Skip to main content

Full text of "Revue de Linguistique et de Philologie comparée"

See other formats


REVUE 

DE 

LINGUISTIQUE 

ET   DE 

PHILOLOGIE  COMPARÉE 


TOME  XLVII 


Digitized.by  the  Internet  Archive 

in  2010  with  funding  from 

University  of  Ottawa 


http://www.archive.org/details/revuedelinguisti47pari 


REVUE 


LINGUISTIQUE 


PHILOLOGIE   COMPARÉE 


RECUEIL    TRIMESTRIEL 


rUBLIB     PAK 


JULIEN     VTNSON 

PROFESSEUR    A    l.'ÉCOLE    NATIONALE    DES    LANGUES   ORIKNTALES    VIVANTES 
INSPECTEUR    DES    EAUX   ET    FORÊTS 

Avec   la  collaboration  de  divers  savants    français  et    étrangers 


TOME  QUARANTE-SEPTIEME 


\  i^^?>  (oU 


^  \   3  //^ 
CHALON-SUR-SAONE 

IMPRIMERIE     FRANÇAISE     ET     ORIENTALE 

E.  BERTRAND 

5,    Rue   des  Tonneliers,    5 

1914 


LE  MOT  IBERE  "AREDC 


o  " 


Depuis  Tarticle  que  j'ai  donné  ici  même,  il  y  a 
sept  ans,  sur  la  langue  ou  les  langues  ibériennes.  la 
question  n'a  pas  lait  un  pas.  On  n'a  pas  encore  dé- 
couvert Tinscription  bilingue  tant  attendue,  qui  devra 
sinon  résoudre  le  problème,  du  moins  fournir  de 
précieuses  indications.  La  plupart,  en  effet,  des 
inscriptions  que  nous  possédons  sont  incomplètes, 
en  mauvais  état  et  très  courtes.  Le  texte  le  plus 
long  et  le  mieux  conservé,  celui  de  la  lame  de 
plomb  de  Gaslellon,  est  d'une  telle  nature  qu'il  ne 
facilite  aucunement  la  recherche  des  éléments  gram- 
maticaux. 

Tout  est  donc  incertain  et  inconnu.  Un  mot  ce- 
pendant paraît  offrir  une  signification  déterminée. 
Il  se  présente  sous  la  forme  aredc,  aredk,  aretko^ 
argtco^  etc.  ;  on  lui  attribue  généralement  le  sens 
très  vraisemblable  de  «  tombeau,  monument,  sépul- 
ture »  ou  de  «ci-gît,  ici  repose,  hic  sitiis  est»,  etc. 
Mais  ce  qu'il  y  a  de  remarquable,  c'est  que  ce  mot 
ardc  se  trouve  inscrit  sur  une  amphore  découverte 
en  Sicile,  où  elle  aura  sans  doute  été  apportée  par 
quelque  voyageur. 

Quelle  relation  peut-il  y  avoir  entre  le  tombeau  et 

1 


~  2  — 

l'amphore,  entre  la  mort  et  le  vin,  qui  re[)résentent, 
surtout  pour  les  anciens  des  idées  absolument  o|)po- 
sées  ?  Cependant,  on  peut  considérer  le  tombeau 
comme  le  séjour  de  l'éternel  repos,  et  d'autre  part 
le  vin  n'apporte-t-il  pas  une  distraction  ou  tran- 
quillité passagère  ? 

Le  mot  qui  nous  occupe  pourrait  donc  avoir  ici  le 
sens  de  «  paix  »  ou  «  repos  ». 

Il  n'y  a  d'ailleurs  rien  de  basque  dans  ce  mot. 

Julien  ViNSON. 


I 


LES  LOIS  MALGACHES 


ET 


LE  PENTATEUQUE 


Pour  établir  sinon  avec  certi- 
tude, du  moins  avec  vraisem- 
blance, qu'une  migration  juive  a 
colonisé  l'Ile  de  Sainte-Marie  et 
la  côte  voisine,  il  faudrait  pouvoir 
retrouver  des  traces  non  pas  d'in- 
flueuce  sémitique,  mais  d'influence 
juive. 

(St  Ferrand,  p.  30,  Les  migra- 
tions musulmanes  et  juioes  à  Ma- 
dagascar. Paris,  1905). 


I .  —  Introduction 

Le  hasard  nous  a  appris,  il  y  a  quelque  temps, 
l'existence  d'une  question  judéo-malgache,  qu'elle  a 
été  discutée  par  des  savants  émérites,  mais  que  malgré 
des  recherches  sérieuses,  on  n'a  pu  arriver  à  une 
solution. 

Ce  n'est  donc  pas  sans  une  certaine  appréhension 
que  nous  abordons  ce  sujet,  notamment  après  les 
savantes  études  de  M.  A.  Grandidier  et  de  M.  St 
Ferrand,  qui  défendent  chacun  une  thèse  dittérente. 


Nous  estimons  cependant  qu'en  présence  du  résultat 
que  nous  avons  obtenu  et  que  nous  croyons,  peut-être 
à  tort,  concluant,  il  n'y  a  plus  à  hésiter  à  soumettre 
notre  travail  à  la  critique  bienveillante  des  savants, 
d'autant,  qu'il  ne  s'agit  plus  à  présent  de  l'histoire 
exclusive  de  Madagascar,  mais  également  de  celle  du 
Judaïsme  dans  l'antiquité. 

Pour  cette  raison,  nous  examinerons  spécialement 
les  lois  des  Malgaches,  dont  personne  ne  s'est  encore 
occupé,  et  les  cérémonies  de  leur  culte,  racontées  par 
les  différents  auteurs  qui  ont  visité  ou  habité  le  pays, 
mais  sans  tenir  compte  de  l'endroit  où  cela  se  passe  à 
cause  de  la  difficulté  pour  un  non-malgachisant, 
comme  nous,  de  se  reconnaître  dans  les  différentes 
races  et  anciennes  provinces. 

Ensuite,  après  avoir  établi  l'origine  du  culte  des 
Zafé-Ibrahim,  il  nous  sera  plus  facile  de  retrouver 
dans  la  langue  malgache  des  traces  de  leur  langue 
primitive. 

Enfin,  pour  ceux  qui  ne  sont  pas  au  courant  de  la 
question,  nous  donnerons  un  extrait,  aussi  succinct 
que  possible  du  livre  de  Flacourt,  le  leading-book  de 
l'histoire  de  Madagascar,  ainsi  que  quelques  passages 
du  livre  de  Drury,  auteur  méconnu  pendant  longtemps 
mais  réhabilité  par  M.  de  Froberville',  et  qui  nous  a 
rendu  des  services  immenses  dans  nos  recherches. 

Nous  parlerons  des  autres  auteurs  et  voyageurs  au 
fur  et  à  mesure  des  sujets  que  nous  traiterons. 

1.  Bulletin  de  la  Société  de  Géographie,  1839,  p.  266. 


II.  Les  Zafé-Ibrahim  d'après  Flacourt'  etDrury' 

La  nation  dont  je  veux  parler,  dit  Flacourt,  croit 
un  seul  Dieu,  créateur  de  toutes  choses,  l'honore,  le 
révère  et  en  parle  avec  grand  respect,  lui  donnant  le 
nom  de  «  Zahanhare  ».  Elle  n'a  aucune  idole  ni  aucun 
temple  et  quoiqu'elle  fasse  des  sacrifices,  elles  les 
adresse  tous  à  Dieu. 

Ceux  que  j'estime  être  venus  les   premiers 

sont  les  Zafé-Ibrahim  ou  de  la  lignée  d'Abraham', 
habitants  de  l'Isle  de  Sainte-Marie  et  des  terres 
voisines,  d'autant  qu'ayant  l'usage  de  la  circoncision 
il  n'ont  aucune  tache  de  Mahométanisme  ne  connais- 
sant ni  Mahomet  ni  les  Caliphes...  Ils  célèbrent  et 
chôment  le  samedi  et  non  le  vendredi  comme  les 
Maures  et  n'ont  aucun  nom  semblable  à  ceux  qu'ils 
portent,  ce  qui  nous  fait  croire  que  leurs  ancêtres  sont 
passés  en  cette  isle  dès  les  premières  transmigrations 
des  Juifs  ou  qu'ils  sont  descendus  des  plus  anciennes 
familles  des  Ismaélites  dès  avant  la  captivité  de 
Babylone 

Ils  ont  retenu  le  nom  de  Moïse,  d'Isaac,  de  Joseph, 
de  Jacob  et  de  Noë. 

L'usage  de  la  géomance  a  été  apporté  par  les 


1.  Histoire  de  la  grande  isle  de  Madagascar.  Paris,  1658. 

2.  Madagascar.  Robert  Drury's  Journal  during  fifteen  years 
captivity  on  that  island.  London,  1728. 

3.  Cette  traduction  «  lignée  d'Abraham  o  correspond  avec  celle 
du  mot  hébreu  ncï  (tsafa)  ce  que  Furst  traduit  par  «  das  Aus- 
Jliessende-Ausjlnss  »  du  verbe  P)12:  «  Strôinen-Jliessen  »,  soit  au 
figuré  émaner  —  émanation. 


—  6  — 

premiers  qui  sont  les  Zafé-Ibrahim  qui  sont  en  cela 
les  plus  superstitieux. 

(p.  22).  Il  n'y  a  que  ceux,  qui  savent  une  certaine 
prière,  qu'ils  nomment  Mevoreche,  qui  ont  la  faculté 
de  couper  la  gorge  aux  bêtes,  en  quoi  ils  sont  si 
scrupuleux  qu'ils  mourraient  plutôt  de  faim  que  de 
manger  de  la  viande  d'une  bête,  qu'un  chrétien  ou  un 
un  homme  du  côté  du  Sud  aurait  tuée.  Ils  ne  connais- 
sent point  Mahomet  et  nomment  ceux  de  la  Secte 
Cafres,  ils  reconnaissent  Nbë,  Abraham,  Moïse  et 
David,  mais  ils  n'ont  aucune  connaissance  des  autres 
prophètes' ,  ni  de  notre  sauveur  J.-C. 

Ils  sont  circonsis,  ils  ne  travaillent  pas  le  samedi, 
ils  ne  font  aucune  prière  ni  jeûne  mais  seulement  des 
sacrifices  de  taureaux,  vaches,  cabris  et  coqs. 

Ils  ne  châtrent  point  les  taureaux  \  ni  les  autres 
animaux.  Ils  se  sentent  un  peu  de  Judaïsme^  ils  sont 
fort  hospitaliers. 

Les  esclaves    ne    sont   pas    avec   eux    en    qualité' 
d'esclaves,     mais    les    maîtres    les    nomment    leurs 
enfants. 

(p.  64).  La  cérémonie  de  la  circoncision  s'appelle 
missavatsi. 

(p.  296).  Ils  n'ont  aucun  temple,  si  ce  n'est  les 
ainoanouques  ou  sépulchres  où  sont  enterrés  leurs 
ancêtres,  la  mémoire  desquels  ils  ont  en  grande 
vénération,  ainsi  que  font  tous  ceux  de  cette  isle. 

(p.  103).  La  nation  madecasse  n'a  aucune  loi 
écrite  (suivent  quelques  lois,  mais  très  incomplètes). 

1.  Les  passages  que  nous  soulignons  ne  le  sont  pas  dans  les 
textes. 


—  7  — 

Dviirij  nous  décrit  quelques  cérémonies  auxquelles 
il  a  assisté. 

(p.  80).  The  people  hâve  in  their  houses  a  small 
portable  ustensil  consecrated  to  religious  uses,  and  is 
a  sort  of  house-hold  altar  which  they  call  the  Owley. 

It  is  made  of  a  particular  wood  in  bits  neatly  joind 
and  making  almost  the  form  of  an  half-moon  with  the 
horns  downwards, 

(p.  111).  The  holy  Owley,  which  we  hâve  already 
described,  was  bronght  out  and  hung  on  a  pièce  of 
wood,  laid  a-cross  two  forks  ail  which  was  eut  down 
on  purpose,  and  was  also  a  long.  Pôle  to  which  the 
bullock  was  ty'd,  this  was.provided  by  the  Queen,  and 
being  killed,  they  took  some  of  the  tail  and  some  of 
the  hair  of  the  nose  and  eye-brows  and  put  them  on 
some  live  coals  smoking  under  the  Owley  ;  they  than 
took  some  of  the  blood  which  thetj  sprinkled  on  it- , 
and  on  the  beam  it  hung  on  ;  the  Queen  Swore  :  I 
swear  by  the  r/reat  God  above,  by  the  four  Gods  qf 
the  four  quarters  of  the  toorld,  etc. 

(p.  182).  They  told  me...  There  was  a  God  above. 
the  suprême  one  Lord  of  ail  other  Gods,  Deamons  or 
spirits  whatever. 

If  your  countrymen  had  such  Owley  s  as  we 

hâve,  the  good  deamons  who  are  invoked,  v^hen  we 
sacrifice,  before  them  would  hâve  assisted  you. 

(192).  Hère  are  laws  against  Adultery,  thefs  and 
murder,    and    they   hâve  such   an  esteem    for    their 

1.  En  français,  on  écrit  Oly  ou  bien  Ody,  nom  sous  lequel  il 
y  a  quelques  exemplaires  exposés  au  Musée  du  Trocadéro. 

2.  Cf.  p.  12. 


—  8  — 

parents    that    they  regard  and   honour   them    after 
death. 

They  never  swear  profanely. 

(p.  193).  They  are  hère  fools  enough  to  be  imposed 
on  by  the  Umossees  or  conjurors,  who  they  think 
do  strange  things,  yet  they  dont  imagine  that  they 
converse  with  the  great  God. 

(p.  244).  Hère  are  several  good  laws,  notwithstan- 
ding  they  hâve  no  knowledge  of  letters  yet  are  they 
tixed  in  their  minds  and  delivered  from  one  to  another 
(nous  en  parlerons  dans  le  chapitre  suivant). 

(p.  231).   They  acknowledge  and  adore  the  Only 
One  Suprême  God,  whom  they  call  Deaan  Unghorrey, 
which   signifies   «  Lord  above  »  They   say  there  are 
four  other  Lords  eacli  to  his  respective  Quarter  of 
the  world  ' . 

(p.  456).  But  I  hâve  omitted  to  take  notice  of  one 
custom  which  is  their  abstainin;/  from  their  women 
at  certain  times  as  Jews  do. 

III.  —  Leurs  lois,  d'après  Drury. 

Voici  quelques  lois,  mentionnées  par  Drury  ;  nous 
y  ajouterons  la  version  correspondante  du  Pentateuque, 
là  où  nous  en  aurons  l'occasion. 

If    one    man's    cattle  Exod.,  22,  4: 

break  into  another  man's  Si  quelqu'un  fait  faire 

1.  Dont  voici  les  noms  : 
Northern  Lord        Dean  Anteraoor 
Southern  »      Meguddummater 

Western  »     Androwfertraer 

Eastern  »      Anabeleshey. 

(Cf.  p.  22.) 


-  9  — 


plantation  ;  for  every 
beast  found  there  the 
ownerof  them  inustgive 
an  iron  Shovel. 

Aftera  brother's  death 
they  often  take  his  wife 

and  their  father's  too, 
and  lye  with  them  if  they 
are  not  their  own  mo- 
thers. 

If  two  men  quarrel  and 
one  ourses  the  other's 
father  and  mother,  be 
they  dead  or  alive 
and  his  antagonist  re- 
torts not  the  ciirseagainst 
his  father  and  mother,  he 
recovers  for  damage  two 
beeves. 

If  onc  is  taken  stealing 
of  Guinea  corn  carra- 
vances  potatoes  ont  of  the 
plantations  he  forfeits  a 
cow  and  calf  to  the  ow- 
ner,  or  more  in  propor- 
tion to  the  offence. 

If  one  assaults  another 
maliciously,  and  breaks 
an  arm  or  a  leg,  the  of- 


du  dégât  dans  un  champ 
en  y  lâchant  sa  bête,  il 
rendra,  etc. 

Deut.,  25,  5  l'ordonne 
quand  la  veuve  n'a  pas 
d'enfants. 

Lév.,  18,  8,  20,  il  ; 
Deut.,  23,  1  le  défen- 
dent. 

Lév.,  20,  9;  Exod., 
21, 17  ne  parlent  que  du 
fils. 

Celui  qui  maudit  son 
père  et  sa  mère  sera  puni 
de  mort. 


Exod.,  22,  3  : 

Si  le  vol  est  trouvé 
entre  ses  mains,  soit 
bœuf,  etc.,  il  rendra  le 
double. 


Exod.,  21,  18/19  : 
Si  des  hommes  se  que- 
rellent   et    l'un    frappe 


—  10  — 


fender  is  fined  15  Head 
of  Cattle  to  the  injured. 


If  one  breaks  another's 
head  and  the  wounded 
has  not  returned  blow 
for  blow,  he  has  three 
beeves  for  the  dammage. 

If  a  man  is  catched 
robbing  his  neighbour 
of  an  ox  or  in  a  cow,  he 
is  forced  to  restore  for 
it. 

If  a  man  borrows  an 
ox  or  a  cow  of  his  neigh- 
bour, in  a  year  tirae  six 
calves  are  supposed  a 
proper  value  to  return 
for  the  ox.  And  if  he  ne- 
glects  paying  then  those 
calves  are  supposed  to  be 
three  stears  and  three 
heifers  and  the  increase 
which  may  be  computed 
to  arrive  by  their  growth 
and  production  is  the 
man's  due  of  whom  the 
ox  was  borrowed... 


l'autre  d'une  pierre  ou 
du  poing,  dont  il  ne  soit 
point  mort  mais  blessé... 
il  le  dédommagera,  etc. 

ExocL,  21,  24/25  : 
Œil    pour    œil,   dent 
pour  dent 
(modifié). 

Ea-od.,  21,  37  : 

Si  quelqu'un  dérobe 
un  bœuf  ou  un  agneau... 
il  restituera  5  bœufs  ou 
4  agneaux. 


C'est  une  modification 
de  VExod.  23,  13. 


—  11  — 

A  inan  cannot  put  his  Deutéron,  24,   i ,  or- 

wife  away  at  pleasure.  donne  une  lettre  de  di- 

vorce '. 

A    freeman  must   not  Exod.,  21,  9  : 

espouse  a  slave-woman,  S'il  la  (l'psclave)  des- 

or,   if  he  does  so   he  is  tine  àson  fils,  il  la  traite- 

bound  to  redeem  her'.  ra  comme  sa  fille  (libre). 

IV.  —  Leurs  cérémonies. 

Dans  son  introduction  (p.  1),  Flacourt  dit  :  «  La 
nation  dont  je  veux  pailer  croit  un  seul  Dieu,  créa- 
teur de  toutes  choses,  le  révère  et  en  parle  avec  grand 
respect,  lui  donnant  le  nom  de  ((  Zahanhare».  Elle  n'a 
aucune  idole  ni  aucun  temple,  et  (luoiqu'elle  fasse  des 
sacrifices,  elle  les  adresse  tous  à  Dieu.  Il  est  vrai  qu'on 
s'étonnera  qu'elle  fasse  la  première  offrande  au  diable, 
d'un  morceau  de  la  béte  sacrifiée.  Ce  n'est  pas  qu'elle 
lui  porte  bonheur,  mais,  comme  nous  disons  commu- 
nément, elle  jette  un  morceau  à  Cerbère  ou  à  un  chien 
pour  l'apaiser ». 

M.  de  F.'  Carpeau  du  Saussay)  nous  raconte 
(p.  262)  :  ((  Après  avoir  tué  le  bœuf,  il  coupa  un 
morceau  qu'il  mit  à  part  en  disant  :  Voilà  pour 
Diam  Biliche''  ;  il  en  coupa  un  autre  qu'il  mit  d'un 
autre   côté    en   disant  :  Voici  pour  Zanhar  ;  il  prit 

1.  C'est  donc  probable  que  c'est  plus  tard  qu'on  a  institué 
cette  loi,  puisqu'on  ne  la  trouve  que  dans  le  Deutéronome. 

2.  D'après  Rev.  H.  Little,  p.  64.  Madagascar  its  History  and 
People  Edinb.  London,  1884. 

3.  Voyage  de  Madagascar.  Paris,  1722. 

4.  Nous  reviendrons  plus  loin  sur  la  signification  de  ce  mot. 


—  12  — 

ensuite  le  plat  où  était  le  sang  et  le  jeta  sur  les  assis- 
tants     j'appris    la    réponse    que    le    Diable   était 

capable  de  leur  faire  bien  du  mal  ;  ils  avaient  intérêt 
de  le  ménager  mais  que  Dieu  n'était  pas  si  difficile  à 
contenter.  Je  conclus  par  conséquent  que  le  culte 
qu'ils  rendaient  à  l'un  était  forcé,  et  que  celui  qu'ils 
rendaient  à  Dieu  était  tout  naturel  ». 

Si,  comme  pour  les  lois,  nous  comparons  la  céré- 
monie du  sacrifice  avec  celle  du  Pentateuque  nous 
trouverons  : 

Lévit,  9,  9 il  trempa  son  doigt  dans  le  sang,  en 

mit  sur  les  cornes  de  l'autel'. 

Lévit,  9,   21 Quant  aux  poitrines  et  à  l'épaule 

droite,  Aron  en  fit  faire  une  oblation  agitée  devant 
l'Eternel 

On  entend  par  «  oblation  agitée  ou  balancée  »  : 

Tournoiement  spécial ,  des  sacrifices  qu'on  tournait 
vers  différents  côtés'  avant  de  les  offrir  sur  l'autel. 

Il  y  a  donc,  encore  ici,  beaucoup  de  ressemblance 
entre  la  cérémonie  malgache  et  celle  des  Hébreux. 

V.  —  L'Oly 

M .  d.  V.  (p.  258)  en  donne  la  description  suivante  : 
L'Oly  est  l'idole  la  plus  révérée  pour  toute  l'île  de 
Madagascar,  je  n'en  puis  donner  une  meilleure  défi- 
nition qu'en  disant  ce  que  c'est.  Représentez-vous  une 
petite  boite  comme  un  soufflet  de  chaudronnier,  où  il 

1.  Cf.  le  récit  de  Drury,  p.  7. 

2.  Probablement  dans  les  quatre  directions,  comme  se  fait 
dans  la  Synagogue  l'exposition  de  la  Loi,  ainsi  que  la  cérémonie 
du  «  Loulab  »  (N.  d.  l'A). 


—  13  — 

y  a  davantage  de  tuyaux  qui  sont  tous  remplis  de 
mille  saletés,  comme  du  sang  de  serpent,  des  fleurs 
des  femmes  qu'ils  aiment,  des  prépuces  des  enfants 
circoncis,  de  certaines  racines  qui  excitent  la  luxure, 
etc.  Ils  la  portent  ordinairement  autour  d'eux,  attachée 
avec  une  courroie  de  cuir  ». 

Si  les  lois  et  les  cérémonies,  que  nous  venons  de 
décrire,  nous  donnent  presque  la  preuve  que  le  culte 
des  Zafé-Ibrahim  était  le  culte  antique  des  Hébreux, 
VOly  semble,  à  première  vue,  y  être  complètement 
étranger.  Et  cependant,  puisque  nous  savons  mainte- 
nant que  la  composition  de  cette  amulette  consiste 
dans  un  amas  d'ordures,  nous  pouvons  peut-être  la 
rapprocher  du  mot  hébreu  «  guilolime  »  traduit  géné- 
ralement par  «  abominations  »  en  parlant  de  certaines 
idoles,  que  le  peuple  juif  adorait,  à  côté  du  culte 
officiel.  Déjà  dans  le  Lévitique  on  fait  la  guerre  à  cette 
amulette,  car  nous  trouvons  ch.  26,  30  :  «  Et  je 
jetterai  tes  cadavres  sur  les  débris  de  tes  «  guilolime  » 
et  je  vous  aurai  en  horreur  ^ . 

Ensuite  c'est  le  prophète  Ezéchiel  (560  av.  J.-C.) 
qui  s'élève  à  plusieurs  reprises  contre  cette  pratif|ue^ 

A  présent,  Drury  (cf.  p.  7)  nous  raconte  que  les 
Malgaches  portent  l'Oly  autour  du  cou  ou  attachée 
par  une  ceinture  au  corps  quand  ils  sortent,  et  qu'à  la 
maison  il  lui  avaient  élevé  un  autel. 


1.  Contrairement  à  l'habitude,  nous  préférons  ne  pas  traduire 
le  mot  «  guilolime  »,  de  même  qu'on  ne  le  fait  pas  pour  les  «Zé- 
raphim  ». 

2.  Cf.  Chapitres  6,  4  —  8,  10  —  16,  36  —  18,  6  et  15  —  20, 
7,  -  8,  24  etc. 


—  14  — 

Lorsque  les  Hébreux  ou  Juifs  retombaient  dans 
l'idolâtrie  ils  avaient  également  un  autel  à  la  maison, 
puisque  nous  trouvons  dans  le  livre  des  Rois  II,  23, 
12  que  Ton  détruisit  les  autels  qui  se  trouvaient  dans 
le  palais  d'un  roi  idolâtre. 

Nous  croyons  donc  pouvoir  poser  les  que-^tions 
suivantes  : 

1°  Est-ce  que  le  mot  «  Oly  »  n'aurait  pas  son  origine 
dans  le  mot  hébreu  b:>  '  (gai)  (fumier-ordure)  cor- 
respondant à  l'araméen  ''biD'  (nwali)  lequel  sans  la 
ponctuation  massorétique  pourrait  se  lire  aussi  nouli 
ou  nolif 

2°  N'y  a-t-il  pas  lieu  de  supposer  une  certaine 
corrélation  entre  l'Oly  et  l'ordonnance  du  Deutéro- 
nome  (6,  9  et  11.  18)'  relative  au  «  phylactères  »  ? 

M.  S.  Munk  '  dit  à  ce  sujet  :  a  L'usage  de  porter 
des  amulettes  était  très  répandu  dans  l'antiquité  et 
l'est  encore  aujourd'hui  chez  les  Orientaux  ;  cet  usage 
existait  aussi  chez  les  anciens  Hébreux  et  c'est  sans 
doute  pour  abolir  cette  superstition  que  le  législateur 
leur  ordonna  de  porter  sur  le  bras  et  au  front  (en 
place  des  amulettes)  certains  écrits  renfermant  les 
principes  fondamentaux  de  la  loi.  » 

Et  il  ajoute  dans  une  note  :  «  Ces  détails  n'ont  été 
fixés  sans  doute,  qu'après  l'exil  mais  un  usage  analogue 

1.  Racine  qu'on  a  tiré  de  n'''7bj  (guelolinie). 

2.  Cf.  Dozy.  De  Israeliten  te  Mekka.  Haarleni,  1864,  p.  200. 
Note. 

3.  Il  est  généralement  admis  par  la  théologie  moderne  que  le 
Deutéronome  a  été  rédigé  par  Néhémie  et  Esdras  après  le  retour 
de  la  captivité  de  Babylone. 

4.  Palestine.  Paris,  1845,  p.  369. 


—  15  — 


dût  exister  chez  les  anciens  Hébreux,  et  on  y  fait 
peut-être  allusion,  dans  quelques  passages  des  Pro- 
verbes ».  (III,  3  et  22  -  VI,  21  -  VII,  3). 

Nous  concluons  donc  que  l'Oly  ne  détruit  pas  la 
supposition  que  les  Zafé-Ibrahim  pratiquaient  le  culte 
antique  des  Hébreux. 

VI.  —  Lois  malgaches. 

Après  avoir  étudié  les  lois  des  Zafé-Ibrahim,  nous 
allons  examiner  quelques-unes  des  lois  malgaches,  in- 
diquées dans  le  livre  de  M.  Gustave  Julien',  comme 
étant  élaborées  par  Andrianampuinimerina  (178?- 
1810). 

Il  va  sans  dire  que  nous  ne  nous  occuperons  que  de 
celles  qui  offrent  une  analogie  indéniable  avec  la  loi 
de  Moïse. 


Tome  I,  p.  253. 

Acceptation  de  dons 
en  argent  ou  présents 
pour  commettre  des  actes 
contraires  à  l'équité  ou 
à  la  morale. 

Je  n'endurerai  pas  que 
dans  mon  royaume  la 
corruption  et  la  véna- 
lité supplantent  l'esprit 
d'équité  chez  ceux  qui 
parlent  en  mon  nom. 


Exod.,  23,  7-8: 
Eloigne-toi  d'une  chose 
mensongère,  ne  fais  point 
mourir  l'innocent  et  le 
juste,  car  je  n'innocente- 
rai pas  le  coupable. 

N'accepte  point  de  pré- 
sent, car  le  présent  aveu- 
gle les  plus  éclairés  et 
pervertit  les  paroles  du 
juste. 


1.  Institutions  politiques  et  sociales  de  Madagascar.  Paris,  1908. 


—  16  — 


Magistrats  dont  les 
arrêts  sont  entachés  de 
partialité. 

Seront  punis  de  mort 
les  magistrats  qui  ven- 
dront la  justice  aux  en- 
chères, donneront  raison 
à  ceux  qui  leur  auront 
versé  le  plus  d'argent. 
L.es  fukun  u/una  qui  agi- 
ront de  même  et  ne  ren- 
dront pas  j  usticeau  x  hum- 
bles comme  aux  puissants 
verront  leurs  femmes  et 
leurs  enfants  réduits  à 
l'esclavage. 

257.  Fabrication  et 
usage  de  charmes  malé- 
fiques et  pratiques  de 
sorcellerie. 

Toutes  les  pratiques  de 
sorcelleries  seront  punies 
de  mort. 

Le  rua-dia  (4)  sorti- 
lèges faits  avec  de  la 
poussière  et  de  la  te/re. 
Cette  terre,  bouillie  dans 
de  l'eau  pendant  qu'on 
récitait  certaines  formu- 
les cabalistiques,  devait 


Lév.  19,  15  : 

Ne  faites  point  d'ini- 
quité dans  le  jugement, 
n'ayez  point  d 'égard  pour 
le  pauvre,  et  n'accor- 
dez pas  de  préférence  au 
grand;  avec  justice  tu 
jugeras  ton  prochain. 


Léo.,  19-31: 

Détournez  -  vous  des 
sorciers  et  nécroman- 
ciens. 

Exod.,  22,  17  : 

Tu  ne  laisseras  point 
vivre  de  magicienne. 

Naméri,  5,  14  et  s.  s. 

...  ou  bien  un  esprit 
de  jalousie  s'empare  de 
lui.  il  est  jaloux  de  sa 
femme,  maisellen'apoint 
été  souillée  ;  cet  homme 
amènera  sa  femme    de- 


17 


ensorceler  la  personne  vi- 
sée. 

259.  En  conséquence, 
chaque  fois  que  des  per- 
sonnes se  livreront  à  la 
sorcellerie  et  useront  de 
charmes  maléfiques,  sou- 
mettez-les a  l'épreuve  du 
tangun  (Than^inia  vene- 
nifera).  C'est  la  pierre  de 
touche  infaillible  que, 
par  un  décret  divin,  mes 
ancêtres  m'ont  légué 

(Le  tanguin  était  donc 
pour  les  Malgaches  de 
cette  époque  une  sorte 
de  jugement  de  Dieu). 

265.  Ceux  qui  fabri- 
quent, détiennent  ou  font 
usage  de  mesures  de  ca- 
pacités fausses,  seront 
punis  de  mort. 

281.  Des  faux  témoi- 
gnages. Amendes  irré- 
ductibles. 

...  car  rien,  à  mon  avis, 
ne  serait  néfaste  à  mon 
pays    et   à    mes    sujets 


1.  Ici,  les  Malgaches  ont  exagéré.   Le  jugement  de  Dieu,  chez 
les  Hébreux,  a'otfiait  pas  grand  danger  pour  l'accusée. 


vant  le  prêtre. 

Le  prêtre  prendra  de 
Veau  sainte  et  de  la 
poussière  du  pavé  du  ta- 
bernacle et  la  mettra 
dans  l'eau. 

.  .  .  Ayant  fait  boire 
l'eau,  si  elle  a  agi  perfi- 
dement, les  eaux  porte- 
ront malédiction  ;  mais 
si  elle  n'a  pas  été  souil- 
lée, si  elle  est  pure,  elle 
sera  à  l'abri  et  aura  des 
enfants'. 


Lév.,  19.  35  : 

Ne  faites  pas  d'iniquité 
dans  le  jugement,  dans 
le  poids  et  dans  la  con- 
tenance. 

Lév.,  19,  12  : 
Ne    jurez   pas  fausse- 
ment. 


—  18 


comme    l'impunité    de 
faux  témoignages. 

287.  De  l'intérêt  de 
l'argent.  Ceux  qui  récla-- 
meront  de  nuit  le  rem- 
boursement de  créances 
seront  dépossédés  de  tous 
leurs  biens,  parce  que, 
dans  ce  pays,  la  nuit 
n'appartient  qu'à  moi 
seul  (pour  agir). 

294.  Différends  nés  de 
raeontars.  Ceux  qui  sus- 
citeront des  difficultés  à 
autrui  par  des  écarts  de 
langage,  des  paroles  in- 
considérées, seront  pu- 
nis, etc. 


304.  Désobéissance 
des  enfants  à  l'autorité 
des  parents.  Les  enfants 
qui  resteront  sourds  aux 
conseils  de  leurs  père  et 
mère. . .  seront  vendus 
comme  esclaves.  Je  n'ad- 
mettrai jamais  que  les 
êtres  que  vous  avez  nour- 
ris... vous  méprisent  ou 


Exod.,  22,  25  : 

Si  tu  prends  en  gage 
le  vêtement  de  ton  pro- 
chain, dès  le  soleil  cou- 
chant il  faut  le  lui  rendre. 


Eœod.,  23,  1-2: 
N'accueille  point  un 
faux  rapport....  Ne  suis 
point  la  foule  pour  faire 
le  mal,  ne  réponds  point 
dans  une  contestation  à 
pencher  vers  la  foale 
pour  faire  incliner  le 
droit. 

Exod.,  20,  12  : 
Honore  ton  père  et  ta 
mère  21,  15/17.  Celui 
qui  frappe  ou  maudit  son 
père  ou  sa  mère,  sera 
puni  de  mort. 

Lév.,  19,  3  :  Vous 
craindrez  votre  père  et 
votre  mère. 


19  — 


se  refusent  à  écouter  vos 
sages  avis. 

305.  Désobéissance 
opposée  aux  aims  et  aux 
anciens 

Honorez  vos  aînés 

et  les  anciens  en  géné- 
ral  

316.  La   répudiation. 

Elle  ne  pouvait  être 
prononcée  qu'en  présence 
du  fakun-uluna...  Moi, 
qui  suis  tout  puissant 
dans  le  ciel  et  sur  la 
terre,  je  m'interdis  le 
droit  de  séparer  deux 
époux,  parce  que  ce  n'est 
pas  moi  qui  les  ai  unis. 
C'est  donc  le  mari,  chef 
de  la  famille,  qui  est 
maître  souverain. 

322.  Des  mariages 
avec  les  belles -sœurs  de- 
venues veuves. 

Si  une  veuve  a  un  beau- 
frère  ,  celui-ci  devient 
son  mari,  a  moins  qu'il 
ne  lui  rende  son  indé- 
pendance en  la  répu- 
diant. 


Lév.,  19,  32  : 

Devant  la  vieillesse  tu 
te  lèveras,  et  tu  honore- 
ras le  vieillard. 


Deutér.,   24,   1  exige 
une  lettre  de  divorce. 
(Cf.  p.  11.) 


Deutér  on,  25,  5  : 
Le  frère  doit  épouser 
la  veuve  de  son  frère,  si 
elle  n'a  pas  d'enfants. 
S'il  ne  veut  pas,  c'est 
lui  qui  sera  répudié  par 
sa  belle-sœur  (cf.  p.  11, 
note  1). 


—  20 


323.  Flagrant  délit 
d'adultère. 

Que  la  mort    soit 

donc  le  châtiment  des 
coupables. 

Tome  II. 

174.  Des  règles  rela- 
tives au  deuil. 

Les  femmes  laissent 
flotter  librement  leurs 
cheveuxautourdela  tête  ; 
les  hommes  cessent  de 
porter  un  chapeau  et  de 
part  ni  d'autre  on  ne  met 
ni  chaussures  au  pied,  ni 
vêtements  coupés  et  cou- 
sus sur  le  corps. 

Il  est  Jadi,  quand  on 
est  en  deuil,  de  chanter, 
de  jouer  un  instrument 
de  musique,  de  se  cou- 
per les  ongles.  Les  ob- 
jets d'ornementation,  ta- 
bleaux, miroirs,  etc., 
doivent  être  décrochés 
ou  tournés  face  aux  murs, 
ou  recouvert  d'un  voile. 

181.  Enfin  le  ala-fadi 
ou  purification  est  dû  à 
toutes  les  personnes  qui 


Lév).,  20,  10  : 

Un  homme  qui  débau- 
che la  femme  de  son  pro- 
chain, qu'il  meure  ainsi 
que  la  débauchée. 

E;séch.,  24,  17  : 
.  .  .  Soupire  en  silence, 
ne  prends  pas  de  deuil 
comme  pour  les  morts  ; 
attache  sur  toi  ta  coif- 
fure, mets  ta  chaussure 
à  tes  pieds.  Tu  ne  t'eur 
velopperas  pas  jusqu'aux 
lèvres. 


Toutes  ces  habitudes 
malgaches  sont  confor- 
mes au  Rituel  juif  encore 
aujourd'hui  en  vigueur 
et  strictement  observés 
par  les  juifs  pratiquants. 


Naméri,  19,  13  : 
Quiconque  a  touché  à 
un   cadavre    et...    ne   se 


—  21  — 

ont  approché,  arrangé  ou  purifie  pas 

touché  le  mort. 

256.  De  la  petite  ban-  Lév.,  W,  19  : 

derolle  dalahani  ou  luha  ...  et  q  u'un  tissu  mixte 

sabuha.  (chaàtnez)   ne    couvre 

...de  part  et  d'autre  point  ton  corps', 

cela  désigne  une  étoffe 
dont  seuls,  les  souverains 
et  les  grands  chefs  pou- 
vaient se  vêtir. 

VII.   —  Encore  quelques  explications 

Quoique  les  lois  malgaches,  que  nous  venons  de 
commenter,  confirment  en  tous  points  que  les  Zafé- 
Ibrahim  suivaient  le  culte  et  les  lois  juives  de  l'époque, 
il  n'est  pas  superflu  de  nous  arrêter  encore  à  quelques 
passages  des  différents  récits,  concernant  leurs  mœurs, 
qui  méritent  une  explication. 

Flacourt  dit  :  «  qu'ils  mourraient  plutôt  de  faim 
que  de  man.uer  d'une  béte  qui  ne  fut  tuée  par  eux  ; 
qu'ils  avaient  des  hommes  spéciaux  pour  les  égorger  ». 
Cette  habitude  d'égorger  les  bétes  est  aussi  conforme 
au  précepte  mosaïque  de  Lévit  :  17,  10. 

0  Quiconque  aura  mangé  le  sang,  je  le  retrancherai 


1.  On  ignore  jusqu'à  présent  non  seulement  la  véritable  signi- 
fication du  mot  ((  ciiaatnez  )),  uiajs  on  suppose  que  ce  mot  est 
corrompu. 

D'après  Josèphe  (Ant.  4,  Mil,  10),  qui  était  prêtre,  neuls  les 
prêtres  avaient  le  droit  de  porter  des  vêtements  «  itilaïm  châât- 
nez  ». 

Cf.  Bible  S.  Cahen,  tome  IIÎ. 


—  22  — 

du  milieu  de  son  peuple.  Car  le  principe  vital  de  la 
chair  git  dans  le  sang,  et  moi  je  vous  l'ai  accordé  sur 
l'autel  pour  procurer  l'expiation  à  vos  personnes.  » 

Or,  pour  pouvoir  évacuer  tout  le  sang  qui  se  trouve 
dans  la  bête,  il  faut  l'égorger.  Du  reste  a  l'étouffé  » 
était  même  encore  défendu  par  le  Concile  des  Apôtres. 
(Actes  V  20/21). 

Ensuite  «  Us  ne  châtrent  point  les  animaux  ;  ce  qui 
est  en  conformité  avec  Lévit  22,  24.  «  La  bête  qui  a 
les  testicules  écrasés,  froissés,  rompus  ou  coupés  ne 
l'offrez  point  à  l'Eternel,  et  dans  votre  pays  ne  faites 
point  pareille  chose.  » 

Drury  rapporte  que  leur  formule  de  prêter  serment 
est  :  «  J  swear  by  the  great  God,  by  ihefour  gods  oj 
the  quarters  ofthe  world  '  o.  Nous  n'avons  rien  trouvé 

1.  Cette  formule  nous  permet  de  supposer  que  lesZafé-Ibrahim 
ne  pratiquaient  pas  encore  le  Jahvisme  ou  monothéisme  pur  et 
que  nous  sommes  ici  en  présence  d'une  formule  (i  Elohiste  »  dont 
la  Bible  ne  nous  donne  aucune  explication. 

Nous  avons  donné  plus  haut  (p.  8)  les  noms  des  quatre  sous- 
divinités  malgaches  ;  il  nous  est  impossible  d'en  donner  une  éty- 
mologie  exacte  ;  toutefois,  nous  signalons  le  rapprochement 
entre  : 

Antemoor  et  Anata    ou  Anat,   dieu  Ass.-babyl  :  (cf.   Rawlin- 
son  ;  les  religions  de  l'ancien  monde,  trad.  de  Faye). 
ou  An-Tam-zu  des  Hittites  (cf.  C.  R.   Conder  Hiéroglyphes 
and  Hittite  Inscriptions,  p.  80. 
Anabeleshei/  et  Anu-Bel  ou  Bilat  assyr.-babyl. 

ou  An-Bel  des  Hittites. 
Meguduminatum  renferme  peut-être  des  traces  de  Gula-Anunit 
des  Ass.-babyl. 
Nous  devons  tenir  compte  ici  des  habitudes  malgaches  d'allon- 
ger les  syllabes  pour  en  adoucir  la  prononciation  ;  ensuite  qu'ils 
alternent  les  L  et  D,  et  enfin  que  Drury  est  le  seul  auteur 
qui  cite  ces  noms  ;  nous  ne  pouvons  donc  pas  vérifier  la  pronon- 
ciation exacte,  puisqu'il  les  écrit  avec  l'accent  anglais.  Ainsi 


—  23  — 

qui  se  rapproche  de  cette  idée  exceptée  une  inscrip- 
tion sémitique  (745  bc)  citée  par  Rev.  G.  A.  Cooke  ' 
et   conçue    dans  les   termes  suivants   :   «  Servant  of 

Tiglath   Pileser lord  of  the  Jjour   parts  of  the 

earth  ». 

Drury  remarque  aussi  avec  justesse  «  tbeir  absta- 
ming  from  their  women  at  certain  times  as  Jews  do  » 
car  c'est  l'ordonnance  du  Lévit  :  15,  19. 

Flacourt  écrit  (p.  177).  a  Le  premier  mois  com.- 
mence  à  la  nouvelle  lune  de  Mars.  »  Nous  ignorons 
comment  ils  avaient  combiné  leur  calendrier,  mais  le 
fait  de  commencer  l'année  à  la  nouvelle  lune  de  Mars 
peut  constituer  une  nouvelle  preuve  qu'ils  connais- 
saient la  loi  de  Moïse,  car  Eœocl.  12,  2  il  est  écrit 
«  Ce  mois  (c'est-à-dire  le  mois  de  Pâques)  vous  sera  le 
premier  des  mois  de  l'année\ 

M.  d.  V.  parle  de  Beliche,  et  Drury  écrit  Anabeleshey  et  Un- 
ghorrey  pour  Zanahary,  ce  qui  se  prononçait  eu  effet  «  Yan- 
ghary  ». 

Il  y  a  encore  lieu  de  citer  A.  H.  Sayce  (Fresh  light  from  the 
ancient  monuments),  p.  171,  qui  mentionne  la  traduction  d'un 
cylindre  de  Nabonide,  dont  voici  la  description  :  «  The  cylindef 
is  one  of  four,  each  containing  the  same  text  and  burried  at  the 
four  corners  of  the  Temple  of  Sin'  at  Mungheir  or  Ur. 

Enfin,  nous  devons  rappeler  que  le  vêtement  (Taleth)  qui  se 
porte  dans  la  Synagogue  est  aussi  dénommé  arbah-kanfot,  ce  qui 
veut  dire  quatre  coins  ou  angles  (cf.  Nombres  XV,  37  et  suiv.) 

(Cf.  note  2,  p.  12). 

1.  A  text  book  of  Xorth  Semitic  Inscriptions,  p.  180.  Ox- 
ford, 1903. 

2.  Citons  l'opinion  de  M.  E.-F.  Gauthier,  sur  le  calendrier 
malgache  (Journal  Asiat.,  1911,  tome  17,  p.  110)  :  «  Que  le  calen- 
drier luni-solaire  ait  été  à  Madagascar  d'un  usage  général  et  an- 
cien, je  n'oserais  affirmer  qu'on  puisse  le  prouver  rigoureuse- 
ment. Là-dessus  pourtant  on  peut  accumuler  les  présomptions 
qui  ne  sont  pas  loin  d'équivaloir  à  une  preuve. 


—  24  — 

M.  Gabriel  Ferrand^  nous  donne  la  description 
suivante  d'une  cérémonie  religieuse  pendant  la  période 
qui  précéda  l'arrivée  de  l'islam. 

«Un  coin  de  forêt  inexplorée,  un  sommet  de  mon- 
tagne'^ déclarée  sacrée  étaient  ordinairement  l'endroit 
où  l'on  présentait  à  Dieu,  les  offrandes  de  ses  créa- 
tures ;  et  si  quelque  voyageur  passait  à  proximité  du 
lieu  de  la  prière,  l'éclat  des  torches  et  le  bruit  des 
voix  sous  la  feuillée,  ordinairement  sombre  et  silen- 
cieuse, lui  apprenait  que  là-bas,  s'accomplissait  un 
mystère,  duquel  son  origine  ou  sa  non-initiation  lui 
interdisait  la  vue  sous  peine  des  châtiments  les  plus 
sévères.  Et  lorsque  les  premières  lueurs  du  jour  appa- 
raissaient à  l'horizon,  les  torches  s'éteignaient,  les 
chants  cessaient  et  les  [)rêtres  de  «  Zanahary  »  rega- 
gnaient à  pas  lents  le  village,  pleins  encore  de  la 
majesté  du  Dieu,  dont  ils  venaient  de  célébrer  le  culte 
à  la  face  des  étoiles.  » 

Ce  joli  morceau  de  littérature  pourrait  très  bien 
servir  comme  commentaire  aux  deux  versets  suivants 
du  Lévitique  (17,  6  et  7).  a  Afin  que  les  enfants 
d'Israël  amènent  leurs  victimes  qu'ils  sacrifient  en 
plein  champ,  qu'ils  les  amènent  désormais  à  l'Eternel, 
à  l'entrée  de  la  tente...  et  ils  n'offriront  plus  leurs 
sacrifices  aux  démons,  au  culte  desquels  ils  se  prosti- 
tuent »  ;  ou  encore  au  verset  du  Lévit  (26,-20)  :  o  je 
briserai  vos  statues  et  je  détruirai  vos  hauts  lieux;  et 
enfin  II  Rois  23,  9.   a  Depuis  ce  temps  là,   les  prêtres 

1.  Les  Musulmans  à  Madagascar,  première  'partie,  p.  15.  Pa- 
ris, 1891. 

2.  Nous  soulignons. 


—  25  — 

des   hauts-lieux    ne   montaient  point   à    l'autel    du 

Seigneur 

Conclusion  :  vers  quelque  côté  que  nous  nous  tour- 
nions, à  quelque  auteur  que  nous  nous  adressions, 
partout  se  trouve  confirmé  que  les  Zafé-Ibrahim 
étaient  des  Hébreux. 

VIII.  —  Leur  Langue 

La  preuve  étant  faite  que  les  lois  des  Zafé-Ibrahim 
et  même  celle  des  Malgaches  ne  sont  principalement 
que  l'application  des  lois  et  préceptes  qui  se  trouvent 
dans  les  quatre  premiers  livres  du  Pentateuque,  il  est 
évident  que  nous  devons  trouver  dans  leur  langue,  au 
moins  des  traces  de  celle  du  Pentateuque  cest-à-dire 
l'hébreu.  Par  conséquent,  nous  mettrons  en  regard 
des  expressions  malgaches  les  mots  hébreux,  qui  ayant 
à  peu  près  la  même  signification,  s'en  rapprochent  le 
plus,  mais  sans  aucune  prétention  de  donner  une  éty- 
mologie,  rigoureusement  exacte,  qui  demande,  pour 
la  langue  malgache,  des  connaissances  d'autres  langues 
que  nous  ne  possédons  pas. 

Remarquons  d'abord  que  d'après  Flacourt  il  y  a 
une  différence  de  prononciation  entre  les  Arabes  et 
les  Malgaches;  ainsi  le  Zêta  se  prononce  ié;  le  th 
T  ou  TS  ;  le  L  se  change  en  D  ;  le  Ven  B  ;  le  Fen  P. 

Voici  comment  nous  expliquons  les  mots  que  nous 
avons  rencontrés  chez  les  auteurs  anciens. 

Missavatsi,  circoncision  (msa)  Mitsva,  ordonnance. 
Savatsir,  id.         cs)  tsau,  ordonnez. 


-  26   — 

Ammonnouques,  tombeaux  (nnsû)  menoukha,  repos'. 

Dean-Andean,  Seigneur  (pnK)  ado?i,  Seigneur. 

Dean-Biliche,  diable  (brn)  Bacil,  Baal,  divinité. 

Dean-BUiche,     id.      6a)  BU,  Bel,  id. 

-4//e,  nuit  irh'h'y  laïla,  nuit. 

Massinpoh,  lois  (tasira)  mischpat,  justice-loi. 

Ombiasses,  devins  (n"i«)  o6a,  devineresse,  nécroman- 
cien. 

Philoubey\  celui  qui  tue  les  bêtes  oib) /éuïïe,  lévite. 

Mevoreche\  celui  qui  dit  la  prière  ("iidû)  mebarekh, 
qui  bénit  —  loue. 

Samai,  livre  du  ciel  (D'ûtr)  Shamaïm,  ciel. 

Samonsi,  livre  du  spleil  wdc^)  Shemesh,  soleil. 

Zoma=  Yoma,  jour  iov)  ijom,  jour. 

A:^ohora^=  ayohora.  Lune  (m"')  yareakh,  lune). 

Alahadi,  Dimanche  (nnx)  ekhad,  un. 

Alitimn\  lundi  Oîtr)  SJeni\  deuxième. 

Talata',  Mardi  oir-'br)  Sjelisji,  troisième. 

Alaroubilia,  Mercredi  ora-i)  ;'e6//,  quatrième. 

Camise,  Jeudi  oir'ian)  Khamisji,  cinquième. 

Zouma,  Vendredi  (dv)  Yo///,  jour. 

Saboutsi,  Samedi  (nrtr)  SJabat,  Sabbat. 

Dans  le  vocabulaire  qui  se  trouve  dans  l'œuvre  de 


1.  On  trouve  le  mot  luftiiouh/ia  dans  la  prière  des  morts,  dans 
le  sens  de  r-epos  éternel. 

2.  Nous  lisons  Phi-loubey. 

3.  Nons  ne  sommes  pas  de  l'avis  de  M.  de  Goeje  (cf.  St- 
Ferrand,  note  1,  p.  26,  Les  migrations,  etc.)  ;  le  mot  «  mevo- 
reche  »  se  rapporte  d'après  nous  â  «  l'opérateur  »  et  non  à  la 
«  prière  ». 

4.  Alitsinin. 

5.  Tsalatsa. 


—  27  — 

M.  Gustave  Julien,  nous  n'avons  retenu  que  les  mots 
qui  sont  presque  de  l'hébreu  pur,  comme  : 
Tahura,  purifié  (Kina)  tahara,  purification. 
Usi^  chèvre  ou)  '/j,  chèvre. 

Kafara,  expiation,  sacrifice  (k-ibs)  kapara,  expiation. 
Mati\  Mort  —  cadavre  (n»)  mit,  mourir. 
Mauti,  mort  (ma)  wùt,  mort. 

Solaona.  Sauf  —  en  bonne  santé  (ûibtr)  SJalom,  paix. 
M.  Grandidier  écrit  '  :  «  Je  ferai  remarquer  qu'on 
trouve  dans  la  langue  malgache  des  mots  tels  que  : 
abili,  malheureux  ;  eva,  beauté  ;  adana,  majestueux  ; 
kahana,  menaçant  ;  Sata,  mauvais  ;  nuana.  qui  boule- 
verse, etc.,  qui  rappelle  les  noms  bibliques  d'Abel, 
d'Eve,  d'Adam,  de  Caïn,  de  Satan  et  de  Noë  ».  Qu'on 
nous  permette  de  modifier  l'origine  de  ces  mots  : 

abi/i,  malheureux  6aK)  abil,  affligé. 
eva,  beauté  (ns'-)  [/afa,  beau. 
adana,  majestueux  (ptio  adon,  Seigneur. 
kahana,  menaçant  (ps)  cohen,  prêtre. 
Sata.  mauvais  (fnm  Satan,  Satsin. 

Quant  aux  noms  des  jours  de  la  semaine,  nous 
sommes  en  droit,  de  les  considérer  comme  étant 
d'origine  hébraïque,  malgré  leur  forme  arabe,  excep- 
tion faite  pour  le  vendredi. 

Il  est  donc  possible,  qu'après  la  dernière  migration 
arabe  le  nom  de  ce  jour  ait  été  changé  de  commun 
accord  avec  les  Zafé-Ibrahim,  car  les  autres  jours  ne 
sont  indiqués  que  par  les  nombres  de  un  à  cinq  à  peu 
près  identiques  en  hébreu  et  en  arabe. 

1.  Cf.  p.  30,  St  Ferrand.  Les  migrations,  etc.  Paris,  1905. 


28 


IX.  —  Conclusion 

En  résumé,  les  cérémonies  du  culte  des  Zafé- 
Ibrahim  ;  la  croyance  dans  un  seul  Dieu  tout-puissant, 
quoique  entouré  d'autres  sous-divinités  '  ;  les  lois  qui 
ne  laissent  aucun  doute  sur  leur  connaissance  du 
Pentateuque  ;  leur  hospitalité,  les  traces  de  la  langue 
hébraïque  que  nous  avons  trouvées,  sont  pour  nous 
des  preuves  que  nous  sommes  en  présence  d'une 
colonie  juive  d'une  époque  idolâtre.  L'absence  de 
documents  et  d'inscriptions  ne  nous  permet  pas  de 
fixer  même  approximativement  de  quelle  époque"  il 
s'agit'  (car  en  fait  d'histoire  ils  ne  vont  pas  plus  loin 
que  le  Roi  David),  et  les  recherches  que  l'on  a  faites  à 
ce  sujet,  l'ont  été  dans  une^/aM.sse  direction  puisqu'on 
s'est  basé  sur  des  documents  arabes. 

Peut-être    que    les     «  Amonnouques  »,    cités    par 

1.  Cf.  note  l,page  22. 

2.  L'époque  indiquée  vaguement,  par  P^lacourt,  c'est-à-dire  dès 
avant  la  captivité  de  Babylone,  soit  BOi)  avant  notre  ère,  pourra 
bien  être  exacte,  d'après  le  passage  suivant,  de  l'article  de 
M.  .1.  Halévy  (Les  nouveaux  papyrus  d'Eléphantine,  revue  sémi- 
tique, 1911,  p.  481),  où  il  dit  :  «  Sous  ce  dernier  Pharaon  (après 
669)  eut  lieu  notoirement  une  forte  immigration  judéenne  en 
Egypte,  malgré  l'opposition  de  Jérémie,  lequel  prononça  des  me- 
naces terribles  contre  ces  mauvais  patriotes,  en  leur  donnant 
pour  signe  la  chute  prochaine  d'Apriès  ^Terem.,  xliv-29,  30).  Le 
prophète  fut  surtout  irrité  par  le  culte  idolâtrique  que  ces  immi- 
grés maintenaient  obstinément  même  sur  la  terre  d'exil.  Or,  à 
cette  date,  des  établissements  juifs  existaient  à  Memphis  et  dans 
la  Haute-Egypte,  évidemment  dans  le  même  état  religieux  (ibid., 
1,  15  passim)  ». 

Nous  avons  donc  la  confïnuation  qu'à  l'époque  indiquée  par 
Flacourt  :  1°  il  y  eut  des  colonies  juives  en  Afrique  ;  2°  qu'ils  pra- 
tiquaient l'idolâtrie. 


—  29  — 

Flacourt,  décèleront  un  jour  ce  mystère,  par  la  décou- 
verte d'une  inscription  funéraire  ! 

Mais,  quoiqu'il  en  soit,  la  colonisation  de  Mada- 
gascar par  des  Juifs,  dans  un  temps  très  reculé,  n'est 
plus  douteuse. 

Les  lois  d'Andrianampuimmerina  en  donnent  la  cer- 
titude, car  celui  qui  les  a  rédigées  doit  avoir  connu 
à  fond  les  lois  et  préceptes  qui  se  trouvent  dans  les 
quatre  premiers  livres  du  Pentateuque  puisqu'il 
applique  non  seulement  les  lois,  mais  il  change  en  lois 
avec  sanction  certains  préceptes,  qui,  observées  pour 
ainsi  dire  instinctivement  par  les  Hébreux,  ne 
l'étaient  pas  par  les  indigènes  moins  civilisés  sinon 
sauvages  ;  c'est  donc  une  preuve  que  ces  Hébreux  ont 
imposé  leurs  lois  et  leur  culte  aux  habitants,  qu'ils  y 
ont  trouvés,  aussi  bien  qu'à  ceux  qui  sont  arrivés 
après  eux  ' . 

Ce  sont  eux,  les  Zafé-Ibrahim,  qui  ont  introduit  les 
lois  d'hospitalité,  et  qui  ont  répandu  les  bienfaits  de 
leur  civilisation,  quelque  primitive  et  défectueuse 
qu'elle  fût,  mais  qui,  en  tous  cas,  doit  avoir  été 
supérieure  à  celle  des  autres  habitants,  puisqu'elle 
s'est  maintenue  jusqu'au  dix-neuvième  siècle'. 

1.  Le  roi  Andrianampuimmerina  s'exprime  ainsi  : 

C'est  la  pierre  de  touche  infaillible  que,  par  un  décret  divin, 
mes  ancêtres  m'ont  léguée  et  grâce  à  laquelle  les  douze  princes 
mes  Générés  prédécesseurs  ont  groupé  les  éléments  épars  de  ce 
roi/aume.  Tome  I,  p.  260,  Institutions  politiqnes  de  Madagascar, 
Gustave  Julien. 

2.  Les  Betsimisaraka,  donc,  pour  appeler  les  Zafe-lbrahim 
par  leur  nom  contemporain,  lequel  signifie  les  nombreux  non 
désunis,  sont  foncièrement  pacifiques  et  hospitaliers.  Ils  pous- 
saient autrefois  si  loin  le  respect  du  bien  d'autrui,  que  les  cases 


—  30  — 

Ces  lois  sont  en  outre  le  monument  le  plus  curieux 
pour  l'histoire  des  Juifs,  car  c'est  la  première  fois  que 
l'on  trouve  les  lois,  contenues  dans  le  Pentateuque, 
appliquées  pratiquement,  jusque  dans  les  temps  les 
plus  modernes. 

Nous  espérons,  par  ce  travail,  avoir  rempli  les 
conditions,  que  M.  St  Ferrand  a  posées  pour  pou- 
voir admettre  le  principe  d'une  migration  juive  à 
Madagascar  ;  conditions,  que  nous  avons  trouvées 
tellement  justes  et  raisonnables,  que  nous  les  avons 
écrites  en  tête  de  cette  étude. 

Paris,  juillet  1913. 

S.  Ferarès. 


étaient  toutes  dépourvues  de  fermeture Les    crimes  étaient 

extrêmement  rares  sinon  inconnus.  On  ne  peut  plus  malheureu- 
sement en  dire  autant  depuis  trois  quarts  de  siècle,  que  les  rap- 
ports avec  des  Kuropéens  sont  devenus  permanents  et  que  ceux- 
ci  font  le  commerce  de  l'alcool,  source  principale  de  leurs  gains. 
Ibidem,  tome  I,  p.  38. 


1 


DIE  INDO-GERMANISCHEN  LEHNWORTER 


IM  GEORGISCHEN 

(Suite) 


libri,  lirp'i.   lirdsi  «  impudent  »  ;    aarm  :  lirb,  narm  : 

lirb  «  impudent  ». 
malaki   «  petite  corbeille  »  ;  aarm  :   mal,  narm  :  mal 

«  sieve  ». 
matakarani  «  celui  qui  est  chargé  de  couvrir  la  table  »  ; 

aarm  :  matakarar,  narm  :  matakarar.  .  .  .    steward, 

manager.  .  . 
matiane  «  rouleau,  annales  o  ;  aarm  :   matean,   narm  : 

matean  «  book,  roll,  register,  code,  manuscript  ».    . 
mad.si  «  manche  de  la  charrue  »  ;  aarm  :  mac,  neuarm  : 

mac  «  handle,  stilt  of  a  plough  ». 
mgeli  «  loup  »  ;   aarm  :  gail,  neuarm  :  gail  «  wolf  ». 

Hubschmann  hait  die  Uebereinstimmung  fùrzufâllig 

p.  397. 
mihaki    «  œillet   (plante)  »  ;    aarm  :    mexak,    narm  : 

mexak  «  clove  ». 
mortsi   «rejeton,  nouveau  jet,    ramification  »;  aarm  : 

morç,  narm  :  more  u.  morç  «  bough,  branch». 
mûri  ((  matière  noire  qui   s'attache  aux  cheminées  »  ; 

aarm  :  mur,  narm  :  mur  «  lamp-black,  pine-soot, 

soot,  blacking,  ink  ». 


—  32  — 

musa,  musaki  «  ouvrier  »  ;  aarm  :  mçak,  narm  mçak 
«  husbandman.  cultivator. ..  ».  auch  arabisch. 

nahpeti  =:  mouravi  :  aarm  :  naxapet,  narm  :  naxapet 
Li.  nahapet  (Ts.  naxapet)  a  patriarch,  chief,  of  a  fa- 
mily,  prince  ». 

nivt'i  ((  chose,  matière,  élément  »  ;  aarm  :  nivt',  narm  : 
nivt  «  matter,  body,  élément  ». 

parki  «  sac,  posche  »  ;  aarm  :  park,  narm  :  park  «  sack, 
pag,  purse...  ». 

pativi  ((  honneur,  respect  »  ;  aarm  :  pativ,  narm  :  pativ 
((  honour,  token  of  estim  ».     . 

patizi  ((  punition,  labeur,  fatigue  »  ;  aarm  :  patiz,  narm  : 
patiz  «  pain  punishment...  » 

patrudsagi  u  brebis  »  ;  aarm  :  patroicak,  narm  :  pa- 
troicak  «  beast  for  sacrifition  or  food,  apanage,  pen- 
sion ». 

pitaki  «  lequête  »  ;  aarm  :  pitak,  narm  :  «note,  letter, 
bill,  card  ». 

pildsi,  bildsi  a  impur,  impureté»  ;  aarm  :  pijj,  narm  : 
pilj  :  «impure,  unclean,  profane».  ' 

polki  «troupe,  armée,  régiment  »  (Ts.  boilk'),  russ  : 
polk,  auch  tûrkisch  ;  aarm  :  boil,  narm  :  boil  «Com- 
pany, body,  assembly  boilk'  «  pléiades  ». 

ptuli  «  fruits  frais  »  ;  aarm  :  ptul,  narm  :  ptul  «  fruit, 
fruits  ». 

sastiki  «  dur,  cruel,  rigide,  sévère,  austère  »  ;  aarm  : 
sastik,   narm  :  «  sastik,..  rude,  sévère,  austère...  ». 

sparazeni  «  chef,  général  »  ;  aarm  :  sparazën,  narm  : 
sparazên,  adj  :  «  armed  at  ail  points,  armed  from 
head  to  foot  »  (Ts.  sparazin). 


—  33  — 

seni    «  maladie,    contagion  ))  ;   aarm  :  sin,   narm  :  sin 

((  emply,  void,  destitute,  vain  useless  ». 
sipi  «  pierre  brute,  gros  caillou  ))  ;  aarm  :  sep,   narm  : 

sep  «  peak,  point,  summit  of  a  rock  ». 
soro  «  trou,  terrier,  gîte,  repair  »;  aarm  :  sor,  narm  : 

sor  (i  hole,  bor,  opening  mouth  ;  den,  lair,  cave,  ca- 

vern  ;  mech.  mill  trough...  ». 
takuki   «  tasse   d'or   ou   d'argent  »  ;    aarm  :    fakoilv, 

narm:  «  t'akoik,  pitcher,  water  ve^sel,  jug,  jar...  » 
taneba   «  envoyer  avec  qq.  qqc.  »  ;   Ts.    tanil,   aarm  : 

tanim,  narm  :  tanim...  «  to  bring...  ». 
tantali   a  chanceler  en   marchant,    rôder,  se  traîner», 

aarm  :  tatan,  narm  :  tatan  adj.   «  shaky,  tottering, 

vacillating  ». 
tandzva  «  tourmenter,  tourment,  souffrance  »  Ts.  tanj  ; 

aarm  :  tanjem,  narm  :  tanjem   «  to  torment,  to  tur- 

ture,  to  rack,  to  afflict  ..  » 
tarakudsa   «  qui   se  mêle  de  tout  »  ;  aarm  :  tarakois, 

narm  :  tarakois  «doubt..  embarrassment...  anxiety  ». 
tertera  «  prêtre  arménien  »  ;  aarm  :  ter. 
tvipari    «sceau,    estampe  ».    T.s.    tipar  ;    aarm  :    tip, 

narm  :  tip  «  stamp,    form,  expression...  ». 
tiki,    tikdsora  «  outre,  peau  cousue  en   forme  de  sac 

pour  mettre  le  vin  »  ;   aarm  :  tik,  nai  m  :  tik  «  lea- 

ther  bottle,  goat's  skin  ». 
tuki  «  jeune  branche  de  vigne  »  ;  aarm  :  tunk,  narm  : 

tunk  «plant  shnib,  tree  planting  ». 
uraparak-ad  «  publiquement».  (T.s.  hraparaktu);  aarm  : 

hraparakem,  narm  :   hraparakem    «  to    publish,    to 

make  public  ». 

3 


—  34  — 

p'arak'ti  p'aragi  «  ceinture  »  ;  aarm  :  paragay,  narm  : 

adj.  «  circumjacent,  s.  circumstance  ». 
p'int'i    «  vilain,   vilenie,    turpiditude,    fiente,    excré- 
ment «  (Ts.  p'int)  ;  aarm  :  p'in,  narm  :  p'in  «  excré- 
ment», 
p'ilt'a  «  mèche,  charpie...  »  ;   aarm  :  p'ilt'ay,   narm  : 

p'ilt'ay  :  «  lint,  scraped  lint  »  auch  arabisch. 
p'olortsi  ((  enclos,  Jiaie,  marché,  place  »  ;  aarm  :  p'o- 

loç,  narm  :  poloç  «  street  ». 
p'undzi  «  houppe,  touft'e  de  fils  en  bouquet  »  ;  aarm  : 

p'unj,  narm  :  p'unj  «  thorn,  spine,  prickle  ». 
p'uk'si   «soufflet,   instrument  pour   siffler»;   aarm: 

p'uk'k,  narm  :  p'uk'k  «  blast,  blast  engine  ». 
k'arap'i  «  rocher  »  ;  aarm  :  k'arap'n,  narm  :  k'arap'n 

«  steepy  side,  bank  or  shore,  précipice  ». 
k'urima   «  prêtre  païen,  devin,  divinateur  »  ;  aarm  : 

k'urm,  narm  :  k'urm  «  heathen  or  pagan  priest  ». 
qavadzeni  a  béquille,  crosse  »  ;  aarm  :  gavatan,  narm  : 

gavatan  «  stick,  rod,  sv^itch...  ». 
sambi    «  endroit   couvert  de  joncs,    jonc,   souchet  »  ; 

aarm  :  samb,  narm  :  samb  «  cane-field,  cane-brake  ». 
samp'uri    «  le   tourne-broche,  broche  »  ;    aarm  :    san- 

p'urnarm  :  samp'ur  «  spit  ». 
sant'i  «  fer  rougi  »  ;  aarm  :  sant'  «  thunder-bolt,  ligh- 

tening,    thunder  ;    fire,    spark,    flashred.    hot  iron, 

ingot  ». 
saravi    «  ulcère,    pus,    virus,   chassie  ;   aarm   :    sarav, 

narm  :  «  pus  mater,  ichor,  sanies...  » 
sveniereba  [svenieri]  «  beauté,  élégance,  s'embellir  »  ; 

aarm  :   snorh,   narm  :   snorh    «  grâce...,    beauty, 

charme  ». 


—  35  — 

sirimi  «  pierre  (maladie)  »  ;  aarm  :  sirim,  narm  :  si- 
rim  «  tomb,  sépulcre  urn,  monument  ». 

suka  ((  rue  »  ;  aarm  :  sukag,  narm  :  «  market,  bazaar, 
market-place  »  auch  arabiscli. 

sp'oti  «  trouble,  querelle  »  ;  aarm  :  sp'o',  narm  :  sp'ot' 
«  confusion,  broit,  embarassment...  » 

tsamitsi  «  des  raisins  sec  »  ;  aarm  :  èamiç,  narm  :  ça- 
miç  «  raisins  ». 

tsap'i  «  cruche,  seau,  mesure  de  34  bouteilles  »  ; 
aarm  :  cap',  narra  :  cap'  «  measure...  ». 

dsesi  «  ordre,  loi  de  la  nature,  arrangement,  disposi- 
tion..; aarm  :  ces,  narm  :  ces  a  rite,  forme,  ceremon\». 

dserami  abricot  ;  aarm  :  ciran,  narm  :  ciran  a  abri- 
cot ». 

histi,  hvesti,  husti  a  grossier,  obstiner  »  ;  aarm  :  xëst, 
narm  :  xist  «  rough,  rigid,  arrogant  »  auch  persisch. 

hazarpeti  (Ts.  hazarapët)  ;  aarm  :  hazarapet,  v.  at'ha- 
sis-t'avi  narm  :  hazarapet  ((  chiliarih  ». 

hambavi    «  nouvelle,    bruit,   rumeur,    narration,   his- 
toire »  ;    aarm   :    hambav,  narm   :  crédit,    honour, 
name   glory...  ». 
fj)  Neuarmenische  Lehnwôrter  : 

akut'a  «  fourneau  de  cuisine  »  ;  narm  :  akut'  «  àtre, 
foyer  ». 

anazdeuli,  anazdi  «  inopiné,  subit,  soudain  »  ;  narm  : 
anazdak  «  strange,  extraordinary...  ». 

ardzani,  arzanaki,  arzaniki  «  grand  pierre,  selle  de 
roche  »  ;  narm  :  arjan  o  colonne,  statue,  simulacre, 
idole,  instrument,  écrit  ». 

glehi,  glehi  katsi,  grehik  a  paysan  »  ;  narm  :  grehik 
(Ts.  greh)  «  paysan  ». 


—  36  — 

t'at'mani  «  gant  à  doigts  »  ;  narm  :  t'ai 'pan  a  gant  ». 
t'alhi  k'ua  c  talc  »  ;  narm  :  t'alk  o  talc  ». 
kordsialeba  «  branlement,   vacillation  »    (Ts.   korjan)  ; 

narm  :  korjanem...   «  to  destroy  to  ruin...  ». 
madsari  «  vin  nouveau,  qui  n'a  pas  encore  fermenté  »  ; 

narm  :  macar  «  v^^ine  made  of  sour  grapes  ». 
ohdsani  «  fin  »  ;    narm  :  vaxcan    (Ts.   vaxca)    «  end, 

term,  scope  ». 
dsama  «  manger  »  ;  narm  :  jamb  «  nom^shment  ». 

Hieran  schliessen  sich  eine  Reilie  von  Wôrten,  die 
zu  identifizieren  mirmit  denzuGebote  stehenden  Mit- 
teln  nicht  môglich  war  ;    teils,  weil  sie   sich   in   der 
Form,  teils  in  der  Bedeutung,  oder  ùberhaupt  nicht, 
in  den  von  mir  benutzten  Lexicis  vorfanden  : 
azarmatsi  «  levier  »  ;  arm  :  hçannaj. 
bazma,  bazmaki  a  lampe  »  ;  arm  :  bazmak. 
bunagi,  bunaki  «  tanière,  repaire,  bauge»  ;  arm  :  bu- 

nik. 
bandzari  «  herbe  potagère  »  ;  arm  :  banlar. 
buni  ((  manche  »  ;  arm  :  bun. 
gersi  '(  contusion  »  ;  arm  :  ver. 

dana  «  couteau,  glaive  »  ;  dim  :  danaki  ;  arm  :  danak. 
darneuli  <(  embuscade  »  :  arm  :  daran. 
despani  «  ambassadeur  »  ;  arm  :  deapan. 
varhvi  a  pélican  »  (oiseau)  ;  arm  :  vagr. 
vahsi   ((  usure,  intérêt  illégitime  de   l'argent  »  ;  arm  : 

vahs. 
vasti  ((  cavalier  »  ;  arm  :  vast. 
[-]ve  0  même  »  ;  arm  :  veh  (a  lat  ve  »). 
zogi,  zogi-erthi  «  quelqu'un»  ;  arm  :  zoig. 
kazmva  «  orner  »  ;  arm  :  kazm. 


—  37  — 

kakatsi  «  lueur,  splendeur  »  ;  arm  :  kakaç. 

kalatozi,  galatozi  «  maçon  »  ;  arm  :  kalatos. 

kanti  «  maigre  »  ;  arm  :  kant'. 

kanohi  «  la  première  fois  qu'on  attelle  les  bœufs  pour 
labourer  »  ;  arm  :  kanux. 

kenti  «  nombre  impair  »  ;  arm  :  kët. 

ketsi  «  terre  grasse,  terre  à  potiers  ;  arm  :  k'eçi. 

kokotseba  «  lamentation))  ;  arm  :  koj. 

kopi  «  bosse,  tumeur,  loupe  »  ;  arm  ;  kopk'. 

kosti  ((  corps  dur  »  ;  arm  :  kost. 

lambri  a  corde  d'un  arc  »  :  arm  :  lambr. 

lurdzi  «  bleu  d  ;  arm  :  lurj. 

ludsi  «  nombre  pair  »  ;  arm  :  loic. 

matraki  «  fouet  »  ;  arm  :  matrak. 

manki  «  défaut))  ;  arm  :  mank. 

maraga  «  nuage  blanc  ))  ;  arm  :  marax. 

marani  «  cave  pour  le  vin  »  ;  arm  :  maran. 

madsankali  a  entremetteur  «  :  arm  :  macakal. 

meti  «  superflu,  excédent  »  ;  arm  :  met. 

mokreve  «  champion,  lutteur,  athlète  ». 

ostinagi  «  sommelier,  économe  o  ;  arm  :  ostan. 

otshari.  otsharoba  «  repas  préparé  par  un  pauvre  pour 
un  riche,  afin  que  celui-ci  fasse  un  cadeau  suivant 
ses  moyens  »  ;  arm  :  oçxar. 

rodsi,  rodsiki  «  don.  salaire  d  ;  arm  :  roçik. 

spilendsi  a  cuivie  rouge))  ;  arm  :  spilak. 

tarkosi  a  puisoir  »  ;  arm  :  tari. 

tadzari  «  temple,  église,  palais,  hôtel,  tribunal,  cham- 
bre de  justice  n  ;  arm  :  tajar. 

tikini  a  poupée  »  ;  arm  :  tikin. 


—  38  — 

toti  «  patte,  pied  des  animaux,  bras  d'une  rivière..., 

rameau  »  ;  arm  :  t'ot'. 
tropiali  «  amoureux,  amant  »;  arm  :  tipalk. 
tup'i  «  un  sillon  »  ;  arm  :  tup'. 
ukan  «  par  derrière,  en  arrière,  après,  à  suite  de  »  ; 

arm  :  kin,  gini. 
undzi  «trésor»;  arm  :  unj. 
urnati  «  outre,  sac  de  peau  »  ;  arm  :  urnsul. 
p'arehi  «  bergerie  »  ;  arm  :  p'srak'. 
p'utkari  «  abeille  »  ;  arm  :  p'ettk. 
p'uqe  «  creux,  vide  »  ;  arm  :  p'uk'. 
p'usi  «  hernie,  descente  »  ;  arm  :  p'ostank. 
p'sua  «  bonne  odeur,  parfum  »  ;  arm  :  p'çel. 
k'adzi  «  démon,  satyre,  homme  rusé  »  ;  arm  :  kaj. 
k'osi  «  pantouffle  »  ;  arm  :  k'osik. 
k'osiki  «  bouc  d'un  an  »  ;  arm  :  kos. 
yandzili  «  cerisier  à  grappes. 

yone  ((  force,  vigueur,  pouvoir,  moyen  »  ;  arm  :  gonë. 
slu  «  sot  »  ;  arm  :  sil. 
sto  «rameau,   branche,   bras   d'une   rivière,  golfe»; 

arm  :  sot. 
suk'i  ((  lumière,  beauté,   élégance  »  ;  arm  :  suk',  auch 

arabisch. 
tsiti  «  petit  oiseau,  moineau,  passereau  »  ;  arm  :  cit. 
dzi  «  particule  finale  explétive,  qui  s'emploie  comme 

t'u  »  ;  arm  :  zi. 
dsalkoli  «  bocage  ou  jardin  fruitier  »  ;  arm  :  jatkavët. 
dsirva  «  messe,  liturgie  »  ;  arm  :  çiret. 
dsre  ((  cercle,  orbite  »  ;  arm  :  cri. 
dsuli  ((  enfant  mâle  »  ;  arm  :  çvol. 
dsesmaritad,  dsesmaritoba  «  vérité  »  ;  arm  :  jesmarit. 


—  39  — 


harishi  «  degrée  »  ;  arm  :  xarix. 

hasari  «  appui,  état  »  ;  arm  :  xasov. 

heli  «  exalté,  enragé,  délirant,  fou  »  ;  arm  :  xelk'. 

henesi  a  pourri,  mauvais  »  ;  arm  :  xënes, 

hizani  «  famille  qui  se  dérobe  à  l'ennemi  ou  fuit  la 

peste  »  ;  arm  :  xizel. 
hotsa   «  as:!iassiner,   massacrer,  exterminer...  »  ;  arm  : 

xoçel. 
halavi  «  présent  du  futur  à  la  fiancé  »  ;  arm  :  halav. 

Bei  der  Transcription  der  armenischer,  Wôrter  habe 
ich  mir  in  sofern  eine  Inconsequenz  zu  schulden  kom- 
men  lassen,  als  ich  armenisch  : 

ts  als  c,  ds  als  j,  c --=  ts,  ç  =  t's,  j  =  dz,  ç  =  t's 
wiedergegeben  habe. 

Trotzdem   das  Armenischen  den  Lautstand  kauka- 
sischer  Sprachen  hat,  so  ist  doch  die  Wiedergabe  der 
einzelnen  Laute  eine  ziemlich  verschiedene,  wie  aus 
der  nachfolgenden  Tabell  hervorgeht  : 
arm  :  a  georg  :  a,  o     arm  :  y 


georg 


g 
d 

e 

z 

ê 

9 

t' 

z 

i 

1 

X 


b 

n 

gX 

q 

s 

d 

0 

e,  î 

ç  =  t's 

z 

p 

e 

r 

t' 

s 

z 

V 

e 

t 

1 

r 

h 

c  =  t's 

e 
n 

s 

0 

P 
dz 

r 

s 

t 
r 

ts 


ts 


40 


arm  :  c==ts 
k 
h 

georg: 

:  ds   arm  : 

k,g,k' 
h 

:  V,  u 

P' 

k' 

georg 

:  V 

P> 
k' 

j  =dz 

z 

ô 

t 

1 

— 

c  =  ts 

ds,  ds 

ne 

u 

m 

m 

we 

0 

Es  lohnt  sich  kaum  die  Arbeit  fortzusetzen,  aus  dem 
Grande,  weil  nirgends  mehr,  als  wie  hier,  der  Man- 
gel  der  Quellenangabe  fùhlbar  wird,  und  ehe  der 
nicht  beseitigt  ist,  eher  ist  eine  Fôrderung  unserer 
Einsicht  in  dièse  Dinge  nicht  zu  erhofïen.  Selbst  in 
Hinsicht  auf  dièse  Zusammenstellung  der  Laute  ist 
schon  Vorsicht  nôtig,  denn  ûbersieht  man  das  ganze 
Material,  so  ist  das  eine  ebenso  klar  wie  das  andere, 
nàmlich,  dass  eine  ganze  Reihe  von  armenischen 
Wôrtern  tatsâchlich  im  Georgischen  Lehnwôrter  sind, 
sie  kennzeichnen  sich  einfach  dadurch,  dass  an  das 
armenische  Wort  ein  -i  augehângt  ist,  wobei  indessen 
immer  zu  bedenken  ist,  dass  das  Bestreben,  die  Wôr- 
ter  auf  einen  Vokal  ausgehen  zu  lassen  nur  dem  Geor- 
gischen eigentûmlich  ist,  dass  wir  von  den  anderen 
Hauptdialecten  des  Georgischen,  die  z.  Taltertûmlicher 
alsdas  das  Georgische,  so  gut  wie  nichts  wissen, 
infolgedessen  auch  das  Verhâltnis  der  Lehnwôrter 
nicht  beurteilen  kônnen.  Aber  davon  kaum  man  zu- 
nâchst  absehen,  weil  das  die  geringere  Sorge  ist,  und 
daran  garnicht  zu  zweifeln  ist,  dass  das  Georgische 
tatsâchlich  eine  Menge  armenischer  Lehnwôrter  hat. 
Anderseits  aber  machen  eine  ganze  Reihe  von  den 
mitgeteilten  Wôrtern  den  Eindruck,  als  ob  es  sich  um 


—  41  — 

verschiedene  Dialecte  oder  um  Wôrter  handelt,  die 
auf  eine  gemeinsame  Sprache  zuruck  gehen.  Im  ubri- 
gen  kann  es  sich  auch  hier  ausserdem  noch  um  einen 
gemeinsamen  Wortbestand  zwischen  beiden  Sprachen 
handeln,  was  sich  aus  historischen  Grûnden  leicht 
begreift.  Entschieden  werden  kaun  aber  die  Frage 
nur  dann,  wenn  es  môglich  wird,  die  einzelnen  Worte 
quellenmâssig  zu  belegen,  wobei  zunâchst  die  unan- 
genehme  Forderung  der  Beschaffung  der  Quellen 
und  ferner  die  bei  weitem  unangenehmere  der  Datie- 
rung  zu  erfullen  ist. 

D""  Kluge. 

Berlin. 


LES  MOTS 

ARABES  ET  HISPANO-MORJSQUES 

DU  ((DON  QUICHOTTE  » 

(Suite) 


JNDKX    ANALYTIQUE 

(Les  chiffres  en  italique  indiquent  les  années  1907  à  1913  corres- 
pondant aux  tomes  XL  à  XLVI  de  la  Revue  de  Linguistique). 

A 

Abou^mè  et  var.,  singe  ;  m.  persan  passé  en  ar.,  arm., 

géorg.,  russe,  JO,  202  et  n. 
AcEAR  pour  acelar  par  sync,  prier,  <ar.  as-Salât. 

V.   ZALÂ. 

AcEiTUNO  <  ar.  az-Zeitoûn,  olivier,  07,  241. 
Acherk,   cherk,  ar.   occ,  basane,  maroquin,  <  berb. 

acerkew,  peau  tannée,  i3,  144  sq,  199-201. 
Adoucissement   de  la  gutturale  ou  spirante   vélaire 

sourde,  08,  69,  129;  il,  143  n. 
Afarâg,  âfrâg,  berb.',  clôture  en  toile  du  campement 

chérifien,  >  alfaneque  et  var.,  tente,  12,  210-12. 

1.  On  trouvera  une  description  de  ÏAfrâg  de  Moùlay  'Abd  el-'AzIz, 
sultan  du  Maroc,  dans  E.  Aubin,  Le  Maroc  d'aujourd'hui,  Paris 
1904,  p.  449  sq.  L'arabe  afrâq  n  séparation  »  (?)  donné  dans  cet  ouvrage 
comme  étymologie  de  ce  mot  (p.  VII)  n'a  rien  à  voir  ici.  Cf.  Ibn 
Batoùta,  l.  c 


—  43  — 

Aforro,    forro   (61),    fourrure,    doublure,    <ar.   al- 

Farwa,  12,  212  sq. 
Agareno,  arabe,  <  Hàdjary,  fils  d'Agar,  08,  132. 
Alà  (1),  transcr.  de  A//â/i,  08,  62. 
'AXaXàCco  et  ar.  hallala'  (Rapport  entre),  08,  139. 
Albardon  <  ar.  al-Bardaun  <  1.  burdo,  08,  128. 
Albogue  <ar.  al-Boûq,  trompette,  07,  243  sq.;  10, 

122. 
Alborbola,  cri  d'allégresse,  <  ar.  al-Walwala\  cri 

de  détresse,  08,  138. 
Alcalà  (24)  <ar.  al-Qala'a,  château,  place  forte,  08, 

131. 
ALCALÂ  (Pedro  de)  07,  248;  08,  60,  131;  09,  29; 

10,  198;  12,  207;  13,  140,  204,210:  et  passim. 
Alcurnia  (23)  <  ar.  al-Kounya\  surnom  08,  129. 
Alfageme  =  l*'  ALFANGE   <  ar.    al-Khandjar,  poi- 
gnard, 2°  <  ar.  al-Hadjam,  barbier  \  13,  210. 
Alfaneque  (60)   et  var'.   1°  n.   d'un  mammifère,  et 

fourrure  de  fanek,  couverture,  robe  fourrée,   <  p. 

ar.  al-Fanek,  12,  122-132;  2"  n.  d'un  oiseau  de 


1.  En  regard  de  hallala,  l'arabe  a  encore  'alla,  à  corap.  avec 
l'hébreu  alal  «  ejulavit  ». 

2.  Walwala,  dans  le  sens  de  «  cri  de  joie  »  est  encore  usité  en 
Afrique,  mais  seulement  à  Tlemcen  et  à  Alger.  Cf.  Marçais.  Textes 
ar.  de  Tanger,  p.  499. 

3.  AcuNA,  patronymique  assez  répandu,  est  une  autre  forme 
hispanisée  de  al-Kounya. 

4.  Alfageme  est  en  premier  lieu  le  «  barbier  qui  pratique  les  sai- 
gnées ».  Par  calembour  et  la  phonétique  aidant  (Khandjar  > 
fange  [r]  'yfagen  ^fageme)  ce  mot  en  est  venu  à  signifier  «  poignard» 
et  peut-être  populairement  «  lancette  ».  —  Khandjar  est  un  mot 
persan  formé  de  khoûn  «  sang  »  et  de  kidr  «  qui  produit  ». 

5.  Chez  Alcalâ  alfaneque  est  traduit  par  1»  kibi  (=  Qabd,  robe 
fourrée),  2"  ffuitàt  {— Fostdt,  tente,  pavillon). 


—  44  — 

chasse  >   fr.  alphanette,    <  ar.  el-Hannâq,   12, 

206  ;  3°  tente,  pavillon,  <  berb.  âfarâg,   voy.  ce 

mot. 
Alfanje    (70)    1°   <  al-Khandjar,    2°    =    alfarge, 

meule  de  moulin,  <  ar.  al-Hadjar,  pierre. 
Alfiler  (17)  <  ar.  al-Khilâl,  aiguille,  08,  124. 
Algarabîa  >    charabia,    <  al-Wrabiya,   la    langue 

arabe,  07,  242. 
Algos,   ptg.,    bourreau,    <  t.    arabisé    al-Gho^^,    n., 

d'une  peuplade  turque,  10,  126. 
Alhena  <  ar.  al-Hinna,  racine  de  henné  employée 

par  les  tanneurs,  13,  145. 
Alimana'  =  animalia,  bête  de  somme,  07,  245. 
Aljamîa  <ar.  al-Adjamiya,  langue  des  non-Arabes, 

07,  243. 
Almogâvar,  incursionniste,  <  ar.  al-Moghâwir,  09, 

23  n. 
Ameji  (8)  =  ar.  amcht,  va-t'en,  08,  66. 
Amelgar,  1°  tracer  des  sillons,  <  ar.  "Ami  el-Khatt; 

2°  poser  des  bornes,  <'Aml  el-Hadd,  09,  14. 
Amohinarse,  se  courroucer.  Voy.  mohino. 
Armany ,  ar.,  arménien,  >  armino,  it.  armiglio,  her- 
mine, 12,  121. 
Atriaca  (38)  <  ar.  at-Tiryâq  <B7)piax7Î,  09, 'SI  sq. 
Azote  (55),  ptg.  açoute   <ar.   as-Saut,   fouet,    lî, 

208-9. 


1.  Alimana.  —  Pero  Tafur  raconte  {Vlajes,  p.  88)  qu'il  vit  au  Caire 
une  animalia  appelée  Xerafia  (girafe).  Sancho  Panza  traite  sa 
femme  A' animalia  (D.  Q.  2'  p''  ch.  V).  Le  fr.  a  conservé  aumailles, 
anc.  almailles  <C\. animalia,  bestiaux,  à  coté  de  ouailles  =^ ooailles 
<C  ooiculœ.  L'esp.  a  eu  comme  variante  alimania. 


—  45  — 


B 


B  final  ar.  >  n  esp..  Voy.  Index,  note  s.  v.  chalan. 
Badulaque  {22)  <  Dadlakha\  billevesée,  08,  129. 
Bagare  (>  bagarre)  <  prov.  bagarin  <  bagarino  09, 

15. 
Bagarino  (29),  rameur,  <  ar.  Bahry,  marin,  09,  13- 

15. 
BagLiatin,  dans  Rabelais,  pour  baguarin,  09,  15. 
Bahari,  faucon  pèlerin,   <ar.   Bahry,   qui  passe  la 

mer,  09,  14. 
Bahurrero,  marchand-dresseur  de  faucons  haharies, 

09,  14. 
Baldaql'i.   it.   baldacchino,  baldaquin   <  Baghdâdy, 

11,  152;  13,  204.  Cf.  Index,  note  s.  v.  Brodequin. 
Ballarin'  (faucon)  <  bahari,  09,  14. 
Bartâsy'  (Peaux  de  renards  russes  dits),  12,  51,  124, 

126. 


4.  Badlakha  est  à, comparer  avec  baldaha,  même  sens,  dans  Belot, 
Vocabul.  ar.  — fr.. 

2.  Ballarin.  —  Ce  serait  (cf.  Littré,  Hatzefeld)  un  faucon  amené  de 
Hongrie.  Mais  Quintana  traduit  ce  mot  par  bahari,  épithète  qui 
signifie,  suivant  le  P.  Guadix  et  Tamarid  (cf.  Cobarruvias),  ultra 
marino  et  s'applique  à  une  espèee  de  sacre  ou  de  gerfaut.  Le  châhin 
bahry  était  connu  en  Egypte  (Derenbourg,  Ousàma,  p.  214).  11  lest 
encore  en  Algérie  (Dozy,  Gl.  et  Su/ipl.). 

3.  Bartdsy.  —  Ce  nom  ethnique  de  fourrures  si  appréciées  dans 
tout  l'Orient  médiéval  était  dérivé  du  nom  que  portait  une  peuplade 
d'origine  turque  as-ez  importante  par  le  nombre  et  établie  le  long 
d'un  affluent  de  la  Volga  dont  les  géographes  arabes  placent  la  source 
en  territoire  bulgare,  à  2U  journées  de  voyage  de  la  mer.  Les  Bartâs 
ou  Bortàs  possédaient  sur  ce  cours  d'eau,  que  sillonnaient  de  nom- 
breux bâtiments  de  commerce,  une  ville  dotée  d'une  mosquée 
cathédrale,  car  ils  étaient  musulmans.  Ville  et  rivière  s'appelaient 
Bartâs.  Leur  pays,  tributaire  du  roi  des  Khazars,  s'étendait  snr  une 


—  46  — 

Beldraquiq ,  faute  d'impression  du  Vocabulista  d'Al- 

calâ,  12,  204. 
BELLINP  (Un  tableau  de  Gentile),  10.  117. 
Bérîd,  p.  arabisé,  cheval  de  poste,  espace  de  4  para- 

sanges,  relai,  poste  aux  chevaux.  Voy.   Veredus. 
Bedeh,  t.  <  ar.  Badiakha  >  Badulaque,  08,  129. 
Bô-acerkew,  berb..  fait  de  cuir  tanné,  >  ar.  occ.  bô- 

cherky  >  borcegui,  brodequin,  13,  201-3. 
Bocaci  (39)  <  t.  arabisé  boghaci,  boucassin,  07,  246; 

09,  202-7. 
Boghtcha\  p.  et  t.,  serviette  carrée,  toilette,  sac,  09, 

206;  12,  266, 
Bogiganga  (63)  =  mogiganga,  costume  et  troupe  de 

longueur  de  15  journées  de  marche  (du  N.  au  S.),  entre  la  Bolgharie 
et  la  Khazarie.  Ces  chasseurs  de  fourrures  parlaient  un  idiome  qui 
n'était  ni  le  khazare,  ni  le  bulgare,  ni  le  turc.  (Cf.  Mas^oùdy,  Pr. 
d'or  II,  p.  14;  Yàqoùt,  Mn'djem.  I,  p.  567).  La  rivière  des  Bartâs 
était  sans  aucun  doute  la  plus  considérable  (320  k.)  des  trois  cours 
d'eau  appelés  aujourd'hui  Irghiz  et  dont  le  confluent  se  trouve  à 
Volsk,  entre  Samara  et  Saratov. 

1.  En  attribuant  cette  toile  à  G.  Bellini,  Schefer  {Gaz.  des  Beaux 
Arts,  1895,  II,  p.  iiOl)  n"a  pas  pris  garde  qu'en  1512  le  célèbre  peintre 
Vénitien  était  mort  depuis  cinq  ans.  Il  existe  de  ce  tableau  une  ré- 
plique (?)  due  au  pinceau  de  Giov.Mansueti,  élève  de  Bellini  (f  150U), 
et  qui  n'en  diflère  que  par  un  plus  grand  nombre  de  personnages  du 
premier  plan.  Parmi  ceux-ci  se  trouve  un  derviche  mendiant  que 
M.  J.  (iuifïrey,  qui  signale  ce  tableau  dans  Les  Arts  (nov.  1911), 
prend  pour  St  Jean  Baptiste  prêchant. 

2.  Boglitcha,  diminutif  de  bogh,  m.  persan,  passa  vers  le  XIP  s.  en 
arabe  sous  la  forme  baqdja  et  baqcha,  conservant  le  sens  de  «  enve- 
loppe de  toile  et  surtout  de  cuir,  ^ac  et  sacoche  (Johnson).  On  tire 
communément  bagage  de  bague  (v.  fr.)  attendu  qu'on  croit  retrouver 
celui-ci  dans  le  celtique  ou  le  nordique.  L'anglais  a  bag  «  sac  », 
l'esp.  a  basfa  et  bagazo  «  enveloppe  (de  la  graine  de  lin)  »  et  bagaj'e 
«  charge  et  bête  de  charge,  équipage,  bagage  »,  ptg.  bagagem,  cat. 
bagatge  it.  bagagUo.  Est  ce  suffisant  pour  justifier  l'ôtymologie 
baqcha  proposée  par  Eguilaz  ?  Cf.  ar.  Waliha^h.  oaiigia^  valise. 
(Devic,  Eguilaz,  Lammens). 


—  47  - 

théâtre,  etc.  <  ar.  Mohî-Glioundj  {Mouheyyâ  l- 
Ghoundj),  figure  à  grimaces,  13,  65-69. 

Bombax  >  ar.  Ghounbâs  et  Qounbâz,  fr.  gamboison 
et  var.,  11,  155  n. 

Borcegui  68)  <ar.  bô-cherky,  brodequin,  07,  244; 
11,  152;  13,  70-72,  140-6,  199-204. 

Botarga  (41)  <  ar.  Boutarkha  <  aûyoTapaya,  bou- 
targue,  09,  276-9. 

Brodequin',  fl.  broseken  <  it.  bor^acckino  <  borce- 
gui, 13,  71,  203. 

BuRDÉSANO,  mod.  BURDÉGANO  <  1.  biu^do  asinœ,  08, 
128. 

C 

Cabacala,   cat.  =  zabazala   <  ar.   Sahib   es-Salât, 

08,  68. 
Caraco  <  jalaco  <t.  yélek,  11,  143  n. 
Carcajada  <  ar.  Qahqali,  éclat  de  rire,  08,  139;  13, 

208. 
Casaca  (51),   it.   casacca,  casaque,  etc.  (Etymologie 
-      de),  11,  144-156,  206. 

1.  Brodequin. —  Ainsi  qu'en  témoignent  deux  passages  de  Frois- 
sart  cités  par  Lacurne  (IV,  p.  2),  on  appelait  autrefois  brodequin  une 
étofie  de  soie  précieuse  et  non  un  cuir  fin,  comme  le  croient  Dozy  et 
Eguilaz  (art.  Boucegui/,  erreur  qui  les  a  amenés  à  des  conclusions 
tout  à  fait  opposées  sur  l'origine  de  borcegui  et  de  brodequin  (bot- 
tine). Quant  à  brodequin  (étoffe),  il  n'est  pas  douteux  que  ce  soit  le 
même  mot  que  baldaquin,  dont  il  peut  être  une  déf(>rmation  influen. 
cée  par  broder.  Baldaquin  et  son  doublet  brodequin  répondent  donc 
à  bagdadin.  Dans  cette  curieuse  dérivation  Baldac  <  Baghdad,  le 
changement  de  ad  en  ac  ne  s'explique  que  si  l'on  tient  compte  des 
deux  façons  de  prononcer  ce  nom  :  Bardâd  à  l'arabe,  Bagdad  à  la 
turque.  G  (gh)  =;  r  fricative  laryngale  >  r>  l.  Les  deux  prononcia- 
tions confondues,  (/  >  c  s'est  conservé  nonobstant,  en  se  transposant 
au  détriment  de  d. 


—  48  — 

Casaqui,  casaquin,  it.  casacchino  <  p.  arabisé  Ka^â- _^ 

ghand,  cotte  d'armes,  plastron,  11.  152,  154  sq. 
Gavial,  cabial  (40)  <  t.  khaoiar,  caviar,  09,  207  sq.  ; 

11,  206,  207. 
Caseta,  b.-l.,  vestimenti  genus,    <ar.  vulg.  Kazâta,* 

Kazàka,  11,  149,  152  sq. 
CERVANTES'  arabisant  de  fortune.  07,  240,  247 

sq.;  08,  131;  09,  30;  10,  279. 
Cliakk,  ar.  >   it.   giacco,  jaco,  jaque  de  mailles,  11, 

154  n. 
Chalan,   acbalandeur  '  ;  chalaneado,    chaland,  <  ar. 

Djallâb,  marchand  qui  fait  la  traite,   qui  traîne 

bêtes  ou  esclaves,  08,  62  n. 
Chaleco  (52)  =  jaleco',  gilet.  <  t.  yélek,  11,  144. 
Chamarre  et  simarre  (Etym.  de),  12,  51. 


1.  Cervantes. —  Haedo  [Top.  f°  23  v°)  constate  que  les  Chrétiens 
qui,  à  Alger,  ont  affaire  avec  les  indigènes,  parlent  tous  plus  ou  moins 
l'arabe.  Aussi  est- il  admissible  a  priori  que  Cervantes,  après  un 
séjour  de  cinq  ans  à  Alger,  ait  acquis  quelque  pratique  d'une  langue 
qu'il  était  habitué  à  entendre  parler  autour  de  lui  depuis  son  enfance. 
Un  buste  commémorant  son  aventure  lui  a  été  élevé,  il  y  a  une 
dizaine  d'années,  en  avant  d'une  caverne  située  au-dessus  du  Jardin 
d'essai  et  qui  passe  pour  lavoir  abrité  lors  de  son  évasion. 

2.  Chalan.  —  L'étymologie  ar.  Djallâb  est  dEguilaz.  Ce  ne  serait 
pas  le  seul  exemple  d'un  h  final  arabe  changé  en  /(  esp  .  Tels  sont  : 
ai-'A5'ra6>  ALACRAN  (scorpion),  aZ-MoAia.çii  >  a lmotacen  (inspec- 
teur des  marchés).  Le  sens  propre  du  verbe  Jjalaba  est  «  traîner 
derrière  soi  ;  d'où  :  mener  pour  vendre,  importer  ;  puis  :  rassembler, 
attirer  en  grand  nombre  ;  crier  pour  entraîner  ».  Ce  sont  bien  les 
actes  auquel  se  livre  le  chalan.  Or  notre  mot  chalan,  chalant,  ou 
chaland  avait  au  XII'  s.  le  sens  de  «  conducteur  »  ;  il  souligne  le 
mot  «  chef  »  dans  l'exemple  donné  par  Hatzfeld  et  Littré.  La  séman- 
tique de  ce  mot  est  comparable  à  celle  de  cliens  en  latin  et  client  en 
français. 

3.  Chalkco. —  Ch<j.  Chaqukta  el  chupa,  doublets  de  jaqueta 
et  JUBON  se  sont  formés  sous  l'influence  du  français. 


—  49    - 

Chamra,  ar.  andalou,  sorte  de  vêtement,  <  chamar- 
ra, 12,  53. 

Cherky,  berb.  arabisé,  transe,  par  charequi,  xerqui, 
XEREQUiLLA,  maroquin  fauve;  apprêt,  tan  spécial; 
genre  de  gazelle;  sorte  de  chaussure,  13,  141-6. 

Xî(Ji.aipoç  et  napol.   Mmmavo,   houppelande  de  poil. 

Cimarra   (58),    it.  Jtmarra,    simarre,  <  t    p.  et  ar. 

sâmoûr,  zibeline,  12,  51. 
COBARRUVIAS  ou  COVARRUBIAS  ^  {Tesoro 

de),   07,  248;  08,  125,  131;   09,  205:  10,    117; 

13,  69,  71,  140,  206. 
Commerce  et  industrie  des  boucassins  d'Anatolie,  09, 

202-5;  —  du  caviar  et  de  la  boutargue\  09,  207, 

sq,   275-77;  —  des  fourv^ures  fines ^    12,   53-63, 

1.  COBARRUVIAS.  —Il  s'est  également  servi,  pour  composer  sop 
Tesoro,  d'un  petit  dictionnaire  étymologique  dû  au  philologue  San- 
chez  de  las  Brozas  et  resté  manuscrit.  Cf.  Mayans,  Vita  Francisco 
Sanctii,  §  227.  Le  P.  Benito  Remigio  Noydens  en  donna  une  nou- 
velle édition  augmentée,  Tesoro....  ahadido,  en  1674,  â  Madrid 

2.  Commerce...  du  caciai-  et  de  la  boutargue.  —  u  C'est  une  chose 
bien  étrange,  dit  P.  Tafur  (1433),  que  de  voir  les  nations  qui  vivent 
aux  en  tours  de  la  Tana  (Tanais).  On  tue  là  des  poissons  appelés 
merona,  qui,  parait-il,  sont  énormes  ;  on  entasse  dans  des  tonneaux 
leurs  œufs  qu'on  exporte,  pour  les  vendre,  à  travers  le  monde,  princi- 
palement en  Grèce  et  en  Turquie,  sous  le  nom  de  caciar  (sic).  Cela 
ressemble  à  du  savon  noir;  on  prend  cette  pâte  molle  avec  un  cou- 
teau et  on  la  fait  sécher  comme  nous  faisons  pour  le  savon.  En  la 
jetant  sur  les  braises,  on  la  rei)d  dure,  et  l'on  voit  alors  que  ce  sont 
des  œufs  de  poisson.  C'est  chose  fort  salée  ».  (  Viajes,  1,  p.  166).  André 
Thevet,  un  siècle  plus  tard,  consacre  à  son  tour  quelques  lignes 
intéressantes  dans  sa  Cosmographie  (f"^  260  et  270)  au  sujet  du 
caciarre  ou  morounna  «  qui  se  fait  au  pays  des  Scythes  et,  pour  le 
meilleur,  près  de  la  petite  mer  Méotide  ».  Sur  la  boutargue  d'Egypte, 
voyez  J.  Thénaud,  Voy.  d'outremer,  p.  31  ;  Lucas,  Voy.  etc.,  Paris 
1720,  II,  p.  242  ;  Savary,  Lettres  sur  l'Egypte,  Paris  1786,  I,  p.  241. 

3.  Commerce  des  fourrures. —   .\u  XVP  s.,  l'ile  aujourd'hui  dis- 

4 


—  50  —    . 

122,   126;  —  des   maroquins   ou  cordouans  '  de 

datiles,  13,  141-144. 
Corbacho    (53),   <  t.    qêrbatch    <  hongr.   korbâcs, 

courbache,  11,  203-7. 
CoRBATA  <  cravate  <  Arua^  =  croate,  11,  148,  205. 
Cravache  <  corbacho,  //,  205. 


D  ar.  changé  en  s  par  l'esp..  Voy.  zoraida. 

D  entre  deux  voyelles  Syncope  de),  10,  200. 

Dict.  gén.  de  la  langue  fr.  par  A.  HATZFELD,  A. 
DARMESTETER  et  A.  THOMAS.  08,  63, 
139;  10,  198;  11,  62,  143  n.,  147  et  n.,  205-6; 
13,  203. 

DIEZ,  Glossaire  et  Grainm.  des  langues  rom.  (Opi- 
nions contestées  de),  08,  130;  10,  201,  n.  3;  11, 
146;  12,  52,  212  n.,  269;  13,  141. 

DJalîka,  ar.  occid.  <  it.  giulecca  <  t.  yelek,  soubre- 
veste,  ii,  61,  144. 


parue  A' Alopécie,  aux  bouches  du  Don,  était  depuis  longtemps  un 
lieu  de  rendez-vous  international  pour  la  vente  et  l'achat  des  pel- 
leteries russes,  principalement  de  ces  peaux  de  renards  si  fameuses 
au  moyen  âge  parmi  les  Orientaux  sous  l'appellatiou  de  Bartâsiya. 
Son  nom  d'ailleurs  significatif  datait  de  l'antiquité.  Thevet  dans  son 
Grand  Insulaire  et  pilotage  parle  assez  longuement  de  cette  île  et  de 
l'important  trafic  «  de  ces  pelleteries,  de  ces  bestes  renardières  et 
autres  peaux  comme  celles  de  marthes,  loups  cerviers,  cerfs...  »  qui 
s'y  faisait  encore  de  son  temps.  Cf.  P.  Boyer,  Un  cocabulaire  fran- 
çais-russe extrait  du  Grand  Insulaire  etc.,  Paris  19'J5. 

1.  Commerce  de  maroquins.  —  «  Les  cordouans  sont  des  espèces 
de  maroquins  avec  cette  différence  qne  les  cordouans  sont  apprêtés 
avec  le  tan  et  que  les  véritables  maroquins  sont  apprêtés  en  sumac 
ou  en  galle  ».  Savary  de  Bruslons,  Dict.  du  Commerce.  1675.  —  Voy. 
aussi  A.  JoUy,  La  tannerie  indigène  à  Constantine  dans  Reçue  du 
Monde  musulman,  Mars  1909. 


—  51  — 

DOZY{Dict.  des  Vêt.  av.;  Glossaire,  etc.),  07,  246; 
08,  67,  126,  127,  134  sq.  ;  09,  \1 ',  10,  117,  121, 
123;  11,  59,  61,  62,  208  n.,  152  n.,  153  n.  ;  12, 
123  sq.,  208,  211,  268;  13,  67  sq,  70,  142,  201- 
203. 

DU  CANGE,  [Gloss.  med.  et  inf.  latinitatis) ,  09, 
204,  206;  10,  199;  11,  149,  155;  12,  269. 


EGUILAZ  Y  ZANGUAS  [Glosai^io  etimolôgico  et 

Notas  etim.),  07,  58;  08,  64;   09,  29,  279;  11, 

144;  12,  208,  210-11,  212  sq.,  266-7,  271;   13, 

67,  203-4  ;  et  passim. 
Elche,  helche  (35)   <  ar.  'Ildj,  renégat,  transfuge', 

09,  25-29. 
Elchi  (36)  r=  t.  eltchi,  ambassadeur,  09,  29. 
Electuaires  et  stupéfiants.  Voy.  thériaque. 
Epenthèse  de  a,  voy.  pasamaque,  baharî  ;  —  de  e, 

voy.   TAMEji,   TAHELi  ;  —  de  n,  voy.  rebenque; 

—  de  r,  voy.  alcurnîa  ;  —  de  a,  voy.  badulaque. 
Etymologies  basques  et  celtibères,  08,  67;   10,   117, 

124;  12,  52,  212;  13,2m  sq. 

1.  Elche.  —  Sur  les  transfuges  et  renégats  Mores  ou  Chrétiens, 
voy.  Ibn  Khaldoun,  Prolég.  tr.  de  Slane,  II,  p.  82-3,  Boulaq,  1,  p.  229, 
1.  3-18  ;  Dozy,  Vêt.  ar.  p.  43  ;  Alemany,  MiUcias  cristianas  al  ser-- 
cicio  de  los  sultanes  del  Almagreb  dans  Y Homenaje  à  Codera,  Zara- 
goza  1904.  Sur  la  course,  les  prises, le  rachat  des  captifs,  inter  alla  ; 
Mèm.  du  Ch^  d'Aroieuâe,  éd.  cit.,  ch.  V  ;  G.  Lambert,  L'œuere  de 
rédemption  des  captifs  à  Toulon,  dans  Bull,  de  l'Acad.  du  Var,  1882 
(quelques  erreurs  dans  l'identification  des  mots  turcs  ancienne- 
ment estropiés,  p.  ex.  p.  24  du  t.  à  p.  :  San  Jacobeis,  lire  sandjaq-bey, 
Cacaya,  1.  Kiahya,  sousbassa,  1.  soû-bachi,  etc.)  ;  H.  de  Grammont, 
Etudes  algériennes,  dans  Reçue  historique,  18S4-85  ;  Reçue  .ifricaine, 
nombreux  articles  de  différents  auteurs. 


—  52  — 

Etymologies  orientales  traitées  par  Don  Quichotte,  07 , 

243-250. 
Etymologies  populaires',  09,  19  et  n.  ;  11,  151  n.  I 

-    F 
Fanek,  p.  t.  ar.  >  alfaneque,  Fennecus  Brucei\  12 

121-132. 
Fiel  (13),  aiguille  de  la  balance,  axe  de  la  romaine, 

inspecteur  des  poids  et  mesures',   <  ar,  Khilâl, 

aiguille,  08,  124. 
FiLALi  r=z  ar.  filâly,   étoffe  ou  cuir  du  Tafilalet,  08, 

134. 
Finnich,  mozar.  <hinnus,  ïvvoç\  bardot,  08,  127. 

1.  Etymologies  populaires. —  Tout  ce  qu'une  étymologie  populaire, 
en  matière  géographique,  peut  comporter  d'excessif  est  contenu  dans 
celle  qui  a  changé  le  nom  classique  de  l'Hj'mette  en  Trelo  Vouno, 
les  Grecs  traduisant  ainsi  en  langage  moderne  les  deux  mots  turcs 
Déli  dagh  «  la  montagne  folle  ».  Or  les  Turcs  n'avaient  fait  eux- 
mêmes  que  traduire  le  calembour  par  lequel  les  Florentins  maîtres 
de  l'Attique  —  au  XIV-XV"  siècle  —  désignaient  l'antique  mont  cher 
aux  abeilles,  Il  Matto  «  le  fou  ».  Le  nom  des  Toucouleurs  <  Tœoco- 
lours,  qui  fut  longtemps  une  cause  de  méprise,  n'a  d'autre  préten- 
tion que  de  reproduire  celui  de  Tekroûr.  Les  altérations  de  cette 
espèce  sont  infinies. 

2.  Fennecus  Brucei.  —  La  notice  adressée  par  Bruce  à  BuÊfon  au 
sujet  de  cet  animal  date  de  1765.  Cf.  Bufîon,  t.  III  de  ses  Supplé- 
ments. —  C'est  un  voyageur-écrivain  totalement  oublié  aujourd'hui, 
L.  Du  Couret,  converti  à  l'islam  sous  le  nom  de  Hàdji  'Abd  el-Hâraid, 
qui  fit  don  au  J.  des  PI.  du  premier  fennec  vivant  importé  en  Eu- 
rope. Cf.  «  Le  Siècle  »  du  6  oct.  ISiil;  Reçue  et  magasin  de  zoologie, 
n"  d'oct.  1852.  Dans  son  ouvrage  Les  Mystères  du  désert  (2  vol.  in-12, 
Paris,  1859),  il  décrit  un  fennec  capturé  par  lui  dans  les  ahqâf  du 
Hadramaut  (IL  p.  24  sq.)  — Enfin  «  La  Patrie»  du  12  août  lô58  re- 
late l'entrée  au  J.  des  PI.  du  couple  algérien  mentiouné,  don  du 
G*'  Yusuf. 

3.  Fiel.  —  «  El  segundo  oficio  de  almotacen  (el-Mohtasib)  sirve  de 
Hel  y  como  veedor  (inspecteur)  de  los  pesos  y  medidas  publicas.  » 
Haedo,  Top.  i'  45. 

4.  "Ivvoç,  poulain,  est  à  rapprocher  de  ytvvo?,  fruit  avorté,  mulet. 


—  53  — 

Fôdr,  goth.,  fourrage,  fourreau,  fourrure  (Dérivés  de) 

12,  212-14. 
Forro  (61),  fourrure,  doublure  (Etym.  de),  12,  212- 

14. 

G 

G,  occlusif  esp.  <h  ar.  09,  4  ;  <  kh,  08,  69;  <  gh  et 

q  10,  24. 
Gabarra,  gabare,  métathèse  de  bagare,  >  ar.  qabâra 

09,  15. 
Gaita  (46)  <  t.   arabisé   Ghaïta,   musette,   hautbois, 

cornemuse,  10,  118-126:  11,  206. 
Gaita  zamorana  (47),  musette  à  pipeaux,  cornemuse, 

<  ar.  ghaita  et  :sammâra,  flûte,  07 ,  243,  249  ;  tOj, 

118. 
Garbear  (13),  piller,  voler',  <  ar.  kkaraba,  saccager, 

08,  69. 
rapyapt^w  et  ar.  gharghara  (Rapport  entre).  08,  139. 
Genizaro   43)  <  t.  géni  tchéri,  janissaire,  10,  51-56. 
Ghaïda,  m.  t.'  passé  en  hongr.,  slave,  ar.,  esp.,  10, 

124-6. 


1.  Garbear,—  verbe  sans  substantif,  appartient  à  l'ancienne  j'erga 
ou  argot  des  voleurs  et  des  bohémiens,  dont  le  vocabulaire  était  en 
partie  emprunté  à  l'arabe,  tels  caramo  <  Khamr,  vin,  cica  <  Sikka, 
bourse,  tagakote,  escogriffe  <  Taherty,  faucon  de  Tahert,  gurape 
<  Ghourâb,  galère,  mots  que  Cervantes  n'a  pas  dédaigné  de  placer 
dans  la  bouche  de  Rinconete  et  de  Cortadilla,  héros  de  l'une  de  ses 
Noeelas  ejemplare.<,  intitulée  d'après  ces  noms. 

2.  Ghaiday>  gaita,  etc. —  W.  Marçais  dit  avec  raison  (Textes  av., 
p.  407,  parus  en  1911)  que  «  pour  décider  de  quel  côté  sont  les 
emprunts,  il  faudrait  d'abord  connaître  l'histoire  du  mot  dans  cha- 
cune des  langues  où  il  se  trouve  ».  Peut-être  ne  serait-il  pas  trop 
difficile  de  fixer  l'époque  à  laquelle  il  est  le  plus  anciennement  attesté 
dans  les  langue  slaves.  Mais  s'il  s'agit  des  dialectes  turcs  parlés  au 
moyen  âge  et  dont  nous  ignorons  à  peu  près  tout  ?  Comment  savoir 


—  54  — 

Ghoundj,  ar/  <  p.  ghong  ou  ghang,  œillade,  agacerie. 

Voy.   BOGIGANGA. 

Gilequelco  (49)  =t.  ar.  yélek  el-qoul,  casaque  de  cap- 
tif, 10,  278  sq.  ;  11,  207. 

Gilet,  prov.  ;  gelet,  auv.  ;  gileco,  niç.  ;  guilecca,  it.  ; 
jiLECO,  JALACO,  CHALECO,  csp.,  <  t.  yélek,  11, 
143  sq. 

GholeUa,  ar.,  sorte  de  vêtement",  >  ar.  vulg.  ghonîla, 
11,  61  n.,  150. 


par  exemple  si  ghaïda  n'a  pas  son  origine  dans  le  petchénègue,  le 
khazare  ou  le  bulgare,  comme  samour  et  très  probablement  klia- 
ciar  ?  —  Toujours  est-il  que,  d'après  Berneker  (op.  cit.),  ce  mot  si 
manifestement  cosmopolite  aurait  fait  souche  jusqu'en  ail.  par 
l'intermédiaire  du  hong.  (/aiW  >  Gejohle,  gaidolnty>  dudeln  et  jodeln- 
En  ruthène,  gâïda  au  sing.  est  une  flûte  de  berger,  mais  au  pi.  une 
cornemuse.  Enfin  de  gaita  esp.  viendrait  gayo  >  it.  ^9aio>  gai, 
dérivation  que  Simonet  n'est  pas  éloigné  d'admettre  et  qu'indique 
déjà  Cobarruvias,  estar  de  r/aita  signifiant  «  être  en  gaieté  ».  Les 
étymologies  proposées  à  ce  sujet  sont  toutes  des  hypothèses  et  non 
meilleures  que  celle-ci. 

1 .  Ghoundj. —  Le  persan  ghong  ou  ghang  entre  en  composition  dans 
les  mots  ghandjar(.i  fard  »  et  gharghand/è  (ghar  prostituée)  d'où  nous 
viendrait,  d'après  Pihan  (cf.  Devic)  gourgandine,  par  l'intermédiaire 
de  l'arabe.  —  Le  Coran  fait  une  allusion  discrète  au  taghannoudj\ 
aux  provocations  impudiques  du  regard  et  du  geste.  Il  recommande 
simplement  aux  femmes  croyantes  de  n'aller  que  les  yeux  baissés,  le 
sein  voilé,  le  pas  silencieux  (XXIV,  31).  Isaïe,  dont  on  ne  peut 
affirmer  que  Mahomet  se  soit  inspiré  en  cette  circonstance,  est  bien 
plus  prolixe  (III,  16-26),  et  c'est  avec  sa  véhémence  habituelle  qu'il 
stigmatise  et  menace  les  orgueilleuses  filles  de  Sien  «  qui  marchent 
la  gorge  en  avant,  en  lançant  des  œillades,  qui  marchent  à  pas 
menus,  en  faisant  sonner  les  anneaux  de  leurs  pieds  ». 

2.  Gonila  (chez  Haedo)  <  ar.  GholeUa,  vulg.  Gholila,  dim.  de 
Gholla  forme  simple  de  Ghilâia.  C'est  la  veste  des  zouaves.  —  Du 
Gange,  au  moiguclla  (b.-I.)  a  «  les  guenelles  des  bannières  »  ;  nous 
dirions  «  les  plis  »  pour  a  l'étoffe  »,  à  moins  qu'il  ne  s'agisse  des 
((  cravates  ».  D'ailleurs,  ces  deux  significations  sont  attestées  :  la 
gonille  était  un  rabat  ((  à  l'espagnole  »,  voy.  Le  Mariage  de  Figaro, 
description  ,du  costume  de  Brid'oison  ;  la  gonne,  ang.   gomn,  longue 


—  55  — 

Ghourâb,  ar.  <  xàpaêo^,  caravelle,  09,  14. 

Gualà  (2)  transcr.  de  ar.  wallàh,  par  Dieu,  08,  63. 

Guenon  (Etym.  de),  10,  200  n. 

H 

//arabe  >  g.  /'esp..  09,  14. 

HAEDO  (Diego de),  Topogràfîaé  historia  gênerai  de 
Argel,  09,  14,  16,  26,  27,  28etn.,  281;  10,  122; 
//,  57,  61  n.;  12,  59,  267;  13,  140,  209. 

Hallali,  et  ar.  HallaUna,  cris  d'allégresse  :  onoma- 
topées, 08, 138. 

Hamâïl,  Hann/a  ',  ar.,  baudrier  et  amulette,  13,  208- 
209. 

Hoqueton,  esp.  algodon  <  ar.  al-Qotn,  coton,  9,  204; 
11,  155;  12,  50,52. 

I 

Imâla-  ou  fléchissement  du  son  â  >  è>  i,  08,  133. 


robe  à  plis  amples,  telle  l'ancienne  Gholla  orientale,  désignait  aussi  une 
bande  d'étoSe,  voy.  Froissart  h  ...  vestus  d'un  parement  de  gonnes  » 
(cf.  Lacurne  IV,  p.  2).  On  a  donc  :  b.-l.  guella  =  guenille  ^gue- 
nille, var.  gonille  <  ar.  occ.  gonila  {Ghonila)  <C  Gholeila<C  Gholla 
>>  b.-l.  guella.  Par  ainsi  l'origine  de  guenille  cesserait  d'être  incer- 
taine et  gonne  devrait  être  regardé  non  plus  comme  un  mot  primitif, 
mais  comme  étant  soit  un  apocope  de  gonille.  (cf.  casaque  <ca~-a- 
quin),  soit  le  mot  Gholla  altéré  en  Ghonna  ;  et  ce  serait  en  Europe  une 
importation  de  plus  à  l'actif  des  Croisades. 

1.  Amûlëtum  (>  amulette),  remède  préservatif  contre  les  mala- 
dies et  les  maléfices,  phylactère,  est  un  mot  étranger  au  latin,  vrai- 
semblablement issu  d'un  mot  sémitique  aujourd'hui  perdu,  comme 
tant  d'autres,  mais  survivant  dans  le  hamilat  °"-n  ^q  l'arabe  classique. 

2.  Imâla.  —  Le  changement  de  â  en  t  dans  le  langage  courant 
était  fréquent  en  arabe  andalou  ;  Ibn  el-Khâtib  l'a  signalé  (cf.  Dozy 
Gl.  p.  26;  Simonet,  GL  p.  CXXVI).  On  le  constate  dans  le  maltais. 
En  arabe  égyptien,  il  affecte  Va  bref. 


-  56  — 

J 

Janissaire  <  it.  giannùer^o  <  t.  yéni  tchéri,  10,  51-54. 
Janissaires,  scribes  de  la  chancellerie  du  Pape  (Etym. 

pop.  de),  10,  53.       ' 
Jileco  (50),  GiLECo,  jalaco,  xaleco,  justaucorps,  <  t. 

yélek,  10,  280  sq. 
Jota  esp.  (Valeur  phonétique  de  la),  08,  66  ;  iO,  54-56, 

280-1; /i,  144. 
Jumâ  (9)  =  ar.  [  Yaum  el-]Djourria,  vendredi,  08,  66. 

K 

Kapi,   scr.  >  hebr.  qôf,   arm.  kapik,  géorg.  qapou- 

:^ouna,  10,  202  n. 
Kàdaç,  tunique  de  cavalier  =  p.  Kaz  ou  Kaj,  bourre 

de  soie  >  ar.  Qaz:^,  soie  écrue,  11 ,  145,  151. 
Kayà^co  et  ar.  qahqaka  (Rapport  entre),  08,  139. 
Kazâghand,  m.  p.,  plastron,  cuirasse,  cotte  de  guerre  \ 

>  it.  casacchino,  ail.  dial.  gasgenger,  etc.,  casa- 

quin,  11,  151-2,  154. 
Korbàcs,  hongr.,  nerf  de  bœuf;  passe  en  slave  et  en 

turc,  11,  206. 

1.  /ira3â9/)an(/.  casaquin. —  «  Quant  iceulz  esclaves  vont  en  guerre, 
ilz  sont  toujours  de  cheval,  armez  seulement  de  cuirasses  meschantes, 
coucertes  de  soie  ».  Ghillebert  de  Lannoy,  Œuores,  éd.  de  Potvin, 
Lonvain  18/8,  p.  119. 

(A  suivre)  Paul  Ravaisse. 


BIBLIOGRAPHIE 


Conjugacion  sintética  del  verbo  basko,  por  el 
R.-P.  SoLOETA  DiMA...  Bucnos  Aires,  imp.  de  la 
Euskeria,  1913;  in-i2  de  58  p. 

Décidément,  —  et  j'en  attribue  tout  l'honneur  à  la 
vaillante  activité  de  M.  J.  de  Urquijo,  auquel  cet 
opuscule  est  dédié,  —  les  études  basques  ou  du 
moins  les  travaux  des  basquisants  nationaux,  sont 
en  progrès  et  entrent  résolument  dans  le  domaine 
de  la  science.  Le  temps  n'est  plus  où  Ton  procla- 
mait la  périphrasticité  organique  du  verbe  basque  et 
où  les  Inchauspe  et  les  Duvoisin  excommuniaient 
doctrinalement  ceux  qui  ne  voulaient  pas  comprendre 
que  dakit  fût  une  contraction  de  yakiteii  dut.,  ou 
que  yoaiten  naiz  se  réduisit  à  noa. 

Après  M.  de  Eleizalde,  le  R.  P.  Soloeta  affirme  la 
simplicité  naturelle  du  verbe  basque,  non  seulement 
pour  les  radicaux  vocaliques,  mais  aussi  pour  ceux 
commençant  par  une  consonne,  et  il  donne  pour 
n\oàe\e  dazurit  «je  le  blanchis»  et  napoz  «  je  me 
réjouis  »,  des  radicaux  zuri  «  blanc  »  et  poz  «joie  »; 
c'est  parfait.  De  plus,  il  donne  un  paradigme  normal 
et  logique  :  dut,  duk,  dun,  du,  dugu,  duzu,  duzue, 
date;  c'est  excellent  et  on  ne  saurait  trop  l'en  féli- 
citer. 


—  58  — 

Malheureusement,  M.  Soloeta,  qui  n'est  pas  lin- 
guiste, se  préoccupe  surtout  de  la  conjugaison 
synthétique^  c'est-à-dire  théorique,  moderne,  et  il 
admet  la  finale  n  de  l'imparfait  (qu'il  appelle  co-pré- 
téit),  la  distinction  en  intransitif  et  transitif  et  un 
nombre  vraiment  trop  considérable  de  temps  et  de 
modes. 

Dans  les  pages  relatives  au  verbe  périphrastique^ 
le  savant  auteur  propose  quelques  réformes  (sic)  à 
faire  au  verbe  «avoir»  en  guipazcoan.  Ces  proposi- 
tions ne  me  paraissent  pas  heureuses.  Ainsi,  de  ce 
que  les  premières  personnes  sont  det  et  degu,  il  ne 
s'ensuit  nullement  que  les  troisièmes  doivent  être 
de  et  dete  pour  du  et  dute.  Ces  dernières  sont  au 
contraire  les  seules  organiques  et  naturelles  ;  det  et 
degu  sont  abrégés  de  deut  oîi  deugu  dérive,  par  ce 
que  nous  appelons  guna  en  Indo-Européen,  de  dut  et 
dugu.  Le  basque,  en  effet,  a  cette  double  particu- 
larité phonétique  de  renforcer  par  e  et  a  Vu  orga- 
nique (cf.  uri,  euri  «  phiie  »)  et  de  réduire  à  la  pre- 
mière composante  les  diphtongues  eu  et  au:  cf.  aditu 
«  entendre  »  du  latin  audi^  et  jangoikoa  «  dieu  »  de 
jaungoikoa,  que  Darrigol  a  traduit  naïvement  «  le  bon 
maître  d'en  haut  »,  voyant  dans  youn  une  contrac- 
tion de  yabe  on  ;  j'ai  fait  voir  que  c'est  au  contraire 
yabe  ou  yaube  qui  dérive  de  yaun.  La  chute  de  la 
nasale  finale  est  normale  en  basque  [eguberri,  eguerri 
«jour  nouveau»,  nom  de  la  fête  de  la  Noël);  celte 
caducité  atteint  même  les  mots  d'emprunt  :  cf. 
Lekhueder  «  Beaulien  »  et  Lehhuine  «  Bonloc  »  du 
latin    locum  {lekhumberri   «  nouveau   lieu  »),    où    o 


—  59  - 

est  devenu  e  comme  dans  mementu  pour  momentum, 
mutation  qui  permet  de  voir  dans  mendi  le  latin 
montem  :  le  vrai  mot  basque  «  montagne  »  est  haitz> 
aitz,  ai:;,  az,  as  :  aizkibel,  aupuru,  aizpitarte,  az- 
koïtia  et  azpetia,  azkazate,    etc. 

En  parcourant  la  brochure  de  M.  Soloeta,  et  en 
retenant  les  éléments  morphologiques  de  la  dériva- 
tion, je  me  rappelle  une  proposition  de  M.  Uhlenbeck  : 
le  basque  a  dû  posséder  la  déclinaison  pronominale 
et  il  devait  la  former  par  suffixe  :  aita-t  «  mon  père  », 
amagu  «  notre  mère  ».  Il  est  certain  que  le  pronom 
suffixe  est  un  signe  de  détermination  ;  mais  je  crois 
qu'ici,  comme  dans  le  pronom  réfléchi  (ou  relatif), 
ce  qui  domine  c'est  l'idée  personnelle  qui  devient  la 
principale  ;  si  ces  formes  ont  existé,  on  devait  em- 
ployer les  préfixes  :  de  même  qu'on  disait  nîhaur 
((  moi-même  »,  zuhaur  «  vous-même,  vous  autres  », 
on  devait  dire  maita  «  mon  père  »,  gii-ama  «  notre 
mère  »,  etc.  C'est  par  des  considérations  de  ce  genre 
qu'on  explique  la  difTérence  de  position  de  l'adjectif 
et  du  génitif  vis-à-vis  du  nom  déterminé. 

En  finissant,  il  me  sera  permis  de  rappeler  que  la 
simplicité  primitive  et  organique  du  verbe  basque  a 
été  reconnue  depuis  longtemps  par  plusieurs  lin- 
guistes et  notamment   par  Mahn,  par  Van  Eys,   par 

Schuchardt  et  par  moi, 

Julien  ViNSON. 


—  60  — 

The  Guipuskoan  Verb  of  the  year  1713,  found  in 
the  catechismofJosé  Ochoa  de  Arin,...  by  E.-S.  Dodg- 
SON  (extrait  de  «  Hermatena  »,  1  vol.  pet.  in-8°,  de 
83  pp.  (pages  40-57,  291-308,  76-96,  220-244).  Univer- 
sity  Press,  Trinity  Collège,  Dublin,  November  1913. 

L'amateur  fantaisiste  qui,  ainsi  que  je  l'ai  dit  ail- 
leurs, tient  à  la  fois  de  Don  Quichotte  et  de  Zoïle, 
poursuit  avec  une  ardeur  méritoire  la  tâche  ardue 
qu'il  a  entreprise,  le  dépouillement  des  vieux  livres 
basques,  pour  relever  toutes  les  formes  verbales,  ce 
qui  est  fort  utile  pour  l'histoire  de  la  langue.  Il 
prend  aujourd'hui  le  catéchisme  d'Ochoa  de  Arin, 
qui  est  le  premier  livre  guipuscoan  imprimé  connu 
et  qui  a  paru  à  Saint-Sebastien  en  1713.  il  est  fort 
rare,  car  on  n'en  connaît  guère  plus  de  cinq  ou  six 
exemplaires,  dont  un  fort  défectueux  que  je  pos- 
sède. 

11  résulte  de  cette  étude  qu'en  guipuscoan,  comme 
dans  les  autres  dialectes  basques,  les  formes  ver- 
bales simples  étaient  beaucoup  plus  employées  il  y 
a  deux  siècles  qu'aujourd'hui.  La  conclusion  s'im- 
pose. Je  remarque  quelques  formes  en  albait,  opta- 
tif assez  fréquent  dans  le  Nouveau  Testament  de 
Liçarrague.  Julien  Vinson. 


Suomalais  ugrilaisen  Seuran  Atkakauskirja.  Jour- 
nal de  la  Société  Finno-Ougrienne,  tome  XXVllI. 
Helsingfors,  1913,  in-8°,  61  p.,  XXVlll  planches, 
3  cartes  ;  .55  p.   et  1  planche  ;  90  p.  ;  18  p.  ;  49  p.. 

Suomalais  ugrilaisen    Seuran    Toiniituksia.    Mé- 


—  61  — 

moires  de  la   Société  Finno-Ougrienne,  tome  XXX. 
Helsingfors,  1913,  XVi  11-252  pp. 

Ces  deux  volumes  continuent  excellemment  les 
précieuses  publications  de  la  vaillante  Société  d'Hel- 
singfors,  qui  forment  maintenant  une  collection  in- 
dispensable pour  étudier  l'ongro-finnois. 

Le  volume  des  Mémoires  contient  seulement  une 
étude  de  M.  Zoltan  Gomboez  sur  les  mots  d'emprunt 
bulgaro-turcs  en  hongrois. 

Le  journal  comprend  un  article  de  M.  J.-B.  Graao  : 
Observations  archéologiques  de  mon  voyage  au  sud 
de  la  Sibérie  et  au  nord-ouest  de  la  Mongolie  ;  un 
autre  travail  du  même  savant  sur  les  Antiquités  de  la 
Mongolie  nord-occidentale  ;  une  note  par  K.-G. 
Donner  et  Toiv.  Kaukarania,  sur  l'activité  littéraire 
de  feu  0.  Donner;  le  rapport  annuel,  en  finnois  et  en 
français,,  par  E.-N.  Setala,  avec  une  note  sur  la  tâche 
et  le  but  de  la  Société.  N'oublions  pas  un  important 
essai  de  M.  Emile  Hardie  sur  la  relation  en  Tar- 
tare. 

En  parcourant  ces  deux  volumes  qui  portent  un 
titre  français,  je  ne  puis  m'empècher  de  remarquer 
que  la  plupart  des  articles  y  sont  en  allemand. 
Quand  parut  le  grand  dictionnaire  sanscrit  de  Péters- 
bourg,  M.  P.  Guerrier  de  Dumast,  le  savant  modeste 
et  le  vaillant  patriote  lorrain,  constatait  avec  peine 
qu'un  demi-siècle  auparavant  ce  dictionnaire  eût  été 
fait  en  français. 

C'est  le  même  chagrin  que  j'éprouve  aujourd'hui. 
Pourquoi  l'allemand  tend-il   de  plus  en  plus  à  rem- 


—  62  — 

placer  notre  langue,  si  claire  et  si  précise  ?  Et  pour- 
quoi, parmi  tous  ces  jeunes  linguistes  qui  ne  consi- 
dèrent que  le  sanscrit,  ne  s'en  trouve-t-il  pas  un  qui 
veuille  s'occuper  de  l'ougro-tinnois  ?  Le  sanscrit  n'est 
pas  le  summum  de  la  science  et  Ton  ne  fera  jamais 
utilement  de  la  Linguistique  générale  si  Ton  ne 
connaît  pas  quelques-unes  des  langues  aggluti- 
nantes, J,  V. 


A  Hundred  and  iiintk  report  of  the  British  and 
Foreign  Bible  Society.  London,  1913,  in-8°  carré,  de 
(ij-xviij-552-232-32)  pp.  et  5  cartes. 

Ce  rapport,  aussi  intéressant  que  les  précédents, 
nous  montre  la  situation  de  la  Société,  dont  les  pu- 
blications intéressent  les  linguistes  auxquels  elles 
fournissent  des  textes  faciles  à  étudier  de  langues 
peu  connues  et  d'un  accès  difficile.  Malheureuse- 
ment, ces  textes  ne  sont  pas  faits  de  la  même  façon, 
ni  par  des  personnes  toujours  expérimenlées.  Le 
nombre  de  langues  dans  lesquelles  ont  été  publiées 
des  traductions  partielles  ou  totales  de  la  Bible  s'élève 
aujourd'hui  à  456,  dont  10  nouvelles  :  le  Taugthu 
(Basse-Birmanie),  le  Lisii,  le  Laka  (Chine  sud-ouest), 
le  Baba  Malais  (dialecte  des  Chinois  de  Singapour), 
le  Binander  (Papaousie),  VOmo  (îles  Bismarck),  le 
Kunuzi  (Haut-Nil),  le  Kipsigis  (Ouganda)  et  le  Liiba- 
Lulua  (district  de  Kasaï,  Congo  belge). 

La  dixième  est  Vesperanto  :  voilà  une  publication 
bien  inutile  !  J.  V. 


VARIA 


I.  La  géographie  en  musique 

J'ai  précédemment  signalé  plusieurs  ouvrages  d'enseignement 
ou  de  vulgarisation  que  leurs  auteurs  avaient  cru  devoir  écrire  en 
vers,  sous  prétexte  que  les  vers  s'apprennent  et  se  retiennent  mieux 
que  la  prose.  Voici  un  autre  livre  du  même  genre,  inspiré  des 
mêmes  pensées  :  Chansonnettes  géographiques  des  départements 
de  la  France...  par  M°°  veuve  Brion.  Paris,  1884,  in-12  de 
60  pp.  J'en  extrais  quelques  passages  (les  airs  sont  indiqués  et  la 
musique  est  notée). 

La  Seine  offre  son  cours  à  sept  départements, 
C'est  dans  la  Côte-d'Or  qu'elle  naît  doucement, 
Tout  près  de  son  berceau  nous  nommerons  Dijon, 
Puis  Beaunc  et  ses  bons  vins,  Semur  et  Châtillon. 
Dans  la  Seine  est  Paris,  avec  Sceaux^  Saint-Denis  : 
Paris  vous  le  savez,  fut  souvent  agrandi  ; 
Des  lettres  et  des  arts  le  centre  universel, 
Paris  est  capitale  du  monde  intellectuel... 

II.  Les  romanciers  et  la  couleur  locale 

J'ai  eu  dernièrement  occasion  de  relire  le  Capitaine  Fracasse 
et  je  sais  une  fois  de  plus  combien  les  romanciers  réputés  les  plus 
consciencieux  surpris  d'inexactitude  matérielle.  Au  commence- 
ment du  récit  nous  sommes  dans  les  Landes,  entre  Dax  et  Mont- 
de-Marsan  ;  un  jeune  gentilhomme,  le  baron  de  Sigognac,  végète 
misérablement  dans  un  château  délabré  ;   l'auberge  du  village 


—  64  — 

voisin  est  tenue  par  un  certain  Chirriguirri,  aidé  d'une  servante, 
la  Mionette,  qui  reçoit  souvent  la  visite  d'une  petite  fille,  Chiquita, 
indicatrice  et  auxiliaire  d'un  bandit  de  grand  chemin,  Agostin. 
Tout  ce  monde  parle  basque  et  le  pays  est  couvert  de  sapins. 

Autant  de  mots,  autant  d'erreurs.  Il  n'y  a  dans  cette  région 
aucun  sapin  mais  surtout  des  pins  maritimes  ;  la  langue  basque 
n'est  parlée  qu'au  sud  de  l'Adour  ;  Agostin  et  Chiquita  sont  des 
noms  espagnols,  inconnus  dans  les  pays  où  les  servantes  s'appel- 
lent surtout  Gracieuse  ou  Miria,  car  Mionette  est  un  nom  du 
nord  de  la  France  ;  Chirriguirri  n'est  point  basque  et  n'en  a  point 
même  l'apparence.  Enfin  je  ne  connais  pas  de  famille  en  ac  dans 
cette  province. 

Mais,  puisque  je  parle  du  pays  basque,  je  dois  rappeler  les 
erreurs  et  les  inexactitudes  dont  fourmille  le  mauvais  roman 
Ramuntcho  de  Pierre  Loti.  L'action  se  passe  à  Sare,  déguisé  sous 
l'appellation  Etchez-ar  ;  or,  à  Sare,  on  ne  s'appelle  pas  Ramuntcho 
qui  est  un  diminutif  guipuscoan.  Etchezar  «  vieille  maison  » 
au  singulier,  n'est  point  un  nom  que  puisse  porter  un  village 
basque  ;  à  Sare  du  reste,  «  vieux»  se  dit  Zahur  :  Zar  est  guipus- 
coan. Par  une  erreur  inverse,  dans  le  célèbre  roman  espagnol  de 
Juan  Valera,  Pépita  Jimenez  (traduit  eu  anglais  sous  le  titre  de 
Don  Luis  or  the  Church  militant),  un  personnage  s'appelle  le 
comte  de  Genazahar  :  gêna  ne  signifie  rien  d'ailleurs. 

J'ai  sous  les  yeux  une  comédie  epagnole  intitulée  Don  Juan 
Carregui;  Carregui  est  inspiré  sans  doute  parle  nom  du  général 
carliste  Zunialacarnegui ;  mais  il  y  a  là  une  terminaison  locale 
de  collectivité  egui,  et  le  mot  indivisible  Zumalacar  «  bour- 
daines »;  le  nom  a  le  sens  de  :  dendioit  où  il  y  a  trop  de  bour- 
daines ». 

J.  V. 


L'Imprimeur- Gérant  : 

E.   Bertrand. 


CHALON-S-SAÔNE^   IMP.   FRANÇAISE  ET  ORIENTALE  E.   BERTRAND812 


A- 


/ 


NOMS  DR  NOMBHR  EN  TURC 
ET  EN  SAMOYÈDE 

(Suite  et  fin) 


Sept 

Les  formes  pour  ce  nombre  sont  les  suivantes  : 
Samoyède     sie-l-de       Ostiak 


se-i-de 

Ostiak 

hie-l-z 

Ostiak 

he-l-z 

Ostiak 

sei-1-bii 

Kamassine 

sai-1-bua 

Ta'vgi 

se-l-o 

Jénisséi 

si-l-u 

Jurak 

se-l-Li 

Jurak 

Turc              si-t-te 

Tchouwache 

se-t-ti 

Jacoute 

ye-t-ti 

Jacoute 

ye-(d)-di 

Osmanli 

te-(d)-dé 

Karagassi 

di-(t)-té 

Kobail 

dé-(t)-té 

Kobail 

çi-t-té 

Jacoute 

Le  «  t  »  ou  le  a  d  »,  placés  entre  parenthèses,  nous 

ont    paru    devoir    être    rétablis,    comme    ayant    été 

5 

—  66  — 

absorbés  par  la  consonne  identique,  immédiatement 
suivante. 

Si  le  nombre  six  est  constitué  par  un  et  cinq  (ou 
la  main),  le  nombre  sept  est  indiqué,  dans  le  comput 
sur  les  doigts,  par  :  deux  et  la  main.  Nous  retrou- 
vons cette  formation  dans  les  aspects  pour  sept,  rele- 
vés ci-dessus. 

Dans  sie-1  et  si-t,  nous  voyons,  en  effet,  l'équiva- 
lence absolue  des  formes  de  deux  isolé  en  samo- 
yède  :  si-te  ou  si-de,  employées  cette  fois  non  pas 
seulement  par  les  dialectes  samoyèdes  seuls,  mais 
encore  par  les  dialectes  turcs,  ce  qui  confirme  ce 
que  nous  avons  dit  plus  haut  à  propos  de  l'étroite 
parenté  des  aspects  de  deux,  dans  les  uns  et  les 
autres. 

Quant  aux  aspects  de  cinq,  dans  la  constitution  de 
sept,  ils  sont  identiques  aux  aspects  réduits,  par 
chute  de  la  consonne  finale,  déjà  relevés  à  propos 
de  la  formation  de  six.  La  dominante  en  «  t  »  de  ces 
aspects  réduits  a  mué  en  «  b  »  dans  le  kamassine  et 
le  tavgi,  ce  qui  suppose,  entre  «  t  »  et  «  b  »,  un 
intermédiaire  «  p  ». 

Inutile  d'insister  :  le  sept  du  samoyède  et  du  turc 
est  constitué  par  :  deux  plus  cinq. 

Huit 

Le  comput  sur  les  doigts  fournit  deux  façons 
d'indiquer  le  nombre  huit  : 

l»  —  Présenter  une  main  ouverte  et  l'autre  avec  le 
pouce  et  l'index  repliés  sur  la  paume  :  c'est  la  sous- 
traction de  deux  de  dix; 


ï 


—  67  — 

2°  —  Présenter  les  deux  mains  ouvertes,  mais, 
dans  chacune,  le  pouce  est  replié  sur  la  paume  :  c'est 
la  duplication  de  quatre. 

Le  premier  procédé,  celui  (ie  la  soustraction  de 
deux  de  dix,  a  été  employé  par  l'ostiak,  seul,  dans  les 
dialectes  samoyèdes  et  par  tout  le  groupe  turc. 

Ainsi  l'on  a  en  samoyède  ostiak,  pour  huit  :  sede- 
kan-kot.  Or,  en  ce  dialecte,  deux  isolé  est  sede  et 
dix  isolé  est  kot.  Par  suite,  sede-kan-kot  ne  peut  se 
traduire  que  par  :  deux  de  dix. 

Si  nous  n'écrivons  que  les  éléments  essentiels  de 
ce  composé,  soit  sede-kot,  la  comparaison  s'établit 
comme  suit  avec  les  formes  turques  de  huit  : 


sede-ko-t     Samoyède  ostiak 
si  (k)-ki-z    Osmanli  et  jacoute 
si  (k)-ki-z     Kobail 

Le  «  k  »  entre  parenthèses  a  été  rétabli,  dans  les 
formes  turques,  car  il  semble  avoir  disparu,  par 
absorption,  au  contact  de  «  k  »  initial  de  la  syllabe 
suivante.  En  effet,  les  formes  turques  pour  deux, 
dont  le  type  est  i-ki^  pour  si-ki  comportent  un  «  k  » 
après  «  i  ». 

Il  est  à  remarquer  que,  lors  de  l'analyse  des 
aspects  de  deux  isolé,  nous  avons  supposé  dans  i- 
ki,  deux  du  turc,  une  chute  de  «  s  »  et  que  la  forme 
complète  de  deux,  en  turc,  devait  être  si-ki.  Nçus 
la  retrouvons  intacte  dans  la  composition  de  huit_, 
avec  si-k  pour  deux  en  turc. 

Le  premier  élément  de  huit,  dans  les  aspects  se- 
de et  se-k,  a  donc  bien  la  valeur  deux. 


Il  est,  d'autre  part,  évident  que  ki-z^  du  turc,  est 
Féquivalent  de  ko-t^  du  samoyède-ostiak,  par  adou- 
cissement en  «  z  »  du  «  t  »  final  de  ko-t. 

Dans  le  samoyède  ostiak^  comme  dans  le  groupe 
turc,  le  nombre  huit  est  donc  exprimé  par  la  sous- 
traction :  deux  de  dix. 

Passons  aux  formes  de  huit  constituées  par  la 
duplication  de  quatre,  par  deux  (fois)  quatre.  On  a  : 

siti-data  (Tavgi)  avec  siti,  deux  isolé  et  tata,  quatre 
isolé. 

siden-det  (Jurak)  avec  side,  deux  isolé  ettet,  quatre 
isolé. 

siden-tede  (Kamassine)  avec  side,  deux  isolé  et  teto, 
quatre  isolé. 

eri-otto  (Jénisséi)  avec  sire,  deux  isolé  et  teto,  qua- 
tre isolé. 

Sauf  Tostiak,  qui  fait  huit  par  deux  de  dix,  les 
dialectes  samoyèdes  font  donc  huit  par  deux  fois 
quatre. 

Il  est  à  remarquer  que,  dans  le  samoyède  jénisséi, 
les  consonnes  initiales  de  deux  et  de  quatre  ont 
disparu,  quand  ces  deux  nombres  ont  été  appliqués 
à  la  formation  de  huit.  Les  chutes  de  consonnes  ini- 
tiales ne  sont  donc  pas  l'apanage  du  groupe  turc  seul, 
elles  se  produisent  aussi  en  samoyède. 

Neuf 

Toujours  ce  nombre,  dans  le  coniput  manuel,  est 
indiqué  par  une  main  ouverte  et  le  pouce  de  l'autre 
main  replié  sur  la  paume.  C'est  une  soustraction  de 


—  69  — 

un  de  dix.   De   même,    les  vocables  pour  exprimer 
neuf  sonl  constitués  par  la  préposition  d'une  unité, 
celle  à  soustraire,  à  une  forme  exprimant  dix. 
Pour  neuf  nous  relevons  les  aspects  suivants  : 

Samoyède     oker-kan-kot  Ostiak 

ami-kan-thun  Kamassine 

abei-kan-ju  Jurak 

hasa-va-ju  Jurak 

ne-va-sa  Jénissei 

e-va-sa  Jénissei 

Turc  to-va-gos  Kobail 

to-va-hos  Karagassi 

tu-va-hus  Jacoute 

tu-va-hur  Tchouwache 

do-va-kuz  Osmanli 

Les  syllabes  kan  et  va^  de  ces  composés,  ont  la 
valeur  ôté  de  :  elles  ne  sont  donc  point  formalives, 
à  proprement  parler. 

En  ostiak  un  isolé  est  oker  et  dix  isolé  est  kot; 
neuf  est  formé  par  oker-kot. 

En  kamassine  aiiii-thun,  neuf  est  à  rapprocher  de 
om,  un  isolé  du  kamassine,  comme  de  oboi,  un,  du 
jurak.  11  reste,  pour  dix  :  thun,  soit  un  pluriel  «  les 
doigt  »,  identique  a  tun,  les  doigts,  dans  six  du  ka- 
massine, où  se  pluriel  a  alors  la  valeur  «  cinq  »  ou 
la  «  main  ».  11  est  vrai  que  bien,  dix  isolé  du  kamas- 
sine, est  un  équivalent  de  «  les  doigts  »  contenus 
dans  cinq  sous  la  forme  tun,  dont  bien  ne  diffère 
que  par  radoucissement  de  «  t  »  en  «  b  »  par  un  in- 
termédiaire supposable  «  p  ». 


—  70  - 

En  jurak  l'aspect  pour  neuf  :  abei-ju,  est  composé 
de  ohoei,  un  isolé  du  jurak,  plus  àe  ju,  forme  isolée 
de  dix  dans  le  même  dialecte.  L'autre  aspect  jurak 
de  neuf  hasa-va-ju,  soit  hasa-ju  après  suppression 
de  la  copule  de  soustraction,  donne  ha-sa  pour  un 
elju  pour  dix.  La  forme  de  a  un  »  ha-sa,  s'analyse 
en  ha,  pour  kwa,  le  pouce  plus  sa^  pour  ta^  doigt. 
Nous  retombons  dans  la  composition  ordinaire  de 
«  un  »,  le  pouce-doigt. 

Dans  ne-sa  et  e-sa,  cette  dernière  forme  avec 
chute  de  «  n  »  de  ne-sa,  le  neuf  jénisséi  offre  ne,  un, 
comme  équivalent  de  o-m,  avec  «  m  »  pour  «  mo  », 
le  pouce,  cette  forme  en  c  m  »  muée  en  a  n  »  dans 
ne.  L'aspect  sa,  pour  dix,  a  perdu  la  finale  «  n  »,  ce 
qui  restitue,  pour  dix,  un  aspect  sa-n,  adoucisse- 
ment, de  «  t  »  en  «  s  »,  de  tun,  les  doigts,  forme 
déjà  signalée. 

Le  neuf  des  dialectes  turcs  peut  se  ramener  à  un 
type  to-kiiz,  avec  to  pour  un  et  doigt  et  ku-z  pour 
dix,  équivalent  déjà  signalé  de  ko-t,  dix  isolé  de 
l'ostiak,  qui  est  un  pluriel  de  doigt  par  ko,  doigt  et 
«  t  »  indice   pluriel  exprimé   par   un   signe   d'unité. 

Dans  l'ensemble  des  dialectes  samoyèdes  et  turcs 
la  valeur  neuf  est  donc  exprimée  par  «  un  »  suivi 
d'une  forme  de  dix,  soit  par  un  à  retirer  de  dix. 

C'est  la  soustraction  du  pouce,  opérée  sur  les 
deux  mains,  dans  le  geste  manuel  pour  indiquer 
neuf. 


—  71  — 

Dix  et  les  Décades 

Les  aspects  de  dix  isolé  sont  ceux  suivants  : 


Samoyède 

kuot 
ko-t 

Ostiak 

bie-n 

Kamassine 

bie-d 

— 

bi  -u 

Jénisséi 

bi 

Tavgi 

J      -u 

Jurak 

Turc 

wo-nna 

Tchouwache 

o-n 

Kobail,   karagassi, 
osmanli 

jacoute, 

Toutes  ces  formes  sont  constituées  par  un  pluriel 
de  doigt  :  elles  se  traduisent  donc  simplement  par  : 
les  doigts,  ce  qui  est  conforme  au  comput  manuel. 
En  effet,  pour  dix,  on  dresse  tous  les  doigts,  ceux 
de  l'une  et  de  l'autre  main. 

Comme  dans  la  formation  de  cinq  on  a,  dans  celle 
de  dix,  un  élément  unitaire,  valant  doigt,  puis,  à  la 
suite,  un  second  élément  unitaire,  indice  du  pluriel, 
ce  qui  se  traduit  par  :  «  les  doigts  >k 

Dans  le  cas  présent,  le  premier  élément  unitaire 
se  présente  sous  les  aspects  : 

kuo 
ko 
bie 
bi 

i 

wo 
o. 


—  72  — 

Dans  kuo  et  ko  l'on  a  la  forme  primitive  en  «  k  » 
pour  doigt.  Dans  bie  et  bi  l'on  a  une  dégénérescence 
de  a  k  »  en  «  b  »  par  un  intermédiaire  nécessaire 
«  p  »  ;  à  noter  que  nous  avons  déjà  rencontré  la 
valeur  unitaire  doigt  ou  un,  dans  de  nombreux 
aspects  du  nombre  «  un  »,  c'est-à-dire  dans  tout  le 
groupe  turc,  dans  le  jurak  et  dans  le  kamassine. 

L'aspect  en  «  j  »  (prononcer  «  i  »)  est  né  de  la 
chute  du  «  b  »  de  bi  ;  l'aspect  wo  est  l'équivalent 
direct  de  ceux  avec  début  en  «  b  »  ;  dans  l'aspect 
«  o  »  il  y  a  chute  d'une  initiale  «  w  »  ou  «  b  ». 

Passons  aux  aspects  du  second  élément  unitaire, 
celui  qui  constitue  l'indice  du  pluriel. 

Cet  élément  se  présente  sous  les  aspects  «  t  », 
«  d  »,  «  n  »,  «  u  »  (pour  «  m  »).  Dans  la  formation  de 
neuf,  nous  avons  déjà  rencontré  avec  la  valeur  uni- 
taire, les  aspect  «  t  »,  «  d  »  et  «  n  ».  Celui  «  u  »  a  été 
fourni  par  soborleggo,  cinquante  du  jénisséi,  qui  est 
le  pluriel  de  soborleggo,  cinq  du  même  dialecte. 

Dans  la  forme  bi,  du  tavgi,  pour  dix,  il  est  clair 
que  rindice  du  pluriel  est  tombé.  Il  suffît^  pour  s'en 
convaincre,  de  comparer  cette  forme  avec  celle 
bie-ii,  bie-d  et  bi-u  du  dix  kamassine  ou  jénisséi, 

Nous  pouvons  donc  conclure,  de  cet  ensemble, 
que  «  dix  »,  forme  isolée,  est  constituée  par  le  plu- 
riel «  les  doigts  »,  dans  le  groupe  samoyède  comme 
dans  le  groupe  turc. 

Passons  à  l'examen  des  formes  de  dix,  dans  les 
décades  de  trente  à  quatre-viugt-dix. 

Aucune  observation  n'est  à  faire  en  jurak,  sauf 
pour  ([uatre-vingt-dix.  Chacune  des  décades,  même 


—  73  — 

vingt,  est  constituée  en  siiflîxant  aux  formes  pour 
deux,  trois,  quatre,  cinq,  six,  sept  et  huit,  la  forme 
de  dix  isolé  y?«.  Mais  quatre-vingt-dix  prend  l'aspect 
hasava-jur,  quand  y7//*  est  cent  en  jurak  et  que  neuf 
est  hasava-ju.  Or,  hasava  signifie  «  un  ôté  de  ». 
Dans  hasava-ju,  neuf  l'on  a  «  un  ôté  de  »  yw,  dix; 
dans  hasava-jur  Ton  a  «  un  ôté  de  »  jur  cent,  c'est- 
à-dire  une  (dizaine)  ôtée  de  cent. 

En  ostiak,  à  chacun  des  noms  de  nombre  de  l'ordre 
des  unités  est  jointe,  pour  valoir  dix,  un  des  aspects  : 

sar-m 

far-u 

har-u 

Dans  le  premier  membre  nous  voyons  la  valeur 
«  deux  »,  car  si  ce  nombre  est  rendu  par  site  en 
ostiak  il  est  site  et  sire  en  jénisséi.  A  chacun  des 
aspects  de  «  deux  »  :  sar,  far  et  har  est  joint  un 
indice  pluriel  «  m  »  ou  «  u  »,  pour  marquer  qu'il  ne 
s'agit,  dans  le  «  deux  »  en  question,  de  deux  unités, 
de  deux  doigts,  mais  bien  de  deux  pluralités,  des 
deux  mains.  Dans  ces  aspects  de  dix,  en  ostiak,  ce 
nombre  est  rendu  par  :  les  deux  mains,  ce  qui  est 
absolument  en  accord  avec  les  procédés  du  comput 
manuel.  Le  huit  ostiak  est  sede-kan-kot,  composé 
formé  de  :  sede,  deux;  Ar/zz,  ôté  de;  kot^  dix.  Pour 
quatre-vingt  l'on  a  sede-sarm-kanton,  soit  sede^ 
deux;  sarm,  les  deux  mains;  kan,  ôtées  de;  ton, 
cent.  Pour  quatre-vingt-dix  l'on  a  :  oker-sann-kan- 
ton,  avec  oker-sann,  une  fois  les  deux  mains,  ôtées 
de  cent,  car  oker  est  la  force  de  «  un  »  isolé. 


—  74  — 

En  tavgi,  aux  formes  isolées  des  formes  unitaires, 
est  jointe  la  forme  isolée  de  dix  :  bi.  Il  n'y  a  qu'une 
seule  exception  :  cinquante  n'est  pas  sanfa-lanka^ 
cinq,  plus  bi,  dix,  mais  bien  sanfa-bi.  La  forme 
sanfa-lanka,  de  cinq,  se  traduit  par  :  les  doigts,  une 
main  ;  soit  les  doigts  d'une  main.  Dans  sanfa  l'on 
n'a  plus  que  :  les  doigts,  une  ;  soit  les  doigts  une 
(fois). 

Le  jénisséi  est  assez  varié  dans  la  constitution  de 
ses  nombres  décadaires.  Son  dix  isolé  est  biu,  mais 
dans  trente,  il  a  :  nelii-bi^  avec  nehi  pour  iiehu^  trois 
isolé  et  bi^  réduction  de  bia^  dix  isolé. 

Il  a  :  pour  deux  sire,  et  pour  vingt  sire-ii 

pour  quatre  teto,  et  pour  quarante  tet-a 
^oxxv  c\n(j^soborleggo,  et  pour  cinquante  sobor- 

leggo-ii 
pour  six  motii,  et  pour  soixante  motu-i 
pour  sept  seo,  et  pour  soixante-dix  seo-u 
pour  huit  eiri-otto,  et  pour  quatre-vingt  siri- 

otto-u 
pour    neuf   nesa,     et    pour   quatre-vingt-dix 

nesa-ui. 

En  résumé,  le  jénisséi  constitue  ses  décades  en 
ajoutant  un  indice  de  pluralité  à  ses  nombres  uni- 
taires :  vingt  se  traduit  donc  par  :  les  deux,  quarante 
par  :  les  quatre,  etc. 

En  kamassine,  les  décades  vingt,  trente,  soixante- 
dix,  quatre-vingt  et  quatre-vingt-dix  sont  régulière- 
ment formées  par  la  suffixation  de  la  forme  de  dix 
isolé  au  nombre,  de  l'ordre  des  unités  correspon- 


—  75  - 

dant,  mais  ses  nombres  pour  quarante,  cinquante  et 
soixante  sont  empruntés  au  groupe  turc. 

Cela  dit  sur  les  formes  décadaires,  dans  le  groupe 
samoyède,  passons  à  l'examen  de  celles  usitées  dans 
le  groupe  turc. 

Mettons,  tout  d'abord,  hors  de  cause  le  karagassi, 
dont  les  décades  sont  toutes  régulièrement  formées 
par  la  suffixation  de  on,  son  dix  isolé,  à  chacun  des 
nombres  unitaires  de  deux  à  neuf. 

Pour    vingt,    les    dialectes    turcs    présentent    les 

formes  : 

di-ber-ga         Kobail 

dzi-ber-ga  — 

dzi-ber-ge  — 

i-kir-mi  Jacoute  et  osmanli 

sur-bei  — 

sur-ba  — 

sir-im  Tchouwache 

Par  sir-im,  du  tchouwache,  Ton  voit  clairement 
qu'il  s'agit,  dans  tous  les  aspects  parallèles  a  sir-im, 
d'une  équivalence  de  sar-m,  aspect  dont  la  traduc- 
tion, donnée  ci-dessus  est  :  les  deux  mains,  soit  dix. 
Par  suite,  l'élément  qui  précède  sir-im  et  ses  égalités 
ne  peut  vouloir  dire  que  deux,  car  si,  dans  une 
forme  pour  vingt,  on  rencontre  une  valeur  dix, 
l'élément  complémentaire  à  dix  ne  peut  signifier 
que  deux, 

Or,  précisément  les  aspects  dzi,  di,  puis  par  chute 
de  l'iniliale  «  i  »,  pour  «  di  »,  sont  des  équivalences 
directes  des  aspects  pour  deux  :  ci  et  diy  rencontrés, 
avec  la  valeur  deux,  dans  la  formation  de  sept. 


—  76  — 

Les  formes  de  vingt,  qui  viennent  d'être  citées', 
se  traduisent  donc  par  :  deux  fois  les  deux  mains, 
soit  :  deux  fois  dix. 

Passons  à  la  troisième  décade  :  trente.  Elle  se 
présente  sous  les  aspects  suivants  : 

ot-os  Kobail 
ot-es  — 

ot-uz  Jacoute  et  osmanli 

wut-ur  Tchouwache 

Lors  de  l'examen  de  la  formation  de  trois  nous 
avons  vu  que  le  radical  de  trois  était  ot,  les  augments 
ajoutés,  dans  les  aspects  de  trois,  précisent  seule- 
ment, par  un  aspect  pour  doigt,  qu'il  s'agit,  non 
pas  d'un  dépassant  quelconque,  exprimé  par  ot, 
mais  d'un  doigt  dépassant. 

Par  suite,  les  augments  joints  à  ot,  trois,  pour 
former  trente,  doivent  se  traduire  par  les  doigt,  soit 
par  :  dix.  En  effet,  nous  avons  vu,  lors  de  l'examen 
des  formes  de  dix  isolé,  dans  le  groupe  turc,  que 
o-n,  dix  est  pour  won,  avec  adoucissement  de  «  v  » 
en  «  o  »;  de  même,  à  propos  de  sai-m,  dix  en  com- 
position en  ostiak,  il  a  été  constaté  que  «  m  »,  finale 
de  cette  forme,  avait  «  u  »  pour  équivalence  dans  les 
aspects  égalant  sar-m,  farii  et  har-u.  Il  est  donc 
possible  de  rétablir  les  formes  pour  trente  comme 
suit  : 

ot-os  kobail  ot-vos  ou  encore     ot-mos 

ot-es  —  ot-ves  —             ot-mes 

ot-uz  jacoute  ot-vus  —             ot-muz 

w^ut-ur  tchouwache  wut-vur  —           wut-mur 


—  77  — 

Or,  dans  c'0-.9,  ve-s,  vus  et  vii-i\  comme  dans  m-os, 
m-es  et  m-iiz,  on  a  deux  éléments  unitaires  juxta- 
posés, ce  qui  répond,  comme  de  coutume,  à  un  plu- 
riel :  les  doigts,  autrement  dit  à  dix.  Trente  est  donc 
constitué  par  :  trois-dix,  trois  fois  dix. 

Arrivons  à  la  quatrième  décade,  à  quarante,  dont 
les  aspects  sont  les  suivants  : 

ki-r-k  Jacoule  et  osmanli 

ke-re-k         Kobail 
hi-ri-h  Tchouwache 

Ces  formes  nous  apparaissent  comme  constituées 
par  la  contraction  de  deux  éléments  :  iki,  deux  et 
ere-k,  de  l'homme,  génitif  de  er,  l'homme,  en  turc 
osmanli.  On  a  donc,  dans  quarante,  deux  de  l'homme, 
le  double  de  l'homme. 

Dans  nombre  de  langues,  à  système  vigésinal,  le 
nombre  vingt  est  exprimé  par  :  l'homme  ou  encore 
par  :  un  homme,  en  raison  du  fait  que  l'homme 
possède  vingt  doigts,  en  y  comprenant  ceux  des 
pieds.  Les  dialectes  turcs  rentrent,  à  propos  de 
quarante  :  deux  fois  l'homme,  dans  le  système 
vigésimal. 

Comme,  lors  de  l'analyse  de  cinq,  nous  avons 
examiné  les  formes  exprimant  cinquante,  nous  ne 
reviendrons  pas  sur  l'analyse  des  aspects  de  cette 
décade. 

En  kobail,  les  sixième,  septième,  huitième  et  neu- 
vième décades  sont  régulièrement  constituées  par 
la  suffixation,  aux  formes  isolées  de  six,  sept,  huit 
et  neuf  de  la  forme  on,  de  dix  isolé. 


—  78  — 

En  jacoute,  tchouwache  et  osmanli  les  huitième  et 
neuvième  décades  sont  également  de  forme  régu- 
lière, mais  les  sixième  et  septième  sont  exprimées 
par  la  suffixation,  aux  formes  isolées  de  six  et  de 
sept,  non  pas  de  la  forme  on  de  dix  isolé,  mais  bien 
de  mi-ch,  en  jacoute  et  en  osmanli  et  de  mi-l  en 
tchouwache.  Ces  formes  sont  des  pluriels  de  doigt, 
constituées  par  la  juxtaposition  de  deux  éléments 
unitaires;  elles  constituent  donc  dix  par  :  les  doigts. 
Elles  sont  à  rapprocher  des  formes  mo-s,  mes  et 
mii-z,  restituées  par  hypothèse  lors  de  l'examen  de 
la  formation  de  trente. 

Cent 

Les  formes  pour  ce  nombre  sont  celles  suivantes  : 

ju-r  Samoyède-jurak 
ji-r  —  tavgi 

ju  —         jénisséi 

su-r  Turc-tchouwache 

tu-s  Samoyède-kamassine 

tu-s  Turc-karagassi  et  kobail 

du-s  Turc-kobail 
su-z  —    jacoute 

yu-z  —     osmanli 

to-t  Samoyède-tavgi 
tu-t  —  — 

to-n  —  — 

Si  l'on  rapproche  jM,  dix,  du  samoyède-jurak,  de 
ju-i\  cent,  dans  le  même  dialecte,  il  est  évident  que 


—  79  — 

à  ju^  dix,  a  été  suffixe  un  indice  unitaire  de  pluralité 
qui  fait  de  ju,  dix;  ju-r,  les  dix,  les  dizaines.  Le 
nombre  cent  est  donc  exprimé  par  :  les  dizaines. 

Dans  le  jénisséi,  qui  fait  cent  paryM,  il  est  évident 
que  l'on  se  trouve  là  en  présence  de  la  chute  de  «  r  » 
finale  de  ju-r. 

Comme,  en  fait,  tous  les  aspects  de  cent,  relevés 
ci-dessus,  constituent  des  égalités  de  ju-i\  il  est 
permis  de  dire  que,  dans  le  groupe  samoyède  comme 
dans  le  groupe  turc  le  nombre  cent  est  constitué 
par  un  pluriel  de  dix,  par  :  les  dizaines. 

La  conclusion  serait  la  même,  notons-le,  si  l'on 
voulait  considérer  t-on  ou  t-uz  comme  constitués 
par  on  ou  uXy  dix,  l'élément  dix  précédé  d'un  indice 
de  pluralité  «  t  ». 

Mille 

Une   manière   simple   de   constituer   mille  est  de 
préposer  une  forme  de  dix  à  une  forme  de  cent. 
On  a  ainsi  dans  les  langues  qui  nous  occupent  : 

on-dus,  turc-kobail,  avec  on,  forme  isolée  de  dix  et 

dus,  cent  isolé, 
on-tus,  turc-karagassi,  avec  on,  forme  isolée  de  dix 

et  tus,  cent  isolé, 
ju-jur,  samoyède-jurak,  avec  ju,   forme  isolée  de 

dix  et  jur,  cent  isolé, 
kot-ton,  samoyède-ostiak,  avec  kot,  forme  isolée  de 

dix  et  ton,  cent  isolé, 
bi-jir,  samoyède-tavgi,  avec  bi,  forme  isolée  de  dix 

et  jir,  cent  isolé. 


—  80  - 

biu-ju,  samoyède-jénisséi,  avec  biu,  forme  isolée 
de  dix  et  ju,  cent  isolé. 

Toutes  ces  formes  de  mille  sont,  à  l'évidence, 
constituées  par  dix  et  cent,  soit  par  dix  fois  cent. 

Mais,  dans  le  groupe  turc  et  en  samoyède-kamas- 
sine,  dialecte  qui  semble  avoir  emprunté  sa  forme  de 
mille  au  groupe  turc  on  trouve  : 

pi-n  tchouwache 

mi-n  jacoute  et  samoyède-kamassine 

mu-n  kobail 

bi-n  jaconte  et  osmanli 

Il  s'agit,  dans  ces  aspects  divers,  d'un  pluriel  de 
doigt,  constitué,  comme  d'usage,  par  la  répétition 
de  deux  éléments  unitaires.  Mille  est  donc  ici  formé 
par  :  les  doigts. 

Nous  hasarderons,  toutefois,  une  hypothèse.  Le 
début  «  m  »,  ((  b  »,  «  p  »  de  ces  divers  aspects  de 
mille  a  pour  équivalence  indiscutable  «  m  ».  Or  «  m  » 
et  son  égalité  «  b  »  ont  une  valeur  spéciale  :  grand, 
grandement,  beaucoup.  C'est  ainsi  que  le  pouce,  le 
plus  volumineux  des  doigts,  a  pour  indice  particulier 
«  m  »  et  pour  sa  forme  la  plus  courante.  Le  «  b  », 
dans  les  dialectes  turcs,  a  également  un  sens  de 
grandeur,  par  exemple  dans  be-k,  bey,  chef,  grand. 
Il  serait  donc  permis  de  supposer  que  les  aspects 
ci-dessus  de  mille  pourraient  se  traduire  par  beau- 
coup de  doigts;  la  valeur  «  beaucoup  »  rendue  par 
la  syllabe  de  début  et  la  valeur  «  doigt  »  rendue  par 
la  finale  «  n  ». 


—  81  — 


OBSERVATION 


Constamment,  on  a  pu  le  remarquer,  des  formes 
numérales  turques  se  trouvent  en  relation  étroite 
avec  celles  samoyèdes,  pour  indiquer  un  même 
nombre.  Souvent,  un  aspect  turc  eut  été  fort  difficile 
à  analyser  en  Tabsence  des  points  de  comparaison 
fournis  par  le  samoyède.  Il  existe  donc  une  parenté 
étroite  entre  le  turc  et  le  samoyède,  tout  au  moins 
en  ce  qui  concerne  les  noms  de  nombre.  Or,  la 
parenté  des  noms  de  nombre,  entre  parlers  diffé- 
rents, a  été  jusqu'ici  considérée,  en  linguistique, 
comme  Tindice  d'une  origine  commune.  Il  semble 
donc  que  le  turc  et  le  samoyède  sont  issus  d'une 
même    souche,    qu'ils    appartiennent    à    une    même 

famille. 

J.-A.  Decourdemanche. 


Tableau  des  noms  de  nombre  dans  le  groupe  turc 

Les  nombres  qui  précèdent  chaque  nom  de  nombre  se  rapportent  à  : 

1,  au   Kobail  ; 

2,  au   Karagassi  ; 

3,  au  Jacoute  ; 

4,  au  Tchouwache  ; 

5,  au  Turc  Osmanli  ; 

1  ^  ber,  bir,  'bira,  ^ber,  ^per,  ''bir. 

2  Mke,  iki,  'ihi,  'ike,  Mkke,  4ki. 

3  'us,  uts,  ^uits,  '  uts,  Svisse,  Hitch. 

4  '  teurt,  tort,  'tott.  dort,  'tort,  Mwatu,  'deurt. 

5  'bis,  bich,  bech,  bes,  'beis,  'bich,  *pilik,  'bech. 

6  'alte,  alteu,  'alte,  '.alte,  'olta,  =alte. 

6 


—  82  — 

7  Mité,   dété,   Hédé,  tiédé,  'tchitti,  setti,  ''sitte, 

satta,  ^yedi. 

8  ^sikis,  segis,  *sehes,  'sekiz,  *sakkir,  'sekiz. 

9  '  togos,  Hohoz,  'tuhus,  *tuhijr,  Mokuz. 
10  Mn,  ^on,  ''on,  Svonna,  'on. 

20  Viiberge,    dibarga,    dziberge,    'ihon,    'ikirmi, 

surbei,  surba,,  *sirim,  'ikirmi. 
30  ^  otos,  otes,  -iidon,  'otiiz,  *wutur,  'otuz. 
40  Mverek,  Morton,  '  kirk,  *hirih,  "kirk. 
50  Mlik,  ilek,  'bedon,  'elli,  Mlla,  =elli. 
60  'alton,  'alton,  'altmich,  Mtmil,  'altmich. 
70  Vlilon,     deton,     'tieton,     'tchitmich,     'sitmil, 

Metmich. 
80  '  sigison,     ^seheson,'    ^seksen,    *sakkir-wonna, 

'seksan. 
90  'togoson,    Hohoson,    Moksan,    Uukur-wonna, 

Moksan. 
100  'dus,  tus,  Hus,  'suz,  ^sur,  *yuz, 
1000  'on-dus,  mun,  ^on-dus,  'min,  bin,  *pin,   ^bin. 


Tableau  des  noms  de  nombre  dans  le  groupe 
samoyède 

Les  nombres  qui  précèdent   chaque    nom   de   nombre  se  rapportent  à  : 

1,  au  Jurak; 

2,  au  Ostiok; 

3,  au   Tavgi  ; 

4,  au  Jénisséi; 

5,  au  Kamassine. 

1  'oboi,  ob,  'oker,  okur,  ^oai,  ^o,  "ob,  on. 

2  'sidea,  sid,  ■'sede,  site,  sitte,  ^siti,  \sitle,  sire, 

'side. 


-83- 

3  '  nahar,  nar,  'nagiir,  noar,  nar,  'nagur,  *nehu, 

'nagur. 

4  'tiet,   tet,    '  tet,    tetta,   tiet,    tietta,   Mata,    'teto, 

ihede. 

5  ^samlan,  samblan,  sambilank,  ^sumblan,  sem- 

ble, homplan,  'sanfalanka,  ''soborleggo,  sa- 
borga,  soboi'rcgo,   'samna,  samala. 

6  'mat,   'mukle,  rmiklel,  miikten,    'matu,  ^motu, 

muktud,  miikUin. 

7  'siu,  seii,   'selde,   sielde,  helz,   hielz,   'saibiia, 

^seo,  'seibu. 

8  '  sidendet,   ^sede-kan-kot,   ^sitidata,   *eiri-otto, 

'sinthede. 

9  Miasavaji,   liabeiju,   "oker-kan-kot,   'ameituma, 

*esa,  nesa,   'amithun. 
10  'ju,  "kot,  kuot,  M^i,  *biii,  'hied,  bien. 
20  'side-jn,    'sede-sarm,    lesarm,    'siti-bi,    ^sidiu, 

sireu,  ^site-bied. 
30  'nahar-JLi,  Miak-sarm,  iiaiarii,   'nagur-bi,  "nehi- 

bi,    'nagur-bieii. 
40  'tet-jii,    'te-sarm,    le-harii,     'tata-bi,    Helou, 

'khera. 
50  'samlan-jii,  'sombla-sarm,  somble-haru,  'san- 

fa-bi,    'soborleggoii,    soborgou,    seiborgui, 

^ilik. 
60  '  mat-JLi,  ^miik-sarm,  mtik-la-harii,  muk-ta-ru, 

^matu-bi,  ^motui,  'althon. 
70  'siu-JLi,     ''se-sarm,     helze-haru,     'saibua-bi, 

^seou,  seeu,    seib-bied. 
80  '  sidemlet-ju,  ^sede-sarm-kan-ton,  'sitidata-bi, 

*sri-otou,  'sinthede-bied. 


—  84  — 

90  ^hasava-ju,  ^oker-sarm-kan-ton,  ^  ameituna-bi, 
*esau,  nesaui,  'amithun-bied. 
100  'jur,  'ton,  tôt,  tut,  'jir,  'ju,  'tus. 
1000  ^juonar,  ju-jur,  'kot-ton,  'bi-jir,  ^biu-ju,  'min. 
Nota.  —  Le  kamassine  semble  avoir  emprunté  ses 
formes  pour  40,  50,  60  et  1000  au  groupe  turc. 


L'INDK  DRAVIDIENNE 

Observations  à  propos  de  deux  publications  récentes 


Les  deux  ouvrages  dont  il  s'agit  n'ont  rien  de  com- 
mun, ils  sont  tout  à  fait  différents  par  leurs  auteurs, 
leur  objet  et  le  public  auquel  ils  s'adressent. 

L'un,  se  présente  comme  une  œuvre  de  vulgarisation 
et  a  pour  auteur  un  jeune  homme  qui  est  dans  l'Inde 
depuis  deux  ans  à  peine,  l'autre  a  été  composé  par  un 
missionnaire  anglican  qui  a  passé  de  longues  années 
dans  le  pays  tamoul  et  qui  offre  à  un  petit  nombre  de 
savants  et  d'érudits  le  fruit  de  ses  patientes  recherches. 

Le  premier  est  une  thèse  pour  le  doctorat  d'Univer- 
sité soutenue  devant  la  Faculté  des  lettres  de  Paris  par 
M.  Jouveau-Dubreuil,  professeur  au  collège  de  Pondi- 
chéry  ;  elle  forme  deux  volumes  de  142  et  146  p., 
illustrés  de  nombreuses  vues  photographiques  et  inti- 
tulés «  Architecture  »  et  «  Iconographie  du  sud  de 
l'Inde  ».  L'autre,  est  une  nouvelle  édition  de  la  «  gram- 
maire comparée  ))  de  Caldwell  ;  la  première  édition 
avait  paru  en  1856  et  l'auteur  lui-même  en  avait 
publié  une  seconde  soigneusement  révisée  en  1875. 

Je  garde  pour  l'ouvrage  de  Caldwell  une  reconnais- 
sance éternelle  parce  que  c'est  par  lui  que  j'ai  été  initié 
à  la  linguistique  et  à  la  méthode  de  la  science.  Mes  mai- 


-  86  — 

très  m'avaient  appris,  à  Karikal,  qu'il  y  a  dans  Tlnde 
deux  groupes  de  langues  n'ayant  absolument  rien  de 
commun  l'un  avec  l'autre.  Je  connaissais  la  préface 
de  la  grammaire  télinga  de  Campbell,  où  Ellis,  en  1816, 
affirmait  l'indépendance  des  langues  dravidiennes 
qu'on  avait  jusque  là  rattachées  au  sanscrit  au  même 
titre  que  l'hindoustani,  le  bengali,  le  mahrati,  etc. 
Mais  j'ignorais  encore  tout  à  fait  en  1863  la  grammaire 
de  Caldwell  ;  j'appris  son  existence  par  hasard,  en  la 
voyant  citée  dans  un  article  de  Revue.  J'étais  alors  à 
l'Institution  Barbet,  rue  des  Feuillantines,  à  Paris,  où 
je  me  préparais  au  concours  d'admission  à  l'Ecole 
Forestière  et  j'avais  pour  correspondant  mon  parrain, 
M.  Jacques  Demogeot,  le  professeur  bien  connu.  Il 
m'indiqua  la  librairie  Klincksieck,  rue  de  Lille,  comme 
la  seule  maison  où  je  pourrais  trouver  le  livre  à  Paris, 
j'écrivis  aussitôt  à  M.  Klincksieck  pour  lui  demander 
s'il  avait  un  exemplaire  du  livre,  et  si  sa  librairie 
était  ouverte  le  dimanche,  seul  jour  où  je  pouvais  y 
aller.  M.  Frédéric  Klincksieck  me  répondit  fort  aima- 
blement, avec  une  bonne  grâce  dont  je  lui  ai  su  toujours 
gré,  qu'il  tenait  l'ouvrage  à  ma  disposition  et  que  son 
magasin  serait  exceptionnellement  ouvert  le  dimanche 
suivant  jusqu'à  midi.  On  juge  avec  quel  empressement 
j'y  courus  ;  à  peine  en  possession  du  précieux  volume, 
je  me  mis  à  le  feuilleter  dans  la  rue  même,  ce  qui  était 
encore  possible  à  cette  épo(jue  où  la  circulation  n'avait 
pas  atteint  l'intensité  que  lui  ont  donnée  depuis  les 
vélocipèdes  et  les  automobiles  ;  on  n'avait  guère  à  se 
garer  que  de  fiacres  paisibles  et  d'omnibus  pacifiques. 
Nous  travaillions  beaucoup  chez  Barbet  :  de  cinq  heu- 


—  87  — 

res  du  matin  à  neuf  heures  du  soir,  seize  heures,  à 
peine  interrompues  par  trois  heures  de  récréation  que 
coupaient  les  deux  repas.  Il  me  fut  donc  possible, 
sans  trop  nuire  à  mes  études  de  consacrer  une  heure, 
chaque  jour,  à  lire  et  relire  le  livre  du  savant  mission- 
naire anglais,  il  ne  m'a  jamais  quitté  ;  et  m'a  accom- 
pagné de  Nancy  à  Libourne,  à  Lussac,  à  Bayonne,  à 
La  Réole,  à  Bagnères-de-Bigorre,  à  Paris  et  je  me 
réfère  plus  volontiers  à  la  première  édition  qu'à  celle 
pourtant  considérablement  augmentée  de  1875. 

Cette  édition  était  depuis  longtemps  épuisée  et  de 
toutes  parts  on  en  réclamait  la  réimpression,  le  soin 
de  la  préparer  a  été  confié  au  sieur  Wyatt  qui  s'est 
fait  aider  par  un  indien  éminent  Ramakrichnappoullé, 
ancien  directeur  de  l'enseignement  indigène,  dans  la 
présidence  de  Madras  ;  le  choix  ne  pouvait  être  meil- 
leur car  Ramakrichna  est  un  des  tamulisans  les  plus 
instruits,  à  qui  les  autres  langues  dravidiennes  ne  sont 
point  inconnues.  Depuis  trente-huit  ans,  les  études 
indiennes  ont  fait  d'immenses  progrès,  on  a  recherché 
les  variétés  dialectales,  on  connaît  mieux  les  idiomes 
non  littéraires  et  on  a  publié  plusieurs  ouvrages  de 
généralisation,  la  question  se  posait  donc  si  l'on  devait 
réimprimer  l'ouvrage  tel  quel,  ou  le  mettre  au  courant 
de  la  science  actuelle,  les  éditeurs  ont  pris  le  premier 
parti;  on  ne  saurait  les  en  blâmer  car  le  livre  de 
Caldwell  qui  a  été  le  premier  de  ce  genre  doit  rester 
debout  comme  ces  monuments  vénérables  de  l'an- 
tiquité qu'on  respecte  mais  à  côté  desquels  on 
élève  des  édifices  nouveaux  mieux  adoptés  aux  habi- 
tudes modernes,  MM.  Wyatt  et   Ramakrichna  ont 


—  88  — 

corrigé  les  statistiques  et  arrangé  certains  détails 
ethnographiques,  ils  ont  cru  devoir  transcrire  en  lettres 
latines  tous  les  mots  grecs,  précaution  un  peu  puérile 
dans  un  livre  écrit  pour  des  hommes  de  science,  ils 
ont  abrégé  certaines  discussions  un  peu  "  fastidieuse 
et  supprimé  certaines  dissertations  qui  leur  ont  paru 
n'être  plus  au  courant  des  travaux  contemporains, 
celle  notamment  relative  aux  parias  et  aux  dravidiens 
antiques.  Je  regrette  qu'ils  n'aient  pas  ajouté  un  cha- 
pitre tout  à  fait  séparé  pour  résumer  les  travaux  les 
plus  récents. 

Le  livre  de  Caldv^ell,  quelque  excellent  qu'il  soit, 
n'est  pas  parfait  ;  on  peut  lui  reprocher  tout  d'abord 
une  préocupation  qui  plane  fâcheusement  sur  tout 
l'ouvrage,  celle  de  l'unité  primitive  du  langage 
humain  ;  aussi  l'auteur  adopte-t-il  la  théorie  toura- 
nienne  et  cherche-t-il  constamment  des  affinités  de 
grammaire  et  de  vocabulaire;  ces  dernières  sont  des 
ressemblances  accidentelles  qui  ne  prouvent  rien  et 
les  autres  sont  pour  ainsi  dire  des  syncronismes  de 
mentalité.  Le  savant  missionnaire  n'a  pas  vu  qu'à 
l'origine  de  toutes  les  langues  les  racines  se  groupent 
en  deux  séries  parallèles  exprimant  d'une  part  l'action 
et  le  mouvement  et  de  l'autre  le  repos  et  l'inertie.  C'est 
ainsi  que  partout  le  verbe  n'a  que  deux  temps,  un 
passé  qui  est  certain,  et  un  présent  qui  est  indécis  ; 
en  dravidien  le  présent  est  indiqué  par  la  gutturale, 
signe  du  datif  et  du  mouvement,  et  le  passé  par  la  den- 
tale, signe  adjectif  de  situation  et  d'état.  Ainsi  encore 
les  pronoms  de  première  et  de  seconde  personne,  an 
et  în  viennent  des  démonstratifs  a  qui  marque  l'éloi- 


—  89  — 

gnement  et  i  qui  exprime ]a  proximité;  a  ne  demande 
aucun  effort,  i  au  contraire  est  l'objet  d'une  attention 
particulière.  De  même  je  rattacherais  à  ces  démons- 
tratifs les  nombres  un  et  deux  :  le  nombre  grammatical 
et  le  nombre  arithmétique  ont  la  même  origine,  ils 
ont  pour  point  de  départ  la  distinction  entre  celui  qui 
parle  et  la  collectivité  objective,  puis  on  a  distingué  le 
duel  et  le  pluriel  avec  les  nuances  inclusives  et  exclu- 
sives, de  là  les  nombres  deux,  trois,  et  même  quatre  ; 
en  dravidien  cinq  est  ai,  et  non  ei  et  il  faut  y  voir 
kai  «  main  »  de  même  que  le  suffixe  âl  de  l'instru- 
mental est  une  réduction  de  kal  «  canal,  voie,  moyen  ». 

Les  deux  volumes  de  M.  Jouveau-Dubreuil  sont  fort 
intéressants;  c'est  le  premier  travail  d'ensemble  qui  ait 
été  fait  sur  le  sujet,  les  gravures  sont  bien  choisies, 
bien  prises,  bien  venues,  mais  le  texte  qui  les  accom- 
pagne laisse  beaucoup  à  désirer  ;  l'auteur  a  adopté 
pour  les  noms  topographiques  la  déplorable  ortho- 
graphe anglaise,  sous  prétexte  qu'elle  est  officielle  et 
qu'elle  facilite  les  recherches  sur  les  cartes,  mais  sur 
les  cartes  les  mêmes  noms  sont  écrits  d'une  façon  diffé- 
rente et  les  anglais  s'occupent  de  corriger  leurs  trans- 
criptions. D'ailleurs  beaucoup  de  ces  noms  ont  une 
orthograplie  française  qui  est  encore  en  usage  à  Pondi- 
chéry  ;  il  faut  donc  écrire  «  Maduré,  Tanjaour,  Triche- 
napally,  Arcate,  Maïssour  »  et  non  «  Madura,  Tan- 
jore,  Trichinopoly,  Arcot,  Mysore  »,  orthographe 
beaucoup  plus  près  de  la  forme  tamoule  ;  et  que  dire  de 
Cuddalore  pour  Goudelour,  cette  petite  ville  voisine  de 
Pondichéry  dont  Bussy  s'empara  en  1782,  d'où  il  écri- 


-  90  - 

vit  tant  de  lettres  ?  Dans  ses  publications  officielles,  ses 
recueils  d'Inscriptions,  M.  Hultzsch,  épigraphiste  du 
Gouvernement  de  Madras,  écrit  toujours  correcte- 
ment Tanjavûr,  Mâmallapuram  Kânchipurarn^  etc. 
Je  ferai  la  même  observation  pour  les  noms  de  per- 
sonne, car  j'estime  qu'il  faut  transcrire  les  mots  tamouls 
suivant  la  prononciation  jusqu'au  moment  où  cette 
transcription  ne  permettrait  pas  de  rétablir  la  forme 
originale  ;  ainsi  le  nom  du  pandit  Vinâyagampillei 
doit  être  ainsi  écrit  et  non  Vinàyakampillai  comme  on 
le  fait  à  Madras,  ou  Vinayagompoullé  comme  à  Pondi- 
chéry.  Quant  aux  noms  des  dieux  indous,  M.  J,-D. 
les  donne  tantôt  sous  la  forme  sanscrite,  tantôt  sous 
la  forme  tamoule,  tantôt  sous  une  forme  irrégulière 
qui  n'est  ni  l'une  ni  l'autre.  Il  y  a  mieux  encore,  cer- 
taines images  portent  des  légendes  en  caractères  ta- 
moules  ;  beaucoup  sont  très  défectueuses.  Je  prends 
trois  exemples  au  hasard  :  page  125,  «  Mâriyattâl  »  a 
perdu  son  /  cérébral  final;  p.  31,  «  Dakchinamùrtti  » 
est  écrit  avec  nâ  long  très  mal  fait,  un  mou  bref,  un  r 
dento-palatal  et  un  seul  t  ;  p.  .39,  «  le  mariage  de 
Mînakchi  »  traduit  Mînâkchi  kaliyanam  devient  Mi- 
nâchji  kaliyanam  sans  n  cérébral  et  Pârvati  allonge 
son  second  a.  On  dirait  que  ces  mots  ont  été  dictés  par 
quelqu'un  qui  ne  savait  pas  le  tamoul  à  un  écolier 
ignorant  qui  copiait  un  syllabaire.  M.  J.-D.,  dont  les 
descriptions  et  les  classifications  sont  exactes  et  bien 
observées,  n'est  pas  suffisamment  informé  de  l'histoire 
et  de  la  mythologie  indiennes  ;  il  s'étonne  de  ne  pas 
trouver  de  statues  vichnouvistes  avant  le  XIP  siècle. 
C'est  que  le  vichnouvisme  ne  s'est  répandu  dans  le  sud 


—  91   — 

de  rinde  comme  secte  distincte  qu'après  la  réforme  de 
Râmanuja.  Ailleurs  il  remarque  que  les  statues 
d'abord  nues  ne  sont  habillées  qu'à  une  époque  récente  : 
il  n'y  a  là  ni  impudence  ni  naïveté,  mais  un  sentiment 
spécial  qui  se  traduit  par  ce  fait  qu'aujourd'hui  encore 
dans  l'intérieur  des  terres,  les  femmes  se  découvrent 
la  poitrine  pour  honorer  un  visiteur  de  distinction  et 
que  dans  les  cérémonies  religieuses  les  hommes  doivent 
avoir  le  torse  nu.  La  pagode  de  Bahour  n'a  pas  été 
construite  à  l'époque  de  la  donation  que  j'ai  publiée, 
c'est-à-dire  vers  850,  mais  {51  us  tard,  car  les  inscriptions 
les  plus  anciennes  qu'on  y  trouve  sont  du  roi  Tchalu- 
kya-krichna  III  qui  a  régné  de  922  à  935.  M.  J.-D. 
dit  que  nous  ne  savons  rien  de  la  religion  préaryenne 
des  Tamouls  :  c'est  une  erreur,  car  nous  apprenons 
beaucoup  de  détails  dans  les  vieux  poèmes  et  dans  le 
Çivaïsme  qui  a  incorporé  beaucoup  des  cultes  locaux. 
L'étude  du  vocabulaire  nous  fait  voir  que  les  dravi- 
diens  antiques  n'avaient  ni  dieux,  ni  temples,  ni 
prêtres;  ils  avaient  seulement  des  sorciers,  des  conju- 
reurs,  des  devins,  qui  prédisaient  notamment  l'avenir 
au  moyen  d'un  coq,  de  carrés  magiques  et  de  grains 
de  riz  et  qui  entre  temps  servaient  de  messagers  aux 
amoureux  ;  on  les  appelait  pâi-ppân  (prononcé  aujour- 
d'hui pâpan)  «  celui  qui  voit  »,  mot  que  Caldwell 
rapproche  ingénieusement  de  notre  épiscopus  et  qu'on 
applique  péjorativement  aux  brahmes. 

Les  Dravidiens  redoutaient  un  grand  nombre  d'êtres 
malfaisants,  vampires,  gnomes,  revenants,  cadavres 
animés,  feux  follets,  démons,  dont  on  entendait  les  cris 
dans  les  solitudes,  dont  les  enfants  pleuraient  la  nuit 


—  92  — 

oubliés  auprès  des  arbres,  dont  on  voyait  fuir  les  chars 
dans  les  rafales  de  poussière  soulevées  par  le  vent  au 
fond  des  plaines  désertes;  ils  avaient  aussi  des  divinités 
bienfaisantes  et  protectrices  :  aiyanâr  «  le  maître  », 
piUeiyâi'  «  l'enfance  délicate  »,  mannâr  çuvâmi  «  la 
terre  souveraine  »,  vêl  a  le  brillant  »,  murugu  «  le 
jeune  »  et  d'autres  encore  que  le  çivaïsme  a  absorbés 
ainsi  que  les  légendes  locales.  Le  culte  phallique  du 
Linga  vient,  je  crois,  des  cultes  naturalistes  originaux; 
le  çivaïsme  nous  apparaît  comme  un  mélange  du  brah- 
manisme avec  les  religions  tbcales. 

Quand  et  comment  s'est  faite  la  civilisation,  ou,  si 
on  le  préfère,  l'organisation  du  sud  de  l'Inde  :  les 
Romains  et  les  Grecs,  par  le  golfe  persiqne,  venaient 
trafiquer  sur  les  côtes  occidentales  ;  ils  y  ont  fondé 
probablement  de  véritables  colonies  et  l'on  a  trouvé 
assez  loin  dans  l'intérieur  des  médailles  romaines  en 
bronze,  ce  qui  est  caractéristique.  Les  géographes 
grecs  et  latins  nous  ont  transmis  des  noms  du  pays  où 
il  est  facile  de  reconnaître  des  mots  tamouls,  par 
exemple  le  royaume  du  Pandion  et  sa  capitale  Modura 
et  les  CTcbpai  v6[j.a  au  milieu  desquels  sont  des  noms 
sanscrits,  par  exemple  celui  du  cap  Comorin,  Koumari 
«  la  fille  »,  ou  plutôt  Ikanyà  Koumari  a  la  fille 
vierge  »;  c'était  un  lieu  de  pèlerinage  renommé;  il 
s'est  trouvé  des  jésuites  naïfs  ou  zélés  pour  faire  de 
cette  expression  Ikaniàka  Mari  a  la  vierge  Marie  »,  ce 
qui  impliquerait  la  primitivité  du  christianisme.  Les 
Tamouls  ont  des  listes  généalogiques.  La  plus  ancienne 
des  rois  de  Maduré,  qui  va  jusqu'au  X®  siècle,  com- 
prend soixante-trois  noms  ;  en  supposant  que  chacun 


—  93  — 

ait  régné  une  vingtaine  d'années,  cela  nous  reporterait 
au  IV*  siècle  avant  J.-C,  et  les  Aryens  ont  dû  venir 
bien  auparavant.  Les  premiers  immigrants  ont  dû  être 
des  missionnaires  peut-être  bouddhistes  qui  ne  réus- 
sirent  pas   auprès  des   populations  barbares  et  s'en 
retournèrent  disant  merveilles  de  ces  riches  pays,  de 
ces  terres  fertiles.  Des  pillards  y  descendirent,  puis 
les  rois  du  Nord  envoyèrent  des  troupes  régulières  qui, 
pour  assurer  leur  conquête,  mirent  des  garnisons  dans 
des  forteresses  construites  à  la  hâte  sur  des  hauteurs; 
les  brahmes  vinrent  alors  et  formèrent  avec  des  soldats 
des  cités  (pattanam)  ;  les  marchands  arrivèrent  un  peu 
plus  tard,  se  réunirent  en  villes  (nagaram)  et  deman- 
dèrent aux  indigènes  Texcédent  de  leur  récolte,  les 
arbres  de  leurs  forêts,  les  produits  de  leur  sol  et  les 
huitres  perlières  que  la  mer  rejetait,  dit-on,  sur  les 
rivages.  Par  ces  rapports  de  plus  en  plus  fréquents 
entre  les  gens  des  deux  races,  les  Tamouls  acquirent 
beaucoup  de  mots  nouveaux  :  il  y  a  dans  la  langue 
deux  séries  d'emprunts  de  ce  genre,  le  premier  popu- 
laire, le  second  savant  et  pédantesque.  A  la  première 
appartiennent  des  mots  comme  ulagu  a  monde  »;  à  la 
seconde  la  forme  moins  altérée  loga.  De  leur  côté,  les 
nouveaux  venus  apprirent  la  langue  de  leurs  sujets,  les 
brahmes,  qui  s'établirent  dans  leurs  villages  et  s'y 
firent  donner  des  terres,  écrivirent  et  cultivèrent  les 
idiomes  indigènes  ;  c'est  à  leur  initiative  qu'est  due  la 
construction  des  pagodes  commencées  vers  le  III®  siècle 
de  notre  ère.  Les  villages  indigènes  s'administraient 
eux-mêmes,  les  habitants  se  réunissaient  en  assemblée 
(çabei)  et  il  y  avait  des  assemblées  régionales  (mahâ- 


—  94  — 

çabei)   qui  organisaient  des  comités  de  surveillance. 

La  propriété  était  collective  et  les  habitants  se  par- 
tageaient la  récolte  au  prorata  de  leurs  droits,  après 
déduction  de  la  part  du. roi,  des  frais  de  culture,  du 
salaire  des  serviteurs  municipaux  qu'on  appelait  kudi- 
inakkal  «  serviteurs  de  la  communauté  »  :  le  ministre 
officiant,  le  surveillant  des  cultures,  le  distributeur 
d'eau,  le  charpentier,  le  barbier,  le  forgeron,  le  blan- 
chisseur, auxquels  s'ajouta  plus  tard  le  constable  re- 
présentant du  roi. 

Ce  qui  montre  comment  la  langue  a  été  cultivée, 
c'est  la  modification  qui  s'est  opérée  dans  la  forme  des 
inscriptions  et  des  documents  écrits  :  les  plus  anciens 
sont  uniquement  en  sanscrit,  puis  le  dispositif  est  en 
langue  vulgaire.  Plus  tard  encore  les  préliminaires 
(généalogie,  éloge  du  roi,  considérations  philosophi- 
ques) sont  en  vers  tamouls;  les  derniers  sont  plus 
courts  et  entièrement  en  prose. 

Le  développement  de  la  littérature  dont  les  auteurs 
sont  des  brahmes  ou  des  religieux,  suit  très  étroitement 
le  mouvement  religieux  et  on  peut  le  partager  en  six 
époques  distinctes  :  adoption  de  l'écriture  et  forma- 
tion, transformation  du  brahmanisme  en  çivaïsme, 
prépondérance  du  djainisme,  triomphe  du  çivaïsme 
sur  le  djainisme  et  sur  le  bouddhisme  venu  de  Ceylan, 
intervention  du  Vichnouvisme  enfin,  période  moderne 
où  l'on  s'est  mis  à  écrire  en  prose.  S'il  fallait  indiquer 
des  dates,  ce  qui  ne  serait  que  très  approximatif,  je 
dirais  que  ces  périodes  s'étendraient  du  troisième  au 
cinquième  siècles,  du  cinquième  au  septième,  du 
septième  au  huitième,  du   huitième  au  dixième,  du 


—  95  — 

dixième  au  douzième  et  du  douzième  k  nos  joufs. 
La  construction  des  pagodes  a  commencé  vers  le 
IV^  siècle  ;  les  inscriptions  qu'on  peut  y  relever  à 
l'extérieur  et  à  l'intérieur  sont  des  actes  royaux 
de  donation,  des  fondations  pieuses,  des  commé- 
morations d'événements  importants  ;  c'est  là  qu'on 
trouve  les  renseignements  les  plus  précis  pour 
l'histoire  de  tout  le  pays  dravidien.  Il  y  avait  une 
multitude  de  petits  chefs,  de  rois  locaux,  radja,  mot 
qui  correspond  exactement  au  latin  rex  et  au  grec 
^aaikeuç,  qui  serait  plus  exactement  traduit  «  maître 
seigneur,  prince  ».  Au-dessus  d'eux  il  y  avait  le  souve- 
rain, le  roi  des  rois,  en  tamoul  ko.  Dès  que  la  conquête 
fut  assurée,  il  se  forma  plusieurs  grands  royaumes  : 
au  nord  ceux  des  Tchalukyas  orientaux  et  occidentaux, 
celui  de  Pallavas  vers  le  IV®  siècle  de  notre  ère  dans 
la  région  dont  Madras  est  à  peu  près  le  milieu,  et  plus 
tard,  plus  au  nord  encore,  celui  des  Râchtrakutas.  Le 
pays  tamoul,  le  seul  dont  s'occupe  M.  J.-D.,  se  parta- 
geait entre  les  Pallavas  au  N.-E.,  les  Sojas  au  S.-E. 
et  les  Pândiyas  au  S.-O.  Le  royaume  Pallava,  dé- 
truit par  les  Tchalukyas  au  huitième  siècle,  reconstitué 
avec  les  dynasties  Ganga-Pallavas,  conquis  par  les 
Sojas,  au  moins  dans  sa  partie  méridionale,  fut  sou- 
mis, avec  le  Soja,  au  Râchtrakùta  Krichna  III,  ap- 
pelé en  tamoul  kannaradeva,  resta  attaché  au  Soja 
quand  ce  dernier  pays  reprit  son  indépendance  en 
900.  Les  rois  Sojas  conquirent  aussi  le  Pândi  au 
milieu  du  XP  siècle.  Tous  ces  états,  constamment  en 
guerre  les  uns  contre  les  autres,  agités  par  les  rebel- 
lions incessantes  des  petits  chefs  locaux,  furent  défini- 


—  26  — 

tîvement  bouleversés  par  les  invasions  musulmanes 
successives  et  se  divisèrent  en  principautés  plus  ou 
moins  indépendantes  mais  peu  consistantes.  Quand, 
en  1336,  se  constitua  le  royaume  hindou  de  Vijaya- 
nagar,  qui  n'avait  rien  detamoul.il  y  eut  un  peu  plus 
de  calme  dans  le  Sud.  En  1459,  un  général  du  roi  de 
Vijayanagar  prit  Madras,  s'y  établit  en  vassal  de  son 
maître,  et  y  fonda  la  dynastie  des  Nâyakkar,  qui 
s'annexa  le  Soja  en  1499.  Le  royaume  de  Vijayarnagar 
fut  détruit  en  1564  et,  avant  la  fin  du  XVP  siècle,  les 
souverains  de  Delhy,  les  Grands-Mogols,  devinrent 
maîtres  de  l'Inde  tout  entière.  Mais  alors  vinrent  les 
Européens,  Portugais,  Hollandais,  Anglais,  Français 
et  Danois. 

Les  indications  qui  précèdent  font  voir  que  M.  Jou- 
veau-Dubreuil  a  peut-être  un  peu  raccourci  les  cinq 
périodes  reconnues  par  lui  dans  l'architecture  et 
l'iconographie  du  sud  de  l'Inde  et  qu'il  a  été  mal 
inspiré  en  leur  donnant  les  noms  de  Pallava  (600-850), 
Chola  (850-1100),  Pandia  (1100-1350),  Bijanagar 
(1350-1600),  et  Madura;  il  faut  corriger  Maduré  et 
Vijayanagar.  Ce  dernier  nom  est  d'autant  plus  im- 
propre que  le  royaume  dont  il  était  la  capitale  ne 
comprenait  pas  de  pays  tamoul  ;  de  plus  il  y  a  là  deux 
noms  de  ville,  deux  noms  de  pays  et  un  nom  de 
dynastie.  C'est  un  peu  comme  si  on  parlait  en  Europe 
d'un  art  successivement  bourbonnien,  français,  alle- 
mand, londonien  et  parisien.  L'orthographe  Chola 
(qu'il  faut  prononcer  Tchola),  est  une  adaptation 
sanscrite  de  l'original  Çora  si  bien  transcrit  par  les 
grecs  ;  j'adopte  la  forme  Soja  parce  que  le  c  initial  est 


un  peu  rébarbatif  et  que  le  /'  cérébral  se  prononce  j 
dans  l'Inde  française.  Les  lettrés  du  Nord  l'ont  repré- 
senté par  1  cérébrale  (d  dans  les  proclamations  d'Aço- 
ka),  puis  par  1  ordinaire  quand  elle  est  tombée  en 
désuétude;  quant  à  l'initiale  ils  l'ont  transcrite  tcli, 
parce  que  le  ç  tamoul  se  prononce  ainsi  quand  il  est 
doublé,  ce  qui  arrive  souvent  par  euphonie;  souvent 
aussi  il  se  prononce  presque  comme  notre  ch.  A  cette 
occasion,  je  recommande  de  ne  pas  employer  le  ch  et  le 
sh  anglais,  m;iis  de  se  servira  leur  place  du  c  et  du  s 
sous-ponctué.  Il  vaudrait  donc  mieux  distinguer  les 
périodes  par  des  numéros  ou  plutôt  par  des  pagodes 
prises  pour  types,  en  donnant  non  seulement  le  nom  de 
la  ville,  mais  encore  le  vocable  sous  lequel  elle  est 
consacrée  :  par  exemple,  sur  notre  territoire,  Kâmîca 
«Çiva  féminin  amoureux  »,  qui  donne  la  fécondité,  et 
Tyàgarâjà,  une  sorte  d'Esculape,  à  Tirumallâru,  près 
Karikal.  A  propos  de  ces  divinités,  qui  sont  consi- 
dérées comme  des  incarnations  de  Çiva,  M.  J.-D.  s'est 
trop  souvent  renseigné  auprès  de  personnes  incompé- 
tentes, et  les  Indiens  n'hésitent  pas  à  dissimuler  leur 
ignorance  par  d'audacieuses  inventions  ;  ainsi  pour 
expliquer  l'appellation  de  Pilleiyâr  a  l'illustre  enfant  » 
donné  à  Ganeça,  fils  de  Çiva,  on  nous  dit  qu'il  naquit 
pendant  une  absence  de  son  père  et  que  le  trouvant  à 
son  retour,  le  grand  dieu  demanda  à  Parvatî  :  «  Quel 
est  cet  enfant  »,  Pillei  âr  <*  L'histoire  est  ridicule  et 
l'explication  plus  que  fantaisiste;  elle  suppose  que 
Çiva  et  sa  femme  parlaient  tamoul,  ce  qui  serait  bien 
étonnant  ;  d'ailleurs  ce  n'est  pas  Ganeça,  dieu  de  la 
sagesse,  qui  est  honoré  comme  le  fils  de  Çiva,  c'est 

7 


—  98  — 

Subrahmanya.  Le  nom  tamoul  est  une  forme  honori- 
fique et  c'est  probablemeut  le  nom  d'un  ancien  dieu 
local.  Pillei  au  surplus  ne  s'applique  pas  aux  enfants 
qui  viennent  de  naître  et  il  ne  signifie  pas  proprement 
«  enfant  »  ;  il  vient  de  la  racine  pi  avec  une  cérébrale 
(fendre,  diviser,  affaiblir)  et  a  plutôt  le  sens  de  petit 
être,  être  faible  et  délicat,  aussi  l'emploie-t-on  pour 
désigner  le  petit  palmier  et  le  petit  aréquier  et  même 
il  fait  partie  du  nom  ordinaire  de  la  perruche,  de 
l'écureuil  et  de  la  mangouste;  dans  tout  le  pays  tamoul 
le  mot  «  femme  »  est  aujourd'hui  dans  le  langage  vul- 
gaire pommelé,  contraction  de  penpiUei  (être  femelle, 
faible,  délicat).  Il  est  à  remarquer  que  les  basques  ont 
deux  mots  analogues  :  ils  disent  emazte  «  jeune  fe- 
melle »  et  emakume  «  petit  femelle  ». 

La  principale  caste  du  pays  tamoul,  celle  de  Vella- 
Jas  ((  propriétaire  agriculteur  »  est  divisée  en  deux 
grandes  catégories,  distinguées  par  les  appellations  des 
modely  [mudali ,  honorifiquement  mudalyâr)  et  de 
poulie  {pillei,  dont  l'honorifique  ne  sert  pas  dans  ce 
cas).  Le  premier  nom,  dérivé  de  mudal  «  premier  » 
doit  s'entendre  directement  «  celui  qui  est  en  avant, 
premier,  chef,  etc.  »,  et  le  second  doit  vouloir  dire 
quelque  chose  comme  faible,  petit,  moindre,  etc.  ». 
Peut-être  les  modeliar  étaient-ils  les  cultivateurs  de 
riz  et  les  poulies  ceux  qui  cultivaient  les  menus 
grains  (millet,  sésame,  etc.). 

Les  observations  qui  précèdent  n'ôtent  rien  au 
mérite  de  M.  J.-D.,  dont  le  travail  pourra  rendre  de 
grands  services  aux  études  indiennes,  mais  il  fera  bien 
de  le  reprendre,  de  le  revoir  et  de  le  corriger  avec 


—  9n  - 

soin,  car  il  était  composé  avec  une  hâte  trop  sensible. 
Nap()l('on  disait  :  «  faites  vite,  mais  faites  bien  ».  Pour 
terminer,  je  citerai  un  disticpie  du  grand  moraliste 
tamoul  Tiruvajhiva  :  a  Prononcer  des  paroles  amères 
quand  on  peut  en  dire  de  douces,  c'est  cueillir  des 
fruits  verts  quand  il  y  en  a  de  mûrs.  » 

Julien  ViNSON. 


LE  PROBLÈME  EPIGRAPHIQUE 

DE 

LA  NOUVELLE-CALÉDONIE 


Les  hommes  d'État  qui  en  1853,  ont  décidé  l'an- 
nexion de  la  Nouvelle-Calédonie,  amenés  sans  doute 
de  par  l'éternelle  loi  du  contraste,  à  poser  un  échan- 
tillon de  la  colonisation  française  à  côté  de  l'incompa- 
rable maestria  anglaise,  et  l'amiral  Febvrier-Despointes 
qui  accomplit  cette  mission,  ne  se  doutaient  cer- 
tainement pas  de  l'intérêt  exceptionnel  que  recelait 
la  longue  épine  dorsale  désormais  incorporée  à  notre 
patrimoine  colonial.  Et.  cet  intérêt  d'ordre  exclusive- 
ment scientifique,  peut  apparaître,  même  au  grand 
public,  comme  une  large  compensation. 

Effectivement,  cette  grande  île  tropicale  a  été  foulée 
par  d'autres  hommes  que  les  indigènes  de  race  papoua 
ou  mélanésienne  qui  l'occupaient  exclusivement  au 
moment  de  la  prise  de  possession.  Et  ces  hommes 
étaient  ce  semble,  d'une  race  supérieure,  soucieuse 
tout  au  moins  de  durer  dans  la  mémoire  de  l'humanité, 
d'y  apparaître  même  rehaussée  d'un  certain  aspect 
d'art,  et  n'épargnant  pour  ce  faire,  ni  la  peine,  ni  le 
temps. 

A  quelle  époque,  cela  remonte-il?  La  réponse  est 


—  101  — 

difficile.  Jusqu'à  présent  aucunes  ruines  de  cités, 
aucuns  vestiges  d'édifices,  ni  même  aucunes  sépul- 
tures ne  permettent  de  dater  de  façon  précise  ce 
moment  intéressant  de  l'obscur  passé  calédonien. 

Pourtant  ces  hommes  ont  vraiment  existé.  La  ser- 
pentine et  la  rhyolite,  d'autres  roches  dures  encore, 
portent  à  profusion  des  signatures  ineffaçables.  Et 
ces  signatures  aussi  patinées  que  le  permet  la  nature 
de  la  roche,  sont  telles  qu'on  ne  peut  les  attribuer,  ni 
aux  canaques  actuels,  ni  à  l'une  quelconque  des  races 
plus  ou  moins  civilisées  qui  peuplent  les  régions  avoisi- 
nantes,  Polynésiens,  Malais,  Indochinois  ou  Dekkanais. 
C'est  semble-t-il  plus  loin  qu'il  faudra  chercher. 

Donc,  nombre  des  roches  dures  et  tenaces  de  la  pier- 
reuse Calédonie,  plus  de  deux  cents  en  tous  cas,  ont 
subi  le  contact  d'un  ciseau  singulièrement  expérimenté. 
Et  les  symboles  figurés  sur  la  coriace  et  indestructible 
matière  se  présentent  dans  des  conditions  susceptibles 
de  retenir  l'attention  de  ceux  qu'intéressent  la  lente 
évolution  scripturaire.  Fait  unique  peut-être  dans 
l'archéologie,  on  peut  voir  des  caractères  nettement 
alphabétiques  étroitement  rapprochés  de  représenta- 
tions plus  ou  moins  compliquées,  mais  à  caractère 
hautement  symbolique,  sans  qu'on  puisse  dire  encore 
s'il  y  a  quelque  différence  dans  l'âge  de  la  gravure. 

Ce  symbolisme  remarquable  par  sa  recherche  de 
stylisation  géométrique  est  aussi  intéressant  par  un 
rendu  tout  spécial.  L'opérateur  a  évidemment  voulu 
faire  imposant.  Or,  les  figures  géométriques  à  sa  portée, 
croix,  cercles  ou  spirales,  simplement  tracées  sur  la 
pierre,  sont  de  pauvre  effet.  Mais  l'iconographiste  calé- 


—  102  — 

donien  a  su  obvier  à  cet  inconvénient.  Sur  la  roche, 
en  place  ou  bien  bloc  détaché,  préalablement  dressée 
et  égalisée  quand  il  y  avait  nécessité,  on  ciselait  avec 
soin  des  sillons  concentriques  s'emboitant  successive- 
ment. Cette  alternance  de  creux  et  de  reliefs,  d'en- 
tailles et  de  cordons,  forme  comme  un  siège  où  se 
prend  le  regard.  Cela  intéresse  vivement  l'œil. 

On  peut  imaginer  qu'une  intention  hiératique  s'at- 
tache à  ce  mode  d'amplification  de  l'image.  D'ailleurs 
le  souvenir  du  serpent  n'a-t-il  pas  inspiré  ces  reliefs 
arrondis  dont  les  contours  rappellent  souvent  les  entre- 
lacements du  reptile  sacré? 

Les  sculptures  du  célèbre  tumulus  de  Gavr'inis  rap- 
pellent de  façon  saisissante  le  style  calédonien.  A  la 
différence  des  symboles  près,  c'est  identiquement  le 
même  procédé  d'art. 

Ce  serait  une  erreur  trop  grande  de  s'imaginer 
d'après  ce  qui  précède,  de  simples  représentations  d'art 
fondées  sur  la  géométrie  pure.  Cette  façon  de  dilet- 
tantisme géométrique  apparaît  quelquefois  ;  des  com- 
binaisons de  losanges,  de  chevrons,  semblent  n'avoir 
pas  d'autres  sens.  Mais,  le  plus  généralement,  on  sent 
une  tendance  interprétative  des  êtres  et  des  choses 
difficilement  pénétrable,  il  est  vrai,  précisément  à 
cause  du  style  concentrique  employé,  de  cette  conven- 
tion manquant  de  souplesse. 

J'ai  déjà  donné  à  entendre  qu'il  y  avait  quehiue 
chose  de  touchant  dans  cette  pensée  qui  s'est  confiée  à 
la  serpentine  de  l'ile  australe  avec  un  souci  esthétique, 
une  volonté  évidente  d'apparaitre  en  beauté.  Le  peu 
de  variété  de  celles  des  figures  géométriques  aborda- 


-  103  — 

blés  à  des  intelligences  encore  assez  simplistes  était 
un  écueil  redoutable.  Il  est  intéressant  de  constater 
combien  l'on  s'est  efforcé  d'éviter  la  monotonie.  Cha- 
que ciseleur  a  tenu  à  donner  un  cachet  personnel  à  sa 
production.  Et  ils  ont  pressenti  presque  tous  les  motifs 
qui  forment  la  base  de  l'art  ornemental  caractérisant 
les  peuples  méditerranéens. 

Le  polymorphisme  de  la  croix  calédonienne,  par 
exemple,  justifie  les  lignes  qui  précèdent.  Depuis  la 
croix  concentrique  qui  se  retrouve,  je  crois  chez  les 
Chaldéens,  jusqu'à  la  rouelle  ou  roue  celtique,  on 
épuise  toutes  les  variétés  imaginables  :  la  croix  poten- 
cée  ou  à  douze  pointes,  la  croix  de  Malte  ou  à  huit 
pointes,  la  croix  scaliforme  ou  de  Lorraine,  la  croix 
oblique  ou  X,  les  étoiles  à  six  ou  à  huit  branches. 
Sont  également  remarquables  mais  dans  un  autre  sens 
les  cercles  concentriques  souvent  rayonnants  et  parfois 
anthropomorphisés  au  centre,  les  croissants  concen- 
triques dont  les  extrémités  se  recourbent  en  volutes 
rappelant  les  chapiteaux  ioniques  ;  les  ovales  plutôt 
naviformes  et  qui  se  compliquent  souvent  de  projec- 
tions cruciales. 

Je  passe  sous  silence  certaines  combinaisons  de 
lignes  dont  la  description  serait  trop  longue.  Un  mot 
cependant  sur  les  représentations  humaines,  animales 
et  végétales.  La  stylisation  géométrique  donne  comme 
l'on  peut  s'y  attendre,  de  la  bizarrerie  aux  figurations 
humaines.  Il  y  a  un  serpent  remarquablement  replié 
en  W.  En  outre  c«  reptile  est  figuré  auprès  d'une  croix 
qu'il  domine  légèrement. 

Bien  curieuse  également  une  façon  de  plante  dont 


—  104  — 

les  feuilles  gracieusement  recourbées  font  ressortir  le 
nombre  mystique  :  sept.  Entre  les  feuilles,  on  distingue 
des  ornements  géométriques,  triangle,  carré  ou  plutôt 
rectangle,  et  sphère.  Cette  dernière  ressemble  davan- 
tage à  une  pomme  supportée  par  une  longue  tige.  Le 
tout  est  d'un  aspect  vraiment  ornemental. 

La  feuille  de  palmier,  ou  plutôt  de  cycas,  se  ren- 
contre parfois  aussi  sur  la  roche. 

Des  instruments,  armes  ou  outils,  ont  été  encore 
adniis  au  bénéfice  de  cette  stylisation  symbolique. 
Certaines  de  ces  représentations  sont  particulièrement 
intéressantes  à  cause  de  la  tendance  alphabétiforme 
qui  s'accuse.  D'autre  part,  je  range  dans  cette  catégo- 
rie, des  figures  qui  rappellent  certains  sigles  de 
l'archéologie  classique.  Parmi  ces  représentations 
alphabétiformes,  je  signalerai  notamment  le  trident 
courbe  ou  rectiligne,  le  croc,  le  harpon,  la  flèche,  le 
compas,  le  peigne  à  cinq  branches.  La  crosse  existe 
également  mais  avec  une  apparence  tout  à  fait  alpha- 
bétique. Le  triangle,  le  double  triangle  aligné,  le 
double  cercle  juxtaposé,  une  sorte  de  fourche,  l'X 
fermé  aux  extrémités  qui  rappelle  certains  diagrammes 
de  hache  bipenne,  des  formes  en  T,  en  Kappa,  en 
Upsilon  à  branches  égales  ou  inégales  peuvent  être 
compris  dans  cette  liste,  susceptible  encore  d'un  cer- 
tain allongement. 

Mais  le  temps  m'est  mesuré  et  je  me  hâte  de  passer 
aux  épigraphes  nettement  alphabétiques. 

Quelle  est  au  juste  l'importance  de  cette  épigraphie 
alphabétique?  Je  ne  saurais  encore  le  préciser.  La 
belle  lettre  ciselée  se  rencontre  parfois,  mais  doit  être 


—  105  — 

saluée  comme  un  rara  avis.  Ce  qui  semble  de  règle, 
c'est  la  lettre  légèrement  ciselée  et  davantage  encore, 
celle  qui  est  tracée  à  l'aide  d'une  fine  pointe,  c'est-à- 
dire  le  véritable  graffito.  On  doit  se  rendre  compte 
combien  la  patine  dissimule  facilement  cette  dernière. 
En  outre,  il  y  a  cette  caractéristique  remarquable, 
c'est  que  ces  inscriptions  sont  souvent  dissimulées, 
soit  dans  de  profondes  et  étroites  rainures,  soit  encore 
sur  les  lèvres  de  fissures  naturelles  ou  bien  reléguées 
sur  les  parties  les  moins  apparentes  du  monolithe 
épigraphié  Je  les  ai  même  parfois  trouvées  sur  des 
blocs  adjacents  de  bien  moindre  taille. 

La  connexité  avec  la  symbolique  ornementale  est  de 
règle,  sauf  deux  exceptions  importantes.  Et  ce  nombre 
pourrait  bien  s'accroître  par  la  suite. 

Je  me  hasarde  ci-après  à  une  description  de  ces 
lettres,  de  celles  bien  entendu  qui  ressortent  le  mieux 
sur  mes  photographies  et  seulement  pour  permettre  de 
juger  de  leur  nature  alphabétique  et  par  suite  de  la 
nationalité  des  graveurs  auxquels  nous  les  devons  : 

1°  Pierre  Grange,  vallée  de  Koua.  —  Une  lettre 
bien  ciselée,  en  forme  de  hé.  sans  hampe,  les  trois 
branches  légèrement  convergentes  tournées  à  gauche. 

Cette  même  forme  se  retrouve  sur  la  pierre  «  Kal- 
Ustaaros  »  du  groupe  du  Dicona,  à  Gondé.  La  carac- 
térisation  alphabétique  me  paraît  difficile,  cette  forme 
étant  commune  à  quelques  alphabets  anciens. 

90  Pierre  Baigneuse,  Kouenthio.  —  Ln  groupe  de 
deux  lettres  nettement  ciselées,  de  taille  inégale.  La 
plus  grande  en  forme  de  Noun,  sans  hampe,  à  bran- 


—  106  — 

ches  sensiblement  égales,  l'autre  en  forme  de  compas 
largement  ouvert,  tourné  vers  le  haut,  mais  obliquant 
fortement  à  gauche.  On  peut  y  voir  une  sorte  de  van. 

3"  Roche  Chambeijron,  P.  I.  de  Bogota.  —  Deux 
lettres  assez  fortement  marquées  aux  deux  côtés  d'une 
fissure,  l'une  à  gauche  en  forme  de  oau  à  hampe  laté- 
rale, l'autre  à  dioite  en  forme  de  crosse  à  hampe  à 
peine  courbée.  Cette  dernière  pourrait  donc  être  unç 
sorte  de  phé.  L'origine  phénicienne  ou  araméenne 
serait  dès  lors  plausible. 

4°  Pierre  Capita,  près  de  la  roche  Bernier,  à  Ni.  — 
Autre  groupe  de  deux  lettres  de  même  assez  forte- 
ment marquées.  Elles  se  présentent  couchées  dans  le 
sens  vertical.  La  première  rappelle  nettement  le  çade 
phénicien,  la  seconde  est  un  vau  à  hampe  médiane. 
Sur  l'autre  bord  de  la  pierre,  il  y  a  une  troisième 
lettre  assez  bien  marquée  qui  rappelle  fortement  le 
f)hé  phénicien. 

4°  Pierre  Cathèdre,  à  Bouerou.  —  Au  milieu  de  la 
partie  antérieure,  une  lettre  bien  ciselée,  ressemblant 
beaucoup  à  un  L  latin,  mais  tournée  vers  la  gauche.  Je 
n'ai  pu  identifier  cette  lettre. 

De  nombreuses  lettres  sont  gravées  à  un  format 
beaucoup  plus  réduit  au  voisinage  de  cette  dernière. 
Les  unes  sont  légèrement  martelées,  les  autres  résul- 
tent de  la  morsure  d'une  pointe.  Les  groupements 
sont  généralement  liorizontaux  ou  obliques.  Certaines 
formes  semblent  surchargées  par  l'accrochement  des 
voyelles.  Les  lettres  du  premier  genre  rappellent  plu- 
tôt les  formes  hymiaritiques  ou  safaïtiques.  Les  autres 


—  107  — 

lettres  rappellent  davantage  les  formes  phéniciennes 
ou  araméennes. 

Ces  groupes  sont  disposés  au  hasard  des  accidents 
de  la  pierre.  Les  lettres  les  mieux  faites  se  trouvent 
vers  le  bas,  comme  pour  éviter  le  regard.  Autre  re- 
marque qui  a  son  intérêt  :  la  symbolique  ornementale 
est  tout  à  fait  absente  de  la  pierre  Cathèdre. 

5°  Roche  Eurêka,  à  Canala.  —  Cette  pierre  dont  le 
pourtour  a  été  paré  par  le  ciseau  porte  de  nombreuses 
inscriptions.  Les  unes  sont  soigneusement  rangées  en 
lignes  verticales  ;  mais  elles  ont  été  gravées  à  la  pointe 
et  ma  photographie  les  laisse  voir  difficilement.  D'au- 
tres irrégulièrement  disposées  sont  dues  à  l'action  du 
marteau.  Le  groupe  que  je  représente  offre  encore  ce 
qu'on  peut  appeler  la  caractéristique  lybique  ou  cou- 
shite  sans  préjuger  à  quel  alphabet  particulier  il  con- 
vient de  les  rapporter. 

6°  Pierre  Françoise.,  à  Do-Nèva.  —  Cette  grande 
pierre  pyriforme  avec  les  blocs  voisins  constitue  peut- 
être  le  plus  imposant  ensemble  épigraphique  de  notre 
possession  océanienne.  En  tous  cas,  il  nous  présente 
les  inscriptions  dans  des  conditions  particulièrement 
intéressantes.  On  les  découvre,  en  effet,  sur  le  grand 
1)loc,  soit'  dans  des  parties  respectées  par  la  gravure 
hiératique,  soit  sur  le  bord  d'une  large  entaille,  ou 
bien  encore  dans  le  creux  d'une  longue  rainure  oblique. 
Les  groupes  sont  disposés  de  toutes  façons,  par  rangées 
verticales,  horizontales.  L'un  d'eux  forme  une  longue 
bande  diagonale,  un  autre  affecte  une  disposition  cir- 
culaire. Les  lettres  semblent  presque  toutes  finement 


—  108  — 

ciselées.  Elles  offrent  encore  une  caractéristique  plutôt 
lybique  ou  coushite.  Cependant  il  y  a  quelques  types 
phéniciens,  précisément  dans  le  groupe  circulaire, 
entr'autres  un  heth  et  un  plié  reconnaissables  à  la 
courbure  caractéristique  de  la  hampe. 

C'est  tout  différent  sur  les  menus  blocs  voisins. 
Comme  sur  des  pierres  précédemment  citées,  on  a 
gravé  tel  quel,  c'est-à-dire  martelé  la  lettre  sur  la 
surface  plus  ou  moins  raboteuse.  Les  groupes  offrent 
rarement  quelque  ordre  apparent.  Rien  de  plus  barbare 
que  leur  aspect.  C'est  le  type  lybique  sans  mélange. 
On  y  retrouve  ce  caractère  présenté,  je  crois,  par  le 
(]he:s  ou  ancien  alphabet  éthiopique,  c'est-à-dire  l'ac- 
crochement  des  voyelles. 

go  Pierre  Pollux,  à  Poro.  —  Cette  grande  pierre 
est  également  l'une  des  plus  écrites;  le  graffîto  à  la 
pointe  est  le  plus  abondant,  mais  le  gros  grain  de  la 
taille  le  rend  difficilement  visible.  La  lettre  finement 
ciselée  existe  également,  seulement  il  faut  la  chercher 
sur  les  deux  lèvres  d'une  large  fissure.  L'ordre  est 
vertical  —  en  gros  —  c'est-à-dire  qu'il  y  a  comme  une 
large  traînée  de  lettres.  L'aspect  général  est  toujours 
lybique  ou  si  l'on  aime  mieux  coushite. 

go  Pierre  Insolite,  à  Karoupa.  —  C'est  seulement  à 
cause  de  son  aspect  étrange  que  j'ai  pris  un  cliché  de 
cette  pierre  où  ne  se  voit  aucune  gravure  hiératique. 
J'avais  été  bien  inspiré,  car  les  graphites  à  la  pointe 
forment  au  moins  une  grande  inscription  sur  ce  bloc 
pyramidal  de  taille  assez  imposante.  Ici  comme  ailleurs, 
ces  grafhtes  déjouent  la  science  du  photographe  ;  c'est 


—  109  — 

à  peine  si  on  peut  les  discerner.  Mais  au  milieu  de 
l'inscription,  il  y  a  une  grande  lettre  fortement  ciselée. 
Elle  est  d'un  type  tout  à  fait  inattendu,  c'est  exacte- 
ment la  forme  du  pJié  palmyrénien.  La  singularité  de 
cet  alphabet  ne  permet  pas  l'erreur  dans  l'identifica- 
tion. 

Ces  roches  dont  la  valeur  archéologique  doit  désor- 
mais paraître  si  grande  sont  répandues  sur  tout  le 
territoire  ealédonien,  mais  plutôt  sur  la  côte  est,  et 
elles  s'éclaircissent  à  mesure  qu'on  s'avance  vers  la 
côte  opposée.  Elles  sont  presque  toujours  loin  des 
lieux  habités.  On  les  rencontre  sur  le  bord  de  la  mer, 
dans  le  creux  des  cirques  ou  des  vallons,  ou  sur  le 
flanc  des  montagnes,  mais  c'est  principalement  dans 
le  lit  des  ravines  torrentielles  ou  bien  le  long  des 
rivières  qu'on  les  trouve. 

Il  est  rare  que  la  roche  ciselée  soit  isolée.  On  constate 
plutôt  l'association  par  couple,  toutefois  de  taille 
extrêmement  inégale.  Le  groupement  de  sept  blocs 
est  très  fréquent,  celui  de  douze  se  voit  parfois. 

Au  reste,  la  recherche  des  nombres  sacrés  :  l'unité, 
le  couple,  la  triade,  ainsi  que  sept  et  douze,  se  constate 
également  dans  la  disposition  des  symboles. 

Est-il  besoin  d'ajouter  que  ces  monuments  énigma- 
matiques  dans  leur  simplicité,  groupés  sans  ordre 
apparent,  dans  les  terrains  inhabitables,  souvent  mas- 
qués par  d'épaisses  couches  de  lichen  et  dissimulés 
par  la  broussaille,  n'inspirent  aucun  intérêt  aux  ca- 
naques. Ces  peuplades,  qui  occupent  pourtant  l'île 
depuis  une  époque  si  lointaine  qu'ils  ont  perdu  tout 
souvenir  de  leurs  origines  et  se  croient  aiUochthones  — 


—  110  — 

de  bonne  foi  sans  doute,  —  n'ont  rien  de  sérieux  à 
nous  apprendre  à  cet  égard.  Certes,  elles  ne  man- 
quent pas  de  légendes  sur  les  pierres  qui  leur  parais- 
sent curieuses,  —  j'ai  pu  m'en  assurer  ;  —  mais  n'ont 
aucunes  traditions  ni  interprétations  acceptables  pour 
ces  curieuses  figures  qui  ont  dû  pourtant  les  frapper. 
Assez  civilisés  maintenant  pour  comprendre  que  c'est 
une  œuvre  humaine,  certains  des  leurs  supposent 
quelquefois  bonnement  que  cela  doit  être  le  travail  de 
leurs  pères.  Mais  cette  prétention,  contredite  d'ailleurs 
par  d'autres  aussi  dignes  de  foi,  ne  saurait  résister  à 
l'examen. 

L'art  canaque,  tel  qu'il  nous  apparaît  sur  leurs  bam- 
bous gravés,  est  tout  autre.  Ce  n'est  qu'une  espèce 
d'imagerie  à  dessins  enfantins. 

Nous  ne  sommes  pas  encore  assez  avancés  dans  la 
connaissance  des  différentes  symboliques  ou  des  divers 
styles  ornementaux  pour  désigner  à  coup  sûr  l'ouvrier 
sur  la  vue  de  l'ouvrage.  Mais  il  en  va  tout  autrement 
avec  les  signes  alphabétiques.  Leur  valeur  ethnique  est 
incontestable.  Leur  rencontre  quel  lue  part  suppose  la 
présence  en  un  temps  donné,  de  ceux  qui  s'en  servaient 
exclusivement. 

La  découverte  de  lettres  coushites  sur  les  roches 
calédoniennes  conduit  donc  à  admettre  que  cette  île  a 
été  fréquentée  par  des  hommes  de  cette  race,  —  pro- 
bablement des  navigateurs,  —  et  cela  pendant  une 
période  d'une  certaine  étendue. 

Il  y  aura  à  examiner  si  ces  coushites  sont  également 
les  ciseleurs  de  cette  curieuse  symbolique  de  la  ser- 
pentine. La  connexité  actuelle  ne  saurait  prouver  la 


—  ni  — 

contemporanéité.  Une  couche  d'épigraphes  a  pu  se 
superposer  à  une  couche  plus  ancienne  d'hiéroglyphes. 
Alais  il  serait  bien  étonnant  que  les  épigraphistes 
eussent  eu  tant  de  respect  pour  l'œuvre  de  prédéces- 
seurs que  de  graver  timidement  leurs  inscriptions  à 
l'écart. 

Il  se  peut  que  ces  groupements  de  lettres  -soient 
intraduisibles.  Parce  qu'il  y  a  de  fortes  ressemblances 
avec  des  lettres  hymiaritiques  ou  safaïtiques,  il  ne 
s'ensuit  pas  que  nous  soyions  en  présence  de  l'une  ou 
l'autre  de  ces  langues.  Vn  idiome  de  même  famille, 
mais  plus  ancien  et  oublié,  est  beaucoup  plus  pro- 
bable. 

En  tous  cas,  on  ne  saurait  fonder  un  jugement  de 
cette  sorte  sur  les  spécimens  que  je  produis,  plutôt  en 
vue  de  prendre  date.  Mes  photographies  ont  été  prises 
à  trop  petite  échelle  pour  me  permettre  de  donner  des 
relevés  complets.  Des  éléments  importants  feraient 
fatalement  défaut.  Il  convient  donc  avant  d'examiner  à 
fond  cette  question,  d'attendre  des  photographies 
prises  de  façon  plus  méthodique  et  surtout  les  estam- 
pages auxquels  je  vais  me  consacrer  incessamment. 

Marins  Archambault, 

chargé  de  mission  scientifique. 


NÉCROLOGIE 


Alfred   Durand 

Nous  avons  appris  avec  le  plus  vif  regret  la  mort  de 
M.  A.  Durand,  chargé  du  cours  de  Malgache  à  l'École 
des  Langues  Orientales  vivantes.  M.  Durand  est  mort 
le  16  mars  dernier  après  quelques  semaines  de  cruelles 
souffrances,  à  l'âge  de  52  ans.  Il  était  allé  tout  jeune  à 
Madagascar  où  par  ses  rapports  fréquents  avec  les 
indigènes,  il  avait  appris  leur  langue  dans  toutes  ses 
variétés.  Quand  la  France  se  décida  à  faire  valoir  ses 
droits  séculaires,  il  fut  naturellement  attaché  à  l'armée 
d'occupation  en  qualité  de  lieutenant  interprète  ;  il 
fut  chargé  en  cette  qualité  de  plusieurs  missions 
importantes;  la  plus  délicate  était  de  conduire  la  reine 
Ranavalona  à  l'ile  de  la  Réunion  :  il  s'en  acquitta  avec 
un  tact  si  parfait  que  la  reine  lui  en  a  toujours  été 
reconnaissante.  Nommé  administrateur  colonial,  l'état 
de  sa  santé  l'obligea  à  rentrer  en  Europe.  On  sait  que 
si  l'intérieur  de  la  grande  île  jouit  d'un  climat  très  sain, 
la  côte  et  les  régions  basses  sont  de  vastes  marécages 
où  le  paludisme  est  endémique. 

La  chaire  de  Malais  et  de  Javanais  de  l'École  des 
Langues  Orientales  avait  pris  une  importance  particu- 
lière parce  que  la  langue  malgache  était  de  son 
domaine;  M.  Durand  en  fut  répétiteur  en  1897.  L'année 


—  113  — 

suivante  la  chaire  fut  dédoublée  et  M.  Durand  fut 
chargé  de  l'enseignement  du  malgache.  Il  s'en  acquitta 
à  la  satisfaction  générale  pendant  douze  ans  ;  mais  en 
octobre  1910,  un  arrêté  ministériel  le  remplaça 
brusquement  par  un  jeune  professeur  du  lycée  de 
Tananarive  arrivé,  depuis  deux  ans  à  peine,  dans  la 
colonie.  Cet  arrêté,  déféré  au  Conseil  d'État,  fut  annulé 
par  la  haute  assemblée  le  21  juillet  1911.  Voici  les 
termes  de  l'arrêt  : 

Le  Conseil  d'État. . . 

Considérant  qu'il  résulte  des  pièces  annexées  au 
dossier  que  le  sieur  Durand  avait  été  nommé  titulaire 
d'un  cours  de  langue  malgache  par  un  arrêté  du 
17  Dec.  1898,  portant  institution  de  ce  cours  ;  qu'au- 
cune disposition  dudit  arrêté  ne  limite  à  une  période 
de  temps  déterminée  les  fonctions  ainsi  conférées  au 
s'  D.  et  qu'en  fait  celui-ci  les  a  exercées  depuis  1898 
jusqu'au  début  de  l'année  scolaire  1910-11  sans  aucune 
interruption  ;  que  si  le  nom  du  sieur  D.  a  figuré  sur 
des  arrêtés  ministériels  désignant  chaque  année  les 
charges  de  cours,  cette  seule  circonstance  n'a  pu  avoir 
pour  effet  de  modifier  le  titre  originaire  délivré  au  s"" 
D.;  qu'à  l'époque  où  a  été  prise  la  décision  attaquée, 
l'arrêté  du  17  Dec.  1898  n'avait  pas  été  rapporté;  que 
dès  lors  le  s"^  D.  qui  en  raison  de  son  emploi,  a  versé 
des  retenues  pour  la  retraite  est  fondé  à  soutenir 
que  le  remplacement  dont  il  a  été  l'objet  dans  un 
enseignement  qui  a  continué  à  être  donné  à  l'École,  a 
le  caractère  d'une  mesure  de  révocation,  laquelle  aux 
termes  de  la  disposition  législative  de  la  loi  du  2",^  Avril 
1905  devait  être  précédée  de  la  communication  de  son 

8 


—  114  - 

dossier,  que  le  requérant  n'a  pu  être  mis  à  même  d'user 
de  la  faculté  accordée,  à  titre  de  garantie,  à  tous  les 
fonctionnaires  et  employés  ;  qu'ainsi  la  décision  atta- 
quée est  entachée  d'excès  de  pouvoir  : 

Décide  :  l'arrêté  ministériel  d'octobre  1910  est 
annulé. 

En  conséquence  M.  Durand  reprit  sa  chaire  et  on 
dut  lui  verser  le  traitement  intégral  de  l'année. 

La  Chambre  de  Commerce  de  Paris  lui  demanda  de 
faire  un  cours  public  de  malgache  que  suivirent  de 
nombreux  auditeurs. 

Il  s'intéressa  avec  ardeur  à  la  question  d'Orient  et  il 
trouva  qu'on  faisait  la  part  trop  belle  aux  Slaves  et 
qu'on  était  injuste  pour  la  Turquie  ;  il  développa  cette 
opinion  dans  une  série  de  conférences  remarquées  qui 
lui  valurent  la  reconnaissance  du  gouvernement  et  du 
peuple  ottoman. 

Les  obsèques  ont  eu  lieu  à  l'église  Saint-François- 
de-Sales  où  officiait  Mgr  Le  Roy,  supérieur  de  la  con- 
grégation des  Pères  blancs,  qui  l'avait  connu  à  Mada- 
gascar. Sous  le  porche  de  l'église,  des  discours  ont  été 
prononcés  par  M.  F.  Deloncle,  député,  par  le  Prési- 
dent de  kl  Société  France-Orient,  par  M.  Julien  Vin- 
son,  professeur  à  l'école  des  Langues  Orientales,  et 
par  des  représentants  de  la  Presse  Ottomane. 

M.  Vinson  a  prononcé  les  paroles  suivantes  : 

«  Au  nom  de  l'Ecole  des  Langues  Orientales,  dont  j'ai 
l'honneur  d'être  le  professeur  le  plus  ancien,  je  viens 
dire  un  dernier  adieu  et  rendre  un  dernier  hommage 
à  notre  collègue  regretté,  à  notre  ami  Alfred  Durand. 
Puisse  notre  sympathie  adoucir  la  douleur  de  ses  amis, 


—  115  — 

de  sa  famille,  de  sa  compagne  dévouée  qui  lui  a  donné 
avec  tant  de  sollicitude  les  soins  les  plus  affectueux.  Il 
nous  quitte  en  pleine  activité,  au  moment  où  son  con- 
cours nous  aurait  été  le  plus  précieux  ;  il  meurt  dans 
toute  la  force  de  l'âge,  victime  d'un  mal  inplacable 
qu'il  avait  contracté  dans  la  grande  île  africaine  et 
qui  s'était  aggravé  par  des  préoccupations  morales  :  il 
avait  soufïert  en  effet  de  l'injustice  des  hommes,  de 
palinodies  lamentables,  de  certaines  ambitions  injusti- 
fiées. 

»  Il  avait  acquis  par  un  long  séjour  dans  cette  belle 
colonie,  dont  on  peut  dire  qu'il  fut  l'un  des  fondateurs, 
une  connaissance  profonde  des  mœurs,  des  coutumes, 
des  sentiments,  du  langage  du  peuple  malgache;  aussi 
avait-il  pu  rendre  d'immenses  services  au  corps  expé- 
ditionnaire et  a-t-il  pu  former  toute  une  génération 
d'élèves,  de  bons  élèves  qui  garderont  pieusement  sa 
mémoire  comme  celle  d'un  professeur  consciencieux 
et  dévoué  ;  nous,  ses  collègues,  nous  nous  souviendrons 
de  lui  comme  d'un  cœur  généreux,  d'un  esprit  franc, 
loyal  et  désintéressé  ;  et  pour  tous  son  nom  sera  tou- 
jours associé  au  sentiment  du  devoir,  au  culte  de  la 
justice  et  de  la  vérité  ». 


BIBLIOGRAPHIE 


Government  of  Madras  :  public  n^OCl.  2  august  1913. 
Annual  report  on  Epigraphy .  —  130  p.  in-fol. 

Ce  rapport  continue  on  ne  peut  mieux  la  série  ;  il 
rend  compte  des  travaux  du  service  épigraphique 
pendant  Tannée  dernière,  et  nous  apporte  des  dé- 
tails nouveaux  et  des  précisions  historiques.  Ce  qui 
rend  difficile  l'identification  des  personnages,  c'est 
qu'ils  ont  tous  plusieurs  noms  et  surnoms,  et  qu'ils 
sont  désignés  tantôt  par  l'un  et  tantôt  par  l'autre. 
Les  documents  recueillis  cette  année  se  rapportent 
aux  rois  Pallava,  Ganga-Pallava,  Nolamba-Pallava, 
Soja  et  Pandiya.  Il  y  est  question  de  la  conquête 
de  Ceylan,  de  l'amitié  des  Sojas  et  des  Çêras,  des 
dons  faits  aux  temples  par  des  princesses  royales, 
etc.  Nous  y  trouvons  d'intéressants  détails  sur  les 
communautés  du  pays  Sojas,  celle  des  habitants  de 
la  campagne,  ûrôm  «  nous,  gens  des  villages  »,  et 
celle  des  marchands,  nagarrattôm  «  nous,  gens  des 
villes  )),  ce  qui  met  au  grand  joui-  la  manière  dont 
s'est  faite  la  conquête,  la  civilisation  et  l'éducation 
des  Dravidiens  par  les  hommes  du  Nord.  11  y  avait 
des  assemblées  locales  [sabhâ]  et  des  assemblées 
générales  [mahâsabhâ]  ;  celles-ci  déléguaient  une 
commission  de  douze  membres,  chargée  sans  doute, 


-  117  — 

dans  un  but  fiscal,  de  Tinspection  annuelle  des  can- 
tons [sanvatsaravâriyam). 

Je  regrette  une  fois  de  plus  la  déplorable  trans- 
cription des  anglo-indiens.  Pourquoi  écrire  orriyâr 
ce  qui  se  prononce  ottiyâr  ?  Chola  et  Chera,  adapta- 
tions sanscrites,  représentent  mal  le  Côja  et  Çêra, 
dravidien  :    les   Grecs  avaient  bien  mieux  transcrit. 

Julien  ViNSON. 


Sludies  on  Saiva  Siddhanta,  by  J.-M.  Nallaswami- 
pillay.  Madras,  1911,  in-8<',  (vj)-xvj-560  p. 

Sivadjliânas  iddhiyàr  translated  by  J.-M.  Nallaswa- 
mipillay.  Madras,  1913,  in-8°,  {vj)-cvj-284  p. 

L'éminent  magistrat  indien,  qui  a  consacré  toute 
son  activité  à  la  propagation  du  çivaisme  tamoul, 
épuré  et  spiritualisé,  si  j'ose  m'exprimer  ainsi,  conti- 
nue ses  travaux  avec  un  zèle  et  un  dévouement  infa- 
tigables. Il  nous  envoie  aujourd'hui  un  recueil  d'ar- 
ticles qui  ont  paru  dans  les  plus  instructives  Revues 
du  pays  et  la  traduction  d'un  ouvrage  de  doctrines 
fort  renommé.  On  ne  peul  que  remercier  l'auteur, 
lui  adresser  les  plus  vives  félicitations,  et  recom- 
mander ses  ouvrages  à  l'attention  du  public  savant. 

J.  V. 


Smithsonian  Institution.  Bureau  of  American  Ethno- 

logy- 

1°  28thannual  report.  1906-1907.  Washington,  gov. 
pr.,  1913,  in-4°  290-2-xxxv  p.,  2  cartes;  108  planches 


—  118  — 

et  68  figures  dans  le  texte.  Contient,  outre  le  rap- 
port annuel,  21  p.,  un  mémoire  de  Jessie  Walter 
Fewkes  sur  les  Caps  Grands  de  l'Arizona  (25-181  p.)  : 
une  note  du  même  auteur  sur  les  antiquités  des  val- 
lées de  l'Arizona  ;  un  rapport  préliminaire  sur  la 
classification  linguistique  des  tribus  algonquines, 
par  Truman  Michelson  ;  et  un  index  analytique  ; 

2°  Bulletin  n°  51  (in-8o,  76  p.)  et  une  carte.  Physio- 
graphie  du  Rio  Grande  ; 

3°  Bulletin  n"  53  (312  p.,  in-8",  pi.  et  musique  gra- 
vée). Musique  Chipeway  II,  par  M.  Francis  Densmore 

J.  V. 


Les  publications  Utnioules  du  professeur  Anavara- 
davinâyagam  pouUé.  Madras,  15  vol.  et  broch., 
in-S"  et in-12. 

C'est  toujours  avec  beaucoup  de  satisfaction  que 
je  reçois  de  l'Inde,  et  surtout  de  flnde  dravidienne, 
les  communications  qui  me  font  voir  que  mes  tra- 
vaux sont  connus  et  appréciés  là-bas,  et  que  mon 
nom  y  fait  autorité.  Un  des  travailleurs  les  plus  dis- 
tingués de  Madras,  Anavaradavinâyagam  pouUé, 
vient  de  m'envoyer  ses  principaux  ouvrages. 

Madras  n'est  pas  seulement  une  grande  ville  ;  c'est 
le  centre  d'une  puissante  activité  littéraire.  Il  y  a 
une  université,  des  collèges,  des  Sociétés  savantes^ 
des  érudits  et  des  savants,  des  imprimeurs  et  des 
librairies  fort  bien  organisés.  Je  ne  regrette  qu'une 
chose,  le  mauvais  système  de  transcription  et  les  dé- 
plorables habitudes  de  l'orthographe  anglaise.  Rien 


—  119  — 

n'est  plus  déplaisant,  par  exemple,  que  de  voir  les 
Indiens  faire  suivre  leur  nom,  en  lamoul,  des  syllabes 
pi.  ijè  qu'il  faut  prononcer  hi.  ê.  et  où  il  faut  retrou- 
ver les  B.  A.  classiques  (Bachelor  of  Arts). 

Les  publications  du  savant  professeur  du  Christian 
Collège  sont  intéressantes  et  fort  utiles.  C'est  d'abord 
un  recueil^  le  plus  complet  jus(|u'à  ce  jour,  des 
12271  proverbes  classés  par  ordre  alphabétique 
[Tàmijagarâdi,  1912,  in-S",  (iv)-420  p.)  ;  puis  une  édi- 
tion très  soignée  de  la  vieille  collection  des  quatre 
cents  strophes  morales  avec  texte,  commentaire  et  tra- 
duction d,n^\<nse{Nàladiyâr,  1903,(xxij)-380-4  p.).  Ce 
sont  aussi  des  éditions,  attentivement  suivies  et  pré- 
cédées d'excellentes  notices,  d'ouvrages  utiles  et  re- 
nommés ;  des  hymnes  attribués  au  grand  sage  çiva- 
ïste  Mânikyavâtchaka  {Tiruvâçagani,  1907,  319  p., 
in-12),  du  traité  de  morale  Ojiviloclukkam  (1906,  419  p.), 
du  poème  mystique  Kôyinânmanimdlei {1907 ,  132  p.), 
du  Sâiindarlyalangài-i  (VdiO,  130  [).),  du  Çivânanda- 
mâlei  (\9i2,  68  p.j,  du  Maneiçeyàndàdt  (1913,  68  p.), 
du  Kalvaleiyandàdi,  (1913,  64  p.)  et  du  Pantcha- 
tantra  (1913,  169  p.).  Il  a  donné,  de  plus,  des  ouvra- 
ges originaux  admis  aux  examens  du  baccalauréat, 
une  explication  de  la  doctrine  çivaiste  [Câivasid- 
dhàntavaralira),  1910,  53  p.),  une  rhétorique  {Ani- 
yilakkanam  1906,  68  p.),  et  une  prosodie  {Yâppilak- 
kanani,  1906,  48  p.)  complété  par  la  réimpression,  en 
1902  (56  p.),  de  deux  anciens  petits  poèmes  sur  le 
veiibâ  et  le  ciruttani  (vrddha),  enfin  la  vie  de  la  poé- 
tesse Auvei  [Aaverydrrarittirani  1909,  in-12,  49  p.). 

AnavaradavinâyagampouUé  est  né  dans  le  Tinné- 


—  120  — 

veli,  en  septembre  1877,  d'une  famille  de  lettrés  ta- 
mouls.  Elève  du  collège  hindou  de  son  pays,  il  y 
passa  avec  succès  son  premier  examen  et  alla  com- 
pléter son  éducation  au  Christian  Collège  de  Madras, 
où  il  fut  reçu  bachelier  es  arts  en  1898.  Il  obtint  à 
divers  concours  de  nombreux  prix  et  de  nombreuses 
médailles.  Pensionné  par  le  Collège^  il  se  j)résenta 
en  1900  aux  examens  de  la  maîtrise  es  arts  et  fut  le 
second  Indien  reçu.  Il  avait  présenté,  comme  langue 
du  pays,  le  tamoul  et  le  malayâla.  Il  obtint  en  1902 
le  grade  de  L.  T.,  et  devint  successivement  prépa- 
rateur, répétiteur,  professeur  au  Christian  Collège, 
et  fut  chargé  de  former  des  traducteurs  de  langue 
indigène. 

Il  fait  partie,  pour  les  épreuves  en  langues  étran- 
gères, des  Commissions  d'examens   de   l'Université 

de  Madras. 

Julien  ViNSON. 


) 


VARIA 


Madame  de  Talleyrand,  princesse  de   Bénévent 

Jacotot  avait  bien  raison  quand  il  disait  que  tout 
est  dans  tout  et  que  tout  se  tient.  J'ai  repris  der- 
nièrement le  recueil  des  pièces  du  procès  de  Chalais 
pour  relire  les  phrases  basques  qui  s'y  trouvent,  et  j'ai 
été  amené  à  pensera  la  famille  du  malheureux  Henri 
de  Talleyrand,  à  ses  descendants,  et  notamment  à 
Tévêque  d'Autun,  qui  fut  député  à  l'Assemblée  Cons- 
tituante et  à  la  Convention,  qui  officia  solennellement 
au  Champ  de  Mars  le  14  juillet  1790,  qui  devint  plus 
tard  ministre,  ambassadeur  et  prince  de  Bénévent. 
Sa  femme  était  originaire  de  l'Inde  française.  On 
sait  que  l'Inde  et  le  pays  basque  ont  été  l'objet  de 
mes  plus  chères  études  et  m'ont  laissé  les  meilleurs 
souvenirs. 

La  future  princesse  de  Bénévent,  Noèle-Catherine 
Werlée,  naquit  à  Tranquebar  le  21  novembre  1762. 
Son  père  était  probablement  au  service  de  la  compa- 
gnie française  des  Indes  à  Karikal  et  avait  dû,  après 
la  prise  de  la  ville  par  les  Anglais,  se  réfugier  sur  le 
territoire  danois.  Sa  mère,  Laurence  Allanny,  était 
italienne,  dit-on  ;  le  nom  paraît  cependant  bien  fran- 
çais, comme  celui  de  Werlée  qui  est  champenois.  En 
1777,  nous  retrouvons  M.  Werlée  capitaine  déport  à 


—  122  — 

Chandernagor  et  chevalier  de  Saint-Louis  :  il  avait 
été  peut-être  officier  de  marine.  Il  avait  une  autre 
fille,  plus  âgée,  mariée  à  Chandernagor,  A  quatorze 
ans  et  demi,  Noële-Gatherine  était  la  plus  belle  Eu- 
ropéenne du  pays  :  grande,  élancée,  admirablement 
faite,  elle  avait  de  grands  yeux  bleus  très  doux,  om- 
bragés d'épais  cils  noirs  et  une  magnifique  cheve- 
lure blonde.  Elle  lut  remarquée  par  un  jeune  fonc- 
tionnaire de  Calcutta  M.  Grand. 

François-Georges  Grand  descendait  d'une  famille 
protestante  de  Normandie,  qui  s'était  expatriée  après 
la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes  et  fixée  à  Lau- 
sanne. Son  éducation  terminée,  le  jeune  Grand  fut 
envoyé  à  Londres  pour  apprendre  le  commerce  chez 
un  ami  de  son  père.  Mais  il  n'y  prit  aucun  goût  et 
partit  en  1766  pour  le  Bengale  avec  une  commission 
de  Cadet  dans  l'armée  de  la  Compagnie  anglaise  En 
1768,  il  devint  lieutenant.  En  1773,  il  dut  revenir  en 
Europe  pour  raison  de  santé.  Il  repartit  pour  l'Inde 
en  1776,  mais  cette  fois  pour  entrer  dans  le  service 
civil.  Aucun  emploi  convenable  n'était  vacant;  il  dut 
attendre,  et  il  employa  ses  loisirs  à  faire  de  nom- 
breuses excursions.  C'est  ainsi  qu'il  fit  la  connais- 
sance de  la  famille  Werlée.  Il  ne  déplut  pas  à  la  jeune 
fille,  et  ils  convinrent  qu'ils  se  marieraient  dès  que 
le  jeune  homme,  qui  pouvait  avoir  alors  une  tren- 
taine d'années,  aurait  une  position  définitive.  Peu 
après,  il  fut  nommé  secrétaire  du  Bureau  du  Com- 
merce aux  appointements  de  1300  roupies  (3250  fr.) 
par  mois.  Le  mariage  fut  célébré  devant  le  curé  de 
Chandernagor,   à    une  heure  du    matin,     le    10  juil- 


—  123  — 

let  1777,  et  le  même  jour,  à  huit  heures,  devant  le 
chapehun  anglican  d'Hougly.  La  jeune  fille  était 
catholique  et  le  fiancé  protestant.  Le  nouveau  mé- 
nage s'installa  dans  une  maison  de  campagne,  aux 
portes  de  Calcutta  ;  ils  y  vécurent  heureux  et  tran- 
quilles pendant  [)rès  de  dix-huit  mois. 

Mais  la  beauté  de  M'^''  Grand  avait  fait  sensation  ; 
bientôt,  dans  les  réunions  mondaines,  bals,  soirées, 
dîners,  elle  fut  l'objet  des  attentions  empressées  d'un 
grand  personnage  du  pays,  M.  Philippe  Francis, 
membre  du  Conseil  privé,  fort  bel  homme  de  trente- 
huit  ans,  connu  pour  ses  aventures  galantes.  M.  Grand 
avait  liiabitude  d'aller  au  club  tous  les  mardis  soirs  ; 
il  partait  ordinairement  à  neuf  heures  pour  revenir  à 
onze.  Le  (S  décembre  1778,  à  son  retour,  il  trouva  sa 
maison  toute  en  émoi.  Un  de  ses  dome8li({ues,  sor- 
tant vers  dix  heures  pour  rentrer  chez  lui,  —  car 
dans  rinde  les  domestiques  ne  restent  pas  la  nuit 
chez  leurs  maîtres,  —  avait  aperçu  une  échelle  de 
bambou  appliquée  contre  le  mur.  Intrigué,  il  avait 
appelé  d'autres  domestiques  et  ils  avaient  attendu. 
Peu  après,  un  gentleman^  dans  lequel  ils  reconnurent 
M.  Francis,  se  présente  pour  sortir,  descendant  du 
premier  étage.  Ils  se  saisirent  de  lui,  lui  ôtèrent 
son  épée  et  le  conduisirent  dans  une  salle  basse  où 
ils  le  gardèrent  à  vue,  assis  sur  un  fauteuil.  En  vain 
leur  offrit-il  des  pièces  d'or,  en  vain  jN!"^"  Grand, 
accourue  au  bruit,  les  pria  de  le  laisser  aller  ;  ils 
n'en  firent  rien,  et  la  jeune  dame  remonta  chez  elle 
après  avoir  échangé  avec  le  prisonnier  quelques 
mots   auxquels    ils   ne    comprirent  rien,  sans  doute- 


—  124  — 

parce  que  c'était  du  français,  langue  que  M.  Francis 
parlait  parfaitement,  (M™®  Grand  ne  savait  pas  l'an- 
glais). Des  amis  de  M.  Francis,  prévenus  d'avance 
probablement,  firent  irruption  dans  la  maison  en  es- 
caladant le  mur  de  la  cour,  et  grâce  à  cette  diversion 
il  put  s'échapper.  Les  domestiques  se  rappelèrent 
alors  qu'après  le  départ  de  leur  maître,  M"^"  Grand 
ayait  envoyé  son  ayâ,  c'est-à-dire  sa  femme  de 
chambre,  chercher  en  bas  une  chandelle  de  cire  : 
quand  elle  était  remontée,  elle  avait  trouvé  la  porte 
fermée  au  verrou.  Ils  avaient  gardé  l'épée  et  l'échelle 
qui  était  fort  ingénieusement  faite  :  c'était  un  bambou, 
coupé  verticalement  par  son  milieu,  avec  des  éche- 
lons qui  se  rabattaient  ;  fermée,  c'était  un  bambou 
ordinaire  facile  à  tenir  à  la  main. 

M.  Grand  ne  pouvait  douter  de  son  malheur;  il 
passa  la  nuit  dans  les  larmes,  sans  que  sa  femme 
osât  se  présenter  devant  lui.  11  envoya  chercher,  à 
Chandernagor,  son  beau-frère  et  sa  belle-sœur  et 
convint  avec  eux  que  M™*  Grand  retournerait  chez 
ses  parents  où  il  lui  servirait  une  pension.  Les  deux 
époux  eurent  une  entrevue  (|ui  dura  trois  heures,  le 
dimanche  13  décembre  :  ils  ne  se  revirent  plus  ja- 
mais. 

M.  Grand  provoqua  M.  Francis  en  duel,  mais  celui- 
ci  se  déroba,  alfirmant  qu'il  n'avait  commis  aucune 
offense.  M.  Grand  l'assigna  devant  la  Haute-Cour  de 
justice  de  Calcutta  et  lui  réclama  1.500.000  roupies 
(près  de  quatre  millions  de  francs)  de  dommages  et 
intérêts.  Après  une  longue  et  minutieuse  enquête 
dont  tous  les   |)rocès-verbaux  ont  été  conservés,   la 


—  125  — 

Cour  rendit,  le  6  mars  1779,  un  arrêt  aux  termes  du- 
quel M.  Francis,  reconnu  coupable,  était  condamné 
à  payer  à  M.  Grand  une  indemnité  de  50.000  roupies 
sicca,  soit,  dit  l'arrêt,  5.109  livres  sterlings,  2  shil- 
lings et  11  pence  (127.728  fr.  60)  et  aux  dépens, 
liquidés  à  947  roupies  (2.257  fr.  50). 

M.  Grand,  à  qui  le  séjour  de  Calcutta  était  désor- 
mais insupportable,  passa  à  Patna  par  permutation. 
Il  fut  ensuite  envoyé  à  Bénarès,  puis  ailleurs  ;  il  re- 
vint en  Europe  en  1783  et  retourna  au  Bengale.  En 
1802  il  était  à  Paris.  Talleyrand  s'intéressa  à  lui,  le 
recommanda  au  gouvernement  de  La  Haye,  qui  lui 
donna  une  position  importante  au  Cap  de  Bonne- 
Espérance.  11  s'y  rendit  et  y  demeura  jusqu'à  sa 
mort,  en  1815.  Il  y  publia,  en  1811,  un  récit  de  sa 
vie.  Tous  ces  biographes  disent  qu'il  était  moralement 
le  plus  misérable  des  hommes.  M.  Francis  ne  resta 
pas  longtemps  dans  l'Inde  ;  le  14  août  1780,  il  se  battit 
au  pistolet  avec  le  Gouverneur  général  Warren  Has- 
tings  ;  ce  duel  paraît  n'avoir  eu  aucune  cause  fémi- 
nine et  n'avoir  été  occasionné  que  par  des  froisse- 
ments d'amour-propre.  11  devint  sir,  et  fut  membre 
du  Parlement.  On  lui  a  attribué  les  Lettres  de  Jiinius. 

Trois  mois  après  l'arrêt  de  la  Cour  suprême, 
M.  Francis  était  allé  chercher  M°"«  Grand  à  Chander- 
nagor  et  l'avait  conduite  à  Hougly,  où  il  allait  sou- 
vent la  rejoindre.  Au  printemps  de  1781,  elle  s'em- 
barqua pour  r7\ngleterre  ;  M.  Francis  y  vint  lui- 
même  en  1782,  mais  elle  ne  voulut  pas  le  voir  et  mit 
tous  ses  soins  à  l'éviter.  Nous  ne  savons  pas  exac- 
tement ce  qu'elle  fît  pendant  les    seize   années   qui 


—  126  — 

suivirent  :  elle  vécut  à  Paris,  à  Londres,  à  Spa  ;  elle 
fut  admise  dans  la  Société  française  émigrée  à  Lon- 
dres au  commencement  de  la  Révolution,  et  elle  pa- 
raît avoir  été  l'amie,  pour  ne  rien  dire  de  plus,  du 
chevalier  de  Lambertye,  auquel  elle  fit  avoir,  en 
1808,  une  pension  qu'il  toucha  jusqu'en  1813,  date 
de  sa  mort.  C'est  en  1797  que  M""*  Grand  fit  la  con- 
naissance de  Talleyrand,  soit  à  Paris,  soit  à  Londres. 
Elle  fut  impliquée  dans  une  conspiration  royaliste 
et  arrêtée  ;  mais  Talleyrand  la  fit  relâcher.  La  lettre 
qu'il  écrivit  à  Barras  a  (^ette  occasion  est  intéres- 
sante ;  il  dit  que  M™^  Grand  est  «  une  Indienne  bien 
belle»,  qu'elle  est«incapable  de  se  mêler  d'intrigues 
politiques»,  et  il  ajoute  «je  l'aime  ».  Le  premier  con- 
sul voyait  d'un  mauvais  œil  la  liaison  de  son  ministre 
des  affaires  étrangères.  Sur  les  instances  de  José- 
phine, il  consentit  à  recevoir  M"'  Grand  ;  elle  le 
toucha  par  sa  beauté,  son  émotion  et  ses  larmes,  et 
il  signifia  à  Talleyrand  qu'il  eût  à  régulariser  sa 
situation  dans  les  vingt-quatre  heures.  Le  mariage 
de  l'ancien  évêque  eut  lieu  le  10  septembre  1802, 
devant  le  curé  d'Epinay,  disent  les  uns,  à  l'une  des 
mairies  de  Paris,  disent  les  autres.  Les  deux  céré- 
monies, religieuse  et  civile,  n'étant  point  exclusives 
l'une  de  l'autre,  furent  probablement  faites  ;  Tal- 
leyrand avait  été  délié  de  ses  engagements  ecclé- 
siasticjues  et  relevé  par  Pie  Vll_,  en  1801,  de  l'excom- 
munication majeure  (|ue  Pie  \T  avait  lancée  contre 
lui.  Le  divorce  des  époux  Grand  avait  été  prononcé 
par  le  Tribunal  de  la  Seine  le  13  germinal  an  VI  ; 
nous  ignorons  par  quels  motifs  et  dans  quels  termes. 


—  127  — 

Pie  VII,  on  le  sait,  ne  voulut  jamais  voir  ni  Tal- 
leyrand  ni  sa  femme,  qu'il  appela  toujours  «  cette 
dame  »  questa  donna. 

La  conduite  de  M™^  de  Talleyrand,  après  son  ma- 
riage, ne  donna  aucune  prise  à  la  critique  malveil- 
lante :  on  dit  bien  qu'elle  flirta.,  pour  employer  une 
expression  moderne,  avec  les  infants  d'Espagne  que 
Napoléon  interna  au  château  de  Valencay,  qui  appar- 
tenait à  Talleyrand,  mais  rien  n'est  moins  prouvé. 
Ce  qui  est  certain,  c'est  qu'elle  lassa  son  mari.  Mal 
préparée  au  rôle  de  grande  dame,  elle  avait  une 
prétention  excessive,  elle  commit  des  maladresses  et 
se  montra  d'une  impardonnable  ignorance.  Talley- 
rand s'excusait  en  disant  :  a  Que  voulez-vous?  ma 
femme  est  si  bête  !  »  On  assure  notamment,  ce  qui 
n'est  pourtant  pas  bien  grave,  qu'elle  confondit  un 
jour  Denon  avec  le  héros  de  de  Foë,  et  elle  lui  parla 
de  son  domestique  Vendredi  :  la  femme  d'un  de 
nos  ministres  ne  prit-elle  pas  naguère  la  salle  de 
correspondance  d'un  grand  magasin  pour  le  salon 
carré  du  Louvre  ? 

Cette  méprise  avait  été  amenée  par  l'étourderie 
d'un  domestique.  Talleyrand  ayant  invité  Denon  à 
dîner,  en  prévint  sa  femme  en  lui  disant  :  «  C'est  un 
grand  voyageur;  je  vous  enverrai  son  ouvrage,  afin 
que  vous  puissiez  lui  en  parler  ».  Le  domestique 
oublia  de  porter  le  volume  à  sa  maîtresse  qui,  trou- 
vant sous  sa  main  le  roman  de  de  Foë,  le  prit  pour 
l'ouvrage  de  Denon.  i\  propos  de  Robinson,  sait-on 
qu'il  en  a  été  fait  un  abrégé,  en  bon  latin  d'école, 
par  J.    Goffaux,    professeur  de  langues  anciennes  : 


—  128  — 

Fata  Robinsonis  Grusoei  ud  usum  tironum,  Paris, 
J.  Farge,  1809,  in-12,  (iv)-268  p.,  2  fig.  —  Robinson 
Criisoeus,  quarta  éditio,  Paris,  A.  Delalain,  1813, 
in-12,  (iv)-276p.,  10  fig. 

En  1816  ils  se  séparèrent,  et  la  princesse  de  Bé- 
névent  vécut  dans  la  retraite  à  Neuilly,  où  elle  mou- 
rut le  10  décembre  1835.  Elle  fut  enterrée  au  cime- 
tière Montparnasse  ;  sa  tombe  ne  porte  aucune 
inscription. 

Il  a  été  fait  deux  portraits  de  M™^  Grand  :  l'un  attri- 
bué à  Zofîany,  est  conservé  au  Collège  de  la  Mission 
Baptiste,  à  Serampour,  ancienne  colonie  danoise 
(Frederiksnagas)  ;  Tautre,  par  Gérard,  est  au  Musée 
de  Versailles.  Ils  sont  reproduits,  ainsi  qu'une  cari- 
cature de  sir  Philippe  Francis,  dans  un  très  inté- 
ressant ouvrage,  Echoes  from  old  Calcutta,  par 
H.  E.  Busteed  (Calcutta,  1888,  2«  édition,  in-8°  (ix)- 
327  p.  et  8  pi.),  où  un  chapitre  tout  entier,  le  sep- 
tième, est  consacré  à  «  Madame  Grand  ».  Il  m'a  paru 
que  ces  détails,  qui  appartiennent  aux  petits  côtés 
de  l'histoire,  ne  déplairaient  pas  à  mes  lecteurs. 

J.  V. 

M.  Busteed  rappelle  qu'au  dix-huitième  siècle, 
l'Inde  a  produit  une  autre  «  beauté  »,  née  au  Tra- 
vancore  en  1743,  Eliza  Draper,  qui  fut  aimée  de 
Sterne  et  de  Ràynal. 


L' Imprimeur-Gérant  : 

E.   Bertrand. 


CHALON-S-SAÔ.NE.  —   IMPR,   FRANÇAISE    ET   ORIENl'ALE   E.    BERTRAND.        8l8 


I-Li 


LE  MOT  «PAGODE 


Dans  le  dictionnaire  de  Littré,  ce  mot  est  indiqué 
comme  formé  du  Persan  but-khoda  «  maison  d'idole  » 
où  khoda  signifierait  «  maison  ».  Cette  explication 
est  absurde  et  absolument  inadmissible,  d'abord  parce 
que  le  composé  indiqué  ne  s'emploie  pas  en  persan 
pour  dire  o  temple  »,  puis,  parce  que  khudâ  et  non 
khoda  est  «  dieu  »  pas  «  idole»,  enfin  parce  que  le 
mot  vient  de  l'Inde  méridionale  où  le  persan  n'était 
pas  parlé. 

Il  faut  remarquer  que  «  pagode  »,  aujourd'hui 
féminin,  a  commencé  par  être  masculin  et  signifiait 
«  idole  »;  aussi  un  anglais  facétieux  y  voy ?àipagan-god. 

Dans  plusieurs  textes  des  XVP  et  XVIP  siècle  on 
trouve  pagode  avec  le  sens  de  divinité;  une  preuve 
indirecte  de  cette  signification  générale  c'est  que 
l'aventurier  qui  a  inventé  la  langue  formosane  appelait 
son  dieu  Pagot\  dans  plusieurs  ouvrages  portugais, 
on  lit  hum  pagode  «  un  dieu  ».  La  pièce  de  monnaie 
d'or  valant  trois  roupies  et  demie  (8  fr.  50)  a  reçu  ce 


—  130  — 

nom  parce  qu'elle  porte  sur  sa  face  plate  l'image  d'un 
dieu,  c'est  seulement  au  milieu  du  XVIIP  siècle  que 
ce  sens  a  été  abandonné  pour  faire  place  à  celui  de 
«  temple  »  qu'on  avait  employé  auparavant,  concur- 
remment avec  lui  ;  et  c'est  alors  que  le  mot  est  devenu 
féminin  en  français  et  qu'on  Ta  étendu  à  la  Chine. 

Le  mot  pagode  dont  les  anglais  on  fait  pagoda  a 
été  introduit  en  Europe  par  les  portugais  après  leur 
établissement  dans  l'Inde.  A  quelle  langue  du  pays 
l'avaient-il  pris  ?  La  région  où  ils  exercèrent  d'abord 
leur  activité  était  dravidienne,  comment  y  appelait- 
on  les  temples  et  les  dieux?  En  Samoul,  qui  est  le 
principal  idiome  du  sud  de  l'Inde,  il  y  a  deux  mots 
pour  «  temple  »  :  àlaya  qui  vient  du  sanscrit  et  n'est 
employé  que  dans  la  littérature,,  et  kôyil  ou  kôvil  qui 
est  populaire  et  signifie  proprement  «  palais,  maison 
du  roi  »  ;  ce  mot  nous  reporte  donc  à  l'époque  oïi  les 
dravidiens  n'avaient  pas  encore  conçu  l'idée  d'un  dieu 
suprême,  c'est  du  reste  la  seule  expression  en  usage  et 
les  chrétiens  eux-mêmes  s'en  servent  pour  désigner 
leurs  églises.  Il  n'y  a  aucun  rapport  possible  avec 
pagode. 

«  Dieu  »  n'a  pas  non  plus  de  correspondant  exact  en 
dravidien  ;  on  a  emprunté  les  termes  sanscrits  :  il  y  a 
eu  d'abord  sur  a  dont  on  a  dérivé  par  un  a  privatif^ 
asura  «  démon  »,  mais  l'expression  la  plus  ordinaire 
était  dêva  qu'on  a  prononcé  plus  tard  dêv  dêô  dont  les 
indiens  du  sud  on  fait  têcu  neutre  et  têva  masculin. 

Le  tamoul  en  effet  n'admet  pas  les  explosives  douces 
au  commencement  des  mots,  ni  les  dures  simples  au 
milieu.  Mais  le  terme  le  plus  répandu  était,  au  moins 


—  131  — 

depuis  ce  qu'on  peut  appeler  le  moyen  âge,  bhagavan, 
bhagauat  «  le  bienheureux  »  pris  avec  l'acception  de 
seigneur,  épithète  ordinaire  de  Vichnou,  et  son  parè- 
dre  féminin  bhagavatt,  que  les  çivaïstes  très  nombreux 
dans  le  sud  appliquaient  à  la  femme  de  Çiva  dont 
l'image  se  trouve  sur  toutes  les  pagodes.  Les  langues 
ariennes,  filles  du  sanscrit,  prononcent  bhagvan,  b/iag- 
vat  bhagvati  et  font  même  du  v  consonne  un  w  semi- 
voyelle.  En  tamoul,  le  mot  devient  régulièrement 
pagavada,  pagavadi  que  beaucoup  dans  le  peuple 
prononcent  pagvada,  pagvadi,  l'accent  étant  sur  l'a 
initial.  Les  portugais  ont  dû  transcrire  d'abord joa^o- 
ade,  puis  accentuant  l'o  ils  ont  réduit  le  mot  h  pagode; 
c'est  à  une  erreur  de  ce  genre  qu'est  du  le  nom  de  Pon- 
dichéry.  En  tamoul,  les  centres  d'habitation  sont 
appelés  kôttei  «  fort,  citadelle  »,  pattanam  «  cité  », 
nagaram  «  ville  »  et  surtout  «  ville  de  commerçants  «^ 
ûr  «  village  »  dans  le  sens  du  latin  joa^ws,  çêri  «  ha- 
meau ))  (prononcé  presque  chéri)  et  pettei  «  groupe  de 
maisons  dans  les  faubourgs  d'une  ville  ».  Il  s'était 
formé  sur  la  côte  de  Coromandel  à  quelques  lieux  au 
nord  du  grand  sanctuaire  du  Çidambaram  (Chellam 
bron)  un  hameau  de  pêcheurs  qui  avait  pris  le  nom  de 
pudutchêri  «  nouveau  hameau  »  (le  ç  doublé  se  pro- 
nonce tch)  ;  l'endroit  est  mentionné  sous  la  forme 
poulecère  par  un  marin  hollandais  en  1665;  c'est  en 
février  1673  que  les  français  s'y  installèrent.  Ils  trans- 
crivirent le  nom  Poudouchêry ,  mais  en  France  on  lut 
Pondouchéry  que  quelque  scribe  arrangea  en  Pondi- 
chéry,  forme  qui  est  devenu  définitive. 

Dans  leurs  dictionnaires  latins,  les  Jésuites  ont  cor- 


—  132  — 

rectement  mis  Pudicherium,  mais  des  professeurs  de 
l'Université  ont  cru  devoir  corriger  Ponticerium. 

Quoiqu'il  en  soit,  le  mot  devrait  être  défini  :  a  édifice 
religieux,  temple  indien  ou  chinois  »,  il  existe  un 
diminutif,  pagotin,.  sous  lequel  on  désigne  de  petits 
édifices  ouverts  où  se  trouve  la  statue  d'une  divinité 
secondaire. 

Julien  ViNSON. 


I 


UNE  LETTRE  SUR  L'ADRIATIQUE 


Cher  Monsieur, 

Selon  ma  promesse,  je  me  hâte  de  vous  écrire  un 
mot  sur  l'Adriatique,  c'est-à-dire  sur  les  régions  que 
je  viens  de  traverser. 

Parti  de  Bruxelles  le  11  juin  dernier,  je  devais  me 
rendre  par  Munich  et  Salzbourg,  à  Assling,  de  là  à 
Goritz,  Trieste,  Pola,  Sebenico,  Spalato,  Metcovich, 
Mostar,  Raguse,  Cattaro,  Zara,  Fiume,  Laybach, 
Assling,  et  retour.  Mon  voyage  comprenait  encore 
une  seconde  partie,  la  plus  intéressante  peut-être  : 
Cattaro-Cettigné-Rieka-Scutari- Virpazar-Anti vari .  Je 
me  proposais  surtout  d'étudier  la  renaissance  nationale 
albanaise  à  Scutari,  son  centre  principal.  Mais,  hélas! 
à  en  croire  la  presse  de  Trieste  et  de  Fiume,  la  plus 
directement  informée,  les  événements  de  Durazzo 
avaient  une  trop  grande  répercussion  sur  les  musul- 
mans de  l'Albanie  du  Nord  pour  que  cette  excursion 
pût  se  faire  sans  danger.  Force  me  fut  donc  d'y 
renoncer.  La  visite  de  Cettigné  eut  le  même  sort. 
Ayant  manqué  la  poste  à  Cattaro  le  premier  jour,  je 
i^e  me  sentis  point  le  courage  de  renouveler  l'expé- 


-  134  - 

rience  le  lendemain,  pour  m'exposer  à  rester  bloqué 
dans  une  petite  ville  sans  ressources  et  d'un  médiocre 
intérêt. 

Malgré  cette  mutilation,  le  voyage  n'en  a  pas 
moins  été  fort  intéressant,  car  il  m'a  permis  d'étudier  la 
vie  nationale  d'un  certain  nombre  de  populations.  Je 
compte  vous  exposer  ici,  systématiquement,  quelques- 
unes  des  observations  qu'il  m'a  été  donné  de  faire  en 
cours  de  route. 

Le  N.-E.  de  l'Adriatique  est  habité  par  des 
Allemands,  des  Hongrois  (à  Fiume  seulement),  des 
Italiens,  des  Slovènes,  des  Croates,  des  Serbes. 
Rentrent  encore  dans  le  même  cadre  d'études,  les 
Musulmans  et  les  Juifs  de  Bosnie-Herzégovine,  les 
Albanais  de  Borgo-Erizzo,  et  les  Glagols  d'Istrie  et 
de  Dalmatie.  Procédons  par  ordre. 

A  tout  seigneur,  tout  honneur.  Les  Allemands  sont 
bien  les  maîtres  du  pays.  Leur  langue  domine  non 
seulement  dans  les  anciens  territoires  de  la  maison 
d'Autriche,  mais  jusqu'aux  extrémités  de  la  Dalmatie, 
où,  dans  une  certaine  proportion,  elle  s'est  substituée 
à  l'italien. 

Et,  de  fait,  l'influence  de  l'italien  était  factice  sous 
les  Vénitiens  :  si  l'on  se  servait  de  la  langue  officielle, 
c'était  faute  de  mieux,  parce  qu'elle  avait  au  moins 
l'avantage  de  posséder  une  graphie  fixe,  ce  que 
n'avait  pas  le  slave  indigène.  Mais,  du  jour  où  l'il- 
lyrisme  de  Gaj  vint  ressusciter  le  croate  (1835), 
celui-ci  ne  devait  pas  tarder  à  se  substituer,  dans  tous 
les  domaines,  à  l'italien.  Et,  dès  lors,  l'italien  devait 
bientôt  aussi  se  voir  préférer  l'allemand,  langue  d'un 


—  135  — 

emploi  plus  général,  facilitant  les  communications 
avec  le  reste  de  la  Monarchie.  D'ailleurs,  le  service 
militaire,  les  relations  commerciales  et  le  contact  des 
étrangers  ont  du  suffire  pour  amener  cette  évolution. 

Dans  les  pays  proprement  italiens,  le  rôle  de 
l'allemand  'est  moindre,  pour  autant  toutefois  qu'il 
ne  s'agisse  d'un  centre  commercial,  comme  Trieste, 
ou  d'un  centre  militaire,  comme  Pola. 

En  Bosnie-Herzégovine,  en  dépit  de  l'oecupation 
militaire  —  tout  le  pays  n'est  qu'une  vaste  caserne,  — 
l'allemand  m'a  paru  passablement  ignoré  dans  les 
milieux  civils,  ce  qui  s'explique  peut-être  par  le  fait 
que  le  militaire  lui-même  est  recruté  pour  une  grande 
part  chez  les  Jougoslaves. 

Généralement  parlant,  l'allemand  est  la  langue 
commune  de  l'Autriche,  le  lien  qui  unit  tous  les 
citoyens  du  pays.  La  politique  autrichienne  est  à  cet 
égard  très  sage.  Elle  accorde  à  toutes  les  nationalités 
des  droits  égaux  quant  à  l'usage  public  de  sa  langue, 
mais,  en  même  temps,  elle  sauvegarde  le  principe 
d'unité  :  l'allemand  est  la  langue  nationale,  les  autres 
langues  ne  sont  que  langues  provinciales. 

Telle  est  aussi,  pour  -moi,  la  solution  naturelle  du 
problème.  Et  je  crois  que  les  erreurs  commises  dans 
d'autres  pays,  le  mien  notamment,  en  matière  de 
langues,  proviennent  toutes  de  la  négation  de  ce 
principe  essentiel. 

L'allemand,  d'ailleurs,  est  aussi  parlé  comme 
langue  naturelle  dans  le  sud  Slave,  notamment  dans 
un  ilôt  linguistique,  celui  de  Gottschee,  en  Carniole. 

Me  promenant  dans  les  rues  de  Pola,  je  fus  frappé 


—  136  — 

par  une  enseigne  trilingue  qui  se  balançait  au-dessus 
de  la  porte  d'une  taverne  : 

ANDEMO  DE  BATIC 

GREMO  K  BATICU 

GEMAR  ZUM  BATIC 

Les  deux  premières  lignes  étaient,  Tune,  de  l'italien 
vénitien,  l'autre,  du  slovène.  Mais  qu'était  ce  que  la 
troisième  ?  A  force  d'y  réfléchir,  je  trouvai  le  mot  de 
l'énigme  :  j'avais  affaire  à  de  l'allemand  de  Gottschee, 
et  m'aidant  de  la  double  traduction,  je  pus  l'inter- 
préter sans  peine  : 

Gemar  répond  à  l'allemand  gehen  wir  (allons),  mar 
étant  le  mir  du  judéo-allemand,  avec  la  mutation  en 
a  propre  aux  dialectes  du  sud.  Quant  à  la  contraction 
de  gehen  en  ge,  il  suffirait  pour  l'expliquer  de 
recourir  à  l'influence  du  slovène,  dans  lequel  Vh  perd 
sa  valeur,  les  lettres  doubles  deviennent  simples,  et 
celles  de  même  ordre  s'assimilent  : 

Gehenmar,  geenmar,  genmar,  gemmar,  gemar. 

J'avoue  d'ailleurs  n'en  pas  connaître  davantage  de 
ce  dialecte,  qui  est  parlé  par  environ  25.000  Allemands 
complètement  isolés  dans  la  population  slovène. 

Passons  maintenant  à  l'italien. 

Si  cette  langue  a  perdu  son  antique  suprématie  sur 
toute  la  côte  orientale  de  l'Adriatique,  elle  s'est 
maintenue,  naturellement,  dans  les  milieux  italiens  ou 
solidement  italianisés. 

En  Dalmatie,  Sebenico  est  la  première  ville  slave. 
Zara  est  foncièrement  italienne,  bien  que  la  population 
rurale   soit    croate.    Celle-ci,    d'ailleurs,    doit    avoir 


—  137  — 

quelque  connaissance  de  l'italien,  car,  sinon,  les 
bourgeois  de  Zara,  qui  en  vivent,  seraient  bien  forcés 
d'arborer  des  enseignes  bilingues.  Et  son  «  croatisme» 
doit  être  plutôt  tiède,  car  elle  accueille  les  écoles  de 
la  Lega  Nationale,  comme  je  l'ai  constaté  à  Borgo- 
Erizzo. 

A  Fiume,  le  fond  est  italien,  mais  la  présence  de 
nombreux  immigrants  hongrois  et  croates  y  est  fort 
sensible.  Le  caractère  partiellement  hongrois  de 
Fiume  est  d'ailleurs  dans  la  nature  des  choses,  car  on 
sait  que  cette  ville,  enclavée  entre  l'Istrie  et  la 
Croatie-Slavonie,  ne  fait  point  partie  de  ce  dernier 
royaume  et  dépend  directement  de  la  Hongrie,  dont 
elle  est  le  port  unique. 

Pola,  indépendamment  de  la  population  militaire, 
est  bien  italienne  Néanmoins,  l'élément  croate  y  est 
sensible,  la  ville  étant  située  sur  la  frontière  des  deux 
langues.  La  bourgeoisie  de  Pola  est  d'ailleurs  italia- 
nisée plus  qu'italienne.  C'est  là  un  fait  qui  m'a 
particulièrement  frappé  lors  de  la  visite  du  cimetière  : 
les  noms  en  -icii,  donc  slaves,  représentent  certai- 
nement plus  de  50  %  de  la  totalité. 

Telle  est,  du  reste,  un  peu  partout  la  situation. 
C'est  évidemment  l'élément  italien  qui  s'est  assimilé 
les  éléments  slaves,  et  prétendre  l'inverse,  comme  on 
l'a  fait  dans  l'intérêt  d'une  certaine  thèse,  est  certai- 
nement un  non-sens.  Le  processus  historique,  tel  que 
nous  le  constatons  dans  le  Nord,  tel  que  nous  le 
constations  encore  il  y  a  une  cinquantaine  d'années 
dans  le  Sud,  se  maintient  depuis  des  siècles  immuable 
dans  la  même  direction. 


-  138  — 

Trieste  peut  être  tenu  pour  la  capitale  de  Yltalia 
irredenta.  C'est  une  ville  tout  à  fait  italienne,  bien 
que  les  faubourgs  soient  déjà  Slovènes. 

Goritz  est  aussi  italienne,  bien  que  les  Slovènes,  et 
même  les  Allemands,  y  soient  certainement  nombreux. 

Quelle  est  la  situation  des  Italiens  d'Autriche- 
Hongrie?  Elle  ne  diffère  en  rien  de  celle  des  autres 
nationalités  de  l'Empire,  si  l'on  tient  compte  de  leur 
importance  numérique.  Non  seulement  on  ne  leur 
tient  pas  rancune  de  leurs  tendances  séparatistes 
avouées,  mais  les  Allemands,  c'est-à-dire  au  fond  les 
milieux  gouvernementaux,  recherchent  leur  alliance 
afin  de  faire  face,  sur  l'Adriatique,  au  «péril  slave». 

Et,  pourtant,  tandis  que  les  petites  nationalités 
slaves  n'ont  point  de  centre  politique  à  l'étranger  et 
concentrent  tous  leurs  rêves  d'avenir  en  dedans  des 
frontières  de  la  Monarchie,  les  Italiens,  eux,  ne  seront 
contents  que  le  jour  où  ils  se  seront  fait  annexer  au 
royaume  voisin,  sacrifiant  à  une  idée  nationale 
exagérée  jusqu'à  leurs  intérêts  matériels.  Car  Trieste 
italien,  Trieste  sans  hinterland  est  condamné  à  une 
ruine  irrémédiable. 

En  attendant,  ils  ont  une  forte  organisation  de 
combat.  Leurs  principales  sociétés  sont  la  Lega 
Nasionale,  qui  entretient  des  écoles,  et  les  sociétés 
de  bersaglieri ,  destinées  à  faire  pièce  aux  Sokols 
slaves.  J'eus  l'occasion  d'assister,  à  Spalato,  sur  la 
Marina,  aux  funérailles  (J'un  de  ces  bersaglieri , 
simple  maçon  de  son  état.  Les  superbes  obsèques  qui 
lui  étaient  faites  avaient  évidemment  pour  but  d'en 
imposer  à  la  population  croate,  qui,  il  faut  le  dire, 


—  139  - 

contemplait  très  digne.  Ces  sociétés  doivent  être  fort 
répandues,  car  Borgo-Erizzo  possédait  aussi  la  sienne. 

Les  ennemis  que  les  Italiens  ont  à  combattre  sur 
l'Adriatique  sont  les  Slaves,  Slovènes  au  Nord, 
Croates  et  Serbes  au  Sud.  Commençons  par  ces 
derniers. 

Croates  et  Serbes  ne  sont  à  proprement  parler 
qu'un  seul  peuple.  Si,  en  dépit  d'un  développement 
séculaire  complètement  séparé,  ils  ont  aujourd'hui 
encore  la  même  langue,  c'est  bien  qu'ils  ne  furent 
jamais  que  deux  tribus  d'une  même  nation. 

Ce  qui  les  sépare,  plus  encore  que  les  traditions 
historiques,  c'est  la  différence  de  religion  et  de 
culture.  C'est  là  un  phénomène  curieux  et  dont  je  me 
ferais  moi-même  difficilement  une  idée  si  je  ne  l'avais 
touché  sur  le  vif  à  Metcovich,  sur  la  Narenta  :  d'un 
côté  la  Dalmatie,  italianisée  et  moderne,  de  l'autre  la 
Bosnie,  turque  et  médiévale.  C'est  comme  tranché  au 
couteau  ;  nous  avons  là  deux  populations  qui,  tout  en 
vivant  côte  à  côte,  restent  en  fait  étrangères  l'une  à 
l'autre,  comme  si  une  «  grande  muraille  »  les  séparait. 

Il  va  de  soi  que  cette  difïérence  de  culture  est  à 
peine  sensible  chez  les  Serbes  immigrés  depuis  des 
siècles  en  Dalmatie.  en  Croatie  et  en  Slavonie.  Mais, 
ici,  c'est  l'Église  qui,  s'opposant  à  la  fusion,  a  main- 
tenu la  nationalité  serbe. 

Les  Serbes  représentent  20  %  à  peu  près  de  la 
population  dalmate.  A  partir  de  Sebenico,  on  com- 
mence à  voir,  de  ci  de  là,  des  enseignes  en  lettres 
cyrilliques,  accompagnées  le  plus  souvent  de  la  trans- 
cription latine.  A  Cattaro,  elles  sont  très  nombreuses, 


—  140  — 

et,  le  pilus  souvent,  sans  transcription,  ce  qui  prouve- 
rait que  le  caractère  cyrillique  est  connu  de  tous,  ou 
bien  encore  que  les  Serbes  sont  assez  nombreux  pour 
se  passer  de  la  clientèle  croate. 

En  Bosnie-Herzégovine,  tous  les  documents  oflSciels 
sont  rédigés  dans  les  deux  écritures,  mais  les 
enseignes  privées  sont  de  préférence  en  cyrillique,  le 
gros  de  la  population  étant  serbe. 

On  sait  que  les  deux  graphies,  latine  et  cyrillique, 
sont  phonétiques  et  correspondent  parfaitement  l'une 
à  l'autre,  en  sorte  que  la  transcription  est  toute 
mécanique.  Leur  co-existence  sur  un  pied  d'égalité, 
comme  c'est  le  cas  en  Bosnie,  n'en  est  que  plus 
curieuse. 

Il  ne  rentre  pas  dans  mon  cadre  de  faire  l'histoire 
de  la  langue  croato-serbe,  quelque  intéressante  et 
instructive  qu'elle  soit  ;  mais  il  me  faut  dire  quelque 
chose  de  sa  dialectologie. 

Le  croato-serbe  embrasse  trois  dialectes,  respecti- 
vement désignés  sous  les  noms  de  kajkavski, 
cakavski,  stokavski  (d'après  la  façon  de  traduire  le 
pronom  quoi).  Le  premier  se  parle  dans  les  montagnes 
du  N.-O.  de  la  Croatie;  certains,  le  considérant 
comme  un  idiome  de  transition,  l'appellent  slovéno- 
croate.  Le  dialecte  de  ca  est  parlé  en  Istrie,  sur  le 
littoral  croate,  et  dans  les  îles  dalmates,  jusque 
Peljesac  et  Lastovo  inclus. 

Enfin,  le  stokavski,  qui  est  aujourd'hui  la  langue 
littéraire,  se  subdivise  à  son  tour  en  trois  sous- 
dialectes  :  ekaoski,  Jekaoski,  ikavski,  difïérant  par  la 
façon  dont  ils  rendent  T'fe  du  paléoslave  (et  du  russe). 


—  141  — 

Les  deux  premiers  de  ces  dialectes  trouvent  leur 
expression  dans  la  langue  écrite  :  Vekavski  est  la 
langue  littéraire  du  royaume  de  Serbie  et  de  la 
Voïvodine  serbe,  en  Hongrie,  tandis  que  \e  Jekavski 
domine  à  l'Ouest  (Bosnie-Herzégovine,  Monténégro, 
Dalmatie,  Croatie-Slavonie,  Istrie). 

Quant  à  Vikavski,  général  en  Dalmatie,  il  n'apparait 
plus  aujourd'hui  dans  l'écriture,  sauf  peut-être  dans 
certains  noms  propres  consacrés  par  la  tradition,  comme 
Split,  pour  Splj'et  (Spalato).  Son  exclusion  semble 
d'ailleurs  avoir  été  lente  et  progressive.  C'est  ainsi 
que,  à  Gravosa,  près  de  Raguse,  j'ai  trouvé  une 
inscription  en  ikavski  datée  de  1858.  De  même,  dans 
une  église  de  Sebenico,  j'ai  aussi  rencontré  des  docu- 
ments en  dialecte  d'/  .•  on  sait  que,  partout  et  par 
principe,  l'Église  est  particulièrement  conservatrice 
en  matière  de  langage.  Enfin,  à  Spalato,  sur  les  murs, 
je  pus  lire  ces  mots  : 

DOLI  (pour  dolje)  DANTE 
c'est-à-dire  :  A  bas  Dante  ! 

On  sait  que  Dante  est  un  drapeau  pour  l'italia- 
nisme. L'auteur  de  la  susdite  inscription  ne  connais- 
sait évidemment  rien  du  vrai  Dante,  et,  ce  qu'il 
prétendait  conspuer,  c'étaient  simplement  les  Italiens. 
Ceux-ci  d'ailleurs  ne  sont  pas  plus  tendres  pour  les 
Slaves  : 
A  Trieste,  sur  un  mur,  je  notai  l'inscription  : 

ABBASSO  I  [sic!)  SC  {sic!)  lAVI 
Le  gosse  qui  en  était  l'auteur  n'avait  pas  encore  eu 


—  142  — 

le  temps  d'apprendre  sa  langue  maternelle,  mais  il 
savait  déjà  qu'il  faut  haïr  les  Slaves... 

Quant  au  cakavski,  je  n'ai  pu  en  constater  aucune 
manifestation  publique,  en  dehors  de  l'une  ou  l'autre 
pièce  humoristique  publiée  dans  un  journal. 

Pour  en  revenir  à  la  question  des  rapports  entre 
Yougoslaves,  c'est  un  fait  évident  que  la  dernière 
guerre  balkanique  et  les  victoires  serbes  ont  profon- 
dément remué  la  conscience  nationale  des  Slaves 
catholiques  du  Sud,  Croates  et  Slovènes.  Alors  que, 
hier  encore,  ils  ne  regardaient  qu'avec  un  certain 
dédain  leurs  voisins  d'outre-Save,  ceux-ci  sont  main- 
tenant auréolés  par  la  victoire,  ils  sont  devenus  à  leurs 
yeux  des  personnages  importants,  de  puissants  alliés 
dans  la  lutte  contre  les  ennemis  de  l'extérieur.  Aussi 
était-on,  il  y  a  15  jours  seulement,  plus  près  de 
l'union  de  tous  les  Yougoslaves  qu'on  ne  l'avait  jamais 
été  jusqu'ici.  Les  manifestations  de  cet  esprit  étaient 
multiples  et  je  les  ai  constatées  à  chaque  pas  durant 
mon  voyage.  Pour  ne  citer  qu'un  exemple,  caracté- 
ristique pensons-nous,  la  presse  de  Laybach  ne  parlait- 
elle  pas,  il  y  a  quelques  jours  seulement,  de  favoriser 
l'étude  de  la  graphie  cyrillique  chez  les  Slovènes,  de 
façon  à  les  mettre  à  même  de  lire  le  serbe  ? 

Hélas  !  un  crime  stupide  est  venu  remettre  tout  en 
question.  Quelques  fanatiques  ont  voulu  faire  payer 
à  l'héritier  d'Autriche  les  fautes  et  les  erreurs, 
d'ailleurs  réelles,  du  gouvernement  impérial  en 
Bosnie.  Ces  insensés  auront  compromis  pour  long- 
temps, sinon  perdu  irrémédiablement  la  cause  pour 
laquelle  ils  travaillent. 


—  143  — 

Un  des  traits  qui  frappent  le  plus  l'étranger,  c'est 
le  culte  que  professent  les  Slaves  du  Sud  pour  la 
musique  et  la  poésie.  Le  gusiar  n'est  pas  mort,  car 
j'en  ai  vu  plus  d'un  exemplaire  bien  vivant,  en  Bosnie 
notamment.  Les  chants  populaires  sont  encore  dans  la 
bouche  de  tous  ;  on  les  chante  sur  un  air  de  complainte, 
toujours  le  même,  et  qui,  à  certains  moments,  la  nuit 
surtout,  quand  on  y  est  pas  préparé,  ne  laisse  pas  que 
de  vous  importuner,  voire  de  vous  remplir  d'une 
vague  tristesse.  La  poésie  livresque  est  aussi  fort  en 
honneur.  Plus  d'une  fois,  j'ai  assisté  au  spectacle  d'un 
homme  du  peuple  lisant  des  vers,  tandis  qu'un  large 
cercle  d'auditeurs  l'écoutait  avec  vénération. 

Dans  le  même  ordre  d'idées,  je  dois  aussi  parler 
d'un  enterrement  populaire  dont  je  fus  témoin  à 
Sebenico.  Un  cercueil  était  débarqué,  venant  des  îles  ; 
il  n'était  accompagné,  en  dehors  des  porteurs,  que 
d'un  homme  dans  la  force  de  l'âge,  un  artisan  selon 
toute  apparence,  en  costume  de  travail.  Donnant  libre 
cours  à  sa  douleur,  et  satisfaisant  en  même  temps  à 
un  rite  convenu,  il  s'arrachait  les  cheveux,  tout  en 
chantonnant  une  espèce  d'élégie,  dont  je  ne  pus  saisir 
que  ces  mots  qui,  revenant  par  intervalles,  consti- 
tuaient une  espèce  de  refrain  : 


Moje  zarko  srce... 

ce  qui  ne  pourrait   se    rendre   que   difficilement    en 
français,  mais  que  l'on  peut  traduire,  en  allemand,  par 
Mein  bitteres  Herz  !  ou,  en  italien,  par  L'amaro  cuore 
mio! 
J'avais  affaire  à  une  survivance  de  ces   coutumes 


—  144  - 

funèbres,  communes  jadis  à  tous  les  peuples  des 
Balkans  et  remontant  peut-être  à  l'antiquité  classique; 
mais  le  contact  de  notre  civilisation  les  transforme  et 
les  tue  lentement. . . 

Une  population  intéressante  et  que  j'ai  pu  voir  de 
près,  ce  sont  les  Musulmans  bosniaques.  Slaves  de 
race,  parlant  le  serbo-croate,  ignorant  aujourd'hui 
généralement  le  turc,  ils  restent  isolés  tant  du  gros 
de  leurs  co-religionnaires.que  des  populations  qui  les 
entourent  immédiatement. 

Aux  débuts  de  l'occupation,  leur  seule  langue 
écrite  était  le  turc  ;  mais,  peu  à  peu,  il  est  devenu 
pour  eux  une  langue  étrangère,  et  ils  se  sont  mis  à 
écrire  leur  idiome  maternel.  Hostiles  aux  Serbes,  ils 
ont  adopté  la  graphie  latine  introduite  par  le  gouver- 
nement. Dans  ces  derniers  temps,  on  a  commencé  à 
faire  usage  aussi  de  la  transcription  arabe,  telle  que 
je  l'ai  décrite  dans  la  Revue  du  Monde  Musulman 
(t.  23,  p.  296).  Malheureusement,  cette  graphie  est 
encore  très  flottante,  et  les  modifications  introduites 
par  ceux  qui  s'en  servent  sont  parfois  des  plus  malheu- 
reuses. Pour  n'en  citer  qu'un  exemple,  le  ^\^^  <r 
journal  de  Sarajevo,  emploie,  pour,  (au  commence- 
ment d'un  mot),  ce  qui  est  contraire  au  principe  le 
plus  essentiel  de  l'écriture  arabe.  Heureusement,  du 
reste,  cette  graphie  est  encore  plutôt  exceptionnelle  ; 
souhaitons  qu'elle  ne  se  généralise  pas. 

Que  les  musulmans  se  rattachent  de  plus  en  plus 
étroitement  au  grand  mouvement  littéraire  croate, 
tout  en  tendant  à  s'y  créer  une  position  autonome. 
Telle  est  la  véritable  solution,  et  elle  s'impose  d'autant 


—  145  — 

plus  que,  étrangers  comme  ils  le  sont  à  toute  autre 
culture,  c'est  là  pour  eux  une  condition  de  vie  et  de 
progrès. 

Comme  je  l'ai  dit,  le  turc  est  désormais  hors  d'usage 
en  Bosnie.  C'est  à  peine  si  j'ai  trouvé  quelques 
personnes  parlant  cette  langue.  Les  inscriptions 
turques,  à  Mostar,  peuvent  se  compter  sur  les  cinq 
doigts  de  la  main.  Une  d'entre  elles  m'avait  frappé 
dès  le  matin,  celle  du  jt.i^O^^  ou  «  grand  khan  )>;  je 
ne  soupçonnais  guère  que,  par  suite. d'un  malentendu 
avec  mon  hôtel,  cet  estimable  établissement,  organisé 
dans  le  goût  oriental,  comme  au  bon  vieux  temps  de 
la  domination  turque,  dût  me  servir  d'abri  le  même 
soir.  Je  n'eus  d'ailleurs  pas  à  le  déplorer  ;  le  khandji, 
brave  homme  dans  son  genre,  me  procura  le  meilleur 
appartement  de  sa  maison,  et  ses  prix  ne  furent 
nullement  exagérés. 

J'oubliais  de  dire  que  certaines  rues  ont  des  noms 
turcs,  ceux  qui,  sans  doute,  étaient  en  usage  sous  la 
domination  précédente.  Mais,  quel  turc  !  Misérable- 
ment estropié  le  plus  souvent...  En  voici  un  exemple  : 

GLAVNA  ULICA  LUKA 

dans  lequel  ai)  est  à  la  fin  au  lieu  d'être  au  com- 
mencement. 

Les  autres  noms  de  rues  sont  en  serbe  et  transcrip- 
tion arabe.  Cette  dernière  est  d'ailleurs  aussi  inconsé- 
quente que  possible.  Mais  son  usage  officiel  tendrait  à 
faire  supposer,  d'autre  part,  que  c'est  le  gouvernement 
lui-même  qui  en  est  l'inventeur. 

10 


—  146  — 

Mentionnerai-] e  aussi  pour  finir,  ma  visite  à  la 
Citaonical  (salle  de  lecture)  musulmane  de  Mostar  ? 
Quelques  feuilles  croates  ou  serbes,  quelques  journaux 
musulmans  bosniaques,  une  revue  arabe,  le  tout  jeté 
pêle-mêle  sur  une  mauvaise  table,  au  bout  de 
laquelle  un  vieux  [musulman  enturbanné  lit  VOb^or, 
d'Agram  !  En  vérité,  les  musulmans  de  Bosnie  ont 
encore  pas  mal  à  travailler  pour  se  mettre  au  diapason 
de  la  culture  européenne...  Mais,  en  attendant,  ils 
m'ont  fait  pitié  :  nous  leur  avons  enlevé  le  peu  qu'ils 
possédassent,  et,  jusqu'ici,  nous  n'avons  rien  mis  à  la 
place . . . 

Quelques  mots  maintenant  sur  un  autre  phénomène. 
Je  veux  parler  du  glagolitisme,  c'est-à-dire  la  liturgie 
romaine  de  langue  paléo-slave,  telle  qu'elle  est  en 
usage  en  Istrie  et  en  Dalmatie.  L'Église  romaine, 
unitaire  et  centralisatrice,  ne  l'a  jamais  reconnue  que 
pressée  par  la  nécessité,  s'efforçant,  toutes  les  fois  que 
les  circonstances  semblaient  plus  favorables,  de  subs- 
tituer le  latin  au  slave.  Il  y  a  quelques  années,  sous 
Léon  XIII,  on  pouvait  croire  que  de  meilleurs  jours 
allaient  enfin  luire  pour  les  glagolisants  ;  leur  liturgie 
semblait  même  être  appelée  à  se  répandre  au  delà  des 
étroites  frontières  dans  lesquelles  elle  est  traditionnel- 
lement confinée.  C'est  que  l'on  s'imaginait  assez 
naïvement,  à  Rome,  qu'elle  dût  constituer  comme  un 
pont  pour  la  réunion  des  Églises.  Depuis,  les  illusions 
sont  tombées,  et  l'on  a  repris,  en  conséquence,  la 
politique  traditionnelle  à  l'égard  du  glagolitisme. 
Mais  si,  d'un  côté,  on  a  juré  son  extermination 
systématique,  de  l'autre,   toute  la  nation   croate  est 


l 


—  147  — 

maintenant    en   armes    pour    défendre    ce    glorieux 

privilège  des  ancêtres.  C'est  à  qui  l'emportera. . . 

Je  n'ai  eu  l'occasion  de  rencontrer  sur  ma  route  que 
peu  de  traces  de  glagolitisme,  lequel  est  d'ailleurs 
plus  répandu  dans  les  îles  que  sur  la  terre  ferme. 
Toutefois,  voici,  en  transcription,  une  inscription 
glagole  trouvée  sur  la  porte  du  cimetière  de  Spalato  : 

A^  esm'  vskr' sente  i  èivof 
(Je  suis  la  résurrection  et  la  vie) 

Dans  la  chapelle  attenante  on  doit  célébrer  la  messe 
glagole,  car  j'y  ai  trouvé  la  préparation  à  la  messe  de 
ce  rite.  Enfin,  une  tombe,  dans  le  cimetière,  contenait 
une  inscription  glagole,  mais  trop  longue  pour  que  je 
me  misse  en  peine  de  la  déchiffrer. 

Les  Croates  ont  pour  voisins  immédiats,  au  N.-O., 
un  petit  peuple  dont  la  langue  se  rapproche  beaucoup 
de  la  leur,  les  Slovènes.  Ceux-ci  occupent  une  partie 
du  Littoral  autrichien  (Goritz  et  Gradisca,  Trieste  et 
l'Istrie),  où  ils  se  heurtent  à  l'élément  italien,  toute  la 
Carniole,  et  une  partie  de  la  Carinthie  et  de  la 
Styrie. 

Leur  capitale  est  Laybach,  charmante  petite  ville 
d'une  quarantaine  de  mille  âmes,  toute  slave.  C'est  à 
peine  si  l'allemand  y  apparaît,  et  cela  sans  doute  pour 
la  population  militaire  plus  que  pour  la  population 
civile.  Alors  que,  les  autres  provinces  étant  bilingues, 
le  Slovène  y  est  primé  par  ses  puissants  concurrents, 
il  est  ici  chez  lui  et  règne  sans  conteste.  «  Mon  verre 
est  petit  »,  peut  dire  le  Slovène,  «  mais  je  bois  dans 
mon  verre».  Laybach  est  slovène  comme  Prague  est 


-   148  — 

tchèque,  comme  Budapest  est  hongrois,  comme  Vienne 
elle-même  est  allemande. 

J'ai  signalé  déjà  la  tendance  au  rapprochement  qui, 
il  y  a  quelques  jours  encore,  prévalait  chez  tous  les 
Slaves  du  Sud.  Disons  maintenant  deux  mots  de  leurs 
luttes  contre  les  Allemands  et  les  Italiens,  luttes  dont 
les  Slovènes  ont  à  supporter  le  premier  choc. 

Lors  de  mon  passage  par  Trieste,  les  esprits  étaient 
encore  sous  le  coup  des  événements  qui  avaient 
marqué  la  sortie  d'un  cortège  slovène,  événements 
suffisamment  graves  pour  attirer  l'attention  de  la 
presse  étrangère,  qui  d'ailleurs  les  a  dénaturés  selon 
son  habitude.  L'intervention  de  la  police  en  faveur 
des  manifestants  n'était  pas  dirigée  contre  les  pertur- 
bateurs italiens,  qui  jouissaient  au  contraire  de  ses 
sympathies  secrètes,  mais  elle  avait  tout  au  plus  pour 
but  de  mettre  les  Slovènes  en  état  de  jouir  d'un  droit 
constitutionel.  Toujours  est-il  que,  il  y  a  15  jours 
encore,  les  deux  nationalités  étaient  toujours  sur  pied 
de  guerre  :  les  Slovènes  projetaient  une  revanche,  les 
Italiens  de  nouveaux  désordres.  Les  autorités,  elles, 
pour  maintenir  l'ordre,  se  promettaient  bien  d'inter- 
dire toute  manifestation. 

Une  victime  de  cet  état  de  guerre,  ce  fut  la  grande 
réunion  des  Sokols,  à  Laybach,  interdite  au  dernier 
moment,  prétendument  à  cause  de  l'intervention  des 
Serbes.  On  s'occupait  de  faire  lever  cette  défense, 
attentatoire  à  la  dignité  du  slavisme,  lorsque  le 
meurtre  de  Sarajevo  vint  mettre  le  feu  aux  poudres... 

Quelques  mots  seulement  sur  la  colonie  albanaise  de 
Borgo-Erizzo  (en   croate,   Arbanasi),   près  de  Zara. 


—  M9  — 

Ces  Albanais  sont  les  descendants  d'immigrants  de  la 
Guéguerie,  établis  dans  le  pays  par  le  prooveditore 
Erizzo,  dans  la  première  moitié  du  XVIIP  siècle.  Ils 
sont  aujourd'hui  plus  de  2.000  âmes,  ayant  conservé 
l'usage  de  leur  langue,  bien  que  l'église  soit  croate. 

Il  y  a  quelques  années,  le  gouvernement,  dans 
l'intérêt  de  sa  politique  en  Albanie,  en  même  temps 
qu'il  instituait  une  chaire  d'albanais  à  Vienne,  établit 
également  un  professeur  d'albanais  à  Borgo-Erizzo, 
pour  les  trois  écoles  (deux  croates,  une  italienne)  de  la 
localité.  Je  fis  la  connaissance  de  ce  dernier,  M.  Paul 
Gjergji,  et,  par  son  intermédiaire,  je  pus  me  procurer 
les  ouvrages  classiques  publiés  par  le  gouvernement 
pour  les  besoins  de  son  enseignement.  Il  se  déclarait 
satisfait  des  résultats  obtenus  :  la  plupart  des  élèves, 
en  quittant  son  cours,  savent  écrire  correctement 
l'albanais. 

Je  n'ai  noté,  à  Borgo-Erizzo,  que  deux  inscriptions 
albanaises.  La  première  : 

SHQYPTAR  TE  SHQYPTARI 

ce  qui  veut  dire  :  Albanais,  (venez)  chez  l'Albanais. 
La  seconde,  trilingue  : 

DOM  SEOSKE  BLAGAJNE 

SHPIJA  E  DHANSSIES  KALUNDIT 

CASA  DELLA  CASSA  RURALE 

Les  Juifs  doivent  être  assez  nombreux  en  Bosnie- 
Herzégovine,  puisqu'ils  sont  représentés  à  la  diète 
bosniaque  par  deux  députés  (sur  72).  Mais  ils  sont 
sans  doute  concentrés  à  Sarajevo,  car  je  n'en  ai  pas  vu 


—  150  — 

de  traces  à  Mostar.  En  revanche,  sur  la  ligne  du 
chemin  de  fer,  et  même  déjà  sur  le  bateau,  à  partir 
de  Spalato,  j'ai  entendu  plus  d'une  fois  parler  l'espa- 
gnol, c'est-à-dire,  pour  être  exact,  le  judéo-espagnol 
d'Orient,  vieux  castillan  modifié  par  l'influence 
italienne  et  française,  et  dans  lequel  les  mots  d'em- 
prunt turcs,  slaves,  grecs,  etc.,  ne  manquent  pas  non 
plus. 

Veuillez,  etc. 

H.  Bourgeois. 

Bruxelles,  5  juillet  1914. 


I 


L'ASPIRATION  EN  BASQUE 


On  a  dit  que  l'histoire  est  un  perpétuel  recom- 
mencement ;  il  en  est  ainsi  de  toutes  les  sciences,  et 
les  problèmes  qu'elles  soulèvent  se  représentent  sous 
une  forme  différente  après  chaque  progrès  accompli, 
après  chaque  découverte  nouvelle.  A  plus  forte  rai- 
son, peut-on  le  dire  de  la  linguistique,  qui  s'occupe 
de  questions  si  délicates  et  si  complexes,  que  la  solu- 
tion n'en  est  jamais  ni  définitive  ni  certaine.  On 
discutera  longtemps  encore  sur  les  Basques  et  les 
Ibères,  tant  que  les  inscriptions  ibériennes  n'auront 
pas  été  expliquées  :  qui  nous  donnera  la  clef  du 
inystère,  quel  hasard  heureux  nous  guidera  pour  l'in- 
terprétation de  ces  documents  singuliers  où  si  peu  de 
mots  se  répètent,  où  les  formes  grammaticales  ne 
peuvent  se  reconnaître,  où  l'on  ne  trouve  pas  de  mots 
d'emprunt,  celtes  puniques  ou  latins  ? 

Il  y  a  quarante  ans  que  la  question  s'est  posée,  à 
propos  de  la  seconde  personne  singulière  du  verbe.  Le 
pronom  isolé  o  toi  »  est  hi,  mais  quand  il  est  suffixe, 
sujet  ou  régime,  il  prend  la  forme  k,  et  h  quand  il  est 
préfixé.  Quelle  est  la  forme  originaire  et  primitive? 
k  final  est-il  un  renforcement  de  h'^  h  initial  est-il  un 
adoucissement  de  Ar?  En  résumé,  le  pronom  orga- 
nique est-il  hi  ou  ki  ? 

M,  Van  Eys  était  de  la  première  opinion  ;  je  pen- 


—  152  — 

chais  pour  la  seconde,  et  le  prince  L.-L.  Bonaparte 
appuyait  mon  sentiment  par  son  éternel  argument  de 
fait  :  il  avait  trouvé  dans  des  dialectes  navarrais  des 
adverbes  et  des  démonstratifs  où  h  initial  était  rem- 
placé par  k  ou  g.  L'argument  avait  sa  valeur,  mais 
était  par  lui-même  insuffisant. 

Actuellement,  l'aspiration,  en  basque,  existe  seule- 
ment dans  les  dialectes  parlés  en  France  et  encore  ne 
se  fait-elle  plus  sentir  le  long  de  la  côte  et  est-elle 
plus  faible  en  Labourd.  Déjà,  en  1571,  Liçarrague,  qui 
écrivait  en  labourdin,  supprime  h  initial  aux  secondes 
personnes  du  verbe  :  aicelaric  «  puisque  tu  es  », 
ezemôn  «  qu'il  ne  te  donne  pas  à  lui  ».  En  Espagne,  on 
a  conservé  les  h  dans  certains  mots  écrits,  mais  on  ne 
les  prononce  pas.  Il  résulterait  de  ces  faits  que  l'aspi- 
ration, jadis  générale  en  basque,  s'y  restreint  de  plus 
en  plus.  Est-ce  sous  une  influence  climatérique  ou 
ethnographique?  Probablement,  mais  est-elle  primi- 
tive? 

En  réalité,  l'aspiration  est  un  soufilement  ;  h  est 
analogue  à  f,  v  ;  ch  fr.  (s),  j  fr.  (^);  s,  j.  Mais  en 
français  le  mot  aspiré  est  impropre,  quoique  admis. 

Dans  l'Indo-européen  général,  il  n'y  avait  pas  de/, 
mais  il  y  avait  h,  gh,  dh,  bh.  Le  sanskrit  y  a  ajouté 
kh,  tli,  ph,  nh,  mh,  rh,  Ih,  et  il  a  même  une  aspirée 
finale,  sorte  de  soupir  harmonieux,  le  visarga,  qu'on 
transcrit  h  et  qui  est  un  succédané  de  s.  Quand  les 
Dravidiens,  les  Tamouls ,  ont  emprunté  des  mots 
sanskrits,  ils  ont  simplement  supprimé  l'aspiration  ; 
toutefois,  ils  ont  fait  g  de  h  intervocalique  :  ainsi 
bhayam  et  Harihara  sont  pour  eux  payam  (pron. 


—  153  — 

bayam},et  arigaran.  Ce  remplacement  de  h  par  g  est 
général  en  slave  :  le  russe  a  d'ailleurs /et  prononce/' 
le  th  grec  :  Fédor,  Fadéi  (Théo  lore,  Thadée).  Les 
Eraniens  avaient  h  etf,  mais  les  Scythes  réduisaient 
à  k,  t,  p  les  kh,  th,  ph  grecs.  Les  Grecs  avaient  en 
outre  le  rk  et  l'esprit  rude.  Les  Latins  avaient^/' et  h, 
mais  le  h  initial  devait  être  assez  faible  puisqu'il  n'em- 
pêchait pas  l'élision  :  Ille  habeat,  Pallas  te  hoc 
vulasere.  .  . 

En  néo-latin,  h  est  tombé.  L'italien  ne  l'écrit  plus, 
le  français  et  l'espagnol  l'ont  gardé  comme  signe 
orthographique  et  étymologique,  mais  il  y  a  été  pro- 
noncé comme  dans  le  provençal  pyrénéen.  Il  s'y  est 
même  substitué  à  f,  puis  est  tombé  comme  le  h  orga- 
nique :  esp.  hermoso  (formosum),  htjo  (filium),  hoj'a 
(foliam);  béarnais  hade  «  fée  »  (fatam),  Lahount  (La- 
font),  Peyrehorado  (petram  foratam),  cf.  roumatye 
(formaticum,  à  Bayonne,  formicam  est  devenu  arrou- 
migue.  Dans  le  Livre  d'or  de  la  cathédrale  de  Bayonne, 
publié  en  1906  par  M.  l'abbé  V.  Dubarat,  le  savant 
curé  de  St-Martin  de  Pau,  on  trouve,  dans  des  actes 
datés  de  1150  à  1199,  les  noms  basques  Haitce,  Har- 
riague,  Harriet,  Harizmendi,  Hiribarren  écrits 
Fathse,  Ferrt'ague,  FenHette,  Ferismendi,  Feribarren. 
Le  nom  de  Haitce  s'y  trouve  aussi  à  la  même  époque  : 
h  et /se  confondaient  donc  dans  la  prononciation. 

Actuellement,  en  basque,  l'aspiration  est  inconnue 
aux  dialectes  espagnols,  quoique  h  soit  écrit  dans 
quelques  mots.  En  France,  on  trouve  kh,  th,  pli,  nh, 
rh,  Ih,  h  initial  et  médial,  mais,  sur  la  côte,  on  n'aspire 
plus  et  en  labourdin,  l'aspiration  tend  à  se  perdre  ;  rh 


k 


—  154  — 

se  remplace  par  rr  :  orhe,  orre  «  genêt  épineux  »  ;  Ih 
par  /  ou  II  :  olha,  ola  «  cabane  »,  bilha,  billa  «  cher- 
cher ».  Dans  les  autres  groupes,  l'aspiration  se  sup- 
prime tout  simplement  :  ate  «  porte  »,  gako  «  clef  », 
ele  «  parole  »,  enada  «  hirondelle  ». 

H  intervocalique  se  supprime  aussi  et  les  voyelles 
mises  en  contact  peuvent  s'altérer  sous  l'influence 
les  unes  des  autres  et  se  contracter,  ce  qui  amène  de 
fâcheuses  confusions  :  aho,  ago  «  bouche  » ,  avec  l'article, 
fait  ava,  aba;  sahar,  zaai\  zar  «  vieux  »  se  confond 
avec  zar  «  mauvais  ».  C'est  ce  qui  arrive  toujours 
après  la  chute  de  lettres  euphoniques  ou  non.  Cf.  le 
datif  pluriel  :  qizonaki  (Irun),  gizonai  (guip.),  gizonei 
(lab.),  gizoneri  (St-Jean-de-Luz),  gizoner  (Soute)  ;  le 
génitif  singulier  en  aren  et  les  futurs  périphrastiques 
en  anen  se  réduisent  à  ain  :  gizonain  etchea  «  la  maison 
de  l'homme  »,  emain  diot  «  je  le  lui  donnerai  ».  On 
sait  que  n,  r  et  h  se  comportent  de  la  même  façon  en 
basque.  Le  n  latin  entre  deux  voyelles  passe  à  h  :  ahate 
(anatem),  ohore  (honorem),  liho  (linum)  ;  en  Espagne, 
aate,  oore,  lino  ou  lino.  Oihu  «  cri  »  et  oihan  «  bois  » 
font  oyu,  oyan.  Cî. . peut-être  œaso  =  oyarzun. 

Sauf  dans  les  mots  d'emprunt,  h  médian  passe  sou- 
vent àg; dans  les  mots  empruntés,  h  est  parfois  pure- 
ment euphonique  :  /eAom  (leonem).  Comme  exemples 
de  h  =  g,  on  peut  citer  lear,  lehar,  legar,  legarri 
«  caillou  »  ;  leor,  legor,  lehor  «  sec  »  ;  dans  len,  lelen, 
lenen,  leren,  lehen,  lein  «  premier  »,  c'est  leren  qui 
paraît  être  la  forme  organique.  Aun,  agun,  abuin 
«  écume  »  viennent-ils  de  ahun  ? 

Je^pourrais  citer  encore  zuaitz,  zuhaitz,  zugaitz, 


—  155  — 

zugariU,  suhais  «  arbre  »  et  zuhar,  zugar,  zurihar^ 
3umar  «  orme  ».  Mais  ces  derniers  mots,  comme 
zuhamu  et  zuhain  «  arbre  »  viennent  sans  doute  de 
zur  «  bois  (de  construction)  »,  on  y  rattache  aussi 
zuandor,  zuhaindor,  -3'?/Aa/iCifor  «cornouiller sanguin  », 
zumalikar  «  bourdaine  »,  zuhazti  «  bocage  »,  zukil 
«  bûcher  »,  etc.  H  et  g  permutent  dans  ihela,  igela 
«  grenouille  »  ;  ohe,  oge  «  lit  »  ;  ohatze,  ogatze  et,  avec 
métathèse,  guatze  «  nid  ».  Il  y  a  chute  de  h  et  con- 
traction dans  nauzu  pour  nahi  duzu  «  vous  le  voulez  ». 
Y  a-t-il  un  h  primitif  dans  nausi,  nugusi,  nabusi 
«  maître  »  ?  Parmi  les  noms  de  la  lune  on  a  argizagi 
et  argizari. 

A  ce  point  de  vue,  le  mot  ur  «  eau  »  forme  un  grand 
nombre  de  dérivés  fort  intéressants  :  uhain,  uhin, 
uhin  «  vague  »,  ernitz,  uhnitz,  ugnitz,  ugatch,  uhuitz 
«  grande  eau  »  :  uar,  uhar,  uharre  «  eau  trouble  »  ; 
urandi,  urhandi  «  fleuve  »  ;  ubaz  «  eau  débordante  »  ; 
uraldi,  ualdi,  uhaldi,  ukalte,  uhalt,  ugalde,  ubalde 
«  rivière  »  ;  uhart,  ugart,  huart,  uart  «  île  »  ;  uholde, 
ugolde  «  inondation  »  ;  urarre,  uqarre  «  eau  torren- 
tielle »  ;  urarri,  unarri  «  galet  »  ;  ugats,  urats  «  eau 
sulfureuse  »,  et  agatz  «  sein,  mamelle  ». 

Ce  qui  résulte  de  cet  exposé,  c'est  l'instabilité,  la 
faiblesse  de  h.  On  s'en  aperçoit  quand  on  voit  que  h  est 
ajouté  ou  supprimé  ad  libitem  dans  les  mots  d'em- 
prunt: hira  «  colère»  (iram),  hagonia  «agonie»,  higual 
égal  (esp.  igual),  hirrisku  «  danger,  risque  »,  etc. 
En  revanche,  h  est  tombé  dans  orai,  «  maintenant  » 
(horae).  Ur  «  eau  »  est  peut-être  aussi  hur,  mais  hur 
veut  dire  «  noisette  »  avec  r  fort,  tandis  qu'il  est  faible 


—  156  — 

dans  «  eau  »  [ura,  urra).  On  sait  que  wr  est  propre- 
ment «  eau  courante,  liquide,  liqueur  »  ;  l'eau  en 
masse,  l'eau  des  lacs,  des  étangs,  se  dit  it^  [itsaso 
«mer»),  ihit^,  ihintz  a  rosée  ».  Ur,  A^rweau»  est 
peut-être  organiquement  kur. 

Puisque  en  effet  h  médian  est  peu  résistant  quoique 
soutenu  par  la  voyelle  précédente,  il  doit  être  plus 
caduc  encore  au  commencement  des  mots  surtout 
quand  il  est  suivi  d'une  voyelle  ou  d'une  syllabe  faible 
elle-même.  M.  Van  Eys  reconnaissait  que  h  a  toi  » 
n'avait  pu  se  maintenir  suffixe  et  il  pensait  qu'alors  il 
s'était  renforcé  en  A";  j'ai  fait  observer  que  le  contraire 
était  plus  naturel  et  plus  exact  :  k  initial,  affaibli  en 
vertu  de  la  loi  du  moindre  effort,  est  naturellement 
remplacé  par  h.  Je  ne  connais  pas  d'exemple  de  h 
devenu  k  :  h  devient  g  puis  b,  mais  ne  se  remplace 
jamais  par  une  explosive  forte.  Les  dérivés  d'wr  «  eau  » 
sont  à  cet  égard  significatifs  :  leur  r  passe  g  par  l'in- 
termédiaire de  h  qui  lui  est  substitué  pour  éviter  le 
hiatus  ;  quand  nous  rencontrons  des  mots  comme 
ugotcho  «  brochet  »,  littéralement  «  loup  d'eau  »  (ur 
otso),  nous  devons  admettre  qu'il  y  a  eu  une  forme 
intermédiaire,  uhotso,  uhotcho.  De  même  p  devenu  h 
n'a  pu  se  transformer  en  g  que  par  l'intermédiaire  de 
h  :  cf.  apari,  afari,\ahari  a  souper  »  qui  est  à  Roncal 
origari. 

Voyons  s'il  y  a  des  mots  en  h  où  le  k  primitif  ait  - 
laissé  des  traces  de  son  existence.  Dans  le  dictionnaire  ., 
d'Azkue,  qui  n'est  pas  parfait,  mais  qui  est  de.beau- 
coup  le  meilleur  de  tous,  je  trouve  d'abord  «  nid  »  Éi6/a,.i 
hc^ia,  kabia,  kajia.  Le  pr.  Bonaparte  a  relevé  à  Aezcoa^,,/ 


I 


—  157  — 

qan,  qori,  gura,  gen  et  gemen,  gola,  gala,  gor,  guin, 
guimbat;  à  Salazar  et  à  Roncal,  kan,  kori,  kura, 
keber,  et  kemen,  kola,  kala,  kor,  kain,  katabat.  On 
peut  ajouter  besela  besala  (aezcoan  et  zalazarais), 
bikala  roucabnis,  be^ain  et  bezaimbat  d'une  part, 
bikain  et  bikaimbat  de  l'autre  :  «  celui-ci,  cet  autre, 
celui-là,  ici,  là,  tant,  autant  que,  comme  ».  De  plus,  à 
Aezcoa  «  en  cela  »  se  dit  kartan. 

Le  mot  kide  «  égal,  compagnon,  collègue  »  reste  tel 
quel  dans  adiskide  «  ami  (égal  d'âge)  »  mais  devient 
kide  après  r  qï  n:  aurhide  et  senhide,  auride  et  senide 
«  frère  »  ou  «  sœur  »  ;  aide,  ahaide  «  parent  »  et 
même  unide  «  nourrice  »  qui  varie  en  unhide,  unude, 
unude,  inude  et  où  je  verrai  volontiers  urkide  «  égal 
(à  la  mère)  en  liquide  (en  lait)  »  ;  cf.  o/iaide  «  concu- 
bine »  pour  ohakide  «  compagne  de  lit  »  ;  la  chute  de 
k  après  a  et  avant  e  ou  i  est  ordinaire,  témoin  les 
génitifs  et  datifs  pluriels  en,  aen  pour  aken;  ei,  ai, 
pour  aki. 

On  sait  qu'il  y  a  en  basque  trois  mots  pour  «  enfant  » 
sen  «  enfant  adulte  »,  liaur  ou  aur  u enfant  impubère», 
et  hume,  unie  «nourrisson»;  ce  dernier  mot,  qui 
s'applique  aussi  aux  petits  des  animaux  mammifères,  se 
présente  en  composition  sous  la  forme  kume  :  arkume 
pour  ai'dikume  «  agneau  de  lait  »,  astokume  «  ânon  », 
orenkume  «  faon  »,  emakume  «  femme  (petite  fe- 
melle »,  qui  a  pour  synonyme  ema^te  {ema  gaste 
«  jeune  femelle  »?) 

Dans  le  dictionnaire,  je  remarque  le  suffixe  keta 
avec  le  sens  de  «  abondance  »  ;  la  forme  ordinaire  est 
eta  :  amezketa  «  endroit  planté  de  chênes  tauzins  », 


—  158  — 

jsunharrete  «  les  ormes  »,  espeleta  «les buis»,  harrieta 
«  les  pierres  ».  Les  dérivatifs  du  même  ordre  sont  aga 
et  egi  :  lùarraga  «  la  fresnaie  »,  zumalakarregi 
«  endroit  où  il  y  a  trop  de  bourdaine  ».  Egi  est-il 
apparenté  à  hegi  «  haie  »  ou  à  ti,  toi,  tegi^  sagardi 
«  pommeraie  »,  ameztegi  «  futaie  de  chênes  tauzins  », 
aristegi  a  chesnaie  »,  ce  qui  indiquerait  une  explosive 
forte  primitive.  Cependant  tegi  a  aussi  le  sens  de 
«  habitation  »  =  aphe^tegi  a  maison  de  l'abbé  »,  har- 
gindegi  «  maison  du  carrier  »,  barrandegi ,  etc.,  yaiirgi 
«  château  »,  synonyme  de  yawetche  «  maison  du  sei- 
gneur ».  Il  y  aurait  donc  deux  egi,  tegi,  dont  une 
variante  tag,  paraît  avoir  un  sens  restrictif  ou  dimi- 
nutif :  Ilhardoy  «  champ  de  haricots  ».  A  eta  et  egi, 
on  peut  comparer  les  dérivés  en  arte,  tarte  «  entre, 
au  milieu,  dans  l'intervalle,  en  intermédiaire  »,  hiriart 
«  au  milieu  de  la  ville  »,  2uca  artean  a  entre  vous  », 
aizpitarte  «  entre  deux  rochers  »,  bizkitartean  «  ce- 
pendant, en  attendant  »,  begitarte  «  regard  »,  c'est-à- 
dire  ((  intervalle  oculaire  ».  Les  dérivatifs  aide  et 
kunde,  gunde  sont  peut-être  dans  le  même  cas.  Cf. 
aussi  «r  et  tur  :  herritur  «  compatriote  »,  Ainhoar 
«  homme  d'Ainhoa  ». 

Des  cas  de  permutation  g  =  k  s'observent  dans  kar, 
khar,  gar  «  flamme  »  et  dans  le  suffixe  privatif  ge 
(angl.  un)  :  alke,  aaike,  ahalke,  ahalge  a  honte  »  litt. 
«  sans  forces  (morales),  incapacité  »  :  ahal  et  indar 
diffèrent  comme  to  may  et  to  can.  La  forme  pleine 
gabe  «  sous  »  devient  kabe  en  composition  :  atsekabe 
«  affliction  ». 

Un  fait  intéressant,  c'est  l'apparition  de  i,  évidem- 


—  159  — 

ment  pour  k,  comme  élément  sujet  préfixé  de  seconde 
personne  après  les  bai  des  relatifs  et  des  optatifs  : 
baitaiz  «toi  qui  es  »,  aWeitindoha  a  puisses-tu  aller!  »; 
bai  durcit  les  explosions  {baitago,  baikira),  mais, 
comme  le  pronom  de  seconde  personne  n'a  jamais 
commencé  par  d,  il  faut  admettre  que  k  est  pour  une 
autre  explosive,  probablement  k. 

Parmi  les  changements  initiaux  intéressants  on  peut 
citer  le  nom  Guipiukoa  toujours  écrit  Ipu^koa  dans 
les  anciens  textes  espagnols  et  latins.  Le  g  n'y  est-il 
donc  que  le  signe  d'une  aspiration?  On  s'est  basé  sur 
ce  nom  pour  expliquer  gison  «  honneur  »  pour  hitz-on 
«  bonne  parole  »,  ce  qui  est  discutable,  mais  l'aspira- 
tion initiale  organique  paraît  être  remplacée  par  /dans 
Fuenterrabia  pour  Ondarrabia,  Hondarrabia\ 

Le  h  était  encore  aspiré  en  espagnol  au  seizième 
siècle,  car,  suivant  de  Lancre,  les  Basques  en  1609 
prononçaient  agora  pour  ahora. 

On  peut  conclure  que  l'aspiration,  d'abord  étrangère 
à  la  langue  basque,  s'y  est  introduite  à  une  époque 
relativement  récente,  qu'elle  y  a  eu  son  maximum 
d'intensité  vers  le  milieu  de  notre  moyen  âge,  puis- 
qu'elle a  commencé  à  s'affaiblir  il  y  a  trois  ou  quatre 
siècles  et  qu'elle  est  en  voie  de  disparition.  Cette 
évolution  coïncide  sans  doute  avec  les  influences  cli- 


1.  L'orthographe  espagnole  Fuenterrabia  a  produit  la  déformation 
latine  fons  rabidus  Mais  il  n'y  a  aucune  «  fontaine»  dans  ce  mot; 
j'y  vois  «  route,  voie  de  sable  »,  comme  dans  Behobia,  Urthubia, 
Biarritz,  je  trouve  «gué,  voie  de  la  jument.  —  voie  humide,  —  voie, 
roc  et  eau  >>.  Bia  est  sans  doute  oiam  et  il  y  aurait  là  autant  d'étapes 
dune  voie  romaine. 


—  160  — 

matériques  et  topographiques  qui  ont  agi  sur  la  forma- 
tion des  dialectes  néo-latins.  On  peut  admettre  aussi 
que  les  Basques  français  sont  venus  d'Espagne,  peut- 
être  à  la  suite  du  désordre  occasionné  par  l'invasion 
arabe.  Je  pense  enfin  que  de  tous  les  dialectes  basques, 
le  labourdin,  sauf  sur  quelques  points  de  détail,  est 
le  mieux  conservé  :  il  sufïit,  pour  s'en  convaincre, 
d'étudier  la  langue  sur  place  et  d'entendre  parler  les 
gens  du  pays. 

Mais,  en  ce  qui  concerne  le  h  initial,  il  me  semble 
que  les  mots  basques  doivent  être  partagés  en  deux 
catégories,  les  uns  où  h  n'a  été  qu'une  superfétation, 
que  le  renforcement  d'une  syllabe  déjà  forte;  les  autres 
où  il  a  remplacé  un  k  primitif,  en  vertu  de  la  loi  du 
moindre  effort.  Je  croirais  donc  par  exemple  que  harri 
(X  pierre  »,  hovU  a  dent  »  sont  pour  arri  et  orU,  mais 
que  haritz  a  chêne  »,  hii^i  a  ville  »,  iru,  hiru,  hirur 
«  trois  »,  hi  «  toi  »  remplacent  karitz,  kiri,  ker  (cf. 
l'ordinal  heren  «tiers  »)  et  ki. 

La  ressemblance  des  pronoms  personnels  basques 
ni  «  moi  »  et  hi,  ki  avec  ceux  de  l'algonquin  d'une 
part  et  des  langues  sémitiques  de  l'autre  ne  m'a  jamais 
paru  rien  prouver.  Je  ne  suis  pas  de  ceux  qui  cherchent 
les  causes  premières,  qui  ont  besoin  de  connaître  l'ori- 
gine des  choses  et  qui  se  préoccupent  d'athnités  lin- 
guistiques. Je  ne  crois  pas  plus  à  l'unité  touranienne 
qu'à  la  théorie  ibérienne.  Les  Indo-Européens  et  les 
Sémites  n'ont  rien  de  commun  et  sont  tout  à  fait  in- 
dépendants des  idiomes  agglutinants,  lesquels,  d'ail- 
leurs, forment  de  nombreuses  familles  isolées  les  unes 
des  autres  par  leurs  vocabulaires,  leurs  grammaires  et 


—  161  — 

leurs  âges  respectifs.  Les  sauvages  de  la  côte  Canta- 
brique,  qui  attestaient  leur  présence  en  peignant  des 
mains  sur  les  parois  de  leurs  grottes  ;  les  habitants 
civilisés  des  cités  lacustres  ;  les  Dravidiens,  que  les 
Axyas  vinrent  arrêter  dans  leur  ascension  vers  le  Nord, 
sur  le  plateau  central  de  l'Inde  méridionale,  où  ils 
avaient  apporté  du  sud  le  cocotier,  l'arbre  utile  par 
excellence,  ne  se  ressemblaient  en  rien  :  habitudes, 
mœurs,  coutume,  langage,  tout  était  différent.  Les 
uns  étaient  à  peine  nés  que  les  autres  comptaient  déjà 
de  longs  siècles  d'existence.  L'unité  de  l'espèce  hu- 
maine n'est  pas  dans  le  présent,  elle  est  dans  l'avenir. 
Ce  sera  l'œuvre  de  la  science  que  rien  ne  dirige,  que 
rien  n'arrête  dans  son  développement  progressif  et 
continu.  Ne  redoutons  pas  l'inconnu  ;  ne  cherchons  pas 
dans  les  erreurs  traditionnelles  un  refuge  contre  les 
surprises  des  temps  futurs,  et  prenons  pour  règle  de 
conduite  cette  formule  si  vaste  dans  sa  simplicité  se- 
reine :  observer,  travailler,  attendre,  espérer, 

Julien  ViNSON. 


11 


LES  MOTS 

ARABES  ET  HISPANO-MORISQUES 

DU  «  DON  QUICHOTTE  » 

{Suite  et  fin  de  l'Index) 


INDEX    ANALYTIQUE 

(Les  chiffres  en  italique  indiquent  les  années  1907  à  1913  corres- 
pondant aux  tomes  XL  à  XLVI  de  la  Revue  de  Linguistique). 


L  double  en  ar.  et  en  esp.  {Différence  du  son  de),  08, 

62. 
L  esp.  <  n.  ar.,  09,  20. 
LANCRET  (Un  tableau  de),  11,  66. 
LA  NE,  Manners  and  customs  of  the  modem  Egyp- 

tians,  éd.  1871,  08,  63,  123,  137,  138;  09,  201, 

278;  10,  119;  11,  60-1,  203;  13,  209. 
Lebendi,  languedoc,  finaud,  <  t.  lévend,  09,  281. 
Légende  orientale  de  la  Chaîne'  adaptée  par  Cervantes, 

07,  250  sq. 
Léla  (11)  =  berb.  lella,  dame,  08,  68. 

1.  Sur  la  Coupole  de  la  Chaîne  [Qouhbat  as-Silsila)  cf.  De  Vogué, 
Le  Temple  de  Jérusalem,  p.  101;  Saladin,  Manuel  d'Art  musulman, 
p.  61  sq. 


—  163  — 

Lelili  (26)^  =  là  Ilâha  ilVALlâh,  [07,  246;  08,  133] 

9,  39. 
Levante  (42),  it.  levanti  <p.  t.  lévend,  volontaire  de 

la  marine,  [09,  279-281]  78-80. 
Lilaila  (28),   1°  n.  de  vêtement  <ar.  '  al-Halla  ou 

Balâïly,  [08, 134]  40-41  ;  2°  fadaise  <  ar.  al-Ahil- 

la\  [08,  41]  135;  3»  <  ar.  ahlil  al-Hilâl\  [08, 

136-7]  42-44. 
LITTRÉ,  Dict.  de  la  langue  fr.,  [08,  63;  10,  199; 

11,  62,205]  22,  101,  118,  136. 

IVl 

Macange  (5)  =  ar.  md  kân  Chey,  ce  n'est  pas,  [08, 

64;  11,207]  23,  37. 
Machumacete",  maginacete   <  ar.   Ma'djoûn  as- 

Sitta,  électuaire  aux  six  drogues,  [09,  202]  66. 

1.  Lelili. — On  trouve  cette  autre  transcription,  de  1553  :  Ley 
Lahel  La  Mahomet  Soldan,  dans  Rôhricht,  Bibliotheca  geogr.  Pales- 
tinœ,  p.  192. 

2.  Lilâila  1.  —  Les  références  suivantes,  qui  m'ont  échappé  sur  le 
moment,  confirment  en  partie  ce  que  j'avance,  savoir  :  que  ce  mot 
esp.  répond  à  un  mot  arabe  appartenant  à  la  racine  HLL  «  être  clair, 
transparent  m  ;  j'ajoute  ici  :  ou  HLL  «  dénouer  ».  Halàïly  est  l'ample 
surtout  en  étoile  blanche  et  légère  que  portent  les  femmes  de  Médine 
(v.  Burton,  Pilgr.,  Il,  p.  159).  HoldUya,  pour  les  femmes  de  la  H"- 
Égypte,  est  le  même  vêtement  en  laine  brune  (v.  Lane,  Mod.  Eg.,  1, 
p.  62  et  croquis  ;  Dozy,  Vêt.  ar,  p.  144,  et  SuppL).  Holla  est  tout  vête- 
ment ample  ;  cependant  l'esp.  a  alfolla«  tissu  de  soie  et  d'or  »  <  al- 
Holla. 

3.  Lilaila  2.  —  Il  se  peut  très  bien  que  al-AhiUa,  qui  est  pluriel 
en  classique,  ait  été  employé  comme  sing.  en  andalou  ;  ainsi  Djoll, 
pi.  Djilâl  >  esp.  girel  «  caparaçon  »,  Rauda,  pi.  Ridd  >  akriates 
«  jardin  »,  Risdla,  pi.  Rasdil  >  arancel,  cf.  U,  208. 

4.  Lilaila  3.  —  A  noter  encore  cette  autre  expression  de  l'arabe 
classique  :  El-HLldlo.  wallâh,  «  La  nouvelle  lune,  par  Dieu  !  on  la 
voit.  » 

5.  Machumacete.  —  L'étymologie  donnée  ici  est  d'Eguilaz,  et  elle 


—  164  — 

Maïmoûn,  (ar.)  t.  p.  >  maimon,  it.  mammone;  passé 
en  hongr.,  si.,  gr.,  géorg.,  etc.  [ÎO,  195-207]  97- 
109. 
Marien  =  ar.  Maryam,  Marie,  [08,  68]  27. 
Marfuz  <  ar.  marfoûd,  réprouvé,  [07,  241]  3. 
Mascara,  mascarade,  masque   <  ar.  Maskhara,  [07, 

245  n.J  8  n. 
Metchin\  t.  or.,  singe,  [10,  201,  205]  103,  107. 
Mipicô  <  t.  maïmoûn,  mXmoûn,  singe,  [10,  204]  106. 
Mo  affixe  hisp.-ar.  supposé  par  Dozy,  [08,  127;  12, 

08;  13,  201]  34,  181,  193. 
Moganga  (64)  =  mogiganga,  mascarade,  etc.  <  ar. 

Moheyyâ,  visage,  et  Ghoundj,  agacerie,  [13,  65- 

69,  202]  117-182,  194.  Voyez  Mogi. 
Moganguice,    ptg.,    geste,    visage,    <  ar.   Moheyyâ 

Ghoundj,  [13,  67]  180. 
Mogate  (67),  vernis,  <  ar.  moghattâ,    qui  recouvre, 

[13,  69-70]  182. 
Magato  (66)  =  mogigato,  hypocrite,  <  ar.  andalou 

Mohy  Qatt,  visage  de  chat,  [13,  69-70]  182-3. 
Mogi,  mogicon  (65)',  coup  sur  la  face,   <  ar.  Mo- 


doit  être  exacte,  car  on  voit  par  le  vocabulaire  de  R.  Martin  que 
les  Mores  usaient  d'un  opiat  à  quatre  drogues,  Tùyâq  arba^,  et  d'un 
autre  à  cinquante,  T.  Khamsiny,  sans  doute  le  T.  es-Saœâtir  (cf. 
infra  SwtEtpa).  Dozy  a  cherché,  sans  trouver,  ce  que  pouvait  repré- 
senter ACETK  dans  ce  mot.  —  Tavernier  dit  des  Turcs  :  «lis  ont  encore 
une  certaine  sorte  de  breuvage  qu'ils  appellent  Magion,  composé  de 
plusieurs  drogues  qui  échauSent;  et  l'on  en  prépare  une  particulière 
pour  le  Grand  Seigneur  appelée  musfaoi  (moscovite?),  dont  il  prend 
une  dose,  quand  il  veut  voir  les  sultanes».  (L.  c.  p.  4l;i). 

1.  Metchin  —  est  pour  /litchin,  qui  serait  le  même  que  le  persan 
poàzinè,  d'après  Klaproth  {Jour.  Asiat.,  avril  1»35,  p.  311). 

7.  Mogicon.  — Dans  le  D.  Quichotte,  1"  p'«,  ch.  XLIV  :  «...  anda- 


—  165  — 

hayyâ,  andalou  Mohy,  siège  de  la  pudeur,  visage, 

[13,  69]  182. 
MoHARRA  <  ar.  Mikhrâs,  fer  de  lance,  [08,  127  ;  12, 

68]  34,  181. 
MoHARRACHO,  masque,  marmouset,  <  ar.  moharradj, 

bouffon,  [07,  245]  8. 
MoHEDA,   MOEDA,    chesuaie,    <  ar.    \Ard\   mo^déha, 

forêt,  [08,  127;  12,  68]  34,  181. 
Mohino  (19),  courroucé,  <  ar.  moiihan,  vulg.  mohen, 

[08,  125]  31. 
Mohiuo  (20),  bardot,  <  ar.  M  al  an,  animal  non  repro- 
ducteur, [08,  126]  32. 
Mômerie',  esp.  momeria,  <  Mahomet,  [08,  123]  .29. 
Monna,  it.  <  1°  mammone   <  t.  matmoûn,    2°  ma- 

donna,  [10,  200]  102. 


ban  las  punadas  y  mogicones  muy  en  su  punto  ».  Et  plus  loin  :  «  Di6 
un  rnogicon  al  barbero,  que  le  ban6  los  dientes  en  sangre  ». 

1.  Mômerle.  —  Contre  cette  dérivation  indiquée  par  Du  Cange  a 
prévalu  celle  de  Diez  :  le  germanique  —  presque  moderne  —  mum- 
men,  to  mum  «  masquer  »,  avec  une  distinction  trop  subtile  entre 
mahommerie  et  mômerle.  Ce  n'empêche  que  le  point  de  départ  est 
Mahom,  esp.  Mahoma  =  [prophète]  menteur,  trompeur,  >  1°  mahom- 
merie «  lieu  où  se  pratique  le  culte  mahométan,  mosquée  »,  d'où 
m-ommerie,  mômerie,  esp.  momeria,  ail.  mummerei,  ang.  mummery 
«cérémonie  mahométane  »,  donc  bizarre  et  ridicule,  «tromperie, 
mascarade  »  {Mal.  imagin.,  lil,  3)  ;  momon  «  danse  masquée  et  parée  » 
à  l'orientale  (Bourg,  gentilh.,  V,  1)  ;  2°  vieux  Ir.  môme  «hypocrite, 
faux  visage  »,  esp.  momo  «  mimique  de  comédien,  simagrée  »  ;  momer, 
mummen,  to  mumm  «  se  déguiser  »  ;  ital.  mommeare  «  s'amuser  »  ; 
fr.  mômier  (cf.  les  Mômiers,  sobriquet  donné  aux  Protestants  de  la 
Suisse  en  1818),  esp.  momero  «  faiseur  de  simagrées,  etc  ».  —  Même- 
merie  apparaît  pour  la  première  fois,  au  moins  en  littérature,  au 
XV«  s.  (Charles  d'Orléaas,  Bail.  120).  Or  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue 
que  c'est  un  moment  où  toute  l'Europe  occidentale  a  plus  que  jamais 
les  yeux  fixés  sur  les  Turcs  et  leur  sultan  Mahomet  il  (1440-80). 


—  166  — 

Mono  (48),  mone,  monkey,  fl.  monnekîn,  singe,  <  it. 

monna,  [10,  195-207]  97-109. 
Mop(Jt.ùpa)  et  ar.  marmara  (Rapport  entre).  [08,  139] 

45. 
Morsequins,  ptg.  =  esp.  borcegui,  [i3,  201]  193. 
Moslemita,  mollita,  ptg.  <  ar.  moslemy,  [09,  29]  61. 
Mots  arabes  terminés  en  i'a,  tya  (Origine  araméenne 

de  quelques),  [/2,  269-70  et  n.]  176  et  n. 
Mots  berbères  précédés  de  l'article  arabe',  [12,  211] 

169. 
Mots  cosmopolites  d'origine  orientale,  voy.  ghaida, 

samour,  qërbatch,  yélek,  khaviar,  maïmoûn,  etc 
Mots  hispano-morisques  en  napol.  et  sicilien,  [10, 

197]  99. 
Mots  latins-espagnols  arabisés  au  moyen  de  l'art,  al*, 

[07,  245]  8. 
Mots  réduits  par  contraction  interne',  [10,  200  et  n.] 

102  et  n. 
Mots  romans  d'origine  orientale  réimportés,  voy.  Dj'a- 

Itka,  Chamra,  Qabâra,  Tersâna,  Zéboûn. 


1.  Mots  berbères.  —  «  En  vulgaire  maghrébin,  les  mots  berbères  ne 
sont  jamais  privés  de  l'article,  quand  celui-ci  est  nécessaire  ».  Ainsi 
présentée,  cette  assertion  est  trop  absolue.  Les  mots  arabes  berbé- 
risés  sont  eux-mêmes  inaptes  à  prendre  l'article  en  faisant  retour  à 
l'arabe.  Voyez  Marçais,  Textes,  pp.  215,  222-3,  262,  397-8  et  passim. 
Néanmoins,  on  est  en  droit  d'inférer,  d'après  al-lkhf  et  al-AJ'oûs, 
que  l'arabe  andalou  admettait  l'article  pour  les  mots  empruntés  au 
berbère,  ou  qu'ils  recevaient,  en  passant  en  esp.,  le  même  traitement 
que  nombre  de  mots  d'origine  simplement  latine. 

2.  Mots  latins-espagnols  arabisés.  —  On  en  trouvera  la  liste  très 
curieuse  dans  le  Glosarlo  de  ooces  Iber.  y  lat.  etc.  de  Simonet,  Pré- 
face, pp.  79  et  125  sq.. 

3.  «  C'est  l'habitude  de  toutes  les  langues  de  resserrer  les  mots. 


—  167  — 

Mots  romans  d'origine  orientale  et  affectant  la  forme 

diminutive\  [n,  152]  129-130. 
Moûva  et  (Jtoûvî  <  it.  monna  <  mammone,  [10,  200] 

102. 
Mounnet,  m.  malais,  singe  (Etym.  de),  [10,  204]  106. 
Mozarabe  (Mots  du  vocabulaire),  [08,    67,  127;  10, 

118;  11,  155,  207  n.  ;  12,  52,  209]   26,  34,   88, 

133,  137  n.  142,  166. 
MuDEGEL  =  ar.  moudadjdjal,  étym.  pop.  de  ar.  mou- 

dadjdjan,  [09,  19]  52. 
Mudejar  (32)  <  ar.  moudadjdjal  <  moudadjdjan, 

fixé  à  demeure,  [09,  15-22]  48-57. 

N 

A^  final  arabe  >  m  esp.  et  fr.,  [08,  68  et  n.]  27  et  n. 

Noms  des  petits  animaux  à  fourrure  fine  dans  les 
langues  or.,  [12,  55]  143. 

Noms  d'étoffes  orientales  passés  dans  les  langues  roma- 
nes \  [09,  203]  68. 

quand  deux  syllabes  consécutives  commencent  par  la  même  con- 
sonne. Il  s'opère  une  contraction  ».  (M.  Bréal  et  A.  Bailly,  Dict. 
étym.  latin,  p.  368-9).  Les  exemples  cités  ici  sont  regardés  à  présent 
comme  des  cas  de  dissimilation  totale.  «  Lorsque  la  chute  d'un  son 
ou  d'un  groupe  de  sons  a  pour  cause  la  répétition  immédiate  du 
même  son  ou  du  même  groupe,  la  dissimilaiion  prend  le  nom  à!haplo- 
logie  »,  (L.  Roudet,  Eléments  de  phonétique  générale,  p.  201-2). 

1.  C'est  la  plupart  du  temps  du  fait  de  l'italien  et  presque  toujours 
pour  rendre  le  y  final  des  adjectifs  relatifs  ou  ethniques  de  l'arabe, 
que  naissent  ces  faux  diminutifs.  Par  ex.  :  bocaccino,  boucassin  (v. 
Index),  beduino  <  badawy  ;  beUulno  <C  Loubân  djâwy,  benjoin; 
carmesino  <  qirmizy  ;  garbino  <  gharby  ;  ghiaccerino ,  jacerina 
<  Chakk  sarady  ;  mais  il  y  a  aussi  giannetta,  gineta,  genette  <  Zé- 
nâta;  zibetto,  civette  <C,Zoubâd. 

2.  Etoffes  orientales.  —  On  peut  ajouter  à  cette  liste,  pour  essayer 
de  la  rendre  complète  :  le  bazin  <  ar.  Bass,  étoffe  de  lin,  coton  ou 


—  168  — 

O 

Ojalà  (4),  ptg.  ouxalâ\  plaise  à  Dieu!  <  ar.  in  châ 

Allah,  [08,  63]  22. 
Ole  (3)'  <  ar.  yallâh,  [08,  63]  22. 
'OXoXù^co  et  ar.  walwala  (Rapport  entre),  [08,  139] 

45. 

P 

Pasamaque  (44)*  =  t.  bachmaq,  soulier,  [ÏO,  56  sq  ; 
11,  207]  85-87,  137. 

soie  ;  la  basane  <  esp.  badana  <  ar.  Bitâna,  doublure  ;  la  chiffe 
(  >  chiffon)  <  ar.  Chiff,  étoffe  mince  et  transparente  ;  le  marramas 
ou  mairamas,  brocart  pour  meubles  qu'on  fabriquait  à  Constanti- 
nople.  Acre  et  Famagouste,  <  Maçrama,  vulg.  Mahrama,  mot  qui 
désignait  naguère  un  voile  de  mousseline  tissé  d'or  aux  extrémités; 
\q  ricamo,  esp.  recamo,  récame  (>  récamier),  lourde  étoffe,  tapis 
broché  en  relief,  <  ar.  raqam;  l'ancien  lizaro  italien  (^liséré?), 
toile  fine  de  lin  et  coton,  <  ar.  el-Izâr. 

1.  Ojalà.  —  Je  tiens  de  M.  L.  Roussel,  ancien  membre  de  l'Ecole 
d'Athènes,  que  le  terme  àxalâ,  d'origine  inconnue,  est  couramment 
employé  comme  une  exclamation  de  sens  imprécis  dans  le  parler  des 
insulaires  de  Micono.  Or  cette  petite  île  est  située  entre  Naxos  et 
Andros  qui  furent  données  par  Sélim  II  au  juif  portugais  JoséMiguez, 
son  favori  (1566).  Celui-ci  put  se  dire  «  duc  des  Cyciades  »  treize  ans 
durant  ;  il  eut  même  des  démêlés  avec  l'ambassade  de  France  (Saint- 
Priest,  Mém.  p.  282  sq.).  Tout  porte  à  croire  que  sa  fortune  insolite 
attira  quelques  Portuguais  dans  sa  principauté.  Et  cela  parait  bien 
suffisant  pour  qu'une  expression  telle  que  ouxalà,  ojalâ,  se  soit 
introduite  et  perpétuée  dans  le  dialecte  d'une  des  Cyciades. 

2.  Ole.  —  Le  Dicc.  de  la  Acad.  fait  dériver  jalear  «  animer  les 
chiens  à  la  chasse,  applaudir  et  exciter  un  danseur,  danser  le  jaleo 
(pas  andalou  vif  et  expressif)  »  de  àXaX/i.  C'est  insoutenable  (cf.  Index, 
s.  V.  àXaXàÇwl.  Dans  JALEO  il  y  a  clé;  en  effet,  jalear  est  à  l'origine 
«  crier  yallâh  ». 

3.  Pasamaque.  —  «  Elles  (les  turques)  souloyent  porter  une  sorte 
de  soliers  qui  s'appellent  pasmacq  et  estoient  de  cuyr;  maintenant 
elles  commencent  à  porter  des  soliers  couvertz  de  fin  or  et  fines 
pierreries  ».  Th.  Spandouyn,  Origine  des  Turcqs,  éd.  Schefer,  p.  178. 


—  169  — 

Permutation  de  consonnes  '  :  6  et  m,  [12,  63  ;  13,  67, 
201]  152,  179,  193  ;l,net  r,  [09,  20  sq  ;  13,  210] 
53  sq,  202;  rets,  [11,  143,  145]  121,  123;  t  et  k, 
[11,  143,  153,  208]  120,  130-1,  138.  Et  paseim. 

Préparation  des  cuirs' ,  [13,  144]  189. 

Q 

Qabâ,  ar.,  robe  d'homme  à  manches  >   it.  gabbano, 

GABAN,  ptg.  gabbào  et  cabaya,   fr.  caban,  [11, 

147;  12,  58]  124,  147. 
Qabâra,  ar.  <  gabarra,  gabare,  [09,  15]  48. 
Qapou^oima,  géorg.,  singe  (Etym.  de),  [10,  202  n.] 

104  n. 
Qërbatch,  t.  <  hongr,  korbacs  ;  >  ar.  Kirbadj,  cor- 

BACHO,  courbache,  cravache,  [11,  204-5]  134-5. 
Que  final  dans  les  mots  esp.  d'origine  orientale,  [11, 

208]  138.  Voy.  pasamaque,  badulaque,  alfane- 

QUE,   REBENQUE. 


RABELAIS  (Contribution  au  commentaire  de),  [08, 
132;  09,  15.31,208;  11,  146,148;  12, ^\;  13, 
145]  39,  47,  64,  73,  123,  125,  140,  190. 


1.  Permutation  de  m  et  6  :  cf.  Dozy,  Gl.  p,  20;  Journal  Aslat., 
1882,  I,  p.  38fî;  —  de  l,  r  et  n  :  cf.  Dozy,  ib.  p.  21,  22;  Diez,  Gramm., 
I,  p.  188,  201-;^,  206,  273,  419;  Roudet,  Phon.  gén.,  p.  303,  305-6;  — 
de  r  et  s  :  Diez,  I,  p.  22,  221,  292,  422;  Bréal,  Dict.  étym.  latin,  p.  65, 
98;  Roudet,  p.  305,  309;  Bourciez,  Phonétique  française,  p.  189;  — 
de  t  ei  k:  Diez,  I,  p.  344,  419;  Dozy,  p.  15  ;  Roudet,  p.  308. 

2.  Préparation  des  cuirs.  —  A  Merrâkech,  la  peau  de  chèvre  est 
tannée  avec  l'écorce  de  grenade,  qui  lui  donne  une  belle  couleur 
jaune.  Cf.  Aubin,  La  Maroc  d'aujourd'hui,  p.  40. 


—  170  — 

Rebenque  (54),  fouet,  garcette,  <  ar.Rabqa,  corde, 

[lî,  207  sq.]  137-9. 
Redoublement  des  consonnes  en  esp.,  [12,  210,  213] 

167, 171. 
Roxane,  n.  pr.   <  pers.  roûchan,  qui  resplendit,  [11 , 

148]  120. 

8 

Sabbat,  ar.  <  1.  sabatenum,  soulier,  [10,  118]  88. 
Sâbana  (62),  drap,  linceul  <  1.  sâbanum,  [12,  265- 

271]  171-177. 
Sabaniya'  ar.,  sorte  d'étofîe  (Sens  et  origine  de), 

ibidem. 
Hàêavov,  sabanum,  passés  en  copte,  arm.,  russe,  ar., 

esp.,  prov.,  ibidem. 
Sable   <  ail.  Zobel  <  r.  sôbol,  zibeline,  [12,  52,  61] 

141,  150. 
Samour,  t.'  et  sôbol,  r.,  passés  dans  les  langues  or., 

rom.,  germ.,  [12,  52-60,  63]  141-9,  152. 
SA  FC^"  (Assertion  erronée  de),  [10,  281]  113. 


1.  Sahanlya  —  est  usité  au  Sénégal,  inconnu  en  Algérie,  sauf  à 
Nédroma  où  il  est  exclusivement  «  foulard  de  tête  pour  les  femmes  ». 
Voyez  Marçais,  Textes,  p.  315  et  3:i7 

2.  Samour.  —  Il  semble  qu'il  y  ait  un  rapport  d'identité  entre  ce 
mot  turc-bolghare  et  le  vieux  nom  géographique  Samara,  qui  est 
celui  d'un  affluent  ouralien  de  la  Volga  et  d'une  ville  située  à  quel- 
que cinquante  lieues  S.  E.  de  Simbirsk,  dans  une  excellente  posi- 
tion pour  être  un  lieu  de  transit  entre  lAsie  et  l'Europe.  Samara 
est  aussi  le  nom  d'un  petit  affluent  de  gauche  du  bas-Dniepr.  Or, 
on  sait  qu'au  V'  s.  les  Bulgares,  frères  de  ceux  de  la  Volga,  quittent 
cette  région  où  ils  se  sont  établis  et  passent  le  Danube  pour  gagner  la 
Mœsie. 


-  171  — 

Serabula\  b.-l.  >  ar.  Zerboûl,  sorte  de  chaussure, 

[11,  149, 151]  127,  128. 
SIMONE T  {Glosàrio  de  voces  ibêricas  y  latinas  içsa- 

das  entre  los  Mozarabes,  [07,  246;  08,  GO,  61  n., 

67,  68;  11,  155;  12,  52]  9,  19,  20  n.,  26,  27,  133, 

141. 
Singe  (Origine  orientale  de  mots  qui  désignent  le). 

Voyez  Mono. 
Sôbol,  r.  '  et  samour  t.,  zibeline  (Origine  de),  [12,  63] 

152. 
ScoTEtpa  >   ar,  [Soûtara]  pi.  Sawâtir,  sorte  d'élec- 

tuaire',  [09,  201-2]  66.  Voyez  Machumacete. 
Souquenille  <  pol.  soknié,  [11,  148  et  n.]  125  et  n. 
Synonymie  de  amulette  et  baudrier  en  ar.  et  en  esp., 

[13,  205,  208-9]  197,  200-1. 

1.  Serabula.  —  Sur  Zerboûl,  var.  Zerboûn  (gros  soulier  de  monta- 
gnard, en  Syrie)  <  crépêouXa  <  seroula  «  chaussure  des  esclaves  », 
voyez  Khafâdjy,  p.  116;  Defrémery,  Mém.  p.  156;  Dozj,  Suppl.  aux 
Dict.  ar.;  Simonet,  Glos.  p.  591;  Cobarruvias,  II,  p.  174. 

2.  Sôbol.  —  Il  est  constant  que  ce  mot,  n'ayant  pas  de  racine  en 
indo-européen,  est  entré  en  russe  par  voie'  d'emprunt.  Il  est  donc 
tout  naturel  de  le  dériver  du  turc  samour.  Mais,  de  ce  que  la  zibe- 
line est  particulièrement  une  martre  de  Sibérie,  on  pourrait  émettre 
l'hypothèse  que  samour  et  sôbol  sont  deux  mots  ayant  une  origine 
commune  à  rechercher  là  même  où  l'animal  se  trouve  notoirement 
vivre  à  foison.  En  ce  sens  le  nom  de  l'ancienne  Sibir,  ville  qu'a 
remplacée  Tobolsk,  celui  du  Tobol,  le  cours  d'eau  sibérien  le  plus 
rapproché  du  pays  bolghare,  semblent  être  des  indications  intéres- 
santes. Située  dans  une  contrée  aux  forêts  épaisses  où  abondent 
encore  tous  les  genres  de  martres,  Sibir  dut  être  en  son  temps» 
comme  aujourd'hui  Tobolsk,  l'entrepôt  le  plus  considérable  du  com- 
merce des  fourrures  entre  la  Russie,  le  Turkestan  et  la  Chine.  Cf.  El. 
Reclus,  Géogr.  VI,  p.  376  et  877. 

3.  Une  trentaine  d'ingrédients,  dont  l'or,  l'argent,  les  perles, 
entraient  dans  la  composition  du  Tiryàq  es-Saivdtir,  ce  qui  contri- 
buait à  lui  donner  la  réputation  du  meilleur  électuaire  (cf.  Sangui- 
nôtti,  l.  c).  La  base  en  était  la  même  que  dans  celui  dont  Molière 


—  172  — 

T 

Tagarino  (33)  '  <  ar.  Thaghry,  homme  des  marches 

frontières,  [09,  22-25]  54-57. 
Tahali  (69),  taheli,  ptg.  tali,  talym  <  ar.  Tahiti  \ 

amulette  et  baudrier,  [07,  246;  ÎS,  204-9]  9,  196- 

201. 
Tahiti,  ar.,  profession  de  foi  musulmane,  [08, 133, 136; 

13,  207]  40,  42,  199. 
Tameji  (7)  <  ar.  tamchi,  tu  t'en-vas,  [08,  65;  11, 

207]  24,  137. 
Tanbor,  p.  ar.  >  guitare  et  tambour,  [10,  121  et  n.j 

91  et  n. 
Tapi)(£Îa  >  ar.  Tarkha,  saumure,  [09,  278]  77. 
Tersana,  m.  t.,  arsenal,  <  it.  darsena  <  ar.  Dâr  es- 

Sinâ'a,  [11,  144]  117. 
Théâtre  espagnol  (Anciennes  catégories  du),  [13,  65- 

7]  178-9. 
Thériaque'  (La),  [09,  31  sq  et  200  sq.]  63-67. 


dit  :  «  C'est  un  fromage  préparé,  où  il  entre  du  corail  et  des  perles  et 
quantité  d'autres  choses  précieuses».  {Méd.  malgré  lui,  II,  2.)  Le 
XVIP  s.  vivait  encore  de  la  pharmacopée  des  Arabes. 

1.  Tagarino.  —  Il  y  a  à  Alger  un  quartier  dit  Les  Tagarins  et  des 
casernes  appelées  aussi  de  ce  nom.  Un  S'  de  Roqueville,  auteur 
d'une  plaquette  intitulée  Relation  des  mœurs  et  du  gouvernement  des 
Turcs  d'Alger,  Paris  1675,  rapporte  que  «  auprès  de  la  Porte  de  Bas- 
Bloit  {  =  Bâb  el-Oued)  ou  voit  un  fort  fait  par  les  Tagarins  ». 

2.  Tali,  dans  l'Inde  méridionale,  est  le  bijou  d'or  que  portent  sus- 
pendu au  cou  les  seules  femmes  mariées  (J.  Dubois,  Mœurs...  des 
peuples  de  l'Inde,  Paris  18-i5,  II,  p.  15).  Hobson  Jobson  croit  recon- 
naître dans  ce  motl'ar.  Tahiti  [A  Glossary  of  anglo-indian  colloquial 
words,  s.  V.).  Mais  tali  parait  bien  appartenir  en  propre  au  tamoul, 
en  regard  du  malais  tali  «  cordelette,  cordon  ». 

3.  La  T/icriaque  —  chez  les  Orientaux  est  mentionnée  par  D'Her- 


—  173  — 

Tirrîkh,  ar.,  caviar,  <  làiçiv/oç,,  [09,  278]  76. 
Toraqui  (37)  =  ar.   Téryaqy,  opiomane,   [09,  30  sq  : 
11,  207]  62-67,  137. 

U-Y, 

UcHALi  FoRTAx',  pers.  h\s\0T.=^''Aloûdj''Aly  Fertâs, 

[09,  28  et  n.]  60  et  n. 
Verbes  onomatopéïques  communs  à  plusieurs  langues, 

[08,  139]  45. 
Veredus'  <  p.  Barîd,  [08,  128  n.]  34  n.. 
\VA  TTEAU{Vn  tableau  de),  [11,  69]  118. 
Yélek\  gilet,  m.  turc  passé  dans  les  langues  romanes, 

[10,  280;  11,  58,  142]  111,  114,  119. 


belot  dans  sa  Bibliothèque   orientale,  pp.    167,   200,  347,  641  et  701, 
éd.  de  1697. 

1.  Uchali  Fortax.  —  Le  nom  de  ce  personnage  est  transcrit  Uluge 
Ali  par  D'Herbelot,  Bibl.  or,  p.  80,  Uluzsialt  dans  Die  Malteserritter, 
un  plan  et  fragment  de  tragédie  de  Schiller. 

2.  Veredus.  —  L'étymologie  de  Quintilien,  ceho  rheda,  est  une 
antiquité  sans  valeur.  Plus  près  de  nous,  Quatremère  pensait  {Suit. 
Maml.,  II,  2,  p.  87)  que  Torigine  de  barld  est  dans  veredus.  C'est  le 
contraire  qui  est  vrai.  Quand,  sous  Auguste,  les  Romains  organisè- 
rent la  poste  aux  chevaux  à  l'imitation  des  Perses,  il  leur  parut 
naturel  d  emprunter  également  à  ceux-ci  le  terme  par  lequel  ils  dési- 
gnaient cet  office  :  babyl.  buridû,  plus  anc.  [p)buradû  «  cheval  ra- 
pide, ch.  de  poste»  (cf.  P.  Horn,  Grundriss  d.  neupers.  Etymologie, 
Strassb.  1&9:^)  >  persan  barid,  mot  qui  passa  tel  quel  eu  arabe  dès 
le  Vil'  s..  Sur  quoi  se  fonde  Khafâdjy,  lorsqu'il  dit  que  le  sens  de 
barid  est  à  l'origine  baghl  «  mulet  »  ?  (Chafâ  el-Ghalil,  p.  45).  Cette 
assertion  se  trouve  corroborée  par  l'hébreu  péred,  dont  je  rapproche 
PpaS-j;  sans' représentant  en  sanscrit,  et  bardus,  brutus,  burdo,  tous 
mots  qui  appartiennent  manifestement  à  un  fond  sémitique  commun 
très  ancien. 

li.  Yélek  —  est  passé  en  roumain  sous  deux  formes  distinctes  d'em- 
prunt :  iMc  et  gilétcâ. 


—  174  - 


Zalâ   (10),  var.  Asalà,  azalato  <  ar.  Salât,  as- 

Salat,  [08,  67;  11,  207]  26,  137. 
Z  esp.  <  d,  d,  d,  ç,  s,  s  ar..  Voy.  marfuz.  zalâ,  za- 

LEMA,   ZAMARRO,   ZEGRI,   ZORAIDA,  etC. 

Zalamele  .(16)  <  ar.  es-Salâm  'aleik,  [08,  122]  29. 
Zalameria  (15)  simagrée,  mômerie,  ibid. 
Zalema  (14)'  <  ar.  Salâma,  salutation,  ibid. 
Zamarro  (57),  var.  chamarro,  houppelande  de  poil, 

<  t.  arabisé  Sammoûr,  zibeline,  [12,  50-53]  139- 

142. 
Zamorana  (47)  <  ar.  Zoummâra,  pipeau,  [10,  118- 

126]  89-97.  Voy.  gaita. 
Zapato  (45)'  <  1.  sabatenum,  soulier,  {10,  117,118; 

13,  70]  87,  88,  183. 
Zéboun,    t.,   gilet,   <  it.  giuppone   <  ar.  Djoubba, 

[ii,e>i]  117. 

Zegri  (34)  <  ar.  Çaghi^y.  Voy.  tagarino. 
Zerdawâ\  Zerda,  ar.,  belette,  martre,  =t.  zerdévâ, 
[12,  54,  130]  143,  162,  164. 


1.  Zalema,  zalamele.  —  Voyez  dans  El-Bokhary,  Les  Traditions 
islamiques,  trad.  de  O.  Houdas,  IV,  pp.  124  sq.,  la  codification  des 
formalités  du  salâm  entre  musulmans.  —  Faire  des  zalamerias  ou 
faire  des  momos  sont  deux  expressions  synonymes.  Cf.  Indeas,  s.  v. 
Mômerie. 

2.  Zapato.  —  On  peut  lire  dans  le  Jour.  Asiat.  X»  S"  I,  p.  372  et 
384,  une  recherche  de  M.  de  Charencey  sur  l'Origine  arabe  des  mots 

SAVATE  et  SABOT. 

3.  Zerdau'â.  —  H.  Lammens  dit  {Rem.  sur  les  mots  fr.  dérivés  de 
Var.,  p.  255)  que  «  Zerda  est  un  nom  donné  mal  à  propos  au  fennec, 
étant  une  altération  de  Djorad,  espèce  de  rat  ».  Ce  mot  —  var.  Djir- 
daun  —  parait,  au  contraire,  être  altéré  du  t.  p.  serdéod. 


—  175  — 

Zibeline  (Les  mots  qui  désignent  la),  [11,  206  ;  12,  50- 

64]  136,  139-153. 
Zoraida  (6)/  n.  pr.  —  ar.  Doraida,  [08,  65;  09,  13] 

23,  46, 

[A  suivre)  Paul  Ravaisse. 


1.  Zoraida. —  Si  d  s'intercale  volontiers,  dans  les  mots  d'origine 
latine,  entre  n  ou  Z  et  r,  ou  après  /  suivi  d'une  voyelle  (bulda,  celda, 
humilde,  rebelde,  etc.),  cette  épenthèse,  dans  les  mots  d'origine 
arabe,  est  exceptionnelle  ;  on  n'a  guère  à  citer  que  galdifa,  très  ancien 
pour  ar.  Klialifa  (Cf.  Diez,  Gramm.,  I,  p.  3r8),  et  il  ne  semble  pas 
qu'elle  se  rencontre  entre  deux  voyelles.  C'est  pourquoi  on  a  proposé 
ici  Doraida  au  lieu  de  Çoreyyâ,  bien  que  ce  dernier  soit  un  nom  de 
femme  connu,  dans  l'histoire  de  l'Andalousie,  pour  avoir  été  porté  par 
cette  Dona  Isabel  qui  apostasia  en  épousant  le  père  du  fameux  Boab- 
dil,  *Aly  Aboû  1  Hasan  (1461-85).  Cf.  A,  MûUer,  Der  Islam  im  Mor- 
gen-und  Abendland,  11,  p.  676  sq.  ou  Cl.  Huart,  Hist.  des  Arabes, 
II,  p.  192." 


ÉTUDES  DRAVIDIENNES 


I.  Le  sixième  ordre  d'explosives. 

J'ai  déjà  fait  remarquer  que  l'alphabet  tamoul  a  été 
composé  avec  un  art  infini  par  les  brahmanes,  venus 
du  Nord  ;  ils  ont  si  bien  reconnu  les  particularités 
spéciales  de  la  prononciation  dravidienne  qu'ils  ont 
pu,  avec  vingt-cinq  signes  seulement,  représenter  une 
quarantaine  de  voyelles  et  de  consonnes  différentes. 
Les  grammairiens  indigènes  comptent  trois  sortes  de 
consonnes,  lesj'ortes  qui  comprennent  toutes  les  ex- 
plosives, les  douces  qui  comprennent  les  nasales  cor- 
respondantes, et  les  moyennes  qui  comprennent  les 
semi-voyelles  et  les  liquides.  Je  ne  veux  m'occuper  ici 
que  de  la  sixième  forte  et  de  la  sixième  douce  qui  lui 
correspond. 

La  douce  ne  se  trouve  actuellement  que  dans  l'al- 
phabet tamoul  et  dans  l'alphabet  malayâla,  où  elle  est 
une  réduction  du  n  cérébral.  Quant  à  la  forte,  elle 
est  conservée  dans  tous  les  alphabets  dravidiens  ; 
c'était  donc  une  consonne  primitive;,  organique.  En 
canara  et  en  télinga,  le  caractère  qui  la  représente 
est  maintenant  un  double  r;  en  malayâla,  il  est 
dérivé  du  r  grantha.  En  tamoul,  c'est  une  combi- 
naison du  t,  d  ordinaire  et  du  double  r;  dans  les 
manuscrits  d'il  y  a  deux  ou  trois  siècles,  il  a  surtout 


—  177  — 

cette  dernière  forme;  dans  les  documents  très  anciens, 
par  exemple  dans  les  actes  de  donation  des  rois  Palla- 
vas,  gravés  sur  cuivre,  du  vu'"  au  x^  siècle,  il  se  con- 
fond presque  avec  le  t,  d  cérébral. 

Comment  se  prononce- t-il  ?  En  canara  et  en  télinga, 
comme  un  r  fort;  en  tamoul,  la  prononciation  varie 
et  le  malayâla  suit  le  tamoul.  Seul  et  accompagné  d'une 
voyelle,  c'est  /■  fort  :  kcœ'i  «  cary,  ragoût  »,  çôr'u  «  riz 
cuit»,  kinar'u  «puits»;  muet  devant  une  forte,  il 
devient  t  ordinaire  :  tatkonda;  doublé,  il  se  prononce 
comme  tt  précédé  d'un  mouillement,  d'une  sorte  d'ï 
furtif,  païtti^  kaittu  ;  précédé  du  n  spécial,  il  passe  à 
d  et  le  mouillement  se  reporte  sur  le  n,  kaindu  «  veau  », 
paindi  0  cochon  ».  Le  n,  le  /  et  le  r  ordinaires  se  pro- 
noncent de  même  mouillés  :  pour  pon  «  or  »,  kal 
«  pierre  »  et  pond  «  substance  »,  on  dit  pain,  kaïl, 
poirul.  Les  grammairiens  anglais  affirment  que  r'r'  et 
n'r'  sont  prononcés  ttr  et  ndr  ;  mais  il  y  a  là  une  con- 
fusion qui  résulte  de  ce  que  le  t,  d  tamoul  est  une 
dentale  extrême,  produite  par  le  rapprochement  de  la 
langue  de  l'extrémité  des  incisives,  ce  qui  explique  la 
transcription  anglaise  th,  kuthirai  pour  kudirei,  thêr 
pour  ter  ;  dans  cette  position,  l'articulation  est  peu 
précise  et  peut  être  prise  pour  une  diphtongue  con- 
sonnantique  formée  de  ^  ou  d  et  de  r. 

Quelle  a  été  l'évolution  de  cette  consonne  et  à  quelles 
mutations  est-elle  sujette?  Remarquons  d'abord  que 
le  groupe  n'd'  en  tamoul  vulgaire  se  prononce  nn  ;  le 
peuple,  à  Pondichéry  par  exemple,  ne  dira  pas  kaindu, 
paindi,  mais  kannu,  panni.  Cette  prononciation  est 
normale  en  malayâla  où  l'indice  du  présent  in'd'u  est 

12 


—  178  — 

régulièrement  unnu.  En  revanche,  le  tamoul  n'd'  tend 
à  devenir  t't'  puis  /'  ;  in'd'u  a  aujourd'hui  »  a  pour  ad- 
jectif it't'ei,  le  signe  du  présent  kin'd'u  a  fait  kit't'u,  puis 
kir'u,  ce  qui  explique  que  kan'd'u  «  veau  »  fait  kar^'u 
en  canara.  Dans  les  dérivations,  r'u  devient  régulière- 
ment t't'u  :  çôr'u  et  kinar'u  ont  pour  oblique  ou  ad- 
jectif çôt't'u  et  kinat't'u.  Dans  l'euphonie,  r'  est  exacte- 
ment traité  comme  d,  t;  ainsi,  mul  tidû  «l'épine  est 
mauvaise  »  et  kal  tîdu  «  la  pierre  est  mauvaise  »  font 
kat't'idu,  muttîdu  —  kar'tdu,  mudtdu,  ou  plutôt  avec 
l'aspirée  conventionnelle,  muhtîdu,  kahrîdu.  En  ta- 
moul même  d'ailleurs  /''  varie  en  r  :  kar'uppu  «  noir- 
ceur ))  et  kar'u  «  noir  »  ;  en  of  ;  tadi  et  tar'r  «  canne  »  ; 
et  t't'  en  tt  :  kottu  et  kot't'u  «pioche,  bêche».  En 
canara  et  en  télinga,  r  et  /''  sont  souvent  confondus  : 
têi^'u  «  char  »  pour  têi^  tam,  ;  le  tulu  remplace  régu- 
lièrement r'  par  /■  ;  mari  pour  mar'i  «poulain»,  ou 
par  d  :  nûdu  pour  nûr'u  «  cent  »  (poussière)  ;  quelque- 
fois par  d  :  mâdu  pour  mar'w  «changement»,  et 
même  par  j  :  âru  «  six  »,  mûn'd'u  {mûr'u,  mûdu, 
mûnu)  «  trois  »,  kan'd'u  «  veau  »  y  font  âji,  mûji, 
kanji.  M.  J.  Reby,  bibliothécaire  de  l'Ecole  des  langues 
orientales,  me  signale  la  même  permutation  dans  les 
idiomes  du  Caucase  :  rr,  di  final  géorgien  a  pour  cor- 
respondant en  laze  ji  :  géorgien  œidi  «  pont  »,  laze 
œindi ;  géorgien  xari  «  bœuf  »,  laze  xoji. 

Il  résulte  de  ces  faits  que  les  consonnes  dont  il  s'agit 
et  que  nous  transcrivons  t,  d,  r,  n,  avec  le  signe  mi- 
nute, sont  intermédiaires  entre  les  cérébrales  (dento- 
linguales)  et  les  dentales  proprement  dites  ;  on  pourrait 
les  appeler  dento-palatales.  Les  douze  fortes  et  douces 


—  179  — 

du  tamoul  seront  donc  :  gutturales  ou  plutôt  gutturo- 
palatales,  k,  g,  n;  palatales,  ç,  c,  7,  fi;  dento-lin- 
guales.  t,  d,  /?.  ;  dento-palatales,  r',  t' ,  d ,  n';  dentales, 
t,  d,  n;  labiales,  p,  b,  m.  Dans  mes  transcriptions  du 
tamoul,  je  remplace  souvent  c  et  J  par  tch  et  dj;  la 
palatale  forte  se  produit  quand  ç  est  redoublé  et  la 
faible  quand  ç  est  précédé  de  fi;  il  faut  éviter  d'ailleurs 
la  confusion  avec  J  français,  prononciation  ordinaire 
sur  la  côte  du  r  primitif  dravidien. 

II.  Le  T  cérébral  dravidien. 

Le  tamoul,  avec  le  malayâla  son  annexe,  est  la  seule 
langue  dravidienne  qui  possède  une  consonne  spéciale 
dont  la  prononciation  varie  suivant  les  régions  terri- 
toriales :  à  l'Ouest  on  la  confond  généralement  avec 
/  cérébral,  au  Sud-Est  elle  se  prononce  comme  le  7 
français,  au  Nord-Est  on  la  supprime  ou  on  la  rem- 
place par  y.  Le  malayâla  la  prononce  /.  Quelle  était 
primitivement  la  nature  de  cette  consonne  ?  C'était 
incontestablement  une  cérébrale  :  dans  l'alphabet  ta- 
moul elle  prend  place  après  le  v  et  le  /,  sa  forme  gra- 
phique paraît  la  rattacher  au  m,  mais  ce  n'est  là  qu'un 
trompe-l'œil,  dans  les  anciens  documents  elle  se  rap- 
proche beaucoup  du  t  ou  d  qui  sert  aussi,  et  le  fait 
|est  à  retenir,  pour  le  t  ou  d  mouillé  qui  est  une  pro- 
nonciation secondaire  du  r  fort;  le  télinga  parait 
n'avoir  jamais  eu  cette  lettre,  mais  le  canara  la  possé- 
dait jadis,  car  on  la  retrouve  dans  les  inscriptions  anté- 
rieures au  X®  siècle,  elle  ne  difïère  que  par  l'absence  de 
deux  petits  traits  du  r  double  fort  ;  elle  est  remplacée 
plus  tard  par  /. 


—  180  — 

Remarquons  que  dans  l'alphabet  tamoul  cette  con- 
sonne précède  immédiatement  /,  comme  r  précède  /; 
les  grammairiens  indigènes  disent  qu'elle  se  forme 
dans  les  organes  buccaux  de  la  même  façon  que  r. 

Examinons  les  mutations  qu'elle  subit  en  tamoul 
même  et  les  lettres  qui  la  remplacent  dans  lès  autres 
idiomes  dravidiens  ;  pour  la  commodité  de  cet  examen, 
je  la  représente  parj,  prononciation  de  Pondichéry; 
en  tamoul  même,  elle  varie  en  d  :  tâjppân=^tâdpân 
«il  baissera»;  en/,  uji=uli  «intérieur»,  tujovei 
=  tulovai  «  rame  »  ;  en  r,  tavij  =  tavir  «  assez  »  ;  en 
r',  nûjal  =  nûr'al  «pulvériser»;  en  y,  mâju  =  may 
«  mourir  »  et  enfin  elle  se  supprime  entièrement,  umij 
=:umi  «  trait  »,  poj'udu  ==  pôdu  «  temps  ».  En  mala- 
yâla,  elle  passe  à  /  ou  quelquefois  y.  En  canara,  elle 
devient  /*  ou  d  :  kajudei=  karde,  kadde  ;  dans  la  vieille 
langue,  d  est  remplacé  par  elle  en  composition  :  kàdu- 
pura  =  kajpura.  En  tulu,  la  consonne  qui  nous  pré- 
occupe est  remplacée  par  r,  /,  et  quelquefois  d  :  ajal 
=  aral  «  feu  »,  oji  z=  ori  «  écarter  »  ;  kuji  =  gori 
«  trou  »  ;  kij^=  kîl,  kîdu  «  sous  »  ;  tojîl  =  tolil  «  office  »  ; 
éju  =  êlu  «  sept  ». 

De  tous  ces  exemples  je  crois  pouvoir  conclure  que 
la  consonne  dont  il  s'agit  était  primitivement  un  r 
cérébral,  comme  celui  qui  est  si  fréquent  dans  les 
langues  kol  ou  munda  et  en  hindi  ;  on  sait  que  les 
cérébrales,  à  l'origine  étrangères  à  l'indo-européen, 
s'y  sont  postérieurement  développées,  notamment  dans 
les  langues  modernes  de  l'Inde  nord-occidentale,  par- 
lées dans  des  régions  relativement  froides. 
Ces  consonnes  ont  été  évidemment  produites  sous 


-  181  - 

des  influences  climatériques  particulières.  L'Anglais 
prononce  ses  cl  et  ses  t  presque  comme  des  cérébrales 
et  même  souvent  ses/,  aussi  les  Indiens  les  transcrivent- 
ils  toujours  t,  d,  l.  Dans  sa  Grammaire  comparée, 
M.  Beames  propose  cette  théorie  que  les  climats  froids 
imposent  un  effort  plus  grand  pour  la  production  de 
certains  sons.  Pour  lui,  les  cérébrales  et  les  dentales 
font  partie  de  la  même  série  linguale  qui  commence 
aux  cérébrales  pures  et  finit  aux  t,  d  presque  produits 
par  le  contact  du  bout  de  la  langue  avec  l'extrémité  des 
dents.  Je  ne  crois  pas  que  cette  observation  soit  rigou- 
reusement exacte,  puisque  dans  l'Inde  où  le  climat  est 
généralement  chaud,  les  cérébrales  se  rencontrent  à 
toutes  les  latitudes,  mais  sont  plus  fréquentes  dans  les 
dialectes  de  l'Ouest  que  dans  ceux  de  l'Est.  En  tout 
cas,  elles  sont  originelles  et  organiques  en  dravidien, 
sous  la  quintuple  forme  t,  d,  n,  l,  r.  Les  Dravidiens, 
les  Tamouls  du  moins,  ont  en  outre  ce  qu'on  peut 
appeler  les  dento-palatales,  mouillées  ou  :  kan'd'u 
«  veau  »,  pat't'i  «  ayant  pris»  qu'on  prononce  kaïndu, 
paîtti  ;  le  f  vient  d'ailleurs  régulièrement  de  r'  ; 
kinar'u  «  puits  »  fait  kinat't'ukku  «  au  puits  ». 

III.   Un  fait  temporaire  de  phonétique  en  dravidien. 

La  constance  des  lois  phonétiques  est,  pour  l'Ecole 
allemande  des  néo-grammairiens,  un  principe  absolu 
et  fondamental  ;  mais  on  ne  se  rend  pas  bien  compte 
de  ce  qu'ils  entendent  par  là.  S'ils  veulent  dire  que  cer- 
tains phénomènes,  certains  changements  sont  propres 
à  tels  ou  tels  groupes  d'idiomes  et  caractérisent  des 


—  182  - 

familles  différentes;  c'est  un  fait  évident  et  inconte^'"'- 
table  ;  si  cela  signifie  que  les  mêmes  évolutions  doivent 
se  produire  dans  toutes  les  langues  congénères,  cela 
n'est  exact  que  si  ces  langues  se  trouvent  dans  les 
mêmes  conditions. 

Le  latin  II  et  les  diminutifs  en  cul  as,  calum  de- 
viennent dans  les  langues  romanes  /  mouillée  :  cf.  goa- 
pil  pour  vuipeculus,  moglie  et  molher  pour  mulier  ; 
mais  en  français  /  mouillée  est  devenue  y  [paille  pro- 
noncé paye)  tandis  qu'en  espagnol  il  évoluait  en  une 
aspirée  forte  :  \di  jota  [mujer,  hijo,  paja).  A  ce  propos 
je  citerai  un  intéressant  exemple  où  cette  évolution 
est  prise  sur  le  vif  :  le  basque  a  emprunté  à  l'espagnol 
le  mot  «  miroir  »  ùpillu,  aujourd'hui  espejo,  de  spécu- 
lum, mais  dans  la  même  langue  y  initial  varie  en  J 
français  dans  le  dialecte  extrême  du  Nord-Est  et  en 
Jota  dans  les  dialectes  espagnols  ;  on  sait  qu'en  fran- 
çais Vi  consonne  latin  est  devenu  y. 

Je  me  propose  de  signaler  ici  un  phénomène  d'alté- 
ration phonétique  dans  les  langues  dravidiennes,  par- 
ticulier au  tamoul  et  temporaire,  si  j'ose  m'exprimer 
ainsi,  en  ce  sens  qu'il  se  rencontre  seulement  chez  les 
poètes  classiques,  c'est-à-dire  à  l'époque  moyenne  de 
la  langue.  On  sait  que  les  langues  dravidiennes  litté- 
raires s'écrivent  avec  des  alphabets  empruntés  aux 
écritures  du^-Nord,  auxquels  on  a  ajouté  quelques 
signes  pour  représenter  des  consonnes  particulières  à 
ces  langues  ;  les  alphabets  malayâla,  canara  et  télinga 
sont  calqués  sur  l'alphabet  sanskrit,  de  sorte  qu'ils 
peuvent  servir  à  écrire  des  textes  dans  le  vieil  idiome 
classique  du  Nord  :  le  premier  exemplaire  des  Védas 


—  183  — 

qui  soit  parvenu  en  France  et  qui  a  été  envoyé  en 
1739  par  les  jésuites  français  missionnaires  dans  Tlnde 
est  en  caractères  télingas  ;  on  peut  le  voir  à  la  Biblio- 
thèque nationale.  Mais  l'alphabet  tamoul  quoique  de 
même  origine  est  bien  différent  et  ne  saurait  servir  à 
écrire  le  sanskrit;  il  a  été  très  ingénieusement  com- 
posé par  des  grammairiens  qui  appartenaient  à  l'école 
Aindra  et  qui  étaient  des  observateurs  habiles  et  intel- 
ligents qui  avaient  le  sentiment  très  exact  de  la  pho- 
nétique spéciale  à  cet  idiome  :  plusieurs  signes  ont 
deux  ou  trois  prononciations  différentes,  mais  le  lec- 
teur n'est  jamais  embarrassé  parce  que  ces  prononcia- 
tions dépendent  de  la  position  du  caractère  dans 
l'expression  graphique  du  mot. 

L'alphabet  comprend  douze  voyelles  et  dix-huit 
consonnes  ;  les  grammairiens  indigènes  partagent  ces 
dix-huit  consonnes  en  trois  catégories  de  six  lettres 
chacune  :  les  fortes,  les  douces  et  les  moyennes.  Les 
moyennes  sont  y,  r,  /,  y,  r,  l ,'  leur  prononciation 
n'offre  pas  de  difficultés,  cependant  r  accompagné 
d'une  voyelle  et  /  muet  doivent  être  mouillés  à  leur 
commencement,  c'est-à-dire  précédés  d'un  petit  îfur- 
tif  :  kal  «  pierre  »  et  pond  «  substance  »  se  prononcent 
à  peu  près  kaïl  et  poïriil.hes  douces  sont  n,  fi,  n,  m, 
n'  ;  la  dernière  se  prononce  mouillée  comme  le  /  de  la 
série  précédente. 

Quant  diMx  fortes,  la  première,  la  troisième  et  la 
cinquième  représentent  k  et  g,  t  et  d,  t  et  d,  p  et  b  ; 
ces  lettres  sont  fortes  quand  elles  sont  initiales  ou  dou- 
blées, douces  quand  elles  sont  simples  ou  précédées 


—  184  — 

de  la  nasale  de  leur  ordre  ;  ainsi  le  sanskrit  danta  de- 
vient tandara. 

La  seconde  forte  se  prononce  ç  quand  elle  est  simple, 
c  (tch)  quand  elle  est  double  et  j  (dj)  quand  elle  est 
précédée  de  la  nasale  correspondante.  La  sixième  con- 
sonne forte  est  un  r  fort,  jamais  mouillé,  mais  muette, 
elle  se  prononce  t  mouillé  comme  /,  doublée  comme  tt 
dont  le  premier  est  mouillé  ;  précédée  de  n'  elle  se  pro- 
nonce nd  où  le  n  est  mouillé  :  j'indique  ces  mouille- 
ments  par  le  signe  minute.  On  a  dit  que  ces  deux 
derniers  groupes  se  prononçaient  tU^  et  ndr,  mais  il  y 
a  là,  à  mon  avis,  une  illusion  d'acoustique  :  les  den- 
tales tamoules  que  les  Anglais  transcrivent  volontiers 
th,  sont  proprement  des  dentales  extrêmes  produites 
par  le  contact  de  l'extrémité  de  la  langue  avec  le  bord 
des  incisives  ;  dans  ce  mouvement  la  colonne  d'air  est 
resserrée  et  frôle  le  palais,  ce  qui  amène  le  mouille- 
ment,  mais  la  langue  peut  avoir  un  léger  mouvement 
vibratoire  analogue  à  celui  qui  donne  naissance  au  r. 

La  prononciation  des  voyelles  n'offre  rien  d'extra- 
ordinaire, ai  se  prononce  ei  à  toutes  les  syllabes  autres 
que  la  première.  Mais  ê  long,  é  bref,  6  long,  o  bref 
sont  toujours  précédés  dans  la  prononciation,  les  deux 
premiers  d'un  y,  les  deux  seconds  d'un  w  ;  cette  par- 
ticularité n'a  rien  de  surprenant  et  bien  d'autres  langues 
en  offrent  les  exemples  :  l'é  roumain  initial  se  dit  ye, 
et,  en  anglais,  one  et  ses  dérivés  à  l'exception  de  onJy 
sont  toujours  précédés  dans  le  langage  courant  d'un 
w  qui  ne  s'écrit  pas.  Il  faut  remarquer  qu'en  tamoul 
é  initial  prononcé  ye  correspond  à  ya  et  même  à  yâ 
dans  les  pronoms  indéfinis  ;  y  a-t-il  là  un  affaiblisse- 


—  185  — 

ment  de  Va  ?  C'est  au  moins  le  cas  des  mots  sanskrits 
commençant  par  ^a  et  transcrits  é,  par  exemple  yantra 
qui  devient  endiram  «  machine  ».  Les  mêmes  phéno- 
mènes se  produisent  en  malayâla  et  en  télinga  et  aussi, 
mais  moins  généralement,  en  canara  et  en  tulu  ;  on  y 
écrit  même  l'y  adventice  et  le  w  représenté  par  v. 
Les  idiomes  non  littéraires  ne  paraissent  pas  connaître 
cette  prononciation  et  il  faut  noter  qu'ils  sont  parlés 
au  Nord-Est  ou  à  de  hautes  altitudes. 

A  ce  propos  j'ai  relevé  dans  les  vieux  poètes  tout 
une  série  de  mots  écrits  avec  yâ  initial,  dont  la  plu- 
part se  prononcent  et  s'écrivent  aujourd'hui  sans  y  : 

yâkkei,  lien,  corps.  yâlam  (nom  d'un  arbre). 

yâdu,  mouton.  yàjal^  termite. 
yânar,  beauté,  fertilité.        yaj,  luth. 

yându,  année.  yaU,  lion. 

yâppu,  lien,  poème,  yâr'u,  rivière. 

yâmei,  tortue.  yântei,  éléphant. 
yâri,  perte. 

La  plupart  de  ces  mots  ont  aussi  des  formes  sans  y 
dans  la  langue  écrite,  surtout  en  prose.  Dans  le  tamoul 
vulgaire  parlé  de  nos  jours,  quatre  seulement  sont 
restées  en  usage,  ce  sont  adu  «mouton»,  âme  «tor- 
tue», âr'u  «rivière»  et  âne  «éléphant»;  ces  quatre 
mots  se  retrouvent  dans  les  langues  congénères  qui  ont 
été  littérairement  cultivées,  cependant  en  tulu  «  tor- 
tue »  se  dit  eme.  L'étymologie  de  ces  divers  mots  est 
difficile  à  établir,  cependant  yali  «  lion  »  pourrait  être 
rapproché  de  nali  et  namali  «  chien  »  ;  yakkei  et 
yappu  se  rattachent  à  une  racine  yâ  long,  signifiant 


—  186  — 

«lier,  attacher  »  et  subjectivement  «  être  lié,  être  atta- 
ché »  ;  peut-être  est-ce  la  même  racine  â  qui  a  pris  le 
sens  de  «  devenir  »,  «  s'achever  )),  «  s'accomplir  ».  Il  y 
a  en  tamoul,  entre  cet  â  long  et  ?ra  «  demeurer,  se 
placer  »,  la  même  différence  qu'entre  bhu  et  as  en 
sanskrit  ou  plutôt  qu'entre  ser  et  estar  en  espagnol. 
Dans  la  liste  ci- dessus,  les  deux  mots  yâppu  et  yaj 
n'ont  pas  la  forme  sans  y,  mais  il  y  a  un  mot  âppu 
qui  veut  dire  «  coin,  fente  »,  mais  la  parenté  est  dou- 
teuse. Andu  ((  année  »  se  rencontre  sans  y  dans  le  dis- 
positif en  prose  d'inscriptions  anciennes. 

A  ces  mots  il  faut  ajouter  les  expressions  pronomi- 
nales et  adverbiales  y  an  a  moi  »,  yàm  «nous»,  yâr 
«  qui  »  et  «  quiconque  »,  yâdu  «  quoi  »  et  «  quoi  que 
ce  soit  »,  yâvan  «  lequel  »  et  «  qui  que  ce  soit  »,  yângu, 
«où»  et  «partout».  En  prose  et  dans  la  conversa- 
tion, on  dit  :  âr  pour  yâi\  yân  et  yâm  font  aussi  nân 
et  nâm,  mais  leurs  formes  adjectives  sont  en  et  em  et 
dans  la  conjugaison  ils  deviennent  ancien  d'une  part, 
et  de  l'autre  am  et  an,  êm,  6m;  les  autres  pronoms 
cités  ci-dessus  ont  des  formes  en  ê  bref,  excepté  yâr 
qui  est  prononcé  partout  aujourd'hui  âr. 

Si  l'on  consulte  les  dictionnaires  tamouls  les  plus 
complets  et  notamment  celui  de  la  mission  de  Pondi- 
chéry  qui  est  encore  malgré  tout  le  meilleur,  on  obser- 
vera que  tous  les  mots  commençant  par  y  sont  des 
mots  d'emprunt  à  l'exception  de  ceux  en  yâ  dont  nous 
venons  de  parler. 

On  peut  donc  poser  en  principe  que  la  semi-voyelle 
palatale  n'est  jamais  initiale  en  tamoul  et  en  dravi- 
dien  primitif  ;  pourquoi  donc  certains  mots  en  â  long 


—  187  — 

ont-ils  pris  un  y  prosthétique,  au  moins  pendant  là 
période  moyenne  de  la  vie  historique  du  tamoul  ?  On 
pourrait  supposer  que  le  é  est  primitif  et  qu'il  s'est 
changé  en  y  à  puis  en  a,  à  cause  des  formes  pronomi- 
nales, mais  cette  hypothèse  est  inadmissible  :  d'abord 
en  phonétique  générale  je  ne  crois  pas  que  jamais  a  ait 
été  précédé  de  é;  d'ailleurs  l'ensemble  des  idiomes 
dravidiens  montre  que  le  à  long  est  primitif  :  le  pro- 
nom de  première  personne  se  rapporte  certainement 
au  démonstratif  éloigné  a  d'où  vient  également  l'inter- 
rogatif  indéfini.  Il  faut  admettre  qu'il  y  a  eu  un  double 
courant  :  dans  les  expressions  les  plus  usuelles  â  s'est 
à  la  fois  abrégé  et  adouci  en  é  prononcé  en  ye,  tandis 
que  pour  les  autres  l'afïaiblissement  s'est  borné  à  un 
mouillement  initial,  qui,  n'étant  pas  organique,  n'a 
pas  persisté  dans  le  langage  populaire.  Le  basque  que 
je  cite,  peut-être  trop  volontiers,  nous  offre  un  exemple 
remarquable  de  l'instabilité  et  de  l'adventicité  du  y 
initial  ;  les  radicaux  verbaux  comme  y  an  a  manger  », 
yakin  «  savoir  »,  yoan  «  aller  »,  perdent  leur  y  dans  la 
conjugaison  :  dakit  «je  le  sais  »,  rioa,  «je  vais  »,  etc. 

IV.  Dérivation  honorifique  par  t  préfixé. 

Il  existe,  en  tamoul  et  dans  les  idiomes  congénères, 
un  certain  nombre  de  noms  de  parenté  et  de  titres  ho- 
norifiques commençant  par  t,  ta,  tam.  Ce  sont  :  1  ta- 
gappan,  qui  se  contracte  en  tôppan  «  père  »  ;  les  brames 
disent  tamappan;  malayâla  tammappan  ;  —  2.  tandei, 
canara,  tande,  télinga  tandri,  gondî  tanji,  «  père  », 
d'où  l'on  dérive  endei  «^notre  père  »,  nundei  «  votre 


—  188  — 

père  »  et  mundei  «  ancêtre  »  ;  —  3.  tây  et  son  honori- 
fique tâyâr,  mal.  tâyar,  can.  tâyi  «  mère  »  ;  —  4.  tam- 
mei  ((  mère  »  ;  —  5.  tannei  «  mère  »  ;  —  6.  tammanei 
«  mère  »  ;  —  7.  tameiyan  «  frère  aîné  »  ;  —  8.  tamakket 
«  sœur  aînée  »  ;  —  9.  tambi  «  frère  cadet  »,  mal.  tambi, 
tambân.  can.  tammu,  tél.  tammudu,  gondî  tamma, 
d'où  em6ï  «  notre  petit  frère  »  ;  on  en  rapproche  nambi 
«  seigneur  »  ;  —  10.  tangei  et  ses  diminutifs  tangeicci, 
tangacci,  mal.  tanga,  can.  ^afi^ï  «  sœur  cadette  »  au- 
quel se  rapportent  nangei  «  dame  »  et  mangei  «  jeune 
femme»;  —  11.  kudagu  tammâru  a  beau-père  »,  et 
tammâvi  «  belle-mère  »  ;  —  12.  tél.  tammali  «  prêtre 
inférieur  »  ;  — 13.  tangâlan  «  prêtre  paria  »  ;  — 14.  ^am- 
birân,  mal.  tamburân  «  administrateur  d'une  pagode, 
religieux  vénérable  »  et  embirân  «  notre  maître  »  ;  — 
15.  tammadi  a  ménage,  mari  et  femme  ». 

La  plupart  de  ces  mots  dérivent  évidemment  de 
primitifs  sans  t  :  1.  appan,  malto  abba,  dial.  tam. 
accbân,  âvn,  gav  ;  cf.  le  kurukh  embâ  ;  —  3.  âyi, 
kurukh  ayô,  ingyu;  malto  ayyô,  kui  iyô  ;  —  4.  am- 
mei,  ammâ  «mère»,  ammâl,  amman  «dame»,  dial. 
tam.  âmm,  gamma;  —  5.  annei  «mère,  dame»  ;  — 
6.  manei  «  épouse  »  ;  —  7.  aiyan  «  seigneur  »  ;  — 
8.  akkâl,  can.  akka,  kurukh  ingyô  ;  —  10.  kui  angî, 
—  11.  maman  «  beau-père  »,  mâmi  «  belle-mère  »  ;  — 
13.  Angalamman,  déesse  locale  ;  — 14.  pirâtti  «  dame, 
princesse».  «Frère  aîné»  se  à\ï  annan,  tél.  anna, 
can.  ayyal,  apparenté  à  annal  «  prince  »  ;  on  dit  aussi 
tammun  «  avant  soi  »,  ce  qui  ferait  supposer  que  tambi 
est  pour  tam-pin  «  après  soi  ». 

Caldwell,  qui,  le  premier,  s'est  occupé  de  ces  mots, 


—  iso- 
les regardait  tous  comme  formés  de  tam,  ancien  plu- 
riel oblique  du  pronom  réfléchi  tân  avec  un  sens  hono- 
rifique, respectueux,  majestatique,  comme  on  dit  en 
Europe  «  Sa  Majesté,  Votre  Grandeur  »,  etc.  Il  ajoute 
que  quelquefois  tam  se  trouve  réduit  au  pur  radical 
t-  du  réfléchi.  Je  crois  que  le  problème  est  moins 
simple.  D'abord,  pourquoi  ces  formes  respectueuses 
s'appliquent-elles,  en  dehors  du  père  et  de  la  mère, 
aux  frères  et  sœurs  cadets  plutôt  qu'aux  aînés?  Puis, 
est-il  admissible  que  le  langage  honorifique  ait  été  en 
usage  si  anciennement  et  seulement  pour  ces  douze  ou 
quinze  noms  ?  Il  y  a  évidemment  deux  séries  de  formes, 
les  unes  en  ta  ou  plutôt  t,  les  autres  en  tam,  qui  me 
paraissent  remonter,  les  premiers  à  la  période  du  déve- 
loppement formel,  les  seconds  à  la  période  de  la 
composition  historique.  Tân  est  lui-même,  selon  toute 
apparence,  dérivé  par  t  préfixé. 

En  effet,  nous>  savons  que  les  pronoms  personnels 
dravidiens  sont  primitivement  an  «  moi  »  et  în  «  toi  », 
ou  même  â  et  î,  se  rattachant  aux  démonstratifs  éloi- 
gné a  et  prochain  i  ;  ils  ont  pris  plus  tard  une  con- 
sonne adventice  d'appui  préfixée  n,  nân,  nîn,  surtout 
dans  les  idiomes  littéraires  et  cultivés.  Il  y  a  d'autres 
exemples  de  pareilles  préfixations.  Mais  an  signifiait 
«moi»;  tân  «soi»,  employé  ordinairement  dans  la 
langue  courante  actuelle  avec  le  sens  de  «  même  »  et 
dont  l'oblique  tan  est  l'adjectif  possessif  pour  la  troi- 
sième personne,  n'est  probablement  qu'un  dérivé  de  an 
par  t  initial,  dans  un  but  de  détermination,  de  préci- 
sion, exprimant  cette  idée  «  moi-même,  moi  ici  pré- 
sent »,.. car  sa  propre  .personnalité  échappe  davantage 


—  190  — 

à  celui  qui  parle  que  celle  d'autrui  ;  puis  le  même  mot 
généralisé  aura  servi  pour  la  seconde  personne.  Le  t 
initial  était  donc  essentiellement  un  élément  détermi- 
natif  et  on  aura  dit  tandei,  tây,  comme  on  dit,  dans 
certains  pays  et  dans  certains  milieux,  «  le  père,  la 
mère  »,  pour  «  mon  père,  notre  père,  ma  mère,  notre 
mère»,  seuls  intéressants  pour  celui  qui  parle.  Un 
argument  en  faveur  de,  cette  hypothèse  peut  être 
fourni  par  la  langue  toda,  où  tan  «  son  »  précède  chaque 
mot  d'une  énumération  ;  cf.  Marc,  x,  29  :  ârçusnum 
tan  ôroêttusnum  o  ou  maison  ou  frères  (sœurs)  »,  et 
30  :  ârçâm,  tan  ôrvêta  tâm  n  maison  ou  frères  (et 
soeurs)  »  ;  ici  tan  joue  le  rôle  d'un  article  appliqué  spé- 
cialement aux  personnes.  En  tamoul,  tan  et  taju  s'em- 
ploient explétivement  pour  affirmer  la  possession,  la 
personnalité  :  kôn  tamar  «  les  parents,  les  gens  du  roi  », 
araçan  tannôdu  «avec  le  prince»,  mangei  tan  moji 
«  la  parole  de  la  jeune  femme  ».  Ici  encore  lan  appa- 
raît comme  un  élément  de  détermination. 

J'identifierais  volontiers  ce  t  au  signe  du  prétérit. 
Le  passé  marque  une  chose  connue,  déterminée, 
tandis  que  le  présent  aoristique,  indiqué  par  A'  en  ta- 
moul, Correspond  à  une  chose  encore  incertaine,  en 
train  de  se  faire  :  A\  qui  est  aussi  le  suffixe  du  datif, 
exprime  le  mouvement,  l'action  ;  t,  le  repos,  l'inertie, 
l'état. 

V.  Le  pluriel  prinnitif  en  -m  dans  les  langues 
dravidiennes . 

Le  signe  général  de  pluralité  en  dravidien  est  évi- 
demment -gai  ou  -kal,  cf.  tam.  kal,  gai;  mal.  na/; 


\ 


—  191    - 

can.  galu  ;  tél.  lu  ;  tu]u  kulu  ;  kudagu  -nga,  -â,  -yâ; 
gondî  k,  ng  ;  kuî  nga,  kka,  ska  ;  les  autres  langues 
incultes  ne  paraissent  pas  avoir  de  signes  spéciaux 
pour  le  pluriel,  cependant  le  toda  a  des  formes  inté- 
ressantes en  -âm,  comme  adâm  «  ils,  eux,  ces  choses- 
là,  ceux-là)),  mînâm  «les  étoiles».  A  propos  de  ce 
dernier  mot,  je  ferai  remarquer  en  passant  que  mîn 
(f  étoile  «  signifie  aussi  «  poisson  ))  et  dérive  du  radical 
min  «  briller  )). 

Il  résulte  également  de  ce  tableau  que  le  suflSxe  est 
formé  de  deux  éléments,  le  premier  commençant  par 
l'explosive  gutturale,  le  second  terminé  par  /  cérébral; 
Caldwell  rapprochait  ce  dernier  deellâm  «  tout,  tous  )>, 
qui  est  apparenté  à  ellei  «  limite  )),  dérivé  comme  lui 
d'un  radical  el  où  Ve  initial  marque  l'indéfini  ou  l'in- 
terrogation ;  mais  une  objection  sérieuse  peut  être 
opposée  :  le  /  radical  étant  purement  dental,  tandis 
que  -gai  ou  kal  se  termine  par  une  cérébrale.  Il  faut 
noter  d'ailleurs  que  ellâm  est  proprement  un  pluriel 
général  ou  un  collectif  qui  varie  en  ellîr  «  vous  tous  » 
et  ellâr  «  eux  tous  )). 

Quant  au  premier  élément,  la  gutturale  est  le  siège 
expressif  d'un  mouvement,  c'est  le  suffixe  du  datif  et 
du  présent  ancien  aoristique  ;  dans  la  dérivation  des 
radicaux  verbaux,  il  intervient  avec  une  idée  évidente 
de  mouvement,  cf.  vanangu  «  adorer,  vénérer  )),  to- 
dangu  «  commencer  )>,  mlatïgu  «  luire,  être  lumineux  » 
auquel  se  rattache  sans  doute  vel  a  blanc,  éclatants  )>, 
velU  «  argent  )),  etc.  Or,  l'idée  de  mouvement,  d'ex- 
tension, d'augmentation  est  incontestablement  liée  à 
celle  de  pluralité. 


-  192  — 

Une  autre  forme  de  pluriel  est  r,  mais  elle  est 
d'un  usage  restreint  et  d'ailleurs  relativement  mo- 
derne, puisqu'elle  s'applique  uniquement  aux  noms 
féminins  et  masculins.  La  distinction  des  genres  était 
inconnue  aux  Dravidiens  primitifs  et,  quand  elle  s'y 
est  introduite  sous  l'influence  de  laryanisme,  elle  ne 
s'est  appliquée  qu'aux  noms  d'hommes,  de  femmes  et 
d'êtres  anthropomorphes  ;  les  noms  d'enfants  restent 
neutres  et  s'appliquent  même  parfois  aux  petits  des 
animaux  et  aux  jeunes  arbres  ;  en  télinga,  les  noms  de 
femmes  sont  même  neutres  au  singulier  ;  en  tamoul, 
la  terminaison  neutre  am  peut  être  remplacée  par  la 
terminaison  masculine  an  :  on  peut  dire  indifférem- 
ment nilani  ou  bien  nilan  «  sol  ».  Les  noms  masculins, 
féminins  ou  neutres,  même  ceux  d'emprunt,  ont  une 
forme  primitive  sans  acception  de  genre  :  araçan 
«  roi  »  a  été  formé  de  araçu,  idogam  «  monde  »  de 
ulagu,  magan  «  fils  »  et  magal  «  fille  »  de  maga  «  en- 
fant». Ce  sont  donc  là  des  formes  récentes  et  sans 
intérêt  pour  nous  aujourd'hui,  quelle  que  soit  leur  ori- 
gine. 

Mais  il  est  une  autre  forme  qui  doit  retenir  toute 
notre  attention,  c'est  un  pluriel  en  -m,  qui  apparaît 
comme  la  plus  ancienne  manifestation  de  l'idée  plu- 
rielle. Les  pronoms  de  première  et  de  seconde  per- 
sonne, ainsi  que  le  pronom  réfléchi,  sont  terminés  au 
singulier  par  n  et  au  pluriel  par  m  .•  cf.  tam.  nân, 
yân  -  nàm,  yâm  ;  mal.  nan  -  nâm,  can.  an  -  âm  ;  tél. 
nênu  -  nêmu  ;  tulu  yânu  -  nànu,  yenkulu  ;  kuçlagu 
nânu  -  enga,  nanga  ;  gondi  nannâ  -  nammâ  ;  oraon 
ou  kurukh  en-âni,  nâm;  kuî  ou  khand  ânu-  âmu, 


—  193  —    ' 

ciju;  malto  ên-êm,  nâm ;  kôta  âne-  âme,  nàme ;  et 
toda  an  -  âin,  ôm,  êm,  pour  la  première  personne. 
Pour  la  seconde,  on  aurait  :  tam.  nî-nlr,  ningal ; 
mal.  nî  -  ninnal ;  can.  nî  -  nîm  ;  tel.  idva  -  mbm ; 
tulu  L-îra  nikula  ;  kuçlagu  nînu  -  iiinga  ;  gondi 
immâ  -  iinmât  ;  kurukh  nin  -  nim  ;  kui  îna  -  ira  ; 
malto  nîn  -  nîm  ;  kota  nî-nîme,  nive  ;  et  toda  nî - 
nîma.  Il  faut  y  joindre  le  réfléchi  «  soi  »  :  tam.  tân  - 
tâm  ;  mal.  tân  -  tâm ;  can.  tân  -  tâin  ;  tel.  tânu  -  tâm; 
tulu  tânu  -  tankulu;  kuçlagu  tanu  -  tanga;  kuî  tânu  - 
târu,  etc. 

Je  rappelle  à  ce  propos  que  la  première  personne 
se  rapporte  au  démonstratif  éloigné  a,  vague,  indé- 
fini, imprécis,  ne  tombant  pas  sous  l'observation  di- 
recte, et  que  la  seconde  personne  dérive  du  démons- 
tratif prochain  i  qu'on  voit,  qu'on  touche,  qu'on  a 
sous  la  main. 

Dans  la  conjugaison  antique,  il  y  avait  des  pluriels 
en  -m;  si  nous  en  jugeons  par  les  formes  archaïques 
que  l'on  rencontre  dans  les  textes  les  plus  anciens,  le 
singulier  était  u  et  le  pluriel  um.  Je  citerai,  par 
exemple,  le  tamoul  urekkô  a  dis-je?  »  ou  «  dit-on?  », 
çéygôyàn  «  ferai-je?  »,  çéygum  «nous  ferons»,  çey- 
gum  «  nous  ferons  »,  çeydum  ou  même  çeigudum  «  nous 
avons  fait  ».  L'impératif  pluriel  ancien,  devenu  le  sin- 
gulier honorifique  ou  respectueux,  est  m  ou  plutôt 
um  :  kodum  «donnez»,  çeyyum  «faites»;  on  en  a 
formé  un  pluriel  pléonastique  par  l'addition  de  gai  : 
çeyyurngal,  kodungal.  On  trouve  des  exemples  de 
formations  semblables  dans  les  troisièmes  personnes 
neutres  des  futurs  aoristiques  actuels  ;  çlles  sont  coni- 

13 


—  194  — 

posées  du  radical  et  de  la  terminaison  um  tant  au 
singulier  qu'au  pluriel  et  elles  servent  également  de 
participes.  Or,  nous  rencontrons  dans  les  vieux  poètes 
des  pluriels  en  ungal  :  idungal  «  (ces  choses)  donne- 
ront ».  Ces  pluriels  doubles  sont  d'usage  courant  dans 
les  pronoms  :  lorsqu'on  tamoul  nâm,  mi\  tâm  sont 
devenus  des  respectueux,  on  en  a  dérivé  nângal,  nîn- 
gal,  tângal  ;  il  faut  remarquer  qu'à  la  seconde  per- 
sonne le  m  reparaît  sous  la  forme  du  n  guttural. 
Nangal  a  pris  le  sens  particulier  de  «  nous  autres  » 
exclusif  et  nàm  a  gardé  la  signification  plurielle.  Dans 
la  conjugaison,  les  terminaisons  du  respectueux  sont 
ôm  pour  la  première  personne,  ir  pour  la  seconde,  âr 
pour  la  troisième  masculine  ou  féminine,  et  celles  du 
pluriel  ôm,  îrgâl,  ârgal.  Mais  dans  la  prononciation 
populaire,  au  moins  sur  la  côte  orientale,  on  dit  pour 
la  seconde  et  troisième  personnes  honorifiques  et  plu- 
rielles, îngô,  tngo,  ângô,  ângo  ;  ces  formes  rappellent 
la  terminaison  régulière  du  pluriel  des  substantifs  en 
kudagu,  en  gondi  et  en  kui  :  -ng,  -nga,  ngà,  abré- 
gées sans  doute  de  -ngal.  Ici  se  pose  la  question  :  le 
n  devant  gai  est-il  organique?  est-il  une  mutation 
dur.^  est-il  un  adoucissement  euphonique  introduit 
après  la  chute  du  r  f  Je  suis  pour  ma  part  de  la  pre- 
mière opinion,  quoique  la  tendance  générale  du  dra- 
vidien  soit  d'intercaler  une  nasale  euphonique  entre 
une  explosive  douce  et  une  voyelle  précédente. 

Le  tamoul  et  le  malayâla  ont  un  suffixe  pluriel  spé- 
cialement appliqué  aux  noms  de  personnes  :  mâr  ; 
tambi  «  frère  cadet  »  et  purusan  «  mari  »  font  au  plu- 
riel tambimâr^  purusamar.  Caldwell  assimile  ce  mâr 


—  195  — 

a,u  suffixe  verbal  de  la  troisième  personne  plurielle 
mai-,  manùr,  qui  peut  être  pris  substantivement  et  à 
la  clérivative  var  qui  forme  des  collectifs  numéraux 
[nàloar  «  quatre  personnes  »)  et  il  y  voit  le  démons- 
tratif avar  «  ceux-là».  Ne  serait-il  pas  plus  rationnel 
de  le  considérer  comme  un  pluriel  double  formé  de  m 
ou  um  et  de  arf  Tambfmâr  serait  une  réduction  de 
tambiyumâr.  Cequi  confirmerait  cette  hypothèse,  c'est 
la  i.0TmQpurusanmâr  ;\es  grammaires  indigènes  disent 
que  la  terminaison  um  du  futur  peut  perdre  son  u 
après  /  ou  n  :  ennum  «  qui  dit  »  et  çellum  «  qui  va  » 
peuvent  s'abréger  en  enm,  çenm. 

Caldwell  ramène  les  pluriels  en  -m  au  conjonctif 
um  «et»  (tamoul  et  malayâla  ;  canara  am^  um,  u; 
télinga  u,  nu)  ;  il  faut  remarquer  que  cette  particule 
est  aussi  la  terminaison  du  futur  neutre  indépendant 
de  toute  idée  de  temps,  de  genre  et  de  nombre  ;  d'autre 
part  um.,  analogue  au  sanskrit  ca  et  au  latin  que  s'ajoute 
régulièrement  à  tous  les  mots  de  la  phrase  ;  quand  le 
latin  dit  pater  Jiliusque,  le  tamoul  traduit  tagappa- 
nun  maganum.  D'autre  part,  um  joue  dans  la  propo- 
sition le  rôle  de  déterminant  et  de  collectif  absolu  ; 
on  dira  par  exemple  nânum  «moi-même,  moi  aussi», 
nâm  iruvarum  «  nous  deux  (et  non  d'autres)  »,  im- 
mûn'd'um  engal  mâdu  a  ces  deux  (animaux)  sont  nos 
bœufs  »  ;  sans  um,  cela  voudrait  dire  qu'il  y  a  d'autres 
bœufs  présents  tandis  que  «m  indique  qu'il  y  en  a 
deux  seulement. 

N'oublions  pas  les  pluriels  en  àm  du  toda  et  rap- 
prochons-en e//«m  '(tout,  tous».  Peut-on  à  ce  pro- 
pos examiner  les  rares  mots  tamoul  en  âm.  :  kadâm 


—  196  — 

«  sueur  erotique  de  l'éléphant  »  (cf.  kadâm  «  front,  rut, 
cruche  »)  ;  kujôm  «  foule  »  ;  kalâm  a  colère,  éclat  »  ; 
karâm  ou  karâ  a  crocodile  »  ;  tulâm  ou  tuiâ  «  bas- 
cule »  ;  marâra  ou  marâ,  nom  donné  à  diverses  es- 
sences d'arbres  (cf.  maram  «arbre,  bois»),  etc.?  Ce 
sont  sans  doute  là  des  pluriels  collectifs  comme  ellâm 
contracté  probablement  de  ellâ  -  (v)  -  um.  Ella  est 
peut-être  pour  ellillâ  ou  ellallâ  «  ce  qui  n'a  pas  de 
limite  »  ;  le  sens  propre  de  el  parait  être  «  horizon, 
ligne  terminale  »,  car  il  a  pris  les  significations  de 
«jour,  nuit,  journée,  signe,  mépris». 

On  peut  voir  que  la  plupart  des  mots  que  je  viens 
de  citer  ont  deux  formes.  Tune  probablement  singu- 
lière en  â  ou  an,  la  seconde  sans  doute  plurielle  en 
âm.  À  varie  d'ailleurs  en  avu  qui  est  peut-être  le  pro- 
totype de  am  :  cf.  çuravu  et  çarâ  «  requin  »,  ntlavu 
et  ni  là  «  lune  »  ;  on  a  même  muga  (avec  a  bref)  et 
magavu  «enfant».  Quant  à  la  contraction  de  ellàvum 
en  ellâm,  elle  est  normale  :  les  participes  futurs  en 
âvum  se  réduisent  d'ordinaire  en  âm  :  ulâvum  «  qui 
se  promène  »  devient  ulâm  et  même  on  a  âm  pour 
âgum  «qui  devient». 

Les  langues  dravidiennes  ont  été  arrêtées  dans  leur 
développement  formel  et  sont  entrées  dans  la  vie  his- 
torique au  commencement  de  la  période  d'agglutina- 
tion :  c'est  pourquoi  beaucoup  de  suffixes  de  relations 
sont  encore  très  nettement  distincts.  Le  verbe  n'avait 
développé  que  deux  formes  temporelles,  un  passé  dé- 
fini et  un  présent  aoris tique,  caractérisés  par  l'addi- 
tion au  radical  d'une  explosive,  gutturale  pour  l'aoriste 
et  dentale  pour  le  passé,  forte  à  la  voix  transitive  et 


—  197  - 

faible  à  la  voix  intransitive.  On  y  ajoutait  um  ou  m 
pour  distinguer  de  l'individualité  la  collectivité  inclu- 
sive. Plus  tard,  on  suffixa  les  pronoms  eux-mêmes, 
lorsqu'il  s'agissait  des  deux  premières  personnes  ;  des 
exemples  se  rencontrent  encore  dans  les  poèmes  mo- 
dernes :  madittunâm  «  nous  avons  terminé»,  vâjga- 
nam  a  nous  vivrons  heureux  »,  pour  mudittôm,  vàj- 
vôm. 

Il  résulte  de  tous  ces  faits  que  le  pluriel  primitif 
dravidien  avait  pour  suffixe  m  pour  um,  particule 
collective.  Mais  ce  n'était  pas  un  signe  de  pluralité, 
comme  ceux  qui  sont  employés  dans  les  langues  mo- 
dernes. Le  dravidien  primitif  ne  connaissait  ni  genre, 
ni  nombre  ;  comme  chez  tous  les  peuples,  l'idée  de 
nombre  s'est  formée  par  la  constatation  de  l'indivi- 
dualité et  sa  distinction  de  la  collectivité  ;  les  Dravi- 
diens,  par  exemple,  ont  dit  â  ou  an  «  moi  »,  î  ou  m 
«  toi  »,  puis  ils  ont  dit  â-um  abrégé  en  âm  «  nous  » 
et  î-um  abrégé  en  îm  «  vous  »,  avec  le  sens  de  «  le 
reste  et  moi,  le  reste  et  toi  »  ;  de  là  aussi,  surtout  à  la 
seconde  personne,  s'est  produite  l'exclusion  et  en  même 
temps  le  duel.  Caldwell  pense  que  le  duel  a  précédé 
le  pluriel  ;  ce  n'est  pas  tout  à  fait  exact,  et  il  me  semble 
que  le  duel  n'a  pu  se  développer  que  lorsqu'on  a  com- 
mencé à  distinguer  et  à  déterminer  les  nombres  :  la 
numération  primitive  ne  comprenait  partout  que  un, 
deux,  quelquefois  trois  et  plus  rarement  quatre  ;  au- 
delà  c'était  l'infini  ou  l'indéfini,  à  peu  près  comme 
lorsque  nous  disons  cent  ou  nulle  pour  indiquer  un 
grand  nombre,  une  quantité  considérable  et  indéter- 
minée. Ainsi  à  l'origine  du  langage,  il  n'y  avait  pas  et 


—  198  — 

ne  pouvait  pas  y  avoir  de  pluriel  véritable,  le  nombre 
grammatical  était  une  différence  plutôt  qu'une  somme, 
en  ce  sens  que  la  préoccupation  principale  de  celui 
qui  parlait  était  de  manifester  sa  personnalité  indé- 
pendante ;  c'est  ce  qui  explique  notamment  des  forma- 
tions comme  celles  de  l'arabe  où  les  pluriels  normaux, 
dits  pluriels  brisés,  sont  en  réalité  des  collectifs  indé- 
finis qui,  grammaticalement,  se  confondent  avec  des 
singuliers  et  ont  été  traités  comme  tels  dans  les  langues 
qui  les  ont  empruntés,  en  hindoustani  par  exemple  où 
a^iwâl,  atràf,  nawâb,  jawcthir,  etc.,  sont  des  singu- 
liers qui  prennent  les  terminaisons  ordinaires  du  plu- 
riel. 

Caldv^ell  suppose  que,  um  signifiant  «  et  »,  nâm  et 
nîm  pouvaient  avoir  primitivement  le  sens  de  «  moi 
et  (autre  chose),  toi  et  (autre  chose)  »  ;  mais  um  n'est 
pas  réellement  «et»,  c'est  le  signe  de  la  réunion,  de 
l'ensemble,  de  la  compréhension  totale,  et  alors  nâm 
et  nîm,  sont  plutôt  «  moi  compris,  toi  compris  ».  Ainsi 
la  conception  de  l'homme  primitif  est  d'abord  celle 
de  sa  personnalité,  puis  de  sa  participation  à  la  vie 
générale  et  c'est  alors  le  collectif,  le  pluriel  inclusif  ; 
ensuite,  il  sépare  l'individu,  le  subjectif,  de  la  masse 
objective,  et  le  duel  prend  naissance  ;  plus  tard,  il  dis- 
tingue des  junités  dans  cette  masse  objective,  ce  qui 
est  l'origine  du  pluriel  véritable. 

Beaucoup  de  langues  ont  des  formes  analogues.  En 
basque,  par  exemple,  le  suffixe  du  pluriel  est  k,  mais 
j'ai  trouvé  au  moins  un  exemple  de  son  remplacement 
par  un  collectif  eta,  employé  d'ailleurs  aujourd'hui 
seulement  pour  «  et  »  ;  à  Saint-Pée-sur-Nivelle,  j'ai 


—  199  — 

entendu  appeler  bisustiak  un  lieu-dit  que  le  cadastre 
avait  inscrit  bisustieta.  Eta  au  surplus  n'est  pas  le 
seul  collectif  en  usage  ;  il  y  a  aussi  aga  et  egi,  qui  in- 
diquent le  premier  l'abondance  et  le  second  l'excès.  Je 
traduirai  donc  E^peleta  (des  buis»,  Harrieta  «les 
pierres»,  Lizarraga  «  la  fresnaie  »,  Zumarraga  «  le 
bois  d'ormes  »,  et  Zumalrxcavreyi  «  l'endroit  où  il  y  a 
trop  de  bourdaine  ». 

■    VI.  Le  datif  éthique. 

De  toutes  les  langues  dravidiennes  non  littéraires, 
la  plus  intéressante  peut-être,  quoique  numérique- 
ment la  moins  importante,  est  celle  des  Todas  qui 
habitent  les  hauts  plateaux  des  Nilagiris.  Ils  offrent 
deux  particularités  remarquables,  le  culte  du  lait  et  la 
polyandrie.  La  conservation  et  la  préparation  du  lait 
provenant  des  troupeaux  communs  sont  confiées  à  des 
sortes  de  prêtres,  élus  pour  trois  ans,  vivant  isolés  et 
astreints  à  une  chasteté  absolue.  La  polyandrie  s'ex- 
pliquerait par  le  meurtre  de  la  plupart  des  petites 
filles,  mais  aujourd'hui  ce  meurtre  n'est  plus  possible 
et  la  polyandrie  est  devenue  collective,  c'est-à-dire 
que,  dans  chaque  habitation,  toutes  les  femmes  sont 
communes  à  tous  les  hommes.  Cette  population,  fort 
belle,  est  en  voie  de  disparition  :  la  civilisation  lui  a 
apporté  l'alcoolisme  et  la  syphilis. 

Au  point  de  vue  linguistique,  le  toda  présente  des 
formations  spéciales.  Je  ne  veux  signaler  aujourd'hui 
que  la  double  première  personne  singulière  en  en  et 
ént;  en  long  est  la  forme  dravidienne  générale,  mais 


—  200  — 

dans  ént,  où  l'abréviation  de  \'ê  s'explique,  d'où  vient 
t  long  ? 

Je  ne  crois  pas  me  tromper  en  supposant  que  c'est 
le  pronom  de  seconde  personne  «toi»,  et  que  nous 
avons  là  un  exemple  de  datif  éthique  comme  il  s'en 
rencontre  dans  plusieurs  idiomes  agglutinants.  Le 
basque  entre  autres  a  ce  que  ses  grammairiens  appellent 
des  «  traitements  »  (le  prince  L.  L.  Bonaparte  les 
nomme  «  formes  allocutives  »)  ;  «  je  ne  le  sais  pas  » 
se  dit  ordinairement  e^takit,  mais  on  peut  dire  e^ta- 
Jdyat  en  parlant  à  un  homme,  e^takinat  en  parlant  à 
une  femme,  et  eMaki::ut  en  s'adressant  à  un  person- 
nage respectable  ;  le  diminutif  du  dernier,  e^takichut, 
qui  était  primitivement  une  forme  enfantine,  a  pris  la 
place  de  la  forme  ordinaire  dans  les  dialectes  de  la 
Basse-Navarre  occidentale.  Il  me  semble  que  la  même 
confusion  s'est  établie  en  toda. 

Ce  sont  là,  au  point  de  vue  morphologique,  des 
formes  inclusives,  par  lesquelles  on  intéresse  dans  une 
action  des  personnes  qui  n'en  sont  ni  le  sujet,  ni  l'ob- 
jet. De  pareilles  expressions  ne  nous  sont  pas  incon- 
nues, témoin  l'entrée  de  Maître  Jacques,  dans  L'Avare, 
au  milieu  de  la  scène  de  la  cassette  :  «  qu'on  me 
l'écorche  tout  à  l'heure  »,  etc.  J'ai  dit  plus  hauf  qu'à 
mon  avis  le  nombre  grammatical  a  son  origine  dans 
l'opposition  de  celui  qui  parle  à  la  masse  objective, 
puis  à  des  distinctions  dans  cette  objectivité,  d'où  ces 
nuances  :  moi,  moi  et  toi,  moi  et  lui,  moi  et  toi  et 
lui,  etc. 


—  201  — 

VII.  Les  noms  de  nombre. 

Dans  sa  Grammaire  comparée,  Caldwell  a  naturelle- 
ment traité  la  question,  mais  outre  qu'il  n'avait  pas 
sous  les  yeux  tous  les  éléments  de  comparaison  quô 
nous  possédons  actuellement,  il  a  eu  le  tort,  à  mon 
avis  du  moins,  de  s'occuper  séparément  de  chacun 
des  nombres  et  de  ne  pas  les  étudier  tous  à  la  fois  dans 
une  vue  d'ensemble  qui  pouvait  faciliter  la  solution 
du  problème.  D'autre  part,  son  livre  est  gâté  partout 
par  la  préoccupation  des  ressemblances,  des  affinités, 
des  parentés,  résultant  de  l'arrière-pensée  religieuse 
de  l'origine  commune,  de  l'unité  primitive  des  races 
humaines,  postulatum  antiscientifique,  inutile  et  tout 
à  fait  inadmissible. 

Voici  le  tableau  des  noms  de  nombre  dravidiens  : 

«Un»  :  tamoul  on! du,  onnu,  oru,  or;  dialectes 
tamouls  ond,  vandâ  ;  malayâla  onnu,  oru;  télinga 
okati,  oka  ;  canara  ondu,  kuçlagu  ondu  ;  tulu  on/'i,  or  ; 
gondî  undi;  kurukh  ort,  ond,  ondâ;  kui  roiidi,  ro  ; 
malto  ont,  ond,  or  ;  toda  odd,  on. 

«  Deux  »  :  tam.  irandu,  iru,  ir  ;  dial.  t.  rarid,  randa; 
mal.  irandu,  rendu;  tél.  rendu;  can,  eradu ;  \\xîi. 
dandu  ;  tulu  raddu  ;  gondî  rand,  rend,  rann  ;  ku- 
ruk  end,  irb;  kuî  rindî,  rî;  malto  inr.  endis  ;  toda  edd. 

«Trois»  :  tam.  mûn'd'u,  niûiiu,  mî^  ;  dial.  t.  mûd, 
mûnda  ;  ïn-àX.  mûnnu  ;  tél.  mûdu;  can.  mûru  ;  kud. 
mûndu  ;  tulu  mûji  ;  gond!  mûnd  ;  kur.  nub,  mûnd  ; 
kuî  munji,  mu;  toda  mûd. 

«Quatre»  :  tam.  nâlj  nâlu,  nân'gu;  mal.  nâl,  nâl, 


—  202  — 

nâlu,  nângu ;  tél.  nâlugu;  can.  nâlku  ;  kud.  nâlu, 
tulu  nâlu  ;  gondî  nàlûng  ;  kur.  nâkh,  naib  ;  kuî  nâlgi  ; 
toda  nânk. 

((Cinq»  :  tam.  aindu,  anju,  anj'i,  ai;  dial.  ânj ; 
mal.  anju;  tél.  aidu ;  can.  aidw^  aydu,  e/2;kud.  a/i/ï, 
tulu  am^;  gondî  saiyûng  ;  kuî  sm^,  singi  ;  todà4/,  (^c 

((Six»  :  tam.  dr'w,  ar'a;  dial.  âra;  mal.  dr'w;  tél. 
âr'M/can.  drw;  kud.  ârw;  tulu  âji;  gondi  sârûng  ; 
kuî  sq/",  so/'^ï  ;  toda  dr. 

«  Sept»  :  tam.  êru,  eru;  dial.  âga;  mal.  ^r?^/  tél. 
êdu;  can.  e/w;  kud.  e/a;  tulu  élu;  gondi  e/w,  é/'w, 
ênu;  kuî  oc//,  odgi  ;  toda,  e/r- 

((Huit»  :  tam.  e?i,  ettu ;  dial.  a?î.^a;  mal.  a^/a;  tél. 
enimidi,  enmidi ;  can.  enta;  kud.   ettu;  tulu  enma;    ; 
gondî  annmÛ7\  armur  ;  toda  e/î^. 

((  Neuf  »:  tam.  o/2'6<2c/w,  on'batta,  on'bân  ,  tondu; 
dial.  onibidi,  vamdi ;  mal.  ombadu;  tél.  tommidi; 
Cân.ombhuttu,  oyimhidd;  kud.  oyimbidi;  tulu  ormba; 
gondî  unmâk ;  koidi  or mpata  ;  toda  onpott. 

((  Dix»  :  tam.  pattu,  padu,  padia,  pàn' ;  dial.  pa^, 
pata;  m'ai,  pattu;  tél.  padi;  can.  pattu,  hattu;  ku(l. 
pattu;  iwXu  pattu  ;  gondî />ad;  todajoa^^. 

((Cent»  ;  tam.  nûr'u;  dial.  ^2wr;  mal.  nûr'u;  tél. 
nûr'u,  nûru;  toda  anc.  nûr'u;  ku(i.  nûru;  tulu  nûdu ; 
toda  /2wr,  nït/\ 

«  Mille  »  n'a  de  nom  original  qu'en  télinga,  c»e7M. 
Dans  les  autres  idiomes  congénères  on  se  sert  du  sans- 
krit sahasra  plus  ou  moins  altéré  ;  en  tamoul,  par 
exemple,  on  dit  âyiram  {*sagasiram,  *sâsirarn,  *sâiji- 
ram). 

Le  malto,  qui  a  emprunté  à  l'aryen  les  nombres  su- 


—  203  — 

périeurs,  à  la  numération  vigésimale  ;  pour  «vingt» 
il  dit  kori  et  pour  «  cent»  kori pach  «  cinq  vingt  ».  Le 
kui,  dont  la  numération  est  aussi  incomplète,  paraît 
avoir  compté  par  «douze  »,  bârâ  (hindi),  du  moins  il 
a,  pour  144,  barôbârâ  «  douze  douze  »,  mais  il  dit 
^,\i^Bi pattôka  et  ro  pattu  ((unpattu  »,  ri pattu,  «  deux 
patiu  »,  mu  pattu  «  trois  pattu  »  pour  144,  288  et  432  : 
pattu  qui  est  «  dix  »  en  dravidien  général,  est  donc, 
en  kuî,  144. 

Je  ne  donne  ni  les  composés  ni  les  dérivés,  le  ta- 
bleau précédent  suffit.  Si  l'on  y  jette  les  yeux,  on 
observera  que  tous  ces  numéraux,  excepté  «  neuf  »  et 
«  deux  »,  se  ramènent  à  des  radicaux  monosyllabiques. 
Nous  reparlerons  de  «  neuf  »  tout  à  l'heure  ;  quant  à 
«  deux  »,  il  paraît  s'être  préfixé  un  r  adventice  qui 
s'est  lui-même  appuyé  d'un  i  prosthétique,  car  le  dra- 
vidien moyen  n'aime  pas  le  r  initial  ;  ce  r  joue  le  même 
rôle  que  le  s  adventice  initial  du  gondi  et  du  kuî.  On 
remarquera  en  outre  que  la  plupart  de  ces  radicaux  se 
sont  suffixes  la  dentale  /,  d,  qui  est  un  indice  d'état, 
d'affirmation,  de  précision;  quelques-uns  ont  pourtant 
suffixe  k,  g,  signe  de  mouvement. 

Les  radicaux  primitifs  paraissent  être  :  1,  or  ou 
plutôt  on;  2,  ir  ou  plutôt  en;  3,  mu;  4,  nal ;  5,  ai  ; 
6,  ar' ;  7,  êr ;  10,  pat;  100,  nûr'.  Je  réserve  «neuf» 
et  «  huit  » . 

Quelle  peut  être  la  signification  fondamentale  de  ces 
radicaux?  Je  rattacherais  volontiers  on  et  en  au  dé- 
monstratif éloigné,  subjectif,  a,  et  au  démonstratif 
prochain,  objectif,  i  :  la  distinction  entre  «un»  et 
«deux»  est  surtout  celle  entre  celui  qui  parle  et  ce 


—  204  - 

qui  n'est  pas  lui,  d'où  l'idée  de  l'unité,  de  l'indivi- 
dualité, et  celles  de  la  collectivité  exclusive  puis  du 
duel.  Mu  est  la  racine  mun  «  en  avant,  en  plus,  au 
delà».  Nal  se  rapporte  à  des  racines  qui  ont  la  signi- 
fication de  ft  faiblesse,  dépérissement,  glissement  »  et 
sans  doute  «  diminution,  destruction  ».  Dans  ai,  je 
verrais  volontiers  une  altération  de  kai  a  main»,  car 
la  main  est  caractérisée  par  les  cinq  doigts  ;  la  chute 
du  k  initial  s'observe  aussi  dans  le  suffixe  âl  a  par  » 
pour  kâl  «canal,  pied,  voie,  moyen».  Ar'u.  est  cer- 
tainement «  se  briser,  se  détruire,  se  diviser  »  et  eru 
«s'élever,  monter,  s'accroître  ».  Pattu  semble  à  cer- 
tains avoir  le  sens  de  «  partager  »  ;  nûr'u,  comme 
nîr'u,  est  «cendre,  poussière»,  c'est-à-dire  «nombre 
indéfini  ».  Vêla  a  pour  racine  vé  «  ardeur,  accroisse- 
ment ». 

Pour  «  neuf  » ,  Caldwell  a  trouvé  une  explication  très 
ingénieuse;  il  a  remarqué  que  les  deux  formes  ta- 
moules  on'badu  et  tondu  se  ramènent  à  un  primitif 
ionbadu  fort  analogue  au  télinga  tonimidi,  et  comme 
90  se  dit  tonnûr'u  {ïq\.  tombhaiet  tonibadi,  can.  tom- 
bhattu,  kuçl.  ttonûra,  tulu  koiipa,  toda  ênpath),  et  900 
toUâyiram  (tél.  tomniannûr'u,  can.  ombhaiyinûr'u, 
tulu  ormbanûdu,  kudagu  ambainûru),  et  qu'il  existe 
une  racine  toi,  variable  en  ton,  qui  a  le  sens  de  «se 
percer,  se  détruire,  se  diminuer  »,  il  en  a  conclu  qu'en 
dravidien  général  9,  90  et  900  sont  «  dix  incomplet, 
cent  incomplet,  mille  incomplet».  Quoique  cette  expli- 
cation soit  très  plausible,  je  crois  qu'on  peut  en  pro- 
poser une  autre,  meilleure.  Je  remarque  d'abord  que 
les  formes  téliuga^  canara,   tulu  et  toda  pour  90  se 


—  205  — 

rapportent  à  dix  et  non  cent;  que  le  tulu  «neuf»  est 
ormha  et  le  kota  ormpatu  avec  un  r  ;  que,  pour  le 
même  a  neuf  »  le  tamoul  ancien  et  le  télinga  ont  seuls 
le  t  initial  ;  que  le  toda  est  en  en  et  non  en  on  ;  que 
pour  «  huit  »  le  tuju  a  enma,  le  gondî  anmûr  et  ar- 
mûr,  et  le  télinga  enmidi  ;  et  je  me  demande  si  «  huit  » 
et  «  neuf  »  ne  seraient  pas  formés  de  la  même  façon  : 
«deux-dix,  un-dix»;  puisque  «onze»  et  «douze» 
sont  «dix-un,  dix-deux»,  le  nombre  précédent  dix 
doit  être  soustrait  et  celui  qui  le  suit  doit  être  ajouté. 
Ton  serait  composé  de  '-;?  «  un  »  et  de  t,  signe  d'affir- 
mation ou  de  détermination. 

Ainsi,  les  Dravidiens  auraient  compté  d'abord  «  un  » 
et  «  deux  »  par  opposition  de  la  personne  qui  parle  à 
tout  ce  qui  n'est  pas  elle  ;  puis  ils  ont  dit  «  trois  »  et 
«  quatre  »  en  faisant  la  distinction  dans  cette  collecti- 
vité objective;  «  cinq  »  a  été  conçu  ensuite  et  exprimé 
naturellement  par  les  cinq  doigts  de  la  main.  «  Six  » 
et  «  sept  »  ont  été  formés  comme  «  trois  »  et  «  quatre  », 
et,  comptant  avec  les  doigts,  on  a  passé  tout  de  suite  à 
«  dix  »,  c'est-à-dire  à  la  seconde  main  complète,  d'où 
on  est  revenu  en  arrière  pour  exprimer  par  élimina- 
tion successive  «  neuf  »  et  «  huit  ».  Chacun  des  nombres 
successivement  développés  a  eu  tout  d'abord  le  sens 
de  «  grand  nombre,  nombre  indéfini  »  ;  nâl  «  quatre  » 
est  encore  pris  en  tamoul  dans  cette  acception. 

Ce  ne  sont  là  que  des  hypothèses  très  discutables, 
et  je  ne  les  présente  pour  ainsi  dire  que  sous  bénéfice 
d'inventaire. 

Il  est  intéressant  de  rappeler  qu'en  basque  «  neuf  » 
SQ àii bederatzi qm  s'explique  «  un  retranché»;  «huit» 


—  206  — 

est  ^ort^i  que  je  crois  être  pour  zoreratzi,  ce  qui  don- 
nerait pour  deux  la  forme  inusitée  zor,  qu'on  a  rap- 
proché de  mots  impliquant  une  idée  de  division,  p. 
ex.  so7^  «  naître  »  :  cf.  eî^di  «moitié»  et  «accoucher». 

VIII.  Les  formes  pronominales. 

Les  langues  dravidiennes  ne  sont  ni  polysynthé- 
tiques  ni  incorporantes  ;  elles  n'ont  pas  les  suffixes 
pronominaux  et  n'expriment  dans  le  verbe  que  le  pro- 
nom sujet.  Les  formes  qui  s'offrent  à  l'étude  sont  donc 
relativement  peu  nombreuses. 

Nous  n'avons  d'ailleurs  à  nous  occuper  ici  que  des 
véritables  pronoms,  ceux  de  première  et  de  seconde 
personne,  au  singulier  et  au  pluriel.  Nous  laisserons 
de  côté  certaines  formes  développées  évidemment  à 
une  époque  postérieure  et  relativement  récente,  comme 
les  pluriels  pléonastiques  qui  ont  remplacé  les  anciens 
pluriels  devenus  des  singuliers  honorifiques  ou  respec- 
tueux, la  distinction  inclusive  et  exclusive  masculine 
et  féminine  que  l'on  trouve  dans  quelques  idiomes, 
les  moins  importants  du  reste. 

Pour  établir  la  forme  primitive  générale  des  pro- 
noms, il  suffit  de  dresser  le  tableau  général  des  formes 
actuelles. 

Les  formes  isolées  des  pronoms  sont  les  suivantes 
(je  sépare  par  un  tiret  les  formes  adjectives)  : 

Première  personne  du  singulier  :  tamoul  yân, 
nân  -  en  ;  malayâla  nân  -  en  ;  télinga  nênn  -  nâ,  nan; 
canara  an,  nân -en,  nan;  kuçlagu  yan-en;  tulu 
nan  -  yen,  yanâ  ;  toda  an  -  en  ;  ko  ta  ânu  -  en  ;  gondi 


—  20?  — 

annâ  -  nâ  ;  kuî  âne  -  nâ  ;  kurukh  en  -  en  ;  malto  en, 
nân  -  en. 

Première  personne  du  pluriel  :  tamoul  yâni, 
nâm  -  em,  nam  ;  malayâla  nâm,  nom  -  em,  nam,  nom, 
nom,  nô ;  télinga  êmu,  mêmu  -  ma,  mam  mana;  ca- 
nara  âm,  âva,  nâvu  -  em,  nam  ;kuçlagu  nanga,  anga  - 
enga;  tulu  nama,  yenkulu-nam,  nama,  yenkulu; 
toda  âm,  ôm,  êm-am;  kota  âme,  nôme,  ême  -  em, 
nam;  gondî  ammât  -  ma  ;  kuî  âmu,  âju  -  ma,  ammâ; 
kurukh  âm,  nâm,  -  em,  nam  ;  malto  nâm  -  em. 

Seconde  personne  du  singulier  :  tamoul  ni  -  nin, 
nun,  un;  malayâla  m -nm;  télinga  ni,  nîvu,  ivu - 
ni,  canara  ni,  nin,  nînu-nin;  kudagu  nin  -  nin  ; 
tulu  i  -  ni,  nina  ;  toda  ni  -  nin  ;  kôta  ni  -  nin  ;  gondî 
immâ-nî;  kuî  inu  -  ni  ;  kurukh  nin -nin;  malto 
nin-nin. 

Seconde  personne  du  pluriel  :  tamoul  nîr,  nîyir, 
nivir,  nîngal-num,  um;  malayâla  ninnal  -  ninnal, 
nim  ;  télinga  mîru,  (ru  -  mim,  mî ;  canara  nîm,,  nîvu  - 
nim  ;  kudagu  ninga-ninga;  tulu  ir,  nikulu-îrê, 
nikuïu ;  toda  nîma,  nim;  kota  nima,  ntva-nim; 
gondî  îmmât  -  mî  ;  kuî  îru  -  nim  ;  kuruKh  mm  -  nim; 
malto  tiîm,  -nim. 

Dans  quelques-unes  de  ces  formes  on  retrouve  les 
dérivés  pléonastiques,  enga  par  exemple  (angal)  ;  le 
tamoul  nîngal,  pluriel  de  nîi^,  offre  cet  intérêt  qu'il  a 
gardé  le  m  primitif. 

Les  suffixes  pronominaux  sujets  sont,  dans  la  con- 
jugaison : 

Première  personne  du  singulier  :  tam.  en,  en, 


—  208  — 

an,  al;  malayâla  ên;'ié\.  nu,  ni,  vu,vi;can.  en,  an, 
ênu,  êne,  e;  kud.  i,  e,  n;  tulu  e;  toda  en,  eni,  ini  ; 
kota  e;  gondî  en,  na ;  kuî  m,  in,  e;  kurukh  an; 
malto  en,  in. 

Première  personne  du  pluriel:  tâm.  âw,  6m,  êm, 
am,  em  ;  mal.  ôm;  tél.  mu,  mi  ;  can.  ém,  nam,  âvu, 
îvu,  evu ;  kud.  a,  i,  u;  tulu  a;  toda  emi,  imi ;  kota 
ênie,  eme ;  gondî  am,  àm,  ôm;  kuî  âmu;  kurukh,  am  ; 
malto  em. 

Seconde  personne  du  singulier:  tam.  ây,  ei,  i; 
mal.  ây  ;  tél.  vu,  ci;  can.  ây ,  i,  i.  iye,  e;  kud.  iya; 
tulu  a;  toda  ?',  e;  kota  i;  gondî  /i«,  i;  gondî  rit,  ï; 
kuî  î;  kurukh  ai  ;  malto  e,  i. 

Seconde  personne  du  pluriel  :  tam.  im,  îr,  ir,  min  ; 
mal.  fr;  tél.  /'«,  ri  ;  can.  ir,  iri,  iri,  air;  kud,  ira; 
tulu  aru;  toda  ?,  e;  kota  îri,  ire;  gondî  ï7;  kuî,  eru, 
âru;  kurukh  ar ;  malto  er. 

Il  me  paraît  résulter  de  ces  tableaux  que  les  formes 
générales  étaient  nân,  nâni  -  nîn,  nîm,  mais  le  n  ini- 
tial est  certainement  euphonique  et  on  a,  comme  pri- 
mitifs, 071,  âm,  in,  im.  ' 

Quelle  est  l'origine  de  ces  pronoms?  Il  faut  certaine- 
ment la  chercher  dans  les  démonstratifs  a  éloigné  et 
i  prochain.  Ce  dernier  s'applique  naturellement  à  la 
seconde  personne  qui  est  d'observation  directe,  qu'on 
voit,  qu'on  touche,  qu'on  entend,  qui  est  l'objet  d'un 
efï'ort  ou  d'une  attention.  La  première  personne  au 
contraire  est  un  postulatum,  un  fait,  un  état,  plus  ou 
moins  vaguement  conçu  et  plutôt  représenté  par  le 
démonstratif  éloigné. 


—  209  — 

Ainsi  Irouvons-nous  encore  là  les  deux  idées  fonda- 
mentales entre  lesquelles  se  partagent  les  racdnes  pri- 
mitives :  état,  repos,  inertie- action,  mouvement, 
travail. 

Si  nous  comparons,  ce  pronom  à  ceux  des  autres  fa- 
milles linguistiques,  nous  remarquerons  qu'ils  sont 
uniquement  vocaliques,  tandis  que  par  exemple  en 
indo-européen  ils  sont  consonantiques  et  qu'en  sémi- 
tique la  première  personne  est  vocalique  et  la  seconde 
consonantique.  Ce  sont  là  des  faits  caractéristiques  et 
qui  excluent  nettement  toute  possibilité  de  parenté.  Il 
en  serait  de  même  de  certains  phénomènes  phoné- 
tiques, comme  par  exemple  de  l'aversion  du  basque 
pour  les  explosives  initiales  dures  seules  admises  au 
contraire  par  les  langues  dravidiennes  :  tandis  que 
cellam,  turpein  et  pacem  deviennent  en  basque  gela, 
dorpe  et  bake,  le  sanscrit  Ganêça  et  dantam  sont  en 
tamoul  kanêcan  et  tandam. 

IX.    Verbe  :  la  voix,  le  mode,  le  temps. 

Le  verbe  dravidien  est  généralement  pauvre  en 
formes  dérivées,  et  tout  y  montre  la  simplicité  de  la 
morphologie,  c'est-à-dire  l'antiquité  du  langage  qui  en 
est  encore  au  commencement  de  la  période  agglutina- 
tive. 

En  dehors  du  pronom,  sujet  ou  régime,  les  éléments 
de  la  dérivation  verbale,  dans  toutes  les  langues,  sont 
les  signes  des  voix,  des  modes  et  des  temps.  Les  modes 
n'existent  pas  en  dravidien  et  nous  ne  devrons  étudier 
ici  que  la  voix  et  le  temps. 

14 


—  210  — 

A.  La  voix.  —  Il  n'y  a  proprement  que  deux  voix, 
la  transitive  et  Y  intransitive ,  âtmanêpadam  et  paras- 
mâipadam,  en  tamoul  tan'vin'ei  «  action  à  soi  »  et 
pir'avin'ei  «  action  à  autre  »,  c'est-à-dire  intérieure  ou 
extérieure.  En  tamoul,  les  transitifs  sont  indiqués  par 
une  forme  forte,  l'intransitif  par  une  faible,  et  on  peut 
distinguer  trois  cas  :  1^^  cas,  renforcement  du  radical  : 
mâr'u  «changer))  (intr.)  et  mâttii  «changer»  (tr.), 
çujalu  «tourner»  (intr.)  et  çujuttu  «tourner»  (tr.)  ; 
renforcement  du  radical  secondaire  dérivé  :  tûngu 
«  dormir,  s'être  suspendu  »,  et  tûkku  «  porter,  enle- 
ver »,  vanangu  «vénérer,  s'incliner»  et  vanakku  «in- 
cliner, courber»  (or,  gu,  qui  est  d'ailleurs  le  suffixe 
du  datif  et  que  nous  retrouverons  parmi  les  signes 
temporels,  est  un  signe  d'action,  un  élément  inchoatif)  ; 
2®  cas,  renforcement  du  signe  temporel  :  varundên 
«  j'ai  soufïert  »  et  varuttên  «  j'ai  affligé,  j'ai  fait  de  la 
peine  »  ;  3®  cas,  addition  du  sufiBxe  ttu  :  padu  «  souf- 
frir», paduttu  «tourmenter».  Ici,  il  peut  y  avoir,  en 
apparence  au  moins,  confusion  avec  le  causatif ,  mais 
les  Indiens  font  cette  distinction  que  le  causatif  est 
d'ordre  moins  personnel  et  plus  général,  cf.  l'hindous- 
tani  pî  «boire»  (intr.),  pilci  «abreuver,  donner  à 
boire  »  et  pilwâ  «  faire  que  quelqu'un  boive  »>  (causa- 
tif. Le  tamoul  (tr.)  a  d'ailleurs  un  causatif  qu'il  dérive 
du  futur  :  çeyvên  «  je  ferai  »  donne  le  radical  secon- 
daire çeyvi  «  faire  faire  »  ;  les  grammairiens  tamouls 
disent  qu'un  second  causatif  peut  être  formé  du  futur 
du  premier  :  ceyvippi  «être  cause  qu'on  fait  faire». 
Dans  les  autres  idiomes  de  la  famille,  le  causatif  est 
indiqué  par  les  suffixes  i,  inçu,  içu,  qui  servent  à  for- 


—  211  — 

mer  des  radicaux  secondaires.  Le  tulu  et  le  gondi  ont 
de  nombreuses  voix  dérivées  :  causative,  intensive, 
inchoative,  etc.,  qui  paraissent  résulter  de  la  combi- 
naison d'éléments  déterminatifs  et  temporels. 

L'étude  détaillée  des  autres  langues  congénères 
confirmerait  cette  observation  que  le  transitif  est  in- 
diqué par  la  voie  forte  et  l'intransitif  par  la  faible. 

Faut-il  admettre  la  voix  négative  proposée  par  la 
plupart  des  grammairiens?  Je  ne  crois  pas,  car  ce  n'est 
pas  là  une  voix  proprement  dite.  Le  négatif  est  formé 
d'ailleurs,  soit  par  l'intercalation  d'une  particule  néga- 
tive al  ou  il ,  soit  par  l'absence  complète  de  tout  signe 
temporel.  Le  temps  négatif,  du  reste,  a  toujours  un 
sens  incertain,  aoristique,  çet/yênue  veut  pas  tant  dire 
«  je  ne  fais  pas  »  que  «  je  ne  peux  pas  faire,  je  ne  ferais 
pas,  je  ne  ferai  pas  ». 

B.  Le  temps.  —  Les  langues  dravidiennes  n'en  ont 
généralement  que  trois  :  passé,  présent  et  futur,  mais 
les  deux  derniers  sont  toujours  indéterminés,  vagues, 
imprécis  ;  le  passé  seul  marque  une  époque  nettement 
définie.  Ces  temps  sont  marqués  par  l'intercalation, 
entre  le  radical  et  la  terminaison  personnelle,  de  suf- 
fixes consonnantiques  différents. 

En  tamoul,  le  présent  est  marqué  par  gir'u,  gin'd'u, 
git't'u  (pas  de  transitifs,  les  suffixes  ont  les  formes 
dures  kkir'u,  etc.)  ;  en  malayâla,  on  a  innu,  unnu, 
kunnu  ;  en  canara,  dap  et  ut  ;  en  télinga,  tu  et  tchu  ; 
en  kudagu,  comme  en  tulu,  on  a  v,  signe  ordinaire  du 
futur  ;  en  toda,  k  et  c  ;  en  kota,  p  et  k;  en  gondi,  ton  ; 
en  kurukh,  k,  etc. 

Le  passé  se  forme  en  tamoul,  en   malayâla  et  en 


—  212  — 

canara,  par  d  (t)  ou  i  ;  en  télinga,  par  i  ;  en  tulu,  par 
i,  s  ;  en  gondi,  par  si,  ji,  t  ;  en  kota.  par  si  ;  en  toda, 
par  t,  c ;  en  kurukh,  par  d.  etc. 

Le  signe  du  futur  est  en  tamouljo,  6,  v  ;  en  canara, 
v;  en  télinga,  du;  en  toda,  où  il  se  confond  avec  le 
présent,  k  et  p;  en  gondi,  A;  en  kurukh,  on  trouve 
un  o  qui  vient  évidemment  de  v.  Mais,  en  tamoul,  si 
nous  étudions  les  vieux  classiques,  nous  trouvons  des 
formes  aoristiques  très  variées,  ex  :  g  (k),  t  (d).  git'p, 
guv,  etc. 

L'observation  de  ces  formes  conduit  à  remarquer 
que,  dans  le  verbe  dravidien,  le  passé  est  très  nette- 
ment distingué  du  présent  et  du  futur,  que  ceux-ci 
sont  SQUvent  confondus  dans  le  sens  et  dans  la  forme, 
qu'ils  ont  toujours  une  signification  plus  ou  moins 
incertaine  et  contingente,  tandis  que  le  prétérit  a  une 
signification  nette  et  précise.  Kn  rapprochant  les  formes 
futures  du  présent,  on  voit  que  les  unes  et  les  autres 
dérivent  d'une  forme  unique  en  k  ou  g,  à  laquelle  on 
a  ajouté  in'd'u  pour  le  présent  et  l'explosive  labiale 
pour  le  futur.  Je  ne  puis  expliquer  ce  rôle  des  labiales, 
mais  in'd'u  veut  dire  «  aujourd'hui,  journée,  à  pré- 
sent ». 

Il  résulte  de  ces  faits  que  le  verbe  dravidien  primi- 
tif n'avait  que  deux  formes  temporelles  :  un  passé  en 
t  (d)  ou  ï,  un  présent  aoristique  en  k,  g. 

Quelle  est  l'origine,  quelle  est  la  fonction  de  ces  dé- 
rivatives  ?  La  réponse  me  paraît  facile. 

Ui  du  passé  est  évidemment  1'?'  démonstratif  pro- 
chain qui  a  formé  aussi  le  pronom  de  la  seconde  per- 
sonne, et  qui  indique  un  objet,  un  acte  sensible,  connu, 


—  213  — 

déterminé,  défini,  tombant  sous  les  sens.  Or,  le  passé 
marque  une  action  ou  un  état  connu,  accompli,  cer- 
tain. 

L'explosive  dentale  me  paraît  être  aussi  un  élément 
déterminât! f  d'état;  il  forme  des  radicaux  transitifs, 
cf.  nada  «  marcher  >)  et  nadattu  «  conduire,  faire  mar- 
cher ))  ;  il  dérive  des  mots  de  qualité  :  cf.  kadal  «  mer  » 
et  kadatta  «  ce  qui  est  dans  la  mer  »  ou  «  il  est  dans 
la  mer  » . 

Quant  à  la  gutturale,  elle  forme  des  radicaux  impli- 
quant une  idée  de  force,  d'activité  spéciale,  de  mouve- 
ment :  cf.  tûîïgu  «  être  suspendu,  dormir»,  vanangu 
((vénérer,  s'incliner»,  todangu  ((commencer,  entre- 
prendre »  ;  c'est  le  suffixe  du  datif  ;  il  indiquerait  donc 
un  état  transitoire,  une  action  en  train  de  se  faire. 

Ainsi,  nous  retrouvons  dans  le  verbe  dravidien  cette 
dualité  qu'on  peut  constater  à  la  période  primitive  du 
langage,  alors  que  la  parole  encore  incertaine  se  pré- 
cisait par  ]e  geste.  Les  racines  qui  exprimaient  les 
sensations,  les  intuitions,  les  besoins,  se  groupaient, 
en  dehors  des  onomatopées,  en  deux  grandes  séries 
dont  la  première  exprimait  l'action,  l'activité,  l'éner- 
gie, le  mouvement,  et  la  seconde  l'état,  le  fait  acquis, 
le  repos,  l'inertie.  J'ai  eu  déjà  l'honneur  de  soumettre 
cette  observation  à  la  Société  qui  a  paru  l'accueillir 
avec  intérêt  et  bienveillance. 

Ces  détails  sont  bien  spéciaux  et  d'un  intérêt  bien 
particulier,  aussi  dois-je  m'excuser  d'avoir  retenu  trop 
longtemps  peut-être  l'attention  de  la  Société.  Mais 
j'ai  rapporté  de  l'Inde  la  terreur  du  travail  solitaire  ; 
les  Indiens  ne  considèrent  un  ouvrage  comme  défini- 


—  214  — 

tif  que  lorsqu'ils  ont  pu  le  communiquer  à  une  réu- 
nion de  savants.  Et  où  trouverait-on  en  France  une 
assemblée  plus  compétente  que  la  fSociété  Asiatique 
où  sont  réunies  toutes  les  illustrations  de  l'Orienta- 
lisme ?  Aussi  peut-on  à  bon  droit  lui  appliquer  le 
çlôka  célèbre  où  l'assemblée  est  comparée  aux  arbres 
sacrés  du  Paradis,  dont  les  Védas  sont  les  rameaux, 
dont  les  Castras  sont  les  fleurs,  et  où  se  pressent  les 
savants  comme  autant  d'abeilles  bourdonnantes  : 

Sabhâ  kallpatarum  vandê 

vêda  çâkhopajivitam 
Çâstra  pûspasamâyuktam 

vidvân  bhramarasôbhitah 

Julien  ViNSON. 


(Extrait  du  Journal  Asiatique  :  n"'  de  mai-juin  1910,  janvier- 
février  1911,  novembre-décembre  1911,  janvier-février  1912, 
mars-avril  1912,  janvier-février  1913  et  mars-avril  1913). 


BIBLIOGRAPHIE 


Hain-Teny   merinas,    par  Jean  Paulhan.  Paris,  P. 
Geuthner,  1914,  pet.  iii-8°  (iv)-460  p. 

Ce  mot  étrange,  dont  la  prononciation  est  assez 
douce  (en  français  :  aine  tégne),  se  présente  comme 
un  nom  de  femme,  et  le  lecteur  y  verrait  volontiers, 
le  titre  d'un  roman  à  la  manière  exotique,  quelque 
chose  comme  «Le  mariage  de  Loti  ».  11  n'en  est  rien; 
c'est  un  livre  de  folk-lore,  dont  l'auteur  est  un  univer- 
sitaire, un  agrégé  et  docteur  ès-lettres,  qui  a  passé 
deux  ans  à  Madagascar,  où  il  était  professeur  de  phi- 
losophie au  lycée  européen.  Nous  devons  tout  d'abord 
le  louer  d'avoir  consacré  les  rares  loisirs  que  lui 
laissaient  ses  occupations  professionnelles  à  l'étude  des 
moeurs,  des  coutumes  et  des  langues  du  pays. 

Ce  mot  hain-teny  signifie,  paraît-il,  proprement 
«  explication  des  paroles  »  ;  ce  serait  donc  en  principe 
une  sorte  de  dialogues,  de  devinettes.  Les  spécimens 
que  nous  donne  M.  Paulhan  sont  composés,  en  géné- 
ral, de  deux  parties,  dont  l'une  est  dite  par  une  femme 
et  l'autre  par  un  homme,  le  plus  souvent  sur  des 
sujets  amoureux  :  ce  sont,  en  quelque  sorte,  des  bil- 
lets doux  oraux.  Ces  morceaux  en  vers,  improvisés, 
ont  d'ailleurs  une  signification  assez  vague,  et  leur 
obscurité  est  augmentée  par  des  allusions  incertaines 
et  par  d'abondantes  citations  de  proverbes.  Ce  n'est 


—  216  — 

donc,  en  somme,  qu'un  élément  particulier  et  cir- 
constanciel du  folk-lore  ;  à  Madagascar,  comme  ail- 
leursj  il  doit  y  avoir  des  contes,  des  dictons,  des  devi- 
nettes, des  formulettes  et  des  chansons  C|ui  forment 
la  véritable  poésie  populaire. 

On  a  reproché  à  M.  Paulhan  d'avoir  donné  trop 
d'importance  aux  hain-teny,  et  d'avoir  vu  des  allu- 
sions erotiques  dans  des  endroits  où  il  n'y  en  a  pas  en 
réalité  :  mais  cette  tendance  peut  s'expliquer  par  le 
fait  c|ue  l'immoralité  est  grande  là-bas  dans  la  popu- 
lation native. 

On  a  reproché  aussi  à  M.  Paulhan  quelques  erreurs 
de  traduction.  Mais  il  n'est  pas  facile  de  rendre  exacte- 
ment le  sens  de  ces  phrases  obscures,  exprimées  dans 
une  langue  si  difEérente  de  nos  habitudes.  M.  Paulhan 
n'a  pas  séjourné  assez  longtemps  à  Madagascar  pour 
se  pénétrer  de  ces  systèmes  particuliers.  Les  langues 
agglutinantes  ne  sauraient  être  étudiées  de  la  même 
manière  que  nos  langues  classiques  ou  que  les  idiomes 
de  l'Europe  moderne.  Tout  le  monde  n'a  pas  la  bonne 
fortune  qui  m'a  été  donnée  d'être  initié  dès  l'enfance 
à  ce  système,  qui  demande  une  assez  longue  pratique. 

Sur  les  textes  publiés  par  M.  Paulhan,  je  ne  sau- 
rais faire  d'observations,  mais  je  suis  choqué  une  fois 
de  plus  par  cette  orthographe  bizarre  qu'ont  inventé 
les  missionnaires  anglicans  de  1820  et  qui  est  devenue 
officielle.  Flacourt  et  ses  contemporains  écrivaient  le 
malgache  à  la  française,  et  c'était  précis  ;  mais  la  dé- 
plorable transcription  anglaise  est,  comme  d'ordinaire, 
incompréhensible.  Pourquoi  représenter  notre  ou  par 
o  et  non  par  u,  et  pourquoi  ny  au  lieu  de  n  par  notre 


—  217  — 

gp'i  Pourquoi  écrire  Andevorante  ce  qu*on  prononce 
Andêvourantel  II  est  grand  temps  de  réagir  et  d'adop- 
ter une  orthographe  phonétique  convenable.  On  ob- 
jectera vainement  les  habitudes  ;  mais  c'est  un  peu 
comme  pour  les  changements  de  noms  de  villes  ou  de 
rues  :  le  public  s'y  accoutume  très  vite.  «  Napoléon- 
Vendée  »  et  «  Napoléonville  »  sont  très  vite  devenues 
«  La  Roche-sur- Yon  »  et  «  Pontivy  o,  et  la  rue  Vol- 
taire n'a  pas  eu  de  peine  de  s'appeler  rue  Casimir- 
Delavigne.  C'est  par  égard  pour  des  préjugés  absurdes 
qu'on  peut  lire  encore  sur  la  plaque  d'un  de  nos  plus 
beaux  boulevards  le  nom  du  préfet  Haussmann,  ce 
résumé  de  l'Empire  :  commissions  mixtes,  suppression 
des  libertés,  spéculations  éhontées.  Pour  faire  des 
choses  utiles  et  justes,  il  suffit  d'un  peu  de  volonté. 

J.  V. 

Au  moment  où  je  mets  ce  compte-rendu  sous  presse, 
on  m'envoie  de  Madagascar  la  note  suivante,  due  à  une 
personne  très  compétente. 


Réflexions  suggérées  par  la  lecture  du  livre  ((  Hain- 
Teny  Merina  ». 

Le  livre  de  M.  Paulhan  «  Hain-teny  merina  » 
appelle  de  nombreuses  observations  et  suggère  quel- 
ques critiques.  Tout  d'abord,  le  sens  dans  lequel  il  est 
composé  tend  à  faire  croire  à  des  lecteurs  non  avertis 
que  les  poésies  populaires  qui  sont  données  sous  le 
nom  de  «  Hainteny  »  constituent  une  nouveauté  et 
sont  pour  le  public  une  révélation  d'un  des  côtés  du 
génie  merina. 


—  218   - 

L'auteur  parait  s'attribuer  le  mérite  d'une  «  décou- 
verte »  dont  il  fait  grand  cas.  A  Texamen,  on  s'aper- 
çoit qu'à  part  quelques  chants  ou  poèmes  dialogues 
nouveaux,  la  plupart  des  morceaux  recueillis  avaient 
déjà  été  publiés  par  deux  personnes,  le  missionnaire 
norvégien  Dahle  en  1869  et  Rainandriamampandry,  en 
1896  le  premier,  malgachisant  incontesté  et  le  second 
qui  fut,  de  son  vivant,  apprécié  comme  un  fin  lettré 
indigène. 

Beaucoup  de  ces  morceaux  parmi  ceux  qui  sont 
inclus  dans  le  livre  de  M.  Paulhan  constituent  de 
simples  variantes  de  textes  précédents.  Sous  un  arran- 
gement nouveau,  sous  une  combinaison  différente  de 
phrases,  sous  les  adjonctions  de  mots  ou  les  change- 
ments de  noms  propres,  on  retrouve  une  notable  partie 
des  «  Hainteny  lavalava  »  de  Dahle  ou  des  «  Hainteny  » 
tout  court  de  Rainandriamampandry. 

Certes,  on  ne  peut  faire  un  reproche  à  M.  Paulhan 
d'avoir  publié  en  quelque  sorte  une  recension  nouvelle 
des  textes  antérieurs.  Mais  on  ne  saurait  trop  s'élever 
contre  le  sens  presque  exclusif  de  poésie  erotique 
qu'il  prête  à  ce  genre  de  littérature  orale.  Nous 
reviendrons  d'ailleurs  là  dessus  tout  à  l'heure. 

Ensuite,  la  division  en  huit  thèmes  principaux 
(consentement,  hésitation  des  rivales,  refus  etc.)  nous 
parait  assez  arbitraire.  Sans  doute,  l'auteur  a  voulu 
par  cette  division  du  sujet  apporter  plus  de  clarté  à  son 
exposition.  Mais  cette  analyse  —  M.  Paulhan  le  recon- 
nait  du  reste  —  n'est  pas  toujours  exacte.  Elle  offre 
le  grave  défaut  d'apparaitre  comme  un  artifice,  comme 
un  procédé. 


—  219  — 

Un  exemple  fera  mieux  ressortir  la  manière  employée 
pour  la  présentation  des  a  Hain-teny  ».  M.  Dahle  a 
donné  (Hainteny  78  page  23.  Anganoir  ny  Ntaolo)  un 
Hainteny  sur  le  «  désir  du  retour  au  pays  ».  M.  Paulhan 
reproduit  les  mêmes  phrases  (pages  214  —  VIII)  mais 
il  les  présente  avec  un  autre  sens  ;  il  développe,  lui,  le 
thème  de  l'inconstance  amoureuse.  Il  lui  suffit  simple- 
ment de  substituer  le  nom  d'une  femme  a  Ratiakono- 
honiolona  (la  Très  Désirée)  aux  noms  propres  de  Ikaky 
et  de  Ineny  qui,  dans  Dahle,  sont  le  père  et  la  mère  de 
ce  fils  à  qui  l'exil  pèse. 

Nous  ne  contestons  pas  l'exactitude  des  sources  aux- 
quelles l'auteur  a  puisé.  Mais  si  on  peut  admettre  que, 
parfois,  certains  «  Hainteny  »  sont  en  quelques  sorte 
des  récitatifs  usités  comme  préliminaires  de  l'amour 
dans  une  certaine  classe  de  la  société,  nous  pensons 
aussi  qu'il  faut  se  garder  des  généralisations  hâtives 
et  éviter  de  dire  avec  l'auteur  que  le  hain-teny  est 
essentiellement  une  poésie  légère,  erotique.  Sans 
doute  M.  Paulhan  exprime  une  conviction  basée  sur 
son  interprétation  des  textes.  Qui  nous  assure  que 
son  interprétation  est  rigoureusement  exacte  ?  Nous 
eussions  préféré  le  voir  arriver  à  cette  conclusion  par 
une  étude  très  serrée  de  textes  des  Dahle  et  une  cri- 
tique historique  qui  pouvaient  alors  permettre  de  déga- 
ger la  vérité. 

Dans  un  article  soigneusement  composé  et  très  docu- 
menté, un  malgachisant  des  plus  réputés,  M.  Sibree, 
(voir  Revue  Antananarivo  Annual  Vol.  IX  l""®  partie 
pp.  32-38)  s'est  longuement  étendu  sur  les  «  Hain-teny  » 
il  en  a,  d'ailleurs,  traduit  un  certain  nombre.  M.  Sibree 


—  220  — 

définit  les  Hain-teny  a  un  art  oratoire  fleuri  et  une 
manière  de  parler  imagée  ordinairement  en  usage  dans 
l'allégorie.  Comme  beaucoup  de  peuples  à  l'imagi- 
nation vive  et  qui  n'ont  pas  de  littérature,  ajoute-t-il, 
les  Malgaches  sont  des  orateurs  loquaces  et  nombre 
d'entre  eux  montrent  une  grande  facilité  d'élocution. 
Leur  langage  est  d'une  sonorité  agréable  et  musicale  ; 
il  est  abondant  en  voyelles  et  en  consonnes  liquides  ;  il 
est  exempt  de  sons  gutturaux.  Leur  esprit  particulier 
les  porte  à  enjoliver  leur  langage  ordinaire  qui  est 
agrémenté  de  proverbes  et  de  comparaisons.  Dans 
leurs  discours  publics,  on  trouve  en  abondance  les  allé- 
gories, les  fables,  les  figures,  qui  leur  sont  inspirées 
par  la  nature.  »  M.  Sibree  reconnaît  que  leur  sens  est 
quelquefois  difficile  à  pénétrer.  «  Certains  points  sont 
quelque  peu  obscurs,  dit-il,  pour  ceux  qui  n'ont  pas 
la  connaissance  des  coutumes  et  des  usages  à  Mada- 
gascar. Quelques-unes  de  ces  a  fleurs  de  rhétorique  » 
—  les  plus  courtes  —  sont  sentencieuses  et  ont  la  forme 
de  proverbes.  D'autres  se  présentent  sous  la  forme 
d'une  conversation  entre  des  personnes  imaginaires 
dont  les  noms  servent  de  clefs  pour  la  connaissance 
des  sentiments  qu'ils  expriment.  Le  langage  les  con- 
duit rapidement  à  ces  inventions  de  noms.  Une  demi- 
douzaine  de  préfixes  différents  joints  à  des  mots  ou  à 
de  courtes  sentences  sont  transformés  en  noms  propres, 
chacun  approprié  aux  orateurs,  hommes  ou  femmes, 
jeunes  ou  vieux.  Des  allusions  très  fréquentes  sont 
faites  à  la  fidélité,  à  l'amitié,  ce  qui  est  un  trait  du 
caractère  malgache,  comme  le  montre  la  pratique  de 
la  fraternisation  pai-   le   sang.  »  Ailleurs,  M.  Sibree 


—  221  — 

déclare  que  «  dans  la  philosophie  malgache  comme 
dans  celle  de  toutes  les  nations  il  est  souvent  fait 
mention  de  la  vie,  de  sa  brièveté  et,  en  l'absence  de  la 
certitude  d'une  vie  future,  on  trouve  exprimé  un 
sentiment  quelque  peu  semblable  au  vieil  adage  païen  : 
«  Laissez-nous  boire  et  manger  car  demain  nous 
allons  mourir  ». 

Au  fond,  il  est  bien  évident  que  le  «  Haînteny  » 
peut  être  introduit  dans  toutes  sortes  de  discours. 
Mais  où  M.  Paulhan  va  trop  loin,  c'est  lorsqu'il  affirme 
que  l'emploi  des  Hainteny  a  lieu  jusque  dans  des  dis- 
cussions d'ordre  commercial.  Ceci  est  absolument  in- 
exact. Le  «  Hainteny  »  peut  être  un  madrigal;  il  peut 
être  un  jeu,  une  joute  d'éloquence.  Nous  savons  que 
c'est  de  Fart  oratoire.  Mais  il  ne  peut  pas  se  substituer 
aux  arguments  d'une  discussion  d'intérêt,  à  moins  de 
supposer  —  ô  prodige  —  que  le  mercantilisme  hova 
produit  des  rêveurs  qui  ont  l'âme  poétique  d'un 
Ragueneau  et  savent,  comme  lui,  tourner  un  sonnet, 
lancer  une  épigramme,  ou  composer  un  poème.  Mada- 
gascar serait  alors,  au  delà  des  tropiques,  le  pays  du 
félibrige  ou  fleuriraient  encore  les  cours  d'amour. 

A  rencontre  de  M.  Dahie  et  de  Rainandria- 
mampandry  qui  ont  mis  en  prose  la  plupart  des  Hain- 
teny qu'ils  ont  recueillisy  M.  Paulhan  donne  aux  siens 
la  forme  de  vers.  Il  s'en  explique  d'ailleurs.  Je  ne  sais 
pas  si  la  forme  des  vers  répond  bien  à  l'idée  que  le 
peuple  malgache  se  fait  des  Hainteny.  Il  y  a  évidem- 
ment un  certain  rythme,  une  certaine  cadence  dans 
quelques  morceaux.  Mais  la  coupe  du  vers  qu'adopte 
M.  Paulhan  est  arbitraire.  Il  divise  ses  couplets  au 


—  222  — 

petit  bonheur  et  il  donne  à  ses  vers  une  longueur  va- 
riable, sans  que  cela  corresponde  non  pas  même  à  une 
métrique  complètement  ignorée  des  Merina,  mais  à  une 
tournure  de  l'esprit  indigène. 

Avant  d'aborder  les  textes  et  leur  traduction  nous 
voulons  dire  un  mot  d'une  inexactitude  que  nous  avons 
relevée  à  la  page  7  du  volume. 

Il  s'agit  d'une  coutume  malgache  que  rappelle  en 
ces  termes  M.  Paulhan  :  a  La  vie  du  merina,  dit-il, 
quand  il  n'a  pas  encore  subi  l'influence  européenne,  est 
entourée  de  fady.  Une  seule  pièce  dans  sa  maison  de 
briques  crues  ou  de  bois  contient  le  foyer,  le  lit, ...  et 
le  poteau  du  centre  auf{uel  est  attaché  le  veau. . .  » 

L'auteur  s'est  étrangement  trompé  :  jamais  le  poteau 
du  centre  n'a  servi  à  attacher  les  jeunes  veaux.  Ce 
poteau  est,  en  effet,  sacré  (màsina);  c'est  là  que  Ton 
place  le  foyer  (fàtana)  ;  au  nord  du  foyer  est  la 
place  des  ancêtres.  La  distinction  est  capitale  :  l'endroit 
qui  sert  à  attacher  les  veaux  dans  la  maison  est  le 
poteau  du  sud.  A  côté  et  à  l'est  de  ce  poteau  se  trou- 
vait lejisôko  ou  parc  des  volailles!  La  tradition  indi- 
gène rapportée  notamment  dans  le  Tantana  ny 
Andriana  et  dans  un  article  de  M.  Tully  (Notes. 
Reconnaiss  et  Explorations.^  tome  IV,  p.  913)  est  très 
explicite  à  cet  égard.  «  Le  poteau  du  milieu  ne  s'appuie 
sur  rien,  mais  les  gens  s'appuient  contre  lui;  d'où  le 
proverbe  :  celui  qui  s'appuie  contre  le  poteau  du  milieu 
de  la  maison  est  né  sous  une  bonne  étoile  et  aura 
de  la  chance,  car  le  poteau  du  milieu  est  sacré.  » 

Ceci  dit,  nous  présenterons  les  observations  sui- 


—  223  — 
vantes    sur    la    traduction   du   texte  indigène   :   les 

Vers  7  et  8  —  I  : 

Hitsidika  aho  manan'  ila 
Hiloetra  aho  menatr'olona 

sont  traduits  : 

Irai-je  visiter?  J'ai  une  femme. 
Si  je  reste  ici,  j'aurai  honte. 

Le  sens  n'est  pas  exactement  exprimé.  D'abord  il 
n'y  a  pas  d'interrogation  dans  la  phrase  malgache.  La 
traduction  est  exactement  celle-ci  : 

J'irai  faire  une  courte  visite,  (mais)  j'ai  une  femme; 
Si  je  reste,  je  suis  humilié 

m.  Vers  2  et  3. 

•  Miova  colo  ynatoa  misy  zaza  misioka, 

On  traduit  :  «  Il  suffit  qu'un  enfant  siffle  pour  qu'il 
change  de  couleur.  » 

Exactement  la  traduction  est  : 

Il  (le  caméléon)  change  de  couleur 

Si  par  hasard  il  y  a  un  enfant  qui  siffle. 

Tsy  satrim-parihy  hitera-potaka. 

M.  Paulhan  dit  :  Le  lac  ne  voulait  pas  engendrer 
la  boue.  On  ne  comprend  pas  bien  le  sens  ainsi.  A 
traduire  trop  littéralement  on  risque  en  efîet  l'obscu- 
rité. Une  meilleure  traduction  aurait  été  : 

C'est  naturellement  qu'un  lac  produit  de  la  vase. 


224 


VI.  —  1  —  5. 

Raiko  aza  Ramasoq,ndro 
Reniko  aza  Ravolana 
Vahoakako  aza  ny  Kintana 
Basiko  aza  ny  varatra 
Hianao  no  vazo  tiako 

Le  traducteur  écrit  : 

Même  si  le  soleil  était  mon  père 
■  Et  la  lune  ma  mère 

Et  les  étoiles  mon  peuple. 

Et  la  foudre  mon  fusil 

Vous  resterez  la  fille  que  j'aime. 

Ces  vers  expriment  un  désir,  un  souhait.  Dahle  qui 
a  reproduit  les  mêmes  phrases,  sauf  le  dernier  vers 
intitule  le  récit  :  Méditations  lointaines. 

VII.  —  25  26. 

Une  erreur  de  traduction  doit  être  relevée  dans  : 

Ka  hotohinina  vao  mianavaratra 
Tsipazam-bay  vao  mivoaka. 

Ce  n'est  pas  : 

Qui  aille  vers  le  nord  si  on  le  pousse 
Et   qui    sorte    si    on   lui    jette   du    riz   (il  s'agit 
d'un  poulet). 


Mais 


Qui  ne  va  au  nord  que  si  on  le  pousse- 
Et  qui  ne  sort  que  si  on  lui  jette  du  riz 


—  22b  — 

VII.  —  50  52. 

La  traduction  suivante  est  un  contre  sens  : 

u  Vous  désirerais-je  si  vous  n'étiez  pas  une  femme  qui 
n'est  pas  honteuse  ?  Mais  si  je  me  tenais  debout  ici  et  que 
vous  n'ayez  pas  honte,  n'est-ce  pas  moi  qui  serai  honteux 
devant  les  hommes  comme  moi  ?  » 

Le  texte  dit: 

Vehivavy  tsy  menatra  ka  ilaina  f  Ary  na  izaho  mijoro- 
ety  aza,  Tsy  mha  menatry  ny  lehilahy  tahaka  ahy  ? 

Le  sens  exact  est  au  contraire  celui-ci  : 

Si  vous  étiez  une  femme  sans  pudeur  vous  désirerai-je  ? 
Et  si  moi-même,  je  me  tenais  debout  ici  (sous  entendu  pour 
triompher  de  vos  scrupules)  ne  rougiriez-vous  pas  d'un 
homme  comme  moi  ? 

Un  contre  sens  absolu  est  encore  remarqué  dans  la 
phrase  suivante  : 

VU  —  72  73. 

Ka  mainka  fa  hianao  olombelona 
Tsy  maninon  tsy  maninona  itsy 

Qui  est  traduite  : 

Et  vous  devez  bien  plus  la  connaître  (la  honte)  vous, 

personne. 

Qui  n'aoez  fait  ni  ceci  ni  cela. 

Le  sens  est  : 

A  plus  forte  raison  devez-vous  la  connaître,  vous,  être 
vivant,  qui  êtes  saine  et  sauve  là-bas. 

J'observe  aussi  que  kitay  hazo  est  traduit  par  brous- 
sailles sèches,  alors  que  ces  mots  signifient  :  bois  de 
chauffage. 

15 


—  226  — 

Page  116.  (Thème  du  consentement)  l'auteur  donne  à  la 
femme  désirée  le  nom  de  :  Ratiakohovangaina  qu'il  traduit 
par  l'expression  :  «  Celle  que  je  veux  acheter.  »  Il  nous  parait 
qu'ici  il  y  a  une  métathèse  de  voyelles,  accident  phonétique 
assez  fréquent  dans  les  langues  agglutinantes.  Il  faut  donc 
lire  :  Vangiana  au  lieu  de  Vangaina.  Le  sens  est  alors  : 
«  Celle  que  je  veux  visiter,  Vanga  »  (commerce,  négoce)  est,  en 
effet,  d'abord  un  mot  peu  usité  surtout  dans  la  forme  van- 
gaina. En  outre,  il  suflBt  de  lire  ce  qui  suit  immédiatement  : 
Tsy  namangiako  auao  fahireny .  . .  Si  je  ne  vous  ai  pas  rendu 
visite  jadis,  c'est  que...»  pour  comprendre  [que  le  nom  se 
rattache  surtout  non  pas  à  une  idée,  l'achat  de  la  femme,  qui 
n'est  pas  dans  les  mœurs  malgaches,  mais  bien  à  la  pensée 
de  la  visite,  de  la  vue  fréquente  de  la  femme. 

A  relever  encore  page  172,  vers  10,  cette  traduc- 
tion défectueuse  : 

Mais  l'esprit  pour  vous  avoir  n'est  pas  en  moi. 
(la  ny  saiko  hanana  anao  no  tsy  misy) 

C'est  évidemment  la  traduction  littérale  ;  mais  le 
sens  est  celui-ci  : 

Mais  je  n'ai  pas  l'esprit  à  m'occuper  de  vous. 

VI.  vers  3.  : 

Ka  inona  ny  hevitrao  V  est  traduit  pour  :  Et  quel  est  votre 
souci  ?  Hevitrao  n'a  jamais  signifié  :  souci.  Il  veut  dire  la 
pensée  (Et  quelle  est  votre  pensée  ?) 

En  résumé,  s'il  faut  savoir  gré  à  M.  Paulhan  d'avoir 
pris  la  peine  de  traduire  quelques  hainteny  souvent 
assez  délicats  de  pensée,  et  d'avoir  essayé  de  donner 
une  interprétation  très  personnelle  de  ces  poésies,  il 
faut  reconnaître  que  la  traduction  trop  littérale,  pêche 


—  227  — 

quelquefois  par  l'exactitude  et  n'est  pas  aussi  claire, 
aussi  compréhensive  qu'il  le  faudrait. 

Répétons  encore  ici  que  l'interprétation  donnée  par 
l'auteur  à  ce  genre  de  littérature,  n'a  pas  en  général,  et 
sauf  exception,  le  sens  erotique  qu'il  lui  attribue. 
Les  mots  à  double  sens,  les  jeux  de  mots  existent  en 
grand  nombre  dans  la  langue  malgache.  Leur  emploi 
dépend  des  individus  et  des  circonstances. 

Dans  le  monde  de  la  galanterie,  il  est  possible  certes, 
qu'on  discoure,  qu'on  a  combatte  en  proverbes  »  et 
qu'on  se  serve  pour  cela  de  certains  hainteny,  habi- 
lement détournés  de  leur  sens  originel.  Mais  il  est 
nécessaire  d'en  bien  délimiter  l'usage.  Des  récitations 
de  ce  genre  ne  sont  pas  aussi  spontanées  qu'on  veut  bien 
le  laisser  entendre.  Elles  sont  du  domaine  des  profes- 
sionnels de  la  parole,  des  chanteurs  ambulants,  (impi- 
lalao)  et  aussi  des  vieillards  rompus  aux  luttes  d'élo- 
quence et  aux  «  kabany  »  dits  par  eux  sur  le  «  Kianja  » 
(place  publique  du  village)  en  présence  d'une  foule  qui 
aime  le  bruit,  les  spectacles,  les  jeux,  les  danses  et 
aussi  la  musique  des  paroles. 

L'âme  orientale  du  merina  ne  se  laisse  pas  facilement 
pénétrer  par  des  étrangers  et  il  faut  un  long  séjour 
parmi  ces  indigènes,  une  connaissance  approfondie  de 
leur  langue,  de  leurs  mœurs,  de  leur  religion,  et  de 
leur  histoire  pour  éviter  les  chances  d'erreur  dans 
l'analyse  des  sentiments  intimes  de  ce  peuple  et  dans 
l'appréciation  de  son  folk-lore. 


VARIA 


I.  Les  noms  de  famille. 

Je  ne  crois  pas  que  personne  ait  encore  fait  une  étude  générale 
du  nom  de  famille  français,  —  j'entends  d'origine  romaine,  —  à 
l'exclusion  des  noms  étranj^ers,  flamands,  anglais,  bretons,  basque, 
allemands  et  autres.  Il  y  aurait  là  de  très  intéressants  détails  à 
relever,  tant  dans  la  signification  des  noms  que  dans  la  variété 
de  leur  forme.  On  devrait  d'abord  distinguer  les  terminaisons 
caractéristiques  de  certaines  provinces  :  «  ville  »  en  Normandie, 
«  cour»  en  Vendée  et  dans  le  Poitou,  «  ac  »  en  Gascogne,  a  oz  »  et 
«  od  »  dans  la  Franche-Comté,  par  exemple.  Rappelons  à  ce  pro- 
pos que  les  finales  locales  normandes  «  bœuf  »  et  «  fleur  »  sont  des 
altérations  du  nordique  abod»  et  «fjoerd».  On  aurait  ensuite 
les  catégories  des  noms  de  professions  :  Fabre  (Faure,  Fèvre, 
etc.),  Leboucher,  Pasteur  ;  —  noms  topographiques  :  Dûment, 
Delahaye,  Valcour,  Ruel  ;  —  noms  d'animaux  ou  de  végétaux  : 
Lasne,  Bœuf,  Chapon,  Mouton,  Chesneau,  Delorme,  Malesherbes, 
Poirier  ;  —  les  adjectifs  indiquent  les  qualités  ou  les  défauts  : 
Lebon,  Legrand,  Gras,  Nègre,  Verd,  Prompt,  Tardif  (Tardieu, 
Tardiveau,  Tardivel,  Tardivon)  ;  —  du  prénom  :  Henry,  Jacques, 
Depaul,  Martinet;  — enfin,  des  surnoms  ou  des  sobriquets  plus 
ou  moins  bizarres  :  Arrachequesne,  Alhéritière,  Beau  ventre.  Cra- 
quelin, Donnadieu,  Desfemmes,  Espérandieu,  Boisneuf,  Aimela- 
fllle,  Gâtesoupe,  Heurtebise,  Malvetu,  Mangematin,  Ombredanne, 
Painlevé,  Tuvache,  Vireloque,  etc.  On  en  trouverait  un  grand 
nombre  en  dépouillant  les  registres  de  l'état-civil,  les  Annuaires 
départementaux,  les  actes  des  notaires,  etc. 

Mon  propre  nom,  Vinson,  varie  en  Vinçon,  Vinchon,   Vin- 
çonneau,  pourrait,   ainsi   que  Vinoens,   Vincent,    Vincendeau, 


~  229  — 

Vincendon,  se  rattacher  au  latin  vimen.  Il  signifierait  donc  quel- 
que chose  comme  «oseraie  »;  il  paraît  spécial  à  la  Saintonge  et 
aux  régions  avoisinantes.  Il  s'accorde  fort  bien,  en  tout  cas,  avec 
le  lieudit  Fontorbière,  que  mon  ancêtre  Guillaume,  anobli  en  1649 
à  An^oulême  par  l'échevinat,  ajouta  à  son  nom  patronymique  : 
ce  lieudit,  qui  indiquait  une  fontaine  dans  la  périphérie  de  la 
ville,  a  disparu;  l'endroit  dont  il  s'agissait  a  été  absorbé  dans  les 

remparts. 

J.  V. 

II.  Richelieu  et  la  langue  basque 

J'ai  publié  sous  ce  titre,  en  1873,  dans  un  journal  de  Bayonne, 
quelques  phrases  basques  du  Livre  du  procès  du  malheureux 
Chalais,  décapité  en  1626.  Ces  phrases  faisaient  partie  d'une  cor- 
respondance échangée  entre  les  deux  frères  Jean  et  Martin  de 
Seinitz,  valets  de  chambre  de  Chalais  et  de  sa  mère.  Les  pre- 
mières lignes  sont  ainsi  conçues  :  Anaya,  igorico  daranat  goutum 
bat  jaunac  eman,  baytaram  fjalecody  Gotaxco  baten  bare  nean 
ezta  eman  behar  dioc  jaunac  maite  duen  endreary  a  dixen  ezpa- 
limbadu  andreorq  haxa  duc  edo  Pierres  hauensen  hararena, 
duc  ».  Ce  passage  est  ainsi  traduit,  par  un  certain  Etienne  de 
Fosses,  de  Bayonne  :  «  Frère,  je  t'envoie  une  Lettre  que  mon 
Maistre  m'a  donné  à  ce  soir.  Il  y  a  assez  de  vœux  là  dedans,  et  il 
faut  que  tu  la  donnes  à  la  Dame  que  Monsieur  aime.  Si  cette 
Dame  ne  lentend  pas,  tu  as  hastê  ou  bien  Pierre (Sic.)  » 

La  restitution  du  texte  basque  est  assez  facile,  sauf  pour  les 
mots  en  italique. 

De  Fosses  a  lu  «  bottu  asco  haren  barrenean  »,  ce  qui  ne  donne 
qu'un  sens  incompréhensible.  J'avais  préféré  lire  «botaxco  baten  », 
ce  qui  voulait  dire  a  dans  une  petite  boîte  »  et  paraissait  beau- 
coup plus  plausible.  De  Fosses  avait  fait,  d'ailleurs,  une  autre 
erreur  de  traduction  ;  le  texte  porte  «  je  t'enverrai  »  et  non  «  je 
j'envoie  ». 

M.  l'abbé  J.-B.  Daranatz,  l'éminent  secrétaire  de  l'évêîhé  de 
Bayonne,  propose  aujourd'hui,  pour  ces  mots  et  ceux  qui  pré- 
cèdent, la  lecture  «  galcerdi  cetazco  baten,  etc.  »,  ce  qui  donne- 


—  230  — 

rait  «  dans  un  bas  de  soie  ».  L'idée  est  ingénieu«e,  quoiqu'il  ré- 
pugne un  peu  de  voir  mettre  une  lettre  d'amour  dans  un  bas  qui 
a  été  porté,  mais  ce  peut  être  précisément  une  ruse  de  domes- 
tique pour  dépister  la  surveillance  et  dérouter  les  recherches. 

L'autre  passage  demeure  inintelligible,  mais,  en  y  réfléchis- 
sant, je  crois  en  avoir  trouvé  l'explication  sans  pouvoir  rétablir 
le  texte  exact.  Pourquoi  M°"  de  Cbevreuse  n'aurait-elle  pas  com- 
pris une  lettre  évidemment  écrite  en  bon  français  ?  C'est  probable- 
ment parce  qu'elle  devait  être  écrite  par  un  de  ces  procédés  cryp- 
togiaphiques  alors  fort  en  usage.  La  phrase  incertaine  devait 
donc  être  quelque  chose  comme  :  «  si  cette  dame  ne  l'entend  pasi 
—  si  elle  n'a  pas  le  secret,  la  clef,  la  grille,  —  tu  as  la  tienne  ou 
celle  de  Pierre  ».  Mais  que  peut  être  haxa  dans  ce  sens  ? 

J.  V. 

III.  Mots  nouveaux  :  Poilu,  Bonhomme,  Boche. 

L'argot  militaire  s'est  augmenté,  dans  la  guerre  actuelle,  des 
trois  mots  ci-dessus  ;  les  deux  premiers  signifient  «  soldat  »  ; 
mais  tandis  que  poilu  est  d'usage  général,  bonhomme  est  em- 
ployé particulièrement  dans  nos  provinces  de  l'ouest,  où  son 
pluriel  n'est  pas  «  bonshommes  »,  rnais  «  bonhommes  ». 

Quant  à  boche,  il  a  tout  à  fait  remplacé  «allemand»,  et  on 
s'est  demandé  quel  pourrait  être  son  origine.  Les  journalistes, 
qui  ne  reculent  devant  rien,  ont  proposé  les  étymologies  les  plus 
fantaisistes  ;  l'une  des  moins  invraisemblables  fait  de  boche  une 
adaptation  de  Deutsch,  qu'on  prononce  à  peu  près  «  doïtche  ». 
Mais  on  s'accorde  généralement  pour  y  voir  une-  abréviation  de 
caboche  dans  le  sens  «de  mauvaise  tête,  tête  dure».  Cette  éty- 
mologie  ne  me  paraît  pas  satisfaisante.  En  effet,  si  nous  retran- 
chons quelquefois  la  première  syllabe  de  certains  mots,  c'est 
parce  que  la  seconde  commence  par  une  lettre  dure,  ce  qui 
n'est  pas  ici  le  cas.  Caboche  vient  de  cap  «  tête  »,  qui  s'emploie 
dans  l'expression:  «de  pied  en  cap».  Dans  des  noms  propres 
comme  Capdeville  et  Capdebosc,  et  dans  des  dérivés  comme 
cape,  capuche,  capuchon,  caporal,  etc.  ;  le  6  de  caboche  a  été 
évidemment  attiré  par  l'o  labial  ;  cette  mutation  est  normale  en 


—  231  — 

espagnol  :  cabo,  cabeza,  cabecilla.  La  terminaison  oche  est  plutôt 
un  diminutif  qu'un  péjoratif  :  mioche  «  de  mion  »,  fantoche, 
gavroche,  bamboche,  clodoche,  etc.  Caboche,  du  reste,  s'accom- 
pagne presque  toujours  d'un  qualificatif  ou  d'un  adjectif  possessif. 

Mais  pour  condamner  l'hypothèse  proposée,  il  suffit  de  remar- 
quer qu'avant  de  dire  :  boche,  on  a  dit  alboche,  et  je  crois  que 
ce  dernier  mot  vient  tout  simplement  d'allemand.  On  prononce 
habituellement  alman;  par  dérision,  quelqu'un  aura  dit  almoche 
ou  le  m  se  sera  changé  en  b  sous  l'influence  de  l'o,  puis  la  syl- 
labe al  sera  tombée,  parce  que  nous  avons  une  tendance  à  la  con- 
fondre avec  l'article  arabe  que  nous  supprimons  dans  un  grand 
nombre  de  mots,  par  exemple  dans  magasin  (espagnol  almacen). 

A  côté  du  mot  allemand,  nous  avons  les  synonymes  germain, 
germanique,  gothique,  tudesque,  teuton.  Les  Anglais  disent  ger- 
main, les  Italiens  tedesco,  les  Russes  niemet/  (adopté  par  les 
Hongrois).  Les  Allemands  s'appellent  eux-mêmes  Deutsch,  et 
cette  appellation  s'altère  dans  les  patois  ;  on  trouve  dans  l'arron- 
dissement de  Briey,  en  Lorraine,  deux  communes  dont  les  noms 
caractéristiques  sont  :  Audun  le  Roman  et  Audun  le  Tiche,  qui 
indiquent  nettement  la  séparation  des  deux  langues,  française 
et  allemande. 

'  Outre  ces  appellations,  chaque  peuple  a  des  expressions  dé- 
daigneuses ou  satyriques  ;  les  Hollandais,  par  exemple,  quali- 
fient les  Allemands  de  «  moffes  »  (manchon),  parce  que  les 
Allemands  avaient  toujours  leurs  mains  dans  des  manchons,  et 
on  cite  ce  proverbe  du  XVII°  siècle  : 

«  Indien  de  Mof  is  arm  énd'  kael 

»  vSo  speeckt  hij  zeer  bescheyden  tael 

»  Dag  als  hij  compt  tôt  grooten  stael 

»  So  doest  hij  God  en  menschen  quaedt  !  » 

Traduction  : 
«  Quand  le  Boche  est  pauvre  et  nu, 
»  Il  parle  un  langage  très  mesuré; 
))  Mais  quand  il  arrive  à  une  situation  élevée, 
»  Alors  il  fait  du  mal  à  Dieu  et  aux  hommes  ». 

P. -S.  —  Bonhomme  s'explique  de  lui-même;  quant  à  Pot'/ît, 


—  232  — 

le  Bulletin  des  Armées  nous  apprend  son  origine.  Il  a  été  em- 
ployé pour  la  première  fois  par  Balzac  avec  son  sens  actuel  de 
«  brave,  courageux,  énergique  ».  On  dit  depuis  longtemps  qu'un 
paresseux  a  un  poil  dans  la  main,  et  un  médecin  militaire  a 
qualifié  A'hijpertrlchose  palmaire  les  maladies  hypothétiques 
dont  se  plaignent  parfois  les  soldats. 

Poilu  signifie  proprement  «  qui  a  du  poil  »  ;  mais  il  ne  s'agit 
pas  de  la  barbe  ou  des  moustaches,  comme  dans  l'expression  :  un 
brave  à  trois  poils. 

Un  érudit  Catalan  a  trouvé  dans  l'histoire  de  son  pays  qu'un 
certain  comte  Joffre,  qui  avait  combattu  les  ennemis  venus  d'Es- 
pagne, avait  été  surnommé  «  le  poilu  »  ;  un  autre  membre  de  la 
même  famille  avait  pour  devise  :  «  J'offre  mon  sang  à  la  Patrie  », 
mais  je  crois  qu'un  autre  surnom  conviendrait  mieux  à  notre 
Général  en  Chef,  celui  que  l'histoire  donne  au  dictateur  qui 
sauva  Rome,  celui  de  Cunctator,  c'est-à-dire  le  sage,  le  prudent, 
l'organisateur  patient  et  méthodique,  le  chef  qui  observe  et  attend 
l'heure,  le  général  sûr  de  sa  victoire  parce  qu'il  ne  s'est  pas  sou- 
mis aux  contingences,  mais  qu'il  a  su  dominer  les  hommes,  les 
événements  et  les  choses. 


l'a 


A  nos  Lecteurs 


La  Revue  de  Linguistique,  comme  la  plupart  des 
Revues  françaises  a  dû  interrompre  sa  publication, 
par  suite  des  événements  ;  la  mobilisation  des  ou- 
vriers, les  soucis  personnels,  les  préoccupations  pa- 
triotiques, ont  causé  un  retard  considérable  que  nos 
lecteurs  voudront  bien  excuser. 

La  Revue  aura  eu  cette  mauvaise  fortune  de  voir  sa 
publication  arrêtée  deux  fois  en  1870  et  en  1914  par 
la  guerre,  ennemie  impitoyable  des  lettres  et  des 
sciences  ;  puisse  bientôt  la  paix,  basée  sur  la  victoire 
du  bon  droit,  permettre  la  fécondité  du  travail,  le  dé- 
veloppement de  la  science  et  le  règne  définitif  de  la 
justice. 

Mais,  qui  nous  consolera  de  tant  d'affections  per- 
dues, de  tant  de  ruines  accumulées  et  de  toute  cette 
belle  jeunesse  stupidement  sacrifiée  par  la  folie  d'un 
peuple  entier,  ivre  de  mysticisme  et  d'esprit  militaire, 
par  l'ambition  démesurée,  par  l'incommensurable  or- 

gueuil  d'un  despote? 

J.  V. 

Paris,  22  Mars  1915. 


TABLE  DU  TOME  QUARANTE-SEPTIÈME 


I.  -  SUJETS 

Le  mot  Ibère  «Aredc  »,  par  Julien  Vinson 1 

Les  lois  malgaches  et  le  Pentateuque,  par  S.  Ferrarès  . .  3 
Die  Indo-Germanischen  Lehnworter  im  Georgischen  (suite 

et  fin),  par  le  D' Kluge 31 

Les  mots  arabes  et  hispano-morisques  du  «  Don  Quichotte  » 

(suite),  par  Paul  Ravaisse 42,  162 

Noms  de  nombre  en  turc  et  en  samoyède  (suite  et  fin),  par 

A.  Decourdemanche 65 

L'Inde  dravidienne,  observations  à  propos  de  deux  publi- 
cations récentes,  par  Julien  Vinson 85 

Le  problème  épigraphique  de  la  Nouvelle-Calédonie,  par 

Marius  Archambault 100 

Nécrologie.  —  A.  Durand 112 

Le  mot  «  Pagode  »,  par  Julien  Vinson    . ._. 129 

Une  lettre  sur  l'Adriatique,  par  H.  Bourgeois 133 

L'aspiration  en  basque,  par  Julien  Vinson 151 

Etudes  dravidiennes,  par  Julien  Vinson 176 

Varia.  I.  La  géographie  en  musique 63 

—  II.  Les  romanciers  et  la  couleur  locale 63 

—  Madame  de  Talleyrand,  princesse  de  Bénévent  . .  121 

—  I.  Les  noms  de  famille  — 228 

—  II.  Richelieu  et  la  langue  basque ,  229 

'-      III.  Mots  nouveaux  ;  Poilu,  Bonhomme,  Boche  .  230 


—  235  — 


II.  -  BIBLIOGRAPHIES 

K.-P.    SoLOETA  DiMA.   CoTijugacioTi   sintética  del  verbo 

basko 57 

E.-S.  DoDGsoN.  The  Guipuskoan  Verb  of  the  catechism 

of  1713 60 

Journal  et  Missions  de  la  Société  Finno-Ougriene,  tome 

XXVIII  et  XXX 61 

The  108")  report  of  the  British  and  Foreign  Bible  Society        62 
Caldwell.   Comparative  gramm.  2' édition.  —  Jouveau- 
DuBREUiL.  Thèses  pour  le  doctorat  d'Uriannick  (Pagode 

du  Sud  de  l'Inde) 89 

Government  of  Madras-Annual  report  on  Archeology. . . .  116 
J.-M.  Nallaswamipillay.  Studies  on  Saiva  Siddhanta . .  117 
Les  puhlicutione  tamoules  d'Anavaradacinâyagam  poulie  117 
Jean  Paulhan.  Hain-Teny  merinas 215 

III.  —  LANGUES  ÉTUDIÉES 

Linguistique  générale 62,  133 

Tamoul 85.89,116,117,129,176 

Ougro-finnois 61 ,  65 

Ibère 1 

Basque 57,  60,  151,  229 

Géorgien 31 

Malgache 3,  215 

Maléopolynésien 100 

Hébreu 3 

Arabe 42,  162 

Samoyède 65 

Français 63,  228 

Turc 65 

Espagnol 42,  162 

ûravidien IHt  176 


236  — 


IV.  -  AUTEURS 

M.  Archambault " 100 

H.  Bourgeois 133 

A.  Decourdem anche 65 

S.  Ferrarès 3 

Kluge 31 

P.  Ravaisse 42,162 

J.  Vinson 1,  63,  85,  112,  121,  129,  151,  176,  228,  229 

X 217 


L' Imprimeur-Gérant  : 

E.   Bertrand. 


CHàLOM-S-SAÔ.XE.  —  IMPR,   PRÀNÇiLISB    ET   ORIENTALE  1.    BKRTRAND.        824 


University  of  Toronto 
Ubrary 


Acme  Library  Gard  Pocket 

Under  Pat.  "Réf.  Index  Fllf " 

Made  by  LIBRARY  BUREAU 


%y^