REVUE
DE
LINGUISTIQUE
ET DE
PHILOLOGIE COMPARÉE
TOME XLVII
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/revuedelinguisti47pari
REVUE
LINGUISTIQUE
PHILOLOGIE COMPARÉE
RECUEIL TRIMESTRIEL
rUBLIB PAK
JULIEN VTNSON
PROFESSEUR A l.'ÉCOLE NATIONALE DES LANGUES ORIKNTALES VIVANTES
INSPECTEUR DES EAUX ET FORÊTS
Avec la collaboration de divers savants français et étrangers
TOME QUARANTE-SEPTIEME
\ i^^?> (oU
^ \ 3 //^
CHALON-SUR-SAONE
IMPRIMERIE FRANÇAISE ET ORIENTALE
E. BERTRAND
5, Rue des Tonneliers, 5
1914
LE MOT IBERE "AREDC
o "
Depuis Tarticle que j'ai donné ici même, il y a
sept ans, sur la langue ou les langues ibériennes. la
question n'a pas lait un pas. On n'a pas encore dé-
couvert Tinscription bilingue tant attendue, qui devra
sinon résoudre le problème, du moins fournir de
précieuses indications. La plupart, en effet, des
inscriptions que nous possédons sont incomplètes,
en mauvais état et très courtes. Le texte le plus
long et le mieux conservé, celui de la lame de
plomb de Gaslellon, est d'une telle nature qu'il ne
facilite aucunement la recherche des éléments gram-
maticaux.
Tout est donc incertain et inconnu. Un mot ce-
pendant paraît offrir une signification déterminée.
Il se présente sous la forme aredc, aredk, aretko^
argtco^ etc. ; on lui attribue généralement le sens
très vraisemblable de « tombeau, monument, sépul-
ture » ou de «ci-gît, ici repose, hic sitiis est», etc.
Mais ce qu'il y a de remarquable, c'est que ce mot
ardc se trouve inscrit sur une amphore découverte
en Sicile, où elle aura sans doute été apportée par
quelque voyageur.
Quelle relation peut-il y avoir entre le tombeau et
1
~ 2 —
l'amphore, entre la mort et le vin, qui re[)résentent,
surtout pour les anciens des idées absolument o|)po-
sées ? Cependant, on peut considérer le tombeau
comme le séjour de l'éternel repos, et d'autre part
le vin n'apporte-t-il pas une distraction ou tran-
quillité passagère ?
Le mot qui nous occupe pourrait donc avoir ici le
sens de « paix » ou « repos ».
Il n'y a d'ailleurs rien de basque dans ce mot.
Julien ViNSON.
I
LES LOIS MALGACHES
ET
LE PENTATEUQUE
Pour établir sinon avec certi-
tude, du moins avec vraisem-
blance, qu'une migration juive a
colonisé l'Ile de Sainte-Marie et
la côte voisine, il faudrait pouvoir
retrouver des traces non pas d'in-
flueuce sémitique, mais d'influence
juive.
(St Ferrand, p. 30, Les migra-
tions musulmanes et juioes à Ma-
dagascar. Paris, 1905).
I . — Introduction
Le hasard nous a appris, il y a quelque temps,
l'existence d'une question judéo-malgache, qu'elle a
été discutée par des savants émérites, mais que malgré
des recherches sérieuses, on n'a pu arriver à une
solution.
Ce n'est donc pas sans une certaine appréhension
que nous abordons ce sujet, notamment après les
savantes études de M. A. Grandidier et de M. St
Ferrand, qui défendent chacun une thèse dittérente.
Nous estimons cependant qu'en présence du résultat
que nous avons obtenu et que nous croyons, peut-être
à tort, concluant, il n'y a plus à hésiter à soumettre
notre travail à la critique bienveillante des savants,
d'autant, qu'il ne s'agit plus à présent de l'histoire
exclusive de Madagascar, mais également de celle du
Judaïsme dans l'antiquité.
Pour cette raison, nous examinerons spécialement
les lois des Malgaches, dont personne ne s'est encore
occupé, et les cérémonies de leur culte, racontées par
les différents auteurs qui ont visité ou habité le pays,
mais sans tenir compte de l'endroit où cela se passe à
cause de la difficulté pour un non-malgachisant,
comme nous, de se reconnaître dans les différentes
races et anciennes provinces.
Ensuite, après avoir établi l'origine du culte des
Zafé-Ibrahim, il nous sera plus facile de retrouver
dans la langue malgache des traces de leur langue
primitive.
Enfin, pour ceux qui ne sont pas au courant de la
question, nous donnerons un extrait, aussi succinct
que possible du livre de Flacourt, le leading-book de
l'histoire de Madagascar, ainsi que quelques passages
du livre de Drury, auteur méconnu pendant longtemps
mais réhabilité par M. de Froberville', et qui nous a
rendu des services immenses dans nos recherches.
Nous parlerons des autres auteurs et voyageurs au
fur et à mesure des sujets que nous traiterons.
1. Bulletin de la Société de Géographie, 1839, p. 266.
II. Les Zafé-Ibrahim d'après Flacourt' etDrury'
La nation dont je veux parler, dit Flacourt, croit
un seul Dieu, créateur de toutes choses, l'honore, le
révère et en parle avec grand respect, lui donnant le
nom de « Zahanhare ». Elle n'a aucune idole ni aucun
temple et quoiqu'elle fasse des sacrifices, elles les
adresse tous à Dieu.
Ceux que j'estime être venus les premiers
sont les Zafé-Ibrahim ou de la lignée d'Abraham',
habitants de l'Isle de Sainte-Marie et des terres
voisines, d'autant qu'ayant l'usage de la circoncision
il n'ont aucune tache de Mahométanisme ne connais-
sant ni Mahomet ni les Caliphes... Ils célèbrent et
chôment le samedi et non le vendredi comme les
Maures et n'ont aucun nom semblable à ceux qu'ils
portent, ce qui nous fait croire que leurs ancêtres sont
passés en cette isle dès les premières transmigrations
des Juifs ou qu'ils sont descendus des plus anciennes
familles des Ismaélites dès avant la captivité de
Babylone
Ils ont retenu le nom de Moïse, d'Isaac, de Joseph,
de Jacob et de Noë.
L'usage de la géomance a été apporté par les
1. Histoire de la grande isle de Madagascar. Paris, 1658.
2. Madagascar. Robert Drury's Journal during fifteen years
captivity on that island. London, 1728.
3. Cette traduction « lignée d'Abraham o correspond avec celle
du mot hébreu ncï (tsafa) ce que Furst traduit par « das Aus-
Jliessende-Ausjlnss » du verbe P)12: « Strôinen-Jliessen », soit au
figuré émaner — émanation.
— 6 —
premiers qui sont les Zafé-Ibrahim qui sont en cela
les plus superstitieux.
(p. 22). Il n'y a que ceux, qui savent une certaine
prière, qu'ils nomment Mevoreche, qui ont la faculté
de couper la gorge aux bêtes, en quoi ils sont si
scrupuleux qu'ils mourraient plutôt de faim que de
manger de la viande d'une bête, qu'un chrétien ou un
un homme du côté du Sud aurait tuée. Ils ne connais-
sent point Mahomet et nomment ceux de la Secte
Cafres, ils reconnaissent Nbë, Abraham, Moïse et
David, mais ils n'ont aucune connaissance des autres
prophètes' , ni de notre sauveur J.-C.
Ils sont circonsis, ils ne travaillent pas le samedi,
ils ne font aucune prière ni jeûne mais seulement des
sacrifices de taureaux, vaches, cabris et coqs.
Ils ne châtrent point les taureaux \ ni les autres
animaux. Ils se sentent un peu de Judaïsme^ ils sont
fort hospitaliers.
Les esclaves ne sont pas avec eux en qualité'
d'esclaves, mais les maîtres les nomment leurs
enfants.
(p. 64). La cérémonie de la circoncision s'appelle
missavatsi.
(p. 296). Ils n'ont aucun temple, si ce n'est les
ainoanouques ou sépulchres où sont enterrés leurs
ancêtres, la mémoire desquels ils ont en grande
vénération, ainsi que font tous ceux de cette isle.
(p. 103). La nation madecasse n'a aucune loi
écrite (suivent quelques lois, mais très incomplètes).
1. Les passages que nous soulignons ne le sont pas dans les
textes.
— 7 —
Dviirij nous décrit quelques cérémonies auxquelles
il a assisté.
(p. 80). The people hâve in their houses a small
portable ustensil consecrated to religious uses, and is
a sort of house-hold altar which they call the Owley.
It is made of a particular wood in bits neatly joind
and making almost the form of an half-moon with the
horns downwards,
(p. 111). The holy Owley, which we hâve already
described, was bronght out and hung on a pièce of
wood, laid a-cross two forks ail which was eut down
on purpose, and was also a long. Pôle to which the
bullock was ty'd, this was.provided by the Queen, and
being killed, they took some of the tail and some of
the hair of the nose and eye-brows and put them on
some live coals smoking under the Owley ; they than
took some of the blood which thetj sprinkled on it- ,
and on the beam it hung on ; the Queen Swore : I
swear by the r/reat God above, by the four Gods qf
the four quarters of the toorld, etc.
(p. 182). They told me... There was a God above.
the suprême one Lord of ail other Gods, Deamons or
spirits whatever.
If your countrymen had such Owley s as we
hâve, the good deamons who are invoked, v^hen we
sacrifice, before them would hâve assisted you.
(192). Hère are laws against Adultery, thefs and
murder, and they hâve such an esteem for their
1. En français, on écrit Oly ou bien Ody, nom sous lequel il
y a quelques exemplaires exposés au Musée du Trocadéro.
2. Cf. p. 12.
— 8 —
parents that they regard and honour them after
death.
They never swear profanely.
(p. 193). They are hère fools enough to be imposed
on by the Umossees or conjurors, who they think
do strange things, yet they dont imagine that they
converse with the great God.
(p. 244). Hère are several good laws, notwithstan-
ding they hâve no knowledge of letters yet are they
tixed in their minds and delivered from one to another
(nous en parlerons dans le chapitre suivant).
(p. 231). They acknowledge and adore the Only
One Suprême God, whom they call Deaan Unghorrey,
which signifies « Lord above » They say there are
four other Lords eacli to his respective Quarter of
the world ' .
(p. 456). But I hâve omitted to take notice of one
custom which is their abstainin;/ from their women
at certain times as Jews do.
III. — Leurs lois, d'après Drury.
Voici quelques lois, mentionnées par Drury ; nous
y ajouterons la version correspondante du Pentateuque,
là où nous en aurons l'occasion.
If one man's cattle Exod., 22, 4:
break into another man's Si quelqu'un fait faire
1. Dont voici les noms :
Northern Lord Dean Anteraoor
Southern » Meguddummater
Western » Androwfertraer
Eastern » Anabeleshey.
(Cf. p. 22.)
- 9 —
plantation ; for every
beast found there the
ownerof them inustgive
an iron Shovel.
Aftera brother's death
they often take his wife
and their father's too,
and lye with them if they
are not their own mo-
thers.
If two men quarrel and
one ourses the other's
father and mother, be
they dead or alive
and his antagonist re-
torts not the ciirseagainst
his father and mother, he
recovers for damage two
beeves.
If onc is taken stealing
of Guinea corn carra-
vances potatoes ont of the
plantations he forfeits a
cow and calf to the ow-
ner, or more in propor-
tion to the offence.
If one assaults another
maliciously, and breaks
an arm or a leg, the of-
du dégât dans un champ
en y lâchant sa bête, il
rendra, etc.
Deut., 25, 5 l'ordonne
quand la veuve n'a pas
d'enfants.
Lév., 18, 8, 20, il ;
Deut., 23, 1 le défen-
dent.
Lév., 20, 9; Exod.,
21, 17 ne parlent que du
fils.
Celui qui maudit son
père et sa mère sera puni
de mort.
Exod., 22, 3 :
Si le vol est trouvé
entre ses mains, soit
bœuf, etc., il rendra le
double.
Exod., 21, 18/19 :
Si des hommes se que-
rellent et l'un frappe
— 10 —
fender is fined 15 Head
of Cattle to the injured.
If one breaks another's
head and the wounded
has not returned blow
for blow, he has three
beeves for the dammage.
If a man is catched
robbing his neighbour
of an ox or in a cow, he
is forced to restore for
it.
If a man borrows an
ox or a cow of his neigh-
bour, in a year tirae six
calves are supposed a
proper value to return
for the ox. And if he ne-
glects paying then those
calves are supposed to be
three stears and three
heifers and the increase
which may be computed
to arrive by their growth
and production is the
man's due of whom the
ox was borrowed...
l'autre d'une pierre ou
du poing, dont il ne soit
point mort mais blessé...
il le dédommagera, etc.
ExocL, 21, 24/25 :
Œil pour œil, dent
pour dent
(modifié).
Ea-od., 21, 37 :
Si quelqu'un dérobe
un bœuf ou un agneau...
il restituera 5 bœufs ou
4 agneaux.
C'est une modification
de VExod. 23, 13.
— 11 —
A inan cannot put his Deutéron, 24, i , or-
wife away at pleasure. donne une lettre de di-
vorce '.
A freeman must not Exod., 21, 9 :
espouse a slave-woman, S'il la (l'psclave) des-
or, if he does so he is tine àson fils, il la traite-
bound to redeem her'. ra comme sa fille (libre).
IV. — Leurs cérémonies.
Dans son introduction (p. 1), Flacourt dit : « La
nation dont je veux pailer croit un seul Dieu, créa-
teur de toutes choses, le révère et en parle avec grand
respect, lui donnant le nom de (( Zahanhare». Elle n'a
aucune idole ni aucun temple, et (luoiqu'elle fasse des
sacrifices, elle les adresse tous à Dieu. Il est vrai qu'on
s'étonnera qu'elle fasse la première offrande au diable,
d'un morceau de la béte sacrifiée. Ce n'est pas qu'elle
lui porte bonheur, mais, comme nous disons commu-
nément, elle jette un morceau à Cerbère ou à un chien
pour l'apaiser ».
M. de F.' Carpeau du Saussay) nous raconte
(p. 262) : (( Après avoir tué le bœuf, il coupa un
morceau qu'il mit à part en disant : Voilà pour
Diam Biliche'' ; il en coupa un autre qu'il mit d'un
autre côté en disant : Voici pour Zanhar ; il prit
1. C'est donc probable que c'est plus tard qu'on a institué
cette loi, puisqu'on ne la trouve que dans le Deutéronome.
2. D'après Rev. H. Little, p. 64. Madagascar its History and
People Edinb. London, 1884.
3. Voyage de Madagascar. Paris, 1722.
4. Nous reviendrons plus loin sur la signification de ce mot.
— 12 —
ensuite le plat où était le sang et le jeta sur les assis-
tants j'appris la réponse que le Diable était
capable de leur faire bien du mal ; ils avaient intérêt
de le ménager mais que Dieu n'était pas si difficile à
contenter. Je conclus par conséquent que le culte
qu'ils rendaient à l'un était forcé, et que celui qu'ils
rendaient à Dieu était tout naturel ».
Si, comme pour les lois, nous comparons la céré-
monie du sacrifice avec celle du Pentateuque nous
trouverons :
Lévit, 9, 9 il trempa son doigt dans le sang, en
mit sur les cornes de l'autel'.
Lévit, 9, 21 Quant aux poitrines et à l'épaule
droite, Aron en fit faire une oblation agitée devant
l'Eternel
On entend par « oblation agitée ou balancée » :
Tournoiement spécial , des sacrifices qu'on tournait
vers différents côtés' avant de les offrir sur l'autel.
Il y a donc, encore ici, beaucoup de ressemblance
entre la cérémonie malgache et celle des Hébreux.
V. — L'Oly
M . d. V. (p. 258) en donne la description suivante :
L'Oly est l'idole la plus révérée pour toute l'île de
Madagascar, je n'en puis donner une meilleure défi-
nition qu'en disant ce que c'est. Représentez-vous une
petite boite comme un soufflet de chaudronnier, où il
1. Cf. le récit de Drury, p. 7.
2. Probablement dans les quatre directions, comme se fait
dans la Synagogue l'exposition de la Loi, ainsi que la cérémonie
du « Loulab » (N. d. l'A).
— 13 —
y a davantage de tuyaux qui sont tous remplis de
mille saletés, comme du sang de serpent, des fleurs
des femmes qu'ils aiment, des prépuces des enfants
circoncis, de certaines racines qui excitent la luxure,
etc. Ils la portent ordinairement autour d'eux, attachée
avec une courroie de cuir ».
Si les lois et les cérémonies, que nous venons de
décrire, nous donnent presque la preuve que le culte
des Zafé-Ibrahim était le culte antique des Hébreux,
VOly semble, à première vue, y être complètement
étranger. Et cependant, puisque nous savons mainte-
nant que la composition de cette amulette consiste
dans un amas d'ordures, nous pouvons peut-être la
rapprocher du mot hébreu « guilolime » traduit géné-
ralement par « abominations » en parlant de certaines
idoles, que le peuple juif adorait, à côté du culte
officiel. Déjà dans le Lévitique on fait la guerre à cette
amulette, car nous trouvons ch. 26, 30 : « Et je
jetterai tes cadavres sur les débris de tes « guilolime »
et je vous aurai en horreur ^ .
Ensuite c'est le prophète Ezéchiel (560 av. J.-C.)
qui s'élève à plusieurs reprises contre cette pratif|ue^
A présent, Drury (cf. p. 7) nous raconte que les
Malgaches portent l'Oly autour du cou ou attachée
par une ceinture au corps quand ils sortent, et qu'à la
maison il lui avaient élevé un autel.
1. Contrairement à l'habitude, nous préférons ne pas traduire
le mot « guilolime », de même qu'on ne le fait pas pour les «Zé-
raphim ».
2. Cf. Chapitres 6, 4 — 8, 10 — 16, 36 — 18, 6 et 15 — 20,
7, - 8, 24 etc.
— 14 —
Lorsque les Hébreux ou Juifs retombaient dans
l'idolâtrie ils avaient également un autel à la maison,
puisque nous trouvons dans le livre des Rois II, 23,
12 que Ton détruisit les autels qui se trouvaient dans
le palais d'un roi idolâtre.
Nous croyons donc pouvoir poser les que-^tions
suivantes :
1° Est-ce que le mot « Oly » n'aurait pas son origine
dans le mot hébreu b:> ' (gai) (fumier-ordure) cor-
respondant à l'araméen ''biD' (nwali) lequel sans la
ponctuation massorétique pourrait se lire aussi nouli
ou nolif
2° N'y a-t-il pas lieu de supposer une certaine
corrélation entre l'Oly et l'ordonnance du Deutéro-
nome (6, 9 et 11. 18)' relative au « phylactères » ?
M. S. Munk ' dit à ce sujet : a L'usage de porter
des amulettes était très répandu dans l'antiquité et
l'est encore aujourd'hui chez les Orientaux ; cet usage
existait aussi chez les anciens Hébreux et c'est sans
doute pour abolir cette superstition que le législateur
leur ordonna de porter sur le bras et au front (en
place des amulettes) certains écrits renfermant les
principes fondamentaux de la loi. »
Et il ajoute dans une note : « Ces détails n'ont été
fixés sans doute, qu'après l'exil mais un usage analogue
1. Racine qu'on a tiré de n'''7bj (guelolinie).
2. Cf. Dozy. De Israeliten te Mekka. Haarleni, 1864, p. 200.
Note.
3. Il est généralement admis par la théologie moderne que le
Deutéronome a été rédigé par Néhémie et Esdras après le retour
de la captivité de Babylone.
4. Palestine. Paris, 1845, p. 369.
— 15 —
dût exister chez les anciens Hébreux, et on y fait
peut-être allusion, dans quelques passages des Pro-
verbes ». (III, 3 et 22 - VI, 21 - VII, 3).
Nous concluons donc que l'Oly ne détruit pas la
supposition que les Zafé-Ibrahim pratiquaient le culte
antique des Hébreux.
VI. — Lois malgaches.
Après avoir étudié les lois des Zafé-Ibrahim, nous
allons examiner quelques-unes des lois malgaches, in-
diquées dans le livre de M. Gustave Julien', comme
étant élaborées par Andrianampuinimerina (178?-
1810).
Il va sans dire que nous ne nous occuperons que de
celles qui offrent une analogie indéniable avec la loi
de Moïse.
Tome I, p. 253.
Acceptation de dons
en argent ou présents
pour commettre des actes
contraires à l'équité ou
à la morale.
Je n'endurerai pas que
dans mon royaume la
corruption et la véna-
lité supplantent l'esprit
d'équité chez ceux qui
parlent en mon nom.
Exod., 23, 7-8:
Eloigne-toi d'une chose
mensongère, ne fais point
mourir l'innocent et le
juste, car je n'innocente-
rai pas le coupable.
N'accepte point de pré-
sent, car le présent aveu-
gle les plus éclairés et
pervertit les paroles du
juste.
1. Institutions politiques et sociales de Madagascar. Paris, 1908.
— 16 —
Magistrats dont les
arrêts sont entachés de
partialité.
Seront punis de mort
les magistrats qui ven-
dront la justice aux en-
chères, donneront raison
à ceux qui leur auront
versé le plus d'argent.
L.es fukun u/una qui agi-
ront de même et ne ren-
dront pas j usticeau x hum-
bles comme aux puissants
verront leurs femmes et
leurs enfants réduits à
l'esclavage.
257. Fabrication et
usage de charmes malé-
fiques et pratiques de
sorcellerie.
Toutes les pratiques de
sorcelleries seront punies
de mort.
Le rua-dia (4) sorti-
lèges faits avec de la
poussière et de la te/re.
Cette terre, bouillie dans
de l'eau pendant qu'on
récitait certaines formu-
les cabalistiques, devait
Lév. 19, 15 :
Ne faites point d'ini-
quité dans le jugement,
n'ayez point d 'égard pour
le pauvre, et n'accor-
dez pas de préférence au
grand; avec justice tu
jugeras ton prochain.
Léo., 19-31:
Détournez - vous des
sorciers et nécroman-
ciens.
Exod., 22, 17 :
Tu ne laisseras point
vivre de magicienne.
Naméri, 5, 14 et s. s.
... ou bien un esprit
de jalousie s'empare de
lui. il est jaloux de sa
femme, maisellen'apoint
été souillée ; cet homme
amènera sa femme de-
17
ensorceler la personne vi-
sée.
259. En conséquence,
chaque fois que des per-
sonnes se livreront à la
sorcellerie et useront de
charmes maléfiques, sou-
mettez-les a l'épreuve du
tangun (Than^inia vene-
nifera). C'est la pierre de
touche infaillible que,
par un décret divin, mes
ancêtres m'ont légué
(Le tanguin était donc
pour les Malgaches de
cette époque une sorte
de jugement de Dieu).
265. Ceux qui fabri-
quent, détiennent ou font
usage de mesures de ca-
pacités fausses, seront
punis de mort.
281. Des faux témoi-
gnages. Amendes irré-
ductibles.
... car rien, à mon avis,
ne serait néfaste à mon
pays et à mes sujets
1. Ici, les Malgaches ont exagéré. Le jugement de Dieu, chez
les Hébreux, a'otfiait pas grand danger pour l'accusée.
vant le prêtre.
Le prêtre prendra de
Veau sainte et de la
poussière du pavé du ta-
bernacle et la mettra
dans l'eau.
. . . Ayant fait boire
l'eau, si elle a agi perfi-
dement, les eaux porte-
ront malédiction ; mais
si elle n'a pas été souil-
lée, si elle est pure, elle
sera à l'abri et aura des
enfants'.
Lév., 19. 35 :
Ne faites pas d'iniquité
dans le jugement, dans
le poids et dans la con-
tenance.
Lév., 19, 12 :
Ne jurez pas fausse-
ment.
— 18
comme l'impunité de
faux témoignages.
287. De l'intérêt de
l'argent. Ceux qui récla--
meront de nuit le rem-
boursement de créances
seront dépossédés de tous
leurs biens, parce que,
dans ce pays, la nuit
n'appartient qu'à moi
seul (pour agir).
294. Différends nés de
raeontars. Ceux qui sus-
citeront des difficultés à
autrui par des écarts de
langage, des paroles in-
considérées, seront pu-
nis, etc.
304. Désobéissance
des enfants à l'autorité
des parents. Les enfants
qui resteront sourds aux
conseils de leurs père et
mère. . . seront vendus
comme esclaves. Je n'ad-
mettrai jamais que les
êtres que vous avez nour-
ris... vous méprisent ou
Exod., 22, 25 :
Si tu prends en gage
le vêtement de ton pro-
chain, dès le soleil cou-
chant il faut le lui rendre.
Eœod., 23, 1-2:
N'accueille point un
faux rapport.... Ne suis
point la foule pour faire
le mal, ne réponds point
dans une contestation à
pencher vers la foale
pour faire incliner le
droit.
Exod., 20, 12 :
Honore ton père et ta
mère 21, 15/17. Celui
qui frappe ou maudit son
père ou sa mère, sera
puni de mort.
Lév., 19, 3 : Vous
craindrez votre père et
votre mère.
19 —
se refusent à écouter vos
sages avis.
305. Désobéissance
opposée aux aims et aux
anciens
Honorez vos aînés
et les anciens en géné-
ral
316. La répudiation.
Elle ne pouvait être
prononcée qu'en présence
du fakun-uluna... Moi,
qui suis tout puissant
dans le ciel et sur la
terre, je m'interdis le
droit de séparer deux
époux, parce que ce n'est
pas moi qui les ai unis.
C'est donc le mari, chef
de la famille, qui est
maître souverain.
322. Des mariages
avec les belles -sœurs de-
venues veuves.
Si une veuve a un beau-
frère , celui-ci devient
son mari, a moins qu'il
ne lui rende son indé-
pendance en la répu-
diant.
Lév., 19, 32 :
Devant la vieillesse tu
te lèveras, et tu honore-
ras le vieillard.
Deutér., 24, 1 exige
une lettre de divorce.
(Cf. p. 11.)
Deutér on, 25, 5 :
Le frère doit épouser
la veuve de son frère, si
elle n'a pas d'enfants.
S'il ne veut pas, c'est
lui qui sera répudié par
sa belle-sœur (cf. p. 11,
note 1).
— 20
323. Flagrant délit
d'adultère.
Que la mort soit
donc le châtiment des
coupables.
Tome II.
174. Des règles rela-
tives au deuil.
Les femmes laissent
flotter librement leurs
cheveuxautourdela tête ;
les hommes cessent de
porter un chapeau et de
part ni d'autre on ne met
ni chaussures au pied, ni
vêtements coupés et cou-
sus sur le corps.
Il est Jadi, quand on
est en deuil, de chanter,
de jouer un instrument
de musique, de se cou-
per les ongles. Les ob-
jets d'ornementation, ta-
bleaux, miroirs, etc.,
doivent être décrochés
ou tournés face aux murs,
ou recouvert d'un voile.
181. Enfin le ala-fadi
ou purification est dû à
toutes les personnes qui
Lév)., 20, 10 :
Un homme qui débau-
che la femme de son pro-
chain, qu'il meure ainsi
que la débauchée.
E;séch., 24, 17 :
. . . Soupire en silence,
ne prends pas de deuil
comme pour les morts ;
attache sur toi ta coif-
fure, mets ta chaussure
à tes pieds. Tu ne t'eur
velopperas pas jusqu'aux
lèvres.
Toutes ces habitudes
malgaches sont confor-
mes au Rituel juif encore
aujourd'hui en vigueur
et strictement observés
par les juifs pratiquants.
Naméri, 19, 13 :
Quiconque a touché à
un cadavre et... ne se
— 21 —
ont approché, arrangé ou purifie pas
touché le mort.
256. De la petite ban- Lév., W, 19 :
derolle dalahani ou luha ... et q u'un tissu mixte
sabuha. (chaàtnez) ne couvre
...de part et d'autre point ton corps',
cela désigne une étoffe
dont seuls, les souverains
et les grands chefs pou-
vaient se vêtir.
VII. — Encore quelques explications
Quoique les lois malgaches, que nous venons de
commenter, confirment en tous points que les Zafé-
Ibrahim suivaient le culte et les lois juives de l'époque,
il n'est pas superflu de nous arrêter encore à quelques
passages des différents récits, concernant leurs mœurs,
qui méritent une explication.
Flacourt dit : « qu'ils mourraient plutôt de faim
que de man.uer d'une béte qui ne fut tuée par eux ;
qu'ils avaient des hommes spéciaux pour les égorger ».
Cette habitude d'égorger les bétes est aussi conforme
au précepte mosaïque de Lévit : 17, 10.
0 Quiconque aura mangé le sang, je le retrancherai
1. On ignore jusqu'à présent non seulement la véritable signi-
fication du mot (( ciiaatnez )), uiajs on suppose que ce mot est
corrompu.
D'après Josèphe (Ant. 4, Mil, 10), qui était prêtre, neuls les
prêtres avaient le droit de porter des vêtements « itilaïm châât-
nez ».
Cf. Bible S. Cahen, tome IIÎ.
— 22 —
du milieu de son peuple. Car le principe vital de la
chair git dans le sang, et moi je vous l'ai accordé sur
l'autel pour procurer l'expiation à vos personnes. »
Or, pour pouvoir évacuer tout le sang qui se trouve
dans la bête, il faut l'égorger. Du reste a l'étouffé »
était même encore défendu par le Concile des Apôtres.
(Actes V 20/21).
Ensuite « Us ne châtrent point les animaux ; ce qui
est en conformité avec Lévit 22, 24. « La bête qui a
les testicules écrasés, froissés, rompus ou coupés ne
l'offrez point à l'Eternel, et dans votre pays ne faites
point pareille chose. »
Drury rapporte que leur formule de prêter serment
est : « J swear by the great God, by ihefour gods oj
the quarters ofthe world ' o. Nous n'avons rien trouvé
1. Cette formule nous permet de supposer que lesZafé-Ibrahim
ne pratiquaient pas encore le Jahvisme ou monothéisme pur et
que nous sommes ici en présence d'une formule (i Elohiste » dont
la Bible ne nous donne aucune explication.
Nous avons donné plus haut (p. 8) les noms des quatre sous-
divinités malgaches ; il nous est impossible d'en donner une éty-
mologie exacte ; toutefois, nous signalons le rapprochement
entre :
Antemoor et Anata ou Anat, dieu Ass.-babyl : (cf. Rawlin-
son ; les religions de l'ancien monde, trad. de Faye).
ou An-Tam-zu des Hittites (cf. C. R. Conder Hiéroglyphes
and Hittite Inscriptions, p. 80.
Anabeleshei/ et Anu-Bel ou Bilat assyr.-babyl.
ou An-Bel des Hittites.
Meguduminatum renferme peut-être des traces de Gula-Anunit
des Ass.-babyl.
Nous devons tenir compte ici des habitudes malgaches d'allon-
ger les syllabes pour en adoucir la prononciation ; ensuite qu'ils
alternent les L et D, et enfin que Drury est le seul auteur
qui cite ces noms ; nous ne pouvons donc pas vérifier la pronon-
ciation exacte, puisqu'il les écrit avec l'accent anglais. Ainsi
— 23 —
qui se rapproche de cette idée exceptée une inscrip-
tion sémitique (745 bc) citée par Rev. G. A. Cooke '
et conçue dans les termes suivants : « Servant of
Tiglath Pileser lord of the Jjour parts of the
earth ».
Drury remarque aussi avec justesse « tbeir absta-
ming from their women at certain times as Jews do »
car c'est l'ordonnance du Lévit : 15, 19.
Flacourt écrit (p. 177). a Le premier mois com.-
mence à la nouvelle lune de Mars. » Nous ignorons
comment ils avaient combiné leur calendrier, mais le
fait de commencer l'année à la nouvelle lune de Mars
peut constituer une nouvelle preuve qu'ils connais-
saient la loi de Moïse, car Eœocl. 12, 2 il est écrit
« Ce mois (c'est-à-dire le mois de Pâques) vous sera le
premier des mois de l'année\
M. d. V. parle de Beliche, et Drury écrit Anabeleshey et Un-
ghorrey pour Zanahary, ce qui se prononçait eu effet « Yan-
ghary ».
Il y a encore lieu de citer A. H. Sayce (Fresh light from the
ancient monuments), p. 171, qui mentionne la traduction d'un
cylindre de Nabonide, dont voici la description : « The cylindef
is one of four, each containing the same text and burried at the
four corners of the Temple of Sin' at Mungheir or Ur.
Enfin, nous devons rappeler que le vêtement (Taleth) qui se
porte dans la Synagogue est aussi dénommé arbah-kanfot, ce qui
veut dire quatre coins ou angles (cf. Nombres XV, 37 et suiv.)
(Cf. note 2, p. 12).
1. A text book of Xorth Semitic Inscriptions, p. 180. Ox-
ford, 1903.
2. Citons l'opinion de M. E.-F. Gauthier, sur le calendrier
malgache (Journal Asiat., 1911, tome 17, p. 110) : « Que le calen-
drier luni-solaire ait été à Madagascar d'un usage général et an-
cien, je n'oserais affirmer qu'on puisse le prouver rigoureuse-
ment. Là-dessus pourtant on peut accumuler les présomptions
qui ne sont pas loin d'équivaloir à une preuve.
— 24 —
M. Gabriel Ferrand^ nous donne la description
suivante d'une cérémonie religieuse pendant la période
qui précéda l'arrivée de l'islam.
«Un coin de forêt inexplorée, un sommet de mon-
tagne'^ déclarée sacrée étaient ordinairement l'endroit
où l'on présentait à Dieu, les offrandes de ses créa-
tures ; et si quelque voyageur passait à proximité du
lieu de la prière, l'éclat des torches et le bruit des
voix sous la feuillée, ordinairement sombre et silen-
cieuse, lui apprenait que là-bas, s'accomplissait un
mystère, duquel son origine ou sa non-initiation lui
interdisait la vue sous peine des châtiments les plus
sévères. Et lorsque les premières lueurs du jour appa-
raissaient à l'horizon, les torches s'éteignaient, les
chants cessaient et les [)rêtres de « Zanahary » rega-
gnaient à pas lents le village, pleins encore de la
majesté du Dieu, dont ils venaient de célébrer le culte
à la face des étoiles. »
Ce joli morceau de littérature pourrait très bien
servir comme commentaire aux deux versets suivants
du Lévitique (17, 6 et 7). a Afin que les enfants
d'Israël amènent leurs victimes qu'ils sacrifient en
plein champ, qu'ils les amènent désormais à l'Eternel,
à l'entrée de la tente... et ils n'offriront plus leurs
sacrifices aux démons, au culte desquels ils se prosti-
tuent » ; ou encore au verset du Lévit (26,-20) : o je
briserai vos statues et je détruirai vos hauts lieux; et
enfin II Rois 23, 9. a Depuis ce temps là, les prêtres
1. Les Musulmans à Madagascar, première 'partie, p. 15. Pa-
ris, 1891.
2. Nous soulignons.
— 25 —
des hauts-lieux ne montaient point à l'autel du
Seigneur
Conclusion : vers quelque côté que nous nous tour-
nions, à quelque auteur que nous nous adressions,
partout se trouve confirmé que les Zafé-Ibrahim
étaient des Hébreux.
VIII. — Leur Langue
La preuve étant faite que les lois des Zafé-Ibrahim
et même celle des Malgaches ne sont principalement
que l'application des lois et préceptes qui se trouvent
dans les quatre premiers livres du Pentateuque, il est
évident que nous devons trouver dans leur langue, au
moins des traces de celle du Pentateuque cest-à-dire
l'hébreu. Par conséquent, nous mettrons en regard
des expressions malgaches les mots hébreux, qui ayant
à peu près la même signification, s'en rapprochent le
plus, mais sans aucune prétention de donner une éty-
mologie, rigoureusement exacte, qui demande, pour
la langue malgache, des connaissances d'autres langues
que nous ne possédons pas.
Remarquons d'abord que d'après Flacourt il y a
une différence de prononciation entre les Arabes et
les Malgaches; ainsi le Zêta se prononce ié; le th
T ou TS ; le L se change en D ; le Ven B ; le Fen P.
Voici comment nous expliquons les mots que nous
avons rencontrés chez les auteurs anciens.
Missavatsi, circoncision (msa) Mitsva, ordonnance.
Savatsir, id. cs) tsau, ordonnez.
- 26 —
Ammonnouques, tombeaux (nnsû) menoukha, repos'.
Dean-Andean, Seigneur (pnK) ado?i, Seigneur.
Dean-Biliche, diable (brn) Bacil, Baal, divinité.
Dean-BUiche, id. 6a) BU, Bel, id.
-4//e, nuit irh'h'y laïla, nuit.
Massinpoh, lois (tasira) mischpat, justice-loi.
Ombiasses, devins (n"i«) o6a, devineresse, nécroman-
cien.
Philoubey\ celui qui tue les bêtes oib) /éuïïe, lévite.
Mevoreche\ celui qui dit la prière ("iidû) mebarekh,
qui bénit — loue.
Samai, livre du ciel (D'ûtr) Shamaïm, ciel.
Samonsi, livre du spleil wdc^) Shemesh, soleil.
Zoma= Yoma, jour iov) ijom, jour.
A:^ohora^= ayohora. Lune (m"') yareakh, lune).
Alahadi, Dimanche (nnx) ekhad, un.
Alitimn\ lundi Oîtr) SJeni\ deuxième.
Talata', Mardi oir-'br) Sjelisji, troisième.
Alaroubilia, Mercredi ora-i) ;'e6//, quatrième.
Camise, Jeudi oir'ian) Khamisji, cinquième.
Zouma, Vendredi (dv) Yo///, jour.
Saboutsi, Samedi (nrtr) SJabat, Sabbat.
Dans le vocabulaire qui se trouve dans l'œuvre de
1. On trouve le mot luftiiouh/ia dans la prière des morts, dans
le sens de r-epos éternel.
2. Nous lisons Phi-loubey.
3. Nons ne sommes pas de l'avis de M. de Goeje (cf. St-
Ferrand, note 1, p. 26, Les migrations, etc.) ; le mot « mevo-
reche » se rapporte d'après nous â « l'opérateur » et non à la
« prière ».
4. Alitsinin.
5. Tsalatsa.
— 27 —
M. Gustave Julien, nous n'avons retenu que les mots
qui sont presque de l'hébreu pur, comme :
Tahura, purifié (Kina) tahara, purification.
Usi^ chèvre ou) '/j, chèvre.
Kafara, expiation, sacrifice (k-ibs) kapara, expiation.
Mati\ Mort — cadavre (n») mit, mourir.
Mauti, mort (ma) wùt, mort.
Solaona. Sauf — en bonne santé (ûibtr) SJalom, paix.
M. Grandidier écrit ' : « Je ferai remarquer qu'on
trouve dans la langue malgache des mots tels que :
abili, malheureux ; eva, beauté ; adana, majestueux ;
kahana, menaçant ; Sata, mauvais ; nuana. qui boule-
verse, etc., qui rappelle les noms bibliques d'Abel,
d'Eve, d'Adam, de Caïn, de Satan et de Noë ». Qu'on
nous permette de modifier l'origine de ces mots :
abi/i, malheureux 6aK) abil, affligé.
eva, beauté (ns'-) [/afa, beau.
adana, majestueux (ptio adon, Seigneur.
kahana, menaçant (ps) cohen, prêtre.
Sata. mauvais (fnm Satan, Satsin.
Quant aux noms des jours de la semaine, nous
sommes en droit, de les considérer comme étant
d'origine hébraïque, malgré leur forme arabe, excep-
tion faite pour le vendredi.
Il est donc possible, qu'après la dernière migration
arabe le nom de ce jour ait été changé de commun
accord avec les Zafé-Ibrahim, car les autres jours ne
sont indiqués que par les nombres de un à cinq à peu
près identiques en hébreu et en arabe.
1. Cf. p. 30, St Ferrand. Les migrations, etc. Paris, 1905.
28
IX. — Conclusion
En résumé, les cérémonies du culte des Zafé-
Ibrahim ; la croyance dans un seul Dieu tout-puissant,
quoique entouré d'autres sous-divinités ' ; les lois qui
ne laissent aucun doute sur leur connaissance du
Pentateuque ; leur hospitalité, les traces de la langue
hébraïque que nous avons trouvées, sont pour nous
des preuves que nous sommes en présence d'une
colonie juive d'une époque idolâtre. L'absence de
documents et d'inscriptions ne nous permet pas de
fixer même approximativement de quelle époque" il
s'agit' (car en fait d'histoire ils ne vont pas plus loin
que le Roi David), et les recherches que l'on a faites à
ce sujet, l'ont été dans une^/aM.sse direction puisqu'on
s'est basé sur des documents arabes.
Peut-être que les « Amonnouques », cités par
1. Cf. note l,page 22.
2. L'époque indiquée vaguement, par P^lacourt, c'est-à-dire dès
avant la captivité de Babylone, soit BOi) avant notre ère, pourra
bien être exacte, d'après le passage suivant, de l'article de
M. .1. Halévy (Les nouveaux papyrus d'Eléphantine, revue sémi-
tique, 1911, p. 481), où il dit : « Sous ce dernier Pharaon (après
669) eut lieu notoirement une forte immigration judéenne en
Egypte, malgré l'opposition de Jérémie, lequel prononça des me-
naces terribles contre ces mauvais patriotes, en leur donnant
pour signe la chute prochaine d'Apriès ^Terem., xliv-29, 30). Le
prophète fut surtout irrité par le culte idolâtrique que ces immi-
grés maintenaient obstinément même sur la terre d'exil. Or, à
cette date, des établissements juifs existaient à Memphis et dans
la Haute-Egypte, évidemment dans le même état religieux (ibid.,
1, 15 passim) ».
Nous avons donc la confïnuation qu'à l'époque indiquée par
Flacourt : 1° il y eut des colonies juives en Afrique ; 2° qu'ils pra-
tiquaient l'idolâtrie.
— 29 —
Flacourt, décèleront un jour ce mystère, par la décou-
verte d'une inscription funéraire !
Mais, quoiqu'il en soit, la colonisation de Mada-
gascar par des Juifs, dans un temps très reculé, n'est
plus douteuse.
Les lois d'Andrianampuimmerina en donnent la cer-
titude, car celui qui les a rédigées doit avoir connu
à fond les lois et préceptes qui se trouvent dans les
quatre premiers livres du Pentateuque puisqu'il
applique non seulement les lois, mais il change en lois
avec sanction certains préceptes, qui, observées pour
ainsi dire instinctivement par les Hébreux, ne
l'étaient pas par les indigènes moins civilisés sinon
sauvages ; c'est donc une preuve que ces Hébreux ont
imposé leurs lois et leur culte aux habitants, qu'ils y
ont trouvés, aussi bien qu'à ceux qui sont arrivés
après eux ' .
Ce sont eux, les Zafé-Ibrahim, qui ont introduit les
lois d'hospitalité, et qui ont répandu les bienfaits de
leur civilisation, quelque primitive et défectueuse
qu'elle fût, mais qui, en tous cas, doit avoir été
supérieure à celle des autres habitants, puisqu'elle
s'est maintenue jusqu'au dix-neuvième siècle'.
1. Le roi Andrianampuimmerina s'exprime ainsi :
C'est la pierre de touche infaillible que, par un décret divin,
mes ancêtres m'ont léguée et grâce à laquelle les douze princes
mes Générés prédécesseurs ont groupé les éléments épars de ce
roi/aume. Tome I, p. 260, Institutions politiqnes de Madagascar,
Gustave Julien.
2. Les Betsimisaraka, donc, pour appeler les Zafe-lbrahim
par leur nom contemporain, lequel signifie les nombreux non
désunis, sont foncièrement pacifiques et hospitaliers. Ils pous-
saient autrefois si loin le respect du bien d'autrui, que les cases
— 30 —
Ces lois sont en outre le monument le plus curieux
pour l'histoire des Juifs, car c'est la première fois que
l'on trouve les lois, contenues dans le Pentateuque,
appliquées pratiquement, jusque dans les temps les
plus modernes.
Nous espérons, par ce travail, avoir rempli les
conditions, que M. St Ferrand a posées pour pou-
voir admettre le principe d'une migration juive à
Madagascar ; conditions, que nous avons trouvées
tellement justes et raisonnables, que nous les avons
écrites en tête de cette étude.
Paris, juillet 1913.
S. Ferarès.
étaient toutes dépourvues de fermeture Les crimes étaient
extrêmement rares sinon inconnus. On ne peut plus malheureu-
sement en dire autant depuis trois quarts de siècle, que les rap-
ports avec des Kuropéens sont devenus permanents et que ceux-
ci font le commerce de l'alcool, source principale de leurs gains.
Ibidem, tome I, p. 38.
1
DIE INDO-GERMANISCHEN LEHNWORTER
IM GEORGISCHEN
(Suite)
libri, lirp'i. lirdsi « impudent » ; aarm : lirb, narm :
lirb « impudent ».
malaki « petite corbeille » ; aarm : mal, narm : mal
« sieve ».
matakarani « celui qui est chargé de couvrir la table » ;
aarm : matakarar, narm : matakarar. . . . steward,
manager. . .
matiane « rouleau, annales o ; aarm : matean, narm :
matean « book, roll, register, code, manuscript ». .
mad.si « manche de la charrue » ; aarm : mac, neuarm :
mac « handle, stilt of a plough ».
mgeli « loup » ; aarm : gail, neuarm : gail « wolf ».
Hubschmann hait die Uebereinstimmung fùrzufâllig
p. 397.
mihaki « œillet (plante) » ; aarm : mexak, narm :
mexak « clove ».
mortsi «rejeton, nouveau jet, ramification »; aarm :
morç, narm : more u. morç « bough, branch».
mûri (( matière noire qui s'attache aux cheminées » ;
aarm : mur, narm : mur « lamp-black, pine-soot,
soot, blacking, ink ».
— 32 —
musa, musaki « ouvrier » ; aarm : mçak, narm mçak
« husbandman. cultivator. .. ». auch arabisch.
nahpeti =: mouravi : aarm : naxapet, narm : naxapet
Li. nahapet (Ts. naxapet) a patriarch, chief, of a fa-
mily, prince ».
nivt'i (( chose, matière, élément » ; aarm : nivt', narm :
nivt « matter, body, élément ».
parki « sac, posche » ; aarm : park, narm : park « sack,
pag, purse... ».
pativi (( honneur, respect » ; aarm : pativ, narm : pativ
(( honour, token of estim ». .
patizi (( punition, labeur, fatigue » ; aarm : patiz, narm :
patiz « pain punishment... »
patrudsagi u brebis » ; aarm : patroicak, narm : pa-
troicak « beast for sacrifition or food, apanage, pen-
sion ».
pitaki « lequête » ; aarm : pitak, narm : «note, letter,
bill, card ».
pildsi, bildsi a impur, impureté» ; aarm : pijj, narm :
pilj : «impure, unclean, profane». '
polki «troupe, armée, régiment » (Ts. boilk'), russ :
polk, auch tûrkisch ; aarm : boil, narm : boil «Com-
pany, body, assembly boilk' « pléiades ».
ptuli « fruits frais » ; aarm : ptul, narm : ptul « fruit,
fruits ».
sastiki « dur, cruel, rigide, sévère, austère » ; aarm :
sastik, narm : « sastik,.. rude, sévère, austère... ».
sparazeni « chef, général » ; aarm : sparazën, narm :
sparazên, adj : « armed at ail points, armed from
head to foot » (Ts. sparazin).
— 33 —
seni « maladie, contagion )) ; aarm : sin, narm : sin
(( emply, void, destitute, vain useless ».
sipi « pierre brute, gros caillou )) ; aarm : sep, narm :
sep « peak, point, summit of a rock ».
soro « trou, terrier, gîte, repair »; aarm : sor, narm :
sor (i hole, bor, opening mouth ; den, lair, cave, ca-
vern ; mech. mill trough... ».
takuki « tasse d'or ou d'argent » ; aarm : fakoilv,
narm: « t'akoik, pitcher, water ve^sel, jug, jar... »
taneba « envoyer avec qq. qqc. » ; Ts. tanil, aarm :
tanim, narm : tanim... « to bring... ».
tantali a chanceler en marchant, rôder, se traîner»,
aarm : tatan, narm : tatan adj. « shaky, tottering,
vacillating ».
tandzva « tourmenter, tourment, souffrance » Ts. tanj ;
aarm : tanjem, narm : tanjem « to torment, to tur-
ture, to rack, to afflict .. »
tarakudsa « qui se mêle de tout » ; aarm : tarakois,
narm : tarakois «doubt.. embarrassment... anxiety ».
tertera « prêtre arménien » ; aarm : ter.
tvipari «sceau, estampe ». T.s. tipar ; aarm : tip,
narm : tip « stamp, form, expression... ».
tiki, tikdsora « outre, peau cousue en forme de sac
pour mettre le vin » ; aarm : tik, nai m : tik « lea-
ther bottle, goat's skin ».
tuki « jeune branche de vigne » ; aarm : tunk, narm :
tunk «plant shnib, tree planting ».
uraparak-ad « publiquement». (T.s. hraparaktu); aarm :
hraparakem, narm : hraparakem « to publish, to
make public ».
3
— 34 —
p'arak'ti p'aragi « ceinture » ; aarm : paragay, narm :
adj. « circumjacent, s. circumstance ».
p'int'i « vilain, vilenie, turpiditude, fiente, excré-
ment « (Ts. p'int) ; aarm : p'in, narm : p'in « excré-
ment»,
p'ilt'a « mèche, charpie... » ; aarm : p'ilt'ay, narm :
p'ilt'ay : « lint, scraped lint » auch arabisch.
p'olortsi (( enclos, Jiaie, marché, place » ; aarm : p'o-
loç, narm : poloç « street ».
p'undzi « houppe, touft'e de fils en bouquet » ; aarm :
p'unj, narm : p'unj « thorn, spine, prickle ».
p'uk'si «soufflet, instrument pour siffler»; aarm:
p'uk'k, narm : p'uk'k « blast, blast engine ».
k'arap'i « rocher » ; aarm : k'arap'n, narm : k'arap'n
« steepy side, bank or shore, précipice ».
k'urima « prêtre païen, devin, divinateur » ; aarm :
k'urm, narm : k'urm « heathen or pagan priest ».
qavadzeni a béquille, crosse » ; aarm : gavatan, narm :
gavatan « stick, rod, sv^itch... ».
sambi « endroit couvert de joncs, jonc, souchet » ;
aarm : samb, narm : samb « cane-field, cane-brake ».
samp'uri « le tourne-broche, broche » ; aarm : san-
p'urnarm : samp'ur « spit ».
sant'i « fer rougi » ; aarm : sant' « thunder-bolt, ligh-
tening, thunder ; fire, spark, flashred. hot iron,
ingot ».
saravi « ulcère, pus, virus, chassie ; aarm : sarav,
narm : « pus mater, ichor, sanies... »
sveniereba [svenieri] « beauté, élégance, s'embellir » ;
aarm : snorh, narm : snorh « grâce..., beauty,
charme ».
— 35 —
sirimi « pierre (maladie) » ; aarm : sirim, narm : si-
rim « tomb, sépulcre urn, monument ».
suka (( rue » ; aarm : sukag, narm : « market, bazaar,
market-place » auch arabiscli.
sp'oti « trouble, querelle » ; aarm : sp'o', narm : sp'ot'
« confusion, broit, embarassment... »
tsamitsi « des raisins sec » ; aarm : èamiç, narm : ça-
miç « raisins ».
tsap'i « cruche, seau, mesure de 34 bouteilles » ;
aarm : cap', narra : cap' « measure... ».
dsesi « ordre, loi de la nature, arrangement, disposi-
tion..; aarm : ces, narm : ces a rite, forme, ceremon\».
dserami abricot ; aarm : ciran, narm : ciran a abri-
cot ».
histi, hvesti, husti a grossier, obstiner » ; aarm : xëst,
narm : xist « rough, rigid, arrogant » auch persisch.
hazarpeti (Ts. hazarapët) ; aarm : hazarapet, v. at'ha-
sis-t'avi narm : hazarapet (( chiliarih ».
hambavi « nouvelle, bruit, rumeur, narration, his-
toire » ; aarm : hambav, narm : crédit, honour,
name glory... ».
fj) Neuarmenische Lehnwôrter :
akut'a « fourneau de cuisine » ; narm : akut' « àtre,
foyer ».
anazdeuli, anazdi « inopiné, subit, soudain » ; narm :
anazdak « strange, extraordinary... ».
ardzani, arzanaki, arzaniki « grand pierre, selle de
roche » ; narm : arjan o colonne, statue, simulacre,
idole, instrument, écrit ».
glehi, glehi katsi, grehik a paysan » ; narm : grehik
(Ts. greh) « paysan ».
— 36 —
t'at'mani « gant à doigts » ; narm : t'ai 'pan a gant ».
t'alhi k'ua c talc » ; narm : t'alk o talc ».
kordsialeba « branlement, vacillation » (Ts. korjan) ;
narm : korjanem... « to destroy to ruin... ».
madsari « vin nouveau, qui n'a pas encore fermenté » ;
narm : macar « v^^ine made of sour grapes ».
ohdsani « fin » ; narm : vaxcan (Ts. vaxca) « end,
term, scope ».
dsama « manger » ; narm : jamb « nom^shment ».
Hieran schliessen sich eine Reilie von Wôrten, die
zu identifizieren mirmit denzuGebote stehenden Mit-
teln nicht môglich war ; teils, weil sie sich in der
Form, teils in der Bedeutung, oder ùberhaupt nicht,
in den von mir benutzten Lexicis vorfanden :
azarmatsi « levier » ; arm : hçannaj.
bazma, bazmaki a lampe » ; arm : bazmak.
bunagi, bunaki « tanière, repaire, bauge» ; arm : bu-
nik.
bandzari « herbe potagère » ; arm : banlar.
buni (( manche » ; arm : bun.
gersi '( contusion » ; arm : ver.
dana « couteau, glaive » ; dim : danaki ; arm : danak.
darneuli <( embuscade » : arm : daran.
despani « ambassadeur » ; arm : deapan.
varhvi a pélican » (oiseau) ; arm : vagr.
vahsi (( usure, intérêt illégitime de l'argent » ; arm :
vahs.
vasti (( cavalier » ; arm : vast.
[-]ve 0 même » ; arm : veh (a lat ve »).
zogi, zogi-erthi « quelqu'un» ; arm : zoig.
kazmva « orner » ; arm : kazm.
— 37 —
kakatsi « lueur, splendeur » ; arm : kakaç.
kalatozi, galatozi « maçon » ; arm : kalatos.
kanti « maigre » ; arm : kant'.
kanohi « la première fois qu'on attelle les bœufs pour
labourer » ; arm : kanux.
kenti « nombre impair » ; arm : kët.
ketsi « terre grasse, terre à potiers ; arm : k'eçi.
kokotseba « lamentation)) ; arm : koj.
kopi « bosse, tumeur, loupe » ; arm ; kopk'.
kosti (( corps dur » ; arm : kost.
lambri a corde d'un arc » : arm : lambr.
lurdzi « bleu d ; arm : lurj.
ludsi « nombre pair » ; arm : loic.
matraki « fouet » ; arm : matrak.
manki « défaut)) ; arm : mank.
maraga « nuage blanc )) ; arm : marax.
marani « cave pour le vin » ; arm : maran.
madsankali a entremetteur « : arm : macakal.
meti « superflu, excédent » ; arm : met.
mokreve « champion, lutteur, athlète ».
ostinagi « sommelier, économe o ; arm : ostan.
otshari. otsharoba « repas préparé par un pauvre pour
un riche, afin que celui-ci fasse un cadeau suivant
ses moyens » ; arm : oçxar.
rodsi, rodsiki « don. salaire d ; arm : roçik.
spilendsi a cuivie rouge)) ; arm : spilak.
tarkosi a puisoir » ; arm : tari.
tadzari « temple, église, palais, hôtel, tribunal, cham-
bre de justice n ; arm : tajar.
tikini a poupée » ; arm : tikin.
— 38 —
toti « patte, pied des animaux, bras d'une rivière...,
rameau » ; arm : t'ot'.
tropiali « amoureux, amant »; arm : tipalk.
tup'i « un sillon » ; arm : tup'.
ukan « par derrière, en arrière, après, à suite de » ;
arm : kin, gini.
undzi «trésor»; arm : unj.
urnati « outre, sac de peau » ; arm : urnsul.
p'arehi « bergerie » ; arm : p'srak'.
p'utkari « abeille » ; arm : p'ettk.
p'uqe « creux, vide » ; arm : p'uk'.
p'usi « hernie, descente » ; arm : p'ostank.
p'sua « bonne odeur, parfum » ; arm : p'çel.
k'adzi « démon, satyre, homme rusé » ; arm : kaj.
k'osi « pantouffle » ; arm : k'osik.
k'osiki « bouc d'un an » ; arm : kos.
yandzili « cerisier à grappes.
yone (( force, vigueur, pouvoir, moyen » ; arm : gonë.
slu « sot » ; arm : sil.
sto «rameau, branche, bras d'une rivière, golfe»;
arm : sot.
suk'i (( lumière, beauté, élégance » ; arm : suk', auch
arabisch.
tsiti « petit oiseau, moineau, passereau » ; arm : cit.
dzi « particule finale explétive, qui s'emploie comme
t'u » ; arm : zi.
dsalkoli « bocage ou jardin fruitier » ; arm : jatkavët.
dsirva « messe, liturgie » ; arm : çiret.
dsre (( cercle, orbite » ; arm : cri.
dsuli (( enfant mâle » ; arm : çvol.
dsesmaritad, dsesmaritoba « vérité » ; arm : jesmarit.
— 39 —
harishi « degrée » ; arm : xarix.
hasari « appui, état » ; arm : xasov.
heli « exalté, enragé, délirant, fou » ; arm : xelk'.
henesi a pourri, mauvais » ; arm : xënes,
hizani « famille qui se dérobe à l'ennemi ou fuit la
peste » ; arm : xizel.
hotsa « as:!iassiner, massacrer, exterminer... » ; arm :
xoçel.
halavi « présent du futur à la fiancé » ; arm : halav.
Bei der Transcription der armenischer, Wôrter habe
ich mir in sofern eine Inconsequenz zu schulden kom-
men lassen, als ich armenisch :
ts als c, ds als j, c --= ts, ç = t's, j = dz, ç = t's
wiedergegeben habe.
Trotzdem das Armenischen den Lautstand kauka-
sischer Sprachen hat, so ist doch die Wiedergabe der
einzelnen Laute eine ziemlich verschiedene, wie aus
der nachfolgenden Tabell hervorgeht :
arm : a georg : a, o arm : y
georg
g
d
e
z
ê
9
t'
z
i
1
X
b
n
gX
q
s
d
0
e, î
ç = t's
z
p
e
r
t'
s
z
V
e
t
1
r
h
c = t's
e
n
s
0
P
dz
r
s
t
r
ts
ts
40
arm : c==ts
k
h
georg:
: ds arm :
k,g,k'
h
: V, u
P'
k'
georg
: V
P>
k'
j =dz
z
ô
t
1
—
c = ts
ds, ds
ne
u
m
m
we
0
Es lohnt sich kaum die Arbeit fortzusetzen, aus dem
Grande, weil nirgends mehr, als wie hier, der Man-
gel der Quellenangabe fùhlbar wird, und ehe der
nicht beseitigt ist, eher ist eine Fôrderung unserer
Einsicht in dièse Dinge nicht zu erhofïen. Selbst in
Hinsicht auf dièse Zusammenstellung der Laute ist
schon Vorsicht nôtig, denn ûbersieht man das ganze
Material, so ist das eine ebenso klar wie das andere,
nàmlich, dass eine ganze Reihe von armenischen
Wôrtern tatsâchlich im Georgischen Lehnwôrter sind,
sie kennzeichnen sich einfach dadurch, dass an das
armenische Wort ein -i augehângt ist, wobei indessen
immer zu bedenken ist, dass das Bestreben, die Wôr-
ter auf einen Vokal ausgehen zu lassen nur dem Geor-
gischen eigentûmlich ist, dass wir von den anderen
Hauptdialecten des Georgischen, die z. Taltertûmlicher
alsdas das Georgische, so gut wie nichts wissen,
infolgedessen auch das Verhâltnis der Lehnwôrter
nicht beurteilen kônnen. Aber davon kaum man zu-
nâchst absehen, weil das die geringere Sorge ist, und
daran garnicht zu zweifeln ist, dass das Georgische
tatsâchlich eine Menge armenischer Lehnwôrter hat.
Anderseits aber machen eine ganze Reihe von den
mitgeteilten Wôrtern den Eindruck, als ob es sich um
— 41 —
verschiedene Dialecte oder um Wôrter handelt, die
auf eine gemeinsame Sprache zuruck gehen. Im ubri-
gen kann es sich auch hier ausserdem noch um einen
gemeinsamen Wortbestand zwischen beiden Sprachen
handeln, was sich aus historischen Grûnden leicht
begreift. Entschieden werden kaun aber die Frage
nur dann, wenn es môglich wird, die einzelnen Worte
quellenmâssig zu belegen, wobei zunâchst die unan-
genehme Forderung der Beschaffung der Quellen
und ferner die bei weitem unangenehmere der Datie-
rung zu erfullen ist.
D"" Kluge.
Berlin.
LES MOTS
ARABES ET HISPANO-MORJSQUES
DU ((DON QUICHOTTE »
(Suite)
JNDKX ANALYTIQUE
(Les chiffres en italique indiquent les années 1907 à 1913 corres-
pondant aux tomes XL à XLVI de la Revue de Linguistique).
A
Abou^mè et var., singe ; m. persan passé en ar., arm.,
géorg., russe, JO, 202 et n.
AcEAR pour acelar par sync, prier, <ar. as-Salât.
V. ZALÂ.
AcEiTUNO < ar. az-Zeitoûn, olivier, 07, 241.
Acherk, cherk, ar. occ, basane, maroquin, < berb.
acerkew, peau tannée, i3, 144 sq, 199-201.
Adoucissement de la gutturale ou spirante vélaire
sourde, 08, 69, 129; il, 143 n.
Afarâg, âfrâg, berb.', clôture en toile du campement
chérifien, > alfaneque et var., tente, 12, 210-12.
1. On trouvera une description de ÏAfrâg de Moùlay 'Abd el-'AzIz,
sultan du Maroc, dans E. Aubin, Le Maroc d'aujourd'hui, Paris
1904, p. 449 sq. L'arabe afrâq n séparation » (?) donné dans cet ouvrage
comme étymologie de ce mot (p. VII) n'a rien à voir ici. Cf. Ibn
Batoùta, l. c
— 43 —
Aforro, forro (61), fourrure, doublure, <ar. al-
Farwa, 12, 212 sq.
Agareno, arabe, < Hàdjary, fils d'Agar, 08, 132.
Alà (1), transcr. de A//â/i, 08, 62.
'AXaXàCco et ar. hallala' (Rapport entre), 08, 139.
Albardon < ar. al-Bardaun < 1. burdo, 08, 128.
Albogue <ar. al-Boûq, trompette, 07, 243 sq.; 10,
122.
Alborbola, cri d'allégresse, < ar. al-Walwala\ cri
de détresse, 08, 138.
Alcalà (24) <ar. al-Qala'a, château, place forte, 08,
131.
ALCALÂ (Pedro de) 07, 248; 08, 60, 131; 09, 29;
10, 198; 12, 207; 13, 140, 204,210: et passim.
Alcurnia (23) < ar. al-Kounya\ surnom 08, 129.
Alfageme = l*' ALFANGE < ar. al-Khandjar, poi-
gnard, 2° < ar. al-Hadjam, barbier \ 13, 210.
Alfaneque (60) et var'. 1° n. d'un mammifère, et
fourrure de fanek, couverture, robe fourrée, < p.
ar. al-Fanek, 12, 122-132; 2" n. d'un oiseau de
1. En regard de hallala, l'arabe a encore 'alla, à corap. avec
l'hébreu alal « ejulavit ».
2. Walwala, dans le sens de « cri de joie » est encore usité en
Afrique, mais seulement à Tlemcen et à Alger. Cf. Marçais. Textes
ar. de Tanger, p. 499.
3. AcuNA, patronymique assez répandu, est une autre forme
hispanisée de al-Kounya.
4. Alfageme est en premier lieu le « barbier qui pratique les sai-
gnées ». Par calembour et la phonétique aidant (Khandjar >
fange [r] 'yfagen ^fageme) ce mot en est venu à signifier « poignard»
et peut-être populairement « lancette ». — Khandjar est un mot
persan formé de khoûn « sang » et de kidr « qui produit ».
5. Chez Alcalâ alfaneque est traduit par 1» kibi (= Qabd, robe
fourrée), 2" ffuitàt {— Fostdt, tente, pavillon).
— 44 —
chasse > fr. alphanette, < ar. el-Hannâq, 12,
206 ; 3° tente, pavillon, < berb. âfarâg, voy. ce
mot.
Alfanje (70) 1° < al-Khandjar, 2° = alfarge,
meule de moulin, < ar. al-Hadjar, pierre.
Alfiler (17) < ar. al-Khilâl, aiguille, 08, 124.
Algarabîa > charabia, < al-Wrabiya, la langue
arabe, 07, 242.
Algos, ptg., bourreau, < t. arabisé al-Gho^^, n.,
d'une peuplade turque, 10, 126.
Alhena < ar. al-Hinna, racine de henné employée
par les tanneurs, 13, 145.
Alimana' = animalia, bête de somme, 07, 245.
Aljamîa <ar. al-Adjamiya, langue des non-Arabes,
07, 243.
Almogâvar, incursionniste, < ar. al-Moghâwir, 09,
23 n.
Ameji (8) = ar. amcht, va-t'en, 08, 66.
Amelgar, 1° tracer des sillons, < ar. "Ami el-Khatt;
2° poser des bornes, <'Aml el-Hadd, 09, 14.
Amohinarse, se courroucer. Voy. mohino.
Armany , ar., arménien, > armino, it. armiglio, her-
mine, 12, 121.
Atriaca (38) < ar. at-Tiryâq <B7)piax7Î, 09, 'SI sq.
Azote (55), ptg. açoute <ar. as-Saut, fouet, lî,
208-9.
1. Alimana. — Pero Tafur raconte {Vlajes, p. 88) qu'il vit au Caire
une animalia appelée Xerafia (girafe). Sancho Panza traite sa
femme A' animalia (D. Q. 2' p'' ch. V). Le fr. a conservé aumailles,
anc. almailles <C\. animalia, bestiaux, à coté de ouailles =^ ooailles
<C ooiculœ. L'esp. a eu comme variante alimania.
— 45 —
B
B final ar. > n esp.. Voy. Index, note s. v. chalan.
Badulaque {22) < Dadlakha\ billevesée, 08, 129.
Bagare (> bagarre) < prov. bagarin < bagarino 09,
15.
Bagarino (29), rameur, < ar. Bahry, marin, 09, 13-
15.
BagLiatin, dans Rabelais, pour baguarin, 09, 15.
Bahari, faucon pèlerin, <ar. Bahry, qui passe la
mer, 09, 14.
Bahurrero, marchand-dresseur de faucons haharies,
09, 14.
Baldaql'i. it. baldacchino, baldaquin < Baghdâdy,
11, 152; 13, 204. Cf. Index, note s. v. Brodequin.
Ballarin' (faucon) < bahari, 09, 14.
Bartâsy' (Peaux de renards russes dits), 12, 51, 124,
126.
4. Badlakha est à, comparer avec baldaha, même sens, dans Belot,
Vocabul. ar. — fr..
2. Ballarin. — Ce serait (cf. Littré, Hatzefeld) un faucon amené de
Hongrie. Mais Quintana traduit ce mot par bahari, épithète qui
signifie, suivant le P. Guadix et Tamarid (cf. Cobarruvias), ultra
marino et s'applique à une espèee de sacre ou de gerfaut. Le châhin
bahry était connu en Egypte (Derenbourg, Ousàma, p. 214). 11 lest
encore en Algérie (Dozy, Gl. et Su/ipl.).
3. Bartdsy. — Ce nom ethnique de fourrures si appréciées dans
tout l'Orient médiéval était dérivé du nom que portait une peuplade
d'origine turque as-ez importante par le nombre et établie le long
d'un affluent de la Volga dont les géographes arabes placent la source
en territoire bulgare, à 2U journées de voyage de la mer. Les Bartâs
ou Bortàs possédaient sur ce cours d'eau, que sillonnaient de nom-
breux bâtiments de commerce, une ville dotée d'une mosquée
cathédrale, car ils étaient musulmans. Ville et rivière s'appelaient
Bartâs. Leur pays, tributaire du roi des Khazars, s'étendait snr une
— 46 —
Beldraquiq , faute d'impression du Vocabulista d'Al-
calâ, 12, 204.
BELLINP (Un tableau de Gentile), 10. 117.
Bérîd, p. arabisé, cheval de poste, espace de 4 para-
sanges, relai, poste aux chevaux. Voy. Veredus.
Bedeh, t. < ar. Badiakha > Badulaque, 08, 129.
Bô-acerkew, berb.. fait de cuir tanné, > ar. occ. bô-
cherky > borcegui, brodequin, 13, 201-3.
Bocaci (39) < t. arabisé boghaci, boucassin, 07, 246;
09, 202-7.
Boghtcha\ p. et t., serviette carrée, toilette, sac, 09,
206; 12, 266,
Bogiganga (63) = mogiganga, costume et troupe de
longueur de 15 journées de marche (du N. au S.), entre la Bolgharie
et la Khazarie. Ces chasseurs de fourrures parlaient un idiome qui
n'était ni le khazare, ni le bulgare, ni le turc. (Cf. Mas^oùdy, Pr.
d'or II, p. 14; Yàqoùt, Mn'djem. I, p. 567). La rivière des Bartâs
était sans aucun doute la plus considérable (320 k.) des trois cours
d'eau appelés aujourd'hui Irghiz et dont le confluent se trouve à
Volsk, entre Samara et Saratov.
1. En attribuant cette toile à G. Bellini, Schefer {Gaz. des Beaux
Arts, 1895, II, p. iiOl) n"a pas pris garde qu'en 1512 le célèbre peintre
Vénitien était mort depuis cinq ans. Il existe de ce tableau une ré-
plique (?) due au pinceau de Giov.Mansueti, élève de Bellini (f 150U),
et qui n'en diflère que par un plus grand nombre de personnages du
premier plan. Parmi ceux-ci se trouve un derviche mendiant que
M. J. (iuifïrey, qui signale ce tableau dans Les Arts (nov. 1911),
prend pour St Jean Baptiste prêchant.
2. Boglitcha, diminutif de bogh, m. persan, passa vers le XIP s. en
arabe sous la forme baqdja et baqcha, conservant le sens de « enve-
loppe de toile et surtout de cuir, ^ac et sacoche (Johnson). On tire
communément bagage de bague (v. fr.) attendu qu'on croit retrouver
celui-ci dans le celtique ou le nordique. L'anglais a bag « sac »,
l'esp. a basfa et bagazo « enveloppe (de la graine de lin) » et bagaj'e
« charge et bête de charge, équipage, bagage », ptg. bagagem, cat.
bagatge it. bagagUo. Est ce suffisant pour justifier l'ôtymologie
baqcha proposée par Eguilaz ? Cf. ar. Waliha^h. oaiigia^ valise.
(Devic, Eguilaz, Lammens).
— 47 -
théâtre, etc. < ar. Mohî-Glioundj {Mouheyyâ l-
Ghoundj), figure à grimaces, 13, 65-69.
Bombax > ar. Ghounbâs et Qounbâz, fr. gamboison
et var., 11, 155 n.
Borcegui 68) <ar. bô-cherky, brodequin, 07, 244;
11, 152; 13, 70-72, 140-6, 199-204.
Botarga (41) < ar. Boutarkha < aûyoTapaya, bou-
targue, 09, 276-9.
Brodequin', fl. broseken < it. bor^acckino < borce-
gui, 13, 71, 203.
BuRDÉSANO, mod. BURDÉGANO < 1. biu^do asinœ, 08,
128.
C
Cabacala, cat. = zabazala < ar. Sahib es-Salât,
08, 68.
Caraco < jalaco <t. yélek, 11, 143 n.
Carcajada < ar. Qahqali, éclat de rire, 08, 139; 13,
208.
Casaca (51), it. casacca, casaque, etc. (Etymologie
- de), 11, 144-156, 206.
1. Brodequin. — Ainsi qu'en témoignent deux passages de Frois-
sart cités par Lacurne (IV, p. 2), on appelait autrefois brodequin une
étofie de soie précieuse et non un cuir fin, comme le croient Dozy et
Eguilaz (art. Boucegui/, erreur qui les a amenés à des conclusions
tout à fait opposées sur l'origine de borcegui et de brodequin (bot-
tine). Quant à brodequin (étoffe), il n'est pas douteux que ce soit le
même mot que baldaquin, dont il peut être une déf(>rmation influen.
cée par broder. Baldaquin et son doublet brodequin répondent donc
à bagdadin. Dans cette curieuse dérivation Baldac < Baghdad, le
changement de ad en ac ne s'explique que si l'on tient compte des
deux façons de prononcer ce nom : Bardâd à l'arabe, Bagdad à la
turque. G (gh) =; r fricative laryngale > r> l. Les deux prononcia-
tions confondues, (/ > c s'est conservé nonobstant, en se transposant
au détriment de d.
— 48 —
Casaqui, casaquin, it. casacchino < p. arabisé Ka^â- _^
ghand, cotte d'armes, plastron, 11. 152, 154 sq.
Gavial, cabial (40) < t. khaoiar, caviar, 09, 207 sq. ;
11, 206, 207.
Caseta, b.-l., vestimenti genus, <ar. vulg. Kazâta,*
Kazàka, 11, 149, 152 sq.
CERVANTES' arabisant de fortune. 07, 240, 247
sq.; 08, 131; 09, 30; 10, 279.
Cliakk, ar. > it. giacco, jaco, jaque de mailles, 11,
154 n.
Chalan, acbalandeur ' ; chalaneado, chaland, < ar.
Djallâb, marchand qui fait la traite, qui traîne
bêtes ou esclaves, 08, 62 n.
Chaleco (52) = jaleco', gilet. < t. yélek, 11, 144.
Chamarre et simarre (Etym. de), 12, 51.
1. Cervantes. — Haedo [Top. f° 23 v°) constate que les Chrétiens
qui, à Alger, ont affaire avec les indigènes, parlent tous plus ou moins
l'arabe. Aussi est- il admissible a priori que Cervantes, après un
séjour de cinq ans à Alger, ait acquis quelque pratique d'une langue
qu'il était habitué à entendre parler autour de lui depuis son enfance.
Un buste commémorant son aventure lui a été élevé, il y a une
dizaine d'années, en avant d'une caverne située au-dessus du Jardin
d'essai et qui passe pour lavoir abrité lors de son évasion.
2. Chalan. — L'étymologie ar. Djallâb est dEguilaz. Ce ne serait
pas le seul exemple d'un h final arabe changé en /( esp . Tels sont :
ai-'A5'ra6> ALACRAN (scorpion), aZ-MoAia.çii > a lmotacen (inspec-
teur des marchés). Le sens propre du verbe Jjalaba est « traîner
derrière soi ; d'où : mener pour vendre, importer ; puis : rassembler,
attirer en grand nombre ; crier pour entraîner ». Ce sont bien les
actes auquel se livre le chalan. Or notre mot chalan, chalant, ou
chaland avait au XII' s. le sens de « conducteur » ; il souligne le
mot « chef » dans l'exemple donné par Hatzfeld et Littré. La séman-
tique de ce mot est comparable à celle de cliens en latin et client en
français.
3. Chalkco. — Ch<j. Chaqukta el chupa, doublets de jaqueta
et JUBON se sont formés sous l'influence du français.
— 49 -
Chamra, ar. andalou, sorte de vêtement, < chamar-
ra, 12, 53.
Cherky, berb. arabisé, transe, par charequi, xerqui,
XEREQUiLLA, maroquin fauve; apprêt, tan spécial;
genre de gazelle; sorte de chaussure, 13, 141-6.
Xî(Ji.aipoç et napol. Mmmavo, houppelande de poil.
Cimarra (58), it. Jtmarra, simarre, < t p. et ar.
sâmoûr, zibeline, 12, 51.
COBARRUVIAS ou COVARRUBIAS ^ {Tesoro
de), 07, 248; 08, 125, 131; 09, 205: 10, 117;
13, 69, 71, 140, 206.
Commerce et industrie des boucassins d'Anatolie, 09,
202-5; — du caviar et de la boutargue\ 09, 207,
sq, 275-77; — des fourv^ures fines ^ 12, 53-63,
1. COBARRUVIAS. —Il s'est également servi, pour composer sop
Tesoro, d'un petit dictionnaire étymologique dû au philologue San-
chez de las Brozas et resté manuscrit. Cf. Mayans, Vita Francisco
Sanctii, § 227. Le P. Benito Remigio Noydens en donna une nou-
velle édition augmentée, Tesoro.... ahadido, en 1674, â Madrid
2. Commerce... du caciai- et de la boutargue. — u C'est une chose
bien étrange, dit P. Tafur (1433), que de voir les nations qui vivent
aux en tours de la Tana (Tanais). On tue là des poissons appelés
merona, qui, parait-il, sont énormes ; on entasse dans des tonneaux
leurs œufs qu'on exporte, pour les vendre, à travers le monde, princi-
palement en Grèce et en Turquie, sous le nom de caciar (sic). Cela
ressemble à du savon noir; on prend cette pâte molle avec un cou-
teau et on la fait sécher comme nous faisons pour le savon. En la
jetant sur les braises, on la rei)d dure, et l'on voit alors que ce sont
des œufs de poisson. C'est chose fort salée ». ( Viajes, 1, p. 166). André
Thevet, un siècle plus tard, consacre à son tour quelques lignes
intéressantes dans sa Cosmographie (f"^ 260 et 270) au sujet du
caciarre ou morounna « qui se fait au pays des Scythes et, pour le
meilleur, près de la petite mer Méotide ». Sur la boutargue d'Egypte,
voyez J. Thénaud, Voy. d'outremer, p. 31 ; Lucas, Voy. etc., Paris
1720, II, p. 242 ; Savary, Lettres sur l'Egypte, Paris 1786, I, p. 241.
3. Commerce des fourrures. — .\u XVP s., l'ile aujourd'hui dis-
4
— 50 — .
122, 126; — des maroquins ou cordouans ' de
datiles, 13, 141-144.
Corbacho (53), < t. qêrbatch < hongr. korbâcs,
courbache, 11, 203-7.
CoRBATA < cravate < Arua^ = croate, 11, 148, 205.
Cravache < corbacho, //, 205.
D ar. changé en s par l'esp.. Voy. zoraida.
D entre deux voyelles Syncope de), 10, 200.
Dict. gén. de la langue fr. par A. HATZFELD, A.
DARMESTETER et A. THOMAS. 08, 63,
139; 10, 198; 11, 62, 143 n., 147 et n., 205-6;
13, 203.
DIEZ, Glossaire et Grainm. des langues rom. (Opi-
nions contestées de), 08, 130; 10, 201, n. 3; 11,
146; 12, 52, 212 n., 269; 13, 141.
DJalîka, ar. occid. < it. giulecca < t. yelek, soubre-
veste, ii, 61, 144.
parue A' Alopécie, aux bouches du Don, était depuis longtemps un
lieu de rendez-vous international pour la vente et l'achat des pel-
leteries russes, principalement de ces peaux de renards si fameuses
au moyen âge parmi les Orientaux sous l'appellatiou de Bartâsiya.
Son nom d'ailleurs significatif datait de l'antiquité. Thevet dans son
Grand Insulaire et pilotage parle assez longuement de cette île et de
l'important trafic « de ces pelleteries, de ces bestes renardières et
autres peaux comme celles de marthes, loups cerviers, cerfs... » qui
s'y faisait encore de son temps. Cf. P. Boyer, Un cocabulaire fran-
çais-russe extrait du Grand Insulaire etc., Paris 19'J5.
1. Commerce de maroquins. — « Les cordouans sont des espèces
de maroquins avec cette différence qne les cordouans sont apprêtés
avec le tan et que les véritables maroquins sont apprêtés en sumac
ou en galle ». Savary de Bruslons, Dict. du Commerce. 1675. — Voy.
aussi A. JoUy, La tannerie indigène à Constantine dans Reçue du
Monde musulman, Mars 1909.
— 51 —
DOZY{Dict. des Vêt. av.; Glossaire, etc.), 07, 246;
08, 67, 126, 127, 134 sq. ; 09, \1 ', 10, 117, 121,
123; 11, 59, 61, 62, 208 n., 152 n., 153 n. ; 12,
123 sq., 208, 211, 268; 13, 67 sq, 70, 142, 201-
203.
DU CANGE, [Gloss. med. et inf. latinitatis) , 09,
204, 206; 10, 199; 11, 149, 155; 12, 269.
EGUILAZ Y ZANGUAS [Glosai^io etimolôgico et
Notas etim.), 07, 58; 08, 64; 09, 29, 279; 11,
144; 12, 208, 210-11, 212 sq., 266-7, 271; 13,
67, 203-4 ; et passim.
Elche, helche (35) < ar. 'Ildj, renégat, transfuge',
09, 25-29.
Elchi (36) r= t. eltchi, ambassadeur, 09, 29.
Electuaires et stupéfiants. Voy. thériaque.
Epenthèse de a, voy. pasamaque, baharî ; — de e,
voy. TAMEji, TAHELi ; — de n, voy. rebenque;
— de r, voy. alcurnîa ; — de a, voy. badulaque.
Etymologies basques et celtibères, 08, 67; 10, 117,
124; 12, 52, 212; 13,2m sq.
1. Elche. — Sur les transfuges et renégats Mores ou Chrétiens,
voy. Ibn Khaldoun, Prolég. tr. de Slane, II, p. 82-3, Boulaq, 1, p. 229,
1. 3-18 ; Dozy, Vêt. ar. p. 43 ; Alemany, MiUcias cristianas al ser--
cicio de los sultanes del Almagreb dans Y Homenaje à Codera, Zara-
goza 1904. Sur la course, les prises, le rachat des captifs, inter alla ;
Mèm. du Ch^ d'Aroieuâe, éd. cit., ch. V ; G. Lambert, L'œuere de
rédemption des captifs à Toulon, dans Bull, de l'Acad. du Var, 1882
(quelques erreurs dans l'identification des mots turcs ancienne-
ment estropiés, p. ex. p. 24 du t. à p. : San Jacobeis, lire sandjaq-bey,
Cacaya, 1. Kiahya, sousbassa, 1. soû-bachi, etc.) ; H. de Grammont,
Etudes algériennes, dans Reçue historique, 18S4-85 ; Reçue .ifricaine,
nombreux articles de différents auteurs.
— 52 —
Etymologies orientales traitées par Don Quichotte, 07 ,
243-250.
Etymologies populaires', 09, 19 et n. ; 11, 151 n. I
- F
Fanek, p. t. ar. > alfaneque, Fennecus Brucei\ 12
121-132.
Fiel (13), aiguille de la balance, axe de la romaine,
inspecteur des poids et mesures', < ar, Khilâl,
aiguille, 08, 124.
FiLALi r=z ar. filâly, étoffe ou cuir du Tafilalet, 08,
134.
Finnich, mozar. <hinnus, ïvvoç\ bardot, 08, 127.
1. Etymologies populaires. — Tout ce qu'une étymologie populaire,
en matière géographique, peut comporter d'excessif est contenu dans
celle qui a changé le nom classique de l'Hj'mette en Trelo Vouno,
les Grecs traduisant ainsi en langage moderne les deux mots turcs
Déli dagh « la montagne folle ». Or les Turcs n'avaient fait eux-
mêmes que traduire le calembour par lequel les Florentins maîtres
de l'Attique — au XIV-XV" siècle — désignaient l'antique mont cher
aux abeilles, Il Matto « le fou ». Le nom des Toucouleurs < Tœoco-
lours, qui fut longtemps une cause de méprise, n'a d'autre préten-
tion que de reproduire celui de Tekroûr. Les altérations de cette
espèce sont infinies.
2. Fennecus Brucei. — La notice adressée par Bruce à BuÊfon au
sujet de cet animal date de 1765. Cf. Bufîon, t. III de ses Supplé-
ments. — C'est un voyageur-écrivain totalement oublié aujourd'hui,
L. Du Couret, converti à l'islam sous le nom de Hàdji 'Abd el-Hâraid,
qui fit don au J. des PI. du premier fennec vivant importé en Eu-
rope. Cf. « Le Siècle » du 6 oct. ISiil; Reçue et magasin de zoologie,
n" d'oct. 1852. Dans son ouvrage Les Mystères du désert (2 vol. in-12,
Paris, 1859), il décrit un fennec capturé par lui dans les ahqâf du
Hadramaut (IL p. 24 sq.) — Enfin « La Patrie» du 12 août lô58 re-
late l'entrée au J. des PI. du couple algérien mentiouné, don du
G*' Yusuf.
3. Fiel. — « El segundo oficio de almotacen (el-Mohtasib) sirve de
Hel y como veedor (inspecteur) de los pesos y medidas publicas. »
Haedo, Top. i' 45.
4. "Ivvoç, poulain, est à rapprocher de ytvvo?, fruit avorté, mulet.
— 53 —
Fôdr, goth., fourrage, fourreau, fourrure (Dérivés de)
12, 212-14.
Forro (61), fourrure, doublure (Etym. de), 12, 212-
14.
G
G, occlusif esp. <h ar. 09, 4 ; < kh, 08, 69; < gh et
q 10, 24.
Gabarra, gabare, métathèse de bagare, > ar. qabâra
09, 15.
Gaita (46) < t. arabisé Ghaïta, musette, hautbois,
cornemuse, 10, 118-126: 11, 206.
Gaita zamorana (47), musette à pipeaux, cornemuse,
< ar. ghaita et :sammâra, flûte, 07 , 243, 249 ; tOj,
118.
Garbear (13), piller, voler', < ar. kkaraba, saccager,
08, 69.
rapyapt^w et ar. gharghara (Rapport entre). 08, 139.
Genizaro 43) < t. géni tchéri, janissaire, 10, 51-56.
Ghaïda, m. t.' passé en hongr., slave, ar., esp., 10,
124-6.
1. Garbear,— verbe sans substantif, appartient à l'ancienne j'erga
ou argot des voleurs et des bohémiens, dont le vocabulaire était en
partie emprunté à l'arabe, tels caramo < Khamr, vin, cica < Sikka,
bourse, tagakote, escogriffe < Taherty, faucon de Tahert, gurape
< Ghourâb, galère, mots que Cervantes n'a pas dédaigné de placer
dans la bouche de Rinconete et de Cortadilla, héros de l'une de ses
Noeelas ejemplare.<, intitulée d'après ces noms.
2. Ghaiday> gaita, etc. — W. Marçais dit avec raison (Textes av.,
p. 407, parus en 1911) que « pour décider de quel côté sont les
emprunts, il faudrait d'abord connaître l'histoire du mot dans cha-
cune des langues où il se trouve ». Peut-être ne serait-il pas trop
difficile de fixer l'époque à laquelle il est le plus anciennement attesté
dans les langue slaves. Mais s'il s'agit des dialectes turcs parlés au
moyen âge et dont nous ignorons à peu près tout ? Comment savoir
— 54 —
Ghoundj, ar/ < p. ghong ou ghang, œillade, agacerie.
Voy. BOGIGANGA.
Gilequelco (49) =t. ar. yélek el-qoul, casaque de cap-
tif, 10, 278 sq. ; 11, 207.
Gilet, prov. ; gelet, auv. ; gileco, niç. ; guilecca, it. ;
jiLECO, JALACO, CHALECO, csp., < t. yélek, 11,
143 sq.
GholeUa, ar., sorte de vêtement", > ar. vulg. ghonîla,
11, 61 n., 150.
par exemple si ghaïda n'a pas son origine dans le petchénègue, le
khazare ou le bulgare, comme samour et très probablement klia-
ciar ? — Toujours est-il que, d'après Berneker (op. cit.), ce mot si
manifestement cosmopolite aurait fait souche jusqu'en ail. par
l'intermédiaire du hong. (/aiW > Gejohle, gaidolnty> dudeln et jodeln-
En ruthène, gâïda au sing. est une flûte de berger, mais au pi. une
cornemuse. Enfin de gaita esp. viendrait gayo > it. ^9aio> gai,
dérivation que Simonet n'est pas éloigné d'admettre et qu'indique
déjà Cobarruvias, estar de r/aita signifiant « être en gaieté ». Les
étymologies proposées à ce sujet sont toutes des hypothèses et non
meilleures que celle-ci.
1 . Ghoundj. — Le persan ghong ou ghang entre en composition dans
les mots ghandjar(.i fard » et gharghand/è (ghar prostituée) d'où nous
viendrait, d'après Pihan (cf. Devic) gourgandine, par l'intermédiaire
de l'arabe. — Le Coran fait une allusion discrète au taghannoudj\
aux provocations impudiques du regard et du geste. Il recommande
simplement aux femmes croyantes de n'aller que les yeux baissés, le
sein voilé, le pas silencieux (XXIV, 31). Isaïe, dont on ne peut
affirmer que Mahomet se soit inspiré en cette circonstance, est bien
plus prolixe (III, 16-26), et c'est avec sa véhémence habituelle qu'il
stigmatise et menace les orgueilleuses filles de Sien « qui marchent
la gorge en avant, en lançant des œillades, qui marchent à pas
menus, en faisant sonner les anneaux de leurs pieds ».
2. Gonila (chez Haedo) < ar. GholeUa, vulg. Gholila, dim. de
Gholla forme simple de Ghilâia. C'est la veste des zouaves. — Du
Gange, au moiguclla (b.-I.) a « les guenelles des bannières » ; nous
dirions « les plis » pour a l'étoffe », à moins qu'il ne s'agisse des
(( cravates ». D'ailleurs, ces deux significations sont attestées : la
gonille était un rabat (( à l'espagnole », voy. Le Mariage de Figaro,
description ,du costume de Brid'oison ; la gonne, ang. gomn, longue
— 55 —
Ghourâb, ar. < xàpaêo^, caravelle, 09, 14.
Gualà (2) transcr. de ar. wallàh, par Dieu, 08, 63.
Guenon (Etym. de), 10, 200 n.
H
//arabe > g. /'esp.. 09, 14.
HAEDO (Diego de), Topogràfîaé historia gênerai de
Argel, 09, 14, 16, 26, 27, 28etn., 281; 10, 122;
//, 57, 61 n.; 12, 59, 267; 13, 140, 209.
Hallali, et ar. HallaUna, cris d'allégresse : onoma-
topées, 08, 138.
Hamâïl, Hann/a ', ar., baudrier et amulette, 13, 208-
209.
Hoqueton, esp. algodon < ar. al-Qotn, coton, 9, 204;
11, 155; 12, 50,52.
I
Imâla- ou fléchissement du son â > è> i, 08, 133.
robe à plis amples, telle l'ancienne Gholla orientale, désignait aussi une
bande d'étoSe, voy. Froissart h ... vestus d'un parement de gonnes »
(cf. Lacurne IV, p. 2). On a donc : b.-l. guella = guenille ^gue-
nille, var. gonille < ar. occ. gonila {Ghonila) <C Gholeila<C Gholla
>> b.-l. guella. Par ainsi l'origine de guenille cesserait d'être incer-
taine et gonne devrait être regardé non plus comme un mot primitif,
mais comme étant soit un apocope de gonille. (cf. casaque <ca~-a-
quin), soit le mot Gholla altéré en Ghonna ; et ce serait en Europe une
importation de plus à l'actif des Croisades.
1. Amûlëtum (> amulette), remède préservatif contre les mala-
dies et les maléfices, phylactère, est un mot étranger au latin, vrai-
semblablement issu d'un mot sémitique aujourd'hui perdu, comme
tant d'autres, mais survivant dans le hamilat °"-n ^q l'arabe classique.
2. Imâla. — Le changement de â en t dans le langage courant
était fréquent en arabe andalou ; Ibn el-Khâtib l'a signalé (cf. Dozy
Gl. p. 26; Simonet, GL p. CXXVI). On le constate dans le maltais.
En arabe égyptien, il affecte Va bref.
- 56 —
J
Janissaire < it. giannùer^o < t. yéni tchéri, 10, 51-54.
Janissaires, scribes de la chancellerie du Pape (Etym.
pop. de), 10, 53. '
Jileco (50), GiLECo, jalaco, xaleco, justaucorps, < t.
yélek, 10, 280 sq.
Jota esp. (Valeur phonétique de la), 08, 66 ; iO, 54-56,
280-1; /i, 144.
Jumâ (9) = ar. [ Yaum el-]Djourria, vendredi, 08, 66.
K
Kapi, scr. > hebr. qôf, arm. kapik, géorg. qapou-
:^ouna, 10, 202 n.
Kàdaç, tunique de cavalier = p. Kaz ou Kaj, bourre
de soie > ar. Qaz:^, soie écrue, 11 , 145, 151.
Kayà^co et ar. qahqaka (Rapport entre), 08, 139.
Kazâghand, m. p., plastron, cuirasse, cotte de guerre \
> it. casacchino, ail. dial. gasgenger, etc., casa-
quin, 11, 151-2, 154.
Korbàcs, hongr., nerf de bœuf; passe en slave et en
turc, 11, 206.
1. /ira3â9/)an(/. casaquin. — « Quant iceulz esclaves vont en guerre,
ilz sont toujours de cheval, armez seulement de cuirasses meschantes,
coucertes de soie ». Ghillebert de Lannoy, Œuores, éd. de Potvin,
Lonvain 18/8, p. 119.
(A suivre) Paul Ravaisse.
BIBLIOGRAPHIE
Conjugacion sintética del verbo basko, por el
R.-P. SoLOETA DiMA... Bucnos Aires, imp. de la
Euskeria, 1913; in-i2 de 58 p.
Décidément, — et j'en attribue tout l'honneur à la
vaillante activité de M. J. de Urquijo, auquel cet
opuscule est dédié, — les études basques ou du
moins les travaux des basquisants nationaux, sont
en progrès et entrent résolument dans le domaine
de la science. Le temps n'est plus où Ton procla-
mait la périphrasticité organique du verbe basque et
où les Inchauspe et les Duvoisin excommuniaient
doctrinalement ceux qui ne voulaient pas comprendre
que dakit fût une contraction de yakiteii dut., ou
que yoaiten naiz se réduisit à noa.
Après M. de Eleizalde, le R. P. Soloeta affirme la
simplicité naturelle du verbe basque, non seulement
pour les radicaux vocaliques, mais aussi pour ceux
commençant par une consonne, et il donne pour
n\oàe\e dazurit «je le blanchis» et napoz « je me
réjouis », des radicaux zuri « blanc » et poz «joie »;
c'est parfait. De plus, il donne un paradigme normal
et logique : dut, duk, dun, du, dugu, duzu, duzue,
date; c'est excellent et on ne saurait trop l'en féli-
citer.
— 58 —
Malheureusement, M. Soloeta, qui n'est pas lin-
guiste, se préoccupe surtout de la conjugaison
synthétique^ c'est-à-dire théorique, moderne, et il
admet la finale n de l'imparfait (qu'il appelle co-pré-
téit), la distinction en intransitif et transitif et un
nombre vraiment trop considérable de temps et de
modes.
Dans les pages relatives au verbe périphrastique^
le savant auteur propose quelques réformes (sic) à
faire au verbe «avoir» en guipazcoan. Ces proposi-
tions ne me paraissent pas heureuses. Ainsi, de ce
que les premières personnes sont det et degu, il ne
s'ensuit nullement que les troisièmes doivent être
de et dete pour du et dute. Ces dernières sont au
contraire les seules organiques et naturelles ; det et
degu sont abrégés de deut oîi deugu dérive, par ce
que nous appelons guna en Indo-Européen, de dut et
dugu. Le basque, en effet, a cette double particu-
larité phonétique de renforcer par e et a Vu orga-
nique (cf. uri, euri « phiie ») et de réduire à la pre-
mière composante les diphtongues eu et au: cf. aditu
« entendre » du latin audi^ et jangoikoa « dieu » de
jaungoikoa, que Darrigol a traduit naïvement « le bon
maître d'en haut », voyant dans youn une contrac-
tion de yabe on ; j'ai fait voir que c'est au contraire
yabe ou yaube qui dérive de yaun. La chute de la
nasale finale est normale en basque [eguberri, eguerri
«jour nouveau», nom de la fête de la Noël); celte
caducité atteint même les mots d'emprunt : cf.
Lekhueder « Beaulien » et Lehhuine « Bonloc » du
latin locum {lekhumberri « nouveau lieu »), où o
— 59 -
est devenu e comme dans mementu pour momentum,
mutation qui permet de voir dans mendi le latin
montem : le vrai mot basque « montagne » est haitz>
aitz, ai:;, az, as : aizkibel, aupuru, aizpitarte, az-
koïtia et azpetia, azkazate, etc.
En parcourant la brochure de M. Soloeta, et en
retenant les éléments morphologiques de la dériva-
tion, je me rappelle une proposition de M. Uhlenbeck :
le basque a dû posséder la déclinaison pronominale
et il devait la former par suffixe : aita-t « mon père »,
amagu « notre mère ». Il est certain que le pronom
suffixe est un signe de détermination ; mais je crois
qu'ici, comme dans le pronom réfléchi (ou relatif),
ce qui domine c'est l'idée personnelle qui devient la
principale ; si ces formes ont existé, on devait em-
ployer les préfixes : de même qu'on disait nîhaur
(( moi-même », zuhaur « vous-même, vous autres »,
on devait dire maita « mon père », gii-ama « notre
mère », etc. C'est par des considérations de ce genre
qu'on explique la difTérence de position de l'adjectif
et du génitif vis-à-vis du nom déterminé.
En finissant, il me sera permis de rappeler que la
simplicité primitive et organique du verbe basque a
été reconnue depuis longtemps par plusieurs lin-
guistes et notamment par Mahn, par Van Eys, par
Schuchardt et par moi,
Julien ViNSON.
— 60 —
The Guipuskoan Verb of the year 1713, found in
the catechismofJosé Ochoa de Arin,... by E.-S. Dodg-
SON (extrait de « Hermatena », 1 vol. pet. in-8°, de
83 pp. (pages 40-57, 291-308, 76-96, 220-244). Univer-
sity Press, Trinity Collège, Dublin, November 1913.
L'amateur fantaisiste qui, ainsi que je l'ai dit ail-
leurs, tient à la fois de Don Quichotte et de Zoïle,
poursuit avec une ardeur méritoire la tâche ardue
qu'il a entreprise, le dépouillement des vieux livres
basques, pour relever toutes les formes verbales, ce
qui est fort utile pour l'histoire de la langue. Il
prend aujourd'hui le catéchisme d'Ochoa de Arin,
qui est le premier livre guipuscoan imprimé connu
et qui a paru à Saint-Sebastien en 1713. il est fort
rare, car on n'en connaît guère plus de cinq ou six
exemplaires, dont un fort défectueux que je pos-
sède.
11 résulte de cette étude qu'en guipuscoan, comme
dans les autres dialectes basques, les formes ver-
bales simples étaient beaucoup plus employées il y
a deux siècles qu'aujourd'hui. La conclusion s'im-
pose. Je remarque quelques formes en albait, opta-
tif assez fréquent dans le Nouveau Testament de
Liçarrague. Julien Vinson.
Suomalais ugrilaisen Seuran Atkakauskirja. Jour-
nal de la Société Finno-Ougrienne, tome XXVllI.
Helsingfors, 1913, in-8°, 61 p., XXVlll planches,
3 cartes ; .55 p. et 1 planche ; 90 p. ; 18 p. ; 49 p..
Suomalais ugrilaisen Seuran Toiniituksia. Mé-
— 61 —
moires de la Société Finno-Ougrienne, tome XXX.
Helsingfors, 1913, XVi 11-252 pp.
Ces deux volumes continuent excellemment les
précieuses publications de la vaillante Société d'Hel-
singfors, qui forment maintenant une collection in-
dispensable pour étudier l'ongro-finnois.
Le volume des Mémoires contient seulement une
étude de M. Zoltan Gomboez sur les mots d'emprunt
bulgaro-turcs en hongrois.
Le journal comprend un article de M. J.-B. Graao :
Observations archéologiques de mon voyage au sud
de la Sibérie et au nord-ouest de la Mongolie ; un
autre travail du même savant sur les Antiquités de la
Mongolie nord-occidentale ; une note par K.-G.
Donner et Toiv. Kaukarania, sur l'activité littéraire
de feu 0. Donner; le rapport annuel, en finnois et en
français,, par E.-N. Setala, avec une note sur la tâche
et le but de la Société. N'oublions pas un important
essai de M. Emile Hardie sur la relation en Tar-
tare.
En parcourant ces deux volumes qui portent un
titre français, je ne puis m'empècher de remarquer
que la plupart des articles y sont en allemand.
Quand parut le grand dictionnaire sanscrit de Péters-
bourg, M. P. Guerrier de Dumast, le savant modeste
et le vaillant patriote lorrain, constatait avec peine
qu'un demi-siècle auparavant ce dictionnaire eût été
fait en français.
C'est le même chagrin que j'éprouve aujourd'hui.
Pourquoi l'allemand tend-il de plus en plus à rem-
— 62 —
placer notre langue, si claire et si précise ? Et pour-
quoi, parmi tous ces jeunes linguistes qui ne consi-
dèrent que le sanscrit, ne s'en trouve-t-il pas un qui
veuille s'occuper de l'ougro-tinnois ? Le sanscrit n'est
pas le summum de la science et Ton ne fera jamais
utilement de la Linguistique générale si Ton ne
connaît pas quelques-unes des langues aggluti-
nantes, J, V.
A Hundred and iiintk report of the British and
Foreign Bible Society. London, 1913, in-8° carré, de
(ij-xviij-552-232-32) pp. et 5 cartes.
Ce rapport, aussi intéressant que les précédents,
nous montre la situation de la Société, dont les pu-
blications intéressent les linguistes auxquels elles
fournissent des textes faciles à étudier de langues
peu connues et d'un accès difficile. Malheureuse-
ment, ces textes ne sont pas faits de la même façon,
ni par des personnes toujours expérimenlées. Le
nombre de langues dans lesquelles ont été publiées
des traductions partielles ou totales de la Bible s'élève
aujourd'hui à 456, dont 10 nouvelles : le Taugthu
(Basse-Birmanie), le Lisii, le Laka (Chine sud-ouest),
le Baba Malais (dialecte des Chinois de Singapour),
le Binander (Papaousie), VOmo (îles Bismarck), le
Kunuzi (Haut-Nil), le Kipsigis (Ouganda) et le Liiba-
Lulua (district de Kasaï, Congo belge).
La dixième est Vesperanto : voilà une publication
bien inutile ! J. V.
VARIA
I. La géographie en musique
J'ai précédemment signalé plusieurs ouvrages d'enseignement
ou de vulgarisation que leurs auteurs avaient cru devoir écrire en
vers, sous prétexte que les vers s'apprennent et se retiennent mieux
que la prose. Voici un autre livre du même genre, inspiré des
mêmes pensées : Chansonnettes géographiques des départements
de la France... par M°° veuve Brion. Paris, 1884, in-12 de
60 pp. J'en extrais quelques passages (les airs sont indiqués et la
musique est notée).
La Seine offre son cours à sept départements,
C'est dans la Côte-d'Or qu'elle naît doucement,
Tout près de son berceau nous nommerons Dijon,
Puis Beaunc et ses bons vins, Semur et Châtillon.
Dans la Seine est Paris, avec Sceaux^ Saint-Denis :
Paris vous le savez, fut souvent agrandi ;
Des lettres et des arts le centre universel,
Paris est capitale du monde intellectuel...
II. Les romanciers et la couleur locale
J'ai eu dernièrement occasion de relire le Capitaine Fracasse
et je sais une fois de plus combien les romanciers réputés les plus
consciencieux surpris d'inexactitude matérielle. Au commence-
ment du récit nous sommes dans les Landes, entre Dax et Mont-
de-Marsan ; un jeune gentilhomme, le baron de Sigognac, végète
misérablement dans un château délabré ; l'auberge du village
— 64 —
voisin est tenue par un certain Chirriguirri, aidé d'une servante,
la Mionette, qui reçoit souvent la visite d'une petite fille, Chiquita,
indicatrice et auxiliaire d'un bandit de grand chemin, Agostin.
Tout ce monde parle basque et le pays est couvert de sapins.
Autant de mots, autant d'erreurs. Il n'y a dans cette région
aucun sapin mais surtout des pins maritimes ; la langue basque
n'est parlée qu'au sud de l'Adour ; Agostin et Chiquita sont des
noms espagnols, inconnus dans les pays où les servantes s'appel-
lent surtout Gracieuse ou Miria, car Mionette est un nom du
nord de la France ; Chirriguirri n'est point basque et n'en a point
même l'apparence. Enfin je ne connais pas de famille en ac dans
cette province.
Mais, puisque je parle du pays basque, je dois rappeler les
erreurs et les inexactitudes dont fourmille le mauvais roman
Ramuntcho de Pierre Loti. L'action se passe à Sare, déguisé sous
l'appellation Etchez-ar ; or, à Sare, on ne s'appelle pas Ramuntcho
qui est un diminutif guipuscoan. Etchezar « vieille maison »
au singulier, n'est point un nom que puisse porter un village
basque ; à Sare du reste, « vieux» se dit Zahur : Zar est guipus-
coan. Par une erreur inverse, dans le célèbre roman espagnol de
Juan Valera, Pépita Jimenez (traduit eu anglais sous le titre de
Don Luis or the Church militant), un personnage s'appelle le
comte de Genazahar : gêna ne signifie rien d'ailleurs.
J'ai sous les yeux une comédie epagnole intitulée Don Juan
Carregui; Carregui est inspiré sans doute parle nom du général
carliste Zunialacarnegui ; mais il y a là une terminaison locale
de collectivité egui, et le mot indivisible Zumalacar « bour-
daines »; le nom a le sens de : dendioit où il y a trop de bour-
daines ».
J. V.
L'Imprimeur- Gérant :
E. Bertrand.
CHALON-S-SAÔNE^ IMP. FRANÇAISE ET ORIENTALE E. BERTRAND812
A-
/
NOMS DR NOMBHR EN TURC
ET EN SAMOYÈDE
(Suite et fin)
Sept
Les formes pour ce nombre sont les suivantes :
Samoyède sie-l-de Ostiak
se-i-de
Ostiak
hie-l-z
Ostiak
he-l-z
Ostiak
sei-1-bii
Kamassine
sai-1-bua
Ta'vgi
se-l-o
Jénisséi
si-l-u
Jurak
se-l-Li
Jurak
Turc si-t-te
Tchouwache
se-t-ti
Jacoute
ye-t-ti
Jacoute
ye-(d)-di
Osmanli
te-(d)-dé
Karagassi
di-(t)-té
Kobail
dé-(t)-té
Kobail
çi-t-té
Jacoute
Le « t » ou le a d », placés entre parenthèses, nous
ont paru devoir être rétablis, comme ayant été
5
— 66 —
absorbés par la consonne identique, immédiatement
suivante.
Si le nombre six est constitué par un et cinq (ou
la main), le nombre sept est indiqué, dans le comput
sur les doigts, par : deux et la main. Nous retrou-
vons cette formation dans les aspects pour sept, rele-
vés ci-dessus.
Dans sie-1 et si-t, nous voyons, en effet, l'équiva-
lence absolue des formes de deux isolé en samo-
yède : si-te ou si-de, employées cette fois non pas
seulement par les dialectes samoyèdes seuls, mais
encore par les dialectes turcs, ce qui confirme ce
que nous avons dit plus haut à propos de l'étroite
parenté des aspects de deux, dans les uns et les
autres.
Quant aux aspects de cinq, dans la constitution de
sept, ils sont identiques aux aspects réduits, par
chute de la consonne finale, déjà relevés à propos
de la formation de six. La dominante en « t » de ces
aspects réduits a mué en « b » dans le kamassine et
le tavgi, ce qui suppose, entre « t » et « b », un
intermédiaire « p ».
Inutile d'insister : le sept du samoyède et du turc
est constitué par : deux plus cinq.
Huit
Le comput sur les doigts fournit deux façons
d'indiquer le nombre huit :
l» — Présenter une main ouverte et l'autre avec le
pouce et l'index repliés sur la paume : c'est la sous-
traction de deux de dix;
ï
— 67 —
2° — Présenter les deux mains ouvertes, mais,
dans chacune, le pouce est replié sur la paume : c'est
la duplication de quatre.
Le premier procédé, celui (ie la soustraction de
deux de dix, a été employé par l'ostiak, seul, dans les
dialectes samoyèdes et par tout le groupe turc.
Ainsi l'on a en samoyède ostiak, pour huit : sede-
kan-kot. Or, en ce dialecte, deux isolé est sede et
dix isolé est kot. Par suite, sede-kan-kot ne peut se
traduire que par : deux de dix.
Si nous n'écrivons que les éléments essentiels de
ce composé, soit sede-kot, la comparaison s'établit
comme suit avec les formes turques de huit :
sede-ko-t Samoyède ostiak
si (k)-ki-z Osmanli et jacoute
si (k)-ki-z Kobail
Le « k » entre parenthèses a été rétabli, dans les
formes turques, car il semble avoir disparu, par
absorption, au contact de « k » initial de la syllabe
suivante. En effet, les formes turques pour deux,
dont le type est i-ki^ pour si-ki comportent un « k »
après « i ».
Il est à remarquer que, lors de l'analyse des
aspects de deux isolé, nous avons supposé dans i-
ki, deux du turc, une chute de « s » et que la forme
complète de deux, en turc, devait être si-ki. Nçus
la retrouvons intacte dans la composition de huit_,
avec si-k pour deux en turc.
Le premier élément de huit, dans les aspects se-
de et se-k, a donc bien la valeur deux.
Il est, d'autre part, évident que ki-z^ du turc, est
Féquivalent de ko-t^ du samoyède-ostiak, par adou-
cissement en « z » du « t » final de ko-t.
Dans le samoyède ostiak^ comme dans le groupe
turc, le nombre huit est donc exprimé par la sous-
traction : deux de dix.
Passons aux formes de huit constituées par la
duplication de quatre, par deux (fois) quatre. On a :
siti-data (Tavgi) avec siti, deux isolé et tata, quatre
isolé.
siden-det (Jurak) avec side, deux isolé ettet, quatre
isolé.
siden-tede (Kamassine) avec side, deux isolé et teto,
quatre isolé.
eri-otto (Jénisséi) avec sire, deux isolé et teto, qua-
tre isolé.
Sauf Tostiak, qui fait huit par deux de dix, les
dialectes samoyèdes font donc huit par deux fois
quatre.
Il est à remarquer que, dans le samoyède jénisséi,
les consonnes initiales de deux et de quatre ont
disparu, quand ces deux nombres ont été appliqués
à la formation de huit. Les chutes de consonnes ini-
tiales ne sont donc pas l'apanage du groupe turc seul,
elles se produisent aussi en samoyède.
Neuf
Toujours ce nombre, dans le coniput manuel, est
indiqué par une main ouverte et le pouce de l'autre
main replié sur la paume. C'est une soustraction de
— 69 —
un de dix. De même, les vocables pour exprimer
neuf sonl constitués par la préposition d'une unité,
celle à soustraire, à une forme exprimant dix.
Pour neuf nous relevons les aspects suivants :
Samoyède oker-kan-kot Ostiak
ami-kan-thun Kamassine
abei-kan-ju Jurak
hasa-va-ju Jurak
ne-va-sa Jénissei
e-va-sa Jénissei
Turc to-va-gos Kobail
to-va-hos Karagassi
tu-va-hus Jacoute
tu-va-hur Tchouwache
do-va-kuz Osmanli
Les syllabes kan et va^ de ces composés, ont la
valeur ôté de : elles ne sont donc point formalives,
à proprement parler.
En ostiak un isolé est oker et dix isolé est kot;
neuf est formé par oker-kot.
En kamassine aiiii-thun, neuf est à rapprocher de
om, un isolé du kamassine, comme de oboi, un, du
jurak. 11 reste, pour dix : thun, soit un pluriel « les
doigt », identique a tun, les doigts, dans six du ka-
massine, où se pluriel a alors la valeur « cinq » ou
la « main ». 11 est vrai que bien, dix isolé du kamas-
sine, est un équivalent de « les doigts » contenus
dans cinq sous la forme tun, dont bien ne diffère
que par radoucissement de « t » en « b » par un in-
termédiaire supposable « p ».
— 70 -
En jurak l'aspect pour neuf : abei-ju, est composé
de ohoei, un isolé du jurak, plus àe ju, forme isolée
de dix dans le même dialecte. L'autre aspect jurak
de neuf hasa-va-ju, soit hasa-ju après suppression
de la copule de soustraction, donne ha-sa pour un
elju pour dix. La forme de a un » ha-sa, s'analyse
en ha, pour kwa, le pouce plus sa^ pour ta^ doigt.
Nous retombons dans la composition ordinaire de
« un », le pouce-doigt.
Dans ne-sa et e-sa, cette dernière forme avec
chute de « n » de ne-sa, le neuf jénisséi offre ne, un,
comme équivalent de o-m, avec « m » pour « mo »,
le pouce, cette forme en c m » muée en a n » dans
ne. L'aspect sa, pour dix, a perdu la finale « n », ce
qui restitue, pour dix, un aspect sa-n, adoucisse-
ment, de « t » en « s », de tun, les doigts, forme
déjà signalée.
Le neuf des dialectes turcs peut se ramener à un
type to-kiiz, avec to pour un et doigt et ku-z pour
dix, équivalent déjà signalé de ko-t, dix isolé de
l'ostiak, qui est un pluriel de doigt par ko, doigt et
« t » indice pluriel exprimé par un signe d'unité.
Dans l'ensemble des dialectes samoyèdes et turcs
la valeur neuf est donc exprimée par « un » suivi
d'une forme de dix, soit par un à retirer de dix.
C'est la soustraction du pouce, opérée sur les
deux mains, dans le geste manuel pour indiquer
neuf.
— 71 —
Dix et les Décades
Les aspects de dix isolé sont ceux suivants :
Samoyède
kuot
ko-t
Ostiak
bie-n
Kamassine
bie-d
—
bi -u
Jénisséi
bi
Tavgi
J -u
Jurak
Turc
wo-nna
Tchouwache
o-n
Kobail, karagassi,
osmanli
jacoute,
Toutes ces formes sont constituées par un pluriel
de doigt : elles se traduisent donc simplement par :
les doigts, ce qui est conforme au comput manuel.
En effet, pour dix, on dresse tous les doigts, ceux
de l'une et de l'autre main.
Comme dans la formation de cinq on a, dans celle
de dix, un élément unitaire, valant doigt, puis, à la
suite, un second élément unitaire, indice du pluriel,
ce qui se traduit par : « les doigts >k
Dans le cas présent, le premier élément unitaire
se présente sous les aspects :
kuo
ko
bie
bi
i
wo
o.
— 72 —
Dans kuo et ko l'on a la forme primitive en « k »
pour doigt. Dans bie et bi l'on a une dégénérescence
de a k » en « b » par un intermédiaire nécessaire
« p » ; à noter que nous avons déjà rencontré la
valeur unitaire doigt ou un, dans de nombreux
aspects du nombre « un », c'est-à-dire dans tout le
groupe turc, dans le jurak et dans le kamassine.
L'aspect en « j » (prononcer « i ») est né de la
chute du « b » de bi ; l'aspect wo est l'équivalent
direct de ceux avec début en « b » ; dans l'aspect
« o » il y a chute d'une initiale « w » ou « b ».
Passons aux aspects du second élément unitaire,
celui qui constitue l'indice du pluriel.
Cet élément se présente sous les aspects « t »,
« d », « n », « u » (pour « m »). Dans la formation de
neuf, nous avons déjà rencontré avec la valeur uni-
taire, les aspect « t », « d » et « n ». Celui « u » a été
fourni par soborleggo, cinquante du jénisséi, qui est
le pluriel de soborleggo, cinq du même dialecte.
Dans la forme bi, du tavgi, pour dix, il est clair
que rindice du pluriel est tombé. Il suffît^ pour s'en
convaincre, de comparer cette forme avec celle
bie-ii, bie-d et bi-u du dix kamassine ou jénisséi,
Nous pouvons donc conclure, de cet ensemble,
que « dix », forme isolée, est constituée par le plu-
riel « les doigts », dans le groupe samoyède comme
dans le groupe turc.
Passons à l'examen des formes de dix, dans les
décades de trente à quatre-viugt-dix.
Aucune observation n'est à faire en jurak, sauf
pour ([uatre-vingt-dix. Chacune des décades, même
— 73 —
vingt, est constituée en siiflîxant aux formes pour
deux, trois, quatre, cinq, six, sept et huit, la forme
de dix isolé y?«. Mais quatre-vingt-dix prend l'aspect
hasava-jur, quand y7//* est cent en jurak et que neuf
est hasava-ju. Or, hasava signifie « un ôté de ».
Dans hasava-ju, neuf l'on a « un ôté de » yw, dix;
dans hasava-jur Ton a « un ôté de » jur cent, c'est-
à-dire une (dizaine) ôtée de cent.
En ostiak, à chacun des noms de nombre de l'ordre
des unités est jointe, pour valoir dix, un des aspects :
sar-m
far-u
har-u
Dans le premier membre nous voyons la valeur
« deux », car si ce nombre est rendu par site en
ostiak il est site et sire en jénisséi. A chacun des
aspects de « deux » : sar, far et har est joint un
indice pluriel « m » ou « u », pour marquer qu'il ne
s'agit, dans le « deux » en question, de deux unités,
de deux doigts, mais bien de deux pluralités, des
deux mains. Dans ces aspects de dix, en ostiak, ce
nombre est rendu par : les deux mains, ce qui est
absolument en accord avec les procédés du comput
manuel. Le huit ostiak est sede-kan-kot, composé
formé de : sede, deux; Ar/zz, ôté de; kot^ dix. Pour
quatre-vingt l'on a sede-sarm-kanton, soit sede^
deux; sarm, les deux mains; kan, ôtées de; ton,
cent. Pour quatre-vingt-dix l'on a : oker-sann-kan-
ton, avec oker-sann, une fois les deux mains, ôtées
de cent, car oker est la force de « un » isolé.
— 74 —
En tavgi, aux formes isolées des formes unitaires,
est jointe la forme isolée de dix : bi. Il n'y a qu'une
seule exception : cinquante n'est pas sanfa-lanka^
cinq, plus bi, dix, mais bien sanfa-bi. La forme
sanfa-lanka, de cinq, se traduit par : les doigts, une
main ; soit les doigts d'une main. Dans sanfa l'on
n'a plus que : les doigts, une ; soit les doigts une
(fois).
Le jénisséi est assez varié dans la constitution de
ses nombres décadaires. Son dix isolé est biu, mais
dans trente, il a : nelii-bi^ avec nehi pour iiehu^ trois
isolé et bi^ réduction de bia^ dix isolé.
Il a : pour deux sire, et pour vingt sire-ii
pour quatre teto, et pour quarante tet-a
^oxxv c\n(j^soborleggo, et pour cinquante sobor-
leggo-ii
pour six motii, et pour soixante motu-i
pour sept seo, et pour soixante-dix seo-u
pour huit eiri-otto, et pour quatre-vingt siri-
otto-u
pour neuf nesa, et pour quatre-vingt-dix
nesa-ui.
En résumé, le jénisséi constitue ses décades en
ajoutant un indice de pluralité à ses nombres uni-
taires : vingt se traduit donc par : les deux, quarante
par : les quatre, etc.
En kamassine, les décades vingt, trente, soixante-
dix, quatre-vingt et quatre-vingt-dix sont régulière-
ment formées par la suffixation de la forme de dix
isolé au nombre, de l'ordre des unités correspon-
— 75 -
dant, mais ses nombres pour quarante, cinquante et
soixante sont empruntés au groupe turc.
Cela dit sur les formes décadaires, dans le groupe
samoyède, passons à l'examen de celles usitées dans
le groupe turc.
Mettons, tout d'abord, hors de cause le karagassi,
dont les décades sont toutes régulièrement formées
par la suffixation de on, son dix isolé, à chacun des
nombres unitaires de deux à neuf.
Pour vingt, les dialectes turcs présentent les
formes :
di-ber-ga Kobail
dzi-ber-ga —
dzi-ber-ge —
i-kir-mi Jacoute et osmanli
sur-bei —
sur-ba —
sir-im Tchouwache
Par sir-im, du tchouwache, Ton voit clairement
qu'il s'agit, dans tous les aspects parallèles a sir-im,
d'une équivalence de sar-m, aspect dont la traduc-
tion, donnée ci-dessus est : les deux mains, soit dix.
Par suite, l'élément qui précède sir-im et ses égalités
ne peut vouloir dire que deux, car si, dans une
forme pour vingt, on rencontre une valeur dix,
l'élément complémentaire à dix ne peut signifier
que deux,
Or, précisément les aspects dzi, di, puis par chute
de l'iniliale « i », pour « di », sont des équivalences
directes des aspects pour deux : ci et diy rencontrés,
avec la valeur deux, dans la formation de sept.
— 76 —
Les formes de vingt, qui viennent d'être citées',
se traduisent donc par : deux fois les deux mains,
soit : deux fois dix.
Passons à la troisième décade : trente. Elle se
présente sous les aspects suivants :
ot-os Kobail
ot-es —
ot-uz Jacoute et osmanli
wut-ur Tchouwache
Lors de l'examen de la formation de trois nous
avons vu que le radical de trois était ot, les augments
ajoutés, dans les aspects de trois, précisent seule-
ment, par un aspect pour doigt, qu'il s'agit, non
pas d'un dépassant quelconque, exprimé par ot,
mais d'un doigt dépassant.
Par suite, les augments joints à ot, trois, pour
former trente, doivent se traduire par les doigt, soit
par : dix. En effet, nous avons vu, lors de l'examen
des formes de dix isolé, dans le groupe turc, que
o-n, dix est pour won, avec adoucissement de « v »
en « o »; de même, à propos de sai-m, dix en com-
position en ostiak, il a été constaté que « m », finale
de cette forme, avait « u » pour équivalence dans les
aspects égalant sar-m, farii et har-u. Il est donc
possible de rétablir les formes pour trente comme
suit :
ot-os kobail ot-vos ou encore ot-mos
ot-es — ot-ves — ot-mes
ot-uz jacoute ot-vus — ot-muz
w^ut-ur tchouwache wut-vur — wut-mur
— 77 —
Or, dans c'0-.9, ve-s, vus et vii-i\ comme dans m-os,
m-es et m-iiz, on a deux éléments unitaires juxta-
posés, ce qui répond, comme de coutume, à un plu-
riel : les doigts, autrement dit à dix. Trente est donc
constitué par : trois-dix, trois fois dix.
Arrivons à la quatrième décade, à quarante, dont
les aspects sont les suivants :
ki-r-k Jacoule et osmanli
ke-re-k Kobail
hi-ri-h Tchouwache
Ces formes nous apparaissent comme constituées
par la contraction de deux éléments : iki, deux et
ere-k, de l'homme, génitif de er, l'homme, en turc
osmanli. On a donc, dans quarante, deux de l'homme,
le double de l'homme.
Dans nombre de langues, à système vigésinal, le
nombre vingt est exprimé par : l'homme ou encore
par : un homme, en raison du fait que l'homme
possède vingt doigts, en y comprenant ceux des
pieds. Les dialectes turcs rentrent, à propos de
quarante : deux fois l'homme, dans le système
vigésimal.
Comme, lors de l'analyse de cinq, nous avons
examiné les formes exprimant cinquante, nous ne
reviendrons pas sur l'analyse des aspects de cette
décade.
En kobail, les sixième, septième, huitième et neu-
vième décades sont régulièrement constituées par
la suffixation, aux formes isolées de six, sept, huit
et neuf de la forme on, de dix isolé.
— 78 —
En jacoute, tchouwache et osmanli les huitième et
neuvième décades sont également de forme régu-
lière, mais les sixième et septième sont exprimées
par la suffixation, aux formes isolées de six et de
sept, non pas de la forme on de dix isolé, mais bien
de mi-ch, en jacoute et en osmanli et de mi-l en
tchouwache. Ces formes sont des pluriels de doigt,
constituées par la juxtaposition de deux éléments
unitaires; elles constituent donc dix par : les doigts.
Elles sont à rapprocher des formes mo-s, mes et
mii-z, restituées par hypothèse lors de l'examen de
la formation de trente.
Cent
Les formes pour ce nombre sont celles suivantes :
ju-r Samoyède-jurak
ji-r — tavgi
ju — jénisséi
su-r Turc-tchouwache
tu-s Samoyède-kamassine
tu-s Turc-karagassi et kobail
du-s Turc-kobail
su-z — jacoute
yu-z — osmanli
to-t Samoyède-tavgi
tu-t — —
to-n — —
Si l'on rapproche jM, dix, du samoyède-jurak, de
ju-i\ cent, dans le même dialecte, il est évident que
— 79 —
à ju^ dix, a été suffixe un indice unitaire de pluralité
qui fait de ju, dix; ju-r, les dix, les dizaines. Le
nombre cent est donc exprimé par : les dizaines.
Dans le jénisséi, qui fait cent paryM, il est évident
que l'on se trouve là en présence de la chute de « r »
finale de ju-r.
Comme, en fait, tous les aspects de cent, relevés
ci-dessus, constituent des égalités de ju-i\ il est
permis de dire que, dans le groupe samoyède comme
dans le groupe turc le nombre cent est constitué
par un pluriel de dix, par : les dizaines.
La conclusion serait la même, notons-le, si l'on
voulait considérer t-on ou t-uz comme constitués
par on ou uXy dix, l'élément dix précédé d'un indice
de pluralité « t ».
Mille
Une manière simple de constituer mille est de
préposer une forme de dix à une forme de cent.
On a ainsi dans les langues qui nous occupent :
on-dus, turc-kobail, avec on, forme isolée de dix et
dus, cent isolé,
on-tus, turc-karagassi, avec on, forme isolée de dix
et tus, cent isolé,
ju-jur, samoyède-jurak, avec ju, forme isolée de
dix et jur, cent isolé,
kot-ton, samoyède-ostiak, avec kot, forme isolée de
dix et ton, cent isolé,
bi-jir, samoyède-tavgi, avec bi, forme isolée de dix
et jir, cent isolé.
— 80 -
biu-ju, samoyède-jénisséi, avec biu, forme isolée
de dix et ju, cent isolé.
Toutes ces formes de mille sont, à l'évidence,
constituées par dix et cent, soit par dix fois cent.
Mais, dans le groupe turc et en samoyède-kamas-
sine, dialecte qui semble avoir emprunté sa forme de
mille au groupe turc on trouve :
pi-n tchouwache
mi-n jacoute et samoyède-kamassine
mu-n kobail
bi-n jaconte et osmanli
Il s'agit, dans ces aspects divers, d'un pluriel de
doigt, constitué, comme d'usage, par la répétition
de deux éléments unitaires. Mille est donc ici formé
par : les doigts.
Nous hasarderons, toutefois, une hypothèse. Le
début « m », (( b », « p » de ces divers aspects de
mille a pour équivalence indiscutable « m ». Or « m »
et son égalité « b » ont une valeur spéciale : grand,
grandement, beaucoup. C'est ainsi que le pouce, le
plus volumineux des doigts, a pour indice particulier
« m » et pour sa forme la plus courante. Le « b »,
dans les dialectes turcs, a également un sens de
grandeur, par exemple dans be-k, bey, chef, grand.
Il serait donc permis de supposer que les aspects
ci-dessus de mille pourraient se traduire par beau-
coup de doigts; la valeur « beaucoup » rendue par
la syllabe de début et la valeur « doigt » rendue par
la finale « n ».
— 81 —
OBSERVATION
Constamment, on a pu le remarquer, des formes
numérales turques se trouvent en relation étroite
avec celles samoyèdes, pour indiquer un même
nombre. Souvent, un aspect turc eut été fort difficile
à analyser en Tabsence des points de comparaison
fournis par le samoyède. Il existe donc une parenté
étroite entre le turc et le samoyède, tout au moins
en ce qui concerne les noms de nombre. Or, la
parenté des noms de nombre, entre parlers diffé-
rents, a été jusqu'ici considérée, en linguistique,
comme Tindice d'une origine commune. Il semble
donc que le turc et le samoyède sont issus d'une
même souche, qu'ils appartiennent à une même
famille.
J.-A. Decourdemanche.
Tableau des noms de nombre dans le groupe turc
Les nombres qui précèdent chaque nom de nombre se rapportent à :
1, au Kobail ;
2, au Karagassi ;
3, au Jacoute ;
4, au Tchouwache ;
5, au Turc Osmanli ;
1 ^ ber, bir, 'bira, ^ber, ^per, ''bir.
2 Mke, iki, 'ihi, 'ike, Mkke, 4ki.
3 'us, uts, ^uits, ' uts, Svisse, Hitch.
4 ' teurt, tort, 'tott. dort, 'tort, Mwatu, 'deurt.
5 'bis, bich, bech, bes, 'beis, 'bich, *pilik, 'bech.
6 'alte, alteu, 'alte, '.alte, 'olta, =alte.
6
— 82 —
7 Mité, dété, Hédé, tiédé, 'tchitti, setti, ''sitte,
satta, ^yedi.
8 ^sikis, segis, *sehes, 'sekiz, *sakkir, 'sekiz.
9 ' togos, Hohoz, 'tuhus, *tuhijr, Mokuz.
10 Mn, ^on, ''on, Svonna, 'on.
20 Viiberge, dibarga, dziberge, 'ihon, 'ikirmi,
surbei, surba,, *sirim, 'ikirmi.
30 ^ otos, otes, -iidon, 'otiiz, *wutur, 'otuz.
40 Mverek, Morton, ' kirk, *hirih, "kirk.
50 Mlik, ilek, 'bedon, 'elli, Mlla, =elli.
60 'alton, 'alton, 'altmich, Mtmil, 'altmich.
70 Vlilon, deton, 'tieton, 'tchitmich, 'sitmil,
Metmich.
80 ' sigison, ^seheson,' ^seksen, *sakkir-wonna,
'seksan.
90 'togoson, Hohoson, Moksan, Uukur-wonna,
Moksan.
100 'dus, tus, Hus, 'suz, ^sur, *yuz,
1000 'on-dus, mun, ^on-dus, 'min, bin, *pin, ^bin.
Tableau des noms de nombre dans le groupe
samoyède
Les nombres qui précèdent chaque nom de nombre se rapportent à :
1, au Jurak;
2, au Ostiok;
3, au Tavgi ;
4, au Jénisséi;
5, au Kamassine.
1 'oboi, ob, 'oker, okur, ^oai, ^o, "ob, on.
2 'sidea, sid, ■'sede, site, sitte, ^siti, \sitle, sire,
'side.
-83-
3 ' nahar, nar, 'nagiir, noar, nar, 'nagur, *nehu,
'nagur.
4 'tiet, tet, ' tet, tetta, tiet, tietta, Mata, 'teto,
ihede.
5 ^samlan, samblan, sambilank, ^sumblan, sem-
ble, homplan, 'sanfalanka, ''soborleggo, sa-
borga, soboi'rcgo, 'samna, samala.
6 'mat, 'mukle, rmiklel, miikten, 'matu, ^motu,
muktud, miikUin.
7 'siu, seii, 'selde, sielde, helz, hielz, 'saibiia,
^seo, 'seibu.
8 ' sidendet, ^sede-kan-kot, ^sitidata, *eiri-otto,
'sinthede.
9 Miasavaji, liabeiju, "oker-kan-kot, 'ameituma,
*esa, nesa, 'amithun.
10 'ju, "kot, kuot, M^i, *biii, 'hied, bien.
20 'side-jn, 'sede-sarm, lesarm, 'siti-bi, ^sidiu,
sireu, ^site-bied.
30 'nahar-JLi, Miak-sarm, iiaiarii, 'nagur-bi, "nehi-
bi, 'nagur-bieii.
40 'tet-jii, 'te-sarm, le-harii, 'tata-bi, Helou,
'khera.
50 'samlan-jii, 'sombla-sarm, somble-haru, 'san-
fa-bi, 'soborleggoii, soborgou, seiborgui,
^ilik.
60 ' mat-JLi, ^miik-sarm, mtik-la-harii, muk-ta-ru,
^matu-bi, ^motui, 'althon.
70 'siu-JLi, ''se-sarm, helze-haru, 'saibua-bi,
^seou, seeu, seib-bied.
80 ' sidemlet-ju, ^sede-sarm-kan-ton, 'sitidata-bi,
*sri-otou, 'sinthede-bied.
— 84 —
90 ^hasava-ju, ^oker-sarm-kan-ton, ^ ameituna-bi,
*esau, nesaui, 'amithun-bied.
100 'jur, 'ton, tôt, tut, 'jir, 'ju, 'tus.
1000 ^juonar, ju-jur, 'kot-ton, 'bi-jir, ^biu-ju, 'min.
Nota. — Le kamassine semble avoir emprunté ses
formes pour 40, 50, 60 et 1000 au groupe turc.
L'INDK DRAVIDIENNE
Observations à propos de deux publications récentes
Les deux ouvrages dont il s'agit n'ont rien de com-
mun, ils sont tout à fait différents par leurs auteurs,
leur objet et le public auquel ils s'adressent.
L'un, se présente comme une œuvre de vulgarisation
et a pour auteur un jeune homme qui est dans l'Inde
depuis deux ans à peine, l'autre a été composé par un
missionnaire anglican qui a passé de longues années
dans le pays tamoul et qui offre à un petit nombre de
savants et d'érudits le fruit de ses patientes recherches.
Le premier est une thèse pour le doctorat d'Univer-
sité soutenue devant la Faculté des lettres de Paris par
M. Jouveau-Dubreuil, professeur au collège de Pondi-
chéry ; elle forme deux volumes de 142 et 146 p.,
illustrés de nombreuses vues photographiques et inti-
tulés « Architecture » et « Iconographie du sud de
l'Inde ». L'autre, est une nouvelle édition de la « gram-
maire comparée )) de Caldwell ; la première édition
avait paru en 1856 et l'auteur lui-même en avait
publié une seconde soigneusement révisée en 1875.
Je garde pour l'ouvrage de Caldwell une reconnais-
sance éternelle parce que c'est par lui que j'ai été initié
à la linguistique et à la méthode de la science. Mes mai-
- 86 —
très m'avaient appris, à Karikal, qu'il y a dans Tlnde
deux groupes de langues n'ayant absolument rien de
commun l'un avec l'autre. Je connaissais la préface
de la grammaire télinga de Campbell, où Ellis, en 1816,
affirmait l'indépendance des langues dravidiennes
qu'on avait jusque là rattachées au sanscrit au même
titre que l'hindoustani, le bengali, le mahrati, etc.
Mais j'ignorais encore tout à fait en 1863 la grammaire
de Caldwell ; j'appris son existence par hasard, en la
voyant citée dans un article de Revue. J'étais alors à
l'Institution Barbet, rue des Feuillantines, à Paris, où
je me préparais au concours d'admission à l'Ecole
Forestière et j'avais pour correspondant mon parrain,
M. Jacques Demogeot, le professeur bien connu. Il
m'indiqua la librairie Klincksieck, rue de Lille, comme
la seule maison où je pourrais trouver le livre à Paris,
j'écrivis aussitôt à M. Klincksieck pour lui demander
s'il avait un exemplaire du livre, et si sa librairie
était ouverte le dimanche, seul jour où je pouvais y
aller. M. Frédéric Klincksieck me répondit fort aima-
blement, avec une bonne grâce dont je lui ai su toujours
gré, qu'il tenait l'ouvrage à ma disposition et que son
magasin serait exceptionnellement ouvert le dimanche
suivant jusqu'à midi. On juge avec quel empressement
j'y courus ; à peine en possession du précieux volume,
je me mis à le feuilleter dans la rue même, ce qui était
encore possible à cette épo(jue où la circulation n'avait
pas atteint l'intensité que lui ont donnée depuis les
vélocipèdes et les automobiles ; on n'avait guère à se
garer que de fiacres paisibles et d'omnibus pacifiques.
Nous travaillions beaucoup chez Barbet : de cinq heu-
— 87 —
res du matin à neuf heures du soir, seize heures, à
peine interrompues par trois heures de récréation que
coupaient les deux repas. Il me fut donc possible,
sans trop nuire à mes études de consacrer une heure,
chaque jour, à lire et relire le livre du savant mission-
naire anglais, il ne m'a jamais quitté ; et m'a accom-
pagné de Nancy à Libourne, à Lussac, à Bayonne, à
La Réole, à Bagnères-de-Bigorre, à Paris et je me
réfère plus volontiers à la première édition qu'à celle
pourtant considérablement augmentée de 1875.
Cette édition était depuis longtemps épuisée et de
toutes parts on en réclamait la réimpression, le soin
de la préparer a été confié au sieur Wyatt qui s'est
fait aider par un indien éminent Ramakrichnappoullé,
ancien directeur de l'enseignement indigène, dans la
présidence de Madras ; le choix ne pouvait être meil-
leur car Ramakrichna est un des tamulisans les plus
instruits, à qui les autres langues dravidiennes ne sont
point inconnues. Depuis trente-huit ans, les études
indiennes ont fait d'immenses progrès, on a recherché
les variétés dialectales, on connaît mieux les idiomes
non littéraires et on a publié plusieurs ouvrages de
généralisation, la question se posait donc si l'on devait
réimprimer l'ouvrage tel quel, ou le mettre au courant
de la science actuelle, les éditeurs ont pris le premier
parti; on ne saurait les en blâmer car le livre de
Caldwell qui a été le premier de ce genre doit rester
debout comme ces monuments vénérables de l'an-
tiquité qu'on respecte mais à côté desquels on
élève des édifices nouveaux mieux adoptés aux habi-
tudes modernes, MM. Wyatt et Ramakrichna ont
— 88 —
corrigé les statistiques et arrangé certains détails
ethnographiques, ils ont cru devoir transcrire en lettres
latines tous les mots grecs, précaution un peu puérile
dans un livre écrit pour des hommes de science, ils
ont abrégé certaines discussions un peu " fastidieuse
et supprimé certaines dissertations qui leur ont paru
n'être plus au courant des travaux contemporains,
celle notamment relative aux parias et aux dravidiens
antiques. Je regrette qu'ils n'aient pas ajouté un cha-
pitre tout à fait séparé pour résumer les travaux les
plus récents.
Le livre de Caldv^ell, quelque excellent qu'il soit,
n'est pas parfait ; on peut lui reprocher tout d'abord
une préocupation qui plane fâcheusement sur tout
l'ouvrage, celle de l'unité primitive du langage
humain ; aussi l'auteur adopte-t-il la théorie toura-
nienne et cherche-t-il constamment des affinités de
grammaire et de vocabulaire; ces dernières sont des
ressemblances accidentelles qui ne prouvent rien et
les autres sont pour ainsi dire des syncronismes de
mentalité. Le savant missionnaire n'a pas vu qu'à
l'origine de toutes les langues les racines se groupent
en deux séries parallèles exprimant d'une part l'action
et le mouvement et de l'autre le repos et l'inertie. C'est
ainsi que partout le verbe n'a que deux temps, un
passé qui est certain, et un présent qui est indécis ;
en dravidien le présent est indiqué par la gutturale,
signe du datif et du mouvement, et le passé par la den-
tale, signe adjectif de situation et d'état. Ainsi encore
les pronoms de première et de seconde personne, an
et în viennent des démonstratifs a qui marque l'éloi-
— 89 —
gnement et i qui exprime ]a proximité; a ne demande
aucun effort, i au contraire est l'objet d'une attention
particulière. De même je rattacherais à ces démons-
tratifs les nombres un et deux : le nombre grammatical
et le nombre arithmétique ont la même origine, ils
ont pour point de départ la distinction entre celui qui
parle et la collectivité objective, puis on a distingué le
duel et le pluriel avec les nuances inclusives et exclu-
sives, de là les nombres deux, trois, et même quatre ;
en dravidien cinq est ai, et non ei et il faut y voir
kai « main » de même que le suffixe âl de l'instru-
mental est une réduction de kal « canal, voie, moyen ».
Les deux volumes de M. Jouveau-Dubreuil sont fort
intéressants; c'est le premier travail d'ensemble qui ait
été fait sur le sujet, les gravures sont bien choisies,
bien prises, bien venues, mais le texte qui les accom-
pagne laisse beaucoup à désirer ; l'auteur a adopté
pour les noms topographiques la déplorable ortho-
graphe anglaise, sous prétexte qu'elle est officielle et
qu'elle facilite les recherches sur les cartes, mais sur
les cartes les mêmes noms sont écrits d'une façon diffé-
rente et les anglais s'occupent de corriger leurs trans-
criptions. D'ailleurs beaucoup de ces noms ont une
orthograplie française qui est encore en usage à Pondi-
chéry ; il faut donc écrire « Maduré, Tanjaour, Triche-
napally, Arcate, Maïssour » et non « Madura, Tan-
jore, Trichinopoly, Arcot, Mysore », orthographe
beaucoup plus près de la forme tamoule ; et que dire de
Cuddalore pour Goudelour, cette petite ville voisine de
Pondichéry dont Bussy s'empara en 1782, d'où il écri-
- 90 -
vit tant de lettres ? Dans ses publications officielles, ses
recueils d'Inscriptions, M. Hultzsch, épigraphiste du
Gouvernement de Madras, écrit toujours correcte-
ment Tanjavûr, Mâmallapuram Kânchipurarn^ etc.
Je ferai la même observation pour les noms de per-
sonne, car j'estime qu'il faut transcrire les mots tamouls
suivant la prononciation jusqu'au moment où cette
transcription ne permettrait pas de rétablir la forme
originale ; ainsi le nom du pandit Vinâyagampillei
doit être ainsi écrit et non Vinàyakampillai comme on
le fait à Madras, ou Vinayagompoullé comme à Pondi-
chéry. Quant aux noms des dieux indous, M. J,-D.
les donne tantôt sous la forme sanscrite, tantôt sous
la forme tamoule, tantôt sous une forme irrégulière
qui n'est ni l'une ni l'autre. Il y a mieux encore, cer-
taines images portent des légendes en caractères ta-
moules ; beaucoup sont très défectueuses. Je prends
trois exemples au hasard : page 125, « Mâriyattâl » a
perdu son / cérébral final; p. 31, « Dakchinamùrtti »
est écrit avec nâ long très mal fait, un mou bref, un r
dento-palatal et un seul t ; p. .39, « le mariage de
Mînakchi » traduit Mînâkchi kaliyanam devient Mi-
nâchji kaliyanam sans n cérébral et Pârvati allonge
son second a. On dirait que ces mots ont été dictés par
quelqu'un qui ne savait pas le tamoul à un écolier
ignorant qui copiait un syllabaire. M. J.-D., dont les
descriptions et les classifications sont exactes et bien
observées, n'est pas suffisamment informé de l'histoire
et de la mythologie indiennes ; il s'étonne de ne pas
trouver de statues vichnouvistes avant le XIP siècle.
C'est que le vichnouvisme ne s'est répandu dans le sud
— 91 —
de rinde comme secte distincte qu'après la réforme de
Râmanuja. Ailleurs il remarque que les statues
d'abord nues ne sont habillées qu'à une époque récente :
il n'y a là ni impudence ni naïveté, mais un sentiment
spécial qui se traduit par ce fait qu'aujourd'hui encore
dans l'intérieur des terres, les femmes se découvrent
la poitrine pour honorer un visiteur de distinction et
que dans les cérémonies religieuses les hommes doivent
avoir le torse nu. La pagode de Bahour n'a pas été
construite à l'époque de la donation que j'ai publiée,
c'est-à-dire vers 850, mais {51 us tard, car les inscriptions
les plus anciennes qu'on y trouve sont du roi Tchalu-
kya-krichna III qui a régné de 922 à 935. M. J.-D.
dit que nous ne savons rien de la religion préaryenne
des Tamouls : c'est une erreur, car nous apprenons
beaucoup de détails dans les vieux poèmes et dans le
Çivaïsme qui a incorporé beaucoup des cultes locaux.
L'étude du vocabulaire nous fait voir que les dravi-
diens antiques n'avaient ni dieux, ni temples, ni
prêtres; ils avaient seulement des sorciers, des conju-
reurs, des devins, qui prédisaient notamment l'avenir
au moyen d'un coq, de carrés magiques et de grains
de riz et qui entre temps servaient de messagers aux
amoureux ; on les appelait pâi-ppân (prononcé aujour-
d'hui pâpan) « celui qui voit », mot que Caldwell
rapproche ingénieusement de notre épiscopus et qu'on
applique péjorativement aux brahmes.
Les Dravidiens redoutaient un grand nombre d'êtres
malfaisants, vampires, gnomes, revenants, cadavres
animés, feux follets, démons, dont on entendait les cris
dans les solitudes, dont les enfants pleuraient la nuit
— 92 —
oubliés auprès des arbres, dont on voyait fuir les chars
dans les rafales de poussière soulevées par le vent au
fond des plaines désertes; ils avaient aussi des divinités
bienfaisantes et protectrices : aiyanâr « le maître »,
piUeiyâi' « l'enfance délicate », mannâr çuvâmi « la
terre souveraine », vêl a le brillant », murugu « le
jeune » et d'autres encore que le çivaïsme a absorbés
ainsi que les légendes locales. Le culte phallique du
Linga vient, je crois, des cultes naturalistes originaux;
le çivaïsme nous apparaît comme un mélange du brah-
manisme avec les religions tbcales.
Quand et comment s'est faite la civilisation, ou, si
on le préfère, l'organisation du sud de l'Inde : les
Romains et les Grecs, par le golfe persiqne, venaient
trafiquer sur les côtes occidentales ; ils y ont fondé
probablement de véritables colonies et l'on a trouvé
assez loin dans l'intérieur des médailles romaines en
bronze, ce qui est caractéristique. Les géographes
grecs et latins nous ont transmis des noms du pays où
il est facile de reconnaître des mots tamouls, par
exemple le royaume du Pandion et sa capitale Modura
et les CTcbpai v6[j.a au milieu desquels sont des noms
sanscrits, par exemple celui du cap Comorin, Koumari
« la fille », ou plutôt Ikanyà Koumari a la fille
vierge »; c'était un lieu de pèlerinage renommé; il
s'est trouvé des jésuites naïfs ou zélés pour faire de
cette expression Ikaniàka Mari a la vierge Marie », ce
qui impliquerait la primitivité du christianisme. Les
Tamouls ont des listes généalogiques. La plus ancienne
des rois de Maduré, qui va jusqu'au X® siècle, com-
prend soixante-trois noms ; en supposant que chacun
— 93 —
ait régné une vingtaine d'années, cela nous reporterait
au IV* siècle avant J.-C, et les Aryens ont dû venir
bien auparavant. Les premiers immigrants ont dû être
des missionnaires peut-être bouddhistes qui ne réus-
sirent pas auprès des populations barbares et s'en
retournèrent disant merveilles de ces riches pays, de
ces terres fertiles. Des pillards y descendirent, puis
les rois du Nord envoyèrent des troupes régulières qui,
pour assurer leur conquête, mirent des garnisons dans
des forteresses construites à la hâte sur des hauteurs;
les brahmes vinrent alors et formèrent avec des soldats
des cités (pattanam) ; les marchands arrivèrent un peu
plus tard, se réunirent en villes (nagaram) et deman-
dèrent aux indigènes Texcédent de leur récolte, les
arbres de leurs forêts, les produits de leur sol et les
huitres perlières que la mer rejetait, dit-on, sur les
rivages. Par ces rapports de plus en plus fréquents
entre les gens des deux races, les Tamouls acquirent
beaucoup de mots nouveaux : il y a dans la langue
deux séries d'emprunts de ce genre, le premier popu-
laire, le second savant et pédantesque. A la première
appartiennent des mots comme ulagu a monde »; à la
seconde la forme moins altérée loga. De leur côté, les
nouveaux venus apprirent la langue de leurs sujets, les
brahmes, qui s'établirent dans leurs villages et s'y
firent donner des terres, écrivirent et cultivèrent les
idiomes indigènes ; c'est à leur initiative qu'est due la
construction des pagodes commencées vers le III® siècle
de notre ère. Les villages indigènes s'administraient
eux-mêmes, les habitants se réunissaient en assemblée
(çabei) et il y avait des assemblées régionales (mahâ-
— 94 —
çabei) qui organisaient des comités de surveillance.
La propriété était collective et les habitants se par-
tageaient la récolte au prorata de leurs droits, après
déduction de la part du. roi, des frais de culture, du
salaire des serviteurs municipaux qu'on appelait kudi-
inakkal « serviteurs de la communauté » : le ministre
officiant, le surveillant des cultures, le distributeur
d'eau, le charpentier, le barbier, le forgeron, le blan-
chisseur, auxquels s'ajouta plus tard le constable re-
présentant du roi.
Ce qui montre comment la langue a été cultivée,
c'est la modification qui s'est opérée dans la forme des
inscriptions et des documents écrits : les plus anciens
sont uniquement en sanscrit, puis le dispositif est en
langue vulgaire. Plus tard encore les préliminaires
(généalogie, éloge du roi, considérations philosophi-
ques) sont en vers tamouls; les derniers sont plus
courts et entièrement en prose.
Le développement de la littérature dont les auteurs
sont des brahmes ou des religieux, suit très étroitement
le mouvement religieux et on peut le partager en six
époques distinctes : adoption de l'écriture et forma-
tion, transformation du brahmanisme en çivaïsme,
prépondérance du djainisme, triomphe du çivaïsme
sur le djainisme et sur le bouddhisme venu de Ceylan,
intervention du Vichnouvisme enfin, période moderne
où l'on s'est mis à écrire en prose. S'il fallait indiquer
des dates, ce qui ne serait que très approximatif, je
dirais que ces périodes s'étendraient du troisième au
cinquième siècles, du cinquième au septième, du
septième au huitième, du huitième au dixième, du
— 95 —
dixième au douzième et du douzième k nos joufs.
La construction des pagodes a commencé vers le
IV^ siècle ; les inscriptions qu'on peut y relever à
l'extérieur et à l'intérieur sont des actes royaux
de donation, des fondations pieuses, des commé-
morations d'événements importants ; c'est là qu'on
trouve les renseignements les plus précis pour
l'histoire de tout le pays dravidien. Il y avait une
multitude de petits chefs, de rois locaux, radja, mot
qui correspond exactement au latin rex et au grec
^aaikeuç, qui serait plus exactement traduit « maître
seigneur, prince ». Au-dessus d'eux il y avait le souve-
rain, le roi des rois, en tamoul ko. Dès que la conquête
fut assurée, il se forma plusieurs grands royaumes :
au nord ceux des Tchalukyas orientaux et occidentaux,
celui de Pallavas vers le IV® siècle de notre ère dans
la région dont Madras est à peu près le milieu, et plus
tard, plus au nord encore, celui des Râchtrakutas. Le
pays tamoul, le seul dont s'occupe M. J.-D., se parta-
geait entre les Pallavas au N.-E., les Sojas au S.-E.
et les Pândiyas au S.-O. Le royaume Pallava, dé-
truit par les Tchalukyas au huitième siècle, reconstitué
avec les dynasties Ganga-Pallavas, conquis par les
Sojas, au moins dans sa partie méridionale, fut sou-
mis, avec le Soja, au Râchtrakùta Krichna III, ap-
pelé en tamoul kannaradeva, resta attaché au Soja
quand ce dernier pays reprit son indépendance en
900. Les rois Sojas conquirent aussi le Pândi au
milieu du XP siècle. Tous ces états, constamment en
guerre les uns contre les autres, agités par les rebel-
lions incessantes des petits chefs locaux, furent défini-
— 26 —
tîvement bouleversés par les invasions musulmanes
successives et se divisèrent en principautés plus ou
moins indépendantes mais peu consistantes. Quand,
en 1336, se constitua le royaume hindou de Vijaya-
nagar, qui n'avait rien detamoul.il y eut un peu plus
de calme dans le Sud. En 1459, un général du roi de
Vijayanagar prit Madras, s'y établit en vassal de son
maître, et y fonda la dynastie des Nâyakkar, qui
s'annexa le Soja en 1499. Le royaume de Vijayarnagar
fut détruit en 1564 et, avant la fin du XVP siècle, les
souverains de Delhy, les Grands-Mogols, devinrent
maîtres de l'Inde tout entière. Mais alors vinrent les
Européens, Portugais, Hollandais, Anglais, Français
et Danois.
Les indications qui précèdent font voir que M. Jou-
veau-Dubreuil a peut-être un peu raccourci les cinq
périodes reconnues par lui dans l'architecture et
l'iconographie du sud de l'Inde et qu'il a été mal
inspiré en leur donnant les noms de Pallava (600-850),
Chola (850-1100), Pandia (1100-1350), Bijanagar
(1350-1600), et Madura; il faut corriger Maduré et
Vijayanagar. Ce dernier nom est d'autant plus im-
propre que le royaume dont il était la capitale ne
comprenait pas de pays tamoul ; de plus il y a là deux
noms de ville, deux noms de pays et un nom de
dynastie. C'est un peu comme si on parlait en Europe
d'un art successivement bourbonnien, français, alle-
mand, londonien et parisien. L'orthographe Chola
(qu'il faut prononcer Tchola), est une adaptation
sanscrite de l'original Çora si bien transcrit par les
grecs ; j'adopte la forme Soja parce que le c initial est
un peu rébarbatif et que le /' cérébral se prononce j
dans l'Inde française. Les lettrés du Nord l'ont repré-
senté par 1 cérébrale (d dans les proclamations d'Aço-
ka), puis par 1 ordinaire quand elle est tombée en
désuétude; quant à l'initiale ils l'ont transcrite tcli,
parce que le ç tamoul se prononce ainsi quand il est
doublé, ce qui arrive souvent par euphonie; souvent
aussi il se prononce presque comme notre ch. A cette
occasion, je recommande de ne pas employer le ch et le
sh anglais, m;iis de se servira leur place du c et du s
sous-ponctué. Il vaudrait donc mieux distinguer les
périodes par des numéros ou plutôt par des pagodes
prises pour types, en donnant non seulement le nom de
la ville, mais encore le vocable sous lequel elle est
consacrée : par exemple, sur notre territoire, Kâmîca
«Çiva féminin amoureux », qui donne la fécondité, et
Tyàgarâjà, une sorte d'Esculape, à Tirumallâru, près
Karikal. A propos de ces divinités, qui sont consi-
dérées comme des incarnations de Çiva, M. J.-D. s'est
trop souvent renseigné auprès de personnes incompé-
tentes, et les Indiens n'hésitent pas à dissimuler leur
ignorance par d'audacieuses inventions ; ainsi pour
expliquer l'appellation de Pilleiyâr a l'illustre enfant »
donné à Ganeça, fils de Çiva, on nous dit qu'il naquit
pendant une absence de son père et que le trouvant à
son retour, le grand dieu demanda à Parvatî : « Quel
est cet enfant », Pillei âr <* L'histoire est ridicule et
l'explication plus que fantaisiste; elle suppose que
Çiva et sa femme parlaient tamoul, ce qui serait bien
étonnant ; d'ailleurs ce n'est pas Ganeça, dieu de la
sagesse, qui est honoré comme le fils de Çiva, c'est
7
— 98 —
Subrahmanya. Le nom tamoul est une forme honori-
fique et c'est probablemeut le nom d'un ancien dieu
local. Pillei au surplus ne s'applique pas aux enfants
qui viennent de naître et il ne signifie pas proprement
« enfant » ; il vient de la racine pi avec une cérébrale
(fendre, diviser, affaiblir) et a plutôt le sens de petit
être, être faible et délicat, aussi l'emploie-t-on pour
désigner le petit palmier et le petit aréquier et même
il fait partie du nom ordinaire de la perruche, de
l'écureuil et de la mangouste; dans tout le pays tamoul
le mot « femme » est aujourd'hui dans le langage vul-
gaire pommelé, contraction de penpiUei (être femelle,
faible, délicat). Il est à remarquer que les basques ont
deux mots analogues : ils disent emazte « jeune fe-
melle » et emakume « petit femelle ».
La principale caste du pays tamoul, celle de Vella-
Jas (( propriétaire agriculteur » est divisée en deux
grandes catégories, distinguées par les appellations des
modely [mudali , honorifiquement mudalyâr) et de
poulie {pillei, dont l'honorifique ne sert pas dans ce
cas). Le premier nom, dérivé de mudal « premier »
doit s'entendre directement « celui qui est en avant,
premier, chef, etc. », et le second doit vouloir dire
quelque chose comme faible, petit, moindre, etc. ».
Peut-être les modeliar étaient-ils les cultivateurs de
riz et les poulies ceux qui cultivaient les menus
grains (millet, sésame, etc.).
Les observations qui précèdent n'ôtent rien au
mérite de M. J.-D., dont le travail pourra rendre de
grands services aux études indiennes, mais il fera bien
de le reprendre, de le revoir et de le corriger avec
— 9n -
soin, car il était composé avec une hâte trop sensible.
Nap()l('on disait : « faites vite, mais faites bien ». Pour
terminer, je citerai un disticpie du grand moraliste
tamoul Tiruvajhiva : a Prononcer des paroles amères
quand on peut en dire de douces, c'est cueillir des
fruits verts quand il y en a de mûrs. »
Julien ViNSON.
LE PROBLÈME EPIGRAPHIQUE
DE
LA NOUVELLE-CALÉDONIE
Les hommes d'État qui en 1853, ont décidé l'an-
nexion de la Nouvelle-Calédonie, amenés sans doute
de par l'éternelle loi du contraste, à poser un échan-
tillon de la colonisation française à côté de l'incompa-
rable maestria anglaise, et l'amiral Febvrier-Despointes
qui accomplit cette mission, ne se doutaient cer-
tainement pas de l'intérêt exceptionnel que recelait
la longue épine dorsale désormais incorporée à notre
patrimoine colonial. Et. cet intérêt d'ordre exclusive-
ment scientifique, peut apparaître, même au grand
public, comme une large compensation.
Effectivement, cette grande île tropicale a été foulée
par d'autres hommes que les indigènes de race papoua
ou mélanésienne qui l'occupaient exclusivement au
moment de la prise de possession. Et ces hommes
étaient ce semble, d'une race supérieure, soucieuse
tout au moins de durer dans la mémoire de l'humanité,
d'y apparaître même rehaussée d'un certain aspect
d'art, et n'épargnant pour ce faire, ni la peine, ni le
temps.
A quelle époque, cela remonte-il? La réponse est
— 101 —
difficile. Jusqu'à présent aucunes ruines de cités,
aucuns vestiges d'édifices, ni même aucunes sépul-
tures ne permettent de dater de façon précise ce
moment intéressant de l'obscur passé calédonien.
Pourtant ces hommes ont vraiment existé. La ser-
pentine et la rhyolite, d'autres roches dures encore,
portent à profusion des signatures ineffaçables. Et
ces signatures aussi patinées que le permet la nature
de la roche, sont telles qu'on ne peut les attribuer, ni
aux canaques actuels, ni à l'une quelconque des races
plus ou moins civilisées qui peuplent les régions avoisi-
nantes, Polynésiens, Malais, Indochinois ou Dekkanais.
C'est semble-t-il plus loin qu'il faudra chercher.
Donc, nombre des roches dures et tenaces de la pier-
reuse Calédonie, plus de deux cents en tous cas, ont
subi le contact d'un ciseau singulièrement expérimenté.
Et les symboles figurés sur la coriace et indestructible
matière se présentent dans des conditions susceptibles
de retenir l'attention de ceux qu'intéressent la lente
évolution scripturaire. Fait unique peut-être dans
l'archéologie, on peut voir des caractères nettement
alphabétiques étroitement rapprochés de représenta-
tions plus ou moins compliquées, mais à caractère
hautement symbolique, sans qu'on puisse dire encore
s'il y a quelque différence dans l'âge de la gravure.
Ce symbolisme remarquable par sa recherche de
stylisation géométrique est aussi intéressant par un
rendu tout spécial. L'opérateur a évidemment voulu
faire imposant. Or, les figures géométriques à sa portée,
croix, cercles ou spirales, simplement tracées sur la
pierre, sont de pauvre effet. Mais l'iconographiste calé-
— 102 —
donien a su obvier à cet inconvénient. Sur la roche,
en place ou bien bloc détaché, préalablement dressée
et égalisée quand il y avait nécessité, on ciselait avec
soin des sillons concentriques s'emboitant successive-
ment. Cette alternance de creux et de reliefs, d'en-
tailles et de cordons, forme comme un siège où se
prend le regard. Cela intéresse vivement l'œil.
On peut imaginer qu'une intention hiératique s'at-
tache à ce mode d'amplification de l'image. D'ailleurs
le souvenir du serpent n'a-t-il pas inspiré ces reliefs
arrondis dont les contours rappellent souvent les entre-
lacements du reptile sacré?
Les sculptures du célèbre tumulus de Gavr'inis rap-
pellent de façon saisissante le style calédonien. A la
différence des symboles près, c'est identiquement le
même procédé d'art.
Ce serait une erreur trop grande de s'imaginer
d'après ce qui précède, de simples représentations d'art
fondées sur la géométrie pure. Cette façon de dilet-
tantisme géométrique apparaît quelquefois ; des com-
binaisons de losanges, de chevrons, semblent n'avoir
pas d'autres sens. Mais, le plus généralement, on sent
une tendance interprétative des êtres et des choses
difficilement pénétrable, il est vrai, précisément à
cause du style concentrique employé, de cette conven-
tion manquant de souplesse.
J'ai déjà donné à entendre qu'il y avait quehiue
chose de touchant dans cette pensée qui s'est confiée à
la serpentine de l'ile australe avec un souci esthétique,
une volonté évidente d'apparaitre en beauté. Le peu
de variété de celles des figures géométriques aborda-
- 103 —
blés à des intelligences encore assez simplistes était
un écueil redoutable. Il est intéressant de constater
combien l'on s'est efforcé d'éviter la monotonie. Cha-
que ciseleur a tenu à donner un cachet personnel à sa
production. Et ils ont pressenti presque tous les motifs
qui forment la base de l'art ornemental caractérisant
les peuples méditerranéens.
Le polymorphisme de la croix calédonienne, par
exemple, justifie les lignes qui précèdent. Depuis la
croix concentrique qui se retrouve, je crois chez les
Chaldéens, jusqu'à la rouelle ou roue celtique, on
épuise toutes les variétés imaginables : la croix poten-
cée ou à douze pointes, la croix de Malte ou à huit
pointes, la croix scaliforme ou de Lorraine, la croix
oblique ou X, les étoiles à six ou à huit branches.
Sont également remarquables mais dans un autre sens
les cercles concentriques souvent rayonnants et parfois
anthropomorphisés au centre, les croissants concen-
triques dont les extrémités se recourbent en volutes
rappelant les chapiteaux ioniques ; les ovales plutôt
naviformes et qui se compliquent souvent de projec-
tions cruciales.
Je passe sous silence certaines combinaisons de
lignes dont la description serait trop longue. Un mot
cependant sur les représentations humaines, animales
et végétales. La stylisation géométrique donne comme
l'on peut s'y attendre, de la bizarrerie aux figurations
humaines. Il y a un serpent remarquablement replié
en W. En outre c« reptile est figuré auprès d'une croix
qu'il domine légèrement.
Bien curieuse également une façon de plante dont
— 104 —
les feuilles gracieusement recourbées font ressortir le
nombre mystique : sept. Entre les feuilles, on distingue
des ornements géométriques, triangle, carré ou plutôt
rectangle, et sphère. Cette dernière ressemble davan-
tage à une pomme supportée par une longue tige. Le
tout est d'un aspect vraiment ornemental.
La feuille de palmier, ou plutôt de cycas, se ren-
contre parfois aussi sur la roche.
Des instruments, armes ou outils, ont été encore
adniis au bénéfice de cette stylisation symbolique.
Certaines de ces représentations sont particulièrement
intéressantes à cause de la tendance alphabétiforme
qui s'accuse. D'autre part, je range dans cette catégo-
rie, des figures qui rappellent certains sigles de
l'archéologie classique. Parmi ces représentations
alphabétiformes, je signalerai notamment le trident
courbe ou rectiligne, le croc, le harpon, la flèche, le
compas, le peigne à cinq branches. La crosse existe
également mais avec une apparence tout à fait alpha-
bétique. Le triangle, le double triangle aligné, le
double cercle juxtaposé, une sorte de fourche, l'X
fermé aux extrémités qui rappelle certains diagrammes
de hache bipenne, des formes en T, en Kappa, en
Upsilon à branches égales ou inégales peuvent être
compris dans cette liste, susceptible encore d'un cer-
tain allongement.
Mais le temps m'est mesuré et je me hâte de passer
aux épigraphes nettement alphabétiques.
Quelle est au juste l'importance de cette épigraphie
alphabétique? Je ne saurais encore le préciser. La
belle lettre ciselée se rencontre parfois, mais doit être
— 105 —
saluée comme un rara avis. Ce qui semble de règle,
c'est la lettre légèrement ciselée et davantage encore,
celle qui est tracée à l'aide d'une fine pointe, c'est-à-
dire le véritable graffito. On doit se rendre compte
combien la patine dissimule facilement cette dernière.
En outre, il y a cette caractéristique remarquable,
c'est que ces inscriptions sont souvent dissimulées,
soit dans de profondes et étroites rainures, soit encore
sur les lèvres de fissures naturelles ou bien reléguées
sur les parties les moins apparentes du monolithe
épigraphié Je les ai même parfois trouvées sur des
blocs adjacents de bien moindre taille.
La connexité avec la symbolique ornementale est de
règle, sauf deux exceptions importantes. Et ce nombre
pourrait bien s'accroître par la suite.
Je me hasarde ci-après à une description de ces
lettres, de celles bien entendu qui ressortent le mieux
sur mes photographies et seulement pour permettre de
juger de leur nature alphabétique et par suite de la
nationalité des graveurs auxquels nous les devons :
1° Pierre Grange, vallée de Koua. — Une lettre
bien ciselée, en forme de hé. sans hampe, les trois
branches légèrement convergentes tournées à gauche.
Cette même forme se retrouve sur la pierre « Kal-
Ustaaros » du groupe du Dicona, à Gondé. La carac-
térisation alphabétique me paraît difficile, cette forme
étant commune à quelques alphabets anciens.
90 Pierre Baigneuse, Kouenthio. — Ln groupe de
deux lettres nettement ciselées, de taille inégale. La
plus grande en forme de Noun, sans hampe, à bran-
— 106 —
ches sensiblement égales, l'autre en forme de compas
largement ouvert, tourné vers le haut, mais obliquant
fortement à gauche. On peut y voir une sorte de van.
3" Roche Chambeijron, P. I. de Bogota. — Deux
lettres assez fortement marquées aux deux côtés d'une
fissure, l'une à gauche en forme de oau à hampe laté-
rale, l'autre à dioite en forme de crosse à hampe à
peine courbée. Cette dernière pourrait donc être unç
sorte de phé. L'origine phénicienne ou araméenne
serait dès lors plausible.
4° Pierre Capita, près de la roche Bernier, à Ni. —
Autre groupe de deux lettres de même assez forte-
ment marquées. Elles se présentent couchées dans le
sens vertical. La première rappelle nettement le çade
phénicien, la seconde est un vau à hampe médiane.
Sur l'autre bord de la pierre, il y a une troisième
lettre assez bien marquée qui rappelle fortement le
f)hé phénicien.
4° Pierre Cathèdre, à Bouerou. — Au milieu de la
partie antérieure, une lettre bien ciselée, ressemblant
beaucoup à un L latin, mais tournée vers la gauche. Je
n'ai pu identifier cette lettre.
De nombreuses lettres sont gravées à un format
beaucoup plus réduit au voisinage de cette dernière.
Les unes sont légèrement martelées, les autres résul-
tent de la morsure d'une pointe. Les groupements
sont généralement liorizontaux ou obliques. Certaines
formes semblent surchargées par l'accrochement des
voyelles. Les lettres du premier genre rappellent plu-
tôt les formes hymiaritiques ou safaïtiques. Les autres
— 107 —
lettres rappellent davantage les formes phéniciennes
ou araméennes.
Ces groupes sont disposés au hasard des accidents
de la pierre. Les lettres les mieux faites se trouvent
vers le bas, comme pour éviter le regard. Autre re-
marque qui a son intérêt : la symbolique ornementale
est tout à fait absente de la pierre Cathèdre.
5° Roche Eurêka, à Canala. — Cette pierre dont le
pourtour a été paré par le ciseau porte de nombreuses
inscriptions. Les unes sont soigneusement rangées en
lignes verticales ; mais elles ont été gravées à la pointe
et ma photographie les laisse voir difficilement. D'au-
tres irrégulièrement disposées sont dues à l'action du
marteau. Le groupe que je représente offre encore ce
qu'on peut appeler la caractéristique lybique ou cou-
shite sans préjuger à quel alphabet particulier il con-
vient de les rapporter.
6° Pierre Françoise., à Do-Nèva. — Cette grande
pierre pyriforme avec les blocs voisins constitue peut-
être le plus imposant ensemble épigraphique de notre
possession océanienne. En tous cas, il nous présente
les inscriptions dans des conditions particulièrement
intéressantes. On les découvre, en effet, sur le grand
1)loc, soit' dans des parties respectées par la gravure
hiératique, soit sur le bord d'une large entaille, ou
bien encore dans le creux d'une longue rainure oblique.
Les groupes sont disposés de toutes façons, par rangées
verticales, horizontales. L'un d'eux forme une longue
bande diagonale, un autre affecte une disposition cir-
culaire. Les lettres semblent presque toutes finement
— 108 —
ciselées. Elles offrent encore une caractéristique plutôt
lybique ou coushite. Cependant il y a quelques types
phéniciens, précisément dans le groupe circulaire,
entr'autres un heth et un plié reconnaissables à la
courbure caractéristique de la hampe.
C'est tout différent sur les menus blocs voisins.
Comme sur des pierres précédemment citées, on a
gravé tel quel, c'est-à-dire martelé la lettre sur la
surface plus ou moins raboteuse. Les groupes offrent
rarement quelque ordre apparent. Rien de plus barbare
que leur aspect. C'est le type lybique sans mélange.
On y retrouve ce caractère présenté, je crois, par le
(]he:s ou ancien alphabet éthiopique, c'est-à-dire l'ac-
crochement des voyelles.
go Pierre Pollux, à Poro. — Cette grande pierre
est également l'une des plus écrites; le graffîto à la
pointe est le plus abondant, mais le gros grain de la
taille le rend difficilement visible. La lettre finement
ciselée existe également, seulement il faut la chercher
sur les deux lèvres d'une large fissure. L'ordre est
vertical — en gros — c'est-à-dire qu'il y a comme une
large traînée de lettres. L'aspect général est toujours
lybique ou si l'on aime mieux coushite.
go Pierre Insolite, à Karoupa. — C'est seulement à
cause de son aspect étrange que j'ai pris un cliché de
cette pierre où ne se voit aucune gravure hiératique.
J'avais été bien inspiré, car les graphites à la pointe
forment au moins une grande inscription sur ce bloc
pyramidal de taille assez imposante. Ici comme ailleurs,
ces grafhtes déjouent la science du photographe ; c'est
— 109 —
à peine si on peut les discerner. Mais au milieu de
l'inscription, il y a une grande lettre fortement ciselée.
Elle est d'un type tout à fait inattendu, c'est exacte-
ment la forme du pJié palmyrénien. La singularité de
cet alphabet ne permet pas l'erreur dans l'identifica-
tion.
Ces roches dont la valeur archéologique doit désor-
mais paraître si grande sont répandues sur tout le
territoire ealédonien, mais plutôt sur la côte est, et
elles s'éclaircissent à mesure qu'on s'avance vers la
côte opposée. Elles sont presque toujours loin des
lieux habités. On les rencontre sur le bord de la mer,
dans le creux des cirques ou des vallons, ou sur le
flanc des montagnes, mais c'est principalement dans
le lit des ravines torrentielles ou bien le long des
rivières qu'on les trouve.
Il est rare que la roche ciselée soit isolée. On constate
plutôt l'association par couple, toutefois de taille
extrêmement inégale. Le groupement de sept blocs
est très fréquent, celui de douze se voit parfois.
Au reste, la recherche des nombres sacrés : l'unité,
le couple, la triade, ainsi que sept et douze, se constate
également dans la disposition des symboles.
Est-il besoin d'ajouter que ces monuments énigma-
matiques dans leur simplicité, groupés sans ordre
apparent, dans les terrains inhabitables, souvent mas-
qués par d'épaisses couches de lichen et dissimulés
par la broussaille, n'inspirent aucun intérêt aux ca-
naques. Ces peuplades, qui occupent pourtant l'île
depuis une époque si lointaine qu'ils ont perdu tout
souvenir de leurs origines et se croient aiUochthones —
— 110 —
de bonne foi sans doute, — n'ont rien de sérieux à
nous apprendre à cet égard. Certes, elles ne man-
quent pas de légendes sur les pierres qui leur parais-
sent curieuses, — j'ai pu m'en assurer ; — mais n'ont
aucunes traditions ni interprétations acceptables pour
ces curieuses figures qui ont dû pourtant les frapper.
Assez civilisés maintenant pour comprendre que c'est
une œuvre humaine, certains des leurs supposent
quelquefois bonnement que cela doit être le travail de
leurs pères. Mais cette prétention, contredite d'ailleurs
par d'autres aussi dignes de foi, ne saurait résister à
l'examen.
L'art canaque, tel qu'il nous apparaît sur leurs bam-
bous gravés, est tout autre. Ce n'est qu'une espèce
d'imagerie à dessins enfantins.
Nous ne sommes pas encore assez avancés dans la
connaissance des différentes symboliques ou des divers
styles ornementaux pour désigner à coup sûr l'ouvrier
sur la vue de l'ouvrage. Mais il en va tout autrement
avec les signes alphabétiques. Leur valeur ethnique est
incontestable. Leur rencontre quel lue part suppose la
présence en un temps donné, de ceux qui s'en servaient
exclusivement.
La découverte de lettres coushites sur les roches
calédoniennes conduit donc à admettre que cette île a
été fréquentée par des hommes de cette race, — pro-
bablement des navigateurs, — et cela pendant une
période d'une certaine étendue.
Il y aura à examiner si ces coushites sont également
les ciseleurs de cette curieuse symbolique de la ser-
pentine. La connexité actuelle ne saurait prouver la
— ni —
contemporanéité. Une couche d'épigraphes a pu se
superposer à une couche plus ancienne d'hiéroglyphes.
Alais il serait bien étonnant que les épigraphistes
eussent eu tant de respect pour l'œuvre de prédéces-
seurs que de graver timidement leurs inscriptions à
l'écart.
Il se peut que ces groupements de lettres -soient
intraduisibles. Parce qu'il y a de fortes ressemblances
avec des lettres hymiaritiques ou safaïtiques, il ne
s'ensuit pas que nous soyions en présence de l'une ou
l'autre de ces langues. Vn idiome de même famille,
mais plus ancien et oublié, est beaucoup plus pro-
bable.
En tous cas, on ne saurait fonder un jugement de
cette sorte sur les spécimens que je produis, plutôt en
vue de prendre date. Mes photographies ont été prises
à trop petite échelle pour me permettre de donner des
relevés complets. Des éléments importants feraient
fatalement défaut. Il convient donc avant d'examiner à
fond cette question, d'attendre des photographies
prises de façon plus méthodique et surtout les estam-
pages auxquels je vais me consacrer incessamment.
Marins Archambault,
chargé de mission scientifique.
NÉCROLOGIE
Alfred Durand
Nous avons appris avec le plus vif regret la mort de
M. A. Durand, chargé du cours de Malgache à l'École
des Langues Orientales vivantes. M. Durand est mort
le 16 mars dernier après quelques semaines de cruelles
souffrances, à l'âge de 52 ans. Il était allé tout jeune à
Madagascar où par ses rapports fréquents avec les
indigènes, il avait appris leur langue dans toutes ses
variétés. Quand la France se décida à faire valoir ses
droits séculaires, il fut naturellement attaché à l'armée
d'occupation en qualité de lieutenant interprète ; il
fut chargé en cette qualité de plusieurs missions
importantes; la plus délicate était de conduire la reine
Ranavalona à l'ile de la Réunion : il s'en acquitta avec
un tact si parfait que la reine lui en a toujours été
reconnaissante. Nommé administrateur colonial, l'état
de sa santé l'obligea à rentrer en Europe. On sait que
si l'intérieur de la grande île jouit d'un climat très sain,
la côte et les régions basses sont de vastes marécages
où le paludisme est endémique.
La chaire de Malais et de Javanais de l'École des
Langues Orientales avait pris une importance particu-
lière parce que la langue malgache était de son
domaine; M. Durand en fut répétiteur en 1897. L'année
— 113 —
suivante la chaire fut dédoublée et M. Durand fut
chargé de l'enseignement du malgache. Il s'en acquitta
à la satisfaction générale pendant douze ans ; mais en
octobre 1910, un arrêté ministériel le remplaça
brusquement par un jeune professeur du lycée de
Tananarive arrivé, depuis deux ans à peine, dans la
colonie. Cet arrêté, déféré au Conseil d'État, fut annulé
par la haute assemblée le 21 juillet 1911. Voici les
termes de l'arrêt :
Le Conseil d'État. . .
Considérant qu'il résulte des pièces annexées au
dossier que le sieur Durand avait été nommé titulaire
d'un cours de langue malgache par un arrêté du
17 Dec. 1898, portant institution de ce cours ; qu'au-
cune disposition dudit arrêté ne limite à une période
de temps déterminée les fonctions ainsi conférées au
s' D. et qu'en fait celui-ci les a exercées depuis 1898
jusqu'au début de l'année scolaire 1910-11 sans aucune
interruption ; que si le nom du sieur D. a figuré sur
des arrêtés ministériels désignant chaque année les
charges de cours, cette seule circonstance n'a pu avoir
pour effet de modifier le titre originaire délivré au s""
D.; qu'à l'époque où a été prise la décision attaquée,
l'arrêté du 17 Dec. 1898 n'avait pas été rapporté; que
dès lors le s"^ D. qui en raison de son emploi, a versé
des retenues pour la retraite est fondé à soutenir
que le remplacement dont il a été l'objet dans un
enseignement qui a continué à être donné à l'École, a
le caractère d'une mesure de révocation, laquelle aux
termes de la disposition législative de la loi du 2",^ Avril
1905 devait être précédée de la communication de son
8
— 114 -
dossier, que le requérant n'a pu être mis à même d'user
de la faculté accordée, à titre de garantie, à tous les
fonctionnaires et employés ; qu'ainsi la décision atta-
quée est entachée d'excès de pouvoir :
Décide : l'arrêté ministériel d'octobre 1910 est
annulé.
En conséquence M. Durand reprit sa chaire et on
dut lui verser le traitement intégral de l'année.
La Chambre de Commerce de Paris lui demanda de
faire un cours public de malgache que suivirent de
nombreux auditeurs.
Il s'intéressa avec ardeur à la question d'Orient et il
trouva qu'on faisait la part trop belle aux Slaves et
qu'on était injuste pour la Turquie ; il développa cette
opinion dans une série de conférences remarquées qui
lui valurent la reconnaissance du gouvernement et du
peuple ottoman.
Les obsèques ont eu lieu à l'église Saint-François-
de-Sales où officiait Mgr Le Roy, supérieur de la con-
grégation des Pères blancs, qui l'avait connu à Mada-
gascar. Sous le porche de l'église, des discours ont été
prononcés par M. F. Deloncle, député, par le Prési-
dent de kl Société France-Orient, par M. Julien Vin-
son, professeur à l'école des Langues Orientales, et
par des représentants de la Presse Ottomane.
M. Vinson a prononcé les paroles suivantes :
« Au nom de l'Ecole des Langues Orientales, dont j'ai
l'honneur d'être le professeur le plus ancien, je viens
dire un dernier adieu et rendre un dernier hommage
à notre collègue regretté, à notre ami Alfred Durand.
Puisse notre sympathie adoucir la douleur de ses amis,
— 115 —
de sa famille, de sa compagne dévouée qui lui a donné
avec tant de sollicitude les soins les plus affectueux. Il
nous quitte en pleine activité, au moment où son con-
cours nous aurait été le plus précieux ; il meurt dans
toute la force de l'âge, victime d'un mal inplacable
qu'il avait contracté dans la grande île africaine et
qui s'était aggravé par des préoccupations morales : il
avait soufïert en effet de l'injustice des hommes, de
palinodies lamentables, de certaines ambitions injusti-
fiées.
» Il avait acquis par un long séjour dans cette belle
colonie, dont on peut dire qu'il fut l'un des fondateurs,
une connaissance profonde des mœurs, des coutumes,
des sentiments, du langage du peuple malgache; aussi
avait-il pu rendre d'immenses services au corps expé-
ditionnaire et a-t-il pu former toute une génération
d'élèves, de bons élèves qui garderont pieusement sa
mémoire comme celle d'un professeur consciencieux
et dévoué ; nous, ses collègues, nous nous souviendrons
de lui comme d'un cœur généreux, d'un esprit franc,
loyal et désintéressé ; et pour tous son nom sera tou-
jours associé au sentiment du devoir, au culte de la
justice et de la vérité ».
BIBLIOGRAPHIE
Government of Madras : public n^OCl. 2 august 1913.
Annual report on Epigraphy . — 130 p. in-fol.
Ce rapport continue on ne peut mieux la série ; il
rend compte des travaux du service épigraphique
pendant Tannée dernière, et nous apporte des dé-
tails nouveaux et des précisions historiques. Ce qui
rend difficile l'identification des personnages, c'est
qu'ils ont tous plusieurs noms et surnoms, et qu'ils
sont désignés tantôt par l'un et tantôt par l'autre.
Les documents recueillis cette année se rapportent
aux rois Pallava, Ganga-Pallava, Nolamba-Pallava,
Soja et Pandiya. Il y est question de la conquête
de Ceylan, de l'amitié des Sojas et des Çêras, des
dons faits aux temples par des princesses royales,
etc. Nous y trouvons d'intéressants détails sur les
communautés du pays Sojas, celle des habitants de
la campagne, ûrôm « nous, gens des villages », et
celle des marchands, nagarrattôm « nous, gens des
villes )), ce qui met au grand joui- la manière dont
s'est faite la conquête, la civilisation et l'éducation
des Dravidiens par les hommes du Nord. 11 y avait
des assemblées locales [sabhâ] et des assemblées
générales [mahâsabhâ] ; celles-ci déléguaient une
commission de douze membres, chargée sans doute,
- 117 —
dans un but fiscal, de Tinspection annuelle des can-
tons [sanvatsaravâriyam).
Je regrette une fois de plus la déplorable trans-
cription des anglo-indiens. Pourquoi écrire orriyâr
ce qui se prononce ottiyâr ? Chola et Chera, adapta-
tions sanscrites, représentent mal le Côja et Çêra,
dravidien : les Grecs avaient bien mieux transcrit.
Julien ViNSON.
Sludies on Saiva Siddhanta, by J.-M. Nallaswami-
pillay. Madras, 1911, in-8<', (vj)-xvj-560 p.
Sivadjliânas iddhiyàr translated by J.-M. Nallaswa-
mipillay. Madras, 1913, in-8°, {vj)-cvj-284 p.
L'éminent magistrat indien, qui a consacré toute
son activité à la propagation du çivaisme tamoul,
épuré et spiritualisé, si j'ose m'exprimer ainsi, conti-
nue ses travaux avec un zèle et un dévouement infa-
tigables. Il nous envoie aujourd'hui un recueil d'ar-
ticles qui ont paru dans les plus instructives Revues
du pays et la traduction d'un ouvrage de doctrines
fort renommé. On ne peul que remercier l'auteur,
lui adresser les plus vives félicitations, et recom-
mander ses ouvrages à l'attention du public savant.
J. V.
Smithsonian Institution. Bureau of American Ethno-
logy-
1° 28thannual report. 1906-1907. Washington, gov.
pr., 1913, in-4° 290-2-xxxv p., 2 cartes; 108 planches
— 118 —
et 68 figures dans le texte. Contient, outre le rap-
port annuel, 21 p., un mémoire de Jessie Walter
Fewkes sur les Caps Grands de l'Arizona (25-181 p.) :
une note du même auteur sur les antiquités des val-
lées de l'Arizona ; un rapport préliminaire sur la
classification linguistique des tribus algonquines,
par Truman Michelson ; et un index analytique ;
2° Bulletin n° 51 (in-8o, 76 p.) et une carte. Physio-
graphie du Rio Grande ;
3° Bulletin n" 53 (312 p., in-8", pi. et musique gra-
vée). Musique Chipeway II, par M. Francis Densmore
J. V.
Les publications Utnioules du professeur Anavara-
davinâyagam pouUé. Madras, 15 vol. et broch.,
in-S" et in-12.
C'est toujours avec beaucoup de satisfaction que
je reçois de l'Inde, et surtout de flnde dravidienne,
les communications qui me font voir que mes tra-
vaux sont connus et appréciés là-bas, et que mon
nom y fait autorité. Un des travailleurs les plus dis-
tingués de Madras, Anavaradavinâyagam pouUé,
vient de m'envoyer ses principaux ouvrages.
Madras n'est pas seulement une grande ville ; c'est
le centre d'une puissante activité littéraire. Il y a
une université, des collèges, des Sociétés savantes^
des érudits et des savants, des imprimeurs et des
librairies fort bien organisés. Je ne regrette qu'une
chose, le mauvais système de transcription et les dé-
plorables habitudes de l'orthographe anglaise. Rien
— 119 —
n'est plus déplaisant, par exemple, que de voir les
Indiens faire suivre leur nom, en lamoul, des syllabes
pi. ijè qu'il faut prononcer hi. ê. et où il faut retrou-
ver les B. A. classiques (Bachelor of Arts).
Les publications du savant professeur du Christian
Collège sont intéressantes et fort utiles. C'est d'abord
un recueil^ le plus complet jus(|u'à ce jour, des
12271 proverbes classés par ordre alphabétique
[Tàmijagarâdi, 1912, in-S", (iv)-420 p.) ; puis une édi-
tion très soignée de la vieille collection des quatre
cents strophes morales avec texte, commentaire et tra-
duction d,n^\<nse{Nàladiyâr, 1903,(xxij)-380-4 p.). Ce
sont aussi des éditions, attentivement suivies et pré-
cédées d'excellentes notices, d'ouvrages utiles et re-
nommés ; des hymnes attribués au grand sage çiva-
ïste Mânikyavâtchaka {Tiruvâçagani, 1907, 319 p.,
in-12), du traité de morale Ojiviloclukkam (1906, 419 p.),
du poème mystique Kôyinânmanimdlei {1907 , 132 p.),
du Sâiindarlyalangài-i (VdiO, 130 [).), du Çivânanda-
mâlei (\9i2, 68 p.j, du Maneiçeyàndàdt (1913, 68 p.),
du Kalvaleiyandàdi, (1913, 64 p.) et du Pantcha-
tantra (1913, 169 p.). Il a donné, de plus, des ouvra-
ges originaux admis aux examens du baccalauréat,
une explication de la doctrine çivaiste [Câivasid-
dhàntavaralira), 1910, 53 p.), une rhétorique {Ani-
yilakkanam 1906, 68 p.), et une prosodie {Yâppilak-
kanani, 1906, 48 p.) complété par la réimpression, en
1902 (56 p.), de deux anciens petits poèmes sur le
veiibâ et le ciruttani (vrddha), enfin la vie de la poé-
tesse Auvei [Aaverydrrarittirani 1909, in-12, 49 p.).
AnavaradavinâyagampouUé est né dans le Tinné-
— 120 —
veli, en septembre 1877, d'une famille de lettrés ta-
mouls. Elève du collège hindou de son pays, il y
passa avec succès son premier examen et alla com-
pléter son éducation au Christian Collège de Madras,
où il fut reçu bachelier es arts en 1898. Il obtint à
divers concours de nombreux prix et de nombreuses
médailles. Pensionné par le Collège^ il se j)résenta
en 1900 aux examens de la maîtrise es arts et fut le
second Indien reçu. Il avait présenté, comme langue
du pays, le tamoul et le malayâla. Il obtint en 1902
le grade de L. T., et devint successivement prépa-
rateur, répétiteur, professeur au Christian Collège,
et fut chargé de former des traducteurs de langue
indigène.
Il fait partie, pour les épreuves en langues étran-
gères, des Commissions d'examens de l'Université
de Madras.
Julien ViNSON.
)
VARIA
Madame de Talleyrand, princesse de Bénévent
Jacotot avait bien raison quand il disait que tout
est dans tout et que tout se tient. J'ai repris der-
nièrement le recueil des pièces du procès de Chalais
pour relire les phrases basques qui s'y trouvent, et j'ai
été amené à pensera la famille du malheureux Henri
de Talleyrand, à ses descendants, et notamment à
Tévêque d'Autun, qui fut député à l'Assemblée Cons-
tituante et à la Convention, qui officia solennellement
au Champ de Mars le 14 juillet 1790, qui devint plus
tard ministre, ambassadeur et prince de Bénévent.
Sa femme était originaire de l'Inde française. On
sait que l'Inde et le pays basque ont été l'objet de
mes plus chères études et m'ont laissé les meilleurs
souvenirs.
La future princesse de Bénévent, Noèle-Catherine
Werlée, naquit à Tranquebar le 21 novembre 1762.
Son père était probablement au service de la compa-
gnie française des Indes à Karikal et avait dû, après
la prise de la ville par les Anglais, se réfugier sur le
territoire danois. Sa mère, Laurence Allanny, était
italienne, dit-on ; le nom paraît cependant bien fran-
çais, comme celui de Werlée qui est champenois. En
1777, nous retrouvons M. Werlée capitaine déport à
— 122 —
Chandernagor et chevalier de Saint-Louis : il avait
été peut-être officier de marine. Il avait une autre
fille, plus âgée, mariée à Chandernagor, A quatorze
ans et demi, Noële-Gatherine était la plus belle Eu-
ropéenne du pays : grande, élancée, admirablement
faite, elle avait de grands yeux bleus très doux, om-
bragés d'épais cils noirs et une magnifique cheve-
lure blonde. Elle lut remarquée par un jeune fonc-
tionnaire de Calcutta M. Grand.
François-Georges Grand descendait d'une famille
protestante de Normandie, qui s'était expatriée après
la révocation de l'Edit de Nantes et fixée à Lau-
sanne. Son éducation terminée, le jeune Grand fut
envoyé à Londres pour apprendre le commerce chez
un ami de son père. Mais il n'y prit aucun goût et
partit en 1766 pour le Bengale avec une commission
de Cadet dans l'armée de la Compagnie anglaise En
1768, il devint lieutenant. En 1773, il dut revenir en
Europe pour raison de santé. Il repartit pour l'Inde
en 1776, mais cette fois pour entrer dans le service
civil. Aucun emploi convenable n'était vacant; il dut
attendre, et il employa ses loisirs à faire de nom-
breuses excursions. C'est ainsi qu'il fit la connais-
sance de la famille Werlée. Il ne déplut pas à la jeune
fille, et ils convinrent qu'ils se marieraient dès que
le jeune homme, qui pouvait avoir alors une tren-
taine d'années, aurait une position définitive. Peu
après, il fut nommé secrétaire du Bureau du Com-
merce aux appointements de 1300 roupies (3250 fr.)
par mois. Le mariage fut célébré devant le curé de
Chandernagor, à une heure du matin, le 10 juil-
— 123 —
let 1777, et le même jour, à huit heures, devant le
chapehun anglican d'Hougly. La jeune fille était
catholique et le fiancé protestant. Le nouveau mé-
nage s'installa dans une maison de campagne, aux
portes de Calcutta ; ils y vécurent heureux et tran-
quilles pendant [)rès de dix-huit mois.
Mais la beauté de M'^'' Grand avait fait sensation ;
bientôt, dans les réunions mondaines, bals, soirées,
dîners, elle fut l'objet des attentions empressées d'un
grand personnage du pays, M. Philippe Francis,
membre du Conseil privé, fort bel homme de trente-
huit ans, connu pour ses aventures galantes. M. Grand
avait liiabitude d'aller au club tous les mardis soirs ;
il partait ordinairement à neuf heures pour revenir à
onze. Le (S décembre 1778, à son retour, il trouva sa
maison toute en émoi. Un de ses dome8li({ues, sor-
tant vers dix heures pour rentrer chez lui, — car
dans rinde les domestiques ne restent pas la nuit
chez leurs maîtres, — avait aperçu une échelle de
bambou appliquée contre le mur. Intrigué, il avait
appelé d'autres domestiques et ils avaient attendu.
Peu après, un gentleman^ dans lequel ils reconnurent
M. Francis, se présente pour sortir, descendant du
premier étage. Ils se saisirent de lui, lui ôtèrent
son épée et le conduisirent dans une salle basse où
ils le gardèrent à vue, assis sur un fauteuil. En vain
leur offrit-il des pièces d'or, en vain jN!"^" Grand,
accourue au bruit, les pria de le laisser aller ; ils
n'en firent rien, et la jeune dame remonta chez elle
après avoir échangé avec le prisonnier quelques
mots auxquels ils ne comprirent rien, sans doute-
— 124 —
parce que c'était du français, langue que M. Francis
parlait parfaitement, (M™® Grand ne savait pas l'an-
glais). Des amis de M. Francis, prévenus d'avance
probablement, firent irruption dans la maison en es-
caladant le mur de la cour, et grâce à cette diversion
il put s'échapper. Les domestiques se rappelèrent
alors qu'après le départ de leur maître, M"^" Grand
ayait envoyé son ayâ, c'est-à-dire sa femme de
chambre, chercher en bas une chandelle de cire :
quand elle était remontée, elle avait trouvé la porte
fermée au verrou. Ils avaient gardé l'épée et l'échelle
qui était fort ingénieusement faite : c'était un bambou,
coupé verticalement par son milieu, avec des éche-
lons qui se rabattaient ; fermée, c'était un bambou
ordinaire facile à tenir à la main.
M. Grand ne pouvait douter de son malheur; il
passa la nuit dans les larmes, sans que sa femme
osât se présenter devant lui. 11 envoya chercher, à
Chandernagor, son beau-frère et sa belle-sœur et
convint avec eux que M™* Grand retournerait chez
ses parents où il lui servirait une pension. Les deux
époux eurent une entrevue (|ui dura trois heures, le
dimanche 13 décembre : ils ne se revirent plus ja-
mais.
M. Grand provoqua M. Francis en duel, mais celui-
ci se déroba, alfirmant qu'il n'avait commis aucune
offense. M. Grand l'assigna devant la Haute-Cour de
justice de Calcutta et lui réclama 1.500.000 roupies
(près de quatre millions de francs) de dommages et
intérêts. Après une longue et minutieuse enquête
dont tous les |)rocès-verbaux ont été conservés, la
— 125 —
Cour rendit, le 6 mars 1779, un arrêt aux termes du-
quel M. Francis, reconnu coupable, était condamné
à payer à M. Grand une indemnité de 50.000 roupies
sicca, soit, dit l'arrêt, 5.109 livres sterlings, 2 shil-
lings et 11 pence (127.728 fr. 60) et aux dépens,
liquidés à 947 roupies (2.257 fr. 50).
M. Grand, à qui le séjour de Calcutta était désor-
mais insupportable, passa à Patna par permutation.
Il fut ensuite envoyé à Bénarès, puis ailleurs ; il re-
vint en Europe en 1783 et retourna au Bengale. En
1802 il était à Paris. Talleyrand s'intéressa à lui, le
recommanda au gouvernement de La Haye, qui lui
donna une position importante au Cap de Bonne-
Espérance. 11 s'y rendit et y demeura jusqu'à sa
mort, en 1815. Il y publia, en 1811, un récit de sa
vie. Tous ces biographes disent qu'il était moralement
le plus misérable des hommes. M. Francis ne resta
pas longtemps dans l'Inde ; le 14 août 1780, il se battit
au pistolet avec le Gouverneur général Warren Has-
tings ; ce duel paraît n'avoir eu aucune cause fémi-
nine et n'avoir été occasionné que par des froisse-
ments d'amour-propre. 11 devint sir, et fut membre
du Parlement. On lui a attribué les Lettres de Jiinius.
Trois mois après l'arrêt de la Cour suprême,
M. Francis était allé chercher M°"« Grand à Chander-
nagor et l'avait conduite à Hougly, où il allait sou-
vent la rejoindre. Au printemps de 1781, elle s'em-
barqua pour r7\ngleterre ; M. Francis y vint lui-
même en 1782, mais elle ne voulut pas le voir et mit
tous ses soins à l'éviter. Nous ne savons pas exac-
tement ce qu'elle fît pendant les seize années qui
— 126 —
suivirent : elle vécut à Paris, à Londres, à Spa ; elle
fut admise dans la Société française émigrée à Lon-
dres au commencement de la Révolution, et elle pa-
raît avoir été l'amie, pour ne rien dire de plus, du
chevalier de Lambertye, auquel elle fit avoir, en
1808, une pension qu'il toucha jusqu'en 1813, date
de sa mort. C'est en 1797 que M""* Grand fit la con-
naissance de Talleyrand, soit à Paris, soit à Londres.
Elle fut impliquée dans une conspiration royaliste
et arrêtée ; mais Talleyrand la fit relâcher. La lettre
qu'il écrivit à Barras a (^ette occasion est intéres-
sante ; il dit que M™^ Grand est « une Indienne bien
belle», qu'elle est«incapable de se mêler d'intrigues
politiques», et il ajoute «je l'aime ». Le premier con-
sul voyait d'un mauvais œil la liaison de son ministre
des affaires étrangères. Sur les instances de José-
phine, il consentit à recevoir M"' Grand ; elle le
toucha par sa beauté, son émotion et ses larmes, et
il signifia à Talleyrand qu'il eût à régulariser sa
situation dans les vingt-quatre heures. Le mariage
de l'ancien évêque eut lieu le 10 septembre 1802,
devant le curé d'Epinay, disent les uns, à l'une des
mairies de Paris, disent les autres. Les deux céré-
monies, religieuse et civile, n'étant point exclusives
l'une de l'autre, furent probablement faites ; Tal-
leyrand avait été délié de ses engagements ecclé-
siasticjues et relevé par Pie Vll_, en 1801, de l'excom-
munication majeure (|ue Pie \T avait lancée contre
lui. Le divorce des époux Grand avait été prononcé
par le Tribunal de la Seine le 13 germinal an VI ;
nous ignorons par quels motifs et dans quels termes.
— 127 —
Pie VII, on le sait, ne voulut jamais voir ni Tal-
leyrand ni sa femme, qu'il appela toujours « cette
dame » questa donna.
La conduite de M™^ de Talleyrand, après son ma-
riage, ne donna aucune prise à la critique malveil-
lante : on dit bien qu'elle flirta., pour employer une
expression moderne, avec les infants d'Espagne que
Napoléon interna au château de Valencay, qui appar-
tenait à Talleyrand, mais rien n'est moins prouvé.
Ce qui est certain, c'est qu'elle lassa son mari. Mal
préparée au rôle de grande dame, elle avait une
prétention excessive, elle commit des maladresses et
se montra d'une impardonnable ignorance. Talley-
rand s'excusait en disant : a Que voulez-vous? ma
femme est si bête ! » On assure notamment, ce qui
n'est pourtant pas bien grave, qu'elle confondit un
jour Denon avec le héros de de Foë, et elle lui parla
de son domestique Vendredi : la femme d'un de
nos ministres ne prit-elle pas naguère la salle de
correspondance d'un grand magasin pour le salon
carré du Louvre ?
Cette méprise avait été amenée par l'étourderie
d'un domestique. Talleyrand ayant invité Denon à
dîner, en prévint sa femme en lui disant : « C'est un
grand voyageur; je vous enverrai son ouvrage, afin
que vous puissiez lui en parler ». Le domestique
oublia de porter le volume à sa maîtresse qui, trou-
vant sous sa main le roman de de Foë, le prit pour
l'ouvrage de Denon. i\ propos de Robinson, sait-on
qu'il en a été fait un abrégé, en bon latin d'école,
par J. Goffaux, professeur de langues anciennes :
— 128 —
Fata Robinsonis Grusoei ud usum tironum, Paris,
J. Farge, 1809, in-12, (iv)-268 p., 2 fig. — Robinson
Criisoeus, quarta éditio, Paris, A. Delalain, 1813,
in-12, (iv)-276p., 10 fig.
En 1816 ils se séparèrent, et la princesse de Bé-
névent vécut dans la retraite à Neuilly, où elle mou-
rut le 10 décembre 1835. Elle fut enterrée au cime-
tière Montparnasse ; sa tombe ne porte aucune
inscription.
Il a été fait deux portraits de M™^ Grand : l'un attri-
bué à Zofîany, est conservé au Collège de la Mission
Baptiste, à Serampour, ancienne colonie danoise
(Frederiksnagas) ; Tautre, par Gérard, est au Musée
de Versailles. Ils sont reproduits, ainsi qu'une cari-
cature de sir Philippe Francis, dans un très inté-
ressant ouvrage, Echoes from old Calcutta, par
H. E. Busteed (Calcutta, 1888, 2« édition, in-8° (ix)-
327 p. et 8 pi.), où un chapitre tout entier, le sep-
tième, est consacré à « Madame Grand ». Il m'a paru
que ces détails, qui appartiennent aux petits côtés
de l'histoire, ne déplairaient pas à mes lecteurs.
J. V.
M. Busteed rappelle qu'au dix-huitième siècle,
l'Inde a produit une autre « beauté », née au Tra-
vancore en 1743, Eliza Draper, qui fut aimée de
Sterne et de Ràynal.
L' Imprimeur-Gérant :
E. Bertrand.
CHALON-S-SAÔ.NE. — IMPR, FRANÇAISE ET ORIENl'ALE E. BERTRAND. 8l8
I-Li
LE MOT «PAGODE
Dans le dictionnaire de Littré, ce mot est indiqué
comme formé du Persan but-khoda « maison d'idole »
où khoda signifierait « maison ». Cette explication
est absurde et absolument inadmissible, d'abord parce
que le composé indiqué ne s'emploie pas en persan
pour dire o temple », puis, parce que khudâ et non
khoda est « dieu » pas « idole», enfin parce que le
mot vient de l'Inde méridionale où le persan n'était
pas parlé.
Il faut remarquer que « pagode », aujourd'hui
féminin, a commencé par être masculin et signifiait
« idole »; aussi un anglais facétieux y voy ?àipagan-god.
Dans plusieurs textes des XVP et XVIP siècle on
trouve pagode avec le sens de divinité; une preuve
indirecte de cette signification générale c'est que
l'aventurier qui a inventé la langue formosane appelait
son dieu Pagot\ dans plusieurs ouvrages portugais,
on lit hum pagode « un dieu ». La pièce de monnaie
d'or valant trois roupies et demie (8 fr. 50) a reçu ce
— 130 —
nom parce qu'elle porte sur sa face plate l'image d'un
dieu, c'est seulement au milieu du XVIIP siècle que
ce sens a été abandonné pour faire place à celui de
« temple » qu'on avait employé auparavant, concur-
remment avec lui ; et c'est alors que le mot est devenu
féminin en français et qu'on Ta étendu à la Chine.
Le mot pagode dont les anglais on fait pagoda a
été introduit en Europe par les portugais après leur
établissement dans l'Inde. A quelle langue du pays
l'avaient-il pris ? La région où ils exercèrent d'abord
leur activité était dravidienne, comment y appelait-
on les temples et les dieux? En Samoul, qui est le
principal idiome du sud de l'Inde, il y a deux mots
pour « temple » : àlaya qui vient du sanscrit et n'est
employé que dans la littérature,, et kôyil ou kôvil qui
est populaire et signifie proprement « palais, maison
du roi » ; ce mot nous reporte donc à l'époque oïi les
dravidiens n'avaient pas encore conçu l'idée d'un dieu
suprême, c'est du reste la seule expression en usage et
les chrétiens eux-mêmes s'en servent pour désigner
leurs églises. Il n'y a aucun rapport possible avec
pagode.
« Dieu » n'a pas non plus de correspondant exact en
dravidien ; on a emprunté les termes sanscrits : il y a
eu d'abord sur a dont on a dérivé par un a privatif^
asura « démon », mais l'expression la plus ordinaire
était dêva qu'on a prononcé plus tard dêv dêô dont les
indiens du sud on fait têcu neutre et têva masculin.
Le tamoul en effet n'admet pas les explosives douces
au commencement des mots, ni les dures simples au
milieu. Mais le terme le plus répandu était, au moins
— 131 —
depuis ce qu'on peut appeler le moyen âge, bhagavan,
bhagauat « le bienheureux » pris avec l'acception de
seigneur, épithète ordinaire de Vichnou, et son parè-
dre féminin bhagavatt, que les çivaïstes très nombreux
dans le sud appliquaient à la femme de Çiva dont
l'image se trouve sur toutes les pagodes. Les langues
ariennes, filles du sanscrit, prononcent bhagvan, b/iag-
vat bhagvati et font même du v consonne un w semi-
voyelle. En tamoul, le mot devient régulièrement
pagavada, pagavadi que beaucoup dans le peuple
prononcent pagvada, pagvadi, l'accent étant sur l'a
initial. Les portugais ont dû transcrire d'abord joa^o-
ade, puis accentuant l'o ils ont réduit le mot h pagode;
c'est à une erreur de ce genre qu'est du le nom de Pon-
dichéry. En tamoul, les centres d'habitation sont
appelés kôttei « fort, citadelle », pattanam « cité »,
nagaram « ville » et surtout « ville de commerçants «^
ûr « village » dans le sens du latin joa^ws, çêri « ha-
meau )) (prononcé presque chéri) et pettei « groupe de
maisons dans les faubourgs d'une ville ». Il s'était
formé sur la côte de Coromandel à quelques lieux au
nord du grand sanctuaire du Çidambaram (Chellam
bron) un hameau de pêcheurs qui avait pris le nom de
pudutchêri « nouveau hameau » (le ç doublé se pro-
nonce tch) ; l'endroit est mentionné sous la forme
poulecère par un marin hollandais en 1665; c'est en
février 1673 que les français s'y installèrent. Ils trans-
crivirent le nom Poudouchêry , mais en France on lut
Pondouchéry que quelque scribe arrangea en Pondi-
chéry, forme qui est devenu définitive.
Dans leurs dictionnaires latins, les Jésuites ont cor-
— 132 —
rectement mis Pudicherium, mais des professeurs de
l'Université ont cru devoir corriger Ponticerium.
Quoiqu'il en soit, le mot devrait être défini : a édifice
religieux, temple indien ou chinois », il existe un
diminutif, pagotin,. sous lequel on désigne de petits
édifices ouverts où se trouve la statue d'une divinité
secondaire.
Julien ViNSON.
I
UNE LETTRE SUR L'ADRIATIQUE
Cher Monsieur,
Selon ma promesse, je me hâte de vous écrire un
mot sur l'Adriatique, c'est-à-dire sur les régions que
je viens de traverser.
Parti de Bruxelles le 11 juin dernier, je devais me
rendre par Munich et Salzbourg, à Assling, de là à
Goritz, Trieste, Pola, Sebenico, Spalato, Metcovich,
Mostar, Raguse, Cattaro, Zara, Fiume, Laybach,
Assling, et retour. Mon voyage comprenait encore
une seconde partie, la plus intéressante peut-être :
Cattaro-Cettigné-Rieka-Scutari- Virpazar-Anti vari . Je
me proposais surtout d'étudier la renaissance nationale
albanaise à Scutari, son centre principal. Mais, hélas!
à en croire la presse de Trieste et de Fiume, la plus
directement informée, les événements de Durazzo
avaient une trop grande répercussion sur les musul-
mans de l'Albanie du Nord pour que cette excursion
pût se faire sans danger. Force me fut donc d'y
renoncer. La visite de Cettigné eut le même sort.
Ayant manqué la poste à Cattaro le premier jour, je
i^e me sentis point le courage de renouveler l'expé-
- 134 -
rience le lendemain, pour m'exposer à rester bloqué
dans une petite ville sans ressources et d'un médiocre
intérêt.
Malgré cette mutilation, le voyage n'en a pas
moins été fort intéressant, car il m'a permis d'étudier la
vie nationale d'un certain nombre de populations. Je
compte vous exposer ici, systématiquement, quelques-
unes des observations qu'il m'a été donné de faire en
cours de route.
Le N.-E. de l'Adriatique est habité par des
Allemands, des Hongrois (à Fiume seulement), des
Italiens, des Slovènes, des Croates, des Serbes.
Rentrent encore dans le même cadre d'études, les
Musulmans et les Juifs de Bosnie-Herzégovine, les
Albanais de Borgo-Erizzo, et les Glagols d'Istrie et
de Dalmatie. Procédons par ordre.
A tout seigneur, tout honneur. Les Allemands sont
bien les maîtres du pays. Leur langue domine non
seulement dans les anciens territoires de la maison
d'Autriche, mais jusqu'aux extrémités de la Dalmatie,
où, dans une certaine proportion, elle s'est substituée
à l'italien.
Et, de fait, l'influence de l'italien était factice sous
les Vénitiens : si l'on se servait de la langue officielle,
c'était faute de mieux, parce qu'elle avait au moins
l'avantage de posséder une graphie fixe, ce que
n'avait pas le slave indigène. Mais, du jour où l'il-
lyrisme de Gaj vint ressusciter le croate (1835),
celui-ci ne devait pas tarder à se substituer, dans tous
les domaines, à l'italien. Et, dès lors, l'italien devait
bientôt aussi se voir préférer l'allemand, langue d'un
— 135 —
emploi plus général, facilitant les communications
avec le reste de la Monarchie. D'ailleurs, le service
militaire, les relations commerciales et le contact des
étrangers ont du suffire pour amener cette évolution.
Dans les pays proprement italiens, le rôle de
l'allemand 'est moindre, pour autant toutefois qu'il
ne s'agisse d'un centre commercial, comme Trieste,
ou d'un centre militaire, comme Pola.
En Bosnie-Herzégovine, en dépit de l'oecupation
militaire — tout le pays n'est qu'une vaste caserne, —
l'allemand m'a paru passablement ignoré dans les
milieux civils, ce qui s'explique peut-être par le fait
que le militaire lui-même est recruté pour une grande
part chez les Jougoslaves.
Généralement parlant, l'allemand est la langue
commune de l'Autriche, le lien qui unit tous les
citoyens du pays. La politique autrichienne est à cet
égard très sage. Elle accorde à toutes les nationalités
des droits égaux quant à l'usage public de sa langue,
mais, en même temps, elle sauvegarde le principe
d'unité : l'allemand est la langue nationale, les autres
langues ne sont que langues provinciales.
Telle est aussi, pour -moi, la solution naturelle du
problème. Et je crois que les erreurs commises dans
d'autres pays, le mien notamment, en matière de
langues, proviennent toutes de la négation de ce
principe essentiel.
L'allemand, d'ailleurs, est aussi parlé comme
langue naturelle dans le sud Slave, notamment dans
un ilôt linguistique, celui de Gottschee, en Carniole.
Me promenant dans les rues de Pola, je fus frappé
— 136 —
par une enseigne trilingue qui se balançait au-dessus
de la porte d'une taverne :
ANDEMO DE BATIC
GREMO K BATICU
GEMAR ZUM BATIC
Les deux premières lignes étaient, Tune, de l'italien
vénitien, l'autre, du slovène. Mais qu'était ce que la
troisième ? A force d'y réfléchir, je trouvai le mot de
l'énigme : j'avais affaire à de l'allemand de Gottschee,
et m'aidant de la double traduction, je pus l'inter-
préter sans peine :
Gemar répond à l'allemand gehen wir (allons), mar
étant le mir du judéo-allemand, avec la mutation en
a propre aux dialectes du sud. Quant à la contraction
de gehen en ge, il suffirait pour l'expliquer de
recourir à l'influence du slovène, dans lequel Vh perd
sa valeur, les lettres doubles deviennent simples, et
celles de même ordre s'assimilent :
Gehenmar, geenmar, genmar, gemmar, gemar.
J'avoue d'ailleurs n'en pas connaître davantage de
ce dialecte, qui est parlé par environ 25.000 Allemands
complètement isolés dans la population slovène.
Passons maintenant à l'italien.
Si cette langue a perdu son antique suprématie sur
toute la côte orientale de l'Adriatique, elle s'est
maintenue, naturellement, dans les milieux italiens ou
solidement italianisés.
En Dalmatie, Sebenico est la première ville slave.
Zara est foncièrement italienne, bien que la population
rurale soit croate. Celle-ci, d'ailleurs, doit avoir
— 137 —
quelque connaissance de l'italien, car, sinon, les
bourgeois de Zara, qui en vivent, seraient bien forcés
d'arborer des enseignes bilingues. Et son « croatisme»
doit être plutôt tiède, car elle accueille les écoles de
la Lega Nationale, comme je l'ai constaté à Borgo-
Erizzo.
A Fiume, le fond est italien, mais la présence de
nombreux immigrants hongrois et croates y est fort
sensible. Le caractère partiellement hongrois de
Fiume est d'ailleurs dans la nature des choses, car on
sait que cette ville, enclavée entre l'Istrie et la
Croatie-Slavonie, ne fait point partie de ce dernier
royaume et dépend directement de la Hongrie, dont
elle est le port unique.
Pola, indépendamment de la population militaire,
est bien italienne Néanmoins, l'élément croate y est
sensible, la ville étant située sur la frontière des deux
langues. La bourgeoisie de Pola est d'ailleurs italia-
nisée plus qu'italienne. C'est là un fait qui m'a
particulièrement frappé lors de la visite du cimetière :
les noms en -icii, donc slaves, représentent certai-
nement plus de 50 % de la totalité.
Telle est, du reste, un peu partout la situation.
C'est évidemment l'élément italien qui s'est assimilé
les éléments slaves, et prétendre l'inverse, comme on
l'a fait dans l'intérêt d'une certaine thèse, est certai-
nement un non-sens. Le processus historique, tel que
nous le constatons dans le Nord, tel que nous le
constations encore il y a une cinquantaine d'années
dans le Sud, se maintient depuis des siècles immuable
dans la même direction.
- 138 —
Trieste peut être tenu pour la capitale de Yltalia
irredenta. C'est une ville tout à fait italienne, bien
que les faubourgs soient déjà Slovènes.
Goritz est aussi italienne, bien que les Slovènes, et
même les Allemands, y soient certainement nombreux.
Quelle est la situation des Italiens d'Autriche-
Hongrie? Elle ne diffère en rien de celle des autres
nationalités de l'Empire, si l'on tient compte de leur
importance numérique. Non seulement on ne leur
tient pas rancune de leurs tendances séparatistes
avouées, mais les Allemands, c'est-à-dire au fond les
milieux gouvernementaux, recherchent leur alliance
afin de faire face, sur l'Adriatique, au «péril slave».
Et, pourtant, tandis que les petites nationalités
slaves n'ont point de centre politique à l'étranger et
concentrent tous leurs rêves d'avenir en dedans des
frontières de la Monarchie, les Italiens, eux, ne seront
contents que le jour où ils se seront fait annexer au
royaume voisin, sacrifiant à une idée nationale
exagérée jusqu'à leurs intérêts matériels. Car Trieste
italien, Trieste sans hinterland est condamné à une
ruine irrémédiable.
En attendant, ils ont une forte organisation de
combat. Leurs principales sociétés sont la Lega
Nasionale, qui entretient des écoles, et les sociétés
de bersaglieri , destinées à faire pièce aux Sokols
slaves. J'eus l'occasion d'assister, à Spalato, sur la
Marina, aux funérailles (J'un de ces bersaglieri ,
simple maçon de son état. Les superbes obsèques qui
lui étaient faites avaient évidemment pour but d'en
imposer à la population croate, qui, il faut le dire,
— 139 -
contemplait très digne. Ces sociétés doivent être fort
répandues, car Borgo-Erizzo possédait aussi la sienne.
Les ennemis que les Italiens ont à combattre sur
l'Adriatique sont les Slaves, Slovènes au Nord,
Croates et Serbes au Sud. Commençons par ces
derniers.
Croates et Serbes ne sont à proprement parler
qu'un seul peuple. Si, en dépit d'un développement
séculaire complètement séparé, ils ont aujourd'hui
encore la même langue, c'est bien qu'ils ne furent
jamais que deux tribus d'une même nation.
Ce qui les sépare, plus encore que les traditions
historiques, c'est la différence de religion et de
culture. C'est là un phénomène curieux et dont je me
ferais moi-même difficilement une idée si je ne l'avais
touché sur le vif à Metcovich, sur la Narenta : d'un
côté la Dalmatie, italianisée et moderne, de l'autre la
Bosnie, turque et médiévale. C'est comme tranché au
couteau ; nous avons là deux populations qui, tout en
vivant côte à côte, restent en fait étrangères l'une à
l'autre, comme si une « grande muraille » les séparait.
Il va de soi que cette difïérence de culture est à
peine sensible chez les Serbes immigrés depuis des
siècles en Dalmatie. en Croatie et en Slavonie. Mais,
ici, c'est l'Église qui, s'opposant à la fusion, a main-
tenu la nationalité serbe.
Les Serbes représentent 20 % à peu près de la
population dalmate. A partir de Sebenico, on com-
mence à voir, de ci de là, des enseignes en lettres
cyrilliques, accompagnées le plus souvent de la trans-
cription latine. A Cattaro, elles sont très nombreuses,
— 140 —
et, le pilus souvent, sans transcription, ce qui prouve-
rait que le caractère cyrillique est connu de tous, ou
bien encore que les Serbes sont assez nombreux pour
se passer de la clientèle croate.
En Bosnie-Herzégovine, tous les documents oflSciels
sont rédigés dans les deux écritures, mais les
enseignes privées sont de préférence en cyrillique, le
gros de la population étant serbe.
On sait que les deux graphies, latine et cyrillique,
sont phonétiques et correspondent parfaitement l'une
à l'autre, en sorte que la transcription est toute
mécanique. Leur co-existence sur un pied d'égalité,
comme c'est le cas en Bosnie, n'en est que plus
curieuse.
Il ne rentre pas dans mon cadre de faire l'histoire
de la langue croato-serbe, quelque intéressante et
instructive qu'elle soit ; mais il me faut dire quelque
chose de sa dialectologie.
Le croato-serbe embrasse trois dialectes, respecti-
vement désignés sous les noms de kajkavski,
cakavski, stokavski (d'après la façon de traduire le
pronom quoi). Le premier se parle dans les montagnes
du N.-O. de la Croatie; certains, le considérant
comme un idiome de transition, l'appellent slovéno-
croate. Le dialecte de ca est parlé en Istrie, sur le
littoral croate, et dans les îles dalmates, jusque
Peljesac et Lastovo inclus.
Enfin, le stokavski, qui est aujourd'hui la langue
littéraire, se subdivise à son tour en trois sous-
dialectes : ekaoski, Jekaoski, ikavski, difïérant par la
façon dont ils rendent T'fe du paléoslave (et du russe).
— 141 —
Les deux premiers de ces dialectes trouvent leur
expression dans la langue écrite : Vekavski est la
langue littéraire du royaume de Serbie et de la
Voïvodine serbe, en Hongrie, tandis que \e Jekavski
domine à l'Ouest (Bosnie-Herzégovine, Monténégro,
Dalmatie, Croatie-Slavonie, Istrie).
Quant à Vikavski, général en Dalmatie, il n'apparait
plus aujourd'hui dans l'écriture, sauf peut-être dans
certains noms propres consacrés par la tradition, comme
Split, pour Splj'et (Spalato). Son exclusion semble
d'ailleurs avoir été lente et progressive. C'est ainsi
que, à Gravosa, près de Raguse, j'ai trouvé une
inscription en ikavski datée de 1858. De même, dans
une église de Sebenico, j'ai aussi rencontré des docu-
ments en dialecte d'/ .• on sait que, partout et par
principe, l'Église est particulièrement conservatrice
en matière de langage. Enfin, à Spalato, sur les murs,
je pus lire ces mots :
DOLI (pour dolje) DANTE
c'est-à-dire : A bas Dante !
On sait que Dante est un drapeau pour l'italia-
nisme. L'auteur de la susdite inscription ne connais-
sait évidemment rien du vrai Dante, et, ce qu'il
prétendait conspuer, c'étaient simplement les Italiens.
Ceux-ci d'ailleurs ne sont pas plus tendres pour les
Slaves :
A Trieste, sur un mur, je notai l'inscription :
ABBASSO I [sic!) SC {sic!) lAVI
Le gosse qui en était l'auteur n'avait pas encore eu
— 142 —
le temps d'apprendre sa langue maternelle, mais il
savait déjà qu'il faut haïr les Slaves...
Quant au cakavski, je n'ai pu en constater aucune
manifestation publique, en dehors de l'une ou l'autre
pièce humoristique publiée dans un journal.
Pour en revenir à la question des rapports entre
Yougoslaves, c'est un fait évident que la dernière
guerre balkanique et les victoires serbes ont profon-
dément remué la conscience nationale des Slaves
catholiques du Sud, Croates et Slovènes. Alors que,
hier encore, ils ne regardaient qu'avec un certain
dédain leurs voisins d'outre-Save, ceux-ci sont main-
tenant auréolés par la victoire, ils sont devenus à leurs
yeux des personnages importants, de puissants alliés
dans la lutte contre les ennemis de l'extérieur. Aussi
était-on, il y a 15 jours seulement, plus près de
l'union de tous les Yougoslaves qu'on ne l'avait jamais
été jusqu'ici. Les manifestations de cet esprit étaient
multiples et je les ai constatées à chaque pas durant
mon voyage. Pour ne citer qu'un exemple, caracté-
ristique pensons-nous, la presse de Laybach ne parlait-
elle pas, il y a quelques jours seulement, de favoriser
l'étude de la graphie cyrillique chez les Slovènes, de
façon à les mettre à même de lire le serbe ?
Hélas ! un crime stupide est venu remettre tout en
question. Quelques fanatiques ont voulu faire payer
à l'héritier d'Autriche les fautes et les erreurs,
d'ailleurs réelles, du gouvernement impérial en
Bosnie. Ces insensés auront compromis pour long-
temps, sinon perdu irrémédiablement la cause pour
laquelle ils travaillent.
— 143 —
Un des traits qui frappent le plus l'étranger, c'est
le culte que professent les Slaves du Sud pour la
musique et la poésie. Le gusiar n'est pas mort, car
j'en ai vu plus d'un exemplaire bien vivant, en Bosnie
notamment. Les chants populaires sont encore dans la
bouche de tous ; on les chante sur un air de complainte,
toujours le même, et qui, à certains moments, la nuit
surtout, quand on y est pas préparé, ne laisse pas que
de vous importuner, voire de vous remplir d'une
vague tristesse. La poésie livresque est aussi fort en
honneur. Plus d'une fois, j'ai assisté au spectacle d'un
homme du peuple lisant des vers, tandis qu'un large
cercle d'auditeurs l'écoutait avec vénération.
Dans le même ordre d'idées, je dois aussi parler
d'un enterrement populaire dont je fus témoin à
Sebenico. Un cercueil était débarqué, venant des îles ;
il n'était accompagné, en dehors des porteurs, que
d'un homme dans la force de l'âge, un artisan selon
toute apparence, en costume de travail. Donnant libre
cours à sa douleur, et satisfaisant en même temps à
un rite convenu, il s'arrachait les cheveux, tout en
chantonnant une espèce d'élégie, dont je ne pus saisir
que ces mots qui, revenant par intervalles, consti-
tuaient une espèce de refrain :
Moje zarko srce...
ce qui ne pourrait se rendre que difficilement en
français, mais que l'on peut traduire, en allemand, par
Mein bitteres Herz ! ou, en italien, par L'amaro cuore
mio!
J'avais affaire à une survivance de ces coutumes
— 144 -
funèbres, communes jadis à tous les peuples des
Balkans et remontant peut-être à l'antiquité classique;
mais le contact de notre civilisation les transforme et
les tue lentement. . .
Une population intéressante et que j'ai pu voir de
près, ce sont les Musulmans bosniaques. Slaves de
race, parlant le serbo-croate, ignorant aujourd'hui
généralement le turc, ils restent isolés tant du gros
de leurs co-religionnaires.que des populations qui les
entourent immédiatement.
Aux débuts de l'occupation, leur seule langue
écrite était le turc ; mais, peu à peu, il est devenu
pour eux une langue étrangère, et ils se sont mis à
écrire leur idiome maternel. Hostiles aux Serbes, ils
ont adopté la graphie latine introduite par le gouver-
nement. Dans ces derniers temps, on a commencé à
faire usage aussi de la transcription arabe, telle que
je l'ai décrite dans la Revue du Monde Musulman
(t. 23, p. 296). Malheureusement, cette graphie est
encore très flottante, et les modifications introduites
par ceux qui s'en servent sont parfois des plus malheu-
reuses. Pour n'en citer qu'un exemple, le ^\^^ <r
journal de Sarajevo, emploie, pour, (au commence-
ment d'un mot), ce qui est contraire au principe le
plus essentiel de l'écriture arabe. Heureusement, du
reste, cette graphie est encore plutôt exceptionnelle ;
souhaitons qu'elle ne se généralise pas.
Que les musulmans se rattachent de plus en plus
étroitement au grand mouvement littéraire croate,
tout en tendant à s'y créer une position autonome.
Telle est la véritable solution, et elle s'impose d'autant
— 145 —
plus que, étrangers comme ils le sont à toute autre
culture, c'est là pour eux une condition de vie et de
progrès.
Comme je l'ai dit, le turc est désormais hors d'usage
en Bosnie. C'est à peine si j'ai trouvé quelques
personnes parlant cette langue. Les inscriptions
turques, à Mostar, peuvent se compter sur les cinq
doigts de la main. Une d'entre elles m'avait frappé
dès le matin, celle du jt.i^O^^ ou « grand khan )>; je
ne soupçonnais guère que, par suite. d'un malentendu
avec mon hôtel, cet estimable établissement, organisé
dans le goût oriental, comme au bon vieux temps de
la domination turque, dût me servir d'abri le même
soir. Je n'eus d'ailleurs pas à le déplorer ; le khandji,
brave homme dans son genre, me procura le meilleur
appartement de sa maison, et ses prix ne furent
nullement exagérés.
J'oubliais de dire que certaines rues ont des noms
turcs, ceux qui, sans doute, étaient en usage sous la
domination précédente. Mais, quel turc ! Misérable-
ment estropié le plus souvent... En voici un exemple :
GLAVNA ULICA LUKA
dans lequel ai) est à la fin au lieu d'être au com-
mencement.
Les autres noms de rues sont en serbe et transcrip-
tion arabe. Cette dernière est d'ailleurs aussi inconsé-
quente que possible. Mais son usage officiel tendrait à
faire supposer, d'autre part, que c'est le gouvernement
lui-même qui en est l'inventeur.
10
— 146 —
Mentionnerai-] e aussi pour finir, ma visite à la
Citaonical (salle de lecture) musulmane de Mostar ?
Quelques feuilles croates ou serbes, quelques journaux
musulmans bosniaques, une revue arabe, le tout jeté
pêle-mêle sur une mauvaise table, au bout de
laquelle un vieux [musulman enturbanné lit VOb^or,
d'Agram ! En vérité, les musulmans de Bosnie ont
encore pas mal à travailler pour se mettre au diapason
de la culture européenne... Mais, en attendant, ils
m'ont fait pitié : nous leur avons enlevé le peu qu'ils
possédassent, et, jusqu'ici, nous n'avons rien mis à la
place . . .
Quelques mots maintenant sur un autre phénomène.
Je veux parler du glagolitisme, c'est-à-dire la liturgie
romaine de langue paléo-slave, telle qu'elle est en
usage en Istrie et en Dalmatie. L'Église romaine,
unitaire et centralisatrice, ne l'a jamais reconnue que
pressée par la nécessité, s'efforçant, toutes les fois que
les circonstances semblaient plus favorables, de subs-
tituer le latin au slave. Il y a quelques années, sous
Léon XIII, on pouvait croire que de meilleurs jours
allaient enfin luire pour les glagolisants ; leur liturgie
semblait même être appelée à se répandre au delà des
étroites frontières dans lesquelles elle est traditionnel-
lement confinée. C'est que l'on s'imaginait assez
naïvement, à Rome, qu'elle dût constituer comme un
pont pour la réunion des Églises. Depuis, les illusions
sont tombées, et l'on a repris, en conséquence, la
politique traditionnelle à l'égard du glagolitisme.
Mais si, d'un côté, on a juré son extermination
systématique, de l'autre, toute la nation croate est
l
— 147 —
maintenant en armes pour défendre ce glorieux
privilège des ancêtres. C'est à qui l'emportera. . .
Je n'ai eu l'occasion de rencontrer sur ma route que
peu de traces de glagolitisme, lequel est d'ailleurs
plus répandu dans les îles que sur la terre ferme.
Toutefois, voici, en transcription, une inscription
glagole trouvée sur la porte du cimetière de Spalato :
A^ esm' vskr' sente i èivof
(Je suis la résurrection et la vie)
Dans la chapelle attenante on doit célébrer la messe
glagole, car j'y ai trouvé la préparation à la messe de
ce rite. Enfin, une tombe, dans le cimetière, contenait
une inscription glagole, mais trop longue pour que je
me misse en peine de la déchiffrer.
Les Croates ont pour voisins immédiats, au N.-O.,
un petit peuple dont la langue se rapproche beaucoup
de la leur, les Slovènes. Ceux-ci occupent une partie
du Littoral autrichien (Goritz et Gradisca, Trieste et
l'Istrie), où ils se heurtent à l'élément italien, toute la
Carniole, et une partie de la Carinthie et de la
Styrie.
Leur capitale est Laybach, charmante petite ville
d'une quarantaine de mille âmes, toute slave. C'est à
peine si l'allemand y apparaît, et cela sans doute pour
la population militaire plus que pour la population
civile. Alors que, les autres provinces étant bilingues,
le Slovène y est primé par ses puissants concurrents,
il est ici chez lui et règne sans conteste. « Mon verre
est petit », peut dire le Slovène, « mais je bois dans
mon verre». Laybach est slovène comme Prague est
- 148 —
tchèque, comme Budapest est hongrois, comme Vienne
elle-même est allemande.
J'ai signalé déjà la tendance au rapprochement qui,
il y a quelques jours encore, prévalait chez tous les
Slaves du Sud. Disons maintenant deux mots de leurs
luttes contre les Allemands et les Italiens, luttes dont
les Slovènes ont à supporter le premier choc.
Lors de mon passage par Trieste, les esprits étaient
encore sous le coup des événements qui avaient
marqué la sortie d'un cortège slovène, événements
suffisamment graves pour attirer l'attention de la
presse étrangère, qui d'ailleurs les a dénaturés selon
son habitude. L'intervention de la police en faveur
des manifestants n'était pas dirigée contre les pertur-
bateurs italiens, qui jouissaient au contraire de ses
sympathies secrètes, mais elle avait tout au plus pour
but de mettre les Slovènes en état de jouir d'un droit
constitutionel. Toujours est-il que, il y a 15 jours
encore, les deux nationalités étaient toujours sur pied
de guerre : les Slovènes projetaient une revanche, les
Italiens de nouveaux désordres. Les autorités, elles,
pour maintenir l'ordre, se promettaient bien d'inter-
dire toute manifestation.
Une victime de cet état de guerre, ce fut la grande
réunion des Sokols, à Laybach, interdite au dernier
moment, prétendument à cause de l'intervention des
Serbes. On s'occupait de faire lever cette défense,
attentatoire à la dignité du slavisme, lorsque le
meurtre de Sarajevo vint mettre le feu aux poudres...
Quelques mots seulement sur la colonie albanaise de
Borgo-Erizzo (en croate, Arbanasi), près de Zara.
— M9 —
Ces Albanais sont les descendants d'immigrants de la
Guéguerie, établis dans le pays par le prooveditore
Erizzo, dans la première moitié du XVIIP siècle. Ils
sont aujourd'hui plus de 2.000 âmes, ayant conservé
l'usage de leur langue, bien que l'église soit croate.
Il y a quelques années, le gouvernement, dans
l'intérêt de sa politique en Albanie, en même temps
qu'il instituait une chaire d'albanais à Vienne, établit
également un professeur d'albanais à Borgo-Erizzo,
pour les trois écoles (deux croates, une italienne) de la
localité. Je fis la connaissance de ce dernier, M. Paul
Gjergji, et, par son intermédiaire, je pus me procurer
les ouvrages classiques publiés par le gouvernement
pour les besoins de son enseignement. Il se déclarait
satisfait des résultats obtenus : la plupart des élèves,
en quittant son cours, savent écrire correctement
l'albanais.
Je n'ai noté, à Borgo-Erizzo, que deux inscriptions
albanaises. La première :
SHQYPTAR TE SHQYPTARI
ce qui veut dire : Albanais, (venez) chez l'Albanais.
La seconde, trilingue :
DOM SEOSKE BLAGAJNE
SHPIJA E DHANSSIES KALUNDIT
CASA DELLA CASSA RURALE
Les Juifs doivent être assez nombreux en Bosnie-
Herzégovine, puisqu'ils sont représentés à la diète
bosniaque par deux députés (sur 72). Mais ils sont
sans doute concentrés à Sarajevo, car je n'en ai pas vu
— 150 —
de traces à Mostar. En revanche, sur la ligne du
chemin de fer, et même déjà sur le bateau, à partir
de Spalato, j'ai entendu plus d'une fois parler l'espa-
gnol, c'est-à-dire, pour être exact, le judéo-espagnol
d'Orient, vieux castillan modifié par l'influence
italienne et française, et dans lequel les mots d'em-
prunt turcs, slaves, grecs, etc., ne manquent pas non
plus.
Veuillez, etc.
H. Bourgeois.
Bruxelles, 5 juillet 1914.
I
L'ASPIRATION EN BASQUE
On a dit que l'histoire est un perpétuel recom-
mencement ; il en est ainsi de toutes les sciences, et
les problèmes qu'elles soulèvent se représentent sous
une forme différente après chaque progrès accompli,
après chaque découverte nouvelle. A plus forte rai-
son, peut-on le dire de la linguistique, qui s'occupe
de questions si délicates et si complexes, que la solu-
tion n'en est jamais ni définitive ni certaine. On
discutera longtemps encore sur les Basques et les
Ibères, tant que les inscriptions ibériennes n'auront
pas été expliquées : qui nous donnera la clef du
inystère, quel hasard heureux nous guidera pour l'in-
terprétation de ces documents singuliers où si peu de
mots se répètent, où les formes grammaticales ne
peuvent se reconnaître, où l'on ne trouve pas de mots
d'emprunt, celtes puniques ou latins ?
Il y a quarante ans que la question s'est posée, à
propos de la seconde personne singulière du verbe. Le
pronom isolé o toi » est hi, mais quand il est suffixe,
sujet ou régime, il prend la forme k, et h quand il est
préfixé. Quelle est la forme originaire et primitive?
k final est-il un renforcement de h'^ h initial est-il un
adoucissement de Ar? En résumé, le pronom orga-
nique est-il hi ou ki ?
M, Van Eys était de la première opinion ; je pen-
— 152 —
chais pour la seconde, et le prince L.-L. Bonaparte
appuyait mon sentiment par son éternel argument de
fait : il avait trouvé dans des dialectes navarrais des
adverbes et des démonstratifs où h initial était rem-
placé par k ou g. L'argument avait sa valeur, mais
était par lui-même insuffisant.
Actuellement, l'aspiration, en basque, existe seule-
ment dans les dialectes parlés en France et encore ne
se fait-elle plus sentir le long de la côte et est-elle
plus faible en Labourd. Déjà, en 1571, Liçarrague, qui
écrivait en labourdin, supprime h initial aux secondes
personnes du verbe : aicelaric « puisque tu es »,
ezemôn « qu'il ne te donne pas à lui ». En Espagne, on
a conservé les h dans certains mots écrits, mais on ne
les prononce pas. Il résulterait de ces faits que l'aspi-
ration, jadis générale en basque, s'y restreint de plus
en plus. Est-ce sous une influence climatérique ou
ethnographique? Probablement, mais est-elle primi-
tive?
En réalité, l'aspiration est un soufilement ; h est
analogue à f, v ; ch fr. (s), j fr. (^); s, j. Mais en
français le mot aspiré est impropre, quoique admis.
Dans l'Indo-européen général, il n'y avait pas de/,
mais il y avait h, gh, dh, bh. Le sanskrit y a ajouté
kh, tli, ph, nh, mh, rh, Ih, et il a même une aspirée
finale, sorte de soupir harmonieux, le visarga, qu'on
transcrit h et qui est un succédané de s. Quand les
Dravidiens, les Tamouls , ont emprunté des mots
sanskrits, ils ont simplement supprimé l'aspiration ;
toutefois, ils ont fait g de h intervocalique : ainsi
bhayam et Harihara sont pour eux payam (pron.
— 153 —
bayam},et arigaran. Ce remplacement de h par g est
général en slave : le russe a d'ailleurs /et prononce/'
le th grec : Fédor, Fadéi (Théo lore, Thadée). Les
Eraniens avaient h etf, mais les Scythes réduisaient
à k, t, p les kh, th, ph grecs. Les Grecs avaient en
outre le rk et l'esprit rude. Les Latins avaient^/' et h,
mais le h initial devait être assez faible puisqu'il n'em-
pêchait pas l'élision : Ille habeat, Pallas te hoc
vulasere. . .
En néo-latin, h est tombé. L'italien ne l'écrit plus,
le français et l'espagnol l'ont gardé comme signe
orthographique et étymologique, mais il y a été pro-
noncé comme dans le provençal pyrénéen. Il s'y est
même substitué à f, puis est tombé comme le h orga-
nique : esp. hermoso (formosum), htjo (filium), hoj'a
(foliam); béarnais hade « fée » (fatam), Lahount (La-
font), Peyrehorado (petram foratam), cf. roumatye
(formaticum, à Bayonne, formicam est devenu arrou-
migue. Dans le Livre d'or de la cathédrale de Bayonne,
publié en 1906 par M. l'abbé V. Dubarat, le savant
curé de St-Martin de Pau, on trouve, dans des actes
datés de 1150 à 1199, les noms basques Haitce, Har-
riague, Harriet, Harizmendi, Hiribarren écrits
Fathse, Ferrt'ague, FenHette, Ferismendi, Feribarren.
Le nom de Haitce s'y trouve aussi à la même époque :
h et /se confondaient donc dans la prononciation.
Actuellement, en basque, l'aspiration est inconnue
aux dialectes espagnols, quoique h soit écrit dans
quelques mots. En France, on trouve kh, th, pli, nh,
rh, Ih, h initial et médial, mais, sur la côte, on n'aspire
plus et en labourdin, l'aspiration tend à se perdre ; rh
k
— 154 —
se remplace par rr : orhe, orre « genêt épineux » ; Ih
par / ou II : olha, ola « cabane », bilha, billa « cher-
cher ». Dans les autres groupes, l'aspiration se sup-
prime tout simplement : ate « porte », gako « clef »,
ele « parole », enada « hirondelle ».
H intervocalique se supprime aussi et les voyelles
mises en contact peuvent s'altérer sous l'influence
les unes des autres et se contracter, ce qui amène de
fâcheuses confusions : aho, ago « bouche » , avec l'article,
fait ava, aba; sahar, zaai\ zar « vieux » se confond
avec zar « mauvais ». C'est ce qui arrive toujours
après la chute de lettres euphoniques ou non. Cf. le
datif pluriel : qizonaki (Irun), gizonai (guip.), gizonei
(lab.), gizoneri (St-Jean-de-Luz), gizoner (Soute) ; le
génitif singulier en aren et les futurs périphrastiques
en anen se réduisent à ain : gizonain etchea « la maison
de l'homme », emain diot « je le lui donnerai ». On
sait que n, r et h se comportent de la même façon en
basque. Le n latin entre deux voyelles passe à h : ahate
(anatem), ohore (honorem), liho (linum) ; en Espagne,
aate, oore, lino ou lino. Oihu « cri » et oihan « bois »
font oyu, oyan. Cî. . peut-être œaso = oyarzun.
Sauf dans les mots d'emprunt, h médian passe sou-
vent àg; dans les mots empruntés, h est parfois pure-
ment euphonique : /eAom (leonem). Comme exemples
de h = g, on peut citer lear, lehar, legar, legarri
« caillou » ; leor, legor, lehor « sec » ; dans len, lelen,
lenen, leren, lehen, lein « premier », c'est leren qui
paraît être la forme organique. Aun, agun, abuin
« écume » viennent-ils de ahun ?
Je^pourrais citer encore zuaitz, zuhaitz, zugaitz,
— 155 —
zugariU, suhais « arbre » et zuhar, zugar, zurihar^
3umar « orme ». Mais ces derniers mots, comme
zuhamu et zuhain « arbre » viennent sans doute de
zur « bois (de construction) », on y rattache aussi
zuandor, zuhaindor, -3'?/Aa/iCifor «cornouiller sanguin »,
zumalikar « bourdaine », zuhazti « bocage », zukil
« bûcher », etc. H et g permutent dans ihela, igela
« grenouille » ; ohe, oge « lit » ; ohatze, ogatze et, avec
métathèse, guatze « nid ». Il y a chute de h et con-
traction dans nauzu pour nahi duzu « vous le voulez ».
Y a-t-il un h primitif dans nausi, nugusi, nabusi
« maître » ? Parmi les noms de la lune on a argizagi
et argizari.
A ce point de vue, le mot ur « eau » forme un grand
nombre de dérivés fort intéressants : uhain, uhin,
uhin « vague », ernitz, uhnitz, ugnitz, ugatch, uhuitz
« grande eau » : uar, uhar, uharre « eau trouble » ;
urandi, urhandi « fleuve » ; ubaz « eau débordante » ;
uraldi, ualdi, uhaldi, ukalte, uhalt, ugalde, ubalde
« rivière » ; uhart, ugart, huart, uart « île » ; uholde,
ugolde « inondation » ; urarre, uqarre « eau torren-
tielle » ; urarri, unarri « galet » ; ugats, urats « eau
sulfureuse », et agatz « sein, mamelle ».
Ce qui résulte de cet exposé, c'est l'instabilité, la
faiblesse de h. On s'en aperçoit quand on voit que h est
ajouté ou supprimé ad libitem dans les mots d'em-
prunt: hira « colère» (iram), hagonia «agonie», higual
égal (esp. igual), hirrisku « danger, risque », etc.
En revanche, h est tombé dans orai, « maintenant »
(horae). Ur « eau » est peut-être aussi hur, mais hur
veut dire « noisette » avec r fort, tandis qu'il est faible
— 156 —
dans « eau » [ura, urra). On sait que wr est propre-
ment « eau courante, liquide, liqueur » ; l'eau en
masse, l'eau des lacs, des étangs, se dit it^ [itsaso
«mer»), ihit^, ihintz a rosée ». Ur, A^rweau» est
peut-être organiquement kur.
Puisque en effet h médian est peu résistant quoique
soutenu par la voyelle précédente, il doit être plus
caduc encore au commencement des mots surtout
quand il est suivi d'une voyelle ou d'une syllabe faible
elle-même. M. Van Eys reconnaissait que h a toi »
n'avait pu se maintenir suffixe et il pensait qu'alors il
s'était renforcé en A"; j'ai fait observer que le contraire
était plus naturel et plus exact : k initial, affaibli en
vertu de la loi du moindre effort, est naturellement
remplacé par h. Je ne connais pas d'exemple de h
devenu k : h devient g puis b, mais ne se remplace
jamais par une explosive forte. Les dérivés d'wr « eau »
sont à cet égard significatifs : leur r passe g par l'in-
termédiaire de h qui lui est substitué pour éviter le
hiatus ; quand nous rencontrons des mots comme
ugotcho « brochet », littéralement « loup d'eau » (ur
otso), nous devons admettre qu'il y a eu une forme
intermédiaire, uhotso, uhotcho. De même p devenu h
n'a pu se transformer en g que par l'intermédiaire de
h : cf. apari, afari,\ahari a souper » qui est à Roncal
origari.
Voyons s'il y a des mots en h où le k primitif ait -
laissé des traces de son existence. Dans le dictionnaire .,
d'Azkue, qui n'est pas parfait, mais qui est de.beau-
coup le meilleur de tous, je trouve d'abord « nid » Éi6/a,.i
hc^ia, kabia, kajia. Le pr. Bonaparte a relevé à Aezcoa^,,/
I
— 157 —
qan, qori, gura, gen et gemen, gola, gala, gor, guin,
guimbat; à Salazar et à Roncal, kan, kori, kura,
keber, et kemen, kola, kala, kor, kain, katabat. On
peut ajouter besela besala (aezcoan et zalazarais),
bikala roucabnis, be^ain et bezaimbat d'une part,
bikain et bikaimbat de l'autre : « celui-ci, cet autre,
celui-là, ici, là, tant, autant que, comme ». De plus, à
Aezcoa « en cela » se dit kartan.
Le mot kide « égal, compagnon, collègue » reste tel
quel dans adiskide « ami (égal d'âge) » mais devient
kide après r qï n: aurhide et senhide, auride et senide
« frère » ou « sœur » ; aide, ahaide « parent » et
même unide « nourrice » qui varie en unhide, unude,
unude, inude et où je verrai volontiers urkide « égal
(à la mère) en liquide (en lait) » ; cf. o/iaide « concu-
bine » pour ohakide « compagne de lit » ; la chute de
k après a et avant e ou i est ordinaire, témoin les
génitifs et datifs pluriels en, aen pour aken; ei, ai,
pour aki.
On sait qu'il y a en basque trois mots pour « enfant »
sen « enfant adulte », liaur ou aur u enfant impubère»,
et hume, unie «nourrisson»; ce dernier mot, qui
s'applique aussi aux petits des animaux mammifères, se
présente en composition sous la forme kume : arkume
pour ai'dikume « agneau de lait », astokume « ânon »,
orenkume « faon », emakume « femme (petite fe-
melle », qui a pour synonyme ema^te {ema gaste
« jeune femelle »?)
Dans le dictionnaire, je remarque le suffixe keta
avec le sens de « abondance » ; la forme ordinaire est
eta : amezketa « endroit planté de chênes tauzins »,
— 158 —
jsunharrete « les ormes », espeleta «les buis», harrieta
« les pierres ». Les dérivatifs du même ordre sont aga
et egi : lùarraga « la fresnaie », zumalakarregi
« endroit où il y a trop de bourdaine ». Egi est-il
apparenté à hegi « haie » ou à ti, toi, tegi^ sagardi
« pommeraie », ameztegi « futaie de chênes tauzins »,
aristegi a chesnaie », ce qui indiquerait une explosive
forte primitive. Cependant tegi a aussi le sens de
« habitation » = aphe^tegi a maison de l'abbé », har-
gindegi « maison du carrier », barrandegi , etc., yaiirgi
« château », synonyme de yawetche « maison du sei-
gneur ». Il y aurait donc deux egi, tegi, dont une
variante tag, paraît avoir un sens restrictif ou dimi-
nutif : Ilhardoy « champ de haricots ». A eta et egi,
on peut comparer les dérivés en arte, tarte « entre,
au milieu, dans l'intervalle, en intermédiaire », hiriart
« au milieu de la ville », 2uca artean a entre vous »,
aizpitarte « entre deux rochers », bizkitartean « ce-
pendant, en attendant », begitarte « regard », c'est-à-
dire (( intervalle oculaire ». Les dérivatifs aide et
kunde, gunde sont peut-être dans le même cas. Cf.
aussi «r et tur : herritur « compatriote », Ainhoar
« homme d'Ainhoa ».
Des cas de permutation g = k s'observent dans kar,
khar, gar « flamme » et dans le suffixe privatif ge
(angl. un) : alke, aaike, ahalke, ahalge a honte » litt.
« sans forces (morales), incapacité » : ahal et indar
diffèrent comme to may et to can. La forme pleine
gabe « sous » devient kabe en composition : atsekabe
« affliction ».
Un fait intéressant, c'est l'apparition de i, évidem-
— 159 —
ment pour k, comme élément sujet préfixé de seconde
personne après les bai des relatifs et des optatifs :
baitaiz «toi qui es », aWeitindoha a puisses-tu aller! »;
bai durcit les explosions {baitago, baikira), mais,
comme le pronom de seconde personne n'a jamais
commencé par d, il faut admettre que k est pour une
autre explosive, probablement k.
Parmi les changements initiaux intéressants on peut
citer le nom Guipiukoa toujours écrit Ipu^koa dans
les anciens textes espagnols et latins. Le g n'y est-il
donc que le signe d'une aspiration? On s'est basé sur
ce nom pour expliquer gison « honneur » pour hitz-on
« bonne parole », ce qui est discutable, mais l'aspira-
tion initiale organique paraît être remplacée par /dans
Fuenterrabia pour Ondarrabia, Hondarrabia\
Le h était encore aspiré en espagnol au seizième
siècle, car, suivant de Lancre, les Basques en 1609
prononçaient agora pour ahora.
On peut conclure que l'aspiration, d'abord étrangère
à la langue basque, s'y est introduite à une époque
relativement récente, qu'elle y a eu son maximum
d'intensité vers le milieu de notre moyen âge, puis-
qu'elle a commencé à s'affaiblir il y a trois ou quatre
siècles et qu'elle est en voie de disparition. Cette
évolution coïncide sans doute avec les influences cli-
1. L'orthographe espagnole Fuenterrabia a produit la déformation
latine fons rabidus Mais il n'y a aucune « fontaine» dans ce mot;
j'y vois « route, voie de sable », comme dans Behobia, Urthubia,
Biarritz, je trouve «gué, voie de la jument. — voie humide, — voie,
roc et eau >>. Bia est sans doute oiam et il y aurait là autant d'étapes
dune voie romaine.
— 160 —
matériques et topographiques qui ont agi sur la forma-
tion des dialectes néo-latins. On peut admettre aussi
que les Basques français sont venus d'Espagne, peut-
être à la suite du désordre occasionné par l'invasion
arabe. Je pense enfin que de tous les dialectes basques,
le labourdin, sauf sur quelques points de détail, est
le mieux conservé : il sufïit, pour s'en convaincre,
d'étudier la langue sur place et d'entendre parler les
gens du pays.
Mais, en ce qui concerne le h initial, il me semble
que les mots basques doivent être partagés en deux
catégories, les uns où h n'a été qu'une superfétation,
que le renforcement d'une syllabe déjà forte; les autres
où il a remplacé un k primitif, en vertu de la loi du
moindre effort. Je croirais donc par exemple que harri
(X pierre », hovU a dent » sont pour arri et orU, mais
que haritz a chêne », hii^i a ville », iru, hiru, hirur
« trois », hi « toi » remplacent karitz, kiri, ker (cf.
l'ordinal heren «tiers ») et ki.
La ressemblance des pronoms personnels basques
ni « moi » et hi, ki avec ceux de l'algonquin d'une
part et des langues sémitiques de l'autre ne m'a jamais
paru rien prouver. Je ne suis pas de ceux qui cherchent
les causes premières, qui ont besoin de connaître l'ori-
gine des choses et qui se préoccupent d'athnités lin-
guistiques. Je ne crois pas plus à l'unité touranienne
qu'à la théorie ibérienne. Les Indo-Européens et les
Sémites n'ont rien de commun et sont tout à fait in-
dépendants des idiomes agglutinants, lesquels, d'ail-
leurs, forment de nombreuses familles isolées les unes
des autres par leurs vocabulaires, leurs grammaires et
— 161 —
leurs âges respectifs. Les sauvages de la côte Canta-
brique, qui attestaient leur présence en peignant des
mains sur les parois de leurs grottes ; les habitants
civilisés des cités lacustres ; les Dravidiens, que les
Axyas vinrent arrêter dans leur ascension vers le Nord,
sur le plateau central de l'Inde méridionale, où ils
avaient apporté du sud le cocotier, l'arbre utile par
excellence, ne se ressemblaient en rien : habitudes,
mœurs, coutume, langage, tout était différent. Les
uns étaient à peine nés que les autres comptaient déjà
de longs siècles d'existence. L'unité de l'espèce hu-
maine n'est pas dans le présent, elle est dans l'avenir.
Ce sera l'œuvre de la science que rien ne dirige, que
rien n'arrête dans son développement progressif et
continu. Ne redoutons pas l'inconnu ; ne cherchons pas
dans les erreurs traditionnelles un refuge contre les
surprises des temps futurs, et prenons pour règle de
conduite cette formule si vaste dans sa simplicité se-
reine : observer, travailler, attendre, espérer,
Julien ViNSON.
11
LES MOTS
ARABES ET HISPANO-MORISQUES
DU « DON QUICHOTTE »
{Suite et fin de l'Index)
INDEX ANALYTIQUE
(Les chiffres en italique indiquent les années 1907 à 1913 corres-
pondant aux tomes XL à XLVI de la Revue de Linguistique).
L double en ar. et en esp. {Différence du son de), 08,
62.
L esp. < n. ar., 09, 20.
LANCRET (Un tableau de), 11, 66.
LA NE, Manners and customs of the modem Egyp-
tians, éd. 1871, 08, 63, 123, 137, 138; 09, 201,
278; 10, 119; 11, 60-1, 203; 13, 209.
Lebendi, languedoc, finaud, < t. lévend, 09, 281.
Légende orientale de la Chaîne' adaptée par Cervantes,
07, 250 sq.
Léla (11) = berb. lella, dame, 08, 68.
1. Sur la Coupole de la Chaîne [Qouhbat as-Silsila) cf. De Vogué,
Le Temple de Jérusalem, p. 101; Saladin, Manuel d'Art musulman,
p. 61 sq.
— 163 —
Lelili (26)^ = là Ilâha ilVALlâh, [07, 246; 08, 133]
9, 39.
Levante (42), it. levanti <p. t. lévend, volontaire de
la marine, [09, 279-281] 78-80.
Lilaila (28), 1° n. de vêtement <ar. ' al-Halla ou
Balâïly, [08, 134] 40-41 ; 2° fadaise < ar. al-Ahil-
la\ [08, 41] 135; 3» < ar. ahlil al-Hilâl\ [08,
136-7] 42-44.
LITTRÉ, Dict. de la langue fr., [08, 63; 10, 199;
11, 62,205] 22, 101, 118, 136.
IVl
Macange (5) = ar. md kân Chey, ce n'est pas, [08,
64; 11,207] 23, 37.
Machumacete", maginacete < ar. Ma'djoûn as-
Sitta, électuaire aux six drogues, [09, 202] 66.
1. Lelili. — On trouve cette autre transcription, de 1553 : Ley
Lahel La Mahomet Soldan, dans Rôhricht, Bibliotheca geogr. Pales-
tinœ, p. 192.
2. Lilâila 1. — Les références suivantes, qui m'ont échappé sur le
moment, confirment en partie ce que j'avance, savoir : que ce mot
esp. répond à un mot arabe appartenant à la racine HLL « être clair,
transparent m ; j'ajoute ici : ou HLL « dénouer ». Halàïly est l'ample
surtout en étoile blanche et légère que portent les femmes de Médine
(v. Burton, Pilgr., Il, p. 159). HoldUya, pour les femmes de la H"-
Égypte, est le même vêtement en laine brune (v. Lane, Mod. Eg., 1,
p. 62 et croquis ; Dozy, Vêt. ar, p. 144, et SuppL). Holla est tout vête-
ment ample ; cependant l'esp. a alfolla« tissu de soie et d'or » < al-
Holla.
3. Lilaila 2. — Il se peut très bien que al-AhiUa, qui est pluriel
en classique, ait été employé comme sing. en andalou ; ainsi Djoll,
pi. Djilâl > esp. girel « caparaçon », Rauda, pi. Ridd > akriates
« jardin », Risdla, pi. Rasdil > arancel, cf. U, 208.
4. Lilaila 3. — A noter encore cette autre expression de l'arabe
classique : El-HLldlo. wallâh, « La nouvelle lune, par Dieu ! on la
voit. »
5. Machumacete. — L'étymologie donnée ici est d'Eguilaz, et elle
— 164 —
Maïmoûn, (ar.) t. p. > maimon, it. mammone; passé
en hongr., si., gr., géorg., etc. [ÎO, 195-207] 97-
109.
Marien = ar. Maryam, Marie, [08, 68] 27.
Marfuz < ar. marfoûd, réprouvé, [07, 241] 3.
Mascara, mascarade, masque < ar. Maskhara, [07,
245 n.J 8 n.
Metchin\ t. or., singe, [10, 201, 205] 103, 107.
Mipicô < t. maïmoûn, mXmoûn, singe, [10, 204] 106.
Mo affixe hisp.-ar. supposé par Dozy, [08, 127; 12,
08; 13, 201] 34, 181, 193.
Moganga (64) = mogiganga, mascarade, etc. < ar.
Moheyyâ, visage, et Ghoundj, agacerie, [13, 65-
69, 202] 117-182, 194. Voyez Mogi.
Moganguice, ptg., geste, visage, < ar. Moheyyâ
Ghoundj, [13, 67] 180.
Mogate (67), vernis, < ar. moghattâ, qui recouvre,
[13, 69-70] 182.
Magato (66) = mogigato, hypocrite, < ar. andalou
Mohy Qatt, visage de chat, [13, 69-70] 182-3.
Mogi, mogicon (65)', coup sur la face, < ar. Mo-
doit être exacte, car on voit par le vocabulaire de R. Martin que
les Mores usaient d'un opiat à quatre drogues, Tùyâq arba^, et d'un
autre à cinquante, T. Khamsiny, sans doute le T. es-Saœâtir (cf.
infra SwtEtpa). Dozy a cherché, sans trouver, ce que pouvait repré-
senter ACETK dans ce mot. — Tavernier dit des Turcs : «lis ont encore
une certaine sorte de breuvage qu'ils appellent Magion, composé de
plusieurs drogues qui échauSent; et l'on en prépare une particulière
pour le Grand Seigneur appelée musfaoi (moscovite?), dont il prend
une dose, quand il veut voir les sultanes». (L. c. p. 4l;i).
1. Metchin — est pour /litchin, qui serait le même que le persan
poàzinè, d'après Klaproth {Jour. Asiat., avril 1»35, p. 311).
7. Mogicon. — Dans le D. Quichotte, 1" p'«, ch. XLIV : «... anda-
— 165 —
hayyâ, andalou Mohy, siège de la pudeur, visage,
[13, 69] 182.
MoHARRA < ar. Mikhrâs, fer de lance, [08, 127 ; 12,
68] 34, 181.
MoHARRACHO, masque, marmouset, < ar. moharradj,
bouffon, [07, 245] 8.
MoHEDA, MOEDA, chesuaie, < ar. \Ard\ mo^déha,
forêt, [08, 127; 12, 68] 34, 181.
Mohino (19), courroucé, < ar. moiihan, vulg. mohen,
[08, 125] 31.
Mohiuo (20), bardot, < ar. M al an, animal non repro-
ducteur, [08, 126] 32.
Mômerie', esp. momeria, < Mahomet, [08, 123] .29.
Monna, it. < 1° mammone < t. matmoûn, 2° ma-
donna, [10, 200] 102.
ban las punadas y mogicones muy en su punto ». Et plus loin : « Di6
un rnogicon al barbero, que le ban6 los dientes en sangre ».
1. Mômerle. — Contre cette dérivation indiquée par Du Cange a
prévalu celle de Diez : le germanique — presque moderne — mum-
men, to mum « masquer », avec une distinction trop subtile entre
mahommerie et mômerle. Ce n'empêche que le point de départ est
Mahom, esp. Mahoma = [prophète] menteur, trompeur, > 1° mahom-
merie « lieu où se pratique le culte mahométan, mosquée », d'où
m-ommerie, mômerie, esp. momeria, ail. mummerei, ang. mummery
«cérémonie mahométane », donc bizarre et ridicule, «tromperie,
mascarade » {Mal. imagin., lil, 3) ; momon « danse masquée et parée »
à l'orientale (Bourg, gentilh., V, 1) ; 2° vieux Ir. môme «hypocrite,
faux visage », esp. momo « mimique de comédien, simagrée » ; momer,
mummen, to mumm « se déguiser » ; ital. mommeare « s'amuser » ;
fr. mômier (cf. les Mômiers, sobriquet donné aux Protestants de la
Suisse en 1818), esp. momero « faiseur de simagrées, etc ». — Même-
merie apparaît pour la première fois, au moins en littérature, au
XV« s. (Charles d'Orléaas, Bail. 120). Or il ne faut pas perdre de vue
que c'est un moment où toute l'Europe occidentale a plus que jamais
les yeux fixés sur les Turcs et leur sultan Mahomet il (1440-80).
— 166 —
Mono (48), mone, monkey, fl. monnekîn, singe, < it.
monna, [10, 195-207] 97-109.
Mop(Jt.ùpa) et ar. marmara (Rapport entre). [08, 139]
45.
Morsequins, ptg. = esp. borcegui, [i3, 201] 193.
Moslemita, mollita, ptg. < ar. moslemy, [09, 29] 61.
Mots arabes terminés en i'a, tya (Origine araméenne
de quelques), [/2, 269-70 et n.] 176 et n.
Mots berbères précédés de l'article arabe', [12, 211]
169.
Mots cosmopolites d'origine orientale, voy. ghaida,
samour, qërbatch, yélek, khaviar, maïmoûn, etc
Mots hispano-morisques en napol. et sicilien, [10,
197] 99.
Mots latins-espagnols arabisés au moyen de l'art, al*,
[07, 245] 8.
Mots réduits par contraction interne', [10, 200 et n.]
102 et n.
Mots romans d'origine orientale réimportés, voy. Dj'a-
Itka, Chamra, Qabâra, Tersâna, Zéboûn.
1. Mots berbères. — « En vulgaire maghrébin, les mots berbères ne
sont jamais privés de l'article, quand celui-ci est nécessaire ». Ainsi
présentée, cette assertion est trop absolue. Les mots arabes berbé-
risés sont eux-mêmes inaptes à prendre l'article en faisant retour à
l'arabe. Voyez Marçais, Textes, pp. 215, 222-3, 262, 397-8 et passim.
Néanmoins, on est en droit d'inférer, d'après al-lkhf et al-AJ'oûs,
que l'arabe andalou admettait l'article pour les mots empruntés au
berbère, ou qu'ils recevaient, en passant en esp., le même traitement
que nombre de mots d'origine simplement latine.
2. Mots latins-espagnols arabisés. — On en trouvera la liste très
curieuse dans le Glosarlo de ooces Iber. y lat. etc. de Simonet, Pré-
face, pp. 79 et 125 sq..
3. « C'est l'habitude de toutes les langues de resserrer les mots.
— 167 —
Mots romans d'origine orientale et affectant la forme
diminutive\ [n, 152] 129-130.
Moûva et (Jtoûvî < it. monna < mammone, [10, 200]
102.
Mounnet, m. malais, singe (Etym. de), [10, 204] 106.
Mozarabe (Mots du vocabulaire), [08, 67, 127; 10,
118; 11, 155, 207 n. ; 12, 52, 209] 26, 34, 88,
133, 137 n. 142, 166.
MuDEGEL = ar. moudadjdjal, étym. pop. de ar. mou-
dadjdjan, [09, 19] 52.
Mudejar (32) < ar. moudadjdjal < moudadjdjan,
fixé à demeure, [09, 15-22] 48-57.
N
A^ final arabe > m esp. et fr., [08, 68 et n.] 27 et n.
Noms des petits animaux à fourrure fine dans les
langues or., [12, 55] 143.
Noms d'étoffes orientales passés dans les langues roma-
nes \ [09, 203] 68.
quand deux syllabes consécutives commencent par la même con-
sonne. Il s'opère une contraction ». (M. Bréal et A. Bailly, Dict.
étym. latin, p. 368-9). Les exemples cités ici sont regardés à présent
comme des cas de dissimilation totale. « Lorsque la chute d'un son
ou d'un groupe de sons a pour cause la répétition immédiate du
même son ou du même groupe, la dissimilaiion prend le nom à!haplo-
logie », (L. Roudet, Eléments de phonétique générale, p. 201-2).
1. C'est la plupart du temps du fait de l'italien et presque toujours
pour rendre le y final des adjectifs relatifs ou ethniques de l'arabe,
que naissent ces faux diminutifs. Par ex. : bocaccino, boucassin (v.
Index), beduino < badawy ; beUulno <C Loubân djâwy, benjoin;
carmesino < qirmizy ; garbino < gharby ; ghiaccerino , jacerina
< Chakk sarady ; mais il y a aussi giannetta, gineta, genette < Zé-
nâta; zibetto, civette <C,Zoubâd.
2. Etoffes orientales. — On peut ajouter à cette liste, pour essayer
de la rendre complète : le bazin < ar. Bass, étoffe de lin, coton ou
— 168 —
O
Ojalà (4), ptg. ouxalâ\ plaise à Dieu! < ar. in châ
Allah, [08, 63] 22.
Ole (3)' < ar. yallâh, [08, 63] 22.
'OXoXù^co et ar. walwala (Rapport entre), [08, 139]
45.
P
Pasamaque (44)* = t. bachmaq, soulier, [ÏO, 56 sq ;
11, 207] 85-87, 137.
soie ; la basane < esp. badana < ar. Bitâna, doublure ; la chiffe
( > chiffon) < ar. Chiff, étoffe mince et transparente ; le marramas
ou mairamas, brocart pour meubles qu'on fabriquait à Constanti-
nople. Acre et Famagouste, < Maçrama, vulg. Mahrama, mot qui
désignait naguère un voile de mousseline tissé d'or aux extrémités;
\q ricamo, esp. recamo, récame (> récamier), lourde étoffe, tapis
broché en relief, < ar. raqam; l'ancien lizaro italien (^liséré?),
toile fine de lin et coton, < ar. el-Izâr.
1. Ojalà. — Je tiens de M. L. Roussel, ancien membre de l'Ecole
d'Athènes, que le terme àxalâ, d'origine inconnue, est couramment
employé comme une exclamation de sens imprécis dans le parler des
insulaires de Micono. Or cette petite île est située entre Naxos et
Andros qui furent données par Sélim II au juif portugais JoséMiguez,
son favori (1566). Celui-ci put se dire « duc des Cyciades » treize ans
durant ; il eut même des démêlés avec l'ambassade de France (Saint-
Priest, Mém. p. 282 sq.). Tout porte à croire que sa fortune insolite
attira quelques Portuguais dans sa principauté. Et cela parait bien
suffisant pour qu'une expression telle que ouxalà, ojalâ, se soit
introduite et perpétuée dans le dialecte d'une des Cyciades.
2. Ole. — Le Dicc. de la Acad. fait dériver jalear « animer les
chiens à la chasse, applaudir et exciter un danseur, danser le jaleo
(pas andalou vif et expressif) » de àXaX/i. C'est insoutenable (cf. Index,
s. V. àXaXàÇwl. Dans JALEO il y a clé; en effet, jalear est à l'origine
« crier yallâh ».
3. Pasamaque. — « Elles (les turques) souloyent porter une sorte
de soliers qui s'appellent pasmacq et estoient de cuyr; maintenant
elles commencent à porter des soliers couvertz de fin or et fines
pierreries ». Th. Spandouyn, Origine des Turcqs, éd. Schefer, p. 178.
— 169 —
Permutation de consonnes ' : 6 et m, [12, 63 ; 13, 67,
201] 152, 179, 193 ;l,net r, [09, 20 sq ; 13, 210]
53 sq, 202; rets, [11, 143, 145] 121, 123; t et k,
[11, 143, 153, 208] 120, 130-1, 138. Et paseim.
Préparation des cuirs' , [13, 144] 189.
Q
Qabâ, ar., robe d'homme à manches > it. gabbano,
GABAN, ptg. gabbào et cabaya, fr. caban, [11,
147; 12, 58] 124, 147.
Qabâra, ar. < gabarra, gabare, [09, 15] 48.
Qapou^oima, géorg., singe (Etym. de), [10, 202 n.]
104 n.
Qërbatch, t. < hongr, korbacs ; > ar. Kirbadj, cor-
BACHO, courbache, cravache, [11, 204-5] 134-5.
Que final dans les mots esp. d'origine orientale, [11,
208] 138. Voy. pasamaque, badulaque, alfane-
QUE, REBENQUE.
RABELAIS (Contribution au commentaire de), [08,
132; 09, 15.31,208; 11, 146,148; 12, ^\; 13,
145] 39, 47, 64, 73, 123, 125, 140, 190.
1. Permutation de m et 6 : cf. Dozy, Gl. p, 20; Journal Aslat.,
1882, I, p. 38fî; — de l, r et n : cf. Dozy, ib. p. 21, 22; Diez, Gramm.,
I, p. 188, 201-;^, 206, 273, 419; Roudet, Phon. gén., p. 303, 305-6; —
de r et s : Diez, I, p. 22, 221, 292, 422; Bréal, Dict. étym. latin, p. 65,
98; Roudet, p. 305, 309; Bourciez, Phonétique française, p. 189; —
de t ei k: Diez, I, p. 344, 419; Dozy, p. 15 ; Roudet, p. 308.
2. Préparation des cuirs. — A Merrâkech, la peau de chèvre est
tannée avec l'écorce de grenade, qui lui donne une belle couleur
jaune. Cf. Aubin, La Maroc d'aujourd'hui, p. 40.
— 170 —
Rebenque (54), fouet, garcette, < ar.Rabqa, corde,
[lî, 207 sq.] 137-9.
Redoublement des consonnes en esp., [12, 210, 213]
167, 171.
Roxane, n. pr. < pers. roûchan, qui resplendit, [11 ,
148] 120.
8
Sabbat, ar. < 1. sabatenum, soulier, [10, 118] 88.
Sâbana (62), drap, linceul < 1. sâbanum, [12, 265-
271] 171-177.
Sabaniya' ar., sorte d'étofîe (Sens et origine de),
ibidem.
Hàêavov, sabanum, passés en copte, arm., russe, ar.,
esp., prov., ibidem.
Sable < ail. Zobel < r. sôbol, zibeline, [12, 52, 61]
141, 150.
Samour, t.' et sôbol, r., passés dans les langues or.,
rom., germ., [12, 52-60, 63] 141-9, 152.
SA FC^" (Assertion erronée de), [10, 281] 113.
1. Sahanlya — est usité au Sénégal, inconnu en Algérie, sauf à
Nédroma où il est exclusivement « foulard de tête pour les femmes ».
Voyez Marçais, Textes, p. 315 et 3:i7
2. Samour. — Il semble qu'il y ait un rapport d'identité entre ce
mot turc-bolghare et le vieux nom géographique Samara, qui est
celui d'un affluent ouralien de la Volga et d'une ville située à quel-
que cinquante lieues S. E. de Simbirsk, dans une excellente posi-
tion pour être un lieu de transit entre lAsie et l'Europe. Samara
est aussi le nom d'un petit affluent de gauche du bas-Dniepr. Or,
on sait qu'au V' s. les Bulgares, frères de ceux de la Volga, quittent
cette région où ils se sont établis et passent le Danube pour gagner la
Mœsie.
- 171 —
Serabula\ b.-l. > ar. Zerboûl, sorte de chaussure,
[11, 149, 151] 127, 128.
SIMONE T {Glosàrio de voces ibêricas y latinas içsa-
das entre los Mozarabes, [07, 246; 08, GO, 61 n.,
67, 68; 11, 155; 12, 52] 9, 19, 20 n., 26, 27, 133,
141.
Singe (Origine orientale de mots qui désignent le).
Voyez Mono.
Sôbol, r. ' et samour t., zibeline (Origine de), [12, 63]
152.
ScoTEtpa > ar, [Soûtara] pi. Sawâtir, sorte d'élec-
tuaire', [09, 201-2] 66. Voyez Machumacete.
Souquenille < pol. soknié, [11, 148 et n.] 125 et n.
Synonymie de amulette et baudrier en ar. et en esp.,
[13, 205, 208-9] 197, 200-1.
1. Serabula. — Sur Zerboûl, var. Zerboûn (gros soulier de monta-
gnard, en Syrie) < crépêouXa < seroula « chaussure des esclaves »,
voyez Khafâdjy, p. 116; Defrémery, Mém. p. 156; Dozj, Suppl. aux
Dict. ar.; Simonet, Glos. p. 591; Cobarruvias, II, p. 174.
2. Sôbol. — Il est constant que ce mot, n'ayant pas de racine en
indo-européen, est entré en russe par voie' d'emprunt. Il est donc
tout naturel de le dériver du turc samour. Mais, de ce que la zibe-
line est particulièrement une martre de Sibérie, on pourrait émettre
l'hypothèse que samour et sôbol sont deux mots ayant une origine
commune à rechercher là même où l'animal se trouve notoirement
vivre à foison. En ce sens le nom de l'ancienne Sibir, ville qu'a
remplacée Tobolsk, celui du Tobol, le cours d'eau sibérien le plus
rapproché du pays bolghare, semblent être des indications intéres-
santes. Située dans une contrée aux forêts épaisses où abondent
encore tous les genres de martres, Sibir dut être en son temps»
comme aujourd'hui Tobolsk, l'entrepôt le plus considérable du com-
merce des fourrures entre la Russie, le Turkestan et la Chine. Cf. El.
Reclus, Géogr. VI, p. 376 et 877.
3. Une trentaine d'ingrédients, dont l'or, l'argent, les perles,
entraient dans la composition du Tiryàq es-Saivdtir, ce qui contri-
buait à lui donner la réputation du meilleur électuaire (cf. Sangui-
nôtti, l. c). La base en était la même que dans celui dont Molière
— 172 —
T
Tagarino (33) ' < ar. Thaghry, homme des marches
frontières, [09, 22-25] 54-57.
Tahali (69), taheli, ptg. tali, talym < ar. Tahiti \
amulette et baudrier, [07, 246; ÎS, 204-9] 9, 196-
201.
Tahiti, ar., profession de foi musulmane, [08, 133, 136;
13, 207] 40, 42, 199.
Tameji (7) < ar. tamchi, tu t'en-vas, [08, 65; 11,
207] 24, 137.
Tanbor, p. ar. > guitare et tambour, [10, 121 et n.j
91 et n.
Tapi)(£Îa > ar. Tarkha, saumure, [09, 278] 77.
Tersana, m. t., arsenal, < it. darsena < ar. Dâr es-
Sinâ'a, [11, 144] 117.
Théâtre espagnol (Anciennes catégories du), [13, 65-
7] 178-9.
Thériaque' (La), [09, 31 sq et 200 sq.] 63-67.
dit : « C'est un fromage préparé, où il entre du corail et des perles et
quantité d'autres choses précieuses». {Méd. malgré lui, II, 2.) Le
XVIP s. vivait encore de la pharmacopée des Arabes.
1. Tagarino. — Il y a à Alger un quartier dit Les Tagarins et des
casernes appelées aussi de ce nom. Un S' de Roqueville, auteur
d'une plaquette intitulée Relation des mœurs et du gouvernement des
Turcs d'Alger, Paris 1675, rapporte que « auprès de la Porte de Bas-
Bloit { = Bâb el-Oued) ou voit un fort fait par les Tagarins ».
2. Tali, dans l'Inde méridionale, est le bijou d'or que portent sus-
pendu au cou les seules femmes mariées (J. Dubois, Mœurs... des
peuples de l'Inde, Paris 18-i5, II, p. 15). Hobson Jobson croit recon-
naître dans ce motl'ar. Tahiti [A Glossary of anglo-indian colloquial
words, s. V.). Mais tali parait bien appartenir en propre au tamoul,
en regard du malais tali « cordelette, cordon ».
3. La T/icriaque — chez les Orientaux est mentionnée par D'Her-
— 173 —
Tirrîkh, ar., caviar, < làiçiv/oç,, [09, 278] 76.
Toraqui (37) = ar. Téryaqy, opiomane, [09, 30 sq :
11, 207] 62-67, 137.
U-Y,
UcHALi FoRTAx', pers. h\s\0T.=^''Aloûdj''Aly Fertâs,
[09, 28 et n.] 60 et n.
Verbes onomatopéïques communs à plusieurs langues,
[08, 139] 45.
Veredus' < p. Barîd, [08, 128 n.] 34 n..
\VA TTEAU{Vn tableau de), [11, 69] 118.
Yélek\ gilet, m. turc passé dans les langues romanes,
[10, 280; 11, 58, 142] 111, 114, 119.
belot dans sa Bibliothèque orientale, pp. 167, 200, 347, 641 et 701,
éd. de 1697.
1. Uchali Fortax. — Le nom de ce personnage est transcrit Uluge
Ali par D'Herbelot, Bibl. or, p. 80, Uluzsialt dans Die Malteserritter,
un plan et fragment de tragédie de Schiller.
2. Veredus. — L'étymologie de Quintilien, ceho rheda, est une
antiquité sans valeur. Plus près de nous, Quatremère pensait {Suit.
Maml., II, 2, p. 87) que Torigine de barld est dans veredus. C'est le
contraire qui est vrai. Quand, sous Auguste, les Romains organisè-
rent la poste aux chevaux à l'imitation des Perses, il leur parut
naturel d emprunter également à ceux-ci le terme par lequel ils dési-
gnaient cet office : babyl. buridû, plus anc. [p)buradû « cheval ra-
pide, ch. de poste» (cf. P. Horn, Grundriss d. neupers. Etymologie,
Strassb. 1&9:^) > persan barid, mot qui passa tel quel eu arabe dès
le Vil' s.. Sur quoi se fonde Khafâdjy, lorsqu'il dit que le sens de
barid est à l'origine baghl « mulet » ? (Chafâ el-Ghalil, p. 45). Cette
assertion se trouve corroborée par l'hébreu péred, dont je rapproche
PpaS-j; sans' représentant en sanscrit, et bardus, brutus, burdo, tous
mots qui appartiennent manifestement à un fond sémitique commun
très ancien.
li. Yélek — est passé en roumain sous deux formes distinctes d'em-
prunt : iMc et gilétcâ.
— 174 -
Zalâ (10), var. Asalà, azalato < ar. Salât, as-
Salat, [08, 67; 11, 207] 26, 137.
Z esp. < d, d, d, ç, s, s ar.. Voy. marfuz. zalâ, za-
LEMA, ZAMARRO, ZEGRI, ZORAIDA, etC.
Zalamele .(16) < ar. es-Salâm 'aleik, [08, 122] 29.
Zalameria (15) simagrée, mômerie, ibid.
Zalema (14)' < ar. Salâma, salutation, ibid.
Zamarro (57), var. chamarro, houppelande de poil,
< t. arabisé Sammoûr, zibeline, [12, 50-53] 139-
142.
Zamorana (47) < ar. Zoummâra, pipeau, [10, 118-
126] 89-97. Voy. gaita.
Zapato (45)' < 1. sabatenum, soulier, {10, 117,118;
13, 70] 87, 88, 183.
Zéboun, t., gilet, < it. giuppone < ar. Djoubba,
[ii,e>i] 117.
Zegri (34) < ar. Çaghi^y. Voy. tagarino.
Zerdawâ\ Zerda, ar., belette, martre, =t. zerdévâ,
[12, 54, 130] 143, 162, 164.
1. Zalema, zalamele. — Voyez dans El-Bokhary, Les Traditions
islamiques, trad. de O. Houdas, IV, pp. 124 sq., la codification des
formalités du salâm entre musulmans. — Faire des zalamerias ou
faire des momos sont deux expressions synonymes. Cf. Indeas, s. v.
Mômerie.
2. Zapato. — On peut lire dans le Jour. Asiat. X» S" I, p. 372 et
384, une recherche de M. de Charencey sur l'Origine arabe des mots
SAVATE et SABOT.
3. Zerdau'â. — H. Lammens dit {Rem. sur les mots fr. dérivés de
Var., p. 255) que « Zerda est un nom donné mal à propos au fennec,
étant une altération de Djorad, espèce de rat ». Ce mot — var. Djir-
daun — parait, au contraire, être altéré du t. p. serdéod.
— 175 —
Zibeline (Les mots qui désignent la), [11, 206 ; 12, 50-
64] 136, 139-153.
Zoraida (6)/ n. pr. — ar. Doraida, [08, 65; 09, 13]
23, 46,
[A suivre) Paul Ravaisse.
1. Zoraida. — Si d s'intercale volontiers, dans les mots d'origine
latine, entre n ou Z et r, ou après / suivi d'une voyelle (bulda, celda,
humilde, rebelde, etc.), cette épenthèse, dans les mots d'origine
arabe, est exceptionnelle ; on n'a guère à citer que galdifa, très ancien
pour ar. Klialifa (Cf. Diez, Gramm., I, p. 3r8), et il ne semble pas
qu'elle se rencontre entre deux voyelles. C'est pourquoi on a proposé
ici Doraida au lieu de Çoreyyâ, bien que ce dernier soit un nom de
femme connu, dans l'histoire de l'Andalousie, pour avoir été porté par
cette Dona Isabel qui apostasia en épousant le père du fameux Boab-
dil, *Aly Aboû 1 Hasan (1461-85). Cf. A, MûUer, Der Islam im Mor-
gen-und Abendland, 11, p. 676 sq. ou Cl. Huart, Hist. des Arabes,
II, p. 192."
ÉTUDES DRAVIDIENNES
I. Le sixième ordre d'explosives.
J'ai déjà fait remarquer que l'alphabet tamoul a été
composé avec un art infini par les brahmanes, venus
du Nord ; ils ont si bien reconnu les particularités
spéciales de la prononciation dravidienne qu'ils ont
pu, avec vingt-cinq signes seulement, représenter une
quarantaine de voyelles et de consonnes différentes.
Les grammairiens indigènes comptent trois sortes de
consonnes, lesj'ortes qui comprennent toutes les ex-
plosives, les douces qui comprennent les nasales cor-
respondantes, et les moyennes qui comprennent les
semi-voyelles et les liquides. Je ne veux m'occuper ici
que de la sixième forte et de la sixième douce qui lui
correspond.
La douce ne se trouve actuellement que dans l'al-
phabet tamoul et dans l'alphabet malayâla, où elle est
une réduction du n cérébral. Quant à la forte, elle
est conservée dans tous les alphabets dravidiens ;
c'était donc une consonne primitive;, organique. En
canara et en télinga, le caractère qui la représente
est maintenant un double r; en malayâla, il est
dérivé du r grantha. En tamoul, c'est une combi-
naison du t, d ordinaire et du double r; dans les
manuscrits d'il y a deux ou trois siècles, il a surtout
— 177 —
cette dernière forme; dans les documents très anciens,
par exemple dans les actes de donation des rois Palla-
vas, gravés sur cuivre, du vu'" au x^ siècle, il se con-
fond presque avec le t, d cérébral.
Comment se prononce- t-il ? En canara et en télinga,
comme un r fort; en tamoul, la prononciation varie
et le malayâla suit le tamoul. Seul et accompagné d'une
voyelle, c'est /■ fort : kcœ'i « cary, ragoût », çôr'u « riz
cuit», kinar'u «puits»; muet devant une forte, il
devient t ordinaire : tatkonda; doublé, il se prononce
comme tt précédé d'un mouillement, d'une sorte d'ï
furtif, païtti^ kaittu ; précédé du n spécial, il passe à
d et le mouillement se reporte sur le n, kaindu « veau »,
paindi 0 cochon ». Le n, le / et le r ordinaires se pro-
noncent de même mouillés : pour pon « or », kal
« pierre » et pond « substance », on dit pain, kaïl,
poirul. Les grammairiens anglais affirment que r'r' et
n'r' sont prononcés ttr et ndr ; mais il y a là une con-
fusion qui résulte de ce que le t, d tamoul est une
dentale extrême, produite par le rapprochement de la
langue de l'extrémité des incisives, ce qui explique la
transcription anglaise th, kuthirai pour kudirei, thêr
pour ter ; dans cette position, l'articulation est peu
précise et peut être prise pour une diphtongue con-
sonnantique formée de ^ ou d et de r.
Quelle a été l'évolution de cette consonne et à quelles
mutations est-elle sujette? Remarquons d'abord que
le groupe n'd' en tamoul vulgaire se prononce nn ; le
peuple, à Pondichéry par exemple, ne dira pas kaindu,
paindi, mais kannu, panni. Cette prononciation est
normale en malayâla où l'indice du présent in'd'u est
12
— 178 —
régulièrement unnu. En revanche, le tamoul n'd' tend
à devenir t't' puis /' ; in'd'u a aujourd'hui » a pour ad-
jectif it't'ei, le signe du présent kin'd'u a fait kit't'u, puis
kir'u, ce qui explique que kan'd'u « veau » fait kar^'u
en canara. Dans les dérivations, r'u devient régulière-
ment t't'u : çôr'u et kinar'u ont pour oblique ou ad-
jectif çôt't'u et kinat't'u. Dans l'euphonie, r' est exacte-
ment traité comme d, t; ainsi, mul tidû «l'épine est
mauvaise » et kal tîdu « la pierre est mauvaise » font
kat't'idu, muttîdu — kar'tdu, mudtdu, ou plutôt avec
l'aspirée conventionnelle, muhtîdu, kahrîdu. En ta-
moul même d'ailleurs /'' varie en r : kar'uppu « noir-
ceur )) et kar'u « noir » ; en of ; tadi et tar'r « canne » ;
et t't' en tt : kottu et kot't'u «pioche, bêche». En
canara et en télinga, r et /'' sont souvent confondus :
têi^'u « char » pour têi^ tam, ; le tulu remplace régu-
lièrement r' par /■ ; mari pour mar'i «poulain», ou
par d : nûdu pour nûr'u « cent » (poussière) ; quelque-
fois par d : mâdu pour mar'w «changement», et
même par j : âru « six », mûn'd'u {mûr'u, mûdu,
mûnu) « trois », kan'd'u « veau » y font âji, mûji,
kanji. M. J. Reby, bibliothécaire de l'Ecole des langues
orientales, me signale la même permutation dans les
idiomes du Caucase : rr, di final géorgien a pour cor-
respondant en laze ji : géorgien œidi « pont », laze
œindi ; géorgien xari « bœuf », laze xoji.
Il résulte de ces faits que les consonnes dont il s'agit
et que nous transcrivons t, d, r, n, avec le signe mi-
nute, sont intermédiaires entre les cérébrales (dento-
linguales) et les dentales proprement dites ; on pourrait
les appeler dento-palatales. Les douze fortes et douces
— 179 —
du tamoul seront donc : gutturales ou plutôt gutturo-
palatales, k, g, n; palatales, ç, c, 7, fi; dento-lin-
guales. t, d, /?. ; dento-palatales, r', t' , d , n'; dentales,
t, d, n; labiales, p, b, m. Dans mes transcriptions du
tamoul, je remplace souvent c et J par tch et dj; la
palatale forte se produit quand ç est redoublé et la
faible quand ç est précédé de fi; il faut éviter d'ailleurs
la confusion avec J français, prononciation ordinaire
sur la côte du r primitif dravidien.
II. Le T cérébral dravidien.
Le tamoul, avec le malayâla son annexe, est la seule
langue dravidienne qui possède une consonne spéciale
dont la prononciation varie suivant les régions terri-
toriales : à l'Ouest on la confond généralement avec
/ cérébral, au Sud-Est elle se prononce comme le 7
français, au Nord-Est on la supprime ou on la rem-
place par y. Le malayâla la prononce /. Quelle était
primitivement la nature de cette consonne ? C'était
incontestablement une cérébrale : dans l'alphabet ta-
moul elle prend place après le v et le /, sa forme gra-
phique paraît la rattacher au m, mais ce n'est là qu'un
trompe-l'œil, dans les anciens documents elle se rap-
proche beaucoup du t ou d qui sert aussi, et le fait
|est à retenir, pour le t ou d mouillé qui est une pro-
nonciation secondaire du r fort; le télinga parait
n'avoir jamais eu cette lettre, mais le canara la possé-
dait jadis, car on la retrouve dans les inscriptions anté-
rieures au X® siècle, elle ne difïère que par l'absence de
deux petits traits du r double fort ; elle est remplacée
plus tard par /.
— 180 —
Remarquons que dans l'alphabet tamoul cette con-
sonne précède immédiatement /, comme r précède /;
les grammairiens indigènes disent qu'elle se forme
dans les organes buccaux de la même façon que r.
Examinons les mutations qu'elle subit en tamoul
même et les lettres qui la remplacent dans lès autres
idiomes dravidiens ; pour la commodité de cet examen,
je la représente parj, prononciation de Pondichéry;
en tamoul même, elle varie en d : tâjppân=^tâdpân
«il baissera»; en/, uji=uli «intérieur», tujovei
= tulovai « rame » ; en r, tavij = tavir « assez » ; en
r', nûjal = nûr'al «pulvériser»; en y, mâju = may
« mourir » et enfin elle se supprime entièrement, umij
=:umi « trait », poj'udu == pôdu « temps ». En mala-
yâla, elle passe à / ou quelquefois y. En canara, elle
devient /* ou d : kajudei= karde, kadde ; dans la vieille
langue, d est remplacé par elle en composition : kàdu-
pura = kajpura. En tulu, la consonne qui nous pré-
occupe est remplacée par r, /, et quelquefois d : ajal
= aral « feu », oji z= ori « écarter » ; kuji = gori
« trou » ; kij^= kîl, kîdu « sous » ; tojîl = tolil « office » ;
éju = êlu « sept ».
De tous ces exemples je crois pouvoir conclure que
la consonne dont il s'agit était primitivement un r
cérébral, comme celui qui est si fréquent dans les
langues kol ou munda et en hindi ; on sait que les
cérébrales, à l'origine étrangères à l'indo-européen,
s'y sont postérieurement développées, notamment dans
les langues modernes de l'Inde nord-occidentale, par-
lées dans des régions relativement froides.
Ces consonnes ont été évidemment produites sous
- 181 -
des influences climatériques particulières. L'Anglais
prononce ses cl et ses t presque comme des cérébrales
et même souvent ses/, aussi les Indiens les transcrivent-
ils toujours t, d, l. Dans sa Grammaire comparée,
M. Beames propose cette théorie que les climats froids
imposent un effort plus grand pour la production de
certains sons. Pour lui, les cérébrales et les dentales
font partie de la même série linguale qui commence
aux cérébrales pures et finit aux t, d presque produits
par le contact du bout de la langue avec l'extrémité des
dents. Je ne crois pas que cette observation soit rigou-
reusement exacte, puisque dans l'Inde où le climat est
généralement chaud, les cérébrales se rencontrent à
toutes les latitudes, mais sont plus fréquentes dans les
dialectes de l'Ouest que dans ceux de l'Est. En tout
cas, elles sont originelles et organiques en dravidien,
sous la quintuple forme t, d, n, l, r. Les Dravidiens,
les Tamouls du moins, ont en outre ce qu'on peut
appeler les dento-palatales, mouillées ou : kan'd'u
« veau », pat't'i « ayant pris» qu'on prononce kaïndu,
paîtti ; le f vient d'ailleurs régulièrement de r' ;
kinar'u « puits » fait kinat't'ukku « au puits ».
III. Un fait temporaire de phonétique en dravidien.
La constance des lois phonétiques est, pour l'Ecole
allemande des néo-grammairiens, un principe absolu
et fondamental ; mais on ne se rend pas bien compte
de ce qu'ils entendent par là. S'ils veulent dire que cer-
tains phénomènes, certains changements sont propres
à tels ou tels groupes d'idiomes et caractérisent des
— 182 -
familles différentes; c'est un fait évident et inconte^'"'-
table ; si cela signifie que les mêmes évolutions doivent
se produire dans toutes les langues congénères, cela
n'est exact que si ces langues se trouvent dans les
mêmes conditions.
Le latin II et les diminutifs en cul as, calum de-
viennent dans les langues romanes / mouillée : cf. goa-
pil pour vuipeculus, moglie et molher pour mulier ;
mais en français / mouillée est devenue y [paille pro-
noncé paye) tandis qu'en espagnol il évoluait en une
aspirée forte : \di jota [mujer, hijo, paja). A ce propos
je citerai un intéressant exemple où cette évolution
est prise sur le vif : le basque a emprunté à l'espagnol
le mot « miroir » ùpillu, aujourd'hui espejo, de spécu-
lum, mais dans la même langue y initial varie en J
français dans le dialecte extrême du Nord-Est et en
Jota dans les dialectes espagnols ; on sait qu'en fran-
çais Vi consonne latin est devenu y.
Je me propose de signaler ici un phénomène d'alté-
ration phonétique dans les langues dravidiennes, par-
ticulier au tamoul et temporaire, si j'ose m'exprimer
ainsi, en ce sens qu'il se rencontre seulement chez les
poètes classiques, c'est-à-dire à l'époque moyenne de
la langue. On sait que les langues dravidiennes litté-
raires s'écrivent avec des alphabets empruntés aux
écritures du^-Nord, auxquels on a ajouté quelques
signes pour représenter des consonnes particulières à
ces langues ; les alphabets malayâla, canara et télinga
sont calqués sur l'alphabet sanskrit, de sorte qu'ils
peuvent servir à écrire des textes dans le vieil idiome
classique du Nord : le premier exemplaire des Védas
— 183 —
qui soit parvenu en France et qui a été envoyé en
1739 par les jésuites français missionnaires dans Tlnde
est en caractères télingas ; on peut le voir à la Biblio-
thèque nationale. Mais l'alphabet tamoul quoique de
même origine est bien différent et ne saurait servir à
écrire le sanskrit; il a été très ingénieusement com-
posé par des grammairiens qui appartenaient à l'école
Aindra et qui étaient des observateurs habiles et intel-
ligents qui avaient le sentiment très exact de la pho-
nétique spéciale à cet idiome : plusieurs signes ont
deux ou trois prononciations différentes, mais le lec-
teur n'est jamais embarrassé parce que ces prononcia-
tions dépendent de la position du caractère dans
l'expression graphique du mot.
L'alphabet comprend douze voyelles et dix-huit
consonnes ; les grammairiens indigènes partagent ces
dix-huit consonnes en trois catégories de six lettres
chacune : les fortes, les douces et les moyennes. Les
moyennes sont y, r, /, y, r, l ,' leur prononciation
n'offre pas de difficultés, cependant r accompagné
d'une voyelle et / muet doivent être mouillés à leur
commencement, c'est-à-dire précédés d'un petit îfur-
tif : kal « pierre » et pond « substance » se prononcent
à peu près kaïl et poïriil.hes douces sont n, fi, n, m,
n' ; la dernière se prononce mouillée comme le / de la
série précédente.
Quant diMx fortes, la première, la troisième et la
cinquième représentent k et g, t et d, t et d, p et b ;
ces lettres sont fortes quand elles sont initiales ou dou-
blées, douces quand elles sont simples ou précédées
— 184 —
de la nasale de leur ordre ; ainsi le sanskrit danta de-
vient tandara.
La seconde forte se prononce ç quand elle est simple,
c (tch) quand elle est double et j (dj) quand elle est
précédée de la nasale correspondante. La sixième con-
sonne forte est un r fort, jamais mouillé, mais muette,
elle se prononce t mouillé comme /, doublée comme tt
dont le premier est mouillé ; précédée de n' elle se pro-
nonce nd où le n est mouillé : j'indique ces mouille-
ments par le signe minute. On a dit que ces deux
derniers groupes se prononçaient tU^ et ndr, mais il y
a là, à mon avis, une illusion d'acoustique : les den-
tales tamoules que les Anglais transcrivent volontiers
th, sont proprement des dentales extrêmes produites
par le contact de l'extrémité de la langue avec le bord
des incisives ; dans ce mouvement la colonne d'air est
resserrée et frôle le palais, ce qui amène le mouille-
ment, mais la langue peut avoir un léger mouvement
vibratoire analogue à celui qui donne naissance au r.
La prononciation des voyelles n'offre rien d'extra-
ordinaire, ai se prononce ei à toutes les syllabes autres
que la première. Mais ê long, é bref, 6 long, o bref
sont toujours précédés dans la prononciation, les deux
premiers d'un y, les deux seconds d'un w ; cette par-
ticularité n'a rien de surprenant et bien d'autres langues
en offrent les exemples : l'é roumain initial se dit ye,
et, en anglais, one et ses dérivés à l'exception de onJy
sont toujours précédés dans le langage courant d'un
w qui ne s'écrit pas. Il faut remarquer qu'en tamoul
é initial prononcé ye correspond à ya et même à yâ
dans les pronoms indéfinis ; y a-t-il là un affaiblisse-
— 185 —
ment de Va ? C'est au moins le cas des mots sanskrits
commençant par ^a et transcrits é, par exemple yantra
qui devient endiram « machine ». Les mêmes phéno-
mènes se produisent en malayâla et en télinga et aussi,
mais moins généralement, en canara et en tulu ; on y
écrit même l'y adventice et le w représenté par v.
Les idiomes non littéraires ne paraissent pas connaître
cette prononciation et il faut noter qu'ils sont parlés
au Nord-Est ou à de hautes altitudes.
A ce propos j'ai relevé dans les vieux poètes tout
une série de mots écrits avec yâ initial, dont la plu-
part se prononcent et s'écrivent aujourd'hui sans y :
yâkkei, lien, corps. yâlam (nom d'un arbre).
yâdu, mouton. yàjal^ termite.
yânar, beauté, fertilité. yaj, luth.
yându, année. yaU, lion.
yâppu, lien, poème, yâr'u, rivière.
yâmei, tortue. yântei, éléphant.
yâri, perte.
La plupart de ces mots ont aussi des formes sans y
dans la langue écrite, surtout en prose. Dans le tamoul
vulgaire parlé de nos jours, quatre seulement sont
restées en usage, ce sont adu «mouton», âme «tor-
tue», âr'u «rivière» et âne «éléphant»; ces quatre
mots se retrouvent dans les langues congénères qui ont
été littérairement cultivées, cependant en tulu « tor-
tue » se dit eme. L'étymologie de ces divers mots est
difficile à établir, cependant yali « lion » pourrait être
rapproché de nali et namali « chien » ; yakkei et
yappu se rattachent à une racine yâ long, signifiant
— 186 —
«lier, attacher » et subjectivement « être lié, être atta-
ché » ; peut-être est-ce la même racine â qui a pris le
sens de « devenir », « s'achever )), « s'accomplir ». Il y
a en tamoul, entre cet â long et ?ra « demeurer, se
placer », la même différence qu'entre bhu et as en
sanskrit ou plutôt qu'entre ser et estar en espagnol.
Dans la liste ci- dessus, les deux mots yâppu et yaj
n'ont pas la forme sans y, mais il y a un mot âppu
qui veut dire « coin, fente », mais la parenté est dou-
teuse. Andu (( année » se rencontre sans y dans le dis-
positif en prose d'inscriptions anciennes.
A ces mots il faut ajouter les expressions pronomi-
nales et adverbiales y an a moi », yàm «nous», yâr
« qui » et « quiconque », yâdu « quoi » et « quoi que
ce soit », yâvan « lequel » et « qui que ce soit », yângu,
«où» et «partout». En prose et dans la conversa-
tion, on dit : âr pour yâi\ yân et yâm font aussi nân
et nâm, mais leurs formes adjectives sont en et em et
dans la conjugaison ils deviennent ancien d'une part,
et de l'autre am et an, êm, 6m; les autres pronoms
cités ci-dessus ont des formes en ê bref, excepté yâr
qui est prononcé partout aujourd'hui âr.
Si l'on consulte les dictionnaires tamouls les plus
complets et notamment celui de la mission de Pondi-
chéry qui est encore malgré tout le meilleur, on obser-
vera que tous les mots commençant par y sont des
mots d'emprunt à l'exception de ceux en yâ dont nous
venons de parler.
On peut donc poser en principe que la semi-voyelle
palatale n'est jamais initiale en tamoul et en dravi-
dien primitif ; pourquoi donc certains mots en â long
— 187 —
ont-ils pris un y prosthétique, au moins pendant là
période moyenne de la vie historique du tamoul ? On
pourrait supposer que le é est primitif et qu'il s'est
changé en y à puis en a, à cause des formes pronomi-
nales, mais cette hypothèse est inadmissible : d'abord
en phonétique générale je ne crois pas que jamais a ait
été précédé de é; d'ailleurs l'ensemble des idiomes
dravidiens montre que le à long est primitif : le pro-
nom de première personne se rapporte certainement
au démonstratif éloigné a d'où vient également l'inter-
rogatif indéfini. Il faut admettre qu'il y a eu un double
courant : dans les expressions les plus usuelles â s'est
à la fois abrégé et adouci en é prononcé en ye, tandis
que pour les autres l'afïaiblissement s'est borné à un
mouillement initial, qui, n'étant pas organique, n'a
pas persisté dans le langage populaire. Le basque que
je cite, peut-être trop volontiers, nous offre un exemple
remarquable de l'instabilité et de l'adventicité du y
initial ; les radicaux verbaux comme y an a manger »,
yakin « savoir », yoan « aller », perdent leur y dans la
conjugaison : dakit «je le sais », rioa, «je vais », etc.
IV. Dérivation honorifique par t préfixé.
Il existe, en tamoul et dans les idiomes congénères,
un certain nombre de noms de parenté et de titres ho-
norifiques commençant par t, ta, tam. Ce sont : 1 ta-
gappan, qui se contracte en tôppan « père » ; les brames
disent tamappan; malayâla tammappan ; — 2. tandei,
canara, tande, télinga tandri, gondî tanji, « père »,
d'où l'on dérive endei «^notre père », nundei « votre
— 188 —
père » et mundei « ancêtre » ; — 3. tây et son honori-
fique tâyâr, mal. tâyar, can. tâyi « mère » ; — 4. tam-
mei (( mère » ; — 5. tannei « mère » ; — 6. tammanei
« mère » ; — 7. tameiyan « frère aîné » ; — 8. tamakket
« sœur aînée » ; — 9. tambi « frère cadet », mal. tambi,
tambân. can. tammu, tél. tammudu, gondî tamma,
d'où em6ï « notre petit frère » ; on en rapproche nambi
« seigneur » ; — 10. tangei et ses diminutifs tangeicci,
tangacci, mal. tanga, can. ^afi^ï « sœur cadette » au-
quel se rapportent nangei « dame » et mangei « jeune
femme»; — 11. kudagu tammâru a beau-père », et
tammâvi « belle-mère » ; — 12. tél. tammali « prêtre
inférieur » ; — 13. tangâlan « prêtre paria » ; — 14. ^am-
birân, mal. tamburân « administrateur d'une pagode,
religieux vénérable » et embirân « notre maître » ; —
15. tammadi a ménage, mari et femme ».
La plupart de ces mots dérivent évidemment de
primitifs sans t : 1. appan, malto abba, dial. tam.
accbân, âvn, gav ; cf. le kurukh embâ ; — 3. âyi,
kurukh ayô, ingyu; malto ayyô, kui iyô ; — 4. am-
mei, ammâ «mère», ammâl, amman «dame», dial.
tam. âmm, gamma; — 5. annei «mère, dame» ; —
6. manei « épouse » ; — 7. aiyan « seigneur » ; —
8. akkâl, can. akka, kurukh ingyô ; — 10. kui angî,
— 11. maman « beau-père », mâmi « belle-mère » ; —
13. Angalamman, déesse locale ; — 14. pirâtti « dame,
princesse». «Frère aîné» se à\ï annan, tél. anna,
can. ayyal, apparenté à annal « prince » ; on dit aussi
tammun « avant soi », ce qui ferait supposer que tambi
est pour tam-pin « après soi ».
Caldwell, qui, le premier, s'est occupé de ces mots,
— iso-
les regardait tous comme formés de tam, ancien plu-
riel oblique du pronom réfléchi tân avec un sens hono-
rifique, respectueux, majestatique, comme on dit en
Europe « Sa Majesté, Votre Grandeur », etc. Il ajoute
que quelquefois tam se trouve réduit au pur radical
t- du réfléchi. Je crois que le problème est moins
simple. D'abord, pourquoi ces formes respectueuses
s'appliquent-elles, en dehors du père et de la mère,
aux frères et sœurs cadets plutôt qu'aux aînés? Puis,
est-il admissible que le langage honorifique ait été en
usage si anciennement et seulement pour ces douze ou
quinze noms ? Il y a évidemment deux séries de formes,
les unes en ta ou plutôt t, les autres en tam, qui me
paraissent remonter, les premiers à la période du déve-
loppement formel, les seconds à la période de la
composition historique. Tân est lui-même, selon toute
apparence, dérivé par t préfixé.
En effet, nous> savons que les pronoms personnels
dravidiens sont primitivement an « moi » et în « toi »,
ou même â et î, se rattachant aux démonstratifs éloi-
gné a et prochain i ; ils ont pris plus tard une con-
sonne adventice d'appui préfixée n, nân, nîn, surtout
dans les idiomes littéraires et cultivés. Il y a d'autres
exemples de pareilles préfixations. Mais an signifiait
«moi»; tân «soi», employé ordinairement dans la
langue courante actuelle avec le sens de « même » et
dont l'oblique tan est l'adjectif possessif pour la troi-
sième personne, n'est probablement qu'un dérivé de an
par t initial, dans un but de détermination, de préci-
sion, exprimant cette idée « moi-même, moi ici pré-
sent »,.. car sa propre .personnalité échappe davantage
— 190 —
à celui qui parle que celle d'autrui ; puis le même mot
généralisé aura servi pour la seconde personne. Le t
initial était donc essentiellement un élément détermi-
natif et on aura dit tandei, tây, comme on dit, dans
certains pays et dans certains milieux, « le père, la
mère », pour « mon père, notre père, ma mère, notre
mère», seuls intéressants pour celui qui parle. Un
argument en faveur de, cette hypothèse peut être
fourni par la langue toda, où tan « son » précède chaque
mot d'une énumération ; cf. Marc, x, 29 : ârçusnum
tan ôroêttusnum o ou maison ou frères (sœurs) », et
30 : ârçâm, tan ôrvêta tâm n maison ou frères (et
soeurs) » ; ici tan joue le rôle d'un article appliqué spé-
cialement aux personnes. En tamoul, tan et taju s'em-
ploient explétivement pour affirmer la possession, la
personnalité : kôn tamar « les parents, les gens du roi »,
araçan tannôdu «avec le prince», mangei tan moji
« la parole de la jeune femme ». Ici encore lan appa-
raît comme un élément de détermination.
J'identifierais volontiers ce t au signe du prétérit.
Le passé marque une chose connue, déterminée,
tandis que le présent aoristique, indiqué par A' en ta-
moul, Correspond à une chose encore incertaine, en
train de se faire : A\ qui est aussi le suffixe du datif,
exprime le mouvement, l'action ; t, le repos, l'inertie,
l'état.
V. Le pluriel prinnitif en -m dans les langues
dravidiennes .
Le signe général de pluralité en dravidien est évi-
demment -gai ou -kal, cf. tam. kal, gai; mal. na/;
\
— 191 -
can. galu ; tél. lu ; tu]u kulu ; kudagu -nga, -â, -yâ;
gondî k, ng ; kuî nga, kka, ska ; les autres langues
incultes ne paraissent pas avoir de signes spéciaux
pour le pluriel, cependant le toda a des formes inté-
ressantes en -âm, comme adâm « ils, eux, ces choses-
là, ceux-là)), mînâm «les étoiles». A propos de ce
dernier mot, je ferai remarquer en passant que mîn
(f étoile « signifie aussi « poisson )) et dérive du radical
min « briller )).
Il résulte également de ce tableau que le suflSxe est
formé de deux éléments, le premier commençant par
l'explosive gutturale, le second terminé par / cérébral;
Caldwell rapprochait ce dernier deellâm « tout, tous )>,
qui est apparenté à ellei « limite )), dérivé comme lui
d'un radical el où Ve initial marque l'indéfini ou l'in-
terrogation ; mais une objection sérieuse peut être
opposée : le / radical étant purement dental, tandis
que -gai ou kal se termine par une cérébrale. Il faut
noter d'ailleurs que ellâm est proprement un pluriel
général ou un collectif qui varie en ellîr « vous tous »
et ellâr « eux tous )).
Quant au premier élément, la gutturale est le siège
expressif d'un mouvement, c'est le suffixe du datif et
du présent ancien aoristique ; dans la dérivation des
radicaux verbaux, il intervient avec une idée évidente
de mouvement, cf. vanangu « adorer, vénérer )), to-
dangu « commencer )>, mlatïgu « luire, être lumineux »
auquel se rattache sans doute vel a blanc, éclatants )>,
velU « argent )), etc. Or, l'idée de mouvement, d'ex-
tension, d'augmentation est incontestablement liée à
celle de pluralité.
- 192 —
Une autre forme de pluriel est r, mais elle est
d'un usage restreint et d'ailleurs relativement mo-
derne, puisqu'elle s'applique uniquement aux noms
féminins et masculins. La distinction des genres était
inconnue aux Dravidiens primitifs et, quand elle s'y
est introduite sous l'influence de laryanisme, elle ne
s'est appliquée qu'aux noms d'hommes, de femmes et
d'êtres anthropomorphes ; les noms d'enfants restent
neutres et s'appliquent même parfois aux petits des
animaux et aux jeunes arbres ; en télinga, les noms de
femmes sont même neutres au singulier ; en tamoul,
la terminaison neutre am peut être remplacée par la
terminaison masculine an : on peut dire indifférem-
ment nilani ou bien nilan « sol ». Les noms masculins,
féminins ou neutres, même ceux d'emprunt, ont une
forme primitive sans acception de genre : araçan
« roi » a été formé de araçu, idogam « monde » de
ulagu, magan « fils » et magal « fille » de maga « en-
fant». Ce sont donc là des formes récentes et sans
intérêt pour nous aujourd'hui, quelle que soit leur ori-
gine.
Mais il est une autre forme qui doit retenir toute
notre attention, c'est un pluriel en -m, qui apparaît
comme la plus ancienne manifestation de l'idée plu-
rielle. Les pronoms de première et de seconde per-
sonne, ainsi que le pronom réfléchi, sont terminés au
singulier par n et au pluriel par m .• cf. tam. nân,
yân - nàm, yâm ; mal. nan - nâm, can. an - âm ; tél.
nênu - nêmu ; tulu yânu - nànu, yenkulu ; kuçlagu
nânu - enga, nanga ; gondi nannâ - nammâ ; oraon
ou kurukh en-âni, nâm; kuî ou khand ânu- âmu,
— 193 — '
ciju; malto ên-êm, nâm ; kôta âne- âme, nàme ; et
toda an - âin, ôm, êm, pour la première personne.
Pour la seconde, on aurait : tam. nî-nlr, ningal ;
mal. nî - ninnal ; can. nî - nîm ; tel. idva - mbm ;
tulu L-îra nikula ; kuçlagu nînu - iiinga ; gondi
immâ - iinmât ; kurukh nin - nim ; kui îna - ira ;
malto nîn - nîm ; kota nî-nîme, nive ; et toda nî -
nîma. Il faut y joindre le réfléchi « soi » : tam. tân -
tâm ; mal. tân - tâm ; can. tân - tâin ; tel. tânu - tâm;
tulu tânu - tankulu; kuçlagu tanu - tanga; kuî tânu -
târu, etc.
Je rappelle à ce propos que la première personne
se rapporte au démonstratif éloigné a, vague, indé-
fini, imprécis, ne tombant pas sous l'observation di-
recte, et que la seconde personne dérive du démons-
tratif prochain i qu'on voit, qu'on touche, qu'on a
sous la main.
Dans la conjugaison antique, il y avait des pluriels
en -m; si nous en jugeons par les formes archaïques
que l'on rencontre dans les textes les plus anciens, le
singulier était u et le pluriel um. Je citerai, par
exemple, le tamoul urekkô a dis-je? » ou « dit-on? »,
çéygôyàn « ferai-je? », çéygum «nous ferons», çey-
gum « nous ferons », çeydum ou même çeigudum « nous
avons fait ». L'impératif pluriel ancien, devenu le sin-
gulier honorifique ou respectueux, est m ou plutôt
um : kodum «donnez», çeyyum «faites»; on en a
formé un pluriel pléonastique par l'addition de gai :
çeyyurngal, kodungal. On trouve des exemples de
formations semblables dans les troisièmes personnes
neutres des futurs aoristiques actuels ; çlles sont coni-
13
— 194 —
posées du radical et de la terminaison um tant au
singulier qu'au pluriel et elles servent également de
participes. Or, nous rencontrons dans les vieux poètes
des pluriels en ungal : idungal « (ces choses) donne-
ront ». Ces pluriels doubles sont d'usage courant dans
les pronoms : lorsqu'on tamoul nâm, mi\ tâm sont
devenus des respectueux, on en a dérivé nângal, nîn-
gal, tângal ; il faut remarquer qu'à la seconde per-
sonne le m reparaît sous la forme du n guttural.
Nangal a pris le sens particulier de « nous autres »
exclusif et nàm a gardé la signification plurielle. Dans
la conjugaison, les terminaisons du respectueux sont
ôm pour la première personne, ir pour la seconde, âr
pour la troisième masculine ou féminine, et celles du
pluriel ôm, îrgâl, ârgal. Mais dans la prononciation
populaire, au moins sur la côte orientale, on dit pour
la seconde et troisième personnes honorifiques et plu-
rielles, îngô, tngo, ângô, ângo ; ces formes rappellent
la terminaison régulière du pluriel des substantifs en
kudagu, en gondi et en kui : -ng, -nga, ngà, abré-
gées sans doute de -ngal. Ici se pose la question : le
n devant gai est-il organique? est-il une mutation
dur.^ est-il un adoucissement euphonique introduit
après la chute du r f Je suis pour ma part de la pre-
mière opinion, quoique la tendance générale du dra-
vidien soit d'intercaler une nasale euphonique entre
une explosive douce et une voyelle précédente.
Le tamoul et le malayâla ont un suffixe pluriel spé-
cialement appliqué aux noms de personnes : mâr ;
tambi « frère cadet » et purusan « mari » font au plu-
riel tambimâr^ purusamar. Caldwell assimile ce mâr
— 195 —
a,u suffixe verbal de la troisième personne plurielle
mai-, manùr, qui peut être pris substantivement et à
la clérivative var qui forme des collectifs numéraux
[nàloar « quatre personnes ») et il y voit le démons-
tratif avar « ceux-là». Ne serait-il pas plus rationnel
de le considérer comme un pluriel double formé de m
ou um et de arf Tambfmâr serait une réduction de
tambiyumâr. Cequi confirmerait cette hypothèse, c'est
la i.0TmQpurusanmâr ;\es grammaires indigènes disent
que la terminaison um du futur peut perdre son u
après / ou n : ennum « qui dit » et çellum « qui va »
peuvent s'abréger en enm, çenm.
Caldwell ramène les pluriels en -m au conjonctif
um «et» (tamoul et malayâla ; canara am^ um, u;
télinga u, nu) ; il faut remarquer que cette particule
est aussi la terminaison du futur neutre indépendant
de toute idée de temps, de genre et de nombre ; d'autre
part um., analogue au sanskrit ca et au latin que s'ajoute
régulièrement à tous les mots de la phrase ; quand le
latin dit pater Jiliusque, le tamoul traduit tagappa-
nun maganum. D'autre part, um joue dans la propo-
sition le rôle de déterminant et de collectif absolu ;
on dira par exemple nânum «moi-même, moi aussi»,
nâm iruvarum « nous deux (et non d'autres) », im-
mûn'd'um engal mâdu a ces deux (animaux) sont nos
bœufs » ; sans um, cela voudrait dire qu'il y a d'autres
bœufs présents tandis que «m indique qu'il y en a
deux seulement.
N'oublions pas les pluriels en àm du toda et rap-
prochons-en e//«m '(tout, tous». Peut-on à ce pro-
pos examiner les rares mots tamoul en âm. : kadâm
— 196 —
« sueur erotique de l'éléphant » (cf. kadâm « front, rut,
cruche ») ; kujôm « foule » ; kalâm a colère, éclat » ;
karâm ou karâ a crocodile » ; tulâm ou tuiâ « bas-
cule » ; marâra ou marâ, nom donné à diverses es-
sences d'arbres (cf. maram «arbre, bois»), etc.? Ce
sont sans doute là des pluriels collectifs comme ellâm
contracté probablement de ellâ - (v) - um. Ella est
peut-être pour ellillâ ou ellallâ « ce qui n'a pas de
limite » ; le sens propre de el parait être « horizon,
ligne terminale », car il a pris les significations de
«jour, nuit, journée, signe, mépris».
On peut voir que la plupart des mots que je viens
de citer ont deux formes. Tune probablement singu-
lière en â ou an, la seconde sans doute plurielle en
âm. À varie d'ailleurs en avu qui est peut-être le pro-
totype de am : cf. çuravu et çarâ « requin », ntlavu
et ni là « lune » ; on a même muga (avec a bref) et
magavu «enfant». Quant à la contraction de ellàvum
en ellâm, elle est normale : les participes futurs en
âvum se réduisent d'ordinaire en âm : ulâvum « qui
se promène » devient ulâm et même on a âm pour
âgum «qui devient».
Les langues dravidiennes ont été arrêtées dans leur
développement formel et sont entrées dans la vie his-
torique au commencement de la période d'agglutina-
tion : c'est pourquoi beaucoup de suffixes de relations
sont encore très nettement distincts. Le verbe n'avait
développé que deux formes temporelles, un passé dé-
fini et un présent aoris tique, caractérisés par l'addi-
tion au radical d'une explosive, gutturale pour l'aoriste
et dentale pour le passé, forte à la voix transitive et
— 197 -
faible à la voix intransitive. On y ajoutait um ou m
pour distinguer de l'individualité la collectivité inclu-
sive. Plus tard, on suffixa les pronoms eux-mêmes,
lorsqu'il s'agissait des deux premières personnes ; des
exemples se rencontrent encore dans les poèmes mo-
dernes : madittunâm « nous avons terminé», vâjga-
nam a nous vivrons heureux », pour mudittôm, vàj-
vôm.
Il résulte de tous ces faits que le pluriel primitif
dravidien avait pour suffixe m pour um, particule
collective. Mais ce n'était pas un signe de pluralité,
comme ceux qui sont employés dans les langues mo-
dernes. Le dravidien primitif ne connaissait ni genre,
ni nombre ; comme chez tous les peuples, l'idée de
nombre s'est formée par la constatation de l'indivi-
dualité et sa distinction de la collectivité ; les Dravi-
diens, par exemple, ont dit â ou an « moi », î ou m
« toi », puis ils ont dit â-um abrégé en âm « nous »
et î-um abrégé en îm « vous », avec le sens de « le
reste et moi, le reste et toi » ; de là aussi, surtout à la
seconde personne, s'est produite l'exclusion et en même
temps le duel. Caldwell pense que le duel a précédé
le pluriel ; ce n'est pas tout à fait exact, et il me semble
que le duel n'a pu se développer que lorsqu'on a com-
mencé à distinguer et à déterminer les nombres : la
numération primitive ne comprenait partout que un,
deux, quelquefois trois et plus rarement quatre ; au-
delà c'était l'infini ou l'indéfini, à peu près comme
lorsque nous disons cent ou nulle pour indiquer un
grand nombre, une quantité considérable et indéter-
minée. Ainsi à l'origine du langage, il n'y avait pas et
— 198 —
ne pouvait pas y avoir de pluriel véritable, le nombre
grammatical était une différence plutôt qu'une somme,
en ce sens que la préoccupation principale de celui
qui parlait était de manifester sa personnalité indé-
pendante ; c'est ce qui explique notamment des forma-
tions comme celles de l'arabe où les pluriels normaux,
dits pluriels brisés, sont en réalité des collectifs indé-
finis qui, grammaticalement, se confondent avec des
singuliers et ont été traités comme tels dans les langues
qui les ont empruntés, en hindoustani par exemple où
a^iwâl, atràf, nawâb, jawcthir, etc., sont des singu-
liers qui prennent les terminaisons ordinaires du plu-
riel.
Caldv^ell suppose que, um signifiant « et », nâm et
nîm pouvaient avoir primitivement le sens de « moi
et (autre chose), toi et (autre chose) » ; mais um n'est
pas réellement «et», c'est le signe de la réunion, de
l'ensemble, de la compréhension totale, et alors nâm
et nîm, sont plutôt « moi compris, toi compris ». Ainsi
la conception de l'homme primitif est d'abord celle
de sa personnalité, puis de sa participation à la vie
générale et c'est alors le collectif, le pluriel inclusif ;
ensuite, il sépare l'individu, le subjectif, de la masse
objective, et le duel prend naissance ; plus tard, il dis-
tingue des junités dans cette masse objective, ce qui
est l'origine du pluriel véritable.
Beaucoup de langues ont des formes analogues. En
basque, par exemple, le suffixe du pluriel est k, mais
j'ai trouvé au moins un exemple de son remplacement
par un collectif eta, employé d'ailleurs aujourd'hui
seulement pour « et » ; à Saint-Pée-sur-Nivelle, j'ai
— 199 —
entendu appeler bisustiak un lieu-dit que le cadastre
avait inscrit bisustieta. Eta au surplus n'est pas le
seul collectif en usage ; il y a aussi aga et egi, qui in-
diquent le premier l'abondance et le second l'excès. Je
traduirai donc E^peleta (des buis», Harrieta «les
pierres», Lizarraga « la fresnaie », Zumarraga « le
bois d'ormes », et Zumalrxcavreyi « l'endroit où il y a
trop de bourdaine ».
■ VI. Le datif éthique.
De toutes les langues dravidiennes non littéraires,
la plus intéressante peut-être, quoique numérique-
ment la moins importante, est celle des Todas qui
habitent les hauts plateaux des Nilagiris. Ils offrent
deux particularités remarquables, le culte du lait et la
polyandrie. La conservation et la préparation du lait
provenant des troupeaux communs sont confiées à des
sortes de prêtres, élus pour trois ans, vivant isolés et
astreints à une chasteté absolue. La polyandrie s'ex-
pliquerait par le meurtre de la plupart des petites
filles, mais aujourd'hui ce meurtre n'est plus possible
et la polyandrie est devenue collective, c'est-à-dire
que, dans chaque habitation, toutes les femmes sont
communes à tous les hommes. Cette population, fort
belle, est en voie de disparition : la civilisation lui a
apporté l'alcoolisme et la syphilis.
Au point de vue linguistique, le toda présente des
formations spéciales. Je ne veux signaler aujourd'hui
que la double première personne singulière en en et
ént; en long est la forme dravidienne générale, mais
— 200 —
dans ént, où l'abréviation de \'ê s'explique, d'où vient
t long ?
Je ne crois pas me tromper en supposant que c'est
le pronom de seconde personne «toi», et que nous
avons là un exemple de datif éthique comme il s'en
rencontre dans plusieurs idiomes agglutinants. Le
basque entre autres a ce que ses grammairiens appellent
des « traitements » (le prince L. L. Bonaparte les
nomme « formes allocutives ») ; « je ne le sais pas »
se dit ordinairement e^takit, mais on peut dire e^ta-
Jdyat en parlant à un homme, e^takinat en parlant à
une femme, et eMaki::ut en s'adressant à un person-
nage respectable ; le diminutif du dernier, e^takichut,
qui était primitivement une forme enfantine, a pris la
place de la forme ordinaire dans les dialectes de la
Basse-Navarre occidentale. Il me semble que la même
confusion s'est établie en toda.
Ce sont là, au point de vue morphologique, des
formes inclusives, par lesquelles on intéresse dans une
action des personnes qui n'en sont ni le sujet, ni l'ob-
jet. De pareilles expressions ne nous sont pas incon-
nues, témoin l'entrée de Maître Jacques, dans L'Avare,
au milieu de la scène de la cassette : « qu'on me
l'écorche tout à l'heure », etc. J'ai dit plus hauf qu'à
mon avis le nombre grammatical a son origine dans
l'opposition de celui qui parle à la masse objective,
puis à des distinctions dans cette objectivité, d'où ces
nuances : moi, moi et toi, moi et lui, moi et toi et
lui, etc.
— 201 —
VII. Les noms de nombre.
Dans sa Grammaire comparée, Caldwell a naturelle-
ment traité la question, mais outre qu'il n'avait pas
sous les yeux tous les éléments de comparaison quô
nous possédons actuellement, il a eu le tort, à mon
avis du moins, de s'occuper séparément de chacun
des nombres et de ne pas les étudier tous à la fois dans
une vue d'ensemble qui pouvait faciliter la solution
du problème. D'autre part, son livre est gâté partout
par la préoccupation des ressemblances, des affinités,
des parentés, résultant de l'arrière-pensée religieuse
de l'origine commune, de l'unité primitive des races
humaines, postulatum antiscientifique, inutile et tout
à fait inadmissible.
Voici le tableau des noms de nombre dravidiens :
«Un» : tamoul on! du, onnu, oru, or; dialectes
tamouls ond, vandâ ; malayâla onnu, oru; télinga
okati, oka ; canara ondu, kuçlagu ondu ; tulu on/'i, or ;
gondî undi; kurukh ort, ond, ondâ; kui roiidi, ro ;
malto ont, ond, or ; toda odd, on.
« Deux » : tam. irandu, iru, ir ; dial. t. rarid, randa;
mal. irandu, rendu; tél. rendu; can, eradu ; \\xîi.
dandu ; tulu raddu ; gondî rand, rend, rann ; ku-
ruk end, irb; kuî rindî, rî; malto inr. endis ; toda edd.
«Trois» : tam. mûn'd'u, niûiiu, mî^ ; dial. t. mûd,
mûnda ; ïn-àX. mûnnu ; tél. mûdu; can. mûru ; kud.
mûndu ; tulu mûji ; gond! mûnd ; kur. nub, mûnd ;
kuî munji, mu; toda mûd.
«Quatre» : tam. nâlj nâlu, nân'gu; mal. nâl, nâl,
— 202 —
nâlu, nângu ; tél. nâlugu; can. nâlku ; kud. nâlu,
tulu nâlu ; gondî nàlûng ; kur. nâkh, naib ; kuî nâlgi ;
toda nânk.
((Cinq» : tam. aindu, anju, anj'i, ai; dial. ânj ;
mal. anju; tél. aidu ; can. aidw^ aydu, e/2;kud. a/i/ï,
tulu am^; gondî saiyûng ; kuî sm^, singi ; todà4/, (^c
((Six» : tam. dr'w, ar'a; dial. âra; mal. dr'w; tél.
âr'M/can. drw; kud. ârw; tulu âji; gondi sârûng ;
kuî sq/", so/'^ï ; toda dr.
« Sept» : tam. êru, eru; dial. âga; mal. ^r?^/ tél.
êdu; can. e/w; kud. e/a; tulu élu; gondi e/w, é/'w,
ênu; kuî oc//, odgi ; toda, e/r-
((Huit» : tam. e?i, ettu ; dial. a?î.^a; mal. a^/a; tél.
enimidi, enmidi ; can. enta; kud. ettu; tulu enma; ;
gondî annmÛ7\ armur ; toda e/î^.
(( Neuf »: tam. o/2'6<2c/w, on'batta, on'bân , tondu;
dial. onibidi, vamdi ; mal. ombadu; tél. tommidi;
Cân.ombhuttu, oyimhidd; kud. oyimbidi; tulu ormba;
gondî unmâk ; koidi or mpata ; toda onpott.
(( Dix» : tam. pattu, padu, padia, pàn' ; dial. pa^,
pata; m'ai, pattu; tél. padi; can. pattu, hattu; ku(l.
pattu; iwXu pattu ; gondî />ad; todajoa^^.
((Cent» ; tam. nûr'u; dial. ^2wr; mal. nûr'u; tél.
nûr'u, nûru; toda anc. nûr'u; ku(i. nûru; tulu nûdu ;
toda /2wr, nït/\
« Mille » n'a de nom original qu'en télinga, c»e7M.
Dans les autres idiomes congénères on se sert du sans-
krit sahasra plus ou moins altéré ; en tamoul, par
exemple, on dit âyiram {*sagasiram, *sâsirarn, *sâiji-
ram).
Le malto, qui a emprunté à l'aryen les nombres su-
— 203 —
périeurs, à la numération vigésimale ; pour «vingt»
il dit kori et pour « cent» kori pach « cinq vingt ». Le
kui, dont la numération est aussi incomplète, paraît
avoir compté par «douze », bârâ (hindi), du moins il
a, pour 144, barôbârâ « douze douze », mais il dit
^,\i^Bi pattôka et ro pattu ((unpattu », ri pattu, « deux
patiu », mu pattu « trois pattu » pour 144, 288 et 432 :
pattu qui est « dix » en dravidien général, est donc,
en kuî, 144.
Je ne donne ni les composés ni les dérivés, le ta-
bleau précédent suffit. Si l'on y jette les yeux, on
observera que tous ces numéraux, excepté « neuf » et
« deux », se ramènent à des radicaux monosyllabiques.
Nous reparlerons de « neuf » tout à l'heure ; quant à
« deux », il paraît s'être préfixé un r adventice qui
s'est lui-même appuyé d'un i prosthétique, car le dra-
vidien moyen n'aime pas le r initial ; ce r joue le même
rôle que le s adventice initial du gondi et du kuî. On
remarquera en outre que la plupart de ces radicaux se
sont suffixes la dentale /, d, qui est un indice d'état,
d'affirmation, de précision; quelques-uns ont pourtant
suffixe k, g, signe de mouvement.
Les radicaux primitifs paraissent être : 1, or ou
plutôt on; 2, ir ou plutôt en; 3, mu; 4, nal ; 5, ai ;
6, ar' ; 7, êr ; 10, pat; 100, nûr'. Je réserve «neuf»
et « huit » .
Quelle peut être la signification fondamentale de ces
radicaux? Je rattacherais volontiers on et en au dé-
monstratif éloigné, subjectif, a, et au démonstratif
prochain, objectif, i : la distinction entre «un» et
«deux» est surtout celle entre celui qui parle et ce
— 204 -
qui n'est pas lui, d'où l'idée de l'unité, de l'indivi-
dualité, et celles de la collectivité exclusive puis du
duel. Mu est la racine mun « en avant, en plus, au
delà». Nal se rapporte à des racines qui ont la signi-
fication de ft faiblesse, dépérissement, glissement » et
sans doute « diminution, destruction ». Dans ai, je
verrais volontiers une altération de kai a main», car
la main est caractérisée par les cinq doigts ; la chute
du k initial s'observe aussi dans le suffixe âl a par »
pour kâl «canal, pied, voie, moyen». Ar'u. est cer-
tainement « se briser, se détruire, se diviser » et eru
«s'élever, monter, s'accroître ». Pattu semble à cer-
tains avoir le sens de « partager » ; nûr'u, comme
nîr'u, est «cendre, poussière», c'est-à-dire «nombre
indéfini ». Vêla a pour racine vé « ardeur, accroisse-
ment ».
Pour « neuf » , Caldwell a trouvé une explication très
ingénieuse; il a remarqué que les deux formes ta-
moules on'badu et tondu se ramènent à un primitif
ionbadu fort analogue au télinga tonimidi, et comme
90 se dit tonnûr'u {ïq\. tombhaiet tonibadi, can. tom-
bhattu, kuçl. ttonûra, tulu koiipa, toda ênpath), et 900
toUâyiram (tél. tomniannûr'u, can. ombhaiyinûr'u,
tulu ormbanûdu, kudagu ambainûru), et qu'il existe
une racine toi, variable en ton, qui a le sens de «se
percer, se détruire, se diminuer », il en a conclu qu'en
dravidien général 9, 90 et 900 sont « dix incomplet,
cent incomplet, mille incomplet». Quoique cette expli-
cation soit très plausible, je crois qu'on peut en pro-
poser une autre, meilleure. Je remarque d'abord que
les formes téliuga^ canara, tulu et toda pour 90 se
— 205 —
rapportent à dix et non cent; que le tulu «neuf» est
ormha et le kota ormpatu avec un r ; que, pour le
même a neuf » le tamoul ancien et le télinga ont seuls
le t initial ; que le toda est en en et non en on ; que
pour « huit » le tuju a enma, le gondî anmûr et ar-
mûr, et le télinga enmidi ; et je me demande si « huit »
et « neuf » ne seraient pas formés de la même façon :
«deux-dix, un-dix»; puisque «onze» et «douze»
sont «dix-un, dix-deux», le nombre précédent dix
doit être soustrait et celui qui le suit doit être ajouté.
Ton serait composé de '-;? « un » et de t, signe d'affir-
mation ou de détermination.
Ainsi, les Dravidiens auraient compté d'abord « un »
et « deux » par opposition de la personne qui parle à
tout ce qui n'est pas elle ; puis ils ont dit « trois » et
« quatre » en faisant la distinction dans cette collecti-
vité objective; « cinq » a été conçu ensuite et exprimé
naturellement par les cinq doigts de la main. « Six »
et « sept » ont été formés comme « trois » et « quatre »,
et, comptant avec les doigts, on a passé tout de suite à
« dix », c'est-à-dire à la seconde main complète, d'où
on est revenu en arrière pour exprimer par élimina-
tion successive « neuf » et « huit ». Chacun des nombres
successivement développés a eu tout d'abord le sens
de « grand nombre, nombre indéfini » ; nâl « quatre »
est encore pris en tamoul dans cette acception.
Ce ne sont là que des hypothèses très discutables,
et je ne les présente pour ainsi dire que sous bénéfice
d'inventaire.
Il est intéressant de rappeler qu'en basque « neuf »
SQ àii bederatzi qm s'explique « un retranché»; «huit»
— 206 —
est ^ort^i que je crois être pour zoreratzi, ce qui don-
nerait pour deux la forme inusitée zor, qu'on a rap-
proché de mots impliquant une idée de division, p.
ex. so7^ « naître » : cf. eî^di «moitié» et «accoucher».
VIII. Les formes pronominales.
Les langues dravidiennes ne sont ni polysynthé-
tiques ni incorporantes ; elles n'ont pas les suffixes
pronominaux et n'expriment dans le verbe que le pro-
nom sujet. Les formes qui s'offrent à l'étude sont donc
relativement peu nombreuses.
Nous n'avons d'ailleurs à nous occuper ici que des
véritables pronoms, ceux de première et de seconde
personne, au singulier et au pluriel. Nous laisserons
de côté certaines formes développées évidemment à
une époque postérieure et relativement récente, comme
les pluriels pléonastiques qui ont remplacé les anciens
pluriels devenus des singuliers honorifiques ou respec-
tueux, la distinction inclusive et exclusive masculine
et féminine que l'on trouve dans quelques idiomes,
les moins importants du reste.
Pour établir la forme primitive générale des pro-
noms, il suffit de dresser le tableau général des formes
actuelles.
Les formes isolées des pronoms sont les suivantes
(je sépare par un tiret les formes adjectives) :
Première personne du singulier : tamoul yân,
nân - en ; malayâla nân - en ; télinga nênn - nâ, nan;
canara an, nân -en, nan; kuçlagu yan-en; tulu
nan - yen, yanâ ; toda an - en ; ko ta ânu - en ; gondi
— 20? —
annâ - nâ ; kuî âne - nâ ; kurukh en - en ; malto en,
nân - en.
Première personne du pluriel : tamoul yâni,
nâm - em, nam ; malayâla nâm, nom - em, nam, nom,
nom, nô ; télinga êmu, mêmu - ma, mam mana; ca-
nara âm, âva, nâvu - em, nam ;kuçlagu nanga, anga -
enga; tulu nama, yenkulu-nam, nama, yenkulu;
toda âm, ôm, êm-am; kota âme, nôme, ême - em,
nam; gondî ammât - ma ; kuî âmu, âju - ma, ammâ;
kurukh âm, nâm, - em, nam ; malto nâm - em.
Seconde personne du singulier : tamoul ni - nin,
nun, un; malayâla m -nm; télinga ni, nîvu, ivu -
ni, canara ni, nin, nînu-nin; kudagu nin - nin ;
tulu i - ni, nina ; toda ni - nin ; kôta ni - nin ; gondî
immâ-nî; kuî inu - ni ; kurukh nin -nin; malto
nin-nin.
Seconde personne du pluriel : tamoul nîr, nîyir,
nivir, nîngal-num, um; malayâla ninnal - ninnal,
nim ; télinga mîru, (ru - mim, mî ; canara nîm,, nîvu -
nim ; kudagu ninga-ninga; tulu ir, nikulu-îrê,
nikuïu ; toda nîma, nim; kota nima, ntva-nim;
gondî îmmât - mî ; kuî îru - nim ; kuruKh mm - nim;
malto tiîm, -nim.
Dans quelques-unes de ces formes on retrouve les
dérivés pléonastiques, enga par exemple (angal) ; le
tamoul nîngal, pluriel de nîi^, offre cet intérêt qu'il a
gardé le m primitif.
Les suffixes pronominaux sujets sont, dans la con-
jugaison :
Première personne du singulier : tam. en, en,
— 208 —
an, al; malayâla ên;'ié\. nu, ni, vu,vi;can. en, an,
ênu, êne, e; kud. i, e, n; tulu e; toda en, eni, ini ;
kota e; gondî en, na ; kuî m, in, e; kurukh an;
malto en, in.
Première personne du pluriel: tâm. âw, 6m, êm,
am, em ; mal. ôm; tél. mu, mi ; can. ém, nam, âvu,
îvu, evu ; kud. a, i, u; tulu a; toda emi, imi ; kota
ênie, eme ; gondî am, àm, ôm; kuî âmu; kurukh, am ;
malto em.
Seconde personne du singulier: tam. ây, ei, i;
mal. ây ; tél. vu, ci; can. ây , i, i. iye, e; kud. iya;
tulu a; toda ?', e; kota i; gondî /i«, i; gondî rit, ï;
kuî î; kurukh ai ; malto e, i.
Seconde personne du pluriel : tam. im, îr, ir, min ;
mal. fr; tél. /'«, ri ; can. ir, iri, iri, air; kud, ira;
tulu aru; toda ?, e; kota îri, ire; gondî ï7; kuî, eru,
âru; kurukh ar ; malto er.
Il me paraît résulter de ces tableaux que les formes
générales étaient nân, nâni - nîn, nîm, mais le n ini-
tial est certainement euphonique et on a, comme pri-
mitifs, 071, âm, in, im. '
Quelle est l'origine de ces pronoms? Il faut certaine-
ment la chercher dans les démonstratifs a éloigné et
i prochain. Ce dernier s'applique naturellement à la
seconde personne qui est d'observation directe, qu'on
voit, qu'on touche, qu'on entend, qui est l'objet d'un
efï'ort ou d'une attention. La première personne au
contraire est un postulatum, un fait, un état, plus ou
moins vaguement conçu et plutôt représenté par le
démonstratif éloigné.
— 209 —
Ainsi Irouvons-nous encore là les deux idées fonda-
mentales entre lesquelles se partagent les racdnes pri-
mitives : état, repos, inertie- action, mouvement,
travail.
Si nous comparons, ce pronom à ceux des autres fa-
milles linguistiques, nous remarquerons qu'ils sont
uniquement vocaliques, tandis que par exemple en
indo-européen ils sont consonantiques et qu'en sémi-
tique la première personne est vocalique et la seconde
consonantique. Ce sont là des faits caractéristiques et
qui excluent nettement toute possibilité de parenté. Il
en serait de même de certains phénomènes phoné-
tiques, comme par exemple de l'aversion du basque
pour les explosives initiales dures seules admises au
contraire par les langues dravidiennes : tandis que
cellam, turpein et pacem deviennent en basque gela,
dorpe et bake, le sanscrit Ganêça et dantam sont en
tamoul kanêcan et tandam.
IX. Verbe : la voix, le mode, le temps.
Le verbe dravidien est généralement pauvre en
formes dérivées, et tout y montre la simplicité de la
morphologie, c'est-à-dire l'antiquité du langage qui en
est encore au commencement de la période agglutina-
tive.
En dehors du pronom, sujet ou régime, les éléments
de la dérivation verbale, dans toutes les langues, sont
les signes des voix, des modes et des temps. Les modes
n'existent pas en dravidien et nous ne devrons étudier
ici que la voix et le temps.
14
— 210 —
A. La voix. — Il n'y a proprement que deux voix,
la transitive et Y intransitive , âtmanêpadam et paras-
mâipadam, en tamoul tan'vin'ei « action à soi » et
pir'avin'ei « action à autre », c'est-à-dire intérieure ou
extérieure. En tamoul, les transitifs sont indiqués par
une forme forte, l'intransitif par une faible, et on peut
distinguer trois cas : 1^^ cas, renforcement du radical :
mâr'u «changer)) (intr.) et mâttii «changer» (tr.),
çujalu «tourner» (intr.) et çujuttu «tourner» (tr.) ;
renforcement du radical secondaire dérivé : tûngu
« dormir, s'être suspendu », et tûkku « porter, enle-
ver », vanangu «vénérer, s'incliner» et vanakku «in-
cliner, courber» (or, gu, qui est d'ailleurs le suffixe
du datif et que nous retrouverons parmi les signes
temporels, est un signe d'action, un élément inchoatif) ;
2® cas, renforcement du signe temporel : varundên
« j'ai soufïert » et varuttên « j'ai affligé, j'ai fait de la
peine » ; 3® cas, addition du sufiBxe ttu : padu « souf-
frir», paduttu «tourmenter». Ici, il peut y avoir, en
apparence au moins, confusion avec le causatif , mais
les Indiens font cette distinction que le causatif est
d'ordre moins personnel et plus général, cf. l'hindous-
tani pî «boire» (intr.), pilci «abreuver, donner à
boire » et pilwâ « faire que quelqu'un boive »> (causa-
tif. Le tamoul (tr.) a d'ailleurs un causatif qu'il dérive
du futur : çeyvên « je ferai » donne le radical secon-
daire çeyvi « faire faire » ; les grammairiens tamouls
disent qu'un second causatif peut être formé du futur
du premier : ceyvippi «être cause qu'on fait faire».
Dans les autres idiomes de la famille, le causatif est
indiqué par les suffixes i, inçu, içu, qui servent à for-
— 211 —
mer des radicaux secondaires. Le tulu et le gondi ont
de nombreuses voix dérivées : causative, intensive,
inchoative, etc., qui paraissent résulter de la combi-
naison d'éléments déterminatifs et temporels.
L'étude détaillée des autres langues congénères
confirmerait cette observation que le transitif est in-
diqué par la voie forte et l'intransitif par la faible.
Faut-il admettre la voix négative proposée par la
plupart des grammairiens? Je ne crois pas, car ce n'est
pas là une voix proprement dite. Le négatif est formé
d'ailleurs, soit par l'intercalation d'une particule néga-
tive al ou il , soit par l'absence complète de tout signe
temporel. Le temps négatif, du reste, a toujours un
sens incertain, aoristique, çet/yênue veut pas tant dire
« je ne fais pas » que « je ne peux pas faire, je ne ferais
pas, je ne ferai pas ».
B. Le temps. — Les langues dravidiennes n'en ont
généralement que trois : passé, présent et futur, mais
les deux derniers sont toujours indéterminés, vagues,
imprécis ; le passé seul marque une époque nettement
définie. Ces temps sont marqués par l'intercalation,
entre le radical et la terminaison personnelle, de suf-
fixes consonnantiques différents.
En tamoul, le présent est marqué par gir'u, gin'd'u,
git't'u (pas de transitifs, les suffixes ont les formes
dures kkir'u, etc.) ; en malayâla, on a innu, unnu,
kunnu ; en canara, dap et ut ; en télinga, tu et tchu ;
en kudagu, comme en tulu, on a v, signe ordinaire du
futur ; en toda, k et c ; en kota, p et k; en gondi, ton ;
en kurukh, k, etc.
Le passé se forme en tamoul, en malayâla et en
— 212 —
canara, par d (t) ou i ; en télinga, par i ; en tulu, par
i, s ; en gondi, par si, ji, t ; en kota. par si ; en toda,
par t, c ; en kurukh, par d. etc.
Le signe du futur est en tamouljo, 6, v ; en canara,
v; en télinga, du; en toda, où il se confond avec le
présent, k et p; en gondi, A; en kurukh, on trouve
un o qui vient évidemment de v. Mais, en tamoul, si
nous étudions les vieux classiques, nous trouvons des
formes aoristiques très variées, ex : g (k), t (d). git'p,
guv, etc.
L'observation de ces formes conduit à remarquer
que, dans le verbe dravidien, le passé est très nette-
ment distingué du présent et du futur, que ceux-ci
sont SQUvent confondus dans le sens et dans la forme,
qu'ils ont toujours une signification plus ou moins
incertaine et contingente, tandis que le prétérit a une
signification nette et précise. Kn rapprochant les formes
futures du présent, on voit que les unes et les autres
dérivent d'une forme unique en k ou g, à laquelle on
a ajouté in'd'u pour le présent et l'explosive labiale
pour le futur. Je ne puis expliquer ce rôle des labiales,
mais in'd'u veut dire « aujourd'hui, journée, à pré-
sent ».
Il résulte de ces faits que le verbe dravidien primi-
tif n'avait que deux formes temporelles : un passé en
t (d) ou ï, un présent aoristique en k, g.
Quelle est l'origine, quelle est la fonction de ces dé-
rivatives ? La réponse me paraît facile.
Ui du passé est évidemment 1'?' démonstratif pro-
chain qui a formé aussi le pronom de la seconde per-
sonne, et qui indique un objet, un acte sensible, connu,
— 213 —
déterminé, défini, tombant sous les sens. Or, le passé
marque une action ou un état connu, accompli, cer-
tain.
L'explosive dentale me paraît être aussi un élément
déterminât! f d'état; il forme des radicaux transitifs,
cf. nada « marcher >) et nadattu « conduire, faire mar-
cher )) ; il dérive des mots de qualité : cf. kadal « mer »
et kadatta « ce qui est dans la mer » ou « il est dans
la mer » .
Quant à la gutturale, elle forme des radicaux impli-
quant une idée de force, d'activité spéciale, de mouve-
ment : cf. tûîïgu « être suspendu, dormir», vanangu
((vénérer, s'incliner», todangu ((commencer, entre-
prendre » ; c'est le suffixe du datif ; il indiquerait donc
un état transitoire, une action en train de se faire.
Ainsi, nous retrouvons dans le verbe dravidien cette
dualité qu'on peut constater à la période primitive du
langage, alors que la parole encore incertaine se pré-
cisait par ]e geste. Les racines qui exprimaient les
sensations, les intuitions, les besoins, se groupaient,
en dehors des onomatopées, en deux grandes séries
dont la première exprimait l'action, l'activité, l'éner-
gie, le mouvement, et la seconde l'état, le fait acquis,
le repos, l'inertie. J'ai eu déjà l'honneur de soumettre
cette observation à la Société qui a paru l'accueillir
avec intérêt et bienveillance.
Ces détails sont bien spéciaux et d'un intérêt bien
particulier, aussi dois-je m'excuser d'avoir retenu trop
longtemps peut-être l'attention de la Société. Mais
j'ai rapporté de l'Inde la terreur du travail solitaire ;
les Indiens ne considèrent un ouvrage comme défini-
— 214 —
tif que lorsqu'ils ont pu le communiquer à une réu-
nion de savants. Et où trouverait-on en France une
assemblée plus compétente que la fSociété Asiatique
où sont réunies toutes les illustrations de l'Orienta-
lisme ? Aussi peut-on à bon droit lui appliquer le
çlôka célèbre où l'assemblée est comparée aux arbres
sacrés du Paradis, dont les Védas sont les rameaux,
dont les Castras sont les fleurs, et où se pressent les
savants comme autant d'abeilles bourdonnantes :
Sabhâ kallpatarum vandê
vêda çâkhopajivitam
Çâstra pûspasamâyuktam
vidvân bhramarasôbhitah
Julien ViNSON.
(Extrait du Journal Asiatique : n"' de mai-juin 1910, janvier-
février 1911, novembre-décembre 1911, janvier-février 1912,
mars-avril 1912, janvier-février 1913 et mars-avril 1913).
BIBLIOGRAPHIE
Hain-Teny merinas, par Jean Paulhan. Paris, P.
Geuthner, 1914, pet. iii-8° (iv)-460 p.
Ce mot étrange, dont la prononciation est assez
douce (en français : aine tégne), se présente comme
un nom de femme, et le lecteur y verrait volontiers,
le titre d'un roman à la manière exotique, quelque
chose comme «Le mariage de Loti ». 11 n'en est rien;
c'est un livre de folk-lore, dont l'auteur est un univer-
sitaire, un agrégé et docteur ès-lettres, qui a passé
deux ans à Madagascar, où il était professeur de phi-
losophie au lycée européen. Nous devons tout d'abord
le louer d'avoir consacré les rares loisirs que lui
laissaient ses occupations professionnelles à l'étude des
moeurs, des coutumes et des langues du pays.
Ce mot hain-teny signifie, paraît-il, proprement
« explication des paroles » ; ce serait donc en principe
une sorte de dialogues, de devinettes. Les spécimens
que nous donne M. Paulhan sont composés, en géné-
ral, de deux parties, dont l'une est dite par une femme
et l'autre par un homme, le plus souvent sur des
sujets amoureux : ce sont, en quelque sorte, des bil-
lets doux oraux. Ces morceaux en vers, improvisés,
ont d'ailleurs une signification assez vague, et leur
obscurité est augmentée par des allusions incertaines
et par d'abondantes citations de proverbes. Ce n'est
— 216 —
donc, en somme, qu'un élément particulier et cir-
constanciel du folk-lore ; à Madagascar, comme ail-
leursj il doit y avoir des contes, des dictons, des devi-
nettes, des formulettes et des chansons C|ui forment
la véritable poésie populaire.
On a reproché à M. Paulhan d'avoir donné trop
d'importance aux hain-teny, et d'avoir vu des allu-
sions erotiques dans des endroits où il n'y en a pas en
réalité : mais cette tendance peut s'expliquer par le
fait c|ue l'immoralité est grande là-bas dans la popu-
lation native.
On a reproché aussi à M. Paulhan quelques erreurs
de traduction. Mais il n'est pas facile de rendre exacte-
ment le sens de ces phrases obscures, exprimées dans
une langue si difEérente de nos habitudes. M. Paulhan
n'a pas séjourné assez longtemps à Madagascar pour
se pénétrer de ces systèmes particuliers. Les langues
agglutinantes ne sauraient être étudiées de la même
manière que nos langues classiques ou que les idiomes
de l'Europe moderne. Tout le monde n'a pas la bonne
fortune qui m'a été donnée d'être initié dès l'enfance
à ce système, qui demande une assez longue pratique.
Sur les textes publiés par M. Paulhan, je ne sau-
rais faire d'observations, mais je suis choqué une fois
de plus par cette orthographe bizarre qu'ont inventé
les missionnaires anglicans de 1820 et qui est devenue
officielle. Flacourt et ses contemporains écrivaient le
malgache à la française, et c'était précis ; mais la dé-
plorable transcription anglaise est, comme d'ordinaire,
incompréhensible. Pourquoi représenter notre ou par
o et non par u, et pourquoi ny au lieu de n par notre
— 217 —
gp'i Pourquoi écrire Andevorante ce qu*on prononce
Andêvourantel II est grand temps de réagir et d'adop-
ter une orthographe phonétique convenable. On ob-
jectera vainement les habitudes ; mais c'est un peu
comme pour les changements de noms de villes ou de
rues : le public s'y accoutume très vite. « Napoléon-
Vendée » et « Napoléonville » sont très vite devenues
« La Roche-sur- Yon » et « Pontivy o, et la rue Vol-
taire n'a pas eu de peine de s'appeler rue Casimir-
Delavigne. C'est par égard pour des préjugés absurdes
qu'on peut lire encore sur la plaque d'un de nos plus
beaux boulevards le nom du préfet Haussmann, ce
résumé de l'Empire : commissions mixtes, suppression
des libertés, spéculations éhontées. Pour faire des
choses utiles et justes, il suffit d'un peu de volonté.
J. V.
Au moment où je mets ce compte-rendu sous presse,
on m'envoie de Madagascar la note suivante, due à une
personne très compétente.
Réflexions suggérées par la lecture du livre (( Hain-
Teny Merina ».
Le livre de M. Paulhan « Hain-teny merina »
appelle de nombreuses observations et suggère quel-
ques critiques. Tout d'abord, le sens dans lequel il est
composé tend à faire croire à des lecteurs non avertis
que les poésies populaires qui sont données sous le
nom de « Hainteny » constituent une nouveauté et
sont pour le public une révélation d'un des côtés du
génie merina.
— 218 -
L'auteur parait s'attribuer le mérite d'une « décou-
verte » dont il fait grand cas. A Texamen, on s'aper-
çoit qu'à part quelques chants ou poèmes dialogues
nouveaux, la plupart des morceaux recueillis avaient
déjà été publiés par deux personnes, le missionnaire
norvégien Dahle en 1869 et Rainandriamampandry, en
1896 le premier, malgachisant incontesté et le second
qui fut, de son vivant, apprécié comme un fin lettré
indigène.
Beaucoup de ces morceaux parmi ceux qui sont
inclus dans le livre de M. Paulhan constituent de
simples variantes de textes précédents. Sous un arran-
gement nouveau, sous une combinaison différente de
phrases, sous les adjonctions de mots ou les change-
ments de noms propres, on retrouve une notable partie
des « Hainteny lavalava » de Dahle ou des « Hainteny »
tout court de Rainandriamampandry.
Certes, on ne peut faire un reproche à M. Paulhan
d'avoir publié en quelque sorte une recension nouvelle
des textes antérieurs. Mais on ne saurait trop s'élever
contre le sens presque exclusif de poésie erotique
qu'il prête à ce genre de littérature orale. Nous
reviendrons d'ailleurs là dessus tout à l'heure.
Ensuite, la division en huit thèmes principaux
(consentement, hésitation des rivales, refus etc.) nous
parait assez arbitraire. Sans doute, l'auteur a voulu
par cette division du sujet apporter plus de clarté à son
exposition. Mais cette analyse — M. Paulhan le recon-
nait du reste — n'est pas toujours exacte. Elle offre
le grave défaut d'apparaitre comme un artifice, comme
un procédé.
— 219 —
Un exemple fera mieux ressortir la manière employée
pour la présentation des a Hain-teny ». M. Dahle a
donné (Hainteny 78 page 23. Anganoir ny Ntaolo) un
Hainteny sur le « désir du retour au pays ». M. Paulhan
reproduit les mêmes phrases (pages 214 — VIII) mais
il les présente avec un autre sens ; il développe, lui, le
thème de l'inconstance amoureuse. Il lui suffit simple-
ment de substituer le nom d'une femme a Ratiakono-
honiolona (la Très Désirée) aux noms propres de Ikaky
et de Ineny qui, dans Dahle, sont le père et la mère de
ce fils à qui l'exil pèse.
Nous ne contestons pas l'exactitude des sources aux-
quelles l'auteur a puisé. Mais si on peut admettre que,
parfois, certains « Hainteny » sont en quelques sorte
des récitatifs usités comme préliminaires de l'amour
dans une certaine classe de la société, nous pensons
aussi qu'il faut se garder des généralisations hâtives
et éviter de dire avec l'auteur que le hain-teny est
essentiellement une poésie légère, erotique. Sans
doute M. Paulhan exprime une conviction basée sur
son interprétation des textes. Qui nous assure que
son interprétation est rigoureusement exacte ? Nous
eussions préféré le voir arriver à cette conclusion par
une étude très serrée de textes des Dahle et une cri-
tique historique qui pouvaient alors permettre de déga-
ger la vérité.
Dans un article soigneusement composé et très docu-
menté, un malgachisant des plus réputés, M. Sibree,
(voir Revue Antananarivo Annual Vol. IX l""® partie
pp. 32-38) s'est longuement étendu sur les « Hain-teny »
il en a, d'ailleurs, traduit un certain nombre. M. Sibree
— 220 —
définit les Hain-teny a un art oratoire fleuri et une
manière de parler imagée ordinairement en usage dans
l'allégorie. Comme beaucoup de peuples à l'imagi-
nation vive et qui n'ont pas de littérature, ajoute-t-il,
les Malgaches sont des orateurs loquaces et nombre
d'entre eux montrent une grande facilité d'élocution.
Leur langage est d'une sonorité agréable et musicale ;
il est abondant en voyelles et en consonnes liquides ; il
est exempt de sons gutturaux. Leur esprit particulier
les porte à enjoliver leur langage ordinaire qui est
agrémenté de proverbes et de comparaisons. Dans
leurs discours publics, on trouve en abondance les allé-
gories, les fables, les figures, qui leur sont inspirées
par la nature. » M. Sibree reconnaît que leur sens est
quelquefois difficile à pénétrer. « Certains points sont
quelque peu obscurs, dit-il, pour ceux qui n'ont pas
la connaissance des coutumes et des usages à Mada-
gascar. Quelques-unes de ces a fleurs de rhétorique »
— les plus courtes — sont sentencieuses et ont la forme
de proverbes. D'autres se présentent sous la forme
d'une conversation entre des personnes imaginaires
dont les noms servent de clefs pour la connaissance
des sentiments qu'ils expriment. Le langage les con-
duit rapidement à ces inventions de noms. Une demi-
douzaine de préfixes différents joints à des mots ou à
de courtes sentences sont transformés en noms propres,
chacun approprié aux orateurs, hommes ou femmes,
jeunes ou vieux. Des allusions très fréquentes sont
faites à la fidélité, à l'amitié, ce qui est un trait du
caractère malgache, comme le montre la pratique de
la fraternisation pai- le sang. » Ailleurs, M. Sibree
— 221 —
déclare que « dans la philosophie malgache comme
dans celle de toutes les nations il est souvent fait
mention de la vie, de sa brièveté et, en l'absence de la
certitude d'une vie future, on trouve exprimé un
sentiment quelque peu semblable au vieil adage païen :
« Laissez-nous boire et manger car demain nous
allons mourir ».
Au fond, il est bien évident que le « Haînteny »
peut être introduit dans toutes sortes de discours.
Mais où M. Paulhan va trop loin, c'est lorsqu'il affirme
que l'emploi des Hainteny a lieu jusque dans des dis-
cussions d'ordre commercial. Ceci est absolument in-
exact. Le « Hainteny » peut être un madrigal; il peut
être un jeu, une joute d'éloquence. Nous savons que
c'est de Fart oratoire. Mais il ne peut pas se substituer
aux arguments d'une discussion d'intérêt, à moins de
supposer — ô prodige — que le mercantilisme hova
produit des rêveurs qui ont l'âme poétique d'un
Ragueneau et savent, comme lui, tourner un sonnet,
lancer une épigramme, ou composer un poème. Mada-
gascar serait alors, au delà des tropiques, le pays du
félibrige ou fleuriraient encore les cours d'amour.
A rencontre de M. Dahie et de Rainandria-
mampandry qui ont mis en prose la plupart des Hain-
teny qu'ils ont recueillisy M. Paulhan donne aux siens
la forme de vers. Il s'en explique d'ailleurs. Je ne sais
pas si la forme des vers répond bien à l'idée que le
peuple malgache se fait des Hainteny. Il y a évidem-
ment un certain rythme, une certaine cadence dans
quelques morceaux. Mais la coupe du vers qu'adopte
M. Paulhan est arbitraire. Il divise ses couplets au
— 222 —
petit bonheur et il donne à ses vers une longueur va-
riable, sans que cela corresponde non pas même à une
métrique complètement ignorée des Merina, mais à une
tournure de l'esprit indigène.
Avant d'aborder les textes et leur traduction nous
voulons dire un mot d'une inexactitude que nous avons
relevée à la page 7 du volume.
Il s'agit d'une coutume malgache que rappelle en
ces termes M. Paulhan : a La vie du merina, dit-il,
quand il n'a pas encore subi l'influence européenne, est
entourée de fady. Une seule pièce dans sa maison de
briques crues ou de bois contient le foyer, le lit, ... et
le poteau du centre auf{uel est attaché le veau. . . »
L'auteur s'est étrangement trompé : jamais le poteau
du centre n'a servi à attacher les jeunes veaux. Ce
poteau est, en effet, sacré (màsina); c'est là que Ton
place le foyer (fàtana) ; au nord du foyer est la
place des ancêtres. La distinction est capitale : l'endroit
qui sert à attacher les veaux dans la maison est le
poteau du sud. A côté et à l'est de ce poteau se trou-
vait lejisôko ou parc des volailles! La tradition indi-
gène rapportée notamment dans le Tantana ny
Andriana et dans un article de M. Tully (Notes.
Reconnaiss et Explorations.^ tome IV, p. 913) est très
explicite à cet égard. « Le poteau du milieu ne s'appuie
sur rien, mais les gens s'appuient contre lui; d'où le
proverbe : celui qui s'appuie contre le poteau du milieu
de la maison est né sous une bonne étoile et aura
de la chance, car le poteau du milieu est sacré. »
Ceci dit, nous présenterons les observations sui-
— 223 —
vantes sur la traduction du texte indigène : les
Vers 7 et 8 — I :
Hitsidika aho manan' ila
Hiloetra aho menatr'olona
sont traduits :
Irai-je visiter? J'ai une femme.
Si je reste ici, j'aurai honte.
Le sens n'est pas exactement exprimé. D'abord il
n'y a pas d'interrogation dans la phrase malgache. La
traduction est exactement celle-ci :
J'irai faire une courte visite, (mais) j'ai une femme;
Si je reste, je suis humilié
m. Vers 2 et 3.
• Miova colo ynatoa misy zaza misioka,
On traduit : « Il suffit qu'un enfant siffle pour qu'il
change de couleur. »
Exactement la traduction est :
Il (le caméléon) change de couleur
Si par hasard il y a un enfant qui siffle.
Tsy satrim-parihy hitera-potaka.
M. Paulhan dit : Le lac ne voulait pas engendrer
la boue. On ne comprend pas bien le sens ainsi. A
traduire trop littéralement on risque en efîet l'obscu-
rité. Une meilleure traduction aurait été :
C'est naturellement qu'un lac produit de la vase.
224
VI. — 1 — 5.
Raiko aza Ramasoq,ndro
Reniko aza Ravolana
Vahoakako aza ny Kintana
Basiko aza ny varatra
Hianao no vazo tiako
Le traducteur écrit :
Même si le soleil était mon père
■ Et la lune ma mère
Et les étoiles mon peuple.
Et la foudre mon fusil
Vous resterez la fille que j'aime.
Ces vers expriment un désir, un souhait. Dahle qui
a reproduit les mêmes phrases, sauf le dernier vers
intitule le récit : Méditations lointaines.
VII. — 25 26.
Une erreur de traduction doit être relevée dans :
Ka hotohinina vao mianavaratra
Tsipazam-bay vao mivoaka.
Ce n'est pas :
Qui aille vers le nord si on le pousse
Et qui sorte si on lui jette du riz (il s'agit
d'un poulet).
Mais
Qui ne va au nord que si on le pousse-
Et qui ne sort que si on lui jette du riz
— 22b —
VII. — 50 52.
La traduction suivante est un contre sens :
u Vous désirerais-je si vous n'étiez pas une femme qui
n'est pas honteuse ? Mais si je me tenais debout ici et que
vous n'ayez pas honte, n'est-ce pas moi qui serai honteux
devant les hommes comme moi ? »
Le texte dit:
Vehivavy tsy menatra ka ilaina f Ary na izaho mijoro-
ety aza, Tsy mha menatry ny lehilahy tahaka ahy ?
Le sens exact est au contraire celui-ci :
Si vous étiez une femme sans pudeur vous désirerai-je ?
Et si moi-même, je me tenais debout ici (sous entendu pour
triompher de vos scrupules) ne rougiriez-vous pas d'un
homme comme moi ?
Un contre sens absolu est encore remarqué dans la
phrase suivante :
VU — 72 73.
Ka mainka fa hianao olombelona
Tsy maninon tsy maninona itsy
Qui est traduite :
Et vous devez bien plus la connaître (la honte) vous,
personne.
Qui n'aoez fait ni ceci ni cela.
Le sens est :
A plus forte raison devez-vous la connaître, vous, être
vivant, qui êtes saine et sauve là-bas.
J'observe aussi que kitay hazo est traduit par brous-
sailles sèches, alors que ces mots signifient : bois de
chauffage.
15
— 226 —
Page 116. (Thème du consentement) l'auteur donne à la
femme désirée le nom de : Ratiakohovangaina qu'il traduit
par l'expression : « Celle que je veux acheter. » Il nous parait
qu'ici il y a une métathèse de voyelles, accident phonétique
assez fréquent dans les langues agglutinantes. Il faut donc
lire : Vangiana au lieu de Vangaina. Le sens est alors :
« Celle que je veux visiter, Vanga » (commerce, négoce) est, en
effet, d'abord un mot peu usité surtout dans la forme van-
gaina. En outre, il suflBt de lire ce qui suit immédiatement :
Tsy namangiako auao fahireny . . . Si je ne vous ai pas rendu
visite jadis, c'est que...» pour comprendre [que le nom se
rattache surtout non pas à une idée, l'achat de la femme, qui
n'est pas dans les mœurs malgaches, mais bien à la pensée
de la visite, de la vue fréquente de la femme.
A relever encore page 172, vers 10, cette traduc-
tion défectueuse :
Mais l'esprit pour vous avoir n'est pas en moi.
(la ny saiko hanana anao no tsy misy)
C'est évidemment la traduction littérale ; mais le
sens est celui-ci :
Mais je n'ai pas l'esprit à m'occuper de vous.
VI. vers 3. :
Ka inona ny hevitrao V est traduit pour : Et quel est votre
souci ? Hevitrao n'a jamais signifié : souci. Il veut dire la
pensée (Et quelle est votre pensée ?)
En résumé, s'il faut savoir gré à M. Paulhan d'avoir
pris la peine de traduire quelques hainteny souvent
assez délicats de pensée, et d'avoir essayé de donner
une interprétation très personnelle de ces poésies, il
faut reconnaître que la traduction trop littérale, pêche
— 227 —
quelquefois par l'exactitude et n'est pas aussi claire,
aussi compréhensive qu'il le faudrait.
Répétons encore ici que l'interprétation donnée par
l'auteur à ce genre de littérature, n'a pas en général, et
sauf exception, le sens erotique qu'il lui attribue.
Les mots à double sens, les jeux de mots existent en
grand nombre dans la langue malgache. Leur emploi
dépend des individus et des circonstances.
Dans le monde de la galanterie, il est possible certes,
qu'on discoure, qu'on a combatte en proverbes » et
qu'on se serve pour cela de certains hainteny, habi-
lement détournés de leur sens originel. Mais il est
nécessaire d'en bien délimiter l'usage. Des récitations
de ce genre ne sont pas aussi spontanées qu'on veut bien
le laisser entendre. Elles sont du domaine des profes-
sionnels de la parole, des chanteurs ambulants, (impi-
lalao) et aussi des vieillards rompus aux luttes d'élo-
quence et aux « kabany » dits par eux sur le « Kianja »
(place publique du village) en présence d'une foule qui
aime le bruit, les spectacles, les jeux, les danses et
aussi la musique des paroles.
L'âme orientale du merina ne se laisse pas facilement
pénétrer par des étrangers et il faut un long séjour
parmi ces indigènes, une connaissance approfondie de
leur langue, de leurs mœurs, de leur religion, et de
leur histoire pour éviter les chances d'erreur dans
l'analyse des sentiments intimes de ce peuple et dans
l'appréciation de son folk-lore.
VARIA
I. Les noms de famille.
Je ne crois pas que personne ait encore fait une étude générale
du nom de famille français, — j'entends d'origine romaine, — à
l'exclusion des noms étranj^ers, flamands, anglais, bretons, basque,
allemands et autres. Il y aurait là de très intéressants détails à
relever, tant dans la signification des noms que dans la variété
de leur forme. On devrait d'abord distinguer les terminaisons
caractéristiques de certaines provinces : « ville » en Normandie,
« cour» en Vendée et dans le Poitou, « ac » en Gascogne, a oz » et
« od » dans la Franche-Comté, par exemple. Rappelons à ce pro-
pos que les finales locales normandes « bœuf » et « fleur » sont des
altérations du nordique abod» et «fjoerd». On aurait ensuite
les catégories des noms de professions : Fabre (Faure, Fèvre,
etc.), Leboucher, Pasteur ; — noms topographiques : Dûment,
Delahaye, Valcour, Ruel ; — noms d'animaux ou de végétaux :
Lasne, Bœuf, Chapon, Mouton, Chesneau, Delorme, Malesherbes,
Poirier ; — les adjectifs indiquent les qualités ou les défauts :
Lebon, Legrand, Gras, Nègre, Verd, Prompt, Tardif (Tardieu,
Tardiveau, Tardivel, Tardivon) ; — du prénom : Henry, Jacques,
Depaul, Martinet; — enfin, des surnoms ou des sobriquets plus
ou moins bizarres : Arrachequesne, Alhéritière, Beau ventre. Cra-
quelin, Donnadieu, Desfemmes, Espérandieu, Boisneuf, Aimela-
fllle, Gâtesoupe, Heurtebise, Malvetu, Mangematin, Ombredanne,
Painlevé, Tuvache, Vireloque, etc. On en trouverait un grand
nombre en dépouillant les registres de l'état-civil, les Annuaires
départementaux, les actes des notaires, etc.
Mon propre nom, Vinson, varie en Vinçon, Vinchon, Vin-
çonneau, pourrait, ainsi que Vinoens, Vincent, Vincendeau,
~ 229 —
Vincendon, se rattacher au latin vimen. Il signifierait donc quel-
que chose comme «oseraie »; il paraît spécial à la Saintonge et
aux régions avoisinantes. Il s'accorde fort bien, en tout cas, avec
le lieudit Fontorbière, que mon ancêtre Guillaume, anobli en 1649
à An^oulême par l'échevinat, ajouta à son nom patronymique :
ce lieudit, qui indiquait une fontaine dans la périphérie de la
ville, a disparu; l'endroit dont il s'agissait a été absorbé dans les
remparts.
J. V.
II. Richelieu et la langue basque
J'ai publié sous ce titre, en 1873, dans un journal de Bayonne,
quelques phrases basques du Livre du procès du malheureux
Chalais, décapité en 1626. Ces phrases faisaient partie d'une cor-
respondance échangée entre les deux frères Jean et Martin de
Seinitz, valets de chambre de Chalais et de sa mère. Les pre-
mières lignes sont ainsi conçues : Anaya, igorico daranat goutum
bat jaunac eman, baytaram fjalecody Gotaxco baten bare nean
ezta eman behar dioc jaunac maite duen endreary a dixen ezpa-
limbadu andreorq haxa duc edo Pierres hauensen hararena,
duc ». Ce passage est ainsi traduit, par un certain Etienne de
Fosses, de Bayonne : « Frère, je t'envoie une Lettre que mon
Maistre m'a donné à ce soir. Il y a assez de vœux là dedans, et il
faut que tu la donnes à la Dame que Monsieur aime. Si cette
Dame ne lentend pas, tu as hastê ou bien Pierre (Sic.) »
La restitution du texte basque est assez facile, sauf pour les
mots en italique.
De Fosses a lu « bottu asco haren barrenean », ce qui ne donne
qu'un sens incompréhensible. J'avais préféré lire «botaxco baten »,
ce qui voulait dire a dans une petite boîte » et paraissait beau-
coup plus plausible. De Fosses avait fait, d'ailleurs, une autre
erreur de traduction ; le texte porte « je t'enverrai » et non « je
j'envoie ».
M. l'abbé J.-B. Daranatz, l'éminent secrétaire de l'évêîhé de
Bayonne, propose aujourd'hui, pour ces mots et ceux qui pré-
cèdent, la lecture « galcerdi cetazco baten, etc. », ce qui donne-
— 230 —
rait « dans un bas de soie ». L'idée est ingénieu«e, quoiqu'il ré-
pugne un peu de voir mettre une lettre d'amour dans un bas qui
a été porté, mais ce peut être précisément une ruse de domes-
tique pour dépister la surveillance et dérouter les recherches.
L'autre passage demeure inintelligible, mais, en y réfléchis-
sant, je crois en avoir trouvé l'explication sans pouvoir rétablir
le texte exact. Pourquoi M°" de Cbevreuse n'aurait-elle pas com-
pris une lettre évidemment écrite en bon français ? C'est probable-
ment parce qu'elle devait être écrite par un de ces procédés cryp-
togiaphiques alors fort en usage. La phrase incertaine devait
donc être quelque chose comme : « si cette dame ne l'entend pasi
— si elle n'a pas le secret, la clef, la grille, — tu as la tienne ou
celle de Pierre ». Mais que peut être haxa dans ce sens ?
J. V.
III. Mots nouveaux : Poilu, Bonhomme, Boche.
L'argot militaire s'est augmenté, dans la guerre actuelle, des
trois mots ci-dessus ; les deux premiers signifient « soldat » ;
mais tandis que poilu est d'usage général, bonhomme est em-
ployé particulièrement dans nos provinces de l'ouest, où son
pluriel n'est pas « bonshommes », rnais « bonhommes ».
Quant à boche, il a tout à fait remplacé «allemand», et on
s'est demandé quel pourrait être son origine. Les journalistes,
qui ne reculent devant rien, ont proposé les étymologies les plus
fantaisistes ; l'une des moins invraisemblables fait de boche une
adaptation de Deutsch, qu'on prononce à peu près « doïtche ».
Mais on s'accorde généralement pour y voir une- abréviation de
caboche dans le sens «de mauvaise tête, tête dure». Cette éty-
mologie ne me paraît pas satisfaisante. En effet, si nous retran-
chons quelquefois la première syllabe de certains mots, c'est
parce que la seconde commence par une lettre dure, ce qui
n'est pas ici le cas. Caboche vient de cap « tête », qui s'emploie
dans l'expression: «de pied en cap». Dans des noms propres
comme Capdeville et Capdebosc, et dans des dérivés comme
cape, capuche, capuchon, caporal, etc. ; le 6 de caboche a été
évidemment attiré par l'o labial ; cette mutation est normale en
— 231 —
espagnol : cabo, cabeza, cabecilla. La terminaison oche est plutôt
un diminutif qu'un péjoratif : mioche « de mion », fantoche,
gavroche, bamboche, clodoche, etc. Caboche, du reste, s'accom-
pagne presque toujours d'un qualificatif ou d'un adjectif possessif.
Mais pour condamner l'hypothèse proposée, il suffit de remar-
quer qu'avant de dire : boche, on a dit alboche, et je crois que
ce dernier mot vient tout simplement d'allemand. On prononce
habituellement alman; par dérision, quelqu'un aura dit almoche
ou le m se sera changé en b sous l'influence de l'o, puis la syl-
labe al sera tombée, parce que nous avons une tendance à la con-
fondre avec l'article arabe que nous supprimons dans un grand
nombre de mots, par exemple dans magasin (espagnol almacen).
A côté du mot allemand, nous avons les synonymes germain,
germanique, gothique, tudesque, teuton. Les Anglais disent ger-
main, les Italiens tedesco, les Russes niemet/ (adopté par les
Hongrois). Les Allemands s'appellent eux-mêmes Deutsch, et
cette appellation s'altère dans les patois ; on trouve dans l'arron-
dissement de Briey, en Lorraine, deux communes dont les noms
caractéristiques sont : Audun le Roman et Audun le Tiche, qui
indiquent nettement la séparation des deux langues, française
et allemande.
' Outre ces appellations, chaque peuple a des expressions dé-
daigneuses ou satyriques ; les Hollandais, par exemple, quali-
fient les Allemands de « moffes » (manchon), parce que les
Allemands avaient toujours leurs mains dans des manchons, et
on cite ce proverbe du XVII° siècle :
« Indien de Mof is arm énd' kael
» vSo speeckt hij zeer bescheyden tael
» Dag als hij compt tôt grooten stael
» So doest hij God en menschen quaedt ! »
Traduction :
« Quand le Boche est pauvre et nu,
» Il parle un langage très mesuré;
)) Mais quand il arrive à une situation élevée,
» Alors il fait du mal à Dieu et aux hommes ».
P. -S. — Bonhomme s'explique de lui-même; quant à Pot'/ît,
— 232 —
le Bulletin des Armées nous apprend son origine. Il a été em-
ployé pour la première fois par Balzac avec son sens actuel de
« brave, courageux, énergique ». On dit depuis longtemps qu'un
paresseux a un poil dans la main, et un médecin militaire a
qualifié A'hijpertrlchose palmaire les maladies hypothétiques
dont se plaignent parfois les soldats.
Poilu signifie proprement « qui a du poil » ; mais il ne s'agit
pas de la barbe ou des moustaches, comme dans l'expression : un
brave à trois poils.
Un érudit Catalan a trouvé dans l'histoire de son pays qu'un
certain comte Joffre, qui avait combattu les ennemis venus d'Es-
pagne, avait été surnommé « le poilu » ; un autre membre de la
même famille avait pour devise : « J'offre mon sang à la Patrie »,
mais je crois qu'un autre surnom conviendrait mieux à notre
Général en Chef, celui que l'histoire donne au dictateur qui
sauva Rome, celui de Cunctator, c'est-à-dire le sage, le prudent,
l'organisateur patient et méthodique, le chef qui observe et attend
l'heure, le général sûr de sa victoire parce qu'il ne s'est pas sou-
mis aux contingences, mais qu'il a su dominer les hommes, les
événements et les choses.
l'a
A nos Lecteurs
La Revue de Linguistique, comme la plupart des
Revues françaises a dû interrompre sa publication,
par suite des événements ; la mobilisation des ou-
vriers, les soucis personnels, les préoccupations pa-
triotiques, ont causé un retard considérable que nos
lecteurs voudront bien excuser.
La Revue aura eu cette mauvaise fortune de voir sa
publication arrêtée deux fois en 1870 et en 1914 par
la guerre, ennemie impitoyable des lettres et des
sciences ; puisse bientôt la paix, basée sur la victoire
du bon droit, permettre la fécondité du travail, le dé-
veloppement de la science et le règne définitif de la
justice.
Mais, qui nous consolera de tant d'affections per-
dues, de tant de ruines accumulées et de toute cette
belle jeunesse stupidement sacrifiée par la folie d'un
peuple entier, ivre de mysticisme et d'esprit militaire,
par l'ambition démesurée, par l'incommensurable or-
gueuil d'un despote?
J. V.
Paris, 22 Mars 1915.
TABLE DU TOME QUARANTE-SEPTIÈME
I. - SUJETS
Le mot Ibère «Aredc », par Julien Vinson 1
Les lois malgaches et le Pentateuque, par S. Ferrarès . . 3
Die Indo-Germanischen Lehnworter im Georgischen (suite
et fin), par le D' Kluge 31
Les mots arabes et hispano-morisques du « Don Quichotte »
(suite), par Paul Ravaisse 42, 162
Noms de nombre en turc et en samoyède (suite et fin), par
A. Decourdemanche 65
L'Inde dravidienne, observations à propos de deux publi-
cations récentes, par Julien Vinson 85
Le problème épigraphique de la Nouvelle-Calédonie, par
Marius Archambault 100
Nécrologie. — A. Durand 112
Le mot « Pagode », par Julien Vinson . ._. 129
Une lettre sur l'Adriatique, par H. Bourgeois 133
L'aspiration en basque, par Julien Vinson 151
Etudes dravidiennes, par Julien Vinson 176
Varia. I. La géographie en musique 63
— II. Les romanciers et la couleur locale 63
— Madame de Talleyrand, princesse de Bénévent . . 121
— I. Les noms de famille — 228
— II. Richelieu et la langue basque , 229
'- III. Mots nouveaux ; Poilu, Bonhomme, Boche . 230
— 235 —
II. - BIBLIOGRAPHIES
K.-P. SoLOETA DiMA. CoTijugacioTi sintética del verbo
basko 57
E.-S. DoDGsoN. The Guipuskoan Verb of the catechism
of 1713 60
Journal et Missions de la Société Finno-Ougriene, tome
XXVIII et XXX 61
The 108") report of the British and Foreign Bible Society 62
Caldwell. Comparative gramm. 2' édition. — Jouveau-
DuBREUiL. Thèses pour le doctorat d'Uriannick (Pagode
du Sud de l'Inde) 89
Government of Madras-Annual report on Archeology. . . . 116
J.-M. Nallaswamipillay. Studies on Saiva Siddhanta . . 117
Les puhlicutione tamoules d'Anavaradacinâyagam poulie 117
Jean Paulhan. Hain-Teny merinas 215
III. — LANGUES ÉTUDIÉES
Linguistique générale 62, 133
Tamoul 85.89,116,117,129,176
Ougro-finnois 61 , 65
Ibère 1
Basque 57, 60, 151, 229
Géorgien 31
Malgache 3, 215
Maléopolynésien 100
Hébreu 3
Arabe 42, 162
Samoyède 65
Français 63, 228
Turc 65
Espagnol 42, 162
ûravidien IHt 176
236 —
IV. - AUTEURS
M. Archambault " 100
H. Bourgeois 133
A. Decourdem anche 65
S. Ferrarès 3
Kluge 31
P. Ravaisse 42,162
J. Vinson 1, 63, 85, 112, 121, 129, 151, 176, 228, 229
X 217
L' Imprimeur-Gérant :
E. Bertrand.
CHàLOM-S-SAÔ.XE. — IMPR, PRÀNÇiLISB ET ORIENTALE 1. BKRTRAND. 824
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