, 
après  avoir  converti  les  habitants  de  la  Poméranie,  fit  enfoncer  dans 
la  terre  trois  cuves  en  bois,  l'une  pour  les  enfants  mâles,  l'autre 
pour  les  femmes  et  les  petites  filles,  la  troisième  pour  les  hommes; 
il  les  fit  entourer  de  rideaux  pour  que  tout  se  passât  avec  décence. 
Le  prêtre,  qui  se  tenait  près  du  tonneau^  alors  qu'il  entendait  plutôt 
qu'il  ne  voyait  un  catéchumène  descendre  dans  l'eau,  écartait  un 
peu  le  voile  et  accomplissait  ses  fonctions  par  une  triple  immersion 
de  la  tête  *. 

'  Cyr.,  Protccxth;  Ord.  roman  ,  srrut.  ad  cJectos. 

^  Ambros.,  lib.  de  Arca  Nor,  c.  31. 

^  De  Civil.  Dei,  1.  II,  c.  8. 

*  Sacerdos  vero  qui  ad  cuppam  stabat  cum  audissct  potius  quam  vidisset  quod 
aliquis  esset  in  ac^ua,  vélo  puululura  amolo,  trina  immersione  capitis  illius  myste- 
rium  sacrarncnti  pcrficit.  [iolland.,  7  jul-;  p.  395. 


DE   l'administration   DU    BAPTÊME  347 

S'il  n'en  fut  pas  toujours  ainsi,  il  est  juste  de  remarquer  que  les 
fonctions  de  baptiseurs,  dans  les  premiers  siècles,  étaient  remplies 
par  des  vieillards,  que  le  baptême  s'administrait  pendant  l'obscurité 
de  la  nuit  et  que,  quand  il  se  donnait  pendant  le  jour,  c'était  encore 
dans  l'ombre,  parce  que,  comme  nous  l'avons  vu,  les  baptistères 
étaient  très  faiblement  éclairés  par  de  rares  et  étroites  fenêtres. 

Plusieurs  érudits  '  ont  supposé  que  les  femmes,  en  entrant  dans 
la  piscine  et  en  en  sortant,  s'enveloppaient  d'une  sorte  de  peignoir, 
sabamtm.  Nous  ne  trouvons  aucun  texte  qui  puisse  appuyer  cette 
hypothèse.  Mais  nombreux  sont  les  documents  qui  prouvent  que  les 
diaconesses  aidaient  les  femmes  à  se  déshabiller,  les  recevaient  au 
sortir  des  fonts,  les  essuyaient  avec  le  sabanum  et  les  aidaient  à  se 
rhabiller  ^  Quand  les  fonctions  des  diaconesses  furent  supprimées, 
aux  Y^  et  Vl°  siècles,  elles  furent  probablement  remplacées  dans  cet 
office  par  les  marraines. 

Après  avoir  parlé  de  la  dénudation  en  général  et  surtout  de  celle 
qui  était  requise  pour  l'ablution  baptismale,  nous  devons  examiner 
si  elle  était  également  prescrite  pour  divers  autres  rites  du  bap- 
tême. 

Visconti  croit  que  les  catéchumènes  étaient  entièrement  nus  pour 
subir  les  exorcismes  et  figurer  ainsi  le  dépouillement  du  vieil 
homme.  iMais  plusieurs  textes  très  formels  ^  nous  semblent  prouver 
qu'on  quittait  seulement  les  chaussures  et  les  vêtements  de  dessus. 

Le  même  écrivain  prétend  '"  qu'il  en  était  de  même  pour  les  re- 
nonciations au  démon.  Il  s'appuie  principalement  sur  les  passages 
où  S.  Denis  l'Aréopagite  dit  que  l'évêque  fait  dépouiller  les  catéchu- 
mènes par  ses  ministres  ^  et  où  S.  Grégoire  de  Naziance  ajoute  qu'ils 
sont  dépouillés  de  leurs  habits  pour  abjurer  Satan  \  Elle  de  Crète, 


"Du  Cange,  Not.  ,n  Alex.,  1.  XV,  p.  lU;  Et.  Borgia,  M-mot'.  storiche, 
t.  I,  p.  155;  Pellicia,  de  Christ,  eccl.  j^olit.,  1.  I,  c.  2,  §  5;  Maitigny,  Dict,, 
vo  Baptême,  p.  G9,  1"  édit. 

*  Epiph.,  Ilœr.  79;  IV  Concil.  Carthag. 

'  Discalceatos  vos  et  exutos,  nudis  pedibus,  unica  tunica  opertos,  ad  exorcizan- 
tium  voces  vos  transmittunt.  Chrisost.  Oat.  I  ad  illum.,  n.  2. 
.  *  De  RU.  Bapt.,  1.  II,  c.  18. 

^  Exuit  eum,  expoliatque  per  ministros.  T)c  Hier,  ceci.,  cap.  de  Bapl. 

^  Vestibns  nudatu?.  Orat.  XL. 


348  DE  l'administration  du  baptême 

il  est  vrai,  en  interprétant  ces  deux  textes,  conclut  à  une  nudité  ab- 
solue ;  mais  nous  ne  saurions  partager  son  avis,  car  les  expressions 
même  qu'on  allègue  peuvent  s'appliquer  uniquement  aux  habits  de 
dessus.  Les  autres  Pères  parlent  bien  du  dépouillement  des  vête- 
ments, mais  non  pas  de  nudité  complète,  comme  ils  le  font  en  trai- 
tant de  l'immersion.  Nous  ne  saurions  comprendre  cette  nudité  ab- 
solue dans  une  cérémonie  qui  se  renouvelait  plusieurs  fois  pendant 
le  Carême,  à  la  porte  extérieure,  à  la  vue  de  tout  le  peuple.  Le  sym- 
bolisme du  rite  n'en  existait  pas  moins,  en  conservant  soit  un  vête- 
ment de  dessous,  soit  un  cilice.  D'ciilleurs,  S.  Denis  l'Aréopagite  ve- 
nant à  parler  des  onctions,  dit  qu'alors  les  diacres  achèvent  de  dé- 
pouiller le  catéchumène  de  ses  vêtements,  ce  qui  prouve  qu'il  en 
conservait  quelques-uns  pendant  les  renonciatioîis  '. 

L'auteur  anonyme  d'un  Traité  Instorique  des  cérétnonies  du  bap- 
tême (page  218)  croit  qu'après  la  renonciation,  on  revêlait  le  caté- 
chumène du  palliiim,  pour  cette  seule  raison  que  ce  vêtement  favori 
des  Grecs  est  appelé  par  Tertullien  habitum  erroris  renunciatorem. 
-Cette  expression  ne  nous  semble  pas  suffisante  pour  constaterl'exis- 
tence  d'une  cérémonie  dont  ne  nous  parle  aucun  des  anciens  au- 
teurs ecclésiastiques.  11  est  certain  que  les  Romains,  en  devenant 
chrétiens,  quittaient  la  toge  pour  l'humble  pallium,  ce  qui  exci- 
tait le  mépris  des  païens  qui  disaient  ironiquement  a  toga  ad  pal- 
lium ;  mais  ce  changement  de  costume  n'avait  rien  de  liturgique  ; 
il  se  faisait  soit  pendant  le  catéchuménat,  soit  après  les  cérémonies 
du  baptême. 

En  ce  qui  concerne  les  onctions,  les  catéchumènes,  en  Orient,  de- 
vaient être  nus  pour  les  recevoir,  comme  le  prouvent  le  passage  de 
S.  Denis  l'Aréopagite,  que  nous  venons  de  rappeler,  et  beaucoup 
d'autres  textes  que  nous  pourrions  citer  ".  Le  diacre  ne  faisait  d'onc- 
tion que  sur  le  front  des  femmes,  et  une  diaconesse  leur  oignait 
le  reste  du  corps  "',  Toutefois,  il  n'en  était  pas  ainsi  dans  l'église  de 
Jérusalem.  Jean  Moschus  nous  raconte  qu'un  moine  nommé  Conon, 

'  De  Hier,  eccl.,  cap   2. 

2  Les  actes  de  S.  Sylvestre  (c.  XI V)  disent  de  Constantin  :  Haec  cinn  audisset 
irnpeiator  et  Isetus  ultimam  exuisset  tunicara  et  probruni  cai nis  subjecisset  oculis 
et  unctus  fuisset,  ingressus  est  piscinam. 

'^  SS.  Aj'O^t.  capil  .^  iip.  rnrd.  Pi'f.i,  Jxr   KfU^,  çirn'r.hht.^  t.  I^  p.  OS. 


DE    L  AOMlNlbXHATION    DU    liAPTÈME  349 

chargé  d'administrer  le  baptême,  appréhendait  de  faire  les  onctions 
à  une  jeune  fille  de  Perse,  d'une  éclatante  beauté  '.  L'évêque  avait 
été  sur  le  point  d'envoyer  une  diaconesse  pour  remplir  cet  office, 
mais  il  changea  de  sentiment  en  réfléchissant  que  cela  serait  con- 
traire à  la  discipline  de  son  Église.  Conon  prit  le  parti  de  quitter  son 
monastère  ;  S.  Jean-Daptiste  lui  apparut  alors  et  lui  fit  trois  signes 
de  croix  sur  le  corps,  en  lui  promettant  que  désormais  il  serait  à 
l'abri  des  tentations.  Le  moine  retourna  à  son  abbaye,  baptisa  sans 
aucune  émotion  la  jeune  perse  et,  ajoute  la  légende,  pendant  les 
douze  années  qu'il  continua  son  ministère,  il  s'apercevait  à  peine 
du  sexe  des  personnes  qu'il  oignait  et  baptisait. 

Dans  l'Eglise  latine,  où  l'onction  des  catéchumènes  ne  se  faisait 
qu'à  la  poitrine  et  aux  épaules,  il  n'était  pas  nécessaire,  comme  en 
Orient,  de  recourir  aune  complète  dénudation.  Aussi  croyons-nous 
qu'il  ne  faut  pas  prendre  à  la  lettre  les  comparaisons  que  plusieurs 
Pères  de  l'Occident  font  du  catéchumène  et  de  l'athlète. 

Dans  le  cours  du  Moyen-Age,  on  dut  se  trouver  souvent  embar- 
rassé pour  les  baptêmes  d'adultes,  qui  se  produisaient  rarement. 
Quand  on  recourait  à  l'immersion,  on  devait  naturellement  procéder 
à  la  dénudation  ;  c'est  ce  qu'on  peut  inférer  des  représentations  de 
baptême  que  nous  offrent  les  sculptures  et  les  vitraux,  et  aussi  du 
roman  provençal  de  Fier-à-Bras,  publié  par  M.  Fekker  ^  oii  Flori- 
par,  fille  de  l'émir,  se  dépouille  de  ses  vêtements  avant  d'entrer  dans 
le  bain  baptismal  ^ 

Quant  aux  enfants,  l'usage  de  les  dépouiller  de  tous  leurs  vête- 
ments persévéra  partout  jusqu'au  XVI"  siècle,  et  dans  quelques  con- 
trées jusqu'au  XViP  et  même  au  XYIIP  siècle  *.  A  cette  dernière 
époque,  on  construisait  encore  des  cheminées  dans  les  chapelles 

»  In  crastina  die  venit  puella  ex  Perside  quai  ita  speciosa  erat  ac  tantae  pulchri- 
tudinis  ut  non  posset  prsesbiter  nudani  eam  oleo  ungere.  Prat.  spir.,  c.  3,  ap. 
Patrol.  lat.,  t.  87,  col.  2855. 

^  Mém.  de  l'Acad   de  Bc,  Un,  t  X. 

^  La  pieuzela  despuhelan,  vezent  lot  lo  barnat,  et  ac  sa  carn  pus  blanca  no  es 
flor  en  estât  (la  pucelle  ils  dépouillent,  ce  voyant  tout  le  baronnage,  et  elle  eut 
sa  chair  plus  blanche  que  n'est  fleur  en  été).  Vers  4928. 

*  Rituels  de  Hambourg  (XVles.);  Sacramentaire  de  Chartres  (1580);  Concile 
de  Narbonne  (1610);  Rituel  do  Bordeaux  (1611)  :  Rituel  d'Alet  (1677). 


330  nE  l'administration  nr  baptêmI': 

baptismales  du  diocèse  de  Montpellier,  pour  prémunir  les  enfants 
contre  les  dangers  du  froid  '.  Dès  la  fm  du  XVP  siècle,  un  certain 
nombre  de  conciles  et  de  synodes  se  plaçant  au  point  de  vue  de 
l'hygiène  et  des  convenances,  recommandèrent  de  ne  démaiUoter 
que  la  poitrine  et  les  épaules  de  l'enfant,  ce  qui  suffisait  pour  la 
réception  des  onctions  ^ 

Dans  presque  tout  l'Orient,  les  enfants  sont  complètement  nus 
pour  l'immersion;  en  Grèce,  on  lenr  laisse  leur  chemise.  En  Armé- 
nie, quand  le  prêtre  a  dépouillé  l'enfant  de  ses  langes,  il  le  présente 
aux  assistants  en  disant  :  «  Seigneur,  dépouille-le  de  la  vétusté  du 
péché,  renouvelle  le  par  une  vie  nouvelle  et  remplis-le  de  la  vertu 
de  l'Esprit-Saint.  » 

En  Ethiopie,  c'est  immédiatement  avant  la  renonciation  que  les 
adultes,  aussi  bien  que  les  enfants,  sont  dépouillés  de  leurs  vête- 
ments. Les  rituels  des  Coptes  et  des  Syriens  prescrivent  de  ne  laisser 
aux  catéchumènes  aucun  ornement,  pas  même  de  bagues  ni  de 
boucles  d'oreilles.  Cependant  aujourd'hui,  en  Syrie,  on  permet 
quelquefois  aux  femmes  de  conserver  une  chemise  très  fine  ^ 

Le  P.  Bernard  Ribera,  qui  séjourna  longtemps  en  Russie  au 
XYIl''  siècle,  raconte  *  qu'il  a  été  témoin  du  baptême  de  deux  Kal- 
mouks  au  monastère  de  Spasski  et  que,  malgré  la  foule  des  spec- 
tateurs, les  catéchumènes  étaient  entièrement  nus. 

ARTICLE    VI. 

Renonciation  au  démon. 

Avant  de  conclure  avec  Dieu  un  traité  de  paix  et  de  réconciliation, 
il  faut  avant  tout  nous  séparer  de  son  adversaire,  de  l'ennemi  dé- 
claré de  sa  gloire,  de  l'usurpateur  sacrilège  qui  s'était  emparé  de 
notre  âme  :  tel  est  le  but  de  la  renonciation  au  démon,  que  les  Latins 


'  Grnndcolas,  Litiirg.  anc.  et  mod.,  ch.  du  Samedi  saint . 
'  Synode  de  Saint-Omer  (1585);  Statuts  du  diocèse  d'Angers  (1617  et  1680); 
Rituel  de  Strasbourg. 

^  Man.  Garcia,  Droits  légaux  et  état  de  la  Terre  Sai)ite,  1814. 

'  fircvh-  cnarralio  histor.  de  statu  Ecries,  moscovitœ,  édit.  du  P.Martinov,  p.  '(6. 


DE    l'administra TION    DT    BAPTÊME  331 

ont  encore  appelée  ahrenonciation,  abomination,  détestation  et  que 

les  Grecs  désignent  sous  les  noms    d'aTrJxaçi:,    iT:n-:ijr\    ou   £Tr£p£ôTr,pt'a. 

Le  prêtre  interroge  le  futur  baptisé  par  son  nom^  en  disant  :  N.^ 
renonces-tu  à  Satan?  —  Le  parrain  répond  :  J'y  renonce.  — Le  prê- 
tre :  Et  à  toutes  ses  œuvres?  —  Le  parrain  :  J'y  renonce.  —  Le  prê- 
tre :  Et  à  toutes  ses  pompes?  —  Le  parrain  :  J'y  renonce. 

Dans  le  rituel  grec,  suivi  par  les  Russes,  le  prêtre  dépouille  l'en- 
fant de  ses  vêtements,  le  tourne  vers  l'Occident,  lui  élève  les  mains 
et  dit  trois  fois:  Renonces-tu  à  Satan  ?  et  à  toutes  ses  oeuvres  ?  et  à 
tous  ses  anges?  et  à  tout  son  service?  et  à  toutes  ses  pompes?  — 
Le  parrain  répond  à  chaque  fois  :  J'y  renonce.  —  Le  prêtre,  trois  fois  : 
As-tu  renoncé  à  Satan?  — Le  parrain  à  chaque  fois  :  J'y  ai  renoncé. 
—  Le  prêtre  dit  alors  au  parrain  :  Souffle  et  crache  sur  l'enfant.  Le 
parrain  souffle  sur  l'enfant  et  crache  à  terre.  Ces  deux  actes  de  mé- 
pris qui  s'adressent  directement  à  Satan  et  dont  il  n'est  pas  fait 
mention  dans  les  écrits  des  Pères  accentuent  la  renonciation  par 
le  divorce  éternel  qu'ils  établissent  entre  le  futur  baptisé  et  le  dé- 
mon. Nous  avons  déjà  expliqué  le  symbolisme  de  l'insufflation  ;  ce- 
lui du  crachement  est  encore  plus  énergique  et  nous  semble  em- 
prunté à  une  coutume  juive.  «  Lorsque  quelqu'un,  dit  S.  Anselme, 
voulait  par  esprit  d'orgueil  répudier  sa  femme,  celui  qui,  parla  pro- 
ximité du  sang,  avait  le  droit  de  la  prendre  pour  lui,  ôtait  la 
chaussure  des  pieds  du  premier  mari,  sur  le  seuil  de  sa  maison, 
après  quoi  la  femme  répudiée  crachait  au  visage  du  répudiateur, 
ce  qui  était  regardé  comme  une  insulte  ineffaçable.  » 

S.  Basile  met  la  renonciation  au  rang  des  traditions  apostoliques  \ 
Plusieurs  érudits,  et  même  des  protestants  ^  croient  que  S.  Pierre 
fait  allusion  à  ce  rite  quand  il  dit  dans  sa  première  épitre  (III,  21), 
en  parlant  de  l'arche  de  Noé,  que  «  elle  était  la  figure  à  laquelle  ré- 
pond maintenant  le  baptême  qui  ne  consistait  pas  dans  la  purifica- 
tion des  souillures  de  la  chair,  mais  da?is  la  promesse  que  ion 
fait  à  Dieu  de  garder  une  conscience  pure,  et  qui  vous  sauve  parla 
résurrection  de  Jésus-Christ.  »  S.  Paul,  dans  sa  première  épître   à 


'  De  Spirit.  Sanct.,  c.  27. 

*  Cave,  Prim.  christ.,  1. 1,  c  dO  ;  Bingham,  Orig.  eccles.,  t.  IV,  1.  XI,  c.  7,  §3; 
Gottlieb  Saitorius,  Dissert,  de  abrcnunl.  baptism. 


352  DK    L'ADMlNlbTHATluN    L»L    BAPTtJli; 

Timothée  (V,  12)  lui  recommande  de  se  rendre  digne  de  lavis  éter- 
nelle «  à  laquelle  il  a  été  appelé,  ayant  si  excellemment  confessé  la 
foi  en  présence  de  plusieurs  témoins.  »  Ce  passage  est  interprété 
dans  le  sens  de  la  cérémonie  de  la  renonciation  par  un  commen- 
taire de  cette  épître  faussement  attribué  à  S.  Jérôme  et  qui  doit 
être  l'œuvre  d'un  auteur  très  ancien,  favorable  au  pélagia- 
nisme.  S.  Paul,  en  divers  autres  endroits,  insiste  sur  la  nécessité  de 
mourir  au  monde  et  à  ses  maximes,  de  ne  vivre  que  pour  Jésus- 
Christ,  de  livrer  de  contiduels  combats  aux  esprits  de  malice  ré- 
pandus dans  l'air.  «  L'Apôtre,  dit  S.  Ambroise  expliquant  ces  pas- 
sages, nous  donne  ces  avertissements  afin  que  tout  homme  qui 
reçoit  le  baptême  persévère  à  renoncer  aux  pompes  et  aux  presti- 
ges de  Satan  qui,  en  nous  assujettissant  aux  principes  du  monde, 
en  nous  éloignant  du  culte  de  Dieu,  voudrait  nous  rendre  les  com- 
pagnons de  son  apostasie.  »  Les  païens  étant  considérés  comme 
se  trouvant  plus  spécialement  sous  la  domination  du  démon,  il  est 
présumable  que  ce  fut  d'eux  qu'on  commença  à  exiger  la  renon- 
ciation. 

Les  formules  que  nous  trouvons  dans  les  œuvres  des  Pères  et 
dans  les  anciens  sacramentaires  sont  plus  ou  moins  développées. 
En  général,  elles  ne  mentionnent,  comme  la  formule  latine  actuelle, 
que  Satan,  ses  pompes  *  ses  œuvres  ou  son  culte  ^  ;  quelquefois  elles 
comprennent  ses  anges  ^  ses  ordres  \  ses  idoles  ^  ses  voluptés  ^ 
ses  spectacles  '  et  le  siècle  ^  Pour  certaines  catégories  de  catéchu- 
mènes, il  y  avait  des  renonciations  spéciales.  On  voit  dans  l'Eucho- 
loge  des  Grecs  que  les  Juifs  doivent  renoncer  à  tous  les  rites  de  leur 

*  La  plus  ancienne  formule  en  langue  germanique  omet  le  mot  de  pompes  qui 
n'aurait  sans  doute  pas  été  compris  par  les  ï- axons.  Monim.  Puderborn.,  p.  380. 

-  Cyrill.,  Cul.  myst.  I,  n.  4;  Cal.  II;  Chrys.,  Hom.  XXI  ad  pop.  Anùuch.; 
Procop.  Gazœus,  in  cap.  35  Gtnes.;  Ordo  roman.;  Sacram.  de  Gélase,  de  S.  Gré- 
goire, etc. 

^  Tert.,  de  Cor.  milit.,  c.  3  ;  Constit.  apod.,  VII,  i  i2  ;  Hieron.,  in  cap  V  Matth  , 
V.  25;  Chrys.,  Cat,  Il  ad  illum.;  Aug.,  de  Symb.,  1.  II,  c.  1. 

*  Ambros.,  I.  II  Uexam.,  c.  4. 

'  Anast   Syn.,  1.  XI  in  Uexam. 

^  Ambros.,  de  Myst.,  c.  II. 

^  Salvien,  1.  VI,  de  Provid. 

®  Ambros.,  de  Sucram.,  1.  I,  c.  2. 


DE   L'AnjIlNISTRATION    DU    BAPTÊME  333 

nation  et  particulièrement  aux  azymes,  aux  purifications  légales,  à 
l'immolation  de  l'agneau,  à  la  fête  des  tabernacles  et  à  l'observance 
du  sabbat.  Les  Saxons  du  IX"  siècle  abjuraient  Odin  et  leur  culte 
des  forêts. 

C'était  à  la  porte  du  baptistère  ou  de  l'église  baptismale  que  les 
interrogations  étaient  faites  tantôt  par  l'évêque,  tantôt  par  un  prê- 
tre, un  diacre  ou  un  exorciste  '.  Au  VII°  siècle,  ces  questions  étaient 
parfois  accompagnées  d'une  aspersion  de  cendres  ^  Pour  qu'elles 
fussent  bien  comprises  soit  par  l'adulte,  soit  par  le  parrain,  on  les 
faisait  quelquefois  en  langue  vulgaire  \  S.  Césaire  d'Arles  nous 
dit  *  qu'on  ne  se  contentait  pas  d'une  affirmation  orale,  mais  qu'on 
exigeait  en  outre  une  souscription  signée. 

La  renonciation  aux  œuvres  de  Satem  n'était  pas  un  vain  rite,  et 
les  catéchumènes,  grâce  aux  instructions  qu'on  leur  avait  faites, en 
comprenaient  toute  l'importance.  Nous  en  trouvons  une  preuve, 
bien  édifiante  dans  le  récit  du  baptême  de  Chromatius,  que  nous  a 
laissé  S.  Ambroise  racontant  la  vie  de  S.  Sébastien.  S.  Polycarpe 
lui  avait  demandé  s'il  renonçait  aux  idoles  et  il  avait  répondu  :  J'y 
renonce  ;  le  prêfre,  continuant  ses  interrogations,  lui  demanda 
s'il  renonçait  à  tous  les  péchés.  Chromatius  répondit  :  «  Tu  aurais 
dû  me  faire  ces  questions  avant  de  m'inlroduire  dans  le  temple  du 
Roi  des  cieux.  C'est  pourquoi  je  te  prierai  de  différer  le  jour  de 
mon  baptême:  car,  avant  de  descendre  dans  la  fontaine  sacrée,  je 
dois  d'abord  aller  me  réconcilier  avec  tous  ceux  contre  qui  j'ai 
nourri  de  la  haine  et  payer  mes  dettes  à  tous  mes  créanciers.  Si 
jamais  j'ai  ravi  à  quelqu'un  son  bien,  je  lui  ferai  tout  restituer. 
Depuis  la  mort  de  ma  femme,  j'avais  deux  concubines  ;  je  leur  assu- 
rerai à  elles  et  à  leurs  maris  une  existence  convenable.  Quels  que 
soient  les  droits  que  je  puisse  avoir,  comme  simple  particulier  ou 
comme  homme  public,  sur  des  hommes  libres  ou  sur  des  esclaves, 
je  veux  y  renoncer.  Par  là,  je  crois^  j'aurai  rempli  d'avance  la  pro- 
messe  de   répudier  toutes  les  œuvres   du   démon   et   toutes   les 


*  Tertul.,  de  Coron,  mîlit.,  c.  3;  Beleth,  de  Div.  off.,  c.  90. 

*  Pontif.  Sulisbur.,  ap.  Martène,  Tlies.  xet.  mon.,  t.  M, 
•'  Conc.  Leptin  ,  ap.  Patrol.  lut.,  t.  89,  col.  82v, 

^  Serm.  LXV, 

1T«  sério,  tome  XI  23 


354  UK  l'ai;mimstration  du  baptême 

voluptés  du  monde.  »  Le  prêtre  Polycarpe  approuva  ces  généreux 
desseins  que  Chromatius  s'empressa  d'accomplir  ;  quelques  jours 
après,  il  lui  conféra  le  baptême. 

En  renonçant  au  démon,  le  catéchumène,  debout,  les  mains 
étendues,  se  tournait  vers  l'Occident  et  ensuite  vers  l'Orient  pour 
adhérer  à  la  foi  de  Jésus-Christ.  S.  Jérôme  nous  explique  le  symbo- 
lisme de  cette  cérémonie  :  «  Comme  l'Occident,  dit-il  ',  est  le  lieu 
où  se  couche  le  soleil,  il  représente  les  ténèbres  du  péché  auquel 
nous  renonçons  pour  suivre  le  soleil  de  justice  qui  vient  de  l'Orient, 
et  c'est  pour  cela  que  nous  nous  tournons  vers  l'Occident  en  renon- 
çant au  démon,  et  que  nous  regardons  vers  l'Orient  en  promettant 
d'être  fidèles  à  Jésus-Christ.  »  S.  Cyrille  de  Jérusalem  ajoute  ^  qu'on 
élève  les  mains  comme  pour  repousser  Satan  dans  son  ténébreux 
empire,  qu'on  se  tourne  vers  l'Occident,  parce  que  c'est  sur  les 
régions  de  l'ombre  qu'il  exerce  sa  puissance,  qu'on  regarde  ensuite 
l'Orient  où  Dieu  a  planté  le  paradis  terrestre  qui  est  la  ligure  de 
l'Eglise.  Nous  avons  vu  que  le  rite  grec  a  fidèlement  conservé  cette 
cérémonie  symbolique,  ainsi  que  la  triple  réitération  de  chaque  for- 
mule, répétition  inspirée  peut-être  par  la  triple  concupiscence  dont 
parle  S.  Jean  dans  sa  première  épître.  Quant  au  nombre  des  ques- 
tions, il  a  beaucoup  varié.  On  n'en  trouve  qu'une  dans  les  Constitu- 
tions apostoliques,  dans  le  missel  gallican  et  dans  beaucoup  d'églises 
latines  jusqu'au  IX'  siècle  ;  ailleurs,  il  y  en  a  deux,  comme  aujour- 
d'hui encore  à  Milan;  les  trois  interrogations  prévalent  auXHP  siècle  ; 
il  y  en  avait  quatre  dans  l'église  de  Jérusalem  et  six  dans  celle 
d'Antioche. 

Les  Pères  de  l'Église  ont  longuement  expliqué  ce  gu'il  faut  en- 
tendre par  les  œuvres,  les  pompes,  les  anges  et  le  culte  du  démon. 
Les  œuvres  du  démon  comprennent  les  mensonges,  les  fraudes,  les 
violences,  les  iniquités,  les  fornications,  les  homicides,  en  un  mot, 
tous  les  péchés  qui  sont  inspirés  ou  patronnés  par  le  démon  ^  Le 
culte  du  diable,  c'est  l'idolâtrie  et  tout  ce  qui  s'y  rattache,  comme 
les  superstitions,  les  présages,  les  ligatures,  les  enchantements,  etc. 

*  In  Amos,  c.  6. 

*  Cyrill.,  I  CoJech.  myst. 

'  Ihid.;  Cuncile  do  TuLirs  (813),  can.  18. 


riE  l'administration  du  baptême  353 

Los  anges  du  diable,  ce  sont  les  démous  inférieurs  soumis  aux  ordres 
de  Satan  ;  par  siècle,  il  faut  entendre  les  vanités,  les  préjugés,  les 
plaisirs  dangereux  qui  sont  évidemment  recherchés  par  les  mon- 
dains, faisant  passer  les  intérêts  temporels  avant  ceux  de  l'éternité. 
Les  pompes  du  démon  sont  le  faste,  la  superbe,  la  vaine  gloire,  les 
amusements  mondains,  les  jeux  du  cirque  et  du  thécâtre.  On  com- 
prend que  les  Pères  rangent  les  spectacles  parmi  les  pompes  du 
démon,  quand  on  se  rappelle  que  dans  ces  assemblées  régnait  une 
extrême  licence  et  qu'on  y  rendait  des  honneurs  aux  faux  dieux.  11 
en  était  encore  ainsi  au  V  siècle,  car  Salvien  nous  dit  dans  son 
traité  de  la  Providence  :  «  Les  spectacles  sont  le  règne  du  démon  : 
la  foi  et  les  sacrements,  bases  de  la  religion,  y  sont  détruits.  Se 
rendre  à  ces  réunions,  c'est  donc  manquer  de  parole  à  Jésus-Christ 
et  battre  en  brèche  le  Christianisme.  Piien  de  semblable  chez  les 
barbares  :  on  n'y  voit  ni  cirques,  ni  théâtre,  rien  qui  ressemble  à 
ces  obscénités  qui  détruisent  les  saintes  espérances  et  sont  un  fatal 
obstacle  au  salut.  Et  quand  même  ces  spectacles  seraient  en  usage 
parmi  ces  nations,  leur  culpabilité  serait  moindre,  puisqu'elle  ne 
comporterait  pas  la  profanation  du  sacrement  de  baptême.  Nous 
n'avons  pas  à  alléguer  les  mômes  excuses  qu'eux,  nous  qui  récitons 
le  symbole  et  qui,  par  nos  actions,  démentons  nos  p;'.roles.  Peu  de 
zèle  pour  l'Eglise,  beaucoup  d'empressement  pour  le  théâtre,  peu 
d'attention  pour  ce  qui  se  passe  à  l'autel,  beaucoup  d'application 
aux  jeux  de  la  scène,  voilà  le  caractère  de  cei'tains  chrétiens.  Arrive- 
t-il  qu'en  un  même  jour  on  célèbre  une  fête  solennelle  à  l'église  et 
des  jeux  publics  dans  le  cirque?  C'est  dans  le  cirque  et  non  dans 
l'église  que  se  rend  le  plus  grand  nombre;  ce  n'est  pas  l'Évangile 
qu'on  écoute  avec  le  plus  d'attrait,  c'est  la  comédie  ;  la  parole  de 
mort  est  mieux  reçue  que  la  parole  de  vie,  l'histrion  est  plus  écouté 
que  Jésus-Christ.   » 

La  renonciation  était  souvent  rangée  parmi  les  cérémonies  qui 
précèdent  l'entrée  dans  l'église.  Aujourd'hui  encore,  à  Milan,  elle 
se  fait  aussitôt  après  la  présentation  de  l'enfant  par  le  parrain  ^ 


'  Chrys.,  Cat.  2;  Leidraii.,  de  Suer.  JJapl.;  Concile  de  Mayence  (,847). 
*  Dans  le  Rituel  actuel  do  Milan,  le  prêtre  ajoute  :  Memor  esto  sermonis  lui, 
ei  nur.quam  tihi  excédai  tuœ  séries  cautionis.  Elle  parrain  répond  :  Mcmor  ero. 


356  DE  l'administration  du  baptême 

Au  XIIÏ"  siècle,  en  Russie,  le  baptisé,  pour  chasser  le  démon, 
élevait  les  mains  en  disant  :  «  Il  n'y  a  plus  de  mal  caché  en  moi  ; 
je  ne  servirai  plus  le  démon,  je  ne  commettrai  plus  le  péché  '  ». 

La  formule  des  Coyistitutions  apostoliques  est  à  peu  près  conservée 
intégralement  à  Constantinople,  à  Alexandrie,  à  Antioche,  à  Jéru- 
salem, etc. 

Dans  la  liturgie  des  Coptes,  le  diacre  lit  la  renonciation,  et  le  par- 
rain la  répète  ^ 

Ce  rite  a  été  conservé  par  les  Luthériens  et  les  Anglicans.  Ceux-ci 
ont  même  très  peu  modifié  l'antique  formule.  Le  ministre  dit  au 
parrain  :  «  Renonces-tu,  au  nom  de  cet  enfant,  au  diable  et  à  toutes 
ses  œuvres?  à  la  vaine  pompe  et  à  la  vaine  gloire  de  ce  monde  et 
à  toutes  ses  convoitises  et  aux  affections  corrompues  de  la  chair, 
tellement  que  tu  ne  les  suivras  point  et  que  tu  ne  t'y  laisseras  point 
conduire  ?  »  Et  le  parrain  répond  :  «  J'y  renonce  entièrement  ^  » 

Dans  les  églises  réformées  de  France,  il  y  a  aussi,  mais  seule- 
ment pour  les  adultes,  une  renonciation,  non  pas  au  démon,  mais 
au  péché.  Voici  le  formulaire  employé  aujourd'hui  : 

Le  ministre  :  Ètes-vous  résolu  à  renoncer  au  péché  et  à  régler 
toute  votre  vie  sur  les  commandements  de  Notre-Seigneur?  Répon- 
dez. 

L'adulte  :  Oui. 

Les  renonciations  étaient  fort  multiples  dans  le  baptême  des 
Anabaptistes  et  revêtaient  une  forme  très  singulière.  Dans  le  rituel 
de  Jean  Denk,  le  catéchumène  renonce  à  sept  esprits  mauvais  :  à  la 
crainte  de  l'homme,  à  la  sagesse,  à  l'entendement,  à  l'art,  au  con- 
seil, à  la  force,  à  l'impiété  de  l'homme,  pour  recevoir  en  échange 
la  crainte  de  Dieu,,  la  sagesse  de  Dieu,  etc.  Melchior  Rink  employait 
la  formule  suivante  :  «  Es-tu  chrétien?  —  Oui.  —  Que  crois-tu 
donc?  —  Je  crois  en  Dieu  mon  Seigneur  Jésus-Christ.  —  Combien 
veux-tu  avoir  de  tes  œuvres?  —  J'en  veux  un  gros  [wi  peu  plus  de 
deux  sous).  —  Pour  combien  veux-tu  me  donner  tes  biens  ?  Aussi 


'  Boissard,  l'Église  de  Russie,  t.  I,  p.  131. 
*  Assemani,  Cod.  lit.,  p    138. 

'  Sparow,  Ration,  anpl..  p.  184;   Formulaire  de  VÉrjH se  anglicane  (Genève, 
16651. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  357 

pour  un  gros  ?  —  Non.  —  Pour  combien  veux-tu  me  donner  ta  vie? 
—  Aussi  pour  un  gros?  —  Non.  —  Eh  !  vois  donc  I  tu  n'es  pas  en- 
core chrétien  ;  car  tu  n'as  pas  encore  une  véritable  foi,  et  tu  n'as 
pas  renoncé  à  toi-même  et  à  la  créature.  C'est  que  tu  n'as  pas  été 
bien  baptisé  en  Jésus-Christ  par  le  Saint-Esprit;  tu  ne  l'as  été  qu'en 
saint  Jean  et  avec  de  l'eau...  Mais  si  tu  veux  être  sauvé,  il  faut  que 
tu  renonces  véritablement  à  tes  œuvres,  puis  à  toi-même  ;  il  faut  aussi 
que  tu  ne  croies  qu'en  Dieu.  Je  te  demande  donc  :  Renonces-tu  à  la 
créature?  —  Oui,  —  Je  te  demande  encore  :  Renonces-tu  à  toi- 
même?  —  Oui.  —  Ne  crois-tu  qu'en  Dieu?  —  Oui.  —  Je  te  baptise 
donc  au  nom  du  Père,  etc.  Ce  baptême  réitéré  s'appelait  le  Signe  de 
la  confirmation  et  de  ï alliance  '. 

Chez  les  frères  Moraves  où  la  magistrature  ne  peut  être  exercée 
que  par  des  pasteurs  ecclésiastiques,  on  faisait  renoncer  le  prosé- 
lyte au  faste  et  aux  pompes  qui  accompagnent  trop  souvent  l'exer- 
cice du  pouvoir  civil  et  jndiciaire. 

ARTICLE    VII. 

Promesses  ou  vœux  de  baptême. 

Le  Rituel  romain  n'a  rien  conservé  de  l'adhésion  au  Christ  ou 
promesses  de  baptême  qui,  dans  la  liturgie  grecque  et  dans  divers 
sacramentaires  latins,  suivent  immédiatement  la  renonciation  au 
démon.  Plusieurs  théologiens  supposent  que  l'Église  n'a  pas  voulu 
exiger  de  promesses  formelles,  parce  que,  prévoyant  notre  fai- 
blesse, elle  ne  veut  pas  aggraver  la  mal/ce  de  nos  chutes  par  l'addi- 
tion d'une  violation  de  promesses.  11  nous  semble  plutôt  que  la  re- 
nonciation à  Satan,  à  ses  pompes  et  à  ses  œuvres,  impliquant  la 
promesse  de  pratiquer  les  œuvres  ds  Dieu,  il  a  pu  paraître  inutile 
d'exiger  à  se  sujet  une  déclaration  plus  explicite. 

Dans  l'Église  grecque,  après  la  renonciation,  le  prêtre  tourne  le 
futur  baptisé  vers  l'Orient,  lui  abaisse  les  mains  et  lui  dit  par  trois 
fois  :  T'altaches-tu  au  Christ? —  Le  parrain  répond  à  chaque  fois  : 
Je  m'y  attache.  Il  reprend  par  trois  fois  :  T'es  tu  attaché  au  Christ? 

'  Jiist  Menius,  de  VE'^prit  des  Anaboptutes.  y.  301). 


358  DE  l'administration  du  baptême 

—  Je  m'y  suis  attaché  ;  et  cette  dernière  interrogation  se  répète 

encore  trois  fois  avant  chacune  des  trois  récitations  du  Credo. 

Cette  promesse  que  les  Grecs  appelaient  cûv^^tî  et  les  latins 
sponsio,  promissum,  pactum,  votum,  se  formulait  ordinairement 
ainsi  :  Adscribor  tibi,  Christe  ou  Adhsereo  et  adjunr/or  Chrislo. 
Tous  les  Pères  grecs  en  parlent  et  on  en  trouve  aussi  quelques 
allusions  dans  S.  Jérôme  ',  S.  Uilaire  ■  et  S.  Augustin  \  Ce 
dernier  donne  le  nom  de  Vœux  aux  promesses  du  baptême  \ 
et  celte  expression,  passée  dans  le  langage  ordinaire  de  la  piété, 
a  été  prise  dans  le  sens  théologique  par  quelques  hautes  auto- 
rités ^  Mais,  en  général,  cette  qualifie  ilion  leur  est  refusée  par 
tous  ceux  qui  esliment  que  le  vœu  proprement  dit  est  la  promesse 
d'un  bien  tout  à  fait  volontaire  et  libre,  et  que  ce  bien  doit  être 
d'un  ordre  plus  parfait  que  les  obligations  rigoureuses  auxquelles 
nous  astreignent  les  commandements  de  Dieu. 

M.  l'abbé  Craisson  explique  ainsi  comment  on  a  été  amené  à 
donner  improprement  le  nom  de  Vœux  aux  engagements  du  bap- 
tême :  »  La  raison,  dit-il  \  qui  a  fait  adopter  ce  langage,  c'est  que 
les  promesses  du  baptême  ont  des  analogies  spéciales  avec  le  vœu  ; 
elles  sont  comme  lui  une  promesse  ;  cette  promesse  est  faite  à  Dieu, 
comme  celle  du  vœu.  Elles  ne  font  pas  contracter,  à  la  vérité,  un 
engagement  différent  de  celui  que  le  baptême  impose  par  lui-même, 
mais  elles  confirment  cet  engagement.  Or,  il  n'y  a  rien  d'étrange 
que  de  pareilles  affinités  aient  pu  introduire  l'habitude  de  les  dési- 
gner sous  le  nom  de  la  chose  avec  laquelle  elles  ont  une  si  grande 
ressemblance.  » 

Les  Églises  réformées  de  France  donnent  aussi  le  nom  de  vœux 
aux  promesses  du  haptéme.  On  lit  dans  leur  Formulaire  :  «  Le  mi- 
nistre :   Prononcez  donc  le  vœu  du  baptême.  —  Les  adultes  :  Nous 

*  Pactum  inimus  cum  sole  justiciœ  et  ei  servituros  nos  esse  promittimus.  Hier  , 
in  Amos,  c.  VII. 

2  Cap.  XVI  ?■/(  Mutlh. 

'  Vous  portez  le  nom  de  fidèles  et  vous  montrez  l'infidélité  dans  vos  actions  en 
violant  la  promesse  solennelle  que  vous  avez  fait»'.  Augustin. 

*  Ep.  59  ad  Paul. 

•*  P.  Lomb.,  dist.  38,  q.  1,  a.  1  ;  Tliom.,  part.  Il,  disf.  •?,  q.  88,  a.  1. 

*  Bev.  d's  Scùnc^f^  erclcs.,  t.  a XV,  p.  o'IÎ. 


DE    L  ADMINISTRATION    DL'    BAPTÊME  359 

promettons  de  vivre  et  de  mourir  dans  la  foi  chrétienne  et  de  re- 
noncer au  péché,  afin  de  nous  consacrer  entièrement  à  DieuAmen. 
—  Le  ministre  :  Que  le  Seigneur  vous  fasse  la  grâce  d'accomplir 
votre  promesse.  » 

Erasme,  dans  une  lettre  dont  il  fit  précéder  sa  paraphrase  de 
S.  Matthieu,  avait  dit  qu'il  lui  paraissait  à  propos  que  les  adultes 
renouvelassent  les  promesses  que  leurs  parrains  avaient  faites  pour 
eux  et  que,  s'ils  s'y  refusaient,  il  serait  peut-être  expédient  de  ne 
pas  les  contraindre  à  régler  leur  conduite  sur  une  foi  qu'ils  n'a- 
vaient plus.  Sur  les  instances  de  Noël  Beda,  principal  du  collège 
de  Montaigu,  la  Faculté  de  Paris  condamna  cette  proposition.  En 
effet,  les  enfants  baptisés  sont  tenus  par  le  droit  divin  et  même 
par  le  droit  naturel  d'accomplir  les  promesses  faites  en  leur  nom. 
Ceux  qui  reçoivent  le  baptême  sont  incorporés  à  l'Église,  c'est-à- 
dire  à  la  société  fondée  par  N.-S.  Jésus-Christ;  or,  tout  citoyen  qui 
naît  dans  une  société  est  astreint,  dès  l'instant  même,  à  toutes  les 
lois  qui  la  régissent. 

Erasme^  qui  ne  voulait  point  se  brouiller  avec  la  Sorbonne,  cher- 
cha à  s'excuser  en  disant  qu'il  ne  doutait  point  que  l'Eglise  ne  pût 
contraindre  ses  enfants  baptisés  à  demeurer  sous  ses  lois  ;  que  son 
but  avait  été  simplement  de  sus  iter  de  la  part  des  adultes  une 
libre  profession  de  foi  qu'il  avait  crue  avcintageusc  à  la  religion; 
qu'au  reste  il  était  disposé  à  retrancher  de  ses  écrits  une  opinion 
qui,  contre  ses  intentions,  avait  pu  scandaliser  quelques  per- 
sonnes. 

Le  baptême  était  essentiellement,  pour  les  Anabaptistes,  une  pro- 
messe par  laquelle  on  s'engage  à  mortifier  ses  passions  et  à  souf- 
frir patiemment  les  adversités  :  c'est  une  des  principales  raisons 
pour  lesquelles  ils  ne  le  conféraient  point  aux  enfants,  incapables 
encore  de  prendre  un  engagement. 


360  DE   l'administration    du    UAl'TÊME 

ARTICLE    VIII. 

Des  saintes  huiles  en  général. 

La  liturgie  emploie  les  saintes  huiles  dans  le  baptême,  la  confir- 
mation, l'extrème-onction  et  Tordre.  Dans  l'Histoire  de  chacun  de 
ces  sacrements,  nous  aurons  à  nous  occuper  des  cérémonies  spé- 
ciales où  elles  sont  appliquées.  Mais,  avant  d'entrer  dans  ces  dé- 
tails, il  est  nécessaire  d'avoir  des  connaissances  générales  sur  la 
nature  et  la  confection  des  saintes  huiles,  ainsi  que  sur  les  pres- 
criptions liturgiques  qui  s'}'  rapportent.  Pour  ne  pas  avoir  à  reve- 
nir, à  diverses  reprises,  sur  ces  explications  préliminaires,  nous 
consacrerons  cet  article  aux  saintes  huiles  en  général  et,  avant 
d'aborder  l'onction  des  catéchumènes ,  nous  nous  occuperons 
successivement  :  1°  de  l'usage  et  du  symbolisme  de  l'huile  dans 
l'antiquité  ;  2°  de  l'ancienneté  et  de  la  signitication  des  onctions 
dans  les  rites  chrétiens  ;  3"  des  diverses  espèces  et  des  noms  des 
saintes  huiles;  4°  de  la  composition  des  saintes  huiles;  5"  de  leur 
consécration;  6°  de  leur  distribution;  T  de  leur  conservation; 
8"  des  vases  aux  saintes  huiles. 

§*• 

De  l'usage  et  du  symbolisme  de  l'huile  dans  l'anUquité. 

Chez  les  peuples  anciens,  on  oignait  les  enfants  nouveau-nés  avec 
de  l'huile  d'amande  douce.  Cet  usage  hygiénique,  recommandé 
par  Gallien,  subsiste  encore  aujourd'hui  dans  diverses  contrées  de 
l'Orient.  Dans  les  pays  chauds,  les  anciens  recouraient  aux  onctions 
oléagineuses  pour  résister  à  l'ardeur  du  climat  et  modérer  la  trans- 
piration ;  avant  les  bains,  elles  garantissaient  contre  la  réaction 
trop  violente  de  l'eau  froide.  Les  lutteurs  s'oignaient  d'huile  le  corps 
tout  entier  pour  se  rendre  plus  aptes  à  leur  genre  de  combat. 

L'huile  ne  remplissait  pas  un  simple  rôle  hygiénique  ;  elle  figu- 
rait dans  les  rites  religieux  de  tons  les  peuples,  ce  qui  démontre  que 
son  emploi  remonte  au  culte  primitif.  Nous  voyons  Jacob  répandre 
de  l'huile  sur  une  pierre  qu'il  érige  en  autel.  C'est  avec  une  huile 


DE   l'administration   DU    BAPTÊME  361 

composée  de  myrrhe,  de  cinnamone,  de  canne  et  d'olives  que 
Moïse  consacre  l'arche  d'alliance,  le  tabernacle  du  témoignage,  la 
table  d'or,  l'autel  des  parfums,  celui  des  holocaustes,  le  bassin  d'ai- 
rain et  tous  les  vases  sacrés. 

Les  rois,  les  prophètes  et  les  prêtres  étaient  consacrés  à  Dieu  par 
un  même  genre  d'onctions.  Ces  rites  symboliques  n'étaient  point 
spéciaux  aux  Juifs  ;  nous  les  retrouvons  en  Chaldée,  en  Assyrie,  en 
Perse,  dans  l'Inde,  dans  l'Arabie,  en  Asie  Mineure,  en  Grèce,  en 
Italie.  On  lit  dans  le  Ràmayâna  '  que  le  roi  Râma,  dernière  incarna- 
tion de  Vishnou,  «  fut  consacré  en  présence  de  toutes  les  divinités, 
réunies  dans  les  airs,  avec  le  suc  de  toutes  les  herbes  médicinales.  » 
Une  cérémonie  védique,  l'onction  du  feu,  avait  lieu  au  moyen  du 
rjhrita  ou  beurre  clarifié.  Les  ascètes  indhous,  dans  leurs  pratiques 
religieuses,  se  graissaient  la  tête  avec  une  huile  sainte  extraite  de 
l'arbre  appelé  ingondi. 

L'huile,  symbole  antique  de  la  fertilité  et  de  l'abondance,  de  force, 
de  remède  et  de  guérison,  de  parure  et  de  joie,  d'honneur  et  de 
respect,  de  ro3'auté  et  de  sacerdoce,  a  conservé  toutes  ces  significa- 
tions que  le  Christianisme  a  sanctifiées, 

Jésus-Christ  ayant  été  oint  d'une  manière  mystique  et  non  maté- 
rielle qui  le  fit  tout  à  la  fois  prêtre,  prophète  et  roi,  il  fut  VOiiit  par 
excellence,  le  Christ  ;  les  sectateurs  de  sa  foi,  consacrés  par  les 
onctions  du  baptême,  qui  les  associent  aux  gloires  de  la  royauté 
mystique  et  du  sacerdoce,  sont  eux  aussi  les  oints,  les  chrétiens. 

§2. 
De  l'ancienneté  et  de  la  signitication  des  onctions  dans  les  rites  chrétiens. 

Quelques  écrivains  protestants  ont  voulu  attribuer  l'institution 
des  onctions  à  Pierre  le  FouUon,  patriarche  hérétique  d'Autioche  ; 
mais  Théodore  le  Lecteur,  qu'ils  ont  mal  lu,  dit  simplement  que  ce 
patriarche  introduisit  l'usage  ;le  consacrer  le  chrême  en  présence  de 
tous  les  fidèles  ^  Théodore,  archevêque  de  Cantorbéry,  avance  sans 
aucun  fondement  que  le  saint  chrême  a  été  institué  par  le  concile  de 

'  Trad.  Fauche,  t.  II,  p.  320. 
^  Colkcl.,].  II. 


362  DE  l'administrati'in  du  baptême: 

Nicée  '.  Sicard.évêquede  Crémone  ",  en  attribueThonneur  à  S.  Clé- 
ment, mais  sans  doute  en  se  basant  snr  le  livre  des  Récognitions, 
ouvrage  qni  lui  est  faussement  attribué  et  qui  ne  doit  pas  être  de 
beaucoup  antérieur  à  Origène,  Les  Constitutions  apostoliques  consi- 
dèrent S.  Matthieu  comme  l'instituteur  de  la  bénédiction  de  l'eau 
et  de  riiuile.  S.  Denis  TAréopagite  en  parle  comme  d'un  usage  déjà 
ancien  et  S.  Basile  le  fait  remonter  à  la  tradition  apostolique. 

Les  docteurs  catholiques  sont  presque  unanimes  à  considérer  tous 
les  sacrements  comme  institués  immédiatement  par  Jésus-Christ  ^ 
d'où  il  faut  conclure  que  les  saintes  huiles  sont  d'institution  divine  ; 
mais  leur  bénédiction  ou  consécration  peut  ne  point  remonter  si 
haut.  Celle  de  l'huile  des  infirmes  paraît  être  la  plus  ancienne  ;  vient 
ensuite  celle  de  l'huile  des  catéchumènes,  et  un  peu  plus  tard  celle 
du  saint  chrême. 

Les  païens  paraissent  avoir  été  frappés  du  rite  des  huiles  saintes 
employées  dans  le  baptême.  Nous  lisons  dans  les  actes  authentiques 
de  S.  Bénigne,  apôtre  de  la  Bourgogne,  martyrisé  en  168,  que  l'em- 
pereur Marc-Aurèlc  vint  à  Dijon  pour  inspecter  les  nouvelles  murail- 
les qu'on  y  avait  élevées;  il  profita  de  cette  circonstance  pour  faire 
ériger  un  temple  à  Mercure  et  pour  ordonner  d'expulssr  tous  les 
chrétiens  de  la  ville.  Le  cornes  Térentius  s'engagea  à  exécuter  les 
ordres  de  l'empereur.  <  Nous  ne  savons,  lui  dit-il,  ce  que  c'est 
qu'un  chrétien;  mais  je  connais  un  étranger  qui  a  la  tête  rase,  dont 
le  costume  et  les  mœurs  différent  des  nôtres.  Cet  homme  recrute 
parmi  le  peuple  des  disciples  qu'il  soumet  à  une  ablution  dans  l'eau 
et  dont  il  oint  tous  les  membres  avec  un  baume.  » 

Théophile  d'Antioche  ^  qui  vécut  peu  de  temps  après  S.  Justin, 
Origène,  Tertullien,  S.  Cyprien  ^  et  tous  les  Pères  du  lY"  siècle  nous 
parlent  des  saintes  huiles,  et  plusieurs  d'entre  eux  nous  en  expli- 
quent la  vertu   et  la  signification.  S.   Ambroise  nous  dit  que  les 

'  PcuUeiil.,  1.  IV 

-  Mitrale.  1.  VI,  c.  l'i. 

'  Quelques  commentateurs  ont  même  cru  qu'il  s'agit  des  onctions  sacramentelles 
dans  la  deuxième  épitre  au.\  Coi'.^  I,  21,  et  dans  la  première  é|iitre  de  S.  Jean, 
II,  20  et  27. 

'*  Lib.  1  ad  A  II  loi 

'^  Ej>.  7(1. 


DE    l'aDMLMSTRATION    DU    BAPTÊME  363 

onctions  apprennent  aux  catéchumènes  qu'ils  vont  devenir  des  athlè- 
tes, obligés  de  combattre  contre  le  siècle  et  les  ennemis  de  leur 
salut.  «  Cette  huile  exorcisée,  dit  S.  Cyrille  ',  est  le  symbole  de 
l'onction  même  de  Jésus-Christ  ;  elle  vous  a  été  communiquée  afin 
que  toute  impression  du  péché  fut  effacée  de  votre  àme...  car  cette 
huile,  exorcisée  par  la  prière  et  par  l'invocation  du  nom  de  Dieu, 
a  tant  de  vertu  que  non  seulement  elle  purifie  l'âme  des  restes  du 
péché,  mais  qu'elle  chasse  les  démons  invisibles.  » 

Les  écrivains  du  Moyen-Age,  commentant  et  développant  les  indi- 
cations des  Pères,  ont  fait  remarquer  que  les  onctions  nous  confèrent 
une  sorte  de  sacerdoce,  attendu  que  nous  recevons  dans  le  baptême 
la  mission  d'offrir  à  Dieu  le  sacrifice  de  notre  esprit,  de  notre  raison, 
de  notre  cœur,  de  nos  adorations,  ce  qui,  selon  l'expression  de 
l'apôtre  S.  Pierre,  constitue  un  sacerdoce  royal;  qu'avant  d'entrer 
dans  l'arène  de  la  vie  chrétienne,  nous  devons  être  oints  de  l'huile 
fortifiante  pour  lutter  contre  le  monde  et  les  passions  ;  que  rien 
n'exprime  mieux  la  grâce  que  l'huile  dont  la  nature  est  de  nourrir, 
d'éclairer,  de  réchauffer,  de  fortifier  et  de  guérir.  Si  Claude  de 
Vert,  toujours  enclin  au  naturalisme,  avait  médité  ces  considérations 
symboliques,  il  n'aurait  pas  vu  dans  les  onctions  baptismales  une 
préparation  matérielle  à  l'ablution  de  l'eau  et  une  substitution  aux 
frictions  d'huile  dont  usaient  les  anciens  avant  de  se  mettre  au 
bain  ^ 

§3. 

Des  diverses  espèces  et  des  noms  des  saintes  huiles. 

Il  y  a  trois  espèces  de  saintes  huiles  qui  sont  consacrées  le  jeudi 
saint  par  l'évêque  :  l'huile  des  infirmes,  l'huile  des  catéchumènes 
et  le  saint  chrême. 

1"  L'huile  des  infirmes,  oleum  infirmorum,  composée  uniquement 
d'huile  d'olive,  sert  dans  le  sacrement  de  l'extrême-onction  et  dans 
la  bénédiction  des  cloches.  . 

2°  L'huile  des  catéchumènes,  oleum  sanctum,  composée  d'huile 

'  II  Catech.  mybtag. 

-  ExjjI.  des  Ccrcm.  ri-  l'Égl.,  t.  Jl,  cli   Jî,  p.  368. 


364  DE  l'administration  du  baptême 

d'olive,  est  employée  dans  les  onctions  qui  précèdent  le  baptême, 
dans  la  bénédiction  des  fonts  baptismaux,  dans  l'ordination  des 
prêtres,  dans  la  consécration  des  églises,  des  autels  fixes  et  des  autels 
portatifs.  Elle  a  été  désignée  sous  le  nom  à^ huile  sainte,  huile  sacrée, 
huile  sanctifiée,  huile  de  l'onction,  huile  de  paix,  liuile  d'allégresse, 
huile  exorcisée;  cette  dernière  dénomination  provient  sans  doute  de 
ce  que,  dans  plusieurs  anciens  sacramentaires  manuscrits,  la  béné- 
diction est  intitulée  :  Exorcismus  olei  catechumenorum.  Les  Syriens 
l'appellent  galilœion. 

3"  Le  saint  chrême,  composé  d'huile  d'olive  et  de  baume,  est 
employé  dans  l'onction  verticale  qui  suit  l'ablution  baptismale, 
dans  le  sacrement  de  confimation,  dans  la  consécration  des  évêques, 
dans  celle  des  patènes  et  des  calices,  dans  la  consécration  des  autels 
fixes  ou  portatifs,  dans  la  dédicace  des  églises,  dans  la  bénédiction 
des  fonts  et  des  cloches,  dans  le  sacre  des  rois,  etc.  Le  chrême, 
désigné  parfois  sous  les  mêmes  noms  que  l'huile  des  catéchumènes 
est  appelé  parfois  \ huile,  l'huile  de  bénédiction.  Les  Grecs  la  nom- 
nient  myre,  n-ùpov  ^onguent,  parfum).  C'est  du  mot  chrisma,  et  non 
pas  du  nom  du  Christ,  que  TertuUien,  Théophile  d'Antioche  et 
S.  Cyrille  de  Jérusalem  font  dériver  la  désignation  de  chrétiens  qui 
n'apparaît  que  vers  l'an  42  ou  43  de  notre  ère  '. 

Outre  ces  huiles  sacramentelles,  on  peut  encore  distinguer  : 
1"  l'huile  bénite  par  le  prêtre  et  diffcrente  de  celle  des  catéchumè- 
nes, dont  les  Coptes  se  servent  pour  les  premières  onctions  seule- 
ment ;  2"  l'huile  bénite  par  le  prêtre  pour  être  brûlée  devant  les 
saintes  images  et  dont  les  fidèles  de  l'Orient  se  font  parfois  oindre 
le  front;  3°  l'huile  de  la  sainte  croix  qu'on  faisait  brûler  devant  la 
croix  et  le  tombeau  des  saints  pour  en  faife  des  onctions  aux  ma- 
lades et  aux  infirmes  ^;  4"  l'huile  qu  on  fait" brûler  devant  le  Saint- 
Sacrement;  rî"  1  huile  dont  on  se  servait  jadis  pour  ensevelir  les 
morts  et  spécialement  les  moines  et  les  évêques;  6"  1  huile  miracu- 
leuse qui  découle,  à  Hari,  du  tombeau  de  S.  Nicolas  ;  7'  l'huile  que 
M.  Dupont,  de  Tours,  faisait  brûler  devant  f  image  de  la  sainte  Face 
et  dont  les  onctions  ont  produit  de  si  nombreuses  guérisons,  etc. 

'  Mamaclii,  Oricj.  chr[»L,  1.  I,  jj  3. 

"  Et  elle  guérit  par  l'huile  de  la  sainte  Croix,  dit  Cyrille  de  Scythopolis  dans  sa 
Vie  de  S.  Sabi  (ch.  \>i). 


DE   l'administration    DU    BAPTÊME  365 

§4. 
De  la  composition  des  saintes  huiles. 

Nous  avons  dit  que  l'huile  des  infirmes  et  celle  des  catéchumènes 
ne  se  composaient  que  d'huile  d'olive.  Les  oliviers  introduits  en  Pro- 
vence par  les  Phocéens  restèrent  fort  rares  en  France  sons  la  pre- 
mière et  la  seconde  race;  c'est  dans  un  but  religieux  que  la  loi  des 
Visigoths  et  un  Concile  de  Narbonne  (lOoi)  protégèrent  leur  conser- 
vation. Du  temps  de  Charlcmagne,  on  tirait  l'huile  d'olive  de  l'O- 
rient et  de  l'Afrique.  C'est  ce  qui  nous  explique  pourquoi  on  ne  fai- 
sait pas  dans  les  églises  latines  les  amples  ablutions  usitées  en  Orient 
et  pourquoi  les  évèques  d'Occident  se  croyaient  autorisés  parfids  à 
exiger,  pour  la  délivrance  des  saintes  huiles,  un  prix  assez  élevé, 
que  motivaient  les  frais  d'acquisition  et  de  transport. 

C'est  vers  le  commencement  du  Yl*  siècle  que,  pour  la  confection 
du  saint  chrême,  on  commença  à  mêler  à  l'huile  d'olive  du  baume, 
symbole  de  la  bonne  odeur  de  Jésus-Christ  et  de  la  préservation  de 
toute  corruption  morale.  On  le  tira  d'abord  du  lentisque  ',  arbre  qui 
croissait  en  Syrie,  en  Afrique  et  en  Grèce,  et  dont  la  résine  porte 
le  nom  de  mastic  de  Chio,  manne  du  Liban.  Plus  tard,  et  jusqu'au 
XVI''  siècle,  on  le  tira  aussi  du  balsamier,  qui  croît  dans  l'Arabie  et 
la  Judée.  Quand  les  Espagnols  eurent  rapporté  d'Amérique  le  baume 
du  Pérou,  les  papes  Innocent  III  et  Paul  lY  permirent  d'en  faire 
usage. 

D'après  ce  que  nous  dit  Brantôme  ^  le  populaire,  en  Périgord, 
s'imaginait  que  la  substance  du  chrême  se  prenaitdans  l'oreille  d'un 
dragon,  et  qu'un  chevalier  de  la  maison  de  Bourdeille  devait  aller 
faire  cette  dangereuse  capture  au-delà  de  Jérusalem. 

Matthieu  Paris,  en  parlant  des  abus  qui  régnaient  du  temps  de 
Guillaume  le  Conquérant  ',  dit  que  les  laïques,  lorsqu'ils  baptisaient 


*  On  croyait  que  c'était  avec  du  bois  de  lentisque  qu'on  avait  formé  la  partie 
de  la  croix  où  furent  attachées  les  mains  de  Jésus-Christ.  Liturg.  de  S.  Germain, 
év.  de  Paris,  ap.  D.  Martène,  Anecdot.,  t.  V. 

'  Hommes  illustres,  t.  IV,  p.  153. 

'  Vita  Wilhlm.,  anno  1074. 


366  "!••  l'administration  ne  baptême 

en  cas  Je  nécessité  et  qu'ils  n'avaient  point  à  leur  disposition  d'huile 

sainte,  la  remplaçaient  avec  de  la  sécrétion  des  oreilles. 

Dès  le  temps  de  S.  Denis  l'Aréopagite,  les  Orientaux  ajoutaient  à 
l'huile  et  au  baume  quelques  herbes  odoriférantes.  Par  la  suite  des 
temps,  le  nombre  en  augmenta  et  fut  réglé  par  la  liturgie.  D'après 
le  grand  Euchologe  grec_,  on  doit  composer  le  saint  chrême  avec  les 
quarante  substances  suivantes  :  huile  d'olive,  baume  de  balsamier, 
bois  de  cet  arbre,  clous  de  girofle,  jonc  aromatique,  cynnamome, 
fleurs  de  cynnamome,  poivre  gris,  poivre  blanc,  poivre  long,  poivre 
de  l'Inde,  macre,  gingembre,  herbe  à  lait,  sauge  de  montagne,  sa- 
fran, semence  de  romarin,  cabaret,  bois  d'aloès,  noix  de  muscade, 
mastic,  encens,  ladonum  provenant  d'une  plante  appelée  leda,  jus- 
quiane  noire,  styrax,  musc,  ambre,  myrte,  laurier,  marjolaine,  ro- 
marin et  costitm  '. 

Les  Russes  suppriment  quelques-uns  de  ces  ingrédients  et  les  rem- 
placent par  du  vin  blanc,  du  muscat,  delà  térébenthine  do  Venise, 
de  l'huile  essencielle  de  bergamolte,  des  racines  de  violettes,  du  bois 
de  Rhodes,  de  l'iris,  du  basilic,  du  serpolet,  des  fleurs  d'oranger  et 
de  rosier,  de  la  lavande,  du  benjoin,  de  la  canelle,  etc.  ^ 

Les  Syriens  n'employaient  qu'une  dizaine  de  substances,  d'un 
poids  déterminé,  et  les  faisaient  bouillir  pendant  quatre  heures  au 
bain-marie.  Pendant  cette  cuisson,  les  Arméniens  récitent  des  ex- 
traits des  quatre  évangiles.  Les  Nestoriens  du  Malabare  confection- 
naient leur  huile  sainte  avec  des  noix  de  coco. 

Depuis  la  mission  du  P.  Dandini,  nonce  du  pape  au  Mont-Liban 
(1556),  les  Maronites  ont  adopté  le  mode  latin  pour  la  confection  du 
saint  chrême. 

Plusieurs  églises  d'Orient,  perpétuant  une  tradition  apocryphe, 
prétendent  que  l'huile  qu'employa  Magdeleine  pour  parfumer  les 
pieds  du  Sauveur  fut  recueillie  en  partie  par  les  disclplos,  distribuée 
par  eux  aux  églises  qu'ils  fondèrent,  augmentée  par  celle  qu'ils  bé- 
nirent eux-mêmes,  en  sorte  que  le  chrême  dont  on  se  sert  aujour- 
d'hui en  Orient  serait  encore,  avec  des  additions  successives,  le 
chrême  évangélique. 


1  Barraud,  Notice  sur  les  saintes  huiles^  p.  43. 
-  Sal>:is,  Sacviiilie  'patriarcale  du  Moscou,  p.  59. 


DE    i/aDMINISTHATIUN    du    BAl'TÊME  367 

§5- 

De  la  consécration  des  saintes  huiles. 

D'après  ce  que  nous  dit  le  Concile  de  Tolède,  tenu  eu  Tan  400  \ 
nous  devons  conclure  que,  pendant  les  quatre  premiers  siècles,  au- 
cune époque  spéciale  n'était  prescrite  pour  la  consécration  des  saintes 
huiles.  On  dut  la  faire  au  fur  et  à  mesure  des  besoins  et  surtout  le 
jour  même  des  grandes  solennités  baptismales  qui  exigeaient  l'em- 
ploi de  beaucoup  d'huile  pour  les  nombreux  néophytes  qui  devaient 
recevoir  les  onctions  exigées  par  l'administration  successive  du 
baptême  et  de  la  confirmation.  Plus  tard,  alors  que  se  multiplièrent 
les  églises  baptismales  et  qu'on  dut  les  pourvoir  à  temps  des  huiles 
nécessaires  pour  la  bénédiction  des  fonts,  on  se  trouva  nécessaire- 
ment amené  à  avancer  la  cérémonie.  Le  Concile  de  Meaux,  en  843, 
défend  aux  évêques  de  consacrer  le  saint  chrême  un  autre  jour  que 
le  jeudi  saint,  ce  qui  prouve  que  cette  date  liturgique  était  déjà  ob- 
servée. On  ne  consacra  d'abord  que  le  saint  chrême  ;  plus  tard  on 
y  joignit,  pour  plus  de  commodité,  la  bénédiction  de  l'huile  des  ca- 
téchumènes et  de  celle  des  infirmes.  Pourquoi  a-t-on  choisi  le  jeudi 
saint?  c'est  parce  que  ce  jour-là,  nous  répondent  les  liturgistes  du 
Moyen-Âge,  Magdeleine  oignit  de  parfums  la  tête  et  les  pieds  du  Sau- 
veur ;  c'est  aussi  parce  que  c'est  l'anniversaire  de  l'institution  de 
l'Eucharistie  et  que  c'est  dignement  en  célébrer  la  mémoire  que  de 
fêter  indirectement  à  la  fois  l'institution  des  autres  sacrements  qui, 
la  plupart,  réclament  l'emploi  des  huiles  saintes.  Ce  n'est  qu'en 
vertu  d'une  dispense  du  Pape  et  pour  des  raisons  très  graves  que  ce 
jour  peut  être  changé. 

Les  Jacobites  coptes  consacrent  aussi  le  saint  chrême  le  jeudi 
saint,  depuis  une  ordonnance  de  leur  soixante-douzième  patriarche, 
Amba-Ephrem  ;  antérieurement  c'était  le  vendredi  saint,  jour  où, 
chez  eux,  se  conférait  le  baptême  solennel.  Ils  prétendaient  que 
cette  date  avait  été  prescrite  par  un  ange  à  Théophile,  leur  vingt- 
troisième  patriarche  '. 

'  Certum  est  quod  omni  tempore  licet  chrisma  conficere.  G.  iO. 
-  J.  M.  Yanslet,  Hist.  de  l'Église  d'Alexandrie,  p.  231  . 


3(l8  DE    l'administration    du    BAl'TÉMK 

En  Arménie,  la  consécration  des  saintes  huiles  ne  se  fait  que  tous 
les  sept  ans,  la  veille  de  Notre-Dame  de  Se[)tembre  ;  en  Syrie,  on 
reste  parfois  trente  ou  quarante  ans  sans  procéder  à  cette  cérémonie. 

La  consécration  du  chrême,  d'après  une  très  ancienne  tradition,  a 
toujours  été  réservée  à  l'évêque,  sauf  de  rares  exceptions.  Les  Cow5- 
titiitions  apostoliques  disent  que  l'évêque  bénit  l'eau  et  l'huile,  mais 
qu'en  son  absence  il  est  remplacé  par  le  prélre,  assisté  d'un  diacre, 
pour  remplir  ces  deux  fonctions  '.  S.  Cyprien,  écrivant  auxévêqnes 
de  Numidie,  fait  remarquer  que  l'évêque  seul  a  droit  de  bénir  le 
saint  chrême  pendant  la  célébration  des  saints  mystères.  Le  Bré- 
viaire romain,  dans  les  leçons  du  31  janvier,  attribue  à  S.  Sylvestre 
un  décret  relatif  à  ce  point  de  discipline.  Il  y  eut,  à  diverses  épo- 
ques, des  infractions  à  ce  sujet,  car  divers  conciles  furent  obligés  de 
réprimer  les  empiétements  des  simples  prêtres  qui  s'arrogeaient  ces 
fonctions  ^  et,  au  commencement  du  XI'  siècle,  le  Concile  de  Ravenne 
fut  encore  obligé  d'interdire  aux  archiprêtres,  sous  peine  de  déposi- 
tion, de  consacrer  le  saint  chrême. 

L'évêque  consécrateur  doit  être  accompagné  des  deux  premiers 
dignitaires  du  chapitre,  de  douze  prêtres  en  chasuble,  de  sept  dia- 
cres en  dalmalique  et  de  sept  sous-diacres  en  tunique.  C'était  ainsi 
qu'était  composé  le  collège  des  ministres  dans  chaque  église  cathé- 
drale. 

Comme  tous  les  membres  du  presbytère  consacraient  ce  jour-là  la 
victime  sainte  avec  l'évêque,  il  était  naturel  qu'ils  participassent 
aussi  à  la  bénédiction  des  saintes  huiles  qui  se  faisait  après  la 
messe. 

Amalaire  nous  dit  ^  que  le  Pape,  en  officiant,  était  entouré  de  ce 
môme  nombre  de  ministres  et  que  lesévêques  instituèrentcet  usage 
pour  donner  plus  de  solennité  à  la  consécration  des  saintes  huiles. 

'<  Les  douze  prêtres,  nous  dit  Rupert  *,  rangés  autour  de  l'évêque 
comme  témoins  et  coopérateurs  de  son  ministère,  représentent  les 

*  Benedicat  episcopus  aquam  et  oleum.  Sin  vero  non  adsit,  benedicat  presbyter 
prsesente  diacono.  L.  VIII,  c.  9. 

*  2<-  Conc.  de  Caithage  (390)  ;  3"  et  ¥  Gonc.  de  Carlhage  (393  et  397);  Conc.  de 
Tolède  (/lOO). 

3  De  Offic.  ceci.,  1.  I,  c.  12. 

*  DeDiv.  Ofjic.,  c.  18. 


DK  l'administration  du  baptême  369 

douze  apôtres  en  la  présence  desquels  le  souverain  Pontife,  Jésus- 
Christ,  a  dans  ce  jour  écrit  son  testament  en  leur  promettant  l'envoi 
de  son  Esprit-Saint.  » 

Au  Moyen-Age  et  surtout  dans  les  deux  derniers  siècles,  les  pres- 
criptions liturgiques  n'ont  pas  toujours  été  observées.  L'évêque  était 
parfois  assisté,  en  nombre  indéterminé,  par  tous  les  prêtres  de  la 
cathédrale  et  des  paroisses. 

Au  XYIIP  siècle,  à  Saint-Etienne  de  Sens,  l'officiant  était  accom- 
pagné de  deux  chanoines  et  de  treize  prêtres  cardinaux,  ainsi  appe- 
lés parce  qu'ils  se  tenaient  aux  deux  coins  de  l'autel'.  En  1707, l'ar- 
chevêque de  Lyon  réduisit  à  sept  le  nombre  des  prêtres  assistants, 
sous  prétexte  de  se  conformer  à  un  ancien  pontifical  lyonnais  dont 
on  venait  de  retrouver  en  exemplaire  ^  Dans  le  rite  parisien,  ce 
sont  deux  archidiacres  et  deux  archiprêtres  qui  assistent  Tarche- 
vêque. 

La  Sacrée  Congrégation  des  Rites  a  décidé  que  lorsque  l'évêque 
n'a  point  le  nombre  voulu  de  prêtres  séculiers  pour  la  consécration 
des  saintes  huiles,  il  doit  recourir  aux  prêtres  réguliers  ;  que  lors- 
que, dans  un  diocèse,  il  est  par  trop  difficile  de  réunir  le  nombre 
exigé  de  prêtres,  de  diacres  et  de  sous-diacres,  on  peut  néanmoins 
procéder  à  l'office,  pourvu  qu'on  se  conforme,  quant  au  reste,  aux 
prescriptions  du  pontifical  '\ 

Pendant  longtemps,  les  patriarches  de  Constantinople,  de  Jérusa- 
lem, d'Antioche  et  d'Alexandrie,  restèrent  investis,  par  Tusage,  du 
droit  do  consacrer  le  saint  chrême  pour  toute  l'étendue  de  leurs  pa- 
triarcats respectifs.  Ces  trois  derniers  finirent  par  partager  ce  pri- 
vilège avec  leurs  sufTragants,  en  raison  de  la  difficulté  de  les  réunir 
tous  pour  l'office  du  jeudi  saint,  et  aussi  à  cause  de  l'embarras  qu'oc- 
casionnait la  consécration  d'une  si  grande  quantité  de  saint  chrême. 
Les  patriarches  de  Constantinople  ont  défendu  et  conservé  leurs 
droits  jusqu'ànos  jours.  L'un  d'eux,  au  commencementduXIll' siècle, 
refusa  de  partager  son  privilège  avec  le  primat  de  Bulgarie  ;  mais 
quand  ce  dignitaire  se  réunit  avec  les  Bulgares  et  les  Valaques  à 

•  Moléon,  Voy.  liturg.,  p.  173. 
2  Claude  de  Vert,  Expl.  des  cùt\,  ch.  III,  n.  2'J. 

•'  N"  1207,  11  nov.  16H;  n'^  1282,  24  janv.  16i3;  n»  1339,  23  janv.  1644. 
Ile  série,  tome  XI.  24 


370  DE  l'administration  du  baptême 

l'Eglise  romaine,  il  obtint  du  pape  Innocent  III,  ainsi  que  tous  les 
autres  évêquesde  sa  nation,  la  faculté  de  consacrer  les  saintes  huiles 
suivant  le  rite  latin. 

«  En  Arménie,  dit  M.  Léon  Bore  *,le  patriarche  d'Eczmiazin  avait 
seul  le  pouvoir  de  consacrer  le  saint  chrême,  et  c'était  là  un  des 
principaux  attributs  de  sa  puissance,  comme  aussi  la  première 
source  de  ses  revenus,  parce  qu'il  le  distribuait  aux  autres  églises 
dépendant  de  lui,  moyennant  une  certaine  somme  d'argent.  Depuis 
la  séparation  des  patriarcats  de  Sis  et  d'Aghlamar,  chaque  chef  de 
ces  églises  particulières  s'est  arrogé  la  même  puissance.  » 

Dans  les  Églises  orientales,  les  simples  prêtres  bénissent  l'huile 
des  catéchumènes  et  celle  des  infirmes  ;  ils  procèdent  ordinairement 
à  cette  cérémonie  au  moment  même  d'administrer  le  baptême  et 
l'extrême-onction.  Le  pape  Clément  XIII  a  sanctionné  cette  antique 
coutume  dans  sa  lettre  auxévêques  d'Orient  du  rite  latin  ^ 

Les  protestants,  on  le  sait,  n'emploient  point  le  chrême  dans  l'ad- 
ministration des  sacrements  ;  mais  les  Anglicans  en  usent  dans  le 
sacre  des  rois.  C'est  l'archevêque  de  Cantorbéiy  qui  bénit  solennel- 
lement le  saint  chrême  avec  lequel  il  oint  le  roi  ou  la  reine,  sur  la 
tête,  les  épaules  et  le  dos. 

Nous  ne  pouvons  nous  attarder  ici  à  décrire  toutes  les  cérémonies 
de  la  consécration  des  saintes  huiles.  Elles  ont  d'ailleurs  été  parfai- 
tement expliquées  par  D.  Guéranger  ^  et  le  chanoine  Barraud  \Nous 
nous  bornerons  à  relater  quelques  particularités  relatives  à  ces  rites 
pontificaux  et  à  ceux  de  quelques  Églises  orientales. 

«  Les  pontifes  romains,  dit  le  chevalier  Moroni  ^,  faisaient  les 
«  bénédictions  des  saintes  huiles  avec  pompe,  comme  l'indiquent 
«  les  Ordo  romains.  Benoît  XIII  voulut  faire  revivre  les  anciennes 
«  coutumes.  La  cérémonie  commençait  à  Saint-Thomas  ou  à  Saint- 
«  Pancrace,  quand  les  Papes  habitaient  le  palais  de  Latran  ;  ou  à  la 
«  basilique  de  Saint-Grégoire,  si  elle  devait  se  faire  dans  la  basili- 
«  que  du  Vatican  ;  ils  étaient  assistés  par  les  évoques,  les  prêtres, 

'  Univers  2^Ul.,  Arménie, 'ç.  135. 

^  Arcudius,  de  Concord.  Eccl.  orient,  et  occ,  1.  V,  c.  II,  p.  43'J. 

'''  Année  liturgique,  Semaine  sainte,  p.  401. 

*  Notice  sur  les  saintes  huiles,  p.  29. 

•*  Hist.  des  chapelles  papales,  3"  part.,  ch.  13. 


DE   l'administration   DU    BAPTÊME  371 

«  les  diacres  et  les  divers  ministres  qui  les  accompagnaient  aux 
«  fonctions  saintes.  On  leur  présentait  les  trois  ampoules  ou  vases 
«  de  verre,  renfermant  les  saintes  huiles;  on  quittait  l'autel  oii  la 
«  cérémonie  avait  eu  lieu  et,  les  portant  en  procession,  on  se  rendait 
«  à  l'un  ou  à  l'autre  des  autels  de  la  basilique  où  le  Pape  devait  célé- 
«  brer  les  saints  mystères.  Les  anciens  Ordo  font  mention  d'une  qua- 
((  trième  ampoule  contenant  un  vase  d'or,  dans  lequel  on  gardait 
«  une  pierre  précieuse  qui  renfermait  miraculeusement  du  sang  du 
«  Sauveur.  Pendant  que  le  Pontife  faisait  son  homélie,  les  cardinaux- 
ft  diacres,  aidés  de  plusieurs  sous-diacres,  découvraient  l'autel 
«  sacré  dans  lequel  était  cachée,  pendant  l'année,  l'ampoule  dont 
«  on  vient  de  parler,  et  que  le  Pape  portait  lui-même  pour  la  mon- 
«  trer  au  peuple  qui  la  vénérait  avec  la  plus  grande  piété.  Il  entrait 
«  ensuite  dans  le  lieu  le  plus  reculé  du  sanctuaire  pour  achever  les 
«  saints  Mystères  sur  l'autel  papal,  afin  d'imiter  ainsi  les  rites  de 
«  l'Ancien-Testament  qui  permettaient  aux  seuls  pontifes  d'entrer 
«  dans  le  Saint  des  Saints  une  fois  l'an.  » 

La  Croze  a  prétendu  '  que  les  Arméniens  considéraient  la  consé- 
cration du  myron  comme  un  sacrement  spécial,  et  il  s'est  surtout 
basé  sur  le  passage  suivant  de  Vardanès,  docteur  arménien  du 
XIIP  siècle  :  «  Nous  voyons  des  yeux  du  corps  dans  lEucharistie 
du  pain  et  du  vin  et,  par  les  yeux  de  la  foi  ou  de  l'entendement, 
nous  y  concevons  le  corps  et  le  sang  de  Jésus-Christ,  de  même  que 
dans  le  myron  nous  ne  voyons  que  de  l'huile,  mais  par  la  foi  nous 
y  apercevons  l'Esprit  de  Dieu.  » 

Tout  ce  qu'on  peut  conclure  de  ce  passage,  c'est  que  l'auteur  a 
fait  une  comparaison  inexacte  ;  car  tous  les  monuments  liturgiques 
des  Arméniens  prouvent  qu'ils  ne  considèrent  la  consécration  du 
saint  chrême  que  comme  une  cérémonie  sainte,  sans  y  attacher 
aucune  idée  sacramentelle  de  transubstantiation. 

Tournefort  ^  donne  les  détails  suivants  sur  la  consécration  du 
chrême  par  le  patriarche  arménien  :  «  Ils  le  préparent  depuis  les 
Vespres  du  dimanche  des  Rameaux^  jusqu'à  la  messe  du  Jeudi-Saint, 
laquelle  ce  jour-là  se  célèbre  sur  le  grand  vaisseau  où  l'on  conserve 

*  Hht.  du  Christian,  dans  les  Indes,  t.  I,  p.  308. 
■^  Voyages,  t.  II,  p.  405. 


372  DE    LADMINlSTfiATlOK    DU    BAPTÊME 

cette  liqueur.  On  n'employé  ni  bois  ni  charbon  ordinaire  pour  faire 
bouillir  la  chaudière  où  on  la  prépare,  et  cette  chaudière  est  plus 
grande  que  la  marmite  des  Invalides.  On  la  fait  bouillir  avec  des 
bois  bénits,  et  même  avec  tout  ce  qui  a  servi  aux  églises,,  vieilles 
images,  ornemeus  usez,  livres  déchirez  et  trop  gras;  tout  est  réservé 
pour  cette  cérémonie.  Ce  feu  ne  doit  pas  sentir  trop  bon,  mais 
l'huile  est  parfumée  par  des  herbes  et  par  des  drogues  odoriférantes 
que  l'on  y  mêle.  Ce  ne  sont  pas  de  petits  clercs  qui  travaillent  à 
cette  merveilleuse  composition  ;  c'est  le  patriarche  lui-même,  vêtu 
pontificalement  et  assisté  au  moins  de  trois  prélats  en  habits  pontifi- 
caux, qui  récitent  tous  ensemble  des  prières  pendant  toute  la 
cérémonie.  Le  peuple  en  est  plus  frappé  que  de  la  présence  réelle 
de  Jésus-Christ,  tant  il  est  vrai  que  les  hommes  ne  sont  susceptibles 
que  des  choses  sensibles  !   » 

Yoici^  d'après  M.  l'archimandrite  Sabas  ',  comment  se  prépare 
aujourd'hui  le  saint  chrême  à  Moscou  :  «  On  commence  dès  la  qua- 
trième semaine  de  Carême  la  préparation  préliminaire  de  l'huile  et 
du  vin,  avec  infusion  de  plusieurs  herbes  odoriférantes.  Mais  ce 
n'est  que  le  lundi  de  la  semaine  sainte  que  se  fait  la  cuisson  publi- 
que et  solennelle  dans  l'appartement  privé  des  patriarches.  Le 
métropolitain  ou  un  évêque  qu'il  a  délégué  bénit  l'eau,  asperge  les 
ingrédients  et  fait  verser  dans  des  chaudières  d'argent  l'huile,  le 
vin  et  un  certain  nombre  d'arômes.  Il  allume  lui-même  le  feu,  et 
les  diacres  agitent  le  liquide,  tandis  que  les  prêtres  lisent  sans 
interruption  les  saints  Évangiles  :  cette  opération  dure  trois  jours. 
Le  mercredi  soir,  on  ajoute  les  huiles  aromatiques.  Le  jeudi,  avant 
la  lecture  des  Heures^  le  métropolitain,  avec  tout  le  clergé,  se  rend 
processionnellement  à  l'appartement  privé  des  patriarches,  et  de  là 
on  porte  les  vases  dans  lesquels  on  a  versé  le  liquide  dans  le 
sanctuaire  de  la  cathédrale  de  l'Assomption.  Après  l'offertoire,  le 
Pontife  bénit  trois  fois  chacun  des  vases  du  signe  de  la  croix,  et 
consacre  le  saint  chrême  qui,  après  le  service  divin,  est  reporté 
solennellement  au  dépôt  de  la  sacristie  patriarcale,  d'où  il  est 
distribué  au  fur  et  à  mesure  dans  tous  les  diocèses,  sur  un  permis 
exprès  du  Comptoir  synodal  de  Moscou.  « 

'  Sacristie  patriarcale  de  MoscoUj  p.  59. 


DK    l'administration    DU    BAPTÊME  373 

§  6. 
Distribution  des  saintes  huiles. 

Primitivement  les  curés  recevaient  les  sainte  huiles  des  mains 
mêmes  de  l'évêque  ;  mais,  quand  les  églises  baptismales  se  furent 
multipliées,  on  reconnut  la  difficulté  pour  les  curés  éloignés  de  la 
ville  épiscopale,  de  quitter  leur  paroisse  pendant  les  solennités  de  la 
semaine  sainte,  et  l'on  dut  recourir  à  des  délégués.  Le  quatrième 
Concile  de  Carthage  (398)  veut  que  le  pasteur  aille  chercher  lui-même 
les  saintes  huiles  ou  du  moins  qu'il  les  fasse  prendre  par  le  prêtre 
sacristain  de  son  église,  et  non  point  par  un  jeune  clerc.  Le  premier 
Concile  de  Vaison  442)  ne  fait  que  tolérer  la  délégation  d'un  sous- 
diacre  ;  «  car  il  n'est  pas  honorable,  y  est-il  dit,  de  commettre  à  des 
inférieurs  des  fonctions  qui  sont  au-dessus  de  leur  ordre.  »  Les  Con- 
ciles d'Auxerre  (578)  et  de  Worms  (868)  disent  qu'on  doit  porter  les 
saintes  huiles  avec  le  même  respect  que  les  reliques  des  saints.  Un 
capitulaire  de  Louis  le  Débonnaire  (816)  nous  laisse  entendre  qu'un 
prêtre  désigné  par  l'évêque  allait  distribuer  les  saintes  huiles  aux 
églises  éloignées  de  la  cathédrale  de  plus  de  quatre  ou  cinq  milles. 

Le  Rituel  romain  dit  que  le  curé,  autant  que  faille  se  pourra,  doit 
recevoir  les  saintes  huiles,  non  par  l'entremise  des  laïques,  mais 
ou  par  lui-même,  ou  par  un  autre  prêtre,  ou  tout  au  moins  par  un 
autre  ministre  de  l'Église.  Beaucoup  de  rituels  diocésains  se  mon- 
trent plus  sévères  et  formulent  une  prescription  absolue  ;  la 
plupart  interprètent  l'expression  de  ministre  de  l'Eglise  dans  le  sens 
restreint  de  diacre  ou  de  sous-diacre. 

Dès  le  XP  siècle,  nous  voyons  l'évêque,  l'archidiacre,  le  doyen  du 
chapitre  ou  le  chepcier  distribuer,  le  jeudi  saint,  les  saintes  huiles, 
tantôt  aux  seuls  archiprêtres,  tantôt  à  tous  les  doyens  ruraux,  et 
ceux-ci.  dans  le  cours  do  la  semaine  de  Pâques,  en  faire  la  distribu- 
tion, dans  leur  église,  à  tous  les  curés  de  leur  circonscription.  Tan- 
tôt cette  répartition  n'était  accompagnée  d'aucune  cérémonie,  tantôt 
elle  se  faisait  comme  aujourd'hui  à  l'issue  d'une  messe  chantée. 

Les   synodes   '   ordonnent  aux   curés  qui  ont  reçu  les   huiles 

'  Syn.  de  Nîmes  (I28'0;  Concile  de  Palencia  (1322);  Syn.  d'Alais  (1724),  etc. 


374  DE  l'administration  du  baptême 

nouvelles,  soit  de  verser  les  anciennes  dans  les  fonts  baptismaux  ou 
dans  la  lampe  qui  brûle  devant  le  Saint-Sacrement,  d'en  imbiber 
des  étoupes  qu'on  brûle  dans  la  sacristie  ou  au-dessus  de  la  piscine. 
Quelques  anciens  pontificaux  ordonnent  de  mêler  l'ancien  chrême 
avec  le  nouveau  \ 

Dans  certaines  provinces,  du  moins  jusqu'au  X"  siècle,  la  matière 
des  saintes  huiles  était  une  offrande  faite  par  les  fidèles  "  ;  par 
conséquent  on  n'avait  rien  à  exiger  pour  leur  distribution.  Mais 
quand  l'évêque  était  obligé  d'acheter  des  substances  venues  de  pays 
lointains,  il  se  croyait  souvent  en  droit  de  faire  payer  non  point  la 
bénédiction,  mais  la  valeur  matérielle  du  chrême,  qui  était  assez 
élevée  si  l'on  en  juge  par  le  vieux  proverbe  du  Moyen-Age  :  cher 
comme  ckrème.  Il  dut  y  avoir  des  abus  à  cet  égard,  car  plusieurs 
anciens  Conciles  '  défendent  de  rien  demander  pour  la  distribution 
des  saintes  huiles.  Au  YP  siècle,  en  Espagne,  Févêque,  à  cette  occa- 
sion, percevait  un  tribut  nommé  tremisses,  qui  fut  aboli  par  le  Concile 
de  Brague  (o63). 

Toutefois,  comme  c'était  principalement  une  marque  de  la  dépen- 
dance des  prêtres  vis-à-vis  de  leur  évêque,  on  substitua  à  cette  cou- 
tume une  redevance  annuelle  qu'on  payait  pendant  le  synode  et 
qu'on  appelait  jus  cathedraticiim  ;  au  Moyen- Age,  l'usage  prévalut 
de  nouveau  d'exiger  une  faible  rétribution  —  denarii  chrismales 
—  pour  couvrir  les  frais  de  débours.  Le  B.  Lanfranc,  dans  une  lettre 
adressée  à  Sligand,  évêque  de  Chichester,  parle  de  cet  usage  sans 
le  blâmer.  Les  statuts  de  Langres  de  1451  permettent  aux  doyens 
ruraux  de  recevoir  20  deniers  tournois  de  chaque  curé  de  leur  cir- 
conscription, comme  dédommagement  des  frais  de  voyage  et  de 
l'acquisition  de  l'huile.  Au  XYIIP  siècle,  en  Normandie,  chaque  curé 
payait  5  sols  à  l'archidiacre  pour  son  déplacement.  Aujourd'hui,  ce 
sont  les  fabriques  qui  paient  à  l'évêché  une  légère  rétribution  pour 
la  réception  des  saintes  huiles. 

*  Au  XYllI"  siècle,  en  France,  beaucoup  de  curés  brûlaient  les  vieilles  huiles 
le  jeudi  saint  et  se  mettaient  ainsi  dans  l'impossibilité  de  faire  les  onctions  du 
baptême  jusqu'au  jour  où  ils  recevaient  les  huiles  nouvelles. 

2  Alcuin,  de  Div.  Offic,  c.  16  et  17. 

^  Conc.  de  Merida,  Chalon-sur-Saône,  Meaux,  Barcelone;  Capit.  de  Charle- 
magne  (803). 


DE    L  ADMINISTRATION    DU    BAPTÊME  37o 

§  7. 
De  la  conservation  des  saintes  huiles. 

D'après  les  recommandations  des  Rituels,  les  huiles  du  baptême 
doivent  être  conservées  dans  des  vases  déposés  dans  une  armoire 
fermée  à  clef,  de  l'église  ou  de  la  sacristie.  A  Rome,  l'armoire  aux 
saintes  huiles,  placée  près  de  l'autel,  à  environ  cinq  pieds  du  sol, 
du  côté  de  l'évangile  ou  de  l'épitre,  porte  ordinairement  sur  ses 
volets  en  marbre  blanc,  en  métal  ou  en  bois  doré,  cette  inscription  : 
olea  sancta.  L'intérieur,  boisé,  est  divisé  en  deux  compartiments  ; 
le  supérieur  revêtu  de  toile  blanche  est  réservé  au  saint  chrême  ; 
l'inférieur,  paré  d'une  garniture  violette,  contient  les  deux  autres 
saintes  huiles.  Le  tabernacle  destiné  à  cet  usage,  dans  le  déambu- 
latoire de  Saint-Jean  de  Latran,  date  du  XV^  siècle.  Dans  la  plupart 
des  églises  catholiques  d'Angleterre,  une  armoire  pour  les  saintes 
huiles  est  ménagée  dans  la  chapelle  des  fonts,  ce  qui  est  assez  rare 
en  France.  On  y  rencontre  encore  moins  de  ces  sortes  de  tabernacles 
tels  que  celui  qu'on  admire  à  Notre-Dame  de  Semur  (Côte-d'Or). 
En  Orient,  le  myron,  contenu  dans  une  boîte,  est  souvent  suspendu 
à  un  mur  de  l'église. 

De  nombreux  statuts  anciens  et  modernes  ont  défendu  aux  curés 
de  conserver  les  saintes  huiles  dans  leur  presbytère,  à  moins  qu'ils 
ne  se  trouvent  par  trop  éloignés  de  leur  église.  Dans  le  diocèse  de 
Gand,  beaucoup  de  pasteurs,  après  les  avoir  reçues,  les  conservaient 
chez  eux  jusqu'au  dimanche  suivant  et  alors,  dans  une  procession 
solennelle,  le  clergé  les  portait  sous  un  dais  jusqu'à  l'église  et  les 
versait  dans  les  fonts  baptismaux.  La  Congrégation  des  Rites,  con- 
sultée sur  cet  usage,  répondit,  en  date  du  20  décembre  1826,  qu'il 
fallait  abolir  cette  coutume  et  s'en  tenir  à  la  rubrique. 

On  pourrait  s'étonner  de  l'insistance  qu'ont  mise  les  conciles, 
les  synodes  et  les  rituels  *  à  recommander  de  tenir  les  saintes 
huiles  sous  clé,  si  l'on  ne  se  rappelait  que  la  superstition  faisait 
employer  le  saint  chrême  pour  les  guérisons  et  les  maléfices  ^  ; 

1  Vie  Conc.  d'Arles  (475);  IV«  Coiic.  de  Latran  (1215);  Conc.  d'Oxford  il2-22); 
Syn.  de  Foligno  (XVI'=  s.),  etc. 

^  DeIriO;  Diiquis.  magie,  c.  II,  sect.  1. 


376  DE  l'administration  du  baptême 

on  allait  jusqu'à  croire  qu'un  scélérat,  se  frottant  les  lèvres  avec  le 
saint  chrême  ou  en  en  avalant,  pouvait  soustraire  ses  crimes  à  toutes 
les  enquêtes.  Un  capitulaire  de  Charlemagne,  sanctionnant  un  canon 
du  concile  do  Tours  ^813),  ordonne  que  si  un  prêtre  donne  ou  vend 
du  saint  chrême  dans  le  but  d'arrêter  le  cours  de  la  justice,  il  sera 
déposé  et  aura  la  main  coupée. 

Au  XIll''  siècle,  à  Soissons,  quand  l'évêque  était  absent  le  jeudi 
saint  et  qu'il  n'y  avait  plus  de  chrême,  on  en  demandait  à  une  ville 
voisine.  Le  doyen  de  cette  cité,  sur  l'ordre  de  son  archidiacre, 
apportait  les  ampoules  dans  une  église  paroissiale  située  hors  des 
murs  de  Soissons.  Le  doyen  de  la  cathédrale  s'y  rendait  solennelle- 
ment avec  le  clergé,  saluait  et  embrassait  les  vases  sacrés  que  deux 
acolytes  et  un  sous-diacre  portaient  processionnellement  à  la  ca- 
thédrale '. 

Pendant  la  grande  Révolution,  on  était  obligé  d'entretenir  les 
saintes  huiles  en  y  ajoutant  successivement  de  l'huile  d'olive, 
jusqu'à  ce  qu'une  circonstance  favorable,  mais  bien  rare,  permît  à 
l'évêque  insermenté  d'en  faire  parvenir  de  nouvelles  ;  elles  étaient 
conservées  dans  les  demeures  particulières  oii  le  prêtre  trouvait 
un  asile. 

Plusieurs  théologiens  ont  prétendu  que  lorsqu'on  n'avait  pu  rece- 
voir ni  se  procurer  de  nouvelles  saintes  huiles,  par  exemple  par 
suite  d'une  guerre  civile  ou  d'une  invasion,  il  fallait  ajourner  la 
chrismation  ;  c'est  ainsi  qu'on  faisait  en  France.  Un  décret  de  la 
Congrégation  des  Rites  a  déclaré  qu'en  ce  cas  on  doit  faire  les 
onctions  avec  l'huile  des  catéchumènes  et  le  saint  chrême  de  l'année 
précédente  *. 

§  8. 

Des  vases  aux  saintes  huiles. 

On  distingue  trois  sortes  de  vases  aux  saintes  huiles  :  1"  heé 
grandes  ampoules  qui  servent,  le  jeudi  saint,  pour  leur  consécration  ; 
2°  les  vases  moins  grands  dans  lesquels  on  transportait  les  huiles 

'  Rituel  de  Névelon,  p.  258. 
'  23  sept.  1837,  n°  4672. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  377 

consacrées  dans  les  églises  plébanes  ou  décanales  ;  3''  les  petits 
vases  paroissiaux  dans  lesquels  on  les  conservait  pour  l'adminis- 
tration des  sacrements. 

Ces  diverses  sortes  de  vases  remontent  à  une  antiquité  aussi 
haute  que  celle  de  la  consécration  des  saintes  huiles. 

Le  nom  d'ampoule  {^ampla  olld),  qui  d'abord  ne  fut  donné  qu'aux 
vases  à  gros  ventre  destinés  à  la  consécration  des  huiles  et  à  leur 
transport,  se  donna  également  ensuite  aux  petits  vases  paroissiaux, 
qui  sont  aussi  désignés  sous  le  nom  de  patena  chrismalis,  chrisma- 
torium,  chrismarium^  phialee,  chrismatoires,  orismate,  crémier^  cres- 
meau,  fioles,  flacon,  flacon  au  crème.  On  appelait  boete  au  cresme, 
boîte  aux  huiles,  crêmiei^  cresmeau,  la  boîte  ou  le  coffret  qui  con- 
tient les  ampoules. 

Les  ampoules,  ordinairement  en  argent  ou  en  étain,  ont  été 
parfois  faites  en  verre,  en  cristal,  en  corne,  en  ivoire,  en  cuivre 
doré,  en  vermeil  et  même  en  or  et  en  pierres  précieuses,,  les  plus 
anciennes  étaient  peut-être  en  terre  ;  S.  Optât  de  Milève  nous  parle  ^ 
d'un  vase  de  terre,  rempli  de  chrême  que  des  Donatistes  avaient 
jeté  par  une  fenêtre  et  qui  ne  se  brisa  point,  bion  qu'il  fût  tombé 
sur  des  cailloux. 

Au  baptistère  de  Saint-Jean  de  Latran,  le  chrême  était  contenu 
dans  un  vase  du  poids  de  oO  livres,  placé  sur  une  colonne  de 
porphyre.  Un  pontifical  anglais  de  Jumiège  (XII'  siècle)  fait  mention 
d'une  ampoule  d'or  pour  la  consécration  du  saint  chrême  ^  Un 
inventaire  de  la  cathédrale  de  Laon  (1323},  publié  par  M.  Ed.  Fleury, 
indique  trois  grandes  ampoules  en  argent  pour  la  consécration  des 
saintes  huiles.  Les  Mingreliens  conservent  le  chrême  dans  une 
corne  ou  une  bourse  de  cuir. 

Aujourd'hui  les  grandes  ampoules  pour  la  consécration  des 
saintes  huiles  et  pour  leur  distribution  aux  doyens  sont  des  vases 
d'étain  plus  ou  moins  renflés  par  le  milieu  et  munis  d'un  couvercle 
cylindrique  qui  ferme  à  vis  à  l'intérieur.  Les  petites  ampoules  sont  des 
vases  de  forme  cylindrique,  ayant  environ  45  millimètres  de  hauteur 
sur  50  de   diamètre,  fermés  par  un  couvercle  plat  se  vissant  sur  le 

•  Contr.  Donat.,  l.  II,  c.  19. 

*  D.  Martène,  de  Ant.  Eccl.  Rit.,  c  XXII,  art.  3. 


378  DE  l'administration  du  baptême 

cylindre.  C'est  dans  ce  cylindre  que  le  prêtre  trempe  le  pouce  pour 
faire  les  onctions.  Le  plus^ordinairement,  le  vase  de  l'huile  des  caté- 
chumènes et  celui  du  saint  chrême  sont  réunis  dans  une  petite 
boîte  métallique  de  forme  carrée,  dont  le  couvercle  pyramidal  à 
charnière  est  surmonté  d'une  petite  croix. 

Autrefois  la  forme  de  ces  vases  était  beaucoup  plus  variée.  Il  y  eut 
dans  les  premiers  siècles,  des  chrêmiers  en  forme  de  poisson  et  de 
colombe.  Au  Moyen-Age,  la  forme  la  plus  usitée  est  celle  de  deux 
ou  trois  petites  tours,  accolées  à  un  noyau  central,  tantôt  cylin- 
drique, tantôt  triangulaire.  Dans  chaque  tourelle,  se  trouvait  la 
fiole  qu'on  pouvait  en  enlever  ;  les  clochetons  des  tourelles  for- 
maient des  couvercles  mobiles.  Parfois  il  n'y  avait  pour  les  trois 
vases  qu'un  couvercle  unique,  mù  par  une  charnière.  On  adjoignait 
souvent  au  vase  de  l'extrême-onction  une  petite  salière  en  argent, 
en  étain  ou  en  bois  de  saule. 

Pour  ne  pas  s'exposer  à  confondre  entre  elles  les  saintes  huiles, 
on  mettait  sur  chaque  vase,  comme  on  le  fait  encore  aujourd'hui, 
une  inscription  abrégée  qui  en  indiquait  le  contenu  ;  sur  la  burette 
de  l'huile  des  catéchumènes  o,  s.  {oleum  sanctum)  ou  o.  c.  [oleum 
catechumenorum),  ou  cath  ;  sur  le  vase  au  saint  chrême:  s.  c. 
[sanctum  chrismd)  ou  chr;  sur  l'huile  des  infirmes  :  o.  i.  [oleum  in- 
fîrmorum)  ou  infirm  ou  ext  vnct.  Parfois  on  ajoutait  le  nom  du  do- 
nateur de  l'ampoule.  Sur  un  de  ces  vases,  conservé  à  la  cathédrale 
de  Ravenne,  on  lit  l'inscription  suivante  : 

SERVVS  CHRISTI  MAXIMIANVS  ARCHIEPISCOPVS  HOC 
CHRISMARIVM  AD  VSVM  FIDELIVM  FIERI  IVSSIT. 

Les  trois  vases  réunis  étaient  contenus  dans  un  étui  en  bois  fa- 
çonné au  tour,  entièrement  couvert  de  cuir  avec  gaufrures  do- 
rées et  tapissé  intérieuremement  de  soie  blanche,  Enfin,  le  tout 
était  enveloppé  dans  un  sachet  également  en  soie  blanche.  Aujour- 
d'hui le  vase  de  l'huile  des  infirmes  est  ordinairement  isolé  des 
autres,  renfermé  dans  une  boîte  métallique  de  forme  carrée,  ou 
dans  une  boîte  cylindrique  en  carton  recouvert  de  cuir.  Le  prêtre 
qui  va  donner  l'extrême-onction  porte  ce  petit  coffret  suspendu  à 
son  cou  dans  une  bourse  en  soie  de  couleur  violette. 

La  plus  célèbre  des  ampoules  est  assurément  celle  qui,  d'après  le 


DE    l'administration    DU   BAPTÊME  379 

témoignage  d'Hincmar,  aurait  été  apportée  par  un  ange  pour  le 
baptême  de  Clovis.  Cette  fiole  en  verre,  renfermant  un  baume  épais 
de  couleur  rougeâtre,  fut  brisée  en  octobre  1793  par  Ruhl,  membre 
de  la  Convention,  alors  en  mission  à  Reims.  Le  reliquaire  de  ver- 
meil où.  se  trouvait  la  sainte  ampoule  fut  envoyé  à  la  Monnaie  ;  une 
partie  du  baume  fut  sauvée  par  le  curé  de  Saint-Remi  ;  en  1823  on 
fit  exécuter  un  nouveau  reliquaire  qui  coûta  22,300  francs. 

((  En  expliquant  naturellement  l'apparition  de  la  colombe,  dit 
l'abbé  Bourassé  ',  on  a  supposé  que  l'écrivain  primitif  avait  em- 
ployé dans  son  récit  un  style  poétique  dont  on  peut  saisir  le  vrai 
sens,  si  on  se  reporte  aux  usages  de  nos  églises  primitives.  On  avait 
coutume  de  suspendre  dans  le  baptistère  une  colombe  d'argent  dans 
laquelle  on  renfermait  les  saintes  huiles,  de  même  que  l'on  sus- 
pendait au-dessus  du  maître-autel  une  autre  colombe  d'argent  oii 
l'on  plaçait  la  réserve  eucharistique.  Lorsque  S.  Rémi  baptisa  Clo- 
vis, l'évêque  prit  les  saintes  huiles  dans  la  colombe  du  baptistère, 
et, dans  son  enthousiasme,  le  narrateur  aura  parlé  d'une  colombe 
descendue  du  ciel.  Nous  n'avons  pas  la  prétention  de  trancher  une 
question  aussi  délicate,  quoique  nous  inclinions  à  admettre  l'expli- 
cation naturelle  des  écrivains  modernes.  » 

Nous  ne  voulons  pas  non  plus  traiter  incidemment  une  question 
qui  a  donné  lieu  à  tant  de  controverses  ^  Mais  nous  devons  faire 
remarquer  que  la  descente  céleste  de  la  sainte  ampoule  est  repré- 
sentée sur  une  feuille  de  diptyque  d'ivoire  conservée  au  musée  d'A- 
miens ;  or,  cet  ivoire,  d'après  M.  du  Sommerard  ^  et  le  docteur  Ri- 
gollot  \  a  été  exécuté  à  une  époque  peu  éloignée  des  événements 
qu'il  représente.  On  y  voit,  au-dessus  du  baptistère  où  est  plongé 
Clovis,  une  colombe  qui  tient  suspendue  à  son  bec  une  ampoule 
ayant  la  forme  d'un  petit  pot  avec  anse  à  bascule.  Ce  précieux  mo- 
nument, qu'on  n'a  pas  encore  invoqué  dans  la   discussion,  serait 

>  Dict.  d'arch.^  t.  I,  p.  211. 

*  Cf.  Morus,  de  Sacris  Unctionibiis  ;  Le  Tanneur,  Traité  apologé!>que  de  la 
sainU  ampoule  ;  Vertot,  Dissertation  insérée  dans  le  tome  H  des  Mém.  de  l'an- 
cienne Acad.  des  inscript.;  Taibé,  Hist.  des  églises  de  Reims,  p.  199 j  l'abbé  Cerf, 
Descript.  de  la  cathédr.  de  Reims,  t.  II,  p.  566, 

'  Les  Arts  au  Moyen-Age,  t.  II,  p.  289. 

*  Notice  snr  une  feuille  de  diptyque  d'ivoire  représentant  le  baptême  de  Clovis. 


380  DE  l'administration  du  baptême 

pourtant  d'une  importance  capitale  dans  la  question,  s'il  était  recon- 
nu, comme  le  croit  M.  du  Sommerard,  que  «  c'est  la  reproduction 
du  sujet  d'un  des  diptyques  que  Clovis,  dans  sa  haute  puissance,  ne 
dut  pas  négliger  de  distribuer,  selon  l'usage,  lors  de  son  avène- 
ment au  consulat.  » 

L'abbaye  de  Marmoutiers  possédait  une  sainte  ampoule  également 
très  vénérée,  qu'on  prétendait  avoir  été  apportée  à  S.Martin  par  un 
ange.  D'après  une  autre  version,  c'était  de  l'huile  bénite  par  ce 
Saint  et  dont  il  se  servait  pour  guérir  les  malades.  La  petite  fiole  de 
verre  qui  la  contenait  était  renfermée  dans  un  reliquaire  d'or. 
Quand  ce  baume  rougeâtre  eut  servi  au  sacre  d'Henri  IV  en  1594, 
le  roi  enrichit  le  reliquaire  d'une  belle  émeraude  enchâssée  dans 
un  anneau  d'or,  précieux  joyau,  qu'en  détachèrent,  en  1791,  les 
députés  d'Indre-et-Loire  à  l'Assemblée  nationale  pour  en  faire  hom- 
mage à  Louis  XVI.  Deux  ans  après,  la  fiole  était  brisée  par  les  ré- 
volutionnaires '. 

«  La  plupart  des  petits  vases  aux  saintes  huiles  qui  se  conser- 
vent au  trésor  de  Monza,  dit  l'abbé  Martigny  ^  sont  en  verre,  mais 
plusieurs  sont  en  métal,  ornés  de  figures  et  ils  offrent  un  grand 
intérêt  archéologique.  On  y  voit  représentées  l'adoration  des  Mages 


Ampoule  aux  saintes  huiles  de  Monza. 


'  Bourassé,  Dict.  d'arch.  sacrée^  t.  I,  p.  211. 
'  fh'rf.  des  ontiq.  chrét.,  p.  345. 


DK   l'administration    DU    BAPTÊMK  381 

et  celle  des  bergers  avec  cette  légende  :  huile  du  bois  de  la  vie  des 
lieux  saints  du  Christ.  Tous  offrent  des  sujets  relatifs  aux  mystères 
de  l'Homme-Dieu  :  la  Nativité,  la  Résurrection,  l'Ascension,  le 
triomphe  de  la  Croix  ;  ce  qui  autorise  à  penser  que  ces  vases  sont 
de  ceux  qui,  primitivement,  avaient  été  apportés  de  Jérusalem 
à  Rome,  pleins  de  l'huile  des  Lieux  saints.  » 

Un  bon  nombre  d'anciennes  ampoules  sont  encore  conservées 
dans  les  sacristies  et  les  musées.  Nous  nous  bornerons  à  citer  les 
trois  ampoules  en  plomb,  datant  de  la  Renaissance,  de  la  collection 
Sauvageot,  au  musée  du  Louvre  ;  une  ampoule  du  XII'  siècle,  cris- 
tal monté  en  argent,  au  musée  de  la  Société  des  Antiquaires  de 
Normandie^  à  Caen;  une  boîte  aux  saintes  huiles,  chef-d'œuvre  de 
Corneille  de  Boute,  faisant  partie  de  la  collection  de  M,  Ch.  Onghena; 
le  chrismatorium  du  saint  évêque  W.  Wykeham,  au  New  Collège 
d'Oxford  ;  diverses  pyxides  conservées  au  musée  de  Cologne  et  dans 
les  églises  Sainte-Catherine  et  Saiate-Marie-au-Lys  de  cette  ville. 

On  rencontre  aussi  dans  quelques  collections  particulières  et  dans 
les  trésors  d'église,  surtout  en  Allemagne,  des  cornes  de  buffle  ou 
des  défenses  d'éléphant,  montées  sur  un  ou  plusieurs  pieds,  et  qui 
ont  servi  de  vases  sacrés  pour  la  consécration  des  saintes  huiles. 
On  a  donné  parfois  aux  églises  pour  remplir  cette  destination  litur- 
gique d'anciennes  cornes  à  boire  décorées  d'ornements  profanes. 
L'oliphant  du  musée  d'Angers,  représentant  une  scène  de  chasse 
paraît  avoir  appartenu,  avec  cette  destination,  à  l'église,  aujour- 
d'hui détruite,  de  Saint-Jean-Baptiste  d'Angers.  (Voir  le  dessin  de 
la  page  suivante.) 

Telle  est  encore  la  corne  servant  à  la  consécration  du  saint  chrême 
qui  se  trouve  à  la  cathédrale  de  Gran  (Hongrie)  et  dont  les  scènes 
galantes,  sculptées  au  XY^  siècle,  indiquent  bien  qu'elle  a  servi  dans 
les  festins  d'apparat.  La  même  cathédrale  possède  un  autre  vase  en 
forme  de  corne,  renfermant  l'huile  des  catéchumènes.  Ce  ne  sont 
pas  seulement  les  pieds  de  griffon  servant  de  support,  mais  c'est  la 
configuration  entière  du  vase  et  ses  ornements  qui  lui  donnent  la 
physionomie  de  l'oiseau  fabuleux  connu  sous  le  nom  de  griffon  *. 

'  Ces  deux  cornes  ont  été  décrites  par  M.  le  chanoine  Bock  dans  la  Revm  de 
l'Art  chrétien,  t.  IV,  p.  131. 


DE    L  ADMINISTRATION    DU    BAPTÊME 


383 


Vase  ilu  trésor  de  Gran  (llùUijric;. 


D'après  Mgr  Bock,  un  vase  en  cristal  (XVI*  siècle)  de  la  cathé- 
drale de  Gran  a  dû  servir  à  conserver  une  des  huiles  consacrées  : 
«  En  parcourant  un  catalogue  du  trésor  de  Saint-Vaast  de  Prague, 
il  y  a  trouvé  la  mention  d'un  vnscuhim  ad  modum  pyxidis  in  quo 
portatur  chrisma  ad  unguendos  reges.  Si  un  vase  de  cristal  en  forme 
de  boite  renfermant  le  saint  chrême  était  destiné  à  l'onction  des 
rois  de  Bohême,  un  vase  semblabble  pouvait  servir  dans  le  trésor 


384  DE  l'administration  du  baptême 

de  Gran  à  ronction  des  rois^de  Hongrie  ;  le  privilège  d'oindre  ces 
souverains  appartenait  en  effet  à  l'archevêque  de  Gran,  comme 
primat  du  royaume  de  Hongrie  '. 

On  conserve  dans  la  sacristie  patriarcale  de  Moscou  : 

1"  Une  cuve  d'argent,  destinée  à  faire  cuire  le  saint  chrême,  don 
de  Catherine  II.  Sur  le  couvercle  on  voit  les  quatre  évangélistes,  et 
Samuel  versant  l'huile  de  la  consécration  sur  la  tête  de  David.  Sur 
cette  cuve,  ainsi  que  sur  deux  chaudières  d'argent,  ayant  la  même 
destination,  on  lit  la  légende  suivante  :  «  Par  l'ordre  auguste  et 
agréable  à  Dieu  de  la  très  pieuse  souveraine,  la  grande  Cathe- 
rine II,  impératrice  et  autocrate  de  toutes  les  Russies,  ce  vase  a  été 
fait  à  l'usage  de  la  préparation  du  saint  chrême,  l'an  six  du  règne 
heureux  de  Sa  Majesté  et  l'an  de  grâce  1767.  » 

2°  Quatre  puisoirs  d'argent  dorés  avec  lesquels  on  verse  le  saint 
chrême  ;  ils  datent  aussi  de  1767. 

3°  Seize  cruches  d'argent  destinées  à  conserver  le  saint  chrême 
et  où  on  lit  cette  inscription  :  «  Le  très  pieux  autocrate  de  toutes 
les  Russies,  Paul  Petrovitch,  la  veille  du  jour  de  son  sacre,  l'an  de 
grâce  1797,  ayant  honoré  de  son  auguste  présence  la  chambre  syno- 
dale où  se  fait  la  préparation  du  saint  chrême,  a  daigné  ordonner 
de  confectionner  ce  vase  d'argent.  » 

4°  Un  vase  en  cuivre  à  goulot  étroit,  recouvert  d'écaillé  de  nacre. 
Ce  serait,  d'après  la  tradition_,  une  copie  du  vase  à  parfums  dont  se 
servit  Ste  Magdeleine  pour  parfumer  la  tête  et  les  pieds  du  Sauveur. 
Ce  vase  qu'on  nomme  Y  albâtre  aurait  été  envoyé  avec  du  saint 
chrême  de  Constantinople  à  Kieff,  à  l'époque  de  l'introduction  du 
Christianisme  en  Russie.  «  Selon  un  antique  usage,  dit  M.  l'archi- 
mandrite Sabas  ^  à  qui  nous  empruntons  ces  détails,  pondant  la 
consécration  mystérieuse  du  saint  chrême  dans  la  cathédrale  de 
l'Assomption,  en  signe  de  la  continuité  du  sacrement  dans  UEglise 
orthodoxe,,  on  prend  de  Valhâtre  quelques  gouttes  qu'on  ajoute  au 
mélange  du  chrême,  en  remplaçant  par  le  nouveau  saint  chrême  ce 
qui  se  prend  de  V albâtre,  afin  que  la  source  sacrée  ne  tarisse  jamais.  » 

Ajoutons  que  sur  l'autel  de  l'église  patriarcale  de   Moscou,  on 

'  Revue  de  VArl  chrétien,  t.  III,  p.  497. 
■^  Sacristie  'patriarcale  de  Moscou,  p.  6i. 


DE    l'aDM1NISTRAT[0N    DU   BAPTÊME  385 

voit  une  grande  fiole  au  saint  chrême,  en  nacre  de  perles,  cloison- 
née d'or,  dont  le  bouchon  est  surmonté  d'une  croix  décorée  de  roses 
et  d'émeraudes.  On  lui  attribue  une  origine  persane,  mais  M.  de 
Linas,  si  compétent  dans  ces  questions,  n'est  pas  éloigné  de  croire 
que  c'est  une  œuvre  slave  du  XVII^  siècle  '. 

ARTICLE    IX. 

Onctions  de  t'huile  des  catéchumènes. 

Après  la  renonciation  à  Satan,  le  prêtre  trempe  le  pouce  dans 
l'huile  des  catéchumènes  et  fait  sur  la  poitrine  et  entre  les  épaules 
de  l'enfant  une  onction  en  forme  de  croix,  en  disant  :  «  Je  t'oins  de 
l'huile  du  salut,  en  Jésus-Christ  Notre-Seigneur,  pour  que  tu  aies  la 
vie  éternelle.  »  Aussitôt  il  éponge  avec  du  coton  ou  une  autre 
substance  analogue  son  pouce  et  les  endroits  oints  du  catéchumène  ; 
puis  il  dépose  l'étole  violette. 

Dans  le  rite  grec,  après  l'adhésion  au  Christ,  le  prêtre  encense  la 
kolymbitra  et  bénit  l'eau.  L'évêque  diocésain,  ne  consacrant  pas,  le 
jeudi  saint,  d'huile  pour  les  catéchumènes,  on  bénit,  immédiate- 
ment avant  les  onctions,  l'huile  d'olive  qu'on  vient  d'acheter  chez 
l'épicier.  Le  prêtre  prend  de  cette  huile,  fait  un  signe  de  croix  sur 
le  front  de  l'enfant,  en  disant  :  «  Le  serviteur  de  Dieu  N...  est  oint 
d'huile  d'allégresse,  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit. 
Amen.  »  En  signant  la  poitrine  et  les  reins,  il  ajoute  :  «  Pour 
la  guérison  de  l'âme  et  du  corps  »  ;  il  continue  les  onctions  aux 
oreilles,  en  disant  :  «  Pour  l'audition  de  la  foi  ;  »  aux  pieds  :  «  Pour 
marcher  dans  ses  voies  ;  »  aux  mains  :  «  Tes  mains  m'ont  fait  et 
m'ont  créé.  » 

L'onction  du  corps  tout  entier,  usitée  chez  la  plupart  des  Orien- 
taux, est  de  la  plus  haute  antiquité.  «  Vous  oindrez  d'abord  les  ca- 
téchumènes de  l'huile  sainte,  puis  vous  les  baptiserez  avec  de  l'eau  » , 
disent  les  Constitutions  apostoliques  -.D'après  le  livre  delà  Hiérar- 
chie céleste,  l'évêque  commençait  l'onction  par  trois  signes  de  croix 

*  Revue  de  VArl  chrétien,  t.  XXV,  p.  468. 
•'  L.  VII,  c.  23. 

Ile  série,  tome  XI.  "^-'i 


386  i>K  l'adminisiraiion  uu  baptême 

sur  le  catéchumène,  et  un  prêtre  continuait  les  onctions  par  tout  le 
corps.  «  Ayant  été  dépouillés,  dit  S.  Cyrille  ',  vous  avez  été  oints  de 
l'huile  exorcisée,  depuis  le  sommet  de  la  tête  jusqu'aux  pieds,  et 
vous  êtes  devenus  participants  de  l'huile  sainte  de  Jésus-Christ.  » 
S.  Jean  Chrysostome  dit  ^  du  futur  baptisé  que  «  il  est  oint  comme 
les  athlètes  qui  vont  entrer  dans  la  stade.  » 

On  a  prétendu  ^  que  l'Église  latine,  à  partir  du  VP  siècle,  avait 
restreint  les  onctions  à  la  poitrine  et  aux  épaules.  C'est  là  une  asser- 
tion toute  gratuite.  Aucun  texte  ne  prouve  qu'on  ait  jamais  eu 
recours,  dans  TÉglise  latine,  à  l'onction  de  tout  le  corps  ;  les  Pères 
latins  des  quatre  premiers  siècles  gardent  même  un  silence  absolu 
sur  l'huile  des  catéchumènes  ;  il  n'en  estpas  question  dans  S.  Maxime 
de  Turin  qui  donne  des  détails  si  précis  sur  toutes  les  cérémonies 
du  baptême.  Les  textes  de  S.  Cyprien,  de  Tertullien,  de  S.  x\.mbroise, 
de  S.  Augustin  qu'on  invoque  à  cet  égard  nous  semblent  se  rappor- 
ter tous  à  l'onction  du  saint  chrême.  Celle  des  catéchumènes  appa- 
raît dans  les  sacramentaires  de  S.  Gélase,  de  S.  Grégoire-le-Grand 
et  dans  les  liturgistes  des  YIIF  et  IX"^  siècles,  d'où  il  serait  naturel 
de  conclure  que  l'onction  de  l'huile  des  catéchumènes,  considéra- 
blement réduite  quant  à  son  application,  a  passé  de  l'Orient  en  Occi- 
dent vers  le  Y"  siècle.  La  liturgie  gothique  dont  l'antique  source  ve- 
nait de  Constantinople,  conserva  un  plus  grand  nombre  d'onctions. 
On  lit  cette  prière  dans  le  Missel  du  IX"  siècle,  publié  par  le  cardinal 
Tomasi  :  «  Je  vous  signe  au  nom  du  Père  et  du  Fils  et  du  Saint- 
Esprit',  afin  que  vous  soyez  chrétien  :  les  yeux,  afin  que  vous  voyez 
la  splendeur  de  Dieu  ;  les  oreilles,  afin  que  vous  entendiez  la  voix 
du  Seigneur  ;  le  nez,  afin  que  vous  respiriez  la  bonne  odeur  de 
Jésus-Christ;  le  cœur,  afin  que  vous  croyiez  à  l'indivisible  Trinité.» 
Outre  les  onctions  à  la  poitrine  et  aux  épaules,  le  sacramentaire 
gallican  mentionne  celles  des  narines  et  des  oreilles,  et  Jessé,  dans 
son  épitre  sur  le  baptême,  celle  du  dos. 

Les  Pères  grecs  n'ont  pas  manqué  de  développer  le  symbolisme 
de  cette  cérémonie  :  u  Le  divin  hiérarque,  dit  S.  Denis l'Aréopagite  * 

*  II  Cat.  myst.,  3. 

^  Hom.  VI  in  cp.  ad  Colons, 

•'  Charvoz,  Précis  d'antiq.  litur;/.,  p.  142. 

■'  De  Hier,  ccrl.,  c.  2. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  387 

commence,  et  après  lui  les  prêtres  achèvent  l'onction  sainte  sur  le 
corps  de  l'initié,  comme  si  par  cette  figure  ils  l'appelaient  aux  com- 
bats dans  lesquels  il  doit  s'exercer  sous  la  présidence  du  Christ.  Car 
c'est  Jésus-Christ  qui,  en  tant  que  Dieu,  a  institué  ces  combats  ;  sage, 
il  a  réglé  les  conditions  du  succès  ;  magnifique,  il  a  préparé  aux  vain- 
queurs de  nobles  prix.  Il  y  a  quelque  chose  de  plus  merveilleux  : 
parce  qu'il  est  bon,  Jésus-Christ  entre  en  lice  avec  les  athlètes,  com- 
battant pour  leur  liberté  et  leur  triomphe  contre  l'empire  de  la  cor- 
ruption et  de  la  mort.  L'initié  courra  donc  gaîment  à  ces  luttes,  car 
elles  sont  divines  ;  il  restera  fidèle,  constamment  fidèle  aux  sages 
ordonnances  qui  règlent  son  courage,  soutenu  par  le  ferme  espoir 
de  récompenses  éclatantes,  et  rangé  sous  la  discipline  de  son  bon 
Seigneur  et  chef.  A.insi,  marchant  sur  les  traces  divines  de  Celui  qui 
daigna  être  le  premier  athlète,  il  vaincra,  comme  son  maître,  les 
malins  esprits  et  les  penchants  déréglés,  durs  ennemis  du  salut,  et 
mourra  avec  Jésus-Christ  de  cette  mort  mystique  qui  tue  le  péché 
dans  le  baptême.  » 

S.  Cyrille  de  Jérusalem,  s'adressant  aux  néophytes,  leur  dit  '  : 
«  On  vous  a  oints  au  baptême  de  Thuile  exorcisée,  afin  de  vous 
rendre  participants  de  l'huile  d'olivier  franc  qui  est  Jésus-Christ  sur 
lequel  vous  avez  été  entés  par  le  baptême.  C'est  l'onction  de  Jésus- 
Christ  qui  vous  a  été  communiquée,  afin  qu'il  ne  reste  en  vous  au- 
cune impression  du  péché  ;  car,  de  même  que  les  insufflations  des 
saints  et  l'invocation  du  nom  de  Dieu  sont  à  l'égard  des  démons 
comme  une  flamme  très  ardente  qui  les  brûle  et  qui  les  met  en 
fuite,  ainsi  cette  huile,  exorcisée  par  la  prière  et  par  le  nom  de 
Dieu,  a  tant  de  vertu  que  non-seulement  elle  purifie  l'âme  des 
restes  du  péché,  mais  qu'elle  en  chasse  les  démons  invisibles  ;  puis 
on  vous  a  conduits  au  saint  lavoir  du  divin  baptême,  comme  Jésus- 
Christ  fut  porté  de  la  croix  au  sépulcre.  » 

Les  liturgistes  de  l'Église  latine  expliquent  le  symbolisme  de  la 
localisation  des  deux  onctions.  Ives  de  Chartres  dit  "  aux  catéchu- 
mènes: ((  Yous  avez  reçu  l'huile  sainte  sur  votre  poitrine,  afin  que  la 
sagesse  brille  dans  votre  cœur.  Yous  l'avez  reçue  sur  vos  épaules, 


Il  Cat.  myst, 

Serm,  de  sacram,  dedical. 


388  DE    l'administration    du    BAPTf:;MK 

afin  que  dans  Texercice  de  vos  bonnes  œuvres  vous  manifestiez  une 
patience  à  toute  épreuve  et  que  votre  main  gauche  ne  sache  pas  ce 
qu'a  donné  la  droite.  Et  parce  que  c'est  aux  épaules  que  réside  la 
force  pour  porter  de  pesants  fardeaux,  vous  avez  été  faits  athlètes 
de  Jésus-Christ  par  l'onction  de  cette  partie  de  votre  corps,  et  vous 
avez  dû  apprendre  par  là  que  votre  vocation  était  de  combattre.  » 

D'après  l'explication  d'innocent  III  ',  l'onction  faite  sur  la  poitrine 
marque  la  foi  qui  doit  animer  le  cœur  du  chrétien,  et  celle  qui  se 
fait  entre  les  épaules  désigne  la  force  que  nous  donne  la  grâce  du 
baptême  pour  pratiquer  les  bonnes  œuvres,  sans  lesquelles  notre 
foi  ne  serait  qu'une  foi  morte. 

Dans  la  grande  majorité  des  églises,  l'onction  des  catéchumènes 
avait  lieu  comme  aujourd'hui  entre  la  renonciation  au  démon  et  les 
interrogations  sur  la  foi.  Le  sacramentaire  de  Gélase  place  cette 
cérémonie  avant  la  renonciation;  le  rite  milanais  l'accomplit  après 
l'insufflation  ;  le  rite  grec,  immédiatement  avant  l'ablution. 

L'usage  de  faire  les  onctions  avec  la  spatule  ou  virgule  au  lieu  du 
pouce  s'est  probablement  introduit  en  temps  de  peste  et  à  des  épo- 
ques diverses,  selon  les  pays.  Ainsi,  par  exemple,  l'emploi  du  pouce 
est  prescrit  dans  un  sacerdotal  de  Reims  de  1581,  et  celui  de  la  vir- 
gule est  indiqué  dans  le  rituel  de  Paris  de  1497.  Depuis  le  retour  à 
la  liturgie  romaine,  en  France,  on  tend  de  plus  en  plus  à  se  con- 
former exactement  aux  prescriptions  du  rituel  universel. 

Nous  terminerons  cet  article  en  donnant  quelques  renseignements 
sur  les  rites  orientaux. En  général,le  prêtre, aprèsun  certain  nombre 
d'onctions  déterminées, faites  avec  le  pouce  et  l'index, met  de  l'huile 
dans  le  creux  de  sa  main  droite  et  en  frotte  tout  le  corps  de  l'enfant. 
Le  pape  Innocent  IV  et  Benoît  XIV,  tout  en  engageant  les  Grecs  à 
abandonner  cet  usage,  l'ont  pourtant  toléré  ^ 

Les  rituels  syriens  prescrivent,  avant  la  bénédiction  de  l'eau,  une 
première  onction  sur  le  front  par  trois  signes  de  croix,  accompagnés 
de  ces  paroles  :  «  N.  est  marqué  de  cette  huile  d'onction  pour  être 
un  agneau  dans  le  troupeau  de  N.-S.  Jésus-Christ,  au  nom  du  Père 
et  du  Fils  et  du  Saint-Esprit.  »  Puis,  avant  l'ablution,  une  onction  est 

'  Cap.  Cum  venisset.  Extrav.  de  Sacr.  Unct. 
-  Ilullar.  roman.,  od.  Taurin.,  t.  III,  p.  581. 


DE    l'administration'    DU    BAPTÊME  389 

faite  par  tout  le  corps  ;  l'huile  doit  même  pénétrer  entre  les  doigts 
des  pieds  et  des  mains  \ 

Les  Maronites,  au  lieu  d'essuyer  les  onctions,  comme  nous,  avec 
du  coton  ou  des  étoupes,  se  servent  d'eau  chaude  et  de  savon,  sans 
se  mettre  en  peine  des  cris  de  l'enfant. 

Les  rituels  des  Arméniens  ne  mentionnent  pas  Thuilc  des  caté- 
chumèmes;  c'est  avec  le  saint  chrême  que  se  font  les  onctions  au 
front,  au  menton,  à  l'estomac,  aux  aisselles,  aux  mains  et  aux  pieds. 
Il  ne  faudrait  pas  en  conclure,  comme  on  l'a  fait,  qu'ils  n'ont 
jamais  connu  l'huile  des  catéchumènes  ;  car  on  trouve  des  béné- 
dictions spéciales  pour  cette  huile  dans  leurs  plus  anciens  manus- 
crits ^ 

Les  Constitutions  de  l'Église  d'Egypte  (190-220)  ne  parlent  que 
des  onctions  au  front,  aux  oreilles  et  aux  mains;  mais  aujourd'hui, 
et  peut-être  dès  le  X"  siècle,  les  Coptes  ont  deux  sortes  d'onctions 
des  catéchumènes  ;  les  premières  se  font  après  l'entrée  dans 
l'église,  sur  le  front,  les  épaules,  les  bras,  la  poitrine,  le  dessus  et  le 
dessous  des  mains  et  les  extrémités  des  doigts,  avec  cette  prière  ; 
((  N. ,  je  t'oins  au  nom  de  l'Église  unique  qui  est  le  concile  ou  la  con- 
grégation des  apôtres.  Que  cette  huile  efface  toute  l'œuvre  de  l'en- 
nemi qui  nous  combat.  Amen.  »  Après  la  récitation  du  Credo,  le 
prêtre  fait  trente-six  autres  onctions  en  forme  de  croix  sur  les  prin- 
cipales parties  du  corps,  avec  le  galilœon,  huile  qui  a  servi  à  rincer 
les  vaisseaux  où  était  le  saint  chrême  ;  il  récite  ensuite  des  oraisons 
pour  les  infirmes,  pour  les  voyageurs,  pour  la  pluie,  pour  les  ré- 
coltes, pour  l'Église,  pour  les  pontifes,  pour  le  roi,  pour  les  caté- 
chumènes, pour  les  morts,  etc.  ^ 

Les  Nestoriens  considèrent  l'onction  de  l'huile  sainte  comme  tel- 
lement essentielle  que  son  omission  entraînerait  la  réitération  du 
baptême.  Elle  se  fait  aujourd'hui  avec  l'index,  tandis  qu'autrefois 
c'était  avec  le  pouce.  Ils  donnent  pour  raison  de  ce  changement 
qu'autrefois  c'était  des  hommes  et  des  femmes  couverts   de  péchés 

«  J.  A.  Assemani,  Cod.  lit.,  1.  I,  c.  5,  p.  224  et  23i;  Perp,  de  la  foi,  t.  V,  1.  IJ, 
ch.  10. 

*  Denzenger,  Bitus  orient.,  1. 1,  p.  35. 

»  Ord.  hapt.  ^lii.,  ap.  Pair,  lat.,  t  138,  col.  931  et  9.35;  P.  Lobo,  Relat.  hist. 
d'Abyssinie,  p.  315. 


390  DE  l'administration  du  baptême 

qui  se  faisaient  baptiser,  tandis  qu'aujourd'hui  ce  sont  des  enfants 
exempts  de  tout  péché  et  qu'il  faut  user  d'un  autre  mode  à  leur 
égard  '. 

En  Angleterre,  on  a  supprimé  les  onctions  qui  se  trouvaient  pres- 
crites par  la  Liturgie  anglicane  imprimée  sous  Edouard  VJ,  en  1549. 

ARTICLE  X. 

I?}t€r?'ogatio7is  sur  la  foi. 

Le  prêtre  qui  vient  de  se  revêtir  de  l'étole  blanche  interroge  par 
son  nom  le  futur  baptisé,  pour  lequel  le  parrain  répond.  — N,  crois- 
tu  en  Dieu,  Père  tout-puissant,  créateur  du  ciel  et  de  la  terre?  — 
R.  J'y  crois.  —  Crois-tu  en  Jésus-Christ,  son  fils  unique,  Notre-Sei- 
gneur,  qui  est  né  et  a  souffert?  —  R.  J'y  crois.  —  Crois-tu  au  Saint- 
Esprit,  à  la  sainte  Église  catholique,  à  la  communion  des  saints,  à 
la  rémission  des  péchés,  à  la  résurrection  de  la  chair  et  à  la  vie 
éternelle  ?  —  R.  J'y  crois. 

Dans  le  rite  grec,  les  interrogations  sur  la  foi  se  trouvent  mêlées 
à  l'adhésion  au  Christ,  immédiatement  après  la  renonciation.  Par 
quatre  fois  se  renouvelle  le  dialogue  suivant.  Le  prêtre,  ti^ois  fois  : 
T'es-tu  attaché  au  Christ?  —  Le  parrain,  à  chaque  fois  :  Je  m'y  suis 
attaché.  Le  prêtre  dit  ;  Crois-tu  en  lui?  —  Le  parrain  :  Je  crois  en 
lui  en  tant  que  Roi  et  Dieu  ;  et  il  récite  le  Credo.  Le  prêtre  :  Courbe- 
toi  devant  le  Christ.  Le  parrain  se  courbe  en  disant  :  Je  me  courbe 
devant  le  Père,  le  Fils  et  le  Saint-Esprit,  trinité  consubstantielle  et 
individuelle.  Ensuite  le  prêtre  dit  :  c  Déni  soit  Dieu  qui  veut  que  tous 
les  hommes  soient  sauvés  et  viennent  à  la  connaissance  de  la  vérité, 
maintenant  et  toujours  et  dans  les  siècles  des  siècles.  Amen.  » 

Les  interrogations  sur  la  foi  semblent  avoir  leur  prototype  dans 
le  baptême  de  l'Eunuque  de  Candace.  L'éthiopien  dit  h  Philippe  : 
Voilà  de  l'eau  ;  qu'est-ce  qui  empêche  que  je  reçoive  le  baptême  ? 
L'Apôtre  répondit  :  Cela  peut  se  faire,  pourvu  que  vous  croyiez 
de  tout  votre  cœur.  L'Eunuque  s'écria  :  Je  crois  que  Jésus-Christ 

'  J.  A.  Asseinani.  C»d.  Ht.,  lib  I.  praef.;  J.  S.  Assemani,  Bihl  orient.,  t.  III, 
p.  575  ;  t.  IV,  p.  ^fiO. 


DE    l'administration    DU    BAPTÊME  391 

est  le  Fils  de  Dieu.  Ils  descendirent  alors  du  chariot  et  l'éthiopien 
fut  baptisé.  Dans  tous  les  récits  de  baptême  des  premiers  siècles, 
nous  voyons  toujours  cette  profession  de  foi  plus  ou  moins  déve- 
loppée, qui  est  exigée  par  tous  les  Pères  '  et  qui  se  trouve  formulée 
dans  tous  les  sacramenlaires  de  l'Orient  et  de  l'Occident. 

Quoique  les  catéchumènes  aient  déjà  faitleur  profession  de  foi  dans 
les  cérémonies  du  scrutin,  ils  n'en  devaient  pas  moins,  plus  solen- 
nellement et  devant  des  témoins  plus  nombreux,  répondre  aux  in- 
terrogations doctrinales  avant  l'ablution  baptismale.  C'est  générale- 
ment à  ce  moment  qu'elles  avaient  lieu.  Toutefois,  dans  un  certain 
nombre  d'églises,  elles  se  formulaient  après  les  renonciations,  et, 
dans  d'autres,  elles  alternaient  avec  les  trois  ablutions,  S.  Ambroise, 
ou  du  moins  l'auteur  des  six  livres  des  Sacrements,  rapporte  ainsi  les 
interrogations  sur  la  foi  :  «  Sur  la  demande  qui  vous  a  été  faite  : 
Croyez-vous  en  Dieu  le  Père  tout-puissant?  Yous  avez  dit  :  J'y  crois  ; 
et  vous  avez  été  plongé  dans  l'eau  une  première  fois  Puis  on  vous 
a  demandé  :  Croyez-vous  en  Notre-Seigneur  Jésus-Christ  et  en  sa 
croix?  Yous  avez  répondu  :  J'y  crois,  et  vous  avez  été  plongé  une 
seconde  fois,  pour  marquer  que  vous  étiez  enseveli  avec  Jésus- 
Christ,  dans  l'espérance  que  vous  ressusciteriez  avec  lui.  On  vous  a 
demandé  après  cela  :  Croyez-vous  au  Saint-Esprit?  Yous  avez  ré- 
pondu :  J'y  crois;  et  une  troisième  fois  vous  avez  été  plongé.  » 

Les  interrogations  du  Rituel  romain  sont  à  peu  près  les  mêmes 
que  celles  qui  sont  formulées  dans  les  sacramentaires  de  S.  Gélase 
et  de  S.  Grégoire,  dans  les  Actes  de  S.  Etienne  et  ceux  de  S.  Callixte. 
On  rencontre  des  questionnaires  plus  abrégés  et  d'autres  plus  dé- 
veloppés contenant  presque  en  entier  le  symbole  des  apôtres.  S.  Au- 
gustin crut  devoir  répondre  à  ceux  qui  critiquaient  la  multiplicité 
de  ces  questions,  en  prétendant  qu'il  suffit  de  répondre  comme 
l'Eunuque  qu'on  croit  en  Jésus-Christ  :  <(  Quand  on  est  pressé  de 
donner  le  baptême,  leur  dit-il,  on  peut  se  borner  à  exiger  la  foi  en 
Jésus-Christ,  aveu  par  lequel  on  témoigne  être  disposé  à  croire  tout 
ce  que  Jésus-Christ  a  révélé.  Et  d'ailleurs  si  l'Ecriture  s'est  bornée 
à  mentionner  de  la  part  de  l'Eunuque  sa  confession  de  foi  en  la  divi- 

1  Corutit.  aposl  ,  VIII,  il;  Dionys.,  iLcc'ei.  hier.,  c.  l  ;  Conc.  do  Laodicée, 
can.   (fi;  Cvril    AU'x..  in  Tv.,  c.  î '(  :  Cyrill    Hier..  Ont   rny^t.  I,  n    0. 


392  DE  l'administration  du  baptême 

nité  de  Jésus-Christ,  elle  ne  dit  point  que  Philippe  ne  Tait  point 
interrogé  sur  les  autres  mystères.  On  peut  même  supposer  que,  lui 
expliquant  la  divinité  de  Jésus-Christ  par  les  prophéties,  il  lui  aura 
fait  connaître  en  même  temps  la  vie,  la  mort,  la  résurrection  du 
Sauveur  et  l'établissement  de  son  Église.  » 

Quand  une  hérésie  sévissait  dans  une  contrée,  on  ajoutait  parfois 
une  déclaration  spéciale  relative  à  cette  erreur;  c'est  ce  qu'on  fait 
encore  aujourd'hui  pour  les  adultes  :  ainsi  Grégoire  Xlll  a  fait  im- 
primer à  la  Propagande  une  profession  de  foi  à  l'usage  des  Grecs 
qui  veulent  entrer  dans  la  communion  de  l'Église  catholique  ;  cette 
déclaration  de  croyances  insiste  spécialement  sur  la  procession  du 
Saint-Esprit,  sur  le  purgatoire,  sur  la  primauté  du  Saint-Siège 
apostolique  et  du  Pontife  romain. 

A  Jérusalem,  on  ne  faisait  qu'une  seule  interrogation  pour  provo- 
quer la  profession  de  foi  ;  mais,  presque  partout  ailleurs,  elle  était 
triple  en  l'honneur  de  la  sainte  Trinité.  S.  Ambroise  nous  dit  qu'on 
a  voulu  par  là  imiter  la  triple  affirmation  de  Pierre  après  sa  chute, 
alors  que  Notre-Seigneur  l'interrogeait  sur  la  réalité  de  son  amour. 
«  Il  l'atteste  par  trois  fois,  dit  l'auteur  du  livre  des  Sacrements  *  pour 
être  absous  trois  fois  d'un  péché  dans  lequel  il  n'était  tombé  que  par 
faiblesse  :  car,  comme  le  Père  pardonne  les  péchés,  le  Fils  les  par- 
donne aussi  et  le  Saint-Esprit  également.  » 

Au  Moyen-Age,  les  interrogations  sur  la  foi  se  faisaient  tantôt  en 
latin,  tantôt  en  langue  vulgaire.  Ce  dernier  usage  a  prévalu  en 
France,  en  Belgique,  en  Allemagne,  etc.;  mais,  comme  nous  l'avons 
déjà  dit,  il  est  désapprouvé  par  la  Congrégation  des  Rites. 

On  a  supposé  que  la  profession  de  foi  n'était  pas  seulement  orale, 
mais  écrite  et  signée.  S.  Ephrem  dit  '  que  les  anges  reproduiront 
au  dernier  Jugement  l'écrit  sur  lequel  nous  avons  tracé  de  notre 
propre  main,  notre  abjuration  et  notre  profession  de  foi.  Mais  ce 
texte  et  quelques  autres  qu'on  allègue  doivent,  ce  nous  semble,  s'en- 

>  L.  II,  c.  7. 

-  Serm.  de  compunct.  animi. 

^  Chirographum  tuum  tenetur  non  in  terra  sed  in  cœlo.  Ambros.,  de  Init  ,  c.  2. 
—  Si  alio  modo  inscriptus  es  quam  vera  doctrina  exposcet,  veni  et  transcribere... 
die  iis  qui  te  a  sententia  deducere  student  :  quod  scripsi,  scripsi.  Greg.  Naz., 
Orat.  XL  de  h  api. 


DE   l'administration    DU   BAPTÊME  393 

tendre  dans  un  sens  métaphorique,  d'autant  plus  que  S.  Jean  Chry- 
sostome  atteste  positivement  '  qu'on  n'écrivait  pas  la  profession  de 
foi.  On  y  adhérait  d'avance  en  faisant  inscrire  son  nom  pour  la  ré- 
ception du  baptême,  et  cet  usage  explique  suffisamment  les  locu- 
tions relatives  à  la  signature.  Il  ne  serait  pas  impossible  toutefois 
que,  dans  certaines  églises,  on  ait  exigé  une  déclaration  de  foi 
écrite  et  signée,  surtout  de  la  part  de  ceux  qui  se  convertissaient 
de  l'hérésie. 

Les  interrogations  des  enfants  sur  la  foi,  supprimées  dans  la  Hol- 
lande protestante,  ont  été  conservées  par  les  Luthériens  et  les  Angli- 
cans, bien  que  blâmées  par  un  certain  nombre  de  leurs  théologiens. 
En  Angleterre,  le  ministre,  après  la  renonciation,  récite  le  symbole 
des  apôtres  tout  entier  sous  forme  interrogative  :  Crois-tu  en  Dieu 
le  Père  tout-puissant,  etc.,  et  le  parrain  répond  :  Je  crois  tout  cela 
fermement. 

Les  sectes  baptistes  exigent  une  profession  de  foi  pour  le  baptême 
et  la  croient  même  indispensable.  Mais  de  quelle  nature  doit-elle 
être  ?  C'est  là  ce  qui  les  a  toujours  divisées  et  a  produit  de  vives  con- 
troverses, surtout  en  1633  et  en  1772.  Les  uns  se  contentent  d'une 
adhésion  générale  au  Christianisme  ;  les  autres  exigent  une  profes- 
sion de  foi  détaillée,  en  harmonie  avec  les  croyances  spéciales  de 
leur  secte  \ 

Chez  les  Rhinsbourgeois  de  Hollande,  le  catéchumène  faisait  sa 
profession  de  foi  le  samedi  matin,  devant  une  assemblée  convoquée 
exprès  pour  cette  cérémonie  ;  le  baptême  n'avait  lieu  qu'un  peu 
plus  tard  dans  un  étang  voisin  du  Rhinsbourg. 

ARTICLE    XI. 

La  triple  ablution  et  l'élévation  des  fonts. 

Après  les  interrogations  sur  la  foi,  le  prêtre,  prononçant  le  nom  du 
futur  baptisé  dit  :  N.,  Veux-tu  être  baptisé?  Le  parrain  répond  :  Je  le 

^  Christus  non  testes  a  nobis,  non  chirographa  exigit,  sed  sola  contentus  est 
voce.  Hom.  XX  ad  pop.  Antioch. 
«  In  Oral.  XL. 
'  Klupfel,  Instii.  theol.,  [iroleg.,  p.  •22'i. 


394  DE  l'administration  du  baptême 

veux.  Alors  le  prêtre,  prenant  avec  un  petit  vase  de  l'eau  baptis- 
male, en  répand  en  forme  de  croix  sur  la  tète  de  l'enfant,  pronon- 
çant en  même  temps  ces  paroles,  une  fois  seulement,  distinctement 
et  attentivement  :  N.,  Je  te  baptise  au  nom  du  Père  (il  verse 
une  première  fois  de  l'eau',  au  nom  du  Fils  (il  en  verse  une  seconde 
fois)  et  du  Saint-Esprit  (il  en  verse  une  troisième  fois).  Là  oii  règne 
la  coutume  de  baptiser  par  immersion,  ajoute  le  Rituel  romain,  le 
prêtre  reçoit  l'enfant  et,  en  prenant  bien  garde  de  le  blesser,  il  l'im- 
merge avec  précaution  et  le  baptise  par  une  triple  immersion,  en 
prononçant  également  une  seule  fois  les  paroles  sacramentelles. 
Ensuite  le  parrain  on  la  marraine,  ou  l'un  et  l'autre,  lèvent  ensemble 
l'enfant  des  fonts  sacrés,  en  le  recevant  des  mains  du  prêtre. 

Dans  le  rite  grec,  le  prêtre  tenant  l'enfant  droit  et  tourné  vers  l'O- 
rient, dit  :  Le  serviteur  de  Dieu  N.  est  baptisé  au  nom  du  Père  (il  le 
plonge  une  première  fois  dans  l'eau),  et  du  Fils  (il  le  plonge  une 
seconde  fois)  et  du  Saint-Esprit  (il  le  plonge  une  troisième  fois). 
Aussitôt  après  Timmcrsion,  le  prêtre  chante  avec  les  fidèles  le 
psaume  XXXI  :  Deati  quorun  retnissx  simt  iniquitates ,  etc. 

Nous  n'avons  pas  à  traiter  ici  de  la  matière  ni  de  la  forme  du 
baptême,  ni  des  rites  de  l'immersion  et  de  l'infusion.  Nous  ne  nous 
occuperons  que  de  la  triplicité  de  l'ablution  et  de  quelques  particu- 
larités que  nous  avons  réservées  pour  cette  Etude. 

D'après  S.  Chrysostome  '  et  Théodoret,  Jésus-Christ  aurait  institué 
lui-même  la  triplicité  de  l'ablution  ;  ce  ne  serait  qu'une  institution 
apostoHque  d'après  Tertullien,  S.  Basile  et  S.  Jérôme.  On  comprend 
que.  selon  l'un  ou  l'autre  de  ces  points  de  vue,  on  ait  considéré  la 
triplicité  comme  absolument  nécessaire,  ou  seulement  comme  un 
rite  éminemment  respectable,  mais  susceptible  d'être  modifié.  Cette 
dernière  opinion  a  universellement  prévalu,  et,  si  tous  les  Pères  et 
les  anciens  sacramentaires  ^  mentionnent  ou  prescrivent  la  triple 
ablution,  c'est  parce  que  c'était  là  un  mode  liturgique  dont  il  n'était 

'  l!om.  de  fide  in  Pat  rem. 

'  Tertul.,  de  Coro».  mil,  c.  3  ;  Basil.,  de  Spirit.  Sanct.,  c.  27;  Hieron  ,  Contr. 
Lucif. 

3  Dion  Areop.,  Ercl  hier.,  c.  2,  ^.7;  Cyril.  Hier  ,  Cat.  XX  myst.  2.  n.  4; 
Greg.  Nyss..  Or.  cat.,  c.  35:  Ambros.,  de  Sacrum  ,  1.  II,  c  7;  Athan.,  qusest. 
n\.  etc. 


DE   l'administration    DU   BAPTÊME  395 

point  licite  de  s'écarter,  et  non  point  parce  que  le  nombre  des  ablu- 
tions appartient  à  l'essence  du  sacrement. 

Leur  triplicité,  d'après  les  Pères,  représente  les  trois  jours  de  sé- 
pulture de  Notre-Seigneur  '  ou  bien  la  mort,  la  sépultare  et  la  ré- 
surrection du  Sauveur  ^,  ou  bien  encore  la  Trinité  au  nom  de  la- 
quelle on  est  baptisé  \  Le  Moyen-Age  a  accentué  ce  symbolisme  en 
disant  que  ce  rite  indique  la  mort  du  triple  péché  de  pensée,  de  pa- 
role et  d'action,  et  le  salut  que  nous  pouvons  désormais  obtenir  par 
la  triple  observation  de  la  loi  naturelle,  de  l'ancienne  loi  écrite  et 
de  l'Évangile  \ 

Le  vicomte  Walsh  s'est  singulièrement  mépris,  en  disant  ^  qu'on 
donnait  «  la  triple  immersion  à  ceux  qui  étaient  forts  et  la  simple 
immersion  à  ceux  qui  étaient  débiles  et  faibles.  »  Le  premier  usage 
ne  souffrait  pas  d'exceptions  dans  les  premiers  siècles;  il  ne  fut 
rejeté  que  par  les  hérétiques  qui  niaient  la  Trinité,  comme  les  Eu- 
noméens,  les  Monlanistes  et  les  Sabelliens  ^ 

C'est  en  Espagne  que  l'unité  d'ablution  revêtit  pour  la  première 
fois  un  caractère  officiel.  Les  Ariens  de  cette  contrée,  admettant 
trois  natures  distinctes  dans  la  Trinité,  croyaient  au'oriser  leur  er- 
reur par  la  triple  immersion  du  baptême.  Pour  leur  ôter  ce  prétexte, 
le  pape  S.  Grégoire  ^  se  rendant  aux  vœux  de  S.  Hildefonse,  auto- 
risa les  évèques  espagnols  à  n'employer  qu'une  seule  immersion,  et 
le  IV*  concile  de  Tolède  (643)  fit  de  cette  dérogation  une  loi  obliga- 
toire. 

Alcuin  qui,  à  tort,  ne  croyait  pas  h  l'authenticité  de  l'épitre  de  S.  Gré- 
goire, blâma  vertement  ce  changement  de  discipline  ^  et  Walafrid 
Strtibon  la  désapprouva  aussi,  mais  avec  beaucoup  plus  de  mesure  ^. 


*  Cyril.,  Cat.  mysf.  Il;  Léo  f  ap.,  Ep'st  IV,  c.  3;  Greg    Magn.,  ep.  41. 

*  Greg.  Nyss  ,  Oral,  catech.,  c.  67;  Athaii.,  qiisejt.  il't. 

^  Tert.,  adv.Prax.y  c.  26  ;  llieron.,  m  ep  ad  Eph.,  IV,  5  ;  Chrys.,  Hom.  XXV, 
n.  2. 

*  Honor.,  Gemm.  anivi.,  I.  III,  c.  91 . 
^  Fêtes  chrétiennes.  Samedi  saint. 

«  Theod.,  1   IV  Hœret.  fabul.,  c.  3  ;  Soz  ,  Hist.  eccl  ,  VI,  26  ;  VII,  17. 
'h.  I,  ep.  41. 

*  Ep.  Si  ad  Paulin.;  ep.  90  adfratr.  Lugdun. 
^  De  Enh.  cccle».,  c.  29. 


396  DE  l'administration  du  baptême 

Quand  l'Arianisme  n'offrit  plus  de  danger  en  Espagne,  on  revint  à 
l'antique  usage;  mais  l'innovation  avait  conquis  ses  droits  liturgi- 
ques, et,  en  868,  le  concile  de  Wornis  en  reconnut  la  licite,  sans 
toutefois  l'autoriser  pour  les  pays  oii  elle  n'était  pas  encore  intro- 
duite. 

Quoique  Pierre  Lombard,  Gerson  et  le  VP  concile  de  Bénévent 
(1374),  laissent  à  chaque  église  la  liberté  de  suivre  à  cet  égard  son 
usage  particulier,  on  voit  par  le  langage  de  presque  tous  les  théolo- 
giens •  et  des  rituels  du  Moyen-Age  que  l'unité  d'ablution  était 
une  rare  exception,  généralement  mal  vue.  Nicolas  Gellant,  évêque 
d'Angers,  dans  un  synode  de  l'an  1275,  blâme  la  négligence  des 
prêtres  qui,  contre  la  coutume  de  l'Église,  se  contentent  de  plonger 
l'enfant  une  seule  fois  dans  l'eau  ou  de  verser  une  seule  fois  de 
l'eau  sur  lui.  Cette  dernière  méthode  fit  des  progrès  aux  XV  et 
XVP  siècles,  car  le  rituel  de  Paris  de  1497  et  les  statuts  de  Beauvais 
de  1544  laissent  complète  liberté  de  faire  une  ou  trois  infusions. 
L'unité  était  pratiquée  dans  tout  le  diocèse  de  Saint-Malo  et  même 
exclusivement  prescrite  dans  ses  statuts  synodaux  de  1620. 

La  plupart  des  Orientaux  croient  que  la  triplicité  d'immersion  est 
essentielle  à  la  validité  du  sacrement.  Cependant,  quelques-uns  de 
leurs  docteurs  ne  voient  là  qu'une  question  de  licite. 

Ily  a  eu  également  des  variations  dans  la  pose  du  baptisé  pendant 
l'ablution.  Aujourd'hui,  le  parrain  et  la  marraine  doivent  tenir  l'en- 
fant sur  les  fonts,  tandis  que  le  prêtre  verse  l'eau  sur  le  sommet  de 
sa  tête  ;  mais  cette  prescription  n'est  pas  rigoureusement  observée; 
c'est  ordinairement  la  sage-femme,  la  nourrice  ou  la  garde  de  l'ac- 
couchée qui  tient  l'enfant  sur  les  fonts;  le  parrain  et  la  marraine 
ne  font  que  le  toucher  pendant  qu'il  reçoit  le  baptême. 

Basnage  a  voulu  démontrer,  très  à  tort,  que  les  adultes  se  met- 
taient à  genoux  pour  l'ablution.  Il  produit  pour  preuves  le  sarco- 
phage de  Naples  publié  par  Ciampini,  et  ces  paroles  de  S.  Jean 
Chrysostome  :  «  Lorsque  vous  serez  parvenus  au  portique  de  la 
grâce,  à  celte  piscine  redoutable  et  désirable,  jetez-vous  à  terre 
comme  un  captif  devant  un  roi  et  mettez  vous  tous  à  genoux.  » 
On  voit   qu'il   ne  s'agit  là  que  de  l'entrée  dans  le  baptistère  et 

'  Thom.,  \Avi.  III,  q.  m,  a.  8;  Scot,  in  IV  sent.  q.  1,  a.  \h. 


DE   l'aDMINISTRATIOiN    DU    BAPTÊME  397 

par  conséquent  de  la  prostration  qui  faisait  partie  des  cérémonies 
préparatoires.  Les  textes  que  nous  avons  cités  ailleurs  et  presque 
toutes  les  représentations  iconographiques  du  1Y°  siècle  jusqu'à 
la  Renaissance,  prouvent  que  l'adulte  se  tenait  debout.  Il  y  a  eu 
cependant  qnelques  exceptions  dans  les  temps  modernes,  surtout  en 
Bavière  *. 

Tant  qu'on  ne  baptisa  guère  que  des  enfants  âgés  d'un  an  ou 
deux,  on  les  tint  debout  dans  la  cuve  baptismale  ;  mais  quand  on 
régénéra  les  enfants  presque  aussitôt  après  leur  naissance,  il  n'était 
plus  possible,  à  cause  de  la  faiblesse  de  leurs  membres, de  les  main- 
tenir facilement  dans  cette  position  ;  on  les  immergea  donc  hori- 
zontalement dans  les  cuves  qui,  nous  l'avons  dit,  devinrent  alors 
moins  profondes  et  plus  larges. 

Au  Moyen-Age,  on  figurait  la  croix  avec  le  corps  de  l'enfant,  pour 
mieux  montrer  qu'on  l'unissait  aux  mérites  de  Jésus  crucifié.  Pour 
la  première  immersion,  la  tête  de  l'enfant  était  tournée  vers  l'Orient 
et  ses  pieds  vers  l'Occident,  ce  qui  formait  la  ligne  verticale  de  la 
croix;  pour  la  seconde  immersion,  la  tète  était  tournée  vers  le  Midi 
et  les  pieds  au  Nord,  ce  qui  figurait  les  deux  bras  de  la  croix;  à  la 
troisième  immersion,  on  les  formait  de  nouveau,  mais  en  retour- 
nant la  tête  du  catéchumène  vers  le  Nord  ^. 

Dans  le  même  but  symbolique,  le  prêtre  copte  donne  aux  mem- 
bres de  l'enfant  la  forme  d'une  espèce  de  croix,  en  prenant  l'enfant 
d'abord  par  le  bras  droit  et  la  jambe  gauche, puis  par  le  bras  gauche 
et  la  jambe  droite. 

Dans  le  baptême  par  infusion,  on  dut  prendre  des  précautions 
pour  que  l'eau,  versée  sur  la  tête  de  Tenfant,  ne  retombât  point 
dans  la  cuve,  mais  dans  la  piscine  ou  dans  un  bassin  portatif  d'où 
elle  était  jetée  dans  la  piscine.  Ces  bassins  étaient  ordinairement  en 
cuivre  :  «  L'escuelette,  dit  Claude  Villette  \  n'est  de  bois  pour  ce 
qu'il  s'abreuve  et  perce,  ny  de  terre  qui  se  casse,  ny  d'airain  qui  se 
verrist,  ny  de  fer  qui  s'enrouiile,  mais  de  franc  cuivre  rouge  qui 
garde  l'eau  belle  et  nette.  » 

'  Rituel  d'Ausbourg,  imprimé  à  Dillingen,  en  1580. 

*  Sicard,  Milral.,  1.  VI,  c.  14  ;  Pontifical.  Salisb.,  ap.  D.  Martène,  Thés.  vet. 
mon.,  t.  "VII;  Bonavent.,  in  IV,  dist.  III,  q.  1. 
3  Les  Raisons  de  l'office,  éd.  de  1619,  p.  46. 


398  DE  l'administration  du  baptême 

On  rencontre  dans  quelques  trésors  de  sacristies  et  dans  diverses 
colleclions  particulières,  des  bassins  de  cuivre,  dorés,  tantôt  émail- 
lés,  tantôt  décorés  de  sujets  religieux  en  relief.  Il  nous  paraît  pro- 
bable que  quelques-uns  de  ces  bassins  ont  servi  pour  Tablution 
baptismale,  surtout  quand  les  sujets,  peints  ou  ciselés,  représen- 
tent le  baptême  de  Notre-Seigneur  ou  quelque  autre  scène  relative 
au  sacrement  de  la  régénération.  Quant  aux  burettes  baptismales, 
nous  en  parlerons  ailleurs. 

Comme  la  cérémonie  baptismale  était  fort  longue  aux  solennités 
de  Pâques  et  delà  Pentecôte,  les  fidèles,  pendant  l'ablution,  chan- 
taient le  psaume  XLI,  des  hymnes  et  des  cantiques  pour  remercier 
Dieu  des  grâces  qu'il  conférait  et  pour  célébrer  le  bonheur  des  néo- 
phytes \  C'est  là  l'origine  des  prières  et  des  litanies  qu'on  récite, 
en  diverses  contrées,  après  les  cérémonies  du  baptême. 

D'après  un  pontifical  du  X*"  siècle  de  l'Église  de  Poitiers  ^  on  chan- 
tait, pendant  l'immersion,  l'hymne  suivante  composée  pour  cette 
circonstance  par  Fortunat  : 

Tihi  laus  perennis  auctor, 
Baplismatis  sacrator, 
Qui  fonte  passionis 
Das  prœmium  salutis. 

Nox  dura  plus  et  aima 
Quam  luna,  sol  et  astrn, 
Quœ  luminum  corona 
Reddis  diem  psr  umbram. 
Tibi  laus,  etc. 

Dulcis,  sacrata,  blanda, 
Etecta,  pura,  pulchra, 
Sudans  honore  mella, 
liiguns  honore  chrisma. 
Tibi  laus,  etc. 

In  qua  Redemptor  orbis 
De  tnorte  vivus  exit, 
Et  quos  catcna  vinxit 
Sepulfus  ille  solvit. 
Tibi  laus,  etc. 

'  Greg.  Naz.,  Orat.  in  S.  haptismum;  Cassiod.,  in  Ps.  XLI. 
2  Ap.  D.  Martène,  de  Ant.  Eccl.  RU.,  c.  1,  art.  18,  p.  68. 


DE    L  ADMINISTRATION    DU    BAPTÊMli:  399 

Quam  Christus  aperuil 
Ad  gentium  salutem, 
Cujus  sulubri  cura 
Hedil  novala  plasma. 
Tibi  laua,  etc, 

Accedtle  ergo  digni 
Ad  graliam  lavacri  ; 
Qi/O  fonte  recreali 
Refulgeutis  agni. 
Tibi  laus,  etc. 

Hic  gurges  est  fidelis 
Purgaiis  liquore  mentes; 
Dum  rore  corpus  sudut 
Ptccata  tcrgit  iinda. 
Tibi  laus,  etc. 

Guudete  candidati, 
Electa  vasa  regni 
In  morte  cotisepulli 
Christi  fide  renati. 

Tibi  laus  perennis  auctor 
Baptisma'is  sacrator, 
Qui  fonte  passionis 
Das  prœmium  salutis. 

Aujourd'hui,  le  prêtre,  après  l'infusion,  essuie  la  tête  de  l'enfant 
avec  un  linge  blanc  qui  ne  doit  avoir  que  cette  destination. Du  temps 
de  l'immersion,  c'était  le  parrain  qui  essuyait  son  filleul,  la  mar- 
raine sa  filleule,  avec  les  linges  blancs  nommés  sabana,  lititeami- 
na,  lintea,  sindones,  et  que  les  liturgistes  ont  trop  souvent  confon- 
dus avec  l'aube  ou  robe  blanche  dont  les  néophytes  étaient  revê- 
tus après  l'onction  verticale.  Les  parrains  ou  les  parents  conser- 
vaient ces  linges  avec  vénération,  comme  un  précieux  souvenir 
des  bienfaits  reçus  sur  les  fonts.  C'est  d'un  sabanum  et  non  d'une  aube 
qu'il  est  question  dans  le  récit  que  nous  a  laissé  Yictor  de  Vite  ' 
sur  le  diacre  Muritta.  Ce  saint  vieillard,  pendant  la  persécution  des 
Vandales,  comparaît  devant  le  juge  Elpidofore,  qu'il  avait  tenu  ja- 
dis sur  les  fonts  et  qui,  séduit  par  l'Arianisme,  était  animé  de  la 
plus   profonde   haine    contre  les  catholiques.   En    comparaissant 

'  De  Persecut.  VandaL,  1.  VI,  n.  9. 


400  DE  l'administration  du  baptême 

devant  cet  apostat,  Muritta,  pour  toute  justification,  montra  à  son 
filleul  le  sabanum  avec  lequel  il  l'avait  jadis  essuyé  en  sortant  des 
fonts  :  «  Voici,  s'écria-t-il  devant  tous  les  assistants,  les  linges  qui 
t'accuseront  un  jour  en  présence  du  Juge  éternel  ;  malheureux,  ils 
t'ont  enveloppé  alors  que,  purifié,  tu  sortais  des  fonts  ;  ils  feront  ton 
supplice  dans  les  enfers,  parce  que  tu  as  revêtu  la  malédiction 
comme  un  vêtement,  en  parjurant  ton  baptême  et  ta  foi  !  » 

Pépin,  en  envoyant  au  pape  S.  Paul  I"  le  sahanum  dont  avait  été 
enveloppée  la  princesse  sa  fille,  après  l'immersion  baptismale,  ne 
crut  point  lui  faire  un  cadeau  vulgaire.  On  attribuait  parfois  à  ces 
linges  une  vertu  miraculeuse.  Césaire,  moine  cistercien  du  diocèse 
de  Cologne,  raconte  que,  lorsqu'il  était  encore  écolier,  il  tomba  gra- 
vement malade,  et  qu'il  fut  guéri  quand  sa  mère  l'eut  enveloppé  des 
linges  baptismaux  encore  mouillés  qui  venaient  de  servir  pour  une 
jeune  baptisée  de  dix  ans. 

L'abbé  J.  CORBLET. 

(A  suw7'e.) 


INVENTAIRES 


DE 


QUELQUES  ÉGLISES  RURALES 

DE   L'ANJOU 


Suivons  le  courant  et  publions  des  inventaires  ecclésiastiques, 
puisque  tel  est  le  succès  du  moment. 

Jusqu'ici  on  s'est  occupé  exclusivement  du  mobilier  des  églises 
de  ville  :  il  est  temps  d'étudier  celui  des  églises  de  campagne,  qui 
offre  aussi  son  genre  d'intérêt  particulier. 

Tout  inventaire,  pour  que  la  lecture  en  soit  à  la  fois  agréable  et 
utile,  a  besoin  d'être  élucidé  dans  toutes  ses  parties  par  un  com- 
mentaire détaillé.  Je  ne  ferai  pas  faute  à  ce  devoir  primordial  : 
je  m'attacherai  dans  mes  notes  à  élucider  surtout  les  questions  de 
liturgie  et  à  expliquer  les  expressions  empruntées  au  langage 
populaire.  En  ville,  les  inventaires  étaient  le  plus  ordinairement 
rédigés  en  latin  ;  à  la  campagne,  au  contraire,  on  trouvait,  avec 
raison,  plus  expéditif  et  plus  pratique  de  les  libeller  en  français. 

Les  inventaires  dont  je  vais  donner  le  texte  se  réfèrent  à  cinq 
églises  paroissiales  et  à  une  chapelle  de  dévotion.  La  même  église 
nous  présentera  quelquefois  plusieurs  inventaires  de  différentes 
époques. 

Ile  série,  tome  XI.  26 


402  INVENTAIRES 


SAINT-riERRE- DU-LAC. 


Saint-Pierre-du-Lac,  paroisse  actuellement  supprimée  et  voisine  de 
Beaufort,  possédait  dix  inventaires  qui,  de  la  mairie  de  cette  ville,  ont  été 
transportés  depuis  aux  archives  de  la  préfecture.  Le  plus  ancien  remonte 
à  l'an  1589  et  le  dernier  date  seulement  de  1783. 

Les  inventaires  parfois  étaient  écrits  sans  distinction  d'articles.  Tous  se 
suivaient,  d'où  naissait  une  certaine  confusion  que  l'on  doit  éviter  à  l'im- 
pression, en  multipliant  les  alinéas.  Ici  tous  les  articles  sont  parfaitement 
distincts  les  uns  des  autres. 

1.  Le  premier  inventaire  de  Saint-Pierre-du-Lac  est  daté  de  1589.  Il 
procède  par  autels.  Or  ces  autels  sont  :  le  grand  autel,  celui  de  la  Vierge, 
celui  de  Sainte-Anne,  qui  plus  tard  est  nommé  aussi  de  Saint-René,  et  en- 
fin l'autel  de  Saint-Job.  Serait-il  ici  question  de  ce  saint  de  l'Ancien  Tes- 
tament, qui  n'est  guère  vénéré  dans  la  liturgie  latine,  mais  qui  a  une 
église  sous  son  vocable  et  oii  repose  son  corps,  dans  la  ville  de  Venise,  la- 
quelle avait  pu  prendre  cette  dévotion  particulière  dans  ses  relations  com- 
merciales avec  l'Orient? 

Au  grand  autel  nous  trouvons,  suivant  les  prescriptions  liturgiques,  trois 
nappes,  nommées  longères,  sans  doute  parce  qu'elles  sont  taillées  en  long; 
plus  une  croix  et  deux  chandeliers  de  cuivre,  une  clochette,  un  pupitre  de 
bois  pour  le  missel  et  un  dais  dont  les  pentes  sont  attachées  à  une  carrée 
de  bois. 

Je  pense  que  c'est  par  erreur  qu'on  a  attribué  la  navette  au  bénitier, 
pourtant  muni  de  son  gitouer,  terme  expressif  qui  indique  tout  de  suite 
l'usage  qu'on  en  fait  pour  jeter  l'eau  bénite. 

Comme  on  ne  dit  pas  la  messe  à  l'autel  Sainte-Anne,  il  n'a  qu'une  nappe. 
Son  devant  d'autel  en  toile  représente  un  crucifiement.  J'ai  déposé  au 
musée  diocésain  une  toile  brodée  en  couleur  qui  ne  devait  pas  avoir  une 
autre  destination.  La  statue  de  la  Sainte  était  couverte  d'une  vieille  ban- 
nière. Là  sont  aussi  une  chasuble  d'ostade  noire  et  une  bourse  de  trippe 
de  velours. 

Le  dais,  qui  servait  à  la  procession  du  sacre,  est  élevé  sur  quatre  bâtons. 
Le  chandelier  des  ténèbres^  fait  en  forme  de  herse,  est  en  bois,  comme  cet 
autre  chandelier  sur  lequel  s'appuyait  la  croix  placée  devant  le  catafalque, 
usage  français. 

Il  n'y  avait  pas  de  sacristie  anciennement,  aussi  tous  les  objets  du  culte 
étaient  déposés  dans  des  huches  ou  coffres  de  bois.  La  crédence,  scellée  au 
mur  près  de  l'autel,  porte  le  nom  de  dressoir,  comme  dans  l'usage  civil. 


DE    QUELQUES    ÉGLISES    DE   l'ANJOU  403 

Les  livres  qu'on  renfermait  dans  deux  pupitres  sont  au  nombre  de  neuf. 
Deux  missels  notés  ou  graduels,  un  prosaire,  un  livre  de  Venue,  contenant 
les  invitatoires,  et  enfin  l'office  des  saints,  du  dimanche  et  des  ténèbres. 
Manuscrits  ou  imprimés,  sur  papier  ou  sur  parchemin,  ils  ont  des  rehures 
en  bois,  en  parchemin,  en  basane  :  l'un  a  même  une  courroie  de  cuir  pour 
l'empêcher  de  s'entrebâiller  quand  il  est  fermé. 

Dans  les  anciennes  églises,  nous  trouvons  près  de  l'autel  une  excava- 
tion, le  plus  ordinairement  carrée  et  formant  armoire.  C'est  là  que  l'on 
conservait  les  vases  sacrés  et  les  linges.  Comme  en  latin,  elle  prend  ici  le 
nom  de  fenêtre,  fenestella. 

A  Tautel  de  Saint-Job  existait  une  image  en  papier  représentant  le  Cru- 
cifiement de  Notre-Dame,  evvenv  que  l'inventaire  de  1598  a  rectifiée  en 
écrivant  cou7'onnement.  Lh  est  un  crucifix,  en  grande  vénération  sans  doute, 
puisqu'il  est  surmonté  d'un  dais  et  qu'on  tient  devant  lui  une  lampe  allumée. 

A  l'autel  de  la  Vierge,  il  faut  noter  un  rideau  qui  le  couvre  et  le  costume 
de  Notre-Dame,  composé  d'une  robe  et  d'un  voile.  11  est  assez  difficile  d'ha- 
biller une  statue  ;  c'est  pourquoi  on  se  contentait  de  lui  mettre  un  davant, 
mot  qui  signifie  tablier  et  que  nous  trouverons  plus  tard  sous  la  forme  de 
devanteau  ^ 

Faute  de  sacristie,  je  le  répète,  tout  se  mettait  dans  l'église.  L'inven- 
taire signale  donc  des  pieds  de  bois  posés  en  permanence  pour  porter  la 
croix  et  la  bannière. 

Les  quêtes  se  faisaient  ou  avec  des  boîtes  ou  avec  des  écuelles,  bassins 
de  forme  ronde  et  d'étain  que  l'on  rencontre  encore  fréquemment  dans  les 
églises  de  campagne.  Quant  à  l'argent  recueilli,  il  était  déposé  dans  une 
boîte  ronde,  /en-ee,  avec  clef  et  serrure. 

Les  calices,  au  nombre  de  trois,  n'étaient  qu'en  étain,  tt  on  les  enve- 
loppait dans  du  linge  ou  des  mouchoirs.  La  pauvreté  de  la  paroisse  se  fait 
encore  sentir  dans  l'article  suivant,  oii  il  est  question  d'un  cercueil  en  bois, 
employé  indistinctement  pour  tous  les  trépassés.  En  effet,  il  n'est  pas  rare 
de  voir,  dans  les  miniatures  des  livres  d'heures,  les  cadavres  mis  en  terre, 
simplement  enveloppés  d'un  linceul.  Le  cercueil  servait  donc  uniquement 
pour  la  cérémonie  funèbre.  On  vient  d'en  découvrir  un  de  ce  genre  sur 
les  voûtes  de  l'église  de  Béthines  (Vienne). 

Les  fonts  baptismaux  offrent  uu  bassin  en  plomb  pour  l'eau  baptismale, 
une  ccuelle  pour  verser  l'eau  sur  la  tête  de  l'enfant,  une  boîte  en  étain 
pour  les  saintes  huiles,  et  enfin,  au-dessus,  un  dais  en  toile. 

'  Ronsard,  dans  sa  Gayelé  V,  parle  de  Jaquet  qui  ne  se  laisse  pas  séduire  par 
«  Les  brasselets,  les  chaperons, 
Les  devanteaux,  les  mancherons.  » 


404  INVENTAIRES 

Je  relève  les  étoffes  suivantes  :  le  damas  blanc,  le  camelot,  le  velours 
noir  et  orange,  la  sargette  noire. 

Ici  se  présente  un  mot  nouveau,  dont  la  signification  doit  être  déter- 
minée par  le  contexte.  Aussi  les  domoires  accompagnant  les  chasubles,  on 
ne  peut  y  voir  autre  chose  que  des  dabnatiques  '. 

Enfin  la  bannière  est  de  deux  couleurs,  bleue  d'un  côté  pour  la  Vierge 
et  rouge  de  l'autre,  à  cause  de  S.  Pierre,  qui  y  est  représenté  en  sa  qualité 
de  patron. 

2.  Le  second  inventaire,  daté  de  1591,  diffère  fort  peu  de  celui  de  1589. 
Je  noterai  seulement  :  un  amict  en  toile,  un  cordon  de  fil,  une  clochette 
pour  le  saint  viatique,  un  corporalier  avec  le  nom  du  donateur,  un  pa- 
nier clisse  en  osier  pour  la  distribution  du  pain  bénit,  un  psautier  conte- 
nant les  hymnes,  un  fer  à  hosties,  un  fanon  de  velours  gris,  une  boîte  où 
l'on  recueillait  l'argent  versé  à  l'occasion  des  pardons  et  enfin  les  poupées 
de  filasse  et  les  pièces  de  fil  écru  offertes,  suivant  un  constant  usage,  à 
l'autel  de  la  Vierge  et  vendues  au  profit  de  la  fabrique. 

L'inventaire  de  1614  mentionne  une  grande  bulle  de  parchemin.  Peut- 
être  est-ce  celle  qui  portait  concession  des  indulgences  octroyées  à 
l'église  ? 

3.  Le  troisième  inventaire  fut  rédigé  en  1598. 

On  y  voit  un  grand  pupitre  recouvert  d'une  nappe  et  oii  l'on  met  les 
livres  de  chœur,  la  lampe  du  Saint-Sacrement  placée  au  coin  de  l'autel, 
une  chape  en  bazin,  un  coussin  brodé  d'un  soleil,  le  banc  où  les  commères 
s'asseyaient  à  la  messe  des  relevailles,  et  enfin  le  tapis  qui  décorait  la 
chaire  à  prêcher. 

4.  Le  quatrième  inventaire  porte  la  date  de  1600.  Il  parle  des  rideaux 
en  linge  dont  on  couvrait  le  crucifix  et  la  Vierge  pendant  le  Carême,  sui- 
vant l'usage  angevin  différent  en  cela  du  Romain,  qui  retarde  cette  pres- 
cription jusqu'à  la  Passion. 

Si  la  Vierge  est  également  couverte  pendant  l'octave  de  la  Fête-Dieu, 
c'était  sans  doute  pour  ne  pas  distraire  les  fidèles  de  l'adoration  du  Saint- 
Sacrement. 

5.  J'emprunte  au  cinquième  inventaire,  écrit  en  1611-,  quelques  indica- 
tions. Ainsi  la  persévérance  des  devants  d'autels,  la  croix  processionnelle 
enveloppée  dans  un  étui,  le  coussin  que  l'on  mettait  sous  la  croix  le  ven- 
dredi saint  avec  son  écharpe  verte,  et  la  couverture  du  crucifix,  pendant 
le  Carême,  qui  était  en  toile  peinte. 

«  «  Item  une  chapelle  de  velours  violet,  garnie  de  choasuble,  deux  daumoayre.«!, 
deux  estolles  et  deux  fenons.  —  Item  une  chapelle  mortuayre,  garnie  de  chappe, 
choasuble,  daumoayres,  estolles  et  fenons.  «  [Tnv.  de  Pirc^  1527.) 


DE   QUELQUES    ÉGLISES   DE   l'aNJOU  403 

6.  En  1620,  on  procédait  à  la  confection  du  sixième  inventaire.  Au 
grand  autel,  je  constate  trois  chandeliers,  dont  un  petit  ne  s'allumait 
qu'au  Sancdis.  Le  tabernacle  est  abrité  sous  un  pavillon  de  taffetas  incar- 
nat. La  Vierge  a,  pour  couvre-chef,  un  voile  en  toile  de  Cambrai.  La  lan- 
terne, que  l'on  porte  avec  le  saint  viatique  et  nommée  ailleurs  falot,  est 
garnie  de  lamelles  de  corne  qui  protègent  la  lumière  contre  le  vent. 
L'ostensoir  décrit  sa  forme  par  son  nom.  J'ai  donné  au  musée  de  la  ville 
un  soleil  en  cuivre,  du  XVIP  siècle  ;  la  partie  supérieure  offre  l'image 
de  l'astre  du  jour  lançant  des  rayons.  On  comprendra  sans  peine  que 
les  deux  esses  ne  sont  autre  chose  que  des  consoles,  dont  la  tablette 
est  supportée  par  un  ouvrage  en  ferronnerie  affectant  la  forme  de  la 
lettre  S. 

7.  Le  septième  inventaire  est  de  166L  Le  bougraa\  qui  a  l'inconvénient 
de  raidir  les  étoffes  dont  il  forme  la  doublure,  apparaît  pour  la  première 
fois.  La  croix  est  préservée  de  la  poussière  par  un  étui  de  cuir  bouilli;  en 
Carême,  on  lui  mot  une  chemisette.  Les  calices  sont  enveloppés  d'abord 
dans  une  jtochette  de  toile,  puis  dans  un  étui.  Les  chapes  sont  enfermées 
dans  un  chapier,  où  elles  sont  étendues  et  développées  dans  leur  entier, 
comme  on  faisait  autrefois  pour  les  chasubles.  Puisque  j'en  trouve  l'occa- 
sion, je  signalerai  le  chasublier  de  l'église  de  Gunaud  (Maine-et-Loire), 
qui  date  au  moins  du  XVP  siècle  et  pour  lequel.  l'Allemagne  a  fait  des 
propositions  à  la  fabrique,  monument  presque  unique  et  d'autant  plus 
curieux  qu'il  donne  la  forme  de  nos  anciennes  chasubles. 

La  pale  prend  ici  le  nom  de  carré,  parce  qu'en  effet  elle  a  cette  forme. 
On  remarquera  qu'elle  est  indiquée  comme  ayant  la  couleur  de  l'orne- 
ment qu'elle  accompagne.  Le  dais,  antérieurement  qualifié  courtine,  est 
désigné  sous  le  nom  de  poile.,  qui  vient  du  latin  pallium,  tenture. 

8.  Le  huitième  inventaire  est  de  1676.  Il  décrit  la  toilette  de  la  Vierge, 
les  rideaux  des  autels,  la  bourse  de  toile  d'argent  faux  qui  servait  pour  le 
saint  viatique,  un  tapis  de  toile  imprimée  pour  la  chaire,  un  autre  tapis  de 
Bergame  pour  le  pupitre  et  enfin  la  carte  ou  carton  d'autel,  qui  se  dit 
encore  en  italien  carta,  parce  qu'elle  est  imprimée  sur  papier. 

9.  Au  neuvième  inventaire,  en  1738,  sont  portés  un  devant  d'autel  en 
cuir  doré  et  une  chape  noire  dont  les  orfrois  sont  en  moire  jaune,  selon 
l'usage  romain  qui  défend  d'employer  le  blanc  à  cet  usage. 

1  Le  bougran  était  primitivement  une  étoffe  très  légère  en  lin,  qui  avait  de 
l'analogie  avec  notre  mousseline  et  qui  provenait  du  pays  des  Bougres  ou  de  la 
Bulgarie.  Plus  tard  on  donna  ce  nom  à  un  tissu  plus  épais,  gommé  et  souvent 
teint  en  couleur. 


406  INVENTAIRES 

10.  Enfin  le  dernier  inventaire,  écrit  en  1783,  relate  les  dons  du  sei- 
gneur de  la  paroisse.  Deux  choses  y  sont  à  noter  :  le  point  d'Espagne  et 
les  (ours  d'étole  en  toile,  qui  avaient  pour  but  de  protéger  la  partie  qui  se 
trouvait  en  contact  avec  le  cou  et  les  cheveux. 

Premier  inventaire  (1589). 

^  «  1.  Promier,  au  grand  autel  de  ladite  église,  a  esté  trouvé  sur  iceluy 
trois  nappes  *,  deux  vielles  et  l'autre  neufve. 

«  2.  Item  une  petite  nappe  servante  audit  autel. 

«  3.  Item  un  pipitre  de  bois  a  mestre  le  livre  missael. 

((  4.  Item  deux  chandeliers  de  cuivre,  dont  y  en  a  ung  cassé  ^ 

«  5.  Item  ung  aultre  chandelier  de  bois  à  mectre  la  croix  '* . 

((  6.  Item  une  croix  d'arain. 

«  7.  Item  une  courtine  *  de  camelot  rouge  et  bleu  estant  sur  ledict 
autel,  avecq  sa  frange  de  mesme  couleur,  aiant  une  carrée  de  bois, 
fonssée  de  toilîe  noire,  laquelle  ledict  Lemercier  (procureur  de  la  fa- 
brique) a  dict  avoir  esté  donnée  par  Perrine  Pioy,  ¥•  ^  de  feu  André 
Gubault. 

«  8.  Item  l'echelette  ®,  ung  benestier  avecq  sa  navet,  le  tout  de  métal 
avecq  le  gitouer  de  bois. 

«  9.  Item  ung  encensouer  aussy  de  fonte,  aiant  cinq  chenettes  et  une 
boucle. 

«  10.  Item  sur  l'autel  sainct  Anne  a  esté  trouvé  une  nappe  sur  ledict 
autel  presque  usée. 

«  11.  Item  au  davant  dudict  autel,  y  a  le  crucifiment  de  nostre  Sei- 
gneur estant  en  toille. 

«  12.  Item  une  chazible  d'ostade  noire,  avecq  les  croix  de  sutin  blanc, 
toute  usée  ''. 

*  Suivant  la  rubrique,  une  dessus  et  deux  dessous. 

^  Il  n'y  avait  donc  encore  que  deux  chandeliers  pour  les  offices. 

3  Devant  le  catafalque,  suivant  un  usage  angevin,  qui  remonte  au  Moyen-Age. 

*  Pentes  du  dais.  — Le  Rituel  d'Henri  Arnauld  (1676)  donne  le  mot  courtine 
comme  synonyme  de  dais  :  «  vel  saltem  appensa  desuper  cortina  seu  uinbella 
decenter  ornatum  ». 

^  Veuve. 

®  Clochette,  du  latin  squilla,  que  l'on  sonne,  à  la  campagne,  en  tête  des  pro- 
cessions, quoique  ce  soit  réservé  aux  basiliques. 

"^  C'est  à  cette  date  qu'il  faut  reporter  l'origine  des  orfrois  blancs  sur  les  orne- 
ments noirs  ;  cet  usage  n'est  pas  antérieur  au  XVP  siècle. 


DE   QUELQUES    ÉGLISES   DE   l'aNJOU  407 

«  13.  Item  ung  corporalier  de  trippe  de  vellours  '  presque  usé,  aiant  au 
dedans  d'iceluy  ung  corporeau  de  linge  blanc. 

«  14.  Item  et  sur  l'imaigc  saincte  Anne  y  a  un  reparevenl  qui  souloit  ser- 
vir d'une  banière,  presque  usée,  avec  deux  peliis  linges  de  toille 
blanche. 

«  15.  Item  une  carrie  ^  de  bois  avecq  quatre  bastons  aussy  de  bois  a 
porter  la  courtine  du  sacre. 

((  16.  Item  ung  chandelier  de  bois  servant  au  temps  des  ténèbres. 

a  17.  Item  une  huge  platte  de  bois  de  chesne,  fermant  à  clef  et  claveure 
en  laquelle  n'a  esté  trouvé  aucune  chose. 

«  18.  Item  ung  panier  à  porter  le  pain  benist  ^. 

«  19.  Item  une  eschalie  à  roue  *  à  monter  presque  usée. 

(i  20.  Item  ung  petit  banc  de  bois  d'éard  ^. 

«  21.  Item  ungaultre  banc  de  bois  de  chesne  presque  rompu. 

«  22.  Item  deux  poupitres  servans  à  mectre  les  livres. 

0  23.  Item  ung  dressouer  "  de  bois  cramponné  avecq  des  crampons  de 
fer. 

((  24.  Item  ung  raissael  servant  à  chanter  la  messe,  couvert  de  bazans 
noire. 

((  25.  Item  ung  livre  de  chant  des  proses,  aussy  de  bazane  noyre,  notté. 

((  26.  Item  ung  aullre  livre  de  chant  notté,  ou  sont  les  venitez  et  l'office 
des  quatre  testes  annuelles,  auquel  livre  y  a  plusieurs  feillez  ostés  et 
rompuz  et  les  couvercles  de  bois,  l'un  d'iceulx  d'eux  rompu. 

«  27.  Item  ung  aultre  grand  livre  notté,  qui  est  le  missel  de  l'ordinaire 
de  touttesles  festes,  couvert  de  bois  et  de  bazane  blanche  par  dessus. 

«  28.  Item  ung  aultre  livre  de  chant  appelle  Sanctorum,  aussy  notté,  cou- 
vert de  bois  et  de  bazane  blanche  par  dessus  avecq  une  couroye  de 
cuir. 

«  29.  Item  ung  aultre  livre  de  Sanclorum,  viel  et  ancien,  découvert  ''. 

«  30.  Item  ung  aultre  livre  de  (  hant  aussy  notté,  servant  pour  les  di- 
manches de  l'année,  couvert  de  bois  et  de  bazane  blanche  par  dessus,  sur 
l'un  cousté  duquel  y  a  trois  doux  de  fonte. 

'  «  Trippe,  étoffe  veloutée,  analogue  à  la  peluche.  »  [Bonnaffé,  Inv.  de  la  duch. 
de  Valenl.inois,  p.  87.) 
■'  Terme  populaire,  synonyme  de  carrée. 
3  On  se  sert  encore  en  Anjou  d'un  panier  d'osier. 

*  A  roulettes,  pour  pouvoir  la  trauier  plus  facilement. 
^  "Voir  au  huitième  inventaire,  n"  5. 

*  Crédence. 

''  C'est-à-dire  ayant  perdu  ta  couverture  ou  reliure. 


408  INVENTAIRES 

«  31.  Item  ung  petit  livre  de  chant  de  parchemia  notté,  servant  au 
temps  des  ténèbres  et  du  vendredy  sainct,  couvert  de  meschant  parche- 
min rompu. 

«  32.  Item  et  en  une  fenestre  *  estant  en  la  muraille  de  la  dicte  éghse  en 
laquelle  a  esté  trouvé  un  corporalier. 

«  33.  Item  une  estolle  de  trippe  de  velours  noir,  doublée  de  toille  rouge 
avecq  une  petite  custode  et  des  boucles  ^  d'estain  auquel  y  a  des  huilles 
sacrées, 

«  34.  Item  sur  l'autel  sainct  Job  a  esté  trouvé  une  nappe  sur  ledict  autel 
presque  usée. 

«  35.  Item  une  croix  d'arain  '^  rompue  et  usée. 

«  36.  Item  une  image  en  papier  où  est  le  cruxifiement  de  nostrc  Dame. 

■  ((  37.  Item  sur  le  crucifix  y  a  une  courtine  de  linge  avecq  sa  frange  aussy 
de  linge. 

((  38.  Item  une  lampe  au  davant  du  crucifix. 

n  39.  Item  et  sur  l'autel  de  Nostre-Dame  a  esté  trouvé  sui-  ledict  autel 
trois  nappes,  deux  vielles  et  une  neufve. 

((  40.  Item  ung  poupitre  de  bois. 

«  41.  Item  ung  petit  chandelier  de  cuivre  et  deux  petitz  chaupineaux  * 
d'estain. 

«  42.  Item  ung  davant  de  Nostre-Dame  de  satin  rouge  aiant  ung  pare- 
ment de  faulx  or,  estant  au  davant  de  la  dicte  image  de  Nostre-Dame 
avecq  un  couvrecher  ^  sur  ladicte  imaige. 

«  43.  Item  ung  pied  de  bois  à  porter  la  croix  *. 

a  44.  Item  ung  aultre  pied  de  bois  à  porter  la  banière  '. 

«  45.  Item  une  petite  escuelle  de  plat  d'estain  servant  à  quester. 

«  46.  Item  ung  calice  d'estain  avecq  sa  plataine  envelopé  en  ung  linge. 

«  47.  Item  une  bouete  ronde  ferrée  où  Ton  mect  les  deniers,  fermant  à 
clef  et  claveure. 

{(  48.  Item  une  huge  de  bois  de  noyer  fermant  à  clef  et  claveure,  en  la- 
quelle a  esté  trouvé  deux  bouetes  de  bois  ferrées  fermantes  à  clef  et  cla- 
veures,  servantes  à  quester  par  l'église. 

*  Armoire  creusée  dans  le  mur,  placard. 

*  Sic  pour  bouetes,  boîtes. 

^  Cuivre  bronzé  par  sa  patine. 

*  Petite  chopine,  burette  :  ce  mot  est  encore  usité,  ainsi  que  chopinetîe. 
5  a  Empezé  »  (1598). 

^  Le  crucifix  de  l'autel,  ainsi  que  le  démontre  le  n"  l  dans  l'inventaire  de  1620. 
■^  On  a  conservé  l'usage  en  certaines  églises  de  ficher  ainsi  les  bannières  et 
croix  le  long  des  murs  sur  des  pieds  de  bois. 


DE   QUELQUES    ÉGLISES   DE   l'aNJOU  409 

«  49.  Item  une  patte  de  chandelier  de  cuivre. 

«  50.  Item  une  bouete  carrée  servante  à  mectre  la  chandelle. 

«  51.  Item  une  croix  de  cuivre  et  d'estain,  en  laquelle  est  le  crucifie- 
ment, cy  davant  par  Urban  Redessan,  lors  procureur  de  ladicte  fabrice. 

a  52.  Item  une  chazible  de  damars  blanc,  doublé  de  toille  rouge,  avecq 
les  orfres  '  figurées,  avec  l'estolée  et  le  fanon  de  mesme  parure, 

«  53.  Item  trois  aubes  de  toille  et  trois  amys  *. 

«  54.  Item  deux  aultres  calices,  avec  leurs  plataines  d'estain,  envelop- 
pées en  deux  mouchouers. 

«  55.  Item  une  aullre  estolle  et  des  fanons  *  de  camelot  est  de  ve- 
lours noir. 

«  56.  Item  une  banière  de  camelot  *  bleu  jet  rouge,  où  sont  les  effigies 
de  la  Nostre-Dame  et  de  sainct  Pierre. 

«  57.  Item  deux  brochez  ^  de  bois  à  mectre  le  sercueil. 

((  58.  Item  ung  sercueil  de  bois  à  porter  les  trespassez. 

((  59.  Item  ung  grand  chandelier  de  bois  à  mectre  la  croix. 

«  60.  Item  ung  banc  de  bois. 

a  61.  Item  et  aulx  fonds  y  a  une  petite  poiile  de  pion  oii  est  l'eau  be- 
niste  avecq  une  escuelle  d'erain,  une  petite  boueste  d'estain  carrée,  ser- 
vante de  custode,  avecq  les  bouetes  et  au  dessus  des  fonds  y  a  une  petite 
courtine  de  linge  '. 

«  62.  Item  une  petite  nappe  estant  sur  les  fonds  presque  usée. 

((  63.  Item  une  grande  chère  de  bois  servante  à  prescher. 

«  64.  Item  une  grande  huge  platte  fermante  à  clef  et  claveure,  en  la- 
quelle a  esté  trouvé  une  estolle  de  velours  noir,  doablée  de  toille  rouge. 

*  Orfrois  historiés. 
2  Amicts. 

^  Manipule,  comme  en  blason. 

*  Le  camelot  se  faisait  dans  le  principe  avec  du  poil  de  chameau,  d'où  lui  est 
venu  son  nom.  Plus  tard  on  employa  le  poil  de  la  chèvre  d'Angora  et,  quand  la 
matière  première  fut  notablement  altérée,  on  qualifia  de  camelotte  toute  étoffe 
de  médiocre  qualité. 

"*  Tréteaux. 

®  Henri  Arnauld,  dans  son  Rituel  ad  Romani  formam  imprimé  en  1676,  exi- 
geait pour  les  fonts  baptismaux,  à  l'intérieur,  un  vase  de  cuivre  étamé  et,  à  l'ex- 
térieur, un  tapis  ou  un  dais  :  «  Extrinsecus  vero  baptisterium  sit  vel  instrato 
tapete  aut  vélo  linteo,  vel  saltem  appensa  desuper  cortina  seu  umbella,  decenter 
ornatum,  et  cancellis  circumseptum;  sera  et  clave  munitum,  atque  ita  obseratum 
ut  pulvis  vel  aliœ  sordes  intio  non  pénètrent. "Vas  Fontis,  si  aereum  fuerit,  stanno 
fusiU  ab  interiori  parte  sit  illitum  seu  incrustatum,  ne  aqua  a3rugine  inficiatur.  » 


410  INVENTAIRES 

«  65.  Item  une  aultre  estolle  de  satin  rouge  my  usée. 

((  G6.  Item  deux  domoires  de  vellours  cramoysy  presque  usez. 

((  G7.  Item  ung  aultre  domoire  de  mesme  parure  cy  dessus. 

«  68.  Item  ung  aultre  domoyre  de  camelot  rouge  avecq  ses  orfrees. 

a  69.  Item  une  chasuble  de  vellours  orange  *  de  mesme  parure  des  deux 
domoyres  cy  dessus. 

«  70.  Item  une  chappe  de  toille  ray  soye  rouge  avecq  les  orfreez  pres- 
que usez. 

«  71.  Item  une  chazible  de  sargettc  noire,  doublée  de  toille  rouge, 
presque  usée. 

«  72.  Item  une  estolle  de  trippe  de  velours  noir. 

«  73.  Item  une  aultre  chappe  de  trippe  de  vellours  noir. 

«  74.  Item  ung  cossinet  de  toille  blanche  *.et  est  ce  quj  a  esté  trouvé 
oudict  coffre  et  jceluy  se  ferme  de  clef. 

a  75.  Item  ung  aultre  coffre  de  bois  de  chesne  fermant  o  '  clef  et  cla- 
vcure,  ouqnel  a  esté  trouvé  une  courtine  de  my  soye  en  couleur  de  ca- 
nelée  avecq  sa  frange  de  laine  canelée,  le  fonds  de  laquelle  est  de  toille 

*  Voilà  donc  le  jaune  usité  à  la  fin  du  XVI^  siècle.  Montrons  par  des  textes 
l'emploi  liturgique  de  cette  couleur  formellement  condamnée  par  la  Congrégation 
des  Rites,  malgré  la  coutume  établie  :  «  Due  stole,  duo  manipula  nigra. . .,  qua- 
rum  una  stola  et  unus  manipulus  sunt  forrate  de  cirico  ci'ocei  coloris.  Due  stole 
panni  cirecci  Indes.  . .  forrate  crocei  coloris.  »  {Invcnt.  de  la  cath.  de  Lyon,  en 
1448,  n"s29V,  295.)  —  Dans  le  même  inventaire  on  lit  encore  :  «  Quedam  fardis- 
torium  diversis  roloribus  de  panno  albo  in  medio,  circumdato  de  cindali  rubeo  et 
crosseaceo.  »  (N"  87.)  —  «  Quedam  casula,  tunica  et  diamatica  crocei  coloris  pro 
D.  Canonicis  revestiendis  pro  festivitatibus  confessionis.  »  {\°  92.)  —  »  Due  casule 
bone  pro  revestitis  ejusdem  coloris.  «  (N"  93.)  —  a  Due  tunice  et  due  diamatica 
ejusdem  coloris  et  sunt  antique  pro  revestitis,  sunt  crocei  coloris.  »  (N'^  91.)  — 
«  Unum  paramcntura  de  change  (aube)  viridi  coloris,  cum  baculis  de  rubeo,  for- 
ratum  crocei  coloris.  »  (N"  lU.)  —  .<  Quedam  stola  crocei  coloris  pro  evangelio 
dicendo  in  dicto  sancto  Stephano.  »  (N"  M 9.)  —  «  Primo  quidam  pannus  aureus 
de  Annunciatione  B.  M.  Virgiids. . ,,  brodatus  cum  acu  de  aureo,  argento  et  cro- 
ceo  cum  fmissima  brodatura.  »  (N"  122.)  -  «  Deux  chappes  de  damas  jaune,  avec 
leurs  offroys  en  broderie,  fort  usées.  »  {Invent,  de  la  cath.  de  Lyon,  1724,  n"  51.) 
—  «  Un  parement  de  damas  jaune  figuré,  avec  les  franges  de  soye  bleue.  »  (N°  80.) 
L'inventaire  de  Saint-Maximin,  daté  de  1504  et  publié  dans  le  tome  V  de  la 
6"  série  de  la  Revue  des  Sociétés  savantes,  enregistre  sous  le  n»  122  :  «  Item 
aliud  palium  ex  veluto  jaune-vert.  » 

^  Coussin  pour  appuyer  la  croix  le  vendredi  saint  ? 

'  Pour  avec,  locution  angevine  qu'on  retrouve  jusque  dans  les  inscriptions  et 
les  actes  notariés. 


DE    QUELQUES    ÉGLISES    DE    l'aNJOU  4H 

taincte  servant  h  porter  le  Sacre,  laquelle  ledict  Le  Mercier  a  dict  avoir 
esfé  donnée  à  ladicte  église  par  damoyselle  Perrine  Phelippcau,  femme 
de  noble  homme  Helye  Buron,  sieur  de  Poiriers. 

((  76.  Item  vingt  et  neuf  nappes  et  longères  tant  grandes  que  petites  et 
telles  quelles  et  presque  usées. 

a  77.  Item  cinq  rideaulx  *  aussy  telz  quelz. 

((  78.  Item  ung  grand  rideau  servant  à  mectre  au  davant  de  l'autel  de 
Nostre  Dame. 

«  79.  Item  une  aube  et  deux  amys. 

((  80.  Item  une  petite  croix  de  linge  servant  à  revestir  la  croix  au  temps 
de  caresme.  « 

Deuxième  inventaire  *  (1591). 

«  1.  Item  une  essuie  main  '. 

«  2  Item  deulx  choppines  d'estain  servant  à  mectre  l'eau  et  le  vin 
quand  on  dict  la  messe. 

«  3.  Item  une  aube  avecq  son  aray  de  toille  presque  usé  et  une  petite 
saincture  de  fil  blanc. 

((  4.  Item  une  petite  eschelette  servant  à  porter  quand  le  prebstre  va 
voir  les  mallades  *. 

«  5.  Item  deux  corporalioi-s  estant  de  viel  velours  figuré  ;  au  dedans  de 
l'un  d'iceulx  est  escript  :  Me"  René  Redessan  ])brestre  ''. 

«  6.  Item  ung  panier  de  *  clisse  à  porter  le  pain  benist, 

a  7.  Item  une  eschelle  de  boys  servant  à  monter  au  clocher,  rompue  et 
presque  usée. 

«  8.  Item  ungaultre  gros  livre,  couvert  le  bazanne  noyre,  au  premier 
feuillet  duquel  est  escript  Psalterium  ferialle  cum  homnis  totius  ...  detem- 
pore  \  lequel  livre  fut  donné  par  deffunctM"'"  Jehan  de  l'Espine  pbrestre. 

«  9.  Item  une  boueste  ronde  ferrée,  fermée  à  clef  et  claveure,  ouquel 
les  deniers  de  la  chandelle  et  des  pardons. 

'  Rideaux  i  our  les  autels,  plutôt  que  pour  les  fenêtres,  comme  il  est  expliqué 
dans  le  quatrième  inventaire. 
^  Je  ne  note  que  les  variantes  et  additions. 
'  Pour  le  lavoir  de  la  sacristie. 

*  «  Prœcedat  sacerdotem  semper  acol}  thus  vel  alius  minister  déferons  later- 
nara...  et  campanulam  jugiter  pulsans.  »  [Rit  d'Henri  Aniaidd.) 

^  Nommé  au  n°  51  dans  l'inventaire  précédent. 

*  Sous-entendu  osier. 

''  «  Ilymnis  totius  anni  sanctorum  et  de  tempore  ?  >) 


412  INVENTAIRES 

«  10.  Item  ung  bréchet  de  boys  et  où  l'on  met  le  sercueil  et  quant  à 
l'aultre  lesd.  messieurs  ont  dict  avoir  esté  bruslé  par  les  gens  d'armes. 

ail.  Item  des  fers  *  ouquel  l'on  faict  le  pain  à  chanter,  lesquels  sont 
platz  et  faictz  de  fonte,  lesquelz  ont  esté  donnez  par  Arabroyse  Davy. 

«  12.  Item  ung  aultre  fanon  de  vellours  gris  ^. 

«  13.  Item  neuf  pouppées  de  Allasse  de  brein  ^. 

«  14.  Item  sept  filées  de  fil  escreu  de  brein.  » 

Troisième  inventaire  (1598). 

«  1.  Item  un  missel  à  grand  voUume,  couvert  de  bazanne  noyre. 

a  2.  Item  deulx  cordes  aulx  cloches,  l'une  desquelles  est  neufve. 

«  3.  Item  ung  grand  pipitre  de  boys,  servant  à  mectre  les  livres  de 
chant,  sur  lequel  y  a  une  petite  nappe  rompue  et  usée  *. 

«  4.  Item  une  vieille  lampe  de  fer  estant  au  coign  dud.  autel  *. 

«  5.  Item  ung  oriler  de  toille  bleue  ayant  ung  soUeil  *  dedans  peint  en 
jaulne. 

«  6.  Item  ung  tappis  de  laine  fait  à  semis  de  couleurs  rouge,  gris  et 
blanc,  servant  à  mectre  sur  la  chère  quaad  l'on  presche  la  parolle  de 
Dieu  \ 

«  7.  Item  une  chappe  de  bazin  rouge  avecq  ses  orfrees,  doublé  de  toUle 
noyre. 

'  Ces  feis  sont  assez  communs  en  Anjou.  J'en  ai  fait  mouler  treize,  dont  on 
peut  voir  les  empreintes  aux  musées  de  la  ville  et  du  diocèse. 

^  La  couleur  grise,  cannelle  ou  cendrée  était  propre,  en  certains  diocèses,  aux 
fériés  du  Carême.  On  va  la  voir  ici  mélangée  au  bleu  qui  équivalait  au  violet  : 
«  Très  casulas  panni  de  Damas  cineroso  figurato,  cum  suis  aurifresiis  persici 
coloris,  bordeatis  de  passione  ante  et  rétro.  »  {Invent,  de  la  cath.  de  Lyon,  1448, 
no  103.)—  «  Un  drap  de  velours  canelle,  avec  deux  coussins  de  même  étofe,  gar- 
nis de  franges  de  soye  et  d'houpes  assortissantes  ;  led.  drap  a  été  allongé  pour 
servir  le  Carême  sur  le  grand  autel  les  jours  de  neuf  leçons.  »  (Invent,  de  la  caih. 
de  Lyon,  1724,  n"  -101.)  Ce  drap  est  classé  parmi  les  draps  de  -pied. 

^  Quenouilles  d'étoupes  offertes  à  l'autel  de  la  Vierge  par  des  personnes  pieuses, 
comme  cela  se  pratique  encore,  puis  vendues  au  profit  de  la  fabrique.  Filasse  de 
brin,  étoupe  bonne  à  filer;  fil  de  brin,  d'oia  brin  de  fil,  chanvre  déjà  filé.  On  dit 
fil  de  brin  par  opposition  à  fil  de  lin,  pour  distinguer  l'une  et  l'autre  matière. 

*  Usage  angevin  :  on  couvrait  les  deux  pupitres  du  chœur  et  de  l'autel  d'un  ta- 
pis ou  étoffe  de  la  couleur  du  jour. 

.   ^  Autre  usage  condamné  par  la  liturgie  romaine,  qui  exige  que  la  lampe  soit 
suspendue  en  avant  et  non  sur  le  côté. 

°  Auréole  en  soleil  ? 

''  Cet  usage  a  disparu,  quoiqu'il  se  soit  maintenu  jusqu'à  la  fin  du  siècle  dernier. 


DE    QUELQUES    ÉGLISES   DE   L'aNJOU  413 

a  8.  Item  ung  banc  ouquel  se  mectent  les  commères  quant  elles  vont 
à  la  messe. 

Quatrième  inventaire  (1600). 

*  1.  Item  et  à  Vaultre  cousté  dudict  authel  y  a  une  carrye  de  boys 
servant  à  porter  la  courtine  à  la  feste  de  Dieu. 

«  2.  Item  ung  poupitre  de  boys  à  mectre  la  croix  au  davant  du  sercueil 
des  trépassez. 

«  3.  Item  ung  grand  rideau  de  toille  avecq  une  pommette  de  bois  peincte 
rouge,  servant  à  mettre  à  l'auLhel  de  Nostre  Dame  les  octaves  du  Sacre. 

«  4.  Item  ung  rideau  de  linge  servant  à  mettre  au  davant  de  l'imaige  de 
Nostre  Dame  en  Garesme. 

H  5.  Item  ung  aultre  rideau  servant  à  mettre  an  davant  du  Crucifix  au 
temps  de  Caresme. 

«  6.  Item  ung  aultre  petit  rideau  de  linge  servant  à  mettre  au  davant 
du  tabernacle  audit  temps. 

a  7.  Item  ung  aultre  petit  rideau  servant  à  mettre  à  l'autel  Sainct 
Job. 

a  8.  Item  ung  drap  mortuaire  de  toille  taincte. 

«  9.  Item  ung  falot  de  fer  blanc  *.  » 

Cinquième  inventaire  (1614). 

«  1.  Item  ung  devant  d'autel  figuré. 

«  2.  Item  ung  voilîe  de  tafetas  incarnat  avecq  de  la  frange. 

«  3.  Item  une  croix  d'argent  doré,  avec  son  estuit  et  le  baston  à  la 
porter. 

«  4.  Item  ang  calice  et  platène  d'argent  doré,  avec  son  estuit  ^. 

«  5.  Item  deux  traitteaux  de  bois  avecq  le  sercueil. 

«  6.  Item  trois  lampes,  dans  l'une  desquelles  il  n'y  a  point  de  ver- 
rinne  ^. 

*  La  lanterne  était  exigée  par  respect  pour  le  Saint-Sacrement  qu'on  portait 
aux  malades  :  a  Praîcedat  sacerdotem  semper  acolythus  vel  alius  minister  defe- 
rens  laternam  cum  canJela  cerea  accensa.  »  (Rituel  d'Henri  Arnauld.) 

2  Les  papiers  de  la  fabrique  de  Lasse  mentionnent  cet  article  à  la  date  de  1599-: 
«  Item  ung  aultre  calice  d'argent  damasquiné  avec  la  plataine  et  une  custode  aussy 
d'argent  doré  au  hault  de  laquelle  est  ung  petit  crucifix.  »  —  «  Item  deux  petittes 
clochettes  que  l'on  porte  quand  on  va  en  procession.  » 

*  Verre  pour  mettre  l'huile.  —  Une  lampe  au  moins  devait  brûler  devant  le 
Saint-Sacrement  :  «  Lampades  coram  Sacramento  plures,  vel  saltem  una,  die 
noctuque  coUuceat.  »  [Rituel  d'Henri  Arnauld.) 


414  INVENTAIllES 

«  7.  Itein  ung  devant  d'authel  faict  de  satin  bleu  figuré  *. 
«  8.  Item  ung  vieil  coissin  à  mettre  souI)z  la  croix  le  vendredy  benist. 
«  9.  Uem  une  escharpe  de  tavetas  vert  à  mettre  sur  la  croix  ^. 
a  10.  Item  ung  devant  de  thoille  peinte  à  cacher  le   crucifix  en  Ca- 
resme . 

((  Une  grande  bulle  de  parchemin  escritte  en  latin.  » 

Sixième  inventaire  (1620). 

«  1.  Sur  le  grand  autel,  avons  trouvé  deux  chandeliers  de  cuivre,  un 
petit  de  boys  *,  un  livre  nommé  Missal,  le  pied  de  la  croix  estant  de  boys, 
le  devant  de  l'autel  figuré  et  deux  eschelettes. 

((  2.  Item  sur  le  tabernacle  ung  voile  de  tafetas  incarnat  avecq  de  la 
frange  *,  deux  chandeliers  de  boys. 

*  J'emprunte  les  textes  suivants  à  YInventaire  de  la  cathédrale  de  Lyon  en  1448  : 
«  Quedam  capa  rubea. . .,  forrata  de  cindali  indos.  »  (N"  6.)  —  «  Quedam  capa 
de  panno  antiquo  yndo,  modici  valoris.  »  (N»  48  )  —  «  Quedam  tunica  et  diama- 
tica  de  panno  samici  [samit)  indos,  sine  forratura,  cum  suis  aurifresiis,  que  por- 
tantur  in  cena  domini  »  iN»  84.)  —  «  Quedam  casula  indo.  w  (N*  97.)  —  «  Due 
tunice  panni  indis,  cura  quadam  diamatica  quasi  ejusdem  coloris  pro  revestitis, 
que  portantur  in  quadragesimo  et  in  adventu.  »  (N°  98.).  —  «  Très  casule  yndes, 
que  portantur  in  quadragesima  et  sunt  forrates  quasi  de  viridi,  sunt  jam  valde 
reparati,  quarum  una  est  seminata  aquillis  cum  parvis  aurifresiis  modici  valoris.  » 
(N"  i09.)  —  «  Due  stole  panni  cirecei  yndes.  »  (N"  295.)  —  «  Parements  d'autel 
pour  le  Carême  :  Un  parement  de  futaine  blanche,  avec  une  croix  de  tafetas 
bleu,  pour  servir  le  Carême,  étant  élevé  sur  un  grand  châssis  ;  de  plus  une 
grande  nappe  de  futaine,  avec  des  franges  de  fil,  le  tout  pour  le  grand  autel.  — 
Un  parement  pour  l'autel  de  S.  Spérat,  aussy  de  futaine,  avec  une  couverture  de 
même  ;  aud.  paiement  est  une  croix  de  satin  bleu,  le  tout  très  usé.  —  Un  grand 
voile  de  futaine,  avec  une  croix  de  satin  bleu,  pour  mettre  devant  le  crucifix  à  la 
tribune.  —  Un  petit  voile  aussy  de  futaine,  pour  couvrir  l'image  de  N.  D.,  avec 
une  croix  de  satin  bleu.  »  [Invent,  de  la  cath.  de  Lyon,  1724,  n"s  169,  170,  171,  172  ) 
—  Le  bleu  se  combinait  avec  le  violet  à  la  cathédrale  de  Béziers,  en  1633  :  «  Autre 
pavilhon  de  taffetas  violet,  frangé  de  bleu  et  violet,  doublé  de  boucassin,  servant 
audit  tabernacle,  » 

^  «  Quatuor  pecie  tele  viridis  bene  antique  et  modici  valoris  ad  parandum  pres- 
bytorem  (presbyterium)  tempore  quadragesimali,  quos  habet  marticularius.  » 
{Invent,  de  la  cath.  de  Lyon,  1448,  n"  232.) 

^  Pour  le  cierge  de  l'élévation. 

*  Le  tabernacle  avait  autrefois  son  conopée  ou  pavillon,  aussi  bien  que  le  ciboire  : 
(s  Quse  (pixis)  sit...  recondita  sub  clave  in  sacrario  tabernaculove,  conopeis  et 
quam  decentissime  pro  facultate  loci  poterit,  ornato  atque  ab  omni  alia  re  vacuo.  » 
{Ritud  d'Henri  Arnauhl,  1676.) 


DE   QUELQUES    ÉGLISES   DE    L'aNJOU  445 

«  3.  Une  custode  avecq  le  solleil. 

u  4.  Quatre  livres  servant  à  chanter  en  l'église,  deux  desquels  sont  pour 
dire  matines,  ung  pour  dire  la  grand'messe  et  l'aultre  nommé  Brevière, 

((  5.  Deux  esses,  sur  une  desquelles  il  y  a  des  livres  de  la  dicte  église 
servant  à  la  boueste  des  tiespassez, 

«  6.  Deux  vieilles  torches  de  bois  qui  sont  presque  brullées  ^ 

«  7.  Item  sur  l'image  Nostre  Dame  voile  de  Cambré,  et  ung  aultre  petit 
de  raiseul  ^,  et  ung  davant  de  tafetas  garny  d'or. 

(«  8.  Une  lanterne  ^  de  corne. 

((  9.  Item  une  chasuble,  deux  estoUes,  deux  fanons,  un  voile,  ung  car- 
reau, le  tout  de  damars  enrichy  de  gallon  de  soye  rouge  cramoisy  et  de 
croix  de  satin  rouge  cramoisy. 

((  10.  Item  une  chappe  neufve  de  damars  violet  cramoisy  avecq  son  chap- 
peron  de  pareure  de  daraar?  rouge  cramoysy,  bordée  autour  de  gallon  de 
soye  rouge  crnmoysye. 

Septième  inventaire  (1661). 

«  1.  Une  chappe  blanche  de  damars  presque  neufve.  estoffée  de  passe- 
ment rouge  figuré  et  une  figure  de  Nostre  Dame  et  deux  anges,  doublée 
de  bougrain  rouge. 

«  2.  Item  une  aultre  chappe  de  damars  rouge  presque  neufve,  ayant 
une  figure  de  l'image  de  sainct  Pierre,  estoff'ée  de  passement  rouge  et 
blanc  et  doublée  de  bougrain  rouge. 

«  3.  Item  une  aultre  vieille  chasuble  de  camelot  blancq,  ayant  une  forme 
de  croix  de  damars  rouge,  avecq  une  figure  d'une  Nostre  Dame  et  de 
saint  Pierre. 

<r  4.  Plus  deux  domoires  de  camelot  noir,  estoffée  de  passement  blanc 
figuré. 

«  5.  Item  un  vieil  devanteau  de  taffetas  rouge  de  l'image  Nostre  Dame. 

*  J'ai  déposé  au  Musée  diocésain,  provenant  de  la  cathédrale,  une  de  ces  torches 
de  cire  jaune  qu'on  portait  aux  processions.  L'âme  est  en  bois  recouvert  d'une 
mince  couche  de  cire  qui,  en  brûlant,  noircissait  et  aussi  quelquefois  consumait  le 
bois,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  dans  un  tableau  du  XV"  siècle  reproduit  par  tes 
Annales  archéologiques,  t.  XXVII,  p.  239.  La  cire  était  cannelée  en  spirale  ou 
verticalement,  comme  si  léellement  plusieurs  cierges  avaient  été  joints  ensemble 
pour  fournir  une  flamme  plus  brillante. 

^  Raiseul  ou  rase.  «  Base  ou  ras  était  une  étoffe  croisée  unie,  dont  le  poil  ne 
paraissait  pas,  faite  de  laine  ou  de  soie.  On  recherchait  le  rus  de  Saint-Lô^  de 
Saint-Maur,  de  Saint-Cyr,  de  Gênes.  »  {Bull,  arch.,  t.  IV,  p.  223.) 

*  Ajouter  garnie. 


416  INVENTAIRES 

«  6.  Sur  les  autels  S.  René,  Ste  Anne,  une  nappe  vieille. 

«  7.  Vne  grande  croix  d'argent,  dorée  en  quelques  endroictz,  avecq 
l'estuict  de  cuir  bouilly  et  une  chemisette  de  thoille  blanche  garnye  de 
frange  pour  couvrir  lad.  croix  en  temps  de  caresrae. 

«  8.  Deux  calices  d'argent  et  deux  plataines  dorées,  Tune  grande  et 
l'autre  petite,  avecq  leurs  estuictz  de  cuir  bouilly  et  leurs  pochettes  de 
thoille. 

«  9.  Item  vn  autre  calice  et  sa  plataine  d'estain  *. 

«  10.  Item  vn  grand  chappier  de  bois  de  chesnc,  fermante  clef. 

a  11.  Ittm  vne  vieille  escharpe  de  taiïetas  vert. 

a  12.  Item  vn  vieil  voille  de  damas  blanc,  avecq  le  quaré  de  calice  aussy 
blanc. 

«  13.  Item  vn  autre  voille  de  damas  viollet,  avecq  le  carré,  le  tout  es- 
toffé  de  passement  de  faux  argent. 

((  14.  Item  vn  autre  voille  de  deux  carez  de  damas  rouge. 

«  15.  Item  vn  aultre  voille  et  un  caré  noir  *. 

«  16.  Item  quatre  ridaux  du  poisle  estant  de  damars  rouge  ^,  estoffez 
de  frange  de  soie  el  passement  aussy  de  soie  figuré  avecq  le  fonds  de 
thoille  taincte  en  rouge. 

«  17.  Item  deux  petis  ridaux  de  camelot  blanc,  de  peu  de  valleur,  de 
l'autel  de  Notre  Dame. 

a  18.  Vne  grande  nappe  de  thoillo  de  brin  commun  my  usée,  servant 
pour  la  communion  de  Pasqucs. 

«  19.  Item  vn  voille  de  thoille  de  lin  servant  pour  le  grand  autel  en 
temps  de  Garesme. 

a  20.  Item  deux  eschcllettes  de  métal  et  vne  petite  sonnette  *. 

«  21.  Item  vn  vieil  tapis  de  la  chese  '. 

^  Le  Bulletin  de  la  Société  archéologique  du  Limousin  (1859,  p.  43)  signale 
un  calice  d'étain  parmi  les  dons  faits  en  1586  à  la  paroisse  de  Lésignac  par  le 
seigneur  du  lieu. 

^  Notons  ces  carrés  ou  pales  garnies  en-dessus  selon  la  couleur  du  jour.  Il  est 
curieux  de  les  constater  dès  le  XVlIe  siècle. 

3  Le  rouge  était  alors  la  couleur  du  Sainl-Sacrement. 

'*  La  sonnette  devait  servir  à  l'autel. 

'"  Chaire  à  prêcher.  —  Les  Ursulines  d'Angers  possèdent  un  pnrement  de  chaire 
brodé  au  petit  point,  qui  représente  la  prédication  de  S.  Jean  dans  le  désert  et 
l'ange  Gabriel  annonçant  à  Marie  la  bonne  nouvelle  :  il  date  de  1704.  A  la  cathé- 
drale de  Poitiers,  on  a  conservé  l'habitude  de  tendre  la  chaire  de  damas  rouge, 
même  à  l'abat-voix,  ce  qui  est  très  anormal.  A  Marseille,  il  n'est  resté  du  pare- 
ment de  la  chaire  qu'un  carré  d'étoffe,  assez  semblable  à  un  voUe  de  calice,  mar- 


DE   QUELQUES   ÉGUSBS  DE   l'aNJOU  .MJ 

«  22.  Item  vne  nappe  qui  est  sur  le  pepitre  et  une  aullre  petite  nappe 
salle  qiiy  sert  aussy  aud.  pepitre.  » 

((  Chapelle  S.  Leobin,  1661. 

«  23.  Item  vn  devant  d'autel  et  deux  rideaux,  le  tout  de  damars  blanc 
et  estoffé  de  passement  blanc  et  rouge. 

Huitième  inventaire  (1676), 

«  1.  Six  carrez  de  diverses  couleurs. 

«  2.  Quatre  rideaux  de  taffetas,  deux  rouges  et  deux  blancqs. 

«  3.  Vn  couvre  chef,  un  grand  devantau  et  un  petit  de  toille  de  faux 
argent,  servant  à  orner  l'image  de  Nostre  Dame  les  jours  des  festes  solen- 
nelles. 

«  4.  Quatre  chopineaux  d'estain. 

«  3.  Item  une  boeste  d'art  '  dans  laquelle  s'est  trouvé  un  tabernacle  de 
toille  de  faux  argent  servant  à  reposer  le  Très-Saint^Sacrement. 

a  6.  Yn  vieil  tapiz  de  toille  imprimée  servant  à  la  cheze. 

«  7.  Vne  escuelle  d'estain  et  troys  boestes  servant  aux  questes. 

«  8.  Vn  rideau  de  toille  dans  lequel  est  painct  la  Passion,  servant  à 
mettre  au  devant  du  crucifix  en  temps  de  caresme. 

«  9.  Deux  souches  de  cierges,  l'une  de  cire  blanche  et  l'autre  jaune. 

«  10.  Vn  panier  d'ozières,  servant  à  distribuer  le  pain  benist. 

«  11.  Item  vn  tapis  de  bergamme  servant  au  pipitre. 

a  12.  Vn  grand  rideau  de  toille,  servant  à  couvrir  les  figures  du  grand 
authel  en  temps  de  caresme. 

((  13.  Deux  nappes  servant  au  pipitre. 

«  14.  Item  troys  coissins,  vn  missel,  vne  carte.  » 

Neuvième  inventaire  (1738). 

«  1.  Plus  une  chazuble  et  une  chappe  noires  de  damas  fleuré  et  dont 
les  orfroys  sont  de  moyre  jaune  *,  garnyes  d'une  dantelle  fausse. 
«  2.  Plus  un  autre  devant  d'autel  de  cuir  doré  ''.  h 

que  d'une  croix  au  milieu  et  frangé  à  la  partie  inférieure  :  le  vendredi-saint,  on  lui 
substitue  le  drap  mortuaire,  sans  doute  pour  économiser  l'achat  d'une  draperie 
noire. 

'  Art,  héard,  nom  vulgaire  du  saule  en  Anjou.  En  Poitou,  on  appelle  iart  le 
peuplier  blanc  ou  tremble.  Dans  les  inventaires,  ce  mot  signifie  toute  espèce  de 
bois  blanc. 

^  Le  rite  romain  n'admet  que  le  jaune  ou  l'or  avec  le  noir. 

^  J'ai  décrit  un  devant  d'autel  de  cette  sorte,  provenant  de  la  Savoie,  dans  mes 
Notes  archéologiques  sur  Mouliers  el  la  Tarentaise. 

Mo  série,  tome  XI  27 


418  INVENTAIRES 

Dixième  inventaire  (1783). 

((  Dons  de  M.  Rouillé,  Sgr  de  la  paroisse  : 

((  {.  Une  chasuble  de  damas  rouge  cramoisy,  garny  d'un  point  d'Es- 
pagne fin  '. 

((  2.  Une  chazuble  et  une  chape  de  Catalan,  qui  est  une  espèce  de 
damas  fleuré  fonds  blanc. 

«  3.  Plus  deux  aubes  et  une  nappe  d'autel  garnies  de  tauffaite  *. 

«  4.  Et  six  tours  d'estolle  en  toile.  » 

LA  MEIGNANNE  (1609). 

Il  y  a  peu  de  chose  à  dire  sur  cet  inventaire,  qui  n'enregistre  que  des 
cadeaux  et  dont  je  ne  donne  ici  que  des  extraits. 

On  est  étonné  de  voir  l'oblitciation  du  sens  liturgique  poussée  au  point 
de  réserver  aux  principales  solennités  un  ornement  de  damas  violet,  qui 
n'aurait  dû  être  affecté  qu'au  tomps  de  l'Avent  et  du  Gar^ime.  La  Vierge 
continue  à  être  habillée,  mais  aussi,  à  certains  moments,  on  la  couvre 
d'un  rideau.  Il  y  a  un  dais,  non  seulement  au  grand  autel,  mais  aussi  à 
l'autel  de  Notre-Dame,  ce  qui  prouve  qu'on  y  disait  la  messe,  car  cet 
insigne,  prescrit  par  le  Cérémonial  des  évêques  et  la  congrégation  des 
Rites,  indique  le  respect  qu'inspire  le  saint-sacrifîce. 

Le  mot  sacre^  appliqué  à  la  Fête-Dieu,  est  synonyme  de  consécration^ 
qui  lui-même  trouve  son  origine  dans  les  anciennes  rubriques,  où  cette 
solennité  est  nommée  Consecratio  corporis  Christi  *. 

Quand  une  fois  un  usage  a  pris  pied,  il  se  maintient  même  en  dehors 
des  prescriptions  liturgiques.  J'ai  encore  vu,  avant  l'adoption  du  rite 
Romain,  un  tapis  sur  le  lutrin  dans  presque  toutes  les  éghses. 

L'original  de  cet  inventaire  appartient  à  la  mairie  de  la  Meignanne,  oii 
je  l'ai  copié. 

*  1.  Pour  daraoyzelle  Louyse  des  Nos,  vivante  dame  de  la  Grange,  qui 
donna  en  son  vivant  la  chapelle  de  damars  viollet,  laquelle  sert  aux  prin- 
cipalles  festes  solennelles  de  l'église  de  céans... 

*  Selon  l'usage  français,  le  tour  du  col  de  la  chasuble  était  garni  d'une  dentelle 
pour  éviter  la  salissure  des  cheveux. 

*  Rectifiez  lot  faite,  dentelle  faite  promptement  et  par  conséquent  sans  grande 
façon. 

3  Un  titre  sur  parchemin  de  l'an  1373,  qui  appartenait  à  feu  le  chanoine  Jou- 
bert,  porte  :  «  Jour  de  la  feste  de  la  consecracion  du  corps  de  nostre  segneur 
Ihesucrist  ». 


DE   QUELQUES   ÉGLISES   DE   l'aN.IOU  4J9 

a  2.  Pour  les  deffunctz  sieurs  et  dame  de  la  Goteleray  \  lesquels  eulx 
vivants  ont  donné  la  grand  carye  et  courtine  qui  est  sur  le  grand 
autel. 

a  3.  Pour  deffunct  vénérable  et  discrait  M«.  Michel  de  Paige,  vivant  curé 
de  séans,  lequel  donna  une  chasuble  de  vert  changant.  » 

«  4.  Dons  de.... 

«  Vne  nappe  d'autel. 

«  5.  Ung  petit  surpelitz  *. 

«  'J.  Rideau  qui  est  au  davant  de  l'autel  de  Nostre-Dame. 

a  7.  Une  nappe  pour  servir  au  grand  autel. 

«  8.  La  courlinne  qui  est  sur  l'autel  de  Nostre-Dame. 

a  9.  Pour  deffunctz  honnorables  personnes  Jehan  Pichon  et  Renée 
Giroys,  vivant  sieurs  et  dame  de  la  Ragonnière  ^,  lesquels  ont  donné  la 
bannière  et  pareillement  la  carrye  et  courtinue  qui  sert  à  la  faste  de  la 
consécration,  ensemble  ung  abict  à  l'image  de  Nostre-Dame. 

a  10.  Des  serviettes  et  des  amictz  pour  le  service  de  l'église. 

«  H.  La  chapelle  des  trespassez  avec  le  drapt  mortuaire  et  une  chappe 
de  damas  rouge. 

«  12.  Ung  tapictz  de  drap  vert  à  mettre  sur  le  pipitre  et  deux  croix,  l'une 
d'argent  doré  et  l'autre  pour  servir  aux  trespassez, 

«  13.  Un  calice  d'argent  doré  pour  servir  aux  trespassez. 

ft  14.  Une  nappe  pour  servir  à  l'autel  de  Notre-Dame.  » 

GENETAY  (1617). 

L'inventaire  de  la  chapelle  de  Ste-Barbe,  à  Genetay,  fait  partie  du 
dossier  des  Ursulines  d'Angers,  aux  archives  de  la  préfecture,  parce 
qu'elle  relevait  directement  de  cette  communauté.  Sa  date  est  de  l'an  1(317. 
Les  articles  ne  sont  pas  séparés  et  se  suivent  tou^. 

Le  Missel  Romain  indique  suffisamment  qu'on  y  suivait  ce  rite. 

Le  calice,  comme  nous  l'avons  déjà  vu,  est  enveloppé  d'abord  dans  une 
bourse  de  toile,  puis  dans  un  étui  de  cuir  bouilli.  Les  quatre  chandeliers 
en  bois  sont  peints  de  couleurs  différentes,  deux  en  rouge  et  deux  en 
blanc.  Les  bouquets  d'hiver,  que  l'on  met  dans  des  vases  de  faïence,  sont 
ainsi  nommés  parce  qu'ils  ne  s'employaient  que  l'hiver;  au  beau  temps, 
on  les  remplaçait  par  des  fleurs  naturelles. 

*  La  Goteleraye,  terre  seigneuriale  située  sur  la  commune  de  la  Meignanne. 
^  Pour  enfant  de  chœur,  puisqu'il  est  2:ietU. 

*  La  Ragonnière,  autre  terre  également  sur  cette  commune. 


420  INVENTAIRES 

Des  deux  boites  à  hosties,  l'une  est  en  fer-blanc  et  l'auire  en  carton 
recouvert  de  brocart,  comme  avaient  accoutumé  d'en  faire  la  plupart 
des  communautés  religieuses. 

Je  crois  que  par  coins  d'autel  il  faut  entendre  les  allonges  que  l'on 
mettait  aux  nappes  pour  les  faire  retomber  de  chaque  côté  jusqu'au  sol. 
Voici  la  rubrique  du  missel  Romain  :  k  Hoc  altare  operiattir  tribus  mappis, 
seu  tobaleis  mundis,  ab  episcopo,  vel  alio  habente  potestatem,  benedictis, 
superiori  saltem  oblonga,  quse  usque  ad  terram  pertingat,  duabus  aliis 
brevioribus,  vel  una  duplicata.  » 

Les  mêmes  rubriques  exigent  un  carton  au  pied  de  la  croix  ;  «  Ad 
crucis  pedem  ponatur  tabella  secretarum  appellata.  »  Ici  nous  avons  en 
plus  un  carton  pour  l'évangile  selon  S.  Jean,  afin  que  le  prêtre  ne  soit 
pas  obligé  de  le  réciter  pai'  cœur  ou  de  faire  transporter  de  ce  côté  le 
missel.  Plus  tard,  un  troisième  carton  s'ajoutera  pour  le  Lavabo,  du  côté 
de  l'épitre.  A  Milan,  il  n'y  a  encore  que  deux  cartons. 

Le  rite  Romain  veut  un  parement  d'autel,  quelle  qu'en  soit  la  couleur,  que 
l'on  n'est  pas  tenu  d'assortir  à  l'ornement,  si  on  ne  le  peut  pas  :  «  Pallio 
quoque  ornetur  coloris,  quoad  fieri  potest,  diei  festo,  vel  offîcio  conve- 
nientis.  »  A  Genetay,  il  y  en  avait  trois  :  un  blanc  en  damas,  avec  des 
bandes  de  laine  qui  formaient  orfroi  (c'«^tait  celui  des  fêtes);  les  autres, 
pour  les  jours  ordinaires,  étaient  en  toile  imprimée  ou  en  filet  imitant  la 
dentelle. 

On  trouve  souvent  dans  les  sacristies  de  ces  filets  qui  formaient  indis- 
tinctement des  devants  d'autels  ou  des  couvertures  de  tableaux.  J'en  ai 
enrichi  le  musée  diocésain  d'Angers  et  le  musée  de  Gluny  de  quelques 
spécimens. 

Le  bénitier  est  en  faïence,  ainsi  que  le  plateau  des  burettes,  lesquelles 
sont  en  étain. 

Les  Ursulines  n'avaient  que  trois  chasubles,  une  rouge  et  une  noire  ;  la 
troisième,  étant  de  toutes  couleurs,  servait  indistinctement  pour  le  blanc, 
le  vert  et  le  violet. 

Enfin  on  peut  noter  l'usage  de  coudre  des  dentelles  aux  deux  extré- 
mités des  purificatoires  pour  les  orner,  comme  le  pratique  la  Hturgie 
romaine  \ 


'  J'ajouterai  ici,  parce  qu'ils  ne  sont  pas  assez  importants  pour  en  faire  un  ar- 
ticle à  part,  ces  extraits  des  Inventaires  de  l'église  de  Lasse  :  1631.  «  Vne  cour- 
tine du  grand  autel...  Vne  croix  d'argent  avecrestuict  de  cuir.  »  —  16...  «  Item 
deux  eschelettes  p'  servir  es  processions.  »  —  16'i3.  o  Item  vn  pavillon  estant  au 
tabernacle.  » 


DE    QUELQUES    ÉGLISES   DE   L'ANJOU  421 

«  1.  Dans  la  chapelle  duditlieu  (Genetay)  un  calice  avec  sa  patène,  le 
tout  dans  une  bourse  de  toile  et  un  étuy  de  cuir  bouilly. 

«  2.  Item  pour  garniture  et  ornement  de  l'autel,  six  petits  tableaux, 
neuf  vases  de  feillance  ',  six  bouquets  d'y  ver,  et  quatre  chandeliers,  deux 
rouges  et  deux  b'ancs,  le  tout  de  bois. 

«  3.  Deux  boistes  à  mettre  du  pain  de  communion,  une  de  fer  blanc,  et 
l'autre  de  carte  couverte  de  brocard. 

«  4.  Un  Missel  romain. 

«  5.  Deux  nappes  de  dessus  l'autel  et  une  de  dessous,  avec  leurs  coins 
d'autels. 

«  6.  Un  tapis  de  Belgame  ^. 

«  7.  Un  parement  d'autel  de  damas  blanc,  avec  des  bandes  de  leine, 
et  un  autre  parement  de  fil  en  manière  de  dantelle. 

«  8.  Deux  coussins'. 

«  9.  Un  gradin  à  deux  marches  de  bois  de  noyer. 

a  10.  Un  canon  avec  un  In  principio  *. 

«  11.  Deux  burettes  d'étain  avec  un  bassin  de  feillance. 

((  12.  Deux  lavabo  de  toile  bien  usée. 

«  13.  Neuf  purificatoires,  dont  il  y  en  a  trois  à  dentelle. 

«  14.  Trois  corporaux. 

a  15.  Deux  pâlies  de  calice. 

«  16.  Deux  méchantes  aubes. 

«  17.  Trois  cinctures. 

«  18.  Deux  méchans  amicts, 

«  19.  Trois  chasubles  garnies  d'étoles  et  de  manipules,  une  noire, 
l'autre  rouge  et  la  troisième  de  toutes  couleurs,  toutes  trois  de  soye  avec 
leurs  voiles  de  leur  couleur. 

*  J'ai  fréquemment  rencontré  dans  les  sacristies,  pour  les  bouquets  de  fleurs 
artificielles,  des  vases  de  bois,  sculpté  et  doré. 

*  V.  le  8«  inventaire  de  Saint-Pierre-du-Lac,  n"  li.  —  «  Un  grand  marche  pied 
de  Bergame  »,  dit  l'inventaire  de  Pierre  de  Bertier,  évêque  de  Montauban,  mort 
en  1674;  sur  quoi  le  chanoine  Pottier  ajoute  cette  note  :  «  Bergame,  sorte  de  ta- 
pisserie commune  et  de  peu  de  valeur,  nommée  ainsi  à  cause  de  la  ville  de  Ber- 
game, d'oîx  sont  venus  les  premiers  produits  de  ce  genre.  »  [Bullet.  arch.,  t.  IV, 
p.  223.) 

*  Évidemment  pour  le  missel,  puisque  les  Ursulines  suivaient  le  rite  romain. 

*  Le  Pontifical  romain,  à  l'ordination  du  sous-diacre,  prescrit  deux  cartons  sur 
l'autel  :  «  Crux  in  medio  altaris,  ad  cujus  pedera  Tabella  Secretarum.  Tabella 
Evangelii  In  principio,  in  cornu  Evangelii.  » 


422  INVENTAIRES 

«  20.  Deux  garnitures  de  parement  d'autel  de  toile  imprimée  *. 
8  21.  Dix-huit  garnitures  d'étoles. 

a  22.  Deux  bourses  ou  corporaliers.  Le  tout  enfermé  dans  un  bahut 
fermant  à  clef. 

«  23.  Un  bassin  de  feillance  servant  de  bénitier.  » 

LUIGNÉ. 

1.  L'église  de  Luigné,  sans  être  précisément  riche,  ne  manquait  pas 
du  nécessaire.  Ainsi,  en  fait  d'ornements,  elle  avait  sept  chasubles,  avec 
leurs  étales  et  manipules  correspondants,  deux  chapes,  une  dalmatique, 
deux  échappes  et  quatre  voiles  de  calice.  Il  n'y  a  pas  de  bourse  pour  le 
corporal. 

Les  couleurs  sont  :  le  blanc,  le  blanc  et  vert,  le  rouge,  le  vert  et  rouge  et 
le  noir.  Les  couleurs  mélangées  donnent  à  penser  que  le  même  ornement 
servait  à  la  fois  pour  deux  fêtes  qui  exigeaient  chacune  une  couleur  diffé- 
rente. C'est  ainsi  que  j'ai  encore  vu  en  Anjou  des  ornements  rai-parti 
blanc  et  vert  affectés  aux  fêtes  de  Notre-Seigneur  et  de  la  Vierge,  tout 
aussi  bien  qu'aux  dimanches  après  la  Pentecôte. 

Les  étoffes  employées  sont  :  le  taffetas,  la  toile,  la  toile  d'argent,  le  ve- 
lours,  le  camelot  et  le  satin.  Quelquefois  on  y  remarque  des  broderies. 
Toutes  les  doublures  sont  en  toile. 

Il  y  a  deux  sortes  de  galons,  d'argent  et  à'oripeau. 

La  lingerie  laisse  à  désirer  sous  le,  rapport  de  la  quantité.  A  la  rigueur, 
quatre  aubes  et  deux  surplis  étfùent  suffisants,  mais  un  seul  corporal  et  un 
seul  purificatoire,  c'est  trop  peu.  En  revanche,  voici  tieize  serviettes  pour 
essuyer  les  mains  du  célébrant  avant  la  messe,  à  la  sacristie,  mais  pas  de 
manuterge  pour  le  lavabo. 

L'inventaire  mentionne  encore  une  bannière  pour  les  processions,  trois 
parements  d'autel,  dont  un  en  maroquin  et  quatre  dais  pour  le  grand  autel, 
lecrucihx  de  la  station  à  l'entrée  de  la  nef,  la  procession  du  saint  Sacre- 
ment et  la  communion  au  temps  pascal. 

Les  vases  sacrés  ne  font  pas  défaut  :  un  calice,  quatre  ciboires  et  un 
ostensoir. 

Les  ustensiles  comprennent  :  une  c7'oix  processionnelle,  deux  burettes 
d'étain,  un  bénitier,  un  encensoir,  sans  doute  avec   sa   navette,  puisqu'on 

'  Au  siècle  dernier,  Angers  possédait  une  fabrique  d'indiennes  ou  étoffes  peintes, 
située  où  est  actuellement  le  Bon  Pasteur.  Les  planches  gravées  qui  servaient  à 
l'impression  sont  conservées  au  musée  de  la  ville. 


DE   QUELQUES    ÉGLISES   DE   l'ANJOU  423 

parle  de  cuiller,  et  enfia  deux  clochettes  pour  sonner  en  tête  des  proces- 
sions. Je  m'étonne  de  ne  pas  trouver  ici  ni  la  croix  de  l'autel,  ni  les  chan- 
deliers qui  l'accompagnent. 

Les  livres  liturgiques  sont  au  complet  :  un  graduel,  deux  antiphonai- 
res,  deux  missels,  un  processionnal  et  un  rituel  pour  l'administration  des 
sacrements. 

2.  Ce  premier  inventaire  date  de  1656  ;  il  en  est  un  second  au  millé- 
sime de  1663. 

Les  vases  sacrés  comportent  trois  ciboires,  un  ostensoir  et  une  cuillère. 
Il  n'est  pas  question  de  calice.  Les  ustensiles  sont  :  six  chandeliers,  une 
croix,  une  lampe,  des  échelettes,  un  bénitier  avec  son  aspersoir  et  une 
lanterne  pour  le  saint  Viatique. 

L'église  avait  trois  autels  :  l'autel  majeur,  celui  de  la  Vierge  et  celui 
de  Saint-Nicolas.  Elle  est  plus  riche  en  chasubles  qu'en  chapes,  et  il  n'y  a 
qu'une  seule  dalmalique  ou  domoire. 

Les  parements  sont  en  nombre  égal  à  celui  des  autels. 

Ailleurs,  nous  avons  vu  une  huche  dont  la  capacité  était  indiquée  rela- 
tivement à  la  quantité  de  blé  qu'elle  pouvait  contenir.  L'inventaire  de 
Luigné  parle  d'un  sac  dans  lequel  étaient  renfermés  les  titres  de  cette 
rente. 

Premier  inventaire  (1656). 

«  -f-  Jnvantaire  des  ornements  et  meubles  de  l'esglize  et  fabrique  de  la  paroisse 
de  Luigné,  f'aict  par  moy  Simon  Moron,  notaire  de  la  cour  de  la  chastelenie 
et  commanderie  de  Saulgé  l'hospital  ^,  à  la  requeste  de  Michel  Cherbon- 
nier^  cy  devant  procureur  de  fabrique  dud.  lieu,  lesquelz  ornemans  et  meu- 
bles lui  auraient  esté  mins  et  déliurez  entre  les  mains  par  deffunct  Pierre 
le  Coincte,  vivant  aassy  leur  procureur  de  ladicte  paroisse.  Auqwtl  inven- 
taire a  esté  vacqué  comme  s'en  suict. 

«  Du  dimanche  trentiesme  jour  de  janvier  mil  six  cens  cinquante  six. 
((  Et  premier. 

«  1.  Douze  serviette  de  toyelle  déliée  ^,  parties  presque  que  neufve. 
«  2.  Item  une  chassuble  de  tavettas  ^  blancqet  vert,  doublée  de  toyelle 

rouge. 

«  3.  item  une  estolle  et  un  fanon  aussi  de  tavettas  blancq,  doublé  de 

pareille  toyelle. 

'  Commanderie  de  l'ordre  de  Malte. 

2  Toile  fine. 

^  Taffetas.  L'orthographe  de  cet  inventaire  est  partout  détestable. 


424  INVENTAIRES 

«  4.  Item  une  autre  chassuble  de  toyelle  d'argent,  azurée  *  d'or  avecq 
l'estolle  et  fanon  de  pareille  toyelle. 

«  5.  Item  une  autre  chassuble,  avecq  son  estolle  et  fanon,  à  flure^blancq, 
rouge  et  verl,  estoffez  de  gallon  d'oripeau  ^. 

«  6.  Item  une  autre  chassuble,  avecq  l'estolle  et  fanon  de  camelot 
rouge. 

«  7.  Item  une  vielle  chassuble,  avecq  l'estolle  et  fanon,  le  tout  de  came- 
lot rouge. 

«  8.  Item  une  chassuble,  estolle  et  fanon  de  camelot  noyer  *,  la  croix... 
de  sattin  blancq  ^  en  broderie. 

a  9.  Item  une  vielle  chassuble,  estolle  et  fanon,  de  toyelle  rouge  à 
fleure. 

«  10.  Item  un  daumoire  ^  de  sattin  vert  et  de  camelot  rouge. 

((11.  Item  une  chappe  de  sattin  blancq  et  vert,  avecq  du  gallon  d'ar- 
gent. 

«  12.  Item  une  autre  chappe  de  satin  vert  et  camelot  rouge,  parties  en 
broderie. 

«  13.  Item  une  basnière  ',  avecq  sa  figure  ^  de  toyelle  d'argent,  azurée 
d'or. 

((  14.  Item  une  escharpe  ®  de  tavvettas  blancq. 

a  15.  Item  une  autre  escharpe  de  tavvettas  rouge. 

a  16.  Item  un  devant  d'hostel  •"  de  maroquin  dorée  en  broderie. 

((  17.  Item  un  voyel  *'  de  tavvettas  blancq. 

«  18.  Item  un  autre  voyel  de  toyelle  déliée. 

^  Singulière  expression  pour  dire  brochée. 

^  Fleurs. 

^  Or  faux,  clinquant. 

*  Noir. 

^  C'est  encore  l'usage  en  Anjou,  malgré  le  rite  romain,  de  donner  des  orfrois 
blancs  aux  ornements  noirs. 
^  L'orthographe  de  ce  mot  a  varié  aux  XVIe  et  XVII°  siècles. 
■^  Bannière. 

*  Le  saint  patron  qui  y  est  représenté. 

*  Écharpe  qui  sert  au  sous-diacre  à  la  messe  et  à  l'officiant  à  la  bénédiction. 

'"  Devant  d'autel,  parement,  en  cuir  gaufré,  de  manière  à  imiter  de  la  broderie, 
et  doré.  J'ai  donné  l'hospitalité  à  un  parement  de  ce  genre  au  Musée  diocésain. 
Il  date  du  XVIIe  siècle  et  vient  de  l'église  de  Longue.  (Voir  le  D»  inventaire  de 
Saint-Pi  erre- du -Lac,  n°  2.) 

"  Voile. 


DE   QUELQUES    ÉGLISES   DE    l'ANJOU  425 

«  19.  Item  un  devanteau  *  de  velouxbleu  avecq  du  gallon  d'argent. 

«  20.  Item  un  autre  devanteau  de  toylle  déliée. 

«  21.  Item  un  devant  d'hostel  brodé  à  fleure  blancq  et  vert  avec  sa 
frange*. 

«  22.  Item  ung  autre  devant  d'hostel  à  fleurs  en  broderie  blancq,  rouge 
et  vert. 

a  23.  Item  deux  sielz  '  de  toyelle  avecq  leurs  frange,  estant  l'un  sur  le 
grand  hostel  et  l'autre  sur  le  crucifilx  *. 

«  24.  Item  un  viel  darp  mortuel  de  toyelle  noire. 

«  25.  Item  un  calice  d'argent  et  doré  par  le  dedans. 

«  26.  Item  un  siboire  d'argent  doré  par  le  dedans  ^. 

«  27.  Item  un  autre  petit  siboire  aussy  d'argent. 

a  28.  Item  une  custode  d'argent  doré  avecq  ses  vittre  ®  à  porterie  S.  Sa- 
crement. 

«  29.  Item  un  autre  siboire  de  cuivre  doré. 

«  30.  Item  une  croix  de  cuivre  ''. 

«  31.  Item  deux  eschette  de  mestal. 

«  32.  Item  deux  surply  de  thoyelle  déliée. 

«  33.  Item  deux  choppineaulx  *  d'estain. 

«  34.  Item  vingtsept  nappes  de  thoyelle,  cinq  desquelz  sont  de  peu  de 
valleur. 

«  35.  Item  une  courtine  '  du  sainct  Sacrement  de  satin  vert,  avecq  sa 
frange  de  gallon  d'argent. 

o  36.  Item  un  bissac  '"  et  les  deux  pochettes  de  la  croix  et  banière. 

'  Terme  populaire  pour  exprimer  le  vêtement  dont  on  habillait  la  statue  de 
la  Vierge. 

2  La  frange  bordait  le  fi  oyital  ou  orfroi  supérieur,  qui  se  développait  horizon- 
talement au  haut  du  parement. 

'  Ciel  ou  dais  carré,  comme  un  ciel-de-lit. 

*  Il  s'agit  ici  du  Christ  de  l'arc  triomphal  ou  du  tref,  dont  il  exist^^  un  curieux 
spécimen  à  Saint-Pierre  de  Chemillé  (Maine-et-Loire). 

*  Calices  et  ciboires,  quelle  qu'en  soit  la  matière,  doivent  toujours  être  dorés 
à  l'intérieur  de  la  coupe,  par  respect  pour  le  corps  et  le  sang  de  Notre-Seigneur. 

^  Cristal  pour  protéger  l'hostie  renfermée  dans  l'ostensoir. 
'  Probablement  pour  la  procession,  puisqu'elle  est  immédiatement  suivie  des 
éche!eites. 

*  Burettes,  diminutif  de  choppe  et  chopine  :  expression  angevine. 

*  Pentes  du  dais  servant  à  la  procession  du  Saint-Sacrement 

"  Pour  les  quêtes  en  nature  que  faisait  le  sacristain  ou  le  procureur  de  fabrique. 


-Î26  INVENTAIRES 

«  37.  Item  un  urceau  '  de  cuivre. 

((  38.  Item  un  encensouer  avecq  sa  cuillère,  le  tout  de  cuivre. 

«  39.  Item  un  grand  sie!  avec  sa  frange  qui  traverse  ladicte  église  lors 
de  lafeste  de  Pasques  ^. 

«  40.  Item  un  viel  coffre  de  bois  de  chesne  avecq  sa  serrure  et  clef,  te- 
nant comme  à  l'estimation  de  douze  bouesseaux  de  bled. 

4  41.  Item  un  petit  siboire  d'estain  ^ 

«  42.  Item  quatre  aulbe  de  toyelle  de  brin  en  brin,  mi  usez. 

«  43.  Item  deux  livres  de  chant,  sçavoir  un  graduel  et  un  antien  *  cou- 
vertz  de  cuir. 

«  44.  Item  ung  aultre  livre  d'antienne  pour  les  dimanches  de  l'année, 
aussy  couvert  de  cuir. 

«  45.  Item  deux  aultres  livres,  l'an  processional,  et  l'autre  ritueP,  aussy 
couvertz  de  cuir. 

a  46.  Item  deux  messelz,  l'un  couvert  de  cuir  et  l'autre  de  carte  *. 

«  47.  Item  un  corporeau  ''  et  un  pai  ificatoire  de  toyelle  blanche. 

«  48.  Item  trois  voyelles  *,  sçavoir  un  de  damars  et  l'autre  jaune  incar- 
din  ^  rouge. 

«  49.  Item  ung  autre  voyelle  de  sattin  de  toyllc  d'argent,  azuré  d'or. 

(1  50.  Item  une  autre  serviette  de  toyelle  déliée  '°. 

Deuxième  inventaire  (1663). 

«  Inventaire  des  ornemens,  titre  et  papiers...  présant  en  l'église  de  Luiyné. 
«  1.  Item  une  cuillère  d'argent  ". 

'  Vase,  du  latin  urceus.  Ce  doit  être  le  bénitier  portatif  pour  l'aspersion. 

■■  Ce  ciel  s'étendait  respectueusement  au-dessus  des  communiants. 

3  Des  quatre  ciboires  de  l'église,  deux  attestent  une  grande  pauvreté  :  l'un  est 
en  cuivre  et  l'autre  en  étain.  Peut-être  aussi  était-ce  à  cause  des  voleurs,  le  ci- 
boire, qui  reste  dans  le  tabernacle,  étant  plus  exposé  que  les  autres  vases  sacrés? 

^  Antiphonaire,  où  sont  notées  les  antiennes. 

'  Le  Processionnal  servait  aux  processions  et  le  Rituel  aux  bénédictions. 

^  Papier  fort,  en  italien  caria. 

''  Corp  oral. 

'  Voile  pour  couvrir  le  calice. 

'  Incarnat, 

'**  L'original  de  cet  inventaire  a  été  donné  par  M.  le  curé  de  Luigné  au  Musée 
au  diocèse. 

"  Cette  cuillère  servait  à  baptiser,  comme  l'indique  clairement  le  Rituale  Ande- 
gavense  ad  Bomufii  formant,  publié  en  1735  par  Mgr  de  Vaugirauld,  rééditant 
celui  d'Henii  Arnauld,  imprimé  en  1676  :  «  Vasculum  seu  coclileare  ex  argento, 


DE   QUELQUES   ÉGLISES   DE   l'ANJOU  427 

«  2.  Item  troys  ciboire  d'argent,  savoir  l'un  où  respose  le  sainct  Sacre- 
ment actaellement  et  l'un  des  autre  oii  l'on  donne  la  communion  à  Pasque 
et  l'autre  où  l'on  porte  le  St-Sacrementaux  mallades  par  la  paroisse  et  un 
custaude  *  d'argent...  ^  avecq  sa  vittre  ou  non  ^  porte  le  St-Sacrement  au 
Saqure. 

«  3.  Item  sept  chasubles,  tant  vielles  tant  bonnes  que  mau(vaises). 

«  4.  Item  deux  chapes,  l'une  rouge  et  l'autre  blanche,  tout  vielles. 

((  5.  Item  un  domoire,  rouge  et  bleue. 

«  6.  Item  le  parement  vert  *  de  la  courtinne  du  Saqure  qui  est  en  quatre 
pieses  \ 

«  7.  Item  six  chandelliers,  quatre  de  cuivre  et  deux  de  boys  paint. 

H  8.  Item  ung  croix  de  cuivre  ronpeu  à  la  pommeste  ^. 

«  9.  Item  deux  eschellette  de  la  banière  à  coulleur  jaunne. 

«  10.  Item  troys  devant  d'autel,  savoir  l'un  aux  grandes  autel  de  marou- 
quin  dorré  à  fleurs,  et  les  deux  autres  à  l'autel  de  Nostre-Dame  et  à  l'autel 
de  Sf-NicoUas,  de  futainne  à  fleurs  or. 

«  11.  Item  une  lanpe  de  cuivre  '. 

«  12.  Item  deux  missel  et  deux  livre  de  chanps  ^  tant  pour  les  messes 
que  pour  les  niatinnes  et  vespres  et  un  rituel  et  un  processional. 

«  13.  Item  une  autre  Hvre  de  chanps  pour  les  antienne  des  dimanches 
de  Tannée. 

((  14.  Item  un  visseau  ^  de  foute. 

tt  15.  Item  une  aspersoué  '"  de  cuivre. 

«  16.  Item  une  vielle  lanterne. 

«  17.  Item  deux  escharppes  pour  la  croix  ",  l'une  rouge  et  l'autre 
blanche. 

vel  alio  métallo,  nitidum,  ad  aquam  baptismi  fundendatn  supra  caput  baptizati, 
quod  nulli  oraeterea  alii  usui  deserviat.  » 

*  Custode,  synonyme  ici  d'ostensoir. 
2  Doré? 

^  Sic  pour  l'on. 

*  Il  est  curieux  de  trouver  ici  le  vert  choisi  comme  couleur  liturgique  du  Saint- 
Sacrement,  ce  qui  avait  lieu  aussi  à  Clermont. 

^  Pour  chacun  des  quatre  côtés  du  dais. 

®  Pomme  ou  nœud  qui  sépare  la  croix  de  la  hampe,  au-dessus  le  la  douille. 

''  Lampe  du  Saint-Sacrement. 

*  Plain-chant. 
^  Vaisseau. 

'"  Prononciation  angevine  du  mot  aspcrsoir. 

'*  Bandes  d'étoffe  dont  on  abritait  la  croix,  comme  le  font  encore  les  confréries 
en  Italie. 


428  INVENTAIRES 

»  18.  Item  vingt  et  deux  napes  vielles,  bonne  et  meschante,  le  tout  de 
toille  bonne  et  meschante. 

«  19.  Item  quatre  vielles  aubes. 

{(  20.  Item  deux  petis  abys  ^  de  Nostre-Dame. 

«  21.  Item  une  serviette  et  un  bissac  et  la  pochette  de  la  croix  et  à  la 
banière. 

«  2i{.  Item  un  siel  que  l'on  mestoist  autre  fois  à  la  communion  à 
Pasques  au  devant  du  grand  autel. 

«  23,  Item  troys  livre  de  fil. 

«  24.  Item  un  benistié  d'érain  -  à  mestre  l'eau  beniste. 

«  25.  Item  deux  surplyes  de  peu  de  valleur. 

«  26.  Item  un  sacq  en  lequel  sont  cinq  tittre,  par  lequel  il  est  mensionné 
que  il  est  dû  du  blé  à  la  fabrique  dud.  Luigné  ^ 

SAINT-MARTIN-DE-LA-PLACE  (1703). 

Cet  inventaire  offre  cela  de  particulier  que  les  prix  d'estimation  sont 
mis  en  regard  de  chaque  article. 

Le  mobilier  se  compose  d'une  huche,  d'une  armoire,  d'un  coffre  et 
d'une  boîte  à  cierges,  plus  une  horloge,  une  fontaine  d'étain  pour  la 
sacristie  et  trois  bassins  de  cuivre  pour  l'eau  bénite. 

La  lingerie  comprend  un  baijiistaire  en  toile  ouvragée,  c'est-à-dire  une 
couverture  pour  les  fonts  baptismaux,  et  neuf  pièces  de  linge  à  couvrii'  les 
figures  des  saints  pendant  le  carême. 

Parmi  les  livres  de  chant,  je  note  un  graduel  romain. 

Les  étoffes  dont  sont  formés  les  ornements  se  nomment  :  datnas, 
sargette,  satin,  brocart  *,  taffetas  et  futaine  ^.  Les  galons  que  l'on  y  coud 
sont  en  faux  argent  ou  noir  et  blanc. 

L'orii^inal  de  cet  inventaire  appartient  à  la  fabrique  de  Saint-Martin. 


*  On  habillait  donc  la  statue  de  la  Sainte-Vierge,  selon  Tin  usage  fort  ancien  et 
respectable  qui  existe  encore  en  beaucoup  île  paroisses. 

^  Ces  bénitiers  de  bronze  sont  assez  communs  dans  le   diocèse.   Ils  datent 
la  plupart  du  XVIIe  siècle. 

'  L'original  de  cet  inventaire  a  été  donné  au  Musée  diocésain. 

*  Le  brocart  est  un  drap  d'or  broché  de  fleurs  en  soie  de  diverses  couleurs. 

*  On  nomme  futaine  un  tissu  fait  avec  du  coton.  Voir  Du  Gange  aux  mots 
Fustana  et  Fnstanium. 


DK    QUELQUES    ÉGLISES   DE   l'aNJOU  429 

«  Invantaire  des  ornementz  de  l'église.  1703. 

«  1.  Premièrement  une  huge  de  bois  noyer,  fermante  à  clef,  à  tenir 
comme  à  l'estimalion  de  trante  boisseaux  de  grain,  estimée  3  1.  10  s 

«  2.  Item  une  paire  d'armoire  de  bois  noyer  à  deux  fenestres  '  fermante 
à  clef,  presque  neuve,  estimé  10  1. 

«  3,  Item  un  petit  cofre  de  bois  noyer,  dans  lequel  il  y  a  deux  serrures 
et  deux  clefs,  où  sont  renfermez  les  tiltres  et  papiers  de  lad.  fabrice, 
estimé  10  1. 

«  4.  Item  une  bouete  de  sapin,  fermante  à  clef,  pour  mettre  les  cierges, 

estimée  3  l. 

«  5.  Item  une  croix  d'argent,  estimée  la  somme  de  120  1. 

«  6.  Item  une  autre  croix  de  cuivre,  estimée  10  1. 
«  7.  Item  un  petit  ciboire  d'argent,  doré  dans  le  dedans  seulement, 
qui  sert  à  porter  Nostre-Seigneur  aux  malades,  prizé  13  1. 

«  8.  Item  un  autre  ciboire,  aussy  d'argent  doré  dans  le  dedans  seule- 
ment, qui  sert  à  mettre  les  hosties  dans  le  tabernacle,  estimé  60  1. 

«  9.  Item  un  calice  en  partie  la  coupe  de  vermeil  doré  et  le  surplus 
d'argent,  estimé  150  1. 

«  10.  Item  un  autre  calice  d'argent  doré  dans  le  dedans  seulement, 
qui  se  démonte,  estimé  40 1. 

«  11.  Item  ce  soleil  d'argent  sans  pied,  estimé  20  1. 

«  12.  item  un  vase  d'étain  pour  porter  les  saintes  huiles  %  estimé  20  s. 

«  13.  Item  une  lampe  de  cuivre,  4  1. 

«  14.  Item  une  autre  petite  croix  de  cuivre,  1  1. 

a  13.  Item  six  chandeliers  de  cuivre  proportionnez  à  mettre  sur  ce 
grand  autel,  estimez  ensemble  18  1. 

c<  16.  Item  quatre  autres  chandeliers  de  cuivre  plus  massifs,  12  1. 

«  17.  Item  la  bannière  de  satin  rouge,  avec  une  frange  de  soye,  30  l. 

«  18.  Item  un  fallot  de  fer  blanc  ^  30  s. 

«  19.  Item  une  fontaine  d'étain,  100  s. 

«  20.  Plus  deux  clochettes  de  métail,  estimées  ensemble  5  1. 

«  21.  Plus  une  autre  petite  clochette,  10  s. 

'  Volets. 

2  Henri  Arnauld  en  1676  et  Jean  de  Vaugirauld  en  1735  recommandent  que  les 
vases  aux  saintes  huiles  soient  en  argent  ou  en  étain  :  «  Chrisma  et  oleum  sacrum 
sint  in  suis  vasculis  argenteis  aut  saltem  stanneis,  bene  obturatis.  » 

^  Pour  accompagner  le  saint  Viatique, 


430  INVENTAIRES 

«  22.  Plus  trois  plats,  savoir  deux  d'ôtain  et  un  de  cuivre,  estimez 
ensemble  30  s. 

«  23.  Plus  une  chasuble  sans  voile,  sans  étaule,  sans  manipule,  à  fond 
d'or,  avec  plusieurs  figures  relevées  en  broderie,  401. 

«  24.  Plus  une  autre  chasuble  de  damas  noir,  garnie  de  son  voile, 
étole  et  manipule,  galonnée  de  faux  argent,  12  1. 

«  25.  Plus  une  autre  chasuble  de  satin  verd  et  blanc,  aussy  garnie, 

6  1. 

«  26.  Plus  une  autre  chasuble  de  sargette  blanche,  revestue  d'un  galon 
blanc  et  rouge,  aussy  garnie,  3  1. 

a  27.  Plus  une  autre  chasuble  de  broquar  à  petites  fleurs,  revestue  d'un 
galon  de  faux  argent,  avec  une  frange  aussy  de  faux  argent,  donnée  à  la 
fabrice  par  M"=  Charles  Paumeau,  curé  dud.  lieu  et  M.  René-Jean  Gal- 
leau,  prêtre  habitué  dud.  lieu,  20  1. 

«  28.  Plus  une  autre  chasube  decamelotte  violette, revestue  d'un  galon, 
aussy  garnie,  S  1. 

«  29.  Plus  une  autre  chasube  de  camelot  rouge,  revestue  d'un  galon  de 
soye,  aussy  garnie,  5  1. 

«  30.  Plus  une  autre  chasube  de  viel  taphetas  noir,  sans  étaule,  reves- 
tue d'un  galon  noir  et  blanc,  7  1. 

«  31.  Plus  quatre  bourses  '  pour  porter  Nostre-Seigneur  et  ces  saintes 
huiles,  estimeez  ensemble  6  1. 

«  32.  Plus  un  messel  couvert  de  cuir  violette,  3  1. 

('  33.  Plus  un  graduel  romain,  7  1. 

a  34.  Plus  un  ancien  graduel,  2  1. 

a  35.  Plus  un  ancien  antiphonaire,  2  1. 

a  36.  Plus  un  encensoir  avec  sa  navette,  3  1. 

«  37.  Plus  trois  aubes  de  peu  de  valeur,  de  toile  blanche,  grosse  et 
vielle,  estimées  ensemble  4  1.  10  s. 

«  38.  Plus  une  chappe  de  broquart  à  fleurs  verte,  rouge  et  blanche,  re- 
vestue d'un  galon  de  faux  or,  1.^  1. 

a  39.  Plus  une  autre  chappe  de  grosse  étaufe  rouge  et  jaune,  6  1. 

((  40.  Plus  une  autre  chappe  verte  et  blanche,  0  1. 

«  41.  Mus  deux  dalmatiques  de  grosse  étaufe  rouge  et  jaune,  5  1. 

((  42.  Plus  deux  autres  dalmatiques  de  couleur  noire,  1  1.  10  s. 

«  43.  Plus  une  escharpe  de  taphetas  blanc,  avec  une  frange  de  faux  ar- 
gent, 1  1. 

•  Suivant  la  recommandation  du  rituel,  quand  on  va  loin  et  surtout  à  cheval. 


DE   QUELQUES   ÉGLISES    DE   l'aNJOU  431 

«  Aï.  Plus  une  garniture  de  poêle  \  savoir  ce  fond  de  futaine  et  le  tour 
de  damas  à  fleurs,  avec  une  frange  de  soye  vert  et  rouge,  10  1. 

«  45.  Plus  un  baptistaire  de  peu  de  valeur  de  toile  ouvragée,  10  s. 

«  46.  Plus  trois  douzaines  de  nappes  d'autel,  dans  lesquelles  il  y  en  a 
une  grande  de  dix  huict  onées  ^  qui  sert  à  la  communion  pascale  et  une 
autre  déliée  et  neuve  et  ce  surpens  de  toile  commune  et  my  usée,  esti- 
méez  tout  ensemble  88  1. 

«  47.  Plus  neuf  pièces  de  linge  à  couvrir  les  figures  qui  sont  dans  lad. 
église  '  et  rideaux,  4  1.  10  s. 

«  48.  Plus  vingt  et  cinq  petits  essui  mains  et  nappes  de  communion,  ce 
tout  de  peu  de  valeur,  2  1. 

«  49.  Plus  un  tapis  de  tapisserie  à  fleurs  de  couleur  verte,  4  1. 

('  30.  Plus  un  drap  mortuaire  et  une  chape  noire,  o  1. 

«  51.  Plus  un  horloge  avec  tous  ses  pesons  *  et  cordages,  25  1. 

«  52.  Plus  une  couverture  de  fustaine  du  tabernacle,  doublé  d'un  linge, 
21. 

«  53.  Plus  deux  grands  rideaux  qui  couvrent  le  tableau  qui  est  au-des- 
sus du  grand  autel,  avec  deux  vergettes  de  fer,  12  1. 

«  54.  Plus  un  chandelier,  un  guéridon  et  un  pupiltre  pour  le  lutrin  de 
bois  noier  ^  et  chesne  avec  un  lapis  ®,  8  1. 

«  55.  Plus  trois  poêles  d'airin  à  tenir  chacun  un  seau  d'eau,  qui  servent 
savoir  deux  à  mettre  l'eau  bénite  et  l'eau  qui  est  aux  fondz,  12  1. 

«  56.  Plus  un  vase  d'étain  qui  sert  à  mettre  les  saintes  huiles,  1  1. 

«  57.  Plus  une  paire  d;3  chopineaux  d'étain  %  10  s.  » 

1  Du  latin  pa^tum,  dais. 

*  Sic  pour  aunes. 

'  En  temps  de  Carême. 

^  Poids. 

^  Noyer. 

«  L'abbé  Texier  me  fournit  ce  texte  d'un  inventaire  de  1572,  relatif  au  Limousin  : 
«  Plus,  pour  le  parement  du  pupitre  devant  le  grand  autel,  que  aultres  du  courps 
de  ladicte  église  aulx  faistes  de  Noël,  où  il  y  a  huit  ystoires  tant  du  Vieulx  que 
du  Nouveau  Testament,  faictes  par  maistre  Anthoine  le  Poinctre   » 

■^  Lesévêques  Miron,  en  1622;  de  Rueil,  en  1644;  Poncet  de  la  Rivière,  en  I7l7, 
etde  Vaugirauld,  en  1737,  prescrivirent  dans  leurs  statuts  diocésains  des  burettes 
d'argent,  d'étain  ou  de  verre  :  a  AmpuUae  argentese,  stanneae  vel  vitreee.  » 


432  INVENTAIRES 


MONTPLACE. 


Montplacc  est  un  lieu  de  pèlerinage  en  l'honneur  de  la  Vierge,  peu  dis- 
tant du  bourg  de  Jarzé.  Les  deux  inventaires  qui  le  concernent  existent 
dans  les  archives  du  château  de  Jarzé. 

1.  Le  premier  est  de  1703.  Il  mentionnne  quatre  chandeliers  argentés 
et  deux  de  bo)s  noirci\  qui  devaient  être  affectés  aux  offices  funèbres.  Un 
cœur  a  été  off'ert  comme  ex-voto. 

Pour  la  première  fois  je  rencontre  une  chasuble  double,  violette  d'un 
côté,  noire  de  l'autre. 

2  Le  second  inventaire  nous  amène  à  l'an  1781.  Une  chasuble  de  da- 
mas blanc,  brochée  d'or,  porte  l'écusson  du  donateur.  Outre  les  couleurs 
liturgiques,  le  bleu  est  mentionné.  Je  me  souviens  l'avoir  vu  autrefois 
en  Anjou,  remplaçant  le  vert  on  mêlé  à  cette  couleur. 

Les  filets  n'étaient  pas  toujours  d'une  seule  pièce  ;  ils  se  composaient 
souvent  de  morceaux  carrés  alternés,  l'un  plein  en  toile  et  l'autre  à  jour 
en  façon  de  filet.  C'est  ce  qu'a  voulu  exprimer  l'inventaire,  quand  il 
parle  de  devant  d'autel  à  carreau  et  dentelle. 

Plus  haut,  le  linge  avec  lequel  le  prêtre  s'essuyait  les  doigts  à  la  messe 
était  nommé  essuie-mains  d'autel,  pour  le  distinguer  des  essuie-mains  de 
sacristie.  Ici  il  prend  le  nom  de  lavabo,  à  cause  du  premier  mot  de  la 
prière  que  le  prêtre  récite  pendant  qu'il  se  lave  au  coin  de  l'autel. 

La  fontaine  en  cuivre  rouge  avec  sa  cuvette  servait  à  la  sacristie,  où  le 
prêtre  se  lavait  les  mains  avant  la  messe. 

Enfin  les  deux  missels  à  l'usage  du  diocèse  d'Angers  devaient  être  con- 
formes à  l'édition  la  plus  récente  qui  était  celle  de  Mgr  de  Vaugiraud.  En 
disant  qu'ils  sont  bons.,  c'est  évidemment  parler  de  leur  état  de  conserva- 
tion qui  ne  laissait  rien  à  désirer. 

Premier  inventaire  (1705). 

«  1.  Deux  calices  et  deux  patènes. 
«  2.  Un  petit  siboire. 
«  3.  Quatre  chandehers  de  cuivre. 

«  4.  Plus  deux  chandeliers  de  cuivre,  semblables  à  ceux  dont  l'on  so 
sert  dans  les  maisons. 

((  5.  Quatre  chandeliers  dont  la  superficie  est  de  couleur  argentée. 
«  (3.  Deux  chandeliers  de  bois  noircy. 


DE   QUELQUES    ÉGLISES   DE   l'aNJOU  433 

«  7.  Un  petit  cœur  non  massif  d'argent  *. 

«  8.  Une  chasuble  qui  sert  d'an  côté  pour  la  couleur  violette  et  de  l'au- 
tre côté  pour  la  couleur  noire 

«  9.  Cinq  bourses  où  l'on  met  les  corporaux. 

((  10.  Trois  pâlies  que  l'on  met  sur  le  calice. 

«  11.  Neuf  pareniens  d'autel. 

«  12.  Six  essuimains  de  sacristie. 

«  13.  Six  essuimains  d'autel. 

«  14.  Quatorze  voiles  que  l'on  met  sur  le  calice 

u  15.  Quinze  purificatoires,  dont  il  y  en  a  plusieurs  trop  petits. 

«  16.  11  n'y  a  aucun  surplis  ni  rochet  ^  dans  la  chapelle  qui  soit  de  la 
chapelle.  * 

Deuxième  inventaire  (1781). 

«  1.  Deux  chasubles  blanches  communes. 

«  2.  Deux  chasubles,  dont  une  verte  et  une  rouge  communes. 

<(  3.  Une  chasuble  noire  commune. 

«  4.  Une  chasuble  de  satin  blanche  fort  belle. 

«  5.  Une  autre  chasuble  de  damas  blanc,  croisée  d'étoffe  d'or,  avec  un 
écusson  ^  brodé  en  or. 

«  6.  Une  chasuble  de  damas  violet,  avec  un  écusson  brodé  en  or. 

«  7.  Une  chasuble  commune  bleue. 

«  8.  Deux  autres  chasubles  très  mauvaises,  dont  l'une  blanche  et  l'autre 
rouge, 

((  9.  Chaque  chasuble  est  garnie  de  son  voyle,  étoile,  manipule  ;  il  y  a 
de  plus  six  bourses,  dont  deux  propres  et  quatre  communes. 

«  10.  Un  calice  commun  d'argent. 

«  11.  Quatorze  nappes  d'autel. 

0  12.  Dix  devants  d'autels  médiocres  *. 

((  13.  Deux  essuimains. 

«  14.  Deux  nappes  de  communion. 

«  13.  Deux  autres  devant  d'autel  à  carreau  et  dentelle. 

«  10.  Six  aubes. 


*  Ex-voto. 

*  On  nomme  rochet  en  Anjou  un  surplis  sans  manches  :  cétait  le  costume  d«is 
chantres  et  on  s'en  servait  au  confessionnal. 

^  Suivant  un  vieil  usage,  pour  désignei'  le  donateur. 

*  Les  devants  d'autels  ont  persisté  jusqu'à  la  Révolution.  On  les  repousse  main- 
tenant, ce  ne  sera  toujours  pas  comme  anti-français. 

Ile  séi  )<\  t(.me  XI.  98 


434  INVENTAIRES   DE  QUELQUES    ÉGLISES   DE  L'aNJOU 

«  17.  Cinq  amys. 

«  18.  Trente-trois  purificatoires. 

«  19.  Quatre  lavabo. 

«  20.  Il  y  a  autant  de  tours  d'étoile  que  d'étoile  mesme. 

«  21.  Quatorze  bouquets  et  leurs  vases. 

«  22.  Doux  missels  bons  à  l'u.-age  du  diocèse  d'Angers. 

t  23.  Une  tontaine  et  sa  cuvette  de  cuivre  rouge  '. 

«  21.  Un  vieux  tron  '^servant  de  buffet. 

«  25.  Quatre  chandeliers  de  cuivre  et  dix  de  bois  '. 

«  26.  Un  siboire  et  un  calice.  » 

X.  Barbier  de  Montault, 
Prélat  de  la  Maison  de  Sa  Sainteté. 


*  On  en  trouve  fréquemment  de  ce  genre  d.ins  les  maisons  particulières. 

*  Tronc  d'arbre,  taillé  en  crédetice. 

'  Les  chandeliers  de  bois  étaient  probablement  afîectés  aux  cierges  que  faisaient 
brûler  les  pèlerins  devant  la  statue  mu'aculeuse. 


LES 

IMAGES  DU  SACRÉ-CŒUR 

AU  POINT  DE  VUE  DE  L'HISTOIRE  ET  DE  L'ART 

TROISIÈME  ARTICLE  * 


TROISIÈME  PÉRIODE. 

Images  du  Sacré-Cœur  depuis  la  bienheureuse  Marguerite,jusqu'au 
mouvement  opéré  pour  le  renouvellement  de  l'Art  chrétien. 


CHAPITRE  P' 

IMAGES    DU    SACRÉ-CŒUR    TRACÉES    SOUS    l'iMPULSION    IMMÉDIATE 
DE   LA    BIENHEUREUSE    MARGUERITE-MARIE. 

I 

Les  maîtres  de  la  science  sacrée  distinguent  avec  raison  entre  le 
fondement  et  l'origine  d'une  dévotion,  d'une  pratique  pieuse.  La 
dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus  repose  sur  le  dogme  même  de 
rincarnatio-n  ;  elle  ne  serait  pas  moins  fondée  quand  les  révélations 
dont  fut  favorisée  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  A.lacoque  n'au- 
raient jamais  eu  lieu,  mais  on  peut  dire  qu'elle  leur  doit  son  origine 
sous  la  forme  déterminée  qui  l'a  caractérisée  depuis.  Or,  dans  les  ré- 
vélations même  de  la  Bienheureuse,  à  plus  forte  raison  dans  le  culte 
public  qui  en  fut  la  suite,  les  images  du  Sacré-Cœur  tiennent  une 
place  nécessaire;  elles  ont  une  importance  décisive. 

*  Voir  le  numéro  de  Juillet-Septembre  1879,  p.  141. 


436  LES   IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

On  le  voit  par  le  récit  que  Marguerite-Marie  fait  elle-même  au 
P.  Rolin,  son  confesseur,  de  la  vision  qu  elle  avait  eue  le  jour  de  la 
fête  de  S.  Jean  rÉvangélisle  1674  :  <(  Le  divin  Cœur,  dit-elle,  me 
fut  représenté  comme  sur  un  trône  de  feu  et  de  flamme,  rayonnant 
de  tous  côtés,  plus  brillant  que  le  soleil  et  transparent  comme  le 
cristal,  La  plaie  qu'il  reçut  sur  la  croix  y  paraissait  visiblement,  il  y 
avait  une  couronne  d'épines  autour  de  ce  divin  Cœur  et  une  croix 
au-dessous  ».  Le  divin  Maître  lui  fit  entendre  que  ces  instruments 
de  la  Passion  signifiaient  qm  l'amour  immense  qu'il  avait  pour  les 
hommes  était  la  source  de  toutes  ses  souffrances.  «  Il  m'assura, 
continue-t-elle,  qu'il  prenait  un  singulier  plaisir  d'être  honoré  sous 
la  figure  de  ce  Cœur  de  chair  dont  il  voulait  que  l'image  fût  exposée 
en  public  afin  de  loucher  les  cœurs  insensibles  des  hommes,  me 
promettant  qu'il  répandrait  avec  abondance  sur  tous  ceux  qui  l'ho- 
noreraient tous  les  trésors  de  grâce  dont  il  est  rempli,  que  partout 
où  cette  image  serait  exposée  pour  y  être  singulièrement  honorée, 
il  y  attacherait  toutes  sortes  de  bénédictions  '.  » 

Elle  écrivait  encore,  le  24  août  1685,  à  la  mère  de  Saumaise,  son 
ancienne  supérieure  à  Paray  :  que  le  Cœur  de  Jésus  lui  avait  fait 
connaître  le  grand  plaisir  qu'il  prend  d'être  honoré  de  ses  créatu- 
res, et  alors  il  lui  sembla,  ajoute-t-elle,  que  ce  divin  Cœur  lui  pro- 
mit :  «  Que  tous  ceux  qui  seraient  dévoués  à  ce  sacré  Cœur  ne  pé- 
riraient jamais  et  que  comme  il  est  la  source  de  toute  bénédiction, 
il  les  répandrait  avec  abondance  sur  tous  les  lieux  où  serait  posée 
l'image  de  cet  aimable  Cœur,  pour  y  être  aimé  et  honoré;  que  par  ce 
moyen  il  réunirait  les  familles  divisées;  qu'il  protégerait  celles  qui 
étaient  en  quelque  nécessité  ;  qu'il  répandrait  la  suave  onction  de 
son  ardeiite  (  liarité  dans  toutes  les  communautés  oii  serait  honorée 
cette  divine  image  ;  qu'il  en  détournerait  les  coups  de  la  juste  colère 
de  Dieu,  en  les  remettant  en  sa  grâce,  lorsque  par  le  péché  elles 
seraient  déchues  ;  et  qu'il  donnerait  une  grâce  spéciale  de  sanctifi- 
cation et  de  salut  à  la  première  personne  qui  lui  ferait  ce  plaisir  de 
faire  faire  cette  sainte  image  ^  ». 


*  Vie  et  OEicvrci  de  la  IL  Mar(juenle~Mane  Alacoqiie;  publication  du  niunastère 
de  Paray,  t.  I.  p.  87;  t.  Il,  p.  27i. 
■'  Ibid.,  t.  II,  p.  G». 


AU   POINT    DE    VUIi    DK    l'hISTOIRE   ET    DE    l'aHT  437 

A  l'époque  où  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  écrivait  ces  li- 
gnes, elle  n'avait  encore  qu'une  petite  image  du  Sacré-Cœur  dessi- 
née à  la  plume  sur  du  papier  ;  elle  cherchait,  disait-elle,  dans  la 
même  lettre,  les  moyens  d'en  obtenir  un  tableau.  Elle  était  alors 
maîtresse  des  novices.  Un  jeune  homme  venant  de  Paris,  parent 
de  l'une  de  celles-ci,  s'était  offert  pour  en  faire  exécuter  un,  mais  il 
fallait  lui  en  donner  le  dessin,  c'est-à-dire  en  tracer  la  composition 
et  la  Bienheureuse  y  voyait  une  multitude  d'obstacles. 

La  petite  image  sur  papier  apparaît  pour  la  première  fois  un  peu 
auparavant;  en  cette  même  année  1685,  le  vendredi  après  l'octave 
du  Saint-Sacrement^  la  Bienheureuse  l'attacha  à  un  petit  autel  que 
les  novices  mêmes  avaient  élevé.  «  Nous  avions  un  grand  empres- 
sement de  contenter  son  pieux  désir,  dit  une  de  ces  pieuses  filles 
dans  un  écrit  qu'elle  a  laissée,  nous  nous  levâmes  à  minuit  et  fîmes 
un  autel  oi^i  nous  attachâmes  ce  croquis,  avec  tous  les  ornements 
que  nous  avions  à  notre  disposition  \  »  Le  20  juillet  suivant,  jour 
de  sainte  Marguerite  et  fête  de  la  Bienheureuse,  lequel  était  aussi  un 
vendredi,  Marguerite-Marie,  ayant  su  que  les  novices  voulaient  lui 
souhaiter  sa  fête,  les  pria  de  rendre  au  Cœur  de  Jésus  tous  les  hon- 
neurs qu'elles  lui  destinaient.  A3cédaiit  à  son  désir  avec  empresse- 
ment, elles  élevèrent  de  nouv?au  un  autel  sur  lequel  fut  attachée  la 
petite  image.  La  Bienheureuse  agréa  leur  simplicité  et  n'eut  qu'un 
regret,  celui  de  voir  le  reste  de  la  communauté  ne  prendre  aucune 
part  à  cet  acte  de  dévotion. 

La  petite  image  s'est  conservée  dans  le  couvent  de  la  Visitation  à 
Turin;  elle  lui  fut  donnée  par  celui  de  Paray  le  2  octobre  1738,  avec 
un  certificat  conçu  en  ces  termes  :  «  Nous  certifions  que  l'image  du 
Sacré-Cœur  de  Jésus  que  j'ai  l'honneur  de  vous  envoyer  est  vérita- 
blement celle  que  nous  mîmes,  le  jour  de  la  sainte  Marguerite,  fête 
de  notre  digne  maîtresse,  sœur  Marguerite-Marie  Alacoque,  et  que 
nous  plaçâmes  sur  l'autel  du  noviciat,  ainsi  qu'il  est  marqué  et  que 
nous  Lavons  vu  dans  la  Yie  de  cette  saints  fille  ».  Suit  l'histoire  de 
l'image,  l'indication  des  sœurs  qui  l'ont  possédée,  et  les  signatures 
de  celles  qui  l'envoient. 

'  Lbid.,  t.  I,  p.  207. 
'  Ihid.,  t.  I,  p.  283. 


438  LES   IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

Cette  petite  image  do  55  millimètres  de  haut,  que  l'on  représente 
souvent  dans  les  mains  de  la  Bienheureuse,  et  dont  nous  donnons  à 
notre  tour  une  réduction  d'après  la  photographie  (pi.  Yll,  fig.  1),  res- 
semble à  celles  qui  l'ont  précédée.  Le  Cœur  affecte  des  formes  toutes 
symétriques  et  conventionnelles  qui  ne  reproduisent  pas  même 
approximativement  la  forme  anatomique  de  l'organe  ;  la  couronne 
d'épines  entoure,  comme  une  auréole,  le  cœur  et  la  petite  croix  qui 
le  surmonte.  La  plaie  largement  ouverte  et  portant  le  mot  charitas 
est  placée  horizontalement  au  milieu  du  cœur  ;  trois  clous  l'accom- 
pagnent. Autour  de  la  couronne,  en  dehors,  on  lit  :  jesus,  maria,  Jo- 
seph, ANNA,  jOAcmM.  Nous  rovieudrous  sur  cette  petite  image  pour 
étudier  plus  amplement  ses  rapports  avec  celles  qui  l'ont  précédée 
ou  qui  l'ont  suivie.  Nous  nous  contentons  pour  le  moment  d'exposer 
la  suite  des  faits. 

Nous  ne  savons  si  c'est  cette  image  ou  une  autre  analogue  que 
les  novices  portèrent  ensuite  les  unes  après  les  autres.  Chacune 
d'elles  la  posait  à  son  tour  sur  son  propre  cœur  comme  un  bouquet 
et  s'efforçait,  selon  Texpression  de  la  Bienheureuse,  de  «caresser ce 
divin  Cœur  »  en  accomplissant  les  actes  qui  pouvaient  lui  être  le 
plus  agréable.  Ceci  doit  s'être  passé  avant  le  4  janvier  1686,  car 
alors  toutes  les  novices  avaient  reçu  chacune  une  image  du  Sacré- 
Cœur;  envoyée  par  la  Mère  Greyfié,  qui,  supérieure  du  couvent  de 
Paray  jusqu'en  1684,  avait  été  appelée  ensuite  à  diriger  celui  de 
Semur.  Transportant  dans  cette  villel'impulsion  reçue  de  la  Bienheu- 
reuse, elle  y  avait  devancé  les  religieuses  de  Paray.  Par  ses  soins, 
un  tableau  du  Sacré-Cœur  avait  été  placé  avec  honneur  dans  un 
oratoire  où  ses  filles  avaient  solennisé  la  fête  du  Sacré-Cœur,  tan- 
dis que  Paray  était  encore  réduit  à  la  petite  image  dont  nous  par- 
lons. 

A  cette  date  de  janvier  1686,  la  Mère  Greyfié  écrivait  à  Margue- 
rite Marie  qu'elle  lui  envoyait  le  dessin  de  sou  tableau  en  minia- 
ture; puis  elle  ajoutait  :  «  J'ai  fait  faire  une  douzaine  de  petites 
images  oii  il  n'y  a  que  celle  de  ce  divin  Cœur  avec  la  plaie  du  côté 
sur  ce  môme  cœur,  la  croix  au-dessus  et  les  trois  clous,  entouré 
de  la  couronne  d'épines  :  c'est  pour  faire  les  étrennes  h  nos  chères 
sœurs...  Si,  en  les  voyant,  quelques  autres  en  désiraient,  je  leur  en 
ferai»  faire  de  pareilles  de  bon  cœur,  bien  que  notre  peintresse  {sic) 


AU   POINT   DE   VUE    DE    l'hISTOIRE   ET    DE   l'aRT  439 

n'ait  guère  de  loisir;  car,  avec  le  soin  qu'elle  a  de  moi,  elle  est  por- 
tière celte  année.  » 

Le  31  janvier  suivant,  la  Mère  Greyfié  écrivait  encore  :  «J'ai 
envoyé  de  petites  images  (du  Cœur  de  Jésus)  à  vos  novices  et  j'ai 
pensé  que  vous  ne  seriez  pas  fâché  d'en  avoir  une  pour  vous  et  la 
mettre  sur  votre  cœur;  vous  la  trouverez  ici,  avec  l'assurance  que 
je  ferai  mon  possible  pour  que  de  mon  côté,  comme  vous  du  vôtre, 
nous  donnions  le  contentement  au  Cœur  sacré  de  notre  Sauveur  de 
se  voir  aimé  et  honoré  par  nos  amis  et  amies  '.  » 

Il  résulte  de  cette  dernière  lettre  que  la  miniature  dont  il  est  parlé 
dans  la  lettre  précédente  n'était  pas,  ainsi  que  les  autres  petites 
images,  destinée  à  être  portée  par  les  novices  de  la  Bienheureuse. 
Elle  fut  en  effet  exposée  sur  un  petit  autel  où  nous  la  retrouverons. 
Nous  parlerons  auparavant  du  soin  que  prit  la  servante  de  Dieu 
pour  avoir  des  estampes  du  divin  Cœur,  afin  de  les  répandre  beau- 
coup plus  que  ne  pouvaient  l'être  des  images  faites  à  la  main, 
comme  l'étaient  celles  dont  il  a  été  question  jusqu'ici.  C'est  là,  de  sa 
part,  l'objet  de  toute  une  correspondance. 


II. 


La  petite  ville  de  Paray  n'offrait  pas  assez  de  ressources  pour 
qu'il  fût  possible  d'y  faire  graver  une  planche  et  d'en  obtenir  un 
tirage.  En  conséquence,  des  tentatives  furent  faites  du  côté  de 
Dijon,  puis  de  Lyon  ;  enfin  ce  fut  à  Paris  que  l'on  atteignit  le  but 
désiré,  au  mois  de  janvier  1688.  A  Dijon,  la  Bienheureuse  s'était 
adressée  à  la  Mère  de  Saumaise,  son  ancienne  supérieure  avant  la 
Mère  Greyfié,  et  qui  était  alors  rentrée  au  couvent  de  la  ville  où 
elle  avait  fait  profession.  «  Je  me  sens  encore  entièrement  pressée 
de  vous  dire  de  sa  part  (de  la  part  du  divin  Cœur),  lui  écrivait- 
elle  le  2  mars  1686,  qu'il  désire  que  vous  fassiez  faire  une  plan- 
che de  l'image  du  Sacré-Cœur,  afin  que  tous  ceux  qui  voudront  lui 
rendre  quelque  hommage  particulier  en  puissent  avoir  des  images 
en  leurs  maisons  et  de  petites  pour  porter  sur  eux.  Et  comme  un 
bon  Père  jésuite  s'était  bien  voulu  charger  de  faire  faire  celte  plan- 

'  ]h}d.,  t.  I,  p.  22.^. 


440  LES    IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

che,  à  cause  que  les  personnes  qui  s'étaient  offertes  pour  la  payer 
l'en  pressaient  beaucoup^,  ce  bon  Père  en  a  donné  la  commission  à 
Lyon,  mais  je  crois  qu'il  n'y  a  rien  de  fait  et  qu'il  ne  s'y  fera  rien 
qu'à  votre  refus  *....  » 

L'on  voit  par  cette  lettre  comment  la  chose  s'était  engagée  à 
Lyon  ;  une  autre  lettre  du  20  mars  suivant  nous  apprend  que  la 
Bienheureuse  avait  fait  copier,  par  une  sœur  nommée  Marie-Louise, 
la  miniature  qu'elle  appelle  une  petite  ébauche  envoyée  de  Semur, 
et  qu'elle  adressa  cette  copie  à  la  Mère  de  Saumnise,  à  Dijon,  afin 
qu'elle  pût  servir  de  modèle.  Cette  copie  était  réduite  de  composi- 
tion, on  avait  supprimé  quatre  têtes  de  chérubins  aux  quatre  coins, 
et  des  cœurs  entrelacés  dans  la  couronne  d'épines.  La  Bienheureuse 
préférait  ce  que  l'on  pouvait  faire  ainsi  à  Dijon,  au  projet  que  le 
Père  jésuite  s'était  chargé  de  faire  exécuter  à  Lyon  ;  car  elle  ajou- 
tait :  «  Faites-moi  savoir  au  plus  tôt  ce  que  vous  pouvez  et  désirez 
faire...  avant  que  le  Révérend  Père  fasse  rien  faire  -.  » 

En  effet,  il  paraît  que  ce  bon  Père  n'avait  pas  les  ressources  et 
les  loisirs  convenables  pour  conduire  à  bon  terme  une  œuvre  d'art. 
Cependant  comme  rien  n'avait  pu  aboutir  à  Dijon,  l'entreprise  un 
instant  retomba  entièrement  sur  lui  et  on  lui  envoya  tout  l'argent 
ramassé  dans  ce  but  à  Dijon  même.  Mais  différentes  missions  l'obli- 
gèrent cà  porter  son  ministère  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de  l'autre,  et 
l'exécution  de  la  planche  dont  il  s'était  chargé,  éprouva  des  retards 
multipliés,  dont  la  Bienheureuse  se  plaint  beaucoup  jusqu'à  l'année 
1687. 

Le  23  avril  1686,  elle  écrivait  :  «  J'espérais  toujours  parler  à  ce 
bon  Père  qui  m'avait  promis  que  cette  planche  se  ferait  pour  Pâques  : 
mais  il  est  tellement  occupé  par  Mgr  d'Autun,  qui  est  ici  pour  tra- 
vailler à  la  conversion  des  hérétiques,  qu'il  n'a  point  de  temps  ni  de 
loisir  pour  travailler  à  cette  œuvre  que  l'adorable  Cœur  de  notre  di- 
vin Maître  désire  avec  tant  d'ardeur.  Vous  ne  sauriez  croire,  ma 
très  aimée  Mère,  combien  ce  retardement  m'afflige  et  me  fait  souf- 
frir de  douleur, parce  qu'il  faut  que  je  vous  avoue  confidommentque 
je  crois  que  c'est  la  cause  qu'il  se  convertit  si  peu  d'infidèles  dans 

'  Ibid.,  t.  II,  p.^73. 
»  IbifL,  t.  H,  p.  78. 


AU   POINT   DE   VUE    DE    l'hISTOIRE   ET    DE    l'aRT  441 

cette  ville,  car  il  me  semble  entendre  continuellement  ces  paroles: 
«  Que  si  ce  bon  Père  s'était  acquitté  premièrement  de  ce  qu'il  avait 
«  promis  au  Sacré-Cœur  de  Jésus,  il  aurait  changé  et  converti  le 
«  cœur  de  ces  infidèles  pour  le  plaisir  qu'il  aurait  (le  Cœur  de  Jésus) 
«  de  se  voir  honoré  dans  cette  image  qu'il  désire  '.  » 

Le  20  juillet  suivant,  elle  écrivait  encore  ;  «  C'est  avec  une  ex- 
trême douleur  que  je  souffre  ce  retardement  de  ce  que  je  crois  être 
le  désir  du  Sacré-Cœur  de  notre  bon  Maître;  mais  je  ne  vois  point 
d'apparence  pour  cette  année...  Il  (le  Père)  est  dans  un  si  grand 
chagrin  qu'il  n'ose  plus  me  venir  voir  ^..  »  Ce  Père  était  envoyé  à 
Aix  où  il  espérait  pouvoir  faire  exécuter  sa  planche,  mais  cet  es- 
poir lui  même  ne  put  se  réaliser. 

Le  17  février  1687,  la  Bienheureuse  écrivait  de  nouveau  :  «  Il  faut 
avouer,  ma  chère  Mère,  que  Notre-Seigneur  me  veut  bien  mortifier 
par  le  retard  des  images  de  son  Sacré-Cœur,  bien  qu'il  me  semble 
ne  rien  épargner  de  ce  qui  est  en  mon  pouvoir  qui  n'est  qu'impuis- 
sance et  misère.  Mais  aussi  n'avancé-je  rien,  car  le  bon  Père  qui 
s'en  est  chargé,  ayant  été  envoyé  à  Riom  et  la  planche  se  faisant  à 
Lyon,  je  crains  fort  que  son  absence  ne  la  fassii  négliger,  quoi- 
qu'il me  mande  qu'il  y  veille  et  tient  la  main  à  ce  qu'elle  se  fasse  au 
plus  tôt  ;  qu'il  faut  avoir  patience..  Il  me  semble  que  le  démon  craint 
extrêmement  l'accomplissement  de  cette  bonne  œuvre  pour  la 
gloire  qu'elle  doit  donner  au  Sacré-Cœur  de  Notre-Seigneur  Jésus- 
Christ,  par  le  salut  de  tant  d'àmes  que  la  dévotion  à  cet  aimable 
Cœur  opérera  en  faveur  de  ceux  qui  se  consacreront  tout  à  lui  pour 
l'aimer,  honorer  et  glorifier  ^  » 

Bientôt  après  on  se  vit  obligé  de  renoncer  à  ce  que  l'on  atten- 
dait de  ce  Père  Jésuite  ;  alors  la  Bienheureuse  écrivit  encore  à  la 
Mère  de  Saumaise,  «  Voilà,  ma  chère  Mère,  l'argent  (ainsi  que)  le 
crayon  que  le  bon  Père  nous  a  renvoyés  avec  un  déplaisir  sensible 
de  n'avoir  pu  achever  l'œuvre.  Mais  Dieu  qui  fait  tout  pour  le 
mieux  fera  que  l'image  en  sera  mieux  faite,  car  ce  dessin  dont  il 
nous  a  envoyé  le  crayon  n'est  pas  joli  ni  à  mon  gré.  C'est  pourquoi 


'  Ibid.,  t.  II,  p.  81. 
-  Ibid.,  t.  II.  p.  81. 
'  Ibid.,  t.  Il,  p.  106. 


442  LES  IMAGES  DU  SACRÉ-COEUR 

VOUS  m'obligerez  infiniment  de  le  changer  suivant  l'idée  que  Notre 
Seigneur  vous  en  donnera;  le  tout  est  laissé  à  votre  jugement  '. 

Il  faut  croire  que  le  dessin  envoyé  l'année  précédenle,  et  composé 
d'après  le  tableau  de  Semur  avec  les  réductions  signalées,  n'avait 
pas  non  plus  paru  satisfaisant  ;  car  la  Mère  de  Saumaise  s'adressa 
à  une  religieuse  nommée  sœur  Jeanne-Madeleine  Joly  chez  laquelle 
elle  reconnaissait  quelque  aptitude  artistique.  Cette  bonne  sœur, 
femme  d'ailleurs  distinguée,  avait  écrit  dès  lors  un  petit  livre  pour 
expliquer  la  dévotion  au  Sacré-Cœur,  elle  avait  même  composé  son 
office  et  ses  litanies  ;  mais  elle  n'avait  jamais  appris  le  dessin.  La 
Mère  de  Saumaise  n'était  pas  alors  supérieure  dans  son  couvent, 
mais  la  Mère  Desbarres  qui  remplissait  cette  charge  commanda  à  la 
sœur  Joly  de  dessiner  l'image  demandée  ;  et  celle-ci  travaillant  au 
nom  de  l'obéissance  réussit  tellement  au  gré  de  la  Bienheureuse  Mar- 
guerite-Marie qu'elle  lui  écrivit  peu  après  (toujours  en  celte  même 
année  1687)  :  «  Je  ne  puis  vous  exprimer  les  doux  transports  de 
ma  joie  en  recevant  votre  image  qui  est  telle  que  je  désirais:  la 
consolation  que  j'éprouve  de  l'ardeur  que  vous  témoignez  pour  le 
Sacré-Cœur  est  au-dessus  de  toute  expression;  continuez,  ma  chère 
sœur  ^. 

Enfin  la  planche  fut  gravée  à  Paris  comme  nous  l'avons  déjà  dit; 
la  Bienheureuse  en  reçut  les  estampes  si  désirées  au  commencement 
de  janvier  1688,  et  le  17  de  ce  mois  elle  disait  par  lettre  à  la  Mère 
de  Saumaise:  «  Je  ne  puis  vous  exprimer  les  doux  transports  de 
joie  que  ressentit  mon  cœur  à  la  vue  de  ces  saintes  images  qui 
m'excitèrent  à  vous  donner  mille  bénédictions  en  mon  âme  qui  es- 
lime  la  vôtre,  dans  un  si  heureux  succès,  lequel  vous  était  réservé, 
avec  toutes  les  grâces  qu'il  attirera  sur  votre  chère  âme  et  pour 
cette  bonne  sœur  (Jeanne-Madeleine  Joly)  .Je  crois, si  je  ne  me  trompe, 
qu'elle  lui  a  donné  plus  de  plaisir  par  ce  qu'elle  a  fait  en  son  hon- 
neur, qu'elle  n'avait  pu  faire  par  toutes  les  actions  de  sa  vie  ;  et  je 
pense  que  le  Sacré-Cœur  la  rendra  un  monument  éternel  de  ses 
miséricordes  '.  » 


'  Ibid  ,  t.  II,  p.  107. 
'  Ihid.,  t.  II,  p  lis. 
»  IbùJ.,  t.  II,  p.  114. 


AU   POINT   DE   VUE    DE    l'hISTOIRE   ET   DE   l'aRT  443 

III. 

Tandis  que  la  Bienheureuse  était  si  occupée  d'avoir  des  images 
du  Sacré-Cœur  propres  à  être  répandues  d'abord  parmi  les  sœurs, 
de  son  couvent,  puis  parmi  les  fidèles,  elle  n'avait  cessé  d'honorer 
et  de  faire  honorer  par  ses  novices  et  par  celles  de  ses  compagnes 
qu'elle  y  trouvait  disposées,  une  de  ces  images  sur  un  petit  autel. 
A  la  petite  image  dessinée  à  la  plume  avait  été  substituée  la  minia- 
ture ou  ébauche  coloriée,  envoyée  de  Semur  par  la  Mère  Greyfié, 
au  mois  de  janvier  1686.  Nous  avons  vu  qu'une  copie  en  avait  été 
faite  et  envoyée  à  Dijon.  Dans  cette  copie  on  avait  fait  des  suppres- 
sions, afin  sans  doute  de  la  rendre  plus  propre  à  servir  de  modèle 
pour  une  image  gravée.  Une  autre  copie  en  fut  envoyée  le 
13  septembre  1686  à  la  Mère  de  Soudeilles,  alors  supérieure  du 
couvent  de  Moulins.  Cette  copie  s'est  conservée  dans  le  couvent  de 
Ne  vers,  elle  a  été  publiée  en  1864,  en  chromolithograhie  de  moitié 
grandeur,  et  nous  en  reproduisons  un  dessin  dans  ces  mêmes  pro- 
portions (PI.  vn,  fig.  2';. 

«  Cette  image  précieuse  à  tant  de  titres,  disent  les  sœurs  de 
Nevers  que  nous  citons  textuellement,  est  peinte  en  miniature 
sur  une  feuille  de  vélin  ;  elle  forme  un  rond  dont  le  diamètre  est  de 
13  cent.;  les  marges  ont  été  coupées.  Au  centre  est  le  Sacré-Cœur, 
entouré  de  huit  jets  de  flammes,  percé  de  trois  clous  autour  desquels 
jaillissent  aussi  des  flammes,  et  surmonté  d'une  croix.  La  plaie 
béante  de  ce  divin  Cœur,  découpée  horizontalement,  laisse  échapper 
des  gouttes  de  sang  et  d'eau  dont  le  mélange  forme,  du  coté  gauche, 
un  nuage  sanglant.  On  lit  au  milieu  de  la  plaie  le  mot  Cha?'itas 
écrit  en  lettres  d'or.  Autour  de  cet  aimable  Cœur,  r^iyonne  une 
première  couronne  de  nœuds  entrelacés,  anciennement  appelés 
lacs  d'amour,  qu'entoure  une  seconde  couronne  d'épines,  très 
mince  et  très  déliée.  Des  cœurs  sont  entrelacés  dans  ces  deux  cou- 
ronnes. Celle  de  nœuds  en  renferme  quinze,  celle  d'épines  n'euija 
pas  plus  de  huit.  Oh  !  Qu'elles  sont  peu  nombreuses  les  âmes 
vraiment  éprises  d'amour  pour  les  souffrances  '.  » 

'  Ibid.,  t.  II,  p.  96,  note. 


444  LES    IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

Marguerite-Marie  a  donné  elle-même  la  signification  de  ces  cœurs 
entremêlés,  soit  dans  les  lacs  d'amour,  soit  dans  la  couronne  d'é- 
pines. Nous  trouvons  son  explication  dans  la  lettre  adressée  à  la 
Mère  de  Soudeilles,  sous  la  date  précitée  :  «  Ceux,  ma  chère 
Mère,  qui  sont  dans  la  couronne  d'épines,  qui  environne  cet  aimable 
Cœur,  sont  ceux  qui  l'aiment  et  le  servent  par  les  soufTrances,  et 
ceux  qui  sont  dans  les  lacs  d'amour  sont  ceux  qui  l'aiment  de 
l'amour  de  jouissance  '  ». 

A  la  fin  de  l'année  1686,  la  Bienheureuse  quitta  la  charge  de 
maîtresse  des  Novices  ;  alors  plusieurs  de  celles-ci,  sortant  avec  elle 
du  noviciat,  résolurent  d'emporter  la  petite  image  que  chacune 
honorait  à  son  tour  et  qui  faisait  tout  leur  trésor.  «  Elles  trouvèrent 
une  petite  niche  pour  la  placer  dans  un  lieu  retiré  oi^i  l'on  allait 
rarement  ;  elles  le  choisirent  pour  faire  plus  commodément  leurs 
dévotions  ^  »  - 

La  petite  image  dont  il  est  ainsi  parlé  nous  paraît  être  celle  même 
qui  avait  été  envoyée  par  la  Mère  Greyfié.  Il  est  connu  d'ailleurs 
que  le  lieu  retiré  dont  il  s'agit,  se  trouvait  sur  un  escalier  qui  con- 
duisait au  noviciat,  et  qu'on  en  fit  bientôt  après  un  véritable  petit 
oratoire.  Marguerite-Marie  écrivait  sur  ce  sujet  à  la  Mère  de 
Saumaise  (fin  d'avril  1688)  :  «  Je  vous  dirai  que  nous  avons  un 
second  tableau  du  Sacré-Cœur  où  il  y  a  au  bas,  en  place  des  deux 
anges,  la  Sainte  Vierge  d'un  côté  et  saint  Joseph  de  l'autre,  et 
entre  les  deux  une  âme  suppliante.  C'est  notre  chère  sœur  de 
Forges  qui  l'a  fait  faire.  Il  est  comme  je  l'avais  désiré  pour  cette 
petite  chapelle,  qui  est  la  première  qui  a  été  érigée  en  l'honneur 
de  ce  divin  Cœur,  et  notre  chère  sœ.ur  des  Escures  en  a  le  soin  : 
c'est  un  petit  bijou,  tant  elle  l'ajuste  bien  ^  » 

Le  tableau  dont  il  est  ici  question  s'est  conservé.  Il  avait  disparu 
pendant  la  Révolution,  mais  il  a  été  rendu  au  couvent  de  Paray 
en  1833  ;  une  dame  de  Moncolon  qui  le  possédait,  ayant,  à  sa  moit, 
enjoint  à  ses  héritiers  de  faire  cette  restitution.  11  orne  aujourd'hui, 
dans  l'intérieur  du  couvent,  le  lieu  où  la  Bienheureuse  est  restée  en- 


'  Ibid.,  t.  II,  p.  95. 
-  Ibid.,  t.  I,  p.  257. 
'  Ibid.,  t.  Il,  p.  \hh. 


AU    POIiNT    DR    VUK    DK    l'hISTOIRE    ET    DE    l'aRT  445 

sevelie  jusqu'au  moment  de  la  translation  de  ses  reliques  en  leur 
châsse  actuelle.  Voici  sa  description  : 

«  C'est  une  assez  fine  peinture  à  Thuile  de  quarante  centimètres 
de  hauteur  sur  trente  de  largeur.  Le  Cœur  de  Jésus,  entouré  de 
rayons  et  d'une  couronne  d'épines,  est  le  cen're  du  sujet.  Dans  le 
haut,  le  Père  éternel  environné  d'anges  repose  sur  les  nuages  ;  il 
tient  d'une  main  le  globe  terrestre,  de  l'autre  il  déroule  une  ban- 
deroUe  portant  ces  mots  :  Hic  est  cor  dilectissimi  Filii  mei  in  quo 
mi/ii  bene  complacui.  Le  Saint-Esprit  sous  la  forme  d'une  colombe 
plane  sur  le  Sacré-Cœur.  Plus  bas,  du  côté  droit  et  sur  les 
nuages,  la  Très-Sainte-Yierge  à  genoux  l'indique  du  geste  et  du 
regard  ;  ces  paroles  tracées  sur  une  légende  semblent  sortir  de 
ses  lèvres  :  Aimez-le  et  il  vous  aimera.  Saint  Joseph  tient  d'une 
main  son  lis  et  de  l'autre  montre  ce  très  doux  Cœur  en  disant  : 
Venez,  il  est  ouvert  à  tous.  La  petite  àme  suppliante,  coiffée  et 
vêtue  un  peu  selon  la  mode  du  temps  est  vue  de  face  ;  elle  joint 
les  mains  et  lève  les  yeux  avec  une  expression  de  confiance  et 
d'amour  très  bien  adaptée  à  sa  légende  qui  porte  ces  mots  : 
Je  l'aime  et  me  donne  à  lui  \  » 

IV. 

Si  nous  comparons  la  description  qui  précède  à  la  miniature 
de  la  Mère  Greyfié,  dont  la  copie  ne  difïérait,  autant  que  nous  pou- 
vons le  croire,  que  parla  suppression  des  quatre  tètes  de  Chéru- 
bins, il  est  probable  que  le  tableau  de  1688,  ainsi  décrit,  ne  rempla- 
çait pas  immédiatement  cette  miniature.  Un  autre,  semblable  à 
lui,  quant  à  la  partie  supérieure,  dut  le  précéder  et  servir  d'inter- 
médiaire. En  faveur  de  cette  conclusion,  on  peut  invoquer  une  es- 
tampe que  nous  trouvons  en  tète  d'un  petit  livre  ^Instructions  pra- 
tiques et  prières  pour  la  dévotion  du  Sacré-Cœur,  publié  à  Paris,  en 
1723.  Elle  est  absolument  conforme  à  la  description  ci-dessus.  Si 
on  en  excepte  deux  anges  du  bas  qui  se  voient  précisément  à  la 
place  occupée  depuis  parla  sainte  Vierge,  S.  Joseph  et  la  figure^  de 
l'âme.  Nous  reproduisons  (pi.  vu,  fig.  4)  la  partie  supérieure  de 

'  Ibid.,  t.  I,  p.  258,  note. 


446  LRS    IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

cette  estampe,  pour  la  comparer  à  la  partie  correspondante  (fig.  3) 
d'un  autre  tableau  qui  fut  placé,  non  plus  dans  le  petit  oratoire  in- 
térieur dont  nous  venons  de  parler,  mais  dans  la  chapelle  qui,  cons- 
truite peu  après  à  l'extrémité  du  jardin,  fut  bénite  le  7  septembre 
de  la  même  année  (1688).  «  Exécuté  à  Dijon,  d'après  la  miniaturede 
la  Mère  Greyfié,  est-il  dit  dans  l'histoire  de  Marguerite-Marie,  sous  la 
surveillance  de  la  Mère  de  Saumaise,  il  ne  pouvait  manquer  de  plaire 
à  leur  bienheureuse  fille.  »  En  effet,  celle-ci,  dans  une  lettre  de 
remerciements,  écrivait  à  la  Mère  de  Saumaise  :  «  Je  ne  puis  vous 
exprimer  le  doux  transport  de  joie  que  ressentit  mon  cœur  à  la 
vue  de  notre  tableau.  Je  ne  me  lassais  jamais  de  le  regarder, 
tant  je  le  trouve  beau,  et  je  vous  donnais  mille  bénédictions  '.  » 

Ce  tableau  s'est  conservé.  Enlevé  de  Paray  pendant  la  Révolu- 
tion, il  a  été  transporté  à  Semur,  dans  l'église  paroissiale  ;  une  co- 
pie en  a  été  faite,  elle  est  exposée  sur  un  mur  latéral  dans  la  cha- 
pelle même  où  primitivement  l'original  surmontait  l'autel.  Or,  on 
doit  reconnaître,  d'après  cette  copie,  que  le  tableau  n'a  d'autre  mé- 
rite que  celui  de  l'idée,  qu'il  n'a,  comme  composition,  que  des  rap- 
ports très  éloignés  avec  la  miniature  de  la  Mère  Greyfié  (s'il  est 
vrai,  comme  nous  le  croyons,  que  l'aquarelle  reproduite  fig.  2,  en 
fut  elle-même  la  copie),  et  qu'enfin,  pour  le  caractère,  il  en  diffère 
absolument.  On  lui  trouve,  au  contraire,  les  plus  grands  rapports 
avec  le  petit  tableau  décrit  en  dernier  lieu  et  avec  l'estampe  de 
1723  (fig.  4).  Tous  représentent  également  au  centre  le  divin  Cœur 
entouré  de  la  couronne  d'épines,  surmonté  de  la  croix  et  d'une  gerbe 
de  flammes  (fig.  3).  \u-dessus.  Dieu  le  Père  %  tenant  le  globe  du 
monde  à  la  main,  et  jetant  sur  le  Cœur  de  son  divin  Fils  un  regard 


'  Jbid.,  t.  I,  p.  282. 

'  Dieu  le  Père,  dans  ces  diverses  compositions,  porte  derrière  la  tète  le  triangle 
en  guise  de  nimbe;  en  elïct,  au  XVIIc  siècle,  cette  attribution  était  devenue  d'un 
usage  universel,  quoique  nous  n'en  connaissions  pas  d'exemple  qui  remonte  plus 
haut  que  ce  siècle  niùine,  c'est-à-dire  qu'à  une  époque  où  les  signes  iconographiques 
avaient  cessé  de  prendre  racines  dans  la  jjrolondeur  des  traditions  chrétiennes. 
Dans  nos  études  précédentes  sur  l'art  chrétien,  nous  avons  cru  pouvoir  contester 
la  justesse  de  cet  emblème  de  la  Trinité,  appliqué  à  une  des  personnes  divines  en 
particulier;  mais  on  nous  a  fait  observer  que  le  Père  étant  dans  la  Trinité  le  prin- 
cipe des  deux  autres  personnes,  on  pouvait  avec  justesse  lui  appliquer  spéciale- 


AU    POINT    DK    VliC    DK    i/hISTOIRE    KT    DE    I.ART  447 

de  complaisance;  le  Saint-Esprit,  sous  forme  de  colombe,  placé 
entre  deux  ;  seulement,  l'inscription  tracée  sur  la  banderoUe  n'est 
plus  la  même  ;  maintenant  elle  porte  ces  mots:«  Voici  le  Cœur  qui 
vous  a  tant  aimé;  »  et  tout  autour  du  Cœur  sont  rangés  des  anges 
adorateurs. 

Voilà  ce  que  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  et  ses  compagnes 
ont  vu,  voilà  ce  qui  les  a  justement  charmées  :  leurs  pensées  s'éle- 
vant  vers  les  sublimes  réalités  qui  leur  étaient  représentées  par  ces 
images,  elles  n'ont  certainement  rien  aperçu  de  ce  que  l'on  doit 
appeler  le  mauvais  goût  d'un  artiste  médiocre,  quant  à  la  manière 
de  représenter  la  nature  angélique,  en  quelques  esprits  célestes  que 
notre  planche  ne  donne  pas. 

Nous  avons  dit  dans  un  autre  ouvrage  que  les  saints,  plus  que  les 
autres,  ont  le  sentiment  de  l'art,  qu'ils  en  sont  ordinairement  les 
promoteurs.  Excepterons-nous  une  âme  que  le  Cœur  de  Jésus  a 
choisie  avec  tant  de  prédilection  pour  se  faire  connaître,  honorer 
et  aimer?  Assurément  non.  Il  faut  seulement  se  rendre  compte  des 
conditions  propres  aux  saints,  et  qui  les  rendent  aptes  au  rôle  que 
nous  leurs  attribuons,  et  nous  verrons  plus  loin  que  Marguerite- 
Marie  les  a  effectivement  réunies  en  sa  personne  avec  l'ingénuité 
de  son  aimable  caractère. 

ment  le  symbole  de  la  Trinité  même.  D'ailleurs,  on  en  était  venu  à  considérer  le 
triangle,  non  plus  seulement  comme  un  emblème  de  la  Trinité,  mais  comme  un 
emblème  de  la  divinité,  de  sorte  qu'ayant  perdu  le  sens  du  nimbe  crucifère  qui 
avait  traditionnellement  cette  signification,  on  attribuait  le  triangle  aux  autres 
personnes  divines,  comme  on  le  faisait  plus  anciennement  du  nimbe  crucifère. 
Plusieurs  exemples  de  son  attribution  au  Fils  nous  sont  donnés  par  des  gravures 
du  XYII"  et  du  XVI11<=  siècle,  citées  dans  cette  étude,  notamment  dans  celle  de 
Marcos  de  Orozca  et  dans  celle  d'un  Christ  au  Sacré-Cœur  de  la  collection  Des- 
jardins dont  nous  parlerons  dans  la  suite.  Finalement,  on  peut  justifier,  au  point 
de  vue  doctrinal,  l'attribution  du  nimbe  triangulaire  à  Dieu  le  Père  ;  à  ce  seul 
point  de  vue,  on  devrait  se  l'interdire  relativement  à  Dieu  le  Fils;  et  au  point  de 
vue  iconographique,  il  nous  paraît  préférable  de  cesser  absolument  l'emploi  du 
triangle  comme  nimbe  ;  dès  lors,  qu'on  est  revenu  heureusement  à  l'usage  du 
nimbe  crucifère  bien  compris. 


448  LES    IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 


On  a  dû  remarquer  que  les  images  du  Sacré-Cœur  dessinées  sous 
l'inspiration  de  la  B.  Marguerite-Marie,  ou  adoptées  par  elle,  sont 
de  deux  sortes  :  1°  les  images  faites  dans  Tintérieur  de  son  couvent 
ou  dans  les  couvents  voisins  de  la  Visitation,  qui  tiennent,  quant  au 
moyen  d'exécution,  plutôt  de  la  calligraphie  que  de  la  peinture,  et 
qui  sont  toutes  emblématiques  ;  les  tableaux  peints  par  des  artistes 
du  dehors  qui  ont  traduit  à  leur  manière,  selon  le  goût  du  temps  et 
les  procédés  de  l'art  alors  en  vogue,  les  données  provenant  de  la 
bienheureuse.  Dans  ceux-ci  comme  dans  celles-là,  il  n'y  a  aucun 
élément  de  composition  qui  soit  nouveau.  Si  l'on  remonte  aux  pa- 
roles adressées  par  Notre-Seigneur  à  sa  servante,  lesquelles  durent 
déterminer  le  mode  de  ces  représentations,  quant  à  leurs  éléments 
essentiels,  on  ne  voit  rien  non  plus  qui  soit  sans  exemple  :  un  cœur 
rayonnant,  la  plaie  apparente,  la  couronne  d'épines  autour  du  cœur, 
une  croix  au-dessus,  nous  avons  vu  tout  cela  dans  les  images  du 
divin  Cœur,  antérieures  à  ces  apparitions,  que  nous  avons  décrites  et 
dont  nous  avons  donné  des  spécimens.  Marguerite-Marie  ne  s'est  pas 
non  plus  astreinte  à  reproduire  à  la  lettre  les  figures  qui  lui  avaient 
été  montrées  en  vision. Les  visions  ne  parlent  pas  des  clous,  et  les  clous 
apparaissent  fixés  au  cœur  dans  la  première  image  tracée  de  la  main 
ou  sous  les  yeux  de  la  Bienheureuse  et  dans  l'image  conservée  à  Ne- 
vers.  Très  probablement,  il  en  était  de  même  pour  toutes  les  autres 
de  cette  catégorie.  Nous  avons  vu  d'un  autre  côté  combien  l'associa- 
tion du  cœur  et  des  clous  était  usitée  dans  les  images  antérieures, 
vu  que  quelquefois  même  des  clous  avaient  été  fixés  à  l'intérieur  du 
cœur.  11  faut  se  rappeler  en  effet  que,  dans  les  manifestations  sur- 
naturelles, Dieu  a  égard  aux  dispositions  naturelles  des  esprits,  aux 
formes  de  langage,  aux  formules  en  usage.  Lorsque  les  instruments 
de  la  Passion  ont  été  modelés  dans  le  cœur  de  la  bienheureuse 
Claire  de  Montefalco,  il  est  facile  de  voir  qu'ils  l'ont  été  non  selon 
leur  réalité  historique,  c'est-à-dire  tels  qu'ils  étaient  sur  le  calvaire, 
mais  conformément  à  l'idée  qu'elle  s'en  faisait  et  avec  les  formes 
sous  lesquelles  son  imagination  les  lui  représentait. 

Considérées  dans  leurs  formes  sensibles,  les  apparitions  dcN.-S. 


AU    POINT    DE    VUK    DE    l"h[STOIRK    ET    DE    l'aRT  449 

à  la  Bienheureuse  n'offrent  aucune  trace  d'un  cœur  reproduit  dans 
toute  sa  réalité  organique,  le  divin  Cœur  est  représenté  «  comme 
sur  un  trône  de  feu;  il  est  plus  brillant  que  le  soleil,  transparent 
comme  le  cristal.  »  Ce  sont  des  figures  et  des  figures  de  langage 
plus  encore  que  des  figures  graphiques.  Dans  tous  les  cas,  elles  ne 
peuvent  se  rendre  pour  Fœil  avec  une  fidélité  littérale. 

L'art  et  le  discours  procèdent  par  voie  de  traduction,  soit  en  pas- 
sant des  effets  de  la  nature  au  langage  qui  leur  est  propre,  soit  par 
un  échange  mutuel  de  traits  et  d'expressions.  Toutes  les  fois  qu'il 
s'agit  de  traduire,  des  formes  multiples  sont  susceptibles  de  corres- 
pondre à  une  forme  unique,  par  cela  même  qu'il  n'y  a  pas  d'équation 
absolue  entre  les  termes  et  les  tours  d'une  langue,  les  termes  et  les 
tours  de  l'autre.  La  Bienheureuse  n'avait  donc  pas  à  s'imposer,  ni 
à  réclamer  une  similitude  parfaite  avec  ce  qui  lui  avait  été  montré 
en  vision,  lorsqu'elle  cherchait  à  en  tracer  elle-même  ou  qu'elle  de- 
mandait qu'on  lui  en  retraçât  des  équivalents.  L'essentiel  pour  que 
la  pensée  et  les  actes  du  culte  se  portassent  sur  le  Cœur  de  Jésus- 
Christ  était  que  ce  Cœur  adorable  fût  parfaitement  caractérisé.  La 
plaie,  la  couronne  d'épines  et  de  la  croix  atteignent  ce  but.  On  les 
avait  précédemment  appliqués  à  désigner  le  divin  Cœur,  mais  sans 
assez  de  fixité,  ni  d'une  manière  assez  exclusive.  Désormais  un 
seul  de  ces  emblèmes  suffira  à  cette  désignation.  Et  quant  à  la  ma- 
nière de  disposer  la  plaie,  la  couronne,  les  clous,  elle  sera  plus  ou 
moins  facultative,  sans  que  le  sens  en  soit  altéré. 


VL 


Dès  que  la  bienheureuse  Marguerite-Marie  ou  ses  compagnes 
confient  les  représentations  du  Sacré-Cœur  à  des  artistes  de  profes- 
sion, on  voit  apparaître  des  approximations  d'imitation  naturelle 
dans  les  formes  du  cœur  et  la  disposition  de  la  blessure,  on  aperçoit 
des  essais  d'agencement  pittoresque  pour  la  couronne  d'épines  ^fig. 
3  ;  en  ces  choses  cependant,  c'est  bien  à  peine  s'il  y  a  place  pour  l'art, 
mais  en  même  temps  le  divin  Cœur  est  entouré  au  moins  d'anges 
adorateurs.  C'en  était  assez  pour  offrir  véritablement  au  sentiment 
artistique  un  champ  où  il  put  s'exercer.  Les  anges  adorateurs 
n'étaient  pas  d'ailleurs,  dans  la  matière  présente,  un  élément  de 

\h  sénc,   tome  XI.  i'.) 


450  r^ES    IMAGKS    DU    SACRÉ-COEUR 

composition  inusitée  avant  la  Bienheureuse.  La  miniature  de  la  Mère 
Greyfié  renfermait  quatre  tètes  n"anges  placées  symétriquement  aux 
quatre  angles.  Il  est  à  croire  de  plus  que  les  artistes  auxquels  on 
s'adressa  pour  les  premiers  dessins  dont  nous  avons  parlé,  introdui- 
sirent dans  leurs  compositions,  non  seulement  des  anges,  mais  Dieu 
le  Père  et  le  Saint-Esprit.  Nous  appuyons  cette  conjecture  d'abord 
sur  la  connaissance  que  nous  avons  des  deux  tableaux  placés  et 
conservés,  l'un  dans  le  lieu  ou  fut  d'abord  ensevelie  la  Bienheu- 
reuse, l'autre  dans  la  chapelle  du  jardin  ;  ensuite,  en  général,  sur  les 
estampes  des  trente  ou  quarante  premières  années  du  XVlIIe  siècle. 
Nous  en  avons  reproduit  une  en  partie  (fig.  4).  Toutes  nous  donnent 
à  croire  que  leurs  éléments  communs  remontent  jusques  au  temps 
de  la  Bienheureuse.  11  en  est  une  notamment  que  nous  retrouvons 
à  la  fois  dans  deux  petits  livres  de  notre  collection  imprimée  en  1722 
et  l'732  \  Elle  ne  difTère  essentiellement  de  celle  de  1723  (fig.  4)  que 
par  l'attitude  de  Dieu  le  Père,  le  nombre  des  tètes  d'anges  et  leur 
disposition.  De  part  et  d'autre,  la  forme  du  Cœur  est  toute  symé- 
trique, c'est  à-dire  archaïque  et  conventionnelle,  à  la  différence  de 
celle  du  tableau  de  1688  fig.  3),  ce  qui  nous  paraît  un  indice  de  leur 
antériorité.  Dans  ces  différentes  estampes  et  beaucoup  d'autres  re- 
cueillies par  le  P.  Desjardins  ou  arrivées  autrement  à  notre  connais- 
sance, il  n'y  a  que  deux  des  anges  qui  soient  représentés  à  plein 
corps,  et  ces  deux  anges  sont  agenouillés  sur  le  sol.  Nous  paraissent 
avoir  eu  la  môme  position  ceux  qui  furent  remplacés,  sur  le  second 
tableau  du  petit  oratoire,  par  la  Ste  Yiorgc,  S.  Joseph,  e!  l'âme  sup- 
pliante. Toutes  ces  estampes,  échelonnées  à  diverses  dates  pendant 
tout  le  XYIir  siècle  jusqu'à  nos  jours,  semblent  annoncer  une  pra- 
tique traditionnelle  poursuivie  sans  interruption.  Remontons  donc 
jusqu'à  l'époque  où  ce  petit  tableau  de  l'oratoire  fut  exécuté,  époque 
qui  est  aussi  celle  des  premières  gravures  faites  à  la  sollicitation  de 
la  Bienheureuse  ;    nous  inclinons  fortement  à  croire  que  dans  les 
estampes  de  nos  petits  livres,  nous  avons  des  reproductions  au  moins 
approximatives  de  celle  dont  l'apparition  fut  pour  Marguerite-Marie 


'  Le  cœur  chrétien  forme  sur  le  Cœur  de  Jtsus-Christ,  \yar\Q  P.  Simon  Gourdon. 
Paiid,  1722.  —  Vive  Jésus,  le  Sacré-Cœur  de  Jésus,  le  cœur  et  les  canliques  de  Dci- 
cole  (c'est-à-dii'e  du  fidèle),  par  Cli.  Em.  Barnaba.  Bruxelles,  1732. 


AU    POINT    DE    VUK    DK    L  HISTOIRE    liT    DE    l'aRT  4o1 

un  si  grand  sujet  de  joie  en  1687.  Autre  coïncidence  :  les  deux 
estampes  de  1723  et  do  1732,  nonobstant  leurs  différences  de  com- 
position portent  également  en  guise  de  titre  ces  mois  :  Incendium 
divinis  amoris,  <(  Incendie  du  divin  amour.  »  Indice  nouveau  de 
leur  commune  origine. 

Dans  toutes  ces  compositions  d'ailleurs,  la  même  pensée  se  re- 
trouve :  c'est  Dieu  le  Père  faisant  du  Cœur  de  son  divin  Fils  l'objet 
de  ses  éternelles  complaisances,  et  le  présentant  aux  hommes 
comme  l'objet  ineffable  de  leur  confiance  et  de  leur  amour;  c'est 
le  Saint-Esprit,  sous  la  figure  d'une  colombe,  s^associant  aux  pen- 
sées dn  Père  ;  ce  sont  les  anges  témoignant  par  leurs  adorations 
que  ce  Cœur  est  bien  d'un  Dieu,  et  nous  donnant  l'exemple  du  culte 
que  nous  lai  devons.  La  sainte  Vierge,  saint  Joseph,  l'àme  fidèle, 
ont  pu  être  substitués  aux  anges  dans  des  sentiments  analogues.  On 
aura  pu  de  même  leur  substituer  ou  leur  adjoindre  différents  autres 
saints.  Nous  croyons  pouvoir  affirmer  que  les  représentations  faites 
pour  honorer  le  divin  Cœur,  sous  l'inspiration  immédiate  de  la 
Bienheureuse,  ne  sont  pas  sorties  de  ces  données. 

L'exécution  de  ces  tableaux,  de  ces  images,  dépendait  de  l'état  ac- 
tuel d'alors  de  l'iconographie  chrétienne,  de  la  situation  de  l'art  et  de 
la  valeur  personnelle  des  artistes.  Il  ne  faut  demander  aux  types  des 
personnages  et  à  leur  expression  ni  l'élévation  ni  les  profondeurs 
des  époques  pénétrées  du  sens  surnaturel.  La  convenance,  voilà  tout 
ce  qu'on  peut  exiger,  et  voilà  ce  que  les  compositions,  dont  nous 
parlons,  présentent  toujours  quant  aux  expressions.  La  figure  divine 
est  toujours  noble  et  grave.  Les  anges  adorent  véritablement;  ce  mé- 
rite doit  être  d'autant  plus  relevé,  qu'alors  les  tableaux  des  grands 
maîtres  donnent  généralement  pour  des  anges  quelques  enfants  lu- 
tins qui  culbutent  parmi  les  nuages  ou  quelques  beaux  adolescents 
presque  nus  avec  attitudes  sensuelles.  Les  types  ne  manquent  pas  non 
plus  d'une  certaine  élévation  dans  les  estampes  ;  nous  avons  au 
contraire  laissé  apercevoir  que,  dans  le  tableau  de  la  chapelle  du 
jardin,  Tartistc  avait  singulièrement  fait  preuve  de  mauvais  goù[  en 
prenant  ses  modèles,  l'un  d'eux  surtout,  trop  directement  dans  la 
nature.  Ce  tableau  (fig,  3),  n'est  pas  absolument  dépourvu  de  ces 
qualités  artistiques  qui,  an  XYIL'  siècle,  étaient  devenues  et  sont 
restées  depuis  accessibles  dans  une  sérieuse  mesure,  mémo  aux  ta- 


452  LES    IMAtiES    DU    SACRÉ-COt:UK 

lents  médiocres.  Il  y  a  de  la  lumière,  du  relief,  tout  spécialement 
dans  la  représentation  du  divin  Cœur.  La  céleste  colombe,  qui  étend 
au-dessus  de  ce  Cœur  sacré  ses  longues  et  blanches  ailes,  est  con- 
çue d'une  manière  exceptionnellement  heureuse.  Dieu  le  Père,  un 
peu  gauche  dans  son  mouvement,  est  irréprochable  de  type  ;  sa 
physionomie  est  douce,  vénérable,  affectueuse.  Ces  qualités  expli- 
quent comment  la  Bienheureuse  a  pu  trouver  de  la  beauté  dans  ce 
tableau.  Chf:'Z  elle,  neuve  en  fait  d'art,  ignorant,  avec  les  règles,  ce 
qui  pouvait  prêter  à  la  critique,  ne  le  voyant  même  pas,  ne  con- 
naissant rien  de  mieux  comme  exécution  artistisque,  cette  im- 
pression venait  d'un  sentiment  vrai  de  l'art  et  du  beau  qui  se  ré- 
vélait à  cette  vue. 

C'est  ainsi,  proportion  gardée,  que  de  grands  musiciens,  dépour- 
vus jusque  là  de  tout  talent,  se  sont,  dit-on,  révélés  lors(ju'ils  ont 
entendu  pour  la  première  fois  les  accords  d'une  musique  très  com- 
mune. 


CHAPITRE  II . 

DÉVELOPPEMENT    DONNÉ    AUX    IMAGES    DU    SACRÉ-CŒUR. 


I. 


Le  sentiment  de  l'art  chez  les  saints  tient  à  leur  simplicité  de 
vue,  à  leur  dégagement  des  choses  du  monde,  à  une  heureuse  élé- 
vation au-dessus  des  inclinations  de  la  nature  dépravée  qui  corrom- 
pent le  goût,  enfin  à  des  élans  habituels  d'esprit  et  de  cœur  vers  le 
principe  et  le  type  de  toute  beauté  qui  est  Dieu.  Pour  que  ce  sen- 
timent toutefois  arrive  à  des  effets  sensiblement  soutenus,  il  faut 
qu'il  soit  développé  par  les  circonstances  et  appelé  à  donner  ou  à 
prendre  une  direction  pratique. Or,  l'influence  directe  de  notre  Bien- 
heureuse sur  l'exécution  des  images  du  Sacré-Cœur  ne  paraît  pas 
avoir  dépassé  les  bornes  indiquées,  mais  l'impulsion  qu'elle  avait 
donnée  se  perpétua  après  elle  ;  aussi  croyons-nous  être  en  droit  de 
lui  attribuer  une  part  assez  large  dans  tout  ce  qui  depuis  lors  se  fit 
de  bien.  C'est  le  bien  seul  que  nous  lui  attribuerons,  car  les  défauts 


AU    POINT   DE    VUE    DE    l'hISTOIRE   ET    DE    l'aRT  4o3 

dans  la  direction  et  dans  l'exécution  sont  imputables  au  goût  du 
temps  et  au  peu  d'influence  que  les  idées  chrétiennes  exerçaient 
dans  le  domaine  de  l'art. 

Selon  ces  vues,  nous  allons  étudier  d'abord  les  modifications  ap- 
portées à  la  manière  de  représenter  le  divin  Cœur;  nous  nous  occu- 
perons ensuite  des  compositions  de  plus  en  plus  variées  qui  lui  ont 
été  consacrées. 

Avant  la  bienheureuse  Marguerite-Marie,  l'usage  de  représenter 
le  rœur  humain  en  général,  et  le  Cœur  sacré  de  Jésus  en  particu- 
lier, sous  des  formes  toutes  symétriques  et  conventionnelles,  était 
si  universellement  répandu  que  c'est  à  peine  si  Ton  trouve  quelques 
exemples  du  contraire.  Dans  les  tableaux  même  qui  ont  une  valeur 
artistique,  comme  celui  de  Gilles  Mostaert,  le  cœur  conserve  cette 
forme  archaïque.  Les  croquis  du  P.  Desjardins  s'en  éloignent  sou- 
vent, il  est  vrai  ;  mais  cela  vient  très-probablement  de  l'à-peu-près 
avec  lequel  ils  ont  été  faits.  Leur  auteur  négligeant  ce  qui  n'était 
pas  essentiel  au  sujet,  aura  cédé  à  l'habitude  qui  a  prévalu  de  dessi- 
ner le  cœur  avec  l'inflexion  qui  lui  est  naturelle.  Nous  avons  vu 
commettre  celte  même  méprise  par  des  personnes  qui,  voulant 
obligeamment  nous  renseigner,  nous  donnaient  également  des 
croquis  de  cœurs  contournés  comme  ceux  de  notre  planche  vu  (fig. 
3,  H),  pour  nous  représenter  ceux  que  nous  donnons  d'après  les 
originaux  (pi.  v,  fig.  i,  3,  6).  Ces  formes  étaient  en  rapport  avec 
le  caractère  héraldique  que  les  images  du  Sacré-Cœur  avaient  eu 
jusque-là.  Les  premières  images  dessinées  sous  l'impulsion  de  la 
Bienheureuse,  conservent  les  formes  usitées  (pi.  vu,  fig.  1,  2,  4.) 
Mais  dès  que  ces  images  prenaient  un  caractère  plus  personnel,  elles 
appelaient  le  concours  de  l'art,  et  l'art  devait  se  manifester  par  une 
tendance  à  l'imitation  de  la  nature.  Nous  avons  dit  comment  cette  ten- 
dance s'était  produite  dans  le  tableau  exécuté  à  Dijon  pour  la  chapelle 
du  jardin  en  1688  (pi.  vn,  fig.  3).  La  disposition  ainsi  obtenue  avait 
sa  raison  d'être  et  nous  croyons  qu'elle  doit  être  maintenue  ;  mais 
il  ne  faut  pas  l'exagérer.  Ainsi  le  P.  de  Galiffet  '  nous  paraît  s'être 

'  De  cullu  sacro  sancli  Covdis  Dci  ac  Domini  noslri  Jesu  CItristi,  iri-'i".  Romae, 
i7"26.  Cette  estampe  est  reproduite  dans  les  éditions  françaises  du  même  ouvnige 
de  1733,  à  Avignon,  en  1745,  à  Nancy,  publiées  sous  ce  titre  :  Excellence  de  la 
dévotion  au  Cœur  adorable  de  Jésus. 


454  LES  imaCtKS  du  sacué-coeur 

mépris,  lorsque,  dans  son  Traité  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur,  il  a 
fait  dessiner  un  cœui'  avec  des  formes  tout  anatomiques  :  si  ce  cœur 
n'était  entouré  des  symboles,  qui  en  relèvent  la  signification,  des 
belles  tètes  d'anges  qui  l'adorent,  on  serait  tenté  do  lui  appliquer 
cette  expression  injurieuse  de  viscère,  employée  par  les  détracteurs 
de  la  dévotion  que  le  vénérable  religieux  préconisait  avec  un  zèle  si 
méritoire. Les  raisons  données  par  le  pieux  auteur  cependant  peuvent 
sembler  plausiides.  «  On  l'a  représentée,  dit-il  de  l'image  du  Sacré- 
CŒ'ur,  en  diverses  manières  et  ornée  en  différentes  façons  selon 
le  goût  et  le  genre  des  peintres,  ou  selon  la  dévotion  de  ceux 
qui  la  désiraient.  Il  y  a  des  personnes  pieuses  qui  ont  souhaité 
qu'on  la  leur  donnât  toute  simple  et  dans  sa  forme  naturelle  ; 
c'est-à  dire  dans  la  même  forme  que  le  cœur  a  dans  le  corps  hu- 
main, trouvant  plus  de  dévotion  à  honorer  le  Cœur  de  J.-C, 
représenté  comme  il  est  réellement  dans  la  poitrine  sacrée  de  ce 
divin  Sauveur.  Cela  parait^  en  effet,  plus  conforme  à  la  raison.  Si 
on  avait  à  honorer  la  main  de  J.-C,  l'expression  la  plus  naturelle 
et  la  plus  exacte  de  cette  divine  main  serait  celle  q"e  l'on  désire- 
rait :  pourquoi  ne  pas  penser  de  même  de  son  Sacré-Cœur?  C'est 
donc  pour  satisfaire  à  la  dévotion  de  ces  personnes  que  nous  avons 
fait  graver  et  que  nous  donnons  ici  le  Cœur  de  Jésus  et  le  Cœur 
de  Marie  dans  la  forme  qui  leur  est  naturelle  \  » 

Qu'il  y  ait  de  justes  motifs  pour  chercher  à  satisfaire  dans  une 
certaine  mesure  les  désirs  dont  parle  le  pieux  auteur,  nous  ne  sau- 
rions le  contester  absolument  ;  mais  assimiler  les  organes  qui  na- 
turellement tombent  sous  le  regard,  comme  la  main,  et  ceux  qui 
fonctionnent,  hors  delà  vue,  dans  les  profondeurs  de  notre  corps  : 
n'est-ce  pas  aller  beaucoup  trop  loin?  Dans  tous  les  cas,  à  moins 
qu'il  ne  s'agisse  d'une  étude  anatomique  comme  celle  de  M.  l'abbé 
Riche  ",  les  représentations  du  cœur  humain  pour  exprimer  ses 
rapports  avec  l'ordre  moral,  à  plus  forte  raison  quand  onles  emploie 
comme  expression  de  l'ordre  moral  lui-même  doivent  être  idéali- 
sées. —  N'idéalise-t-on  pas  tous  les  symboles,  n'idéalise-t-on  pas 
une  feuille  de  chêne  en  sculpture,  les  formes  animales  quand  on  les 


'  Excellence  de  la  dévolion  au  Cuur  de  Jésus,  1715,  p.  279. 
^  Merveilles  du  Cœur. 


AU    rOINT    DE    VUE    DK    I. 'HISTOIRE    ET   DE    l'aRT  435 

applique  aux  animaux  évangéliqnes  ?  —  Et  si  tant  est  que  l'on  re- 
présente des  artères  et  des  veines  aboutissant  au  cœur,  il  faut  que 
cette  représentation  elle-même  soit  idéalisée.  Plus   on  s'élève  au 
point  de  vue   do  l'art,   plus  ces  considérations  prennent  de  force. 
L'art  imitant  la  nature  pour  en  reproduire  les  beautés,  il  ne  peut  pré- 
tendre à  l'imiter  que  dans  les  choses  visibles,  que  dans  des  condi- 
tions de  beauté.   Or  les  beautés  du  cœur  sont  invisijjles.  L'organe 
dès  qu'il  peut  se  voir  n'est  plus  dans  ses  conditions  normales  de  vie. 
D'ailleurs,    à  supposer  que  le  Cœur  même  de  Notre  Seigneur  pût 
être  représenté  tel  qu'il  apparaîtrait  dans  les  profondeurs  de  sa  poi- 
trine, si  on  avait  le  don  de  seconde  vue,  ce  ne  serait  même  pas  ce 
divin  Cœur  fonctionnant  dans  les  conditions  de  sa  vie  mortelle  qu'il 
faudrait  prendre  pour  modèle.  L'esprit   devrait  s'élever  jusqu'à  la 
conception  de  cet  organe  ineffable  de  l'amour,  tel  qu'il  existe  à  l'é- 
tat glorieux.    C'était   un   cœur  glorieux   assurément  que  ce  cœur 
«  rayonnant  de  tous  côtés,  plus  brillant  que  le  soleil  et  transparent 
comme  un  cristal,  »  qui  fut  montré  à  Marguerite-Marie  comme  sur 
un  trône.  Ces  termes  mêmes  témoignent  que  Jésus,  le  principe  et  le 
type  de  toute  beauté,   n'avait  pas  manqué  de  manifester  son  Cœur 
comme  admirablement  beau,  lorsqu'il  apparut  à  sa  servante.  Il  est 
ridicule,  il  est  absurde,  il  est  presqu'odieux  d'aller  chercher,  pour  le 
représenter,  un  modèle  dans  un  atelier  de  dissection. 

Nous  ne  disons  pas  que  le  dessinateur  '  do  la  gravure  qui  donne 
lieu  à  ces  réflexions  soit  tombé  en  de  pareils  excès;  non,  il  a  relevé 
lui-même  ce  cœur  d'ailleurs  trop  semblable  au  type  le  plus  vul- 
gaire, en  le  modelant,  en  Tilluminant  et  l'enflammant  dans  des  con- 
ditions naturellement  impossibles.  Ce  qu'il  a  fait  sous  ce  rapport 
servira  à  déterminer  ce  que  l'on  peut  faire,  ce  que  l'on  doit  faire  sous 
tous  les  rapports. 

Il  ne  saurait  être  question,  nous  le  répétons,  de  revenir  à  la  ri 
gidité  et  à  la  symétrie  des  anciennes  formes  quasi-géométriques.  Il 
y  faut  quelque  chose  des  inflexions  qui  caractérisent  l'organe  dans 
les  êtres  vivants  ;  mais,  par  les  raisons  données,  il  le  faut  modéré- 
ment, et  sous  ce  rapport,  il  n'y  a  guère  lieu  de  dépasser  ce  qui  a 
été  fait  en  1688  par  le  peintre  de  Dijon  (pi.  YII,  fig.  3). 

'  Cette  gravure,  signée  Varolus  Nalai/r  {ii/s)  dcl.  Pctrus  Masini  sculpsit, 
a  probal.lement  été  dessinée  [nir  Charles  Natoiie  qui  était  alois  f'rt  jeune. 


4..50  LES   IMAGKS    DU    SACRÉ  COEUR 

Dans  ce  qui  précède, il  s'agit  de  la  vérité  de  la  représentation  ;  quant 
à  sa  beauté,  pour  ce  qui  concerne  le  divin  Cœur  considéré  isolément 
avec  ses  accessoires  immédiats  et  caractéristiques,  la  couronne  d'é- 
pines, la  croix,  les  flammes,  l'artiste  ne  dispose  de  rien  autre  chose 
que  des  effets  de  lumière.  Il  peut  s'en  servir  pour  donner  à  cette 
partie  de  sa  composition  de  l'éclat,  du  relief,  et  c'est  tout.  Mais  la 
physionomie  est  un  miroir  oii  peuvent  se  réfléchir  les  vraies  beau- 
tés du  cœur.  Ce  sera  un  motif  pour  associer  à  la  représentation  du 
sacré  Cœur  de  Jésus,  celle  de  son  divin  visage.  La  main  humaine 
cependant  étant  incapable  de  rendre  par  les  traits  du  visage  tout  ce 
qui  se  passe  dans  le  cœur,  et  surtout  ce  qui  se  passe  dans  le  cœur 
d'un  Dieu,  la  représentation  de  la  personna  ou  la  physionomie  de 
son  visage  ne  peuvent  remplacer  l'image  même  du  cœur.  A  celle- 
ci  de  dire,  comme  signe,  tout  ce  que  ni  la  physionomie  ni  l'attitude 
ne  saurait  rendre.  En  effet,  dans  l'art,  la  représentation  du  cœur 
n'est  qu'une  signe,,  mais  un  signe  emprunté  à  l'organe  réel,  et  c'est 
pourquoi  l'artiste  doit  lui  conserver  foncièrement  ses  formes  en  les 
idéalisant. 


II. 


Xu  temps  de  la  Bienheureuse  et  avant  elle,  la  couronne  d'épines, 
quand  elle  était  représentée  avec  !e  divin  Cœur,  l'entourait  comme 
d'une  auréole.  Aujourd'hui  l'usage  a  généralement  prévalu  de  la 
ceindre  de  cette  couronne.  Le  premier  exemple  que  nous  en  con- 
naissions '  est  donné,  c!i  172G,  dans  le  traité  de  la  dévotion  au  Sa- 
cré-Cœur du  P.  de  Galiffet,  par  la  gravure  même  dont  nous  venons 

'  Un  exemple  bien  antérieur  aurait  été  donné  en  1710,  dans  une  vignette 
(p.  319)  du  livre  d'Antoine  Ginther,  curé  de  Biberach,  publié  à  Augabourg  sous 
ce  titre  :  Mater  amon's  et  doloiis  quain  Chn'stus  in  cniec  morien.s  suis  /îclelibus  in 
matrera  legavii,  si,  comme  nous  le  croyons,  les  vignettes  de  l'édition  de  1771,  que 
nous  avons  sous  les  yeux,  sont  la  reproduction  exacte  de  celles  de  l'édition  pri- 
mitive. D'après  la  description  qui  nous  a  été  transmise  des  vignettes  du  livre 
déjà  cité,  du  même  auteur,  consacré  au  Cœur  de  Jésus,  sous  ce  titre  :  Specnhim 
amnris  et  (loloris  in  sacintissimo  et  (livinissimo  Corde  Jeni  incarnciti,  etc.,  dont  la 
première  édition  remonte  à  1707,  nous  avons  compi'is  qu'on  y  voyait  aussi  au 
uioins  ui!  exemple  de  la  disposition  dont  il  s'agit  dans  la  deuxième  vignette. 
Nous  reviendions  sur  ces  deux  ouvrages. 


AU    POINT    DE    VUE    Dli    l'hISTOIRE    ET   DE    l'aRT  457 

de  nous  occuper.  L'innovcation  ainsi  introduite  n'était  pas  à  notre 
avis  une  amélioration,  nous  lui  préférons  la  disposition  primitive  ; 
mais  enfin  elle  est  très  admissible. 

Il  y  a  deux  choses  à  considérer  dans  cette  diposition  :  l'étreinte 
immédiate  du  divin  Cœur  par  les  épines,  pour  rappeler  plus  expres- 
sément ses  inexprimables  douleurs  ;  et  l'agencement  jugé  plus 
favorable  aux  effets  pittoresques.  Quant  à  l'étreinte,  elle  est  con- 
forme à  ces  paroles  rapportées  par  M.  l'abbé  Bougaud,  comme  pro- 
venant de  Marguerite-Marie  :  «  La  plupart  du  temps,  les  épines  de 
la  couronne  l'enserraient  si  étroitement  (le  divin  Cœur)  et  le  pres- 
saient avec  tant  de  violence  qu'il  était  tout  meurtri  et  que  son 
sang  coulait  à  flols  '  ».  Mais  on  remarque  que  la  couronne  peut 
presser  le  Cœur  dans  quelque  sens  qu'elle  soit  placée  ou  perpendi- 
culairement ou  horizontalement.  Elle  l'atteint  en  haut  el  en  bas 
dans  le  tableau  de  1688  (pl.  vu,  fig.  3),  si  bien  qu'il  y  aurait  peu  de 
chose  à  faire  pour  montrer  qu'il  ressenties  piqûres  des  épines;  ce 
serait  même  plus  facile  avec  cette  disposition  qu'avec  la  disposition 
horizontale.  Il  ne  reste  donc  en  faveur  de  celle-ci  que  le  motif 
d'agencement,  et  maintenant  qu'elle  a  prévalu,  l'autorité  d'un 
usage  établi  lui  demeure. 

Elle  ne  prévalut  pas  dès  son  apparition.  La  disposition  perpendi- 
culaire est  maintenue  dans  Y  Histoire  de  la  bienheureuse  Marie,  par 
Languet^  (1729 ■,  dans  la  gravure  du  Yœu  de  Marseille,  publiée 
vers  1732  et  que  nous  reproduisons  ipl.  vin),  dans  le  petit  livre  des 
Cantiques  de  Déicole  (1732),  dans  un  recueil  d'instructions  et  de 
prières  pour  les  Associations  du  Cœur  de  Jésus,  publié  à  Nancy,  en 

'  Bougand,  Hisl.  de  la  B.  Marguerite-Maine,  p.  296.  L'auteur  ronvoift  à  la  Vie 
de  la  Bienheureuse  par  f  es  contemporains,  1. 1,  p.  62;  mais  quand  neus  avons  voulu 
vérifier  cette  citation,  nous  n'avons  rien  trouvé  de  semblable  ni  à  cette  page  ni 
dans  les  autres  parties  de  l'ouvrage  où  nous  avons  cru  pouvoir  le  rencontrer. 

Si  l'on  devait  tenir  compte  de  la  sensibilité  naturelle  de.  l'organe,  l'étreinte  des 
épines  pour  exprimer  ses  souffrances  serait  mal  fondée.  En  eflet,  selon  M.  l'abbé 
Riche  [Merveilles  du  Cœur),  le  cœur,  considéré  comme  organe  physique,  n'est  que 
très  peu  sensible  à  ce  qui  ne  l'atteint  qu'au  dehors.  Sa  grande  sensibilité  est  au 
dedans,  là  elle  est  exquise  et  répond  soit  aux  impressions  de  l'ordre  moral,  soit  à 
ieu)'  réaction  sur  le  physique.  Cela  suffit,  d'ailleurs,  pour  justifier  les  piijûres  des 
épines  comme  expression  symbolique  des  douleurs  du  cœur. 

'  Languet  fut  successivement  évêque  de  SoissonB  et  archevêque  de  Serw. 


458  LHS    IMAGES    DU    SACkÉ-COEU  IC 

1740  ;  dans  iiiio  petite  image  de  famille,  faite  à  la  main  et  coloriée, 
que  nous  donnons  de  gm^ideur  naturelle  (pi.  vn,  fig.  11)  et  qui 
nous  paraît  être  de  celles  qui  se  répaiidiicnt  au  moment  de  la  Révo- 
lution vers  1789.  La  môme  disposition  se  voit  encore  aujourd'hui 
au-dessus  de  Fautel  de  la  chapelle  du  Sacré-Cœur,  dans  l'église 
Sainî-Suipice  à  Paris,  oii  ce  divin  Cœur  est  sculpté  en  bois  avec  des 
anges  adorateurs.  Il  serait  facile  de  multiplier  les  citations,  nous 
nous  bornons  aux  exemples  que  nous  avons  sous  les  yeux  ou  qui 
nous  reviennent  immédiatement  à  la  mémoire. 

La  disposition  nouvelle,  au  contraire,  est  adoptée  en  1743  au  fron- 
tispice et  dans  une  autre  gravure  de  l'ouvrage  du  P.  de  Galiffet, 
(édition  de  Nancy),  indépendamment  de  l'image  principale  dont  nous 
nous  sommes  occupés.  On  la  retrouve,  en  1764,  dans  un  petit  Traité 
de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur,  publié  également  à  Nancy;  en  1765, 
dans  la  gravure  reproduite  (pi.  ix),  et  destinée  à  célébrer  les  déci- 
sions de  l'Assemblée  du  clergé  de  France  en  faveur  de  la  Dévotion 
au  Sacré-Cœur.  Elle  apparaît  comme  vulgarisée  dans  les  en-tète  de 
chapitre  d'un  autre  recueil  publié  sur  cette  dévotion  à  Strasbourg 
en  1767.  Depuis  lors  elle  s'est  répandue  de  plus  en  plus. 

Il  y  aurait  lieu,  nous  le  croyons,  de  faire  des  distinctions  quant 
à  l'emploi  des  deux  dispositions.  Que  Ton  ceigne  de  la  couronne  le 
divin  Cœur,  quand  on  veut  une  représentation  plus  dégagée,  soit  ! 
Mais  il  nous  paraîtrait  préférable  de  l'encadrer  dans  cette  cou- 
ronne toutes  les  fois  que  la  composition  prend  un  caractère  plus 
grave  et  plus  directement  symbolique,  toutes  les  fois  qu'elle  tend  à 
donner  des  idées,  plus  qu'à  exciter  des  impressions.  Enfin,  l'on 
n'oubliera  pas  qu'elle  est  seule  conforme  aux  images  inspirées  im- 
médiatement par  Marguerite-Marie.  Nous  ne  voudrions  pas  pour- 
tant beaucoup  insister  sur  cette  dernière  raison,  car  alors  on  pour- 
rait croire  qu'elle  doit  s'appliquer  également  à  la  disposition  de  la 
plaie,  d'abord  représentée  horizontalement,  tandis  qu'il  est  préfé- 
rable de  prendre  ici,  pour  règle  la  réalité  telle  qu'elle  dut  se  pro- 
duire lorsque  le  divin  Cœur  fut  atteint  par  la  lance.  La  blessure  sera 
donc  oblique  et  placée  à  droite.  Il  n'y  a  rien  à  dire  au  sujet  de  la 
croix  et  des  flammes  qui,  ordinairement,  accompagnent  le  Cœur  ; 
leur  disposition  estabandonnée  aujugement  de  l'artiste,  cette  liberté 
n'ayant  pas  d'inconvénients. 


AU    POINT    DE    VUE    DE    l'hISTOIHE    ET    DE    l'aUT  45') 

III. 

Toutes  les  représentations  postérieures  à  la  bienheureuse  Marie 
que  nous  avons  décrites  jusqu'ici  font  apparaître  le  Sacré-Cœur  de 
Jésus  abstractivement,  sans  que  Notre  Seigneur  se  montre  en  per- 
sonne. La  mise  en  scène  des  saints  personnages  qui  entourent  le 
divin  Cœur  n'a  d'autre  but  que  de  le  faire  connaître,  de  déclarer 
tout  ce  qu'il  est,  de  nous  inviter  par  Là  même  à  faire  reposer  en  lui 
notre  confiance  et  à  lui  adresser  nos  adorations.  On  retrouve  ce 
même  caractère  dans  deux  estampes  qui  ornent  la  Vie  de  la  Bien- 
heureuse  parle  P.  Croiset  1693).  Dans  !a  première,  à  la  figure  de 
Dieu  le  Père  est  substitué  le  triangle  chargé  du  nom  de  Jéhovah  en 
hébreu,  et  le  divin  Cœur  apparaît  foncièrement  comme  on  le  voit 
(pi.  VIT,  fig.  3,  4) .  Au-dessus  de  lui  plane  le  Saint-Esprit  sous  la  figure 
d'une  colombe.  Cet  Esprit  divin  semble  vouloir  inspirer  à  Marguerite- 
Marie,  représentée  dans  le  bas,  les  pensées  que  cette  vision  doit  lui 
inspirer.  Le  Cœur  sacré  occupe  lui  même  le  haut  du  tableau;  dans  la 
seconde  estampe,  c'est  la  sainte  Vierge  placée  à  cjLé  et  un  peu 
au-dessous  qui  le  montre  en  présence  de  S.  François  de  Sales  et  de 
S.  LouisdeGonzaguetous  les  deux  en  adoration  '. 

Dans  l'estampe  qui  sert  de  frontispice  à  un  traité  de  !a  dévotion 
au  Sacré-Cœur,  publié  en  1720,  mais  approuvé  d''S  IG96  ",  au- 
dessous  de  la  composition  ordinaire,  comprenant  Dieu  le  Père,  le 
Saint-Esprit,  et  le  Sacré-Cœur  adoré  par  les  Anges,  nous  voyons 
une  femme  agenouillée,  échevelée,  dans  un  grand  sentiment  de 
repentir,  com.me  on  représcnio  souvent  sainte  Madeleine.  Une 
banderolle  qui  se  déroule  devant  elly  lui  prête  ce  langase  :  Nunc 
mihi  aperiiit  cor  suitm,  ((  maintenant  il  m'a  ouvert  son  cœur.  »  Cette 
femme  n'est  autre  que  Dalila,  figure  de  la  Gentiiité  convertie  et  de- 
venue l'Eglise,  ainsi  que  l'explique  S.  Jérôme  et  d'autres  Pères; 
figure  aussi  de  l'âme  pénitente  et  désormais  fidèle. 

Une  antre  estampe  du  môme  temps,  recueilhe  dans    la  colleci^on 

1  A  Lyon,  chez  Horace  Mulin.  P.  Senin,  inv.,  Oglcr,  .sciilp. 

2  La  vcrilable  dcvoh'on  au  Sacre-Cœur  de  Jésus,  parle  P.  ***,  de  la  C'«  de  Jésus. 
Besançon,  1720,  avec  upi^robation  du  P.  Pjovincial,  donnée  à  Rome  en  1696. 


460  LES    IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

du  P.  Desjardins,  représente  la  Bienheureuse  et  le  P.  de  la  Colom- 
bière  comme  les  adorateurs  du  Sacré-Cœur.  Au-dessus  de  celui-ci, 
s'élèvent  successivement  le  Père  et  le  Saint-Esprit. 

Jusqu'ici  on  ne  voit  apparaître  aucun  exemple  de  représentation 
personnelle  de  Notre-Seigneur  Jésus-Christ.  Le  premier  que  nous 
ayons  rencontré  dans  une  composition  relative  à  la  dévotion  au 
Sacré-Cœur,  nous  est  aussi  donné  dans  l'ouvrage  du  P.  de  Galliffet 
par  un  en-tête  du  livre  premier  '  :  Le  divin  Sauveur  apparaît  à  la 
bienheureuse  Marguerite-Marie  portant  une  grande  croix  et  tenant 
son  cœur  dans  la  main,  non  pas  appuyé  contre  sa  poitrine,  mais  au 
milieu  du  tableau  et  comme  le  lui  présentant,  Vient  ensuite  la  gra- 
vure placée  en  1729  en  tête  de  la  vie  de  la  Bienheureuse  par  Lan- 
guct.  La  composition  do  cette  gravure,  foncièrement  conforme  aux 
dispositions  décrites  précédemment  (pi.  vn,  fig.  3,  4),  quant  à  la 
partie  supérieure,  représente  dans  le  bas  Notre-Seigneur  apparais- 
sant comme  dans  l'cn-tête  du  P.  do  Galliffet  à  la  Bienheureuse.  Il  y 
a  toutefois  cette  différenco  que  le  divin  Cœur  demeure  suspendu 
au  milieu  du  tableau,  ainsi  que  dans  les  images  primitives,  au  lieu 
d'être  tenu  à  la  main. 

Ces  deux  représentations  semblent  se  rapporter  à  deux  visions 
différentes  de  Marguerite-Marie.  Lors  de  celle  de  ces  visions  qui 
avait  eu  lieu  le  jour  de  la  fête  de  S.  Jean  l'Évangéliste,  en  1674,  le 
divin  Sauveur  avait  voulu  faire  reposer  la  dévotion  au  Sacré-Cœur  sur 
le  culte  rendu  aux  images  que  l'on  devait  en  faire,  et  il  avait  déter- 
miné le  caractère  fondamental  de  ces  images  conformément  aux 
dispositions  encore  conservées  dans  la  gravure  de  Languet.  Près  de 
six  mois  plus  tard,  le  jour  de  la  fête  du  Saint-Sacrement  1675,  il  ex- 
prima le  désir  qu'une  fête  spéciale  fût  consacrée  à  cette  dévotion. 
11  est  dit  que,  dans  cette  apparition  même,  il  découvrit  son  Cœur,  et 
ce  fut  alors  qu'il  adressa  ces  paroles  à  la  Bienheureuse  :  «  Yoilà  ce 
Cœur  qui  a  tant  aimé  les  hommes  n ,  mais  on  ne  dit  point  que  ce 
fut  sous  aucune  forme  sensible.  La  vision  du  Cœur  pouvait  être  pu- 
rement intellectuelle  ;  dans  tous  les  cas,  elle  ne  donnait  aucun  indice 
qui  put  en  diriger  les  représentations. 

'  Cette  e.-tiimpo,  signée  Caroliis  Nanluar.  inv.  Pet)  us  Masini  sculp.,  est  repro- 
duite (l;iiis  les  éditions  fVariçuises  subséquentes  ainsi  que  les  autres  en-tête  signés 
Dandré  et  gravées  égtleraent  par  Masini. 


AU    l'OlNT    DE    VUE    DK    1."hi»T01HE    ET    DE    l'aUT  461 

En  conséquence  l'artiste,  s'il  se  référait  à  cette  apparition,  avait 
une  raison  particulière  de  faire  porter  à  Notre-Seigneur  son  cœur 
dans  sa  main.  Avoir  son  cœur  dans  les  mains,  exprime  la  disposi- 
tion d'un  cœur  prêt  à  se  donner  tout  entier,  et  dont  l'amour  est  porté 
jusqu'à  l'absolu  dévouement  :  ce  sens  figuré  était  passé  dans  le  lan- 
gage iconographique,  lorsqu'on  avait  mis  dans  la  main  de  la  Cha- 
rité personnifiée  son  cœur  qu'elle  offrait  à  Dieu.  L'application  même 
de  ce  symbole  avait  été  faite  à  cette  reine  des  vertus  par  rapport  à  la 
plaie  du  divin  côté,  nous  pouvons  citer  pour  exemple  une  estampe 
de  1622.  Jésus  est  assis  et  montre  la  plaie  do  son  côté,  il  est  accom- 
pagné de  la  Foi,  qui,  portant  un  calice,  rappelle  les  compositions  où 
l'Église  recueille  le  sang  sorti  de  cette  plaie  sacrée  et  de  la  Charité 
qui  porte  une  croix  et  un  cœur  enflammé  *.  Le  cœur  avait  été  mis 
dans  la  main  de  Jésus  lui-même,  de  Jésus-Enfant,  dans  la  vignette 
du  XV  siècle  que  nous  avons  citée  ^avril-juin,  p.  320).  Il  avait  été 
mis  plus  tard  sans  incertitude  dans  celle  de  la  sainte  Yierge  (pi.  V, 
fig.  8)  ;  mais  ces  exemples  étaient  isolés,  accidentels.  Maintenant  l'es- 
tampe de  1726  est  le  point  de  départ  d'une  série  continne.  Le  mode 
de  représentation  dont  il  s'agit,  appliqué  au  Sauveur,  va  se  repro- 
duire, se  répandre,  lentement  toutefois,  d'abord;  nous  n'en  avons 
pas  trouvé  d'autres  exemples  avant  1731.  Puis  en  1750  et  en  1753, 
nous  verrons  le  Cœur  sacré  non  plus  tenu  dans  la  main,  mais  sus- 
pendu sur  la  poitrine  de  Notre-Seigneur  ;  et  alors  se  formulera 
plus  expressément  le  type  du  Christ  au  Sacré-Cœur.  Mais  avant 
de  décrire  ces  différentes  images,  avant  d'exposer  les  circonstances 
et  les  évolutions  auxquelles  elles  se  rattachent,  nous  devons  faire 
encore  quelques  observations  sur  les  gravures  des  ouvrages  du 
P.  de  Galliffetet  de  Languet  dont  nous  venons  de  parler  et  sur  celles 
qui  les  accompagnent. 

Nous  avons  dit  que  l'on  pouvait  rapporter  les  deux  gravures  en 
question  à  deux  visions  différentes  de  la  Bienheureuse,  nous  ne 
prétendons  pas  que  les  artistes  aient  eu  directement  en  vue  tour-à- 
tour  l'une  et  l'autre  do  ces  visions  d'une  manière  exclusive.  Il  sem- 
blerait au  contraire  que  le  dessinateur  de  l'évèque  de  Sois^ons, 

*  Passionis  D.  N.  Jesu  Chrisli  historia  auctore  Carolo  Hanoelio  orcl.  S.  Benc 
dieti,  1622. 


462  LKS    IMACtES    du    SACRÉ-COEUll 

tout  en  empruntant  les  éléments  principaux  de  sa  composition  à  la 
vision  du  jour  de  saint  Jean,  a  voulu  rappeler  celle  de  l'octave  du 
Saint-Sacrement,  en  faisant  apercevoir  l'ostensoir  exposé  sur  un 
autel  dans  un  coin  de  son  tableau. 

Dans  ces  sortes  de  cas,  on  agit  facilement  sous  l'empire  de  ses  sou- 
venirs, sans  se  rendre  bien  compte  de  la  diversité  des  circonstances 
auxquelles  ils  se  rapportent.  Pour  justifier  notre  observation,  il  suffit 
que  l'un  des  dessinateurs  ait  eu  principalement  en  vue  le  commen- 
cement de  la  représentation,  fixé  par  l'usage,  conformément  à  la 
première  vision,  tandis  que  l'autre  s'attachait  surtout  à  ces  mots  : 
((  Voilà  ce  cœur  ».  Agissant  avec  plus  d'indépendance  des  précé- 
dents, celui-ci  prélude  à  une  heureuse  innovation  qui,  puisant  elle- 
même  sa  raison  d'être  dans  le  fond  des  choses,  par  une  voie  ou  une 
autre,  ne  devait  pas  tarder  à  prévaloir. 

Dans  ce  temps,  les  représentations  personnelles  de  Notre-Seigneur 
par  rapport  à  son  divin  Cœur  ne  se  produisent  elles-mêmes  que  par 
exception,  ou  plutôt  elles  ont  trait  seulement  au  fait  des  révéla- 
tions dont  Marguerite-Marie  fut  favorisée.  Les  autres  gravures  des 
mêmes  ouvrages  demeurent  dans  les  conditions  de  générahté  pré- 
cédemment usitée  :  le  divin  Cœur,  ou  seul  ou  accompagné  de  celui 
de  sa  très  sainte  Mère,  est  exposé  aux  adorations  des  anges_,  des 
saints,  de  toute  l'Eglise,  sans  que  Notre-Seigneur  se  montre  en 
personne. 


IV. 


A  l'époque  où  nous  sommes  parvenus,  la  dévotion  au  Sacré-Cœur 
avait  cependant  reçue  une  application  particulière  dans  les  cir- 
constances les  plus  solennelles,  et  bientôt  après,  cette  situation 
nouvelle  avait  eu  son  retentissement  dans  le  domaine  de  l'icono- 
graphie chrétienne.  La  ville  de  Marseille,  atteinte  de  la  peste  d'une 
manière  terrible  en  1720,  reprise  par  le  fléau  avec  un  surcroit  de 
rigueur  après  quelque  relâche,  en  1722,  avait  dû  finalement  sa 
délivrance,  à  un  \œu  fait  au  Sacré-Cœur  par  son  héroïque  évoque, 
M.  de  Belzunce,  qui  avait  en  conséquence  consacré  solennellement 
la  ville  à  ce  divin  Cœur.  C'est  en  souvenir  de  cette  consécration  que 
fut  faite  la  gravure  dont  nous  reproduisons  le  dessin  (pi.  VIII).  Le 


SACRE-  CŒUU 


PL.  VIII 


YŒV     DE     .MARSEILLE 


/*»*.  i./rf*.  GAUVtN,  POlTIlRS . 


AU  POINT  DR  vut-:  ni"  i/HrsTOiRE  ET  DR  l'art  463 

pieux  évêque  y  porte  le  Pallium,  et  comme  cette  distinction  ne  lui 
fut  accordée  que  le  3  novembre  1731,  on  a  ainsi  la  preuve  que 
cette  gravure  est  un  peu  postérieure  à  cette  époque.  Le  Père  éternel 
reparaît  dans  le  haut  de  la  composition,  avec  le  Saint-Esprit.  Noire- 
Seigneur  Jésus-Christ  placé  plus  bas  à  droite,  et  assis  sur  les  nuages, 
présente  des  deux  mains  son  divin  Cœur  entouré  delà  couronne  d'é- 
pines, comme  un  principe  de  satisfaction  pour  nos  fautes,  et  comme 
un  objet  inefTable  de  confiance.  Du  côté  opposé,  la  sainte  Vierge, 
un  peu  plus  bas  encore  et  à  genoux,  intercède  pour  la  ville  de  Mar- 
seille. Le  centre  du  tableau  oi^i  jusqu'ici,  dans  des  conditions  analo- 
gues, nous  avions  vu  figurer  le  divin  Cœur,  n'est  rempli  que  par 
des  rayons  lumineux  que  projette  la  divine  colombe.  Dans  la  partie 
inférieure,  Belzunce  est  lui-même  à  genoux,  tenant  un  cierge  d'une 
main  et  présentant  l'autre  main  au  Sauveur.  Derrière  lui  est,  d'un 
côté,  son  clergé  représenté  par  trois  personnages  à  genoux^  de 
l'autre,  des  pestiférés  qui  gisent  étendus  sur  le  sol. 

Les  deux  gravures  de  1750  et  de  1733,  où  le  divin  Cœur  apparaît 
suspendu  sur  la  poitrine,  reviennent  à  des  conditions  de  généralité, 
et  cela  même  à  certains  égards  leur  donne  plus  d'importance.  Il 
en  résulte,  eu  effet,  que  la  représentation  personnelle  de  Notre- 
Seigneur  y  apparaît  comme  généralisée,  et  non  plus  en  vue  d'un 
fait  spécial,  comme  ime  vision  ou  la  consécration  d'une  ville.  Nous 
avons  observé  la  première  de  ces  gravures  en  tête  encore  d'un  de 
ces  petits  traités  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur  qui  furent  alors  si 
multipliés  '  ;  la  seconde  fait  partie  de  la  collection  du  P.  Desjardins, 
et  a  été  probablement  détachée  d'un  petit  livre  du  même  genre  ^. 


^  Idée  nette  et  parfaite  au  racourcU  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur  de  Jésus, 
in-1'2  ou  petit  iii-8''.  Paris,  1750. 

2  Cette  gravure  porte  en  dessous  l'inscription  suivante  :  «  Ceux  qui  prieront  et 
adoreront  le  Sacré  Cœur  de  Jésus,  leurs  demandes  seront  exaucées.  L'an  1720, 
les  pestifi'-rés  de  Marseille  et  d'ailleurs,  ayant  dévotemeiit  invoqué  le  Sacré  Cœur 
divin,  la  peste  cessa  a;; -sitôt.  En  faveur  de  ce  miracle^  le  pape  Clément  XI  a  ac- 
cordé en  1726  une  bulle  et  des  imlalgences  plénières.  La  fête  se  célèbre  le  ven- 
dredi qui  suit  l'octave  du  Saint-Sacrement.  Dites  un  Pâte)'  et  un  Ave  pour  le  do- 
nateur du  présent.  » 

Une  autre  gravure,  tirée  du  même  livre,  reproduit  colle  de  Languet  avec  de- 
mauiit  de  prières  également  pour  celui  qui  donne  lo  livre  au  public. 


464  LES    IMAGES    DU    S.VCHÉ-CfJEUR 

Nous  ne  les  avons  pas  eues  sous  les  yeux  simultanément,  de  sorte 
que  nous  ne  pouvons  dire  si  la  seconde  est  exactement  la  reproduc- 
tion de  la  première.  Nous  croirions  plutôt  qu'elles  dérivent  l'une  et 
l'autre  d'une  autre  gravure  antérieure,  et  nous  nous  fondons  pour 
le  croire  sur  l'infériorité  de  la  première  relativement  à  la  seconde. 
Toujours  est-il  qu'elles  peuvent  être  décrites  dans  les  mêmes  termes. 
Dans  l'une  et  Tautre,  Notre-Seigneur  apparaît  sur  les  nuages;  il 
montre  son  Cœur  d'une  main  et  tient  de  l'autre  une  grande  croix. 
Au-dessus  de  lui  reparaît  et  Dieu  le  Père  et  Dieu  le  Saint  Esprit. 
Dans  le  bas,  le  monde  entier  est  en  adoration  devant  le  Sacré-Cœur. 
Il  est  représenté  d'un  côté  par  un  pape^,  un  évêque,  un  religieux, 
etc.;  de  l'autre,  par  des  puissances  séculières,  un  roi  qui  nous  a  paru 
être  Louis  XV,  au  moins  sur  la  gravure  de  17o.'{,  une  reine,  une 
autre  princesse,  un  prince,  etc. 

Nous  croirions  pouvoir  rapporter  au  même  temps  environ  un 
autre  estampe,  recueillie  par  le  P.  Desjardins,  où  Notre-Seigneur 
apparaissant  à  la  bienheureuse  Marguerite,  tient  son  cœur  sacré  à 
la  main. 

En  1765,  à  la  sollicitation  delà  reine  Marie  Leczinska,  l'assemblée 
générale  des  évêques  do  France  avait  établi  officiellement  la  messe 
et  l'office  du  Sacré-Cœur  dans  tous  les  diocèses  du  royaume.  Une 
gravure  "  commémorative  de  cette  décision  fut  dédiée  à  la  pieuse 
princesse.  Notre-Seigneur  n'y  apparaît  point  en  personne,  son  Cœur 
divin  est  porté  dans  la  main  de  la  Religion  personnifiée  et  offert  à 
Dieu  pour  le  salut  de  la  France,  conjointement  avec  le  cœur  imma- 
culé de  Marie.  Celui-ci  est  un  peu  plus  petit  et  sur  un  second 
plan.  Au-dessus,  Dieu  le  Père  accueille  avec  une  visible  satisfaction 
l'offrande  qui  lui  est  faite  ;  de  l'autre  côté,  le  Saint-Esprit  sous 
forme  de  colombe  répand  sur  le  cœur  de  la  Vierge  sans  tache,  un 
souffle  de  vie  surnaturelle.  Un  peu  au-dessous  de  la  Religion,  du 

•  Nous  reproduisons  (pi.  IX >  un  calque  au  trait  de  cette  gravure,  dû  à  M.  A. 
Alcan,  et  réduit  de  moitié.  Nous  ne  la  donnons  pas  comme  une  œuvre  d'art  su|'é- 
r'.eure,  mais  nous  ferons  observer  qu'elle  ne  porte  que  modérément  l'empreinte 
des  défauts  de  son  époque,  les  idées  y  sont  vraies,  et  pour  la  justesse,  pour  l'in- 
tensité des. sentiments,  elle  s'élève  au-dessus  du  niveau  commun  alois.  On  en  ju^e 
plus  favorablement  d'après  ce  trait  qui  atténue  quelques  uns  des  clfels  dont  le 
guût  laitse  le  p!us  à  désirer. 


SACRE-CŒUR 


,,  \?ACHE  CŒUR  DE  JELSUS 

V*-^  \  le  Qerge  afTèiiikU  en  i/65. 


Elakifecn  France    par        I  j'/    '\J 

DÉDIÉE  A    m.  '-r^^W  vMiLA   RIEi:^E 


A  -  Daeecwfl ,  xculf* 


d 


^ 


oAuviu ,  rotmns . 


AU  POINT  D!-;  VUE  DE  l'histoir;;  et  de  l'art  465 

côté  opposé,  sont  représentées  les  trois  vertus  théologales  :  la  Foi 
est  caractérisée  par  le  calice  ;  l'Espérance  au  moyen  de  l'ancre  ;  la 
Charité  porte  tout  à  la  fois  un  enfant  dans  ses  bras  pour  exprimer 
l'amour  du  prochain,  et  tient  les  yeux  fixés  sur  le  divin  Cœur  pour 
exprimer  l'amour  de  Dieu.  Représentée  ainsi,  c'est-à-dire  puisant 
dans  l'amour  de  Dieu  l'amour  du  prochain,  la  Charité  était  devenue 
une  chose  si  rare  depuis  deux  cent  cinquante  ans  qu'on  doit  savoir 
beaucoup  de  gré  à  l'artiste  d'avoir  fait  revivre  une  représentation 
rendue  en  ces  termes.  D'ailleurs,  les  trois  vertus  sont  bien  conçues, 
chacune  dans  le  sentiment  qui  lui  est  propre,  et  leurs  attitudes,  dans 
un  temps  oii  le  maniérisme  était  porté  si  loin,  sont  relativement  peu 
contournées.  C'est  la  figure  de  la  Religion  qui,  sous  ce  rapport,  est 
la  moins  satisfaisante.  La  France,  agenouillée  au  bas  et  suppliante, 
manque  elle-même  de  simplicité  dans  son  attitude,  mais  l'expression 
de  la  confiance  est  convenablement  rendue  dans  sa  physionomie. 
Pour  compléter  le  tableau,  du  côté  opposé  apparaissent  les  quatre 
parties  du  monde  à  leur  tour  personnifiées  et  suppliantes. 


V. 


Le  tableau  le  plus  important,  exécuté  en  l'honneur  du  Sacré- 
Cœur  pendant  le  cours  du  XYIII"  siècle,  est  probablement  celui  qui 
fut  commandé  cà  Pompée  Batoni  par  la  reine  de  Portugal,  Marie- 
Françoise  de  Bragance,  pour  l'église  dédiée  au  Sacré-Cœur  dans 
la  ville  de  Lisbonne. 

Pompée  Batoni,  né  à  Lucques  en  1708,  mort  à  Rome  en  1787,  est 
appelé  par  Valéry  ',  «  le  Vicn  de  l'école  romaine...  un  Vien  qui. n'a 
pas  eu  do  David  »;  c'est-à-dire  que  la  réforme  dont,  concurremment 
avec  Mengs^  il  avait  pris  l'initiative,  n'a  pas  été  portée  à  son  terme. 
Quoi  quil  en  soit  de  cette  appréciation,  Batoni  tient  incontestable- 
ment la  première  place  parmi  les  peintres  purement  italiens  de  son 
temps,  et,  dans  une  époque  de  décadence,  il  tendit  à  relever  l'art  de 
son  état  d'affaissement.  «  Il  est  net,  vif,  brillant  »,  dit  Lanzi  -.  «  Il^fut 
original  dans  la  manière  de  traiter  les  portraits  »,  ajoute  le  même 

^Voyages  en  Italie.  Paris,  1837,  t.  III,  p.  101. 

^  Hist.  de  la  peinture  en  Italie.  Paris,  1824,  t.  Il,  p.  316. 

lîe  sérif,  tome  XI  'M) 


466  LES   IMAGES    bU    SACRÉ-COEUR 

auteur.  En  effet,  dit  de  son  côté  Rosini,  «  il  eut  l'honneur  de  peindre 
les  plus  célèbres  personnages  du  XVIII^  siècle  '  :  »  les  trois  papes 
Benoit  XIV,  Clément  XIII,  Pie  YI,  les  deux  empereurs  Joseph  II  et 
Léopold  II.  Ses  expressions  ne  sont  pas  dépourvues  de  sentiment, 
mais  le  maniérisme  propre  à  son  époque  les  dépare  et  les  affadit. 

Une  grande  et  belle  gravure  recueillie  dans  la  collection  du  P. 
Desjardins  et  dédiée  par  Raymond  Batoni,  le  fils  de  l'auteur,  à. 
Jean  YI,  alors  régent  de  Portugal  ^  nous  fait  connaître  le  tableau 
dont  nous  parlons.  Ce  tableau  avait  été  exécuté  entre^l777,  époque 
où  la  reine  Marie-Françoise  commença  son  règne,  et  1787,  année 
où  mourut  Batoni. 

Le  divin  Cœur  avec  ses  attributs  ordinaires,  la  couronne  d'épines 
qui  le  ceint,  la  plaie  du  côté,  la  croix  et  les  flammes  qui  le  surmon- 
tent en  occupe  le  sommet,  où  les  anges  l'adorent.  An-dessous,  la 
Religion,  la  tète  surmontée  de  la  tiare  à  trois  couronnes,  est  debout 
sur  les  marches  d'un  autel  qui  porte  le  Saint-Sacrement  exposé  : 
elle  montre  ce  Cœur  sacré  comme  la  source  de  salut.  De  l'autre  côté 
de  l'autel,  la  Charité  est  assise  entourée  d'enfants.  Dans  le  bas  sont 
les  quatre  parties  du  monde  personnifiées.  L'Europe  est  montée  sur 
un  beau  cheval,  l'Asie  sur  un  chameau,  l'Afrique  sur  un  crocodile, 
l'Amérique  sur  une  sorte  de  tigre,  qui,  selon  les  données  positives 
de  l'histoire  naturelle,  ne  pourrait  être  qu'un  jaguar.  D'une  exécu- 
tion très  soignée,  léchée  même,  si  on  en  juge  par  la  gravure,  d'un 
dessin  pur,  d'une  bonne  ordonnance,  ce  tableau  est,  sous  différents 
rapports,  bien  supérieur  à  la  gravure  de  1765  ;  mais  il  lui  est  infé- 
rieur pour  le  sentiment.  Ce  n'est  pas  qu'à  cet  égard  il  ne  soit  con- 
venable, mais  il  est  froid,  superficiel  ;  la  Charité,  par  exemple,  toute 
occupée  d'allaiter  un  des  enfants  qui  se  pressent  autour  d'elle,  n'a 
rien  de  l'élévation  constatée  dans  la  figure  correspondante  de  la 
composition  française. 

Le  tableau  de  Batoni  revient  d'ailleurs,  plus  que  cette  composi- 
tion même,  à  la  donnée  fondamentale  des  images  inspirées  directe- 
ment par  la  bienheureuse  Marguerite-Marie.  Elle  consiste,  nous  le 

^  Iston'a  (h'jla  pHlura  ilaliana.  Pise,  1852,  l.  VII,  p.  (19. 

*  Ce  prince  commença  à  exercer  les  fonctions  de  régent  en  t7'J;j,  il  n'en  prit  le 
titre  qu'en  1799;  il  éniigiii  au  Brésil  en  1807,  et  ne  prit  le  titre  de  roi  qu'à  la 
mort  de  sa  mère  en  181G. 


AU    POINT    DE    VUE    DE    l'hISTOIHK    ET    DE    l'aRT  467 

savons,  à  représenter  le  Sacré-Cœur  isolément  dans  la  gloire, 
adoré  par  les  anges,  tout  le  reste  étant  un  développement  de  la 
même  pensée,  que  Ton  peut  à  volonté  exprimer  ou  sous-en- 
tendre. 

Nous  avons  observé  à  Paris  des  tableaux  qui  ornent  la  chapelle 
du  Sacré-Cœur  dans  les  églises  de  Saint-Étienne-du-Mont  et  de 
Saint-Méry.  Ils  nous  ont  paru  également  appartenir  à  la  fin  du 
XVIIP  siècle,  sinon  par  l'époque  de  leur  exécution,  du  moins  par 
leur  style  et  Tcsprit  qui  les  anime.  Or,  l'un  et  l'autre  n'offrent 
qu'un  cœur  isolé  et  des  anges  adorateurs,  avec  cette  différence  que 
ces  anges,  peu  nombreux  à  Saint-Méry,  sont  en  grand  nombre  à 
Saint-Etienne  et  partagés  en  neuf  groupes  distincts  qui  occupent 
toute  la  hauteur  du  tableau. 

La  chapelle  du  Sacré-Cœur,  dans  l'église  de  Saint-Sulpice,  con- 
tient, en  face  de  l'autel,  un  autre  tableau,  dont  le  style  et  l'esprit 
suggèrent  les  mêmes  observations.  On  y  voit  encore  le  divin  Cœur 
représenté  isolément  et  adoré  par  les  anges.  Mais,  de  plus,  dans  la 
partie  supérieure,  Dieu  siège  sur  les  nuages;  dans  le  bas,  à  droite, 
une  foule  de  peuple  précédée  par  des  missionnaires  ;  à  gauche,  des 
ennemis  vaincus,  des  hérétiques  proclamant  par  leur  présence  le 
triomphe  et  les  fruits  de  la  dévotion  au  Sacré-Cœur. 

Un  esprit  de  transition  se  manifeste  dans  un  tableau  conservé  au 
grand  séminaire  de  Chambr'ry.  Son  ensemble  est  celui  qu'avait 
adopté  comme  insigne  l'association  du  Saint  Dévouement  qui  prit 
naissance  dans  cette  ville  dans  le  courant  de  la  Révolution  et  fut  ap- 
prouvée par  le  papePieVII  en  1803.  Ce  tableau  représente,  sous  une 
sorte  de  pavillon  qui  enveloppe  le  sujet,  le  Saint-Esprit  en  forme 
de  colombe,  tenant  par  le  mJlieu  une  longue  banderolle  qui  suit  à 
peu  près  les  contours  des  draperies  ;  au  sommet  de  cette  banderolle 
on  lit  :  «  Au  nom  du  Père,  du  Fils  et  du  Saint-Esprit  »  ;  au  côté 
droit  :  a  Tout  à  Jésus  par  Marie  »  ;  au  côté  gauche  :  <t  Tout  à  Marie 
pour  Jésus.  »  Entre  ces  deux  côtés,  sont  Notre-Seigneur  et  la  très- 
sainte  Vierge,  tous  les  deux  assis  et  portés  par  les  nuages.  Notçe- 
Seigneur  a  la  main  gauche  sur  le  globe  dû  monde,  de  la  droite  il 
montre  son  divin  Cœur.  La  très-sainte  Vierge  montre  aussi  son  très 
saint  Cœur;  sa  gauche  est  élevée  vers  le  triangle  placé  au-dessous 
de  la  colombe  et  qui  porte  le  nom  hébreu  de  Jéhovah.  Ce  tableau, 


468  r.Es  i^jaPtIcs  du  s.\rRi>coErr; 

intéressant  par  sa  composition,  est   d'ailleurs  sans  valeur  artis- 
tique. 

La  représentation  personnelle  dans  un  tnbleau  d'ensemble  con- 
sacré au  sacré  Cœur  ne  nous  était  encore  apparue  qu'en  passant, 
maintenant  elle  se  montre  comme  devant  régner  en  toutes  circons- 
tances d'une  manière  permanente.  C'est  que,  dans  l'intervalle,  s'é- 
tait formulé,  consolidé  et  répandu  le  type  que  nous  désignons  plus 
spécialement  sous  le  nom  de  Christ  au  Sacré-Cœur,  type  auquel  sera 
consacré  le  chapitre  suivant. 


CHAPITRE  III. 

LE    CHRIST    AU    SACRÉ    CŒUR. 


I. 


Nous  appelons  Christ  au  Sacré-Cœur  une  représentation  simulta- 
née de  Jésus-Christ  et  de  son  divin  Cœur,  soit  que  celui-ci  apparaisse 
dans  la  main  de  riIomme-Dieu,  soit  quil  apparaisse  sur  sa  poi- 
trine. 

Le  type  du  Christ  au  Sacré-Cœur  est  nécessaire  lorsque,  pour 
honorer  le  divin  Cœur,  on  vent  mettre  l'art  de  hi  partie.  Dès  lors 
qu'en  cette  matii-re  on  veut  des  images  qui  nient  toute  la  beauté 
désirable  et  possible,  il  y  faut  l'expression  sensible  et  explicite  de 
la  sainte  humanité  et  du  Cœur.  Si  on  représente  le  Cœur  isolé,  on 
peut  faire,  au  moyen  des  personnages  qui  l'entourent,  un  beau  ta- 
bleau; il  y  manquera,  quant  au  divin  Sauveur  lui-même,  la  manifes- 
tation extérieure  de  ses  affections  intimes,  c'est-à-dire  la  beauté 
môme  du  cœur.  Notre-Seigneur,  quand  il  a  montré  son  Cœur  à  la 
bienheureuse  Marguerite-Marie,  a  eu  soin  de  le  faire  apparaître  ad- 
mirablement beau.  On  le  voit  par  ces  termes  de  trône  de  feu,  de 
rayonnement,  de  soleil,  de  cristal,  dont  la  Bienheureuse  s'est  servie 
pour  le  décrire.  Mais  on  ne  saurait  les  rendre  avec  une  beauté  pro- 
portionnée à  ce  qu'ils  signifient  par  des  traits  ou  des  figures  qui 
leur  correspondent  directement.  Pour  que  la  proportion  existe,  il 
faut  que  l'art  exprime  des  beautés  de  l'ordre  moral,  et  il  ne  peut 


AU    rOliNT    DE    VUl'J    L'L;    l/HIST01R!i    ET    DE    I/ART  469 

le  faire  qu'en  représentant  la  figure  humaine,  c'est-à-dire,  dans  la 
circonstance,  la  figure  personnelle  du  Sauveur. 

A  son  tour,  la  sainte  humanité  seule,  sans  l'expression  visible  de 
l'organe  de  l'amour,  ne  saurait  constituer  une  image  du  Sacré-Cœur. 
Sa  beautç  n'aura  qu'un  rapport  indirect  avec  l'objet  qu'il  s'agit  de 
rappeler.  L'œuvre  enfin  si  bien  réussie^  si  estimable  qu'on  la  sup- 
pose, n'aura  elle-même  aucune  part  aux  promesses  de  Jésus-Christ. 
C'est  pourquoi  le  type  dont  nous  parlons  devait  naître  de  la  dévotion 
au  Sacré-Cœur,  comme  la  fleur  nait  de  sa  tige.  Elle  la  contenait  en 
germe  et  par  sa  nature  et  par  la  manifestation  même  des  volontés 
de  riIomme-Dieu. 

D'un  autre  côté,  l'adjonction  du  cœur  à  la  représentation  person- 
nelle ne  saurait  nuire  à  la  beauté  artistique,  elle  ne  saurait  nuire  à 
la  vérité  d'imxitation  ;  pour  peu  qu'elle  soit  bien  entendue,  elle  peut 
s'harmoniser  avec  la  beauté  de  l'expression  et  de  l'attitude,  avec 
l'exactitude  du  dessin,  avec  l'éclat  et  l'accord  des  couieurs.  Elle 
le  peut  tout  aussi  bien  que  le  nimbe  sur  la  tête  des  saints,  que  le 
soleil  représenté  sur  la  poitrine  de  saint  Thomas  d'Aquin,  que 
l'étoile  resplendissant  sur  le  front  de  saint  Dominique,  que  les  clefs 
dans  la  main  de  saint  Pierre,  que  tous  les  autres  attributs  par  les- 
quels on  caractérise  les  figures  divines,  les  anges  et  les  saints. 

La  physionomie  est  le  miroir  de  l'âme,  et  comme  toutes  les  affec- 
tions de  l'âme  ont  des  impressions  correspondantes  dans  le  cœur, 
on  peut  dire  que  la  physionomie  est  aussi  le  miroir  du  cœur.  Ce 
que  l'on  dit  de  la  physionomie,  on  peut  l'appliquer  également  à 
toutes  les  inflexions  du  corps,  aux  altitudes,  à  tous  les  moyens  d'ex- 
pression. Il  n'y  a  rien  non  plus  de  ce  qui  se  traduit  ainsi  au  dehors 
qui  ne  soit  d'abord  dans  le  cœur.  Mais  comme  la  traduction  est  in- 
férieure à  l'original,  ce  qui  se  passe  dans  le  cœur  est  supérieur,  plus 
intime,  plus  délicat,  plus  ijeau,  en  un  mot,  d'une  beauté  ineffable, 
quand  le  cœur  est  dans  le  bien,  quand  surtout  il  est  divinement 
dans  l'amour,  que  toute  expression  extérieure  du  corps  et  de  la  phy- 
sionomie, à  plus  forte  raison  que  toute  traduction  qui  en  est  ^ite 
par  les  procédés  de  l'art.  Par  ce  motif,  même  au  point  de  vue  de 
l'esthétique,  il  y  a  lieu  de  représenter  le  cœur  avec  la  figure  person- 
nelle, pour  avertir  le  spectateur  de  concevoir  par  la  pensée  une  plus 
grande  beauté  d'expression,  une  plus  grande  beauté  d'ordre  moral 


470  LES    IMAGES    DU    SACRÉ-COEUR 

que  tout  co  que  l'artiste,  le  plus  grand  artiste,  est  capable  à  beau- 
coup près  de  jamais  rendre.  Enfin  nous  ajouterons,  en  nous  servant 
des  termes  empruntés  à  une  plume  amie  :  «  Le  type  du  Christ  au 
sacré  Cœur  est  pour  l'art  une  conquête  et  un  trésor.  Eu  effet,  pris 
en  lui-même,  il  est  d'une  incomparable  élévation,  et  concorde,  rela- 
tivement aux  différents  mystères  de  la  vie  de  Notre-Seigneur,  à  son 
action  sur  l'Église,  à  ses  rapports  avec  les  saints  ;  il  introduit  un 
élément  qui  donne  à  tout  ce  qu'il  touche  une  physionomie  nouvelle 
et  cette  vie  qui  procède  du  cœur.  » 


II 


On  peut  voir  de  premiers  essais  du  Christ  au  sacré  Cœur  dans  les 
représentations  précédentes  où  Notre-Seigneur  porte  son  divin 
Cœur  saillant  sur  sa  poitrine  ou  reposant  dans  sa  main.  Mais  outre 
que,  dans  ces  exemples,  Notre-Seigneur  est  mis  en  scène  et  non  pas 
représenté  abstractivement,  ce  ne  sont  là  que  des  œuvres  d'un  ordre 
secondaire.  Le  premier  effort  d'une  valeur  vraiment  artistique  qui 
ait  été  fait  dans  ce  genre  est  le  tableau  du  Gesu  à  Rome,  peint  par 
Pompée  Batoni  vers  le  milieu  du  XYIIP  siècle  (pi.  I,  fig.  1).  Nos  lec- 
teurs ont  déjà  fait  connaissance  avec  cet  artiste,  ils  savent  que,  no- 
nobstant des  qualités  d'un  ordre  supérieur,  il  ne  réussit  pas  à  se  dé- 
gager entièrement  du  maniérisme  qui  avait  envahi  son  école.  Un  des 
défauts  du  genre  est  de  prendre  le  négligé  pour  le  naturel  et  de  l'af- 
fecter. Ce  défaut  se  fait  sentir  dans  le  tableau  dont  nous  parlons. 
Comme  type,  en  outre,  la  figure  de  Notre-Seigneur  manque  un  peu 
d'ampleur  et  de  virilité  ;  mais  d'ailleurs  le  caractère  en  est  suave, 
l'expression  attrayante  ;  la  lumière  qui  jaillit  du  cœur  et  de  la  tète 
est  vive  et  le  mouvement  des  deux  mains  bien  en  rapport  avec  la 
pensée  :  «  Yoilà  ce  Cœur  qui  a  tant  aimé  les  hommes  !  «  Le  cœur 
qui  repose  daus  la  main  gauche  pourrait  être  supprimé,  et  cette  main 
conserver  la  même  attitude  avec  une  légère  modification  pour  ren- 
dre seulement  le  geste  conforme  à  la  pensée,  la  représentation  ex- 
térieure de  ce  cœur  ne  nuit  donc  en  rien  à  l'effet  artistique  ;  il  en 
précise  au  contraire  le  but  et,  par  conséquent,  en  accroît  l'in- 
tensité. 

Le  cœur,  au  lieu  d'être  porté  dans  la   main,  serait  exposé  seule- 


AU   POINT    DE    A'UE    DE    l'hISTOIRK    KT    DE    l'aiIT  471 

ment  sur  la  poitrine  que  le  geste  restant  le  même  aurait  encore  la 
même  signification. En  dernier  lieu, on  a  préféré  ce  mode  d'exposition 
comme  plus  idéal,  et  à  ce  titre  nous  la  préférons  nous-même.  Cette 
préférence  ne  saurait  s'appliquer  aux  images  où  Notre-Seigneur  en- 
tr'ouvro  ses  vêtements  pour  montrer  son  Cœur  sacré.  Autant  il  est 
essentiel  que  ce  divin  Sauveur  montre  effectivement  son  Cœur,  un 
cœur  rendu  sous  des  formes  visibles,  autant  il  est  insignifiant,  tout 
au  moins,  qu'il  paraisse  avoir  besoin  de  faire  subir  aucune  ouver- 
ture soit  à  son  corps,  soit  à  ses  vêtements,  pour  le  montrer.  Le 
geste  par  lequel  ordinairement  on  montre  la  région  du  cœur  pour 
dire  que  l'on  aime,  a  paru  suffisant  à  des  critiques  chrétiens  pour 
constituer  un  type  du  Christ  au  sacré  Cœur.  Il  a  été  prouvé  que  cela 
ne  suffisait  pas  pour  satisfaire  à  la  dévotion  spéciale  que  l'on  doit  se 
proposer  en  constituant  ce  type,  mais  assurément  ce  geste  doit  suf- 
fire concurremment  avec  limage  du  divin  Cœur  représenté  d'une 
manière  tcute  idéale.  Nous  dirons  plus  :  l'on  peut  se  passer  même 
d'un  geste  aussi  direct,  et  toute  attitude  de  Notro-Seigneur  expri- 
mant cette  pensée  qu'il  s'offre,  se  manifeste,  se  dévoile,  est  conve- 
nable et  suffisante  avec  la  représentation  de  son  divin  Cœur,  pour 
constituer  un  Christ  au  Sacré  Cœur. 


III 


Il  ne  nous  paraît  pas  que  b^  Christ  au  Sacré-Cœur  de  Batoni  ait 
eu  beaucoup  de  concurrents  jusqu'à  la  fin  du  XYIII"  siècle.  On  se 
contenta  le  plus  généralement  pendant  longtemps  de  le  copier.  Ces 
copies  s'étaient  répandues  jusque  dans  la  Chine,  et  la  collection  du 
P.  Desjardins  en  contient  deux  grossières  imitations  avec  des  ins- 
criptions en  caractères  chinois  :  elles  ont  été  probablement  exécu- 
tées dans  les  missions.  Cependant  cette  collection  contient  aussi  des 
images  de  types  différents  qui  nous  paraissent  antérieurs  à  notre 
siècle  et  qui  le  sont  tout  au  moins  au  mouvement  qui  s'est  produit 
de  notre  temps  pour  renouveler  l'art  chrétien,  mouvement^dont 
l'un  des  effets  a  été  d'apporter  beaucoup  plus  de  variété  dans  la 
manière  de  représenter  le  divin  Cœur. 

Il  a  été  parlé  précédemment  d'une  estampe  du  XYIII«  siècle,  re- 
présentant un  Christ  au  Sacré-Cœur  dont  la  tète  porte  le  nimbe 


472  LES  IMAGES  DU  SACRÉ  ■  COEUR 

triangulaire.  Elle  porte  les  noms  de  Desrais,  comme  dessinateur,  et 
de  Duthé,  comme  graveur,  et  doit  avoir  été  exécutée  entre  1758  et 
1769.  Notre-Seigneur,  ceint  du  cordon  de  S.  François,  s'y  montre 
en  marche  pour  dire  qu'il  vient  pourvoir  à  nos  besoins  en  nous  ap- 
portant son  Cœur.  Malgré  l'originalité  de  ces  particularités^  eu 
égard  au  type  de  figure  et  à  la  position  des  mains,  l'une  qui  porte 
le  cœur,  l'autre  qui  le  montre,  nous  considérons  encore  ce  Christ 
comme  un  dérivé  de  celui  de  Batoni. 

Nous  citerons  au  contraire  comme  en  étant  tout  à  fait  indépen- 
dantes certaines  images  gravées  à  Rome.  Plus  encore  que  le  tableau 
de  Batoni,  elles  représentent  Notre-Seigneur  avec  un  grand  caractère 
de  jeunesse,  et  lui  prêtent  un  type  d'une  frappante  analogie  avecla 
sainte  Face  de  l'Église  de  Saijit-Silvestre-in-Capite,  telle  qu'elle 
est  donnée  dans  l'histoire  de  cette  église  par  Carletti  (1797,  in-fol.) 
Par  suite  il  est  permis  de  supposer  des  rapports  d'école  artistique, 
entre  ceux  c[ui  ont  dessiné  et  gravé  celle-ci  comme  celles-là.  Le 
Christ  de  ces  images  se  distingue  par  un  caractère  de  simplicité,  dont 
Batoni  est  fort  éloigné.  Cette  remarque  s'appliqne  particulièrement 
à  une  gravure  oii  Notre-Seigneur  et  sa  Très-Sainte  Mère  sont  réu- 
nis dans  deux  médaillons  circulaires.  Tous  deux  portent  leurs 
Cœurs  non  plus  dans  la  main,  mais  saillant  sur  leurs  poitrines. 
Jésus  montre  le  sien  d'une  main  qu'il  tient  ouverte,  comme  pour 
montrer  aussi  la  plaie  dont  elle  est  percée.  Autour  du  médaillon,  on 
lit  ces  trois  sentences  :  Chantas  Christi  iirget  nos  ;  Sic  Deiis  dilexit 
mundiim  ;  Venite  ad  me  omnes.  «  La  charité  de  Jésus-Christ  nous 
presse;  Ainsi  Dieu  a  aimé  le  monde  ;  Venez  à  moi  tous.  »  Au-des- 
sus du  médaillon  on  voitle  calice,  la  croix  et  le  Saint-Esprit  au  mi- 
lieu ;  plus  haut  encore,  on  lit  ces  mois  :  Ego  Domhms  Deiis  tims. 
Au-dessous  du  môme  médaillon  apparaît  le  monogramme  de  Jésus 
et  les  clous  ;  de  chaque  côté,  les  instruments  de  la  Passion,  et  plus 
])as  est  gravée  une  prière  qui  commence  par  ces  mots  ;  O  Cnor 
santissimo  di  Gesu  cuore  tenerissimo  e  per  amor  di  noi  fcrito... 
«  0  Cœur  très  saint  de  Jésus,  Cœur  très  tendre  blessé  pour  l'amour 
de  nous...  »  Des  figures  et  des  paroles  correspondantes  accompa- 
gnent l'imagH  de  la  Mère  de  Dieu. 

Un  peu  intermédiaires  de  style  entre  le  Christ  de  cette  gravure  et 
celui  de  Batoni,  sont  diverses  images  où  le  Sauveur  est  entouré  de 


AU    POINT    DE    VUE   DE    l'hISTOIRE    ET    DE    l'aUT  473 

tètes  d'anges  qui  l'adorent.  L'une  de  ces  images  porte  en  guise  de 
titre  ces  mots  :  «  Prœbe  fili  cor  tuum  mihi  (Prov.  XXXII,  26).  Dans 
une  autre,  l'amour  divin  est  plus  chaudement  exprimé,  et  les  plaies 
sont  rayonnantes.  Une  troisième  plus  récente  porte  le  nom  de  Pa- 
trini,  graveur  du  commencement  de  notre  siècle.  Dans  chacune 
d'elles,  le  Cœur  du  Sauveur  est  suspendu  sur  sa  poitrine,  et  montré 
uniformément  des  deux  mains.  Les  mêmes  observations  s'appli- 
quent à  une  quatrième  image  plus  récente  encore.  Portant  le  nom 
de  Badisti,  comme  dessinateur,  et  de  Malatesta,  comme  auteur  du  ta- 
bleau d'après  lequel  le  dessin  a  été  fait,  elle  pourrait  être  plus  rap- 
prochée de  notre  temps  ;  mais  à  raison  de  son  type,  nous  croyons 
devoir  la  rattacher  dans  tous  les  cas  à  la  périod'^  qui  nous  oc- 
cupe. 

Plus  voisines  de  l'estampe  aux  deux  médaillons  de  Jésus  et  de 
Marie,  et  par  le  caractère  et  probablement  pour  l'époque,  sont  deux 
gravures  françaises  où  la  figure  de  Notre-Seigneur  est  également 
renfermée  dans  un  médaillon,  médaillon  d'une  forme  maintenant 
légèrement  ovale.  La  première,  dérivée  immédiatement  de  l'estampe 
italienne^  attribue  au  Sauveur  exactement  la  même  attitude  ;  le  mo- 
nogramme et  les  instruments  de  la  Passion  sont  disposés  à  peu 
près  de  la  même  manière,  et  pour  texte  cH  ;  porte  ces  vers  : 

Que  le  Cœur  de  Jésus  no/  s-  aime! 
Quand  sera-t-il  aime  de  nous  ? 
0  divin  Cœur,  av.iour  mprême. 
Que  tous  tes  caurs  tVaimnl  que  vous? 

Un  encadrement  renferme  sur  la  seconde,  aux  quatre  coins,  les 
bustes  de  Ste  Chantai,  de  S.  François  de  Sales,  de  Sio  Thérèse  et 
S.  Jean  de  Dieu.  Ces  Saints  no  sont  pas  nommés,  et  le  dessinateur 
n'a  pas  su  reproduire  leurs  traits  bien  connus  ;  seul  S.  François  de 
Sales  est  faiblement  reconnaissable;  mais  ils  sont  tous  suffisamment 
désignés  parles  sentences  respectives  que  voici  :  «  Le  seul  plaisir 
de  Dieu  ;  —  Rien  autre  que  Dieu  ;  —  Ou  souffrir  ou  mourir  ;/  — 
Souffrir  et  être  méprisé.  »  Au-dessus  du  Sauveur  est  en  outre  le 
calice  surmonté  de  l'hostie,  avec  ces  mots  :  «  Amour  pour  amour.  » 
De  chaque  côté,  les  Cœurs  de  Marie  et  de  S.  Joseph  sont  désignés 
parleurs  noms.  Dans  le  surplus  des  intervalles,  sur  les  côtés  et  dans 


474  LES    IMAGES    DU    SACKÈ-CœUU 

le  bas^  sont  distribués  les  instruments  de  la  Passion.  Immédiate- 
ment au-dessous  de  l'image  du  Christ,  on  lit  encore  :  «  Renoncez- 
vous  vous-même;  portez  votre  croix  ;  suivez-moi  constamment. 
Ces  mots  :  «  Voici  votre  Sauveur  <>,  placés  en  tète  de  l'image  lui 
servent  comme  de  titre  et  l'exhortation  suivante  est  pour  ainsi  dire 
sa  conclusion. 

«  Remplissez-vous  de  Dieu  et  pratiquez  la  douceur  et  l'humilité, 
la  mortification  et  la  patience,  en  priant  sans  cesse  et  en  agissant 
par  amour  en  union  avec  Jésus-Christ.  » 

Toutes  ces  figures  ont  delà  distinction,  soit  qu'elles  visent  comme 
celles  qui  dérivent  de  Batoni  à  la  tendresse,  soit  qu'elles  visent  plutôt 
à  la  fraîcheur  des  sentiments.  Nous  n'en  dirons  pas  tout  à  fait  autant 
d'un  autre  type  du  Christ  au  Sacré-Ca^ur,  qui,  nous  'e  croyons,  re- 
monte seulement  au  commencement  de  notre  siècle,  plutôt  qu'à 
la  fin  du  précédent.  Il  a  été  un  moment  très  répandu  parmi  les 
images  populaires,  avant  le  renouvellement  de  l'Art  Chrétien.  Un 
caractère  de  plénitude  le  distingue  :  hi  plénitude  convient  assuré- 
ment ù  une  image  du  Sacré-Cœur,  mais  par  l'effet  d'une  faible 
exécution,  il  en  était  résulté  trop  souvent  un  ensemble  matériel  et 
vulgaire  rendu  d'autant  plus  sensible  que,  dans  beaucoup  de  ces 
images  chargées  de  grosses  couleurs,  Noire-Seigneur  mettait  sa 
poitrine  à  nu  et  c'était  sur  un  fond  de  vive  carnation  que  se  dessi- 
nait son  divin  Cœur.  Réduit  à  ces  termes,  ce  type  était  de  ceux 
contre  lesquels  il  importail  le  plus  de  réagir.  Nous  verrons  plus 
tard  comment  on  l'a  fait.  iMais  auparavant  les  types  frais  et  gracieux 
de  l'Enfant-Jésus  au  Sacré-Cœur  ut  de  Notre-Dame  du  Sacré-Cœur, 
nous  invitent  à  retourner  sur  nos  pas.  Nons  avons  aussi  à  faire  con- 
naissance avec  quelques-unes  des  combinaisons  variées  que  la 
même  période  de  temps  imagina  pour  honorer  le  Cœur-Sacré  de 
Jésus. 

Comte  Grimouari)  de  Saint-Laurent, 

Memlirc  de  la  Sociclc  de  Saiiil-Joan. 
{La  fin  au  prochain  numéro.) 


L'ARCHÉOLOGIE  RELIGIEUSE 

AU  CONGRÈS  DE  VIENNE  (ISÈRE) 

UNE  EXCURSION  A  SAINT-ANTOINE   DE  VIENNOIS 


Les  Congrès  qui  se  réunissent  à  de  fréquentes  reprises  dans  les 
différentes  villes  de  notre  pays  et  spécialement  les  Congrès  archéo- 
logiques, dont  la  fondation,  due  à  M.  de  Caumont,  remonte  à  1834, 
ont  tous  leurs  publications  spéciales,  et,  à  la  suite  de  chacune  de 
leurs  réunions,  on  voit  paraître  un  ou  plusieurs  volumes  renfer- 
mant les  comptes-rendus  de  leurs  séances  et  les  mémoires  (]ai  y  ont 
été  présentés.  Mais,  souvent  ces  publications,  retardées  par  les  cor- 
rections des  auteurs,  l'exécution  des  planches,  rlc,  ne  paraissent 
que  quelques  mois,  parfois  quelques  années,  r.près  la  réunion  du 
Congrès,  et  nous  croyons  qu'il  peut  y  avoir  un  double  intérêt  à  faire 
connaître  tout  de  suite,  dans  des  recueils  spéciaux,  les  sujets  qui  y 
ont  été  traités  et  à  sigiialer  les  monuments  qui  ont  particulièrement 
attiré  l'attention  des  savants  réunis  sur  un  point  de  notre  territoire  ; 
ces  comptes-rendus,  ainsi  que  nous  venons  de  le  dire,  n'ayant  pas 
une  publicité  immédiate,  et,  de  plus,  ne  se  trouvant  pas  entre  les 
mains  de  tous. 

Tels  sont  les  motifs  qui  nous  portent  à  demander  aux  lecteurs 
de  la  Revue  de  l'Art  chrétien  l'autorisation  de  leur  parler  du  Con- 
grès archéologique  de  Vienne  '. 

*  Du  2  au  7  septembie  1879,  46"  session,  tenue  sous  la  présidence  de  M.  Palus- 
tre, directeur  de  la  Société  Française  d'Archéologie. 


476  l'archéologie  religieuse 

Vienne,  nous  navons  pas  ht-soin  de  le  rappeler,  est  justement 
célèbre  par  les  monumonls  romains  qui  couvrent  son  sol  et  dont 
quelques-uns,  tels  que  le  Tempic  dit  d'Auguste-  et  de  fJvie,  les  res- 
tes du  Forinn  et  ceux  de  l'Amphithéâtre  (?),  la  Spina  du  Cirque  ou 
Pyramide  de  l'aiguille,  le  Palais  du  Miroù\  les  aqueducs,  les  mo- 
saïques et  les  fondations  récemment  découvertes  dans  la  Grande- 
Rue,  près  du  portail  de  la  Cathédrale  '  ont  fourni  le  sujet  de  tra- 
vaux présentés  au  Congrès  et  ont  donné  lieu  à  d'intéressantes  dis- 
cussions. 

Les  monuments  chrétiens  de  cette  ville,  quoique  moins  connus 
et  peut-être  moins  appréciés,  méritent  cependant  d'être  examinés 
avec  soin. 

La  Cathédrale  de  Saint-Maurice,  l'Église  de  Saint-André-le-Bas, 
la  basilique  de  Saint-Pierre  ont  tour  à  tour  attiré  l'attention  des 
membres  du  Congrès. 

Aussi,  pendant  qu'une  partie  dos  séances  était  consacrée  à  la  lec- 
ture de  travaux  qui.  bien  nue  d'un  caractère  général,  rentraient 
cependant  pour  la  plupart  dansle  cadre  des  études  relatives  auLyon- 
nais  et  au  Dauphiné,  le  reste  (et  ce  n'était  pas  ce  qui  offrait  le  moins 
d'intérêt)  était  consacré  à  des  discussions  sur  les  monuments  qui 
avaient  fait  l'objet  des  visites  du  Congrès. 

En  même  temps  que  les  archéologues  et  les  historiens  du  pays 
nous  faisaient  connaître  ce  qu'un  examen  approfondi,  complété  par 
une  étude  des  documents,  fournissait  sur  chacun  d'eux,  les  étran- 
gers signalaient  les  rapprochements  que  pouvait  fournir  à  ce  sujet 
l'étude  de  monuments  similaires  élevés  dans  d'autres  régions.  Cette 
étude  comparative,  ces  rapprochements  sont,  croyons-nous,  l'un 
des  résultats  les  plus  utiles  des  Congrès,  qui  ont,  en  outre,  l'avan- 
tage de  mettre  en  rapport  les  personnes  qui  s'occupent  des  mêmes 
recherches  et  qui  les  mettent  à  même  de  se  mieux  connaître  et  d'é- 
changer leurs  idées  sur  les  études  qui  leur  sont  communes  ^ 

'  ■*!.  Palustre  cto't  devoir  reconnaître  dans  ce  dernier  endroit  nne  partie  de  la 
basilique  roiuainfi 

^  Si  nous  ne  voulions  nous  restreindre  à  l'analyse  des  questions  qui  rentrent 
dans  le  cadre  dt;  (  elle  Revue,  nous  aurions  à  citer  de  fort  intéressantes  lectures  de 
MM.  OUier  de  Mai'ichard  et  Florian  Vallentin,  sur  Vêpoque  préhistorique  en  Dau- 
phiné ;  de  MM.  Leblanc  et  Quénin,  sur  les  antiquités  romaines  de  Vienne;  de 


AU    CONGRÈS    DE    VIKNXE    (iSÈRE)  477 

Depuis  quelques  années,  les  réunions  de  la  Société  Française  ont 
toujours  vu  figurer  sur  leur  programme  la  question  de  l'évangéli- 
sation  de  la  province  où  se  tenait  le  Congrès.  Chaijue  fois,  nous 
avons  vu  les  partisans  des  deux  écoles  soutenir  avec  une  égale  ar- 
deur leurs  prétentions. 

Celte  année,  la  question  se  trouvait  plus  circonscrite  et  était 
ainsi  conçue  :  De  quelles  ressources  sont  les  inscriptions  chrétiennes 
pour  l'avancement  des  études  relatives  aux  origines  de  la  ville  de 
Viemie  ? 

M.  l'abbé  Belleî,  curé  de  Tain,  auteur  d'un  travail  considérable 
sur  l'histoire  du  diocèse  de  Vienne,  qu'il  est  à  la  veille  de  publier,  a 
lu  au  Congrès  le  chapitre  qui  sert  d'introduction  à  son  livre,  et  dans 
lequel  il  reproduit  les  arguments  invoqués  en  faveur  de  l'évangélisa- 
tion  du  Pagxis  Vioinensis,  au  I"'  siècle,  et  de  la  mission  de  S.  Cres- 
cent  *. 

M.  l'abbé  de  Meissas,  dans  un  mémoire  court  et  très  substantiel, 
a  étudié  d'abord  la  question  épigraphique,  et,  s'appuyant  sur  les 
beaux  travaux  de  M.  Allmer^  a  rappelé  qu'il  n'existait  à  Vienne 
aucune  inscription  chrétienne  antérieure  au  V"  siècle  (441).  Quant  à 
la  date  de  la  prédication  de  l'Évangile  à  Vienne,  il  ne  croit  pas  pou- 
voir la  faire  remonter  beaucoup  avant  la  persécution  de  177  (date 
de  la  lettre  envoyée  par  les  chrétiens  de  Lyon  et  de  Vienne)  et  encore 
ne  pense-t-il  pas  que  l'on  puisse  conclure  do  l'existence  de  chré- 
tiens à  Vienne,  à  l'établissement  dans  cette  ville,  dès  cette  époque, 
d'un  siège  épiscopal.  Si  l'on  étudie  l'ancienne  liturgie  viennoise,  on 

M.  Etienne  Récamiti-,  ¥ur  In  fabrication  des  poteries  romaines  dans  celle  ville; 
de  M.  Caillemer,  doyen  de  ki  Faculté  de  Droit  de  Lyon,  sur  des  voies  à  ornières 
artificielles  et  sur  le  Senatus-Consulte  de  C/aHd5  ;  de  M.  de  Laurière,  sur /es 
objets  antiques  renieiliib  à  Vienne  cl  aujourcVhui  dispersés  dar.s  diverses  collec- 
tions ;  de  M.  Desjardin,  sur  répocjue  de  la  conslruclion  du  Temple  d'Auguste  et 
de  Livic,  etc. 

La  Société  Française  d'archéologie  avait  déjà  tenu  à  Vienne  quelques  séances 
en  18il  et  en  '862.  (Voirie  cciuiite-rendu  de  ces  dernières  dans  le  volume  du 
XXL\e  Congrès  archéologique  de  France,  p.  504-52-2).  / 

1  M.  l'abbé  Bellet,  rappelant,  d'après  Eusèbe  de  Césarée,  que  la  lettre  des  chré- 
tiens de  la  Lyonnaise,  contenant  le  récit  de  la  persécution  de  177,  est  adressée  aux 
chrétiens  de  tialatie,  croit  y  voir  un  souvenir  de  la  mission  de  S.  Crescent,  qui, 
après  avoir  évaiigélisé  Vienne,  serait  allé  mourir  chez  les  Galaics. 


478  l'archéologie  religieuse 

peut,  ajoute  M.  de  Meissas,  et  bien  que  les  documents  soient  peu 
nombreux,  y  voir  des  traces  des  liturgies  orientales  et  on  serait  porté 
à  croire  que  les  premiers  missionnaires  venus  à  Vienne,  étaient 
partis  non  de  Rome,  mais  de  l'Orient. 

Si,  par  son  antiquité,  la  basilique  de  Saint-Pierre,  aujourd'hui 
transformée  en  musée  lapidaire  ',  nous  a  ofîert  un  sujet  d'études  des 
plus  attachants,  nous  avons  visité  également  avec  grand  intérêt  l'é- 
glise romane  de  Saint-André-le-Bas,  reconstruite  en  1152,  par  un 
architecte  du  nom  de  Martin  (ainsi  que  le  conslate  une  inscription 
gravée  à  la  base  d'un  des  piliers),  à  l'aide  de  nombreux  débris  anti- 
ques. Mentionnons  aussi  les  cloîtres  qui  touchent  à  l'église  et  se 
trouvent  aujourd'hui  compris  dans  les  bâLiments  du  nouveau  cercle. 

Mais  le  monument,  qui  mérite  à  coup  sûr  d'attirer  le  plus  long- 
temps l'attention  de  l'archéologue,  est  la  cathédrale  de  Saint-Mau- 
rice, malgré  le  déplorable  état  dans  lequel  se  trouve  sa  façade. 

Un  archéologue  lyonnais,  qui  achève  en  ce  moment  une  mono- 
graphie de  la  primatiale  de  Saint-Jean,  M.  Lucien  Bégule  nous  a 


1  Les  richesses  archéologiques  .'.onservées  à  Vienne  sont  encore  dispersées  :  les 
monuments  lapidaires  de  l'antiquité  et  du  Moyen-Age  sontdéposés  à  Saint- Pierre, 
mais  n'y  sont  pas  encore  arrangés  d'une  manière  définitive,  bien  que  des  mesures 
aient  été  prises  récemment  pour  placer  sur  le  sol  les  mosaïques  découvertes  à 
Vienne  et  dont  l'une  des  plus  importantes,  celle  d'Orphée,  est  encore  au  milieu 
du  Champ  de  Mars,  enfouie  à  deux  mètres  de  profondeur  environ,  l.es  bronzes, 
les  vases  et  les  objets  du  Moyen-Age  sont  placés  au  premier  étage  de  l'hôtel  de 
ville.  Signalons,  parmi  les  pièces  les  plus  remarquables  de  cette  dernière  collec- 
tion, une  tête  en  bois  do  l'époque  romaine  ayant  servi  de  coffret,  morceau  unique 
jusqu'à  ce  jour,  reproduit  d'après  une  photographie  de  M.  J.  de  Laurière,  dans  le 
Bulletin  monumental  de  1878. 

—  Une  Description  du  Musée  de  Vienne  a  été  publiée  en  1841.  |)arTh.-A.  De- 
lorme  iin-8)  ;  les  Inscriptions  antiques  et  du  Moyen-Age,  forment  l'objet  d'un 
ouvrage  considérable  de  .MM.  Allmer  et  de  Terrebasse;  et  M.  Leblanc,  conserva- 
teur du  musée,  qui  a  tant  fait  pour  la  recherche  et  la  conservation  des  antiquités 
viennoises,  a  entrepris  la  reproduction  à  une  échelle  uniforme  des  inscriptions  et 
des  mosaïques  de  Vienne. 

—  Malgré  leur  apparence  modeste,  n'oublions  pas  le  Guide  et  les  Annuaires 
publiés  par  M.  Savigné  et  qui  renferment  d'utiles  renseignements  sur  les  monu- 
ments et  les  curiosités  de  Vienne.  —  Le  vicomte  de  S.  Andéol  a  publié  en  1863, 
dans  la  Revue  de  l'Art  c/iélien,  une  courte  notice  sur  la  basilique  de  Saint- Pierre 
(t.  Vil,  p.  2'£9-252). 


VL     CONGUÈS    DE    VIENNE    (isÈRE)  479 

présenté  une  étude  remarquable  de  la  cathédrale  de  Saint-Maurice 
comparée  à  ce  dernier  monument,  et  nous  espérons  que  lorsqu'il 
aura  terminé  le  bel  ouvrage  qu'il  a  entrepris,  M.  Bégule  lui  donnera 
pour  pendant  une  description  de  Saint-Maurice. 

Parmi  les  points  qui  nous  ont  le  plus  frappé,  notons  les  frises 
exécutées  en  gravure  sur  pierre  et  représentant  des  personnages  et 
des  animaux,  sortes  de  mosaïques  analogues  au  dallage  de  la  cathé- 
drale de  Sienne,  puis  quelques  restes  de  peintures  murales,  le  siège 
de  l'évêque  placé  au  fond  du  chœur  et  qui,  à  Lyon,  existe  égale- 
ment, caché  aujourd'hui  sous  les  boiseries  des  stalles^  les  sarco- 
phages antiques  provenant  de  Saint-Pierre,  etc.  *. 

Signalons,  à  propos  de  la  cathédrale  de  Vienne,  un  travail  numis- 
matique considérable  sur  les  méreaux  du  chapitre,  présenté  par 
M.  Vallier,  dont  les  recherches  sur  le  Dauphiné  sont  depuis  long- 
temps connues  et  appréciées  '. 

Les  séances  du  Congrès  ont  été  coupées  par  une  excursion  des 
plus  intéressantes  faite  à  Saint-Antoine  de  Viennois. 

C'était  presque  un  voyage,  car  nous  avons  eu  à  faire  d'abord  un 
trajet  de  trois  heures,  en  chemin  de  fer,"  jusqu'à  la  Côte  Saint- 
André,  et  autant  en  voiture  ;  mais,  grâce  au  beau  temps,  nous  avons 
pu  passer  fort  agréablement  cette  journée  et  visiter  un  monument 
des  plus  curieux  et  dont  j'emprunterai  en  partie  la  description,  au 
compte-rendu  rédigé  par  M.  Alphonse  Nugues. 

Rappelons  d'abord  que  les  Antonins  devaient  leur  origine  à  la 
fondation  d'un  hôpital  établi  dans  ce  village  par  deux  gentils- 
hommes, autour  desquels  se  groupèrent  quelques  personnes  pieu- 
ses. 

Jusqu'au  treizième,  leur  supérieur  ne  prenait  que  le  titre  de 
maîî-re  ou  de  commandeur;  mais  en  1297,  Aimond  de  Montigny  prit 
la  qualité  d'abbé,  et  l'ordre  de  Saint-Antoine  (sous  la  règle  de  saint 
Augustin)  ne  tarda  pas  à  prendre  une  grande  extension  et  à  possé 


*  Dans  l'Église  de  Sainte-Colombe,  sur  la  rive  droite  du  Rhône,  nous  deyons 
signaler  un  beau  groupe  en  marbre,  du  XV*^  siècle,  représentant  la  Vierge  et 
Sainte  Anne. 

^  M.  Vallier  a  aussi  communiqué  au  Congrès  une  note  de  M.  Morin-Pons,  sur 
une  monnaie  de  Gui  de  Bourgogne,  aichevè4ue  de  Vienne. 


180  I/AKCHÉOLOGIE    REI-ICTEFSE 

der  dans  toute  la  France  des  maisons  et  surtout  des  hôpitaux  pour 
les  pèlerins  '. 

A  la  fin  du  XIII*'  siècle,  l'église  de  Saint-x\.ntoine,  qui  n'avait  jus- 
qu'alors que  peu  d'importance,  fut  rebâtie  avec  grand  luxe  et  c'e«t 
celle  qu'il  nous  a  été  donné  de  visiter  le  mois  dernier. 

L'église  et  les  bâtiments  de  l'abbaye,  placés  sur  une  éminence  qui 
domine  la  petite  ville  de  Saint-Antoine,  sont  soutenus  par  des  rem- 
parts et  des  substructions  de  l'aspect  le  plus  imposant. 

Devant  l'église,  se  trouve  une  place  bastionnée,  sur  laquelle  on 
avait  mis  en  batterie  et  fait  partir  en  notre  honneur  quelques 
vieilles  pièces  d'artillerie  en  fer,  ayant  autrefois  appartenu  à  l'ab- 
baye. 

Construite  au  XIY^  siècle,  c'est  seulement  au  commencement 
du  XV  que  la  façade  de  ce  monument  parait  avoir  été  achevée. 

«  Cette  façade,  dit  M.  Nugues,  se  compose  d'un  portail  majeur 
surmonté  d'une  vaste  fenêtre  et  de  deux  portails  latéraux;  l'orne- 
mentation en  est  soignée,  et  plusieurs  détails  remarquables,  no- 
tamment, au  centre  de  la  deuxième  voussure  du  grand  portail.  Dieu 
le  Fils  assis,  tenant  le  globe  de  la  main  gauche  et  bénissant  de  la 
droite;  dans  la  première  voussure  du  même  portail,  les  douze 
grands  prophètes  assis,  et,  dans  les  deuxième  et  troisième  vous- 
sures, des  anges  et  des  séraphins  en  adoration  placés  deux  à 
deux.  » 

L'église  de  Saint-Antoine,  dont  le  chœur  et  les  premières  travées 
de  la  nef  appartiennent  au  XIII^  siècle,  n'a  pas  de  transscpt  et  offre 
sous  ce  rapport  quelque  analogie  avec  la  cathédrale  de  Vienne.  Le 
reste  de  la  nef  est  du  XIY^.  On  remarque  des  peintures  murales 
du  XY"  siècle,  dans  les  deux  premières  chapelles  du  bas-côté  nord. 
Bien  que  très  détériorées  et  en  partie  cachées  sous  un  badigeon,  ces 
fresques  méritent  d'être  signalées;  elles  représentent  plusieurs 
scènes  de  la  vie  de  saint  Antoine  et  une  grande  composition,  saint 
Christophe  portant  l'Enfant-Jésus.  D'autres  peintures  étaient  visibles 
il  y  a  quelques  années  sur  les  colonnes  de  la  nef  et  dans  le  chœur, 
mais  on  ne  distingue  plus  aujourd'hui  qu'une  crucifixion. 

^  En  l'i72,  à  l'époque  de  sa  plus  grande  prospérité,   l'ordre  de  Saint -Antoine 
comptait  ïi  comraanderios  (  1 160  établissements  secondaires. 


AU    CONGRÈS    DE    VIENNE    (iSÈRE)  481 

L'autel  en  marbre  noir  décoré  de  bronze  est  un  des  spécimens 
les  plus  remarquables  que  nous  connaissions  du  XVIP  siècle.  De 
nombreuses  statues  de  bronze  dun  beau  caractère  le  décorent  et 
nous  croyons  qu'il  mériterait  d'être  signalé  aux  artistes  chrétiens, 
comme  digne  d'être  reproduit  \  Exécuté  en  1667,  par  le  sculpteur 
lyonnais  Mimerel,  l'autel  de  Saint-Antoine  fut  payé  dix  mille  livres. 
Il  renferme  sept  châsses  en  argent  repoussé  :  six  de  petites  dimen- 
sions sont  seulement  décorées  d'ornements,  mais  la  septième,  for- 
mée de  six  panneaux  représentant  des  scènes  de  la  vie  de  saint 
Antoine  et  de  deux  autres  décorés  des  armes  du  donateur,  est  un 
monument  fort  important  de  l'orfèvrerie  du  XVII*  siècle  ^ 

Par  une  attention,  dont  nous  ne  saurions  trop  remercier  le  clergé 
et  la  municipalité  de  Saint-Antoine,  tous  les  reliquaires,  les  orne- 
ments les  plus  précieux  de  l'église,  les  anciens  livres  liturgiques  et 
les  principaux  documents  des  archives  communales  avaient  été 
exposés  dans  le  chœur  de  l'église  ^ 

Indiquons  encore,  dans  cette  revue  rapide,  les  boiseries  du  XVIIP 
siècle  de  la  sacristie,  de  nombreuses  pièces  de  tapisseries,  et  la 
grille  originale  d'une  des  chapelles,  formée  des  hallebardes  et  per- 
tuisanes  des  anciens  gardes  de  l'abbaye. 

Les  bâtiments,  dont  la  majeure  partie  remonte  au  XYIIe  siècle, 
sont  aujourd'hui  divisés  entre  plusieurs  propriétaires  et  laissés, 
pour  la  plupart,  dans  un  état  de  délabrement  regrettable. 

Plusieurs  historiens  se  sont  déjà  occupés  de  l'ordre  de  Saint- 
Antoine,  et  M.  Yallier  nous  a  entretenus  à  l'une  des  séances  du  Con- 

^  L'an  dernier,  il  nous  avait  été  donné  devoir,  lors  du  Congrès  du  Mans,  un 
autel  également  très  remarquable,  mais  du  XVIIIe  siècle,  celui  de  l'église 
d'Évron. 

*  Cette  châsse  fut  donnée,  en  1G48,  par  Jean  du  Vache,  baron  de  Chasteauneuf 
de  l'Albène,  etc.,  président  en  la  Chambre  des  Comptes  de  Grenoble,  et  exécutée, 
sans  doute  dans  cette  ville,  car  chacun  des  panneaux  porte  la  marque  du  con- 
trôle des  orfèvres  de  cette  ville. 

Elle  renferme  des  reliques  de  S.  Antoine.  M.  Gautier-Descottes  a  bien  voulu 
nous  donner  à  cette  occasion  des  renseignements  sur  les  luttes  auxquelles  avait 
donné  lieu  au  Moyen-Age  la  possession  du  corps  de  ce  Saint,  luttes  qui  avaient  motivé 
à  Arles  la  nomination  d'un  capitaine  des  reliques.  (Voir  les  travaux  du  R,  P. 
Dassy,  etc.) 

^  Le  chœur  est  décoré  de  stalles  sculptées  en  1630,  par  Hannard,  de  Lyon. 
II«  série,  tome  XL  31 


482  '-  AHC.llKOLOGlK    lil'.l.UilKl  SK 

grès  d'un  travail  qu'il  prépare  sur  les  sceaux  des  abbés  et  des  mem- 
bres de  l'ordre  '. 

En  revenant  de  la  Côte  Saint-André,  le  temps  nous  a  manqué 
pour  visiter  une  ancienne  habitation  dépendant  de  l'ordre  de  Saint- 
Antoine,  située  au  hameau  de  Loives,  près  de  Roybon  et  dans 
laquelle  M.  Yallier  a  retrouvé  de  curieuses  peintures  murales. 

A  la  fin  d'une  session  archéologique,  lorsque,  pendant  huit  jours, 
on  a  vécu  sous  le  même  toit  et  presque  constamment  ensemble,  ce 
n'est  pas  sans  regret  que  l'on  voit  venir  le  moment  de  la  séparation, 
et,  malgré  l'espoir  de  se  retrouver  l'année  suivante,  on  cherche  par 
tous  les  moyens  possibles  ù  prolonger  ces  visites  en  commun,  ces 
entretiens  pendant  lesquels  on  a  pu  mieux  se  connaître,  s'apprécier 
et  souvent  jeter  les  bases  de  relations  durables. 

A  Vienne,  il  en  a  été  ainsi  et,  le  lendemain  de  la  clôture  du  Con- 
grès, nous  nous  trouvions  près  de  cinquante,  Yiennois  et  étrangers, 
réunis  sur  un  bateau  à  vapeur,  pour  descendre  le  Rhône  jusqu'à 
Valence  ^  ;  le  jour  suivant  encore,  nous  visitions,  sous  la  con- 
duite de  l'archiviste,  M.  Lacroix,  la  cathédrale,  l'évêché,  le  Penden- 
tif Gi  ces  maisons  si  curieuses  de  Valence,  avant  de  nous  disperser 
et  de  retourner  à  nos  occupations,  à  nos  travaux  ^ 

En  terminant  cette  revue  rapide  des  travaux  du  Congrès  qui  ren- 
trent plus  spécialement  dans  le  cadre  de  celte  Revue,  il  ne  me  reste 
plus  qu'à  ajouter  que,  l'an  prochain,  le  Congrès  compte  se  réunir  à 

*  M.  V.  Advii'lle  a  annoncé  deimis  longtemps  la  publication  d'un  ouvrage  sur 
l'cnlre  de  6. liiit-Autoiiie  de- Yiennois  et  ses  dilTérentes  maisons.  ^Voir  Coniptes- 
lendus  de  la  Société  Franc. d.re  de  Numismatique,  t.  I,  ]).  217). 

-  On  a  trop  sKOuveut  décrit  l'atti  ail  d'un  voyage  sur  le  Rhône  pour  que  je  croie 
iililr  de  m'éte,  die  ici  sur  uns  visites  à  Suint  Vallior,  à  Tournon,  dont  nous  devons 
higiialrr  U)ute!()is  le  ciiâte;iu  et  le  Ijeau  collège  des  Jésuites,  et  à  Tain,  dont  la 
place  principale  est  décoré.'  d'un  autel  t.u-obolique  ;  mais,  nous  devons  une  men- 
ton p:irticulière  à  l'église  romane  de  (  hampagne,  édifice  des  plus  curieux  et  sur 
les  murs  extérieurs  duq'iel  on  re  narque  de  nombreuses  pierres  sculptées  repré- 
sentant des  |)pr.-o:inagis  et  des  animaux. 

3  Pourtant,  ci-  n'éta.t  pis  encoi  e  la  séparation  définitive,  car  quelques-uns  d'en- 
tre nous  suivirent  jusqu'à  Milan,  le  directeur,  M.  Palustre,  qui,  ainsi  que  Mgr  Bar- 
bier de  Montault  et  MM.  de  Laurière.  de  Fontenillcs,  Rohault  de  Fleury,  Nodet, 
etc.,  consacra  la  fui  du  mois  à  l'étude  des  trésors  de  Milan  etdeMonza  et  à  l'e.va- 
men  de  quelques-uns  des  monuments  religieux  du  Milanais. 


AU    CONGRÈS    DE    VIENNE    (iSÈRe')  483 

Arras  et  que  l'un  des  principaux  collaborateurs  de  ce  Recueil, 
M.  l'abbé  Van  Drivai,  a  bien  voulu  se  charger  d'organiser  cette  ses- 
sion, qui  se  terminera  par  une  réunion  internationale  à  Tournai  et 
probablement  par  une  visite  à  l'exposition  rétrospective,  qui  doit 
avoir  lieu  à  Bruxelles,  à  l'occasion  du  cinquantième  anniversaire  de 
la  fondation  du  royaume  de  Belgique. 

Comte  de  Marsy. 

Inspecleur  général  de  la  Société  Française  (l'Archéologie. 


UN    CHIFFRE   FUNÉRAIRE 


Séez,  novembre  1879. 
Monsieur  le  Chanoine, 

Peut-être  sera-t-il  agréable  aux  lecteurs  de  votre  excellente 
Revue  de  connaître  un  chiffre,  ou  plutôt  une  véritable  épitaphe 
funéraire  de  la  seconde  moitié  du  XVIP  siècle  (1650).  Sa  composi- 
tion me  paraît  assez  remarquable  et  pour  la  nature  de  ses  lettres  et 
surtout  pour  leur  heureux  agencement. 

Ce  chiffre  était  placé  sur  le  tombeau  de  Mg7-  Jacques  Camus-de- 
Pont-Carré,  évêque  de  Séez,  que  l'on  a  relevé,  ces  jours  derniers, 
à  cause  des  nouveaux  travaux  de  restauration  entrepris  au  chevet 
de  notre  cathédrale. 

Comme  vous  le  voyez  sur  le  calque  ci-joint  (calque  que  j'ai  relevé 
aussi  exactement  que  possible  sur  le  marbre  lui-même),  on  arrive, 
avec  un  peu  d'attention,  à  découvrir  huit  lettres  entrelacées  : 
ACEIMQSV. 


V~7 


UN   CHIFFRE  FUNÉRAIRE  483 

Mais  comment  interpréter  ces  lettres?  Quelques  uns  proposent  de 
lire  ainsi  :  I,  Jacobus,  C'A"M*Y"S,  Camus,  E,  episcopiis,  Q,  quiescit 
(sous-entendu  hic).  D'autres  lisent  plus  simplement  Jacques  Camus. 

La  première  interprétation,  parce  qu'elle  est  faite  en  latin,  est, 
ce  semble,  plus  épigraphique  et  plus  ecclésiastique,  si  je  puis  ainsi 
parler,  et  aussi  plus  dans  le  goût  du  temps  :  de  plus,  elle  a  l'avan- 
tage de  ne  se  servir  qu'une  fois  des  mêmes  lettres.  En  revanche, 
l'autre  rentrerait  davantage  dans  le  genre  du  chiffre. 

Votre  science  tranchera  la  question. 

Dans  tous  les  cas,  je  serais  très-heureux  que  cette  inscription  put 
vous  intéresser  quelque  peu. 

Veuillez  agréer,  etc. 

Jos.  MALLET, 

Professeur  d'Archéologie  au  petit  séminaire  de  Séez, 
Membre  de  la  Société  de  Saint-Jean. 


TRAVAUX  DES  SOCIETES  SAVANTES 


Comité  des  travaux  historiques.  —  Ou  lit  dans  la  Revue  des  Sociétés 
savantes: 

«  M.  Darccl,  administrateur  de  la  manufacture  nationale  des  Gobelins, 
présente  à  la  Section  d'archéologie  un  fragment  d'une  ancienne  tapisse- 
rie qui  lui  a  été  confié  par  le  musée  d'art  et  d'industrie  do  Lyon.  Ce  frag- 
ment, acquis  de  l'abbé  Bock,  qui  en  a  cédé  un  autre,  d'importance  supé- 
rieure, au  musée  germanique  de  Nuremberg,  proviendrait  de  l'église  de 
Saint-Géréon,  de  Cologne.  C'est  le  plus  ancien  exemple  de  tapisserie  con- 
nue, mais  il  est  dfficile  de  fixer  la  date  de  sa  fabrication.  Son  ornementa- 
tion accuse  deux  influences  distinctes,  orientale  dans  les  giands  médail- 
lons circulaires  oiiun  griffon  combat  un  lion,  occidentale  dans  les  agrafes 
des  cercles  qui  les  enveloppent  et  dans  les  bordures  oii  des  têtes  à  peu 
près  humaines  mordent  de  courtes  tiges  formant  rinceaux.  La  juxtaposi- 
tion de  ces  deux  influences  pourrait  servir  à  donner  une  date  approxima- 
tive à  ce  précieux  monument.  M.  A.  Essenwein,  qui  a  publié  dans 
VAnzei'gei'  fur  Kunde  der  deulschen  Vorzeite  le  fragment  qui  appartient 
au  musée  qu'il  dirige,  le  croit  du  X*^  siècle  et  de  fabrication  byzantine. 
M.  Darcel  inclinerait  plutôt  vers  une  origine  occidcntcde  et  pour  une  date 
moins  reculée,  la  fin  du  Xl*^  siècle. 

u  C'est  une  véritable  tapisserie  tissée  partie  par  partie,  comme  le  sont 
toutes  celles  qui  se  font  aujourd'hui  ;  seulcmeiit  la  chaîne  en  est  très 
grosse,  étant  formée  de  vraies  ficelles  au  nombre  de  55  par  décimètre, 
taudis  qu'il  y  a  90  fils  de  chaîne  dans  les  tapisseries  actuelles  des  Gobe- 
lins.  Les  couleurs  employées  sont  au  nombre  de  sept  :  le  blanc  pour  le 
fond  général  el  les  animaux,  le  rouge,  le  brun  et  le  noir  pour  les  traits,  le 
bleu,  le  vert  et  le  noir  déjà  indiqué  pour  les  petits  triar.gles  qui  forment 
comme  une  mosaïque, et  un  rouge  vif  pour  le  galon  qui  sépare  la  bordure 
du  fond.  M.  Darcel  annonce  qu'il  fait  exécuter  par  les  élèves  de  l'école  de 
tapisserie  de  la  manufacture  une  copie  en  fac-similé  de  ce  fragment,  ce 


TRAVAUX    DES    SOCIETES    SAVANTES  4»! 

qui  permettra  de  conserver  dans  les  archives  des  Gobelins  un  souvenir  de 
ce  vénérable  spécimen  du  X"  au  XI°  siècle. 

Sociétés  des  Aniiqi'aikks  di-,  Fii\>(;iî.-  M.  \':clni- (j  ,,  . 
munication  sur  le  mont  Tlialiui'.  Il  dcci-it  >o:iiMi;iiie.iie,il  'i's  r  n.-s  :y  d  f- 
fércntos  époques  qui  couvrent  le  siminiL't  de  dttt;  uhuilay.ii.'  cé!<bi'L'.  A 
Tcpoque  primitive  appartiennent  Scms  doute  plusieurs  ancienn  s  ci.eines 
[pratiquées  dans  le  roc  et  une  assez  grande  quantité  de  gros  blocs  taiîlcs 
en  bossage.  En  effet,  dès  le  temps  de  Josué,  une  ville,  appelée  également 
Thabor,  existait  sur  le  haut  de  la  montagne.  Ces  gros  blocs  ont  pu  être 
ensuite  utilisés  dans  les  travaux  de  fortification  exécutés  plus  tard  en  cet 
endroit  par  Josèphe,  Les  croisés  et  les  Musulmans  ont  du  s'en  servir  pa- 
reillement et  en  tailler  peut-être  beaucoup  d'autres  sur  le  môme  patron. 

A  l'époque  chrétienne  byzantine  se  rapportent,  selon  toute  apparence, 
les  restes  d'une  petite  église  qui  a  été  relevée  de  ses  ruines  par  les  Grecs 
depuis  quelques  années  et  qui  était  consacrée  à  saint  Elle. 

La  plus  grande  partie  du  plateau  supérieur  de  la  montagne  a  été  ache- 
tée par  les  Latins,  et  les  Uî\.  PP.  Franciscains  de  Nazareth  y  ont  prati- 
qué, en  1875,  des  fouilles  d'un  très  haut  intérêt,  car  elles  ont  mis  à  jour 
l'emplacement  du  véritable  sanctuaire  de  la  Transfiguration. En  déblayant, 
en  effet,  le  point  culminant  du  Thabor,  ces  religieux  y  ont  trouvé,  sous 
une  musse  énorme  de  décombres,  les  restes  de  deux  chapelles.  La  pre- 
mière était  petite  et  n'avait  qu'une  abside  vers  l'orient;  elle  était  tout  en- 
tière pavée  en  mosaïque.  Cette  chapelle  était  très  probablement  celle  de 
Moïse,  car  en  continuant  à  s'avancer  et  à  fouiller  vers  l'est,  ils  rencon- 
trèrent bientôt  les  vestiges  d'une  autre  chapelle  beaucoup  plus  considé- 
rable qui  paraît  avoir  eu  trois  nefs  et  dont  la  longueur  peut  être  estimée 
à  36  mètres  et  la  largeur  à  16.  Cette  chapelle  renfermait  sous  sa  nef  cen- 
trale, une  crypte  longue  de  30  mètres  et  large  de  6,  dans  laquelle  on  des- 
cend par  un  escalier  de  12  marches.  Au  fond  est  un  autel  encore  à  moi- 
tié debout.  Cette  crypte,  ensevelie  auparavant  sous  un  prodigieux  mon- 
ceau de  pierres  et  de  débris  de  toute  sorte,  est  aux  yeux  de  M.  Gnéi'in 
d'un  prix  inappréciable.  Il  la  croit,  en  effet,  après  l'avoir  examinée  avec 
soin,  contemporaine  des  premiers  siècles  de  l'Eglise  et  appartenant  au 
sanctuaire  primitif  érigé  sur  le  Thabor  sous  le  titre  de  Saint-Sauveur.  La 
chnpelle  qui  la  contenait  et  la  recouvrait  a  pu  être  détruite  et  relevée  plu- 
sieurs fois,  mais  la  crypte  a  du  toujours  échapper  aux  ravages  et  aux 
restaurations  qui  ont  nécessairement  altéré  le  caractère  de  l'édifife  sous 
lequel  elle  s'étendait.  Comme  nous  sommes  là  précisément  sur  la  cime  du 
Thabor  et  comme  cette  chopcllc  était   de  beaucoup  la  plus  considérable 


488  TRAVAUX   DES   SOCIÉTÉS   SAVANTES 

des  trois  qui  avaient  été  construites  sur  le  sommet  de  la  montagne,  que 
dès  lors  il  est  logique  d'admettre  qu'elle  ne  peut  être  que  celle  de  Saint- 
Sauveur,  les  deux  autres  devant  être  reconnues,  l'une  pour  celle  d'F.lie, 
l'autre  pour  celle  de  Moïse,  il  s'ensuit  que  la  crypte  en  question  nous  ré- 
vèle d'une  manière  certaine  Tendroitoù,  dès  les  premiers  siècles  de  l'i']- 
glise,  on  croyait  que  s'était  accompli  le  grand  mystère  de  la  Transfigura- 
lion. 

Société  d'Arcuéologie  biblique  de  Londres.  —  La  séance  d'ouverture 
de  cette  Société,  qui  s'est  tenue  le  4  novembre,  a  offert  un  intérêt  parti- 
culier, à  cause  des  deux  savants  qui  y  ont  fait  des  communications, 
MM.  Rassam  et  Oppert,  membres  honoraires  de  la  compagnie. 

M.  Hornagd,  Arménien,  né  h  Mossoul,  sur  le  sol  de  l'ancienne  Assyrie, 
s'est  fait  connaître  comme  continuateur  des  fouilles  de  M.  Layard  à  Ni- 
nive,  et  comme  l'un  des  prisonniers  du  roi  Théodoros  d'Abyssinie.  Il  a  été 
chargé  dernièrement,  après  un  intervalle  de  plus  de  vingt  ans,  de  re- 
prendre les  fouilles  de  Ninive,  et  a  fait  l'heureuse  trouvaille  de  plaques 
de  cuivre,  qui  représentaient  en  repoussé  des  scènes  de  l'histoire  du  roi 
Salmanassar  III  (903-860  avant  Jésus-Christ.) 

En  rendant  compte  de  ses  fouilles  en  18o4,  il  a  raconté  comment,  par 
une  belle  nuit  de  clair  de  lune,  il  s'est  transporté  sur  le  domaine  ninivite 
réservé  par  un  fîrman  impérial  à  la  France,  comment  il  y  a  pris  possession, 
au  nom  de  l'Angleterre,  pour  assurer  au  Musée  britannique,  les  trésors 
qu'il  y  savait  cachés.  Le  Times  nomme  cette  manière  d'agir  astucieuse 
{asiate);  on  pourrait  la  qualifier  encore  autrement,  car  le  fait  que  M.  Vic- 
tor Place,  consul  de  France,  le  successeur  de  Botta,  était  occupé  à  con- 
tinuer à  Khorsabad  les  seules  fouilles  sysLcmatiques  qui  aient  été  faites 
sur  le  sol  de  Ninive,  n'indiquait  nullement  un  abandon  des  droits  qu'il 
tenait  de  la  Porte  et  dont  il  avait  l'intention  de  profiter.  Malgré  les  pro- 
testations du  consul  français,  M.  Rassam  continua  ses  recherches,  et  il 
rapporta  de  ses  fouilles  la  plus  grande  partie  des  trésors  cunéiformes  qui 
font  du  Musée  britannique  le  plus  riche  du  monde  pour  cette  partie. 
Ainsi  le  récit  du  déluge  et  les  archives  du  roi  Sardanapale  sont  au  British 
Muséum  et  non  au  Louvre. 

M  Ratsam  a  rappelé  que  M.  Oppert,  passant  alors  par  Mossoul,  lui 
avait  le  premier  donné  l'interprétation  de  quelques  textes  trouvés  par 
lui,  sui  quoi  notre  compatriote  a  pris  la  parole  en  anglais,  pour  indiquer 
spirituellement  aux  excavateurs  anglais  une  mine  due  aux  découvertes 
de  la  science  française,  mais  où,  cette  fois,  M.  Rassam  n'avait  pas  à 
craindre  de  protestations.  Il  a  parlé  de  cette  île,  citée  dans  les  textes 


TRAVAUX    DES    SOCIÉTÉS    SAVANTES  489 

cunéiformes,  et  d'où  étaient  originaires  les  cultes  des  dieux  de  cette  terre 
au  milieu  des  flots,  d'où  étaient  surgis  les  monstres  marins  qui,  selon  la 
légende,  avaient  enseigné  aux  Chaldéens  les  arts  et  les  sciences,  et  les 
avaient  civilisés.  M.  Oppert  a  prouvé  que  cette  île,  «île  de  l'origine,  »en 
assyrien  Tilvoun,  n'était  autre  que  la  fameuse  île  Tylos,  des  Grecs,  cé- 
lèbre par  ses  perles  et  son  coton,  et  aujourd'hui  connue  sous  le  nom  de 
Bahrein . 

Une  antique  tradition,  transmise  par  Strabon,  faisait  de  cette  île  égale- 
ment la  métropole  de  Tyr  et  d'Arndus,  en  Phénicie  ;  encore  aujourd'hui, 
l'un  des  petits  îlots  de  l'archipel  de  Bahrein  s'appelle  Arad. 

M.  Oppert  a  engagé  les  explorateurs  à  n'y  pas  trouver  les  livres  de 
classes  de  ces  monstres  marins,  comme  dernièrement  un  jeune  Anglais 
avait  découvert  dans  des  documents  juridiques  de  Babylone,  les  grands 
livres  d'une  maison  de  banque,  qu'il  a  nommée  les  banquiers  Egibi  et 
fils.  M.  Oppert  a  fait  justice  de  ce  hitmbug  répété  par  les  journaux  anglais, 
car  ce  nom  d'Egibi  est  le  nom  d'un  des  nombreux  chefs  de  tribu  cités 
dans  le?  textes  babyloniens,  et  non  le  nom  d'un  chef  de  banque.  Après 
l'exposition  d'une  matière  spécialement  biblique,  la  découverte  de  l'ori- 
gine de  la  chronologie  de  la  Genèse,  le  meeting  décerna,  par  deux  votes 
successifs,  des  remerciements  à  M.Rassam  et  à  M. Oppert  et,  pour  ce  der- 
nier surtout,  dans  les  termes  les  plus  honorables,  comme  l'un  des 
hommes  de  notre  époque  qui  a  le  plus  contribué  au  progrès  de  nos  con- 
naissances relatives  aux  siècles  passés. 

Société  archéologique  de  lx  Corrèze.  —  M.  Rupin  lit  une  note  sur  une 
mosaïque  gaUo-romaine  trouvée  dans  la  commune  de  Cubjac  (Dordogne) 
et  destinée  au  musée  de  Périgueux. — Le  même  membre  communique  une 
notice  historique  sur  les  évêques  de  Toul,  accompagnée  de  leurs  armoi- 
ries —  M.  Roujou  traite  une  question  fort  en  faveur  aujourd'hui,  celle 
de  nos  origines  et  des  différentes  migrations  des  peuples  qui  ont  successi- 
vement occupé  notre  sol  ;  il  s'occupe  spécialement  des  races  humaines 
de  l'Auvergne  et  des  régions  montagneuses  environnantes.  —  La  Société 
a  reçu  pour  son  musée  une  série  d'antiquités  gallo-romaines  et  franques 
provenant  des  fouilles  de  Caranda.  —  Dans  la  quatrième  livraison  du 
tome  1,  nous  signalerons  spécialement  une  étude  sur  Turgot  dans  le  Haut- 
Limousin  par  M.  Treich  et  un  Essai  su?'  une  inscription  du  Xlll^  siècle  par 
M.  Greil. 

Société  archéologique  du  midi  de  la  Fr.^nce.  —  M.  de  Lahondès  lit 
une  monographie  de  l'église  de  Salau  sur  la  frontière  du  Couseran,  cons- 


490  TRAVAUX   DES    SOCIÉTÉS   SAVANTES 

truite  au  XI*  siècle,  selon  la  tradition,  par  une  princesse  espagnole  exilée 
de  son  pays,  et  devenue,  à  la  fin  du  siècle  suivant,  la  propriété  des  hospi- 
taliers de  Saint-Jean  de  Jérusalem,  ils  y  construisirent  un  hospice  pour  les 
passagers  du  port  ;  des  acquisitions  et  des  dons  nombreux  dont  les  actes 
sont  conservés  aux  archives  de  Malte,  à  la  préfecture  de  Tt)ulouse,  l'enri- 
chirent en  peu  d'années,  et  il  acquit  une  certaine  importance  pendant  le 
XlIP  siècle.  Mais  cette  prospérité  disparut  après  les  luttes  locales  des 
guerres  religieutes,  et  les  visiteurs  de  l'Ordre  n'y  trouvèrent  que  difficul- 
tés et  misères  pendant  les  deux  derniers  siècles.  L'église  à  une  seule  nef 
voûtée  en  berceau,  avec  une  abside  voûtée  en  cul-de-four,  fat  construite 
très  simplement,  mais  dans  des  conditions  de  stabilité  qui  lui  permettaient 
de  servir  au  culte  ;  elle  est  encore  aujourd'hui  absolument  telle  qu'elle 
sortit  des  mains  de  l'ouvrier.  Les  arcades  du  clocher  en  marbre  blanc, 
ainsi  que  les  débi-is  du  porche  dont  quelques  colonnettes  sont  dressées  au- 
devant  de  l'église,  portent  seules  des  sculptures.  Ces  sculptures,  de  même 
que  celles  de  la  petite  chapelle  de  Saint-Sernin,  de  l'église  plus  ancienne 
de  Vie,  de  la  porte  de  Saint-Vallier  à  Saint-Girons,  difïerent  de  celles  des 
églises  romanes  de  la  vallée  de  l'Ariège,  construites  sous  l'influence  de 
l'école  toulousaine,  quelques  années  plus  tard.  Eiles  sont  le  produit  d'un  art 
archaïque  tout  local,  dont  les  analogues  se  retrouvent  sur  plusieurs  églises 
des  Pyrénées  centrales,  qui  emprunte  bien  peu  de  ses  éléments  aux  tra- 
ditions romaines  ou  aux  importations  byzantines  et  qui,  par  ses  traits 
simples,  h  peines  creusés,  ses  p.?Lites  têtes  isolées,  ses  entrel  ics  à  très  fai- 
ble relief,  rappellerait  plutôt  les  ornements  des  armes  et  des  poteries  gau- 
loises et  des  agrafes  mérovingiennes. 

Académie  Delpminale.  —  Dans  le  Bulletin  de  cette  Société  (Grenoble, 
1879),  M.  Régis  Géry  rend  compte  des  antiquités  trouvées  à  Vilelte,  près 
des  ruines  du  temple  de  Romulus.  Parmi  ces  objets  d'art,  on  remarque 
deux  statuettes  en  marbre  de  80  cent,  de  hauteur,  style  delà  Renaissance. 
L'une  représente  S.  Bi'uno,  fondateur  des  Chartreux,  en  costume  de  son 
ordre,  la  tête  rasée  ;  à  ses  pieds,  une  mitre  d'archevêque,  allusion  faite  à 
son  refus  de  l'ai-chevêchc  de  Reims,  ou  plutôt  de  celui  de  Keggio  eu  Pala- 
bre. L'autre  représente  S.  Jean-Baptiste,  patron  des  Chartreux  et  de  tous 
les  cénobites;  il  est  vêtu  de  la  peau  légendaire  et  tient  de  la  main  gauche 
le  livre  des  Évangiles  sur  lequel  est  couché  l'Agneau  divin  qu'il  indique 
avec  l'index  de  la  main  droite.  La  matière  de  ces  statues  est  du  plus  beau 
marbre  ;  on  les  avait  ornées  de  dorures  et  de  vives  couleurs  que  le  temps 
n'a  pas  flétries. 

J.  C. 


BIBLlOCjRAPMIE 


LE  COSTUME  AU  MOYEN-AGE,  d'après  les  sceaux,  par  M.  G.  Demay,  sous- 
chef  de  la  section  historique  aux  Archives  nationales.  —  Un  volume  grand  in-8° 
Jésus  contenant  600  gi  avares  et  2  chromolithographies.  —  Paris,  Pillet  et 
Dumoulin,  1880.  —  Prix  :  20  fr.  broché;  relié,  tranche  dorée,  28  fr.;  sur 
papier  vélin  de  cuve,  40  fr.  broché.  (Il  en  a  été  tiré  75  exemplaires.) 

Les  études  historiques,  qui  ont  reçu  heureusement  une  si  vive  impul- 
sion depuis  le  commencement  de  ce  siècle,  ont  forcé  les  artistes  à  s'occu- 
per, plus  que  jamais,  de  recherches  actives  sur  tous  les  détails  de  la  vie 
privée  aux  différentes  époques.  Le  moyen-âge  spécialement  a  attiré  leur 
attention.  La  fantaisie  n'est  plus  permise,  et  encore  moins  les  anachronis- 
mes  choquants  qu'on  excuse  à  peine  dans  l'enTance  de  l'art,  et  qui  gâtent 
les  brillantes  compositions  des  grands  maîtres  de  la  Renaissance.  Le 
magnifique  volume  que  nous  avons  sous  les  yeux  vient  offrir  aux  artistes 
une  mine  des  plus  précieuses  :  ils  y  trouveront  tous  les  détails  de  costume 
représentés  dans  les  six  cents  gravures  distribuées  avec  autant  de  goût 
que  d'originalité,  au  courant  d'un  texte  précis,  simple,  exact,  qui  com- 
mente, avec  une  science  sûre  et  une  lucidité  parfaite,  les  indications  si 
variées  qu'on  peut  tirer  de  cette  immense  collection  de  sceaux  choisis 
entre  tout  ce  qui  est  connu.  C'est  le  fruit  de  trente  années  de  recherches 
et  d'études  d'un  érudit  de  premier  ordre,  qui  se  trouve  mis  au  service  du 
public  ;  nous  ne  craignons  pas  de  prédire  à  cet  excellent  ouvrage  un  ac- 
cueil empressé  de  la  part  deslecteuis  sérieux  au.xquels  il  s'adresse. 

L'introduction,  qui  a  70  pages,  forme  un  traité  fort  remarquable  de 
sigillographie  ;  c'est  de  la  science  solide  mise  à  la  portée  de  tous  pai/  la 
clarté  de  l'exposition.  On  y  trouve,  admirablement  résumé,  tout  ce  qu'il 
importe  de  savoir  sur  l'origine  des  sceaux,  les  matières  diverses  dont  ils 
furent  composés,  les  moyens  pris  pour  leur  conservation  ;  les  différentes 
manières  de  les  apposer,  l'usage  du  sous-sceau  ;  la  présence  des  sceaux 


492  BIBLIOGRAPHIE 

pour  les  chartes  qui  en  reçoivent  plusieurs  ;  les  contre-sceaux  ;  1rs  pré- 
cautions usitées  pour  garantir  rauthenticité  du  sceau,  qui  donnait  lui- 
même  le  caractère  authentique  aux  actes  où  il  élait  apposé  ;  enfin  tout 
ce  qui  concerne  les  matrices  des  sceaux  ;  leur  matière,  leur  forme,  le  soin 
avec  lequel  elles  étaient  gaidces,  l'art  merveilleux  des  (ailleurs  de  sceaux, 
dont  le  nom  a  été  sauvé  de  l'oubli  par  les  livres  des  comptes  des  princes 
et  des  rois. 

Cet  excellent  et  substantiel  traité  ne  s'adresse  pas  seulement  aux  hommes 
spéciaux  et  aux  artistes,  mais  au  monde  lettré  en  général,  ce  qui  suffirait 
pour  assurer  à  ce  beau  volume  une  place  d'honneur  dans  toute  biblio- 
thèque sérieuse. 

Le  corps  de  l'ouvrage,  d'ailleurs,  offre  aussi  un  vif  intôi  et  ;  nous  pou- 
vons, d'après  notre  impression  en  le  lisant,  assurer  qu'il  plaira  à  tous 
ceux  qui  ont  quelque  goût  pour  les  éludes  historiques.  La  disposition  des 
gravures  et  les  qualités  du  texte  conlribuent  beaucoup  au  charme  de  cette 
lecture  ;  presque  à  chaque  page  (et  souvent  deux  ou  trois  fois  dans  une 
page),  la  curiosité  est  pi(]uée  par  l'aspect  d'une  figure,  et  l'on  est  heureux 
de  trouver,  en  quelques  lignes,  une  explication  lumineuse  qui  vous  ap- 
prend à  voir  et  à  apprécier  tous  les  moindres  détails,  avec  la  sagacité  et 
l'expérience  d'un  sigillographe  consommé  ;  c'est  la  vraie  et  solide  vulga- 
risation de  la  science. 

Le  champ  parcouru  par  M.  G.  Demain  est  immense,  et  l'on  admire 
comment  il  a  pu  restreindre  dans  les  limites  de  ce  volume  les  richesses 
accumulées  pendant  ses  trente  années  de  recherches.  On  voit,  dans  ces 
six  cents  gravures,  tout  ce  qui  se  rattache  au  costume,  non-seulement 
des  rois^  des  dames,  des  chevaliers,  des  maires,  des  échevins,  mais  en- 
core au  costume  sacerdotal,  au  type  des  figures  allégoriques  des  trois  Per- 
sonnes divines,  aux  figures  des  anges,  aux  représentations  de  la  Vierge 


Sceau  (l'Adèle,  comtesse  de  Soissons  (1186), 

revêtue  de  l'ancienne  clilamyde  attachée  sur  l'épaule  à  la  façon  des  hommes. 

'Gravure  tirée  du  Costume  d'après  les  sceaux  par  I)emay.) 


BlliLIOGRAPHlK  493 

et  des  saints.  Tous  ces  sujets  vaiiés  sont  traités  avec  une  égale  compé- 
tence, et  nous  avons  remarqué,  pour  ce  qui  concerne  la  partie  religieuse, 
non  seulement  une  science  peu  commune  de  la  liturgie,  mais  un  ton  plein 
de  convenance  et  de  respect,  qui  rappelle  le  X ¥11*=  siècle.  Nous  ne  saurions 
trop  en  féliciter  l'auteur,  et  nous  croyons  inutile  de  relever  de  légères  er- 
reurs ou  quelques  expressions  qui  manquent  de  la  justesse  théologique 
rigoureuse  :  l'excellent  esprit  de  l'ensemble  de  la  rédaction  oblige,  an 


Sceau  Iliaque  de  Louis  le  Gros. 
Louis  VI,  en  costume  royal,  revèlu  d'un  manteau  court  comme  l'ancien  sagum,  assis  sur  un 
pliant  à  tètes  de  lion,  tient  d'une  main  le  sceptre  et  de  l'autre  un  fleuron  en  forme  de  trident 
terminé  par  des  perles.  (Tiré  du  Costume  d'après  le»  sceaux.) 


494  liiBLiOGRAPHir: 

pareil  cas,  à  donner  au  texte  rinterprctation  k\  plus  bienveillante.  Nous 
devons  encore  ajouter  que  l'auteur  a  été  amené  par  son  sujet  à  traiter 
des  origines  du  blason  et  de  son  application. 


Sceau  (le  Charles  VII  (1422-1461  ]. 
Le  roi,  couronne  en  têle,  tenant  le  sce|itre  et  la  main  de  justice,  est  assis  sous  un  dais  ferni? 
de  trois  côtés  par  une  boiserie  délicatement  sculptée,  (Gravure  tirée  du  Costume  d'après  les 
sceaux,  par  G.  Uemay.) 

Comme  nous  le  disions  plus  haut;  cet  ouvrage  sera  désormais  le  ma- 
nuel de  tous  les  artistes  :  il  est  nécessaire  à  tous  ceux  qui  s'occupent 
spécialement  d'études  historiques  ;  les  collectionneurs,  aujourd'hui  si 
nombreux,  qui  ont  quelque  goût  pour  la  sigillographie  et  l'art  héraldique, 
en  feront  leurs  délices.  Mais,  comme  nous  l'avons  déjà  dit,  ce  beau  livre 
ne  s'adresse  pas  seulement  à  ces  classes  spéciales  de  lecteurs  :  il  doit  être 
goûté  parmi  les  gens  du  monde,  et  nous  l'estimons  un  des  plus  agréables 
cadeaux  d'étrennes  pour  les  hommes  sérieux  ou  les  jeunes  gens  qui  achè- 
vent leurs  études. 

La  beauté  du  papier,  l'élégance  du  format,  la  perfection  typographique 
delà  disposition  du  texte,  la  netteté  du  caractère,  les  soins  apportés  au 
tirage  et  au  satinage,  placent  ce  volume  au  premier  rang  parmi  les  livres 
de  luxe. 

N.    POLV. 


niiiUOiiUM'HiE  495 

ORAISON  FUNÈBRE  DU  GRAND  CONDÉ,  par  J.-B.  Bossukt,  évêque  de  Meaux. 
Paris,  Mûigand  et  Fatout,  1879,  in"!"  jésus  de  5i  pages. 

M.  Emmanuel  Boclier  vient  de  publier  un  chef-d'œuvre  typographique 
qu'il  a  dédie  à  Mgr  le  duc  d'Aumale;  cet  hommage  était  bien  dû  à  l'émi- 
nent  bibliophile  et  au  restaurateur  du  château  de  Chantilly.  M.  Bocher 
aura  réussi  à  montrer  que  la  conception  des  beaux  Hvres  n'appartient  pas 
seulement  aux  siècles  passés  et  que  l'art  de  notre  temps  tait  en  produire 
aussi.  M.  Georges  Chamerot,  l'imprimeur  renoraimé,  a  fait  choix  des  plus 
beaux  caractères  et  des  plus  beaux  papiers,  pour  les  quatre  éditions  : 
300  exemplaires  sur  papier  de  Hollande  (oO  fr.),  100  exemplaires  sur 
papier  de  chine  (100  fr.),  30  exemplaires  sur  papier  du  Japon,  des  fabri- 
ques du  Mikado  (200  fr.),  quatre  exemplaires  sur  peau  de  vélin,  avec 
épreuves  d'artiste  (1,000  fr.). 

M.  Lechevallier-Chevignard  est  l'auteur  des  dessins  qui  ornent  ce 
volume.  Déjà  connu  par  d'importants  travaux  de  peinture  et  de  décora- 
tion, il  sait,  tout  en  demeurant  le  respectueux  admirateur  des  maîtres  qui 
l'ont  précédé  dans  la  carrière,  imprimer  à  ses  ouvrages  une  originalité 
particulière,  et  tirer  des  exemples  qui  nous  ont  été  légués  par  les  plus 
grands  artistes  de  toutes  les  époques,  un  profit  singulier.  En  chargeant 
M.  Adrien  Didier,  un  graveur  qui  n'en  est  plus  à  donner  des  témoignages 
de  son  talent,  du  soin  de  reporter  sur  le  cuivre  les  dessins  de  Ghevignard, 
M.  Bocher  a  tenu  à  assu:  r  à  la  reproduction,  une  interprétation  supé- 
rieure et  une  entente  du  style  qui  convient  aux  dessins,  comme  elle  con- 
vient .au  livre  lui-même. 

L'Oraison  funèbre  du  Grand  Condé  est  ornée  de  neuf  eaux-fortes,  tirées 
avec  le  plus  grand  soin  dans  le  texte  même,  ou  selon  les  règles  du  véritable 
luxe  typographique,  sur  les  feuillets  imprimés  en  partie. 

Le  Frontispice  reproduit  le  beau  buste  de  Coysevox  que  possède  le 
Louvre.  Deux,  figures  de  Victoires,  îiocroy  et  Senef,  la  première  et  la 
dernière,  couronnent  le  héros  du  laurier  triomphant.  Le  Fleuron  du  titre 
montre  réunis  les  trophées  de  ces  sanglantes  batailles,  et  l'un  des  drapeaux 
a  été  fidèlement  copié  sui-  l'original,  conservé  à  Chantilly  par  Mgr  le  duc 
d'Aumale.  Il  provient  de  Rocroy. 

Entête  de  l'Oraison  funèbre,  paraissent  les  armes  des  Condé,  qu'accom- 
pagnent La  Foi  et  La  Valeur. 

Trois  planches  sont  consacrées  :  au  génie  militaire  du  grand  Capitaine, 
à  ce  temps  de  sa  vie  où,  retiré  parmi  les  lettrés  et  les  philosophes,  il 
se  délassait  de  sa  gloire,  puis  à  ces  honneurs  de  la  mort,  dignes  d'un 


496  BIBLIOGRAPHIE 

souverain  par  leur  magnificence,  mais  que  rendirent  incomparables  les 
regrets  de  tout  un  peuple,  et  la  parole  éloquente  de  Bo?suet.  —  Rocroy, 
Chantilly^  Notre-Dame,  forment  une  sorte  de  trilogie,  de  commentaire  artis- 
tique dans  lequel  se  retrouvent  les  principales  divisions  tracées  par  l'Ora- 
teur chrétien.  Tout  ce  que  les  documents  contemporains  pouvaient  offrir 
de  précis  à  l'artiste  a  été  consulté  et  mis  en  œuvre.  C'est  ainsi  qu'à  l'aide 
des  curieuses  planches  de  Dulivar,  M.  Chevignard  a  su  reconstituer  dans 
tous  ses  détails  la  cérémonie  du  10  mars  1687.  Enfin,  il  n'est  pas  jus- 
qu'aux lettres  ornées,  aux  culs-de-lampe  qui  n'aient  leur  signification  et 
leur  intérêt  historique. 

Nous  devons  féliciter  de  ce  nouveau  succès  MM.  Morgand  et  Fatout  qui 
ont  tellement  le  sentiment  exquis  de  l'art  qu'ils  en  mettent  jusque  dans 
leurs  ralalo//ues,  si  estimés  des  bibliophiles  pour  leurs  curieux  renseigne- 
ments, et  des  artistes  pour  les  reproductions  de  frontispices  de  livres 
rares  et  précieux. 


LA  SAINTE  VIERGE,  Études  iconographiques  et  archéologiques,  par  M.  Rohault 
DE  Fleury,  —  2  vol   in-4'^.  —  Paris,  Poussielgue. 

Le  dernier  ouvrage  de  M.  Rohault  de  Fleury  vient  d'être  public  parles 
soins  de  MM.  Poussielgue;  il  doit  produire  une  grande  sensation  dans  le 
public  érudit  et  artiste.  Nous  n'hésitons  pas  à  dire  que  la  mise  au  jour 
d'un  tel  livre  est  un  événement.  Les  livres  sont  faits  d'ordinaire  par  des 
savants  ou  des  artistes  qui,  les  uns  ou  les  autres,  négligent  soit  los  monu- 
ments, soit  l'histoire  ;  mais  rarement  la  même  main  sait  successivement 
chercher,  dessiner  et  décrire.  Voilà  cependant  l'insigne  réunion  de  qua- 
lités que  nous  rencontrons  ici. 

Des  travaux  considérables,  il  est  vrai,  ont  été  souvent  entrepris  sur  la 
Sainte  Vierge,  mais  fort  peu  ont  envisagé  les  monuments  qu'on  commence 
seulement  aujourd'hui  à  connaître.  Une  remarque  m'a  frappé;  lorsque 
j'examine  les  nombreuses  revues  archéologiques  qui  se  sont  fondées  en 
Europe  depuis  cinquante  ans,  j'y  vois,  presque  sans  exception,  régner 
dans  toutes  l'esprit  le  plus  chrétien  ;  cette  circonstance,  au  milieu  du  dé- 
bordement actuel  des  mauvais  écrits,  s'explique  par  le  mot  d'un  archéolo- 
gue fort  connu  :  «  J'étais  incroyant,  mon  art  m'a  converti  I  »  Il  est  im- 
possible, en  effet,  de  sonder  les  fondements  historiques  de  l'Église  sans 
en  faire  jaillir  des  lumières  qui  étonnent  les  adversaires  di^  notre  foi  et 
qui  dessillent  les  yeux  sincères.  L'ouvrage  La  Sainte  Vierge  est  une  de  ces 
lumières  qui  dissipera  bien  des   ombres  ;   nos  frères  séparés  surtout  y 


BIBLIOGRAPHIE  497 

verront  qu'ils  sont  encore,  à  leur  insu,  tout  environnés  des  souvenirs  de  ce 

culte  béni,  qu'ils  n'ont  qu'à  se  baisser  pour  ramasser  sur  leur  sol  même  les 
anneaux  de  cette  chaîne  qui  nous  rattache  aux  âges  apostoliques,  et  que 
le  XVP  siècle  a  brisée  si  cruellement. 

L'ouvrage  est  partagé  en  deux  volumes,  qui  marquent  deux  parties 
distinctes.  —  Dans  le  premier,  l'auteur  suit  les  différents  événements  de 
la  vie  de  la  Sainte  Vierge.  Il  nous  la  montre  saluée  de  loin  par  les  pro- 
phètes, annoncée  même  par  les  oracles  païens,  apparaissant  sous  les 
figures  bibliques  ou  mythologiques  ;  puis  dans  les  bras  de  sainte  Anne, 

—  sur  le  seuil  du  Temple,  oii  elle  se  consacre  à  Dieu,  dans  le  Saint  des 
Saints,  oii  l'ange  lui  apporte  sa  nourriture  céleste,  —  devant  son  fiancé 
virginal,  —  à  Nazareth,  devant  l'Archange.  —  Il  la  suit  à  Bethléem,  dans 
les  gloires  et  dans  les   humiliations  de  son  enfantement.  —  En  Egypte 

—  à  Gana  —  au  Calvaire  —  à  l'Ascension  —  à  la  Pentecôte  —  enfin 
jusqu'à  son  Assomption.  —  11  rappelle  sur  chaque  sujet  les  légendes, 
l'histoire,  les  témoignages  qui  le  concernent,  et  surtout  les  images  qui  en 
fixent  la  tradition  à  travers  les  siècles.  —  Cette  dernière  étude,  comprise 
sous  le  titre  iconographie^  sera  particulièrement  appréciée  ;  on  y  verra  les 
siècles  défiler  devant  chaque  scène  de  cette  incomparable  vie,  s'en  empa- 
rer par  la  peinture  ou  la  sculpture,  et  la  refléter  à  peu  près  comme  des 
miroirs  successifs  qui  passeraient,  en  le  répétant,  devant  le  même  modèle. 

—  On  sera  certainement  frappé  de  ce  concert  de  tous  les  âges  qui  crée 
pour  nous  un  témoignage  vivant  et  irréfutable. 

Le  second  volume,  abandonnant  l'ordre  chronologique,  guide  les  lec- 
teurs vers  tous  les  lieux  de  pèlerinage  fondés  en  l'honneur  de  la  Mère  de 
Dieu  ;  après  son  histoire  terrestre,  il  leur  retrace  véritablement  ainsi  son 
histoire  glorieuse.  En  parcourant  ces  vastes  espaces,  on  s'étonnera  des 
longs  voyages,  des  patientes  correspondances,  des  immenses  lectures  qu'a 
dû  nécessiter  un  tel  récit.  Là  se  trouvent  rassemblées  sous  le  même  titre 
les  madones  naïves  des  catacombes  ou  des  antiques  mosaïques,  les  ma- 
dones byzantines  et  carlovingiennes,  les  statues  romanes  ou  les  fines 
miniatures  cachées  comme  des  trésors  dans  l'or  des  manuscrits.  Dans  ce 
rendez- vous  d'images  qui  se  rencontrent  ici  pour  la  première  fois,  les  ré- 
gions les  plus  éloignées,  Rome  et  Byzance,  Séville  et  Ladoga,  Damas  et 
Drontheim,  Carthage  et  Aberdeen,  l'Ethiopie  et  la  Laponie,  les  Coptes 
et  les  Finlandais,  tous  se  rapprochent  pour  louer  la  Sainte  "Vierge. 

De  cet  étrange  assemblage  s'élève  la  plus  merveilleuse  harmonie  de 
croyances,  de  pensées,  d'amour,  et  même  une  conformité  de  types  icono- 
graphiques vraiment  imprévue.  Devant  ce  concile  d'images,  s'il  m'est 
permis  de  parler  ainsi,  la  raison  doit  nOn-seulement  s'incliner  devant  le 
lie  série,  tome  XL  32 


498  BIBLIOGRAPHIE 

dogme,  mais  elle  doit  avouer  de  plus  qu'un  type  si  universel,  si  persévé- 
rant à  travers  des  influences,  des  mœurs  et  des  climats  si  divers,  est  à  lui 
seul  un  puissant  téinoignage  en  faveur  d'une  tjadition  piimiiive.  Quel 
beau  specLacle  nous  est  ouveit  ici,  grâce  à  M  Uobault  de  Fleury,  et  com- 
bien tous  ceux  qu'intéressent  les  origines  de  notre  foi  ne  tiendront-ils  pas 
à  venir  le  contempler  pour  y  retremper  leurs  croyaoces  ! 


ITINÉRAIRE  DE  L'ALGÉRIE,  DE  TUNIS  ET  DE  TANGER,  par  Louis  Piesse. 
Hachette,  1879,  in-l2  de  546  pages  et  7  cartes. 

Nos  lecteurs  ont  pu  apprécier  tout  récemment  la  compétence  de  M.  L. 
Piesse  pour  l'archéologie  algérienne  ;  elle  n'est  pas  moins  complète  pour 
ce  qui  concerne  la  géographie,  l'histoire,  l'agriculture,  l'hydrographie, 
l'histoire  naturelle  et  la  statistique  de  ces  contrées  qui,  aujourd'hui  plus 
que  jamais,  préoccupent  avec  raison  l'opinion  publique.  Cet  ouvrage  qui 
fait  paitie  de  la  collection  des  Guides-Joanne,  et  qui  en  sera  l'un  des  meil- 
leurs, est  divisé  en  six  sections  :  Province  d'Alger,  province  d'Oran,  pro- 
vince de  Constantine,  Tunis,  Tanger.  L'auteur,  pour  arriver  à  faire  un 
tableau  si  complet  et  si  précis,  a  dû  entreprendre  des  voyages  fatigants, 
se  condamner  à  des  explorations  difficiles  et  minutieuses  ;  il  a  complété  ses 
propres  observations  en  mettant  à  profit  les  savants  travaux  de  MM.  Ber- 
brugger,  Brosselard,  Gherbonneau,  Beulé,  V.  Gu<''rin  et  de  bien  d'autres. 
Avec  un  pareil  Guide,  on  se  décidera  plus  facilement  à  entreprendre  un 
voyage  dont,  en  général,  on  s'exagère  les  difficultés. 

J.  CORBLBT. 


INDEX  BIBLIOGRAPHIQUE 
(archéologie    et  beaux-arts) 


BARBIER  DE  MONTAULT  (Mgr  X.).Le 
Trésor  de  la  cathédrale  de  Bénévent. 
Arras,   impr    Laroche.  In-8,  35  p. 
(Extr.  de  la  Revue  de  l'Art  chrétien, 
2"  série,  t.  10.) 
BAYET  (Ch.).  Recherches  pour  servir  à 
l'histoire  de  la  peinture  et  de  la  sculp- 
ture chrétiennes  en  Orient  avant  la 
querelle  des  Iconoclastes.  Paris,  Tho- 
rin.  In-8.  146  p.  \  fr.  50.  (Bibliothè- 
que des  Ecoles  françaises  d'Athènes 
et  de  Rome.  fasc.  10.) 
CORBLET  (l'abbé  J.)    iconographie  du 
baptême.   Paris.    Baur.   In-8,    53   p. 
(Extr.  de  \a  Revue  de  VArl  chrétien.) 
FRANTZ  (É.).   Frà  Bartoloraraeo  délia 
Porta.  Studie  ùb.   die  Renaissance. 
Rt^gensburg,  Maiiz.  Gr.  in-8,  xv-258p. 
/.  fr.  50. 
FRIESEN  (Rich.  Frhr.  v.).  Vora  Kiinst- 
lerischen  Schaffen  in  der  bildenien 
Kunst.  Eine  asthet.  Studie.  Dresden, 
BL.ensch.  Gr  in-8,  ix--268p.  7  fr.  50 
HAVARD  (H.).  L'Art  et  les  Artistes  hol- 
landais. I.  Michiel  van  Mierevelt,   le 
fils  de   Rembrandt.  Paris,   Quantin. 
In-8,  131  p.,  et  7  grav.  et  fig.  10  fr. 
(Edition  tirée  à  petit  nombre.  —  Bi- 
bliothèque de  l'art  et  de  la  curiosité.) 
HAVARD  (H.)'    Lettre  sur   l'enseigne- 
ment des  beaux-arts.  Paris,  Quantin. 
ln-8,  71  p.  1  fr. 
JOURNOULD  (J.).  Offertoriadetempoie 
ad  quatuor  voces  inœquales  cantanda 
GrafF,  in-S"  de  58  p.  5  fr. 
MARSY  (comte  de^.  Le  centenaire  de  la 
Société  d'émulation  de  Liège.  La  Tour 
bleue  d'Anvers.  Tours,  Bouserez,  in-8 
de  15  p. 
MEMOIRES  de  la  Société  des  antiquaires 
de  France,  4>2  série,  t.  ix.  (Notice  sur 
un  sceau  de  Landfriede,  par  M.  A. 
Prost.  —  Notice  sur  quelques  repré- 


sentations allégoriques   de  l'Eucha- 
ristie, par   M.  de  Lasteyrie.    —  Le 
maître  des  sujets  tirés  de  Bocace,  par 
M.  G.  Duplessis    —   Lampes  égyp- 
tiennes en  forme  de  grenouilles,  par 
M.  Edra.  Le  Blant.  —  Bronzes  trou- 
vés à  Reims  enlK73,  par  M.  E.  Guil- 
laume. —   Topographie    de   la  ville 
d'Aire  au  .Kiir  siècle,  par  M.  G.  Rey. 
—  Bulletin  de  la  Société.) 
MUNTZ  (E  )   Les   Arts   à   la   cour  des 
papes  pendant  le  xv«  et  le  xvi-  siècle  ; 
recueil    de    documents  inédits  tirés 
des  archives  et  des  bibliothèques  ro- 
maines, par   M.   Eugène  Mûntz,  bi- 
bliothécaire-archiviste de  l'Ecole  na- 
tionale des  beaux-arts.  Deuxième  par- 
tie. Paul  II.  (146  il  471).  Paris,  Tho- 
rin.  In-8,  337  p.  et  2  planches  en  hé- 
liogravure. 12  fr. 
PALUSTRE    (L.).    La    Renaissance    en 
France  T.   I.  Livraison    l,   Flandre, 
Artois,  Picardie  (Nord,  Pas-de-Galais 
et  Somme).  Dessins  et  grav.  sous  la 
direction   d'Eugène   Sadoux.    Paris, 
Quantin.   In  fol.,  54  p  ,  5  pi.  et  15 
grav.,  culs-de-lampe,  etc.   25  fr.  — 
La  Renaissance  paraîtra  en  30  livr., 
qui  seront  réunies  en  trois  fort  volu- 
mes. Il  paraîtra  une  livraison  tous  les 
deux  mois  environ,  du  prix  de  10  à 
25  fr.  suivant  son  importance.  Il  a 
été  fait  un  tirage  d'amateur,  exem- 
plaires numérotés  avec  planches  avant 
la  lettre  :   sur   papier  Whatman  et 
sur  Chine, 68  fr.;  sur  hollande,  50  fr. 
POTTIER  ;ie  chanoine).  L'inventaire  de 
Montpezat  de    1435.  Montauban,  Fo- 
restié.  ln-8  de  23  p. 
—  Les  armes  de  la  ville  de  Greuade- 
sur-Garonne.    Montauban,   Forestié. 
In-8  de  8  p. 

J.  c. 


CHRONIQUE 


QUESTIONS  ICONOGRAPHIQUES. —  M.  le  comte  Grimouard  de  Saint-Laurent 
nous  adresse  la  lettre  suivante  : 

«  Monsieur  le  Directeur, 

«  Des  observations  bienveillantes  comme  celles  que  M.  Elle  Petit  vous 
a  adressées  à  mon  sujet  (N"  de  juillet-septembre,  p.  245)  ne  peuvent  que 
flatter  l'auteur  qui  en  estl'objet  et  tourner  à  l'éclaircissement  des  questions 
traitées  dans  votre  Revue.  Je  vous  prie  pour  ma  part  de  lui  en  faire  mes 
remerciements.  Vous  voudrez  bien  encore  le  remercier  de  ra'avoir  fait 
connaître  l'intéressant  frontispice  de  1724  qu'il  a  décrit. 

En  relisant  (N°  d'avril-juin  1879,  p.  297)  la  note  qui  a  donné  lieu  à  la 
première  de  ces  observations,  j'ai  reconnu,  en  effet,  qu'isolée  des  consi- 
dérations développées  ailleurs  [Guide  de  l'Ai't  chrétien,  Manuel  de  l'Art 
chrétien).,  auxquelles  elle  se  rattache,  elle  prêtait  à  l'objection  qu'elle  a 
soulevée.  Mes  expressions  pouvaient  être  interprétées  dans  ce  sens  que  le 
mouvement  de  la  sainte  Vierge  se  détournant  de  son  divin  Fils  pouvait 
exprimer  un  sentiment  de  dignité,  tandis  que  j'entends  appliquer  cette  idée 
seulement  à  ce  fait  qu'elle  est  assise.  La  dignité  est  dans  l'esprit  iconogra- 
phique de  l'époque,  elle  n'a  pas  besoin  d'être  justifiée.  Il  n'en  est  pas  de 
même  de  la  nombreuse  série  de  monuments  où  la  Ste  Vierge  est  couchée. 
Je  n'ai  pas  été  dans  le  cas  d'être  forcé  d'en  convenir,  ayant  tout  d'abord 
cherché  sans  parti-pris  l'explication  de  ce  fait  singulier.  Je  ne  sais  si  j'ai 
réussi  à  la  trouver.  Si  vous  le  jutiez  utile,  je  reviendrai  sur  ce  sujet  dans 
votre  Revue  et  j'en  profiterai  pour  émettre  quelques  considérations  nou- 
velles. Alors  je  tiendrai  compte  de  l'opinion  émise  par  M.  Elle  Petit.  Il  se 
pourrait  en  effet  que  le  mouvement  de  tête  de  la  sainte  Vierge  signifiât 
originairement  :  Ne  faites  pas  attention  à  moi,  mais  au  Dieu  qui  vous  est 
né  ;  et  l'on  verra  que  cette  interprétation  peut  très  bien  s'accorder  avec 
Tessentiel  de  celles  que  j'ai  moi-même  proposées. 


CHRONIQUE  501 

La  seconde  observation  tourne  plus  directement  à  la  matière  des  images 
du  Sacré-Cœur  et  demande  une  réponse  plus  directe.  Selon  la  tradition 
univerdellement  admise  dans  Ticonographie  chrétienne,  un  coup  de  lance 
frappa  le  corps  de  Notre-Seigneur  à  droite,  mais  pénétra  si  avant  qu'il 
atteignit  le  cœur  jusque  dans  les  profondeurs  du  côté  gauche.  D'où  il 
résulte  que  le  cœur  doit  être  lui-même  blessé  du  côté  droit.  Il  en  eût  été 
autrement  si  le  coup  de  lance  eût  été  donné  du  côlé  gauche.  Dans  ce  cas, 
le  cœur  eût  été  lui-même  percé  de  ce  côté.  On  remarquera  au  contraire 
que  dans  tous  les  exemples  donnés  par  nos  planches  (pi.  I,  fig.  2,  5  ;  pi.  IV, 
fig.  2;  pi.  V,  fig.  4  ;  pi.  VI,  fig.  2,  7;  pi.  VII,  fig.  3,  4,  10),  la  plaie  du 
cœur  est  toujours  à  droite,  et  si  l'on  trouve  des  exemples  du  contraire, 
ils  ne  peuvent  être  que  très  rares.  Je  ne  parle  pas  des  compositions  tout 
archaïques,  où  la  plaie  est  placée  horizontalement  au  milieu  du  cœur. 
Rares  de  même  et  très  rares  sont  les  représentations  où  le  corps  de  Notre- 
Seigneur  est  atteint  à  gauche.  J'ai  cité  un  exemple  (N°  d'avril-juin,  p.  300), 
mais  il  ne  me  souvient  pas  d'en  avoir  vu  d'autre. 

Je  ferai  observer  de  plus  que  je  ne  voudrais  pas  dire  que:  et  je  vois  dans 
les  représentations  de  la  blessure  faite  par  Longin  dans  le  côté  de  Jésus 
crucifié  l'origine  et  le  symbole  de  l'adoration  du  Sacré-Cœur.  »  Je  le  dirais, 
et  seulement  dans  une  certaine  mesure,  des  images  du  Sacré-Cœur.  Quant 
à  l'adoration  du  Sacré-Cœur,  elle  a  une  origine  et  des  fondements  bien 
autrement  larges.  G,  de  Saint-Laurent. 

Origine  de  la  monnaie  et  des  billets  de  banque.  —  Une  Revue  an- 
glaise, The  Nineteenth  Century^  publie  sur  cette  question  un  intéressant 
article  de  sir  John  Lubbock,  si  connu  par  ses  recherches  sur  les  temps 
piéhistoriques. 

Il  fait  remonter  aux  Chinois  le  premier  usage  courant  de  la  monnaie, 
et  indique  comme  source,  pour  en  connaître  l'histoire  primitive,  le  traité 
de  Wen  Hien-Tung  Kao^  ou  Examen  de  la  circulation  monétaire.,  par 
Ma-Twan-Lin^  illustre  letlré  chinois,  qui  naquit  vers  1245,  bien  que  son 
œuvre  n'ait  été  publiée  qu'en  1321. 

On  a  la  preuve  que  les  coquillages  étaient  employés  jadis  en  Chine 
comme  monnaie,  car  M.  Biot,  dans  son  intéressant  Mémoire  sur  ce  su- 
jet, a  fait  remarquer  qu'une  foule  de  mots  se  rapportant  à  l'argent  et  à  la 
richesse  en  général  contiennent  tous  le  signe  caractéristique  du  mot 
coquillage.  En  effet,  Wagmang,  qui  monta  sur  le  trône  impérial  vers  l'an 
14  de  notre  ère,  voulant  rétablir  l'ancien  état  de  choses,  essaya,  entre 
autres  changements,  de  mettre  en  circulation  cinq  différentes  variétés  de 
coquillages  dont  la  valeur  restait  arbitraire. 


S02  CHRONIQUE 

On  trouve  une  curieuse  démonstration  du  passage  des  échanges  en 
nature,  à  l'usage  de  la  monnaie,  dans  ce  fait  que,  des  morceaux  de  toile 
et  des  couteaux  ayant  servi  en  quelque  sorte  à  fixer  une  moyenne  de  va- 
leur, les  premières  monnaies  chinoises  étaient  easuite  faites  pour  ressem- 
bler à  des  morceaux  de  toile  ou  à  des  couteaux  ;  et  il  existe  encore  deux 
espèces  de  monnaies,  parmi  les  plus  répandues,  appelées  respectivement 
monnaies  jt>M  et  monnaies  tao,  qui  représentent  grossièment,  les  premières 
une  chemise,  et  les  autres  un  couteau. 

Les  Chinois,  au  lieu  de  frapper  leur  monnaie  comme  nous,  la  faisaient 
couler,  ce  qui  ouvrait  la  porte  à  de  nombreuses  fraudes.  Aussi  était-on 
toujours  occupé  à  chercher  des  moyens  pour  remédier  aux  abus  qui  en 
résultaient.  L'auteur  cite  à  cette  occasion  un  passage  d'une  adresse  faite 
à  l'Empereur  par  le  chinois  Lutui  : 

«  Quant  au  désir  de  Votre  Majesté  dtî  faire  couler  la  monnaie  et  d'en 
régler  la  circulation  de  manière  à  améliorer  l'état  présent  des  choses, 
c'est  comme  si  vous  vouliez  élever  un  poisson  dans  une  chaudière  d'eau 
bouillante,  ou  faire  percher  un  oiseau  sur  des  tisons  ardents.  L'eau  et  le 
bois  sont  essentiels  à  la  vie  des  poissons  et  des  oiseaux.  Mais  en  les  fai- 
sant servir  mal  à  propos,  vous  écorcherez  assurément  votre  oiseau  et 
vous  réduirez  votre  poisson  en  marmelade.  » 

On  attribue  également  aux  Chinois  l'invention  des  billets  de  banque, 
vers  l'an  119  avant  Jésus-Christ.  Ils  se  composaient  alors  d'un  morceau 
taillé  dans  de  la  peau  de  daim,  dont  les  courtisans  avaient  coutume  de  se 
couvrir  le  visage  pour  paraître  devant  la  majesté  impériale.  Mais  cette 
espèce  de  billets  n'aurait  eu  cours  que  parmi  les  grands  seigneurs.  Le  vé- 
ritable billet  daterait  seulement  de  l'an  800  de  l'ère  chrétienne  ;  on  le 
désignait  alors  sous  le  nom  parfaitement  approprié  de  monnaie-volante. 

Arrivant  à  l'Europe,  sir  John  Lubbock  remarque  que  la  première  men- 
tion de  la  monnaie  de  papier,  ou  plutôt  de  coton,  se  trouve  dans  les 
écrits  de  Rubanquis,  le  moine  envoyé  par  saint  Louis  à  la  cour  du  Grand- 
Mogol,  en  1252. 

La  maison  romane.  —  Le  Ministère  de  l'agriculture  et  du  commerce 
continue  de  publier  les  conférences  faites  au  Trocadéro,  à  l'occasion  de 
l'Exposition  universelle.  Nous  venons  de  lire  celle  que  notre  collaborateur 
M.  Charles  Lucas  a  faite  sur  V Habitation  à  toutes  les  époques  ;  elle  nous  a 
vivement  intéressé  par  ses  aperçus  nouveaux.  Nous  en  détachons  le  pas- 
sage qui  concerne  la  maison  romane  :  «  Ce  que  je  me  permettrai  de  vous 
présenter  comme  la  plus  belle  éclosion  delà  maison  française,  comme  son 
type  le  plus  achevé,  c'est  la  maison  dite  romane.  Je  parle  toujours  au  point 


CHRONIQUE  503 

de  vue  de  cette  maison  que  nous  pouvons  désirer  tous,  nous  qui  travail- 

Ions  pour  gagner  le  pain  de  chaque  jour  et  qui  constituons  le  plus  grand 
nonûbre.  Cette  habitation,  telle  que  nous  la  fournit  le  type  de  Cluny  est  la 
mieux  entendue  sous  notre  climat,  celle  qui  a  le  mieux  mis  en  œuvre  nos 
matériaux,  et  celle  qui  est  arrivée  à  produire  les  plus  jolis  effets  dans  sa 
décoration  aussi  naturelle  que  variée. 

«  Cette  maison  apparaît  dès  le  Xlle  siècle,  c'est-à-dire  en  même  temps 
que  se  fit  sentir  le  mouvement  des  communes  et  la  création  des  villes 
libres,  et  au  sortir  de  l'oppression  qui  marqua  si  durement  les  premiers 
siècles  de  la  féodalité.  Aussi  cette  maison,  au  lieu  d'avoir  à  l'extérieur 
l'apparence  d'une  petite  forteresse  éclairée  par  d'étroites  meurtrières,  prit 
directement  et  largement  ses  jours  sur  la  rue,  et  non  plus  sur  la  cour,  qui, 
reléguée  à  l'arrière,  fut  réservée  aux  gens  de  la  maison.  Sur  la  rue  aussi 
se  trouva  alors  l'entrée  principale  (presque  toujours  élevée  de  quelques 
marches  au-dessus  du  sol]  et  donnant  accès  à  la  ^ranrfesa//e  dans  laquelle 
le  citadin  fait  commerce,  travaille,  reçoit  et  prend  ses  repas.  Au  premier 
étage  furent  les  chambies  à  coucher,  et  derrière  ce  corps  de  logis  principal 
se  trouva  la  cou7%  longée  par  un  corridor  partant  de  la  rue,  dans  lequel 
fut  souvent  pris  Vescalier  ;  et  sur  cette  cour  donnaient  la  cuisine  et  quel- 
ques petites  dépendances.  La  cave^  presque  toujours  grande  et  à  usage  de 
magasin,  s'ouvrit  sue  la  façade,  occupant  le  dessous  de  la  grande  salle 
qu'elle  assainit,  et  l'on  arrivait  facilement  de  l'extérieur  à  cette  cave,  sous 
le  perron  accédant  à  la  salle. 

«  Ainsi  distribuée,  la  maison  romane.,  qui  caractérise  bien  en  France  la 
première  période  qui  suivit  l'an  mil,  semble  s'écarter  tout  à  fait  des  don- 
nées antiques,  surtout  à  cause  de  l'introduction,  dans  la  vie  de  ses  habi- 
tants, d'un  nouveau  principe  dont  il  faut  faire  honneur  au  Christianisme, 
de  la  création  de  la  vie  en  commun,  de  la  vie  de  famille,  vie  qui  a  fait  de 
la  femme  la  compagne  et  non  l'esclave  ou  le  jouet  de  l'homme,  et  qui  lui 
a  ainsi  ouvert  toutes  les  parties  de  la  maison,  où  bientôt  son  influence 
souveraine  se  fera  sentir  heureusement. 

«  Un  des  grands  mérites,  pour  l'iirtiste,  de  ces  maisons  romanes,  fut 
leur  extrême  v;iriélé,leur  individualité,  dirions-nous  ;  car,  à  cette  époque, 
chaque  partie  du  pays  avait,  grâce  à  l'absence  d'une  centralisation  exces- 
sive, son  style  et  ses  écoles  d'art  et  d'ouvriers  ;  et,  de  plus,  il  ne  faut  pas 
croire  que  les  demeures  des  bourgeois  ni  celles  des  seigneurs  fussent  les 
mêmes,  loin  de  là  :  le  citadin,  industrieux  et  commerçant,  tient  à  vivre 
sur  la  rue  en  contact  avec  ses  voisins,  et  pose  sa  façade,  largement  per- 
cée de  baies  et  ressemblant  quelque  peu  à  une  lanterne,  sur  la  voie  pu- 
blique ;  tandis  qx.p.  V\  noble,  au  contraire,  élève  son  logis  entre  cour  et 


504  CHRONIQUE 

jardin,  et  s'isole  de  cette  voie  publique  par  un  mur  de  clôture  auquel  il 
adosse  les  communs  et  les  dépendances  de  son  manoir. 

Notre-Dame-des-Gaudes.  —  Nous  apprenons  avec  regret  que  M.  L.  de 
Farcy  suspend  la  publication  de  ses  Mélanges  de  décoration  religieuse.  Les 
trois  volumes  parus  sont  en  vente,  au  prix  de  48  francs,  chez  M.  Ballu, 
libraire,  à  Angers.  Nous  empruntons  à  cet  excellent  Recueil  la  descrip- 
tion suivante  d'une  nouvelle  châsse  du  monastère  de  Notre-Dame-des- 
Gardes  : 

«  L'église  du  couvent  des  Trappistines  de  Notre-Dame-des-Gardes,  au 
diocèse  d'Angers,  vient  de  recevoir  la  belle  châsse  destinée  à  renfermer 
les  reliques  de  S.Xyste,  martyr,qui  furent  trouvées  au  cimetière  de  Sainte- 
Priscille,  en  l'année  1672,  et  dernièrement  rapportées  de  Rome.  L'édi- 
cule,  tout  en  bois  sculpté,  peint,  doré  et  décoré  de  riches  cabochons,  a 
l^^SO  de  longueur,  sur  O'^TS  de  profondeur,  et  O^'SO  de  hauteur,  sans  y 
comprendre  le  couvercle  à  quatre  pentes,  surmonté  d'une  crête  délicate- 
ment travaillée.  On  dirait  l'une  des  merveilleuses  châsses,  émaillces  vers 
1160  ou  1180,  qu'on  voit  encore  dans  quelques  églises  d'Aix-la-Chapelle, 
de  Maëstricht  ou  de  Cologne.  Cinq  arcades  en  plein  cintre,  portées  sur 
des  colonnes  annelées,  forment  les  deux  faces  les  plus  longues  et  rappel- 
lent le  magnifique  tombeau  de  Henri  1"',  comte  de  Champagne,  mort  en 
1180.  Les  tympans  entre  les  arcs  sont  rehaussés  d'or  et  d'azur,  dont  le 
mélange  produit  un  excellent  effet.  Les  parois  inclinées  portent  trois  mé- 
daillons contenant  des  anges  à  mi-corps  sculptés  en  haut-relief  sur  fond 
bleu.  Celui  du  milieu  présente  la  palme  et  la  couronne  du  martyre;  les 
deux  autres  portent  chacun  un  phylactère  avec  ces  inscriptions  :  Pro 
lege  Dei  certavit  usque  ad  mortem^  et  A  verbis  impionim  non  titnuit.  Aux 
extrémités  du  couvercle,  figurent  deux  mMaillons,  ornés  du  x  S^'sc 
avec  l'alpha  et  l'oméga,  si  souvent  employé  dans  l'ornementation  des  ca- 
tacombes et  des  monuments  de  la  primitive  Église.  Les  fonds  entre  les 
médaillons,  les  bandes  du  dais  et  du  couvercle  sont  couverts  de  rinceaux, 
de  rosaces  et  de  feuillages,  tracés  en  brun  sur  un  or  très  Ijrillant  pour  imi- 
ter les  anciennes  plaques  estampées  ou  gravées,  dont  on  enrichissait  au- 
trefois les  châsses  et  les  retables.  L'éclat  des  cabochons,  uni  à  celui  des 
parties  imitant  les  émaux  complète  l'illusion  :  on  se  dirait  bien  plutôt  en 
présence  d'un  ouvrage  d'orfèvrerie  que  devant  un  travail  de  menuiserie. 
La  toiture  est  couronnée  d'une  très  jolie  crête  à  jour,  interrompue  par 
quatre  pommes  ornées  de  cabochons. 

J.C. 


TABLE   DES  ARTICLES 

CONTENUS 

dans  le  tome  vingt-huitième  de  la  Revue  de  l'Art  chrétien 


Anonyme.  L'histoire  du  sacrifice, 
vitraux  de  la  cathédrale  de  New- 
York,  236. 

Barbier  de  Montault  (Mgr),  Bi- 
bliographie, 256. 

—  Inventaires  de  quelques  églises 
rurales  de  l'Anjou,  401. 

Bref  de  S.  S.  le  pape  Léon  XIII  au 
Directeur  de  la  Revue  de  l'Art 
chrétien,  1. 

Cartier  (Et.).  L'Art  et  la  Charité, 
99. 

Clément  (Félix).  De  la  composi- 
tion idéale  dans  les  œuvres  de 
musique  religieuse,  2^29. 

CORBLET  (l'abbc  J.).  Recherches 
historiques  sur  les  rites,  céré- 
monies et  coutumes  de  l'admi- 
nistration du  baptême,  108.  329. 

—  Travaux  des  Sociétés  savantes, 
249,  486 

—  Bibliographie,  262,  493. 

—  Index    bibliographique 
499 

—  Chronique,  269.  500. 

—  Table  des  matières,  507. 
Correspondance,  247. 

Davin  (l'abbé  V.).La  Cappella  Gre- 
ca  du  cimetière  de  Priscille.  69. 

Descemet  (le  commandeur  Ch 
Deux    questions 
romaine,  246. 


266, 


d'archéologie 


Germer-Durand  (le  R.  P.).  Bulletin 
de  la  Société  de  Saint-Jean,  217, 

Grimouard  de  Saint-Laurent  (le 
comte).  Les  images  du  Sacré- 
Cœur  au  point  de  vue  de  This- 
toire  et  de  l'art,  141,  433. 

LiNAS  (Ch.  de).  Coffret  incrusté  et 
émaillé  du  musée  archiépisco- 
pal d'Utrech,  308. 

M.  (V.  de).  Les  chœurs  d'Athalie. 

Mallet  (l'abbé  J.).  Essai  sur  les 
autels,  47. 

—  Un  chiffre  funéraire,  48't. 

Marsy  (comte  de).  L'archéologie 
religieuse  au  congrès  de  Vienne 
(lsère\  473. 

Martinoy  (le  R.  P.).  Iconographie 
de  S.  Jean  l'Evangéliste,  dans 
les  plus  récentes  publications 
russes,  197. 

Petit  (Elle).  Les  images  du  Sacré- 
Cœur,  243. 

PiESSE  (L.).  Le  routier  archéologi- 
que de  l'Alfiérie,  5,  286. 

Plaine  (Doni  Fr.).  Le  tombeau 
monumental  et  le  pèleriiiiige  de 
S.  Ronan,  à  Loc-Ronan  en  Bre- 
tagne, 273. 

PoLY  (N.).  Bibliographie,  491. 

Saint-Paul  (P  de).  Le  Moyen- Age 
itahen  à  Conflans  (Savoie),  240. 


TABLE  DES  DESSINS 


i.  Ampoule  aux  saintes  huiles 

de  Monza,  380. 
2.  Arbre  de  Jessé,  vitrail  d'En- 

grand  le  Prince,  à  Beau- 

vais,  261. 
3  .BON-1'ASTEUR  (le)   et  la  plaie 

du  cœur,  144. 

4.  Carte  archéologique  de  l'Al- 

gérie, 5. 

5.  CHARiTÉ(la), fresque  de  Giotto, 

à  Padoue,  99. 

6.  Chiffre  funéraire   d'un  évê- 

que  de  Séez,  484. 

7.  Cœur  (le) — transpercé  d'une 

flèche,    144;    —    dans    le 
creuset  de  la  charité,  145. 

8.  Coffret    incrusté  et   émaillé 

du    musée    archiépiscopal 
d'Utreclit,  308. 

9.  Croix   (la)    plantée    dans    le 

cœur,  145. 

10.  Crypte   de    Château-du-Loir, 

plan  et  coupe,   262  et  263. 

11.  Dévotion  au  Sacré-Cœur,  éta- 

blie en  France  par  le  clergé 
assemblé  en  1765,  464. 

12.  Hospitalité  (1'),    fresque   de 

Frà  Angelico,  à  Florence, 
101. 

13.  Images  inspirées  par  la  Bien- 


heureuse Marguerite-Marie 
Alacoque,  171. 

14.  Jugement  universel  (le),  bas- 

relief  de  N.  Pisano.  107. 

15.  Marque  typographique  de  Ni- 

coUe  delà  Barre.  174. 

16.  Monogramme  IHS— -avec  cœur 

percé  d'un  seul  clou,  143  ; 

—  formé  par  les  person- 
nages du  crucifiement, 
143. 

17.  Olipdant  du  musée  d'Angers, 

382. 

18.  Sacre-Cœur  (le),    dans    une 

thèse  théologique,  d'après 
Callot,  167. 

19.  Sceau  -  de  Robert  IV,  comte 

de  Dreux,  263;  -  d'Ailèle, 
comtesse  de  Soissons,  492; 

—  plaqué  de  Louis  le  Gros, 
493;  —  de  Charles  VII, 
494. 

20.  Tombeau  de  S.  Ronan,  àLoc- 

Ronan,  en  Bretagne,   273. 

21.  Vase   aux   saintes    huiles    du 

trésor  de  Gran,  383. 

22.  Vincent  de  Paul  (8.).  sculp- 

ture de  iM.  Gabuchet,  102. 

23.  Voeu  de  Marseille  au  Sacré- 

Cœur,  463. 


TABLE  ANALYTIQUE 


DES  MATIEKES 


CONTENUES   DANS   LE  TOME   VINGT-HUITIEME   DE   LA   REVUE   DE   L  ART   CHRETIEN 


Ablution    (triple)    du    Baptême, 

393,  397. 
Abyssins,  111,  337. 
Académie  delphinale,  490. 

AGENAIS(r),336. 

Agneau  de  Dieu,  88,  96, 158, 180. 

Ailes  données  au  cœur,  192,  193. 

Albatke  (F)  de  Moscou.  384. 

Alger  (province  d'),  986-299. 

Algérie,  498.  Voir  Monuments. 

Allemagne,  119,  139. 

AMPHiLO0UE(r  Archimandrite),  198, 
199,  200,  211,214. 

Amphithéâtres  romains,  8. 

Ampoules,  377,  378,  380. 

Anabaptistes,  3S6,  357,  359. 

André  (S.i,  248. 

Anges,  451,  459. 

Antiquités  romaines.  —  Voir  Mo- 
numents. 

Apocalypse  h  miniatures,  197. 

Aqueducs,  288. 

Arbre  de  Jessé,  261. 

Archéologie  religieuse  (1')  au  Con- 
grès de  Vieime,  175,  483. 

Arcs  de  triomphe,  10,  28,  30,  31, 
32,  38. 

Arianisme,  395. 

Arles,  249. 


Arménie,  114,  118, 126,  139,  332, 
335,  368,  370,  371,  372,  389^ 

Armoires  aux  saintes  huiles,  375, 
376. 

Art  (1')  et  la  Charité,  99  107. 

Art  chrétien,  220.  —  Voir  Icono- 
graphie^ Idéal .^  Images.,  etc. 

Arts  (les)  à  la  cour  des  Papes, 
256, 259. 

AsciA,  253. 

Assistants  au  baptême,  332-338. 

Au.^iale  (Algérie),  290. 

Autels,  402,  4(i5  417,  424;  — 
chrétiens,  47-68  ;—  des  reliques, 
65;  —  portatifri,  54,  317. 

Ave  Maria.  339. 


Bains  romains,  14,  21,  31. 

Baptême  Voir  Hiies. 

Baptistère,  353. 

Baptistes,  128,  393. 

Barbier  de  Montault  (Mgr),  247, 

248,  264. 
Barhaud  (M.  l'abbé),  252,  253. 
Barthélémy  (M.  E.  de),  249. 
Basiliques  chrétiennes,  31,  48. 
Bassins  baptismaux,  398. 
Batoni  (Pompée),  465,  466,  471, 

472. 
Beaugency  (abbaye  de),  255. 


'  Nous  n'avons  pas  inséré  dans  cette  table  les  noms  des  auteurs  d'articles  ; 
ils  sont  imprimés  d'une  manière  assez  saillante  dans  la  première  table  pour 
que  nous  ayons  cru  cette  répétition  inutile.  J.  corblet. 


508 


TABLE   ANALYTIQUE 


Belzunce,  462,  463. 
Bénédiction  baptismale,  139-140. 
Bernardin   de   Sienne   (S.),   141, 

151. 
Bibliographie,  256-265  ;  —  491- 

498 
Bibliothèque  Vaticane,  87. 
Billets  de  banque,  leur  origine, 

502. 
Blason  de  la  Visitation,  171. 
BoCHER  (M.  E.),  495. 
Bock  (Mgr),  383. 
Boiseries  artistiques,  481. 
Bon-Pasteur,  144. 
Brissac  (M.  le  duc  de),  217. 
Bulle  de  plomb,  93 . 


Cahier  (le  R.  P.  Ch.),  247,  248. 
Calices,  318,  319,  320,  321,  403, 

419. 
Gallot  (une  estampe  de),  196. 
Calvinistes,  358. 
Camelot,  409. 
Cappella  greca   du   cimetière  de 

Priscille,  69-98. 
Catacombes,  48.  —  V.  Cappella. 
Catéchumènes,  138,  343,  345, 354, 

391. 
Catherine  de  Sienne  (Ste),  161. 
Caumont  (M.    de),    56,  60,    252, 

475. 
Ceinture  de  S.  Césaire,  249. 
Cérémonies     baptismales,     108, 

329. 
Chaires  à  prêcher,  416. 
Chantal  (S^e)^  153^  154    171 

Chants    de    la    Sainte  Chapelle, 

231. 
Chapelles  baptismales,   114. 
Charité  chrétienne,  107,  170. 
Charlemagne,  327,  3i8. 
Charles  (M.  l'abbé  il.).  262-264. 
(.hateau-du-Loir    (Sai'the),    262- 

264. 
Chkminées  d'églises,  349. 
Cherbonneau  (M.),  12,  18. 
Chiffre  funéraire,  484. 
Chine,  501. 

Chœurs  d'Athalic,  2i2,  243. 
Cublst  au  Sacré-Cœur,  468-474. 
Chromatius.  353. 


Chronique,  269-272  ;  500-504. 

Ciboires,  426,  427. 

Ciborium,  53,  61. 

Citernes  algériennes,  44. 

Clément  (S.),  69,  109. 

Clément    (M.    Féhx),    221,  229, 

242,  243. 
Clous  de  la  Passion,  149,  156. 
Cloyis,  son  baptême,  379. 
CœuR,  organe  physique,  457. 
Coeur  de  Marie  (Sacré-).  179-195. 

—  Voir  Sacré-Cœur. 

Cœurs  des  fidèles,  leur  représen- 
tation, 183-196. 

Coffret  incrusté  du  Musée  ar- 
chiépiscopal d'Utrecht ,  308- 
328. 

Cologne,  272,  325. 

Comité  des  travaux  historiques, 
249,  486. 

COMPIÈGiNE,  255. 

Composition  des  saintes  huiles, 
365-366. 

Composition  idéale  dans  les  œu- 
vres de  musique  religieuse, 
229-235. 

Concours  —  artistiques,  221,  271; 

—  littéraires,  270. 
CoNDÉ  (le  Grand),  495. 
CoNFLANs  (Savoie),  son  église,  240, 

241. 
Congrès  —  archéologique  d'Arles, 

249;       de  Vienne,  475-483. 
Consécration  des  saintes  huiles, 

367-372, 
CoNs.  RVATioN  dcs  saiutes  huiles, 

375-376. 
CoNSTANTiNE    (province    de),     8- 

46. 
Constitutions    apostoliques,    70, 

91,  109,  362. 
Coptes,  111,  125,  367,  389,  397. 
Corblet  (l'abbé  J.),  1. 
Costume  —  au  Moyen-Age,  491  ; 

—  de   S.    Jean   l'Evangéliste, 
211. 

Côtë-Saint-André  (la),  482. 
Couleurs    liturgiques,    410,  412, 

422. 
Couronne    d'épines,     156,     456, 

457. 
Courtines,  62. 
Croix  pectorales,  153,  172. 


lABLE    ANALYTIQUK 


509 


Croix  plantée  dans  le  cœur,  145. 
Crucifiement  de  Notre-Seigneur, 

143. 
Custode.  —  Voir  Coffret. 
Cyprien  (S.),  137,  270. 
Cyrille  de  Jérusalem  (S.),  387. 


D 


Dais,  402,  406. 

Darcel  (M.),  436. 

Davin  (M.  le  chanoine),  124. 

Décoration  des  autels,  52. 

DÉCOUVERTES  archéologiques,  249, 

251.  —  Voir  Fouilles. 
Demay(M.  g.),  491-494. 
Démon  (le),  133.   135,  136,  207, 

209.        Voir  Renonciation. 
Démoniaques,  137. 
Denis  l'Aréopagite  (S.),  110,  116. 
Dénudation,  343-350. 
Descemet  (M   Gh.),  246. 
Desjardins  (le  P.),  144,  150,  152, 

157,  158,  160,  165,   168,  180, 

190,  194,  450,  461 
Dieu,  100.  —  Voir  Agneau. 
Dijon,  439,  440,  453. 
Diptyques,  57,  80,  379. 
Distribution   des  saintes  huiles, 

373-374. 


E 


Ecole  catholique  des  Beaux-Arts, 
226. 

Egypte,  91. 

Elévation  des  fonts,  397-399. 

Emaux  translucides,  311,320,  321, 
322,  323. 

Emblèmes.  —  Voir  Images. 

Emine  (M.),  214,  215,  216. 

Encolpia,  312,  313. 

Enfant-Jésus,  162,  179. 

Epitaphes,  76,  161.  —  Voir  Ins- 
criptions. 

Epoque  —  romane,  54  39;  —  ogi- 
vale, 59-66. 

Erasme,  359. 

Espagne,  395. 

Ethiopiio,  118.  125,  128,  350. 

Etoffes  liturgiques,  428.  —  Voir 
Vêtements. 

Etole,  330. 


Eucharistie,  367. 

Eudistes,  181,  182. 

Eunuque  de  Candace,  390. 

EvANGÉLiSATiON  des  Gaulcs,  477. 

Exhortations  préliminaires  au 
baptême,  119. 

ExoRcisMKS,  133-139. 

Exposition  de  la  Société  de  Saint- 
Jean,  223. 

Exsufflation,  120-122. 


Faisan,  77. 

Ferrare,  333. 

Fête-Dieu,  418. 

Figures  et  noms  contenus  dans  les 
images  du  Sacré-Cœur,  159- 
182. 

Fonds  de  coupes  de  verre,  87. 

Fontaines  monumentales,  17, 18. 

Fonts  baptismaux,  403. 

Fouilles,  488.  —  Voir  Découver- 
tes. 

François  de  Sales  (S.),  153,  162, 
171,  179,  190. 

Frontispices  de  livres,  156,  245. 


G 


Genetay  (Anjou),  419-422. 
Germer-Durand  (le  R.  P.),  218. 
Goblets  des  Catacombes.  319.  — 

Voir  Fonds. 
Gran  (Hongrie),  381,  383. 
Grèce,  111,  112,  114,   121,  127, 

133,  140.  332,  335,  336,  340, 

357,  358,  390. 
Greyfié  (la  Mère),  438,  441,  445, 

450. 
Grimouard  de  Saint-Laurent  (M. 

le  comte),  243-247. 
GuÉRiN  (M.   V.),    198,  201,  202, 

214,  215, 487. 
GuiNGALOis  (S.),  262-264. 


H 


HÉBREUX,  127. 

Herford  (Westphalie),  311,  312, 

322. 
Hippodrome,  10. 
HippoNE  (Algérie),  22. 


510 


TABLE   ANALYTIQUE 


HoNNEUKrf  du  baptême,  336-337. 
Huile    des   catéchumènes,    385- 

390. 
Hymnes,  331,  398,  399. 


IcoNOGRArniE,  103,  490-498,  500- 
501.  —  Voir  Cappella,  Images, 
Jean,  Sacrifice,  etc. 

Idéal  chrétien,  100,  101,  102. 

Imagerie  religieuse,  224. 

Images  du  Sacré  Cœur,  au  point 
de  vue  de  l'histoire  et  de  l'art, 
141-196,  243-246,  433-474,  501. 

Imposition  de  la  main,  126-1-29. 

Index  bibliographique,  266-268, 
499. 

Insaliyation,  340,  343. 

iNSCRiFTIONS,  14,  15,  16,  17,  18, 
19,  20,  21,  22,  24,  23,  27,  28, 
36.  37,  38,  39,  46,  83,  90,  95, 
250.  288,  290,  294,  293,  301, 
302,  303,  304,  305,  319,  378. 

Instruments  de  la  Passion,  147, 
156. 

Intkrrogations  baptismales,  115- 
119,  390-393. 

Inventaires  de  quelques  églises 
rurales  de  l'Anjou,  401-434. 

Itinéraire  d'Antonin,  41. 

Ivoire  byzantin,  324. 


Jean  l'Évangéliste  (Iconographie 
de  S.),  197-216,  221. 

JÉSUITES,  leur  monogramme,  loi. 

Jésus-Gorist,  88,  89,  94,  96,  164, 
237.  —  Voir  Bon-Pasteur,  Cru- 
cifiement, Phénix,  Sacré-Cœur. 

Juifs,  130. 

Jutphaas  (Hollande),  328. 


Lactance,  73. 

La  Mf.ignanne  (Anjou),  418,  419. 

Langues  vulgaires  117. 

Larocue  (iM.),  4,  143. 

Latran,  orthographe  de  ce  mot, 

247. 
Le  BlÂnt  (M.  E.),  95. 


Lechevallier-Chevignard,  495. 

Légendes,  89,  207,  213,  216. 

LÉON  Xni  (Bref  de  S.  S.)  au  Di- 
recteur de  la  Revue  de  l'Art 
Chrétien,  1. 

Lille,  269. 

Linges  d'église,  404,  422. 

Lion  léopardé,  160. 

Liturgie  anglicane,  119,126,  336, 
370,  390. 

Livres  d'église,  403. 

Loc-Ronan  (Bretagne),  273-285. 

Longévité  humaine,  17,  18. 

Lorin  (M.),  237,  239. 

Lucas  (M.  Ch.),  502. 

LuiGNÉ  (Anjou),  422-428. 

Luther,  139,  139. 

M 

Maison  romane  (la),  302. 
Maisons  romaines,  300. 
Maléfices,  373,  376. 
Marc  KL  11  (Messe  du  pape),  232, 

233.  234. 
Marguerite  -  Marie  Alacoque  (la 

B.),  191,  195,  196,433-4.32. 
Marie,  Mère  de  Dieu,   155,  243, 

244,    496,   497,   500.    —   Voir 

CcBur   Noms, 
Maronites,  332,  335,  366,  389. 
Marques  de  libraires,  143,   144, 

143,  174. 
Marseille,  462.  463. 
Martigny  (Mgr),  320,  380. 
Mausolée    de  sainte    Constance, 

87. 
Miniatures,  199,  204. 
Miracles,  206,  209. 
Monogramme  du  Christ,  85,^142, 

149,  157. 
Monnaie  (origine  de  la),  501. 
Monnaies  romaines,  71,  85. 
Monplacé  (Anjou),  432. 
Montliiéry  (Tour  de),  271. 
Monuments  historiques  de  l'Algé- 
rie, 3-46,  286-307. 
Mosaïques,   9,   89,   91,   96,   288, 

300. 
Moscou,  sa  sacristie  patriarcale, 

384. 
Mosquées,  34,  44,  45,  287,  306, 

307, 


TABLE    ANALYTIQUE 


511 


MoYEN-AGE  italien,  240-^41. 

ISluMZ  (M.  E.),  25(>2o9. 

xMusÉK       d'Al-er,  5,  6,  288,  289  ; 

—  d'Amiens,  379  ;  d'Angers, 
381  ;    —   de   Constantine,   lo  ; 

—  de  Darmstadt,  322  ;  —  de 
Munich,  3ï5  ;  —  d'Utrecht, 
308-328  ;  —  de  Vienne  (Isère), 
478. 

Musique  religieuse,  221,  229-235. 


IV 


Nativité  de  Notre-?eigneur,  243. 

Nestûrikns,  111,  lio,  139,  389. 

Nlw-York,  sa  cathédrale,  236. 

Nimbe,  75. 

NiNiVE,  488. 

Noms  de  Jésus  et  de  Marie,  175. 

Nudité,  345, 


o 


OEUVRES  du  démon,  354. 

Oliphant,  381,  382. 

Onctiuns  dans  les  rites  chrétiens, 

361-363,  3  0-39Û. 
Oppert  (M.),  488,  489. 
Oraison  dominicale,  338,  339. 
Oran  (Province  d'),  299-307. 
Okante  (1')  des  Catacombes,  247. 
Oratoire  de  S.   Ronan,  278,  279. 
Orient,  366,  369,  370,  385. 
Origène,  72. 
Orléans,  271. 
Ostensoirs,  405. 


Palais  antique,  296. 
Pales,  405. 

Palestrina,  232,  233,  234. 
Pallium,  348. 
Palme,  86,  94,  95. 
Palmier,  78,  79,  84,  86,  91. 
Palustre  (M.  L.).  260-261. 
Papes,  256,  257. 
Paray-le-Monial,  439,  446. 
Parements  d'autel.  —  V.  Autels. 
Parques  (Souper  des),  112. 
Parrains  et  marraines,  116,  119, 

335. 
Patmos  (Ile  de),  198,201 ,  207,208, 

213. 


Pèlehinage    Je   6.   Hunau,    273- 

285. 
Pèke  et  mère  de  l'enfant  baptisé, 

335-336. 
PnÉNix   (le)   chez  les   chrétiens, 

69-98. 
Phylacteria,  312,  313. 
Pierre  (S.),  87,  92,  97,  204,  351. 
Piesse  (M.  L.),  498. 
Poisson,  81. 

Ponts  anciens,  11,  33,  254. 
Porteuses  de  l'enfant  au  baptême, 

333. 
Précis   historiques    de    Bruxelles, 

264. 
Procuore,  disciple  de  S  Jean. 199, 

203,204,  205,  206,  210. 
Promesses  ou  vœux  de  Baptême, 

357-359. 
Prudence,  poète,  270. 
Psyché  (légende  de),  89. 


R 


Rameau  d'olivier,  81,  82,  84. 
Reliquaires,  251,  312,  313,  318, 

322. 
Reliques,  65.  315,  320. 
Renaissance,  66-68,  260-261. 
Renier  (M.  Léon),  7,   16,  26,  27, 

36. 
Renonciation    au    démon,    350- 

357. 
Résurrection,  92. 
Retables,  56,  57,  58,  63,  64,  67. 
Revue  de  l'Art  chrétien,  1,  225. 
Rites,  cérémonies  et  coutumes  du 

baptême,  108-140,  329-400. 
RoHAULT  DE  Fleury  (M.),  496. 
Rome,  375.  —  V.  Cappella,  Cata- 
combes. 
RoNAN  (S.),  274-285. 
Rossi  (M.  de),  75,  81,  82,  93,  95, 

272. 
Ruines  romaines,  287,  301,  302. 
Russie,  111,  114,  132,  356,  366, 

372. 


Sabanuyn,  3il ,  399,  400. 
Sacré-Cœur.  —  V.  Cœur,  Images, 
Marguerite-Marie . 


512 


TABLE    ANALYTIQUE 


Sacrifice  (Iconographie  du),  236- 
239. 

Sacristie  patriarcale  de  Moscou, 
384. 

Sage-femme,  334. 

Saint-Antoine  (Isère),  479,  480. 

Saint  chrême,  364.  —  V.  Saintes 
huiles. 

Saint-Martin-de-la-Place  (An- 
jou), 428  431. 

SAINT-PlERRE-qU-LAC        (Alîjou)  , 

402-418. 

Saint-Sacrement,  264,  427. 
Sainte  Ampoule  de  Reiras,  379. 
Saintes  huiles,  360-385. 
Salau  (église  de),  489,  490. 
Salières,  132. 
Salive,  340,  341. 
Sarcophages,  88,  90,  243. 
Sceaux,  263,  491-494. 
Scellement  des  enfants,  112, 125. 
Schamrock,  265. 
Séez  (Orne),  484. 
Sel  (bénédictionetimpositiondu), 

129-132. 
Sèvres,  271. 

Signes  de  croix,  123-126. 
Société  —  académique  de  l'Oise, 

252  ; — archéol.  de  la  Charente, 

253  ;— de  la  Corrèze,  250,  489  ; 
—  de  Draguignan,  253;  —  de 
l'Orléanais,  255 ,  -  du  Midi  de 
la  France,  489;  —  d'archéologie 
biblique,  488;  —  centrale  des 
architectes,  250  ;  —  de  littéra- 
ture chrétienne,  269; — de  Saint- 
Jean,  217-235  ; — des  antiquaires 
de  France,  249,  487  ;  —des  an- 
ciens textes  russes,  201  ; —  his- 
torique de  Gompiègne,  254. 

Sociniens,  128. 

SoissoNs,  116,  370. 

Spectacles,  355. 

Station  à  la  porte  de  l'église,  113. 

Symbole  des  apôtres,  338,  339. 

Symbole  de  la  Trinité,  265. 

Symbolisme.  —  V.  Iconographie, 

Insalivation,    Onctions,  Phénix, 

Sai7ites  huiles.  Sel,  etc. 


Tapisseries,  486. 

Temples  romains,  9,   26,  28,   30, 

31,  38. 
Tertullien,  72,  122,  124. 
Tétrastyle,  14. 
Thabor  (le  Mont),  487. 
Théâtres  romains,  8,  20,  32,  287. 
Thermes  romains,  21. —  V.  Bains. 
Thomas  d'Aquin  (S.),  247,  248. 
Tombeau  —  de  Prœcilius,  12;  — 

de  S.  Ronan,  £73  285. 
Tombeaux  romains,  30,  38. 
Torches  de  cire,  415. 
Travaux   des   Sociétés  savantes, 

249-255,  486-490. 


u 


Utrecht,  308,  326. 

Van  Heukelum  (M.  l'abbé),  326, 

328. 
Var  (département  du),  333. 
Vasari,  257,  258. 
Vases  —  aux  saintes  huiles,  376- 

385;  —  sacrés,  423. 
Versailles,  269. 
Vêtements  liturgiques,  404,  405, 

414,418,  420. 
Viazemski  (M.  le  prince),  201,  203, 

214,  216. 
Vienne  (Isère),  476-483. 
Vignettes,  157,  164,  167,  450.  — 

Voir  Images. 
Vincent  de  Paul  (S.),  102,  104. 
ViOLLET-LE-Duc(M.),  55,  65,  272. 
Visitation  (Couvents  de  la),  153, 

171,  175,  176,  177,  178,  179. 
Vitraux  de  la  cathédrale  de  New- 
York,  236-239. 
VcEux  —  V.  Promesses. 
VosTOKOV  (M.),  197. 
Voyages  de  S.  Jean  l'Evangéliste, 

198. 


Arras,  imp.  de  la  Société  du  Pas-de-Calais. 
P.-M.  Laroche,  directeur. 


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