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Full text of "Revue de l'Orient: bulletin de la Société Orientale"

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liiiiiiiiiiiiiiiiiiini 

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REVUE 



DE 



L'ORIENT 



BULLETIN DE LA SOGIËTË ORIENTALE 

-j 1.4 7 (Société scienlifipe et littéraire). 

Fondée * Paris en 1841 , 

C0!(ST1TUÉE ET AUTORISiB BK 1842 , COIfTORMtmiT A U LOI. 



TOME IVEUITIE]»!:. 




PARIS, 



an flnrean de la ReTne de THrient, 

CHEZ DEUVIGNE, LIBRAIRE DEM SOCIÉTÉ ORIENTALE, 

RUE DIS BEAUX- ARTS, 8. 

1846 



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REVUE DE L'ORIENT. 



BULLETIN 



r jr 



LÀ SOCIETE ORIENTALE. 



OCEANIE. 



GROUPE D'OUVEA [(ILES WALLIS) (l). 

M»iii« Innocente» des HTalUsiens» — Iieimi d U i i Mi rt " 
tien* musicales» — Citants walllaiens* 



L'tle de Wallis a près de 10 lieues de tour ; elle est enviroDuée de plusieurs 
Ilots, et , par delà , enfermée dans une ceinture de récifs , qui ne laisse d'en- 
trée aux navires que par une passe très-étroite. Sa population n'excède pas 
2,600 habitants. 11 y a une dixaine d'années, ces hommes étaient réputés très-' 
féroces; ils ont en effet, à une époque assez récente, égorgé 30 Européens, 
brûlé un bâtiment anglais, et massacré tout Téquipage^ à l'exception d'un 
mousse. Depuis, la religion les a si bien changés , qu'ii n' y a guère de ports 
dans toute TOcéanie où les étrangers soient mieux reçus et plus en sûreté. 

Au physique, le type des Wallisiens se dessiae avec une certaine gran- 
deur; leur physionomie, généralement noble et bien caractérisée, diffère 
peu de celle des Européens; leurs longs cheveux flottant sur les épaules, ou 
crêpés autour de la tète en forme de turban, donnent une expression à la 
fois originale et fièreà leurs traits basanés. Ils ont pour vêtement , depuis les 
aisselles jusqu'aux pieds, une grande ^ope qui leur enveloppe plusieurs fois 
le corps ^ avec une natte fine , serrée autour de la taille par une ceinture de 
corde. On remarque qu'ils ont presque tous leq^etit doigt de la main coupé ; 
mutilation qu'ils s'imposaient en l'honneur de leurs dieux. C'est aujour- 
d'hui le seul vestige qui reste de leurs anciennes superstitions. 

(1) La Hevue de l'Orient a déjà parlé des Iles Wallis (tome m , pages 1 et sui- 
vaittes); Ici» détails qu'op va tire sout extraits d'une lettre écrite i^ \m de« »i.s»ioA- 
naires frança^^ ^:s^^ dagas cette pariie de l'Océa^ie. 



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4 UETCE DE L^ORIENT. 

Nos insulaires sont d'un naturel enjoué ; ils aiment la bonne plaisanterie 
et s'y connaissent. Rien n'égale le respect qu'ils portent à leurs missionnai- 
res , si ce n'est l'affection qu'ils leur témoignent. Parmi eux la politesse a 
ses r^les aussi strictement observées qu'en France ; nous devons les con- 
naître et nous y conformer, au moins jusqu'à un certain point. Le cava^ 
par exemple, fait partie obligée de toutes les réunions; on ne peut rendre 
ou recevoir une visite sans que la racine traditionnelle soit présentée, mâ- 
chée et distribuée avec toutes les cérémonies voulues. 

Ce qui distingue surtout les indigènes de Wallis, c'est leur goût prononcé 
pour la musique. On peut dire qu'ils chantent continuellement, soit qu'ils 
travaillent , soit qu'ils marchent , soit qu'ils portent des fardeaux , ou qu'ils 
prient. L'harmonie a pour eux tant d'attrait , qu'ils lui sacrifient volontiers 
les heures destinées au repos; on dirait qu'après avoir porté le poids du 
jour et de la chaleur, ils se délassent mieux au charme de leurs accords que 
dans le calme d'un paisible sommeil. Dans les belles soirées d'été , lorsque 
l'Ile est rafraîchie par la brise, et qu'un astre plus doux a remplacé le soleil 
des tropiques, alors la population se réunit dans quelque site gracieux , sous 
un grand arbre, ou à la porte de l'église. Là, les vieillards s'asseyent sur 
des nattes; à quelque distance , la jeunesse prend place sur la pelouse, par 
groupes de cinq ou six personnes rangées en cercle et tournées en face les unes 
des autres; ces groupes sont autant de chœurs de musiciens et de musiciennes 
parfaitement exercés. Quoique les Wallisiens aient presque tous de très-belles 
voix , n'est pas admis qui veut à prendre part au concert ; il n'y a que 
ceux dont l'oi^ane reconnu pur et flexible se prête avec plus de bonheur 
aux effets de l'harmonie. 

Alors, chaque chœur se fait entendre tour à tour : les uns répètent sans 
cesse le refrain, les autres font le chant, ou donnent une expression plus 
animée au récitatif; et ces accords se succèdent ainsi durant la nuit entière, 
sans autre interruption que les applaudissements des auditeurs. 

Si l'on remarque dans les voix beaucoup d'ensemble et de mesure, on est 
encore plus frappé de l'immobilité et du calme imperturbable des musiciens. 
Quoique les chants soient parfois dans le genre comique, et qu'ils excitent 
les éclats de rire de toute l'assemblée, on ne voit jamais le plus léger mou- 
vement dans la 'physionomie de ceux qui exécutent. Quand le motif est 
triste, des larmes coulent quelquefois de leurs yeux, mais sans que leur 
voix soit le moins du monde altérée. 

Le refrain , qui est, d'ordinaire, quelque mot nouveau introduit par les 
missionnaires dans leur langue , n'a souvent aucun rapport avec le reste du 
chant : c'est une espèce de bourdon qui n'est là que pour l'harmonie , on le 
répète deux ou trois fois à la fin , et on termine brusquement en le laissant 
inachevé. 

Outre ses concerts nocturnes , Wallis a encore des chants de promenade 
ou de marche. 11 arrive souvent , le dimanche , que j*entends tout à coup les 
hommes et les jeunes gens entonner leur lau (chant) avec des voix de Stentor. 
Ils parcourent ainsi d'un pas grave les différents quartiers du village. Lort- 



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ghoiipe u'ovvéa (îles wallis). 5 

qu*on les invite à entrer dans une maison pour y prendre le cài^a^ ils ac- 
ceptent, puis recommencent leur marche jusqu'à l'heure du chapelet ou 
jusqu'à la prière du soir. Leur thème musical est presque toujours inspiré 
par la reconnaissance ou la religion ; en voici quelques phrases des plus 
populaires: « Amitié au père Roudaire, au père Mathieu! Ce sont nos 
(( prêtres et nos pilotes; ils conduisent notre pirogue au ciel. » — Ou hien : 
« Amour et respect au souverain pontife qui règne à Rome! » — Ou 
encore : « Prions saint Pierre , qui tient les clefs du paradis , pour qu'il nous 
a en ouvre la porte. » 

Il y a des chants innombrables en l'honneur de N. S. P. le pape Gré- 
goire XVI, et du prince des apôtres , auquel ils ont une grande dévotion. Ils 
mettent paiement en musique les histoires de l'Ancien et du Nouveau Tes- 
tament, et toutes les vérités de la religion à mesure qu'ils les apprennent. 
Pour vous donner une idée de ces hymnes pieux , je vous envoie un canti- 
que composé par la fille du roi, lorsque Mgr. Bataillon annonça qu'il s'ab- 
senterait pour visiter son vicariat apostolique : j'ai lâché de le traduire aussi 
littéralement que possible , mais sans espoir de faire passer dans le français 
ces tournures si naïves , cette douceur si harmonieuse de la langue des 
Wallisiens, qui se prête admirablement à tous les sentiments qu'ils veulent 
exprimer. 

« Évèque, parlez; moi, je pleure. 

a Est-il chose plus déchirante que d'entendre notre père qui nous dit : 
« Mes enfants, vous prierez sans cesse pour moi; souvenez-vous de celui 
« qui vous a faits enfants de Jésus-Christ, quand vous offrirez à Marie la 
« couronne du rosaire... Ecoutez mes dernières instructions; je vais me sé- 
n parer de vous. 

(( Pouvions-nous être frappés d*uti coup plus sensible ! Parents d'Ouvéa , 
<i pleurons, il va partir; n'ayons tous qu'un seul cœur pour pleurer. 

« Si notre père s'éloigne, que vont devenir &es enfants? Quand reviendra 
« notre père? hélas! reviendra-t-il jamais? Pleurons! 

« Mais le ciel le veut. Un message saint lui a été apporté par Douaire. On 
« lui a dit : Évèque, une portion de l'univers a été assignée à toi seul par le 
a père de tous les chrétiens. 

« O mon père, partez, mais souvenez-vous de vos enfants, et revenez 
« les bénir; car ils sont sans force, comme la jeune plante qui vient de 
« naître. 

« Jésus , déjà nous le ravir ! laissez-nous encore notre père ; car pour 
« moi , quand j'entends son adieu , je sens mon àme hésiter entre la vie et la 
« mort. Oui , il vaut mieux que je m'en aille de ce monde avant le départ 
« de notre père. Qu'il soit, du moins, quelque temps encore le soutien de 
« notre faiblesse. Notre àme est chancelante , et ^ s'il ne la fortifie, elle tom- 
« bera dans la mort. 

« Père céleste, ayez pitié de l'enfant qui vous prie. Prononcez sur moi la 
<x sentence que vous voudrez; que je le suive, car je me sens découragé et 
« faible. 



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6 hevue de l'orient. 

« Je ne puis supporter désormais un pluâ long exil dans ce monde ; si notre 
«c soutien s'éloigne de nous, n'est-il pas à craindre que nous nie retournions 
« aux idoles que nous avons adorées ? 

« C'est pourquoi je désire tant , Père céleste , me réunir à vous pour célé- 
« brer à jamais dans mes chaots votre toule-pïJissanie majesté. » 

C'est une chose amusante de voir l'étonnement de ces sauvages lorsque 
arrive d'Europe quelque objet qu'ils n'ont pas encore vu. Ai^rès Favoir 
bien regardé , ils le touchent , ils le sentent, ils le tournent de toute ma- 
nière, puis ils expriment leur admiration par une exclamation où un petit 
claquement de langue. Je les intrigue beaucoup avec un canilF taille- 
plume. C'est un cri d'admiration chaque, fois que la plume en sort toute 
taillée. 

Il y a peu de jours, on débarqua un cheval que le gouverneur français 
de Taïti envoyait en présent au roi de Wâllis. La pauvre bête avait été si 
maltraitée à bord par le roulis, qu'elle faisait pitié. Aussitôt arrivée à terre, 
elle fut entourée d'une foule de naturels, qui ne pouvaient se lasser de con- 
templer un si grand animal. Ils l'appelèrent ensuite un gros chien ; mais ils 
en avaient peur, et à chaque mouvement qu'il faisait, les admirateurs 
prenaient la fuite. Ils me demandaient s'il était méchant, s'il mangeait les 
hommes quand il était en colère, s'il aimait la viande, s'il mordait comme 
les chiens. Moi , je le caressais pour les rassurer. On lui apporta des feuilles 
et de l'herbe; ils l'examinèrent manger très-longtemps, regardant comme 
ses dents étaient faites ; enfin , après s'être lassés en observations et en con- 
jectures, ils s'en allèrent en me disant : « Maintenant nous connaissons 
Q cette grande bête, nous l'avons vu tout faire; il ne nous reste qu'à l'en- 
<« tendre chanter. » 

Les maisons des Wallisiens consistent en un grand toit de forme circu- 
laire, couvert de feuilles, et soutenu par des pieux. A l'intérieur sont éten- 
dues des nattes , sur lesquelles on s'assied , on se couche et on mange. Quoi- 
que les habitations soient disséminées presque sur toute la côte , il y a 
cependant trois points ou villages principaux , où l'on a construit des églises. 
L'une est dédiée à Notre-Dame de Bon- Espoir, l'autre à saint Joseph , et la 
troisième à saint Pierre. Ces églises sont en bois. Toutes lespièdss en sont 
unies avec de petites cordes de coco ; les planches même sont fixées de cette 
manière; et cependant les plus violents orages ne peuvent les ébranler. Il y 
a , dans chaque sanctuaire , une lampe qui brûle devant le saint sacrement. 
Les femmes l'entretiennent avec un soin extraordinaire. Chaque fois qu'il 
fait grand vent , je les vois se tenir auprès de la lampe avec un tison , la nuit 
aussi bien que le jour, pour la rallumer dans le cas où elle viendrait à 
is'éteindre. A quelques pas de l'église s'élève une maison carrée, divisée eh 
petites chambres pour nos confrères, et près de là une habitation poiir 
les jeunes gens qui veulent partager leurs fatigues. Ces jeunes gens sorit 
au nombre de trente ou quarante; ils se sont offerts d'eux-ménies aux 
missionnaires polir lesi^ervir, les accompagner, el seconder nos frères dan^ 
leurs travaux. 



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TARTiRllE. 7 

Il est arrivé (ternièretnerlt àh baleinier atnérieaià â Wallis , ayant i sop 
HHùVà OQè Hûgtaine de prôteslabu ihdigènes de Niouka, qui âvaieht demand)^ 
i être transportés ici. Noua apprîmes, par eux et par un Anglais qui iétait 
ripsté quelques années dans leur tie, quels traiteiticnià les minisires font 
sftbii' h ces pauvres naturels. C'est incroyable! Pour cerlaineé faute», oki les 
flagelle i coups de corde jusqu'à ce qu'ils soient tout en sang. Plusieurs même 
expirent sous les coup^. A d'autres on arrache les chieveux et les sourcils. Oh 
nous fit une telle peinture de ces cruautés, que nous n'aurions pu y croire , 
si nous n'avions vu nous-mêmes les marques de la torture empreintes sur 
le corpè de ceux qu'on débarqua. Quelle triste position que ceWe de ces peu- 
ples, condamnés i marcher sous le fouet, comme les animaux, parce 
qu'on ne leur a inspiré que la crainte du maître , au lieu de leur apprendre 
â aimer la vertu! 

A Wallis , iious n'avons aucune législation , aucun code pénal , point 
ée tribunaut; et cependant toute là population se conduit bien, par là 
seule grâce de Dieu et le secours des sacrements. Depuis que je suis ici je n'ai 
entendu parler d'aucun délit, si ce n'est de quelques accès de colère momen- 
tanés; mais en même temps qu'on apprend la iFaute, on apprend aiissi là 
réparation : le coupable vient de lui-même auprès de nous recevoir sa peine, 
qui ti'est qu'une simple réprimande. En faul-il davantage pour des cœurs 
si bien disposés! 

Ce qui entretient dans les habitants de Wallis le sentiment et l'amour 
du devoir , c'est qu'ils sont très-avides de la parole de Dieu. Outre les in- 
structions des missiofanaires, il y a dans chaque village et petits hameaux 
de^ catéchismes d'hommes, de femmes , d'enfants : les plus instruits d'en- 
tHe eux enseignent les autres; chacun se confesse et communie environ tous 
lès mois; (Partout on récite, le soir, le chapelet en commun, suivi d'un 
cantique â la sainte Vierge. Quoique toutes les maisons restent ouvertes , la 
iiuit comme le jour, on n'entend jamais parler de vol. Dernièrement les 
officiers d'un navire français voulurent éprouver nos naturels sur ce 
point. Us laissèrent traîner à dessein , sur le pont , des hameçons et d'autres 
objets capables d'exciier leur convoitise; npé néophytes s'empressèrent 
de les porteir aux riaàtèlots, choyant que c'étaient des objets oubliés par 
ihégârdè. Mathieu. 



TARTARIE. 



LES MANTCHOUX, LÈS MANKOUX ET LES HOUITZES. - SIVANG. 

L&ChiiiotshèdlsImguëntquc trois espèces de "tai làresou'tniares, savoir: 
lt« Jwàn/rhdux , leîJ Mankoiix, el le:\Tnrfares uccid-.iitaux ui«ihmiuUa..i 
cjults âj>pelU*fii HôuUzes , oiî biefa nouei-ÎIouei, 



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8 REVUE DE l'orient. 

Les Hantchoux et les Mankoux sont au delà de la grande muraille, 
les premiers au nord*est, les seconds au nord-ouest; ils professent tous 
lelamisme. Les Mantehoux habitent le Leao-Tong; les Chinois appellent 
cette province Quang-Toog. Depuis le règne de la présente dynastie, tes 
Tartares qui composent cette tribu, ou plutôt tous les Tarlares diffèrent 
peu des Chinois, quant au physique; ils ont seulement les yeux plus sail- 
lants, leur teint est d*un rouge basané, ils ont un idiome particulier 
et monosyllabique, lis ont la consonne r, que n'ont pas les Chinois; ils 
écrivent du haut en bas et de droite ^ gauche comme ceux-ci , mais ils 
ont des caractères particuliers. Celte tribu et celle des Mankoux ont-elles 
toujours possédé le pays qu'elles occupent maintenant ? Je ne saurais ras- 
surer. J*aivu, ce me semble, quelque part, que ces peuples étaient ori- 
ginaires d'une autre partie de l'Asie. Dans la suite des temps ils se divi- 
sèrent; les Mantehoux n'eurent qu'un chef, et ils s'adonnèrent à la culture 
des terres; les Mankoux eurent plusieurs chefs ou kans ; ils ont encore le 
même mode de gouvernement, sous la suzeraineté de l'empereur de la Chine. 
Les Mantehoux soot plus civilisés et plus polis que leurs voisins ; ils ont 
été pendant longtemps la terreur de la Chine. C'est pour mieux s'op^ 
poser à leurs incursions, qqe l'empereur Ku-Hu, de la dynastie Minh, 
transporta le siège de l'empire de Nanking à Pékipg. Us régnent aujour- 
d'hui en Chine sous le nom de la dynastie Thaoux; depuis 190 ans, elle 
compte six emfiereurs:Tchoung-Tcfaé, Kang-Hi ,Ioung-Tcheng,Kia-Long, 
Ria-Tcheng, Tao-Quouang. 

Peu d'années avant cette époque, un perfide eunuque, trompant la 
confiance de son maître , fit r^Woltcr l'armée contre son prince; il r^uisit 
à une telle extrémité l'infortuné empereur, qu'il se donna la mort après 
avoir tué sa fille de sa propre main. Le traître fut bientôt puni de sa 
perfidie. 11 se forma alors plusieurs partis qui ravagèrent ce vaste em- 
pire ; un nouveau tyran prit le titre d'empereur; il fut bientôt renversé 
du trône qu'il avait usurpé. Un général, fidèlç aux princes de la famille 
Minh, appela les Mantehoux pour l'aider à soumettre les rebelles: les 
Tartares accoururent; ils eurent bientôt dissipé tous les partis qui déso- 
laient les provinces. On dit que 80,000 Tartares mirent en déroute 1,000,000 
Chinois. Ceux-ci , outre l'avantage du nombre, avaient encore celui de 
la position : ils étaient postés sur les montagnes du district de Fougan , 
et occupaient toutes les avenues. Quand le calme fut un peu rétabli, on 
crut que les Tartares se retireraient dans leur pays , on se trompa : ils 
imitèrent les Anglo-Saxons que les aneiess Br^ons avaient appelés à leur 
secours contre les Pietés; ils conservèrent la Chine, qu'ils avaient con- 
quise en quelque sorte ; le prince mantchou fut proclamé empereur. 

Cette dynastie règne avec gloire; ses princes n'ont en vue que le bon- 
heur de leurs sujets. Plût à Dieu qu'ils portassent le même intérêt à 
la rdligion sainte ! Tchoung-Tché et Kang-Hi furent très-favorables au 
christianisme; mais loung-Tcheng , fils de. Kang-Hi > en devint le pre- 
mier persécuteur. Depuis ce temps-là , la religion est toujours en butte 



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TARTARIf:. 9 

à la fureur de ses ennemis ; heureusement les mandarins font rarement 
tout le mal qu'ils pourraient faire. D'après la teneur des lois, on dit 
que Tempereur Kang-Hi avait désigné pour son successeur un de ses 
enfants qui avait reçu le baptême. Tous les missionnaires se réjouis- 
saient dans l'espoir de voir la religion chrétienne assise sur le trône du 
plus grand empire du monde , mais le prince loung-Tcheng sut par super- 
cherie tromper l'attente générale, et, au grand élonnement des jésuites, 
au lieu d'un prince chrétien , ils trouvèrent un prince persécuteur. On dit 
que loung-Tcheng fit ajouter un trait de plus au caractère qui dési- 
gnait le nom du futur empereur : ce fut un officier du palais qui lui 
rendit ce service; et, par cette supercherie, il fut substitué au prince 
légitime. 

Les Mankoux sont nomades et pasteurs; ils vivent sous des tentes comme 
les anciens patriarches, errant dans leurs déserts avec de nombreux 
troupeaux ; ils n'ont pour nourriture que quelques grains et la chair de 
leurs bestiaux; ils boivent du lait de brebis et de jument; ils font fer- 
menter le lait de jument, et en composent une liqueur spiritueuse dont 
ils sont fort friands. £n s'avançant toujours vers Touest-nord-ouest , on 
trouve des troupeaux de bêtes de somme sauvages qui errent dans les 
déserts de la Tartarie, tels que les chameaux , les ânes , les chevaux» les 
bœufs , les mulets , etc. Les Tartares domptent quelques-uns de ces ani- 
maux, ils se nourrissent indistinctement de la chair de tous; en hiver, 
ils mangent de préférence de la chair de cheval ; ils disent qu'elle est 
chaude et qu'elle donne de la force pour résister au froid. L'année der- 
nière, on nous en apporta un morceau en ragoûi, un d'entre nous en 
mangea, il ne la trouva pas excellente. Les bêtes de somme dont on 
se sert ordinairement en Tartarie et dans le nord de la Chine sont 
les chameaux , ou plutôt les dromadaires ; ces déserts glacés en contien- 
nent une grande quantité. J'avais cru jusqu'ici que ces animaux ne se 
trouvaient que dans les pays chauds, me voilà détrompé. Bien loin de 
craindre le froid, on ne les fait voyager qu'en hiver ; cette saison leur 
est plus favorable que l'été (l). 

Les Mankoux sont fort malpropres ; ils sont dans l'usage d'essuyer 
leurs doigts dégoûtants de graisse à leurs habits , afin que personne n'i- 
gnore qu'ils mangent de la viande. Lorsqu'un Tartare mankou veut honorer 
son hôte ou un convive, il prend un gros os qu'il ronge d'abord, puis 
il le donne à celui-ci, qui le ronge à son tour; à la fin du repas, le 
Tartare essuie ses doigts à la robe de son hôte , en commençant depuis 
le col jusqu'à l'extrémité inférieure ; la politesse exige que le convive lui 
rende la pareille. 

Les lamas ne sont guère plus propres qu'eux; ils voyagent ordinai- 
rement en caravane, montés sur des chameaux : nous en avons trouvé 

(1) On assure, que les Mongols conduisent ces animaux jusqu'au lac Baï-KaU vers 
le ^« degré. 



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10 R£TIIE DE LORIEUT. 

un assez bon nombre en chemin. Leur costume consiste en une robe 
rouge et un bonnet à poil de forme tartare. Les chefe de pagode ont 
un manteau jaune et une espèce de mitre placée de manière qu'un des 
angles répond au front, et Tautre au derrière de la tête. Les lamas vi- 
vent en communauté dans leurs pagodes, comme des religieux; ils gar- 
dent le célibat. Il existe entre eux une espèce de hiérarcbie; chaque 
communauté a un chef; mais ces dignitaires, quelque grands qu'ils soient, 
ainsi que leurs subordonnés, sont sous la juridiction du grand lama. 
Celui-ci réside dans le Thibet : l'empereur Kia-Long en fit venir un à Pé- 
king , mais il est probable que ce grand lama ou son successeur re- 
vint au Thibet. 

Les lamas honorent les montagnes d*un certain culte; c'est là qu'ils 
construisent leurs pagodes : c'est peut-être la raison pour laquelle leur 
patriarche a fixé son siège dans le Thibet, qui est la région la plus 
élevée de l'Asie. Ils admettent pour article fondamental Timmorlalité de 
l'âme et la métempsycose; dans leur système de religion, les bons sont 
récompensés, et les méchants sont punis après leur mort ; c'est-à-dire 
qu'ils admettent l'existence du ciel et de l'enfer. Ils reconnaissent un 
grand esprit immortel et immuable , résidant, si je ne me trompé, 
dans le corps du grand lama, qui est comme le temple qu'habite la 
divinité. De c« principe ils déduisent celte conséquence : que le grand 
lama ne meurt jamais ; quand il a un corps usé par l'âge ou accablé 
d'infirmités, il en prend un autre plus vigoureux et plus jeune, à peu 
près comme on change d'habit quand le premier est usé ou décliiré ; le 
grand esprit passe à l'instant dans le corps d'un jeune lama; il parait 
qu'il ne sort jamais de la pagode. Gomme la communauté est nombreuse, 
il n'est pas facile, à la seule inspection, de reconnaître celui d'entre eux 
qui est devenu le grand lama: lui-même n'en sait rien. Voici, dit-on, 
l'expédient dont ils se servent. Us agitent successivement plusieurs son- 
nettes, parmi lesquelles se trouve celle qui avait appartenu au défunt ; 
celui qui, au son , .«ait la distmguer de toutes les autres, est proclamé grand 
lama; on fait son apothéose: car le grand et les petits lamas sont des 
dieux vivants, c'est le titre qu'ils se donnent eux-mêmes; leurs sta- 
tues sont simplement des dieux. Voilà tout ce que je peux dire sur ce 
singulier mode d'élection et sur le lamisme. Du reste, il y a quelques 
traits de ressemblance entre le lamisme et le fétichisme de toutes les sectes 
de bonzes de la haute Asie et de l'Inde. Le petit nombre de chrétiens qui 
se trouvent dans ces contrées ne date que du xvii* et du xviii* siècle : 
il serait difficile de prouver qu'il y en eût eu dans des temps plus re- 
culés. J'oubliais de dire qu'il y a des commuuautés de femmes lamas ; 
elles gardent le célibat, et vivent sous la direction et juridiction des 
lamas. 

\uv^ IloiiUzes ou Tartares mahométans sont à l'ouest de la Chine; ils 
occupent cet espace immense qui s'étend d'un rôt éjusqli'â fa ftiet titi nord , 
borné au midi par le Thibet, la Perse, l'Arménie, la Géor^'ie , la Win- 



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TÂRTÂRIC. il 

grélic , le Tûrkhesian , le Don oa le Tânaïs des anciens ; peut-êline «àêmc 
qtiie les babitanis da royaume de Ka^ah , et les Ck>sa(tues de l'Ukraine 
sont d'origine tartare. Tous ces Tari ares ne sont pas mahométans sans 
exception ; îl y a parmi eux des lamas et des chrétiens dans les provinces 
qui sont sous robéissance des Européens. La partie de la Tariarie qui 
est comprise entre les possessions russes d'un côté, le Thibet et Tin- 
dostan de l'autre apparlieût à la Chine ; le reste appartient à la Porte et 
à la Bussie. J'ignore s'il existe encore une Tartarie indépendaute (1); il 
est probable que ces Tartares et les Tartares Mankoux n'ont eu primi- 
tivement qu'une même origine : c'est peut-être pour cela qu'ils sont appelés 
Mogols dans Tlnde et en Europe. 

La destinée et la renommée de ces peuples ont subi bien des varia- 
tions. A la fin du xn® siècle et au commencement du xiii®,Gengis-Kan (2), 
ayant réuni sous sa puissance toutes ces différentes tribus, étendit au loin 
ses conquêtes ; il entra en Chine, connue alors sous le nom de Katbal. A 
cette époque, cie vaste empire était divisé en trois royaumes , le royaume 
de Péking , celui de Nanking , et un troisième dont le siège était je ne 
sais où , peut-être dans le Su-Tchuen. Gengis-Kan ne put point soumettre 
d'emblée tout le Kathai ; il parait que les Chinois lui opposèrent une vi- 
goureuse résistance. Ce fut un de ses successeui-s , connu en Europe 
sous le nom de Koublaï (3) , qui s'empara de toute la Chine. Il combat- 
lait encore contre le roi de Nanking lorsque Marc-Paul (4) , Vénitien , 



(1) Tonte cette partie de la Tartarie , comprise entre les po^otessions russes et le 
royaume de Kaboul, le lac Palkati et ta mer Caspienne, est habitée par des tribus in- 
dépendantes, sous le gouvernement de différents kans, parmi lesquels on distingue 
ceux de Boukara , de Kiva et de Skoland. C'est dans le kanat de Boukara que se 
trouve Samarcande, patrie de Tamerlau , qui conserve encore le tombeau de jaspe 
de ce fameux conquérant. 

(2) Gengis-Ran , l'un des plus fameux conquérants qui aient paru dans le monde, 
naquit en 1 154; il remporta pendant 22 ans les victoires les plus signalées sur les 
Mongols et sur les Tartares, dont il subjugua toutes les tribus. Fondateur d'un des plus 
grands empires du monde , dont les limites s'étendaient de la Chine â la Vistule , et 
de file de Sumatra à celle de Saghalien, il mourut enfin en 1226, à l'âge de soixante- 
douze ans. Sa puissance ne pasna pas à ses successeurs ; après sa mort, ils se par- 
tagèrent ses États. 

(3). Koublaï-Kan, fondateur de la dynastie chinoise des Mongous ou des Yuen, régoa 
avec gloire sous ie nom de Chi-Tsou , après avoir défait le dernier des empereurs de 
la dynastie des Soug, lesquels s'étaient déjà depuis longtemps retirés au delà du fleuve 
Kiang. Il fut reconnu pour souverain de toute la Chine vers l'an 1280. 

(4) Marco Polo, Vénitien, voyageur célèbre dans le xiii® siècle, par la singularité 
de ses aventures et la vaste étendue des pays qu'il parcourut , fut le premier Euro- 
péen qui parvint à la cour des empereurs chinois. Il fut traite avec distinctinn par 
Koublaï, auprès duquel il resta longtemps. Il revint enfin en Europe, où la relation 
de ses voyages eut une grande i nfluence sur les progrès de la navigation et du commerce. 
C'est à dater de cette époque que l*on commença à voir figurer sur les cartes géogra- 
phiques la Tartarie, la Chine et la Japon , pays inconnus en giande |)arlie des anciens, 
et l'extrémité de l'Afrique , que les navigateuis s'efforcèrent dès lors de doubler. 



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12 REVUE DE l'orient. 

voyageait dans rinde €t dans le Kathaï. Cette dynastie, appelée Yuen par 
les Gliinois , régna glorieusement en Chine pendant 88 ans : les annales 
chinoises en font un grand éloge. Mais le dernier empereur de cette race 
n'ayant ni les vertus, ni les talents de ses prédécesseurs, les Chinois le 
renversèrent du trône et lui en substituèrent un autre. 

Les Tartares passèrent dans Tlnde et portèrent leurs armes jusqu'en 
Europe, ravagèrent la Pologne, rendirent tributaire la Russie , et firent 
trembler tt)ut TOccident. Quand ils voulaient marcher contre une na- 
tion, ils agitaient leur grand étendard de ce côté-là, n'importe à quelle 
distance ils fussent : c'était pour eux une juste déclaration de guerre. 

Pendant longtemps, ils se montrèrent ennemis des mahométans; 
plusieurs fois le grand kan proposa et fit des alliances avec les pripces chré- 
tiens , pour réunir leurs armes contre Tennemi commun. Il y eut une 
coalition projetée entre saint Louis et le grand kan pour attaquer les Sar- 
rasins en même temps à l'orient et à Foccident : le saint roi envoya 
successivement en Tar tarie deux ambassades. On avait répandu le bruit 
en Europe que le kan était chrétien; ce qui fut trouvé faux. Rubréquis , 
frère mineur, était chef de la seconde ambassade; il rencontra quelques 
nestoriens à la cour de ce prince. En 1274 , le grand kan envoya une 
célèbre ambassade au second concile de Lyon. Le prince tar tare donnait 
au souverain Pontife, dans la lettre qu'il lui adressait, les titres, les plus 
grands et les plus magnifiques; mais, s'il se montrait généreux pour le 
vicaire de .lésus-Cbrist , il l'était encore bien davantage pour lui-même: 
il prenait les titres les plus pompeux et les plus fastueux. Toutes ces 
ambassades mutuelles se réduisirent à la conversion de quelques députés 
tartares. Les princes latins ne surent point tirer parti d'une si puissante 
alliance pour humilier l'islamisme; la religion seule en profita. Le saint 
pape Grégoire X envoya Corvin , frère prêcheur, annoncer l'Évangile dans 
les vastes contrées de la Tartarie : ce missionnaire fit des conversions nom- 
breuses; il envoya en Occident une relation de ses travaux; il demandait 
du secours, parce que, disait-il , son zèle ne pouvait point suffire au soin 
des néophytes et à l'instruction des infidèles. On ignore s'il eut des coopé- 
rateurs, les monuments historiques du temps n'en parlent pas. 

Vers la fin du xiu® siècle, le mahométisme, pour lequel ces peuples 
avaient montré jusqu'alors tant d'éloignement , commença à s'introduire 
parmi eux. Halon-Houla-Hou , un de leurs kans particuliers, était maho- 
métan ; il n'était pas pour cela plus favorable à) ses coreligionnaires. Au 
commencement du xrv® siècle, ce vaillant Tartare entra dans le Diarbeck 
et dans la Syrie; il vainquit le Vieux de la montagne et le fit mourir : il 
eut la gloire d'avoir délivré l'univers de l'assassin des rois. Le calife de 
Bagdad, croyant son autorité blessée, lui écrivit une lettre orgueilleuse, 
dans laquelle il lui demandait de quel droit il avait osé porter ses armes 
dans ces contrées , sans avoir pris ses ordres. A ne consulter que l'usage 
établi , la plainte était juste. Tant que les califes conservèrent la force et la 
valeur, eux seuls faisaient la paix ou la guerre ; mais, quand l'amour du 



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TARTARIE. 13 

plaisir et leur incapacité les eurent rendus méprisables , le commande- 
ment des armées passa à leurs lieutenants; seulement, pour que la guerre 
fût déclarée juste , les généraux et même les princes obtenaient l'agrément 
du calife et étaient censés être ses lieutenants. Le fier Tartare crut pou- 
voir se dispenser de la règle commune, il ne vit dans la lettre du vicaire 
du prophète qu'un outrage personnel : il court aussitôt à Bagdad , prend la 
ville et le calife, fait coudre ce dernier dans un sac de feutre, le fait lier à 
la queue|de son cheval » et le traîne dans les rues, jusqu'à ce que l'infortuné 
calife eût expiré. Avec lui périt le califat de Bagdad ; ceux d'Espagne et 
de Babylone, d'Egypte ou du Caire n'existaient déjà plus. Ainsi, depuis 
500 ans, l'islamisme n'a plus de représentant du prophète, et les pré- 
tendus vrais croyants sont acéphales. 

LesTartares mahométans ne sont ni de lasecte d'Omar, ni de celle d'Ali ; 
ils sont d'une secte plus particulière, plus simple et moins superstitieuse 
que celle d'Omar. 

De cette époque date là décadence de cet empire éphémère, composé 
de plusieurs nations différentes de mœurs et de langages. Différents kans 
formèrent des principautés indépendantes : la Chine secoua leur joug; les 
Européens les repoussèrent loin de leurs frontières; la Russie recouvra 
son indépendance sous le règne d'Ivan lil. Ce prince conquit le royaume 
de Kasan , et réunit la Sibérie à ses États. Ses successeurs étendirent leurs 
conquêtes au loin dans la Tartarie ; enfin ils se sont rendus maîtres du 
Kamtschatka, et ils l'ont civilisé; de là ils ont passé en Amérique, où 
leurs possessions s'étendent déjà jusqu'aux sources du Mississipi. L'em- 
pereur de Russie n'est plus obligé d'offrir pour hommage, le genou à 
terre, un pot de lait au député du kan, et de lécher les gouttes que le 
Tartare laissait tomber, en buvant, sur la crinière de son cheval. 

D'un autre côté, la Chine s'empara de la meilleure partie de la Tartarie, 
et recula les bornes de son empire non loin de la Perse et de la mer 
Caspienne. 

Tamerlan , Tartare lui-même, après avoir vaincu et fait prisonnier Ba- 
jazet P"^, empereur des Turcs , dans les plaines de l'ancienne Mésopotamie, 
tourna ses armes vers l'Indostan, dont il s'empara. Alors fut anéantie 
pour jamais la puissance de la famille de Gengis-Kan, qui avait r^né 
dans la majeure partie de l'Asie, et menacé l'Europe d'une entière inva- 
sion. 

Les successeurs de Timur n'ont pas eu un meilleur sort : au com- 
mencement du xviH* siècle, Tamas-Kouli-Kan entra dans l'Inde, et s'em- 
para de Delhi , dont il fit égorger plus de 100,000 habitants en quelques 
heures; il retint prisonnier Méhémet-Schah , empereur des Mogols, et ne 
lui rendit la liberté et ses États qu'en lui imposant les plus dures con- 
ditions; puis il retourna en Perse, chargé de richesses immenses. 

Les Anglais enfin, depuis peu d'années, se sont emparés du reste des 
États du Mogol et de ses trésors : ils ont réduit ce prince à une simple 
pension. Il n'y a plus aujourd'hui d'autre Tartarie indépendante que cette 



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14 ftETUE UE L^^^^ENT. 

partie de TAsie q^i se trouve ^-esserrée entre la Peçse, ks pùssessioBS 
chinoises et celles (le la Russie. 

Les Huns ou les Avares, qui, dans des temps plus reculés , firent tai^t 
de mal à l'empire ron^ain, étaient aussi ts^rtares; ils habitaient à Test 
du Palus'Méotide ( mer d'Azof ou de Zabaches ). Sous le règne de Valen- 
tinien lli, Attila, roi des Huns, après avoir soumis tous ses voisins, 
les força à le suivre et h marcher contre Rome. Ce prince , surnommé 
le fléau de Dieu, ravagea la Germanie, la Belgique et une partie des 
Gaules; il renversa de fond en comble Trêves, Auxerre, Arras, B^an^n 
et bien d'autres villes. Dans ces temps malheureux , la religion seule 
préserva l'empire romain d'une entière ruine; tandis que le prince et 
les peuples consternés restaient dans l'inaction , plongés dans une esp^ 
de stupeur ,Jes évèques seuls veillaient au salut de TÉtat. Sainte Gei[ie- 
vièye sauva Paris par ses prières; mais cette héroïne de lareMgi<;Ma fut 
mal récompensée du soin qu'elle prenait de ses compatriotes; pçu s'en 
fallut qu'ils ne la jetassent dans la Seine. Saint Loup i par sa vertu et 
par son éloquence, préserva Troyes de la fureur d'Attila. Saint Arnaud, 
voyant Orléans menacé d'un siège qu'il n'était pas en état de soutenir, 
implora le secours d'Aétius, Hun lui-même, et général des armées ro- 
maines. Attila leva le siège, et se retira. Aétius l'atteignit dans les plaines 
de la Champagne, près de Châlons-sur-A^rne , lui livra bataille, lui tua 
plus de 100,000 hommes , et le força à repasser le Rhin. Attila reparut 
l'année suivante avec une armée formidable : il porta la désolation et 
la mort dans le nord de l'Italie, marcha droit à Rome; en passant, il 
prit Aquilée et la saccagea. C'en était fait de Rome, si elle ];i'eût eu 
un pape tel que saipt Léon. D'im seul mot le pontife arrèu Attila 
dans sa course , et lui fit repasser le Danube. Le barbare méditait une 
troisième expédition , lorsqu'il mourut d'une hémorrhagie la nuil, de ses 
noces. 

Le portrait que saint Loup fait d'Attila convient aux Tartares que j'ai 
sous les yeux* Un visage plat y un nez épaté, des yeux petits etpétUUuus , une 
barbe légère et hérissée » un teint basané, les cheveux noirs et rudes, une taille 
carrée : à la petitesse près, c'est parfaitement le portrait d'un Mantchou w 
d'un Mankou. 

Cette partie de la Tartarie appelée Heize pu H^eisse par les Chinois n'est 
autre, en effet, que la Mongolie des Européens. Ses habitants, pour la plu- 
part , ont été idolâtres jusqu'au xiv*' siècle; dès lors le mahométisinie fit des 
progrès rapides dans ces contrées. Il est certain qu'il y a eu des chrcliçns^. Il 
est probable que le Preste- Jean ou Prète-Jean, si fameux dans l'histoire 
ecclésiastique du moyen âge, régnait dans le centre de la Tartarie. Il éuit 
prèlreet roi; il paraît qu'il était nestorien. On raconte bien des hisloi,r<?s 
.sur le compte de ce prince et de son royaume, je doute qu'elles soùîu^ biçn 
authentiques. Je crois avoir lu qu'il n'y avait qu'un seul évêque dan^ i^ 
vastes États. Ce prélat faisait successivenient la visite de toutes, les prp.vivo^s 
4e Tempire: il ordonnait prêtre» tpus les, enfs^tsi ui^les qui ^i^tM(^ ^ 



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tARtAHlË. U 

depuis la dernière visite. Ainsi, dçpui$ le prince jusqu'au dernier sujet, tous 
les hommes étaient initiés au sacerdoce. Si Iç royaume du Preste-Jean était 
pauvre en évêques, il était au ipnoins abondamment pourvu de prêtres. Quoi 
qu'il en soit , ces prêtres n'étaient tenus ni au célibat, ni à robseryation des 
ac^tres lois que TÉglise a imposées aux ministres des autels. Les Poirtug^is, 
il est vrai , ont placé le Preste- Jean dans TAbyssinie. Il est certain qu'ils son^ 
dans l'erreur ; les auteurs du moyen âge donnent clairement à entendre que 
le Preste-Jean était dans le centre de l'Asie : l'Abyssinie est placée bien avant 
dans l'Afrique. Le premier était nestorien; et les princçs abyssins, euty- 
chéens. Le prince tartare ^tait prêtre (1); le pape Alexandre m lui dpnn^ 
le titre de très-saint prêtre, sanctissimus sacerdos, dans la lettre quç ce pon- 
tife lui écrivit (l'an 117^) pour lui donner Içs éclai^rcissements que celui-ci 
avait demandés sur certains points de reli^fion; au contraire, aucun prii^ce 
abyssiu n'a été prêtre, du moins personne ne saurait le prouver. Enfin, 4 
l'époque où l'on a commencé à parler du Preste- Jean, les Européens voya- 
geaient de préférence en Àsi^; pour l'Afrique, ils n'en connaissaient quç la 
partie septentrionale. Depuis les conquêtes de Gengis-Kan et de ses succes- 
seurs, on n'a plus entendu parler du Preste- Jean; il est probable que les 
Tartares s'emparèrent des États de ce prince, et qu'ils en dispersèrent les 
chrétiens, ou les uiirent à mort. Les ambassadeurs de saint Louis ne trou- 
vèrent aucun vestige de christianisme dans ces vastes régions; ils virent 
seulement quelques nesioriens à la cour du grand kan d,es Tartares ; ils ren- 
contrèrent, sur leur routes, des villes ruinées et dçs plaines jonchées 4ç 
cadavres et d'ossements : cela pouvait être les débris et les reliques , en quel- 
que sorte, des États et d^ sujets du Preste-Jean; mais ce n'est pas une 
preuve démonstrative. 

Il est certain que les nestoriens , poursuivis par les empereurs grecs çt 
chassés hors des limites de l'empire, trouvèrent un asile en Perse. Les suc- 
cesseurs de Sapor crurent se venger des Romains en recevant, dans leurs 
États , des hérétiques que ceux-ci repoussaient loin de leurs provinces. De 
là , les nestoriens entrèrent dans l'Inde et les autres royaumes de la Perse ; 
en s'avançant toujours vers l'oriçnt, ils pénétrèrent en Chine, dans le vi® 
ou le VII® siècle : quelciues nionuments, découverts en Chiné dans ces der^ 
niers temps, prouvent qu'il y avait à cet^e époque çles chrétiens nes- 
toriens. 

Dans Icxni® siècle, Corvin, missionnaire dominicain, prêcha l'Évangile 
en 'Tî^rlarie : il eut de grands succès; mais, son zèle n'ayant poiot été sou- 
tenu, ces nussions s'éteigniren,t après la mort de ce saint missionnaire. Peu 
^près, cçs peuples embrassèrent Tislamisme; dès lors tout espoir (Je les 



(1) C'rtil en 1145 que Thi^loiie eccléslasliquc parle pour la première fois du Préte^ 
Jiao : on dÎKait, à «Ile époque, qu'il avait veujporlé des vicioiçes coïuidérables «ir 
\m Pemm, et qu'it vouiîui venir aru secoyrii de ia^ Tçrre-sainlç, cm favçuç d<e MqqeUa 
i(m»mui a^rs ^ç^^O^^§M^î^ 32 î^u* ym t^v^, ^ m^ Alpxà^Cre VI loi écrirait \^ 



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16 ttEVUE DE l'orient. 

soumettre aux lois de l'Évangile fut à peu près perdu : on sait que la conver- 
sion d*un juif ou d*un mabométan est un prodige. Il n'y a aujourd'hui en 
Tartarie d'aulres chrétiens que ceux qui y ont été exilés pour la foi : les 
Tartares idolâtres convertis à la foi sont bons chrétiens. 

D'après la relation d'un chrétien qui a passé dix-huit ans dans le Yli, 
et le peu que je sais de mon propre fonds, la Tartarie en général, la 
Mongolie, tles (erres des Mankoux et des Mantchoux, comprennent des 
régions immenses ; c'est un pays coupé , en certaines parties , par des mon- 
tagnes fort hautes; dans d'autres, on trouve de grandes plaines de 
sables, et de vastes déserts remplis de bètes de somme et d'animaux féroces; 
il y a même des tigres; en un mot, la Tartarie est stérile, à quelques con- 
trées près, et mal peuplée. Il y a, parmi les Tartares , plusieurs tribus qui 
errent dans les déserts à la suite de leurs troupeaux , à la manière des 
Scythes. 

La Tartarie occidentale est un pays pauvre et très-froid. Sivang n'est 
guère qu'au 4V degré 39 minutes de latitude , c'est-à-dire plus au midi 
qu'aucune ville de France; et cependant il y fait aussi froid qu'en Pologne. 
Les gelées blanches, quoique peu sensibles dans un climat si sec, commen- 
cent à la fin d'août, ou à peu près. L'année dernière, il y gela fortement le 
8 septembre. Dans les vallées qui sont peu échauffées par les rayons du 
soleil , il y a de la glace toute l'année ; cependant cette contrée n'est qu'à 
60 lieues de la mer. Les montagnes les plus élevées n'ont guère plus de 200 à 
250 toises d'élévation. On monte peu de Péking à Sivang , si l'on suit la vallée. 
En hiver ici, et surtout dans les environs, le thermomètre de Réaumur des- 
cend jusqu'à 30 degrés , et quelquefois plus bas : alors toutes les liqueurs gè- 
lent, excepté l'esprit-de-vin. Je disais la messe dans une petite chapelle rem- 
plie de monde; il y avait quelquefois deux brasiers à côté de l'autel, on 
conservait le vin dans un vase d'eau chaude ; malgré ces précautions, j'avais 
bien de la peine à empêcher que les saintes espèces ne gelassent. Dans ces 
occasions, on ne peut toucher aucun métal; si peu que l'on ait les mains 
moites, l'objet se colle aussitôt fortement aux doigts, et on ne l'enlève qu'en 
arrachant quelquefois l'épiderme. Lorsque Ton sort, et que l'on reste quelque 
temps en plein air, les vapeurs qui s'exhalent par la respiration se congèlent 
sur la barbe et sur la moustache , et forment des glaçons de l'épaisseur du 
doigt. Quand on voyage , on est obligé de se couvrir le nez et les oreilles avec 
une espèce de capuchon fourré qui descend sur les épaules ; sans cette pré- 
caution , on serait exposé à les perdre. Gela n'empêche pas que, les poils des 
moustaches se collant avec ceux de la barbe , la bouche ne reste , pour ainsi 
dire , fermée à clef: alors on respire plus par le nez que par la bouche. Tout 
ce que je rapporte ici est fondé sur ma propre expérience, et sur celle des au- 
tres aussi. Transporté tout d'un coup des chaleurs delà ligne dans un climat 
si froid , j'aurais dû, ce semble, m'en ressentir; je n'ai éprouvé cependant 
aucun effet sensible de l'influence d'une telle température. Gomme on est 
toujours couvert de la tête aux pieds , que le ciel est constamment beau et le 
soleil brillant, on s'aperçoit peu de l'intensité du froid. Néanmoins mes 



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TARTARIE. 17 

compagnons de voyage se sont un peu ressentis de la dureté du climat, ils 
ont été malades pendant tout le temps que le thermomètre de Réaumur 
s'est soutenu de 20 à 30 degrés au-dessous de zéro. 

Voici la graduation croissante ou décroissante du froid , selon les différents 
mois de Tannée : 

8 septembre, de 3 à 4<> au-dessous de 0, thermomètre de Réaumur, 

Octobre, du 20 au 22 9^ Vî 

Fin de norembre. W V^^ 

31 décembre. 28» Vi 

7 janvier, près de. 26® 

Aux environs de Sivang, dans une exposition favorable 30* 

et quelquefois davantage. 

Mi-février 20» 

Du 18 au 20 mars, presque IT** 

15 avril 13«» 

8 mai W 

7 juin Yi 

Je pense que, le 20 du même mois, le thermomètre pouvait être au moins à 0. Je 
ne pus pas Vobserver. 
Tout le mois de juillet a été frais et pluvieux. 
A la fin du mois d'août , il m*a paru que le thermomètre était à 0. 
Les 25 , 26 , 27 septembre , fortes gelées. 

Depuis la fin de Tétéjusqi^'â la mi-février, le ciel est ordinairement beau, 
et Tair très-pur; dans les grands froids , Tatmosphèrc est aussi azurée dans 
l'endroit opposé au soleil qu'au zénith. On ne voit point, comme en France, 
même dans les plusl)eaux jours, ces légers nuages ou ces vapeurs blan- 
châtres qui ceignent Thorizon d'une espèce de gaze plus ou moins épaisse; 
le soleil est chaud dans les lieux abrités, et dans une position favorable il 
dégèle un peu; mais l'air est toujours glacial. Voici le rapport de différence 
d'une position à l'autre. 

Au lever du soleil , le thermomètre marquait 23P au-dessous de ; midi , à l'om- 
bre, 11 J^. 

Au soleil, midi trois quarts, 27® au-dessus de 0; différence de l'exposition de 
l'ombre au soleil, 15 V4"- De sept heures du matin à midi, à l'ombre, différence 11 V4. 
—Différence du soleil à l'ombre, et de sept heures du matin à une heure après-midi, 50®. 

Jutre observation. A sept heures du matin, 26^ au-dessous de 0. — Midi, à l'om- 
bre , 1 7 y^ ; au soleil , 19 V^ au -dessus de 0. — Différence du matin à midi , à l'om- 
bre, 8 Vi* ~* Du matin à midi , au soleil, 45® Vs* 

De la fin de novembre jusqu'au 1^** avril , on passe sur la glace la petite 
rivière qui coule devant Sivang. La terre est gelée bien avant dans le mois 
de mai. Il est bon d'observer que l'hiver dernier a été fort doux , comparé 
aux hivers précédents ; tout le monde en convient. Quelle aurait été l'inten- 
sité du froid , si l'hiver eût été rude! 

Les habitants de la Tartar4e ne craignent point le froid ; tant que la tem- 
pérature n'est qu'à 16 ou 18 degrés, ils disent qu'il ne fait pas froid » mais 
IX. 2 



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IS REVÔB M i'MUBHT. 

frais teo^ement. (kHnnae les ehaf«llei «à nom oMtetoat \m tfykmUiii 
étaieDt trop petites , «ne partie 4e$ fdèles était oMi^ée é^em %nk é t % la i 
dans une cour; il y avait 4e quoi Apissônner qou^ an rayait éia i 
et des femmes à geBOox, par un frmd terrible, sur ub taa de iMiyaaa de 
glace, peudaut une heure et demie ou deux heures. Les meadlants qui ne 
trouvent aucun abri pour passer la ni)it se blottisse||t dans la i^i^. L'çx- 
péfie^çe semble démontrer, en effet , que dans les coqlré^ ^p^ntf yougi^es 
le tber^pomètre descend moins sous la neige qu'à la surface (t), 

l^es ^in>^ux semblent participer de ce tempérament. Les l>^t^ ^ %9n^e 
et les autres animayi^ domestique^ n'ont ni éts^bie, ni écurie , aia^^ ^ju^l- 
que fraid qu'il, fasse , iU loftt lauiaiirs W^ 4 (a helk ^otle ; Ma m, «'^9 res- 
sentent pas, on dirait même qu'ils ont plus de vigueur* Au caalraiif , taa 
chaleurs de l'^é, qui ne sont pas assurément excessives, débiftitast lc«rs 
forces. La nature semble avoir prévu cet inconvénient, elle les a pourvus 
d'une, (jlpubie fourrure; tous ces animaux sont couverts d'un poil km^, épais 
et crépu. 

M D^ifi« Karçq)i»9it, et fQv{ peg ch^^e fQi$. Dans le printemps , l'air n'est 
pas si pur qu'en hiver; l'atmosphère est souvent surchargée de lé^n^ brouil- 
lards dont la réfraction est désagréabte ^ la vue; iU brisent çt ifefléi;his$^t 
en tous sens les i^ayoïi!» du 9rié^ ; le ci^l r«s$yQ«Able à flu if^rf e 4^i- U s'élève 
quelquefois des vents du nord-ouest très-icMFts^* ilê eatralAaiU 4e^ loqrbiUops 
de poussière qui produisent l'effet d'un nuage épais. L'été est la saison de 
Tannée où il pleut davantage. En plein air, à l'ombre, le thermomètre OKmte 
jusqu'à 3d et ^T de Réaumur ; dans les chambres, il monta rarement à 29 
et 27^ A Pombre , la différence du grand froid et des grandes ckateurs est 
de eny* de Réaumur. 

Les montagnes de cette partie de la Tartarie sont aussi tristes que edtes de 
Chine. Dans (es vallons, les gpr^ et les ravins, il y a quelques arbustes, e( 
même quelques arbres fruitiers sauvages, dont les habitants ne sà^eot 
pas profiter : ils n'ont , pour se chauffer, que ces arbustes et quelques herbe» 
sèçb^ Ui S ? <^^ wm ^ 9itia«^n-^ mai^ li&gat),ver()<»iMen^ m m^l^ W^ 
de les exploiter. 

Leatifi^qukio«ie««itt^ce f^radttin^al ua peu 4a fcaneal, dç Vawiw, 
du sarrastt, te nîëeli eli HBekyas léçunas. IroiUes le% céréate sodé fMfc 
maigres, al spuva»! la fraie ou ta séaberasse les. fait périr e» partta a^vanb I» 
moisson. Le chanvre est Ita plante qui vient le mieux ; il s'étève jiisqii^ft la 
hauteur de T à î^ pieds, et peut-être da van laçe. Depais quelques années, on 
cultive en Tartarie les pommes de terre ; elles prospèrent et produisent 

ima^nt. Om «ail q«i#c«u<» pi^t,cipyiî4ei<?i|s4f ,. wiw^e ^y^»^m^^ m- 

(1) C'est ainsi que l'on voit des plantes résister^ sou» l^abrî de la aet5a , aus r^poa^ 
reuaetloayhiMrs^dalaSibért», |gi quo iia > iiapaMi»ia»raita» 
poaaaolséfatPimUHiilai 



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EMPIRE DES BARMANS. 19 

dans Unit« TEarope; Umt récemment elle a été portée de la RuMie es 
Tartarieet dans le nord de la Chine. C'est le supplément du pam et do riz. 
La eontrée de la Tartarle où se trouve Sivang n'a commencé à être eulti-^ 
Yée que depuis quatre-vingts ans. Le froid, quelque grand qu'il y soit encore, 
Test d^à beaucoup moins qu'autrefois : on y sème aujourd'hui des grains 
qu'on ne pouvait pas semer il y a trente ans. On sait qu'à mesure que les dé- 
frichements augmentent, le froid diminue proportionnellement; les terres 
cultivées conservent la chaleur , et absorbent mieui les rayons du soleil que 
les terres en friche. Les Grrecs ont fait cette observation par rapport à la 
Thrace,et les Romains à l'égard des Gaules; ce qu'ils rapportent de la 
température de ces régions conviendrait à peine aujourd'hui au Danemark 

ou k la Suèêe. 

B. BnvcinÉaB. 



EMPIRE DES BARMANS. 

Septième article (1). 



aut. -^ B«f taUp«iilnfl. — Fragmeiitt de quelques femonf de Oodama. 

Les talapuins ou talapouins sont appelés Rafutn par les Barmans; 
ce mot, en langage pâli , signifie hommes saints , faisant allusion à la 
sainteté de leur vie , qu'ils doivent manifester dans toutes leurs actions. 
Ce sont les prêtres et docteurs du pays, non parce qu'ils offrent des sacri- 
fices et oblations, ou parce qu'ils font des prières publiques pour le peuple, 
ni parce que beaucoup d'entre eux exercent ces actes de religion devant les 
pagodes; mais parce qu'ils accompagnent les morts â la sépulture et y 
récitent le Tara , qui est une espèce de sermon qu'ils font au peuple ras- 
semblé; ils pourraient peut-être avec plus de raison s'appeler religieux 
doltrés, parce qu'ils vivent en communauté et dans le célibat et qu'ils 
ont diverses règles et constitutions sévères à observer. 

il n'y a pas de village , quelque petit qu'il soit, qui n'ait une très-grande 
maison de bois^ laquelle est une espèce de couvent que les Portugais des 
Iodes ont appelé baos : l'architecture de ces édifices est variée ; les tala- 
puins du royaume d'Ava lui donnent une forme , et ceux du Pégou une 
autre. Tous les baos ont un chef ou grand talapuin qui se nomme ponghi, 
leqod a aa^dessous de lui une espèce de diacre ou adjoint appelé pazen. 



(I) yobtRctnteéhtOtitni, tome vi, pages 77, 168, 227 et 325; tome viif, pages 3 
etl». 



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20 REVUE DE l'orient. 

La maison ensuite est composée des scien, qui sont comme les clercs oa 
les disciples du grand talapuin ; pour la plupart ce sont des jeunes gens 
qui prennent Thabit de religieux pour deux ou trois ans, car les Bar- 
mans aisés ont la coutume de faire prendre Tbabit de talapuin à tous 
leurs fils, dès qu'ils sont arrivés à l'âge de puberté, non-seulement pour 
leur faire acquérir des mérites dans les transmigrations futures, mais 
encore plus , pour leur faire apprendre à lire et à écrire. Tous les tala- 
puins qui vivent dans les divers baos d'une province relèvent d'un grand 
talapuin qui correspond au provincial de nos ordres religieux; et dans 
tout le royaume, ceux-ci sont subordonnés au zarado, ou grand pro« 
fesseur du roi, qui réside dans la capitale. 

De tous les édifices, les baos sont ceux dans lesquels Tarchitecture bar- 
mane est la plus remarquable ; on en trouve qui sont totalement dorés 
du métal le plus pur en dedans et en dehors, et plus particulièrement 
ce sont ceux que le roi et ses fils font construire au zarado. 

L'habit de talapuin consiste ordinairement en trois morceaux de toile 
de coton jaune. Ceux qui ont des bienfaiteurs riches le font aussi en 
soie ou en étoffe de laine d'Europe. Avec un des morceaux ils s'entourent 
les reins qu'ils serrent avec une ceinture en cuir ; ce morceau tombe jus* 
qu'aux pieds. Le second, qui a la forme d'un rectangle, leur sert de manteau 
et ils s'en couvrent les épaules et le corps. Le troisième est un autre 
manteau de la même forme qu'ils adaptent replié en beaucoup de doubles 
sur l'épaule gauche, et dont les deux extérmités restent suspendues et 
vont deçà et delà sur le corps. Toutes les fois qu'un talapuin sort de 
son baos, soit pour accompagner les morts ou pour tout autre objet, 
il est tenu de porter Vavana sur l'épaule droite : c'est une espèce d'éven- 
tail tissu avec des feuilles de palmier ; ei un des disciples qui le suivent 
porte un morceau de cuir qui lui sert pour s'asseoir dessus. Tous les matins 
les talapuins doivent aller par les maisons mendier du riz cuit , et d'au- 
tres comestibles, et à cet effet ils portent avec eux un pot de couleur 
noire, dans lequel ils mettent confusément tout ce qu'ils recueillent. 

Les lois ou règlements défendent aux talapuins qui sont ponghioupa- 
zen de faire la cuisine avec leurs propres mains, de travailler, planter, 
trafiquer; il ne leur est pas même permis de commander aux autres de 
faire la cuisine dans leurs baos. Ils ne peuvent avoir aucunes provisions , 
ou conserver aucune sorte de comestible. 11 leur est défendu de prendre 
avec les mains une chose qui se mange ou qui sert à leur usage, quelle 
petite qu'elle soit, si auparavant elle ne leur a été présentée: ainsi, à 
tout moment , pour les choses qui sont nécessaires à ces talapuins, se pra- 
tique la cérémonie qui en langage pâli est appelée akal^ ce qui signifie 
offrande ou présentation , lequel se fait de la manière suivante : quand 
un talapuin ponghi ou pazen a besoin de quelque chose , il dit à ses disci- 
ples : Faites ce qui est permis . et alors ceux-ci présentent la chose désirée 
et répondent : Maître t ceci est une chose permise^ et le talapuin la prend 
avec les mains, la mange ou s'en sert. Cet acte de pr^ntation doit* 



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EQIPIRE DES BARMANS. 31 

se faire à la distance de deux coudées et demie, autredaent le talapuin tom- 
berait dans le péché; et si la chose présentée est un aliment, il en com- 
mettrait autant qu'il en aurait mangé de bouchées : de plus , il lui est 
défendu de demander directement ou indirectement une chose quelconque 
qui lui soit nécessaire, il peut seulement l'accepter et s'en servir quand 
elle lui a été spontanément donnée ou présentée par un autre; mais cette 
dernière règle est peu observée. 

Il n'est pas permis aux talapuins de posséder de biens temporels , ils 
ne peuvent avoir d'esclaves achetés et ils doivent se contenter de ceux 
qui sont au service des baos. Il leur est expressément défendu de toucher 
de l'or et de l'argent avec les mains ; mais maintenant il y en a peu qui 
prennent cette dernière règle en considération , ils l'éludent en s'envelop- 
pant les mains avec un mouchoir, et alors ils n'ont plus de scrupule 
de prendre n'importe quelle somme d'argent; ils sont, en général, insa- 
tiables et ne font que demander. 

Godama ordonna aux talapuins ;de porter leur habit formé de beau, 
coup de lambeaux d'étoffe , rebutés par le public et jetés par terre sur 
les chemins ou au lieu des sépultures. Ils observent cette prescription en 
formant leurs vêtements de beaucoup de morceaux cousus ensemble ; mais 
à l'égard de la qualité ils font toujours en sorte d'avoir de la meilleure. 

Quant à la continence et le célibat que gardent les talapuins , ils sont 
admirables et suivent exactement la règle. Il leur est défendu de dor- 
mir sous le même toit où une femme doit sommeiller , de monter sur 
une barque ou un charriot où il s'en trouverait une , moins encore de rece- 
voir dh^tement des mains d'une femme une chose quelconque pour leur 
propre usage, et la précaution en cela va si avant, qu'ils ne peuvent toucher 
les vêtements de la plus petite fille. Le scrupule, cependant, cesse à l'égard 
des vêtements des femmes quand quelqu'une vient leur en offrir comme 
don; parcequ'alors ils croient qu'ils perdent toute cause d'impureté et que l'é- 
toffe est en quelque sorte sanctifiée par le mérite de l'aumône. La loi leur im- 
pose, afin qu'ils puissent se maintenir chastes, de ne pas manger après le 
milieu du jour et encore moins le soir, parce que de doctes talapuins ont 
dit que le manger, excitant le mouvement du sang,sert de levain à la luxure. 
Les barmans croient généralement que la continence est absolument néces- 
saire à l'état du sacerdoce , et ils estiment d'autant plus leurs talapuins, 
qu'ils sont chastes et continents; c'est par ce motif qu'ils honorent et respec- 
tent les missionnaires catholiques et qu'ils n'ont aucune considération pour 
les prêtres arméniens, les imans des Arabes, et surtout pour les ministres 
anglicans , parce qu'ils savent qu'ils sont mariés. 

Quand il arrive qu'un talapuin, contre l'ordinaire, commet quelque acte 
de luxure, spécialement avec des femmes mariées, les habitants de l'endroit 
le chassent en son baos , et cela quelquefois à coups de pierre ; le gouverne- 
ment même procède contre le coupable , lui retire l'habit en le chassant 
publiquement. Lezaradodu roi Zinguza, ayant commis une impudicité, 
et ce délit ayant été aennu, fut privé de tous ses honneurs, et il fut heu- 



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f3 REYIJE BE l'ORICHV. 

reas de pouvoir s'édiapper , parce que ie roi voulait abMtameiit qu'il fût 
décapité. 

Les talapuios soot d'autant plus cousidérés dea Barmans que ce soot 
les seules personnes qui se livrent à Téducation de la jeunesse. A peine tous 
les enfants, sans exception j sont-ils arrivés à l'âge de discernement, qu'ils 
sont envoyés tous les jours aux baos, pour être instruits, et ordinairement, 
après quelques années, presque tous ceux qui ont de l'aisance, et ceux parmi 
les pauvres qui ont été remarqués des professeurs, revêtissent, ainsi qu'il a été 
déjà dit, l'habit de talapuin, afin de mieux apprendre les saintes écritures et 
d'acquérir des mérites pour eux et pour leurs parents. La cérémonie qui 
accompagne cette prise d'habit est attrayante pour la jeunesse et ressemble 
à un triomphe : Fenfant qui va être admis, montant un cheval richement 
harnaché, vêtu dessins somptueux habits comme s'il était un des premiers 
mandarins, est conduit dans tous les quartiers de la ville ou du village, 
accompagné de musiciens et suivi d'une foule de peuple; un grand nom« 
bre de femmes précèdent , portant sur leur tête Thabit , le lit et les 
autres ustensiles de talapuin , des fruits et d'autres présents pour le ponghi 
et ses disciples. Lorsque le eort^e est arrivé au lieu déterminé , le grand 
talapuin coupe le chapeau du candidat, et après l'avoir deshabillé le reeoi»* 
vre de rhabit de talapuin. 

Les honneurs et le respect que les Barmans rendent aux talaf^ins, et 
spécialement aux ponghis , sont excessif^ et Ton peut dire semblables à ceux 
qu'ils rendent à Godama. Si un Barman rencontre un talapuin sur sa 
route, il s'arrête et lui cède respectueusement le passage; s'il va trouver un 
ponghi, il doit s'agenouiller, lui faire trois fois avec les mains élevées la 
révérence ou pour mieux dire l'adoration, et rester dans cette position jus- 
qu'au moment de se retirer. 

Les talapuios ont tant d'autorité, qu'ils délivrent quelquefois les criml-' 
nels du dernier supplice. Avant le roi Badousachen , il était bien rare de 
voir quelqu'un décapité, parce qu'à peine les talapuins avaient*ils apprit 
qu'on conduisait un coupable à la mort , qu'ils se réunissaient en troupe 
portant chacun un gros bâton sous l'habit, ils assaillaient les gardes, et après 
les avoir contraints à fuir, s'emparaient du condamné, lui retiraient ses 
liens, le conduisaient dans leur baos, et après lui avoir rasé la tête, la 
couvraient d'un voile par lequel il devenait en quelque sorte sanctifié et in# 
violable. Mais maintenant ils ne se livrent guère à cette violence qu'après 
avoir obtenu l'assentiment des mandarins. Comme dans la loi de Godama 
il est défendu d'ùter la vie à n'importe quel animal , même malfaisant, tels 
que serpents et chiens enragés^ les talapuios croient faire un acte mért* 
toire en sauvant la vie aux malfaiteurs, quels que soient les crimes qu'ils 
ont commis. 

Un des délits les plus graves est de frapper , même légèrement, HH.tal»t> 
puio. La grande vénérât ion que les Barmans ont pour les ponghis se fait sur* 
tout remarquer après leur mort ; comme de leur vivant il:» sont réputés 
être en éiat de sainteté, leurs corps sont sancliâés, et iia les traitent avee 



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EMPIRE DBS BàRMAlVS. ^ 

Ift pli» graiMiti hoanelirs. A peiné an grand talapuin a^t^-il rendu le dernier 
sonpir , qu'ils lui retirent les entrailles et les enterrent datas un lieu respecté ; 
ils embaument eàsnite le corps et lui enveloppent tous les membres avec un 
drap blanc en plusieurs doubles sdr \eé\nk\ on passe plusieurs eouchbs de 
vernis, que Ton recouvre de faillies d'or; puis ils le placent dans un grand 
œrcneil et Tckposent à la vénération publique. Très^-souveat les ponghis 
fbnt construire leur cercueil , à Tav^nee, par les ouvriers les plus habiles» 
Lés ornements dont il est recouvert excitient non^seulement la curiosité des 
indigènes, mais aussi celle des étrangers; outre qu'il est tout doré, il 
est décoré de beaucoup de fleurs en relief, de petits miroirs incrustés, et 
quelqueféis même de pierres précieuses. Pendant le temps que Ton prépare 
les feux d'artifice et les autres choses nécessaires pour la fête des funé- 
railles , le cercueil est continuellement entouré de musiciens jouant de toutes 
sortes d'in&truments, et cela dure pendant beaucoup de jours et même plu- 
sieurs mois ; le peuple y accourt en foule , et chacun , selon ses moyens , y 
fait religieusement des offrandes en riz , fruits et autres choses , qu*i se con- 
somment pendant ces jours de deuil, ou qui se conservent pour la fête funè- 
bre, ixirsque le jour de cette grande cérémonie est arrivé, le cercueil est 
posé sur un très-grand char à quatre roues , et avec de grandes cordes tout 
le peuple, hommes et femmes, le traîne au lieu de la sépulture, et 
comme les Barmans pensent qu'il y a un grand mérite dans celte opération , 
ils y mettent une ardeur telle qu'elle est curieuse à voir: ils se partagent 
d'abord en deux troUpes à peu près égales, qui se mettent à tirer en sens 
contt^ire, et celle qui l'emporte a la bonne fortune de conduire seule le 
cbar à sa destination. Quelques moments après son arrivée, on donne 
le spectacle du feu d'artifice , lequel consiste entièrement dans de grandes 
fusées, dont je crois utile de donner la description : les artificiers prennent 
un morceau de bois de tech arrondi , de 2 à 3 mètres de longueur et d'en- 
viron 25 centimètres de diamètre, et, après l'avoir foré, ils le remplissent 
et le chargent avec de la poudre faite seulement avec du salpêtre et du 
charbon pilé, ensuite ils lui attachent un très-long bambou ou jonc, pour 
lui servir de baguette. Indépendamment des fusées qu'ils font élever dans, 
les airs, ils placent de pareils artifices, mais sans baguettes, sur un grand 
nombre de chariots qu'ils font courrir tout enflammés autour du lieu où 
l'on doit brûler le corps du talapuin. Cette dernière opération a lieu au 
moyen d'une fusée qu'ils font glisser le long d'une corde et qui met le feu 
au cercueil, autour duquel on a ramassé d<fs monceaux de poudre mal se* 
ctaée, de bois sec et d'autres matières très -combustibles; dans peu de 
temps li^ tout est consumé. Cette grande solennité se termine le plus souvent 
par la mort de quelcpieti-iins des spectateurs, ou pour le moins par de fâ- 
dtktvix accidents , tels que fractures de bras, de jambes et autres blessures 
graves; le tout est causé par la chute de ces fusées démesurées, et beaucoup 
plds encore par celles qu'ils font confusément courir sur les chariots, qui 
brillent et blessent lès personnes qu'elles rencoiitient. 
Un des efùcm des taèapuins est de dire le Tara, de faire le :>ermon ou di.^- 



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24 REfUE DE l'ORI^T. 

cours au peuple. Cet sermons n'ont pour la plupart d'autre but que l'au- 
mône, non celle qui concerne les pauvres nécessiteux; mais bien celle que 
les talapuins eux-mêmes espèrent de leurs bienfaiteurs. Us sont loin de 
prendre pour modèle les sermons de leur dieu Godama , dans lesquels il traite 
beaucoup de l'aumône et de ses mérites, et où il donne d'utiles leçons sur 
les autres vertus morales; la plupart d'entre eux négligent les préceptes 
moraux et ne conservent que ceux qui sont dans leur propre intérêt. 

Après deux ou trois années passées dans les baos, la majeure partie de 
ceux qui prennent l'babit de talapuin le quittent et retournent dans leurs 
maisons et dans leurs familles. Ceux qui persévèrent e( ont la volonté de se 
consacrer â l'état du sacerdoce sont d'abord admis comme pazen^ ou 
adjoint d'un poughi, auquel ils peuvent succéder après sa mort. Quoique 
les talapuins qui ont ces deux grades n'aient pas l'obligation formelle de 
garder toujours l'babit, et puissent à leur plaisir le déposer ; le plus grand 
nombre cependant le conserve pendant plusieurs années et beaucoup pen- 
dant toute leur vie. 

La cérémonie à laquelle sont soumis ceux qui aspirent à la dignité de 
pazen, faisant connaître les principales règles auxquelles sont assujettis les 
talapuins, mérite d'être rapportée, et ce que je vais en dire est transcrit 
d'un livre appelé chaomaza , qui est le livre pontifical , écrit en langue 
pâli. Le conseil des talapuins se rassemble dans un ip^nd édifice ou 
temple appelé sein; il est présidé par le plus ancien des pongbis , qui prend 
le nom û'upizzé; un autre remplit les fonctions de maître des cérémonies et 
s'appelle le chammuazara. Aussitôt que le postulant est en présence de ce 
saint conseil , ont lui remet le sabeit , qui est le pot avec lequel les talapuins 
vont tous les matins mendier du riz, et on lui ordonne de dire par trots 
fois à Tupizzé les paroles suivantes : «Seigneur, es-tu mon maître l'upizzé?» 
on lui dit ensuite de s'approcber , et le président l'interroge ainsi : «O candi- 
«dat , ce sabeit que tu tiens en main esl-il le tien? — Oui, maître. — Cette 
a tunique et ces babits sont-ils à toi?— Oui, maître.» Ensuite le ebammuazara 
dit â l'adepte : «Éloigne-toi d'ici et tiens-toi à une distance de douze cou- 
«dées ;» et se retournant, il parle ainsi au conseil des talapuins :^Que les pon- 
«gbiset pazens ici rassemblés écoutent mes paroles : le candidat ici présent 
«demande bumbiement à l'upizzé l'état de talapuin, et certainement le 
«temps est convenable pour ceux qui ont cette sainte professiom O candidat, 
«écoute: il ne t'est plus permis de mentir et de cacber la vérité; si tu as 
«quelques défauts ou vices qui ne plissent. convenir à l'état religieux , et qui 
«pourraient empêcher de te recevoir , tu ne manqueras pas, quand au mi- 
«lieu de cette sainte assemblée tu seras interrogé, de répondre sincèrement 
«et de déclarer tes défauts et faire connaître ceux que tu n'as pas ; dans tes 
«réponses n'aie ni honte ni crainte ; écoute, car dans ce moment l'heure est 
«arrivée où tu vas être interrogé.» Alors, quelques talapuins le questionnent 
ainsi : «Candidat, as-tu la lèpre ou quelque semblable et dégoûtante mala- 
«die? as-tu des scrofules ou quelque autre espèce d'affection pareille? — 
«Maître , je n'eu ai pas. — Souffres-tu de l'asthme ou de la toux? — Non, 



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EAIPIHE DES EÀRMAPiSk 25 

«fliatire. ^ Es-tu tourn^iité par quelque infirmité qui provienne du sang 
«corrompu ; de la folie et des autres maladies qui sont causées par les géants, 
«ks sorciers et mauvais nais des bois et des montagnes? — Non, maître. — 
«Es-tu véritablement un homme? — Je le suis. — Ës-tu un mâle ? — Je le 
«suis. -^ Es-tu d'un sang pur et fils légitime? — Oui, maître. — Es-tu sur- 
«chargéde dettes, ou garde de quelque mandarin? — Non, maître. — Tes 
«parents t-(mt-ils dogoiné la permission de te faire talapuin? — Ils me Tout 
adonnée. — As-tu vingt ans accomplis? — Je les ai , seigneur. — Tes véle- 
«menls et le sabeit sont-ils prêts ? — Ils le sont. » Cet interrogatoire terminé , 
le chammuazara reprend : o O pères et saints hommes religieux, qui êtes 
«réunis dans ces lieux , écoutez mes paroles : le candidat ici présent demande 
«au seigneur upizzé Tétat de talapuin ; il en est digne , car il est instruit.» Le 
postulant s'approche des ponghis et leur demande, par trois fois , l'honneur 
d'être admis, et de cette manière : «Seigneurs, ayez pitié de moi , j'aban- 
« donne la vie de laïque, qui est un état de péché et d'imperfections, et je me 
«retire dans celui du sacerdoce, état de vertu et de sainteté.» 

Le chammuazara reprend ensuite : «Que les seigneurs talapuins ici pré- 
«sents écoutent mes paroles : le candidat que voici demande au seigneur 
«upizzé d'être admis dans le sacerdoce, il est libéré de tous défauts et de 
«toutes imperfections , et de plus, il a déjà préparé les ustensiles et les choses 
«nécessaires.» Le postulant demande de nouveau son admission, et l'assem- 
blée termine ordinairement par le recevoir. Si quelque ponghi trouve que 
le récipiendaire a des défauts, et que ses actions soient blâmables, le maître 
des cérémonies déclare qu'il est indigne d'être admis , et il le répète par 
trois fois. Si, au contraire, aucun talapuin ne s'oppose et ne blâme com- 
plètement l'aspirant, c'est qu'il convient et qu'il peut passer de l'état 
d'imperfection et de péché dans celui de talapuin , et l'admission est pro- 
noncée. 

Le maître des cérémonies engage ensulle les membres du conseil â noter 
sous quel signe, à quelle heure et en quel temps l'ordination a été faite; 
puis, reprenant la parole, il fait au nouveau pazen l'instruction suivante sur 
les quatorze choses licites dont peuvent se servir les talapuins, et sur les 
quatre dont ils doivent s'abstenir. 

« L'état de talapuins consiste à demander l'aumône et les aliments, avec 
« fatigue et agitation des muscles des pieds. Ainsi, à nouveau pazen, en 
« tous les temps de ta vie tu dois gagner ta subsistance avec le travail de 
« tes pieds ; si ensuite l'aumône et H» offrandes abondent, et que les bien- 
« faiteurs viennent à t'offrir du riz et d'autres aliments , tu pourras te ser- 
« vir des 'suivants : 1^ de ceux qui sont offerts à tous les talapuins ; 2^ de 
« ceux qui le sont à tous les particuliers ; 3^ de ceux qui sont présentés dans 
« les festins ; 4** de ceux qui sont envoyés avec une lettre; 6® de ceux qui se 
« donnent dans les jours de nouvelle et pleine lune et dans les autres jours 
tt de fêtes. Enfin, ô nouveau talapuin, ce sont tous ceux-là dont tu peux te 
« nourrir. 
« L'état de talapuin consiste aussi à se servir d'habits et de vêtements 



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98 msnoÈ wm {.'Mnirr. 

a itués dam te» diMniM et datis k ll«d dd séfHtl turei , et 4iti siMit sonf ftei de 
« potiMlète. (7edt pourquoi , dans tout le eoun de ta vie , la te aertiràg de 
(c tels vètemefits et habits; mais si « avec ton esprit, tes doctrines et ton 
« savoir, ttt peux te procurer beaucoup de bienfaiteurs, alors if te sera 
« permis de te vêtir avec des étoffés de coton , de sole , de iaine d'tin jaune 
« roux. 

« Une des choses en quoi consiste l'état de talaputn est d^habiter des 
«r maisons construites contre les arbres des bois, et tu dois habiter de celles- 
ci ta) mais si ensuite ton talent et ton esprit t'attirent des bienfaiteurs, 
« tu pourras habiter les suivantes : celles qui sont entourées de murs, celles 
« qui se terminent en pyramides tHangulaires ou quadrangulaires, et celles 
m qni sont ornées de bas-reliefs et de dorures. 

« Etant agrégé à la société des tatapuins, il ne t'est plus permis, à la ma- 
(T nière des séculiers, de te livrer à aucune action luxurieuse , soit sur ta 
« personne ou avec un autre, qu'il soit mâle ou femelle, ou avec des ani- 
«( maux. Le talapuin qui commet de tels actes doit cesser de l'être, et ne 
« peut plus appartenir à la société divine, et on doit cesser avec lui toute 
4t espèce de rapports: de la même manière que dans ud homme décapité il 
(t ne peut se faire que la tête soit réunie au corps et qu'il vive de nouveau. 
« Ainsi, le talapuin qui a commis un acte quelconque de luxure ne peut 
<f plus vivre avec les autres. Tu te garderas donc bien d'en commettre. 

« Il n'est, en aucune manière, permis à un talapuin de s'emparer ou 
M d'usurper le bien d'autrui , encore ce ne serait-il que la quatrième partie 
« d'un ticale ( le tieale vaut environ 40 francs); le talapuin qui aurait dé* 
« robe cette petite somme doit être réputé déchu de son état, et n'appar- 
« tient plus à la société divine , et il peut ressembler à la feuille sèche d'un 
« arbre, qui ne peut plus devenir verte: aussi le talapuin qui a volé ne peut 
« plus faire partie de la société. Par conséquent, dans tout le cours de ta 
<f vie, tu t'abstiendras de semblables fautes. 

a II est défendu aux talapuins de prendre un animai, fût-il le plus vil 
« insecte, avec l'intention de lui ôter la vie. Celui qui en ^it périr voloit* 
« tairement un seul Hcesse d'appartenir à la sainte société ; et par cette 
« cause il resemble à une grande pierre divisée en deux parties^, et comme 
« il est impossible qu'elles se réunissent , de même ceini qui cesse d'être un 
« homme saint ne peut plus rentrer dans la société. Ainsi, dans tout le 
« cours de ta vie tu tegarder»i bien de commettre de semblables meurtres. 

« 11 est défendu à celui (fui est admis au nombre des pazens de s'énor- 
« gueillir et se vanter de sa sainteté, ei de s'attribuer quelques dons sih-^ 
« naturels. » 

A chacune des parties de ce discours , anquel j'ai tâché de conserver le <^- 
ractère original , le nouveau pazen répond : « J'ai bien compris, — ou j'ai 
« bien entendu , — ou ainsi soit, ji 

Outre les choses déjà exposées dans les règles et constitutions des tala- 
puins, il y en a beaucoup d'autres qui sont contenues dans un grnud livre 
appelle fautif dont la lecture leur est rcoommandée; il leur est tiidnie or- 



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EMFOIE DfeS BARMAM. 97 

donné fopnreltement de le sarotr de mémoire; il ett écrit en ptli , oMto iveo 
une tradneiion ou explication en langue vulgaire iHiroiane. Dai» divers ar- 
ticles ou chapitres, il traite de toutes les choies qui concernent les tala^ 
puins,soit pour leurs vêtements, leurs btos et leur alimentation. Je me 
bornerai à mentionner ce qu'il contient de plus remarquable , en évitant 
autant que possible les répétitions qu'il ren^me. 

Le pongbi , ou le supérieur d'un baos , est chargé de veiller à l'observa- 
tion des règles. SHI voit s'établir des disputes ou querelles il doit faire des 
remontrances et punir: s'il trouve un talapuin qui ait de l'or, de Fargent 
ou toute autre chose prohibée, il doit prendre l'ok^et avec ses maios et le 
jeter promptement dans le chemin , et en faisant cette action il doit avoir la 
pensée qu'il jette une chose immonde. 

Il est défendu à tout talapuin de vendre , d'acheter ou de faire des échan- 
ges. S'il a un extrême besoin de quelque chose, il ne doit pas dire: je désire 
acheter , mais il doit simplement demander le |N*ix ; et s'il se trouve dans la 
nécessité de vendre ou d'échanger, il doit dire : telle chose m'est inutile et 
tel/e autre m'est nécessaire. 

Le Fini^ en traitant du précepte qui défend de toucher aux femmes, dit 
que si un talupuin voyait tomber aa mère dans une fosse, il ne pourrait la 
secourir ou retirer avec ses mains , mais avec un bâton ou un pan de son 
habit, et que pendant qu'il lui porte secours il doit avoir la pensée que c'est 
un morceau de bois. 

Il recommande l'observance des quatre vertus, dites de la sobriété k 
l'égard des quatre choses nécessaires à la vie, qui sont le vêtement, l'aliment, 
l'habitation et la médecine. Quand un talapuin emploie ces choses il doit 
mentalement se dire très-souvent : «Ce vêtement,cethabit Je neleprends pas 
«par vanité, mais pour couvrir la nudité de mon corps. Je mange ce riz non 
«par goût, et parce qu'il est appétissant, mais bien pour satisfaire un besoin 
«de la nature. J'habite ce baos non par vaine gloire, mais pour me préserver 
«de l'intempérie'de l'air; et je bois cette médecine seulement pour recouvrer 
«ma santé, et je ne veux me bien porter que pour m'appliquer davantage à 
«l'oraison et à la méditation.» 

Le f^ini recommande aux talapuins de dire ou faire les quatre puretés, 
qui sont : de se confesser de ses défauts, d'éviter toutes les occasions de pé- 
cher, d'être modeste et d'avoir de la retenue quand ils vont dans les che- 
mins, enfin de tâcher de ne plus tomber dans aucun des grands péchés. Un 
talapuin doit en outre penser que s'il n'observe pas les règles, il devient un 
sujet inutile, et qu*en se servant des aumènes il fait une action semblable 
â celle de voler. En usant des choses qui appartiennent à leur service. Us 
doivent être modérés et sobres, en pensant que tout leur vient de leurs bien- 
faiteurs. Ils doivent toujours darmir habillés, et si par hasard ils abandon- 
nent leurs vêtements, ils doivent les tenir éloignés d'eux â la distance de 
deux coudées. 

Il est défendu aux talaputns de creuser la terre, parce qu'en le faisant ils 
pourraient tuer quelque petit animal ou insoetc ) ils peuvent seulement le 



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28 RE¥0£ Sm L'ORIBNT. 

^re dans quelque terrain sablonneux où Ton ne coure pas le risque de 
commettre de semblables meurtres; et ils doivent porter la plus grande at- 
tention à ne pas ôier la vie à quelque petit animal en remuant le sol, soit 
avec les pieds ou un bâton, ou tout autre objet. Il leur est semblablement in- 
terdit de couper n'importe quel arbre ou plante, de cueillir des fruits, des 
fleurs ou des feuilles; il faut avant qu'ils puissent manger un fruit, qu'un 
séculier le coupe ou l'entame soit avec un couteau ou avec ses ongles, et 
que par ce moyen on lui ait 6té la vie qu'ils lui supposent. 

Il leur est sévèrement prescrit de ne jamais dormir dans la même chambre 
oft se trou verait une femme ou petite fille, ou un animal femelle quelcon- 
que. Celui qui commet un tel péché doit être chassé de suite du baos. 

Les talapuins doivent se faire raser tous les poils du corps; pour les pa- 
zens seulement les sourcils ne sont pas exceptés (généralement maintenant 
cette classe de talapuins les conserve aussi). Pendant tout le temps qu'ils sont 
entre les mains du barbier, ils doivent penser que les cheveux et la barbe pro- 
viennent des sécrétions immondes de la tête, et sont des parties inutiles, et 
qu'en les conservant elles fomentent la vanité comme il arrive chez les 
séculiers; et pendant qu'on le rase, un talapuin doit se tenir comme s'il 
était une grande montagne au sommet de laquelle on arracherait les herbes 
sans les racines. 

Pendant le cours d'une année ils doivent garder vingt-quatre fêtes: douze 
dans les pleines lunes , et douze quatorze jours après les mêmes phases. 
Dans ces jours, ils doivent se réunir dans le sein , qui est , comme il a été 
dit , un endroit consacré , et y faire la lecture du P^dimot, qui est une ré- 
capitulation de tous les péchés et manquements contre les règles. 

Les Barmans ont un grand jeûne ou carême qui dure ordinairement trois 
mois. Pendant ce temps, les talapuins doivent faire des adorations conti- 
nuelles à Godama , balayer et tenir dans l'état de la plus grande propreté 
les pagodes et leurs dépendances, ils ne peuvent sans de graves motifs sortir 
de leurs baos. Ils doivent laisser de côté toutes les pensées mondaines et 
celles qui appartiennent au temporel de leurs couvents, et s'appliquer uni- 
quement aux oraisons et méditations, à l'étude de la langue pâli et autres 
choses saintes. Il ne doit sortir de leur bouche aucune parole oiseuse et inu- 
tile. Les talapuins doivent, pendant ce temps, éviter surtout les discussions 
et controverses, mais seulement parler des faveurs de Dieu, des moyens 
par lesquels on peut acquérir de la sainteté, et dans les paroles faire ressor- 
tir le vif désir d'être délivrés des passions et convoitises déréglées. Ils doi- 
vent se contenter de ne manger que ce qui est strictement nécessaire , de 
peu ou point dormir, se livrer à des méditations sur la mort et sur l'amour 
qu'ils doivent porter aux hommes. 

Quand un talapuin a commis quelque manquement aux règles ^ 11 ddt 
aller de suite se mettre à genoux aux pieds du ponghi , et se confesser. Le 
nrd distingue cinq ou six espèces de péchés dont la première s'appelle p^im- 
siga; elle renferme les quatre péchés déjà mentionnés et qui font le princi- 
pal sujet de l'exortation du cbammuazara lors de la réception d'un pazen, 



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EAfPIRE BSS BARMAKS. 29 

et ceux-là ne peuvent être remis au moyen de la oonteston, et pour le ta-* 
lapuin qui s'en est rendu coupable , il ne reste d'autre salut que de qttit« 
ter le costume , de se vêtir en blanc , qui est Fhabit de deuil , et de se retirer 
dans un lieu écarté pour faire pénitence. La seconde espèce se nomme sen- 
gadiseit , et les péchés qui la composent sont au nombre de treize : 1^ la 
pollution volontaire ; si elle a lieu pendant le sommeil elle n'est péché que 
si on s'y est complu après être éveillé ; 2® l'attouchement sur le corps d'une 
femme avec une intention coupable; 3® les discours amoureux et désbon- 
nétes; 4^ quand un talapuin veut induire un de ses bienfaiteurs à lui céder 
pour quelque temps sa captive ou esclave sous le prétexte de la nécessité, 
mais avec l'intention de mal faire; ô^ procurer des femmes à la luxure des 
autres ; 6^ construire une maison ou un baos sans l'assistance de quelque bien- 
faiteur; 7** faire planter des arbres dans un endroit rempli d'insectes qui se- 
ront indubitablement tués; 8^ la calomnie générale contre quelqu'un et 
suscitée par l'envie; 9° la calomnie quand elle spécifie une action luxu- 
rieuse ; 10° semer la discorde entre les talapuins après avoir été averti trois 
fois dans le sein et ne s'être pas corrigé; 11° sont coupables du même pé- 
ché que le précédent, les partisans de ceux qui sèment la discorde; 12° l'in- 
observance des petites règles pour l'habillement, et ne pas écouter avec 
plaisir les avis et admonestations des supérieurs; 13° scandaliser un séculier 
avec de petits manquements, avec des mensonges ou des histoires frivoles. 
Quand un talapuin a commis un de ces treize péchés, non-seulèment il 
doit se confesser au ponghi , mais aussi à ceux de ses confrères qui se trou- 
vent réuni dans le sein^ afin d'en recevoir une pénitence, laquelle con- 
siste en certaines oraisons qu'il doit réciter ; cette punition dure autant 
de jours qu'il a laissés s'écouler avant de manifester son péché, et doit 
se faire pendant la nuit. 11 doit aussi faire la promesse de s'abstenir â 
l'avenir d'un semblable péché. La pénitence finie , le pécheur doit deman- 
der pardon à tous les talapuins pour le scandale qu'il a donné, et solli- 
citer humblement la faveur d'être de nouveau admis parmi eux.— Outre la 
pénitence infligée, les talapuins en font volontairement d'autres quand ils 
sont en doute d'avoir commis quelque péché. La confession n'est pas valide 
quand un talapuin a commis une grande faute et qu'il n'en a déclaré qu'une 
légère , et il en est de même s'il en confesse une duparasiga. 

Toutes ces choses sur la confession sont en partie tombées en désuétude , 
et les talapuins ne font plus ordinairement qu'une sorte de confession gé- 
nérale dont la formule est à peu près celle du Confiteor <|es chrétiens. 

Quant à ce qui concerne les ^cien^ ou disciples, ils ont les dix précqites 
suivants à observer : 1° ne tuer aucun animal ; 2^ ne pas dérober le bien 
d'autrui; 3° ne commettre aucune action luxurieuse; 4° ne pas mentir; 
5° ne pas boire de vin ; 6° ne pas manger après le milieu du jour; 7° s'abs- 
tenir de danser, chanter ou jouer de quelque instrument de musique; 
8° éviter de mettre en marchant de la boue à ses sandales; 9* ne jamais 
s'arrêter dans un lieu élevé et qui ne convient pas à leur humilité ; 10° ne 
jamais toucher à de l'or ou de l'argent. Les seiens qui manquait aux cinq 



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3d Mtn M i,^maw»t. 

pM(ai^m%é$tm emÈmmàtml&A* cbiiF«iit être ebtMés des baos. Pour eeui 
qoi om cMinrwmi aux autres, les sapérkors leor imposeal dss péui-^ 
teiices^ 

il a été déjà dk précédemnimt qu'un des prineipaui offtces des UU* 
puios est de dire le Tara ou foire ia prédicalion. Le f^ini leur prescrit de 
prendre pour modèle le livre des sermons de Godama, dans lequel ce dieu 
parle beaucoup des aumônes et de leur mérite , et où il prescrit de nom« 
breuses et exeeUeotes règles de morale; le livre s'appelle Sottan, c'est 
nue des principales écritures barmaues. Je vais en donner quelques frag- 
meutSy en euposant aussi quelques sentenoes qui me paraissent mériter d'être 
rapportées. 

Godama recommande à eeui qui i son eiemple se mettent à prêcher la 
loi, 1® desavoir mettre de Tordre dans le sujet; 2^ de prêcher seulement 
pour être utile aux autres et parle désir du bonheur de leurs semblables; 
3^ de ne pas, dans leurs sermons , rechercher des aumônes ou des dons des 
bienfaiteurs ; 4® de ne jamais en prêchant abaisser ou discréditer les autres 
pour s'eialter et se louer soi-même. 

Parmi tous lessermoDS de Godama , celui qui est le plus estimé des Bar- 
mans, parce qu'il est le plus rempli de grands sentiments, est appelé Menga^ 
lasot (ee <^i veut dire exeelleut sermon ) ; on le fait apprendre Ue mémoire 
à loua les eufants 4ui vont au baos pour étudier les lettres; ce sermon 
est rapporté par le plus ancteu des disciples de Godama , appelé Ananda, 
leq^l s'exprime ainsi : 

« A ceux auxquels ne ocm viennent pas les mauvaises actions , même celles 
« que Toa peut entourer do plus grand seeret ; à ceux qui , par leur grande 
c< seiei^e , cooips^nneot les quatre inévitables états par lesquels doivent 
a passer tous les êtres aaimés; h c^ui qui est entièrement doué des six 
« suprêmes pouvoirs 5 alasiqu'à l'excellent dieu Godama, je prc^este de mes 
c< adoralioBS. Ainsi soit. Voici àimt , è illustres Rahans, de qu'elle manière, 
« moi Ananda, lephisaiwien des divins disciples, je veux expliquer les 
a grands préceptes à ceux qui veulent renoncer aux mauvaises œuvres. 

« Un jour, pendant que le seigneur Dieu était dans le célèbre baos de 
« Séuttà y fobriqué et embelli par un bienfaiteur , le célèbre el riche Maunzala 
a (les Barmans disent que les riebesses de ce baos imaginaire s'élevaient 
« inné valeur déplus dedOmilliards de roupies), il se présenta gravement 
« àluiuneertatnnalqiitBefit€OMi^trenisoanom,nison illustre origine; 
« l'admirable et belle lumière qui sortait de son eorpsillnmina tous les objets 
« eiiiaanl dans le couvent; étant immédiatement entré dans i'appartemeat 
« oé se trouvait la divin» sagesse éternelle, et aprèi» l'avoir adorôe, il supplia 
« aâosi i Grand et tout-puissant Dieu, qui règle les lois, unegrande miiJ titude 
« 4'e^ics parmi lesnafset parmi les hommes aspirent ardemment au tran*^ 
« cpjlliapepoadu Ntban ; et jusqu'à ce Hioment, ils ne savent comment avec la 
« peraévénmee du ccetir, se (iépeuiller des naauvaises inclinations, ils ont 
a cèenà^ en vattu^Tsé, 6Dieu, auquei ees moyens sont exclusivem^t coqm», 
« miKHinlesiivéitr? La Dion Ittiré^itttit en oea termes ;Onat,ai#^ 



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« lieMpféiealâlraetpNlqiittMâoittetwitétoigQédetiiy^ 
« abandonner la société des personnes énidites et instruites, resficeter d 
<( bonom oeui «QiiHiels on doit le respcel el les ëomeurs; celui qui suit 
f fi^ trois grandes lois peut se déUvt er 4e toules les affections désordonnées. 

« nat , se choisir une habitation dans un lien eonvoiable et propre âu 
« besoins H^oiidte«s , avoir loDQonrs quelques mérites acquis dans les vies 
« antérieures, lentr une conduite sage et prudente, sont encore trois pré^ 
« ceptrs <pû préserveni celui qui les suit des mauvaises actions* 

4 nat, U grande étendue du savoir , s'entendre sur une choie quetcoof- 
« <l«e pourvu qu'il n'y ait pas de mal, être iuslruit des deveir* de son état , 
« être édifiant et modeste dan» ses pannes, sont quatre CH^kota moyens 
f avec lesquels Fesprit reoouce aux actions crimiâe H ei, 

« O nat, entretenir son père et sa mère, pourvoir aux besoins de ses en* 
« lanls et de sa fenamc, avoir de Téquité et de la loyauté dans les actions, 
ft faire rnumène, observer 1^ divios préoeptes, secourir dans leurs besoins 
f ceux qui noua sont liés par le sang ; enfin , s'abstenir de toute chose dans 
« laquelle il y a péché, sont encore d'autres aïoyens do vencmcer aui 
« mauvaises actions. 

« O nat, éviter tout péché dans lequel la partie inférieure de l'esfwrit 
« éprouve du dégo4t, s'abstenir des liqueura fortes, n'oublier jamais les 
m «tetcices et les aetet»^ de piété , porter du respect à tous» être rtcomiaia* 
^ saut des secours que Ton a reçus d'autrui, enfin aisister de temps en tempo 
« à la dÎTine parole, soitt encore dea moyens avec lesquels on peut se prêt 
« server é^^ mauvaises, affectionset se tenir éloignt^ de tout péché. 

« O nat ^ te vertu do la p^ience, la docilité dana tes admonostationa deu 
« personnes de Wen ^ visiter irès-souveuit les talapmns , le spirilueft entre- 
«I tien sur ta koi divine, la.sohriété et La modestie dans rextérteur> la r^^ 
« goureuse observation de$ loia, avoir toujours, présente à la mémoùre tai 
9t peaséo des quatre états dans? lesqueia doivent passer les créatures animées, 
<i. e( enfin qiéditer sur l'heureux reposdu Niban, sont tous des préeopteodii* 
^ tincts t|ipi prés^erveut (JW* mauvaises activas» 

« O im, l'ii4ré|4dité et U tranqui44ité d'esprit ^oo coneerveut lea heureux 
4L 4aj?s M(s huÂt lois des viiCissiMÛle& humaines^, qqi sont : l'ab^ndonce, la 
« disette^ ledéshonueui*, i4 louange, la joie^ lasoul^^ucet L'adulalioa et l'aha»r 
« don i rexemption de toMs dérangements ou cramtei de l'esprii et dueoeui ; 
^ ètpç. ^igné de Ifk gr^^ssiéro oisiveté de laî oomcupiseence ; ettfi«, la résiguiar 
a tioii (|aAs4,s-pat^eufie,tSo^ le&quair^ sares dooa^qui préservent les» (»*éaturefr 
« «^ peluchant au ni^l. O nat« fixe bi«n tes* reg^^ds dans tion cœur et no^ 
a permis 1^^ de vue k& U*ente-huit loist qiue je viens de la prêcher et m^ta- 

Uhc av4iro fyis, G^djsuoa étant ^a4ement dena le S4U4Ui , exposa ^ toua te» 
talapuins rassembla le» ciiMt loi^ de l'aumàas, c#lkaqui doi^^eiMt se pnaAiE-» 
qufer en teu0#s^ ottvei^tt et %ii soni: nourrir le»b64es, les voyageurs, 
Isa tai^HH^ m^^M^» ^idir de toiiê seo^ mpyiuft, e» tompfidrdisfttie, à ïm 



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33 REVUE BE t'ORfiERT. 

noorHtïire delods; enfin donner le^ prémices du riz et des fraHs ant 
talapnins. 

Dans un autre sennon , parlant eneore de Faum^ne et des mérites qu'on 
acquiert en la disant, il dit que la moindre aum^^ne est celle qui se fait aux 
animaux et aux chasseurs ; vient ensuite celle aux veuves et celle à l'égard des 
personnes qui observent les cinq préceptes et surtout les dix bonnes œuvres ; 
sont encore plus méritoires que les précédentes les aumônes qui se font 
aux talapuins, aux saints et â Dieu même ; faire construire un baos ou une 
pagode l'est encore davantage ; l'adoration que Ton rend à Dieu , à la loi et 
aux talapuins, la prière pour le bonheur de tous donne encore plus de mé- 
rites; mais ce qui en donne encore davantage et par-dessus tout , c'est la 
méditation sur les vicissitudes et misères de la vie, dont il n'est pas au 
pouvmr des êtres animés de se libérer. 

Selon le disciple Ananda , Godama , avant d'aller au Niban, confirma 
toutes les choses qu'il avait prèchées , et dit plus spécialement que la vé- 
ritable adoration à Dieu consiste beaucoup plus dans l'observation de ses 
lois que dans les offrandes de riz, de fleurs, de fruits , etc. 

Ailleurs, Godama traite de divers sujets et des mérites qui s'acquièrent 
dans les aumônes, et il en distingue quatorze espèces. La première est celle 
foite aux animaux, la deuxième aux chasseurs et pécheurs, la troisième 
aux marchands, la quatrième aux talapuins, les suivantes aux diverses 
espèces de saints, et finalement la quatorzième est celle qui se fait à Dieu. 
L'aumône qui se fait aux animaux procure cinq biens : une longue vie , la 
beauté , la prospérité du corps et de l'esprit, une grande force et la science, 
et cela pendant cent transmigrations ; pour celle qui se fait aux diasseurs 
et aux pécheurs , les mêmes biens pendant mille transmigrations ; si elle est 
faite aux marchands, pendant dix mille; et pour un nombre infini si elle a 
lieu à l'égard des talapuins, des saints et de Dieu. 

Dans une exhortation faite à un jeune bramine, Godama explique les 
raisons pour lesquelles les uns naissent riches, les autres pauvres, les uns 
beaux et les autres difformes ; elles se trouvent toutes dans les bonnes ou 
mauvaises actions que les hommes ont faites pendant leurs vies antérieures. 

Dans un autre sermon, parlant de l'observation des fêtes, dans les nou- 
velles et pleines lunes, il prescrit la manière dont on doit passer ces jours ; 
outre les adorations et les offrandes ordinaires, ceux qui veulent gagner 
beaucoup de mérites doivent, pendant toute leur durée, penser aux bienfoits 
de Dieu, à l'excellence de ses lois ; ils doivent se contenterd'un seul repas pris 
le matin , et pendant la nuit peu ou point dormir , la passant loin de leurs 
femmes dans la lecture des bons livres ; et comme dans les jours dé fêtes il 
n'est pas permis de travailler, chacun doit dès la veille terminer toutes ^e» 
affoires afin de se trouver délivré de tout soin et souci , et il est ordonné à 
tous dé s'exhorter réciproquement à l'observation des fêtes. 

Un jeune homme ignorant et dissolu, ne voulant pas s'instruire sur 
les actes de charité et les autres actions pieuses, fut un jour rencontré par 
Godama, qui se mit à lui parler ainsi : « Les hommes qui désirent la perfec- 



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EMPIRE DES B4RMANS. 33 

« lion doivent s*abstenir des quatre actions avec lesquelles on foit du mal 
a anx vivants, des quatorze qui sont viles et des quatre grafi; fuyant ainsi 
« toutes les mauvaises œuvres et cherchant le bien pendant cette vie et les 
« suivantes, ils obtiendront enfin le Niban. 

a Les quatre actions qui apportent du mal sont : le meurtre, le vol, la 
« tromperie, et le viol sur la femmed'autrui. 

a Les quatorze viles sont... 

« Les quatre £fa/i sont: quand un magistrat, trayant égard aux présents, 
« à la parenté et aux amis, juge injustement unecanse; 2^ quand par haine 
« d'une personne qui a raison il ne prononce pas en sa faveur ; ^ qnand, 
« par ignorance des lois, il donne gain de cause à celui qui ne le mérite pas ; 
a 4^ quand il juge en faveur de quelqu'un par vanité ou prenant en considé- 
a ration qu'il est riche, puissant, mandarin, etc. On peut mettre au nombre. 
« de ces gati ce qui a lieu dans les partages quand le juge n'établit pas l'é- 
« galité ainsi qu'il doit le faire , soit par amour , par crainte, par haine ou 
a ignorance. 

« En outre, on doit s'abstenir des six espèces de choses ruineuses et 
«préjudiciables suivantes : de boire des liqueurs fermentées, se promener 
« par les chemins et les rues pendant des heures entières, d'avoir une exces- 
a sive curiosité de voir les bals, tes fèies et les jeux, de beaucoup s'amuser 
a en mauvaise compagnie, d'être négligent dans l'accomplissement de ses 
« devoirs. De chacune de ces choses dérivent six maux : ainsi, de boire des 
« liqueurs fortes proviennent la perte des biens et des procès, les maladies 
c( du corps, le mépris de la part du prochain, l'immodestie dans les vête- 
« ménts, la perte des honneurs, enfin l'incapacité d'apprendre. De même , 
« se promener beaucoup par les chemins empêche d'être à l'abri des périls, 
« de pouvoir se garder, de veiller sur la conduite de sa femme et de ses en- 
« fants, et par cela leur ehasteté n'est pas à couvert ; cette même femme et ses 
« fils vous remplaceront dansia direction de votre fortune et la dilapideront; 
« enfin, dans les affaires de vol, on peut être enveloppé parmi les voleurs et 
« puni comme tel. Du trop de curiosité à voir les fêtes il résulte que, ne 
« s'employant pas à ses affaires accoutumées, on ne peut gagner le nécessaire. 
« Si quelqu'un a pris une part excessive à un divertissement ou à un jeu, au 
« triomphe qu'il peut avoir obtenu succéderont beaucoup de querelles et de 
« procès; en les perdant il aura la tristesse du cœur, perdra l'appétit, sera 
« incapable^ selon les lois, de rendre témoignage; il ne pourra avoir ni 
« femme ni belle-mère, parce que personne n'aime les joueurs. Des mau- 
« vaises compagnies naissent les dommages suivants : d'être induit à la fré- 
« quentation des femmes perdues et de mauvaise réputation, de boire du 
« vin, de faire des débauches, de tromper le prochain , de voler et d'être 
a déréglé en toutes choses... 

« Il y a de faux amis, ceux qui font semblant d'aimer et qui n'aiment pas, 
« qui donnent peu pour avoir beaucoup , qui sont vos amis parce que vous 
« êtes riche , et qu'ils ont besoin de votre protection et de vos secours ; ceux 
IX. 3 



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34 REVUE DE L ORIENT. 

- . i ... i * . .a i]^ 1 . : . ,;.; >. h,. ^ • ' ■ .\ </"',*« X-^ h 

« sfopg^ ^ doiiijQiçr, enfin ceux qui vous donnent de mauvais exemples et 
o jamais de bons. ........ .. - . . 

o ,<* V y 3 /I!^^*P W^<^ ,^^ bons^mis : la première se qoipposc; de ceux qui 
o le sont autant dans Fadversit^ qiie dans la prospérité ; ^la deux^ième^ de 
<« ceux qui à Toccasion donnent de bons conseils^ même au péril de leur yie; 
$t Latrpjsièmç^ deceijx qui recueillent. et prennent soin d^ ce qui vous ^p- 
fi parlent; ^ quairiéme,de ceux qui V9US enseignent de bonnes cboaes, 
<l qu^ ont de la joie de ce qui vous cause du plaisir et ont du cbagrin de vos 
« mmr^^ , ,. ...,,., i . r, . . .: . ^-. • . . j . 

«.p'est uneigranae pbliga^ou pour les enfan(s que de respecter leurs pa« 
« r^nts^çi ils «doivent au bt^oin lesnourri^, en pensant. au|( bienfaits, aMX soins 
a et à Tassistance^qu'ils eiji qnl reçus pendant leur tendre jeunesse ; ils doivent 
. a Uravjiill<^r aux champs de leurs pères, écputer leurs parolesçt enseignements; 
« enfin faire des aumônes et des offrandes à leur intention et avantagj^. 

0^ IfCs^pères ont cinq obligations à l'^gard^ de leurs enfants : 1° les empé- 
o cber de contracter de mauvaises habitudes; 2" veiller à cé qu'ils né fré- 
a queutent que jdes personnes de bien; 3^ les instruire; 4° leur enseijgpèr à 
« faire des aumônes et autres actions pieuses ; ô"" quand ils sont arrivés en 
a âgç çoif vena^le , les faire se marier. ^ 

tt Iw^s d^çcipl^ doivent honorer et respecier leurs maîtres, leur c^to la 
a plaç^ qu?nd lis arrivent, aller à leur renciantre, leur laver les jpieds et leur 
u rfîn^fc lûijf Jf s services dont ceùx-çi ont Besoin , Drincipalemeht çiàns je 
a ca^ fie m^Udie^ienfiu« apprendre avec zèle ce qu'ils leur (^uséigilènt. 

a JLes majores doivent instruire leurs disciples sur toiîtes les choses qui 
M S9^t ppfitableStavec le désir qu'ils apprennent iout ce qu'ils saveiit eux- 
, pnêmes. , , _^ ^ ^., , _ , .'.•♦,.*. 

« Lp oblig^ti9i:^s de l'homme envers sa femme sont aussi au nombre ne 
M cinq : 1* il^doit l'appeler son épouse; 2** lui parler toujollrs respectueuse- 
« ment ; 3^ np la j)as maltra|ter ou la frapper cônânie si elle était une 
51 i^lâve; 4** ye pas se séparer d'elle pour ialler vivre avec line autre femme; 
.a 5° lui.abandoijner le .soin dii njénage et dé la maison. 

« ta femme doit, s'appliquer à la cujsinej avoir toujours à ta pensée de 
H pou/'voir aux besoins.de son mari et de isa famille, recuéillii* et conserver 
Il if^.^lin^^nts,, ne pas être paresseuse et négligente dans tous lés autres ser- 
u yicçs de |?L ip^ison. ,^ ,.. . 1 , . .. r . .. „ 

f Yoi<}i les obligations des maîtres envers les esclaves: ils doivent leur 
■ M d^pper, un travail proportionné à leur force çt leur capacité, les nourrir 
« ^>1^ bien iraltei;, le plus spécialement quand ils sont malaaes. 

« Les esclaves doivent être au travail avant lé maître, et ne peuveiit aller 
« ^e coucbe^f p9ur dormir qu'après lui^ dans leurs travaux comme dàps tout 
ç( ie reste, ils doivent toujours iàgir dans rînlérêt du maître, et hè jamais 
« ftrepflre que ce qu'il leur donne li^i-inêmê, qtc. e'ic;». ^ ^ , _ 

God^ma donne divers enseignements aux talapiiins etlèsexhorvl^ à jiren- 
dre en considération les misères humaines, la fragilité des choses terres* 



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EMPIRE DES BARMARS. 3â 

très , et spéeiàlemeht sur ce qu'il y a de bon et de beau de pouvoir se (Jélivrer 
de tous les désirs charuets, et d'aspirer au Niban. 

Ailleurs ^ il dit que les aliments doivent se diviser et se partager avec les 
pauvres; que si Ton est en voyage dans des lieux déserts, on doit aussi 
donner une part de ses provisions aux compagnons de route que Ton peut 
avoir; que les pauvres peuvent être en notre compagnie pendant une autre 
Tic, et il ajoute que l'aumône faite par eux est infiniment supérieure à celle 
faite par les riches; que les bonnes œuvres sont de fidèles compagnes qui 
suivent dans les futures transmigrations; que Tunique chose bonne et inal- 
térable que Ton puisse faire jusqu'à la vieillesse la plus reculéeest l'observa- 
tion des lois. 

Dans un sermon que Godama fit à son fils, le jour où il fut reçu talapuin , 
afin qu'il put se délivrer des appétits désordonnés de la concupiscence, de la 
colère et de l'orgueil , il l'exhorta à faire diverses observations et remarques 
sur son corps, à penser qu'il tombera dan& le néant, et que toutes ses parties 
peuvent se gâter et s'altérer, et eh songeant combien il sera ruiné et cor- 
rompu après la mort ; il doit se dire eu lui-même : ce n'est plus mon cùips. 
Et comme la terre qui reste immobile, quelque chose que l'on jette dessus , 
soit or ,irgehl ou (M-duré inimohde; et comme l'eau que Ton transporte avec 
soi , qui reste toujours bonne ou mauvaise ; et comme le feu , qui brûle tout 
ce qu'il rencontre sans rien respecter; de même il doit être fixe, inaltéra- 
ble , supérieur à tout , et attendre seulement la perfection. Godama le con- 
fiant à un de ses disciples pour le faire instruire dans les lettres, lui ordonna 
de déposer toutes les pensées d'orgueil > et de ne jamais songer qu'il était de 
race royalte et fils d'un dieu. 

Dans un autre discours, il engagea ce inême fils S ne pas affectionner ce 
monde, ni s'attacher aux plaisirs des sens, mais seulement à aspirer au 
Niban; si, dans l'après-midi, il avait envie de manger, à la vaincre et 
â en éloigner la pensée; s'il avait un habit, à n'en pas désirer d'autre. Il 
l'exhorta à garder cinq espèces de retenues dans l'action des sens, c'est-à- 
dire à ne pas regarder les choses indécentes, à ne pas écouter les chansons 
lascives, à ne pas calomnier ou médire, à contenir le nez dans l'aspiration des 
odeurs et les mains dans le toucher, et il lui recommanda, en outre, la mo- 
destie dans le maintien, et à mépriser les vains ornements des vêlements; 
enfin, il l'engagea à toujours songer au Miban pour l'avenir, et à dédaigner 
l'étude des lois de la transmigration. 

Un talapuin qui avait désiré la possession d'une femme vint à mourir. 
Godama fit garder son corps jusqu'à ce qu'il fût en putréfaction et que les 
vers le rongeassent de toutes parts; après avoir réuni le peuple, il dit ces 
paroles : « L'homme, quand il est vivant, peut se mouvoir et se transporter 
<f d'un lieu dans un autre; mais, quand il est mort, il devient immobile 
« comme un tronc d'arbre. Le corps, qui est composé de 360 os , de 900 veines 
« et d'autant de muscles, est rempli d'intestins, de crachats, de saletés et 
« d'autres choses qui sont rebutantes à voir ; dans 9 cavités sont des matières 
a dégoûtantes, et de toute la peau sort souvent une sueur intote; elfe est 



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36 REVUE DE l'orient. 

« couverte d'une Foule de petits animaux qui non-seulement y causent de 
« la démangeaison, mais qui la rongent. Ce corps, qui est ainsi dégoûtant 
<( quand il est vivant, devient une masse inerte quand il est mort, et ses 
n pare^ts le prennent en dégoût : apr^s deux jours, il s'enfle ; après trois, il 
« devient vert et noir , la vermine le couvre dans toutes ses parties, et il 
a devient, ainsi que vous le voyez , un amas de saletés. Celui qui considère 
« ces choses se persuadera que dans le corps il n'y a que caducité et misères, 
« et que, par conséquent, on ne doit pas l'affectionner, mais aspirer au 
« Niban , qui est le seul vrai bien. » 

F. Lecoutb. 
(^La suite à un procham cahier.) 



MADAGASCAR. 

RÈGNE DE RADAMA, ROI DES HOVAS. 

(1810. — 1828.) 



X, -^ Histoire de Oianampouîne , roi d'Bmirne. — Avènement de Radama , 
son fils , en 1810. — Mission de Chardenaux à Bmirne. — Radama confie 
rînstructîon de ses jeunes frères aux Anglais. — Mission du capitaine 
Iiesage. — Obstacles qu'il rencontre à Tamatave. — Sa réception à Tana- 
narivo. — Signature d'un traité secret avec Radama. — Retour de Xiesage 
à Maurice. 

Jusqu'à l'époque oùDianampouine(l), père de Radama, devint grand 
chef (manjaka) de Tananarivo , aujourd'hui capitale d'Ancove , les Hovas 
n'étaient connus que comme un peuple intelligent , habile dans j'arl de fa- 
briquer les étoffes et de fondre le fer. Divisée en plusieurs cantons, ayant 
chacun son chef particulier , la province était sans cesse le théâtre des 
guerres que ces petits rois se faisaient entre eux. Il était très-rare que les 
hostilités se portassent sur les terres des peuples voisins , dont les forces 
étaient alors supérieures à celles des Hovas divisés. 

Cette agitation du peuple hova avait pour cause le peu d'étendue et de 
fertilité de leur territoire. Un prince habile à leur tête, et ils débordaient de 
toutes parts dans les provinces voisines. Dianampouine fut ce prince : chef 



(1)0u Dianampouine-Imérine, ce qui signifie le désir d'Émim€f province cen- 
trale d'Ancove. 



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MADAGASCAR. — RÈGNE V£ RADAMA. 37 

obscur d'un canton à environ quinze lieues de Tananarivo, il se rendit maître 
par la force des armes de tout le pays occupé par les Hovas, et, malgré 
l'opposition que lui suscitaient les chefs vaincus, il affermit assez son autorité 
pour pouvoir étendre sa domination sur des peuples étrangers. 

C'était un homme d'un caractère énergique, entreprenant , à la fois plein 
de sagacité et de ruse. Quoique l'ambition le rendit parfois cruel et sangui- 
naire, il sut se rendre populaire en faisant administrer avec impartialité la 
justice à ses sujets, et contribua beaucoup au perfectionnement de leur in- 
dustrie. Les lois qu'il établit furent religieusement observées par lesHovas; 
cequidotine la mesure de son autorité. Celles qui défendaient, sous peine 
de mort , l'usage des boissons fermentées et du tabac , froissaient des pen- 
chants et des habitudes enracinés chez ce peuple ; cependant personne n'é- 
leva la voix pour réclamer contre des édits qui ordonnaient des privations 
aussi dures. Sous Radama, l'usage du tabac seulement fut permis; l'ivro- 
gnerie resta toujours considérée comme un crime. 

Diânampouine mourut en 1810, à l'âge d*environ soixante-cinq ans, 
après avoir régné vingt-cinq à trente ans. Il laissait à son second fils, Ra- 
dama, un royaume déjà puissant, qui réunissait sous la même autorité 
toutes les divisions d'Ancove, une grande portion d'Antscianac , d'Ancaye 
et de la province des Betsilos (1). L'aîné des fils de Diânampouine, après 
avoir commandé l'armée des Hovas, et contribué à la conquête du pays des 
Betsilos, avait été mis à mort par ordre de son père, pour s'être fait le 
chef d'une conspiration tendant à le renverser. 

Radama(2)avaitdix-huitans,etilfaisâitlaguerreauxBezonzons,lorsqu'il 
fut appelé à prendre les rênes du gouvernement. Ce n'était pas encore VJ- 
fricain éclairé que nous ont peint sous des couleurs si brillantes les flatte- 
ries des missionnaires anglais; mais c'était un jeune homme intelligent, 
brave, ambitieux, désireux d'accroître ses connaissances par des relations avec 
les Européens, que son père avait déjà attirés à Tananarivo en ouvrant un 
marché d*esclaves dont les chefs de la côte de l'est étaient les agents les plus 
actifs. A celte époque, on eût vu celui qui affecta plus tard toutes les pompes 
de la royauté assis sur une natte de jonc , revêtu du lamba national , au mi- 
lieu de sa case construite en bois et totalement dépourvue de meubles eu- 
ropéens. 

(t) Diânampouine était tributaire des Sakalaves du Sud ; ce fut Radama qui secoua 
ce joug en 1820. 

(2) Ce nom signifie poli, uni, glissant, rusé, fourbe. D'après ce que nous avons 
dit des penchants des Hovas, on ne s'étenriera pas qu'ils donnent volontiers à un en- 
fant le nom de fourbe et de rusé. Radama ( que Ton appelle aussi Lahi-Dama ou 
Idama , les syllabes ra, lahi et i , étant toutes trois des particules de noms propres : 
ra signifie sang ; lahi, homme , mâle ; i est une contraction de lahi ) , Radama , di- 
sons-nous, quoique fin et rusé , n'aimait pas à mentir, et punissait sévèrement ceux 
qui voulaient le tromper ; il répétait souvent que la stabilité de son trône dépendait 
de deux choties : la stricte conformité à la vérité , et l'impartiale administration de la 
justice. 



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38 REVUE DE L^OmENT. 

Td était alors le jeune chef dont le gouvernement anglais rechercha l'al- 
liance et Tamitié. Il envoya d'abord auprès de lui un ancien traitant , 
nommé Chardenaux, pour l'engager à conclure un traité de commerce avec 
l'Angleterre et à envoyer à Maurice quelques enfants de sa famille, qui y se- 
raient élevés aux frajs du gouvernemeat. Radama accueillit avec empresse- 
ment ces ouvertures , et con6a à Ghardenaux ses deux frères, Marouta6k et 
Rahovi, Tun âgé de douze à treize ans, l'autre de onze ans. Les enfants furent 
accompagnés à Maurice par plusieurs officiers du roi et différents chefs 
de la c6te, qui revinrent à Madagascar après avoir rempli leur mission. 

Enhardi par cette marque de confiance de la part de Radama, sir Robert 
Farquhar expédia , en qualité d'agent général à Tananarivo, le capitaine Le- 
sage, qui venait d'arriver du port Louquez. Lesage partit avec plusieurs 
personnes chargées de le seconder dans les observations qu'il devait faire en 
traversant le pays , de la côte à Tananarivo. 11 y avait aussi une escorte 
d'une trentaine de soldats , destinée à frapper les regards du monarque 
hova par l'appareil de la discipline et de l'uniforme européens ; enfin , il 
était porteur de riches présents qui devaient achever de gagner les bonnes 
grâces de Radama. 

Après avoir séjourné quelque temps à Tamatave, où il parvint à séduire 
par des dons et des promesses le chef Jean René, Lesage témoigna le désir 
d'entreprendre un voyage dans l'intérieur et de visiter Radama , dont il 
avait entendu parler, disait-il, comme d'un homme extraordinaire. Jean 
René, alors enthousiaste des Anglais, loin de s'opposer à son départ, lui fa- 
cilita les moyens de l'exécuter en lui procurant des hommes pour le trans- 
porter avec sa suite et ses bagages. Le chef deTamatave était loin de prnser 
qu'il travaillait ainsi à la destruction de sa propre indépendance ; Fiche , 
son frère , chef d'Yvondrou , qui connaissait et détestait les Anglais , se 
montra plus prévoyant et moins facile à séduire. Depuis l'arrivée de Le- 
sage, il venait fréquemment à Tamatave et toujours^ pour reprocher à 
Jean René son trop de confiance, et lui prédire qu'il aurait bientôt 
sujet de s'en repentir ; mais celui-ci , aveuglé par l'espoir de la considé^ 
ration et de la puissance que l'on avait eu soin de lui faire entrevoir 
comme récompense de sa docilité , demeura sourd à ses sages et utiles 
avertissements. 

11 parait que Fiche poussa l'esprit d'hostilité contre les Anglais jusqu'à 
leur refuser ses pirogues et des vivres pour leur voyage. Quoiqu'il en soit, le 
capitaine Lesage se mit en marche vers Tananarivo , tantôt traversant des 
rivières inondées , tantôt gravissant des montagnes escarpées , par des 
routes tracées à peine, et au milieu de la saison la plus défavorable ie 
l'année. Sa petite troupe , diminuée par les fièvres et les fatigues, atteignit 
enfin la capitale des Hovas , et Lesage y fit son entrée solennelle au milieu 
d'une immense population accourue pour vpir les étrangers. 

L'autorité absolue dont jouissent Jes souverains hovas rend leur abord 
plus imposant que celui des autres princes ou chefs de Madagascar. Badaaia 
reçut l'agent anglais, assis sur une espèce ée trône ( lapa ) , envireuné de 



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MADAGASCAR. — RÈGNE DE RADAMA. 39 

ses ministres et de ses officiers , dans une salle spacieuse, ornée de fusils et 
de quelques caînons. Après avoir remis ses lel 1res de créance, Lesage' fut 
accueilli par le jeune inonarque avec une politesse et des manières nobles 
qu*ii n'avait encore aperçue^ chez aucun autre chef de l'île. Il en reçut 
I^lu^tard dès marques d'un vif intérêl ; sa santé n'a\''ait pu résister aux 
feligues dii voyage , et il sentit , peu après son arrivée, les premières «l- 
teintes de la funeste fièvre du pays. 

Radama prodigua les soins les plus tendres au malade, qu*il fil traiter par 
les médecins hovas. Au sortir d*une longue période d'insensibilité, Le«age 
apprit la mort de sept de ses compagnons. Il se bAta dès lors de remplir sa 
mission, èi fit le serment du sang avec Radama, le 14 janvier 1817. Ce 
ne fut que le 4 février suivant qu'ils arrêtèrent les bases du traité secret 
qui devait être ratifié plus lard par le gouverneur de l'île Maurice. 

Le lendemain , l'envoyé anglais prit congé du roi , laissant auprès de lui 
deux militaires pour instruire son armée aux manœuvres européennes, 
t^'nn, nommé Brady, simple sergent, se fit aimer du peuple et du souve^ 
rain par ses qualités, et parvint aux plus hautes dignités hovas; l'autre se 
rendit, au contraire, odieux aux naturels par son extrême sévérité, et ne 
joua aucun rôle important à Madagascar. A peine arrivé à Tamatave, 
Lesage , dont l'état laissait peu d'espoir de guérison, s'empressa de retour- 
ner à Maurice, pour y rendre compte de sa mission. 

IX. — Retour des frères de ttadama avec leur gouverneur Haitîe. — Por- 
trait de cet agent secret du gouvernement de Maurice. -— XI trouve Ra- 
dama à Tamatave.— Conquêtes du jeune monarque. — Snvahissetnent du 
territoire de Jean René. — Traité de paix de Manaaresf. — Bntrée de Ra- 
dama à Tamatave et fuite de Fiche à File aux Prunes. 

Cependant, les deux jeunes frères de Radama, envoyés à l'île Maurice, 
avaient été confiés aux soins d'un homme qui devait un jour acquérir un 
grande influence à la courdeTananarivo. 

Hastie, sergent dans un régiment en garnison à l'Ile Maurice, s'était fait 
distinguer du gouverneur par son courage et sa présence d'esprit dans l'in- 
cendie qui détruisit une partie du Port-Louis. C'était un homme adroit, 
insinuant, peu scrupuleux sur le choix de ses moyens d'influence , el déjà 
il avait été employé dans rtnde à des missions de cohfianct^, mais pcii 
honorables. Ce fut lui qui donna aux jeunes Hovas les premiers éléments 
de l'éducation, et qui les reconduisit à Madagascar, en 1817, sur ia fré- 
gate le Phaéton, muni probablement d'instructions secrètes auprès de 
Radama. 

An monient même où le Phaéton approchait des côtes de Madagascar, 
Radama, enhardi par ses premiers succès, avait poussé ses conquêtes jus- 
que sur les frontières des Bétanimènes , et, à la tête d'une armée de 25,000 
Âommes , il menaçait d'envahir le territoire de Fiche et de Jean René. 

Du tel déploiement de forces commença à donner des craintes sérieuses 



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40 REVU£ DE L'OHIENT. 

au chçf de Tamatave : il reconnut trop tard la vérité des prédictions de 
son frère et la fausseté des promesses de Tagent anglais^ qui l'avait assuré 
de Tappui de son gouvernement et Tavait engagé k rester dans Tinaction 
en lui peignant Radama comme le chef d'une horde de sauvages , qui 
n'oserait pas s'attaquer à lui. Il lui fallut donc se mettre â la hâte en état 
de résister au torrent dévastateur qui descendait des montagnes. Fiche 
consentit à abandonner momentanément Yvondrou , pour venir avec ses 
sujets et ses alliés se réunir, à Tamalave, aux forces que son frère y voulait 
concentrer. 

Jean René réussit en peu de temps à entourer la place d'un double rang 
de palissades , flanquées aux angles et aux endroits faibles de toubis ( petits 
forts ) , et défendus par deux pièces de campagne en bronze , qui avaient 
appartenu à l'ancien agent français , et sur l'effet desquelles il comptait 
beaucoup pour jeter l'épouvante parmi les troupes de Radama. Il espérait 
trouver dans les traitants français, que le trafic des esclaves avait attirés 
sur la côte , des auxiliaires intelligents et disposés à faire le service de ses 
deux pièces de canon; il comptait d'autant plus sur ce secours, que son 
autorité, en se substituant à celle des petits chefs de la côte , avait sup* 
primé une foule de vexations tyranniques auxquelles les commerçants 
européens étaient soumis avant lui (1). 

Les traitants approuvèrent les dispositions de Jean René , et s'engagèrent 
à le soutenir de tout leur pouvoir; mais Radama étant venu camper près 
de la rivière de Manaarez, les plus influents d'entre eux, aveuglés, nous 
ne savons par quel prestige , peut-être par l'espoir d'obtenir, à des condi- 
tions avantageuses, les esclaves que le conquérant traînait, disait-on, à la 
suite de son armée, manquèrent à leurs promesses, et se rendirent à son 
camp pendant la nuit. 

Jean René, réduit à ses propres ressources, dans une place mal défen • 
due, tomba dans le découragement, malgré les exhortations de son intré- 
pide frère, qui n'avait que des forces médiocres et des soldats peu dévoués. 
Le chef de Tamatave était occupé des moyens de sortir honorablement de 
sa position fâcheuse , lorsque l'agent anglais Pye, qui avait succédé à Le- 
sage, et Rrady , intervinrent comme médiateurs auprès de Radama. Celui- 
ci, qui croyait à son ennemi des ressources imposantes , et qui n'avait eu 
jusqu'alors en sa possession aucun port de mer, était pressé d'entrer à Ta- 
matave, et consentit de traiter avec lui d'égal à égal. 

(1) Les chefs de la côte, que Jean René avait remplacés, suscitaient chaque jour 
aux blancs de nouTelies tracasseries pour avoir un prétexte de les condamner à de 
fortes amendes. Quand ils célébraient des fêtes ou se lirraient aux plaisirs du ra- 
louba (réjouissances nocturnes qui ne sont qu'une série d'orgies), ils obligeaient les 
traitants à payer des contributions extraordinaires pour subvenir aux dépenses 
qu'elles nécessitaient, et à leur fournir Farack dont ils s'enivraient. I^es traitants n'a- 
vaient rien à craindre de semblable avec Jean René , qui ne leur faisait payer aucun 
impôt, et ne percevait «ur leurs bàliments d'autres droits que 10 piastres d'ancrage, 
et une dame- Jeanne d'arack pour ses soldats. 



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niADAGASCAR. — RÈGNE DE RADAMA. 41 

Dès que Fiche entendit parler de négociations, il s'emporta violemment 
contre son frère, et, ne voulant pas rester le témoin du trailé honteux qui 
se préparait, il se fit transporter avec sa famille à Tlie aux Prunes , par 
le capitaine français Arnoux. Il se montra, du reste, fort prudent ea 
agissant ainsi , car il savait que du moment où le roi d'Émirne s'empare- 
rait de sa personne , rien ne pourrait le sauver de la mort. Il Tavait trop 
profondément offensé en l'appelant blanc-bec, dans une assemblée, pour 
en espérer merci. Quelques personnes nous ont assuré que l'expédition de 
Radama contre les États de Jean René et de Fiche n'avait d'autre but que 
de venger celte injure; nous croyons qu'il se joignait à ces sentiments 
d'amour-propre des motifs d'ambition , et que ceux-ci eurent une part non 
moins grande dans cette détermination. 

L'agent anglais , voulant favoriser les vues de Radaina, décida Jean René 
â fixer un jour pour arrêter les conditions du traité. Il fut convenu que le 
chef de Tamatave se rendrait à moitié chemin de Manaarez, accompagné 
d'un détachement de sa garde, et que Radama, avec un nombre égal de 
soldats , le viendrait joindre au rendez- vous fixé. 

L'entrevue eut lieu, et, les parties étant tombées d'accord, un projet de 
traité fut signé le même jour sous l'influence de l'agent anglais. 

Radama y reconnut Jean René comme chef héréditaire de Tamatave , mais 
il lui enleva la souveraineté du pays des Bétanimènes , qu'il venait de sou- 
mettre , et l'investit seulement du titre de gouverneur général de cette pro- 
vince. Jean René fut obligé de subir celte clause qui le mettait sous la 
suzeraineté du roi des Hovas, pressé qu'il était par les circonstances et par 
les instances de M. Pye, qui venait de recevoir des instructions de l'Ile 
Maurice , par lesquelles le gouvernement anglais ne reconnaissait que Ra- 
dama pour roi de Madagascar. Le traité garantissait en outre la liberté et 
la franchise du port de Tamatave pour les sujets hovas, et contenait des 
clauses d'alliance offensive et défensive entre les deux chefs , en mainte- 
nant toujours le droit de suzeraineté au roi d'Émire. 

Un grand kabar eut lieu le lendemain à Manaarez; Jean René s'y rendit 
avec ses principaux officiers pour faire le serment du sang avec Radama, 
qui voulait cimenter leur union d'une manière solennelle en présence des 
deux geuples. 

XZX. — Bépari d'Baitîe pour Tananarivo. — Hèoeptîon de l'agent anglais. 
— -a^remièrei négooiationi pour Ti^litîoB de la traite dei esolavei — Ka- 
bar oonvoquè à cet effet. — Suooèi d'Haitie. — Traité ligné avec &adan&a. 
— &etour d'Baitie à Maurice* — Fidélité rigoureuse du roi d'Emime. — 
Honteuse rupture du traité par lei Anglais. — Occasion d'influence offerte 
an gouvernement français. 

Après avoir heureusement terminé cette grande affaire , et fait des disposi* 
tions nécessaires pour l'exécution du traité , Radama reprit la route deTana- 
narivo, tandis que le précepteur de ses frères, James Hastie, qui, entre autres 



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4^ RETVE DE t'ORIENT. 

présents , conduisait au roi des Hovas des chevaux de prix , Juxe Inconnu 
encore à Madagascar, se voyait obligé de suivre un chemin plus long et plus 
praticable ppur amener sains et saufs ses beaux quadrupèdes à Tananarivo. 

RÉaîgré les difficultés du voyage , que sa bonne constitution et son carac- 
tère entreprenant lui firent heurcusemeutsurmontef,Hastieaiieignit là capi- 
tale le 16 août 1^17. La cour du palais était pleine desoldats rangés en ligne, 
et le roi y était assis sur une estrade: dèsqd'il aperçut hîïstie, il laissa éclater 
sk joie, rappela près de lui et lui serra cordialement la main. Les naturels 
qui faisaient partie de la suite de Tagent anglais, après avoir remisa un 
officier placé, près de la porte, les piastres que la coutume ordonne de pré- 
senter aux souverains hovas en signe d'hommage, lorsqu'on les aborde, se mi- 
rent à chanter et à danSer. Le roi , ayant commandé le silence, adressa à seè 
soldats un discours dans lequel il les engagea à bien accueillir les étran- 
gers qui viendraient les visiter dans leur pays, et particulièrement les An- 
glais. Radama portait alors pour la première fois un habit d'uniforme rpùge 
et un chapeau militaire qui fui avaient été envoyée de l'Ile Maurice, un 
pantalon bleu et des bottes vertes. 

Après cette entrevue publique , à laquelle il avait cherché à donner de la 
solennité, il accompagna Hastie dans la maison qui lai était destinée. Là , 
il se débarrassa d'une partie de son costume et s'assit à terre , puis iî 
présenta Brady à son hôte, disant que ce n'était plus tin simple soldat, 
mais son capitaine. Quelques verres d'eau-de-vie à laquelle, malgt'é la loi du 
pays, Radama fit autant d'honneur que les enfants d'Albion , achevèrent 
de donner à la conversation un caractère d'effusion dont Hastie a consigné 
avec complaisance les détails dans son journal. 

Après avoir rempli sa mission apparente et remis à Radama les pré- 
sents dont il était chargé (1), l'agent anglais toucha plusieurs fois la question 
de la vente des esclaves , dont le capitaine Lesage avait déjà entretenu lé 
roi pendant son séjour à Tananarivo, et parvint à le convaincre des bienfaits 
qui résulteraient pour son peuple de l'abolition de ce commerce inhumain! 
Ce ne fut pas toutefois sans lui promettre, de la part du gouverneur de 
Maurice , des indemnités considérables en argent , et surtout en armes et en 
munitions de guerre, que Radama ne pouvait se procurer autrement que 
par la vente des prisonniers de guerre aux traitants européens. Le monar- 
que malgache eut de la peine à obtenir l'adhésion de ses conseillers à cette 



(J) Cenw causa lep]u»#e pismr au roi, parmi ces présents, fut une pendule. 
Mm elle avait été ^érang^e et sonnait les b«ures, tandis que ted aiguilles inarquafent 
les demies^ et padania oe pouvait çlissialuler sou chagrin ^ cet accideat. far bon- 
^ur, un jojy^r ^u'il était ^sent, Hastie découvrit la cause ^udérangei^^ de la pen- 
dule et y remédia. Quand Radama revint , sa joie n^eut pas de bornes ; la pendule, fut 
placée sur un billot, et le monarque, s'asseyant par terre, la contempla pendant une 
heure; enfin, quand elle sonna, oublieux de la dignité royale, il se mit à danser 
conone un enfàntl Quant aux chevaux, à force de soins, les Malgaches faillirent les 
Hire périr. 



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MADAGASCAR. — RÈGNE DE RADAMA. 43 

mesure. Il faut dire que son esprit vacillait journellement sur cette ques- 
tion Vdont il comprenait toute la gravité. Quoiqu*il penchât en faveur de 
la mesure, il représentait avec vérité à Hastie que son peuple aimait Tar- 
dent, autant que lui, souverain, aimait ta gloire, et que priver ses sujets 
du seul moyen d'acquérir des richesses, leur serait aussi dur qu'à lui de 
rester dans l'inertie; que, s'il leur défendait de vendre leurs prisonniers, 
ils ne voudraient plus faire la guerre ni défendre leur pays; car la valeur 
des travaux d'un esclave ne compensait pas les frais de nourriture et de 
vêtements, et d'ailleurs, ajoutait-il, les esclaves deviendraient bientôt telle- 
ment nombreux que si les maîtres ne les vendaient pas , ils pourraient bien 
vendre leurs maîtres. 

Toute la rhétorique du diplomate échouait devant ces arguments dont il 
ne pouvait nier ni la force ni la justesse; il eut recours à plusieurs phi- 
lanthropiques mensonges dans ses longues conversations avec Radama. 
Celui-ci, s'étant aperçu que l'Anglais biaisait et même altérait quelquefois la 
vérité dans ses assertions, le lui reprocha en termes fort vifs et lui défendit 
de paraîireen sa présence pendant huitjours. Au bout de ce temps il rentra 
en grâce auprès du roi , mais ses discours artificieux ne furent pas de sitôt 
oubliés. Hastie, comprenant qu^il rencontrerait toujours chez Radama des 
irrésolutions, tant qu'il n'aurait pa^ un Hova influent pour seconder ses ef- 
forts, s'adressa au premier ministre,jeune homme dont en peu de temps il 
gagna l'amitié au point de lui faire partager entièrement les vues du gouver- 
neur Farquhar,et de s'en faire un avocat persuasif auprès du roi. Son espoir 
fut cependant trompé dans un kabar de 5,000 personnes que le minisire 
convoqua à l'effet de connaître l'opinion du peuple sur l'abolition de la traile 
des esclaves. Le bon sens populaire vil clairement que les Anglais n'atta- 
chaient tant d'importance à cette mesure que parce qu'elle leur était avan- 
tageuse, et des orateurs hardis demandèrent tout haut si le roi était 
devenu l'esclave des Anglais. Ces paroles enflammèrent Radama de fureur; 
il protesta qu'il serait le maître de son peuple et qu'il le forcerait à l'obéis- 
sance. Hastie eut soin de l'entretenir dans ces bonnes dispositions, et le 
lendemain matin il fut convenu que le traité serait signé à Tamatave par 
l'agent anglais Pye, au nom de sir R. Farquhar, et par les ministres du roi 
d'Emirne. L'accès de colère passé, Radama parut se repentir de s'être tant 
hâté dans sa détermination; mais Hastie sut si bien manœuvrer que la 
convention fut exécutée. Le traité qui fondait l'influence anglaise sur la 
terre de iMadagascar, sous l'apparence d'une œuvre de haute philanthro- 
l>ie, fut signé le 23 octobre 1817 par les am|)a8sadeurs de Radama ^ 
par MM. StanfeLl, capitaine de la corvette le Phaéion, et Pye, agent du gou- 
vernement anglais à Madagascar. 

Cette concession valut à Radama, entre autres avantages matériels, l'cn- 
gagemenl pris par sir JR. Farquhar de lui payer 1,000 piastres en or, 
1,000 piastres en argent , et de lui fournir 100 barils de poudre de .100 (ivres 
chacun, 100 fusils de munition avec leur fourniment complet , 10,000 
pierres à fusil, 400 vestes rouges et même nombre de chemises, pantalons, 
souliers, diaussettes, shakos; 12 sabres de sergents avec leurs cemturons, 



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44 REVUK DK l'orient. 

400 pièces de toile blanche (coton de Tlnde), 200 de toile bleue, enfin un 
habillement complet de grande tenue, chapeau, bottes, etc., pour la personne 
du roi , et deux chevaux. Le tout pouvait s'évaluer à 2,000 livres sterlings 
(50,000 francs). 

Une proclamation des ministres deRadama promulgua le traité, mena- 
çant de l'esclavage et de la confiscation de ses biens toute personne coupa- 
ble de la vente d'un esclave destiné à l'exportation. Hastie partit alors pour 
l'Ile Maurice, où il reçut les félicitations de sir R. Farquhar; puis il se bâta 
de retourner avec de nouvelles instructions, en qualité d'agent anglais, 
auprès de Radama, qui lui témoigna aussi sa satisfaction delà conclusion 
de cette affaire, et fit publier, en français et en malgache, la proclamation 
de ses ministres sur les divers points de File. 

Radama ae montra scrupuleux observateur du traité qu'il avait signé; il 
ne souffrit même pas qu'on en fit la critique, et trois de ses proches parents 
payèrent de leur tête les paroles imprudentes qu'ils avaient pjubliquement 
proférées contre le traité et contre l'Angleterre, « un payg, avaient-ils dit , 
« qui n'agissait que par des motifs d'intérêt.» Il n'en fut pas de même de l'au- 
tre partie contractante, à la grande honte du gouvernement anglais. Le 
général Hall, ayant remplacé par intérim sir R. Farquhar, qui était allé faire 
un voyage en Angleterre, méprisa la convention faite avec un chef de sau- 
vages, et refusa de remplir les engagements contractés par l'agent anglais, 
qu'il rappela à Maurice. 

Radama apprit cette violation inattendue , et ne voulut pas d'abord y 
croire; mais force lui fut bientôt de se rendre à l'évidence. La traite des 
esclaves fut de nouveau permise, et, dans son irritation, le roid'Émirne 
ne dissimula pas ses dispositions à favoriser les Français au détriment des 
Anglais, qui l'avaient trompé. Plusieurs chefs de la côte, que la crainte de 
Radama et les présents de sir R. Farquhar avaient seuls contenus jusqu'alors, 
laissèrent éclater leurs véritables préférences, et l'on ne saurait dire jusqu'à 
quel point les eût pu conduire cette disposition des esprits si, dans ce temps, 
le gouvernement de Rourbon se fût trouvé en état de se mettre au lieu et 
place de la nation dont Radama venait d'être dupe. Mais la lenteur du gou- 
vernement français à profiter des circonstances, l'exiguïté des moyens em- 
ployés dans l'expédition de Sylvain Roux à Madagascar, et, plus que tout 
cela, le retour de sir R. Farquhar, calmèrent peu à peu les re^^ntiments des 
Malgaches. 

ZV. — Iffouvelle mîsiîon d^Rastle. — Première apparition dei mlsiîoimaîres 
anglais. — Appréheniîons du révérend Jones. — Progrès rapides de la 
oivilisation à Xœirne. — Zte grand maréchal Aobin. ~ Tentative d'BUistie 
pour renouveler le traité rompu. — Sanglants reproches de &adanuu — 
Sage discours d'un vieux conseiUer du prince. -> Grand kabar convoqué 
à Smirne. -^ Elocfuenoe de Rafaralah. — Radama redoute le sort de 
Ztouis ZVX. — Signature d'un nouveau traité. — Campagne désastreuse 
contre les Sakalaves du Sud. 

Aussitôt que sir Robert eut repris les rênes du gouvernement de T Ile, il 
songea à réparer l'échec survenu à l'honneur et aux intérêts anglais par la 



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MADAGASCAR. — RÈGNE DE RADAMA. 45 

faute du général Hall. Il envoya de nouveau Hastie à Tananarivo,et lui ad- 
joignit cette fois un aide spirituel, le révérend Jones, que la Société des 
missions de Londres avait envoyé pour jeter sur cette terre les semences 
évangéliques. L'esprit de nationalité est si vivace dans le cœur d'un Anglais, 
qu'il se mêle aux sentiments qui paraissent le moins le comporter ; il do- 
mine jusqu'à ces âmes que la religion semble avoir détachées des intérêts 
humains, de sorte qu'en fondant une école dans une hutte, et en baptisant 
quelques sauvages , les hommes évangéliques se trouvent avoir un jour, sans 
le vouloir sans doute, préparé l'asservissement du pays au commerce et à 
Fautorité britannique. Le gouverneur de l'Ile Maurice connaissait l'histoire 
des missions anglaises dans les grandes lies de la mer du Sud; aussi aida-t-ii 
de toute son influence la tentative de M. Jones. 

Hastie et son compagnon de voyage partirent donc pour Tamatave en 
septembre 1820. De ce port, ils se mirent en marche vers la capitale, quoi- 
qu'ils n'en eussent pas encore reçu Tautorisatioa du roi , ce que les Euro- 
péens de Tamatave considérèrent comme une grande imprudence. A mi- 
chemin, Hastie reçut de Radama une lettre en créole dans laquelle il 
l'engageait à ne rien craindre, k l'assurant qu'il n'était pas aussi prompt 
a qu'on le disait à couper les têtes. » Cette assurance alarma considérable- 
ment le missionnaire Jones, dont le nom ne figurait pas dans la missive 
royale. Les avertissements des traitants de Tamatave lui revenant en mé- 
moire, il manifesta une grande envie d'attendre, dans le village oft il se 
trouvait, les ordres de la cour; mais Hastie le décida à continuer sa 
route : « Je connais le roi, lui dit-il; si ma tête est sauve, la vôtre le 
«sera.» 

La traite des esclaves, un instant défendue, se poursuivait alors avec 
activité; les voyageurs rencontraient à chaque instant des troupes nom- 
breuses d'esclaves que des traitants européens conduisaient vers la côte. Près 
de la capitale , des routes bien entretenues attestaient les efforts de Radama 
pour améliorer l'état du pays. Au haut de la colline sur laquelle est située 
Tananarivo, deux aides de camp bien montés et en brillants uniformes 
vinrent annoncer à Hastie que S. M. les recevrait à quatre heures. Plus loin, 
le Français Robin, secrétaire de Radama (1), vint, une montre à la main , 
fixer le moment du départ ; il luttait évidemment contre le chagrin que lui 
causaient l'arrivée des Anglais et la réception brillante dans laquelle il était 
forcé déjouer un rôle. 



(1) La fortune de ce Robin est une des nombreuses preuves de la sympathie dies 
Malgaches pour nos compatriotes. Cet homme, simple sous-officier dans un régiment 
colonial , s'était en%i de Bourbon à Madagascar, après quelques fautes graves contre la 
discipline. H arriva à Tananarivo en 1819, gagna bientôt les bonnes grâces de Ra- 
dama, auquel 11 apprit à parler et à écrire le français, et s'éleva successivement jus- 
qu'au grade de grand maréchal de Farmée malgache. A la mort de Radama , H 
perdit tous ces honneurs, et, comme tous les Européens qui avaient eu quelque in« 

uence auprès du roi , il fut persécuté et forcé de s'enfuir de la capitale. 



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46 REYtE DE L^OKIÊnT. 

Après avoir gravi la colline entre une haie de soldats habillés et disci- 
plinés à l'européenne, au bruit d('s cations et au son des tambours qui rem- 
plissaient la cour du paltis, l'agent anglais et sa suite furent reçus par le 
roi lui-même, qui les conduisit dans un appartement meublé et décoré avec 
une véritable magnificence. L'accueil de Radama fut cordial et affectueux : 
il fil dîner avec lui les deux voyageurs, et le repas fut servi avec luxe dans 
de la vaisselle d'argent, dont la plus grande partie était de fabrique indi- 
gène. Tant de changements opérée depuis son départ indiquaient à Tadroit 
Hastie les rapides progrès du monarque à demi sauvage , dont il devait ex- 
ploiter les tendances civilisatrices. 

Le lendemain, Hastie eut un entretien particulier avec Radama: il s'ef- 
força de lui expliquer que le traité violé par le général Hall n'avait pas eu 
la sanction royale, mais que, sir H. Farquhar étant revenu de Londres avec 
4es pleins pouvoirs à cet effet, nul homme au monde n'oserait rompre la 
nouvelle convention qu'ils feraient ensemble. La réponse de l\adama, pleine 
d'arguments solides, fit connaître à Hastie les difficultés énormes desoîi 
entreprise. « J'ai signé ce traité , dit-il , contre l'avis de mes nobles , de mes 
« conseillers, de ceux même qui ont pris soin de mon enfance; pour com- 
c( penser les pertes que la cessation du trafic des esclaves devait occasioa- 
u ner à mes sujets, j'ai promis de leur distribuer une partie îles objets mention- 
o nés dans ce traité ; il n'a pas éié exécuté , quoique j'aie rempli et au delà mes 
« engagements. Que puis-je leur dire, moi qui ai servi d'instrument pour 
« les tromper? Leur proposerai-jç le rétablissement d'unt? mesure qui, après 
« avoircoùlé la vieà trois personnes du sang royal et à plusieurs autres indi- 
« vidus, doit immanquablement les appauvrir? Ils m'accuseront de n'avoir 
«pour objet que des avantages personnels, et de les sacrifiera l'espoir de 
« recueillir des bénéfices dont moi seul je jouirais. Et d'ailleurs, pourront-ils 
« croire à la sincérité des Anglais , après une si odieuse violation de la f^i 
« jurée?» . , 

Hastie reconnut la justesse des reproches que le roi adressait à son pays, 
mais, en bon diplomate, il en rejeta tout le poids sur le général Hall. Ra- 
dama répondit que son amitié pour l'Angleterre le portail à oublier la faute 
qu'elle avait commise, mais qu'il n'en était pas de même de ses sujets; il 
fit remarquer à Hastie que leurs progrès dans la civilisatioit, depuis ^on départ 
de Tananarivo, étaient dus au commerce des esclaves, qui avait pris une 
extension considérable, et avoua qu'il craignait presque une insurrection 
Igénérale s1l manifestait l'intention de se fier de nouvel) u aux Anglais, 
dont le nom , devenu synonyme de faux et de mi^nUut, était passé e^i pro- 
yerbe parmi le peuple. 

Le jour suivant, Hastie eut une conférence avec un vieillard qtii avait 
êlev'ë Radama , et qui conservait sur lui une grande îrtfluenfce. Après avoir 
écodlé avec attention tous les raisonnements de l'agent, il lui présenta les 
objections que le roi avait déjà développées la veillé , puisil ajouM : <f Le sang 
« dééeux qui ont souffert la mort à cause de ce traité a imprimé sur le noôi 
a anglais une tache qu'il îiè sera pas facile de laver. Je crois bien que tu 



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MADAGASCAR. — RÉGNE DE RADAMA. 47 

« parles sincèrement, mais tout ce que tu avanceras n'atteindra pas son 
c( but. Le roi a arrêté le trafic des esciayes ; il a mis à mort des gens qui 
a n'avaient fait que critiquer ses actes ; ii â risqué sa vie , La si^rçté de son 
a gouvernement, et ânalement il à été obligé de reconnaître qu'il avait eu 
« tort... La mesure que tu proposes aura pour résultat de nous priver de tout 
« noire bien-être : nous ne fabriquons ni poudre ni fusils , nous n'avons 
« qu'une industrie peu avancée, et nous sommes par nature un peuple in- 
<f dolent. Qui fournit à nos besoins? les traitants d'esclaves; ce sont d'eux 
f» que nous recevons tout ce que nous possédons. Que retirons-nous des An- 
(< glaise Rien; ils h'ont point de rapport entre nous. Ils ont fait des pro- 
« messes, et ne les ont pas tenues! Le roi, en permettant de nouveau la 
c< traite, nous donna l'assurance que ce commerce ne serait jamais interdit; 
«nous consentîmes â augmenter d'une piastre, c'est-à-dire à doubler le 
« droit qu'il recevait pour chaque vente d'esclaves. Cet accroissement de 
« revenu l^i a procure les moyens d'aider aux progrès que tu as remarqués 
« chez les tïovas , et au relour d'une expédition qiie nous venons de faire 
(( chez les Sakalaves du Sud, où nous avons éprouvé beaucoup de fatigues, 
« nous avons donné une permission générale de vendre les esclaves. » 

Le discours dti prudent vieillard résurhâit parfaitement l'bpinion dii 
peuple. îl lie voyait qUfe IH intérêts immédiats, tandis que Radâma rêvait 
la souveraineté de l'île entière, et la fondati'oii d'un royaume puis- 
sant par les armes comme par l'industrie. Le monarque malgache voulait 
que son nom fût écrit dans l'histoire; è'est en partie à cettfe noble atnbition 
que les Atigiais ont dû le bon accueil qu'ils ont reçu de lui. L'adroit tlàstie, 
qui paraît, dès seé plrèmières conversations, avoir dértiêlé C(3 sentiment dans 
le cœur du roi, sut toujours, dans la suite, en tirer un grand parti pour 
taire adopter les t)lans qu'il croyait utiles à là politique de la Grande- 
tereiagne. 

Vaincu par les promesses et les flatteries de l'Anglais, Radattia consentit 
à renouveler le traité; mais il fallait obtenir l'assentiment du peuple. A cet 
effet, le roi fit convo4uer un grand kabar, oft il expliqua clairement les in- 
tentions du gouvernement anglais et les avantages qui résulteraient de cette 
alliance pour la terre de Madagascar. Ses propres ministres accueillirent 
son discours par de sourds murmures, et l'ancien souverain d'Ântscianac, 
ftafaralâh, l'iin des plus puissants chefs de l'île, prit la parole pour lui ré- 
pdbdre. Il traça l'histoire du traité d'alliance de 1817, et s'étendit sur tous 
les avantages qui résultaient de ce traité ; puis, arrivant à sa rupture de la 
paK A\i gouvernement anglais, il sfe tut, comme s'il était incapable d'exprl- 
ihëHlndïgnation qu'il ressentait d'une aussi lâche conduite. Son éloquent 
silence produisit un lel effet sur l'assemblée, que le rejet de la proposition 
i)àrut dès ce monîent assuré. Il s'éleva un grand tumulte de voix , et dans 
là confusion qui suivît, le roi dit â Ha.^tie : « Voue voyez, je suis disposé i 
« l'alliance, mais mon pebplenè l'est pas. Celui même qiii ne possédé ibi fii 

i( une piastre nî u^ esclave sera fcbntrc moi j'ài entendu parler de h 

(i 'conduire des {français envers un die l^urs derniers M$. » 



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48 REVUE DE l'orient. 

A force de démarches, d'activité et d'adresse, Haslie parvint pouHant à 
vaincre les répugnances de Radama et de ses ministres : le traité fut de nou- 
veau signé. Radama y fit stipuler la condition expresse que le gouverne- 
ment anglais élèverait à ses frais 20 jeunes Hovas, 10 à Maurice et 10 & 
Londres, et les instruirait aux arts et métiers européens. La traite des 
esclaves fut de nouveau abolie, et les Anglais reprirent, à Madagascar, une 
influence qui, n'élant pas fondée sur la sympathie populaire, mais sur la vo- 
lonté d'un mortel , ne devait durer que quelques années. 

A cette époque, Radama fit, contre les Sakalaves du Sud, une expédition 
gigantesque , et qui peut donner une idée du degré de puissance auquel il 
était parvenu. Il partit avec 70 à 80,000 combalUnls; mais l'approvision- 
nement de cette immense réunion d'hommes avait été si mal combiné, que 
l'issue de la campagne fut désastreuse : 25 à 30,000 hommes y périrent de 
faim ou de maladie. Cette guerre se renouvela encore l'année suivante , et 
Radama ayant eu quelques succès, le chef des Sakalaves, Ramitrak, lui pro- 
posa une alliance qui fut acceptée. Pour mieux cimenter cette paix, il épousa 
la fille de ce chef, nommée Rasalime. 

V. — Premiers travaux dei mÎMÎoimaîrei. — Boole publique. _ Progresse 
la mÎMÎon. — Mort d'HaïUe. — Regrets publics de Badama. — Appréoia- 
tîon de Tagent anglais. 

Dès que le drapeau anglais flotta à Tananarivo, à côté de celui d'Emirne, 
M. Jones reçut l'autorisation d'ouvrir une école qui réunit quelques élèves. 
Ce fut le 8 décembre 1820 que commença l'enseignement des missionnaires; 
l'année suivante, M. Griffiths et sa femme vinrent y coopérer. Radama leur 
avait permis d'instruire son peuple, sans pourtant autoriser la prédication 
du christianisme, dont il ne se faisait alors aucune idée. Il fit bâtir pour 
M. Jones une case commode, et, lorsqu'elle fut achevée, il vint la consacrer 
en y jetant de l'eau et en y faisant les cérémonies habituelles. Ces pratiques 
superstitieuses, qui n'eussent pas manquer d'attirer la colère des pieux mis- 
sionnaires, si elles avaient été le fait des catholiques romains, paraissent 
avoir singulièrement flatté leur vanité. Lesxïommencements de leur séjour à 
Madagascar furent marqués par une extrême tolérance et par une sage atten- 
tion à ne pas enfreindre les coutumes nationales. Nous nous plaisons à citer 
la conduite de madame Griffiths, qui vint offrir au roi les premiers ou- 
vrages, de couture achevés par ses élèves, pour suivre la coutume antique 
qui ordonne de présenter au souverain les preipières productions, soit de la 
terre , soit de l'industrie, c'est-à-dire un échantillon de tout ce qui est nou- 
veau pour le pays. 

De tels actes, disons- le en passant, eussent gagné aux missionnaires le 
cœur des naturels, et plus tard ils eussent pu, sans obstacles, faire leurs 
affaires de religion. C'est ainsi qu'ils se fussent montrés dignes du titre de 
civilisateurs d'un peuple à demi barbare; c'est ainsi qu'ils se fussent mon- 
trés vraiment ^aux aux missionnaires catholiques, eX qu'ils eussent 



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MADAGASCAR. — RÈGNE DE RADAMA. 49 

donné de la valeur à leur critique, souvent injurieuse, des travaux de ces 
modestes et dévoués propagateurs de la foi chrétienne, qui, eux, ne redou- 
taient pas la mort, et n'attendaient pas de passe-ports pour pénétrer au sein 
des peuplades les plus barbares. 

Les progrès de la mission, à laquelle étaient venus se joindre plusieurs 
autres personnes envoyées par la Société , et notamment des imprimeurs 
avec des presses et des caractères, allaient toujours croissant. L'examen des 
écoles, fait en 1826, par Radama lui-même, constata la présence de 2,000 
écoliers. Deux années plus tard, la mission comptait trente-deux écoles dis- 
séminées dans le pays d'Ëmirne, et plus de 4,000 élèves. 

Au commencement de 1826, Hastie avait été appelé â Tamatave, auprès 
de Jean René, dont la fin approchait. Après la mort de ce chef, qui lui avait 
confié Inexécution de son testament, il fit un voyage à Ttle Maurice, où il 
arriva fort malade lui-même; il avait fait à bord du navire une chute 
violente, dont les effets furent aggravés par une série d'autres accidents. 
Un vtïieuj, s'étant manifesté dans son état, il était revenu à Madagascar, où 
Radama l'avait accueilli avec toutes les démonstrations d'une sincère amitié. 
Cependant sa guérison n'était qu'apparente; le mal fit des progrès ef- 
frayants, et le traitement qu'il suivit, en prenant de fortes doses de calo- 
mel , moyen curatif gén<^ralement employé par les Anglais dans l'Inde, 
accéléra sa fin, qui eut lieu le 8 octobre 1826. 

Pendant la maladie de Hastie, Radama témoigna souvent son inquiétude, et 
enmèmetemps de la haute opinionqu'il avait de son conseiller: «J'ai perdu, 
«dit-il, un grand nombre de mes sujets, de mes soldats et de mes officiers, et 
«plusieurs marousérana (ou nobles du plus haut rang) ; tout cela n'était 
«rien, comparé à la perte d'Audrian Assi (1). 11 a été l'ami sincère, l'époux de 
«Madagascar. Il en viendra beaucoup qui se vanteront, mais pas un qui fasse 
«autant que lui , et termine les pénibles travaux qu'il a commencés...» 

Hastie fut enterré dans la chapelle des missionnaires ; le roi , la famille 
royale, les juges, les officiers et un immense concours de peuple assistèrent 
à ses funérailles. 

Les missionnaires anglais ont toujours fait le plus grand éloge de Hastie 
dans leurs publications. On a dit cependant qu'ils ne vivaient pas dans la 
meilleure intelligence, que l'agent anglais ne les épargnait pas dans ses 
conversations, et que, s'il n'eût craint de s'aliéner les bonnes grâces de sir 
Robert Farquhar, leur zélé protecteur, il leseûtfait expulserpar Radama,au- 
près de qui il se plaisait à les tourner en ridicule. Ceux-ci affirmant de 
leur côté qu'ils doivent à Hastie la faveur dont ils ont joui pendant quel- 
ques années, il est difficile de discerner quelle était vraiment leur position 
respective. 

La mort d'Hastie fut une véritable perte pour l'Angleterre , dont il avait 
puissamment servi les intérêts. Quoique les moyens qu'il employait pour 



(1) Audriaxit noble titre de respect; Assi est une corruption du nom d'Hastie. 
IX. 4 



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Témsvp ne famêtïi pas toujours délieats , ïi y aursFit <le rin^aillee à M e<m« 
tesler in» grand* feabileiéi. H avait oivespriftpéBétrattt^iiiieeoiinàtssaiice 
porfaito defr hoàiriMfrCl; dD» attiairts^ qa'U savait (;end%im avec adrcàie; «r, 
lorsqu'il croyait pouvoir être utile à son pays^^, û ne reetitait devant atictm 
périè. Sayeove, à laquelle ik H'a taissé pour hér^iage qti'iliie maisoB èTana- 
narivo^ a deiiietivéqiiel<}o& temps dan» \st capitale des Bova^, el àftfaite aiN 
jousd'hui l'AD|;laÉCKfe, oC^eUe simveètle Téducatioii' de se» eefent ; elle re^it 
pouc cet oki^ une pension do gou^tGcraesie»!. 

VI. —Maladie et mort de Badama ( 1M8 ) — Avèneuléiit dte AanovaYou , 
• sa- Amyaie et «a lœvr. — ^ ttèoH •ffirnef de» f unéirmillès du roi. — H^oKetaes 

cnibuâw dima son «omhea«. — V(»rtrai» de B^adbma , par î» prince Obr- 

riàk^x. — fteMre autographe du roi ma^aote. 

. Bd^MSia no smvémt pas longHnaps à> Tageat aaglais. Daas^ se^depoières 
awkées , le Knonarcp» a^icaia se livrait eiiaqtte naît à des eseès qui eurent 
bieoM déiruit sa ooafttiiutioa, tout« robuste qu'elle était. 14 revistd^ 
matod^ de Tan^nta ve àr la fia de 1827 ; daust le cours de ^'auoée suivante , 1^ 
m^!a4ie piût im caractère plus grave, et il reodit le dernier somptp|«M 

Cet événement fut soigneusenaent caché, el le 2i, le peuple lut ooiviro<qpi# 
eç. )6fikv^ s^OiOd , pour prêter le seriseal de fidéii^ à Uu pePwmèeguUl 
plairaii au s.ouyêncm de ckoisin poua son sueceasaw eut trône ; déeistoa pi4êe<, 
di^itroi»-, pfir RâdAma lui-même, qui sentait sa âo proehainew Le ma tin- du 
IQ aotCtt , It'alfawe ^tdribid^ et le bruiâ ooumt que Rauavakui^ la preaiRdnt 
foaiijafe<vadiM) eft la souir de Badama (I) , avait été désignée pour loi su«eé^ 
der. lie M sipàfe, eneffel, la prodamatifadelanMrtd&Badaaifteideil^ér 
véneiu^nJ^ de sa pceuûèee Êeuime eut lieu 6a^ ua kabar solennel. 

i^ p^ eniiiei: a^iodQ Lae veine Ua det régter le» deuil géuéial et \m cérémosia dis 
fili^a^JUes, ËQ, vioiei la retetiou t^ile qa*ello a ébé édite par lo pri^ceCoiHniiH 
1er; on reconnaîtra sans peine, au style emphatique de cène deaoriptiMif! 
qn'eUf^Çiyl Tceuiv^^re» d'une dmilei» ofâcieib etqM'eli&a été rédigé» par un^ dès 
ptçinjcipFiuxr personnages de la cour de Radaaia(2)é 

aJ^Q.24iu^let tô^ à[deux beuresde l'apFèsrmick^S. M:. RadamarMisfiaira. 
mp^ri^^t ^ l'â^d» % ans, af^rèa uae^ uiaiadii de9 mois. Sa mort pcénatiiféa 
pU>og«% S0S: iH;ijeis danit une djOuA^ur^ pnofoode^ La< vilk ds Tanam^vo n'aéh 



(1) Quoique Rîjdama eûJt 12, feinmes, une seule était reconnue coincée reine : c'é- 
tait Rasalhiie, la fille du roi des SakalavesduSud. Cdie-ci vit encore à Ta:janarivo, 
eiitoiiréç dV{;artls et de considéraiion de la part de Ranav.iioti. Ras^aiiiue a une filie de 
quatorze ans, rnniqufe rejeton du {jratid lladatna. La reine aciuelle a un fils qui est 
appela le ftltf du HedMim, qnoiq«^il soit néiwai* enviror^ spvH la mort dti roi: 

(2) Cette relation diffère en quelques pointM de celle des misMOunaires anglaÎK. Nous 
avons indiqué eu note les priucipalts dif.éreiiccft. La date de la luort de Radaii>a, qui, 
dans Tune , eitf. le 'J;i juiitei> esi^ ùsm l'autre, te '11^ 



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MADAGASCAR. — REGIME DE RADAMA. âl 

frit plus qo*un aspect lugubre : les maisons furent fermées ; la consternation 
était peinte sur toutes les figures, et le morne et triste silence qui régnait sur 
les places publiques n'était interrompu que par les gémissmnents des habi- 
tants. 

«D*après un ancien usage, hommes, femmes et enfants, de quelque rang 
et classe qu'ils fassent, se rasèrent la tête en sigae de deuil (1). 

«Ce ne fut que le 11 août, au matin, que la mort du monarque fut rendue 
publique, et dès lors on commença à tirer des coups de canon de minute en 
minute jusqu'au coucher du soleil. 

«Le 12 , au point du jour, les batteries et Tinfanterie firent tour à tour des 
décharges jusqu'au soir. Le dedans et le dehors du palais furent tapissés en 
toile blanche et bleue, et le chemin qui conduit de la porte ouest de Bessa- 
kane au bas de l'escalier de Tranou -Vola (2) fut couvert de toile noire , et 
l'on plaça des deux côtés de ce chemin une double haie de la garde royale (3) 
en grande tenue, et ayant leurs fusils et leurs zagaies renversés; les officiers 
portaient des écharpes de crêpe noir , et les caisses de tambour en étaient 
couvertes; les tambours frappaient de minute en minute un coup de ba- 
guette sans faire de roulement. 

«Au sud, et près de l'escalier, étaient placées trois bandes de musiciens 
qui jouaient des airs analogues à la cérémonie funèbre. 

«Vers onze heures du matin, le cercueil en bois, couvert d'un velours cra- 
moisi et orné de franges et de glands d'or aux quatre coins, contenant les 
restes de Sa Majesté Radama-Manjaka, fut porté par 600 officiers supérieurs, 
et déposé dans une salle de Bessakane, où il resta jusqu'au lendemain. La 
vue du cercueil du roi renouvela la douleur des habitants : les cris et les 
gémissements recommencèrent comme s'ils l'eussent perdu une seconde fois. 
«Le major général Brady, le prince général Gorroller, le commandant en 
chef des ateliers royaux, Louis Gros, et le révérend docteur Jones, mission- 
naire anglais à Madagascar, furent choisis pour porter les coins du drap. 
Bessakane fut tapissé en étoffes de soie du pays, de diverses couleurs , et 
on y plaça une division pour faire le service pendant la nuit. 

«Le 13, les missionnaires et les Européens qui se trouvaient âTana- 
narivo, après avoir obtenu la permission de la reine, portèrent le cercueil et 



(1) Ce ne fut pas la seule manifestation de douleur qu*exigeala reine. Il était enjoint 
aux femmes de pleurer, à tout le monde de déposer les ornements et vêtements bril- 
lants , de ne brûler aucun parfum , et de né porter que le lamba (manteau) national , 
dont les pans devaient être soigneusement relevés. Il était aussi défendu » sous peine 
de mort , de monter à cheval, de se faire porter dans un siège à bras (takon), de jouer 
d'aucun instrument, de danser et de chanter» de concber antrement ^ue sur la terre, 
de manger sur une table, de se saluer en m rencontrant » et de se livrer à aucuti 
travail. 

(2) Tranou- Fola est la principale résidence du souverain. Bexsakam est te second 
palais ; il est plus spacieux que le premier. 

(3) Les sirondahs. 



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52 REVUE DE l'orient. 

les restes du feu roi, de Bessakane à Tranou-Yola. Dans la cour de ce palais 
on avait élevé un magnifique catafalque, ayant deux escaliers à l'est et en- 
touré d'une balustrade lancéolée et à colonnes dorées ; le dessus de ce cata- 
falque était couvert d'une tente dont Fintérieur était de drap fin écarlate, 
avec des franges et des galons en or et en argent , et, à Textérieur, de lar- 
ges galous d'or cousus ensemble étaient placés de 6 i)ouces en 6 pou- 
ces (1). Sur les colonnes on avait assujetti des lampes sépulcrales en argent, 
d'autres en verre, et des chandeliers dorés représentant des soleils en cristal 
avec des rayons dorés; enfin, des lustres étaient attachés aux colonnes qui 
sont dans la cour, et des bougies placées de distance en distance. 

«Sous ce superbe mausolée était réunie la famille royale, qui faisait paraî- 
tre une douleur encore plus vive que celle du peuple ; des jeunes filles vêtues 
en blanc , avec une ceinture noire , entouraient le cercueil et tenaient des 
éventails dont elles se servaient pour chasser les mouches. 

«Non loin dece catafalque, des ouvriers travaillaient à faire le tombeau (2). 
Vers quatre heures de l'après-midi on y renferma, d'après un ancien usage 
du pays, tous les effets précieux de Radama, tels que des couverts d'argent 
d'Europe et du pays , et en grand nombre ; de la vaisselle plate , des sou- 
pières et des vases d'or et d'argent, dont le gouvernement anglais avait feit 
présent au roi ; de grands bols en cristal et en porcelaine de Sèvres , dont 
plusieurs étaient très-riches ; des gobelets de tout genre et en quantité ; des 
poires à poudre, dont une en or imitant une corne, travaillée et sculptée 
par M. Langlade, de Maurice; des fusils de chasse garnis en argent; des za- 
gaies et des lances sculptées et ornées d'or, d'argent et de pierreries; des 
sabres, des épées, des poignards arabes et malais ; des montres et des pen- 
dules à répétition et à musique ; des tabatières en or, des chaînes d'or d'Eu- 
rope et du pays, des bagues de diamants , des épingles montées avec des 
pierres précieuses , et une infinité de bijoux de toute espèce ; des malles 
d'habits brodés en tous genres et du linge fin ; des bottes et des éperons <i|e 
différents métaux; des chapeaux galonnés avec leurs riches plumets; les por- 
traits à l'huile de S. M. T. C. Louis XVIli, de Frédéric le Grand, de Napo- 
léon , de Kléber, de Masséna , de Marceau , de Desaix , de Bernadotte , 
d'Eugène de Beauharnais, de Poniatowski et d'autres personnages illustres. 
On y déposa encore une infinité de tableaux et de gravures coloriées repré- 
sentant diverses vues d'Europe, de combats sur terre et sur mer, depuis le 
commencement de la révolution française jusqu'à la déchéance de Napo- 

(1) Le prince Gorroller avait été apprenti orfèvre à l'Ile de France. Ces détails, dans 
lesquels il se complaît, montrent qu'il n'avait pas tout à fait oublié son ancien état. 

(2) Ce monument forme une terrasse en pierres brutes d'environ 30 pieds carrés et 
de 16 pieds de haut. Il est surmonté d'une maisonnette à l'européenne , ayant une ga- 
lerie tout autour et une belle glace sur chaque face. L'intérieur en est richement dé- 
coré; on y a déposé une table, deux chaises, une bouteille de vin, une carafe d'eau et 
deux gobelets, afin que, lorsqu'il plaira à l'ombre du feu roi de visiter le lieu où repo- 
sent ses restes, il puisse y inviter l'ombre de son père et y goûter les plaisirs qui lui 
étaient chers pendant la vie. 



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MADAGASCAR. — RÈGNE DK RAUAMA. 53 

iéon; on y déposa aussi pour une valeur de 350,000 piastres d'Espagne (î), 
tant en Hngots d*or et d'argent qu'en toutes sortes de monnaies d'Europe 
et des Indes. 

«A dix heures du soir, on transféra le corps du roi dans un cercueil en 
argent qui avait été placé dans le tombeau ; 14,000 piastres d'Espagne fu- 
rent fondues et employées à la confection de ce cercueil (2). 

« 6 magnifiques chevaux furent sacrifiés sur le tombeau de ce monar- 
que , et 20,020 bœufs furent également sacrifiés dans la capitale et dans les 
provinces voisines. » 

Suivant le même prince Ciorroller , qui a publié le portrait physique et 
moral du roi , Radama était de petite taille ; il avait 5 pieds au plus , mais 
il était bien fait, et ses traits étaient agréables; ses yeux, petits et brillants, 
étaient surmontés de beaux sourcils et bordés de cils très-longs; sa couleur 
était olive clair ; il avait la peau fine, une jolie main et un petit pied. Son 
caractère était affable ; sa conversation, douce, agréable et séduisante. Il 
avait l'esprit vif , subtil , méfiant et rusé. Il était excessivement orgueilleux, 
vain, plein d'ostentation en public, et si accessible à la flatterie, que son 
peuple finit par lui rendre des honneurs comme à un dieu , sans qu'il en 
manifestât de déplaisir. Brave, intrépide, impétueux, il devait à ces qualités 
mêmes la violence de caractère qui lui fît commettre des actes injustes et 
sanguinaires. 

C'était, après tout, un homme d'une intelligence élevée, et qui recherchait 
avidement les moyens d'accroître son instruction et celle de son peuple (3). 

(1) D'autres disent 150,000; les missionnaires fixent le chiffre à 10,300. 

(2) On y grava ces mots : 

TAIIANABIVO, l^i* AVRIL 1828.— RADAMâ MANJAKA,— SANS ÉGAL PARMI LES PRINCES, 
— SOUVERAIN — DR L'ÎLE, 

(3) Radama était parvenu à parler et à écrire notre langue. Voici une lettre de lui 
adressée à M. Dayot, agent du gouTernement français à Tamatave , et dont l'original 
est en la possession de M. Eyriès. 

L'écriture est celle d'un écolier qui n'est pas encore assez avancé pour former de 
petits caractères; ceux de la signature sont plus gros que les autres : le roi devint plus 
habile dans la suite. Nous reproduisons ce morceau sans aucun changement à l'ortho- 
graphe ni à la ponctuation. 

« Éoiyme, le 18 mai 1819. 

r « Monsieur Dayot j'ai reçu votre lettre par laquelle vous me dites que vous avez prêté 
«sur la bonne foi à un ovas la valeur de cinq têtes vous devez être instruit Monsieur 
■ que j'ai dans le temps envoyé mes ministres A tamatav^e pour prévenir tous les blancs 
«de ne rien prêter à aucun ovas parceque la Majeure partie De ceux qui descendaient 
« à Tamatave étaient des chevaliers d'industrie. Néanmoins si je puis découvrir cet 
«homme je le ferai saisir et Vous ferai rendre justice Si vous le découvrer de votre 
«côté je vous autorise à Vous Emparer de sa personne et de tout ce qui lui appar< 
«tient (1) j'ai l'honneur de vous saluer, 

«Radama Uxvjxejl Ifat^ane (2). 
«Monsieur Dayot.» 

(1) n*aprèâ la loi hova, les débiteurs insolvables sont vendus au profit de leur créancier. 

(2) Manjaka, roi oa grand chef; Uavcuie, parent, ami, formule de politesse. 



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£4 mjv% M lVnuvivt. 

U a inar^ foa rèpie par des éTéoeoienU (Hii feront éj^ue h Maéagaieir : 
Ja conquête de priosque toute l'Ile , TorganisatioD d'une arm^ r^lière et 
disciplinée à l'européenoe , rabolition de la traite des esclaves, Tintrodsc- 
tion d'une foule de métiers européens, l'adoption d<8 caractères français (1) 
^ur récriture de La langue malgache, et rétablissement d'un système d'é- 
ducation publiftie, soQt , entre autres, des événements qui attacheront le 
jpom de ftadama h Thistoire de la civilisation de Madagascar, et qui font 
regretter que cet homme remarquable soit mort avant d'avoir accompli la 
grande tâche qu'il avait entreprise. 

ËD9àW DE fBWVKVmM. 



REVUE DE L'ARMÉE HOVA PAR LE ROI RADMIA (2). 

Au milieu d'une plaine assez grande pour faire manoeuvrer une armée de 
400,000 hommes, on voyait les diverses tribus que les Bovas avaient sub- 
juguées : elles étaient campées avec ordre ; on avait eu soin de laisser «itre 
elles un intervalle assez large pour le passif des troupes d'Émirne. Des 
hommes qui représentaient des peuplades étaient assis à quelques pas en 
avant des groupes, et aUendaient en sileuee les ordres du .conquérant. Sar 
leurs visages, que les uns cachaient dans les plis de leurs sim'bous, et que 
les autres penchaient vers la terre ^ étaient peints la honte, la consternation 
et le désespoir. 

Cependant, l'armée s'avançait au pas ordinaire. Des tambours qui bat- 
taient fort mal ouvraient la marche et se faisaient entendre lorsque les mu- 
siciens étaient fatigués. Plusieurs régiments d'infanterie les suivaient ; ils 
étaient composés de jeunes gens des premières familles d'Émirne, ou^i^ 
peuplades réunies à cet empire par Dianampouine et par Radama. Tous ces 
soldats avaient l'uniforme anglais, moins les souliers, et des fusils sans 
baïonnettes. 



<1) Nous disons «français, » parce que Ton a prétendu que Talphabet anglais servait 
2i écrire le malgache. Les missionnaires Tont publié, mais ils ont ajouté que < le roi 
décida qu'on se servirait des consonnes anglaises et des voyelles françaises. » 
Chacun sait que les consonnes, à Texception du y et du w (exclus du malgache), ont 
le même son en français qu'en anglais : or, si les voyelles et les consonnes em- 
ployées pour écrire le malgache se prononcent comme en français, il est clair que 
Valphabet malgache ne peut être qu'un alphabet français, et que les Anglsûs n'ont 
aucun droit |k Thonneur d'avoir fourni à ce peuple, qui entre dans les voies de la ci- 
vilisation, les premiers caractères de son écriture, lorsque les missionnaires propo- 
sèrent à Radama d'appliquer l'alphabet anglais au malgache, et lui expliquèrent les 
nombreuses consonnances variables de leurs voyelles , il s'éciia qu'H voulait « qu^in 
a fût un a, et non pas tantôt un é et tantôt un a, » 

(2) Nous empruntons les curieux détails qu'on va lire aux notes d'un voyageur en 
ce moquent à ^Vadagascar, et doint le npm , ^ tort nous l'espérons d^j moûis, ^ été trb- 
temeut luélé au:^ derniers ^émm.W» dora MiuMlgascar a été le théâtre. 



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M ADAGA9a&B« — Wffnx. WS HOVAS. fiS 

Ua iiMÉnit ]«¥écn de l'oBîlbriBe ée ooloBd parcbam^ 
Mit «M petoe infiaie iKwr les aligner : c'était Brady , vieux soldat anglais , 
mulâtre de la Jamaïque; attaché au service de Radama comme instructeur 
lie son arpée, il était parvenu â Torganiser et à la discipliiier. Brady était 
|M*éei^ix pour Radama, ^i Teùt difficilement remplacé. Du reste, il ne 
«avait pas même lire, et n'était propre qu'à former des machines à fusil. 

Plusieurs compagnies de canonniers marchaient à la suite drs fantassins. 
On avait choisi pour cette arme les plus beaux hommes du pays ; le costume 
i|u'ils portaient leur donnait un air martial et laissait {laraitre leurs formes 
athlétiques. C'était une tunique blanche dont le bas était garni d'une bor- 
dure bleue à dents de loup; un sim'bou de toile bleue qu'ils portaient eq 
sautoir leur couvrait une épaule et soutenait leur cimeterre; ils condui- 
saient le matériel de l'armée, composé de quatorze bouches â feu , tant obu- 
sieTs que pièces de campagnes en bronze de deux, de quatre et de huit. 

Le corps des sirondas venait après l'artillerie : il était composé en grande 
partie d'esclaves africains, espèce de janissaires qui entouraient le roi et lui 
servaient de gardes du corps. Les sirondas obéissent à des chuh particuliers 
qu'ils choisissent eux-mèmt^; leur général était alors un Cafre nommé 
Reinseroube , en qui Radama avait une confiance aveugle. Cet officier por- 
tait un uniforme très-riche; mais à cause de soa origine, il ne lui était pas 
permis de s'asseoir, à, la table du roi, qui le faisait servir sur une natte à 
cdlé de lui, quand il l'invitait à dtner. 

Les sirondas étaient au moins au nombre de 5,000; leurs costumes étaient 
plus beaux et mieux entretenus que ceux des autres fantassins (1). Radama 
chargeait toujours leurs officiers de l'exécution des grands personnages 
dont il voulait se défaire. 

Les chanteuses (2) , drapées dans leurs longs manteaux blancs, suivaient 
le corps des sirondas. Leurs hymnes, qui rappelaient les traits de courage 
des guerriers en combattant, inspiraient à ceux qui leur avaient survécu le 
désir de les imiter. 

Au bruit des clochettes attachées à leurs ceintures, on reconnaissait der- 
rière les danseuses les ombiaches et les ampeaanzares , qui se tenaient auprès 
du roi: disparaissaient tous très-âgés; une sorte d'oriflamme qu'ils portaient 



(1) Ce corps a dû s'accroître encore depuis ejne la traite des esclaves est ôpyemie im* 
possible, puisque le gouveroeraeet y fait entrer ceux de ses prisonniefs qu'il juge pro- 
pres au métier des armes. 

(2) Uû corps deefaaDieuses est attaché à TariDée hova et payé par l'État. Pendant le 
oorobat, et c^ans les marohes péDâ)ies, elles chantent, pour encourager les soldats, des 
hymnes nationaux et les hauts faits de Diananipmiine et des guerriers qui l'accompa-. 
gnatent dans ses premières expéditions. Ces feiiimes ont les cheveux divisés en une 
tnfiatté de petites tresses; elles portent des nianUles d'or et d'argent, et des colliers à 
gros grains d'or et de corail ; leurs vêtements nanl $ouN>nuspar une ceinture de soie 
bariolie. Chaque Mi t^ue Radama sortait, il était suivi d'un grand nombre de ces 
cbanieu.ses. 



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56 RETUE DE l'ORIERT. 

devait, disaiait-ils, rendre la nation hova toujours victorieuse. Les soldats 
hovas ont ia plus grande vénération pour cet objet qu'ils appellent fon- 
fi)udi-bé(l). 

Un ancien officier de Dianampouine, choisi parmi ceux qui jouissaient 
d'une grande réputation de bravoure, accompagnait les devins, et portait 
un drapeau déchiré, où étaient représentés des croissants et d'autres figures 
dont je ne pus pas deviner le sens. 

Cet étendard, dont les broderies étaient riches, avait appartenu à Tippou- 
Safib, sultan du Maïssoure. Les Anglais, qui l'avaient pris par mégarde dans 
les magasins de File Maurice pour en faire présent au roi d'Ëmirne, vou- 
lurent le retirer aussitôt que leur agent l'eut reconnu ; mais Radama, qui le 
trouvait beau, ne voulut pas le rendre. 

Au milieu d'un état-major brillant et nombreux, et sous un dais de satin 
cramoisi orné de franges en or et porté par quatres esclaves richement 
vêtus, on voyait Radama, qui montait un cheval arabe pur sang, riche- 
ment caparaçonné; sa housse de velours enrichie d'or et de pierreries faisait 
encore ressortir ses formes gracieuses; sa bride, sa martingale et jusqu'à 
sa crinière étaient parsemées de pierreries élincelantes. 

Le roi avait le costume de général anglais, en drap rouge avec broderies 
et épaulettes d'or; mais sa tète était ornée d'un diadème entouré de rubis; 
il portait à la ceinture un sabre et des pistolets damasquinés. Deux pages 
marchaient à côlé du roi , et agitaient des éventails en plumes d'aigrettes 
pour éloigner les mouches. 

Rrady ayant fait ranger les troupes en bataille , la fête commença par une 
salve de cent coups de canon que les artilleurs eurent beaucoup de peine à 
exécuter ; deux hommes périrent victimes de leur inexpérience, et cinq ou six 
autres furent grièvement blessés. Les généraux et les officiers , n'ayant pa^ 
l'habitude du cheval, furent obligés démettre pied à terre; le roi seul ne des- 
cendit pas : arrêté au milieu de la plaine, ses yeux, qui exprimaient à la fois 
l'orgueil et la joie, parcouraient tour à tour les groupes des peuples qu'il 
venait d'asservir. 

Rient6t il donna l'ordre de faire approcher leurs chefs, qui , courbés dans la 
poussière , lui prêtèrent le serment de fidélité et reçurent des chaînes en 
argent d'environ 2 pieds de longeur et dont les anneaux étaient aussi gros 
que ceux des galériens. Radama les avait apportées de Tananarivo pour 
augmenter l'éclat de son triomphe. 

(1) Les rois d'Émirne sont de temps immémorial possesseurs du fanfoudi-bé. Ce 
talisman , qui porte Tépithète de bé, grand, est couvert de dr2q[> ronge, bordé de ga- 
lons d'or ; il est déposé , en temps de paix, dans la sépulture des rois, qui renferme 
aussi leurs richesses. Les Malgaches ont un grand respect pour les morts , et n'appro- 
chent de ce lieu qu'en tremblant ; il n'y a pas, chez eux, d'exemple de profanation de 
tombeau. Les Ampoum-Chaves, seuls, s'exposent quelquefois aux derniers supplices 
en cherchant à les violer. Les Malgaches plantent des poteaux dans les cimetières, et 
y attachent les cornes des bœufo qui ont été tués aux funérailles ; les ricfaes mt ont 
uu grand nombre. 



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VOYAGE DANS LE LAOS. 57 

L'armée hova a reçu depuis 1820 uoe orgamsallim r^lièrc '.elle e»t re- 
crutée comme en Fraoce, mais les soldats sont forcés de s'entretenir eux- 
mêmes ; ils portent l'uniforme et sont assujettis à la discipline la plus 
aévère. A la moindre faute, un soldat est condamné aux fers pour plusieurs 
années; s'il meurt avant d'avoir subi sa peine, ses parents ne peuvent dis- 
poser de son corps ni même lui ôter ses fors , avant que le temps de sa pu- 
nition soit écoulé. 

Les militaires de tous grades, quand ils ne sont pas de service, ont une 
semaine par mois pour aller par détachements commercer dans les campa- 
gnes. Le roi donne à chacun pour le trafic, selon son grade, im capital de 
quelques piastres; c'est l'intérêt de cet argent qui les fait vivre, mais si 
par malheur il leur arrive de toucher à cette masse, qui est la propriété 
du roi, et qu'il redemande quand il lui plait, ils sont sévèrement punis. Tout 
officier ou soldat qui quitte daosJes combats le poste qui lui a été assigné 
est condamné à périr sur un bûcher. Les fautes d'insubordination sont pu- 
nies avec tant de rigueur par les lois d'Ëmirne , que c'est toujours en trem- 
blant qu'un soldat aborde son chef. Si un officier a des ordres à prendre 
d'un supérieur, il se prosterne la face presque contre terre, et reste dans 
cette posture humiliante jusqu'à ce qu'il plaise au chef de lui répondreetde 
le congédier. Lorsqu'un général reçoit une lettre du souverain, il se met à 
genoux et s'incline trois lois avant de la prendre et de la décacheter. 

Si la plupart des lois militaires sont sévères chez les Hovas , quelques-unes 
accordent aux soldats certains privilèges dont les bourgeois sont privés: 
elles leur donnent, par exemple, des garanties contre l'infidélité de leurs 
fommes ; car l'adultère, qui n'esta Emirne ni un crime, ni un délit, ni même 
une action déshçnnête , est puni de mort quand le mari est à la guerre ou 
absent pour le service du roi... 

L'armée défila devant Radama, après avoir exécuté plusieurs foux de 
peloton avec vivacité et précision, et le cortège se dirigea vers la ville, où 
Ton sacrifia un grand nombre de bœufs qui furent distribués aux soldats. 

B. F. L. DB L. 



EMPIRE SIAMOIS. 

VOYAGE ET SÉJOUR DANS LE ROYAUME DE LAOS. 



Je sortis de Bangkock le 5 décembre 1843 , avec quatre rameurs. J'étais 
accompagné de M. Vachal , missionnaire arrivé à Siam depuis un an ; ce 
confrère était dans une autre barque. 

De Bangkock à Latteon-La van, ville que nous atteignîmes le 16 décembre, 



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6t iMBn» mt l'o 

te bméê in 9IMu9m MAC «tm pensés; en 4roiii?« oDa towll émai t «des 
^BrâoM ^partes çà et U sur la rive; de t^iifK^m temps af^pwttéstettt 4e 
fros villages , et presque obaquejour on rencontre quelques petites ^Ito 
où réside un gouvcrjieur. Ju)H|iie4à le fleuve aWt pas encore tvèSHniptde, 
ot ie vof âge n^est pas «ans agrément. Mais lorsqu'on a dépassé Lattoon* 
4Lavan, l'horizon se resserre graduei4eni^t et s'assombrit c à drsitc ^ fi 
gauche, on commence à apercevoir des montagnes, entre lesquelles le M«l- 
oam se préei|»te ayee la fougue d'un torrent , couvert de gros arbres déra- 
<ûi|és qu'il entraîne au moment des pluies , et qu'it laisse ensuite plus ou 
oiOins jsnfcmcés dans le sal»le. Lorsque l'inondation a cessé, cet «bstaicle ^àt 
qu'on ne peut plus voyager de nuit, et rend même la navtgaiioa périllouse 
pendant le jour ; car il n'est pas rare que la barc^pjc heurte twaxn quelques- 
uns de ces troncs i demi cachés par l'eau, qu'on ne distingue fias toujours 
assez à temps {wur les éviter. 

L£s bords du fleuve ne sont pius que de vastes forêts, presque impéuiétr«<- 
bles, remplies de tigres et d'autres animaux féroces qui ne permettent plus 
de dormk- près du rivage; on est obligé d'amarrer la barqueasscE (oia dec^ 
bords dangereux. Ce n'est, au reste, qu'après deux, trois ou quatre jours de 
narehe qu'on rencontre un méchant viuâge, où Ton ne trouve riaa à aohe<- 
ter; les villes y sont encore semées à de plus longs intervikUes: nous n'en 
avons apercuqu'une, assez petite, depuis Latteoo-Lavao Ji^qu'i Hahang, oâ 
nous arrivâmes le 31 décembre. 

Dans tous ees pays il régnait une telte disette qu'à pelile avons-nous pu 
BOUS procurer le riz nécessaire : heureusement cfue nous avions apporté de 
Bangkock une assez bonne provision de poisswis secs, et que dos gens nous 
tuaient de temps à autre quelques pélicans ou quelques gros hérons ; sans 
quoi nous aurions souvent été obligés de nous contenterdehotrerla tout 
seul. 

C'est avec un de ces œseaux que nous nous régalâmes le jour de No«l^ 
sur un beau banc de sabk où nous nous étions arrêtés pour passer ce 
saint jour. 

Du reste, ce premier mois se passa sans aucun accident f&cheux, et sans 
qu'on pensât même à nous arrêter ; car, comme nous étions tous deux sur 
des barques qu'on appelle annamites^ et que les courriers du roi emploient 
ordinairement pour leurs messages, on nous (irit partout \yo\ir des agents 
du prince, en sorte que gouverneurs et douaniers ne songeaient pas même à 
demander à nos gens qui ils étaient ni où ils allaient. Quant â nous, il va 
sans dij-è qu'en touchant aux stations sou nr^tëes à lasurVelllance des offi- 
ciers, nous nous gardions bien de montrer notre face. Cependant , quand 
nous fûmes arrivés à Rahang , ville assez considérable , distante seulement 
de vingt ou trente lieues de iVloulmien , qui appartient aux Anglais, sur le 
golfe du IkqjîaJe, nous y troi|vâmes um douane très-séyèrcqui ne laisse 
circuler aucupe barque sans passe-port : aussi u'ess»yâmi;s*nous pas ^ tr^a- 
chir furtivement le poste, comme nous avions f^it ailleurs ; mais noua ju- 
geâmes plt^sà propos de nous rendre di reciemCnt cl tn plein jour clic* le 



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gonveraetir, pour veir sll ne ierait pas posatbie ëe te gagner |>af qmltttes 
petits pr^Dts, sauf, en cas de refus, à ieaier le passage de ifûelque autre 
manière. 

Je pris donc aviec moi une bouteille d'eau de Cologne, m petit paquet 
de thé et une paire de ciseaux, puis, flae présentant hardiment devant 
lui, je lui annonçai que oduS' étions des Bâd Umng^t Ban^oçk ( car c'fist 
ainsi qu'on nous appelle ) ; que nous avions intention de nous r^re à 
Xieng-Mai, capitale du Laos occidental, et que nous n'avions pas voulu pas- 
ser oiitre sans le voir et lui offrir quelques gages de notice amiiié. Après ce 
début et sans lui laisser le temps de répondre , je lui demandai laqudle des 
deux votes il jugeait ta plus facile, ou de continuer notre roule en barque, 
ou d'aller par terre avec des éléphants. 

J'espérais par ce ton d'assurance lui faire croire que nous étions en règle , 
et qu'il élatt inutile d'en exiger la preuve. Mais ma ruse ne réussit pas , car 
sa première parole fut de nous demander si nous aviods des paase-ports : 
« Om^ nous en avons,» lui répondis-je aussitôt. Nous avions en effet une mé- 
chante lettre d'un mandarin chrétien, qui portait en substance qu'il y avait 
ordre de tel prince à tous les gouverneurs diîs villes, chefs de village et de 
douanes, de laisser circuler librement et de ne point molester tels Bàd 
JLuang^ qui allaient visiter les chrétiens chinois et annamites , dispersés 
dans le royaume ; mais on ne disait pas qu'il nous fût perinis de prêcher 
aux païens, bien moins encore, que nous pussions franchir la frontière. 

Comme il demaDda à voir ces passe-ports, force fut de lui présenter ce^te 
lettre, en laquelle nous n'avions aucune confiance , mais que le cas difficile 
où nous nous trouvions m'obligeait à manifester. Par la grâce de Dieu, 
elle 6»t mal comprise et fiiit même regardée comme une recommandation , 
émanant du prince même dont il était question dans la lettre : aussi se 
garda-t-on bien de nous arrêter. Au contraire, après avoir lu cette pièce , 
le gouverneur nous dit que nous étions libres d'aller otji nous voulions : 
quant à poursuivre notre route par le fleuve, pous ne Le pouvions pas , 
ajouta-t-il, à cause des cascades nombreuses qu'on rencontre; à la rigueur 
nous pouvions aller par terre avec des éléphants , mais les chemins étant 
très-difficiles, nous ferions mieijix de prendre telle riviène qu'il nous indi- 
qua, et qui nous conduirait à une ville appelée Thoén, d'où nous attein- 
drions plus aisément Xieng^-Mai avec des éléphants. Je lui répondis qme 
nous suivrions son conseil. 

Après avoir obtenu de lui une lettre qui était un passe-port en bonne et 
due forme pour pénétrer dans le Laos, nous continuâmes ootre route jusqu'à 
Tboen , où nous arrivâmes en sept jours. 

Nous passâmes le nouvel an à peu près comme nous avions passé les fêtes 
de Noël. Nous n'eûmes pas d'oiseaux à manger ce jour-là , mais nous nous 
régalâmes avec du poisson sec et des œufs salés , que nous avions achetés 
à gahang. 

Arrivés à Thoën, nous confiâmes nos barques au gouverneur, et nous 
primes des éléphants pour traverser les montagnes immenses que nous 



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60 REVVE DE l'orient. 

avions devant nous. Elles ne forment pas une chaîne très-éievée ; mais elles 
sont remplies d'éléphants sauvages, de tigres et de panthères, qui en ren- 
dent les défilés assez dangereux. Nous mîmes cinq jours à les franchir , pen- 
dant lesquels nous passions les nuits à la belle étoile , n'ayant que l'épais- 
seur des arbres pour nous garantir de la rosée, et de grand» feux allumés 
autour de notre camp pour nous préserver des bêtes féroces. Ces feux , que 
nous avions soin d'entretenir jusqu'au jour, servaient aussi à nous réchauf- 
fer ; car vous sentez bien qu'au mois de janvier, au milieu des forêts , et à 
une latitude de 20 degrés au moins, nous devions , surtout pendant les té- 
nèbres, respirer un air assez frais. 

Lorsque nous arrivâmes au sommet de la plus haute de ces montagnes, 
et qu'il nous fût donné de jeter les yeux sur ce pauvre Laos, où jamais mis- 
sionnaire n'avait encore mis le pied, je me sentis ému ; mille pensées diviarses 
roulaient dans mon esprit ; ne pouvant contenir les mouvements qui agi- 
taient mon âme, j'entonnai à haute voix le Te Deum, pour remercier Dieu 
de m'avoir foit la grâce de pénétrer dans ces régions infidèles, parmi ces 
nations privées depuis tant de siècles des lumières de l'Evangile... 

Je marchais seul avec deux petits serviteurs qui m'accompagnaient. Mon 
confrère , qui était un peu indisposé, me suivait de loin monté sur un élé- 
phant. Lorsque nous fûmes descendus dans la plaine, nous cheminâmes en- 
core deux jours à travers une campagne assez vaste et assez agréable, qui 
paraissait avoir produit une belle moisson de riz : on venait de lever 
la récolte. Enfin nous arrivâmes sains et saufs à Xieng-Mai , le 18 janvier 
1844. 

Ce petit voyage â éléphant nous coûta 120 francs environ, sans compter 
les frais de nourriture, qui se sont élevés tout au plus à 6 francs pour mon 
confrère, pour moi, pour deux hommes et trois jeunes enfants. Dès la pointe 
du jour , on faisait cuire le riz, qu'on mangeait â la hâte ; puis on marchait 
jusqu'à quatre heures du soir sans s'arrêter. On faisait alors unsecoud repas 
semblable â celui du matin , après lequel on se délassait â rire et â causer 
près des feux qu'on avait allumés pour la nuit. 

On distingue ordinairement deux sortes de Laociens , les uns qu'on ap- 
pelle Thoung'Dam, c'est-à-dire Ventres^Noirs , et les autres qu'on appelle 
Tlwung'Khdo , c'est-à-dire Ventres'Blancs, On les nomme ainsi parce que les 
hommes de la race f^entres-Noirs , arrivés à l'âge de quatorze ou seize ans, 
ont coutume de faire peindre sur leurs corps différentes figures d'hommes, de 
fleurs , d'éléphants , de tigres, de serpents et autres animaux. Cette opéra- 
lion se fait en pratiquant , au moyen de plusieurs aiguilles jointes ensem- 
ble, une foule de piqûres sur l'épiderme ; puis ils y versent une encre noire 
qui fait ressortir tous les traits dessinés sur la peau ; ils ont beau se laver 
ensuite, l'impression ne s'efface jamais. Ce tatouage ne s'exécute pas sans 
douleur, puisqu'on est obligé de garrotter le patient, qui demeure ordinai- 
rement malade pendant quinze jours, et qui en meurt même quelquefois. 
Cependant , comme les jeunes Laociens ne pourraient trouver de fiancées si ce 
genre de beauté leur manquait , U n'en est aucun parmi eux qui ne souffre 



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VOYAGE DANS LE LAOS. 61 

volontiers cette opération douloureuse. Les Fentres-Blancs , au contraire, 
se contentent de leurs grâces naturelles. 

Tous ces-peuples s'étendent, au nord , jusqu'aux frontières de la Chine, 
au midi , jusqu'au royaume de Siam; à Test ils confinent avec la Cochin- 
chine et le Tong-King, et à l'ouest avec l'empire des Barmans. Aux Feutres- 
Blancs appartient la région orientale; les Feutres- Noirs occupent les pro- 
vinces de l'ouest. Ils sont divisés en une foule de petits royaumes , dont cha- 
que prince a droit de vie et de mort ; mais, à l'exception de deux ou trois seu- 
lement, ils dépendent tous du roi de Siam, qui les nomme ou les destitue 
selon son bon plaisir ; ils sont, de plus, obligés de lui payer un tribut an- 
nuel. Néanmoins, comme ils sont très-éloignés de Bangkock , et que , s'ils se 
réunissaient , ils pourraient bien faire trembler toute la puissance siamoise , 
le prince suzerain a pour eux beaucoup d'égards, il ménage ces vassaux 
couronnés, et leur fait toujours quelques présents lorsqu'ils apportent leurs 
tributs. 

En général , les Feutres- Blancs ne tiennent pas beaucoup à leurs talapoins 
ni à leurs idoles ; leur caractère se rapproche assez de celui des Cochincbi- 
nois , et il parait qu'il ne serait pas bien difficile de les convertir au chris- 
tianisme. Les FenJtres-Noirs ont, au contraire, un naturel qui diffère peu 
des Siamois ; ils sont fortement attachés à leurs pagodes, à leurs livres reli- 
gieux, et quiconque parmi eux n'a pas été talapoin, du moins pendant 
quelque temps, est généralement méprisé; on l'appelle ^r^o/t-c^fr, c'est-à- 
dire homme-cru on profane, et il a peine à trouver une épouse. Ils sont 
d'ailleurs asservis aux superstitions les plus grossières. 

J'aurais préféré me rendre d'abord chez les Fentres^Blancs , comme pré- 
sentant une moisson plus sûre et au moins aussi abondante ; mais Mgr le 
vicaire apostolique ne le jugea pas à propos, ou plutôt il crut qu'il valait 
mieux se hâter de prendre en quelque sorte possession de l'ouest , parce que 
ces peuples n'étant qu'à quinze journées de Moulmien, où sont les protestants, 
il était à craindre que les biblistes établis dans la ville ne vinssent semer 
parmi eux leurs erreurs, avant que nous eussions pu les éclairer des lumières 
de la foi. Maintenant que nous connaissons ces contrées par nous-mêmes , 
nous n'avons plus cette inquiétude , et nous sommes bien assurés que les mi- 
nistres, qui ne peuvent faire un pas sans leur femme et leurs enfants, ne 
s'aviseront jamais de dormir pendant quinze jours au milieu des tigres, pour 
venir habiter un pays où , avec tout leur or et leur argent, ils ne pourraient 
se procurer aucun des avantages matériels de l'existence. 

Après avoir dit un mot en général sur les Feutres-Noirs et les Feutres^ 
Blancs^ il fout maintenant parler plus en particulier du royaume de 
Xieng-Mai , que j'ai habité pendant deux mois et demi. 

Ce royaume est le plus à l'ouest de tous les Ëtats du Laos, et c'est aussi 
un des plus considérables. La capitale, qui porte le même nom, est bâtie 
au pied et à l'est d'une assez haute montagne, dans une vaste et belle 
plaine. Elle a une double ceinture de murailles, entourées chacune de fossés 
larges et profonds. L'enceinte intérieure a, s'il en faut croire ce que le roi 



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62 IlEflIE DE LWlÉïff . 

m'a dit, 1,000 toises de long sur 900 en îargeur. Comme cette tttle est 
bâtie à peu près comme toutes celles de Tïnde, e'cst-à-dîrc que fes tnsrison^ 
nfe se touchent pas et sont environnées d'arbres et de petits jardins, il n'est 
pas aisé d'en estimer ta population. Le fils aîné du roi m'a assuré qn'eIKî 
renfermait plus de 100,000 âmes; maïs il a évidemment exagéré, et de 
beaucoup; car, après avoir parcouru Xieng-Wai plusieurs fois et en tmis 
sens, je ne crois pas qu'on puisse lui donner plus de 20,000 habitante, 
même en comptant les espèces de faubourgs qui sont hors dis murailles. A 
l*est de fa ville, et seulement â trois ou quatre rtiinutes de t'enceinle fortifrée, 
coule une rivière dont les bords sont en partie eouvrrtsf de maisons ; tnalbeu- 
réusement elles sont toutes habitées par des bainquercKitiers de Bangkock ^ (fat 
se sont réfugiés là en changeant de noms , peur éviter les potiirsfiilres^ de 
leurs créanciers. Le roi leur donne volontiers asile, parce que ecla aiïg- 
niente sa puissance et ses revenus. Dans c^ État, les villages sont assez 
nombreux ; mais , ne les ayant pas vus , je ne saurais en évaluer la popula- 
tion totale. 

Le vin , les Cochons et les potiles sont à très-bon mârdié; en revanche il 
y a peu de poissons, encore ^ont-its !rè8*petits, etpttsque point de légumes; 
en sorte que pendant le eatrème et les vendredis et samedis nous n'avions à 
manger que des oeul^ avec tes feuilles d'une certaine rave très-amère: c'était 
ttftrs tes jours la même répétition sans aucun changemeini. Auiè getiis ricitetf 
sont réservés les porcs et les poules. L'argent, d^allleûrs, est si rare que 
peu de familles peuvent se permettre l'usage de la viande. On vit eonimu«- 
nément de riz , sans autre assaisonnement qu'une espèce de poivre rouge 
ti-ès^fort , auquel la boncbe d'uu Européen a de la peine à s'atcoQitaifier , ou 
dfc petits poissons qu'on a broyés et fait pour#ir cFavance : je n'ai jamais 
pu prendre sur moi d'en faire ma nourriture. 

Ces peuples ont aussi beaucoup de vaches , très-petites , qui n'ont pres- 
que pas de lait , et qu'on ne songe n>éme pas à traire. Lorsque nous li^r dt^ 
sions qde dans notre pays on estime beaucoup le lait de vaehe et qu'on en 
hàt un aliment savoureux , ils se mettaient à rire et n'avaient que du noé- 
pris pour nos compatriotes. Quaût aux bœufs et aux éléphants, bien qu'ils 
fourmillent aussi, lès habitants n'en tuent guère et n'en matigent ordinai- 
rement la chair que lorsqu'ils touibent ée vierHesse. Us s'eu seiTent peur 
labotirer leurs champs, pour porter le coton qu'ils vont aebfter dass les 
royaunrtcs voisîfts, et pôui* rentrer le riz au temps de la nnoissou. 

Ce transport , dont j'ai été témoin plusieurs M% , se fait d'une BiaoiièP& 
trop curtdise et trop dlvèrtissanife p«ur ne pas en dire un nbot. Ils hiattent 
fe riz sur le champ même o/è ils l'ont récolté ; puis , lorsque ie g^ain e^l réuni 
en monceaux, ils s'y rendent totfs les matins, diaeun avec une suite de 15, 
20 ou 30 boeuf». Le premier de ces bœuls, e'est-i-dire celui (|ut marrcbe à 
la tète du troupeatr , a ord^nafrement la tète couverte dégiihiaiïiks, sur- 
montée d'tm faisceau de phomes de pa^ , et le cou envirctAoé de petites 
dt^hetlf s. Totfs ces âttimaiEts ont sur te dos deux espèces de boittes ^ui pen- 
sât et ehd^ue oftif , et qf^éa reloirtil é^ rîr^ après (p9è otf revient ^ la 



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viUe emfaibMt ma vaiearmeéptiii^ntftble; car le pont qw esl aux portes de 
la dié tt'ayattl tMt au pins que % loiact de largear , les oofitoisqiii reii- 
Irail sekeîn*ieol à eem qui sorteel. U ai rési^ une mêlée générale, Gk»* 
Cjom eoMTt çà (^ Ui po»r rccoonaUre soo Miani égaré; les etameurs des 
9«des, les mugissenieats des bœuii, se eoDfoBdènt avec k c^itkm de 
mille soBBettes. VieiuMiil, an miliai de eette eokue , les éképhjmrte av pa» 
praire, avec lears grosses ciodiettes, qui onl toutes 11» timlre différeni; 
psis iet bttiâes, éponisMiiés de ee tinta maiTe, se frayent, es battant tool 
en brèche, une impitoyable trouée , svivi» de leurs mat^^ quècrieift : Nen 

^n^ les 94[)eeiatettre «is^ qui se rasttmbleat en foule,; angnKntcnl: encore le 
tnœul^ par lenrt citi» et leuer» éclats de rire continueb. Le tont ialt un va^ 
carane i^rainiei^ cenique, une scène acoidemée de trompes d'él^bani , dô 
ceimesdebo^if ^ de bft»osalMM»eo8^q«i se dressent, se baissent et se croi* 
sent en tous sens, et ce spectacle, qui commence à la pointe du jnor , sepro- 
Isi^^iusqn^À neuf eu- dix heures, moment eu on interrompt le transport , 
p;u%e que le sele^ devient trop ardent. Tel est pour les un» le travail , 
po«ir le» antres le di vertissemsiit du mois de janvier. 

Chez ee peuple U culture se hors» k peu près au riz. L'industrie est encore 
mei»s âorissante. Gomme la rivière qui va à ^ngkock est très-dangereuse 
(de Xieng-Mai à Rabang en omipte^ cascades oà plusieurs barque» se bri^ 
seat ebi^pie année) et qur les oommiinicaAions avee d'autres villes ne peu« 
vent se ^re que par éléphant et à travers dés montagne» sana fo, il est 
peu deLaoeieos qui s'adonoeot au^oammerce. Aussi, de» qu'tlS'ont levé ieurse 
réeoUea, vivenhiH éans une oisiveté presque complète jusqu'au mois de 
juin ou de juillet , où ils recommencent à labourer leurs champs. Rar In 
mèaie raison , ils ont peu de maméraire, et presque toim les marchés se fuit 
par échangeai. Le sels surtout joue un très^raaé r61e dans les iransaetioos^ 
avec lui on. peu^so procurer tout ce qu'oa veoi^ i^ vient de Bangèoieket sn 
ymé très-oher h Xieni^Moi. 

JUs Isâse du roy^aume sont d'une gi^toà» sév)ériié: pour uo vol considé- 
rable ilry a peUio de mort, et pour ua simple larcin , répété trois foés , on^ 
eoeoiirt la même eondaiiiBaiion* Aussi déreèe^l^-^i beaucoup moins qu'âb 
finogkock^ Quoictu'il y ait à Xieog-Mai un g«and nocn^lire d'ivrognes ( les- 
indii^ues fopt tous dtt vin de riz, qijb'Us^boivt^Bt avec excèi^Xi^ ^^ cependM^ 
tv^-fare qu'ils se batteot ou se disputent. Pendant tout Le temps que je suit 
dnnaeuféd^iis c^ i^jé,^ je n''at entendu parier que d'une seule querelle^ et 
cHHftit, entre femmes. L'uoe d'elles , danssa colèiH), ayant voulu renverser 
Ja Oijbape de t^autre, celle-ci nUa porter plakue au piince^ qui arriva- aui»si- 
tèt «-vvec uue tr^oufNJ de saAeHiies, b'euipa^a de la t9}>agcuse ei la mit aux fers 
oiîi die n'Slai plifê d'un moi« ; ce-ne fut même qu'à force d'argent qu'elle par*. 
vja4 à en suriir. 

a Q^m^^ym àU plus haut (jpfce le oamctère des Fetttre^^Nom di^ 
fèi-e peu de celui des Siamois, jnorois oeptodaiit les premieffs pli^cuiietix, 
etsMmnt phmpffttdiinaAs: cnttn dwnnnequiitoiétsi^eWefrDMr) vorst Mb 



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64 RITUE DE l'orient. 

qu'il est arrivé plusiears féis au ministre du roi lui-même de nous deman- 
der tantôt un fruit qu'il mangeait aussitôt devant nous, comme aurait fait 
un enfant, tantôt deux ou trots œufs qu'il emportait chez lui. Je ne voudrais 
pas décider lequel des deux peuples est le plus rusé et le plus trompeur; 
cependant, s'il fallait adjuger uue prime, je la donnerais aux Laociensqui 
en imposent d'autant plus aisément qu'ils ont un extérieur plus franc et 
plus ouvert. Ils sont d'ailleurs sans respect pour la décence. Je leur ai quel- 
quefois reprodié de n'avoir d'autre religion que les désirs dépravés de leur 
cœur, et ils me Tavouaient sans rougir. 

Pour les femmes, elles sont plus actives, plus laborieuses et plus intelli- 
gentes que les hommes : aussi ont-elles sur leurs maris un véritable empire, 
et peuvent-elles les chasser lorsqu'elles n'en sont pas contentes. Si le prince 
n'eût pas défendu , sous peine de mort , d'embrasser notre samte reMgton , 
elles n'auraient certainement pas tardé à se foire chrétiennes, et leurs maris 
n'eussent pas manqué de les suivre... 

Il y a à Xieng-Mai presque autant de pagodes que de maisons; on ne 
peut faire un pas sans en rencontrer à droite ou à gauche. On en compte, 
dans cette ville seulement , au moins une centaine qui sont habitées cha- 
cune par dix» vingt ou trente talapoins, sans parler de celles, en aussi grand 
nombre, qui tombent de vétusté et qu'on ne rétablit pas. Quant à ces tala- 
poins, ce sont presque tous des jeunes gens qui savent à peine lire, et dont 
le temps se passe à dormir, à manger, à jouer ou à foire pis encore. Ils 
m^t eux-mêmes avoué plusieurs fois uue partie de leurs désordres; mais 
quand ils ne nous en auraient rien dit , nous en avons assez vu de nos pro- 
pres yeux pour pouvoir afârmer, sans craindre de mentir, que toutes leurs 
pagodes sont des écoles d'immoralité... 

Lorsque nous arrivâmes à Xieng-Mai, comme nous n'y connaissions per- 
sonne e( que personne ne nous connaissait, nous débarquâmes dans une 
espèce de maison commune , que le roi a fait élever hors des murs de la ville 
pour les étrangers. Cette habitation, où nous avons passé la première quin- 
zaine , n'ayant que le toit et le plancher, reste complétementouverte à tous 
les vents; en sorte que nous avions passablement froid pendant la nuit, et 
pendant le jour nous étions tellement obsédés par la multitude des curieux, 
que nous avions toutes les peines du monde â nous en débarrasser lorsque 
nous voulions prendre nos repas ou réciter le bréviaire. Car il faut vous 
dire qu'à peine installés, la nouvelle en fut aussitôt répandue â plus de trois 
journées â la ronde; on accourait en foule de tous côtés pour jouir d'un 
spectacle si nouveau; et comme disaient ces pauvres gens en leur langue: 
Ma hà tôt louangfarangset thè hac ho Ikad han sàc tua : c'est- â-dire, Nous 
venons voir les grands talapoins français que nous n'avons jam^ vus de 
notre vie. Il en arriva même de Muang-Nân, autre royaume laocien, distant 
d'environ dix journées de Xieng-Mai. Ils venaient, disaient-ils, pour con- 
templer les toû koula, c'est-â-dire les talapoins étrangers , qu'on leur avait 
peints comme des géants, hauts de 6 coudées.... 

Dès que nous fûmes débarqués, nous allâmes trouver un grand manda- 



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V0TA6E DAHS LE LAOS. 6S 

rin^ chaii^ et préMftler les étrangers au roi , et bous le priâBies de solli- 
citer pour BOUS une audieuce. Le lendemaîD , ce personnage vint nous an- 
noneer que son maître était disposé â nous recevoir dans la journée, mais 
qu'il fallait auparavant nous rendre à Thètel de ville, où Ton examinerait 
nos papiers, afin d'en rendre compte au prince. Nous partîmes donc, et Ton 
nous introduisit dans une grande et méchante salle où huit à dix manda- 
rins, d'un âge assez avancé et â face vénérable, étaient gravement assis à 
terre et nous attendaient. Gomme il n'y avait là ni bancs ni chaises, force 
fut aussi de nous asseoir au niveau des vieux aréopagites. On demanda nos 
pa^crports qu'on trouva en règle , puis on nous interrogea sur le motif de 
Bo4re arrivée dans le pays. 

Nous déclarâmes franchement que nous étions des prêtres, venus d'abord 
d'Europe et ensuite de Siam, pour leur prêcher la religion du vrai Dieu, 
créateur du ciel et de la lerre, et leur enseigner Tunique chemin qui pût les 
conduire au bonheur. Celte annonce donna lieu à plusieurs questions, aux- 
quelles nous répondions encore lorsqu'on vint nous annoncer que le roi nous 
mandait au palais. 11 nous reçut assez bien , nous demanda en siamois plu- 
sieurs explications sur la religion chrétienne. Nous en profitâmes pour 
semer dans son cœur quelques paroles de vie ; puis, lui ayant offert nos pré* 
sents, nous sollicitâmes la permission de demeurer dans son royaume. Il 
nous répondit qu'il y consentait bien volontiers, qu'il nous ferait bâtir une 
maison convenable , et qu'en attendant nous pourrions rester dans la salle 
où nous étions logés. Ces présents que nous lui offrîmes consistaient en une 
petite serinette, une bouteille d'eau de Cologne, un prisme, un miroir â fa- 
cettes et deux verres en cristal. 

Le lendemain nous apprîmes que , pendant la nuit, le roi avait convoqué 
ses principaux mandarins, qu'il leur avait demandé leur avis sur notre arri- 
vée, et que plusieurs avaient répondu : « Nous avons un Dieu et des ministres 
« à nous ! Quel besoin avons-nous de ces prêtres inconnus et de leur Dieu ? 
« S'ils veulent rester ici, qu'on les place hors des murs avec les étrangers. » 
Peu de jours après je demandai une nouvelle audience, sons prétexte de mon- 
trer au roi quelques curiosités que je lui offris encore , et malgré l'oppositioa 
du conseil, j'obtins qu'on élèverait notre maison dans la ville; mais cette 
habitation était si peu de chose, que nous commençâmes dès lors â prévoir 
ee qui arriva plus tard : c'éuit simplement une pauvre baraque en bambou, 
qui avait tout au plus coûté 40 francs. Quoiqu'elle n'eût ni fenêtres ni lucar- 
nes, elle était tellement â jour de tous côtés, que nous y voyions très-clair, 
aussi clair, â peu près, que si nous avions eu le ciel pour toiture. 

Un prince éunt un jour venu nous voir avec un de ses plus jeunes fils, je 
m'avisai d'offrir â cet enfant un petit pantalon en indienne. Pendant que 
j'étais encore â Bangkock, j'avais fait confectionner une vingtaine d'habillé- 
menu semblables, pour les donner à des familles pauvres ; ils me revenaient 
chacun â 7 sous et demi. Je n'avais donc pas lieu de m'attendre â enchanter 
mon illustre bambin avec un si mince cadeau. Mais il ne Peut pas plutôt 
leçu, qu'il s'en revêtit et retourna au palais, je ne dirai pas joyeux comme 
IX. ^ 



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6ê iumjB DK L'«RiniT. 

un priMe, «laie l^ien eoflune un roi. Le toévmiin la rdiié ^^rnsÊmê m r«&- 
ëii) avec une irewpt et neveux et de petits^iU, daaa nn^msàmm yMiméê 
ma talle, et «i^eâvoya un gros HMMrcetu 4'argenc avec prière de t«i v e adig 
dit pa«ulons! » Va dire à la rieiBe) répandit^je au HMiMgirt ifue }e se iiuli 
€ pas niardiand de e^lotles, que je lui en donnerai volonilere dit fmtf tie», 
« BMia qu'elle te prtfftenie une autre fois; ear m viaia béeu^ il y o trop de 
e moadecbei moi pour que je puisse la recevoir. » 

Elle kti satisfaite de la réponse , et quelques jours après, ne povrant reve- 
nir elle^métne, elle ^voya trois priaeesses , ses fiHes, toutes trois d4f}à 
maiiécs^ pour demander les vêtements que j'avais promis. Gaa princesace 
éuient accompagnées de beaucoup de suivantes, doot les unes m'apportaient 
d^ présenueo ris et en fruits, les antres poruient ou condnisaiont par la 
main les petits j^HM^ïf^c^/^ qui venaient se partager les pantaioas. Je fis as* 
soir à terre mes nobles visiteuses ; elles fumèrent chacune leur pipe et mal 
ta mienne, en causant ei| laocifu tant bien que mal, car slors je savais 
encore assez peu la langue. Chaque enfant reçut ensuite son pantaloD et Nt 
henreux comme un ange. On voulut encore m*en faire acoepter le prix, qne 
je refusai comme vous le pensez bien : je me trouvais déjà trop payé d'avoir 
pu, avec si peu de chose , me concilier de royales affections. 

Quinze jours après notre arrivée à Xieng-Mai, nous allâmes habiter la mai* 
sonque le roi nous avait fait eonstruire : ce n'était, comme j'aidéjà dit^qu'ttae 
pMite baraque en bambou o«i nous étions très è l'étroit ; néanmoins , eomme 
on ravait élevée dans l'enceinte de la ville, assez près de la porte prineipalt 
et sur le bord de la grapde rue, nous n'en demandions pas davantage pont 
le moment. Nous avions coniinuellement des auditeurs, et nous prèchinoa 
tous les jours du matin au soir. 

Le dialecte de Xieng*Mai, et généralement de tous les Laœlena /^«mn^ 
Aoki, diffère aitea peu du siamois dans les livres; mais lêtangng» vulgairtf 
et surtout la prononciation ont beaucoup moins d'aaakigie. Au bout deqnf nzo 
Jours, eependaat , je pouvais te parler asuei bien pour me lliireeomprendf>ei 
Je suis même allé prêcher ebes plusieurs prinoes, eoasins ihi roi, qui n^** 
voient invité. Hélas 1 qu'il est difficile aux riches d^entr«»-dani le nif auM 
des cieuK I ils reconnurent la vérité , et ils la méprisèrent* L'un d'eux ^ plna 
orgueilleux que les autres, as voyant à bout d'ubjeetlonè, termina par oaa 
mots la confér^ee : « Yo^ direz tout ce que' vous voudrei, Bèfo;|9iin 
« veux pas de votre r«>ligion , et personne à Xieng-Mai ne t'embrassera* m •« 
«ClonHne vous voudrez, lui ri'poadis-je; mais souges que, tout prinoe^inn 
a vous étesf vous mourrez un jour, que vous quitterez ve^ biens et voa 
« plaisirs, et qu'une fois entre les mains de ce Di€»i dont vous rofioaasez 
<t aujourd'hui la doctrine, vous ne vous en débarrasserez pas aisénoant : ai 
« tot et si robuste que vtms soyez , la mort voui menaoe de pioa pièa sfuii 
tf vous ne le pensez peut-être I » Il se moqua de nt9i réiexionetipMiioJnim 
plus tard il avait paru devant Dieu. 

Quant au peupks> il venait en foule nons aninndre s i|uelqaes-»naa ^awlaN 
lalèttt mal Hitamminés, dtautces 6iai«»t assez indKIérents, ànk kp p^m 



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TOYAGE DAHS LC LAOS. 67 

grind nomlM'e montrait des dispositions satisfaisafttes. Parmi ces derniers, 
il en était plnsietirs c^i anrai^t déjà consenti à se préparer an baptême, 
s'ils n'avaient craint , dîsai6nt-4]8, le roi et les princes. Cet aveu nous fit ap^ 
prébender qu'on n'eût poblié à notre insu la défense d'embrasser notre foi. 
Ce qui nous conSrma dans cette pensée, c'est que jamais je ne pus, même 
en payant , trouver quelqu'un qui transcrirtt les prières que j'avais traduites 
en laocien; tous ceux à qui j'en parlais me disaient pour toute réponse : «le 
erains le roi ! De plus , une bonne vieille nous ayant donné son neteu pour 
serviteur, cet enfmt ne put rester qu'un jour avee nous, car le premier 
mandarin ne Peut pas plutôt su, qu'il épouvanta cette f^meet l'obligea 
de retirer son neveu. Ce ministre élait sans cesse à épier les personnes qtli 
venaient nous voir, et dès qu'il en connaissait de bien disposées , Il les inti- 
midait aussitôt par ses menaces. Si le roi nous ett été favorable , penftez^vous 
que son ministre eût osé contrecarrer ainsi ses intentions? Quand on con« 
naltlnen les mœurs de ce pays, on comprend que c'est impossible. Cependant 
ayant eu, à cette époque ^ occasion d'aller voir le prince, et lui ayant de- 
mandé s'il si'opposait à ce que ses sujets se fissent cbrétiens, il m'assura que 
«on ; mais il parlait évidemment contre sa pensée, comme vous le terrez 
plus tard. 

Quelques jours après cette audience , la reine vint m'offrir quelques pré- 
sents , et m'annonça que le roi souffrait beaucoup d'un mal queTses docteurs 
ne pouvaient guérir, qu'il me priait d'aller le voir, et que peut-être je lui 
rendrais la santé; car quoi que je pusse dire, on voulait absolument que je 
fusse médecin : j'y allai effectivement , accompagné d'un jeune serviteur qui 
sfenteadait un peu à traiter les maladies. L'audience ne se fit pas attendre : 
Sa Majesté arriva aussitôt, me rendit compte de son état et me demanda si 
j'y connaissais quelques remèdes. « En ma qualité de prêtre, lui répondis^je, 
je ne me suis occupé que des moyens d'être utile aux àmes; mais j'amène 
^ avec moi un jeune Immme qui a été , pendant quatre ou cinq ans, disciple 
« d'un médecin du roi de Bangkock, et qui peut-être calmera vos souf- 
t( lances. » Klevant ensuite la voix pour me faire entendre de mon serviteur, 
qui était proitemé auprès de la porte : « Ëb bien ! lui dis-je, as-tu bleu com^ 
« pris ce que vient de dire le roi ? Connais-tu cette maladie ? peux-tu la gué- 
« rir ? — Oui , Père , je puis la guérir ! — En combien de jours ? — Je 
« demande quinsie jours. » Ce jeune homme alla donc soigner le prince fort 
régulièrement , et dès la première semaine il y eut un mma si considéra-^ 
bieque le roi , tout joyeux, lui dit im jour : a Ya , si tu peux me rendre la 
« santé, ta fcA'tone est faite! ni tes maîtres ni toi, vous ne manquerez de 
< rien; dis aux Pères de rester toujours dans ma ville , j'Murai soin d'eux. » 
Le lesdemain le roi m'envoya son minière pour m'annoncer qu'il entrait 
déjà en convalescence, que s'il était un jour bien rétabli , il nous accorderait 
tout ce que nous lui demanderions, fût-ce même une église à colonnes 
dorées I 

TMtced nous réjouit beaucoup, parée que lafotre D^iDlatère y s^gwoÂt 
flMV de Nllevté : les Wèitanta, voyant que mm étkfim en groaé^ latènr 



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68 REVUE DE l'orient. 

auprès du roi, commencèrcni à prendre courage ; un €er(aiD sombre d'en^ 
tre eux vinrent même demander à se préparer au baptême. Mais, héias! 
coipme toutes ces espérances s'évanouirent bientôt ! 

A peine le prince fut-il parfaitement guéri, qu'il congédia mon jeune 
bomme sans lui donner la moindre récompense , sous prétexte qu'il n'allait 
pas mieux. Tout le monde cependant le voyait marcber et aller se promener 
chaque jour, tandis qu'auparavant il pouvait à peine faire un pas dans son 
palais; les mandarins eux-mêmes félicitaient mon serviteur d'avoir sicom*- 
plétement réussi, et lui faisaient mille compliments sur son habileté. Le 
roi seul, soit ingratitude, soit avarice, soit qu'il détestât en son cœur notre 
sainte religion , prétendit que son état n'avait pas changé ; l'unique satis- 
action qu'il donna à son bienfaiteur fut d'envoyer, vers le soir, son minis- 
tre chez nous pour consoler mon serviteur éconduit, en lui disant :« Ne 
u crains pas, quoique tu n'aies pas pu guérir Sa Majesté, elle te pardonne ; 
« elle ne pense pas à te couper la tête. » 

A partir de ce moment, les personnes qui se préparaient au baptêoM 
commencèrent à se retirer les unes après les autres , apportant pour raisoR 
que le roi avait défendu à tous ses sujets de se faire chrétiens. Dès ce mo- 
ment aussi , notre maison, auparavant toujours pleine depuis le matin jus- 
qu'au soir, fut entièrement déserte ; et tandis qu'autrefois , dès qu'on nous 
apercevait dans les rues, chacun s'empressait de nous inviter à monter chez 
lui , personne n'osait plus nous parler: on commençait même à se n^quer 
de nous, et bientôt l'on finit par nous insulter. 

11 aurait fallu être aveugle pour ne pas voir que nos affaires allaient fort 
mal. Je sollicitai donc une nouvelle audience du roi, et l'ayant obtenue, je 
lui demandai sans autre préambule pourquoi, malgré ses promesses, il dé- 
fendait à son peuple d'embrasser notre religion. Etait-ce crainte ou four- 
berie de sa part, ou bien les présents que nous lui avions faits le retenaient- 
ils encore un peu, c'est ce que je ne saurais dire ; mais il nia tout et protesta 
à plusieurs reprises qu'il n'avait jamais rien dit contre nous. « Cependant, 
« repris-je, tout le monde le croit, et en conséquence personne n'ose conti- 
« nuer à se faire instruire. S'il est vra I qu'on se trompe, ne pourriex-vous 
« pas manifester hautement votre volonté, et rassurer ceux de vos sujets 
« qui, ayant eu le bonheur de connaître le vrai Dieu, ont le désir de Tado- 
« rer ? — Non , répondit-il , je n'ai défendu à personne d'embrasser votre 
« religion : je m'en tiens là, je n'en veux pas foire davantage. » 

Je me retirai assez embarrassé et ne sachant quel parti prendre, car je 
voyais évidemment qu'il mentait. Abandonner dès lors ce poste, conquis 
avec tant de peines, nous paraissait une résolution bien précipitée; d'un 
autre côté, en différant de partir nous avions à craindre d'être chassés hon- 
teusement et , par suite, de ne pouvoir plus prêcher dans aucun autre État 
du Laos ; car le bruit de notre expulsion se fût bientôt répandu partout, et 
dans les autres royaumes on n'aurait pas manqué de suivre l'exemple de 
Xieng-Mai. Nous étions donc à prier et à réfléchir sur le parti qu'il conve- 
nait de prendre, lorsqu'un jour, ne sachant que faire dans notre maisoB 



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VOYAGE DANS LE LAOS. 68 

qui était entièrement déserte, je m'aTîsai d'aller rendre visite à une Hmiile 
païenne qne j'avais connue à Bangkock. Elle me confirma tout ce que nous 
avions pressenti. Ces gens m'ayant assuré que le roi avait menacé de cou- 
per la tète à quiconque recevrait le baptême , et que , pour ce motif, per- 
sonne n'os^ait plus venir à nos instructions, nous nous décidâmes enfin à 
partir... 

Nous sortîmes de Xieng-Mai le vendredi de la Compassion de la sainte 
Vierge, et nous atteignîmes le même jour un autre petit royaume appelé 
Lapoun, au sud de Xieng-Mai. A notre arrivée , nous nous rendîmes au 
siège du gouvernement, hôtel de ville de Tendroit, où nous trouvâmes 6 à 
8 mandarins, qui se réunissent là tous les jours pour entendre les plaintes 
du peuple, juger les différends et administrer la chose publique, presque 
entièrement abandonnée â leurs soins. On nous demanda qui nous étions , 
d'où nous venions et quelles affiaires nous amenaient dans le pays. Ils le sa- 
vaient déjà , car plusieurs d*entre eux nous avaient vus à Xieng-Mai; mais 
ce sont là des questions banales par lesquelles on a coutume d'entamer la 
conversation. Nous en profitâmes pour annoncer la bonne nouvelle de Jé- 
sus-Cbrist. Un rire moqueur fut à peu près toute la réponse qu'on nous 
donna. On nous permit cependant de nous installer dans une espèce de salle, 
située hors de la ville, où nous prêchions, du matin au soir, les curieux 
qui venaient nous examiner. Nous n'y fûmes pas en repos. Pendant la nuit, 
40 â ôO talapoins se réunissaient autour de notre asile, battaient du tam- 
bour et poussaient des vociférations qui ne nous permettaient pas un 
instant de sommeil ; quelquefois même ils lançaient des pierres contre notre 
habitation , sans toutefois pousser plus loin l'avanie. 

Après en avoir inutilement porté plainte à l'hôtel de ville , je pris le 
parti d'aller seul trouver le roi : j'entrai dans son palais sans me faire an- 
noncer, et lui parlai avec tant de hardiesse qu'il eut peur, et fit aussiiôt 
défendre â ces talapoins de nous molester â l'avenir. On i'écouta ; mais 
comme ce peuple n'était rien moins que disposé à recevoir la parole de 
Dieu , nous secouâmes la poussière de nos pieds et nous dirigeâmes notre 
«mrse vers le sud-est. Après quatre jours de marche, toujours au milieu des 
montagnes, n'ayant que du riz et des œufs à manger, nous parvînmes â uu 
autre royaume appelé Lakhon; nous y restâmes douze jours, ne recueillant, 
pour fruit de nos prédications , que des mépris, des railleries et des insultes. 
Les choses auraient même pu aller plus loin si nous n'avions pas eu des 
lettres de Bangkok : comme on croyait que ces recommandations avaient le 
sceau d'un prince royal , la malveillance n'osa pas en venir aux coups. 
Voyant donc ce peuple rebelle à la grâce , nous songeâmes de nouveau à 
continuer notre route, toujours vers le sud-est, et toujours à travers des 
montagnes sans fin. 

Jusqu'alors j'avais voyagé sur le dos d'un éléphant , et quoique la mar- 
che de cet animal soit extrêmement rude et incommode , je me trouvais 
encore assez à l'aise; mais dans cette dernière station , n'ayant pu nous pro- 
curer que les éléphants nécessaires au transport de nos effets, it fallut nous 



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70 RBTIIB DB l'ORIERT. 

réMmdre ft cbemioer i pied. CéUit au mois d-aTHl : le eiel était de fett ; 
la chaleur avait desséché et foit tomber les feuilles des arbres ; les saurcea 
étaieot presque teutes taries , et les sentiers qtie nous suivions n'offraient 
que des rochers très-aigus ou un sable brûlant. Dès le premier jour « mes 
pieds avaient tant souffert , qu'en arrivant au gtte oft nous devions dormir , 
la peau était levée partout. Le lendemain, n'ayant pu mettre mes souliars, 
)è me trouvai le soir avec la plante des pieds toute brûlée; quand vint la 
troisième étape, je pouvais à peine foire un pas. Afin d'éviter la grande 
chaleur du jour, je pris avec moi un de mes serviteurs, et nous poussâmes 
en avant dès le matin, comptant nous arrêter vers midi pour attendre let 
éléphants. Par malheur le guide s'endormit. 

Ne voyant rien arriver, nous cotnmençftmes à craindre que la caravane 
fatiguée n'eût fait halte avant le lieu du rendei-v^Nis. Que faire ? le jour 
baissait et nous mourrions de faim : retourner sur nos pas, «an» savoir s'il 
faïudrait aller loin , c'était io^ipossible , nous étions sans force ; pa^er la nuit 
sans feu , au milieu des tigres, cela n'était guère praticable. Que faire donc? 
Gomme on nous avait dit qu'il y avait devant nous, à peu de distance, un 
petit village , nous reoieilltmes nos forces et nous nous décidâmes â aller 
demander l'hospitalité dans ce hameau, oft nous attendrions nos éléphants 
qui ne manqueraient pas d'y passer le lendemain. 

La nuit s'avançait â grands pas, et nous n'apercevions encore aucmw 
habitation : mon serviteur n'en pouvait plus ; moi j'allais encore clopin- 
clopant , mais je commençais à croire que nous serions obligés de nous 
coucher à jeun, lorsque enfin nous vîmes près de nous une petite cabane. 
Nous allâmes y demander asile. Les pauvres gens qu'elle abritait, n'ayant 
point récolté de riz cette année, n'avaient à manger qat des bourgeons 
d'arbres, avec une espèce de pommes de terre sauvages qui croissent na- 
turellonent au milieu des forêts, dès pommes de terre seraient un poison 
mortel si on les prenait sans précaution ; avant d'en faire usa^^ on les 
coupe en morceaux, on les laisse dans l'eau pendant plusieurs jours, on 
les expose ensuite «i soleil jusqu'à ce qu'elles soient bien sèches ^ afMPès 
quoi on les fait cuire , et on peut alors 1^ manger quand on n'a pas autre 
chose. 

Ces pauvres gens donc nous dirent qu'ik n'avaient que cela â nous don>> 
ner, mais que si nous voulions aller chez le chef du village, dont la maison 
n'était pas loin, notis y pourrions trouver un peu de riz. Nous suivtnes 
tour conseil , et après avoir bu un verre d'eau , noiHi partîmes. 

A notre arrivée chez le chef du village, je déclarai qui j'étais, ^ com* 
ment je venais frapper â sa pcv'te; puis je le priai d'accorder cliques alf- 
ments à deux hcHSimes qui mouraient de foim , promettant de le recompo- 
ser le lendemain lorsque nos éléphants passeraient. On nous apporta un 
peu de rii froid, mêlé avec les pommes de terre sanvag^Ts dont j'ai purlé 
plus haut. Ce fiz était pTe^ dans une espèce de corbeille en jotocs, doirt 
Fotfvcrfure était tout juste assez large pour «fu'ôa y pût passer le bras.B9ous 
nous assîmes de chaqiK cété , mon domestique et moi , H tour â tout ioys 



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pl«i9kM» li imdn diBt cet étrange ragoût; il était si â^dùUst qu'il fal-^ 
liit Mte à diaijvc fioigaée pour la faire deseeadre^ 

Le leùd^aialn ses é^phdnts n'arrivant pas, on nous dit qu'ils avaient 
sanê dente pris un autre chemin qui passait à trois tieues du village où 
nous étions : nous envoyâmes à ledr recherche, et, le secoud jour seule- 
ment, nous apprîmes qu'on les avait vus sur la route de Muang-Tré, et 
qu'avant peu ils atteindraient cette ville. A cette nouvelle, mes bôies me 
firent un ragoût avec la peau d'un éléphant crevé ; et je partie. Mes plaies 
n'étaieat pas encore guéries; mais il fallait avancer hongre mal gré; car 
mon confrère, dent j'étais séparé depuis trois jours, était plus en peine que 
moi. Je le rejoignis à Muang-Tré le soir même. Cette fols mes pieds étaient 
tellement en compote, que je suis resté toute une semaine sans pouvoir 
marcher. 

Nous touchions à la saison des pluies; il était temps dç songer au retour. 
Nous quittâmes donc Muang-Tré, et, après avoir encore; couché quatre 
nuits dans les montagnes, nous atteignîmes une ville siamoise appelée 
Tait, sur un autre fleuve que celui par lequel nous étions montée. Là , nous 
avons acheté une barque, et en douze jours nous sommes arrivés à 
Bangkoek. 

Ce voyage a tellement fait blanchir mes cheveux, que tout le monde ea 
me revoyant me donnait soixante ans au moins; on ne m'appelait que le 
vieux père ; je me porte cependant toujours très-bien , et je me sens encore 
assez de forces pour recommencer. 

J.-B. GRAiVDJEàN, miss, apost 



QUESTION CHEVALINE. 



INTRODUCTION DES ÉTALONS NEJDI5 

DANS LES HARAS DE L'ALGÉRIE. 



La Revue de l'Oient a reçu commufiicaticMti de la lettre suivante adressée 
à M. A. Hpipn, Yîoe^président de la Société orientale, et qui y a été lue dans 
la séance du 9 janvier : 

« Paris, 5 janvier 1846. 
« Monsieur, 

« Bien que je n'aie pas Tintention d'engager une polémique sur une note 
remise par moi à M. le ministre des affaires étrangères , et qui a été insérée 
dans la Eevue de VOrierU^ je croirais montrer peu de considération à la So- 
ciété orientale^si je laissais passer sans observation ce que M. Hamont a dit 



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72 REYIJE DE l'orieut. 

à ce SQjet dans le eahier de décembre dernier. En indiquant au gouverne- 
ment, et d*aprës son désir, le point où je crois qu'il trouverait des chevaux 
nejdis, je ne pensais nullement le mystifier, et M. Hamont n'entend proba- 
blement pas le mystifier davantage en lui conseillant d'envoyer en chercher 
en Egypte. Je ne croyais pas mettre la France dans la dépendance de l'An- 
gleterre en conseillant d'acheter ces chevaux , là , foù ils sont en plus grand 
nombre , par la raison que je ne crois pas les Anglais sous notre dé- 
pendance parce qu'ils achètent nos vins et nos eaux -de- vie. Je ne 
crois pas qu'un officier français, chargé par son gouvernement d'ai- 
der un étranger dans ses achats , s'appliquât à le tromper, et , connais- 
sant probablement mieux que M. Hamont les officiers anglais, il me 
permettra de ne pas les soupçonner davantage d'une telle friponnerie. 
Ma confiance à cet égard est si grande, que je n'ai pas caché au ministre que 
le succès de l'expédition proposée tiendrait bien plus aux qualités privées 
de l'officier qu'il enverrait et à sa position sociale, qu'à sa science dans l'art 
vétérinaire. Deux passages sont marqués par des guillemets comme extraits 
de ma note, mais je n'y répondrai pas parce que je n'ai pas écrit ainsi et que 
le sens est altéré. 

<x L'amélioration de la race chevaline est très-importante, dit-on; mais 
chacun n'est pas appelé à s'occuper de toutes les affaires importantes , et je 
prends peu d'intérêt à celle-ci. Je n'ai donc aucune raison de donner mon 
opinion sur le plan de M. Hamont. Je garderai la même réserve sur la pro- 
position de M. Mesmer, parce que j'ignore s'il serait bon ou mauvais d'obte- 
nir des étalons persans ; si on le trouvait bon cependant, je ne pourrais que 
confirmer ce qu'a avancé ce voyageur sur les moyens de s'en procurer, j'a- 
jouterais que des achats de ce genre ont été faits en ma présence, en 1823, 
par un colonel envoyé par le gouvernement russe, et que le cheval qui coûta 
le plus cher fut payé 300 tomans au prince royal Abbas-Mirza. Gela 
fait environ 4,200 francs. Je ne termintrai pas sans vous faire observer que 
mon projet n'avait pas le nuh ile de la nouveauté; qu'il m'importe peu 
qu'on l'adopte ou non ; que j'ai déclaré que les Anglais faisaient chaque jour 
ce que je proposais. Vous avez pu lire en effet , il y a peu de temps, que la 
reine d'Angleterre venait de recevoir plusieurs chevaux arabes envoyés en 
présent par un marchand de Bombay. 

« Peut-être était-ce une mystification ? 

a J'ai l'honneur d'être, etc. 

«V. F^NTÀNin. » 



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ACTES DE LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 



SÉANCES. — EXTRAITS DES PnOCÈS-YERBAUX. 

SÉAHGB vo IOdécbhbbb 1845.— Sur la proposition de M. A. Hugo, prési- 
deDt, rassemblée décide qu'à l'avenir les séances s'ouvriront à huit heures 
précises. 

M. de La Rocbe-Poucbin donne lecture d'une lettre qui lui a été adressée 
récemment de Tatti, et de laquelle il résulterait que de longtemps encore 
on ne peut guère espérer l'établissement de grandes relations commer- 
ciales avec cette contrée, non plus que d'en faire un entrepôt de transit. 
C'est l'opinion de M. de Nézel , agent des grandes maisons alsaciennes ; mais 
dès à présent il serait possible de fonder à Taïti de fructueuses exploitations 
agricoles. 

Une discussion s'établit entre plusieurs membres sur l'immense tort que 
font au commerce français , dans les pays lointains , les expéditions déloyales 
de quelques négociants et des pacolilleurs. M. le président fait observer que 
le mal , sans en.étre moins grand, n'est pas nouveau. Déjà sous Louis XIV9 
l'ambassadeur de France près la Porte ottomane se plaignait à Colbert de la 
déloyauté de la compagnie du commerce levantin , qui vendait aux Orien- 
taux de fausses étoffes pour du brocard d'or et d'argent. 

M. Jouffroy d'Ëscbavanpes lit un intéressant mémoire de M. Hillereau , 
archevêque catholique de Pétra , vicaire général à Constant inople, sur l'or- 
ganisation religieuse en Turquie et sur la constitution civile qui en découle. 
( Voir Reloue de l'Omnt , t. vm , p. 280. ) 

M. le président donne lecture d'une lettre de monseigneur Pom palier, 
évèque de Maronée , vicaire général de TOcéanie occidentale , qui remercie la 
Société de l'avoir nommé membre honoraire. 

M. de La Roche-Pouchin prend la parole sur les récents essais entrepris 
par M.Vaghorn pour effectuer par l'Allemagne plus promptement que par 
la France le transport des dépêches britanniques. M. de La Roche-Pouchin 
pense que la mauvaise volonté que cet agent anglais ne dissimule pas pour 
la France doit de toute manière rester inutile. Des lignes de chemins de fer 
vont bientôt sillonner l'Italie dans toute sa longueur, et relier Otrante , 
Naples, Florence, Gênes et Marseille. La malle de l'Inde, transportée par 
ces lignes et à travers la France , atteindrait toujours Londres plus rapide- 
ment que par l'Adriatique , les États allemands et la Belgique. 

La séance est levée à dix heures. 

Séahcb nu 26 degembre. — La séance est ouverte à huit heures, sous la 
présidence de M. A. Hugo. 

M. le président donne lecture d'une lettre de M. Vaillant adressée à 
M. Horeau et datée de Constantinople. M. Vaillant n'a pu pénétrer dans 
les provinces danubiennes; il s'est provisoirement installé dans la capitale 
de la Turquie. 



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74 RBT1JB DE VmiEKT. 

Ltciak égt enttitc donnée d'fene leogae lettre de tnonteîgoeQr rétéqie de 
Maronée; cette lettre contient des détails intéressants et circonstanciés sur 
les événements dont la Nouvelle-Zélande fut récemment le théâtre, et prin- 
cipalement sur la prise et la destruction de Kororaréka par les indigènes 
insurgés contre la souveraioeté que s'est attribuée l'Angleterre. 

M. d'Aiciati eotAmunique mue lettre particulière eipédiée du Caire. Elle 
annoace, entre autres particularités, que le British-Hùtd n'existe pHis. M. de 
Moniigny prend la parole et dit que déjà , lors de son passage en Egypte ^ le 
pacba Mébemet*Aly avait secoué le joug de la compagnie anglaise q«i s'é- 
tait primitivement chargée du transport des voyageurs d'Alexandrie àSuez^ 
et réciproquement. 

Deux propositions sont faites par deux nombres de la Société : M. Horeau 
entretient l'assemblée des avantages que les Sociétés savantes trouveraient 
à tenir leurs séances dans un même édifice , et des moyens de réunir les res- 
sources nécessaires à sa construction. Il place sous les yeux de l'assemblée 
le plan d'un projet d'édifice qui pourrait répondre aux conditions du but 
propesé. 

M. le docteur Aubert-Roche appuie ta proposition de M. Horeau , et il en 
fait une autre : il demande que la Société orientale, prenant l'initiative, 
propose aux autres Sociétés savantes de Paris une association r^lière entre 
elles, de manière à se vivifier les unes les autres, tout membre d'une Société 
savante pouvant assister aux séances des autres Sociétés associées. 

M. le président rappelle que le projet de M. Horeau est fort naturel , 
puisque autrefois les grandes cités logeaient les Sociétés savantes dans leur 
bétel de ville. Il propose de ne point réunir les deux projets , mars de 
nommer pour chacun une commission chargée de l'examiner et de faire 
un rapport à la prochaine séance. MM. de La Roche-Poucbin , Saint-Geran 
et Hommaire de Hell composent la commission qui examinera le proijet de 
M. Horeau; MM. Lefèvre, Bonnefont et Leclerc, celle qui doit étudier le 
projet de M. ledocteur Aubert-Roche. 

lia séance est suspendue pendant un quart d'heure. A sa reprise, M. de 
Montigny, récemment arrivé des côtes du grand Océan, est prié de vouloir 
bien entretenir l'assemblée de ses observations sur la Chine. M. de Montigny 
répond â toutes les questions qui lui sont faites snr ce pays encore si peu 
connu. Les intéressants détails qu'il donne seront rédigés à part , et préala- 
blement soumis à ses observations et rectifications , s'h y a lieu. 

La séance est levée à onze heures. 

L.-Stéfane Leclerc, secrétaire des procés-verhaux. 



NOUVEAUX MEMBRES ADMIS. 

IHeiiibres titulaires s 

MM. ScaoBKCHBi , homme de lettres , voyageur ea Orient. 
PuLRANi» , voyageur en Orient. 



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ACTES DB Ik SOCIÉTÉ ORIIIVTALE. 76 

membres eorrespondants t 

MM. GuBDOU, oHentaliste, ancien consul américam au Caire. 
DDftÊ ( Jutei) , lieutenant de Yaisâeau , Yoyageur en Chine. 
PiimAULT ( L.-P.-F.), caiiitaiM d'intenterie «le marine, aux Mes Marqnieei. 
Ut SiumKG ( Armand), enaei^ae de vaisseau » un deaexpiorateuFt d» fleu¥e dea 

Amazones. 
Cloquet ( Ernest) , D. M. P., médecin du schah de Perse. 
Taccanoni ( le çhev. ne ), économiste et voyageur, consul général de Lucques 

et de Sardaigne , à Venise. 
ScHAFF-GoTCH (le comtc D«), voyageur en Orient, ministre plénipotentiaire 

de Prusse , à Florence. 
B*TfiR (le chev. de), orientaliste , attaché â la légation autrichienne , â Flo- 
renee. 



COMMERCE AVEC LA CHINE. 



RAPPORT SUR UN PROJET DE M, POTONIÉ. 

Messieurs, notre confrère M. D. Potonié ,, président du comité chino* 
parisien , a fait hommage à la Société d'une notice qu'il vient d'adresser à 
messieurs les (fabricants, sur l'exportation des articles de Paris en tout pays 
et particulièrement en Chine. 

Notre honorable vice- président M. le cotnte Hugo vous a proposé de con- 
fier â une commission cette notice, pour qu'il en fût fait un rapport à 
Pune de vos séances prochaines. 

Vous avez adopté sa proposition , et la commission qu'il a désignée vous 
soumet aujourd'hui son travail. 

Le but de la notice, dit tout d'abord M. Potonié, est d*appeler l'atten- 
tion de la fabrication parisienne sur le marché chinois. 

A la fin de 1842 , l'augmentation de droits dont le zoïwerein frappa la 
plupart des articles dits de Paris provoqua une réunion de fabricants et 
de commissionnaires, qui portèrent leurs doléances aux ministres du com- 
merce et des affaires étrangères. Cette démarche n'eut pas de résultat , mais 
elle conduisit ses auteurs à s'occuper d'un autre débouché pins éloigné et 
plus considérable aussi, de celui de la Cbine, auquel songeait d'ailleurs de 
son côté le gouvernement. 

Une députation du comité chino-parisien fut reçue par la chambre de 
commerce de Paris et fournit des renseignements particuliers sur les moyens 
de former une collection d'échantillons de Tarticle-Paris : un délégué fut 
choisi, qui emporta de 150 fabricants ube masse d'échantillons prépara 
pour consulter les besoins de la Chine. 

Ce délégué , sur son retour, a envoyé de cette contrée des renseignements 



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76 RBVUE DE l'OMCNT. 

qui onl été livrés à la publicité , et sa mission est à peu prè^ terminée : le 
gouvernement, ajoute notre collègue, a rempli sa tâche et mérité nos re- 
merctments sincères; c'est au commerce à commencer la sienne. 

En cet état, le moment a paru venu à M. Potonié , qui médite son projet 
depuis trois ans , de former une association entre un certain nombre de fa* 
bricants et de commissionnaires pour exporter spécialement Tarticle-Paris 
sur le marché chinois, qui, dit-on, n'offre pas moins de 300,000,000 de 
consommateurs. 

Aux yeux de notre collègue, Tarticle-Paris n'a pas, dans Tesprit public, 
ni dans TÉtat, la considération dont il est digne. Son importance cependant 
ne peut être contestée. Dans les relevés officiels de nos exportations, il figure 
pour plus du quart du chiffre total de celles-ci; au dedans il occupe et feit 
vivre une multitude d'ouvriers et procure de beaux bénéfices aux intermé- 
diaires qui se trouvent entre eux et le dernier consommateur; au dehors il 
peut fournir à notre marine du fret d'encombrement, et, par le goût et la 
pureté du dessin qui le distinguent , donner de notre nation une opinion 
avantageuse. Pourquoi donc n'a-t-il pas suffrage au conseil des intérêts gé- 
néraux? 

C'est qu'il ne sait pas se grouper en spécialité, ni élever la voix comme 
ont fait et font chaque jour les industries ou des fers, ou des lins, ou des 
tissus, ou des vins; c'est qu'il n'a pas d'interprète dans la presse ni de re- 
présentant dans le parlement. 

A la vérité nos compatriotes (M. Potonié le constate) se sont bien fait 
cette situation et contribuent à son maintien : ils ne sortent pas de leurs 
foyers, ils ne voyagent pas; ils ne se donnent aucune peine pour fabriquer 
des produits à l'usage des nations lointaines et encore moins pour les leur 
présenter. Les inventeurs parisiens, si supérieurs par leur intelligence, se 
laissent ruiner par la contrefaçon ; ils ne savent pas exporter, aller trouver 
le consommateur, ni consulter l'élément de ses goûts pour le mêler dans 
leur fabrication à l'élément du goût national. Ce sont les étrangers qui 
viennent chercher nos produits dans notre capitale et qui Les portent au loin, 
non sans avoir soin , comme on doit le deviner, d'en cacher l'origine à 
leurs acheteurs. 

Citera-t-on les armateurs et les pacotilleurs? Les premiers, occupés de 
Texport, de l'import et du transport de toutes marchandises, drogueries, 
thés, cuirs en poil et fabriqués, soies et tissus de toute sorte, ne sont pas 
en mesure personnellement de rapporter à nos fabricants les documents qui 
leur manquent; ce n'est pas non plus un subrécargue ni un capitaine qui 
vont du cap à Manille, de Manille à Tatti, à Lima, qui auront pu faire une 
étude spéciale de ces mêmes articles; et en supposant à ces hommes les 
connaissances industrielles et artistiques nécessaires , ce qui n'est pas peu 
leur accorder, quelle confiance mériteront les renseignements pris ainsi en 
courant, qui parviendront aux fabricants par la filière de l'armateur, des 
agents des ports, des commissionnaires et des autres intermédiaires! 

Quant aux seconds, on sait, dit un écrivain cité par M. Potonié , qu'au 



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ACTES DB L4 SOCléTÉ «RIENTAIG. 77 

reloar d*ane expédilion lointaioe, le pacotilleur ne manque pas, en oom- 
mandant an article d'exportation qui a réussi, de dire au fabricant qu'il 
entend avoir quelque chose déplus avantageux , c'est-à-dire prix et qualité 
moindres en sauvant l'apparence. L'article ainsi amoindri est porté au con- 
sommateur comme étant d'une valeur identique et n'est reconnu qu'à l'u- 
sage. Les marchandises françaises vont ainsi en se discréditant , et notre 
renommée se perd sans retour. 

Quelques fabricants, trop préoccupés du commerce intérieur de la France, 
voudraient arriver à se passer des commissionnaires, même pour le com- 
merce extérieur ; mais, pour celui-ci, qui donne aux nations la force poli- 
tique, dit M. Potonié, est-ce que, entre l'ouvrier premier producteur et le 
riche étranger dernier consommateur, les maîtres fabricants, les établis- 
seurs, les commissionnaires, les armateurs, les subrécargues, les marchands 
en gros, les marchands en détail, ne sont pas des intermédiaires indispen- 
sables? C'est par exception qu'il arrivera qu'une fabrique soit assez forte 
pour suffire seule aux frais de voyages de mandataires spéciaux, et encore 
il restera certain que le bon commissionnaire est utile. Les fabricants de 
Birmingham le pensent ainsi, eux qui indiquent aux étrangers venus dans 
leur ville pour donner des commandes de le faire par l'intermédiaire da 
commissionnaire. Et, en effet, chacun restant dans ses attributions, le fo- 
bricant met toutes ses forces à la direction de ses ateliers, à la composition 
de ses modèles, à la bonne exécution des ordres; le commissionnaire tourne 
toutes les siennes vers la connaissance des langues, des usages , des douanes, 
des lois de l'étranger, des moyens de voyage, de transport : il constate le 
d<^ré de solvabilité des commettants, il traduit aux fabricants les goûts et 
les besoins des pays pour lesquels ceux-ci sont appelés à travailler, enfin il 
est l'homme des débouchés. 

Quand les emplois sont cumulés, le fabricant entreprenant^ mais inhabile 
à expédier au loin , s'expose à des coups de loterie dont on connaît les fu- 
nestes résultats; des sociétés même ont envoyé des articles de luxe, là où des 
bêches seules eussent été nécessaires pour défricher ; d*autres fois des fabri- 
cants, qui se refusaient au contrôle du commissionnaire, ont confié des mar- 
chandises à un capiuine, tantôt en commun, tantôt en particulier, et se sont 
mis à la merci de leur mandataire, qui , ne sentant le contrôle d'aucune 
commission sévèrement constituée, a fait succéder de cruelles déceptions 
aux espérances des participants. 

M. Potonié signale encore deux causes qui nuisent à l'établissement et à 
la prépondérance de notre commerce: c'est d'une part ce qu'il appelle la 
réclame à l'acheteur, et de l'autre l'exposition nationale au fobricant. La 
réclame consiste dans la montre et promesse d'un modèle supérieur par le 
goût et le fini , qui provoque la commission, et dans la livraison d'un mo- 
dèle inférieur sous tous les rapports. Le fabricant honorable , pour éviter 
cette concurrence de mauvaise foi , cache ses modèles au lieu de les produire, 
et contribue ainsi à l'amoindrissem^t d^ la source et des olgets d'expor- 
taticm. 



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7S RBfOI DB l'orikut. 

De m^im «ux expositions nationales, xiit M. PotM^é^ beaucanp de l»ftl 
fabricants se gardent d'envof er leurs produits pour ne pas être copiés ptr 
leurs ^nfrèrcs, pour ne pas cooiniuniquer à leurs rivaux leurs uM^fens de 
i^ussite; car le succès de la plupart des iûdusiries dépend du seo^t; Tin** 
dosirid doit aroir un monopole temporaire pendant leciud ia vof^ue le dé- 
dommage de ses travaux. On sait de plus qu'aux eipositioBS, les gouverne» 
ments étrangers ont des émissaires dans le but eacbi de s'approprier d'un 
seul coup les nouveaux procédés et les nouveaux dessins de riodukrie fran- 
çaise. 

Mais le plus grave de tous les reproches qu'on ait faits à notre exporta*- 
tlon , c'est Timprobité ; il est inutile de s'étendre à cet égard. Tout le monde 
comprend quel tort immense doit suivre et devra toujours suivre la fraude 
dans les livraisons de marchandises qui «ont achetées sur la foi d'éduntiU 
tons produits et sur rassurante que celles-là sont en tout eonfermes à 
ceux-ci. Tagt que durera cette honteuse déloyauté, le connneree français à 
l'étranger ne se relèvera jama». 

Après avoir signalé ce qui a empèehé iusqu'ici là fabrication parisienne 
de prendre la place et d'atteindre les proportions qu'elle devrait avoif, 
M. Potonié indique les remèdes à ce mal. 

Il conseille d'effectuer des voyages à l'étranger, d'y étudier attentivement 
les besoitis et les goûts, et d'apporter la phis grande sévérité dans le choix 
des articles propres aux peuples auxquels on va les adret^Kr. Après ces voya^ 
ges, ces étude» et cette sévérité dans le ciioix, un grand bénéfice sera assuré 
aux fabricants qui , ayant fait exprès des matrices et des modèles, livreront 
du bon ei répandront d'un seul coup tours |tfodutts dans la population, 
avant que la contrefaçon étrangère soit venue leur faire c«i^carrenee. 

M. Poionié cite avec complaisance à celte oceasion, et donne eu txevsh 
pie à tous, M. Nathan Dunn, ex-consul des États-Unis à Canton, qui, en 
onze années , amassa une fortune de 15 millions, quoiqu'il ne fût que qua^ 
trième dans une opération. M. Dunn, en 1818, avait étudié durant six notois 
les besoins des Chinois^ U vint à PhiUddphie sounMitre le fruit de ses oh« 
servations à quelques maisons d'exportation, et demanda pour l'exécution 
deson plan âOO,OOOdDllards;traitéd'aborddepr^mptiieux,pâuroeqtte, disait'* 
on, les Anglais devaient mieux savoir et ne laisser rien à faire, il réas«itea<^ 
suite â captiver la confiance de trois maisons pour une cargaison de lOQ^QOO 
dollars seulement , qui fut composée des spéciali^ qu'il avait étudiées. 

Le gain de ce premier voyage, tous frais payés, fut de 65 p. l€û, à quoi 
se joignit un bénéfice de 25 p. 1€0 sur les retours. Après ce preot^ résultai 
on décida d'établir Un eomptoir permanent vtrt lequel on expédiait trois 
navires par années. Les bénéfices de dix ans, l'un dans l'autre, furent fxar 
ann^ de 53 p. 100 } les concurrents angla^ restèrent loin en arrière. M. Pth 
tonié fait des vœux , et nous joignons voiontiera les nôtres aux sietis: fiour 
que le musée chinois de cet honme habile ^ musôt ckwt on av^ ai^nopeé 
la prochaine venue et onpooittoa à Faris^ aoit en effet trsmapnrWi ioh 
pour que nos ouvriers, nos artistes, nos fabricants, aillent s'y iotipèt^ 



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ACTES DE tk S^lÈwi ORlERTALfi. 79 

plut vite, plm autaent et raleax que par toutes les descrîptioiit imagi- 
nabies. 

Ua Qutittcoiiieil de uelre collëffue, e'esl d'établir des comptok^ perma- 
œiiU: le af Atèoie kitermittent des paeotilles est Tenfancedu commerce; 
la permaoence des échanges eo est la pliase la plus avancée. Les Anglais le 
savent depuis longtemps et ne pratiquent que celle-ci : ils fendent des 
oomptoirs fixes avec l'idée d'une longue durée , les gérants s'y remplacent 
tour A tour, et ks n^archands étrangers prennent confiance dans des mat- 
sons assises sur leur sol. 

Ou a dit que le caractère français n'avait pas la ténacité du caractère an- 
glais , et que cette différence maintieodratt toujours le second peuple au- 
dessus du premier ; c^est une erreur. £n 1789, le chiffre des ^portations de 
la France ne différait de celui de l'Angleterre que de quelques millions, et 
ai les Français ont prouvé que l'esprit de suite ne leur manquait pas dans 
l'art de la guerre, pourquoi le leur refuserait-on dans les ans de la paix? 
A i'appui de ses espérances M. Polonié rappelle la mémoire de Jacques CœuV, 
qui , simple orfévre à Bourges , parvint , il y a quatre siècles , à étendre ses 
relations dans la Méditerranée et en Orient , pays extrêmes avant la décou- 
verte de l'Amérique , acquit une fortune énorme qu'il mit à la disposition 
de Charles Yll, pour chasser les Anglais de la Normandie, et reçut 
kélas ! de son roi , pour récompense d'un pareil service, un arrêt de mort ! 
Génie exportateur bien m avant de son siècle et qui prouve que le caractère 
français est aussi capable des grandes opéraliona commerciales que le carac- 
tère de tottle autre nation. 

M, Potopié conseille de dirige les offerts de la concurrrace non entre 
frèriBS , maia entre rivaux , de peuple à peuple. 

Il cooaaille ausai rassociation , ce levier des temps modernes; les cercles 4 
oc» réunions faciles oà les hommes peuvent se délasser honorablement en 
s.'4cUiranti il fait observer que le commerce à Paris n*a aucune institutton 
dans le genre de la Schcié^é d'eitoonragemeot , qui s'occupe principalement 
d'industrie manufacturière ; et , a plus forte raison , qu'il n'a rien â compa^ 
ver à ce grand club anglais qui s'intitule Ugtw ilu Ubre échange , Immense 
a«aocâatioa qui , pour agiter seulement des idées , a reçu et dépensé , depuia 
quatre ans, 7«Q0û,<lûD de francs. Les articles de Paris , ajoute M. Potonié , au- 
raieot un grand avantage à ce libre échange réclamé par la ligue an- 
glaiae , qui n'e^ pas loin d'avoir la majorit é dans le Parlement. 

Ces renions auraient pourtant chez noqs beaucoup de questions à traiter^ 
ieilea que Tédtieatton appropriée au commerce et à l'industrie , tes tnoyenai 
d'affranchir les expositiotis nationales de dommages et de dangers (FAtigle- 
i«rre n'expose pas). Ces réunions aussi pourraient, par le journalisme^ 
enercer uae ioéuence pli^ grande et plus directe que par les chambres de 
eouHuerce. Mais M. Potonié n'entend former que des sociétés de commer-' 
capta, et chacune des industries de )a France doit, dit-il, visera l'hon- 
neur 4e se.^ttffif^ à elle- même. Partant, it se demande au goaveniement 
()y^ Capmi de aei viiiiseiuix m tta^ et guerre eu de «Uaoosikiii. 



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80 REVHE DE L^IGHT. 

Pour le Miceès de ces sociétés, il veut qu'on siatmfsme et qu'im défintiM 
bien clairement rinlérét général et Tintérét particulier. 

Ge qui lui parait indispensable, c'est le contrôle et l'emploi du commis- 
sionnaire ; on a TU pourquoi. Il recommande surtout la division des articles 
de Paris par rubriques, à peu près comme Tindique le tableau de Texporta- 
tion des articles de Paris en 1842, et des vérificateurs spéciaux de chaque 
rubrique, et enfin surtout la prc^ité et l'estante qui en assure les avan» 
tages à celui qui la pratique. Il rapporte à ce sujet les paroles du professeur 
Yolowski. «Le fabricant, dit ce dernier, doit être libre de varier les prcH 
duits pour les mettre à la portée de toutes les bourses; il doit marier les 
matières premières de différentes espèces pour joindre Tattrait du bon 
marché à celui du goût; mais à la condition que l'acheteur sache ce qu'il 
achète, et ne soit pas subrepticement induit en erreur sur la nature et sur 
la qualité de l'objet qu'il désire se procurer. » L'estampille paraît done ft 
ce professeur et à notre collègue le seul obstacle contre la fraude à l'étranger. 
A ce sujet M. Potonié signale Vunion dite chronométrique ^ par laquelle bil 
certain nombre d'horlogers se sont réunis en société et ont décidé que 
toutes les œuvres qui sortiraient des ateliers de la Société recevraient l'es^ 
tampille qu'elle a adoptée, se rendant ainsi solidaire de la valeur du travail 
et de la loyauté de chacun de ses membres. 

On comprend, ajoute M. Potonié, que cette estampille se fera connattre 
avantageusement sur les marchés étrangers, sera recherchée et préféra 
pour la garantie qu'elle donnera à l'acheteur. 

Nous ne devons point passer sous silence le plan d'une organisation mé- 
ditée et proposée par M. Potonié, comme très-réalisable à l'avantage de l'in- 
dustrie parisienne. Elle consisterait à créer un double bazar d'exposition, 
l'un d'importation, oft les fobricants seuls entreraient : il serait composé de 
tous les artides importés de l'étranger, et l'autre d'exportation, où les 
fabricants, au contraire, ne pourraient pénétrer et où entreraient srals les 
acheteurs; il serait composé de tous les produits agréés par les commissioa* 
naires et rainés par rubriques, de sorte que l'acheteur pût facilement et 
d'un seul examen, en quelque sorte, faire son choix, et que le febricanC 
déloyal ne put copier le modèle de son rival. Les entrées dans ces bazars au- 
raient lieu avec des cartes et sous la responsabilité des commissionnaires. 

A la suite de ces considérations générales, M . Potonié donne son programme 
particulier pour l'affaire qui est l'objet de sa notice. Nous ne transcnroi» 
pas ici cette partie de son écrit, parce qu'elle pourrait avoir l'apparence 
d'un prospectus en faveur d'une spéculation privée et que tel n'a été ni votre 
but, messieurs, en nommant unecommission pour lui faire un rapport sur la 
notice de notre collègue, ni le dessein de ce dernier en faisant hommage de 
cette notice à notre Société. Mais nous vous demandons la permission de vous 
en lire les conclusions, qui sont courtes, afin de compléter dans vos esprits 
la connaissance que vous avez prise jusqu'ici de l'œuvre de notre collègue. 

« Nbus voulons établir un comptoir fixe dans l'un des cinq ports chinois; 
nous devons expédier d'abord au moyen du service mensuel des paquebots 



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ACTES HE tA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 81 

anglais par le Cap. Là correspcmdance, par Suez, met à peine deux mois de 
Chine en France. 

« Nous formons une opération en participation qui pourra nous conduire, 
après quelques années d'essai, à des intérêts plus grands, à une Société ano- 
nyme par exemple. Nous avons les fonds nécessaires pour nous charger de 
tous les frais du comptoir chinois, du transport des marchandises qui 
seront expédiées , des frais de Paris, en6n de toutes prévisions de frais et 
pertes. Nous comptons pour Tagenee, ou la direction du comptoir chinois, 
sur un bomme jeune et loyal, parlant plusieurs langues, qui travaille avec 
nous depuis longtemps, qui nous donnera des garanties et sera intéressé 
pour une part proportionnelle aux dangers de l'étoignement et du climat. 
Nos mandataires, éloignés de nous, n'ont pas Thabitude de se considérer 
comme des tribuns indispensables qui doivent gouverner la métropole. La 
force reste toujours au centre ou au cœur, et les membres s'en trouvent bien. 
Un sous-agent du comptoir et un cogérant , en cas de mort des titulaires, 
assureront les participants que la réussite de l'opération ne reposera pas sur 
des tétesqui ne pourraient pas se remplacer. Nous marcherons soit par actions 
nominales, qui nous semble être le moyen le plus simple d'équilibrer les in- 
térêts de chacun , soit par promesses écrites des fobrjcants de nous livrer 
un maximum des marchandises desquelles nous aurons à décider le choix. 
Nous désirons voir le fabricant s'habituer aux formes de «l'association et 
surveiller lui-même les opérations de sa partie qui ouvriraient la voie à 
d'autres opérations , et sur lesquelles le fabricant doit se passionner avec 
plus de raison que sur les chances aléatoires des rentes étrangères ou des 
chemins de fer... Les commissionnaires viendraient plutôt prêter un con- 
cours de dévouement , puisqu'il est peu probable que ceux qui feraient par- 
tie du conseil de surveillance eussent un intérêt pécuniaire pour des fonc- 
tions qui s'exercent d'ordinaire gratuitement; pourtant un intérêt quelconque 
sur les bénéfices nous paraîtrait plus convenable. En effet, les commission- 
naires, étant les meilleurs juges de la valeur des fabricants, sauraient appré- 
cier au mieux de qui accepter de préférence , et pour quelles sommes , les 
engagements de livrer des marchandises suivant la liste des articles appré- 
ciés convenables pour la Chine. Ce comité de commissionnaires saurait au 
mieux entre qui répartir les actions de cette entreprise nationale. L'essai ne 
devant porter que sur un certain chiffre de vente , et la valeur à distribuer 
n'atteignant pas un million de francs, le but serait de répartir ces affaires 
dans le plus de mains possible, sans léser pourtant les gros fobricants, à la 
hauteur desquels notre opération parait devoir plutôt se tenir... 

«La probité de notre société sera assurée par une estampille que nous allons 
déposer, et qui , sous des grandeurs diverses, couvrira depuis les petits objets 
isolés jusqu'à des caisses entières. Cette estampille garantira la justesse du 
prix de vente de nos marchandises en rapport avec leur qualité , et rempla- 
cera les marques de fabrique, que nous désirons le plus possible, mais qui ne 
nous paraissent pas devoir devenir obligatoires ; nous accepterons des mar- 
ques, mais nous n^n permettrons pas de fausses, comme des flambeaux pk- 
IX. 6 



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ii BCVCE HE l'^fHEHÎ. 

qués marqués au 10^^ quand il n'j a qu'un 30* d'argent Ne marqunna pA» i 
ou marquons juste. 

«Nos caisses esiampillées seront au besoin appuyées du ^Mîbet 4e nos 
consuls , si notre estampille devenait un objet de coutref^on à l'étranger* 

(( Des caisses de fabricants devront souvent, pour éviter Un trop grand ma- 
niement de marchandises à nos agents de Chine et à noire personnel de Paris, 
être expédiées et vendues , fermées: mais le fabrkant déloyal serait rejuda 
responsable des suites de s^ mauvaise foi , et sur une décision motivée da 
conseil de surveillance et de la gérance, il serait remboursé des sest actions ou 
de ses avances et exclu de la (Sociéiéi.. 

a En quelques mots voici le fond des statuts : 

«La gérance ouvra un con«ptoir en Chine et avance tous les- Irais €k 
ce comptoir , matériel et personnel , les> frais de Paris , les fraia de iranS" 
port. 

« Les fabricants avancent leurs marchandises sous le conirèle et Taoec^- 
talion de la gévanoe... . „ ; : » . 

« Le fabricant n d^bords^n bfSoéâçe de ^brique. . 

« Les gérants ont leur provision de commissionnaires. 

« Les intérêts sont comptés à chaque participant qui fait des av«ices, el 
ces intérêts soot déduits des bénéfices. 

a Le bénéfice net se partage moitié aux gérans , moitié aux parlieipa^i^ 
commanditaires. 

« Une réserve d'un 10^ sur les bénéfices est mise en susp^s pourkaas^ 
nées qui pourraient fléchir. 

« Le conseil de surveillaiMîe sera de cinq mei^bres ^ soit trois falnricanU ci 
deux commissionnaires. 

« L'opération sera circonscrite aux cinq ports chinois ^ à Macac^ Manille « 
Batavia , Singapour , el aux villes situées entre celles-ci» 

« Le lieu du comptoir sera décidé ultérieurement, et d'aitlours de pUift 
amples détails seront communiqués dans les séances des eomatissioBs s^ 
erètes... 

H En résumé nous disons : 

« Qu'une association bien organisée et bien contrôlée, pour exporter le W 
article de Paris » formée de fabricants s'abouchant directement avec Im 
marché chinois , à Tinstar des Anglais , établit^ un comfHoir son» u)| 
Sigent fidèle et intelUgent , des rapports fréquents et de probité , et U 
99 résnitera de bons bénéfices et d€^ affaires sàres et suivies pour l'a* 
venir. » 

Après cet exposa, votre commisi^ion ne croirait pas avoir rçmpli tout«oa 
devoir si elle ne rendait à Tauteur de la notice un tribut mérité d'âoge «i 
de sympathie, pour les principes répandus dans son écrit et ponr les senti-» 
ments que son auteur y révèle à plusieurs reprises. 

En effet, c'est une bonne fortune, la commission l'a pemée ainsif et non» 
savons que d'autres d'entre vous pensait de même, qiie des hommes prati« 
qttes pid^Uent leurn lumières , leurs opinions, leurs conseils. Les tlàéoirs^ 



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4CTE8 DK LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 83 

cient pareaMiit »péciilatil$ font mallieareBseineiit peu STaneer la tcienoe 
économique et propagent souYent des erreurs que la fnratique démontre 
trop tard et déracine kniement* 

La notice décèle, chez son auteur, beaucoup d'observation de lecture et de 
réflexion, un jugement généralement droit, un esprit progressif, des inten- 
tions honnêtes et des sentiments élevés. 

On voit clairement que M. Potonié n'a pas été mû dans la poursuite de 
son but seulement par le soin de sa fortune et de celle de ses fils, mais qu'il 
est aussi stimulé par Tiniérêt général , par le désir de voir son pays prendre 
le rang auquel il a droit, et la part de puissance et d'influence qui suivent 
le développement du génie commercial. On le voit, dans son orgueil l^i- 
time, s'indigner du pr^ugé répandu comme à dessein par les hommes pares* 
seux et timides, que le caractère français est impropre aux grands faittx 
commerciaux, rappeler qu'en 1789 ces mêmes Français, dans la balance 
comparée du commerce d'exportation des nations « n'étaient qu'à quelques 
millions de leurs rivaux les Anglais ; on le(voit sou tenir que la persévérance 
est aussi bien dans lecaractière français que dans toute autre nation, témoin 
leur ténacité dans l'art de la guerre, et que, fût-il vrai que nous dussions 
envier à nos voisins la patience et l'unité, nous rachèterions le manque de 
ces précieuses qualités par l'aménité et la générosité de nos rappris avec 
les peuples. Il cite avec chaleur, à l'appui de cette opinion, comme exemple, 
Jacques Cksur; il représente que la situation arriérée de la France est due 
précisément à ses avantages naturels ( c'est la nécessité qui a fait autrefois 
la fortune des Hollandais et plus récemment des Anglais). Mais la pré- 
voyance et l'éducation ne peuvent-elles conduire au même résultat? c'est ce 
que croit notre collègue et ce que nous croyons avec lui. 

Aussi recomm2^nde-t-il à ses compatriotes de bannir l'é|^1sme, l'envie et 
toutes ces petites passions ( nous citons littéralement ) qui , s'agitant dan» 
un cercle rétréci, « mettent en guerre les voisins d'une même rue, quand 
l'intérêt du pays demanderait l'organisation et l'alliance des enfants d'une 
même ville, et, si des Parisiens ont besoin d'éprouver leurs forces dans une 
comparaison avec des rivaux, de se réunir entre eux plutôt pour lutter 
vigoureusement et loyalement contre les Anglais. La comparaison des 
chiffres de nos exportations relatives, France et Angleterre, donnant de 
la marge, au lieu de cette mesquine concurrence de trottoirs, à une noble 
concurrence de côtes, avec un détioit pour limite. » 

Aussi leur vaute-t-il les cercles, les associations, les sociétés, où, dit-il^ let 
questions intéressantes à traiter et k appuyer ne manqueront pas. C'est ïit 
un conseil bon à suivre, et qui est bien rarement suivi par les homme» qui 
font partie de ces cercles et de ces sociétés. 

C'est avec autant de raison qu'il critique l'impuissance des Armaleurs et 
la légèreté des pacotilleurs. On ne saurait trop s'élever en outre contre la 
déloyauté des fabricants: aussi, quand il rappelle à leur devoir les uns et 
les autres, ne frappe-t-il peut-être pas assez de son blâme ces fabricants 
sans moralité et s^ins prévoyance qui livrent à un pacotilleur, qui est toi- 



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84 REVCE DE l'orient. 

mèDie sans ressources^ sâns conscience comme sans Tergogne, des marchan- 
dises inférieures ou inégales, ou cotées à un f)rix trop élevé, ou tout ensem- 
ble trop vicieuses et trop chères? car on a vu, malheureusement souvent , 
le fabricant, séduit par Fespoir chimérique d'un gain qui serait mal- 
honnête s'il se réalisait , se contenter d'un acompte du quart à peine de sa 
facture, livrer ses marchandises à un prix excessif, tel, que, parvenu sur le 
marché étranger, le pacotilteur nelpeut que tes écouler à perte, et faire tout 
à la fois sa ruine, celle du fabricant créditeur et de l'honnête négociant qui 
se rencontre sur le même marché, et la déconsidération des produits et du 
caractère de la nation d'où viennent ce pacoiilleur et sa pacotille. 

M. Potoniéa fait justement l'éloge de l'union chronométrique , qui doit 
servir de modèle aux autres rubriques de l'article Paris; les vérificateurs 
spéciaux de chaque rubrique seraient une création salutaire, qui ferait avan- 
cer la fabrication et en écarterait l'improbité. 

Nous partageons aussi le jugement porté par notre confrère sur Fartlcle 
des commissionnaires ou intermédiaires entre tes fabricants et l'acheteur; 
M. Potonié en donne une excellente raison que vous vous rappelez sans 
doute. Mais il faut que ces commissionnaires fassent loyalement leur mé- 
tier, qu'ils servent leurs commettants avec zèle, probité et diseernenaent , 
ce qui malheureusement est fort rare, il faut le dire, de nos temps. 

Nous différons de sentiment avec notre confrère , touchant les expositions 
nationales, pratiquées depuis le commencement de ce siècle. 

Nous savons que beaucoup de bons esprits sont divisés à cet égard ; votre 
commission cependant a été unanime dans son jugement ; elle pense que les 
avantages de cette institution surpassent les inconvénients qu'on lui sup- 
pose. Voici les raisons qui la décident : 

L'exposition publique fait connaître et propage les découvertes nouvelles 
et les perfectionnements des anciennes. 

Les consommateurs y sont initiés plutôt qu'ils ne 1'^ eussent été sans 
elle. L'intérêt général y trouve donc d'abord son compte. 

On objecte que les concurrents y trouvent aussi le leur, parce qu'ils ap- 
prennent ainsi le secret de leurs rivaux et les moyens de les copier; mais 
nous répondrons qu'en premier lieu si l'inventeur redoute ce dommage, il 
est libre de s'y dérober en n'exposant pas, car nul n'est contraint à exposer; 
et qu'en second lieu, si au temps de l'exposition l'objet avait déjà vu le jour, 
de deux l'un , ou il avait réussi , et alors on admettra que les rivaux en 
avaient été avertis par son succès même et avaient pu le copier sans avoir 
besoin d'attendre son exposition, ou il n'avait pas réussi, et dans le second 
cas comme dans le premier l'exposition ne nuira à personne. 

Le même raisonnement se peut employer vis-à-vis de l'étranger. En effet, 
ou l'article s'est produit au dehors, avant l'exposition, ou il ne s'y est pas 
produit. Dans le premier cas, si l'étranger l'a voulu contrefaire il l'a pu , et 
s'il l'a fait, ce n'est pas dû à l'indiscrétion de l'exposition ; dans le second 
cas, si l'étranger n'a contrefait l'article que parce qu'il a paru pour la pre- 
mière fois à l'exposition nationale, et si ensuite il l'a exporté avec succès, n 



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ACTES DE LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 85 

faut, non prendre en mal l'exposition, mais accuser de n^ligeuce,de non- 
chalance ou d'incapacilé le maître de la découverte, qui pouvait, qui devait 
avoir exporté le premier, avant l'ouverture de Texposilion, ou n'exposer pas. 

Votre commission croit doue que Texposition est utile , qu'elle répand la 
connaissance des meilleures choses, et sert justement leurs inventeurs en 
dévoilant le mérite de leurs inventions à un plus grand nombre de consom* 
mateurs, et qu'elle doit donner naissance à de nouveaux efforts de la part 
des émules , et faire sortir peut-être des idées, des moyens, des procédés, qui 
ne seraient pas sortis, sans cette circonstance , de la tète des inventeurs qui 
sont, comme on sait, conduits d'un mieux à un autre, par la critique et la 
comparaison. 

Laissons à l'Angleterre son jaloux égoïsme ; s'il a engendré sa supériorité 
dans les voies qui conduisent à la fortune , il a au^si enfanté son orgueil, 
qui conduit à l'isolement et prive d'amis. M. Potonié l'a dit lui-même, 
l'aménité de notre caractère et la générosité de nos procédés nous gagne- 
ront la confiance des peuples et nous donneront, avec le temps, l'avantage 
sur nos sombres voisins, doués à un plus haut degré de patience et d'unité. 

Le système, proposé par M. Potonié, d'expositions permanentes d'impor- 
tation et d'exportation sera difficile dans la prali(|ue. Comment, en effet, in- 
terdire le bazar de vente aux fabricants? et si on y parvigat, comment em- 
pêcher l'étranger acheteur de vendre, sur place même, au fabricant français 
déterminé à contrefaire tel article, que celui-ci n'aura pu voir au même 
bazar? 

Quant au bazar d'importation, nous ne voyons pas d'utilité à le tenir 
ouvert aux fabricants seuls, et fermé aux consommateurs. Le danger ne 
nous parait pas grand à ce que ceux-ci fassent venir un article de Venise 
ou d'ailleurs, à cause de son bas prix , car le coût du transport en élèverait 
tout de suite la valeur au-dessus du prix auquel le fabricant français le 
pourrait fabriquer. D'ailleurs, rien n'oblige à faire connaître le prix étran- 
ger à d'autres qu'aux fabricants; au contraire, il y aurait peut-être avan- 
tage à ce (|ue le consommateur pût consulter à son aise le bazar des articles 
étrangers ; car il les pourrait faire exécuter par nos fabricants artistes et 
ouvriers, avec des modifications et des perfectionnements dont ceux-ei 
seraient les premiers à se bien trouver. 

En finissant, nous éprouvons le besoin de citer quelques principes expri- 
més dans le cours de la notice de M. Potonié : « ainsi , dit-il en un endroit, 
nous ne considérons pas que l'âme de notre opération soit dans tes capitaux 
plutôt que dans la vérité et la sévérité de la direction. » Gela est digne et 
ne saurait être trop remarqué. 

Quelques lignes plus loin, M. Potonié dit encore : « Si nous n'avions pas 
un but national, qui fait suite A l'idée du gouvernement, nous aurions déjà 
assez d'adhérents pour constituer, dans le secret, les intérêts de notre opé- 
ration.» 

Honneur, messieurs, à l'auteur de telles pensées, qu'il faut encourager 
bien haut pour contrebalancer celles qui ont été formulées dans ces paroles 



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S6 RETCE HE l^ORIENT. 

lamettses : Cbâcan pour soi, et chacun chez soi ; paroles malheureusement 
trop enteodues et suivies depuis quelques années chez nous. 

Comme notre collègue Auberts'est approprié la question des quarantaines 
et Ta prise corps à corps, de même M. Potonié paraît avoir fait de ta ques- 
tion chinoise, sous le point de vue commercial. Ouvrir ce marché à la 
France d*une manière convenable et féconde, tel est le but qu'il s'est pro- 
posé, qu'il a choisi, qu'il s'est imposé, qu'il aime avec ténacité, et qu'il n'a- 
bandonnera plus qu'avec le jour ; il termine, en effet, sa brochure par cet 
avis que, né dans le commerce d'exportation, ayant guidé vers elle la voca- 
tion de ses fils, il s'y dévouera avec bonheur jusqu'à la fin de sa carrière, 
même quand ses intérêts ne Ty retiendront plus. 

En résumé, messieurs, l'écrit de notre collègue est substantiel, utile, 
honorable, et votre commission a l'honneur de vous en proposer l'appro- 
bation. 

AuDiFFBBD , rapporteur (1). 

( Cesconcbisions ont été adoptées, ) 



CHRONIQUE DE y ORIENT- 



TURQUIE. 

La chute du ministre qui r^issait les destinées de Vempire ottoman n'a 
pas eu tout le retentissement qu'un pareil dvéoement comportait. Gomme 
la cause en a été peu connue, les conséquences n'en sont pas encore assez 
appréciées : elles ne tarderont pas à l'être, car chaque jour amènera, ses 
fruits, chaque idée régénératrice dominera un passé déplorable et Teffacera 
dm souvenir des peuples européens, spectateurs de cette lutte entre Ri^a^ 
Pacha, représentant des idées du vieil islamisme , et la réforme reposant &sk 
ferme dans bien des esprits, mais sans chef direct à Constantiqople. Ko 
effet, Reschid-Pacha , son propagateur avoué, se trouvait en EurqNi août 
le coup d'iMie disgrâce ioattendue et non méritée ; mais , patient et sage, il 
auendait en silence que la lumière vlut éclater aui yeux de son jeune sou- 
verain et que l'heure du rappel pût sonner pour lui. 

Toutefois , avant de nous occuper de ce fait important , il est bon qu'on 
connaisse avec quelques détails l'homme qui vient d'occuper le premier 
poste de l'empire ottoman, et qu'on sache par quels moyens et à l'aide de 
quels auxiliaires il était parvenu k cette position si haute et si enviée. Notre 
but n'est pas, comme on le pense bien, de nous étendre sur rhistoUre scanda- 
leuse des premières années du favori de Mahmoud; néanmoins il eat néosa- 



(1) Les autres membre» de la commission étaient MM. Aubert-Roche et Morot. 



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CHOHIQVE M t'ORIimT. ~ TURQUIE. S7 

Mire qu'on sache de qael lieu un tel homme eut sorti , soit pour s*eipliquer 
sa fortune, soit pour se rendre compte de la véritable valeur des actes de 
sa vie politique, la seule que nous prétendions mettre à nu. L'autre n'est 
pas avouable; nos mœurs, nos usages notre morale publique la repoussent 
ou la voilent: je n'en dirai donc qu'un mot. Riza-Pacha a quitté Téchoppe 
ou la boutique d'un vendeur de drogues et d'épiceries, pour passer dans \e 
palais des sultans, sans fonctions bien déterminées; puis il devint, par la 
faveur insigne du maître, d'abord secrétaire intime et ensuite sous-maréchal 
du palais. Ce fut dans cette position déjà brillante que la mort de Mahmoud 
(ce prince doué d'ailleurs de si puissantes qualités) vint le surprendre et 
l'arrêter un moment dans sa marche ascendante. Déjà cependant son ca- 
ractère et lies vues commençaient à se développer : on savait que sa mo- 
ralité était plus que douteuse, que son instruction était nulle, que les res- 
sources de son esprit étaient peu variées; mais on était forcé de reconnaître 
en lui un fond d'activité qu'on rencontre rarement dans le caractère turc. 
Certes, chez les hommes de cette race , ce n'est pas la sagacité , la pénétra- 
tion, l'intelligence des grandes affaires qui manquent; mais ce qu'on peut 
reprocher aux personnages de ce pays qui mènent le char de l'État, c'est une 
lenteur, une hésitation soupçonneuse et calculée, qui n'est plus déjà de la 
prudence ou de la circonspection, cette vertu par excellence des bons esprits^ 
politiques. Renfermé dans le cercle étroit de sa charge, Riza-Pacha se mit 
à user cette activité à des intrigues de harem. Ce fut à cette époque qu'il se 
lia d'intérêt Mouça-Safetti-Pacha , qui passait , à Constant! nople , pour 
mener avec succès les opérations financières , et qui n'était après tout que 
l'heureux associé d'un Grec assez habile, protégé de l'Autriche, et qu'on 
nomme Baltazzi. 

On a dit dans le temps , et nous sommes tentés de le croire, qu'une espèce 
de convention tacite de solidarité s'établit entre ces deux hommes et l'an- 
cien capitan-pacha, celui-là même qui conduisit dans le port d'Alexan- 
drie la flotte ottomane, et qu'ils contractèrent entre eux une alliance dont 
quelques millions promis et donnés à Riza- Pacha furent tout à la fois le gage 
palpable et secret. Quoiqu'il en soit, l'intrigue se noua dans l'intérieur du 
palais avec bien plus d'aisance, de sécurité, quand Riza fut nommé au poste 
de momiùr moubein , qui équivaut là- bas aux fonctions de grand maréchal 
de palais. Le chef des eunuques, ies oulémas, la sultane mère, dit-on en- 
core, furent sollicités adroitement de prendre part aux menées dont le but, 
aux yeux du plus grand nombre, était le retour aux errements de l'an- 
ci^ine nationalité, aux exigences rigoureuses du Coran, aux principes de 
la vieille politique ottomane, qui se fondait sur un mépris profond pour les 
nations chrétiennes, et sur la puissance du sabre d'Othman, brisé naguère 
par la main de la Russie. Mouça-Pacha surtout , saisi d'un zèle religieux qui 
dépassait celui des oulémas les plus fanatiques, poussait de plus en plus Riza 
dans une voie dont il ne pourrait plus sortir, et qui devait chaque jour de- 
Tenir plus étroite et plus embarrassante , si jamais il arrivait à un pou- 
voir ardemmeBt convoité. Le ministre qu'il s'agissait de renverser, 



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8S REVUE DE l'orient. 

Reschid-Pacba , fort de ses bonnes intentions, occupé uniquement de l'éla» 
boralion de ses projets nouveaux et de Tétude des hommes qui devaient 
Taider à accomplir le grand œuvre de la réforme, et qui n'a d'autre tort à 
nos yeu;^ que d*avoir voulu en trop accélérer le mouvement; Reschid- Pacha» 
disons-nous, averti des trames qui s'ourdissaient, des menées qui se prati- 
quaient autour de lui , eut la grandeur, selon les uns, ou la faiblesse, selon les 
autres, de mépriser ces avis: il ne voulut point y ajouter foi , et la disgrâce 
l'atteignit au moment où l'administration nouvellement organisée commen- 
çait à fonctionner sans trop de peine et d'embarras. Comment aurait-il 
échappé au sort qui le menaçait? Ses adversaires pouvant arriver à toute 
heure à l'oreille du sultan , on pense bien que la calomnie et ses insinua- 
tions répétées furent mises en usage pour atteindre le but auquel on visait. 
Qu'on se Sgure un prince âgé de dix-sept ans, monté sur le trône avec toute 
l'autorité et le prestige du pouvoir absolu , auquel on vient dire journel- 
lement : « L'homme que vous avez investi de votre confiance n'en est 
pas digne; ce ministre de vos volontés prétend mettre la loi au-dessous de 
votre toute-puissance et tenter par la réforme de renverser ou d'affaiblir le 
pouvoir des successeurs d'Othman.» Par ces insinuations répétées, on atta- 
quait le ministre dans le personnel de l'administration et dans ses actes, oo 
l'accusait sourdement de vouloir livrer le pays à l'influence étrangère. 

Ces accusations n'avaient, bien entendu , d'aulre fondement que l'intro- 
duction, dans quelques-uns des services publics nouvellement établis, de plu- 
sieurs Européens dont les lumières et l'instruction inspiraient de la confiance 
au ministre. Les eunuques du palais, qui, à tort ou à raison, feignaient decroire 
que la réforme atteindrait aussi leur organisation ou leur service, se mon- 
traient les agents les plus actifs et les plus dévoués de l'intrigue, qui finit par 
étendre ses réseaux jusqu'aux palais de Pera. En effet, rÂutrichc fut peu 
éclairée sur ses véritables intérêts; elle parut un moment effrayée par le hati i- 
cbérifdeGulbaaé:elqu'éiait-ce,si ce n'est un acte purement administratif, 
dans lequel pourtant M. Mettcrnich crut voir pendant uo moment uu projet 
de charte constitutionnelle élaboré dans Toccident de l'Europe, c'est-à-dire 
sous riufiuence de la France et de l'Angleterre? Le cabinet autrichien , di- 
sons-nous, aidé sous main par la Russie, qui avait ses raisons secrètes pour 
voir avec quelque chagrin se préparer l'amélioration du sort des populations 
chrétiennes qui sont éparses sur tous les points du vaste sol de la Tunfuie» 
uniquement par l'initiative du gouvernement ottoman lui-même, c'est-à- 
dire en dehors de son action directe, le cabinet autrichien, entouré, 
caressé, circonvenu, prêta peut-être un instant les mains au mouvement qui 
devait emporter un ministre qui ne prenait pas souvent ses conseils, et Riza, 
aidé par les oulémas, dévoués à Mouça-Safetti- Pacha, arriva naturellement à 
remplacer Reschid , qui dut craindre qu'on cherchât à se débarrasser de lui 
par des moyens empruntés aux vieilles traditions du sérail. Ce qui prouve 
que l'esprit de la réforme avait déjà fait des progrès dans l'esprit de tout le 
monde, c'est qu'on le laissa vivre ^ et que plus tard on l'envoya de nouveau 
en Europe pour qu'il y complétât sans doute l'étude de nos institutions. 



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CHRONIQUE D£ l'ORIENT. — TURQUIE. 89 

qu'on prétendait bien cependant ne pas faire adopter de sil^t par J'empire. 

C'est beaucoup pour un ambitieux que d'arriver aux affaires ; mais s'y 
maintenir elles faire marcher, c'est plus encore. Les embarras commencèrent 
dès les premiers pas du ministère de Riza. Dire^dans quelle voie réaction-^ 
naire il fut obligé d'entrer , quelle fut la longue série de ses fautes, les humi* 
liations qu'il lui fallut endurer ^ ce serait presque retrouver l'histoire de 
chacun des jours de son omnipotence , et Dieu nous garde de vouloir revenir 
sur des actes appréciés et jugés depuis longtemps. 

Faut-il le suivre dans sa marche rétrograde pendant les cinq années qu'il 
dirigea les affaires du pays, on pensera qu'il avait pris à tâche d'arrêter tout 
court le mouvement organisateur émané de la pensée du sultan Mahmoud: 
ainsi l'armée perdit ceux de ses chefs qu'on savait attachés au principe de 
la réforme; à l'administration régulière des deniers publics établie sur plu- 
sieurs points de l'empire, succéda un affreux g'aspillage du trésor ; la vénalité 
des charges reprit sa place dans les calculs financiers du divan; les mesures 
jugées nécessaires pour arriver en6n à une espèce d'unité- administrative 
satisfaisante pour la population chrétienne, qu'il fallait avant tout ramener 
et calmer, ces mesures, qui témoignaient de la bonne et forte volonté 
du prince, restèrent inexécutées ou impuissantes; cependant elles devaient 
avoir pour résultat non-seulement le rapprochement des races dans un 
intérêt commun, mais encore un certain adoucissement des mœurs qui eût 
assez promptement rendu la nation turque plus apte à recevoir le baptême 
de la réforme politique et cette égalité de droits civils dont le souverain 
voulait la doter. Tous ces règlements, élaborés avec plus desoin et de patience 
qu'on ne le croit par le génie novateur et enthousiaste de Mahmoud, fini- 
rent par être rapportés les uns après les aulres, et la nation turque ne 
conserva que la lassitude qui s'empare du corps social quand il s'est épuisé 
en vains efforts pour briser ses entraves et marcher. Et pourtant Hiza avait 
pris part à ces premières tentatives ; il était du petit nombre des sujets 
fidèles et dévoués auxquels le sultan Mahmoud, à son lit de mort , avait 
confié la réalisation de ses vastes projets. 

Oui, cet homme avait un des premiers reçu la confidence du maître, et avait 
applaudi à ses efforts, qui ne tendaient à rien moins qu'à faire reprendre 
sa véritable place à la Turqi]iie dans le grand cercle des États européens. 
Mais le voilà ministre, et il ne se souvient déjà plus de la volonté du sultan 
réformateur : les fanatiques qui ont poussé Riza dans les voies tortueuses où 
Il s'est perdu ne lui laissent pas un instant de relâche ; il ne s'appartient plus; 
sa mission est de renverser et de détruire; son but , de remonter le courant 
de la civilisation; les actes d'une grossière barbarie se multiplient et se con- 
fondent; on s'égorge, on se vole, on se pille sur tous les points de l'empire 
ottoman! Et qu'on ne croie pas que nous exagérions à plaisir les faits qui 
sont venus jusqu'à nous et qu'on a pris soin de déguiser dans les colonnes 
du Moniteur ottoman : les troubles du Kurdistan et de Diarbekir sont assez 
connus ; les affaires 4e Mossul et de Latakie , les insurrections de la Palestine 
et de la Syrie, dont Je souvenir n'est que trop récent, demeurent là pour 



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90 RETUS DC l'ORIBUT. 

|MM*ter témoignage. Cette rage qui porte les Druaes et les Maronites I 
s'enire-détruire, par qui a-t-elle été toufflée et attisée dans le eœur de ces 
bommes, qui, sous Tempire de religions différentes, avaient cependant 
vécu pendant bien des années en parfaite intelligence? Il est évident pour 
nous que Biza-Pacba , livré à lui-même et parvenu au terme convoité par 
son ambition, eût ménagé davantage les actes et la mémoire du sultan au- 
quel il devait son élévation ; mais le pacte était fait et condu , et Saffieti- 
Pacba, qui s'était fait nommer au ministère des finances, pesait sur lui de 
tout Tasoendant des besoins qu'il témoignait et de sa baine du nom chrétien. 
Kous avons signalé nous-mêmes, quand nous avons pu le faire, ces temps 
dlBirrètoà, effrayé de la route qu'il avait parcouru, Rlza-Pacha essayait, mais 
en vain , d'arrêter le débordement du mal dont il était sinon le promo- 
teur, tout au moins llnstrument. N'a-t-il pas étayé Sa^i-Pacba; n'a-t-il 
pas défendu , préconisé outre mesure auprès de la diplomatie euro- 
péenne, ses plans financiers; n'a-t-il pas tenu pendant longtemps un épais 
bandeau sur les yeux du sultan, jeune souverain dont les intentions pour 
le peuple et pour l'armée ont toujours été excellentes ; n'a-t-il pas désor- 
ganisé l'administration civile des provinces, après en avoir altéré l'organi- 
sation militaire, qui l'une et Tautre commençaient à se modeler d'après les 
principes européens? Les rajas ont été en butte à mille exactions diverses; 
l'armée permanante a été réduite, et, pour subvenir aux dépenses de cette 
armée, il a fallu extorquer de l'argent par des mesures iniques et arbitraires. 
Qu'ajouter à ces fautes , si ce n'est celle plus grande encore de compromettre 
le prince au plus haut point vis-à-vis des ambassadeurs permanents qui repré* 
sentent dans Gonstantinople les puissances étrangères, celles surtout que te 
gouvernement turc a le plus d'intérêt à ménager? Rappellerons-nous cette 
allocution imprudente qu'on mit dans la bouche du sulian après une grande 
revue de ses troupes : un journal bien informé Fa fait connaître dans le 
temps au public français. La voici de nouveau , pour qu'on puisse juger avec 
, connaissance de cause do fanatisme qu'on cherchait à inculquer dans l'esprit 
du souverain : Soldats de VYslam^ s'écriait le jeune Abdul-Medjid, n'oubUez 
pas que le Coran et le khadis (la tradition) vous font une loi de faire toujottrs la 
guerre aux infidèles. Et comme si l'effet de cette sortie n*avait pas été asseï 
puissant et a^sez répandu, ces paroles sont reproduites dans le journal officiel 
qui s'imprime à Gonstantinople. Il est vrai que, sur la représentation éner- 
gique du seul ambassadeur d'Angleferre , le ministre turc fit suspendre la 
distribution du numéro entaché de cette folle provocation , dont il nous est 
impossible de rendre le jeut)e souverain responsable. Mais ce fanatisme ar- 
dent et opiniâtre ne se bornait point à de simples paroles: l'affaire des re« 
négats , dont tout le monde à entendu parler en Europe, est une preuve que 
non-seulement la conscience , mais encore la vie des hommes^ était menacée 
à toute heure. 

C'est bien sur une invitation, sur un ordre exprès de Riza et de Moaça- 
Saffeti-^dba, que les oulemaa ont appelé les prétendus coupables devant 
ime espèee de trib^al spécial, réuni pour la circonstance^ En vain 



CHRONIQUE DS L'ORtENT. — TCRQtlE. 91 

le eheik dTsIam, ou chef de la loi, leur avait-il fait observer que sous 
plus d*ttti rapport, il était convenable de traiter politiquement une ques- 
tion aussi délicate : ceux-ci insistèrent pour que les oulémas restassent 
saisis de Taffaire. Les ministres savaient parfaitement que ceux-ci étaient 
obligés , presque malgré eux , d'appliquer la loi religieuse, qui, dans ce cas, 
prononce la peine de mort; et torstfue l'ambassadeur de TAngleterre, pre- 
nant encore Tinitiative dans cette occasion, demanda hautement Tabroga- 
tion de cette loi trop sévère, qui est-ce qui résista, sinon les mêmes ministres? 
On les accuse en outre d'avoir osé ajouter que , si le sultan, leur matire, se 
laissait aller à une telle condescendance, il donnerait le signal d'une légi- 
time révolte et qu'il y aurait danger pour sa personne. Toutefois , la loi n^en 
fut pas moins rapportée, comme chacun le sait, sur les menaces désir Slraf- 
tord-Canning. Nous devons ajouter que nous n'avons jamais deviné pour- 
quoi M. de Bourqueney sembla demeurer inaclif durant le cours rapide de 
cette négociation, lui qui d'ordinaire marchait si volontiers et de bonne 
intelligence dans les voies ouvertes par le représentant de l'Angleterre ; et 
en faisant cette remarque , ce n'est pas toujours comme blâme que nous 
rappelons sa conduite. 

Enfin, tant de fautes et d'excès devaient avoir lin terme, et ce qu'il y a de 
plus singulier, d'inexplicable et pourtant d'avéré, c'est que la diplomatie 
européenne , qui, si elle eût agi avec accord et conviction , eût pu depuis 
longtemps porter remède à tant de maux , n'a été pour rien dans la catas- 
trophe que nous allons raconter. 

C'est au sultan tout seul qu'en revient l'honneur. 

Voici donc ce qui s'est passé à Constantinople en cette occasion. Je n'ai 
pas dit, mais Ton se rappelle peut-être , que Pun des beaux-frères du sultan , 
Acbmet-Fethi-Pacha, dont nous avons été à même, il y a quelques années, 
d'apprécier le noble caractère et la justesse d'esprit, car il était ambassadeur 
de la Sublime-Porte près du gouvernement fr^mçais à l'époque où Ton 
apprit la mort du sultan Mahmoud, prit part alors aux affaires. Son 
affection pour son jeune souverain lui fit quitter Paris pour retourner 
à Constantinople, où l'attendait un sort brillant. Quoique nommé mi- 
nistre d a commerce avec Reschid, il fut moins exposé que d'autres aux 
coups qui atteignirent plus tard les partisans avoués delà réforme, à cause 
des liens qui l'unissaient à la famille du sultan. Cènes, ce n'est pas qu'il 
eût jamaiis dissimulé .non opinion : seulement on le considérait comme un 
homme doux , patient , et surtout peu dangereux ; on alla même jusqu'A lui 
offrir le ministère de la justice, et il accepta ce poste important, pensant avec 
raison qu'on lui saurait gré un jour et du mal qu'il pourrait empêcher, et 
du peu de bien qu'il lui serait permis de faire. Cependant, comme on sut 
qu'il était en correspondance avec Reschid-Pacha, le ministre gouvernant 
finit par en concevoir quelque ombrage, et on l'éloigna. 

Un autre personnage dont nous tairons le nom et lui, apercevant avec effroi 
le précipice où i'on conduisait le sultan , osèrent faire entrevoir à ce prince la 
vérité, au risque de lui déplaire et surtout) d'encourir les chances fâcheuses 



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93 REVUE DE l'orient. 

de l'inimitié du ministre dirigeant. L'entrée du sérail ne pouvait leur 
être refusée: ils en profitèrent pour instruire Abdul-Mejid de l'impopularité 
de son cabinet; ils ne purent lui dissimuler leurs appréhensions sur la fu* 
neste direction qui lui était imprimée; ils lui parlèrent le langage du dévoue- 
ment le plus sincère et de l'abnégation la plus complète. Le sultan les écouta 
sans répondre une parole , sans laisser deviner sa pensée^ de telle sorte qu'en 
le quittant ils ignoraient encore s'ils avaient encouru sa disgrâce ou s'ils 
avaient déposé en son sein le germe d'une grande pensée. 

Les affidés du palais virent le jeune prince , après cette conversation , se 
diriger seul vers ses jardins , et là, après deux heures de contention d'esprit, 
indiquée par sa marche tantôt précipitée, tantôt ralentie , par ses gestes 
rapides ou son attitude pensive et préoccupée, surgit une énergique résolu*, 
tion , une résolution digne du sultan Mahmoud, et qu'il fit exécuter sans 
avoir pris conseil d'aucun de ceux qui d'ordinaire l'entretenaient, et qu'on 
savait être les confidents directs de sa volonté. Donc, sans être assuré par 
avance s'il pouvait compter sur des amis francs et résolus , si les chefs de 
l'armée seconderaient ses vues, si le peuple approuverait sa conduite, il fit 
venir un simple officier du sérail et il lui dicta des ordres que , dans sa stu- 
péfaction , celui-ci se fit répéter jusqu'à deux ou trois fois. 

C'était l'heure du soir où la population de Gonstantinople prend ses repas : 
Riza-Pacba , entouré de ses favoris et de ses créatures , était en train de s'en- 
ivrer avec des liqueurs fortes, lorsque entra dans la salle du festin l'envoyé 
du sultan. Questionné sur l'objet de son message de la part du maître, il 
dit: « Je viens te retirer tes décorations et les insignes de ton rang. » Riza', 
fasciné par ces paroles, se récria, et comme il cherchait à redonner quel- 
que courage à ses amis stupéfaits en leur assurant que cette méprise 
s'éciaircirait aussitôt qu'il aurait parlé au sultan, le messager l'interrom- 
pit, le prévenant que toute démarche de ce genre serait inutile, et que la 
personne sacrée du souverain était désormais interdite à sa vue. Ce peu de 
mots, prononcés avec fermeté, suffit pour renverser de toute sa hauteur le 
puissant de la veille : incapable de répondre et d'agir, et bientôt demeuré 
seul comme s'il eût été atteint du mal funeste qui décime la contrée, il de- 
vint en quelques instants le sujet le plus humble des États du Grand- 
Seigneur. 

Nous ne savons quel le tète couronnée, au sein de nos États occidentau}^, eût 
déployé dans une circonstance semblable plus de caractère, plus de force, 
plus de véritable grandeur, que le sultan Abdul-Mejid en a montré. Il est 
certain que les plénipotentiaires européens n'ont été pour rien dans la 
chute d'un ministre qu'ils ont étayé trop longtemps; nul d'entre eux ne peut 
se vanter d'avoir concouru à amener un résultat dont la civilisation toute 
entière profilera, et nul surtout ne pourra l'attribuer à son adresse ou 
à son habileté. 

Nous le répétons à dessein, c'est au sultan tout seul que doit revenir l'hon- 
neur d'une mesure qui doit consolider la situation de l'empire ottoman, et 



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CHRONIQUE DE l'ORIENT. — RÉCEP. DE l'AMB. DU MAROC. 93 

avoir la plus sérieuse influence sur la déterniinalion des cabioeU euro- 
péens au sujet des affaires ultérieures de. rOrienl. 

Dans le prochain numéro de la Baue de l'Orient^ nous ferons connatlre 
avec détail les changements opérés dans le personnel administratif de Tem-* 
pire ottoman depuis l'arrivée de Reschid- Pacha à Constantinopie; nous 
nous étendrons sur les premiers actes qui ont signalé la réintégration de 
sa politique; enfin, nous parlerons de ses plans, et de la possibilité de leur 
réalisation dans un avenir plus ou moins prochain , c'est-à-dire après qu'ils 
auront été appréciés et jugés par le jeune sultan, qui désormais veut et 
peut régner par lui-même. Nous ne craignons plus que Ton cherche à éga- 
rer ses pas ou à le détourner de la bonne voie : les hommes qui l'entourent 
nous sont trop bien connus pour que nous supposions un revirement 
fâcheux dans les idées d'une bonne et saine réforme. Nos seqles appréhen- 
sions, nous devons le répéter, seraient que, dans un désir pressant de ré- 
parer tous les maux , de faire face à tous les besoins, de combler tous les 
vides , on ne se hâtât trop , et qu'on ne fit avorter, par une précipitation 
imprudente , cette grande et belle idée de la régénération d'un peuple dont 
on n'apprécie pas assez en Europe les solides et louables qualités. A. D» 



RÉCEPTION DE L'AMBASSADEUR DU MAROC. 

Le pacha de Tétuan, Sid-el-Hadj-Abd-el-Kader-Achâche-Pacha , envoyé 
par l'empereur du Maroc Abd-ur-Rahman, en qualité de son ambassadeui^ 
extraordinaire auprès du roi , est le fils du kaîd Mohammed-Achâche, dont 
la famille illustre occupe héréditairement, depuis une longue suite d'années, 
le pachalick de Téiuan. C'est un jeune homme de 26 à 27 ans , d'une intel- 
ligence vive, d'un esprit méditatif, d'un caractère discret et élevé. Il s'est 
refusé à prendre part à aucune des fêtes qui lui étaient offertes soit à Mar- 
seille, soit pendant sa route vers la capitale, parce qu'il n'avait point encore 
paru devant la personne du sultan de la France. Tel est l'usage des Orien- 
taux , et l'on a vu souvent à Paris, à Vienne, à Saint-Pétersbourg, des en- 
voyés de Perse, de Turquie, de Tunis demeurer ainsi dans la plus sévère re- 
traite ^ durant plusieurs semaines après leur arrivée, jusqu'au jour où leur 
première audience donnait en quelque sorte le signal de leur délivrance , 
et leur permettait â la fois de se livrer en spectacle aux populations euro- 
péennes et de jouir de celui de notre civilisation. 

L'ambassadeur du Maroc a été reçu en France avec une bienveillance 
marquée; il occupe aux Champs-Elysées un hôtel où l'Etat le défiraie de 
tout avec un luxe et une profusion dignes de l'Orient. Sa suite est nom- 
breuse; il est accompagné de Sid-Mohammed-el-Lebbidi, chef du commerce 
de Tétuan ; de Sid-el-HacQ-el-Arbi-el-Attar, administrateur des douanes ; 



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94 HËVtE DE L^ORlEnt. 

de Sid-Mohammed-Scffar, chef des écoles de Tétuan ; du kaïd Ahmed-el- 
Atate, chef des troupes régulières tnarocaiues, et de plusieurs officiers 
d'ambassade. Sa fortune est fort considérable, et il à consacré aux dépenses 
de sa mission une somme de 500,000 francs. 

ïje Roi , dans sa bienveillance, n'a pas laissé longtemps dans la retraite 
Pillustre patha, et fa admis en audience publique trois jours après son ar- 
rW«»e à Paris. Cette audience a eu lieu le 30 décembre. L'ambassadeur, con- 
duit avec sa suite aux Tuileries dans quatre voitures de la cour, dont 
deux carrosses dorés, attelés de quatre chevaux m /î^rî/if, a éié d'abord 
meneau salon d'attente des ambassadeurs, où Une collation, à laquelle pré- 
sidait M. le lieutenant général baron Atthalio, avait été servie. Le cortège, 
précédé par M. le comte de Saint-Mauris, introducteur des ambassadeurs , 
se rendit ensuite à l'audience royale. Le Roi , à l'entrée de Tambassàdeur, 
était assis sur son trône , entouré des princes , ses fils , de ses ministres, de 
ses aides de camp , ti des principaux officiers de sa maison. Dcrrièfe M. le 
maréchal duc de Datmatie et M. Guizot, on remarquait M. le général comte 
de Larue, négociateur du traité de délimitation entre la France et le Maroc, 
et M. Doré de Nion , consul général et chargé d'affaires du roi à Tatiger , 
négociateur du traité de paix avec cette même puisjiance. On voyait égale- 
ment M. Léon Roches^ l'habile interprète de l'armée d'Afrique, et dont lès 
talents ont été si utiles dans la négociation dirigée par M. de Larue. 

Le Roi était en unifofme d'officier général. L'ambassadeur était couvert 
d'un vaste burnous violet ; et les couleurs variées des costumes des officiers 
de sa suite donnaient au groupe de l'ambassade un aspect singulièrement 
pittoresque. 

L'ambassadeaTy présenté par M. le comte de Saint-Mauris, prit la parole, 
et, avant de remettre set lettres de créance, prononça en arabe le discours 
suivant, dont M. Alix Desgranges, premier secrétaire du Roi pour les lan- 
gues orientales, et professeur de turc au Collège de France, donna sur-le- 
champ la traduction ; 

o Gloire au Dieu très-haut^ le matire des oMMides; prières et aalut sur 
<i tons les prophètes et les envoyés de Dieu. 

^ «Je glorifie Dieu, q^ï m'a accordé cette faveur et m'a destiné cette joie « 
<ique npon seigneur et mon maître ait jeté sur moi un regard de bienveil^ 
« lance, et m'ait revêtu du manteau (te la grâce, lui , l'imam et la eolonoe 
« de rialamisme„ l'émir des fidèles, le soutien de son peuple et de «a reli-' 
a gioA, le Cid Muley-Abd-Ur-Rahmaa : que Dieu éternise pour nous ses 
a bontés et son existence. 

« 11 m'a envoyé vers toi, 6 magnanime sultan, glorieux roi, le César des 
a césars, l'honneur de l'Europe et le plus grand des Khosroë;!, le maître dès 
a deux continenu et le souverain des deux mers^ -^ pour te présenter sa 
« lettre et pour te remettre ses présents^ 

« Partout, sur notre rente < ta générosité a semé tes nombreux btenfalts^ 
a de toutes paru elle nous a prodigué les plus grands honneurs. Do jour eH 
« notre pied a posé sur tes vaisseaui pour aous reodre vers tôt , et que nous 



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auNMlI«Ofi DE L^OMCHT.— tHlKC. 9è 

« MBimcst (kveDut te» h6teg, dès riDttant oA nous sommes entrés dans les 
« lieux soumis à ton obéissance* Ions leurs habitanCs se sont empressés à 
« l'envi de nous fiiire une réception dont la ^àce ne saurait se décrire, on 
« accueil auquel notre cœur s'est épanoui de bonheur et de joie. 

« Depuis longtemps nous avions entendu répéter que la nation française 
« brille par son urbanité, par la bonié de son caractère, par le charme et la 
« grâce de son commerce avec les hommes; mais nous sommes venus, et ee 
m qui nous a été donné de voir dépasse de beaucoup tous les récils que nom 
« avions entendus, fin cela nous avons reconnu la preuve de votre amitié 
« pour nous, et des bonnes disposilions dont vous nous faites sentir les 
« effets. 

« Nos mains, s'il platt à Dieu, seront l'instrument du renonvetlement de 
« Tamitié entre les deux peuples, et par elles les deux empires tendront à ne 
« faire qu'un seul empire. Nous serons la continuation de ce qu'ont été nos 
« prédécesseurs, nos ancêtres et vos ancêtres; nous serons unis par la sincé- 
« rite et la fidélité des »;ntiments, aujourd'hui surtout qu'un voisinage nou- 
« veau s'e:>t établi entre nous et vous; 

« Car l'acte le plus agréable à Dieu est l'acte de bon voisinage, et salut. » 

Le Roi a répondu en français , traduit également sur-le-champ en arabe 
par Mi Desgranges : 

« Je rends grâce â Dieu que les relations de paix et d'amitié qui ont si 
« longtemps subsisté entre la Franee et l'empire de Maroc aient été aussi 
« prompiement rétablies; je me réjouis que votre souverain le sultan Mu-^ 
« ley-Àbd«Ur^Rhaman vous ait envoyé auprès de moi en témoignage de neê 
tt sentiments de sincère amitié. 

« J'ai appris avec une vive satisfaction les mesures qu'il a déjà prises pour 
« :garantir de son côté la sécurité de nos frontières, et yaccuetlle avec emn 
« ftiance les paroles affectueuses que vous venez de m'adresser en son nonu 
« Voua pouvez l'assurer que^ de ma part , rien ne sera omia pour la francfae 
« et complète exécution du traités! heureusement conclu entre nous, el 
« que je saisirai avec empressement les occasions de lui' prouver que je aérai 
« toujours pour lui un bon voisin et un fidèle allié. J'espère qoe^ sous la 
« protection de Dieu, des relations de plus en plus amicales s'établiront entre 
«.BOUS, et que nos peuples recuetlleroni les fruits de notre loyale amitié. » 

A l'isaue de t'audieneedu Roi, l'ambassadeur a été conduit à celle de U 
Reine et des prineessen de la famille royale ; après quoi il a été reconduit ft 
son hôtel dans les voitures de gala qtii l'avaient amené. 



CHINE. 

Funestes effets de Vopium. — Une lettre écrite du Rian-Nan par un 
missionnaire français contient les détails suivants : a Ce n'est pas ici 
qu'il fout élever une controverse pour savoir si l'usage de l'opium est une 



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96 REWE DE L'ORliaiT.— CHROIVIQUE DE t'ORimT.— OGÉANIE. 
chose indifférente. On montrerait des familles , naguère dam l'atsanoe, 
aujourd'hui désolées; les enfants, sans nourriture et sans vêtements, obli* 
gés de se faire voleurs ; les femmes vendues , et les fumeurs devenus pires que 
des bétes brutes. Ce mal est très-répandu dans les villes, et des personnes 
bien instruites vont jusqu'à dire qu'un Chinois habitué à fumer de l'opium 
est un homme perdu pour les affaires de la vie civile. Après avoir usé de 
ce dangereux poison pendant trois années seulement, il ne sera plus propre 
qu'à satisfaire sa passion ou plutôt sa fureur. S'il peut y réussir, H trat- 
nera encore sa vie pendant açsez longtemps ; mais il sera réduit à un état 
complet de stupidité. Si , au contraire , les ressources lui manquent , alors 
il est en proie à des souffrances et à une langueur dont il ne se relèvera plus^ 
Un fumeur ordinaire dépense au moins douze francs par jour, dont la moi- 
tié pour le poison , et le reste pour les besoins qu'il impose. Or, c'est là une 
somme considérable pour la Chine. » 



OCEANIE. 

Emploi du premier vin fait dans VUe Tonga. -— On a Tespérance d'accli- 
mater la vigne dans les Iles de l'Océanie. Jusqu'à présent, les ceps 
qu'on y avait transplantés n'avaient produit que des feuilles ; un mission- 
naire français, le P. Grange, en a obtenu du raisin. Voici ce que nous 
lisons dans une de ses lettres : « Un mot sur le cep de vigne que j'ai planté. 
Après mille essais, je suis parvenu à arrêter sa force exubérante de végé* 
tation, et j'ai eu la consolation de lui voir porter des fruits. Que pensez- 
vous que j'aie fait du premier raisin qui ait mûri à Tonga? que je Taie donné ? 
conservé? Non, rien de tout cela : je l'ai cueilli religieusement, je l'ai 
pressé dans un linge très-propre, puis, après en avoir clarifié le jus, je 
m'en suis servi pour dire la messe le l*^** janvier 1844. Je n'avais personne 
à qui exprin^r mes vœux de bonne année , et pendant que vous passiez ce 
jour dans l'allégresse, au milieu de vos nombreux amis, je me trouvais 
seul , à cinq mille lieues de la patrie. Mon cœur avait pourtant besoin de 
s'épancher. Que faire? Je célébrai pour tous les membres de la société de 
Marie, pour mes parents, amis et bienfaiteurs d'Europe, et je chargeai 
celui qui est de tous les temps et de tous les lieux de vous faire parvenir 
mes souhaits. Puissent-ils s'accomplir !... d 



Paris.— RiGRomc, Iroprimenr de la Société orienta te ^ rue Monsiettr-le- Prince .29 6/>. 



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EMPIRE DES BARMANS. 

Huitième article (1). 



ZXX. — XiAngne, écriture, littérature, poéfie, sciences et arts des 

Barmans. 

D*après ce que rapportent les Européens qui habitent Rangoun , il est 
très-difficile de déterminer de quel idiome dérive la langue barmane , c'est- 
à-dire celle de Tancien royaume d'Ava , qui est la plus généralement ré- 
pandue; car, ainsi qu'il a été déjà djt ailleurs, elle est altérée parmi le 
peuple dans quelques provinces, et dans d^autres, excepté pour les gens en 
place, le langage «st tout à fait différent. La langue nationale qui se parle 
dans TAva, le Péfîou et le Martaban, a une force et une grâce qui 
manquent aux langues européennes; avec quelques particules réplétives 
dont on accompagne un mot , on donne au discours le ton de gravité , de 
soumission , d'élégance et d'affabilité qui convient au rang et à la qualité de 
la personne à laquelle on s'adresse. Les nombres singulier et pluriel sont 
mis dans le langage par quelques particules qui expriment en même temps 
la qualité essentielle de la chose dont on parle. Par exemple , qu'on veuille 
dire un mandarin , on dira men-taba , c'est-à-dire mandarin une personne; 
en parlant d'un grand talapuin, on ne dit pas simplement po/i^'* mais bien 
pongJd^taha, c'est-à-dire ponghi une personne; un homme, en général, se 
dira tajauch ; un animal , tachaun ; si l'on veut dire une cho^e ronde, un œuf, 
par exemple, on dira u talon ^ c'est-à-dire un œuf rond ; enfin , si on veut 
exprimer une chose qui est plate, une table, on dira/»» fa6ia,. c'est-à-dire 
une table plane , etc. Quant aux choses qui ne sont pas animées et qui man- 
quent de ces propriétés dont il vient d'être parlé, on adopte la particule eu: 
ainsi tU^ nit^ soh^ etc., qui veulent dire un, deux, trois, etc., deviendront 
iUcu^nU eu, son eu, etc., c'est-à-dire une chose, deux choses, trois 
choses, etc. 

La langue barmane est, de toute manière, difficile à apprendre pour un 
Européen, et cela par une foule de raisons. La première est la construction, 
qui diffère totalement de la nôtre; la seconde est dans les nombreuses aspi- 
rations gutturales et nasales avec lesquelles les voyelles se prononcent ; la 
troisième est dans la terminaison presque uniforme qu'ont un grand nom- 
bre de mots, bien qu'ils diffèrent totalement dans leur signification. Un ou 

(1) Voir tome vi, pages 77, 168, 227 et 325; torae vin, pages 3 et 132: tome ix, 
page 19. — Erratum dt la page 26 , ligne 25. Cest par erreur que le ticale a été 
indiqué comme une monnaie valant 40 francs : le ticale est un poids d*envirou 
30 grammes. 

IX. 7 



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98 RETUE DE VottSE^. 

deux exemples rendront cela clair. Za veut dire avoir faim ; zau^riz cru ; 
zà , sel. Ainsi de même ta veut dire eniipècftier ; tha , surgir ; 0um , conserver ; 
chiaa^ tarder ;eAia, tomber; chia à exprime en même temps attendre et 
tigre ; enfin , l'extrême difficulté de cette langue provient encore de ce que 
les différentes expressions sont, pour ainsi dire, autant de phrases diffé- 
rentes, et de ce qu'un verbe qui a servi pour exprimer une action ne peut 
plus servir pour une autre. En voici un exemple : nou^ pouvons employer 
en Cran/çais k verbe laver pour exprimer Faction de raipr^prier (e Mnge, 
les étoffes, les mains, etc. Mais, dans la langue barmane , chaque chose 
qui se lave exige un terme différent et même une autre phrase : ainsi pour 
laver les mains, il y a un verbe qui n'est point le miéoae que celui qui ex- 
prime l'action de se laver la figure , laver le linge avec du savon, le laver 
simplement avec de l'eau, laver le corps, les vases, etc. 

L'alphabet est composé de quarante-quatre lettres radicales, dont pki- 
sieura viennent de l'alphabet p<^': elles sont toutes formées de eourbes, ée 
cercles et d'arcs dte cercle; elles s'écrivent horizontalement de gauefee à 
droite, cela contrairement à ce qui se pratique dans tout l'Orient. L'aspect 
de cette écriture est assez régulier; on la trace, avec un stylet qui laisse uaè 
empreinte blanche, sur des feuilles de palmiers séchées et noircies, ou simt 
le prubaich^ qui est uneespèce de papier grossier fait avec du rotin macévé, 
détrempé dans l'eau et noirci avec du charbon joint au suc de quekiues 
plantes, et dont les feuilles sont repliées comme celles d'un paravent. ParoH 
les quarante-qvtatre lettres il y a sept voyelles, dont deuxe, un muet, l'au^ 
tre ouvert, et deux o, un large et l'autre étroit. Les noms n'ont point de 
déclinaison, et, l'on ne distingue leurs divers cas que par certains articles 
que l'on met après eux. La maison se dit, en barman, dm si ; de lamaisoa, 
eim ê ; à la maison, eim a ; la maison , accusatif, eim go; par la maison, eim 
già. Le pluriel se reconnaît en mettant après te nom la particule da: ataai 
les maisons, em do : des maisons , eim do i , etc. U a'y a point de dilférenee 
enti:e les genres, seulement quand on veut dire la femelle d'un aoima^ à 
son nom générique on ajoute le mot ma : ainsi chien, en barma», se dftt 
choè ; pour exprimer la chienne , on dit choà ma. Les verbes ij^oot 
pas de terminaisons différenles dans leur» temps; on distingue te présent 
en plaçant après eux la particule si; le passé, celle bi; et le futur, celle ml: 
ainsi , par exemple , je vais se dit suà si; il alla , sud U; \l s'en ira , sud mL 
L'impératif se dislingue encore eu y ajoutant /o, après Tinterrogatii/â , et 
le gérondif Uen. 

La versification, demémeque le chant jet U musique, n'est pas très-varê^ 
Les Barmans ont beaucoup de livres historiques et instructifs écrits en 
vers, lesquels sont tous composés de quatre monosyllabes^,, et il n'y a que 
les deux derniers d'un chapitre qui soient rimes. En se reportant à la cos- 
mographie et à la cosmogonie des Barmans, à leurs croyances et au goût 
auquel ils sont généralement portés pour le merveilleux et l'emphatique, 
on se persuadera facilement que leur poésie peut pUm même k l'oreillfl 
délicate d'un Européeo. Le Barman est généralement porté à la leet«fe dit 



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ERmU DES BASMAlIt. 99 

livres de poésie, et seiivent même celte lecture est hitê en chantant par 
des personnes d'une voii sonore que l'on paye i cet effets ainsi qu'il a é^ 
dit en parlant des funérailles. Un grand nombre encore s'appliquent aux 
compositions poétiques, pour lesquelles tous les I ivres qui traitent deGodama, 
des nais, etc., leur offrent d'abondants matériauit. 

indépenénnment des biblioibèques que conservent les talapuins dans leurs 
baos , il en existe une consid^able et , dit-on , fort curieuse dans le palais 
du roi , à Ummérapoura. 

Bien qu'il soit rare de trouver cbez les Barmans une personne qui ne 
Mcbe ni lire ni écrire, parce que, ainsi qu'il a été dit, on a la coutume de 
confier dès leur jeune âge les enfants aux talapuins , cependant on peut 
dire que les sciences ont fait peu de progrès parmi eux. Excepté quelques- 
uns qui s'adonnent à la profession d'avocat et à l'étude du Dammasat 
(code des lois), tous les autres aiment mieux passer les jours dans l'oisi- 
veté , causant et mâchant le bétel , et si quelquefois ils se mettent à lire, ils 
prennent quelques livres chez les talapuins , dont les bibliothèques se com* 
posent principalement des ouvrages qu'ils sont, d'après leurs institutions, 
forcés d'étudier , tels que la Soda, qui est la grammaire de la langue pâli; 
le Magaia^ le f^irU et le Padimot^ qui traitent de leurs règlements; le Souan, 
qui est la règle pour la manière de vivre. Outre ces livres, il y en a encore 
un autre qui vient de Godama, et c'est une de leurs principales écritures: 
il s'appelle Abidama ; il traite des idées et des conceptions ou volontés qu'ont 
tous les êtres animés dans les différents états heureux ou malheureux ; et ce 
livre est réputé le plus difficile à comprendre de tous. L'étude des tala- 
puins est plutôt de mémoire que d'intelligence; chez les Barmans on esi 
time plus la mémoire que le raisonnement , et celui qui a la mémoire la 
plus heureuse est réputé le plus savant : on trouve des talapuins qui ont ap- 
pris de cette manière le Vini^ qui est un ouvrage assez étendu. Tous ces livres 
sont écrits en langue pâli, mais le texte est toujours accompagné de l'inter- 
prétation barmane,à peu près comme le français se trouve a côté du latin 
dans les livres d'heures, paroissiens, etc.; presque tous ces ouvrages <Mit été 
portés de Geylan dans le royaume barman et pays adjacents par des ta- 
lapuins ou des bramines. Le Beden, livre d'astrologie judiciaire, dont j'ai 
dé|à eu l'occasion de parler dans l'article des superstitions ^ist aussi écrit 
en paii. 

Quant aux livres écrits en barman , ils sont fort nombreux ; mais ce sont 
pour la plupart des productions dépourvues de génie, où l'on trouve une 
allocution sauvage, froide et incohérente. Cependant, il y en a quelques- 
uns écrits par des hommes sages, pour Tinstruclion des rois et de la jeu- 
nesse, dans lesquels on rencontre de bons enseignements moraux, et des 
principes non-seulement d'une politique saine et ferme, mais même du 
machiavélisme le plus réfléchi. Parmi ces livres, celui qui mérite la pre«>' 
mière place est intitulé Apomzabœi : c'est une espèce de roman dans le- 
quel parait un vieux ministre, appelé Àporaza^k qui le roi et les manda* 
Hifê adressent diverses questions sur le moyen de gouverner les peuples. En 



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100 ftEVVB DE L'omENT. 

Toki quelques petits passages qui pourront en donner une idée; ils ont été 
traduits en italien par le missionnaire Vincent San-Germano. 

Un jour le roi demanda à Aporaza ce qu'il devait faire pour rendre 
son royaume florissant et peuplé. Voici ce que lui répondit le vieux mi- 
nistre: « \^ Prendre à cœur les affoires de vos sujets comme s'ils étaient 
«vos propres enfants; T diminuer les redevances et les ciochif 3^ propor- 
« tionner les impositions aux moyens de chacun ; 4® èlre libéral ; 5® demander 
«et vous informer souvent comment vont les affaires du royaume; 6^ aimer 
«et estimer vos bons et fidèles serviteurs; 7° être poli avec tous et leur 
«parler humainement. Vous devez encore faire de manière que le pays 
«augmente en population et qu'il acquière de l'honneur et de la réputation 
«auprès des nations étrangères. Vous ne devez point maltraiter les riches ; 
«au contraire , vous devez les soutenir et veiller à leurs intérêts. Vous devez 
«encore avoir des ^ards pour les généraux des armées, et les ministres qui 
«gouvernent au nom du roi ne doivent point être repris et abaissés devant 
«le peuple. Vous ne devez point mépriser Thomme doué de prudence et 
«d'adresse. Vous devez être juste et modéré dans vos tributs et les propor- 
« tionner aux productions et au commerce: cela se confirme par l'exemple 
«des fruits avant qu'ils soient mûrs. Voyez, dit le vieux ministre, quand 
«les fruits sont cueillis dans l'état de maturité, ils sont savoureux et agréa- 
«bles au goût; au contraire, ils sont insipides, amers et âpres quand on 
«les cueille verts. Le riz récolté à temps fait notre nourriture; il est, au 
«contraire, privé de substance quand on le recueille encore vert.» Le vieux 
ministre conseilla au roi de ne point fermer les portes de son royaume , 
c'est-à-dire de donner accès aux marchands étrangers pour le faire fleurir 
par le commerce. 

Peu de temps après être monté sur le trône, le roi, ayant appris qu'un 
chef des Sciams, à la tête d'une troupe nombreuse, venait faire des excur- 
sions dans ses États, fit appeler ^/M>m2a , et lui demanda conseil sur le 
parti qu'il devait prendre dans celte occasion. Le vieux ministre lui ré- 
pondit : « Seigneur, ce n'est point seulement le feu qui brûle et fait du bruit 
«qui cause la mort; mais l'eau aussi, qui de sa nature e£t froide, coule tran- 
«quillementet sans bruit, la donne à ceux qui s'y plongent, ou sont sub- 
«mergés. Po«r détruire votre ennemi, laissez décote l'impétuosité du feu, 
«et imitez la froideur et la lenteur de l'eau. O roi! rappelez-vous que l'élé- 
«phant sauvage et furieux s'adoucit! avec la femelle ( il fait allusion à la 
«chasse des éléphants sauvages, que l'on prend au moyen des femelles, 
«comme il le sera dit dans un des articles suivants ) ; donnez à ce chef quel- 
«qu'une de vos parentes en mariage, et vous verrez qu'il cessera tout dés- 
« ordre, d 

Une autre fois , deux petits rois, s'étant mutuellement déclarés la guerre, 
recoururent tous deux au grand roi barman, pour lui demander appui et 
assistance. Le roi, selon sa coutume, consulta Aporaza^qxii lui répondit 
en ces termes: « Une fois, deux coqs se mirent à se battre devant un paysan. 
«Après un long espace de temps, les deux adversaires ne pouvaient plus 



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ElimiRB DES BARMAHS. 101 

«s'élancer l'un sur l'autre : alors rfaomme de la campagne, courant sur eux, 
«les prit tous les deux. C'est ainsi , ô roi! que vous devez tous comporter 
«dans cette circonstance : laissez ces deux rois se battre entre eux , et quand 
«vous les verrez privés de force, précipitez- vous sur eux, et emparez- vous 
«de leurs États.» 

Un homme de basse extraction était monté sur le trône par les intrigues 
d'un vieux mandarin. Celui-ci voulut ensuite faire le puissant et com- 
mander en quelque sorte au roi lui-même, qui, après avoir dissimulé 
pendant quelque temps , pensa enfin à s'en défaire. Se trouvant donc un 
jour en présence d'un grand nombre de mandarins et de celui par les in- 
trigues duquel il était monté sur le trône, il lui adressa la parole, et lui 
demanda ce que l'on faisait du zen^ que l'on élève autour des pagodes, quand 
une fois ces édifices étaient dorés et peints. ( Le zen est un échafaudage 
très-élevé, formé de bambous et de grosses cannes, sur lequel s'asseoient 
ceux qui dorent et peignent les pagodes.) «On a l'habitude, dit le vieux 
«mandarin , de l'abattre et le détruire, afin qu'il ne gène pas la vue de la 
«pagode, et qu'il n'en gâte pas la beauté. — Justement, répondit le roi, pour 
«monter sur le trône, j'ai eu besoin de toi , comme les doreurs et les peintres 
«ont besoin du zen ; mais maintenant que j'y suis monté et que je suis obéi 
«et respecté comme roi, tu es devenu inutile, et tu ne servirais même qu'à 
«me troubler.» En même temps il le chassa du palais et le relégua dans un 
village. Pendant que ce mandarin subissait son exil , il se déchaîna un jour 
une horrible tempête, accompagnée d'un vent excessivement impétueux. 
Durant cet ouragan, le mandarin, s'étanl mis à regarder la campagne, 
observa que les grands arbres , qui résistaient à la force du vent et ne se 
pliaient point, finissaient par se rompre ou se déraciner, et qu'au contraire 
les hautes herbes et les bambous, qui se courbaient sous la puissance du 
vent, se redressaient après la tempête. «Oh! se dit-il alors en lui-même, si 
tfj'avais suivi l'exemple de ces bambous et de ces roseaux, je ne me trou- 
«verais pas maintenaot réduit à un aussi misérable état... » 

Après ce petit aperçu de V Jporazabon ^ je vais donner quelques sen- 
tences qui se trouvent dans un autre livre intitulé Loghanidi^ c'est-à-dire 
règle et instruction sur la manière de vivre dans le monde. 

« Le fruit sapon est une espèce de figue sauvage qui a Textérieur beau et 
coloré, et qui semble être doux et savoureux, mais qui une fois ouvert 
laisse apercevoir une foule de vers : c'est ainsi que sont les hommes mé- 
chants. Au contraire legiacca (que nous nommons jaque, fruit de la gros- 
seur d'une citrouille, et qui vient à un arbre ), qui, au dehors, est hérissé 
de pointes épineuses, offre, quand on l'ouvre, une chair douce et très-sa- 
voureuse. On peut comparer les hommes de bien au giacca. 

«La beauté et le prix d'une femme consistent à prendre soin de son mari. 

«La grâce et la beauté de ceux qui sont laids , c'est la science et la sagesse. 

«La valeur et la beauté des ermites, c'est la patience. 

«La richesse d'une femme, c'est la beauté; celle du serpent, c'i^t «on 
«venin. 



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103 asYDE OE l'oeikht. 

«Lariciiesie d'un roi» e'est une armée bien iburnie de soldats et 4e brtvet 
officiers; celle d'un talapuin, c'est robservance de ses règles. 

«Dans le monde , celui-là compte beaucoup d'amis qui , dans son langage, 
est doux et poli ; et , au contraire , celui qui est âpre n'en a que peu , ou 
point du tout. On peut prendre pour exemple le soleil et la lune : le pre* 
mier de ces astres, pour avoir une lumière forte et une splendeur éclatante, 
ne voit aucune étoile, aucune planète quand il se montre à l'horizon , ei 
il est contraint de finir son cours dans le ciel , tout seul , sans aucun cor* 
tége ou accompagnement; la lune, au contraire, parce qu'elle a une lu- 
mière faible et douce, se promène dans le ciel , au milieu des étoiles et des 
constellations, comme accompagnée d'une nombreuse suite. 

«A l'époque où nous vivons, on n'estime et on ne coosidère que les ri- 
chesses et l'argent. Qu'importe que l'on soit d'une vile naissance ou que 
l'on soit difforme , qu'on ait peu de jugement, que l'on soit ignorant; pourvu 
que l'on ait de la richesse, on sera recherché et vanté par tout le monde. 
Au contraire , soyez pauvre , vous vous verrez abandonné de vos amis et 
de vos parents, qui courent après ceux qui possèdent, parce que, dans 
Zabudiba , c'est l'argent qui fait les amis et les parents, etc.. » 

L'architecture barmane est peu remarquable et fort simple dans son 
caractère oriental. Ce qui a déjà été dit ailleurs fait à peu près connaître 
tout ce qui concerne les habitationsoù il se trouve le plus de luxe.Quantaux 
édifices publics, ils sont aussi tous à peu près construits sur un plan uni- 
forme. Lesponts ou échafauds ne traversent pas l'eau; ce sont des massifs sur 
pilotis, en charpente de grosses pièces de bois de teck, équarris, qui s'avancent 
assez sur le fleuve ou la rivière pour que, quand les eaux sont basses , les ba- 
teaux puissent communiquer commodément avec la rive. Leur construction 
est solide et résiste à l'action d'un courant rapide; leur longueur varie sel(m 
leur emplacement: cinq que j'ai vus atteignaient de 60 à 7ô mètres. Ils se 
terminent par de beaux escaliers fort commodes. Comme ils sont fortiargesf 
on construit à l'extrémité une grande salle entourée de bancs, sur lesquels 
les mandarins et les gens richt'S vont respirer l'air frais du fleuve ; sur quel- 
ques-uns, les marchands y traitent les affaires comme on le fait dans les 
bourses en Europe; enfin , toute l'étendue de ces ponts est couverte de kios- 
ques chinois dont le plus élevé est celui qui surmonte le salon. Ces édifices 
sont généralement peints en rouge foncé. 

Lors du voyage que le roi actuel pnnce de Saraoudy fit à Rangoun en 
1841 , on construisit son palais dans la nouvelle ville et au voisinage de 
la grande pagode. Gel édifice existe encore : c'est une grande charpente en 
teck, au milieu de laquelle s'élève une grande pyramide quadrangulaire 
tronquée, qui est surmontée de kiosques superposés; sa hauteur peut avoir , 
en la comparant à celle de la pagode, au moins 70 mètres; elle est à jour. 
A une élévation de près de 25 mètres du sol, il y a une plate-forme sur 
laquelle était placé le Irène au milieu des plus riches ornements : le roi y 
paiisait une grande partie des jours, en y donnant audience publique à la 
vue de tout le peuple groupé dans le voisinage. On arrivait près de sa per- 



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( pAT «n bd ^caller, qui, dans toute $a longueur, était f arm de man- 
darîBs et de gardes. 

Les pagodes et ks grandes statues, avec les quais qui bordent quelques 
étangs , sont les seuls ouvrages en maçonnerie ; tous ces édifices sont cum- 
struits ea brique et en terre argileuse recouverte d'un enduit peint et 
quelquefois tout doré : ainsi sont faites toutes ces pagodes d'un aspect si beau 
et imposant. 

Les édifices appelés pagodes ne ressemblent en rien à celles de FInde; 
leur nom barman est chou. Ce sont des massifs: dans Tintérieur de quelques- 
unes des plus remarquables, il y a une petite niche où Ton place une statue 
de Godama. Elles ont toutes à peu près ta même forme, se terminent en 
cène allongé dont les côtés , ainsi que ceux des chapeaux chinois , sont des 
courbes concaves. On les place généralement dans des lieux isolés des habi- 
tations, sur une élévation plus ou moins haute , qui est aussi maçonnée en 
terre et en brique. Comme c'est un acte méritoire de construire une pagode, 
le nombre en est prodigieux, et, dans les villes, on les groupe presque toutes 
dans le voisinage de celles les plus réputées en sainteté. Leur hauteur varie 
depuis 5 mètres jusqu'à la dimension la plus gigantesque. Elles sont toutes 
surmontées d'une couronne en fer fondu ou forgé , souvent dorée, qui est 
découpée â jour et entourée de clochettes résonnant au moindre vent, et 
produisant un bruissement qui est assez doux et ne déplaît pas à l'oreille. 

Le Chou-Dagon, qui est la grande pagode de Rangoun , est la plus remar- 
quable du royaume: sa hauteur est d'environ 135 mètres; c'est l'édifice le 
plus élevé de toute l'Asie. Elle renferme, dit-on, des cheveux de Godama et 
elle est réputée pour être la plus sainte parmi toutes. Ce bel édifice est assis 
sur une très-grande plate-forme carrée, élevée de 7 à 8 mètres, et cette 
place est couverte de peuple pendant les jours de fêtes. On y arrive par de 
larges escaliers ; on y entre par de grandes portes situées au milieu des 
quatre faces. La base de la pagode est octogone et elle s'élève sous cette forme 
à peu près jusqu'au tiers de sa hauteur. Cette pyramide tronquée se termine 
par une sorte de corniche 'qui a peu de saillie et qui est couverte de sculp- 
tures en relief ; elle se prolonge ensuite dans les airs en cône renflé d'abord 
et puis évidé gracieusement jusqu'âLson sommet; sa couronne en or massif 
est un réseau dentelle qui n*a pas moins de 5 mètres de diamètre; toute sa 
surfoce est dorée et entretenue avec le plus grand soin. L'aspect en est grand 
et d'autant plus imposant que les autres pagodes qui l'entourent, dont le 
nombre va au moins Jusqu'à 100, semblent être placées là pour servir de 
point de comparaison et la faire ressortir davantage ; on l'aperçoit de fort 
loin reflétant les rayons du soleil et dominant les arbres des forêts voisines 
de Rangoun. 

Mais comme le sol est humide et le climat généralement pluvieux , et que 
la végétation est active , pour peu que l'entretien d'une pagode soit négligé , 
ce qui arrive souvent, les semences apportées par lèvent y germent et de- 
viennent des arbres dont les racines, s'insinuant dans l'édiîice, le fendent et 
te mettent en ruines. Aussi ces monuments , dont quelques-uns sont gigan- 



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104 REfUfi DE l'orient. 

tesques, ne sont pas susceptibles de traverser les sièdes sous leur» belle» 
formes élancées, mais resteront des masses informes ou coniques, comme les 
tumulus phrygiens des temps héroïques que l'on trouve encore dans les 
champs troyens. 

Aux quatre angles de presque toute les plates-formes des pagodes, sont 
placées d'énormes et grotesques statues d'animaux sauvages , principalement 
de naga ( dragon ailé), aussi maçonnées en briques et enduites à Textérieur : 
on rencontre de pareilles figures , mais plus petites , dans les escaliers des 
baos. 

ARangoun, au milieu de celte ville de pagodes qui se trouve dans le 
voisinage du Chou-Dagon , sont des baos et des salles publiques pour 
les pèlerins. Ces dernières sont de grandes galeries en bois qui ne sont mu- 
rées que d'un c6té; elles sont remplies de statues de Godama ou de saints 
personnages; la sculpture en est médiocre et ne mérite pas Téloge que quel- 
ques voyageurs en ont fait. Godama et les autres personnages y sont géné- 
ralement représentés la tête nue et rasée, assis par terre, les jambes croisées 
à Forientale, les deux mains sur les genoux, les doigts longs et pendants, 
et toujours la même figure sans expression. Quelques-unes sont en maçon- 
nerie, un très petit-nombre en marbre blanc avec incrustation, mais géné- 
ralement elles sont en bois, les vêtements peints de divers couleurs, ou 
couvertes de petits miroirs et autres petites plaques brillantes incrustées 
avec assez d'art. Les statues et figures que les Barmans ont dans leurs mai- 
sons sont souvent en marbre ou en pierre; on leur enchâsse quelquefois 
sur le sommet de la tête uo diamant ou un saphir entouré d'une couronne 
de petits rubis. Dans une seule salle, il y a quelquefois 20 ou 30 statues 
de même dimension, alignées contre le mur ; elles sont de chaque côté d'un 
Godama placé au milieu , ou bien le dieu est placé de l'autre côté de la salle 
vis-à-vis cette rangée. La taille de cettedernière statue est de 9 coudées, qui 
est celle qu'avait le dieu d'après les saintes écritures; j'en ai remarqué deux 
de celles-là, à Bangoun, qui n'avaient pas moins de 10 mètres: une était 
assise ayant à ses pieds une autre statue de taille ordinaire, couchée sur le 
ventre et en adoration ; l'autre était couchée de côté sur une sorte de lit de 
plus de 1 mètre. , 

La sculpture des bas-reliefs sur bois fixe quelquefois Tattention : les 
Barmans y ont acquis un certain art par l'habitude qu'ils ont d'en orner 
l'intérieur des baos, des salies publiques et les cercueils des talapuins. 

Les Barmans n'entendent pas le dessin , et ne comprennent pas la perspec- 
tive; leurs peintures sont bizarres, fantastiques, et ont quelque chose de 
sauvage. Ils ne peignent pas trop mal les fleurs , mais encore sont-ils bien 
au-dessous des Chinois sous ce rapport. 

La construction de leurs charrettes est digne de remarque, non-seulement 
par sa simplicité , mais encore parce qu'ils n'emploient pas de clous. Les ex- 
cellents bois dont regorge le royaume offrent aux habitants la commodité 
de pouvoir construire des barques de toute grandeur, dont un grand nom- 
bre sont d'un seul tronc d'arbre ; j'en ai vu de celles-là d'une dimension 



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EMPIRE DES BARMANS. 105 

gigantesque; la forme de quelques-unes est bien entendue et elles sont sus- 
ceptibles d'atteindre une grande vitesse à la rame, lis ont \e^balonSy ou 
pirogues de guerre, qui ont jusqu'à 40 rameurs; celles-là nesont jamais d'une 
seule pièce. Au milieu est placé un pavillon qui sert de cabine au chef ou 
mandarin qui se trouve à bord, qui est surmonté d'un parasol doré s'il a 
une dignité qui lui permet d'avoir cet insigne. Si la proue est basse , fendante 
et pointue, la poupe est large et très-élevée; un fauteuil est placé sur 
»m sommet , dans lequel s'asseoit le patron ou limonier. 

Les Barmans travaillent assez bien les métaux et font des ouvrages assez 
remarquables en orfèvrerie. Au moyen de soufflets cylindriques à piston, 
ils donnent au feu une activité capable de fondre presque tous les métaux. 
Avec du laiton, ils font des vases pour boire, d'une forme presque demi-sphé- 
rique, et d'autres ustensilesde ménage; avec le fer fondu, ils font des poêles 
à frire qui ont beaucoup de profondeur. Je ne pense pas que dans nos fon- 
deries en fer on puisse obtenir beaucoup mieux que les couronnes de toute 
taille pour les pagodes, et qui sont d'un grand débit; elles sont gracieuses, 
légères et découpées en dentelle. 

L'art de fondre les cloches et les clochettes est très-estimé chez les Bar- 
mans : les pagodes ont généralement deux ou trois grandes cloches qui 
sont placées au pied et que l'on fait résonner en les frappant extérieure- 
ment avec un bois de cerf. Tous ces édifices ont , ainsi qu'il a été dit , des 
clochettes attachées à leurs couronnes ; on a aussi Thabiiude d'en toujours 
suspendre au cou des bœufs. 

La très-grande simplicité qu'ont les Barmans dans leurs habitations et 
dans leurs vêtements nuit chez eux au développement des arts et des mé- 
tiers. Excepté un nombre plus ou moins considérable de musiciens, de 
charpentiers et de forgerons qui sont employés à la construction des mai- 
sons, des navires, des couvents de talapuins, des pagodes, on n'observe 
pointcettevariété de professions que le luxe et la vanité ont introduites dans 
les pays plus civilisés : chacun est capable de construire et de réparer sa 
petite maison de bambous, et chaque femme peut coudre les vêtements 
nécessaires à sa famille. A l'exception des habitants des grandes villes, qui 
pour la plupart s'adonnent au commerce et à quelques-uns des arts dont il 
a été question , tous les autres, dans les petites villes et les villages, ainsi 
que leurs femmes , se livrent à la culture du riz, du coton, de l'indigo, etc.; 
au temps de la récolte, les hommes vont avec leurs chariots ou bien avec 
de petites barques chercher leur approvisionnement, et les femmes restent 
ordinairement à la maison à filer et à tisser des étoffes pour l'usage de la 
famille. 

Dans le royaume d' A va , où Ton recueille beaucoup de soie, on tisse 
des étoffes dont se revêtent habituellement les habitants des grandes villes ; 
ceux des petites villesetdes villagesenont au moins un vêtement pour paraî- 
tre dans les jours de fête et de cérémonie. Bien que les étoffes de soie et de 
coton n'aient point ce lustre et cette perfection que l'on remarque dans les 
nôtres et dans celles des Chinois; bien qu'elles n'aient pas non plus cette 



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tus msmu m i.'#ii»m. 

ûoetse des loîles deMadras et de la moyweitiie du Beagaie, Mes tout 

cependaDt remarquables par loir force et surtout par l'éclat de leurs 

foul^rs. 

Les Barmans ont un talent particulier pour tresser le rotin taillé en 
lames très-fines; ils (ont ainsi leurs bottes à bétel et une partie de leurs 
vases pour boire , et les couvrent de ce vernis que nous appeloM de la Chine , 
et que les Chinois tirent en grande partie du royaume barman. Ils font 
aussi usage de poteries dont on fabrique de grandes amf^ores, qui sont d'une 
belle apparence , mais d'une grande fragilité. 

Avant de terminer cet article , il est convenable d'ajouter qu'en outre 
des motifs d^à donnés qui empêchent le développement de l'industrie, il 
en existe un autre qui provient du despotisme du gouvernement; car le 
goût et le génie national porteraient les Barmans vers le luxe et les arts : 
mais dès que le roi et les mandarins apprennent qu'il existe quelque ar- 
tiste habile, ils le contraignent à travailler pour eux, et ils ne lui don- 
nent pour salaire qu'une protection fort précaire. Des artistes européens sont 
allés à diverses époques dans le Pégou pour s'y établir ; mais ils se sont tous 
vus obligés de se retirer dans le Bengale ou à la côte de Coromandel, parce 
qu'on les forçait à travailler pour les mandarins; en outre, un pauvre ar- 
tiste est toujours exposé aux caprices du roi, qui peut, à son bon plaisir, 
permettre ou prohiber les vêtements et objets de luxe de nouvelle mode. 

ZZtX. — Calendrier barman. — Climat et saisons du royaume barman. 

Les astronomes et les astrologues du royaume barman sont , ainsi qu'il a 
été dit ailleurs, des bramines indiens venus de Ceyian ou de la côte de Co- 
romandel : on les distingue des Barmans par leur costume en coton blanc. 
Us sont généralement fort estimés parce qu'ils font de Tastrologie judiciaire , 
dans laquelle les Barmans ont une grande foi , et puis aussi parce qu'ils pré- 
disent quelquefois justement les éclipses et qu'ils règlent l'année. C'est sur- 
tout à la cour qu'ils jouissent de la plus grande considération : il y en a tou- 
jours un grand nombre pour répondre aux questions qu'on leur adresse afin 
de trouver les heures bonnes ou mauvaises, en un mot, pour régler toutes les 
oi>érations; car, comme il a été déjà dit, le roi ne fait jamais rien sans les 
consulter. 

£n obervant l'année réglée par eux et l'exactitude avec laquelle ils pré- 
disent les phénomènes les plus ordinaires du ciel, il est certain qu'ils ont 
des principes d'astronomie, qu'ils en ont de fondés sur des observations 
faites antérieurement au célèbre Hipparque, c'est-à-dire qu'après l'espace de 
deux cent vingt-trois mois lunaires , ou bien de dix-huit ans et dix jours, 
les éclipses du soleil et de la lune reviennent de la même manière et de la 
même grandeur. 

Parmi les bramines du palais, on en choisit un qui doit veiller sur l'horloge 
d'eau qui s'y conserve, et dont voici la forme : On remplit un vase d'eau 
sur lequel on pose une petite tasse trouée par le fond ; cette tasse , se rem- 
plissant peu à peu , finit par s'enfoncer dans l'eau. Immédiatement on 



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EMPI&IS PES BAHMAIfS. t07 

c» place une autre de même forme, qui s'y ploage Clément, et eliaque 
descente de tasse indique une oertaioe heure, que l'on sonne en donnant 
autant de coups de marteau de bois sur une grande feuille de cuivre. On sait 
déjà, d'après ce qui a été dit en traitant de l'astronomie, qu'il y a soixante 
heures , trente pour te jour et trente pour la nuit; et comme la durée des 
jours et des nuits varie toujours dans le cours de l'année, les tasses sont 
aussi de différentes grandeurs, de manière que celles qui servent pour les 
nuits dans le solstice d'hiver servent aussi pour le jour dans le solstice 
d'été. Le jour comme la nuit est divisé en quatre parties égales, et à cha- 
que quart de jour ou de nuit, un homme, par l'ordre du braniine , monte 
près de la cloche qui est placée dans le grand vestibule du palais , et bat 
alternativement sur la cloche et un grand tambour, pour indiquer les 
quarts et les heures qui se sont écoulés. Comme les heures barmanes n'ont 
pas la même durée, les nombreuses pendules que le roi a reçues en présents 
des Européens ne sont pour lui qu'un objet de curiosité. 

J'ai eu précédemment plusieurs fois l'occasion de parler de la semaine 
et des jours qui la composent. Les mois sont lunaires de vingt*neuf et 
trente jours alternativement, et parce que douze mois lunaires ne font pas 
une année solaire, à chaque troisième année ils ajoutent un mois de plus : 
ainsi elle ne se compose pas exactement de douze mois; depuis déjà longtemps 
le premier jour de l'année barmane tombe le 12 d'avril. Le matin de ce 
jour n'est point le commencement de l'année, mais c'est selon que le soleil 
a fini son entière révolution dans l'éctiptique, et les Barmans savent qu'elle 
s'accomplit en trois cent soixante-cinq jours et un quart environ. 

Le commencement de l'année est toujours annoncé par un coup de canon, 
à Ummérapoura et à Rangoun. C'est pour les Barmans le moment de la 
descente d'un grand nat parmi eux , et ils croient que chaque année a son 
nat tutélaire. 

Pendant les trois jours qui précèdent celui où commence l'année, tous 
les hommes, excepté les talapuins, et toutes les femmes et jeunes filles, 
ont l'habitude de se divertir en se jetant mutuellement de l'eau, ou en se 
la lançant avec de grosses seringues en bambou , et ils s'en couvrent des 
pieds à la tête. Les étrangers ne sont point exempts de ce divertissement de 
la part des femmes et des jeunes filles, et ceux qui veulent éviter de mouiller 
leurs habits doivent s'abstenir de sortir. Je me trouvais à Rangoun le 12 
d'avril ; je fus prévenu officiellement de cet usage : les personnes de l'état- 
major, qui étaient jeunes , bravèrent le danger, ainsi que les hommes de 
l'équipage , et ils y trouvèrent une occasion de s'amuser. Des ordres sévères 
avaient été donnés à mon sujet, et je pus vaquer à mes affaires et à mes 
promenades sans recevoir une goutte d'eau ; car, comme j'avais eu une oc- 
casion solennelle dcvme montrer en public , j'étais connu de tout le monde. 

Quant à la division des saisons et à la température de l'air, il faut dis- 
tinguer le royaume d'Ava de celui du Pégou. Dans ce dernier, qui commence 
au Martaban et finit à la ville de Proom , les moussons alternatives du sud- 
ouest et du nord-est y produisent deux uniques sai;$ons : celle des pluies 



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lOS REirUE DE l'orient. 

et celle de la sécheresse. Depuis la fin d'avril ou le commencement de mai 
jusqu'au mois de juillet , les vents du sud-ouest apportant les vapeurs de la 
mer sur les forêts du Pégou , elles s'y condensent et se dissolvent en pluies 
très-abondantes qui tombent journellement à cette époque, au commence- 
ment et à la fin de laquelle les pluies sont presque toujours accompagnées 
de vents impétueux , l'atmosphère est rempli d'électricité, les éclairs bril- 
lent, et la foudre gronde avec d'horribles fracas, tombe sur les pagodes, 
les édifices, les arbres élevés, et tue des hommes et des animaux. Depuis 
le mois de juillet jusqu'à la fin de septembre, les pluies tombent moins abon- 
damment, sans tonnerre ni éclairs; ensuite le mousson cesse, et fait place 
à celle du nord-est, qui s'établit et dure jusqu'au mois d'avril ; le temps 
se met au beau, et la sécheresse devient continuelle. 11 y a des années où il 
pleut dans le mois de février , mais la pluie est fine et de peu de durée. 

Dans le royaume d'Ava , c'est*à-dlre depuis la ville de Proum jusqu'aux 
26* et 27* degrés de latitude septentrionale, l'année se divise en trois sai- 
sons : celle du froid , celle de la chaleur , et celle des pluies. Les quatre mois 
de novembre, décembre, janvier et février constituent le temps froid ; de- 
puis le commencement de mars jusqu'à la fin de juillet , c'est celui de la 
chaleur; et les quatre autres mois font la saison des pluies. Le froid n'est 
sensible dans l'Ava et le Pégou que pendant la nuit et les matinées, et il l'est 
davantage dans le premier de ces deux pays, qui est le plusau nord. Dans les 
mois de novembre et de décembre , la rosée blanche est abondante ; mais 
jamais de neige. La grêle qui tombe quelquefois vers la fin d'avril ou au 
commencement de mai peut donner aux Barmans quelque idée de la neige 
et des glaces de nos hivers. Dans tout le royaume, l'époque du froid est la 
plus belle et la plus délicieuse: c'est le temps où l'on fait la récolte du riz 
et des autres grains , et celui où l'on cultive avec le plus de succès toute 
espèce de légumes ; ceux apportés d'Europe y viennent à merveille. 

L'été n'est point, comme chez nous, précédé d'un riant printemps, et le 
passage du froid au chaud est très-brusque ; tellement que c'est dans les 
mois de mars et d'avril que l'on éprouve les plus grandes chaleurs: le ther- 
momètre s'élève alors de 30 à 32 degrés centigrades à l'ombre. C'est vers 
cette époque que les arbres renouvellent en partie les feuilles, qui sont en 
général persistantes , comme dans tous les pays situés dans la zone torride. 
Le royaume d'Ava, quoique placé par une latitude plus élevée que celui du 
Pégou, éprouve cependant les chaleurs plus fortes et de plus longue durée : pen- 
dant ces temps chauds et secs , l'atmosphère est remplie de vapeurs; une 
brume épaisse couvre pendant les nuits l'Irroaddy et ses nombreux embran- 
chements , et elle ne se dissipe que vers le milieu du jour. Dans le Pégou , la 
pluie commençant à tomber vers la fin d'avril ou le commencement de 
mai , l'atmosphère se purge dès lors des vapeurs suffoquantes, et, le sol étant 
humecté par les eaux , la chaleur diminue et devient supportable. An con- 
traire, dans l'Ava, après quelques pluies abondantes qui tombent dans le 
mois de mai ( il y a souvent des années où il n'en tombe pas du tout ) , le 
vent du sud -ouest, à cause des montagnes qui, du nord au midi, sépa- 



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EMPIRE DES BARMANS. 109^ 

rent TAracan de TAva , et le Siam du Pégou , prenant avec rapidité san cours 
du sud au nord , transporte les nuages qui ne se fixent pas , et pendant le 
même temps ces nuages se fondent en pluies très-abondantes dans les forêts 
de Siam et du Pégou , ainsi que dans les montagnes d'Azen et du Tibet. Ce 
sont ces grandes pluies, surtout celles du baut pays, qui produisent dans 
les mois de juin, juillet et août, ces grandes inondations et débordements 
de rirroaddy , qui, comme ceux du Nil, sont cause de la fertilité des cam- 
pagnes. Quelquefois Teau s'élève jusqu'à la hauteur de 10 mètres au-dessus 
de celle qu'elle avait au mois de février, époque à laquelle les eaux 
sont les plus basses: alors le fleuve s'élargit de telle sorte , que dans beau- 
coup d'endroits d'une rive on ne peut voir l'autre. Le sol, engraissé par le 
limon que les eaux en se retirant y ont laissé , ce qui arrive ordinairement 
vers la fin d'octobre, est propre à produire et â faire merveilleusement croî- 
tre toutes sortes de végétaux utiles. 

Après les grandes pluies qui tombent jusqu'au commencement de juin , et 
qu'on appelle premières pluies, il se passe souvent près de deux mois et 
demi dans l'A va sans qu'il tombe d'eau ; mais depuis le mois d'août jus- 
qu'au commencement d'octobre il pleut ordinairement, et c'est ce que les 
Barmans appellent les secondes pluies, qui sont plus ou ou moins abon- 
dantes : c'est alors que les habitants se mettent avec ardeur à planter du 
riz, à semer du coton, du sésame, de l'indigo, et du tabac qui n'est pas in- 
férieur à celui d'Amérique, etc. Quand par malheur la deuxième pluie 
vient à manquer, la récolte ne suffît pas aux besoins de la population, et il 
y a disette; mais dans ce pays, elle n'est pas à craindre, parce que les pluies 
étant toujours abondantes dans le bas Pégou, on y récolte une quantité 
prodigieuse de riz , et les habitants s'empressent d'envoyer à ceux de l'Ava 
le surplus de ce qui leur est nécessaire. Quoique les Barmans n'aient pas la 
coutume de manger du pain , ils cultivent cependant le froment: la plus 
grande quantité est envoyée à Rangoun , où il sert de nourriture aux étran- 
gers, et plus particulièrement à faire le biscuit pour les navires ; quelquefois 
aussi on en fabrique dans la capitale pour les provisions des mandarins 
et des officiers militaires, lorsqu'ils vont en campagne, car ils ont fait 
l'expérience qu'il est plus commode que le riz pour le transport. Avec le 
froment nettoyé seulement de sa balle, mis dans du lait et mélangé du suc 
d'un palmier, les Barmans font une espèce de bouillie très-substantielle et 
bonne au goût; ils font aussi un mélange avec du riz, diverses sortes de 
grains , des fruits sauvages, et avec les racines de quelques arbres qu'ils 
font préalablement ramollir, et lorsque le tout est bien amalgamé, ils le 
font cuire dans l'eau. En outre, les habitants' de l'Ava ont déjà, depuis 
quelque temps, commencé à cultiver le manioc, lequel ne recherche pas 
l'humidité et n'est pas difficile sur la nature du terrain, et qui, dans l'oc- 
casion , peut secourir les plus pauvres contre la famine. 

De Rangoun à Ummérapoura, dans le voisinage du fleuve, l'air est géné- 
ralement bon et salubre; dans quelques lieux déterminés, cependant , il se 
présente des cas de fièvre intermittente, peu maligne , qui cède facilement 



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110 netire m t^mmtf. 

ay traitement par le quisqurna^ et mieui eacore par remploi do sulfate de 
qoiBriie. Mais da9S TAracan^dana l'Ile Négrais et sob voisinase, aB noré 
d'Ummérapoora ^ etaurtoiit dans les bois et tes moolafnes voisines du 
royaamedeSîain, Tairest généralemest mauvais : tous ceux qui 8*arrè^ 
tent eu ces lieux et y dorment, mdme peudant uoe seule nuit, sont attaqué» 
de fièvres d'une nature pernicieuse , à laquelle beaucoup de malades suc- 
eombent. H en est de même de ceux qui babitent le long du fleuve et qoi 
en boivent Teau. Dans Tintérieur du pays, les Barmans font quelquefois 
usage de Teau de pluie qu'ils recueillent, mais beaucoup plus de celle des 
puiu, qui est généralement bonne. Ces puits sont peu profonds et fort larges: 
ils en retirent l'eau au moyen d'une bascule. Un homme, les deux 
pieds posés sur le bord, presse avec la main du haut en bas un bambou lié 
à l'extrémité d'une longue poutre au poiot où se trouve attaché un grand 
seau, lequel, lorsqu'il est rempli d'eau, s'élève avec facilité par VeHei d'un 
contre-poids qui est placé à l'autre bout de la poutre. Les seaux dont ils se 
servent sont quelquefois en bois ou en terre cuite ; mais ceux dont l'usago 
est le plus fréquent sont faits avec du tissu de rotin enduit d'un vernis 
épais* 

Dans tout le royaume, on peut habiter le voisinage des lacs sans en 
éprouver aucun effet nuisible: l'action du soleil, raréfiant extrêmement 
l'atmosphère, affaiblit et empêche sans cesse les vapeurs exhalées de ces lacs 
de devenir dangereuses. 

F. Lecontb. 
{La suite à un prochain cahier,) 



EXCURSION DANS LA TARTARIE MONGOLE. 



Aspeot de la Tartarîe. —.lie Mam-tsbm-bzi:. ~ lia vallée des MuRicms. 
Hospitalité mongole. — lia langue CBAmA. -* Une LABSASEmiB. — Retour 
aux SAVz-SfôimES. 

S'il existe au monde un pays neuf, un pays inconnu , un pays qui ne res- 
semble en rien aux autres contrées, c'est sans contredit celui que j'habite: 
les Européens vont partout , excepté en Tartarle. L'Amérique est depuis 
longtemps européanisée ; les Indes le seront bientôt. Les choses de laChine , 
grâce à l'échauffourée des Anglais, finiront par devenir familières; les 
navires européens sillonnent les mers dans tous les sens. Il n'est peut-être 
pas une lie , pas un rocher dans l'Océan^ qu'on n'ait reconnu et exploré... 
N'est-on pas allé voir ce qui se passe au milieu des glaces du pôle antarlic- 
tique ? Mais qui songe à la Tartarie? A part quelques missionnaires français 
qui depuis peu y ont planté leur tente et cherchent à y semer le grain 
évangélique , personne ne vient explorer ces déserts. 

Et il ne faut pas dire que la Tartarle est si peu de chose qu'elle n'en vaut 



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BXOVRSlOVt 9A1I1I LA tAftfAfttE MÔNÉOtË. lit 

pS9 la peine : jetez un coap d'oèil sur la mappemonde, et constdâ^ l'es- 
pace qu'elle occupe. La Chine, ti Taste d'ailleurs , n'est presque rien, 
comparée aux riions de l'Asie centrale ; de plus, la Tartaric^a un aspect 
tout différent des autres pa^rs. En Europe , par exemple , ce sont des vHles , 
des TiHages , des moissons ^une Tariété prodigieuse , qui recouvrent le sol ; 
tilleurs, oà la cîTtKsation n^a pas encore pénétré, on rencontre ^ forêt» 
immenses , avec un luxe inouï de végétation ; dans les pays autrefiHs fto^ 
Hssants et matntenant bumtliés jusqu'à la servHude, ce sont des peuples 
étrangers qui ont pris la place des nations étenites, et qui, mortié civi- 
lisés, moitié barbares, passent leur vie pormî des raines et des décombres 
qui attestent la splendeur des temps anciens. En Tartarie, Heu de tout cela: 
ce sont de vastes prairies et des solitudes immenses. Dans chaque royaume 
on rencontre seulement une ville , ou plutôt une modeste habitation ott le 
roi fait sa résidence. Les populations vivent sous les tentes sans jamais avoir 
de poste fixe; elles campent tant^ ici et tantôt là, prenant pour règle dfo 
leurs migrations successives ta variation des saisons et la bonté des pâ- 
turages. 

Aujourd'hui, une vaste étendue de terrain offre Faspect le plus virant 
et le plus animé. Sur le fond vert de la prairie , on voit s'élever des tentes 
de diverses grandeurs ; tout à l'enlour, dans les gorges de montagnes , sur 
le versant des collines , aussi loin que la vue peut s'étendre vers l'horizon , 
l'oett ne découvre que des troupeaux immenses de bœufs , de chameaux 
et de chevaux. Dans la plaine , ces grands -troupeaux ne se font dis- 
tinguer que par leurs ondulations ; on dirait la mer qui moutonne et qirt 
commence à grossir. Cependant ce tableau est sans cesse sillonné par des 
Tartares à cheval, qui , armés d'une longue perche, galopent de côté et d^autre 
pour réunir à la masse du troupeau les animaux qui s'en sont écartés. A 
l'endroit oâ sont les tentes , ce sont des enfants qui folâtrent et badinent , des 
matrones qui font cuire le lait , ou vont puiser de Feau à la citerne qu'on 
a creusée la veille. Le lendemain, ce paysage , aujourd'hui si pittoresque et 
siviv^mt, n'est plus qu'une vaste solitude. Hommes, troupeaux, habita- 
tions , tout a disparu : une fumée noire et épaisse qui s'élève çà et là de 
quelque foyer mai éteint , le croassement des oiseaux de proie qui se dispu- 
tent des débris de chameau abandonné, voilà les seuls indices qui annon- 
çait que le nomacte Moogou a , la veille , passé par là. Et si Ton me demande 
poiH* quelle raison ces Tartares ont si brusquement abandonné ce poste, je 
répondrai : a Leurs troupeaux avaient dévoré toute l'herbe qui couvrait h 
« plaine V ils lèvent donc poussés devant eux , et ils ont été chercher plus 
a loin, n'importe où, de nouveaux et phis frais pâturages. » Ces grandes 
caravane» s'en vont ainsi à travers le désert sans dessein formé ; elles dor- 
ment où la nuit lessurprend, et quand ces pasteurs ont rencontré un endroit 
à leur fantaisie, ils y dressent leur tente. 

La Tartarie offre en général un aspect sauvage et profondément mélan- 
colique. Il n'est rii'n qui y réveille le souvenir de l'agriculture et de l'in- 
dustrie; les pagode» et les lamaseries ou couvents de religieux idolâtres 



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112 REVUE ns l'orient. 

sont les seuls monuments qu'on rencontre : les Tartares y attachent une 
grande importance. La religion est tout pour eux; le reste est à leurs yeux 
vain , fugitif et indigne d'occuper leurs pensées. Aussi , tout ce qui ressent 
la richesse et Topulence , tout ce qui porte Tempreinte des arts, se trouve 
concentré dans les pagodes; par la même raison, tout ce qui se rattache 
de loin ou de près aux sciences et aux lettres ne dépasse pas Tenceinte des 
lamaseries... 

Quoique je me sois avancé à près de 200 lieues vers le nord de la Tartarie, 
je ne passe pourtant pas habituellement mes jours parmi lesMongous -.c'est 
encore avec les Chinois que j'ai plus ou moins affaire. Dans la vaste patrk 
de ces derniers il y a un si grand encombrement d'hommes, que le trop 
plein de la population se déverse partout aux environs , dans les pays voi- 
sins. Ainsi, les Chinois du nord de Tempire s'infiltrent peu à peu dans la 
Mongolie, où ils achètent des rois tartares la permission de défricher quel- 
ques arpents de terre dans les gorges des montagnes. La vaUée des Eaux^ 
Noires, où je demeure actuellement , est cultivée par des Chinois chrétiens. 
Le temps que me laisse l'exercice du saint ministère , je le consacre exclusi- 
veraent à l'étude des langues mandchou et mongole ; cependant il n'est per- 
sonne qui ne sache que ce n'est pas avec des livres et des dictionnaires qu'on 
apprend à bien parler une langue. C'est pour cette raison que dernièrement 
j'allai faire une visite à une famille tartare, qui n'est éloignée d'ici que 
d'une journée de chemin. Je vais raconter ce voyage en peu de détails : les 
petits incidents qui pourront s'y rencontrer feront peut-être mieux con- 
naître les mœurs locales, qu'un exposé sec, brusque et rapide. 

J'avais besoin, pour me conduire chez ces Tartares, d'un homme qui 
connût la route. Un brave chrétien se présenta. Dans sa famille, le désœu- 
vrement était son unique occupation , de plus il aimait à chevaucher : c'était 
bien l'homme qu'il me fallait; il me convenait d'autant mieux qu'ayant eu 
autrefois quelques relations avec la famille où j'avais dessein d'aller, il pou- 
vait en quelque façon me servir d'introducteur. 

Le jour que nous avions fixé pour cette expédition étant arrivé, nous 
fîmes de grand matin nos petits préparatifs de voyage. J'insérai une écrt- 
toire et quelques livres dans le sac qui contenait ma couverture et mon 
matelas. Mon conducteur , de son c6té , se chargea de faire la provision 
nécessaire de tabac à fumer et d'eau-de-vie, ou pour mieux dire d'un vio- 
lent alcool que l'on retire, par le moyen de la distillation , de certaines 
céréales que produit le pays. Quand les chrétiens m'eurent solennellement 
souhaité bon voyage, je m'installai de mon mieux sur un petit mulet pro- 
portionné à ma taille , et mon guide, après avoir escaladé les flancs escarpés 
d'un grand et maigre cheval, alla s'asseoir au-dessus des bagages. 

La route que nous suivîmes est vraiment difficile à décrire. Ce sont des 
ravins qu'il faut traverser, des rochers, des montagnes qu'il faut gravir et 
descendre , des flaques d'eau, des lagunes qu'on doit passer sur la glace; Sans 
cesse on est obligé de faire de longs circuits pour éviter des précipices.ou pour 
tourner des hauteurs ii^ccessibles ; en un mot , on s'en va en zigzag , choi- 



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EXamSlON DANS LA TARTABIE MONGOLE. llî 

tissant devant sot les endroits qui offrent le moins de difficultés. Après 
avoir fait cinq lieues , allant toujours de cette façon par monts et vaux , 
mon conducteur me dit : « Nous allons nous arrêter là-bas pour dloer....» , 
et du manebe de son fouet il m'indiqua quelques maisonnettes de terre, 
habitées par des cultivateurs chinois. «Plus loin, ajouta-t-il , ce sont les 
« prairies; les hommes n'y habitent pas. » Je ne demandais pas mieux que 
de faire une petite halte: il était près de midi, et j'avais quelque raison 
de soupçonner que mon estomac ne se refuserait pas à prendre quelque nour- 
riture. 

Arrivés à ce hameau, il ne fut pas nécessaire de délibérer sur le choix de 
l'auberge; nous nous estimâmes fort heureux de trouvera notre disposi- 
tion une sombre et sale grange. Nous nous y introduisîmes après avoir 
attaché nos animaux à une perche fichée en terre, devant la porte. Les gens 
de l'endroit, jeunes et vieux, ne tardèrent pas de venir nous rendre visite 
dès qu'ils nous aperçurent. « D'où es-tu ? Où vas-tu? Quel est ton nom 
« illustre ? » voilà les questions obligées et indispensables que Ton s'adresse. 
Bienièt chacun allume sa pipe, et si en pareille circonstance le pauvre 
voyageur n'a pas eu soin de préparer quelques provisions , après avoir fumé 
sa pipe, il est obligé de se remettre en route, car il est censé avoir dtné. 
Mon conducteur avait prévu le cas; il tira de son havre-sac une bonne 
tranche de mouton rôti, on nous apporta un peu de sel sur un fragment 
de porcelaine, et dans un moment le repas fut fini. Après dîner il est 
convenable de prendre le thé; c'est l'étiquette des gens comme il faut. Nous 
demandâmes donc aux Chinois qui nous entouraient s'ils n'auraient pas une 
théière à nous prêter. Ils se mirent à rire, et nous montrant leurs habits 
déchirés : «Est-ce que nous pouvons encore boire du thé, nous autres?» dirent- 
ils. Cependant un homme de bonne volonté sortit et rentra un instant 
après, apportant de l'eau bouillante dans un large et profond récipient. Je 
détachai bien vite de ma ceinture le sac à thé, je jetai une poignée de feuilles 
dans cette eau, et mon compagnon de voyage et moi, armés chacun d'une 
écuelle, nous nous mimes à puiser dans cette théière peu élégante, il est 
vrai , mais proportionnée aux circonstances. Nous invitâmes la société à 
suivre notre exemple , et bientôt chacun arriva à la ronde puiser dans te 
baquet une tasse d'eau bouillante. Quand tout le monde se fut bien régalé, 
nous fumâmes encore une pipe , et nous reprîmes notre route avec un nou- 
veau courage. 

Après avoir gravi une montagne assez escarpée, nous nous trouvâmes 
sor le Man-tien-dze. On appelle ainsi un immense plateau qui s'élève au- 
dessus du niveau ordinaire du sol, et qui a peut-être plus de cent lieues 
de circonférence. Là, point d'habitation, point de terre cultivée, pas un 
arbre: ce n'est qu'une seule prairie qui s'étend en vaste et incommen- 
sarable plaine; c'est comme un océan de verdure sans limites. 

Les voyageurs courent grand risque de s'égarer sur le Man-tien'dze ; car 
Il est entrecoupé et sillonné par mille sentiers qui se ressemblent tous, et 
qui tous ont une direction différente. Si on a la malidresse de perdre celui 
IX. 8 



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114 ftBVITB M lWiBIT. 

qui seul peut vous conduire au but de votre voyage, et si, pour eomUe de 
malheur, le temps vient à s'obscurcir, et qu'on ne puisse se guider d'après 
la marche du soleil , on se trouve alors exposé à de grands dangers: on est 
comme un capitaine de navire qui aurait perdu, dansun coup de vent, 
son gouvernail, sa boussole, sa carte marine et tous ses instruments nau<- 
tiques. Si c'est pendant l'hiver, on est perdu sans ressource \ car sur ce 
terrain élevé le froid est des plus terribles. Quand le vent souffle avec 
violence, il n'est pas rare d'entendre dire que cbevaui et favaliers ont été 
gelés en traversant ce fatal labyrinthe. 

Nous nous égarâmes... le soleil venait de se coucher, et nous étions 
vers h fin du mois de novembre I Je regardais mon conducteur, qui avaH 
l'air tout à fait ébahi, et qui tournait la tète de c6té et d'autre, comme un 
homme qui cherche et qui ne trouve pas. «Ëh bien! lui dis-je, est-ce que 
9 par hasard nous aurions perdu notre route? — Hélas, me dit-il, dans m&m 
dcœuT il s'élève des doutes... Depuis le temps que nous sommes en chemtft, 
«nous devrions être déjà descendus du plateau, nous devrions nous trouver 
«dans la vallée des Mûriers... Hebroussons chemin, rebroussons chemin, 
« s'écria- t-il avec énergie; à cette heure, oef/6 affaix^ devient blanche et 
aUdsante (c'est-à-dire , je comprends cette affaire) : nous aurions dû prendre 
«le sentier que nous avons rencontré à gauche.» 

Nous virons donc de bord et nous entrons dans ce sentier d'espérance, 
qui nous conduisit , en effet, sur les bords du Man^tien-dze. Déjà , du haut 
de mon p0t mulet,je découvrais là-bas, ait loin dans l'enfoncement, des 
champs cultivés , et mon cœur s'épanouissait insensiblement. aEst-ce que 
«cela peut encore passer ? grommela mon conducteur entre ses defnts. Au*- 
ojourd'hui , vraiment , je ne suis que mastic et colle (je suis stupide)! Voilà 
«que cette vallée n'est pas la vaUée des Mûriers,» 

il ne fallut pas délibérer longtemps ; nous descendîmes de cheval. La 
nuit commençant à se faire obscure, il était prudent de nous réfugier dans 
cette vallée, où nous pouvions espérer de trouver quelque habitation 
puisque nous apercevions des champs en culture. Gela valait inâni&mdt 
mieux que de s'exposer à bivouaquer la nuit entière sur ce malencontreux 
Man-tien-^e* 

Cependant je ne pouvais considérer sans effroi cette descente longue et 
ardue qui conduisit à la gorge où nous comptions trouver quelques r&^ 
seignements; j'étais travaillé d'une soif dévorante, et je ne me seatais 
pas grandes forces aux jambes pour me soutenir sur le versant de cette 
montagne escarpée. « Allons, il n'y a pas d'autre moyen, disait «mm 
«homme à mastic et à coHe, il faut dégringoler par ict. — C'est vrai ; mais 
«je suis brisé , je meurs de soif. — Ah! nous avons une outre toute pleine; 
«buvons un coup d'«au-de-vie. — A la bonne heure, lui di»-je en riant; 
«quoique tu te sois fourvoyé, tu sais encore donner un bon conseil...» fis 
disant cela, je m'emparai de t'outre que j'appliquai prompteraent à mes 
lèvres. J'étais si aliéré, que je ne m'apercevais ni du goût, ni de la forûe 
d'un si violent breuvige. J'en bus à longs traits; il meaen^lait que j'étais 



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EXCURSION SANS U TARtAftlB MONCOLE. Ui 

à une source d'eau fratcbe et délkieuse. Je me sentis à risstant plein de 
Tireur. Nqiis tirâmes donc dos montures par la bride, et, tantôt assis^ 
tantôt debout, tantôt roulant et culbutant , nous nous trouvâmes enfin au 
bas. 

11 était nuit close. Nous remarquâmes dans un enfoncement, au pied 
d'une colline, une lueur vers laquelle nous nous dirigeâmes comme par 
instinct et sans nous rien dire. C'était la cabane d'un ber^^r. Nous appnw 
chàmes vers la fenêtre, et à travers les crevasses du papier qui , dans ce pays^ 
ci , tient lieu de carreaux de vitre , nous vîmes un Chinois accroupi à côté 
de quelques tisons et fumant tranquillement sa pipe. « Holà! mon vieuM 
u frire atné, sommes-nous dans le chemin de la vaUée des JHûriersP» A 
l'instant, cet bonime fut à côté de nous, a Est-ce qm cela peuf encore 
u passer? dit-il... Vous vous êtes égarés sur le Man-tien^dze, n'est-ce 
« pas? La vallée des Mûriers est au détour de cette gorge ; il y a encore 
aune lieue et plus; la route est bonne. » Ces paroles du vieillard nous 
rassurèrent. Après l'avoir remercié et lui avoir souhaité du bonheur , nous 
remontâmes à cheval ; nous chevauchâmes encore pendant une heure dans 
l'obscurité, et nous arrivâmes enfin , sans nouvel encombre , à la demeure 
des Tartares Mongous* 

Nous fûmes accueillis avec une expansion et une eordialité au ddâ de 
toute expression, ce Voilà Takoura , le chef de la famille , » me dit mon conr 
ducteur, en me montrant un homme de taille moyenne, mais d'une mai- 
greur effrayante. Après nous être fait mutuellement la révérence, le vieux 
Takoura nous invita à nous asseoir. 11 eut la bonhomie de me prendre pour 
un homme de quelque importance, et en conséqutaice il me fit mettre à la 
place d'honneur, c'est-à-dire au côté opposé à la porte d'entrée. Je me 
laissai faire, et bientôt tout le monde s'assit en rond et à la façon des 
tailleurs autour du brasier, qui répandait encore plus de fumée que de 
chaleur. 

Après nous être offert les uns aux autres la petite fiole de tabac à priser, 
après avoir allumé nos pipes et en avoir fait mutiiellemenl l'échange « le 
vieux Tartare m'adressa la parole. « Tu n'es pas Chiuois, me dk-il , tu 
« es Tartare Mandchou; je comprends cela à la frange qui est au-dessus de 
u ton boimet. Quel est ton noble royaume ? —Je suis du royaume de France. 
« «^ Ahl ah! du royaume de France? C'est bien... fit quelle est ta ville iè- 
« lustie ? — Je suis de la ville de Toulouse. ^ Ah 1 ah ! tu es de la ville âe 
a Toulouse^. C'est bien , c'est bien. — Sans doute , lui dis-je, tu as été à la 
« ville de Toulouse ; il s'y fait un grand commerce.— Non , me répondit-il ; 
« j'ai été seulem^t une fois à Moukden , mais je ne suis pas arrivé à la ville 
a de Toulouse. 9 

11 n*est pas nécessaire de dire que les Tartares Mongous ne sont pas très-^ 
forts en gét^raphie. Les bonnes gens s'imaginèrent , sans scrupule, quel* 
royaume de France, la ville de Toulouse, tout cela é( ait renfermé dans la 
Mandchourie. Cette croyance ne me paraissant nullement dangereuse, je 
la leur ai laissée.*. 



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116 REVCC DE l'orient. 

Qaand on se fut paisiblement orienté départ et d'antre, voilà qne la 
conversation s'engagea rapide et animée, comme au plus fort d'une que- 
relle. « Mais enfin, criait de toutes ses "forces le chef de la famille, â*ici à 
« la vallée des Eaux-Noires il n'y a pas loin; comment pouvez- vous arriver 
cf si tard ? Esi^e que cela peut encore passer? — Ah ! c'est difficile à dire , 
« c'est difficile à dire, répondait sur le même ton mon conducteur, cela ne 
iupeut pas passer; tiens, tois-lu, nous nous sommes égarés sur le Man- 
« tien^dze. — Comment, tu ne connais pas encore le Man-tien-dze, toi ? 
«Tu fais si souvent le trajet, et tu peux t'égarer encore? En vérité, cela 
o ne peut pas passer.,. N'est-ce pas que tu es bien fatigué? me disait-il en 
« me ft-appant sur l'épaule. — Suffisamment fatigué; mais n'en parlons 
a plus, me voici arrivé chez toi , tout est bien. — Tiens, regarde, ajoutait- 
« il en poussant mon conducteur avec le bout de sa pipe , regarde, toi , tu 
« t'égares sur le Man-tien-dze en plein jour ; moi , je puis voyagerpar une 
« nuit obscure, Je ne perdrai jamais la route.» Et puis c'étaient des édats 
de rire , des soupirs et des condoléances à n'en plus finir. 

On avait posé sur le brasier une cruche en fer pleine de thé au lait. Pen- 
dant que la compagnie raisonnait à tue- tète sur les routes de Man-tien-dze, 
je buvais de ce thé au lait à grandes rasades. Bientôt on apporta les petites 
herbes salées et l'eau-de-vie. C'est le prélude obligé des repas chinois et 
tartares. On se grise avant le repas ; c'est absolument l'opposé de la mé- 
thode anglaise. Le chef de famille prit mon petit verre, le remplit et me 
l'offrit cérémonieusement en le soutenant des deux mains. Je l'acceptai de 
la même manière , et quand tous les verres furent remplis , Takoura prit 
le sien, et, faisant à la ronde une petite inclination de tète, il nous invita 
à boire. « Mais ton vin est froid , me dit l'amphitryon , je vais te le changer.» 
11 le versa dans la petite urne à vin qui fumait sur les charbons, et me 
remplit de nouveau le verre. En Chine et en Tartarie, il n'est pas d'usage de 
boire froid; l'eau-de-vie même, ou plutôt ce virulent esprit-de-vin , on 
vous le sert chaud et fumant. 

Ce soir, je n'étais guère d'humeur de boire de l'eau-de-vie bouillante ; je 
sentais comme un incendie dans mes entrailles. « Si tu as de l'eau froide, 
« dis-je à Takoura , pour le moment, c'est tout ce que je désire. » Je n'a- 
vais pas encore achevé d'émettre cette hasardeuse proposition, que de toutes 
pàits on me tira des arguments à bout portant, pour me prouver qu'il n'é- 
tait ni bon ni prudent de boire de l'eau froide. Mais un jeune lama de huit 
â neuf ans, arrivant fort heureusement avec une grande tasse d'eau fratche, 
coupa court à cette altercation. Je m'emparai de la tasse; je demandai & 
mon argumentateur s'il en voulait boire la moitié, et pendant qu'il riait de 
toutessesforces, j'avalai d'un seul trait celte eau délicieuse. Je rendis la 
tasse au petit lama, en lui recommandant de la remplir de nouveau. « C'est 
« une affaire finie, dit alors Takoura , puisque absolument tu ne venx pas 
« boire du vin, ^u'on serve le souper. » 

Pendant que Macheke, fils aîné de la famille, enlevait les petits verres et 
l'eau-de-vie, Tsanmiaud, son frère, autre lama de vingt et un ans, apporta 



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EXCURSION DAKS L\ TABTAIUE MOINGOLE. 117 

un grand plat où s'élevait en pyramide un hachis de viamdes de naou- 
ton. A Faide de mes deu,\ bâtonnets j'en saisis quelques morceaux, puis 
rejoignant les bâtonnets et les élevant horizontalement â la hauteur du front: 
« Mangez lentement, dis-je aux convives; pour moi, j'ai fait. «Et comme 
je m'aperçus que le bon Takoura allait encore batailler , je m'empressai d'a- 
jouter :« Tiens, écoute mes paroles et ne va pas me quereller. Noussomnaes 
« bons amis, n'est-ce pas? Tu le sais, dans ta famille, c'est comme si j'é- 
« tais chez moi : pour le moment , je suis trop fatigué; mais ne crains pas, 
« demain nous reparlerons de tout cela. » Pendant que le Tartare répétait 
en branlant la lête : Cela ne peut pas passer , je me levai et j'allai m'élen- 
dre à l'endroit qu'on m'avait assigné pour passer la nuit. Je m'y enveloppai 
de ma couverture, et bientôt je m'endormis d'un sommeil de plomb. 

Le lendemain , j'eus lieu de m'apercevoir que pendant mon sommeil mon 
conducteur n'avait pas perdu son temps. Il ne s'était pas fait faute de boire 
quelques verres d'eau-de- vie, et cela l'avait rendu disert outre mesure. U 
avait fourré dans la tète de nos Mongous, candides et ingénus, que j'étais un 
homme extraordinaire , d'une science à faire trembler les plus fameux 
lamas. Il leur avait annoncé quel était le but de mon voyage: je savais à 
peu près, assurait-il, les langues des 10,000 royaumes qui sont sous le ciel, 
je désirais encore apprendre la langue mongole , et c'est pour cela que j'avais 
dessein d'habiter, pendant quelques jours, chez les Tartares. Ainsi, je dus 
â la magnifique amplification de mon conducteur tous les témoignages 
d'honneur , de respect et d'affection dont je fus entouré dans cette famille. 

(( Docteur, me dit Takoura, puisque tu as le dessein d'apprendre les 
« paroles mongoles, tu as très-bien fait de venir ici; le lama Tsanmiaud a 
a beaucoup de capacité , dans \ytM de temps il t'aura enseigné tous les mots, 
a Quand tu sauras exprimer les choses essentielles, nous ne parlerons plus 
a chinois. » J'acceptai de bon cœur celte invitation , et comme mon con- 
ducteur ne m'était plus nécessaire, il s'en retourna le jour même dans sa 
famille. 

Quand nous eûmes pris le repas du matin, après avoir prouvé à ces Tar- 
tares, par des faits irrécusables , que je ne méprisais ni le vin ni les mets 
de leur table, j'étalai sur un buffet ma petite bibliothèque. J'ouvris mes 
livres et je les feuilletai tous les uns aprè:> les autres. Ces bonnes gens étaient 
pressés autour de moi, les yeux grands, ouverts, et la bouche béante comme 
des enfants autour de la table d'un escamoteur. A mesure que je prenais un 
livre, le père de la famille annonçait solennellement â l'assemblée la qua« 
iité delà marchandise, a Voici, disait-il, un livre chinois, voici un livre 
« mandchou, voici un livre mongou.. » Mais quand je fis paraître mon bré 
viairedoré sur tranche et relié en maroquin vert, ce fut un enthousiasme 
difficile à décrire; après l'avoir ouvert, je le présentai au lama comme au 
plus lettré de la société. A peine eut-il aperçu les caractères européens , 
qu'il s'écria aussitôt : Chara! chara! Il fit passer le livre à la ronde, et tous , 
après l'avoir feuilleté, répétaient avec stupéfaction : Un livre chara! ^ 

Les lamas mongous et tbibetains donnent le nom de chara â une certaine 



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L ., 



118 REVUE DE L^ORIEUT. 

écriture énlgmatiqueèt mystérieuse, dont la forme ressemble beaucoup aux 
lettres gothiques. J'en ai remarqué sur tous les grands livres des prières qui 
se trouvent dans les pagodes. Il m'est venu en pensée que cela pourrait être 
des rubriques. Ces caractères sont tous, en effet, soulignés en rouge, et ils 
sont répandus cà et là dans le corps du volume, de manière à rappeler à un 
Européen les antiphonaires et les livres de prières du moyen âge. On ren- 
contre encore beaucoup de ces caractères dis^minés parmi les peintures des 
▼oûtes des pagodes. Les lamas ne comprennent rien à cette écriture, ils ne 
savent pas même la lire: de là vient qu'ils donnent le nom de chara à toute 
fangue qui est pour eux inintelligible. 

LejeuneTsanmiaud, me remettant le bréviaire, me dit d'une voix toute 
tremblante d'émotion : «N'est-ce pas que c'est du chara P — Si ce n'est pas du 
« chara, lui dis-je, que sera-ce? » Il s'assit alors à côté de moi avec l'air sa- 
tisfait d'un homme qui vient de faire une trouvaille. Il prit de nouveau le 
bréviaire entre ses mains , et il ne cessait de le tourner et de le retourner 
dans tous les sens... « Mais, dit-il , est-ce que tu connnais le chara, toi ? — 
« Oh! je suis très fort en chara; tiens, regarde, je le lis même plus vite que 
« le chinois et le mandchou; avec le chara je puis parler et écrire tout ce que 
8 je veux. — Dans la pagode où j'ai étudié les livres , il y a plus de 800 
« lamas : aucun ne connaît cette langue; il y a seulement un vieux lama 
« qui sait en lire quelques mots... Mais , ajouta-t-il , quelles paroles y a-t-il 
« dans ton Wvre chara? — Ce livre contient des paroles saintes; c'est mon 
« livre de prières. — Oh! est-ce que tu récites des prières? s'écria le vieux 
« Takoura. — Et pourquoi n'en réciterais -je point? Je prie tous les jours et 
« plusieurs fois par jour; tiens , maintenant je vais prier encore, le moment 
« est arrivé, d Et je me levai aussitôt pour réciter mon bréviaire. 

(c Puisque tu veux prier , me dit Tsanmiaud, je vais te conduire dans une 
« autre tente, tu seras plus tranquille; ici il y a trop de tumulte. » J'allai 
donc dans la tente voisine, accompagné du lama et de son neveu. Durant 
tout le temps que je mis à dire mon bréviaire , ils restèrent debout , à côté 
de moi, gardant un religieux silence. Quand j'eus terminé , Tsanmiaud me 
demanda si j'avais fini mes prières , et sur ma réponse affirmative, ils me 
firent l'un et l'autre une inclination profonde, comme pour me féliciter de 
ce que je venais de faire. 

Une fois que mes hôtes se furent aperçus que j'étais un homme de prières, 
je fus décidément un ami de la famille. Les Mongous sont essentiellement 
religieux; ils croient à une vie future, et ils s'en occupent sérieusement. 
Les choses d'ici-bas sont pour eux d'un intérêt secondaire. Takoura était 
le plus fervent de la famille : au commencement de chaque repas , pendant 
que je récitais mon benedicite, il trempait son petit doigt dans son vei^re, 
puis il projetait au loin quelques gouttes d'eau-de-vie ; celte pieuse libation 
ne l'empêchait cependant point de se griser assez souvent. Ce bon vieillard 
né savait pas prier dans les livres; mais il avait presque toujours son cha- 
pelet à la main. Les Mongous se servent, en effet, pour prier, d'une espèce 
de chapelet composé de cent huit grains; à chaque grain, ils doivent dire : 



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Excfmsion dans ia tartarie mongoie^ 119 

Paix et bonheur aux quatre parties du monde. C'est une formule que Fo 
enseigna aux hommes , disent-ils, pendant qu*il propageait les prières. Mais 
ses disciples ne sont pas très-scrupuleux sur ce point ; il en est beaucoup qui 
ne récitent rien du tout. Takoura avait adopté cet usage facile et expédilif; 
Il se contentait souvent de dérouler entre ses doigts les grains du chapelet , 
et cela n'empêchait pas d'entretenir la conversation à droite et à gauche avec 
le premier venu. 

Comme pour le moment je ne devais pas faire un long séjour parmi les 
Tartares Mongousje me hâtai de rédiger un pelit manuel de conversation, 
une espèce de dictionnaire contenant les expressions les plus usuelles. Pen- 
dant que j'écrivais en français ce petit ouvrage, ces bonnes gens étaient 
consternés d'étonnement : ils ne pouvaient comprendre comment, à Taide 
de CCS caractères chara^ comme ils les appelaient, je pouvais écrire des mots 
mongous. «Maître, me dit le vieux Tartare , puisque tu t'empares de toutes 
« nos paroles, tu voudras bien m'enseigner quelques expressions chara.,, je 
a ne suis pas trop vieux pour les apprendre? Ma langue est encore assez 
a souple , n'est-ce pas? » A l'instant il me montra un couteau, puis un bri- 
quet, en me demandant le nom chara de ces divers objets. « Ceci s'ap- 
« pelle couteau , cela s'appelle briquet. Quand tu iras dans le royaume de 
« France, si tu dis couteau, briquet, tout le monde te comprendra. » Mon 
homme était dans le délire de l'enthousiasme. Si quelque étranger chinois 
ou tartare venait le visiter, il répondait à leurs formules de politesse en 
leur criant de toutes ses forces : couteau, briquet, et puis il se prenait à rire 
d'un rire inextinguible. 

Ce petit succès dans ses premières études de la langue chara l'encouragea 
outre mesure. 11 apprit encore à dire : ma pipe , fumer tabac „,M3ih je m'ar- 
rêtai là; je me gardai bien de lui en apprendre davantage, car il me répé- 
tait à satiété ces deux ou trois mots , et je ne pouvais plus obtenir de lui 
qu'il me parlât mongou. La première nuit qui suivit son initiation dans la 
science t-^am, il lui arriva plusieurs fois de me réveiller brusquement pour 
me demander si c'était bien couteau, briquet, qu'il fallait dire. Je fus 
obligé de me fâcher et de lui répondre que la nuit était faite pour dormir, 
et non pas pour apprendre les langues. — « Ah! me répondil-il, tu as dit 
« vrai ; tes paroles abondent en raison ! » Dès lors il ne me tourmenta plus ; 
mais il ne se faisait pas faute de temps en temps des a parte, et de mar- 
moter entre ses dents : couteau, briquet, ma pipe , fumer tabac. Une autre 
raison plus grave m'empêcha de l'introduire plus avant dans la connais- 
sance du cA<2m ; je m'étais aperçu qu'en récitant son chapclei, au lieu de 
dire ipaix et bonheur aux quatre parties du monde , il disait sans trop se gê- 
ner : couteau , briquet , etc. 

Le troisième jour après mon arrivée , Takoura fut obligé de faire un 
voyage à un marché chinois qui se tenait à deux journées de sa résidence. 
J'avoue que cet incident ne me contraria guère; je fus dès lors plus tran- 
quille po^r continuer avec le lama mon petit dictionnaire. Tous les jours , 
accompagné de Tsaùmiaud, j'allais faire une promenade à une petite pa- 



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120 RKVOE DE l'orient. 

gode, qui n'était guère éloignée que d'un quart d'heure. Elle est située dans 
une position vraiment pittoresque. Qu^'on se figure une montagne escar- 
pée et rocailleuse, dont les flancs entr'ou verts forment une espèce d'angle 
aigu : c'est dans cet enfoncement qu'est érigée la pagode. Aux environs se 
trouvent disséminées çà et là, sans régularité et sans plan, les cellules ou 
habitations des lamas. Des arbres magnifiques s'élèvent parmi ces maison- 
nettes, et au pied de la montagne, les eaux d'un torrent bondissent à tra- 
vers d'énormes quartiers de roche. Quand les lamas, vêtus de leurs grandes 
robes rouges ou jaunes, prennent leurs récréations, le tableau est vraiment 
ravissant. 

La pagode était alors en réparation ; deux lamas travaillaient aux pein- 
tures de ia voûte , et il m'a paru que ces artistes mongous n'étaient pas 
dépourvus d'habileté. Le bizarre et le grotesque dominent dans tous les des- 
sins des pagodes; les fruits et les fleurs sont rendus avec fraîcheur et déli- 
catesse, mais les personnages sont tous sans vie et sans mouvement : leurs 
yeux ne regardent pas; la carnation est froide et morte. Les peintres mon- 
gous n'ont pas la moindre idée du clair-obscur ni de la perspective idans 
les paysages, tout se trouve aligné sur le même plan. 

Les prêtres attachés à cette pagode sont peu nombreux : il y en a tout au 
plus une cinquantaine; mais ce qui en augmente le nombre, c'est que 
chaque lama , en général , a sous sa direction deux ou trois chabi ou no- 
vices, auxquels il enseigne les prières et la liturgie. Tous les jours j'allais 
causer avec ces lamas, qui ont toujours été pour moi pleins d'affabilité et 
de prévenance. Je ne sais pour quel personnage ils me prenaient ; mais ils 
poussaient le respect à un tel point, que, par pudeur ,je fus obligé de leur 
défendre de me faire la prostration à deux genoux quand ils me saluaient. 
Une fois je vis le moment qu'ils allaient creuser une niche dans leur 
pagode, et m'y placer à côté de leurs idoles. 

Un jour que nous causions tous ensemble de différentes choses : « J'ai en- 
ci vie d'apprendre le thibétain, leur dis-je, est-ce bien difficile? — Trè^s- 
(f difficile, me dit un lama : quand on ne commence pas jeune, on étudie, 
« on étudie, et c'est vainement. — Voyons, va chercher un livre thibé- 
« tain. » Il courut h la pagode, et revint un moment après chargé d'un 
énorme in-folio. << Lis-moi , lui-dis-je, une page de ce livre „ mais bien 
(f lentement et avec une grande clarté. » 

A mesure qu'il lisait, j'écrivais en caractère soi-disant c^m. La page 
étant achevée , ils me demandèrent pourquoi j'avais écrit du chara. a Dans 
« un instant vous le saurez , » leur répondis- je. Et je me mis à fumer une 
pipe pendant qu'ils s'amusaient à regarder mon écriture énigmatique. 
Quand j'eus fini de fumer : « Tenez , leur dis-je , je vais vous lire ce quej'ai 
« écrit. — Oh! oh ! firent-ils tous à la fois, c'est inutile, c'est inutile; nous 
« ne comprenons pas le chara , nous autres. — N'importe , écoutez. £t toi, 
« dis-je à celui qui avait lu le passage thibétain, cherche l'endroit que tu 
a viens de parcourir , et écoule si mon chara s'accorde ou ne s'accorde pas.» 

Pendant que je lisais, tous ces pauvres lamas retenaient leur respiration. 



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EXCURSION DANS LA TARTAUIE MONGOLE. 121 

A peine eus-je fini : « Tout s'accorde, s'écrièrent-ils; les paroles une à une, 
« une â une, tout s'accorde. » Et alors'tous, hors d'eux-mêmes, ils se de- 
mandaient entre eux, en gesticulant avec vigueur : « Comment cela se 
a fait-il? On lit thibétaUi, il écrit chara; puis il Vit chara, et c'est thibétain,i^ 

Un lama , écartant alors les autres de ses deux bras , vint se placer devant 
mpi, et me regardant fixement : « Es-tu Fo vivant? »me demaiida<t-il. 
Cette singulière interpellation me fit crisper les nerfs. « Tu es un insensé! 
« lui répondis-je avec énergie. — En vérité, ajouta-t-il , en se frappant avec 
« la main, en vérité, je ne sais pas, je ne comprends pas; mais certaine- 
« ment les Fo vivants n'en savent pas tant que toi. » 

Qu'un Chinois, qui ne connaît que ses caractères presque hiéroglyphiques, 
ne puisse pas se faire une idée Juste des idiomes alphabétiques, à la bonne 
heure; mais les langues mandchou , mongole et thibétaine sont purement 
alphabétiques, et je ne comprends pas comment ces lamas n'ont pas encore 
soupçonné qu'à l'aide d'un alphabet on pouvait écrire toutes les langues. 
Au reste, ces lamas ne m'ont pas paru grands amateurs de l'étude. J'ai eu 
lieu de m'apercevoir qu'ils passaient leur vie dans une oisiveté profonde ; 
de plus, leurs idées ne sont guère spiritualisées. Ils n'ont pas de leur état 
une très- haute opinion. Tous m'ont dit, il est vrai, qu'être lama valait 
mieux qu'être homme noir (c'est ainsi qu'on appelle les gens du monde ou 
ceux qui ne rasent pas leur tête); mais quand je leur ai demandé en quoi 
l'état de lama l'emportait sur celui d'homme iy)ir , j'ai été surpris et choqué 
d'entendre toujours la même réponse. Tous m'ont dit : « Tant qu'on est chaU, 
« ou étudiant, on a, il est vrai , beaucoup à souffrir; mais quand on a appris 
« les prières jusqu'au bout, tout est fini, on n'a plus besoin de travailler, 
« on peut se reposer du matin au soir ; on n'a pas à se préoccuper ni du 
<f boire , ni du vêtir , ni du manger. » 

Il ne faudrait pas pourtant généraliser ce que je dis; peut-être qu'ail- 
leurs les choses vont différemment. Il pourrait bien se faire que l'esprit de 
relâchement se fût introduit dans la petite lamaserie dont je parle. Quand 
j'aurai visité les grandes pagodes, peut-être serai-je obligé de tenir un au- 
tre langage. 

Les lamas ne sont pas cloîtrés; ils ont en général le caractère ambulant. 
Ils courent sans cesse de pagode en pagode , quelquefois par esprit de dévo- 
tion, souvent par humeur de vagabondage : c'est ce qui m'a fourni l'occa- 
sion d'en voir un grand nombre. Un soir que j'étais paisiblement occupé 
à écrire la nomenclature des expressions mongoles, que me dictait Tsan- 
niiaud , nous entendîmes au dehors comme le piétinement d'un grand 
nombre de chevaux. Nous allâmes voir: c'était un escadron de douze lamas. 
Ils venaient de fort loin, et ils avaient encore plus de cent lieues à faire avant 
d'arriver au terme de leur voyage. Ils allaient en pèlerinage à la grande 
pagode de Tolonor. Ces lamas étaient inconnus de la famille ; ils furent 
néanmoins hébergés comme des amis et des frères. On leur servit d'abord 
le thé au lait, et après qu'on eut préparé un repas frugal, mais copieux , 
on leur disposa des tentes pour passer la nuit. 



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ifi REYCE DE L^ORlERt. 

Les droits de l'hospitalité sont ioTiohblcs chez les Tartares. l! ne s*est 
pas passé de jour sans quil Tint quelque étranger, et je n'en ai pas vu 
éconduire un seul ; tous ont été accueillis avec une sincère et loyale géné- 
rosité. Je suis moi-même uoe grande preuve du caractère hospitalier de la 
nation mongole. En définitive, je n'étais qu'un étranger pour eesgens-lâ, 
puisqu'ils me croyaient mandchou ; je ne leur avais jamais rendu SiuCvtn 
service, ils n'avaient rien â attendre de moi; ils voyaient clairement que 
c'était mon intérêt propre, mon avantage qui m'avait conduit et qui me 
retenait chez eux , et pourtant, il faut le dire, j'ai été traité comme ne le 
serait pas un bienfaiteur par ses protégés. 

Enfin, après six jours d'absence, Takoura fut de retour de son voyage 
à Oula-Rada. Quand il parut, j'éprouvai des battements de cœur; en 
Térité,ce fut comme si je retrouvais un vieil ami. Je lui demandai en 
mongou des nouvelles de sa santé , si le voyage avait été heureux , si la 
Beige qui était tombée en abondance ne lui avait point causé de mal... Mes 
questions étaient rapides , animées et palpitantes d'émotion ; je lui décochais 
sans interruption toutes les phrases sentimentales que Tsanmiaud m'avait 
enseignées: mais, à mon grand désappointement, je n'obtins pas un seul 
mot de réponse. Je me sentis alors profondément humilié, et je demeurai 
convaincu que je prononçais mal le mongou. Je changeai d'idiome, et sur 
on ton un peu plus modeste, je lui adressai en chinois les mêmes questions... 
Même profond silence!... TaAiura était toujours immobile devant moi; ses 
yeux me regardaient fixement ; sa figure s'enflammait et prenait peu â peu 
un caractère vraiment effrayant. La peur s'empara de moi , je n'osai pas 
hasarder d'autres questions ; je crus qu'il avait éprouvé quelque grand 
malheur, et que par suite son système cérébral s'était détraqué. Enfin , 
après un silence de part et d'autre, silence vraiment sinistre, lugubre, 
l'explosion eut lieu... Couteau/ briquet/ s'écria-t-il d'une voix vibrante et 
métallique; et puis se laisser aller sur un large tapis de feutre , comme un 
homme épuisé par un grand effort. « Enfin , ajouta-t-il d'une voix sourde 
et étouffée, à force de penser, le souvenir est nwnté,,. Ma pipe, fumer 
tabac.» Je pris vitemeni sa pipe, je la garnis de tabac et je la lui offris en 
disant: «Tu parles admirablement le c/i^im.» Cette petite flatterie ne fut 
pas sans effet ; elle me valut des compliments à perte de vue sur mes pro- 
grès dans la langue mongole. 

Ce jour fut comme on jour de fête pour toute la famille, et le repas do 
soir avait l'air d'un petit festin. Le bon Takoura, qui voulait me régaler, 
avait acheté quelques gourmandises â la station chinoise. Pendant que nous 
buvions le vin, il appuya la maià sur mon épaule , et s'approcbant confia 
dentiellement de mol, il me dit â l'oreille et â voix basse: « J'ai acheté un 
« paquet d'oignons ; nous allons en manger un, n'est-ce pas?.. » Et puis, 
prenant le ton du commandement: « Voyons , s'écria-t-il, qu'on m'apporte 
« les oignons.» 

Les oignons de ce pays-ci ne poussent pas de bulbe grosse et renf^, 
comme ceux de l'Europe; ils sont obhmgs et semblables aux poireaux. La 



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EXCURSION DANS LA TARTARIfe MONGOLE. 133 

saveur est pourtant la même ; elle est également brûlante et acre. Un oignon 
est pour les Tartares et les Chinois un mets très-friand, et cela m'a fait 
comprendre comment le souvenir des oignons d'Egypte avait pu si forte- 
ment exciter tes murmures des Israélites dans le désert. Ceux que Takoura 
me fit servir s'étaient gelés en route; ils étaient durs et roldes comme des 
barres de fer. « Je m'en doutais , me dit Takoura ; mais n'aie pas peur, 
«j'en ai inséré quelques-uns dans mes bottes, et J'espère qu'ils ne seront 
(cpas gelés. » Aussitôt il enfonça son bras dans une de ses bottes, et en 
retira, en effet, un oignon qui était tout fumant. Après l'avoir essuyé avec 
soin sur le devant de son gilet, il m'en offrit généreusement la moitié. 
Nous le mangeâmes sans autre apprêt , à peu près comme si c'eût été une 
orange. 

Après avoir passé une douzaine de jours chez ces Tartares mongous, je 
songeai à revenir dans ma vallée des Eaux-Noires, m Demain , au soleil 
« levé, je pars, dis-je au chef de famille ; il faut que je m'en retourne. » 
Il est inutile de dire quelles furent les instances et les supplications de ces 
bonnes gens, pour m'engager à rester parmi eux encore quelques jours. 

Il était dix heures du soir, et le vieux Takoura n'avait pas encore achevé 
ses harangues, a II est tard, lui dis-je, le temps de dormir est arrivé; tu 
«dis des paroles tontes blanches (vaines); demain, il faut que je m'en 
•f retourne. — Tu as raison, il est lard ; disons seulement une parole, que 
a ce soit une parole droite et raisonnable : est««e que demain, au soleil levé, 
« tu dois absolument partir? — Absolument; j'en ai pris la résolution. — 
é Dans ce caslà... Macheke, fais chauffer Teau-de-vie; fais frire quelque^ 
t tranches de chevreau. — Est-ce que tu vas encore manger? — Tais- toi, 
« me dit-il ; tiens, je n'écoute plus tes paroles... Comment! tu pars demain, 
« et avant de dormir nous ne boirions pas encore ensemble un verre de 
« vin ! » Je dus me résigner et subir cette intempestive collation. 

Le lendemain , quand le jour parut , je me hâtai d'empaqueter ma biblio- 
thèque de voyage. «Le déjeuner n'est pas encore prêt, me dit Takoura, 
« tn n'as pas besoin de tant te presser, attends un instant, je vais dehors 
« examiner le temps. »II rentra quelques minutes après, et jne dit avec 
l'air et le ton d'un homme convaincu : « C'est affreux ! le temps est abomi- 
« nable ; aujourd'hui , on ne peut pas voyager, il est impossible de traverser 
« le Man-tien-dze; en vérité, ce temps est affreux! » Takoura me disait 
tont cela avec un sérieux vraiment admir^le. Le ciel était pourtant pur 
et serein ; pendant Thiver, on ne pouvait désirer un plus beau jour. « Cela 
«t n'est pas bien , Takoura , je vois que tu dis des paroles creuses, tu épar- 
« pillfs des uTensonges... Puisque tu ne veux pas me lester le cœur, je par- 
« tirai sans déjeuner. — Ce n'est pas cela, ce n'est pas cela ; je sais bien que 
« tu veux partir, mais tu ne peux pas t'en aller seul: Tsanmi a ud t'aecom- 
« pagnera. Je vais faire seller les chevaux : quand on est deux , vois-tu , la 
« route est riante et animée. » 

Cette proposition me plut assez. Mais Takoura était toujours d'une lenteur 
insupportable ; le déjeuner n'en finissait pas ; c'était toujours â recommen* 



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124 REVUE DE l'orient. 

cer. Le temps faisait pourtant son chemin, et je n'avais pas envie de me 
trouver en roule pendant la nuit. Au lieu de hâlcr avec moi tes préparatifs 
du départ, mon hèle était comme pétrifié ; il avait toujours quelque mé- 
chante raison à m'objecter pour me retenir encore quelques minutes. 
« Qu*as-tu peur? me disait-il, le temps est magnifique, le soleil est chaud 
« et brillant, la soirée ne peut pas être froide...» Enfin, après nous être 
salués le plus affectueusement possible, ou , en d'autres termes , après nous 
être fait les adieux en braillant , je me mis en route accompagné du lama. 

Quand nous eûmes gravi une haute montagne , nous nous trouvâmes 
sur le Man-licn^dze, Le vent, qui ne se faisait pas remarquer dans la vallée , 
était pourtant glacial et violent ; il passait sur la figure, tranchant et aigu 
comme des lames de rasoir. La neige, qui était tombée en abondance les 
jours précédents, ajoutait encore à la rigueur du froid. Pendant Thiver, 
elle est ici permanente; Torage la disperse et la balaye de côté et d'autre; 
quelquefois elle va s'accumuler dans quelque enfoocement, et alors elle 
devient inamovible; les chaleurs de l'été n'en fondent que la superficie. 
Ce jour-là le vent enlevait en tourbillons cette neige glacée, et nous la 
lançait avec violence : c'était à peu près comme si on nous eût jeté au 
visage des poignées d'épingles. Nous ne rencontrâmes pas un seul voyageur 
sur le Man-tien-dze ; nous aperçûmes seulement au loin quelques troupeaux 
de brebis jaunes et de bouquetins qui s'enfuyaient à notre approche, et 
des outardes qui se laissaientç«mporter dans les airs par la rapidité du vent. 
Le soleil venait de se coucher quand nous entrâmes dans la vallée des 
Eaux-Noires, où les bons offices des chrétiens chinois, qui attendaient mon 
retour, nous firent bientôt oublier les petites incommodités de la route... 

Maintenant, il faut le dire, cette tente où j'ai passé douze jours est 
un palais ; cette famille tartare-mongole où j'ai reçu une si franche et 
si cordiale hospitalité est une famille de princes; ils sont tous mem- 
bres de la famille royale du royaume de Péjé. Le bon Takoura n'est ni plus 
ni moins qu'un prince du sang; les fils et les petits-fils du prince Takoura, 
tous ces enfants sales et morveux, sontdes ducs, des comtes, des barons, des 
marquis, quesais-je? Les familles princières ne sont pas ici dorées et enru- 
banées comme en Europe. Il m'est venu en pensée que tous les monarques 
de l'antiquité, tous ces rois magnifiques qu'Homère a eu l'extrême complai- 
sance d'habiller si richement, pourraient fort bien avoir été des personna- 
ges â la façon du prince Takoura. Quand je voyais la duchesse Macheke^ 
aux habits tout luisants de graisse et de beurre , se traîner maussadement 
à la citerne voisine, et charrier avec effort l'eau nécessaire au ménage, je 
me figurais ces grandes et illustres princesses d'autrefois qui , au dire des 
poètes, ne dédaignaient pas de porter leurs pas sur les bords des fontaines» 
et de purifier de leurs royales mains les tissus de lin et de laine. 

Et, pour bien prouver que le prince Takoura est en effet un haut et puis- 
sant personnage, un grand seigneur, s'il en fut jamais, je dois ajouter que 
sur sa terre féodale, autour de sa royale habitation , il possède quelques fa- 
milles d'esclaves. Mais l'esclavage, tel que je l'ai vu mis en pratique dans 



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MAI.AISIE. 125 

la vallée des Mûriers^ ne m'a pas paru quelque chose de bien affreux; 
le plus rigide républicain n'y trouverait certaioemeRt rien à redire. Les prin- 
ces et les esclaves traitaient toujours d'égal à égal ; ils prenaient ensemble 
le thé , s'offraient mutuellement la pipe quand ils fumaient ; les enfants 
jouaient et se battaient ensemble; le plus f6rt assommait le plus faible, 
qu'il fût comte ou esclave, et voilà tout. 

Je dois pourtant avouer qu'ils rougissaient et avaient honte de dire qu'ils 
étaienttf^ctoc'^rs. C'est qu'en effet, l'esclavage, si mitigé qu'on le suppose, est 
une atteinte à la dignité humaine, et voilà pourquoi il a été insensiblement 
aboli partout où l'Evangile a pénétré. Si, phis tard, il vient à être chassé 
de la Tartarie , ce sera encore l'œuvre du christianisme. 

£. Hue, missionnaire apostolique. 



MALAISIE. 

LES MONTAGNES D^AMBOINE. 

DES RACES MALAISE ET POLYNÉSIENNES. 



Oftse malaise. — I.a famille d'un pécheur. — lie guide. — Oanal et TÎllage 
de Pagnala. — IL'OnAifO-OATA. — Caraotèret phytiquet et moraux de 
la raoe malaise. — Ret semblanoe des Malaît et des Polynésiens. — Arbres 
et plantes des hauteurs. — Panorama d' Amboine. — Une nuit sur la mon- 
tagne. — Arbres et plantes des ravins et des cultures. — &a folle malaise. 
•— Retour à bord. 

En arrivant à Amboine, j'avais manifesté le désir de profiter du court 
séjour que je devais y faire pour visiter les montagnes du N. E. de cette 
colonie; le magistrat supérieur, M. Bool , m'en fournit les moyens, et me 
donna même un guide de son choix. 

Je comptais consacrer deux jours à cette excursion. A trois heures du ma- 
tin, une petite pirogue à balancier vint me chercher à bord de l'Astrolabe. 
Je partis aussitôt. 

Mon conducteur s'établit respectueusement à l'avant de notre étroite et 
courte embarcation; l'un des pagayeurs était derrière : il imprimait la di- 
rection à notre frêle esquif, après avoir donné l'impulsion de concert avec 
son compagnon , placé devant moi. Nous nous hâtâmes de nous rapprocher 
de la côte opposée à celle que nous venions de quitter, afin de nous sous- 
traire à l'action des courants, car la marée descendait, et opposait à nos 
pauvres esclaves papous un obstacle difficile â vaincre. Notre navigation 
devint alors plus rapide, la silhouette capricieuse des hauteurs et des arbres 
se dessinait sur la scintillante lumière des étoiles, fuyait et variait â cha- 



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1S6 liÈYtJE M liWiEIlT. 

que instant. Quelques ètr^ muets s'sgitsient seuls, des insectes lumlMUK 
voltigeaient, et des poissons traçaient au fond de l'eau de kmss siUons de 
feu, rapides comme Féclair... 

Après avoir contourné les parcs de deui ou trois pècberks, qui s'étendent 
jusqu'à la limite des petits fonds, nous descendîmes A terre. Le ^d réflé- 
chissait les premiers rayons du soleil, le sommet des moQiagnes sortait des 
ténèbres ei apparaissait dans l'espace, mais le jour était encore trop faible 
pour nous diriger à travers les obscurs et étroits sentier où s'engagea moa 
guide, en me présentant le bout d'un bâton, qu'il tenait par l'autre extré« 
mité. Les Papous tirèrent leurs pirogues à t^re^ se précipitèrent sur nos 
pas, prirent les devants, et annonçaient par leurs cris les pas difficiles à 
franchir. Après une longue demi-heure de marche à tâtons , nous commen- 
çâmes à distinguer un peu les objets environnants ; le jour éclairait la 
vallée, et ses rayons traversaient enfin les épaisses cimes des palétuviers et 
du palmier nipa fruiicans. Cette dernière espèce était tellement multipliée 
partout où le rhizophora g/t^norhisfi et le mangium candelarium lui avaient 
cédé la place, qu'elle foriiMit à elle seule desi)ois étendus et très-touffus. A 
la sortie de ces forêts marécageuses , nous nous trouvâmes sur les bords 
d'une petite baie, où deux embarcations, soigneusement abritées sous de 
petits hangars de feuilles de palmier, m'indiquèrent la proximité d'une 
habitation. En effleC, nous gravîmes une p(^it« énHoence calcaire, où la 
main de l'homme avait taillé quatre rampes de dix marches chacune, 
tout à côté d'une cascade , et nous arrivâmes sous un berceau de pandanées, 
ep £iDe d'une petite maisonaeCte constraite sur le plan d'une maison emtv» 
féeam^ bien qu'elle oe fût entièrement cvmpoaée que 4e bambous. 

14 n'était que cinq heures du matin : cependant 4es propriétaires de cet 
agréable asile avaient déjà <}uitté teurs nattes pour jouir tfe la fraîcheur du 
matin , ou se Hvrer à leurs travaux sans être exposés â l'ardeur du soleil. 
Trois enfants de trois à six ans, deux petites filles et un petit garçon , tous 
trois nus et barbouillés de terre, jouaient devant le seuil de la porte; une 
jeune femme, appuyée contre un arbre, donnait à teter; tous avaient un 
^ de santé auquel je ne me fusse point attendu dans un lieu aussi près dea 
man^cages. 

Mon introducteur me présenta , et l'inévitable fauteuil de bambou me fut 
offert au centre du péristyle , entre deux troncs de bambou faisant offioa 
de colonnes. Le petit nourrisson fut aussitôt déposé â terre sur une tresse^ 
où il se mit â gigotter tout en suçant son pouce, pendant que sa mère m'of- 
frait, dans une corbeille, les fruits de Voiwtui muricataei dt$ pisang-radiOf 
Les manières de cette femme étaient bienveillantes; sa figure me rappela 
immédiatement les femmes de Samoa, de Taïti et de Vavao, impression 
qu'il est bon de noter, car l'on a trop éloigné les Malaisiens de la race rou^e 
océanienne , considérée dans son ensemble. Sa propreté était parfaite, ses 
cheveux noirs, lisses et brillants; ses seins étaient à peine recouverts d'un 
corsage de mousseline large et flottant, adapté à un jupon en coton rayé de 
rouge et de blanc. Sa taille lourde trahissait des formes peu gracieuse^; ce- 



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HAUtflfi. W 

pendant son br«6 étaU beau, sa main délicate; aea yeux Boirs iiaîent 
grands el vifsi il ne manquait à sa physionomie, pour être réellement af- 
duisante, que des pommettes moins marquées, une boucbe moins grande 
ci vierge de bétel. Telle était la femme d'un pécheur d'Amboine. 

|1 est bien remarquable que les indicfènes cuivrés de TOcéanie, soif 
homme, soit femme ^ à demi civilisés ou même ^core à Tétat sauvage, 
remportent autant en dignité sur la plupart des Européens des villes et des 
campagnes, qui reçurent trop peu ou point d'éducation. Ne faut-il pasea 
rechercher la cause dans les travaux auxquels sont soumis la plupart des 
bonimes civilisés? La fatigue du corps semble accabler l'esprit et étouffer 
en nous jusqu'à l'estime de nous-méme, lorsqu'une éducation convena«* 
ble (1), une instruction indispensable, ne nous élèvent point de prim« 
abord à nos propres yeux. 

Pendant que la maîtresse du logis remplissait les devoirs de l'hospitalité^ 
mon bouda (2) s'était éloigné, mais il tarda peu à revenir; il était accom- 
pagné de quatre hommes. L'un d'eux était le maître de l'habitation ; il était 
très-gras, ce qui est une véritable rareté parmi les Malai$iens; il entra en 
prononçant le mot sahaha (ami ) ^ et quelques autres que je jugeai aussi po** 
lis, au ton de soumission avec lequel ils furent prononcés; il remit au< 
trois autres individus trois pagaies, et parut attendre mes ordres 

Alors mon domestique, tel était le titre que mon guide se donnait prés 
de ma personne, s'approcha de moi avec les maniéresi les plus souples, \e$ 
plus révérencieuses , et me fit comprendre , par un signe qui consiste à si-* 
muler l'action de compter de l'argent, qu'il fallait, pour continuer notr# 
voyage, faire briller le nerf de toute entreprise. Sa demande était juste ^ 
aussi m'empressai-je de la satisfaire ; je lui livrai 5 piastres* Il les chan* 
gea immédiatement en une foule de petites pièces , puis divisa cette moa« 
naie en tas inégaux de volume , les distribua au propriétaire de la piroguf 
que nous frétions, aux deux Papous qui retournaient à la ville, enfin aux 
nouveaux pagayeurs; il remit le reste dans sa poche, après avoir enveloppé 
chaque part séparément dans des morceaux de papier. Tout cela se fit avec 
une promptitude qui me donna une bonnç idée de l'intelligence de mon 
factotum , car il venait de mériter ce titre à ma grande satisfaction : je n'a-f 
vais plus, en effet, qu'à marcher à mon but, sans m'inquiéter des indis«» 
pensables interventions et formalités que j'aurais inévitablement encore^ 
subir. Cet homnfie avait un extérieur remarquable : sa démarche était vive» 
affairé^ ; sa physionomie semblait affecter un sérieux étudié , et l'air d'im« 
portance d'un Crispin. Son costume était cependant celui d'un initié de la 
police : un large baudrier, bigarré de bandes en drap noir et rouge, orné 
d'une plaque argentée, croisait en écharpe sur sa poitrine, et soutenait une 
e^ee de sabre d'infanterie; une veste bleue, bordée de rouge et munie de 



(1) J'entends par éducation non pas seulement une instruction préparatoire ^ 
mais surtout cetle direciioa de Vesprit qui forme le jugement et le cOMir. 
Ci) Bouda, root malais qui signifie serviteur. 



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13t REVUE UE l'orient. 

boutons d'uniforme, une petite canne noire, plus propre à marquer l'auto- 
rité de celui qui la portait qu*â servir d'auxiliaire dans la marche ou de 
moyen de défense, eussent encore été autant de preuves en faveur de mes 
présomptions sur la nature de sa profession , si son air d'arrogance et Tem- 
pressement que Ton apportait â exécuter ses volontés ne m'eussent point 
démontré qu'un rapport bon ou mauvais de cet alguazil matais n'était point 
chose indifférente. Sa coiffure consistait en un madras rouge, noué et dis- 
posé avec une certaine prétention ; une blouse rayée de rose et de blanc 
s'échappait de dessous sa veste et descendait jusqu'au milieu des cuisses; le 
reste de cet affublement se terminait par un pantalon de même étoffe; ses 
pieds étaient nus. 11 était grand , maigre; ses traits secs et mobiles étaient 
singulièrement animés par de très-petits yeux noirs, obliques, d'un feu 
extraordinaire, que la hardiesse naturelle de son regard ne lui permettait 
point d'adoucir, lors même qu'il se croyait obligé à conquérir vos bonnes 
grâces par les témoignages de la servilité la plus élastique. 

Notre relâche avait été à peine d'une demi-heure, et pourtant tout avait 
changé d'aspect. La rade réfléchissait les flots de lumière dont l'atmosphère 
était déjà traversée. La marée basse nous força encore à quelques longs cir- 
cuits, qui nous exposèrent, pendant une heure, à l'éclat éblouissant d'un 
soleil peu élevé, dont les rayons, déjà très-chauds, nous frappaient direc- 
tement le visage. A six heures et demie, nous commençâmes à ressentir les 
premiers effets du flot. Nous nous rapprochâmes petit à petit de la côte, où 
bientôt nous pûmes naviguer à l'ombre protectrice des palétuviers qui se 
pressent sur ces bords séduisants , mais pernicieux. Des odeurs fort dés- 
agréables nous prévenaient de temps en temps que ces lieux cachaient là 
mort sous leurs frais et verdoyants ombrages : c'est ce que savaient très-bien 
mes compagnons de voyage; car ils ne manquaient pas de répéter chaque 
fois le mot lara ( maladie ) en précipitant le mouvement de leurs pagaies. 
A sept heures, sept heures et demie, nous avions atteint la limite Ë. de la 
rade d'Amboine,et nous faisions notre entrée dans le petit canal dePaguala. 

Cette petite coupure a été pratiquée à travers l'isthme étroit et sablon- 
neux qui réunit la partie N. de t'tle à sa partie S. Elle sert de communication 
directe entre les districts situés au vent et ceux des rivages de l'O. Son ex- 
trémité orientale s'ouvre dans une vaste baie , un peu agitée , mais où les 
grandes pirogues du pays et de Géram , destinées à l'approvisionnement de 
la Ville, peuvent jeter l'ancre, en attendant que la marée leur permette de 
franchir la digue de coraux roulés que la mer éleva entre les deux baies. 
Le pertuis , si inutilement ménagé par la main de l'homme , évite à ces 
petits navires un immense contour et les difficultés d'une longue naviga- 
tion contre le vent, lorsqu'ils retournent vers leurs pénates. 

L*aspect de Paguala est pittoresque : les cases en sont régulièrement ali- 
gnées ; quelques-unes de ces habitations sont même construites avec assez 
de goût. La terre détrempée, le bagnbou, en sont les principaux éléments; 
toutes sont couvertes avec les feuilles du sagoutier. Des palissades légères 
et basses environnent la demeure des riches; elles en défendent l'approcbe 



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MALAISIE. 129 

du c6(é de la rue sans en obstruer la vue. Ce nxgry ( village ) se compose 
d'une centaine de maisons; je lui suppose une population de 3 à 400 per- 
sonnes. Je fus accompagné jusque chez Yorang^cafa (1) par une foule qui 
soulevait une poussière étouffante. J'arrivai assez promptement, à ma 
grande satisfaction ; car j'espérais échapper aux cris importuns et à l'agita- 
tion incessante de cette réunion d'enfants , d'hommes et de femmes. Mais 
je fus trompé dans mes espérances : je dus subir la réception sous l'espèce 
de galerie extérieure qui précède la porte , et où le fauteuil me fut présenté. 
J'aurais donc encore été pressé par cette multitude de curieux, si mon 
bouda, redoublant de zèle, dans raltenie de l'honorable orang-caya, n'eût 
signifié à la canaille de se retirer jusqu'à la porte de la cour. Il fit retentir 
l'air de sa voix glapissante el de paroles si brèves, si saccadées, que je ne 
lui supposai point un langage très-libéral ; le satellite du pouvoir se per- 
mettait évidemment l'injure. Cette éloquence primitive persuada, aidée, il 
est vrai , de quelques gourmades , qui s'adressèrent de préférence aux en- 
fants. 

Vorang'caxa vint enfin : on l'avait été chercher dans le bourg, où ses 
fonctions le retenaient sans doute. Il eut d'abord quelque peine à fendre la 
foule; il s*âgitait vainement au milieu de ce rempart compact de têtes, 
de bras, de jambes nus; il ne dut sa délivrance qu'à la baguette magique 
de la police : elle se leva , sans frapper; mais partout où elle passait suspen- 
due, le vide s'opérait. Un petit vieillard apparut alors, sautant à droite, 
sautant à gauche, gourmandant à droite, gourmandant à gauche, et mar- 
chant toujours d'un pas précipité. Ses vêtements étaient de nature à le faire 
distinguer : ils consistaient en un chapeau conique, appelé en Europe 
chapeau chinois, en une tunique de coton violette à ramage, serrée au- 
dessus des hanches par une ceinture de cotonnine rouge; un pantalon à 
raies bleues, des souliers, complétaient inévitablement la toilette de cette 
respectable autorité. La masse des assistants du sexe masculin ne portait 
généralement qu'une culotte : aussi le costume de t'orang-caya brillait-il 
entre tous. 11 me salua en 6tant son chapeau , m'engagea à me rasseoir, et 
me fit offrir l'agréable et fraîche liqueur que distillent les pédoncules du 
sagoutier. 11 me présenta lui-même des fruits, et les déposa sur une petite 
table placée à c6lé de moi. Il me fit comprendre par gestes, en les accom- 
pagnant d'une expression de physionomie tout à la fois bonn% bienveillante 
et mystérieuse , qu'il allait s^occuper de moi, et que je serais content de lui. 

Pendant que l'on faisait les préparatifs de mon départ de Paguala, j'eus le 
temps d'examiner les figures qui m'entouraient, et de continuer, à Amboine, 
les observations commencées, à Ternate, sur les habitants de l'archipel 
indien; car il fallait prendre patience, les dispositions prévoyantes de 
l'orang-caya entraînaient une multitude d'ordres, et, par conséquent , de 
retards dont je m'étonnais, sans pouvoir en expliquer la cause. La foule, 



(!) Homme riche, nom donné au chef du nygrf . 
IX. 



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130 R£VUE ms L^dRlENT. 

hm de li'étre dissipée , s'était accrue ; cependant , devenue plus paisible, eOe 
s'était glissée lentement teut autour de ta palissade intérieure , sans que, 
cette fois , Tinetorable pion t^j fût opposé. 

La chevelure des Malais n'a rien qui la distingue de celle des autres 
hommes de la race rouge : il est donc inutile de dire qu'elle est toujours 
notre, que leurs cheveux sont gros, difficiles à lisser, et souvent légère- 
ment ondulés, malgré l'huile dont ils les imprègnent, afin de leur donner 
qudque souplesse. Sous ce rapport , comme sous tant d'autres , ils ne pré- 
sentent rien de spécial, et les Américains, les Polynésiens , ainsi que les 
Kaimouks, les Mongols, etc., ne diffèrent nullement des Malais. Leur fi- 
gure est plate, plutôt ronde qu'ovale chez les femmes, plus ovale chez le$ 
hommes; leurs pommettes saillantes donnent à Tensemble de leur face un 
développement transversal fort disgracieux : aussi leurs énorme maxillai- 
res supérieurs paraissent-ils peu larges , mais très-saillants d'arrière en 
avants disposition qui constitue des traits durs, heurtés. Ce défaut d'en- 
semble des différentes parties de la figure en isole la portion inférieure, la 
modèle à part, pour ainsi dire , et rend plus remarquable encore la large 
Mverture de la bouche. Les joues pleines des jeunes femmes adoucissent 
beaucoup l'expression de ces figures osseuses , mais ne changent rien au ca- 
ractère typique de Técartement des molaires, du développement de la mâ- 
choire impérieure, et , par conséquent, de leur immense bouche. Le front 
de ces insulaires est d'une largeur moyenne ; mais bien qu'assez haut , ri s'é- 
lève peu perpendiculairement au-dessus des orbites et s'incline prompte- 
mmi en arrière , tout en décrivant un arc assez satisfaisant. Ils ont le nez 
gués et aplati par le bout, sans être ^té. Leurs oreilles sont grandes , 
écartées et g^iérafement mal faites. 

Après l'exposé de ces caractères , il est facile , ce me semble , de rapporter 
les Malais à leur véritable race ; cependant les auteurs, qui ne cèdent pas 
aisément au besoiti dç tourner la dtflSculté, en disant autant de races qu'il 
y a de variétés tiaiis chacune d'elles , en sont encore fort embarrassés. Le 
oélèbreOuvier , ce grand observateur , était de ce nombre parce qu'il Sa- 
vait point vu; il «e plaint du néant des figures et des descriptions. Mais 
laissant de c4tié ici la grande question de leur origine, et ne voulant envi- 
sager ^e cette de Toaitéde plan dans ta race cuivrée , nous dirons quH 
esft facile de r^rouver parmi les Malais, les l^olynésiens, les Américains, 
les Tartares^ les mêmes traits, plus ou moins modifiés par le climat, ce 
grand réac^ oiiganique , et par les habitudes qu'il impose aux êtres soumis 
à sfô lois. S'il était possible d'animer les passions des Péruviens , si l'on 
pouvait leur communiquer la vi vacKé du regard , et tracer sur leur face les 
rides qui trahissent l'agitation d'une âme turbulente, la ressemblance frap- 
perait tous les yeux. A part l'oMiquité des yeux des Kalmouks, Mongols et 
Tartares, on retrouve parmi ces peuples tous les traits fondamentaux de 
leur identité avec les Malais. Quedis-je : à part l'obliquité des yeux? mais 
beaucoup de Malaisiens ont conservé les traces de cette conformation , au- 
tant au moins que les Carolios, les <yroëtileadffi^, les 'Patagons, les Ckk" 
liens et les Péruviens, 



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MAIAISUS. 131 

Qaant «ux PolyftMeis, lo«C ce qu'U y a de désagnéaMe làêrn U figure 
des Matais tend évkleiBiiient chez eux à une seosible aiaélMraiiea : ainsi il 
n'y aurait entre ces deux peufries d'autre diftiauee ({ue ceUe du mieux au 
moins bien. Or , a-t-on jamais eu l'idée de soutenir qu'un homme laid ^ 
nègre ou blanc, n'est pas de la même race qu'un homme beau^, également 
blanc ou noir? 

Le crâne, cette partie la plus importante des animaux, est, diez l'homme, 
d^ane importance bien autrement grande, puisqu'il est l'enveloppe madé- 
nelle de Tintelligence ; le cerveau , qu'il protège , est la mesure la pkis p4^ 
faite dont les philosophes puissent s'emparer pour dasser les animaux , en 
classant leur degré de sensibilité : il doit donc aussi servir à déterminer le 
degré de supériorité des races humaines et de leurs rameaux. Ces princifNBS 
incontestaûes nous permettraient- île de saisir les différences crâuioscopi- 
ques qui distingueraient ou distinguent réellement les Malaisiefis des Po- 
lynésiens? Je crois qu'avec de longues études et un grand nombre de 
crânes , on pourrait arriver â des résultats scientifiques du plus grand 
intérêt , quoique peut-être un peu minutieux; mais puisque, pour le mo- 
ment, Tobservation à distance et en masse nous est seule permise , voyons 
à quelle conclusion le raisonnement va nous conduire, appuyé de oe qu'il 
nous est permis d'apprécier ex visu. 

Le crâne diffère peu de forme chez les Polynésiens et les Malaisi^s* 
VoUâ ce que mes observations me permettent d'assurer , et ce que le rai- 
sonnement vient appuyar. Ce fait n'a rien de surprenant; le f^it o|>posé le 
serait au contraire. Chaque race reçut en partage un degré de capacité 
qu'elle porta partout où elle s'est étendue ; le climat, les nécessités locales 
ont bien pu exagérer ou modérer ses goôts et ses penchants, mais l'en- 
semble reste le même avec tous ses germes... Les Maîaisiens et les Polyné- 
siens constituent deux rameaux d'une même tige trop rapprochés pour offrir 
sous le rapport de la conformation de leur crâne, du liront surtout, si^ 
delà pensée, des différences suffisamment appréciables, diatinctenumt li- 
mitées au premier coup d'oeil. 

il n'en est point de même des appareils essentielkment propres â la vie 
organique : la salutaire pureté de l'air, Fabondauce et l'excelleiioe des ali- 
ments, ont sur leur développement une grande influenoe. Ainsi, les Poly- 
nésiens ont aussi généralement de gros traits, leur figure «t large; mais 
l'arc de leurs os malaires est infiniment moins marqué en avant et moins 
étoidu en dehors que diez les Malais. Leur nez reste gros , un peu évasé 
par en bas; mais, diose remarquable, et qu'il est facile d'observer même 
parmi les progrès matériels d'un individu , le pavillon du nez acquiert en 
même temps des contours moins communs, mieux déterminés : on ne 
rencontre plus de ces profils bizarres, défigurés, où la nature semble d'a- 
bord avoir pourvu exclusivement au besoin animal, sans s'être souciée de 
réfléchir sur un miroir parfaitement net les rayons de rinlelligence (1). 
• — * . ' ■ ' ■' 

(1) Il en est de même du paviHon de l*oreille. 



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132 REVUE DE l'orient. 

Les Polynésiens ont le nez bien modelé et souvent aquilin , leur bouche est 
grande, leurs lèvres grosses; mais tout cela se fond mieux avec Tovale de 
la face, parce que les pommettes sont moins écartées; il en résulte aussi 
des joues plus pleines et une mâchoire supérieure moins détachée , pour 
ainsi dire, du haut du visage. En un mot , tous leurs traits sont mieux pro* 
portionnés, et , au milieu de celte harmonie, ces grandes bouches ne parais- 
sent plus choquantes. 

Les femmes polynésiennes n'ont pourtant pas sur les Malaises autant de 
supériorité que les Polynésiens sur les Malais: cela tient, ainsi que noua 
l'avons déjà dit ailleurs , à ce que l'état sauvage est peu propice à la déli- 
catesse de la femme , lors même qu'elle se trouve placée au milieu des con- 
ditions les plus heureuses de climat et d'abondance. Sans doute alors elle 
s'embellit aussi ; mais elle est loin d'atteindre une beauté relative, compa- 
rable à celle du sexe masculin. Ses charmes , entourés des soins de la civi- 
lisation , acquièrent plus sûrement , fût-ce même dans une atmosphère un 
peu moins saine. 

Nous avons vu à Ternate , où les douceurs de la vie sociale paraissent 
être plus répandues qu'à Ambojne, plusieurs femmes véritablement assez 
agréables ( j'éloigne ici le souvenir des métisses , faciles à distinguer ). Je 
pourrais citer, entre autres , les danseuses que le sultan fit figurer devant 
bous: l'une d'elles, surtout, était très-jolie ; la délicatesse de ses traits, la 
beauté même de ses yeux , l'emportaient de beaucoup sur ceux des plus 
agréables Mendocéennes. Mais, au rebours de ce que nous avions vu en 
Polynésie, nous n'avons point rencontré un seul homme qui pût soutenir 
la comparaison près de cette belle Malaise. 

Les Malais ne sont npn plus remarquables par leur taille et les formes de 
leur corps; leur stature est moyenne, mais, soit grands, soit petits, ils 
sont maigres. Les exceptions offrent des individus forts et musclés, mais 
ce développement est presque toujours borné aux bras et aux épaules; le 
reste de leur personne n*est nullement proportionné. Leurs poses et leurs 
gestes sont dénués de grâce naturelle ; leurs extrémités pelviennes sont 
grêles, défout que le plus grand nombre des Océaniens de Test ont une 
grande tendance à partager avec eux. 

Ils sont vifo, turbulents; leur physionomie est passionnée; on s'aocorde 
à les trouver hardis, entreprenants, despotes et cruels dans l'occasion, 
rampants dans la soumission, faux, dissimulés, rusés, cupides. Ce dernier 
vice est probablement la souche de tous les autres ; on lui a, je crois, donné 
le nom é!acquiswité. Leur position sur le globe doit être l'origine de ce pen- 
chant au commerce et à la piraterie; leur existence d'insulaires, leur goût 
pour la navigation, qui en est la conséquence forcée, leurs connaissances 
nautiques, leurs praos, le voisinage de l'Asie, habitée par des peuples négo- 
ciants , tout contribue à les foire ce qu'ils sont. Remarquons, en outre, qu'ils 
vivaient assez près d'un continent pour en contracter les vices, et qu'ils en 
étaient trop loin pour profiter des conquêtes de la civilisation. En lait de re- 
ligion , ils ne connurent longtemps que l'aveugle fanatisme et Tabrutisse- 



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AIJÙMSIE. 133 

ment qu'il impose à la raison. On ne saurait donc accuser leur intelligence 
du peu de progrès de leur esprit : ils n'ont point eu l'occasion de l'exercer; 
ils ont dû même se corrompre, en cédant à tous les excès dont leurs rap- 
ports avec l'étranger leur fournissaient la séduisante variété. Depuis de 
longues années, ils furent flétris par les vices de la civilisation indienne, et 
ensuite par ceux de la civilisation européenne , si prodigue de grands mots 
de philanthropie, mais qui s'empresse si peu de les élever jusqu'à elle. 

Leur infériorité physique résulte de leur intempérance et dépend aussi du 
climat. 

Ils usent de tout immodérément : de l'opium, du tabac, des liqueurs alcoo- 
liques, j'ajouterai même du bétel; toutes ces jouissances factices, si elles ne 
sont point toujours au moins nuisibles à sa nutrition et \ sa reproduction. 
L'usage constant du bétel n'est pas sans apporter dans la constitution une 
modification dégradante matériellement parlant , parce que toute substance 
qui n'est point réparatrice est médicament ou poison. Or, ne fùt-il que mé« 
dicament, son emploi répété entraînera Texcès de son action. L'expérience 
ne m'a point appris quelles maladies naissent iudispensablenient de cette 
dégoûtante coutume, mais je ne puis croire ici ni à sa nécessité hygiénique, 
ni à son efficacité spéciale. L'utilité du bétel est une des mille chimères dont 
se berce l'esprit humain , afin d'excuser une mauvaise habitude. 

Le climat a une immense influence sur la constitution des Malaisiens: 
l'air des parties basses de Tarchipel indien n'est point salutaire. Il n'est point 
indispensable d'entrer en discussion pour prouver un fait mis en évidence 
par une foule de trop célèbres relations; mais ce qui prouve cette insalu- 
brité mieux que toutes les dissertations, c'est la bonté des Daxas, des^/- 
fouras de Bornéo, des Gélèbes,et de Sumatra. Ces montagnards habitent les 
fertiles et hautes cimes de la Malaisie : il n'est donc point besoin de s'éver- 
tuer à chercher la cause de leur supériorité dans les ténèbres d'une filiation 
mystérieuse et étrangère au rameau malais. Partout, en effet, l'habitation 
sur les montagnes établit de pareilles dissidences physiques entre les habi- 
tants d'une même région : les profondes vallées de la Suisse et ses hautes 
montag^nes nous présentent une foule de ces contrastes; les Antilles nous en 
fourniraient de plus frappants encore, si on l'exigeait. 

J'étais encore tout occupé du spectacle curieux que m'offrait cette foule 
de gens oisifs, lorsque le retour de l'honorable orang-caxa m'arracha à la 
contemplation de mon tableau. Il était suivi d'un fauteuil fixé entre deux 
longs bambous , et juché sur les épaules de huit hommes ; huit autres sui- 
vaient encore , ne portant rien, mais évidemment destinés à servir de relais. 
Enfin cette longue file de seize porteurs était accompagnée de quatre autres 
individus, qui s'emparèrent aussitôt d'une botte botanique , d'un sac et d'une 
masse géologiques , ainsi que d'une gibecière où nos vivres étaient renfer- 
més. Telle était la caravane dont mon bouda eût pris le commandement avec 
un sensible plaisir, si j'eusse accepté cet inutile cortège. J'exprimai ma gra-- 
titude aussi expressément que possible au chef hospitalier de Paguala , et 
je m'éloignai en poussant devant moi mon homme de confiance et les quatre 



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134 REVUE BB L'ORlEirr. 

Malais qai s'étaient déjà saisis de mon indispensable bagage. Mais Yorwfg- 
caora eournt sur mes pas, me retint par les bras, et, me montrant le so^ 
letl , il prononça le mot mati (mourir). Je compris qn'il appréhendait pour 
l'Européen les suites d'une marche exposée au soleil. Je lui montrai que j'i- 
rais lentement, tout en lui désignant de loin la forêt, et, près de nous, les 
arbres qui nous entouraient : il vit que je comptais sur leur ombrage. Je me 
croyais libre, mais sautant prestement devant moi, il me tendit son bras 
et me tira la langue. Je fus assez surpris de cette expression mimique, mais 
je compris bientôt qu'il désirait une consultation. Je touchai son pouls aussi 
sérieusement que possible, et grâce à un bagous (bon) dit avec conviction, 
je pus continuer mon chenrin. Mon guide avait évidemment trahi mon in- 

' oognito médical. 

D'abord nous suivîmes une route bordée du pisang-rad^a , du mangifera 
inéica » de Vanona miaicata , du jamhosa domesdca , et de quelques pieds 
de cictis pecdruHa; mais cet agréable sentier finit trop t6t. Nous dûmes 
franchir, sur le sable mouvant de la plage et de Paguala , le quart de lieue 
qui nous restait à faire avant d'atteindre le pied de la montagne. Il était 
neuf heures au moment où nous atteignîmes ce but déshré. 

Un remrpart d'agave vivipare forme autour du bois une défense inexpiH 
gnable. Cette bel le amaryllis croît parmi les rochers éboulés des escarpements 
et amoncelés par la mer à la limite de son empire. Un pauvre naufragé, 
jeté sur cette e6te, serait durement accueilli sur les pointes aiguës de cette 
formidable haie. Cette agave est \tpliormium tenax de l'Océanie inter-tro- 
picale, de ^Amérique et des côtes d'Afrique. Au-dessus, sur les petits pro- 
montoirs de grès qui dominent la baie , s'élève le pandanus odoradssimus , 
un des arbres les plus singuliers de la végétation océanienne. Près de lui 
brillent les fleurs rouges de ïerythrUia corallodendron , accusées par les Am- 
boîniens d'effrayer les poissons par l'éclat de leur couleur rouge cinabre. La 
coïncidence de sa floraison et de la migration du poisson , pendant le mois 
d'août, est la cause de cette fable , qui fait si peu d'honneur à l'esprit d'd»- 
servatiott des indigènes. Le scavola lobelia abonde près des bords de la 
mer ; le capricum grassum (piment) muKiplie son joli feuillage au plus 
touffu du bois ; Vheriliera , aux feuilles argentées , au calice de veloursroiige, 
forme au milieu de cette première zone de fa v^étation montagnarde 
des oppositions délieieuses de couleurs ; quelques pieds de piper sirobca l'en- 
tourent de leurs liges volubiles ; les hautes têtes panachées des ^-eca spicata 
et catechu déploient avec un air de fête leurs palmes toujours ornées de 

'longues bandelettes vertes ; plusieurs mélastomea offrent le nectar anx nooi- 
brenx souimangas (1) qu'attirent leurs fleurs violettes et roses; le cusscrm 
thxsiflora développe ses grandes feuilles digitées; à chaque pas on rencontre 
Vareca humilis. C'est aussi dans cette bande de topographie botanique que 



(DGes oiseaux sont à faneiea coatineBS ce que les colibris 61 les oiseaux-oHnches 
toat au nouveau. 



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lUiAisiB. 136 

te trouve compris Vtmocarptu syWestns, dont te fruit, um peu indigeste , 
n'en est pas moins d'un grand secours aux indigènes dans les temps de di- 
sette. On se sert de la propriété qu'ont ses feuilles de crépiter avec violence, 
quand on les brûle, pour éloigner les serpents , précaution indispensable à 
prendre toutes les fob que l'on est obligé de passer la nuit au milieu des 
bois. \2aru>carjpus iniepifoUa est aussi commensal des mêmes lieux. Chose 
digne de remarque, Vartocarpus incisa (l'arbre à pain de prédilection des 
beureuses Nubiva, Talti, Samoa, Tunga, etc.) ne se rencontre point à 
l'état sauvage à Amboine , tandis qu'il habite , dit-on , les bois de Banda. 

Aussitôt que nous commençâmes à gravir sur un terrain plus escarpé, 
sur le dos tranchant des contreforts , seule route qui pût nous conduire 
désormais vers les points culminants, à 250 mètres environ au-dessus du 
niveau de la mer, nous nous trouvâmes environnés presque exclusivement 
du canarium commune. Cette belle térébint binée produit une noix recher- 
cbée par les aborigènes; ils en composent un gâteau sucré et torréfié qu'ils 
aiment beaucoup. Ces bauteurs sont aussi le séjour du canarium balsamifc- 
rum : son bois sert â faire des torches infininiment meilleures que celles 
confectionnées avec le canarium commune^ â cause du peu de fumée qu'elles 
répandent; c'est avec ces faisceaux enflammés que l'on s'éclaire dans les 
cases et pendant certaines pèches nocturnes dites pèches au flambeau. Le 
canarium hirsutum s'élève aussi dansées hautes régions de l'Ile : c'est lui qui 
produit la résine propre au calfatage des petites embarcations , nommées 
tsjampans; les femmes en retirent l'huile odorante dont elles imprègnent 
leurs cheveux. Le canarium microcarpum croit â côté du précédent : sa ré- 
sine sert à enduire les grands navires ou praos , et est , dit-on, fort rare à 
Amboine. Dans cette Ile, comme â Ternate, où l'on retrouve quelques-uns 
de ces grands végétaux, des orcbis parasites étalent le luxe de leurs belles 
fleurs sur les branches des canariées. 

Le peu d'élévation de ces montagnes ne permet pas que Ton puisse les 
diviser en plus de deux zones botaniques: la région artocarpienne , qui, 
de la mer, s'élève jusqu'à 250 â 280 mètres , et la région canarienne, qui 
envahit le reste de leurs crêtes supérieures ju8(|u'â 600 à 700 mètres au- 
dessus du niveau de l'Océan. 

Cette petite chatne est bien loin d'attirer et de fixer les nuages , ainsi 
que le pic de Ternate, et d'entretenir, comme lui , une humidité aussi fé- 
conde. Les forêts d'Amboine , d'abord très-épaisses dans leur moitié in- 
férieure, le sont infiniment moins dans le reste de leur étendue; les arbres 
y sont éloignés comme dans nos forêts royales, quoique le feuillage clair 
des canariées laisse à l'air une assez libre circulation au-dessous de leurs 
hautes futaies. A Ternate, il n'en est pas de même, sur aucun point de la 
hauteur de son cône volcanique ; partout la végétation y est serrée , et forme 
un double abri de verdure, jusqu'à 600 mètres de hauteur. Au-dessus de 
cette limite, la force v^étative diminue, mais la puissance germinatrice 
conserve encore une suffisante activité ; elle s'accroît même, car à 1,000 
mètres d'élévation, l'humidité tiède des tropiques est permanente , et , de 



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136 REVU£ 0B l'orient. 

plus , Fdbsence des grands arbres laisse les jeunes sujets se faire facilement 
jour et prendre place à la lumière. 

Les sommets d'Amboine, du côté du nord-est et du nord , consistent en 
crêtes étroites , souvent tapissées de couches calcaires. D'un côté , elles s'in^ 
clinent plus ou moins rapidement vers Tune des ravines voisines; de l'au- 
tre , elles sont escarpées et forment des falaises de 200 et de 300 mètres. Cette 
disposition est la plus constante. 

Quelques-uns de ces escarpements sont blancs comme les calcaires ma- 
dréporiques désagrégés qui les revêtent; d'autres sont rouges, et doivent 
cette couleur à la décomposition des basaltes qui les formaient autrefois. 
Plusieurs points de la surface de ces énormes murailles ont encore conservé 
la forme des prismes qui les ont édifiées autrefois. C'est principalement sur 
les éboulements de ces masses écroulées que j'ai obs^r vé Y ickthyocUanos mon- 
tana de Rumphius. 

Les naturels se servent de Técorce de sa racine quand ils veulent capturer 
une grande quantité de poissons. 1 1 suffit alors d'en jeter les fragments sur l'eau, 
et, au bout d'une demi-heure, tous ceux de ces animaux qui ont respiré cette 
eau empoisonnée surnagent morts ou seulement engourdis. Cette substance 
toxique n'a que peu d'effet sur l'homme ; elle ne détermine chez lut qu^un 
léger prurit , lorsqu'il lui arrive de boire aux torrents dont les bassins su- 
périeurs ont été dépeuplés par ce moyen destructeur. 

Nous arrivâmes, à cinq heures du matin, sur le point le plus haut de 
cette longue chaîne de côtes, dont une ligne brisée en zigzags inégaux 
pourrait donner une idée. De cette étroite chaussée de basaltes, encore dure 
et respectée par le temps , comme si elle fût plus récemment sortie des fa- 
laises inférieures, de ce seul point dépouillé de végétation, nous eûmes la 
vue du panorama de l'Ile, et même, grâce à l'énorme circuit que nous 
avions fait en parcourant les mille détours de ces arêtes, nous nous trou- 
vâmes en face de la ville d'Amboine. 

Elle apparaissait comme les dépendances d'un vaste château , dfstrït>uée 
le long des ailées tortueuses d'un grand parc; les plantations d'une multi- 
tude de jardins la cachaient en partie. La brise du soir répandait afors sa 
douce fraîcheur sur la vallée et soulevait les gigantesques feuilles du sagou. 
tier; on distinguait, de temps en temps, sous leurs épaisses touffes tuté- 
laires, les modestes chaumières du pauvre qu'il abrite et qu'il nourrit. 
Auprès d'habitations plus élégantes, ce bel arbre semblait comprendre que 
son rôle était changé , et que son utilité était moins recherchée que sa 
beauté: il étalait donc majestueusement tout le luxe de sa puissante vie, 
comme pour ajouter â celui du favori de la fortune que le destin lui don- 
nait pour mattre. Ces heureux naquirent souvent bien loin des lieux té- 
moins de leur prospérité; car on trouve constamment , sur ce point avancé 
de la civilisation , des Européens , des Africains, des Asiatiques , des Amé- 
ricains et des Océaniens. L'espérance y amène bien des ambitions de for- 
tune, et la mer y jette bien des malheureux qui n'y rêvent bientôt plus que 
le retour dans la patrie. 



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MALAISIE. 137 

ÂniboiDe est une ile presque entièrement montueuse; dans quelques en- 
droits seulement, une plaine plus ou moins étendue se déploie du pied des 
montagnes à la plage. Elle a été conquise sur la mer, d'abord par les co- 
raux : ils élevèrent leurs industrieuses ruches sur les gradins basaltiques 
sous-marins qui servent de base au pays; ensuite les alluvions de torrents 
achevèrent cette conquête aux dépens des falaises et ravins sinueux qui les 
emprisonnent. A l'époque éloignée où la configuration de ia côte était des^ 
sinée par les montagnes elles-mêmes, ia baie d'Amboine était évidemment 
plus large, et communiquait, par ses deux extrémités, avec le large; ses 
eaux étaient plus vives , plus limpides , les ondulations des flots s'y faisaient 
facilement ressentir; elle réunissait toutes les conditions à l'existence des 
Hthophytes. Aujourd'hui, on n'en voit plus que des débris, parce que la 
plage est bourbeuse ; de plus , la proportion des eaux douces y est trop 
augmentée par rapport à celle des eaux salées, en grande partie repoussées 
de leur ancien lit. La vague enfin ne vient plus se briser sur les hauts fonds 
de la baie, et y rouler ses gerbes d'écume aérée, circonstances des plus 
iavorables à l'accroissement des espèces de madrépores, appartenant aux 
hautes régions de l'Océan. L'aspect de cette rade est celui d'un lac entouré 
des montagnes qui Talimentent. Comme un grand nombre de lacs, elle 
doit son existence à l'affaissement d'un cratère de soulèvement, qui s'est 
abtmé en laissant tout autour de ses bords les preuves indubitables de ses 
puissants efforts. Cette baie rappelle, en effet, l'idée des cratères de M. de 
Buch. Je crois que jamais il n'exista de cratère d'éruption à Amboine, et 
que cette lie doit entièrement son existence au soulèvement basaltique. 
Quelque ancienne que soit cette formation volcanique, elle est encore le 
foyer de violentes convulsions; après un long intervalle de repos, les trem- 
blements de terre y sont redevenus fréquents depuis cinquante à soixante 
ans. Une des récentes perturbations fut très- désastreuse : les montagnes 
que je viens de parcourir en furent horriblement bouleversées; ce dont 
témoignent encore et des éboulements nombreux et de nombreuses cre- 
vasses. Il ne serait pas surprenant qu'un volcan y appariât avant peu... 

Aui^sitôt que les nuages commencèrent à réfléchir les couleurs de la lu- 
mière et toutes leurs éclatantes combinaisons, mon guide et ses subordon- 
nés me quittèrent; ils s'empressèrent d'aller me choisir le gtte le plus abrité 
possible au pied du piton, sur lequel j'attendis la nuit. Petit à petit, tout 
disparut : la terre fuyait au-dessous de moi ; une légère brume me déroba 
jusqu'aux lumières errantes de la ville... 

Le froid et l'humidité avaient pénétré mes vêtements. A l'aide d'un mor- 
ceau de bougie, je reconnus que le thermomètre de Réaumur marquait 
+ 10® Vio* J'estinie que mon élévation était à peu près de 700 mètres. J'ai 
vérifié depuis que dans la même soirée, à minuit, c'est-à-dire trois heures 
après mon observation, le même thermomètre (de Réaumur), placé dans 
la grande hune de l'Astrolabe^ avait donné + 25®. La température avait été 
de+30®à midi. Je descendis près du feu que mes hommes avaient allumé; 
ils dormaient. Je tâchai de les imiter. 



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138 RETVS BS t'ORIENT. 

Ub pen de phûe troubla U^èrtmeai notre samottU peMani l» B»it i nais 
le leudeoMio , à six beures , k pitoa brillait de tout Téclat de U Unnière la 
plus pure. Nous te contourD4a[ies et commeBçâmes à descendre assez ptoir 
WemeiU, en faisant mille détours, nous aidant des tron^ et des brancbes. 
Le didelpbU orienlalis ne s'était point encore réfugié au fond de ses retraites 
obscures ; nous eu vîmes un grand «ombre sautant de branebes eu braucb^ 
avec l'admirable légèreté du singe , et grimpant aux troncs avecTalluredu 
rat. oLorsqu'ils voient un homme, dit-on, ils se suspendent par la queue, 
et Ton parvient , en les fixant , à les faire tomber de lassitude. » Je n'ai rien 
vu de semblable; ils se sont bien souvent suspendus ainsi, mais ce ne fut 
jamais que pour se balancer, se donner de Télan et franchir des distances 
llnormes. La coruntia cotymbosa abonde dans cette partie de la forêt, à côté 
de la premna irUegrifoUa; Tune et Tautre sont aussi indigènes des Moluques 
et des lies bautes de la Société. La dernière se fait facilement recaunattre à 
la cuisson qu*excite la face intérieure de ses feuilles. 

A dix heures du malin , nous arrivâmes enfin au bord de la ravine , ob* 
jet de tous nos vœux. Depuis plus d'une heure nous enlendions le murmure 
de ses eaux ; il nous semblait devoir toucher bientôt au terme de notre fa- 
tigante descente, et cependant nous descendions toujours. Cette prétendue 
ravine est un torrent aux eaux jaillissantes, franchissant par mille cascades 
les blocs de basalte roulés qui lui barrent le passage. Nous déjeunâmes dans 
ce charmant endroit, oà les rayons du soleil ne pénétraient qu'avec peine, 
et seulement assez pour tempérer la trop grande fraîcheur de ces routes de 
verdure. Deux poulets, achetés la veille à Paguala, furent destinés à satisfaire 
iM)tre appétit : un grand feu fut allumé contre un tertre, et, i l'aide du 
brasier qui résulta du bois consumé, nous les rôtîmes en les faisant tour- 
ner au bout d'une corde mouillée qu'un homme roulait sans cesse dans ses 
doigts ; la graisse fondue tombait dans une feuille de balisier, garantie de U 
chaleur du feu par un petit mur en terre. 

Lesdeux rives du torrent et son propre lit étaient alternativement les seuls 
chemins qui pussent nous ramener dans la plaine: c'était là une route magni. 
fique en comparaison de celle que d'abord nous avions été obligés de nous 
frayer. J'étudiai tout à mon aise la végétation de ces lieux humides et abrités. 
On y trouve en grande quantité le iimomus RumplUi, dont les branches 
droites et dures servent de pilotis aux constructions élevées au-dessus des 
eaux salées; le laurier volubile, cassyta fUtformis, si commun dans les lies 
hautes de la Société, forme un véritable réseau autour du iimonius; le cer^ 
bera manghas acquiert sur les bords de« cours d'eau d'immenses dimensions. 
Les Amboiniens, comme ie« habitants deTernat^, en appréhendent l'om- 
brage ; mais cette crainte n'est justifiée par aucune observation digne de 
confiance: il y a plus , le suc laiteux qui en découle à la moindre blessure 
n'est qu'un purgatif faible, et d'ailleurs les indigènes en nsangent les feuilles 
cuites dans l'huile. Le nom de cet arbre en malais est manga; on le nomme 
wéMiEi à Amboine , ereva à Tatti. A mesure que la gorge de montagne où 
nous cheminions s'élargissait , en approchant du pays plat , les petites 



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MUAlilE. 139 

plaaIeB el ]m arlMUtes se mulUfliaiefii auteur de Dons. NtiK ciUrMis, parmi 
kft pins rcmarciiiables , le dioscerm buibifenL, le boechavla erecta^ le sim^nim 
Forsteri^ le» psyofiotnoe asiaiica et speciosa^ toutes encore également preprei 
à Ambeineet à Talti. Une charmante bigaonej dont j'ignore encore le nom» 
couvre de son feaillage délicat les gros rocbers arrosés au o^iKeu du torrent ; 
ses touffes épaisses servent de refuge au lézard amboiaten , la€€rtU ambei^ 
nensis, 

A la sortie de ce ravin« on entre tout à coup dans un véritable verger. Les 
cultures de girofliers s*étendent de toutes parts sur le moindre coteau, dans 
la plaine, à droite et à gauche du sentier qui la traverse. Rien n'est gracieux 
et beau comme ces quinconces de vastes pyramides ovales , couronnées de 
fleurs roses, disposées en corymbes terminaux. Le feuillage mobile de ces 
arbres s'agite au moindre souffle et achève de donner à cet ensemble une 
légèreté vaporeuse qui tient de la féerie. Ces champs enchantés sont proté- 
gés par une haie d'agaves, au longues hampes couvertes de fleurs jaunes; 
les fleurs rouges des hérythrinées et du jatropha curcas leur forment aussi un 
entourage non moins brillant que la plantation elle-même. De tous côtés s'é- 
lèvent les cimes d'une multitude de palmiers, parmi lesquels dominent les 
palmiers catechu^ sagus et cocotier. 

Près des ca^es , les arbres fruitiers sont multipliés d'une manière extraor- 
dinaire ; on y observe Vanacardium occidentale , toutes les espèces de man- 
guiers et de bananiers, \eJambosa malaccensis ^ le nephelium lappaceum ^ 
Vawerrhoa ccœambola^ diverses espèces d^amomées. .l'ai vu aux environs 
d'une habitation une petite allée d'œschjrnomene grandiflora , variété à fleur 
rouge. L'écorce de cette légumineuse passe pour fébrifuge. J'ai quelques 
raisons de penser qu'elle peut être utilement employée dans la dysenterie ; 
elle m'a paru y réussir aussi bien que la racine de columbo , dont l'efflca- 
cité incontestable méritait en Europe , et en Amérique surtout , plus d'at- 
tention. Dans un endroit où le cours du torrent croisait notre route, j'ai 
trouvé à la surface d'un petit bassin une cenothérée du genre yW^kva, que 
je suppose être la tenellade La Billardière. Le rouc<m, Vabroma augusia^ 
Vhedisarium umbellatum , sont des plantes communes dans cette plaine. 
Quelques jardins renfermaient le canarium chinense , dont les Chinois re- 
tirent, avec beaucoup de peine, une petite quantité de mauvaise bulle. Il 
est certain qu'il a été importé aux Moluques par ces indigènes du Céleste 
Empire , si invariables dans leurs coutumes. A côté de cet arbre, et dans les 
mêmes conditions de culture , s'observe Vawzania alba (1) , alhenna des 
Arabes^ alcarma des Amboiniens* 

Dans l'après-midi , vers les trois heures, nous atteignîmes un ruisseau 
délicieusement ombragé. Nous nous arrêtâmes dans cet endroit, au pied 
des immenses bambous qui lui doivent leur prospérités Non loin de là étaiest 



(1) Les fiemmes arabes» les femmes du Levant, les Persanes, les Indiennes, les 
Chinoises, s'en servent pour teindre leurs lèvres et leurs ongles. 



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140 RETCE DE l'orient. 

quatre maisonnettes; leurs tranquilles habitants vinrent aussitôt nous 
entourer. Je remarquai , parmi ces nouveaux venus , une jeune fille, qu'une 
vieille femme conduisait avec précaution ; son âge me parut être seize ou 
dix-huit ans : aussi pouvait-elle passer pour jolie aux yeux d'un Amboi* 
nien. Son air d'indifférence me frappa : on la poussait pour la faire avancer ; 
ses bras nus pendaient immobiles; sa tète, penchée sur sa poitrine, se rele- 
vait sans but distinct; son regard était sans fixité; tout , dans cette jeune 
personne , portait l'empreinte de la stupeur. Sa respiration était entrecou- 
pée et quelquefois accélérée, sa gorge s'agitait, puis reprenait son mouve- 
ment normal. 

Je regrettai vivement alors d'ignorer la langue malaise; mais heureuse- 
ment que r intelligence de mon guide voulut bien y suppléer. Voici le livret 
de sa pantomime. H appela trois hommes, leur dit quelques mots, et com- 
mença : il plaça la main de la pauvre idiote sur son cœur, l'embrassa et 
s'éloigna. Cn des trois autres acteurs s'approcha d'elle, et répéta la même 
action; mon interprète revint, simula le mouvement de dégainer un cric 
et d'en frapper son rival. Les deux individus qui, jusqu'alors, n'étaient point 
entrés en scène, se jetèrent aussitôt sur l'assassin, et l'entraînèrent. Des gestes 
m'expliquèrent que le coupable avait été emmené loin, vers le S. , et que 
là, il portait des pierres, coupait des arbres et piochait la terre (on me 
donna la représentation de ces pénibles travaux ). Puis, me désignant la 
tète de la pauvre imbécile , mon bouda me fit comprendre que depuis elle 
s'était envolée. L'immobilité, l'insensibilité de cette malheureuse, formaient 
une affligeante opposition avec l'émotion générale. La mère fondait en 
larmes pendant l'exposé de cette affligeante scène dramatique. 

L'heure autant que la fatigue me pressaient ; je me remis en marche. A la 
chute du jour nous rentrâmes à Paguala , où une grande pirogue, armée 
par les soins de l'orang-caya , m'attendait pour me ramener â bord. Notre 
navigation fut rapide, grâce à la vigoureuse activité des pagayeurs, qui ne 
cessèrent de soutenir l'harmonie de leurs efforts par le rhythme régulier de 
leurs chants monotones et cadencés. En arrivant, je m'empressai de récom- 
penser le zèle et l'intelligence de mon guide ; jamais récompense n'avait été 
mieux méritée. Je sus, le lendemain , que cet homme était le bourreau de la 
colonie. 

J.-B. HOHBRON (1). 



(1) M. le docteur Hombron, chirurgien de marine de l**^ classe, était attaché à 
l'expédition des corvettes VJitrolabe et la Zélée , pendant le voyage au pôle sud 
entrepris de 1S37 à 1840, sous le commandement de l'illustre et infortuné contre- 
amiral Dumont d'Urville. 



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EGYPTE. 



Percement de l'istlmie de Suez. — Commeree* — lies 
Franfaiii en Ûgjptem 



SOMMAIEB. 



Lldëe d'un canal de jonction entre la mer Bouge et la Méditerranée a de tout tempf 
occupé le monde. — Une compagnie française a offert de se charger de Topération. 
— Mébémet-Ali a refusé. Explications probables de cet inexplicable rehis. — 8i les 
puissances occidentales youlaient unanimement le canal, Mébémet n*y pourrait 
mettre obstacle. L'Angleterre appuie ses répugnances. — Pourquoi TAngleterre 
attend une occasion opportune de s'emparer de l'Egypte. — En cas d'un envahisse- 
ment de l'Egypte il n'y aurait aucune résistance locale. L'armée régulière est déjà 
anéantie. — Étroitesse du sentiment patriotique. La Grande-Bretagne a la yaniteuse 
ambition de se Toir maîtresse de la moitié du globe. Elle excite le yice-roi à construire 
un chemin de fer inutile d'Alexandrie à Suez. — Elle a déjà pris h Aden possession 
de la mer Rouge. — Ses nationaux fondent son influence en Egypte en y répandant 
de l'argent. — Dénouement des dernières affaires de Syrie funeste à notre position 
sur les bords du Ml. — La France y a perdu son prestige. — Notre commerce 
éprouve le contre-coup de cet abaissement. Les Anglais ont pris notre place sur les 
marchés d'Egypte. — Exportations et importations de la France et de la Grande- 
Bretagne. — Commerce général de l'Egypte. — La frauduleuse inferiorité de nos 
produits déconsidère partout la manufacture française. — Urgente nécessité d'une 
loi sur les marques de fabrique.— Mérite et honorable conduite de nos compatriotes 
en Egypte. — Sollicitude de l'Angleterre pour ses nationaux à Fétranger. — Nos 
diplomates n'acceptent que le côté politique de leur rôle. Leur morgue aristocra- 
tique. — Les agents anglais entendent mieux leurs devoirs. 

Le percement de l'isthme de Saez est encore une des questions où se des- 
sine le plus nettement Pindif férenoe de Méhémet^Ali pour la régénération 
et la fortune de l'Egypte. De tous temps Pidée d'un canal de jonction entre 
la mer Rouge et la Méditerranée a oecnpé le monde civilisé. Hérodote dit 
qu'on y travailla sous Nécos ou Néchao II, fils de Psamméticus , 650 ans 
avant notre ère. Aristote rapporte que le creusement fut discontinué quand 
on sut que la mer Rouge était plus haute que les terres d'Egypte; maison 
doit plutôt croire Hérodote, qui attribue l'interruption des travaux à cette 
réponse d'un oracle^ consulté par Néchao II : <f Le canal projeté facilitera 
«l'invasion de l'Egypte aui étrangers.» Selon Diodore , Ptolémée II acheva 
l'entreprise avec des barrières ou des écluses qui maîtrisaient les eaux. Le 
canal antique était comblé depuis des siècles, lorsque Amrou, le premier 
conquérant arabe de TËgypte, recommença à travailler il y à 1200 ans; 



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143 RBrUB DE L^ORIENT. 

mais il fut arrêté par Omar, qui ne voulait pas, dit Lebeau, « ouvrir l'A- 
rabie aux vaisseaux chrétiens. » Les sultans revinrent plus d'une fois au 
désir de couper Tisthme. Le hawm 4e ToU , qui a laissé des mémoires si 
curieux sur la Turquie , fut chargé de s'en occuper. Ce travail est , on peut 
dire, une des grandes affaires du siècle, et non-seulement la possibilité de 
l'exécuter est aujourd'hui démontrée pour tout Iç pnonde, maison est 
certain de plus quil ne présente aucune difficulté. 

Le Caire et Suez sont sur le même paraTlèie; k mer Rouge n'est qu'à 
32 pieds au-dessus delà Méditerranée , des écluses empêcheraient donc facile- 
ment qu'elle ne se vidât dans notre bassin , et cette circonstance rend , au 
contraire, le canal d'autant plus f^ile d faire que l'eau se creuserait, pour 
ainsi dire, un lit elle-même. Un mémoire présenté il y a peu de temps à 
Mêfeémet-Ali , par l'ingénieur français M. C6r<Mer, a établi que l'opération 
pouvait être achevée en cinq aimées , avec une dépense de 25 millions de 
francs et 10 ou 12 mille travailleurs pris dans i'armée, ou 75 millions avec 
des ouvriers salariés. Toutes les études préparatoires avaient été faites et 
les calculs apurés; en un m(H uxie compagnie se présentait pour exécuter 
à ces «QAditioDS un |;rand canal direct de Suez à Peluze (petit port entxe 
Dmmiie ^ fiosetie ) pouvacit r^cevoii' des vaisseaux de guerre du plus 
haut èoird , joc, coBSéquemmeiit, des navires de conMoerce du 4>lusioit tan- 
nage. Ce canal de 29 mètres de l'argeur, iê mètres 4e profondeur, et 95 
Heues et deifti de long , devait être relié au Caire par un autre canal dont 
les eaux , prises dans le Nil, auraient arrosé des terres du Delta , que la com- 
pagnie s'engageait à défricher. 

Le projet était magnifique , la proposition sérieuse, le succès bors de 
doute, puisque l'exécution devait être remise à des ingénieurs français; 
l'euireprise était aussi utile à l'Egypte qu'à l'univers entier ; elle r^^ppiro- 
ebait 4e 3 nùlJe Ueues les bides et la Gbifie de l'Europe , «lie mettait a«x 
nains de i*Égy pte la partie la piua considérable du commerce du moDée , 
eHe 4«i apurait des bénéfices presque iacakulaUes, bc dût-on percevoir 
qu'un lalari (5 fr.) par toni^au de péage (1 ) ; enfin , ei4e devenait , pour les 
pauvres habitants des bords du Nil, une source de prospérité, de richesse et 
de lumières toujours croissantes. Méèémet-Ali a refusé! 

Ce refus est tellement tnexp^cable qu'on n*a pu s'en r^dre compte qme 
d'une seulefa^on. Méhèmet-Ati, quoique peu religieux, est cependant «lusul-^ 
man ; il a ^é élevé dans le fanatisme du Coran ; il s'est éclairé troplard pour 
dépourtier tout à fait les impressions de la jeunesse, et aujourd'hui qu'il mar* 
cbe vers^a tombe, il revient aux vieilles erreurs, aux vieilles terreurs derea- 
fance ; H tremble , en perdant Visthme , de faire de la mer Rouge «n nouveau 
bassin européen où se noterait l'islamisme. A la crainte de compromettre 
par là le salut de son àme dans l'autre monde , s'en joint une autre qui 



(1) La Qollande seule reçoit tous les ans de l'Ile dç Java 250,000 tonneaux de mar- 
chandises. 



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EGYPTE. — ISTttME M âtE2. 143 

ti'est peut-être pas la moins forte : il a peur que rétablissement des Euro- 
péens et la permanence de leur s^our près des bords du Nil n'amènent dans 
le pays un mouvement intellectuel dangereux pour son obscur despotisme, 
n'éclaire la population , et ne Texcite ft conquérir son indépendance. 

Cette honteuse terreur , qui Taccnse au moins autant que tout le reste, 
n^est pas dénuée de raison. Déjà la présence des chrétiens an milieu des 
musulmans, sur le pied d'égalité, a un peu familiarisé ceux-ci avec le con- 
tact des infidèles et beaucoup émoussé les antipathies religieuses encore VT- 
vacps parmi les croyants. Les fellahs nous j*espectent comme on respecte 
des êtres supérieurs et redoutables ; ils voient un savant dans tout homme 
coiffé d'un chapeau ; ils le consultent sur toutes choses ; cependant , an 
fond, ils ont encore de la haine basée sur des griefi» récents. Gomme ils ont 
vu des chrétiens au service de leur tyran , ils les accusent de l'avoir aidé 
â les opprimer ; ils les rendent, par exemple, seuls responsables des nou- 
velles souffrances qu'ils ont éprouvées dans les ateliers et dans les arsenaux, 
parce que le vice-roi , disent-ils, n'aurait pu créer ces établissements sans 
les conseils des Européens. Mats une idée aussi fausse ne tarderait pas à dis- 
paraître dans des rapprochements plus suivis , et les fellahs s'attacheraient, 
au contraire, davantage à nous, en reconnaissant que nos principes tem- 
pèrent un peu la dureté dont le conquérant de TÉgypte est toujours prêt 
a user envers un peuple qu'il méprise. 

il n'est pas douteux que si les puissances occidentales voulaient unanime- 
ment le canal de jonction, Méhémet-Ati ne pourrait s'y opposer; ta ré- 
sistance d'un vieux Macédonien ne priverait pas le monde entier d'un bien* 
i^it immense, et l'on obtiendrait d'ailleurs aisément de la Porte un firman 
qui lui ordonnerait de livrer passage. 

Par malheur, les répugnances de Méhémet-AK trouvent un appui dans 
celles de l'Angleterre. La Grande-Bretagne a de îautre c6te de l'Egypte 
93 millions de sujets à exploiter ; elle a donc besoin de l'Egypte comme un 
propriétaire, dit-elle, a besoin d'un diemin vicinal pour aller chez lui. 
Cest une idée générale chez tous les Anglais, i^ls n'hésitent pas à l'avouer 
dans les conversations particulières; ils ont même déjà teur justification 
toute prête, et prétendent que i'Égypte pour eux sera la compensation de! 
l'Algérie pour nous. 

La Grande-Bretagne, avec la patience persévérante qui caractérisesa poli- 
tique, attend donc une occasion opportune pour s'emparer de l'ancimne 
terre des Pharaons, où elfe pratiquerait alors immédiatement un passage 
maritime qu'elle ouvrirait ou fermerait à son gré. Jusque-là, ette Voppose 
an percement de l'isthme parce qu'il profiterait à tout le monde, devien- 
drait une grande route commune, préviendrait la possession exclusive 
qu^elte ambitionne, et surtout rendrait la conquête plus difficile par l'inté- 
rêt plus grand encore et plus direct que les autres nations auraient à y 
mettre obstacle pour conserver la neutralité du canal de jonction. 

Personne ne se trompesur Timmense importance, au point de vueécono* 
mique et politique de TÉgypte, de ce beau port d'Alexandrie placé en face 



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144 REVUE DE l'ORIEIVT. 

de l'Europe et de l'Asie, touchant à l'Afrique et tenant la clef du futur che- 
min des Indes. L'Angleterre est trop intelligente et trop positive pour se faire 
illusion à cet égard, elle comprend très-bien que les puissances ne consen- 
liront pas volontiers à ce qu'une semblable position commerciale et militaire 
lui appartienne plul6t qu'à telle ou telle autre nation ; mais qui sait s'il ne 
s'élèvera pas quelque noire tempête politique au milieu de laquelle elle pour* 
rait aller planter ses drapeaux sur la ville démantelée du Caire ? Qui sait 
si , dans une dislocation possible de l'empire ottoman dont chacun prendrait 
un morceau , l'objet de sa convoitise ne lui échoierait pas en partage ? Le 
cabinet Saint-James n'oublie jamais tout ce qu'à force d'adresse et souvent 
de perfidie, l'infatigable tenue de ses idées, l'imperturbable poursuite de ses 
desseins lui ont dt^jà fait gagner. 

Dans l'éventualité d'un envahissement de l'Egypte par une puissance 
quelconque , nous n'admettons pas , on s'en aperçoit , le cas d'une résistance 
locale, c'est qu'il est inadmissible. La population, desaffectionnée comme 
elle l'est, resterait indifférente, en supposant même qu'elle ne se joignit pas 
aux assaillants, et quantàTarmée, 10,000 hommes de troupes européen- 
nes en auraient raison. Celte fameuse armée régulière pour laquelle on a 
fait tant de sacrifices est à peu près anéantie; Méhémet, qui n'en a plus be- 
soin , la laisse tomber et se dissoudre. Elle a déjà perdu jusqu'à une bonne 
tenue. Les uniformes, de drap ou de toile, sont d'une saleté repoussante, 
usés , déchirés ; les buffleteries de cuir noir sont devenues jaunes de vétusté, 
les armes sont roui liées; beaucoup d'hommes, fantassins ou cavaliers, por- 
tent des chaussures raccommodées avec des ficelles, enfin ils n'ont plus 
aucun cachet militaire. Nous avons vu à la citadelle du Caire un soldat en 
faction, qui avait posé son fusil contre le rocher, et» nonchalamment appuyé 
de même, se tricotait une de ces calottes blanches que les Égyptiens por- 
tent sous le tarbouch. Des troupes dans un pareil état ne résistent pas à 
quelques régiments bien disciplinés. 

Mais revenons à la question. La Grande-Bretagne a fait d'immenses cho- 
ses , et elle gardera pour les âges futurs, comme un titre éternel à la recon- 
naissance de l'humanité, la gloire d'avoir la première détruit l'esclavage 
chez elle et d'en poursuivre avec rigueur la destruction dans le monde. Cette 
œuvre sublime, quiest populaire chez nos voisins, montre que les Anglais ne 
sont point étrangers au sentiment de la fraternité universelle; mais ils sont 
encore dominés par l'orgueil patriotique avec tout ce qu'il a d'étroit et d'ex- 
clusif. C'est ainsi que la vaniteuse ambition, la misérable espérance de se 
voir un jour maîtres souverains de la moitié du globe, leur donne le triste 
courage de s'opposer à une entreprise d'où sortirait peut-être l'émancipa- 
tion de l'Orient. Voilà pourquoi, malgré l'avantage qulls trouveraient eux- 
mêmes dès aujourd'hui au percement de l'isthme de Suez, ils aiment mieux 
attendre que d'en jouir avec tout le monde. 

Placée qu'elle est à ce point de vue égoïste, mesquin , indigne de la civili- 
sation moderne quoique général encore , on ne doit pas être surpris que 
l'Angleterre aille jusqu'à gagner des familiers du vice-roi pour le détourner 



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EGYPTE. — ISTHME DE SUEZ. 145 

du canal de jcmction , et Texcite maintenant, en lui prodiguant d'incroyables 
-flatteries (1) , à construire un chemin de fer du Caire à Suez. 

Une pareille ligne coûterait de 15à 20 millions de francs à poser seulement 

(1) Voici une lettre publiée il y a un mois dans le Times : 

flLe G«irè, 18 octobre 1844. 

< J Son vitesse le pacha d'Egypte , etc, etc. 

«Je m'empresse d'adresser à Votre Altesse la lettre qu'elle m'a demandée pendant 
notre entrevue d'hier. 

« Les temps ftont arrivés :1e gouvernement anglais a besoin de se tracer le chemin le 
plus court possible vers l'Orient; ce chemin , c^est à travers votre pays qu'il doit pas- 
ser , car l'Egypte est un centre, et une grande route entre la Chine à l'est et l'Améri- 
que à L'ouest. Il y a onze ans, Votre Altesse voulait établir un chemin de fer dans le 
désert de Suez ; le moment est venu d'accomplir ce projet. Qu'aucune considération 
politique n'en entrave l'exécution ; agissez sous les plus puissants auspices, et vous 
ferez de l'Egypte ce qu'elle était autrefois, le premier marché du monde. 

« Je vous le dis confidentiellement : MM. Rothschild , les premiers financiers de l'Eu- 
rope, peuvent vous trouver à Londres , à Paris ou à Vienne les fonds nécessaires. Ils 
m'en ont donné l'assurance. Il faut que le chemin de fer à travers l'Egypte se con- 
struise tôt ou tard. Je supplie Votre Altesse d'y réfléchir : par cette entreprise, son nom 
peut devenir plus grand dans la postérité que celui d^aucun monarque européeu. 

« L'intérêt des relations politiques , commerciales et domestiques entre l'Orient et 
l'Occident doit vous porter à ce grand œuvre. L'Egypte est déjà maintenant la route 
que suivent les gouverneurs généraux, les fonctionnaires de tout grade, les let- 
tres , les marchandises précieuses, etc., pour se rendre d'Europe en Orient ou en Oc- 
cident. 

- «Qu'un chemin de fer soit établi sous la direction des premiers ingénieurs de l'Eu- 
rope : MM. Siephenson et Brunnel. Votre pays est destiné à s'élever. La Russie , 
l'Autriche, la Prusse, l'Angleterre, l'Amérique, et toutes les autres puissances , ex- 
cepté la France, désirent ce chemin de fér. La France n'en veut pas parce qu'elle sait 
que, s'il s'exécute, Trieste ne tardera pas à devenir ce que Marsdlle est aujourd'hui. 
Que Votre Altesse prenne la peine de vérifier sur la carte d'Europe l'exactitude de ces 
observations; puis, si elle consent à se mettre, soit directement, soit par mon intermé- 
diaire , en rapport avec les financiers et les ingénieurs , il lui sera prouvé surabon- 
damment que la dépense sera plus que compensée par les résultats qui , au point de 
▼ue de l'accroissement de richesse et de commerce , dépasseront toutes lei prévisions. 

< Les diplomates veulent arrêter Votre Altesse dans l'exécution d'un plan vers lequel 
sa haute raison doit la faire pencher. En l'accomplissant, vous attirerez le mouvement 
du monde entier vers ce pays-ci , qui est, je le répète, appelé à de magnifiques desti- 
nées. Que Votre Altesse fasse , ou non , construire un chemin de fér entre le Caire et 
Suez : il est clair comme le jour que ce chemin existera tôt ou tard. 

«Saisissez donc l'occasion et établissez-le, car il se fera sous votre dynastie, j'en 
suis aussi sûr que je le suis que je vous écris ces lignes. Si l'argent manque, on peut se 
le procurer, et, sougez-y encore , l'exécution d'un chemin de fer entre le Caire et Suez 
fera plus pour votre renommée dans l'histoire qu'aucun acte consigné jusqu'ici dans 
ses annales. 

«Quant à moi, je ne demande ni rétribution ni honneur, ni avantage quelconque. 

• Votre Altesse s'est d^à placée par ses travaux au premier rang des souverains. Que 
IX. 10 



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146 HEfiTE m LORieirr. 

(30 lietlès) , et n« sérail bonne qu'à rat^oHMr dequinzè oÛ dix-hoît heures ait 
plus (1) le voyage de 3 ou 4,000 voyageurs. Les tnarcbandisés ne (^endfaieiit 
jamais cette voife adssi dispendieuse que mal ^re, parée qu'elles éliraient à 
y subir cinq transbordements : le premier, du navire au quai d'Alexandrie; 
le second , du quai à bord des barques du canal Manidttdieb ; le troisièdiei 
des barques au cbemin de fer du Caire; le quairième, du chemin de fer 
sur le canot de transport de àuez , pour enfin être rechargées et arrimées une 
cinquième fois sur les bâtiments de Suez â Bombay. 

Et puis^ qui osera compter sur un rail-way éubli en pareil lien ? Lors- 
que le vent agite le désert, on peut dire sans exagération qu'il y pleut d« 
sibiè: la ligne de fer exposée à ces mouvantes ondulations d'on terrain ne 
sera-t-elle pas souvent interceptée, toujours d'un entretien énorme, et 
bientôt peut-être hors de service ? 

L'Angleterre sait tout cela mieux que personne, mais èans parler èèi 
machiiies qu'elle aurait à vendre , du personnel qu'elle aurait à placer , elle 
calcule que Méhémet-Ali, après avoir perdu une trentaine de millions dé 
francs dans cette opération , n'en serait que plus éloigné de l'autre. 

La Grande-Bretagne a toujours été gouvernée par de véritables hommes 
d'État. Ceux-là n'oublieut pas le soin de la fortune pour veiller à la con- 
servation de leur pouvoir. Outre leurs sourdes menées actuelles au Caire ^ ils 
ont déjà préparé l'exécution de ces plans sur l'Orient avec leur adresse ha- 
bituelle ; ils ont pour ainsi dire pris possession de la mêr Rouge en s'établis- 
sant à Aden place centrale , choisie avec une admirable justesse de coup 
d'œil. Ce né fut d'abord qu'un comptoir un hangar pour y déposer leckar- 
bon des steamers ; il y a sept ou huit ans à peine de ces commencements si 
modestes , et aujourd'hui Aden est devenue le Gibraltar du golfe Arabique. 
Vienne maintenant l'opportunité de mettre la main sur l'Egypte, et l'œuvro 
sera accomplie. 

En attendant , l' Angleterre fonde peu â peu son influence dans le pays siif 
les ruines de la nôtre. La compagnie de tfadsitpouir les Indes à défjà thrïs dii 
quatre bàteaiit à vapeur qdi tratisporterit lès voyageUrsd'Alëxàticli'ie àù dalHs; 
avec iin service de diligences bien réglé dû Caire à Siiez où d'autres steamers 
viehnetit lès prendre pour les mener à Bombay et à Calcutta. Cette entreprise 

éè chemin , dèéiiné à relier le Caire & Suez , s'âchèf e, et qiii peut prédire où is^arréicSra 
la grandeur et ta prospérité de TÉgypte. 

« Je voué transmets ces Idées eh toute huniiiité ; mâiit chaque hibi part de iiîbti ë(&r, 
et j'espère parvenir à vous convaincre. 

« Les circonstances vous mettent presque eii demeuré ée cofastriiire cette ^die 
ferrée. 
< Je im avec îé plus profond respect, de Votre Altesse^ 

« Le très -humble et très-obéissant serviteur, 
c Thomas Wachobn. » 

(1) Une diligence, établie pour le service de Ui compagnie de transit des Inflét; ta en 
Caire à »Suez en quarante heures. Un chameau chargé fait ce tnyetm troiijoiiri. 



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ÉGTPTÈ. — ISTHME DÎE SUEZ. iA7 

eSieic\nûtemèùi desservie par dés Anglais qai foui ce qô'ils veuient dés 
lettres eC dès ToyagéafS. La compagnie a^it de ^ propre àùiotlié en dehors 
dti gouternement ^yptîen. Elle a eu l'adresse d'obtèdir dû pàcha Ud véri- 
table Énotiopole, que ta Grande-Bretagne sanra bien avec le temps coû^^et- 
titen droits (1). 

Lés voyàgéoré siiiglafs, presque tdd^ employés de la compagnie des 
Indes^ qui paye èori monde avec ptt>fusion, codtribuént, par l'argent 
qu'ils féfiandent sur leur passage , â donner une liiaQlé idée de leur na- 
tion. Pàrtdttt, et plutôt encore cheiz un peuple ans^ hiiséràble que tés 
PellahfS,* On considère les hommeè en ràisod de lèut-é dépenses. Lès An- 
glais gagifeât chaque jour du terrain par ee moyen , par l'énergie de 
leurs négociants, par la cdnstante attention de leurs agetitâ diplomatti- 
ques à protéger leurs nationaux, enfin par l'habile cdhduite de leur gou- 
vernement. 

Dans le dénoue^ment des dernières affaires deS^He, qu'elle provoqua , 
l'Angleterre n'avait d'autre but que de s'agrandir enctfre aux yeux de l'E- 
gypte, etd'augnfènter là sa prépondérance au détriment de ta nôtre. On ne 
parait pas avoir èompriâ et ^i'ance toute là portée de de qui s'est passé. 
Nous n'y slvoni vu qu'ufa échec de plus poiit riouS. En OHerit, l'Interven- 
tion de la quadruple alliance a prouvé qu'il était dangereux de vouloir euî- 
tive^ trop t>âriiculièremerit l'amitié de la France, et de s'appuyer sur elle. 
Le sort des Syriens ne touèbait pas assez la Grande-Bretagne pour qu'on 
puisse lui supposer l'unique et généreux projet de les délivrer du joug bar- 
bare du satrape d'Egypte. D'uh antre côté , îl lui irti^drtait peu d'affaiblir 
Méhémet-Ali, il lui importait pm qu'il eôt ou n'eût point la Syrie, la ques- 
tion était insignifiante relativement à ses intérêts politiques ; que l'Egypte 
soit on non séparée de ta Syrie, elle n'en sera ni plus facile ni moins diffi- 
cile à prendre; mais il était bon de nmontrer que nous avions cessé d'être 
redoutables là même où l'on conservait ti*dditionnellèment un souvenir 
merveilleux de notre puissance. 

Le but a été parfaitement rempli : k cette heui*è, (a France a perdu dans 
l'esprit des Égyptiens le premtiet rang (laràfii Idé tidtions civilisées ; ils comp- 
taient sur elle, et ifs l'ont vue reculer, tandis que la priscf de Saint-Jean- 
d'Acre, non secourue, a témoigné de la force de l'Angleterre, fl n'y a plus 
de Français , disent-ils, et Méhémet-Ali, qui sait te proverbe turc : « Baise 
«la main que tu ne peiix couper, » fait meilleure mine aui Anglais qu'à 
nous, malgré ses légitimes reasenliments centre eux. 

Si d'un côté nous perdons notre inflnenee morale et politique , notre com- 
merce éprouve naturellement de l'autre le contre-coup de «et abaisse- 



(1) Depuis que ces lignés sont écrites, lé vice-roi d'Egypte a repris le service des 
postes : c'est un acie sage et ratioimel. Le rusé pacha a très-bien jiigé où tendait le pri- 
vilège de la coinpa|];iiiede transit. Reste à savoir si TAngieterre se tiendra pour battue. 
Elle est adroite, tenace, forte , et il était si avantageux pour elle d'avoir une part directe 
dans i'administnitîQto dii pays! 



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148 RETrE DE L'ORIEfIT. 

ment , et les Anglais oecupeot déjà en grande partie la place que nous avtons 
sur les marchés d'Egypte. Partout on trouve les produits de la Grande- 
Bretagne. Dans les deux principaux hôtels d'Alexandrie et du Caire, Tun et 
l'autre cependant montés et tenus par des Français, tout est anglais, ameu- 
blement, linge , fournitures , serrures, tapis ,patères de rideaux , couteaux, 
vaisselle de table et de toilette ; parmi les provisions que Ton fait pour le 
voyage de la haute Egypte , tout ce qui n'est pas du pays est encore anglais: 
conserves de viandes, de légumes, biscuits de mer et de thé , couverts de 
métal , cadenas des caisses, même le rhum et le vinaigre. Il n'est donc pas 
jusqu'à la quincaillerie et aux spiritueux , dans lesquels nous n'avions pas 
de rivaux , que l'on ne tire aujourd'hui de l'Angleterre. La France en est ré- 
duite à ses vins et à de mauvaises lithographies enluminées ! 
Aussi pendant que la France importait en Egypte : 

Année 1842, pour . . . 7,472,700 francs. 
» 1843, » ... 5,500,000 » 
L'Angleterre importait : 

Année 1842, pour . . . 18,113,200 » 
» 1843 » ... 12,875,000 » 
L'exportation est dans les mêmes proportions. La France n'a tiré d'E- 
gypte: 

Année 1842, que pour • . . 5,485,000 fr. de marchandises. 
» 1843 » ... 4,175,000 » 

Tandis que l'Angleterre : 

Année 1842, » ... 10,107,700 » 

» 1843, » ... 10,330,000(1). 

(1) Quelques lecteurs peuvent être curieux d'avoir le tableau général du commerce 
d'Egypte pendant ces deux dernières années; nous le donnons ici avec une confiance 
entière dans son exactitude, parce que nous le devons à M. Benedetti, élève vice-consul 
qui remplissait par intérim, d'une manière très-distinguée» la cjiarge de consul génâ^ 
lors de notre séjour en Egypte. 

IMPOATATION. AVIVÉE 1842. 

France 7,472,700 fr. 

Angleterre 18,113,200 

Autriche. 8,298,500 

Turquie 13,136,500 

ToUl pour rannée 1842. 61,772,400 

EXPORTATION. ANNÉB 1842. 

France 5,485,000 

Angleterre 10,107,700 

Autriche 9,720,200 

Turquie. . 9,775,000 

Total pour Tannée 1842. 45,172,200 
Total général du commerce d'Egypte, importation et 
exportation pour l'année 1842 106,944,600 



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EGYPTE. — ISTHME DE SUEZ. 149 

Il faut le dire , le gouvernement n'est pas ici Tunique coupable. Il a la 
plus grande part du mal, mais il y aurait injustice à le rendre seul res- 
ponsable. Les fraudes que commettent nos négociants, la mauvaise qualité 
des nurcbandises qu'ils exporlent, sont pour beaucoup dans cette dépré- 
ciation de notre commerce. Dans les filatures d'Egypte, pour ne dénoncer 
qu'un fait, la plupart des métiers d'origine firançaise sont de vieilles ma- 
chines mal restaurées, que nos compatriotes, il faut l'avouer à notre 
honte, ont eu l'infomie de vendre au grand pacha comme neuves et bonnes. 
Nous avons déjà eu occasion de le dire dans un autre ouvrage, en parlant 
des colonies françaises et étrangères aux Antilles, et quoiqu'il nous en coûte 
d'y revenir, d'accuser encore nos compatriotes, nous regardons comme 
un devoir de le faire. L'infériorité de nos produits nous déconsidère sur tous 
les marchés étrangers. Que le commerce de France y songe , la pacotille te 
tuera. Il a partout à lutter contre une concurr'ence active , s'il ne veut 
mettre plus de soin dans la fabrication , plus de loyauté dans le mesurage 
et le pesage des objets destinés à l'exportation ; il n'y perdra pas seulement 
l'honneur, il y perdra son crédit et se fermera tous les débouchés. L'inté- 
rêt matériel bien entendu s'accorde ici avec la probité. Les individus ne le 
croient pas et espèrent , lorsqu'ils font de gros bénéfices sur une marchan- 
dise mal confectionnée , arriver plus rapidement à la fortune : erreur de 
la cupidité, l'acheteur trompé s'adresse le lendemain à un autre marchand, 
et dénonce en même temps à tous ses voisins celui qui l'a trompé. Tant que 
l'on n'aura pas préposé à la sortie des marchandises pour l'extérieur un 
vérificateur qui constate leur bonne qualité, tant que chaque fabricant 
ne sera pas obligé de marquer ses produits pour que l'on sache à qui re- 

IHPOaTATlON. ANNÉE 1843* 

France. . 5,500,009fr. 

Angleterre 12,875,000 

Autriche 5,376,900 

Turquie 9,317,000 

Total pour l'année 1843. 46,476,900 

EXPORTATION. ANNÉE 1843. 

France 4,175,000 

Angleterre 10,330,000 

Autriche 13,800,000 

Turquie 9,422,000 

Tout pour Tannée 1843. 47,872,000 

Total général du commerce d*Égypte , importation et 
exportation pour Taonée 1843 94,348,900 

La différence en moins que Ton remarque sur Tannée 1 843, comparée à 1842, porte 
sur les importations et s'explique par la quantité de marchandises que le commerce 
extérieur expédia après Tarrangement de Syrie. 11 y eut encombrement ; de là , réduc- 
tion des envois en 1843. Mais cette réduction n'est que momentanée. 



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I5Q HEfPK m i'iORIEBX. 

ymt la h(^ PU r/^l|9ge» 1^ mal ^ i^p(éti}»^. Il «tt grfiui iemf% ^'y P<^^r 
ce^êi4is. Les négoci^iito lioi|ora|)les «léploreDi comme sou» cet éi^t de 
dM^^ , il| réclamât ijpe loi sur les marques de fabrique. Pourquoi le gou* 
Yernej^iept np répo^d-il pas ^ cet^e loyale demande? Tous ceux qui ont 
étudié la qMesfieo, ipps qeux qui put entendu eii pays étranger le coosom- 
in^fei^r dire : ,f G'(est de pianufaeture française , je n'en veux pas, » tous 
cei^f qfii o^t ¥i) le t^^f t que la piauvaise foi de ceriains expéditeurs font â 
rindustri|e g^rale de potre pays, regrettent que les chambnss ne fassent 
pa^ , en vertu .4ci(Siir initiative , ce qu'i) serait du devoir d'un s^verneo^snt 
sagjç de faire. 

11 est constant qu^e Ja France pprd chaque jour quelque çbose de la 
liai^e position qu'elle occupait en Egypte, et qu'il lui était si fadie de 
conserver, 11 ne subsiste aucune trace matérielle de rexpédition fran- 
çais^; mais 1^ sp^vepirs de son courage, de sa générosité, de ses lu- 
mi^es, noi^s (étaient entièremepji favorables, les jenfants avaient appris 
d|e leurs pères ^ nous aipoiçr, U^e autre circonstance devait encore aug- 
Q^entef nos avai^tages, à par^ ipfème la préférejace que les Égyptiens 
éprouvent pour potre caractère, comparativement k Q^lul de nos ri- 
vaux : c'est particulièrement i la France que le vice-roi a demandé les 
bommes dont il avait besoin pour accomplir ses projets. Or, le vérijiable 
mérite de ceux qui lui ont été envoyés ne ppuvaijt qu'entretenir Tadmi- 
ration que la grande expédition a fait naître daps te monde oriental 
pour le géoie français. MM. Linant, Sèves, Clôt, Lambert, Jore)le(l}, 
Pérou, Fresnel, Tbibaudière, Mongel, Galis, Solon, gousset, et d'autres 
qne nous oublions, ont tpvs, cbacun dans leur partie, une véritable 
éminence , et Télévation de leur caractère ajoute encore au relief qu'ils 
donnent à leur pays. S'ils appartenaient â la Grande-Bretagne, il n'est sorte 
d'honneurs dont elle ne les entourât. La France , au contraire , ne leur 
montre aucune sollicitude , ils ont l'air d'aventuriers abandonnés par leur 
métropole , elle ne fait rien pour eux, elle n'excite pas leur courage, elle 
les oublie et laisse échapper ainsi l'influence que la considération qu'elle* 
leur témoignerait lui communiquerait à elle-même. Bien plus, elle les traite 

(1) M. Jorelle est premier drogoïan du eanyulat général de France et ne peut aller 
plus haut Ou^d on f oit des bommes aussi distingués condamné^ à rester toujours 
interprètes, on se dep^^nde par quelle série d'étranges considérations il ^ fallu passer 
pour interdire ^ cette classe de fôuctionnaires la carrière diplomatique. Est-ce donc 
parce qu'ayant ^ous rp^u au collège Louis-le-Grand l'éducation la |^u$ élevée, ils ont 
de plus l'avantage d'y apprendre les langues orientales et sont ainsi à même de se pas- 
ser de drogmans? Il y a ainsi des choses o& il semble que la raison humaine se soit 
évertuée à découvrir l'absurde. Ce n'est pas d'aujourd'hui que Ton signale une telle 
bizarrerie ; Volney disait déjà en 1788 : « Et les interprètes, n'est-ce pas une méprise 
• encore de les avoir e^f^luf des places de consulat , eux qi«e la connaiss^mce de la lan- 
«gue fit des mours y rendait bien plus pmpi^ que des bomunes tirés sans prépa- 
« ration des bureaux tt du militaire de la France^ > (ÇonsidératîQiu s^ la guerre 
des Turcs.) 



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ÉGYPÏB — I$11illE m SVEZ. l^l 

1?^ vj^ s<^le d'fcWflJM. M' CerlAy* q«i a cré^ U m#ri8e <gyptîeiui6 et 
cppslfjait par eDch^nteineDt le magnifique arseoal d'Alei^adriiB^ a eu tapi; 
^ ^ plaindre du gouverpiement à sou retour, qu'il a qqilté |e service di; 
l'État. Xiorsq^e M. Rousiset , t^abif^ écof^oppiiste , sollicité |de venir en Êgyp^ 
prgfiiM^er pn sptj^me financier, en demanda la perpnis^jpn au minisire djes 
pnapcies , daps le» bureau^ duqpel il était employé, au lieq d'obiepir un 
copgé qpi Iqi ré^ryàt sa pqsitipn en Europe , ce fut une lettre de destitu- 
tion qu'il reçut. 

Le gouvfsrnement de la Grande-Bretagne en use de bien autre façon avec 
S^ nationau)^ à l'étranger. 11 veille constamment sur eux , il facilite leurs 
relations continuisUes avec la mè^^ patrie, il les soutient , il les défend* Un 
seul fait, d'upe valeur nulle en lui-même, mais relativement assez grave, 
prouvera le soin qu'il apporte à montrer que sa protection ne lui manque 
jamais. |1 existe, cqmme nous l'ayons dit, un petit bèpital européen à 
^lexapdrte. Le ministère anglais s'est empressé de concourir à son entrelien 
en s'iuscr^vant pour une somme égale au double de ce que payeraient en- 
semble tous les souscripteurs volontaires de sa nation. Le ministère français 
sollicité n'a rien donné. 

La conduite des agents diplomatiques répond k ces inspirations opposées 
des pouvoirs de la mère patrie. Les nôtres, sauf d'bonorables exceptions , 
se considèrent comme les représentants du roi , ils sont presque aussi peu 
abordables que lui pour le pauvre, la plupart d'entre eux même habitent 
la campagne, et loin d'être Içs serviteurs de leurs copi patriotes, loin de se 
regarder comme ayant des devoirs envers eux , ils attendent leurs respects. 
Hommes privés, leur commerce est parfait ; mais hommes publics, diplo- 
mates, ils comprennent leur rôle d'une détestable manière, ils n'en accep- 
tent que le côté politique. Pour qu'ils daignent s'occuper d'un individu de 
leur nation , il faut que l'intérêt qu'il se trouve avoir à défendre devienne 
en quelque sorte une affaire d'État. 

Un exemple: 

Nous avons dit que Méhémet-Ali voulait frapper de droits ruineux la 
fabrique de décortication des graines de coton fondée près d'Alexandrie , 
par M. Andriel. Celui-ci devait d'autant plus s'attendre à trouver un so- 
lide appui dans notre représentant, qu'il ne défendait pas seulement un 
intérêt particulier. La recherche des graines oléagineuses est, en effet, une 
question vitale pour l'industrie de Marseille. Malgré tout, le consulat gé- 
néral de FrapcjB le laissa se débattre seul et sans secours entre les griffes du 
rapace vice-roi. JEst-ce qu'un consul général de France peut avoir souci de 
plantes oléagineuses et de décofticaiipns? Curieuse preuve, pour Iç dire en 
passant, de l'état d'anarchie violente où est encore plongée la société. Voilà 
un jbomme qui a une heureuse et belle idée, celle d'utiliser une chose jus- 
que-ia inutile, dç f^endre à tous une richesse perdue; il essaye lui-même, à 
ses propres frais; il Réussit, et sur deux gouvernements qui le devraient 
aider, le récompenser même, l'un veut le tuer, l'autre le laisser tuer ! Il est 
djçgiajj (^'ijs ix*y réussissenf pa?. 



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1&2 REVUE DE L*0RIE1IIT« 

En général , les membres de noire corps diplomatiqiie sont infectés d'une 
morgue aristocraiique incompatible avec les fonctions paternelles qu'ils ont 
à remplir. Partout, à l'étranger, les Français se plaignent du peu de confiance 
que leurs protecteurs naturels savent leur inspirer. Plus d'une fois nous 
avons entendu les officiers de nos paquebots-postes déplorer l'absence de zèle 
et de bonne volonté qu'ifs rencontraient souvent dans les consulats des poris 
de mer pour l'expédition du service des lettres. Nos consuls estiment au- 
dessous d'eux de s'occuper de pareilles choses. 

Les agents diplomatiques anglais entendent bien autrement leurs obliga- 
tions , ils n'oublient jamais qu'ils sont avant tout les hommes de leurs com< 
patriotes ; ceux-ci trouvent toujours auprès d'eux une assistance , de forme 
fh)ide, il est vrai, mais solide , efficace, active. On ne peut douter que la 
hardiesse avec laquelle le commerce anglais fait de si lointaines expéditions, 
et va fonder au bout du monde des établissements où il risque souvent de 
gros capitaux , ne prenne en partie sa source dans la conviction oti il est 
d'être partout fermement protégé , de même que l'extrême timidité d« 
nôtre tient â une conviction contraire, malheureusement trop justifiée. 

V. SCHOBLCBER. 



MÉLANGES SUR L'INDE. 



Bmploi def éléphantf . ~ Un bazar indien. — ]bes Bengalot det voyageurt . 

— lies Pouliahi. 

Un de nos confrères à la Société orientale, M. Fontanier, ancien consul 
de France à Bassora , auquel la Ba^ue de i* Orient doit plusieurs articles fort 
intéressants, publie en ce moment la fin de son Foyage dans l'Inde et dans 
le golfe Persique^par l'Egypte et la mer Rouge. Nous ne pouvons mieux louer 
cet excellent travail qu'en en mettant quelques extraits sous les yeux de nos 
lecteurs. 

Emploi des ^lëplt»iit»« 

Ce fut à Aleppi que je vis pour la première fois des éléphants employés 
en assez bon nombre. Nous en avions bien aperçu çù et là quelques-uns qui 
tantôt traînaient des fardeaux , tantôt étaient retenus en place par de grosses 
chaînes de fer; mais cette fois, leur travail était régulier. On leur faisait 
mettre en ordre des bois de construction dans un grand chantier qui se 
trouvait sous nos fenêtres. Quelquefois il fallait superposer ces énormes 
pièces , quand elles étaient arrivées par le canal , d'autres fois il fallait enle- 
ver celles que l'on avait vendues. 

Chaque jour donc, cinq ou six éléphants, dirigés par leur maAaii/(cor- 



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J 



MÉLANGES SUR t'iICDE. 153 

nac), venaient ensemble et d^un pa$ plus rapide qu*on ne supposerait; on 
les conduisait au chantier, et on les plaçait devant les monceaux qu'ils de- 
vaient remuer : « Attache cette corde, » disait le mahout, et, pour aider, 
s'il était nécekaire, à rinteliigence de ranimai , il accompagnait son in- 
vitation de coups dont il le frappait sur la tète avec une espèce de pioche. 
L'éléphant faisait, à l'aide de sa trompe, un nœud coulant avec la corde , 
saisissait la poutre indiquée, puis la traînait où on voulait, en tenant la 
corde avec les dents. Fallait-il la placer sur d'autres déjà superposées, il 
l'appuyait contre la pile, puis la poussait avec sa tète dans une direction 
verticale. Il employait rarement sa trompe pour ce qui demandait de la 
force, et paraissait la réserver pour les circonstances qui exigeaient de la 
dextérité. Cet animal montrait d'ailleurs peu de patience et se rebutait fa- 
cilement; et si deux ou trois essais avaient été infructueux, son mahout 
avait soin de le faire passer à un autre travail , et ne revenait au premier 
que longtemps après. Ce n'était pas qu'il craignit de fatiguer sa monture, 
mais il ne voulait pas, disait-il , la dégoûter. 

On dirait que l'esprit d'ordre et de symétrie est inné chez les éléphants. 
Les routes les mieux entretenues de Geylan sont , à ce qu'on prétend, celles 
qu'ils préparent en les battant. On leur attache pour cela des semelles de 
cuir, afin que leurs pieds ne soient pas blessés. Quant à ceux d'Aleppi , je 
remarquais qu'ils alignaient leurs pièces de bois avec beaucoup de justesse , 
sans que le mahout s'en mêlât; mais si ces pièces roulaient plusieurs fois 
les unes sur les autres, on les laissait en désordre pendant quelque temps, 
ou on les faisait ranger par un autre éléphant (1). Ils ne travaillaient pas 
non plus pendant la journée entière ; car ils se reposaient quand la chaleur 
était trop forte; alors le mahout descendait en saisissant d'une main leur 
oreille et de l'autre la corde qui leur entourait le cou , et dont il se servait 
comme d'étriers quand il se tenait à son poste. 11 donnait , pendant le re- 
pos, de jeunes feuilles de palmier à son compagnon , et paraissait entre- 
tenir avec lui une interminable conversation. Comme nous demandions la 
raison de tous ces actes, on nous répondit qu'il ne fallait pas que les élé- 
phants s'ennuyassent. 

Le soir venu, tous allèrent ensemble sur la place publique. Nous nous 
trouvions sur leur passage , et on les fit nous saluer : ils élevèrent la trompe, 
en jetant un cri aigu et perçant qui ressemble à celui du clairon, et l'un 
d'eux même fit un saut des quatre jambes à la fois. Nous n'attendions pas 
tant de souplesse d'un tel colosse, et payâmes volontiers la légère somme 



(1) En visitant le fort de Travandrun, dont les murs sont construits en énormes 
blocs de granit gris, je remarquai qu'on y emploie les éléphants pour élever ces blocs: 
on les fait travailler à peu près de la même façon que pour les bois de chantiers. H 
n'est pas rare d'en voir qui traînent des espèces de camions, chargés d'un bloc de la 
grosseur des piédestaux de nos statues dans les places publiques ; ils tiennent avec les 
dents la corde attachée au timon , et dirigent là voiture avec autant d'adresse que 
d'aisance. Le cornac marche le plus souvent à côté d'eux. 



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|6f l^cp: pf t'f^mf' 

par \9me}lejm rpownalt rbopnpuf q«f^ mm f^^W rf«i. f/a(îtej|r i^wt 
çipa) i^ie ^'apprp|c)i9 pifs oepepd^); pour 1^ recevoir lui-m^nie; f^^f^ spu 
iQ^bput (l^sceodit avj^ presies3e , et pQUS fi|; fprce salain ; pais , saisi^$ao( 
i*oreil(e de $a fppiafure , et appuy^ot le ^ïpd sur w gepQU qu'elle lui ^- 
dajt complu js|irpment, il af tei^i^i^ bipujtôt la cordp du jcqu sijr fequ/çf fl sç re- 
mit à cheval. Qette ppération est assez facile avec T^lépl^^ii^ ^p ^'iodis , 
^om les orpiiles se rejettei^t ep arrière contre la tète; mais elle fsst plus 
malaisée avec celui d'Afrique , qui Ijes port^ légèrement ipclinées eu avao^. 
N^us allâmes sur la place pour voir le repas du so|r. |L«à,les élépl^^i^^ étaiept 
rangés sur une ligne si di^oite qp'elle eût fait bopneur à des soldats ; çbaque 
mazout saisit à jdeux mains up énorpae bpulet bl^nc, sembiable à c^ 
pierres de marbre avec lesquelles le^ Turcs chargent leurs canons, et 
réleva au-dessus de sa tètjs : c'était une pâte de riz qpe |es élépl^ants eurent 
l^ientj^t engloutie; pn leur en donna quelques autres, après qupi i|s pipo- 
gèrent leur trompe dans l'eau , burent et furent ramenés chez eux. 

Bien que ces animaux passent pour Cort doux, quand ils sont apprivoisés « 
je reip^rqpai que les habitants ne s'approchent pas d'eux volontiers. Quel- 
qjijiiefois, ep effet, ils spnt saisie copame d'une fureur passagère , et ils ren- 
versent tpiit $ur leur chemin. Cela eut lieu à Quilon, pepdan); qpe je m'y 
trouvais. Un élépbaof; bouleversa tout un quartier de la ville avant qu'on 
pût lui jeter des entraves dans les jambes. N'eùt-on à cr^indrie qu'pn coup 
dj leur trompe ou un accès de leur gaieté, le saut sur les quatre pieds, par 
exemple , grâce auquel ils pourraient écraser une douzaine dp personnes, il 
serait prudent de se tenir à distance. Je me rappelle qu'un très-jfune élé- 
phant, envoyé de l'Inde au Jardin des plantes , par M. Duvaucel , et qu'on 
débarqua à la place de Grève, joyeux, sans doute, de pouvoir marcher , 
ûp snr la place Maubert un tel dégât, que l'administration dut le lendepiain 
payer fipO francs d'indemnité. Du reste, les éléphants de l'Inde ne ressem- 
blent nullement aux animaux galeux et ridés qui usurpant leur noni en 
Europe. Peut*ètre perdent-ils dans nos climats de leur intelligence conjime 
de leurs qualités physiques. C'est de cette manière que je puis çopiprendre 
l'opinion de Cuvier, qui les classe après le chien dans l'échelle intellectuelle. 

|J|i l»f «i|r indien* 

Qu'op se figure les plus mauvais baraques de nos marchands fofains ; 
q,u'on les ri^nge le^ une^ ^ f^f^^^ des autres sur deux Ijgnes parallèles, ct,qu'^n 
ait soin, après les avoir rendues aussi sales que possibles, de les abaisser 
jusqu'à un pied du dessus du sol , et de les diviser tantôt par des mauvaises 
planches, tantôt par des nattes , et on aura Tidée d'un bazar indien. 

Ce spectacle n'est pas toujours ouvert à l'observateur; parfois une mau- 
vaise toile pu une natte trouée, suspendue devant la boutique, cache les 
mystères de l'intérieur. Ne supposez pas que, comme en Turquie, le pro- 
priétaire montre ainsi sop absence , et laisse ses marchandises sous la iSauve- 
garde de Thonnètelé publique; loip (de 1$; il veille Sfps cesse, la jfuïi aifi^i 



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biiep qpa Ip mr, et jepcprie e»t-U souvent déy^lisé. 8'ii s'est eaehé, e'esl sans 
4QPte qu'il compte sou argeqt , ou qu'il est eo conféreoce secrète pour une 
spiéculatiou. Veoe^ la nuit, et vous le trouverez couché en travers de sa 
PQrte sur un chaspaé ou cadre élevé au-dessus du sol et suspendu par deux 
cpr4eç; là, VQus le verrez enveloppé d'une espèce de linceul, bravant les 
serpents, les scorpions et la verqoine , prêt à (léfendre ses richesses au moin- 
dre brujt. Quand, à Bombay, de jeunes éiourdis fraicheoient arrivés de 
l'Europe oi^t fait la débauche, ils pr/wnent grand plaisir à parcourir le 
bazar un couteau à la main, k couper les cordes des cha^paés, et à faire ainsi 
rouler les dormeurs dans la poussière; d'autres fois ou enlève simultané- 
ment tous lesp^uets qui reiiennent les tentes, et pn ensevelit leurs habi- 
tants sous une masse de toile. De tels divertissements ont rarement lieu en 
province. 

Si , vers m^di , après les ablutions , qqand les habitants des environs sont 
arrivés à la ville, quand le bazar est dans toute sa splendeur, on examine 
ce qu'il contient , on ne comprend pas qu'il mérile d'être gardé avec tantde 
^ins. Les boutiques les plus rpcbes contiennent quelques douzaines de pièces 
de calicot, des ornements en verre, rarement des étoffes de fabrique an- 
glaise. Comme le marchand possède des valeurs considérables , que son éta- 
blissement peut bien valoir un millier de francs, il ne le dirige pas sans 
quelque dignité; il siégera devant une cassette en bois qui lui sert de coffre- 
fort , qui renferme des balances, ses livres de commerce. Le sol <le la bou- 
tique sera souvent enduit d'un mélange de boue et de bouse de vache qui la 
préservera de la visite ^es fourmis , des cariai , des cancrelas; quelquefois il 
en fera blanchir les p^ois à la chaux. Si la nature l'a paré lui-même de 
ses dons, si elle Ta gratiné de cette ampleur «d'abdomen si prononcée dans 
^n pays, il sera parfaitement nu pour attendre ses acheteurs , et encore 
naaudira-t-il sa dignité et la police de ce que, par respect pour la première, 
il doit se couvjrir la tète d'un petit turban rouge , tandis que la seconde le 
force à se ceindre les reins d'un chiffon de toile. Cependant ses oreilles et 
son nez sont ornés deyastes anneaux d'or et d*argent; il montre avec orgueil 
les signes de sa caste tracés sur son corps, bpit de Tjeau , transpire, souffle, 
inâche du bétel, et l^nce au loin, avec beauconp de noblesse, une salive 
rouge, en accompagnant qeis diyer^ opérations du mouvement gr^cieu^ de 
son éventail de paille; ^ , 9n fond ^ l'anxre qn'il occupe, vous .voyez, au- 
iiessus d'une bouch/e bayeu&e, luire deu|[ grands yen^ b^^Q^^^^ ^^^nnés; si 
quelque chose s'agite qui , par Tensemble et la couleur, ressemble à un 
énnrme crapaud, ne soyez pas effrayé; c'est le nouveau-n^ du marchand; 
f^n bon père, il veut l'avoir à ses côtés, et Ta déposé sur le sol de sa bpu- 
tiquCfCn le couchant nu sur le venifc, de façon que la tète empêche de voir 
le reste du corps. 

Après le marchand d'étoffes, qelui qui vend les céréales est )e plus consi- 
dérable; chez celui-ci vous voyez des sacs ijle riz, de froment, d'orge, 
de doura, de lentilles et surtout de grame (pois) de toute espèce. Les vaches 
consacrées fréquentent surtout ce gienre de boutiques; elles plongent la 



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166 REVUE DE l'orient. 

tête dans les sacs et à peine ose-t-on les repousser; il est même des eire§n- 
stances où leur visite est une bonne fortune. N'est-ce pas en effet un 
bonheur ineffable que de pouvoir recueillir leur urine, s'en frotter le corps, 
en humecter ses lèvres? Les autres établissements contiennent d'énormes 
amas de vases arrondis , en cuivre ou en terre , dont la consommation est 
prodigfieuse , des fruits , des feuilles de bétel, du beurre fondu appelé gui, 
deThuile rance, et enfin du poisson séché, qui est toujours assez abondant 
pour répandre l'infection à une grande distance. Cest près des marchands 
de poissons que se tiennent des nuées de corneilles qui, aidées de l'aigle aussi 
immonde qu'elles, et dont on a fait, je ne sais pourquoi, l'oiseau des dieux, se 
chargent de nettoyer les bazars. Ces habitants de l'air viennent en aide aux 
femmes qui recueillent avec soin dans des paniers , puis vont coller sur les 
murs de leurs cabanes , ce qu'ont déposé les vaches ; des troupes nombreuses 
de rats, des insectes de toute espèce, enlèvent pendant la nuit ce qui a pu 
rester , et les marchés ne manquent pas, dès le matin , d'une certaine appa- 
rence de propreté. 

Tout est prêt pour recevoir la même foule que la veille; ces femmes 
tantôt gracieuses, tantôt horribles à voir , qui vont nues jusqu'à la ceinture, 
si leur caste ne leur permet pas de jeter une étoffe légère sur leurs épaules, 
dont les cheveux noirs et épais remplissent l'air de l'odeur d'huile de cocot 
et de bois de sandal dont on les a enduits , se présenteront les premières; 
puis arrivent les ouvriers , les pécheurs , les gens de peine ; les personnages 
de quelque importance auront soin de ne pas se hâter, et quelles que soient 
les habitudes bruyantes de ce peuple , on connaîtra l'approche d'un grand 
seigneur par les vociférations de son escorte. Tandis qu'il gardera dans son 
palanquin la plus parfaite gravité, ceux qui promènent son auguste per- 
sonne chanteront et gémiront en chœur; ses suivants, semblables à ceux 
d'un général célèbre, porteront dans leurs mains triomphantes les signes 
de sa grandeur : un mauvais houka pour fumer, un tapis râpé pour s'asseoir, 
un sabre de cinq francs , un vase de cuivre pour les ablutions , et les pan- 
toufles du dignitaire. A ces marques redoutables, chacun se rangera , on 
arrêtera les charrettes à bœufs, et si une pagode se trouve à portée, on 
entendra redoubler le tintement des cloches , le bruit du tam-tam et ces 
trompettes en cuivre d'une longueur éternelle , dont le son resseilnble au cri 
prolongé de l'éléphant. Si quelques personnages paraissent dédaigner tant 
de pompe , c'est qu'ils sont détachés de ce monde et n'ont souci que de l'éter- 
nité, qu'ils ont des vœux à remplir. Celui-ci a juré de ne se coucher jamais 
et de dormir debout; celui-là n'ouvrira pas la main, et ses ongles lui tra- 
verseront les chairs; l'un tiendra toujours le bras élevé et réussira si bien , 
qu'une atrophie l'empêchera plus tard de l'abaisser; il pourra même orner 
sa main d'un petit vase dans lequel il sèmera des fleurs; cet autre rampe à 
temps et va sur son ventre à l'extrémité de l'Inde, au temple de Jungernalh. 
Tous sont très-fiers de leur profession; ils sont nus et leur corps est cou- 
vert de l'enduit le plus sale qu'on puisse imaginer. Mais les peines ne sont 
pas dans ce monde sans compensation ; hommes et femmes s'approcheront 



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MÉLAHCXS SUR h'mVE. 157 

de ces saints personnages, les toucheront avec respect et porteront, après, 
la main à leur front. Peut-être un mari dont l'épouse est stérile les suppliera- 
t-il d'entrer dans sa couche et de lui donner la fécondité. 

liem Bensatos des voyageurs* 

Sur toutes les routes principales , et à une distance moyenne de dix lieues, 
on voit s'élever, au lieu des huttes indiennes, et à proximité de quelque vil- 
lage, des maisons européennes construites avec élégance. Elles sont placées 
au centre d'un jardin entouré ordinairement d'un mur ou d'une palissade: 
ce sont les bengalos des voyageurs. 

Ils se divisent symétriquement. Après avoir passé le vestibule , on entre 
dans un salon dont l'ameublement est , pour ainsi dire, double, parce qu'il 
contient deux tables , quatre sièges et deux canapés. A droite et à gauche de 
ce salon sont deux chambres à coucher , avec des bois de lit. Au delà des 
chambres à coucher se trouvent des cabinets pour le bain ; des cuisines 
et des écuries sont placées sur le derrière et séparées par une cour. D'an*^ 
ciens cypayes sont commis à la garde de ces maisons, et doivent veiller 
aux besoins des voyageurs, dans les limites d'un règlement dont chacun 
est invité à prendre connaissance. 

Les bengalos sont construits pour recevoir deux compagnies de voyageurs ; 
le salon est commun , et les appartements à droite et à gauche sont occu- 
pés par elles. Si d'autres surviennent , il faut qu'ils attendent sous la varande 
le départ des premiers occupants, qui n'ont pas droit de s'établir pour 
plus de trois jours. Un registre est présenté aux voyageurs , qu'on re* 
quiert d'y inscrire leurs noms et leurs qualités, la date de leur arrivée , et 
de présenter leurs observations sur l'exactitude du service. Il y a, en 
effet, des règlements affichés sur les murs, pour indiquer ce qu'on doit 
payer aux porteurs de palanquins et de bagages, pour les provisions , quels 
secours on peut exiger des gardiens. 

Les registres sont envoyés au collecteur de l'arrondissement, et la lecture 
ne laisse pas d'en être amusante. 11 n'est pas rare que les voyageurs, au 
lieu de présenter les observations qu'on leur demande, en fassent à c6tédu 
nom de ceux qui les ont précédés, si bien qu'on peut lire, pour tuer le 
temps , la chronique scandaleuse du pays. Ce qui frappe surtout un étran- 
ger est la minutie scrupuleuse avec laquelle on recherche de quel droit cer- 
taines personnes ajoutent à leur nom le titre d'esquire. Rien ne semble ex- 
citer davantage la bile des véritables gentlemen que ce genre d'usurpation. 
On était allé chercher en Amérique des planteurs pour faire des expériences 
sur la culture du coton, et ils devaient battre plus que personne les grands 
chemins. Comme ces républicains ne tiennent, à ce qu'il parait, pas moins 
au titre d*esquire que les Anglais, ils ne manquaient pas de Tinscrire sur le 
r^istre, et de là naissaient des plaisanteries sans fin. 

Les bengalos , en effet, ne sont construits que pour les gentlemen ^ et les 
gardiens ont ordre d'en expulser les sous-officiers, les Portugais , ceux dont 



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}é peau Wt tTime couleur douteuse, et mèine tout itidl^ë^ <Jàèiiftfe soft 
80» Mflg. .ràî fti <iii homme âé Mtig tnèlé {kàlf-^aité) se pn%ettt^ ate<îilrié 
suite nombreuse ; Il ^'établit «vec quélijae Jwttipè et le repo*iait 4 IW^rie âr-^ 
riva un autre voyageur; celui-ci, l'ayant reconnu, le fit aussitôt jeter à la 
porte. Ces façons d'agir ne paMis^ent pals blesser la* populaliion. Les cypayes 
ne dissimulaient pas le plaisir avec lequel ils procédaient à Texécution , et 
ebacàn votilalit t pfetidre part; cslr liies dotiiestîqties^ alti^si bieri que ceux 
du nouveau venti 4 se précipitèrent spontadéifient ^r les bagages de Fiti- 
irus^ el concoururent avec tt\t 9 son exptilsiob. Heureux encore le pauvre 
diable SI od lie déoonce pas sOn audace au collecteur. Ces règles , qudiqtiè 
sévères, soot cependant légales etconforrties â la politique du gouverné- 
ment ? les bengaloi Idi appartreniienl eî sont cotistriiitsi exclusivement pour 
ses serviteurs, qu'il veut élever aU-dessus de totis. Ce n'est que pâi* tôïératièe, 
par Courtoisie, qtie dès négociants ou des «^trabgéi'é, tfièWe Etffo^ecùs, i 
sont admis, et je n'ai rien lu dan$ les rè^^lettienls qui ^'opposât à cëqti'il^ 
fussent traités comme le voyageur dont je tîcrisde parler. Aus^, ^dànd 
j'ai dsé de cette bospltaiité, mè sUi^c bicii gardé d'InscHre riieâ ôbsefva- 
tidhs siir auetin Registre. 

lies PouliUlMé 

Pendant la dernière partie du voyage que je faisais eu palanqiflfi (de 
Cochin à Mabé , eète de Malabar ) , j'entendis sortir d'un bois situé â peu éé 
distanee d'un village des hurlements tout â fait pareils à ceux de certaines 
espèces de singes 4 et je vis comme des oKibÉ-esqui glissaient â travers 1^ 
arbres. C'étaient des pouUkihs qui demandaient la charité ; cette câsîe, bièb 
plus méprisée dans l'Iode que celle des parias, U'a pai le droit d'habitef lea 
villes, ni même de Se construire des huttes àtx fond des furets. Malheur 9 
celui qui en fait partie s'il s'approchait de trop près de c^ux d'une càstè 
supérieure; il doit, par ses cris, faire connaître sa présence, afin qu'on ait 
le temps de le fuir^ et s'il négligeait cette précatilion , il eoufrait Hsque 
d'être tué* 

J'avais lu datis un livre que je crois le meilleur sur l'Inde, daâs celui de 
l'abbé Dubois, ce qu'il rapporte stir ces malheureux ; je connaissais aussi eè 
(jpi'on en avait déclaré devant une comtuission parlementaire^ et^ commlè 
on pense, je désirais vivement m'assurer jui^u'â quel poiut Ces Incroyable^ 
assertions étaient fondées. Elles étaient d'une parfaite exactitude , et je ne 
pus jamais approcher de ces sauvages. Conime ils demaùdaiedt la cliarité, 
je leur montrais quelque monnaie et leur faisais signe de teuir la pfendrè^ 
mais les porteurs de palanquin ne Tauraient pas permis ; ils s'empressaient, 
au contraire, de s'éloigner; les pouliàhs suivaient à distanee, msiis se gar- 
daient de marcher sur la route: ils allaient â travers champs, et frànCbiSH 
saient tous les obstacles avec uite rare agilité; â là vérité, leurè vétèttïefits 
ne les gênaient guère, car ils ne portaient qu'une ceinture de feuilles. Par- 
venus près d'un ruisseau dans lequel je supposais que lès poMetirs auràieut 



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VùiAÛÈ À MÂHAGASCAtl. U^ 

pu faire leurs ablutions s'ils s'étaient crus souillés , je les fis arrêCer eC re- 
nouvelai mes signes aux pouliahs : mais ils s'arrêtèrent comme nous , et mes 
invitations furent inutiles. Enfin , fatigué de leur obstination à me suivre 
en hurlant^ je leur jé(4i qdejqàè mondaie; mais eoiiiAe elle était tombée 
sur la route, un des porteurs alla à travers champs la déposer au loin sur 
une éminence. Les mendiants n'osèrent ^'avancer pour la prendre que lors« 
que nous fûmes éloignés. 

Uâe aut^ë ibls^ j'étais èfi tolmt éetm lés ènvirdtt» m ^U, et le l^^ 
cher s'arrêta t«tit a èoup$ tl <êt#lt fbrttê tfeè fâssehtfaléihéht^ S certaine 
distance d'une boutique tenue par un Maplais (1). La cause en était la 
présence d'une ftmtsui potfllab qui irenatt aèbétét* du riz et apportait en 
échange une ûattè de sa fàç<iii ; à une céritaitie de pas de sa boutique^ elle 
avait hurlé, et le Maplais ayant répondu , ils at^ieni conclu letli* Inârché; 
toute ctrcttlation d'itidbus était arrêtée jusqu'à Ce qtle cette affaire fût ter- 
minée. 

La pauvre créature^ presque entièrement nue, tctutnâit constamment 
la tète de tous côtés, prête à avertir si Toli s'sipprdchait; lë boutiquièt fai- 
sait, de son cûtè, arrêter les passants. 11 pesil devatit eut le t\t confenii 
el le porta à racheteuse^ dont il pouvait s'approcher èii qualité de mâho- 
fisétan, et empoha la natte; Cette seèite se pa^Mit pehdâot la tnoussoti; là 
pluie avait Irnnbé tout le jour; bien qtlela cUaleiir fût encore fàtie pbui^ 
des Européen^ , les naturels étaient eflf èloppéâ dans letirs tOiles de coiton. 
Alors, pendant que la circulation se rétabliriez que là voilure cohtititraiè 
sa rodte, je vis la malheureuse s'éldignet* seule, â la tombée de \i nuit, de \i 
demeure dès hommes , et s'enfoncèÉ* datis les bois^ oh attcun abri ne lui était 
permis i si ce n'est le tronc d'un «rbre cfeuse p^r le tètiips , dii des bt-ànch^ 
touffue dont les singes lui disputeraietit la possession. 

Que tes Anglais soient fiefs de posséder tin pays oH se liassent de tèllei 
choses, qu'ils appellent l'Inde le plus beau joyau de là èourtfhné bMtàn-' 
niquél J'ignore, d'ailleurs « s'ils ont trouvé le moyen de ffappef èetté c^ste 
de quelque impôts de la rendre^ comme ils disent, productive; 

V. FoirriHiBR. 



(t) On nonmè Mapldis les inditldni iSshS de Tuiiion del déicetidadtà dès Pdrtti- 
gais et des Indiennes. 



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160 RKVVE D£ l'OHIENT. 



VOYAGE A MADAGASCAR. 



Arrivée A BEadagafcar. — Visite au oommandaat iMnra du fort Beopl^bi. — 
Tyrannie dei Bevai envei;» les Saoalavet. —lie tanghin. 

Après une traversée de quatre-vingt-lrois jours, nous jetâmes Tancrc le 
7 août 1845, vers les six heures du soir, devant ie fort Dauphin. 

A ia pointe du jour» aussitôt que nous pûmes distinguer le pavillon ho- 
vas, nous saluâmes par vingt et un coups de canon le fort, qui, de son cdté, 
nous rendit le salut. 

Vers les neuf heures , ne voyant venir aucune embarcation vers nous , je 
résolus de me rendre à terre pour apprendre quelques nouvelles sur la po- 
litique de ce pays. H élait de toute nécessité pour nous d'aborder Ttle de 
Madagascar par le. fort Dauphin, pour régler notre direction; notre plan 
étant d'explorer toute la c6te de Test, de doubler le cap d'Ambre, et nous 
diriger ensuite vers les lies Gommores. 

Nous ne sûmes que penser en voyant tant d'hommes accourir en armes 
se dirigeant vers le fort. Cette agglomération de troupes nous fi#croire que 
quelque chose d'extraordinaire s'y passait. Je fis apprêter le canot , et, ac- 
compagné du capitaine et de quelques autres personnes, je quittai le navire et 
me dirigeai vers la douane. Aussitôt que nouft eûmes mis pied à terre, nous 
fûmes entourés de toutes parts, et une ligne de soldats hovas ncms barra 
le chemin. Mon intention était de me rendre au fort afin d'avoir une en- 
trevue avec le gouverneur. 

Au milieu de ce peuple en armes j'aperçus un% figure europtome ; c'était 
un vieillard à barbe blanche. En m'adressant à lui, j'appris qu'il se nom- 
mait Darsela, qu'il était Français, et vivait depuis vingt-quatre ans au mi- 
lieu des Hovas, en faisant un petit commerce. Il nous apprit que la France 
et l'Angleterre étaient en guerre avec les Hovas; que les Français venaient de 
brûler Tamatave; que l'exaspération des Hoyas était à son comble; que si 
dans ce moment on voyait arriver autant detroupes, c'était à cause des vingt 
et un coups que nous avions tirés, l'ordre étant d'accourir au secours du fért 
au premier coup de canon. Il me dit que la position des Européens qui se 
trouvaient établis au fort Dauphin et dans les environs avait été pour un 
moment bien précaire. Je lui demandai s'ffs croyaient être tranquilles pour 
l'avenir: il me répondit que pour le moment ils n'avaient rien à craindre, 
qu'ils n'étaient pas plus mal avec les Hovas qu'avant les événements de 
Tamatave; que seulement il leur était défendu de faire aucun commerce, 
et qu'il était persuadé que nous n'obtiendrions pas la permission d'acheter 
ni de vendre. 



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VOYAGE k MADAGASCAR. 161 

CiomiDe il y avait ai|e maison non habitée, appartenant h un Français 
nommé Benott, qui, pour le moment, se trouvait à nie Bourbon, noua 
fûmes nous y installer aussit6t. Dès ce moment nous commençâmes à par- 
lementer avec le commandant du fort, afin d'obtenir une audience et 
TautorisatioB de faire de Teau. Ce fut le vieux Darsela qui devint notre 
iotermédiaire; il était frère par le serment du sang du commandant du 
fort , et c'est à ce titre qu'il lui était permis d'entrer à volonté au fort des 
Hovas. Il plaida si bien notre cause que nous reçûmes la permission de pren- 
dre six barriques d'eau. Le surlendemain , un colonel et quatre officiers de la 
douane, se rendirent à notre habitation , pour y tenir un kabaar (1). Nous 
leur offrîmes du genièvre de Hollande et des cigares. Après ce prélude , l'ora- 
teur du kabaar prit la parole et nous dit que le conmiandant regrettait 
beaucoup de ne pouvoir nous recevoir , à cause d'un ^dre de la reine qui 
défendait toute communication avec les blancs venant de la mer : qu'il ne 
lui ét^it permis ni de donner ni de vendre des provisions aux navires étran- 
gers, pas même de Teau , dussent-ils en avoir le plus grand besoin; con- 
trevenir acpx ordres de la reine serait puni de la peine de mort; que pour- 
tant, sachant que notre pavillon appartenait à une puissance qui n'était 
pas en guerre avec les Hovas, il ^vait assemblé son conseil pour lui pro- 
poser de nous p<;rmeltrede prendre six barriques d'eau, que c'était tout 
ce qu'il pouvait faire pour nous; qu'il nous engageait ensuite à partir, ou 
attendre le retour du courrier qu'il venait d'envoyer vers la reine, pour de- 
mander Taiêorisation d'entrer en communication avec nous. — Comme il 
fallait quarante jours pour le retour du courrier, nous lui répondîmes qu'il 
nous était impossible d'attendre aussi longtemps , et priâmes le colonel de 
remercier de notre part le commandant du fort de ses bonnes dispositions 
poi^r nous. 

t.a douane est, chez les Ho vas^ le premier corps ; cette création est due à un 
Français qui , payant au gouvernement hoya une certaine somme annuelle, 
a fait établir un droit de Id p. I€0 sur toutes les marchandises , ainsi qu'un 
droit d'ancrage; avant ce temps, on ne payait rien, comme cela existe en- 
core chez les Sacalaves indépendants. Mon intention étant de faire une der- 
nière tentative pour^obtenir une audience du commandant du fort , tout fut 
mis en œuvre : cadeaux de pièces d'indienne pour la femme du comman- 
dant, du genièvre de Hollande et du vin de Madère en permanence sur la 
table, ainsi qu'une caisse de cigares. 

, Gomme nousavions pris vingt marémites (2) et un commandeur pour 
nous servir, les uns nous apportaient tous les jours des pintades, des pigeoss 
verts , etc.; d'autres des poissons , enfin, noUs avions une bonne table. Tous 
ces petits accessoires servaient parfaitement bien notre diplomatie, et naes 
procuraient souvent la visite des officiers de la douane, du secrétaire du 

(1) Kabaar signifie assemblée où l'on discute. 

(2) Les marémites sont des hommes libres qui s'engagent au serfice des étrangers 
qui font le commerce. 

IX. Il 



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163 REVUE DE l'orient. 

commandant et du cironda Ratsî-Alohi , esclave de la reine et aide de caâip 
du prince Ramboa-Salem, grand officier du palais-treize honneurs (les 
grades, cfaez les Hovas , se distinguent par la dénomination des honneurs). 
Le prince Ramboa-Salem , neveu du feu roi Radama, était lliéritier direct 
du tf^ne , si la reine n'eût eu un fils deux années après la mort de Radama. 
Le prince Ramboa-^Salem est aimé du peuple, d'un caractère doiiz et 
porté à suivre les traces de la civilisation européenne, tandis que le fils de 
la reine (que son peuple est forcé de reconnaître pour le fils de Radama) est 
èruel et déteste les étrangers. On pense généralement dans ce pays , qu'à la 
mort de la reine , ce fils sera assassiné, et que le prince Ramboa-Salem mon* 
fera sur le trône ; je suppose que le voyage de son aide de camp avait un 
tout autre but que d'acheter divers articles étrangers, et que le prince en- 
voyait dans toutes \m tribus des hommes qui lui étaient dévoués, afin de 
s'assurer le peuple et l'armée. Il doit se conduire avec la plus grande pru- 
dence ; car au moindre soupçon de la reine , c'en serait fait de lui. 

Le 10 au matin , le colonel Ranésiringue, directeur de la douane , accom- 
pagné de quatre officiers , arriva à notre habitation , et , après avoir pris le 
petit verre de genièvre, il nous adressa la parole et nous dit : «Le gouver- 
neur a 4e plus grand désir de vous voir; mais les ordres de la reine sont si 
positifs, qu'il craint qu'en s'écartant de ses instructions , on ne lui coupe la 
tète ; ainsi, pour ne pas assumer sur lui toute la responsabilité, il a convoqué 
hier soir un grand kabaar qui a duré fort avant <^ans la nuit , et la majorité 
a décidé que vous serez reçu aujourd'hui , non pas par le commandant, mais 
par le colonel Rafalah , sous-commandant, celui-là même qui a mis la plus 
forte opposition à voire réception.» Je savais déjà que le colonel Rafàlah 
était un ennemi juré des Européens, jaloflL de li'ètre pas commandant, 
toujours disposé à trouver le commandant en faute et à l'accuser. Cette con- 
duite, du reste, eist générale chez tes Hovas: les gouverneurs des postes éloi- 
gnés de Tananarivo ont toujours près d'eux des cirondas ou esclaves de la 
reine; c'est à ces derniers que sont env(^és èeis ordres secrets, lorsqu'on 
veut se défaire des gouverneurs. ' 

Le directeur de la douane me dit de nous tenir prêts , qu'à midi on vien- 
drait nouschercher. Un petitverre de genièvre quejefis servir àtousïermina 
la séance. Ils nous quittèrent contents d'avoir rempli avec exactitude leur 
mission, et surtout d'avoir pu pérorer; car de toutes les peuplades qui ha- 
bitent l'île de Madagascar, ce sont les Hovas qui ont les meilleurs orateurs 
^dans les kabaars. Gdui qui excelle en ce genre au port Dauphin est le co- 
lonel Ranésiringue. J'ai souvent été étonné de la facilité d'improvisation des 
orateurs hovas. 

J'écrivis aussitôt au capitaine du navire de se rendre à l'habitation en se 
faisant accompagner de notre médecin, afin d'augmenter notre état-major, 
de prendre avec lui quatre barriques de poudre à canon destinées comme 
cadeau pour la reine ; et avant de quitter le navire, de donner ses or^toes 
pour tirer cinq coups de canon sur un signal convenu , aussitôt que nous 
quitterions notr^ habitation pour nous rendre au pavillon de la reine; car 



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VOYAGE A MADACASl^AR. 163 

rentrée dttibrt nous était interdite, afin que nous ignorassions les travaux de 
défense auxquels les Hovas étaient occupés, et le nombre des pièces en bat- 
terie. Je n'avais pas besoin d'enrrer dans le fort pour être instruit de tout 
ce qui s'y fallait ou y existait : ainsi ils ont seize pièces de canon , de la pou- 
dre en abondance, mais peu de boulets, pour mitraille des pierres, et 
600 hommes de garnison hovas; les milliers de Sacalaves qui, au premier 
coup de canon , doivent voler au secours du fort, n*ont pour arme défensive 
que la sagaye ( espèce de lance). Il n'y a que les Hovas à qui on confie des 
armes à lieu : ceux-ci se battront jusqu'à la mort ; mais au moindre échec 
qu'ils éprouveront, ils seront abandonnés par les Sacalaves. 

Vers une heure, tes officiers de la douane, qui avaient quitté leur 
gtand chapeau de paille et lesim'bou, arrivèrent chez nous en uniformes 
rouges, avec des épaulcttes de colonel, des écharpes en soie de toutes couleurs^ 
des chapeaux militaires surmontés de plumets tricolores français , des pan- 
(alon^bleus à galon d'or ; ils paraissaient être peu habitués à la chaussure , car 
un des trois officiers supérieurs avait cousu des cordons à ses souliers pour 
ne pas les perdre en route. Lorsque tout fut prêt, ils tirèrent leur sabre et 
ouvrirent la marche. Nous les suivîmes. Après nous venaient nos marémites 
portant nos quatre barriques de poudre. Le peuple, assemblé en 'masse, 
suivait et regardait avec curiosité la cérémonie. Le navire tira cinq coups dé 
canon, et hissa le pavillon néerlandais; le fort répondit à notre salut en 
hissant le pavillon hova. Arrivé devant le pavillon de la reine, la senti- 
nelle nous arrêta, un caporal et deux hommes avancèrent pour recevoir le 
mot d'ordre , et après l'avoir reçu nous pûmes entrer. Quatre cents soldats 
hovas s'y trouvaient rangés en bataille; leur costume était des plus simpleé, 
ils étaient nus, excepté un petit chiffon de toile bleue h la ceinture; leur 
armement consistait en un fusil rouillé à baïonnette , point de giberne. Us 
nous présentèrent les armes, quatre tambours battirent au champ. Nous 
entrâmes ensuite dans une grande salle d'un carré long dans laquelle se 
trouvait une centaine d'officiers de tous grades et de tous costumes , le 
sabre à ta main. Gomme ils étaient tous rangés le long «hi mur, cette va- 
riété d'uniformes, de coiffures et de couleur de peau, donnait à la salle 
l'aspeot d'un magasin de costumes de carnaval et de masques : les uns 
avaient des habits de soldat anglais avec des épaulcttes d'or; j'en ai vu qui 
avaient des casques en carton , les uns des souliers en cuir verni , d'autres 
sans bas, j'en ai même remarqué un qui n'avait qu'un seul bas. 

Le colonel Rafalah nous refui à l'entrée de la salle. Il avait un bel habit 
rouge, collet brodé, des épaulettes de colonel et trois larges chevrons d'or 
sur les bras; c'était un cadeau du gouverneur de Tile Maurice. Après nou$ 
être salués, nous lui remîmes une piastre d'Espagne pour la reine (1). Aus- 
sitôt qu'il l'eut acceptée, il s'écria à trois reprises : viVc la reine/ ce qui fut 
répété avec frénéaié par tous les assistants. Des chaises avaient été placées 
pour nous; le colonel Rafalah nous fil signe de nous asseoir. Au milieu de 

(1) Usage observé en abordant le souverain ou son représentâot. 



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164 RcvrE DE l'orient. 

U sortie se trouvait une table sur laquelle il y avait quelques kwiletUes de 
rhum et une vingtaine de verres, A chaque coin de la table était une femme 
àova ayant à la main un mouchoir blaoc pour chasser les mouches. Le 
nommé Darsela, de qui j'ai déjà parié plus haut, nous avait accompagné 
pour être noire interprète ; il prit la parole et dit : «Ces messieurs me cbar<- 
gent de vous remercier de la réception amicale qu'ils reçoivent par le repré* 
sentant de la reine des Hovsg, et vous prient d'accepter pour la reine quatre 
barriques de poudre à canon qu'ils sont heureux de vous offrir. Ils se flattent 
que dorénavant vous serez convaincus que le pavillon de la Néerlande ne 
veut être qu'un symbole de paix ; partout où il flotte, il porte avec lui U 
prospérité. La Néerlande sait se faire respecter et se défendre si on l'attaque, 
mais elle n'a en vue que de commercer sur un pied d'amitié avec tous les 
peuples du monde ; le grand nombre de ses navires ne sillonne les mers que 
dans ce but. La reine des llovas, en trafiquant avec eux, peut assurer le biefi- 
être de son peuple puisqu'ils peuvent lui fournir tout ce qui manque dans 
son pays.» 

Le colonel Rafalah fit signe de remplir les verres et porta le toast eo 
notre honneur ; comme il n'y avait qu'une vingtaine de verres, les officiers 
vinrenl tour à tour. Je répondis en portant la santé de la reine , ce qui fut 
répété par l'assemblée à trois reprises. J'avais fait prendre au capitakie ses 
papiers; je fis remarquer au colonel les armes de la Néerlande et le cachet 
du ministre en lui disant que c'était celui du grand ministredu roi; H parut 
parfaitement avoir compris tout ce que nous lui avions fait dire. Il nous 
parla ensuite de la guerre qu'ils avaient avec la France et l'Angleterre, ce 
fui ne parut pas l'occuper beaucoup, tellement il était persuadé de la supé- 
riorité des armes hovas. 

I3n ancien nègre maron de Bourbon, nommé Silvesire, actuellement offi- 
cier des douanes chez les Hovas , prit la parole; je veux le citer littéralement, 
car il nous fit rire par la manière dont il s'exprima, malgré la logique de 
son discx)urs. «Les Français, dit-il, les Anglais, tes Hollandais, les Chinois, 
les Malais, eux jappais pas prendre le fort Dauphin : pourquoi? c'est que les 
Anglais eux plus forts que les Français, parc« que eux ils battent les Français; 
et nousqui ont battu les Anglaiset les Français, nous plus forts que eux tous.» 

Notre entrevue dura une heure; le résultat n'aboutit qu'à une assurance 
mutuelle d'amitié et l'autorisation de prendre encorequelquesbarriquesd'eau. 

A notre sortie de la salle, les troupes présentèrent les armes, et les tam- 
bours battirent de nouveau. Comme nous nous apprêtions à partir, le colo- 
nel, qui voulut ^ns doute nous donner une haute oprnion du savoir-faire de 
son infanterie, nous engagea à rester : aussitôt un officier supérieur ai habits 
bourgeois et un chapeau de feutre gris sur la tête se mit à commander 
quelques maniement des armes, en gesticulant de la manière la plus gro- 
tesque et de toutes ses forces avec son sabre. La troupe était rangée en 
bataille; les officiers se trouvèrent tous placés à quelques pas devant le fnmt, 
et imitèrent avec leur sabre tous les mouvements de leur commandant. 

Je fis mon compliment au colonel de la belle exécution du maniement 



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TOYAGiS A MADAGASeàR. 165 

des ann^ «t de ta manière briUantede oommander; nous nous serrâmes la 
maîD ^ et nous fûmes reconduits avec le même cérémonial qu'à notre arrivée. 

Les troupes retournèrent au fort, marchant par le flanc comme cela 
s*exécute dans les armées européennes ; toutefois , le commandant , qui était 
à cheval , en place de marcher à la tète se trouvait à la queue. 

De retour à notre maison, Je fis servir du vin de Madère et du genièvre aux 
officiers qui nous avaient reconduits; ils trouvèrent le madère bon , mais ils 
donnèrent la préférence au genièvre. Après avoir fumé un bon cigare de la 
Havane, ils lious cfuittèrent en nous prévenant que le commandant du fort 
allait, dans ta journée, nous envoyer pour eadeau un bœuf et quelques sacs 
de riz, maïs que nous étions forcés de manger tout ceia à terre, les ordres 
delà reine ne permettant pas de transporter des vivres à bord des navires. 

Vers quatre heures du soir les présents arrivèrent ; nous fîmes tuer lé 
bœuf le lendemain, et nous en envoyâmes aux officiers de la douane, au 
secrétaire du commandant, ainsi qu'aux Français, qui étaient au nombre de 
sept. Après avoir conservé ce qui nous était nécessaire, nous fîmes couper 
le reste par de très-petits morceaux , afin de le faire porter à bord clandes- 
tinement par nos marins au retour de la chaloupe, qui venait deux fois par 
jour nous apporter ce dont nous avions besoin et prendre nos ordres; 

Les Hovas mettaient tout en œuvre pour nous retenir jnsqu'au retour du 
courrier expédié à la reine; mais comme le temps nous pressait, j'étais bien 
décidé à ne pas prolonger notre séjour : aussi notre départ fut fixé pour le 20. 
Voyant que nous ne pourrions rien faire pour le moment avec les Hovas, nous 
décidâmes d'abandonner notre plan d'exploration de la côte de l'est et de 
nous diriger vers l'ouest. 

Les Hovas, qui par leurs conquêtes se sont rendus maîtres de toute la par* 
tie de Test de l'Ile et d'une partie du nord-ouest , ont conservé d'une 
manière bien frappante les traits de la race malaise : leur teint est olivâtre ; 
ils ont les cheveux noirs et droits, les yeuK noirs; ils sont agiles et vifs , 
mais manquent de force musculaire; ils ont l)eaucoup d'intelligence, et 
apprennent avec facilité les arts mécaniquei ainsi que les langues. Ce pea- 
ple est très-vicieux, n'a dans le 9œur aucun sentiment généreux ; on ne peu^ 
se fier ni à leur parole ni à leur amitié. 

La domination des Hovas sur les Sacalaves soumis est le gouvernement 
de la terreur; la moindre faute est punie de mort. Les Sacalaves, quoique beau- 
coup plus nombreux que les Hovas, n'ont aucun espoir de se délivrer de 
leurs oppresseurs : la politiqut du gouvernement de Tananarivo a toujours 
été Textermination de tous les princes ou grands chefs sacalaves, afin d'ôter 
pour toujours un point de ralliement à ces peuples , de ne pas permettre les 
armes â feu et de les tenir dans la plus affreuse misère. H suffit qu'ott 
Sacalave possède quelques piastres ou bœufst pour être éénoncé comme am- 
pouchave (sorcier ) : alors il doit subir l'épreuve du tanghin. 

Le juge qui administre le poison (car ce n'est pas le bourreau) commence 
les épreuves. préparatoires sur de petits poulets, en leur faisant avaler du 
tanghin délayé dans de l'eau, et leur dit : « Si tu es sorti du ventre d'un 



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166 ESTOE OE i^CpUiST. 

a bœnlt mmn^ » S'il meurt, c'est u^e pré^omptioB contre i'aeeuté* Ensuite 
il fait la€ontre*4preuTe ea disant : « SI tu es sorti d« la coque d'un œuf « 
«I meurs; si tu es sorti du veutre d'un bceuf, vis. » Si le poulet lœurt, c'est 
encore une prévention. 

L'épreuve est continuée sept fois; s'il y a trois chances en faveur de l'ac- 
cusation ^ Taccusé est lui-même soumis à l'épreuve du tanghin. Gomme 
lottt ce qu'il possède est partagé en trois lots , dont l'un revient à la reine. 
L'autre à l'armée ^ et le troisième à l'accusateur , il en meurt presque tou- 
jours. Le tangh'ui ayant fait disparaître les familles rickes ^ les délateurs 
ne peuvent plus aujourd'hui agir que contre les malheureux : une somme 
de 20 piastres serait assez pour exciter la convoitise des dénonciateurs. 

Toute personne qui doit approcher la reine est obligée de subir l'épreuve 
eu tanghin, afin que l'on sache si elle n'a pas de mauvaise intention contre 
la reine. P6ur les grands dignitaires, ce n'est souvent qu'une simple fprma* 
Itlé, et la dose se donne en conséquence : il n'en est pas ainsi du vulgaire. 
En voici un exemple. 

Quatre motôavantmonarrivéeaufortDauphin^onenlevatrente-quatrejeu^ 
DCS et jolies filles sacalaves, de neuf à douze ans, pour être envéyéesà la cour 
deTananarivo, afind'y être employéescommechanteuses ou danseuses delà 
ncine. Quelques jours avant le départ du fort Dauphin y on leur administra 
le tanghhi : dix-huit de ces malheureuses moururent sur-le-champ ; une dix- 
neuvième eut encore assez de force pour se relever , mais elle fut aussitôt 
tttée à coups de pierres « car elle fut considérée comme n'étant pas assez 
pure pour approcher sa souveraine. Les parents sont obligés d'assister à cette 
triste cérémonie^ et s'ils répandent des larmes ou que leurs traits dépei- 
gnent la douleur, on les saisit aussiiÀi et ils reçoivent la bafitonna»le. On 
force les eniawts à rite, chanter et danser pendant l'exécution de leurs parenis* 

Les Hiovas n'ont pas de prison ; l'accusé est enchaîné et renvoyé dans son 
village jusqu^au jour de son exécution. S'il parvient à s'écbi|>per, toute sa 
familleest sagayée à sa place. 

L'exécution de la sagaye est faHe par le bourreau et ses aides, qui, au fort 
Dauphin , étaient au nombre de douze. Le buurreau , ayant à la main une 
petite sagaye, donne le premier coup; aussitôt les douze aides tombent sur 
la victime comme des bêtes féroces et l'achèvent. Le bourreau, ay^c un 
très-petit couteau, lui coupe alors la tête, et la place sur un piquel-; il es- 
suie ensuite la lame du couteau avec sa tangue. 

Les philanthropes qui travaillent saos cesse à détruire la traite des nègres 
considéreraient le sort d'un esclave dans nos colonies comme un sort digne 
d'envie, s'ils voyaient de près l'oppression odieitôc, les traitements infâmes 
qm les Hovas font souffrir aux malheureux Sacalaves. Ils appelleraient 
alors, j'en suis cerlaîp, de tous leurs vceux une croisade pour délivrer des 
milliers de leurs frères du plus horrible esclavage : ce serait vraiment a|ors 
travailler en faveur de l'humanité et de la civilisation. 

Le Buon Dtf Vbxhka. 

{La 4uUe au prochain £€UUer.) 



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Bâ9 



AFRIQUE CENTRALE. 



Il fiotis e$t cHfficiie de etrconsorire exaetemettt le territoire fafabit^par les 
Touareg. L9vieexceptfonnette<i|ne mènent ces pillards nômaicEes éebappe à 
Ipilte apprédatbn s;é<^aphtqae ud peu certaine; nous les rétrosvonx par« 
tout, dans cet immeùse périmètre cerclé par une ligne (fui, du Tidikett dans 
k Tonat , descend à Timbek'tou , longe le Niger de Touest é l'est , remonte 
par le Fezzan ji^u'à H'damès, le point eïtrème de la proviàoe de TripoK. 
C'est là- le véritable désert, Tocéan des sables , dont les Touareg te sont faits 
les pirates. 

Un grand arcbipel montagneux, égaré dans le centre à peu près àe cette 
immensité , et (|u'on appelle le Djebel-Hoggar , est le nid , le refuge habituel 
des véritables Touareg , des Toutreg-H'arar, ou de race , comme on les ap- 
pcHe. Cependant qtoelques fraoHons de leur grande tribu ont fait élection de 
domicite plus près de notre Sahara : ainsi, les Mouîdir ùèm le Djabel-Sekma* 
ren , les A^zegaer dans le Djebel-R'at , les Foukas d«ns le Djebel-Foakas.' 
Beaucoup d'autres, sans doute, nous sont inconnus. 

Si nous gagnons le sud , nous trouvons campés en avant de Timbek'touy 
ks F€wa4i , les Anmwua , les Outed-Ah'med^ les Agbdil, les TaOaoui, qfm 
tiennent cette ville en état de blocus perpétuel. Jalonnés dari^ le désert , les 
uns au nord, les autres au centre, d'autres au sud , ils gardent les portes du 
Sahara et celles du Soudan , prélevant sur les caravanes un droit de sortie^ 
un droit de voyage, un droit d'entrée; et si quelqu'une passe en contrebande^ 
elle est impkoyablement pillée. 

Quel est l'ovigine de ce peuple srngulier morcelé ainsi en tant de bande% 
si distantes les unes des autres , et qui toutes , dans le nord au moins, révè- 
lent par Peurs traits, par leurs mœurs, par leur langage, une raceœm- 
mdne ? Nous renonçons , quant à nous , à résoudre cette question , et nous 
nous bornerons à résumer les notes éparses que nous ont fournies cent Ârabee 
<pii taus avaient vu les Touareg, avalent commercé avec eux, ou voyagé 
6ÙQ» \eét sauvegardé. 

Les Touareg prétendent descendre des Turcs; ils affectent de mépriser Ica 
Arabes, qu^ils tra^t^t en peuple vaincu, lis sont grands, forts, minées et de 
couleur blanehe, même ceux qui campent sous Timbek'tou. 

Cepenéant les fractions que l'on retrouve autour des autri's viflesf du Smi- 
dian sont de sang mêlé ; leurs yeux sont généralement très» beaux , leuea 
dents tvès^'bellés ; iris portent de grandes mmisfaehes à I» manière des Turcs; 
el,fiMile sommet de la tète, une touffe de ebeveux qu'il» ne eoupeni jamais, 
et qui, cfaee certains «Centre eux, devient si longue, qu'ilusont obfeigi^de la 
tiresser.Le tevrcto tour tête e$t rasé; tous ont dès boucles d'orqiiies. Leur 
costume consiste en une grande robe qui ressemble à la djtUaba oi> 



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168 REYUE DE L'miraiT. 

a'abcSa. de» Kabyles, et qu'ils appdlçot âi^ba ; elle est tris-large^ très^m- 
ple, et faite de bandes rénnies 4'uiie étoffe Qpîre, étroite, appelée sale , 
qui vient du Soudan. Sous la djeba , les Touareg portent un pantalon qui 
a quelque rapport avec celui des Européens, mais qui se soutient sur les 
hanches à l'aide d'un cordon passé dans une couttsse ;jine ceinture en laine 
leur presse la taille. Pour coiffure, ils ont une chachta très-élevée, fixée 
à le«r tète par une pièce d'éltof fe roulée en f»çon de turban , et dont un des 
bouts passé dans toute sa longmir mt leur figfire n'en laisse voir qve leurs 
yeux ; « car, disent-ils , des gens nobles ne doivent pa» se montrer . » Les 
chefs seuls portent ^tes bourneus. 

Presque tonsy^riches ou pauvres, ont les pieds nus; si on leur en demande 
Ja raison : « C'est que , répondent*ils , nous n'allons jamais à pied. » Ceux 
d'entre eux pourtant qui, faute d'un chameau, sont obligés de marcher 
dans les sables , portent des espèces d'espardilles liées à la jambe par des 
cordons. 

Leurs armes sont : une lance très-4ongue, dont le large fer ^t Xaillé^iô- 
sange, un sabre large et long, à deux tranck^nts, un couteau fourré^toïs 
une^atne en cuir appliquée sous l'avant-bral, où elle est fixAs par uiiFcdr- 
don de manière que le manche de l'iostrunltent , qui vient s'arrêter au 
creux de sa main, soli toujours facile à saisir , et ne gène en rien les mouve- 
ments ; un grand bouclier en morceaux de peau d'éléphant -, consolidés par 
des clous, dont ils se servent avec beaucoup d'adresse, complète cet arsenal 
portatif. Les chefs et les plus riches seulement ont des fusils dont quelques- 
uns sont à deux coups. 

Très-sobres, au besoin , ib resteront deux ou trois jours sans boire mi 
manger plutôt que de manquer un coup de main ; mais. très-gloutons à l'oc- 
casion, ils se dédommagent largement après la r'azia. 

Leur nourriture habituelle est le lait , les dattes , la viai^ de jaiouton et 
^ cbanieau , et, par exception , des galettes de farine et du kou^ouçou ; 
car ils n'ont que peu ou point de blé, et celui seulement qu'ils pillent. 

Ils sont riches en troupeaux de^hameaux , ei de cette espèce démontons 
qui n'ont point et laine mais un poil très-court, et qui se distinguent ^r 
une queue énorme. 

Les Touareg parlent le targ^Xa. Cette langue senU>le avoir certain ri|)port 
avec le zenatïa ; car , si nous en croyons les habitants du Touat^ iti cona- 
prennent les Touareg , et s'en font comprendre. 

Leurs femmes vont la figure dteouverte $ elles sont très-belles et trlP- 
blanches : « Blanche comme une chrétienne. » Quelques-unes ont les yeux 
bleus, et c'est, dans la trtbu, un genre de beauté fort |dmiré ; toutesioiit 
Ms-sensuelles et très-faciles. Leur costume consister un pantalon de sale 
iHHre, une robe large de même étoffe et de même couleur ,.$1 une espèce de 
coiffé dont nous n'avons pu saisir la description. Les plus riches se cfam^nt 
de bijoux ; les autres n'ont pour tout ornement que des bracelets en 
'corne auE avant-bras. Hommes et femmes portent att^ «ou des piliers de 
talismans. 



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LES TOVARCC^ DC SAHAttAH. 169 

Lear religioa est la musulmane; mais ils prteiït pea, ne jeftnetil point, ne 
font point les ablutions ordonnées. Ils ne saignent point les animaux comme 
le veut ta loi ; Hs leur eoupent tout bonnement la tête d'un coup de sabre. 
Aux jours de grandes fêtes de Tislamisme, au lieu de foire des prières , ils se 
rouissent par des combats simulés , par des essais de petite guerre, qu'ils 
mettent en pratique à la première occasion. Ils n'ont, en un mot, de musul- 
man que le titre , et il serait difficile qu'il en fût autrement au miieu de 
la vie sans cesse agitée qu% mènent. Ce mépris du Koran et la terreur qu'ils 
inspirent aux Arrabes n'ont pas peu contribué , sans dou(^, à exagérer leur 
détestable réputation ; sous les tentes du Tell , on paile des TOuareg comme 
autrefois^ chez nous, on parlait du Turc. 

Il n'y a au reste qu'une voix sur leur compte : a Quels sent leurs ennemis? 
demandions-nous à un Touati. — Ils n'ont pas d'amis, » nous répondit-il. 
Un autre nous disait : « Je n'ai rien vu de bon chez eux qu«^leur beauté et 
« leurs chameaux. Braves, rusés, patients, comme tous les animaux de 
« proie, ne vous 6ez jamais à eux ; ils sont de mauvaise parole. Si vous rc- 
« cevez l'hospitalité chez l'un deux, vous n'avez rien à craindre de lui, sous 
« sa tente, Bi quand vous s#ez parti ; mais il préviendra ses amis qui vous 
« tu^ont , et ils partageront vos dépouilles. » 

On trouve pourtant chez ces peuplades des vertis de famille qui révèlent 
de grandes qualités instinctives. Ainsi la polygamie y est très-rare et tout à 
fait exceptionnelle ; la dignité d^Ja race s'y perpétue saas mélanged'al- 
llances étran§ères, même avec les Arabes, que les Touareg méprisent, et 
dont ils se disent les seigneurs. Le deuil des morts aimés ou vénérés se 
porte religieusement et longtemps, et, pendant ce temps de douleur, 
les amis et les parents du mort laissent croître leur barbe et ne peu veut 
pas se marier. 

Gon^uons-en que là, comme partout, le bien est à c6té du mal , et fue la 
nécessité seirie, peut-être, a compromis une nature sûrement meilleurckque 
ne le disent les Arabes. 

L'innnense montagne appelée Djebel-Ho^ar ^ le refuge principal des 
Touareg du Nord, forme une espèce de quadrilatère. Presque (ousces pics 
sont boisés de grands arbres; ses ravins tourmentés et rocailleux sont autant 
de torrents à la saison des pluies; il y fait alors un froid humide, contre le- 
quel ces frileux habitants du désert luttent de précautions en s'envelop- 
pant de vêtements de laine, espèce de bournous doublés en peaux de chèvres. 
Ils vivent alors en famille sous leum tentes circulaires, faites en peaux tan- 
nées qui leur viennent du pays des nègres. Leur seule distraction est la pipe , 
ient abusent les hommes et dont usent largement les femmes. 

Au printemps, ils reprennent le désert. 

C'est égatafient au printemps que les caravanes se mettent en mouve- 
Bi6ftt. Elles savent d'avance que les Touareg les guetteront au passage : aussi 
le chef des plus prudentes s'entendra-t-il avec le chef le plus voisin des bandes 
errantes , qui iak donnera quelques cavaliers , sous la sauvegarde desquels 
la caravane continuera sa route , changeant de protecteurs d'espace ei^es- 



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l^sce^ e( pUfASi à tow» yw^^k deumatmi el seloQ rinportàfice ée $ei 
m9TdÊ9tnim$9 va in^ôt forcé que Tainour'-propre des Aratbes déguise mu9 
le nom de eadeaa ea échange d'une protéciioii. Nous avoÉs dit ailltorar ce 
(pii arrive aux caravanes qui dierehent à s^en affranchir. Les plus grandtes 
cependant passent hardiment, fartes de hhip nombre; ma^s ators, de 
douanier , le Ttujim se fait hri^and on voleur , et ia met ekiowe & eoHIri^ 
hMtiom 

, fîèti que les espions ont éventé rimtnense convbî, ils le suivent & la pmte , 
4p loin 9 prudemoient, en se cachant dai» le» plis des vagues de sable, pe»* 
dantque d'autres sontfvallés donner Téveil à leur bande commune. Elle ar- 
rive sur ses rapides mah'ari^ ses chameaux de course, se disperse danis Tes^ 
pace^ et quand la nuit sera v^iue, quand la caravane se reposera, suf la* fol 
de aes sentinelles, des fatil^ues de la journée, les voleurs s'en rapprocheront , 
chacun laissât! son chameau à la garde d'un Complice et à qoelque dis- 
tance» Les plus adroits s'avanceront en rampant, leâtêmetit et sans bruit ; 
et le lendemain, dix, quinze, vingt chameaux, plus ou moins, mai» toujours 
ks plus chargés, manqueront au d^ri de la caravane. Ces tentatives bar-» 
dbe» sqpit fréquentes non^sei^iemènt dans le d#ert, mats dan» àos camps à 
nous. Les Arabes , comme les T(^areg, sont venus bien souveni voler les 
«hevAilx de ikos of âciett et des faisceaux entiers de fusils, juisqne ^us les 
yeux des sentiivelifô. 

Les grandes expéditions, soit sur le payé des nègres , soit sur le Tidilteit on 
sur les Ghamba, ou surime caravane qu'on sait être en mai^e, sont déci^ 
dées dans un conseil tenu par les chefs. 

Tous ceux qui doivent [Kn^tager les dangers et les bénéfices de l'entreprise 
partent, quelquefois au nombre de 1500 ou 2,000 hommes, montés sur leurs 
metteurs mah'ari. La selle d'expédition est placée entre la bosse de l'animât 
et SO0 garrot ; la palette de derrière en est large et très^levée, beaucoup 
pluique le pommeau du devant, et souvent ornée de franges en soie de di- 
verses couleurs. Le cavalier y est comme dans un fauteuil, les jambes croi-* 
sées , ari]^ de sa lance , de son sabre et de son bouclier ; il guide son cha- 
meau avec une seute rêne attachée sur le nez de l'animal par une espèce dé 
caveçon, et parcourt ainsi des distances effrayantes , vingt-cinq à trente 
lieues par jour, sans se fatiguer. 

Chacun ayant sa provision d'eau et de dattes , la bande eâtiëre se met en 
marche le jour eonvenu,ou plutôt à nuit convenue; car, pour éviter les cha- 
leurs du soleil et l'éclat des sables , elieae voyage que de nuit en se gt^kidant 
sur les étoiles. A cpiatne oti cinq lieuesdu coup à faire, tous mettent pied df terre, 
font coucher leurs chameaux cfu'fts laissent à la garde des plus ibtigilll 
d'entre eux et des malades. Si c'est une caravane qu'ils veulent attaquer et 
fu'elle ne soit pas trop forts, ils se jettent sur elle en hurlant on effroyable 
crkde guerre; ils entrent dedans à coups de sabre et de lance; noii poini 
qu'ils frappent au hasard cependant ; Texpérienee leur aappriis à frapper 
tenrs ennen^ aux jambes : chaque coup ée leur large sabrfihet un homme 
à bts» Quand le carna^ est 6ni , le piHiage commence : à ^hactin sa part 



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LES TWàlMî^. D« SAURAH. 171 

désignée par leschefe. Les vaincus, morts ou blessés, ils les laissent là sans 
les mutiler, sans leur couper la tète , mais dans Tagonie du désespoir, au 
milieu du désert. 

Si la caravane est trép forte » ils la siliVenl à qitélqttest lieues , «'arrêtant 
quand elle s'arrête, et faisant épier ses mouvements par des espions que les 
Arabes appellent chouaf; quand la discipfine s'y relâchera, quand sur le 
point d'arriver ^destination , «1 le se croira quittede tout danger, dt toute 
surprise, et se gardera moins bien , ils tomberont sur elle. 

Ce qui semble incroyable, c'est que ces brigands redoutés, et si générale- 
ment détestés dans le Sahara , fréquentent ouvertement et souvent isolé- 
ment les marchés de Tidikelt, de Agabli , de A'ouief, de l^damês, oti ils ap- 
portent du pays des nègres, des esclaves, de la poudre d'or, des défenses 
d'éléphant , des peaux tannées pour faire des tentes , des espardilles dont 
les semelles sont inusables, des saïe, du poivre rouge, des dépouilles d'au- 
truches , une espèce de fruit que l'on appelle daoudaoua , produit ptr un 
arbre du même nom, que Ton pétrit en galette et qui, séché au soleil, a dit- 
on, goût de viaivde. 

Les Touareg du Sud fonl^ sur la lisière du pays des nègres , le même< 
métier à peu près que leurs germains du Nord , sur la lisière du Sahara. 
On le» appelle Sergou à Timbek'tou, eiRUouoH dans le Bernou et à H'aouça«i 
Ces derniers sont de sang très-mêlé, ainsi que nous Ta vous dit. Le pays 
qu'ils habitent leur fournit en quantité du blé et du millet ; leurs troupeaux 
leur donnent du lait, du beurre, du fromage ; leurs arbres beaucoup de. 
fruits. Matériellement plus heureux que ceux du Nord , ils sont , dit-on , 
plus humains, plus hospitaliers, moins pillards. Aucune caravane cepen- 
dant n'entre dans le Soudan sans leur avoir payé un droit de passage, oa 
sans s'exposer à être ravagée. Les Sergou et les Kilouan combattent avec 
le Sc^bre et avec des flèches qu'ils portent dans un carquois pendu à leur ^té ; 
elles sont empoisonnées: le seul remède à leur blessure est d'enlever la partie 
lésée. Us n'ont point de fusils. 

Nousavons dit plus haut qu'ils tenaient les villes du Soudan, el^particu-t 
lièrenient Timbek'tou, en état de blocus perpétuel ; campés à quelques 
lieues dans les terres, sous leurs tentes en peaux, et toujours en grand nom- 
bre, iU dominent le pays, et font lâchasse aux nègres sur ies bords du 
Niger, dans les champs, dans, les jardins, jusqu'aux portes des villes, les en- 
lèvent et les vendent aux c^r^vanes. Nous tenons ce» détails d'^nnègcp en- 
levé par eux et maintenant domestique â ïd{ direction centrale des affaires 
arabes. Il nous ont été confirmés par le k'a'id des nègres d'Alger, ils font, au. 
reste, un commerce régulier sur tous| les marchés du Soudan, où ils por-r 
tent les produits de leurs chasses, des peaux, de la poudre d'or, etc., et où ils 
s'approvisionnent d'une infinité d'objets qu'ils revendent aux caravanes^ 
« Car, nous disait un nègre , les marchés du pays sont très-riches; tu y, 
« trouveras tQut^ excepté ton père et ta mère. » 

Ë. Daiiiias. 



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17^ RBfUE DK L'etUCAt. 



CORRESPONDANCE- 



AlGÉRIE. - ÉTAT DE LA COLONISATION. 

Alger, 22 et 28 janvier 1846. 

Mon €IIBR fiORBAU, 

J'ai différé d'écrire à la Société orientale à cause de la multiplicité de 
mes courses et de mes occupations, et à cause du peu de choses que j'eusse eu 
à vous dire peu après mon arrivée ici. J'ai employé novembre et décembre 
à explorer, non plus d'une manière générale, mais à fond et en détail, le 
massif d'Alger, la Mitidjab et ses environs. Une seule de mes excursions a duré 
quatorze jours , pendant lesquels j'ai souvent dormi sous la tente ou sous 
le gourbi. Vous pouvez juger par là du temps et de la conscience que j'y ai 
mis. Vous savez que dansTœuvrede la colonisation de l'Algérie, je veux 
poser une pierre et quelques semences, l'une solide et les autres fécondes 
autant que possible , et j'avais à me rendre compte, dans un but à la fois 
général et particulier, de tous les avantages et de toutes les difOcultés de la 
colonisation. 

Tout ce qui a été fait était pour moi un précieux enseignement, et j'ai été 
amené à faire une étude complète du passé dans une vue d'avenir. J'ai vu 
le camp de l'Oued-Corso, camp provisoire établi à environ douze lieues Est 
d'Alger, sous les ordres du général Gentil , pour garder la Mitidjab contre les 
velléités kabyles et arabes pendant les troubles de l'Ouest. Il y a quelques 
jours, les Beni-Djaad, fauteurs des mouvements de l'Est, abtmés par une 
razzia du général Bedeau , sont venus à Alger payer leur amende et recevoir 
Faman p*ur leur révolte, et l'Est est pacifié jusqu'à nouvel ordre. 

J'ai revu le Fondouk, bourg nouveau fondé à l'extrémité de la Mitid- 
jab ( route de Gonstantine ) , dont j'avais vu an mois de juin les premières 
baraques et les habitants bien portants et espérant en l'avenir ; mais les 
sauterelles , le vent du désert et les miasmes des marais se sont rués sur lui, 
et trois mois après, le Fondouk n'était plus qu'un vaste cimetière avec 
quelques malades ou mourants ayant à peine la force de gémir sur les morts. 
Les deux tiers d'une population de 5 à 600 personnes ont péri sur les lieux, 
sur la route d'Alger ou à Alger même, et cependant de nouveaux coloos 
sont venus, bien qu'en petit nombre, les constructions s'achèvent , les bou- 
levards se plantent , et la mort s'éloigne pour un temps. Le Fondouk a de 
4'avenir; c'est le seul établissement à l'Est sur la route de Gonstantine 
et de la Kabylie. Ge sera un jour un lieu de conunerce, d'entrepôt et 
agricole. 

Les commencements de Bouffarik ont été plus rudes encore, et cependant 



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GORRESPO|ll)iJ«CE. 173 

Bouffarik prospère, et est passablement sain pour l'Afrique. Le seul homme 
qui ait résisié à la maladie cette année au Fondouk, est M. Gay , maire et 
ancien militaire : seul il a veillé à tout , soigné tout le monde, et est resté 
inébranlable au moral comme au physique ; c'est l'homme qui a le mieux 
mérité dans l'œuvre de la colonisation. 

Les causes de ces mortalités dans les villages nouvellement fondés sont 
bien simples et toutes plus ou moins analogues en tout ou en partie ^à celles 
du Fondouk sur lequel les difficultés se sont accumulées. Ainsi, air mal 
sain comme tous les lieux de la plaine voisins des marécages ; insalubrité 
augmentée par les masses de terre , remuées pour les terrassements et les 
fondations, et qui dégagent au soleil des gaz méphitiques; colonisation 
commencée aux mois de juin, juillet et août, à l'époque la plus terrible de 
l'année, dans un lieu totalement privé d'arbres ; séjour sous des baraques 
à l'ardeur du soleil et à l'humidité des nuits ; nostalgie provenant de l'ex- 
patriation et de la nouveauté de tous les objets; affaiblissement et insola- 
tion, par suite des chaleurs extrêmes et du manque des objets ordinaire 
de consommation; misère des nombreuses familles; insobriété de certains 
colons; constitution des colons en grande partie venus du Nord, et de tem- 
pérament lymphatique; enfin, cette année, redoublement d'insalubrité par 
^ite de l'afâuence répétée des sauterelles qui , au printemps, ont coupé les 
moissons et putréfié l'air et les eaux. On fait en ce moment une enquête 
sur le Fondouk, par ordre ministériel, et il faut espérer qu'elle amènera 
d'heureuses améliorations dans les mesures de colonisation. 

A côté de cette mortalité la plus saillante et la plus terrible de toutes, 
j'éprouve le besoin de vous dire que cette. année a été, à cause des saute- 
relles, une des plus pernicieuses d'Afrique; que certains points inattaqués 
par la fièvre depuis quinze ans l'ont été en 1845; que l'insalubrité varie 
d'un lieu à l'autre, et qu'on peut considérer déjà l'état de Bouffarik comme 
changé et bien amélioré,. puisqu'il n'y a eu que très-peu de morts cette 
année sur une population de 2,800 âmes , tandis qu'il revenait 44 hommes 
valides sur tout un bataillon la première année de sa fondation. 

Je dois aussi vous rappeler que la Mitidjah est un des lieux les plus mal- 
sains d'Afrique, que les Romains n'y ont fondé aucune ville, et qu'au con- 
traire, les hauts plateaux, tels que Sétif, sont inattaqués et inattaquables 
par les fièvres, bien que les troupes y travaillent même avec le simoun. En 
revanche, on y gèle de froid et de neige en ce moment, comme vous 
l'avez déjà su directement. 

Je vous adresserai par M. Suce, banquier d'Alger, qui part le 5 , un petit 
paquet de semences pour notre vice-président M. Hamont, et je vous 
prierai de le lui remettre avec mille compliments. J'y joindrai deux médailles 
romaines que j'ai rapportées de Cherchell , et dont je vous prie de faire hom- 
mage à la Société. 

Les pertes cruelles éprouvées par la population colonisante ont déjà fait 
entrer l'administration dans une voie préventive qui sera féconde en résul- 
tats. Des travaux considérables de dessèchements sont arrêtés, et on fait sur 



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i74 ftKttll! DE l^ORlEWt. 

pluftieurs points des adjudications considérables qui entraîneront une dé- 
{Minse d'un demi -million et plu», en outre des frais personnels^et généraux. 
Les marais des environs de Bouffarik , ceux de Bab-AIi et de la Rassauta , 
sont attaqués simultanément et disparaîtront infailliblement si on persé- 
vère avec énergie ; question toute budgétaire puisque les marais eux-mên^c«, 
ne sont pas insalubres pendant cinq mois de Tannée. Ce sont de vraies étables 
d^Augks à nettoyer, et la panthère y joue assez le r6le de Thydre de Lerne, 
car quelques Arabes ont déjà été victimes et on organise en ce moment une 
battue générale avec un bataillon de milice dans les environs d*Ouled-Fa- 
get. Je dois moi-même faire une partie de ce genre dans les bois du Mai- 
Safran , mais je préfère une battue faite par douze bons chasseurs, à celle 
d'un bataillon dont le feu n'est pas expérimenté à Tégard de la panthère. 

On parle beaucoup de la création de nouveaux villages pour rétablisse- 
ment des coioBS arrivés en foule et par milliers dans les derniers mois de 
1845. Une seule frégate à vapeur en a apporté 800, et parmi eux se trou- 
vait une grande quantité de Basques et de Béarnais, dont Témigration vers 
Montevideo et la Plata a été arrêtée par les discordes de ces lointains para- 
ges. C'est une race bien supérieure, pour la colonisation d'Afrique, à celles dtl 
Nord; plus sobre, plus nerveuse et accoutumée à vivre de peu. Les familles 
allemandes affluent aussi dans la colonie, avec force femmes et enfants; 
et leur caractère à la fois simple et aventureux les entraîne facilement 
à s'exposer jusqu'aux avant-postes , tandis que l'Espagnol , plus prudent et 
mieux appris, ne s'aventure pas dans les exploitations de la plaine. 

Blidah , Bouffarik et les nouveaux villages du pied de l'Atlas continuent 
à croître et à se peupler, malgré les nombreuses maladies qui ont plus que 
décimé la population sur certains points; mais l'indice le plus frappant de 
prospérité est la création de plusieurs villages, soit par des particuliers, soit 
par l'effet d'une position avantageuse. 

Aux environs mêmes d'Alger, on ne parle que de Villages nouveaux; ce 
sont: la Pointe-Pescade , la Cité-Bugcaud , Bunotré, l'Orangerie, Fontaine- 
bleau. Enfin , on ne saurait faire un pas sans trouver un village en herbe, 
je parle au positif comme au figuré pour la plupart , bien que quelques-uns 
soient déjà bâtis en partie, comme la Cilé-Bugeaud, à dix minutes de la porté 
Bab-el-Oued, ofi certains terrains se vendent jusqu'à 5 fr. de rente le mètre 
carré, et Berkadem , à cinq lieues d'Alger, route de Blidah. Tout cela se vend, 
se bâtit et se loue , en défiiiitive, sur le pied de 15 et 20 pourO^ des frais et 
dépenses. 

Aussi une spéculation, toujours envahissante et écumante de poussière et 
de construction, détruit chaque jour le cachet oriental d'Alger et de ses 
environs. Le sentier arabe s'élargit sous la charrette, tandis que les cordons 
sinueux d< s nouvelles routes royales escaladent les rampes du niassif; la 
voie romaine se francise et s'aplanit ; Tancien harem musulman s'ouvre an 
dehors par de nombreuses et larges croisées, et l'ogive arabe s'équarrit et 
se masque sous un lourd volet. La pomme de terre surgit humblement sous 
l'oranger aux fruits d'or; plus productive que l'antique roi de TAtlas, elle 



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attire blai plus àt ^ns et menaee de le darèoer, tandis que le mûrier bien 
taillé prend la place du aauTage aloès. 

On commenee à travailler vigoureusement nne bonne partie du massrf 
d*Alger, mais le grand avenir agricole de la colonie est dans la Mitidja : il 
Y a bien des terres d'alluvton arrosables et d'une fécondité que j'oserai dire 
égyptienne, puisque l'Egypte est un excellent point de comparaison pour 
la plupart d'entre nous. En outre on trouve parmi les colons des bommés 
qui marchent d'un pas droit, ferme et sûr dans^tine large voie d'avenir. 
J'oserai citer parmi ^ux le baron Vialard , le patriarche des propriétaires; 
qui dirige paternellement bon nombre d'exploitations. Une seule, près dé 
Gouba^ compte une douzaine de familles et 80 personnes. Sur sa propriété 
du Kadra , au pied de TAilas , s'élève un faisceau de jardiniers et cf agrlcul* 
teurs espagnols et arabes, le premier et notable exemple de la formation 
d'un centre européen au pied de cette formidable chaîné de montagnes qui 
arrête et qui limitera encore de longtemps nos paci6ques efforts. 

MM. Bruat el Simon président à de nombreuses exploitations. Une vaste 
étendue de garance a été semée par leurs soins , et prospère assez malgré les 
Iriples ravages des sauterelles de 1845. Une grandeferme s'élève soUs leurs 
auspicfes au Luadri , village futur auprès du massif, et on y remarque un 
étalon du Perche avec de nombreuses juments normandes destinés à un ha- 
ras, un taureau et des vaches venus à grand frais de la Bavière et destinés 
à la reproduction et à l'amélioration de la race du pays, .que la guerre a 
cruellement dénuée et abâtardie. 

MM. Tardri,Caunidou, Bremontler,&'oceupettt de la formation de villages 
dont quelques-uns sopt en voie de construction. Enfin, votre digne ami et 
membre de la Société orientale M. Borelie de La Sapie a accompli en bien 
peu de teoûps des travai;ix d'une Importance majeure. Son intelligence égale 
son caractère et json énergie. Culture européenne, culture arabe avamageu^ 
sèment modifiée, puisqu'il est arrivé à faire manier la charrue Dombasfe 
par les indigènes ; construction de bâtiments d'exploitation et d'un village 
européen de 20 feux , assainissement , méthode de culture simple , perfec- 
tionùée et adaptée au pays, tout marche de front chez lui. Sa propriété, 
ancien malais fétide, deviendra admirable par ses soins. 

FoRTiii d'Ivry. 



IMPORTATION EN FRANCE 
DE QUELQUES PLANTES ÉGYPTIENNES. 



Il y a quelques mois, mon honorable confrère M. Fortin d'Ivry me pria 
de lui indiquer les noms égyptiens de quelques plantes qu'il av^jt l'inten- 
tion d'introduire en Algérie* 



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176 RPTOe DE L'amENT. 

Je m'emiNressai de me rendre à l'invitation de M. ForlîBd'Ivry, et & mon 
tour, je le priai de m'envoyer quelques échantillons des cn^aines de ces mé- - 
mes plantes dès qu'elles lui seraient parvenues, afin d'en essayer la culture 
dans les environs de Paris. 

M. Fortin d'ivry me promit de foire ce que je désirais , et tout récemment, 
je reçus de lui un paquet renfermant une collection de semences trés-firal- 
ches doi^t les noms suivent. 

Semences à/e sézame. — Plante oléagineuse très-usitée en Egypte, culture 
d'été; se sème au mois d'avril, après deux ou trois labours, soit après ja- 
chère, soit après une eulture de trèfle. Les ÉgypUe&s emploient 4 ou 
5 roubbes (1) de cette graine pour un fedda de terre. Arrosemenis fré- 
quents. La cueillette du sézame se fait à la fin de septembre et en octobre. 
On en extrait une huile dont les usages sont maintenant connus en France. 
Le sézame n*est pas cultivé seulement en Egypte; il se trouve aussi en 
Nubie et dans le Sennaar. Les siliques du sézame égyptien sont plus grosses, 
mais en moins grand nombre que celles du Sennaar. Les fanes du sézame 
servent de combustible. 

Bemme detHe^jaz.-^ Le moibercime veut dire verl^et ne s'applique qu'au 
vert de fourrage. On ne connaît actuellement en Egypte que deux plantes 
vertes qui servent ordinairement de nourriture aux animaux: le trèfle blanc 
et la luzerne; le premier s'appelle tout simplement bercime; l'autre berdme 
de l'He^jaz^ parce qu'il a été importé de rHe^jaz en Egypte. C'est à 
Ibrahim Pacha qu'on doit cette importation. 

Le bercime de l'Hedjaz n'est donc qu'une luzerne; les fleurs sont bleues ; 
il est vivace comme toutes les plantes de ce nom. Répandu en Egypte de- 
puis quelques années seulement. 

Très-produQtif ; donne en été une coupe tous les quinze jours. Les brouil- 
lards de novembre et les premiers froids en arrêtent la pousse. Demande 
beaucoup d'eau. Le bercime de l'Hedjaz est attaqué par un papillon dont tes 
larves dévorent les feuilles et finissent par tuer la plante, si on ne se hâte 
d'en émonder le champ ; ce papillon vient ordinairement en août. C'est dans 
la deuxième et la troisième année ^ue le bercime est le plus beau. Les Égyp- 
tiens , pour le couper, se servent de la faucille ; je l'ai remplacée par la £aux, 
ce qui diminue considérablement le prix de revient. 

Aracosséi — Cucurbitacée adoptée dans toute l'Egypte. Se mange ordi- 
nairement avec de la viande. On la cultive en été. 

Bahmié. — Gombau des Marseillais ; malvacée; plante alimentaire très- 
recherchée; on ne mange que les gousses. Plante d'été. 

Oignons. ~ On connaît assez la grande réputation des oignons égyptiens 
pour que je puisse me dispenser d'en parler. 

Petites courges vertes. -—Employées pour la cuisine des Orientaux. Cul- 
ture d'été. 
MéloMxé.-^MdlwdiCée. Plante mucilagineuse comme la bahmié. On 

(1) Le roubhe contient environ 12 ktio{;ramnies de semences. 



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ACTES I>E LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 177 

n'en mange que les feuilles, soU veries soit sèches. La mélouhiyé^i un mets 
très-recherché, quoique très-répandu ; on en fait d'excellents cataplasmes 
émollienls. A mon avis , elle serait mieux placée dans l'officine du pharma* 
cien que dans la cuisine. 

Figle. — Espèce de radis blanc très-recherché. Les Egyptiens en mangent 
la racine et les feuilles. 

Kaoune, — Melon de bonne qualité, de couleur jaune; se mange en été. 

Abd'edaoui (iittéralemenl , esdave des dieux), — C'est le melon du 
peuple. Il est .sans saveur, sans odeur, et je ne sais en vérité comment on 
a pu rappeler ainsL II faut avoir la plus grande foi dans les traditions égyp« 
tiennes pour accepter une pareille qualitication. Vabd'eUaoui se sème et se 
récolte en été. 

Poireau, — Cette variété vient extrêmement grosse en Egypte; si elle pou- 
vait réussir en France, ce serait une bonne acquisition. 

Chammam, — Melon odorant de couleur verte, d'une saveur sucrée et 
d'une odeur trcs-agréablc. Originaire de la Grèce, je crois qu'il peut réus- 
sir en France. 

Pastèques. — 11 y en a de jaunes et de blanches ; en général , les jaunes 
sont plus estimées que les blanches. 

Je mets ces graines A la disposition delà Société orientale, et je désire 
qu'elle veuille bien solliciter de l'administration la ()ermission de faire tenter 
quelques essais dans les deux jardins du gouvernement. 

H AMONT, vice'président de la Société orientale. 



ACTES DE LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 



SÉANCES. — EXTRAITS DES PROCÈS-TERBAUX. 

SÉANCE BD 10 JANVIER 1846. — La séaucc est ouverte à huit heures et un 
quart sous la présidence de M. A. Hugo, vice-président. 

11 est donné lecture du procè.s-verbal de la séance du 25 décembre, qui est 
adopté. 

M. le président donne ensuite communication d'une lettre où M. Fontanier 
rectifie quelques-unes des assertions avancées par M. Hamont dans ses 
notes sur les chevaux du Nedj. M. Fontanier parait s'être mépris sur le sens 
de quelques expressions employées par M. Hamont. 

M. Hamont fait à ce sujet quelques remarques, et observe que, dans une 
question aussi majeure, les expressions, si elles ont pu avoir quelque chose 
de désobligeant pour M. Fontanier , n'étaient qu'un objet trop peu impor- 
tant pour qu'elles valussent la peine qu'on y prêtât trop d'attention. « 11 
s'agissait de chevaux nedjis et de savoir où l'on pourrait se les procurer. 
IX. 12 



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178 REVUE DE l'orient. 

M. Fontanier a dit quil fallait aller les prendre à Bombay. J'ai exposé dans 
le journal la Presse et dans la Réforme^ bien avant de rien publier k ce sujet 
dans la Ret^ue de l'Orient, quelles sont les raisons qui me font considérer 
rÊgypte comme étant la seule contrée où Ton pût se les procurer. Je persiste 
dans mon opinion , et je déclare de nouveau que les propositions faites par 
M. Fontanier ne sont pas acceptables. 

Après l'admission et la présentation de nouveaux membres, l'hommage 
de divers ouvrages fait à la Société , Tordre du jour appelle la lecture d'un 
rapport de la commission chargée d'examiner le projet de M. Horeau d'un 
édifice pour les assemblées de toutes les sociétés savantes. 

M. de Saint'Céran donne lecture du rapport. 

M. Horeau. Vous serez peut-être bien aises d'apprendre, messieurs, que 
depuis votre dernière séance ce projet a passé sous les yeux de MM. Taylor, 
Fontaine, Grillon , Debret, etc., et que partout il a été accueilli de la ma- 
nière la plus favorable. 

M. 7. Cloquet, C'est une grande et belle idée que de placer toutes lés so- 
ciétés savantes sous le même patronage. 

M. le président. Il ne manque qu'une chose au rapport lu par M. de Saint- 
Céran , ce sont des conclusions. J'invite messieurs les membres de la com- 
mission à les rédiger, afin que je les mette aux voix. Je pense qu'il faudrait 
enlever au rapport ces mots : « Il sera facile de trouver une société , etc. » 
Nous ne pouvons rien dire de ce genre ; il faut mettre : « L'auteur du projet 
pense que l'on trouvera facilement, etc. r> 

M, Aubert-Roche lit le rapport de la commission chargée d'examiner la 
proposition qu'il a faite sur les moyens à prendre pour arriver à l'union 
de toutes les sociétés. 

M. /. Cloquet, Le rapport de M. Aubert eut dû précéder celui de M. Horeau, 
celui-ci n'en étant que le complément, puisqu'il faut d'abord peser et faire 
admettre le principe de la réunion des sociétés avant de se préoccuper des 
moyens de les recevoir. 

M, Aubert. La proposition de M. Horeau n'a qu'un rapport très-indirect 
avec la mienne parce que l'exécution deitiandera plusieurs années, et ()tl'il 
s'agit de tirer immédiatement les sociétés de l'état de torpeur dans leqsel 
elles sont plongées. Mais la question de local est du reste si importante cfue 
î'ai dû nécessairement m'en préoccuper activement. Il existe dans le passage 
du Saumon un local construit dans un but tout pareil à celai dont il s'dgit 
aujourd'hui et qui me paraît très-convenable. 

M. J, Cloquet, Il faudrait examiner si cet emplacement cadre aree eetoi 
du siège de toutes les sociétés, afin de le placer de la façon la plus conve- 
nable. 

M» Aubert.Oeià est du reste l'affaire de la commission à nommer par tontes 
ie6 sociétés. 

M. J. Cloquet. Il est bien entendu que cela ne serait que provisoire et fait 
seulement pour attendre Texécutton définitive du projet de M. Horea«i 
projet qui mérite l'attention de tous k*8 hommes sérieux, car ce serait un 



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ACTES DB LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 179 

monument élevé par la France aux sciences et aux arts , un grand et bel 
exemple donné au reste du monde. 

M, Hugo. Qu'entend M. Aubert, dans son projet, par sociétés libres? la 
question est importatite. 

M. «/. Cioquet. Il est en effet très-essentiel de savoir quelles sont les sociétés 
que Ton pourrait recevoir dans cette grande association. 

Ce seront, je pense, seulement toutes les sociétés artistiques, littéraires, 
scientifiques, c'est-à-dire celles qui embrassent dans leurs attributions toutes 
les matières qui sont db ressort des cinq classes de l'Institut et de TÀcadémie . 
des beaux-arts, telles que peinture, sculpture, musique, gravure. 

M, Aubert. J'entends par sociétés libres celles qui ne sont pas dites royales^ 
telles que l'Institut, la Société d'agriculture, etc. 

M. d'Eschavannes, Le ministère de l'instruction publique va publier un 
annuaire des sociétés savantes, dans lequel on trouvera tous les renseigne- 
ments désirables. 

Quelques membres font observer qu^en se tenant dans ces limites on 
fermerait la porte aux sociétés artistiques qui peuvent se former d'un 
jour à l'autre, et qu'il vaut mieux se tenir dans la définition donnée par 
M. Cioquet. 

M. Rocket, Âd mettra- t-on quelques sociétés qui n'ont pas un caractère, 
bien défini , telles que celles des artistes , des gens de lettres, etc. ? 

M, J. Cioquet. Ces sociétés semblent être plutôt des sociétés de bienfai- 
sance que des sociétés scientifiques ou pour la culture des arts. Du reste, 
cette question est subsidiaire. 

M. le président. Je prie MM. les membres d'accOrder attention à lalectufé 
des conclusions du rapport sur la proposition de M. HoreaU. 

M. de Saint-Céran donne lecture des conclusions, qui sont tnisés aun toli 
et adoptées. 

M. Éugo. Messieurs, vous avez entendu le rapport sur la proposition de 
M. Aubert. Je ne suis pas tout à fait d'accord avec lui. On ne doit pas, je 
crois, nommer immédiatement une commission poursuivre l'affaire. 11 faut 
d'abord, à mon avis, rédiger une circulaire qui sera envoyée à toutes les 
sociétés. Rien ne s'oppose d'ailleurs à ce que l'on imprime d'abord le 
rapï)ort. 

MM. de Saint-Céran, Audiffred, Hugo, font quelques propositions sur 
l'inconvénient qu'il y aurait à confondre les deux prqjets. Us pensent que 
l'un compromettrait l'autre. 

itf. Hugo. Les sociétés peuvent s'unir sans se rassembler dans un même 
lieu ; tel est le fond de la proposition de M. Aubert. Le projet de M. Hoi eau 
est un projet tout artistique. Je crois que nous pouvons voter la partie morale, 
sur laquelle personne n'élève de discussion , et laisser de côté tout ce qui re- 
garde les délégués. Je crois du reste que si la commission s'était occupée plus 
activement du rapport de M. Aubert , beaucoup de questions agitées ici ne 
l'eussent pas été. Ce qu'il y a de singulier, c'est que M. Aubert fasse un 



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180 REVUE DE l'ORIENT. 

rapport sur sa propre proposition , ce que la Société ne peut permettre. 

M. .Hubert tx^se les raisons qui l'ont obligé à agir ainsi, bien qu'il en 
eût reconnu Tirrégularité. 

M. Hugo, Il est donc nécessaire que la commission reprenne son œuvre en 
faisant cette distinction bien tranchée entre le principe posé par M. Aubert, 
la fusion de toutes les sociétés scientifiques et artistiques, et leur réunion 
dans le même édifice. 

La séance est suspendue à dix heures et reprise dix minutes après. 

M. Alphonse Denis, président de la Société, occupe le fauteuil, et s'ex- 
prime en ces termes : 
Messieurs , 

Qu'il me soit permis de vous exprimer tout le plaisir que j'éprouve à 
venir m'asseoir de nouveau auprès de vous. Depuis six mois, de grands 
événements se sont passés en Orient : la chute du ministère de Riza-Pacha, 
le gouvernement ottoman marchant dans une nouvelle voie, l'expédition 
de Madagascar arrêtée, seront de notre part l'objet d'une grande attention 
et d^études qui profiteront à tous. 

M. Judiffred lit un rapport sur la brochure (relative au commerce avec la 
Chine) offerte à la Société par M. Potonié, l'un de ses membres. 

M. J.Cloquet. On a voté des remerctmensà l'auteur du livre, j'en demande 
pour l'auteur du rapport, qui est rédigé avec une lucidité parfaite, et qui 
soulève en passant une multitude de questions importantes. 

Je connais telle ville dans laquelle l'industrie des gants occupait quinze 
cents ouvriers, et qui n'en compte aujourd'hui que cent cinquante; telle au- 
tre qui fournissait aux États-Unis des rubans et des soieries , et qui a vu 
tomber ses produits dans les mêmes proportions. Aujourd'hui les États-Unis 
les tirent d'Angleterre et de Suisse , c'est-à-dire des contrées qui n'ont pas 
de soie. La mauvaise qualité des commandes a été la cause de cette déca- 
dence. Ceci prouve que, dans le commerce comme en toute autre chose, 
la loyauté est la meilleure marche qu'il soit possible de suivre. La question 
est importante. Je crois qu'il faudrait que le gouvernement se préoccu- 
pât de l'état de nôtre commerce extérieur, et qu'il cherchât dans le passé 
les moyens à prendre pour ne pas compromettre l'avenir. 

M. Alphonse Denis, Dès 1840, j'attirai l'attention du ministre du com- 
merce sur cette question. Les marchandises anglaises parviennent à l'étran- 
ger, traversent les mers sans être déballées ; les nôtres le sont toujours , parce 
qu'on s'est aperçu des fraudes. On a cité des colis dans lesquels sur douze 
bouteilles il y en eut d'abord une de cassée , ensuite deux, puis trois. 

M. J. CloqueU Ne serait-il pas convenable que le rapport de M. Audif- 
fred fût envoyé aux chambres de commerce et aux chambres législatives 
même? 

M.Darvois. J'ai résidé longtemps dans une colonie anglaise, je n'y ai 
pas vu les fraudes que viennent de signaler mes honorables collègues. Tout 
ce que nous exportons à Maurice, depuis quatre ans, a beaucoup gagné. De- 
mandez une serrure, on vous répondra : en voici une à 25 centimes, de fa- 



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ACTES DE LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 181 

brique anglaise, mais en voici une à 30 centimes venant de France , et qui 
est bien meilleure. Il en est de même des indiennes et de nombre d'autres 
articles. Quanta la Chine, qui fait surtout l'objet du rapport, je la con- 
nais un peu. Si on ne travaille pas pour les masses, on n'obtiendra pas les 
succès dont ont été couronnées les affaires anglaises. Je ferai une autre ob- 
servation. Le rapporteur a dit que les capitaines et les subrécargues sont 
peu au fait des affaires ; je sais tout le contraire, et on peut les considérer 
comme d'excellents facteurs. 

M, Alphonse Denis, Lorsque je pris la parole en 1840, c'était dans les 
rapports de nos agents que j'avais puisé mes arguments. Ceux de M. de Jan- 
cigny, entre autres, me fournirent d'amples renseignements. Rien ne fut 
contesté. M. le ministre même n'eut rien à m'opposer, tant il était encore 
sous l'influence de ces rapports. Ce fut alors que je demandai l'établisse- 
ment du contrôle , qui eût été la source d'un revenu assez considérable , 
puisque nos exportations s'élevaient à plus d'un milliard. 

M, Daivols, Je me bornerai à répéter que depuis quatre ans les choses , à 
l'Ile de France, ont bien changé, et que les marchandises anglaises sont 
tombées dans un discrédit à peine comparable à celui dont ont été frappées 
antérieurement les marchandises françaises. 

M, yéudiffred. Tous les faits signalés dans le rapport que j'ai eu l'hon- 
neur de vous lire sont de l'auteur de la brochure et non de la commission. 
Malgré ce que nous a dit M. Darvois des capitaines et des subrécargues, la 
commission n'en reste pas moins persuadée que les comptoirs fixes valent 
infiniment mieux que des commissionnaires de quelque nature qu'ils 
soient. 

La séance est levée à onze heures un quart. 

0. Mac Carthy. 



NOUVEAUX MEMBRES ADMIS. 

jllembreis liitulaires : 

MM. Briand (Eugène), voyageur en Orient. 
Noël ( Edmond) , voyageur en Orient. 
D'ËscAYRAc , voyageur à Madagascar. 
KocALNiTÇANE , major au service de Moldavie. 

Lb Serrec (Armand), enseigne de vaisseau, un des explorateurs du fleuve < 
Amazones. 

membres carrespondants s 

MM. Bbaumibr ( Auguste ) , chancelier du consulat, à Mogador. 
LiBois (Fabbé), directeur des mimions étrangères, en Chine. 
Paîna (de), négociant, à Macao. 
Valette ( Antoine ) , consul de France , à Calcutta. 
Marcain (le docteur), chef du bureau de sauté , à Chaudernagor. 



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tS2 REVUE DE l'orient. 

RAPPORT SUR LE PROJET 

ÉDIFICE PESTINÉ AUX SOCIÉTÉS SAVANTES DE PARIS, 

PRÉSENTÉ PAR M. HOREAU. 
; (Séanceidu 9 janvier 1846. ) 



Messieurs , 

' Nous avons examiné dans toutes ses parties, selon la mission que vous 
nous aviez donnée, le projet d'un édifice destiné aux réunions des sociétés 
savantes de Paris. 

Notre examen a porté successivement sur remplacement , sur la disposi- 
tion de Tédifice, sur la dépense et sur les moyens d'exécution. Notre rap- 
port, envisagé sous ces quatre points de vue, sera terminé par quelques 
considérations sur les avantages qui peuvent résulter pour tous de l'exécu- 
tion du monument qui en est l'objet. 

Eiiiplac«afteMt« 

L'emplacement proposé par M. Horeau est situé entre le Louvre et le Pa- 
lais-Royal. L'édifice serait isolé au nord , par la rue Saint-Honoré; à Vest, 
par la rue de la Bibliothèque; au sud, par la place de l'Oratoire ou la rue 
de Rivoli prolongée , et à l'ouest , par la place du Palais-Royal. 

Gel emplacement est celui sur lequel le conseil municipal de Paris a songé 
à transporter le grand Opéra , qui est près du boulevard. 

En parlant d'élever un édiêce publie sur ce terrain, le conseil municipal 
a voulu détruire un quartier humide, malsain; d'autant plus laid qu'il est 
dans le voisinage et , pour ainsi dire, au n^sré des plus beaux palais du 
monde. Le conseil municipal, en prenant cette mesure, aaussi voulu rappeler 
près des bords de la Seine la population qui se jette vers le nord de Paris. 

Des obstacles sérieux, inhérents à la localité, s'opposent très-formelle- 
ment à l'érection du grand Opéra sur cet empli^ceimni i en effet , la lar- 
geur , entre la rue de Ri voit prolongée et la rue âaint-Honoré , est trop étroite 
pour y placer le grand Opéra de Paris. Cet édifice, vu sur sa façade prin- 
cipale du c6té de la place du Palais-Royal , serait d'ailleurs entre deux rues 
d'in^ales largeurs. Enfin , les eaux de la Seine , qui arrivent annuellement 
dans les caves des maisons «xisrantfs aiijiHird'hui dans le quartier dojit fi 
s'agit , ne permettent pas d'établir sans d€ grands frais les dessous né- 
cessaires à ce vaste théâtre. Ces obstacles, réunis au défaut de conve- 
nance de l'emplacement, donnent tout lieu d'espérer que l'on abandon- 



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ACTES DE LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 183 

aéra If projet d'y mettre TOpéra pour y substituer Tédifice qui nous occupe ; 
édifice qui deviendrait un centre d'activité constante, tandis que TOpéra 
ne serait animé que pendant quelques soirées de l'année. D'un autre côté, 
la grande afâuence des piétons et des équipages, inévitable aux abords d'un 
grand théâtre ^ ajouterait d'une manière fatale à l'encombrement des voi- 
tures allant la nuit aux balles, dont le service serait infailliblement entravé 
par ce surcroît de circulation. Et, comme considération dernière, il serait 
paiement malheureux d'intercaler entre les musées et le palais des Tuile- 
ries le rendez-vous des plaisirs bruyants, pouvant devenir un foyer d'in- 
cendie et un dangereux voisinage. 

Dispositians. 

L'édifice serait ainsi disposé : 

Au rez-de-chaussée, des galeries pourtourneraient le monument; elles 
seraient animées par des boutiques avec entre-sol , et donneraient entrée, 
du côté de la place du Palais-Royal et de la rue de la Bibliothèque, aux 
vestibules et escaliers desservant tous les étages de l'édifice. 

Au premier étage , une galerie, servant de bibliothèque et de musée pour 
les collections des sociétés, pourtournerait l'édifice et communiquerait aux 
diverses salles de réunions. La grande salle du milieu , plus vaste que les 
autres , contiendrait des tribunes au deuxième étage et des amphithéâtres 
correspondant au troisième. La disposition du deuxième ne différerait de 
celle du premier que parce que les salles de moyenne grandeur, placées près 
la grande salle, s'élèveraient jusqu'au comble et seraient éclairées par le 
haut pour favoriser les expositions que l'on y voudrait faire. 

Les salles de réunion, éloignées de tout bruit extérieur, pourraient être 
au nombre de treize, non compris celles que l'on pourrait établir dans les 
galeries de pourtour. 

Le troisième et dernier étage contiendrait les archives, les bureaux et 
quelques logements d'employés. 

Pour cet édifice, qui aurait 42 mètres de largeur sur 05 mètres de pro- 
fondeur , la dépense serait : 
Pour l'achat de 500 mètres superficiels de terrain. . . . 2,000,000 
Et pMir Ifts constructions. . . ,. 4,000^000 



Total 6,000,000 

HOLojen» d*e3Lëcutioii« 

U mi difficile, ^opn ioipii^ssible , de dirç , quant â présent ^ dan§ quel rap- 
prit Je eoi^ii municipal , {'Étaj( , les Sociétés et l^ spéeui^tioo concourront 
à l'exécution de ce monument. 

Le eoDsal imiaicipaU acceptcra-t-il le nouvel édifice comme il a accepté 
ta pensée d^Opéra sur le même emplacement? Tout porte à le croire , car 
eeC édifie» rempkraii , mieux q«e n« pourrait faire l'Opéra ; toutes ks vues 



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184 REVUE DE l'orient. 

du conseil municipal et coniribuerait à rachëvement de la rue de Rivoli* 
Danscecas,la ville pourrait donner le terrain nécessaire ou les 2 millions. 

L'État, qui veut et doit encourager les sociétés, voudra-t-il dépenser le 
capital de ses encouragements annuels ? Gela est possible ; mais, s'il ne vou- 
lait pas faire cet apport, on trouverait facilement, nous l'espérons, une 
compagnie qui se chargerait de l'opération. Le revenu des boutiques , celui 
de la location des salles aux sociétés industrielles et aux expositions parti- 
culières, les encouragements annuels que l'État donnerait aux sociétés, et 
les redevances payées par les sociétés elles-mêmes; toutes ces ressources 
réunies pourraient représenter l'intérêt des 4 millions à dépenser pour 
la construction de l'édifice. 

Il est permis d'espérer que les artistes de talent voudront bien concourir 
à l'embellissement de cet édifice, qui serait indubitablement visité par tous 
les hommes distingués du monde présent et à venir. 

Les avantages qui résulteraient de l'érection de ce monument seraient, 
pour la ville de Paris, d'améliorer sensiblement la circulation; d'avoir 
dans son sein un édifice public de plus consacré à la bienfaisance , aux arts^ 
aux sciences et aux lettres, établissement intellectuel qui n'existe nulle 
part au monde; de hâter la réunion du Louvre aux Tuileries; enfin, de 
contribuer en quelque chose à remplacer l'asile qu'elle offrait jadis dans les 
salles de l'hôtel de ville de Paris , ainsi que cela existe dans toutes les com- 
munes de France, aux sociétés dont la prospérité est liée intimement à la 
prospérité générale de Paris. 

L'État féconderait ainsi une pensée noble et généreuse : il hériterait 
tout naturellement des collections des sociétés éteintes; il aiderait à la 
fondation d'un édifice qui honorerait le pays et contribuerait puissam- 
ment à agrandir les travaux des sociétés qui sont à la tête de la civili- 
sation. 

Un même bureau recevrait les agents de toutes les sociétés. Chaque mem- 
bre de ces sociétés pourrait assister sans déplacement à plusieurs séances, 
ouir des collections des autres sociétés, et trouver dans un salon commun , 
avec les publications des diverses sociétés , les hommes intelligents de tous 
les pays. 

OoncluMion. 

C'est avec confiance , messieurs, que nous vous soumettons ce projet 
d'édifice, et que nous venons vous demander un vote favorable. Non-seu- 
lement nous sentons le besoin d'avoir l'approbation de la Société orientale , 
mais encore nous venons vous prier, si vous agréez ce rapport , de le faire 
mprimer pour l'adresser à toutes les sociétés de la capitale, et réclamer de 
chacune d'elles un vote qui répondit à notre appel et nous donnât assez de 
puissance pour f^re une démarche générale auprès de l'État ou de ses re- 
présentants. 

C. BB Saiht-Géraii , rapporteur (1). 

(1) Les deux autres membres de la coouiiistioB étalent MM. le comte de La Rocfae- 
Poucbin et Hommaire de Hell. 



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ACTES DE LA SOUÉTÉ ORIENTALE. 186 



RAPPORT SUR UN PROJET 

TENDANT A UNIR 

TOUTES LES SOCIÉTÉS SAVANTES , ARTISTIQUES ET LITTÉRAIRES DE PARIS (!)• 



Messieurs, un de nos confk*ères a soumis à la Société la proposition d'in- 
viter les autres sociétés savantes, artistiques et littéraires de Paris à s'unir 
toutes ensemble. 

Vous avez renvoyé cette proposition à une commission qui vous a pré- 
senté son premier travail à une séance précédente, et qui, d'après vos obser- 
vations , vous soumet un rapport nouveau. 

La pensée d'unir entre elles les sociétés savantes , artistiques et littéraires, 
est une idée simple, rationnelle, utile, féconde et réalisable. 

On doit être étonné qu'elle n'ait pas surgi et ne se soit pas fait place plus 
tôt dans notre pays. 

11 est si naturel que les hommes voués au culte de l'intelligence, à son 
développement, à ses progrès comme à ses satisfactions, se recbercbent et 
s'appuient mutuellement, qu'on n'aperçoit aucune objection qui puisse être 
opposée au projet conçu de faciliter les rapprochements et les communica- 
tions de ces hommes entre eux. 

Au contraire, apparaissent immédiatement aux esprits les plus circon- 
pects les avantages qui en doivent découler, à l'honneur et au profit de 
l'humanité. 

Le premier sera d'établir une heureuse confraternité réelle et plus étroite 
entre les amis des arts, des lettres et des sciences; les membres des sociétés 
unies se verront, s'éclaireront et s'aideront avec la bienveillance qui anime 
aujourd'hui les membres de chaque société en particulier à l'égard les uns 
des autres. 

Le second bienfait sera de rendre plus promptes et plus aisées aux mem- 
bres d'une société distincte les recherches intéressantes qui seraient étran- 
gères à son objet spécial, et particulièrement à une autre société, et d'é- 
tendre ainsi les ressources et les moyens de chaque membre des sociétés unies. 

Le troisième sera de fournir un champ plus vaste et plus préparé surtout 
aux découvertes dignes de ce nom. Nous savons combien il importe au suc- 
cès de celles-ci qu'elles soient publiées et prônées par un grand nombre de 
voix. Dans de pareilles occasions , chaque société qui fera partie des sociétés 

(1) La commission se composait de MM. Aubert-Roche, Hamont et Andiffred, 
rapporteur. 



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unies obtiendra , quand il y aura lieu , le secours et Tappui moral des autres 
sociétés. 

Le quatrième avantage entrevu par nous sera de donner plus de poids aux 
critiques et aunf élQjgfas présentés par )es s§ciéfé$ ^ni^^^ 

Quand une observation d'intérêt générai sera soutenue par un concours 
imposant d'hommes éclairés ç|; indépeQd^nt^ quoiqu'unis, elle sera plus écou- 
tée, plus accueillie, soit de la multitude , soit du gouvernement soit d'au- 
tres, et le progrès oa le redressement, but ip ieet$e i^b^vat^gn , ^'^epip* 
plira plus vite. 

Nous n'avons pas besoin de vous signaler une conséquence importante 
de l'union des sociétés, qui est d'amener naturellement celle-ci à chercher 
6l à obtenir un grand local commun , dont l'appropr i0tJ]pQ ^t la joini^nce 
ëiminuent de beaucoup leurs dépenses partieulièi^ et surtQiltépargnent auK 
membres de ces sociétés la perte du temps que les distances qui )^ séparieat 
enlèvent à chacun d'eux aujourd'hui , quoi qu'ils fas^nt pour éviter cet 
inconvénient, 

Les hommes adonnés à la poursuite des intérêts matériels se sont ras- 
semblés > groupés, associés et formés en corps, pour se protéger, et /com- 
mander en leur faveur une attention, qu41s ont m effet obtenue, plus 
grande. 

Et les hommes livrés à la culture d'un autre domaine, plus éloigné de 
celui de la brute et pi^ voisin de eelui de Dieu , du domaine ^ un mot des 
intelligences , n'ont encore montré ni habileté , ni pe]^évér^pc^ id^ns la 
connaissance et remploi des moyens propres à assurer Icur^cpnsidération ^t 
leur influence. Il est temps qu^ils ne méritent plus cftt étrange rieprocbe et 
qu'ils tentent , à l'exemple des premiers , de se rapi^rocher « d^s s^ relier , #t 
de s'appuyer mutuellement , en formant une sorte d'agrégation et d^ p^po- 
ration vouée à la défense da; jouissances lea plus nobles de l'homme* 

Tels sont les motifs qui décident votre commission à vous proposa d'^- 
gager les autres sociétés libres et sérieuses de Paris , savant^, ai?tistiqi^e$ et 
littéraires, à s'unir ensemble , et à former, picmr ce but, une epmmissinn de 
délégués émanés des sociétés qui accueilleront eet appel ; eu c^nséqiientce 
d'envoyer à chacune des spciétés connues i Paris une Qf^pw de pe r^ppQft 
en même temps qu'une lettre ainsi conçue : 

« La Société orientale a Fboqneur de vous a4i^ser le rappp^it i^i^ne 
« cominissioB prise dans son sein pour l'exameo de la quesUop U^^^qi à 
« provoquer l'union des sociétés savantes artisliquies et littéraires egtfQ ^^. 

a Elle vous invite, si votre fioeiâté g^e et approuva la poQi^lus^ du 
« rapport, à cboisir entre ses pi^mbres jhb dél^ué qvi se ré^i^sse ^ux 
c( délégués des autres sociétés et fasse partie, à ce titre, d'uo^eomfpi^s^ 
« chargée de €(Mnbiner pi arrêter les termes de l'unioa dopt il ^'agit. » 

AuDUTRBD , rapporteur. 
{Ces QOOçlt^ipDS ont été ajjoptées dans la séance du 27 février. ) 



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CHRONIQUp; P|5 VçmWT. — TURQUIE. \fjij 

CHRONIQUE W ^'ORIENT. 



TURQUIE. 

S'il faut ea croire le Moniteur ottoman , dont l'article a été reproduit 
par les journaux français et allemands, plusieurs personnes , à Constan- 
tinople, se plaindraient de la lenteur apportée par Reschid-Pacba dans 
Tcxécution des projets de réforme politique et d'amélioration sociale 
adoptés par le jeune sultan. Si ces plaintes sont réelles parmi les Turcs, ce 
dont nous prenons la permission de douter, elles ne peuvent venir que de la 
part des ennemis du ministre dirigeant. Ces ennemis de la réforme sont 
encore nombreux et puissants, et ils savent que jeter les meilleures semences 
sur un sol non préparé, c'est tout à la fois du temps perdu et une récolte 
avortée en germe : c'est là ce qu'ils attendent sans doute de leurs paroles 
et de leurs menées. 

Si nous étions appelés à l'honneur dédonner des conseils aux hommes d'Ëtat 
sur lesquels repose l'avenir des vastes pays soumis au Grand Seigneur, dans 
notre désir de leur voir fonder quelque chose de stable et de puissant, nous 
leur dirions que, pour être sûre, la marche vers le bien doit être lente et 
progressive; que, dans un pays dont l'organisation doit subir tant et de si 
grands changements, il convient quelquefois d'étayer ce qui penche, de 
soutenir momentanément ce qui est condamné à tomber un jour, si l'on ne 
veut être soi-même enterré sous des ruines , et se trouver dans l'impossi- 
bilité de réédifier au milieu de tant de décombres. 

Voici trois mois que Reschid-Pacha est arrivé à Gonstantinople et que le 
ministère auquel il a prêté l'appui de son nom et de ses vues politiques est 
organisé. Ce temps lui a suffi pour comprendre que les modifications de- 
vaient s'étendre sur toutes les branches du gouvernement, sur toutes les 
parties de Tadministration. Ainsi , portant ses investigations au sein du 
ministère lui-même, le sultan vient d'y opérer deux changements importants. 
Halit-Pacha , ministre du commerce, vient de résigner son portefeuille et 
passe au gouvernement de Trébizonde. Nous ne connaissons pas assez les 
ressorts et les mobiles de la politique ottomane pour nous permettre de 
prononcer un biàme formel à propos d'une pareille mesure; mais nous ne 
pouvons nous empêcher de regarder comme étrange une détermination qui 
doit infliger à une population nombreuse et dévouée une espèce de chàii- 
ment qu'elle ne mérite en aucune manière. Halil-Pacha fera certainement 
à Trébizonde plus de mal que de bien : cette conjecture ne surprendra per- 
sonne , ne sait-on pas que la conduite antérieure de ce fonctionnaire a été 
entachée par certains actes de concussion et de cruauté que ne justifiaient 



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188 REVUE DE l'orient. 

nulleoHiDt les circonstances où il a été placé. Ainsi, sa promenade maritime 
sur les côtes deSyrie, en qualité de capi tan-pacha, fut marquée par des excès 
tels, qu'ils émurent les ambassadeurs de toutes les puissances qui ont quel- 
que crédit à Gonstantinople. Le cabinet de Saint-Pétersbourg fut le seul à 
prêter son appui au chef de la flotte, et encore ne le fit-il pas ostensible- 
ment; toutefois, ses démarches suffirent pour maintenir un homme qui 
servait en secret les desseins de la politique russe : point de doute que Halil- 
Pacha ne doive à cette politique de ne pas être tombé dans une disgrâce 
complète. 

11 n'y a pas de raisons pour croire que le ministre déchu consente à rece- 
voir une direction nouvelle, et il nous semble que moins les agents que l'on 
emploie ou que Ton conserve sont des hommes sûrs et éprouvés, plus ils 
doivent rester sous Tœil du gouvernement. 

Quoi qu'il en soit de nos tristes prévisions au sujet du gouverneur de Tré- 
bizonde, dont, nous ne demandons pas mieux cependant que de louer et 
d'encourager les actes, s'ils sont conformes à nos désirs; il a été avanta- 
geusement remplacé par Sarim-Ëffendi , ambassadeur à Londres, lequel 
avait été désigné, dans le premier moment, pour occuper l'emploi d'am- 
bassadeur près la cour de France. Nous faisons cas des connaissances et 
surtout du caractère déployé en plusieurs occasions par le nouveau ministre, 
cependant nous ne pouvons nous empêcher de regretter qu'avant d'arri- 
ver de nouveau au poste éminent qu'il occupe, il n'ait pas eu l'avantage 
d'étudier la France comme il a vu de près l'Angleterre, et d'apprécier à sa 
haute valeur notre disposition actuelle en faveur du gouvernement de Sa 
Hautesse. 

Les antécédents de Sarim-Ëffendi sont purs et honorables. Ministre des 
affaires étrangères en 1842, il eut à soutenir le poids des lourdes affaires 
de la Servie , et il l'a fait avec une fermeté qui ne s'est point démentie. On 
se rappelle qu'il préféra donner sa démission, plutôt que de céder à des exi- 
gences qui ne lui paraissaient point compatibles avec la dignité des transac- 
tions qu'il était chargé de suivre. 

Le ministère du commerce demanderait un homme spécial ; mais Sarim- 
Ëffendi, appliquant toute sa sagacité à l'étude des questions importantes 
qui relèvent de son ministère , se mettra vite au courant des relations qu'il 
lui importe de maintenir ou d'étendre, et, s'il ne le sait déjà, il apprendra 
que la France est en première ligne parmi les nations dont les échanges 
peuvent offrir des avantages aux négociants turcs, et il facilitera l'entrée, 
et surtout la sortie , de certaines denrées qui sont recherchées par nos ma- 
nufacturiers. 

11 existe en Turquie une charge militaire d'une haute importance, et qui 
correspond au titre de généralissime, c'est celle de séraskier. Hizza Pavait 
confiée à Soliman-Pacha, dont il croyait avoir fait sa créature; mais ce- 
lui-ci n'a pas tardé à s'apercevoir quel triste rôle on prétendait lui faire 
jouer : aussi son dévouement aux volontés de Rizza ne dépassa-t-il jamais 
certaines bornes. On peut dire de lui, et c'est beaucoup pour un fonction- 



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CHONIQUE DE l'ORÏENT. — • TURQUIE. 189 

naire investi de la confiance du dernier ministère, que c'est un homme sans 
antécédents fâcheux. On peut ajouter, s'il faut croire tout ce qu'on rapporte 
de lui, qu'il est doué de bonnes et heureuses dispositions; ce qui lui man- 
que, c'est la connaissance de celles des institutions européennes qui sont 
applicables, jusqu'à un certain point, aux lois constitutives de l'empire ot« 
toman. Nous ne saurions trop le répéter, ce n'est point une révolution que 
l'on veut faire, ce sont de simples modifications à introduire dans les res- 
sorts sociaux, usés par le frottement des intérêts européens. Les habiles, 
parmi les hommes d'État , seront donc ceux d'entre eux qui auront été mis 
à même d'apprécier les rapports qui doivent désormais lier l'Europe à l'Asie. 
Bien que Constantinople ne soit pas située sur ce dernier continent, ce sont 
surtout des intérêts asiatiques qu'elle représente et qu'elle protège. Dans ce cas, 
c'est un service véritable que le Sultan rend à Soliman-Pacha, et non pas 
un exil comme on voudrait le lui faire croire, quand on l'envoie en France 
pour étudier, au centre de la civilisation , toutes les ressources qu'elle offre à 
un peuple dont la marche est nouvelle dans cette carrière, et qui peut y ren- 
contrer plus d'un écueil avant d'atteindre le but. Nous le disons sincère- 
ment, parce que nous le croyons: lorsque Soliman-Pacha aura terminé son 
éducation politique à Paris, à Londres ou à Vienne, avec les qualités natu- 
relles qui le distinguent , il peut être appelé à rendre un jour de grands ser- 
vices à son pays, en prêtant un appui solide au ministère actuel. 

Nous ne pouvons pas en dire autant du vieux Kosrew-Pacha. C'est un 
serviteur des plus intelligents, dont il fallait tout de suite utiliser les qualités 
réelles et l'expérience consommée : pour lui, il n'est plus d'éducation pos- 
sible; mais à quoi bon? tout le monde ne sait-il pas qu'il est tout à fait 
exempt de fanatisme, et que c'est depuis longtemps qu'il comprend que la 
jeune génération doit marcher d'accord avec l'Europe. Il est certain que le 
temps écoulé pour lui dans la retraite, depuis 1840, il l'a employé, malgré 
son grand âge, à mieux approfondir l'esprit de la réforme , et qu'il est au- 
jourd'hui dans la conviction profonde que le salut de l'empire dépend de la 
bonne et sage exécution des mesures qu'on doit prendre à ce sujet. Kosrew, 
dont le nom n'est prononcé qu'avec respect et vénération dans les rangs de 
l'armée turque, a dû nécessairement, en offrant au ministère actuel le se- 
cours de son bras, reprendre aussi le titre et les fonctions de séraskier, où 
l'appelaient la confiance de son souverain et les vœux de ses anciens com- 
pagnons d'armes. Quant à nous, malgré ce que l'on a publié sur l'étendue 
et la profondeur de ses projets ambitieux, nous avons foi en sa parole et en 
son dévouement. 

Résumons donc la situation du ministère , et notre appréciation de son 
personnel , avant de faire connaître ses premiers actes. — RIfaat-Pacha , pré- 
sident du conseil suprême de la justice , a été ambassadeur à Vienne plu- 
sieurs fois. Il se trouve parfaitement dans les conditions que nous souhaitons 
à tous les hommes d'État choisis par le jeune sultan lui-même , pour préparer 
l'œuvre de la régénération: éclairé, honnête, et de mœurs douces et fa- 



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i9d liKtCE DE lWieut. 

dies, on volt que Rifaat convient à la place qu'il occupe. Nous augurons 
bien de sd coopération. 

Méhemet-Ali est à la léte des forces maritimes, c'esl-à-dire capitan- 
pnchB ; il est jeune , actif, dévoué. Reau-frère du sultan , il parait très-dé- 
éidé à secotider franchement ses vues, et à aider puissamment ses collè- 
gues dans le cercle de son pouvoir et de ses attributions. 

Si, dans la situation actuelle de la Turquie, il est un poste important, 
c*est, sans contredit, celui qui doit chercher à centraliser le produit des 
ressources de la Turquie. Ces ressources seraient considérables, si la matière 
imposable était Sagement étudiée ; nous indiquerons un peu plus tard de 
(|udle manière on pourrait faire face aux besoins du moment, et comment 
on pourrait établir et asseoir l'impôt sur la propriété territoriale sans 
qu'elle soit dure ou oppressive pour le peuple. 

Quoi qu'il en soit, ce n'est pas précisément l'habileté qui manque à 
Nafiz- Pacha, qui a été chargé du département des finances, mais à tort ou à 
faisoii il a beaucoup â se faire pardonner; on ne le dit pas à l'abri des sugges- 
tions du fanatisme, et l'on donne pour preuve sa conduite dans l'affaire des 
renégats: la réalité est qu'il n'a fait que subir, en cette circonstance, la vo- 
lotité toute ptiissantë de Rizza, et que quand bien même, en sa qualité de pré- 
sident du conseil de justice, il eût voulu s'opposer à des violences inoppor- 
tunes et condamnables, il eût été dans ritnpossibilité de le faire. C'est donc 
tnal â propos qti'oii l'accuse d'avoir prêté les mains à des actes que dans son 
for intérieur il a toujours dû réprouver ou flétrir. 

Nous ne dirons rien de Reschid-Pacha et de Achmct-Fethi-Pacha , sinon 
qu'ils essayent de bon accord de se mettre à la hauteur de la mission pro- 
videntielle qui leur est confiée. 

On trouvera peul-étre â bout décompte notre examen trop peu sévère, 
quand il s'agit des hommes de l'ancienne administration que le sultan 
a cru devoir adjoindre aux serviteurs éprouvés et fidèles qu'il vient de 
t-appeler aux affaires. Mais sultan Abdul-Medjid, tout jeune qu'il est, 
contiatt déjà le cœur humain; il sait qu'il n'y a pas de grands incon- 
téiiients à initier aux besoins de sa politique un plus grand nombre 
d^hotnmes considérables, et que le zèle est d'autant plus grand dans cer- 
tains cas et chez certains personnages qu'ils sont plus nouvellement con- 
vertis. 

Voyous uù peu quelle est cette politique à son début. Pouvons-nous ne 
pas louer cette énergique tentative qui s'attache tout d'abord à un mal 
profond et que beaucoup regardaient comme incurable : nous entendons 
parler de cette lèpre rongeuse qui s'était attachée en Turquie à tous les 
fonctionnaires de IWdre civil ou militaire, la vénalité? Une ordonnance 
sévère la met au nombre des délits les plus honteux et la punit comme tels. 
Invitation équivalente â un ordre est adressée à tous les bureaux des dif- 
férents ministères pour que toute demande soit accueillie gratuitement et que 
chaque employé soit tenu dé fournir â chacun tous les renseignements dé- 
sirables. 



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CtiRONlOtlÊ tot L^ORIElXt. — ttRQtJlÉ. 191 

L'affaire la plus urgente , après avoir rétabli la moralité dans radmittittrâ* 
tion centrale, était sans contreditde mettre finâ la sànglantecollisicm quiaflli- 
geait ie Liban. On s'occupe d'uile manière activ<3 et i^éeile dtt dlîartn^meùl 
desDruses: on avait commencé par èxigefr d'eux le pajremétlt de Findemnité 
promise aux malheureux Maronites depuis si longtemps ; mais la faveur là 
plus haute et la plus inattendue parmi celles qui sont accordées à ces dertlie^s, 
c*est sans contredit tedroit qu'on i^ient dé leur conférer de pouvoir témoignée 
en justice contre iesDrusésprOâ^essantristamisme. Ajoutons â cette série de ré- 
para tions et de bienfaits que les katmacans, qu'on leUr laisse jusqu'à ce que le 
gouvernement ait trouvé un meilleur mode d'administration , ne sont plu^ 
révocal)les selon le bon plaisir du pacha gouverneur de la Syrie , mais que lé 
sultan lui-même s'est réservé de prononcer sur leur sort. Or, nous contiais^ 
sons trop l'esprit de justice qui atiime ce jeune prince pour ne pas être per- 
suadé que les kaîmacans appartenant aux deux races trouveront tout à la 
fois en lui un juge sévère et un protecteur éclairé. 

Il existait au sein du Liban une famille qui avait des droits incontestables 
à la vénération et à là reconnaissance dés populations de la Montrée. Nous 
avons longuement raconté nous-mêmes les phases heureuses Où malheu- 
reuses de la vie agitée du dernier de ces princes du Liban; nous n'aVions pasi 
craint de louer hautement tes bienfaits de son habile administratioii comme 
de signaler ses JFautes, et après tout nous n'étions que Técho de tdds ceùt 
qui avaient porté leurs pas en Orient depuis Un deUii-siècté ; comtne ceux-là 
aussi, nous avons cherché isurtout à apitoyer l'Europe ^ur le destih fâcheui 
de la famille Scbaàb, et dès Son arrivée à Cohstaniinopie, Rèschid-Pachà, 
qui avait entendu tant de plâiUtes et de réelamâtion^, s'est hâté de refeom-' 
mander le représentant dé cette illUI>ire famille à là biéntieillàllcé du mafllt; 
Le sultan a ordonné qu'il touchât sou^ fôi*nie âlndèmdité UUë allocation dé 
10,0Ôd piastres par mois , et que lui et les Mens fùssëUt traités désormais a^eë 
tous les égards et la considération dbs à leiir ràilg et â l'iUtërét que léti^ 
portent les amis qu'ils ont en Europe. 

Nous n'avons ni l'honneur ni la prétention d'être initiés aux secrets du 
divan ; mais autant que nous pouvons le comprendre d'après notre corres- 
pondance de Constantinople, qui est parfaitement renseignée, le ministère 
ottoman trouve que les réformes politiques opérées par le hatticherif de 
Gulhané et par les ordonnances de 1840 suffisent pour donner des garanties 
sérieuses aux populations mêlées qui constituent la nation turque , pourvu 
qu'on tienne la main à leur loyale e&écution. La chose importante après 
celles que je viens d'énumérer était l'amélioration des prisons et du sort des 
prisonniers : on l'a entrepris, et à l'heure qu'il est, une commission com- 
posée d'hommes probes et éclairés vient d'être nommée pour examiner la 
question. L'intention du gouvernement est de lui accorder tous les pou- 
voirs nécessaires pour arriver promptement au but qu'il se propose. Dieu 
sait si tous les malheureux qui remplissent en ce moment les prisons de 
Gonslantinople et des autres grandes villes de l'empire ont mérité leur 
triste sort. Nous sommes persuadés que, sous le régihfie inique et oppresseur 



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192 RETUE DE l'orient. — CHRONIQUE DE l'ORIENT. — TURQUIE. 

qui vient de disparaître, les cachots sombres et infects qu'on appelle des 
prisons ont dû être encombrés sans motifs suffisants, et qu'avant de sooger 
à changer la native des lieux de détention il faudrait commencer par les 
vider, ou tout au moins par diminuer considérablement le nombre des 
prisonniers. 

Il parait aussi que le sultan, instruit de la sollicitude avec laquelle les 
autres souverains de TËurope cherchent à populariser l'instruction au sein 
de leurs Ëtats, a songé de son c6té qu'un des moyens les plus efficace» de 
foire disparaître un jour les antipathies religieuses qui divisent ses nom- 
breux sujets serait dans l'adoption d'un système complet d'éducation pu- 
blique. L'amélioration des routes, lesencouragements à l'agriculture aujour- 
d'hui si délaissée, préoccupent aussi , sans relâche, le divan tout entier. Le 
jeune Abdui-Medjid assiste au conseil le plus souvent que la chose lui est 
possible, et dernièrement encore il a recommandé à ses ministres, dans une 
chaleureuse allocution, de tenir la main à la répression des anciens abus et 
à l'accomplissement de ses vues réformatrices. 

La France et l'Angleterre, il faut le dire hautement, sont parfaitement 
d'accord pour soutenir le ministère de la réforme. L'Autriche, qui, ainsi que 
nous l'avons fait remarquer plusieurs fois, avait paru d'abord assez effrayée 
de son premier mouvement. Ta été encore plus delà r(^action opérée sous la 
direction de Rizza-Pacha, et elle semble ne plus vouloir mettre obstacle à la 
pensée de réorganisation universelle émanée de sultan Mahmoud. Quant à la 
Russie, elle assiste à l'enfantement, sans en dire son avis, sans donner 
son assistance, sans promettre son concours ultérieur. Nous concevons 
son silence et son mécontentement; mais nous en sommes peu effrayés : 
tant qu'il y aura unanimité de vues parmi les trois premières puissances 
que nous venons de citer, il n'y aura rien à craindre du mauvais vouloir 
que témoigne en ce moment le diplomate qui cache plutôt qu'il ne re- 
présente les véritables intentions de l'empereur de toutes les Russies. 

A. D. 



ParU. — RiOROUS, Imprimeor de la Société orientale, rue Moniieiir-le-Prinee, 29 Mr. 



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DE LA PÊCHE 

SUR LES COTES DE L'ALGÉRIE. 



La pêche est Tagriculture de la Mer. 



I. 

Hé la péclie littorale et de la eolonifiMdtioit maritiiiie 
en Als^rie (1). 

Le développement de la pèche iiUorale sur une plus vas(e étendue de c(^tet 
ne peut s'opérer sans raugmentation du personnel nécessaire à de nouvelles 
entreprises. Un accroissement de Finscription maritime serait donc le résul- 
tat de ce développement progressif. Toutefois l'agrandissement de la pèche 
ne doit pas contribuer seulement à l'augmentation d'un personnel dont 
l'Etat peut disposer au besoin pour le service de la flotte, mais qui lui de- 
vient inutile lorsque des motifs d'économie ou des exigences politiques le 
forcent à diminuer ses armements. En sortant des limites où elle a été reft« 
treinte jusqu'à ce jour, la pèche, cette branche si importante de l'économie 
maritime, doit appeler à son aide les gens de mer en congé de service, et 
qui souvent ne peuvent trouver de l'emploi à bord des bâtiments de com- 
merce; car leur nombre s'élève à 20,000 dans la morte saison, et à 16,000 
pendant les temps d'activité. D'autre part, la révolution qui s'opère dans 
la marine, depuis l'application de la vapeur à la navigation, marche avec 
rapidité, et tend, par la célérité et la régularité de ses transports, à en- 
vahir le domaine du petit cabotage. Une réduction dans le personnel des 
équipages sera la conséquence de cette innovation. Déjà nos bâtiments à 
voile affectés à la navigation côtière ne peuvent plus soutenir la concur- 
rence avec les pyroscaphes de commerce qui font les mêmes trajets ; et je 
citerai ici, par exemple , les bateaux à vapeur des compagnies de la M^iter- 
ranée qui servent les lignes de Marseille à Cette et à Agde. Tousles bestiaux, 
toutes les denrées, et beaucoup d'objets de nos fabriques sont transportés par 
ces bateaux au nombre de neuf ou dix , faisant trois ou quatre voyages par 
semaine. Ces bâtiments sont du port de 160 à 180 tonneaux; or, si l'on tient 
compte de leurs voyages multipliés, on doit évaluer leur transport mensuel 
à plus de 10,000 tonneaux de fret. Aussi a-t-on calculé que chaque bâti- 



Ci) Cette première partie est extraite d'un manuscrit inédit qui fut adressé, il y a 
trois ans , à la direction des affaires de rAlgérie» 

IX. 13 



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194 RGTUE DE l'orient. 

ment à vapeur a anéanti la navigation de quarante bâtiments à voile depuis 
que ces lignes sont servies par les compagnies que je viens de citer. Aupara- 
vant, tout le commerce de cette c6te se faisait par les grandes barques lan- 
guedociennes connues sous le nom à'alléges: plus d'un millier de matelots 
y trouvaient de l'emploi. Aujourd'hui les allèges sont reléguées dans les 
ports, attendant la démolition, et le personnel des pyroscaphes de com- 
merçe^ qui les ont remplacées, se compose en tout de quelques chauffeurs et 
d'une centaine de matelots. De pareils résultats, opérés sur d'autres lignes, 
ne peuvent manquer de compromettre l'avenir de l'inscription , et la marine 
royale doit s'en alarmer. Avec des bâtiments qui manœuvrent sans l'aide 
de bras, le maître d'équipage a dû céder le pas au mécanicien; les gens 
auxquel»il imprimaitson énergique activité sont devenus presque inutiles; 
le service du.pont.s'est trouvé réduit tout â coup â quelques matelots timo- 
niers, et la partie surnuméraire d'un personnel, frappé d'inaction , a dû 
cheixher ailleurs des moyens d'eiistence. Cependant, si Ton réfléchit que 
notre navigation au long cours est insuffisante pour occuper les gens de mer 
qui attendent des demandes d'embarquement, il est dair que, dans cet état 
de choses, Içs marins qui ne peuvent plus s'employer au petit cabotage de- 
puis l'application du nouveau système, doivent nécessairement recourir â 
fa pèche. Mais le personnel de nos pêcheries, sur les côtes françaises de la 
Méditerranée^ est toujours en rapport avec le nombre des barques armées 
pour la pèche, et ne s'est guère augmenté depuis une trentaine d'années. 11 
est donc douteux que ce personnel puisse s'accroître tant que l'industrie de 
la pèche sera restreinte dans les parages où elle s'exerce. 

En effet, en comparant les résumés statistiques de la pèche littorale, on 
ireconnalt que le personnel qu'elle occupe présente annuellement â peu près 
te même chiffre; les étals de ces dernières années accusent même une dimi- 
nution. Ainsi , le total des marins employés â la pèche, depuis l'embouchure 
du Var jusqu'à la frontière d'Espagne, qui s'était élevé un instant à 5,247 
hommes, s'est trouvé réduit, il y a trois ans, â 4,910. Il n'est question ici 
que des gens de mer appartenant aux classes actives, c'est-à-dire de ceux 
que la marine royale peut réclamer au besoin pour l'armement de ta flotte. 
La pèche littorale emploie réellement beaucoup plus de bras ; mais pour 
arriver à une juste appréciation du chiffre qu'elle fournit à l'inscription 
maritime, il faut retrancher les marins hors de service sur lesquels l'État 
ne compte plas. En ajoutant aux hommes valides ceux de la seconde caté- 
gorie, qui souvent ont fourni à la pèche un contingent de 12 à 1500 indi-» 
tîdus, on trouve que le total général du personnel de la pèche, sur nos 
côtes de la Méditerranée, est d'environ 6,400 hommes. Mais rinseriptioû 
maritime ne retire dans le fait aucun profit de ce surcrottde personnel 
cortîposé de vieux pécheurs, et l'on se tromperait fort si , de cette augnoten- 
tation apparente, on voulait déduire une preuve en faveur de la prospérité 
de la pèche. Les marins hors de service ont bien plus intérêt à se Hyrer à 
cette industrie 9 car elle seule peut les nourrir.» 11 e^t rare que la pèche soit 
^ut à fait nulle; bonne ou mauvjûse, U part du pèeheura^ toujours assurée^ 



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DE LA PÊCHE SUR LES gAtES DB l'ALGÊRIE. 196 

et s^il ne peut économiser snr les bénéfices du rude métier auquel la Bécet"* 
site le tient attaché, il en retire du moins une ressource alimentaire qu'il, 
aurait peine à se procurer ailleurs. Les hommes, au contraire, que la loi. 
maritime peut encore atteindre, plus jeunes et plus actifs, abandonnent la > 
pèche dès qu'elle ne leur donne plus assez de profit, et vont chercher, dans, 
les ports ou à bord des bâtiments de commerce, un emploi plus lucratif. 

D'autres considérations ressortent de Texamen comparatif des produits - 
annuels de la pèche et révèlent des faits curieux sur les variations que cette 
industrie à éprouvées dans ses résultats depuis une vingtaine d'années^ Le 
vulgaire, trop facile à s'effrayer, ne voit ordinairement dans la rareté du 
poisson qu'une calamité de l'époque, dont il croit trouver la cause dant 
Tépuisement ou la stérilité du fonds poissonneux, bien qu'en réalité la di* 
mtaution ne soit qu'accidentelle et momen tanée. Cette diminution , en ef fel « 
(itôpend en grande partie de ta présence ou de l'absence du poisson de passage , 
car dans l'appréciation des causes qui amènent les variations observées, i| 
faut avoir égard à Torigine des produits de la pèche et ne pas confondre 
les poissons sédentaires qui vivent et se propagent dans nos mers, avec les^ 
espèces nomades qui ne s'y montrent qu'à certaines époques. La pèche , 
comme l'agriculture , a ses bonnes et ses mauvaises récoltes; il est des an- 
nées d'abondance où les migrations périodiques se présentent en bande» 
innombrables et viennent nous payer leur tribut. Mais des causes encore 
ignorées, en retardant l'arrivée des poissons de passage ou en les détournant 
de leur itinéraire habituel , peuvent occasionner ces années stériles qui rui-p 
nent momentanémem l'industrie de la pèche et jettent l'alarme parmi les con- 
sommateurs. Toutefois, de l'examen des documents que j'ai consultés, il reste 
démontré que les années d'abondance se reproduisent avec assez de régula-» 
rite, tandis que celles où le poisson manque sont assez rares et se présentent 
toujours comme des anomalies. Dans ce dernier cas , pour maintenir l'équi-* 
libre entre les deux grandes ressources alimentaires qui se renouvellent 
chaque année au fond des eaux, lorsque des causes fortuites ne viennent 
pas troubler la marche des phénomènes naturels , il faudrait que l'abondance 
du poisson sédentaire vint compenser la pénurie du poisson de passage « 
quand celui-ci cesse de se montrer en masse. Malheureusement le premier 
est en grande infêriorité; c'est du second, au contraire, que nos marchés et 
nos ateliers de salaison tirent leur principal aliment. On a multiplié tous les 
moyens destructeurs pour s'emparer du poisson qui se propage sur nos. 
cAtes, tandis que ceux pratiqués pour se saisir du poisson de passage sont en- 
core très-bornés. L'étudeet lechoix de ces moyens peuvent contribuer à l'aqné- 
lioration de notre système de pèche et a3surer sa prospérité. Le poisson de 
passage nous offre une ressource inépuisable ; c'est un tribut que la Provi-, 
dence envoie chaque année sur nos côtes. Sans rechercher ici la cause des 
perturbations qui se manifestent accidentellement dans la marche habituelle 
des migrations, je i^ai remarquer qu*il est démontré par l'observation que 
l'absence du poisson de passage n'a jamais lieu à la fois dans tous les para- 
ges. Or, par les différâtes positions que nous occupons dans la Méditerra^; 



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196 REVUE DE t'ORlENT. 

née, nous devons toujours espérer d'heureuses compensations, car notre droit 
de pèche s'étend sur les deux bords de ce vaste bassin et en embrasse le 
centre dans la partie occidentale; nos pécheurs peuvent exercer leur indus- 
trie sur tout le littoral du golfe de Lion , sur les côtes de la Corse, dans les 
bouches de Bonifacio , et dans les parages i)oissonneux de la mer algérienne. 

Quoi qu*il en soit , malgré les séries d'années abondantes pendant lesquelles 
la pèche a été graduellement plus productive, le nombre de pécheurs ne 
s'est pas accru , mais il n'a pas diminué non plus d'une manière sensible 
lorsqu'elle a été moins fructueuse. Ne faut-il pas conclure de ces résultats 
que l'industrie à laquelle on se livre sur notre littoral de la Méditerranée, 
depuis le Yar jusqu'aux Pyrénées, ne saurait , dans i*état actuel de son sys- 
tème économique , occuper un plus grand nombre de bras , et qu'il existe sur 
oettec6teun personnel suffisant, qui fournit toujours son contingent aux 
opérations de la pèche, quels que soient, du reste, les bénéfices qu'elle donne 
ou les pertes qu'elle fait éprouver ? 

Toutefois, la pèche littorale peut améliorer son système et s'exercer dans 
les mêmes parages avec plus de chance de succès ; mais le développement 
qu'elle pourrait y prendre ne fournirait guère à l'État plus de marins, parce 
que le même nombre d'hommes suffit pour pécher une quantité doublé ou 
triple de poissons. Ce qu'il faut à la pèche , c'est un plus vaste champ avec 
d'autres ressources: alors elle réclamera de nouveaux armementéct appel- 
lera des gens d'expérience pour diriger ses nouvelles entreprises et d'autres 
pour les exécuter. 

L'agrandissement de notre puissance dans la Méditerranée lui promet cet 
heureux avenir. Les possessions françaises du nord de l'Afrique embrassent 
deux cent cinquante lieues de c4tes : à l'orient de la baie d'Alger, qui oc- 
cupe le centre de ce littoral , se trouvent les golfes de Bougie, de Stora et de 
Bone, ensuite les rochers de La Galle, bien connus de nos pècheursde corail. 
En remontant à l'occident de notre port militaire, on rencontre les golfes 
d'Arzeu et d'Oran ou la grande baie de Mersa-el-Kebir ; puis, vers la fron- 
tière orientale du Maroc, se groupent les Zapharines, Iles désertes dont 
nous pourrons un jour tirer parti. 

Voilà les stations poissonneuses qui n'attendent que des mains actives 
pour nous livrer leurs produits. Depuis quatre ans je n'ai cessé de provoquer 
les mesures qui doivent tendre à nationaliser sur ce littoral, devenu notre 
conquête, une industrie profitable au pays et dont les progrès contribueront 
à l'agrandissement de notre puissance navale ; car la pèche est susceptible 
de prendre sur les côtes de l'Algérie un développement illimité, et c'est dans 
la pèche que notre marine puise ses forces vives. École d'apprentissage dans 
l'art éd la navigation , la pèche est toujours la ressource des gens de mer 
que le service de l'État ou les besoins du commerce n'appellent pas à leur 
aide. Mais ce n'est pas seulement sous le rapport de l'accroissement de l'in- 
scription maritime que je veux la considérer ici; prise au point de vue 
économique, envisagée dans ses produits , la pèche acquiert à mes yeux 
une tout autre importance; l'élément commercial qui en ressort, les entre- 



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DE lA PÊCHE S«R L£S CÔTES BE l'ALGÉRIE. %9J 

prises qu'elle provoque, la navigation qu'elle entretient, les opérations 
auxquelles elle donne lieu, la placent de suite au rang des grandes industries. 
Les immenses ressources de la mer al|;érienne et l'état précaire de la 
pêche sur nos côtes de France ne peuvent manquer d'engager quelques-uns 
de nos pêcheurs à aller exploiter les nouveaux parages qui leur sont ouverts. 
Mais il importe avant tout de fixer Témigration en Afrique, afin de pro- 
pager sur le littoral de nos possessions les premiers germes d'une coloni- 
sation maritime. Le gouvernement dispose à cet égard d'un grand moyen 
d'encouragement: des concessions de terrains dans le voisinage de nos ports 
d'Algérie peuvent déterminer l'établissement de pêcheries sédentaires , car 
c est par le lien puissant de la propriété que l'homme s'attache au pays. 
Massatie, cette république qui commença sa fortune dans une barque de 
pêcheurs d'Ionie , réclama la concession du sol , aussitôt qu'elle eut pris 
terre , et le droit de propriété inaugura la fondation de la cité fameuse qui 
devait rivaliser Carthagect rappeler la propriété de Tyr. En 1843, lors 
de la discussion générale du projet de loi relatif à Taccroissement de l'effectif 
de l'Algérie, un de nos économistes les plus distingués exposa, devant la 
Chambre des pairs, des considérations qui furent comprises et vivement 
applaudies par tous ceux qui avaient à cœur le progrés de notre industrie 
maritime. Les observations judicieuses que fit alors M. le baron Ch. Dupin 
appelèrent l'attention de M. le président du conseil , qui promit d'en tenir 
compte. « En France (disait l'orateur), 260 lieues de littoral ne présentent 
« pas moins de 60,000 marins classés pour l'inscription. Aujourd'hui, 
« messieurs les pairs, après treize ans d'occupation, 260 lieues de littoral 
(c africain ne présentent pas encore une seule famille de marins attirée pour 
<K coloniser. La petite pêche, qui, sur une égale étendue de côtes françaises, 
« fait vivre 15,000 marins, savez-vous ce qu'elle emploie sur les côtes 
^< de l'Algérie? 627 pécheurs arabes, napolitains, sardes, toscans , espa- 
ce gnols, et pas un pêcheur français!... 

« Je voudrais (continuait-il), que le gouvernement apportât tous ses 
« soins à former, sur la côte, des villages maritimes, partout où la configu» 
« ration des lieux peut offrir de bons mouillages et faciliter nos communi- 
« cations avec les bassins fertiles du territoire algérien. Je voudrais que, 
n dans les ports principaux d'Alger, d'Oran, de Bone, de Cherchel, de 
« Philippeville, le gouvernement attirât des familles de pécheurs en leur 
ce faisant quelques avantages... » 

.le cite de préférence ce passage du discours remarquable de M. Gh. Dupin, 
parce qu'il se rapporte plus particulièrement à ta grande question qui me 
préoccupe et que je me réjouis d'avoir envisagée comme lui dans l'intérêt 
d'une de nos industries nationales. Dans cette région d'Afrique où la 
France a jeté les fondements d'une puissance qui doit grandir sous son 
influence civilisatrice, la pêche, comme à sa plus belle époque, atteindra 
un haut degré d'importance par les établissements qu'elle fera prospérer et 
le mouvement qu'elle reprendra autour d'elle, en procurant de l'emploi à 
un grand nombre de matelots, en assurant chaque jour des ressources ali- 



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19B RETÙE DE l*ORiraiT. 

meùtaires aux garnisons de la ciVte et à cette masse de calons dont le rapide 
accroissement réclame toutes les mesures de prévisioûs qui doîTent amener 
l'abondance dans les marchés du littoral. Ainsi, peu d'années^ suffiront 
pour voir se développer sur ces bords une population maritime, toute na- 
tionale et sur laquelle on pourra compter au besoin. 

IL 

De rorsiMti«ati«ii de la pêelie sur la eâie de rAl^ërie^ 
ei des meyens de Vj nationaliser* 

Gomment organiser la pèche sur la c6te de TAIgérie? Gomment la na- 
tionaliser dans ces parages pour en répandre les pratiques parmi les popu- 
lations indigènes du littoral ? Quelle impulsion le gmivemement doU-ii 
donner à cette entreprise , pour développer dans noire grande colonie d'A- 
frique de nouveaux éléments de force et de prospérité? 

Telles sont les questions que je me propose de traiter ici. 

Il s'agit d'examiner en premier lieu si , dans le cas oè des capitalistes de- 
BiaDdent des concessions pour fonder des pêcheries en Algérie, le gouver- 
nement rencontrera dans ces armateurs, et dans les pécheurs eux-mêmes, 
toutes les ressources et le concours désirables. 

Précisons d'abord la position des parties intéressées, afin qu'on puisse 
apprécier ce qu'oti doit attendre de leurs moyens d'action. 

La pèche littorale, malgré le commerce qu'elle alimente sur les côtes 
irançaises de la Méditerranée, n'est guère profitable qu'à certains spécula-* 
teurs qui peuvent faire les frais des grandes entreprises. Les propriétaires 
^u adjudicatairesdes madragues,et presque tous lesarmateurs ôêsgnuufs arts^ 
ont fait souvent de fort bonnes affaires; le arnimercedu poisson salé a été 
la souroe de plusieurs fortunes ; mais, en général , les pécheurs sont restés 
pauvres. La plupart possèdent à peine les engins nécessaires pour l'équipe* 
ment de leur bateau ; je pourrais même en citer beaucoup , dans les diffé* 
renis quartiers maritimes que j'ai eu occasion de visiter pendant mesex^ 
ploràtions, qui manquent des filets les plus importants, faute de moyens 
pour se les procurer. Ges filets se vendent ordinairement fort chers. Geux 
employés à la pèche des sardines (les plus usités sur notre littoral) ne se 
fabriqUcht pas en France : on les tire d'Italie. Ge sont d'immense» rets en 
fil de lin, à mailles très^^errées , qui ont !^ nôtres de haut sur 145 de long. 
Nos pécheurs les payent 450 francs Ni pièce, et les règlem^ts permettent à 
chaque patron d'en avcnr quatre pièces par bateau , œ qui suppose déjà une 
dépense de 1800 francs, sans compter les pièces de rechange et les autres 
«ngtns. On estime à 9,000 francs la valeur d'un bateau sardinier de â à 6 
tonotattx » bien appareillé et f>ourvu de tout son nécessaire. 

Les this ou trémaux , pour la pêche des poissons sédentaires, se payent 
60 trancs la pièce, de 60 mètres deioiig , et l'on ne peut espérer um pêche 



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DE lA PÊCHE sua LES CÔTES DE l'aLCÉRIE. 1M 

aboudftotte qu'en emlurassaDC avec ces rets un très-grand espace de mer* 
D'Ivres les règlements, chaque bateau peut en avoir 25 pièces. 

Le palangre , pour la pècbe des merlans et des grands percoîdes, est amé* 
(k 120 hameçons ) plac^ à la distance de 2 mètres à la suite les uns des. 
autres f le long d'une ligne-mère« Il coûte 12 francs. D*après les ordonnan- 
ces, chaque bateau peut tendre 40 palaogres bmit à bout, c'est-A^dire 
4,800 hameçons. Je ne parle ici que du palangre ordinaire ; mais il en est 
de plusieurs sortes , suivant l'espèce de poisson qu'on veut se procurer. On 
ne peut employer à cette pèche que des bateaux capables de tenir la haute 
mer, parce qu'elle ne se fait avec succès qu'à dix ou douze lieues de la côte, 
et sur de grands fonds. Aussi Vart du palangre est-il très- négligé de nos pè* 
cheurs, dont les moyens sont insuffisants pour les dépenses qu'entraîne ce 
genre de pèche, et qui craignent, la plupart, de s'exposer trop au large 
avec leurs petites barques mal équipées. L'armement d'un bateau palan- 
grier, monté de six ou sept hommes, coûte environ 2,300 francs, et l'on 
évalue à 100 francs par mois , pour chaque bateau , la dépense de l'appÀt. 
p<mr amorcer le poisson. 

Quant aux grandes opérations de pèche , elles exigent de fortes avances. 
Les frais d'installation d'une madrague, pour la pèche des thons, ne peu- 
vent être estimés à moins de 40 ou 50,000 francs, si Ton tient compte de 
l'armement des cinq bateaux de service, du nombreux personnel d'em* 
ployés et de l'immense attirail en filets et amarres. 

D'après ces indications, en peut se faire une idée approximative de la 
valeur des capitaux engagés dans la petite pèche , industrie très-variée 
dans ses mélhodes, et subordonnée, par cela même, i d'assez grands frais, 
à cause de l'entretien dispendieux des filets, qui éprouvent souvent des 
avaries, et qu'il faut renouveler tous les quatre ou cinq ans, lorsqu'on a eu 
la chance de les conseryer sans malencontre. iMais nos pécheurs , comme je 
l'ai d^à ^Mervé, ne possèdent pas tous les rets et engins nécessaires aux dif- 
férents genres de pèdie , et je ne pense pas qu'on puisse estimer à plus de 
12 ou 15,000 francs le capital du patron le mieux pourvu. Souvent forcés 
d'emprunter peur faire face à leurs dépenses, n'exerçant guère que les 
peiiis mriâ, nos pécheurs vivent au jour le jour; et comme chaque saison a 
son genre de pèche particulier, pour lequel il faut employer certaine espèce 
d'engin, ils sont obligés de varier leurs filets suivamt l'espèce de poisson» 
dont ils veulent s'emparer, et d'en être muni au besoin pour tous les tra* 
vaux de l'année. Cette nécessité augmente leurs dépenses sans accroître beau- 
coup leurs profits; car, bien que le nombre de pièces de filets que les rè« 
glements ass^^nt à chaque bateau soit suffisant pour embrasser un espace 
de mer assez considérable et pouvoir compter sur une pèche abondante ; 
la plupart de nés patrons sont dans l'impossibilité d'acquérir ce cqniiog^t 
qui leur assurerait le succès. Il est donc certain que nus pêcheurs n'iront 
pas, sans un puissant motif d'intérêt et de soJides garanties, aventurer, 
biurs faibles ressources pour tenter la fortune en Afrique. Les avantage» 
qu'ils trouveront dans les engagements contractés avec ks armaieuni 



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200 . REVeE DE L'<miEB»r. 

pourront seuls les attirer dans la mer algérienne. Mais , d'autre part , les 
armateurs ne se décideront à fonder des pêcheries importantes sur le Ut* 
toral africain, Us ne feront exécuter les travaux d'installation, et ne se 
procureront le matériel nécessaire à la pèche qu'avec l'aide des subsides et 
la garantie des concessions que le gouvernement voudra leur accorder. 

Au reste , ce n'est pas uniquement parmi les populations maritimes de nos 
cAtes françaises, même dans les ports les plus en relation avec l'Algérie, 
qu'il faut chercher les éléments d'action qu'on veut transplanter en Afrique. 
Nos pêcheurs de la Provence, du Laoguedoc et du Roussillon sont, en gé« 
néral, trop attachés à leur pays, trop amis du foyer domestique pour courir 
les risques d'un déplacement. Quelque pénible que soit leur existence, ils 
préfèrent se borner à l'industrie des petits arts dans les parages qui ont pour 
eux l'avantage des traditions et de la pratique. Toutefois les ports du Mar- 
tigue et de Gollioure font exception , et peut-être rencontrerait-on dans ces 
quartiers maritimes des hommes habiles, actifs, entreprenants, disposés à 
l'émigration , et dont on pourrait tirer bon parti. 

Mais ce sont surtout les pêcheurs étrangers qui voudront profiter du 
bénéfice de la francisation , qu'il conviendra de fixer dans notre colonie , car 
l'on trouvera en eux d'excellents auxiliaires pour les entreprises de pêche. 
Huit à neuf cents marins italiens et espagnols exploitent déjà les parages de 
l'Algérie, moyennant le droit de congé ou de passe-port auquel ils sont sou- 
mis à leur arrivée. Jusqu'ici aucune mesure n'a été prise pour attacher au 
pays ces pêcheurs nomades qui retournent chez eux, quand bon leur semble, 
avec les profits qu'ils ont réalisés. Il est urgent de réprimer les désordres qui 
régnent sur tout ce littoral dans l'exercice de la pêche. L'établissement de 
l'inscription maritime, la promulgation des lois conservatrices de la pêche, 
la création des prud'hommes dans les ports principaux , sont autant de mesu- 
res indispensables que réclament les progrès croissants de la colonie ; mais 
il importe, dans l'adoption de ces mesures, d'attirer l'émigration étrangère en- 
ta favorisant par tous les moyens. Depuis quinze ans que nous avons planté nos 
drapeaux en Afrique, nos pêcheurs ont fait peu de cas des parages que la 
fortune de nos armes a livrés à leur industrie , tandis que les marins de la côte 
de Gênes et de la Sardaigne, ceux des lies Baléates,4es pêcheurs de la Catalogne 
et du golfe de Valence, accoururent çn foule dès que nous restâmes maître de 
œs bords. Non moins habiles qu'entreprenants, ces hardis marins fréquentent 
tous les parages ; on les rencontre sur tous les points de la Méditerranée occi^ 
dentale où la pêche peut offrir quelques profits ; on les voit tous les ans sta- 
tionner dans nos ports, parcourir nos rivages depuis Antibes jusqu'à Port- 
Vendre et se livrer à l^rs pénibles travaux. La coloi^ie de Catalans établie 
à Marseille depuis plus d'un siècle, pourvoie les marchés de la ville du 
meilleur poisson du golfe lorsque le gros temps retient au port nos pêcheurs 
provençaux. Ëtcraindraient-ils d'affronter la tempête ces marins audacieux 
qui, dans leurs frêles barques, entreprennent par fois des expéditions de 
pêche à 200 lieues de leur point de départ? Car ce sont aussi des Catalans 
do Mataro et de Barcelone qui poussent leurs excursiims jusqu'au détroit de 



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DE LA PÊCHE SDR LES CéHIS D0 l'aLGÉRIE. 201 

Gibraltar et vont terminer leur campagne dans la baie de Cadix, après 
avoir exploré les fonds poissonneux de MeliUa et de Ceuta. C'est sur ces 
gens'là, plus encore que sur nos pécheurs nationaux , qu'on doit compter 
pour réunir les éléments de la populaliou maritime qu'on veut fixer en 
Algérie. Le moment est des plus propices pour les attirer dans ces parages 
à fa faveur des avantages qu'il est dans Tintérêt du gouvernement de leur 
concéder. La navigation à la vapeur a ruiné le cabotage des bâtiments à 
voiles, cette dernière ressource de la marine espagnole; les gens de mer que 
celte industrie faisait vivre sont forcés de recourir à la pêche pour se pro- 
curer des moyens d'existence, et les ports d'Alger et d'Oran, déjà peuplés 
des émigrations delà Péninsule, sont appelés, par leur position, à profiter des 
circonstances que j'indique ici , car l'un n'est guère qu'à une journée et de- 
mie de navigation des îles Baléares et l'autre qu'à quarante lieues de Car- 
tbagène. Dès qu'un ordre de classe sera établi et que des lois protectrices 
auront réglementé la pèche sur tout le littoral de nos possessions, les arma- 
teurs verront, dans la sanction du gouvernement et dans sa sollicitude, une 
garantie de succès pour leurs entreprises. Les bénéfices que les pécheurs 
étrangers recueillent en Afrique , les avantages attachés au régime maritime 
français, sous lequel ils devront désormais exercer leur industrie, attireront 
dans ces parages de nouvelles émigrations; mais la prise d'un rôle d'équi- 
page au bureau de la marine du port de pêche , et son inscription sur les re- 
gistres des matricules , doivent être obligatoires pour tout marin étranger. 
Cette mesure, prise dans l'intérêt de l'accroissiemenl de notre personnel 
maritime, aura pour effet d'assurer d'une manière efficace l'observance des 
règles sur la police de la navigation. La création d'un fonds de pension pour 
les invalides ne sera pas moins favorable à l'organisation de la pêche en 
Algérie, car les gens de mer appartenant à l'inscription trouveront dans 
cette sage disposition de notre loi maritime une ressource pour leur vieil- 
lesse, un secours dans leurs infirmités, et la faible retenue opérée sur leur 
salaire sera largement compensée par le bienfait du résultat. La prévoyance 
d'un gouvernement tut431aire en faveur des pêcheurs et de leurs familles 
attachera au pays et fixera sans retour cette population flottante de pêcheurs 
nomades qui a exploité jusqu'ici la mer algérienne sans aucun profit pour 
l'Etat. Souvenons-nous que ce fut l'oi^anisation des classes, d'après le 
r^ime existant, qui fixa en France les nombreuses familles de marins 
étrangers établies dans nos ports de la Méditerranée depuis Louis XIV. 
Soumis aux mêmes charges que les nationaux , ces marins , admis sur notre 
sol, ont joui des mêmes avantages; devenus Français par les alliances 
qu'ils ont contractées ou par la naturalisation qu'ils ont sollicitée, ces étran- 
gers ont toujours répondu à l'appel du pays toutes les fois qu'il a réclamé 
leur aide pour l'armement de la flotte. Aujourd'hui, grâce au bon accord 
des puissances maritimes, les navigateurs étrangers admis en Algérie 
doivent être rassurés sur les évantualilés de guerre; do longtemps du moins 
ils n'auront pas à acquiter envers la France le tribut de leurs services. 
Le concours des armateurs, dans l'exploitation de la pêche sur ia c6te 



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902 REVro 0E l'orieiit. 

algérienne, d<»inerait an nouveau développement à cette industrie par la 
création des pêcheries sédentaires. En effet , ces établissements, oà se tr<Mi- 
veraient réunis tous les éléments des grandes opérations , contribueraient à 
raccroissement de la population littorale en fixant dans ces parages un nom* 
breux personnel de gens de mer. C'est en vue de cet avenir que j'ai iodiqué 
à la fois la concession des lieux de pèche et le secours des subsides accordés 
par rÉtat, comme moyens d^encouragement pour indemniser les arma- 
teurs d'une partie de leurs avances. L'administration qui dirige les affaires 
d'Afrique parait être entrée dans cette voie de progrès. Quelques concessions 
ont été faites sur divers points du littoral; mais je dois à ce sujet présenter 
une observation dans l'intérêt même des entreprises que j'appelle de tous 
mes vœux. 

En s'engageant à n'employer que des marins français ou indigènes pour 
les opérations de la pêche , les concessionnaires vont se priver tout à coup 
des meilleurs moyens d'action ; je veux parler des pécheurs étrangers, dont 
k concours leur est si nécessaire, à cause des connaissances qu'ils ont déjà 
acquises de ces parages. Les remplacer par des marins de nos ports de l'O- 
céan, faute de trouver des équipages de bonne volonté parmi nos pécheurs 
niéridionaux, serait une erreur qui pourrait exposer à des mécomptes. La 
coopération des pêcheurs expérimentés n'est pas moins nécessaire aux arma- 
teurs qu'une bonne direction. Les marins de nos cèles de l'Ouest et du Nord 
seraient obligés, en Afrique, de faire l'apprentissage d'un système de pê«^ 
dont ils ignorent les pratiques, et des essais infructueux ruineraient l'ar- 
mateur imprudent qui, en se privant, dès son début, de gens capables de le 
guider, fonderait uniquement le succès de son entreprise sur l'éventualité 
des produits de la pêche. On ne saurait appliquer à la Méditerranée les mé- 
thode» de l'Océan , car ce& méthodes diffèrent essentiellement; eU^ varient 
suivant la nature et la profondeur des fonds oà s'opère I9 pêche, les chances 
qui peuvent survenir, la qualité, les instincts, les appétits des espèces dont 
«n veut s'emparer ; elles sont consacrées par l'expérience , perfectionnées par 
la pratique, dépendantes du genre d'opération auquel on veut se livrer. La 
Méditerranée nourrit dans ses eaux des espèces qui lui sont propres et d'an- 
tres qui viennent de TOcéan , mais qu'on ne rencontre que bien rarement 
an delà du 44* degré de latitude septentrionale, et nos pêcheurs du Nord 
auraient , dès leur arrivée , à faire une élude des époques de passif de ces 
poissons voyageurs dont les migrations se succèdent chaque année. La pèche 
du thon , une des plus imi>ortai|les et des plus lucratives, n'est bien connue 
que de nos pêcheurs du Midi, soit qu'on emploie Tartiâce compliqtié des 
madragues^ ou bien qu'on fasse usage des courantilies flouaates ou des lAo- 
nains à poste ftijce» La pêche au palangre , cet art dans lequel les Catalans 
n^ont pas de rivaux , réclame une pratique consommée des parages qui lui 
sont propices, et la Méditerranée renferme dans ses profondeurs des anirac* 
tttosités rocailleuses, des plateaux sous-marins, des fonds variés dont il 
faut reconnaître la nature et l'influeBce. Toutes les combtoaii^ns de Tart ^ 
toute l'intelligence du pilote , ont été mises en oeuvre pour la pê<^ à Vms^ 



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DE LA PÈCHI SUE LES CÔTES DE L' ALGÉRIE. 203 

40ugiie, immense filet h podie doût les ailes ou bande» ont 176 mètres de 
longueur sur une hauteur qui varie depuis 70 jusqu'à 86 mètres. La poche 
seole, qui se prolonge sur une étendue de 90 mètres, n'en a pas moins de 
^ à l'ouverture de sa guele. La poche à Vaissaugue exige une connaissance 
«xacte des courants que le filet traverse et des fonds sur lesquels il passe : 
une fausse manoeuvre, une mauvaise direction, la moindre négligeoce dans 
les moments décisifs, peuvent l'avarier ou le perdre. Lorsque cette pèche se 
feit par une nuit obscure, sur une plage oA les lames déferlent avec violence, 
on conçoit toutes les difficultés qu'elle doit présenter pour tirer du milieu 
du ressac un engin de la dimension de l'aissaugue , chargé souvent de plus 
de 1200 kilogr. de poisson. Il faut alors la plus grande prudence, et beaucoup 
d'habileté; car il est nécessaire, pour la réussite de l'opération, que le pa- 
tron sache bien distribuer son monde sur les points de la côte dont il a fait 
choix ; que, ^u rivage, il se mette en communication avec les gens du bateau, 
au moyen de certains signaux convenus ; que le travail se fasse avec ensem- 
èie^ à bord comme à terre, soit par les pécheurs restés au large pour con» 
duire la pèche , et qu'il faut prévenir des accidents qui surviennent , soit par 
les gens du rivage qui agissent de concert ; il faut enfin que le patron , con- 
stamment attentif, toujours alerte, ne soit jamais indécis sur la position du 
€let, par rapport aux roches et aux autres obstacles qu'il doit éviter, afin de 
l'amener à terre sans encombre. Or, tout cela demande , de celui qui dirige 
comme de ceux qui exécutent, une expérience des plus consommées. 

Je n'entrerai pas maintenant dans plus de détails sur les méthodes parti- 
culières à notre mer intérieure; celles que je viens d'indiquer doivent suf- 
^re pour faire comprendre qu'on n'utilisera en Afrique les marins de l'Océan 
que sous la direction des pécheurs de la Méditerranée, car les arts de pèche 
applicables dans ces parages sont ceux usités sur nos côtes du midi , les 
iflèmesque les Sardes et les Napolitains pratiquent à Alger et les Espagnols 
sur tout le littoral jusqu'au détroit, ceux qu'ils transportèrent à Oran, 
qu'ils ont exercés dans ces parages pendant deux siècles d'occupation , et 
auxquds ils se livrent encore aujourd'hui à l'abri de notre drapeau. 

Quant aux iudigèoes du littoral algérien qui ont déjà adopté nos arts de 
pèche, bien que leurs prc^rès ne se soient pas étendus bien loin, il sera 
facile de les stimuler par l'appât du gain et de les employer utilement dans 
les «itreprises auxquelles on voudra les associer. Garantie par une longue 
série cksuceës, notre domination en Afrique ne saurait plus être douteuse; 
mais pour légitimer notre conquête aux yeux de l'Europe, il faut l'utiliser 
dans l'intérêt de la civilisation. Généreux après ta victoire, le bleuâtre des 
^pulations indigènes doit nous intéresser autant que celui de nos profères 
colons. Je ne saurais trop approuver à cet égard les sages observations d'un 
<ks membres les plus distingués de la commission scientifique de l'Algérie, 
La colonisation de l'Afrique par la France ne doit pas s'entendre seule- 
ment par la transplantation d'une masse de la population sur le sol aigé* 
rien , mais aussi par l'organisation de la population indigèae, d'après un 
système d'administration en rapport avec ses |;»esoins« « U f^ut que nos 



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204 REVUE DE l'orient. 

actes inévitables de destruction soient accompagnés de puitSMites ten- 
tatives de production.» Ce que M. Enfantin a dit de la colonisation agricole 
est applicable aussi ^ la colonisation maritime. Ayons foi dans l'avenir : 
ces deux populations^ encore si peu unies, se rapprocheront progres- 
sivement avec le temps et les efforts d'une administration habile , par 
les institutions civiles qui doivent préparer et consolider cette heureuse 
association , par les intérêts généraux qui réuniront les intérêts particuliers 
pour concourir ensemble à la prospérité commune. Nous devons espérer de 
rencontrer dans les grands centres maritimes, aussi bien que dans cette 
multitude de petits ports disséminés sur la vaste étendue de côte que nous 
occupons, des hommes disposés âh prendre part à Texploitaiion d'une in- 
dus trie dont ils retireront les premiers bénéfices. 

La puissance barbaresque que nous avons domptée, mais dont la marine 
a joué un rôle important, malgré la disproportion de ses forces et de ses res- 
sources comparées à celles des nations eurofiéennes, renferme encore des 
éléments dont nous pourrons tirer parti. La pêche, bien organisée, emploiera 
en Algérie un grand nombre de jeunes indigènes qui se formeront à notre 
^ole , et cette pépinière de gens de mer, dévoués au pays, grandira sous 
notre pavillon. Mais ce sera surtout avec des hommes d!une valeur spéciale 
qu'on pourra monter nos pêcheries d'Afrique et former des équipages d'élite 
pour les premières opérations. Ce personnel , indispensable pour arriver à de 
bons résultats , s'augmentera ensuite de tous les marins qui se présenteront 
â mesure que la pêche prendra plus de développement. Laissons faire le 
temps, et ce qui a eu lieu , sur une autre échelle, pour nationaliser en France 
l'industrie baleinière, se réaliserai ea Algérie. Lorsqu'on voulut faire revivre 
cet art que nos longues guerres avaient anéanti , on fit appel aux marii^s 
nantukais renommés pour leur habileté. Les avantages qu'on leur fit les 
attirèrent dans nos ports : en 1817, les quatre premiers armements comp* 
talent 48 pêcheurs étrangers sur 88 hommes d'équipage, et en 1837 la 
France expédiait, pour la pêche dans le grand Océan et les mers australes, 
43 navires sur lesquels on ne comptait plus que huit étrangers. Tels furent 
les fruits que recueillit le gouvernement de sa sollicitude pour l'industrie 
baleinière. Celle qui s'exerce le long des côtes mérite aussi sa protection, 
et je hasarderai à ce sujet quelques réflexions que je crois opportunes. 

La grande pêche reçoit annuellement un subside de quatre millions et 
fournit à l'État 14,000 marins: sur ce total, 12,000 environ sont employés 
à la pêche de la morue, qui absorbe , àelle seule, les trois quarts delà valeur 
des primes. L'accroissement de notre personnel maritime a été le but de 
cette concession en faveur de deux arts privilégiés. En généralisant ce sys* 
tème d'encouragement, pour l'appliquer à la petite pêche dans de justes 
proportions, l'État serait largement compensé de ses sacrifices et la marine 
royale trouverait au besoin un surcroît de ressources pour ses armements. 
Les hommes qui ont foi dans l'avenir de notre puissance navale ont déjà 
mauifestéce vœu que les Chambres ne .sauraient repousser. La grande pêche, 
dira-t-on, peut seule former de bons matelots. Mais la petite pèche n'est* 



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DE LA PÊ€HE SUR LES CÔTES DE l' ALGÉRIE. 205 

elle pas aussi la pépinière des gens de mer? N'est-ce pa& à cette école de 
rudes travaux que se forment dès l'enfance ces populations littorales qui 
se vouent ensuite à la navigation? Cette industrie a donc des droits aux 
mêmes faveurs, car elle aussi fournit son contingent à l'inscriplion mari^ 
tîme. Elle emploie plus de 7,000 hommes sur notre côte de la Méditerranée, 
et un nombre bien plus considérable encore dans nos ports de TOcéan et de 
la Manche. Du reste, la petite pèche va devenir à son tour une grande indus- 
trie : les chemins de fer, en ouvrant des communications rapides avec 
les villes les plus éloignées du littoral, ne larderont pas à faire refluer sur 
les marchés de fintérieur les produits variés de la mer, et la petite pèche , 
profitant alors de ces nouveaux débouchés , devra nécessairement multi- 
plier et étendre ses opérations. Une profession pénible, sujette â mille 
chances, qui s'exerce la nuit comme le jour , qui exige l'activité la plus 
soutenue, dans laquelle de pauvres pécheurs engagent toutes leurs res- 
sources, réclame sa part d'encouragement. L'assurance d'une prime lui 
donnerait les moyens d'action dont elle a besoin et la direction qu'elle doit 
prendre* Que le gouvernement lui ouvre cette voie de progrès, et le com- 
merce, avec son esprit de spéculation, viendra aussitôt lui fournir les capi- 
taux qui lui manquent. En proportionnant les encouragements à l'importance 
des entreprises, l'État s'associerait le travail et l'intelligence des hommes qui 
répondraient à son appel , et l'application de la prime en faveur de la pèche 
algérienne aurait dans ce sens de très-heureux résultats. 

Je livre ces réflexions à l'examen des hommes compétents; quant aux 
(dsservations qui précèdent, l'administration éclairée qui dirige les affaires 
de l'Algérie a trop à cœur sans doute les intérêts de notre conquête pour 
ne pas comprendre que la pêche, encouragée parles libéralités du gouver- 
nement, suivra irrésistiblement en Afrique le mouvement industriel que 
réclament les besoins du pays, et que les bienfaits d'une sage organisation , 
les enseignements d'une bonne pratique , les soins et la vigilance d'une 
habile direction lui assureront les succès. 

111. 

Des péclieries nlsëriennes et de leurs airnntiii^s* 

La pêche littorale , organisée sur une grande échelle, régie par des lois 
protectrices, et encouragée par les libéralités du gouvernement, prendra en 
Algérie un développement illimité dès que les moyens d'action seront réunis 
et le travail appliqué avec intelligence. Deux cent cinquante lieues de côtes, 
baignées par une mer poissonneuse, sont ouvertes à ses entreprises. Les an- 
ciennes pêcheries fondées sur ce littoral cessèrent d'exister lorsque les Arabes 
vinrent établir leur domination en Afrique, et leur abandon continua sous 
le régime des Turcs, qui préférèrent les bénéfices de la piraterie à ceux qu'ils 
auraient pu tirer de la pèche et du commerce qu'elle alimente. Toutefois, 



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20A RtTtFE DE l^ORIGirr. 

quelques restes de la grande industrie qui prospéra sur ces rivages se re-^ 
trouvent encore dans un des États barba resques. La Régencede Tunis pos^ 
sède deux madragues pour la pêche des tbons : Tune occupe toujouhi Son 
ancien poste carthaginois dans le golfe de Bizerte, et Tautre est située prè9 
du cap Bon. 

Tous les parages de l'Afrique septentrionale sont fréquentés pardes bandes 
innombrables de poissons de passage qui arrivent de TOcéan, et dont les 
migrations se renouvellent chaque année. En pénétrant dans la Méditerra* 
née, ces poissons voyageurs longent la côte, qu'ils remontent vert l'est. Les 
sardines, les maquereaux, les thons, les spadons, les pélamides et une foute 
d'autres espèces recherchées, abondent dans l'étendue de mer comprise^ 
depuis le détroit de Gibraltar jusqu'à la frontière orientale de la Régence 
de Tripoli. Les tbons surtout se montrent très-nombreux dès le conmieii- 
cernent du printemps; ils sont ordinairement de la grande espèce, el 
leur poids dépasse souvent 200 kilogrammes. On estime à 4 ou 5,000 le 
nombre de tbons que l'on pèche (aniiée moyenne) dans la madrague de 
Eizerte; la campagne de 1825 fut une des plus fructueuses; on en prit cette 
année plus de 10,000. En évaluant à 30,000 francs les frais de cette pèclierie« 
et en ne calculant que sur les produits d'une année moyenne, la madrague 
de Bizerte doit rapporter annuellement au moins 60,000 francs de bénéfice 
net, et plus de 150,000 dans les bonnes années. Les propriétaires de lâma-^ 
drague du cap Bon en retirent aussi de grands profits. Us en expédient les 
produits marines ou salés à Gènes, à Livourne, à Naples et dans plusieurs 
autres ports d'Italie. La pèche à laquelle on se livre dans les eaux deTunis^ 
H celle qui se pratique dans les étangs salés dont le Dey s'est réservé It 
ferme, ne rapportent pas moins de 150,000 piastres turques. 

La mer qui baigne le littoral algérien n'est pas moins poissonneuse : le 
nom de Pointe-de-la-Pescade et celui de Cap-des-Pomons que les Arabes 
ont donné au promontoire qui dessine l'entrée du golfe deStora, témoignent 
de la fécondité des eaux. Toute cette côte, par son gisement, ses sinuosttài 
et la qualité des fonds, offre plusieurs postes convenables à l'établissement 
des madragues, qui se trouveraient placées en première ligne sur le passage 
des poissons voyageurs. Celles qu'on situerait dans les parages d'Arzew et 
d'Oran, sur la côte du massif d'Alger, près de la Pointe-de-la-Pescade, dans 
les^ golfes de Bougie et de Stora , seraient d'un très-grand produit. En 4es 
installant comme celles de Sardaigne et d'Espagne, qu'on peut prendre pour 
modèle des meilleures pêcheries, elles rivaliseraient celles de Bizerte et du 
cap Bon. 

La grande variété de poissons qui fréquentent la mer algérienne y est at* 
tirée par la nature des fonds. (>n y retrouve, en général, toutes les espèces de 
nos côtes méridionales de France. Ainsi , nos pécheurs de la Méditerranée^ 
rencontrant dans ces parages des poissons dont ils connaissent déjà les in-* 
stincts, peuvent mettre à profit leur expérience, en employant les arts de 
pèche qu'une longue pratique leur a rendus familiers. Les baies qui acciden-^ 
tent le littoral, les plages sablonneuses qai le bordent, les fonds d'algue, ëe 



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D£ U. PÊCHE StiR LBS GÔTES DE l'aLGÉHIE. 207 

tase oa de roche doat il est parsemé , se prêtent admirablement à tous les 
genres de pèche. Il est des anfraetoosités rocailleuses, des plateaux sous- 
marins oà Vart du palangre, pour la pèche des merlans, serait employé avec 
suocès. La pèche à la sardine offrirait aussi de grands avantages : ce poisson 
ahonde sur toute la d^te de FAlgérie. La pèche à Taissaugue ne serait pas 
moins fructueuse, c^r la disposition des fonds et des plages répond à toutes 
tes exigences de cet art ingénieux. La pèche avec Taissaugue peut se faire 
en toute saison, le jour comme la nuit, pourvu que le poste soit convenable. 
On prend avec ce filet le poisson de passage aussi bien que le poisson sé^ 
dentaire; Taissaugue/en un mot, est l'art de pèche qui pourvoit nos mar- 
diés du poisson de meilleure qualité, parce que, par cette méthode, il peut 
arriver vivant jusque sur la plage. 

La pêche aux bcnifs, qu'on pratique sur les côtes du Languedoc, et que 
les Espagnols ont commencé à introduire en Algérie, a donné d'énormes 
bénéfices aux premiers armateurs. Cette pèche se fait sous voile, avec deux 
barques naviguant de conserve, et remorquant un immense filet où vîen* 
nent s'engloutir, en quelques heures, plus de (500 kilogrammes de poissons. 
Les barques sont du port de 20 à 40 tonneaux , suivant les dimensions du • 
rets et la résistance qu'il oppose à la force d'impulsion. Les dépenses d'ar- 
mement et de matériel que nécessite cette pèche exigent , il est vrai , d'assez 
gros déboursés, mais il ^st rare que le capital engagé ne soit pas couvert par 
lea produits dès la première année. 

L'industrie de la pèche, nationalisée en Algérie , peut donner lieu à des 
spéculations très-lucratives, si les capitaux lui viennent en aide. Établie sur 
de larges bases, exploitée par des compagnies qui pourront entreprendre de 
grandes opérations, la pèche fera de rapides progrès. Les données positives, 
les hommes capables d'organiser et de diriger, ont manqué jusqu'ici aux ar- 
mateurs qui auraient pu s'intéresser dans des entreprises de pèche. Les no<* 
tionsque je viens leur fournir, le concours et la coopération que je leur offre, 
pourront peut-<ètre les décider. J'appuie mes considérations de l'expérience 
acquise durant mes explorations dans les parages les plus poissonneux de 
l'Océan et de la Méditerranée: les missions spéciales dont j'ai été chargé, 
les études et les travaux que j'ai entrepris, donneront, j'ose l'espérer, une 
certaine valeur à mes renseignements. L'industrie de la pèche n'est biefi 
eonàue que des gens qui s'y livrent ; les pratiques de cet art, ses différentes 
méthodes i ses nombreuses opérations, ne peuvent être appréciées que par 
des hommes spéciaux, capables de monter une entreprise, d'en prévoir toutes 
les chances et d'en assurer les succès par le choix des moyens. Pour les pro* 
jets agricoles de l'Algérie, les capitalistes ne feront pas défaut, parce que 
l'agriculture, ;cet art, auquel l'Etat prodigue ses encouragements, est plus 
généralement répandu et bien mieux compris. La pèche, au contraire, bien 
moins encouragée que l'agriculture, est réduite à ses seules ressources; iso- 
lée dans sa sphère d'action , ses enseignements ne se sont pas répandus au 
dehors. Pour la connaître dans ses particularités comme dans ses relations^ 
pour savoir ce qu'elle rend et ce qu'elle coûte , il faut l'avoir étudiée sur 



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208 m\ljE D£ ComsNT. 

place, dans les parages où elle s'exerce, s'être initié à se* différents procédé», 
s'être rendu un compte exact de ses dépenses et de ia valeur de ses produits. 
C'est à ceux qui ont fréquenté les booiiiies du métier, qui ont assisté à leurs 
rudes travaux , partagé leurs dangers et leurs fatigues, qu'il est donné seule- 
ment d'organiser des opérations de pêche, d'en prendre la directioa, d'en 
préparer les résultats. 

Les produits de ia pêche en Algérie, comme partout ailleurs, se divisent «i 
deux classes : les produits frais, qu'on peut transporter et vendre immédia- 
tement sur les marchés voisins de la pêcherie, et ceux qu'on fait saler ou 
mariner pour les livrer au commerce. Ainsi, quelle que soit la consommation 
journalière, l'écoulement des produits est toujours assuré, puisque leur con«* 
servation, au moyen de ta salaison ou du marinage, permet d'en tirer pro- 
jQt, quelle que soit du reste leur quantité. La pêchesur le littoral algérien peut 
donc servir d'aliment à un commerce considérable, et devenir la base de 
grandes spéculations. Et je ferai observer à cet égard que cette industrie n'a à 
redouter aucune concurrence, car bien que les ateliers de salaison de ia côte 
de Provence confectionnent ei^viron 1,500,000 kilogrammes de poissons par 
an , qu'il existe aussi un grand nombre de ces établissements sur le littoral 
du Languedoc et du Roussillon, que le seul petit port de CoUioure en compte 
78 du second ordre, qui salent environ 200,000 kilogrammes de sardines, 
tous ces ateliers sont encore loin de pouvoir suftire aux demandes du com- 
merce et à la consommation si généralement répandue du poisson salé. Par 
conséquent, les produits de la mer algérienne trouveront un débouché fa- 
cile, soit en France, soit à l'étranger. Il est même certain que les saleurs de 
Marseille et des autres ports du Midi seront les premiers à profiter des res- 
sources que leur offriront les pêcheries d'Afrique, lorsque les mauvais ré- 
sultats de la pêche , sur les côtes méridionales de France, viendront arrêter 
leurs opérations. 

Cependant, cette pêche littorale , dont la vente des produits est assurée 
par les besoins du commerce, cette industrie , à laquelle nos pécheurs natio- 
naux pourraient s'exercer avec tant d'avantage, reste livrée, sur les côtes de 
l'Algérie, au monopole de quelques centaines d'étrangers. Depuis quinze ans 
que nous nous sommes établis sur ces bords , les Italiens et les Espagnols 
exploitent pour leur compte le littoral conquis par nos armes, et nous, les 
nouveaux dominateurs de cette terre convoitée par tant de peuples, nous 
laissons à d'autres le profit des ressources que le sort a mises dans nos mains 
et pour ainsi dire à nos portes. Anticipant sur un avenir encore incertain « 
chacun tourne ses vues vers les entreprises agricoles et s'empresse de défiricfaer 
un sol que les chances de la guerre peuvent convertir du jour au lendemain 
en champ de bataille. La mer, d'où nous chassâmes les pirates, offre pour- 
tant bien plus de sécurité que cette terre disputée pied à pied par une race 
belliqueuse et toujours plus entreprenante après quinze ans de combats. Si 
quelque entreprise, selon moi, peut être tentée en Afrique avec l'espoir d'une 
réussite complète, c'est sans contredit celle que je propose, car il s'agit ici 
d'établissements situés sur un littoral où ils seraient à l'abri de toute atta- 



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DE LA PÊCHE SUR LEJI CÔTES DE l' ALGÉRIE. 209 

que, attendu que c'est sur la côte que notre puissance est le plus solidement 
établie, et où elle ne saurait être contestée. Hàtons-nous donc d'y fonder ces 
pêcheries françaises auxquelles on aurait dû penser dès l'occupation des 
villes maritimes où nous avons planté nos drapeaux. C'est là surtout, dans 
ces parages poissonneux qui nous offrent tant de ressources , qu'il serait 
honteux de nous montrer moins habiles que les Turcs. 

La terre algérienne , malgré tous les efforts des agriculteurs, ne pourra 
de longtemps nourrir Tarmée ni les colons; il faut que la pèche lui 
vienne en aide; c'est à cette agriculture de la mer qu'il appartient dé 
suppléer aux ressources qu'on ne peut encore tirer du sol. Les entre- 
prises dont je voudrais hâter l'exécution , en ouvrant un nouveau champ 
à l'industrie de nos pécheurs, doivent donc contribuer aux progrès de 
notre colonie, et sous ce rapport, j'ai compté sur le concours du gou- 
vernement pour les encourager. J'ai proposé, à cet effet, à la direction 
des affaires de l'Algérie, l'adoption des mesures qui m'ont paru devoir 
amener les meilleurs résultats. Les succès de la pèche ne peuvent être dou- 
teux en Afrique, et cette industrie, par les développements qu'elle pourra 
prendre, occupera plus de trois mille hommes sur les deux cent cinquante 
lieues de côte qui nous sont acquises. C'est le long de ce rivage , où se trou- 
vent nos principales positions militaires, partout où la configuration des 
lieux offre de bons mouillages aux petites embarcations et ouvre des com- 
munications avec les vallées intérieures, qu'il convient d'établir nos pêche- 
ries; toutefois, le voisinage des villes doit prévaloir pour fixer l'emplace- 
ment des plus importantes; les produits de la pèche trouveront là de prompts 
débouchés, ils alimenteront les ateliers de salaison et fourniront aux besoins 
de la consommation et du commerce. 

Mais si Tavantage de la position et la fécondité des eaux nous assurent 
une pèche abondante dans le vaste champ qui nous est ouvert, la mer algé- 
rienne demande d'être exploitée d'après un système bien entendu, car l'ave- 
nir de la pèche dans ces parages ne dépend pas moins des encouragements 
qui lui seront accordés que de l'organisation qu'on lui donnera. 11 faut la na- 
tionaliser pour ne pas la perdre, l'associer aux intérêts de la colonie, faire 
tourner ses développements à son avantage, la couvrir de notre pavillon. 
J'ai signalé à cet égard toutes les dispositions à prendre. Je crois avoir dé- 
montré que le concours des armateurs dans l'exploitation de la pèche algé- 
rienne donnera un nouvel essor à une industrie dont les moyens d'action 
ont été jusqu'ici très-bornés, car des pêcheries sédentaires, bien organisées, 
pourront seules réunir tous les éléments des grandes opérations. Mais l'in- 
térêt que les pêcheurs nationaux ou étranger : trouveront dans les engage- 
ments contractés avec les armateurs ne les attirera en Afrique qu'autant 
qu'on leur facilitera les moyens de se livrer à leur industrie sans qu'ils aient 
besoin de faire des avances; et, comme le résultat qu'on se propose est la co- 
lonisation de la côte de l'Algérie sur tous les points où l'on ])ourra fonder 
des villages maritimes et des pêcheries sédentaires , ce sera en associant les 
pêcheurs aux entreprises, en les installant avec leurs familles , qu'on les dé~ 
IX. 14 



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210 KETtE DE l'ORIERT. 

terminera à se fixer sur ces bords. Or, je le répète, ces avances, ces fraig 
d'iDsiaiiation, auxquels les armateurs seront obligés, ne trouveront leur 
compensation que dans les concessions qui leur seront faites et dans les sub- 
sides qu'on leur accordera. 

Ces considérations, auxquelles j*ai donné ailleurs plus de développement, 
ont été un appel à la sollicitude de Tadministralion en faveur de la pêche. 
Le gouvernement a compris qu'il fallait ouvrir une voie large aux encou- 
ragements dans des entreprises dont les résultats devaient avoir une im- 
mense portée. 

L'administration des affaires de TAlgérie concède 180 hectares de terre 
pour rétablissement de chaque village maritime. Elle accorde en outre un 
subside de 800 francs pour la construction de chaque maison de pécheur, 
composée de deux pièces principales et couverte en tuiles, les concession- 
naires contractant Tobligation d'en construire 20, ayant chacune 50 acres 
attenantes. H est accordé en outre 2,400 francs pour la maison du conces- 
sionnaire chef de Tentreprise; 6,000 francs pour la construction d'un débar- 
cadère provisoire; 100 francs pour l'armement de chaque bateau de deux à 
quatre hoHHnes d'équipage; 200 francs pour l'armement de toute embarca- 
tion supérieure; enfin, 50 francs pour les frais de passage de chaque famille 
de pécheurs. 

D'après le devis le plus approximatif, en portant à dix bateaux et à deux 
grandes barques le nombre nécessaire pour commencer une entreprise d'une 
certaine importance , et en tenant compte des subsides accordés par le gou- 
vernement, le surplus des dépenses ne dépasserait pas 80,000 francs, et dans 
cette somme, je comprends les autres frais de constructions, c'est-à-dire les 
hangards et ateliers pour la salaison, l'achat des bateaux, de leurs agrès, des 
engins et ustensiles de pêche pour les différents arts. 

On peut évaluer à 14 ou 15,000 francs les dépenses annuelles, c'est-à- 
dire les frais de réparation du matériel, ceux de tonnellerie, les fournitures 
éventuelles et les émoluments du tpersonnel d'administration de la pê- 
cherie. 

En prenant pour base des produits de la pêcherie le terme moyen du pro- 
duit annuel d'un bateau de pêche de nos côtes de France, sans tenir compte 
de l'avantage de la position entièrement en faveur de la mer algérienne, on 
peut estimera 7,000 francs le produit de chaque bateau armé pour les petits 
arts, et à 15,000 francs celui de chaque barque destinée aux grandes opéra- 
tions. — Les produits des dix bateaux et des deux barques seraient donc de 
100,000 francs. Or, ces produits étant réglés à la part, d'après l'usage adopté 
par les pêcheurs de la Méditerranée, l'administration de la pêcherie aurait à 
percevoir, suivant ce mode de répartition, ce qui lui reviendrait de droit 
pour le service de ses bateaux et des engins et filets fournis, c'est-à-dire en- 
viron le tiers sur le total des produits; ce qui porterait le bénéfice à plus de 
22 pour 100 du capital, déduction faite de tous Ifô frais. 

Mais il faut faire entrer aussi dans le compte des profits ceux qu'on retire- 
rait de la vente des salaisons, qui ne sauraient être calculés d'avance, attenda 



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PAGODE DE NOR-RUOC. 21 1 

qu'ils seraient subordonnés à la plus ou moins grande quantité de produits 
qu'on pourrait confectionner, suivant les chances de la pèche. 

Quant à l'entreprise de la madrague pour la pèche des thons, on a pu voir, 
d'après ce que j'ai dit plus haut, que la concession d'un poste bien placé se- 
rait d'une très-grande importance par les bénéfices qu'on en retirerait, 
malgré le surcroît de dépenses qu'entraîneraient L'installation de cette pê- 
cherie, l'achat du matériel et les salaires des hommes de service. 

L'avantage que fait le gouvernement dans la concession de 180 hectares 
de terre doit aussi être apprécié, car en réservant lôO hectares pour être 
mis en culture, on pourrait créer une plantation d'oliviers, qui, en quel- 
ques années , donnerait un produit dont on profiterait pour le marinage. 

D'après cet exposé, soit qu'on envisage les pêcheries sédentaires fondées 
sur le littoral algérien sous le point de vue commercial ou dans l'intérêt de 
Taccroissement de notre puissance maritime , on peut apprécier de suite 
toute l'importance de ces établissements. Ne voulant traiter ici que la ques- 
tion économique, je me bornerai , en terminant, à quelques considérations 
qui fixeront l'attention sur les entreprises que mes renseignements pour- 
ront provoquer. 

L'exploitation de la pêche exige bien moins d'avances que le défriche- 
ment et les autres travaux agricoles. Le propriétaire d'une ferme ne peut 
jamais se rembourser de ses frais d'installation. Les bénéfices de la pèche, 
au contraire, couvrent souvent les dépenses de l'armement dès la première 
année. La terre n'a de valeur que celle que les capitaux lui donnent, ses ré- 
coltes ne sont qu'annuelles, on ne peut en espérer les résultats qu'après de 
longs et pénibles travaux , encore faut-il attendre plusieurs mois pour les 
obtenir. La mer, au contraire, est riche de ses produits naturels; c'est une 
mine abondante, intarissable, qui rapporte à l'instant. Là, point d'amende- 
ment d'aucune espèce, point d'engrais à fournir; mais des récoltes joumtf- 
àéres, dans un champ qui s'ensemence de lui-même, et dont la fécondité 
séculaire semble inépuisable. 

S. Brrthelot. 

Paris, mars 1846. 



COCHINCHINE. 

LA PAGODE DE NON-NUOC {DES ROCHERS DE MARBRE). 



La corvette Ty^/c/w^/ic, envoyée par l'amiral Cécille pour réclamer la mise 
en liberté de Mgr. Lefebvre, évêque d'Isauropolis, arrêté par ordre de l'em- 
pereur de la Cochinchine, était mouillée devant Touranne. Quelques offi- 



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212 UEVIJE DE l'oIUEIVT. 

ciers, après l'heureuse issue de la négociation , résolurent d'aller visiter une 
pagode célèbre dans le pays. 

Le 7 juin 1845, à cinq heures, la chambre du grand canot était comble, 
nous nous y pressions dix, déterminés à pénétrer, coûte que coûte, jusqu'à 
la pagode des Rochers de marbre , connue dans le pays sous le nom de Non- 
Nuoc. Nouveaux Argonautes, nous ne marchions [pas à la conquête d'une 
toison d'or : qu'est-ce qu'une toison d*or, auprès des merveilles que la re- 
nommée rapporte de ces montagnes de marbre où, fille de Gia-Long et 
sœur de Ming-Mang, alors roi de la Cochinchine, une vierge vint échanger 
contre les vains bruits de la cour, la voix majestueuse de la mousson dé 
nord-est mugissant à travers les rochers, l'agitation des royales grandeurs 
contre le calme d'une solitude profonde, et le luxe fastueux du trône contre 
les beautés simples et sévères d*un rocher nu, placé entre le ciel et l'eau, 
comme pour indiquer qu'en choisissant ce séjour la sainte fille avait cru 
quitter la terre ! 

A peine apparaissions-nous à l'entrée de la rivière de Hôi-An (Faï-fo), 
que l'agitation se manifesta parmi les soldats à casaque rouge de la garnison 
de Hau (Touranne). Chacun saisit belliqueusement sa hallebarde ou son 
fusil rouillé, et se rassembla pour poser sur notre passage; mais quand no- 
tre canot eut dépassé la hauteur du débarcadère , il s'éleva des deux rives 
un toile de criailleries, accompagné de gestes, les uns impératifs, les autres 
suppliants, de la part de tous les estafiers de la police cochinchinoise , que 
compromettait notre désobéissance aux ordres du roi , lesquels défendent 
aux barbares l'entrée du pays. Vainement avions-nous espéré, en longeant 
de près la rive droite, tromper la vigilance cochinchinoise; les mesures 
étaient prises sur l'un et l'autre bord, et bientôt aux cris impuissants suc- 
céda un déploiement formidable de moyens coercitifs: trois bateaux chargés 
de soldats, et commandés par des officiers , s'élancèrent à notre poursuite, 
d'autres soldats coururent sur les deux rives ; leurs casaques rouges et leurs 
longues hallebardes permettaient à la vue de les suivre de loin à travers les 
champs de riz. 

Maniés par d'habiles rameurs, ces bateaux légers ne tardèrent pas à 
atteindre notre embarcation , qui , quels que fussent les efforts de nos cano- 
tiers pour hâter sa marche, remontait le fleuve avec moins de rapidité que 
de majesté. De près nos paroles, comme de loin nos gestes l'avaient fait, 
ne laissaient aucun doute sur nos intentions formelles de passer outre. En 
vain le chef de la police de Touranne nous indiquait, par une pantomime 
fort expressive, qu'il y allait de sa tète, il n'obtint de nous qu'un sourire 
d'incrédulité et l'offre d'un cigare consolateur, qu'il accepta; puis, sans 
doute pour l'acquit de sa responsabilité , et avec tous les signes d'un désespoir 
joué, il lança son bateau sur l'avant du nôtre; mais comme effrayé aussitôt 
de cet acte d'audace, il se hâta de fuir et nous céda le fleuve, où , fier de sa 
victoire, notre canot s'avança alors dans sa force et dans sa liberté vers la 
terre des merveilles. Toutefois nous n'étions pas hors d'affaire : n'avions- 
nous pas, sans compter les risques d'échouement dans des eaux qui nous 



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PAGODE DE NON-NCOC. 213 

étaient iocoiiDues et la manœuvre de deux jonques de guerre qui cher- 
chaient , fort inutilement il est vrai , à nous barrer la rivière , n'avions- 
nous pas, dis-je, à craindre au di^barquement la résistance de cette foule 
de soldats qui couraient le long du fleuve , avec cette énergie inspirée par le 
bambou , et assurément digne d'un meilleur sort ? Mais nous avions le se- 
cret du mot d'ordre du gouvernement cochinchinois , et personne ne ^ 
préoccupa sérieusement de cette difficulté. 

Sur notre gauche, la rivière commence à former plusieurs lies basses; 
grand embarras pour le choix du chenal ; il faut compter sur notre bonne 
étoile, et puis les Rochers de marbre ne sont plus bien loin ; on les voit très- 
distinctement ; nous touchons au terme de notre navigation. Il ne nous 
manque bientôt plus qu'un débarcadère pour franchir les bords vaseux de 
la rivière; nous le devinons, et nous prenons terre près d'une masse ro^ 
cheuse dont le pied plonge dans la rivière, en formant plusieurs arceaux à 
jour, tandis que sa tète altière porte, en caractères rouges, l'inscription sui- 
vante : grande montagne de feu {san-fo-yang). 

Notre attention s'arrête un instant sur l'espèce de roche qui nous en- 
toure, et dans laquelle nous reconnaissons un marbre dont la beauté le dis- 
puterait à celle des marbres statuaires de Carare et de Paros; chaque coup 
de marteau nous révèle des variétés comparables à celles qu'offrent les 
Alpes et les Pyrénées, depuis le blanc pur jusqu'au veiné de noir, de jaUne, 
de rose, de vert , etc.; mais le moment n'est pas venu de poursuivre cet exa- 
men , il réclame les loisirs de la paix , et nous entrons en guerre. 

Formés en colonne serrée, nous poussons aux casaques rouges, qui ont 
pris position sur un col qu'il nous faut traverser ; notre bonne contenance 
^t quelques coups de coude, en triomphant, comme toujours, de la force 
d'inertie que nous opposent ces automates, nous ont bientôt ouvert l'entrée 
d'une plaine de sable blanc, entourée de six monts calcaires. Là, le soleil 
reflété nous dardait, gardien bien autrement terrible que ces pauvres sol- 
dats, ses mille traits de feu; mais rien ne devait tempérer notre ardeur : 
ce fut donc au pas accéléré que nous traversAmes cette fournaise. Le gong 
cochinchinois nous marquait ta mesure. Le gong rendait ce jour-là ses glas 
les plus perçants pour appeler la population en masse à la défense des lieux 
saints. Des paysans, armés de longues perches en bois, débouchent de par- 
tout dans la plaine au bruit de ce tocsin. 

Nous nous dirigeâmes avec résolution vers la position à enlever, nous 
forçâmes les rangs pressés de cinquante soldats postés, la lance au poing, 
sur le grand escalier de la pagode. Cette position enlevée , les vainqueurs et 
les vaincus , satisfaits les uns des autres et désormais en paix, gravirent 
péle-mèleces rampes de marbre, dont les belles proportions nous initiaient 
déjà aux beautés qui devaient plus loin nous ravir d'admiration. Sur le 
flanc du rocher étaient gravés ces quatre caractères chinois : Ti pi thian 
toung^ qu'un jeune sinologue de la compagnie nous traduisit ainsi : grotte 
du ciel, de la mer et de la terre. 

Un dernier obstacle nous restait à franchir. Les trois portes de la cour 



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214 RETUE DE l'orient. 

d'^trée delà première pagode extérieure étai^t barricadées. A Tescalade! 
s'écrie- t-on, et déjà trois d'entre nous ont franchi le mur d'enceinte et dé- 
gagé Tune des portes d'entrée , sur le fronton de laquelle on lit : mon-taU" 
son (porte troisième en dignité ). Le gros de notre bande s'y précipite et se 
répand dans les deux bâtiments qui occupent, Tun le fond de la cour, l'au- 
tre la partie gauche. Ce dernier porte l'inscription suivante : Kong ching ti 
pt thian toung ( pagode consacrée au ciel , à la mer et à la terre ). Ces deux 
édifices sont destinés au culte du dieu Foo. L'architecture extérieure, comme 
la décoration intérieure , en sont fort mesquines. La statue dorée du dieu 
du Plaisir occupe le mattre-autel du fond. Ce dieu est représenté, comme 
en Chine, sous la forme d'un vietllard obèse, assis, et riant de ce rire 
ineffable, inconnu ou méchant ; tout rit dans cette personnification du 
plaisir, jusqu'au gros ventre nu dont on croit voir les tumultueux soubre- 
^Mts. Des fleurs ornent l'autel , et la paresse des bonzes les a faites artifi- 
cielles, dans ce pays perpétuellement fleuri. Sur l'autel de devant sont six 
-écrans , ornés de peintures représentant des vierges assises sur des animaux 
fabuleux; puis on remarque à droite la cloche dont le tintement accom- 
pagne la prière , et à gauche la grosse caisse destinée au même usage. Sur 
un petit autel latéral sont placés les divers engins destinés à consulter le 
sorf : telles sont la racine courbe de bambou fendue en deux et les baguettes 
numérotées, dans la combinaison desquelles le dieu Foo se révèle aux 
croyants. 

Derrière ces deux édifices , construits au milieu du col formé par deux 
puissantes masses de marbre , se trouve à cent pas , à droite, un petit cou- 
loir souterrain dans lequel nous nous engageons et qui nous conduit, non sans 
quelques difficultés , dans une jolie grotte, dont les parois de marbre blanc 
s'arquent en voûte de cloître élancée; elle reçoit la lumière du jour par un 
soupirail circulaire ouvert à la partie supérieure. Cette inscription y est 
gravée sur le marbre , en caractères rouges : Tdur^ tong ouen ( grotte lais- 
sant passer les nuages; ou autrement, grotte des pluies), et l'eau qui suinte 
sur les parois explique parfaitement son nom. 

Dans un cartouche de forme carrée est une autre inscription en carac- 
tères plus petits, fort difficiles à déchiffrer. Enfin quelques noms tracés sur 
le mur, en lettres eui^opéennes et incomplètement effacées , attestent que 
cette grotte est celle que l'on a fait visiter aux voyageurs qui ont eu autrefois 
la naïveté de recourir à l'autorité locale pour voir la pagode des Rochers de 
marbre; la permision qu'ils obtinrent alors, on ne l'accorde plus aujour- 
d'hui, et la dernière fois qu'elle fut donnée, il y a de cela quinze ans, elle 
attira sur l'imprudent mandarin qui l'octroya une rigouneuse bastonnade, 
l'empressement que les Cochinchinois mirent à nous indiquer ce lieu prou- 
vait te peu d'importance qu'on y attache , et le désir de détourner ainsi 
notre attention des autres pointas; mais notre insatiable curiosité devait, 
dans ce jour, d rouler tous les calculs. En tournant à droite, npus nous 
trouvâmes vis-à-vis d'uu grand portique, taillé de main d'homme dans le 
marbre. 



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PAGODE DE NOn-NCOC. 215 

Un escalier nons conduisit à un joli belvéder posté, comme une vedette, 
sur ie bord d'un rocher escarpé. La vue s'étend au loin sur la mer; vers la 
droite, Tlle de Gallao-Cbam semble sortir du sein des eaux, comme pour 
reposer les yeux fatigués par l'immensité du tableau. Des dunes de sable sé- 
parent, dans l'espace d'un demi-mille, la mer du pied du rocber ; quelques 
pauvres pécheurs y ont élevé leurs chétives cabanes, abri que la misère 
protège peut-être contre l'insatiable rapacité des petits mandarins. 

Au milieu de ce belvéder s'élève verticalement une longue pierre de grès , 
placée sur un socle; au centre sont ces trois caractères : Taî hai mon (tour 
de la vue de la mer); à gauche sont inscrits, en plus petits caractères, les 
mots suivants , placés verticalement : 

Co Ji ki genci thsi nian pachi Mang-IUlng. 

Terminé jour heureux mois 7* année 18® Mang-Ming. 

Cette inscription, qu'il faut lire de droite à gauche, comme toute écri- 
ture chinoise, fait connaître que la pagode sainte a été terminée la dix-hui" 
tiéme année du règne de Mlng-Mang, le septième mois , jour heureux, A 
droite, en haut de la pierre, sont encore ces deux caractères : Tckhi ise (pré- 
sent royal). 

Ainsi cette pierre est destinée à transmettre à la postérité la date de l'a- 
chèvement des travaux que fît exécuter Mi ng-Mang. La main de l'hoiipme 
a su respecter religieusement tous les jeux d'une nature bizarre , et moins 
elle s'est montrée, plus l'œuvre a conservé de vraie grandeur. Mais si l'art 
n'a pris qu'une faible part aux merveilles qu'offre cette montagne , espèce 
de bloc de marbre percé à jour dans tous les sens, et comme évidé par les 
mains de la nature, il a du moins pu lui donner une destination digne 
d'elle, et qui double le prestige dont l'imagination l'entoure, en la consa- 
crant au dieu suprême des cieux, de la mer et de la terre. Aussi , de quelles 
mystérieuses inspirations ne se sent-on pas pénétré en parcourant ces grottes 
profondes , situées entre le ciel et l'eau. Le roi Ming-Mang, cet esprit fort, 
ce profond politique, venu pour rendre visite à sa sœur dans la sainte re- 
traite qu'elle avait choisie pour finir ses jours, ne put soustraire son âme 
aux puissantes impressions de ces lieux ; il comprit qu'il lui appartenait , à 
lui le fils du ciel, de compléter l'œuvre de la nature en rendant ces mer- 
veilles accessibles à l'homme; mats, architecte de goût, il ne chercha pas à 
lutter avec elle de prodiges, à la mettre aux prises avec l'art, si grand dans 
les petites choses, si mesquin quand il s'adresse à une montagne. Il se borna 
à créer des communications faciles entre ces cent grottes; et, grâce à lui, 
nous pûmes, en quittant le belvéder, descendre commodément à l'habiia- 
tion des bonzes qui veillent et prient dans ce séjour. Nous nous arrêtâmes à 
leur porte pour y lire cette inscription : Fangchang (bonze). Notre arrivée 
jeta ces saints personnages dans le trouble et l'émoi. Ceriains êtres, qui n'a- 
vaient rien de masculin dans la démarche, se glissèrent comme des ombres 
légères derrière les paravents, puis disparurent dans la profondeur des 
appartements secrets , et nous crûmes comprendre que ces bons pères ne 
passaient pas tout leur temps à dire leur chapelet. 



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216 REVUE DE LORiEirr. 

Leur toit hospitalier nous offrit pendant un instant un abri contre les 
ardeurs du soleil ; et, sur notre refus d'accepter du thé, on nous servit une 
eau délicieuse. Pour reconaattre ce bienveillant accueil, Tun de nous fit 
l'offrande au bonze supérieur de quelque argent , que ce dernier promit 
d'employer en ferventes prières à Dieu. 

Une longue allée , resserrée entre des murs de rochers où serpentaient les 
lianes, nous conduisit de là dans une salle à ciel ouvert , au fond de laquelle 
est une petite pagode consacrée au divin Confucius, ce prince des philo- 
sophes , qu'inspira la sagesse de Dieu. Son autel était surchargé de statuettes 
représentant ses principaux disciples. 

Sur la gauche , deux autres excavations profondes nous conduisirent dans 
une suite interminable de grottes longues à parcourir, et plus longues en- 
core à décrire, mais tontes consacrées, par des ornements religieux ou des 
inscriptions , au culte du dieu Foo. 

De retour sur nos pas , et après avoir dépassé la maison des bonzes , nous 
jetâmes un coup d'œil sur Fescalier qui conduit à la porte de sortie de la 
pagode vers la mer. 

Les heures s'écoulaient inaperçues parmi ces palais féeriques, qui réali- 
saient à nos yeux; les merveilles des contes des iîiUe et une nuits, et déjà le 
soleil avait presque atteint la moitié de sa course. 

Ifous nous hâtâmes de regagner notre canot, où un bon déjeuner nous 
attendait. 

Gomme nous comptions nous arrêter au village deTouranne, nous pres- 
sâmes notre départ, et à trois heures et demie, nous rendions le calme et 
la tranquillité â ces pauvres soldats cochinchinois, qui n'avaient pas cessé 
d'être sur le qui-vive, et qui regagnèrent, harassés de fatigue, leurs foyers. 

J. IVAlt. 



DES INSTITUTIONS LITTERAIRES EN CHINE, 

ET DE LEUR ACTION SUR LE GOUVERNEMENT. 



Les institutions littéraires sont, sans contredit, les bases les plus solides 
de la stabilité du céleste empire. Les forces militaires sont tout â fait 
incapables de contenir, soumises â l'unité, les nombreuses et considé- 
rables contrées qui constituent aujourd'hui la domination de la dynastie 
régnante; même c'est â grand'peine si les armées tartares ont conquis au- 
trefois , une â une, ces vastes provinces et se sont poussées vers l'ouest et le 
sud, dans la Chine proprement dite. Depuis les temps de la conquête, la 
discipline militaire déclina dejourenjour,età cette heure les armées im- 
périales ne sont plus formidables que par les colonnes pressées des chiffres 
qui les représentent. Les insurrections récentes de Lien-Ghow etdeFormosa 



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DES INSTITUTIONS LITTÉRAIKES EN CHINE. 217 

ODt prouvé de la manière la plus évidente la complète nullité des armées 
chinoises, non-seulement dans cette partie de Tempire, mais tout le long 
des côtes, jusqu'à la grande muraille, vers te nord, et même au delà de 
cette muraille. Dans laTartarie-Mantchou, 1^ démoralisation des troupes 
de terre et de mer est complète, et le gouvernement ne peut plus , depuis 
longtemps déjà, compter ces armées de fuyards comme une force réelle, 
comme un soutien. 

Bien des historiens ont regardé avec étonnement l'imposante grandeur de 
l'empire chinois , et ils se sont figuré que tout l'empire reposait sur des 
bases non moins indestructibles que ses éternelles montagnes. 

Une étude plus approfondie de l'histoire du passé et de l'organisation ac- 
tuelle nous enseigne, au contraire, que plus d'une fois cet empire a été ren- 
versé ou bouleversé par des chefs rebelles, des hommes d'Etat malhabiles , et 
que sa force d'aujourd'hui ne doit être attribuée qu'à l'influence incroyable 
de ses institutions littéraires. 

Il faut en convenir, dans chaque pays de l'Europe chrétienne les sciences 
et la littérature, bien qu'elles fassent l'ornement et la gloire des peuples, 
n'ont pas une influence très-directe sur la force et l'action des gouverne- 
ments. Chez les peuples civilisés, la grande fortune, la grande naissance et 
les grandes relations conduisent plus promptement aux honneurs que les 
talents, le vrai mérite. Chez les Chinois, au contraire, les institutions litté- 
raires sont telles, que la carrière publique est complètement fermée à tout 
hommequi n'est pas lettré à un certain degré. On ne devient un homme 
public qu'après avoir acquis un premier grade, et chaque progrès dans la 
hiérarchie est marqué par un degré littéraire plus élevé, auquel il faut 
marcher par un nouvel examen. Aucun Chinois ne peut occuper des fonc- 
tions élevées dans l'empire s'il n'a été lettré par les administrateurs du 
gouvernement; ces littérateurs eux-mêmes ont été choisis exclusivement 
parmi les lettrés; les hommes d'Etat et tous ceux qui sont grands et puis- 
sants en Chine par les talents et les dignités sortent des examens littéraires. 
Ce sont assez généralement des hommes du peuple, que de longues années 
de travail et d'étude ont élevés au commandement. Fils de leurs œuvres, 
ils ont appris de bonne heure à aimer et à défendre ces mêmes institutions 
lorsqu'ils sont parvenus à la tête de l'État. Ainsi s'est fondée, sur la recon- 
naissance et sur le respect , la lente puissance des institutions littéraires. 

Un mot sur la façon dont se régissent ces importantes institutions. 

De sévères examens, réglés par un code de lois spéciales, ont été institués 
en Chine pour arriver à bien se rendre compte du vrai talent des masses et 
l'appliquer ensuite aux emplois du gouvernement. Ces examens, qui sont 
ouverts à tous, excepté aux domestiques, aux licteurs, aux comédiens et 
aux prêtres, servent à déterminer quels seront les sujetsqui s'élèveront aux 
honneurs, etceux qui devront retourner dans l'obscurité native pour vivre 
et pour mourir oubliés. Jamais les compétiteurs aux jeux olympiques n'en- 
trèrent dans l'arène , devant leurs concitoyens assemblés , avec une émotion 
plus vive et plus profonde que celle qui fait battre le cœur des candidats à 



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218 RETtE DE l'orient. 

la palme littéraire. Les jours solennels de ces examens et de la proclamation 
de leurs résultats sont les époques les plus glorieuses de la ville de Canton. 

Les examens des plus hauts degrés littéraires se passent à Pékin , tous 
les trois ans ; indépendamment de ceux-là, il y en a d'autres qui sont accor- 
dés par faveur spéciale de Tempereur. Les écoliers les plus distingués se 
hâtent d'accourir de toutes les provinces de l'empire à ces examens; mais 
l'admission à concourir ne s'obtient pas facilement : il a fallu, au préa- 
lable, de longs et pénibles efforts pour être admis devant ce redoutable trir 
bunal, et déjà , par d'autres examens triennaux , l'aspirant a été préalable- 
ment jugé digne de s'y présenter. Ces derniers examens sont passés dans la 
métropole de chaque province. 

Les examens ont un immense intérêt poiir un grand nombre de per- 
sonnes: c'est le point de départ de toutes les ambitions légitimes, c'est le 
grand chemin qui mène à la fortune et aux honneurs. 

Deux examinateurs sont choisis à Pékin , sous le contrôle immédiat de 
l'empereur, parmi les fonctionnaires les plus distingués, ils doivent se met- 
tre en route cinq jours après leiir nomination ; ils ont à leur disposition les 
chevaux des postes du gouvernement. Aux examinateurs qui vont à Can- 
ton on accorde 600 taëls ( 4,800 f. ) de frais de route; ils en reçoivent 200 
en partant, et le surplus leur est remis par le gouverneur de la province 
lorsqu'ils s'en retournent après avoir rempli leur mission. A ces deux exa- 
minateurs on en adjoint dix autres, choisis parmi les fonctionnaires de la 
province; ces derniers sont présidés par le foo-yuen ( lieutenant-gouver- 
neur ). Outre ces divers examinateurs, il y a une foule d'autres officiers 
inférieurs employés dans ces occasions comme inspecteurs, gardes, etc. 

Toutes ces personnes, avec les candidats et leurs parents , s'élèvent à en- 
viron dix mille et s'assemblent au Kung-Yuen , grand et spacieux édifice 
qui est consacré exclusivement à cet usage. Ce bâtiment contient un grand 
nombre de cellules, de façon que chaque candidat se trouve isolé de ses 
compétiteurs. Chaque cellule est numérotée. Entré là , on vous enferme ; 
vous avez pour tout meuble un pupitre, une chaise.... et votre génie quand 
il y a du génie.. 

Les candidats, leurs parents et leurs amis , qui s'assemblent à Canton , y 
restent pendant plusieurs semaines, et augmentent à cette époque le mou- 
vement et l'activité de la ville. Ces candidats sont, en général, des jeunes 
gens de distinction et de mérite qui ont conquis leur position à la pointe de 
leur esprit ; on les appelle sew-tsae ( titre assez semblable à celui de bache- 
lier es lettres), mais ils sont divisi's en plusieurs classes; une classe, la 
moins estimée , renferme les jeunes gens riches qui ont passé leurs pre- 
miers examens à force d'argent. 

Les candidats se réunissent à la huitième lune ( huitième mois ) ; mais 
nul ne peut entrer en examen s'il n'a été préalablement enregistré sur les 
listes du chancelier littéraire de sa province; Tâge, le signalement, le lieu 
de résidence, le lignage de chaque candidat , sont donnés dans les ll.stesdu 
chancelier, et la copie du signalement est déposée dans les bui^aux du Heu- 



DES INSTITUTIOBIS UTTÉRâlRES EN CHINE. 219 

tenant gouverneur. Chaque candidat doit passer ses examens dans sa pro- 
vince natale, et ceux qui font une fausse déclaration de leur famille et du 
lieu de leur naissance sont à Tinstant dégradés et renvoyés , car aucun can- 
didat ne peut être admis à un examen sans prouver préalablement que sa 
famille habite la province depuis trois générations , condition qui parait 
aussi sévère que difficile à établir. 

Les examens se continuent tous les jours, durant lesquels chaque candidat 
subit différentes épreuves. La première épreuve se fait le neuvième jour de 
la lune , la seconde le douzième jour , et la troisième le quinzième jour. Les 
candidats entrent e/i /ôg;e» comme on dirait chez nous , le jour même qui 
précède les examens , et ils y restent jusqu'après le jour désigné à l'arrêt 
des juges. Le premier jour des examens, trois tjïèmes choisis dans les quatre 
livres leur sont soumis, et ils doivent en donner le but et le sens. On leur 
donne encore ce jour-là un quatrième thème, sur lequel ils doivent faire un 
petit poëme en vers. 

Le deuxième jour, on leur propose un thème tiré de chacun des cinq clas- 
siques, et le troisième jour ils ont à résoudre cinq questions relatives à This- 
toire ou à l'économie politique du pays. Les thèmes doivent être sentencieux 
€t avoir une signification lucide et profonde. Les questions ne doivent pas 
être les mêmes que celles qui ont déjà été discutées. Les sujets à traiter ien 
vers doivent être graves et importants. Dans les thèmes pour essai d'éco- 
nomie politique, les principales questions doivent rouler sur des sujets 
d'une utilité réelle et importante, et d'une nature précise, évidente, correcte. 
Toutes les questions qui pourraient s'appliquer au caractère ou aux talents 
des hommes d'État de la dynastie régnante sont écaMées avec soin. 

Le papier sur lequel les candidats écrivent leurs thèmes et leurs essais est 
préparé spécialement pour cet usage, et doit être examiné dans les bureaux 
do Poo-ching-sze ( trésorier ou receveur général de la province ); ce doit 
être un papier d'un grain ferme et épais ; on ne peut en employer d'autre, 
et son prix est fixé par l'autorité. Les lignes écrites par les candidats sur 
ce papier doivent être droites et tous les caractères corrects et beaux. A la 
fin de chacune des feuilles contenant des compositions en vers ou des ré- 
l)onses à des questions proposées, le candidat est obligé de déclarer combien 
il a effacé ou altéré de mots dans cette feuille ; et si le nombre de ces mots 
dépasse cent, l'élève est tsee-chuk ^ ce qui signifie que son nom sera affiché 
au-dessus des portes de la salle, comme s'étant rendu coupable de violation 
d'une des règles établies pour les examens, et qu'il est expulsé des examens 
de cette année. 11 y a généralement une centaine de candidats et même 
plus qui sont renvoyés des examens de Canton pour s'être rendus coupables 
de quelques contraventions aux rèj^lements. 

11 est défendu aux étudiants de s'enivrer et de commettre les plus légers 
désordres pendant toute la durée des examens; aucune relation d*amitié, 
correspondance, échanges de repas, n'est permise pendant le même temps 
entre les examinateurs et les parents des candidats. En entrant dans la 
première porte du Kung-Yuen , chaque élève inscrit son nom sur un re« 



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220 R£TIIE DE l'ORIEIXT. 

gistre qui y est tenu à cet effet, et si on s'aperçoit plus tard que ce nom a 
été faussement écrit, Fofficier qui surveille le registre est immédiatement 
envoyé devant la cour des enquêtes pour y être interrogé, et si on découvre 
que le candidat s'est servi d'une autre personne pour composer ses thè- 
mes, etc., il est arrêté avec son complice, mis en jugement et vigoureusement 
châtié. Bien plus , le candidat , en entrant dans le Kung-Yuen , est fouillé, 
et si on trouve sur lui quelques thèmes préparés, ou quelque copie en mi- 
niature des classiques, il est condamné à porter la cangue (collier fait d'une 
grosse pièce de bois ) , dégradé de son rang de sew-tsae ( bachelier es lettres ) , 
et déclaré pour jamais incapable de se présenter comme candidat aux hon- 
neurs littéraires : son père et son tuteur sont eux-mêmes poursuivis et punis. 

Parmi les milliers de candidats assemblés à Canton pour les examens, 
soixante et onze seulement sont élus et promus au degré de keu-jin. Les 
noms de ces derniers sont publiés dans une proclamation vers le dixième 
jour de la neuvième lune, vingt-cinq jours après les examens; pendant cet 
intervalle entre Texamen et la proclamation , les examinateurs font leur 
travail et désignent les candidats admis. Quand la proclamation a été re- 
vêtue des signatures requises, elle est affichée dans les bureaux du foo-yuen 
(lieutenant-gouverneur), puis, à l'heure dite, trois coups de canon sont 
tirés , et au même instant le lieutenant-gouverneur sort de son palais , la pro- 
clamation à la main; il s'avance vers les candidats assemblés; il iitlesnoms 
des élus au degré littéraire de keu-jin, qui signifie homme promu, les salue 
chacun à son tour pendant une seconde salve de trois coups de canon, et, ceci 
fait, il rentre dans son palais au bruit d'une troisième salve de trois coups. 

Un grand banquet , présidé par l'examinateur en chef et le /"oo-T-iieit , est 
donné aux lauréats ; on les comble d'éloges , et on envoie leurs noms , leurs 
thèmes et leurs diverses épreuves à l'empereur. 

Il y a trois autres examens à Canton, qui ont lieu deux fois en trois ans. 
Le premier est subi par les étudiants des heens , ou districts de Nan-hae et de 
Pwan-yn; ce sont \t^che-hens ou préfets de ces districts qui président. Le 
second, qui a lieu pour tous les élèves des ^enj (districts ) du département 
de Kwang-Chow-Foo ; c'est le che-foo^ préfet général du département, qui le 
préside. Enfin le troisième, qui est passé par tous les étudiants de la province, 
est présidé par le chancelier littéraire; à ce fonctionnaire seul appartient la 
prérogative de conférer le degré àtsevv-tsae (bachelières lettres), mais à un 
nombre très-limité choisi parmi les candidats les plus distingués. 

Ces trois examens ont pour objet de préparer les étudiants aux grands 
examens triennaux. 

Il est à remarquer que ces différents examens sont ouverts à des hommes 
de tout âge; et tel est le respect, l'amour des Chinois pour les honneurs litté- 
raires , qu'il n'est pas rare de voir un vénérable candidat de quatre-vingts 
ans, soutenu par son fils et par son petit-fils, venir apportera l'examen sa 
longue expérience à la science juvénile. 

' C. DE MomiGiiY. 



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EMPIRE DES BARMANS. 

Neuvième article. -^ Voir page 97. 



ZZItX. — Frodnetîoni végétales et minéralei. — Animaiiz. 

Excepté le soufre, le cuivre, et quelques-uns des métaux les moins com- 
muns ou connus, et quelques drogues médicinales qui viennent de Tinté- 
rieur, le royaume des Barmans possède tout ce qui est nécessaire à ses 
habitants, tant pour la nourriture, rhabillement et Thabitalion ; non-seu- 
lement ils y trouvent les productions, les matières de première et seconde 
nécessité, mais encore la majeure partie de celles qui servent. à tous leurs 
usages: de sorte que si les Barmans étaient industrieux comme le sont les 
Chinois , les ouvrages et les produits de leurs manufactures n'auraient rien 
à envier à ceux de la Chine. 

Le fer, ce métal tant nécessaire aux ouvrages'des hommes, et qui joue un 
si grand rôle dans le développement de l'industrie et dans ses progrès, est 
très-abondant dans tout le royaume et d'une qualité supérieure ; celui que 
fournit une mine située dans le voisinage de Miédu égale l'acier pour sa du- 
reté. Les mines les plus exploitées se trouvent près de la ville de Proum. 

La quantité de piomb que l'on trouve dans le pays des Sciams est pro* 
digieuse. L'étain, qui peut suppléer au manqua de cuivre, est aussi très- 
abondant, surtout dans le Tavoy. 

L'or, si recherché en tous pays, se recueille en petite quantité dans les 
sables de quelques torrents. Dans un lieu voisin de Rangoun, dans la rivière 
CUtaun^ et dans celle de Pegu ou Bago, et dans une autre au-dessus de 
Proom , on trouve des sables pareils : il en est de même dans un endroit 
situé au nord de l'ancienne ville d'Ava. On peut conclure de là que dans 
les collines et les montagnes où ces torrents et ces rivières prennent leur 
source , il doit se trouver assurément de riches mines d'or ; en d'autres 
endroits, on trouve encore les mêmes signes évidents qui en démontrent 
l'existence , mais personne n'ose y faire de tentatives , parce qu'il faudrait 
avoir à souffrir tant de surchai^es d'impôts pour les parts du roi et de la 
cour, que l'on se verrait obligé d'abandonner avec perte l'entreprise. 

Dans tout le royaume, la consommation de For est excessive ; non-seule- 
ment pour les bracelets , les bagues , les rouleaux pour les oreilles et autres 
ornements que les personnes des deux sexes ont l'usage de porter, mais 
beaucoup plus pour les dorures des baos , de quelques autres édifices publics, 
et spécialement des pagodes, lesquels, étant toujours exposés à la pluie et à 
l'intempérie de l'air, ont fréquemment besoin d'être réparés et redorés. On 
peut facilement comprendre que l'or qui se ramasse dans les torrents ne 
peut suffire au nécessaire, et la majeure partie de celui qui se consomme 
dans le pays vient de la côte de Malaca, de la Chine , et d'autres lieux. 



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222 tUSVtE DE l'ORIERT. 

L'argent se relire des mines qui se trouvent à Torient de Canton, vers ta 
province de la Chine appelée le Funan, dans te pays des Sciams; quoi- 
qu'elles soient dans le royaume barman , ces mines sont exploitées par des 
Chinois. L'argent s'y trouve en aboDdance, et suffirait au delà du néces* 
saire des habitants, si les Chinois, d'une part, et de l'autre les commer* 
çaiits qui viennent dans les ports du Pégu , malgré les prohibitions sévères, 
n'en transportaient beaucoup en dehors du pays. Dans le voisinage de ces 
mines se trouvent des crisiailisaiions de diverses couleurs, avec lesquelles 
les Chinois font de petites idoles et autres ouvrages : il y en a une qui est 
verte, et parait être une espèce d'émeraude. 

Les Barmans sont généralement imbus des préjugés de l'alchiiiile,et il 
n'y en a aucun qui ne croit à l'existence de la pierre pfailosopbale, et que les 
métaux communs, au moyen de quelques préparations, ne puissent être 
convertis en or ou en argent. Pour avoir une idée de leur ft>lie en cette ma- 
tière, il suffit de dire seulement que parmi les choses qu'ils assurent être 
bonnes pour cette transmutation, ils citent premièrement Vajeché, ((ui veut 
dire vin dxurci et pétrifié; et ils sont tant persuadés de l'existence de ce vin , 
que le roi Badonsachen et ses fils en ont différentes fois recommandé la 
recherche aux étrangers, afin de s'en procurer. Beaucoup de mandarins 
et de personnes aisées, encore aujourd'hui , consument tous leurs biens à 
faire des préparations chimiques pour arriver à celte trans^rmation , et il 
n'est pas rare, comme il est arrivé souvent en Europe, de voir des per- 
sonnes se ruiner totalement par suite de cette passion. Souvent il s'est pré* 
sente des imposteurs qui ont non-seulement promis , mais encore fait voir 
au public qu'ils savaient transformer le plomb en argent et iecuivre^n or. il 
s'en est présenté un , entre autres , qui réussit jusqu'à tromper Badonsachen ^ 
beaucoup de personnes de la famille royale et des principaux mandarins; 
mais ensuite, avec le temps, son artifice fut découvert : il consistait tout à 
fait de façon que dans l'instant que le plomb fondait , il le faisait couler par 
un conduit caché au dessous d'un morceau d'argent, et il paraissait ainsi 
que le premier métal était vraiment transmtité ; mais à la fin, ne pouvant 
restituer l'argent qu'il avait pris à diverses personnes, son imposture vint 
au jour, et il en paya la peine avec sa tète. Cependant le peuple resta per- 
suadé que cet homme était mis à mort non à cause de sa tromperie, mats 
bien parce que le roi voulait profiter seul du secret qu'il lui avait extorqué 
avec des menaces ou avec des présents. 

A l'égard d(^ pierres précieuses, on trouVe dans le pays quelques saphirs 
et topazes bruts, mais beaucoup plus de rubis; ceux du royaume des 
Barmans sont les plus estimés de tous, à cause de leur feu et de leiir clarté. 
Les mines dans lesquelles on les trouve sont dans le pays de Palaon et de 
Koé; le roi y tient des inspecteurs avec des gens armés; toutes les pierres 
qui se trouvent d'un certain poids et d'une certaine grosseur se réservent 
pour lui, et il y a peine de mort pour ceux qui cachent, vendent ou achè- 
tent ces rubis réservés. Il y a aussi des mines d'ambre jaune, avec lequel les 
Barmans font divers ouvrages et des. bas-relief^. On trouve beaucoup d'al- 



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tmPmt DES B4HnuHâ. 223 

bâtre'daDS les collines qui sont situées vis-à-vis de la ville d'Ava, et il ne 
s'emploie que pour faire des statues de Godama. 

Dans tout le royaume on recueille une très-grande quantité de nitrate de 
potasse ( salpêtre ) , qui se vend à vil prix ; ainsi , par exemple, pour ô francs 
on peut en acheter jusqu'à 150 kilogrammes. Il est défendu aux navires de 
le transporter hors du pays. 

Dans un grand étang qui se trouve dans le voisinage de Rangoun, 
abonde un sel qui est un mélange de nitre, de vitriol et d'alumine, avec 
lequel on pourrait faire des préparations utiles aux arts et à la médecine. On 
trouve de tous côtés, dans l'A va, une certaine terre alcaline que les Bar- 
mans appellent xappià, qui est employée pour blanchir les toiles. 

Au-dessous de la ville de Pagan , il y a un village où se trouvent des mares 
d'eau, produisant une quantité surprenante de pétrole, que les Barmans 
appellent huile de terre ; ce pétrole est très-épais, et a l'odeur forte et désa- 
gréable. On le transporte dans toutes les parties du royaume; il sert pour 
Féclairage, mais il est nécessaire de prendre beaucoup de précautions, 
parce qu'il est facile à s'enflammer; il sert aussi à enduire presque tous les 
ans les maisons faites avec des planches de bois de tech, auxquelles il 
donne du lustre et qu'il conserve ; le plus grand emploi s'en fait à Rangoun 
et à Bassim , parce qu'il s'emploie au même usage que le goudron pour l'en- 
tretien des navires; sa couleur est un peu noire. De Rangoun, on le trans- 
porte dans les ports de la côte de Coromandel et dans le Bengale. 

Le royaume est, en général , de la plus grande fertilité. Comme dans toute 
l'Inde, le riz est le principal aliment; les Barmans en ont de diverses espèces, 
tant pour le goût que pour la couleur et la forme ; ils en ont de couleur 
rougeàtre; les meilleures sont parmi les blancs, particulièrement celle qui 
à le grain fin et une légère odeur de musc. Du riz trempé dans l'eau ils dis- 
tillent une liqueur spiritueuse qui fait leurs délices , quand le roi leur permet 
d'en boire. Cette liqueur est d'un grand usage chez les Carians, nation qui, 
comme il a été dit précédemment , habite les forêts du Pégu. Les Barmans, 
ainsi que les Chinois et les Siamois, font , mais avec beaucoup moins de per- 
fection , beaucoup de petits ouvrages avec la pâte de farine de riz. 

Dans l'Ava, le froment est d'excellente qualité et croit parfaitement, 
quand il est semé dans les terrains qui avoisinent le fleuve, après qu'ils 
ont été pendant environ trois mois couverts par les eaux. Aussitôt que les 
eaux se sont retirées, ron sème immédiatement le blé, et il est récolté 
dans le mois de février : il rend ordinairement 40 pour un. Outre le fro- 
ment, le royaume produit beaucoup de sortes de grains, entre autres un 
que les Barmans appellent piaun, et qui est à peu près semblable au maïs; 
il est rond, et de la grosseur d'un petit pois : dans certains endroits on le 
prépare comme le riz , il a plus de substance que lui , mais n'en a pas la sa- 
veur. Les Barmans ont touies les espèces de haricots connus, et tous les 
légumes d'Europe viennent parfaitement dans toutes les parties du royau- 
me, et ils en ont des espèces qui nous manquent. 

Les Barmans cultivent beaucoup le sézame, dont le grain , gros environ 



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224 REVUE DE l'orient. 

comme celui de la moutarde, leur fournit une huile excellente, non-seu- 
lement pour l'éclairage, mais encore pour la friture et pour Tassaisonnement 
des aliments ; cependant ils la trouvent échauffante. 

Les fruits sont à peu près les mêmes que ceux des autres parties de Tlndé, 
et ils en ont quelques-uns d'assez savoureux que Ton ne trouve pas dans les 
contrées voisines. Vers le milieu du siècle dernier, un Français , établi dans 
k capitale d'Ava, planta de la vigne qui produisit du raisin, qui étant en 
maturité avait une médiocre saveur; il est probable que si on prenait le soin 
de la cultiver dans les parties les plus septentrionales du royaume, on ob- 
tiendrait de meilleurs résultats. 

Parmi les arbres les plus utiles du pays après le tech, dont les forêts sont 
remplies , on peut placer le cocotier et le palmier. Tout le monde con- 
naît les usages auxquels on peut employer le premier et toutes les parties 
de son fruit. Le palmier n'est guère moins utile aux Barmans ; comme les 
Hindous, ils font des incisions dans le tronc de Tarbre, et ils en extraient 
une liqueur assez agréable au goût; elle se condense avec la éuisson, et 
forme une espèce de sucre appelé giagra ; il est dur et compact. Dissous dans 
l'eau , et fermenté pendant douze ou quinze jours, il rend , par la distillation, 
une liqueur qui peut atteindre 25 à 30 degrés à l'aréomètre. Les feuilles du 
même arbre s'emploient non-seulement pour couvrir les maisons, mais encore 
pour écrire dessus les lettres courantes ; Técorce des grosses côtes des feuilles 
sert comme un excellent osier pour lier les diverses parties des maisons con- 
struites avec des bambous; comme l'intérieur du'tronc de l'arbre est mou et 
filamenteux, il est facile à forer, et ils le font servir comme canaux pour 
conduire les eaux. 

Outre le sucre du palmier, dans le nord d'Ava et dans le pays des Sciams, 
on cultive beaucoup la canne à sucre; celui que les habitants en ex- 
traient est gras et ils en font des tablettes. Les Chinois qui habitaient Um- 
mérapoura, dans la fin du siècle dernier, commencèrent à le purifier; 
quelques Barmans les imitèrent , et aujourd'hui on en fait , dans cette capi- 
tale , d'aussi blanc et aussi bien rafiné que celui du Bengale. 

Les Barmans font un grand usage de poivre rouge et de piment pour 
l'assaisonnement de leurs ragoûts; et ils ne se servent de poivre ordinaire 
que pour la médecine. Ils ont une noix muscade de forme ovale, plus grosse, 
moins odorante et aromatique que celle des Moluques; et une espèce de 
grosse canelle qui, dans le Codex pharmaceutique, est appelé cassia Unea. 
Les bois et forêts sont remplis de sassafras; les Barmans connaissent la 
vertu sudorifique qu'il possède, et les feuilles de cet arbre, séchées, leurs 
servent à beaucoup d'usages en médecine et pour l'assaisonnement des 
ragoûts. 

Le tamarin, l'aloès, la gomme laque, le caccio qui est un suc extrait de 
la cuisson d'un bois, et qui , mal à propos , est nommé terre du Japon, ou 
cathecu^ l'indigo, le coton et le tabac, sont d'autres excellents produits du 
royaume; les Birmans se servent du caccio dans le bétel; rafiné, il est 
transporté dans d'autres lieux par des navires. L'indigo serait peut-être de 



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EMPIRE PUS BARMANS. 225 

meilleure, qualité que celui du Bengale, mais, par faute de soins et des 
préparations dont on use ailleurs , il n'a pas le lustre et la finesse dési- 
rables. 

On i^it maintoiant un grand usage du ihé dans les grandes villes du 
royaume. Comme on le retirait de la Chine r>ai* la province de fioroan, le 
roi actuel Saraoudy a entrepris de le faire cultiver dansTAva, et il a par- 
faitement réussi ; il le fait préparer dans son palais ; les Anglais Testiment être 
de première qualité, mais mal préparé ; néanmoins, les Européens d'Um* 
méraponra et deRaugoun le préfèrent à celui de la Chine, et j'en ai bu avee 
plaisir. 

Les Barmans ont deux espèces de coton et ils en récoltent plus que ne 
nécessitent leurs besoins; le blanc est le plus commun ; l'autre , qui est plus 
rare et plus estimé , est rougeâtre; il est connu en Europe sous le nom de 
coton de Siam. Outre le coton, ils ont un duvet qu'ils tirent du fruit 
d'un gros arbre appelé iappan dans le pays; il ne peut se filer, mais sert 
à faire des matelas et des oreillers. 

. Le bambou croit partout, spécialement dans le Pégu où il s'en trouve 
d'une hauteur extraurdioaire; il y en a qui ont au moins 30 centimètres de 
diamètre et {jeuveut servir de piliers pour soutenir les maisons. Les Bar- 
mans font un grand usage de ses racines ; les plus tendres, lorsqu'elles ont 
macéré pendant quelques heures dans l'eau, servent pour le cari, et ils eu 
conservent dans le vinaigre de vin de palmier. 

L'ombrage des grands arbres non fruitiers est recherché par les Bar- 
mans pour se reposer et se défendre des ardeurs du soleil; mais ils préfèrent 
celui de l'arbre, célèbre parmi eux, aippeïégondan. Cet arbre est majestueux; 
ses nombreux rameaux couvrent une grande étendue de terrain; son troac 
est d'une énorme dimension ; ses racines tra^ntes, pénétrant les plus grosses 
murailles et les pagodes , les font crouler : il est réputé sacré parce que les 
écritures disent que c'était sous son ombrage que Godama adressait ses 
prières au dieu qui l'a précédé. 

Des feuilles tendres de quelques plantes, les Barmans font leur cari, 
lequel , comme il a été expliqué ailleurs , est un assaisonnement varié qu'ils 
mangent avec le riz. H n'y a pas de village sans un n^rché oti les habitants 
ne trouvent de ces feuilleset de celles de quelques arbres , qui servent soit au 
cari, soit aux fritures; pour ces deix usages, ce sont celles du tamarin et 
du manguier qu'ils préfèrent. 

Parmi les arbres qui sont particuliers â ce pays, le plus remarquable 
est celui que les Barmans appellent marioné. Son fruit, dans le prin- 
cipe, est semblable à une olive et aussi tendre ; quand il est à l'état de 
maturité, il ressemble assez à une prune : ce fruit encore tendre a le goût 
acide, et l'on en fait des confitures passables; il se conserve aussi dans le sel. 
Le maiionêike vient que dans le Pégu, on a cherché inutilement à lui faire 
prendre racine dans l'A va. 

• Les jeunes gens des deux sexes aiment passionnémeni; les fleurs; ils en 
tressent de petites guirlandes et s'en entourent la tète : la végétation en toute 
IX. 15 



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226 RE?«B DE l'#R1BHT. 

satsop «8t fort rich«; elles soet généralemeiil belles en couleurs, ec quel* 
ques-unes sont fort odorantes, telles que les jasmins dont les espèces sont 
variées. Les plus beaux Itliacés connus couvrent les plaines bumides* il j 
aurait |)eut*étre beaucoup à recueillir et apprendre pour un botaniste dans 
ce» vasies foréls mal ou peu explorées. Le savant qui s'en est le plus occupé 
est un prêtre italien nommé Giussepe^ dit Taimé, qui a passé près de trente 
années dans la mission du Pégu; il a beaucoup recueilli d'objets d'bistoire 
naturelle et les a envoyés en Europe dans les premières années de cesiède; 
il est probable que l'on n'a pas dédaigné le fruit de son travail et de Ses 
études. 

Le nombre des animaux de toute espèce est prodigieux; commençant 
par les oiseaux Je dirai que, parmi les volailles connues en Europe, tl m 
manque aux Barmans que le dindon; mais à défaut ils ont les paons 
qui abondent dans les forêts du P^u , et dont la cbair n'est pas moins sa- 
voureuse que celle des premiers. Les pigeons se trouvent par tout le royaume, 
et il suffit de leur faire un colombier pour q|ie le nombre s'en multiplie à 
l'infini; il y a en de sauvages entièrement verts. Les tourterelles sont aussi 
farteommunes. Les moineaux, que l'on trouve partout, inondent, pour 
ainsi dire, les campagnes , et souvent dévastent les champs ensemencés. 

Les corbeaux et les corneilles y sont beaucoup multipliés, peut-être 
parce qu'ils ont du riz cuit en abondance, mangeant celui que l'on offre 
aux pagodes et que l'on jette aux nats. Dans les villes et villages, on voit 
des trouipes immenses de ces oiseaux voraces, qui sont tellement auda- 
cieux qu'ils ne craignent pas d'entrer dans les maisons et d'y dérober tout 
ce qu'ils trouvent de comestibles ; on prétend même qu'ils vont jusqu'à dé- 
couvrir les pots et les vases et arracher des mains la chair et les poissons. 
Les aigles, les milans, les vautours et quelques autres espèces d'oiseaux de 
proie, ont quelques variétés qui les distinguent des nôtres. Les oiseaux 
aquatiques, surtout les échassiers, sont fort communs et peut-être plus nom* 
breux qu'en Europe ; on les voit, par bandes, se promener sur ks bords des 
neuves et des étangs: dans les grandes espèces, on remarque des cigognes, des 
^iies, des ibis et surtout des pélicans. Parmi lea palmés, on trouve l'oie sau- 
vage et beaucoup de canards d'espèces très-variées; il y en a une que les 
Barmans nomment ensà» qui est un manger délicieux, et, à cause de sa 
saveur délicate, ^t fort recherché par les voyageurs et les Européens. 

Généralement, tous les oiseaux terrestres ont les plumes des plus vives 
et resplendissantes couleurs : elles sont, pour les Chinois, un otget de 
commerce, ils les achètent et les transportent dans leur pays; on assura 
qu'ils ont le secret d'en recueillir les couleurs au moyen de l'acide nitrique 
ou sttlftjiriqtte. 

Le nombre des perroquets est immense: cet oiseau est abhorré des Bar- 
mans, à cause des dommages considérables qu'il cause aux arbres frui- 
tiers, sur lesquels des troupes nombreuses se reposent, gâtant et rongeant 
les fruits qui ne sont pas encore en maturité et les faisant tomber à terre. 
Pour lea épouvanter et les^igner, les Barmans suspendent des clochettes au 



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EMPIRE DES BARMANS. 227 

eeu des boeufs et de$ autres aDÎoiaux douiestiques; ils se servent d'un expé" 
dient à peu près semblable pour se délivrer des dévastations que les moi- 
neaux occasionnent dans les champs ensemencés: d'un arbre à l'autre, ï\% 
tendent de longues cordes dans le milieu desquelles ils suspendent des son- 
nettes et de larges morceaux de toiie que le vent fait voltiger, et en même 
temps qu'ils agitent les cordes, ils poussent des cris, et parviennent ainsi 
à empêcher les troupes de ces oiseaux à s'aballre sur les champs. 

Parmi les quadrupèdes qui manquent dans ce pays, sont le lion , l'âne» 1# 
mulet , le chameau et le loup. Les Barmans connaissent Texistence du pre- 
lïaier de ces animaux et en ont une idée , puisqu'on en rencontre souvent 
des figures conslruiles en briques et placées avec les naga^ aux quatre 
angles des plates- formes des pagodes et dans les escaliers des baos. Us ont 
un animal qui parait être une espèce de loup ou de chacail, qu'ils appellent 
chien des bois et qui est de taille moyenne; pendant les nuits, ces animaux 
suivent ou accompagnent les tigres et se rassasient de leurs restes. 

l.es Barmans ont un grand nombre de chevaux, surtout dans le Pég« ; ces 
chevaux sont petits , fort légers et durs à la fatigue; ils n'ont pas l'habitude 
de les ferrer et ne s'en servent jamais pour la charge ni pour tratn^ les 
cbarriots. Le roi et le gouverneur de Rangoun ont des voitures européennes 
qu'ils ont reçues en cadeau des commerçants européens , et ce sont ks seules 
personnes qui aient des chars; le roi seulement peut les faire traîner 
par des chevaux , tiaais il est rare qu'il s'en serve, surtout pour se montrer 
en public. Presque toujours le roi se fait voir, nuNité sur un grand éléphant; 
les premiers mandarins ont aussi la permission de monter sur œs animaux. 
Tous les babitanls , exceptés ceux qui ont un cheval, 4^ ils sont exk petit 
nombre , voyagent par terre sur des charriots traînés par des boeufs ou des 
buffles, lesquels ordinairement sont dressés à courir. Quand le roi sort de 
son palais, il est toujours accompagné d'une grande troupe de mandarins et 
de gardes; les chemins par lesquels il passe doivent être à l'avance bien 
nettoyés et arrosés, dans les temps de sécheresse, aôn que la poussière ne 
s'élève pas ; les portes des maisons qui se trouvent tout le long de la route 
doivent être fermées et cachées avec des nattes , afin que personne n'ait la 
hardiesse de jeter ks yeux sur Sa Majesté. Les Barmans n'ont pas de fenêtres 
à lermer, i^oe qu'ainsi qu'il a été dit précédemment, (es maisons reçoivent 
la lumière d'une grande ouverture au devant de la muraille, et s'il y en a 
qui aient de petites fenêtres, elles se trouvent le plus souvent daps un lieu 
qui n'est pas exposé sur le chemin. 

Les éléphants sont excesâvement multipliés à cause des immenses fo- 
rêts qui se trouvent dans le royaume; ils sont pour la plupart énormes. 
Les Barmans en comptent de trois espèces: la première se compose de ceux 
qui ont de grandes défenses ( les femelles de cette espèce n'en ont pas), la 
sjBConde de ceux qui ont de petites défenses, et la troisième de ceux dont 
les mâles même en sont entièrement privés, et ceux-ci sont les plus mau* 
vais et les plus féroces; Ces animaux sont plus destinés au luxe qu'au service , 
oniinairenaent on ne leur fait porter d'autre charge que ks provisions du 



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228 RGViTt: DE i'orieut. 

cornac, et quelques herbes et rameaux tendres pour servir à leur nourriture ; 
à la guerre seulement , ils portent quelqueit petites pièces d'artillerie et un 
peu de bagages. 

Un des plus grands divertissements des rois et qui fait en même temps 
le spectacle le plus désiré du peuple de la capitale, est la prise ou la chasse 
des éléphants sauvages : à peine vient-on à savoir que dans quelques 
grandes forêts il y a des éléphants qui par la couleur ou la forme sont esti- 
més du roi , qu'une troupe d'éléphants femelles y est en toute hâte dirigée : 
Tanfmal sauvage voyant les femelles s'en approche de suite, en choisit une 
qu'il semble courtiser et qu'il n'abandonne plus; les conducteurs alors ramè- 
nent la troupe. L'amoureux éléphant suit fidèlement sa compagne et il 
marche toujours auprès , encore même qu'il y ait nécessité de passer des 
torrents et des rivières; enfin, souvent après beaucoup de jours de marche, 
étant arrivé dans le voisinage d'Ummérapoura , il entre en même temps 
que les femelles dans un amphithéâtre qui est une enceinte de gros pieux 
dans l'entrée de laquelle on tient deux grandes poutres suspendues qui ser- 
vent à la fermer aussitôt que l'éléphant est entré. Quelquefois il arrive que 
l'animal , en voyant cet appareil , entre en soupçon et recule : alors les con- 
ducteurs montent sur les femelles, l'entourent en poussant des cris, ou 
bien lui faisant des cajoleries, et ils tâchent de le faire entrer; mais s'il est 
rétif ou furieux et qu'il se porte sur les maisons du voisinage, il n'y a pas 
d'autre expédient que de le tuer à coups de fusil, ce qui n'est pas facile; 
quelquefois ils le poursuivent et tâchent de le renverser avec des lacets qu'ils 
lui lancent. Il n'est pas rare, dans ces circonstances, de voir des hommes de- 
venir victimes de leur témérité et de leur imprudence. Quand l'animal est 
dans l'amphithéâtre, ils le font combattre contre les éléphants domestiques, 
et quand il est fatigué, ils l'attachent â un gros pieu ou une grosse pierre , et 
en peu de jours ils l'ont apprivoisé; cependant il on est qui meurent de tris- 
tesse et par suite des mauvais traitements qu'ils ont soufferts. 

Le rhinocéros, autre gros et puissant animal, est aussi fort commun dans 
tout le bas pays. 

11 y a beaucoup de buffles sauvages dans les forêts du Pégu; ils poursui- 
vent les hommes et ne craignent pas de lutter avec les tigres qui sont aussi 
fort nombreux dans ce pays. On y voit aussi des ours, mais seulement dans 
les montagnes voisines du Martaban. 

Le nombre des cerfs et des daims est prodigieux ; il y en a une espèce qui 
est très-grande et que les Barmans appellent zat: les gouverneurs, dans le 
Pégu , tolèrent la chasse de cet animal , et les Européens trouvent toujours 
de sa chair sur le marché de Rangoun. Pour les tuer, on emploie le plus sou- 
vent de gros chiens, mais ils ont aussi une autre sorte de chasse qui se fait 
pendant la nuit. Dans un charriot traîné par des bœufs ou des bufïes, mon- 
tent dix ou douze personnes qui tiennent allumés deux ou trois fanaux, 
elles font en même temps sonner des cloches; les cerfs arrivent en foule : 
éblouis par les lumières et, pour ainsi dire, enchantés par les sons qu'ils 
entendent, ils restent immobiles; alors les chasseurs, avec des lances, des 



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EMPIRl!; DES BAKIUAJXS. 229 

sabres ou de gros couteaux, en font un si grand carnage que quelquefois le 
charriot n'est pas suffisant pour les transporter. 

Le sanglier est fort commun dans toutes les forêts; on y trouve aussi 
des lièvres, mais ils sont rares. 

Dans les villages, on nourrit fort peu de porcs; mais il n'en est pas de 
même dans la capitale et à Rangoun, parce que les étrangers qui habitent 
ces villes les salent avec «oin pour s'en nourrir. Les Barmans sont avides 
de la chair du pourceau, et ils estiment que c'est la plus exquise de toutes; 
mais leurs lois et surtout leur roi défendent de s'en nourrir et de les tuer. 
Dans les marchés d'Ummérapoura et de Rangoun, on voit quelquefois de 
cette sorte de chair; mais, par les motifs ci-dessus et par la peur qu'ils ont 
des animaux morts de maladie, il est rare que les Barmans en achètent. 

Les Barmans ont aussi des chèvres et quelqi^es moutons; ces derniers 
ne sont pas indigènes et pour la plupart ont été apportés du Bengale. Les 
chiens domestiques sont tous de la même race, peu mélangés , ils ressem- 
blent un peu à nos chiens courants, sont d'une couleur grisâtre, fort laids 
et très-sales; ils se sont multipliés à Texcès par suite de la coutume qu'ont 
les habitants de ne pas les tuer. Il y en a une très-grande quantité qui 
n'ont pas de maître, et en général leur nombre est si prodigieux qu'il peut 
surpasser celui des hommes. Quelques-unes des variétés du chien que nous 
avons en Europe sont très-recherchées par le roi et les mandarins, surtout 
quand l'animal est intelligent et dressé à toute sorte d'exercices ; pendant 
que j'étais à Rangoun , le capitaine du navire la Joséphine, de Nantes, a 
vendu un caniche 800 francs au prince de Proum. 

La variété des singes est admirable tant pour la grandeur, la couleur et 
la figure. Il y en a toujours un grand nombre sur les bords des grands et 
petits embranchements de i'irrouaddy, surtout dans le Pégu; on dit que 
c'est un spectacle fort amusant pour les personnes qui suivent leurs cours 
dans des bateaux, de voir ces animaux se livrer des combats, faire leurs 
grimaces, chasser les petits poissons, les crabes et les écrevisses qui restent 
à sec sur le rivage quand la marée descend. 

La quantité it la variété des serpents qui se trouvent dans tous les lieux 
et spécialement dans les forêts est prodigieuse : le serpent que les habitants 
appellent /{au , dont il y a plusieurs espèces et qu'ils craignent beaucoup, 
se trouve dans les grandes forêts du Pégu; en rampant il lève la tête aussi 
haut que la stature d'un homme, et quand quelqu'un en rencontre et qu'il 
n'a pas le temps de fuir, le reptile le tue en le prenant par le dessus 
de la tête. On raconte qu'un de ces terribles animaux se trouvant dans 
le voisinage d'un village, les habitants effrayés promirent une grande ré- 
compense à celui qui aurait le courage de le tuer; une pauvre femme seu- 
lement osa se présenter pour tenter l'aventure : après avoir fait fondre de 
la poix dans un grand pot, elle le posa sur sa tête et alla ainsi défendue à 
la rencontre du serpent, lequel, selon son habitude, s'élança furieux, et sa 
tête s'étant prise dans la poix, il ne s'en retira qu'avec peine et en mourut 
peu de temps après. Son principal ennemi ainsi que des autres serpents est 



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230 HEnrE de i'orient. 

une certaine araignée nommée pangu par les Barmans ; cet animal , quoique 
petit, par son horrible et bideuse figure cause l'épouvante; elle est longue 
de 4 à 5 centimètres environ et grosse à proportion ; la partie inférieure 
de son corps est recouverte de poils, lesquels sont d'une couleur rouge foncé ; 
elle a dix pattes qui sont terminées par des ongles durs recourbés, avec 
lesquels elle s'attache à sa proie; elle est armée de deux mandibules sem- 
blables aux ongles des chats; son corps consiste dans une écaille dure 
comme ceU<e des tortues. Quand elle poursuit un serpent, elle en prend le 
corps avec les ongles, et, montant avec agilité sur la tète, elle le saisit avec 
ses mandibules , le couvre d'un venin mortel , et après l'avoir renversé lui 
staçe la cervelle. 

Ce que je viens de raconter du nau et de lapangu ne me donne pas une 
conviction entière sur ces animaux ; cependant le père San-Germano assure 
que, pendant son séjour dans le Pégu, un chrétien, se trouvant dans une 
forêt près de Sfriam , fut témoin du combat d'un serpent avec cette 
araignée. 

Parmi les serpents de ce pays , il y a le mocauch , que les Portugais ont 
appelé capel; il est fort connu et commun dans toute l'Inde. Un autre 
encore plus dangereux est le moa-boé (le céras); il aime à se mettre an 
soleil dans le milieu des chemins , où il reste sans se mouvoir; ni les hom- 
mes qui passent, ni le bruit des charriots ne peuvent le faire sortir de sa 
léthargie; mais pour peu qu'on le touche, même légèrement, il relève la 
tète et, se lançant sur l'agresseur, lui darde de son venin qui est mortel ; 
cet animal est vivipare: beaucoup de Barmans assurent que les petits, pour 
sortir du ventre de leur mère, le percent en différents endroits et détermi- 
nent sa mort. Les symptômes que produit son venin chez ceux qui en sont 
mordus indiquent un épaississement général du sang. 

Le serpent le plus remarquable par sa grandeur est celui que les Portu- 
gais ont nommé madera (c'est le boa) ; il y en a qui atteignent jusqu'à plus 
de 5 mètres de longueur; on connaît ses mœurs; il n'a pas de venin; Il 
entortille les animaux et leur broie les os dans ses replis, et après les avoir 
couvert de sa salive, il les avale tout entiers. 

Les Barmans connaissent l'attraction qui porte involontairement les pe- 
tits animaux vers le serpent quand ils sont sous.son regard , et le tremble- 
ment que de plus gros éprouvent dans la même circonstance; les partisans 
du magnétisme peuvent chercher à expliquer ces phénomènes qui ne sont 
pas un sujet à traiter dans cet ouvrage, et d'ailleurs sont au-dessus de mes 
connaissances en physique. 

Dans tout le royaume, et spécialement dans l'Ava, les habitants man- 
gent de presque toutes les espèces de serpents après leur avoir coupé 
la tète. 

Si, dans le cours du grand fleuve Irrouaddyetdeses principaux embran- 
èheinents, nn ne voit que rarement des crocodiles , il n'en est pas de même 
dans les nombreux canaux et cours d'eau qui communiquent d'une rivière 
â l'autre, la quantité qui s'y trouve est prodigieuse: sur leurs bords fangeux^ 



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SMPmE m» BÂAMARS. 231 

<m voit cet «ntHiaqi étendas âu solël ; an moindre brait Us s'élancent dans 
i'^au, 06 seulement ilsscmt dangereux. 

Los Barmans sont très^iands de la chair et des œuf^ des tortues de terre 
et de mer; près Temboiichure de la branche dn fleirve appelée commune^ 
SMnt rivière d'Ava , qni se jette à la mer non loin du cap Négrais , il 
y a un banc de sable sur lequel nombre de ces animaux vont déposer 
leurs eeufi; la quantité en est si grande qu'elle peut approvisionner une 
partie du royaume: on y en fait la pèche et on en charge, ainsi que de leurs 
fleuis, de grandes barques qui vont les transporter à Bassim , dans les autres 
ports du Pégu et quelquefois mémejusque dans le Bengale. On sale la plus 
grande partie des œufs pour les conserver. 

Gomme dans tous les pays chauds, les lézards sont en grand nombre et les 
espèces variées; toutes ne sont pas connues, ce serait une étude à faire. 
Parmi tes prtneipalesqni ont le caractère le plus distinct, se trouve, en pre- 
mière ligne, le talagcja^ qui devient très-grand; les Barmans sont per- 
«nadés qu'avec le temps il se transforme en crocodile; sa chair et ses ceuft 
sont d'une »ceilettte saveur. Le padai (l'iguane, je crois ) est presque aussi 
grand ; sa chair aussi est fort bonne et ressemble à celle du poulet. Le camé^ 
léon se rencontre à chaque pas, il a la même vertu attractive, â l'égard des 
petits insectes, que celle que le serpent exerce sur les oiseaux et les petits 
quadrupèdes; peut-être n'est-ce qu'une vive aspiration. Le tauthé est un 
autre lézard de la longueur du caméléon , mais plus gros; son dos est d'un 
heau noir chagrin; il se tient ordinairement blotti aux angles desmaisoni 
«t des pilier» qui les soutiennent , et oà il fait la chasse des souris et autres 
fMBiits animaux; il a une voix forte qu'il fait entendre pendant le jour et ta 
nuit , c'est probablement de son cri tau-tau qu'il tire son nom. 

Aux coléoptères près 9 lenomlire des insectes est peut-èire encore plu s 
prodigieux dans le royaume barman qu'au Brésil. La variété des papillons 
est infinie. On ne peut se faire une idée de la quantité de mouches , mousti* 
qves et cousins qui s'engendre dans les forêts du Fégu pendant le temps des 
pluies. Des nuages de moustiques assaillent les barques qui naviguent dans 
iesdanaox du fleuve, y sucent le sang des voyageurs, auxquels il estdetoute 
impossibilité d'y dormir pendant la nuit, et Torsqu'il y a nécessité de la 
passer sur l'eau ^ îk faut agiter de grands éventails et brûler du tabac aôn 
de tes i^ire fMr avec la fumée. 14 y a des vHlages, même assez éloignés dn 
êeuve, où les habitants, non-seulement pendant la nuit , mais aussi daifis le 
jow*, sont contraints, pour pouvoir travailler, de se tenir enfermés dans de 
Iprandes tnousticaires, dans lesquelles ils filent, font leurs tissus, ete. 

Les scorpions abondent dans tout le royaume, et il y en a de deux espè^ 
èes, les uns blanchâtres, lesquels sont les plus mauvais: leur venin peut 
donner la mort ; les antres sont tout à fait noirs, et dans cette espèce il y en 
a qui sont gros comme des écrevisses^ les piqArcs de ces derniers n'occa- 
sionnent qu'une simple dénia ngeaison. 

Les cent-pteds tourmentent beaucoup les habitants; ils s'introduisent dans 
les vêlements, dans les lits, etc., et leur piqûre ou morsure occnsiounc peu- 



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232 HEVIlfi DE L'O&IUIT. 

dant plasieers hearei une cuisson elnne douleur insupportables. Les Bar- 
mans sont persuadés qu'il y en a d'une longueur de 4 à 5 coudées qui se 
tiennent dans les grandes forêts du P^ , et qui en se mouvant font un 
bruit tel, qu'il s'eniend à une distance considérable. 

Les Barmans sont friands de diverses espèces d'insectes et spécialement 
d'une sorte de fourmis rouges, qui, mêlées avec leurs œufe, se mangent frites 
ou en salade avec le napi ; elles ont une saveur acide et piquante que les 
Européens même ne trouvent pas désagréable au goût. Mais ce qui fait leurs 
délices, c'est un certain ver, qui ressanble un peu au ver à soie, qui se 
trouve dans le cœur d'un arbuste: ces vers sont, ainsi qu'en Chine, fort esti- 
més, et tous les mois on en envoie à Ummérapoura pour la table du roi; 
ils se mangent frits et rôtis ; en général , le^ Européens les trouvent bons. 

Un autre insecte qui ressemble à la fourmi et qui comme elle vit en so- 
ciété est remarquable par les dégâts qu'il cause ; les Barmans l'appellent 
chia. Sa couleur est blanchâtre, il n'aime pas la lumière et se tient habi- 
tuellement sous le sol. Quand une de ces fourmilières trouve accès dans 
une armoire ou un coffre, en fort peu de temps tout le contenu est dévasté 
et dévoré; pour s'en préserver, on enduit tout le bois des^ meubles avec le 
nasta (huile de pétrole). Goipme les fourmis, au bout d'un certain temps 
ces insectes acquièrent des ailes, s'élèvent dans les airs et se dispersent. 

Dans le Pégu, pendant le temps des pluies, il y a une multitude de 
sangsues qui se cachent dans les herbes et qui nagent dans l'eau : on ne 
peut y faire un pas sans en être attaqué, et on ne peut les détacher de la 
peau qu'en employant du sel ou de la chaux ; elles incommodent beaucoup les 
bœufs, qui aiment beaucoup â se baigner, et leur font de sanglantes bles- 
sures. 

JtnV. — BEoniMie et eonuneroe. 

La monnaie en usage chez les Barmans n'est pas frappée; l'or et l'argent 
informe ou en lingot la remplacent : à l'ordinaire ils pèsent avec des balances 
la quantité dont ils ont besoin pour acheter les choses d'usage ou pour 
payer les travaux. Le poids principal, et auquel, pour ainsi dire, tout se rap- 
porte, est appelé ticaU et Suivant à peu près à 25 grammes. Quelquefois, 
et en certains endroits , l'or et l'argent sont purs , mais ordinairement ils se 
trouvent avec de l'alliage, et les Barmans jugent selon la bonté et la pureté 
du métal si le prix des choses doit monter ou descendre. La monnaie basse, 
dans les villes d'Ummérapoura, Rangoun et Bassim, est de plomb, lequel 
métal n'a pas toujours la même valeur, qui croit ou diminue â proportion de 
son abondance ou de son défaut. Quelquefois un ticale d'argent avec alliage 
équivaut à 200 de plomb, quelquefois à 1,000 et encore plus. A Rangoun, où 
le marché de comestibles est bien approvisionné et où il se fait beaucoup 
de ventes au détail , on met d'un côté dans la balance les petits morceaux 
de plomb qui servent de monnaie, et de l'autre la chose que l'on achète, et 
il en est ainsi pour la plupart des objets; mais il en est d'autres, tels que le 
poisson frais, certains fruits recherchés, etc. , dont la valeur est double de celle 



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EMPIRE UES BARMAIVS. 2B3 

do plomb; et d'autret denrées que Ton donne au double du poids du métal. 
Dans les anciennes provinces de Mariaban , Tavoy et Merguy, ils avaient 
adopté pour monnaie courante des médailles d'étain mal fra[^es , avec 
l'empreinte d'un coq , qui forme , pour ainsi dire , les armes barmanes. 

Le commerce, chez les Barmans, se divise en deux sortes, Tintérienr et 
l'extérieur. Le premier est celui qu'ils font les uns avec les autres, et le 
second est entièrement exercé par les étrangers, comme sont les Chinois, 
les Anglais et les Français, et il se fait plus spécialement dans TA va et le bas 
Pégu. En dehors des grandes villes , le commerce des objets nécessaires à la 
nourriture et aux vêtements est plutôt un échange qu'un achat ou une 
vente; les habitants des lieux dans lesquels abonde le riz, le coton, etc., 
vont échanger ces produits dans d'autres parties du royaume où Ton récolte 
le gingembre, le tabac, l'indigo, etc. Dans tous les villages de TAva, le rix 
est ordinairement la monnaie avec laquelle on se procure le poisson, les 
légumes et les autres choses nécessaires à la vie. Les Sciams sont ceux qui 
plus que les autres font un commerce étendu , parce qu'ils transportent 
dans toutes les parties du royaume le lapech, ce thé grossie dont j'ai eu 
plusieurs fois l'occasion de parler précédemment et qui se boit dans les 
funérailles et dans la conclusion des marchés et des procès. A l'égard du 
commerce extérieur, les (Chinois du Yunan descendent par Kanton et parle 
fleuve Irrouaddy, et avec de grandes barques transportent à Ummérapoura 
leurs produits, parmi lesquels sont spécialement des soieries travaillées, du 
papier, du thé, diverses sortes de fruits et autres bagatelles ; ces barques s'en 
retournent chargées de coton, de .soie écrue, de sel , de plumes d'oiseaux, 
éecéroni, lequel, comme il a été dit ailleurs, est un vernis noir que les Bar- 
mans extraient d'un arbre, et qui -, étant préparé et purifié parles Chinois, 
forme ce vernis laque que nous admirons tant en Europe. 

Les grands entrepôts que l'Angleterre a placés sur tous les points de 
l'Inde et dans les mers de la Chine lui ont tout à fait assuré, l'on peut 
s'exprimer ainsi, le monopole du commerce dans cette partie de l'O- 
rient, et il est très-difficile aux marchands français, malgré tous les 
traités possibles, même les plus récerus, de tenter la concurrence. En effet, 
les grands vaisseaux anglais portent les produits britanniques, qui sont, en 
général, de bonne qualité, même pour les objets les plus communs et dont 
l'usage est le plus général, dans leurs grands établissements de Bombay, 
Madras , Calcutta , Singapour et dans les points de la Chine où flotte depuis 
peu leur pavillon; de tous ces lieux le commerce d'escale ou de cabotage 
s'établit avec des navires, n'importe sous quel pavillon, qui sont armés 
avec des équipages arabes, lascars, malais et chinois, dont la nourriture 
coûte fort peu de chose et qui n'ont qu'un très-faible salaire ; les grands 
dépôts n'expédient dans tous les pays indiens qu'à coup sûr ; less|)éculations 
ne sont pas aussi hasardeuses que celles de nos négociants, qui, apportant 
directement d'Europe, trouvent souvent, en arrivant à leur destination, les 
marchés encombrés des marchandises sur lesquelles ils comptaient le plus 
pour faire des bénéfices: les produits français qui sont déposés à Bourbon 



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334 KEtUB DK l'omobut. 

B^ sorfeot qu'à li««t prix, et en général ce sont ée$ objets de relMt de 
lentes bob maQufoctures. Notre commerce se fait sur une trop petite 
échelle; nos négociants travaillent plutôt pour eux que pour une raiscHi île 
commerce qui doit vivre comme une dynastie; on s'empresse de Mte des 
bénéfices, n'importe souvent à quel prix, pour revenir jouir en Europe^ et 
il semble que diacuo se dit cet adage : après moi le déiuge. Aussi, le com- 
merce fran^is ne jouit-il pas â Télranger de toute la considération po»- 
«ible ; il faut bien le dire et que chacun le sache : en vain le gouverneme^ 
lera-t-il les plus grands efforts, si les marchands ne veulent pas entrer 
dans une autre voie , ces efforts seront inutiles, il y aurait beaucoup de ré- 
flexions sinistres à faire sur notre comnaerce dans les Indes, et sur les 
nombreux obstacles qui, dans l'état actuel de l'Ëurofie, empêchent d'établir 
une lutte sérieuse avec celui de nos voisins insulaires. 

De tons les pays de l'Inde , l'empire barman est le p!us indépendant de 
rinfluenee de la compagnie anglaise de Calcutta : le roi actuel sait par expé- 
rience que c'est une voisine dangereuse ; il réduit autant qu'il te peut ses 
relations comnterciales avec les Anglais, c'est-à-dire aux okjets qui sont 
ifovenns indispensables par suite du luxe et du contact avec les Européens. 
U est aussi certain qu'évident que , si les marchands d'une autre puissance 
fue celle britannique voulaient tenter (tes spéculations dans ce pays avec 
tours produits, le roi leur accorderait des diminutions de droits, des 
iiieences, etc., pour l'exportation. 

'l'otttes les marchandises qui vont dans le royaunie barMan , soii qu'elle! 
Y soient apportées par des navires arabes. Indiens ou chinois, sont toutes 
provenances anglaises prises dans les grands dépôts de l'tnde. Quatre mai"» 
sons anglaises et deux ou trois arméniennes exploitent ce vaste pays; 
elles sont établies à Ummérapoura, Rangoun et Bassim; tout le reste du 
commeree se fait par des Arabes , des Chinois et quelques chrétiens de race 
portugaise. 

Comme de tous les pays de Itnde c'est , selon mon avis, celui où Ton 
pourrait tenter avec 4e plus de chances de succès une lutte sérieuse contre 
l'industrie anglaise, je pense qu'une société française qui établirait une 
maison à Ummérapoura avec succursale & Rangoun, qui n'enverrait que 
de bons et excellents produits â ^n prix modéré , dàt-eile dans les couif 
mencements ne retirer que de légers bénéfices et attendre du temps cte plus 
içrands, aurait de beile.s chances; ta supériorité, ou au moins Tëgalilé de 
nos marchandises , serait bientôt reconnue et l'établiiisement deviendrait 
prospère, tl faudrait un agent sàr et non un aventurier, qu'il fût encore 
^une, atoqull pijkt apprendre la langue du pays, qu'il sâi préalablement 
l'anglais et encore mieux un peu de portugais, ou bien un des idiomes qui se 
parient dans les Indes; il le faudrait avec une familte, car c'est le Seul n^yen 
d'avMr de la consistance dans ce pays, et 41 ne serait pas tongtemps mm 
avoir de l'influence, même â la eout ; il serait utile que lui et son commet- 
tant à Rangoun fussent salariés et que leur position , dès le principe , ne fût 
pas prédire, eticela coûterait peu, car la tie et le logement sont à très-bon 



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Hiârrché dans toat le royanme, ainsi que Von en peut juger par t(mt ee (pri 
précède. 

La bonté des ports du Pégu et les exceKIentes productions ûii royaume 
des Barmans y attirent on assez grand nombre de navires, moins cq>en«- 
dant que dans le siècle dernier; ils y viennent non-seulement de toutes les 
parties de Tlnde, mais encore de la Chine et de l'Arabie. La rivière de Ran- 
goun , dont l'embouchure est la même que celle de Syrtam , offre aux plus 
grands vaisseaux un port sûr et d'un accès facile et garanti de tous les 
vents. La rivière de Bassim offre une entrée encore plus commode, et les 
vaisseaux en peuvent sortir en tous les temps, ce qui n'est pas toujours 
possible dans celle de Rangoun à cause des vents du sud-ouest. Le troisième 
grand embranchement de l'irrouaddy, également placé sur la cAte du bas 
Pégu , e^t peut-être le plus considérable; son embouchure est à 45 milles à 
l'est de celle qui conduit à Bangoun; les courants de flux et de reflux sur 
cette partie du rivage courent avec une rapidité étonnante; les bancs de 
sable y sont dangereux, et un épouvantable mascaret ne permet l'entrée de 
la rivière qu'A de petits navires. 

Il y a plusieurs ports sur la côte du Pégu et même dans l'embouchure de 
quelques bras de l'irrouaddy que nous connaissons à peine. Rangoun est le 
plus fréquenté, parce que c'est une des villes les plus peuplées du royaume 
et la résidence d'un gouverneur dfe haut rang ou vice-roi ; aul refois il avait 
sous sa dépendance trente-deux villes ou grands villages ; mais aujourd'hui 
il n'administre plus que la ville seule; car le roi ne veut pas avoir un chef 
trop puissant dans le voisinage des possessions anglaises du Riartaban et 
qui puisse être accessible à la séduction : aussi il le change fort souvent. Ce 
port est dussi très^fréquenté â cause de ses communications continuelles et 
fecites avec la capitale et les principaux endroits où se réunissent les pro^ 
ductions qui forment l'objet du Commerce: aussi les marchands étrangers 
et ceux indigènes y accourent-ils. Bassim , jusqu'en 1790, jouissait presque 
des mêmes avantages; mais cette ville ayant été doiinée à mattger à un des 
fils du roi Badonsachen , les mandarins qu*il chargea de gouverner en son 
nom commirent un si grand nombre de vexations et d'injustices envers les 
marchands, qu'ils n'osèrent plus en approcher. Depuis cette époque, ce port, 
qui est sur la branche de Tlrrouaddy appelée communément rivière d'Ava, 
et à huit lieues de l'Ile Négrais,qui se trouve à l'euibouchutt;, a repris un peu 
d'importance sous l'influence du schiabandar, qui est un Arménien nommé 
Joseph Jrraion , et qui professe le culte catholique romain ; le roi l'aime 
beaucoup et lui donne des licences annuelles au moyen desquelles, avec 
huit grands navires dont il est possesseur, il exporte des grains dans quel* 
ques parties des Indes. 

Les navires qui vont de la Chine, de la côte de Malaca et du Ténas-^ 
sérim au P^u, sont pour la plupart anglais et portent des chargemenls 
d'arec ( fruit si recherché par les Barmans pour mélanger dans la ma^^ 
ration dn bétel ) et de certains produits chinois , comme le nankin , la 
porcelaine commune , le thé, etc. 1^ choses qui se. vendent assez bien, et 



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2d6 R£VD£ DE L'cmiSHT. 

qui apportent quelquefois beaucoup de bénéfices aux spéculateurs, sont le 
sucre, les mousselines du Bengale, les toiles de Madras, et spécialement 
les mouchoirs blancs et de couleur dont les Barmans s'entourent la tète et 
dont la consommation est prodigieuse puisqu'ils n'ont pas l'habitude de les 
laver. Les velours de couleur pour les vêtements d'étiquette et d'apparat y 
sont très-rechercbés , ainsi que les alépines; il en est de même ds» étoffes 
imprimées à couleurs vives. 

Autrefois, on ne le sait ou l'on s'en souvient à fieine, les vaisseaux de 
commerce français fréquentaient un peu ce pays; d'abord Syriam , et plus 
tard Raogoun. lis y apportaient de l'Ile de France divers articles dont ils re- 
tiraient un grand bénéfice , tels que des miroirs, des fusils, des quincailleries, 
et surtout des objets en cuivre, métal dont les Barmans font un grand 
usage , et qui ne se trouve pas dans le royaume ; ils portaient pareillement 
des étoffes de laine de diverses couleurs, dont ils trouvaient un grand débit. 
Les habitants s'en servent comme couvertures pour la nuit, ou les portent 
sur leurs épaules en guise de manteau. Aujourd'hui, les Anglais seuls font 
ce commerce. Parmi les objets principaux que l'on transporte au Pégu , on 
peut aussi ranger les noix de cocos, qui sont très-recherchées et dont les 
Barmans sont friands; les navires en se rendant à cette destination en pren- 
nent souvent des chargements entiers aux tles Andaman et plus spécialement 
à cdk^JVicobar; l'on transporte d'Europe des drogues aromatiques, des rai- 
sins secs, des amandes; les Arabes y apportent du café, des dattes, etc. 

Les navires qui vont au port de Rangoun ne peuvent remonter la ri- 
vière sans y avoir préalablement envoyé prendre un pratique du fleuve; 
ils mouillent en dehors de l'embouchure , le capitaine ou un de ses officiers 
se rend à la ville, qui en est éloignée de huit lieues, va de suite au rondai, 
et fait sa déclaration ; tout ce qui pourrait par la suite se trouver à bord en 
surplus est considéré comme contrebande. Le navire, arrivé devant Ran- 
goun, doit être désarmé ; les canons , les* fusils, les autres armes et les mu- 
nitions qu'il peut avoir à bord, sont transportés à terre; il n'y a que fort 
peu de temps qu'on ne force pas d'y faire porter aussi le gouvernail. Le 
premier soin du capitaine est de faire un cadeau pour le roi, et d'en donner 
un moins considérable au gouverneur; il doit être muni de beaucoup de 
petits objets de la valeur d'une roupie environ ( 2 fr. 50 c. ), tels que mou» 
choirs pour mettre à la tète, et en donner en présent pour lever les en- 
traves qu'il trouve sur son chemin , et conséquemment il en rencontre 
fréquemment. Le droit que paye les marchandises est de 12 pour 100, dont 
10 pour le roi, et les 2 autres partagés entre tous les mandarins de Ran- 
goun; comme) les marchandises pourraient être portées par les employés 
à un taux plus élevé que la valeur réelle, les négociants anglais ont pour 
usage de payer les droits en nature. 

Les navires qui retournent en Chine et dans les lies de la Malaisie pren- 
nent des chargements de gomme laque, de caccio ou catéchu, et de ven- 
tricules de poissons. Les Chinois employent la laque et le catéchu pour les 
teintures , et les ventricules pour faire de la colle. 



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YOTAGB A MADA6ASCAR. 237 

Les principales denrées qui s*extrayent pour roccidenC, c'est-à-dire pour 
le Bengale et la c6te de Goromandel , sont les huiles de bois, de pétrole, et 
par dessus tout le bois de tech, qui est supérieur à celui de tous les autres 
pays; le prix en est très-modéré, n'importe quel que soit le nombre des na- 
vires qui en prennent chargement , mais comme la plupart des belles pièces 
sont équarries à la hache et font un grand encombrement , que les planches 
sont sciées à la main , beaucoup de navires préfèrent aujourd'hui prendre 
les bois à Moulmain, principale colonie anglaise dans le Martaban, parce 
que l'équarissage et le débit se faisant avec des machines ou mécaniques, 
les chargements se trouvent plus de choix et mieux assortis ; mais l'entrée 
dangereuse du Sanluen porte encore beaucoup d'Anglais même à préférer 
Rangoun pour prendre les bois de construction. 

A Rangoun , comme à Moulmain , il y a des constructeurs européens qui , 
vu l'abondance des matériaux et le bas prix de la main-d'œuvre, y con- 
struisent des navires pour divers négociants étrangers. Gomme il est dé- 
fiendu de sortir de l'argent du royaume , des visites fréquentes et scrupu- 
leuses sont faites à bord des navires, et comme ils seraient confisqués à la 
moindre contravention , il en résulte qu'ils ne quittent pas ce port sans 
prendre des bois ou tout autre chargement permis. Parmi ceux-là sont le 
siézame et les grains qui servent à la nourriture des animaux ; l'exportation 
des chevaux est aussi permise, mais il faut une permission spéciale du gou- 
vernement. Quant au riz, qui est si abondant, au froment, qui le serait 
autant si on se livrait à sa culture , l'exportation en est sévèrement 
défendue , cependant le roi accorde quelques licences ; si leS Français com- 
merçaient dans ce pays^ ils en obtiendraient sans aucun doute. Le schia- 
bandar de Bassim, qui est armateur, ainsi qu'il a été dit, est à peu près le 
seul qui dans ce moment jouisse de cette foveur, et il (ait de grands béné- 
fices. F. Lbcontb. 



VOYAGE A MADAGASCAR 

ET AUX ILES COMMORES. 

(Deuxième article.) 



iMpart du Fort llaaphia. -> Baie de Belly. — Antalotohef . ~ BtoMvt de cet 
mehemëtaiM . — Xiet trois grand* oheft des SaoalaTet indépendanti. — 
Entrevue avec le roi Aabouki. — Serment du sang. — GonMAVCfrA« 
arbre à poison. — Mœurs et oostume des Saoalaves. 

Voyant que tout ce que j'avais employé pour communiquer avec le gou- 
verneur du Fort Dauphin n'aboutissait à d'autres résultats que de nous 



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rel«i|ir jjB«qy'att retour du courrier expédia à la reiiie lUiiavakFftli^jaka , 
ayaat de pluê des râlions (mot craindre uae irahison ^ qui aurait pa causer 
Bon-seulemeiil la perte de mon navire, mais encore comproneiire noire 
ej^ikience à tous ( nos loaiins , ainsi que les of6ciers , ayaient éi4 prévenus, 
à plusieurs reprises , qu'une trame inferoale avait été ourdie contre nous, 
et que ce plan ne sortait pas de la tête des Hovas... > qui auraient l>ien dé- 
siré à la véiité Texécuter dans le but de se rendre maîtres d'une riebe oarr 
gaiaon, d'une grande quantité d'arme» et de munitions de guerre, mab» qu« 
la crainte seule de la désapprobation de la reine retenait) « je me décidai à 
quitter le Fort Daupbio au^siiét que les vents nous permettraient de SfMrtir 
de la rade; enfin le 20 août , vers les sii heures du matin, le capitaine, à 
qui j'avais donné Tordre de départ, jugeant qu'il ponv^t se mettre soua 
voiles, fit lever l'ancre. 

Nous eàmes mu moment bien critique k passer ; au pied du Mt ae trou-» 
vent4es remfê, et sans l'admirable promptitude de la manœuvre, nnu» 
aurions échoué. Aussitôt le dan^r passé je fis saluer de six coups de camMt 
le fori , qui nous rendit aussitôt le saluU 

Dès la veille je m'étais rendu à bor4, en faisant prévenir ke gnuvern^ir 
du fort de ma résolution de partir, pensant que peut-être il se déeideraH à 
communiquer avec moi, en me voyant bien rc^lu à quitter le Fort Dtu^ 
phin ; il parait que les ordres de la reine étaient trop précis poiur qu'il ait 
osé les enfreindre, seulement je n'ai pu me retAdre compte |>oorqufiUe r^ 
stm il avait fait venir autant de iroi^pes sans bui apparent, car nous vtmea 
le loit encombré de soldats hovas, et leurs cktfy réuiûs dans le payiilon 
destiné aui^ kabmrs^ réunions qui ont toujours lieu lorsqu'il s'ai^t die quttîl^ 
q«ies question^ 4 déhatlre. 

Comme nous avions abandonné noire plan d'ea(pl<M^ la c^ dp t'e^t^ 
nous doublàipes le cap Sainte-Marie, et nous nous dirigeâmes vers la Jb#ie 
de Bally , pays d'Ambongo, chez les Sacalaves indépendants, où nous arri- 
vâmes après une traversée de neuf jours. 

La baie de Bally , ou baie Bayoona , est habitée par des Arabes mahomé- 
tans nomqaés JaUdotcbes; qAmique établis depuis loi]|;(emps dans le pays, 
on peut les oonsidénir comme «ne tribu noinade. Ils ont des navires avec 
lesquels ils exploitent toute la côte occidentale de Madagascar, et même la 
côte orientale d'Afrique jusqu'à Zanzitar. Ces navins sont toujours à l'an- 
cre et prêts à mettre sous voiles ; leur argent, ainsi que tout ce qu'ils ont 
de précieux, ne vient jamais â terre. Oonmm leurs femmes ne les suivent 
jamais en voyage, ils en prennt^nt partout où ils séjournent. J'en ai connu 
un â la baie de Bally , nommé Ambise, qui en avait dix en divers endroits, 
depu» ZaAzrhar jusqu'à Ma^gasear. £n par4^4tnt paor «n wiyagc iplos^Mi 
moins long , Hs leur (aiment de quoi aHendi^e leur reienr. Hs ont adopté 4a 
mairîèfe «de vivre des Malgaches, en conservant loutelois les pratiques reli- 
gieuses de leur pays. îls n'ont point de mosquées à Madagascar, mais aussi- 
tôt qu'ils séjournent quelque temps dans un endroit, i|ls étabUsseot une 
(^)èce de bangar, où ils se rendent plutteurs foia par j<iuf inofLir iaiie \m^ 



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YOYA^B k ttADA0ASC4R. SA9 

prières. Ces hangars sent tocyours plaeén de manière que les étrangers et les 
Malgaches puissent voir chaque fois qu'ils s'y rendent $ ils affectent k plus 
grande dévotion , espérant sans doute paraître honnêtes aux yeux des bJanet 
et en imposer aux Malgaches. Le chef de la trihu est le dépositaire du 
Coras. 

ies Antalotches sont, i Madagascar, oeque sont les juifs en Pologne; de 
plus, il est impossible d'acheter ou de vendre, ni même d'arriver auprès 
des grands chefs malgaches, sans être préaUblement d'accord avec eux. ^s 
sont les intermédiaires entre les blancs et les Malg«;heà, et^ dans toutes les 
transactions commerciales^ ils trompent les deux partis. Gomme les Mal- 
gaches n'ont aucune idée du commerce, ni de la valeur des marchandées, 
ils ne peuvent se passer des Anialotcfaes. 

Les Sacaiaves indépendants ont trois grands che^, nommés Rabonki ^ 
Siambal et Tassicandrou. Ce dernier, quoique d'un âge avancé, est celui 
qui est le plus considéré comme homme de guerre; il a toujours 2,000 
hommes sous les armes. Siambal, plus jeune que les deux autres, tombe 
souvent à l'improviste sur les Hovas, qui , de leur côté, font de n^éme cbex 
les Sacalaves , tuent, pillent, et emmènent les iirisonniers comme esclaves. 
Toutesces attaques ne servent qu'à s'entre-tuer, sans amener d'autre résultat 
que de ruiner mutueUemenc^leur pays. 

Les Hovas, fiers de singer la civilisation européenne (quoique leur civi- 
lisation ne s'étende guère au delà de notre costume et de l'écriture , les ca- 
ractères étant ks mêmes qu'en Europe), veulent seuls être les «aitres sur 
toute rHe , y établir le régime de la terreur, qui , loin de donner le hien^tre 
et la civilisation , ne seK qu'à dépeupler et porter la misère à son plus haut 
période; mais que leur lent les sou^ances des Sacalaves, de ces peaux 
noires, pourvu que ceux-ci leur donnent leurs femmes , leurs enfauts, leurs 
troupeaux ; qu'ils soient esclaves soumis , c'est toiH ce (fu'iis demandent. 
Pour y parvenir, iàs font disparaître, lorsqu'ils le peuvent, les princes et; 
toutes les grandes familles sacalaves, et abrutissent la nation par le des- 
potisnse. Aujourd'hui, ils sont en grande partie maîtres de toute l'Ile do 
Madagascar; les trois grands chefs sacalaves qui dépendent encore l'indé- 
pendance de ta patrie sont âgés, ils se jalousent nuituetlemeut; l'unÂon 
n'existe jusqu'à présent que contre rennemi commun. Tassicandrpu serait 
le seul en état de réunir les trots tribus indépendantes on corps de nation ; 
les tribus soumises aux Hovas, qui ne supportent leur joug que faute de 
point d'appui , se joindraient à lui au premier triomphe, nuis l'affeetioii 
des Sacalaves pour le chef de leur tribu y mettra toujours obstacle. 

Les Sacalaves indépendants sont encore de vrais sauvages; il leur faudra 
biai du temps pour sentir le b^in d'une civilisation. Ils n'éprouvent au- 
cun besoin, et pourvu que les Américains ou les Européens leur apportent 
de temps en temps des fusils ( modèle anglais ) , de la grosse poudre , un peu 
de toile écrue ou bleue; comme luxe, quelques grains de verroterie de Ve- 
nise pour colliers, et des liqueurs fortes , c'est tout ee qu'ils désirent. Càn 
eut , il n'ex^e point de propriétaires , celui qui sème un terfain «st aussi 



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210 REVUE BK L'aRlKNT. 

le propriétaire de la récolte pour l'année. Leurs rivières 5ionl abondamment 
pourvues de poissons, les forêts de gibier de toutes espèces , tels que le fai- 
san, la pintade, la perdrix, la caille, le canard sauvage, les sarcelles de 
plusieurs espèces, le ramier vert, des pigeons, des perroquets noirs, et une 
espèce de cbauve-souris, d'une grosseur démesurée, et qui offre une nour- 
riture délicate. Mais outre la grande quantité de gibier qui se trouve dans 
ces forêts, on y voit plusieurs espèces de petits oiseaux , à plumage brillant, 
dont je n'ai pu savoir le nom. La veuve de Madagascar est très-commune 
à la baie de Bally , elle est plus grosse que le chardonneret, son corps est 
noir, elle a le ventre orangé, et perd, à la fin de l'hivernage, les plumes 
qui pendent de sa tète comme un voile. 

En arrivant en rade de la baie de Bally, notre premier soin futd*aller 
reconnaître les lieux. A la droite de la baie nous aperçûmes deux villages 
qui ne nous parurent pas habitées, et comme nous nous trouvions à environ 
cinq milles de distance du fond de la baie , où nous savions que se trouvait 
la rivière, nous attendîmes toute la journée afin de donner le temps aux 
naturels devenir avec leurs pirogues nous porter des fruits et des volailles, 
selon l'habitude des sauvages, et prendre des renseignements sur le pays. 
Nous ne fûmes pas trompés dans notre attente. Vers les quatre heures de 
raprès-midi, nous vîmes au loin, arrivant vfrs nous et venant du fond 
de la baie, une pirogue ù balancier; lorsqu'elle fut près nous, nous aperçû- 
mes qu'elle était montée par un Arabe en turban et deux esclaves noirs: 
ils nousapportaient des bananes, des pistaches et àe^Jammes, espèce de 
pommes de terre douces. Après plusieurs signes et quelques paroles échan- 
gées, nous les fîmes monter à bord. L'Arabe savait quelques mots français 
et anglais, et nous apprit qu'à l'entrée de la rivière se trouvait le village 
des Anlalotches, ainsi qu'un village de Sacalaves ; que le pays appartenait au 
roi Rabouki. Il nous dit aussi que les Hovas étaient venus une quinzaine 
de jours auparavant les attaquer; que pour cette raison ils avaient aban- 
donné leurs villages pour se réfugier au fond de la baie , où les Hovas ne 
pouvaient les atteindre, parce qu'ils n'ont ni barques ni pirogues, et 
qu'après un combat avec les troupes de Rabouki , les Hovas s'étaient re- 
tirés, craignant l'arrivée de Tassicandrou, lequel avait sa résidence à six 
lieues de l'autre c6té de la baie. Je lui dis que nous irions le lendemain 
matin à terre, causer avec le chef des Antalotches et acheter un bœuf dont 
nous avions besoin pour l'équipage. 

Le lendemain, 30 août, je quittai le navire avec mon canot , accompa- 
gné d'un officier et de six matelots armés chacun d'un fusil et de deux pis- 
tolets à la ceinture; après avoir ramé pendant environ une heure, nous 
arrivâmes à terre et nous nous rendîmes vers l'endroit désigné par l'Arabe 
qui était venu la veille à bord. Nous aperçûmes bientôt le village des Anta- 
lotches, situé à l'entrée de la rivière; je devrais plutôt dire le camp, car ce 
n'était qu'un groupe de mauvaises cases faites avec den feuilles de ravinala 
(arbre du voyageur). Cet arbre est employé par les habitants de Madagascar 
pour la construction de leurs cases; son bois sert à former la charpente, et 



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VOYAGE A MADAGASCAR. 241 

ses feuilles ornent les parois extérieures, les cloisons et le toi t , ce qiû fait de 
très-jolies cases très-fratches et très-gaies, surtout lorsque les villages sont 
eotourés d'arbres ; mais ici ce n'étaient que des cases provisoires faites à la 
bâte, d'une forme ronde et découvertes d'en haut. 

A notre arrivée, nous fûmes bien t6t enloun^s d'Arabes et de Sacalaves 
armés de sabres, de fusiisi et de sagaies, mais ayant lous l'air pacifique. A 
travers les feuillages de ces cases, je crus voir une quantité de singes, et je 
m'étonnais de leur tranquillité au milieu de cette population; mais après les 
avoir examinés attentivement, mon étonnement augmenta, tout en chan- 
geant d'objet : ces figures repoussantes et gritnaçantes étaient des femmes, 
des jeunes filles, dont la peau noire, les traits épatés avaient causé ipon 
erreur. Leurs ornements et la manière dont elles les disposeat ne sont pas 
faits pour dissimuler leur laideur; elles avaient toutes une narine percée 
dans laquelle était passé un morceau de bois; tout le bord de l'oreille 
était criblé de trous oii étaient fixées des plumes plus longues que le doigt^ 
j'en ai compté jusqu'à huit à une seule oreille ; quelques grains de verroterie 
de Venise autour du cou complétaient la richesse de leur parure. Tout cela 
était affreux à voir pour un Européen, habitué surtout à admirer les Pari- 
siennes, dont la grâce est If. type de la grâce féminine. 

Du reste, ce camp avait un coup d'œit sauvage et pittoresque; les cases 
étaient disséminées et placées avec goût entre de gros arbres qui les ombra- 
geaient ; la rivière en baignait le pied , répandait partout la fraîcheur, faisait 
mille détours , serpentait en s'enfonçant dans un beau vallon d'une verdure 
riche et belle comme on n'en voit que dans ces régions. 

Lechefdu village sacaiave vint nous rendre visite. Il avait sur sa tète un 
chapeau de feutre gris, un sim*bou autour du corps, et un fusil à la main : 
c'était tout son costume. Après nous avoir salués , il s'assit à mes côtés. Je 
lui offris un cigare et un verre de genièvre. Le cigare a'avait pas l'air d'être 
de son goût, mais en revanche il me demanda un second verre , tout en 
ayant fait la grimace pour le premier. Comme le chef des Antalotches tardait 
\ venir et que j'avais quitté le navire sans avoir déjeuné, je commençai à 
sentir le besoin de prendre quelque chose, surtout en voyant les naturels 
qui avaient embroché une vingtaine de petits poissons à un bâton , qu'ils 
disaient griller devant un grand feu. J'en demandai. Je vis sortir aussitôt 
d'entre les feuillages les Vénus que j'avais entrevues un moment auparavant: 
Tune m'apportajdu riz dans un grand plat de terre ; une autre , une douzaine 
de petits poissons grillés non vidés, car les naturels disent qu'en ne vidant 
pas le poisson il est plus délicat; enfin toutes les belles du camp, voulant 
sans doute me voir de plus près , apportèrent toutes quelque chose afin que 
rien ne manquât au déjeuner du blanc. Je crois qu'une arrière-pensée con- 
tribuait à leurs prévenances; c'était d'obtenir un petit cadeau: ainsi l'une 
portait un vase avec de l'eau , une autre quelque bananes , jusqu'au tambour 
qui sert pour déployer leurs grâces en dansant, et qui m'était donné comme 
chaise. Mais je préférai m'asseoir à la hauteur de ma table, c'est-à-dire par 
terre, et laisser le tambour aux belles en les priant de me faire apprécier 
IX. 16 



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S42 EEVIJB OB l'ORlER. 

leur» lalenU. Je 8s en même temps briller k leurs yem qnelqves grains dt 
▼erroterie de Venise, ee qui fat aii YériUble talisman. Elles sarpa«èrait 
mes désirs, car j'aoraisà l'instant même donné volontiers le double pour 
faire cesser la musique qui m'éiourdUsait , et commençait à me donner un 
véritable mal de tête. Je n'eus même pas le courage d*admirer assez les 
contorsions de reins qu'elles employaient et qui redoublaient leur lai- 
deur. Mes marins éuient assis en rond à quelques pas de distance, et 
comme ils avaient pris du biscuit, du lard et du genièvre, ils avaient de 
quoi déjeuuer. Je voulus envoyer la musique près d'eux; mais comme les 
grains de verroterie de Venise étaient en ma possession, je ne pus parvenir 
i me débarrasser des danseuses,et je dus supporter cette horrible musique 
plus longtemps que je ne l'eusse voulu. Il me vint tout à coup à l'idée de 
leur donner les grains de ven otene, espérant que cela ferait cesser ce bruiC 
infernal ; et cela me réussit. Des cris de joie, des disputes succèdent k la 
0an8e pour le partage des ornements. Enfin, je profitai de cette circonstance 
pour m'esquiver ; j'allai faire un tour pour examiner les environs et prendre 
connaissance des lieux. 

Quelque temps après, le chef des Antalotches arriva. Je lui dis que nous 
étions venus pour acheter un bœuf, et que nous désirions qu'il nous fit 
donner un guide pour nous conduire chez Rabouki. Il me répondit que nous 
ne pouvions pas nous présenter chez le prince sans qu'il fût prévenu 
de notre arrivée; qu'il allait y envoyer quelqu'un , et que le lendemain il 
nous rendrait la réponse ( il était facile de comprendre que c'était un pré- 
texte pour ne pas nous laisser commuoiquer avec le prince Rabouki sans 
employer l'interventipn des Antalotches, qui ne permettent jamais aux Euro- 
péens de se passer d'eux près des chth sacalaves) ; que pour le bœuf, il ne 
pouvait pas nous le livrer avant le jour suivant, les troupeaux ayant M 
envoyés dans les montagnes lors de la dernière attaque des Hovas et s'y 
trouvant encore. Je lui dis qu'alors je reviendrais le lendemain matin. 

Je pris congé de mes aimables hôtes et hôtesses pour retourner à bord , et 
ine rendre de U aux deux villages qui se trouvaient à la droite «^ la baie , et 
qui nous avaient paru non habités. En arrivant au rivage, j'achetai à des 
pécheurs, pour des grains de verroterie, une quantité de poissons que je gs 
mettre dans mon canot. Nous tirâmes quelques petits oiseaux aquatiques 
d'une beauté remarquable par l'éclat de leur plumage. 

Après avoir passé quelques heures à bord, je me décidai à visiter les deui 
villages dont j'ai parlé; je partis avec mon canot, ayant quatre marins 
avec moi, et me dirigeai sur le village qui se trouvait le plus à proximité. 
Il contenait environ une cinquantaine de cases et était entouré d'arbres 
magnifiques; j'y remarquai un parc et un abattoir : une grande quantité 
de cornes de bœufs s'y trouvaient encore. Cet établissement avait servi 
sans doute à quelque Européen qui avait séjourné en cet endroit pour fairf 
des salaisons. 

Toutes les cases que nous visitâmes étaient vides; à l'une des extrémités 
du village, se trouvait un petit bois ; 1^, comme dans toutes les forêts 4$ 
Madagascar, était rassemblée une grande Tariété de très-beanx aiims, dep 



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VOYAGE A MADAGASCAR. 243 

palmiers de toutes espèces, des bois de teinture, des ébéniers, des bam* 
bous d'une énorme grosseur. 

Comme notre visite n'avait produit aucun résultat, j'allais quitter oe 
village pour me rendre à l'autre, situé à vingt minutes de là, lorsqu'un marin 
accourut me dire qu'il avait aperçu, devant une petite case, un Sacalave 
accroupi sur le sable : je m'y fis conduire. Lorsque j'arrivai près de l'babi* 
tant de la case, je lui demandai pourquoi ce village était abandonné ; il me 
répondit que ses compatriotes avaient eu peur desHovas, mais que lui n'a- 
vait pas voulu partir, que déjà quelques-uns étaient revenus, qu'ils étaient 
pour le moment dans les champs, et que lui était resté pour apprêter à manger 
à sa femme. Je lui demandai ensuiies'il connaissait la route pour se rendre 
chez Rabouki , et comme il me répondit oui, je lui promis un karam (1) s'il 
voulait m'y conduire. Nous convînmes de deux brasses de toile écrue, et 
aussitôt je fis chercher, par un de mes marins, une pièce que j'avais eu soin 
de prendre avec moi dans mon canot. Le Sacalave tendit ses bras, et, pour 
agrandir la mesure de quelques pouces, il les allongeait en les jetant le plus 
en arrière qu'il pouvait. Lorsqu'il eut sa toile, il me demanda si je voulais 
acheter des œufs , et sur ma réponse affirmative , il gratta avec ses ongles 
dans le sable et en tira dix-huit ; nous nous accordâmes pour quelques grains 
de verroterie. 11 me demanda ensuite si je voulais des poules, et comme 
je lui disais oui, il disparut aussitôt. Je crus qu'il ne reviendrait plus, car 
son absence se prolongeait ; je regrettais déjà de l'avoir laissé partir, lorsque 
je le vis arriver ayant six poules à la main. Nous nous accordâmes comme 
pour les œufs. 11 entra ensuite dans sa case pour y cacher ses deux brasses 
de toile et ses grains de verroterie, et vint avec nous dans le canot. Environ 
une demi-heure après, il me dit que nous ne pourrions pas arriver au village 
de Rabouki avec notre canot, parce qu'il n'y avait pas assez d'eau dans la 
rivière, et que nous devrions nous décider, si nous voulions y aller par la 
rivière, à abandonner le canot pour le reprendre au retour, et marcher de 
temps en temps dans la boue jusqu'aux genoux pour arriver chez Rabouki, 
ce qui ne me plaisait pas extrêmement: «Mais, me dit-il, si vous voulez 
«attendre jusqu'à demain, car la journée est trop avancée, je vous y cpn- 
«duirai par la bonne route.» Je répondis que j'attendrais, que j'allais le 
conduire à bord, où il passerait la nuit, et que le lendemain nous partirions 
de bon matin pour aller chez Rabouki. 

En arrivant à bord , la table était mise: le Sacalave vint s'accroupir dans 
un coin de ma chambre et me vit dîner; il était en admiration de tout ce que 
le maître d'hôtel m'apportait, ainsi que de la lampe surmontée d'un globe en 

(1) Le karam est le salaire que l'on donne soit aux maremites, soit à toute autre 
personne, qu'un étranger eogs^e. On en distingue de deux espèces: le karam ordi- 
naire, que l'on donne pour une journée de travail ou tout autre service que l'oa de- 
mande aux naturels , et le grand karam , que Ton désigne alors sous le nom de kara- 
mou , lorsque rengagement est pour un mois ou une lune, f^ karam simple est de 
deux brasses de toile bleue ou écrue , le karamou de cinq brasses. J'ai essayé de payer 
le karam en verroterie , mais cela ne m'a pas réussi, j'ai toujours dû payer en 
toile. 



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244 HEVtJE DE l'orient. 

cristal ; un tableau à horloge qui pendait dans ma chambre sonna , le Saca* 
lave parut pétrifié d'étonnement. J'avais un piano; je fis prier le médecin 
qvl en touchait de venir jouer quelque chose, voulant voir l'effet que pro- 
duirait la musique sur le Sacalave. Le médecin entra, s'assit au piano et 
joua un morceau de Bobin des bois. Le Sacalave, dès ce moment, ne bougea 
plus, c'est à peine s'il respirait ; il ressemblait â une statue de bronze, et 
lorsque le médecin eut fini il s'écria: «Que sont nos rois à côté des blancs, 
«oh ! que tout cela est beau !» Aucun mot ne peut exprimer son exaltation , 
son admiration. Je lui fis servir du riz et un poulet rôti : il dévora le tout, 
détacha ensuite son seidUc , s'en entortilla la tète et le corps, et se disposa â 
se coucher dans ma chambre. Mais , comme les Sacala ves ont toujours de la 
société avec eux, je ne tenais pas à l'avoir si près de moi ; je le fis monter 
sur le pont, persuadé qu'il dormirait aussi bien là que dans ma chambre. 
Nos marins lui donnèrent quelques sacs de toile avec lesquels il s'arrangea 
parfaitement, car le lendemain matin il fallut le secouer fort longtemps 
jjour l'éveiller. 

Vers les six heures , nous quittâmes le navire pour nous rendre chez le 
prince. Comme il fallait passer par le village des Antalotches, je profitai 
de cette occasion pour m'informer auprès du chef s'il avait une réponse de 
Rabouki: j'appris que ce prince arriverait le surlendemain. Gomme je ne 
voulais pas avoir l'air de me méfier des Antalotches , je résolus d'attendre; 
d'autant plus que j'entendais qu'ils témoignaient leur mécontentement au 
Sacalave qui m'avait accompagné, de ce qu'il avait voulu me conduire chez 
le prince. Il se fâcha aussi et prit fortement notre parti , car je crus pour 
un instant qu'ils allaient en venir aux mains ; je remarquai surtout le chan- 
gement qui s'opéra dans mon Sacalave : pendant qu'il était avec moi , il avait 
eu un air calme et même endormi ; il quitta cet air d'insouciance et devint 
tout à coup un véritable sauvage, ses yeux brillèrent, sa poitrine s'enfla, 
il brandissait sa sagaie dans ses mains et était prêt à en frapper le chef des 
Antalotches. J'eus toutes les peines du monde à le calmer et lui dis que j'at- 
tendrais l'arrivée du prince, que s'il voulait je le garderais près de moi 
comme maremite tout le temps que je resterais dans son pays. 11 me de- 
manda la permission d'aller voir sa femme au village sacalave: «Je croyais 
«que ta femme se trouvait au village où je t'ai rencontré.» Il me répondit 
qu'il était manpiras (homme qui a plusieurs femmes). Au bout de deux 
heures il revint et me dit: «Je vais rester quelques jours avec ma femme 
«et ne veux pas, étant riche, être maremite. J'ai un seidik, des colliers pour 
«moi et mes femmes; je ne désire plus rien et veux maintenant me repo- 
«ser.» Je savais déjà que les Sacalaves étaient fort insouciants et surtout 
très-paresàeux, mais il ne me serait jamais venu à l'idée qu'un homme, 
même un sauvage, eût pu se croire riche avec si peu de chose. 

Le chef des Antalotches me dit qu'il ne pouvait me livrer de bœuf avant 
l'arrivée du roi Rabouki, qu'alors seulement il lui serait permis de m'en 
vendre; il me prévint aussi qu'ils allaient quitter cet endroit pour repren- 
dre possession du village qui se trouvait de l'autre côté de la baie, afin de 
pouvoir recevoir le roi d'une manière convenable. Ils chargèrent tout ce 



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VOYAGE A. MADAGASCAR. 245 

qu'ils possédaient sur huit navires qui leur appartenaient ^ et allèrent, oe 
jour-là même, s'installer dans leur nouvelle demeure. 

Le lendemain , en allant les voir, je me choisis une case pour y avoir im 
pied-à-terre. En retournant à bord, le chef et trois des principaux Antalot» 
ches vinrent avec moi ; là , nous convînmes des prix pour notre commerce 
d'échange. Ils restèrent une grande partie de la journée; mais, comme 
c'était le mois de ramazan , ils ne voulurent rien accepter de ce que je leur 
offris. Nous retournâmes ensemble à terre, et j'y couchai afin de m'y trou- 
ver à l'arrivée du prince. 

Vers les huit heures du matin , une colonne d'environ 100 hommes ar- 
riva, suivie quelques heures après par Vombiache (devin), accompagné d'une 
cinquantaine de Sacalavrs tous armés de fusils. Vers les quatres heures, je 
vis un grand attroupement qui m'annonça l'approche de Rabouki ; il était 
facile de le reconnaître au milieu de la foule. 11 avait une robe de chambre 
de drap rouge, un bonnet de la même étoffe, d'une forme élevée, ayant 
une sorte de queue retombante ; trois rangées de perles en fer-blanc garnis- 
saient le devant du bonnet. Le prince s'appuyait sur deux femmes esclaves; 
l'orateur de la tribu et le chef des Antalolches marchaient à ses c6tés, 
et le peuple entourait le cortège, qui s'arrêta devantune maison appartenant 
à un Antalotche. Le prince alla s'asseoir sous la galerie , ayant ses deux es- 
claves à côté de lui: il m'invita à prendre place. L'ombiache , l'orateur, un 
chef sacalave ainsi que le chef des Anlalo(ches,disposèrcnt l'assemblée ; envi- 
ron 200 hommes s'accroupirent autour de nous, leur fusil entre les jambes. 
Le Sacalave est d'une taille au-dessus de la moyenne ; ses membres sont 
musculeux , son teint est noir, ses traits sont réguliers; il est indolent, mais 
brave: aussi soigoe-t-il son fusil comme son trésor. Il a un fonds de bonté 
dans le caractère , est moins rusé que le Hova , moins menteur, et a plus de 
noblesse, de dignité dans le caractère de la physionomie et le maintien. 11 
est enclin à la paresse et à l'ivrognerie. Ses besoins sont nuls; du moment 
où il possède un fusil, quelques brasses de toiles pour un seidik, du rhum 
ou du genièvre, quelques verroteries de Venise pour mettre autour de son 
cou, ayant cela , il est heureux , riche, et n'a plus de désirs à former. 

Le prince Rabouki-Zafravahimi est un beau vieillard d'environ cinquante- 
huit ans, d'une taille élevée; ses traits sont réguliers , sa physionomie est 
caustique; il est d'un caractère doux, mais, comme se^ siyets, enclin à 
l'ivrognerie. 11 a quatre femmes et plusieurs concubines. 

Lorsque nous fûmes tous assis , j'ouvris le kabaar en disant au prince que 
nous avions beaucoup entendu parler de lui en Europe ainsi que de sa 
nation ; que nous savions que les Sacalaves étaient de braves soldats , qu'ils 
étaient en guerre avec les Hovas ; que nous avions à bord une grande quan- 
tité de fusils et de la poudre que nous leur vendrions contre les produits de 
leur pays. Le prince parut heureux de ce que je lui disais ; il prit la parole 
et me dit : «Je suis l'ami des blancs et je vous vendrai autant de hœuh que 
«vous voudrez.» Je fis ssrvir du rhum et bus le premier pour lui faire voir 
qu'il pouvait sans crainte suivre mou exemple. L'orateur me dit que Ha- 
bouki me demandait si je voulais faire avec lui le serment du sang, qu'a- 



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246 REVUE VE l'orient. 

lors nous le ferions k lendemain ; qu*il était fotigué aujodrd'hui et allait se 
faire masser par ses femmes, et que je l*obligerais si je voulais lui donner 
une bouteille de rbum pour se faire laver. Il ine montra la belle robe et le 
bonnet dé prince pour me les faire admirer en disant que c'était un cadeau 
des Anglais : et Je veux aussi vous faire un cadeau, dis-je à Rabouki, mais un 
«cadeau plus beau que celui des Anglais.» Voulant le laisser reposer, je levai 
la séance en lui promettant de venir à terre le lendemain de bonne beure, 
et que j'allais lui envoyer du rhum. De retour à bord, je lui expédiai aus- 
sitôt deux bouteilles de rhum et deux de genièvre, pensant que ce serait 
wfHsant pour se laver, si toutefois il ne les employait pas à un tout autre 
usage. 

Le lendemain je me rendis vers les neuf heures du matin au village où se 
trouvait Rabouki; il était déjà assis sous la galerie de la maison où je Pavais 
laissé la veille. Sitôt qu'il me vit, il me fit signe de venir m'asseoir à ses côtés. 
J*avais apporté pour lui un beau sabre doré avec un ceinturon de cuir verni 
et deux caisses de genièvre. Lorsqu'il eut bien examiné son sabre , il me de- 
manda ce que contenaient les dfux caisses; je lui répondis que e'était la li- 
queur de mon pays et en fis verser à l'instant. Il était dans l'enchantement, 
me serra dans ses bras, et me dit que nous allions faire tout de suite le ser- 
ment du sang. 

L'orateur du prince plaça devant nous une tasse dans laquelle il jeta un 
peu d'eau , prit ensuite dans un petit sac quelques morceaux de gingembre, 
une pièce d'or à l'effigie de Napoléon, une balle, une pierre à fusil, du riz en 
berbe, jeta le tout dans la tasse, prit un peu de poudre de sa corne de chasse 
qu'il y ajouta. Lorsqu'il eut achevé cette cérémonie, l'ombiache prit sa place, 
et prenant de la main gauche sa sagaie, la retourna en plongeant la lame 
dans la tasse. De la main droite il tenait un petit couteau avec lequel il frap- 
pait continuellement sur la tasse en prononçant des paroles mystiques. Pen- 
dant ce temps, Rabouki et moi tenions le manche-de la sagaie. 11 demanda 
ensuite au prince et â moi si nous promettions de remplir les engagements 
qu'imposait le serment (1), et sur notre réponse affirmative, il continua 
à prononcer des paroles mystiques; lorsqu'il eut fini, il remit le couteau au 
prince, qui découvrit aussitôt sa poitrine et s'ouvrit légèrement le côté 
gaucfae au-dessous du sein ; il ramassa avec le couteau le sang qui en décou- 
lait et en versa sept gouttes dans une cuiller de corne de bœuf, dans laquelle 
l'ombiache avait déjà mis un peu d'eau de la tasse. Le prince m'offrit la 
Cuiller et je bus son contenu; Rabouki me donna ensuite deux grands coups 
de poing dans le dos. Je fis la même cérémonie que le prince venait de faire 
en donnant toutefois les deux coups de poing dans le dos un peu moins 
fort. L'ombiache nous présenta ensuite la tasse et nous en bûmes quelques 
gouttes. Quand tout fut terminé, le prince prit la parole, prononça d'une 
voix forte, de manière à se faire entender de tout le peuple qui nous entou- 

(1) Le «erment du sang consixte à's'aider réciproquement et se porter i^ecours , à 
se traiter non seulement avec les plus grands égards , mais avec ane amitié frater- 
nelle; y manquer ^e^ait se parjurer, et^llirerait une mort méritée au parjure. 



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TOTAGE k MADAGASCAR. 247 

rait , et dit que dès ce moment je pcmrrais aller daas les forêts et dans tout 
le pays sans crainte , que celui qui me ferait du mal en ferait à lui Rabouki^ 
Je fis aussitôt verser du genièvre, et j'en bus avec plaisir pour faire passer le 
goât de la décoction sanguine que je venais d'avaler forcément. Le prince 
était si enclianté de la fraternité qui venait de s'établir entre nous, et pro- 
bablement du rafralebissementqui l'avait suivie, qu'il voulut me faire pré- 
sent d'ube esclave, et me demanda de quelle qualité je la voulais; sa panto- 
mime était fort expressive. Je refusai, bien entendu : il me promit alors de 
m'envoyer un bœuf si gros qu'il ne pourrait marcher; il s'engagea aussi à 
ne faire aucun commerce avec d'autres Européens tant que je Sin*ais dans son 
pays, et il tint parole. 

liesSacalaves m'ayant dit que le coumanga (arbre à poison) existait dans 
le pays, que beaucoup d'Hovasqui ne le connaissaient pas étaient morts pour 
avoir passé dessous pendant l'ardeur du soleil ( ils prétendent qu'il n'est 
point vénéneux ayant le lever et après le coucher du soleil) , voulant me 
convaincre si réellemeni il existait, je quittai le prince en lui disant que 
j'allais tirer quelques pintades ; je pris avec moi deux maremites. Arrivé dans 
le bois, je leur demandai qu'ils me montrassent le coumanga ; mais ils me 
dirent qu'il n'y en avait pas là, qu'il fallait allm* bien loin. Jamais je n'ai pu 
obtenir d'en voir pendant mon séjour dans le pays; j'ignore donc si réelle- 
ment il existe ou s'ils le gardent comme une arme entre leurs mains contre 
les étrangers* 

Après avoir chassé une couple d'heures, je me trouvai fatigué plus encore 
par l'excessive chaleur que par la marche au travers les sables; je me di- 
rigeai vers le prince, afin de l'inviter à venir le lendemain déjeuner à bord. 
En arrivant auprès de lui, quel ne fut pas mon étonnement de trouver sa 
majesté sacalave dans un état complet d'ivresse, une des deux caisses de ge- 
nièvre ouverte à ses côtés. Aussitôt qu'il me vit, il voulut se lever pour venir 
au-devant de moi, mais ses jambes s'y refusèrent ; il me fît signe de m'asseoir 
à ses côtés et voulait à toute force memettredans le même étaïque lui: j'avais 
beau lui dire que j'étais malade d'avoir été à la chasse, il me versa à boire 
et me le porta à la bouche. Lorsque j'eus vidé mon verre, il me serra dans 
ses bras, me prit les mains, m'obséda par toutes ses marques d'amilié. Il 
était d'une gaieté extraordinaire, lorsqu'un de ses gardes, appuyé .sur son 
fusil, et humilié sans doute de Télal dans lequel se trouvait son souverain 
devant un blanc, voulant enlever la caisse pour la porter dans la maison, fit 
diversion à cette scène. Rabouki se mit dans une telle fureur , que s'il avait 
eu sa sagaie auprès de lui, c'en était fait du pauvre Sacalave. Heureusement 
le chef des Anf alotcbes arriva et parvint à emmener le prince. Aussitôt tous 
les che& sacalaves s'assemblèrent en kabaar en présence de Rabouki ; au 
bout d'une heure, l'orateur vint chercher le malheureux donneur d'avis pour 
le conduire auprès du souverain : il eut sansdoute sa grâce, car je le vis sortir 
quelques instants après avec Rabouki, lequel s'appuyaii sur ses épaules. Cet 
épisode avait compti^lement dégrisé le prince. 

En faisant toutefois la pari de leur état sauvage, où, dans un moment de 
colère, ils tueraient un de leurs sujets, les princes sacalaves vivent en pères 



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248 RKVUE 1>£ l'ORIKHT. 

aa milieo de leur tribu; ils se priveraient plut^ du nécessaire qae à'ta 
laisser manquer à leur peuple : aussi le Sacalave est attacbé de coeur et d'âme 
A ses princes et veille incessamment sur eux. Ainsi, pendant le séjour que fit 
Rabouki à la baie de Bally, il logea tous Tes jours dans une case différente, 
voulant contenter par là tous ses sujeU; s'il en eût agi autrement, les habi- 
tants se seraient plaints de son peu d'affection pour eux. 

La richesse des Sacalaves consiste dans la quantité de bœufs qu'ils possè- 
dent; plus leurs troupeaux sont nombreux , plus ils obtiennentde considéra- 
tion. Le prince Rabouki en possède de cinq à six mille. 

Le costume des Malgaches est le même partout, et la description en est fe- 
cile, car le principal, ou, pour mieux dire, leur unique vêtement, est le seidik^ 
pièce de toile large d'environ une aune et longue de deux : ils l'attachent au- 
tour des reins en ramenant les deux bouts entre k;s jambes, et, après les avoir 
fixés dans les plis de la ceinture , les laissent pendre comme un tablier ; la 
nuit, le seidik , qu'ils détachent , leur sert de couverture. 

Les femmes portent également le seidik, mais beaucoup plus long que 
celui des hommes. La coiffure commune aux deux sexes est une espèce de 
gros tire-bouchons courts et tressés; ils mettent sur leurs cheveux de l'huile 
de ricin, qui leur donne beaucoup de brillant. 

Le Sacalave, tout en ayant adopté le fusil sans baïonnette, n'a pas aban- 
donné l'arme nationale, qui est la sagaie , espèce de lance montée sur on 
manche de cinq pieds de long et sans laquelle il ne fait pas un pas. 

4 Lb Bbor de Yexela. 

(La suite à un prochain cahier.) 



MADAGASCAR. 



DROITS DE LA FRANCE SUR CETTE ILE. 

UIPORTANGE DE SON OCCUPATION POUR LA COLONIE DE BOURBON (1). 



A peine Vasco de Gama avait-il franchi le cap de Bonne-Espérance , que 
les navigateurs français dans la mer des Indes montrent leur pavillon sur 
les c6tes de Madagascar, s'abritent dans ses ports et entrent en relations 

(I) Bien que l'expédition projetée contre les Hovas soit pour un temps abandonnée, 
les droitK de la France sur Madagascar, Timportance qu'auraient son occupation et sa 
coloiiittation , nous font penser qu'il convient à la Rci^ue de l'Orient de recueiUir 
tous les documents intéressants relatifs à la grande lie si longtemps nommée par nos 
aïeux France orientale. Le moment viendra où ces documents auront leur utilité 
actuelle; c'est à ce titre que nous publions les extraits d'un mémoire récemment 
adressé au roi par te conseil colonial de l'Ile Bourbon. 



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BHOITS D£ tk FRANGE SUR MADAGASCAR. 249 

avec les habitants. Le 24 juillet l&i2, des lettres patentes de Loais XIII , 
confirmées le 16 septembre 1643 par Louis XIV , accordent la concession de 
nie et le droit exclusif d'y commercer pendant dix années à la compagnie 
française de Lorient, dont le fondateur fut le capitaine de marine Rigaut« 

Cette compagnie ne tarde pas à se dissoudre, et ses privilèges sont trans- 
mis à la compagnie des Indes orientales par un édit du mois d'août 1664 j 
dont nous transcrivons ici lit téralemenl Tartide 29. 

« Nous avons donné, concédé et octroyé, xionnons, concédons et oc- 
troyons à la compagnie des Indes orientales Pile de Madagascar ou Saint- 
« Laurent, avec les lies ci rcon voisines, forts et habitations qui peuvent y 
a avoir été construits par nos sujets, et, en tant que besoin est, nous avons 
« subr(^é ladite compagnie à celle ci^devant établie pour ladite lie de Mada- 
« gascar , pour en jouir par ladite compagnie à perpétuité, en toute propriété, 
« seigneurie et justice, etc. » 

Le 1*' juillet 1666, nouvel édit confirmatif. On y remarque ces expres- 
sions. €( L'tle de Madagascar que nous avons concédée à la compagnie des 
« Indes orientales par notre déclaration du mois d'août 1644 , aux conditions 
« y mentionnées, comme nous étant le seul souverain qui y ait présente- 
« ment des forteresses et des habitations, etc. 

Enfin rtle de Madagascar a été définitivement réunie à la couronne de 
France par un anèt du conseil d'État sous la date du 4 juin 1686. En voici 
les termes:» Tout considéré. Sa Majesté étanti;nson conseil, en conséquence 
« de la renonciation faite par la compagnie des Indes orientales à la pro- 
« priété et seigneurie de l'Ile de Madagascar, que Sa Majesté a agréée et ap- 
« prouvée, se réserve et réunit à son domaine ladite lie de Madagascar, forts 
a et habitations en dépendant, pour par Sa Majesté en disposer en toute 
« propriété , seigneurie cl justice. » 

Certes , il est impossible d'imaginer des actes de souveraineté plus )K)sitifs, 
plus solennels, et plus conformes aux principes du droit international. Sans 
doute, il y a eu des intervalles dans l'occupation: les vicissitudes poiiti(|ues, 
les révolutions que nous avons traversées , en ont été la cause; mais l'inten- 
tion de conserver Madagascar, de ne pas laisser périmer notre droit, est 
écrite à chaque page de notre histoire. Sur ce seul point peut-être, et en ce 
qui touche nos relations extérieures, la politique de la France a toujours été 
constante et ne s*est jamais démentie. 

Un administrateur d'un mérite éminent, M. deFaicourt, qui ptit le 
gouvernement de l'Ile en 1648, disait, en son vieux langage, aux Malgaches 
qui voulaient le faire roi {Relation de l'île de Madagascar^ page 304, déposée 
à la bibliothèque royale ) : « Je leur fis entendre à tous que ce n'était pas 
moi qu'il fallait qu'ils reconnussent pour roi, n'en étant pas digne, mais 
Louis de Bourbon , roi de France , mon seigneur et maître , que je servais en 
ce pays, et pour qui j'avais conquis leur terre, sans les avoir attaqués, et 
moi pour celui qui était pour représenter sa personne, et que, quand il 
viendrait un navire, il viendrait un autre gouverneur à ma place, qu'ils 
reconnaîtraient comme moi, dont ils furent tous contents. » 



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aO REVCB DE t'ORlERT. 

Au nûttacre des Français au Fort Dauphin , en 1672, il est répondu par 
la déclaration énergique du 4 juin 1686. En 1774, le comte de Beniowskt 
conduit une expédition sur les côtes de Madagascar ; des établissements im- 
portants se forment dans la baie d'Antongil. La jalousie du gouvernement 
de nie de France fait seule avorter cçtte entreprise, conduite avec courage 
et habileté. La Convention, au milieu de ses terribles préoccupations, ne perd 
pas de vue Madagascar; Lescalier y est envoyé et déclare la facilité et Tim- 
portance de la colonisation. En 1801, M. Bory de Saint-Vincent est chargé 
d'une nouvelle exploration. Son rapport établit que Madagascar seule peut 
nous donner dans la mer des Indes la prépondérance à laquelle nous avons 
droit. 

En 1804, le capitaine général Decaen relève notre pavillon à Tamatave, 
et en fait le siège des possessions françaises à Madagascar. 

En 1811 , notre commandant à 1 amatave est obligé de céder à une force 
supérieure. Sommé, le 18 février 1811, par une division navale du roi d'An- 
gleterre, il capitule; les Anglais détruisent les forts, abandonnent le pays aux 
naturels, et n*y forment aucun établissement, seulement ils maintiennent 
leur pavillon sur quelque^points de la côte. 

Le traité de Paris du 30 mai 1814 rendit à la France ses anciens droits 
sur Madagascar. L'article 3 stipule en effet la restitution de tous les établis- 
sements que nous possédions hors de l'Europe , avant 1792 , à l'exception de 
certaines possessions, au nombre desquelles ne figure pas Madagascar. H est 
vrai que sir Robert Farquhar, gouverneur de Maurice, prétendit que tes 
établissements malgaches se trouvaient implicitement compris dans la ces- 
sion de l'Ile de France; mais cette interprétation erronée fut combattue avec 
fermeté par la cour de France. La discussion fut vidée contre l'Angleterre, 
et, en vertu d'un acte émané du gouvernement anglais le 18 octobre 1816, 
sir Robert remit à Tadministration de Bourbon tous nos anciens établisse- 
ments; et le signe de notre souveraineté , le pavillon français flotta de nou- 
veau sur le littoral de Test, du Fort Dauphin à Fénérif. De ce moment, la 
politique française relativement à Madagascar reprend son cours avec trop 
de circonspection et de ménagement sans doute; mais avec persévérance, 
les plans se succèdent, les projets les plus divers sont étudiés; l'intention 
de rétablir tôt ou lard notre autorité sur Madagascar ne se dément pas un 
seul instant. En 1818, une commission est chargée d'explorer de nouveau la 
côte orientale. Cette exploration, à laqnelle concourut M. le baron de Mac- 
kau , alors capitaine de frégate, aujourd'hui ministre de la marine, affer- 
mit le gouvernement dans ses projets de colonisation. 

A la fin d'octobt e 1821 , une expédition, commandée par Sylvain Roux<, 
s'établit sur la petite Ile Sainte- Ma rie, qui, placée vis-à-vis Tintingue, parut 
un préliminaire pour l'occupation de la Grande-Terre. Depuis, la France a 
manifesté sa volonté par l'expédition de 1829, commandée par M. Gourbcyre, 
qui n'a échoué que par l'insuffisance des moyens et l'inexpérience de Toffi- 
cier qui commandait les troupes de débarquement. Tout récemment encore 
l'occupation de Nossi-Bé en est un nouveau et éclatant témoignage. Et 



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imOITS DE LA FRAIVCG SUR MADAGASCAR. 251 

même les considérants de l'arrêté de prise de possession , promulgué à BoOr- 
bon et publié dans les journaux de Maurice, ont rappelé expticitemenl la 
souveraineté de ta France sur la grande fie, sans aucune réclamation de la 
part du gouvernement anglais... 

Examinons maintenant si , poussés à bout par les injonctions et la vio- 
lence des Rovàs , nous avons l'espérance fondée de créer à Madagascar une 
grande et importante colonie. 

Il ne serait certes pas raisonnable de chercher dans le passé des arguments 
contré l'avenir. Toutes les tentatives qui ont été faites jusqu'à ce jour sur 
Madagascar n'ont été que partielles, et , par l'insuffisance des moyens em- 
ployés, elles étaient en dehors de toutes les conditions de succès. En outrer 
une fatalité politique, qui ne se renouvellera pas toujours, s'est attachée 
jusqu'aujourd'hui à toutes nos entreprises. A peine Louis XIII a-t-il déclaré 
sa souveraineté sur Madagascar , qu'il descend dans la tombe, où le car- 
dinal de Richelieu l'avait précédé de quelques mois. Les agitations de la 
Fronde et les troubles d'une minorité Orageuse paralysent ensuite toute ac- 
tion gouvernementale. Louis XIV, sans perdre un instant de vue IVIadagascar, 
porte cependant sa principale attention sur l'Amérique du Nord et sur l'Inde, 
ou l'antagAnisme de l'Angleterre l'oblige à concentrer ses efforts. La faiblesse 
de Louis XV ne l'empêche pas de préparer un armement considérable pour 
Madagascar; il en confie le commandement au comte de Beniowski ; mais 
ce prince expirait dans son château de Versailles au moment même oà Be- 
DTOwski atteignait les rivages du Fort Dauphin. Néanmoins la colonisation 
allait s'accomplir sous ce chef intelligent et hardi , lorsque la jalousie odieuse 
du gouvernement de l'fle de France vint tout entraver. Beniowski , contra- 
rié, traversé, poussé en quelque sorte à la révolte, périt le 23 mai 1786, 
atteint par des balles françaises. 

Depuis, la Révolution a éclaté, et les préoccupations violentes de la Con- 
vention, du Directoire et de l'Empire, ne permirent pas de mener à fin les 
projets de la politique française sur Madagascar; la Restauration elle-même 
a succombé au moment où, par l'expédition Gourbeyre, elle venait de té- 
moigner sa volonté bien arrêtée d'ajouter cette colonie à nos pr>ssessions. 

11 semble, sire, que la Providence ait réservé à votre règne de consommer 
cette œuvre tant de fois ébauchée, tant de fois interrompue, et que l'in- 
stinct national n'a jamais pu se résoudre à abandonner. 

Jamais circonstances ne furent pflus favorables. ftesSacalaves, nos alliés, 
maintiennent leur indépendance sur toute la cAte ouest , ofi ils ont été re- 
foulés; ils n'attendent que notre apparition pour se porter en avant. Toutes 
les tribus de l'est, du sud et du nord, impatientes du joug odieux que leur 
ont imposé les Hovas, n'aspirent qu'A le briser» 

Les dispositions navales des peuplades de Madagascar nous sont connues 
t)ar des rapports journaliers et dont la véracité ne saurait être douteuse. 
Nous avons l'intime conviction que vous trouverez les mêmes renseigne- 
ments consignés dans les documents officiels de l'administration de la ma- 
rine. Et non-seulement les Hovas sont environnés de tiibus secrètement 



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252 BEVUE DE l'orient. 

enneinies, mais la peuplade conquérante elle-même, profoodémeot divisée, 
est à la veille de se disjoindre. La reine Ranavala, portée au pouvoir par le 
peuple et Tarmée, a contre elle le parti des princes, réfugiés sur les côtes , 
à No8si-Bé,ou aux lies Commores; Théritière du prétendant Ramanéiackest 
en ce moment à Anjouan , environnée de chefs coalisés qui n'attendent que 
le moment favorable pour rentrer sur la Grande-Terre. On assure que, 
pleine d'appréhensions, et fatiguée d'une situation aussi violente , la reine 
elle-même se propose d'abdiquer. Quels nombreux et puissants éléments de 
succès! Et d'ailleurs, il ne s'agit plus, comme autrefois, d'attaquer un point 
unique de la côte et d'y attendre fatalement les ravages de la fièvre. Par les 
soins de notre gouvernement , les études les plus sérieuses , les plus appro- 
fondies , ont été faites. 

Un ancien gouverneur de Bourbon, M. le contre-amiral de Hell, peut 
fournir les renseignements les plus précis. C'est au cœur qu'il faut frapper 
le gouvernement des Hpvas, c'est sur leur capitale qu'il faut se porter direc- 
tement, c'est à Tananariva que doit se résoudre la question qui s'agite depuis 
200 ans dans les conseils de la France. Les trésors qui s'y trouvent et toutes 
les ressources financières du pays tomberaient immédiatement en nos 
mains, et seraient une première indemnité qui allégerait les charges de l'ex- 
pédition, et pourvoiraient, dans une certaine proportion, aux besoins de 
l'avenir. Une fois bien établis dans le district d'Emirne, nous rayonnerons 
du centre à la circonférence. Tous les plateaux de l'intérieur offrent un 
climat aussi bon que la France. Les documents les plus authentiques, qui 
doivent être déposés au ministère de la marine, ne peuvent laisser à cet 
égard aucun doute, et c'est même ce qui a fait la base de tous les succès 
obtenus par les Hovas : malades comme nous sur le littoral, à peine sont- 
ils atteints par la fièvre, qu'ils regagnent les hauteurs d'Emirne, et se re- 
trempent dans une température européenne. Aussi c'est par les tribus sou- 
mises qu ils occupent en général le littoral , et en transplantant les hommes 
du sud au nord et réciproquement. C'est leur exemple qu'il faut suivre; 
ils nous ont tracé la route dans laquelle nous devons marcher. Leur gou- 
vernement , à part les expédients affreux tirés de l'emploi du tanghin , est 
parfaitement constitué: nous n'aurons qu'à le continuer; seulement nous 
substituerions la civilisation & la barbarie, et peu à peu, sous l'influence 
irrésistible de la persuasion, les plus déplorables superstitions feraient place 
à cette religion du Christ, qui n'est jamais descendue sur aucun peuple 
sans l'ennoblir et le civiliser. 

De la côte ouest à Tananariva s'ouvre une roule praticable à l'artillerie : 
les canons de gros calibres donnés par les Anglais, et transportés sur les 
hauteurs d'Emirne, en sont la preuve. Quant aux troupes que les Hovas 
pourraient nous opposer, elles sont disséminées en différents postes qui s'é- 
tendent depuis le Fort-Dauphin jusqu'au cap d'Ambre, il nous est impossible 
d'en préciser le chiffre , mais ce que nous pouvons affirmer, c'est que, 
tremblant devant les Yolofii. les Hovas sont incapables de résister à l'im- 
pétuosité française réglée par la discipline européenne. Les peuplades asservies 



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DROITS DE LA FRANCE SUR MADAGASCAR. 253 

qui fontaujourd'faui leur force hâteraient leur défaite dès qu'une iutervea- 
tion sérieuse de notre part aurait donné le signal d'une insurrection générale; 
et les Hovas eux-mêmes, frappés journellement par les confiscations, décimés 
par letanghin^ se rallieraient bientôt à un gouvernement régulier et juste, 
qui assurerait leur vie et leurs fortunes et garantirait l'avenir de leurs fa- 
milles... 

Nous devons aborder maintenant une objection beaucoup plus grave; 
c'est celle qui est fondée sur Tinsalubrité du climat. On ne peut nier 
qu'on ne soit exposé sur le littoral à dii» fièvres intermittentes; la cause 
en est facile à découvrir. Les rivières , obstruées à leur embouchure par le 
refoulement des sables, répandent leurs eaux le long des rivages et y for- 
ment d'immenses marécages; là se décomposent toutes sortes de débris, et 
cette abondante végétation interiropicale qui crott, se développe, et périt 
avec tant de rapidité; des vapeurs pestilentielles s*en exhalent: de là la fié* 
TTC et ses ravages. Mais la cause peut en être facilement amoindrie ou para- 
lysée : les forêts abattues , les terres défrichées , l'écoulement artificiel des 
eaux , rendraient bientôt les côtes de Madagascar aussi saines que celles de 
Bourbon. Et d'ailleurs est-ce que le génie de la civilisation a jamais reculé 
devant la fièvre? L'insalubrité des Antilles est bien autrement meurtrière, 
et vingt colonies remplissent le golfe du Mexique. Aucune lie n'a atteint un 
degré plus élevé de richesses que Saint-Domiague avant sa fatale révolution , 
et cependant une peste redoutable semait incessamment la mort parmi les 
habitants. Cayenne et la Guyane ne restent pas fermées à notre industrie, 
parce que la fièvre y règne; ces établissements, au contraire, se développent 
chaque jour, et devant eux s'ouvre le plus brillant avenir. Java, sous un 
climat funeste aux Européens, grandit sans mesure; avec Java, la Hollande 
se console de ses pertes, et même du démembrement de la Belgique ; grâce 
à l'admirable persévérance des Hollandais, Batavia est aujourd'hui le ceatre 
du commerce et de la civilisation dans l'archipel d'Asie. Pour aucun peu- 
ple du monde, Tinsalubrité du climat n'a été une cause de découragement et 
de retraite; le génie de l'homme s'attaque au climat lui-même, et, par la 
persévérance de ses efforts, par une heureuse combinaison de travaux, ij par- 
vient â le modifier et à l'assainir. Ainsi des fièvres endémiques dans plusieurs 
départements de la France, et notamment dans le département de la Cha- 
rente-Inférieure, sont devenues plus rares ou ont disparu sous l'influence 
des défrichements et des irrigations qui préviennent la stagnation deseaux. 
D'ailleurs , votre gouvernement , sire , l'a déjà constaté : tous les plateaux 
du centre jouissent d'un climat parfaitement sain et d'une admirable tem- 
pérature. Eh bien ! nous l'avons déjà dit, c'est là qu'il faut d'abord s'établir 
pour rayonner ensuite jusqu'au littoral ; et à Texception des ports les plus 
importants, qu'il faut occuper immédiatement, la conquête et la culture 
doivent descendre simultanément au fur et à mesure de l'assainissement... 
Madagascar a 285 lieues du nord au sud, et 80 lieues dans sa plus grande 
largeur de l'est à l'ouest ; sa superficie est à peu près égale à celle de la 
France. Les terres s'y élèvent en amphithéâtre jusqu'aux plateaux de Tin- 



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254 RDVUE DE i'ORIENT. 

tériepr, et offrent successivement (ouïes les températures; les'cuKures 
in ter-tropicales et celles même d'Europe s'y irouvent dans les plus admi- 
rables conditions. De la baie d'Antongil à celle de Bombetoc, en passant par 
le cap d'Ambre, se rencontrent des ports magnifiques, et par une laiiiude 
exemple des coups de vent. 

La baie de Diego-Suares et celle de Passaudava sont égales ou supérieures 
à celle de {lio-<)aneiro. De^ terres prêtes à être ensemencées , des forêts 
vierges, s'étendent le long de leurs rivages. Nos vaisseaux trouveront là 
non-seulement un abri parfaiiement sûr, les moyens de défense les plus 
efficaces , mais encore des bois magnifiques et l'approvisionnement le plus 
abondant. 

Jamais M. de La Bourdonnais n'eût fait ses belles campagnes de l'Inde, 
si glorieuses pour notre pavillon, si Madagascar ne lai eût fourni les 
incroyables ressources de son territoire. Madagascar est la reine de l'O- 
céan Indien. Ce que l'Angleterre est par sa situation géographique, vis-à-vis 
l'Europe, Madagascar l'est en Afrique et en Asie. Située à l'entrée deia mer 
des Indes, cette lie domine à la fols le passage du cap de Bonne-Espérance, 
le canal Mozambique et le dédroit de Bab-el-Mandeb; elle est la clef des deux 
roules de l'Inde. Quand les Français y seront une fois solidairement établis^ 
nulle puissance ap monde ne peut les en chasser; ils y seront inexpugnables. 

Le territoire est assez vaste pour recevoir une population de 30,000,000 
d'habitants. Madagascar, dans tout son développement industriel, com- 
mercial, agricole, est préférable à l'iade. Défendue de tous côtés par U 
mer, elle est à l'abri de ces irruptions soudaines qui ont tant de fois atta- 
qué l'tnde par la frontière de terre, et l'ont fait passer sous le joug. Les 
expéditions récenlés des Anglais dans l'Afghanistan témoignent assez avec 
quelle vive sollicitude te gouvernement de llnde tourne constamment ses 
regards vers la frontièi e du nord. Madagascar, par sa position insulaire, est 
à jamais à l'abri de pareilles appréhensions. 

Depuis le traité de Paris de 1814 , le rôle de la France est nul du cap de 
Bonne-Espérance au cap Horn; le pavillon anglais règne souverainement 
dans la mer des Indes , le golfe Arabique , la mer d'Oman , le golfe Persique, 
le golfe du Bengale, la mer de Java, la mer de Chine et le grand Océan. 

Dans la Micronésie, l'archipel d'Asie et la Polynésie, il n'est plus une 
seule lie importante où quelque puissance de l'Europe n'ait planté son 
pavillon. Java ne su fôt plus à l'admirable activité de la Hollande \ Bornéo et 
Sumatra sont progressivement envahis; il n'y a plus de terres nouvelles que 
Madagascar. Du reste, cette lie , la plus importante du monde après Bornéo 
et l'Angleterre pour son étendue, peut, par sou admirable situation , com- 
penser abondamment tous les accroissements de puissance qui se réalisent au 
profit de nos rivaux. Mais les moments sont précieux : aujourd'hui toutes 
les circonstances militent en noire faveur; peut-être que demain des ob- 
stacles insurmontables surgiront... 

Nous croyons que notre domination, solidairement établie à Mada- 
gascar , suffit pour nous faire remonter au rang de puissance maritime 4» 



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CORRESPONDARCE. 265 

premier ordrp; et, quoi qu'en ait dit ua homme d'État célèbre, c'est là une 
noble ambition , c'est l'ambition de la France, et tant que les trois mers 
qui l'environnent baigneront ses rivages, elle n'y renoncera pas. 

Indépendamment de ces grandes considérations , Madagascar ouvre un 
immense débouché à l'excédant de notre population en France; le travail 
libre peut y être organisé sur la plus vaste échelle. Notre commerce y trouve 
immédiatement, et avant toute colonisation, 3,000,000 de consommateurs; 
nos bâtiments peuvent en exporter tout de suite du fer de première qualité, 
du charbon de terre, des gommes de toute nature, le nacre, des cornes, 
des p^ux , de l'orseille , des bois de construction de toute sorte. .. 



CORRESPONDANCE. 



VOYAGE DE MAUWCE EN EUROPE PAR LA MER ROUGE. 

Port-Louis, 29 septembre 1845. 

Monsieur, bien des personnes m'ont récemment demandé des renseigne- 
ments sur le voyage de Maurice en Europe par la mer Rouge. Gomme il nne 
semble que ces détails peuvent être d'un intérêt général, je vous les ^dressç, 
afin que vous pMissiez, si voqs le jugez convenable, les publier dans votre 
Berne, J'ai fait deux fois ce voyage : d'abord pour aller en Europe, pui^ 
pour en révenir. Tout ce qi|e j'avancerai est donc à ma connaissance per- 
sonnelle et d'uqe exactitude dont je suis certain. Le résultat de cette expé- 
rience est, pour moi, la conviction que cette route est, en tous points, pr^. 
férable à celle du cap de Bonne-Ëspérance, que je connais aussi , car je r%i 
parcourue trois fois. Par le Cap, on fait un voyage de trois mois au moips, 
voyage d'une monotonie insupportable, d'une désespérante uniformité « 
toujours entre le ciel et Teau , sauf peut-être une courte relâche, qui ren4 
plus pénible encore le sc^jour du bord. On est ballotté par les vents sur d^ 
navires à voiles, qui , au lieu de marcher droit vers le but comme les bateaux 
à vapeur, s'en éloignent fréquemment, et n'y arrivent qu'avec des lenteurs 
in^nies. A Tappai de cette assertion, je citerai ce qui m'e$t arrivé en juii| 
dernier. A bord de VIndostan, bâtiment à vapeur de la compagnie orien- 
tale, j'ai traversé toute la baie du Bengale en six Jours (du port de Gallef 
dans nie de Ceylan , à Calcutta); pour sortir ensuite de cette même baie^ 
sur un bâtiment â voiles, il nous a fallu plus d'un mois. 

On m'objectera que, par la mer Rouge, les frais d'un voyage en Europe 
sont plus considérables que par le Cap. Cela est vrai, quand on se reqd d'a- 
bord de Maurice à Ceylan ou à Bombay, pour y prendre les bateaux â var 
peur; mais si » évitant ce détour énorme et inutile, on se rend directement 



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256 REVOE DE l'ORIEIXT. 

de Maurice à Aden , on verra tout à l'heure, par des chiffres, que le voyage 
par la mer Rouge ne coûte pas plus que par le Cap. 

Un certain nombre de passagers sont déjà partis de Bourbon ou de Mau- 
rice pour se rendre à Adrn. Une maison de commerce du Port-Louis^ celle 
de MM. Lemière et Gk)uges, a déjà (si je suis bien informé) envoyé plu- 
sieurs navires à Aden, avec des passagers. Je présume qu'elle le ferait en- 
core, à chaque fois qu'il s'en offrirait un nombre suffisant. La traversée de 
Maurice à Aden , sur un navire à voiles , est, me dit-on , de quinze à vingt 
jours. Sur ce point, je m'en rapporte aux personnes sûres que j'ai consul- 
tées; car, n'ayant pu trouver un navire pour A*den à l'époque où je partis, 
en mai 1843, je fus obligé de me rendre à Bombay. Je fis ce voyage en seize 
jours, sur un navinî à voiles. Or, la distance de Maurice à Bombay est à peu 
près la même que celle de Maurice à Aden. Je n'hésite donc pas à croire 
qu'un bâtiment à voiles se rend de Maurice à ce dernier port en quinze à 
vingt jours. MM. Lemière et Gouges ont rendu un vrai service à la colonie 
en établissant cette communication directe, et en évitant ainsi aux voya- 
geurs le long détour de Bombay ou de Ceyian , qui est très-coûteux. H se- 
rait très- fort à désirer qu'ils pussent expédier, chaque mois régulièrement^ 
un navire pour cette destination. Ce serait un grand avantage, non-seule- 
ment pour les voyageurs, mais encore pour touie la colonie, y compris le 
gouvernement ; car, par cette voie directe, nos communications avec l'Eu- 
rope seraient infiniment plus rapides que par Bombay ou Ceyian; je pense 
que nous gagnerions près d'un mois. Le gouvernement donne actuellement 
une prime aux navires qui nous apportent la malle de Bombay : ir serait à 
souhaiter qu'il donnât cette prime, en l'augmentant un peu, â tout arma- 
teur qui se chargerait d'expédier un navire pour Aden, régulièrement cha- 
que mois , à jour fixe. Un bateau à vapeur entre Maurice et Aden serait 
bien préférable, puisqu'il ferait ce voyage en dix Jours; mais il coûterait 
bien davantage. C'est une question importante, dont je me suis beaucoup 
occupé , et que j'examinerai séparément. Revenons aux navires à voiles. 

La traversée de Maurice â Aden est, disais-je, de quinze à vingt jours; 
elle coûte de 20 â 30 liv. sterl. Il faut que le navire parte de Maurice de 
manière à arriver à Aden â peu près à l'époque où les bateaux à vapeur de 
rinde y passent pour prendre les dépèches. On sait que ceux de Bombay 
appartiennent à la compagnie des Indes ; ils passent à Aden , en venant de 
Bombay, vers le 30 de chaque mois. Ceux de Calcutta appartiennent â la 
compagnie orientale ; ils passent à Aden , venant de Ceyian , vers le 16 de 
chaque mois. Aden offre donc deux occasions mensuelles. J'ai voyagé sur 
les bâtiments des deux compagnies : je préfère ceux de la compagnie orien- 
tale; on y est mieux que sur ceux de la compagnie des Indes, qui sont de 
moitié plus petits. Ceux de la compagnie orientale, l'Indostan et le Ben- 
tinck, qui sont passés tous les deux à Maurice il y a quatre ans, sont de vé- 
ritables villes flottantes. On y trouve non-seulement le comfortable, mais 
même le luxe le plus recherché : des salons magnifiques, des chambres com- 
modes toutes meublées, canapés, lits, matelats, oreillers, draps, ser- 



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CORRESPONDANCE. 257 

vielles, bougies, etc.; une table excellenle, des vins à profusion, jusqu'au 
cbampagne; des bains, une bibliothèque, des jeux de dames , d'écbecs , de 
trictrac; des domestiques nombreux et attentifs, une société choisie de 
voyageurs venant de l'Inde. Il est impossible de voyager d'une manière plus 
agréable. Si le navire arrive à Aden quelques jours avant le bateau à vapeur, 
on peut se loger à rhôtel tenu par un Parsi, près du débarcadère. Sans 
doute, on n'y est pas aussi bien que chez M. Luciani; mais on est encore fort 
heureux de trouver un pareil gUesur la côte d'Arabie, où les hôtels sont 
une création récente, et les caravansérails (quoique anciens) fort incom- 
modes pour des Européens. Je puis ceMifier que dans cet hôtel, où j'ai passé 
vingt-quatre heures, j'ai fait un fort boa déjeuner, un fort bon dtner, pris 
un fort bon bain, et dormi dans un lit très-passable. Notez que nous y 
étions une trentaine de voyageurs à la fois; ceux qui viendraient de Mau- 
rice en petit nombre y seraient nécessairement mieux que nous ne le 
fûmes. 

Les bateaux h vapeur prennent huit jours pour se rendre d'Aden à Suez. 
Comme je suis allé de ïiombay à Suez sur le même bûtimenl i)our le prix 
de 20 livr. sterl., j'ai omis de nVin former du prix que payent ceux qui se 
rendent seulement d'Aden à Suez. La distance étant moitié moindre, je 
pense que le prix doit être aussi de n^oilié; dans le doute cependant, por- 
tons-le, si vous voulez, à 15 livr. sterl. Au surplus, je le connaîtrai positi- 
vement, car je vais écrire, à cet effet , à l'agent de la compagnie orientale 
à Aden. La traversée de la mer Rouge est très-intéressante. Oa franchit 
d'abord, en sortant d'Aden, le célèbre détroit de Bab el-Mandeb; puis oa 
^passe en vue de Moka, dont le port contient de nombreux navires, que l'on 
aperçoit à l'ancre. On voit ensuite, à peu de distance, plusieurs petites lies, 
contenant des volcans éteints, dont les coulées de laves sont encore parfais 
tement distinctes. En pénétrant dans le golfe de Suez, on aperçoit, au bord 
de la mer, l'oasis de Thor, avec ses dattiers verdoyants, et, dans l'éloigne- 
ment , les cimes arides du mont Sinat. 

A Suez, on débarque dans un hôtel où a logé, à l'époque de la campa- 
gne d'Egypte, le général Bonaparte. La chambre qu'il y occupa sert main- 
tenant de salle à manger; elle donne sur la mer. De la fenêtre, on aperçoit 
les sables du rivage où il fut près d'être, comme Pharaon, englouti par la 
marée. Après quelques heures de repos à l'hôtel, la compagnie du transit, 
qui se charge, pour 15 livres sterling, de transporter les voyageurs de Suez 
à Alexandrie, les partage en trois caravanes qui partent successivement, 
de deux en deux heures , pour traverser le désert. On peut faire ce trajet à 
cheval, à âne, à chameau, en litière, ou en voiture. Les voitures sont ce 
qu'il y a de mieux , quoiqu'elles laissent encore à désirer; elles sont à deux 
roues , traînées par quatre chevaux, et contiennent chacune six personnes; 
ce sont des espèces de char à bancs, mal suspendus ; il n'est pas possible de 
leur donner des ressorts plus doux et plus élastiques : ils se briseraient cer- 
tainement sur le chemin raboteux du désert. Ce chemin n'est pas de sable, 
comme on le croit ordinairement, mais de gravier. Les cailloux abondent 
IX. Î7 



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258 REVUE DE L^ORIENT. 

à la surface, et donnent parfois d'assez rudes cahots. La distance à parcou- 
rir est de 84 milles. Dans le désert, se trouvent huit stations. Cinq d'entre 
elles ne contiennent que des écuries , où Ton change de chevaux ; les trois 
autres ont des salles à manger et même des chambres à coucher, où l'on peut 
se reposer et dormir quelques heures, si on le désire. On y trouve aussi 
d'assez bons repas, que la compagnie du transit fournit aux voyageurs, et 
dont le prix est inclus dans les 15 livres sterling qu'elle reçoit. Les liquides, 
excepté l'eau, se payent à part. On vous donne bordeaux , xérès , madère , 
porter, bière et eau de Seltz , de bonne qualité , à des prix très-modérés. 
Vous voyez que le désert est en progrès, et que l'on ne risque pas d'y périr 
de soif. Comme l'intervalle entre les auberges est de plusieurs heures, j'en- 
gage les voyageurs à mettre dans leurs voitures quelques oranges et quel- 
ques bouteilles de limonade, et même de pure eau du Nil , qui est délicieuse, 
.l'ai goûté l'eau de la Tamise, de la Seine, de la Loire, du Rhône, du Gange, 
du tombeau de Napoléon, de la rivière des Galets à Maurice, et quelques 
autres encore : je préfère à toutes celle du Nil. 

En arrivant près du Caire, la vue est magnifique. Du haut des collines 
de Mokatam, où passe la route, on aperçoit devant soi les jardins qui en- 
tourent cette grande ville, les minarets épars qui la dominent, le rocher 
de la citadelle dans l'éloighement ; à gauche, les tombeaux à demi ruinés 
des califes, et au delà, sur l'autre rive du Nil, les Pyramides. 

On séjourne vingt-quatre heures au Caire. Le cocher vous conduit, selon 
votre volonté, à l'hôtel d'Orient ou au BrUish hôieL J'ai été à tous les deux; 
le premier est bien supérieur à Tautre. Il est situé sur la magnifique place de 
TEsbekieh , où logeait le général Bonaparte, où l'on montre encore le jardin 
dans lequel fut assassiné Kléber. Au Caire, je suppose que les dames se repo- 
seront. Les hommes feront bien de passer la journée à courir la ville, où 
la citadelle, le palais du pacha , et quelques mosquées, méritent d'être vus. 

Le lendemain, la compagnie du transit vous embarque sur le Nil, à 
bord de son bateau à vapeur. Vingt heures environ vous portent à la petite 
ville d'Atfeh, à Ventrée du canal Mahmoudieh. Ce voyage est d'un grand 
intérêt pour quiconque est familier avec les grands noms de l'antiquité 
égyptienne, grecque ou romaine. Le fleuve est couvert de barques de toute 
espèce, canges, djermes, etc. Les rives sont peuplées de pauvres villages, 
et offrent , par intervalles, des champs de millet, de pastèques, des vergers 
de dattiers , de sycomores. De nombreux troupeaux de buffles viennent se 
baigner ou boire ; des oiseaux aquatiques couvrent les bords. 11 y a dans tout 
cela quelque chose de féerique que l'on ne quitte qu'à regret ; mais le steamer 
vous emporte rapidement. 

Au canal Mahmoudieh, on passe sur un autre paquebot, tirant moins 
d'eau que le premier. En une vingtaine d'heures, on se trouve à Alexandrie. 
En se rendant en voiture, du débarcadère à l'hôtel, on passe au pied de 
la colonne de Pompée. Le voyageur pressé fera bien de se rendre tout de 
suite à bord du paquebot anglais, qui est prêt , attendant les voyageurs de 
rinde pour les transporter en quatre jours à Malte , puis 9 en quinze jourst â 



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CORRESPONDANCE. 259 

Southampton. Mais celui qui a du loisir, et qui veut voir un peu le pays, 
s'arrêtera à Alexandrie pour visiter la ville, le palais, les chantiers, la flotte, 
Taiguille de Cléopâire, et même le pacha, qui reçoit volontiers les personnes 
présentées par les consuls de France et d'Angleterre. On peut rester dans 
cette ville absolument le temps que Ton veut, car on a sans cesse des occa- 
sions de se rendre en Europe. Il part chaque mois six paquebots fran^is 
pour Marseille , deux anglais pour Malte , Gibraltar et Southampton , deux 
autrichiens pourTrieste; total, dix occasions par mois. Trois paquebots 
français se rendent directement à Marseille en sept jours. Le prix du pas- 
sage est de 480 francs, 1 franc par lieue, ou 19 livres sterling 4 s. On paye 
en outre au traiteur du bord 6 francs par jour pour la table, qui est excel- 
lante, et comprend le vin , qui ne se paye pas à part. Ainsi , passage et table 
pour les sept jours coûtent en tout 20 livres sterling 16 s. Les trois autres 
paquebots français ne se rendent pas directement à Marseille; ils vont 
d'abord à Syra, jolie lie de TArchipel grec, et de là à Malte, où ils débar- 
quent leurs passagers, pour leur faire faire Une quarantaine de douze jours. 
Le lazaret est commode, la table fort bonne, à des prix raisonnables, les 
fruits délicieux. On fait venir, chaque jour, de la ville, tout ce que l'on peut 
désirer, livres d'abonnement, fruits, fleurs, journaux, musique, etc. etc. 
On se promène sur les vastes remparts du fort Manoel , et l'on soupire ea 
regardant la jolie ville de Valetta , qui jouit de sa liberté, pendant que vous^ 
pauvre prisonnier, vous êtes sous la garde des lois sanitaires. Mais le dou- 
zième jour arrive enfin : les portes s'ouvrent devant vous ; le meilleur hôtel 
de Malte (celui de la Méditerranée) vous reçoit. 

Quand vous voudrez quitter Malte, les paquebots français vous repren* 
dront et vous feront faire encore un court , mais charmant voyage. £n deux 
jours vous serez à Naples , où le paquebot s'arrête une demi-journée. Mais , 
croyez-moi , restez dix jours dans cette ville, et un autre paquebot viendra 
vous y prendre pour vous transporter en France, en touchant à Givita- 
Yecchia et à Livourne. 

Gette route est cent fois préférable (je ne saurais trop le dire ) à celle du 
cap de Bonne-Espérance. 

Geux dont le voyage se termine en France, je les laisse à Marseille. Mais 
je dois encore un mot à ceux qui iront en Angleterre. Pour eux aussi, cette 
route vaut mieux que celle du Gap. Je leur conseille également de ne pas 
aller à Southampton par la Méditerranée et le golfe de Gascogne. Ge voyage 
de quinze jours est monotone et fatigant. Ils feront bien mieux, à mon avis, 
de s'arrêter à Malte, d'y subir leur quarantaine de douze jours, de visiter 
les ports d'Italie; de se rendre à Marseille, et de traverser la France, pouir 
arriver à Londres par Boulogne et Folkstone. Bien entendu , je ne parle pas 
pour ceux qui sont pressés, et qui aimeront mieux aller directement, en 
Tingt jours, d'Alexandrie à Southampton. 

Résumons maintenant la question de temps et d'argent. Pour les gens 
positifs, cela est plus intéressant que toutes les admirables choses semées 
sur cette route si intéressante. 



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260 RETUE DE l'ORIEI\T. 

De Manrice à Aden, de 15 à 20 jours 30 Ut. ftterl. 

D*AâenàSuez 8 15 

De Suez à Alexandrie 4 15 

D'Alexandrie à Marseille directement ...... 7 20 

39 80 

Je n'ai pas besoin d'ajouter qu'il en coûterait un peu plus à ceux qui 
s'arrêteraient à Malte et visiteraient l'Italie; mais celte différence ne serait 
pas de 15 livres sterling , somme bien modique en comparaison des jouis- 
sances de ce petit voyage. 

Le voyageur qui, de Marseille, voudrait aller en Angleterre à travers la 
France , ne dépenserait pas lô livres sterling , et ferait ce trajet en cinq jours, 
8^1 voulait se presser beaucoup. 

En terminant, je dirai, comme en commençant cette lettre, qu'il est 
fort à désirer que les voyageurs adoptent cette route, et qu'il soit établi 
immédiatement un départ mensuel régulier pour Aden, au moyen de 
deux ou trois bâtiments à voiles employés à ce service, avec une prime 
donnée par le gouvernement. Nous aurions ainsi notre correspondance 
d'Europe en quarante ou quarante-cinq jours ; tandis que par Bombay, 
elle nous parvient rarement en moins de soixante ou soixante-cinq jours. 
Je ne r^arderais cependant des paquebots à voiles que comme provisoires ; 
ce sont des bateaux à vapeur qu'il nous faut entre Maurice et Aden. Ils fe- 
raient ce trajet en dix jours, et avec une bien autre régularité que les na- 
vires à voiles. Dans une seconde lettre, j'examinerai cette question impor- 
tante de l'établissement des bateaux à vapeur, question dont le gouverne- 
ment local est actuellement saisi , sur le renvoi que lui en a fait lord 
Stanley. 

J'ai l'honneur d'être , etc. E. D. 

rj,: ' I , , - ■ : ■ ' i 

LES LAZARISTES EN ORIENT. 



Les Francs, qui jadis, ne pouvaient paraître dans les villes d'Orient sans 
courir risque d'être insultés par les enfants ou maltraités par les janissai- 
res, y sont maintenant à l'abri de toute espèce de vexation , et y jouissent 
de plus de privilèges que les sujets mêmes du sultan. Leur personne et 
leurs biens sont prot^és par des traités que le gouvernement turc craint 
de violer. S'ils commettent un délit , le cadi ne peut pas de sa propre auto- 
rité leur infliger un châtiment; ils ne dépendent que de la juridiction de 
leurs consuls ou de leurs ambassadeurs , et il en est qui malheureusement 
abusent de leurs prérogatives. Depuis que l'Orient vieilli a, dans le senti- 
ment de sa faiblesse et dans ses désirs de r^énéraiion , courbé la tête soij» 
l'ascendant de l'Europe , une foule d'aventuriers, forcés par quelque fausse 



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LES LAZARISTES EN ORIEKT. 261 

spéculation , ou pour quelque autre raison plus grave , ëe s'éloigner de leur 
pays, se sont jetés précipitamment sur cette route qui leur était ouverte 
avec un confiant abandon , et sont venus chercher dans le Levant un refuge 
contre leurs créanciers ou un nouveau théâtre pour leur industrie. Hâtons- 
nous de dire qu'à côté de ces êtres funestes, qui compromettent par leur con- 
duite l'honneur de leur patrie, et qui sont pour les représentants de leur 
nation une occasion perpétuelle de pénibles embarras, il en est qui se sont 
fait une belle et honorable position. J'ai trouvé â Constantinople, autour 
de l'ambassade de France, des négociants, des fonctionnaires, des méde- 
cins, qui, par la dignité de leur caractère et par leur intelligence , contri- 
buent puissamment â entretenir dans l'esprit des indigènes la sympathie 
et le respect que les peuples d'Orient ont toujours eus pour la France. Citer 
les noms de MM. Clavani, E. Bore , Cadalvène , Vcrrolot , Rouet , c'est rap- 
peler, j'en suis sûr, un agréable souvenir à ceux de nos compatriotes qui ont 
séjourné â Clonstantinople. En tète de ces hommes qu'il m'a été si doux de 
connaître, je dois placer les pères lazaristes , ces humbles et tendres apôtres 
de l'Évangile qui accomplissent avec tant de mansuétude , de patience et 
de dévouement leur pieuse mission. Nul intérêt mondain ne les a conduits 
sur la terre d'Orient, nulle ambitieuse rumeur ne résonne autour d'eux. 
On ne les rencontre que là où ils ont le bien à faire; ou ne les reconnaît qu'à 
leurs œuvres. Instruire et consoler, voilà leur tâche. Quiconque a besoin de 
leur secours et de leur enseignement peut sans crainte s'adresser â eux, 
n'importe de quel pays il vient et quelle religion il professe. Leur religion 
leur dit de tendre la main à tous ceux qu'ils peuvent aider, d'éclairer l'igno- 
rance, de soulager la misère et de compatir à toutes les douleurs humaines. 

Sur un des riants coteaux qui entourent ta charmante baie deBébek, ils 
ont un collège que, pour le programme des études, on peut mettre en pa- 
rallèle avec nos collèges royaux. Les élèves y font, dans l'espace de sept ans, 
un cours complet de philologie, d'histoire, de géographie. Ils y apprennent 
le grec ancien en même temps que le grec moderne, le français, l'anglais, 
le turc, et les éléments de géométrie, de physique, de chimie. Plusieurs 
d'entre eux doivent, dit-on , venir l'année prochaine à Paris se présenter à 
l'examen du baccalauréat. Nous espérons qu'ils y paraîtront avec honneur. 

L'école , encore toute récente, renferme déjà cent jeunes gens de différente 
origine. On y voit des Arméniens, des Grecs, des Turcs, tous réunis sous 
une même discipline , et recevant le même enseignement scientifique , lit- 
téraire et moral. Cultiver l'esprit et former le cœur de leurs élèves, voilà 
le but que se sont proposé les fondateurs de l'institution de Bébek; mais il 
est une limite rigoureuse qu'ils ne dépassent pas. «Dans une contrée, di- 
« sent-ils, où les croyances et les nationalités sont aussi multipliées, faire 
« exclusivement acception de l'une d'elles, ce ne serait répondre ni aux be- 
« soins du pays, ni à l'esprit de tolérance que commande la charité chré- 
« tienne.» Et, fidèles à l'engagement qu'ils ont pris, ils laissent à chacun de 
leurs disciples le libre exercice de son culte. 

Le prix de la pension est tel, que les pères de famille qui n'ont qu'une 



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262 RETUE DE l'OHIENT. 

très-modeste fortune peuvent, sans s'imposer une grande gine, y envoyer 
^eurs enfants. Quels précieux résultats ne doit-on pas attendre d'une insti- 
tution si sagement établie et si habilement dirigée! Jamais on n'avait 
rien vu de semblable dans l'empire ottoman. Ce qu'on ne pouvait en aucune 
façon attendre des Turcs, ce que le protestantisme et les autres commu- 
nautés chrétiennes avaient vainement tenté, soit avec For de la Russie, 
soit avec les riches souscriptions des Sociétés bibliques, le catholicisme Ta 
fait avec une puissance de volonté et une religieuse ferveur qui suppléaient 
^ l'exiguïté de ses ressources. 11 a donné aux différents rites qui l'entou- 
rent l'exemple d'un principe d'éducation généreux , libéral , que nul autre 
n'a pu mettre en pratique avec une si grande distinction d'esprit et une si 
noble tolérance. Désormais, on verra sortir chaque année de Bébek des 
hommes instruits, éclairés, qui pourront occuper une place honnête dans 
le commerce, ou servir comme drogmans, comme chanceliers dans les 
consulats, et qui, en poursuivant leur carrière, n'oublieront point qu'ils 
doivent leur utile savoir à des prêtres français. 

L'école de Bébek est l'un des principaux établissements des lazaristes; 
mais là ne s'est point borné la fécondité de leur zèle; ils ont fondé des in- 
stitutions du même genre à Smyrne, à Salonique, à Santorin, dans l'archi- 
pel de la Grèce, dans les montagnes du Liban, dans la Perse et la Mésopo- 
tamie , et sans cesse ils agrandissent le cercle de leurs œuvres. Us ne possé- 
daient, il y a dix ans, que deux petites écoles en Orient; ils y comptent 
aujourd'hui cinq pensionnats, douze écoles et deux mille élèves. Partout où 
ils ont formé une maison d'instruction classique, ils ont aussi travaillé à y 
joindre une école élémentaire et un établissement de charité. Car, pour eux, 
il ne s'agit point simplement d'offrir les bienfaits de la civilisation aux fa- 
milles riches, c'est le peuple surtout qui les occupe, le pauvre peuple des 
rayas, avec sa servitude profonde , son ignorance et sa misère. A Constanli- 
nople, ils ont ouvert, pour les enfants du peuple, deux écoles, Tune de 
garçons, dirigée par les frères, de la Doctrine chrétienne; l'autre pour les 
filles, ce qui était une tentative beaucoup plus diffioile. «L'éducation des 
femmes, dit, dans un de ses rapports annuels, M. Leleu, préfet apostolique 
de l'ordre, l'éducation des femmes, même chez les populations franques 
de l'empire, était une chose complètement à créer. Un établissement public 
répugnait aux habitudes et aux n^œurs de l'Orient. Pour tous les premiers 
essais, il fallait brs^ver toute sorte de répulsion, et il n'y avait qu un succès 
complet qui put justifier la témérité de l'èutreprise. Ce succès , la Providence 
le réservait au zèle et à l'habileté des filles de la Charité, et aujourd'hui les 
écoles publiques, pour les personnes du sexe, sont regardées non-seulement 
comme un progrès, mais comme un besoin.» 

Toute question d'argent a été, dans ces écoles, réduite à sa plus simple 
expression. Ceux-là seuls qui ont le moyen de payer acquittent un modeste 
tribut; les autres sont reçus gratuitement. « Laissez venir à moi les petits 
«enfants,» a dit le Christ, et les petits enfants viennent à ses apôtres du Le- 
vant, et, à quelque condition qu'ils appartiennent, ils ne trouvent qu'un 
duux accueil et une douce sollicitude. 



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tes LAZARISTES W ORIEUT. 263 

Grâce à ces charitables institutions , une partie de la jeune génération de 
Constantinople est déjà francisée. Vous entrez dans une maison où jamais 
les langues d'Europe n'avaient été introduites , et si vous n'avez pas eu la 
précaution de vous faire suivre par votre drogman, vous restez là inquiet, 
confus , balbutiant des phrases décousues que personne ne comprend , lors- 
que tout à coup la porte s'oavre, un petit garçon ou une petite fille arrive 
de l'école avec son livr*» sous le bras, s'approche de son père, puis, apprenant 
votre embarras, vous adresse la parole en français et traduit votre pensée. 
Un jour je me trouvais égaré dans les rues de Smyrne. J'avais recueilli tous 
mes souvenirs philologiques pour demander aux passants mon chemin, 
tantôt en italien, tantôt en allemand, et, en désespoir de cause, j'en étais 
venu jusqu'à articuler d'un air fort savant ma question en suédois. Science 
inutile, peine perdue! Pas une de ces âmes d'Orient n'entendait mes chers 
idiomes septentrionaux, et je m'en allais maudissant cette évidente barba- 
rie , et continuant à errer au hasard dans un labyrinthe de rues et de pas- 
sages où nul être secourable ne pouvait me mettre en main le 61 d'Ariane, 
et où je courais grand risque d'errer encore longtemps. A Fangle d'un bazar, 
j'aperçois un jeune homme si modestement vêtu que je ne pouvais le con- 
sidérer que comme un de ces ignorants turcs avec qui j'avais inutilement 
dépensé tant de paroles sonores; cependant il y allait de mon repos, et je 
hasarde une nouvelle tentative. 

— Doue è la francese strada ? 

Le jeune homme s'arrréte, me regarde en silence. 

— Allons, me dis-je , en voilà encore un qui ne sait pas un mot d'italien. 
f^f^Q est der fFeg,,, P 

— Monsieur parle-t-il français? murmure d'une voix timide mon jeune 
inconnu. 

*- Dieu soit loué! m'écriai-je ; voilà deux heures que je cherche le quar- 
tier franc et l'hôtel d'Orient. 

— Si monsieur veut me le permettre , je le condjuirai moi-même. Ce n'est 
pas loin d'ici. 

J'accepte avec empressement, et nous nous dirigeons vers Thôtel, auquel , 
dans ma pérégrination, j'avais à peu près toujours tourné le dos. Chemin 
faisant, le jeune homme me montrait divers édifices qui méritaient d'être 
> remarqués: ici un khan persan, là une église arménienne, plus loin une 
vieille tour qui date du temps des croisés , et à chacune de ces indications , 
il joignait quelques détails de mœurs ou d'histoire. Arrivé à ma demeure, 
il me fait un profond salut , et me demande d'un ton humble s'il peut en- 
core m'être utile. Je le remercie de mon mieux et tire de ma bourse un gazi, 
salaire habituel d'un drogman. 

— Oh! monsieur, me dit-il , mon père a un bon atelier de menuiserie , 
moi j'ai été élevé à l'école des lazaristes; grâce au ciel, je n'ai besoin de rien, 
et je suis trop heureux d'avoir pu rendre un service à un étranger. 

Les sœurs de Charité établies à Constantinople et â Smyrno , par les laza- 
ristes, ne se contentent point de satisfaire aux devoirs de l'enseignement. 
Ces saintes fillesont joint à leur école deGalata un hôpital, un dispensaire, 



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264 REVUE DE l'orient. 

une pharmacie excellente. Trois médecins viennent là chaque jour donner 
des consultations gratuites, et on y amène des malades de tous les côtés. 
Turcs et chrétiens y reçoivent également le secours dont ils ont besoin. La 
bienfaisance a vaincu les préjugés mahométans, et tel sectateur du Coran 
qui, autrefois, se serait fait scrupule de ne pas souffrir en silence un acci- 
dent douloureux avec l'inerte résignation de son fatalisme, invoque aujour- 
d'hui les salutaires remèdes de Galata. 11 en est qui sont arrivés là de plu- 
sieurs lieues portés sur des brancards. Deux sœurs sont , du matin au soir, 
occupées à penser les plaies de ceux qui sont entrés A rhôpital ; une autre va 
les visiter à domicile; une quatrième prépare les médicaments. 11 y a des 
jours où Ton a compté jusqu*à cinq cents malades réclamant leurs soins. 
Dans le cours de Tannée 1844, elles ont secouru plus de vingt mille pauvres, 
pansé ou visité plus de quarante mille malades, habillé cent cinquante pe- 
tites filles indigentes. Elles ont , en outre , fourni des ornements et du linge 
à plusieurs églises de Grèce et d'Asie. Elles ont entretenu une demi-dou- 
zaine d'orphelins, et donné du linge et des vêtements à une partie des pau- 
vres Polonais auxquels les lazaristes viennent d'ouvrir un refuge dans une 
ferme qu'ils ont établie sur la côte d'Asie. 

d Si l'on demande maintenant, dit M. Leleu, où elles puisent toutes ces 
ressources, je répondrai que c'est dans les trésors de la Providence; les 
sœurs de Saint-Vincent-de-Paul ont pour l'entretien de chacune d'elles 
un modeste traitement de 400 francs. On fournit à leur pharmacie pour 
1,000 francs de médicaments; le reste, elles le trouvent dans leurs écono- 
mies, dans les revenus particuliers qu'elles touchent de leurs familles, et 
dans la charité publique qu'elles sont parvenues à intéresser à un degré bien 
consolant. » 

J'ai visité avec émotion ce vénérable établissement , et en observant les 
pieuses femmes qui le dirigent, j'ai été frappé de l'expression de sérénité et 
de contentement répandue sur leur visage. Elles reçoivent dès cette, vie la 
récompense de leurs bonnes œuvres. Le bien qu'elles font réjouit le cœur, 
et l'esporr d'en faire plus encore anime leur esprit, augmente leur courage. 
J'ai trouvé, dans la salle des malades, une de ces religieuses qui n'avait 
jamais reçu qu'une éducation fort élémentaire , et qui, en quelques mois, 
dans l'ardeur de sa charité , avait appris assez de grec , d'arabe et de turc 
pour comprendre ceux qui invoquaient son secours dans ces différentes 
langues. 

Aussi il faut voir de quelle considération sont entourées ces maisons catho- 
liques et avec quel respect on regarde passer dans les rues les lazaristes et 
les sœurs de Saint- Vincent-de-Paul. La France leur doit de la reconnais- 
sance, car ils honorent et font bénir au loin le nom de la France. Nous 
devons les aider dans leur entreprise, car ils sont sur le sol étranger les fi- 
dèles représentants des idées de civilisation et de progrès de l'Europe, et ils 
n'ont matériellement que de faibles ressources. M. le duc de Montpensier, 
qui , dans son récent voyage en Orient , a charmé tout le monde par sa 
rare intelligence et par son tact exquis , est allé voir la maison des lazaristes, 
et leur a donné de nobles témoignages de sympathie. M. de Salvandy , que 



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COLONISATION DE l'aLGÉRIE. 265 

Ton est isfit de trouver partout où il y aune belle idée à soutenir et une géné- 
reuse action à faire, a envoyé une colleciion de livres aux écoles de Bébek, 
d*Antoura, où les professeurs ont tant de peine à se procurer les ouvrage» 
dont ils ont besoin pour leurs études, et nous espérons qu'il ne s'en tiendra 
point à ce premier acte de libéralité. La langue française est pour les laza- 
ristes la base de Tinstruclion qu'ils répandent en Orient, et leurs établis* 
sements ne peuvent être oubliés du ministre qui dirige avec un zèle si 
éclairé et une sollicitude si vigilante TUniversité de France. 

X. Marmier. 



COLONISATION DE L'ALGÉRIE. 



EXTRAIT D'UN MÉMOIRE AU ROI. 

Pour mieux faire apprécier l'utilité, l'absolue nécessité des moyens de co- 
lonisation que je propose , je vais rappeler en deux mots quelles sont les 
difficultés que nous avons à vaincre en Afrique. La plupart des familles qui 
quittent leur patrie pour venir s'établir en Algérie sont pauvres, et quand 
elles y arrivent, il leur reste à peine quelques centaines de francs, qui ne 
sont rien moins que suffisantes pour s'installer comme agriculteurs en Afri- 
que. Ensuite ces hommes ne connaissent ordinairement l'agriculture que 
par routine; cette routine pouvait leur suffire dans le pays d'où ils sortent, 
où elle était peut-être le fruit d'une longue expérience; mais en Afrique, 
toutes les circonstances sont changées; le soleil , le climat, le sol, les sai- 
sons, tout est différent dans nos possessions transméditerranéennes. 11 faut 
donc ici des connaissances raisonnées et pratiques en agriculture, ou au 
moins un routine propre au pays. En outre, pour conserver la santé au co- 
lon, il lui faut une manière de vivre, un régime hygiénique autre qu'en 
France; pendant les premières années surtout , il doit être entouré de beau- 
coup de précautions, jusqu'à ce qu'il soit bien acclimaté. Les maladies qui 
exercent tant de ravages en Algérie sont ordinairement peu redoutables, si 
elles sont soignées convenablement et prises à temps; mais si elles sont né- 
gligées, elles deviennent en peu de temps incurables, il faut donc que le co- 
lon, aux premiers sympt6mes de la maladie, cesse tout travail et se soumette 
au traitement prescrit par le médecin : or, c'est ce que ne fait pas, et ce que 
De peut presque pas faire le colon individuel , parce qu'en Afrique, le temps 
propice soit aux semailles, soit à la récolte, est court et passe bien vite. Si 
le malade suit alors les prescriptions du médecin, la récolte d'une année 
est perdue; s'il ne les suit pas et qu'il veuille d'abord terminer des travaux 
urgents , le germe mortel qu'il porte dans son corps se développera rapide- 
ment et ne pourra plus être extirpé par aucun remède. Le colon atteint de 
maladie se trouve ainsi suspendu entre deux abîmes, et le plus souvent, 
dans son désespoir, il se jette dans celui d'où il ne pourra plus se retirer ; je 
pourrais citer à ce sujet un grand nombre de faits tous plus tristes les uns 
que les autres. Enfin, comme les populations au milieu desquelles il faut 
asseoir nos colonies nous sont extrêmement hostiles , il n'y a pas , même en 



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266 EEYHE DE i'ORIlSNT. 

temps du paix, assez de sécurité, ni pour les colons éparpillés dans les 
cbamps, ni ][)Our leurs troupeaux, ni pour leurs moissons, et en temps 
de guerre , ou à la première levée de boucliers , cette sécurité serait tout â 
lait détruite. 

Telles sont les quatre grandes difficultés qui s*opposent à la colonisation 
non organisée, et qui feront échouer, pendant longtemps encore, tous les 
essais qu'on tentera en ce genre. Eh bien ! toutes ces difficultés disparaissent 
dans le système que je propose. Voici en quoi il consiste : il s'agit de fonder 
de grandes fermes oiù les colons , au nombre de vingt à viogt-cinq familles, 
travailleront pendant trois ans environ sous une direction commune , com- 
posée de personnes dont les connaissances et les fonctions répondront à 
tous les besoins moraux, intellectuels et physiques de rétablissement. En 
conséquence, cette direction sera composée d'un directeur général de l'éla- 
blissement , du directeur des travaux agricoles , du capitaine de la défense, 
du médecin et du curé. Il y aura aussi, dans chaque établissement, une 
petite communauté de religieuses chargées de Tinstruction des enfants, du 
soin des malades, du pansement des indigènes, et de tous les services im- 
portants de l'économie domestique de la ferme. 

En outre, comme il y a en France un grand nombre d'orphelins et d'en- 
fants trouvés, chaque ferme en recevra une trentaine des deux sexes; cha- 
cune rachètera aussi une vingtaine d'enfants esclaves, qui seront, ainsi 
que les orphelins, adoptés par la direction et les religieuses, qui leur ser- 
viront de pères et de mères. A Tâge de quiqze ans , tous ces enfants seront 
associés aux bénéfices de la ferme, afin qu'ils puissent plus tard , avec leurs 
épargnes et les dots de leurs parents adoptifs , aller en fonder de nouvelles. 

Les colons, comme dans tout^ les grandes fermes eo Europe, seront 
logés, nourris, et payés à tant la journée, d'après une règle établie d'a- 
vance entre eux et la direction ; mais les quatre cinquièmes de ce salaire ne 
leur seront délivrés qu'au bout de trois ans, au moment de leur sortie de 
Tétabli^ement. 

S'ils tombent malades, ils seront soignés gratis; leurs enfants, quel que 
soit leur nombre, seront également nourris, soignés et instruits aux frais 
de l'établissement, jusqu'à l'âge de quinze ans; après ce terme , ils recevront 
aussi une solde et une part dans les bénéfices, proportionnées aux services 
qu'ils seront capables de rendre. Les colons pourront quitter l'établissement 
quand bon leur semblera, en prévenant six semaines d'avance; mais aussi 
Ùl direction aura la focuUé de renvoyer ceux d'entre eux dont elle n'aurait 
pas lieu d'être satisfaite. Daas ces deux cas , les colons qui auront quitté la 
icrme , ou qui en auront été renvoyés, n'auront droit qu'à la solde des tra-^ 
vaux accomplis jusqu'au moment de leur sortie de rétablissement; mais les 
colons qui auront trava^illé dans rétablissement pendant trois années con- 
sécutives, auront, outre celte solde, une part proportionnelle dans les bé- 
néfices , qui seront partagés au bout des trois premières années, et dont jç 
parlerai plus bas^ 

Comme cette part dans les bénéfices pourra être considérable, et a^tteifiidre 
même le chiffre du salaire, il y aura là un stimulant puissant pour les eur 
gafô^r à bien faire leur devoir et à n'être p^s renvoyés de l'établissement. 

Pour arriver promptement à des résultats considérables, et ménager ce- 
pendant autant que possible les forces de nos colons, il y aura dans cha^jue 
ferme des troupeaux nombreux! et bien choisis, et un gr^^nd matériel d'in- 
struments aratoires; une vingtaine de paires de bœufs, une trentaine de 
chevaux, principalement des juments, dix bonnes vaches d'Espagne ou 
d'Italie, une quarantaine de vaches indigènes, un millier de brebis, plu- 
sieurs truies, et une nombreuse basse-cour. 

Voici à quelle somme pourront monter les frais de fondation d'un pareil 
établissement, pendant les trois premières années, y compris la solde et 
l'entretien des cokti^ : 



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COLONISATION DE L'AIGÉRIE. 267 

1^ Prix des constructions pour Iog;er vingt-cinq familles de colons, 
le personnel de la direction et de l'administration, cinquante orphelins et 
entants trouvés ou rachetés, et pour mettre à couvert tes troupeaux . 50,000 fr. 

M. le colonel Marengo, qui a déjà rendu de si grands services à la 
colonie par l'organisation des condamnés miUiaires et par la construc- 
tion des villages de Saint-Ferdinand , de Sainte- Amélie , du couvent 
desjtrappis'es, de4a maison des orphelins, de celle des orphelines, etc., 
m'a assuré qu'avec la troupe il ferait ces construclions à ce prix ; si 
elles étaient faites par des ouvriers civils, elles reviendraient pour le 
moins au double. 

2^ Prix du mobilier indispensable , y compris ce qui est nécessaire 
pour monter de petits ateUers de forgeron , de charpentier et de bour- 
relier 10,000 

30 Pour les troupeaux ; 

20 paires de bœufs 6,000 fr. 

25 chevaux 10,000 

10 vaches d'Espagne 3,000 

40 vaches indigènes 4,000 

1,000 brebis 10,000 

Basse cour, abeilles , truies 1,000 

Entretien de ces troupeaux pendant les premiers mois. 6,000 

40,000 

4** Instruments aratoires , charrues , berses , semoirs , charriots , 

machines à battre le blé, et harnais 10,000 

5^ Semences : blé, orge , pommes de terre , patates, plants d'olivier, 

de mArier, de vigne , etc 10,000 

eP Entretien de vin^t-cinq familles pendant la première année. . . 25,000 
7** Entretien et frais de l'administration de la petite communauté 

religieuse 10,000 

8° Entretien et habillement de trente orphelins pendant trois ans* . 15,000 
9<» Rachat et entretien de vingt enfants esclaves. ....... 10,oOO 

10" Solde des colons pendant les trois premières années 40,000 

11" Solde de manœuvres indigènes pendant les trois premières 

années 10,000 

12<> Comestibles nécessaires pendant la seconde et la troisième année, 

que la ferme ne produirait pas encore 10,000 

130 Frais imprévus 10,000 

Total des dépenses 250,000 fr. 

Ainsi, c'est à la somme de 250,000 francs que s'élèvent tous les frais d'un 
grand établissement agricole de vingt-cinq familles et de cinquante orphe- 
lins, yM^2/'d ce qu'il soit en grand rapport. Cette somme est un peu élevée, 
j'en conviens; mais, en agriculture aussi bien que dans toutes les autres 
exploitations, si les moyens ne sont pas proportionnés à la grandeur et à la 
difficulté de l'entreprise, les résultats sont ruineux. Mais quelque élevée 
que soit cette somme, ce mQde de colonisation coûtera cependant bien 
moins à la France que le système qu'on suit actuellement, et m^me que le 
$yst^mç des colonies militaires de M. le gouverneur général. Il ne me sera 
pas difficile de prouver ce que j'avance. 

Dans le système suivi jusqu'ici pour la fondation des villages, le gouver- 
nement dépense ordinairement de 50 à 80,000 francs pour le fossé d'en- 
ceinte, les tours de défense, la fontaine, les lavoirs, la maison d'école; et 
quand il bâtit une mairie, une gendarmerie, une éslise et un presbytère 
comme à Drariah, à Dély-lbrahim et à Douera, les dépenses s'élèvent jus- 
qu'à 150, 200 et même 300,000 francs; il donne en outre à cbaque colon, 
en matériaux de construction, en semences, en instruments aratoires et en 
bestiaux, une somme de 1200 francs au moins , en sorte qu'il dépense pour 
chaque famille une somme de 3 à 4,000 francs. Et quels en sont les ré.sultals? 
ils sont presque nuls. M. le gouverneur général compte également faire une 
dépense de 3 à 4,000 francs pour un militaire colon; car il demande une 



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268 REYUE DE l'orient. 

somme de 3 à 400 millions pour implanter en Afrique 100,000 colons. 

Mais ces énormes dépenses seraient des dépenses improductives, qui ne 
rentreraient plus dans le trésor. Dans le système des villages civils, c'est 
bien pis, puisqu'ils nécessitent pendant de longues années, sinon pour tou- 
jours, le maintien d'une armée de près de 100,000 hommes (1), qui coûtera 
chaque année 100,000,000 francs. Et qu'on ne fasse pas sonner bien haut 
l'impôt que pourront bientôt payer ces colons : non-seulement ils n'en 
pourront point payer d'ici à bien longtemps , mais le gouvernement doit 
s'estimer heureux s'il n'est pas obligé de venir à leur secours. 

Le mode de colonisation que je propose ne coûtera à la France qu'une 
simple avance de fonds, qui rentreront sûrement au trésor, et qui porteront 
un intérêt de 4 pour 100 dès la première année, mais qui ne sera touché 
qu'à la 6n de la troisième. Avant de développer cette assertion, je vais ex- 
poser brièvement quels seront , à peu près, les produits de l'établissement 
pendant les trois premières années d'abord, puis dans les années qui 
suivront. 

Afin de ne pas laisser le moindre doute sur les chiffres que je vais établir, 
je me permettrai de rappeler que l'établissement est composé de vingt-cinq 
familles, d'une cinquantaine d'enfants orphelins, d'un certain nombre de 
manœuvres indigènes, d'une direction de cinq personnes, et d'une petite 
communauté de religieuses; que le terrain de la ferme est de 1,000 hecta- 
res; qu'il y a un matériel d'exploitation comprenant vinsct paires de bœufs, 
vingt-cinq chevaux, une cinquantaine de vaches, mille brebis, etc. Les 
résultais d'un pareil établissement, s'il est composé de personnes honnêtes, 
laborieuses, s'il se trouve à la tête une direction bien dévouée , énergique et 
intelligente, doivent être certainement considérables. Afin de ne pas nous 
tromper, nous ne prendrons plus pour base le maximum, comme nous l'a- 
vons fait pour les dépenses, pas même le terme moyen, mais nous établi- 
rons nos calculs sur le minimum des produits à espérer. 

Je suppose donc que la première année soit nulle, qu'elle ne produise que 
ce qui est nécessaire pour le pain et les semences de l'année suivante. Je 
suppose que la seconde année nous ne puissions, avec vingt paires de bœufs 
et vingt-cinq chevaux, ou une vingtaine de bons attelages, ensemencer 
que 150 hectares; je suppose encore que nous ne récoltions que huit pour 
un; cela fera , en mettant 2 hectolitres par hectare, 2,400 hectolitres, dont 
je retranche 1 ,200 pour le pain et la semence de la troisième année. Je sup- 
pose enfin que la troisième année, nous ne puissions ensemencer que 
300 hectares ; en prenant de nouveau huit pour un , nous aurons 4,800 hec- 
tolitres, dont nous retrancherons de nouveau 1,400 hectolitres pour la se- 
mence et la consommation de l'année suivante, il nous en restera donc 
3,400 hectolitres ; en y ajoutant les 1,200 de la seconde année, nous aurons 
en tout 4t600 hectolitres pour les trois premières années, qui, à raison de 
16 francs l'hectolitre, donneront une somme de 73,000 francs. 

Jusqu'ici , nous n'avons qu'un côté de la production ; nous supputerons 
maintenant celle des troupeaux. 

Cette production est très-lucrative en Afrique. Depuis quinze ans, les 
colons qui ont pu mettre des capitaux dans les troupeaux les ont presque 
doublés chaque année: cela provient de ce que, aux mois d'août et de sep- 
tembre, les bestiaux sont à très-bon marché, et que trois ou quatre mois 
plus tard, ils ont une valeur double et presque triple. Ainsi on achète, à la 
fin de l'été, une brebis? ou 8 francs, et aux mois de janvier et de février, 
cette même brebis vaut 18 à 20 francs; pareille augmentation a lieu pour 



(1) Cest Topinion de M. le général de Lamoricière. 



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'COLONISATIOnr DE l'algérie. 269 

les bœufs et les vaches, et il en sera de même, tant que la reproduclion de 
ees animaux ne sera pas plus soignée. 

Mais je suppose de nouveau que nous ne soyons pas aussi heureux , sous 
ce rapport, qu'on l'a été jusqu'à prissent, et que nos troupeaux, pour les- 
quels nous avons dépensé une quarantaine de mille francs, ne produisent, 
outre ce qui est nécessaire pour la consommation de rétablissement pen- 
dant la seconde et la troisième année, que 10,000 francs par an (nos brebis 
seules pourront facilement nous donner cette somme): cela fera pour les 
trois premières années 30,000 francs, qui, joints aux 75,000 francs portés 
ci-dessus, donneront un total de 106,000 francs. Je me permettrai de rappe- 
ler que je n'ai pris, pour base de mes calculs, que la culture des céréales qui 
rapportent témoins; mais, quoique nous nous fassions un devoir de nous 
occuper principalement de cette culture, pour les raisons que j'ai exposées 

Elus haut, cela ne nous empêchera pas de planter et ensemencer quelques 
ectares de tabacs fins, de lin, de chanvre, de pavots somnifères, etc. etc., 
dont le rapport est quadruple et même sextuple de celui des céréales, et qui 
nous mettront à même de découvrir les déficits qu'une mauvaise année 
pour les céréales pourrait nous laisser. 

Voici comment, à la fin de la troisième année, se fera le partage des bé- 
néfices de la ferme. D'abord, le gouvernement prélèvera un intérêt de 
4 pour 100 du capital de fondation , ce qui, pour un an, fait 10,000 francs, 
et 30,000 francs pour les trois années. Le reste, dont on fera trois parts, 
sera déclaré produit net, La première sera répartie entre les colons, propor- 
tionnellement au travail de chacun d'eux; la seconde reviendra à la direc- 
tion et à l'administration de l'établissement, et la troisième sera réservée 
pour payer la solde des colons pendant la quatrième année. 

Ce même partage se fera à la fin de la quatrième et de la cinquième 
année; l'excédant qu'il y aura dans la troisième part, réservée à la solde des 
colons, sera employé pour améliorer et augmenter les troupeaux et le ma- 
tériel d'exploitation qui doivent être au moins doublés dans la suite. Mais, 
à la fin de la sixième année, comme la somme des bénéfices doit avoir 
augmenté en proportion de l'augmentation et surtout de l'amélioration des 
cultures et des troupeaux , on prélèvera , outre l'intérêt de 4 pour 100 du 
capital de fondation, la solde des colons pour l'année suivante, et alors la 
troisième part dans les bénéfices nets sera touchée par le gouvernement 
comme un à-compte d'amortissement de ce même capital: et cela jusqu'à 
son extinction totale. Après quoi, il ne continuera pas moins à toucher, 
chaaue année, la troisième part du bénéfice, aussi longtemps que subsistera 
l'établissement. 

li est donc hors de doute que ce mode de colonisation, loin d'être oné- 
reux au gouvernement, lui offre au contraire de grands avantages, puis- 
qu'on bout d'un petit nombre d'années, il sera rentré dans tous ses débour- 
sés, pour lesquels il aura touché un intérêt de 4 pour 100, courant dès la 
Eremière année; et qu'ensuite il entrera pour toujours dans le partage des 
énéfices, qui pendant bien des années deviendront de plus en plus con- 
sidérables. 

On me fera observer peut-être que je porte un peu haut le chiffre des pro- 
duits des trois premières années. J'ai souvent réfléchi sur ce point impor- 
tant, non pas dans mon cabinet, mais dans les champs que j'ai fait 
défricher et cultiver moi-même et dans mes excursions agronomiques chez 
les cultivateurs français et arabes, et je suis bien persuadé que je n'ai donné 
que le minimum des produits à espérer. Il ne faut point comparer les ré- 
sultats d'une exploitation agricole faite par voie d'association , comme je le 
propose, avec les résultats d'une exploitation agricole privée, où il y a sou- 
vent des personnes qui portent peu d'intérêt à la prospérité de l'établisse- 
ment, et où quelquefois les chefs ont plus d'idées théoriques en agricul- 



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i16 REttE DE l^ORlENt. 

ture que de connaissance» pratiques. Je veux cependant supposer que, sur 
le total de» produits des trois premières années, je me trompe de 10, ou 
de 20 et mAme de 30,000 francs; qu'en résul ferait-il? Que les colons 
el les directeuis de IVcahlissement, au lieu de participer A un bénéfice de 
60,000 francs, ne pourraient se parta^^er entre eux qu'une somme de 20 
à 30,000 francs; mais n'oublions pas que cette dernière somme est presque 
tout bénéfice netr que le colon a déj.'^ été soldé pour tous ses travaux, et 
que le gouvernement a également prélevé un intérêt de 4 pour 100 de tou- 
tes ses avances. Dans ce cas, il resterait néanmoins une somme de plus de 
12,000 francs pour la solde des colons pendant la quatrième année. 

On m'a conseillé de demander que le gouvernement avançât les fonds 
nécessaires, sans intérêts pendant trois ans, comme il Ta fait à l'égard des 
trappistes et de plusieurs établissements privés; je n'ai pas voulu suivre ce 
conseil, parce que je suis convaincu que les fermes pourront facilement 
payer un intérêt de 4 pour 100: si cependant le gouvernement voulait faire 
cetiegénérosiié,je m'y opposerais d'autant moins, qu'il ne manquerait pas 
de bonnes raisons pour en agir ainsi; puisque les fermes que je proposé 
d'établir s'occuperont spécialement de la production des denrées de pre- 
mière nécessité, denrées que le gouvernement doit tirer du sol algérien 
même, A tout prix et par des cultivateurs français. 

Il est facile de d 'montrer que, dans ce système, les difficultés qui s'op- 
posent à la colonisation civile non organisée, et à la colonisation militaire 
même, disparaissent toutes, ou sont au moins bien diminuées. Ainsi le co- 
lon pourra gagner, en peu d'années, les capitaux qui lui sont nécessaires 
pour se créer un établissement, et de cette manière, il sanra aussi mieux 
les apprécier; car l'homme n'apprécie ordinairement à sa juste valeur que 
ce qu'il a gagné à la sueur de son front. Il acquerra aussi les connaissances 
agricoles raisonnées et pratiques qui sont indispensables pour prospérer en 
Afrique, et, avant tout, pour n'être pas exposé à tenter des expériences 
ruineuses. Ces avantages, il ne les aura pas achetés au prix de sa liberté 
ou de sa satité, puisqu'il se sera associé et soumis volontairement à un 
régime d'ordre et d'hygiène convenables à sa nouvelle position, et que 
d'ailleurs il aura toujours été entouré de tous les soins de l'art et de la 
charité. 

Si, malgré toutes nos précautions et tous nos soins, quelque colon venait 
à succomber, il aura du moins, en mourant, la consolation que ces enfants 

Île seront point abandonnés, mais qu'ils continueront à demeurer dans 
'établissement, et qu'ils seront associés à tous les bénéfices de la ferme ^ 
aussitôt qu'ils auront atteint l'àse fixé par le règlement. 

Enfin, l'organisation de rélaDlissement le garantira également contre 
tous les dangers extérieurs, auxquels sont et seront pendant longleàips 
exposés les colons individuels au milieu d'une population hostile. 

Cette sécurité, dont jouiront nos fermes, sera le résultat de leur organi- 
sation , et de la disposition bien combinée des uns vis-à-vis des autres; car 
il est bien entendu que ces établissements de vingt-cinq familles seulement 
ne seront pas jetés à de grandes distances les uns des autres, mais qu'ils 
seront disposés par groupes de six, huit, dix, et même davantage, selon 
l'exigence et l'importance des lieux, afin qu'en eas de guerre, ils puissent 
se soutenir et se secourir muiuellement. Nous prendrons ces mesures de pré- 
caution, ainsi que toutes les autres que l'on jugera convenables, non pas 
tant parce que nous les croyions réellement nécessaires, mais parce qu'élite 
seconderont et appuieront beaucoup les moyens par lesquels nous espérons 
gagner les indigènes et les rallier définitivement â notre civilisation. Il faut 
qu'ils aient la conscience que nous sommes, en tout temps, en mesure de 
leur faire du mal, et que si nous ne le faisons pas, mais qu'au contraire nous 
leur fassions du bien , ce D*est pas par une politique rusée et intéressée , mais 



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COLONISATION VE L^ALGÉRIE. 2li 

par géDérosité naturelle , et par une conviction intime et religieuse qui nous 
défend Tune et nous commande l'autre.... 

Pour retirer TAtgérie de la position anormale dans laquelle elle se trouve , 
position qui, depuis quatre ans, a déjà deux fois failli nous attirer la guerre 
avec FAngleterre, et qui, vu la grandeur de la tentation, nous l'attirera 
infailliblement en peu d'années, si nous ne nous hâtons, je crois que cent 
cinquante fermes suffiront: elles devront être placées principalement au- 
tour des villes de Tintérieur qui forment la seconde ligne d'occupation , 
Guelma, Constantine, Sétif, Hamï^a, Médéah, Milianah, Orléansville, 
Mascara, TIemsen. Mais, pour la solution complète du problème, et pour 
çiu'on puisse sans danger réduire Tarmée d'occupation â 30,000 hommes , 
il n'en faudra pas moins de 400. En effet, d'après le minimum des produits 
établi plus haut, chaque ferme placée dans une position avantageuse, et 
montée comme il a été dit, pourra facilement produire dans la seconde 
année douze cents hectolitres de blé au delà de ses besoins, et trois mille 
quatre cents dans la troisième.année; cela fait pour cent cinquante établis- 
sements un total de cent quatre-vingt mille hectolitres de blé pour la se- 
conde année et cinq cent dix mille pour la troisième. Or, avec un pareil 
approvisionnement, joint à nos nombreux troupeaux, on ne pourra certai- 
nement plus nous prendre par la faim. 

D'un autre côté, chaque établissement, étant composé de vingt-cinq fa- 
milles, de cinquante orphelins, et du personnel de l'administration, donne 
une population de deux cents âmes; ce qui fait, pour quatre cents établis- 
sements, une population purement agricole de quatre-vingt mille âmes: 
c'est peut-être peu, si on s'arrête au chiffre, et si on le compare à celui des 
colons militaires proposé par M. le gouverneur général, ou à celui de la 
population indigène, qui dans le Tell monte à un million. Mais je répondrai 
d'abord qu'une population civile moins nombreuse, inais bien choisie, 
bien organisée, bien florissante, et qui produit beaucoup au delà de se^ 
besoins , nous sera bien plus utile en Afrique qu'une foule considérable de 
colons aventureux et abandonnés à leur faiblesse individuelle, bu de soldaté 
sans connaissances agricoles, qui ne feront que végéter, et dépériront bien- 
tôt. Je répondrai , en second lieu , que si nous ne sommes pas , et si nous ne 
pouvons pas être en trois années aussi nombreux que les indigènes, nous 
serons beaucoup plus forts qu'eux par notre position, par notre organisation, 
par notre aitcendant moral , par l'union de tous les établissements entre 
eux, et par tous les moyens puissants que nous fourniront nos progrès dans 
les arts et dans les sciences. Et je ne crains pas d'avancer que, quand ces 
quatre cents fermes seront fondées en Algérie, il ne faudra plus, quelque 
parti qu'aient pris les indigènes, qu'ils se soient ralliés à nous ou non, que 
10,000 hommes de troupes dans chacune des trois provinces; 6,000 cava- 
liers et 4,000 fantassins, ce qui fera pour toute la colonie une armée de 
30,000 hommes, c'est-à-dire le tiers de l'armée actuelle. 

Vabbé LiBiDMiiiXii. 



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272 REVUE DE l'orient. 



ACTES DE LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 



BUREAU POUR t»40. 

(Élections du 13 mars.) 

Président, M. A. Dems, député. 

Fice-Prësidents , MM. le comte Hugo. — Le comte de La Roche- 

POUCHIN. — HamONT. — Jules ClOQUET. 

Secrétaires généraux, MM. 0. Mac Caktht (pour rextérîeur). 

— AuDiFFRED (pourrintérieur). 
Sécrétai re-arcfùviste , M. Jouffroy d'Eschatannes. 
Secrétaires des procès - verbaux , MM. Aubert- Roche. — Louis 

ROCHET. — MOREAU (dC TOUPS). — POUZIN. 

Trésorier, M. H. Horeau. 
Trésorier-adjoint, M. A. de Kbrtéguen. 

ConimiMitoiis permaiieiites* 

Commission de publication. MM. le comte de Saint-Géran, Elisée 

Poujade, Fortin d'Ivry. 
Commission de comptabilité. MM. Potonié, Bellet, Rodîer. 
Commission de correspondance. MM. Morpurgo, le vicomte Onf- 

froy, Boooafood. 



NOUVEAUX MEMBRES ADMIS. 

HfemlipeM titulutres t 

MM. Biz (Emile db), voyageur en Orient. 

Dbsgam»8 (Henri), Toya^ur, attaché au bureau politique du ministère de la 

marine. 
FovQDiBR CAchille) , voyageur en Orient. 

GiRou DB BuzA.RBni«uES ( le docteur ), voyageur en Sicile, à Malte, etc. 
Michel (Edouard), ancien officier d'artillerie, voyageur en Afrique. 
Pbt&bnd (C. ), voyageur en Orient. 

HfemlireM correspondants s 

MM. Sainsou , dessinateur, voyageur dans les cinq parties du monde. 
Lbfievre db MKROif , voyageur en Orient, actuellement en Egypte. 
Deackv ( le capitaine Gérard de ) , voyageur en Orient , à Lucques. 
BiNARELLi (l'avocat Vincent), voyageur en Orient, à Rome. 
Edan ( Benoit ), vice-eonsul d'Espagne, à Singapour. 



ParU.— RiOROCX, Imprimcnrde U SociéK^ orientale, rue Monaîeur-Ie-Princc, 29 ^>. 



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MADAGASCAR. 

» EXPÉDITION DE 1829. 



1. — Anciens établissementK français à Madag^ascar. — G)minent ils furent en partie 
abandonnés. — Tâmataye et Foulpointe. — Les Anglais s'en emparent. — Abandoir. 
— Nouveaux projets de la France. — Raisons à l'appui. — Commission du gouver* 
nement. — Reprise de Sainte-Marie et de Tintingue. — Description de Sainte- 
Marie. — Montagnes, terrains.— • Récifs, passes, côtes, mouillages. — Fortifica- 
tions. — Représentations du conseil colonial de Bourbon. — Option du gouverne- 
ment pour Tintingue. — Radaraa , roi des Ovas; ses conquêtes et sa mort. — Nou- 
Telle expédition; ses forces, son commandant, commissaires du roi. *-- Ordres H 
notification. 

Dès Tannée 1642, la France forma, dans un endroit appelé Thpiougar et 
situé à la côle orientale de Madagascar, un établissement qui prit le nom 
de Fort Dauphin. Pendant près de dtmx siècles, les Français restèrent maî- 
tres du commerce sur celte côte , et y fondèrent successivement les autres 
établissements secondaires de Mangafia ou Sainte-Luce, Tamat a ve , Foui- 
pointe, File Sainte>Ma rie, la pointe de Larrée ou Tintingue, Louisbourg et 
quelques autres comptoirs dans la baie d'Antongil. Le Fort Dauphin devint 
le chef-lieu des possessions orientales de la compagnie des Indes, la rési- 
dence (Tun gouverneur général, et le siège d'un conseil souverain. Ces éta- 
blissements , qui nous avaient été concédés par divers princes de la c6te 
orientale, furent tour à tour occupés , abandonnés, et occupés de nouiyeu, 
selon que Texigèrent les vues du gouvernement ou de la compagnie, et 
principalement les circonstances locales. L'impéritie de quelques gouver- 
neurs, Tavarice de quelques autres, les mauvais traitements que Ton fit 
essuyer aux indigènes, et enfin le peu de ressources que Ton ofMtaux co- 
lons, furent les principales causes qui amenèrent tant de changements suc- 
cessifs dans la colonie. ' * 

Pendant les guerres de la Révolution, ces listes furent concentrés à Ta- 
matave et à Foulpointe, pour assurer l'approvisionnement des lies de France 
et de Bourbon. Ils tombèrent au pouvoir des Anglais, en 1811 , par suite 
d'une capitulation conclue entre M. Sylvain Roux, agei|$ commercial fran- 
çais à Tamatave, et M. Linné , commandant d'une division navale de S. M^ 
Britanni(;iue. Les Anglais détruisirent les forts qui existaient dans nos comp- 
toirs, et abandonnèrent le pays aux indigènes. Des chefs s'emparèrent de 
quelques locaîités au nom de la Fraftice, dont ils étaient alliés, et restèrèat 
toujours dispo-sés à faire cause commune avec nous , conyne o» i^ verra 
plus tard. 

Les tjpaHés dé^$14 et 1815 rei^irent à la ^ance ses anciens droits Mir 
IX. 18 



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2N RETITE DE L^ORIENT. 

Madagascar ; mais la situalion de la France, relativement à ses possessions 
dans rinde, se trouva totatemeot cban^. Llle de France était sous la do- 
mination anglaise; Bourbon n'a point de port; Pondichéry n*a qu'une rade 
foraine; et il ne restait aucun port de refuge à nos bâtiments pour y ré- 
parer leurs avaries. C'est à llle de France qu'ils étaient obligés d'aller, et 
nous devenions ainsi tributaires des Anglais. Le gouvernement français dut 
donc tourner ses vues vers ses anciennes possessions de la côte orientale de 
Madagascar: une commission spéciale sous les ordres de M. Sylvain Roux, 
et composée d'un ingénieur-géographe, d'un arpenteur, du jardin ier4)ota- 
fiiste de Bourbon, et de MM. Scheider, Petit de la Rliodière, Brion et 
Choppy-Desgranges, colons de cette tie, se mit en route. D'après les ordres 
du gouvernement, M. le baron de Mackau, commandant le Golo, devait 
appuyer la commission et la défendre au besoin. Le 15 octobre 1818, la 
commission reprit solennellement possession de Sainte-Marie, et, le 4 no- 
.l^embre, çle Tintingue, en présence des chefs et d^ principaux habitants 
du pays, réunis en kabar ou assemblée générale. 

Le nom de Nossi-lbrahim , que les naturels donnent à l'tle Sainte-Marie, 
semblerait indiquer que les habitants descendent de quelques juifs arabes 
qui , depuis bien des siècles , seraient venus se réfugier à Madagascar et de 
Ift à Sainle-Marie. Elle est située vers le 17® degré de latitude méridionale 
et le 48® d^ré de longitude est, méridien de Paris, et n'est séparée de Ma* 
dagascar que par un canal dont la plus petite largeur, d'environ trois milles, 
est vis-à-vis la pointe de Larrée. Elle peut avoir 5 à 6 myrîamètres de lon- 
gueur, sur une largeur qui varie depuis un quart jusqu'à un myriamètni 
et demi. Un bras de mer la traverse dans sa partie méridionale et la divise 
en deux lies, dont la plus petite, nommée Itet, peut avoir un demî-myria* 
mètre de tour. Elle fut cédée à la compagnie des Indes, en 1750, par Betty, 
fill«^e Ratzimilo, souveraine de l'Ile, et par Dianezanbare, son frère, chef 
de Foulpointe. 

Le sol , qui parait , au premier abord , composé d'une foule de petits mon- 
ticules déuchés, est néanmoins formé de plusieurs chatnes de montagnes 
bien distineics. Dans la partie la plus large, on en compte jusqu'à quatre^ 
dont la direction est la même que celle de l'tle, nord nord-est, et sud sud- 
ouest. t)eux de celles-ci sont basaltiques, et l'une d'elles partage l'tle dans 
toute sa longueur; les deux «utres sont d'un tuf tantôt rougeàtre, tantôt 
jaunâtre, recouvert d'une couche de sable quartzeux , qui forme un sol exéf 
érable. Immédiatement après avoir été défriché, il produit de belles té* 
eoltes en riz et cai^pes à sucre , mais se détériore avec une rapidité extraor» 
#naire, et ne produit plus qu'une végétation maigre et languissante. Il est 
cependaiu probable qu'à force d'engrais, on parviendrait à l'améliorer. 

Les parties basaltiques sont très-fertiles, et les plus élevées de l'Ile. 

5e la mer, les sommets des montagnes paraissent comme âiutant d'tlea; 
Biais ë nMsure^lu'on approche, l'espace qui les sépare se remplit, et l'Ht 
Sainte-Marie se forme. Ces sommets n'offrent qu'un amas confus ou régu-* 
lier de blocs i^riajnatiqiies de basalte, tellimeBt serrés enâ% eu«, fu'U est 



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MADAGASCAR. -- EXPÉDITION DE 1829. §75 

impossible de les cultiver, bien que, dans les intervalles de ees pierres, des 
arbres et des plantes croissent avec vigueur. 

Quelques-unes de ces montagnes basaltiques présentent la particularité 
d'être moins fertiles à leur base qu*à leur sommet , et cela tient uniquement 
à ce que leur sommet est toujours d'un basalte pur, tandis qu'à hi base il se 
trouve mêlé avec du quartz. Si Ton traverse l'île de l'est à l'ouest, on trouve 
alternativement une montagne basaltique et une montagne non basaltique; 
si on la parcourt dans le sens de sa longueur, en suivant une chaîne basal- 
tique , on rencontre ces sommets dont je viens de parler, composés d'un ba- 
salte pur et reposant sur une base basaltique quartzeuse. Quelquefois même 
il arrive que les vallées qui les séparent sont de quartz pur; une ravine^ 
un petit ruisseau, et quelquefois rien de tout cela, limitent des terres si 
différentes. 

Deux chaînes de récifs, que l'on trouve près de la côte, sont encore des 
ramifications de ces montagnes. La première forme un banc immense , à 
une lieue environ de la côte, et protège l'île à l'est contre les flots du large, 
sur une longueur d'environ huit lieues ; la seconde chaîne est moins longue 
et beaucoup plus rapprochée du rivage; elle borde une partie de la côt« 
ouest, en suit les sinuosités, et se joint avec la première chaîne â une lieue 
au sud de l')let,où elle forme une pointe triangulaire qui brise toujours;. 
Le canal situé entre ces récifs et la terre est d'un grand secours pour les 
communications en pirogue; il fournit d'ailleurs beaucoup de poissons et 
de coquillages. 

Ces chaînes de récife sont cependant interrompues par plusieurs passes, 
dont trois bonnes pour les navires : une, à l'ouest, forme la rade et le petit 
port Louis de Sainte-Marie , et les deux autres sont situées aux points sud 
et nord d'une petite île de sable adossée entièrement au grand récif de 
l'est. Cette île de sable, d'une lieue de longueur, forme entre elle et la t|rre 
fierme un bassin vaste et profond, mais qui ne peut servir de port, parce 
que la mer y {est ordinairement grosse. Les bâtiments seraient d'ailleurs 
exposés à la fureur des vents généraux , contre lesquels l'île de sable ne peut 
les abriter, à cause de son peu d'élévation. 

Le canal qui sépare l'île Sainte-Marie de l'Ile de Madagascar ou grande 
terre n'est, à proprement parler, qu'une rade continue. Au sud de la pointe 
de Larrée, cm peut mouiller partout, et comme les récifs qui bordent l'île 
Sainte-Marie sont accores, les navires peuvent s'en approdier de fort près; 
mais dans quelque partie que l'on mouille, il faut absolument une chaîne^ 
è cause des coraux qui tapissent le fond : dans beaucoup 4'endroits, un câble 
tiendrait à peine quelques heures. Les vents généraux ne battent jamais cq 
côte, ce qui rend ordinairement l'appareillage facile; cependant, en hiver, 
il vient quelquefois des raffales de l'ouest qui mettraient les navires ea 
danger, s'ils n^étaient solidement mc^uillés. Dans cette saison, il est prudent 
de mouiller un peu au large; du reste, ces raffales sont de courte dutée. 

' Les côtes de Sainte*Marie sont peu escarpées; dans quelques endroits seu^ 
lement^ d« capiU)a8altiques forn^uit de peiitesiilalaises, mais |énéralem«i| 



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276 REVCB DE L'ORIEIXT. 

on ne trouve qu'une plage de sable unie, recouverte d'une belle verdure* 
Ce sable est calcaire, et résuite des débris de madrépores et de coquillages 
que les flots y accumulent depuis des siècles, et sont par conséquent d'une 
formation plus récente que les parties basaltiques, qui paraissent avoir été 
la cbarpeme primitive de l'Ile. 

On trouve à Sainte-Marie plusieurs baies, mais une seule est propre à 
recevoir les navires; elle peut avoir un quart de myriamètreëé profondeur 
sur une largeur moyenne de 1,000 mètres. On y trouve deux petites lies, 
l'une à l'entrée, l'autre presque au milieu. Celle-ci, appelée Ile aux For- 
tans, est inhabitée, et l'on y a fait un cimetière pour les blancs ; l'autre^ 
nommée lie Madame , et par les naturels Louké , est , par sa position , plus 
intéressante. Elle est entourée d'un chenal qui forme, de chaque côté, une 
passe pour entrer dans la baie ; la passe du nord est la plus large et la plus 
profonde, et forme le petit port Louis, le seul que Sainte-Marie possède. 11 
est parfaitement à l'abri de tous les vents, mais ne peut recevoir que de 
petits navires* 

Le seul fort que possède Sainte-Marie, et que l'on nomme fort de Tiie Ma- 
dame, ne peut battre que la mer; il n'a point de fossés , et l'on peut arriver 
sans obstacles jusqu'au pied de son escarpe. On pourrait , il est vrai, corrî» 
ger un peu ses imperfections, mais il serait impossible de le mettre en état 
de soutenir une attaque en règle. 

Le reprise de Sainte-Marie n'avait donc pas procuré beaucoup d'avan- 
tages, puisque, faute de port convenable et de défenses, elle n'est point un 
lieu de r^àche où en temps de guerre, et même en temps de paix, nos 
vaisseaux puissent y trouver un abri et se ravitailler. Elle resta encore pour 
ainsi dire abandonnée, si ce n'est qu'elle recevait de temps en temps les 
petits navires de Bourbon qui venaient faire le commerce sur la côte de 
Madagascar, et qu'une garnison y était entretenue; un officier distingué 
d'artillerie y commandait, et ses efforts ne purent parvenir à en faire un 
établissement important. Enfin, en 1829, le conseil colonial de Bourbon 
parvint à force d'instances à faire ouvrir les yeux au gouvernement sar la 
nécessité de fonder un véritable établissement dans nos anciennes posses- 
' sions ; on s'occupa alors d'une nouvelle expédition. 

De tous les points que nous avions possédés anciennement à la côte orien^ 
taie de Madagascar, trois seulement avaient fixé l'attention des ministres 
du roi : ce sont Tamatave , Foulpointe et Tintingue ; restait à savoir lequel 
de ces trois points méritait la préférence. 

Tamatave, sous le rapport d'un établissement maritime, ne pouvait con« 
yen*.r, attendu que son port est petit, que les bâtiments y sont exposés â 
tous les vents, que les récifs sont à peu de distance, et que le fond n'est 
pas de bonne tenue. 11 est vrai que sous le rapport des approvisionnements^ 
on y trouve en abondance, et à bon marché, des bœufo, des volailles, du 
poisso» de mer et de civière , et du riz ; mais tous ces avantages ne peuvent 
être mis en balance avec tous les inconvénients qui suivraient et accompa* 
gouraient cet établissement* 



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MADAGASCAR. — KXPÉOITIOIV JHî 1829. 277 

Le-port de Fonlixmite est encore plus petit que celui de Tamatave, dont 
il réunit les mêmes avantages et les mêmes inconvénients. 

Tintingiie, qui a été visité et exploré en 1819 par Tamiral baron de Mac- 
kau, réunit tous les avantages désirés. Situé sur la grande terre, vis-â-vis 
de rUe Sainte-Marie , il possède un port magnifique, à Tabri tlle tous les 
vents, et capable de contenir une grande flotte. Le pays avorsinant est re- 
marquable par sa fécondité, abondant en bois précieux pour les construc- 
tions maritimes, et arrosé par plusieurs rivières considérables, dont plu^ 
sieurs, telles que le Mabompa et le Fandarase, ont leur embouchure dans 
la rade. 

C'est donc avec raison que le gouvernemenl du roi dut préférer Tintingue 
aux deux autres points, pour y jeter les fondements d'un grand établisse- 
ment maritime. 11 fallait aussi établir des relations amicales avec les Ovas, 
afin de les amener à nous faire des concessions dans le voisinage de Tintin- 
gue, en échange du Fort Dauphin, de Foulpointe et de la baie d'Antongil^ 
qui nous ont appartenu , et dont Radama , roi des Ovas, avait pris posses- 
sion en faisant la conquête des provinces de Test de Madagascar. Ce roi 
s'était emparé , en 1822, de tout le territoire qui nous avait été concédé par 
des princes de la c6te, et dont nous avions été en possession pendant près de 
deux siècles. Les peuples indigènes , qui nous étaient toujours restés soumis, 
se défendirent contre le conquérant, aimant mieux appartenir aux Fran- 
çais qu'aux Ovas. Si nous eussions été en mesure d'aider les peuplades qui 
nous étaient dévouées, Radama eût été repoussé bien loin vers Tananarivo , 
sa capitale, et non-seulement tous les peuples de la côte, mais aussi ceux 
de l'intérieur, ainsi que les Sacalaves, peuple guerrierdu nord de Madagas- 
car, et qui tous détestent les Ovas, se seraient rangt^s sous la ])rotection de 
notre pavillon, comme ils le firent plus tard, en 1830. 

Radama étant mort en 1828, sa femme avait pris les rênes de l'État* Le 
gouvernement français, après avoir mûrement réfléchi sur les demandes de 
l'administration de Bourbon, pensa qu*il ne devait point être question de 
prendre de vive force la côte est de Madagascar, mais seulement d'assurer 
la réussite des négociations. Celles-ci avaient pour objet de rétablir nos 
droits sur certaines parties du littoral et principalement sur le territoire 
de Tintingue, de replacer sur des bases solides nos relations de commerce 
et d'amitié avec les peuples madécasses , de reprendre, s'il était possible, 
notre ancienne influence dans le pays , et enfin, de préparer à Tintingue la 
formation d'un établissement maritime qui , dans le cas d'une guerre avec 
l'Angleterre, devait être d'un grand secours pour la France. 

Tels furent les motifs qui déterminèrent le ministre de la marine à ne 
proposer au roi que des mesures dont Texécution pût avoir lieu sans exiger 
on déploiement de forces extraordinaire. S. M. décida , le 28 janvier 1829: 
« Que 166 hommes d'artillerie de marine et 90 hommes d'infanterie légère , 
désignés pour remplacer, au 1^"^ janvier 1830, pareil «ombre de militaires 
des mêmes armes à Bourbon et à Sainte-Marie, partiraient au plus tôt , et 



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278 RETVE DE L^ORiEirr* 

composeratent, avec ces derniers et deux compagnies de fioirs yoloCien 
garnison à Sainte-Marie, le corps expéditionnaire ; 

«Que les correltes la Nièvre et la CItevrette les transporteraient à leur 
destination, avec 200 fusils et un approvisionnement de poudre pour les 
besoins de Sainte-Marie, ainsi que quelques armes de prix et autres objets^ 
pour être donnés aux chefs influents de Madagascar; 

«Que des cadeaux seraient offerts à la reine par MM. Scbœll, cafHtaine 
d'artillerie, commandant à Sainte-Marie, et Jourdain , capitaine de frégate « 
commissaires du roi ; 

aEûfin que la Nièvre, la Chevrette, la frégate la Terpsichore, détachée 
de la station du Brésil, et la corvette l'Infatigable^ formeraient, avec les 
autres bâtiments du roi qui se trouvaient alors à Bourbon, une divi»ott 
navale qui serait placée sous les ordres de M. le capitaine de vaisseau Gour^^ 
beyre, commandant la frégate, et qui agirait conformément à un plan 
4'opérations arrêté par le gouverneur en conseil. » 

Les bâtiments et les troupes de Texpédition se trouvèrent réunis à Bour* 
bon et â Sainte-Marie aux mois de juin et juillet 1829; conformément aux 
intentions du ministre de la marine, M. Hyde de Neuville, M. le comte de 
Cheffontaines , gouverneur de Bourbon, convoqua le conseil privé pour dé- 
lil>érer sur la marche qu'il convenait d'imprimer aux opérations. 

Après une discussion approfondie, â laquelle M. de Cheffontaines crut 
devoir appeler M. Gourbeyre, il fut arrêté : 

lo Que Texpédition se présenterait sur la c6te de Madagascar d'une ma<* 
nière amicale; 

2° Qu'elle ne tenterait rien avant d'avoir reçu de la reine des Ovas une 
réponse à la notification des commissaires du roi , et que ceux-ci se ren- 
draient immédiatement à la capitale pour offrir des présents à la reine et à 
tes principaux officiers; 

3^ Que la notification devrait porter que ^intention du roi de France 
éUit: 

«De faire occuper de nouveau par ses troupes le port de Tintingue ; d'exi* 
ger la reconnaissance de ses droits sur le Fort Dauphin et la partie de la 
côte orientale entre la rivière d'ivondrou et la baie d'Antongil inclusive- 
ment, et autres points anciennement soumis à la domination française; 

«De rétablir sous sa protection et sa domination les anciens chefs maiates 
et betsiminsaracs; 

«Et enfin de lier avec les peuples de Madagascar des relations d'amitié et 
de commerce qui ne pourraient^que contribuer à la paix intérieure et à la 
prospérité du pays.» 

4** Que les commissaires demanderaient une réponse prompte et décisive, 
et que s'ils ne Tobtenaient pas dans le délai de huit jours , ils se retireraient 
immédiatement près du commandant de l'expédition, qui se meltrâit alora 
en devoir d'assurer par la force l'exécution des ordres du roi. 



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MADAGAS^AB. — EXPtOITION DE 1829, 179 

11. — Départ de rexpédilion. — Arrivée à Sainte-Marie. — Le commandant visilç 
Tiritingue. — Description de ce port; défenses naturelles; rivières, fertilité du sol. 
— Réflexions et moyens de s'assurer la possession de Tintingue ; précautions sani- 
taires. — Retour à Sainte-Marie. — Arrivée à Tamatave. — André Soa. — Refus- 
de passe-ports.^ Lettre de M. Gourbeyre à la reine des Ovas ; incident. — Arrivée 
l Foulpointe. — Raneli; accueil de ce chef ova. Visites; peu d'espoir. — Retour à 
Sainte-Marie, puis à Tintingue. —Travaux , fortifications. — Composition de l'é^ 
tablissement; balises. 

Le 14 juÎQ 1829, les troupes de la garnison de Bourbon s'embarquèrent , 
et le lendemain matin M. le capitaine de vaisseau Gourbeyre, commandant 
de rexpédition, muni dMnstructions détaillées et pourvu de vivres et du 
matériel nécessaire, donna Tordre de lever l'ancre. La division, composée 
de la frégate la Terpsichore^ commandée par M. Gourbeyre, de la corvette 
V Infatigable^ commandée par M. Dupont, lieutenant de vaisseau, et du 
Xvdxi%^vi le Madagascar^ capitaine Halley, mit à la voile pour l'Ile Sainte- 
Marie , où elle arriva le 19. M. Levaillant , lieutenant de vaisseau , comman- 
dant du Colibri^ reçut en même temps l'ordre de porter une lettre au gou- 
verneur de Maurice pour lui faire part de l'expédition de Madagascar. 

Le 23, le commandant, accompagné des commissaires, monta à bord 
de l'Infatigable j et se rendit de suite à Tintingue pour visiter le port et la 
côte. 

L'aspect de Tintingue nous parut très-gracieux , et nous ne pûmes surtout 
nous lasser d'admirer la vigueur de la végétation et la beauté d'une ver- 
dure dans toute sa fraîcheur. D'immenses forêts s'étendent depuis le bord de 
la mer jusque sur la cime des montagnes, qui sont très-élevées, et entourent 
le port, qui semble être un lac au milieu d'un immense jardin. Au nord 
surtout, l'aspect est ravissant ries montagnes apparaissent les unes derrière 
les autres en décrivant un amphithéâtre, et, au loin , l'horizon se termine 
par les monts Vigagora, qui élèvent fièrement leurs têtes majestueuses et 
dominent tout le pays. 

La vaste baie de Tintingue est comprise entre la pointe de Larréeet le cap 
qui est à l'embouchure de la rivière de Yombvé. La pointe de Larrée est très- 
basse et bien boisée. Un banc de sable s'étend à plus d'un mille dans le 
nord-est de cette pointe ; mais lorsqu'on est au dedans de ce banc , on peut 
approcher la côte et la longer de très-près jusqu'à une petite distance des 
récifs qui sont vis-à-vis du port de Tintingue au fond de la baie. 

L'entrée de Tintingue est défendue par une bande de récifs de corail qui 
se prolonge depuis la rivière Fandaras, dans la direction de l'ouest à l'est , 
jusqu'à la rivière Yombvé et même au delà. Ces récifs, qui s'étendent assez 
loin au large, sont détachés de la côte, presque dans toute leur longueur y 
d'environ une demi-porlée de fusil, et laissent entre eux et la terre ferme 
un bassin assez spacieux pour les pirogues. La passe d'entrée dite du Golo 
se trouve à l'ouest et est formée par une cassure de la bande des coraux. 
Les difficultés et les dangers de ce passage le rendent déjà une défense na • 
turdle. 



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28# REVUE yt l'obient.^ 

• Le port n'est autre chose que le fond de la baie compris entre ia rivière 
de Fandaras et une presqu'île parallèle à la bande de corail et en dedans de 
ceTle-ci , qui se prolonge pour le fermer au sud. Il est de forme circulaire et 
l'on Y est à Tabri de tous les vents. La presqu'île « qui peut avoir une demi- 
lieue de longueur, et qui plus tard a été le centre de l'établissement, n'est 
réunie d la grande terre que par un isthme de 25 toises de largeur. A un 
quart d'he^^e de marche^ en suivant le rivage vers l'est, on trouve un grand 
ruisseau qui se jette dans la mer, et dont l'eau est ttès-bonne. Il serait facile 
de le détourner et de l'amener dans la presqu'île, qui n'a que l'eau des puits 
creusés dans le sable ; mais celte ressource ne pourrait être bonne qu'en cas 
de paix; autrement elle serait enlevée par l'ennemi. En faisant extérieure- 
ment le tour du port, on trouve encor(^ plusieurs autres ruisseaux qui sortent 
des marais, puis ensuite la belle rivière du Mahompa, que nous avons re- 
montée en piroguejusqu'àciuq quarts de lieue dans l'intérieur, et qui avait 
déjà été explorée par l'amirnl baron de Mackau. A une demi-lieue de l'em- 
bouchure, une branche, nommée le Petil-Mahompa, se dirige dans le nord. 
En continuant le tour du port, on voit encore un grand ruisseau, puis 
enfin la rivière de Fandaras, dont l'embouchure marque l'extrémité du 
port. Entre les deux rivières du Mahompa et de Fandaras, à l'ouest, on 
aperçoit une montagne très-élcvce (|ue Ton a nommée mont Chabrol, et 
enfin, presque vis-à-vis, en remonlant vers le nord et au milieu du port, 
l'Ile des Sorciers. 

Tout le terrain de la partie intérieure du port est plus élevé que la pres- 
qu'île, qui n'a guère que 4 pieds au-dessus du niveau de la basse mer; il est 
très boisé et vient des moai.ngncs se terminer en pente douce vers le rivage. 
Les nombreux marais qui s'y trouvent seraient facilement desséchés, mais 
ils pourraient èire une bonne défense contre l'approche de l'ennemi. La na- 
ture du terrain est ù peu près la même qu'à Sainte-Marie; il y a beaucoup 
de terre ù briques. 

On pourrait former un excellent port niililaire à Tinlingue, qui, étant 
foriifié vers le rivage, serait imprenable par mer. Le banc de récifs, sur le- 
quel la mer brise et produit un ressac très-dangereux, est déjà, comme je l'ai 
dit, une bonne défense naturelle; il n'y aurait donc plus qu'à prendre des 
mesures pour en interdire l'approche des autres côtés. Je pense que les pre- 
miers efforts de résistance devraient être placés sur trois points très-impor- 
tants : 1^ à l'entrée du port, sur la pointe de la presqu'île; T sur le cap qui 
forme la rive gauche de la rivière Fandaras, et 3** sur l'île des Sorciers. 
C'est là que l'arme du génie pourrait déployer toutes ses ressources; on pour- 
rait établir de fortes redoutes qui battraient l'ennemi en tête pendant plu& 
d'un quart d'heure en entrant dans la passe ; en flanc , quand il serait en de- 
dans, et en poupe, quand il aurait franchi l'entrée du port, et il entrerait 
de suite (Uns le feu des batteries que l'on aurait construites au fond du port, 
sur chaque rive du Mahompa. Du côté de la terre, on peut fortifier l'isûime 
de manière à empêcher l'ennemi d'entrer dans la presqu'île. 

Pour s'assurer la possession de Tintingue, il serait convenable de con- 



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MADAGJISCAR. — £SP£i»lT10N DE 1829. 281 

struire une citadelle sur le mont Chabrol : elle aurait le double avantage de 
n'être point dominée et de battre en même temps la terre et la mer ; sur le$ 
flancs de cette moniagne, d*élever de fortes batteries retranchées qui géné- 
raient encore les approches du port. On établirait une autre citadelle à ||t 
pointe de Larrée, pour battre sur tous les points, et deux redoutes qui flan^ 
queraient le canal de Sainte-Marrie. On isolerait facilement les fortifications 
de la pointe de Larrée au moyen d'une branche des rivières de Fipdaras ou 
de Simiane. 

Quant au personnel de rétablissement , je pense qu'il faudrait qu'on en- 
voyât en grande quantité des ouvriers de différents métiers, tels que forge- 
rons, charpentiers, scieurs, maçons, pompiers, serruriers, ferblantiers, 
etc. etc., et des hommes sachant lire et écrire et en état de servir à la con- 
duite des travaux de tous genres. De cette manière, on serait assuré de colo- 
niser rapidement pendant la paix , et le service n'en serait que mieux fait 
en temps de guerre. Je crois aussi qu'il serait utile d'organiser un corps 
de cent hommes à cheval pour faire des reconnaissances dans l'intérieur du 
pays. 

Il est très-essentiel, dans ces contrées brûlantes, de défendre aux soldats 
l'usage mortel des liqueurs spiritueuses. On devrait même interdire à ceux 
qui sont chargés de fournir et de surveiller la subsistance des troupes la 
faculté de comprendre l'eau-de-vie ou le rack dans la ration journalière du 
soldat. Les régiments, en revenant des colonies, sont toujours réduits plus 
ou moins , et quelquefois des deux tiers ; cette mortalité est plus souvent due 
à l'intempérance qu'aux maladies. 

Cette contrée si belle et cette vaste baie si bien disposée sous tous les rap- 
ports devaient, certes, nous séduire, et nous étions tous d'avis que le mi- 
nistre , en se fixant sur Tintingue , avait choisi le lieu le plus propre à rem- 
plir le but qu'pn se proposait; mais la prudence exigeait que Ton examinât 
plus en détail les localités. Un établissement militaire et commercial pe 
peut être formé que dans certaines conditions qu'il faut étudier scrupuleu- 
sement, et vingt-quatre heures ne pouvaient suffire â apiprécier les avan- 
tages et les inconvénients. On décida qu'il fallait attendre une exploration 
en r^le , et l'on revint à bord. Le 26, avant l,e jour, nous étions de retour à 
Sainte-Marie. 

Le l®** juillet nous Mmes rejoints par le Colibri^ et le lendemain nous 
vîmes arriver les corvettes la Nièvre j commandée par M. Letourneur, capi- 
taine de frégate , et la Chevrette , commandée par M. de Panis, lieutenant de 
vaisseau. Ces deux bâtiments, qui arrivaient de France et avaient touché & 
Bourbon , apportaient, outre la nouvelle garnison de Bourbon , des présents 
destinés à la reine des Ovas par le roi de France. Ces présents consistaient 
en deux cachemires français^ une robe de cour en velours cramoisi , une 
autre en tulle brodé , deux pièces de gros de Naples et une très-belle pen- 
dule. Ces objets avaient été choisis avec soin , dans le but de faire connaître 
à la reine la beauté des produits de nos manufactures, et l'encourager à faire 
un traité de commerce qui nous ouvrirait ses ports. 



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aiTins DE l'oriest. 

Là divisioii , aifisi augmentée des deux corvettes arrivées de France, était 
assez forte pour inspirer le respect aux Ovas , et leur faire voir que dans 
le cas où les négociations ne réussiraient pas , nous étions prêts à soutenir 
i|0s prétentions par les armes. En conséquence, le 7 juillet, k deux heures 
du matin ^ on appareilla de Sainte-Marie pour Tamatave , oft l'on mouillft 
le 9 , dans l'après-midi. ÎJè fort fut salué, et le salut rendu coup pour coup 
par les Oi«s. 

Le 10, le commandant, accompagné des capitaines des bâtiments, des 
commissaires du roi , et de plusieurs officiers, alla faire une visite au gou- 
verneur de Tamatave, André Soa , qui lui fit un accueil très-réservé, maig 
poil. Après lui avoir i^it part des motifs qui nous amenaient, le comman- 
dant se retira , et Ton commença aussitôt à débarquer les présents destiné» 
à la reiue des Ovas et les bagages des commissaires du roi. On se procura' 
aussi 2 à 300 hommes pour porter les commissaires, leur escorte et les 
efM%, 

Nous avions trouvé à Tamatave M. Robin-, n^ociant français , et pen- 
dant les trois jours qui suivirent, le commandant le visita plusieurs fois^ 
M« Robin , ayant quitté le service en 1814 , éUit arrivé à Madagasi^r, où il 
iTétablit. Doué d'intelligence, il snt se rendre utile au roi Radama, qui le 
prit en affection, et Téleva au plus haut grade de Tarmée; mais après la 
mort du roi, M. Robin, s'étant déclaré contre le parti de la reine, fut exilé 
à Tamatave et privé de ses emplois. C'est la que nous le trouvâmes, exer«* 
çint le commerce. Il serait possible que les relations qu'eurent tes officiers 
français avec M. Robin , qui les reçut chez lui avec beaucoup d'empresse- 
ment et de cordialité, indisposèrent les Ovas et causèrent le refus de passe- 
ports. En effet , le 13, André Soa refusa de délivrer des passe^ports aux eom^ 
missaires sans une autorisation de la reine , mais assura qu'ils pouvaient 
cependant monter à Tananarivo. M. Gourbeyre fit aussitôt remlrârquer les 
présents et les effets, et écrivit le lendemain à la reine pour lui foire part 
du refus du gouverneur de délivrer des passe-ports aux envoyés du T(â de 
France. Il loi annonçait en outre qu'il se rendait à Sainte-Marte ; que la , il 
«Ctendrait qu'elle envoyât des commissaires pour traiter avec ceux de 
9. M. T. C, sur le point de ia. o6te qu'elle voudrait bien désigna, poarv» 
qu'il ne fût point éloigné de Sainte-Marie; qu'il lui donnait un mois pour 
at décider, mais que passé ce délai , il considérerait son silence comme un 
refus de traiter avec la France, et qu'alors il se regarderait comme étant 
^ gQ«*re avec le gouvernement des Ovas. 

La visitie que nous avions faite au gouverneur de Tamatave n'avait point 
été rendue, et M. Gourbeyre ne voulait point quitter ce port avant d'en 
faire connaître son mécontentement à André Soa. 11 envoya donc, le 16, M. le 
capitaine de frégate Letourneur lui demande^ les motif^ de ce manque d'é» 
garés. Soa n'avait pas eu te dessein de nous offraser : aussi , dès le lende- 
main , il envoya M. Philibert , son grand juge, à la tète d'une dépotaiion 4 
porter une lettre d'excuses de sa part an commandant de la division (têà* 
çaise. 



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MADAGASCAB. ^ ÊXPÉDITira DE 1829. Mt 

£f Co&ri partit le 20 poor porter ees no»vdl«8 à Bouiteo. 

Ob n'avait pu s'attendre au refus des passe-porU que demandaient les 
eommissaire» du rot pour se rendre à Tanaoarivo^ et oette drcoostanoe 
nous avait plongés dans le plus grand élonnement. Éiait*-ce par ordre siU> 
périeur ou par un malentendu que le gouverneur les avait r^sés? Pour- 
quoi ne pas recevoir les enroyés du roi de France? Pourquoi, même si Toh 
Toulait refuser nos demandes et nous contraindre à faire la gueite, ne pat 
laisser entamer quelques négociations? N'y avait-il pas là-dessous un peu de 
rinfluence anglaise? Toutes ces questions furent agitées, et Ton résolut de 
voir si Ton essuierait la mèfiw froideur dans un autre p^t. Kn conséquence i 
nous fîmes voile de Tamatave pour Foulpointe. M. Lelourneur appareilla 
le premier. Quoiqu'il se trouvât très-géné par la frégate, et qu'un abordage 
fôt presque inévitable, il sut l'éviter en manoeuvrant avec une grande pré* 
sence d'esprit , qui lui attira l'assentiment général ; quelques heures après , 
nous étions à Foulpointe^ Cette fois, une députation vint aussitôt de la part 
du général Rakeli, gouverneur de la ville, complimenter le commandant 
fîrançais^ et lui faire en même temps ses offïres de services en tout ce qui 
aurait rapport au bien-être et à l'agrément de sa division. Le 22, M. Letour-» 
neur, à la tête d'un grand nombre d'ofâciers, fut rendre la visite. Noos dé^ 
barquàmes à ta Pointe-aux-^Bœufs , à dix heures du matin. Cette pointe, 
ainsi que toute la route que nous avions à traverser, est un terrain sablon-» 
neux et inculte , mais couvert de verdure et offrant ainsi les apparences 
d'une riche végétation. -^ Nous arrivâmes à la porte d'une enceinte assei 
spacieuse, où une cinquantaine de guerriers, armés chacun d'un ilisil et 
d'une sagaie, étaient placés sur deux rangs. Le chef nous pria d'attendre un 
moment, afin de faire prévenir le gouverneur de notre arrivée, et quel** 
ques minutes après, il nous avertit que Rakeli était prêt à nous recevoir. 
Après avoir traversé un emplacement spacieux , entouré de palissades très- 
hautes, on nous fit entrer dansnn bâtiment où le gouverneur nous reçut , 
entouré de son état-^major. Ces oi^ciers, quoique de bonne mine , étaient 
bilarrement vêtus : les uns étaient partie en uniférme et partie en bour* 
^is; les autres, et nous en fâmes frappés, étaient en uniforme anglaia 
^ès^coniptet. Après les compliments d'usage, le général nous invita â noué 
asseoir sar des sièges disposés autour de Tappartement. M. Letourneur lui 
fit part des motifs qui avaient amené la division française â Tamatave, du 
refus éà gouvemevrde cette ville de délivrer ûm passe-ports aux commis- 
Mires du r« pour se rendre â Tananarivo, de renvoi d'usé lettre de 
M* Oourheyre à la reine , et enfin , du désir sincère q«e mêm aviotts d'être 
toujours amis des Ov^. Rakeli écouta avec beaucoup d'attention , et fit ré^ 
pondre, pir son interprète, qu'il était charmé de voir 1^ Français, et qu'il 
espérait que les choses s'arrangeraient à la satisfaction de tous. Malgré c^a^ 
M était facile de remarquer en lui un malaise qui annonçait de l'inquié^ 
tode. 

Rakeli fit s^^ir de la bière anglaise , et l'on porta lli santé du roi de 
franco et de la reine des Ovas. Avaht de prendre cofigé, M. Letourneur de- 



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284 RETVB DE L^OBIEIIT. 

manda raatoruation de parcourir la ville, avec ses officiers, ix>ar foire 
quelques achats. Rakeli répondit très-obligeamment que nous pouvions 
acheter tout ce dont nous aurions besoin; mais il eut soin de nous faire 
observer par un de ses officiers , suivi de quelques soldats. 

Cette réception avait été plus aimable , il faut Tavouer, que celle de Ta- 
matave, mais la cause en devait plutôt être attribuée au caractère franc et 
guerrier du général , et Ton ne pouvait se dissimuler que la gène otk il se 
trouvait avec nous ne fût Tindice d'une résistance opiniâtre que les Ovas 
étaient décidés à opposer à nos prétentions. Nous pouvions déjà apprécier le 
caractère de nos ennemis, et il restait peu d'espoir de réussir sans quelques 
coups de canon. 

Le 23, la division appareilla de Foulpointe pour Sainte-Marie, où elle 
mouilla le même jour, et Ton commença aussitôt les préparatifs pour les 
travaux. Le 27, tous les chefs des villages furent convoqués chez le com- 
mandant de Sainte- Marie, où ile furent invités à fournir des hommes de 
journée pour Tintingue; ils s'y engagèrent tous et tinrent parole. Le len- 
demain nous partîmes pour Tintingue, et l'on mouilla en dehors des ré* 
cifii. La Chevrette avait été envoyée depuis plusieurs jours pour lever le plan 
de la rade et baliser les passes. Le 29, nous étions enfin dans le port 

Une commission fut aussitôt chargée d'explorer avec soin le port et les 
ressources de Tintingue, et d'en faire un rapport détaillé. M. Gailly, capi* 
taine d'artillerie , devait en même temps présenter un projet de fortification. 
Le commission fut dissoute le 5 août, et le plan de M. Gailly adopté. Cet 
officier distingué mit tant d'activité, qu'en deux mois on vit s'élever, 
comme par enchantement, un établissement militaire capable de résister 
aux Ovas. Les troupes de terre et de mer rivalisèrent de zèle dans les diffé- 
rents travaux qui leur furent assignés. 

Trois forts à simple batterie à barbette furent établis pour défendre 
rentrée du port, à tribord en entrant. Le premier, nommé Fort de la Ma- 
rine, parce qu'il fut construit par les marins, devait battre en mer, ainsi 
que la courtine de l'est. Son élévation au-dessus de la mer était de 20 pieds, 
et il était entouré d'un fossé profond à l'extérieur et d'une palissade de 
10 pieds de haut. Les deux autres portaient des pièces de 24, et étaient 
d'autant plus redoutables , qu'ils étaient à peine visibles à un quart de lieue 
de distance. 

La presqu'île était destinée à devenir Tétablissem^t militaire. On plaça 
au milieu des batteries faisant face à l'isthme , et battant en rase campagne. 
L'isthme lui-même fut coupé par un fossé, joignant les deux mers, et sur 
lequel on éleva un pont-levis , défendu par deux obusiers, deux pièces de 21 
et deux petites pièces de campagne. A partir de ce point , tout l'établisse* 
meot fut entouré d'une forte palissade; on abattit le bois sur une longueur 
de 80 toises, afin de dégager les glacis, et d'être à l'abri d'une surprise, et 
devant l'isthme, on fit une autre palissade dont les deux extrémités allaient 
se perdre dans la mer. Une porte d'entrée, en forme de trappe, était dé- 
fendue par deux pierriers; enfin tout Tisthme était déblayé, et un bâti- 



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MADAGASCAR. — EXPEDITION DE 1829. 965 

Oient, embossé au fond du port, pouvait le balayer avec de la mitraille. 

L'établissement se composait de deux corps de garde, une poudrière, une 
forge, un four pour le pain de la garnison, un atelier pour les ouvriers mi- 
litaires, des magasins pour les vivres et le matériel, et un grand bôpital, 
construit sous la direction de M. Busseuil, médecin en cbef de la division ; 
enfin une grande rue, tirée au cordeau, traversait rétablissement dans 
toute sa longueur, et de cbaque côté étaient les logements des officiers, avec 
de petits jardins et les casernes. Les principaux bâtiments étaient couverts 
en bardeaux et construits en briques fournies par la briqueterie établie 
sur le plan du capitaine Gailly. 

On construisit encore, en dedans du port, un petit fort pour battre le 
fond de la baie. 

Des balises furent disposées pour indiquer Feutrée de la passe et la direc- 
tion pour aller au mouillage , et une tour carrée, faite en planches et peinte 
en blanc, fut placée sur Tlle aux Sorciers , au fond du port, pour servir de 
reconnaissance aux bâtiments; enfin , un plan très-exact de la rade de Tin* 
Ungue fut dressé par M. Lafosse, lieutenant de corvette. 

Tels furent les travaux faits en si peu de temps, et qui étaient bien pro* 
près à donner aux Malgaches une haute idée des moyens que nous avions à 
notre disposition pour les soumettre. 

fil. — Dépêche du général en cbef des armées de la reine. — On plante le mât de pa* 
Tillon. — Députation des habitants de la côte. — Mission dç Al. Robin, -^ Rama- 
netak. — Conduite des Ovas. -— Commencement des hostilités. — Lettre et ambas- 
sade de la reine. — Arrivée à Tamatave. •— Combat et défaite de Tennemi. — Brick 
anglais. — Affaire d'Ambatournanoui. — Retour à Sainte-Marie. — Foulpointe.— 
Dispositions d'attaque. — Combat. — Le capitaine Sohœll est tué; retraite des 
Français; belle conduite de M. de La Rerancbère. — Pointe de Larrée; on renonce 
â l'attaquer. — Renforts ; mort du capitaine Fénix. — On nomme le capitaine d'Es- 
pi^e à sa place. ^ Attaque de la pointe de Larrée. —-Débarquement; combat; 
acharnement des Ovas et leur déroute complète. -- Prises. -— NoureUe ambassade 
de la reine. — Promesses des ambassadeurs. — Retour à Bourbon. 

Les travaux se conttmraient avec ardeur, lorsque, le 29 août, un Malga- 
che, envoyé par M. Philibert, grand juge à Tamatave, se présenta avec une 
lettre du général en chef des armées de la reine. Par cette dépèche, en date 
du 26 juillet, le général accusait réception de la lettre de M. Gourbeyre et 
lui annonçait que des ordres étaient donnés à Tamatave, Foulpointe et Fé* 
nérif pour que des passe-ports fussent délivrés aux envoyés français. 
G^x-ci devaient en outre se présenter à Tananarivo le 23 août (c'était le 
lendemain du jour de la réception de cette lettre, et la distance est d'environ 
100 lieues), sans quoi la reine ne croirait pas aux envoyés du grand roi de 
France,. 

On devait penser qu'il y avait erreur de date, mais nous sûmes plus tard 
que la dépèche du général était arrivée à Tamatave le 5 août avec ordre de 
la faire parvenir de suite au commandant de la division. Le gouverneur de 



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RKirtrE BB L^ORlSHt. 

T»matare, croyant que nous y retournerions sous peu, garda la d^péc^ 
jusqu'au 14, et elle n'arriva qut^ hoU jours après, ce qui avait occasionné un 
relard de dix-sept jours. Nous fûmes informés au^si des reproches adressa 
par le général en chef aux autorités qui avaient refusé les passe^ports , et des 
ordres qui! leur donnait de fournir, aux frais de la reine, tout ce dont tes 
comnHssaires français auraient besoin pour leur voyage. Malheureusement, 
lors de la réception de la dépêche, le commandant ignorait tout cela, et il se 
borna à ftalre sentir au général l'inconvenance de l'envoyer par un Mal-» 
gâche. 

Le 25 aioût, M. Letourneur fît planter le màt de pavillon par l'équipage dé 
hi Nièvre, au cri de vi^e fe roi. Une députa tion de Malgaches, conduite 
par le frère de Syfanin, ancien chef de Tintingue, et Fonde de Mandftzara, 
vint demander à se ranger sous la protection française et prit part à notre 
joie avec toutes les démonstrations d'un sincère dévouement. Au commen-^ 
èement de septembre, M. Robin partit sur la corvette la Zéiëe, commandée 
par M. Poutié, lieutenant de vaisseau , et se dirigea vers la côte ouest de 
Madagascar pour porter des munitions de guerre aux chefs sacalaves. 
M. Robin avait ordre d'engager ces chefs à continuer la guerre et de leur 
promettre led secours de la division française. M. Poutlé devait ensuite se 
rendre à Anjuan et réclamer du sultan de cette tie des noirs de traite, pro* 
venants d'un bâtiment français que le mauvais temps' avait forcé d'y relâ- 
cher et qui avait été confisqué. Arrivé à Anjuan, M. Robin trouva Ramane-^ 
tak, frère de Radama, qui s'y était réfugié avec quelques centaines 
d*hommes, et l'engagea à se mettre à la tête des Sacalaves pour reconquérir 
la couronne de son frère« Ce chef , enchanté d'une pareille proposition , 
s'empressa d'envoyer deuiL aides de camp pour voir par eux-mêmes les forces 
et les progrès de>i Français à Madagasoar. 

Cependant les négociations avec la reine n'avaient eu encore aucun rtSsnl- 
tat, et de chaque cèté on se montrait une froideur qui laissait présager la 
guerre avant peu. Le 16 septembre, on apprend l'arrivée d'un renfort ova 
à Fénérif, et les Malgaches des environs abandonnent aussitôt leurs villages 
pour se réfugier près de nous. Le 19, on apprend que le gouverneur de Foui- 
pointe a refusé l'entrée an bâtiment français k Magakm, et le 20, qu'ilne 
trentaine d'Ovas sont entrés à Yombvi , situé à dnq lieues au nord de Tin-* 
lingue. Enfin, le chef du village de Marinaboud, près de Simiane, à huit 
Iteues au sud , avait empêché les habitants d'emporter leurs efféCt et ée 
venir se mettre sous notre protection. On supposait encore que ce chef 
s'était introduit comme espion dans l'établissement, et M. Lagier, à la tèlc 
d'un détachement de yolofs, reçut ordre d'aller s'en emparer. L'officier 
français se mit en marche et rencontra les Ovas, qui étaient prévenus de 
son arrivée et lui proposèrent des vivres qu'il refusa, malgré le grand besoin 
qu'il en avait. Il leur demanda seulement de lui donner connaissance ém 
chef de Marimbou ; mais ils répondirent qu'il avait disparu et qu'eux-mêmes 
étaient à sa recherche. M. Lagier, voyant que le but de sa misaion était 
manqué, rentra le 29 à Tintingue. Le nnême jour, on fut prévenu cfue dei 



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MADAGÀSGAlt. ~ BSCPÉDITiaR DE 1829. S8T 

Ovas, arrivés à la peinte de Larrée , demaBdatent à remettre une lettre de 
la reine. Le commaDdant leur fit dire de se présenter, et le sur lendemain 
on vit arriver quatre officiers supérieurs, escortés par seize hommes de la 
garde de la reine. La moitié de Tescorte était armée de fusils, et le reste 
de boucliers et de sagaies, et tous en uniforme de grenadiers anglais. 
Dès qu'ils furent sur le pont , ils se rangèrent à tribord vis-à-vis de nos 
marins et manoeuvrèrent avec beaucoup d'ensemble. Les officiers deacen- 
dirent dans la chambre du commandant, qui les reçut, entouré de son état* 
major. On fût obligé de faire traduire cette lettre par un Malgache, et Ton 
ne put en comprendre que quelques mots. Elle contenait une prptestation 
contre notre présence sur les côtes de Madagascar. Les Ovas retournèrent 
^ Fandaras, et le 2 octobre, au matin , le grand canot ie la frégate, armé ea 
guerre et commandé par M. Marceau , à la tète d'un détachement de 24 
hommes, 2 clairons et 3 officiers , partit dans la môme direction pour leur 
remettre la réponse du commandant. Le lendemain les Ovas établirent un 
poste avancé à Fandaras, et envoyèrent une députation à un grand village 
situé au pied du mont Chabrol pour sommer les Malgaches d'abandonner 
le parti des Français et de venir à Fénérif et Simiane. 

Nous partîmes te 4 pour Sainte-Marie, et en doublant la pointe de Larrée 
nous vîmes les Ovas travaillant à s'y fortifier, et leur pavillon arboré, la 
NUwre et la Chevrette vinrent nous rejoindre le 5, et ^Infatigable resta seul 
à Tintingue pour défendre l'établissement en cas d'attaque de ce côté. 
Les bâtiments reçurent l'ordre de faire leur eau le plus tôt possible , et il 
fut résolu qu'onattaquerait immédiatement Tamatave, Foulpointe^ la pointe 
de Larrée et d'autres points dans te nord de Tintingue. Le 9, toute la divi* 
sion fit voiles pour Tainatave, où le prince Coroller (1) , avec un renfort de 
200 hommes, commandait depuis quelques jours. Le lendemain , nous étions 
devant ce port, lorsque la frégate toucha sur le prolongement du récif qui 
est à bâbord ai entrant à Tamatave, et resta pendant plus d'une heure en 
danger, mais elle en fut quitte pour la perte de sa fausse quille. M. Gour- 
beyre, après avoir tiré sa frégate de ce mauvais pas, alla l'embosser à 300 
toises du fort ova ; ta Nièvre et la Chevrette prirent poste derrière la 
la Ter^Mchore. Aussitôt M. Marceau , officier de la ftrégate, fut envoyé au 
prince Coroller pour demander la réponse de la reine; maison lui affirma 
qu'elle avait été dirigée sur Tintingue. 

Le 11, le même officier fut chargé de porter deux lettres au prince Co- 
roller : l'une était pour la reine , et l'autre pour lui ; elles eontenaient la dé^ 
daration de guerre. Le prince reçut les lettres en disant qu'il n'avait aucun 
pouvoir de traiter, et M. Marceau , selon les ordres qu'il avait reçus , déclara 
de nouveau que les hostilités allaient commencer à l'instant. 

■■■ • " — ■ ' ' ' ■ • ■ ' — •■■ " ■'■ ■' — ■ -' — ■ ' '■ " ■' ■ — - — ^-< 

( 1) Le prince Coroller était fil» d'un officier français et d'une Malgache ; ses ancêtres 
appartenaient à une famille noble de la Rretagne, dont une branche existe encore 
aujourd'hui. 

( Note de M. d^Etcbavannes , qui a mû en ordre le» élémeot» de cette relation, 
ainai que eenx de la Mythologie indienne, ) 



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288 KETII£ DE l'ORIEWT. 

D^qneM. Marceau fui remooté à bord, trente boiu^s à feu de la 
frégate et Tarlillerie de la Nièvre et de la Chevrette porlèreut la destruction 
et ia mort dans un misérable fort et dans les babitations des Ovas, Au 
commencement de la troisième bordée des bâtiments , la poudrière du fort 
prit feu, et en sautant embrasa la palissade, les bâtiments intérieurs et un 
tas de cbarbon de terre qui se trouvait près de la maison du prince Goroller« 
A huit beures et demie, les troupes de débarquement, au nombre de 
238 hommes , sous les ordres de M. Fénix , capitaine au W l^er, se rendi* 
rent à terre aux cris de vive le roi. Ces troupes se composaient de 58 marins 
des 9® et 32^ équipages de ligne , commandés par MM. Vedel , lieutenant de 
vaisseau, et Lacapelle , enseigne ; de 140 hommes du 16^ léger, commandés 
par MM. Turbez, capitaine, Gornuel, Dot et La Revancbère, lieutenants, 
et de 40 yolofs, commandés par MM.Scbœll, capitaine, et Maréchal, lieute- 
nant, M. Le Frapper, élève de la marine , était attaché comme aide de 
camp près du capitaine Fénix. 

Arrivée au débarcadère, la chaloupe de la frégate, commandée par 
M. Grégoire, lieutenant de vaisseau , tira deux coups de caronade à mi- 
traille sur un détachement d'Ovas qui se disposait à s'opposer au débarque* 
ment. Ce détachement prit la fuite en se divisant en deux parties, dont 
l'une se dirigea vers le milieu de la ville , et l'autre fut se réfugier dans ia 
maison de M. Philibert. Les troupes se rangèrent en bataille et se mirent 
en marche aussitôt que le feu des bâtiments eut cessé. Le lieutenant Dot , à 
la tète d'un détachement, parcourut la ville pour chasser les ennemis qui 
auraient pu s'y cacher, et le lieutenant La Revancbère fut chargé d'aller dé- 
busquer les Ovas de la maison de M. Philibert; le capitaine Turbez, avec 
le reste des troupes, se mit en bataille en avant du fort, sur la route d'Y von-» 
drou. Des postes furent placés de distance en distance et de manière à oc- 
cuper tout le front de la presqu'île. M. Dot se porta en avant pour placer 
les hommes en tirailleurs sur la lisière du bois qui borde la route au nord- 
est, et M. La Revancbère occupa une pareille position du c6té du sud-ouest. 

Les Ovas se rallièrent à un mille environ de Tamatave, où ilsparureat 
tenir conseil et détachèrent une centaine d'hommes pour venir attaquer 
nos troupes. Ils furent bientôt repoussés, et, après avoir perdu quelques 
hommes, ils battirent en retraite sur le rivage d'Yvondrou. A neuf heures 
et demie, le pavillon français fut arboré sur les ruines du fort ova. 

Nous eûmes 1 hoi&me tué et 1 blessé , mais la perte de l'ennemi fut d'en- 
viron 40 hommes. On trouva dans le fort 23 canons ou caronades^ 
212 fusils en mauvais état, et 1 pierrier. On ramassa en outre 81 sagaies 
dans les cases des Ovas, et l'on trouva dans le fort dç l'argent monnayé. 
M. Gourbeyre écrivit au prince Coroller pour lui oifrir les secours des chî-^ 
rurgiens français pour ses blessés. 

L'attaque ayant commencé de bonne heure et les Ovas étant pris à 
l'improviste, un grand nombre n'avait pas eu le temps d'emporter ses 
armes en se sauvant. Le poste de la douane au débarcadère , et les postes de 
service aux environs du fort, étaient â peu près les seuls qui eussent em- 



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MADAGASCAR. — EXPÉDIT|0?l DE 1829. 289 

porté leurs armes ; mais quand le fort eut sauté, on vit des Ovas retourner 
bravement dans leurs cases et y prendre leurs fusils sous le feu de i'artiU 
lerie des bâtiments. 

Le 13, le brick de, guerre anglais le Faucon arriva de Maurice avec 
23 marins ovas. Le capitaine vint faire une visite au commandant de la 
division et lut dit que les 23 Ovas qu'il avait à son bord étaient congédiés 
du service anglais et qu'il désirait les envoyer h Tananarivo. M. Gourbeyre 
lui proposa un sauf-conduit f)our que ces marins pussent se rendre à Yvon- 
drou, oti le prince Goroller s*éiait arrêté avec sa troupe, et rengagea ^ s*it 
avait des craintes, à aller les débanjuer à Foul[)ointe. Dans ce cas, il Tinvi- 
tait à prévenir les traitants anglais de se tenir sur leurs gardes, parce que 
partout où la division française paraîtrait ^ur la c6te de Madagascar, ce 
serait pour y faire la guerre. Le brick pari it le 15, au matin, pour aller déposer 
les 23 marins à Foulpointe , mais avant de mettre sous voile, le capitaine 
fit le salut et écrivit à M. Gourbeyre pour le remercier de sa protection 
envers les traitants anglais. 

Le 15, on laissa dix marins seulement, sous la conduite de M. Mazère, 
volontaire , pour la police de la ville , et dans la soirée Tinfanterie se mit en 
marebe pour Yvoudruu. Arrivé à dix bcures du soir, le capitaine Fénix prit 
possession du village et apprit que Tcnnemi était campé plus loin dans un 
endroit appelé Ambaioumanouï. â deux heures du matiu, il détacha le 
capitaine Scbœll , avec 100 hommes pris dans le 16® et dans les yolofs , pour 
aller attaqutr les Ovas dans leurs positions. M. de La Revanchëre fut chargé, 
avec une vingtaine d'hommes, de prendre poste sur la rive gauche de la 
rivière d'Yvondrou. M. Scbiaell était obligé de passer la rivière, mais n'ayant 
pu se procurer que trois mauvaises pirogues, il lui fallut plus d'une heure 
pour effectuer ce passage. Après quatre heures d'une marche très- fatigante 
dans des forêts coupées de torrents et de ravins , après avoir traversé plu- 
sieurs précipices et des défilés où deux hommes i^e pouvaient miarcher de 
front, il arriva , à huit heures du matin , au débouché d'un bois d'où les gui* 
des malgaches lui montrèrent les Ovas retranchés près d'une rivière. Leur 
retranchement consistait en un parapet carré de 4 pieds de hauteur jMir 
3 et demi d'épaisseur. 

M. Scbœll avait peu de monde pour résister â l'ennemi, dont le nombre 
paraissait très-considérable; mais ce brave officier résolut, malgré cela, 
d'attaquer; d'ailleurs, il venait d'être aperçu par une sentinelle avancée, 
qui tira un coup de fusil pour annoncer l'arrivée des Français, et tous les 
Ovas s'étaient aussitôt mis sous les armes. H donna ordre au lieutenant 
Dot de marcher à la tête des tirailleurs pour attaquer la gauche de l'en- 
nemi, tandis que le lieutenant Maréchal , avec les yolofs, irait le prendre 
en flanc sur sa droite. Le capitaine Turbez , avec le reste des troupes, mar- 
cha de front sur la porte du retrancifement. Les Ovas firent un feu de mous- 
quetterie bien nourri et nous tinrent à distance pendant quelques instants; 
mais M. Scbœll fit sonner la charge à la baïonnette, et bientôt le retranche- 
;ment fut emporté d'assaut , malgré la belle résist^cc de quelques Ovas , qui 

a. 19 



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290 REVBE DE l'orient. 

s'y firent tuer avec un courage eitraordinaire. Les antres s'enfnirent dans 
les bois, où nos soldats les poursuivirent et en tuèrent quelques-uns. Une 
quinzaine se noyèrent dans la rivière, et de noire côté, nous ne perdîmes 
pas un seul homme. 

Après avoir brisé les fnstls laissés sur le champ de bataille, et mis le feu 
aux cases qui étaient dans le retranchement , le capitaine Schoell revint à 
Yvondrou le même jour, et le lendemain 17, toutes les troupes rentrèrent à 
Tamatave. 

Dans cette affaire, les officiers et les soldats rivalisèrent d'intrépidité, et 
M. Godferoaud, second chirurgien de la frégate , combattit comme volon-* 
raîre et pansa les blessés sur le champ de bataille. 

Le 22, la division, ayant rembarqué les troupes, fit voile ponr Sainte* 
Marie, où elle arriva le 24. On se prépara à continuer les hostilités, et 
après deux jours de repos, on repartit pour Foulpointe, où Ton mouilla 
dans l'après-midi. Le 27, au point du jour, les bâtiments s'embossèrent : la 
frégate, à 700 toises du rivage; la Nièvre, à 250 toises, et la Chevrette, à la^ 
Pointe^aux-Bœufs , dans l'entrée du Barachois, et à 200 toises d'une petite 
redoute ova, placée vers le milieu de la pointe. Deux cent trente hommes dé 
débarquement furent mis dans les embarcations et se tinrent prêts à aller 
à terre; le commandant Gourbeyre passa sur la Chevrette, où il resta 
pendant toute l'action. 

Les Ovas avaient un canon dans la petite redoute de la Pointe-anx-Bœufs, 
qu'ils dirigèrent sur la Chevrette, Une seconde redoute était à l'entrée de la 
ville, près de la douane, et une troisième, munie d'un canon, se trouvait 
à peu près au milieu de la première rangée de maisons, au bord de la mer, 
et battant la rade. Rakeli, gouverneur de Foulpointe, abandonna la ville et 
se retira dans un retranchement ayant sept ou huit canons , et placé sur le 
champ de Mars, en dehors du grand carré de palissades. CSette position se 
trouvait abritée par la ville, et permettait d'ailleurs de se ménager on lieii 
de retraite vers une montagne située à une lieue au milieu des bois , 
et sur laquelle les femmes, les enfants et les vieillards s'étaient réfu- 
giés. Rakeli concentra ses troupes dans ce retranchement ati nombre de 
400 hommes, et n'en laissa que quelques-uns dans le grand carré, ofr 
flottait toujours le pavillon ova, pour faire croh-e que ses ftirces y étaient 
rassemblées. Un des côtes de ta redoute enfilait la palissade du nord-ouest^ 
un second battait sur une rue qui conduit à la mer, et les deux autres sur 
la campagne. 

A huit heures du matin, les bâtiments commencèrent leur feu, et fa pre-* 
mière redonte y répondit par un coup de canon à mitraille sur la Chevrette, 
où deux hommes furent blessé» (1). MM. Grégoire et Marceau, com- 
mandant la chaloupe et le grand canot, s'avancèrent dans le Barachois, 
firent feu sur la redoute et en débusquèrent les Ovas, qui s'enfuirent dans 

(1) L'un des deux, nommé Bertbier, était chef de pièce, et ne voulut pas quitter 
son poste pour ^ faire panser. 



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MADAGASCAR. — ÊXPÉDITTaïf DE 1829. 291 

là ville ; gù remarqm parmi eux un homme vêtu à renropéenae. Après 
avoir canoimé pendant plus d'une heure les petites redoutes , la ville et le 
grand carré, les troupes débarquèrent à la Pointe-aut-BoHife, où elles se 
formèrent en colonnes. Le feu des vaisseaux cessa , et M. Fénix donna Tor- 
dre de marcher sur la redoute. M. Dot, à la tète des ttrsâlleurs, marcha en 
avant pour éclairer les colonoes, qui 9fi suivaient à une petite distance. Ar- 
rivé près de la première redoute , il rencontra un Anglais qui lui demanda 
protection , et il le fit conduire près du commandant de la division. Près de 
la seconde redoute, il fallut mettre en fuite des Ovas embusqués dans 
les jardins et les maisons. M. Dot monta le tertre en longeant la palis- 
sade du sud-est, et alla se plafcer à l'angle sud-ouest du grand carrée 
it^rmant ainsi la droite des Français, et fensant face à la redoute ova. Les 
yolofs et quelques voltigeurs, commandés par MM. Schcell et Maréchal^ 
se répandirent en tirailleurs et formèrent la gauche. Les marins, sous les 
ordres de MM. Bedel et Lacapdle, se trouvaient au centre, et MM. Cor- 
nfuel et La Révanchère, avec une compagnie du 16®, étaient placés un 
peu en arrière de M. Dot. Enfin , le reste des troupes , sous les ordres des 
capitaines Fénix etTurbez, formait une réserve sur le haut du tertre, à 
Tanche sud-est du grand carré. 

Après avoir tiré quelques coups^de canon à mitraille, qui nous tuèrent 
plusieuts hommes, Rakeli, à la tète d'une cinquantaine d'Ovas, sortit de 
la redoute , et courut au pas de course sur les tirailleurs de la gauche, tandis 
que son artillerie irisait feu sur le centre , et qu'une autre colonne longeait 
la palissade du nord-ouest pour venir couper la retraite à nos troupes. Nos 
tirailleurs se replièrent sur le centre, croyant que la réserve allait marcher 
en avant ; mais celle-ci , qui se trouvait à l'abri du canon des Ovas , loin de 
soutenir le choc, tourna le dos, battit en retraite, entraînant avec elle le 
reste des troupes , et les soldats, n'écoutant plus la voix de leurs chefs, s'en- 
fuirent vers la Fointe-aux- Bœufs de toute la vitesse de leurs jambes. Les 
Ovas , poursuivant leur succès, firent pleuvoir une grêle de balles et de sa- 
gaies sur les fuyards. Le brave capitaine Schœll avait été forcé de suivre le 
mouvement, mais il était en arrière pour protéger la retraite. Arrivé au 
bas du tertre, il ne s'aperçut pas qu'il fallait tourner un marais pour entrer 
sur laPomte-aux-Bœufs, où peut-être une quinzaine d'Ovas, arrivés en 
même temps que lui, ne lui en laissèrent pas le temps. Seul avec deux ma- 
rins enfoncés dans la boue jusqu'au ventre, il se défendit avec un courage 
admirable, mais à la fin, ne pouvant plus se remuer, il fut massacré avec 
ses deux compagnons. Ce fut une grande perte pour nous, car M. Schœll joi- 
gnait am mérite d'un officier distingué d'artillerie celui d'avoir résidé long- 
temps dans le pays , et les services qu'il aurait pu rendre plus tard eussent 
été immenses. 

Ce ne fut qu'à la première redoute que nos troupes se rallièrent et purent 
recommencer à faire feu sur l'ennemi , qui se retira alors derrière la se- 
conde redoute, dans les jardins et les maisons , où il fut rejoint par la co- 
lonne qui avait manœuvré pour nous couper la retraite. M. Cbaruau, qui 



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202 REVcc ne l'orieiit. 

commandait le grand canot de ia frégate, ayant aperçu cette colonne et 
deviné son intention, descendit à terre, enoloua la pièce qai se trouvait 
dans la première redoute, puis, s'étant rembarqué, dirigea son feu sur les 
jardins. Cette manœuvre eut un plein succès , car les Ovas, qui avaient Ta» 
vantage d'être à Tabri pendant que no$ soldats tiraient à découvert, furent 
débusqués, et au troisième coup de caronade à mitraille , une grande partie 
se retira. On continua encore la fusillade pendant quelque temps, et il eût 
peut-être été possible de recommencer l'attaque, car on pouvait aisément 
repousser les Ovas en mettant le feu à la ville; mais nos troupes étaient dé- 
moralisées, et la retraite pouvait être présumée nécessaire. Âonze heures, 
le capitaine Fénix fit dire au commandant de la division qu'il perdait des 
hommes sans pouvoir faire de mal à Tennemi , et aussitôt le rembarque- 
ment des troupes fut ordonné. 

Nous eûmes dans cette affaire 11 hommes tués et 15 blessés^ dont 
on mourut le lendemain ; M. Mazères , volontaire de la marine, reçut une 
balle qui lui traversa la cuisse. Durant le combat, les blessés furent portés à 
bord de la Chevrette, où le chirurgien Laprairie fit les premiers pansements, 
et on les répartit ensuite sur leurs bâtiments. 

Au commencement de l'action, le lieutenant de La Revandière, ayant 
aperçu une fenêtre pratiquée dans la palissade, l'enfonça, et, auivi d'une 
douzaine de soldats, entra dans le grand carré, qu'il parcourut en tous 
sens, et fut se placer dans une issue en face de la redoute, d'où il faisait 
feu sur les Ovas. Un chasseur du 16® vint le prévenir que les Français 
étaient en déroute et qu'il allait avoir la retraite coupée s'il ne se hâtait de 
revenir. M. de La Revanchère opéra sa retraite, emportant deux de ses 
hommes blessés, et sortit par une brèche qui se trouvait â l'angle de la pa- 
lissade de Test. Un des blessés expira , et on fut obligé d'abandonner l'au- 
tre. Un instant après , ce brave officier retourna avec quatre chasseurs le 
reprendre sous le feu de l'ennemi. 

La Nièvre et ta Chevrette se rapprochèrent de la frégate, et , après avoir 
passé la journée du 28 au mouillage, la division quitta Foulpointe et mit 
en panne le lendemain devant Sainte-Marie. En partant, nous pûmes voir 
les feui de joie que les Ovas avaient allumés, en réjouissance de notre échec, 
sur la montagne où ils s'étaient retirés. On verra bientôt que leur joie ne 
fut pas de longue durée , et qu'on leur fit payer cher leur victoire en les 
écrasant à la pointe de Larrée. 

Le commandant se rendit immédiatement â bord des bâtiments pour 
haranguer les troupes et les sommer de venger â la première occasion l'af- 
front fait au pavillon français. Tous , comme on peut le croire, en firoit le 
serment. Dans l'après-midi , la frégate et la Chevrette jetèrent l'ancre au sud 
de la pointe de Larrée, à portée de fusil du rivage , et la Nièvre alla mouiller 
au sud-est, â trois ipilles du fort, pour faire un débarquement au commen- 
cement de l'action et harceler les Ovas dans leur retraite s'ils l'effectuaient 
de ce côté. 
«A notre apparition, on remarqua un grand tumulte dans le fiirt où com« 



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BlADACïASCAR. — EXPÉDIIIOII DE 1829. 293 

mandait le général Andréa Mihifedi , gourerneur de Fénérif. Les allées et 
venues des Ovas chargés de fusils et de sagaies , ei se rendant à la forêt , leur 
disparition totale pendant quelques minutes, leur retour subtl; tout anoon* 
çalt en eux une grande anxiété. Selon toute apparence, ils redoutaient un 
événement comme celui de Tamntave , et comme ils devaient avoir eu con- 
naissance de ce qui s'était passé à Foulpointe, ils s'attendaient à voir tomber 
sur eux tout le poids de notre vengeance. La frégate et la Chevrette continuè- 
rent leurs manœuvres de mouillage et d'embossage, et l'on feignit de ne pas 
s'apercevoir du trouble qui agitait l'ennemi; on fit même des signes de 
bienveillance et d'amitié à quelques Ovas qui s'étaient avancés sur le rivage, 
et toute la nuit se passa en branle-bas de combat, chacun à son poste et les 
mèches allumées. 

Le 30, au point du jour, tout était prêt pour une attaque vigoureuse, et 
l'ordre fut expédié à ta Nièvre de se rapprocher du fort. Le commandant 
Gourbeyre monta lui-même sur les mâts , ainsi que plusieurs officiers de 
terre et de mer, pour reconnaître la position de l'ennemi , et , à notre grand 
désappointement, nous vîmes que nos troupes de débarquement n'étaient 
pas suffisantes pour s'emparer de vive fèrce d'une position où les Ovas 
s'étaient retranchés par de forts épaulements entre un double rang de palis- 
sades très-serreés et liées ensemble , protégé par de petites redoutes en terre 
revêtues de gazon et d'où ils pouvaient nous mitrailler, au moment de l'as- 
saut , sans craindre le feu des bâtiments. 

Nous pouvions donc éprouver un échec comme celui de Poulpoinie , et 
alors c'en était fait de l'influence française à Madagascar. Les Anglais 
n'eussent pas manqué d'exploiter notre faiblesse à leur profit , et il valait 
mieux attendre quelques jours que de nous exposer à une défaite dont les 
conséquences eussent été si funestes à l'entreprise que le gouvernement du 
roi avait résolue avec tant de sagesse. D'ailleurs, les Ovas ne nous voyaient 
pas de bon œil, et il fallait leur imposer au moins par la force. En consé- 
quence, M. Gourbeyre n'hésita pas ù donner l'ordre d'appareiller, bien con- 
vaincu qu'il ne tarderait pas à prendre une revanche éclatante. A peine les 
voiles de la frégate étaient-elles installées, que le vent changea tout à coup 
cap pour cap et faillit jeter la frégate à la côte, A demi-portée de fusil du 
fert ova. M. Gourbeyre conserva beaucoup de sang-froid et retira son bâ- 
timent d'un danger bien plus imminent qu'à Tamatave. Le courant de It 
rivière nous tint un peu â distance de ta terre; nous ne passâmes pas â 10 
pieds du rivage en doublant la pointe de Larrée. Dans l'après-midî , la divi- 
sion mouilla en dehors des passes de Tintingue , et le commandant se rendit 
â terre, où il eut la satisfaction de voir que l'établissement prospérait, et 
que de tous côtés les naturels venaient construire des habitations sous la 
protection de notre pavillon. 

On connaissait à Tintingue l'échec que nous avions éprouvé â Foulpointe, 
car les Ovas en avaient fait grand bruit , et les Malgaches avaient craint 
d'abord pour leur sûreté ; mais notre présence les rassura, et tous les officiers 
et soldats demandèrent â partir pour aller venger la mort du brave SchœN, 



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Ï9i RETUE m l^'ORIE^T- 

En conséquence , le i^^ novembre , il y eut un conseil de guerre à bord de la 
frégate, et il fut décidé qu'on attaquerait ia pointe de Larréeleplus tôt 
possible. 

Dans cet intervalle, le capitaine Fénix était mort de la fièvre et il fallait 
Dooimer un autre commandant des troupes de terre. Le capitaine d'Espagne 
reçut ce commandement, à la satisfaction générale. On embarqua.immédia- 
tement un renfort de 80 hommes pris dans les troupes de terre et de mer, 
ainsi que les yolofs avec un obusier, et le lendemain la division mil à la 
voile, mais le calme la força de. mouiller à peu près au même endroit d'où 
elle était partie. 

Le 3, au point du jour, on appareilla de nouveau, et le soir on jeta l'ancre 
dans \% sud de la pointe de Larrée. La frégate s'embossa par le travers du 
fort, à 320 toises, la Nièvre à 258 toises , et de manière à battre le fort en 
écharpe. La Chevrette se plaça derrière la frégate pour protéger le débar- 
quement des troupes, qui devait se faire vis-à-vis l'entrée de ia forêt, et 
pour mitrailler les Ovas qui tenteraient d'effectuer leur retraite de ce 
côté. 

La nuit se passa tranquillement , les troupes et les équipages prirent du 
repos, et le 4 , à six heures du matin , jour de la fête du roi , la frégate 
et la Nièvre commencèrent à faire feu sur te fort. Les chefs de pièce eurent 
ordre de pointer bas et de tirer sans précipitation. Quelques pièces de 
l'arrière tiraient constamment à mitraille, tandis que les autres tiraient à 
boulets ronds et à boulets rames sur un même point pour faire une brèche. 
Pendant ce temps, M. Baudson, lieutenant d'artillerie de terre, lançait de 
la frégate des obus dont plusieurs éclatèrent dans l'intérieur du fort et firent 
beaucoup de mal. Les Ovas ne tirèrent que quelques coups de canon dont 
les boulets passèrent dans la mâture des bâtiments. 

La canonnade dura jusqu'à huit heures et demie du matin, et l'on re- 
connut une brèche praticable en face de la frégate. Les troupes de débar- 
quement de la Nièvre et de la Chevrette eurent ordre de venir se réunir à 
celles de ia frégate, d'où toutes les embarcations partirent, aux cris de we le 
roi. Lorsque les troupes approchèrent du rivage , la frégate redoubla son 
feu et couvrit de mitraille tout l'espace compris entre le fort et l'entrée de 
la forêt, afin d'empêcher les Ovas de faire une sortie pour s'opposer au 
débarquement; et la chaloupe et le grand canot, commandés par MM. Gré- 
goire et Marceau , tirèrent aussi sur l'entrée de la forêt , où l'on savait qife 
l'ennemi avait un poste. Aussitôt le débarquement effectué, on fit entrer 
quelques tirailleurs dans la forêt, afin de ne pas être inquiété dans nos opé- 
rations sur le fort, et les troupes se rangf^rent en bataille. Le capitaine 
d'Espagne forma trois colonnes d'attaque : la première , sous les ordres du 
lieutenant Baudson, eut ordre de marcher sur la palissade du sud; la 
seconde, commandée par le tieuienant La Revanchère, devait marcher vers 
celle du nord, et M. Somsois, sous-lieutenant de l'artillerie de marine, devait 
se porter sur la grande entrée qui faisait face à la forêt. Toutes ces idis- 
. positions prises, les trois colonnes , réunies et précé4ées d'upe quaraptaiae 



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MADAGÂSCiB. •*- EXP^ITiON DE 1829. 29ô 

4e jqIoU répandus en tirailteurs, s'avancèrent jusqu'à une palissade établie 
I 30 et quelques toises du fort et derrière laquelle un poste ova s'était 
embusqué dans un retranchement. Ce poste voulut faire résistance, mais 
une fusillade bien nourrie et quelques grenades le débusquèrent , et il se 
réfugia dans le fort. 

Nos troupes n'avaient pas été arrêtées un seul instant , et Tardeur avec 
laquelle elles marchaient était admir.abie. La palissade fut bientôt ren- 
versée, et elles coururent, toujours dans le même ordre , sur le fort ; mais à 
une quarantaine de pas, Fennemi fit une dc^charge à mitraille qui nous fît 
perdre quelques hommes. Loin d'être ébranlées, nos colonnes se séparent et 
fondent au pas accéléré sur le point désigné vd'avance à chacune ; en même 
temps , le capitaine d'Espagne ordonne l'assaut. M. Baudson marche avec 
intrépidité sur la porte du sud-est, et malgré uoe grêle de balles il entre 
avec ses soldats dans le fort ; mais il tombe bientôt percé de trois coups de 
sagaie au milieu desOvas. Le capitaine d'Espagne vient à son secours, le 
dégage et fait main basse sur l'ennemi. De son côté , M. de La Revanchère 
monte à l'assaut par l'épaulement du nord et entre dans le fort , où il ren- 
verse tous lesOvas qui veulent résister. M. Samsois était déjà à la grande 
porte avec un de ses soldats qui voulait entrer le premier, ayant que les 
Ovas eiMsent eu le temps de recharger leurs canons. La mêlée devient alors 
générale, et l'on se bat avec le plus grand acharnement dans le fort , que 
les Ovas ne quittent qu'après de grandes pertes. Ck)nlrainis de se retirer, 
ils se dirigent vers la forêt en côtoyant le rivage du nord ; mais, poursuivis 
alors par la réserve, que commandait M. AJaréchal, plusieurs se jettent à 
.la mer et s'y noient. Enfin , la Chevrette achève la victoire en les mitrail- 
lant au moment où , poursuivis de toutes parts , ils gagnent avec grande 
peine la forêt. 

A midi tout était terminé, et M. Gourbeyre se rendit à terre pour arborer 
le pavillon français sur le fort ova. On distribua des rafraîchissements aux 
troupes, qui portèrent la santé du roi avec enthousiasme. Nous comptâmes 
il9 Ovas tués sur le champ de bataille, dont une cinquantaine aux pièces 
de canon et aux brèches, et nous fîmes 27 prisonniers, desquels on apprit 
queies forces de l'ennemi se piontaient & 500 hommes. Notre perte ne fut 
que de neuf blessés dont un morteHement. Le capitaine Turbez montra 
dans e^te affaire autant de courage qu'à Ambatoumaooui , et sa belle eon- 
dgite fut remarquée de toute la division. 

Huit pièces de canon, sept cents livres de poudre, uac assez grande quan- 
tité de fusils et de sagaies, le pavillon ova, portant le nom de la reine 
Ranavala-Manjaka , et enfin 2â0 bœufs, tombèrent en notre pouvoir. Ces 
bœufs étaient parqués à la pointe de Larrée , et servaient pour les appro- 
visionnements des Ovas ; on resta deux jours au mouillage pour les embar- 
quer. Le 6. après avoir détruit le fort et repris nos troupes, nous fîmes 
voile pour Sainte-Marie , où notre victoire et les bestiaux que nous ame> 
nions causèrent' la plus grande Joie, 

La missifliik de M. Gourbeyre était remplie quant à la formation de l'éta- 



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%^ R£f II£ UB i^'OfUlISnt. 

f 

èliiiëeDient (k Tintingue; mais, comme oo l'a vu , il avait été impossible de 
conclure le traité par la mauvaise volooté du gouvernement ova. M. Gour- 
beyre était donc sur le point de ramener sa division i Bourbon^ lorsque 
le 20 il reçut une lettre du prince Goroller, annonçant qu'il était envoyé 
avec le général Ratsitouhaine , pour lui remettre une lettre de la part de 
la reine, et demandant un sauf-conduit |>our se rendre près de lui. Lesau^ 
conduit fut envoyé de suite, et le 2i, la frégate, ta Nièvre et ie Màdagasc€W 
allèrent mouiller au sud de la pointe de Larrée , oti les généraux ovas de- 
vaient se rendre. 

Le 22, au matin, ceux-ci se tendirent à bord de la frégate et furent reçus 
avec les honneurs militaires. Le commandant leur communiqua le traité 
qu'il 4H(f it ordre de proposer au gouvernement ova , et ils demandèrent 
jusqu'au lendemain pour lui donner une réponse ; ils les invita ensuite à 
dîner, et le soir les deux généraux retournèrent à terre. 

Le 23, le mauvais temps empêcha la communication ; mais le 24 les am- 
bassadeurs revinrent à bord de la frégate. Ils étaient très-disposés à entrer 
en arrangement et témoignèrent leurs regrets de n'avoir pas les pouvoirs 
nécessaires pour signer le traité, dont ils prirent deux copies pour les sou- 
mettre à l'approbation de la reine. Le commandant leur donna jusqu'au 
30 décembre pour la ratification. Ils remirent à M. Gourbeyrc une invita- 
tion â tous les traitants de rentrer à Tamatave et dans les autres ports 
ovas, avec un ordre à tous les chefs de la c6te de cesser immédiatement 
les hostilités; puis enfin une lettre par laquelle ils déclaraient, au nom de 
leur gouvernement, que les navires français seraient admis comme par le 
passé dans tous les ports de S. M. Kanavala-Maojaka. Ces deux généraux 
s'embarquèrent dans l'après-midi sur un bâtiment marchand qui les trans* 
porta à Fénérif. 

La France avait ainsi obtenu ce qu'elle demandait , grâce au courage de 
ses marins et de ses soldats, dont le sang avait coulé sur cette terre loin- 
taine, et l'expédition était terminée , puisque nous rentrions dans nos droits , 
et que l'établissement de Tintingue prospérait à Tabri de notre pavillon. 
En conséquence, le commander t vint à Sainte^Marie pour donner quelques 
nouvelles instructions, et le lendemain 26, partit avec la JViévn pour l'Ile 
Bourbon, où il arriva le 10 décembre. 

La reine des Ovas ayant refusé de ratifier le traité, de nouvelles négo- 
ciations eurent lieu entre le gouverneur de Bourbon et le gouvernement de 
Madagascar, mais sans aucun succès. 

Sur ces entrefaites, la révolution de Juillet s'étant accomplie, l'un des 
premiers soins du ministre de la marine fut d'examiner si, dans la situa- 
tion grave où cette révolution plaçait la France, il ne cqnvenait pas de faire 
cesser au plus t6t les dépenses extraordinaires qu'occasionnait Madagascar. 
Sur le compte qui lui fut rendu à ce sujet, il ordonna, le 31 août 1830, le 
débarquement d'un détachement de 127 hommes d'infanterie légère, qui se 
trouvait prêt à partir de Brest ])Our Bourbon, à l'effet de compléter, avec 
673 hommes du même corps, déjà partis, le renfort de 800 hommes dont 
l'envoi avait été ordonné au commencement de Tannée. 



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TOTAGE A Q^ADAGASCAR. 297 

Le conseil d'amirauté ayant été consulté sur la question d'occupation de 
Madagascar, son opinion fut qu'il serait presque impossible de nous main- 
tenir à Tintingue en temps de guerre , attendu que l'immense supériorité de 
la puissance anglaise dans linde la mettait en position de diriger sur les 
colonies étrangères qui se trouvent dans le voisinage de ses possessions des 
forces auxquelles ces colonies seraient incapables de résister. 

En conséquence de cette opinion , le 27 octobre 1830, il fut décidé qu'on 
rappellerait immédiatement en France les quatre bâtiments de guerre affectés 
à l'expédition, et tout ce qui , en infanterie et en artillerie, excéderait l'ef- 
fectif des garnisons ordinaires de Bourbon et de Sainte-Marie, et le 31 mai 
1831, l'évacuation deTintingue fut définitivement ordonnée par le gou- 
verneur de Bourbon. Les fortifications furent détruites, et Q»^Hvra aux 
flammes les édifices (en bois) par nous élevés; le personnel et le matériel 
furent embarqués, et transportés soit à Sainte-Marie, soit à Bourbon. 

Le capitaine de frégate Jourdair , 

Commissaire du roi dans l'expédition. 



VOYAGE A MADAGASCAR 

ET AUX ILES COMMORES. 

(Troisième article.) 



Bèjeiiner à bord avec Baboukî. — liîohefiei étalées devant] le roi ta- 
oalave; ion admiration — Fanfousx , taliiman saoalave. -~ pépart de 
Rabouki. — Maladies. — Misérable condition des esclaves à Madagascar. 
Arrivée à Massangai. — llescription de cette ville. — Visite au gouver- 
neur bova du fort. — lie cidre transformé en vin de Cbampagne. — 
Tenuaes bovai i leur costume. — Superstitions des Bovas et des Saoa- 
laves. — Beauté et avantages du port de Massangai. — Bépavt pour 
Aigouan. 

Le roi Rabouki devant venir déjeuner à bord J'avais, dès la pointe du 
jour y fait orner le canot d'une draperie rouge et dresser une tente. Six 
marins en chemise rouge et pantalon bl^ne, se servant ce jour-là de leurs 
plus belles rames blanches , donnaient un air de propreté ravissante à l'em- 
barcation. Vers les sept heures, je quittai le navire pour aller chercher le 
prince, Le navire était pavoisé des couleurs de la Néerlande ; tous nos marins 
s'étaient parés pour la circonstance ; la propreté qui existe toujours sur les 
navires néerlandais avait été dépassée; le nôtre était dans ses plus beaux 
atours. 



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M8 REYIIE DE i'pRIERT. 

En arrivant à Urre, je me dirigeai vers la demeure do prince. En y ar* ' 
rivant, j'appris que Sa Majesté sacalave avait, selon sa coutume, passé la 
nuit dans un autre jiMito/^, et qu'elle s'y trouvait encore : je m'y rendis aus- 
sitôt. Chemin faisant , je me reprochais d'être venu à terre de si bon matin, 
croyant , par ma présence , empêcher le prince de dooner audience à ses 
sujets. Je reconnus facilement la case royale ; une garde d'honneur , forte de 
trois Sacalaves, était couchée en travers de la porte. J'entrai sans me faire 
annoncer , et je vis Sa Majesté accroupie dans un coin et dans le plus simple 
négligé : un seidik autour des reins formait tout son costume ; un fusil de 
munition derrière lui, et une esclave couchée à ses pieds, qui ne s'éveilla 
qu'après avoir senti Je pied royal au-dessous de ses reins. La beauté qui venait 
d'être arr^ée au sommeil, après s'être frotté les yeux, la tête, ei avoir 
examiné si le niorceau de bois dont elle avait le nez percé était toujours à 
sa place, se couvrit le corps avec son seidik. Le visiteur ne fit que gagner à 
cette dernière cérémonie, car, en entrant dans la case , j'avais fait la re- 
marque qu'il était heureux pour les habitants de cette contrée que la tempé- 
rature fût si douce. 

Le prince, que j'avais cru trouver rendant la justice, occupait ses loisirs 
à dévorer quelques petits poissons, que la gar4e royale avait sans doute fait 
griller pour lui, car le feu que l'on voyait encore devant la case, entouré 
d'une infinité de petits bâtons embrochant chacun une dopsaine de poissons, 
dénotait assez le déjeuner royal. Aussitèt que Rabouki se fut essuyé les mains 
avec son seidik, il m'invita à m'asseoir à ses côtés , et me dit qu'avant de 
s'habiller, il allait me faire voir quelque chose de bien beau. Il appela l'es- 
clave qui , cette nuit-là , n'avait pas partagé sa couche royale. Elle tenait 
dans ses mains un petit sac de tQile; après qu'elleen eut délié le cordon, elle 
en tira tous les joyaux de la couronne. La première botte qu'elle retira du 
sac contenait une trentaine de perles d'or, et la seconde un collier de petits 
grains en corail bien pâle. Rabouki fit étaler ces richesses sur sa natte, et me 
dit avec orgueil : « Vous n'avez rien de si joli que cela ?» Je lui répondis que , 
lorsqu'il serait à bord, je lui ferais voir des perles d'or quatre fois plus 
jfrosses et des colliers en corail aussi rouge que la belle robe qu'il avait mise 
ia yeille. R9b3uki,,nje ^ tepant plus d'impatience, se leva aussi! ôt^, et im dit 
4|u'il aliaii s'habiller« Comme j'avais quelques ordres à donnei- à l'officier qui 
m trouvait dans le i^aaot, je quittai le prince , afin de lui laisser la liberté 
de s'habiller à son aise. 

J'étais à peine arrivé au rivage, où j'avais trouvé une soixantaine de Sa- 
calaves , qui , le fusil d la main , attendaient l'arrivée de leur souverain, que 
je vis arriver Rabouki. J'allai au-devant de lui. 11 était accompagné de 
ses deux esclaves, de l'orateur et de quelques chefs malgaches et anialotehcs. 
Rabouki avait mis sa belle robe rouge, qui, ce jour-là, couvrait une tu- 
nique blanche : il avait sans doute voulu s'habiller avec la plus grande élé- 
gance. Il avait remplacé par un bonnet arabe le bonnet rouge aux perles de fer- 
blanc; je lui en fis la remarque, en lui disant que j'aurais désiré qu'il t'eût 
mis , afin de le faire admirer à l'équipage. 11 envoya aussitôt quelqu'un pour 
le chercher , et s'en coiffa avec orgueil et tout bouffi de sa belle toilette. Il 



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IfWh^E k B^l>i€AS€AR. 999 

€Btr9 eosuite daos te canot ; je me plaçai à côté de lui , et à peine $a suite 
avait-elle pris place , que le canot fut envahi par les Sacalaves; mes rameurs 
ne pouvaient se remuer. J'eus beau prier le prince de donner ses ordres pour 
faire évacuer le canot , Babouki , qui sans doute ne rêvait qu*aux perles d'or 
quatre fois plus grosses que les siennes et aux colliers de corail plus rouge 
que sa robe, ne me répondit nullement, et paraissait être déjà en contem- 
plation devant ce qu'il allait voir. Comme je vis que mes cris ne faisaient 
bouger personne, je saisis tour à tour cinq ou six Sacalaves et les jetai dans 
l'eau ; l'officier et mes marins en firent autant, de manière que nous pûmes 
quitter le rivage. A peine en étions-nous éloignés que nous vîmes cinq piro- 
gues qui se trouvaient sur le sable mettre à l'eau , se remplir de monde, se 
diriger vers le navire et y arriver avant nous. Le capitaine , qj^ était resté 
abord, voulut empêcher les Sacalaves d'y monter, mais ils grimpèrent de 
tous côtés, et le pont fut encombré en un instant. Cet empressement à se 
rendre au navire ne leur était pas seulement inspiré par la curiosité, mais 
encore par la volonté de suivre leur prince, qu'ils ont l'habitude de ne ja- 
mais perdre de vue. 

Lorsque Rabouki fut monté à bord , je fis tirer six coups de canon , ce qui 
parut l'amuser , mais ne l'étonna p^s. Je l'engageai à descendre au salon , 
et, comme j'avais fait placer deux marins en haut de l'escalier , tous les Sa- 
jcalaves ne purent suivre le prince; une vingtaine seulement avaient forcé 
la consigne et remplissaient tellement la chambre que je crus étouffer. Je 
n'avais pas oublié de faire prendre des mesures de sûreté , vu le grand 
nombre de nos visiteurs sauvages en armes : nos marine se tenaient tous sur 
l'arrière du navire, les armes chargées, dont quatre tromblons. 

Nous avions tué un bœuf à bord; ainsi oi^ put donner un excellent bif- 
teck au prince. Le capitaine, voyant que Rabouki était embarrassé pour dé- 
couper sa viande, eut la complaisance de le faire pour lui , et le roi , tout 
en n'ayant pas l'habitude de manger avec une fourchette, ne ^'en acquitta 
pas mal. Je lui fis boire du madère, du frontignan , du curaçao et de l'a- 
nisette de Hollande; il en but , mais il me demanda du genièvre et distribua 
à sa suite toutes les bouteilles qui se trouvaient à sa portée. De chaque côté 
delà table on avait placé une beurrière, des olives, des macarons; tout 
fut distribué, et la suite commença à devenir je ne dirai pas gaie, mais 
insupportable : aussi m'empressai-je de faire servir le café, afin de terminer 
le déjeuner. 

' L'orateur du prince prit alors la parole et dit : « Vou$ avez invité Rabouki ; 
u il est venu et est content de la manière dont il est reçu. Majptenant qu'il a 
a bien^iangé , il veut voir les jolies choses que vou$ dites avoir. » Je répondis 
qu'en remontant sur le pont, on lui ferait voir ce que je lui avai^ promis. Ra- 
bouki ne se le fit pas dire deux fois , et se leva. A ce moment , tous ses sujets 
accroupis autour de la table tombèrent sur le dessert , qui fut mis au pillage ; 
ils mangèrent le beurre à pleines mains, et toute une caisse de cigares dispa- 
rut, mais aucun objet de valeur, et pourtant tout le service était en aiyen- 
terie. Pendant le déjeuner, j'avais bien soigné les deux esclaves du prince, 



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300 REVUE 1>£ L'OROSiXT. 

qui , à force d'avoir goûté de toutes les liqueurs , se trouvaient hors d'état 
d'être les soutiens de leur souverain et maître. 

On avait placé sur le pont un fauteuil pour Rabouki. Je commençai par 
lui faire voir des armes de luxe, des parapluies en soie rouge, ensuite les 
perles d'or, en ayant soin , bien entendu, de ne lui faire voir qu'une chose à 
la fois. Il admira avec des yeiix de feu la grosseur des perles; je fis ouvrir 
ensuite une caisse contenant le corail , et lui montrai une filière dont les 
coraux avaient la grosseur d'une balle à fusil. Rabouki me l'arracha presque 
des mains, tellement il était pressé de bien l'examiner ; il la mit à son cou 
et se tourna de tous côtés afin de se faire admirer par ses sujets, qui tous 
avaient un air ébahi de la splendeur de leur souverain. Je dis à Rabouki de 
me la rendre; mais il ne voulut pas: il l'ôtait de son cou, la remettait vingt 
fois dans une minute. Je me saisis du collier; Rabouki ne lâcha pas, et le 
tira de son côté ; je fus obligé de lâcher prise pour ne pas le casser et répan- 
dre les grains sur le pont. Je cherchais le moyen de ravoir ma filière sans être 
obligé de me fâcher , lorsqu'il me vint à l'idée de dire â Rabouki que , dans la 
botteque je tenais , il y avait des colliers beaucoup plus beaux et plus grands. 
Cela me réussit â merveille : â l'instant il ôla le collier et me le remit. Je ne 
crus pas prudent de faire un second essai ; je fis battre la caisse et sonner 
du cor par nos hommes, et , pendant ce bruit, on fit disparaître perles et 
coraux. La grande quantité de boissons qu'avaient prise mes visiteurs com- 
mença â fermenter par l'extrême chaleur de la journée; il fallait trouver le 
moyen de se débarrasser d'eux. Je dis â Rabouki quej'étais trop fatigué pour lui 
fai re voir autre chose pour le moment, et que, lui-même ayant besoin de repos, 
j'allais faire avancer le canot pour le reconduire. Il n'a vai t pas l'air très-cbarmé 
de partir ; mais, comme il ne voyait plusses chers coraux, il consentit, et me 
dit qu'avant de s'en aller il voudrait bien avoir de moi le même cadeau que 
j'avais fâ^t aux chefo antalotches ^ quelque chose qui donne de la force et 
fait rajeunir, .le lui répondis que je lui en apporterais moi-même aussitôt 
que j'aurais dormi une heure ou deux. Nous nous serrâmes la main, et le 
prince, que je fis reconduire par le premier officier, se trouva installé dans 
le canot ; sa suite quitta le navire comme elle y était venue, en s'accrocbant 
comme des singes aux flancs du bâtiment, et, quoique beaucoup fussent 
dans un état complet d'ivresse, ils arrivèrent tous dans leurs pirogues sans 
accident. Nous fûmes très-contents d'avoir pu nous en débarrasser aussi 
facilement. 

Vers les quatre heures, je me rendis â terre pour m'acquitter envers Ra- 
bouki. Je lui fis prendre dix gouttes d'extrait de cantharides : je me serais 
bien gardé de lui donner la bouteille, car son désir de devenir très-fort lui 
aurait fait commettre l'imprudence de tout avaler. Je le quittai pour chasser 
quelques pintades, et je fus assez heureux d'en tuer deux. Fier démon 
succès, vu mon peu d'adresse, je retournai à bord, après avoir toutefois 
promis â Rabouki de venir le voir de très-bonne heure , afin de lui soubaitar 
ua- heureux voyage: il parlait ce jour-là pour retourner à sa résidence 
royale, située à trois heures de la baie de Rally. 



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TOTAGE A MADAGASCAR. 301 

Le lendemain matin, je me rendis auprès de Raboukt ; il avait, à ce que 
j'appris , témoigné plusieurs fois son impatience de me voir arriver. Sii6i 
qu'il m'aperçut , il vint à ma rencontre. Il n'eut pas besoin de me dire quel 
effet avait produit la dose que je lui avais fait prendre, car je je vis à son air 
riant et triomphant ;je pus même apercevoir combien Tesclàve qui se trouvait 
dans ce moment près de lui élait contente et heureuse de la belle humeur de son 
maître. Rabouki voulait absolument en prendre encore. Je lui dis que j'étais 
désolé de ne pouvoir satisfaire son envie, mais que ma petite fiole s'était 
cassée; que j'en avais encore dans une caisse qui se trouvait au fond du na- 
vire, et que sitôt qu'il me serait possible d'y atteindre, je m'empresserais de 
lui en envoyer. Ma réponse ne plut pas infiniment au prince; mais l'espé- 
rance de recevoir encore de ce bienheureux élixir le consola pour le moment. 
Il était en costume de voyage, c'est-à-dire n'ayant pour tout vêtement que 
le seidik en toile bleue, la tète découverte; à son cou était suspendu le auli 
ou fanfoudi, charme qui détruit, à ce qu'ils prétendent, l'effet des sorti- 
l^fes et fait obtenir un heureux voyage. Ce talisman est un petit tuyau ou 
bambou dans lequel étaient renfermés , sans doute, comme à l'ordinaire, 
quelques racines odorantes et un morceau de papier sur lequel l'ombiache 
a tracé des caractères ou signes cabalistiques. Il tenait danases mains la sa- 
gaie, une de ses esclaves se tenait près de ses bagages, les caisses de genièvre 
n'étaient pas éloignées , afin qu'il pût de temps en temps y jeter un œil 
complaisant, peut-être même en user ; une partie de ses sujets venus avec 
lui avait pris les devants ; il n*était resté que son orateur et une quarantaine 
de Sâcalaves pour former sa garde. Je conduisis le prince jusqu'au bout du 
village; nous nous serrâmes la main. Rabouki et toute sa suite s'éloignèrent 
en criant : Hvent les Hollandais, et je ne le revis plus. 

A l'exception de quelques maladies cutanées, toujours existantes chez les 
Sâcalaves comme chez lesHovas, il n'y avait point de maladie régnante à 
la baie de Bally vers cette époque , vu que nous étions daus la bonne saison ; 
mais aussi , pendant Thivernage , saison de pluies et de chaleurs, qui com- 
mence en novembre et finit en avril , la fièvre décime les Européens et les 
naturels d'une manière effrayante. J'ai vu peu de Sâcalaves lépreux , mais 
davantage atteints de cette maladie dite lèpre blanche. J'ai remarqué chez un 
grand nombre de Sâcalaves, et plus encore chez les esclaves des Antalotches 
originaires de la côte de Mozambique, le nombril de la grosseur d'un œuf; 
on m'a assuré que cette grosseur était considérée comme une beauté, et que, 
pour cette raison , les parents le faisaient venir ainsi à leurs enfants en le 
tirant continuellement. Ces jeunes esclaves ont aussi le ventre gros et fort 
tendu; leurs membres sont grêles. Je présume que la misère, la mauvaise 
nourriture y contribuent beaucoup : ainsi, lorsqu'on tue un bœuf /dans la 
tribu, les esclaves n'en reçoivent que le sang et les intestins; le foie même 
n'y est pas compris; de temps en temps un peu de riz, mais en si petite 
quantité que cela suffit à peine pour subvenir à leur existence ; quelques co- 
quillage^ et de petits poissons qu'ils trouvent sur le bord du rivage , telle est 
leur unique nourriture; et s'ils possèdent quelquefois un morceau de toile 



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362 HËTtE BF. L'ORIEBrr. 

bîeue pour sctdik, ce n'est qu'à la gériéroslté des câprlalnes caboteurs qu'ils 
le doivent. Tant que ces misérables créatures se portent bien, ils ne sont 
pas tout à fait malheureux , ayant Thabitude de cette vie de misère; mais» 
s'îfs tombent malades, personne ne s^en occupe : ainsi, j'ai vu un petit garçon 
d'une dizaine d'années, ayant fa jambe droite en complète pourriture, obligé 
de travailler, sans que son maître eût Tidée de le faire panser, ni même re- 
poser, afin de le guérir. Je lui donnai quelques morceaux de toile et de fa 
pommade pour essayer d'adoucir ses souffrances, tant j'étais indigné d'une 
telle inhumanité. Les esclaves sont à si bas prix à la c6le de Mozambique, 
qu'on s'inquiète peu s'il en meurt; ils doivent travailler tant qu'ils ont un 
soufQe de vie, seulement on ne les maltraite pas. 

Les Sacalaves ont le cotps couvert de cicatrices de brûlures et couputes, 
tatouage fait par leurs parents lorsqu'ils sont enfonts. 

Après avoir vu à fa baie de Bally tout ce que je voulais y voir, et terminé 
avec les Antalotcbes , je quitfai la baie le 14 Septembre. Nous appareillâtfie^ 
le soir même, et nous fîmes voile pour Massangai, baie de Bembatoioia , àfr 
nous mouillâmes le 15, vers les huit heures du soir. 

L'expérience m'avait appris au Fort Dauphin que fe bruit du canoû ftiisaît 
courir le peuple aux armes: aussi ne saluàmes-noas point le fort, et, connne 
la soirée était avancée, nous mouillâmes même à une assez grande distance 
de terre. 

Le lendemain, vers les huit heures du matin, je me rendis â Massangai, 
en ne prenant que quatre marins avec moi , el sans armes , voulant , en 
agissant de cette manière, montrer noire confiance aux naturels, et leur 
faire voir nos intentions pacifiques. 

En arrivant, je vis assez de monde au fîvage, autant pour nous voir 
qu'occupé â pêcher, c'est-à-dire attraper à la main des petits poissons. Je 
demandai à plusieurs de me conduire chez le commandant; mais aucun ne 
daigna me répondre, c'est à peine s'ils avaient l'air de me remarquer. Je me 
dirigeai toujours vers la maison qui avait le plus d'apparence, lorsque je 
distinguai un blanc au milieu d'un groupe d'Arabes. J'allai â lui; il me dit 
qu'il était Américain établi depuis quatre années en cette ville et m'invita 
à entrer chez lui. A perne avars-je pris place que plusieurs officiers de la 
douane, drapés dans leur sini'bou, le grand chapeau de paille sur la tète et 
le sabre â la main, accompagnés dé six seldats hovas, entrèrent. L'Américain 
leur dit que le grand navire ntouilFé la veille n'était pas un bâtiment de 
guerre français , mais une frégate marchande hollandaise, en leur disant 
voit' sur un petit tableau représentant les? pavillons coloriés de toutes les 
puissances la différence du nôtre avec celui de la France. Je démandai aus- 
sitôt de me présenter chez le gouverneur ; on me dit d'attendre, qu'ils y 
allaient pour rendre compte de ce qu'ils venaient d'apprendre , et qu'à 
leur retour du fort ils viendraient me donner la réponse du gouverneur. 

Après une demi-heure d'attente, un des officiers de la douane revint 
et m'annonça que je serais r.eçu au fort par le gouverneur et qu'oi vien- 
drait me chercher dans une couple d'heures. C'était sans doute le tempS 



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tOTAGE A MADAGASCAR. 303 

quMi leur follait pour quitter leur costume national et le remplacer par 
l'uniforme européen. Je profitai de ce temps pour aller visiter la ville. 

Massangai , sur la c^te nord-ouest de Madagascar, principal port de cette 
c^le, est le seul point occupé par les Hovas. Cette ville, bâtie au pied du 
fort et longeant la baie , contient tout au plus une centaine de maisons 
construites en pierres et habitées par une tribu de Banians (Indous) qui lui 
donnent une certaine activité par leur commerce. Les maisons ont quelque 
chose du style mauresque; il n'existe pas de mosquée , comme qiielques 
voyageurs l'ont prétendu. Il y a environ quatre cents cases construites en 
feuilles de ravinala et occupées par les Sacalaves soumis. 

Le fort est situé sur une hauteur; la route qui y conduit est sablonneuse 
et garnie d'arbres de castre, dominant la ville , la belle et magnifique baie 
de Bambotooka, ce qui forme, vu du fort, le plus ravissant panorama. 
Entre la ville et le fort se trouve le bazar, c'est-à-dire une trentaine de Sa- 
calaves accroupis sur le sable et à l'ardeur du soleil, coupant par petits 
morceaux de la grandeur de la main le bœuf qu'ils vendent ainsi en détail 
et qui est tellement couvert de mouches qu'on n'en reconnaît plus la cou- 
leur. Hommes, viandes et mouches roulent tous sur le sable; j'ai vu des 
lépreux, des galeux marchands de viande et de riz, occupés à chercher ou 
plutôt à prendre la vermine qu'ils ont toujours en abondance. 

J'avais eu l'intention d'acheter de la viande en détail en attendant le mo- 
ment d'avoir un bœuf entier, mais ce que je venais de voir m'en 6ta toute 
envie. Comme chez eux on ne trouve pas de légumes, peu de poissons, par 
suite de leur paresse à le pécher, et seulement des œufs pourris ou renfer- 
mant des poussins, je me décidai à attendre. Je bornai lâ mon excursion 
et retournai chez M. Max, l'Américain qui m'avait offert l'hospitalité. 

Un modeste déjeuner m'attendait : un kerri de poulet, un plat de riz, 
quelques bananes et du biscuit américain , pour boisson du rhum et de Feau. 
Je dis à mon hôte: « Vous devez bien vous ennuyer ici , n'ayant que quelques^ 
«Banians pour toute société.-— Je m'ïennuierais bien davantage, dit-il, si je 
et n'avais pas d'occupation , mais ayant fait un traité avec la reine des Hovas 
a pour commercer seul ici, j'ai quatre navires qui viennent totis les ans des 
« État-Unis m'apporter les articles dont on a besoin , et leur cargaison de 
a retour n'étant qu'en peaux de bœufs, je dois toujours faire en sorte d'en 
cr avoir une prête. Si vous voulez venir à mes magasins , vous en verrez déjà 
u se|^ mille qui sont toutes séchéeset en éUt d'être embarquées; comme 
c( aucun naturel ne peut vendre une peau à d'autre qu'à moi , je suis obligé de 
cf leH acheter en détail, ensuite de les saler et les sécher. J'ai une quarantaine 
« d'eeelaves, quatre cents bœufs , voilà bien assez pour m'occuper. Depuis 
«quatre ans j'ai Thabitudede vivre de cette manière; maintenant j'y suis 
u foit. » U me conduisit dans ses magasins: j'y vis, outre ses sept mille peaux 
del>œofs, des fusils américains qu'il vend comme fusils anglais; le nom de 
Power est gravé sur la batterie, inais il est facile de s'apercevoir de la fraude, 
le calibre étant plus petit. Il y avait encore une grande quantité de toite 
écrue, des para^i&i de coton et des petites glaces, C*est avec ces article» 



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304 RETUC f>E l'orient. . 

c|u'il fait ses échanges avec les Sacalavcs et les Hovas. Pendant que jVUais à 
cxaiiûner ses marchandises, un officier bova vint me chercher. pour me 
conduire au fort. Il avait, comme je Favais présumé, quitté son jsim'bou 
et son chapeau de paille à large bord, pour endosser l'habit rouge, le pan- 
talon blanc et mettre des boites; il était coiffé d'un chapeau militaire avec 
des plumes de coq jaunes et blanches. Il se tournait dans tous les sens afin 
de se faire bien admirer, et lorsque nous fûmes en marche, je remarquai 
qu'il dandinait sur les hanches en ayant Tair fort satisfait de sa personne* 
Comme il voyait que Je ne lui disais rien de sa belle toilette, il frotta avec 
sa main sur les manches de son habit comme pour en ôter ta poussière, ôta 
vingt fois son chapeau, tantôt pour arranger son panache ou les glands, 
essuya ensuite le fourreau de son sabre. Je fus assez méchant pour ne pas 
faire attention à tout ce manège : aussi lorsque la sentinelle qui se trouvait 
à rentrée du fort , et qui était loin de Télégance de son officier, nous croisa la 
baïonnette pour nous arrêter , je crus remarquer un air boudeur à mon 
conducteur, il me dit d'attendre un instant et entra seul. Pendant ce temps , 
j'examinai Textérieur du fort: il n'existe aucun ouvrage pour en défendre 
l'entrée, seulement un simple fossé d'environ 5 pieds de large et une 
rangée de hautes palissades; sur une plate-forme, six mauvaises pièces de 
douze s'y trouvent en batterie, destinées à foudroyer la ville et une flotte 
ennemie si elle se présentait dans la baie. Il est inutile de dire que c'est, une 
vraie pasquinade comme tout le système militaire des Hovas. 

Mon conducteur revint et nous entrâmes ensemble. A la seconde porte, 
même cérémonie de la sentinelle; l'officier lui donna le mot d'ordre, ce qui 
nous permit d'entrer. Entre la première et la seconde porte , se trouvent des 
cases construites en bambou pour la population hova; ces cases sont entas- 
sées les unes sur les autres, ce qui , dans un moment d'attaque, suffirait et 
pour gêner le mouvement des troupes, et pour porter le désordre dans tout 
le fort si l'incendie s'y communiquait. En entrant dans une cour carrée 
entourée de palissades d'environ 6 pieds de hauteur, trois cents hommes 
étaient rangés en bataille; leur costume était aussi brillant que celui de la 
garnison du Fort Dauphin: le commandant leur fit présenter les armes, et 
deux tambours, placés sur la droite, battirent au champ. Vis-à-vis la porte 
d'entrée se trouve la grande salle destinée aux kabaars, construite en pierre, 
et d'un carré long. Le gouverneur m'attendait : à l'entrée je lui remis la 
piastre pour la reine, qu'il accepta en se courbant jusqu'à terre \ ce salut fut 
imité par huit ofâeiers présents. 

Le gouverneur m'invita à m'asseoir;un des officiers, sans doute le meil- 
leur orateur, prit la parole et me dit: a La reine permet aux navires de toutes 
a les puissances l'entrée des ports hovas, de s'y ravitailler et d'y commercer 
« librement , excepté ceux qui appartiendraient à la France et|à l'Angleterre, 
o et comme vous êtes Hollandais, vous pouvez rester ici tant que vous vou-* 
« drez. » Le gouverneur me demanda si je coulais prendre un bon verre de 
Champagne; ayant toujours considéré ce vin comme excitant à la belle hu- 
meur, je n'étais pas fâché de renouer avec une ancienne connaissance* Aus- 



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TOYAGK A MADAGASCAR. 305 

sitôt un esclave plaça deux bouteilles sur la table; le gouverneur prit un 
tire-boucboD , ce qui commença à me para tire suspect sur la véritable ori- 
gine du nectar, déboucha la bouteille, en versa dans des verres à Champa- 
gne, levant le bras pour faire mousser le vin. Je portai la santé de la reine 
Ranavala-Manjaka et de S. M. le roi Guillaume 11 , ce qu'il répéta après moi. 
Ayant vidé mon verre, le gouverneur me demanda si je le trouvais bon; 
j'eus beaucoup de peine à m'empêcher de rire. Il me dit: « C'est M. Max qui 
«me Ta vendu.» Ce qui me rappela Tanecdote d'un Gascon prisonnier en Rus- 
sie, qui , étant chez un comte comme précepteur, enseigna à ses deux demoi- 
selles le gascon pour l'italien. Ainsi l'Américain avait vendu pour du Cham- 
pagne du cidre, non pas de bon cidre de Normandie, mais une boisson 
horriblement acide, seulement elle moussait, et c'était sans doute ce qui 
plaisait aux Hovas. Une étiquette française portant le nom de Champagne 
était sur la bouteille; ainsi à leurs yeux c'était du vin de Champagne. 

Voulant esquiver un second verre , je me levai; mais le gouverneur ne 
voulut pas me laisser partir et me dit : « Puisque vous le trouvez bon , il faut 
«en prendre un second.» Je le regardai bien en face pour voir s'il ne se mo- 
quait pas de moi; mais comme il en prit lui-même, je me soumis à cette 
nouvelle épreuve. En quittant la salle, l'officier orateur me dit que le gou- 
verneur allait m'envoyer comme cadeau un beau bœuf. Les ti-oupes me 
rendirent les mêmes honneurs qu'en entrant. Les femmes hovas, curieuses 
sans doute, étaient sorties de leurs cases, et je puis assurer qu'il y en avait 
qui pouvaient passer pour jolies sans avoir de l'indulgence; c'était la pre- 
mière fois, depuis mon séjour à Madagascar, que je voyais des figures fémi- 
nines passables. 

Le costume des femmes hovas n'est pas sans une certaine élégance: leurs 
cheveux sont arrangés en une multitude de petites tresses, sur le frout 
une ferronnière en petites perlés ou en verroterie, elles ont une chemisette 
à collet droit fermé par trois petits boutons, un canezou en indienne do 
couleur à ramages rouges ou bleus, le seidik tombant au-dessous du genou , 
et sont élégamment drapées dans un grand sim'bou ; à leur cou pendent des 
amulettes. Elles sont généralement d'une taille moyenne , ont de grands yeux 
et de belles dents; elles ne mâchent point de bétel, mais elles sont toujours 
munies d'un petit tuyau de bambou dans lequel se trouve le houchouk, tabac 
à priser mêlé de cendres et dont elles placent de temps en temps une pincée 
dans la bouche entre la lèvre inférieure et les dents; elles s'occupent à tisser 
des sim'bous, à tresser des chapeaux et paniers de paille, et raffolent du 
fifanga, qui est l'unique jeu des Hovas. C'est un carré long en bois dans le- 
quel il y a un certain nombre de trous disposés sur trois lignes , on y met 
des noix de galle ou à leur défaut des petites pierres. Ce jeu est une véri- 
table passion chez les femmes; les hommes le jouent également. 

Deux heures après ma sortie du fort , je reçus un beau bœuf que j'en- 
voyai aussitôt à bord, l'équipage n'étant pas fâché de faire trêve à la salaison. 

Le lendemain, vers les neuf heures, je me rendis à terre ayant av.c moi 
des cadeaux que je destinais au gouverneur et aux deux officiers le plus 
IX. 20 



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306 RETUE DE l'orient. 

élevés en grade après lui. Je priai un des of6cier$ de la douane de se rendre 
auprès du gouverneur pour lui demander l'heure à laquelle il pourrait no^e 
recevoir, et, pour exciter son zèle, je lui fis cadeaii d'un chapeau et d'une 
paire de souliers; il me prouva sa reconnaissance par la promptitude qu'il 
mil à exécuter sa mission. Le gouverneur avait la fièvre, mais il dit qu'il 
était malgré cela disposé à me recevoir, et que je pouvais venir de suite. 
Deux marins portèrent les cadeaux , et l'officier de la douanç m'accompagna. 
Cette fois, je ne fus plus arrêté par les sentinelles , les troupes n'étaient plus 
sous les armes, la salle aux kabaars était fermée, je fus reçu comme un ami 
qui allait faire une visite. Le gouverneur, à la demeure duquel on me con- 
duisait, n'habitait point un palais magnifique, le luxe oriental en était 
banni, on n'y voyait point circuler des esclaves eu riches costumes; ils 
étaient, comme leur maître, le seidik autour des reins et drapés dans leur 
sim'bou , tous accroupis autour du divan sur lequel était couché le gouver- 
neur, qui avait certainement une bien giande envie de recevoir le cadeau 
que je lui destinais, car il avait dans ce moment une très-forte fièvre. Ce 
divan , quelques nattes et une demi-douzaine de chaises, étaient les seuls 
meubles que je vis dans cette salie, d'ailleurs assez vaste, et pour y arriver 
un mauvais escalier ou plutôt une échelle d'une vingtaine de marches, placi^ 
à l'extérieur. 

Je m'assis près de lui et lui remis une boite en palissandre renfermant 
des pistolets damassés avec ses accessoires; pour les deux officiers, deux 
paires de pistolets à piston, en y ajoutant trois bottes de mille capsules* (1 
parut très-content de son cadeau, car il me remercia à trois différentes 
reprises. 

Pendant la nuit du 18 au 19, les Sacalavçs indépendants vinrent incen- 
dier un village, enlever les troupeaux et emmener comme esclaves tous le§ 
habitants qui n'avaient pu se sauver. Grande consternation au fort , dont les 
troupes furent plusieurs nuits sous les armes, mais p'éta\ient pas assez ^o^ip 
breuses pour marcher contre les Sacalaves. U en est de même chez (es Sa- 
calaves lorsqu'ils sont attaqués par les Hovas ; aujourd'hui ils ont petir 1^ 
uns des autres. 

Les Hovas, comme les Sacalaves, n'ont ni temples ni culte, sont é^aleq[ieuÇ 
superstitieux , croieut à deux génies, l'un bon , l'autre mauvais , qui ne su^t 
pas des divinités, mais seulement des juçes qui président aui( lionnes et 
inauvaises actions. Les ombiaches (devins) sont consultés daii.s toutes le^ 
occasions. Un chef hova ou sacalave ne fers^ aucunç affaire sans que l'oip.- 
biache ait décidé que le jour est un jour heureux ; ils n^eptreprendron^ 
jiamais un voyage sans suspendre à leur cou le fanfoudi. La circonc^sipa e^ 
en usage chez les deux peuples, ainsi que le serment du sang, que les Saca- 
laves observent religieusement, mais pas toujours Içs Hovas, qi^i n/ontde 
sacré que les ordres de la reine. Le devin , qui est à la fois s^stroiogMC et mé- 
decin, est appelé aux naissances, tire Thoroscope du nouveau- né, et la fa? 
mille, qui l'entoure, attend avec calme et confiance (peut-étrç en appar(^nice) 
le résultat de ses calculs cabalistiques. Si de ses calculs il résulte que Tenfaint 



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TOTiGE A MAOàGAACAR. 307 

est né dsins une heure et un jour heureux, Tenfaut a droU de vivre; mai» 
dans le cas oontrairç , il est enterré vivant , précipité d^ns ia rivière ou ^i:-: 
posé sur le chemin. Dans le premier cas , allégresse des parents et de tout 
les membres de la famille; l'ombiacbe suspend alors au cou du nouve^u-uA 
un fanfoudi , qui doit le préserver du mauvais génie^ Les parents de Tenfanl 
né dans un jour réputé malheureux se résignent , et l'oi^ n'entend jamais uo 
murmure. 

Les Saçalaves ont une grande répugnance pour le porc, le considérait 
comme un animal malfaisant et qui porterait malheur au pays : aussi n'en 
trouve-t-*on pas chez eux. On en voyait beaucoup chez les Hova$ ; noais, par 
un ordre de la reine arrivé pendant mon séjour à Massangai , ils furent 
tous sagayés; ce fut un massacre général. Aucun Hova ni Saçalave soumis 
n'eût osé m'en vendre, car il eût été immédiatement si^yé pour être con- 
trevenu aux ordres sacrés de la reine. 

Et cependant les Hovas et les Saçalaves sont deux peuples tout à fait dis-p 
tinçts, autant par la couleur de leur peau que par leur origine, enneoMS 
acharnés et irréconciliables. Les premiers, fiers de ce qu'ils comment leur 
civilisation, ipaéprisent le$ Saçalaves ^ la peau noire, et ne les considèrent 
que comme des rebelles ; ceux-ci, de leur côté, défendent le«r liberté, et voieii| 
dans les Hovas des étt:angers qui veulent non-seulemept rayir leurs trou- 
peaux , mais aussi le^r liberté : c'est une guerre à mort. Aujourd'hui le sys? 
tème gouvernemental est entre les mains d'une vieille femme ivrogne; 
mais qu'un jour il toçnbe entre les mains d'un prince comprenant que les 
Saçalaves soumis sont aussi des sujets, et non des esclaves, qu'il appopti 
une amélioration à leur sort, il établira facilement la fusion des den* 
pations. Ce jour-là l'indépendance des trois grandes tribut sera anéantie, 
et Madagascar, devenant alors une contrée heureuse, arrivera, par lecooH 
merçe ouvert aux puissances européennes, ^ une civi(i^ti(m réeUe; le gou- 
vernement, soutenu par tous, sera assez fort pour ne plus av<^ir A craiadn 
des conquêtes étrangères. 

Le 23, je fis dire au gouverneur que je comptais appareiller |e lendemaîni 
et que s'il voulait me dire l'heure où il pourrait pierecewr^ je me fierais un 
vérital^le plaisir de passer quelques moments avec (uf. Soa heure était midi* 
Ce jour-là , ce n'était plus le Ho va en seidik et drapé dans ^ sim'bqu ; c'^ail 
tout à fait l'Européei^ élégant, sauf le teint cuivré : il ^vait une petite redin-? 
got^ noire ) gilet de piqué blanc, chemise plissée, f^r^pi^ par deux pe|its 
boutous çl'or, cravate de soie noire, pantalon et bas hUacs., souliers vernit. 
Auss^itôt que j'entrai, il me dit : a VoMS ne voulez donc plus» rester avee nous hk 
Je lui 6^ observer que mon voyage é^ait loin 4'étre terminé, que j'avais 
besoin de ^out mon temps, que j'allais faire voile ppi;ir les lies Gommores, 
et que de U je comptais revenir à Madagascar visitçr la c6te de l'est et pré* 
ganter mes hommages à la rein^, à Tan^narivo; qu'il m'obligerait beaucoup 
en me donnant une lettre pour le gouverneur de Tamatave, qu'elle inc 
serait d'une grande utilité pour arriver auprès de la reine, mon intention 
étant de lui appprtçr iin cadeau et entamer des relations amicales et com* 



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308 RKVCE DE l'orient. 

* 

merciales avec sa nation; que tel était Tunique but de mou voyage, sans 
m'occuper des questions politiques et religieuses. Il ordonna au même instant 
à son secrétaire d'écrire la lettre; un esclave apporta une bouteille de Cham- 
pagne: je ne pouvais cette fois m*en dispenser, et fis en cette occasion 
benne contenance. Le secrétaire apporta la lettre; le gouverneur, aprc$ 
ravoir lue, signée et cachetée, me la remit. Après avoir passé environ 
deux heures ensemble, je pris congé en le remerciant de Taccueil amical 
que j'avais reçu de lui; en me serrant la main, il me dit : « Que le bon 
ir génie vous suive dans votre voyage ! » 

Je retournai ensuite chez M. Max , avec qui j'allai voir plusieurs des 
principaux Banians, lesquels auraient bien désiré faire des affaires avec moi; 
mais , mon départ étant fixé pour le lendemain , je leur dis que ce serait pour 
un autre voyage. Comme ils désiraient vivement visiter le navire, quatre 
d'entre eux y vinrent avec M. Max , qui ce jour- là dînait avec moi. Le ra- 
mazan ne permettait pas aux Banians d'accepter quelque chose; ils retour- 
nèrent tous à terre un peu avant le coucher du soleil. Je priai M. Max de 
vouloir bien accepter une caisse de madère et une de genièvre : c'était bien 
le moins que je puisse faire pour son hospitalité, et ce cadeau lui fut d'autant 
plus agréable qn'ii n'avait chez lui nt vins , ni liqueurs. 

Par sa position, sa proximité de la côte d'Afrique, des tfes Gommores, 
et sa magnifique baie de Bembatooka, où les navires et même une flottte 
entière peuvent mouiller près de terre , sur un fond de sable et à l'abri des 
vents du large, Massangai deviendrait facilement le plus beau port de Ma- 
dagascar et le mieux situé pour attirer tout le commerce; aujourd'hui ce 
commerce y est presque nul, à l'exception de quelques navires américains 
et des chelingues des Banians , qui y fbnt le trafic, les Hovas n'ayant point 
de bâtiments propres au commerce, pas même de grandes pirogues. 

Les caboteurs des colonies de Maurice et surtout de Bourbon venaient 
s'approvisionner de riz et de bœufs à la côte de l'est, et étaient pour ainsi 
dire les seuls qui portassent aux Hovas tous les articles qui leur manquent; 
par suite de la guerre et de l'attaque sur Tamatave, tous les ports hovas 
leur sont fermés. Étant forcés maintenant de se restreindre à la côte de 
Tonest pour leurs approvisionnements, les navires des États-Unis profiteront 
ée cette circonstance pour s'emparer du commerce à la côte de l'est, jus- 
qu'alors si productif et si nécessaire aux deux colonies. 

Les Français, en attaquant avec des forces respectables, auraient pu foci- 
leiaent occuper leurs anciens établissements , et même devenir les maîtres 
ëe Madagascar; en laissant l'indépendance aux Sacalaves, ils auraient 
trouvé en eux des auxiliaires déjà redoutables aux Hovas, et ces hommes, 
aujourd'hui sauvages, habitant un sol où la végétation est si riche et dont 
ils ne savent tirer parti, viendraient eux-mêmes au-devant de la civilisation. 
N'étant pas imbus d'idées religieuses, puisqu'ils n'en ont aucune , il serait 
fecile de leur faire adopter les dogmes du christianisme, les préceptes de 
l'£vangile, si doux à suivre. 

Faire de Madagascar une colonie, en occuper quelques points principaux. 



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m>SSl-BÉ ET MAYOTTIÙ. 309 

OU la placer sous son protectorat , ne serait point une idée chimérique ni 
inadmissible ; ce serait môme pour la nation qui prendra cette détermina- 
tion un acte humanitaire et civilisateur. Alors aussi toutes les richesses que 
renferme ce beau pays, ignorées jusqu'à ce jour par la science, ne resteraient 
plus ensevelies. 

Le 24 , vers les sept heures du matin, nous appareillâmes de Massangai, 
et nous fîmes route pour Anjouan. 

Le Bron db Vexela. 
{La suite au prochain caMer.) 



NOSSI-BÉ ET MAYOTTE. ^^ 



HOSSI-BÉ (la grande tle) et lei lies «fui en dépendent: Houî-Cuniba , 
Hossî-Mltsiou , Hossi-Faly. — 1IKa'S'OTT£. — Configoration pkyfîqne. — 
Aspect général. — Montagnes , oours d'eau , bois et forêts. — Villages. 
— SLécîfs et passes , rades et baies. -^ Iles voisines. — Population i pro- 
ductions , cultures. 

Nossi-Bé ou Fariou-Bé, dénomination adoptée récemment par les Sa- 
kalaves, signifie en malgache Vile grande, Nossi-Bé est, en effet, la plus 
grande des îles situées à la côte nord-ouest de Madagascar; elle est com- 
prise entre les parallèles de 13" 10' 44" et 13^ 24* AT à Test de Paris. 

Le point culminant de Nossi-Bé, placé dans sa partie méridionale, est élevé 
de 453 mètres au-dessus du niveau de la mer. Ce sommet est couvert d'une 
vaste forêt dont les arbres semblent d'autant plus épais et plus beaux qu'ils 
sont à une plus grande éhWation. Le centre de l'île eil dominé par d'autres 
masses de moindre hauteur et d'origine évidemment volcanique. Les lieux 
les mieux cultivés sont ceux qui avoisinenl la mer. En général, l'aspect de 
rtle est agréable par sa verdure riante, par ses baies variées et par ses val- 
lons fertiles. L'Ile ne possède pas de rivières, mais seulement quelques ruis- 
seaux dont la source réside dans les lacs que renferment les hauteurs de 
rite. Un des principaux ruisseaux passe au pied du plateau sur lequel a été 
fondé le chef-lieu de l'Ile, qui a pris la domination d'Hellville, du nom de 
l'amiral de Hell , qui gouvernait Bourbon lorsqu'eut lieu la prise de pos- 
session de Nossi-Bé. Il y a plusieurs aiguades dans l'Ile, où les bâtiments 
peuvent s'approvisionner d'une eau fraîche et limpide. 

La température et le climat de Nossi-Bé sont, à peu de chose près , le cli- 
mat et la température de la côte nord de Madagascar. 

(1) Les détails qui suivent sont extraits d'un ouvrage intitulé Histoire et géogror 
phie de Madagascar,qvit publie en ce moment un des membres de la Société oiieulale. 



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Sld REVVE bE L'OtliLENT. 

Si l'on examine l'tle au t[>oint de vue des abris et des ressources qu'elle peut 
offt-ir à la navigation, on y trouve de bons mouillages. L'espace compris 
entre la partie méridionale de Nossi-Bé , la côte nord-ouest de Nossi-Gumba 
et la petite tie deTani-Keli, est considéré comme une rade capable de conle- 
nir, au dire de nos officiers , tous les bâtiments que peut armer la France. 
Partout ou presque partout , la profondeur de Teau est de 12 à ^ brasses et 
la mer constamment belle. L'anse d'Hellville, quoique peu étendue, est un 
mouillage sûr, abrité des vents du large , et la mer y est constamment belle. 
L'eau douce des environs ne s'y rencontre malbeureusenàent pas en assez 
grande quantité pour suffire aux besoins des bâtiments. Le mouillage du 
plateau est encore plus resserré que celui dé l'anse d'Hell ville et peut contenir 
tout au plus deux ou trois bâtiments ; la tenue y est bonne. Au fond de 
cette anse , se trouve un bras de mer qui conduit au pkki du village d'Hell- 
ville. 

Les autres mouillages de Tile sont ceux de la pointe Ambournerou , de l'Ile 
Sakatia, de Bé-Foutaka , de la baie Yatou-Zavavi , de la baie Fassine ou 
y ntft , et enfin celui de l'Ile 1*andraka. 

Quant aux ressources que l'Ile de Nosti*Bé peut offrit aux bâttments en 
relâche^ outre toutes les facilités qui y ont été installées depuis la prise de 
petsetsito , la grande forêt peut fournir aisément tontes les pièces néces- 
saires à un bâtiment de deux â trois cents tonneaux. Ltle est bieii pourvue 
de riz , de mais» de patates, de bananes , de manioc. La terre y ;est fertile et 
peut produire le double et le triple de ce qu'on lui a demandé jusqu'à ce 
moment. 

Avant de nous occuper de Mayotte, disons quelques mots des lies de Nossi- 
Gumba, Nossi-Mitsiou et Nosst-Fali, qui avoisinent la côte de Madagascar 
et qui appartiennent maintenant â la France. 

Nossi-Gumba est séparée de Nossi-Bé par un canal d'une demi-lieue de 
largeur , praticable pour toute espèce de bâtiments et d'un assez bon mouil- 
lage. On peut encore mouiller dans toute la partie du sud-est et est,*â un 
peu plus d'un mille de la côte. Toute la côte septentrionale est accore et on 
peut en approcher sans crainte jusqu'à deux encablures. Nossi-Gumba est un 
pâté presque entièrement rond â sa base et qui a deux sommets : l'un de 
ces sommets, placé dans la partie sud-est, est formé par un massif de 
roches; l'autre, situé â peu près au centre de l'Ile, est moins saillant 
quoique d'une élévation , â peu de chose près, égale au premier. La végéta- 
tion est magnifique dans les valions qui bordent la côte. Les plus grands 
villages se trouvent dans la partie méridionale de Ttle. 

L'Ile de Nossi-Mitsiou , dans la langue du pays , VUe du milieu, a exacte- 
ment la forme d'un V, mais dont le côté de droite ou de l'est a presque le 
double en longueur du côté gauche ou ouest. L'ouverture qui fait face au 
nord a, dans son milieu , un énorme Ilot de forme ronde , presque carré par 
son sommet qui est le point le plus élevé de l'Ile ; on le nomme Ancaréa. 
Ancàtéa et l'îlot divisent l'entrée de là rade en trois parties in^aîès ^ui 
t)euveùt prendt'e toutes te nom de passes. La plus large, la plus profonde et 



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NOSSI-BÉ ET MAYOTTE. 3tl 

en même temps la plus sûre est la Grande-Passe, qui se trouve entre Ancaréà 
et la c6te ouest. 

Nossi-Fati , l'île Chimpaykee d*Owen, est située à huit milles dans fest de 
Nossi-Bé. Elle est peu élevée comparativement à cette dernière île et à Nossi- 
£!umba ; mais elle l'est cependant un peu plus que la pointe de la Grande- 
Terre , de laquelle elle est séparée par un petit canal. La partie du nord est 
monlueuse , assez fertile et couverte d'arbres de toute espèce. Nossi-Fali 
produit du riz en assez grande quantité et paraît susceptible de cuKure. A 
présent qu'elle appartient à la France, elle pourra être facilement et avan- 
tageusement exploitée. 

Llle Mayotte , Tune desCommores , esl située entre Madagascar et la côf e 
orientale d'Afrique, à l'entrée nord du canal de Mozambique, entre les 12" 
34' et 12*^02' de latitude du sud et les 42** 43' et 43*» 03' de longitude est. Elle 
se trouve placée à 54 lieues marines nord-ouest de Nossi-Bé et à 300 lieues 
environ de Bourbon. La route de Bourbon à Mayotte peut se faire en six ou 
sept jours pendant la mousson de sud-est; mais le retour, pendant celte 
même mousson, ne demande pas moins de trente jours et réciproquement. 

L'île Mayotte a une forme allongée. Elle est de formation volcanique et, 
en grande partie, composée de laves. Elle compte vingt et un milles marins 
de long et de deux à huit milles de large. L'aire qu'elle représente est de plus 
de 30,000 hectares, sans y comprendre les îles Pamanzi, Zambourou et 
plusieurs autres tlots. Observée dans son périmètre, elle est d'une grande 
irrégularité de formes, ce qui provient du développement inégal de ses 
contre-forts, qui divergent des points^ culminants en s'abaihsant vers la 
mer. Ces contre- forts se terminent par des caps abrupts, et c'est entre eux 
que se sont accumulées avec le temps les terres d'alluvion dont les plages 
décrivent un grand nombre de baies favorables au mouillage des navires. 

Mayotte est traversée, dans toute sa longueur, par une chaîne de mon- 
tagnes dont les sommets paraissent atteindre jusqu'à 600 mètres. Le reste de 
l'île est montagneux 5 coupé de ravins profonds et ne présente point de pla- 
teaux. 11 y a seulement des vallons, et, dans le pourtour de quelques baies, 
des terrains d'une pente assez douce. Dans les uns et dans les autres, on 
trouve d'excellentes terres végétales. La pointe de Choa, située en face dé 
l'île de Zaoudzi, est jointe à Mayotte par un isthme élevé de 5 à6 mètres 
au-dessus des plus hautes marées. Son sol est formé d'une couche végétale 
assez épaisse et paraît être d'une grande fertilité. Le terrain compris dans 
un rayon de 2 à à,000 mètres autour de Choa est parfaitement disposé pour 
un établissement. Il est très-fertile, très-sain, heureusement accidenté, 
et renferme des sources, des ruisseaux, et une anse convenablement abritée. 

On peut obtenir presque partotit à Mayotte des aiguades abondantes et 
commodes, eh réunissant des 61ets d'eau, qui n'assèchent d'ailleurs jamais, 
au moyen de quelques travaux faciles et peu dispendieux. 

Mayotte est assez bien boisée, et parmi les arbres qui s'y trouvent, il y en 
a qui sont propres aux constructions particulières et mariiimes, principa- 
lement dans îa baie clé Boéni et dans la partie méridionale de l'île, à l'extré- 



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312 UEVIJE DE L'oUIENT. 

mité de la baie Lapaoi , au pied du pic Ochonguî. 11 y existe une petite 
forêt exploitée par les iadigènes pour la construction de leurs pirogues et 
de leurs boutres, et qui fournit des bois d'une grande élévation. 

Il existait à Mayotte, en 1841, deux villages dans la partie orientale^ 
sur le point le mieux exposé aux brises du large, le village de Gboa sur un 
promontoire assez élevé, en face de Tile de Zaoudzi, et le village de Zaoudzi, 
sur rtle même de ce nom. Ce dernier village, résidence de Tancien sultan 
Andrian Souii, est reiranché derrière une muraille en maçonnerie à demi 
ruinée. Les cases dont il se compose sont faites en bois de rafia et couvertes 
en feuilles de palmier tressées. La ville de Chingouui était située dans la 
partie occidentale, sur un peiii plateau entre deux baies. On y voit les ves- 
tiges d'un mur d'enceinte , une mosquée et quelques masures. 

Une ceinture de récifs entoure llle Mayotte dans presque toute sa circon- 
férence et la fait paraître d'abord inaccessible; mais il existe, dans un petit 
nombre d'endroits, des ouvertures qui, quoique assez étroites, sont suffi- 
santes pour le passage des plus grands bâtiments. Cette ceinture de récifs/ 
dont les sommités se découvrent â marée basse, est située à la distance de 
deux à six milles, et laisse entre elle et la plage un vaste chenal dans lequel 
il y a partout abri contre la tempête et contre l'eunemi , et où la navigation 
du cabotage peut s'effectuer sans péril. 

LVspace compris entre la ceinture de récifs et l'île Mayotte renferme plu- 
sieurs petites lies» notamment les Ilots Pamanzi, Zaoudzi, Bouzi et Zam- 
bouroj. 

Paruii ces tlois, celui de Pamanzi, situé à l'est, csl le plus important et 
le plus grand, il repri^stînlc un losaa<;e dont les quatre angles sont, â peu de 
chose près, tournés vers les ((uaire p')iiUs cardinaux. A l'angle occidental 
».e trouve la presqu'île Zaoudzi. Elle fait face à une presqu'île semblablei 
celle de Choa, ai tenante A la terre de Mayotte dont elle forme un des caps 
orientaux. Ces deux presqu'îles sont élevées et ne tiennent h la terre que par 
un isthme étroit et court, d'un mille de large environ. A l'exception de la 
partie méridionale, qui est basse, Tlle Pamanzi est parsemée de monti- 
cules, et même de hauts mornes entièrement dépourvus de végétation. 
Le point culminant de la chaîne principale s'élève de 208 mètres au-dessus 
du niveau de la mer. 

Entre Pamanzi et Mayotte, est l'tle Zaoudzi, jointe à la première par 
une petite langue de sable qui se découvre à la basse mer. Zaoudzi n'est 
séparée de Mayotte que par un faible bras de mer d'un quart de lieue 
environ. 

L'Ile Bouzi, également à Test, entre Mayotte et Pamanzi, mais au sud- 
ouest de cette dernière, est haute et boisée jusqu'à son sommet, dans la 
partie méridionale et occidentale. L'Ile Zambourou, an nord de Mayotte, 
est très-escarpée et n'a point de terre végétale. 

Les mouillages les mieux situés, les plus vastes et les plus sûrs, sont 
ceux que forment entre elles, depuis le nord-est jusqu'à l'est-sud-est , les tles 
Mayotte^ Pamanzi et Zaoudzi. La mer qui entoure Zaoudzi présente une 



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NOSSI-BÉ ET MATOTTE. 3id 

rade susceptible de recevoir une escadre; o'est la meilleure de celles qui 
environnent Ttle. On peut diviser ces mouillages en deux parties distinctes: 
l'une au nord du parallèle de Choa, qui est la plus petite; l'autre au sud, 
qui est la plus grande et la plus avantageuse. L'abri est complet dan« ces 
rades; la tenue y est excellente , et la profondeur des eaux ne laisse rien à 
désirer. Cependant la rade du sud doit être regardée comme préférable 
pendant la mousson du nord , et celle du nord Test peut-être pendant la 
mousson du sud. 

Malgré les grains de pluie et les orages qui sont fréquents pendant Thi- 
vernage, le vent n'est presque jamais assez fort dans ces rades pour empê- 
cher les navires de tenir le travers, les huniers hauts. La mer est toujours 
si belle, au dire des témoignages officiels, que non-seulement les trois-mâta, 
mais encore les petits bâtiments arabes, qui viennent là passer la mauvaise 
saison, ne bougent pas plus que sur un lac. 

La crique Longoni , derrière la presqu'île de ce nom , à l'abri des vents 
g(^néraux de S.-E. et de S.-O., renferme un petit port naturel pour le caré- 
nage des bâtiments de toutes dimensions. 11 est tellement fermé qu'on peut 
passer devant sans l'apercevoir. 

La plus vaste de toutes les baies de Mayotte est celle de Boéni, sur la c6it 
occidentale. Elle est entourée de hautes montagnes qui la dérobent à tous 
les vents; les terres y sont excellentes; il s'y trouve de très-bonne eau, des 
pierres, du bois de construction; les madrépores y fournissent de la chaux. 
Le seul inconvénient qu'on y signale est sa trop grande profondeur, qui 
pernjet difficilement l'accès des brises de la journée : aussi y fait-il très- 
chaud et les calmes y régnent souvent. Cette baie, près de laquelle se trou- 
vait lancienne capitale Chingouni, parait néanmoins, à cause de sa grande 
fertilité, l'un des emplacements les plus convenables pour un établissement. 

L'Ile Mayotte est fort peu peuplée, eu égard à son étendue et au terrain 
susceptible d'être cultivé. Le nombre de ses habitants s'élevait , en juin 1843, 
à environ 2,000 individus. Ln population primitive de l'tle a dû être 
beaucoup plus considérable. Il est présumable qu'elle a été irès-réduite par 
les guerres, par la misère qui les a suivies, par l'émigration à Anjouan, à 
Mohéli , à la côte d'Afrique, et en dernier lieu, à Maurice, où des bâtiments 
anglais ont transporté un certain nombre d'habitants de Mayotte, comme 
travailleurs, à raison de 3 piastres par mois et la nourriture. 

Les indigènes des lies Commores sont tous mahométans. Les habitantsde 
Mayotte , en particulier , sont d'un caractère doux et facile , quoique soup- 
çonneux, mais ils témoignent une grande sympathie pour la nation fran- 
çaise et non moins de confiance dans l'avenir de notre occupation. Ils sont 
en général indolents, mous et paresseux. Ils vivaient dans la plus affreuse 
misère, avant que la présence des bâtiments français eût fait cesser les 
guerres et permis de donner aux cultures des soins un peu suivis. 

L'hivernage à Mayotte est déterminé, comme à Bourbon, par les lunes 
de décembre et de mars. Les grains donnent généralement plus de pluie 
que de vent ; les coups de vent sont très-rares. Mayotte passe pour la plu& 



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814 ReVtE DE l'ORlÉlIT. 

Mue dël Gommores , et etie est en effet d'une admirable salubrité , ainsi que 
le constate l'absence totale de maladies dans les équipages qui j ont suc- 
eessivetnent séjourné dans les conditions les moins favorables. L*encaisse- 
ttient Jusqu'à leur embouchure de quelques ravines, qui deviennent des tor- 
lents pendant l'hitetnage, complète la salubrité de la côte orientale, 

n j^ a de nombreui pâturages à Mayotté, dans la partie 0. et S.-O; mais 
les taieilledrs paraissent être à Pamanzi. Toute la partie montagneuse de cet 
tlot est couverte d'herbes excellentes, et serait susceptible de recevoir de 
diiq â six mille têtes de bétail. 

Les Iles de Mayotte , Nossi-Bé et dépendances , ont été placées depuis peu 
ièas l'autol'ilé spéciale d'un commandant supérieur, qui est aujourd'hui 
M. le chef de bataillon d'infonterie de marine Passot. M. D. 



TAITI. 



HMSION LÉ6ISLATIVB TENUE , EN M AI 1845 , PAR L'ASSEMBLÉE IMS 
CHEFS ET JUGES DES ILES TAITI Èr MOOREA (1). 



Sfiieiiènèù générale fur let lois locale». — If omînation ^e Hîtotî comme 
ptéfideBl. — ConceMÎon au gouvememeni du droit d'accorder ou de re- 
fuser ta iaiiotioii aux lob votéei par Fatiemblée. — l^oî sur Tasiaf sînat. 
—- XiOi imr let s pîriUieaz importés du dehors. • I^ii sur les boissoAs eni- 
▼nuBtes fabriiiuées dans le pttys. — Iboi sur le mariage. — Iioi contre le 
oe n cul m iage. — laoi sur la location et la vente des terres et sur les amendes. 
— Clôture de la session et curieux discours prononcés à cette occasion 
par les indigènes Tali et Anami 

SÉÂNGB DO 2 MAI 1845. 

Le 2 mai, à midi, M. le gonvcmenr, cotnmissaîre du roi, fut prévenu que 
lés ctiefs indigéiïeâ étaient rétmis à l'ancien b6tel du gbàvèrnement (maison 
de la reine), et qu'iîs l'y attendaient pour commencer leurs cOnférenceK. 

Lé eoinmissaire^tf i^, ïc régent et ïès membres du conseil de gouvérne- 
mmt ayant pris ^afec, fes cbéft de Moorea prirent les premiers la pah)îe. 

Tàpdvka expt*ïhie Sa Satisfaction de ce (j(u<e le commissaire da roi ait bien 
tôulu ée fetiétt au ntttfeu d'eux; ^ eàl surtout heureux de pouvoir expri- 
mer con^bieri la i>tésence, dans cette assemblée, de chefs qui, Jusqu*à ce jour, 
éiaîétit restés aii milieu dés iàsurgés, fui est agréable. « Enfin, dit-iî, Ta- 
riirii et ses noutraatfras de Màblnà, Te-Rahi-te-Arii et le chef de Orua- 



(1) Ce compte rendu est extrait du journal l'Océanie française, qui se puMiait 
$ Papeïti, et 4ui a cessé de paraître depuis peu de temps. 



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TAÏTI. — SESSIOiw LÉGlSLiTlYE. àl6 

Mànô 8(mt ici, avec nous, sous le gouvernement du protectorat. Chaque 
jour vous devenez plus forts, car vous èïes le rocher derrière lequel on veui 
se mettre à l'abri. Nous tous, de Moorea, nous vous soitimes attachés, mais 
nous voudrions des soldats et des navires pour nous protéger. » 

Mare, orateur du gouvernement, annonce que le gouverneur, commis- 
saire du roi, ne répondra pas séparément à chaque discours. 11 veut écoulei* 
tous le^ chefîs, et répondre ensuite. 

Tatrapa, chef et grand juge. « Nous âe Moorea, nous avons peu de choses 
A vous dire; nous venons surtout pour écouter vos paroles et les commu- 
niquer au peuple de Mooreà. Seulement nous Sommes bien aises de vous 
donner de nouveau l'assurance que nous sommes attachés à la France pour 
toiyours et que nous n'écouterons, à l'avenir, ni les faux bruits que Ton fait 
circuler, ni les tentatives qui pourraient être faites pour nous l'aire changer 
d'opinion.» 

Taamou , juge de Papelti est d'avis qu'il ne doit pas être question des lois 
dans cette séance ; la seule chose dont il soit convenable de s'occuper, c'e^ 
la rentrée sous le gonvemement du protectorat de Tariirii et de Te-Rahi- 
ic-Arii (l). 

Jpoo, chef à la pointe Vénus. « Puisque rien n'a été fixé pour Tordre de 
la discussion d'aiijourd'hui , le mieux est de nous séparer ou de commencer 
immédiatement l'examen des lois. » 

Taii, grand chef de Papara et grand juge. <x Je ne vois pas la nécessité de 
nous occuper de suite des changements à apporter aux lois de Taïti : nous 
avons un code qui prévoit et punit les délits et les Crimes; l'ordre social, la 
religion, tout est r^lé et peut continuer à marcher, jusqu'à ce que la néces- 
sité d'apporter des modifications se soit impérieusement fait sentir. » 

Mare. « Louis-Philippe, Bruat, notre gouverneur, et vous, Paraîla, notre 
r^ent, voici ma parole : Je ne crois pas que tout puisse continuer à mar- 
cher comme autrefois , car, il faut bien y songer, nous ne sommes plus ce 
que nous étions autrefois ; puisque nous avons changé, il faut que nos insti- 
tutions changent aussi. 

« Pour prouver la vérité de ce que j'avance, je signalerai la loi qui défend 
le mariage des blancs avec les indigènes , celle qui défend la vente et la lo- 
cation des terres à des blancs. Autrefois, lorsqu'on voulait nous éloigner, 
nous isoler des étrangers, ces lois avaient un but; aujourd'hui elles ne sont 
qu'injustes et contraires à Tordre de choses éta*bli : ce sujet mérite toute 
votre attention. Après ces lois qui intéressent les étrangers, je puis en citer 
d'autres qui nous intéressent plus particulièrement nous-mêmes; telles 
sont les lois des taxes pour la reine, tantôt impôts en argent, tantôt en fruits 
ou en cochons. Il me semble que, sous le nouveau régime, toutes ces lois de- 
vraient être où modifiées ou tout à fait abolies.» 



(1 ) Noms des chefs de Hapapé qui venaient alors d'opérer leur soumission et de re- 
coDDflitre le gouvernement du protectorat. 



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3 16 REVUE DE l'orient. 

Taamou demande si défiDitivement on convient de procéder à Texamm 
des lois. 

Arahou (orateur pour Moorea). a Je crois que c'est le gouverneur qui de- 
vrait examiner nos lois et nous indiquer celles qui sont bonnes ou celles qui 
sont mauvaises. Il a l'exemple des pays civilisés. L'assemblée n'aurait en- 
suite qu'à examiner le travail du gouverneur et à le sanctionner.» 

Le gouverneur, commissaire du roi (par l'organe de M. d'Ârling, inter- 
prète). «Je désire que vous examiniez vous-mêmes vos lois. Ces lois ne 
sont que les vôtres; elles sont uniquement destinées à régir les indigènes; 
elles doivent être faites par vous. Je consentirai volontiers à revoir votre 
travail lorsqu'il sera terminé, et je vous ferai connaître mon opinion.» 

Tcuimou. «Puisque nous sommes enfin convenus de commencer l'examen 
des lois , il est nécessaire de nommer un président. Je désire que ce soit le 
gouverneur qui le désigne. 

Le gouverneur, commissaire du roi. « Je désigpe Hitoti, qui, en sa double 
qualité de grand chef et de président de la haute cour indigène, remplira 
dignement cette place.» 

Tati. « Il est nécessaire que l'assemblée fasse connaître si elle accepte Hi- 
toti pour président : que tous ceux qui approuvent ce choix lèvent la main.» 
(Tous lèvent la main.) 

Hiiod (président de la laute cour indigène et grand chef deTiareï). 
«J*accepte la place à laquelle le gouverneur et vous venez de m'appeler ; 
déjà /en d'autres circonstances, j'ai rempli les mêmes fonctions: elles se 
bornent à écouter vos opinions, à recueillir vos votes et à maintenir l'ordre 
dans l'assemblée.» 

Paraîta (régent). « Avant de commencer l'examen de nos lois, j'ai quel- 
que chose d'important à vous soumettre. Il me semble qu'aujourd'hui, vi- 
vant sous le gouvernement du protectorat, nous devons conférer au gou- 
verneur, qui est ici le représentant de Louis-Philippe, le droit d'approuver 
ou de rejeter les lois que nous faisons, et je crois qu'aucune loi ne doit être 
mise en vigueur sans la sanction du gouverneur. Si vous approuvez cette 
mesure, que chacun lève la main en signe d'assentiment.» (Tous lèvent la 
main.) 

Le président annonce que la discussion des lois va commencer. On lit la 
loi sur l'assassinat, et on agile la question de savoir si les tribunaux crimi- 
nels continueront de siéger à Papaoa ou viendront à Papeïti , et si les exé- 
cutions des criminels auront lieu dans le premier ou le second de ces lieux. 

Après quelques débats sans importance, il est décidé que tes cours crimi- 
nelles ne siégeront qu'à Papeîtî, et que tes exécutions auront également lieu 
dans ce district. 

Après cette décision , le président lève la séance, et convoque l'assemblée 
pour le lundi 5. 

SÉANCE DU LUNDI Ô HAI 1845. 

M, le gouverneur n'assiste pas à cette séance. 

En commençant, le président prévient l'assemblée que , dans la réunion 



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TAÏTI. — SESSION LÉGISLATIVE. 317 

précédente, elle a omis une chose essentielle. Tune des coutumes adoptées 
depuis que Talti a reçu la religion chrétienne. Cette coutume consiste à 
faire précéder et suivre d'une prière chaque séance. Hitoti pense qu'il ne faut 
pas négliger cette pratique religieuse, et il invile Taamou à dire la prière. 

Après la prière , Taamou preqd la parole. 

Taamou, « Je crois qu'il est utile que, dans Texamen de nos lois, nous 
nous bornions à rindispeusable , car la plupart des chefs ici présents ne 
peuvent, sans danger pour noire cause, rester longtemps éloignés de leurs 
districts. La loi même contre Tassassinat eût pu, rigoureusement pariant, 
rester telle qu'elle était; mais il se rattache à cette loi un droit qu'il est né- 
cessaire d'examiner : je veux parler de la prérogative accordt^e à Pomaré, 
comme souveraine, d'atténuer la peine ou de pardonner aux coupables. Ce 
droit ne peut subsister avec l'ordre de choses établi. 

« Sous le gouvernement du protectorat, cette prérogative doit, en ce qui 
concerne les blancs, appartenir à Louis-Philippe, et je pense que, pour les in- 
digènes même, Pomaréayant abandonné son gouvernement, ce droit doit né- 
cessairement revenir au régent, c'est-à-dire que, si un indigène commet un 
crime sur la personne d'un autre indigène, ce sera le régent qui aura le drmt 
de commuer la peine ou de la remettre entièrement. Dans ce cas, aucune 
exécution ne pourra avoir lieu sans son consentement. 

« Si c'est un indigène qui a commis un crime à l'égard d'un blanc , ou un 
blanc à l'égard d'un indigène, ce môme droit de pardonner ne peut appar- 
tenir qu'à Louis-Philippe ou à son représentant, le gouverneur, commissaire 
du roi. Cest donc à tort que le nom de Pomaré figure encore dans nos lois, 
et je demande qu'il en soit effacé. » 

Hitoti ( président). « Les questions en discussion se présentent donc dans 
Tordre suivant : 

« 1^ Lorsqu'il s'agit d'un crime commis par un blanc sur la personne d'un 
indigène, ou par un indigène sur la personne d'un blanc, le droit de grâce 
doit-il être exercé par Louis-Philippe? 

« 2^ Pour tous les crimes commis entre indigènes, le régent doit-il rem- 
placer Pomaré , et le nom de Pomaré doit-il être effacé de nos lois? » 

TaHrapa. « Louis-Philippe, Bruat, Paratta, et vous tous les chefs de Talti 
et de Moorea , voici mon opinion. 11 est possible que Pomaré revienne; dans 
ce cas , c'est à elle ({ue doit être réservé le droit de pardonner, et je demande 
que son nom soit conservé dans la loi. » 

Taamou, m Pomaré n'est plus avec nous, elle n'est pas de ce gouverne- 
nement, elle ne veut pas remplir les conditions du traité avec la France, 
elle est même en guerre avec Louis-Philippe, et par conséquent avec nous; 
elle n'est plus rien pour nous! Son nom doit être remplacé, pour ce qui 
nous regarde, par celui de notre régent Paraîta, et par celui de Louis- 
Philippe pour ce qui concerne les étrangers. » 

Pehouéhoué (chef de Teaopo). a Louis-Philippe, Bruat , Paraîta , et vous 
chefs de Talti et de Moorea , ne parlons plus de Pomaré; elle est sur une au- 
tre terre et n'a rien voulu écouter, ni de nous, ni du gouverneur, ni de 



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318 IIKTTO DÇ ^'CiHIERT. 

notre rpi Lçqi^-P^ilippe. Qu^il n'ep soit donc plus que^ion ; ipnai$, |»uisq^ 
nos institutions restent les mèines sous le i^ouyernement di| protectorat 
effaçons de notre code le nom de Pomaré , et mettons à la place celui 
de notre régent Paralia. » 

Tad prend ensuite la parole et expose îivec plus de force encore les t^rls 
de Pomaré. 

Après lui , les chefs de tous les districts de Taîti et de Moorea , présents à 
l'assemblée, demandent tour à tour que le nom de Paraîii soit substitué à 
celui de Pomaré. 

Le président, après avoir répété les questions sur lesquelles la discussion 
s'est établie, les propose de nouveau comme lois, en disant : « Si vous ap- 
prouvez ces changements, levez la mainep signe d'assentiment. »(Toug 
lèvent la main. ) 

liisi «ur 1mm mp%aAtmtm%m 

S^H «na coufte discMS^W < il ^ décida qu« les Uquaurf 9|)Mr^iioi|9««iv| 
fw^v^t être déb^qiiées qu'avec )^ cops^temenl chi g^iivf f n^nwiit fr^Açais, 
U appavteJi^it a^ c^omisisaire du m ^ pr^vdrf, (a«l p^kMr leiiriiit|%r 
4ttct^vo q¥« i^Hir Vusag^ que l'on e^ pe^t faire, telle mxmi^ q«'U jiwr^ 
nécessaire. 

ë;q çpps^qu^ip^ , t'abr^eiatioB d^ la loi w le$ spÂrUneux sjuivieiii«qi|'% ce 
j^r fftt pronqncé^ à l'Hoaiiimité. 

là^k sur les boissons epivrantes faliriqiiëç» «Muui 1^ 

Otte loi a été le sujet dNine vive discussion. Quelques chef^ voulaient 
qu'on permit Tusage de toutes les l)oissons indistinctement , même celles 
distillées avee la plante appelée a*. D'autres, au contraire , mais c'était le pins 
pelil nombre, voulaient qu'on les défendit toutes. L'opinion générale a été 
qu'on devait défendre les réunions où hommes et femmes n'ont d'autre bot 
que de s^nivrer, et oà les uns et les autres, oubliant toute retenue, se 
livrent aux exc^ les plus condamnables. 

Les discours qui méritent d'être cités sont ceux de Mare, deTaamoa, 
ë^Ananl et de Tipaé. 

Mare (!)• « Ceux qui ont parlé contre la fabrication de nos boissons eni- 
vrantes se sont appuyés sur ce que la prohibition absohie des liqueurs étran- 
gères n'existe plus aujourd'iiui. Ils ont dit que toute personne décente, ne 
faisant qu'un usage modéré des spiritueux, pouvait toujours en ob^nir une 
quantité raisonnable pour son usage particulier. Gela est vrai; grâce à fa 
bonté du commissaire du roi, un changement si favorable s'est opéré, que 
nous ne saurions trop nous féliciter d'être placés sous un réunie moins ri- 

(1 ) Ici Mare, exprùpoe %m opinion perso^mlie^ H ne p«rl^ plm ooime OPalewr «b 
IfOttverneinj&at. 



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TAITI. -— SESSION LÉGISUTITE. M 

goqreux et plus raisonnable; mais ^ malgré le bien queje sui» disposé ft dire 
de ces améliorations , je doute qu'elles soient suffisantes et surtout qu'elka 
soient justes. 

« Je sais bien que les gens appartenant h une classe élevée peuvent con- 
tenter tous leurs désirs, mais moi qui suis pauvre et vieux, comn^ent fer^ 
je? Pour acheter de Teau-de-vie, il faut au DU)ins 3 ou 4 piastres; pour 
acheter du vin, il en faut plus encorç , car ces boissons ^e se vendent pMi 
en détail. Et moi, cependant, je n'ai pas une demi-piastre au monde. Je suis 
pourtant bien vieux et bien faibie , et je sens que cette boissoa na'esl né^ 
eessaire; mais je suis trop pauvre et tipop obscur 1 Tandis que v^His, tef 
riches et les heureux, vous réjouissez vos esprits et réctiauffez voseoBun 
avec les meilleures boissons des pays étrangers, vous n^^ défeadf», à moi^ 
le seul soulagement qui soit à ma portée ; vous m'eiçp^bez d'exprimer ^ 
jus d'une orange dans un vase, et de boire cette boisson p^u dangereuse , en 
la substituant à Teau froide, qui me fait mal et m'attriste a^Ueu ^ tm 
réchauffer et de m'égayer , comme font vos boissons. 

« Soyez donc justes et plus conséquents, et si le gouyeruiÇflQent vom 
permet d'avoir du vin et un pei;i d'eau-de-vie ,^ ^e me refuse? pas, ât i^^iMl 
peu d^nua-mahoë* » 

Après ce discours , qui a souvent excité le rire de l'assemblée, Mar# fN^eM 
un ton plus sérieux , et soutient que l'on devait seuleœe«^ empècl^eç ^ 
réunions scandaleuses, sans s'opposer à la fabrication et d^ ('usage na^dért 
des boissons enivrantes faites dans le paysi. 

Taamou, o J'aurais yQ^(u pe pas parlçr ^r cette qtiestioa, car nebuva^ji^ 
pas moi-même, je ne connais pa^ 1^ plaisir de ceux qi^ aiine^ti k Iwr^, ft 
ne vois que leurs excès. 

a Je crois cependant qu'en ceci , eonnom 4^iis bea^coup^ d'^t^e^ C9ft) W 
gouvernçni;ent de Pomar^ spr^ avq^r p^iîpi^ taus )m ey^% ^ ^ k^^auçqjup 
trop sévère et trop exclusif. J^lo^-poént^e, q^^ je reoevais fj^ v^ 49 
amis , j'ai plus d'u'ue fois regretta d^ n'avoir ^ leur offr^* que de l'e^i;^ Je 
crois donc, avec Mare,qu*on devrait permettre l'usage de nos boissons et 
punir les excès. % 

Pehouéhoué^ Hitoti, Mamo^^ parlent ^ans le même seps. 

AnanL combat la proposition de Maire. U sç tourne vers ceux qui V<^ 
soutenue et dit : « Il me semble que vous annoncez à une foule d'affamés 
qu'on va leur entr'ouvrir w peo la porte jpmir lies faire entrer un à un et 
sans trouble dans la sa lie des festins. Ôès qi;i'ils yeri:iuit la porte ent^r'ouvefte, 
iU se précipiteront tous à U fois^ ils renverseront, (xriseront tilles o^ 
stades , et ils enlèveront la nourriture ayaut qu'ils noHs soÂt posfiible d^ lifS 
contenir et de leur faire la distribution. 

La loi allait être mise aux voix, quand Tipaê, l'un des constables deTao» 
noa, entra dans la salle, et s'exprima ainsi : 

Tipa^^ « Président , Paraîta , et vous chefs , je ne suis pas veau à eette as- 
semblée , quoique j'aie le droit d'en faire partie , parce que je ne désire guère 
me mêler A ces discussions; mais, ayant écouté du deho^ \^ quesMoa^ Hii* 



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32Ô REVUE l)E t'OUIEiW. 

portante pour ce pays , que vous venez d'agiter, mon opinion étant enliè- 
rement différente de la vôtre , j'ai cru de mon devoir de vous communiquer 
ma pensée avant que vous preniez une décision. 

« Oti dit que, parce que le gouverneur permet à quelques personnes d'avoir 
chez elles un peu d'eau-de-vie ou de vin, il est juste d'accorder à chacun de 
ftiire chez soi des boissons avec des fruits du pays; mais la permission donnée 
par le gouverneur ne s'étend qu'à quelques personnes offrant toute garantie 
contre les excès à craindre , c'est-à-dire à douze, à vingt personne peut-être; 
et pour cette permission , accordée avec précaution à un si petit nombre , 
vous voulez permettre au peuple entier l'usage des boissons fermentées ! . . . 
Bien plus, vous tolérez l'ivresse! . . . car une demande a été faite pour que 
l'ivresse fût permise! Vous voulez , il est vrai , punir les délits et les crimes 
commis par Thomme ivre. Eh bien ! vous, les juges, les constabies, les mou- 
tols , préparez-vous , car vous aurez à faire! Je vois d'ici le moment où l'un 
de vous aura à punir son fils, qui aura maltraité sa propre mère; l'autre 
jugera son père, pour avoir maltraité, blessé, tué peut-être sa femme, sa 
fille ou sa sœur! Avec une semblable loi, je vois renaître toutes les vio- 
lences, tous tes excès si communs autrefois, et dont vous devez tous vous 
souvenir. Rappelez-vous vos femmes, qui presque toutes avortaient par les 
mauvais traitements de leurs maris, de leurs frères ou de leurs fils ! Rappelez- 
vous les jeunes enfants abandonnés par leurs mères ou succombant aux 
mauvais traitements auxquels ils ne pouvaient se soustraire pendant nos 
disputes et nos rixes ! et ne croyez pas que vos précautions et vos punitions 
puissent empêcher ce désordre. Non , une fois la liberté de faire des boissons 
accordée, rien n'arrêtera la licence, et vous qui faites cette loi, vous en serez 
les premières victimes! Vous, vos femmes, vos enfants, tous vous suc- 
comberez si vous sanctionnez cette loi ! » 

La hardiesse de ce discours, la vigueur du débit, et Tair vénérable de 
Tipaë, ont produit sur l'assemblée une vive impression/ 

Cependant, la loi, mise aux voix, a été adoptée (1). 

liOi sur les danseii des indlsènes* 

Cette loi a passé presque sans discussion , et il a été décidé que toutes les 
danses qui n'offensent pas la morale publique seraient permises. 

liOl »ur le in»ri»se. 

La loi de TaTti qui défendait le mariage entre les indigènes et les blancs 
a été abrogée d'un accord unanime, et remplacée par une loi qui permet le 
mariage des étrangers anec les femmes du pays, ainsi que celui des indigènes 
avec les femmes blanches. 

liOi contre le eoneubinaye* 

Malgré l'opinion émise par quelques chefs, tendant à faire tolérer les 

(1) M. Bruat a refusé «a sanction à celte loi. ( Note du Rédacteur. ) 



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TAiTt. — SSSSIOT LtomUTITC. 321 

unions itiégîtimes existant déjà depuis longtemps , et desquelles sont nés des 
•niants, il a été décidé que, puisque le mariage était permis entre les blancs 
et les indigènes, le concubinage ne serait plus toléré. 
' Après beaucoup de débats, on a arrêté que la femme mariée devait rester 
sous Tauloritédeson mari, et que Tadullère sérail puni; que les jeunes filles 
pourraient également être punies pour inconduite, à la demande de leurs 
parents, mais que celles qui n'ont contracté aucun engagement et contre 
lesquelles les parents ne portent aucune plainte ne seraient pas poursuivies 
pour l^it de prostitution (1). 

SÉANCES DES 6 BT 7 HAI 1845. 

Après les lois précédentes et celle qui permet aux indigènes de vendre oa 
ée louer leurs terres aux étrangers, plusieurs autres lois sont discutées dans 
tes séances des 6 et 7 mai. Celle qui régie la répartition des amendes occupe 
presque toute la séance du 7. Il est enfin arrêté qu'un tiers des amendes ap- 
partiendra au gouvernement du protectorat (caisse coloniale), un tiers au 
chef du district où le jugement a lieu, et le troisième tiers aux agents de 
police. Les juges , qui autrefois avaient une part , sont exclus de ce partage, 
afin quHIs u'aient plus un intérêt personnel â condamner les prévenus. 

Le 7 au soir, en terminant (a discussion , les chefs et juges conviennent 
de confier à Hitoti , Mare et Taamou, le travail des modifications â apporter 
à la fixation des amendes prononcées par les anciennes lois, fixation qui 
rendait souvent la pénalité illusoire, tant elles étaient exagérées et inap- 
plicables. Ils décident aussi qu'ils s'assembleront de nouveau le lendemain 
pour faire leurs adieux au gouverneur , commissaire du roi ^ et traiter quel- 
ques questions politiques importantes. 

séaugb du 8 MAI 184&. 

Le gouverneur, commissaire du roi , s'étant rendu â rinvltation des chefs, 
qui l'avaient fait prier d'assister à l'assemblée de ce jour, ceui-ci deman- 
dèrent que le gouverneur et le régent les congédiassent d'après les anciennes 
coutumes, c'est-i-dire en les confirmant dans Tautorité dont ils sont in- 
vestis et en leur remettant la paix. 

Ce fut Taamou qui fut cliargé d'adresser le discours d'adieu aux chefoeC 
juges. 

Après avoir remis le pouvoir et la paix à Cous les cbei^ de Moorea et de 
la principale presqu'île de Talti, il s'adressa k ceux de Tatarabou. 

« Vous du Te-ava taî, vous le reste du gouvernement de l'un de nos an- 
ciens rois , de Yelatua et de son descendant Te-mataiapo , reprenez votre 
autorité et acceptez la paix que je vous offre *, prenez-la et offrez-la au peuple, 
qui l'acceptera avec d'autant plus de plaisir , que vous lui parlerez au nom 
de ceux qui l'ont si longtemps gouverné. 
^■^Mi^— ^— — ■i"*^»'"^— — ■i^^'i*."^'*' « I ■ ■ ■ ■ ■ i II ■ ■ ^—1^1» I l I ^ ' I ■ 

(1) Dans une prochaine session, les membres de l'assemblée législative devaient 
être appelés â réviser cette demièfe difpMition. ( Bfôié du rédacteur.) 

IX. 2i 



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322 REvine ws l'oaibikt. 

yérahœt, de Moorea , et Pehouéhaué, de Talrabou , expriment lear utift- 
faction de voir , après taot d'années d'oubli, restaurer le nom des andeu 
rois de Taïrabou , le nom de Veïatna. 

Tati (après s'être avancé au milieu de l'assemblée), a Louis-*Pbilippe, 
Bruat, et vous, notre régent. Bien ! très-bien! Ce que vous venex de fair» 
est un acte de justice qui sera senti de tous ! Depuis longtemps le peuple de 
Taïrabou , écrasé par une famille qui abusait du droit de eonquète, et qui 
voulait effacer jusqu'au souvenir de ses anciens rivaux , n'osait plus pro* 
noncer le nom de ses rois; on n'entendait plus dans les assemblées que le» 
noms de Te-arii-na-vaha-roa (le roi à la grande bouche) etTetua-nuî-haa- 
maru-rai ( le grand dieu de la voûte céleste), qui étaient ceux de nos vain- 
queurs. Aujourd'hui, celui de Velatua, l'ancien roi de la péninsule, celui de 
Te-mata-iapo, dont moi, Pehouéboué, Tavini, et d'autres sommes les ctes- 
eendants , viennent d'être proclamés de nouveau ! A ces noms , il me sembte 
voir nos ancêtres se relever de leurs tombeaux pour s'unir à nous et entrer 
aous le gouvernement de Louis-Phili|^, qui vient de rétablir les droits d« 
leur famille! 

« Bien ! très-bien ! Vous, les anciennes familles de ces Iles , réjouissez-vou» 
et unissez-vous à moi pour rendre grâce à Louis-Philippe, qui nous rend à 
la fois nos noms , nos familles et nos droits ! » 

Le discours le plus extraordinaire sur ee sujet fut celui d'un vieillard 
nommé yénarU , ancien baere- po (promeneur de nuit). Les paroles qu'il pro* 
nooça rappelèrent le genre d'éloquenee propre à l'ancien langage deTaîtl 
et furent de nature à faire regretter qu'il soit presque entièrement perdu 
aujourd'hui. 

« Oui, disait-il, te haere e amuite hmhue, à présent je puis manger H 
huehue (1) ; car je puis mourir , j'ai entendu de nouveau le nom de nos rois! 
J'ai vu se relever cet ancien pilier qui, pendant si longtemps, fut le plus 
ferme appui de cette terre. Tour à tour je lésai vu mourir nos rois, et ils 
étaient en terré sous le poids de trois générations de leurs vainqueurs ! 

« D^uis longtemps ce nom était pour moi comme le êrura moe tua (^, 
l'oiseau qui dort toujours au loin sur les vagues; élta e pâma te arii (3) eUtt 
vaue tae mal, epohe a'u, si mon roi n'avait été rétabli , je ne serais pa9 
dfeseendu des montagnes, je serais mort en exilé. — 7)» eùmftiaonte 
ruma (4), à présent préparons la fête. Faanoho te arii te pu o te hou, le roi 
est rétabli dans son gouvernement; erero te arii te a i ko, û a repris 
le commandement; upooptataa (5)» envoyez les danseuses. Ami H mm 



(1) Le huchuc est un poisson empoisonné, souvent très-dangereux. 

(2) Le erura moe tua était un oiseau qui , après avoir quitté la terre, était supposé 
ne plus y revenir. II dormait sur Teau. 

(3) Pania. C'était une cérémonie pour rétablir un roi vancu dans son gouverna 
ment. On rappelait alors le peuple qui s'était sauvé dans la montagne. 

(4) C'était une hiça, une fête avec danses, à Toccasion de la paix. 

(â) ^po^ fmakM. C'éuit mm\hup€hhtipa pour NIieiter k ffoi à rnecaMOn de la 
paix. 



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TAiTi. ^ Ëmmon iteisuTiTE. 32S 

am (1) te arau roa, que soû gouvernement 8*étende au loin; a tufa le hau 
mate atea, et que ta paix s'étende partout autour de lui. » 

Anani continua ainsi son discours, plein de figures et de beautés oratoires 
propret à l'uicieB langage, et que quelques hommes instruits et les vieillards 
oonnaissent encore. 11 termina en remerciant Louis-Philippe , le gouverneur 
et le régent d'avoir rétabli les titres de Fantique famille des Yelatua. 

Bitoli demande ensuite que de nouveaux messagers soient envoyés aux 
chefs insurgés, pour les engager à revenir. 

JKmi#* et Tmitiapa parlent contre cette proposition. Ge ^nier , mrlMit , 
dit qull est fatigué de Fofaittiiitio» des insurgea, et , à rnoif» que le gouver- 
neur ne le désire , il ne fera plus de démarches près des gens de Moorea qui 
sont aux camps. 

A cette occasion, le vieux chef de Talrabou reprend la parole. 

Jnani. m Tati, Hitoti, Paralta, c'est vous qui avez planté cet arbre (le 
gouvernement du protectorat); aujourd'hui il prospère. Moi-même je l'ai 
vu croître et s'étendre « et je suis descendu des montagnes pour l'arroser et 
lui donner quelc^ues soins à mon tour. Grand et beau comme il est aujour- 
d'hui, on le voit de tous les points de Moorea et de Taïti. Ainsi, croyez-moi, 
n'envoyez pas de messagers à ceux qui font semblant de ne pas le voir , car 
ils i^ tarderont pas i vous demander de les laisser se mettre à l'abri de ses 
branches, pour jouir de son ombre rafraîchissante. » (Cette proposition n'eut 
pas de suite.) 

Le gouverneur» commissaire du roi , s'adressa alors à l'assemblée par l'or- 
gane de Mare, orateur officiel : 

« C'est, dit-il, avec plaisir que je ferai connaître à S. M. le roi Louis-» 
Philippe les sentiinents que vous avez exprimés pendant ces assemblées , l'at- 
tachement et le respect que vous avez montrés pour sa personne. Je suis 
persuadé que ces sentiments vous serviront toujours de guides. 

a Je suis heureux de voir que, d'accord en cela avec le régent et avec moi, 
vous avez adouci les lois et que vous les avez modifiées dans le but de rendre 
le peuple plus heureux et d'accorder aux chefs tout le pouvoir que les usages 
du pays leur confèrent. 

« Le dernier vœu que j^aie à former , c'est de voir ceux qui sont encore 
^;aréa Mvrir lea yeux, rceooaaitre la justice du. goaTeriKmentet revenir 
àinLift 



(1) Le é^of te ram hava était l'esiblèaie d'an fitat, d'un gooveraemnt. On d^ 
sait <iir«ller€»aMiJtoi>«^«uir« 4 le gouvernement de Pomaré. Quand on joutait 
le te mmt ra0>cela tiguiaait qu'il eonunandait à d*autrea Etats, à d'autres ^ver- 



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324 RETI7G lie L'oRfEirr. 



MONNAIES, POIDS ET MESURES CHINOIS. 



RENSEIGNEMENTS SUR LES NUMÉRAIRES CHINOIS ET ÉTRANGERS AYANT COURS. 
. EN CHINE, SUR LES POIDS ET MESURES CHINOIS ET LEURS RAPPORTS 
AVEC LES MONNAIES, POIDS ET MESURES FRANÇAIS. 

Oet monnaîes en Chine. 

Le seul numéraire qui soit à présent d'un usage général dans toute la 
Cbine est une petite monnaie faite d'un mélange de cuivre et de tuté* 
nague (cuivre blanc chinois). Bien que d'une très-faible valeur, puisqu'elle 
ne vaut qu'environ la douzième partie d'un centième de dollar de 6 fr., 
soit 6 centimes, dont le douzième est de cinq millimes , cette petite mon* 
naie est néanmoins considérablement altérée par des faux monnayeurs et 
dépréciée par le gouvernement chinois; on en importe aussi en Chine de 
grandes quantités, d'une valeur inférieure, de la Gochinchine : ces der- 
nières sont presque entièrement composées de tulénague. Cette monnaie 
s'appelle en chinois li, ou plus généralement tsien (cash en anglais et ^a- 
pèque à Macao). Le véritable cash chinois est circulaire et de la grandeur, 
mais plus épais, que nos pièces de 6 liards; ils ont au milieu un trou carré 
d'environ 2 lignes, à travers lequel on passe un jonc pour réunir par. 
paquet de cent (qui font un mace). Le cash est fondu et non frappé; il 
porte d'un côté, à l'endroit, une devise en mantchou pour la dynastie ré- 
gnante t ayant le nom de cette dynastie sur le côté gauche du trou carré , 
et celui du monarque régnant du côté droit ; sur le revers du cash , est le 
nom du règne (comme Tankwang, etc.) avec les deux mots tungpàu (mon- 
naie courante). 

Oe 1* fabrication des oasha*. 

On trouve dans la Chrestomaihie chinoise la description de la manière dont 
les Chinois fabriquent leurs casiœs. Les modèles sont envoyés du ministère 
des finances de Pékin, et il y a une monnaie dans chaque grande ville de 
province, sous la direction d'un administrateur spécial; quand on bat 
monnaie, cet administrateur pèse les quantités de métaux qui doivent être 
employées , et les délivre aux ouvriers , qui sont obligés de lui remettre la 
même quantité au poids en cashes. Mais malgré cette précaution, ces ou- 
vriers trouvent le moyen de dérober du cuivre en jetant du sable dans les' 
moules. La fabrication des cashes est d'ailleurs des plus simples ; les mé- 
taux , cuivre et tuténague , sont fondus et versés dans des moules en terre , 
dont on retire les cashes lorsqu'ils sont froids. Le poids du vrai cash est de 
un mace (tsien, d'où lui vient ce nom } ; sa valeur fixée par le gouvernement 



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MONNAIES/ MESURES El P01DS CIIIIVOIS. M& 

est la milUéme partie du poids d'un taël d'argent; cette valeur est cependant 
bien loin du cotirs réel du cash , puisqu'il en faut 1600 de choisis , c'est-à- 
dire tous véritables pour un taëL 

Les jours consacrés pour battre monnaie, en Chine, sont les second, 
cinquième et huitième jours de chaque mois, et les troisième, sixième et 
neuvième jours sont consacrés à peser la monnaie et à la délivrer aux com- 
missaires des finances. Les ouvriers employés aux monnaies ne peuvent 
s'absenter; ils travaillent à tour de rôle, et ce n'est qu'après avoir pesé et 
délivré les cashes, les troisième, sixième et neuvième jours de chaque mois, 
qu'ils obtiennent le restant du jour la liberté de sortit, mais avec l'obliga- 
tion de rentrer le soir. 

Ibef doUavff i monnaie «oarant« en Chine , meif non reooamie par le 
gouvernement oonme monnaie légale. 

Diverses monnaies d'argent ont eu , à diJFférentes époques, cours en Chine; 
mais il n'en existe aujourd'hui dans l'empire aucune reconnue par le 
gouvernement : les piastres fortes d'Espagne ou dollars, et les dollars de Vk* 
mérique du sud , ont une circulation générale, quoiqu'ils ne soient pas con- 
mdérés comme monnaie légale, et sont employés comme médium commer- 
cial avec les Européens dans les provinces maritimes. Mais l'habitude qu'ont 
à Canton les banquiers et marchands chinois, de frapper sur les dollars qui 
entrent dans leurs caisses une estampille pour en attester la pureté, leur 
ôte bientôt le principal mérite d'une monnaie légale, celui de représenter 
une valeur uniforme au poids. Lorsque, à lorce d'avoir été frappés d'em- 
preintes, ces dollars sont réduits en morceaux, ils ne diffèrent plus de 
l'argent sycée que parce qu'ils sont toujours d'un titre d'alliage connu et 
semblable, et aussi parce que l'argent provenant des dollars, étant en petits 
morceaux très-plats, se prête plus difficilement à la fraude, et qu'il est 
presque impossible d'en falsifier le titre , comme il est facile de le faire avec 
i'argent sycée, qui est sous la forme de petits lingots. 

Monnaie! nominales des Ghinoii. 

Les monnaies nominales des Chinois sont : le liang, le tsién et le fan, le 
taèl , le mace et le candarin. Les proportions entre ces trois monnaies sont 
décimales. Le taêl vaut 1600 bons cashes (c'est-à-dire choisis, pour s'assurer 
qu'il n'y en a pas de faux , et de 1680 à 1700 non choisis) ; le mace en vaut 
160, et le candarin 16. Ces trois monnaies, qui sont aujourd'hui purement 
nominales en Chine et n'y servent que dans les comptes, sont aussi consi- 
dérées comme poids. Par exemple, le picul se compose de 100 cattis, de 
1600 taêls, de 16,000 maccs, de 160,000 candarins, ou enfin de 1,600,000 
cashes. 

Les dollars en morceaux sont, ainsi qu'il est dit plus haut, une des mon- 
naies en circulation à Canton ; on les y reçoit au poids , et l'usage commer- 
cial leur a affecté des cours différents , suivants qu'ils s^eimploient dans telle 
ou tell^ transaction , ainsi qu'il suit : 



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S28 fumic OB t'oRisirr. 

Court ^ifférenlf des dollan oAnvertû en taèb. 

Dans les comptes et calculs des Européens avec un ancien marcband 
hong , le dollar en morceaux est pris au poids à 
raison de 720 taêls pour 1,000 dollars. 

Dans les payements^il est, en général, pesé à. 715 » 1,000 n 

Dans les payements d'opium du Bengale, à. . 718 » 1,000 » 

Dans ceux pour opium de Malwa ou de Tur- 
quie, à 717 » 1,000 » 

Dans les payements que les compradores font 
aux négociants européens, il est, en générai , à. 715 » 1,000 » 

Daoft les payements du trésor de la compagnie 
des Indes, il était à. . 718 » 1,000 » 

Enfin, à Macao , il est, en général/ à 720 » 1,000 » 

960 dÎTenet espèoei de dollars , et de ki ^erSatien de leors oonrs dans les 
différeiitef previnoei de Tenipire. 

Nous avons déjà parlé des différences qui se faisaient remarquer en Chine 
dans les cours des diverses espèces de dollars : ces différences ne peuvent 
s'attribuer qu'au caprice, à la fantaisie des Chinois; car le même dollar, 
qui supporte un escompte assez fort dans chaque province^ reçoit une 
prime dans une autre. Mais quelle que soit la cause de ces différences, eUes 
existent, et il est utile de les signaler, parce qu'elles exposât les Euro- 
péens non avertis à de fortes pertes. 

Les dollars des républiques de l'Amérique du Sud passent, àCfausan et à 
Ning-Po, plus facilement au pair que les dollars espagnols ; tandis qu'à 
Amoy ils subissent un petit escompte, et à Canton et à Macao un escompte 
d'au moins de 5 à 10 p. cent. 

Les dollars du règne de Charles IV, appelés en anglais dd head Carotuê 
dollars (dollars de vieille tète de Charles) , quand ils ne sont pas effacés et 
déformés par des empreintes, gagnent toujours une prime qui varie de 5 à 
15 p. cent à Canton. 

Les dollars de Ferdinand , même sans empreintes, sont un peu au-dessous 
du pair. 

Les chopped dollars , c'est-à-dire les dollars frappés d'estampilles ou d'em* 
preintespar les maisons de commerce, sont toujours au pair. 

Les dollars des règnes de Charles et de Ferdinand qui portent l'empreinte 
de la lettre G ou G% qui signifie qu'ils ont été frappés à la monnaie deGua- 
dalajara , sont nommés par les Chinois kow^tseen ou dollars crochus, par 
suite de la ressemblance de cette lettre avec un crochet, et ne sont pas 
reçus à moins d'un escompte de 5 p. cent ; leur différence en moins a été 
établie par un arrêté du hoppo. 

Les dollars des républiques américaines et les roupies ont un cours légal à 
Hong-Kong. 



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MONNAIES, IttBStîRBS ET HHM CHINOIS. S27 

Les mmamaies éirfttigères sont souvent contrefàitt!S en Chine. Le secré* 
taire de la compagnie des Indes anglaises, M. Clark ^ a publié à ce sujet^ 
une lu^e qui nous a paru assez intéressante pour que nous ayons cru devoir 
en donner ici la traduction. 

If otioe de M. Clark , seorëtaîre de la oompagnie de» Indei anglaiies , uut 
la faliîfioatîon dei monnaies en Chine. 

L*horreur des innovations et du changement, qui est toujours le plus 
puissant mobile de la politique intérieure et extérieure des Chinois, a aussi 
étendu son influence sur le numéraire en circulation en Chine. Le gouver- 
nement est déterminé à ce que ses caisses ne souffrent aucune perte de la 
dépréciation des monnaies , et par conséquent les taxes et droits ne sont 
reçus qu'en pur argent sycée. Dans chaque ville , il existe à cet effet des 
maisons de changeurs et de banque (xin-tien), et chaque officier employé 
dans les receltes du trésor y fait convertir ses recettes en pur argent sycée, 
en payant une commission pour perte dans la fonte. Au moyen de cette 
conversion, ils peuvent répondre de la pureté de l'argent qu'ils versent 
au trésor. 

Ces maisons déchangcf, employées par les agents liu gouvernement, ob- 
tiennent une licence à cet effet moyennant une somme peu élevée, et sont 
rémunérées par le surplus des déchets alloués, qui toujours excèdent de 
lieaucoup ce qui est nécessaire. Les taxes sont remises à ces maisons par le 
gouvernement et les droits commerciaux par les négociants eux-mêmes , 
auxquels ces changeurs sont autorisés à remettre des reçus , considérés 
comme valables par l'autorité ; à ces reçus est jointe une obligation du ban- 
quier de verser la somme à lui remise dans les caisses du trésor à une épo- 
que déterminée. L'argent affiné est converti en lingots portant Tempreinte 
des noms du banquier, des ouvriers fondeurs , du district et de Tannée de 
la fonte, et quelquefois même l'espèce de droit pour le payement duquel le 
lingot fut fondu. Dans le cas où une falsification serait plus tard décou- 
verte dans ce lingot, quel que fût le temps écoulé depuis la fonte, l'affineur 
serait responsable et sévèrement puni. 

Quelque sage que paraisse au premier abord ce mode de perception de 
rimpi^t , il est très-onéfeux et gênant pour le commerce. Depuis rétablis- 
sement du commerce européen en Chine, l'usage du dollar a suppléé, jus- 
qu'à Un certain point, à l'effet défectueux de celte perception de l'impôt 
ett pur argent sycée; mais il y a bien loin encore de l'état actuel des finan- 
ces en Chine à celui des nations européennes : les dollars ont, dans le com- 
mencement de leur introduction en Chine , paru d'un usage si avantageux' 
au gouvernement, que iion-seulement il l'a encouragé, mais qu'il en a 
autorisé la contrefaçon , et qu'elle fut même faite, dans une province, sous 
rinspeclion d'un trésorier provincial. 

Le Fin tim (un traité chinois sur le numéraire) dit à ce sujet que , « quoi- 
que ces faux dollars (fondus en Chine) eussent eu , dans les premiers temps 
de Icttr émission , un cours plus élevé que les dollars européens , cependant 



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Us ne tardèreot pas à ioinber au-dessous de ces derniers, qut eottservèrait 
toujours leur degré originel de pureu^ d'alliage. » La fabricalion de dollars 
est à présent interdite par Ich iois ; mais cependant, d'après les rapports des; 
natifs, elle est toujours continuée sur une échelle très-considérable. 

On cite même à Shuniih, dans le sud de Canton , un établissement très» 
considérable dans lequel on emploie fréquemment jusqu'à une centaine d'oa- 
Triers ; on y fabrique des dollars de toutes les valeurs : les uns sont alliés 
avec du plomb; d*autres, fabriqués de basses matières, sont couverts avec 
une feuille d'argent; dans d'autres, on enlève des morceaux et on bouche 
les trous avec du plomb, qu'on déguise ù force de frapper des estampilleSi 
Cette dernière falsification est la plus souvent employée et la plus dange- 
reuse, parce qu'elle est très-difficile à découvrir, les chopped dollars étant « 
en général , très-ternis et noirs à force d'empreintes. On fait souvent usage 
de ce dernier moyen pour falsifier les dollars euro|)éeQs , et il est tiès-impor- ' 
tant de s'étudier à la découvrir, car un dollar ainsi altéré n'a plus aucune 
valeur en Chine. Plusieurs des faux monnayeurs possèdent, dit-on, des 
matrices ou empreintes achetées à grand frais en Europe; mais souvent ils 
tentent eux-mêmes des imitations, dans lesquelles l'omission ou la diffor- 
mité de quelques lettrçs peut aisément être découverte par les yeux d'un 
£urop(!en attentif. 

La circulaliou de ces faux dollars est si grande, que beaucoup d'habitants 
du district de Shuntih sont employés comme experts chez les changeurs 
pour les découvrir, et qu'il existe uu livre chinois, à l'usage du public, don- 
nant la dciicription de la fabricalion de chaque espèce de faux dollars, et 
des règles pour en reconnalire les diverses altérations. On ii-ouve ce livre 
chez tous les changeurs et b.uiquiirs, qui les connaissent tellement , qu'à la 
première vue ils iieuvent vous dire le degré d'alliage ou d'altération d'un 
faux dollar. 

(Jnand le faux dollar est de même valeur que ceux d'Europe, l'imitation 
est si parfaite, qu'il est difficile à l'Européen de la reconnaître; mais le 
changeur la découvre d'un simple coup d'œil, et il ne manque pas de le 
rejeter. 

Les bénéfices de ces faux monnayeurs de Shuntih sont si considérables , 
qu'il leur est très-focile d'empêcher les poursuites en gagnant les officiers 
du district. 

On rencontrait sur les côtes de l'est de la Chine une grande quantité de 
pièces rondes unies, de la valeur et de la force d'un dollar, tout à fait effa* 
eées; on ne sait si ces dollars avaient été usés par l'usage ou avec intention* 
Cette monnaie a presque entièrement disparu. Le trésorier du Fukien a 
émis en assez grande quantité une monnaie chinoise du poids d'un dollar, 
dont l'endroit porte l'empreinte de la tête du dieu de la longévité, avec une 
inscription indiquant qu'elle fut faite sous le règne de Tankwang, Cette 
monnaie, d'après la valeur que lui attribue le trésorier dq Fukien , pèse 
7 maces, 2 candarins, et est considérée par le gouvernement comme un 
lingot de pur argent sycée (wikamnpnping)^ commç l'indiqtte le revers 



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mohnaies, HiBsoaES £T POIDS cmnois. 320 

qui porte fempreinle du trépied , si^e caractéristique du Duméraire du 
gonveraesieot , et le mot taiwan en mautcbou , qui signifie que cette mon- 
naie fut frappée dans l'Ile Formose. Le travail en est très-imparfait. 

Quant à ce qui concerne le cash, seule monnaie courante en Chine, le 
gouvernement a pris , pendant les dernières années, les mesures les plus 
sévères pour en empêcher la contrefaçon ; mais ses efforts sont inutiles , et 
la rapacité des gouvernants eux-mêmes à altérer la valeur des cashes est 
clairement démontrée par la dépréciation considérable qu'ils ont subie et 
qu'il est facile de prouver ; car les cashes de manufacture récente , comparés 
avec ceux du règne de Âanghi, remontant à environ cent cinquante anst 
sont d'une valeur intrinsèque de plusieurs centièmes de moins; de même 
qu'avec ceux du règne de Kienlung, qui ne remonte pas à plus de cinquante 
ans, les cashes modernes sont altérés de la façon la plus grossière avec du 
sable et de la limaille de fer {deh shà)^ et sont à l'œil d'une apparence ru- 
gueuse et graveleuse. 

En Chine comme en Europe, les monnaies et les médailles ont attiré 
l'attention des antiquaires ; quelques-unes offrent des sujels curieux et in- 
téressants. Dans lé moyen âge, on les rechercherait comme offrant des spé- 
cimens de différents caractères et usages curieux , que les temps de despo- 
tisme et d'anarchie qui précédaient avaient entièrement fait oublier. Des 
figures symboliques d'oiseaux et d'animaux se font le plus souvent remar- 
quer sur les anciennes monnaies et médailles des Chinois; comme dans 
d'autres pays , en Grèce , par exemple, on les perce d'un trou , et, les sus- 
pendant par un lien , on les fait servir d'ornements et de charmes , préser- 
vant de maux , etc. Celte habitude n'est pas nouvelle chez les Chinois , car 
elle est citée par Chrysosiôme, qui parle particulièrement des médailles du 
temps d'Alexandre ainsi employées. 

Hé la banque en Chine. 

La banque se fait en Chine à peu près comme en France ; l'intérêt n'ex- 
cède pas 12 p. cent. Autrefois le gouvernement chinois avait créé du papier- 
monnaie: il n'en existe plus aujourd'hui , mais les billets du commerce cir- 
culent avec la même facilité qu'en Europe. Beaucoup de maisons de banque 
chinoises n'étendent pas leurs opérations au delà de leur province, ou tout 
au plus aux provinces limitrophes de la leur ; mais il y a des banquiers qui 
correspondent beaucoup plus loin. La maison de banque la plus connue de 
Canton , par sa richesse et son crédit , se nomme Anshing; elle a des relations 
avec tout l'empire, et principalement avec Peking et Nanking; ses rap- 
ports avec ces deux dernières places sont aussi réguliers, et souvent même 
plus , que ceux du gouvernement. 

11 y a aussi de petites banques pour prêter sur gages ; elles prêtent à de 
courtes échéances, qui ne peuvent cependant être moindres de trois jours, 
â environ 1 et demi p. cent d'intérêt par jour. 



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30 lUBTim M L'ORtCNT. 

9m tti i i t J g'ytt l é en Mine » du 4a ptét sttr 

Le mont-de-piété n'est pas en Chine un établissement public; il est re- 
pfésenté par des maisons de préteurs sur gages très-nombrecnt. Trois 
classa de ces maisons sont légalement patentées et reconnues par le gou-* 
i^rnemenl. 

La première dasse de ces préteurs sur gages est la classe de ceux qui, 
ayant de$ capitaux considérables, peuvent prêter sur des nantissetnents de 
toutes les yateurs. Ceux-là sont placés, sous de nombreuses obligations, par 
le gouvernement ; ils doivent accorder à l'emprunteur trois années pour se 
libérer, et trob mois de grâce avant d'être autorisés â se servir du gage 
donné en nantissement de la somme empruntée : cette classe paye une 
somme considérable au gouvernement pour obtenir sa licence, et est encore 
assujettie à une taxe annuelle. Une pareille maison de prêts sur gages ne 
peut cesser les affaires et liquider qu'après en avoir préalablement donné 
l'avis trois ans d'avance. 

La seconde classe de prêteurs sur gages ne peut accorder plus de deux an- 
nées à l'emprunteur pour dégager son nantissement. 

Enfin , la troisième classe ne peut excéder le terme d'une année de délai 
pour le dégagement de l'objet nanti. 

Il n'est pas permis en Chine,* sous lesi)eines les plus sévères , d'exercer 
celte industrie, si l'on n'a également acheté sa licence du gouvernement. 

La longueur des termes imposés à ces prêteurs avant de pouvoir disposer 
des gages qui leur sont nantis leur est très-préjudiciable , en ce que sou*- 
vent ces gages perdent toute leur valeur pendant d'aussi longs laps de 
temps. 

Si la maison du prêteur vient à être brûlée par une cause intérieure , il 
n'est nullement, par ce fait, déchargé de la responsabilité des objets qui 
lui ont été déposés en nantissement , et dont il devra rembourser la valeur, 
défalcation faite du prêt qu'ils garantissent ; mais si le feu s'est déclaré par 
suite d'une cause extérieure qui puisse être attribuée à ses voisins, il ne 
devra plus être responsable que de la moitié de la valeur des gages incendiés, 
et les voisins devront rembourser l'autre moitié. 

Le taux le plus élevé de l'intérêt légal que ces prêteurs peuvent prendre 
est de 3 p. cent par mois. Dans les mois d'hiver* ils ne peuvent , sur des 
vêtements, prendre plus de 2 p. cent, afin de faciliter aux malheureux le 
moyen de les dégager. 

L'opinion qui a souvent été émise, que Tintérêt n'était perçu en Chine 
que pendant dix mois de l'année, est une erreur et provient de ce que, 
dans des positions difficiles , un ou deux mois dlntôrêts sont quelquefois 
remis comme une faveur spéciale; mais ces faits sont exceptionnels, et 
n'ont aucun rapport avec la règle générale, qui régit Tintérêt en Chine de 
la même manière qu'en Europe. 

Le taux élevé de l'intérêt en Chine s'explique assez naturellement par la 



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MONNAIES, «nous KT PMMS CHINOIS. 33i 

^til8 quantité é% naméraire en drcalatioD ^ |iar le grand nombre d'^em^- 
fmnloift, Ifi petit sombre de préteurs , ei enfin par Tinsnl^annoe des lois 
qui régissent la propriété dans ce paysv 

Il n'existe en Chine aucune compagnie d'assurance , ni contre l'incendie 
et les sinistres de terre ^ ni contré les sinistres de mer. L^absence totale de 
cette garantie de la propri^é laisse un grand vide et expose l'Européen 
à de grands dangers , surtout par les incendies , qui sont si fréquents et s4 
destructeurs dans les grandes villes du céleste empire, où beaucoup dé mai* 
sons sont construites en bois. Pour éviter, autant que possible, de pareils 
dangers, le négociant français fera bien de vendre ses marchandises sur les 
navires ou de les emmagasiner à Macao , et de n'en garder à Canton que 
pour spécimen. Il y a cependant à Canton divers agents des compagnies 
d'assurances mariCiiBes anglaises et afiaéricaines. 

Be For et de Targent en Chine , de TexportatMii de ee« métaux et de» 

toinef d'argent. 

L'exportation de l'or et de l'argent n'est pas légalement permise en€hine, 
exeepté en petites quantités et en métaui^ étrangers; on en exporte cepen- 
dant annuetlement des quantités considérables, non-seulement en dollars 
et en moroeaux de dollars, mais même en argent sycée. L'or est principa- 
lement exporté ra feuilles : ce dernier métal est fréquemment employé 
sous cette forme , comme numéraire , dans le payement de sommes qni ne 
peuvent être ftioindres de 40 à ôO ddlars ^ et il est d'autant plus sûr, que , 
par son peu d'épaisseur, il se prête moins à 4a fraude. On se sert aussi , mais 
rarement , d'or en petits lingots. 

Argent kyto^e , valeitr dits lingoli. 

L'argent sycée , qui , comme nous l'avons dit plus haut , sert aux paye- 
ments des impôts et droits faits au gouvernement , est en lingots qui va« 
rient de poids depuis 1 jusqu'à 50 taëls; celui qui est le plu^ commun pèse 
lOtaêls; leur forme est celle d'un parallélogramme; plats et unis à la sur- 
face , ils sont rudes et ronds à la partie inférieure, et ont une légère res- 
semblance avec un soulier, ce qui les a fait nommer shoes. 

Le cours moyen de l'or est d'environ 17 taôls d'argent, ou 22 dollars et 
demi pour uû taël d'or, soit , au change de 8 fr. le taël , 136 fr. pour environ 
38 grammes d'or. 

D'après un mémoire adressé à l'empereur en 1838, la plus grande partie 
de l'argent natif de la Chine est extrait des mines de Hoshan, dans la 
province de Funnan, département de Tsîangchah, et à Sungsing, sur les 
ff'ontières de la Cochinchine. Les mines sont affermées par le gouverne- 
ment, sous l'inspection de surveillants; on y emploie de 40 à 50,000 ou- 
vriers , qui produisent environ 2 millions de taêls d'argent par an. 

Pour trouver et mesurer la pureté de l'or ou de l'argent, les Chinois di- 



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83S MsnîK tM t'MtEiir. 

visent to méui en 100 parties, qu'on appdie toudM» on eisâii. Ainsi , ^ 
l'on dit qu'on Ungot est composé de 95 parties, il est entendu qu'tf contrat 
5 parties ou 6 p. cent d'alliage « et ainsi de suite. 

Monaaiei et poids ohinois , eonvertli en monaaiei et poids trma^flh» 

Le picul pèse 6t kil. 750 gr. et yaot 12,860 fr. ; il équitaoc 
à 100 caitxs ( le càtty pèse k. 6175 milK et taut 1 26 fr. ); 
à 1,600 taëls (le tael pèse Ok. 038503 et vaut 8 fr. ); 
\ 16,000 maces ( le mace pèse k. 002412 et vaut fir. 50 cent. ) ; 
à 160,000 cantlarins ( le candarin pèse k. 00015075 et vaut fr. 03125 ) ; 
a 1600,000 cashes (le cash pèse k. 000000942 et Taut fr. 001953). 

•BSBETÀTIOIIS. 

Le picul d'argent Taut, ainsi qu'on le TOit, 12,800 fr., de même que 100 cattys; 
mais ces deux poids oe s'emploient que comme monnaies nominales. 
Le taël est un lingot d'argent. 
Le mace et le candarin sont des monnaies nominales. 
Le cash est une monnaie de cuirre , la plus petite qui existe en Chine. 

On se sert de ces poids, non*seulement pour peser des mardMindises sè- 
cbes, mais encore des liquides et mèoie des étoffes. Le picul et le catty 
peuvent suffire , pour ainsi dire, aux Européens trafiquant en Chine ; mais, 
en outre de ces poids , les Chinois en ont encore un grand nombre d'antres, 
ainsi que des mesures de capacité, des mesures de longueur et de dis- 
tances. 

Beaucoup d'entre ces mesures sont purement nominales. Nous en don- 
nons la nomenclature ci-dessous. 

Poids chinois. 

1 keroel de millet (capacité d'une noix) fait un sbû. 
10 sbû ou kernels font un lui. 

10 lui font un cbiL 

24 chû font un taéi ou liâng. 

16 taëls font un calty ou kin. 

2 cattys font un yin. 
30 cattys font un kinn. 

100 cattys font un picul ou tâu ( littéralement une charge }. 

120 cattys font une pierre ou sbih. 

Les trois premiers poids ci-dessus , et/în > kmn et sfUh, sont nominaux, 
au lieu de shu^ lui et chu. Les Chinois emploient, en général, les décimales 
dixième, centième , millième , etc., pour les quantités au-dessous du taéL 

En Chine, ainsi qu'il a été dit, on pèse presque toutes les denrées sans 
en excepter les liquides, la soie, le bois, les étoffes, le grain et même les 
provisions vivantes, etc. Le grain cependant se vend aussi au détail dans 
des mesures dont il sera parlé ci-après. Les petits poids décimaux sont em- 
ployés à peser les méuux et les pierres précieuses, ainsi que les matières 
de grand prix* 



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MORIIAICS, MBftQaBS BT POIDS COIIIOIS. ISS 

Jl y a trois instruments pour peser en Chinie, savoir : 

Des balances, des pesons ou romaines, et de petites balances o» balaQ<* 
ders pour peser des pièces de monnaies. 

Les balances sont employées à peser de grandes quantités de numéraire. 
( Les étalons des poids légaux sont fournis par le mintstëre des finances de 
Péking ; ils sont en cuivre et pèsent de I cash jusqu'à 100 taéis.) 

Les pesons ou romaines sont en bois et marquent des cattys , maces , etc. 
Les plus grandes pèsent des quantités de 2 à 3 piculs ; on les appelle dotcMn^ 
mot corrompu du Chinois tok-ching ( pour peser ). Le contre-poids de la 
romaine est , en général , un morceau de pierre. L'usage de cette balance 
ost si commun, que presque personne ne va au marché sans emporter son 
dotchin. 

La petite balance ou balancier est presque semblable au dotcMn; elle est 
m ivoire , et ne sert à peser que des pièces de monnaie d'or ou d'argent et 
des pierres précieuses, ou de tout petits oli^i^s de grande valeur. 

A Macao , les Portugais ont trois espèces de piculs , savoir : 

Le picttl balança, ou picul ordinaire, avec lequel on pèse le coton et les 
denrées de prix. 

Le picul seda de 111 cattys 15 maces, ou 148 livres anglaises et un cin- 
quième « avec lequel on pèse l'alun , le poivre et des marchandises gros- 
sières. 

En6n, le picul chapa de 150 cattys ou 200 livres, avec lequel on pèse le 
riz. Le paddy, ou riz non émondé , ne se vend que les deux tiers du prix de 
celui qui est émondé ou dépouillé 4le sa cosse. 

Xe»ure« de oapaoHé éhlnobei. 

Ces mesures sont spécialement employées pour détailler le riz et d'autres 
graines. 

1 grain de millet (>in lih suh) est un suh. 
6 suh font un kwei. 

10 kwei font un tsoh (pincée). 

10 tsoh faut un chân (poignée). 

10 chân font un choh (grande cuillerée). 

6 choh font un yoh (coupe). 

2 yoh font un koh ( demi-setier). 

10 koh font un shing ( une pinte anglaise)» ou 31,6 tsuns cubiques. (Le 
tsun est environ 1 pouce français.) 

10 shing font un tau , ou 316 tsuns cubiques. 
5 tau font un hoh , ou 1580 tsuns cubiques. 
2 hoh font un shih , ou 3,160 tsuns cubiques. 
1 su vaut 6 tâu , 4 shing. 

1 yû vaut 16 tâu. 
1 ping vaut 16 hoh. 

11 n'y a que quatre des quatorze mesures ci-dessus qui soient actudle- 
ment en usage; les autres sont à présent entièrement nominales. Ces quatre 



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9S4 nvfmi DE i'««iKirr. 

mesures sont le koh\ }eskmg, le dèmishingei te inu ,^ tes trois {^r^mèreft sdat 
UiÂiH avec des boats de bJtmlîoa pris entre les iMMMis, et le tau est fait en 
bois de forme cylindrique, avec une poignée en traders de l'ouverture. M y 
a deux sottes de tau : Tun appelé le shi tau (tau dû naarché), ou sMh km êau 
(taudeiOcaitys); il con tient juste 10 cat ty s de riz sec ^ et renferme 316 
l^uns cubiques, suivant les étalons du gouvernemei^. Le^AcA, dans hi 
même proportion « fait juste un picul. Le tau eon^oaun , appelé tsan^ ^^ 
(iau de grains) , ne contient que 6 cattys et demi ; le shmg ordinaire con^ 
lient 3Û^43415 pouces anglais , ou un peu moins qu'une pinte anglaise ; 
mais celle mesure et les deux autres plus, petites ne sont pas exactes entre 
elles, par suite du peu d'uniformité des bambous avec lo^piels en hs» 
fait. 

Il y a «Httst des mesures pour vendre des liquides, tels que dé Fesprit, de 
l'buile, etc.; mais elles ka contiennent toujours au poids et non pat à fo 
quantité. U y en a ivm d'nn usage général» et contenant deux , qnatiecl 
buit taêls. ^ 

U boia ne $e vend pas ji la mesure; te fin et rave se pèse> et iQeonmnn 
se vend par pièce. 

BKei^ref de loi^;veur ohinoîtei. 

I yib lih (ou grain) est un f4n< 

10 fân font un tsun ou punto ( en français 11 ligQ.es 616 millièmes). 
10 tsun font un chih ou covid (9 pouces 68 centièmes français)^ 
lOchih font un cbâng (96 pouces 80 centièmes français, ou 8 pieds 
8 dixièmes).. 
10 cbâng font un yin (9Q8 pouces français)* 

II y a quatre espèces de chih (ou pieds chinois) : 1^ le chih légale fixé par 
le bureau des maihémâtiques du gouvernement ^ Péking (it esttie U pon- 
ces 52 centièmes français). 

2o Le chih employé par les marchands cbinois àCanton varie de 11 poupes 
70 centièmes à U pouces 85 centièmes. 

3** Le chih employé par les ingénieurs^ du gQuvernemeat,,pour les con- 
structions , de 10 pouces 16 centièmes. 

4® Le chih employé pour mesurer les disttances est de 9 pouces 68 cen- 
times. 

Pour la perception des droits du gouvernement, te cM est porté, dan^ 
le nouveau tarif des Anglais, k 11 pouces 28 centièmes français^ ce quiost 
environ la moyenne de la longueur de cette me&ure à Canton. 

A Canton , le yard anglais ou ma est calculé à 2 cbib et 4 tsun, soit, (m 
français, 2 pieds 2 pouces 88 centièmes, tandis qu'iil est réellement de 
2 pieds 2 pouces 6 dixièmes ; ce qui met le pied anglais â 8 tsun (en fran- 
çais 9 pouces 2 lignes 16 centièmes), tandis qu'il est réelteoient de U pouces 
2 li^fues 52 centièmes. 

D*a|>rès cette proportion , te cbang vaut k peu près 3 yards U douzièmes ^ 



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CORRESPONDAKGfi* 386 

cependant, à Canton, le ckang est ordinairement an p^ aa*4eKus de 
4 yard». 

Le châog varie suivant les variations du ebih. Le pied de règle dea talK 
leurs s'appelle le par tsien-chih, et celui , plus court, des maçons, te cA^m 

1 demi-tsun fait un ii (5 lignes 808 millièmes français). 
5 tsun font un fan (4 pouces 80 centièmes français). 

5 chicb , ou un pied , font un pu , ou pas ( 4 pieds 84 centièmes français)* 
360 pu ou pas font un Ii, ou mille (1728 pieds français). 

250 Ii ou milles font un iû ou degré (432,000 pieds » ou 72,000 toises)- 
Anciennement 192 U et demi faisaient un degré, ce qui mettait le Ii h 
1897 pieds et demi anglais (1773 pieds français) , ou le mille à 2 Ii 78 cen- 
tièmes; mais les mathématiciens européens de Péking changèrent le mode 
de leurs prédécesseurs , et divisèrent le degré en 250 Ii , probablement dan$^ 
Tintention d'en faire exactement le dixième de la lieue française de 25 an 
degré. 

Le degré est divisé en 60 fân ou minutes, et chaque fm en 60 mim ùVk 
secondes. 

6 chich font un pu (pas) ou kung (are) (4 pieds 80 centièmes). 

24 pu font un fâu (115 pieds 20 centièmes , ou 19 toises 2 dixièmes). 
60 pu font un kiob (ou corne) (288 pieds ou 48 toises). 
4 kiob ou 240 pu font un man (acre chinois) (1152 pieds ou 192 toises). 
100 man font un king (115,200 pieds, ou 19,200 toises). 
Les contributions territoriales sont calculées et perçues au moyen du man. 

G. nB Moutigto. 



CORRESPONDANCE. 



M. Jules Qoquet, un des vice-présidents de la Société orientale, a reçu 
et communiqué à la Société la lettre suivante. 

Constantinople, 11 mars iW46. 

Tu trouveras ci-incluse, mon cher oncle, une lettre de son exe* Rescbid'- 
Pacha, en réponse a celle que je lui ai remise de U part. Il m*a reçu avec 
infiniment de bonne grâce, m*a demandé de tes nouvelles avec le plus vif 
intérêt, et a mis à ma disposition tous les moyens de voir les mosquées et 
ks établi^ments publics; il attend toujours la visite. J*ai profité de mon 



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336 RETUE in: t'ORiEîit. 

séjour forcé dam cetfe ville pour examiner le plas de choses que j*ai pu. 
J'ai retrouvé ici avec infinimt nt de plaisir une ancienne connaissance: c'est 
Ismaël-Effendi , directeur de i*école de Galata-Seral; il a fait ses éludes à 
Paris et a travaillé avec mon collègue et nmoi à Glamart. L*école deGalata- 
Serai , qui a df]h plusieurs années d'existence, mais aux travaux de laquelle 
il vient d'imprimer une impulsion plus vigoureuse, est destinée à Télude des 
langues turque , arabe, persane et française, ainsi que des sciences relatives 
à la médecine; elle compte des professeurs de chimie, de physique, de phar- 
macie, de chirurgie, etc., (^, ce qu'il y a de plus surprenant, d'anatomie, 
car on fait de i'anatomie à Galata-SeraT. L'école compte 430 élèves nourris, 
logés, habillés, instruits, pourvus de livres, d'instruments, de tout enfin 
aux frais de l'État; ils reçoivent en outre de 5 à 70 fr. d'appointements 
par mois, suivant leur âge; en sortant de l'école, ils sont immédiatement 
placés dans les hôpitaux civils ou militaires ou dans les régiments. C'est 
un sacrifice que le gouvernement devra continuer jusqu'à ce qu'on ap- 
précie suffisammentici la valeur de l'instruction. 

Un fait m'a surpris et singulièrement flatté , c'est que l'on se sert dans 
l'école de la langue française, autant et peut-être plus que de la langue 
turque; tous les élèves qui en sortiront parleront le français autant que leur 
langue naturelle. C'est du reste une chose incroyable que le progrès que 
fait notre idiome dans toutes les classes de la société, indépendamment de 
Reschid- Pacha, il y a parmi les hauts fonctionnaires plusieurs hommes, 
jeunes pour la plupart, qui possèdent à fond toutes les finesses et gracieu- 
setés de la conversation : je citerai parmi eux Ali-Effendi, premier secré- 
taire d'État, Fath-Effendi, premier drogman de la Porte, etc. Ce sont là 
de grands personnages. Mais voici une petite aventure personnelle qui 
' prouve que, malgré les criailleries des journaux , notre influence n'est pas 
aussi petite qu'on veut bien le dire. Je me trouvais hier dans la cour de la 
mosquée du sultan Achmet : c'était un jour de fête, le Neflouz, l'anniver- 
saire de la naissante de Mahomet. A deux pas de moi, se trouvait un Turc, 
un soldat de la garde, à qui je fis place pour le laisser passer. J'avoue que 
je fus tout étonné lorsque cet homme, en me faisant le salut oriental, me 
dit très-distinctement : Merci^ monsieur. Il ne savait guère que cela de fran- 
çais, ainsi que je pus m'en assurer, mais enfin il savait cela» 

Du reste, pendant que le gouvernement rend l'étude de la langue fran- 
çaise obligatoire dans une école où, chose inouïe, les élèves sont reçus 
sans exception de religion , des personnes d^un grand tact et d'une grande 
habileté, les Lazaristes et les sœurs de la Charité, nous font aimer et res- 
pecter en déployant des vertus dont la pratique était inconnue dans oe 
pays. Il est incontestable que si la paix subsiste, d'ici à vingt ou trente ans, 
Gonstantinople ne sera plus reconnaissable. 

Voici l'état de mes affaires. J'ai vu M. de Bourqneney, qui m'a fort bien 
reçu et m'a engagé à dtner; j'ai vu également Méhemet-Khan, chargé d'af- 
folres de Perse. Ils m'ont donné l'un et l'autre des nouvelles très-rassu- 
rantes sur la santé du schah , et m'ont conseillé de ne pas partir avant le 



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CATHÉCHISME !>£$ jUISÊIUÈS. 337 

25 mars, à cause des neiges qui sont encore très-abondantes dans les mon- 
tagnes. 

£a attendant, je fais ici un peu de médecine : j'ai donné quelques consul- 
talions, une entre autres à Osman-Bey, pour une anémie très-prononcée^ 
une autre à Fath-Effendi , l*ex-ambassadeur en Espagne, pour un ganglion 
du poignet. 

Remercie bien vivement M. P** de la lettre qu'il m'a remise pour 
M. Lauxerrois, deuxième drogman del'ambassade; sans cette charmante et 
bojne famille , je ne saurais que faire de mes soirées. Quand tu verras 
madame de G*"^*, dis-lui que je suis bien reconnaissant des excellentes rela- 
tions qu'elle a eu la bonté de me ménager avec M. de Lallemand. 

Je t'écrirai encore avant mon départ pour t'iodiquer mon itinéraire. Du 
reste, on regarde ici mon affaire comme excellente; en rabattant beaucoup, 
de renlhousiasme local, elle est au moins bonne. 

Ernest Guhicbt. 



CATÉCHISME DES ANSÉRIÈS. 



On vient de foire , en Syrie « une découverte intéressante : c'est le caté- 
chisme de la religion des Ansériês, dont la doctrine était restée jusqu'à nos 
jours un secret impénétrable pour les savants. 

Ce manuscrit , divisé en deux parties , l'une théorique et l'autre pratique , 
est rédigé, pour ce qui regarde la théorie ou la doctrine proprement dite, 
par demandes et réponses. 11 explique, en quatre-vingt-dix-sept questions, 
la théologie de la secte des Ansériès , qui n'est qu'un mélange ou plutôt un 
système composé d'emprunts faits au sabéisme, au judaïsme, au christia- 
nisme et au mahométisme. 

On y voit d'un côté le culte du soleil et de tous les autres astres adorés, 
tantôt sous leur forme propre, tantôt sous des emblèmes figurés et divisés 
en plusieurs hiérarchies ou divinités graduelles; d'un autre côté, une trinité 
formée de trois principes distincts mais indivisibles , nommés 1^ le Mana 
(le Sem ou la Signification) , T VEssem (le Nom), S"" \tBah (la Porte). 

Ces trois principes ne forment cependant qu'un seul Qpuvoir, une seule 
divinité. L'un , par la coopération des deux autres , s'est manifesté aux 
hommes à plusieurs reprises, à différentes époques, et sous forme humaine. 
La première fois, sous le nom à'Ahel; la seconde, sous le nom de Se^; la 
troisième, sous celui de Joseph; la quatrième , sous celui de Josué; la cin- 
quième, sous celui d'Assaff; la sixième, sous celui de Pierre {Vaitàivé); la 
septième fois, enfin, sous le nom d*Alx, fils d'Abou-Talel, que les Ansé- 
riès regardent comme leur dieu particulier , et auquel ils donnent le titre 
figuré de Prince des abeilles, par allusion aux vrais croyants. 

IX. 22 



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338 ftEVUE D£ l'orient. 

La Divinité, après sa dernière manifestation aux hommes dans la per- 
sonne ^Aly, disparut et se cacha dans le soleil, mais elle ne cessa cependant 
pas d'exister sous l'espèce du vin que Timan eonsacre dans une sorte de 
messe. Les âmes des fidèles passent, après leur mort, dans les astres, et 
celles des pécheurs dans les corps animés où elles restent jusqu'à ce qu'elles 
soient purifiées et s'élèvent dans les astres. 

La partie pratique de la religion des Ansériès consiste en un grand nom- 
bre de prières aussi curieuses qu'intéressantes , telles que l'engagement que 
l'on fait contracter au prosélyte, au commencement de l'initiation; la 
cérétnonie du mariage; ta célébration de la messe ou consécration du 
vin , etc. etc. 

Cette découverte est due à M. Joseph Catafogo , qur s'occupe , dit XÈcho 
dt l'Orient, journal de Smyrne, d'en donner la traduction au piiblic. 



VARIÉTÉS. 



VOYAGE DANS LUNDE (1). 

Voilà un titre bien modeste, pour un ouvrage des plus piquants et des 
mieux écrits parmi tous ceux qui sont tombés entre nos mains depuis une 
quinzaine d'années. Voyage dans Vlnde; mais quel est le voyageur ayant 
touché les rives du Gange, ou ayaiit aperçu les bords de llndus, qui, sous 
une appellation plus fastueuse , ne se soit cru en droit de nous faire part de 
ses observations, importantes ou non, instructives ou fastidieuses, sans 
s'inquiéter le moins du monde de ce qui avait été publié antérieurement sur 
le même sujet? Or, ce n'est pas là le cas du livre que vient de faire pa- 
raître , à quelques mois d'intervalle , un homme parfaitement doué des qua- 
lités nécessaires au voyageur, et bien placé surtout pour que les faits qu'il 
raconte aient une certaine valeur. M. Fontanier, notre ancien consul à 
Bombay, avait déjà parcouru presque toutes les contrées de l'Orient, quand 
il a reçu mission de se rendre à son dernier poste; et c'est, chargé d'un riche 
bagage intellectuel» qu'il est arrivé sur la côte du Malabar, et qu'il y a conti« 
nué ses études dipiomatiques. , 

Enfin l'ouvrage est terminé, et c'est grand dommage ; car quels que soient 
les inconvénients du mode de publication adopté par l'auteur, on s'habi- 
tuait à accepter par fragments ces révélations inattendues , ces remarques 
pleines de sagacité, et surtout ces boutades, ou plutôt, pour nous servir 
d'une expression anglaise qui caractérise parfaitement l'esprit de M. Fonta- 
nier, on prenait goût et plaisir à ces digressions humouriques qui viennent 

(1) 3 volumes in<8^; chez Paulin, rue Richelieu , 60. 



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TOTAGE DANS l'iNBB. 339 

souvent interrompre le sérieux du récit. Le troisième et dernier volume était 
celui que nous attendions avec le plus d'impatience, car il devait contenir 
la confirmation de certains faits furieux sur la politique suivie par le cabi- 
net anglais dans Tlnde et dans FÉgypte. Ce troisième volume vient de pa- 
raître, et , nous le disons hautement , il a réalisé nos espérances , en nous 
donnant la clef de plus d'une énigme encore inexpliquée ; au nombre de 
celles-là , et en première ligne, nous devons placer la publication anticipée 
des feuilles de M. Fontanier dans le National. 

Confiné pendant cinq à six mois à l'extrémité de la France méridionale, 
à peu près étranger pendant ce laps de temps aux transactions politiques et 
littéraires qui se réalisent chaque jour à Paris, nous n'avions pas été peu 
étonné de trouver dans un journal d'opposition aussi tranchée les extraits 
d'un livre dont Fauteur, à nous bien connu, partage très-certainement nos 
opinions sur la conduite et la marche des affaires extérieures. Toutefois nous 
demeurions assez tranquille à ce sujet; M. Fontanier était trop de nos amis 
pour n'avoir pas pris ses précautions avec la feuille radicale, dont la cri- 
tique se montre toujours si sévère en ce qui concerne les agents du gouver- 
nement. En effet , nous avons appris que réserve avait été faite des deux 
côtés; car si , d'une part , le consul de France , homme circonspect et discret 
s'il en fut, n'avait voulu entendre parler d'aucune concession à ses prin- 
cipes pour obtenir le patronage du journal de l'opposition rigide, d'un autre 
côté, celui-ci n'a prétendu admettre dans son feuilleton que ce qui , dans 
l'ouvrage en question, pouvait aller à son ton acerbe et à ses allures 
démocratiques. Et la raison de cet arrangement, c'est qu'en vérité cet ou- 
vrage se trouve avoir été écrit sous une forme très-originale et très-nette de 
principes, avec une grande indépendance d'esprit. Il y a donc eu assez sou- 
vent des restrictions dans les emprunts faits par le National au livre de 
M. Fontanier; or, nous avons voulu nous assurer si les passages laissés de 
côté méritaient vraiment d'être traités de la sorte, ou bien si les lacunes 
n'avaient pas été imaginées pour couvrir une retraite; il n'en était rien, et 
de notre examen il résulte que les déclarations ont été faites et tenues de 
part et d'autre avec une loyauté dont les exemples sont assez rares par le 
temps qui court. 

Ainsi, je me plais à le répéter, l'auteur n'a rien sacrifié de ses convic- 
tions , et le NéktUmal^ dont l'autorité est à nos yeux beaucoup meilleure en 
matière littéraire qu'en politique , a prêté sa publicité à une œuvre qui lui 
paraissait mériter cet avantage. C'est là un acte honorable et vraiment 
libéral, sans nul doute, et il est d'autant plus louable qu'il est impossible 
de ne pas plaindre un peu les lecteurs habituels du journal qui nous occupe; 
car le livre de M. Fontanier a dû leur faire passer quelques mauvais mo- 
ments. Il est difficile , en effet , d'être et de se maintenir dans une voie plus 
opposée à la leur , et l'auteur semble avoir voulu entreprendre d'abord une 
tâche de rude labeur et d'opiniâtreté, celle de faire entendre à MM. les ré- 
dacteurs du National qu'ils doivent renoncer à leurs doctrines sur le sys- 
tème des colonies lointaines , doctrines manifestées par eux dans plus d'une 



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340 BEVUE DE L*ORIENT. 

occasion importante, et que, pour notre propre compte, nous partageons 
jusqu'à un certain point; mais il ne s'agit pas ici de nos opinions, ce sont 
celles du NaUonal que M. Fontanier s'efforce de combattre à tous moments, 
en tous lieux, dans toutes les occasions. Sans juger du mérite particulier 
et surtout des excentricités de l'Qpvrage, dont nous rendrons compte plus 
tard d'une manière plus détaillée, nous faisons une première remarque. 

Le National était d'avis , et nous n'étions pas éloigné de partager sa ma- 
nière de voir, qu'on s'établit à la Nouvelle-Zélande, qu'on fit la conquête 
de Madagascar , que l'on prit pied à Zanzibar et sur quelques autres points 
éloignés du globe. H n'a pas dû être très-satisfait quand il a eu médité et 
réimprimé la page 92, dans laquelle, à propos de Zanzibar, l'auteur du 
Voyage dans l'Inde s'exprime de la manière suivante : u Peut-être le gou- 
vernement de Bourbon et notre direction des colonies ne seraient-ils pas 
fâcbés de la compter parmi nos possessions ; je ne le désire pas parce qu'il 
ne m'est nullement démontré que nous ayons intérêt à les étendre.» 

Je le repète , nous ne partageons nullement , à cet égard , les opinions de 
M. Fontanier ; mais, en ce moment , il ne s'agit que de lui et du National. 
Nous ne sommes cependant plus d'accord avec ce dernier, quand il nous 
parle de nos humiliations vis-à-vis de l'étranger , et de l'abaissement de nos 
ministres et de tant d'autres choses tristes et pitoyables qui n'existent que 
dans son imagination et qui ont servi de texte aux amplifications magnifi- 
ques de toutes les feuilles radicales du jour. Ne voudrait-on pas savoir au 
moins ce qu'en pense M. Fontanier ? Lisez , page 29 : o La solution des affai- 
res d'Orient a tourné à la confusion des cabinets de Londres et de Saint- 
Pétersbourg.» Poursuivez jusqu'à la page 61 : «La marche du cabinet fran- 
çais fut si honnête et si logique, qu'elle triompha de la duplicité de lord 
Palmerston.» Toutes les fois qu'il est question de ce ministre de l'Angle- 
terre, que l'opposition n'a jamais manqué d'exalter aux dépens du nôtre, 
sous le rapport de l'habileté diplomatique, M. Fontanier est plus impi- 
toyable pour lui que n'a été M. Urquhart lui-même; il le poursuit de ses 
railleries et pénètre au fond de sa politique, en fouille les coins les plus 
secrets, et y fait pénétrer la clarté, toute désagréable qu'elle puisse être. 
11 est vrai que notre agent diplomatique connaît les faits mieux que l'oppo- 
sition , et qu'il les raconte et les commente simplement, sans faste, sans 
déclamation. M. Fontanier a eu la permission de consulter, bien qu'il ne les 
dte pas, les documents contenus dans la correspondance du ministère, et 
cette lecture a servi à contrôler les pièces publiées par le gouvernement 
anglais. 11 en résulte d'abord à nos yeux qu'il vaut mieux que les gouverne- 
ments soient très-sobres de ces communications officielles, que de tromper 
le public par un étalage de pièces écrites uniquement dans ce but. 11 en ré- 
sulte bien davantage, pour tout lecteur de bonne foi, que lord Palmerston 
a été battu par M. de Melternich à Vienne, et par M. le maréchal Soult en 
France , car si ce dernier parlait peu , en revanche , il savait agir et surtout 
se décider, qualité plus rare qu'on ne croit. A coup sûr , ce n'est pas là ce 
qu'avaient jamais pensé les feuilles de l'opposition. Nous sonunes en si 



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TOTAGB oahs l'mde. 341 

bon chemin, qu'on ne fera pas de difficulté pour nous suivre un peu plus 
loin , à la page 201 , par exemple , où nous allons rencontrer une bien plus 
grande hérésie. 

Chacun sait que cette même opposition accuse sans cesse le ministère 
français de désavouer lâchement ses agents ; voici ce qu'en pense et ce qu'en 
dit M. Fontanter, et ce qui nous a semblé très-digne d'être livré aux rnédi* 
talions des publicistes de la partie gauche de la Chambre. 

Laissons encore parler l'auteur, car son langage est plein d'enseigne- 
ments. 

«Je ne suis pas de ceux qui croient qu'un gouvernement doit toujours 
approuver ses agents, quand leur conduite peut, quoique dictée parles 
meilleures intentions, contrarier sa politique. Lorsqu'en 1837 je cherchais à 
empêcher Tintroduction des troupes anglaises sur le territoire turc, lors- 
qu'une année après je fis arrêter le prétendant au trône de Perse suscité par 
TAngleterre, le gouvernement pouvait , certes, me désavouer. Il n'avait pas 
à me confier ses projets , et si le plan des Anglais avait été combiné par la 
France, il était évident que j'y mettais obstacle ; aussi n'avais-je pas man- 
qué de provoquer mon rappel, dans le cas où je me serais trompé.» 

Nous ne le cachons pas ; il nous a paru assez piquant de faire ressortir com- 
bien ces appréciations et ces doctrines fondamentales de l'auteur diffèrent 
de celles du journal qui lui a prêté ses colonnes. Mais nous devons dire aussi 
qu'on se tromperait étrangement si on s'imaginait , d'après ce que nous 
venons de dire, que l'ouvrage contient une glorification perpétuelle du mi- 
nistère. Loin de là, et quand il prend à partie ceriaines administrations, il 
le fait vivement, et de manière à satisfaire l'opposition la plus méticuleuse. 
La direction des colonies et celle des postes p'ont certes pas à se louer de 
son indulgence. Nous ne trouvons pas, il est vrai, pour notre compte, que 
ces attaques aient grande importance, car au fond , il ne s'agit que de chan- 
ger certains règlements, ornières dans lesquelles se complaisent les admi- 
nistrations, ou plutôt dont elles n'osent pas sortir. Il est des obs^trvations 
qui ont une tout autre portée, et celles-là, nous aimons à en donner des 
extraits, au risque d'irriter la fibre du National et des feuilles qui suivent 
ses voies. L'une d'elles a trait direct aux discussions du parlement; et alors 
que l'opposition la veut complète, détaillée, étendue, M. Fontanier se plaint, 
au contraire , de ce que messieurs les ministres s'étendent trop volontiers sur 
la marche suivie pour les affaires étrangères et coloniales. Une seconde ob- 
servation importante repose sur l'intervention personnelle du roi dans les 
affaires de ce genre, et l'auteur, loin de vouloir la restreindre, désirerait 
qu'elle fût aussi large que possible. Nous ne pouvons mieux faire, nous qui 
partageons ses idées à cet égard, que dedonneren entier cette dernière partie 
du livre de M. Fontanier, car elle nous a paru être d'un haut intérêt; elle 
pourrait servir de réponse à toutes les déclamations de la presse dite indé- 
pendante : 

« Quant à la liberté de la tribune, au gouvernement parlementaire, qui 
contrarieraient mes idées de discrétion, je ne serai pas plus embarrassé pour 



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Ht BSfVU BB l'OKICIT^ 

répondre. J'ignore parditement ce que signifie goUTemement pariimien- 
taire; peat*élre est-ce une fiaçon nouvelte de dire despotisme ministériel , et 
alors on s'expliquerait assez bien qu'il plaise à ceux qui ont Tautorité, on à 
eenx qui se croient les talents nécessaires pour y arriver, c'est-à-dire à un 
très-grand nombre de membres du parlement» Ce que je n'ignore pas, ce 
que, comme citoyen^ je suis obligé de savoir, c'est que nous avons une 
charte qui constitue trois pouvoirs. Ce que je sais encore, c'est que les mi- 
nistres sont les représentants du pouvoir royal , qui s'exerce sans que nul 
ait le droit de s'enquérir dans quelle mesure interviennent les personnes; je 
sais aussi que les ministres peuvent k volonté parler ou se taire , et je regrette 
que pour les affaires extérieures ou coloniales, ils fassent si peu usage de 
Ciette dernière faculté. La tribune ne serait pas moins libre, puisque chacun 
dirait ce qu'il voudrait; mais les répliques ne viendraient pas si souvent 
donner une gravité fictive à des choses qui n'en ont pas de réelle. Gela con- 
duirait, dit-on, au gouvernaient personnel, contrarierait la maxime : Le 
wi régne et negoweme pas. Comme je n'ai jamais pu comprendre, malgré 
les longues explications qu'on en a données, la phrase que je répète, je ne 
m'en occuperai pas. Quant à l'intervention personnelledu roi dans les affaires 
extérieures , je dirai tout simplement que je la désire ausM grande que pos- 
sible ;elle n'est obli^toire pour aucun ministre, puisqu'ils peuvent se retirer, 
si elle les gène trop; elle n'est pas inconstitutionnelle, et je ne l'appelle pas 
sans une raison que je crois bonne et que je vais soumettre au lecteur. Denis 
fois j'ai eu Thonneur d'être admis particulièrement près du roi, deux fois 
je l'ai entendu parler longtemps avec une bonté naturelle chez lui mais qui 
ne me dispense pas de reconnaissance. On peut être certain que ce que j'ai 
entendu reste profondément gravé dans mon esprit. M. le comte de La- 
borde me fit accorder inopinént^t ma première audience, sans que le roi 
eât été prévenu. Je présentai un Voyage sur l'Asie-Mineure , dans lequel je 
traitais des peuplades de la mer Noire: le roi fit des remarques sur ces peu- 
plades, qu'il n'avait pas visRées et qui sont assurément très^peu connues. 
J^btins une seconde audience à mon retour de l'Inde, et comme il convint 
à Sa Majesté de parler sur la politique de ce pays, elle exprima aussi ses idées 
sur le pays lui-même, sur ses hantants et son gouvernement ; le roi n'avait 
pas visité l'Inde plus que la mer Noire. 

« Maintenant, mettant de c6té, comme je dois, ce qui se rapporte à la 
poliUque , voici ce que j'ai remarqué. J'ai fait plusieurs voyages dans un 
temps où ils étaient plus pénibles qu'aujourd'hui ; je ne suis rentré dans 
mon pays qu'aprè» de longs séjoun à l'étranger; je ne suis plus jeune, et 
j'ai vu par conséquent beaucoup de mondes j'aî pu parler à des personnes 
de nations tiiverses , élevées par leur rang , distinguées par leur esprit ou 
pjar leurs travaut . J'en ai vu trois seulement dont la conversation ne trahit 
pas rigooraace personnelle des pays dont elles parlaient, ce sont : le roi^ 
M. Cuvier, et M. Silvestre deSacy ; je n'ai jamais rencontré d'étranger dans 
ce cas , pas même le plus iHusire des voyageurs contemporams , M. de flum- 
Itoldi* On comprend , d'après œla , que je ne redoute Buitenieat œ qu'on 



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J 



Domme rintervention personnelle; que je la désire, parce que^ si le roi 
montre tant de rectitude de jugement sur des contrées qu'il n'a pas vues, 
il entend nécessairement mieux que ses conseillers les affaires de l'Europe, 
qu'il a parcourue, dont il sait les langues, et dont il a étudié les intérêts 
pendant toute sa vie. Telles sont les raisons que je crois pouvoir opposer à 
des. observations adressées d'ailleurs avec trop de bienveillance pour que je 
m'en plaigne ; peut-être eussé-je montré plus de prudence en ne répondant 
pas, car je sais parfaitement que, de toutes les vérités, les plus dangereuses 
à dire sont celles qui peuvent être avantageuses au pouvoir royal. J'ai pré- 
féré être sincère à toute autre considération. » 

Enfin, nous insisterons sur l'un des faits principaux rapportés dans la nou- 
velle publication, celui qui a toujours eu le plus d'importance à nos yeux , 
et dont la pensée première subsiste toujours jusqu'à ce qu'elle soit réalisée; 
nous voulons parler du libre passage à travers l'Egypte. Nous avons été 
ititérieurement très-satisfait, nous devons l'avouer à noire tour, de voir 
que, après de grandes recherches et aidé d'une expérience personnelle que 
personne n'est en droit de contester , M. Fontanier ait donné aux complica- 
tions de 1840, en Orient, la même cause que nous leur avions assignée 
ttoûs-même devant la Chambre des députés, à la séance du l^** juillet 1^39. 

Nous disions alors : «Depuis plusieurs années , l'Angleterre négocie auprès 
du dominateur de l'Egypte pour obtenir la concession d'un passage entre 
8uez et Alexandrie, et Mébémet-Ali s'obstine, et avec raison, à le refuser; 
aujourd'hui, les instances redoublent, et Ton dit au pacha, pour le coq- 
traindre à accorder ce passage tant désiré, qui aurait pour résultat de rap- 
procher rinde anglaise delà métropole; on dit au pacha: «Si vous êtes 
« favorable à nos prétentions, nous vous laisserons libre de continuer le 
« monopole; et dans l'appréciation des faits qui vous ont rendu maître de 
« l'Egypte, nous ne manquerons pas de bonnes raisons pour éluder, à votre 
« égarai , l'esprit de l'article et du traité de Gonstantinople. 

«Si, au contraire, vous n'obtempérez point à notre demande, nous nous 
« regarderons comme dans la nécessité de faire exécuter toutes les clauses de 
« ce traité ; car nous sommes maîtres d'en interpréter les termes ou pour ou 
«contre vous. 

«Et «lamtenant , je k demande, ne voit-on pas se dégager la question 
politique de dessous son voile d'intérêts matériels ? etc. etc. » 

C'est donc avec une certaine satisfaction d'amour-propre et avec un grand 
plaisir que nous avons lu l'ouvrage de M. Fontanier, et cela non-seulement 
parce qu'il traite d« choses intéressantes et â peu prte inconnues, mais sur- 
tout parce que nous Pavons trouvé fidèle â lui-même et à ses amis, c'est-ft- 
dire au parti conservateur. Si, surtout, comme on l'a imprimé quelque 
part, l'ancien consul de France à Bombay a des griefs contre l'adminis- 
tratii»! supérieiire, cpsÀ n'apprécie peut-être pas assez son mérite réel, ils 
ne lui ont pas été un prétexte pour la dénigrer devant le public; il les a 
très-noblement écartés, car son livre n'en présente aucune trace. 

A. p. 



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344 llKVliE 1»K t'OHiENT. 



ABD-EL-KADER ET SES FRÈRES. 



L*éinir Abd-el-Rader est poète: à Tâge de quioze ans, dans un poème 
vanté parmi les Arabes, il a chanié la révolte de Tedjini contre If^ Turc« 
et sa mort héroïque; il a composé une relation rhythméedu tremblement de 
terre qui décida les Espagnols à abandonner Oran. Un professeur d*Algcr , 
M. Bresnier , vient de traduire de l'arabe un petit poëme auquel il adonné 
le nom d'élégie y ei qui aurait été inspiré à l'émir par sa séparation d'avec 
SCS frères. 

Voici cette lettre poétique : 

LOUANGE k DIEU. 

h-r-a Globule noir de mon œil , âme de tout mon être,— Doux printemps 
« d(' mon cœur, force animant mon bras, 

U. — a Votre présence récréait ma vue. Par vous mon cœur, -^ comblé 
« de délices, méprisait la richesse, oubliait ses affections paternelles. 

m. — « Mais le Destin a percé mes yeux de ses flèches , — £t depuis 
a l'heure où vous vous êtes éloignés de moi , nul aspect n'a su r^ouir mes 
« regards. 

IV. — «Quelle chose après peut récréer ma vue? — Par le maître du 
« Temple ^Mahomet)! ce ne sont ni les plaisirs ni la fortune. 

V. — « l)ès l'instant de votre départ, mon âme s'est évanouie, — Et mes 
« larmes s'écoulent à cause du débordement de mon cœur. 

VI. — « Ma patience épuisée n'est plus; mais le chagrin dévorant ne se 
a dissipera pas, — El je n'en conçois le terme qu'aux bornes de l'éternité. 

VII. - « La chair de la datte moelleuse a été consommée, — Le cœur os* 
« srux du fruit reste à nu, dépouillé de son enveloppe. 

VIIL — « Depuis que vous m'avez quitté, la joie a fui loin de moi;-r 
« Mon cœur cbt insensible aux dons que je reçois comme à ceux que je ré- 
a pands. 

IX. — « Lorsque vous avez disparu, la vie sans vous — N'a plus été pour 
it moi que la course dont un messager s'acquitte. 

X. — « Votre absence a rendu longues mes nuits, — ^ Jusqu'à éloigner de 
o ma p(;nsée l'espoir d'en atteindre le terme. 

XI. — <x Que de fois, m'écriai-je, quaud l'aurore dissipe les ténèbres : — 
« Saïd! n'es-tu donc qu'une vaine image qui s'offre à ma vue? 

XII. — - « Et cependant mon âmeen ces instants vient ranimer mon eorps. 
« — O Mostàfa!... est^il un remède pour la douleur? 

XIII. — « Être séparé d'HocBin est une de mes angoisses les plus vives ; 
« — Mais rien ne peut empêcher l'accomplissement du décret de Dieu sur 
« les créatures. 

XIV. — (c Après les tourments de la séparation , le Sort, enfin généreux, 
« — Amènerait-il une réunion qui rappellerait à la vie celui que le manque 
« d'espoir a conduit au trépas? 

\V. — « Si cet ardent désir était jamais rempli , — Mon corps recouvre- 
« rait ses forces et son âme. 

XVI. — « O mes parents! 6 vous qui m'êtes unis par notre même père, -^ 
m Qui m'êtes chers par l'affection, lien solide et durable ! 

XVII. — u Soyez en cette vie comme étaient ceux qui nous ont précédés; 
c — Ils ne sont plus! Efforcez- vous comme eux d'acquérir par vos actions 
« une gloire que l'on ne puisse contester. 



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ABD-KL-KADEU ET SES FRÈRES. '345 

XVIII. — « Si la fortune vient à vous, répandez ses largesses; — Si elle se 
«détourne, contentez- vous de Taffection qui nous attache. 

XIX. — « Que la nuée féconde de mts saluts se répande sur vous! — Que 
« leur parfum, dans un espace sans bornes étendu , 

XX. — (( Soit un lien qui unisse les amis en quelque Heu qu'ils se trou- 
« vent. — Un ami est pour moi comme le frère le plus chéri » (1) ! 

Nous trouverons dans un journal publié à Pans {l'Algérie) une note sur 
la famille d'Âbd-el-Kader qui nous parait assez intéressante pour que nous 
reproduisions quelques détails. 

Les trois frères d'Abd-el-Kader , auxquels cette épttre est adressée, «ont: 
Sidi-Mohammed-Saïd, Sidi-Mustafa et Sidi-el-Haoucin. 

Sidi-Mohammed-Saïd est l'atné de la famille, et le légitime successeur de 
Mahi-ed-Din, son père, en qnalKé de marabout. Mohammed est un homme 
sage que Témir aime à consulter dans les circonstances difficiles; c'est lui 
qu'il appelle de ce doux nom : âme de tout mon être, 

Sidi-Mustafa est le frère cadet d'Abd-el-Kader, le moins prudent, le moins 
réfléchi et le moins soumis , à coup sûr , des frères de l'émir. Jeuneet actif, 
ébloui par la puissance dont son frère venait d'être investi, Mustafa s'efforça 
d'acquérir de Tinfluence, de prendre une part dans les affaires du pays, et 
jaloux de l'autorité de son frère, il ne craignit pas de s'allier même avec ses 
ennemis. Abd-el-Kader n'en éprouva aucun ressentiment; désireux au con- 
traire d'ouvrir un champ à cette ambition et à cette activité maladive, il 
nomma Sidi-Mustafa tour à tour khalifa de Médéa, puis deMsila. Dansées 
postes élevés, le turbulf^nt Mustafa fit preuve d'une incapacité égale à ses 
hautes prétentions ; mais il n'a pas cessé pour cela de se croire appelé au 
gouvernement ; seul il ose critiquer les actes de son frère, et c'est .sans doute 
pour flatter sa vanité inquiète qu'Abd-el-Kader l'appelle : force animant 
mon bras. 

Le plus jeune de ses frères est le plus parfait, le plus beau, le plus accompli, 
sous tous les rapports, des cavaliers de l'Afrique. Sidi-el-Haoucin est le 
Benjamin ou, pour parler son poétique langage, le doux printemps de la vie 
d'Abd-el Kader, doux printemps, en effet, printemps gracieux et- fleuri, 
mais qui ne portera pas les fruits qu'Abd-el-Kader, dans sa fraternelle ten- 
dresse, en attendait. Combien de fois, depuis la mort de son unique enfant 
(Ben-Mahi-el-Din, mort ù Mascara en 1837), l'émir n'a-l-il pas caressé l'es- 
poir qu'EI-Haoucin lui succéderait un jour! Mais la Providence se joue des 
prévisions ambitieuses! Dieu seul crée et établit les sultans, et il ne leur est 
pas toujours tlonné de se choisir eux-mêmes leurs successeurs. 

C'est à ces trois hommes de nature si différente, et qui lui tiennent au 
cœur par tant de liens, qu'Abd-ei-Kader, dans un moment d'angoisse et de 
mélancolie profonde, a écrit cette lettre touchante, et qui peint si bien le 
penre d'affection qu'il porte à chacun d'eux. Ce calme retour vers les saintes 
joies du foyer paternel , ce cri d'amour vers les frères absents, après la fatigue 
et les efforts d'une lutte sur humai ne, suffi sent presque à peindre cet homme 
extraordinaire. 

Abd-el-Kader a un quatrième frère, Bou-Bekker, fils d'une négresse. Est- 
ce lui que Témir a voulu désigner par ces mois: globule noir de mon oàlP 
Nous en doutons. Bou-Bekker est en quelque sorte un étranger dans cette 

(1) A la fin du poëme se trouve cette note, écrite de la main d'Abd-el -Kader, et 
adressée probablement à son secrétaire : 

« Vous écrirez ;.ces vers sur le dos de la lettre de Sidi-Mohammed-Saïd, ou de celle 
«de Mostafa. Vous garderez cette présente copie, et si vous y trouvez des fautes, 
«vous les corrigerez. Que Dieu mette en bonne voie nas affaires à tous, par les mé- 
« rites de Mohammed , de sa famille et de ses compagnons ! Que Dieu répande ses 
« gr^k^es sur eux tous ! » 



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146 WeVUB »B t'MB&NT. 

iiBaille^ si parfiUeoiefit unie; et, bâtons-nous de le dire, ce n'est pas i la 
couleur de sa peau 9 à son origine nègre qu'il doit cette exclusion, c'est que 
Bou-Bekker, quoique fils de Mahi-ed-Din, n'est pas le fils de Lella-Zora, cette 
femme supérieure, dont le beau caractère offre plu$ d'une analogie avec 
eHui de la mère de Napoléon. 

Abd-el^Kader a «nesoBur, Lella-Kbadidja, qu'il aime avec tendresse, et qui, 
presque toujours souffrante, vit auprès de sa mère. Il a pour Lella-Zora un 
amour et une vénéraiion sans bornes. Il aime et respecte en elle noo-seule*- 
ment la mère qui le porta dans ses flancs, mais aussi fa sainte femme annon- 
cée par les prophéties, et qui doit contribuer à l'établissement de la na- 
tionalité arabe. 

CesC ici le lieu de faire remarquer le soin avec lequel Abd-el-Kader évite 
de prononcer le nom de sa mère, et même celui de sa sœur dans une lettre 
terite pourtant à ses frères. Généralement, Témir écrit peu ; il dicte à son 
secrétaire ; mais c'est toujours de sa main qu'il écrit à sa mère. 

Lelta Zora est la seule femme ( nous ne parlons pas ici des femmes habi- 
tant les villes) qui porte des bas et des mil aines de laine blanche. PendanI; 
l'hiver rigoureux de 1837 à 1838, elle ne pouvait parvenir à réchauffer ses 
maiers et ses pieds ;elleenlenditparlerd'un thebib français qui résidait alors à 
Mascara, et dont ta réputation était grande parmi les Arabes. Elle envoya 
demander au docteur un remède contre le froid; le docteur lui expédia 
aussitôt de très-beaux bas et des gants longs. Lella-Zora accueillit cet envoi 
avec reconnaissance, et se chaussa, se ganta sans scrupule; mais nulle autre 
qu'elle eût pu se permettre cette infraction aux usages musulmans. 

La tendresse respectueuse de l'émir pour sa mère est devenue plus vive, 
si c'est possible, depuis que des malheurs intimes ont frappé dans ses plus 
ciières affections l'intrépide marabout. 

Nous avons dit qu'il avait perdu , en 1837 , son fils unique. Cet enfan{ 
était né du mariage d'Abd-el-Kader avec Leila-Khera, fille de Sidi-Ali-Bou- 
Taleb, son oncle paternel. Ce mariage avait été célébré avant Télection 
d'Abd-el-Kader k la dignité de sultan, et la paix du ménage devait sans 
doute, dès cette époque, être un peu troublée, car le nouveau sultan, pré- 
textant qu'il ne devait plus désormais s'occuper que des intérèlsde son peuple, 
conçut le prqjet de répudier Lella-Khera. Mais cette femme, nièce de son 
père, lui tenait de si près par les liens de famille, que la répudiation fut 
jugée impossible. 

Un fait fort grave a depuis lors rendu cette séparation inévitable. 

En 1835 , après la prise de Mascara par le maréchal Clauael , l'émir fut 
abandonné de tous ses amis, de ses serviteurs même. Sa femme , entratnée 
par Sidi-Ali-Bou-Taleb, l'abandonna au.ssi. La cause politique qui onotivait 
la défection du père cachait déjà sans doute quelques galantes faiblesses 
dek fiUe;mais Ttoùr ne proféra aucuoe plainte: son fils Ben- Mahi^- 
Din vivait encore. 

Plus tard , l'émir alla faire le si^e d'Aln-Mahdi ; déjà il n'avait pas vu 
Lella-Khera depuis longtemps; il resta près de dix mois absent. A son 
nM«ur» il irottva sa femme prête A aeooucber d'un enfant dont Sicii-Ben- 
AUal était le père. 

Abd-el'Kad^ £ut magnanime avec Lella-Khera, il]lui permit de retour- 
ner dans sa famille; mais un nègre et une négresse, qui avaient favorisé les 
entrevues dids deux amants, avaient pris la fuite à I approche de l'émir, et 
s'étaient réfugiés à Alger. Abd-el-Kader fit tomber sur les absents toute sa 
colère; il alla jusqu'à réclamer l'exiradiiion des deux coupables, per- 
suadé que l'autorité françaii»e ne consentirait jamais à les lui livrer. Mal^ 
heureusement il n'en fut point ainsi : malgré les généreuses protestation^ 
du commandant Pélissier, alors directeur du bureau arabe, malgré l'in- 
dignation publique, les deux serviteurs furent livrés à Abd-eJ-Kader , qui, 
par respect pour les mœurs^ les fit décapiter. X"''*. 



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ACTES DE LA SOCIÉTÉ ORIENTALE. 



SÉANCES. — filTEAITS WÊS PHOC^-YERBAITX. 

Séance mi 22 jANvnsR 1846.— La séance est ouverte à dix heures et demie, 
sous la présidence de M. A. Hugo^ vice-président. Il est donné lecture du 
rapport sur la proposition de M. Anbert-Roche. M. le président demande 
que Ton précise dans une suite d'articles l'objet de la communication à faire 
aux sociétés avec lesquelles la Société orientale désire se mettre en rapport 
pour arriver à l'exécution de la mesure proposée par M. Aubert-Rocbe. Cette 
demande amène bientôt Texamen d'une autre des faces de la question. La 
distinction à établir entre la partie matérielle et la partie intellectuelle de la 
mesure dont la Société se fait la^ provocatrice, le but bien différent du 
fH*ojet de M. Horeau et de la pensée de M. Aubert, donnent lieu à une longue 
et vive discussion à laquelle prennent part MM. Hamont, de Saint-Géran, 
Aubert *Roche , Hommaire de Hell. 

Il est donné une seconde fois lecture du rapport, et comme la distinction 
entre les deux principes n'y est pas assez nettement tracée , qu'en un mot, 
il est envisagé d'un point de vue trop matériel, la Société, sur la propo- 
sition de M. Hugo, auquel avait succédé M. le général de La Roche-Poucfain, 
décide que le rapport sera rédigé de nouveau , en y faisant disparaître au- 
tant que possible le point de vue matériel. 

M< Audiffred, l'un des membres de la commission, se charge de cette 
Douvelle rédaction. La séance est levée à onze heures et demie. 

¥ 

SÉANCE DU 13 FÉvRmR.— La séance est ouverte à huit heures et un quart , 
sous la présidence de M. Hamont, vice-président. 

Le procès-verbal de la séance du 22 janvier ayant présenté quelques dif- 
ficultés de rédaction , la lecture en est remise à la séance prochaine. 

M. Mac Garthy donne lecture d'une lettre de M. Fortin, membre de la 
Société, actuellement en Algérie. €ette lettre contient de Iob|^ détails rar 
ta colonisation de la Metidja, sur l'établissement du Fondouk, sur les tra- 
vaux des principaux colons , etc. 

M, Cloquet, Comment a-t-on choisi le f ondouk pour emplaeeiiient d'un 
établissement agricole, après les épreuves terribles que l'on y a subies. Il y 
a sept ou huit ans, c'était en 1S38, sous le mai'échal Yalée, on établit dans 
ce lieu un camp retranché de 1200 bommes pour protéger la route de l'Est. 
Mais on ne tarda pas à s'aperœvoir de la grande insalubrité des localités. La 
dysenterie, les fièvres intermittentes, une sorte de scorbut aigu , affreuse 
maladie , décinïèrent bientèt la malheureuse garnison. On y éleva alors ua 
hôpital , un des plus beaux de l'Algérie et qui coàta plus de ^09,000 francs. 
Les hommes s'y trouvaient encore plus malades, finân sur 12Û0 homllael^ 



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348 REYVE MS lWiERT. 

il n'en resta bientôt que 95; ce fut l'un des plus grands désastres de l'A- 
frique. Le reste de la garnison fut évacué sur Alger et l'hôpital si coûteux 
démoli. 11 semble qu*après une telle expérience on eût dû renoncer à établir 
des colons dans un semblable lieu. La lettre de M. Fortin montre que depuis 
lors le Fondouk ne s'est pas amélioré. Comment a-t-on donc été assez im- 
prudent pour n'en pas défendre le défrichement. 

M. BontiafonL J'étais en Algérie lors de la fondation du Foudouk; je fis 
quelques observations sur son insalubrité , mais je n'étais pas alors en posi- 
tion de me faire écouter. Le colonel fit un rapport très-favorâble sur sa position 
stratégique ; un capitaine du génie y fut envoyé, et l'établissement ne tarda 
pas à se trouver dans l'état déplorable qu'a peint M. Gloquet. Et tel était 
l'état des choses que si Abd-el-Rader , lors de sa trouée de 1839, l'eût connu , 
il eût pu s'abattre dessus et tout y tuer sans qu'aucune résistance eût été 
possible. Quaot à la mortalité dans les terres basses de l'Afrique, il faut 
compter qu'en général les deux premières générations périront avant qu'au- 
cune localité y soit babitabie. Boufârik en est un exemple terrible*. On 
commença à y creuser des fosfiés en 1836 ou 37, on donna de l'écoulement 
aux eaux : le premier coup de bêche fut le signal de l'invasion des fièvres 
intermittentes. Aujourd'hui , comme le dit M. Fortin, ce lieu est à peu près 
habitable. 

iftf. Cloquet, Ce que vient de dire M. Bonnafont est très-juste. Il faut con- 
sidérer les deux premières générations des colons comme destinées à faire 
du fumier pour leurs successeurs. Du reste, cela n'est pas applicable à l'Al- 
gérie seulement; cela est commun à tous les pays, à toutes les terres quelles 
qu'elles soient, dans les plaines ou les montagnes. En Corse, les causes de 
l'insalubrité des plaines de l'Est sont identiques, et en France même, nous 
avons eu â signaler un fait semblable lors des travaux du chemin de fer du 
Nord. Les terres en frichp contiennent une plus ou moins grande quantité 
de substances végétales en putréfaction qui dégagent du gaz pernicieux 
aussitôt qu'elles sont remuées. Telle est la seule cause de l'insalubrité des 
nouveaux défrichements, elle est indépendante de la nature du pays et de celle 
. deJ'atmosphère. 

M. Bonnafont» A Setif , dont parle l'auteur de la lettre, les défriche- 
ments ont été suivis de l'apparition des maladies , et cependant Setif 
est à 1100 mètres d'élévation , dans le pays le plus sain. El-Aroudj, sur la 
route de Constantine à Philippeville, dans un pays montagneux, était un 
lieu très-pittoresque et très-salubre ; je fis un rapport très-favorable sur 
cette localité ; un camp y fut établi : les premiers coups de bêche furent 
suivis de l'apparition des fièvres. 

M. Pouzin. Je crois que par rapport à la position actuelle de l'Algérie, 
il faudrait être très-réservé en tout ce qui regarde la colonisation. La lettre 
de M. Fortin est peut-être trop encourageante. Je me rappelle lui avoir dit 
qu'il avait une trop grande sécurité. Dans son dernier travail il assure que 
partout on peut se promener sans aucune crainte. Eh bien , vous savez que 
cela n'est pas. J'eusse désiré qu'il réservât son travail pour plus tard, le 



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AC2TES DE LA SOCIÉTÉ ORIEIVTALE. 349 

temps n'était pas encore venu d'inspirer autant de confiance aux esprits 
entreprenants. 

M, Mac Carthy, Ce qui arrive en ce moment ne porte aucune atteinte 
aux assertions de M. Fortin. La guerre n'agite que la province d*Oran et 
une partie de celle d'Alger , mais la tranquillité est encore très-grande dans 
la province de Gonstantine qui embrasse plus de la moitié du Tell. 

M. Audifftvd. M. Fortin a écrit selon ce qui était à Tépoque où il fit son 
second voyage en Algérie. Depuis les choses ont changé; la sécurité n'est 
plus la même partout, mais cela n'infirme en rien ce qu'il a dit. ' 

M. de Saint'Céran, Le colonel Lamirault disaitdu reste, avant les derniers 
événements, que les Arabes dormaient et qu'ils se réveilleraient. 

M. Pouzin. C'était l'opinion de beaucoup de personnes. 

M. Bonnafont, M. Fortin ne mérite pas les reproches que lui adresse mon 
confrère M. Pouzin. M. Fortin a observé qu'il y avait une grande sécurité 
dans certaines parties de l'Algérie. Dans un pays tel que celui-ci, ces chan- 
gements sont inévitables et fréquents. Je me rappelle qu'à une époque j'al- 
lais à Blidah tout seul et que trois mois après je ne pouvais aller sans escorte 
à trois lieues des murs d'Alger, à Deli-lbrahim. 

M. HamonU M. Fortin fait observer dans un passage de sa brochure, 
si ma mémoire me sert bien , qu'il y aura guerre entre les Français et les 
Arabes pendant un demi-siècle encore. 

M. jiudiffred. Les Arabes profitent de notre civilisation sans nous en 
aimer davantage; les antipathies de race et de religion le veulent ainsi. J'ai 
été lié avec le fils d'un Arabe très-influent qui me disait : o Vous croyez que 
nous vous aimons , lorsque nous nous rapprochons de vous? Non , nous ne 
le faisons que parce que vous êtes les plus forts ; au moindre échec nous 
n'aurions pour vous que des coups de fusil. » 

iftf. Ctoquet, Les rapports entre les deux populations forment autant de 
questions complexes. On peut dire qu'il y aura guerre perpétuelle entre les 
Français et les Arabes. J'ai été à Alger à une époque où il fallait une escorte 
pour aller à la Maison-Carrée. Peu de temps auparavant on y allait seul. 
Il n'y a aucune espèce de garantie de sécurité un peu durable. 

M. le général de La Boche- Pouchin. J'ai vu des colonies dans les pro- 
vinces du Caucase, qui sont dans une position analogue. Toutes les fois 
que leurs populations sont assez nombreuses pour donner le temps aux 
troupes d'arriver, elles sont rarement attaquées. 

M. Pouzin. Je n'ai voulu diminuer en rien tout le bien que j'ai trouvé 
dans le travail de M. Fortin ; mais je crois toujours qu'il faut être très- 
réservé à l'égard de tout ce que l'on publie sur l'Algérie. 

M. Bonnafont, Je serais très-satisfait que ta lettre de M. Fortin fût pu- 
bliée et qu'on rendit ainsi justice aux efforts des premiers colons. Il y en a 
qui font de la colonisation par dévouement, dans le but le plus noble. Tel 
est M. Brémontier, homme du caractère le plus honorable, jouissant de 
40 à 50,000 francs de revenu, et qui en dépense tout au plus 5,000. Tout le 
reste est destiné par lui à la création de nouveaux établissements et à la 
fondation d'un village. 



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^50 REVUE 0E L'OltlERT. 

M. Stanislas d'Escayrac^ secrétaire du commandant de la station de Ma« 
daçascar, pn-sent à la séance, est invité par M. le président â donner quel* 
ques détails sur les derniers événements de Madagas(ïar. 

J'ai vu , dit M. d*Bscayrac, Nossi-Bé, Nossi-Mitsiou , Mayotte, Modroon- 
sang et Tamatave. 

Peu de temps^vant notre arrivée devant ce dernier endroit , la reine Ra- 
navalo déclara que tous les traitants ( négociants) de Madagascar qui ne 
voudraient pas lui prêter serment devraient liquider et quitter l'Ile sous 
quinze jours. Les traitants étaient, les uns de Bourbon, au nombre de onze^ 
les autres de Maurice, au nombre de treize; quelques-uns d'entre eux com* 
battirent courageusement avec nous, et unde leurs matelots, un noir nommé 
Joseph, fut même grièvement blessé dans le combat. Us réclamèrent contre 
la brièveté du délai qui leur était donné, comme ne pouvant suffire pour les 
liquidations. On ne connaît pà$ au juste la raison qui poussa la reine à 
prendre cette mesure. J'ai entendu parler d*un traitant qui voudrait mono* 
poliser tout le commerce des bœufs et qui pensait que cela lui serait possible 
lorsque après une mesure de ce genre les relations avec Bourbon seraient 
reprises. J'ai entendu parler d'un complot, mais on en parlait très-bas. J'ai 
^entendu citer, mais sans allégation positive, le nom d'une congrégation 
tristement célèbre. 

L'ordre de la reine ne tarda pas à être connu â Bourbon , ofi il fat reçu 
avec surprise. Le commandant Romain Desfossés résolut de se rendre à Ma- 
dagascar, sans cependant rien laisser percer de ses intentions. A bord se 
trouvaient des troupes de marine, destinées à remplacer celles de Mayotte 
et de Nossi-Bé. Le Berceau arriva à Tamatave le 14, et le 15 il entra en 
rade , sur laquelle il trouva le navire anglais le Conwajr et quelques navires 
de commerce. Le commandant Romain Desfossés se rendit ù bord pour pro- 
poser au commandant d'attaquer le fort de Tamatave, mais celui-ci ne 
voulut pas, ft ce qu'il parait, prendre une telle initiative. Je crois la ren- 
contre des deux pavillons entièrement fortuite; il était très- naturel d'ail- 
leurs que chacune des deux nations envoyât protester en awi nem cmHw 
l'acte arbitraire dont on venait d'avoir coaMaiwagce, il était naturel que 
la protestation se ftt à Tamatave « il s'y avait pour cela besoin d'aucune 
entente préalable, ce qui ë^ailîeurs eût exigé un temps assez long. Le coni- 
mandant Desfossés, vu son grade de capitaine de vaisseau (M. Kelly, com- 
mandant du Comvay, n'était que commander, capitaine de corvette) , prit le 
commandement supérieur des forces françaises et anglaises, et je dois à la 
vérité de dire que si cette journée a été malheureuse sous beaucoup de rap- 
ports, elle restera grande dans les souvenirs par l'union cordiale desofficiers 
et des équipages qui , marchant aux mêmes ordres contre un ennemi com- 
mun, ont mêlé leur sang sous les murs de Tamatave. Je rappellerai entre 
autres faits un incident qui n'est pas sans quelque intérêt. L'élève du Berceau 
Grainville ayant, avec quelques matelots, arraché le pavillon du fort, ce 
pavillon fut aussitôt partagé cordialement entre les deux nations; il était 
i)lane et portait en lettres européennes le nom de hi reine Ranavaio Man^ 



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ACtES DE JU SOCIÉTÉ ORlENtALE. Ui 

jaka; la partie sur laquelle était écrit Ranavalo nous resta; l'autre filtre* 
mise aux Anglais. 

Le commandant envoya à terre un parlementaire; mais le chef Hova 
Taccueiliit avec un geste dédaigneux trop significatif. On l'avertit alors qutf 
si à deux heures il ne rendait pas de réponse, le bombardement commen-» 
cerait. 1320 coups de oanon furent tirés sur le fort, savoir, par fe Berceau, 
620, par le Conwar-, 700. Vers trois heures on descendit à terre. On était 
alors dans les jours les plus courts de l'hémisphère austral. Tout n'avait 
pas été prévu. Après avoir franchi la chemise extérieure , les soldats se 
trouvèrent sans munitions. Alors le commandant descendit à terre et fit 
battre la générale. Heureusement qu'un des officiers qui étaient restés & 
bord, M. Dubraye, eut l'heureuse idée d'en envoyer de nouvelles. Les soi-» 
da(s montèrent â l'assaut, mais ils furent repoussés. Cette attaque fut des 
deux côtés meprtrière. Les Hovas perdirent 350 hommes dont 22 chefs. De 
notre c6té le feu était tellement vif, que tous les Hovas qui s'avançaient 
étaient tués ; d'autres les remplaçaient , il est vrai , immédiatement. 

La conduite de nos officiers et de nos hommes est au-dessus de tout éloge. 
MM. Bertho, enseigne de vaisseau , Noël, lieutenant , et Monnot, sous-lieun 
tenant d'infanterie, furent tués. M. Bertho était digne d'un meilleur sort, 
c'était un excellent officier et qui dans cette journée fit des prodiges de va- 
leur; le lendemain, sa tète séparée du tronc et plantée sur une sagaie, se 
voyait au-dessus des murailles du fort. M. Noël , frappé de balles et per- 
dant beaucoup de sang, marchait encore à la tète de sa compagnie lorsqu'il 
reçut le coup mortel. 

Les élèves Grainvllle, Longueville, Bellot , furent blessés; le dernier plus 
grièvement que les autres; il refusa néanmoins d'abandonner son poste i 
la balle dont il avait été frappé à la cuisse a pu heureusement être extraite 
depuis. 

Le lendemain du combat le commandant Desfossés descendit â terre et 
enleva quelques marchandises restées sur le rivage. Les Hovas ne l'inquié- 
tèrent pas dans cette opération. Quelque temps après nous apprîmes 
qu'après l'attaque du 15 il n'y avait plus de munitions dans le fbrt. Tous 
les officiers hovas s'étaient donnés du reste des noms très-ronflants: le chef 
Razakafidy s'intitula fastueusement maréchal Ney; le déserteur espagnol 
Pepe, qui avait dirigé la batterie hova, ne voulant pas rester en arrière, 
prit le nom de Cambronne. 

Le retour du Berceau Jeta la colonie de Bourbon dans la consternation. 
Les trois officiers tués appartenaient à des familles du pays. Le navire ar- 
riva le soir; à minuit toute Hle savait la nouvelle, et ce qui augmenta la 
tristesse qui s'ensuivit , ce fut le lendemain lorsqu'on vit pasier dans les 
rues de Saint-Denis les soldats blessés. 

Cependant , peu de temps après , la colonie de Bourbon manifesta un 
grand enthousiasme pour Madagascar; le 9 juillet , un banquet de 150 cou» 
verts fut donné à M. Desfossés et à ses officiers par 100 négociants de là 
colonie ; on but au Roi , au prince de Joinville, à la prise de possession de 



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352 REVUE DE l'ouieut. 

Madagascar. Le conseil colonial vota une médaille au commandant du 
Berceau, pour avoir pris Tiniliative dans la conquête de Tlle. Bourbon con- 
sidère Madagascar comme un 6lle. Du reste, ce serait tout pro6t pour elle 
si la France venait à en prendre possession ; ceux de ses colons pauvres 
iraient s'y enrichir, ou du moins y améliorer leur sort. 

Lorsque nous retournâmes à Madagascar, on remit au commandant une 
lettre de la reine d'une date déjà ancienne. Elle lui disait en (rois pages à 
peu près ceci : « O toi ! Romain Desfossés , la reine de Madagascar te fait 
savoir qu'elle n'a pas d'ennemis au delà des mers; nous ne craignons pas 
les blancs. Vous pouvez venir avec beaucoup de navires et d'hommes , mais 
pour la terre de Madagascar, itous ne vous la céderons pas volontiers. Tu te 
plains de Rakéli, de Samba1,de Chéa-Madi, la reine de Madagascar sait 
ce qu'elle doit faire, elle ne les punira pas. Pourquoi, vous les blancs, vous 
ètes-vous unis à nos esclaves de Nossi-Bé ; nous irons les reprendre, et tant 
pis pour vous si vous êtes avec eux. Quant à la terre deNossi-bé, nous n'y 
prétendons pas. Que chacun fasse son devoir, ainsi Dieu est content. O toi ! 
vis longtemps. Pour la reine, le douzième honneur, préfet du palais, 

« Rbhâ Zéiii.» 

Cette lettre portait la date du 5 mai et était ainsi antérieure aux événe- 
ments ; elle n'arriva cependant à son adresse que vers le mois d'août ou de 
septembre. 

On m'a demandé si l'influence française à Madagascar pouvait rivaliser 
avec celle de l'Angleterre. Elle ne saurait la contre-balancer, parce que les 
Anglais , depuis vingt-cinq ans , se sont établis à Madagascar comme les 
propagateurs de la civilisation. La création de l'armée, la rédaction du 
code qui la régit , l'organisation des écoles , l'enseignement que l'on y pro- 
fesse, la diffusion de la religion chrétienne, l'installation des usines et de 
différentes fabriques, tout a été fait par eux ou par leurs agents. Et puis, 
une sorte de fatalité semble avoir présidé à tous nos rapports avec les 
Hovas; chaque fois, en outre, que nous nous sommes mesurés par les 
armes, nous avons été malheureux. 

Le récit de M. d'Escayrac devient le sujet d'observations faites par quel- 
ques-uns des membres présents. 

Plusieurs membres. Quelles sont les raisons de l'acte de la reine? 

M. d'Escayrac. On ignore la véritable , et il n'a circulé à cet ^ard que 
des bruits vagues. « 

ilf. Darvor- Je crois la connaître. Lorsqu'en 1839 les Anglais émancipè- 
rent les noirs de leurs colonies , ils pensèrent que les esclaves resteraient 
attachés à l^rs anciens maîtres comme serviteurs libres. Mais on vit bien- 
tôt que l'on s'était trompé; les nègres les abandonnèrent. Alors quelques 
traitants, croyant (aire uue excellente spéculation, se rendirent à Mada- 
gascar et y enlevèrent des Malgaches libres et d'autres esclaves indistincte- 
ment. tiCur cupidité alla même jusqu'à ce point qu'on vit un capitaine 
▼endtt par un second 40 piastres. Ce fait parvint aux oreilles de la reine, 



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ACTES DE LA SOCIÉTÉ ORIEKTALE. 3ô3 

qui devîfit (rè^sévère an sujet de la résidence des étrangers dans ses États, 
et à l'exemple du gouvernemeni; de Maurice, qui oblige leséti^ngers à 
prêter le serment d'allégeance ou à payer 1500 piastres, elle exigea que les 
résidents européens de Madagascar se fissent Malgaches. De là , la guerre. 

M. Le Semc. Il est éionnant que M. Desfossés , au lieu de s'attacher à 
prendre quelques barils de salaisons, n*ait pas jugé plus convenable de 
prendre le fort , qui n'eût pas résisté. 

M. d'Escayrac, Le commandant n'avait pas de raisons de croire les Hovas 
démoralisés. Ce n'est que plus tard, ainsi que je l'ai observé, que nous 
apprîmes l'état moral dans lequel était alor^ |a garnison du fort. 

M, le comte de La Roche^Pouchin. Comment se fait-il qu'après a\oir 
tiré 1300 boulets , on a'ait pas fait brèche de manière à arriver au corps 
de la place ? 

M. d'Escayrac. Le fort était rond et armé de 22 pièces, y compris ceux 
de sa batterie. 

M. de La Roche-Pouchiiu Cette artillerie était-elle assez fMrie pour neutra- 
liser celle des deux navires? 

M. d'Escayrac. Non. Il n'est parti du fort lui-même que peu d^coups 
<le canon. Les pièces étaient disposées de telle sorte que les Hovas 
étaient obligés, pour les charger, de sortir tout le corps hors de l'embra- 
sure, ce qui \eii exposait à nos coups : aussi tous ceux qui sej présentaient 
pour les charger périssaient- ils succi'ssivement. Les pièces des Hovas étaieni 
xïbargéesen grande partie à mitraille; leurs balles étaient mâchées; la 
plupart du i«mpH ce n'était que des moroeaux de minerai de fer. 

M. de La Roche- Pouchin. Les forces hovas sont-elles organisées à l'eu- 
ropéenoe ? 

M.tl'Escayrac, Je n'ai vu les Hovas qu^à Mourounsang, ville de la côle 
nord-ouest, et là, ils étaient parfaitement organisés; leurs armes sont la 
sa^ie et le fu^^il. 

M, de La Roche^Pouckin. Mais comment se fait-il que 1300 boulets 
n'aient pas établi une brèche ? 

M. d'Escayrac. Le mouvement de la mer, la forme ronde du fort, et la 
nature même de la chemise extérieure, qui^ étant de terre, n'offrait au- 
cune prise aux projectils. 

M, de Saint'Céran. Je demande à répondre à celui de nos confrères qui 
a ^Mnandé pourquoi le commandant Desfossés n'avait pas marché à l'as- 
saut. Cette détermination vient incontestablement des pertes qu'il avait 
faites la veille, et de la défense qu'il jugeait devoir être faite par 
1200 hommes que le succès exaltait malgré leurs pertes. La seule chose 
qui puisse étonner dans la conduite de M. Romain Desfossés , c*est d'avoir 
attaqué sans avoir pris de renseignements suffisants, car, au lieu de 
400 hommes , il en a trouvé 1200 , et au lieu de 4 pièces ,11 y en avait 22. 

M. d'Escayrac. Les renseignements donnés par les traitants étaient peu 
exacts, à cause de la surveillance qui avait toujours tenu les fiureféens 
éloignés du fort. 

IX. 2i 



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3&4 RCTO« UE l'ORHENT. 

Jf. Z« «y^firfe. Tout ee que j'ai dit reposait sur ta lecture des jotrumi. 
S*il est vrai que la connaissance de l'état de dénnoralisation de la garnison 
bova n'ait été connu du commandant Desfoss^ que plus tard , mon rai- 
sonnement tombe. Quant aux munitions, je pense qu'on pouvait en trou- 
ver encore dans le navire assez pour faire une nouvelle attaque. Chaque 
navire de guerre a 80 boulets par pièce, et le Berceau, quoique corvette 
de 32, n'était de fait armée que de 24, mais cela donne toujours 1920 coups, 
et les deux navires n'ont tiré que 1300 coups; ainsi , on était loin d'avoir 
tout épuisé. M. Romain Desfossés passe pour un officier de beaucoup de 
mérite : aussi suis-je étonné de le voir tirer sur la plage sans intention de 
faire brècbe, car il serait extraordinaire qu'après avoir donné ordre de 
tirer sur uù point unique on ne soit pas arrivé à ce résultat. Peat>étre 
a-t-il voulu imiter la conduite de l'amiral Baudin à Saint-Jean-d'UUoa ; 
il espérait, ainsi que celui^i l'a fait, mettre le feu aux poudres et faire 
sauter le fort. Mais l'amiral Baudin avait à sa disposition des moyens 
d'action que n'avait pas M. Desfossés. La corvette était , nous avez-vous 
dit, à deux ou à trois encablures du rivage, c'est-à-dire dans le but en 
blanc , position merveilleuse. Je ne conçois pas pourquoi il n'a pas donné 
ordre de faire trou, et que d'un autre côté il ait commandé l'assaut alors 
qu'il n'y avait pas de brèche. Les Français et les Anglais sont venus, à la 
lettre , se briser contre les murailles. Mais ce qu'il y a de plus malheureux , 
c'est que Ton ait attribué la désapprobation dont le combat de Tamatave 
a été l'objet à un conflit entre les marins et les troupes de marine. 

M, BonnafonL J*éprouve le même étonnement que M. de La Rocbe-Pou- 
cbin; cependant, à la prise de Gonstantine , on a tiré lôO coups sur un 
pan de muraille sans l'entamer. 

M. Le Serrée. Si M. Romain Desfossés n'était pas maître défaire brèche, 
il était matlre au moins de ne pas faire assaut. 

M. Bonnafont Combien de coups ont porté sur 1200? 

if. Le Serrer. Tous ou presque tous. 

M. Mph. Denis. Cela doit être, en effet; mais le fort étant rond, la 
plupart des boulets frappaient de côté. 

M. itEscaxrac. J'ai entendu dire qu'après le combat de Tamatave, le 
commandant de ce fort écrivit à celui de Foulpointe qu'il avait coulé 
la Zélée. Mais celui-ci , ayant vu ce navire mouiller, peu de temps après, 
au large, éerivit à son collègue qu'il était un menteur et qu'il en instruisit 
la reine. 

M. Le Serrée. Quant à l'expédition actuelle de Madagascar, il n'y a 
chance de succès, d'après un de nos officiers généraux les plus distingués , 
que si on agit avec assez de forces pour faire une pointe sur Tananariva. 
Tant que l'on se contentera de canonnef la côte, cela n'amènera aucun 
résultat. 

M. ^'Escayrac. On pense généralement à Bourbon qu'il faudrait 
1500 hommes et des corps d'armes spéciales. Le joug est impatiemment 
supporté par les Malgaches et même par les Hovas : à l'époque des événc- 



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ACTES DE L4 SOCIÉTÉ ORIfinTALC. 35â 

nieaU de Tamatave, 2^000 Sakalaves se portèrent de Nossi-Bé sur la grande 
terre pour y foire des razzias. 

M. Le Serrée. W serait important que, dans la prochaine expédition , on 
employât un corps de yolofs : les Hovas en ont la plus grande frayeur. 
Lors des derniers événements , ce fut derrière un bataillon de ces nègres 
que les troupes débandées vinrent se reformer en bataille, et comme aucun 
d'eux ne fut blessé, les Malgaches pensent que ces grands hommes noirs 
sont couverts de charmes, qu'ils lEont invulnt^rables, et que rien ne peut 
leur résister. Quelques-uns d'entre eux qui sont restés à Sainte-Marie sont 
encore un objet de terreur. 

M. le D^'Bonnafont fait hommage à la Société d'un tableau historique 
de tous les beys. qui ont commandé à Constantine depuis 1710 jus- 
qu'en 1837. 

MM. Cloquet et Pouzin sont chargés de faire un rapport verbal sur ce 
travail. 

La séance est levée à dix heures et demie. 

SéAnGBDu27FÉYluBR.— La séance est ouverte à huitheureset demiiNsous 
la présidence de M. A. Hugo, vice-président. Il est donné lecture du procès- 
verbal de la séance du 13, qui est adopté, avec cette réserve cependant que 
la discussion relative aux affaires de Madagascar y sera insérée intégrale- 
ment après avoir été revue par M. d'Ëscayrac, qui veut bien à cet effet se 
mettre à la disposition de la Société. 

M. le président donne lecture d'une lettre par laquelle M. Gliddon , mem- 
bre correspondant de la Société, la remercie de l'avoir admis dans son sein 
et lui offre ses services. — Il vient de s'établir en Allemagne, à l'exemple de 
la Société, une .société allemande orientale qui propose l'échange des publi- 
cations avec les siennes. M. d'Escha vannes , secrétaire archiviste, demande 
qu'il soit statué que les membres de la nouvelle société auront droit d'as- 
sister aux séances de la Société orientale de France, lorsque étant à Paris ^ 
ils s'y présenteront munis de leur diplôme. 

Cette proposition est admise à l'unanimité. 

M. L. Rochet fait hommage à la Société d'un ouvrage dont il en est au- 
teur et qui est intitulé Manuel pratique de la langue chinoise vulgaire. U 
offre de plus de consacrer une des séances de la Société au développement 
de ^elques faits relatifs à la constitution intime de la nation chinoise; il se 
propose de montrer, par exemple, comment la Chine ne subsiste que par la 
force vivifiante de la langue et de la littérature. 

La Société accepte avec empressemt nt l'offre de M. Rochet, et décide que 
l'on invitera spécialement à assister à cette séance ceux de ses membres 
qui ont une connaissance plus particulière de la Chine, le vénérable direc- 
teur des Missions étrangères, M. l'abbé Voisin , entre autres. 

Lors des séances extraordinaires que tint la Société pour la discussion 
d'un programme de questions mis à l'ordre du jour d^ns la séance dujljuin 
1843, il fut voté un supplément d'abord de 3 fr., puis de 6 fr. i la cotisation de 



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358 REYOfi DE l'orient. — ACTES DE LA SOCIÉTÉ OKIENT-ALE. 

chaqae membre, destiné à faire face aax dépenses que pourraient ooeasiwner 
]es séances extraordinaires auxquelles donnerait lieu cette discussion. Depuis 
les séances ont cessé, mais ce supplément à la cotisation a été applH[|ué à 
d'autres frais que ne pouvait couvrir la cotisation primitive^ et le conseil 
d'administration pense qu'il y a lieu à en admettre la continuation, mais il 
est indispensable, pour que cette mesure ait son effet, qu'elle reçoive la sanc- 
tion de la Société. 

En conséquence, la proposition suivante est mise aux voix par M. le pré- 
sident. 

« Le supplément de 6 fr. à la cotisation annuelle, voté pour suffire aux 
dépenses qu'occasionnaient les séances extraordinaires mises à l'ordre du jour 
le 2 juin 1843, fera, pour 1846, partie intégrante de la cotisation annuelle.» 

La proposition est adoptée à l'unanimité. 

M. Audiffred donne lecture du rapport qui lui avait été demandé dans 
la séance du 22 janvier, sur la proposition de M. le D^ Aubert-Roche. 

Les conclusions de ce rapport sont adoptées , ainsi que la rédaction de la 
circulaire qui l'accompagne. La commission est invitée à s'assembler et à 
rechercher quelles sont les sociétés auxquelles il sera nécessaire d'envoyer 
cette circulaire. 

La séance est levée à neuf heures et demie. 

Séance nu 13 mars. — Ouverte à huit heures et close à dix heures et un 
quart sous la présidence de M. A. Hugo. 

Cette séance a été principalement consacrée au renouvellement du bureau 
pour 1846 (voir le résultat des élections, pag. 272). 

O. Mac Gartht. 



NOUVEAUX MEMBRES ADMIS. 

Memlnres titutoires t 

MM. ViciiR (Joseph), voyageur en Orient. 

Voisin bb la Y ernièrb ( Etienne de ) , voyageur en Orient. 

Meiiilirett corre«p»ii4iaiit« t 

MM. Hue (le P. Etienne) , missionnaire apostolique en Mand-Chourie. 

Trakarin (Nicolas), négociant, voyageur à Java, résidant à Amsterdam. 



Fm nu TOME MKUVIÈ3IE. 



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TABLE DES MATIÈRES 

CO^XTENUES DAKS CE YOLlIItlE. 



Ileirue* 



Oeéanie, — Groupe d'Ouvéa {îles Wallis ),^Mœurs innocentes des Walli- 

siens. — Leurs dispositions musicales. — Cbants wallisiens. (Mathieu.) 3 

Tartarie. — Les Mantchoux , les Mankoux et les HouUzes, — Siuang» 

(B. Brucuière.) 7 

Empire lies Barmans. (7* article.) — XX. Des talapouins. •— Fragments de 

quelques serinofis de Qodama. — (F. Lbco:<ite ) 19 

Madagascar. — Bégu*' de Radama, roi des Hova^ (1810-1828). — I. His- 
toire de Diana t<poui e, roi d'£inirne. — Avènement de Radama, son fils, 
en i8IO —Mission de Cbardenaux à Émirne. — Radama confie Tinslruction 
de ses jetines frètes aui Anglais. — Mission du ca iaine Lesage. •— Obsta- 
cles qu'il renconfre àTamaiave. — Sa léceplion à Tananarivo. — Sigi»aiure 
d'un traité secret avec Radama. — Refour de Lesage à Maurice. — \\ Re- 
tour des trères de Radama avec leur gouverneur Hastie. — Porlrait de cet 
agent 8^'C^el du gouve neaieni de Maurice. — Il trouve Radama à Tamatave. 

— Conqu^fCK du jeune moj«arque. — £n\ahis8ement du t»rril<»ire de Jean 
René. — Traité de paix de Manaarez. — Kntrér de Radama à Tamatave et 
fuilc de Fiche à rie aux Prunes. — 111. Départ d'Hastie pour Tananarivo. 

— Réception de Tagent anglais. — Premières négociations pour l'abolition 
de la traite des esclaves. — Kabar convoqué à cet effet. — Succès d'Hasiie. 
^ Traité signé avec Radama. — Retour d'Hastie à Maurice. — Fidélité ri- 
goureuse du roi d*Émirne. — Honteuse rupture du traité par les Anglais. — 
Occasion dTnfluence offerte au gouvernement français. — IV. Nouvelle 
missiim d*Hastie. — Première apparition des missionnaires anglais. — Ap- 
préhensions du révérend Jones. — Progrès rapides de la civilisation à 
Émirne. — Le grand marécbal Robin. - Tentative d*Hastie pour renouveler 
le traité rompu. — Sanglants reproches de Radama. — Sage discours d'un 
vieux conseiller du prince. — Grand kabar convoqué à Émirne. -^Élo- 
quence de Rafaralah. •— Radama redoute le sort de Louis XVI. —Signa- 
ture d'un nouveau traité. — Campagne désastreuse contre les Sakalaves du 
Sud. — V. Premiers travaux des missionnaires. — École publique. — Pro- 
grès de la mission. — Mort d'Hastie. — Regrets publics de Radama. — 
Appréciation de l'agent anglais. ^ VI. Maladie et mort de Radama (1828). 

— Avènement de Ranavalou, sa femme et sa soeur. — Récit officiel des fu- 
nérailles du roi. — Richesses enfouies dans son tombeau. — Portrait de Ra- 
dama, par le prince Goroller. — Lettre autographe du roi malgache. (Eu- 
gène DB Frobbrvillb.) 36 

RtvvLt de Varmée houa par le roi Radama. (B. F. L. db L.) 64 

Empire siamois. — Foxage et séjour dans le royaums de Laos. ( J.-B. 

Geândibaii.) si 

Question chevaline. — Introduction des étalons nejdis dans les haras de 

l'AlgéHe. (V. FoitTAiiiBB.) 71 

Chronique de V Orient — Turquie. (À. D.) »^î 

Réception de l'ambassadeur du Maroc. 93 



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Chine. — Funeste» effeu de r«piuai« 95 

Océanie. — Emploi du premier vin fait dans Ttle Tonga. 96 

Empire dei Barmans, (8* article.) — XXI. Langue, écriture, littérature, 
poésie, sciences et arts des Barmans. — XXU. Calendrier barman. — Qi- 
mat et saisons du! royaume barman. (F. Licontb.) 97 

Excursion dans la Tartarie mongole. •— Aspect de la Tartarie. — Le Mon- 
txendze, —- La vallée de&]MAriers. — Hospitalité mongoie. — La langue 
chara. — Une lamaserie. — Retour aux Eaux-Noires. (E. Hrc.) 1 tO 

Malaisie. — Les montagnes d'Jmboine. —■ Des races malaise et polyné- 
siennes. — Case malaise. — La famille d'un pécheur. — Le guide. — Canal 
et village de Paguala. — VOrang-Caya. — Caractères physiques et mo- 
raux de lairace malaise. -* Ressemblance des Malais et des Polynésiens. — 
Arbres et plantes des hauteurs. -> Panorama d*Amboine. — Une nuit sur la 
montagne.;— Arbres et planle» ucs a/j is a des cultures. — La foUe ma- 
laise. — Retour à bord. (J. -B. Hoiiiiko.v.; 125 
Egypte. — Percement de l'isthme de Suez. — Commerce. — Les Fran- 
çais en Egypte. — LMdée d*un canal de jonction entre la mrr Rouge et la 
Méditerranée a de tout temps occupé le moude. — Une compagnie française 
a offert de se charger de l'opération. — Mébémet-Ali a refusé. Explications 
probables de cet inexplicable refus. — Si les puissances occidentales vou- 
laient unanimement le canal, Méhémet n'y pourrait mettre obstacle. L'An- 
gleterre appuie ses répugnances. — Pourquoi l'Angleterre attend une occa- 
sion opportune de s'emparer de TÉgypte. — En cas d'un envahissement de 
l'Egypte il n'y aurait aucune résistance locale. L'armée régulière est d^à 
anéautie. — Étroitesse du sentiment patriotique. La Grande-Bretagne a la 
vaniteuse ambition de se voir maîtresse de la moitié du globe. Elle excite le 
vice-roi à construire un chemin de fer inutile d'Alexandrie à Suez. — Elle a 
déjà pris à Aden possession de la mer Rouge. — Ses nationaux fondent son 
influence en Egypte en y répandant de l'argent. — Dénouement des der- 
nières affaires de Syrie funeste à notre position sur les bords du Ml. — La 
France{y a perdu son prestige. — Notre commerce éprouve le contre-coup 
de cet abaissejment. Les Anglais ont pris notre place sur les marchés d'E- 
gypte. — Exportation» et importations de la France et de la Grande-Bre- 
tagne. — Commerce général de l'Egypte. — La frauduleuse infériorité de 
nos produits déconsidère partout la manufacture française. — Urgente né- 
cessité d'une loi sur les marques de fabrique. —Mérite et honorable con- 
duitede nos compatriotes en Egypte. — Soilicitude de l'Angleterre pour ses 
nationaux à l'étranger. — Nos diplomates n'acceptent que ie côté politique 
de leur rôle. L^ur morgue aristocratique. — L«s agents anglais entendent 
mieux leurs devoirs. (V. Soioelcher.) 141 
Mélanges sur l'Inde. — Emploi des élé|diaais. — Un bazar indien. — Les 

Bengalos des voyageurs. — Les Pouliabs. (V. Fortanibe.) 152 

Foyage. Madagascar — Arrivée à Madagascar. — Visite au conrnnandant 
hova du Fort Dauphin. — Tyrannie des Hovas envers les Sacaiaves. — Le 
tanghin. (Li Bron db Vbxbla.) 160 

Afrique centrale. — Les Touareg du Sahara. (E. Dauiias.) 167 

Correspondance»^ ^Algérie* — ÈtaJt de la colonisation. (Fortih s'Itet.) 172 
Importation en France de quelques plantes égyptiennes» (Hamont.) 175 
Chronique âe l'Orient. — Turquie. (A. D.) 1S7 

Pe la pêche sur les côtes de V Algérie. — L De la pécha littorale tt de la m- 



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TABLE DES MATlteflS. 36t 

Itmsation marilinje en Algérie. — II. De i*orgaoisatioii de U pôcbe sur la 
côte de TAlgérie, et des moyens de l'y nationaliser. — 111. Des pécberies 
algériennes et de leurs avantages (S, Bbrthelot.} 193 

^c7cAm(?/^m^.— Lafpagode de Non-Nuoc {des Rochers de marbre), (I. I^mw.) 2t t 
Des institutions littéraires en Chine, et de leur action sur le gouverne- 
ment. (C. DE MONTICNT.) 216 

Empire des Barmans. {9^ article.) — "XXIll. Productions végétales et miné- 
rales. — Animaux. — XXIV. Monnaie et commerce. (F. Lecontb.) 221 

Forage à Madagascar et aux îles Commores. (2* article.) — Départ du 
Fort Dauphin. — Baie de Bally. — Anialotches. —Moeurs de ces mahomé- 
tans. •— Les trois grands cbefs des Sacalaves indépendants. — Entrevue 
avec le roi'Rabouki. — Serment*du sang. — Coumanga, arbre à poison. 
-- Mœurs et cosiiime des Sacalaves. (Le Bron de Vexela.) 237 

Madagascar. — Droits de la France sur cette tle. — Importance de son 
occupation pour la cofonie de Bourbon . 2 18 

Correspondance. — Voyage de Maurice en Europe par la mer Rouge. 

(E. D.) 255 

Les lazaristes en Orient. (X. Marmier.) 260 

Colonisation de l'Algérie. ---[Extrait d'un mémoire au roi. (L*abbé Lâhd- 
M41IPI.) 265 

Madagascar. — Expédition de 1829. — 1. Anciens établissements français à 
Madagascar. — Gomment ils furent en partie abandonnés. — Tamatave et 
Foulpointe. — Les Anglais s*en emparent. — Abandon. — Nouveaux projets 
de la France. — Raisons à Tappui. — CommisKion du gouvernement. — Re- 
prise de Sainte-Marie et delTintingue. — Descripiion de Sainte- Marie. ^ 
Montagnes; terrains.— Récifs; passes; côtes ; mouillages.— Fortifications.— 
Représentations du conseil colonial de Bourbon. — Option du gouvernement 
pour Tintingue. — Radama , roi des Ovas ; ses conqu^fes et sa mort. — 
Nouvelle expédition ; ses forces , son commandant, commissaires du roi. — 
Ordres et notification. — 11. Départ de l'expédition. — Arrivée à Sainte- 
Marie. —{Le commahdant visite Tintingue. — Descripiion de ce port ; dé- 
fenses naturelles; ^rivières; fertilité du sol. — Réflexions et moyens de 
s'assurer la (possession de Tintingue ; précautions sanitaires* — Retour à 
Sainte- Marie. —Arrivée à Tamatave. — André Soa. — Refus de passe-ports. 
— Lettre de M. Gourbeyre'à la reine des Ovas ; incident — Arrivée à Foui- 
pointe. — Raiieli; accueil de ce chef ova ; visites; peu d'espoir, — Retour à 
Sainte-Marie, puis à Tintingue — Travaux ; fortifications. — Composition 
de Fétablissement|; balises — III. Dépèdie du général en chef des armées 
de la reine. — On plante le mât de pavillon. — Dépuiation des habitants de 
la côte. — Mission de M. Robin. — Ramanetak. — Conduite des Ovas. — 
Commencement des hostilités.*— Lettre et ambassade de la reine.— Arrivée 
à Tamatave. — Combat et défaite de l'ennemi. — Brick anglais. — Affaire 
d'Ambatournanoui. — Retour à Sainte-Marie. — Foulpointe.— Dispositions 
d'attaque. — Combat j— l>e capitaine Schœil est tué; retraite des Français; 
belle conduite de M. de La Revanclière. — Pointe de Larrée ; on renonce à 
l'attaquer. — Renforts ; mort du capitaine Fénix. — On nomme le capitaine 
d'Espagne à sa place. —Attaque de la pointe de Larrée. — Débarquement; 
combat ; acharnement des Ovas et leur dérout<complète. — Prises. — Nou- 
velle ambassade S de la* reine. — Promesses des ambassadeurs. — Retour \ 
Bourbon. (Jodrdaiiv.) 273 



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3iO RETOE DE l'orient. -^ TABLE OES MATIÈRES. 

FoX^tge à Madagascar et aum îles Commores. (3« article.)-— D^euner à 
bord avec Rabouki. — Richesses étalées devant le roi sacalave ; son admira- 
tion. — Fanfoudif talisman sacalave. — Départ de RaboakL — Maladies. «- 
Mi«ér^le coq^ition des esclaves à Madagascar. ~ Arrivée à Massangai. — 
Description de cette ville. — Visite au gouverneur hova du fort. — Le cidre 
transformé en vin de Champagne. — Femmes hovas ; leur co tnme. — Sa- 
perslitions des Hovas et des Sacalaves. — Beauté et avantages du port de 
Massangai. — Départ pour Anjouan. (Ls Baoïi de Vbxbl4.) 297 

Nossi'Bé et MayotU. — Noxsi-Bé (la grande lie) et les Iles qui en dépendent: 
Nossi-Cumba , Nossi-Mitsiou , Nossi-Kaly. — Majrotte, -— Configuration 
physique. — Aspect général. -— Montagnes, cours dVau , bois et forêts. — 
Villages. — Récifs et passes, rades et baies. — lies voisines. —Populations; 
productions, cultures. (M. D.) 309 

TàltL-^ Session légisUaive tenue, en mai 1815, par rassembfée des chefs 
et juges des tirs Taïti et Moorea. — Discussion générale sur les loi» lo- 
cales. — Nomination de Hitoti c«>mme président. — Concession au gouver- 
nement du dio't d'accorder ou de refuser sa sanction aux lois votées par 
rassemblée. — Loi sur l'assassinat. — Loi sur les spiritueux importés du 
deh«N% — Loi sur les boisM)ns enivrantes fabriquées dans le pays. — Loi 
sur le mariage — Loi contre le concubinage. — Loi sur la location et la 
Tente des terres et sur les amendes. — Clôture de la session et curieux dis- 
cours prononcés à cette occasion par les indigènes Tati et Anami. 31 4 
Monnaies , poids et mesures chinois, — Renseignements sur les numéraires 
chinois et étrangers ayant cours en < hine , sur les poids et mesures chinois 
et leurs rapports avec les monnaies, poids et mesures français. (G. ob Mon- 
TiCîfV.) 324 
Correspondance. (Ernest Cuh^cet.) 335 
Catéchisme des Ansénés, 837 
Fariétés. - Voyage danfc l'Inde. (A. D.) 338 
Jbd-el-Kader et ses fi'éf'es. 344 

Aetes die la Société orientole* 

Séances. — Extraits des procès-veri>aux. (L.-Stéphane Lrclerc.) '3 

Nouveaux membres admis. 74 
Commerce ai^ecia Chine.— Rapport surun projet de M. Potonié. (Aupiffred.) 75 

Séances. — Extraits des proces-vert«»ix. (0. Mac Cartht.) ^77 

Nouveaux membres admis. . ^^* 
Rapport sur le projet d'un éâêficmde^né aux sociétés savantes de Paris, 

présenté par M. Horeau, (C. de Saint-Gér4N.) ^^2 
Rapport sur un projet lendamt à unir toutes les sociétés savantes , artis- 
tiques et littéraires de Paris. (Ai)difvrbd4 ^^ 
Bureau pour 1846. 272 
Nouveaux membres admis. «*• 
Séances. — Extraits des procès-verbaux. (0. Mac Caethy.) 347 
Nouveaux membres admis. 356 



FIN DE LA TABLE DU TOIME NEUVIÈME. 



/ 



4*dti8. — RiG?toi;x, Imprimeur «le la .Soei*;t^ orientale^ rue Monaieiir-te-lVinec, *^ hU. 

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f£B 1 i. 1951 




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